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Full text of "Étude sur les Gesta martyrum romains"

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in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/tudesurlesgest03dufo 


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^/e^ARV 


ETUDE 


SUR    LES 


GESTA    MARTYRUM 


ROMAINS 
III 


DU    MEMIi    AUTKUIl 


Etude  sur  les  Gesta  Martyrum  Romains  (0  volumes). 

I.  Vue  générale.  Le  Mouvement  lèçiendaire  ostrogotfiique.  Paris,  Fontemoing, 
in-S,  1900.  Couronné  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
1901.  Prix  Bordin. 

II.  Le  mouvement  légendaire  lérinien.  Paris.  Fontemoing,  1907.  in-8. 

III.  Le  mouvement  légendaire  grégorien.  Paris.  Fontemoing,  1907.  in-8. 

IV.  La  Légende  romaine  et  la  Légende  manichéenne  (sous  presse).  Paris. 
Fontemoing,  1907.  in-8. 

V.  La  Légende  romaine  et  la  Légende  grecque  (sous  presse).  Paris.  Fonte- 
moing, 1907.  in-8. 

VI.  Les  collections  (paraîtra  en  1908).  Paris.  Fontemoing.  in-8. 
La  Ghristianisation  des  Foules.  Paris,  Bloud,  3*^  édit.,  1907. 

Le  Passionnaire  occidental  au  VIT  siècle.  Mélanges  d'archéolo- 
gie et  d'iiistoire  publiés  par  l'Ecole  française  de  Rome.  —  Rome  1906. 

Saint  Irénée.  (Collection  La  Pensée  chrétienne).  Paris.  Bloud,  3^  édit., 
1907. 

Saint  Irénée.  (Collection  Les  Saints).  Paris.  Lecoffre,  2^  édit.  1905. 

L'Avenir  du  Christianisme.  Première  partie  :  Le  Passé  chrétien. 

Vie    et    Pensée.    3®    édition    revue    et  augmentée   d'une  bibliographie 

(4  volumes).  Paris.  Bloud,  1907. 
I.  —  Vépoque  orientale.  Histoire  comparée  des  religions  païennes  et  de  la 
religion  juive  (jusqu'à  Alexandre). 

II.  —  Vépoque  syncrétiste.  Histoire  des  origines  chrétiennes  (depuis 
Alexandre  jusqu'au  m®  siècle). 


i^Al^l-AMA^D      (CHKR).     IMPIUMEKIE     BUSSlEKli 


ÉTUDE 


SUR  LES 


GESTA  MARTTRUM 

ROMAINS 

TOME    TROISIÈME 

LE  MOUVEMENT  LÉ&ENDÂIRE  GRÉGORIEN 

PAR 

Albert  DUFOURCQ 

PROFESSEDR -ADJOINT    A    l'umIVERSITÉ    DE    BORDEAUX 
DOCTEUR  ES- LETTRES 


PARIS 

ANCIENNE    LIBRAIRIE    THORIN   ET    FILS 

ALBERT  FONTEMOING,  ÉDITEUR 

Libraire  des  Jîlcoles  françaises  d'Atliènes  et  de  Home, 

de  l'Institut  français  d'Archéologie  orientale  du  Caire 
du  Collège  de  France  et   de  l'Ecole  Normale  supérieur© 

4,  RUE  LE  GOFF,  4 

1907 


241  7  8 


PRÉFACE 


DïL 


PRÉFACE 


Le  mouvement  légendaire  qui  s'exprime  dans  les 
Gesta  mariyrum  romains  de  Tépoque  ostrogolhique, 
comme  il  continue  le  mouvement  lérinien,  se  prolonge 
au  temps  de  Texarchat  de  Ravenne  et  de  la  conquête 
lombarde.  On  le  voit  se  propager  lentement  dans  les 
pays  qui  entourent  Rome;  la  date  tardive  des  textes 
rappelle  l'origine  étrangère  du  mouvement. 

La  physionomie  de  Grégoire  le  Grand  (+  604)  appa- 
raît dès  lors  dans  un  jour  plus  clair  :  saint  Grégoire 
n'est  que  l'émule  illustre  de  cent  écrivains  obscurs; 
son  attitude  montre  quel  chemin,  depuis  Damase,  a 
parcouru  l'église  romaine.  En  le  rapprochant  de  ses 
contemporains  et  de  ses  devanciers,  on  s'explique 
aisément  l'origine,  on  apprécie  plus  précisément  la 
portée  de  son  œuvre  hagiographique. 

Et  c'est  ainsi  que  l'analyse  du  «  mouvement  grégo- 
rien »  nous  met  à  même  de  mesurer  plus  exactement  les 
conséquences  du  «  mouvement  ostrogothique  »,  comme 
l'étude  du  «  mouvement  lérinien  »  nous  a  permis  d'en 
apercevoir  plus  distinctement  les  causes  (1). 

fl)  Chercher  en  tête  du  tome  II  l'explication  des  principale  abréviations. 
J'ajoute  ici  la  mention  de  C.  Diehl  =  Etudes  sur  V admininistration  byzantine 
dans  Vexnrohat  de  Ravenne  (568-751)    Paris,  Thorin,  1888. 


CHAPITRE  PREMIER 


TRADITIONS  DE  LA  CAMPAGNE  ROMAINE, 
LES  SAINTS  ALEXANDRE,   HEDESTUS,  AGAPET 


La  Légende  romaine  s'est  épanouie  à  l'époque  ostrogothique, 
à  la  fin  du  v^  et  au  début  du  vi^  siècle  :  tous  les  indices  qu'on 
a  relevés  nous  ramènent  à  cette  date  ^  Mais,  passé  cette  date, 
qu'est  devenu  le  mouvement  littéraire  que  nous  avons  décrit? 
Venu  du  dehors  à  Rome,  est-ce  à  Rome  qu'il  s'est  arrêté  et 
qu'il  est  mort?  Ou  bien  de  Rome,  son  nouveau  centre,  s'est-il 
propagé  peu  à  peu  dans  les  régions  voisines  ? 

Justement,  après  l'expulsion  des  Goths^  certains  pays  se 
groupent  autour  delà  Ville.  C'est  le  temps  où  se  forme  l'orga- 
nisme qui  s'appellera  longtemps  l'état  pontifical  :  on  le  nomme 
alors  le  duché  de  Rome.  Qui  sait  si  l'étude  des  légendes  qui  y 
fleurissent  ne  montrera  pas  qu'elles  sont  solidaires  des  gestes 
romains  et  qu'elles  en  prolongent  l'œuvre  curieuse  ?  Aujour- 
d'hui comme  autrefois,  faisons  rapidement  le  tour  de  Rome, 
non  plus  en  visitant  ses  églises  ^,  non  plus  en  descendant 
dans  ses  cimetières  ^,   mais  en  parcourant  l'exarchat. 


*  G.  M.  R.,  1,  287-321. 

2  G.  M.  R.,  1,  101-172,  chapitre  ii  de  la  deuxième  partie. 

3  G.  M.  R.,  I,  173-264,  chapitres  m  et  iv  de  la  deuxième  partie. 

III  1 


TRADITIONS    im    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

Les  légendes  des  deux  ports  do  Home  et  du  petit  bour^^  qui 
dotmo  son  nom  à  la  voie  Nornentane  sont  (Hroitement  soli- 
daires, on  l'a  vu  \  des  légendes  romaines.  En  nst-il  de  mAme 
de  ces  autres  légendes  dont  on  rencontre  le  point  d'attache  à 
la  même  distance  environ  de  la  Ville?  Les  gestes  de  Haccano, 
de  Laurente  et  de  Préneste  présentent-ils  le  môme  caractère 
que  les  gestes  de  Nomentum,  de  Porto  et  d'Ostie  ? 


Les  gestes      Au   temps  d'Antonin,    le  bienheureux  évêque  Alexandre, 
^dre^fde'  ^^^P^^  ^^  ^^  grâce  de  Dieu,  combat  les  idoles  et  travaille  à 
Baccaao  2)  ramener  les  âmes  dans  le  chemin  de  la  vie.  Comme  on  porte 
Luceius^  qui  vient  de  mourir^  il  dit  aux  parents  :  «  Croyez  au 
Père^  au  Fils  et  à  V Esprit-Saint,  et  votre  fils  ressuscitera  ». 
Les  parents  se  laissent  persuader,  V évêque  implore  Celui  qui 
a  ressuscité  Lazare^  et  V enfant  ressuscite.  Et  le  ressuscité 
s^  écrie:  «  Deux  Egyptiens  ^  pleins  décolère  et  de  fureur  m'en- 
traînaient au  désert:  ils  allaient  me  précipiter  dans  un  puits 
scellé  de  sept  sceaux  *,  lorsqu'un  homme  jeune,  à  V aspect 
éclatant,  cria  d'une  voix  forte  :  «   Lâchez  cet  enfant,  qu  ap- 
pelle le  serviteur  de  Dieu  Alexandre  »  ;  et  les  Egyptiens  me 
ramenèrent    dans    mon    corps.     »     Et    l'enfant    ajoutait  : 
«  Alexandre  y  mon  seigneur,  baptise-moi  au   nom  de    Notre 
Seigneur  Jésus-Christ,  pour  que  je  ne  revoie  plus  ce  puits  que 
j^ai  vu  :  c''est  là  qu^on  envoie  ceux  qui  ne  sont  pas  baptisés, 
ceux  qui  nont  pas  confessé  le  Christ  !  »  Et  tous,  sans  hésiter, 
se  firent  chrétiens  :  et,  comme  on  était  au  début  du  mois  de 
mars,  ils  furent  baptisés  le  saint  jour  de  Pâques,  Ils  étaient 

^  G  M.  R.,  I,  237-243  (Porto),  244-250  (Ostie),  212-213  (Nomentum). 
a  B.  H.  L.,  273.  21  septembre  230.  Cf.  Tillemout,  ii,  319.629;  AUard,  ii,  169. 
Neumann  :  i,  306-308. 
3  Le  narrateur  veut  dire  des  diables,  noirs  comme  des  Egyptiens. 
*  Souvenir  des  7  sceaux  de  l'Apocalypse. 


ALEXANDRE    DE    BACCANO  6 

Antonin  apprit  ces  merveilles  et  ordonna  au  premier  palatin 
(primus  palatinus)  Cornelianus  de  lui  amener  Alexandre.  Cor- 
nelianus  nous  trouva  dans  réglise,  le  jour  du  Seigneur, 
comme  nous  instruisions  le  peuple  ;  car  les  messes  [missae] 
n  avaient  pas  encore  été  célébrées.  Effrayé  par  cette  nombreuse 
assistance ,  il  nous  explique  avec  respect  la  raison  de  sa  venue, 
a  Je  la  connais^  lui  dit  Alexandre;  mais  allons.  ï>  Et  il  re- 
fuse  de  fuir,  il  empêche  le  peuple  de  lapider  le  palatin^  le 
bénit  après  avoir  fini  la  messe  et  nous  renvoie  ;  mais  comme 
il  m'avait  ordonné  prêtre,  je  V accompagnai  à  Rome  avec  ma 
femme  —  sa  propre  sœur  — ,  avec  Boniface  et  avec  Vitalion. 
Or,  Antonin  était  en  Tuscie  :  il  se  faisait  bâtir  un  mausolée 
sur  la  voie  Claudia,  au  18^  mille.  Cornelianus  arrive  rapide- 
ment au  Clivus  Parralis,  au  priEtorium  Fusci,  où  il  comparaît 
devant  le  tyran  :  je  r avais  suivi  jusque-là,  mêlé  aux  soldats, 
curieux  de  connaître  les  gestes  du  martyr,  Alexandre  confesse 
le  Christ,  descendu  du  ciel  pour  nous  délivrer  de  la  mort;  il 
brave  les  tourments  du  chevalet,  et  est  reconduit  en  prison, 
Vange  Michel  vient  délier  ses  chaînes  ;  puis  il  m'avertit  de 
quitter  l'arbre  sous  lequel  je  m'étais  endormi,  afin  de  7i*être 
pas  maltraité,  et  je  suis  la  route  comme  un  mendiant.  Quatre 
jours  après,  dans  /<?praedium  des  Nœviani,  Antonin  fait  dresser 
son  tribunal  et  préparer  les  jeux  ;  mais  Alexandre  fait  lé  signe 
de  croix,  repousse  les  avances  de  F  empereur  et  méprise  les 
supplices  [chevalet,  lames  ardentes,  ongles  de  fer),  Lor s qu! An- 
tonin jure  par  Jupiter,  par  le  Soleil  Invaincu  et  par  Apollon 
le  grand  de  le  traiter  comme  un  frère  s* il  sacrifie,  il  feint  de 
se  laisser  fléchir  ;  mais,  arrivé  au  temple  d'Apollon,  il  fait  le 
signe  de  la  croix,  et  sa  prière  jette  à  terre  ridole  et  le  tiers  du 
temple.  Et  les  ours  et  les  lions  lui  lèchent  les  pieds. 

Cependant  le  peuple  proteste  ;  Antonin  ordonne  à  son  offi- 
cium  qu'on  prépare  une  fournaise.  Ce  qui  est  fait,  par  les 
soins  des  ministri,  au  bourg  de  Baccano,  où  il  y  avait  des 
thermes  publics.  Or,  à  la  prière  d' Alexandre  qui  raille  et  in- 
sulte le  tyran,  la  fournaise  s'éteint  ;  pas  un  de  ses  cheveux  n'a 
été  brûlé.  «  Décapitons-le  »,  conseille  Cornelianus.  C'est  à  ce 
moment  qu'un  des  membres  de  /'officium,  Herculanus,  s'avoue 
chrétien  ;  il  a  reçu  la  grâce  du  Christ  ;  il  est  condamné .  On  ar- 
rive à  la  fontaine  qui  est  à  130  pieds  du  bourg,  à  deux  pieds 
hors  du  chemin,  et  là,  le  saint  se  lave  les  mains  et  la  figure. 
Plus  loin,  au  20^  mille  de  la  voie  Claudia,  là  où  se  dresse 


4  TKADITIONS    DE    LA    CAMPAONF^    ROMAINE 

sur  de  grandes  pierres  rinscriplion  de  marbre,  à  sept  pieds 
de  la  route,  au  couchant,  à  70  pieds  de  la  borne  milliaire, 
Alexandre  aie  sa  tu)ii(/ne  [de  dessus  {planète  ou  daltnatiquei], 
et,  vêtu  de  sa  timique  de  lin,  après  s'être  bandé  les  yeux  de 
V viole,  orarium,  f[uil  a  empruntée  à  une  veuve  reneontrée  sur 
le  chemin,  il  fait  le  signe  de  la  croix,  et  il  est  décapité.  La  terre 
tremble  ;  les  thermes  et  les  maisons  du  bourg  s'écroulent.  — 
La  nuit  venue,  f  enlève  le  corps  et  Boni  face  va  se  procurer  des 
aromates.  Sur  l'ordre  d' Alexandre  qui  rn  apparaît^  moi  Cres- 
centianus,  je  V ensevelis,  non  dans  la  petite  crypte  que  j'avais 
creusée  avec  mes  compagnons  et  qu'il  me  réservait,  mais  à 
l'endroit  oit  il  avait  été  mis  dans  la  fournaise  ;  et.  sur  son 
ordre  encore,  je  serrai  soigneusement  sa  passion,  afin  qu'An^ 
tonin  ne  piit  la  brûler.  Et  je  gravai  cette  inscription  dans  le 
mai'bre  : 

Ici  repose  le  saint  et  vénérable  martyr  Alexandre,  Evêque. 

On  célèbre  sa  déposition  le  il  des  kalendes  tC octobre, 
tandis  que  règne  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  à  qui  honneur 
et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Le  texte  qui  est  ici  résumé  se  lit  dans  le  Codex  Vindobo- 
nensis  357  :  je  l'appelle  le  texte  A. 

JNous  en  connaissons  deux  autres,  un  peu  plus  longs.  L'un, 
B,  est  imprimé  par  les  Bollandistes  et  commence  par  les 
mots  In  diebus  illis  ^  ;  il  compte  14.1^^2  baptisés,  non  125  ; 
place  au  dix-septième  mille  le  mausolée  d'Antonin,  omet 
l'histoire  de  cette  veuve  qui  donne  au  saint  son  étole,  trans- 
forme le  nom  Luceius  en  in  locello  et  ajoute  l'épilogue  sui- 
vant. 

Quatre  jours  après  le  martyre  d'Alexandre,  sur  Vordre 
d'Antonin,  Herculanus  est  jeté  à  minuit  au  milieu  du  lac  ; 
mais  la  pierre  se  détache  de  son  cou,  il  sort  des  eaux,  prie 
Dieu  d'avoir  pitié  de  lui  \jans  doute  parce  quil  n'a  pas  reçu 
le  baptême],  et  encouragé  par  une  voix  du  ciel,  il  rend  l'âme. 
—  Les  soldats,  qui  ont  tout  vu,  racontent  tout  à  Cornelianus. 
Comme  celui-ci  veut  briser  l'inscription,  sa  main  se  dessèche, 
et  c'est  au  tombeau  qu'il  est  guéri.  Et  il  en  informe  Prota- 
sius,  et  c'est  sous  sa  dictée  ciue  Protasius  écrit  cette  histoire. 
Un  homme  juste  et  craignant  Dieu,  à  la  suite  d'une  vision, 

i  B.  H.  L.,  273,  2i  septembre  230. 


TROIS    VERSIONS    D  ALEXANDRE  5 

ensevelit  Herculanus  dans  son  cimetière,  le  6  des  kalendes 
d'octobre.  Après  la  mort  d^Antonin,  Cornelianus  donne  à  Pro' 
tasius,  qui  a  élevé  sa  filles  le  prsetorium  Fusci  ;  Protasius  y 
relève  les  thermes  de  Baccano  ;  il  y  construit,  sur  ma  demande, 
une  église  au  tombeau  du  martyr,  en  même  temps  qu^un  ci^ 
meiière  de  800  pieds  de  circuit.  La  dédicace  de  l'église  est 
fêtée  le  10  des  kalendes  d'avril  [23  mars],  Constantin  et 
Crispus  césar  étant  {consuls)  pour  la  deuxième  fois  [321\ 

L'autre  —  que  j'appelle  le  texte  C  —  nous  est  accessible  dans 
les  longs  résumés  qu'en  ont  faits  Adon  et  Flodoard  *.  Voici 
les  traits  qui  le  caractérisent  :  \ .  Les  convertis  sont  au  nombre 
de  125  ;  2.  L'ange  qui  apparaît  à  Crescentianus  n'est  pas 
nommé  ;  3.  La  construction  de  la  crypte  est  attribuée,  72on  à 
Crescentianus^  mais  au  pape  Damase  ;  4.  D  amas  e  fixe  la  fête 
du  saint  au  2H  novembre,  date  d'une  translation  du  martyr  ; 
5.  L'enfant  ressuscité  porte  le  nom  du  Luceius. 

Vocabatur  is  Luceius.^  cum  quo  baptizati  sunt  alii  centum 
viginti  quinque  [404J...  Cuipapa  Damasus postmodum  cryp- 
tam  condignam  faciens,  illic  eum  sexto  Kalendas  decembris 
transposuit  quando  et  festiuitatem  ei  dicauit.  Orarium  porro 
illud  sibi  prœstitum  unde  sibi  martyr  oculos  texerat,  mox  ut 
decollatus  est  mulieri  per  quendam  puerulum,  quem  ange- 
lum  fuisse  non  est  dubium,  reformatum  est.  Quod  illa  non 
sine  grandi  stupore  recepit  etvere  martyrem  confessa  Alexan- 
drum  Christo  credidit  [405]. 

On  étudiera  tour  à  tour  la  légende  commune  aux  trois 
textes,  puis  les  particularités  de  chacun  d'eux. 

Une  idée  domine  la  première  partie  de  cette  légende^  l'idée 
que  le  baptême  est  nécessaire  pour  être  sauvé  ^.  N'est-ce  pas 
un  indice  que  la  légende  a  pris  forme  au  v®  ou  au  vi*  siècle, 
alors  que  s'opérait  lentement  la  christianisation  des  foules  ? 
Je  remarque,  d'autre  part,  le  soin  qu'apporte  l'auteur  anonyme 
à  mettre  en  relief  la  sainteté  d'Alexandre,  et  son  crédit  sur 
Jésus  ^  Ce  trait  convient  à  merveille  à  cette  époque  où 
s'exalte  le  culte  des  martyrs.  La  langue  politique,  l'allure  gé- 

t  p.  Z.,  123.403  et  135.645.  —  Cf.  le  Codex  Ambrosianus,  H.  224. 

2  M  Pateum...  ubi  mittuntur  non  baptizati  aut  quicumque  noa  fuerint 
Cbristum  confessi.  Unde  iadubitatum  est  omnibus  ut  fièrent  Christiani.  Et... 
die  sancti  Paschae  omnes  sunt  baptizati  »,  §  2. 

3  «  Remittite  puerum  quia  vocatur  a  famulo  dei  Alexandro.  » 


fi  TRADITFONS    DE    LA     CAMPAGNE    ROMAINK 

néralo  ol  les  (l(UaiIs  du  (l('volop[)(!nieiit  '  ra[)[)(;II(;nl  précis/imrînt 
l(îs  gestes  romains  iU)  l'époque  ostro;4ol}iif|ue. 

Très  netlenieut,  enlin,  deux  df^tails  nous  dénoncent  cette 
mAme  époque,  parce  qu'ils  rcflèlnnt  l(!S  controverses  qui  p;i^- 
sionnent  alors  l(;s  esprits  :  je  songe  h.  ce  souci  frauthentifirr  ' 
qui  pousse  le  pseudo-Crescentianus  à  feindre  d'Atre  un  compa- 
gnon du  saint  et  un  témoin  oculaire  des  faits  ;  et  je  vise  aussi 
les  passages  où  le  saint  refuse,  de  s  enfuir  ^ ,  où  le  narrateur 
sV.squive  prudemment.  Si  j'ajoute  que  la  mention  de  l'archange 
saint  Michel  nous  rappelle  le  culte  dont  les  Romains  l'entou- 
raient, au  moins  dès  le  v°  siècle  *,  on  comprendra  que  nous 
rattachions  cette  légende  aux  v®  et  vi"  siècles,  et,  plus  particu- 
lièrement, à  l'époque  ostrogothique. 

L'auteur  avait  quelques  lectures  :  s'il  n'est  pas  étonnant 
qu'à  la  mort  d'Alexandre  il  imagine  un  tremhlement  de  terre, 
réplique  évidente  des  miracles  qui  signalent  la  mort  du  Christ 
[Mt.  XXVII.  51],  je  remarque  qu'il  se  souvient  de  l'Apoca- 
lypse ^  et  fait  baptiser  les  nouveaux  convertis,  une  fois  au 
moins,  au  nom  de  Jésus  seul  :  ce  qui  semble  bien  venir  des 
Actes  des  Apôt.res  «  [II,  38  ;  VIII,  12  ;  X,  47  ;  XIX,  5]. 

Le  récit  de  la  mort  d'Alexandre  est  modelé  sur  le  récit  du 
martyre  de  saint  Cyprien  '. 

La  résurrection  de  l'enfant  mort  rappelle  les  résurrections 

1  Officium  ;  la  conversion  conçue  comme  un  marché  ;  le  signe  de  la  croix, 
signe  magique;  «  les  lapides  muti...  »;  Alexandre  vient  d'Orient. 

2  G.  M.  R.,  I,  289-290,  et  62,  65.  Cf.  Potentienyie-Praxède,  qui  est  précisé- 
ment datée  du  temps  d'Antonin,  comme  Félicité. 

3  G.    M.  R.,  1,  331-336. 

*  Le  Sacramentaire  Léonien  atteste  une  fête  romaine  de  saint  Michel,  à  la 
date  du  30  septembre,  célébrée  sur  la  Via  Salaria,  au  6^  mille.  Et  le  Liber 
Po7itificalis  atteste  l'existence  d'une  seconde  église  consacrée  à  l'archange,  à 
l'intérieur  de  la  ville  :  Symmaque  l'a  embellie  [Cf.  Kellner  :  trad.  Mercati  : 
L'anno  ecclesiastico...  (1906),  281-282;  et  Grisar  :  Geschichte  Royn^,  i,  154, 
note  5  et  181]. 

Saint  Michel  devint  plus  tard  le  saint  protecteur  des  Lombards  [Gotthein  : 
Die  Culturentwickelung  Sud-Italiens.  Breslau,  1886,  41-111,  ne  donne  rien  de 
précis]. 

s  Cf.  supra,  p.  2,  note  4. 

6  G.  M.  R.,  1,  361-362.  —  La  môme  formule  baptismale  est  attestée  aussi 
dans  les  gestes  de  Torpes  [cf.  infra\.  Peut-être  est-ce  là  que  notre  rédacteur 
l'a  prise.  —  Sur  cette  question,  cf.  Turmel  :  Histoire  de  la  théologie  positive, 
1904,  p.  126,  249,  299,  419. 

"î  Acta  proconsulnria,  5  [Ruinart,  éd.  1859,  p.  263]  :  «  et,  cura  se  dalmatica 
exspoliasset,...  in  linea  stetit,...  manu  sua  oculos  sibi  texit,...  »  Cf.  21  sept., 
§13  des  gestes  :  «  et  explicavit  se  tunica,  et  in  linea  stetit,  et  de  orario  suo 
sibi  oculos  texit.  »  Noter  que  les  actes  de  Félicité  et  Perpétue  mettent  en 
scène  un  jEgyptitts.  Cf.  infra. 


LE   THEME    CENTRAL  7 

que  racontent  les  gestes  d'Alexandre  pape  *  ou  l'histoire  de 
Thècle. 

L'attitude  du  peuple  qui  voudrait  lapider  le  palatin  nous 
fait  souvenir  de  Pierre  et  Marcellin  :  dans  cette  légende,  le 
peuple  arrête  les  offlciales  '  survenus  au  milieu  de  la  messe, 
missœ. 

L'ange  qui  délie  les  chaînes  d'Alexandre  semble  une  ré- 
plique de  celui  qui  délie  les  chaînes  de  Pierre  l'exorciste. 

L'apparition  d'Alexandre  à  Crescentianus  rappelle  l'appari- 
tion de  Calliste  à  Calépode. 

La  feinte  du  saint  qui  laisse  croire  à  sa  prochaine  apostasie 
est  sans  doute  inspirée  de  l'épisode  analogue  qu'on  lit  dans 
Euplus  B.  ^ 

L'histoire  de  la  veuve  qui  donne  à  Alexandre  son  étole  est 
une  évidente  imitation  de  l'épisode  Plautilla-Perpetua  dans 
les  gestes  de  Pierre  et  de  Paul  *. 

Les  gestes  de  Sérapie  et  Sabine  présentent,  avec  notre  lé- 
gende, quelques  points  de  contact  qui,  peut-être,  ne  sont  pas 
fortuits  ^. 

N'est-ce  pas  à  des  légendes  grecques  qu'elle  emprunte  l'idée 
d'une  trinité  païenne  %  et  l'épisode  du  martyr  qui,  au  moment 
de  sa  mort,  demande  à  se  laver  les  mains  '  ? 

Le  personnage  de  Protasius  semble  un  souvenir  des  gestes 
de  Gervais  et  Protais  ;  d'autant  que  le  rôle  qu'il  joue,  et  aussi 

1  G.  M.  R.,  I.  220. 

2  G.  M.  R.,  I,  327.  «  luniores  de  populo  Dei  tenuerunt  (officiales)...  quous- 
que  missas  faceret  g.  M.  ».  Un  épisode  analogue  se  lit  aussi  dans  Clément 
[Sisinnius  arrive  au  milieu  de  la  messe,  missse].  Comme  Alexandre,  Clément 
mentionne  encore  que  les  baptêmes  sont  conférés  à  Pâques. 

'  G.  M.  R.,  II,  179. 

*  «  Gommoda  mihi  pannum  quo  caput  tegis...  ;  ligabo  enim  mihi  ocuios  vice 
sudarii  et...  amoris  mei...  pignus  relinquam  »  \Passio  Pauli  ps-Linus,  §14. 
Cf.  Lipsius  :  Acta  Pétri,  Acta  Pauli...  Lipsiae,  1891,  p.  39;  —  et  mes  G.  M. 
R.,  1,  327]  ;  et  tSwv  aùxrjv  ô  IlaùXoç  xXafoucrav,  Xi-^zi  auxT).  Soc  fJtot  to  topàptôv 
ffou  xac  uTToarpicptu,  SiûWfi.?  doi  auxo.  'H  Se  XaSoôja  to  topàpiov  Trpo0'j(jLW(; 
eStoxev  [Acta  Pétri  et  Pnuli.  Cod.  Reggiensis,  §  80.  Cf.  Lipsius  :  op.  cit., 
p.  213-314;  et  mes  G.  M.  R.,  i,  326].  Ici  et  là,  la  femme  recouvre  son 
mouchoir. 

5  Dans  l'un  et  l'autre  texte  se  lit  le  mot  prœtorium  signifiant  maison  de 
campagne,  propriété  à  la  campagne  ;  dans  Tun  et  l'autre  on  saisit  comme  un 
reflet  des  légendes  qui  courent  sur  VEgypte  (ici,  ce  sont  les  diables  auxquels 
on  donne  la  physionomie  des  Egyptiens  ;  là  ce  sont  les  débauchés  qui  doivent 
violer  les  deux  saintes)  ;  l'un  et  l'autre  appuient  sur  les  seiitimenta  de  respect 
(«  prœses  reveritus  illam  :  Gorneliauus  cum  reverentia  cœpit  dicere  »). 

6  {Euplus,  etc..  Cf.  G.  M.  R..  ii,  178),  et  G.  M.  R.  V. 

">  {Alexandre  de  Bergame,  Florian)  et  G.  M.  R.  V. 


8  THy\I)ITIONS    DF':    r,A    CAMPArîNR    FiOMAINK 

l'histoire  de  Cornolianiis,  rappollonl  fort  Philippe  et  Cerelius, 
dans  cotte  même  légenchî  *. 

Les  «  l'i^^^ypliens  »  qui  entraînent  aux.  enfers  h;  jeune  I^u- 
ceius  ra[)pc'llent  <les  histoires  anah)^^ues.  .f'f*n  citerai  deux, 
(jrégoire  le  (irand  conte  ^  l'aventure  d'un  enfant  de  cinq  ans, 
auquel  son  [)ère  apprend  à  hlasphémer  Dieu  ;  l'enfant  est 
bientôt  atteint  d'une  maladie  mortelle;  il  voit  venir  à  lui, 
trementibiis  oculis...,  mallgnos  spirilus  ;  il  prie  son  père  de  les 
écarter  :  «  ohsta  pater,  ohsta  palcr^^  .  Qui  damans  dpcliuahat 
faciem  ut  se  ab  cis  in  suiu  patris  absconderet,  Quain  ciim  ille 
Irenientem  requireret  quid  iiidercty  puer  adjunxit  dicens  : 
«  Mauri  homines  venerunt  qui  me  tôlier e  uolunt  » .  Ce  sont 
ici  des  Maures  ;  c'étaient  là  des  Egyptiens  ;  ces  légères  va- 
riantes dissimulent  mal  l'identité  du  trait. 

On  peut  indiquer  avec  quelque  vraisemblance  le  texte  où 
notre  rédacteur  a  pris  ses  «  Egyptiens  ».  La  légende  de 
sainte  Afra  rapporte  la  conversion  d'une  courtisane,  chez  la- 
quelle s'est  réfugié  l'évèque  Narcisse,  sans  savoir  où  il  allait  : 
il  fuyait  les  agents  de  Dioctétien.  Lorsque  l'hôtesse  lui  a  dit 
son  métier  et  qu'il  a  commencé  de  la  convertir,  et  qu'il  prie 
le  Seigneur  afin  que  la  grâce  surabonde  où  abondait  l'ini- 
quité, factum  est. ..y  ciim  aidassent  (episcopus  et  diaconus), 
appariât  Aigyptius  ^  quidam  nigrior  corvo,  nudus  et  vul- 
neribus  elefantiœ  toto  corpore  plenus  et  dare  cœpit  mugitum 
et  dicere  :  o  sancte  Narcisse  episcope,  quid  tibi  cum  casa 
mea  ?  Quid  tibi  cum  ancillis  meis  ?... 

Voici  enfin  deux  passages  de  saint  Grégoire  qui  éclairent 
l'origine  du  thème.  Un  moine  espagnol,  Pierre  *,  meurt  dans 
le  désert  d'Evasa,  puis  ressuscite  aussitôt  ;  il  raconte  ce  qu'il 
a  vu  aux  enfers,  les  puissants  brûlés  dans  les  flammes  où  il  va 

1  G.  M.  R.  Il,  37-39.  —  Noter  encore,  G.  M.  R.  ii,  67,  que,  dans  Nazaire  C> 
Celse  7nort  a  vu  Nazaire  causer  avec  Dieu,  et  Isazaire  ressuscite  Celse  ;  et 
comparer  avec  le  palatinus  primus  Cornelianus  le  miles  primus  Dentus 
[G.  M.  R.,  II,  64]. 

2  Bialofji,  IV,  18,  P.  i.,  77,  349. 

3  Conversio  et  pa^sio  A/rœ,  §  6.  [M.  G.  —  S.  R.  M.,  m  (1895).  Passiones 
vitœque  sanctorum  œvi  merovingici,  edidit  Bruno  Krusch,  p.  58].  —  Rap- 
procher ce  fait  de  ceux  que  nous  avons  notés  au  tome  II,  et  qui  prouvent 
que  les  gestes  des  martyrs  du  Danube  étaient  connus  à  Rome  [cbap.  x  et  xi]. 

Se  représenter  les  démons  comme  de  noirs  Africains,  Ethiopiens  ou  Egyp- 
tiens, c'est  donc  un  trait  commun  à  l'hagiographie  chrétienne.  Cf.  Rufin  :  His~ 
toriaMonachorum,  29  [P.  L.,  21,  454]  ;  Geroutius  :  Vita  Melaniœ  junioris  [Ram- 
poUa,  30,  1.  25]  ;  et  les  légendes  apostoliques. 

^  Diaiogi.,  iv,  36  [P.  L.,  77,  381]. 


TEXTES    DE    SAINT    GREGOIRE  ^ 

être  précipité,  lorsqu'il  est  sauvé  par  un  ange,  corusci  hahi- 
tus  ;  ses  membres  se  réchauffent,  il  se  réveille  :  et,  de 
peur,  il  vit  saintement. 

Quidam  llliricianus  monachus  qui  in  hac  iirbe  in  monastt- 

rio  mecum    vivebat    mihi  narrare  consuevèrat  quia cûm 

adhuc  in  eremo  moraretur,  agnoverit  quod  Petrus  quidam 
monachus  ex  regione  or  tus  Iheriœ,  qui  in  loco  vastœ  soli- 
tudinis  cui  Evasa  nomen  est  inhœrebat,  sicut  ipso  narrante 
didicerat,  priusquam  eremum  peteret^...  defunctus  est  :  proti- 
nus  corpori  restitutus  inferni  supplicia  atque  innumera  loca 
flammarum  se  vidisse  testahatur.  Qui  etiam  quosdam  hujus 
sœculi  po tentes  in  eisdem  fiammis  suspensos  se  uidisse  narra- 
bat.  Qui  cum  iam  ductus  esset  ut  in  illas  et  ipse  mergeretur, 
subito  angelum  corusci  habitus  apparuisse  fatebatur^  qui  eum 
in  igné  mer  g  i  prohiber  et .  Cui  etiam  dixit:  Egredere,  et  qualiter 
tibi  posthac  vivendum  sit  cautissime  attende.  Post  quam  vocem 
paulatim  recalescentibus  membris,  ab  œternœ  mortis  somno 
evigilans^  cuncta  quœ  circa  illum  fuerant  gesta  narravit. 

De  même,  un  ami  de  saint  Grégoire  fait  un  court  voyage 
aux  enfers,  au  cours  d'une  mort  momentanée,  et  raconte  qu'il 
a  été  renvoyé  sur  terre  par  le  Juge  ^  :  la  Mort  s'était  trompée. 

lllustris  vir  Stephanus...  de  semetipso  mihi  narrare  con^ 
sueverat  quia,,,  in  constantinopolitana  urbe..,  defunctus 
est...  Qui  ductus  ad  inferni  loca^  vidit  multa  quœ prius  au- 
dita  non  credidit.  Sed  cum  prœsidenti  illic  iudici  prœsentatus 
esset  y  ab  eo  receptus  non  est,  ita  ut  diceret  :  Non  hune  deduci, 
sed  Stephanum  ferrarium  jussi.  Qui  statim  reductus  in  cor- 
pore  est  et  Stephanus  ferrarius,..  eadem  hora  defunctus  est. 

Est-ce  à  dire  que  les  gestes  dépendent  de  saint  Grégoire  et 
qu'il  en  faille  abaisser  la  date  jusqu'au  début  du  vu*  siècle? 
—  Je  n'en  crois  rien.  Grégoire  et  l'auteur  des  gestes  dé- 
pendent également  des  mêmes  légendes  qui^  depuis  long- 
temps \  couraient  sur  la  nature  et  sur  la  vie  de  l'âme.  Ce 
thème  est  une  réplique  chrétienne  du  mythe  de  Minos  et 
d'Orphée. 

Mais,  le  plus  souvent,  c'est  aux  traditions  locales  que  puise 
l'auteur  anonyme.  Les  détails  très  précis,  et  sans  doute  très 

1  Dialogi.,  iv,  36  [P.  L.,  77.  384]. 

2  Rohde  :   Psyché,  £«  Autlage,  ii,  363.    Cité  par   Delehaye  :   Légendes  hagio 
graphiques,  210-211,  note  2. 


10  TnADlTKJNS   DE    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

exacts,  qu'il  donno  sur  la  topop^ra[)}iie  loc.ilo  l'indiquent  avoc 
(évidence.  Do  I{ossi  a  relrouvf^  le  point  d'attache  de  la  tradi- 
tion :  c'est  la  villa  de  I^accano  qui  appai  tenait  à  Fescennius 
Niger,  le  compétiteur  de  Sévère  ',  et  qui,  lors  de  la  victoire 
de  celui-ci,  passa  dans  ses  mains.  Saint  Alexandre  est  un 
martyr  inconnu  -  qui  était  vénéré  tout  au[)rès  ;  on  conçoit 
qu'il  ait  été  rattaché  au  temps  des  Sévère  ',  s'il  n'est  pas 
réellement  mort  au  début  du  m*  siècle  *. 

La  proximité  de  Haccano  et  de  Rome  explique  la  parenté 
des  j^estes  de  notre  maityr  avec  les  gestes  romains.  Mais 
celte  parenté  peut  s'expliquer  encore  par  un  fait  précis  : 
l'église  romaine  de  Saint-Marc,  fondé(î  vers  ^^36  par  le  pape  qui 
porte  ce  nom,  avait  reçu  de  Constantin  la  propriété  d'un 
fundiis  Antonianus  sur  la  voie  Claudia  ^.  C'est  peut-être  un 
clerc  romain  de  cette  église  qui  a  rédigé  les  gestes  d'Alexandre 
de  Baccano. 

L'hypothèse  aurait  l'avantage  de  résoudre  une  question 
embarrassante.  Selon  le  texte  bollandiste,  la  dédicace  de 
Féglise  a  été  faite  sous  le  second  consulat  de  Constantin  et  de 
Crispus.  Or,  il  se  trouve  que,  en  l'année  321,  les  consuls  ont 
été  Flavius  Julius  Crispus  Constantini  Aug.  f.  Nob.  Caes.  II 
et  Flavius  Claudius  Constantinus  Junior  Constantini  Aug.  f. 
Nob.  Caes.  IL  Une  église  a  peut-être  été  réellement  cons- 
truite à  Baccano  en  321  :  l'événement  aurait  été  commémoré 
par  une  inscription,  datée  des  consuls  de  321  ;  notre  anonyme 
l'aurait  lue.  Le  fundus  Antonianus  était    situé    à    Baccano, 


1  D'où  le  nom  de  la  propriété  dans  Ja  légende,  prœtorium  Fusci  :  le  père 
de  PescenDius  Niger  s'appelait  Anniiis  Fuscus  \BuUet.  Arch.  Christ.  1875, 
150,  et  18S8,  115].  Le  nom  devait  être  gravé  sur  une  inscription.  —  L'inscrip- 
tion funéraire  rapportée  dans  la  légende  n'était  certainement  pas  de  Damase 
[Ihm  :  Damasi  epigrammata.  Lippiae,  1895,  n.  100,  p.  100].  —  Baccano  est, 
près  Népi,  an  21»  mille  de  la  Via  Cassia  [Itin.  Afitonini,  486,  4,  5,  Wesseling]  : 
notre  texte  écrit  par  erreur,  Via  Claudia  [Neumann,  i,  306]. 

2  Le  férial  hiéronymien  l'ignore. 

3  Septime  Sévère  et  Caracalla  portaient  le  surnom  d'Antonin.  —  Cf.  Tille- 
mont,  II,  319.  629;  Allard,  ii,  169;  Neumann,  i,  306-308. 

*  Septime  Sévère  le  premier  persécuta  systématiquement  les  chrétiens. 

6  L.  P.,  I,  202.  —  11  est  même  vraisemblable  que  le  mot  Baccanas,  à  la 
ligne  suivante,  se  rapporte  au  fundus  Antonianus  [Duchesne,  L.  P.,  i,  203*0]  ; 
une  erreur  du  même  genre  a  égaré  le  fundus  Orrea  sur  la  voie  Ardéatiue, 
tandis  qu'il  faut  lire  Voie  Latine  [P.  L.,  i,  202-2031 1.  —  Jaffé  :  Reg.  Greg.  u, 
2227],  Le  terme  fundus  Antonianus  est  peut-être  en  rapport  avec  la  tradition 
locale  qui  rattache  le  martyre  d'Alexandre  à  un  empereur  Antonin. 


RAPPORT   DES   TROIS    VERSIONS  11 

proche  l'église;  comment  le  clerc  d'une  basilique  propriétaire 
de  celui-là  n'aurait-il  pas  connu  celle-ci  ? 

Quel  est  le  rapport  des  trois  versions  qui  nous  sont  par- 
venues? 

Le  texte  de  Vienne  semble  être  un  fragment  de  celui  qu'a 
résumé  Adon.  Ici  et  là,  le  ressuscité  est  nommé  ;  ici  et  là,  les 
baptisés  sont  au  nombre  de  125,  non  de  14.132.  Si  Adon  ne 
nomme  pas  Michel,  que  mentionne  le  manuscrit  de  Vienne, 
le  fait  s'explique  sans  doute  parce  qu'Adon  résume  un  texte 
développé.  Adon  et  le  Vindobonensis,  enfin,  mentionnent  tous 
deux  l'épisode  de  la  veuve.  Il  est  certain  que  A  et  G  forment 
groupe  contre  B.  —  Néanmoins,  on  ne  doit  pas  dire  que  A  et 
G  sont  une  seule  et  même  version  :  ils  se  contredisent  formel- 
lement sur  un  point  précis.  D'après  A,  Alexandre  n'a  jamais 
été  enterré  in  crypta  modica;  il  a  été  enseveli  d'abord, 
comme  il  le  voulait,  in  loco  fornacis.  D'après  G,  il  a  été  en- 
seveli d'abord  in  loco  fornacis,  ensuite  in  crypta  modica 
(grâce  à  Damase  *). 

Il  est  sûr  que  la  version  boUandiste,  B,  s'oppose  à  la  fois  au 
texte  de  Vienne,  A,  et  au  texte  d'Adon,  G,  :  elle  ignore  l'épi- 
sode de  la  veuve,  elle  ajoute  l'épilogue  de  Protasius,  à  l'inverse 
du  texte  de  Vienne  ;  elle  ignore  Damase  à  l'inverse  d'Adon  ;  elle 
substitue  surtout  une  fête  de  dédicace  d'église,  le  23  mars,  à 
un  anniversaire  de  translation,  le  26  novembre.  Elle  a  peut- 
être  emprunté  aux  Quarante  Martyrs  l'histoire  d'Herculanus 
jeté  à  l'eau,  à  Agathe  ou  à  Lucie  la  guérison  de  Gornelianus 
au  tombeau  d'Alexandre. 

La  fête  de  la  dédicace  [B]  s'appuie  sur  une  date  consulaire 
dont  on  constate  l'exactitude  ;  le  rédacteur  l'a  lue  sur  une  ins- 
cription de  Baccano  ;  peut-être  l'église  date-t-elle  vraiment  de 
321.  La  translation  attribuée  à  Damase  par  Adon  s'appuie 
peut-être  sur  l'inscription,  qui  n'a  rien  de  damasien  *.  — 
Mais  la  difficulté  n'est  pas  résolue.  Alexandre  étant  mort  le 
21  septembre,  d'où  vient  cette  seconde  fête  qu'on  date,  ici  du 
23  mars,  là  du  26  novembre  ? 

La  fête  du  26  novembre  est  mentionnée,  d'après  G  sans  doute, 


1  Noter  ce  que  dit  C  de  ce  puerulus,   quem   angelum  fuisse  non   est  du- 
bium.  Cela  rappelle  fort  ce  qu'oa  lit  dans  Agathe,  G.  M.  R.,  n,  195. 
*  Ihm,  n®  100,  p.  100,  «  iudcriplio  uaui  damasiano  non  conuenit  ». 


12  THAniTIONS    DK    LA    CAMPAfiNK    ROMAINE 

par  lo  calendrier  po[)ulaire,  —  ce  qui  en  alteële  l'existence, 
selon  toutes  les  probabilil/;s*,  au  vu"  siècle.  — On  y  lit',  en 
effet  : 

VI.  K.  decrm.  El  hcaii  alexandri  opiscopi  et  marlyris, 
passi  XI.  K.  oct,  a  papa  damaso  VI  /i.  dec,  translali,  quando 
festivitatem  ci  dicauit. 

Le  fcrial  hiéronymien  l'ignore,  —  comme  il  ignore,  du 
reste,  les  fêtes  du  23  mars  et  du  26  septembre.  —  De  ce  côt(^, 
on  se  beurte  à  l'inconnu. 

JMais  je  remarque  que  la  translation  dans  la  crypte  que  la 
version  adonienne  attribue  à  Damascest  sans  doute  en  rap[)ort 
avec  ce  passage  de  A  où  l'on  voit  que  Crescentianus  a  creusé 
une  crypte  pour  y  ensevelir  Alexandre;  seulement,  le  martyr 
veut  être  enterré  ailleurs,  à  l'endroit  où  il  a  souffert,  dans  la 
fournaise  ;  il  donne  la  crypte  à  Crescentianus  et  à  sa  femme. 

Fecimus  criptulam  modicam  in  qua  ponerem  corpus,  Se- 
quenti  aiitem  nocte  apparuit  mihi  Alcxander  martyr  per  ui- 
siim  et  dixit  mihi  :  Crescentiane  locus  iste  tibi  debetur...;  cor- 
pus autem  meum  in  loco  fornacis  ubi  oravi  dominum  et  non 
me  tetigit  ignis,  ibi  reconde.  Tibi  autem  dominiis  in  loco  isto 
gratiam  donat  [Vindob .  357,  f*  198^]. 

La  version  bollandiste,  B,  et  le  texte  de  Vienne,  A,  ne  disent 
rien  là-contre.  La  version  adonienne,  au  contraire,  détruit 
aussitôt,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  ce  qui  vient  d'être  avancé,  et 
fait  ensevelir  Alexandre  par  Damase_,  dans  la  crypte. 

Cui  papa  Damasus  postmodum  cryptam  condignam  fa- 
ciens  illic  eum  sexto  Kalendas  Decembris  transposuit  ^ 

Ainsi,  les  deux  versions  A-B  et  G  nous  parlent  de  deux  tom- 
beaux, Tun  in  crypta^  l'autre  in  loco  fornacis.  Mais,  tandis  que, 
d'après  la  version  adonienne  G,  Alexandre  a  reposé  successive- 
ment dans  les  deux,  —  d'après  les  versions  bollandiste  et  vien- 
noise, il  n'a  jamais  reposé  dans  le  premier. 

Y  eut-il  vraiment  translation? 

Je  suppose  quil  y  avait  deux  tombeaux  portant  le  même 
nom  d  Alexandre  dans  la  catacombe  de  Baccano  :  l'un  était 
dans  une  crypte  toute  petite,  cryptulam  modicam,  où  l'on 
voyait  aussi  le  tombeau  d'un  Crescentianus  ;  l'autre  était  près 

1  G.  M.  R.,  I,  372-375. 

2  P.  L.,  123, 175-176. 

3  P.  L.,  123,  405. 


DATE   ET   ORIGINE   DES    TROIS    TEXTES  13 

d'un  four.  On  disputait  pour  savoir  lequel  des  deux  tombeaux 
d'Alexandre  était  celui  du  martyr  ;  la  dualité  des  versions  re- 
flète la  dualité  des  avis.  De  là,  l'apparition  du  martyr,  et  la  pré- 
cision avec  laquelle  il  spécifie  l'emplacement  de  son  tombeau. 

Mais,  dira-t-on,  Tinscription  ne  marquait-elle  pas  l'empla- 
cement exact  de  ce  tombeau?  11  ne  pouvait  pas  y  avoir  con- 
troverse. Le  texte  porte  :  (corpus)  posuimus  ubi  mihi  ab  eo 
fuerat  reuelatum  et  scrlpsi  marmore  et  posui  super  eum  hoc 
ordine  continente...  Le  corps  était  certainement  in  loco  for- 
nacis. 

D'où  vient  alors  le  récit  d'Adon?  Et  si  Damase  a  transporté 
le  corps,  n'a-t-il  pas  aussi  pu  transporter  l'inscription?  L'ins- 
cription ne  signifie  rien. 

Remarquons-en,  du  reste,  la  teneur. 

HIC  REQVIESGIT  SANGTVS  ET  VENERABILIS  MARTYR 

L'évêque  est  qualifié  de  sanctus  et  de  venerabilis  :  l'ins- 
cription ne  date  donc  certainement  pas  du  temps  des  persécu- 
tions ;  elle  remonte  à  une  époque  où  le  culte  des  martyrs  s'est 
épanoui,  elle  provient  sans  doute  d'une  restauration  entre- 
prise, soit  au  temps  de  Léon,  soit  même  au  temps  de  Vigile. 
Elle  aura  été  placée  au  moment  où  l'on  réparait  le  cimetière, 
où  Ton  rédigeait  les  gestes.  L'auteur  de  l'inscription  ne  voulait 
pas  —  non  plus  que  l'auteur  des  versions  A  et  B  —  que  le 
tombeau  d'Alexandre  fût  le  tombeau  de  la  petite  crypte  :  il  agit 
en  conséquence.  —  L'autre  groupe,  qui  tenait  pour  la  crypte, 
prit  sa  revanche  quelques  années  après  ;  ne  pouvant  pas  dé- 
truire le  marbre,  désormais  connu,  il  imagina  une  translation  : 
du  tombeau  du  four,  Damase  aurait  porté  les  reliques  au  tom- 
beau de  la  crypte  ;  de  là  le  texte  G.  Et,  sans  doute  aussi,  on 
transporta  sur  le  tombeau  de  la  crypte,  le  marbre  où  était 
gravée  l'inscription.  Gomment  admettre  que  les  auteurs  de  la 
version  adonienne  enterrent  saint  Alexandre  dans  la  crypte, 
alors  qu'une  inscription  toute  voisine  atteste  qu'il  est  enterré 
près  du  four  ? 

On  peut  donc  admettre  que  la  version  bollandiste,  B,  est  an- 
térieure à  la  version  adonienne,  G,  qu'elle  date  du  temps  de 
Vigile  ^  [d37-ooo],  et  qu'elle  a  pour  auteur  un  clerc  de  la  basi- 

*  Mais  peut-être  faut-il  garder  quelques  leçons  de  A  C,  [luceius  au  lieu  de 
in  lucello  ?] 


^^  TRADITIONS    DE    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

liqiie  Saint-Marc  à  Home  très  vor.s(^.  dans  la  litt/^raturo  ha^no- 
f^rapliiquo  ;  son  œuvre  n'est  qu'un  centon.  La  version'' de 
Vienne,  A,  prt'icéda  de  peu,  j'imagine,  la  version  hollandiste  : 
Protasius  fait  doubl(î  emploi  avec  Crescentianus  qui,  déjà, 
aulhcnliquc  suFfisamment  le  rr^cit  ;  il  a  été  rajouté.  On  nous 
apprend  que  Dieu  punit  qui  veut  briser  Tinscripiion  :  à 
bon  entendeur  salut.  JMus  encore  que  A,  H  veut  montrer 
qu'Alexandre  repose  in  loco  fornacis.  Peut-être  même  la  ver- 
sion primitive  de  A  insistait-elle  à  ce  sujet  moins  que  la  ver- 
sion du  Vindobonensis.  Quant  à  la  réalité  de  la  translation, 
elle  est  extrêmement  suspecte  :  peut-être  a-t-elle  été  ima^nnée 
afin  de  justifier  un  remaniement  du  cimetière  et  une  revision 
du  calendrier  ^  ;  elle  est,  plus  vraisemblablement,  fictive,  ainsi 
que  la  fête  du  26  novembre.  L'origine  de  la  fête  du  23  mars 
est  telle,  peut-être,  que  dit  B. 


Il 


Gestes         En  ce  temps-là  V empereur  Néron  allait  à  Laurente  sacrifier 
tus  2^     <2W^  démons  :  ses  prêtres  le  lui  avaient  ordonné  afin  d'avoir 

Nous  connaissons,  dans  l'Italie  du  vi®  siècle,  des  païatini  :  Grégoire  le 
Grand  nous  parle  d'un  Joannes  vir  clarissimus  palatinus  [Epist.  X,  26.  — 
P.  Z.,  77,  1084]  et  d'un  Muximus  vir  clarissimus  palatinus  privntaruni 
Epist.,  X,  9.  —  P.  Z.,  77,  1072].  Les  païatini  priuatarum  [cf.  cornes  priva' 
iarum,  Epist.  XIII,  22,  —  P.  X,,  77,  1276]  administrent,  sous  l'autorité  du 
préfet  d'Italie,  au  temps  de  l'exarchat,  le  trésor  privé  [Diehl  :  p.  159];  ce 
sont  d'aàsez  gros  personnages,  puisqu'ils  portent  le  titre  de  clarissimus. 
Mais  je  ne  crois  pas  que  le  terme  palatinus  primus  se  lise  ailleurs  que  dans 
notre  texte  :  peut-êt^e  a-t-il  été  suggéré  par  le  titre  donné  aux  consiliarii, 
comités  primi  ordinia  [Code  Theodos,  6,  15;  Cassiodore  :  Var.  éd.  Mommsen, 
144,  168,  247,  255.  —  Uiehl.  162].  Cf.  aussi  les  expressions  :  primus  miles, 
dans  Nazaire;  primus  seyiator,  dans  V Anonyme  de  Valois^  41  ;  senatus  prior 
dans  Cassiodore,  i,  12  [Neues  Archiv.,  xiv,  489,  n.  6]. 

^  Rapprocher  cette  seconde  festivitas  d'Alexandre  de  Baccano  —  qui  ne 
coïncide  pas  avec  l'anniversaire  de  sa  mort  [P.  L.,  123,  175-176]  — ,  de  la 
seconde  festivitas  de  Sabinus  de  Spolète  [P.  Z.,  123,  177-178],  laquelle  ne 
coïncide  pas  davantage  avec  l'anniversaire  de  la  mort  du  martyr. 

Noter  aussi  l'apparition  du  nom  de  Boniface  dans  le  personnel  de  nos 
légendes. 

2  B.  H.  L.,  3765  [A.  SS.  auctarium  ad  tomum  VI  octobris  (1853),  10-11,  ou 
3«  éd.  auct  ad  tomel,  V,  VI  oct.  112*  et  113*]. 


HEDESTUS    DE    LAU RENTE  ,  15 

des  victimes.  Mais  le  peuple  (gens)  se  souleva  contre  lui,  ce 
qui  l'obligea  à  rester  longtemps  dans  la  ville.  Il  venait,  dans 
les  courses  qu'il  faisait  fréquemment,  à  Vautel  de  Diane  quon 
trouve  au  point  où  jaillissent  les  eaux  de  trois  nymphées  ;  il 
chassait,  il  se  promenait  avec  ses  soldats  (milites),  avec  ses 
grands  (^Toceres).  L'u7i  d'entre  eux^  Hedestus  (famatissimus 
armiger),  qui  était  romaiii  de  naissance,  et  dont  la  beauté 
était  remarquable^  avait  toute  sa  faveur  ;  pourtant,  il  avait 
été  baptisé  par  saint  Pierre  et  était  secrètement  chrétien.  Au 
moment  où,  ils  soîit  à  Laureiiie,  Hedestus  apprend  qicun  saint 
prêtre  Timothée  *...  {offre  en  secret  des  sacrifices  à  Dieu)  ;  il  le 
cherche  et,  ne  le  trouvant  pas,  prie  Dieu  afin  quil  le  rencontre 
et  [entende)  la  messe  quon  adresse  au  Seigneur  Jésus-Christ 
(missa  D.  J.  C.  celebraretur).  Un  jour  que  Néron  allait  à 
Vautel  de  Diane  avec  quelques  tribuns  et  des  prêtres,  Hedestus, 
ciui  cherche  toujours,  rencontre  une  jeune  fille  et  une  servante 
filant  de  la  laine.  Il  devine  la  beauté  de  son  cœur  ;  il  lui  de- 
mande chastement  quelle  est  sa  nation  (qua  natione)  et  voici 
qiCelle  lui  répond,  intrépide  :  «  je  suis  fille  de  Priscus,  prêtre 
chrétien  et  de  Thermantia  ;  je  m^ appelle  Christes  [et  celle-ci 
Victuria  ».  —  «  Appelle  ton  père  »,  répond-il..,)  A  ces  mots., 
Christes  et  Victuria  vont  prévenir  Priscus  et  Thermantia  : 
«  Poussé  par  le  désir  du  Christ,  un  noble  (?)  (electus)  ^  veut 
te  voir  :  cest  un  beau  cavalier,  brillamment  monté.  »  Hedestus 
tombe  aux  pieds  de  Priscus,  remerciant  le  Christ  ;  et  Priscus 
l'embrasse  quand  il  apprend  qui  Va  baptisé  ;  et  tous  vivent  en 
commun,  dans  un  arénaire,  près  Vautel  de  Diane,  Hedestus 
les  faisant  vivre  et  Priscus  offrant  secrètement  [à  Dieu)  les 
messes  et  les  hymnes.  Hedestus  a  vu  en  songe  saint  Pierre  c/ui 
lui  a  dit  :  c(  Reste  avec  Priscus,  tu  seras  couronné  avec  lui  ». 
Cependant  Hedestus  devient  maigre  et  pâle,  <(  Soigne-toi  », 
lui  dit  Néron.  —  c<  J'ai  un  bo7i  médecin,  répond  Vautre  :  il 
n'use  pas  de  médicaments  ;  il  me  soigne  avec  sa  parole\yeûio\.  » 
—  ((  Garde-le  donc  »,  repartit  V empereur.  Mais,  comme  il 
monte  souvent  le  cheval  du  roi  pour  aller  à  Varénaire  assister 
aux  messes  et  aux  sacrifices  que  Priscus  offre  au  Seigneur 

*  Lacunes  comblées  par  le  Codex  Paris,  11753  (du  xiie)  [Cat.  Paris.,  m,  55, 
no  71]. 

2  Electus  signifie  peut-être,  d'une  manière  plus  générale,  un  homme  dis- 
tingué. Mais,  comme  cette  distinction  vise  surtout,  sans  doute,  la  distinction 
de  naissance,  je  traduis  electus  par  noble. 


10  IHADIIIONS    l)K    I.A     r;AMI'Af;Ni:    FU)MAINK 

Jêsiis-Chrisi  —  Vichiria  et  Clirisles  se  de (juis aient  afin  de  sur- 
veiller et  ddnnoncer  sa  venue  '  — ,  un  de  ses  esclaves  remarque 
le  vJiniujeinent  ([ui  est  survenu  dans  sa  rie',  il  veille^  il  prie, 
il  dit  les  hymnes^  bien  que  César  n'ait  donné  aucun  ordre. 
a  Ou  vas'tu  donc,  lui  dit  un  soir  l'esclave  Florus  comme  il 
saute  à  cheval  :  tu  nas  pas  ton  esclave  ni  tes  armes  ni  tes  m- 
signes  [sine  arniis  mililiae  Iuor]  ».  —  «  Je  vais  oii  Ion  sauve 
mon  âme.  »  —  «  El  la  mienne  {ne  sera-t-ellc  donc  pas 
sauvée)  ?  »  —  «  Le  Seigneur  Jésus-Christ  est  puissant  ;  et  il  a 
pris  la  forme  d'?m  esclave  ».  Au  nom  de  Jésus-Christ,  Florus 
maudit  son  maître  :  «  Tu  veux  donc  être  torturé  avec  les  chris- 
ticoles  !  »  Mais  Iledestus  s'éloigne,  remerciant  Dieu  comme  il 
a  coutume  ;  il  reçoit  des  mains  de  Priscus  le  corps  et  le  sang 
du  Christ,  et  revient  chez  Néron. 

Néron  fait  construire  des  thermes  à  Laurente,  et  il  ahan- 
donne  à  Hedestus  la  direction  complète  des  philosophes  qui 
s  occupent  de  la  construction  ^.    Or,  voici  qu'en  creusant  l'are- 
naire,  on  arrive  à  la  cachette  de  P?iscus  ;  Hedestus  interdit  à 
tous  d'g  mettre  le  pied,  et  tous  se  taisent,  ouvriers  et  philo- 
sophes :  ils  ont  peur.  Et  Hedestus  nen  continue  pas  moiyis  d'y 
aller  la  nuit.  Mais  Florus  le  suit  une  fois  ;  il  le  voit  parler  à 
la  vierge  du  Christ,  et  le  lendemain,  à  table^  il  lui  dit  :  «  De- 
puis dix  ans  que  je  te  sers^  jamais  je  ne  t'ai  trahi.  Pourquoi 
ne  m  aS'tu  rien  dit  de  cette  jeune  fille  qui  reposait  sur  ta  poi- 
trine ?»  —  a  Cette  jeune  fille,  c  est  ma  foi,  répond  Hedestus 
en  larmes  ;  elle  me  pousse  à  la  chasteté  et  non  au  plaisir  ;  elle 
aime  mon  Seigneur  Jésus-Christ.  »  —  «  Elle  est  belle  ;  pour- 
quoi n  obéit-elle  pas  à  ton  désir  ?  y)  —  «  Tais-toi  ;  ou  je  te  fais 
tuer  à  coups  de  bâton.  »  Alors,  un  soir,  Florus  suit  Hedestus  ; 
il  le  voit  entrer  da7is  Varénaire  ;  il  surprend  les  mystères  de 
notre  foi  et  raconte  ce  qu'il  a  vu  au  prêtre  des  démons.  Libère. 
Néron,  que  Libère  a  averti,  ordonne  qu  Hedestus  soit  enterré 
vivant  dans  Varénaire  et  que  toute  sa  fortune  soit  donnée  au 
traître.    Et,  comme  Hedestus  retourne  chez  Priscus,  et  que 
Florus  l'aperçoit  et  le  dénonce  encore,  et  que  Libère  en  réfère  à 
Néron,  celui-ci  donne  l'ordre  d'enterrer  Hedestus  vivant  ou 
qu'on  le  trouve.  On  obéit.    Victuria,  qui  s'enfuit,  est  arrêtée 
sur  la  lisière  de  la  forêt,  à  côté  de  l'autel  de  Diane,  et  égorgée. 

^  (Priscus)  «  subornabat  Christim  et  Victuriam.  » 

2  «  Philosophi    qui   dictabant  fabricam  thermarum  ».  —  Cf.  Gesta  IV  Coro' 
natorum.  G.  M.  R.,  ii,  287. 


HISTOIRE   DE    LAURENTE  17 

Priscus,  Thermantiay  Chris  tes,  Hedestus  meurent  dans  Varè- 
naire,  à  côté  de  la  route  de  Laurentè^  le  IV  des  ides  d'octobre, 
Néron  étant  consul  pour  la  quatrième  fois  avec  Cornélius, 
tandis  que  règne  Notre  Seigneur  Jésus-Christ^  à  qui  gloire 

dans  les  siècles  des  siècles.  Amen, 

• 

Cette  légende  charmante  célèbre  un  martyr  Hedestus,  dont 
la  fête  est  attestée,  à  la  date  même  que  disent  les  gestes,  par  le 
férial  hiéronymien  : 

E.  (IllI  id  oct).  rom  nt  hedisti  *. 

Certains  manuscrits  (B  et  W)  le  rattachent  à  Ravenne  ;  et 
Adon  %  Usuard  %  Notker  *  reproduisent  cette  indication.  Je  ne 
sais  pas  trop  d'où  vient  Terreur;  mais  il  n'y  a  pas  doute  que 
ce  soit  une  erreur. 

Entre  la  voie  d'Ostie  et  la  voie  Ardéatine,  la  voie  Lauren- 
tine  reliait  Rome  au  vieux  pays  qui  bordait  la  côte  de  ses  fo- 
rêts giboyeuses  :  elle  se  terminait  au  16°  mille,  à  la  ville  de 
Lavinium  (aujourd'hui  Prattica).  Ce  pays  semble  avoir  eu  une 
grande  importance  à  l'époque  héroïque  :  on  racontait  que 
Lauréate,  sa  capitale,  était  antérieure  à  Enée.  Mais,  à 
l'époque  historique,  il  était  déchu  de  son  ancienne  splen- 
deur :  si  les  consuls,  et  les  préteurs,  et  les  dictateurs  allaient 
à  Lavinium,  lorsqu'ils  entraient  en  charge,  sacrifier  à  Vesta, 
Laurente  tombait  en  ruines  ;  on  l'avait  réuni  à  Lavinium  ;  les 
inscriptions  en  font  foi  ^ 

Il  semble  qu'il  y  eut  une  renaissance  à  l'époque  impériale  : 
les  forêts,  la  chasse,  la  proximité  de  la  mer,  la  proximité  de 
Rome,  tout  cela  explique  la  construction  des  villas  assez  nom- 
breuses qu'on  aperçoit  ici  au  premier  et  au  second  siècle. 


i  P.  131.  Voici  le  texte  de  B  :  INRAUENNA  uialaiirenlina  sciEdisti.  —  Les 
inscriptions  attestent  le  nom  d'Hedistus  à  Rome  [vi,  19172,  sq.],  à  Pouzzoles 
[x,  3006.17371  [et  en  Espagne,  ii,  4551]. 

2  P.  L.,  123,  377,  12  octobre.  «  Apud  Ravennam,  uia  laurentina,  natalis  sci 
Edistii  ».  —  Adon  n'a  fait  sans  doute  que  copier  le  calendrier  populaire  : 
Ravennœ  Hedistii  [P.  L.,  123,  171-172],  ou  le  Bernensis. 

»  P.  L.,  124,  565-566. 

^  P.  X.,  131,  115S. 

^  Strabon,  v,  3,  2.  —  Denys,  i,  16.  —  Mommsen  :  Die  iiniergangenen  Orts» 
chaften  in  Latium  [Hermès,  ivn,  1882,  42],  et  les  travaux  de  Dessau  au 
tome  XIV  du  Corpus,  ainsi  que  la  carte.  —  Cf.  aussi  Duchesne  :  Sedi  episco- 
pali  dell*  antico  ducato...  [Arch.  xv,  1892]  et  ïommasetti  :  Bull.  Comm.,lS9b, 
132  ;  et  luug  :  passim. 

III  2 


18  TRADITIONS    DE    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

Pline  nous  en  parle  ;  lui-môme  en  possédait  une  de  ce  côté  ^  ; 
et  —  chose   qui,  pour  nous,  est  fort  intéressante,  —    Com- 
mode, au  dire  d'H(^rodien  2,  en  possédait  une   autre  à  Lau- 
rente.  On  voit,  enfin^  qu'un  nouveau  bourg   se   forme,  le  vi- 
CHS  Laurentum  vico  Auguslano  ^  ;  passé  le  111°  siècle,  ce  vicus 
s'appelle  Laurentum,  tout  court  :  c'est  ce  simple  nom  qu'on 
trouve    dans    la    table    de     Peutinger     et    dans    l'itinéraire 
d'Antonin  *.  Au  iv°,  au  v®,  et  au  début  du  vi«  siècle,  en  effet, 
le  pays  n'était  pas  aussi  désert  qu'autrefois  ni  qu'aujourd'hui  ; 
il  s'était  un  peu  repeuplé.  Constantin  donne  à  la  basilique 
constantinienne    la    massa    aiirianay    ierrilurio    LaurenlinOy 
prdsst.  sol  D^  ','\\  donne  à  la  basilique  sessorienne,  sub  ciuitate 
Laurentum  possessio  Patras  prœst,   sol.   CXX  ^  ;    le    pape 
Gélasc  [492-49G]  construit  une  église  consacrée  à  sainte  Marie 
in  via   Laurentina,   in  fundiim  Crispinis  "' ,  —  A  partir  de 
Gélase,  il  semble  que  Laurente  disparaisse  :  peut-être  a-t-elle 
été  ruinée  au  temps  de  la  guerre  gothique,  au  vi^  siècle  ^ 

Je  remarque  que  les  gestes  font  de  Laurentum  une  ciuitas  ^ 
tout  comme  le  Liber  Pontificalis.  Ce  fait  pose  un  problème 
fort  délicat  :  la  ciuitas  Laurentum  désigne-t-elle,  au  vi*  siècle, 
la  ciuitas  Laurentium  Lauiiiatium  ou  le  vicus  Laurentum 
uico  Augustano  ?  Il  est  à  noter  que  le  Liber  Pontificalis 
écrit  une  fois  in  territurio  Laitrentino,  une  fois  sub  ciuitate 
Laurentum  :  est-ce  à  dire  que  la  première  formule  désigne 
Laurentum  vico  Augustano^  et  la  seconde  Laurentum  Laui- 
natium^    —   laquelle  est    attestée  pour  la  dernière  fois   au 


1  Epist.  II,  17.  Lettre  à  Gallus.  «  Miraris  cur  me  Laurentinum  uel  si  ita 
mavis  Laureos  meum  tanto  opère  delectet  [éd.  Millier,  47j...  et  §26,  p,  51. 
Suggérant  adfatim  ligna  proximae  siluae  ;  ceteras  copias  Ostiensis  colonia  mi- 
nistrat...  » 

2  Herodien,  i,  12,  2  [éd.  Bekker,  12].  Une  épidémie  ravage  Rome. 
ToTE  ô  KofJLiJLOOOç  au|JiSouX£'jaàvTwv  auTcû  TivILv  taxptôv  é;  ttjv  AaupEvxov 
àvE/^tôpr^asv  £Ù'j^D)^£ax£pov  yàp  b'v  to  ^topiov  xat  ^LZ^^i^zoïci... 

Peut-être  ces  événements  se  rapportent-ils  à  l'année  187  [Cf.  Tilleraont  : 
Empereurs ,  ii,  488]. 

3  C.  I.  L.,  XIV,  p.  183. 

*  D'après  le  Corpus^  xiv,  p.  187,  n^  1. 
B  L.  P  ,  I,  174. 
6  L.  p.,  1,  180. 
T  L.  P.,  I,  255. 

8  Je  n'ai  trouvé  aucun  texte  postérieur  au  Liber  Pontificalis  mentionnant 
Laurente.  Ni  Diehl,  ni  v.  Hartmann  n'en  disent  rien. 

9  §  1.  «  In  diebus  illis  pergente  Nerone  imperatore  ad  Laurentum  ciuitatem 
ut  sacrificaret  dsemoniis...  » 


UNE    VILLA    IMPÉRIALE  19 

IV®  siècle  par  Symmaque  *  et  par  le  Code  Théodosien  ^  ?  —  Il 
serait  sans  doute  téméraire  de  l'affirmer.  Des  fouilles  systé- 
matiques n'ont  pas  été  entreprises  de  ce  côté  ;  les  inscriptions 
ne  nous  sont  d'aucun  secours.  Il  faut  se  résoudre  à  ignorer. 
Et  peut-être,  au  temps  où  l'on  rédigeait  le  Liber  Pontifîcalis^ 
aux  environs  de  Tan  515,  les  deux  Laurente  n'étaient-elles 
plus  distinguées  l'une  de  l'autre  :  n'étaient-elles  pas  voisines, 
et  ne  portaient-elles  pas  en  partie  le  môme  nom  ? 

La  villa  impériale,  dont  parle  Hérodien^  est-elle  la  racine 
locale  de  la  légende?  Le  fait  est  vraisemblable.  Cette  villa 
semble  avoir  été  fort  importante  :  on  a  conservé  l'inscrip- 
tion funéraire  d'un  procurator  Laurento  ad  elephantos  ^  ;  ce 
qui  parait  indiquer  qu'il  n'y  avait  pas  seulement  ici  un  simple 
rendez-vous  de  chasse.  Qui  sait  même  si  les  terres  données 
par  Constantin  aux  deux  basiliques  romaines  n'ont  pas  été 
prises  sur  ces  domaines?  Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  dernier 
point,  le  séjour  de  Néron  à  Laurente  que  suppose  le  rédacteur 
anonyme  s'explique  sans  difficulté,  si  l'on  admet  qu'il  connaît 
la  villa  où  Commode  alla  passer  les  chaleurs  ;  et  de  même,  ce 
qu'on  nous  dit  de  l'autel  de  Diane  et  des  thermes  s'entend  fort 
bien,  si  l'on  se  souvient  du  frais  domaine  dont  parle  l'historien 
grec. 

Si  telle  est  l'attache  locale  de  la  légende,  à  quelle  époque 
convient-il  de  placer  le  texte? — Dès  le  vi®  siècle,  Laurente 
semble  disparaître.  Je  remarque,  d'autre  part,  que  le  terme 
civitas  Laurentum  est  commun  au  Liber  Pontificalis  et  aux 
gestes  :  c'est  peut-être  que  ceux-ci  sont  à  peu  près  contem- 
porains de  celui-là.  —  Ils  racontent,  encore,  qu'une  révolte 
populaire  oblige  Néron  à  demeurer  à  Laurente  :  ce  détail  n'a 
pu  être  imaginé  qu'à  une  époque  assez  tardive  ;  et  la  dispari- 

*  I,  71,  65.  Il  recommande  un  certain  a  Ceecilianum...  defensorem  Lauren 
tium  Lavinatium  uirum  booestum  ». 

2  Loi  de  385,  viii,  5,  46...  «  aut  ad  societatem  consortiumque  Lau- 
rentium...  » 

2  C.  L  L.,  VI,  8583. 

D.  M. 

TI.  GLAVDIO.  SPEGLATORI 

AVG.  LIB.  PROCVRATOU 

FORMIS.  FVNDIS.  GAIETE 

PROGVRATOR.  LAVRENTO.  AD 

ELEPHANTOS 

CORNELIA.  BELLIGA.  GONIVGI 

B.  M. 


20  TRADITIONS    DE    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

tion  probable  de  Laurente  au  vi°  siècle  ne  permet  pas  de  recu- 
ler après  ce  temps  une  légende  qui  en  célèbre  le  saint  local.  — 
«  De  quelle  nation  es-tu  »,  demande  lledestus  à  Ghristes  :  le 
terme  (qua  natione)  semble  dénoncer  une  époque  où  des  Ro- 
mains et  des  Barbares  vivent  côte  à  côte.  —  Les  détails  tou- 
chant la  virgo  Christi^  la  rnissa  et  les  musx  s'expliquent  sans 
peine  si  l'on  admet  la  date  que  nous  proposons. 

Je  remarque,  enfin,  que  les  gestes  d'iledestus  rappellent 
parfois  les  gestes  d'Alexandre  de  Baccano.  L'une  et  Tautre  lé- 
gendes sont  attachées  à  un  grand  domaine  impérial,  qui  semble 
voisin  d'une  terre  possédée  par  une  basilique  romaine.  —  L'une 
raconte  une  révolte  populaire  qui  retient  l'empereur  à  Lau- 
rente ;  l'autre  montre  que  le  peuple  de  Baccano  est  sur  le  point 
de  se  révolter*  contre  l'envoyé  de  l'empereur  qui  veut  arrêter 
l'évêque.  —  Au  rebours  de  ce  que  l'on  voit  dans  la  grande  masse 
des  traditions  romaines,  qui  prêchent  violemment  l'ascétisme, 
les  gestes  nous  présentent  deux  prêtres  mariés,  ici  Priscus, 
l'époux  de  Thermantia,  là  Crescentianus,  dont  la  femme  est  la 
propre  sœur  du  martyr  Alexandre.  — L'une  et  l'autre  légendes 
présentent  une  date  consulaire  exacte  :  on  a  parlé  plus  haut  de 
celle  qu'on  lit  dans  les  gestes  d'Alexandre  ;  et  voici  que  les 
gestes  d'Hedestus,  après  avoir  donné  l'anniversaire  de  sa 
mort  suh  die  IV  id.  oct.,  ajoutent  Nerone  quartum  consule  et 
Cornelio,  Or,  en  l'an  60,  pendant  les  six  premiers  mois,  les 
consuls  sont  Nero  Claudiiis  divi  Claudi  f.  Cœsar  Augustus 
germanicus  IV  et  Cossus  Cornélius  Cossi  f.  Lentulus,  Cette 
date  n'est  certainement  pas  la  date  de  la  mort  d'Hedestus. 
Qui  sait  si  ce  n'est  pas  celle  de  la  dédicace  d'un  édifice  quel- 
conque de  la  villa  impériale,  qui  aurait  été  encore  debout  aux 
environs  de  l'an  500  ?  Les  villas  fameuses  d'Anzio  et  de  Su- 
biaco  remontent,  elles  aussi,  peut-être,  à  Néron. 

Il  est  donc  permis  de  penser,  jusqu'à  plus  ample  informé, 
que  le  rédacteur  du  texte  doit  être  cherché  dans  le  clergé 
d'une  de  ces  églises  romaines  qui  possédait  des  terres  sur  la 
voie  Laurentine  :  plutôt  que  par  une  influence  proprement 
littéraire,  les  points  de  contact  qu'on  a  notés  entre  Alexandre 
et  lledestus  s'expliquent  sans  doute  par  l'identité  de  milieu. 
On  peut,  sans  difficulté,  reculer  jusqu'au  temps  de  Vigile  la 
rédaction  de  notre  texte.  —  Et  l'on  s'explique,  de  cette  ma- 

*  Cf.  Pierre  MarceUin,   supra,   p..  7  Comme  dans  Clément,  un  païen  (ici 
B'iorus,  là  Sisianius)  surprend  ici  les  mystères  chrétiens. 


AGAPET   DE   PRENESTE  ^^^  21 

nière,  qu'il  s*y  rencontre  un  terme  (philosophï)  et  un  person- 
nage (Thimotheus  presbyter)  qu'on  retrouve  dans  les  gestes 
des  Quatre  Couronnés  *  et  dans  les  gestes  de  Secundianus  *. 
Et  Ton  s'explique,  enfin,  l'originalité  de  la  légende  :  ni  par 
le  style,  ni  par  les  idées,  la  légende  d'Hedestus  ne  rappelle 
exactement  la  plupart  des  gestes  romains  :  il  semble  qu'un 
peu  de  mystère  l'enveloppe,  et  qu'avec  le  mystère  un  peu  de 
poésie  la  pénètre. 


III 


Sous  Aniiochus  le  paierie  il  y  avait  un  enfant  nommé, 
Agapet,  craignant  Dieu.  Il  renonce  à  tous  ses  biens,  il  étudie 
infatigablement  la  doctrine  du  Christ^  il  s'offre  en  holocauste 
à  Dieu,  et  dit  à  l'homme  de  Dieu  Porphyrius  :  «  Par  ta  cou- 
ronne (de  sainteté),  je  fen  supplie^  laissons  voir  ce  que  nous 
sommes,  des  soldats  du  Christ  ;  offrons-nous  spontanément  et 
reprochons  au  roi  païen  de  rechercher,  pour  les  maltraiter,  les 
d'sciples  du  Christ.  »  Conduit  devant  le  7'oi  qui  lui  rappelle 
ironiquement  son  imprudent  bavardage,  il  ne  se  laisse  ni 
effrayer  ni  séduire  ;  il  se  déclare  chrétien  et  noble  ;  il  ajoute 
qu'il  a  étudié  le  droit  au  forum,  puis  que  ses  parents  Vont 
donné,  dans  un  monastère,  oii  il  a  appris  la  vérité.  Et  il  re- 
fuse de  sacrifier  à  Jupiter  invaincu,  et  il  montre  au  roi  que 
cest  le  diable  qu'il  a  pour  père.  —  La  sagesse  de  cet  enfant, 
qui  Via  pas  quinze  ans,  étonne  le  roi,  et  aussi  son  courage 
dans  les  supplices.  Lorsqu'on  le  ramène  en  prison,  il  résiste 
au  corniculaire  Attale,  un  apostat,  qui  essaye  de  le  fléchir  ;  il 
raille  les  idoles  muettes  et  sourdes.  Il  déploie  la  même  fermeté 

*  G.  M.  R.,  1,  158.  Comparer  encore  comment  on  cherche,  ici  un  prêtre,  là 
un  évêque  ;  comment  on  invoque,  ici  et  là,  afin  d'obtenir  communication  d'un 
secret,  les  longues  années  de  service,  ou  d'amitié  [Simplicius  et  Glaudius].  Les 
prêtres  mariés  sont  inspirés  peut-être  par  Irénée.  Cf.  G.  M.  R.  ii,  241-243. 

>  Cf.  infra. 

'  B.  H.  L.,  125.  a  Sub  rege  Antiocho  pagano...  »  [Mombritius,  i,  14]. 


22  TRADITIONS   DE    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

devant  le  praeses,  bieti  que  des  charbons  ardents  soient  placés 
sur  sa  tète  et  quon  le  suspende  ensuite,  la  tète  en  bas,    dans 
une  épaisse  fumée.  Le  corniculaire  Anastase  qui  va  le  voir  le 
quatrième  jour  le  trouve  vivant  :  le  saint  se  promène  sur  les 
nuages  de  la  fumée,  et  chante  :  «  Je  ne  mourrai  pas,   m.ais  je 
vivrai.  »  J'Jclairé  par  ce  prodige,  Anastase  confesse  devant  le 
praeses  qiiil  n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  le  Dieji  d'Agapet  ;  et 
le  martyr,  joyeux,  lève  au  ciel  les  yeux  et  les  mains  et  re- 
mercie Dieu  Sauveur,  Fils  Unique,  Dieu  de  Dieu,  Dévoré  de 
rage,  le  prseses  déchire  ses  vêtements  et  interpelle  les  dieux  trop 
patients.   Mais  Agapet  continue  de  lui  dire  la  grandeur  de 
Celui  que  servent  les  anges  et  les  archanges  ;  lorsqu'on  le  rem- 
plit d^eau  boiiillante,  il  en  admire  la  fraîcheur  et  raille  ses 
bourreaux  :  «  Pour  patron,  dit'il,  j'ai  Dieu,  qui  me  conforte.  » 
Comme  le  prseses  veut  voir  ce  Dieu,  et  donc  tente  Dieu,  il 
tombe  de  son  siège  et  meurt,  après  avoir  confessé  le  protecteur 
d' Agapet.  L empereur,  auquel  les  ministri  apportent  la  nou- 
velle, ordonne  que  le  saint  soit  livré  aux  lions.  On  le  conduit 
à  Frénésie,  on  prépare  V amphithéâtre  ;  mais  les  lions  le  sa- 
luent avec  respect  tandis  quil  continue  d"* exhorter  le  peuple  à 
croire  au  Père,  au  Fils,  à  f  Esprit-Saint.  Alors  il  est  mené 
aux  deux  colonnes,   contra  ciuitaiem  ;  il  s'agenouille  et  est 
décapité,  le  XV  des  kalendes  de  septembre.  Son  corps  est  en- 
terré, la  nuit,  par  des  chrétiens,  à  un  mille  de  la  cité,  dans 
un  sarcophage  neuf:  «  Dieu,  disent-ils,  a  élu  ce  martyr  pour 
faire  bénir  son  nom  (au  pays)  où  florissait  la  religion  des 
païens  » .  [En  effet),  beaucoup  d'entre  eux  croient  en  Dieu  par 
le  serviteur  de  Dieu  Agapet,  et  par  le  Christ  Noire-Seigneur 
qui  vit  et  règne  avec  Dieu  le  Père  et  avec  l Esprii-Sahit  dans 
les  siècles  des  siècles.  Amen, 


Saint  Agapet,  protecteur  de  Préneste,  est  attesté  par  des 
documents  très  sûrs.  Le  férial  hiéronymien  place  sa  fête, 
de  même  que  les  gestes,  au  15  des  kalendes  de  septembre 
(18  août)  \  Une  inscription  du  iv°  ou  du  v^  siècle,  trouvée 
près  de  Palestrina,  aile  Quadrelle,  témoigne  du  culte  qui  lui 
était  alors  rendu,  et  de  l'existence  d'une  église  à  lui  consa- 

1  F.  H.,  p.  107.  E  :  xv.K.,  sep  in  penestre  nt  agapiti,  —  B  :  XU  KL.  SEPT. 
IN  CIUIT.  FINIS  trina  miliario  xxxiii  Agapiti. 


CINQ    VERSIONS    DE   LA   LEGENDE 


23 


crée  *.  Le  Liber  Pontificalis,  enfin,  raconte  que  Félix  III  [483- 
492]  lui  éleva  une  basilique,  à  Rome,  tout  près  de  saint  Lau- 
rent 2. 

C'est  de  ce  saint  de  Préneste  que  les  gestes  prétendent  ra- 
conter riiistoire.  Ils  ont  été  souvent  remaniés  et  modifiés. 

Le  texte  [Aj,  qui  a  été  résumé  plus  haut,  est  celui  que  pré- 
sentent le  Codex  Vindobonensis  et  Mombriiius. 

Un  manuscrit  du  Mont-Cassin  supprime  Anastase  et  ajoute 
à  ce  que  nous  savons  un  voyage  en  Ligurie  du  roi  Antiochus 
qui  confie  le  martyr  au  préfet  Amas;  Attale  se  convertit, 
c'était  un  ancien  apostat  ^  ;  Agapet  est  ramené  et  tué  à  Pré- 
neste [B|. 

Une  troisième  version  suit  B,  mais  fait  d'Antiochus  un 
préfet  subordonné  à  l'empereur  Aurélien  :  après  avoir  tor- 


'  C.  I.  L.,  XIV,  3415  [p.   348).  —  Mafucchi   [Guida  archeologica  delVantica 
Prenesta  (1885),  p.  150]  a  proposé  ces  restitutions. 

(Hœc  domus  Placid)  lANNORVM.  NVNGVPABIïVR 

(Martyris  introitus  eccle)  SI^QVE  ATRIA.  SANGTI 

(luslitise  sedes,  fidei  domus)  AVLA  PVDORIS  (Cf.  Gruter,  1163,  6) 

RESSVS.  LETABÏLI.  TVMVLO.  METAS 

IMVS.  INTERIORI.  DEFESSI.  PARENTES 
SANCTVS.  EPISGOPVSQ.  IVGVNDVS 
EPS.  OBEVNTIA.  FVNEBRI.  PERAGTA 
AT.  INSONTI.  LVX  ALMA.  QYJE.  CELSA 
RE  SI  NOS  ATQVE  INTIMA.  TVTVM 
EM.  PLACIDVM  COMPONITVR  GVR^ 
TVM  HABEAS.  AGAPITË  SANGTE.  ROGAMVS 


(Hiac  ven) 
(Et  clerus). 
(Et  cuncta  (pi) 
(Rogat  ac  luce) 
(Quera  tradimus) 
(Dulci  per  fratr) 
(Huoc  accep) 


(Sic  pu) 


ERVM   PLAGIDIANVM   MERENTER.  VERSIBVS.  DIXI. 


'  L.  P.,  1,  252.  —  Cf.  Itin.  Salzbourg  :  «  Postea  ascendes  ad  ecclesiam  s. 
Agapiti  martyris  ;  Epitome  :  «  Juxta  viam  tiburtinam  ecclesia  est  s.  Agapiti 
inultum  honorabilis  martyrum  corporibus  ;  Notitia  :  «  Iq  altéra  parte  viec 
illius  est  ecclesia  Agapiti  martyris  [de  Rossi  :  R.  S.,  i,  178-179.  —  L.  P.,  i, 
253  6].  Il  y  avait  encore  un  monastère  consacré  à  Agapet,  à  Rome  ;  il  est  at- 
testé vers  800  [L.  P.,  ii,  12].  —  Sur  Agapef,  cf.,  indépendamment  de  l'article 
de  Delehaye  cité  plus  bas,  Tillemont,  iv,  350,  Baillet,  ii,  18  août,  p.  xvi  et  18 
mai,  p.  XIX,  Allard,  m,  25,  et  Delebaye  :  {'Hagiographie  de  Salone  [Analecia, 
XXIII,  1904,  6,  sq.]. 

'  18  août,  532.  —  Delehaye  :  S.  Anastase  martyr  de  Salo7ie  [AnalectOy  xvi, 
1897,  490].  Un  prologue  montre  que,  comme  l'Italie  est  à  la  tête  des  pro- 
vinces, ainsi  les  saints  d'Italie  sont  à  la  tête  des  saints.  On  rappelle  que  Pré- 
neste Valerix  interiacet  provinciœ.  Agapet  veut  se  livrer.  Antiochus...  tyran- 
nico  more  nomen  sibi  regium  usurpahat\^?>\.  On  met  l'accent  sur  les  richesses 
d'Agapet.  Le  paragraphe  12  est  un  curieux  écho  des  controverpes  qui  ont 
donné  naissance  à  la  Ciiè  de  Dieu  et  au  De  gubernatione  Dei  :  Trogue  Pom- 
pée y  est  nommé;  on  démontre  que  le  Christianisme  favorise  la  prospérité 
des  états.  Au  §  16,  on  trouve  des  traita  augustiniens  [(De us)  ante  constitutionem 
mundi  elegit  discipulûs]  et  une  profeasion  explicite  de  la  procession  ab 
utroque. 


24  TRADITIONS    DE    LA.    CAMPAGNK    ROMAINK 

turé  Agapct,  Antiochus  tombe  de  son  tribunal  et  meurt  *  [C]. 

Une  (juatrièinc  version,  qui  a  éUi  utilisée  par  Adon  -,  con- 
serve Aurolien  et  Antiochus,  mais  remplace  Attale  par  Anas- 
tase  (de  Saloni))  [l)J. 

C'est  enfin  une  cinquième  version  de  ces  mc^mes  f^^esles  que 
présente  la  légende  de  saint  Venant  de  Camerino  '  :  le  seul 
changement  notable  que  l'on  constate,  c'est  que,  ici,  Agapet 
s'appelle  Venant  et  l^réneste  Camerino.  J'ajoute  qu'Anastase 
est  juxtaposé  à  Attale,  celui-ci  étant  prœconiarius,  celui-là 
demeurant  cornicularius ^  se  convertissant  et  devenant  à  son 
tour  martyr  [E]. 

//  est  évident  que  A,  D,  E^  sont  parents  entre  eux  parce 
qu'ils  s'intéressent  tous  à  Anastase  et  qu'ils  s'y  intéressent 
seuls.  Nos  cinq  versions  se  répartissent  donc  en  deux  classes. 


[1  est  très  vraisembable  que  les  trois  textes  de  la  seconde 
famille  [A,  D,  E]  ne  sont  pas  sans  rapport  avec  le  fait  qui  a 
popularisé  en  Italie  Anastase  de  Salone  *.  Le  pape  Jean  IV 
[640-642],  qui  était  dalmate,  voulut  sauver  des  invasions  les 
reliques  les  plus  vénérées  de  son  pays  ;  il  les  fit  transporter  à 
Rome  ^  et  les  déposa  dans  une  petite  chapelle,  près  du  bap- 
tistère du  Latran  ;  les  principales  mosaïques  dont  il  orna  la 
chapelle  existent  encore.  Or,  parmi  les  saints  dalmates  ir»r3or- 
tés  à  Rome,  je  relève  un  saint  Venant  et  un  saint  Anastase  -, 
et  je  remarque  encore  que  le  père  du  pape  Jean  IV  s'appelle 
Venant.  —  Je  suppose  que  cette  translation  mémorable 
attira  l'attention  des  milieux  romains  sur  Venant,  sur  Anas- 

1  18  août,  537. 

2  18,  20  et  21  août,  P.  i.,  123,  333-334.  Plus  un  mot  précis  sur  la  sponta- 
néité du  martyre  d'Agapet.  —  Flodoard  [vi,  3,  P.  L,,  135,  691]  paraît  dépendre 
d'Adon. 

3  18  mai,  138.  —  Le  rôle  de  l'ange  est  plus  développé.  Le  §  5  mentionne 
une  Via  Lata  «  quae  ducit  ad  civitatem  conlra  Orientem  ».  La  fin  de  la  lé- 
gende semble  originale  ;  Venant  convertit  les  ministri  qui  s'épuisent  à  le  tor- 
turer ;  et,  dirigés  par  Leontius  et  Euprepius,  ceux-ci  chassent  Antiochus  de 
son  trône,  se  font  ordonner  par  le  pape  Jean,  proscrivent  le  Paganisme  et 
organisent  des  églises. 

'*  Sur  Anastase  le  foulon,  martyr  de  Salone,  avec  lequel  il  faut  identifier 
Anastase  le  corniculaire,  cf.  Delehaye  :  S.  Anastase  martyr  de  Salone  \Ana- 
lecta,  XVI  (1897),  488]. 

6  L.  P.,  I,  330.  «  loannes,  natione  dalmata,  ex  pâtre  Venantio...  Eodem 
tempore,  fecit  ecclesiam  beatls  martyribus  Venantio,  Anastasio,  Mauro  et  alio- 
rum  multorum...  Cf.  de  Rossi  :  Inscr.  Chr.  Urbis.  Uomx^  u,  148. 


LE   PAPE   JEAN    IV  25 

tase  et  sur  leurs  compagnons  :  un  des  clercs  de  la  cour  du 
pape,  afin  de  se  concilier  la  bienveillance  du  maître,  imagina 
sans  doute  de  conter  l'histoire  du  patron  de  son  père.  Sans 
se  mettre  en  frais  d'invention,  il  choisit  au  hasard  une  lé- 
gende, celle  d'Agapet  de  Préneste,  comme  il  aurait  choisi  telle 
ou  telle  autre,  et  il  la  démarqua  consciencieusement  \  Les 
deux  légendes  ainsi  mises  en  contact,  les  saints  dalmates  ainsi 
mis  en  rapport  avec  le  saint  de  Préneste,  on  s'explique  aisé- 
ment qu'Anastase  ait  fait  irruption  dans  les  gestes  d'Aga- 
pet — ,  au  cas  où  un  hasard  inconnu  ne  l'y  aurait  pas  déjà 
conduit  avant  ce  temps  ^ 

Peut-être  aussi  le  martyre  et  la  translation  à  Rome  d'Anas- 
tase  le  Perse,  martyrisé  le  22  janvier  628  et  transporté  ad 
aquas  Salvias  vers  642  '  ont-ils  contribué  à  attirer  l'attention 
sur  ce  nom  de  saint. 

Dès  lors,  comment  concevoir  le  rapport  des  trois  textes 
A,  D,  E,  Tun  avec  l'autre?  Il  est  certain  que  D  est  postérieur 
à  A  et  à  E  :  l'introduction  de  l'empereur  Aurélien  qui  le  carac- 
térise est  motivée  par  le  désir  de  supprimer  cet  Antiochus  roi 
de  Rome,  dont  nul  n'entendit  jamais  parler.  La  suppression 
d'Attale  atteste  des  préoccupations  du  même  genre,  l'auteur 
de  D  a  voulu  corriger  la  légende,  la  simplifier,  la  rendre  plus 
homogène  et  moins  absurde. 

Quant  à  E  et  A,  j'imagine  que  A  est  antérieur  à  E  et  lui  a 
servi  de  modèle.  —  Mais  comment  expliquer  la  localisation 
de  Venantius  à  Camerino  qui  caractérise  le  texte  E?  Le 
plus  simple  est  d'admettre  qu'on  vénérait  à  Camerino  un  saint 
local  qui  s'appelait  Venantius  et  dont  l'histoire  était  ignorée  : 
dans  les  milieux  italiens  et  romains  l'oubli  des  origines  dal- 
mates de  la  nouvelle  légende  sera  promptement  survenu. 

Peut-être  aussi  l'introduction  du  culte  de  Venantius  à  Ca- 
merino est-elle  elle-même  liée  à  la  célèbre  translation.  Je  re- 
marque que  c'est   au  lendemain  des  victoires    de    Rothari 

*  La  mention  d'Agapet  dans  le  Sacramentaire  gélasien  [Wilsou,  p.  194"|  at- 
teste sa  popularité  persistante  au  vu®  siècle. 

2  Le  calendrier  populaire  donne  au  21  août  :  Salonse^  Ânastasii  martyris 
[P.  £,.,  123,  167-168].  Et  le  nom  de  Venant  est  fréquent  en  Italie  au  vie  siècle: 
tout  le  monde  connaît,  par  exemple,  l'ami  de  saint  Grégoire.  —  L'évêque  et 
martyr  de  Salone,  Venant,  a  succédé  à  Domnio  avant  312  :  c'est  tout  ce  que 
l'on  sait  sur  lui. 

3  22  janvier,  426  ou  39.  —  P.  L.,  123,  147-148.  —  Cf.  de  Rossi  :  R.  S.,  i, 
144-145. 


26  TRADITIONS    DE    LA    CAMPAGNE    ROMAINE 

[()3()-G521  quo  la  paix  a  été  rétablie  dans  l'Italie  centrale  et 
que  les  diocèses  y  ont  été  réorganisés  ;  en  041),  nous  voyons 
au  concile  de  llome  un  évoque  de  Cainerino,  ainsi  que  les 
évéques  de  Spolète,  Assise  cl  Kieli  ^  Je  me  demande  si  le 
culte  de  Venant  n'a  pas  été  instauré  à  Carnerino  à  ce  moment 
où  l'église  se  réorganisait;  on  l'y  aurait  bientôt  considéré 
comme  un  saint  indigène  (à  supposer  toujours  qu'il  n'y  ail 
pas  trouvé  un  bomonyme  local).  Il  est  très  remarquable  que 
la  légende,  dans  sa  seconde  partie,  se  présente  comme  l'bis- 
toire  de  l'établissement  du  Cbristianisme  à  Carnerino  :  d'après 
nos  gestes  [§§  15-21],  l'église  de  Camerino  a  été  organisée 
par  les  anciens  ministri  convertis  par  Venantius,  notamment 
par  Leontius  et  par  Euprepius  que  le  pape  Jean  consacre 
comme  archevêque  et  comme  archidiacre.  Dans  ce  mystérieux 
pape  Jean,  j'incline  à  voir  un  double  ingénieux  du  pape 
Jean  IV,  fils  du  scholastique  Venantius. 

Si  l'on  admet  que  A  date  de  630-650,  on  pourra  dater  D  et 
E,  la  correction  et  l'adaptation,  de  la  fin  du  vn°  siècle. 

Il  est  très  vraisemblable  que  les  deux  textes  de  la  première 
famille,  B  et  C,  sont  antérieurs  à  630-650.  Mais  à  quelle  date 
faut-il  les  rapporter? 

Trois  faits  m'invitent  à  penser  à  la  fin  du  v*  ou  au  début  du 
vi°  siècle,  à  l'époque  ostrogothique  en  un  mot. 

Ils  présentent  tous  deux,  bien  qu'inégalement  marqués,  des 
traits  qui  se  rapportent  aux  polémiques  touchant  la  spon- 
tanéité du  martyre  -. 

A  la  fin  du  v®  siècle  et  durant  la  première  moitié  du  vi®,  on 
devine  que  le  culte  d'Agapet  s'épanouit  avec  force  :  la  cons- 
truction que  Félix  IV  [483-4921  dirige  à  Rome  ^  en  est  une 
preuve  décisive,  et  la  vogue  du  nom  d'Agapet  à  ce  moment 
n'en  est  pas  un  indice  moins  clair.  Au  début  du  vi®,  je  trouvée 
Rome  trois  grands  personnages  qui  portent  le  nom  d'Agapet  : 
l'un,    consul  en  517^  accompagne  à  Constantinople  le  pape 

*  Hartmann  :  Geschichte  Italiens  im  Mittelalter,  ii,  2,  269. 

2  Cf.  B.  [18  août,  532,  1.]  :  il  aspire  à  la  vie  éternelle  ita  ut  desideraret  ma- 
gis  pro  Christo  mori...  et  plus  loin,  §  2  :  Porphyre  veut  retenir  eum  ultro  ad 
martyrii  certamen  accingere  velle.  —  Cf.  aussi  C,  [18  août,  537,  ij  :  totum  se 
OBTULiT  JDeo  holocaustuni.  Il  dit  à  Porphyre  :  ne  nous  cachons  point  du  tyran, 
sed  magis  ultroneos  o/feramus  nos.  Cf.  §  5  :  Attale  dit  :  lubentissime  cupio 
subir  e  sentenliam  martyrii. 

3  Sur  l'église  construite  par  Félix  en  l'honneur  d'Agapet,  cf.  supra^  p.  23. 


LE    PAPE   AGAPKT  '  27 

Jean  1  [523-52G]  lors  de  sa  fameuse  ambassade  *  ;  l'autre  est 
un  patrice  qui  fait  partie  de  cette  môme  ambassade  ^  ;  le  troi- 
sième est  le  fils  du  saint  prêtre  Gordien,  mort  en  défendant 
Symmaque  :  il  devient  pape  en  535  et  meurt  en  53G  ^ 
laissant  un  renom  de  sainteté  et  entrant  aussitôt  dans  la  lé- 
gende *. 

Enfin,  les  gestes  d'Agapet,  B,  rappellent  par  beaucoup  de 
côtés  les  gestes  romains.  Le  prologue  insiste  sur  la  valeur  édi- 
fiante des  gestes  de  martyrs  ;  —  Agapet  est  un  enfant  martyr, 
comme  Pancrace  et  V^itus;  —  le  patrimoine  d'Agapet  semble 
aussi  considérable  que  le  patrimoine  de  Pancrace  ;  — il  est  as- 
socié, comme  Donat,  à  un  homme  de  Dieu  dont  la  ferveur  est 
pourtant  moins  grande  que  la  sienne  [comparer  Porphyrius 
et  Hilarianus]  ;  —  il  invoque,  comme  Cécile  et  d'une  manière 
tout  à  fait  analogue,  la  protection  de  Dieu  '\  On  peut  croire 
que  la  légende  a  été  formée  dans  les  mêmes  milieux  augusti- 
niens  que  celle  de  Cécile,  de  Vitus,  de  Potitus  ou  de  Pancrace. 

Quel  est  le  rapport  de  B  à  C? —  C  est  caractérisé  par  Tin- 
troduction  d'Aurélien  ;  comme  tout  à  l'heure  D  —  qui,  sans 
doute,  en  est  issu  —  C'est  donc  un  texte  corrigé. 

Mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  B  soit  le  texte  primitif  :  le 
voyage  en  Ligurie,  le  préfet  Amas  ne  se  rencontrent  dans  au- 
cune des  versions  postérieures.  Le  fait  est  très  surprenant,  si  l'on 
admet  que  ces  deux  détails  appartiennent  à  la  première  ver- 
sion. Il  ne  serait  pas  impossible  que  B  représentât  un  remanie- 
ment postérieur,  datant  peut-être  de  la  première  moitié  du 
11®  siècle,  alors  que  s'élaborait  la  légende  de  Faustin  et  Jovitc. 

1  Goyau  :   Chronologie  de  l'empire  romain  (1891),    p.  632  et  L.  P.,  i,  275. 
C.  I.  L.  X,  4495,  Il  a  été  prœfecius  Urbi  [Var.  i,  6,  23,  27]. 

2  L.  P.,  I,  275.  Il  meurt  ea  Orient.  Eanodius  l'a  coqdu. 

*  L.  P.,  I,  287,  sq.  Oq  connaît  encore,  à  ce  moment,  un  sophiste  alexan- 
drin et  un  diacre  constaotinopolilain  de  ce  nom  :  celui-ci  adresse  à  Justi- 
nien,  son  ancien  élève  peut-être,  72  thèses  sur  les  devoirs  du  prince  chré- 
tien ;  celui-là  s'établit  à  Elusa  [d'après  Pauly-Wissowa]. 

*  On  raconte  qu'il  a  guéri  à  Consiantinople,  je  veux  dire  in  Grœciarum  par- 
tibus,  un  muet  et  un  boiteux  [Grégoire  le  Grand  :  Dialogues,  m,  3.  —  P.L., 
77,  224].  —  Le  R.  P.  Delehaye  [loco  cHato\  rattache  nos  gestes  à  des  gestes 
inconnus  de  Venant  le  Dalmate,  dont  rien  .n'atteste  J'existence.  Je  ne  vois 
pas  qu'ils  soient  nécessaires. 

5  «  Agapitus  dixit  :  tôt  tormenta  quee  sunt  in  terris  in  me  compleantur, 
quia  magnum  babeo  patronum  deum  qui  me  confortai  »...  [Vindob.,  357, 
fo,  I687].  —  Dans  Basilide^  qui  est  parent  de  Vitus,  je  retrouve,  comme  dans 
Agapet  C,  l'empereur  Aurélien. 

Cf.  aussi  l'expression  unum  e  duobus  elige  [B.,§  6J. 


28  TRADITIONS    DE   LA   CAMPAGNE    ROMAINE 

On  peut  donc  croire  que  li  et  C  reposent  sur  une  version  X 
datant  du  début  du  vi*  siècle^  dont  B  nous  donnerait,  ré- 
serve faite  d'Amas  et  de  la  Ligurie,  l'image  la  plus  fidèle  \ 


*  Cf.  supra,  p.  23,  n.  3.  —  Peut-être  aussi  B  est-il  un  remaniement  fait  dans 
Teutourage  de  Gésaire  ou  de  Fulgence  :  on  s'expliquerait  mieux  dans  ce 
cas  la  mention  de  la  Ligurie,  les  traits  augustiniens  qu'il  présente.  Le  §  12  at- 
teste les  mêmes  préoccupations  [cf.  supra,  p.  23,  note  3|  que  certains  pas- 
sages de  Sébastien  [cf.  G.  M.  R.  ii,  100].  Notre  auteur  devait  conuaitre  ce 
texte. 

Sur  l'oblation  des  enfants  aux  monastères,  cf.  Fustel  de  Coulange  :  Ori- 
gines du  régime  féodnly  Bénéfice  et  Patroyiat,  408. 

Le  calendrier  populaire  mentionne  au  xiii  des  Kalendes  de  septembre 
[P.  L,,  123,  167-168].  Porphyrius  homo  Dei. 


CHAPITRE  II 


TRADITIONS  D'OMBRIE 
LES  SAINTS  VALENTIN,  CONGORDIUS,  CONSTANTIUS,   ANTHIME 


Il  n  est  pas  de  pays  qui  soit  en  rapports  plus  fréquents  avec 
Rome  que  l'Ombrie  :  c'est  la  route  vers  le  nord.  Il  est  naturel, 
lorsqu'on  quitte  les  environs  immédiats  de  Rome,  de  cher- 
cher en  Ombrie  ^  les  légendes  sœurs  des  gestes  romains. 


La  voie  Flaminia  unissait  rapidement   et  commodément 
l'Ombrie  à  Rome;  et  Terni,  la  patrie  de  Tacite,  communiquait 

par  un  court  chemin  avec  la  voie  Flaminia. 

■I 

^tes  de       £g  prophète  dit  à   Dieu  :  a  Tu   as  multiplié  les  fils  des 
irïrD?2  hommes  conformément  à  la    profondeur  [de  tes  desseins).  j> 

»  Sur  la  fféoffraphie  de  l'Ombrie  ancienne,  consulter  la  bibliographie  de 
Jung,  et  surtout  G.  I.  L.,  x,,  2,  p.  601,  Narni  ;  p.  608.  Terni  ;  p.  636,  Ame- 
ria;  p.  664,  Garsulœ  ;  p.  675,  Todi  ;  p.  698,  Spolète  ;  p.  731,  Bevagna  ;  p.  7d3, 
Foligno  et  Forum  Flaminii  ;  p.  782,  Assise.  —  Malheureusement,  les  indices 
du  tome  XI  n'ont  pas  encore  paru  (1906). 

2  B.  H.  L.,  8460-8461,  14  février  756  ou  757.  —  Il  y  a  eu  une  autre  version 


30  TRADITIONS    d'oMHRIP: 

Mais  ceux'là  sont  plus  spécialement  ses  enfants  r/ui  lui  ont 
voué  leur  vie.   Tel   Valentin  de  Ternie  dont  les  miracles   di- 
saient les  vertus  et  répandaient  la  renommée ,   —  Des  nobles 
athéniens^    très  versés  dans  les   lettres  des    Grecs  (scliolaslici 
viri  apud  Grœcos),  Proculus,  Ephebus  et  Apollonius  étaient 
venus  à  Rome  étudier  le  latin  :  ils  logeaient  chez  leur  conci- 
toyen Craton,  orateur  également  habile  dans  les  deux  langues. 
Son  fils   unique  Chœremon  avait,  depuis  trois   ans,  la  tête 
entre  les  genoux,  tous  les  membres  tordus  et  noués  ;  Une  pou- 
vait plus  dire  une  parole:  les  médecins  de  Home  avouaient 
leur  impuissance.  C'est  alors  quhin  certain  Fonteius  Tribuni- 
tius  raconta  à  Craton  que  son  frère,  atteint  des  mêmes  souf- 
frances, avait  été  guéri  par  un  certain  éveque  Valentin ,  citoyen 
de  Terni,  Craton  fait  venir  Valentin,  il  lui  offre  la  moitié  de 
sa  fortune  (substantiae  meso)  s'il  guérit  Chœremon.  «  Fais-toi 
chrétien,  répond  V éveque,  et  ton  fils  sera  sauvé;  cjuant  à  ton 
argent  (census),  donne-le  aux  pauvres  afin  ciu  ils  prient  pour 
ion  fils,  ))  —  «  Je  connais  mal  votre  religion^  dit  Craton  ; 
je  croyais  que  chacun  était    sauvé  par  sa  foi,  non  par    la 
foi  d'un  autre.  »  —  a  II  y  a  des  circonstances,   répond   Va- 
lentin, oii  nul  ne  peut  faire  à  un  autre  ni  bien  ni  mal  ;  il  y  a 
des  cas  contraires  :  le  père  peut  obtenir  la  santé  de  son  fils^  et 
r Ancien  et  le  Nouveau  Testament  (nova  et  vetera  sacra  volu- 
mina)  montrent  que  la  foi  de  Vun  peut  secourir  Vautre,  Uinfi- 
délité  de  Vun  nuire  aux  autres  :  voyez  V histoire  de  PJiaraon, 
de  Moïse,  de  Jésu  Navé.  »  Craton  se  dit  convaincu  ;  aux  pa- 
roles il  promet  d'ajouter  les  actes,  et  de  recevoir  Veau  baptis- 
male qui,  par  Vinvocation  de  la  Tînnité,  a  mystérieusement 
en  elle  V Esprit-Saint,  si  son  fils  est  guéri  :  étaient  présents  à 
cette  scène  Proculus,  Ephebus  et  Apollonius  qui  connaissaient 
le  grec  à  fond,   qui  étudiaient   le  latiii  et   que  nous  avons 
connus  ^  {?),  Valentin  —  qui  a  raconté  V histoire  du  Christ  — 
commande  alors  un  jour  et  une  mât  de  silence  ;  il  ferme  la 
porte  ;  il  étend  sur  le  cilice,  sur  lequel  il  a  coutume  de  prier, 
Chœremon  à  dêmi-mori  et  il  entre  en  prière.  Au  milieu  de  la 
nuit  une  vive  lumière  resplendit  ;  une  heure  après,  V enfant 
guéri  loue  à  haute  voix  le  Seigneur;  Valentin  continue  néan- 

de  la  légende  de  Valentin,  plug  complète.  Nous  Tatteigaons  dans  Adon  [14  et 
15  février,  P.  L.,  123,  228-229J.  Elle    achève   l'histoire   de   Craton,  que  notre 
texte  laisse  en  suspens  :  non  midtis  post  diehus  martyrio  est  conmmmatus. 
*  (  Quoa  cognovimus  in  grœco  perfectos  ad  latina  studiapervenisse. 


VALENTIN    DE    TERNI  31 

moins  ses  prières  et  ses  hymnes  jiisqicà  ce  quHl  les  ait  ache~ 
vées.  Craton  se  convertit  ;  Proculus^  Ephebus  et  Apollonius 
renoncent  aux  études  de  V humaine  sagesse  pour  se  consacrer 
aux  études  divines  et  attirent  au  Christ  une  foule  de  jeunes 
gens  qui  cultivent  les  lettres,  entre  autres  Abundius,  fils  du 
préfet  de  la  ville  Placidus,  Les  sénateurs  s^indignent  ;  Va- 
lentin  dénoncé,  flagellé,  refuse  de  sacrifier  et  est  mis  à  mort. 
ProculuSy  Ephebus  et  Apollonius  portent  son  corps  à  son 
église^  à  Terni,  pendant  la  nuity  et  V enterrent  dans  la  ban- 
lieue, tout  auprès  ;  livrés  au  consulaire  Lucentius  (ou  Léon- 
tins),  ils  sont  décapités  au  milieu  de  la  nuit.  Leontius  dispa- 
raît on  ne  sait  oiif  tandis  que  Abundius  enterre  les  trois  amis 
auprès  de  Valentin,  louant  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  qui 
vit  et  règne  avec  Dieu.,,  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Ces  gestes  prétendent,  évidemment,  raconter  l'histoire  du 
saint  local  de  Terni,  Valentin,  dont  le  férial  hiéronymien 
mentionne  l'anniversaire  et  dont  ne  parle  aucun  autre  docu- 
ment authentique  *.  On  peut  affirmer  néanmoins  qu'une 
double  parenté,  littéraire  et  légendaire,  les  unissent  à  d'autres 
textes  et  à  d'autres  légendes. 

Les  gestes  de  Valentin  rappellent  les  gestes  d'Alexandre  de 
Baccano  :  tous  deux  content  soit  une  résurrection,  soit  une 
guérison  miraculeuse  d'un  mourant  ;  —  tous  deux  prêchent 
une  idée  religieuse,  là  la  nécessité  du  baptême,  ici  le  dogme 
de  la  communion  des  saints  et  la  légitimité  des  intercessions 
mutuelles-  ;  —  tous  deux  laissent  entendre  que  le  peuple  est 
favorable  aux  chrétiens  ^  ;   —  tous  deux  font  une  évidente 


1  Le  cimetière  de  Valentin  a  été  retrouvé  et  étudié  par  M.  Marucchi  [Rom. 
Quartalschrift,  i\,  1890,  151  ;  et  //  cimitevo  e  la  hasilica  di  s.  Valentino  e 
guida  archeologica  délia  via  Flaminia.  Roma,  1890].  M.  Ihm  a  publié  trois 
débris  d'inscription  dont  les  caractères  rappellent  les  philocaliens,  mais  qu'il 
n'ose  pas  rapporter  à  Damase  [Damasi  epigrammata^  50,  p.  53-54].  —  Voici 
le  texte  du  F.  H.  p.  20. 

E.  XVI  Kal  mar  Inter  aune  via  flammin  nt  valentini, 

B.  IN  TUSGIA...  INteramnes  via  Flaminia  miliaro  ab  urbe  Romœ  LXIII 
Natl  8ci  vincenti  {lire  Valentini). 

Le  calendrier  populaire  mentionne  le  même  anniversaire  au  même  lieu  [P. 
Z.,  123,  149-150].  —  Sur  Valentin,  cf.  Tillemont,  vi,  679  ;  Allard,  m,  241. 

'^  Même  préoccupation  dans  Clément:  «Theodorœ.  .  apparuit...  uir...  uene- 
randus  et  dixit  ei  :  per  te  saluus  erit  sisinnius  ut  irapleatur  quod  dixit  frater 
meus  paulus  apostolus  :  sanctificabitur  uir  infîdelis  per  mulierem  lidelem  ». 
[Codex  Parisinus,  5299,  f.  98«-]. 

"  «  Qui  lucentius  agnoscens  quod  proculum  et  esybus  atquse  apolloaius  po- 


32 


TRADITIONS    D  OMBRIE 


allusion  à  une  relique  vénérée  qu'on  montrait  aux  pèlerins 
(là,  rorarlum  ;  ici,  le  ciiiciurn)  ;  —  tous  deux  témoignent  que 
le  rédacteur  est  familier  avec  les  actes  apocryphes  des  Apô- 
tres :  il  leur  emprunte,  là  l'idée  de  déguiser  les  diables  en 
Egyptiens,  ici  le  personnage  de  Graton;  —  tous  deux  enfin 
se  présentent  comme  le  récit  d'un  témoin  oculaire.  Et  l'on 
s'explique  ces  rapports  :  la  voie  Cassia  qui  menait  à  J3accano 
et  la  voie  Flaminia  qui  conduisait  à  Terni  se  confondent  lors- 
qu'elles touchent  le  Tibre  pour  entrer  dans  Rome.  Les  tradi- 
tions qui  suivaient  l'une  et  l'autre  route  devaient  nécessaire- 
ment entrer  en  contact. 

Valcntin  est  encore  apparenté  à  Getiiliiis  —  et  je  note  que 
l'attache  topographique  de  GetuUus  n'est  pas  à  Rome,  mais 
aux  environs  de  Rome,  à  Gabies  de  Sabine  (Torri)  * —  :  Getu- 
lius  est  aussi  versé  que  Valentin  dans  la  connaissance  des 
lettres  divines  ;  et  son  historien  s'intéresse  à  la  Grèce  autant 
que  le  rédacteur  de  Valentin. 

La  légende  de  Terni  est  étroitement  apparentée,  comme 
il  est  naturel_,  aux  légendes  romaines  qui  ont  leur  point  d'at- 
tache sur  la  voie  Flaminia  :  les  légendes  d'Abundius  et  de 
Maris.  Il  est  très  vraisemblable,  en  effet,  que  l'Abundius,  fils 
du  préfet  de  la  ville,  qui  est  converti  par  Proculus  et  ses  amis, 
a  été  suggéré  par  le  prêtre  Abundius  qui  est  torturé  au  qua- 
torzième mille,  enseveli  au  vingt-huitième  mille  de  la  voie 
Flaminia  ^  ;  et  sans  doute  notre  narrateur  a-t-il  voulu  faire 


pulos  multos  quo8  cognoverant  amatores  haberenl,  timens  ne  violenter  ei  a 
populo  toUerentur,  noctis  medio  suis  eos  iussit  tribunalibus  praeseatari...  » 
\Valentin.  Cod.  Vindob.  357,  P  124'"].  —  «  Gornelianus  iavenit  nos  in  secclesia 
die  dominica  populum  dei  docentes...  Cumque  ingressi  fuissent  qui  esset 
alexander  inquirere  nolers,  et  uidens  multitudinem  populorum  cepit  timere 
et  cum  reverentia  cepit  dicere  pro  qua  causa  uenisset...  Multiiudo  populi 
lapidibus  interfici  (ère  eos)  cogitabant,  cumque  coguouisset  cogitatum  eorum 
dixit  ad  eos  :  filii  et  fratres,  quod  cogitalis  inpedit  mihi...  >  [Alexandre.  Cod. 
Vindob.  357,  f«,  194^1. 

1  G.  M.  R.,  I,  227-228.  —  Valentin  a  été  utilisé  par  l'auteur  de  Léopard  : 
[30  septembre,  416]  :  Léeopard  est  présenté  comme  un  élève  de  l'évêque  de 
Terni;  encouragé  par  celui-ci,  qui  le  baptise  dans  les  thermes  de  Dioclétien 
ad  fontem...  palatinutn,  il  refuse  d'adorer  Julien  l'Apostat,  ac  si  Deus  esset  \  et 
c'est  Valentin  qui  l'enterre  à  Otricoli.  Léopard  uq  souffle  mot  de  Pigmenius  ni 
du  titulus  Pasioris  ;  il  insiste  sur  les  septeni  artes  libérales:  il  mentionne  une 
translation  du  corps  à  Aix-la-Chapelle,  uhi  hodie  usque  eius  intercessio  quseri- 
tur.  Le  texte  date  vraisemblablement  de  l'époque  carolingienne. 

^  G.  M.  R.,  1,  220.  — 16  septembre  300.  —  Sur  les  rapports  de  Valentin  avec 
Abundius,  Carpoforus,    cf.  infra. 


TEXTES    APPARENTÉS  33 

croire  que  c'était  le  même  personnage  dont  il  racontait  ici  la 
conversion,  et  là  la  iin  glorieuse. 

Faut-il  identilier  de  même  Valentin  de  Terni  et  le  véné- 
rable prêtre  Yalentin  qui,  mêlé  à  l'histoire  des  Persans  Maris 
et  Mariha  S  convertit  le  princeps  Astérius,  est  condamné  par 
l'empereur  Claude  et  décapité  sur  la  voie  Flaminia  le  16  des 
kalendes  de  mars?  Tillemont  l'a  pensé  ^  :  môme  nom,  même 
anniversaire,  même  route,  autant  de  faits  qui  semblent  lui 
donner  raison.  Mais  il  est  certain  qu'il  y  a  un  cimetière  de 
saint  Valentin  à  Rome  ^  et  un  second  cimetière  à  Terni  *  ;  il 
est  donc  possible  qu'il  y  ait  eu  deux  Valentin,  comme  il  y 
avait  sans  doute  deux  corps,  que  leurs  traditions  se  soient  mê- 
lées et  que  l'anniversaire  le  plus  fameux  ait  supplanté  celui 
qui  était  le  moins  célèbre  ^ 

11  est  curieux  de  constater  que  les  gestes  de  Valentin  rap- 
pellent les  gestes  de  Césaire  ;  c'est  à  Terracine  que  Césaire  est 
vénéré,  de  l'autre  côté  de  Rome.  Dans  les  uns  et  les  autres  se 
rencontre  un  consiilaris  Leontius  ;  —  les  uns  et  les  autres  témoi- 
gnent que  leurs  auteurs  —  et  leurs  auditeurs  —  s'intéressaient 
à  Byzance  et  à  la  langue  grecque.  Et  l'on  en  vient  naturelle- 
ment à  penser  que  les  gestes  de  Valentin  ont  été  rédigés  lors 
de  la  restauration  impériale  en  Italie,  à  la  veille  ou  au  lende- 
main des  grandes  victoires  de  Bélisaire  ®. 

<  G.  M.  R.,  I,  231-232. 

2  IV,  679-680.  —  Marucchi  :  op.  cit.,  35. 

s  Itiner.  Salzbourg.  «  Deinde  intrabis  per  urbem  ad  aquiloneai  donec  per- 
venies  ad  portam  flamioeam  ubi  S.  Valentinus  martyr  quiescit  via  flaminea 
in  basilicâ  mapaa,  quam  Honorius  reparavit...  »  fde  Rossi:  Roma  Sotteranea,  i, 
176.  —  Cf.  Epitome,  ibid.  ;  et  Notitia,  i,  177]. 

*  La  localisation  d'un  Valentin  à  Terni  semble  attestée  directement  par  les 
prestes  eux-mêmes.  Le  cimetière  renfermait  beaucoup  d'inscriptious  du  v^  et 
du  vie  siècle  [de  Rossi  :  Bull.,  1871,  85  ;  1864]. 

^  De  Magistris  :  Acta  Martyrum  ad  ostia  tiberina,  p.  40-41,  et  G.  M.  R.,  i, 
233.  Sur  les  rapports  de  l'Ombrie  avec  Rome  au  vi«  siècle,  cf.  G.  M.  R.,  i, 
353  et  164-165.  —  Les  gestes  de'Félicien  de  Foligno  [24  janvier  582|  dépendent 
certainemeul  de  Valentin  :  mais  ils  présentent  un  autre  caractère,  cf.  in- 
fra.  p.  82. 

Je  relève,  au  S  6,  l'attestation  de  la  triple  virginité  de  la  Marie  :  «  virginein 
concepisse,  virginem  peperisse,  virginem   post  partum  permansisse.  » 

6  Sur  Césaire  et  ses  attaches  à  l'époque  byzantine,  cf.  G.  M.  R.,  i,  92,  140, 
257-258  et  306-307. 

Rien  ne  s'oppose  à  ce  que  notre  texte  date  du  milieu  du  vi^  siècle  :  ni  la 
langue  [«  substantia  ;  census  »]  ;  ni  l'affirmation  de  la  perpétuelle  virgi- 
nité de  Marie  [§  6],  ni  le  souci  de  la  régularité  disciplinaire  [§  8,  Valentin 
achève  soigneusement  statutum  orationis  numerum  et  hytnnorum].  Au  temps 
de  l'exarcbal,    le  scholasticus  ^désigne    un  véritable    conseiller  juridique  du 

m  3 


34  TRADITIONS    DOMBRIE 

Mais  comment  expliquer  que  le  rédacteur  de  Terni  ait  eu 
l'idée  de  puiser  aux  gestes  de  Terracine? 

Le  fait  est  moins  surprenant  qu'il  peut  paraître  d'abord.  Los 
traditions  de  Terracine  sont  liées  aux  traditions  de  Home, 
comme  aux  traditions  de  Rome  les  traditions  de  Terni  :  les 
gestes  de  Nérée,  de  Césaire  et  de  Montanus  *  l'attestent  ; 
l'existence  de  la  voie  Appia  l'explique.  D'autre  part,  les 
gestes  de  Nérée  unissent  à  des  traditions  de  Terracine  des 
traditions  picénates  touchant  Victorinus  d'Amiterne  et  Maro 
de  Septempeda  :  et  les  gestes  de  Valentin  de  Terracine  prou- 
vent que,  à  Terracine,  on  s'intéresse  au  Valentin  de  Terni. 

Gestes  de       Valentin  de  Terraeine  succedey  malgré  lui,  comme  evéque 
Vaientiu   ^^  Terraciue  à  Avitus  et  est  sacré  par  saint  Silvestre  rèfuqié 

de  lerra-  _  ,  ,      ,  >        •  i      /-,  •         -, 

cine'^     au  mont  Soracte  lors  de  la  persécution  de  Constantin  :  il  a 
été  instruit  par  ses  parents  Clarus  et  Flavia  dans  les  arts  li- 
béraux et  est  très]versé  dans  les  Saintes  Ecritures  ;  son  frère 
Sabricius  administre   les  biens  paternels.   Lorsque  l'apostat 
Julien^  r ancien  sous-diacre  de  l'église  romaine^  l'ancien  élève 
du  prêtre  Pigmenius,  persécute  les  chrétiens^  et    envoie   en 
Campanie  le  préfet  Aufidianus,   Valentin  et  son  disciple  le 
diacre  Damien,  fils  de  la  veuve  Prœla,  sont  dénoncés  par  Ur- 
sace  et  Irénée  :  ils  lui  résistent  et  sont  torturés.  Mais  un  ange 
délivre  les  athlètes  de  Dieu,  les  conduit  dans  le  comté  Val- 
vensis,  à  Corfinium,  puis  au  Pont  de  Marbre  sur  la  Pescara, 
puis  à   Interpromium,  puis  à  Zappina  ;  ils  guérissent  d'un 
signe  de  croix  beaucoup  de  malades,  —  dont  les  médecins 
mangent  la  fortune,  sans  guérir  les  affections,  —  ressuscitent 
le  fils  de  Demetrius,  procomul  de  Zappina  ;  ils  détruisent  les 

gouverneur  [Diehl.  153]  ;  mais  le  même  terme  s'emploie  couramment  pour 
dire  un  homme  instruit,  un  lettré  ;  cf.  Grégoire  le  Graud  :  Epist.,  ix,  12,  P. 
L.  n,  957  :  precem  quarn  scholasticus  composuerat.  —  Et  je  remarque  que  le 
nom  de  Valentin  stimble  jouir  d'une  certaine  vogue  au  vi^  siècle  :  témoins  le 
Valentin,  évêque  de  Rufine  et  Seconde  [L.  P.,  i,  297],  le  notaire  de  Vigile 
[L.  P.,  I,  303),  l'abbé  Valentin  des  Dialogues  (I,  4.—  P.  L.,  77,  176],  le  dé- 
feosor  de  Milan  \DiaL,  iv,  53.  —  L.  P.,  77,  416],  l'abbé  et  le  prêtre  connus 
par  les  lettres  de 'saint  Grégoire  fiv,  42;  ix,  37]. 

C'est  peut-être  un  des  deux  Valentin  qu'on  aperçoit  dans  l'entourage  —  à 
demi-t^rec  —  de  Vigile,  qui  a  rédigé  nos  gestes.  L'idée  centrale  semble  avoir 
été  empruntée  à  Lucie  [G.  M.  R.  ii,  193],  la  sainte  de  Syracuse,  qu'à  son 
passage  à  Catane  alla  sans  doute  vénérer  Vigile  ;  l'attaque  contre  les  méde- 
cins s'y  retrouve  [Rien  de  semblable,  au  contraire,  dans  Alexandre  ;pape.\ 

1  G.  M.  R.,  I,  251-261  et  12  mai,  3. 

ï  B.  H.  L.,  8457,  16  mars,  423. 


VALENTIN    DE   TERRAGINE  35 

temples,  incendient  les  bois  sacrés,  construisent  des  églises, 
ordonnent  prêtres,  diacres  et  autres  ministres  de  VEglise,  Fu- 
rieux, les  pontifes  des  temples  les  conduisait  dans  la  grande 
forêt  de  Zappina  et  les  décapitent  auprès  d'une  énorme  pierre 
oii  leurs  bienfaits  se  multiplient  jus qu^ à  ce  jour.  Ils  ont  souf- 
fert le  16  des  kalendes  de  mars,  au  temps  de  V empereur  Ju- 
lien^ tandis  que  chez  nous  régnait  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
à  qui  sont  honneur  et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen^, 

Le  saint  de  Terracine-Corfinium  et  le  saint  de  |Terni  ont 
même  nom  et  même  anniversaire.  Leurs  légendes  s'intéresent 
également  à  la  science,  profane  et  surtout  sacrée,  de  leurs  héros. 
Elles  présentent  toutes  deux  des  points  de  contact  avec  les 
d'Alexandre  de  Baccano  et  les  gestes  de  Donat  :  on  a  dit  ce 
gestes  qui  touchait  Valentin  de  Terni  ;  Valentiîi  de  Terracine 
ressuscite  un  mort  et  fait  s'écrouler  un  temple  d'Apollon  aussi 
bien  qu'Alexandre  de  Baccano  ;  il  connaît,  comme  Donat,  le 
prêtre  Pigmenius  et  l'ancien  sous-diacre  devenu  persécuteur^. 
Valentin  de  Terracine  utilise  aussi,  du  reste,  les  gestes  de  Sil- 
vestre,  de  même  que  Valentin  de  Terni  puise  aux  gestes 
d'Abundius,  de  Maris  et  de  Martha.  Gomme  les  dévots  de 
Valentin  de  Terracine  s'intéressaient  à  Valentin  de  Terni  et 
aux  saints  du  même  cycle,  ainsi  les  pieux  amis  de  Valentin 
de  Terni  se  sont  intéressés  à  l'homonyme  de  la  côte  tyrrhé- 
nienne  et  aux  autres  légendes  de  ces  parages. 

C'est  dans  les  mêmes  milieux,  peut-être  à  la  môme  époque, 
qu'ont  été  rédigés  les  gestes  des  deux  Valentin  de  Terracine  et 
de  Terni. 

Le  rapport  de  Valentin  à  Come-Damien  confirme  ce  qu'on 
entrevoit  de  son  origine  :  la  science  médicale  et  le  désintéres- 

i  Un  episcopus  valvefisis  eat  attesté  dès  le  temps  de  GMase  Jaffé  :  Regesta, 
1,86,648-649]. —  Sur  la  géographie,  cf.  Jung:  Géographie  von  Italien  [3. 
Mûller  :  Géographie  und  politische  Geschichte  des  Kl.  Alterthums,  1889,  p. 
489 1,  et  M.  Besnier  :  De  regione  Pxlignorum  [1902,  Parisiis]  95-96.  Corameat 
s'explique  le  voyage  de  Valentin  de  Terni  chez  les  Péligniens  ?  Par  un  saint 
local  qui  se  serait  appelé  Valentin  ?  Cf.  la  double  attache  de  Vitus. 

2  Les  gestes  de  Valentin  de  Terracine  empruntent  aux  gestes  de  Donat  : 
i.  L'époque  de  Julien  ;  2.  Le  personnage  de  Pigmenius  ;  3.  La  consécration  par 
l'évêque  de  Rome  de  l'évêque  local  ;  4.  Le  refus  du  futur  évèque,  qui  se  pré- 
tend indigne  ;  5.  Cette  satire  des  médecins  qui  mangent  la  fortune  des  gens 
qu'ils  ne  savent  pas  guérir.  Cf.  Lucie. 

Sur  les  rapports  de  Donat  et  à' Alexandre  de  Baccano,  cf.  infra. 


3G 


TRADITIONS    D  OM  URIE 


sèment  des  uns  et  des  autres  est  tout  pareil  ;  les  trois  compa- 
gnons de  Valenlin,  Kphebus,  Proculus  et  Apollonius,  rap- 
pellent fort  les  trois  frères  des  anargyres,  Anlhime,  Leontios 
et  lvu[)repios.  —  Or,  la  version  G  de  Come-/)amien  que  nous 
visons  ici  semble  dater  de  520-550,  et  émaner  d'un  groupe  où 
l'on  connaissait  à  la  fois  les  légendes  grecques  et  les  légendes 
latines  ^  :  je  songe  à  l'entourage  du  pape  Vigile.  C'est  à  ce 
groupe  et  à  cette  date  que  je  rapporterais  volontiers  Valentin. 


II 


Gestes  de       Derrière  Terni,  Spolète. 

dius2je  ^1^  temps  de  l  empereur  Ajîtonm,  il  y  avait  a  Rome  une 
'^^^^^^^^^^"^  grande  persécution  contre  les  chrétiens^  au  point  que  nul  ne 
pouvait  acheter  ou  vendre  sans  avoir  d'abord  sacrifié.  Il  y 
avait  alors  à  Rome  un  prêtre  Concordius,  de  noble  famillcy 
dont  le  père  était  Gordien^  le  très  saint  prêtre  du  tilulus  Pas- 
toris.  Gordien  élevait  son  fils  dans  la  science  des  Ecritures; 
après  r avoir  fait  sacrer  sous-diacre  par  Pie,  évêque  de  RomCy 
il  s' adonnait  avec  lui  aux  jeûnes,  aux  oraisons,  aux  aumônes, 
demandant  à  Dieu  la  grâce  d' échapper  à  la  rage  des  persécu- 
teurs, Or^  Concordius  lui  dit  :  «  Mon  seigneur,  laisse-moi 
aller  auprès  de  saint  Eutyches,  et  permets-moi  de  rester  au- 
près de  lui  jusquà  ce  qu^ait  cessé  la  rage  d'Antonin.  »  — 

<  G.  M.  R.,  V.  —  Cf.  supra,  p.  34,  n. 

2  B.  H.  L.,  1906,  1er  janvier,  9.  —  [Cf.  Adoa,  P.  L.,  123,  208-209;  et  Flo- 
doard,  P.  L.,  135,  649].  —  Je  reproduis  le  curieux  passage  qui  touche  à  la 
question  de  la  licéité  de  la  fuite  :  «...  die  noctuque  et  elemosinis  pauperum 
insistens,  petebant  a  domino  ut  rabiem  imperatorum  potuisseat  fugere.  Tudc 
concordius  dixit  patri  suo  :  domine  meus  si  uis  dimitte  me  ut  uadam  ad 
sanctum  euticem  et  babitem  cum  eo  paacis  diebus  donec  cesset  rabiem  ini- 
mici  autoûini  imperatoris.  Dicit  ei  pater  suus:  fili,  magis  hic  habitemus  ut 
possimuscoronari.  Dicit  ei  beatus  coocordius:  Uadam  si  iubes,  quia  ibi  coro- 
nabor  ubi  me  christus  iusserit  coronari.  Tune  dimisit  patrem  suum  *  et  abiit 
ad  beatum  euticen  liabitum  suum  qui  tuQc  morabatur  in  prfediolo  suo  uia 
salaria  iuxta  ciuitatem  tribulem...  [Codex  Vindob.  357,  f»,  202'".] 

1  L'Âugiensis  XXXII  donue  :  «  dimisit  eum  pater  suus  ». 


CONCORDIUS    DE    SPOLÈTE  '  37 

«  Au  contraire^  répond  Gordien,  restons  plutôt  ici  afin  de 
pouvoir  recueillir  la  couronne,  »  —  «  Je  ferai  ce  que  tu  or- 
donneras :  je  serai  couronné  où  le  Christ  aura  voulu  que  je 
sois  couronné.  »  Mais  son  père  le  renvoie. 

Alors ^  Concordius  va  auprès  d'Eutyches^  son  aïeul  ma- 
ternel,  qui  demeurait  à  ce  moment  dans  une  petite  propriété, 
sur  la  voie  Salaria,  à  côté  de  la  cité  Tribulus  ;  Eutyches  le 
reçoit  avec  joie\  ils  habitent^  prient  et  jeûnent  ensemblcy  et 
ils  guérissent  les  malades  au  nom  de  Jésus-Christ.  —  Le 
bruit  en  arrive  à  TorquatuSy  comte  de  Tuscie,  qui  habitait  la 
cité  de  Spolète.  Concordius  s^ avoue  chrétien,  refuse  de  sa- 
crifier, de  devenir  Vami  du  comte  et  même  prêtre  des  dieux  ; 
conduit  à  la  prison  publique.,  il  est  visité  par  Eutyches  et  par 
Vévèque  Anthime  :  celui-ci,  ami  de  Torquatus,  a  obtenu  un 
délai  de  quelques  jours,  il  va  habiter  avec  Concordius,  et, 
quand  le  moment  en  est  venu  (tempore  opportune),  il  le  con- 
sacre prêtre.  Mandé  une  seconde  fois  par  Torquatus,  Concor- 
dius est  torturé  sur  le  chevalet  ;  mais  il  ne  cesse  de  glorifier 
Dieu  et  un  ange  vient  le  réconforter  la  nuit.  Deux  gardes  que 
le  comte  lui  envoie  trois  jours  après,  au  milieu  de  la  nuit, 
avec  une  statuette  de  Jupiter  sur  laquelle  il  crache,  le  déca- 
pitent à  la  fin.  Il  est  enseveli  par  deux  clercs  et  des  religieux, 
non  loin  de  Spolète,  à  V endroit  oîi  jaillissent  des  eaux  abon- 
dantes :  son  anniversaire  est  le  jour  des  kalendes  de  janvier, 
son  tombeau  est  le  théâtre  de  nombreuses  guériso7îs,  obtenues 
par  ses  prières,  grâce  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  qui  vit 
et  règne  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit  dans  tous  les  siècles 
des  siècles.  Amen. 

Le  saint  local  de  Spolète,  Concordius,  nous  est  attesté  au 
début  du  vn^  siècle  par  le  calendrier  populaire  *. 

La  civitas  Tribulus  est  sans  doute  Trebula  Mutuesca  qui 
reparaît  dans  Anato lie- Victoire. 

Il  est  certain  que  les  gestes  sont  parents  du  groupe  Jean-Paul, 
Vibbiane  —  Donat  —  Alexandre  — ■  Valentin,  etc.  ^...  C'est  un 
Concordius  —  le  nôtre  évidemment  — ,  qui,  d'après  les  gestes 
de  Vibbiane,  enterre  le  prêtre  Jean,  iuxta  concilium  martijrum 
(via  Salara),  le  Vlll  des  kalendes  de  janvier  ^  —  L'auteur  des 

*  M.  R.  P.  «  apud  Spoletum,  sci'Concordii  martyris  ».  P.  X.,  123,  145-146. 

*  Cf.  supra,  et  G.  M.  R..  i,  285. 
»  G.  M.  R.,  I,  124. 


'^8  TRADITIONS    D*OMBRIK 

gestes  de  Concordius,  comme  l'auteur  des  gestes  de  Donat, 
s'irit(5resse  au  iitulus  Pastorisy  aux.  sous-diacres,  à  l'observa- 
tion des  insterstices,  aux  droits  de  l'évéque  de  Rome.  —  Il 
place  son  histoire  au  temps  d'Anloniri,  comme  font  les  gestes 
d'Alexandre  de  J5accano.  —  Si  je  n'y  relève  aucun  trait  qui 
rappelle  les  gestes  de  Valentin  *,  j'y  remarque  un  détail  qui  dé- 
nonce, chez  l'auteur,  la  lecture  des  gestes  de  Jean  et  Paul  :  la 
mise  à  mort  en  secret  au  milieu  de  la  nuit  pour  avoir  refusé 
d'adorer  la  statuette  de  Jupiter.  Et  l'on  sait  que  l'auteur  de 
Vibhiane  a  relouché  Jean  et  Paul  2. 

11  est  certain  que  le  Gordien,  père  de  Concordius,  est  iden- 
tique au  héros  des  Gesia  Gordiani^  dont  on  plaçait  la  mort 
sous  Julien  ^  et  dont  certains  textes,  aujourd'hui  perdus,  fai- 
saient sans  doute  un  prêtre  du  titulus  Pastoris,  Notre  lé- 
gende est  parente  des  légendes  juliennes. 

J'attire  l'attention  sur  ce  curieux  passage,  oii  le  saint  de- 
mande à  fuir  auprès  d'Eutyches  afm  d'éviter  les  persécuteurs, 
où  il  montre  que  la  volonté  de  Dieu  saura  partout  l'atteindre, 
si  elle  veut  réellement  qu'il  succombe.  Cela  rappelle  les  textes 
où  les  rédacteurs  mettent  en  scène  des  pios  homines  qui 
latitabant  ;  est-ce  une  discrète  apologie  de  la  fuite,  est-ce  une 
retouche  manichéenne  ?  Baronius  a  connu  d'autres  versions  * 
de  notre  légende  ;  mais,  comme  elles  n'ont  pas  été  retrouvées^ 
on  ne  saurait  rien  en  dire.  —  Ce  qui  paraît  assuré,  c'est  que 
notre  texte  date  de  la  première  moitié  du  vi^  siècle  :  l'hypothèse 
rend  compte  et  du  fait  qu'il  imite  Jean  et  Paul,  et  de  sa  parenté 
avec  le  groupe  Vibbiane-Donat ,  etc.,  et  de  l'intérêt  qu'il  té- 
moigne à  la  question  de  la  spontanéité  du  martyre  ^ 

Voici  trois  points  obscurs  ^  L'Eutyches  de  nos  gestes,  l'aïeul 

1  II  semble,  que   Valentin  soit  chronologiquement  postérieur  à  Vibbiane. 

3  G.  M.  R.,  I,  146,  note  1. 

3  G.  M.  R  ,  1,  194-195. 

^  Tillemont,  11,  627  :  «  Les  manuscrits  qu'il  en  avait  vus  estant  plus  amples 
que  les  imprimés  ». 

3  Je  remarque  encore  que  sa  chronologie  s'accorde  avec  celle  du  Liber  Pon- 
tificalis  :  ici  comme  là,  Pie  I  est  placé  au  temps  d'Antonin  [L.  P.,  i,  132].  Mais 
nos  gestes  ne  marquent  pas  qu'il  s'agit  d'Antouinus  P2i**,  comme  le  fait  le  L. 
P,,  ;  il  ne  font  pas,  comme  le  L.  P.,  de  Pastor  un  frère  de  Pie.  Il  semble 
donc  qu'il  n'y  ait  pas  ici  rapport  de  dépendance  littéraire  entre  les  textes. 
D'autant  q\i'Alexandre  de  Baccano  explique  la  chronologie  de  Concordius.  — 
Je  corrige  ici  ce  que  j'ai  dit  G.  M.  R.,  i,  371.  Le  Concordius  dont  on  a  trouvé 
le  corps  dans  l'église  de  Sainte-Martine,  le  25  octobre  1634,  n'a  laissé  aucune 
tràce,  et  pour  cause,  dans  la  légende  de  cette  sainte. 
*  Je  ne  crois  pas  devoir  insister  sur  les   premiers   mots  du    paragraphe  3, 


CONCORDIUS    ET   NÉRÉE  39 

maternel  deConcordius,  n'est-il  pas  à  identifier  avec l'Eutyches 
des  gestes  de  Nérée,  le  conseiller  de  Domilille,  le  martyr  qui 
a  sa  basilique  au  seizième  mille  de  la  Voie  Nomentane  ^  ?  Dans 
ce  cas,  comment  expliquer  que  Nérèe  le  fasse  mourir  sous 
Nerva,  tandis  que  Concordius  le  fait  vivre  sous  Antonin  ;  que 
Nérèe  le  localise  voie  Nomentane,  Concordius  voie  Salaria  ? 
Où  est  le  tombeau?  —  Le  férial  hiéronymien  mentionne  voie 
Nomentane  un  cymiterhtm  Eutijchii  H  le  texte  de  Nérée  doit 
donc  ôtre  pris  en  considération.  Une  inscription  de  Damase 
atteste  un  autre  Eutychius  voie  Appia  ^  au  cimetière  de 
Saint-Sébastien.  Malgré  la  faible  distance  qui  sépare  la  Voie 
Salaria  de  la  Voie  Nomentane,  il  est  donc  possible  que  ce  ne 
soit  pas  le  même  martyr  qui  ait  été  mêlé  tour  à  tour  à  la  lé- 
gende de  Concordius  et  à  la  légende  de  Nérée.  Le  contraire 
est  aussi  possible,  je  dirais  môme  probable  :  pour  un  narra- 
teur qui  se  place  à  Spolète,près  de  la  Voie  Flaminia,  c'est  une 
même  région  que  desservent  la  voie  Salaria  et  la  voie  Nomen- 
tane. Au  vi^  siècle,  les  légendes  locales  sont  encore  en  pleine 
croissance  :  plusieurs  pensaient  accaparer  le  même  personnage 
et  donc  le  placer  à  diverses  époques.  On  semble  dire,  enfin, 
que  le  séjour  d'Eutyches  sur  la  voie  Salaria  était  passager. 
Le  Concordius  qui  est  le  héros  de  nos  gestes  doit-il  être 

qui  placent  Spolète  sous  la  jaridiction  du  comte  de  ïuscie.  D'abord,  l'anonyme 
ne  dit  pas  que  Spolète  était  en  Tuscie  ;  il  dit  que  le  comte  de  Tuscie  habitait, 
alors  Spolète.  En  oQtre.  dès  le  m®  siècle,  la  Tuscie  a  été  unie  à  l'Ombrie,  et, 
dès  le  cinquième,  le  vocable  Tuscie  semble  chasser  le  mot  Ombrie  :  cf.  notam- 
ment le  Férial  hiéro7iymien^  le  Liber  Pontificalis,  Proscope  et  saint  Grégoire 
le  Grand,  la  thèse  de  Diehl  et  l'ouvrage  de  von  Hartmann.  Je  n'ai  pas  trouvé  un 
texte  attestant  la  survie  au  v«,  vie  et  vn^  siècles  d'une  province  d'Ombrie,  dis- 
tincte de  la  Tuscie  et  du  Picenum.  Mommsen  la  retrouve  dans  la  Provincia 
Caitellorum  [«  Uber  die  ravennat.  Cosmogr.  —  Berichte  der  K.  sâchsichen  Ge- 
sellschaft  der  Wissenschaften,  1851.80]  ;  mais  je  crois,  avec  Diehl,  que  cette 
expression  désigne  le  Picenum  annonaire  tout  hérissé  de  châteaux-forts.  — 
Cf.  Crivellucci  :  Chiesa  e  Impero  al  tempo  di  Pelagio  II  e  di  Gregorio  /... 
[Studi  Storici,  i  (1892),  p.  224,  note  2]. 

1  G.  M.  R.,  I,  209.  —  Cf.  228,  et  Hans  Achelis  :  p.  46.  ' 

2  E.  VIII,  K.  sep...  rom  euticetis...  in  capua  rufina;  euticee. 

W.  uni  KAL.  SEPTE  (M)  B...  In  capua  civit  campania  nat  sc*orum  rufînee 
euticœ  eu  sociis  eorumincimit  eiusdem  via  numentana  miliario  XVIII  Arelato 
nat  scorum  genesi  mar... 

B.  Ullll,  KL.  SEP...  IN  CAPUA  CIU,  campanie  Scorum  Rufinae.  Euticae.  IN 
CIMITERIO  euisdê  mil  XVIII,  ROM^  nath  sci  Genesi...  [Rossi-Duchesne, 
p.  110]. 

3  Ihm,  27,  p.  32. 

Eutychius  martyr  crudelia  iussa  tyranni.  ,  .^qj,jj|. 


40  TRADITIONS    d'oMBRIE 

identifié  avec  celui  qui  est  mêlé  à  rhistoir(;  do  (^onslantius  ? 
—  L'évêque  Aiilhime,  que  nos  gestes  font  apparaître  à  Spo- 
lète,  est-il  distinct  du  héros  des  gesla  Anlkimi'î 

Dans  les  deux  cas  j'incline  à  croire  qu'il  y  a  identité  de  per- 
sonnage ;  et  que  les  désaccords  que  l'on  surprend  parfois 
entre  les  textes  reflètent  seulement  la  diversité  des  traditions 
martyrologiques  à  une  époque  où  elles  sont  vivantes  *. 


III 


Gestes  de 

CoDstan-       Le  Créateur  a  eu  pitié  du  genre  humain^  il  s'est  incarne,  il 

Pérouse  et  ^'^^^  anéanti  lui-même  pour  revêtir  la  forme  de  V esclave  ; 
Foiigno  comme  Adam  nous  avait  livrés  au  mal,  ainsi  la  Vierge  et 
son  Fils  unique  nous  ont  rendu  ce  que  nous  avions  perdu. 
Après  sa  naissance,  il  a  choisi  douze  Apôtres,  grâce  auxquels 
—  comme  grâce  à  Dieu,  —  le  bienheureux  Constantius,  de 
Pérouse,  servit  le  Seigneur.  Il  jeûnait  ;  il  nourrissait  les 
pauvres  de  ses  richesses  ;  il  guérissait  l'aveugle  Astasia  en  in- 
voquant  sur  elle  le  Dieu  d' Abraham,  le  Dieu  d'Isaac  et  le 
Dieu  de  Jacob.  Lorsque  vient  l'implorer  Crescentius,  qui  ne 
peut  marcher,  il  prie  Jésus-Christ  ;  une  lumière  éclatante  ap- 
paraît qui,  durant  une  demi-heure,  séjourne  sur  le  malade, 
et  le  malade  est  guéri.  Cent  vingt  païens  se  convertissent. 

Mais  la  nouvelle  en  arrive  à  Charisius,  primus  civitatis.  C'est 
le  temps  où  l'impie  empereur  Antonin  persécute  les  chrétiens  : 
il  a  envogé  à  Pérouse  Lucius  de  magnis  consulibus  Roma- 
norum.  Les  speculatores  arrêtent  les  chrétiens  qui  sont  dans 
la  maison  de  Crescentius  ;  ceux-ci  refusent  d'adorer  Jupiter, 
Mercure  et  Saturne,  les  autres  dieux,  surtout  le  Soleil  et  la 
Ijune.  Tandis  que  Lucius  et  Charisius  font  battre  Constantius, 
Constantius   chante  ;  jeté    avec    ses   compagnons    dans    les 

*  G.  M.  R.,  I,  369. 

2  B.  H.  L.,  1938,  29  janvier  925  ou  540.   Je  l'appelle   le   texte  A;  il   débute 
ainsi  :  Conditor  et  formator  omnium  rerum  omnipotens  Deuit... 


CONSTANTIUS    DE    PEROUSE  '  41 

thermes  qui  se  trouvent  devant  le  palais  de  Maximien^  il  fait 
comme  eux  le  signe  de  la  croix:   et  aussitôt  les  bains  res- 
plendissent de  lumière,  comme  eji  plein  jour ^  et  les  soldats  se 
convertissent,  avec  leurs  fils,  leurs  femmes  et  leurs  filles  ;  et 
ils  s'en  vont  avec  les  confesseurs  du  côté  de  la  forêt  qui  s'ap- 
pelle  la  Colline,  à  r endroit  quon  nomme  Monticellus  \  et  ils 
y  demeurent  auprès  d^ Anastase,  serviteur  de  Dieu.  Mais  Lu- 
cius  apprend  leur  départ  et  ses  soldats,  guidés  par  un  païen, 
accourent  les  arrêter  de  nouveau,  les  raillant  d'adorer  un  cru- 
cifié qui  71  a  pas  pu  se  sauver,  lui-même.  Et  les  martyrs  pro- 
testent :  cest  de  son  plein  gré  que  Jésus  a  été  à  la  mort.  Cons- 
tantius,  Anastase,  Carpophore  et  les  autres  ne  se  laissent  pas 
fléchir  ;  Constantius  marche  pieds  nus  sur  les  charbons  ar- 
dents, il  guérit  tous  les  malades  que  lui  apportent  ses  geôliers 
et,  entraîné  par  trois  d'entre  eux  qui  se  sont  convertis,  il  prend 
la  route  qui  mène  en  Campanie,  passe  le  Tibre,  et  chemine 
sur  la  voie  Salaria.  «  Ou  vas-tu  »,  lui  demandent  des  émis- 
saires de  l'empereur  lancés  à  la  recherche  des  chrétiens.  — 
«   J'ai  quitté  Pérouse,   répond  Constantius,  pour  voir  mes 
frères    Concordius  et  Pontien  et  m'entretenir   avec  eux  des 
choses  du  ciel.  »  —  «  Tu  es  donc  chrétien.  »  —  «  Oui.  »  — 
Constantius,  conduit  à  la  maison  de  Duritius,  puis  au  fleuve 
Clasius,  proteste  quil  ri  est  pas  un  mage  ;  il  est  finalement 
décapité  au  carrefour  de  Foligno,  non  loin  de  la  ville,  après 
avoir  été  réconforté  par  un  ange.  Prévenu  par  un  songe,  Le- 
vianus  ensevelit  le  corps,  dont  la  vertu  merveilleuse  guérit 
quatre  aveugles,  au  lieu  quon  appelle  Areola  :  ses  bienfaits 
s  y  multiplient  jusqu  à  ce  jour  pour  l'honneur  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  à  qui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles 
des  siècles.  Amen. 

Trois  faits  sont  certains.  11  est  sûr,  d'abord,  que  ce  texte 
porte  la  trace  des  polémiques  relatives  à  la  licéité  de  la  fuite 
et  à  la  spontanéité  du  martyre.  Les  deux  fuites  de  Constantius 
—  toujours  présentées  comme  d'ordinaires  [départs  —  Taffir- 
mation  que  le  supplice  de  Jésus  a  été  volontaire  sont  à  cet 
égard  très  caractéristiques  et  rappellent  certains  passages 
des  gestes  de  saint  Pierre  *  et   des    gestes    romains  ^   Cela 

*  Près  Tivoli.  Connu  dans  l'histoire  des  barons  romains. 

'  G.  M.  R.,  i,  332.  Cf.  Processus  Martinianus. 

^  Noter  encore  qne  le  terme  mdge  appliqué  à  un  martyr  se  lit  dans   Ale^ 


42  TRADITIONS    DOMBRIE 

nous  fait  souvonir  des  polémiques  catholico-manichéennes. 

Il  est  à  peu  près  certain  que  le  Concordius  et  le  Pontien 
dont  il  est  ici  question  sont,  Tun  le  héros  des  ^^^estcs  dont  on 
a  parlé  tout  à  l'heure,  l'autre  le  martyr  de  Spolète  dont  il  sera 
question  bientôt  :  ce  sont  tous  des  martyrs  de  la  terre  d'Om- 
bric  *.  Et  je  remarque  que  les  gestes  de  Fontien  présentent 
trois  points  de  contact  avec  ceux  de  Constantius  :  1.  L'époque 
d'Antonin;  2.  Le  supplice  des  charbons  ardents  ;  3.  L'impor- 
tance attachée  au  signe  de  la  croix.  Pareils  traits,  sauf  le 
second,  se  retrouvent  dans  les  gestes  d'Alexandre  de  jjaccano 
où  le  terme  ministri  se  lit  sans  cesse^  où  apparaît  aussi  une 
Trinité  païenne,  où  les  martyrs  sont  également  condamnés  à 
griller  dans  les  thermes,  où  une  lumière  surnaturelle  brille 
sur  un  malade  qu'elle  guérit,  où  le  peuple  manifeste  égale- 
ment des  sentiments  très  favorables  aux  chrétiens,  où  l'on 
rapporte  textuellement,  sinon  la  sentence  du  juge,  au  moins 
l'épitaphc  du  martyr.  Et  je  remarque  que  ces  gestes 
d'Alexandre  ont  été  influencés  par  les  polémiques  relatives  à  la 
fuite.  Les  légendes  de  Concordius,  de  Pontien  et  d'Alexandre 
sont  parentes  les  unes  des  autres. 

Il  est  enfin  très  vraisemblable  que  les  gestes  de  Constantius 
sont  encore  parents  des  gestes  d'Anthime.  On  va  voir  que 
le  rédacteur  de  ceux-ci  semble  avoir  lu  saint  Paul,  dont  il  redit 
les  touchants  conseils  à  l'ami  malade  qui  ne  voulait  pas  boire 
de  vin  ;  et  l'on  a  pu  se  rendre  compte  que  le  début  des  gestes  de 
Concordius  a  une  saveur  paulinienne  parfaitement  nette  :  on  y 
trouve  jusqu'àla  fameuse  expression  chère  à  Fulgence  Ferrand  % 
exinanivit  semet  ipsum  formam  servi  accipiens.  Dans  les  deux 
légendes  se  présente  ce  même  trait  que  le  malade  est  guéri  par 
une  lumière  céleste,  laquelle  demeure  une  demi-heure  au- 
dessus  de  lui.  Enfin,  les  gestes  de  Constantius  nous  conduisent 
sur  la  voie  Salaria,  centre  de  la  légende  d'Anthime.  Ils  datent 
sans  doute,  comme  Alexandre  et  Pontien^  du  milieu  du 
vi^  siècle. 

Mais,  avant  d'en  venir  à  Anthime,  il  faut  comparer  avec 
notre  texte  de  Constantius  une  autre  version  qui  en  est  fort 

xandre  pape.  —  La  rencontre  de  Constantius  par  les  officiales  rappelle 
l'épisode  analogue  qu'on  lit  dans  Florian,  texte  romanisé  [G.  M.  R.  ii,  230  sq] 

1  Pareillement,  il  est  sûr  que  le  Grescentius  est  le  martyr  de  Pérouae  que 
nous  connaissons  par  ailleurs  [14  septembre  352.  —  Cf.  infra.] 

»  Elle  se  lit  aussi  dans  Hedestus,  cf.  supra^  p.  16.  —  Cf.  G.M=  R.  II,  204. 


LA   VERSION    DU    MONT-CASSIN  43 

différente  et  qui  prétend  néanmoins  conter,  comme  lui,  l'histoire 
du  martjT  de  Foligno  et  de  Pérouse  :  je  l'appelle  la  version  B. 

Cette  version  %  qui  nous  a  été  conservée  par  un  manuscrit  du 
Mont-Cassin,  de  la  fin  du  x*  ou  du  début  du  xi®  siècle  [Codex 
117],  commence  par  les  mots  :  cîim  esset  igitur  temporihus 
antonini  imperaloris,  devulgata  est  iussio  eius.  Elle  présente 
les  points  de  contact  suivants  avec  le  texte  A  :  1.  Il  s'agit 
toujours  d'un  Constantius^  vivant  à  Pérouse,  et  martyrisé  au 
carrefour  de  Foligno;  2.  au  temps  de  l'empereur  Antonin; 
3.  alors  que  Concordius  et  Pontien  sont  eux-mêmes  arrêtés  ;  4. 
son  cadavre  guérit  des  aveugles  ;  5.  il  est  enterré  par  Levianus. 

Mais  B  supprime  \q?>  passages  suivants  de  A  :  1.  le  pro- 
logue conditor  et  formatai^',  2.  la  guérison  d'Astasia;  3.  la 
formule  Deus  Abraham,  Isaac  et  Jacob  ;  4.  la  guérison  de 
Crescentius  ;  5.  la  persécution  dirigée  par  Charisius  et  Lu- 
cius  ;  6.  la  première  fuite,  à  Monticelli  ;  7.  le  personnage 
d'Anastase  ;  8.  la  seconde  arrestation  et  la  seconde  fuite  sur 
la  route  de  Campanie;  9.  le  supplice  des  charbons  ardents; 
10.  la  maison  de  Duritius  où  le  martyr  est  conduit  après  sa 
troisième  arrestation. 

En  revanche,  B  ajoute  à  ce  que  conte  A  :  1.  Constantius  a 
trente  ans,  et  les  événements  sont  datés  de  la  troisième  année 
du  règne  d' Antonin  (ou  du  séjour  du  martyr  à  Pérouse)  [?  in 
tertio  anno  magniis  in  aspectu  {??  Dei  ?)  erat...  ; perfectus  fac- 
tus  estper  D.  J.  C,  {qui)  uocaiiit  eum  in  congregatione  iiis- 
torum~\\  2.  le  saint  va  à  Assise,  in  civitate  asesinatim,  parce 
que  la  persécution  y  sévit  ;  3.  les  émissaires  païens  le  ren- 
contrent au  lieu  appelé  Danabus^  l'arrêtent  et  le  rouent  de 
coups  ;  4.  un  ange  vient  le  réconforter  et  guérir  ses  plaies,  à 
la  stupéfaction  de  ses  bourreaux  ;  5.  mais  Constantius  se  méfie, 
il  craint  que  le  diable  se  soit  déguisé  en  ange,  il  ne  se  confie 
en  lui  qu'après  l'avoir  vu  faire  le  signe  de  la  croix  ;  6.  Cons- 
tantius est  conduit,  en  compagnie  de  Concordius  et  de  Pon- 
tien, ad  civitate  metropolitana  quœ  appellatur  spellum; 
7.  Constantius  demande  au  Seigneur  quel  était  l'ange  guéris- 
seur, et  l'ange  lui  répond  :  ego  sum  custos  anime  tue  et  ego 
tollam  spiritum  tuum  et  deducam  in  paradiso  Dei;  8.  lorsque 
Levianus  arrive  enterrer  le  cadavre  de  Constantius,  il  trouve 
in   tribio  angelum  Domini  custodientem  eum  ;    anima  vero 

1  Bibliotheca  Casinensis,  m,  flor.  54.  —  C'est  le  texte  B.  H.  L.,  1937. 


44  TRADITIONS   T)*OMBRIE 

eius  ante  se  tenehat\  0.  deux  païens  qui  le  rencontrent  et 
raillent  la  foi  du  martyr  perdent  instantanément  la  vue  ;  10.  ce 
sont  deux  aveugles  |A  dit  quatre]  qui  sont  guéris  en  retour  '. 
De  cette  version  encore,  je  dirai  :  trois  faits  sont  certains. 
La  mention  de  l'ange  gardien,  l'insistance  que  met  le  rédac- 
teur à  spécifier  sa  nature  et  son  rôle  nous  font  souvenir  de 
Vitus:  il  connaissait  sûrement  ce  texte,  ou  un  texte  analogue. 
La  méfiance  du  martyr  qui  soupçonne,  sous  les  traits  de 
l'ange,  le  démon  caché,  nous  rappelle  les  épisodes  parallèles 
de  Julienne  ou  de  Cyprien- Justine  :  ici,  les  soupçons  du  mar- 
tyr sont  déplacés  ;  mais  on  sait  que  Julienne  et  Justine  avaient 
raison  d'avoir  peur*.  —  J'ajoute  que  l'attitude  prudente  et 
réservée  du  saint  est  assez  semblable  à  celle  que  tient  Agathe, 
(dont  on  sait  comme  les  gestes  sont  parents  de  ceux  de  Vitus)  : 
elle  refuse  de  se  faire  soigner  par  cette  apparition  suspecte, 
où  se  cache  le  bon  saint  Pierre  ^ 

Enfin,  j'attire  l'attention  sur  cette  civitas  metropolitana  quœ 
appellatur  spellum.  On  n'ouit  jamais  parler  d'une  métropole 
ni  môme  d'un  évèché  de  Spello.  D'autre  part,  on  verra  que 
l'évêque  de  Spolète,  au  cours  du  vu''  siècle,  et,  sans  doute, 
dès  le  début,  a  tâché  de  se  faire  attribuer  la  dignité  métro- 
politaine ;  or,  au  point  de  vue  paléographique,  la  con- 
fusion de  Spoletum-Spellum  est  explicable.  Je  crois  donc 
qu'il  faut  lire  Spoletum  au  lieu  de  Spellum  ;  et  qu'on  doit 
rattacher  la  version  B  aux  autres  textes  qui  soutiennent  les 
droits  métropolitains  de  Spolète.  —  C'est  dire  que  B  date  sans 
doute  de  la  première  moitié  du  vue  siècle  '\ 

*  Nous  connaissoQs  une  autre  forme  de  la  version  B  :  c'est  le  texte  B.  H. 
L.,  1939,  que  j'appelle  B2  :  il  commence  par  les  mots  Beatissimi  Constantii, 
fratres^  cuius  hodie  natalicia  celebramus  audiet  dilectio  vestra^  et  se  lit  29  jan- 
vier 929  ou  543.  C'est  un  sermon,  qui  suit  fidèlement  B  ;  voici  ses  caracté- 
téristiques  :  1.  Gonstantius  est  évêque  de  Pérouse  ;  2.  A  l'épisode  de  Levianus 
sont  mêlés  24  aveugles  ;  4,  Le  corps  a  été  porté  ad  destmatum  locum  Perusinss 
civitatis.  —  C'est  un  remaniement  de  B,  qui  veut  soutenir  les  prétentions  de 
Pérouse  à  la  possession  des  reliques  (de  Constaotius. 

2  G.  M.  R.,  V. 

3  G.  M.  R.,  II,  195. 

<- Cf.  tn/r«,  chapitre  m  p.  77.  —  Je  me  demande  après  coup,  pensant  à 
Félix  de  Spello  [p.  103], à  Félicien  de  Foligno  et  à  Juvénal  de  Narni  [p.  81J, 
s'il  ne  faut  pas  conserver  la  leçon  Spellum,  et  expliquer  ce  texte  comme 
Juvénal  et  Félicien  cf.  infra  p.  83.  note  2]. 

s  Mais  peut-être  a-t-il  retenu  certains  traits  —  ceux  qui  rappellent  Agathe 
—  qui  se  lisaient  dans  la  version  primitive,  aujourd'hui  perdue,  et  qu'on  ne 
trouve  plus  dans  A.  La  légende  a  sans  doute  pris  forme  dans  les  cercles  au- 
gustiniens,  où  se  remaniaient  Euplus,  Vitus,  Agathe,  etc.  A  n'est  pas,  sang 
doute,  pur  de  toute  retouche. 


LE    TEXTE    PRIMITIF    PERDU  45 

Et  que  peut-on  dire  de  la  légende,  commune  à  la  fois  à  A  et 
B  ;  quelle  en  est  la  genèse  ? 

A  et  B  supposent  le  culte  d'un  saint  Constantius  à  Foligno  ou 
à  Pérouse.  N'est-ce  pas  celui  qui  est  attesté  par  le  férial  hié- 
ronymien  : 

E  et  L.  IV  Kal.  feb.  m  Tnscia  Constantini  *. 

Comme  nous  lisons  ailleurs  Gonstantia  pour  Constantina  *, 
il  est  vraisemblable  qu'il  faut  reconnaître  notre  Constantius 
dans  ce  Constantinus.  D'autant  que  B  ensevelit  le  martyr 
tertio  KaL  februariarum  ;  c'est  à  peu  près  la  date  du  férial  ; 
l'écart  s'explique  sans  peine,  paléographiquement  ^  Nous  te- 
nons le  culte,  racine  de  la  légende  *. 

Elle  vise,  dans  les  deux  versions,  les  saints  Concordius  et 
Pontien  ainsi  que  l'époque  d'Antonin.  L'époque  d'Antonin 
nous  rappelle  Alexandre  de  Baccano,  lequel  date  du  milieu 
du  vi'  siècle  ;  Concordius  et  Pontien  semblent  avoir  été  rédigés 
à  peu  près  vers  le  même  temps.  On  est  conduit  à  penser  que 
notre  légende  de  Constantius  a  également  cette  date. 

Mais  a-t-elle  eu  une  existence  antérieure,  où  elle  se  serait 
exprimée  dans  d'autres  textes,  différents  des  nôtres  ?  La  chose 
n'est  pas  impossible.  L'auteur  de  A  ne  paraît  plus  guère  com- 
prendre la  portée  des  deux  fuites  de  Constantius  :  pourtant  il 
les  mentionne.  N'est-ce  pas  qu'il  était  guidé  par  un  texte?  — 
D'autre  part,  A  nous  reporte  à  un  moment  où  la  tradition  de 
Constantius  tend  à  s'agréger  à  celles  de  Concordius  et  de 
Pontien,  d'Anastase  et  de  Carpofore,  sans  néanmoins  que 
Constantius  perde  sa  place  principale,  sans  qu'il  soit  subor- 
donné à  Tun  ou  l'autre  de  ses  deux  émules.  N'est-ce  pas  que 


^  De  Ros3i-Duche8ûe,  p.  14.  —  Le  calendrier  populaire  et  Adon  ignorent 
Constantius.  Le  Bemensis  donne  constanti. 

2  Geates  de  Jean-Paul.  Cf.  Aldhelme  :  de  laude  uirg.,  40.  [P.  L.,  89,  274].  — 
Cf.  G.  M.  R,,  I,  148.  Uéoéque  de  Narni,  au  temps  de  saint  Grégoire,  est  appelé 
tantôt  Constantius,  tantôt  Constantinus  [P,  L.,  77,  1334,  1338,  1007.  —  Ep.,  ix, 
72]. 

^  Le  texte  B2  donne  IV  Kal  februarii  [§  29] . 

*^  Les  œuvres  de  saint  Grégoire  attestent  la  diffusion  du  nom  de  Constan- 
tius à  la  fin  du  vi®  siècle,  et,  particulièrement,  semble-t-il,  en  Ombrie. 
Cf.  Epist.,  XII,  24  [P.  L  ,  77,  1233]  :  les  moines  de  feu  l'abbé  Glaudius  veulent 
élire  pour  abbé  le  moine  Constantius  ;  Dialogi.,  i,  9  [col.  189]  ;  —  Tévôque  de 
Ferentum.  Boniface,  a  un  neveu  (Constantius,  dont  nous  savons  et  la  cupidité 
et  l'ambition  ;  Epist.,  ix,  72  [col.  1007  ;  cf.  1334  ;  1338]  —  enfin,  l'évêque  de 
Narni,  au  temps  de  saint  Grégoire,  s'appelle  Conatautius. 


46  TRADITIONS    d'oMFîRIE 

son  autonomie,  si  jo  puis  ainsi  diro,  est  sauvegardée  par  un 
texte,  h  l'heure  où  le  cycle  s'enchaîne  *  ? 


IV 


d^An-^  A^Ser^m^  Terentianiis^  homme  illustre,  préfet  de  lavitlepour 
thime  2  [a  seconde  fois,  épousa  Protina,  petite-fille  de  Gallien  Au- 
guste, fille  de  sa  fille  Gallia,  qui  lui  donna  trois  enfants, 
Claudius,  Pompeianus  et  Lucina,  Lucina  épousa  Faltonianus 
Pinianus,  envoyé  en  Asie  comme  proconsul  par  Dioctétien  et 
Maximien  augustes  :  Chœremon,  conseiller  sacrilège  de  Pi- 
nianus,  persécutait  les  chrétiens  ;  mais  il  tomba  de  son  char, 
et  mourut,  tourmenté  par  le  diable^  invoquant  ces  saints  quil 
avait  poursuivis.  Pinianus  fut  si  fort  effrayé  de  cette  mort 
quil  tomba  malade.  Lucine,  sa  femme,  sachant  bien  que 
c'était  le  démon  qui  le  souillait^  se  fit  amener  les  confesseurs 
du  Christ  qui  étaient  en  prison,  Anthime  prêtre,  Sisinnius 
diacre,  et  d^ autres  hommes  religieux,  Maximus,  Bassus,  Fa- 
bius, Diocletianus  et  Florentins,  a  Guérissez  m.on  mari,  leur 
dit~elle,  et  vous  serez  libres  d'aller  ou  vous  voudrez.  »  — 
«  Exhorte-le  à  se  faire  chrétien,  répond  Anthime,  et  aussitôt  il 
sera  guéri.  »  Lucine  est  remplie  de  joie  :  tous  les  médecins 
(medici^   archiatri  et  diasophistœ)  ont  été  impuissants    à    le 

1  Je  néglige  le  texte  B.  H.  L.,  1940  :  Ses  Constantius  Perusinus  cîvis  simul 
et  episcopus...  [29  janvier  547].  C'est  un  développement  très  verbeux  de  B-  — 
on  pourrait  l'appeler  B^  —  ;  outre  sa  verbosité,  ce  qui  le  caractérise  est  la 
mention  d'une  nobilissima  Barciorum  familia  à  laquelle  est  rattachée  l'évêque 
Constantius  ;  on  en  aperçoit  par  là  même  l'origine. 

J'ajoute  un  fait  plus  intéressant  :  certains  textes,  qui  sont  vaguemeut  si- 
gnalés par  Galesinius  et  par  les  BoUandistes  [29  janvier,  924,  §  2]  parlent  d'un 
Constantius  tué  par  les  Goths  sous  Justinien  en  même  temps  que  six  pèlerins 
allant  de  Germanie  à  Rome.  Peut-être  aurions-nous  ici  un  cas  analogue  à 
ceux  que  présente  la  légende  des  XII  Syriaques  :  la  fusion  d'une  tradition 
martyrologique  avec  le  souvenir  d'une  ascète  du  vie  siècle,  tel  que  Jean  ou 
Herculanus  [cf.  infra]  ;  le  texte  deGalesiuius  fait  précisément  de  Constantius 
un  disciple  d'Herculanus  et  un  évêque  de  Pérouse. 

2  B.  H.  L.,  561-565,  11  mai  616  ou  614. 


ANTHIME  47 

guérir  ;  et  voici  des  hommes  qui  ne  demandent  rien  et  ré- 
pondent de  tout,  ce  //  est  bien  sot,  conclut  Faltonianus  Pi- 
nianus,  celui  qui  ne  croit  pas  au  Dieu  qui  sauve  un  déses- 
péré. »  —  Entrés  dans  la  chambre  où  Pinianus  est  étendu,  à 
demi-mort^  Anthime  et  Sisinnius  constatent  quil  est  tout  prêt 
à  croire  ;  ils  lui  disent  que  croire  :  le  Dieu  unique,  créateur  ; 
les  trois  Personnes  ;  la  chute  de  V homme  et  r incarnation  du 
Verbe.,  les  miracles,  la  résurrection  et  l'ascension  de  Jésus  ;  et 
ils  lé  baptisent  au  nom  de  Jésus.  Puis,  Anthime  et  Sisinnius 
se  mettent  en  prières  ;  une  clarté  céleste  apparaît  qui  dure  une 
demi-heure,  et  Pinianus  se  lève,  guéri.  Il  appelle  les  confes- 
seurs prisonniers  :  après  avoir  été  instruite  pendant  sept  jours, 
Lucine  est  baptisée  ainsi  que  les  esclaves  de  sa  maison  et  sa 
descendance. 

Depuis  ce  moment,  Piniamis  rappelle  les  chrétiens  qui 
sont  dans  les  mines,  dans  les  ergastules  et  dans  les  prisons  ; 
il  leur  lave  les  pieds,  selon  la  doctrine  d' Anthime  et  de  Sisin- 
nius, il  leur  baise  les  mains,  il  leur  fournit  des  voitures  afin 
qu'ils  rentrent  chez  eux.  Puis  il  va  à  Rome  avec  plusieurs 
chrétiens;  il  les  répartit  dans  ses  propriétés  du  Picenum,  qui 
sont  proches  d'Osimo  ;  il  donne  une  terre  à  Sisinnius,  à  Dio- 
cletianus,  à  Florentius  qui  y  vivent  en  paix,  avec  d'autres, 
durant  trois  années.  Mais  une  idole  qui  parlait  tous  les  trois 
ans  ordonne  à  ses  adorateurs  de  les  contraindre  à  sacrifier  : 
sinon,  elle  ne  parlera  plus.  Les  saints  le fusent,  sont  lapidés; 
et  leurs  bienfaits  durent  jusqu  à  ce  jour. 

Anthime  se  cachait  sur  la  voie  Salaria,  au  33"  mille,  aux 
alentours  des  propriétés  de  Pinianus.  Un  jour^  comme  des 
paysans  (rustici)  sacrifiaient  à  Silvain,  le  président  de  la  fête 
(auctor  sacrificantium)  est  saisi  par  le  diable,  et  massacre  tous 
ceux  qicil  rencontre;  mais  Anthime  court  à  lui,  V  enchaîne 
dans  des  liens  spirituels,  le  guérit^  le  convertit,  et  brûle  le 
bois  sacré  de  Silvain.  —  Le  proconsul  Priscus,  qui  V  apprend, 
le  fait  jeter  dans  le  Tibre,  une  pierre  au  cou  ;  et,  quand  un 
ange  le  retire  du  fleuve,  le  ramène  à  son  oratoire  sous  les  yeux 
des  Gentils  (gentilos)  qui,  émerveillés,  se  convertissent,  le  con- 
sulaire Priscus  le  torture  trois  jours  et  le  fait  décapiter.  On 
Vensevelit  à  son  oratoire  ;  ses  prières  y  font  du  bien  aux 
hommes  pour  la  louange  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  à 
qui  soient  honneur  et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles. 
Maximus,  ami  inséparable  (amicus  individuus)  d' Anthime^ 


48  TRADITIONS    d'oMBKIE 

prend  sa  place  dans  le  pays  ;  les  ennemis  de  la  foi  chrétienne 
r annoncent  à  Priscus  qui  lui  reproche  de  détourner  les  pro^ 
vinciaicx  (provinciales)  du  culte  des  dieux  et  le  fait  décapiter 
iwie  Salaria^  au  fJ(f  mille,  à  rendrait  où  il  avait  coutume  de 
prier.  On  célèbre  son  anniversaire  le  14-  des  kalendes  de  no- 
vembre^ Nôtre-Seigneur  Jésus-Christ  régnant  dans  les  siècles 
des  siècles.  Amen. 

Mais  Bassus  exhorte  le  peuple  à  la  place  de  Maximus  ;  on 
se  réunit  au  marché  qui  est  à  l'endroit  appelé  Forum  Novum, 
où  l'on  sacrifiait  à  Liber  Pater  et  à  Cérès.  Bassus  refuse  de  sa' 
crifier,  il  fait  tomber  les  idoles  en  soufflant  sur  elles  ;  on  le 
livre,  aux  trois  ([uarts  assommé,  au  consularis  Fabius,  qui  le 
fait  décapiter.  —  Tous  ces  martyrs,  Anthime,  Maximus, 
Bassus  et  Fabius  ont  été  ensevelis  où  ils  priaient,  le  long  de 
la  voie  Salaria  qui  conduit  au  Picenum,  tandis  que  Sisin- 
nius,  Diocletianus  et  Florentius  sont  ensevelis  au  même  en- 
droit, où  ils  ont  été  lapidés,  près  de  la  ville  d'Osimo  qui  est 
placée  sur  une  hauteur  :  elle  bénéficie  de  leur  intercession  et 
de  leurs  mérites  *. 

Après  avoir  fait  beaucoup  de  bien  et  donné  beaucoup  de 
terres  aux  églises,  Pinianus  mourut  et  sa  veuve,  Lucina,  vécut 
en  toute  sainteté  et  chasteté.  Elle  jeûnait  trois  jours.  Mais 
saint  Sébastien,  martyr  du  Seigneur,  lui  apparut,  lui  révéla 
Vendrait  où  son  corps  avait  été  placé  par  des  sacrilèges,  lui 
dit  de  prendre  un  peu  de  vin^  selon  le  précepte  de  r  Apôtre,  et 
de  se  contenter  de  jeûner  un  jour.  «  Comme  les  prêtres  fuient 
la  persécution  et  se  cachent,  et  ne  peuvent  célébrer  les  offices 
(facientibus  missas)  ni  te  réconforter  par  la  bénédiction  [qui 
les  termine),  accepte  au  nom  du  Christ  la  noix  que  Rapportera 
une  coiiieille,  et  puis,  mange  comme  tu  as  coutume.  y>  — 
ce  Pourquoi  une  noix,  demande  Lucine?  »  —  ((.Parce  que^  dit 
saint  Sébastien^  (cest  du  moins  ce  qu'elle  assure),  les  deux  Tes- 
taments enveloppait  les  quatre  Evangiles  sous  une  [double) 
coque  d' amertume  (?)  —  Bacontons  maintenant  ce  miracle. 
Chaque  dimanche,  chaque  anniversaire  de  martyr,  ou  chaque 
fête,  vers  la  cinquième  heure,  la  corneille  apportait  une  noix 
d  une  grosseur  et  d^une  saveur  merveilleuses  ;  les  autres  jours, 
elle  venait  à  none.  C'est  à  ce  moment  quune  vierge,  Béatrice, 
la  sœur  de  Simplicius  et  de  Faustinus  qui  ont  été  décapités  le 

1  C'est  ici  que  finit  le  texte  court,  A. 


LUCINE  49 

^  des  kalendes  d^août,  à  Sexie  de  Philippe^  sur  la  voie  de 
Porto,  se  rendit  auprès  de  Lucine  après  avoir  enterré  ses  frères, 
et  demeura  sept  mois  auprès  d'elle  :  deux  corneilles  apportaient 
aux  saintes  deux  noix.  Mais  un  certain  Lucretius  qui  désirait 
une  terre  qu'elle  avait  en  commun  avec  ses  frères^  la  fît  ar- 
rêter et  étouffer  de  nuit  par  ses  esclaves  :  Lucine  V enterra  à 
côté  de  ses  frères,  à  Sexte  de  Philippe;  et,  comme  Lucretius 
banquetait  avec  ses  amis  dans  la  propriété  volée,  son  enfant  — 
quon  allaitait  —  lui  dit  :  «  Ecoute,  tu  es  livré  à  rennemi  »  ; 
et  Lucretius  pâlit,  frémit  ;  Satan  le  tue  en  trois  heures.  Tous 
se  convertissent,  tremblants. 

Cependant  Lucine  s'enfuit,  effrayée  par  la  cruauté  des  sup- 
plices (asperitate  passionis  territa)  ;  mais  Béatrice  lui  ap- 
parut :  c<  Ne  V éloigne  pas,  dit-elle  :  ce  mois  même,  la  paix 
sera  donnée  aux  églises.  »  Ce  qui  arriva.  La  fille  de  Dioclé^ 
tien,  Artemia,  fut  délivrée  du  démon  par  le  diacre  Cyriaque, 
qui  reçut  de  l empereur  la  maison  contiguë  aux  thermes  de 
Dioclétien  :  les  chrétiens  s'y  réunissaient.  Le  peuple  criait  : 
«  A  bas  Cyriaque  »  ;  Dioclétien  le  contint,  et  lui  reprocha 
d'être  insatiable  [de  sang^.  Revenu  de  la  Perse  oit  il  avait  été 
guérir  la  fille  de  Sapor,  dans  le  corps  de  laquelle  était  entré 
le  démon  chassé  d' Artemia,  Cijriaque  fut  accueilli  par  Lu- 
cine :  il  ramenait  les  eunuques  convertis  Largus  et  Smaragdus 
et  leurs  maîtresses  Memmia  et  Juliana.  Comme  celles-ci  ne 
voulurent  ni  sacrifier,  ni  épouser  leurs  fiancés  Tarpeius  et 
Persius,  elles  furent  tuées  sur  leurs  terres,  voie  d'Ostie;  Cy- 
riaque, surpris  au  lieu  oii  elles  priaient,  est  de  même  massacré 
par  eux,  et  Lucine  Vensevelit  auprès  de  Largus^  Smaragdus, 
Memmia  et  Juliana,  Elle  meurt  enfin,  à  05  ans,  après  une 
vie  d'aumônes,  de  prières,  d'Jiymnes,  de  chasteté  et  de  foi,  et 
elle  va  à  Dieu,  à  qui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles  des 
siècles.  Amen. 

On  étudiera  tour  à  tour  la  genèse  de  la  légende,  et  les  di- 
verses versions  qui  l'expriment. 

Il  est  certain  que  ces  gestes  sont  un  texte  cyclique  où  Fau- 
teur a  cousu  bout  à  bout  diverses  traditions  dont  quelques-unes 
nous  sont  parvenues,  par  ailleurs,  sous  forme  isolée  :  tels,  les 
gestes  de  Marcel  \  et  les  gestes  de  Simplicius  et  Viatrix  ~, 

1  16  janvier,  5  ou  369.  G.  M.  R.,  i,  132,  211,  311,  341. 

2  29  juillet,  36  ou  47.  G.  M.  R.,  i,  243. 

III  4 


50 


TRADITIONS    I)  OMIIIUE 


Il  est  ccrlaÎQ  que  les  héros  de  l'Iiistoire  sont  ccux-l«^i 
mômes  que  meuiionne  le  férial  hiéronyinifTi  ',  et  qu'on  ne 
connaît  pas,  du  reste,  autrement  :  le  saint  Antliime  du  2:^'^  mille 
de  la  voie  Salaria  |  v.  id.  maii|,  les  saints  h'iorentius  et  Dio- 
cletianus  d'Osimo  dans  le  Picenum  |xvii.  kal.  iunii|. 

Il  est  certain  que  les  personnages  de  notre  légende,  Lucina 
et  Pinianus  Faltonianus,  sont  des  personnages  historiques  ah- 
sorbéSy  si  je  puis  ainsi  dire,  par  les  personnalités  à  demi-lé- 
gendaires de  Mélanie  la  Jeune  et  de  son  mari  Pinianus.  On  a 
trouvé,  à  Sainte-Agnès  et  au  cimetière  Ostrien,  le  sceau  d'une 
Turrania  Lucina  imprimé  sur  le  mortier  de  deux  tombes  ^  ;  et 
les  inscriptions  attestent  que,  au  iv°  siècle,  il  y  avait  des  rap- 
ports de  parenté  ou  d'alliance  entre  les  Turranii^  les  Faltonii  et 
les  Anicii  -^  ;  or^  Notker  appelle  Lucina,  Anicia  \  C'est  cette 
mystérieuse  Turrania  Lucina  qui  se  cache  sans  doute  derrière 
notre  Lucine.  Nous  ne  savons  pas  qui  était  son  mari  ;  peut-être 
était-ce  un  Faltonius. 

On  sait,  d'autre  part,  l'immense  renommée  de  Mélanie  la 
Jeune  [h-  439]  '^  et,  par  contre-coup,  de  son  mari  Pinianus 
[  -f-  435].  Or,  il  ne  semble  pas  que  ce  Pinianus  ait  été  un 
Faltonius  :  Paulin  de  Noie  assure  qu'il  appartenait  à  la  gens 
Valeria  ^  Pour  que  son  souvenir  se  soit  confondu  avec  celui 

1  De  Rossi-Duchesne,  p.  59  et  61.  La  topographie  du  texte  n'offre  aucune 
difficulté.  Auximum  est  Osimo  ;  Forum  Novum  est  cité  par  Pline,  m,  12  [éd. 
Janus,  1870,  tome  I,  p.  144J.  M.  Stevenson  a  découvert  sur  la  voie  Salaria  la 
catacombe  de  saint  Anthirae,  [Nuovo  Bullett. ,  IS96,  161 1.  —  Le  Maxiaius, 
aniicus  individuus  d'Anthime  est  peut-être  le  saint  dont  le  diacre  de  Ricti  Paul 
demandait  des   reliques  à  saint  Grégoire,  Cf.  Ep.,  ix,  15  [P.  L.,  77,  959-60]. 

((  Gregorius  Ghrysanto  episcopo  spoletano.  Paulus  ecclesiBe  reatiuœ  diaco- 
nus,  petitoria  nobis  insinuations  poposcit  ut  ad  foutes  in  basilica  sanctte 
Marias  semper  uirginis  geuilricis  Dei  et  D.  N.  J.  G.,  quse  est  intra  ciuitatem 
reatinam  posita,  reliquiae  bb.  mm.  Hermetis  et  Hyacintbi  et  Maxinii  debeant 
collocari. 

2  De  Rossi  :  Bull.  arch.  crist.,  1876,  151.  —  Armellini  ;  Le  cripta  di 
S.  Emerezianay  76;  Il  cimitem  di  S.  Agnese,  p.  175.  —  AUard,  iv,  397-399. 

^  Orelli  :  Inscript.,  1131.  —  Armelliui  :  //  cimitero  di  S.  Agyiese,  175-177. 
[Allard,  loco  citato]. 

•*  VI,  id.,  mai,  P.  L.,  131,  1081.  —  M.  Allard  a  conjecturé  que  Sergius 
Terentianus  était  une  déformation  de  Turranius,  préfet  de  Rome  en  290 
[iv,  398,  n.  2],  le  père,  peut-être,  de  Turrania  Lucina.  Le  fait  est  très  vrai- 
semblable. Aucun  document  authentique  n'atteste  une  Lucina  Anicia,  ni  un 
Faltonianus  Pinianus  [Cf.  Pauly-Wissowa  :  R.  E.,  articles  Anicii,  Faltonius, 
et  de  Vit  :  Onomasticon]. 

^  Je  renvoie  aux  magistrales  études  de  S.  E.  le  Cardinal  Rampolla  del  Tin- 
daro  :  Santa  Mela7iia  Giuniore  Senatrice  Bomana.  Documenti  Conlemporanei 
e  Note  [Roraa.  Tipogratia  Vaticana,  1905,  in-folio]. 

6  XXI,  220.  —  La  Vita  Melariise  ne  nomme  pas  le  père  de  Pinianus  ;  elle  ap- 


LUCINE   ET   MÉLANIE    LA    JEUNE  31 

qu'aurait  laissé  Faltonius^,  l'époux  hypothétique  de  Turrania 
Lucina,  il  faut  que  Mélanie  ait  absorhé  cette  Lucine  :  car  nous 
ne  connaissons  personne  qui  ait  été,  à  la  fois,  un  Pinianus  et 
un  Faltonius.  Les  grandes  richesses  que  notre  rédacteur 
attribue  à  Pinianus  et  à  Lucine,  les  terres  qu'ils  donnent  aux 
églises,  ces  deux  traits  paraissent  refléter  l'histoire  '  de  la 
sainte  romaine.  —  Et  ce  fait  nous  permet  d'entrevoir  l'époque 
où  se  forme  la  légende  :  elle  s'épanouit  à  un  moment  où  le 
souvenir  de  ^lélanie  n'était  plus  assez  récent  pour  ne  pas 
se  déformer,  n'était  pas  assez  lointain  pour  avoir  tout  à  fait 
disparu.  Si  je  note  encore  l'incendie  du  bois  sacré  de  Sylvain 
et  Timage  que  nous  donnent  les  gestes  des  luttes  des  mission- 
naires contre  le  paganisme  persistant  ;  si  je  relève  ces  passages 
qui  nous  transmettent  l'écho  des  polémiques  relatives  à  la 
fuite  et  à  la  spontanéité  du  martyre  :  si  je  rappelle  enfin  que 
Lucine  était  connue,  sans  doute, comme  une  Anicia,  et  que  les 
Anicii  fournissent  des  consuls  à  l'Etat  en  464,  483,  510,  523, 
526  %  on  aura  les  faits  qui  nous  autorisent  à  dater  de  l'époque 
ostrogothique  la  formation  du  fonds  légendaire. 

J'attire  l'attention  sur  une  page  des  gestes,  qui  semble  sin- 
gulièrement parallèle  à  une  autre  page  de  la  vie  de  Mélanie. 
L'auteur  à'Anthime  conte  que  saint  Sébastien  conseille  à 
sainte  Lucine  l'usage  du  vin  et  le  jeune  d'un  seul  jour. 

Hœc  cum  supra  vires  niteretur  et  triduana  exerceret  ieiunia 
appariât  ei  S.  Sebastianiis  martyr^  et  indicavit  ei  locuni  in 
quo  eius  corpus  a  sacrilegis  missum  fueral.  Quod  cum  levas- 
set  et  sepelisset,  referebat  ipsa  venerahilis  Lucina  quod  ipse 
S,  Sehastianus  eam  monuisset  ut  et  vino  uteretur  modico,  se- 
cimdum  prœceptum  apostoli  Pauli,  et  quotidiano  esset  con- 
tenta ieiunio  ^. 

Si  l'on  en  croit  Gerontius,  Mélanie  la  jeune  ne  prenait  pas 


pelle  son  frère  Severus.  Valerius  Severe  et  Valerius  Pinianus  étaient  fils  de 
Valerius  Severus,  préfet  de  382,  et  neveux  de  Valerius  Pinianus,  préfet  de  386. 
Cf.  Rampolla,  122-125. 

*  Mélanie  parle  \Analecta,  viii,  27J  des  esclaves  qu'elle  a  «  in  diversis  pro- 
vinciis,  id  est  in  Hispania,  Italia,  Apulia,  Campania,  Sieilia  et  Africa  vel  ludia 
eeu  Britannia  aut  procul  in  reliquis  regionibus  ».  —  A  vrai  dire,  le  Picenum 
n'est  pas  nommé.  Mais  on  ne  peut  pas  attribuer  à  cette  liste  —  qui  cite 
l'Inde  —  une  valeur  très  précise.  Cf.  RampoUe,  180-184. 

2  G.  M.  II.,  II,  220. 

•  Anthime,  §  12  [11  mai  618].  On  connaît  les  recommandations  de  saint 
Paul  à  son  ami  malade. 


52  TRADITIONS    d'oMBUIK 

(le  vin,  et,  de  jeune  en  jeûne,  elle  en  vint  à  ne  manger  qu'une 
fois  la  semaine. 

Lt  ipsa  dlcehal  hcatissima  non  passe  se  vino  uti,,.  quia  sic 
educaniur  fUiœ  senalorum.  Nec  mullopost  tempore  cœpit  posi 
biduiim  sumere  cibum,  et  sine  oleo  ;  necnon  et  postea  post 
quinque  dies  et  post  lotam  septimanam  semel  sahbato  et  do- 
niinico  edehat  '. 

Ne  semble-t-il  pas  que  les  tenants  d'une  ascèse  rigoureuse 
se  soient  appuyés  sur  l'exemple  de  Mélanie,  et  que,  pour  ri- 
poster, leurs  adversaires  lui  aient  opposé  l'antithèse  de  J^u- 
cine,  forte  des  conseils  de  saint  Sébastien  et  de  saint  l*aul.  La 
tradition  des  ascètes  d'Egypte^  à  laquelle  sainte  Mélanie  se 
rattachait  -,  était  discrètement  repoussée  d'Occident  par  saint 
Ambroise  et  par  saint  Jérôme  lui-même  : 

Dispiicent  mihi  (c'est  lui  qui  parle),  in  teneris  maxime  ae- 
tatibiis,  longa  et  immoderata  ieiun?'a,  in  quibus  iunguntur  heb' 
domades  et  oleum  in  cibo  et  poma  vetantur  ^ 

Il  est  certain,  encore,  qu'une  autre  influence  s'est  exercée 
sur  Anthime  concurremment  à  celle  de  Mélanie  :  c'est  Sébas- 
tien que  je  veux  dire  '^. 

Voici  les  principaux  points  de  contact  que  j'ai  notés  entre 
Sébastien  et  AntJiime  :  1.  Débuts  analogues  [^Sergius  Teren- 
tianus,  illustins  vii\  secundo  Urbis  prsefectus...  ;  Sebastianus 
vir  christiajiissimus . . ,^  ;  2.  Les  personnages  de  Lucine  et  de 
Béatrice  sont  communs  aux  deux  textes  ;  3.  Dans  les  deux 
textes,  on  raconte  que  Sébastien  apparaît  à  Lucine  et  lui  ré- 
vèle où  se  trouve  son  corps  ;  4.  On  mande  les  chrétiens  pri- 
sonniers, ici  dans  la  maison  de  Lucine,  là  dans  la  maison  de 
Nicostrate  ;  5.  Pinianus  délivre  les  chrétiens  prisonniers,  Sé- 


1  Mélanie,  §  24  [Rampolla,  14,  25-26J. 

2  «  Hebdomadibus  protelabant  ieiunia  »  [Cassien  :  de  cœnob.  but.,  v,  5]. 
Le  jeune  de  toute  la  semaine  était,  par  exemple,  pratiqué  par  l'abbé  Elie  et 
par  l'abbé  Helpidius  [Palladius  :  Hist,  laus.,  51  et  106].  Pour  plus  de  détails, 
cf.  Rampolla,  op.  laud.,  224-229. 

3  Ep,  107,  ad  Lœtam,  §  10  ;  —  cf.  Ep.  22,  ad  Eustochium,  §§  17,  37;  et 
Ep.  54,  ad  Furiam,  §  10  [Rampolla,  226].  —  Isioter  qu'on  ne  dit  rien  des  com- 
munions de  Lucine,  «  quamquam  et  consuetudo  Romanis  sit  per  singulos 
dies  communicare.  Primitus  enim  apostolorum  beatissimus  Petrus  episcopa- 
tum  gerens,  deinde  beatus  Paulus  ibidem  consummatus  banc  traditiouem  fece- 
runt.  »  [Mélanie,  62.  —  Rampolla,  36,  19-21].  [Mélanie  fut  écrite  entre  440 
et  491,  sans  doute  avant  Chalcédoine]. 

*  G.  M.  R..  I,  137,  186-189,  301  ;  II.  97—  III 


ANTHIME   ET    SÉBASTIEN  53 

bastien  leur  fait  ôter  leurs  chaînes  ;  6.  Ici  et  là  les  prêtres  chré- 
tiens se  cachent;  7.  La  crainte  de  la  persécution  pousse  à  fuir 
Lucine  (dans  Anthimé)  et  Chrornatius  ;  8.  Comme  Pinianus  a 
des  terres  dans  le  Picenum,  Chrornatius  a  des  propriétés  en 
Campanie  ;  9.  Grandes  richesses  de  Lucine  et  de  Sébastien; 

10.  Allusion  à  la  paix  de  l'Eglise  ;  H.  Les  chrétiens  guérissent 
gratis;  12.  Anthime  et  Chrornatius  recueillent  les  chrétiens 
pendant  la  persécution  ;  13.  Sisinnius,  Florentius  et  Diocle- 
tianus  sont  lapidés  aussi  bien  que  Tranquillinus  ;  14.  Anthime 
est  jeté  au  Tibre,  comme  le  cadavre  de  Tranquillinus  ;  15.  Rôle 
des  anges,  ici  et  là;  16.  On  insiste  sur  l'unité  de  la  Trinité 
[doxologie  de  Sébastien;  discours  à'Ant]iime\  ;  17.  Exposé  de 
l'économie  de  l'Incarnation  ;  18.  Clarté  céleste  qui  persiste 
une  demi-heure  \AntJii7ne\,  une  heure  \Séhastien\  ;  19.  Haute 
noblesse  de  Lucine  \^Anthime\  et  de  Chromatius  [Sébastieri], 

On  sait  que  les  gestes  de  saint  Sébastien  datent  sans  doute 
de  la  seconde  moitié  du  v^  siècle  et  proviennent  du  groupe  de 
Salvien  et  de  ses  amis.  11  est  vraisemblable  que  la  légende 
iX' Anthime,  influencée  à  la  fois  par  Mélanie  et  par  Sébastien, 
s'est  élaborée  à  la  fin  du  v^  siècle  K 

Les  gestes  d'Anthime  nous  sont  parvenus  sous  quatre 
formes  dont  il  est  très  malaisé  de  fixer  le  rapport  :  derrière 
nos  quatre  versions  il  y  a  d'autres  textes  qui  nous  sont  in- 
connus. Ces  quatre  versions  peuvent  être  ramenées  à  deux  : 
l'une  courte  %  qui  se  borne  à  conter  l'histoire  d'Anthime, 
Maximus,  Bassus,  Fabius,  Sisinnius,  Diocletianius  et  Floren- 
tius ;  je  l'appelle  A  ;  —  Fautre  longue  %  qui  ajoute  au  texte  pré- 
cédent l'histoire  de  Lucine,  saint  Sébastien,  sainte  Béatrice  et 
saint  Cyriaque  ;  je  l'appelle  B.  Des  deux  autres  que  l'on  a  si- 
gnalées, l'une  [B.H.L,  563]  est  un  abrégé  du  texte  long  '\  la 

^  Anthime,  comme  Sébastien,  touche  à  Shnjolicius.  Notre  texte  des  gestes 
de  Simplicius  et  Viatrix*  est  assez  sec  :  peut-êlre  repose-t-il  sur  les  gestes 
d'Anthime;  peut-être  est-ce  un  résumé  de  queh^ue  légende  plus  ample  qui  se 
sera  perdue  :  il  ajoute  seulement  au  passage  parallèle  d'Anthime  que  Béa- 
trice a  été  aidée  par  Crispus   et  par  Jean. 

2  B.  H.  L.,  561  11  mai  616  ou  614.  «  Sergius  Terentianus  illustris  vir  ». 

3  B.  H.  L.,  562,  11  mai  618  ou  616. 

^  Conservé  daus  le  manuscrit  D  Philipps  12461  du  xii^  siècle  \Cat.  Bruxelles, 

11,  522]  et  dans  le  Parisinus  12611,  du  xii^  'siècle  également  [Cat.  Paris,  m, 
154]  :  c'est  la  fin  de  l'appendice,  l'histoire  de  CyriaquC;  Artemia,  Memmia, 
Juliana,  Persius  et  Tarpeius  qui  est  omise.  B.  H.  L.,  563. 

*  Sur  S.  Simplicius,  cf.  G.  M.  R.,  i,  243. 


54  TRADITIONS    l/0MT5RlE 

seconde  jlJ.lI.L.  504]  est  caractérisée  par  un  prologue.  On 
l'examincîra  plus  tard  *. 

Le  texte  long,  B,  a-t-il  complété  le  texte  court,  A?  Est-ce 
îiu  contraire  le  texte  court  qui  a  abrégé  le  texte  long  ?  —  \/d 
première  hypothèse  s'od're  d'elle-même  à  la  pensée  :  au  texte 
court,  histoire  des  martyrs  de  la  voie  Salaria,  on  a  ajouté  une 
histoire  de  Lucine  tirée  des  gestes  romains  ;  ainsi  est  né  le 
texte  long. 

Mais  ce  n'est  pas  dire  que  le  texte  court  A  soit  primitif.  11 
présente  plusieurs  doxologies  avant  la  doxologie  finale  ;  c'est 
donc  qu'il  repose  sur  des  gestes  antérieurs  A',  qu'il  a  fondus 
ensemble.  Et  peut-être  n'est-il  pas  impossible  de  se  représen- 
ter ce  qu'étaient  ces  gestes  primitifs,  et  quelle  a  été  la  portée 
du  premier  remaniement.  Les  gestes  primitifs  contaient  seu- 
lement l'histoire  des  martyrs  de  la  voie  Salaria  ;  laideur  du 
premier  remaniement  les  aura  groupés  autour  d Anthime  et 
mis  en  rapport  avec  Lucine  pour  les  tirer  de  leur  obscurité  ; 
quel  personnage  de  l'histoire  légendaire  plus  illustre  que  cette 
sainte  ?  Associer  d'obscurs  martyrs  à  l'histoire  de  Lucine, 
c'était  du  coup  les  sauver  de  l'oubli  et  comme  garantir  leur 
historicité.  Et  j'imagine  encore  qu'une  fois  ce  but  atteint, 
l'auteur  du  premier  remaniement  (notre  texte  court,  A)  se 
sera  désintéressé  de  Lucine  ;  ainsi  fait  un  rédacteur  de  Censu- 
rinus  '.  Et  c'est  cet  oubli  qu'aura  voulu  réparer  un  second  ano- 
nyme, l'auteur  de  B  ;  il  aura  compilé  les  gestes  de  Marcel,  de 
Sébastien  et  de  Faustinus  Beatrix,  afin  d'achever  la  légende. 
Ainsi  est  né  notre  texte  long,  B.  Anthime  et  Lucine  semblent  se 
disputer  le  premier  rôle  ;  chacun  d'eux  l'a  tour  à  tour  occupé, 
celui-là, dans  le  remaniement  A,  celle-ci  dans  le  remaniement  B. 

Quelle  date  assigner,  dès  lors,  à  A,  à  B,  à  A'? 

A  et  B  présentent  le  même  caractère  :  ils  sont  également  ap- 
parentés à  des  textes  de  la  fin  du  v^  et  à  des  textes  de  la  pre- 
mière moitié  du  vi®  siècle  ;  c'est  la  preuve  qu'ils  doivent  avoir 
sensiblement  môme  date  et  même  origine.  A  rappelle,  natu- 
rellement, Mélanie  et  Sébastien  ;  de  même,  la  précision  de  sa 
doctrine   théologique    nous    fait    souvenir   de   Censurinus  % 

1  Cf.  G.  M.  R.,  VI. 

2  Cf.  G.  M.  R.,  H,  118-119. 

3  Qu'on  en  juge  par  ce  passage  : 

«  Prsepara  pectus  tuum  ut  credas  ea  quae  dixero  tibi  et  dum  credideris  sal- 
vus  eris.  Dixit  ei  Pinianus  :  Ego   nisi   credidissem   toto  corde,  nou   fecissem 


DATE    DE   NOS    TEXTES  55 

comme  le  sacrifice  à  Silvain  des  gestes  de  Gervais  et  Protais. 
D'autre  part,  la  répartition  des  confesseurs  à  travers  l'Italie 
centrale,  semble  modelée  sur  l'histoire  d'Eutychcs,  de  Victo- 
rinus  et  de  3laro  telle  que  la  raconte  Nérèe  ;  Lucine,  comme 
J)omitille,  est  une  neptis  Aiigusti.  Surtout  Anthime  est  appa- 
renté à  Valentin  :  ici  et  là  un  même  personnage  au  nom  peu 
banal,  Chœremo'n  ;  guérison  d'un  malade,  ici  et  là,  par  le 
moyen  d'une  lumière  céleste  qui  dure  soit  une  heure,  soit  une 
demi-heure  ;  ici  et  là,  l'incident  est  tourné  en  satire  contre  les 
médecins. 

B_,  d'autre  part,  rapporte,  comme  Lucie,  une  prédiction  tou- 
chant la  paix  de  l'Eglise.  Les  prétendants  de  Béatrix,  de 
Memmia  et  de  Juliana  rappellent  fort  celui  qui  apparaît  dans 
Agathe.  Le  rédacteur  à^Hedestus  attache  le  môme  prix  à  l'as- 
sistance «  aux  messes  »  que  celui  auquel  nous  devons  B  ;  et 
dans  B,  aussi  bien  que  dans  Alexandre  de  Baccano,  il  est 
question  de  la  bénédiction  solennelle  qui  termine  celles-ci. 
Tous  ces  textes  ont  été  rédigés  dans  la  première  moitié  du 
VI®  siècle,  assez  avancée  sans  doute. 

Or,  voici  que  la  même  version  B  puise  largement  à  la  lé- 
gende de  Marcel  :  l'auteur  de  B,  seulement,  utilise  une  ver- 
sion différente  de  celles  qui  nous  sont  parvenues.  Un  tableau 
succinct  rendra  la  chose  sensible  au  lecteur. 


vos  ingredi  ad  me.  Dixit  ei  Anthimus  :  Audiergo  quod  credas.  Quem  coliraus 
unus  est  Deus,  qui  fecit  cœlum  et  terram,  mare  et  omnia  quBB  in  eis  sunt. 
Hic  Deus  Verbum  ex  ore  suo  virtutis  plénum  protulit,  quo  Verbo  firmati  sunt 
cœlum  et  Spiritu  oris  élus  omnis  virtus  eorum  :  a  quo  congregatae  sunt  ve- 
lut  in  utre  aqua^.  maris  et  positse  in  thesauris  abyssi  :  Deus  autem  quem 
oportet  nos  credere,  cum  sit  trinus,  tamen  unus  est  :  Pater  qui  ex  corde 
eructavit  Verbum  bonum  a  quo  omnia  ;  Filius,  qui  est  Sermo  quem  eructavit 
Pater  per  quem  facta  sunt  omnia  quae  lacta  sunt;  Sanctus  quoque  Spiritus 
in  quo  universa  animantur  quaecumque  a  Pâtre  per  Filium  creantur.  Deus 
autem  hominem  similem  sibi  fecit  cui  legem  imposuit,  quam  si  servasset  vi- 
lam  consequeretur  aeternam.  Sed  invidus  angélus  persuasione  sua  fecit  ut  le- 
gem impositam  rumperet  :  unde  factum  est  ut  deveniret  in  mortem.  Idcirco 
Verbum  per  quod  facta  sunt  omnia,  quod  est  filius  Dei,  dignatus  est  hominem 
assumere  nascendo  ex  virginali  utero  ;  qui  homo  factus,  habens  in  se  virtutem 
integram  Patris  omnipotentis,  omnia  tentamenta  diaboli  exsuperans,  pervenit 
ad  lignum  crucis,  ut  lignum  praevaricationis  mortiferae  ligno  passionis  suae 
excluderet,  et  vitam  quam  homo  perdiderat  moriendo  pro  peccatoribusrepara- 
ret.  Hic  ergo  tertia  die  resurrexit  a  mortuis,...  discipulis  per  XL  dies  se  mani- 
festans,  dédit  eis  potestatem...  ut  in  eius  nomioe  expellererit  dsemonia,...  as- 
cendit  in  cœlum.  —  [^n/Ame,  il  mai,  616,  §  3]. 


50  TRADITIONS    D  OMBRIE 


Gestes  de  Marcel  Gestes  d*Anthime 

1.  Lorsqu'il  guérit  Arlemia,  fille  de  Après    avoir   guéri  Johia,   fille    de 
Dioclélien,   Cyriaque    délie    le   diable       Sapor,  Cyriaque... 

d'entrer  dans  son  corps. 

2.  Serena  joue   un  rôle   et   semble  Rien  sur  Sereoa. 
Être  chrétienne. 

3.  Rien  sur  la  fureur  du  peuple.  Fureur  du    peuple  lorsque    Dioclé- 

tien    donne  à   Cyriaque  une    maison 
près  des  thermes  de  Dioclélien. 

4.  Largus    et   Smaragdus  ne    sont  Largus    et     Smaragdus    sont    eu- 
pas  eunuques.                                              nuques, 

5.  Rien  sur  Tarpeius   et   Persius  ;  Turpeius  et  Persius  fiancés  à  Mem- 
Meramia   et  Juliaua   sont   seulement      mia  et  Juliana. 

mentionnées  à  propos  de  leurs  tom- 
beaux. 

6.  Lucine  exilée  par  Maximien.  Rien  sur  cet  exil. 

7.  (;iyriaque  tué  par  Carpasius  dans  Cyriaque  tué  par  Tarpeius  et  Per- 
sa  maison.  gius  au  tombeau  de   Memmia   et  Ju- 
liana. 

8.  Rien  sur  la  mort  de  Lucine.  Lucine  meurt  à  95'an8. 

Il  semble  donc  que  notre  rédacteur  des  gestes  d'Anlhime 
[  B,  texte  long]  ait  puisé  à  une  version  des  gestes  de  Marcel 
différente  de  celle  qu'ont  imprimée  lesBollandistes,et  de  celle, 
aussi,  qu'a  utilisée  le  Libe?'  Pontificalis  :  Lucine  est  mariée, 
ici  à  Marcus  \  là  à  Pinianus. 

A  quelle  époque  placer  tout  ce  travail  littéraire?  C'est  aux 
environs  de  Tan  500  que  s'est  épanouie  la  légende  de  Marcel. 
J'en  ai,  autrefois,  noté  un  indice  -  :  j'insiste  aujourd'hui  sur  ce 
fait  qu'elle  est  ignorée  par  le  premier  et  utilisée  par  le  second 
éditeur  du  Liber  Pontificalis  ^  ;  et  j'ajoute  qu'il  en  est  tout  de 
même  de  la  légende  de  Susanne  * ,  qui  lui  est  étroitement  ap- 
parentée ^ 

1  L.  P.,  I,  164,  165'.  Cf.  page  XCIX  de  l'introduction.  La  version  du  L.  P. 
était  assez  proche  de  l'histoire.  Comparer  les  observations  de  Mgr  Duchesne, 
loco  citato,  avec  celles  de  Tillemont,  iv,  558. 

2  G.  M.  R.,  I,  311. 

^  Voir  les  référence?  de  la  note  1. 

*  L.  P.,  I,  p.  XCVIIL  —  Cf.  G.  M.  R.,  i,  130-132.  —  Les  gestes  de  Susanne 
racontent  que  Thrason  recueillait  et  ornait  les  gestes  des  martyrs  f§  21J. 

s  Ici  et  là,  légende  d'une  église  urbaine,  où  interviennent  également  Thra- 
son, l'impératrice  Serena,  femme  de  Dioctétien,  Maximien  Auguste  fils  de  Dio- 
clétien,  et  le  palais  de  Salluste  ;  ici  et  là,  on  note  l'influence  de  la  question 
manichéenne  :  Cyriaque  est  l'antithèse  de  Mânes  [G.  INI.  R..  i,  341-343],  et  l'hor- 
reur dont  Susanne  fait  montre  à  l'endroit  du  mariage  —  et  des  embrasse- 
ments  de  son  cousin  —  n'a  rien  qui  ne  puisse  ravir  l'ascétisme  exaspéré  des 
hérétiques.  Cf.  aussi  avec  quelle  insistance  on  appuie,  ici  et  là,  sur  la  spon- 
tanéité des  martyrs.  J'ajoute  que  les  descriptions   du   baptême,  ici  et  là,  sont 


LES    TEXTES    PRIMITIFS 


57 


Le  plus  simple,  je  crois,  est  de  dater  les  deux  remaniements 
A  et  B  du  milieu  du  vi®  siècle,  d'en  chercher  les  auteurs  dans 
le  groupe  d'où  sont  issus  Lucie  B,  Valentin,  Alexandre,  /7e- 
destusy  et  d'expliquer  par  une  influence  littéraire  les  rapports 
qu'offre  AntJiime  avec  les  textes  antérieurs.  Je  remarque  que 
Donat  —  dont  on  verra  la  parenté  avec  les  gestes  romains, 
avec  Valentin  et  avec  Alexandre  —  introduit  un  personnage 
qui  est  dénommé  Anthimus  et  critique,  aussi  nettement  qu'yl?2- 
thime^Xdi  grande  valeur  que  beaucoup  attribuent  aux  exercices 
ascétiques. 

Il  est  malaisé  d'avancer  quelque  chose  de  précis  touchant 
les  textes  A'  que  lisaient  les  rédacteurs  de  A  et  de  B,  et  qu'ils 
ont  utilisés.  Certains  célébraient  les  saints  d'Ombrie,  Maximus, 
Bassus,  Florentins,  etc.  Mais  n'y  en  avait-il  pas  un  autre, 
célébrant  Lucine  et  les  Anicii,  et  présentant  peut-être  déjà  le 
caractère  d'une  version  cyclique  ?  La  rédaction  de  Cantius  B, 
semble  dater  de  la  fin  du  v'  siècle  et  s'inspirer  des  ambitions 
de  \digens  Anicia.  Qui  sait  même  si  notre  texte  A  n'est  pas  de 
ce  temps  :  ses  rapports  avec  Valentin  s'expliqueraient  par  la 

très  analogues  :  les  nouveaux  convertis  sont  faits  catéchumènes  sccundum 
consueiudinem^  ils  professent  qu'ils  croient  au  Père,  au  Fils,  à  l'Esprit-Saiot, 
et  à  la  résurrection  de  la  chair  (trait  anti-manichéen)  ;  le  baptême  est  suivi 
de  la  confirmation  {uncti  chrismate)  et  de  la  communion  {participati  sunt  cor- 
pus et  sanguinem  D.  N.  J.  G). 

Il  est  sûr,  néanmoins,  que  Susanne  n'est  pas  du  même  auteur  que  Marcel  : 
l'auteur  de  Susanne  écrit  d'un  style  très  affecté,  insiste  curieusement  sur  les 
détails  de  politesse  et  de  protocole,  rappelle  avec  emphase  la  science  et  la 
noblesse  de  ses  héros,  appuie  sur  la  rémission  des  péchés  opérée  par  le 
baptême  et  sur  le  pouvoir  qu'a  Dieu  de  sauver  tous  les  hommes  [§  5  et  15|. 
11  s'inspire  peut-être  de  Cécile  [l'ange  qui  protège  la  vierge]  et  de  Jean  et 
Paul  [la  question  du  mariage,  la  mise  à  mort  dans  lu  maison]  ;  il  s'inspire 
certainement  des  gestes  de  saint  Sébastien  [mensonges  des  martyrs  à  l'enjpe- 
reur;  Dioclétien,  dupé  par  Serena  comme  par  Nicostrate  ;  les  prisonniers 
chrétiens  relâchés  ou  bien  traités;  comparer  le  «  Claudius  commentariensis  » 
de  Sébastien  avec  le  cousin  Claudius  de  Susanne  ;  —  Marcel  ne  note  pas  la 
renonciation  aux  pompes  de  Satan],  mais  avec  précaution  [Susanne  ne 
souftle  mot  des  parrains  ni  des  marraines]  [Susanne  seul  applique  le  terme 
mediclna  au  baptême,  §§  9  et  11.  On  le  retrouve  à  Rome,  dans  la  prière  qui 
accompagne  l'imposition  du  sel  ;  Duchesne,  Culte,  286]. 

Sébastien,  Susanne,  Marcel,  Anthime,  on  voit  quels  rapports  unissent  ces 
quatre  légendes.  L'augustioisme  de  leurs  auteurs  ne  paraît  pas  aussi  strict 
que  celui  que  reflète  Constantins,  —  bien  que  Susanne  attribue  à  Dieu  le 
pouvoir,  non  la  volonté  de  sauver  tous  les  hommes,  [cf.  Cassien  :  Collât. 
XIII.  7].  Les  traditions  lériniennes  combattaient  chez  eux  les  traditions  au- 
gustiniennes.  [J'ajoute  que  l'ensevelissement  de  Cyriaque  voie  d'Ostie,  que  conte 
Marcel,  dérive  sans  doute  du  Cyriaque  vénéré  ad  ostia  Tibe^-ina,  qu'atteste 
la  légende  deCensurinus.réplique  de  Sébastien, G. M. R.,i,248-249et  II.  113-117J. 


r)8  TRADITIONS    d'oMBRIE 

(l(^.pen(lanco  de  Valenlin  à  son  ('•f^^inl  ;  AntJiime  \  s'int('rosse 
autant  que  Coinirinus  à  une  thoolo^^if;  oxacto,  ot  il  se  dosinto- 
resse  aussi  subitement  du  grand  personnage  qui  a  été  associé 
au  martyr  \ 

1  Censurinus  est  associé  à  Chrysè,  comme  Lucine  à  Anthime.  Censnrinus  et 
Ântfiime  ont  fortement  subi  l'influence  de  Sébastien.  Noter  la  couleur  césa- 
rienne de  la  formule  dum  credideris  salviis  eris,  et  combien  tout  cet  exposé 
doctrinal  rappelle  le  discours  théolof,'ique  de  sainte  Cécile. 


CHAPITRE  [II 


TRADITIONS    D'OMBRIE 
LES  DOUZE  SYRIENS 


Je  Comme  Jean  sortait  de  la  province  de  Syrie,  il  pria  le  Sei- 
\f'  gneur  en  disant:  «  Seigneur,  Dieu  d'Abraham,  Dieu  disaac. 
Dieu  de  Jacob,  Dieu  de  nos  pères,  envoie-moi  ta  lumière,  pro- 
tège mon  voyage  et  fais  que,  partout  où  je  donnerai  mon 
psautier,  on  me  le  rende  seulement  le  lendemain  (?)  (et  quon 
me  retienne,  et  quon  me  fasse  bon  accueil)  ^.  »  Arrivé  en 
Italie,  comme  il  passait  près  de  la  métropole,  au  cinquième 

1  B.  H.  L.,  4420  [19  mars  31,  ou  32]. 

-  Le  texte  est  obscur,  et  peut-être  troublé.  L'édition]  bollandisle  donne 
psalterinm  meum  rfederoêt  ipsa  die  illiJfd  «non))  restituitur,  ubi  7ne  facias  per- 
manere.  Le  Vindobonensis  357,  folio  203,  v  n,  supprime  non  et  donne  :  prospe- 
rut7i...  facias  iter  meum  in  quo  nunc  dirigo  et  hoc  mihi  signum  sit  nt  ubicum- 
que  ambiilauero  et  psallerium  meum  dedero,  ipsa  die  illum  mihi  restituerit, 
ibi  me  facias  perma7iere.  Unde  et  factum  est...  On  lit  plus  bas  :  [ancilla  Dei) 
tenuit  eutn  in  illa  nocte  et  m,ansit  in  eodem  loco.  Et  niemoratus  est  b'^atus 
iohannes  orationeni  quatn  effuderat...  et  dixit  in  corde  suo  :  uere  hic  est 
obsecratio  mea  et  hic  permanebo.  Mane  autem  facto,  recepto  psalterio,  per- 
re.vit  inde...  — Le  Vindobonensis  donne  la  date  de  sadepositio,  sub  die  XIIII 
K.  aprelitim.  [C'est  par  erreur  que  nous  avons  imprimé,  G.  M.  R.,  i,  87,  vita 
s.  iohannis  penarensis  martyris  :  le  moi  w.artyris  n'existe  pas]. 


00  TRADITIONS    d'oMBRIE 

mille  environ^  il  trouva^  a  la  Irrrr  du  Pclil  Champ  (in  lnn<lo 
Agollo)  une  servante  de  Dieu  telle  que,  dans  sa  prière,  il  la 
souhaitait  rencontrer  :  lorsqu'il  lui  eut  donné  son  psautier, 
elle  lui  dit  :  «  Reste  ici  aujourd'hui,  et  ne  pars  que  demain  ». 
Ils  causèrent,  et  Jean  se  rappela  la  prière  quil  avait  adressée 
il  Dieu  ;  et  il  dit  dans  son  cœur  :  «  C'est  bien  là  ce  que  je  de- 
mandais à  Dieu.  »  —  Le  lendemain,  il  ri  alla  pas  beaucoup 
plus  loin,  à  quatre  portées  de  flèche  environ;  car  l'ange  du 
Seigneur  qui  le  précédait  lui  avait  dit  :  a  Arréte-loi  ici  ;  cest 
ici  que  le  Seigneur  te  commande  de  rester  »  ;  et  il  lavait  con- 
duit sous  un  arbre  en  lui  disant  :  «  Cest  ici  que  tu  grouperas 
une  grande  foule  et  que  tu  trouveras  le  repos.  »  Alors  le 
bienheureux  Jean,  confesseur  du  Christ ^  s'assit  sous  l arbre  ii 
cet  endroit.  On  était  au  mois  de  décembre  ;  il  gelait  partout  ; 
seul,  Varbre  sous  lequel  reposait  Jean  ri  en  avait  cure.  Des 
chasseurs  viennent  à  passer  ;  ils  prennent  le  saint  pour  un  ra- 
batteur  ;  ils  lui  demandent  d'où  il  est  venu.  Et  Jean  raconte 
comment  il  est  ve72U  en  Italie  ;  les  autres  s'étonnent  :  jamais 
ils  nont  vu  pareil  accoutrement.  Mais  Jean  leur  dit  :  «  Ne 
me  faites  pas  de  mal  ;  c'est  pour  le  service  de  mon  Seigneur 
Jésus 'Christ  que  je  suis  venu  en  ce  lieu  ».  Cependant  l'arbre 
brillait  comme  un  Igs  ;  les  chasseurs  comprirent  que  Dieu 
était  avec  lui  ;  Vèvèque  de  Spolète,  Jean,  auquel  ils  contèrent 
la  chose,  arriva  en  hâte,  et  versa  des  larmes  de  joie,  et  de- 
manda au  saint  tout  ce  qui  est  ici  raconté.  Tous  rendirent 
grâces  à  Dieu;  le  peuple  construisit  un  monastère  où^  après 
avoir  vécu  quarante-quatre  ans,  Jean  mourut  en  paix  et  fut 
enseveli  au  son  des  cantiques  et  des  hgmnes.  Ses  bienfaits  s' g 
multiplient  jusqu'à  ce  jour,  les  aveugles  voient,  les  démo- 
niaques sont  délivrés,  les  lépreux  sont  guéris  grâce  à  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  qui  vit  et  règne  dans  les  siècles.  Amen. 

Cette  histoire  exquise  est  peut-être  vraie.  Nous  connaissons 
un  Jean,  évèque  de  Spolète,  à  la  fin  du  v^  et  au  début  du 
VI®  siècle  ^ 

Et  voici  une  page  de  saint  Grégoire  le  Grand  ^ 

1  Sa  signature  se  trouve  dans  les  actes  des  conciles  de  Rome,  de  499,  501 
et  502  au  temps  de  Symmaque  [Labbe,  iv,  1315  ou  Mommsen:  AA,  xii,  400, 
434,  439].  Cf.  B.  H.  L.  4437.  Ferrarius  déclare  avoir  lu  une  vie  de  Jean  de 
Spolète  dans  un  vieux  manuscrit  qui  a  disparu  [19  septembre  28]. 

2  Dialogues,  m,  14  [P.   L.,  11,   244],  «  Prioribus   quoque  Gothorum  tempo- 


JEAN   PENARIENSIS  61 

((Au  temps  desGoths,  depuis  le  commencement  de  leur  do- 
mination jusqu'à  la  fin,  vivait  à  Spolète  un  homme  vénérable 
qui  s'appelait  Isaac  :  beaucoup  l'ont  connu,  et  surtout  la  vierge 
Gregoria,  qui  habite  en  ce  moment  à  Rome,  à  côté  de  l'église 
de  Sainte-Marie.  Mais  c'est  le  vénérable  Eleuthère  qui  m'en  a 
principalement  parlé  :  il  l'avait  familièrement  connu.  —  Isaac 
était  venu  de  Syrie  à  Spolète.  Arrivé  dans  la  ville,  il  demande 
aux  gardiens  de  l'église  la  permission  d'y  prier  à  toute  heure  ; 
il  prie  un  jour,  deux  jours,  trois  jours  sans  interruption.  A  la 
lin,  un  gardien  s'élonne  ;  il  traite  l'inconnu  d'imposteur,  il  le 
frappe  pour  le  faire  sortir.  Mais  l'esprit  (mauvais)  le  saisit,  et 
lui  fait  crier  le  nom  du  pèlerin,  inconnu  jusque-là.  La  foule 
accourt  ;  chacun  veut  entraîner  le  saint  dans  sa  demeure,  on 
lui  oil're  de  l'argent  pour  construire  un  monastère.  Par  mal- 
heur, il  refuse,  sort  de  la  ville  ;  et  c'est  un  peu  plus  loin  qu'il 
groupe  ses  disciples  '  ». 

Je  soupçonne  que  Jean  est  un  digne  émule  d'Isaac,  —  ou 
que,  peut-être,  c'est  un  ermite  d'Ombrie  auquel  on  aura  attri- 
bué une  origine  syrienne  qui  l'égalât  à  Isaac,  —  ou  encore,  qu'il 
est  un  double  légendaire  d'Isaac.  —  Le  parallélisme  des  deux 

ribus  fuit  iuxla  spoletanam  civitatem  vir  vilae  veuerabilis  Isaac  nomine... 
Milita  de  eodem  viro,  narrante  venerabili  paire  Eleutherio,  cognovi...  Ciim 
primum  de  Syriae  parlibus  ad  spoletanam  urbein  venisiset,  iugressus  eccle- 
siam  a  custodibus  peliil  ut  sibi  quantum  vellet  liceutia  concederetur  orandi 
eumque  horis  secretioribus  egredi  non  urgeret.  Qui  mox  ad  orandum  sletib 
diemque  totum  peregit  in  oralione,  cui  sequeutcm  contiuuavit  et  noctem. 
Secundo  eliam  die,  cuin  nocte  subséquent!  indefessus  in  precibus  perstitit, 
diem  quoque  tertium  in  oratione  conjunxit.  Gumque  hoc  unus  ex  custodibus 
superbiiE  spirilu  inflalus  cerneret,  unde  proficere  debuit,  inde  ad  defeclus 
damna  peruenit.  Nam  hune  simulatorem  dicere,  et  uerbo  rustico  cœpit  im- 
postorem  clamare  qui  se  tribus  diebus  et  noctibus  orare  ante  oculos  homi- 
num  demonstraret.  Qui  protinus  currens  virum  Dei  alapa  percussit,  ut  quasi 
rehgiosae  vitse  Simulator  de  ecclesia  cuni  contumelia  exiret.  Sed.  hune  re- 
pente ultor  spiritus  invasit  et  ad  viri  Dei  vestigia  stravit  ae  per  os  illius  cla- 
mare cœpit  :  Isaac  me  ejecit.  Vir  quippe  peregrinus  quo  censeretur  nomine 
nesciebatur,  sed  eius  nomen  ille  spiritus  prodidit  qui  se  ab  illo  posse  ejici 
clamavit.  Mox  autem  super  vexati  corpus  vir  Dei  incubuit  *  et  malignus  spi- 
ritus qui  eum  invaserat  abscessit.  In  tola  urbe  tune  statim  quid  in  ecclesia 
factura  fuisset  innotuit.  Currere  viri  et  feminîB  nobiles  atque  ignobiles  pari- 
ter  cœperunl,  certatimque  eum  in  suis  rapere  domibus  conabantur.  Alii  ad 
construendum  monasterium  praedia,  alii  pecunias,  alii  subsidia  quaeque  pote- 
rant  otTerre  viro  Dei  suppiiciter  uolebant  ». 

*  Au  même  endroit,  S.  Grégoire  raconte  trois  miracles  opérés  par  Isaac  : 
comment  les  voleurs  venus  pour  piller  son  champ  sont  convertis  dès  qu'ils 
y  mettent  le  pied  ;  comment  il  devine  la  ruse  des  faux  mendiants  qui  veu- 
lent se  faire  habiller  par  lui  ;  comment  il  devine  le  larcin  d'un  enfant. 

Cf.  l'altitude  de  Valentin  de  Terni  tandis  qu'il  guérit  Ghaeremon. 


62 


'1  FlADiTlO^S    I)  OMBIUU 


légendes  est  frappant  :  ici  et  là,  il  s'agit  de  l'origine  d'un  nno- 
nastère  près  Spolète,  fond(i  au  temps  des  Gotlis,  par  un  saint 
voyageur,  venu  des  lointains  pays  de  l'Orient,  et  dont  un  mi- 
racle découvre  la  sainteté.  Les  deux  liistoires  sfjmblent  être 
contemporaines;  au  début  duvii^  siècle,  le  culte  de  Jean  l*e- 
nariensis  est,  du  reste,  attesté  par  le  calendrier  populaire  '.  Jl 
est  très  probable  que  notre  texte  date  du  vi°  siècle  -. 


Gestes  de  II  y  a  270  ans  depuis  la  naiiviti-  jusqiC au  consulat  de  Dio' 
clètien  et  au  pontificat  de  Gaius,  moment  où  (souflrit)  le  bien- 
Jieureux  Laurent  in  finibus  Gcniolati,  à  S  milles  environ  de 
SpoU'te  ;  — -  du  consulat  susdit  au  consulat  de  Dèce  le  jeune ^  il 
y  a  245  ans.  —  Vévêque  susdit  siège  onze  ans,  quatre  mois, 
huit  jours,  au  temps  de  Carus  etdeCarin,  et  {il  est  ordonné  ?) 
le  15  des  kalendes  de  mai,  Dioctétien  étant  consul  pour  la 

1  XIV.  Kal.  apr.  «  la  Penareose  civitate,  B.  Joanais,  magnae  sanclitatis 
viri  »  [M.  R.  P.  —  P.  L.,  123,  151-152].  Ces  deruiers  mots  atteslent,  me  sem- 
ble-t-il,  l'intérêt  particulier  qui  s'attachait  alors  à  Jean  Penarlensis.  Le  ms.  de 
Vienne  donne  28  mars,  non  le  19.  Il  y  a  erreur  paléographique,  évidemment, 
ici  ou  là. 

2  D'où  vient  le  surnom  Penariensis  ?  Est-ce  une  déformation  de  Panacen- 
sis,  adjectif  dérivé  de  Panaca,  bourg  signalé  près  Spolàte  [19  mars,  31.  Com- 
mentaire]. —  Flodoard  [xiv,  7.  —  P.  L.,  135, 857J  résume  la  légende  ;  le  texte 
d'Adon  [19  mars,  P.  L,.  123,  240]  dérive  peut-être  d'une  version  plus  récente 
que  la  nôtre,  et  dont  la  couleur  rappelle  davantage  la  physionomie  habituelle 
de  ces  récits.  —  Sur  l'appellatioQ  metropolis,  attribuée  à  Spolète,  cf.  infra  ; 
c'est  peut-être  une  retouche. 

3  Noua  publions  ici,  in-extenso,  le  texte  du  Vindobonensis.  Il  est  inédit. 
Incp  uita  sci  lauren  \  tii    mense  Febr.  d.   iiii  |  ,  A  natiuiate  dui  nri    ihu  | 

xpi.  usq  ;  ad  coosulem  |  dioclitianum  annos  |  ce.  lxx.  temporibus  gagii  | 
pape  ;  suh  cuius  temporib  ;  |  beatus  Laurentius  infini  |  bus  geoio  lati  miliario 
I  a  ciuitate  spolitina  plus  |  minus,  viu.  et  a  consulato  j  suprascripto  usque 
ad  con  |  sulem  decium  iuniorem  |  anni.  ce.  xlv.  Qui  uero  |  supra  scriptus 
aeps,  sedit  |  annos.  xi.  et  menses  un  |  dies.  viii,  temporibus  cari  |  et  careni. 
sub  die  xv  kalen  |  darum  maiarum  diocliti  ]  ano  sexto  consule.  et  con  | 
stantino.  secundo;  hic  fe  |  cit  orationes  oms  utascen  |  deret  ut  siquisaeps  esse 
I  mereretur  prius  hosti  |  arius  de  inde  lector.  exor  |  cistasequens  quod  inter 
I  preetatur  acolitus.  dein  |  de  subdiaconus  deinde  |  diaconus.  de  inde  pbr. 
deinde  eps  fieri  qui  prpt  \  hoc  fugiens  psecutionem  |  dioclitiani  impris  ;  dies 
au  1  96v-203v  depositionis  sci  laurenti  [  confessoris  sub  die  prid  |  nonarum 
februariaru  |  ibi  praestantur  bénéficia  |  eius  usq  ;  in  hodiernum  j  diem  :  Caeci 
ibiueniunt  |  et  sanantur,  lepsi  mun  |  dantur  a  daemonio  uexati  peius  hora- 
tionem  |  liberantur  egri  ueniunt  |  et  curam  sanitatis  accipi  |  unt,  et  multas 
uirtutes  |  p  eum  dus  in  eodem  loco  |  ostendere  dignatus  est  ;  |  régnante  dfio 
nro  ihù  xpo  |  cui  est  honor  et  gla  laus  |  et  imperium  aeterna  |  potestas 
qui  cum  pâtre  |  et  spu  sco  uiuit  et  régnât  |  in  seecula  sœculorum  |  amen 
incipituita  sci  \  ioh  penarensis  m  \  ..,[Cod  Vindob.SbI.  f"  96''(203'')  96v  (203O/. 


LAURENT    DE    SPOLÈTE  ^^^^^  63 

sixième  fois  et  Constantin  pour  la  seconde.  Il  a  fait  des 
prières  et  (décidé)  que,  pour  devenir  cvêque,  il  fallait  être 
d'ahord portier,  puis  lecteur,  exorciste,  suivant —  ce  qui  se 
dit  acolyte — ,  sous-diacrc,  diacre,  prêtre,  et.,,  évéque.  C'est 
pourquoi,  fuyant  la  persécution  de  Dioclétien... 

Le  jour  de  la  déposition  de  saint  Laurent  confesseur  est  la 
veille  des  nones  de  février.  Ses  bienfaits  se  multiplient  jus- 
qu'à ce  jour  (au  lieu  où  il  a  été  enseveli)  :  les  aveuy  les  voient, 
les  lépreux  sont  guéins  ;  par  lui  le  Seigneur  daigne  opérer 
bien  des  merveilles  tandis  que  vit  et  règne  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ,  à  qui  honneur  et  gloire,  louange,  empire  et 
puissance  éternelle,  à  lui  qui  vit  et  règne  avec  le  Père  et 
C Esprit-Saint  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Ce  texte  étrange  où  semblent  manquer  les  verbes  et  abonder 
les  dates  paraît  être  un  résumé  d'untexte  plus  ample  :  sa  struc- 
ture elliptique  et  dense  l'indique  ;  une  phrase  inachevée  le  dé- 
clare ouvertement  :  qui  pr opter  hoc  fugiens  persecutionem 
dioclitiani  impcratoris,.. 

Parmi  les  dates  qui  se  lisent  au  début,  je  relève  celle-ci  : 
et  a  consulato  suprascripto  usque  ad  consulem  decium  mino- 
rem  anni  ce.  xlv.  C'est  évidemment  une  parenthèse,  qui 
nous  reporte  au  moment  où  fut  rédigé  le  texte.  Le'consu- 
lat  de  Decius  Junior,  en  effet,  n'est  pas  un  consulat  fictif  : 
en  529,1e  consul  d'Occident  s'appelle  Flavius  Decius  Junior  i. 
D'autre  part,  le  premier  consulat  de  Dioclétien  date  de  284*; 
et  529—245  =  284.  Le  texte  complet  que  représentent  nos 
gestes  est  donc  explicitement  daté  de  529. 

Que  vaut  leur  chronologie?  Ce  que  vaut  la  chronologie  de 
la  notice  de  Gams,  dans  le  Liber  Pontificalis  :  nos  gestes  ont 
copié  cette  notice,  dans  la  première  édition  du  Liber  ^  La 
date  du  texte  est  confirmée.  —  D'autant  que  les  gestes  de*Te- 

'  Goyau  :  633.  -  Eq  508.  je  trouve  aussi  un  Decius  Marius  Basilius  Venan- 
t.us  lumor    et,  en  534,  le  dernier  des    consuls  d'Occident  est  Flavius  Decîus 
Paul.nus    lun.or   Venantii.    Les   termes   du  texte,    Decius    Junior     semblent 
«expliquer  plus  aisément  s'ils  visent  le  consul  de  529;  et  puis  529^5-284 
date  de  Tavènement  et  du  premier  consulat  de  Dioclétien  ' 

u  "i  ^■'  ;^.^^,*'  .*  Gains,...  Fuit  autem  temporibus  Carini...,  usaue  in  die  X 
Kal.  ma..,  Dioclet.ano  IIII  et  Constantio  II.  Ilic  constituit  u  ord  ne  omnes 
m  ecclesia  sic  ascenderetur  :  si  quis  episcopus  mereretur,  ut  esset  ostSs 
iector,  exorcista,  sequens,  subdiaconus,  diaconus,  presbit;r  et  exinde  en  co' 
pus  ord.naretur  Hic  fugiens  persecutionem  Diocletiani...  martyr  ocoro 
natur.  -  Peut-être  même  le  texte  primitif  de  Laurent  n'avait-il  pas  Xs  d^am^ 
i:::Zé:Z:.'''''  ''  ^^^"^-  "^  ^'-P^^^I-alt  mieux  ainsIrhis^'iTé: 


()i  TRADITIONS    d'oMT'.HIK 

reiitianus  \  dont  lo  début  insiste  avec  autant  de  complaisance 
sur  la  chronologie  de  leur  héros,  présentent  la  doxologie  in 
nnllale  Sph'ilus  Sancli,  et  nous  ramènent  également  au  pre- 
mier tiers  du  vi*^  siècle.  Je  remarque  enfin  que,  en  290,  les 
consuls  sont  Dioclclianus  au«^^ustus  VI  et  Caius  Flavius  Vale- 
rius  Constantius  (^œsar  II  ;  ce  qui,  moyennant  une  correction 
très  aisée  \constanlinus-conslanlius\  s'accorde  pleinement  avec 
les  gestes.  En  529,  on  rédigea  donc  les  gestes  d'un  saint  Lau- 
rent de  Spolète,  qu'on  croyait  évèque  et  martyr  de  cette  ville, 
en  copiant  la  notice  de  Gains  dans  le  Liber  Pontificalis  ;  l'au- 
teur avait  les  mêmes  préoccupations  chronologiques  que  les 
vi^AdiCiQxxvs  à' Hcdestus,  à' Alexandre  de  Baccano  et  de  Terentia- 
nus,\\  s'intéressait  à  la  langue  grecque  comme  l'auteur  de  Va- 
lentin  ;  il  connaissait  comme  lui  les  textes  lériniens  qui  visent 
Carinus  et  les  Anicii.  Laurent  nous  fait  souvenir  (ÏAnthime. 

Les  Spolétains  jugèrent  évidemment  que  cette  histoire  était 
un  peu  maigre  :  ils  la  remanièrent  et  rembellirent.  Laurent  fut 
associé  au  Syrien  Isaac  et  à  son  compagnon  légendaire  Jean 
Penariensis  ;  et  plus  tard,  au  viii®  siècle  sans  doute,  on  en  lit 
le  fondateur  de  la  célèbre  abbaye  de  Farfa  ^  Nous  ne  nous 
arrêterons  pas  sur  le  dernier  avatar  du  martyr  inconnu  ;  mais 
on  nous  permettra  d'insister  sur  la  deuxième  stade  de  la  lé- 
gende en  voie  de  développement.  Cette  étude  achèvera  d'éclai- 
rer ce  que  l'on  peut  connaître  de  Jean  et  de  Laurent  de  Spolète. 

Les  Bollandistes  ont  trouvé,  dans  un  passionnaire  de  Spo- 
lète, un  texte  dont  ils  ont  publié  le  début  ^  et  analysé  le  reste. 


1  1er  septembre  112.  Cf.  infra. 

2  Chronique  de  Grégoire  de  Câlina,  de  1098;  Pierre  Damien,  lettre  IX  à 
Nicolas  II  ;  Catalogue  des  abbées  de  Farfa  |Mabillon  :  Musâsum  Italicum,  i,  1, 
p.  65].  Cf.  i^^  juillet,  tr.  prael.  v,  p.  25,  §  4  et  5  et  le  récent  article  de  H.  Schus- 
ter  :  L'abbaye  de  Farfa  et  sa  restauration  au  xi«  siècle.  [Revue  Bénédictine, 
1907.17].  —  Dans  la  tradition  de  Farfa,  Laurent  a  une  sœur,  Susanne.Ne  se- 
rait-ce pas  un  souvenir  de  sainte  Susanne  qui  est  mêlée,  comme  on  sait,  à 
l'histoire  de  Caius  [L.  P.,i,  161,  et  G.  M.  R.,  i,  130]. 

3  Voici  la  partie  qui  a  été  publiée,  i^^  juillet,  i,  tract,  prael.  p.  26,  ch.  v., 
§7]. 

€  Igitur  dominicse  Incarnationis  anno  ccxc,  régnante  Dioclitiano  sacrilego, 
consulibus  vero  Caro  et  Carioo  ',  cum  preedictus  Laurentius,  claro  génère 
partium  Syriee  orlus,  collecta  infinita  turba  suorura  affinium,  pro  Christi 
animas  ponere  per  martyrium  decreverunt...,  et  aggressi  Italiam,  Apostolorum 

*  Celte  date  est  fausse  :  les  consuls  de  290  sont  Dioclélien  IV  et  Maximien  III. 
C'est  en  283  que  Carus  et  Carinus  ont  été  consuls. 


I 


LES  REMANIEMENTS  DE  LAURENT  6S 

L'auteur  inconnu  connaissait  nos  gestes;  il  les  utilise,  mais  il 
y  ajoute.  Qu'on  en  juge. 


|s  de 
iDt  et 


nt  et      ^^"'"'"'^  "'^"^  "^^  Si/rie  avec  une  troupe  nombreuse  de  corn- 
Sy.    peignons  ;  après  avoir  fait  leurs  dévotions,  ils  se  dispersent 
s^es  dans  toute  l  Italie  Lazare  et  Jean  se  cachent  à  Ferentillo,  où 
„,     le  duc  Faroald  leur  construit  un  monastère  ;  Isaac  en  cons- 
truit un  a  bpolete,  où  il  meurt,  ainsi  quEuticius.  Jean  Pe- 
nariensis  réunit  des  moines.   Dricius  vit  dans  le  comté  (de 
Spolele),  et  y  opère  les  miracles  que  les  gestes  font  voir.  Lau- 
rent choisi  parles  évêques  de  Rome  et  par  le  souverain  pon- 
tife Gaïus,  est  d  abord  repoussé  par  le  peuple  de  Spolète,  dont 
il  ne  veut  pas,  contra  auctoritatem  divinam  et  sanctorum  Pa- 
trum,  acheter  l'assentiment.  Après  avoir  gouverné  son  éqlise 
onze  ans,  quatre  mois  et  huit  Jours,  il  dépose  ordinern  pasto- 
i^lem  et  se  retire  dans  le  désert,  à  8  milles  de  Spolète,  au 
heu  dit  Peniolatim.  Un  riche  chrétien  lui  lègue  sa  fortune  ■  il 
groupe  autour  de  lui  un  grand  nombre  de  moines  et,  ordinata 
ecclesia  m  ordine  canonioo,  il  meurt  sub  die  III  intrante  fe- 
bruano.  Ses  disciples  V enterrent  avec  honneur  au  chant  des 
liymnes  et  des  cantiques. 

Ce  texte  '  adapte  à  Laurent  de  Spolète  une  grande  légende 
ou,  de  même  que  Jean  Penariensis,  on  l'avait  introduit  de 
bonne  heure,  mais  où,  au  gré  de  .ses  dévots,  il  ne  tenait  sans 
doute  qu'un  trop  petit  rôle. 

Voici  cette  légende. 

limioa  devolissime  flexis  genibus  adoraverunt.  Deiode  Urbem  eeressi    sprinfn 
paganorum  martyrio,  pro  quo    vénérant,    cogente  Apostol^o  fanZ'  P.  ! 
L.nrent,um,    primnm  illorum,   secum  diutissime    tenui     CeterT  ve?o  viùm 
erem,l,can,  el.gentes   bini  vel  ainguli,  pêne  totam  replevernnt    unam 

'  Le  Faroald  dont  il  est  ici  question  est  sans  dout»    non  n».    „""'"■  ^ 
de  l'Italie  centrale  à  la  ûo  du  v,.  siècle  [von   Hart»aun   n    1    ««T""*"?' 
ùs  de  Trasia>ond  qu,  à  ,a  fin    d„    v„e    siècle  preïdTaVn't^f H  ?L"no  .^ 
88J  et  devient  moine.  Le   conflit  q,:i  oppose  Spolète  à  son  évêque  ra^lV  ' 
temps  ou    les   municipalités  italiennes   se    forment   en    hniVn^  L^^  ° 

évêques,  où  le  parti  grégorien  lutte  contre  toutes  1  s  formé,  de  la^im  , 

rava,lle  à  restaurer  le  régime  canonial.  -  Rapprocher  "Il  L  H  " 

luh  \$upra,  p.  62,  note  3\.  FPiocuer  femolahm  de  gemo- 


III 


(i(j  TRAUrnONS    D'oMBKlIi 


II 


Gestes 

d'AbuQ-        Passion  et  conversion  de  saint  Anastase  et  des  onze  frères 

pophorus  ^^^^'  partis  de  Syrie  avec  lui,  sont  venus  à  Rome  au  temps  de 
Bricius  et  Julien,  pontife.  Julien  devient  empereur,  puis,  comme  le 
^riens  i^"  ^"^^^^^^  ^  ^^n  vomissement,  il  revient  au  paganisme  et  persécute 
les  chrétiens.  Anastase  s* est  rendu  à  la  maison  d'un  certain 
évêque  Urbain,  avec  ses  deux  fils.,  Euticius  et  Bricius,  et  ses 
neveux  Carpophore,  Abundius,  Laurent,  Jean,  Teudila, 
Isaac,  Proculus,  Herculanus  et  Barectalis.  Urbain  ordonne 
prêtres  Bricius  et  Carpophore,  et  fait  diacres  Laurent  et 
Abundius  ;  beaucoup  de  païens  sont  convertis  par  eux.  Julie?!, 
averti,  les  fait  venir  ;  ses  ministri  les  battent,  les  laissent  sans 
nourriture  dans  la  prison,  finalement  décapitent  Anastase  in 
eodem  loco  {?).  Ses  fils  et  ses  neveux,  devant  une  si  cruelle 
persécution,  s^ enfuient,  sortent  de  Rome  par  la  voie  Cornélia, 
vont  au  lieu  dit  a  la  Paix  des  Saints  »,  s'embrassent  et  se  sé- 
parent. Euticius  va  in  partes  ïiceni,  du  côté  du  lac  Bolsène 
et  y  mène  la  vie  d' ermite.  Bricius  va  en  Valérie,  à  Spolète  ; 
Proculus  à  la  colonie  de  Narai,  au-dessous  du  Castrum  Car- 
sulanum,  ou  vit  le  très  saint  Volusianus.  Proculus,  devenu 
prêtre,  est  si  particulièrement  béni  de  Dieu  que,  lorsqu'il 
achève  les  paroles  du  canon  {sdincïv  cdinoms  verba  compleret), 
il  entend  la  messe  qui  se  dit  au  ciel,  le  Jour  de  la  résurrec- 
tion, avant  le  lever  du  soleil  ;  et  les  hosties  quil  immole  le 
nourrissent.  Mais  le  pape  Eugène  V apprend  ;  il  ordonne  à 
ses  cubiculaiî^es  de  le  lui  amener  et  ceux-ci  V  abreuvent  de 
coups  et  d'outrages,  refusent  de  recevoir  de  ses  mains  la  com- 
munion de  la  sainte  Eucharistie  ;  pourtant,  sur  la  route 
dOstie  ^,  comme  ils  meurent  de  soif,  le  saint  ordonne  à  une 

i  B.  H.  L.,  1620  [1er  juillet,  tr.  prael.  9-15  ou  8-13].  Cf.  aussi  le  Codex  Pa- 
risinus  latinus  5323  [du  xiii^]. 
2  Ou  d'Orte  fcf.  B.  H.  L.  16221. 


LES    DOUZE    SYRIENS 


67 


biche  et  à  ses  deux  faons  de  s'arrêter  et  de  les  désaltérer  de 
son  lait.  Et  voici  qu'on  aperçoit  des  coureurs  envoyés  par 
Eugène;  Fange  du  Seigneur  Va  flagellé  pendant  la  nuit; 
Eugène  fait  ramener  avec  de  grands  honneurs  saint  Proculus 
au  castruni  Carsulanum. 

Bricius,  Abundius,  Carpophore  et  les   autres  vont  à  Spo- 
le  te  finir  leur  vie;  ils  baptisent  les  païens  au  nom  du  Père, 
du  Fils  et  de  r Esprit-Saint,  détruisent  les  temples  et  les  bois 
sacrés.  Mais  les  proconsuls  Turgius,  Leontius,  Martianus,  qui 
l'apprennent,   les  font  arrêter  dans  la  maison  d'une  femme 
très  chrétienne,  Sincleta  :  ils  sont  enfermés  dans  la  prison  et 
condamnés  à  mourir  de  faim.  Bricius  napas  été  pris  :  il- va 
donc  du  côté  des  faubourgs,  au  lieu  dit  Apianum  et  prie  Dieu 
qiiil  lui  montre  quelle  conduite  tenir.  Alors  l'ange  du  Sei- 
gneur lui  dit  :  c(  Viens,  je  te  montrerai  l'endroit  oii  tu  seras 
sauvé  (locain  salutis,  ubi  salus  prœstatur).  »  Et  ils  vont  ;  Bi^i- 
cius  guérit  l'aveugle  Pisentius  et  parvient  au  lieu  de  son 
salut,  sur  la  route  du  haut,  au  sommet  de  la  colline  (in  supe- 
rioreni  viam  in  verticem  coUis).  Eange  disparaît  alors,  et 
Bricius  comprend  qui  il  était  ;  il  prêche  partout,  au  pied  de 
la  montagne  Martulana,  confère  des  baptêmes,  construit  un 
oratoire  qu'il  appelle  Salustianum,  parce  qu'il  y  avait  ob- 
tenu son  salut.  A  leur  tour  Carpophore  et  Abundius  reçoivent 
la  visite  de  l'ange  :  il  les  fait  sortir  de  prison,  les  conduit 
dans  une  crypte  des  faubourgs  et  là,  les  saints  imposent  le 
signe  de  la  croix  sur  le  front  des  fidèles,  ordonnent  des  clercs 
et  des  ministres  (minislros). 

Dioclétien  et  Maximien  reçoivent  alors  un  decretum  de 
Turgius  et  Leontius  maîtres  des  soldats,  et  du  proconsul 
Martiamis.  a  II  y  a  eu  une  sédition  de  prêtres  à  cause  des 
Galiléens  ciui  vénèrent  le  signe  du  Christ.  Agissez.  »  Et  les 
empereurs  décident  que,  partout  où  Von  trouvera  des  chré- 
tiens (animae  christianae),  on  les  punira.  Védit  est  du  23  juil- 
let. Carpophore  prêtre  et  Abundius  diacre  sont  arrêtés  dans  la 
crypte;  conduits  devant  les  trois  consuls  ils  refusent  de  sa- 
crifier et  sont  jetés  en  prison.  Leurs  compagnons  sont  chassés 
de  Spolète  et  décapités  le  25  juillet.  Sincleta  les  enterre  au 
cimetière  Pontien,  non  loin  de  la  ville,  sur  le  flanc  de  la 
montagne,  dans  iine  caverne  et  elle  les  y  enferme.  Quant  à 
Abundius  et  Carpophore,  ils  comparaissent  devant  le  tribunal 
de  Martianus,   sur  le  forum,  devant  le  temple  de  Jupiter; 


(18 


THADITKJNS    I)  oMHlUE 


tourmentés  sur  le  chevalet^  ils  sont  conduits  sur  l'ordre  de 
Leo7itius,  maître  des  soldats  y  près  de  Foligno^  et  sont  là  dé- 
capites, le  4f  des  ides  de  décembre.  Mais,  comme  il  revient 
rendre  compte  à  Martianus  consul  de  ce  (pii  s'est  passé ,  un 
ours  se  jette  sur  Leontius  et  le  dévore  ;  cependant  que  la  très 
chrétienne  Eustachia^  avertie  par  un  ange,  ensevelit  les  saints 
à  un  mille  de  Foligno^  au  lieu  dit  IhanaritanuSy  au  pied  du 
Mont  Rotonde,  dans  un  sarcopJiage. 

Voici  enfin  que  Bricius  est  repris  à  son  tour  :  on  annonce 
à  Martianus  quil  se  cache  in  civitate  Marlulana  et  quil  évan- 
gèlise  toute  la  montagne.  Les  ministri  l arrêtent  à  G  milles  de 
Spolète,  in  territorio  Salustiano,  sur  le  chemin  du  haut,  au 
so7nmet  de  la  colline,  ou  est  son  oratoire.  Quand  on  le  torture 
sur  le  chevalet,  un  tremblement  de  terre  ébranle  le  palais  de 
Martianus    qui  s'écroule,    tuant   Martianus  et  120   païens 
(animas  paganorum),  et  qui  disparaît  dans  le  sol.   Et  voici 
que  Vange  du  Seigneur  et  saiiit  Pierre  apparaissent  au  seuil 
de  la  prison  de  Bricius,  et  lui  disent  :  «  La  paix  soit  avec 
toi  ;  tu  auras  la  victoire  !  »   Bricius  se  prosterne,  embrasse 
les  pieds  de  saint  Pierre,  salue  le  Seigneur  dont  il  a  suivi  les 
traces  depuis  r Orient  ;  et  saint  Pierre  le  relève  et  le  consacre 
dans  l'ordre  du  pontificat  afin  qu'il  puisse  établir  dans  chaque 
cité  un  évèque.  Puis,  conduit  par  Vange,  qui  lui  a  été  donné 
comme  gardien  jusqu'à  son  dernier  jour  et  qui  lui  prédit  en- 
core quarante-cinq  ans  de  vie,  Bricius  revient  à  son  oratoire  ; 
il  va,  rempli  de  l'Espr^it-Saint,  au   lieu  dit  Marianus,  il  y 
construit  un  oratoire  au  nom  de  la  sainte   Vierge  Mère  de 
DieUf  il  consacre  les  sources  [où  l'on  baptisera),  il  baptise,  il 
instruit  les  foules  de  la  montagne  ci  de  la  plaine  à  garder  les 
jours  du  Seigneur  (dies  festos  Doniini)  et  à  célébrer  la  Pâques 
du  Seigîieur  (  ?jubileum  Pascha)  ;  il  ordonne  les  évêques,  il 
consacre  Jean  évèque  de  la  métropole  de  Spolète.  Et  Jean,  à 
son  tour,  détruit  les  temples  des  dieux,   élève  une  église  à 
saint  Pierre  dans  la  banlieue  de  la  ville,   consacre  comme 
évêques  Vincent  à  Libania  [Bevagna),  Scipiodote  à   Victoria, 
Herculanus  son  neveu  à  Pérouse.  Or,  le  perfide  Totila  assié- 
geait Pérouse,  depuis  sept  années;  la  ville  prise,  il  ordonna 
qu* Herculanus  fût  écorché,  puis  décapité  sur  les  murs.  Malgré 
ses  ordres,  le  corps  de  l' évèque  fut  enseveli  en  secret  par  les 
chrétiens  ;  et,   quand  on   ouvrit   le  tombeau  une  année  plus 
tard,  la  tète  était  recollée  au  tronc,  la  peau  au  dos  ;  et  l'en' 


I 


HERCULANUS    DE    PEROUSE 


69 


jant  qiCon  ensevelit  ce  jour  à  ses  côtés  fut  ressuscité  le  lende- 
main. 

Cependant,  Bricius  creuse  sa  fosse  dans  son  oratoire,  de  ses 
propres  mains.  Il  chasse  les  démons  et  guérit  les  lépreux. 
Comme,  un  jour  [anniversaire)  de  la  Résurrection^  il  louait 
Dieu,  arrive  Vange  qui  lui  a  été  donné  comme  gardien  : 
€  Viens ^  lui  dit-il,  athlète  de  Dieu;  reçois  la  couronne  ».  Et, 
dans  un  tumulte  arrive  V armée  des  anges,  avec  Piei^re  et  les 
Apôtres,  qui  chantent  Vantiphone  :  Beati  qui  persecutionem 
patiuntur  propter  justitiam...  ;  et  cest  au  milieu  des  chants 
que  son  âme  sainte  est  délivrée  de  la  chair  ;  elle  s'envole  sous 
la  forme  d'une  colombe  qu'ont  vue  tous  les  frères  qui  assis- 
taient à  sa  mort.  Et  les  malades  sont  guéris,  les  démoniaques 
sont  délivrés  à  son  tombeau.  Il  a  reposé  en  paix  le  9"  jour  du 
mois  de  juillet,  et  ses  bienfaits  sont  donnés  [aux  hommes) 
jusqu'à  ce  jour. 

Ce  texte  représente  une  légende  cyclique  —  telle  qx^Anthime 
—  où  diverses  traditions  ont  été  plus  ou  moins  heureusement 
combinées.  On  Tétudiera  tour  à  tour  au  point  de  vue  historique 
et  au  point  de  vue  littéraire. 

Des  douze  saints  dont  il  prétend  retracer  l'histoire,  deux  sont 
absolument  inconnus,  Barectalis  et  Theudila.  Mais  nous 
voyons  assez  bien  d'où  viennent  les  dix  autres. 

Le  cas  d'Herculanus  est  très  clair.  C'est,  ainsi  que  les  gestes 
le  racontent^  Tévêque  de  Pérouse  que  Totila  fit  tuer  en  547, 
lorsqu'il  fut  parvenu  à  s'emparer  enfin  *  de  cette  ville. 
Saint  Grégoire  nous  fait  connaître  son  histoire  ;  il  y  a  avan- 
tage à  comparer  son  récit  avec  celui  de  notre  légende. 


Texte  bollandiste  des  Gesta  Ahundii 
ier  juillet  I.  tr.,  prael.  p.  13, 
§  18. 

Eodem  vero  tempore  perfidus 
Tolila  Rex  septem  annis  eamdem 
obsessit  civitatem,  et  famé  captivavit 
eam,  et  quid  de  Hercalano  episcopo 
esset  facturas  cogitabat.  Tune  jussit 
ei  corrigiam  a  capite  usque  ad  cal- 
caneum  decoriari,  caput  eius  super 
muros  civitatis  abscidi,  corpusque 
eius,  ue  tuaaulo  traderetur,  foras 
projici.   Sed  occulte    Christiaai   eum 


Texte  de  S.  Grégoire  le  Grand,  Dia- 
logues III,  13.  [R  L.,  77,  241\. 


«  Nuper  quoque  Floridus  venerabilis 
vitsB  episcopus  narravit...  diceos  : 
Vir  sauctissiraus  Herculanus  nutritor 
meus  Perusinae  civitatis  episcopus 
fuit  ex  conversatione  monasterii  ad 
sacerdotalis  ordinis  gratiam  deduc- 
tus.  Totilae'aulem  perfidi  régis  teœpo- 
ribus,  eamdem  urbem  annis  septem 
coDtiauis  Gothorum  exercitus  obsedit 
ex  qua    muiti   civium    fugeruut  qui 


>  Hartmann,  i,  311-320. 


70 


TRADITIONS    DOMRRIE 


sepelierunt.  Qui,  cum  post  annnrn 
inlegrnm  eiiiH  tiuiiiilnm  ChriHtiaii» 
aperireni,— cuinsdam  orbata;  mulieris 
Klius  mortiius  fiierat,  couti^^it,  —  ut 
eum  in  eius  tuniulo  ponereiit  :  qui 
dum  de  corpore  episcopi  quod  esset 
factum  conspicerent,  videruot  cor- 
pus episcopi  ac  si  nulla  macula 
ferri  abacissiouis  in  eius  corpore 
fuisset,  et  evulsae  corrigiae  DuUum 
vestigium  videretur  ;  qui  humatum 
puerum  reliquerunt.  Die  vero  altéra 
eius  parentes  lugentes  ad  sepulcrum 
venerunt,  sicut  mos  est  honainis  lu- 
gere  mortuos  suos  ;  qui,  aspicientes 
in  tumulum  eius,  sanum  et  incoiu- 
meai  extra  sepulcrum  puerum  inve- 
nerunt:  nec  putrescere  membra  cor- 
pusculi  pueri  iuxta  membra  potue- 
runt  episcopi  ;  pro  mortuo  quem 
extra  tumulum  vivum  projecit,  ipsius 
iuiitatus  est  virtutem,  cuius  patibu- 
lum  in  Calvarife  loco  super  feretrum 
impositum  mortuum  suscitavit.  Re- 
quievit  in  Domino  septimo  idus  no- 
vembris. 


fairiis  [jericulum  ferre  non  poterant. 
Anuo  septiixio  noudum  fiuito  ob- 
sessam  urbem  Gothorura  exercitua 
intravit.  Tune  comes  qui  eidem 
exercitui  pru^erat  ad  regem  Totilatn 
nuutios  misil...  Cui  ille  pritcepit, 
diceiis  :  Episcopo  prius  a  verlice  us- 
que  ad  caluaneum  corrigiam  toile  et 
tune  caput  eius  amputa  ;  omnem 
vero  populum...  gladio  exstiugue. 
TuDc  idem  comes  veiierabilem  vi- 
rum  Ilerculanum  episcopum  super 
urbis  murum  deductum  capite  trun- 
cavit  eiusque  cutem  iam  mortui  a 
vertice  usque  ad  calcaneum  incidit... 
Moxqne  corpus  illius  extra  mu- 
rum proiecit.  Tune  quidam,  huma- 
nitatis  pietate  compuisi,  abacissum 
caput  cervici  apponentes,  eum  uno 
parvulo  infante,  qui  illic  exstinctus 
inventus  est  iuxta  murum,  corpus 
episcopi  sepulturae  tradiderunt.  Cum- 
que  post  eamdem  caedem  die  xl  rex 
Totila  iussisset  ut  cives  urbis  illius 
qui  quolibet  dispersi  essent  ad  eam 
sine  aliqua  trepidatione  remearent, 
hi  qui  prius  famem  fugerant,  vivendi 
licentia  accepta  reversi  sunt.  Sed, 
cuius  vitae  eorum  episcopus  fuerat 
memores,  ubi  sepultum  esset  corpus 
illius  qusesierunt,  ut  hoc  iuxta  hono- 
rem  debitum  in  ecclesia  beati  Pétri 
apostoli  humarent.  Cumque  itum  es- 
set ad  sepulcrum,  efiossa  terra,  in- 
venerunt  corpus  pueri  pariter  hu- 
mati,  utpote  iam  die  xl  tabe 
corruptum  et  vermibus  plénum  ; 
corpus  vero  episcopi  ae  si  die  eodem 
esset  sepultum.  Et...  ita  caput  eius 
unitum  fuerat  corpori  ac  si  nequa- 
quam  fuisset  abscissum,  sic  videlicet 
ut  nulla  vestigia  sectionis  appare- 
rent.  Cumque  hoc  et  in  terga  ver- 
terent,  exquirentes  si  quod  signum 
vel  de  alia  monstrari  incisione  po- 
tuisset,  ita  sanum  atque  intemeratum 
omne  corpus  inventum  est  ac  si 
nulla  hoc  incisio  ferri  tetigisset. 

Les  deux  textes  rapportent  également  que  Totila  assiège 
Pérouse  durant  sept  ans  et  la  prend  par  la  famine;  qu'il  or- 
donne d'écorcher,  puis  de  décapiter  Herculanus  sur  les  murs  ; 
que,  lorsqu'on  ouvre  le  tombeau,  le  cadavre  est  intact  ^  et  ne 
porte  pas  trace  d'écorchement  ni  de  décapitation. 

^  Cf.  Rufine  —  Seconde.  Plautilla  trouve  les  corps  sine  fetorcy  sine  lesione. 


DEUX    TEXTES    PARALLÈLES  71 

L'accord  cesse  ici.  Les  gestes  d'Abundius  et  desXïl  Syriens 
se  contentent  d'ajouter  qu'une  année  après  ces  événements,  on 
ouvre  le  tombeau  provisoire  où  a  été  placé  Herculanus,  et 
qu'un  enfant  qu'on  y  dépose  apparaît  le  lendemain  ressuscité  ; 
il  dit  encore  qu'Herculanus  est  mort  sur  le  mont  Calvaire,  le 
7  des  ides  de  novembre.  —  Selon  saint  Grégoire  et  Floridus, 
le  comte  goth  qui  commande  l'armée  de  Pérouse  désobéit  à 
Totila  qu'il  a  consulté  et  fait  tuer  Herculanus  avant  de  l'écor- 
cher  ;  la  population  de  Pérouse  fuit  aux  environs  ;  Hercula- 
nus est  enseveli  avec  un  jeune  enfant,  aussitôt  après  son  exé- 
cution; le  tombeau  provisoire  est  ouvert  40  jours  après,  sitôt 
que  Totila  permet  à  la  population  de  rentrer  dans  la  ville  ;  le 
cadavre  de  l'enfant  est,  seul,  en  pleine  décomposition  ;  le  tom- 
beau définitif  d'Herculanus  se  trouve  à  l'église  Saint  Pierre,  à 
Spolète. 

Les  deux  textes  sont  indépendants  l'un  de  l'autre.  Tous  deux 
relèvent  d'une  tradition  orale  qui,  dans  les  Dialogues,  appa- 
raît plus  simple  et  vraie  que  dans  les  gestes.  Dans  les  gestes, 
l'épreuve  qui  manifeste  la  sainteté  d'Herculanus  dure  un  an, 
non  quarante  jours  ;  et  l'incorruptibilité  deTévèque  s'est  com- 
muniquée à  l'enfant  :  ipsius  Imitatus  est  virtutem  ;  enfin  on 
fait  venir  Herculanus  des  merveilleux  pays  de  l'Orient  et  on 
l'associe  à  la  i^rande  léi^ende  ombrienne. 

Le  récit  de  Floridus  n'est  pas  tout  à  fait  l'histoire  :  Pérouse 
n'a  pas  été  assiégée  sept  ans  par  les  Goths.  Mais  il  se  tient  tout 
près  de  l'histoire  :  aucun  autre  détail  ne  semble  suspect.  Et 
Floridus  connaissait  particulièrement  Herculanus  qui  l'avait 
élevé. 

Les  gestes  d'Abundius  et  des  Xll  Syriens  n'ont  pas  absorbé 
la  légende  d'Herculanus  ^  :  elle  a  continué  de  se  développer.  Le 
nouveau  progrès  consiste  en  ce  qu'Herculanus,  comme  tout  à 
l'heure  Laurent,  tend  à  sortir  de  son  rôle  secondaire,  à  acca- 
parer toute  la  légende,  à  en  devenir  le  héros  principal,  le  per- 
sonnage centraP. 

*  Le  calendrier  populaire,  au  début  du  vu®  siècle,  donne;  «  Apud  Perusi- 
nam,  Herculani  episcopi  et  marlyris  »  [M.  R.  P.,^vii,  id.  dov.  —  P.  L.,  123, 
173-174].  —  Adon  se  contente  de  le  reproduire  [P.  L.,  123,  391]. 

2  Ces  développements  sont  sensibles  dans  les  textes  Temporibus  Iuliani 
apostaUe  [B.  H.  L.,  3823.  —  ler-mars  51,  §§  18-23]  et  Ex  prima  conditione 
[B.  H.L.,  3824.  —  Pez  :  Thesaur.,  anecd.,  ii.  3.125  et  Anulecta,  xvii.  157]  et 
sans  doute  dans  les  autres  que  semble  viser  Jacobillus. 

Le  texte  3823    [Temjporibus  Iuliani  apostatée...]  offre  à  peu  près  le  même 


72  TRADITIONS    d'oMKRIK 

Saint  (In'^goiio  nous  renscij^^ne  oncore  sur  If!s  origines  d'un 
second  personnaj^c  do  nos  gestes  :  l'isaac  qu'ils  mettent  en 
scène  est  évidemment  ce  Syrien  établi  en  Ombrie  dont  nous 
entretiennent  les  Dialogues  ^  J'en  ai  parlé  tout  à  l'heure. 

Bricius,  Garpophorus  et  Abundius  sont  des  saints  locaux  du 
pays  de  Spolèlo  auxquels  on  a  attribué  —  avec  autant  de  rai- 
son qu'à  llerculanus  —  une  origine  syrienne.  Leur  histoire 
constitue  le  corps  de  la  légende  cyclique  ;  elle  a  fourni  à  celle- 
ci  les  attaches  topographiques  qui  lui  ont  donné  des  racines 
locales,  et  les  épisodes  principaux  auxquels  on  a  lié  les  sou- 
venirs épars  dans  l'imagination  chrétienne. 

Bricius,  Garpophorus  et  Abundius  sont  mentionnés  dans  le 
le  calendrier  populaire  '  :  comme  dans  les  gestes,  Bricius  y 
est  appelé  évêque,  il  y  est  rattaché  à  la  civitas  Martulana  (Ala- 
ralana).  La  date  du  8  juillet  que  donne  le  calendrier  doit  être 
lue,  sans  doute,  9  juillet  :  Adon  a  lu  9  juillet  ;  et  la  mention 
de  Bricius  précède  immédiatement,  dans  le  calendrier,  les 
saints  du  9  juillet  :  une  erreur  de  copiste  est  quasi  certaine. 
Gomme  dans  les  gestes,  Garpophore  est  prêtre  dans  le  calen- 
drier, Abundius  y  est  diacre. 

D'autre  part,  Adon  ^  connaît  cette  histoire  ;  elle  semble 
identique  à  celle  que  content  les  gestes.  Seulement  Martianus 
y  est  qualifié  de  judex  ;  en  outre,  il  ne  dit  mot  d'aucun  des 
autres  Syriens  ;  d'Herculanus  lui-même  il  ne  connaît  que  le 
nom  ;  des  autres,  il  ne  sait  rien  du  tout.  Il  est  à  croire  que  le 
texte  où  il  puisait,  antérieur  à  la  légende  cyclique  et  qui  en  a  été 

début  que  le  texte  1622  [cf.  infra,  p.  78,  n.],  sur  lequel  il  a  sans  doute  été 
modelé:  il  supprime  certains  traits  du  texte  iQ22  [locum, Pdcem  Sanctorum: 
l'épisode  d'Eugène;  la  fuite  de  Bricius]  ;  il  ajoute,  en  revanche...  [d'après 
1620],  que  Bricius  est  in  partibus  Ternii  avant  d'arriver  à  Spolète,  qu'il  est 
metropolitmius  spoletanœ  sedis,  qu'il  consacre  donc  Herculanus  à  Pérouse. 
Herculanus,  dès  lors,  est  seul  en  scène  ;  on  célèbre  ses  vertus  ;  le  miracle  a 
lieu  in  monte  qui  Calvarise  dicitur  in  b.  Pétri  apostoli  ecclesia  ;  un  évêque 
Roger  transporte  le  corps  à  Pérouse,  un  le""  mars. 

Le  texte  3824  [Ex  prima  condltione...],  dont  le  début  semble  avoir  été 
modelé  sur  les  gestes  de  Conslantius,  conserve  l'épisode  d'Eugène,  mentionne 
l'église  de  Saint-Pierre  au  Mont  Calvaire  et  se  termine  parle  récit  de  plusieurs 
miracles. 

Je  ne  saurais  dire  de  quand  datent  ces  textes.  Le  nom  de  Roger,  qu'on  lit 
dans  B.  H.  L.,  3823,  ne  semble  pas  très  répandu  en  Italie  avant  le  xi^  siècle.  — 
L'église  de  Saint-Pierre  est  attestée  par  saint  Grégoire [DtaZ.,  m,  29.  —  P.  L.^ 
77,  285]  :  elle  se  trouvait  en  effet  sur  une  hauteur  {cominus  sita). 

1  Bial.  in,  14.  [P.  L.,  77,  244].  —  Cf.  supra,  p.  61 

2  P.  L.,  123,  163-164.  vin,  id.  iutii  et  177-178,  iv,  id.  nov. 

3  P.  Z.,  123,  300  et  412.  —  Cf.  Flodoard,   vui,  11  [P.  L.,  135,  737-738]. 


BRICIUS,    PROGULUS  73 

la  base,  groupait  Bricius,  Abundius  et  Carpophore —  et  igno- 
rait les  autres.  A  voir  la  précision  des  détails  topographiques 
que  fournissent  les  textes,  on  peut  juger  qu'ils  furent  les  saints 
les  plus  populaires  de  Spolète. 

Le  Jean  que  Bricius  consacre  comme  métropolitain  de  Spo- 
lète est  le  même  évêque,  évidemment,  qui  apparaît  dans  les 
gestes  de  Jean  Penariensis. 

Restent  *  trois  saints  Anastase,  Euticius  et  Proculus  dont 
l'origine  est  plus  obscure,  dont  nos  gestes  disent  peu  de  chose 
et  qu'ils  rapprochent  curieusement  avant  de  conter  l'histoire 
de  Bricius. 

Proculus  est  un  saint  de  Terni,  qu'atteste  le  férial  hiérony- 
mien  ^  et  dont  saint  Grégoire  ^  et  les  gestes  de  Valeniin  *  disent 
la  notoriété.  On  ne  peut  rien  avancer  touchant  la  localisation 
de  Proculus  à  Narni,  au  castrum  Carsulanum,  auprès  du  pieux 
Yolusianus,  sinon  qu'elle  semble  dériver  des  légendes  qui 
couraient  sur  le  saint  de  Terni_,  et  qu'elle  expliqué  un  passage 
d'Usuard  ^  Mais,  sans  crainte  d'erreur,  il  est  permis  de  voir 
dans  l'épisode  de  Proculus  et  du  pape  Eugène  la  copie  d'un 
curieux  passage  de  saint  Grégoire  :  un  abbé  de  Valérie,  Equi- 
tius,  qui  avait  une  grande  réputation  de  piété  et  d'éloquence 
fut  mandé  à  Rome  parle  pape  [peut-être  Jean  111,  561-574], 
sur  le  désir  du  clergé  romain  désireux  de  juger  par  lui-même 
de  sa  science.  Mais  voici  qu'une  vision  reproche  au  pape  son 
audace  ;  il  envoie  un  nouveau  courrier  à  Equitius  pour  le  prier 
de  ne  pas  se  déranger  *. 

1  Je  fais  abstractioQ  de  Laurent  de  Spolète  dont  j'ai  parlé  plus  haut:  j'y 
reviendrai  tout  à  l'heure. 

*  Le  férial  atteste  deux  Proculus  à  Terni,  dans  deux  groupes  distincts,  le 
xviu  Kal.  maii  [Rossi-Duchesne,  p.  43]  et  kal.  maii  [id.  p.  53].  Qui  dira  si 
c'est  une  dittographie,  ou  s'il  y  a  eu  deux  saints  Proculus  à  Terni. 

3  Dialog.,  i,  9  [P.  L.,  77,  192]  :  «  beati  Proculi  m.  natalitius  appropinqua- 
bal  dies...,  »  cf.  encore  plus  loin. 

*  Proculus  est,  avec  Ephebus  et  Apollonius,  un  des  trois  scolastici  qui  sont 
mêlés  à  l'histoire  de  Valentin  de  Terni.  —  Cette  dernière  légende  connaît 
aussi  Abundius  :  elle  en  fait  tantôt  un  fils  du  préfet  de  la  ville  converti  par 
Proculus,  tantôt  un  propre  frère  de  Valentin  [d'après  les  Gesta  Feliciani. 
Analecta,  ix,  379,  sq]. 

^  1"  décembre  :  «  Proculi  presbyteri  Narniensis  ».  [P.  L.,  124,  755-756]. 
^  Voici  les  textes  parallèles  : 

Anastasius  Abundius  §  3-4  Vita  Equitii  monachi  ex    Gregorii 

DialogiSy  i,  4. 

«  ...Tantam  in  eo  (Proculo)  effudit  «  Tantus   quippe    illum    fervor   ad 

Dominus  gratiam  ut,  cum  sancti  ca-  coUigendas...  animas  accenderat  ut... 
noais    verba    compleret,    missam  in      per  ecclesias,  per  castra,  per  vicos... 


74 


TRADITIONS    D  OMBRIE 


L'ori^ino  d'Euticius  est  plus  malaisée  à  citablir  ;  d'autant 
qu'on  voit  mal  ce  que  peuvent  si<^ni(icr  les  mots  in  parles  Ti^ 
ceiù  appliqués  au  lac  Uolsène  '.  Dans  l(;s  j^^esles  de  Sévère, 
martyr  de  la  Valérie,  je  relève  un  Eulicius  qui  est  guéri  par 
Sévère';  mais  je  préfère  insister,  celte  fois  encore,  sur  un 
passage  des  Dialogues  \  Saint  Grégoire  conte  qu'un  saint 
personnage,  Euticius,  vivait  avec  un  compagnon,  Florentius, 
dans  la  province  de  Nursie,  in  Nursiie  provinciae  parti- 
bus  :  Florentius  mena  la  vie  érémilique,  en  compagnie  d'un 


cselo  die  sanctee  resurrectionis...  au- 
divit,  et  ipse  sic  Domino  hostias  im- 
molabat  et  reficiebatur.  Quod  cum 
niinciatum  esset  Eugenio,  sanctae 
sedis  apostolicse  (praesuli)  quod  tali- 
ter  ageret,  jussit  cubiculariis  suis  ut 
loris  adstrictus  et  acrioribus  verberi- 
bus  ad  se  cum  summa  festivitate  de- 
ducerelur...  Cubicularii  venerunt  in 
castrum  carsulaDura,...  apprehende- 
runt  eum  et  noluerunt  accipere 
saoctee  Eucharistiae  communiouem 
ab  eo...  Igoifera...  siti...  fatigari 
coeperunt  ita  ut  mortis  culmine  mi- 
nare  (n)  tur  propter  typum  super- 
biae  et  quod  noluerunt  corpus  et 
sanguinem  Domini  accipere.  Respi- 
ciens  autem  Proculus  ...vidit  cervam 
cum  hinnulis  suis.,  cui  dixit  :  Prae- 
cipio  tibi...  ut  des  potum  sitientibus 
his.  At  illa  stetit...;  venerandus  vir... 
mulsit  eam  et  dédit  potum...  In  nocte 
autem  eadera  Angélus  Domini  fla- 
gellavit  Eugenium  ;  et  perterritus 
misit  velocissimos  cursores  ut,  ubi- 
cumque  obviarent  homini  Dei,  cum 
magno  honore  ad  castrum  Garsula- 
num  reducerent  :  quia  ab  angelo 
Domini  commonitus  audisset  omnia 
vera  esse  quae  Dei  famulus  Proculus 
peregisset.  » 

[l"  juillet,    «  tractatus    praelimina- 
ris.  9] 

Inutile  de  rapprocher  de  notre  Proculus  le  saint  de  Bologne. 

1  Janning  propose  de  lire  lacum  Fucini  in  partes  Piceni.  La  route  du  lac 
Fucin  ue  conduit  pas  au  Picenum.  Cf.  infra  Euticius  de  Tuscie. 

2  Analecta,  xi,  241.  —  Dans  les  Gesta  Secundi,  qui  expriment  également 
des  traditions  ombriennes  [Amena,  Toscanella,  Pergola,  Gubbio  ou  Spolète], 
je  trouve  encore  un  Eutychius  [1er  juia^  56,  §  7].  —  Cf.  enfin  l'Eutychius  du 
15  mai  [15  mai  457.  -  Cf.  Dialogi.,  m,  38,  P.  L.,  11,  316J. 

3  Dialog.,  m,  15,  P.  L.,  11,  249-257]. 

*  Cf.  supra,  p.  61,  Isaac  le  Syrien  et  le  sacristain. 


circumquaque  discurreret  et  corda 
audientium  ad  amorem  patrise  caeles- 
tis  excitaret...  Huius...  opinio  pra;- 
dicationis  ad  romanae  urhis  notitiam 
peruenit;  clerici...  quesli  sunt..  ; 
consensum  pontifex  praebuit  ut  ad 
romanam  urbem  deduci  debuisaet... 
(Juliano  defensori)  praecepit  ut  ma- 
gno cum  honore  eum  deduceret... 
Ad  eius  monasterium  curcurrit... 
(Julianu6)...,ex  ipso  habitu  (viiissimo 
Equitium)  despexit,  eumque  qualiter 
deberet  alloqui  proterva  mente  prae- 
parabat.  xMox  vero  ut  servus  Dei 
protinus  adfuit,  Juliani  animum  in- 
tolerabilis  pavor  invasit  *  atque  ad 
insinuandum  hoc  ipsum  quod  uene- 
rat,  vix  sufficere  lingua  potuisset...  » 

«  In  cursu  fatigato  ad  Julianum 
puer  cum  epistola  peruenit  in  qua 
praeceptum  est  ei  ne  servum  Dei 
coatiugere  uel  movere  de  monasterio 
auderet...  Nocte  eadem  in  qua  ipse 
exsecutor  illuc  missus  est,  per  visum 
pontifex  fuerat  vehementer  exterri- 
tus  cur  ad  exhibendum  Dei  hominem 
mittere  praBsumpsisset.  » 

[P.  L.,  77,  172-173J. 


ANASTASE  75 

ours,  et  opéra  de  nombreux  miracles,  tandis  qu'Euticius,  qui 
avait  groupé  des  moines  autour  de  lui,  n'en  opéra  jamais  au- 
cun ;  tant  et  si  bien  qu'un  beau  jour,  ses  moines,  furieux, 
allèrent  tuer  l'ours  de  Florentins.  —  Qui  sait  si  le  dépit  de  ces 
moines  n'aurait  pas  encore  forgé  des  légendes  où  Euticius  était 
égalé  à  Florentins,  et  vivait  comme  lui  de  la  vie  des  solitaires? 
Nous  en  aurions  ici  un  écho  \ 

D'où  vient  TAnastase  de  nos  gestes?  Anastase  de  Terni  est 
plus  que  suspect  :  sa  plus  ancienne  attestation  est  la  seconde 
édition  du  martrjrologe  romain  ',  et  le  plus  clair  de  son  his- 
toire trahit  des  préoccupations  généalogiques  ^  On  doit  passer 
outre.  —  D'autre  part,  aucun  trait  ne  rappelle  Anastase  de  Sa- 
lone.  —  J'imagine  que  notre  Anastase  est  un  double  légendaire 
d'Anastase  de  Monticelli  ou  d' Anastase  de  Suppentonia  et  qu'il 
a  été  bientôt  absorbé  par  Anastase  le  Perse.  Les  gestes  de  Cons- 
tantius,  version  A,  parlent  d'un  Anastase,  homme  de  Dieu, 
qui  habite  Monticelli  :  c'est  sans  doute  notre  héros  sous  une 
autre  forme.  Anastase,  abbé  de  Suppentonia,  monastère  situé 
près  de  Nepi,  est  connu  par  saint  Grégoire  *  :  c'était  un  ancien 
notaire  de  l'église  romaine  qui  avait  embrassé  la  vie  monas- 
tique, qui  était  très  lié  avec  Nonosus  du  Mont  Socrate  et  qui 
éleva  un  ami  de  saint  Grégoire,  le  moine  Laurion  :  il  était 
mort  avant  593  et  dut  naître  entre  520-530.  Anastase  le  Perse 
est  le  fameux  martyr  mis  à  mort  par  Chosrau  I  le  22  dé- 
cembre 627  ^  et  dont  les  reliques  furent  portées  à  Rome, 
au  monastère  d'Aquas  Salvias,  en  642  :  certains  manuscrits 
des  gestes,  ceux  notamment  qu'a  suivis  Mombritius,  portent 
qu' Anastase  fut  tué  ad  Aquas  Salvias  ^  ;  et  la  Conversion 
d'Anastase,  qui  est  indiquée  par  le  titre  de  la  légende  cy- 
clique, s'explique  par  l'histoire  du  martyr  persan,  non  par 
celle  du  chef  des  XII  Syriens. 

<  Noter  que,  d'après  Grégoire  \Dial.,  m,  15  P.  i.,  77,  256],  Euticius  fait  des 
miracles  sitôt  qu'il  est  mort.  Qui  sait  si  l'Equitius  de  Valérie  [Dial.  i,  4],  n'a 
pas  eu  part  à  la  transformation  du  personnage?  Equitius,  Euticius  :  les 
deux  formes  sont  proches  l'une  de  l'autre. 

2  17  août  458. 

^  Id,  et  Analecta,  xvii,  337-340 

*  Dialog.,  I,  7  et  8  [P.  L.,   77,  181  et  185|. 

"^  22  janvier  429.  Sur  les  circonstances  de  la  conversion  et  du  martyre 
d'Anastase,  cf.  Labourt:  Le  Christianisme  et  l'empire  perse  [Paris,  1904, 
p.  232  sq.]  Cf.  p.  25,  note  3. 

«  Mombritius,  i,  6  [B.  H.  L.,  1622J.  —  M.  R.  P.  [P.  L.,  123,  147-148J  et 
Adon  [P.  L.,  \23,  220]. 


76  TRADITIONS    d'oMRRIE 


m 


Si  telle  est  l'origine  des  traditions  locales,  que  dire  de  la 
mise  en  œuvre?  —  Il  semble  que  le  texte  cyclique  date  de  la 
seconde  moitié  du  vu®  siècle,  et  qu'il  représente  souvent  des 
textes  du  vi®. 

lie  pape  Eugène  qui  mande  Proculus  à  Rome,  et  qui  en  est 
puni,  semble  devoir  être  identifié  avec  le  pape  Eugène  1  [654- 
657].  Le  Liber  Pontificalis^  sans  doute,  atteste  qu'il  fut  aimé 
du  clergé  romain  *.  Mais  nous  savons  d'ailleurs  qu'il  fut  élu 
après  l'enlèvement  de  Martin  T,  avec  le  consentement  des  By- 
zantins ;  évidemment  il  leur  était  favorable  ;  il  paraissait  être 
leur  liomme.  On  devine  quels  sentiments  nourrissait  à  son 
endroit  le  parti  de  la  résistance  ;  dans  l'épisode  que  nous  vi- 
sons n'avons-nous  pas  un  écho  de  ses  antipathies?  —  D'autre 
part,  Anastase  le  Perse  a  été  transporté  à  Rome  en  642  :  cela 
nous  reporte  encore  vers  le  milieu  du  vu®  siècle.  —  J'ajoute 
que  le  terme  consules  appliqué  aux  grands  personnages  en 
général  et  la  datation  par  le  quantième  du  mois  sont  usuels  à 
ce  moment  ^  et  ne  semblent  pas  apparaître  au  vi®  siècle  dans 
les  textes  italiens. 

Voici  enfin  qui  confirme  la  date  proposée  pour  la  rédaction 
cyclique  et  qui  en  explique  l'origine.  Je  rapproche  le  chiffre 
douze  qu'a  voulu  atteindre,  évidemment,  le  rédacteur,  de  la 
théorie  qu'insinuent  nos  gestes  touchant  les  droits  inètropoli- 
tains  de  Spolète  ;  et  je  soupçonne  que  noire  auteur  tenait  à 
reprendre  et  à  corroborer  cette  théorie.  C'est  saint  Pierre  lui- 
même  qui  donne  à  Bricius  le  droit  d'instituer  les  évêques,  et 
Bricius  établit  Jean  dans  la  métropole  de  Spolète.  On  sait  que 
les  Lombards  ont  détruit  l'organisation  ecclésiastique   dans 

L.  P.,  I,  341.  Dau8   la?  correspondance  de    saint  Grégoire,  noua    trouvons 
deux  Eugène  [P.  L.,  77.  996  et  1250]. 

*  L.  P.,  I,  328  :  «  patricii  et  consules  ».  —  Les  gestes  de  saint  Boniface 
datent  par  le  quantième  du  mois.  Consules  se  trouve  dans  Constantiusy  sans 
doute  à  la  suite  d'une  retouche. 


LES    PRÉTENTIONS    MKTROPOLITAINES    DE    SPOLÈTE  77 

tous  les  pays  qu'ils  occupaient  *,que  Spolète  seule  a  gardé  son 
évêché  ^et  que,  au  cours  du  vu"  siècle,  la  conversion  desLoni- 
bards  couronnant  les  efforts  de  Grégoire  le  Grand  et  de  Théo- 
delinde,  l'organisation  ecclésiastique  a  peu  à  peu  reparu  en 
pays  barbare  ^  L'évoque  de  Spolète  avait  été  chargé  de  l'ad- 
ministration des  évêchés  désorganisés  en  qualité  de  visiteur'*  ; 
n'est-il  pas  vraisemblable  que,  dès  ce  moment,  il  a  voulu 
consolider,  et,  plus  tard,  consei'ver  sa  situation  privilégiée  en 
devenant  métropolitain.  Les  Lombards  eux-mêmes  n'étaient- 
ils  pas  intéressés  à  la  chose  ?  On  s'explique  ainsi,  et  qu'on 
nous  montre  l'évèque  de  Spolète  consacrant  l'évêque  de  Pé- 
rouse  —  qui  était  resté  aux  Impériaux,  —  et  que  saint  Pierre 
soit  venu  en  personne  conférer  à  Bricius  le  droit  d'ordonner 
les  cvêques  :  que  pourra  donc  dire  l'évêque  de  Rome?  Le 
chiffre  de  douze  témoigne  qu'on  tend  à  rapprocher  les  XII 
Syriens  des  Apôtres,  à  leur  attribuer  l'évangélisation  du  pays 
et  peut-être  à  les  placer  à  l'époque  du  Christ  :  la  légende  est 
en  route  pour  l'apostolicisation.  On  a  vu  plus  haut  que  Cons- 
tantius  de  Pérouse  est  présenté  comme  un  disciple  des  Douze  ; 
et  l'on  verra  bientôt  que  les  gestes  de  Félicien  tendent  aussi  à 
accroître  les  pouvoirs  de  Tévêché  de  Foligno. 

On  peut  même  indiquer  dans  quel  milieu  a  été  rédigé  le 
texte  cyclique.  Le  pape  Eugène  qu'il  met  en  scène,   et  qui 

1  Duchesne  :  Les  évêchés  d'Italie  et  l'invasion  lombarde  [Mélanges^  xxiu 
(1903),  83,  sq.] 

-  Grégoire:  Epist.,  m,  64;  ix,  15,  37;  xiii.  36.  Sur  les  rapports  des  évêques 
subiirbicaires  avec  le  pape,  cf.  Duchesne  :  Origines  du  culte,  3^  éditioû, 
p.  390,  note  1. 

3  Hartmann,  ii,  1.269. 

*  Grégoire  £'p.,  m,  64  [P.  L.,  11,  661]  :  «  Aîite  hoc  biennium  fraternitati 
tuée  Mevaniensis  ecclesiae  visitationis  deputaveramus  officium...  Hortamur... 
fraternitatem  tuam  ut  si  quidem  talem  potuerit  reperire  personam  quœ  digna 
ad  episcopalis  of6cii  apicem  valeat  promoveri,  hue  eam  cum  solemnitate  de- 
creti  vestrarumque  testimonio  lilterarum  celerius  dirigatis  ».  Grégoire  entend 
retenir  le  droit  de  consacrer  les  évêques  en  pays  lombard.  Nos  gestes  veu- 
lent priver  Rome  de  ce  droit.  Il  y  a  conflit,  c'est  pourquoi  je  fais  remonter 
jusqu'au  temps  de  saint  Grégoire  cette  légende  des  droits  métropolitains  de 
Spolète.  Chrysanthe  étendait  peu  à  peu  sa  juridiction  sur  les  églises  de  terre 
lombarde:  il  créait  les  faits  d'où  sortirait  le  droit. 

Faroald  avait  installé  un  évêque  arien  à  Spolète  ;  un  miracle  l'empêcha  de 
pénétrer  dans  l'église  saint  Pierre  [Dialogi.  m,  29.  —  P.  L.,  11,  285].  Cf. 
aussi  Hartmann,  ii,  1,  43,  47  48|.  —  Une  constitution  de  362  a  été  adressée 
à  Spolète:  là-dessus  Godefroid  conjecture  que  Spolète  est  métropole  civile  k 
la  fin  du  iv^  siècle  [Code  Théodos.,  xiii,  3,  —  éd.  Godefr.  p.  35.  —  Cf.  aussi 
Ammien  Marcellin  xiv,  6.  éd.  Gardthausen,  i,  22].  Je  dois  cette  indication  à 
l'amitié  de  mon  ancien  collègue  M.  Jullian. 


78  TIIADITIONS    d'oMHKIH 

semble  une  réplique  du  pape  Eugène  J  [05i-G57J,  nous  remet 
en  mémoire  ce  pape  Jean,  qui  apparaît  dans  Venant- A f/apet 
et  qui  rappelle  si  curieusement  le  pape  dalmate  Jean  IV  |0iO- 
642].  Les  maîtres  des  soldats  Turgius  et  Leontius  persécutent 
les  chrétiens  d'après  le  texte  cyclique,  tout  comme  J^^uprepius 
et  Leontius,  d'après  Venant- Agapel.  Les  deux  textes  veulent 
raconter  l'origine  des  églises  locales.  On  peut  croire  que  Ve- 
nant-Agapet  a  inspiré  le  rédacteur  de  la  version  cyclique*, 

^  Le  raccord  n'a  pas  été  toujours  adroitement  fait  par  le  r/^dacteur  cy- 
clique :  de  là,  les  deux  papes  Urbain  et  Eugène,  les  deux  empereurs  Dioclé- 
tien  et  Julien,  les  deux  systèmes  de  datation,  quantièmes  et  kalendes  (le 
■voyage  de  Proculus  allaut  de  Narni  à  Rome  par  la  route  d'Ostie  est  assez 
mystérieux);  les  magistrats  de  Spolète  sont  désignés  tour  à  tour,  assez  con- 
fusément, par  les  termes  de  prooonsules  et  de  magistri  militum. 

Après  que  les  traditions  locales  se  sont  fondues  dans  la  rédaction  cyclique 
du  milieu  du  vu®  siècle,  il  est  arrivé  que  les  textes  anciens  où  s'exprimaient 
ces  traditions  ont  été  chassés  et  supplantés  par  elle  ;  puis,  on  a  trouvé  que 
la  légende  cyclique  était  bien  longue,  certaines  âmes  pieuses  ont  voulu  s'in- 
téresser seulement  à  tel  ou  tel  saint  :  aiusi  sout  nés  les  démembremeuts  de  la 
légeode.  C'est  un  texte  de  ce  genre  que  reproduit  Mombritius,  I,  4-6  :  Tem- 
poribus  Juliani  ssevissimi  apostatœ...  [B.  H.  L.,  1622]  ;  réserve  faite  de  cer- 
taines variantes  paléographiques  [Encleta,  pour  Sincleta  ;  Curtius,  pour  Tur- 
gius  ;  3  juillet  pour  23  juillet  ;  Orta,  pour  Ostia],  et  de  certains  traits  qui  con- 
servent mieux  la  physionomie  du  vi^  siècle  [cf.  sjipra],  ce  texte  est  presque 
identique  au  B,  H.  L.,  1620  qui  a  été  analysé  plus  haut  ;  seulement  il  s'arrête 
après  l'ensevelissement  de  Garpophore  et  d'Abuudius,  par  les  soins  d'Eusta- 
chia,  au  lieu  dit  Thanaritanus,  et  supprime  tout  ce  qui  concerne  la  fin  de 
Bricius.  [Ce  texte  est  sans  doute  celui-là  que  reproduisait  le  Codex  Neapoli- 
tanus  de  Beatillo,  l^r  juillet,  tract  prselhn.,  §13|.  Notre  texte  1622  a-t-il  été 
rédigé  directement  sur  le  1620,  ou  est-il  un  fragment  d'un  texte  presque  iden- 
tique à  1620  et  sans  doute  contemporain  de  1620,  je  ne  saurais  le  dire. 

Le  Codex  Parisinus  5323,  du  xiii«  siècle,  conserve  [f.  97"^|  une  version  des 
XII  Syriens  nn  peu  différente  de  celle  qui  a  été  étudiée  ici.  Voir  les  traits  qui 
la  caractérisent  :  1.  Anastase  est  décapité  extra  muros  urbis  ad  locutn  qui 
dicitur  ad  aquas  salvias  miliario  tercio  procul  ab  urbe...^  in  quo  loco  œdi- 
ficata  est  ecclesia  super  corpus  sanctiim  ibique  monasteriiini  viroruni  usque 
(hodie)  Gonstructuin  permanet...  Caput  eius  persévérât  theca  inclusum  ar- 
gentea  ut  venientes  illuc  fidèles  Christi  martyris  conlemplentur  verticem  et 
agonis  eius  pahnam  imitari  festinent: —  2.  Volusianus  est  dit  episcopus  loci 
{Carsulœ)  ;  —  3.  Dioclétien  et  Maximien  sout  poussés  à  la  persécution  par  une 
sedicio  pontificum  et  sacerdotum  deorum  ;  on  la  raconte  directement  [folio 
98^,  11],  on  ne  dit  mot  d'un  decretmn  de  ïurgius  ;  —  4.  On  ne  donne  pas  la 
date  de  l'édit  ;  —  5.  On  ne  précise  pas  la  situation  du  cimetière  de  Pontien  ; 
—  5.  L'histoire  d'Abuudius  et  de  Garpofore  est  close  par  une  doxologie  j)7'<2?5- 
tante  D.  N.  J.  G.  qui  cum  P.  et  Sp.  S.  vivit  et  régnât  cutn  Deo  Pâtre  in 
unitate  Sp.  S.  Deus  per...,  —  6.  On  ne  dit  pas  ouest  arrêté  Bricius;  — 7.  On 
n'écrit  pas  an'>'mœ  paganorum  ;  — 8. Ni  consecravit  eu7n  in  ordine pontificatus 
ut  per  singulas  civitates  episcopos  ordinaret,  mais  constitue  episcopos  per 
civitates  ;  — 9.  L'oratoire  est  consacré  in  honorem  Dni  Salvatoris  et  Mariée...; 
10.  Bricius  cnseigue  à  observer  omnent  ritum  christianitntis,  non  pas  dies 
festos  Dni  ; —  11.  Spolète  n'est  pas  appelée  métropole  ;  —  12.  A  propos  d'Her- 
culanus,  on  cite   expressément   le  livre   III  des     Dialogues  qu'oa  utilise  en 


LES    DOUZE    SYIUENS    ET  LES    TEXTES    PARENTS  79 

et  qu'il  faut  chercher  celui-ci  dans  le  monde  de  l'administra- 
tion pontificale. 


Mais  si  le  texte  cyclique  a  cette  origine,  s'il  date  du  milieu 
du  vil*'  siècle,  on  y  retrouve  des  traditions  du  vi®  qui  ont  gardé 
leur  physionomie.  Les  récits  qui  concernent  Herculanus 
[-1-  547]  et  Isaac  [+  vers  o3o],  Euticius  [-l-vers  535?  jet  Anas- 
tase  [-h  avant  593]  Tattestent  avec  force  ;  et  de  même  les  pas- 
sages, où  Bricius  apparaît  détruisant  les  temples  et  consacrant 
les  sources.  J'insiste  particulièrement  sur  trois  textes  qui  nous 
reportent  au  temps  des  polémiques  catholico-manichéennes  et 
sur  les  points  de  contact  de  notre  légende  avec  trois  légendes 
du  VI®  siècle. 

Lorsqu'il  est  conduit  devant  Julien,  Anastase  confesse  Dieu 
le  Père  tout-puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,...  et  Jé- 
sus-Christ son  fils  unique...,  et  le  Saint-Esprit,  non  in  unius 
singiilaritate  personœ,  sed  in  unius  trinitate  substantiœ .  On 
songe  aux  controverses  provoquées  par  la  question  du  Trisa- 
gion  *,  à  Censurinus  et  à  Anlhime. 

effet  [f.  OQ""  99'  :  «  cornes  venerabilem  viram  H.  ep.  super  urbis  muros  deduc- 
tum  capite  truncauit  eiusque  cutem  iam  mortui  a  uertice  usque  ad  calca- 
ueuin  iaoidit]  ;  —  13.  On  ajoute  le  récit  d'une  translation  d'Abundius,  au 
temps  de  Louis  et  de  Lotbaire.  —  Ce  texte  est  unremaaieraent  qui  supprime 
les  traita  caractéristiques  de  nos  gestes  {Spolète  métropole]  ou  les  émousse 
[droit  de  consacrer  les  évê  |uesj  ;  peut-êlre  a-t-il  été  opéré  sur  une  version 
plus  procbe  de  Sabinus  [cf.  la  sedicio  des  pontifes  des  idoles]  que  celle  dont 
nous  nous  sommes  servi  ;  il  date  certainement  du  temps  où  le  monastère 
des  Aquœ  Salvix  était  très  important.  Telle  est  aussi,  sans  doute,  sa  patrie. 

La  légende  des  Douze  Syriens  semble  avoir  influencé  les  gestes  de  Félicien 
de  Foligno  et  de  Victorin  d'Assise  [cf.  infra],  ainsi  que  l'histoire  de  Maurus 
et  (Je  ses  compagnons  [16  juin  95|  :  celle-ci  paraît  être  toute  moderne.  Maurus, 
origiuaire  de  Césarée  de  Syrie,  abandonne  sa  femme  Euphrosyne  et  vient  en 
Italie  chercher  le  martyre  avec  Félix  son  fils,  Christophe  et  d'autres  compa- 
gnons. De  Rome,  où  ils  fréquentent  les  églises,  ils  se  dispersent  en  Italie  : 
Maurus,  Laurent,  Jean  et  Isaac  arrivent  à  Spolète  ;  Maurus  et  Félix  s'éta- 
blissent dans  la  vallée  du  Naris  et  vivent  dans  le  jeûne  et  la  prière.  IVIaurus 
tue  un  dragon  de  90  pieds,  Félix  ressuscite  un  enfaut  ;  puis  il  meurt,  ainsi 
que  sa  nourrice,  après  avoir  été  averti  par  un  auge  et  avoir  reçu  de  son  père 
les  sacramenta  ecclesix.  [Cf.  Nérée  et  Lucie].  Il  est  enseveli  près  de  Nar  ;  on 
y  voit  un  temple  ancien  avec  des  sculptures  de  marbre  qui  représentent  sa 
vie.  —  Ferrarius  connaît  cette  légende.  Pierre  Damien  parle  d'un  mystérieux 
Maurus  de  Césène  [P.  Z,.,  144,945],  qui  est  vénéré  le  20  janvier. 

^  Ce  passage  n'a  été  conservé  que  dans  le  texte  de  Mombritius,  B.  II. 'L., 
1622,  sur  lequel  cf.  infra  p.  78,  u.  Ce  texte  accentue  beaucoup  plus  vivement 
la  fuite  de  Bricius,  thnore  perterritus^  cherchant  locun%.,in  quo  apersecuto- 
ribus...(pos5it)  salvus  commorari. 


80  TRADITIONS    d'oMI'JUE 

Les  conn[)agnons  d'Anastase  se  dispersent  après  son  martyre 
et  fuient  la  persécution  ;  Bricius  se  cache  et  échappe  aux 
ministri  qui  arrôtont  Abundius  ot  Carpophorc.  Ces  traits  nous 
rappellent  tous  ceux  que  nous  avons  notés  déjà. 

Et  le  soin  que  met  Bricius  à  instruire  le  peuple  qu'il  doit 
observer  le  dimanche  fait  songer  à  cette  lettre  tombée  du  ciel 
dont  la  plus  ancienne  attestation  remonte  précisément  au 
VI®  siècle  '  et  qui  s'intéresse  à  l'observation  du  dimanche. 

Il  a  dùy  avoir  au  vi®  siècle  des  gestes  d'Abundius,  Bricius  et 
Carpophore  proches  parents,  peut-être,  de  Vitus  B  et  de  6V- 
cile,  etc..  :  ici  et  là^  les  anges  jouent  un  grand  rôle  et  les 
âmes  qui  s'envolent  ont  la  forme  des  colombes  ;  le  locus  tha- 
naritanus  où  sont  ensevelis  Abundius  et  Carpophore  rappelle 
le  tanagritanum  territorium  où  aborde  Vitus. 

Les  gestes  des  Xll  Syriens  sont  apparentés  aux  gestes  d'An- 
thime,  aux  gestes  de  Constantius  et  aux  gestes  d'Alexandre 
de  Baccano,  qui,  du  reste,  on  l'a  vu,  présentent  de  communs 
caractères  "  et  semblent  sortir  d'un  môme  groupe  de  rédac- 
teurs. Mais  d'abord  je  note  que  l'expression  animae  pagano- 
rum...  occisse  semble  avoir  été  suggérée  par  l'expression  ana- 
logue septuaginta  et  très  animœ  curatae  sunt  :  on  la  trouve 
dans  les  récits  de  l'invention  d'Etienne  protomartyr,  en  415  ', 
et  dans  les  gestes  de  Sébastien. 

Voici  les  points  de  contact  des  gestes  des  Xll  Syriens 
et  des  gestes  d'Anthime  :  1.  Légende  cyclique  de  structure 
tout  à  fait  analogue  ;  2.  Fuite  devant  la  persécution  ;  3.  Lutte 
contre  le  paganisme  ;  4.  Punition  des  persécuteurs  ;  5.  Utilisa- 
tion des  gestes  romains  *;  6.  Introduction  inattendue  de  la 
voie  d'Ostie  (Orta?)  ;  7.  Liens  invisibles  arrêtant  ici  un  for- 
cené, là  une  biche  ;  8.  Rôle  des  anges  ;  9.  Traditions  de  l'Ita- 
lie centrale. 

Voici  les  points  de  contact  des  gestes  des  XII  Syriens  et  des 
gestes  de  Constantius  ^  :  1.  Région  Pérouse-Spolète  ;  2.  Pres- 


*  Licinianus  de  Garthagèoe  à  Vincent  [P.  L.,  72,  699].  —  Delehaye  :  Note 
sur  la  légende  de  la  lettre  du  Christ  tombée  du  Ciel  [Bulletin  de  l'Académie 
royale  de  Belgique.  Classe  des   lettres...   1899,  d.  2,  p.  171-213], 

2  Cf.  supra,  p.  42. 

3  P.  L.,  41,815,  8. 

*  Le  Leontius  de  nos  gestes  qui  est  tué  par  un  ours  rappelle  de  très  près 
le  Léontius  des  gestes  de  Césaire  et  de  Valentin.  L'intervention  de  l'ours  est 
toute  naturelle  en  pays  montagneux.  Cf.  supra  l'histoire  de  Florentius. 

•s  Les  gestes   de   Constantius   ont  sans  doute   été    l'objet  de    remaniements 


LES    DOUZE    SYRIENS    ET    LES    TEXTES    PARENTS  81 

tige  du  nombre  apostolique  douze  ;  3.  Guérison  d'aveugles 
(Astasia  ;  Pisentius)  ;  4.  Emploi  du  mol  co)isules  pour  désigner 
les  grands  ;  5.  Arrestation  des  chrétiens  dans  la  maison  d'un 
des  leurs  ;  6.  Fuite  devant  la  persécution  ;  7.  Un  saint  per- 
sonnage nommé  Anastase  ;  8.  Mention  deFoligno;  9.  Quel- 
ques textes  rapportent  que  Constantius  a  été  tué  au  temps 
des  Goths*. 

Voici  les  points  de  contact  des  gestes  des  XII  Syriens  et 
des  gestes  d'Alexandre  de  Baccano  :  1.  Emploi  du  mot  appli- 
cave  :  2.  Rôle  des  ministri  ;  3.  Souci  de  christianiser  le  peuplé 
(nécessité  du  baptême  ;  observation  du  dimanche)  ;  4.  Men- 
tion d'un  saint  personnage  Herculanus  ;  5.  Intérêt  porté  à 
l'histoire  apostolique  ;  6.  Citation  d'un  document  (ici  une  ins- 
cription, là  un  édit);  7.  Rôle  des  anges;  8.  Edifice  qui  s'é- 
croule (ici  temple,  là  palais);  9.  Fuite  devant  la  persécution; 
10.  Intérêt  porté  aux  Gesta  Martyrum\  11.  Mention  d'un  lac 
(ici  Bolsène  ;  là,  lac  où  est  jeté  Herculanus). 

Les  traditions  de  Spolète  ont  donc  pris  forme  au  cours  du 
vi«  siècle,  dans  les  mêmes  milieux  peut-être  où  l'on  rédigeait 
les  gestes  de  Constantius  et  à'Antfiime,  à' Alexandre  de  Bac- 
cano et  de  Valentin  de  Terni  ^.  —  Les  gestes  de  Laurent  et 
les  gestes  de  Jean  Penariensis,  nous  permettent  de  juger  de 
Tétat  de  ces  textes  avant  qu'ils  eussent  été  remaniés  au  vu"  siè- 
cle et  insérés  dans  la  légende  cyclique  qui  date  de  ce  temps. 


IV 


11  faut  rapprocher  de  la  légende  des  douze  Syriens  les 
gestes  de  Félicien  de  Foligno  et  ceux  de  Ju vénal  de  Narni  :  ils 
tendent  à  insinuer  que  les  évêques  de  Foligno  (ou  de  Forum 

parallèles  à  ceux  des  xii  Syriens.   —  Le  cimelière  de   Pontien  est  celui  sans 
doute  du  héros  des  Gesla   Pontiani. 

*  [29  janvier  924,  §  2]  comme  Herculanus. 

*  Noter  encore  quelques  points  de  contact  entre  les  gestes  des  XII  Syriens 
et  les  {gestes  de  Valentin  de  Terracine-Corfinium. 

Sur  Vincent  de  Bevagna  [p.  68],  cf.  infra  p.  112. 

m  6 


82  TRADITIONS    D^OMimiE 

Flaminiense)  (»t  de  Narni  peuvent  avoir  droit  à  la  dignité  que 
revendique  l'évèque  de  Spolète. 

Gestes  de       fuUicien,   ïiè  (Turœ  famille  ïMjhle  de  Forum  Flaminiense  y 

Félicien  de       ,  t  ,  -,,  i         r» 

FoligQo»    est  remarquable  par  sa  sagesse.  Il  se  rend  a  Home  pour  étu- 
dier les  lettres^  il  sert  Dieu  dans  les  églises  et  les  monastères, 
et  voici  quil  attire  l'attention  de  l'évèque  EleutJtère,   lequel 
ordonne  à  son  archidiacre   Victor  de  le  recevoir  parmi  ses 
scholares.  Comme  il  n'y  apas  d'èvèque  dans  la  Tuscie  et  le 
Picenumy   qui   sont  encore  païens^  ses   concitoyens    devenus 
clercs  le  nomment  évêque  et  il  est  ordonné  par  Victor,  qui  a 
remplacé  Eleuthhre.  Il  évangélise  avec  succès  sa  patrie,  puis 
Foligno^  Spello^  ou  V on  adorait  Vesta  et  Mercure,  Bevagnïa, 
Plesteas,  Nuceria,  la  montagne,  Nursie,  ou  le  Judaïsme  était 
vivant  et  où  il  ordonne  prêtre  Pisentius,  dans  la  basilique 
Argentea;  il  prêche  aussi  dans  la  banlieue  et  visite  souvent 
Trevi.  Seules  lui  résistent  Assise  (Adsentina),  où  l'on  adore 
Jupiter  Capitolin,  Pérouse  qui  adore  Mars,  Spolète  où  le  culte 
de  Diane  est  vivant.  Félicien  reçoit  alors  de  Victor  le  privi- 
lège de  porter  autour  du  cou  le  palliuni  (?  ut  extrinsecus  lineo 
sudario  circunidaretur  collum  eius),  et,  avec  la  permission  de 
Victor,  il  ordonne  évèque  le  diacre  de  Terni,  Valentin,  ainsi 
que  des  prêtres.  Bientôt  on  célèbre  le  millième  anniversaire 
de  la  fondation  de  Rome.  Gordien  est  tué  par  Philippe  ;  Dèce, 
homme  de  Satan,  fait  venir  de  Perse  Abdon  et  Sennen  et  ar- 
vête  Félicien  dans  \di  basilique  palatine,  à  Forum  flaminii,  à 
cent  milles  de  Rome:  il  est  le  premier  de  tous  dans  la  pro- 
vince,  de  Rome  aux  Alpes  ;  il  n'est  aucun  évêque  qui  passe 
avant  lui.  Enfermé  avec  Abdon  et  Sennen,  puis  arraché  à 
leur  prison,  visité  par  la  vierge  Messaline,  il  est  conduit  à 
Rome  ety  après  que  ses  miracles  ont  émerveillé  la  foule,  il  est 
décapité  à  Monte  Rotondo,  à  94  ans,  dans  la  56^  année  de  son 
épiscopat.  On  vient  de  partout  se  faire  ensevelir  pi^ès  de  lui, 
à  Foligno,  au-dessus  du  pont  de  César,  où  il  a  été  enterré  le 
9  des  kalendes  de  février  et  où  se  multiplient  ses  bienfaits 
jusqu'à  aujourd'hui. 

L'auteur  semble  connaître  le  Liber  Pontificalis,  les  gestes  de 
Valentin  de  Terni, <  de  Pontius  de  Cimiez,  d' Abdon  et  Sennen, 

1  B.  H.  L.,  2846  [24  janvier  582]. 


FELICIEN    DE   FOLIGNO 


83 


il  rappelle  le  rédacteur  de  Terentianus  de  Todi  par  la  précision 
de  sa  chronologie:  Félicien,  mort  en  250,  serait  né  en  156,  et 
aurait  été  sacré  évèque  en  19 i,  par  Victor. 

Les  gestes  veulent  faire  croire,  le  fait  est  certain,  que  Vévêque 
de  Forum  Flaminii  a  des  droits  métropolitains  sur  le  Pice- 
num  et  sur  la  Tuscie,  parce  que  c'est  lui  qui  a  évangélisé 
toutes  ces  églises  et  parce  qu'il  a  reçu  le  pallium  du  pape 
Victor.  J'attire  l'attention  sur  ce  dernier  fait.  Un  texte  cu- 
rieux nous  apprend  l'importance  qu'on  attachait  aux  distinc- 
tions de  ce  genre.  C'est  une  lettre  par  laquelle  saint  Grégoire 
se  rend,  malgré  ses  mensonges,  aux  instances  de  l'évêque  de 
Ravenne  et  lui  accorde,  pour  quatre  jours  par  an,  le  droit  de 
porter  le  pallium  ^  Aucune  restriction  de  ce  genre  n'est  ap- 
portée au  privilège  que  Victor  confère  à  Félicien.  Félicien 
reçoit  encore  du  pape  le  droit  d'ordonner  uq  évoque  -. 
C'est-à-dire  que,  en  fait_,  il  est  élevé  à  la  dignité  métropoli- 
taine. Et  c'est-à-dire,  encore,  que  les  gestes  de  Félicien  s^op~ 
posent  aux  gestes  d'Ahundius  ;  les  deux  légendes  se  contredi- 
sent :  Forum  Flaminii'  se  dresse  contre  Spolète,  dont  notre 
auteur  souligne  l'attachement  persistant  au  paganisme. 

1  Ep.,  V,  Il  [P.  I.,  77,  732-733].  «  Grejçorius  Joanni  episcopo  ravenoati.  Fra- 
terDÏtatem  uestram  ualde  inuenio  coQtristatam  pro  eo  quod  in  litaniis  induere 
pallium  rationis  censura  prohibetur.  Sed  per  excellentissimum  patricium  et 
per  emioentissimum  praefectum  atque  per  alios  civitatis  suae  nobiles  uiros  im- 
portuue  expetit  ut  hoc  debeat  concedi.  Nos  autem  sollicite  requirentes  ab 
Adeodato  diacono  quondam  fraternitatis  tuse,  cognouimus  quia  numquam 
consuetudo  fuerit  decessoribus  tuis  ut  in  litaniis  pallio  nisi  in  sollemnitate 
beati  Joannis  Baplistae,  beatri  Pétri  apostoli,  et  beati  martyris  Apollinaris 
uterentur.  Cui  quidem  nequaquam  credere  debuimiis,  quia  raulti  apud  civi- 
tatem  fraternitatis  vestrse  responsales  saepius  fuerunt  qui  se  fatentur  taie  ali- 
quid  numquam  uidisse.  Et  de  bac  re  multis  potius  credendum  est  quam  uni 
pro  sua  ecclesia  aliquid  atlestanti.  Sed  quia  nos  fraternitatem  uestram  con- 
tristari  nolumus  et  petitionem  filiorura  nostrorum  apud  nos  minime  frustrari, 
usum  pallii  donec  subtilius  aliquid  cognoscamus  in  litaniis  sollemnibus  id  est 
die  natalitio  beati  Joannis  Baptistae,  beati  Pétri  apostoli  et  beati  Apollinaris 
martyris  atque  in  ordinationis  uestrfB  celebratione  concedimus.  In  secretario 
uero  secundum  morem  pristinum,  susceptis  ac  dimissis  ecclesifE  filiis,  induere 
uestra  fraternitas  pallium  debeat,  ad  missarum  solemnia  ita  proficisci  et 
nihil  sibi  amplius  ausu  temerarise  praesumptionis  arrogare,  nedum  si  in  exte- 
rior  habitu  inordinate  aliquid  arripitur,  ordinate  etiam  quae  licere  poterant 
amittantur.  Data  mense  octobri,  indictione  xiu.  [Cf.  Ep.^  i,  19  et  v,  56.  —  et 
Jean  Diacre,  iv,  3]. 

'^  Cf.  la  lettre  64  du  livre  IIÏ  [P.  L.,  77-661J, citée  p.  77,n.  4.  Il  est  clair  que  cer- 
tains évêques  tendaient  à  profiter  du  désordre  produit  par  l'invasion  lombarde 
pour  s'arroger  des  privilèges  auxquels  ils  n'avaient  aucun  droit.  On  s'explique 
très  bien,  dans  ces  circonstances,  la  tentative  de  Spolète.  Elle  était,  jusqu'à 
ce  jour,  absolument  inconnue. 

'  Forum  Flaminii  et  Foligno   sont  attestés  tous  deux,  comme  évêchés  dis- 


81  TRADITIONS  d'omijuif-: 

Mais  qui  dira  la  date  du  texte?  Kaiit-il  rabaisser  jusqu'à 
l'époque  lornl)an]e,  vu/'  ou  vin"  siècle,  aliu  (Vitn  faire  Je  eou- 
tempoiaiu  de  la  tradition  qui  soutient  Spolète  ?  Faut-il  la 
faire  remonter  jusqu'au  milieu  du  vi"  siècle  afin  de  rendre 
compte  plus  aisément  du  rapport  qu'il  soutient  avec  Teren» 
iianus  et  Valentin  et  Abdon  et  Sennen.  .l'opte  pour  la 
première  hypothèse  :  il  me  parait  difficile  d'admettre  que  les 
deux  textes,  que  les  deux  théories  no  se  combattent  pas, 
et  donc  ne  soient  pas  à  peu  près  contemporaines.  J'ajoute 
même  que  les  gestes  de  Félicien  ont  peut-êlre  précédé  le  texte 
cyclique  d'Abundius  Carpoforus  :  c'est  afin  de  répondre  au 
privilège  du  pape  Victor  dont  parlent  ceux-là  que  le  rédacteur 
de  celui-ci  aura  dérangé  saint  Pierre  V 

tincts,  au  concile  roraaia'de  680  [Hartmann,  ii,  1,  269],  — Forum  Flaminii,  au- 
jourd'hui S.  Giovan  in  Fiamina,  est  situé  sur  la  voie  Flaminienne  entre  Fo- 
ligno  et  Nocera  [Dieiil.  68]. 

1  Le  Pisentius  ordonné  prêtre  par  Félicien  à  Nursie  est  sans  doute  iden- 
tique à  l'aveugle  Pisentius  rencontré  et  guéri  par  Bricius  :  cf.  supra,  p.  67. 

On  connaît  deux  autres  versions  de  Félicien.  La  première  jB.  H.  L.,  2847. 
—  Analecta,  ix.  381j  est  un  curieux  remaniement  des  gestes  ;  elle  commence 
ainsi  :  Igitur  Felicianus  Foris  Fluminise ,  civitatis  Umbrise  provincia;,  oriendus 
fuit,  scilicet  tempore  Gordiœni  [Codex  Ambrosianus,  F.  S.,  i,  3,  du  xiv®  siècle]. 
On  y  introduit  un  comes  Gaudianus  (issu  peut-être  d'une  dittographie  de  Gor- 
dianus),  on  y  omet  ce  qui  toucrie  à  la  question  métropolitaine,  on  donne 
pour  frère  à  Valentin  de  Terni  ,1e  martyr  Habundius  [le  même,  sans  doute, 
qui  apparaît  dans  les  gestes  des  XII  Syriens];  on  sait  que  Pérouse  a  été  dé- 
truite par  Octavien  Auguste  pour  avoir  défendu  Antoine  et  reconstruite  par 
le  même  césar.  Félicien  prêche  à  Gubbio  et  Nocera  ;  puis  il  passe  l'Apen- 
nin, évangélise  le  Picenum,  Gittà  di  Penna,  Ascoli,  Fermo,  Osimo,  Ancône  et 
Senegallia  qui  sont  dans  la  Pentapole.  Mais  Dèce  succède  à  Philippe  et  écrase 
les  Perses  à  la  bataille  du  mont  des  Mèdes  ;  puis  la  persécution  se  déchaîoe, 
Polycronius  de  Babylone  est  martyrisé,  les  chrétiens  se  cachent  dans  les  ca- 
vernes comme  les  sept  Dormants  d'Ephèse.  Dèce  revient  à  Rome  avec  Abdon 
et  Sennen,  que  Félicien  visite  et  réconforte  à  leur  passage:  il  est  saisi  et  mis 
à  mort.  —  Peut-être  la  date  de  ce  texte  est-elle  celle  du  manuscrit  qui  nous  l'a 
conservé-.  (La  bataille  du  mont  des  Mèdes  est  empruntée  aux  gestes  de  Polo- 
cronius  de  Babylone.  Cf.  Cod.  Parisinus,  5312,  152^]. 

La  seconde  version  [B.  H.  L.,  2849J.  —  Bodemann  :  Zeitschrift,  f.  K.  G., 
XII  (1891),  78-81,  se  lit  dans  un  missel  de  la  Bibliothèque  de  Hanovre  [i,  101, 
—  in-4,  —  xiv^  s.]  et  débute  par  les  mots  Tempore  quo  Gordianiis  csesar  im- 
perii  romani  arcem  tenebat.  Le  thème  et  les  détails  sont  les  mêmes  que  dans 
le  texte  analysé.  Je  note  :  1.  Des  périphrases  visant  à  l'élégance  [loca  sacra 
divino  cultui  mancipaia,  §  1  ;  csesar  de partibus  Eoys.  §2]  ;  2.  Un  contre  sens  : 
Spello  devient  un  homme,  Spetius  |§  3]  ;  3.  Félicien  meurt  le  XIII  des  Kalendes 
de  novembre,  mil.  III  a  civitate  Egubio  quae  appellatur  Julia.  —  Ce  rema- 
niement a  été,  j'imagine,  écrit  à  Metz  après  la  translation  du  corps  à  Saint- 
Vincent  de  Metz,  au  temps  de  l'évêque  Théodoric  et  d'Ottou,  en  969  [24  jan- 
vier 589  ou  203,  §  3J.  Le  détail  touchant  Gubbio  atteste  peut-êlre  que  la  lé- 
gende y  avait  été  transportée  telle  quelle  :  noter  que  Gubbio  est  le  point 
d'attache  de  Secundus. 


I 


JUVÉNAL   DE   NARNI  85 

De  ces  mêmes  intrigues  je  trouve  encore  une  trace  dans  une 
autre  légende  ;  elle  est  évidemment  parente  de  Félicien  de 
Foligno,  et  de  Valentin  de  Terni  ;  c'est  Juvénal  de  Narni  que 
je  veux  dire. 

'^^       Conformément  aux  prophéties.  Dieu  séparait  les  siens  des 
1    pécheurs.  Rome  maîtresse  des  nations  [domina  gentium^  prin- 
ceps  provinciarum]  est  confiée  à  Pierre  et  à  Paul',  Jésus  leur 
donne  aussi  à  évangéliser  la  Tuscie  et  la   Campanie  ;   c'est 
donc  à  Rome  que  se  fait  sacrer  l'évêque  Juvénal  y  lorsqu'il  a  été 
élu  par   le  peuple.  Le  Sauveur  a  réparti  la  terre  entre  les 
siens  :  Jean-Baptiste    est    à    Sébaste  ;  à  Jérusalem    les    deux 
Jacques,  Mathias  et  Etienne  ;  A?idré  à  Pairas,  Jean  à  Ephcse. 
Narni    seule,     l'ancienjie    Nequina,    restait     profondément 
païenne,  bien  que  Terentianus,  et  Félicien  et  Valentin  V eussent 
visitée.  IJ Africain  Juvénal  est  plus  heureux  :c  est  un  mé- 
decin. Devenu  èvéque,  il  consacre  un  oratoire  à  saint  Valentin, 
Il  est  soutenu  par  de  grands  personnages^  des  Anicii  et  des 
membres  de  la  famille  impériale,  tels  que  Philadelphia.  Il 
déjoue  la  ruse  d'un  prèlre  païen,  qui  îneurt  subitement ^  et 
baptise  2.000  Narnioles  à  Pâques^  parmi  lesquelles  la  noble 
Venantia.  On  montre  encore  le  lit  ou  il  couchait  dans  la  tour, 
le  calice  où  se  multipliaient  les  espèces  (sancta  libamina),  les 
ampoules  où  est  recueillie  Veau  que  son  tombeau  distille.  Il 
est  mort  tranquillement  après  7  années  d'épiscopat,  et  a  été 
enseveli  à  la  Porte  Supérieure,  sur   la   Voie  Ilaminia,  au 
5ô"  mille  de  Rome,  le  7  des  ides  d'aoïU:  on  célèbre  pourtant 
sa  fête  le  5  des  nones  de  mai,  jour  où  Judas   Cyriaque  a 
trouvé  la  Croix  du  Seigneur.  Il  a  sauvé  un  navire  en  danger 
de   se  perdre  ;  les  passagers   reconnaissants  lui  ont   fait  de 
telles  offrandes  quon  a  pu  bâtir  une  superbe  basilique,  au 
temps  de  l'évêque  Alaxime,  sur  l'ordre  duquel  ces  gestes  ont 
été  écrits  ^. 

1  B.  H.  L..  4614  [3  mai  387] . 

-  Dans  les  gestes  se  présentent  deux  digressions  fort  curieuses.  Antiqiiam 
gestam  enarremus  occasionemque  perditionis  prxdictss  urbis  nosse  cupientibus 
non  negemus.  Narui  ayant  refusé  d'aider  Auguste  dans  la  guerre  perse  fut  par 
lui  donuée  aux  Carpes  qni  la  détruisirent;  mais,  à  son  retour,  il  en  eut  pitié, 
et  la  fit  restaurer  et  y  construisit  un  pont  superbe  où  étaient  gravés  ces 
mots:  Cxsar  augustus  de  ma  m...  nnrniens  is  pntronus  •,i\  y  édi&n.  aussi  un  aque- 
duc dont  il  faut  taire  en  ce  moment  la  hauteur,  et  les  détours,  et  les  tuunels. 
—  ...Delectat  et  hoo  miracuiam  reserare  :  quarante  ans  après  la  ruine  de  la 
ville,  les  Carpes  et  les  Ligures  dévastent  le  pays,  pénètrent  dans  la  vallée  Tyria 


Sn  TRADITIONS    d'oMBHIE 

Tl  est  certain  qu'il  s'agit  ici  du  saint  de  Narni  que  le  ffîrial 
hiéronymicn  mentionne  au  V  des  nones  de  mai  \  et  dont  le 
monastère  de  Horla  fonde  par  Bélisaire  ',  et  les  Dialogues 
de  saint  Grégoire  '\  attestent  la  popularité  au  cours  du 
VI®  siècle.  Noter  qu'on  n'en  fait  pas  un  martyr. 

Il  est  certain  que  le  rédacteur  était  assez  instruit  ;  il  dispo- 
sait de  documents  écrits,  une  version  peut-être  perdue  du  Liber 
Poniifîcalis,  l'Invention  de  la  Croix,  saint.lérôme  (  Vila  Paului), 
d'autres  textes  inconnus  où  il  s'est  documenté  sur  l'histoire  de 
Narni,  les  gestes  de  Terenlianus,  de  Valentin,  d'Alexandre  de 
Baccano  et,  peut-être,  de  Félicien. 

Il  est  donc  probable  qu'il  écrivait  au  temps  de  saint  Gré- 
goire le  Grand,  à  la  fin  du  vi°  ou  au  début  du  vii^  siècle.  La 
popularité  du  saint  à  ce  moment  est  établie  par  les  textes  cités 
plus  haut;  la  mention  des  Anicii,  et  d'une  Venantia,  les  trois 
allusions  aux  reliques  de  Juvénal  (lit,  calice,  ampoules  d'eau 
miraculeuse)  s'expliquent  aisément  dans  l'hypothèse  ;  et  je  re- 
marque que,  en  598^  il  y  a  eu,  à  Narni,  un  mouvement  catho- 
lique notable  :  sur  l'ordre  de  saint  Grégoire,  l'évêque  de  Narni 
Prœjectus  profita  d'une  épidémie  pour  convertir  païens  et 
ariens  \  Ne  serait-ce  pas  à  cette  occasion  que  notre  texte  fut 
rédigé  ? 

Il  est  très  probable  aussi  que  le  rédacteur  voulait  assurer  à 
l'évêque  de  Narni  un  rang  privilégié  parmi  les  évèques  du 
pays.  Contre  Spolète,  Narni  s'appuie  sur  Rome  aussi  bien  que 
Foligno.  Juvènal  est  parent  de  Félicien  ^ 

suspecta  qui  sépare  Narui  de  Terni,  prenaent  Terni  et  assiègent  Narni  :  il  y 
avait  cinq  ans  que  Juvénal  était  évêque.  On  était  au  mois  quintilis^  qu'on  ap- 
pelle maintenant  juillet.  On  chante  (en  procession)  autour  des  murs:  Fiat 
Domine  via  illorum  tenehrx...  [Ps.  34,  6],  tandis  que  Juvénal  se  met  en 
prières  :  aussitôt  le  tonnerre  gronde,  le  Très  Haut  lance  ses  flèches,  malgré  la 
sécheresse  les  sources  vomissent  des  torrents  d'eau,  et  3.000  ennemis  sont 
noyés  près  du  temple  d'Hercule.  —  L'auteur,  qui  semble  faire  un  sermon  [§6, 
illud,  fratres  Karissimi,  non  prsstermiUamus]  s'intéresse  aux  problèmes 
étymologiques  [§  2,  Nequina...  a  nequitia  duxit  nomen]  [Naris,  qui  de  7iaribus 
sculpti  quasi  lituli  lapidei  egreditur]  et  connaît  sa  mythologie  aussi  bien  que 
son  histoire:  §  3,  le  prêtre  païen  appelle  au  secours  le  vengeur  de  Briarée 
[même  §,  mention  d'un  temple  Libéri  Patris],  —  Les  Carpes  sont  ce  peuple 
batailleur  dont  Lactance  [demorie  pers.  9]  et  les  Oracles  Sibyllins  [XIH,  141, 
RzachJ  attestent  la  popularité.  Cf.  Pauly-Wissowa  :  R.  E. 

1  Rossi-Duchesne,  p.  5S.  Le  texte  est  douteux.  E  n'a  pas  Juvénal. 

2  L.  P.,  I,  296,  308. 

•^  Dialogi,  iv,  12  [P.  L.,  77,  340J. 

4  EpistoLv,  11,  2  [P.  L.,  77,  539j. 

^    Ri«n  ne  rappelle  l'histoire  de  Cassius.  Dialogi,  m,  6  [P.  L.,  77,  22S].  Sur 
07istantius  B,  cf.  supra  p.  44.  cote  4. 


CHAPITRE  IV 


TRADITIONS  D'OMBRIE, 
LES  SAINTS  SABIN,  GRÉGOIRE,  FÉLIX,PONTIEN  ET  VINCENT,  VICTORIN, 

AEMILIANUS. 


L'ample  légende  des  douze  Syriens  n'a  pas  absorbé  toutes 
les  traditions  d'Ombrie^  ni  même  de  Spolète.  Les  gestes  de 
Sabin,  de  Pontien  et  de  Grégoire,  de  Victorin,  de  Félix  et 
dM^milianus  l'attestent  avec  évidence. 


^^       Celait  le  15  des  kalendes  de  mai  ;  Maximien  Auguste  bat- 
î  et  tait  les  Bleus  dans  le  Circus  Maximus,  à  la  sixième  course. 
'^     Et  la  plus  grande  partie  du  peuple  criait  :  «  A  bas  les  chré- 
tiens^ vive   la  volupté/  Par  la  tête  d'Auguste,  qu'il  n'y  ait 

*  B.  H.  L.,  7451-7453.  —  Baluze  :  Miscellanea,  ii  [Paris,  1679],  p.  47.  —  J'ap- 
pelle ce  texte,  le  texte  A. 

Je  tiens  à  signaler  ici  l'étude  que  M.  Lanzoni  a  publiée  en  1903,  dans  la 
Rômische  Quartalschrift  [p.  1],  [sous  le  titre  de  La  passio  s.  Sabini  o  Savini. 
M.  Lauzoni  y  a  appliqué  avec  beaucoup  d'exactitude  et  d'intelligence  la 
méthode  dont  j'ai  voulu  donner  un  exemple  dans  le  premier  volume  de  cet 
ouvrage  [cf.  Lejay  :  R.  H.  L.,  U.,  vin  (1903),  597]. 


88  TRADITIONS    d'uMUFUE 

plua  de  chrétiens.  »  El,  douze  fois  il  répéta  ce  cri.  Lorsque 
parut  le  préfet  de  la  ville  Ilermogenianus,  le  peuple  cria  dix 
fois  encore:  «  Toujours  pareille  victoire  à  toi,  Au  (jus  te  !  De- 
mande au  pré /et  ce  que  nous  avons  crie.  »  A  la  même  époque, 
Maximien  Auguste  convoque  le  peuple  au  Capitole  pour  le  10 
des  kalendes  de  mai  :  «  Citoyens^  dit-il,  conformément  à  vos 
demandes,  il  nous  paraît  bon  de  fortifier  notre  religion.  Pères 
Conscrits,  je  permets  que,  partout  où  vous  trouverez  des  chré- 
tiens, vous  les  fassiez  arrêter  par  le  préfet  de  la  ville  ou  par 
ses  officiers  et  que  vous  les  fassiez  sacrifier.  »  Et  la  foule  ré- 
pond :  «  Victoire  à  toi,  Auguste  ;  à  toi  le  bonheur  des  dieux  !  » 
Quelqu'un  vient  alors  annoncer  à  Hermogenianus  quil  y  a 
un  évêque  qui,   chaque  jour,    organise  de  petites  réuiiions 
chrétiennes  et  y  explique  les  livres.  Il  en  rend  compte  à  Maxi- 
mien  lequel,  tout  heureux,  envoie  Vèdit  %  daté  de  la  veille  des 
kalendes  de  mai,  à  Venustianus,  Augustalis  Tusciee.    Venus- 
tianus  cherche,  et  trouve  V évêque  Sabinus,  homme  fort  élo- 
quent et  célèbre  par  son  langage  châtié.  Il  l'arrête  à  Assise, 
en  même  temps  que  deux  diacres,  Marcel  et  Exsuper antius,  et 
beaucoup  de  clercs.  —  Le  lendemain  de  l'arrivée  de  Sisinnius, 
Venustia7ius   fait  dresser  son  tribunal  au  >rnlieu  du  forum. 
Sabinus  comparaît  avec  les  deux  diacres  :  «  Je  m'appelle  Sa- 
binus,  dit-il,   rempli  de  la  grâce  de  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  ».  Comme  Venustianus ,  vir  clarissimus,   lui  demande 
s'il  est  libre  ou  esclave,  «  je  suis  esclave  du  Christ,  répond-il, 
mais  libre  de  la  servitude  de  Satan...  Je  suis  évêque,  et  ce  sont 
mes  diacres.    »  —  «  De  deux  choses  choisis  l'une  :  sacrifie, 
ou  meurs...  ;  et,  comme  ton  Dieu,  libre  à  toi  de  ressusciter.  » 
—  c(  Parfaitement.  {Au  lieu  de  railler),  si  tu  connaissais  la 
vérité,   tu   t'humilierais  devant  le  Père,  et  Jésus-Christ  son 
fils,  et  l'Esprit-Saint...  Est-il  juste  d'abandonner  le  Créa- 
teur pour  des  pierres,  pour  des  démons  ?  »  —  <(  Alors,  ce  ne 
sont  pas  les  dieux,  ce  sont  des  démons  qui  dirigent  l'état  »?  — 
c(  Oui,  ce  sont   les   démons  qui  détruisent  la   république  » 
Et,   quand   Venustianus  fait  appointer  son  dieu,  qu'il  avait 

1  En  voici  le  texte  :  «  Victor  Maximianus  Augustus  Triumphator  perpetuus 
Imperator  parenli  Venustiano  augastali  Tusciae.  Suggestioûem  patris  uostri 
Herraogeniaui  praefecti  urbis  apud  nos  claruisse  cognosce.  Quia  iiista  petilione 
letetur  ideoqoe  commonitus  ut  ubicumque  christiani  auditi  fuerint  vacua  su- 
perstitione  colentes  aut  sacrificare  diis  aut  certis  peois  intereant  ultionem  fa- 
cultatibusque  nudati  fisci  uiribus  adpiicandis.  Uale  parens,  pridie  Kalendarum 
maiarum  fVindobonensis  357], 


SABiNus  d'assise  89 

toujours  dans  sa  chambre  à  coucher  [c^ètait  un  Jupiter  de 
marbre  de  Coralhis,  d'une  facture  admirable^  avec  de  beaux 
vêtements  dores),  Sahinus  le  prend  dans  ses  mains,  et,  après 
avoir  fait  une  prière,  il  jette  l'idole  à  terre,  et  la  brise.  Ve- 
niistianus  se  frappe  le  front  de  désespoir,  condamne  Sabinus 
à  être  décapité,  et.,  d* abord,  hii  fait  couper  les  deux  mains.  A 
ce  spectacle^  Marcel  et  Exsuperantius  tremblent  ;  mais  Sa- 
binus les  réconforte,  et  ils  maudissent  les  dieux  des  démons, 
tandis  que  Ventistianus  ramasse  les  morceaux  de  son  Jupiter 
et  les  fait  mettre  dans  un  coffre  d argent.  Torturés  sur  le 
chevalet,  les  diacres  tiennent  bon,  grâce  aux  encouragements 
de  Sabinus  ;  Marcel  s'offre  en  sacrifice  à  Dieu  et  le  prie  de  lui 
pardonner  ses  péchés  ;  tous  deux  glorifient  le  Seigneur  et, 
après  avoir  eu  les  côtes  déchirées  par  les  ongles  de  fer,  ils 
rendent  l'âme.  Leurs  corps,  fêtés  au  fleuve,  sont  recueillis, 
puis  ensevelis  par  im  pêcheur  et  par  un  prêtre,  le  long  de  la 
rouie,  la  veille  des  kalendes  de  juin. 

Six  jours  après,  Sabinus  reçoit  dans  sa  prison  la  visite  de 
Serena  :  c'est  une  pieuse  matrone  de  Spolète,  veuve  depuis 
trente  et  un  ans,  qui  vit  dans  les  jeûnes  et  les  prières.  Elle 
recueille  les  mains  coupées  de  Sabinus,  les  embaume  et  les 
met  dans  un  petit  baril  de  verre  [doliolum  vitreum],  et  jour 
et  nuit  g  tient  les  yeux  attachés.  Comme  son  petit-fils  est 
aveugle,  et  que  les  médecins  nont  pu  le  guérir,  et  qu'elle 
l'aime  par-dessus  tout,  elle  l'amène  à  Vévèque,  et  le  supplie 
de  rendre  la  vue  à  l'enfant,  Sabinus  place  ses  moignons  sur 
les  yeux  de  l'aveugle  ;  il  prie  le  Seigneur,  lumière  véritable, 
de  donner  la  lumière  à  ceux  qui  espèrent  en  lui,  et  qui  lui 
demandent  selon  ce  qu'il  a  dit  :  «  Tout  ce  que  vous  deman- 
derez en  mon  nom,  vous  le  recevrez,  »  Et  Priscianus  recouvre 
la  vue  ;  et  tous  ceux  qui  sont  dans  la  prison  se  convertissent 
et  reçoivent  le  baptême  :  ils  étaient  onze. 

Trente-trois  jours  après,  voici  que  Venustianus,  vir  claris- 
simus,  prœses  Tusciae,  souffre  vivement  des  yeux  :  il  en  perd 
l'appétit  et  le  sommeil,  et  les  médecins  ne  peuvent  rien.  C'est 
alors  qu'il  apprend  le  miracle  de  Sabinus  ;  il  le  fait  venir  avec 
de  grands  honneurs,  reconnaît  qu'il  a  péché,  jette  dans  le 
fleuve  les  débris  de  son  idole,  déclare  qu^il  croit  de  tout  son 
cœur  et  demande  à  être  baptisé  au  nom  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ.  Sabinus  s'agenouille,  lui  demande  s'il  croit 

Au  Dieu  Père  tout-puissant  ; 


90  TRADITIONS    D*OMBRIE 

Au  Christ  Jésus,  son  fils  ; 

A  r Esprit- Saint  ; 

A  Celui  qui  a  souffert  et  qui  est  ressuscité  ; 

Qui  est  monté  aux  deux  et  qui  reviendra  juger  les  vivants  et 
les  morts  et  le  siècle  par  le  feu  ; 

Et  à  sa  venue,  et  à  son  règne  pour  la  rémission  des  péchés,  et 
à  la  résurrection  de  la  chair. 

Venustianus  croit  tout  cela  ;  alorSy  lorsquHl  se  lève  du 
bassin,  ses  yeux  s'ouvrent^  les  souffrances  disparaissent.  Et  il 
prie  Sabinus  de  demander  à  Dieu  qu^il  lui  pardonne  sa  bar- 
barie d'autrefois  ;  et  Sabinus  l'assure  que  c^ est  pour  ses  péchés 
quil  a  souffert,  et  ils  vivent  ensemble.  Mais  Maximien  Au- 
guste rapprend,  qui  envoie  aussitôt  son  tribun  Lucius  avec 
un  ordre  écrit  (scriptionem)  :  ils  sont  condamnés  à  avoir  la 
tête  tranchée.  Venustianus,  sa  femme  et  ses  fils  sont  ainsi  dé- 
capités à  Assise  ;  leurs  corps  sont  ensevelis  par  les  chrétiens^ 
ils  liront  pu  être  retrouvés.  Quant  à  Sabinus ,  il  est  conduit  à 
Spolète  et  battu  jusquà  ce  qu'il  meure.  Serena  l'eiisevelit  au 
deuxième  mille  environ,  le  7  des  ides  de  décembre  ;  et  là  se 
multiplient  les  bienfaits  de  Notre  Seigneur  et  Sauveur  Jésus- 
Christ  :  les  aveugles  sont  illuminés,  les  malades  guéris,  pour 
la  louange  et  V honneur  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  qui 
toujours  donne  à  ses  fidèles  la  palme  de  la  victoire,  A  lui  em- 
pire, honneur  et  royaume  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen, 

L'auteur  de  Sabinus  semble  avoir  quelques  lectures.  Le  co- 
raliticus  lapis,  doat  ^il  parle,  n'apparaît  pas  souvent  dans  nos 
gestes,  ni  môme  dans  les  textes  littéraires  :  radjectif,  dérivé 
sans  doute  du  nom  d'un  fleuve  phrygien,  Goralius,  exprime  la 
blancheur  d'un  ivoire  ;  on  le  retrouve  dans  un  passage  de 
Pline  *  et  dans  un  autre  d'Isidore  -. 

Il  emprunte  la  date  des  ludi  ceriales,  qu'il  donne  ^  très 
exactement,à  un  calendrier  ancien  :  qui  croira  que  le  souvenir 
en  ait  longtemps  survécu,  passé  leur  disparition,  ou  qu'ils 
aient  persisté  jusqu'au  vi^  siècle  ?  —  Telle  est,  on  le  verra^  la 
date  du  texte. 

1  Pline,  36,  13,  1  .d'après  Forcellini  :  Lexicon. 

2  Orig.,  XVI,  59.  —  Le  Coralius  est  mentionné  par  Pline,  6,  1,    3  [d'après  de 
Vit:  Onomasticon]. 

^  17  avril.  —  Ils  se  célébraient   du  112  au  19  [Marquardt:  Rom  Staatsv,  m 
357.551,  d'après  Aliard,  iv,  358,  n.  3]. 


VALEUR    DE    LA    LEGENDE  91 

Je  ne  crois  pas,  en  revanche,  que  le  début  pittoresque  par 
où  il  s'ouvre  ait  été  emprunté  à  un  texte  antérieur.  Les  jeux 
du  cirque,  la  pratique  des  acclamations  étaient  profondément 
enracinés  dans  les  traditions  romaines  ;  surtout,  au  cœur  même 
du  VI®  siècle,  les  jeux  continuaient  de  faire  la  passion  du  peuple. 
Une  très  curieuse  lettre  de  Cassiodore  l'atteste  avec  précision. 
Théodoric  est  obligé  de  rappeler  aux  Romains  que  l'amplii- 
théàtre  n'est  pas  un  champ  de  foire,  que  leur  joie  ne  doit  pas 
dégénérer  en  tumultueux  vacarme  ni  se  manifester  par  de 
grossières  injures  à  l'adresse  des  sénateurs  ^ 

Pareillement,  ce  n'est  pas  à  des  actes  authentiques  de  Sa- 
binus  que  le  rédacteur  emprunte  sont  préfet  Hermogenianus  : 
on  ne  connaît  pas  de  préfet  de  la  ville  qui  se  soit  appelé  Her- 
mogenianus ;  en  304  —  date  à  laquelle  on  serait  tenté  de  rap- 
porter la  scène  du  cirque  — ,  deux  personnages  occupent  suc- 
cessivement la  préfecture  urbaine,  l'un  se  nomme  Aradius 
llufmus,  l'autre  T.  Flavius  Postumius  Titianus  ^.  Un  texte 
écrit  en  304  ne  parlerait  pas  davantage  d'un  aiigustalis  Tusciœ  : 
on  lirait  corrector  Tusciœ  et  Umbrise  ^  Au  v^  et  au  vi®  siècle, 
on  appelle  augiistales  les  assessores  togati  des  juges  *  ;  Cassio- 
dore nous  fait  connaître  un  primicerius  aiigustalium  ^  ;  notre 

1  «  Populo  romane  Theodericus  rex  (a.  507-511).  Spectacula  uoluptatum  las- 
titiam  uoluoius  esse  populorum,  nec  erigere  débet  motus  iraruin,  quod  ad  re- 
missioDem  auimi  constat  inveutum,  ideo  enim  tôt  expensarum  oaus  subimus, 
ut  conventus  vester  non  sit  seditionis  strepitus,  sed  pacis  ornatus,  mores  pe- 
regrinos  abicite  :  Romana  sit  vox  plebis,  quam  delectet  audiri....  Atque  ideo 
edictali  programmate  defioimus,  ut,  si  atroces  iniurias  in  querapiam  senato- 
rum  vox  iniusta  praesumpserit,  uoverit  se  a  prsefecto  urbis  legibus  audiendum, 
ut  pro  facli  qualitate  discussa  excipiat  promulgatam  iure  senteuliam.  Verum 
ut  omne  semen  discordiae  funditus  amputetur,  prœfiaitis  locis  pautomimos 
artes  suas  exercere  praecipimus  :  quod  vos  poterit  iustruere  ad  prœfectum 
urbis  data  prœceptio,  tantum  est,  ut  animis  compositis  peragatis  laetitiam  ci- 
vitatis...  Soletis  enim  œra  ipsa  mellilluis  implere  clamoribus  et  uno  souo  di- 
cere,  quod  ipsas  quoque  beluas  delectet  audire  :  profertis  voces  organo  dul- 
ciores...  abicite  furores  laeti,  iram  gaudentes  excludite  ». 

[M.  G,  —  A.  A, XII,  p.  31-32,  éd.  Mommsen]  Cf.Procope  :  Got/i,i,6  ;  et  Code 
Théodosien,  vi,  9.  2  (avec  le  commeataire  de  Godefroidj.  —  Cf.  aussi  la  sédi- 
tion Nika,  et  l'importance  des  jeux  du  cirque,  à  ce  moment,  à  Gonstantinople. 

Noter  encore  que  les  procès-verbaux  du  concile  de  Rome  de  499  donnent  le 
compte  des  acclamations  :  decies,  ooties  [Mommsen  :  M.  G.  —  A.  A.  xii,  404]. 

2  Goyau,  368.  —  En  309-310,  un  préfet^de  la  ville  se  nomme  Aurelius  Her- 
mogenes[Goyau,  379]. 

^  JuUian  :  Transformations  politiques  de  Vltalie...  174.  —  AUard  :  iv,  360, 
D.  3  ;  de  Rossi  BuU.^  1871,  81.  Sur  les  autres  «  difficultés  »  du  texte,  cf.  ïille- 
mont,  V,  603. 

*  Marini  :  Giornale  dei  lelterati  di  Pisa,  iv,  154-155;  cf.  x,  306;  et  de  Rossi  : 
Bull.,  1871.89. 

^  Variar,  xi,  30,  Mommsen,  348.  —  Cf.  Neues  Archiv.,  xix,   479,   note  5.  et 


92  TRADITIONS    I)'oMimiE 

anonyme  parle,  sans  y  prendre  ^^arde,  la  lan^ruo  administra- 
tive de  son  temps. 

Et  peut-être,  en  dénommant  son  préfet,  s'est-il  souvenu  de 
l'auteur  du  Code  Ilermofjmieny  ou  de  ces  fameux  Anicii  qui 
prennent  si  souvent  ce  coi^nome/z ';  peut-ôtre  s'est-il  rappelé 
ces  deux  proconsuls  d'Afrique  au  temps  de  Julien,  qui  por- 
taient le  nom  d'Iïermogenianus  ^  et  qui  ont  pu  être  mêlés  à  la 
persécution.  J'inclinerais  plutôt,  cependant,  à  penser  que  notre 
auteur  relève  ici  des  gestes  pannoniens  d' Hermoyène  ^  :  nous 
savons  que  les  Romains  connaissaient  les  gestes  des  martyrs 
du  Danube  *,  et  je  trouve,  dans  le  texte  que  je  dis,  un  ïlermo- 
gène  et  un  Venustus  ;  nous  lisons,  dans  Sabinus^  Hermoge- 
nianus  et  Venustianus. 

Le  rédacteur  anonyme  appartient  au  même  groupe  que  les 
auteurs  à' Alexandre  de  Baccano,  de  Valentin  et  de  Donat. 
Voici  les  points  de  contact  de  Sabinus  et  de  Donat  :  1.  Mention 
inattendue  d'un  augustalis  ;  2.  Allusion  à  une  relique  ;  3.  Gué- 
rison  d'un  aveugle  ;  4.  Ironique  allusion  à  l'impuissance  des 
médecins.  —  Gomme  l'auteur  de  Valentin,  VdiUXexxv  àe  Sabinus 
aime  à  faire  valoir  les  mérites  oratoires  de  ses  héros  ;  l'un  et 
l'autre  visent  une  relique  [les  mains  coupées,  le  cilicium]  ;  l'un 
et  l'autre  introduisent  de  la  même  manière  l'épisode  central  de 
la  légende  :  ici  et  là,  c'est  parce  que  le  païen  apprend  les  gué- 
risons  merveilleuses  du  saint  et  qu'il  a  éprouvé  l'impuissance 
des  médecins  qu'il  recourt  au  martyr.  —  Nos  gestes  font  écho 
aux  polémiques  touchant  la  spontanéité  du  martyre  et  rappor- 
tent un  texte  prétendu  exact  aussi  bien  que  les  gestes  d'Ale- 
xandre. —  L'épisode  de  la  statue  de  Jupiter  brisée  par  le  saint 


C.  I.  L.,  m,  3,  H026.  Les  emplois  inférieurs  de  l'admiDislration  au  temps  des 
Goths  nous  sont  très  mal  connus,  comme  le  remarque  Mommsen  :  Neues  Ar- 
chiv.y  XIV,  466-467. 

1  Pauly-Wissova  :  R.  E.  article   Anicii. 

2  G.  I.  L,,  VIII,  1860.  L'un  s'appelle  Glaudius  Hermogenianus  Gaesarius, 
l'autre  Cl.  Olybrius  Hermogenianus.  —  D'où  vient  le  Sifinnius  qui  apparaît 
dans  nos  pestes  ?. 

3  G.  M.  R.,  II,  236. 

*  G.  M.  R.,  II,  chapitres  x  et  xi.  Cf.  aussi  p.  20-21  les  preuves  de  l'influence 
des  IV  Coronati  sur  Hedestus.  Rapprocher  encore  les  expressions  lapis  co- 
raliticus,  sermo  delimaius,  christiani  tollaniur  \Sabinus\  de  celles  qui  se  li- 
sent dans  la  grande  légende  pannonienne  :  lapis  thasus,  delimare  lapidem, 
toile  magos  (et  autres  acclamations  populaires)  ;  ici  et  là,  il  s'agit  do  martyrs 
dont  on  n'a  pas  retrouvé  les  corps,  et  l'on  joue  sur  l'idée  de  dieu  de  lumière 
îippliquée  au  Dieu  des  chrétiens.  L'auteur  de  Sabinus  utilise  les  gestes  de 
Pannonie. 


LE    MIRACLE    DE    CAMERINO 


93 


rappelle  semblable  exploit  accompli  par  Concordius.  —  Je 
trouve  dans  les  gestes  de  Constant'ms  une  sentence  du  juge 
textuellement  reproduite  et  le  même  persécuteur  Lucius,  que 
délègue,  ici  et  là,  l'empereur.  —  Ces  rapprochements  —  et  je 
ne  prétends  pas  en  avoir  épuisé  la  liste  *  —  ne  peuvent  pas 
être  fortuits  :  ils  attestent  une  parenté  certaine  entre  notre 
texte  et  le  groupe  Valentin  Alexandre  Concordius  Constantiiis . 
Si  l'on  se  rappelle  l'épisode  du  cirque,  on  jugera  qu'il  a  sans 
doute  été  rédigé  vers  le  milieu  du  vi*'  siècle. 

Deux  faits  confirment  l'hypothèse.  Le  duc  lombard  Ariulf, 
qui  succéda  à  Faroald  Y^y  envahit  l'Italie  centrale  à  la  fin  du 
vi"  siècle,  et  fut  vainqueur  des  Romains  à  la  batailte  de  Came- 
rino,  grâce  à  une  apparition  de  saint  Sabinus  :  ce  qui  le  décida 
à  se  faire  catholique.  Paul  Diacre  atteste  le  fait. 

Sequenti  anno  [600]  Ariulf  us  dux^  qui  Farualdo  aput  Spo- 
letium  successerat  moritur.  Hic  Ariulf  us  cum  bello  contra 
Romanos  in  Camerino  gessisset  victoriamque  patrasset,  requi- 
rere  a  suis  hominihus  cœpit,  quis  vir  ille  fuerit^  quem  ipse  in 
illo  bello  quod  gesserat  tam  slrenue  pugnantem  uidisset,  Cui 
cum  sui  viri  responderent,  se  ibi  nullum  aliquem  fortius  fa- 
cientem  quant  ipsum  ducem  uidisse,  ille  ail  :  «  Certe  multum 
et  per  omnia  me  meliorem  ibi  alium  vidi,  qui,  quotiens  me 
aduersœ  partis  aliquis  percutere  uoluit,  ille  vir  strenuus  me 
sempersuo  clypeo  proiexit,  »  Cumque  dux  ipse  prope  Spole- 
tium,  ubi  basilica  beati  martyris  Savini  episcopi  sita  est,  in  qua 
eiusdem  venerabile  corpus  quiescit,  advenisset,  interrogavit, 
cuius  hœc  tam  ampla  domus  esset.  Responsum  est  ei  a  viris 
fidelibus,  Savinum  ibi  martyrem  requiescere,  quem  christiania 
quotiens  in  bellum  contra  hostes  irenty  solitum  haberent  in 
suum  auxilium  invocare.  Ariulfus  verOj  cum  adhuc  esset  gen- 

1  Cf.  dans  Lanzoni,  la  parenté  de  Sabinus  avec  Jean  de  Spolète^  Torpes,  Per- 
gentinus,  Herculanus^  Grégoire,  Laurent,  Etienne,  Restitutiis,  Marins,  Serapie, 
Processus,  Susanne,  etc..  c'est-à-dire  avec  les  gestes  de  l'époque  ostrogothique. 
—  J'ajoute  que  le  rédacteur  connaissait  saus  doute  des  textes  lériniens  :  il 
écrit  animœ,  si  cognosceres,  et  il  insiste  sur  la  nécessité  de  briser  les  idoles 
{Sébastien)  et  sur  l'action  de  Dieu  dans  l'histoire  :  «  Yenustianus  :  ergononsuut 
dii  gubernatores  rei  publicae.  Sabinus...  dixit  :  Non  suntdii  sed  sunt  daemones 
qui  destruuût  rem  publicana  ueslram.  »  J'ajoute  encore  que  Sabinus  a  été  mo- 
delé sur  Terentianus  A  [ou  a  même  auteur  que  lui  ;  cf.  in/ra\  et  sur  Alexandre 
pape:  Quiriuus  a  les  mains  coupés  comme  Sabinus  [cf.  G.  JVl.  R.,  ii,  20G, 
note  3]  ;  la  boia  d'Alexandre  et  les  chaînes  de  saint  Pierre  semblent  des  re- 
liques aussi  vénérables  que  les  maies  coupées  de  Sabinus  ;  comparer  les  deux 
citations  érudites,  sardamocus,  lapis  coraliticus  ;  comparer  la  conversioQ 
d'Uermes  avec  la  couversiou  de  Veuustiaaus,  etc.. 


94  TRADITIONS    d'oMBBIE 

tilis,  lia  rrspondil.  «  Rt  potast  fivri,  ni  korno  morluus  allfiuot 
vivcnll  nuxilium  pr,Tstet  ?  f>  Qui  ciimkoc  dixissrl,  equo  dissl- 
lùms  eamdc/ni  basiUcam  conspcctnrus  intravil.  Tune  aliis 
oranti/jiiSj  ipse  picturas  eiusdem  basilicie  mirari  cœpit.  Qui 
cum  figuram  beati  martyris  Sauini  depictam  conspexisset,  mox 
cum  iuramcnlo  affirmamt  dicens,  talem  omnino  eurn  uirum 
qui  se  in  bello  protexerat  formam  habilumque  habuisse.  Tune 
intellectum  est,  beatum  marlyrem  Sduinum  eidem  in  prœlio 
adiutorium  contulisse  ^ 

Il  n'y  a  rien,  dans  noire  texte,  qui  rappelle  de  près  ou  de 
loin  cette  histoire  :  il  est  donc  antérieur  à  l'époque  oii  elle 
naquit  ^ 

Le  culte  de  Sabinus  paraît  assez  florissant  dès  les  environs 
de  l'an  600  ;  le  calendrier  populaire  le  mentionne  ;  et  la  corres- 
pondance de  saint  Grégoire  le  Grand  nous  a  transmis  le  sou- 
venir de  deux  dédicaces,  l'une  d'un  monastère,  l'autre  d'une 
église,   en    l'honneur    de    saint    Sabinus  (593-604)  ^    Dans 

1  IV,  16  IPethmaun  et  Waitz.  —  M.  G.  —  [S.  R.  L.  121|.  Cf.  Hartmann  : 
Geschiohtn  Italiens  in  Mittelalter,  ii,  1  (1900),  101-104,  107-112.  —  Je  ne  crois 
pas  qu'il  puisse  être  ici  question  de  Sabinus  de  Plaisance  [P.  L.,n,  236]  ni  de 
Sabinus  de  Canusium  [P.  £,.,  77,  235]. 

2  II  ne  faut  pas  trop  presser  ce  texte  :  le  témoignage  de  Paul  Diacre  est 
tardif,  sans  doute  à  demi  légendaire  :  il  date  d'une  époque  où  'tout  souvenir 
a  disparu  de  l'arianisme  lombard.  N'est-ce  pas  le  miracle  de  Camerino  qui 
a  donné  à  Sabinus  la  physionomie  d'un  saint  militaire  [christiani,  quotiens 
in  bellum  irent...]'! 

'  Gregorius  Passivo  episcopo  Firmano.  «  Valerianus,  notarius  ecclesiae  frater- 
nitatis  tuse,...  nobis  suggessit...  iuxta  muros  civitatis  Firmanae  oratorium  se... 
fundasse,  quod  in  honore  beati  martyris  Savini  desiderat  cousecrari  [Ep.,  ix, 
70.  —  P.  L.,11,  1007.  Cf.  Ep.f  IX,  71].  — «  Gregorius  Passivo...  Proculus,  diaco- 
nus  ecclesife  asculanae...  nobis...  suggessit  in  fundo  Gressiano  juris  sui  monas- 
terium  se...  fundasse  quod  in  honorem  sancti  Savini  martyris  desiderat  cou- 
secrari... [Ep.,xiii,  16.  —  P.  L.,  77,1271].—  Peut-être  ces  fondations  sont-elles 
en  rapport  avec  la  victoire  d'Ariulf  et  le  miracle  :  la  victoire  d'Ariulf  date  en- 
viron de  ce  temps. 

J'attire  l'attention  sur  la  forme  du  credo  que  présente  le  texte.  Les  trois 
Personnes  sont  groupées  ensemble,  puis  on  revient  au  Fils.  —  L'expression 
par  le  feu  est,  je  crois,  extrêmement  rare:  elle  est  sans  doute  en  rapport  avec 
les  idées  eschatologiques  sous-jaceutes  à  iMathieu,  m,  11  et  Luc,  IIL  16.  Cf. 
S.  Reinach  :  Cultes,  Mythes  et  Religions.  II  (1906)  p.  133.  Où  notre  auteur  l'a-t- 
il  prise  1 

Il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  que  ce  credo  se  rapproche  du 
texte  ancien  plus  que  du  textus  receptus  ? 

M.  Lanzoni  a  relevé  des  points  de  contact  entre  Sabinus,  le  sacramentaire 
pseudo-gélasien  et  l'ordo  i^onanus  primus.  Y o'ici  quelques  exemples  :  1.  «  Qui 
pedibus  super  mare  ambulavit  »  [Muratori,  536],  qui  pedibus  mare  ambulauit 
[S.  4];  —  2.  Qui  nato  caeco  oculos  aperuit  [536],  qui  nato  caeco  oculos  aperuit 
[S.  9];  —  3.  credo  in  D.  p.  o.  ?  credo.  Et  in  Xo.  I.  filio  eius  ?  credo. Et  in 
S.  S '^  credo  [S.llj.  Gredis   in  D.    p.  o.  ?  credo,  credis  et  in  J.-G.   filium  eius 


I 


UNE    SECONDE    VERSION    DE    SABINUS  95 

l'hypothèse    proposée  \   ces  faits   s'expliquent  sans    peine. 

11  a  existé  certainement  une  version  de  Sabinus  différente 
de  celle  que  nous  lisons. 

Le  calendrier  populaire  écrit,  à  la  date  du  30  décembre  : 

III.  Kal.  [ian),  Apud  Spoletum,  Sabini  episcopi,  Exsupe- 
rantii  et  Marcelli  et  Venustiani  cum  uxore  et  ftliis  :  qui  passi 
Vil  idus  decembris^  festivitatem  sepulturx  habent  lll  Kal. 
ianuarii  -, 

Notre  version  contredit  le  calendrier  :  1.  Elle  fait  mourir  les 
deux  diacres,  Exsuperantius  et  Marcellus,  à  Assise,  non  à  Spo- 
lète;  2.  La  veille  des  kalendes  de  juin,  non  le  VII  des  ides 
de  décembre  ;  3.  Elle  fait  mourir  Venustianus,  sa  femme  et 
ses  lîls  à  Assise,  non  à  Spolète  (quelque  quarante  jours  après 
les  diacres,  et  non  le  Vil  des  ides  de  décembre)  ;  4.  Elle  en- 
terre Sabinus,  non  pas  apud  Spoletu7n,  mais  au  2^  mille  de 
Spolète  ;  5.  Elle  ignore  complètement  l'anniversaire  du  III  des 
kalendes  de  janvier  ;  6.  L'anniversaire  du  VIT  des  ides  de  dé- 
cembre commémore  l'ensevelissement  du  seul  Sabinus  par 
Serena. 

Le  résumé  d'Adon  diffère  aussi  du  texte  que  nous  lisons  ^  : 
1.  Il  conte  que  les  diacres,  après  avoir  été  déchirés  par  les 
ongles  de  fer,  souffrent  le  supplice  du  feu,  «  ignern  supponi  »  : 
notre  texte  n'en  dit  mot  ;  2.  Les  diacres  sont  enterrés  pridie 
kalendas  ianuarias  ;  3.  Bien  que  Sabinus  ait  été  enseveli 
sub  die  septimo  idus  decembris^  festivitas...eius  et  supranomi' 
natorum  martyrum  tertio  kalendas  januarii  agitur  *. 

Enfm,  il  semble  que  Hermogenianus  ait  reçu  parfois  le 
prénom  d'Eugenius  °  :  on  le  cherche  vainement  dans  notre 
texte. 

II  est  possible  que  la  divergence  Assise-Spolète  ne  tire  pas 
à  conséquence  :  par  rapport  à  Assise,  Spolète  est  une  capi- 
tale ;  on  a  dû  y  transporter  le  culte  des  martyrs  qu'on  véné- 
rait auprès. 

D.  N.  Datum  etpassum?  credo,  credis  et  in  S.  S.,  sec:  ecclesiam,  remissionem 
peccatorum,  caroia  resurectionem  ?  credo  [570]. 

*  Noter  encore  que  la  formule  sub  die,  employée  par  les  gestes,  est  très 
fréquente  après  500.  [G.  M.  R.,  i,  301]. 

»  P.  L.,  123,  177-178. 
'  P.  L.,  123,  205-206. 

*  Flodoard  suit  Adon,  comme  de  coutume  [P.  L.,  135,  739-740]. 
^  Baronius  l'assure. 


90  TRADITIONS   n'oMi'.niE 

L.a  (lilïércnce  des  anniversaires  :  ///  Kal.  ian.  —  pridie 
Kal.  iun.  s'explique  encore;,  je  crois,  [)ar  une  erreur  paléo- 
f^ra[)hiquc.  On  a  lu  ian  à  la  place  de  iuriy  11  à  la  place 
de  III.  .l'imagine  (jue  l'anniversaire  du  'M)  décembre  est  apo- 
cryphe ;  et  que  les  deux  dates  authentiques  sont  le  SI  mai^ 
(veille  des  kalendes  de  juin)  —  mort  des  diacres  — ,  et  le  7  dé- 
cembre (Vil.  id.  dec.)  —  mort  de  l'évoque.  Noter  que  la  scène 
du  cirque  se  passe  le  17  avril  |xv.  Kal.  maii],  que  la  réunion 
du  Capitole  a  lieu  le  22  avril  [x.  Kal.  maias]  et  que  la  lettre 
de  Maximien  à  Venuslianus  est  datée  du  30  avril  [prid.  Kal. 
maias]  :  la  chronologie  de  l'histoire  est  parfaitement  cohérente  \ 

Restent  à  expliquer  quelques  faits  :  1.  Le  supplice  du  feu 
qu*ont  subiles diacres  ;  2.  Leprénom  que  reçoit  llerraogenianus. 

Le  plus  simple  est  d'admettre  une  seconde  version  des 
gestes,  assez  voisine,  du  reste,  delà  première.  —  Je  crois  la  re- 
trouver dans  le  Codex  Viîidohonensis  357,  folio  198^.  Le  pré- 
fet y  reçoit  le  prénom  d'Eugenianus  ;  et  les  diacres  y  souffrent 
le  supplice  du  feu  : 

Venuslianus  uir  consularis  dixit  :  maceralê  fuslibus  amho 
in  conspeclu  Sabini.,.;  et  iussit  ut  unguibus  raderentur  et  la- 
tera  eorum,  et  ignem  subponi,  qui  dum  diu  ignem  ad  latera 
eorum  posuerunt,  subito  spiraverunt  [f°  200'']. 

On  a  brûlé  le  flanc  des  martyrs  après  l'avoir  déchiré.  —  La 
version  du  Vindobonensis  présente  quelques  autres  particula- 
rités :  1.  Venustianus  est  appelé  vir  consularisy  en  même 
temps  q\i' au  g  us  ta  lis  tusciœ  ;  2.  Sisinnius  n'est  pas  nommé  ; 
3.  Huit  jours  après  avoir  fait  emprisonner  à  Assise  Sabinus 
et  ses  diacres,  Venustianus  se  rend  à  Spolète,  puis  il  revient  à 
Assise  ;  4.  Les  diacres  sont  ensevelis  iuxta  viam  sub  die  pridie 
kalendarum  ianuariarum  ;  5.  Les  formules  du  baptême  dif- 
fèrent ici  et  là  : 

A  B 

«  Baptizavit  eos   dicens  :  Credis  in  «  Baptizauit  eos  dicens  :  Gredis  in 

Deum   Patrem    omnipotentem  ?   Res-  Deum    Patrem    omnipotentem   et    iu 

pondit    Venustianus   :   Credo.   Et    in  J.  X.  filium  eius  et  in  S.  S...  Ule  res- 

Chrislo   Jesu   filio    eius?  Respondit:  pondit  :  credo.  Et  ille   dixit  :  Et  ego 

Credo.  Et  in  Spiritu  Sancto?  Respon-  te  baptizo  in  nomine  Patris  et  Filii  et 

dit    Venustianus  :  Credo.  Et  in    eum  Spiritus  Sancti,  qui  te   inluminet   in 

qui  passus  est  et  resurrexit?  Respon-  uitam    œternam    et    per    ipsum    qui 

*  Dans  les    gestes  de  Laurent,  on   retrouve   des  détails   chronologiques  du 
même  genre.  Notre  auteur  s'en  souvient  évidemment. 


RAPPORT  DES  DEUX  VERSIONS  97 

dit  Veuustianus  :  Credo.  Et  in  eum  qui  ventiirus   est  iudicare  vivos  et  uior- 

asceûdit  lu  c(p1o3  et  itenim  ueuturus  tiios  et   PfECulum    per  igoem    in  rc- 

esl  jiidicare  vivos  et    inorluos  et   se-  raissiouem  peccatorum  carnis  resur- 

culum    per   ignem  ?  Dixit  :  Credo.  Et  rectionem.UeDustianiis  nir  coosularis 

lu    adreulu   eius   et    regourn  eins  iu  respoudit    :     Credo   Cliristum  Deum 

remissioneiu    peccatorum    et    carnis  Dei  filium  qui  me  iuliimiuet.  Eadem 

resurrectionem  ?  Venustiauus  respou-  hora   de    pelve...    »     [Vindob.,    357, 

dit  :  Credo    ia    Chris',;um   Dei  filium  .  20lv]. 
qui   me  illuminet.  Eadem   hora  vero 
levains  a   pelve,...  [Slephani    Balnzii 
Miscellaneorum  liber  secuodus...  Pa- 
risiis,  1679,  54.  —  §  llj. 

Bien  qu'il  n'écrive  pas  vir  consularis  ni  Eugenianns  Her- 
mogenianus,  c'est  de  cette  seconde  version  A,  qu'Adon  dé- 
pend :  les  mots  ignem  supponi  l'indiquent,  l'anniversaire  prid, 
kaL  ian  le  prouve. 

Quel  est  le  rapport  de  x\  à  B  ?  —  A  ignoi*e  Tanniversaire  apo- 
cryphe du  30  décembre,  que  mentionne  B  :  il  lui  est  donc  an- 
térieur. Les  détails  que  donne  B,  semblent  présenter  le  carac- 
tère d'additions  pseudo-précises  :  tels^  les  iTïoi^  vir  consula- 
ris^ le  prénom  Eugenianus.  La  suppression  de  Sisinnius  est 
une  évidente  correction  :  que  vient  faire  ici  ce  mystérieux 
personnage?  Les  formules  du  baptême  sont  plus  originales 
dans  A  que  dans  B.  —  Mais  je  soupçonne  que  B  a  parfois 
mieux  retenu  que  A  la  version  primitive  :  le  trait  ignem 
supponi  devait  se  trouver  dans  l'original  ;  le  supplice  infligé 
aux  martyrs  est,  dans  cette  hypothèse,  plus  conforme  au 
«  canon  »  des  rédacteurs  ^ 


*  Les  BoUandistes  ont  rencontré  une  autre  version  de  Sabinus  dans  le 
Codex  Xa))iurcens:s  15  (qui  date  du  début  du  xiiie  siècle)  :  elle  reproduit  le 
texte  de  Baluze,  mais  avec  beaucoup  de  variantes  [Analecla,  i,  501.  B,  H. 
L.,  7454.  Maximiano  rcgbnine  iniperiali].  Ils  ne  l'ont  pas  fait  plus  préci- 
sément connaître.  —  Cf.  aussi  Cat.  Bruxelles,  i,  121,  n.  68;  Octavius  a  San 
Francisco  :  Assisiensis  ecclesiœ  prima  IV  luminaria  [Fulginei,  1715],  64,  et 
Azevedo  :  Vêtus  missale  romanurn  monasiicmn  Lateranense  [Romse,  1754], 
467. 

Une  seconde  légende  de  Sabinus  s'est  développée  plus  tard  :  Sabinus,  né 
à  Sulmona,  va  à  Faenza,  il  mène  la  vie  des  solitaires  à  Silva  Liba,  près  du 
château  de  Fusignano.  Mais  un  ange  lui  apporte  l'ordre  d^évangéliser 
Assise.  Il  en  devient  l'évêque,  ensevelit  la  martyre  Serena  à  la  Silva  Liba, 
avec  l'aide  de  sa  sœur  la  vierge  Mondina  [B.  Sabini...  Vita,  par  Flarainio, 
écrite  vers  1526-1534  ;  Vita...  Sabini  d'Azzarini,  1610  ;  Antiphonarium 
inaius  Eccl.  S,  Pétri  Faventini,  à  VArchivio  Capitolare  de  Faenza]  [d'après 
Laozoni  :  article  cité). 


III 


98  TRADITIONS  n'oMUiut: 


11 


lèle  < 


Gestes  de       ^^    lemps  de  Dioclétien  et  de  Maximien  empereurs ,  u)ie 
de  Spo-  fureur  sacrilège  appuie  le  règne  de  r idolâtrie  à  travers  toute 
r Italie  et  fait  persécuter  les  chrétiens.   V impie  hlaccus^  en- 
va gé  par  Maximien  à  Spolète,  fait  dresser  son   tribunal  au 
milieu  du  forum ^  mais  apprend  de  Tgrcanus  que  tout  le 
monde  adore  les  idoles^  et  Jupiter^  Minerve  et  Asclepius  :  il 
congédie  donc  le  peuple  avec  joie.  Seulement  le  même  Tgrca- 
nus lui  annonce  bientôt  que  le  bienheureux   Grégoire  est  à 
SpolètCy  qu'il  g  guérit   les  malades   et  convertit   les    âmes. 
Arrêté  par  trente  soldats^  Grégoire  confesse  Dieu  qui  a  fait 
Chomme  à  son  image,  refuse  de  sacrifier  à  Jupiter,  Minerve 
et  Asclepius^  puisque  ce  sont    des    démons  ;  il  aime  mieux 
perdre  son  corps  que  son  âme  ;  il  ne  désire  pas  V amitié  des 
empereurs.  Lorsque  les  ministres  de  Satayi  le  battent  sur  le 
visage^   sur  le  dos,  puis  sur  le  ventre,  il   lève   les  geux  au 
ciel  et  implore  le  Dieu  d'Israël;  mis  sur  le  gril,  il  invoque 
le  dieu  d* Abraham,  le  Dieu  d'isaac  et  le  Dieu  de  Jacob,  le 
Dieu  de  nos  Pères  ;  «  si  le  persécuteur  tue  son  corps,   Dieu 
vivifie  son  âme  [si  totum  corpus  meum  mortifetis,  domiaus 

animam   meam  viviQcatl.  »  Et  aussitôt  un   tremblement  de 

j 

terre  jette  à  bas  la  région  de  la  cité  {[ui  s'appelle  Sumentem 
et  fait  périr  trente-cinq  païens  (animae  paganomm).  Flaccus 
frémit  comme  un  lion  et  fuit  prudemment  ;  Tgrcanus  fait 
enchaîner  Grégoire  et  le  renvoie  à  la  prison  ou  le  visite  un 
ange  du  Seigneur ,  où  resplendit  une  clarté  céleste.  Mais^  le 
surlendemain,  Grégoire  comparait  de  nouveau  devant  Flaccus, 
au  milieu  du  forum',  malgré  les  tortures  qu'on  lui  inflige,  il 
refuse  de  sacrifier,  maudit  les  idoles  et  est  décapité  au  milieu 
de  r  amphithéâtre,  tandis  qiiun  ange  lui  parle,  par  le  spa- 

1  B.  H.  L.,  3677.  —  Surias,  éd.  1575,  vi,  951  ;  éd.  18S0,  xii,  394  (collatioaaé 
avec  l'Augieosis  xxx[i  et  le  Viadoboaeasis  357;. 


I 


GRÉGOIRE   DE    SPOLÈTE  99 

taire  Aquilon.  Les  bêtes  que  lâche  Tijrcanus  adorent  le  ca- 
davre; le  peuple  confesse  la  vérité  et  la  grandeur  du  Dieu 
des  chrétiens^  tandis  que  Flaccus,  frappé  par  ran(je,  ce  même 
jour,  vomit  ses  entrailles,  et  meurt.  Cependant  une  chré- 
tienne^ Abundantia,  achète  le  corps  à  Tyrcanus  pour  35  aurei; 
elle  l'embaume  avec  du  baume,  du  nard  et  des  aromates  et 
l'ensevelit  à  côté  du  pont  de  pierre  et  du  ruisseau  le  Sangui- 
naire, près  des  murs  de  la  ville,  le  X  des  /calendes  de  janvier, 
au  chant  des  hymnes  et  des  cantiques,  confessant  que  Dieu 
est  admirable  dans  ses  saints.  A  lui  honneur  et  gloire, 
louange  et  empire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Les  mêmes  gestes  nous  sont  connus  dans  deux  autres  ver- 
sions presqu'absolument  identiques  à  celle-ci  :  Tune  ^  est  ca- 
ractérisée par  ce  fait  que  la  région  qui  s'abîme  dans  le  trem- 
blement de  terre  n'est  pas  nommée  et  que  le  spataire  est  ap- 
pelé Aquilinus  ;  l'anniversaire  est  marqué  non  au  dix,  mais 
au  neuf  des  calendes  ;  on  donne  d'autres  chiffres  [40  soldats 
arrêtent  le  saint  ;  450  païens  sont  tués]  ;  —  la  seconde  version^, 
qui  nous  est  accessible  dans  Adon  ^,  insinue  qu'Abundantia  a 
tenté  d'obtenir  le  corps  sans  payer. 

Réserve  faite  de  ces  insigniliants  détails,  reste  un  texte  qui 
semble  dater  de  la  seconde  moitié  du  vi®  siècle  :  le  terme 
spatarius  se  lit  dans  saint  Grégoire  '\  et  c'est  au  début  du 
vu"  siècle^  dans  le  calendrier  populaire  *,  qu'apparaît  la  pre- 
mière attestation  liturgique  du  culte  de  notre  saint. 

La  scène  du  gril  nous  fait  souvenir  de  saint  Vincent. 

La  mention  d'une  trinité  païenne,  l'incident  du  tremble- 
ment de  terre,  l'emploi  du  terme  ministri  rapprochent  notre 
texte  ^Alexandre  de  Baccano, 

L'invocation  Deus  Abraham,  Deus  Isaac,  Deus  Jacob, 
Deus  patrum  nostrorum  rappelle  les  gestes  de  Gonstantius  et 
ceux  de  Jean  Penariensis  qui  reproduisent  la  même  formule  ; 

*  Mss.  dont  s'est  servi  Surius.  Les  variantes  de  cette  version  ont  peut-être 
une  origine  purement  paléographique. 

-  P.  L.,  123,  203.  «  Quia  non  potuit  obtinere  aliter,  datis  35  aureis...  »  — 
Flodoard  [P.  Z,.,  135,  737-740]  suit  Adon.  —  Baronius  a  connu  une  version 
qui  contait  un  miracle  survenu  en  1037  [ïillemont,  v,  133]. 

^  Dialogi,  m,  6  [P.  L.,11,  228]  :  «  malignus  spiritus...  spatharium  invasit 
eumque  vexare  crudeiiter  cœpit  ». 

*  «  Apud  Spoletum,  Gregorii  presbyteri  et  martyris  »  \P.  Z,.,  123, 177-178].  — 
Les  lettres  de  saint  Grégoire  attestent  la  vogue  de  ce  nom  à  ce  moment. 


100  TRAUl'IlONS    d'oMBRIE 

la  punition  du  persécuteur  Flaccus  ot  la  curieuse  expression 
animc-ff  paf/a}îorum  (=  par/ani)  raip])e\\ent  aniin  les  f^estes  do 
liricius,  d'Abundius  et  de  Garpophorc  qui  sont  entrés  dans  la 
rédaction  cyclique  du  vu"  siècle  :  Leontius  est  aussi  juste- 
ment frappé  que  Flaccus,  et  le  palais  de  Martianus,  en  s'écrou- 
lant,  tue  120  «  âmes  de  païens  ».  Il  est  vraisemblable  que  le 
rédacteur  de  notre  texte  connaissait  les  gestes  de  liricius 
et  les  gestes  de  Jean.  La  Trinité  païenne  peut  avoir  été  em- 
pruntée à   Constantius  aussi  bien  qu'à  Alexandre. 

11  est  vraisemblable  que  le  pons  lapideus  et  le  rivus  Sangui- 
narius  de  nos  gestes  se  rapportent  au  pont  qui,  dans  les 
gestes  de  Pontien,  est  appelé  pons  sanguinarius  :  le  nom 
d'un  ruisseau  est  aisément  appliqué  au  pont  qui  le  traverse. 
Certains  traits  et  certains  termes  rappellent  encore  cette 
même  légende  :  1.  Princlpum  contemptor  ;  2.  Après  un  mi- 
racle [P.  douceur  des  lions;  S.  tremblement  de  terre],  le  mar- 
tyr est  reconduit  en  prison  ;  3.  L'ange  du  Seigneur  vient  l'y 
réconforter;  4.  Nouvelle  comparution  suivie  de  la  mort; 
5.  Les  bêtes  adorent  le  martyr,  vivant  dans  Pontien,  mort 
dans  Grégoire  K 


ÏII 


Gestes  do       Comme  Pontien,  Félix,  et  F/nce/2/ sont  parents  de  Grégoire, 

Au  temps  de  V empereur  Antonin  on  persécute  les  chrétien» 
afin  de  les  faire  sacrifier  aux  idoles  :  les  infidèles  dressaient 
des  embûches  aux  fidèles.  Sur  un  ordre  [ex  imperio]  de  Uem- 
pereur  Antonin^  le  juge  Fabianus  arrive  donc  dans  la  cité  de 
Spolète  ;  il  siège  au  tribunal,  il  convoque  le  peuple,   il  an- 

1  Cf.  Vincent  de  Saragosse  et  le  corbeau.  —  Cf.  encore  Lucie  Geminien  : 
ici  et  là,  comme  dans  Pontien^  je  relève  l'expression  fremuit  ut  leo  [Pala- 
tinus  846.  —  f.  127  v.  i].  —  Le  Codex  Casinensis  cxvii  (du  x®  et  xi^)  reproduit 
[folio  694.  —  Cf.  Bibl.  Casin.,  iir,  58]  un  miracle  inédit  de  Grégoire.  Est-ce  le 
texte  visé  par  Baroniua? 

2  B.  H.  L.,  6891  [14  janvier  933  ou  216]. 


PONTIEN    DE    SPOLÈTE  101 

nonce  sa  mission^.  Et  beaucoup  consentent  à  sacrifier  ;  heau^ 
coup  aussi  restent  fermes  dans  la  foi  et,  supportant  les  tribu- 
lations, consacrent  leîirs  âmes  au  Seigneur  ;  Fabianus,  furieux^ 
frémissait  comme  un  lion.  Il  y  aimit  alors  un  homme  établi 
dans  la  crainte  de  Dieu  :  c  était  Pontianus.  Arrêté  par  les  mi- 
nistri  il  dit  son  nom^  sa  foi.  —  «  Tu  es  bien  né^  et  ton  Dieu  a 
été  chassé  par  la  persécution  de  ville  en  ville  ;  cest  un  cru- 
cifié qui  ne  peut  f  arracher  à  mes  mains  !  »  —  «  Tes  idoles 
sont  sourdes  et  muettes.  »  On  le  dépouille  de  ses  vêtements ^ 
on  le  bat,  on  le  fait  marcher  pieds  nus  sur  des  charbons  ar- 
dents :  Pontianus  s^cst  signé  au  front  avant  de  marcher  ainsi. 
Le  chevalet  y  les  dents  de  fer  ne  brisent  pas  son  courage  ;  ce 
sont  les  ministri  {brisés  de  fatigue  ?)  qui  défaillent  et  les 
crocs  de  fer  qui  se  rompent.  Enfermé  au  fond  de  la  prison,  il 
reçoit  la  visite  d'hommes  religieux  qui  le  confortent  afin  quil 
ne  faiblisse  pas.  Lorsqu'il  est  conduit  à  V amphithéâtre,  les 
lions  l'adorent  après  quHl  a  imploré  le  Christ;  et  le  peuple 
acclame  son  Dieu  et  réclame  sa  délivrance.  Devant  cette  sédi- 
tion [uidens...  seditionem  in  populo  fieri],  Fabianus  le  fait 
reconduire  en  prison  pour  quil  y  meure  de  faim  ;  mais  fange 
du  Seigneur  lui  apparaît  au  milieu  de  la  nuit  et  le  nourrit 
de  mets  célestes  ;  et  les  ministri  qui  viennent  chercher  son  corps 
le  douzième  jour  sont  stupéfaits  de  le  trouver  chantant 
(psallentem).  Le  plomb  fondu  qu'on  lui  verse  sur  le  dos  glisse 
sur  lui  comme  l'eau  sur  le  marbre.  Alors  le  Juge  déclare: 
«  Le  contempteur  des  dieux,  Pontianus,  qui  a  refusé  de  sa^ 
cri  fier,  sera  livré  au  spiculator  et  décapité  *.  »  Le  saint  s*  age- 
nouille et  remercie  Dieu  qui  lui  a  permis,  dans  son  combat, 
de  confondre  le  diable.  Il  est  mort  le  19  des  kalendes  de  fé- 
vrier. Les  chrétiens  enlèvent  le  corps  au  Pont  Sanguinaire  et 
l'ensevelissent  en  paix  non  loin  du  mur  de  la  cité,  in  fundo 
qui  appellatur  Lucianus,  le  15  des  kalendes  de  février  ;  et 
tous  glorifient  Dieu  qui  écrase  ses  ennemis  et  couronne  ses 
saints.  A  lui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles. 
Amen. 


*  Voici  son  petit  discours  :  «  piissimus  imperator  antooinus  direxit  me  in 
hanc  civitatem  ut  si  quis  preceptum  hoc  non  observaverit,  capitali  pu- 
nialur  senteotia  ». 

2  Voici  le  texte  :  «contemptor  deorum  pontianus  qui  diis  sacrificare  noluit, 
spiculator!  tradatur  et  caput  eius  ab  eo  abscidatur  ». 


J02  TRADITIONS    D'OMlilUE 

Le  calendrier  populaire  ^  donne  : 

XIV  kal.  feh,  El  Spoleti,  sanctl  J*ontiam  marlyris  drcimo 
710710  kal.  passij  decimo  quinto  sejjîilli,  décima  se.rlo  (f(uarto)  in 
sepulckro  mulali^  quando  œlebrior  dies  eius  afjitur. 

Adon  -^  écrit  pareillement,  d'après  le  calendrier  sans 
doute  : 

Consummauil.,,  'niarlyrium  suum  XIX  Kal.  /ehruarii.  El 
suhlatum  corpus  eius  a  chrislianis  sepullum  esl  XV  kal.  Ce- 
lehris  uero  dies  ipsius  agilur  XVI  (XIV)  Kal.  februariiy 
quando  ilej'um  sacrum  corpus  eius  mutalum  esl. 

Ainsi  le  calendrier  et  Adon  racontent  qu'il  y  a  eu  une 
translation  du  corps  de  Pontien  ;  et  que.  c'est  désormais 
l'anniversaire  de  la  translation  qui  est  devenu  la  fête  du 
saint. 

Les  gestes  de  Pontien  ignorent  cette  translation. 

Ce  fait  rappelle  deux  autres  faits  du  même  genre  :  nous  les 
avons  notés  ^  à  propos  de  Sabin  de  Spolèle  et  d'Alexandre  de 
Baccano,  C'est  un  nouvel  indice  qu'il  y  eut,  peut-être,  après 
la  guerre  gothique,  tandis  que  s'organisait  l'exarchat,  revision 
du  calendrier  et  réorganisation  des  cimetières.  Et  c'est  la  preuve 
que  nos  gestes,  antérieurs  à  ce  travail,  dont  ils  ne  disent  mot, 
ne  peuvent  guère  être  postérieurs  au  début  de  l'exarchat  de 
Ravenne. 

Nos  gestes,  d'autre  part,  rappellent  la  légende  d'Alexandre 
de  Baccano  :  même  époque  (Antonin),  même  attitude  du 
peuple  qui  est  favorable  aux  chrétiens  [ij  5].  Les  gestes  de 
Pontien  datent  sans  doute  du  milieu  du  vi^  siècle  et  font  partie 
du  môme  cycle  qu'Alexandre  *. 

Ils  sont  également  apparentés,  semhle-t-il,  à  Constantius  et 
à  Grégoire  de  Spolèle  :  on  a  vu  que  Conslanlius  nomme  ex- 
pressément Pontien,  et  que  Grégoire  connaît  également  sa 
légende.  Enfin,  la  scène  de  la  prison  et  des  ministri  fatigués 
rappelle  Vincenl  de  Saragosse, 


^  19  janvier.  P.  L.,  123,  147-148.11  faut,  évidemment, lire  ^warfo  pour  s^^fo. 

2  19  janvier.  P.  L.,  123,  217-218.  —  Je  remarque  que  le  Codex  AugieyiHs 
xxxii  écrit  :  quinto  decimo  Kal.  septembris  [ce  qu'on  corrige  xiv...  februarii]. 
Je  ne  saurais  dire  d'où  vient  cette  fêle  du  mois  d'août. 

3  Cf.  supra,  p.  96  et  12-14.. 

*  Cf.  ïillemont,  ii,  628.  Certains  détails  rappellent  aussi  Agapet. 


FÉLIX    DE    SPELLO  103 

Ail  temps  de  Dioclétien  et  de  Maximien  sévissait  une  per- 
sécution cruelle  :  tous  les  fidèles  de  la  sainte  religion  cJfré- 
tienne  qu'on  pouvait  trouver  étaient  punis  d'atroces  tour- 
ments. Maximien  envoie  un  certain  1  arquinius  qui  doit  les 
contraindre  à  sacrifier.  Tarquinius  trouve  à  Spello  l'évéque 
Félix  qui  ne  cesse  de  louer  Dieu  et  de  prêcher  avec  éloquence 
r unité  de  la  Trinité  ^.  «  Qui  fa  donné  ce  pouvoir,  lui  dit-il  ; 
pourquoi  séduis-tu  le  peuple  et  lui  fais-tu  adorer  un  Dieu 
que  le  sénat  n  a  pas  établi  et  que  n  adorent  pas  les  empe- 
reurs. »  —  «  f  adore  le  Christ^  fils  du  Dieu  vivant^  né  de  la 
Vierge  Marie  par  le  Saint-Esprit  :  pour  nous  arracher  aux 
idoles  il  a  daigné  revêtir  notre  chair  mortelle.  »  Et  Tarqui- 
nius a  beau  le  tenter  ;  Félix  refuse  d'abandonner  le  Créateur 
pour  des  idoles  muettes  ;  une  voix  céleste  le  réconforte.  Ra- 
mené un  autre  jour,  il  refuse  encore  d'adorer  Apollon  et 
Hercule  et  de  devenir  grand  pontife.  Tarquinius,  alors,  con- 
voque les  majores  civitatis,  déclare  que  Félix  est  un  mage, 
et,  après  que  celui-ci  a  été  réconforté  par  un  ange  et  a  re- 
mercié Dieu  qui  protège  les  croyants  fidèles,  il  le  condamne 
à  périr  sur  le  gril.  Comme  les  ministri  l'y  étendent,  le  ton- 
nerre retentit  et  tue  nombre  de  païens.  Félix  est  alors  con^ 
duit  au  forum,  décapité  par  le  spiculator  Sevibus  et  recueilli 
par  deux  chœurs  d'anges.  Les  chrétiens  ensevelissent  son 
corps  à  la  louange  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  qui  vit  et 
règne  dans  les  siècles  des  siècles.  Ainsi  soit-'il, 

Félix  de  Spello,  qui  nous  est  attesté  par  Usuard  %  n'eut  ja- 
mais aucune  vogue  :  nous  n'avons  plus,  semble-t-il,  un  seul 
manuscrit  de  ses  gestes.  L'obscure  légende  est  datée  des  envi- 
rons de  l'an  GOO  par  les  points  de  contact  qu'elle  présente  avec 
Grégoire  de  Spolète  [le  gril],  et  surtout  avec  Sabinus  d'As- 
sise. D'Assise  à  Spello  la  route  n'est  pas  longue;  on  a  placé 
les  deux  saints  à  la  même  époque,  tous  deux  confessent  qu'ils 
sont  esclaves  du  Christ,  tous  deux  s'entendent  demander  de 
quel  droit  ils  prêchent,  et  c'est  au  milieu  du  forum  qu'ils  sont 
tous  deux  interrogés.  Le  texte  rappelle  également  l'autre  lé- 
gende d'Assise  :  Victorin,  on  le  verra,  prie  le  Dieu  trine  et  un 

«  B.  H.  L.,  2886, 18  mai  299. 

-  «  Laudare  Deum  et  unitatem  Triaitatis  prsedicare.  » 
'  XV.  Kal.  «  iunii.  S.  Felicis  epi  qui  apucl  Spellatensem  urbem  sub  Maximo 
imperatore  palmam  martyrii  adeptus  est  »  \P.  Z.,  124,  65-66|. 


104  TRADITIONS    d'oMIUUE 

que  prôclio  Kolix.  VA,  lorsqu'il  parle  de  l'unité  de  la  Trinité, 
luULr  nous  remet  encore  en  mémoire  Tcrniiiamis  I)  et  toute 
une  famille  de  ^^estes  romains  '. 

Il  ne  rappelle  nullement,  en  revanche,  l'histoire  de  Dom- 
nius  de  Salone.  Certains  savants    l'ont  prétendu,   qui  s'ap- 
puient sur  un  mot  de  Pierre  des  Noels  :  dans  le   résumé  de 
celui-ci,   Spalalensis  remplace    Spellatensis.   Ils  font  encorde 
valoir  qu'il  y  a  eu  à  Salone  un  martyr  appelé  Félix  :  lu  petite 
chronique  l'atteste.  Ils  insistent  sur  ce  fait  que  les  deux  saints 
sont  fêtés  le  18  mai.  —  Nul  ne  p'eut  montrer  que  la  fête  salo- 
nitaine  du  18  mai  soit  d'origine  ancienne.  Le  texte  de  Pierre 
des  Noels  ne  prouve  pas,  puis  qu'il  a  la  date  que  chacun  sait 
et  que,  du  reste,  il  donne,  non  Salonitanus,  mais  Spalatensis. 
Surtout  on  voit  très  clairement  que  Félix  est  parent  de  Fîc- 
/r;rm  et  de  Sahiniis:   ses  attaches  ombriennes  sont    très  so- 
lides -. 


La  légende  de  Bevagnaest  également  apparentée  à  »S«ôm2^5  ; 
mais  elle  s'inspire  surtout  de  Vincent  de  Saragosse  ;  elle  devait 
inspirer  un  jour...  saint  François  d'Assise  ^ 
v'i'ifceGt  de  Comme  les  ordres  des  empereurs  déchaînaient  la  persécu- 
uevagua*  tion,  et  qitc  les  proconsuls,  les  consulaires  et  les  préteurs  de 
Tuscie,  de  Valérie  et  du  Picenum  recherchaient  les  chrétiens, 
le  préteur  de  Tuscie  Capitolinus  envoya  de  Pérouse  le  comte 
Mavortius  rassembler  les  évêques  voisins  :  Vincent,  évêque  de 
Bevagna,  et  son  frère,  le  diacre  Bénigne^  se  trouvent  parmi 
eux.  Quand  ils  arrivent,  enchaînés,  les  prêtres  des  temples 
les  insultent  :  ils  n^ adorent  pas  Jupiter,  Hercule,  Mercure, 
Saturne^  Neptune,  Cyron,  Minerve,  Vénus,  Jiinon,  Apollon, 
Esculape,  Mars,  Bérécynthie,  ni  Diane  ;  et  leur  Christ  a  été 
tué  par  les  Juifs.  —  ce  II  est  ressuscité,  réplique  Vincent  ;  il 

1  Le  même  terme,  fidèles  est  employé  de  la  même  manière,  à  peu  prè?,  ici 

et  dans  Pontien. 

2  Pour  plus  de  détails,  cf.  Zeiller  :  Les  origines  chrétiennes...  de  Dal- 
matîe,  Paris,  1906,  22-23.  On  sait  l'origine  de  ces  efforts  :  Patriotisme  de 
clocher. 

3  L'épisode  des  oiseaux  de  Bevagna  s'explique  certainement  par  notre 
texte.  La  scène  du  démon  chassé  de  l'idole  a,  pareillement,  souvent  inspiré 
les  peintres. 

*  B.  H.  L.,  8676,  6  juin  613.  «  Cum  iussu  principum  impiissimorum  perse- 
cutio...  » 


VINCENT    DE    BEVAGNA  105 

viendra  juger  le  monde  par  le  feu  (judicare...  saeculum  per 
i'>-neni)...  Vos  dieux  ne  peuvent  même  pas  parler ,  »  Le  consu- 
laris  Valerius  trouve  cette  remarque  fort  juste,  et,  de  même, 
les  juges  et  les  pontifes.  On  entre  dans  le  temple  où  les  idoles 
étaient  dressées  dans  de  nombreuses  chapelles  (ubi  plures 
fedicula^.  cum  simulacris  erant  et  maxime  Martis)  ;  mais  un 
tremblement  de  terre  les  renverse,  000  païens  so7it  tués,  les 
chaînes  des  èvêques  tombent  et  le  diable  sort  de  l'idole  de 
Mars  en  criant  :  a  le  Christ  remporte.  »  Mavortius  se  convertit  ; 
mais  Capitolinus  fait  massacrer  les  cvêques^  sauf  Vincent, 
Eustasius  ensevelit  Bénigne  à  Bevagna,  près  du  port  {^oviwXo), 
le  jour  des  kalendes  de  mai.  —  «  Sacrifie  au  Soleil  et  à  la 
Lune  »,  dit  Capitolinus  à  Vincent.  —  «  Ils  ne  sont  pas  dieux, 
dit  r évêque. Lis  les  psaumes  (8  ;  15  (16)  ;  \.i^)et  T Heptateuque  au 
chapitre  premier  de  la  Genèse.  »  Humilié,  moqué,  Capitolinus 
fait  infliger  à  Vincent  le  supplice  complet  de  la  question  [ad 
legitimam  qusestionem]  ;  il  ne  veut  pas  être  vaincu.  Mais  le 
martgr  reste  souria7ït.  On  l'isole,  on  Venferme  dans  une 
prison  ténébreuse  ;  Dieu  rUlumine  ;  et  cest  le  prisonnier  qui 
rassure  ses  gardiens.  Lorsqu'on  le  jette  à  l'eau,  les  anges  le 
portent  au  rivage,  a  Tu  as  vaincu,  Vincent,  lui  dit  Capito- 
linus, parce  que  tu  as  un  nom  de  victoire  »  ;  et  il  meurt.  Son 
successeur  Porphyrius  n'est  pas  plus  heureux  :  les  bêtes  vé- 
nèrent, les  oiseaux  honorent  le  martyr,  et  Vincent  chante: 
((  Bénissez,  oiseaux,  le  Seigneur  du  ciel  !  »  La  terre  engloutit, 
avec  le  persécuteur,  l'eau  oi/  il  veut  noyer  le  saint.  Et  alors, 
en  disant  les  messes,  à  l'oraison  dominicale,  il  reçoit  le  corps 
du  Seigneur  en  même  temps  que  les  fidèles  (faciensque  missas 
in  dominica  oratione  percepit  corpus  Domini  cum  iidelibus) 
et  meurt  en  paix  le  VI II  des  ides  de  juin,  sous  le  consulat  de 
Rufus  et  Gallus,  Une  noble  matrone,  Liceria,  achète  son  corps 
une  livre  d'or,  Vensevelit  sur  sa  terre,  le  champ  du  salut 
(campus  salutis),  in  novas  nundinas  augustales,  inter  Porti- 
lionem  et  Mevaniam,  au  94^  mille  de  Bome;  là,  s'y  multi^ 
plient  les  bienfaits  de  Dieu,  tandis  que  règne  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  au  ciel,  sur  la  terre,  sur  la  mer,  sur  les  abîmes, 
lui  qui  viendra  juger  les  vivants  et  les  morts  et  te  siècle  par 
le  feu.  Amen, 

Vincent  et  Bénigne  sont  les  saints  locaux  de  Bevagna  *  : 

1  Sur  Bevagna,  cf.  C.  I.  L.,  xî,  2,  p.  731. 


iO(J  TRADITIONS    n'oMBRIK 

indépondamnriont  de  notre  texte,  les  XII  Syriens  attestent 
leur  culte,  ou  du  moins  le  culte  d(î  Vincent.  —  Mais  notre 
text(i  (^st  indépendant  des  XII  Si/rlcns  :  il  ignore  le  sacre  de 
Vincent  par  Jean,  le  métropolitain  de  Spolète  '. 

li'auteur  de  Vincent  semble  connaître  Grérjoire  et  Sabinus. 
Ici  comme  dans  Grègoirey  un  tremblement  de  terre  venge  les 
martyrs,  les  betes  vénèrent  leurs  corps,  une  pieuse  femme 
achète  leurs  cadavres,  le  persécuteur  est  puni  de  mort.  Ici 
comme  dans  SabmuSy  se  lit  la  curieuse  formule  iiidicare  vivos 
et  mortuos  et  sœculum  per  irjnem.  —  Mais  Vincent  n'est  pas 
autrement  apparenté  à  ces  textes  :  aucune  relique  n'y  est 
mentionnée,  aucun  augustalis  ;  on  ignore  la  formule  Deiis 
Abraham,  Isaac  et  Jacob  ;  on  ne  donne  aucune  indication 
chronologique;  l'énumération  des  dieux  païens  est,  ici,  beau- 
coup plus  longue  que  là  ^  ;  on  n'emploie  pas  les  expressions 
ministri,  animœ  paganorwn. 

L'auteur  de  Vincent  connaît  certainement  Vincent  de  Sa- 
ragosse  :  on  peut  dire  que  la  fin  de  son  texte  est  copiée  tout 
entière  sur  la  fameuse  légende  espagnole  ^ 

Tout  cela  donne  à  Vincent  une  physionomie  assez  particu- 
lière. Je  l'explique  par  la  personnalité  de  l'auteur  anonyme 
plutôt  que  par  une  différence  d'âge  entre  les  textes.  Le  rôle 
des  pontifes,  l'intervention  de  l'ange  nous  font  souvenir  de  ce 
qu'on  voit  dans  Anthime  et  dans  les  XII  Syriens.  Vincent  re- 
monte sans  doute  au  vi^  siècle.  Peut-être  sort-il  du  même 
groupe  que  Juvénal  de  Narni  :  les  rédacteurs  des  deux  textes 
paraissent  également  érudits.  Peut-être  est-il  apparenté  à 
Félix,  à  Pontien  et  à  Grégoire:  ici  et  là  je  trouve  la  trace  de 
l'influence  de  Vincent  de  Saragosse. 


1  Cf.  supra,  p.  68. 

2  BérécvDthie  est  Dominée  dans  Symphovien  (VAutun  [Ruinart,  125].  La 
source  commune  est  évidemment  saint  Angnalin  :  Civil.  Dei :  ir,  4.  Notre 
auteur  a  farci  <oï\  texte  de  citations  bibliques  :  c'est  un  savant. 

^  G.  M.  R.,  II,  134-156.  —  La  date  consulaire  est  fausse,  ou  fictive.  (En  298, 
il  y  a  bien  un  consul  Gallus  ;  mais  son  collègue  s'appelle  Anicius  Faustus, 
non  Rufus). 


VICTORIN   d'assise  107 


IV 


Vidorin  et  /Emilianus  rappellent  nettement,  et  la  légende 
des  Xll  Syriens,  et  les  légendes  locales  qui  n'ont  pas  été  ab- 
sorbées par  celle-ci. 

Donc,  le  bienheureux  Victorin,  né  dans  le  ï^oijaume  des  As- 
syriens d'une  illustre  famille,  apporta,  avec  l'aide  de  quel- 
ques compagnons,  la  religion  chrétienne  au  peuple  d'Assise. 
—  Assgrie,  en  latin,  signifie  lumineuse  ^.  —  C'était  au  temps 
de  Gordien,  qui  reçut  l empire  en  240.  Vidorin  et  ses  compa- 
gnons étaient  venus  à  Rome  pour  visiter  la  ville  des  Apôtres 
(limina  Apostolorum)  ;  z7  était  très  savant  dans  les  lettres 
clirétienncs,  et  le  pape  Fabien  l'accueillit  bien,  l'ordonna 
prêtre,  puis  l'envoya,  comme  évéque  d^ Assise,  prêcher  la  pa- 
rote  de  Dieu  en  Ombrie,  qu^on  appelle  aujourd'hui  le  duché 
de  Spolète.  Près  du  château  de  Spello,  il  guérit  un  enfant 
d  environ  cinq  ans,  qui  était  bègue  ;  et  celui-ci  le  raconte  à 
tous  [ad  civiuni  turmasj.  «  Cest  Jitpiter  »,  disent  les  uns', 
«  cest  Hercule  »,  disent  les  autres.  On  cherche,  on  trouve  le 
saint  sur  les  confins  d'Assise,  «  Qui  es-tu,  d'où  viens-tu  ?  »  — 
«  J'ai  été  renvoyé  dans  cette  patrie,  répond-il,  afin  de  semer 
le  verbe  de  Dieu  ;  il  faut  rejeter  les  faux  dieux,  croire  en  la 
sainte  et  inséparable  (individuae)  Trinité  ;  qui  a  été  triplement 
baptisé  connaît  son  créateur  et  recouvre  le  bonheur  de  son  pre- 
mier père.  »  —  «  Mais  pourquoi  ne  connaissons-nous  pas  ce 
Dieu-là  ?»  —  a  11  na  pas  daigné  vous  envoyer  les  Prophètes 
ni  les  Patriarches  ?  »  —  Et,  comme  ils  lui  demandent  la 
preuve  de  ce  qu'il  avance,  Vidorin  crache  à  terre,  à  l'exemple 
de  son  maître,  enduit  de  cette  boue  les  yeux  d'un  malheureux 
qui  a  perdu  la  vue^,  invoque  le  Dieu  trine  et  un:  V  aveugle 
voit,  ils  se  convertissent,  ils  vont  à  Assise.  Mais  voici  quà 

»  B.  H.  L.,  8597  [13  juin,  669  ou  163]. 

■2  D'après  saint  Jérôme  :  Liber  interp.  hehr.  nomimtm. 

3  Souvenir  de  Jean,  ix,  6.  Cf.  Marc,  viii,  23. 


108  TRADITIONS    d'oMURIK 

V  entrée  de  la  ville  ^  ils  trouvent  le  pré /et  Dar/nns  qui  leur 
demande  d'où  ils  viennent.  «  Nous  venons  dOrienl  ;  Dieu 
nous  a  envofjès  chasser  d'ici  le  vain  culte  des  idoles.  »  Dagnus 
le  frappe,  V empêche  de  dire  de  qui  il  tient  son  pouvoir  et,  le 
liuitihne  jour,  il  le  fait  comparaître  devant  son  tribunal. 
((  Braves  gens  [?  boni  homines),  déposez  votre  titre  de  chré- 
tiens !  »  —  «  Nous  n  espérons  rien  de  bon  que  par  la  foi  en 
celui  de  qui  on  chante  :  et  uidit  Deas  cuncta  quae  fecerat...  » 
Un  des  conve7'tis  ajoute:  «  Depuis  que  le  serviteur  de  Dieu 
nous  a  enseigné  la  vérité,  nous  rejetons  les  idoles  :  ce  sont  des 
démons  ».  On  le  décapite  près  de  la  ville,  non  loin  de  la 
route  qui  mène  au  Tescio,  et  Victorin  l'enterre,  —  «  Cest  toi 
qui  séduis  ces  gens,  lui  dit  Dagnus  :  reviens  aux  dieux,  je 
f  enrichirai  ».  Victorin  refuse',  on  le  jette  dans  un  brasier  y 
mais  la  flamme  s' éteint  ;  il  chante  :  Igné  me  examinasti.  Ses 
amis  battus  de  chaînes,  déchirés  par  les  ongles  de  fer,  sont  à 
la  fin  jetés  dans  un  puits  :  la  troisième  nuit  après  leur  mort, 
Victorin  accourt  et  les  ensevelit»  Il  continue  de  prêcher,  et  le 
préfet  le  croit  parti.  Mais  un  païen  le  dénonce  ;  on  le  trouve 
près  du  fleuve,  dans  un  endroit  clos,  où  il  prie  avec  les  chré- 
tiens ;  on  l'arrête  brutalement,  on  le  roue  de  coups  :  seulement, 
l'un  des  impies  ne  peut  plus  ouvrir  le  poing.  «  La  piété  que 
nous  devons  aux  rois  romains  (pietas  regam  romanorum) 
nous  engage  à  supporter  les  injures,  lui  dit  le  préfet  ;  songe 
à  ta  jeunesse  et  sacrifie  ;  sinon,  tu  mourras,  »  —  «  Dieu  in  a 
envoyé  dans  cette  province,  répond  Victorin;  que  la  volonté 
de  Dieu  soit  faite.  Mon  Seigneur  a,  de  lui-même,  été  à  sa  pas- 
sion ;  nous,  de  même,  nous  marchons  volontiers  au  supplice 
pour  r amour  de  lui.  Comment  donc  ne  le  sais-tu  pas  ?  »  — 
((  Ce  sont  nos  dieux  qui  donnent  le  salut.  »  —  c  Je  ne  te  croyais 
pas  si  sot  ;  c^est  pour  toi  que  David  a  dit  :  Appone  Domine 
iniquitatem  super  iniquitatem.  »  —  c  Vous  vous  moquez 
de  moi;  eh  bien,  sacrifie  à  Mars,  ou  meurs  ».  On  le 
conduit  au  temple;  il  chante,  intrépide;  à  r  endroit  du 
supplice,  il  demande  aux  bourreaux  un  instant  de  délai,  et 
prie  le  Dieu  tout-puissant,  qui  vit  et  règne  trine  et  un.  Il  re- 
fuse de  sacrifier  et  est  décapité  au  pied  du  mont  de  Jupiter, 
près  du  fleuve  Tescium,  dans  la  ville  de  Macerata,  au  début 
de  juin,  le  13, 

Cette  légende  —  dont  le  héros  est  inconnu  au  férial  hiéro- 
nymien,  au  calendrier  populaire,  à  Adon  et  à  Usuard  — •  rap- 


ORIGINES    DE    LA    LEGENDE  100 

pelle  la  légende  des  XII  Syriens  par  son  thème  central  : 
evangélisation  d'une  partie  de  l'Ombrie  par  des  Orientaux.  — 
Klle  rappelle  surtout  les  gestes  de  Félicien  de  Foligno  :  ici  et 
là,  même  conception  de  la  répartition  des  provinces  entre  les 
missionnaires  chrétiens  ;  même  insistance  sur  la  science  du 
saint,  qui  le  fait  distinguer  du  pape  ;  même  époque,  Gordien 
et  Philippe  ;  même  pays,  Assise  ;  comme  l'auteur  de  Félicien^ 
l'auteur  de  Victorin  cite  les  gestes  romains  ou  y  puise  |ici 
Abtlon  et  Sennen  ;  là  Maris  et  Marthe,  venus  aussi  de  l'Orient 
ad  limina  apostolorum],  —  Je  remarque,  enfin,  que  les  ex- 
pressions serere  verbum  Dei,  divini  verbi  satores  sont  com- 
munes à  Victorin  et  à  Juvènal^  oij  l'on  voit  aussi  que  la  terre 
a  été  répartie  entre  les  apôtres.  Félicien  et  Jiivénal  datent  sans 
doute  du  début  du  vii^  siècle  ;  peut-être  faut-il  en  dire  au- 
tant de  Victorin. 

Je  remarque  que  ces  gestes  présentent  certains  traits  assez 
fréquents  dans  les  textes  grecs  :  le  saint  demande  un  délai 
pour  prier,  avant  son  supplice  ;  on  parle  de  Dagnus,  qui  ap- 
paraît dans  la  légende  de  Christophe  ;  le  terme  de  protoparens 
est  à  moitié  grec  *.  Si  Ton  songe  que  le  début  du  vif  siècle 
voit  s'épanouir  en  Italie  la  légende  byzantine,  on  considérera 
comme  très  probable  notre  hypothèse.  —  L'expression  duca- 
tus  spoletanus  2,  qui  appartient  peut-être  au  texte  primitif,  la 
datation  par  le  quantième  du  mois,  surtout,  la  rendent 
presque  nécessaire. 

Trois  points  restent  obscurs.  Pourquoi  placer  en  246  l'avè- 
nement de  Gordien,  qui  mourut  en  244.  L'origine  de  Terreur 
est-elle  purement  paléographique  ? 

Où  placer  Victorin,  à  Macerala  ou  à  Assise?  On  ne  le  voit 
pas  clairement  ^ 

Faut-il  croire  que  notre  texte  est  un  remaniement  d'un 
texte  du  vi^  siècle,  ou  faut-il  expliquer  par  une  inQuence  litté- 
raire l'insistance  de  l'auteur  sur  le  Dieu  trine  et  un  %  et  sur- 
tout sur  la  spontanéité  du  martyr? 


^  Cf.  dès  le  vi<^  siècle,  dans  Processus,  tnellopvinceps^  Cf.  G.  M.  R.,  1,  303. 

-  Cf.  Hartmann  :  Geschichte  Italiens  im  Mittelalter^  11,  1  (1900),  45,  110, 
252,  269;  11,  2  (1903),  12,  34,  38,  etc.. 

^  «  Tune  unus  ex  eis...  decollavit  eum  sub  monte  Jovis,  iuxta  flumen  quod 
Tescium  dicitur  in  Macerata  villa,  intrante  iunio  die  tertio  decimo  » 
[13  juin  671]. 

*  Cf.  Terentianus  D,  au  chapitre  suivant. 


\{{}  TRADITIONS    D  OMBRIE 


Gestes         U Arménie  livra  au  supplice  (?  ad  correptionem)  les  enfants 
dVEini-    de  la  grâce  {de  Dieu)  ;  elle  se  choisit  des  martyrs  qui  montre- 
Spolète  1    raient  jus  qii  oh  allait  leur  charité,  jusqu'à  V  effusion  du  sang. 
L'un  d'eux  est  notre  martyr  yj^milianus^  dont  on  m'a  or- 
donné d'écrire  la  vie.  (Donc),   il  venait  d'' Arménie  (de  JJer- 
minia  regione)  et  arriva  dans  la  cité  de  Spolète.   Comme  su 
sainteté  éclatait  aux  regards,  on  chercha  quelle  ville   avait 
besoin  d'un  évéc[ue  ;  on  apprend  que  la  civitas  lucana  rCen 
avait  aucun,  on  l'y  envoie.  Il  y  trouve  des  nobles  de  la  fa- 
mille des  Anchi  {?  de  Anchorum  génère)  qui  le  demandent 
pour  évêque  :  et  les  Anchi  vont  à  Rome  et  obtiennent  gain  de 
cause.  Mais,  tandis  qu'il  exhorte  le  peuple  à  abandonner  les 
idolesy  Maximien  augustalis  de  Tuscie  [?  augustalis  ïuscise?) 
fait  rechercher  soigneusement  les  chrétiens.  «  Tu  es  fou,  »  dit-il 
à  yEmilianus,  lorsqu'on  le  lui  amène.  —  c  Non,  répond  le 
saint  ;  il  est  éant  que  les  dieux  des  nations  sont  les  démons 
et  que  sera  déraciné  celui  qui   leur  sacrifie.  »   //  défie  les 
prêtres,   et  guérit  un  paralytique  qu'ils  ont  été  inhabiles  à 
sauver,  malgré  leurs  invocations  à  Asclepius,  à  Hippocrate, 
à  Jupiter,    à  Galien  et  autres  dieux.  Les  médecins  furieux 
grincent  des  dents  et  poussent  l'empereur  à  le  tuer.  On  rétend 
sur  le  chevalet,  on  lui  brûle  les  côtes  ;  mais  le  Christ  lui  ap- 
paraît et  le  réconforte,  et  desséche  les  mains  du  bourreau,  et 
éteint  les  lampes.  Une  seconde  fois,  le  Christ  vient  le  secourir 
lorsqu'on  le  jette  dans  une  chaudière.  Il  accourt  encore,  lors- 
qu'on précipite  le  martyr,  une  pierre  au  cou,  dans  le  fleuve 
Cleoton  ;  et  lorsque,  dans  l'amphithéâtre,  on  lance  sur  lui  les 
bêtes  féroces.  Mille  habitants  se  convertissent,  que  Maximien 
met  à  mort.   Mais   le  Christ  sauve  encore  yEmilianus  lors- 


'   1  B.  H.  L.,  107  [Bibl.  Casinensis,  m,  flor.  49]  :  «  Et  enim  Hermenia  quidem 
tradidib...  » 


^MILIANUS    DE    SPOLÈTE  111 

quon  raccroche  à  la  roue  et  le  saint  raille  et  maudit  V empe^ 
reiir,  fils  du  diable,  u  Comment  sais-tu  que  nous  sommes 
inaudits  Dj  demande  Maximien,  —  «  Je  Vai  appris  de  mon 
maître,  le  prêtre  Hilarianus  ».  Maximien  l'oivoie  quérir ^  et, 
sur  son  refus  de  sacrifier,  il  le  met  à  mort  ainsi  que  ses  deux 
frh'es,  Denys  et  Ilermippe ;  mais  un  tremblement  de  terre 
jette  à  terre  les  idoles. 

a  Hilarianus  et  ses  frères  ont  sacrifié  »,  dit  Maximien  à 
.Kmilianus.  Celui-ci  a  appris  par  l'Espril-Saint  qu'ils  ont 
été  couronnés  ;  il  défie  Maximien  de  les  lui  montrer  et  lui  dé' 
clare  ([uil  ment  comme  un  chien.  Tandis  qu'on  le  conduit  à 
la  mort,  il  convertit  et  baptise  beaucoup  de  gens  ;  puis  il  sup- 
plie humblement  Dieu  de  le  recevoir  par  la  main  de  ses  anges 
et  de  donner  à  ceux  qui  se  souviendront  de  lui  une  foi  droite^ 
la  guérison  de  leurs  maux,  la  rémission  de  leurs  pécJiés, 
Quand  on  veut  le  frapper ^  au  3^  mille  de  la  civitas  lucana,  le 
glaive  du  spiculalor  devient  aussi  mou  que  la  cire  :  il  implore 
son  pardon  ;  yEmilianus  le  lui  accorde  et  obtiejit  la  vie  éter- 
nelle pour  ceux  qui  célébreront  sa  fête.  En  lui  annonçant 
cette  faveur,  une  voix  céleste  ajoute  :  «  on  ne  Rappellera  plus 
^Emilianus,  mais  le  miséricordieux  [iani  non  diceris  yEmilia- 
nus,  sed  niisericors  uocaberis]  ».  //  contraint  les  spiculatores 
à  le  frapper,  et  ceux-ci,  après  avoir  baisé  ses  membres,  le 
frappent  en  effet.  Aussitôt  son  corps  prend  la  blancheur  de 
la  neige,  son  sang  la  blancheur  du  lait  ;  Volivier  auquel  on 
Va  lié  se  couvre  de  fruits  ;  beaucoup  se  convertissent.  Le  bien- 
heureux yEtnilianus  évéque  a  souffert  le  martyre  au  lieu  qui 
est  dit  Carpiani,  à  un  tiers  de  mille  du  fleuve  Cleo  ton 
\??  tertia  pars  miliarii  de  ipso  llumine  qui  Cleoton  ^  vo- 
caturj,  et  son  corps  est  enseveli  par  les  fidèles  le  cinq 
des  /calendes  de  février,  tandis  que  règne  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  qui  vit  et  règne,  Dieu,  dans  tous  les  siècles  des 
siècles.  Amen, 

Il  est  certain  que  cette  légende  est  parente  des  XII  Syriens 
et  de  Victorin  d'Assise  :  ici  et  là,  le  héros  présente  la  physio- 
nomie curieuse  d'un  apôtre  de  l'Ombrie  originaire  de  l'Orient 


*  J'imagine  que  ce  vocable  désigne  le  Glitumne.  Cf.  les  gestes  de  Crispo- 
lilus,  12  mai  22. 


112  TRADITIONS    d'oMKHIE 

(Syrie,  Assyrie,  Arménifi)  ;  ici  et  là,  le  texte  porte  la  trare 
des  préoccupations  eccl(;siastiques  des  Spolclains  :  ce  sont  les 
Spol(Hains  qui  cherchent  en  quelle  viUe  envoyer  un  aussi 
digne  évèque  ;  mais  —  et  ceci  ra[)peMe  Viclorin, —  c'est  le 
pontife  de  Rome  qui  confère  à  l'Arménien  l'épiscopat  de  Lu- 
canie.  Notre  rédacteur  ne  favorise  pas  Spolète  ;  mais  il  té- 
moigne du  prestige  qui  l'entoure.  —  Et  trois  faits  de  moindre 
importance  confirment  notre  thèse.  L'olivier  auquel  on  at- 
tache /Emilianus  se  couvre  soudain  de  fruits  ;  pareillement, 
dans  Jea?i  Penariensis^  on  a  vu  soudain  fleurir  l'arbre  sous 
lequel  repose  le  saint  \  Le  Codex  Casinensis  CXVll  (de 
la  fin  du  x^  siècle)  est,  à  ma  connaissance,  le  seul  ma- 
nuscrit où  se  lise  le  texte  qu'on  a  résumé  :  la  composition 
de  ce  manuscrit  manifeste  l'origine  ombrienne  de  l'arché- 
type ^.  Ici  et  là,  on  semble  viser  les  Ariens  :  Viclorin  insiste 
sur  le  Dieu  trine  et  un,  iEmilianus  sur  la  rectitude  de  la 
foi. 

Il  est  encore  certain  que  la  légende  rappelle  ASa^mi/^,  Donat^ 
surtout  Valentln.  Gomme  Sabinus,  elle  présente  un  augus- 
talis.  — Le  maître  d'^Emilianus,  Hilarianus  (?),  ressemble  fort 
au  maître  de  Donat,  Hilarinus  ou  Hilarianus,  d'autant  que 
tous  deux  sont  présentés  comme  des  moines  {domine  pater, 
ainsi  l'appelle  iïlmilien). — Je  remarque,  enfin,  la  liste  des 
dieux  qu'invoquent  les  prêtres  païens  :  deux  d'entre  eux  ne 
sont  autres  que  les  fameux  médecins  Galien  et  Hippocrate  ;  et 
l'on  assure  que,  lors  de  la  guérison  du  paralytique,  les  méde- 
cins grinçaient  des  dents,  abierunt  medici  stridentes  dentibus. 
Le  rédacteur  à! JEmilianus  s'intéresse  aux  choses  de  méde- 
cine :  comme  l'auteur  de  Valentln  de  Terni  et  de  Donat^  il  op- 
pose complaisamment  à  l'ignorance  des  médecins  le  pouvoir 
miraculeux  de  Tévêque. 

Les  gestes  d*^milianus  nous  font  souvenir  encore  de 
quelques  textes  du  vue  siècle.  Leur  auteur  paraît  être  un 
moine,  qui  écrit  sur  l'ordre  de  son  abbé  :  tel  semble  le  cas  de 
Victori7i-Séve)nn  et  de  Cassien  (qui  nomme  Asclépius).  —  L'au- 
teur est  un  poète  qui  fait  parler  en  vers  le  martyr,  tandis 
qu'il  marche  à  la  mort. 


1  Cf.  aussi  le  rôle  de  Tolivier  dans  Agathe  [G.  M.  R.,  ii,  201,  note  1]. 
-  Bibliotheca  Casinensis,  iome  III.  —  Cf.  G.  M.  H.,  vi. 


I 


UN    ASCÈTE    ET    UN    MARTYR    CONFONDUS  113 

«  Omiiipotens  dominus,  celi  terreque  creator, 
Jehsu  Christe,  deus  roi^um,  sumina  potestas, 
Oninia  qui  iuste  modéras  nioderamine  saucto  1 
De  celis  ueniens  natus  de  uirgine  sacra, 
Postquam  mille  modis  miracula  sancta  dedisti, 
lu  cruce  coiifixus  salvasti  sanj^uine  mundum 
Unde  luis  famulis  donasti  forte  trophœum 
Demoniacas  fraudes  par  quod  confringere  possint...  » 

Oq  voit  pareille  chose  dans  le  remaniement  de  Félicité  ^ 

11  est  très  assuré,  enfin,  que  Tauteur  subit  rintluence  delà 
Légende  grecque.  L'origine  orientale  qu'il  assigne  au  martyr 
nous  l'indique  ;  et  Tartilice  dont  il  use  pour  recommandera 
ses  lecteurs  le  culte  d'^^milianus  le  prouve  plus  clairement 
encore  :  il  leur  promet,  par  la  voix  de  Dieu,  toute  sorte  de 
bienfaits. 

Precamur  humiles,,.,  implorantes  simul  et  pro  omnibus  qui 
memores  extiterint  nostri  ad  reverentiam  noniinis  tui.  Trihuas 
eiSj  quesumus,  domine,  fidei  rectse  constantiam,  infirmanti- 
l)us  medellam...;  et  si  in  delictis..,  ceciderint . . ,  et  clamaverint 
ex  gemitu  cordis...,  exaudi  in  celo  et  propitiare  impietati 
eorum...  Quicumque  colunt  meam  festivitatem  et  faciunt 
commemorationem  (meam),  habeant  partem  cum  domhio,,., 
b.  maria...,  et  b.  michaele  archangelo...  in  regno  tuo.  Vox  de 
celo  (respondit)  :  Quecumque  petisti,  ego  exaudiam  te. 

Pareils  traits  sont  communs  dans  les  textes  grecs  K 
Nous  sommes  ainsi  conduit  à  penser  que  la  légende  date  du 
temps  des  Lombards  et  de  l'exarchat  de  Havenne,  plus  préci- 
sément du  vue  siècle.   L'auteur  est  évidemment  à  chercher 
parmi  les  moines  de  Spolète  et  d'Ombrie. 

Restent  deux  points  obscurs.  Après  avoir  accordé  à 
i'Emilianus  ce  qu'il  demandait,  la  voix  céleste  continue 
ainsi  : 

lAM    NON    DICEBERIS    .^MILIANUS^    SED    MISERICORS    UOCABERIS. 

11  s'agit  ici,  semble-t-il,  d'un  changement  de  nom.  Mais 
quelle  est  la  portée  de  ce  détail? 

D'autre  part,  quelle  est  l'origine  de  la  légende?  Doit-on 

'  B.  H.  L.,  1855  [10  juillet,  i4  on  13  ;  ou  Kuastle  :  133].  Là-dessus,  cf. 
Kunetle,  p.  124-133. 

-  Cf.  Biaise,  etc..  G.  M.  R.,  v.  La  prière  qu'adresse  le  martyr  à  Dieu  afia 
que  son  âme  soit  reçue  par  les  anges,  le  sang  blauc  comme  le  lait  rappellent 
aussi  les  textes  grecs.  Cf.    Victorin  d'Assise  [délai  pour  prier]  ;  et  Eiitychius, 

m  8 


114  TRADITIONS    d'oMBRIE 

(lire  qu'elle   dérive    d'un    culte,    comme    il    arrive    le    plus 
souvent? Ou  bien  a-t-elle  une  autre  origine  mystérieuse  ? 

Voici,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  l'hypothèse 
qui  semble  le  plus  vraisemblable.  Il  y  a  eu,  —  c'est  Gré;_^oire 
le  Grand  qui  l'atteste  \  — vers  le  milieu  ou  la  fin  du  vi^siècle, 
un  pénitent  fameux  nommé  yEmihanus.  On  lui  donne  un  se- 
cond nom  ;  il  entre  de  bonne  heure  dans  la  lèrjende  ;  son  his- 
toire témoigne  de  la  miséricorde  de  Dieu.  Notre  ^milianus 
l'Arménien  ne  dérive-t-il  pas  d'une  transhguration  dVEmilia- 
nus  le  pénitent  -  ? 

Et  comment  expliquer  qu'on  Tait  qualifié  de  martyr? 
yEmilianus  le  pénitent  n'est  pas  honoré  comme  tel.  —  Il  y 
avait  un  martyr  i^milianus  dont  l'histoire^  très  authen- 
thique,  avait  été  popularisée  en  Italie  par  Cassiodore.  Dans  le 
récit  que  fait  celui-ci  de  la  persécution  de  Julien,  on  lit  cette 
phrase  : 

In  Dorostolo  vero,  insigni  Thraciœ  civitate,  A^milianus  in- 
victissimus  decertator,  a  Capitolino  wiiversœ  Thraciœ  judice 
igni  traditus  esf^. 

Les  Romains  s'intéressaient  aux  martyrs  du  Danube  :  peut- 
être  lisaient-ils  les  actes  d'^milianus  comme  ils  lisaient  les 
actes  de  Quirinus,  d'Irénée  ou  de  Pollion  ^.  Le  souvenir  du 

1  P.  i.,  76,  1257,  §  18.  Cf.  le  texte  cité  tout  au  long,  injra,  chap.  xi. 

2  Où  vivait  et  daûs  quel  monastère  se  réfugia  ^milianus  le  pénitent?  Gré- 
goire ne  le  dit  pas;  et  nous  connaissons  trop  mal  la  vie  de  Maximianus, 
sou  auteur,  pour  suppléer  à  son  silence.  —  Mais  je  remarque  que  les  deux 
légendes  où  reparaît  le  souvenir  d'^milianus-Victorinus  sont  attachées, 
l'une  à  rOmbrie,  l'autre  au  Picenum.  Le  Picenum,  l'Ombrie  [on  peut  ajouter 
la  Lucanie]  sont  régions  voisines  l'une  de  l'autre  :  c'est  de  ce  côté  qu'il  faut 
chercher  le  pays  de  notre  saint.  ^H 

Quel  est  le  lieu  que  désignent  ces  mots  :  civitas  lucana'?  ^^^B 

Je  rapproche  l'expression  civitas  lucana  d'autres  expressions  analogues  : 
civitas  aurelia  [Basilidé],  civitas  valeria  [L.  P.,  i,  317].  Cette  expression  est 
étrangère  à  saint  Grégoire  qui  emploie  couramment  le  mot  provincia,  pour 
signifier  même  un  territoire  urbain  [Cf.  DiaL,  iv,  22.  —  P.  L.,  77,  353.  G... 
provincia  quœ  Sura  nominatur].  Mais  l'usage  de  Grégoire  montre  combien  le 
gens  des  mots  provincia,  civitas,  se  transformait  vers  l'an  600.  Cf.  Diehl  : 
op.  laud.,  22. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  aucun  rapport  entre  notre  ^Emilianus,  JErni- 
lianus  de  Pontgibaud  [Grég,  Tur.  Vit.  Pat.,  12.  —  P.  L.,  71,  1061]  ni  .Emi- 
lianus  l'Espagnol  [Braulion  :  Viia  JEm.  P.  L.,  80,  701].  Mais  saint  Grégoire 
nous  parle  d'un  notaire  de  l'église  romaine  appelé  iËmilianus  [Ep.  xi,  15.  — 
Hartmann,  ii,  276J. 

■^  Hist.  Trip.,  vi,  16  [P.  L.,  69,  1040,  C,].  Cassiodore  dépend  de  saint  Jé- 
rôme :  Chronic.  a.  266  :  «  ^milianus  ob  ararum  subversionem  Dorostori  a 
vicario  incenditur  »  [P,  L.,  27,  691-692]. 

*  Cf.  supra,  ^i  G.  M.  R.,  ii.  221.240  Chapitres  x  et  xi.  Noter  que  la  citation 


J 


UN   ASCÈTE   ET   UN   MARTYR   CONFONDUS  115 

niarlyr  de  Doroslorum  se  confondit,  j'imagine,  avec  celui 
qu'avait  laissé  iEinilianus  le  pénitent  :  ainsi  naquit  la  légende 
d'-^Emilianus  de  Spolète. 

On  voit  quelle  est  la  richesse  de  la  légende  de  Spolète  et 
d'Assise,  et  combien  étroite  la  parenté  des  textes  où  elle 
s'exprime,  et  combien  forte  l'influence  qu'exercèrent  sur  elle 
les  gestes  romains  et  les  traditions  grecques.  Ce  fait  est  sans 
doute  en  rapport  avec  l'importance  du  pays  à  l'époque  lom- 
barde :  Spolète  était  capitale  d'un  duché  très  puissant  dont  les 
rapports  avec  Rome  étaient  assez  intimes  *. 


qui  sacrificant  diis  eradicahuntur  se  lit  dans  Quirinus  et  dans  Irènéô  [G.  M. 
R,,ii,  221,  241]  comme  Ad^u?,  yEmiliayius,  et  que  les  deux  saints  sont  également 
jetés  dans  un  fleuve,  une  pierre  au  cou.  Noter  que  les  mots  :  Hilaranus  et 
868  frères  ont  été  couronnés  s'expliquent  peut-être  par  un  souvenir  des  IV 
coronati.  L'auteur  connaît  certainement  les  textes  panuoniens. 

Je  me  demande  si,  dans  le  mot  Anohi,  il  ne  faut  pas  lire  Anicii,  qui  sont 
cités  dans  Juvénal  [cf.  supra  p.  85].  On  sait  que  saint  Grégoire  est  un  Ani- 
cius  ;  son  notaire  iEmilianus  ne  serait-il  pas  l'auteur  de  notre  texte  ?  — Quant 
au  locus  Carpiani,  cf.  le  «  fundus  Carpianus,  in  pago  salutari  »,  cité  dans  la 
Tnb.  alim.  Ligur.  Braebianorum  [Mommsen,  1534,  col.  3,  ligne  15,  d'après  de 
Vit  :  Onomasticon]. 

*  Hartmann,  ii.  1,  43,  48,  63,  245  —  Les  rapports  de  Rome  et  de  Spolète 
au  viii«  siècle  sont  très  bien  connus  [politique  de  Grégoire  III  et  d'Hadrien  I^i]. 


CHAPITRE   V 


TRADITIONS  D'OMBRIE 
MA  AMERINA 
LES  SAINTS  TERENTIANUS,  CASSIEN,  FIRMINA,  SECUNDUS, 
CRESCENTIUS,  CRISPOLITUS. 


Dès  la  fm  du  vi"  et  durant  tout  le  cours  du  vu"*  siècle,  deux 
grandes  routes  traversaient  l'Apennin.  L'une  était  aux  mains 
des  Lombards;  c'était  l'antique  voie  Flaminienne  qui,  fran- 
chissant le  Tibre  à  Otricoli,  par  Narni,  Bevagna,  Foligno,  No- 
cera  atteignait  l'Apennin,  et,  de  la  montagne,  gagnait  la  mer. 
Quand  les  Lombards,  en  571,  avaient  occupé  Spolète,  Foligno 
et  Nocera,  Rome  s'était  trouvée  coupée  de  Ravenne  ;  d'autant 
qu'ils  s'étaient  emparés  encore  de  Todi  et  de  Pérouse. 

L'exarque  Romanus  reconquit  et  sut  garder  Pérouse  ' 
[590-597]  et  il  organisa  fortement  la  défense  d'une  voie  stra- 
tégique impériale  passant  par  ce  point  et  reliant,  parallèle- 
ment à  la  voie  Flaminienne,  le  versant  tyrrhénien  au  versant 
adriatique.  «  La  nouvelle  voie...  quittait  Rome  par  la  Via 
Cassia,  et,  un  peu  au  nord  de  Baccanœ  (Baccano),  empruntait 

*  €  Dura  reverteretur  Raveona  (Romanus)  retiouit  ciuitates  quas  a  Lon- 
gobardis  tenebantur.  Sulrio,  Polimartio,  Hortas,  Tuder,  Ameria,  Perusia, 
Luciolis  et  alia  multa  ».  L.  P.,  i,  312,  3133.  —  Cf.  Paul  Diacre.  H.  L.,  iv,  8 
(M.  G.,  p.  118)  et  Gregorius  Magn.  praef.    Hbri  II  in  Ezeohielem. 


H8  TRADITIONS    d'oMMRIE 

la  Via  Amcrina.  Par  Nepe  (Nepi)  ot  Gallcsium  (Galleso),  elle 
gagnait  le  Tihre  qu'elle  traversait  à  llorla  (Orte),  puis  par 
Ameria  {KmaXidi),  /wûfer  (Todi)  et  la  vallée  du  Tibre,  elle  at- 
teignait Pérouse.  De  là,  elle  rejoignait  par  deux  voies  la  voie 
Flaminienne,  soit  en  gagnant  par  Guhhio  le  poste  de  ad  Ense 
(Scheggia),  soit  en  aboutissant  à  la  place  de  Tadinum,  recon- 
quise par  les  Byzantins  en  juillet  51)9.  De  là,  par  Lucioli, 
Gallium,  Petra  Pertusa,  elle  gagnait  la  Pentapole  \  » 

Quelles  sont  les  légendes  qui  lleurissaient  dans  ces  cités?  Et 
dans  quel  rapport  sont-elles  avec  les  gestes  romains? 


Todi  2 


Gestes  de      \^^  p^^g  vieille  est  probablement  la  léorende  de  Terentianus. 

Ter  eu-  *^  ,  ,     .        ^  ^ 

tiauus  de       Confier  à  l'écriture  et  sauver  de  l oubli  les  triomphes  des 

saints  martyrs  est  un  digne  (labeur)  :  celui  qui  veut  adorer  et 
imiter  Dieu  persévère  avec  plus  d^ ardeur  sHl  lit  les  combats 
des  martyres.  Disons  donc  le  martyre  du  bienheureux  Teren- 
tianus, évéque  de  l'église  tudertine.  L'empereur  Adrien,  qui 
s'appelle  aussi  Helios,  c'est-à-dire  Soleil,  apprit  à  connaître 
les  miracles  de  Jésus-Christ  tandis  quil  visitait  V  Orient  ;  il 
crut  aussitôt  [illico  credidit],  se  mit  à  réédifier  l'église  du 
Seigneur^  restaura  Jérusalem  et  envoya  dans  toutes  les  par- 
ties du  monde  un  édit  interdisant  d' inquiéter  aucun  chrétien  à 
cause  de  sa  foi  [per  omnes  mundi  partes  edictum  proposait  ut 
nullus  christianus  pro  Ghristo,  nisi  causa  alius  criminis,  in- 
ventus  punireturj.  Mais,  à  son  retour  à  Rome,  les  sénateurs 
et  les  adorateurs  des  idoles  crient  que,  si  on  ne  tue  les  chré- 
tiens, c  en  est  fait  de  la  république.  Le  préfet  de  la  ville, 
Marianus,  rappelle  à  l'empereur  qu'il  lui  a  déjà  donné  pa- 

■    1  Diehl,  69-70. 

2  B.  H.  L.,  8000  [MoEûbritius,  ii,  327]  :  «  Sanctorum  martyrum  triumphos 
stilo  memoriae  comeadare  digaissimum  est...  »  —  C'est  le  texte  que  j'ap- 
pelle A. 


TEBENTIANUS   DE   TODI  119 

reil  conseil  ;  il  ajoute  que,  dans  un  pays  [pagus]  'proche 
la  cite  de  Todi,  un  vieillard  convertit  tout  le  peuple.  Ceci 
se  passait  dans  le  temple  de  Jupiter  Capitolin^  le  IV  des 
kalendes  d'août.  Adrien  entend  ce  conseil  avec  calme  et  or- 
donne de  contraindre  les  chrétiens  à  choisir  entre  le  sa- 
crifice et  la  mort.  Lœtianus^  proconsul  de  Tuscie  et  Andréa 
togatus,  qui  Vassistent,  tous  les  sénateurs  et  proconsuls 
acclament  Marianus  et  crient:  «  Très  clément  empereur, 
que  notre  commune  requête  soit  (approuvée  par  toi)  et 
publiée  partout  )).  L'empereur  lance  un  édit  *  en  consé- 
quence, que  Lœtianus  apporte  à  Todi  et  annonce  aux  nobles 
et  aux  magistrats  ^.  Le  lendemain,  les  ennemis  quont  les 
chrétiens  dans  la  Curie  [de  curiaj  arrêtent  saint  Terentianus 
et  les  religieuses  [sanctimoniales]  et  les  conduisent  au  pro- 
consul Lœtianus >  Lœtianus  le  fait  entrer  dans  son  palais  et 
lui  offre  en  vain  l amitié  d^ Auguste  :  depiiis  qiiil  prêche,  les 
prêtres  et  les  vierges  n  obtiennent  plus  de  réponses  des  idoles 
et  le  feu  s'' éteint  dans  les  sacrifices.  Terentianus  expose  la  vé- 
rité: le  Fils  de  Dieu  engendré  de  Dieu  le  Père  avant  tous  les 
temps  et  né  d^une  Vierge  à  la  fin  des  siècles,  et  V Esprit-Saint 
qui  procède  du  Père  et  du  Fils  ;  le  Fils  incarné  pour  sauver 
l'homme  trompé  par  le  diable  ;  V  Esprit-Saint  égal  au  Père  et 
au  Fils  ;  qui  croit  en  eux  est  sauvé,  si  credideris,  salvus  eris. 
—  ((  Et  nos  oracles  ?  »  —  «  Dieu  permet  quelquefois  que  les 
démons  disent  vrai  ».  —  «  Sacrifie,  »  • —  a  Depuis  que  je  suis 
prêtre,  je  sacrifie  à  Dieu  une  hostie  vivante  et  sans  tache  dans 
le  corps  et  le  sang  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  [sacriiico 
Deo  hostiam  vivam  et  immaculatam  quiB  corpore  et  sanguine 
1).  J.  C.  conficitur].  ))  —  «  Cest  donc  souvent  qu'on  tue  votre 
Christ  [fréquenter  occiditur  Christus  vester].  »  —  a  Le  diable, 
ton  père,  fa  aveuglé.  Le  Christ  n  a  souffert  qu  une  fois  ».  On 

*  Ea  voici  le  texte  :  «  Adrianus  Inclytus  triurophator.  Ratum  et  iustum  est 
diis  seruire  omr.ipotentibus,  per  quos  et  nostra  félicitas  floret  et  respublica 
guberDatur.  Ubicumque  iuventus  fuerit  christianus  sacrilegiis  aut  diis  sacri- 
ficia  olferut,  aut  tormentis  diuersis  intereat  ».  Propositutn  est  hoc  edictum 
quarto  Kalendas  auguslas  in  foro  Traiani. 

-  Voici  le  petit  discours  de  Laetianus  :  «  Viri  patres  et  amici  principum,  co- 
gDoscite  promulpatum  a  Gaesare  augusto  edictum  ut  cultores  deorum  floreaut 
et  cliristiani  nomiuis  rei,  si  inuenli  fuerint,  pœois  uariisque  tormentis  in- 
tereant  ».  —  Les  nobles  de  Todi  sont  appelés  dans  le  texte  maiores.  Félix  de 
SjM'llo  p.  103.  Eet-ce  un  équivalent  de  principales  [Diehl  :  op.  laud.,  95]  ?  Les 
«  magistrats  »  soni-ils  leurs  présidents,  comme  à  Ravenne?  Majores  a  sans 
doute  un  sens  très  général  [Ewald.  i,  213.  Gregorii  Ep.  m,  54],  comme  ^^ri- 
ttiores,  'primates. 


420  TRADITIONS    d'oMHKIK 

le   bal,  on  le   dépouille  de  ses  vèle/tnejils  et  l'on  découvre  ses 
parties  sexuelles  |?secr(3ta  illius]  ;  rnais^  quand  on  apporte  les 
statues  de  Jupiter  et  d'Hercule  avec  un  trépwd  et  de  l'encens, 
Terentianus  lève  les  yeux  au  ciel,  et  voici  que  le  prince  des 
prêtres  devient  aveugle^  que  les  idoles  et  le  trépied  se  brisent. 
On  le  met  sur  le  chevalet,  on  lui  brûle  les  côtés,  on  lui  coupe 
la   langue,    on    lui  broyé    les  pieds,  mais  L.xtianus  devient 
m,uet  et  meurt  subitement,  quand  on  le  rapporte  chez  lui.  — 
Terentianus  est  renvoyé  à  la  prison  par  Lucidius  et  Gabinius., 
maîtres  des  soldats  ;  puis,  un  autre  jour,  /e^  augustales  Celsus 
et  Leontius  le  font  comparaître  sur  le  forum.  Mais  le  prince 
des  prêtres,  Flaccus,  est  éclairé  par  une  vision  ;  il  recouvre 
la  vue  à  la  prière  de  Terentianus ,  et  confesse  le  Christ,  Fils 
de  Dieu.  Dans  le  délai   d'une  heure  qu'il  demande  et  quit 
obtient,  il  est  baptisé  et  meurt  avec  Terentianus ,  après  avoir 
été  condamné  par  Celsus  et  Leontius.  Les  deux  martyrs  sont 
décapités  hors  de  la  cité,  près  du  fleuve.  Le  prêtre  Exsupe^ 
rantius  recueille  les  corps  et  les  ensevelit  au  VIIF  mille,  au 
lieu  Pierreux  [in  (oco  petroso]  qui  est  appelé  Colonia.  Ils 
ont  souffert  le  jour  des  kalendes  de  septembre.,  tandis  que 
règne  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  à  qui  honneur  et  gloire 
dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Nous  connaissons  trois  autres  versions  de  cette  légende.  La 
première,  qui  est  conservée  dans  un  manuscrit  d'Orvieto, 
commence  parles  mots  ;  Rediens  Adrianus  imperator  de  Hic' 
rosolymis...  ;  elle  reproduit  le  texte  A,  moins  ce  qui  a  trait  à 
la  conversion  d'Adrien.  Je  l'appelle  texte  B  \ 

La  seconde,  C,  se  lit  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
de  l'Oratoire,  à  Rome  ;  elle  débute  ainsi  :  adhuc  grauis  erat 
persecutio  christianorum  per  totam  provinciam  ut  si  quis  non 
prostratus  idolis  immolaret  pœnis  cruciaretur  ^ 

La  troisième,  D,  a  été  imprimée  intégralement  par  les 
BoUandistes  "^  et  s'ouvre  par  le  prologue  suivant  : 

Anno  cœsaris  augusti  XLII,  expletis  secundum  hebràicam 

^  [B.  H.  L.,  8001].  Legendarius  Orbevelanus,  cité  l^f  septembre,  111,  §  13, 

2  [B.   H.  L.,  8002].  Codex  romamis,  cité  eodern  loco. 

3  [B.  H.  L.,  8003].  1er  septembre,  112.  —  Je  néfzlige  B.  H.  L  ,  8004  [Lectio- 
nnrium  ecclesiœ  Teanensis,  1533,  8i<j;n.,  I,  1.  —  i,  3.  Ultra  sopere  qnain  opor- 
tet...]  :  ce  texte  est  un  remaniement  tardif,  qui  prétend  raconter  la  translation 
d'un  bras  du  martyr  à  Teano,  au  second  siècle  •,]\l  est  divisé  en  18  leçons  [l^"" 
sept,  m,  §  13;  et  B,  H.  L.]. 


QUATRE  VERSIONS  DE  TERENTIANUS  121 

iieritatem  ab  inilio  miindi  annis  rlfJ52,  Jésus  CJmstus  Dei  Fi- 
lins mundum  suo  sacravit  adventu,  Tiberii  autem  cœsaris  oc- 
tavo  decimo  anno  passione  sua  mundum  redemit^  h.  Joannes 
apostolus  sexagesimo  nono  anno  post  passionem  Domini, 
œtaiis  autem  suœ  nonagesimo  septimo,  temporibus  Traiani 
Ephesi  placida  nnorte  quievit.  A  passione  vero  Domiiii  annus 
numeratur  fere  octogesimus  quinlus,  quando  passus  est  s.  Te- 
rentianus  episcopus  temporibus  Adriani  imperatoris. 

Elle  ajoi  te  au  texte  A  :  1.  L'édit  contre  les  chrétiens  est 
acclamé  dix-sept  fois  par  le  peuple^  à  Todi  ;  2.  Exsuperantius 
est  assisté  d'une  pieuse  chrétienne,  Laurentia  ;  3.  Le  rédac- 
teur de  1)  insiste  sur  l'immanence  du  Christ  dans  la  Trinité. 
La  doxologie  est  ainsi  formulée  : 

Régnante  D.  N.  J .  C,  qui  cum  Deo  Pâtre  vivit  et  régna 
Deus  in  unitate  Spiritus  Sancti  ; 
et  Terentianus  dit  à  Laitianus  : 

Credas  Christum  Filium  Dei  una  cum  Spiritu  Sancto  in 
'  Trinitate  et  in  unitate  persiste?item,  et  salvus  eris,,.  Dico  D, 
J.  C.  Dei  Filium  et  Spiritum  Sanctmn  in  unitate  semper  et 
trinitate  matière. 

4.  Après  qu'on  lui  a  coupé  la  langue,  Terentianus  crie  :  Glo- 
ria  tibi,  Deus, 

Elle  supprime  dans  le  texte  A  :  1.  L'histoire  de  la  conver- 
sion d'Adrien  ;  2.  Le  délai  d'une  heure  que  demande  Flaccus  ; 
3.  Les  mots  sécréta  illius  ;  4.  La  durée  du  délai  demandé  au 
moment  du  supplice  ;  5.  Le  titre  de  magister  militum  donné 
à  Lucidius  et  Gabinius. 

Elle  modifie  le  texte  de  l'édit  : 

Victor  Adrianus  augustus  inclitus  triumphator  perpetuus^ 
generali  honore  et  pietate  prascelsus  loto  orbe  romano  sacris- 
que  diis  immortalibus  decus  honoris.  Justum  est  enim  dûs 
sacratissimis  jugiter  deservire  per  quos  romana  félicitas  flo- 
ret  et  respublica  gubernatur  et  dignum  est,  ut  secundum  sug- 
gestionem  magnifici  viri  Marnani  prœfecti  justa  postulatio 
non  denegetur.  Ideo  volo  ut  ubicumque  inventus  fuerit  chris" 
tianus.,  prius  ad  sacrificandum  cornpellatur  et,  si  hoc  adim- 
plere  renuerit,  variis  affligatur  tormentis  ut  diis  nostris 
per  libationem  sacrificiorum  in  omnibus  honor  augeatur, 
Proposita  est  denique  hœc  iussio  IV  Kal.  aug.  in  Foro 
Traiani. 

Elle  fait  de  Marianus,  non  un  préfet  de  Todi,  mais  un  préfet 


TRADITIONS    I)  OMBRIE 


<lo  la  Ville,  ù  liomc.  Il  f3st  roru  par  l'eniporour  devant  lo  temple 
(le  la  ville  de  home,  non  dans  le  tem[)Ie  d(;  .Iu[)iter. 

La  légende  —  dans  ses  parties  communes  à  A,  H,  C  et  1)  — 
apparaît  comme  étroitement  apparentée  à  Sahinus  d'Assise, 
Voici  les  points  de  contact  que  j'ai  notés  :  1.  Un  même  per- 
sonnage, Exsuperantius  ;  2.  Même  cadre  administratif  :  le 
gouverneur  de  Tuscie  et  le  préfet  de  Rome,  les  Aiifjuslalas  ; 
3.  Môme  origine  de  la  persécution,  envoi  de  Rome  d'un  ordre 
écrit;    4.    Môme  hostilité    du   peuple   contre    les   chrétiens; 

5.  Môme  allusion  à  une  même  relique,   doliolum  vitreum  ; 

6.  Même  miracle  ohtenu  par  des  moyens  très  analogues  :  la 
vue  rendue  à  un  aveugle,  ici  par  le  contact  des  mains,  là,  par 
le  contact  des  moignons  ;  7.  Môme  apparition  d'un  Lucius,  ici 
magistrat  local,  là,  envoyé  de  l'empereur  ;  8.  Scènes  popu- 
laires analogues  ;  9.  Libellé  analogue  des  deux  édits  ;  10.  Même 
attitude  du  préfet  de  Rome,  môme  forme  de  la  dénonciation. 

Deux  des  particularités  de  D  sont  à  retenir  :  elles  portent 
chacune  sa  date,  et  ces  deux  dates  coïncident.  Le  prologue 
chronologique  nous  reporte  naturellement  au  temps  de  Denys 
le  Petit  et  des  gestes  de  Laurent  de  Spolète,  c'est-à-dire  à  la 
première  moitié  du  vi^  siècle  :  il  prouve  que  notre  auteur  con- 
naissait sans  doute  la  Chronique  de  saint  Jérôme  '.  —  L'inté- 

1  On  lit  dans  la  Chronique  de  Jérôme  :  «  Anno  ab  Abraham  2010  :  Tertullianus 
in  eo  libro  quem  contra  Judaios  suscepit  affirmât  Chriatum  41  anno  Augusti  na- 
tum  et  15  Tiberii  esse  passum  »  [P.  L.,21,  557-558J.  [Tertullien  écrit  en  effet, 
op.  laud.,  8.  «  Videmus  autem  quoniam  quadragesiuo^  et  primo  anno  imperû 
Augusti,  quo  post  morlem  Gleopatrae  imperavit,  nascitur  Ghristus.  »  —  Cf. 
également  Jérôme  :  Comm.  in  Isaïam,  2  :  «  Veteres  revolvamus  historias  et 
inveniemus  usque  ad  28  annum  Caesaris  Augusti,  cuius41  anuo  Ghristus  nalus 
est  in  Judae...  »].  Ce  passage  est  peut-être  une  glose  :  l'origine  en  serait  donc 
antérieure  au  vie  siècle.  —  Le  compte  de»  années  d'Auguste  est  fait  depuis 
la  mort  de  César.  [P.  G.,  19,  531-532  :  la  naissance  de  Jésus  est  datée  de  la 
43e  année  du  règne].  — L'écart  41-42-43  s'explique  sans  doute  paléographi 
quement. 

Le  compte  des  années  à  partir  de  la  création  est-il  également  fourni  par 
Jérôme?  On  lit  :  P.  L.,  27,  569-570  :  «  Anno  15  Tiberii,  compuiaotur...  a  se- 
cundo anno  instaurationis  templi...  anni  548,...  ab  Abraham  ;2044  ;  a  diluvio 
usque  ad  Abraham  942  ;  ab  Adam  usque  ad  dihivium  2242  »  [cf.  P.  G.,  19 
533-534].  —  Or  2242  +  942  +  2015  [2044-29]  =  5199  et  non  3952.  Cet  écart 
de  1247  ans  s'explique-t-il  par  une  erreur  paléographique  ou  par  l'utilisa- 
tion d'une  autre  source?  L'âge  de  saint  Jean,  qu'on  donne  plus  bas  (97  ans), 
semble  emprunté  à  une  version  des  actes  de  l'apôtre  :  Jérôme,  dans  sa  Chro- 
nique, ne  l'indique   pas  [cf.  P.  L.,  27,  561-562,  anno  Ghristi  4|. 

En  revanche,  on  y  lit  la  date  de  la  mort  de  Jésus    qui    se    trouve    dans  Te- 
rentianus.  P.  L.,  27,  569-572.  J.  C...  «  ad  passionem  ueuit  anno  Tiberii  18  ». 

[Cf.  Gauchie  :  Revue  d'histoire  ecclésiastique].  On  y  trouve  l'explication  de  la 


INFLUENCE    GRECQUE  123 

rôt  qu'il  témoigne  au  problème  de  l'immanence  de  Jésus  au 
sein  de  la  l'iMnité  nous  rappelle  les  polémiques  contemporaines 
d'Hormisdas  et  la  décision  de  Jean  H  '.  Le  texte  I),  selon 
toutes  les  apparences,  date  du  second  quart  du  vi°  siècle-. 

Les  particularités  du  texte  A  ne  sont  pas  moins  révélatrices  : 
elles  attestent  l'érudition  de  son  auteur  et  l'inlluence  de  la  Lé- 
i^ende  grecque.  Hadrien,  dit-il,  s'appelle  Hélios.  C'est  une  évi- 
dente transformation  du  nom  yElius,  qu'a  réellement  porté 
Adrien.  —  Comme  le  conte  notre  texte,  Adrien  a  réellement 
restauré  Jérusalem,  qu'il  appelle  yElla  CapitoHna.  — Adrien 
protégea  les  chrétiens  ;  il  détendit  qu'on  les  poursuivît  en  rai- 
son de  leur  croyance  ;  il  se  fit  chrétien  lui-même.  Ceci  est  une 
évidente  transformation  du  souvenir  laissé  par  le  rescrit 
d'Adrien  à  G.  MinuciusFundanus.  Les  historiens  de  Vhistoire 
Auguste  ont  dû  être  consultés.  J'attire  l'attention  sur  ce  pas- 
sage de  Lampride  : 

Christo  ternplum  facere  voluit  {Alexander  Severus)  eumque 
inter  deos  recipere.  Quod  et  Hadrianus  cogitasse  fertur,  qui 
lempla  in  omnibus  civitatihus  sine  simulacris  jnsserat  fiein, 
quie  hodieque  idcirco  quod  non  habent  numina  dicuntw  lia- 
driani,  quae  ille  ad  hoc  parasse  dicebatur  ;  sed  prohitntus  est 
ab  /lis  qui  consulcntes  sacra  reppererant  omnes  chrisiianos  fu- 
turos^  si  id  fecisset,  et  templa  reiiqua  deserenda  ^. 

Je  rappelle  encore  deux  curieux  passages  d'Epiphane  :  il 
voit  dans  certaines  églises  chrétiennes  de  son  temps  d'anciens 
«  Kadrianées  »  ^  Tout  cela  témoigne  du  travail  légendaire  qu'a 
suscité  la  politique  tolérante  d'Hadrien  et  qui  aboutit  à  nos 
gestes.  Mais  je  ne  saurais  dire  si  le  rédacteur  a  directement 
puisé  à  Lampride,  ou  s'il  dépend  d'un  texte  intermédiaire  : 
d'où  vient,  en  particulier,  l'histoire  delà  conversion  d'Adrien? 
Je  ne  serais  pas  surpris  qu'on  la  rencontrât  un  jour  dans 
un  texte  grec.  Notre   auteur  s'intéresse  aux  choses  de  Grèce. 

date  assignée  par  les  gestes  à  la  mort  de  Jean  :  P.  L.,  27,  603-606,  (anno), 
2  (Trajaui),  «  Joannem  aposiolum  usque  ad  Trajani  tempora  Irenaeus  episco- 
puf»  permansisse  scribit.  » 

iG.  M.  R.,  I,  313  318,  ii,  207-210.  C'est  le  15  mars  533  et  le  25  mars  534 
que  la  formule  VUn  de  la  Trinité  a  élé  crucifié  a  été  approuvée  par  Jusii- 
nien,  puis  par  Jean  II  [Code,  i,  1,  16  ;  Mausi,  viii,  797,  8031, 

-  Peut-être  D  a-t-il  subi  quelques  retouches.  Je  me  demande  si,  primitive- 
ment, Laurentia  n'était  pas  présentée  comme  la  femme  d'Exsuperantius  ;  elle 
ne  se  retrouve  plus  dans  A.  Pourquoi  ? 

3  Alex.  Sever.,  43  [Peter,  i,  281]. 

*  Hxres.,  30,  12  :  69,  2. 


124  TRADITIONS    d'oMBRIE 

Témoin  son  jeu  de  mots  sur  yElius-IIelios.  Et  je  rappelle  que 
Flaccus  sollicite  un  délai  d'une  heure  au  moment  de  sa  mort  : 
trait  fréquent  dans  les  légendes  grecques.  Parmi  les  textes 
ombriens,  nous  en  avons  déjà  rencontré  plusieurs  qui  pré- 
sentent ce  caractère,  Viclorin  d'Assise^  yEmilianus  de  Spolèlc, 
certaines  versions  des  XII  Syriens^  j'ajoute  Valentin  de  Terni, 
Marcianus  de  Dracciano,  etc..  N'est-il  pas  à  croire  que  A  est 
est  un  remaniement  de  D  opéré  dans  la  seconde  moitié  du 
VI®  siècle?  Le  préfet  de  la  Ville  a  survécu,  on  le  sait,  à  l'in- 
vasion lombarde,  et  de  même  les  curies  municipales. 

Et  du  même  coup  j'explique  les  rapports  de  Sabmus  et  de 
Terentianus.  Terentiamis  D  est  peut-être  antérieur  à  Sabiniis  : 
Sabinus  aura  été  modelé  sur  lui  ;  ou  bien,  si  Sabinus  est  con- 
temporain de  D,  il  faut  dire  que  les  deux  textes  ont  même 
auteur  ou  émanent  du  même  groupe.  Quoi  de  plus  semblable, 
en  efîet,  que  ces  deux  scènes  où  l'on  voit  Tempereur  décréter 
la  persécution,  à  la  demande  des  sénateurs,  aux  acclamations 
de  la  foule  ^? 

On  s'explique  sans  peine  l'origine  de  B  :  son  auteur  a  voulu 
alléger  la  légende  de  la  conversion  d'Adrien  ;  c'est  donc  qu'elle 
paraissait  choquante,  et  qu'il  écrivait  à  une  époque  de  renais- 
sance des  lettres.  Qui. sait  si  B  ne  date  pas  du  temps  des  Ca- 
rolingiens? Qui  sait  s'il  n'est  pas  à  peu  près  contemporain 
deD? 

Je  ne  dirai  rien  de  G  :  la  description  qu'en  ont  donnée  les 
Bollandistes  ne  me  permet  pas  de  le  faire. 

Le  culte  qui  supporte  le  développement  légendaire  est  soli- 
dement attesté  par  le  férial  hiéronymien  ;  le  férial  donne  la 
même  date  que  les  gestes. 

B.  liai.  sep...  et  in  tudertina  tuscia  Terentiani  epi.  Felicis 
Donati, 

E.  Kal.  sep..,  et  in  casino  constanti  aquinia  soi  prisai  te- 
rentiani epi  ^. 

Peut-être  un  Félix  et  un  Donat  ont-ils  souffert  le  martyre 
en  même  temps  que  Terentianus  ;  peut-être  n'ont-ils  aucun 
rapport  avec  lui.  Mais  si  son  histoire  authentique  est  à  jamais 

i  Terentianus  rappelle  encore,  outre  Laurent  de  Spolèle^  Grégoire  :  1.  Ici  et 
là  un  païeQ  Flaccus  ;  2.  Mort  du  persécuteur  [Lsetianus,  Flaccus]  ;  3.  Le 
saint,  prie  les  yeux  au  ciel  ;  4.  C'est  l'arrivée  d'un  envoyé  impérial  qui  dé- 
chaîne la  persécution  locale. 

'■^  De  Rossi-Duchesne,  114. 


CASSIEN    DE   TODI  125 

perdue  pour  nous,  on  voit  bien  que  sa  légende  a  pris  forme 
à  l'époque  gothique  et  qu'elle  a  été  remaniée  à  l'époque  grégo- 
rienne*. 


II 


Tu  mexhorteSy  vénérable  Bassien,  monphre^  à  imiter  Atha- 
nase  et  Jérôme  et  Sévère  qui  ont  raconté  la  vie  de  Pauly  df  An^ 
toine  et  de  Martin,  et  à  conter  à  mon  tour  l'histoire  de  Cas- 
sie7i^  évéque  de  Véglise  de  Todi.  Bien  qu  inégal  à   la  tâche  je 
t'obéirai.   Donc,   comme  Dioctétien  et  Maximien  reviennent 
triomphalement  de  Numerantia  (?  Nicomédie)  à  Bome,  Abla- 
viuSy  un   brave,    arrive  avec  eux  à    Todi.   Il  épouse  malgré 
Chromalius,  préfet  urbain,  sa  fille,  qui  lui  donne  un  enfant, 
Cassien  ;  celui-ci  est  élevé  par  le  grand-père  dans  V étude  des 
arts   libéraux  ;  et  sa  science  est  telle  quHl  guérit  les  mala- 
dies; il  est  aussi  fameux  comme  avocat.  Sur  quoi  meurt  Pan- 
crace, sans  enfant  :  c  était  le  proconsul  de  Tuscie.  Dioctétien 
et  Maximien  donnent  sa  place  à  Aôlavius,  avec  Vassentiment 
de  Chromatius.   Comme  Ablavius  arrive  à  Todi  avec  V  ordre 
des  Augustes  de  tuer  tous  les  chrétiens  qu'il  trouvera,  on  lui 

•  Je  remarque,  précisément,  qu'à  l'époque  gothique  et  à  l'époque  grégo- 
rienne, les  Romains  devaient  être  au  courant  des  choses  de  Todi.  L'église 
romaine  de  Sainte-Croix  possédait  des  terres  sur  le  territoire  de  Todi,  depuis 
Constantin  \L.  P.,  i,  180J.  Les  Impériaux  reprirent  Todi  aux  Lombards  au 
temps  de  saint  Grégoire,  dont  un  defensor,  nommé  Julianus,  était  intimement 
lié  avec  l'évêque  de  Todi,  Fortunat  [L.  P.,f,  312;  —  Dialogi,  i,  10.  —  P.  Z,., 
77,  200]  :  et  Grégoire  raconte  longuement,  d'après  Julianus,  la  vie  et  les  mi- 
racles de  Fortunat.  Qui  sait  si  la  rédaction  de  D  et  de  A  n'est  pas  en  rap- 
port avec  ces  deux  faits  ?  [Noter  que  le  pape  Martin  I  était  originaire  de  Todi, 
L  P.,  I,  336]. 

Peut-être  le  premier  rédacteur,  D,  connaissait-il  les  livres  de  Gésaire  et  les 
textes  lériniens  :  cf.  les  expressions  si  vis  salvui  esse  [l^r  sept.,  115,  §  12], 
«  si  cognoscere  vis  »  [§  5,  p.  113],  «  hoc  te  communeo  ut...  »  [§  7,  p.  113,  E], 
Tinsislance  sur  la  Trinité  et  l'Unité  |cf.  le  symbole  Quicumque].  Noter  les  mots: 
diis  per  quos  romana  félicitas  floret.  — Cf.  dans  A,  la  formule  si  credideris 
salvus^eris.  Cf.  une  formule  analogie  d^us  Anthiiïie, supra,  p.  54,  note  3  et 
58,  note  1. 

-  B.  H.  L.,  1637  [13  août,  27]. 


126  TRADITIONS    D^OMBRIE 

apprend  que  l'êvêque  Pontien  ophre  beaucoup  de  conversions  ; 
il  le  fait  tirer  de  la  citerne  où  il  se  cache  et  ècorcher  de  la  tète 
aux  pieds,  Pontien  déclare  qu'il  est  chrétien,  et  écéque, 
malgré  son  indignité.  «  De  quel  droit  prêches-tu  secrètement 
ta  doctrine j  et  fais-tu  adorer  un  mort?  »  —  «  Cest  qu'il  est 
ressuscité.  »  — «  Tache  d'en  faire  autant  ;  car  tu  vas  mourir.  » 
—  «  C'est  ce  que  fai  toujours  souhaité.  »  Mais  des  légats  des 
empereurs  arinvent  à  ce  moment^  qui  envoient  Ablavius  à 
Fano^  0(1  il  y  a  beaucoup  de  chrétiens  ;  Ablavius  part^  et 
meurt  en  route,  tué  par  son  cheval, 

Pontien^  conduit  à  Rome^  est  emprisonné  ;  mais  Cassien  Vy 
vient  trouver,  —  cest  lui  qui  a  tout  raconté  —  il  est  baptisé 
au  nom  du  Seigneur  son  Dieu,  puis  il  est  fait  clerc.  Nommé 
enfin  évêque,  il  revient  à  Todi  oit  il  organise  des  réunions  pu- 
bliques et  instruit  de  nombreux  scho lares.  Et  cest  alors  que 
Maximien,  ayant  appris  la  mort  d' Ablavius  au  pont  de  Ri- 
mini.,  qu'il  déplore  ainsi  que  tout  le  sénat,  confère  le  procon- 
sulat à  Cassien  son  fils  aîné,  a  Donne  à  un  autre,  répond 
Cassien,  le  proconsulat  ou  la  préfecture  que  tu  ni* as  attribué  : 
j'ai  une  autre  préfecture,  et  un  autre  consulat^  je  sers  sous 
un  autre  empereur.  »  Maximien  comprend  ce  ciue  cela  si- 
gnifie ;  et  il  écrit  à  Chromatius,  qui  est  à  Milan  comme 
préfet,  la  mort  de  son  gendre  et  la  conversion  de  son  petit- fils. 
Retenu  à  Milan,  où  il  doit  prononcer  la  peine  capitale  contre 
Sébastien,  le  plus  noble  enfant  de  la  ville,  Chromatius  ne 
peut  revenir  à  Rome  ;  il  y  envoie  donc  son  autre  petit- fil  s  Ve- 
nustianus  pour  qu'il  reçoive  le  proconsulat  de  Tuscie  et  pU' 
nisse  tous  les  chrétiens  qu'il  trouvera.  Un  troisième  petit-fils 
de  Chromatius,  propre  frère  de  Cassien,  Flaccus,  est  mandé 
en  même  temps  par  Maximien  et  chargé  par  lui  de  faire  élever 
une  statue  à  Jupiter  sur  les  places  de  toutes  les  cités.  En  s^  ac- 
quittant de  sa  tnission,  Flaccus  apprend  qu'un  certain  Gré- 
g oire  pervertit  le  peuple  de  Spolète;  il  le  fait  comparaître, 
mais,  puni  par  Dieu  qui  venge  ses  saints,  il  meurt  aussitôt 
sur  le  forum  de  la  ville. 

Venus tianus,  cependant,  aiTivé  de  Milan  à  Rome,  s'était 
rendu  à  Todi  pour  y  recevoir  le  proconsulat  de  Tuscie  :  il  se 
fait  présenter  Cassien  son  frère  qui,  battu  sur  le  dos  puis  sur 
le  ventre,  refuse  néanmoins  d'adorer  Jupiter,  précipite  Uidole 
à  terre  et  la  brise.  Jeté  dans  l'huile  bouillantCy  Cassien  ne 
sent  rien,  et  refuse  encore  d'adorer  Jupiter,   Mars,  Asclepius 


UN    CENTON  127 

et  Minerve.  Lorsqu'on  relève  de  terre,  un  tremblement  de 
terre  ébranle  la  ville  et  tue  S8  païens  |  animœ  paganoram]  ; 
et^  quand  on  le  ramène  en  prison,  les  jeunes  gens  sont  sevrés  de 
renseignement  de  leur  maitre.  En  vain  un  licteur  les  pousse 
à  F  apostasie  ;  Cassien  ressuscite  devant  eux  ^  par  une  prier  cet 
un  sigïic  de  croix,  2in  enfant  tombé  de  cheval^  et  il  raffermit 
l' finie  de  ses  scholares.  Or,  tandis  que  Marc,  Clet^  Tudinus 
et  Leontius  sont  étendus  sur  le  chevalet,  arrive  un  messager 
de  l'tmpereur  :  ordre  à  Vcnustianus  d'aller  à  Assise  lutter 
contre  Sabinus,  un  autre  séducteur.  Il  part,  en  effet,  après 
avoir  donné  l'ordre  quon  laissât  son  frère  mourir  de  faim. 
Mais  les  élèves  de  Cassien  se  révoltent  contre  leur  maître,  le 
frappent  de  leurs  tablettes  et  de  leurs  stgles  ;  le  geôlier  les 
délivre  et  garde  Vèvéque.  Celui-ci,  tout  blasé,  est  maintenant 
en  butte  aux  railleries  ;  enfin  une  lumière  céleste  resplendit  : 
il  va  rejoindre  Dieu.  Son  sang  est  recueilli  par  une  noble  ma- 
trone dans  des  ampoules  de  verre  ;  son  corps  est  embaumé,  puis 
enseveli  in  finibus  arcis  regiae.  Il  est  mort  le  Î3  aoitt,  grâce 
à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  qui  vit  et  règne  dans  les  siècles 
des  siècles.  Amen, 

Ce  texte  utilise  manifestement  les  gestes  de  Sabinus  *  et  les 
gestes  de  Grégoire  -,  ainsi  que  la  tradition  relative  à  Cassien 
d'imola,  qu'a  chanté  Prudence  ^  :  c'est  à  ce  dernier,  sans 
doute,  que  Cassien  de  Todi  a  emprunté,  avec  son  genre  de 
mort,  la  date  de  son  anniversaire. 

Je  crois  aussi  que  notre  texte  est  parent  des  gestes  de  Fir- 
mina,  des  gestes  de  Pontien  *,  des  gestes  d'Herculanus  et  des 
gestes  de  Valentin  :  les  scholares,  le  personnage  de  Pontien 
dont  on  fait  un  évêque,  mais  non  pas  un  évoque  de  Todi,  le 
supplice  d'écorchement  qu'on  lui  inflige,  certains  détails  tels 
que  l'introduction  d'un  préfet  urbain  ou  l'intérêt  qu'on  porte 
au  sénat  nous  invitent  à  le  croire. 

J'ajoute  enfm  que  les  gestes  empruntent  à  la  légende  de 
saint  Sébastien  le  personnage  de  Chromatius,  comme  Firmina 


'  Cf.  supra,  p.  87.  Venustianus  ;  Sabinus  est  expressément  cité  ;  l'allusion 
ironique  à  la  résurrection  de  Jésus  :  libre  à  toi  de  ressusciter. 

-  Cf.  supra,  p.  9(S.  Le  persécuteur  Flaccus,  les  animx  paganorum,  le  trem- 
blement de  terre.  —  La  formule  :  de  quel  droit...  vient  des  Martijrs  grecs 
(ou  de  Sabinus). 

^  B.  H.  L.,  1625  [Prudence  :  Péri  Steph.,  ix.  —  Ruinart,  553]. 

*  Rôle  de  Pontien.  —  Cf.  Constantius,  —  LeoDtius  vient  de  Terentianus. 


128  TRADITIONS    d'oMBRIE 


em 
1 


un 


emprunte  Olympiades  à  Ahdon-Sennen,  comme  fait  surtout  la 
<3^endo  d'Anlhiiiie  :  le  rédacteur  a  voulu  donner  à  son  écrit 
ne  apparence  de  vérité  en  la  rattachant  à  une  légende  très 
célèbre;  il  veut  qu'on  voie  dans  son  Cliromatius,  c'est  très 
clair,  le  grand  personnage  qui  se  convertit  et  devient  l'ami 
de  saint  Sébastien. 

Je  remarque  précisément  que  nous  avons  des  traces  du 
culte  de  Sébastien  aux  environs  de  Todi  :  une  pieuse  femme 
y  avait  consacré  un  oratoire  à  ce  martyr  \  et  la  consécration 
en  avait  été  marquée  par  des  incidents  assez  piquants  :  saint 
Grégoire  nous  les  fait  connaître.  Il  les  a  appris  par  un  ami  in- 
time de  l'évêque  de  Todi,  Fortunatus,  un  certain  Jidianus,  de- 
jensor  ecclesice  romanœ.  On  s'explique  bien  que  la  légende  de 
Sébastien  ait  influencé  une  légende  de  Todi. 

A  quelle  époque  remonte  notre  texte?  Le  caractère  compo- 
site de  cette  satura,  la  datation  par  le  quantième  du  mois  font 
songer  au  vu®  siècle. 

L'allusion  aux  écrits  d'Athanase,  de  Jérôme,  de  Prudence 
et  de  Sulpice 'Sévère,  montre  que  le  rédacteur  est  digne  d'être 
rangé  parmi  les  scholastici.  Le  titre  de  père  que  l'anonyme 
donne  à  Bassien  permet  de  croire  qu'il  est  un  moine  et  que 
Bassien  est  son  abbé  ^  Peut-être  est-il  contemporain  de  Te- 
renlianus  A  de  Félicien  et  de  Juvènal. 

Mais  je  ne  vois  pas  que,  pour  le  moment,  on  puisse  préciser 
davantage.  On  peut  seulement  craindre  que  Cassien  de  Todi 
ne  soit  un  double  légendaire  de  Cassien  d'imola  :  celui-là  a 
même  anniversaire,  même  nom,  et,  en  partie,  même  histoire 
que  celui-ci;  aucun  calendrier  ne  le  mentionne.  Qui  sait  si  ce 
n'est  pas  une  relique  du  saint  d'imola  qui  a  suscité  d'abord  le 
culte,  puis  la  légende  de  Todi? 


1  Dialogi.y  i,  10...  «  Fortunatus...,  Tadertiaae  autistes  ecclesise...  Huius  vjri 
familiarissimus  fuit  Julianus  nostrae  ecclesiae  defeasor,  qui  ante  non  longum 
tempus  in  hac  urbe  defunctus  est  ;  cuius  ego  quoque  hoc  didici  relatione 
quod  narro...  Matrona  quaedana  nobilis  in  vicinis  partibus  Tuscise  nurum  ha- 
bebat  quae  intra  brève  tempus  quo  filium  eius  acceperat,  cuna  eadem  socru 
sua  ad  dedicationem  oratorii  beati  Sebastiani  martyris  fuerat  invitata...  » 
jP.  L.,  77,  200,  B.  G.I. 

'  Comparer  le  début  de  Victorin  Séverin.  Qui  sait  si  les  textes  ne  sortent 
pas  du  même  groupe  de  rédacteurs  ? 


I 


FIRMINA   d'aMELIA  129 


III 


^^^      Au  temps  de  Dioclétien  auguste  le  consularis  Olympiades 

a  i  reçut  V ordre  sacré ,  fit  faire  de  longues  recherches  et  apprit 

que  la  vierge  Firmina,  fille  du  préfet  urbain  Calpurnius, 

<  Cette  légende  n'est  jusqu'ici  connue  que  par  un  texte  qu'a  retouché  Su- 
rius,  selon  son  habitude  [éd.  1618,  xi,  517].  —  Il  ajoute  que  les  reliques  ont 
été  ignorées  pendant  plus  de  500  ans,  naais  que  Firmina  apparut  à  l'évêque 
d'Amelia  Pascal  [vers  868-879].  Il  puise  à  une  vie  de  Firmina  rédigée  par 
Antonio  Maria  Graziani,  évêque  d'Ameria,  du  17  février  1592  jusqa'au  i^r  avril 

I      1611.  —  Voici  la   plus  grande  partie   des  gestes  anciens  de  sainte  Firmina  : 

I  je  les  ai  trouvés  dans  Je  Codex  A.  2.  Arch.  Cnpitul.  S.  Pétri  in  Vaticano 
[du  xe-xie  siècle]. 

j  [f.  45|.  «  Incipit  passio  scee  Firmine  martyris  raense  ianuario  die  decimo. 
Temporibus  Diocletiani  augusti  cu"'currit  sacra  praeceptio  """''/  ad  Olimpiadem 

j  quemdam  consularem  et  cum  diu  inquisitio  fieret,  uuntiatum  est  ei  quod 
esset  puella  uirgo  nomine  Firmina,  filia  Galpurni  prsefecti  urbis,  in  quodam 
fundo  suo  sedens  et  fervens  in  Spiritu  Sancto  ieiuniis  et  orationibus  insis- 
tens.  Et  cum  audisset  hoc  augustalis  Olimpiades  misit  in  fundum  qui  vocatur 
agolianura  in  uicum  qui  ponitur  eruglo    non    longe    a   eivitate    quœ   vocatur 

IAmerina  quasi  miliaro  octauo  et  fecit  adduci  puellam  nomine  Firminam  eo 
quod  audisset  quia  ex  senatoria  dignitute  descenderet...  :  «  (Imperatoris  prae- 
cepla  sequere,  ioquit)  et  ego  te  fruar  in  conuiuio  meo  »>.  —  Leuauit  oculos  ad 
cf>?luin  (et  dixit)  :  «  habeo  sponsum  ».  —  «  Kamns  et  manducemus  quia  hora 
est  iam  diei  sexta.  »  Firmina  respondit  «:  Jubeat  sublimilas  uestra  prandium 
percipere  quia  nobis  non  licetlcum  alienigenis  accipere  panem...  ».  « —  (Vade) 
in  cubiculum  tuum...  ».  —  Illa  autem  cadens  in  faciem  in  pauimentum  et  ado- 
rauit  D.  N.  J.  C...  Olympiades  satiatus  (ingreditur,  eam  amplectitur;  sed  eius 
manus  aridae  fiunt)...  Firmina  iterum  se  jactauit  in  pauimentum  :  «  ostende 
super  incredulum  istum  misericordiam  tuam  ut  cognoscat  te  deum  creatorem 
omnium  rerum...  «  (Et  dixit  Olympiadi)  :  «  crede  in  D.  J.  G.  et  baptizare  in  no- 
mine dni  nostri  et  in  nomine  trinitatis  et  salvus  eris...  «  Eodem  tempore  misit 
ad  quendam  presbyterum  nomine  Felicem...  ;  audiens  Félix  de  rogatu  Firminse, 
uenit  cum  gaudio  magno...  Intrœunte  eo  facta  est  lux  magna  média  nocte. 
Tune  Olympiades  augustalis  mirari  cepit  in  introitu  eius  et  uoce  clara  dixit  : 
«  vere  misit  te  Christus,  quem  domina  mea  Firmina  praedicat.  De  qua  re  adiuro 
le  ut  baptizes  me  in  nomine  Ghristi  filii  dei.  »  Dicit  ei  Félix  :  «  si  credis  ex  toto 
corde  et  ex  tota  anima,  dabuntur  tibi  omnia  bona  a  domino  nostro  creatore 
omnium  rerum...  Ego  credidi  et  sic  spero  quia  in  nomine  Domini  J.  G.  sal- 
uus  ero  ».  Eadem  hcra  accepta  aqua  benedixit  et  baptizavit  eum  in  nomine  Trini- 
tatis   «  Credis  in  Deum  patrem  omnipotentera  »  —  Et  ille  respondit  :  «  credo. 

—  Et  dixit  ei  :  «  Et  in  Ghristum  Jehsum  filium  eius  dominum  uostrum   uni- 
cuna  ».  —  Et    ille   respondit:    «  credo  ».  —  "  Et  in  Spirilum  sanctura  »  —  Et 

III  9 


130  TRADITIONS    D^OMRRIE 

hahilait  une  terre  et  y  vivait  dans  la  prirre  et  le  jeane.  ()lijra- 
piades  l'envoie  donc  chercher  au  furidus  a^Miliauus,  au  hourt/ 
(l Eruiflo^  non  loin  de  la  cité  ([u^m  appelle  Arnelia  au  hui- 
tième mille.  Comme  elle  est  de  famille  sénatoriale,  il  la  re- 
roit  honorablement^  lui  communique  les  ordres  des  empereurs, 
et  lui  propose...  de  V épouser.  «  J'ai  déjà  un  fiancé,  répond- 
elle.  »  —  «  Viens  donc  ;  nous  mangerons  ensemble  ;  voici  la 
sixième  heure.  »  —  «  //  ne  nous  est  pas  permis  de  maarjer 

respondit  :  «  credo  ».  —  ïunc  cœpit  claraare  et  dicere  Olympiades  ;  «  uere  co- 
gnoui  recuperationetn  membrorum  meorum.  »  Eadem  hora  suscepit  eum  de 
fonte  b.  Firmina  sanum  atque  iocolumom  alque  optulit  pro  eo  Félix  presbyler 
sacrificium  et  participât!  sunt  omoes  corpus  et  sauguiaem  domini  nostri  et  in 
doQio  eius  baptizati  suât  tere  promiscui  sexus  animae  centum  quinquagiuta 
octo,  et  habitauerunt  paucis  diebus  in  unum. 

«  Nuntiatum  est  Diocletiano  imperatori  quia  cbristianus  fuisset  Olympiades, 
In  loco  ipsius  ordinauitMegetiuoi  augustalem...  Ueniens  antem  Megetius...  te- 
nuit  eum  et  presenlibus  senatoribus  curiaî   iussit  eum  in    ciuitatem   quae  uo- 

calur  amerinse  in  foro  adduci «  Sic  stultus  et  amens  factus  es  ut  deosquos 

a  cunabulis  adorasti,  pro  sexam  fragilem  deseras  »  —  «  ...  Ego  deserui  uani- 
tates  faisas  et  modo  cognoui  ueritatem  integram  »  —  «  ...  Utere  claritatem 
senatoriam  et  divitias  et  sacrifica...  »  —  Olympiades  respondit  dicens  :  «  slul- 
tus  effectus  es...  »  (In  equuleo  suspensus  Olympiades  precatur  J.  C.)  :  «  res- 
pice  me  peccatorem  servum  tuum  I  »  Flammae  ad  latera...  (Olympiades  Deo 
gratias  agit  et  spiritum  reddit)  ;  (corpus  a  Firmina  collecLum  sepclilur)  in 
prœdio  suo  in  fundum  agulianum  sub  die  Kal.  décembres. 

«  (Firminam  jussu  patris  in  domo  clausam  ut  nihil  de  facultatibus  distribuere 
posset,  Megetius  interrogat:  «  Nosti  quod  iusserunt  invictissimi  principes.  Sa- 
crifica ».  —  Postquam  negauit,  quaestionarii  eam  caedunt,  quorum  unus  a  Fir- 
mina   curatur  et  Gliristo  crédit.  Megetius  iratus,    frendens  ut  leo,  uirgiuem 
caedi  iubet.  Firmina)  gaudens  et  exsultaus  cœpit  dicere  ;  «  Gloria  tibi  domine 
meus  J.  X.  qui  non  reddis  secundum  peccata  mea...  »  —  «  Infelix  quse  nata- 
les tuos  perdidisti  et  exuta   facultatibus  :  quare...  non  frueris  divitiis  tuis?  » 
—  «  Quod  bonum  est  quaesiui  et  inueni,  quod  est  uita  alterna  perpétua  "  — 
«  Sacrifica  uel   morieris  »  —  Firmina  subridens    dixit  ad   Megetium  :  «  Ego 
peccatrix  semper  hoc  optaui  et  desideraui  uidere  ».  —  «  Exlendite  eam  in  pa- 
uimeuto   et  castigate  eam  fustibus...  »    Gum  simulacrum  Jouis   (allatum  est, 
exspuit)  in  faciem   Jouis  et  continuo  reliquatum  est  uelut  lutum  —  Megetius 
exarsit  dentibus  sicut  canis  ;  (virgo  laetatur  dicens  :  «  gloria  tibi  domine...  quia 
nihil    sentio  »  —  «  Ut  video  uincunt    magiee  tuae  carmina  »  —  «  Non    ego  te 
uinco,  sed  Dominus  meus  J.  X.  fîlius  Dei  uiui  ipse  te  uincit  »  —  (Capillis  sus- 
pensa)  Firmina  clamabat  uoce  magna  :  «  Domine  J.  C.  filii  dei  uiui  pro  cuius 
amore  omnia  respui,  adiuua  me  ancillam  tuam.  »  Et  benedicens  emisit  spi- 
ritum. Corpus  jaclatur  in  uicum   qui  uocatur  eruglo  ad  exemplum  christiano- 
rum.   Honorius   quidam  ilJud  sepeliuit  in  fundo   qui  uocatur  agolianum   non 
longe  miliario   octauo  a  ciuitate  quœ  vocatur  amerina   sub  die  octaba  K.  de- 
cembris  in  pace.  Amen.  » 

u  Post  dies  autem  xx  exquisiuit  facultates  eius  quas  ardore  cupiditatis  inua- 
sit.  Audiens  haec  quaestionarius  nomme  Ursianus  (miltit)  ad  quemdaui  presby- 
terum  Valentiuum...  a  quo  baptizatus...  liauennani  missus,  capite  truucatnr 
sub  die  ydus  iauuarias,  requieuit  in  pace  gloriûcantes  Deum  Patrem  omnipo- 
tentem  et  filium  eius  J.  G.  una  eum  Spiritu  Sancto  cui  est  honor  et  gloria 
in  ssecula  sseculorum.  Amen.  » 


ORIGINES    DE    LA    LEGENDE  131 

avec  des  étrangers.  »  —  «  Va  donc  dans  ta  chambre.  »  Et 
Firmina  tombe  la  face  contre  terre  et  adore  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ.  Tont  à  coup,  Olympiades  arrive;  il  a  bien  dé- 
jeuné, il  veut  embrasser  la  vierge.  Mais  ses  mains  se  des- 
sèchent. Firmina  se  remet  en  prière  ;  elle  dit  à  Olympiades 
de  croire  au  Seigneur  JésuS'Christ,  de  se  faire  baptiser  en 
son  nom  et  au  nom  de  la  Trinité  :  c'est  ainsi  quil  sera  guéri. 
Quand  arrive  le  prêtre  Félix  quelle  a  fait  quérir,  une  grande 
lumière  éclaire  la  nuit  ;  Olympiades  croit  au  Christ  que 
prêche  Firmina,  il  est  baptisé  et  giœri,  et  Félix  offre  pour 
lui  le  (saint)  sacrifice,  et  tous  participent  au  corps  et  au  sang 
de  Notre  Seigneur.  158  dmes  de  Fun  et  Vautre  sexe  sont  bap- 
tisées en  même  temps  :  ils  habitent  tous  quelques  jours  en- 
semble. 

Dioctétien  apprend  la  conversion  d'Olympiades  et  donne  sa 
fonction  à  /'augustalis  Megetius.  Megetius  arrête  Olympiades 
e/,  en  présence  des  sénateurs  de  la  curie,  il  le  fait  conduire  au 
forum  d'Amelia.  «  Es-tu  fou?  Tu  abandonnes  les  dieux  de 
ton  enfance,  pour  une  femme!  »  —  «  J'ai  abandonné  les 
vaines  erreurs  ;  je  connais  la  vérité  tout  entière.  »  —  «  Re- 
prends ton  rang  et  tes  richesses  :  sacrifie.  »  —  «  C^est  toi  qui 
es  fou  !  »  Et,  quand  il  est  suspendu  sur  le  chevalet,  il  im- 
plore Jésus-Christ^  remercie  Dieu  et  rend  l'esprit»  Firmina 
ensevelit  le  corps  dans  sa  terre,  in  fundum  agulianum,  le  jour 
des  kalendcs  de  décembre.  —  Elle  est  bientôt  interrogée  à  son 
tour  y  refuse  de  sacrifier,  et  guérit  un  des  bourreaux  qui  la 
torturent.  Megetius,  grinçant  des  dents,  la  fait  battre  ;  mais 
elle  glorifie  le  Christ  qui  n'a  pas  égard  à  ses  péchés.  «  Pour- 
quoi  ne  veux-tu  pas  jouir  de  tes  richesses  et  de  ta  noblesse.  » 

—  ((  J'ai  cherché  et  trouvé  ce  qui  était  boj2,  la  vie  éternelle,  » 

—  «  Tu  vas  mourir,  w  —  «  C'est  ce  que  j'ai  toujours  sou- 
haité. ))  Elle  souffle  sur  une  idole  de  Jupiter,  qui  est  aussitôt 
réduite  en  cendres.  Elle  ne  sent  pas  les  coups  qui  la  fusti- 
gent ;  et,  comme  Megetius  s'irrite  de  ces  artifices  magiques, 
«  c'est  le  Christ,  dit-elle,  cjui  l'emporte  sur  toi  ».  Et,  tandis 
quelle  est  suspendue  par  les  cheveux  et  qu'on  lui  brûle  les 
côtes,  elle  rend  l'esprit.  Son  corps  est  jeté  dans  le  bourg 
d'Eruglo  afin  d'effrayer  les  chrétiens.  Ilonorius  P enterre  dans 
le  fundus  agulianus,  au  huitième  mille  d'Amelia,  le  H  des  ka- 
lendcs de  décembre.  Vingt  jours  après^  Megetius  s  empare  avi- 
dement de  ses  richesses;  Ursianus,  un  des  bourreaux,  l'ap- 


132  TMADITIONS    d'oMHRIF. 

prend  et  se  fait  aussitôt  baptiser  par  le  prêtre  Valentiîi.  On  le 
dénonce,  et  Megclius  l'envoie  à  liavcnne  où  il  est  décapité  le 
jour  des  ides  de  janvier.  {Des  chrétiens  V ensevelissent),  en 
glorifiant  Dieu  le  Vere  Tout-Puissant  et  son  Inls  Jésus-Christ 
avec  le  Saint-Esprit  auquel  honneur  et  gloire  dans  les  siècles 
des  siècles.  Amen. 

Firmina  d'Amelia  est  inconnue  du  forial  iiiéronymien, 
du  calendrier  populaire,  d'Adon  et  d'IJsuard:  la  seule  Firnriina 
que  signale  le  premier  de  ces  textes  [vii-vi,  id.,  octobr.  |  ap- 
partient à  un  groupe  africain. 

Les  gestes  rappellent  les  gestes  de  Félicien,  ceux  de  Gré- 
goire et  ceux  de  Sabinus.  Comme  dans  Félicien,  on  introduit 
ici  un  saint  Valentin,  qui  est  peut-être  le  patron  de  Terni,  — 
tout  en  utilisant  les  gestes  d'Abdon  et  Sennen  :  Abdon  et 
Sennen  eux-mêmes  sont  cités  dans  Félicien^  et  j'imagine  que 
rOlympiades  que  convertit  Firmina  a  été  suggéré  par  le  com- 
pagnon des  deux  reguli  persans.  —  L'expression  animœ  pro- 
miscui  sexus  semble  avoir  la  même  valeur  que  Texpression 
animœ  paganorum  des  gestes  de  Grégoire.  Les  mots  frendens 
ut  leo  rappellent  l'expression  analogue  qu'on  lit  dans  Grégoire, 
Pontien,  Lucie-Géminien^ ,  —  Crede  et  haptizare  et  salvus  erisy 
cette  exhortation  nous  fait  souvenir  des  formules  lériniennes 
qu'on  rencontre  dans  Terentianus  et  Anthime  -,  —  Le  terme 
augustalis  se  lit  également  dans  Firmina,  dans  .^milianus  et 
dans  Sabinus.  —  L'auteur  connaissait  sans  doute  les  gestes  de 
Cécile  et  les  gestes  de  Gordien,  ceux  d'Agathe  et  ceux  de  Barbe, 
ceux  où  l'on  insiste  sur  la  spontanéité  du  martyre,  et  ceux  où 
Ton  confère  le  baptême,  tantôt  au  nom  du  Christ,  tantôt  au  nom 
de  la  Trinité,  fl  est  clair  que  la  question  de  la  virginité  ne  l'inté- 
ressait pas  et  qu'il  se  plaisait  à  des  imaginations  plus  pitto- 
resques :  l'invitation  à  déjeuner  que  V augustalis  adresse  à  la 
vierge  le  prouve. 

Ces  faits  sont  certains.  Mais  rien  de  plus  difficile  à  fixer  que 
la  date  du  texte. 

Firmina  est  nettement  apparenté  à  Valentin-Hilaire  :  1.  Les 
deux  légendes  puisent  aux  gestes  romains  ;  2.  Demetrius  se 
convertit  de  la  même  manière  qu'Olympiades  ;  3.  Denys  met 
à  mort  Demetrius,  comme  Megetius  Olympiades  ;  4.  Lesbour- 

1  Cf.  supra,  p.  100,  note  1. 

2  Cf.  supra,  p.  125,  note  5  p.  54  QOte  3,  58  note  1. 


SEGUNDUS    D  AMELIA  133 

reaux  de  Valentin  se  font  baptiser  par  un  prêtre  aussi  bien  que 
le  bourreau  de  Firmina  ;  5.  Eudoxia  joue  le  môme  rôle  que 
Firmina  ;  6.  Un  prêtre  Valentin  apparaît  dans  les  gestes  de  Fir- 
mina :  c'est  peut-être  Valentin  de  Viterbe,  plutôt  que  Valentin 
de  Terni.  —  Or,  Valoitin-Hilaire'  est  proche  parent  des  gestes 
de  Secundus,  qui  est,  en  même  temps  que  Firmina,  le  patron 
d'Amelia.  Est-ce  que  notre  texte  de  Firmina  ne  serait  pas 
contemporain  de  Secundus  et  de  Valentin-Hilaire  et  donc  ne 
daterait  pas  du  vii«  siècle?  Amelia  avait  une  grande  impor- 
tance au  temps  de  l'exarchat  \  Et  peut-être,  puisqu'il  y  eut 
une  invention  des  reliques  de  Firmina  par  Tévêque  d'Arnelia 
Pascal  [868-879]  \  a-t-il  subi  quelques  retouches  à  ce  moment. 
Les  données  topographiques  de  la  légende  sont  vraisembla- 
blement exactes.  Le  nom  de  la  sainte  est  assez  rare  :  au  temps 
de  Dioclétien  *  et  au  temps  d'Ennodius  ^  nous  connaissons 
deux  personnages  qui  l'oHt  porté.  Il  est  possible  que  le  culte 
date  du  temps  des  persécutions. 


IV 


Voici  la  seconde  légende  d'Arnelia. 

Les  gestes  des  saints  profitent  à  Famé  de  ceux  qui  les  étu- 
dient... :  montrez  donc  que  vous  êtes  des  catholiques  en  lisant 
sans  cesse,  en  écoutant  avec  complaisance  les  victoires  du 
Christ.  Au  temps  de  Maximien  César  un  édit  fut  lancé  de 

1  Cf.  infra. 

'  Les  Byzantins  la  reprennent  en  598  et  la  perdent  en  739  ;  ils  l'ont  perdu 
une  première  fois  en  592  [L.  P.,  i,  312.  Paul  Diacre,  iv,  8.  Hartmann,  ii,  1, 
i04,  138].  —  Sur  la  curie,  cf.  supra,  p.  124  Noter  que  Ursianus  est  envoyé  à 
Ravenne. 

2  Cf.  supra,  p.  129,  n.  1.  —  L'évêque  d'Amelia,  Pascal,  est  attesté  au  temps 
de  Jean  VIII  [872-882]  par  Pierre  Guillaume  \L.  P.,  n,  221]. 

*  Gode  50,  30,  1  et  1,  19,  1  [en  290  et  en  296,  d'après  de  Vit  :  Onomasticon]. 
'  Epist.,  VI,  38  ;  Kp..  n,  46,  98  [d'après  de  Vil].  Firmiuus  est  un  nom    assez 

commun  au  vi«  siècle. 

*  B.  H.  L.,  7558  [1er  juin,  52  ou  51]. 


134  TRADITIONS    d'OMHRIK 

Rome  à  travers  les  provinces ^  les  cités  et  les  châteaux,  portant 
que  tous  les  chrétiens  fussent  punis  sans  être  même  entendus. 
Beaucoup ^  parmi  eux ^  se  cachaient  donc^  notamment  le  hien^ 
heureux  Secundus,  qui  était  parent  d^Aurclien:  il  était  dans 
ta  maison  dune  femme  très  chrétienne  y  hudoxia^  à  Ouhbio 
(in  ciuitate  Julia  quse  Eugubia  dicta  est)  :  c'était  un  chrétien 
savant  (?)  dans  la  foi  des  apôtres,  et  très  pieux.  On  le  dénonça 
au  proconsul  de  Spolète  Denys  :  car,  depuis  qu'on  connaissait 
l'ordre  de  Maximien  César,  les  parents  livraient  les  parents 
et  les  amis  les  amis.  Les  appariteurs  arrêtent  Secundus  à  la 
troisième  heure  dans  la  chambre  d^Eudoxie  et  le  conduisent 
ligotté  à  Spolète,  Le  saint  se  dit  chrétien,  parent  d'Aurélien 
et  ressuscité  dans  la  foi  en  la  sainte  Trinité.  —  «  Sacrifie  et 
deviens  un  ami  de  César.  »  —  «  C'est  moi-même  que  j  offre  à 
Dieu  en  sacrifice  ;  vos  dieux  sont  de  pierre,  mon  Dieu  a  fait 
le  ciel  et  la  terre.  »  On  le  dépouille^  on  le  bat,  mais  une  voix 
céleste  le  réconforte  et  lui  promet  les  joies  du  ciel.  Un  autre 
jour,  il  refuse  pareillement  de  sacrifier  à  Hercule,  «  Par  le 
salut  de  V  empereur  l  je  te  tuerai  donc  »,  dit  le  juge.  — «  fils 
de  perdition,  sois  maudit  » ,  répond  Secundus.  Et,  lorsqu'on 
le  torture  sur  le  chevalet,  voici  que,  à  sa  demande.  Dieu  le  se- 
court :  un  tremblement  de  terre  renverse  le  temple  d'Hercule. 
Et  Denys,  furieux  du  succès  de  cette  magie,  fait  reconduire 
Secundus  en  prison,  oit  il  mourra  de  faim.  Mais  le  martyr 
se  signe,  et,  comme  s'il  était  invité  à  un  banquet,  il  est  dans 
les  délices.  Quinze  jours  après,  lorsqu'il  comparait  de  nou- 
veau et  qu^on  lui  verse  du  plomb  fondu  dans  la  bouche,  il 
prie  Dieu,  et  un  tremblement  de  terre  met  le  proconsul  en 
fuite.  La  sentence  est  prononcée,  Secundus  est  conduit  à  la 
cité  d'Amelia,  où  les  bourreaux  doivent  le  jeter  dans  le  Tibre, 
une  pierre  au  cou  :  ce  qui  est  fait  après  qu'il  a  prié  Dieu 
d'envoyer  son  ange  pour  l' accueillir,  —  Un  ours  se  jette  sur 
les  bourreaux,  en  tue  huit,  blesse  tous  les  autres  qui,  effrayés, 
se  convertissent  et  se  font  instruire  par  le  prêtre  Eutychius  : 
ils  étaient  douze.  Cependant  un  pécheur  Maurus  trouve  le 
corps  sur  la  rive,  —  la  pierre  s'est  détachée  ;  —  il  prévient 
Eudoxia,  porte  le  corps  à  Gubbio,  d'où  le  saint  était  origi- 
naire^ et  l'ensevelit  au  16^  mille,  où  ses  prières  font  s'épa- 
nouir les  miracles  jusqu'en  ce  jour,  pour  F  honneur  de  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  à  qui  honneur  et  gloire  avec  le  Père  ei 
r Esprit-Saint  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 


ORIGINES    DE    LA    LÉGENDE  135 

Ce  texte  rappelle  certains  gestes  du  vi"  siècle  :  les  chrétiens 
qui  se  cachent,  la  spontanéité  du  martyr  qui  s'olfre  en  sacrifice 
avec  joie.  La  punition  des  bourreaux  de  Secundus,  le  rôle 
(l'Eudoxia  et  de  Maurus  \  tous  les  détails  du  récit  produisent 
la  nionie  impression.  On  peut  même  se  demander  si  l'auteur 
ne  connaît  pas,  notamment,  les  gestes  de  Pancrace  [^qiiasi.., 
ad  epiilas  invUaius],  d'Alexandre  de  Baccano  [tremblement 
de  terre],  de  Félix  de  Spello  et  d'Abundius,  d'Trénée  ou  de 
Florian  [le  martyr  jeté  à  l'eau  une  pierre  au  cou]. 

Nous  connaissons  un  second  texte  '  relatif  à  Secundus  :  il 
raconte  la  même  histoire  que  le  premier,  mais  en  diiîère  par 
trois  traits.  Il  donne  l'anniversaire  du  saint,  kalendes  de  jan- 
vier. —  Il  resserre  la  légende,  supprimant,  avec  le  prologue, 
les  §§  3-4  de  l'édition  bollandiste  et  abrégeant  les  §§  2,  6  et  7. 
—  Il  assure,  enfin,  que  Maximien  est  le  fils  de  Dioclétien^  dont 
la  mort  lui  aurait  donné  le  trône. 
Quel  est  le  rapport  des  deux  textes? 

11  ne  semble  pas  que  le  texte  court  soit  un  abrégé  du  texte 
long:  le  texte  court  donne,  en  partie  d'après  J/«rce/  ou  Su- 
sanne  ^  deux  détails  inconnus  au  texte  long  (l'anniversaire, 
Maximien  fils  de  Dioclétien).  Le  texte  court  a  précédé,  sans 
doute,  le  texte  long. 

On  verra  plus  bas  ^  que  le  texte  long  date  vraisemblable- 
ment du  deuxième  quart  du  lx°  siècle.  A  quelle  époque  rap- 
porter le  texte  court? 

Je  remarque  que  le  saint  a  une  double  attache  topogra- 
phique, Gubbio  et  Amelia.  Gubbio  et  Amelia  sont  situés  aux 
deux  extrémités  de  la  voie  Amerina.  La  voie  Amerina,  on  l'a 
dit,  a  eu  une  grande  importance  au  temps  de  la  lutte  des 
Lombards  contre  l'exarchat,  au  vii°  siècle  surtout.  11  est  vrai- 
semblable que  le  texte  court  date  de  ce  temps.  N'est-ce  pas 
aussi  la  date  de  Firmina  ?  Firmina  et  Secundus  s'inspirent 
également  des  gestes  romains  de  l'époque  gothique. 
Les  saints  du  nom  de  Secundus  sont  très  nombreux,  le 


1  Peut-être  y  a-t-il  un  rapport  entre  ce  Maurus  et  le  héros  des  Gesta 
Mnnri.  —  Quelques  traits  rppellent  JEmilianus, 

-  B.  H.  L.,  7559.  Codex  Bruxellensis,  207-208,  du  xii®  siècle,  f»  28v  [Cat. 
Brux.,  I,  135].  Le  texte  B.H.L.,  7560  [Postquam.  Domtnus  et  Salvator  noster...] 
ne  m'est  connu  que  par  fragments. 

■^  Cf.  supra,  p.  56,  note  5. 

^  Cf.  infra. 


13(»  THADITIONS     o'oMBMIE 

férial  hiéronymion  ratleste  :   peut-être  y   en    avait-il   un    à 
(jubbio,  un  à  Aineria. 


Gestes  de       ^j^^  temps  de  Dioclétienet  de  Maximien,  une  grande  persé- 
lius  1      cution  fut  dirigée  contre  les  chrétiens.  Un  Romain  Euthgme 
s'enfuit  alors  à  Pérouse  avec  sa  femme  et  son  fils  Crescen- 
iius  :  il  avait  été  baptisé  par  le  prêtre  Epigmeniî4S.  Il  instruit 
son  filSy  dès  quil  a  onze  ans,  dans  la  religion  chrétienne, 
comme  c'est  V usage,  mais  meurt  le  IV  des  kalendes  de  sep^ 
tembre,  ainsi  que  f  apprend  le  texte  sacré  (sacra  pagina)  ;  son 
fils  r ensevelit.  Cette  nouvelle  met  en  fureur  le  proconsul  de 
Pérouse,    Turpius  :  il  le  fait  battre  de   verges  et  l'envoie   à 
Borne,  ainsi  que  sa  m,ère,  après  avoir  rédigé  un  rapport  [le- 
gatio]  aux  empereurs.  Chemin  faisant,  Crescentius  prêche  le 
Christ  ;  au  pont  Milvius  il  guérit  une  femme  aveugle,  après 
avoir  salué  Rome, 

Les  soldats  le  conduisent  au  tribunal  de  Salluste,  hors  de 
la  pointe  Salaria  et  remettent  à  V empereur  le  rapport  de  Tur- 
pius. «  Jetez-le,  dit  Dioclétien,  hors  de  la  porte  Salaria,   et 
décapitez-lcy  afin  que  tous  les  enfants  de  Rome  puissent  s'en 
amuser  (ludant  de  islo).  »  Intrépide,  l athlète  de  Dieu  récite 
le  verset  du  psaume  :  in  capite  libri  scriptum  est  de  me  ;  et, 
lorsqu'il  est  mort,  V  aveugle  quil  a  guéri  V  ensevelit  dans  la 
crypte  où  reposaient  beaucoup  d'autres  saints.  Il  a  été  mar- 
tyrisé le  XVIII  des  kalendes  d^ octobre.  —  Longtemps  après, 
au  temps  du  pape  Etienne,  vint  Charles  I  auquel  on  rapporta 
ces   choses  ;  Vévêque  de  Sienne  Antifredus  en  entendit  aussi 
parler,  et  transporta  à  Sienne  le  corps  de  Crescentius  le  IV 
des  ides  d'octobre  :  il  l' ensevelit  avec  honneur,  et  là  brillent 
ses  miracles  jus c^u^ au  jour  d'aujourd'hui, 

1  B.  H.  L.,  1986  [14  septembre  352]. 


GRESCENTIUS  DE    PÉROUSE  137 

Etienne  V  [885-891]  est  contemporain  de  Charles  111  [881- 
887]  ;  mais  aucun  évoque  de  Sienne  ne  s'est  alors  appelé  An- 
tifredus.  Comme  un  Ansfredus  a  été  éveque  de  Sienne  de 
ll')2  à  734,  au  temps  d'Etienne  II  et  d'Etienne  111,  j'imagine 
que  l'auteur  a  confondu  Charlemagne,  Charles  Martel  et  Pépin  : 
il  écrivait  donc  à  la  fin  du  ix**  siècle  au  plus  tôt.  Mais  cet  écri- 
vain a-t-il  seulement  rajouté  le  court  épilogue  qui  concerne  la 
translation  à  Sienne  ;  ou  encore,  s'il  a  écrit  tout  notre  texte  S 
disposait-il  d'une  version  antérieure? 

J'incline  pour  l'afQrmative.  Ici  comme  pour  Firminay  je 
crois  que  les  gestes  ont  été  rédigés  d'abord  à  l'époque  lom- 
barde, alors  que  la  voie  Amerina  avait  une  extrême  impor- 
tance pour  les  Romains.  Le  proconsul  de  Pérouse  rappelle 
les  proconsuls  dont  il  est  question  dans  Cassien  et  dans  Vin- 
cent. 

Le  calendrier  populaire  signale  à  Rome,  au  XV  des  kalendes 
d'octobre,  Narcissus  et  Crescentianus  -  ;  il  est  possible  que  ce 
Crescentianus  soit  identique  à  notre  Crescentius  vénéré  le 
XVlll  des  kalendes  d'octobre  (?). 

Il  est  également  probable  que  notre  Crescentius  est  iden- 
tique au  malade  Crescentius  que  guérit  Constantius  de  Pé- 
rouse :  c'est  le  même  personnage  inconnu  et  vénéré,  que  l'on 
aiïuble,  ici  et  là,  de  deux  différentes  histoires. 

Enfm  le  supplice  que  Dioclétien  veut  infliger  à  Crescentius 
est  manifestement  inspiré  de  celui  où  Cassien  d'Imola  trouva 
la  mort  et  que  Cassien  de  Todi  a  popularisé  dans  les  pays  de 
la  Via  Amerina.  Or,  Constantius  B  et  Cassien  de  Todi  datent 
sans  doute  du  vu*  siècle. 

Turpius  serait-il  une  déformation  paléographique  de  Tar- 
peius  [Anthime^  ou  de  Turgius,  et  Epigmenius  de  Pigmenius 
IDonatj  etc...]?  Le  salut  à  Rome  ne  vient-il  pas  de  Sophie  ? 
La  guérison  de  la  femme  aveugle  n'est-elle  pas  un  souvenir 
de  l'épisode  de  Pisentius  [A//  Syriens^  ?  —  Notre  légende  est 
un  centon. 

'  Cf.  le  trait  curieux  :  Euthyme  enseigne  la  religion  à  Crescentius  lorsqu'il 
a  oDzt;  ans,  ainsi  que  cest  coutume.  —  Notre  texte  a  peut-être  été  retouché 
beaucoup  plus  tard  :  cf.  l'expression  sacra  pagina. 

-  P.  L.,  123,  169-170.  «  Item  (Romae),  Narcissi  et  Cresceutiani.  » 


138  TRADITIONS    d'oMBRIE 


VI 


Gestes  de       jlu  temps  OÙ  le  Seigneur  voulut  sauver  le  genre  humain,  il 
tus  de     choisit   les  patriarches  et   les  prophètes  ;  après   leur  écJiec^ 

Bettonai  Jèsus-Christ  vint  racheter  le  monde:  il  prêcha,  il  fut  cru- 
cifié, il  ressuscita  et  envoya  les  douze  Apôtres  et  les  72  [dis- 
ciples) porter  la  vérité  aux  hommes.  Crispolitus  était  du 
nombre  de  ces  derniers.  Envoyé  par  saint  Pierre  avec  Bri' 
dus  y  Heraclius  [?)  et  plusieurs  autres,  il  arriva  de  Jérusalem 
en  Italie  à  Bettona  et,  après  avoir  guéri  une  démoniaque,  il  y 
fut  sacré  évêque  par  Bricius.  Un  espion  des  païens  est  guéri 
et  converti  par  lui  :  comme  il  refuse  de  sacrifier  à  Mars,  il  est 
décapité.  En  revanche,  bien  quil  guérisse  Valerius,  le  neveu 
du  persécuteur  Austerius,  celui-ci  reste  fidèle  à  Mars:  mais 
tout  le  peuple  devient  catholique  [verus  catholicus],  toute  la 
province  de  Bettona  [Bittoniae  provinciaj  embrasse  la  foi 
apostolique.  E évêque  chasse  les  loups  qui  la  dévastent  :  il  ar- 
rache à  run  d'eux  le  bouvier  Barontius  près  de  la  fontaine  du 
Sambron  et  du  Cleoton,  in  campo  Bucaronis  ;  il  réconforte 
son  collègue  Vincent  qui  est  emprisonné,  brise  ses  fers  d'un 
signe  de  croix,  et  la  lumière  céleste  ciui  les  inonde  est  aperçue 
des  veilleurs  de  Bevagna  (qui  inturre  Bibaniae  vigilabant).  Le 
prseses  Austerius  envoie  à  son  sujet  un  rapport  à  Maximien, 
cjui  le  fait  arrêter.  Mais,  après  avoir  été  battu  et  torturé  sur 
le  chevalet,  il  convertit  ses  compagnons  de  prison,  un  assassin, 
un  malade  (qui  dextrum  perdiderat  latus  ?)  :  ramené  devant  le 
juge,  il  lui  expose,  non  plus  la  commune  origine  des  hommes 
comme  à  sa  première  comparution,  mais  la  chute  du  premier 
ange  et  l'origine  de  Vidolâtrie:  les  dieux  sont  fabriqués  de 
mains  d'hommes,  Jupiter,  Hercule,  Mars,  Mata,  Vénus.  Le 
feu  s'éteint  lorscjuon  le  jette  dans  la  fournaise  ;  mais  Baron- 
tius est  décapité  in  campo  Bucaronis  à  côté  de  la  fontaine  de 


B.  H.  L.,  1800,  12  mai,  22.  «  Tempore  quo  Dominns  humanum  genus. 


I 


CRTSPOLITUS    DE   BETTONE  139 

CrispoUlus  ;  Crispolitus  lui-même  est  coupé  en  deux  in  Castro 
imperiali  ;  douze  femmes  qui  accompagnent  Teutela,  sa  sœur, 
et  viennent  le  voir,  sont  torturées  et  tuées.  On  les  ensevelit  à 
côté  de  la  tour,  entre  les  deux  fleuves  Cleoton  et  Snmbro,  où 
le  Seigneur  multiplie  ses  bienfaits.  On  g  bâtit  une  basilique 
en  riionneur  de  Crispolitus,  de  la  Vierge  Marie  et  de  tous  les 
saints.  Ceci  se  passait  sous  le  règne  de  Maximien,  le  IV  des 
ides  de  mai,  tandis  que  règne  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  à 
qui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

La  légende  de  Bettona  *  —  entre  Todi  et  Pérouso  —  est  ap- 
parentée aux  XI l  Sgriens,  à  Constantius,  à  Victorin  d'Assise, 
à    Emilianus  et  à  Vincent  de  Bevagna. 

Crispolitus  est  sacré  évêque  par  Bricius  ;  il  est,  comme 
Hi'icius  et  Anastase  et  emilianus,  originaire  de  l'Orient  et 
apôtre  de  l'Ombrie;  il  arrête  un  loup  comme  Proculus  une 
biche.  Notre  texte  est,  peut-être,  postérieur  à  nos  versions  des 
XII  Syriens  :  il  rattache  explicitement  Crispolitus  et  Bricius 
à  Saint  Pierre  et  à  l'âge  apostolique". 

Le  prologue  de  Crispolitus  rappelle  celui  de  Constantius  : 
ici  et  là,  l'auteur  résume  en  quelques  lignes  l'œuvre  créatrice 
et  rédemptrice,  rappelle  la  mission  confiée  aux  XIT  Apôtres  et 
introduit  ainsi  son  personnage. 

Crispolitus  et  Victorin  d'Assise  parlent  pareillement  des 
prophètes  et  des  patriarches,  assignent  au  mart}^  ombrien  la 
même  origine  orientale,  attribuent  à  Mars  le  premier  rang 
parmi  les  idoles,  et  assurent  que  la  flamme  s'éteint  quand  le 
martyr  est  jeté  au  feu. 

Crispolitus  et  Vincent  de  Bevagna  assignent  à  Mars  le  pre- 
mier rang  parmi  les  faux  dieux,  dont  ils  donnent  une  liste 
assez  longue  ;  Crispolitus  mentionne  Bevagna  et  Vincent  lui- 
même  ;  et  je  me  demande  si  le  pieux  consulaire  Valerius  dont 
parle  Vincent  n'est  pas  identique  au  neveu  d'Austerius  que 
guérit  Crispolitus.  J'ajoute  que  le  Soleil  et  la  Lune  jouent  le 
même  rôle  dans  Constantius  et  dans  Vi?icent  ;  et  nous  savons 
que  Constantius  et  Crispolitus  sont  d'ailleurs  apparentés. 

J'imagine  que  l'auteur  écrivait  au  vu^  siècle  :  la  date  qu'il 

•  Sur  Bettona,  cf.  C.  I.  L.,  xi,  2,  p.  731.  — Noter  que  rinscription  5164  y 
atteste  un  temple  dédié  au  Soleil. 

-  Cf.  supra,  p.  77.  On  pouvait  deviner  cette  évolution  de  la  légende  de 
Bricius. 


140  TRADITIONS    u'oMHRIE 

assigne  àHricius,  la  mention  qu'il  fait  d'une  basilique,  surtout 
d'une  basilique  consacrée  à  tous  les  saints  ',  empoche  de  re- 
monter plus  haut.  Mais  peut-être  travaillait-il  sur  une  ver- 
sion antérieure  à  cette  date. 

Peut-être  appartient-il  au  même  groupe  que  l'auteur 
ïï y^milianus  :  le  cadre  des  deux  légendes  est  le  même  ;  — 
toutes  deux  s'intéressent  au  fleuve  Gleoton  ;  —  et  le  terme 
civitas  lucana  n'est  pas  sans  rappeler  quelque  peu  la  civilas 
Bettona  de  Crispolitus. 

Peut-être,  enfin,  les  mots  verus  catholicus  s'expliquent-ils 
parce  que  l'auteur  est  hostile  aux  ariens,  aux  Lombards. 

Quel  est  le  culte  qui  supporte  la  légende?  Crispolitus  n'est 
pas  un  nom  latin  ni  un  nom  grec.  On  a  restitué  Chrysopoli- 
tus  %  forme  très  bien  attestée.  Je  me  demande  s'il  ne  faut  pas 
lire  plutôt  Crispolus  :  le  férial  hiéronymien  signale  trois  ou 
quatre  saints  de  ce  nom,  en  Sardaigne  et  à  Rome  notam- 
ment ^ 

1  Oq  se  rappelle  que,  en  609-610,  Boniface  IV  consacra  l'église  du  Panthéon 
à  Marie  et  à  tous  les  martyrs;  de  même  ici.  «  Eodem  tempore  petiit  [Bonifa- 
cius)  a  Focate  principe  templum  qui  appellatur  Pantheum,  in  quo  fecit  ec- 
clesiam  beatae  Mariae  semper  virginis  et  omnium  martyrum  »  [L.  P.  i,  317]. 

2  B.  H.  L.,1800. 

3  De  Rossi-Duchesne,  p.  68  et  77  :  m  et  iiii,  Kal.  {un.  ;  un  et  m  id.  iunii 
—  Cf.  deux  évêques  africains  vers  400  dans  de  Vit  :  Onomasticon.  —  Faut-il 
apercevoir  Crispolus  de  Bettona  derrière  le  mystérieux  Scipiodote  de  Vitto- 
ria  (?),  des  XII  Syriens  1  —  On  peut  penser  aussi  à  Chrysolitus  [IV  Coronati. 
Cf.  G.  M.  R.  Il,  289].  —  Le  nom  Teutela  cache  certainement  un  nom  de  même 
type  que  Theudila,  le  fils  de   Sisebut,  Theodelindo,  la  femme  d'Agilulfe,  etc. 


CHAPITRE  \I 


TRADITIONS  DE^TUSCIE 

(VIA  CASSIA) 

LES  SAINTS  VALENTIN,  GRATILIANUS,  EUTYCHIUS 


Passons  d'Ombrie  en  Tuscie  :  depuis  le  temps  d'Aurélien  et 
de  Dioclétien  ',  on  sait  que  les  deux  pays  ne  forment  plus 
qu'une  seule  province. 

La  voie  Gassia  mène  de  Rome  à  Arezzo  et  à  l'Apennin  par 
Veies,  Baccano,  le  forum  Cassii,  Bolsène  et  Chiusi  :  elle  monte 
lentement  les  pentes  de  la  forêt  Ciminienne  en  vue  du  Soracte, 
des  monts  de  la  Sabine  et  des  monts  Albains.  Au  delà  du 
Ponte  Molle,  sur  la  gauche,  elle  se  détache  de  la  voie  Fla- 
minienne,  et  lance  bientôt  sur  sa  droite,  un  peu  avant 
iXepi,  la  voie  Amerina. 

On  va  voir  que  le  pays  où  naît  cette  dernière,  le  pays  de 
Nepi  et  de  Falères,  de  Yiterbe  et  de  Ferento,  présente  des  lé- 
gendes étroitement  apparentées  l'une  à  l'autre  et  qui,  toutes^, 
ont  subi  l'influence  des  gestes  romains. 

*  Cf.  de  Rossi  :  Spicilegio  rCArcheologia  Cristiana  nell'  Umbria  \Bull., 
1871.81].  D'une  manière  générale,  consulter  sur  ce  pays  G.  I.  L.,  xi,  i,  p.  454 
Wiferbe  et  Ferento),  p.  464  (Falerii)  ;  —  et  Desjardins  :  Table  de  Peutinger, 
p.  133-134  (Viterbe),  et  142  (Falerii). 


142  TRADITIONS    DE    TUSCIE 


VaientiQ       Au  temps  OÙ  Maxiïïiien  Auguste  régna  après  la  mort  de  son 
et  d'Hi-    p^^,f,  Dioclétien  Auguste^  il  tua  sa  sœur  Arthemia,  fille  de 
Vilerbe  i   Dioclétien,  parce  quelle  était  chrétienne,  et  lança  un  édit  à 
travers  les  provinces,  les  cités  et  les  châteaux  :  ordre  de  tuer 
tous  les  chrétiens  qu'on   trouverait.  Les  ministres  du  Christ 
(ministri  Christi)  Valentin,  prêtre,  et  Hilaire,  diacre  y  s'étaient 
réfugiés  dans  la  maison  d'une  femme  très  chrétienne.  Eu- 
doxie.  Or,  le  proconsul  Demetrius,  qui  était  au  château  de 
Viterbe  (in  castello  Viterbiensum),  se  mit  à  chercher  soigneu- 
sèment  les  chrétiens  ex  iussione  augustali  afin  de  faire   sa 
cour  à   Maximien  Auguste:  les  amis  livraient  les  amis,  les 
parents  leurs  fils,  les  mères  leurs  filles.  C'est  ainsi  qu'on  ar- 
rête Valentin  et  Hilaire,  on  les  conduit  au  château  de  Viterbe, 
devant  le  proconsul.  Ils  se  disent  chrétiens,  nobles,  orientaux 
d^ origine,    u  Sacrifiez,  soyez  des  amis  de  César.  »  —  <:<  C'est 
nous-mêmes  que  nous  offrons  en  sacrifice  à  Dieu  en  odeur  de 
suavité',  les  dieux  sont  des  démons  ;  notre  Dieu,  le  Christ,  a 
fait  les  deux.  Vous  nous  tenez  :  nous  sommes  préparés  aux 
supplices,  selon  ce  qu'a  dit  V Apôtre  :  in  contessione  probabitur 
omnis  vir.  »  —  c(  Sacrifiez  au  grand  Dieu  Hercule  qu'adorent 
les  princes,  siiion  vous  mourrez.  »  —  a  Maudit  sois-tu,  fils 
d'iniquité,  qui  nous  conseilles  de  telles  choses  ».  On  les  tor- 
ture, mais  ils  invoquent  le  Christ,  et  un  tremblement  de  terre 
jette  à  bas  le  temple  d'Hercule,  A  cette  nouvelle,  Demetrius 
déchire  ses  vêtements  et  ordonne  qu^on  jette  les  saints  dans  le 
Tibre  avec  une  pierre  au  cou.  Les  saints  s* agenouillent,  prient 
le  Christ  d'avoir  pitié  d'eux  et  d'envoyer  son  ange  afin  de  re- 
cueillir leurs  âmes  ;  et  Vange  accourt,  en  effet,  dénoue  leurs 
liens  et  les  retire  du  fleuve,  tandis  qu'un  ours  immense  se  jette 
sur  les  bourreaux,  en  tue  huit  et  blesse  les  autres  ;  et  ceux-ci 

1  B.  H.  L.,  8469-70,  3  novembre,  626-629.  Temporibus  illis  quo  Maximianus 
augustus. 


VALENTIN    DE    VITERBE  143 

vont  trouver  le  bienheureux  Euticius  prêtre,  lui  confessent 
leur  crim€y  et,  après  un  jeûne  de  trois  jours ^  reçoivent  le  bap- 
tême avec  tous  les  leurs  le  saint  jour  du  Seigneur  [die  sancto 
dominico...  cum  omnibus  familiis  suis]. 

Quant  aux  martyrs^  ils  sont  revenus  trouver  le  proconsul, 
et  le  sommer  de  faire  pénitence,  et  de  se  convertir  au  vrai 
Dieu,  le  Christ^  Fils  de  Dieu.  On  les  bat,  on  les  torture,  on 
les  décapite  enfin  au  lieu  dit  Via  Strata.  Une  pieuse  femme, 
EudoxiCy  enlève  les  corps  la  nuit  et  les  ensevelit  saintement 
au  lieu  qui  est  appelé  Cavillarius  ;  Demetrius  la  fait  mourir 
sous  les  coups  de  bâton.  Les  martyrs  du  Christ  Valentin  et 
Ililaire  ont  souffert  le  quatre  des  nones  de  novembre.  —  Peu 
de  temps  après,  la  maladie  saisit  Demetrius  ',  il  implore  les 
saints  quil  a  tués  ;  et  ceux-ci  lui  disent  en  songe  d* aller 
trouver  le  prêtre  Euticius.  Ses  soldats  trouvent  celui-ci  en 
prière  sur  la  montagne  appelée  Aureus,  Euticius  prie  cette 
vraie  lumière  qiiest  le  Christ  de  guérir  le  païen  ;  et^  comme 
celui-ci  se  convertit,  il  le  baptise;  et  aussitôt  Demetrius  est 
guéri,  et  le  voici  qui  prêche  les  peuples  :  «  Croyez,  adorez  le 
Dieu  vivant  qui  est  au  ciel,  qui  ressuscite  les  morts  et  guérit 
les  lépreux  et  qui,  par  l'intercession  de  ses  saints^  m'a  délivré 
du  maL  »  Mais  Maximien  est  averti  et  le  fait  décapiter  par  le 
vicaire  Dionysius. 

Les  corps  de  Valentin  et  d' Hilaire  ont  reposé  où  ils  avaient 
été  ensevelis  jusqu'au  temps  de  Grégoire  IV,  Ils  ont  été  trans- 
portés alors  par  Sicardus,  abbé  du  monastère  de  Sainte  Marie 
toujours  Vierge  en  Sabine,  à  V oratoire  qiCil  avait  construit  à 
cet  endroit  même  ;  Sicardus  opéra  en  même  temps  la  transla- 
tion du  corps  de  saint  Alexandre,  fils  de  sainte  Félicité,  que 
lui  avait  accordé  ledit  pape  Grégoire  pour  la  louange  et  la 
gloire  de  Notre  Seigneur  et  Sauveur  Jésus-Christ,  à  qui  hon- 
neur et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles.  Ame?i. 

Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  Valentin  et  Hilaire  soient  aussi 
bien  connus  que  Viterbo,  la  ville  aux  jolies  fontaines  :  on  ne 
trouve  leur  nom  dans  aucun  calendrier,  dans  aucun  martyro- 
loge *.  Le  plus  ancien  document  autbentique  qui  les  men- 
tionne est  une  constitution  de  Léon  IV  [817-855]  citée  par  In- 

*  Réserve  faite  de   quelques   mss.  qui  descendent   d'Usuard   [codd.  danici, 
Bru^ell.,  Aquicinctin.]. 


144  TRADITIONS    DE   TUSCIE 

nocent  HI  *.  Il  est  vraisemblable  que  ce  sonl  deux  saints  lo- 
caux inconnus. 

Nous  connaissons  deux  textes  qui  célèbrent  leur  gloire  : 
l'un  est  celui  qu'on  a  résumé;  il  provient  d'un  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  Victor  Emmanuel,  à  Rome,  et  se  retrouve,  à 
quelques  variantes  près  dans  deux  manuscrits  du  Mont-Cas- 
sin  2.  —  Le  second  texte  ^,  beaucoup  plus  court  que  le  précé- 
dent, reproduit  à  peu  près  le  début  de  celui-ci  jusqu'à  la  pre- 
mière comparution  des  saints  devant  le  proconsul  ;  puis,  après 
qu'ils  se  sont  olTerts  à  Dieu  en  sacrifice  in  odorem  suavitatis 
et  qu'ils  ont  rejeté  les  dieux-démons  et  confessé  le  Christ  Dieu, 
ils  sont  aussitôt  conduits  au  lieu  qui  est  dit  Via  Strata,  ils  y 
sont  décapités,  et  Eudoxie  les  ensevelit  au  lieu  qui  est  dit 
Cavillarius  (ou  Camillarius).  Pas  un  mot  sur  la  translation 
de  l'abbé  Sicard. 

Le  texte  long  a-t-il  développé  le  texte  court,  le  texte  court 
a-t-il  abrégé  le  texte  long  ? 

Deux  traits  caractérisent  les  récits  propres  au  texte  long.  Ce 
texte  coïncide  avec  les  gestes  de  Secundus  d'Amelia  :  ici  et 
là  un  proconsul  veut  faire  adorer  Hercule,  dont  un  trem- 
blement de  terre  renverse  le  temple  ;  ici  et  là,  le  martyr 
est  jeté  dans  le  Tibre  une  pierre  au  cou  et  les  anges  le  dé- 
livrent et  le  sauvent  ;  ici  et  là^  une  pieuse  femme  Eudoxia 
accueille  et  ensevelit  les  saints,  tandis  qu'un  ours  tue  huit 
bourreaux  et  blesse  les  autres  qui  se  convertissent  aussitôt  et 
se  font  baptiser  par  Euticius  prêtre  ;  ici  et  là,  enQn,  un  persé- 
cuteur s'appelle  Dionysius. 

Or,  je  remarque  deux  autres  caractères  communs  à  Secun- 
dus et  à  Valentin-Hilaire.  L'un  et  l'autre  utilisent  les  gestes 
romains  :  c'est  le  prologue  de  Potentienne  Praxèdé  que  copie 
le  rédacteur  de  Secundus  ;  c'est  aux  gestes  de  Marcel  que  le 
rédacteur  de  Valentin-Hilaire  emprunte  l'assassinat  d'Artemia, 

1  «  In  vico  PaleDzano  cum  suis  ecclesiis  S.  S.  Hilarii  et  Vaîentini  »  [Baluze, 
Ep.  142  du  tome  11] .  —  Palenzaoo  a  été  donné  à  Viterbe  par  Barberousse  en 
1169  [Bus8i  :  Istoria  di  Viterbo,  1742.49],  [d'après  le  commentaire  bollan- 
diste,  3  novembre]. 

2  Le  ms.  de  la  Victor  Emmanuel  date  du  x^  [3  novembre,  614,  §  6].  —  C'est 
ce  texte  qui  a  été  imprimé  autrefois  par  Andreucci  :  Notizie  istoriche  de  glo- 
riosi  s.  s.  Valentino  prête  ed  Ilario  diacono  [Roma,  1740],  61.  —  Cf.  aussi  les 
éditions  de  Pennazzi,  1721,  de  Bussi,  1742,  et  d'Assemani,  1745. 

3  II  est  conservé  dans  le  «  Codex  Vallicellanus  »,  16,  p.  73  ;  il  est  divisé  en 
trois  leçons.  B.  H.  L.,  8473.  «  Tempore  quo  Maximianus  augustus  —  et  sepulti 
sunt  in  locum...  » 


LES    DEUX    RECENSIONS  145 

fille  (le  Dioclélien,  par  le  fils  de  celui-ci,  Maximien.  D'autre 
part,  nous  avons  également  deux  textes  de  Secundus,  un  texte 
long  et  un  texte  court,  lequel,  chose  étrange,  fait  de  Maxi- 
mien  le  fils  de  Dioclétieii,  tout  eomme  le  texte  long  de  Valen- 
tin-IIilairc.  On  peut  se  demander  si,  malgré  ce  dernier  détail, 
les  deux  textes  longs  de  Secundus  et  de  Valentin-liilaire  ne 
seraient  pas  l'œuvre  d'un  même  rédacteur  ^  remaniant  des 
textes  antérieurs. 

Voici  justement  —  et  c'est  le  second  trait  qui  caractérise 
Vnloilin^  texte  long  —  qu'on  nous  parie  d'une  translation 
opérée  au  temps  de  Grégoire  IV  [828-844]  par  l'abbé  Sicar- 
dus.  Cette  translation  n'aurait-elle  pas  été  l'occasion  d'où  se- 
raient nés  nos  textes  longs.  Car  cette  translation  semble  bien 
réelle  :  elle  est  attestée  d'autre  part  par  le  Clironicon  Far^ 
fense  '  ;  c'est  au  monastère  de  Farfa  qu'avaient  été  transpor- 
tés Valentin  et  Hilaire. 

Le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Victor  Emmanuel,  qui 
contient  le  texte  long,  vient  précisément  de  Farfa.  Le  texte 
long  serait  contemporain  de  Sicard  et  de  Grégoire  IV. 

Mais  comment  expliquer,  dans  cette  hypothèse,  la  nais- 
sance de  Secundus,  texte  long?  Secundus  n*a  pas  été  trans- 
porté à  Farfa.  —  Sans  doute.  Seulement  nous  savons  qu'Ame- 
lia  fut  rebâtie  %  peu  de  temps  après  Grégoire  IV,  par  Léon  IV 
[844-(S5o].  On  peut  croire  que  la  résurrection  de  la  cité  fut 
cause  de  la  rénovation  du  culte,  et  la  rénovation  du  culte  cause 
du  remaniement  du  texte.  Léon  IV,  qui  rebâtit  Amelia,  la 
ville  de  Secundus,  est  précisément  le  premier  écrivain  qui 
mentionne  Valentin  et  Hilaire. 

Or,  Firmina  est  attaché  à  Amelia,  aussi  bien  (\ViQ  Secundus  : 

*  Ou  de  deux  rédacteurs  apparlenaat  à  uq  même  milieu. 

-  «  Oratorium  hoc  quod  cernimus  io  honore  Domini  Salvatoris  adjunctuin 
huic  ecclesiee  sanctae  Mariae  ipse  (Sichardus)  construxit  ubi  corpora  sancto- 
rum  Valentini  et  Hilarii  martyrum  de  Tusciae  partibus  translata  cum  corpora 
sancti  Alexandri  sauctse  Felicitatis  filii  quod  de  Roma  adduxerat,  concedeote 
Gregorio  IV  sedis  apostolicae  prœsule,  honorifice  sepeliuit  »  [Muratori  : 
R.  I.  S.,  II,  II,  381]. 

^  «  Nam  Hortance  et  Amerinaî  valde  antiquarum  ciuitatum  qiiarum  mûri  ac 
portas  prœ  nimia  uetustate  temporum  usque  ad  solum  ceciderant  et  funditua 
destitutae  mariebant,  in  quibus  modo  fures  modo  latroues  iogredi  palenlibus 
aditis  nullo  resisteote  custode facilius  ingrediebantur,  ipse  adeo  solertissimus 
praBâul  laulaai  civiiim  prœdictarum  urbium  cognoscens  i-icuria,  eas  quas  prœ- 
titulavimus  civitates  liortatu  suo  ac  studio  mûris  novisque  portis,  prioribiis 
minime  dissimilibus,  ad  [irisciim  locum  slatuuique  gralia  corroboratas  diviiia 
reduxil.  .)  jL.  I'.,  ii,  127|. 

III  10 


146  TRADITIONS    DE   TUSCIE 

il  peut  y  avoir  intérêt  à  rapprocher  Firmina  <Je  Valentin-IH- 
laire.  Voici  les  points  do  contact  que  je  note  :  1.  L'auteur 
(le  li'irmina  utilise  les  gestes  romains,  comme  l'auteur  de 
Valentin-Ullaire  ;  2.  Olympiades  se  convertit  comme  Dcme- 
trius  ;  3.  Denys  met  à  mort  Demetrius,  comme  Mof^^otius 
Olympiades  ;  4.  Le  bourreau  de  Firmina  se  fait  baptiser  [}ar 
un  saint  prêtre  aussi  bien  que  les  bourreaux  de  Valentin  ; 
5.  Firmina  joue  le  même  rôle  qu'Eudoxia  ;  6.  Un  prêtre  \^a- 
lentin  apparaît  dans  les  gestes  de  Firmina  :  n'est-ce  pas  notre 
Valentin  de  Viterbe?  —  Aucun  de  ces  faits  ne  va  contre 
notre  conclusion  :  les  textes  longs  de  Valentin- Hilaire  et  de 
Secundus  proviennent  sans  doute  d'un  même  groupe  et  datent 
du  deuxième  quart  du  ix^  siècle.  Leurs  rédacteurs  sont  des 
moines  de  Farfa,  —  tout  comme  les  anonymes  qui  ont  adapté 
à  Laurent  de  Spolète  la  légende  des  XII  Syriens  *. 

Notre  texte  long  repose  très  vraisemblablement  sur  un  texte 
antérieur.  On  y  lit  toujours,  en  effet,  castellum  Biterbiensum, 
jamais  ciuitatem  :  or,  le  Libe?'  Pontificalis  appelle  Viterbe 
castrum  au  temps  de  Zacharie  [741-752],  ciuitatem  au  temps 
d'Hadrien  [792-795]  ^  ;  au  temps  de  l'abbé  Sicard,  on  appelait 
Viterbe  ciuitas;  si,  à  ce  moment,  un  écrivain  emploie  l'expres- 
sion castelluîn,  il  est  à  croire  qu'il  se  guide  sur  un  texte  an- 
térieur. 

Ce  texte  antérieur  est-il  identique  à  notre  texte  court  ?  Je 
n'oserais  pas  l'affirmer  catégoriquement  ^  :  la  division  en  le- 
çons fait  penser  qu'il  fut  rédigé  en  vue  des  moines,  et  ce  tra- 
vail a  souvent  donné  naissance  à  des  textes  résumés?  —  Qui 
dira,  d'autre  part,  que  notre  texte  n'a  pas  la  physionomie  d'un 
résumé  ?  —  Je  remarque  enfin  que  le  texte  court  de  Secundus 
a  la  même  allure,  peut-être  plus  nettement  encore  ;  et  je  rap- 
pelle qu'il  fait  de  Maximien  le  tils  de  Dioclétien,  à  la  différence 

1  Cf.  supra,  p.  64,  n.  2,  —  On  sait  l'importance  de  Farfa  à  l'époque  caro- 
lingienne. Et  je  rappelle  le  fameux  conflit  d'Ingoald,  l'ami  de  Louis  le  Pieux, 
avec  Grégoire  IV. 

2  «  Per  fines  Langobardorum  Tusciae  quia  de  propinquo  erat,  id  est  per 
Castro  Bitervo...  »  [L.  P.,  i,  429].  —  c  Ipse  Laagobardoram  rex  ilico  cum 
magna  reverentia  a  ciuitate  Viteruenpe  coDfusus  ad  propria  reuersus  est  >». 
[L.  P.,  1.  494].  Le  Liber  Çarolinus  cite  Bitervo  parmi  les  Tuscise  ciuitates  [Ha- 
driaous  Carolo,  80.  —  éd.  M.  G.  p.  613].  —  [On  sait  les  eiîorts  du  fameux  An- 
nius  pour  prouver  l'autiquité  de  Viterbe]. 

3  Comme  le  bollaodiste  vaa  deu  Glieyu,  3  nov.  (^omm,  praeii.  §  8.  11  y  a 
un  texte  intermédiaire  eutre  le  texte  loor,^  et  le  texte  court  :  B.  H.  L.  8471-72 
ajoute  à  notre  texte  court  un  récit  de  trauslation.  Cf.  infra.  p.  158. 


GRATILIANUS    DE  FALÈRES  147 

de  Secundus  texte  long,  à  la  suite  de  Valentin  texte  long.  — 
La  chose  n'est  pourtant  pas  impossible  ;  le  texte  court  ignore 
la  translation  :  il  peut  dater  du  viu°  siècle. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  a  eu  un  texte  antérieur  au  texte  long. 
L'absence  de  Valentin  et  d'Hilaire  dans  le  calendrier  popu- 
laire invite  à  croire  que  ce  texte  primitif  peut-être  postérieur 
au  début  du  \ii«  siècle  :  il  remonterait  au  milieu  ou  à  la  fin  de 
ce  siècle.  L'auteur  connaît  les  légendes  d'^milianus  ou  des 
Xlï  Syriens  :  ici  et  là,  le  héros  qu'on  célèbre  est  un  Oriental 
qui  évangélise  une  terre  italienne  *.  Sans  doute  faut-il  dire 
que  tous  ces  textes  émanent  d'un  même  groupe  de  rédacteurs. 


II 


je      En  ce  temps-lày  dans  la  quatrième  année  de  son  règne, 
)'q.  ^^^^'^^  César  lança  un  èdit  pour  punir,  sans  seulement  les 
<i2  entendre,  tous  les  «  Galiléens  »  qu  on  trouver  ait.  Gratilianus, 
'^^  plein  d'espoir  dans  le  Seigneur  Jésus-Christ,  accueillit  la  nou- 
velle sans  trembler.  C'était  wn  enfant  unique,  grand  souci  de 
.    s'is  parents  ;  mais  il  était  pénétré  de  la  doctrine  du  Christ,  Il 
ouvre  simplement  V Evangile  à  V endroit  où  le  Christ  dit:  Qui 
vult  venire    post  me   abneget  semet  ipsum...   Puis,    il  va 
trouver  le  bienheureux  Eutychius  prêtre  :  a  Je  fen  conjure  par 
le  Christ  que  tu  prêches,  dit-il:  dis^moi  la  récompense  de 
ceux  qui  confessent  le  Christ.  »  —  «  Ils  ont  la  vie  éternelle  et 
la  rémission  de  leurs  péchés,  »  —  «  Je  t'en  conjure  par  les 
divines  leçons  (lectiones)  des  Evangiles,  poursuit-il  :  explique- 
moi  la  foi  du  Christ,  et  baptise-moi.  »  Eutychius  le  fait  ca- 
téchumène, trois  jours  après  le  baptise  au  nom  du  Père,  du 

*  Comparer  encore  les  mots  Maximianus  augusttus    Tuscix  [Mmilîanus, 
cf.  supra,  p.  110]    avec  les  expressions  ex  iussione  augustali   [Valentin- Ht- 
I    laire,    cf.    supra,    p.    142]    et   nundinx   aiigustales    [Vincent  de   Bevagna, 
'    p.  105].  Le  terme    ruinistri    Dei  se    lit   dans   les    XII   Syriens.  —  Les  mots 
Vcrus    Deus,   Christus,  Filius  Dei  dénoncent  peut-être   une   intention  anti- 
arienne. 
•^  B.  11.  L.,  3630  [12  août, '728]. 


148  TRADITIONS    DE    TUSGIE 

Fils  et  de  rEspril-Saint,  le  rcvèt  des  vêlements  blancs  et  cé- 
lèbre les  mystères  du  Christ  :  puis  ils  déposent  leurs  blancs 
vHemenls  et  participent  au  corps  et  au  sang  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ, 

Revenu  chez  ses  parents,  il  leur  annonce  qu^il  est  chrétien 
et  qu'il  ne  sacrifiera  pas  à  leurs  dieux.  «  Mon  enfant,  ré- 
pondent-ils, n'aie  pas  ces  dédains  pour  nousy  et  ne  perds  pas 
la  fleur  de  ta  jeunesse;  si  le  comte  Trason  savait  ces  choses, 
il  te  punirait,  »  —  «  Par  le  Christ  Fils  de  Dieu,  je  nai  pas 
peur  :  c  est  en  lui  quont  espéré  les  trois  Hébreux  ;  il  me  déli- 
vrera aussi;  ne  rna-t-il  pas  déjà  enseigné  la  vérité ,  lui  qui 
est  la  voiCf  la  vérité  et  la  vie  ?  »  Or,  pendant  que  ses  parents 
pleurent  sa  folie,  il  est  arrêté  par  les  appariteurs  de  Trason^ 
comte  de  la  cité  de  Falères.  «  Toi  aussi,  dit  le  comte,  te  voilà 
devenu  un  mage  ;  sacrifie  au  grand  Dieu  Apolloii  ;  sois  notre 
ami.  »  —  a  Je  ne  suis  pas  fou  ;  j'ai  cru  au  Christ  parce  quil 
est  la  vérité;  je  ne  crains  ni  vos  menaces  ni  vos  promesses; 
je  n  abandonnerai  pas  le  Christ.  »  Trason  V emprisonne,  puis 
adresse  un  rapport  à  Claudius  César  sur  le  fils  de  Maxi- 
mÀanus.  Il  le  fait  comparaître^  et,  sur  son  refus  de  sacrifier, 
le  fait  battre  ;  puis  il  le  renvoie  en  prison  pour  organiser  les 
supplices.  Mais  Gratilianus  guérit  les  aveugles  et  les  paraly- 
tiques, il  ressuscite  même  les  morts  au  nom  du  Seigneur  Jésus- 
Christ.  A  cette  nouvelle,  une  veuve,  Fortunata  (de  opinione 
Gratiliani)  lui  amène  sa  fille  unique  qui  est  aveugle,  Felicis- 
simtty  et  le  prie  de  mettre  ses  mains  sur  les  yeux  de  là  vierge. 
«  Crois  de  tout  ton  cœur,  dit-il,  et  tu  seras  éclairée.  »  — 
«  Eclaire4a,  et  elle  croira  ».  Alors  Gratilianus  invoque  Celui 
dont  la  salive  mêlée  à  la  poussière  a  guéri  l'aveugle,  fait  le 
signe  de  la  croix  sur  les  yeux  de  l'aveugle  :  elle  est  aussitôt 
guérie.  «  Enseigne-moi  maintenant  à  suivre  le  Christ,  dit 
Felicissima.  «  //  la  baptise  donc  en  présence  de  sa  mère,  au 
nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  et  V envoie  à  Eu- 
tychius  qui  Voindra  du  chrême  salutaire  afin  de  lui  faire  con- 
naître la  parfaite  vérité  du  Chnst.  Ce  qui  est  fait. 

Mais  les  geôliers  annoncent  tout  cela  au  comte.  «  Arrêtez- 
les  »,  ordonne  celui-ci.  On  les  arrête  chez  Eutychius  qui,  saisi 
de  peur,  s'enfuit.  «  Ou  as-tu  pris  ces  maléfices  qui  séduisent 
le  peuple  ?  »  —  a  Ce  ne  sont  pas  des  maléfices,  mais  des 
bienfaits  du  Christ  (non  maleficia  sed  benelîcia).  »  —  Con- 
damnés à  être  décapités  non  loin  de  la  ville  Galaris  (urbe  Ga- 


LA  LéoENDE  EST  UN  CENTON  149 

Isirh),  près  du  ruisseaUy  Gratilianus  et  Felicissima  prient  le 
Dieu  du  monde  d'envoyer  son  ange  recueillir  leurs  âmes  ;  puis 
ils  meurent.  Le  sang  qui  sort  du  corps  de  gratilianus  est 
aussi  blanc  que  la  neige  ;  ses  parents  V enterrent  dans  le 
champ  du  bienheureux  Gratilianus,  que  le  père  a  acheté  en 
son  nom,  la  veille  des  ides  d'août,  au  lieu  appelé  Maulanus, 
Trois  jours  après  y  les  deux  martyrs  lui  apparaissent,  g  our~ 
mandent  son  désespoir ,  lui  annoncent  que  la  paix  est  donnée 
à  l'Eglise  de  Dieu  :  ce  mois  même  Trason  va  être  tué  par 
Claude  César.  «  Ne  me  pleurez  pas,  dit  Gartilianus  ;  et  croyez 
au  Christ  qui  peut  vous  donner  la  vie  éternelle,  »  Trois  jours 
après  le  tribun  Eleuthère,  au  nom  de  Claude  César,  arrête 
Trason  comme  concussionnaire  ;  et  Trason  meurt  traîné  et 
fracassé  par  un  cheval  indompté.  Ainsi  Notre  Seigneur 
Jésus-Clirist  défend  les  martyrs  qui  ont  souffert  pour  son 
nom.  Ses  parents,  éclairés  par  Tévénemefit,  se  convertissent,  et 
cessent  de  pleurer  V  enfant  qui  partage  la  joie  du  Christ,  du 
Christ  qui  vit  et  règne  avec  le  Père  et  V  Esprit-Saint  dans  les 
siècles  des  siècles.  Amen, 

La  ville  de  Falerii  est  voisine  de  Cività  Castellana,  qui  lui  a 
succédé.  On  voit  que  l'évêque  de  Nepi,  Félix,  qui  signe  les 
actes  du  concile  de  Rome  de  499,  est  appelé,  dans  un  bon  ma- 
nuscrit, (episcopus)  ecclesiœ  Faliciscœ  ^  ;  et  nous  avons  une 
lettre  de  Symmaque  qui  l'appelle  episcopus  ecclesiae  nepe- 
sinœ  et  faliscse.  Nous  connaissons  les  évoques  de  cette  ville 
depuis  595  jusqu'en  1033. 

Les  patrons  de  Falères  sont  moins  bien  connus.  LTsuard  est 
le  plus  ancien  texte  qui  donne  leur  nom  :  item  urbe  Falari, 
passio  Graciliani  et  Felicissimie  uirginis  quorum,  ora  primum 
pro  Christo  lapidibus  contusa,  dehinc  gladio  percussi  optatarn 
martyrii  suscepere  coronam  ^.  Ce  sont  les  saints  locaux  du  pays. 

L'auteur  de  leur  légende  semble  l'avoir  constituée  par  un 
ingénieux  mélange  de  traits  qu'il  a  pris  ailleurs.  Ce  saint  qui 
ouvre  l'Evangile  et  nous  lit  ce  qu'il  y  trouve  se  souvient  cer- 
tainement d'Euplus  \  —  Thrason,  l'annonce  de  la  paix  de 


*  C.  I.  L.,xi,  1,  p.  465. 

2  p.  L.,  124,  355-356.  Noter  une  AsÎQia  Felicissima,  au  cimetièrede  Mustiola, 
à  Cliiusi  |C.  I.  L.,  X),  1,  2549]  :  elle  semble  mise  sur  le  même  rang  que 
sainte  Mu?tiola  [cf.  infra,  p.  161]:  serait-ce  uotre  sainte? 

«  Cf.  G.  M.  R.,  II,  177. 


V,)0  TRADITIONS    DE   TUSCIK 

l'Eglise  rappellent  singulièrement  Marcel  ».  —  Cet  enfant 
unique  qui  se  converlit  malgré  ses  parents  ressemble  heau- 
coup  à  Vitus  K  —  L'apparition  du  martyr  qui  console  ses  pa- 
rents semble  inspirée  d'Agnès^.  —  Le  terme  de  «  Galiléens  » 
se  lit  dans  les  gestes  d'Abundius  et  de  Carpopbore,  et,  enge- 
ndrai, dans  les  gestes  des  martyrs  mis  ci  mort  par  Julien.  —  J^a 
mort  de  Thrason  que  fracasse  dans  sa  course  un  cheval  in- 
dompté  ressemble  assez  au  supplice  dont  la  légende  a  gra- 
tifié saint  Hippolyte  *^.  —  Comme  dans  Alexandre  pape  le 
saint  est  appelé  mage.  —  Gratilianus  et  Eutychius  rappellent 
singulièrement  Donat  et  Ililarinus.  —  Le  sang  des  martyrs 
est  aussi  blanc  que  la  neige  :  les  actes  de  saint  Paul  •*  et  les 
gestes  d'iEmilianus  assurent  qu'il  est  plus  blanc  que  le  |lait.  — 
Qui  sait  même  si  notre  grand  liseur  ne  se  souvenait  pas  de 
Lucie  quand  il  accusait  Thrason  de  concussion  ? 

Tous  ces  écrits  sont  plus  anciens  que  le  nôtre.  Voici  des 
emprunts  faits  à  des  textes  relativement  récents.  Ici  comme 
dans  Victorin  ^  d'Assise,  on  note  les  détails  si  pittoresques  de 
la  guérison  de  l'aveugle  de  Bethsaïda  [Marc.  8,  23].  —  Félix 
de  Speilo  est  aussi  qualifié  de  mage.  —  Le  jeu  de  mots  maie- 
ficia-beneficia  se  retrouve  dans  Paidiniis  et  dans  Pergentinus- 
Laurentinus  \  —  Claude  est  aussi  dur  que  Maximien  :  dans 
Secundus,  on  voit  aussi  que  les  chrétiens  doivent  être  punis 
sans  être  entendus.  —  On  parle  ici  du  «grand  dieu  »  Apollon, 
comme,  dans  Torpes  ^,  de  la  «  grande  déesse  »  Diane.  —  Les 
événements  sont  datés  [quarto  anno  imperii  eius)  de  la  même 
manière  que  le  martyre  de  Domninus  ^.  —  Le  nom  d'Eleu- 
thère,  appliqué  au  tribun  qu'envoie  Claude,  est  celui  d'un 
personnage  dont  on  parle  beaucoup  en  Italie  vers  620  ^^  ;  la 
mission  confiée  à  Eleutbère  rappelle  celle  que  donna  l'empe- 


1  G.  M,  R.  1,  132  et  su:pra  p.  56-57. 

2  G.  M.  R.,  II,  165. 

3  §  16.  *  Videte  ne  me  mortuam   lugealis   sed  congaudete  mihi...  »  [P.    L., 
17,  741,  D]. 

*  G.  M.  R.,  I,  199,  207. 

s  Version   liuienne   [G.  M.  R.,   i,  327J    §  16  —  éd.  Lipsius,  p.  40  ;  etc..   Cf. 
supra,  p.  m. 
c  Cf.  supra,  p.  107. 
''Cf.  infra. 

8  Cf.  infra,  —  On  le  rencontre    aussi  dans  Lucie  [G.  M.  R.  ii.  189] 

9  Cf.  infra. 

10  G.  M.  R.  I,  320  et  L  P.,  i,  319-322. 


EUTYCHÏUS   DE    FERENTO  lol 

reur  à  Leontius  en  598  ^  (Libertinus  est  un  concussionnaire, 
tel  Tiirason)  ;  —  et  le  supplice  de  Thrason  est  aussi  celui  de 
Hrunehaut,  (61 3)  _  laquelle  était  très  bien  connue  dans  les 
milieux  romains. 

J'imagine^que'notre  texte  date  du  vii^  siècle  ^,  peut-être  du 
début.  Le  titre  de  Thrason,  comte  de  la  cité  de  Falhes^  s'ex- 
plique très  bien  dans  l'hypothèse.  Au  temps  de  l'exarchat, 
dans  certaines  villes,  «  le  commandement  est  confié  à  des 
officiers  militaires  revêtus  du  titre  de  comte;  c'est  le  cas  à 
Misène,  à  Terracine,  au  castrum  Apriitiensey  près  de  Fermo, 
et  dans  certaines  cités  de  la  Corse.  Il  n*est  point  rare  d'ailleurs 
de  voir  le  même  personnage  réunir  les  deux  titres  de  tribunus 
et  de  cornes  ;  on  en  trouve  des  exemples  à  Albenga  en  Li- 
gurie,  à  CentumcellaeMans  le  duché  de  Home^  »  ;  pareillement 
l'oflicier  qui  a  grade  de  magùier  militum  porte  parfois  le 
titre  de  dux.  Sans  doute  en  va-t-il  à  Falères  comme  à  Misère. 

Peut-être  aussi  le  rédacteur  appartient-il  au  même  groupe 
que  ceux  de  Cassien  de  Todi^  de  Secundus  à!Amelia  et  de 
Victorin  \  d'Assise  :  il  connaît  aussi  familièrement  l'Evangile 
de  saint  Jean  que  les  gestes  romains  ;  on  a  pu  s'en  apercevoir. 


m 


Au  temps  de  Claude  Auguste  César,  il  y  a  une  grande  per~ 
t  sèctdion  dirigée  contre  les  chrétiens  afin  de  les  faire  sacrifier. 
A  ce  moment,  le  bienheureux  Eutychius  prêtre  était  revenu  à 
Ferento  sur  V ordre  d'un  ange  ;  mais  Vangc  lui  ordonne  main- 
tenant d'aller  ad  civitatem  Faleritanam  auprès  des  martyrs 

1  Gregorii  Epist..'vin,  34,, Hartmann,  ii,  37. 

-  On  a  signalé  deux  autres  versions  de  la  légende  :  l'une  un  peu  plus  courte 
[Codex  Ultrajectinus  Sci  Salvatoris,  12  août  728,  §  141;  l'autre  un  peu  plus  dé- 
veloppée [Codex  Bruxellensis  9289  (du  xn^  s.)  f^  180''.  —  Gat.  Bruxelles,  ii, 
295,  n.  92.J  Ce  sont  les  textes  B.  H.  L.  3631  et  3632. 

'  Diehl,  112-113.  —  Cf.  Gregerii  Epist.,  éd.  Migne,  ix,  51,  69;  vin,  18  ; 
XII,  12;  VII,  3;  i,  13  ;  C.  I,  L.,  v,  7793. 

*  B.  H.  L.,  2779  et  2780  [15  mai,  460  ou  458J. 


152  TRAniTIONF;    DE    TUSCIE 

GratilianJis  ri,  h'c.licissima  :  il  y  cr.li'Jjrc/ra  las  divins  myslf-rcs 
(lu  corps  et  du  sang  de.  Nuira  Saif/ncur  J(''sus-('hrisl,  puis  re- 
viendra (ad  civitatern  propriam  Foreniinarii)  à  Verenlo^  ou  il 
sera  bienlâl  couronné.  EuUjchius  se  hâte  donc  d'aller  au  tom- 
beau des  martyrs,  il  y  fait  les  divins  mystères^  il  y  reçoit  les 
remerciements  des  parents  de  Gratilianus  :  cest  lui  qui  l'a 
converti  ;  puis  il  s  en  retourne.  Les  appariteurs  du  tribun 
Maximus  V arrêtent.  «  C est  toi.,  lui  dit  Maximus,  le  séduc- 
teur des  mages  ;  toi  qui  détruis  les  commandements  du  prince 
Claude.  »  —  «  Vos  idoles  sont  sourdes  et  muettes  ;  vous 
adorez  des  créations  de  l'homme  et  vous  ignorez  mon  Seigneur 
Jésus-Christ.  »  Le  lendemain  Cévéque  de  Ferento,  Denys,  se 
présente  au  tribun:  {il  a  appris  l'arrestation  d' Eutychius), 
((  Pourquoi  tuer,  lui  dit-il^  un  serviteur  de  Dieu  qui  prie 
pour  toi  et  pour  Vétat  ?  »  Maximus  le  fait  battre  et  cliasser 
de  la  cité,  puis  il  tâche  de  séduire  Eutychius  ;  mais  en  vain  : 
Eutychius  raille  les  idoles  de  bois  et  de  pierre  dont  le  psal- 
miste  a  dit  [IIS  ou  115,8^:  similes  illis  fiant  qui  faciunt  et 
omnes  qui  confidunt  in  eis  ;  il  rappelle  la  parole  du  Christ 
[Mt.  lOy  I9\  :  dum  steteritis  ante  reges...  et  les  promesses  qu'il 
a  faites  aux  siens  [Mt.  16.  25,  et  19,  29]  :  qui  perdiderit  ani- 
mam  suam  propter  me...,  et  qui  reliqueritpatrem  autmatrem  ; 
il  montre  à  Maximus  qu'il  y  a  une  autre  vie  qui  ne  finit  jamais. 
—  «  Sacrifie,  et  je  f  enrichirai  ;  sinon,  par  le  salut  de  notre 
seigneur  invaincu  le pr'ince  Claude,  tu  mourras.  »  —  «  Aban- 
donne le  culte  des  dieux,  sinon  tu  brûleras  au  feu  éternel,  et 
tous  tes  pareils  avec  toi.  »  Beaucoup  se  convertissent,  mais 
Maximus  fait  battre  le  saint  ;  il  le  fait  suspendre  sur  le  che- 
valet, et  lui  fait  broyer  la  figure;  il  ordonne  enfin  qu'on  le 
décapite  hors  de  la  cité.  Eutychius  demande  aux  spiculatores 
un  délai  pour  prier.  «  Dieu  tout-puissant,  dit-il  en  se  jetant 
à  terre,  reçois  mon  esprit  et  compte-moi  parmi  tes  saints 
martyrs  ;  que  tous  ceux  qui  invoqueront  mon  nom  et  se  con- 
vertiront partagent  notre  récompense ,  et,  en  ce  monde,  de 
quelque  ennui  qui  les  accable,  délivre-les,  Seigneur  !  »  Il  fut 
décapité  d' un  seul  coup ,  le  jour  des  ides  de  mai,  c  est-à-dire 
le  15  mai. 

Passion  des  saints  qui  ont  été  couronnés  ensemble,  Euty- 
chius et  Valentin  prêtres,  Hilaire  diacre,  Gratilianus  et  Feli- 
cissima,  et  les  autres  qu'il  est  trop  long  de  dire. 

L'évêque  Denys,  qui  se  cachait  à  cause  de  la  persécution. 


LE    CULTE    D*EUTYCH1US  153 

emporta  le  corps  pendant  la  nuit  avec  ses  clercs  et  Vensevelit 
dans  sa  terre,  dans  sa  crypte,  à  environ  15  milles  de  Ferento  ; 
ils  y  firent  vigile  et  jeûne,  remerciant  le  Seigneur  qui  opère 
ici  de  miraculeuses  guérisons. 

Longtemps  après,  la  paix  fut  donnée  à  V Eglise  de  Dieu  ; 
la  religion  des  chrétiens  prit  un  grand  accroissement  ;  on 
orna  Vèglise  qui  avait  été  construite  en  cet  endroit,  on  creusa 
très  profondément  la  crypte,  où  jaillit  une  faible  source  :  elle 
guérit  les  malades  qui  invoquent  Eutychius.  Dans  cette 
crypte,  à  U intérieur  de  V église,  à  droite,  vers  r Orient,  on  e?z- 
sevelit  le  corps  d Eutychius  prêtre  et  les  corps  des  autres  saints 
sous  des  plaques  de  marbre  blanc  :  le  tombeau  ressemble  à 
une  arca.  Près  du  corps  d^ Eutychius,  il  y  a  une  seconde  crypte 
qui  a  environ  trente  pieds  de  long  :  on  y  voit  des  sarcophages 
où  reposent  des  (corps)  saints  ;  une  petite  source  y  coule  qui 
quèrit  les  malades  y  grâce  à  leur  intercession.  Dans  la  partie 
gauche  [de  l'église)^  on  construisit  un  autel  d^ Etienne  proto- 
martgr  et  diacre  et  d'autres  saints  ;  tout  autour  des  colonnes 
de  marbre,  des  chapiteaux  dont  les  feuilles  imitent  des  lys  (?) 
et,  au-dessus,  des  plaques  de  marbre  :  on  dirait  un  arcus. 
Par  toute  V église,  de  place  en  place,  on  construisit  des  autels 
en  r  honneur  des  saints  et  des  vierges  qui  régnent  avec  le  Sei- 
gneur dans  rèternité.  Réjouissons-nous  dans  le  Seigneur, 
mes  très  chers  frères,  en  Vhonneur  du  bienheureux  Eutychius 
prêtre  et  martyr,  dont  c  est  aujourd'hui  la  fête  :  il  a  méprisé 
le  monde  et  ses  richesses;  il  a  lutté,  pour  T amour  de  Dieu, 
jusqu'à  la  mort;  il  est  mort,  il  a  été  vers  Celui  dont  le  pou» 
voir  dure  à  travers  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Ferentum  (ou  Ferentinum)  est  une  ancienne  ville  très  bien 
connue,  au  nord-ouest  de  Viterbe  ;  Tacite,  Suétone  et  Vi- 
truve  nous  en  parlent*. 

Le  bienheureux  Eutychius,  prêtre,  est  ignoré  du  férial  hié- 
ronymien  et  du  calendrier  populaire,  d'Adon  et  d'Usuard. 
Son  culte  est  solidement  attesté,  néanmoins,  par  une  page  de 
saint  Grégoire  le  Grand.  La  voici. 

«  Tu  as  bien  connu,  Pierre,  l'évêque  de  Ferento,  Redemptus, 
qui  est  mort  il  y  a  sept  ans.  11  m'a  raconté,  lorsque  j'étais  en- 

*  Ne  pas  confoodre  ce  Ferentinum  avec  le  Ferentinum  heroique,  qui  est 
situé  auprès  d'Aialri.  Ou  ne  sait  auquel  des  deux  se  rapporteot  les  deux  ci- 
talions  du  Liber  Pontificalis,  i,  187,  212. 


!J)4  TRADITIONS    DE    TÎTSCIR 

core  dans  le  cloître,  l'histoire  suivante,  qu'il  tenait  du  doruier 
pa[)e  Jean  qui  m'ait  [irérYidé  Mean  lu,  l\()\  574).  --  I{edeni[)tus, 
suivant  la  coutume,  visitait  ses  paroisses  ;  il  arrive  à  l'église 
du  bienheureux  Kutychius  martyr,  et,  comme  la  nuit  vient,  so 
fait  dresser  son  lit  contre  le  tombeau.  Au  milieu  de  la  nuit, 
tandis  qu'il  dort  à  moitié,  voici  que  le  bienheureux  martyr  l']u- 
tychius  se  dresse  devant  lui.  «  Redemptus,  dit-il,  es-tu  éveillé  !  » 
—  «  Je  suis  éveillé  ».  —  «  Toute  chair  va  périr,  toute  chair  va 
périr^  toute  chair  va  périr  !  »  — ■  Après  avoir  poussé  ce  triple 
cri,  la  vision  disparaît.  Alors,  l'homme  de  Dieu  se  lève,  et, 
tout  effrayé,  se  met  en  prière  :  car  il  a  vu  venir  du  ciel  des 
signes  terribles,  comme  des  lances  et  des  lignes  de  feu  mena- 
çantes accourues  du  nord.  Et  bientôt,  en  effet,  sont  survenus 
les  Lombards  qui  ont  tout  pillé,  dévasté,  désolé,...  :  ce  n'est 
plus  l'annonce  de  la  fin  du  monde,  c'est  la  fin  du  monde  elle- 
même.  » 

Redemptum  Ferentinai  civitatis  episcopum^...  qui  ante  hos 
fere  annosseplem  ex  hoc  mundo  migrauity  tua  dilectio  cogni- 
tuYYi  habuit.  Hic  sicut  mihi  adhuc  in  monasierio  posito  valde 
famiiiariter  jungebatur,...  a  me  requisitus mihiipse  narrabat. 
Aiebat  namque  quia  quadam  die  dum  parochias  suas  ex  more 
circuiret,  peruenit  ad  ecclesiam  beati  Eutgchii  martyris.  Ad- 
vesperascente  autem  die  stratum  fieri  sibi  iuxta  sepulchrum 
m^artyris  uoluit  aique  ibi  post  laborem  quievit  ;  cum  nocte  mé- 
dia ut  asserebatnec  dormiebat  nec  perfectevigilare  poterat^sed 
depressus  ut  solet  somno  gravabatur  quodam  pondère  vigi- 
lans  animus  atque  ante  eum  idem  beatus  martyr  Eutychiiis 
astitit^  dicens  :  Redempie,vigilas  ?  Oui  respondit  :  Vigilo.  Qui 
ait  :  Finis  uenit  uniîiersde  carnis,  finit  uenit  uniuersœ  carnis, 
finis  uenit  uniuersœ  carnis  !  Post  quam  trinam  iiocem  uisio 
martyris  quœ  mentis  eius  oculis  apparebat,  euanuit...  Mox 
effera  Langobardorum  gens  de  vagina  suœ  habitationis  educta 
hi  nostra  ceruicem  grassata  est  ...Nam  depopulatœ  urbes, 
euersa  castra^... 

Il  est  certain  qu'il  s'agit  ici  du  mêine  martyr  que  celui  au- 
quel s'intéressent  nos  gestes.  Sans  doute,  les  gestes  écrivent 


*  Dialogi,  m,  38,  P.  L.,  77,  316-317.  —  Je  note  le  rythme  ternaire  du  dis- 
cours d'Eutyclaius  :  il  est  inspiré  saos  doute  par  les  récits  de  l'invention 
d'Etienne  où  je  le  retrouve  :  «  Luciaoe,  Luciane,  Luciane,,..  (dixit  Gamaliel)... 
Si  est  haec  visio  ex  te  (Deo)  ,  fac  ut  iterum  et  tertio  appareat...  (Gamaliel 
dixit)  :... acquiesce,  acquiesce,  acquiesce  mihi  [P,  L.,  41,809,  §  2,  811  ;  §  4]. 


ORIGINES    DE   LA    LÉGENDE  155 

Eutitius  OU  Euticius,  Grégoire  Eutychius.  Mais  ces  trois  voca- 
bles sont  tout  proches  l'un  de  l'autre  pour  qui  considère  que  la 
lettre  c  peut  avoir  le  son  dur  ou  le  son  doux,  et  qu'Euticius 
peut  donc  être  orthographié  Eutychius  ou  Eutycius.  Aucune 
de  ces  formes  orthographiques  ne  s'impose,  du  reste,  à  nous  : 
nous  n'avons  aucune  édition  critique  des  gestes.  Enfin,  et  sur- 
tout, les  gestes  attestent  qu'Eutychius  est  un  martyr  de  Fé- 
rento  ;  le  récit  de  saint  Grégoire  nous  invite  à  penser  que  l'Eu- 
tvchius  qui  apparaît  à  l'évoque  de  Ferenlo  est  le  patron 
(le  Ferento  :  car  TEutychius  qui  visite  l'évêque  est  évi- 
demment celui  qui  repose  dans  le  tombeau  auquel  est  accoté 
le  lit  de  Redemptus  ;  et  comment  admettre  que,  dans  le 
diocèse  de  Ferento,  il  y  ait  une  église  de  saint  Eutychius  con- 
sacrée à  un  autre  Eutychius  que  l'Eutychius  de  Ferento  ? 

Il  est  donc  certain  que  l'Eutychius  de  saint  Grégoire  est 
identique  au  nôtre.  —  Il  est  certain,  pareillement,  que  l'his- 
toire contée  par  les  gestes  n'a  aucun  rapport  avec  le  récit  de 
saint  Grc'goire. 

Est-ce  à  dire  que  les  gestes  soient  antérieurs  à  saint  Gré- 
goire? —  Il  semble  assuré  que  les  gestes  ont  subi  l'influence 
des  légendes  grecques  :  ils  montrent  que  le  martyr  demande  au 
bourreau  un  délai  pour  prier,  et,  à  Dieu,  sa  spéciale  protec- 
tion pour  ceux  qui  invoqueront  son  nom  de  martyr  ^ 

Ce  double  trait  se  retrouve  aussi  dans  Torpes  :  on  le  verra  ^, 
Comme  dans  Torpes,  on  voit  encore,  dans  Eutychius,  que  le 
martyr  demande  à  Dieu  de  recevoir  son  «  esprit  )),et  que  l'au- 
teur donne  des  détails  très  précis  sur  l'église  oii  Ton  vénère  le 
martyr.  Notre  texte  n'est-il  pas  parent  de  Torpes,  et  à  peu  près 
son  contemporain,  et,  par  conséquent,  à  peu  près  contempo- 
rain de  saint  (Grégoire  lui-même?  Tribun  est,  à  ce  moment,  le 
nom  qu'on  donne  d'ordinaire  aux  gouverneurs  des  villes  ^ 
Saint  Grégoire  emprunte  aux  gestes  des  Martyrs  Grecs  le 
titre  qu'il  prend  :  servus  servorum  Dei'",  et  je  me  demande  si, 
lorsque  Févêque  de  Ferento,  Denys  va  trouver  Maximus  pour 
lui  reprocher  de  tuer  un  serviteur  de   Dieu,  il  ne  se  souvient 


*  Cf.  infra.  G.  M.  R.  V.  Pareil  trait  se  lit  dans  JEmilianus.  —  Nous  avons 
une  épitaphe  d'un  martyr  Eutychius  rédigée  par  Damase  :  elle  ne  rappelle  en 
rien  notre  légende. 

2  Cf.  infra. 

3  Diehl,  111-118. 

*  Cl.  infra. 


156  TRADITIONS    DE    TUSCIR 

pas  (lu  diacre  Marcel  dont  les  Marli/rs  Grecs  nous  comptent 
précisément  l'histoire.  Prœcepil  Valer'uinns  ut  prœsenta- 
renlur  (sancti)...  Audicns  aiitcm  Iioc  Marcellus  diaconus, 
currens  oblullt  se  in  conspectu  Valeriani  dicens  :  «  quare  le- 
nentur  a  te  veritatis  amici  ?  » 


IV 


On  pourra  préciser  cette  conclusion  en  comparant  entre  eux 
les  trois  gestes  de  Valentin-Hilaire,  de  Gratilianus-Felicissima 
et  d'Eutychius. 

Leur  parenté  n'est  pas  contestable.  Tous  les  trois  mention- 
nent le  bienheureux  Eutychius,  prêtre.  —  Les  attaches  locales 
de  tous  les  trois  sont  voisines  Tune  de  l'autre  (Viterbe,  Falè- 
res,  Ferento).  — ■  Enfin  les  gestes  d'Eutychius  sont  séparés  en 
deux  parties  par  la  phrase  suivante  : 

Passion  des  saints  qui  ont  été  couronnés  ensemble, 

Eutychius  et  Valentin  prêtres,  Hilaire  diacre, 

Gratilianus  et  Felicissima  et  les  autres  qu'il  est  (trop)  long 
de  dire. 

Cette  phrase  survient  après  celle  qui  dit  la  mise  à  mort  d'Eu- 
tychius les  ides  de  mai;  —  elle  survient  avant  le  récit  de  son 
ensevelissement  et  la  description  de  son  église. 

On  soupçonne  naturellement  que  les  mots  :  passion  des 
saints  qui..,  sont  un  eœplicit,  ouïes  débris  d'un  eœplicii;  ils 
terminaient  le  texte  primitif.  Le  récit  de  l'ensevelissement  et 
la  description  de  l'église  sont  un  véritable  épilogue,  ajouté 
postérieurement. 

Un  fait  confirme  cette  supposition  :  on  lit  dans  ledit  épilogue 
l'expression  «  mes  très  chers  frères  »  ;  nous  ne  la  retrouvons 
nulle  part  ailleurs.  L'épilogue  a  été  rajouté  par  un  prédicateur, 
qui  avait  lu  d'abord  les  gestes  des  martyrs,  le  jour  de  l'anni- 
versaire d'Eutychius. 

Est-il  possible  de  dater  l'épilogue  ?  —  Il  a,  je  crois,  quelques 


UN    CYCLE    LOCAL  lo7 

c 

traits  de  parenté  avec  Paiilimis.  Paulinus^  on  va  je  voir  *,  est 
on  somme  un  remaniement  de  TorpeSy  —  qui  donne  des  dé- 
tails très  précis  sur  l'église  où  sont  déposés  les  martyrs,  —  et 
qui  s'intéresse  aussi  au  culte  d'Etienne  protomartyr.  Or,  les 
gestes  de  Paulinus  datent  sans  doute  du  vu®  siècle,  se- 
conde moitié.  N'est-ce  pas  à  ce  moment  qu'aurait  été  composé 
l'épilogue  d'Eutychius  ? 

L'^^/?/ic// pose  encore  d'autres  problèmes.  Il  atteste  l'exis- 
tence d'un  texte  cyclique  où  sont  enchaînés  bout  à  bout  les 
gestes  de  Valentin-llilaire,  de  Gratilianus-Felicissima  et  d'Eu- 
tychius.  Quel  est  le  rapport  de  ce  texte  cyclique  avec  les  textes 
que  nous  lisons? 

11  est  possible  que  nos  textes  à' Eutychius  et  de  Gratilianus 
Felicissima  aient  fait  partie  du  texte  cyclique.  La  chose  va  de 
soi  pour  Eutychius  :  c'est  notre  texte  à' Eutychius  qui  nous  a 
conservé  Vexplicit  du  texte  cyclique.  —  D'autre  part,  Grali- 
linnus  s'accorde  avec  Eutychius  :  ici  et  là,  môme  époque  de 
Claude  ;  ici  et  là, citations  de  l'Evangile  et  citations  analogues  ^  ; 
ici  et  là,  serments  ou  prières  ce  par  le  salut  du  prince  »  ou  «  par 
les  divines  écritures».  Eutychius,  enfin,  cite  les  personnages 
de  Gratilianus  etde  Felicissima,  et  fait  une  allusion  précise  à  un 
passage  déterminé  de  leur  légende  :  après  avoir  célébré  les 
mystères  sur  leur  tombe,  Eutychius^  d'après  ses  gestes,  reçoit 
les  remerciements  des  parents  de  Gratilianus  ;  l'auteur  d'Eu- 
tychius  vise  évidemment  l'apparition  de  Gratilianus  à  ses  pa- 
rents, lorsqu'il  les  exhorte  à  ne  pas  le  pleurer  et  leur  dit  son 
bonheur. 

Il  semble  seulement  qu'aucun  des  deux  textes  que  nous 
avons  de  Valentin-llilaire  n'ait  fait  partie  de  la  rédaction 
cyclique.  Le  texte  long  est  exclu,  puisqu'il  semble  dater  du 
ix^  siècle  %  et  surtout  parce  qu'il  place  les  faits  au  temps  de 
Maximien  Auguste.  Cette  même  raison  vaut  pour  le  texte 
court;  le  texte  court  ignore  Claude*  aussi  bien  que  le  texte 
long. 

'  Cf.   infra. 

'  Cf.  Qui  vult  venire  post  me  ahneget  semet  ipsum  [Gratilianus |  avec  qui 
reliquerit  patrem  aut  mntrem  propter  m"....  [Eutychiusj. 

'  Cf.  sup?'a,  p.  145. 

*  Le  rédacteur  visait  peut-être  Claude  I  :  le  rédacteur  de  Paulinus  place 
S')Q  héros  au  temps  de  saint  Pierre  et  de  Néron  (cf.  aussi  Torpes).  Le  milieu 
d'où  ces  textes  sout  sortis  voulait  donner  aux  suints  la  plus  haute  antiquité 
possible.  —  Noter  pourtant  que,  dans  Irénée,  Claude  est  mis  en  rapports  avec 
Aurélieu. 


158  TRADITIONS    DB    TUSCIE 

Les  doutes  que  nous  avions  émis  plus  haut  semblent  donc 
justifiés  :  noire  texte  court  n'est  j)as  antérieur  à  notre  texte 
long,  bien  que  notre  texte  long  repose  sur  un  texte  antérieur'. 
J'imagine  que  ce  texte  antérieur  perdu  parlait  de  l'empereur 
Claude,  et  non  de  Maximien  Auguste,  — et  qu'il  commençait 
la  rédaction  cyclique  doni  Vexp  lie  il  estconservé  dans  les  gestes 
d'Eutycliius. 

Eulf/chiuSf  Gralilianus-Felicissima  et  le  texte  cyclique  se- 
raient donc  antérieurs  à  la  fin  du  vu®  siècle  et  postérieurs  à 
Torpes^  ou  ses  contemporains  :  c'est-à-dire  qu'ils  datent  du 
vu*  siècle  ^. 


1  Notre  texte  court  de  Valentin-Hilaire  est  bien  un  résumé  du  texte  long. 
C'est  dire  que  sa  vraie  forme  est  B.  H.  L.  8471-72,  où  se  lit  le  récit  de  la  traaô- 
lation. 

2  II  ne  me  semble  pas  que  ce  texte  cyclique  ait  utilisé  des  textes  antérieurs 
dont  Gratiliaaus,  Felicissima  et  Eutychius  aient  été  les  personnages  centraux. 

Noter  l'expression  :  saints  qui  otit  ont  été  couronnés  ensemble. —  Elle  se 
retrouve  dans  JEmilianus  [cf.  supra  p.  11 1|  qui  a  subi,  autant  que  Torpes, 
l'influence  grecque,  et  qui  comme  Eutychius,  semble  émaner  de  l'entourage 
de  saint  Grégoire  le  Grand  [cf.  supra  p.  155.  note  1  et  appendice].  Tous  ces 
textes  sont  apparentés. 


m 


CHAPITRE  Vil 


TRADITIONS  DE  TUSCIE 

{VIA  CASSIA), 

LES  SAINTS  IRÉNÈE,  DONAT,  GAUDENTIUS,  PERGENTINUS,  DOMNINUS 


Arezzo  est  le  point  d'attache  de  nombreuses  légendes,  appa- 
rentées aux  gestes  romains  comme  celles  que  nous  avons  ren- 
contrées sur  la  voieCassia  :  elles  ont  elles-mêmes  porté  assez 
loin  l'influence  des  légendes  de  Rome. 


Au  temps  d'Aurèlien  Auguste,  il  y  avait  une  grande  perse- 

^  cution  contre  les  chrétiens.  Ayant  appris  que  leur  religion 

était  florissante  à  Toscanella  (civitas  tuscana),  il  y  envoya  un 

vicaire  nommé  Turcius  auquel  il  donna  la  dignité  de  préfet. 

Turcius,  arrivé  dans  la  cité  de  Falisque,  se  mit  à  chercher  les 

'  B.  H.  L.,  4456  [3  juillet  640  ou  562]. 


160  TRADITIONS    DR     ICSCIE 

chrétiens  ;  lun  d'eux,  PrAix,  les  rassembla  donc  et  les  encou- 
ra(jea  :  «  Ce  nuage  passera  ;  lâchons  d'éviter  les  ténèbres  êler' 
nelles  ;  mieux  vaut  un  jour  dans  la  maison  du  Seujneur  (ia 
alriis  domini)  que  des  milliers  (de  pièces)  d'or  et  d'argent.  »  — 
Félix  est  arrêté^  il  comparait  devant  Turcius  :  «  Quoique  pé- 
cheur^ je  suis  prêtre  du  Christ,  »  —  «  Pourquoi  réunis-tu  le 
peuple^  pourquoi  le  séduis-tu  et  le  détournes-tu  d'obéir  aux 
princes  et  à  la  tradition  (disposiiio  anliqua).  »  —  «  Cest  notre 
vie  de  prêcher  le  Christ  et  d'arracher  chacun  aux  idoles  et  de 
donner  à  chacun  la  vie  éternelle.  »  —  «  Qu^ est-ce  que  la  vie 
éternelle  ?  »  —  «  Craindre  et  adorer  Dieu.,  le  Père  et  le  Fils  et 
l'Esprit-Saint.  »  On  lui  brise  la  bouche^  et  il  rend  l'esprit  ; 
son  corpSy  abandonné  sur  la  place,  est  recueilli  par  un  diacre 
Irénée  et  enseveli  près  des  murs  de  la  cité,  au  neuf  des  ka- 
Imides  de  juillet. 

Turcius  fait  donc  arrêter  le  diacre  Irénée  ;  puis  il  va  à  Eu- 
sina,  cité  de  Tuscie,  où  il  reste  plusieurs  jours.  Cependant  la 
très  chrétienne  matrone  Mustiola,  une  cousine  (consobrina)  de 
Claude,  visite  et  secourt  les  chrétiens  emprisonnés,  les  console^ 
leur  lave  les  pieds,  panse  leurs  blessures,  les  nourrit  et  les  ha- 
bille. Torquatus  la  dénonce  à  Turcius,  qui  est  très  irrité  de 
ce  quelle  est  parente  de  l'empereur  Claude.  Il  la  fait  pour- 
tant comparaître,  admire  sa  beauté  et  l'interroge  sur  sa  no- 
blesse :  a  ISlotre  noblesse,  répond-elle,  c'est  V humilité  des 
saints;  le  diable  a  poussé  nos  parents  à  la  mort\  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ  a  daigné  m' appeler,  et  avec  moi  tous  ceux 
qui  espèrent  en  lui.  »  —  «  Ne  renonce  pas  à  la  noblesse  de  ton 
origine,  »  —  «  Si  tu  savais  le  don  de  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ,  tu,aurais  la  lumière  éternelle,  »  —  «  Qu'est-ce  que  la 
lumière  éternelle  ?  »  —  «  E esprit  et  la  vertu.  »  —  «  Pour- 
quoi visites-tu  les  prisonniers  ?  »  —  «  Par  amour  pour  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ.  »  —  «  Laisse  cette  folie  ;  obéis  aux 
ordres  du  prince  :  sacrifie  et  jouis  de  tes  richesses.  »  —  «  Tu 
blasphèmes  sottement.  »  Turcius  ordonne  alors  de  décapiter 
tous  les  saints  qui  sont  en  prison  et  de  suspendre  le  diacre 
Irénée  sur  le  chevalet.  Comme  il  l'invite  à  sacrifier,  «  es-tu 
donc  devenu  fou  »,  lui  répond  le  diacre  ;  et,  tandis  qu'on  lui 
déchire  les  côtes  avec  les  ongles  de  fer,  il  rend  l'esprit  en  pré' 
sence  de  Mustiola.  a  Misérable,  dit-elle  à  son  tour  à  Turcius, 
pourquoi  assassiner  ainsi  un  innocent  ?  Ils  vont  à  la  gloire, 
toi  au  feu  éternel.  y>   Turcius  la  condamne  per  inscriptionem, 


1 


IRÉNÉE    DE    CHIU8I  161 

et  elle  meurt  sous  les  coups  le  cinq  des  nones  de  juillet.  Le 
serviteur  de  Dieu,  Marc,  la  recueille  et  V ensevelit  près  des 
murs  d'Eusinay  où  ses  prières  et  ses  miracles  fleurissent  jus- 
que ce  jour,  par  le  Christ  Notre  Seigneur, 

Le  férial  hiéronymien  donne  ',  au  IX  Kal.  decemb.,  le  la- 
terculus  suivant  : 

E.  in  tuscia  muscolœ  felicis  vitalis  marociani  bonœ  facienti 

W.in  tusciascœ  mustiolœ  felicis  vitalis marciani  bonifaciani. 

Il  est  très  vraisemblable  que  cette  sainte  Mustiola  est  iden- 
tique à  la  nôtre  :  toutes  deux  paraissent  associées  à  un  même 
saint  Félix  ;  les  gestes  rattachent  la  sainte  à  la  Tuscie  aussi 
bien  que  le  férial  ^ 

Les  gestes,  en  effet,  citent  la  civitas  tuscana,  la  civitas  Fa- 
lisci,  la  civitas  Eusina.  La  civitas  Falisci  est  évidemment  la 
colonia  Faliscorum  qui  est  identique  à  Voppidum  Falerii  ^, 
dont  il  a  été  question  plus  haut  à  propos  de  Gratilianus-Feli- 
cissima,  —  Tillemont  a  identifié  la  civitas  tuscana  avec  Sutri  *, 
bien  à  tort.  Il  est  sans  doute  préférable  de  songer  à  Tosca- 
nella  qui  s'appelait  autrefois  Tuscana  :  Pline,  la  table  de 
Peulinger  et  l'Anonyme  de  Ravenne  en  font  foi  ^  —  Il  n'y  a 
pas  de  doute,  enfin,  que  Eusina  doive  être  lu  Clusina  et 
d(^signe  Cbiusi  :  quelques  manuscrits  ^  donnent  Clusina  ; 
d'autre  part,  on  a  trouvé  dans  une  catacombe  située  à  un  mille 
environ  de  Chiusi,  à  Test  de  la  porte  di  PaccianOj  l'inscrip- 
lion  suivante  "'  : 

B  ivLi^  M 
SANCTISSIME  EX  GENE 
RE  MVSTIOLE  SANCTiE 
ASINT^:  FELICISSIMEQVE 
VIXIT  ANNIS  XXXVII  POMPO 
NIVS  FELICISSIMVS  CONIV 
GI  INCONPARABILl  DEPOSl 
TA  XIII  KAL  lANVARÏASDSOLIS 

1  Rosai-Duchesne,  p.  146.  —  Sur  le  Dom  Mustiola,  cf.  Allard.  II12.  p.258.note  1 

'  Il  n'est  pas  du  tout  sûr  que  Vitalis,  Marcianus  et  Booifaciaous  aient  été 
associés  à  Mustiola.  —  Sur  la  date  de  l'anniversaire,  cf.  infra.p.  162. 

3  G.  I.  L.,  XI,  1,464-465. 

*  IV,  351  et  682. 

»  Pline  :  H.  N.  3,  52.  —  Anon.  Rav.,  iv,  36  (Piader-Parthey,  p.  284).  —  Des- 
jardins, p.  132  (via  Clodia). 

«  C.  I.  L.,  XI,  1,  p.  372. 

T  G.  I.  L.,  XI,  p.  405,  n.  2549. 

ni  11 


162  TRADITIONS    DE    TUSCIE 

L'inscription  remonte  sans  doute  à  la  fin  du  iv*  siècle  : 
sainte  Mustiola  était  donc  vénérée  à  Cbiusi,  en  Tuscie,  dès 
cette  époque. 

Sainte  Mustiola  semble  avoir  été,  soit  une  martyre  de  la  per- 
sécution dioclétienne,  soit  une  grande  dame  chrétienne  qui 
aurait  accueilli  ses  frères  dans  son  domaine.  La  catacombe  où 
l'inscription  a  été  découverte  est  importante  et  ancienne.  Elle 
a  été  trouvée  en  1634  par  des  chanoines  réguliers  qui  étaient 
établis  là,  et  qui  voulaient  forer  un  puits.  On  Ta  souvent  ex- 
plorée passé  ce  moment.  Les  plus  anciennes  inscriptions  datées 
qu^on  y  rencontre  nous  reportent  aux  années  290  [n.  2373], 
322  [n.  2548]  et  338  [n.  2565]  ;  la  formule  D  M  n'apparaît 
qu'une  fois  [n.  2555].  Les  plus  récentes  inscriptions  datées 
nous  conduisent  à  la  fin  du  v^  siècle  [n.  2584,  2585,  2586]. 

Est-ce  de  cette  époque  environ  que  date  la  légende  ? 

On  peut  être  tenté  de  le  croire  puisqu'on  se  trouve  à  l'époque 
ostrogothique  et  que  Cbiusi  n'est  pas  fort  éloigné  de  Home.  — 
Mais  un  fait  fieurte  l'hypothèse  :  le  férial  biéronymien  place 
la  fête  de  Mustiola  et  de  Félix  de  Cbiusi  au  JX  des  kalendes 
de  décembre;  nos  gestes  placent  les  anniversaires  des  deux 
saints  le  IX  des  kalendes  de  juillet  et  le  V  des  nones  de  juillet. 
Le  férial  donne  l'usage  de  l'époque  ostrogothique.  On  ne  voit 
pas  qu'il  puisse  être  ici  question  d'erreur  paléograpbique,  et 
qu'on  puisse  ainsi  lever  la  contradiction  des  textes.  On  doit 
croire  qu'ils  reflètent  l'usage  de  deux  époques  différentes. 
Nous  avons  déjà  noté  des  faits  du  même  ordre  '. 

En  dehors  du  férial,  aucun  écrit  daté  ne  mentionne  nos  saints, 
avant  Usuard.  Usuard  écrit  -  : 

Civitate  clusina  sanctorum  martyrum  Hirenœi  diaconi  et  Mus- 
tiolœ  nobilis  matronœ  qui  passi  sunt  sub  Aureliano  principe. 

11  est  clair  qu'il  relève  de  la  légende  ;  celle-ci  est  donc  an- 
térieure à  Charles  le  Chauve  et  postérieure  à  l'époque  ostro- 
gothique. 

Il  est  permis  de  préciser. 

Ughelli  ^  a  conservé  l'inscription  suivante,  que  lui  avait  en- 
voyée révoque  de  Cbiusi  Jean-Baptiste  Piccolomini.  Elle  était 
gravée  sur  le  marbre  dans  l'église  de  sainte  Mustiola. 

1  Cf.  supra,  p.  102.  Mais  je  ne  repousse  pas  absolument  l'hypothèse  d'une 
transposition  paléographique. 

2  P.  Z,,,  124,  221-222.  —  Le  calendrier  populaire  et  Adon  ignorent  les  saints. 

3  II,  673  [cité  3  juillet,  561,  §  7[. 


LA    CATACOMBE   DE    MUSTIOLA  163 

1  Nobilis  vasta  nites  rediviva  an  fabrica  templi. 

Egregia  progenies  ornarunt  culmina  pulchre. 
3  Fulgidus  vita  plus  Gregorius  aptus  ubique, 

Hoc  opus  patrarunt  Luitprandi  tempore  régis. 
5  Tramite  sat  recto  Ariadi  pollet  in  alto  : 

Mustiola  prœat,  tu  post  gaudia  illis 
7  Celsus  ubique  suis  concédât  prospéra  votis 

Mox  dabitur  placide  si  nil  dubitarit  aberrans 
9  Martyr,  Arisebuti  sis  memor  aima  miselli. 

Il  s'agit,  évidemment,  de  la  reconstruction  d'une  église  dé- 
diée à  sainte  Mustiola  par  Grégoire  et  Arisébut.  Ariald  était 
sans  doute  évèque  de  Chiusi  au  temps  de  Liutprand. 

Or,  cette  inscription  est  parente  de  celle  qu'on  va  lire,  et 
dont  le  vers  9  suppose  nos  gestes  :  ici  et  là,  il  s'agit  d'une  res- 
tauration d'église  et  d'un  pieux  Grégoire,  dévot  de  Mustiola  ; 
ici  et  là,  le  style  est  également  barbare  ^ 

1        C  f  Christe  fave  votis  Gregorio  et  aucte  conde  *  docis 

L  Quod  Mustiolae  obtulerunt  martyre  Ghristi, 

3        V  Hoc  Tec.  Menciburii  sublata  uetustas, 

S  Quœ  meliore  cultu  noviliore  redit. 

5         I  Cedit  novitati  diruti  antiquitas  ligni, 

0  Pulchrius  ecce  micat  nitentes  marmoreis  decus. 
7        D  0  Mustiolae  mérita  veneranda  quse  fedis 

1  Roseis  uirgineis  crocis  amore  paratus 

9        G        Novilior  prosapia,  qui  et  de  Claudii  prolem, 

I        Guius  aulae  mœnia  a  fundaraentis  dicavil 
11         ï        Gregorius  armipotens  et  robustissimus  do. 

La  légende  semble  être  antérieure  au  début  même  du 
vm^  siècle. 

Elle  nous  est  parvenue  dans  deux  textes  :  celui  qu'on  a  ré- 
sumé a  été  imprimé  dans  les  Acta  Sanctorum  ;  l'autre,  qui 
a  été  publié  par  Surius%  et  sans  doute,  comme  il  arrive  d'or- 
dinaire, retouché  par  lui,  présente  les  caractéristiques  sui- 
vantes :  1.  Turgius  n'est  pas  appelé  vicaire  ni  préfet:  2.  La 

^  La  seconde  fait  peut-être  suite  à  la  première.  Elle  était  gravée  sur  le 
tombeau  de  Mustiola.  Sur  le  Grégoire  dont  il  est  ici  question,  cf.  l'inscrip- 
tion d'un  ciboire  de  l'église  de  sainte  Mustiola,  à  Chiusi  :  Xpe  fabe  uotis 
Gregorio  et  Ausfreconde  docis...  Temporibus  Dni  Liutprandi  catholico  régis.... 
Arc.adi  presoli  tempore  (=  a,  17  Liutpraadi)  [Pizetti  :  Antich..  Tosc.  i,  268  ; 
Troya  485;  etc..  d'après  Bethmann  :  Langobardiche  Regesten.  Neues  Ar- 
chiv.,  ni,  1878,  253].  Est-ce,  ici  et  là,  la  même  iuscription  ? 

2  B.  H.  L.,  4455  TSurius,  éd.  1573,  iv,  76,  ou  1618,  vu,  75,  ou  1877,  vu, 
105]. 

Lire  Austreconde  (?). 


104  TRADITIONS    DE    TUSGIE 

cité  OÙ  comparaît  ot  meurt  Félix  est  citée  ;  on  l'appelle  Sutri  ; 
3.  Irénée  marche,  enchaîné,  depuis  Sutri  jusqu'à  Chiusi,  de- 
vant le  char  do  Turgius  ;  4.  Torquatus  n'apparaît  pas. 

Si  l'on  voit  dans  la  civitas  toscana  de  notre  texte  4i.')0,  la 
moderne  Toscanella,  on  jugera  sans  doute  qu'il  est  antérieur 
au  texte  de  Surius  :  l'introduction  de  Sutri,  qui  caractérise 
celui-ci,  dérive  peut-être  de  l'erreur  d'un  copiste  ;  on  se  sera 
demandé  quelle  pouvait  être  cette  civitas  tuscana  dont  il 
était  ici  question,  et  Ton  aura  choisi  Sutri  au  petit  bonheur.  — 
Il  se  peut  aussi,  du  reste,  que  les  deux  versions  soient  à  peu 
près  contemporaines,  et  que  Toscanella  et  Sutri  se  soient  dis- 
puté le  culte  d'un  compagnon  de  xMutiola.  —  Mais  il  se  peut  en- 
core que  le  rédacteur  de  la  version  4455  ait  écrit  vers  728,  au 
moment  où  Sutri,  enlevé  par  Liutprand,  puis  donné  par  lui 
aux  bienheureux  apôtres  Pierre  et  Paul,  a  joué  un  si  grand 
rôle  ' 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  plus  grande  partie  de  la  légende  est 
identique  dans  l'un  et  l'autre  texte  :  par  ce  fond  commun  elle 
est  parente  à' Eutychius  et  de  Secundus.  Ici  comme  dans  Se- 
cunduSy  il  est  question  d'Aurélien  ;  le  saint  est  dit  parent  de 
l'empereur  ;  un  chrétien  reproche  au  persécuteur  d'assassiner 
un  innocent.  —  Ici  comme  dans  Eutychius,  le  narrateur  s'in- 
téresse à  Faleri  (Falisci)  ;  un  personnage  reproche  au  juge  de 
massacrer  les  saints  ;  il  est  fait  mention  de  l'empereur  Claude. 
Ces  coïncidences  ne  peuvent  être  un  effet  du  hasard.  Il  est 
vraisemblable  que  7rewee  est  à  peu  près  contemporain  àQ  Se- 
cundus et  Ôl  Eutychius  et  qu'il  est  sorti  du  même  milieu,  au 
vu®  siècle. 

Il  est  très  probable  encore  que  le  ou  les  rédacteurs  de  ces 
légendes  étaient  familiers  avec  les  gestes  romains  d'origine 
lérinienne  :  n'est-ce  pas  là  qu'il  sont  trouvé  Turcius,  et  la  for- 
mule si  donum  dei  scirés  ^  ?  Mais  peut-être  ont-il  pris  directe- 
ment ce  dernier  trait  à  l'Evangile  de  saint  Jean. 


*  Bethmann  :  Lang.  Reg.,  89.  Neues  Archiv.^  m,  253.  Cf.  Hartmann,  II,  2, 
96-97.  Et  noter  Timportaoce  de  l'exarque  Eutychius  à  ce  moment.  Peut-être 
Eutychius  a-t-il  été  retouché  alors. 

2  G.  M.  R.,  I,  311,  n.4.  11  y  a  un  Turgius  dans  les  XII  Syriens.  Si  donum 
Dei  scires  se  lit  dans  Censurinus,  etc..  —  Il  se  pourrait  que  notre  texte  fût 
un  remaniement  d'une  version  rédigée  à  l'époque  ostrogothique.  On  aurait 
retouché,  au  vu»  siècle,  la  date  de  l'anniversaire,  afin  de  conformer  le 
texte  h  l'usage  courant. 


Il 


DONAT   d'aREZZO  165 


II 


ZZQl 


a  de  ^^  y  ^^^^^  dans  la  cité  de  Rome  un  enfant^  nommé  Donat, 
lat  qui  avait  été  élevé  par  Pigmeniiis,  prêtre  de  la  paroisse  du 
Pasteur^  et  était  devenu  lecteur  ;  il  avait  eu  alors  pour  cama- 
rade Julien  qui  avait  été  fait  sous-diacre  de  V église  romaine. 
Mais  Julien,  lorsqu'il  est  empereur^  persécute  les  chrétiens^ 
emprisonne  Pigmenius  et  fait  tuer  les  parents  de  Donat  qui 
s'enfuit  dans  la  cité  d'Arezzo.  Recueilli  par  le  moine  Hilarin, 
Donat  vit  avec  lui,  lui  enseigne  la  doctrine  de  Pigmenius,  ety 
malgré  ses  avis,  se  consume  dans  les  jeûnes  et  les  prières  :  il 
opère  de  nombreux  miracles. 

Cest  ainsi  qu*il  guérit  et  convertit  une  noble  pcCienne,  Su- 
rana,  dont  les  médecins  n^ont  su  que  manger  la  fortuné  sans 
lui  rendre  la  vue  {elle  était  aveugle  depuis  neuf  ans);  Vèvéque 
Satyrius  la  baptise  après  quelle  a  btHsé  ses  idoles,  Jupiter  et 
Junon.  A  cette  nouvelle,  moi,  Apronianus,  je  lui  conduis 
mon  fils  Asterius,  qui  est  possédé  du  démon  ;  il  est  également 
délivré.  Pendant  ce  temps,  Donat  vit  avec  Satyrius,  qui  lui 
donne  le  rang  de  diacre  ;  de  nombreuses  années  après,  —  un 
long  intervalle  est  nécessaire,  —  il  lui  confère  la  prêtrise.  Mais 
voici  qii  Eustasius j  recteur  de  Tuscie  et  collecteur  du  fisc  [exaLC- 
iorïiscï)  est  saisi  par  les  ennemis  qui  font  invasion  ;  Euphrosyne, 
sa  femme,  cache  V  argent,  mais  meurt  sans  lui  avoir  dit  ou  elle 
Vavait  enterré.  Les  principaux  de  la  curie  (principales  curiae) 
décident  donc  d'envoyer  Eustasius  au  supplice.  Eustasius  re- 
court aussitôt  à  Donat  :  Donat  prie  au  tombeau  d' Euphrosyne 
et  une  voix  céleste  lui  révèle  V  endroit  ^  Lorsque  meurt  Saty^ 

»  B.  H.  L.,2289  [Mombritius,  i,  234,  sq].  —  Le  texte  B.  H.  L.,  2293  repro- 
duit noire  texte  2289  en  l'encadrant  du  prologue  et  du  dernier  chapitre  de 
Donat  d'Euria  [Cat.  BruxeL,  ii,  433,  3»1. 

*  Un  trait  tout  à  fait  analogue  noua  est  conté  par  Grégoire  de  Tours,  à  pro- 
pos de  Vitalis  et  d'Agricola.  a  Alius  quoque  tributa  publica  deferens  sacculum 
pecuniœ  dum  iler  ageret  negligenter  amisit.  Appropinquans  autem  ciuilati 
recognoscit  se  amisisse  sacculum  publicum  quod  ferebat.  Tune  prostatus  co- 


166  TRADITIONS    DE    TUSCIE 

rius,  Donat  est  choisi  pour  le  remplacer^  malr/ré  sa  résistance, 
par  le  peuple  et  le  clergé  qui  le  chérissent  ;  il  va  se  faire  con- 
sacrer à  Rome  par  le  bienheureux  évèque  Jules,  et,  de  retour  à 
Arezzo^  il  offre  le  saint  sacrifice  de  ordinatione  sua.  Un  jour 
que  le  diacre  Antime  distribue  au  peuple  le  sang  du  Christ,  les 
païens  font  irruption,  le  calice  tombe  et  se  brise  ;  une  prière  de 
Donat  le  répare,  —  seul^  un  petit  morceau  na  pas  été  re- 
trouvé —  ;  les  païens  confessent  la  divinité  du  Christ,  79  ^ ou 
89)  d'entre  eux  sont  baptisés.  Mais,  vingt-huit  jours  après, 
Donat  est  arrêté,  au  temps  de  Julien,  par  /'augustalis  Qua- 
dratianus  ;  il  refuse  de  sacrifier  à  Junon,  et,  après  qu^ llilarin, 
fustigé,  est  mort,  il  est  égorgé,  le  7  des  ides  d'août. 

Cette  légende  porte  la  marque  de  deux  époques  parce  qu'elle 
associe  à  une  tradition  martyrologique,  remontant  au  temps 
des  persécutions,  une  tradition  monastique  qui  date  du  temps 
de  la  christianisation.  Saint  Donat  est  attesté  (au  7  des  ides 
d'août)  par  le  férial  hiéronymien  *  :  VEpternacensis  semble 
l'associer  à  sept  autres  saints  qu'il  ne  nomme  pas,  et  qui  peut- 
être  furent  martyrisés  avec  lui  ;  les  manuscrits  des  deux  autres 
familles  suppriment  ces  sept  compagnons  anonymes.  —  Mais 
ils  appellent  Donat  episcopus  et  confessor  :  c'est  peut-être  qu'ils 
ont  subi  l'influence  des  légendes  qui  s'expriment  ici  dans  nos 
gestes  ;  peut-être  aussi  Donat  est-il  un  évêque  ancien  dont  la  lé- 
gende aura  fait  un  martyr.  —  Si  le  moine  Hilarianus  ou  Hilari- 
nus  ne  nous  est  pas  autrement  connu,  quelques  détails  nous  re- 
portent au  temps  qui  a  suivi  les  persécutions  :  à  deux  reprises, 
le  rédacteur  nous  parle  d'irruptions  ennemies.  i\'y  faut-il 
pas  voir  un  souvenir  des  invasions  barbares,  de  l'irruption 
des  Ostrogoths  ou  des  Lombards?  Justement,  on  nous  dit  que 
plusieurs  reconnaissent  la  divinité  du  Christ  (deitatem  Christi)  : 
c'est  un  indice  que  l'auteur  vit  au  temps  où  des  Ariens  sont 
établis  auprès  de  lui. 

ram  sepulcris  beatorum  cum  laerymis  depreeatur  ut  perditum  eorum  virtute 
reciperet  ne  ipse  coojuxque  ac  liberi  ob  id  captivitati  subigerentur.  Egressus 
autem  foris  in  atrium,  virum  qui  hanc  pecuniam  in  via  jacentem  repérerai 
naetus  est  :  scrutatusqae  diligenter  iliius  horae  tempore  hic  sacculum  invenisse 
86  dixil  quo  iste  martyrum  auxilium  flagitauit.  »  [Gl.  M.  44.  P.  L.,  71,  745-46. 
ou  Krusch.517].  —  C'est  la  même  iiistoire,  évidemment,  qui  se  présente  dans 
les  deux  textes  sous  une  forme  un  peu  différente.  L'histoire  du  «  sac  retrouvé  » 
fait  pendant  à  l'histoire  du  «  calice  réparé    .  Ce  sont  des  thèmes  banals. 

1  Rossi-Duchesne,  p.  102,  E  :  t  aritio  donati  et  aliorum  vu  ;  —  B  :  IN  TUSCIA 
ciuitate  Aretie  Donati  epi  et  conf.  » 


DON  AT   ET   VIBRIANE  167 

Un  autre  fait,  plus  particulier,  s'offre  avec  autant  d'évi- 
dence: les  gestes  de  Donat  d'Arezzo  sont  étroitement  appa- 
rentés aux  gestes  de  Vibbiane  de  Rome  *.  C'est  la  même 
époque  :  Julien  l'Apostat  ;  ce  sont  les  mêmes  détails  sur  Pig- 
nienius  et  le  tiiulus  Pastoris  ;  et,  comme  les  gestes  de  Donat 
font  partir  Donat  de  Rome,  les  gestes  de  Vibbiane  conduisent 
jusqu'aux  Aquœ  Tauranse,  à  égale  distance  de  Rome  et 
d'Arezzo,  un  ami  de  Vibbiane,  Flavianus.  J'ai  déjà  remarqué  ^, 
enfin, que  les  gestes  de  Vibbiane  se  présentent  comme  l'œuvre 
d'un  DoNATUs,  «  sous-diacre  régionnaire  du  Saint-Siège  apos- 
tolique, »  et  qu'il  est  naturel  de  supposer  que  c'est  un  Donat 
qui  a  voulu  écrire  Thistoire  de  son  patron  :  les  gestes  de  Vib- 
biane et  les  gestes  de  Donat  seraient  donc  l'œuvre  d'un  même 
auteur.  Comme  les  c:estes  de  V^ibbiane  datent  des  dernières 
années  du  régime  ostrogothique  ^  c'est  à  ce  moment  qu'il 
faut  donc  reporter  aussi,  semble-t-il,  la  composition  des 
gestes  de  Donat. 

Les  gestes  sont  encore  apparentés  à  SahinuSy  k  Valentin 
de  Terni  et  à  Alexandy^e  deBaccano.  Comme  chacun  d'eux  [S  : 
doliolum  mtreum  ;  V  :  cilicium  ;  A  :  orarium],  ils  illustrent  une 
relique  conservée  dans  une  église.  Ils  parlent  d'un  Augiistalis 
comme  Sahinus  ;  ils  prétendent,  comme  Alexandre^  repro- 
duire le  témoignage  d'un  témoin  des  événements;  ils  raillent 
les  médecins,  comme  Valentin  et  Lucie.  On  peut  sans  doute 
préciser  l'époque  où  ils  ont  été  rédigés  :  ils  datent  du  second 
quart  du  vi®  siècle. 

On  s'explique  fort  bien  dans  cette  hypothèse  que  notre  texte 
semble  refléter  Tinsécurité  d'une  époque  malheureuse  et  dénon- 
cer les  polémiques  soulevées  entre  Ariens  et  Catholiques  par  la 
divinité  de  Jésus.  On  s'explique  encore  les  préoccupations  de 
l'auteur  :  son  souci  de  la  régularité  disciplinaire  touchant  les 
droits  de  Rome  et  l'observation  des  interstices  :  nous  sommes 
au  temps  de  Denys  le  Petit  et  de  Césaire  d'Arles  et  du  Liber 
Poniificalis  ^;  —  son  souci  de  bien  marquer  l'authenticité  du 
texte  :  s'il  s'identifie  avec  le  père  d'un  miraculé,  c'est  que  nous 
sommes  au  lendemain  du  concile  pseudo-damasien,  en  pleine 

*  G.  M.  R,  I,  123-126  et  240-243. 

2  G.  M.  R.,  I,  89-90  et  362.  —  Codez  Casinensis  139,  du  xi«  siècle. 

3  G.  M.  R.,  I,  311  et  125. 

*  Notices  de  Gaius  et  de  Silveatre  ;  décrets  touchant  la  nécessité  des  inters- 
tices [L.  P.,  I,  161  et  171-172]. 


168  TRADITIONS    DE   TU8C1K 

controverse  manichéenne  ;  —  le  soin  qu'il  prend  de  faire  re- 
marquer les  austérités  du  lecteur  Donat  qui  soulèvent  les  ob- 
jections du  moine  Hilarinus  *  :  notre  auteur  appartient  au  clr.- 
rus,  et  les  lecteurs  du  Liber  Pontifîcalis  savent  quelle  rivalité 
oppose  souvent  moines  et  clercs.  Le  terme  principales  curiae 
n'a  rien  non  plus  qui  puisse  surprendre  :  il  désigne,  les  papy- 
rus de  Ravenne  le  font  voir,  une  commission  composée  par 
les  plus  importants  personnages  de  la  curie  et  qui  parfois  la 
représente  ^ 

On  comprend  enfin  que  Grégoire  le  Grand  ait  pu  citer  notre 
légende  dans  un  passage  de  ses  Dialogues  ',  et  que  Donat  ait 
été  de  bonne  heure  vénéré  à  Rome  *. 

Voici  un  point  obscur.  Pourquoi  le  rédacteur  anonyme 
prend-il  soin  de  nous  dire  que  Donat  va  se  faire  sacrer  à  Rome 
par  le  bienheureux  évêque  Jules?  Comme  je  ne  vois  pas  qu'il 
y  ait  eu,  au  début  du  vi'  siècle,  aucune  polémique  contestant 
les  droits  métropolitains  de  Rome,  je  ne  crois  voir,  dans  le 


*  Cf.  supra,  p.  51-52,  les  passages  analogues  à'Anthime. 

2  Mariai  :  passim.  —  Cf.  Diehl  :  95-96  ;  Fuslel  de  Coulanges  :  Invasion 
germanique,  37-38. 

3  I,  7.  —  P.  L.,  77,  184.  «  Alio  quoquo  tempore  ciim  idem  vir  venerabiiis 
(Nonnosus,  prœpositus  monasterii  in  monte  Soractis)  lampades  vitreas  in 
oratorio  lavaret,  una  ex  eius  manu  cecedit,  quœ  per  innumeras  partes 
fracta  dissiluit  :  qui...  se...  cum  gravi  gemitu  in  orationem  dédit.  Cumque 
ab  oratione  caput  levasset,  sanam  lampadem  reperit  quam  timens  per 
fragmenta  collegerat.  Sioque  in  duobus  mirncidis  duorum  Patrum  virtutes 
imitatus  est...  in  reparatione  lampadis,  virtutem  Donati  qui  frac.tum  calicem 
pristinœ  incolumitati  restituit.  »  —  Un  miracle  tout  à  fait  analogue  (restau- 
ration d'un  calice  par  la  prière  d'un  diacre)  est  raconté  par  Grégoire  de  Tours 
[Glor.  M.  46,  P.  L.,  71,  747-748]  comme  s'étant  produit  à  Milan,  à  l'église  de 
Saint  Laurent.  Sur  l'origine  de  ce  thème  mythologique  christianisé,  cf.  G. 
M.  R.,  11,  279.  Un  autre  calice  merveilleux  —  il  ne  s'épuisait  jamais  —  est 
mentionné  dans  les  gestes  de  Juvénal  de  Narni  [3  mai,  §  5].  Cf.  aussi  dans  la 
vie  de  saint  Benoit  l'histoire  du  vase  de  verre  brisé  d'un  signe  de  croix  [Dial., 
Il,  3.  —  P.  L.,  66,  134].  Il  ne  semble  pas  qu'il  y  ait  entre  les  textes  aucun 
rapport  littéraire.  Mais  il  est  probable  que  les  «  histoires  du  calice  brisé  et 
miraculeusement  réparé  >,  si  je  puis  ainsi  dire,  étaient  flottantes  un  peu  par- 
tout, à  le  fin  du  vi®  siècle,  et  s'intégraient  dans  les  légendes  suivant  les  fantai- 
sies des  rédacteurs.  Nous  arriverons  un  jour  à  reconstituer  les  filons  légen- 
daires qu'ils  exploitaient.  —  Comparer  l'histoire  du  «  sac  retrouvé  »  [supra 
p.  165,  n.2]. 

Les  guérisons  d'aveugles  se  rencontrent  dans  nos  textes  avec  une  fréquence 
extrême  :  cf.  Sabinus,  Abundius,  Viotorinus,  Terentianus,  Gratilianus,  Cres. 
centius,  Severus. 

♦  L.  P.,  Il,  24  (Léo  m,  795-816)  :  «  simili  modo  fecit  et  in  monasterio  sci  Do- 
nati qui  ponitur  iuxta  titulum  scee  Priscae  canistrum  ei  argento.  —  On  ne 
sait  pas,  à  vrai  dire,  de  quand  datait  le  monastère.  Le  calendrier  populaire 
romain  [P.  I.,  123,  159-160]  mentionne  Donat. 


GAUDENTIUS    d'aREZZO  169 

détail  que  j'ai  rapporté,  qu'un  reflet  de  l'usage  courant.  — 
Peut-être  pourrait-on  soutenir  que  notre  texte  a  été  retouché 
aux  environs  de  Tan  600,  par  l'auteur  de  Juvénal  de  Narni. 
Juvénal  conte  l'histoire  d'un  calice  aussi  merveilleux  que 
le  calice  de  Donat  ;  Juvénal  se  fait  sacrer  à  Rome  aussi  bien 
que  Donat  :  Juvénal  insiste  formellement  sur  ce  point  que  la 
Tuscie  a  été  confiée  à  l'église  romaine  *. 


HI 


Au  temps  ou  /'Augustalis  Quadratianus  revint  à  Rome  sur 
l'ordre  de  Julien  César,  le  même  Julien  César  envoya  à  Arezzo 
le  prœses  Marcellianus  :  la  foule  raccueillit  bien,  et,  tout 
heureux  y  il  sacrifia  à  Jupiter.  Après  la  mort  de  Julien,  Mar- 
cellianus reste  à  Arezzo,  jusqu'au  temps  de  Valentinien,  roi 
très  chrétien  ;  ce  qui  fait  qu' Arezzo  reste  païen,  bien  que  toute 
la  Tuscie  soit  dès  lors  chrétienne.  Mais  févéque  Gaudentius 
se  cache  près  de  la  ville  avec  le  prêtre  Dicentius  et  le  diacre 
Culmatus  ;  ils  convertissent  les  païens.  Ils  sont  arrêtés  un 
jour  tandis  que  Gaudentius  participe  au  coj^ps  et  au  sang  du 
Seigneur,  avant  d'avoir  achevé  la  messe.  ((  De  quel  droit  prê- 
chez-vous ainsi  ?  »  —  «  Nous  sommes  les  serviteurs  du  Christ  ; 
nous  travaillons  avec  confiance  pour  quon  abandonne  les 
idoles  et  croie  au  vrai  Dieu.  »  —  «  Je  vous  épargne  en  ce  mo- 
ment ;  allez,  mais  devenez  raisonnables  !  »  Us  vont  alors  à  la 
villa  quon  appelle  Tuta,  parce  qu'il  y  avait  une  fontaine  ou 
l  on  célébrait  le  Pantheos  selon  le  rite  païen  (?...  ritu  gentis) 

^  Cf.  iupra,  p.  85  Certains  traits  de  Donat  rappellent  aussi  Victori?i- 
Séverin  et  Agapet  qui,  précisément,  ont  été  écrits,  ou  remaniés,  au  début  du 
vu»  siècle.  —  Nos  mss.  de  Donat  présentent  de  nombreuses  variantes  ver- 
bales IB.  H.  L.,  2289,  90,  91,  92];  le  Palatinus  846  et  VAugiensis  ne  font  pas 
parler  Apronianus  à  la  troisième  personne  (au  contraire  du  Vindobonensis 
357),  et  ils  l'appellent  ex  prsefecto  urbis.  —  Je  ne  garantirais  pas,  du  reste, 
l'homogénéité  du  récit:  peut-être  y  a-t-il  eu  d'abord  deux  réoits  indépendants 
et  parallèles  (Donat-Hilarin  ;  Donat-Satyrus)  :  nos  gestes  dériveraient  de  la 
fusion  de  l'un  et  de  l'autre. 

2  B.  H.  L.  3274,  19  juin,  848  ou  706. 


170  TRAOITIONS    DE    TTISCIE 

et  que  le.  peuple^  en  puisant  à  cette  fontaine^  y  puisait  protec^ 
tion  (tulamen)  :  ils  habitent  chez  le  chrétien  Saccinus.  Ceux 
qui  vicyinènt  sont  baptisés  et  enduits  (hi  saint  chrême^  et  s'en 
retournent  guéris,  MarcellianuSy  à  cette  nouvelle^  les  fait 
arrêter  de  nouveau  {Dicentius,  absent,  rCest  pas  saisi)  et  con- 
duire au  théâtre  oie  le  peuple  accourt  en  foule  fturmatim). 
Quand  il  a  obtenu  le  silence,  le  prœses  dit  :  «  Quels  sont  vos 
maléfices?  »  —  «  Adorez  Dieu,  et  non  les  démons.  »  On  les 
bat  et  on  les  enferme  sans  nourriture  sous  bonne  garde.  Et 
voici  qu'arrive  au  milieu  de  la  nuity  dans  une  grande  lu- 
mière,  Vange  du  Seigneur  :  il  leur  donne  un  pain  céleste  et 
tue  les  gardiens  qui  se  jettent  sur  lui.  Stupeur  et  fureur  du 
peuple  le  lendemain  matin  :  les  martyrs  sont  roués  de  coups. 
«  Par  quel  nouveau  maléfice  les  avez-vous  tués  ))^  demande 
Marcellianus.  —  c<  Ils  ont  vu  Vange  de  Dieu  et  ne  Vont  pas 
honoré.  Croyez  en  un  seul  Dieu  (qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre), 
le  Père,  le  Fils  et  r Esprit-Saint,  et  vous  serez  sauvés,  et  les 
geôliers  ressusciteront.  »  Reconduits  à  la  prison  sur  l'ordre  du 
préfet,  au  milieu  des  moqueries  du  peuple,  ils  se  prosternent 
à  terre,  invoquent  le  Dieu  qui  a  ressuscité  le  fils  de  la  veuve, 
qui  est  à  la  fois  le  père  et  le  fils  de  Marie  ;  et  les  gardiens  res- 
suscitent aussitôt  disant  :  «  //  n^y  a  quun  Dieu,  le  Christ, 
sur  la  terre  et  dans  le  ciel,  celui  que  prêche  saint  Gaudentius.  » 
Beaucoup  croient,  confessent  leurs  péchés  et  obtiennent  la 
grâce  du  Seigneur  Jésus-Christ  qui  vit  et  règne  dans  les 
siècles  des  siècles. 

Pendant  quinze  jours,  Gaudentius  demeure  chez  un  certain 
vicaire  de  Quadratianus  nommé  André,  qu'a  baptisé  Vévêque 
Gélase  :  il  y  guérit  les  malades.  Marcellianus  prévenu,  et  saisi 
de  rage,  y  envoie  ses  licteurs  avec  ordre  de  tuer  tout  le  monde  : 
les  licteurs  massacrent,  en  effet,  toute  la  maison  d^ André,  en 
tout  58  personnes  ;  les  corps  sont  jetés  dans  un  puits,  au-des- 
sous de  la  maison  (infra  domum).  Gaudentius  et  Culmatus 
sont  conduits  aux  bains,  à  côté  du  théâtre  et  du  nymphée  du 
camp  ;  ils  meurent  sous  les  coups,  puis  on  les  décapite.  Dicen- 
tius  vient  la  nuit  suivante  et  ensevelit  les  corps  au  lieu  que 
j'ai  dit,  à  côte  des  bains  qui  sont  près  de  la  cité  et Arezzo, 
contre  le  théâtre  et  le  fleuve  Castro,  Marcellianus  est  saisi  par 
le  diable  et  meurt,  avant  d'avoir  pu  tuer  plusieurs  chrétiens 
comme  il  y  comptait,  en  dessous  du  palais  (infra  palatium). 
Le  prêtre  Dicentius  est  élu  évèque  (prœsul)  par  le  peuple; 


I 


GAUDENTIUS,  DONAT  ET  ALEXANDRE  171 

toute  la  cité  reçoit  le  baptême  ;  on  élève  une  église  en  Ihon^ 
neur  des  saints  martyrs  Gaudentius  et  Ciilmatus,  ou  leurs 
prières  procurent  les  bienfaits  de  Dieu,  Ils  ont  souffert  dans 
la  cité  d'Arezzo  sous  le  prœses  Marcellianus  ;  leur  anniver- 
saire est  le  13  des  kalendes  de  juillet^  tandis  que  règne  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ,  à  qui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles 
des  siècles,  Arne?!, 

Gaudentius  et  ses  compagnons  sont  parfaitement  inconnus  : 
on  ne  les  trouve  mentionnés  ni  dans  le  ferlai  hiéronymien  ni 
dans  le  calendrier  populaire,  ni  dans  Adon,  ni  dans  Usuard, 
ni  dans  Notker. 

11  est  sûr  que  l'auteur  connaît  Donat,  et  il  semble  qu'il 
veuille  présenter  son  texte  comme  la  suite  de  Donat,  Ici  et  là 
nous  sommes  à  Arezzo,  au  temps  de  Julien  :  un  saint  évèque 
convertit  les  païens  et  guérit  les  malades  au  moyen  du  saint 
chrême.  Selon  Donat,  l'évêque  de  ce  nom  est  arrêté  et  mis  à 
mort  par  V Augustalis  Quadratianus  ;  et,  selon  Gaudentius, 
Y Augustalis  Quadratianus  est  rappelé  à  Rome  par  Julien  : 
on  devine  que  le  rédacteur  de  Gaudentius  commence  son 
récit  au  lendemain  de  la  mort  de  Donat,  d'autant  qu'il  nous 
montre  le  nouvel  évèque  caché  dans  les  environs,  crainte  des 
païens.  —  Il  ne  semble  pas,  en  revanche,  que  cette  suite  de 
Donat  en  soit  contemporaine  :  on  ne  dit  mot  de  Pigmenius, 
ni  du  titulus  Pastoris,  ni  même  de  Julien  ;  c'est  au  roi  très 
chrétien  Valentinien,  qu'on  s'intéresse.  Gaudentius  doit  être 
notablement  postérieur  à  Donat. 

Deux  traits  rappellent  Alexandre  de  Baccano  et  Valentin 
de  Terni  ;  l'évêque  est  arrêté  avant  la  fin  de  la  messe  ;  il  opère 
une  résurrection.  —  Chose  plus  intéressante  :  Texplication 
qu'on  donne  du  nom  de  la  villa  Tuta  rappelle  l'explication^ 
qu'on  lit  dans  Juvénal,  de  Nequina  et  de  Naris  ^  et  celle  que 
propose  AbundiuS'Carpophorus  du  nom  «  territorium  Salus- 
tianum  ^  ».  Abundius  prétend  aussi  raconter  la  fin  du  paga- 
nisme aux  environs  de  Spolète  ;  il  nous  signale  aussi  l'érec- 
tion d'une  église  comme  l'œuvre  qui  couronne  et  qui  confirme 
la  christianisation.  Comme  Gaudentius  souligne  l'obstination 
païenne  d'Arezzo,  Juvénal  insiste  sur  la  fidélité  de  Narni  au 

*  Cf.  supra,  p.  86.  note. 

"^  Cf.  supra  p.  67-68.—  Rapprocher  aussi  Gaudentius  de  Victorinus  (turmae, 
turmatim  ;  rex). 


172  TRADITIONS    DE    TUSCIE 

paganisme.  Peut-être  Gaudentius  date-t-il  du  début  du 
vu®  sièlc  ;  peut-être  la  rédaction  du  texte  n'est-elle  pas  sans 
rapport  avec  un  remaniement  de  Donat  k  ce  moment. 


IV 


rezzo 


Gestes  de  ^^  temps  de  Dèce^  César  de  la  ville  de  Rome  (Decii  caesaris 
Pergenti-  urbis  romse),  les  chrétiens  étaient  très  persécutés.  Comme  il 
Laureoti-  pci^'courait  les  villes  et  les  régions  avec  ses  conseillers  et  ses 
nus  d'A-  rninistri,  il  arriva  à  Arezzo.  Un  païen  dénonce  au  conseiller 
liburtius,  qui  dirige  la  persécution,  deux  frères  utérins.  Par- 
gentinus  et  Laurentinus  :  ce  sont  des  nobles,  des  chrétiens, 
qui  vont  chaque  jour  à  V école  s* instruire  dans  les  lettres  et 
étudier  à  fond  les  préceptes  du  Christ  ;  si  on  les  laisse  faire, 
toute  la  cité  est  perdue.  On  les  arrête,  a  Notre  combat  s'ap- 
proche, dit  Per gentinus  à  son  frère...  ;  ne  craignons  pas  ces 
tourm.entSy  mais  le  supplice  éternel:  ils  tuent  le  corps,  ils  ne 
peuvent  tuer  l'âme.  Allons,  parle  le  premier  et  réponds  au 
juge  :  tu  parles  mieux  que  moi.  » 

—  «  Pourquoi  abandonnez-vous  les  dieux  qu  adorent  les 
très  pieux  empereurs,  pour  le  Christ  quont  tué  les  Juifs?  »  — 
«  Oui,  nous  ne  connaissons  d'autre  Dieu  que  le  Christ,  fils 
du  Dieu  vivant,  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre  ;  vos  dieux  sont 
méprisables  et  sourds.  »  —  «  Quittez  cette  folie,  ou  vous 
mourrez  dans  les  supplices.  »  Les  saints,  relâchés,  prient 
chaque  jour,  convertissent  beaucoup  de  païens,  et,  quand  on 
les  conduit  de  nouveau  devant  Tiburtius,  déclarent  qu'ils  ne 
se  soucient  pas  de  plaire  à  César,  mais  seulement  au  Christ. 
Tiburtius,  pris  de  colère,  déchire  ses  vêtements  et  les  fait  battre; 
mais  ils  chantent,  implorent  le  Christ  et  les  bras  des  bour* 
reaux  se  dessèchent  tout  d*un  coup,  et  ceux-ci  supplient  les 
saints  de  prier  pour  eux.  Les  saints  prient,  et  les  bourreaux 
guéris  se  convertissent.  Tiburtius  fait  ramener  en  prison  Per- 


«  B.  H.  L..  6632  [3  juin  ;  272  ou  266]. 


I 


PERGENTINUS    d'aREZZO  173 

gentinus  et  LaurentinuSy  qui  chantent  Domine  Deus  salutis 
nostrae  ;  un  ange  leur  apparaît  le  troisième  jour,  et  leur  ap- 
porte un  pain  céleste  ;  toute  la  prison  s'illumine,  les  geôliers 
dorment,  les  martyrs  chantent.  Bientôt  les  chrétiens  viennent 
les  visiter,  et,  parmi  eux,  leur  sœur  Pergentina  :  ils  ont  sou- 
doyé les  gardiens.  «  Nos  seigneurs  et  pères  (domini  patres), 
disent-ils,  la  prison  est  ouverte,  sortez-en  :  votre  vie  nous  est 
nécessaire  l  »  —  «  Loin  de  nous  cette  idée  :  nous  ne  voulons  pas 
perdre  notre  couronne.  Du  reste,  il  y  a  ici  un  prêtre,  appelé 
Cornélius  y  qui  se  cache  crainte  de  Tiburtius  ;  tâchez  de  le  trou- 
ver, et  dites'lui  toutes  les  merveilles  que  le  Christ  a  opérées 
en  vous  :  il  vous  baptisera  dans  Veau  et  V Esprit-Saint,  comme 
il  nous  a  baptisés.  »  —  «  Priez  pour  nous,  disent  les  chrétiens, 
afin  que  nos  âmes  soient  sauvées  »  ;  et,  après  avoir  été  signés 
par  les  saints,  les  chrétiens  s^en  vont,  trouvent  Cornélius,  et 
60  reçoivent  le  baptême,  «  Vous  pervertissez  la  cité  »,  dit  Ti- 
burtius à  Pergentinus  et  à  Laurentinus,  lorsquHl  a  appris  la 
chose.  —  «  Ce  ne  sont  pas  des  maléfices,  mais  des  bienfaits 
de  Dieu  (non  maleficia,  sed  bénéficia  Dei)  qui  ont  produit  ces 
conversions,  »  Lorsqu'on  les  met  debout  sur  des  charbons  ar- 
dents, les  charbons  refroidissent  aussitôt,  et  le  peuple  croit  en 
Jésus-Christ  ;  lorsqu'on  apporte  un  Jupiter,  il  s^ écoule  à  leur 
prière,  comme  du  plomb  fondu.  Deux  cents  hommes  se  con- 
vertissent, mais  les  païens  se  précipitent  sur  les  saints  que  Ti- 
burtius condamne.  Conduits  hors  de  la  cité,  ils  demandent 
aux  soldats  un  instant  pour  prier,  adorent  le  Seigneur  qui  les 
protège  et  lui  remettent  leur  esprit  :  on  les  décapite  enfin»  Per- 
gentina, aidée  des  chrétiens,  les  ensevelit  près  de  la  cité 
d'Arezzo,  à  environ  mille  pas,  près  du  fleuve  appelé  Castro. 
Ils  ont  souffert  le  trois  des  nones  de  juin,  tandis  que  règne 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ  à  qui  louange  et  gloire  dans  les 
siècles  des  siècles.  Amen. 

Le  calendrier  populaire,  an  III  des  nones  de  juin,  donne  : 
Apud  Aretium  Tusciœ,  martyrum  Pergentini  et  Laurentini  * . 

Ce  sont  évidemment  les  héros  de  nos  gestes  :  ceux-ci  fixent  à 

leur  anniversaire  la  même  date  que  celui-là. 
A  cette  même  date  du  III  des  nones  de  juin,  on  lit  dans  le 

férial  hiéronvnien  ^  : 

•/ 

^  P.  L.,  123,  159-160. 

2  RoBsi-Duchesne,  p.  73-74. 


174  TRADITIONS    DE    TUSCIE 

E.  apud  arenum  tusciœ  laurenti  et  aliorum  CCCC. 

15.  apud  areciû  cudl.  Tuscie  Laurenti. 

IV.  apud  areciû  ciûit  tusciœ  Laurenti. 

11  est  très  pou  vraisemblable  que  le  Laurent  d'Arezzo,  3  juin, 
que  connaît  le  férial,  soit  différent  du  Laurentin  d'Arezzo, 
3  juin,  que  connaît  le  calendrier.  Alors,  d'où  vient  Pergen- 
tinus? 

J'ai  montré  *  que  les  saints  romains  dont  parle  le  calendrier 
et  qu'ignore  le  férial  se  retrouvent  tous  dans  les  gestes  des 
martyrs  de  Rome  —  et  que,  sans  doute,  c'est  de  là  qu'ils 
viennent.  J'applique  au  cas  présent  la  même  hypothèse. 

Nous  dirons  donc  que  la  légende  de  Pergentinus-Lauren- 
tinus  est  antérieure  au  calendrier,  et  que,  peut-être  en  est-il 
de  même  de  notre  texte.  Car  un  autre  texte  a  pu  exister  d'où 
le  nôtre  dérive,  d'où  le  calendrier  dépende. 

Notre  texte  est,  par  un  point,  parent  de  Gaudentius  :  les 
martyrs  sont  arrêtés  deux  fois  et,  la  première  fois,  ils  sont  re- 
lâchés. —  Un  autre  trait,  non  moins  curieux,  rappelle  Valen- 
tin-Hilaire  ;  le  juge,  effrayé  ou  furieux,  déchire  ses  vêtements. 
Et  les  textes  parents  de  Valentin-Hilaire  présentent  aussi  des 
points  de  contact  avec  Pergentinus-Laurentinus  :  le  jeu  de 
mots  beneficia-maleficia  [Gratilianus-Felicissirna^y  la  de- 
mande d'un  délai  pour  prier  et  l'abandon  à  Dieu  de  leur  «  es- 
prit »  \Eutychius].  Or,  tous  ces  textes  datent  vraisemblable- 
ment de  la  première  moitié  du  vii^  siècle.  C'est  sans  doute 
aussi  la  date  de  notre  version  de  Pergentinus-Laurentinus, 

Mais  je  remarque  encore  l'intérêt  que  prend  le  rédacteur  à 
la  question  de  la  licéité  de  la  fuite  :  on  songe  aux  gestes  ro- 
mains, à  Donat  d'Arezzo,  à  Secundianus  -.  —  Et  j'attire  l'at- 
tention sur  le  fait  qu' Adon  ^  résume  un  texte  différent  du  nôtre  : 
selon  lui,  le  juge  s'appelle Turtius  *,  non  ïiburtius,  et  les  deux 
frères  sont  tués,  cum  essent  pueri.  — ■  A  rapprocher  ces  deux 

1  G.  M.  R.,  1,374-375. 

2  Gomme  dans  Secundianus,  l'auteur  insiste  sur  la  scieDce  de  son  héros  [Cf. 
aussi  Valentin  de  Terni  et  Ch^ysanthe  Darie].  —  Rapprocher  aussi  le  prêtre 
Cornélius  de  l'Antoine  de  Torpes. 

3  P.  L.,  123,  279.  «  Apud  Aretiam  ciuitatem  Tusciae,  natalis  sanctorum  mar- 
tyrum  Pergentini  et  Laurentini  fratrum,  qui  persecutione  Decii,  sub  indice 
Turtio,  cum  essent  pueri,  post  dura  supplicia  tolerata,  et  magna  miracula  os- 
tensa,  gladio  csesi  sunt,  et  apud  eamdem  urbem  conditi.  —  Usuard  ne  nomme 
pas  Turtius,  mais  dit  cum  essent  pueri  [P.  L.,  124,  117-118].  Notker  parle 
comme  Adon.  [P.  L.,  131,  1097]. 

*  Le  rapprocher  du  Turtius  d'Irenée  de  Chiusi. 


U 


DOMNINUS  175 

faits,  on  se  demande  si  notre  texte  du  vu'  siècle  ne  repose  pas 
sur  une  version  antérieure^  laquelle  daterait  du  milieu  du  vi"  : 
c'est  elle  sans  doute  que  lisait  et  qu'utilisait  Adon.  Le  prêtre  qui 
se  cache  aux  environs  d'Arezzo  et  que  cherchent  les  fidèles 
rappelle  Priscus  que  cherche  le  pieux  Hedestus  :  Hedestus  date 
du  milieu  du  vi^  siècle.  Le  jeu  de  mots  maleficia-benefîcia  se  re- 
trouve dans  Lucie  :  Lucie  a  la  même  date  environ  que  Hedestus. 


Au  temps  de  V empereur  Maximien  il  y  eut  une  grande  per- 
sécution dirigée  contre  la  nation  des  chrétiens  (gentem)  ;  il 
avait  ordonné  à  ses  préfets  de  torturer  et  de  punir  de  mort 
tous  ceux  qu'on  trouverait  (si  quis  inventus  fuisset  ad  invoca- 
tionem  christianam  colendam).  Cependant,  la  sixième  année 
de  son  empire,il  vient  de  Rome  à  Milan  et  renouvelle  ses  ordres 
afin  de  ramener  le  peuple  au  culte  de  ses  dieux  ;  puis  il  quitte 
IJtalie  pour  la  Germanie^  suivi  dune  partie  de  son  armée  et 
trouve  là-bas  des  serviteurs  du  Seigneur  Jésus-Christ,  «  Nous 
sommes  les  esclaves  du  Christ,  »  —  c<  De  ce  Christ  qui  n'a  pas 
pu  échapper  au  supplice  de  la  croix  ?»  —  «  Si  tu  savais  le 
don  de  Dieu,  cruel  tyran,  tu  ne  blasphémerais  pas  le  Sei- 
gneur !  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  a  été  un  homme,  il  a 
vécu  sur  terre,  après  être  passé  par  le  sein  de  la  Vierge  Marie, 
il  a  opéré  de  nombreux  miracles.  »  —  «  Sacrifiez  à  mes  dieux , 
sinon  vous  mourrez.  »  —  u  Nous  n^ adorons  pas  tes  dieux  :  ils 
ne  peuvent  même  pas  marcher  ;  nous  nous  sommes  déjà  donnés 
à  Jésus-Christ,  d  Saint  DomninuSy  premier  cubiculaire^  qui 
couronnait  chaque  jour  V  empereur  et  gardait  sa  couronne , 
était  du  nombre  de  ces  cinq  cents  courageux  chrétiens  ;  il  les 
réconforte  y  il  leur  montre  l'empereur.,  devant  quis  ouvre  l'en- 

^  B.  H.  L.,  2264  [9  octobre,  991J.  «  Tempore  Maximiani  imperatoris...  » 
C'est  le  texte  que  j'appelle  le  texte  A,  Le  texte  B.  H.  L.,  2265  [Codex  Barberi- 
nianus,  cité  9  octobre,  988,  §  5J  ne  s'en  distingue,  semble-t-il,  que  par  des  va- 
riantes verbales  ;  de  même,  la  version  du  Codex  Bruxellensis  9289  [du 
xiie  s.J  :  cf.  Cat.  Bruxelles.,  ii,  286,  n.  19. 


176  TRADITIONS    DK    TUSCIK 

fer,  d'autant  plus  durement  puni  qu'il  occupe  un  ranq  plus 
élevé,  «  Ecoutez-moi^  mes  chers  frères  ;  fuyons  ces  embûches^ 
et  cachons-nous.  »  El  les  cinq  cents  décident  de  fuir  à  Home. 

«  Nous  sommes  les  serviteurs  du  Dieu  tout-puissant  ;  nous 
n  adorons  pas  tes  dieux  »,  répètent^ils  à  Maximien ^  qui  en 
fait  exécuter  quelques-uns  en  sa  présence.  Puis  le  plus  grand 
nombre  se  sauve  avec  Domninus,  les  uns  par  la  voie  Elaminia^ 
d'autre  par  V Aurélia^  d'autres  par  la  Claudia,  C^est  cette 
dernière  que  suit  Domninus  :  au  douzième  mille  de  la  cité 
Julia  Chrj/sopoliy  près  du  fleuve  Sis  ter  ioîi,  il  est  arrêté,  au  mi- 
lieu de  la  voie  publique,  par  les  envoyés  de  Maximien,  qui  le 
décapitent.  Mais  Domninus  prend  sa  tête,  traverse  le  Sisterion 
et  s'arrête  à  la  distance  d'un  jet  de  pierre  (ad  jactum  lapidis 
transtulit  caput  suum)  :  c'est  là  que  repose  son  corps,  intact 
(integrum).  Grâce  à  Dieu,  beaucoup  de  malades  y  recouvrent 
la  santé  jusqu'à  ce  jour. 

A  la  nouvelle  de  ces  miracles  accourent  beaucoup  de  chré- 
tiens de  diverses  provinces  :  Domninus  les  guérit.  L'un  d'eux, 
qui  avait  beaucowp  prié  et  qu'avait  guéri  le  saint,  ne  retrouve 
plus  son  cheval  lorsqu'il  veut  partir  :  il  Pavait  attaché  près 
du  tombeau.  Il  revient  donc  se  plaindre  à  Domninus  ;  mais, 
en  s'en  retowmant,  il  aperçoit  le  voleur  qui  saute  aussitôt  à 
terre.,  et  lui  abandonne  la  bête.  Le  chrétien  remercie  Dieu  tout- 
puissant  et  saint  Domninus.  —  Voilà  ce  que  nous  avons 
d'abord  appris  (haec  nobis  in  principio  comperta  sunt)  ;  Dieu 
opérait  bien  d'autres  miracles  par  son  serviteur  Domninus, 
qu'il  serait  trop  long  d'écrire  un  à  un.  Saint  Domninus  a  été 
décapité  le  jour  des  nones  de  novembre,  tandis  que  règne  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ^  à  qui  honneur  et  gloire. 

La  petite  ville  de  Borgo  San  Donnino,  à  une  vingtaine  de 
kilomètres  de  Parme,  du  côté  de  l'ouest,  s'appelait  autrefois 
Fidentia  *  :  c^est  près  de  là  que  LucuUus  fut  vainqueur  de 

1  G.  I.  L.,  XI,  I,  p.  202.  —  Table  de  Peutinger  :  Desjardins,  p.  120.  —  Ano- 
nyme de  Ravenne,  iv,  33  :  Pinder-Parthey,  p.  172.  Le  texte  des  gestes  porte  : 
«  bealus  vero  Domninus  perrexit  via  Claudia;  qui  cum  uenisset  quinto  decimo 
milliario  a  Julia  Ghrysopoli  ciuitate  a  ministris  imperatoris  insecutus  adpre- 
henditur,  et  circa  fluvium  Sisterionem  nomine  in  média  quae  Claudia  rocatur 
via  publica  capite  plectitur  ;  qui  statim  uirtute  diuinaabscissum  caput  e  terra 
Bublevans  et  palmis  portans,  transiuit  per  médium  Sisterionem,  atque  ad 
jactum  lapidis  ultra  progrediens  substitit  ibique  caput  reposuit  quo  loca  sa- 
cra eiu8  ossa  seruantur.  »  Cluvier  [Ital.  antiq.,  i,  269-270J  et  Molossi  [Vooabo- 


i 


FIDENTIA  177 

Carbo  (82  av.  J.-C).  Depuis,  on  n'en  entend  plus  parler 
jusqu'au^temps  des  Staufen  :  seuls,  les  itinéraires  donnent  en- 
core'son'^no  m.  Elle  reparaît  aujourd'hui,  sous  le  nom  de 
saint'Domninus. 

Saint  Domninus  ne  nous  est  connu  que  par  le  texte  qu'on 
a  résumé  plus  haut  et  par  le  passat^e  suivant  d'Usuard  *  : 
apud  Julianij  via  Claudia,  sancti  Domnini  marUjris,  suh 
Maximiaiio^  qui  cum  vellet  persecutionis  rabiem  decli7iare, 
protinus  insecutus  et  7iihilominus  gladio  verberatus  gloriose 
occubuit. 

Il  est  donc  certain  que  la  légende  est  antérieure  à  Charles 
le  Chauve  ;  peut-être  doit-on  ajouter  qu'elle  est  parente  des 
gestes  de  Tuscie,  de  Rome  et  de  Gaule. 

Le  grand  personnage,  ami  de  Dioctétien,  et  qui  est  marty- 
risé par  lui,  rappelle  singulièrement  saint  Sébastien.  La  for- 
mule si  donum  Dei  scires  se  lit  dans  Censurinus^  et  dans  plu- 
sieurs gestes  de  Tuscie,  tels  qnhénée  de  Chiusi.  C'est  à 
Rome  que  veulent  se  réfugier  les  chrétiens.  C'est  enfin  aux 

lario  topogr.  dei  ducati,  124J,  trouvent  le  passage  très  obscur.  Je  crois,  avec 
DesjardinB,  que  Julia  Chrysopolis  est  cerLainement  Parme,  comme  le  déclare 
explicitement  l'Anonyme  de  Ravenne  [iv,  33,  Pinder-Parthey,  p.  272,  «  Julia 
Chrisopolis  quse  dicilur  Parma  »],  comme  l'explique  l'envoi  d'une  colonie  à 
Parme  par  Auguste  [G.  I.  L.,  xi,  i,  n.  1059  ;  col(onia)  Jul(ia'  Aug(usta) 
Parm(ensi8)],  —  Cf.  Rolando  :  Geografla  polilica  e  corografica  delVltalia  im- 
périale nei  secoli  IX  e  X  [a  Archivio  storico  italiano,  série  IV,  tomo  5,  auno 
1880,  p.  231  »].  Le  même  terme  se  retrouve  dans  la  vie  de  Mathilde  par  Do- 
nizo,  I,  10  [Muratori  :  R.  I.  S.,  v,  354,  A].  L'inscription  dont  parle  Jérôme 
Albertutius  \De  Urbibus  Italiâs,  a^pud  Muratori,  loco  laud.,  note  108]  et  qui  au- 
rait porté  les  mots  Julia  Chrysopolis,  n'a  jamais  été  retrouvée;  peut-être  est. 
elle  fausse  comme  le  veut  Leaudre  Alberlus. 

Je  crois,  avec  Desjardins,  que  la  via  Claudia  désigne  la  via  jEmilia.  Beretti 
{^Dissertutio  de  tabula  chorographica  Italix  medii  œvi,  apud  Muratori  :  R.  L  S., 
X,  31-32]  cile  deux  chartes  où  la  via  ^miVia,  en  ces  parages,  est  également  appe- 
lée Claudia  :  1.  Charte  de  Benoît,  évêque  de  Mutina,  qui  donne  au  monastère 
de  Nonantula  une  terre  finissant  a  meridie  slraia  Claudia  [1098]  ;  2.  Charte 
de  Mathilde  (8  mai  1112,  ind.  5),  qui  donne  à  l'église  de  Saiut-Césaire  (entre 
Mutina  et  Bologne)  la  curtis  Vilzagara,  limitée  a  septentrione  ina  Claudia.  Mu- 
ratori semble  connaître  d'autres  chartes  analogues  [R.  I.  S.,  v,  361,  n.  203]. 
Je  n'ai  rien  trouvé  dans  les  Uvkunden  zur  Beichs-und  Recktsgeschichte  Italiens 
de  Ficker  [Innsbruck,  1874],  ni  dans  les  Diplomi  de  Gui,  de  Lambert  t  de 
Béranger  I,  qu'a  publiés  L.  Schiaparelli.  Roma.  1903-1906  IFonti  per  la  Sto- 
ria  d'It(dia]. 

I  *  P.  L  ,  124,  555-556.  —  A  la  même  époque,  Uomninus  est  nommé  par  Wan- 
delberl  [Domninoque  Itali  claro  cum  martyre  tulgent\  et  Rhraban  :  «  eodem 
die  Datale  est  Domnini  martyris  qui  sub  Maximiano  imperatore  propter 
fidem  Christi   decollatus    est,  jussu    ipsius   imperatoris.  Hic  post  marlyrium 

,  suum  mulla  miracula  fecit  in  sanitate  infirmorum  et  debilium  \9  octobre, 
987,  §  1]. 

III  12 


^78  TRADITIONS    DE    TUSCIE 

.restes  ro.nains,  .lirectemcnt  ou  indi.eclemcnl  [/Vr^e«/«m.ç- 
Lmcrenùnml  <iue  le  rédacteur  a  <M..i.runte  1  op.sod.;  de  la 
fuite  par  les  voies  iHmilia  (Claudia),  l'iainmia  et  Aurcl.a. 

D'autre  part,  la  formule  anno  sexto  impcrii  cius  est   1res 
analo-ue   h  celles   qu'on  lit  dans   GrcUilianus  :  quarto   anno 
imperii  dus  ;  -  dans  Lucie  Gèminien  :  anno  tertio  demao  im- 
pevii  corum  ;  -  et  dans  Mennas  :  anno  secundo  imperu  sut. 
Le  récit  du  miracle  survenu  au  tombeau  nous  invite  a  croire, 
comme  la  parenté  des  gestes  avec  Gratihanus,  que  le  texte 
est  contemporain  d'un  état  de   culte  assez  ancien  deja  :  il  ne 
peut  guère  être  antérieur  au  début  du  vu"  siècle    \o.ci,  du 
reste     un    fait   qui  semble   dénoncer  le  vii°  siècle  même   : 
Parme  est  appelée  ciuitas  Julia  Chrijsopolis,  et  pare,  le  ap- 
pellation,   très  rare,   se  rencontre  dans  l'anonyme   de  Ua- 
venne,  lequel  date  de  la  fin  du  vu'^  siècle  '.  Chrysopohs  est  un 
terme   grec  :   il  est  naturel  de  penser  que  c'est  au  temps  de 
i-eKarchat  qu'il  a  été  appliqué  à  la  iviUe  de  Parnie  ^    ious 
ces  indices  convergent  :  c'est  le  vu»  siècle  qu  ils  dénoncent. 
Un  autre  fait  conllrme  cette  conclusion.  Notre  auteur  con- 
naît la  passion  de  saint  Maurice  et  de  la  légion  thébéetine  ',  amsi 
que  certaines  légendes  nées  de  celle-ci,  au  vu-  siècle  précisé- 
ment. Celte  campagne  que  conduit  Maximien  d  Italie  en  Uer- 
manieet  qui  a  pour  but  de  ramener  le  peuple  au  culte  des 
dieux  est  celle-là  même  dont  parle  Eucher  ;  saint  Doramnus 
ioue  le  rôle  de  saint  Maurice  ;  il  est,  comme  saint  Maurice,  le 
chef  d'une  troupe  nombreuse  ;  et  cette  troupe  est  a  peu  près 
décimée  comme  l'ont  été  les  Thébéens.  La  légende  de  ban 
Domnino  est  une  réplique  de  la  légende  d'Agaune. 

Le  rédacteur  ajoute  que  Domninus,  après  avoir  été  décapite, 
porte  sa  tète,  traverse  le  fleuve  Sisterion  et  s'arrête  a  la  dis- 
tance d-un  jet  de  pierre.  Et  je  lis  dans  une  des  légendes  qua 
suscitées  Maurice  : 

i  n     .uvra     D    177    noie   -  Kubitscbek  :  Der   Text    de,-  ravennatUcher, 

KosZraken  ion  Raven'na.   «  Versuch  eioer  Rekonstrukt.oa  der  Kar  e    M  . 
zwei  KartensUizzen  ».  Kiel,  1886.  -  [Cf.  Neumann  :  Bennes.,  xii.,  160et  U.eW. 

^•^^âaratoli,  U.  I.  S.,  v,  354,  n.  108.  -  Cf.  la  construction  de  Christopolia  à 
Corne  (letti-e  de  Floriaous  à  Nieetius  de  Trêves.  Bouquet,  iv,  67J 
°  Cr.  G.  M.  R.,  II.  9,  sq.  11  est  pourtant  à  noter  que  Maurice  m  les  Thébéeo» 
De  sont  jamais  no  m  mes. 


DEUX  AUTRES  VERSIONS  DE  DOMNINUS  179 

Vrsiis  et  Victor...  non  longe...  a  dicta  ponte  capita  sua  in 
manihus  portantes  fliimen  egressi  sunt  et  ad  lociim  ubi  nunc 
in  honore  ipsoruin  hasilica  fahricata  est  pervenerunt  '... 

Les  deux  miracles  sont  tout  à  fait  parallèles  ^  Le  rédacteur 
de  Domninus  connaissait,  en  même  temps  que  Maurice, 
Ursus  et  Victor.  L'origine  du  thème  est  sans  doute  la  fausse 
interprétation  d'une  fresque  :  on  y  voyait  le  martyr  portant 
sa  tète  comme  pour  Tolfrir  à  Dieu  '\ 

Mombritius  a  public  une  seconde  version  de  Domninus  \ 
Elle  utilise  et  cite  expressément  le  texte  remanié  de  Mau- 
rice ^  : 

Amandus  et  Helianus  duo  factiosi  uiri  collecta  rusticorum 
manu  [excitant)  clades  perniciosas  [in  Galliis)...  Maximia- 
nus...,  sociata  sibi  il  la  pretiosa  Theheorum  legione...  {in 
Gallias  tendit,  Thebei  vero,  diis  sacrificare  nolentes.,  capite 
plfctuntur)^  ut  eorum  verissime  gloriosa  gesta  testantur... 
(k  Cernitis^  [dit  Mauricius^..,  gloriosi  milites  Christi...;  divina 
sacramenta  maiora  esse  iniperialibus  cogitemus.,.  —  Hacte- 
nus,  imperalor,  fuimus  lui  ;  sed,  quod  et  libère  confitemur... 
nunc  servi  sumus  Christi. . . 

La  version  de  Mombritius  porte  encore  la  trace  de  l'époque 
grecque  :  le  discours  de  Domninus  contient  une  profession  de 
foi  dont  l'allure  anti-nestorienne  est  frappante  : 

Unum  Deum  [colimus).,,;  Deum  ex  Deo  Paire  unicum  Fi- 
Hum  coomnipotentem^  consubstantialem...,  qui...  uerum  et 
integrum  hominem  assumpsit  in  unitate personne.,,  natus  sine 


*  Cf.  G.   M.   R.,  II.  34  [B.  H.  L.  8588,  30  septembre,  291]. 

-  Dans  le  Passionale  Bodecense,  on  lit  un  sermon  sur  Ursicinus  suivant  le- 
quel ce  saint  aurait  porté  sa  tête  dans  ses  mains  au  lieu  de  son  tombeau 
[16  juin,  673). 

3  De  Smedt  :  Principes  de  la  critique  historique,  188-192.  Cf.  les  légendes 
de  Fuscien  d'Amiens  [B.  H.  L.  3224-3229]  et  de  Lucien  de  Beauvais  [B.  H.  L. 
5008-5014].  S.  Jean  Ghrysostome  dit  que  les  martyrs  portent  leurs  têtes  cou- 
pées en  leurs  mains  et  les  offrent  à  Jésus-Christ.  «  Ou  voit  par  l'exemple  de 
S.  Ferreol  de  Vienne,  qu'en  enterrant  les  martyrs,  on  leur  mettait  quelquefois 
la  tête  entre  les  bras.  »  [Tillemont.  iv.  712].  Cf.  Clermont-Oauneau  :  Mytho- 
logie ico?iographique,  1880,  d'après  S.  Reiuach  :  Manuel  de  philologie  clas- 
sique, 1  (1883)  3Ô7,  note  3  et  V.  Bérard  :  De  l'origine  des  cultes  arcadiens, 
1894,  p.  36-37. 

*  B.  H.  L.,  2266  [Mombritius,  i,  235].  «  Tempore  quo  Dioclicianus  sumplo 
imperio  contra  auctoritatem  senatus  ab  exercitu  romano  Augustus  creatus 
est  »...  —  J'appelle  ce  texte,  B. 

5  Qf.  G.  M.  R.,  II,  16,  sq. 


180  TRADITIONS    DE    TUSCIE 

peccalo  in  unitale  personœ  Verbi  Dei  et  vert  horninis,  qui  in 
assuntpta  carne...  probra  suslinens. 

Un  troisièmo  trait  caractérise  enlin  cette  version  B  :  elle  se 
termine  par  un  épilogue  qui  raconte  une  double  invention  des 
reliques.  Une  première  fois,  c'est  la  forêt  qui  a  recouvert  le 
tombeau  et  en  a  fait  perdre  la  trace  :  les  anges  en  indiquent 
remplacement  au  temps  de  Constantin,  le  premier  empereur 
chrétien  depuis  Philippe;  on  trouve,  avec  le  corps,  une  ins- 
cription portant  : 

HIC    REQUIESCIT    CORPUS    S.    DOMNINI    MARTYRIS 

Et,  dès  lors,  le  pays  s'appelle  S.  Domninus,  exinde  locus 
idem  nomine  s.  Domnini  vocatur. 

La  seconde  invention  est  rendue  nécessaire  par  l'agrandis- 
sement de  l'église  :  on  ne  se  rappelle  plus  en  quelle  partie  re- 
pose Domninus  ;  il  faut  une  révélation  du  ciel  pour  l'indiquer 
au  gardien.  L'évêque  de  Parme  accourt,  on  trouve  le  corps, 
des  miracles  illustrent  et  certifient  l'invention  qu'on  en  fait, 
une  nouvelle  église  est  construite  et  ornée  laquearibus...  et 
darietibus  vaino  picture  génère  ^ 

Les  Bollandistes  ont  signalé  et  partiellement  analye^é  une 
troisième  version  -  de  la  légende.  Voici,  autant  que  j'en  puis 
juger  par  leur  travail,  quels  caractères  la  distinguent.  1. 
Avant  sa  mort,  Domninus  mène  dans  la  forêt  la  vie  d'un  so- 
litaire, et  c'est  là  qu'il  reçoit  d'un  ange  l'annonce  du  martyre 
qui  l'attend  :  il  distribue  alors  sesbiensaux  pauvres. —  2.  Dom- 
ninus est  l'ennemi  de  la  rage.  Il  guérit  un  pauvre  atteint  de 
ce  fléau,  en  lui  faisant  boire,  monitu  vocis  cœlestis,  son  scy- 
phits  rempli  d'eau.  Lorsqu'à  lieu  la  seconde  invention^  une 
voix  sort  du  tombeau  et  dit  : 

Quiciimque  vénérait  ad  oratorium  meo  iiomini  specialiter 
dedicatum  atqiie  coram  altari  prœcibus  dévote  prœmissis  ca- 
liais  mei  poculum  receperit  reverenter,  a  prœdicto  languore 
poterit  liber ari. 

1  Voici  les  caractéristiques  moins  importantes  de  B  :  c'est  malgré  le  sénat 
que  Dioclétien  devient  empereur  ;  la  persécution  de  Dioclétien  est  la  dixième 
qu'ait  subie  l'Eglise;  l'empire  est  attaqué  par  Narreus,  Persarum  rex  [Nar- 
sès  ?]  ;  les  voies  Flaminia  et  Claudia  ont  été  ouvertes  par  les  consuls  Flami- 
nius  et  Glaudius;  si  Domninus  s'enfuit,  ce  n'est  pas  qu'il  ait  peur. 

2  B.  H.  L.,  2267  [Codex  Florentinus,  cité  9  octobre,  988-990,  §§  5,  9-12; 
991,  §§  14-15,  «  Gloriosus  miles  et  martyr  Christi  Domninus  natione  roma- 
nus... 


I 


l'époque   carolingienne  181 

3.  Après  avoir  battu  Didier,  Charlemagne  va  à  Home  ; 
mais,  passant  près  du  tombeau  de  Domninus,  son  cheval 
s'arrête  subitement  ;  un  ange  révèle  à  l'empereur  la  présence 
du  martyr.  Charlemagne  est  nommé  empereur  à  Rome  par  la 
volonté  des  cardinaux  et  de  tout  le  concile.  —  4.  Charle- 
magne fait  faire  un  calice  où  il  incruste  une  dent  de  Domninus  : 
qui  en  boit  est  à  l'abri  de  la  rage.  T^es  voleurs  qui  le  dérobent 
ne  peuvent  le  briser,  et  les  tortures  qu'ils  endurent  les  con- 
traignent à  le  rapporter. 

Ces  deux  textes  B  et  C  attestent  un  état  de  culte  notable- 
ment postérieur  à  celui  que  reflète  A  ;  il  est  aussi  évident  que 
C  est  postérieur  à  Charlemagne.  C'est  dire  que  B  et  C  re- 
montent au  VIII®  et  au  ix®  siècle,  peut-être  au  début  et  à  la 
lin  de  l'époque  carolingienne.  Justement  quelques  textes 
semblent  attester  à  ce  moment  l'épanouissement  du  culte  de 
Domninus. 

Un  diplôme  de  Louis  le  Pieux,  daté  de823,  montre  qu'unora- 
toire  lui  est  alors  consacré  à  Chiusi  ^  Odon  de  Beauvais  (?)  ra- 
conte, sous  Charles  le  Chauve,  que  saint  Lucien  a  été  délivré 
par  saint  Domninus  ^.  C'est  enfin  sous  le  nom  de  saint  Domni- 
nus qu'apparaît,  semble-t-il,  au  début  du  ix^  siècle,  comme  le 
veut  B,  l'ancienne  Fidentia  ^  Si  l'on  rapproche  ces  faits  des 


1  Ughelli,  II,  95-96  [9  octobre,  991,  §  16]. 

2  Codex  Sci  Maximi  [1er  janvier,  8  janvier,  462  et  465,  §§  5  et  20].  Il  est 
certain  qu'Odon  connaissait  notre  texte.  Voici  quelques  passages  du  sien  qui 
attestent  cette  dépendance. 

«  Qui  simul  pergentes  ac  prasdicantes...,  antequam  Ticinum  appropin- 
quassent,  quodam  in  loco  non  multum  longe  a  civitate  quae  dicitur 
Parma,  in  via,  visum  est  b.  Luciano  ut  euaogelizaret  populo  eodem  in  loco 
verbum  Dei...  Sed  homines  loci  illius,  cum  essent  adhuc  gentiles...,  mox 
apprehendunt  s.  Lucianum  et...  posuerunt  eum  lu  custodia  publica  quae 
adhuc  hodie  monstratur  omnibus  eo  in  loco  transeuntibus...  Orabat  Domi- 
Dum...  Erat  enim  ibidem  iam  Christi  discipulus  Domninus  nomine,  qui  per- 
fectus  adhuc  hodie  confessor  Christi  in  eodem  loco  pro  talibus  huiusce  modi 
operibus  requiescit  in  corpore  gloriosus.  Nam  et  ipse  locus  ex  eius  nomine 
aocabulum  sumpsit...  (Cum  Domnino)...,  quidam  christiaoi...  uenerunt  nocte 
ad  eum  in  carcerem...  et  absoluerunt  eum  de  ergastulo...  Inde  Ticinum  ve- 
niunt  ad  regiam  Italiae  civitatem. 

«  Erigens  se  sancti  viri  corpus  exanime  apprehendit  propriis  manibus  sanc- 
tum  caput  abscissum,  stabili  gressu  Spiritus  Sancti  gratia...,  una  cum  minis- 
terio  angelico,  ac  si  vivens...,  iter  plantis  firmissimis  carpere  cœpit  :  portans- 
que  pretiosum  caput.,.  a  monte  quasi  millibus  tribus,  trausvadato  fluminis 
alveo,  pervenitad  locum  quem  elegerat,  uno  a  praedicta  urbe  dislantem  ferme 
milliario...  » 

3  Charte  de  Louis  le  Pjeui,  de  830,  citée  par  Campius  :  Historia  Eccles. 
Placentinx,  i  [9  oct.,  990,  §  13]  ;  diplôme  de  Charles  le  Jeune,  de  880,  à  Wibold, 


182  TRADITIONS    DE   TUSCIE 

textes  d'Usuard,  de  Rahan  et  de  Wandalbert  qu'on  a  citcîs 
plus  haut,  on  pensera  que^  d'une  manic^re  qui  nous  écliappe, 
la  conquête  du  royaume  lombard  par  Cliarlomagne  a  contribué 
à  répandre  en  Gaule  la  gloire  de  Dormiinus.  Qui  sait  si  ce 
n'est  pas  de  saint  Domninus  que  saint  Denys  de  Paris  a  appris 
à  porter  sa  tète  coupée  ^  ?  Mais  nous  ne  pouvons  pas  bien 
démêler  ce  qui  se  cache  derrière  ces  récits  d'invention  de 
reliques  et  de  guérisons  d'enragés. 


évoque  de  Parme  [Ughelli,  ii,  186,  D,  ou  148]  ;  diplôme  d'Othon  de  1003 
[Ughelli,  ir,  203,  B]  ;  Liutprand  :  de  rébus  Imp.  et  reg.,  i,  11. 

*  Noter  que  saint  Denys  et  saint  Domnin  sont  vénérés  le  même  jour,  9  oc- 
tobre, et  que  c'est  Hilduin  qui  raconta  le  premier  l'épisode  de  la  céphalo- 
phorie  [Tillemout.  iv,  712],  —  D'après  les  gestes  de  Fuscien  et  de  Victoric, 
ces  deux  saints  ont  accompagné  saint  Denys  de  Rome  en  France,  en  même 
temps  que  Lucien  de  Beauvais,  Crépin  et  Crépinien,  etc..  [Tillemont.  iv,  443]. 
Sur  Lucien,  cf.  Tillemont,  iv,  537  ;  sur  Denys,  cf.  Tillemont,  iv,  439;  Julien 
Havet  :  Questions  Mérovingiennes,  i,  (1896).  191.  Tous  ces  textes  sont  apparen- 
tés, au  moins  dans  certaines  versions. 

Les  diplômes  de  Gui  et  de  Lambert  reflètent  Timportance  persistante  du 
Parmesan  à  la  fin  du  ixe  siècle  [Schiaparelli  :  /  JDiplomi  di  Guida  e  di  Lam- 
berto.  Roma,  1906.  9.  44,  76,  77,  105]. 

Rapprocher  le  calice  miraculeux  de  Domninus  des  autres  calices  men- 
tionnés, supra,  p.  168,  note  'd. 


I 


CHAPITRE  VllI 


TRADITIONS  DE  L'ITALIE   DU  NORD 
LES  SAINTS    SECOND,   FAUSTIN  ET    JOVITE,    INNOCENTIUS 


L'histoire  de  saint  Domninus  nous  invite  à  pousser  une 
pointe  au  nord,  en  pleine  terre  lombarde  :  au  cours  du 
vii^  siècle,  terre  lombarde  et  terre  romaine  sont  trop  intime- 
ment mêlées  l'une  à  l'autre  pour  que  le  mouvement  légen- 
daire reste  strictement  localisé  sur  le  territoire  normal  de 
l'exarchat.  De  t'ait,  au  delà  de  Gènes,  point  terminus  de  la 
Voie  Aurélia,  dans  les  plaines  de  la  Cisalpine,  on  aperçoit 
des  légendes  qui  ont  mômes  caractères  et  môme  date  que 
celles  dont  on  s'est  occupé  jusqu'ici. 


Voici  d'abord  un  texte  qui  relie,  si  j  ose  ainsi  parler,  de 
concert  avec  Domninus^  les  légendes  de  l'Italie  centrale  aux 
légendes  cisalpines. 


184  TRADITIONS    I)K    r/lTALlI-:    l)V    NOHO 

vSecundus      Sous  Dioclélien  et  Maximien,  les  empereurs  très  impies,  il 
<^e  y^°^^-  y  avait  un  certain  Second,  originaire  de  la  province  de   Thé- 
haïde  :  sa  famille  était  très  noble,  mais,  par  sa  foi,  il  était 
plus  noble  encore  ;  si^  par  Vâge,  il  était  jeune,  il  avait  la  sa- 
gesse d'un   vieillard...   «  Je  serai  martyr,  disait-il,  car   les 
apôtres  sont  les  premiers  (de  V armée  céleste),  et  les  «  seconds  » 
sont  les  martyrs  ;  puis,  est-ce  c/ue,  (en  latiii),  secundus  ne  si- 
gnifie pas  heureux  ?  »   De  fait,  Dioclélien  et  Maximien  ap- 
prennent qiiil  travaille  à  convertir  les  âmes  et  le  ^font  venir. 
—  Secundus  prend  avec  lui  f)  600  hommes  —  ce  qui  s* appelle 
une  légion —  et  va  trouver  V empereur.  «  Tu  mourras  »,  lui  dit 
Maximien.  Mais,  malgré  cette  menace,  il  refuse  de  sacrifier^ 
ainsi  que  ses  compagnons  ;  Maurice  le  primicier  les  encourage 
tous  ;  cest  lui  qui  sera  martyrisé  à  Agaune  avec  cette  sainte 
légion.   Second  les  encourage   de  même  :  a  qii  est-ce  que  cette 
mort  d'iminstant  en  comparaison  de  la  mort  éternelle  ?»  Lors- 
que certains  prêchent  l'apostasie,  V  athlète  du  Christ  réfute  leurs 
lâches  conseils  :  «  Le  persécuteur  peut  tuer  les  corps,  il  est 
impuissant  sur  les  âmes.  Du  reste,  il  est  maintenant  trop 
tard  ;  nous  n  échapperons  pas  à  notre  sort\  faisons  de  néces- 
sité vertu  !  »  Second  est,  en  effet,  décapité.  Mais  voici  que, 
lorsque  la  tête  roule  à  terre,  sa  langue  continue  de  louer  le 
Seigneur.  Un  ange  recueille  son  esprit,  Maurice  emporte  le 
corps,  les  chrétiens  enterrent  les  traces  de  sang  dans  le  champ 
d'un  père  de  famille,  Probus,  à  un  mille  du  château  de  César 
appelé  Victimolis  par  Hamiibal,  parce  que  15  000  ennemis, 
d^ abord   vainqueurs,  y  ont  été  battus  par  lui.  Le  corps  de 
Second  est  porté  à  Turin  (ad  urbem  Taurinensein)  et  enterré 
à  côté  de  la  Doire  ^iuxta  fluvium  qui  Duria  nuncupatur)  :  ses 
bienfaits  s'y  multiplient  et  les  malades  y  guérissent.   Ainsi, 
autrefois,  le  cadavre  du  prophète  Elie  ressuscitait  les  morts. 
Il  en  est  de  même  dans  V oratoire  de  la  Vierge  Mère  de  Dieu, 
et  aussi  au  tombeau  de  la  très  chrétienne  et  sainte  adoratrice 
de  Dieu,  Julienne,  qui  a  enseveli  les  corps  de  saint  Solutor  et 
de  ses  compagnons.  Quel  nestldonc  pas  ton  bonheur,  cité  de 
Turin,  que  couvre  le  patronage  de  saints  si  puissants!  Second 
a  souffert  le  5  des  kalendes  de  septembre,  sous  Dioctétien  et 
Maximien    empereurs,   tandis  que  règne   le  Seigneur  Jésus- 

i  B.;H.  L.,  7568  [26  août,  795].  «  Sub  Diocletiano  et  Maximiano  impiissimis 
imperatoribus  fuit  vir  quidam  nomine  Secundus...  » 


il 


SECOND    DE    VINTIMILLE  185 

Christ  y  à  qui  honneur  et  gloire  avec  Dieu  le  Père  dans  l'unité 
de  l' Esprit-Saint  y  à  travers  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Cette  légende  *  est  certainement  antérieure  à  Adon  ;  il  la 
résume  : 

Apud  Vinctimilium  castrum  Italiée,  natale  beati  Secundi 
martyris,  viri  spectabilis  et  ducis  ex  legione  sanctorum  The- 
bœoriwiy  qui  ante  beatum  Mauincium  et  caeteros  post  vincula 
et  carceres  martyrium  capitis  abscissione  complevit  ^. 

Il  est  également  certain  qu'elle  est  une  réplique  de  Mau^ 
rice  ^  ;  elle  veut  en  être  la  préface.  Nouvelle  preuve  de  l'in- 
fluence exercée  par  la  légende  d'Agaune  en  Gaule  Cisalpine  : 
après  Domninus,  après  Alexandre  de  Bergame,  voici  Second 
de  Vintimille.  Je  me  demande  si  cette  influence  ne  s'est 
pas  exercée  par  l'intermédiaire  (ï Alexandre  de  Beryame\ 
Alexandre  et  Second  sont  vénérés  au  même  jour,  26  août 
(V^II  Kal.  sept.)  S  et  Alexandre  semble  remonter  à  l'époque 
ostrogothique. 

Au  contraire,  il  est  vraisemblable  que  Second  date  du 
vu*  siècle. 

Le  culte  de  Second  de  Vintimille  est  attesté  au  vu®  siècle 
par  le  calendrier  populaire. 

Vn.  Kal.  (sep).  Apud  Victimilium  Secundi  marty ris '^ , 

Le  miracle  de  la  tête  décapitée  qui  parle  se  retrouve  dans 
Victor  et  Ursus^  qui  se  rattache  également  à  Maurice  et  qui 
date  aussi  du  vu®  siècle  *.  —  Domninus  est,  comme  Second, 
une  réplique  italienne  de  Maurice  :  et  Domninus  date  du 
vu'  siècle.  —  Au  vu*  siècle,  on  parlait  beaucoup,  nous  Talions 
voir  %  d'un  Secundus,  qui  était  vénéré  non  loin  de  Vintimille, 

*  Oq  ea  connaît  une  seconde  version,  B.  H.  L.,  7569  :  elle  est  contenue 
dans  un  manuscrit  de  saint  Maurice  de  Magdebourg  et  caractérisée  par  un 
prologue  [«  gloriosa  bb.,  mnj.,  gesla,  pia  quoque  et  admiranda  certamina  dé- 
bita veiieratione  colentes  »...],  quelques  détails  sur  la  géographie  de  la  Thé- 
baïde  [«  cuius  principium  est...  civitas  Syene  »],  et  le  tour  homilétique  du 
récit  [26  août,  792-794,  §§  3,  4,  14]. 

>  P.  L.,  123,  338,  A. 
3  Cf.  G.  M.  R.,  Il,  9. 

*  Cf.  G.  M.  R.,  Il,  162,  —  iNotre  texte  date  l'anniversaire  du  v,  et  non  du 
vu,  des  Kal.  de  septembre.  Adon  et  le  calendrier  ne  connaissent  que  la  date 
du  VII  Kal.  sept.  —  J'imagine  que  le  texte  de  l'édition  boUaadiste  a  reproduit 
l'erreur  d'un  ms. 

«  P.  L.,  123,  167-168. 

*  G.  M.  R.,  II,  34. 

'  Cf.  infra,  p.  190. 


186 


TRADITIONS    DE    L  ITALIK    DU    NORD 


h  Asti  :  à  supposer  que  le  culte  de  Vintimillc  ne  dérive  pas  du 
culte  d'Asti,  n'ost-il  pas  à  croire  que  la  légende  d'Asti  a  sus- 
cité celle  de  Vintimille  :  les  dévots  que  S(;cundus  avait  ici 
ne  pouvaient  pas  rester  en  arrière  de  ceux  qu'il  avait  trouvés 
Ik.  Pareillement,  nous  l'avons  dit,  une  légende  de  Genève  sus- 
cita une  légende  de  Soleure.  —  Enfin,  le  culte  et  la  hiérarchie 
catholiques  furent  réorganisés  dans  l'Italie  du  nord  au  cours 
du  vu®  siècle,  au  lendemain  des  conquêtes  de  liothari  ^  :  ce 
fut  sans  doute  dans  ces  circonstances  que  notre  texte  vit  le 
jour  ^  L'auteur  était  un  rhéteur  ;  le  héros,  un  saint  local,  in- 
digène ou  importé. 

La  légende  de  Secundus  d'Asti  est  solidaire  du  cycle  de 
Faustin  et  Jovite. 


II 


Gestes  de 

Faustin  de  Li7'e  les  actes  des  martyrs^  ccst  nous  arracher  à  la  torpeur 
de  nos  désirs  ;  nous  ne  parviendrons  à  imiter  leurs  combats 
qiien  étudiant  leur  histoire.  Au  temps  ou  Adrien  trouble  le 
monde,  Faustin  et  Jovite,  deux  frères  de  Brescia,  se  font  re- 
marquer de  tous  en  prêchant  le  Christianisme.  Le  comte  des 
Rhèties  Italiens,  accompagné  du  conseiller  Tiberius,  va  aude- 
vant  de  F  empereur  jusqu'à  VAdda,  et  le  prévient  de  ce  qui  se 
passe.  Adrien  ordonne  que  les  chrétiens  sacrifient  ou  meurent. 

1  Hartmann  :  Geschichte  Italiens  im  Mittelalter,  ii,  1  (1900),  265. 

2  La  doxologie  in  wiitate  indique  que  le  rédacteur  connaissait  les  gestes 
romains  aussi  bien  que  les  légendes  gauloises.  —  Je  ne  saurais  dire  l'origine 
de  la  légende  qui  concerne  Hannibal  :  peut-être  a-t-elle  été  suggérée  par 
une  interprétation  étymologique  de  Victimilium. 

La  légende  est  solidaire  des  gestes  d'Adventor,  Solutor  et  Octavius  [Mom- 
britius,  î,  12  :  Multa  et  magoa  sunt  quse  de  b.  b.,  m.  m.,  A.  0.,  atque  S.  cer- 
taminibus  »,  B.  H,  L,,  85]  :  ce  sont  des  martyrs  de  Turin,  —  qui  sont  ratta- 
chés iU{i)  ss.  Agaunensium  Thebeorum  legion{i),  seniorum  traditione,  —  et 
qu'ensevelit  notre  sainte  Julienne.  Ils  ont  souffert  leXIII  Kal.  feb.  ;  après  s'être 
enfuis  d'Agaune,  ils  ont  été  rejoints  et  tués  près  de  Turin.  —  Le  texte  n'ajoute 
aucun  détail.  J'imagine  qu'il  est  quelque  peu  postérieur  au  nôtre  :  il  men- 
tionne l'érection  d'une  église  en  l'honneur  des  saints  par  l'évêque  Victor  [Sa- 
vio  :  Antichi    Yescovi  rCltalia.  II  Piemonte  (1899).  283J.  —  Ennodius  les  cite. 


él 


FAUSTIN    ET   JOVITE   DE    BRESCIA  187 

Le  comte  Italiens  en  informe  Fanstin  et  Jovite  par  l'intermê- 
liaire  de  TiheriuSy  et,  comme  ceux-ci  raillent  les  dieux,  il  les 
miprisonnc  en  attendant  l'arrivée  d' Adrien.  Conduits  en  sa 
oj'èsence,  Faustin  et  Jovite  persévèrent  dans  leur  attitude  y  re- 
luisent en  cendres  une  statue  du  soleil,  bravent  les  hêteSy  les 
lionSj  les  léopards,  les  ours,  les  lames  ardentes.  A  cette  nou- 
l'elhj  une  certaine  Afra  va  se  jeter  à  leurs  pieds,  ils  Vinstrui- 
>ent  de  la  religion  et  elle  va  se  faire  baptiser  par  Vévèque 
Apollonius. 8 000 personnes  suivent  son  exemple,  après  qu'elles 
ont  vu  Faustin  et  Jovite  dompter  des  taureaux  par  la  puis- 
mnce  du  signe  de  croix  :  Apollonius  les  baptise  et  les  tau- 
reaux adoucis  retournent  au  pâturage  sans  toucher  personne, 
i?/  Faustin  et  Jovite,  ramenés  dans  leur  prison,  sont  environnés 
d'une  lumière  céleste.  Pourtant,  Adrien  les  tente  encore  ; 
comme  ils  refusent  d^ adorer  les  idoles  sourdes  et  muettes,  ils 
wnt  jetés  au  feu,  mais  ils  prient,  les  mains  étendues,  et  le  feu 
les  respecte  ;  la  grâce  divine  empêche  les  ministri  de  les  écor- 
:her  ;  le  duc  des  soldats  (dux  mililum)  Calocère  confesse  alors 
le  Christ.  En  vain  on  leur  coule  du  plomb  fondu  dans  la 
bouche^  en  vain  on  les  jette  dans  une  fournaise:  ils  refusent 
le  sacrifier  ;  enfermés  dans  un  cachot  scellé  de  Vanneau  de 
l'empereur,  ils  en  sont  miraculeusement  tirés  par  les  anges 
)ui  les  mènent  à  Apollonius,  et  Apollonius  confère  à  Faustin 
la  prêtrise,  à  Jovite  le  diaconat,  le  baptême  à  une  multitude 
innombrable,  dont  Calocère  et  ses  bureaux  (ofticiumj,  Fu- 
\neux,  Adrien  livre  Calocère  à  Sapritius,  primicerius  scholœ 
:andidatorum,  afin  que  celui-ci  le  fasse  supplicier  lorsqu'il 
ira  dans  les  Alpes  Cottiennes  ;  et,  de  fait ^  Calocère  est  décapité 
-i  Albenga  où  il  repose  et  où  il  comble  de  bienfaits  ses  fidèles  ; 
les  employés  de  ses  bureaux  sont  décapités  hors  des  murs. 

Cependant,  Faustin  et  Jovite  ont  été  reconduits  par  les  anges 
dans  leur  cachot,  sans  que  le  cachet  de  r empereur  fût  brisé, 
et  là  ils  reçoivent  la  vision  d\i  Christ  lui-même.  Antiochus , 
mr  l'ordre  d'Adrien,  les  condidt  à  Home,  c'est-à-dire  au  pont 
Milvius  au  moment  où  Adrien  réside  à  Lubras  ;  la  vue  de  la 
foule  qui  se  presse  autour  des  saints  l'exaspère,  il  ordonne  au 
garnie  Aurélien  de  les  conduire  à  Vintérieur  du  palais  ;  mais 
\les  chaînes  de  feu  enlacent  Aurélien  lors  ([u  il  veut  contraindre 
les  martyrs  à  venir  et  à  sacrifier.  Le  lendemain,  Adrien  envoie, 
donc  Calimère  afiin  quil  amène  cette  fois  les  saints  ;  ceux'ci 
sont,  en  effet,  conduits  au  palais  et,  quand  le  démon  saisit 


188  TRADITIONS    DR    t/iTALIK    DÎT    NORD 

AiirHien,  ils  consentent  à  le  chasser,  à  la  prière  d'Adrien  ;  ils 
chassent  de  même  les  démons  qui  ont  saisi  les  ministri 
dAdincn,  au  moment  où  celui-ci  offre  un  sacrifice  au  Capi~ 
tôle,  ils  les  convertissent  et  les  baptisent.  Adrien  pourtant 
reste  impitoyable  ;  il  fait  mettre  à  mort  les  ministri,  et  expose 
aux  bêtes  Faustin  et  Jovite  qui  baptisent  la  foule  de  ceux 
qui  se  convertissent  et  les  confirment  et  leur  donnent  le  corps 
et  le  sang  du  Seigneur.  Sur  leur  indicatiouy  Calimère  converti 
est  ordonné  évêque  de  Milan  par  le  pape  Télesphore  qui,  par 
crainte  des  païens,  se  cachait  parmi  les  sépultures  des  mar- 
tyrs au  lieu  qui  est  dit  Catacombe  ;  mais  arrivent  des  ministri 
d'Adrien  qui  emmènent  Calimère  au  palais.  Adrien,  cepen- 
dant, pousse  jusqu'à  Naples y  torture  en  vain  Paustin  et  Jovite, 
et,  lorsqu'il  veut  les  faire  noyer  en  pleine  mer,  les  voit  mar- 
cher sur  Veau  et,  à  son  retour,  les  trouve  sur  le  rivage  évan- 
gélisant  le  peuple.  Il  les  fait  alors  conduire  à  Brescia  par 
Aurèlien  :  au  passage  du  Pô,  une  voix  céleste  les  avertit 
qu'ils  mourront  dans  sept  jours.  Apollonius  leur  donne  le 
baiser  de  paix  ;  ils  sont  mis  à  mort  hors  de  la  ville,  le  long 
de  la  route  de  Crémone,  le  XV  des  kalendes  de  mars  *. 

1  Le  texte  ici  analysé  [B.  H.  L,  2838]  est  le  texte  que,  d'accord  avec  le  R.  P. 
Savio,  nous  Dommons  le  texte  B  [15  février  813  ou  814].  Le  R.  P.  F.  Savio 
S.  J.  a  publié  une  importante  étude  sur  notre  légende  dans  les  Analecta  Bol- 
landiana,  tome  XV  (1896),  p.  5,  113,  377  :  pour  lui,  A  et  B  sont  des  abrégés 
du  lonf?  texte  cyclique  C,  et  ce  texte  cyclique  G  a  été  rédigé  aux  environs 
de  l'an  800,  au  temps  du  roi  Didier. 

Ces  conclusions  me  paraissent  très  douteuses.  Les  raisonnements  de  Savio 
supposent  qu'il  n'y  a  jamais  eu  plus  de  trois  textes,  ceux  qui  nous  sont  par- 
venus. Je  crois  le  contraire  ;  et  c'est  par  ces  autres  textes  dont  je  suppose 
l'existence,  que  j'explique,  aussi  bien  que  la  rédaction  de  Cl,  les  obscurités 
et  les  particularités  de  A  et  de  B.  Voici  pour  quelles  raisons  j'admets  l'exis- 
tence d'autres  textes  que  A,  E,  G. 

1  B  utilise  un  poèm»?,  à  nous  inconnu,  qu'écrivit  peut-être  un  certain 
Faustinus  de  Brescia,  lequel  aurait  vécu  entre  451  et  679.  Savio  lui-même  le 
reconnaît  [Analecta,  xv,  16-19)  *... 

2.  Walafrid  Strabon  (+  849)  a  puisé  à  un  autre  texte  que  les  nôtres.  Savio 
lui-même  le  reconnaît  encore  (Anal.,  xv,  23)  **. 

*  Dans  la  finale  de  B,  on  croit  trouver  les  vestiges  d'un  poème  ;  de  même 
en  d'autres  passages.  En  voici  quelques-uns  :  «  orationem  fuderunt  Domino 
gratias  refereotes,  moxqiie  gladio  pleoci,...  mortis  pro  Domino  debitum  red- 
diderunt,  sanctas  quoque  reddentes  animas  astris,  corpora  vero  terris,  de 
terrœ  corpore  sumpta  ;  purpureo  namque  suo  sanguine  passum  Christum 
Dominum  vénérantes  gloriosi  martyres  effecti  ;  cum  autem  navigassent 
biduo,  iam  lucescente  die  tertia,  requiescentibus  navibus,  cœperunt  universa 
gênera  musicorum  clangoribus  resonare.  Tune  quoque  tuba  rauca  altaque 
reboans  \ oce,  /îstula  etiam  cum  citharis  clamantibus  œthera  pulsatit...  »  Le 
P.  Savio  a  reconstitué  quelques  vers  de  cet  hypothétique  poème. 

**  Le  petit  poème  de  W.  Strabon  est  édité  dans  les  Mon.Germ.  Hist.  Poètes 
latini   m^edii    œvi,  ii,   409,    Walafrid    célèbre    Marcien    de    Tortone  ;  il  dit 


TROIS    TliXTES  189 

Nous  possédons  deux  autres  versions  de  la  même  légende  : 
lune  plus  courte  *,  qui  commence  parles  mots  Beatissimi  viri 
F.  cl  J,  nobilissimis  in  civitate  Brixiana  orli  parentibus  et 
que  nous  appellerons  A  ;  l'autre,  plus  longue-,  qui  débute  par 
les  mots  lïi  diebus  illis  venie)ile  Adriano  imperatore  'm  par- 
tibus  Italiœ  et  que  nous  appellerons  C,  désignant  par  la 
lettre  B  le  texte  que  nous  venons  d'analyser  :  dum  crebra  ss, 
mm.    acia   revolvimus... 

Notker  et   Usuard  connaissent  Faustin  et  Jovite  ^ 

Angilbert  II,  archevêque  de  Milan  (824-860),  transporta  le 
corps  de  Calocère  entre  Gôme  et  Lecco,  au  monastère  de  Ci- 
vate.  Nos  textes  ignorent  tous  cette  translation  *. 

L'évêque  Rampert  de  Brescia  (820-847)  fait  allusion  à  la  lé- 
gende de  Faustin  et  Jovite  dans  le  discours  qu'il  prononce  en 
838  à  propos  de  la  découverte  et  de  la  translation  du  corps  de 
Philastre  :  il  oppose  aux  saints  qui  ont  instruit  la  ville  par 
leur  prédication  (Philastre),  ceux  qui  l'ont  édifiée  par  leur 
martyre  (Faustin  et  Jovite  ^). 

3.  A  et  B  se  contredisent  deux  fois  :  A  fait  d'Afra  la  femme  du  comte  Ita- 
liens ;  B  nous  la  présente  comme  une  mulier  gusedam  ;  —  A  fait  mourir 
Calocère  à  Milan  ;  B  fait  mourir  le  même  Calocère  à  Albenga.  Si  donc  A  et 
B,  comme  le  veut  Savio,  sont  des  abré-iés,  ils  ne  peuvent  pas  dériver  d'un 
même  texte;  il  y  a  eu  plus  de  trois  textes. 

4.  Plus  précisément,  il  faut  dire  que  B  ne  peut  pas  être  un  abrégé  de  C  : 
d'après  C,  Afra  est  lemme  d'italicus;  d'après  B,  c'est  une  mulier  quœdam.  Il 
semble  que  B  et  C  dépendent  indirectement  d'une  source  commune  qui  men- 
tionne le  titre  de  Sapricius  primicerius  scholœ  candidatorum,  la  halte  à 
Lubras,  le  voyage  à  Naples  et  le  martyre  de  Calocère  à  Albenga.  Il  faudra 
donc  user  de  prudence  pour  déterminer  le  rapport  de  nos  trois  textes  :  ils  ne 
sont  pas  isolés,  il  y  en  a  eu  d'autres. 

D'une  manière  générale,  je  considère  comme  assez  improbable  qu'un 
texte  cyclique  ne  repose  pas  sur  des  textes  antérieurs  qu'il  coud  l'un  à  l'autre; 
d'une  manière  générale  encore,  j'estime  qu'une  légende  ne  peut  pas  s'être 
fixée  du  premier  coup  dans  un  texte  arrêté  et  qu'elle  s'exprime  par  des  ré- 
dactions à  peu  près  contemporaines  et  sensiblement  divergentes  :  les  textes 
vulgates  qui  nous  sont  parvenus  ont  éliminé  et  comme  absorbé  d'ordinaire 
ces  autres  textes. 

'  B.  H.  L.  2837.  15  février,  809  et  810. 

■■i  B.  H.  L.  2836.  Savio  :  Analecta  Bollandiana,  xv,   65-72    et   113-159. 

3«  Civitate  Brixia  sanctorum  marlyrum  Faustioi  et  Joviae  uirginis  »  \P.  L., 
123,  763  764.  —  Cf.  P.  Z,.,  130,  1044].  —  Le  calendrier  populaire  et  Adon 
ignorent  ces  saints. 

*  Chronicon  extravagans  (Geruti  :  Miscellanea  di  Stor.  ital.,  vu,  562), 
d'après  Savio,  loco  citato,  p.  24-25.  Cf.  Analecta,  xvii.  234. 

s  Brunali  :  Vita  o  Gesta  dei  santi  bresciani  (Brescia,  Venturini),  1854-1856  ; 
cité  par  Savio,  loco  citato,  p.  21-22. 

qu'Adrien  envoya  Saprice  de  Rome  (et  non  pas  de  Milan)  et  que  Marcien  est 
mort  du  tourment  des  fers  rougis  au  feu  (et  non  pas  décapité). 


100  TflADITlONS    DF    l'iTALIR    T)TJ    NORD 

]i  est  probable  que  nos  textes  sont  antérieurs  à  838  ;  —  et  il 
est  très  vraiscniblal)lc,  également,  qu'ils  sont  postciiieurs  à 
ij.')3,  et  niôine  à  IjOS. 

Le  comte  Italicus  va  au  devant  de  l'empereur  jusqu d 
l'Adda,  mais  pas  au  delà;  au  moment  où  écrivaient  nos  au- 
teurs, TAdda  était  donc  limite  de  province.  Or,  au  temps  des 
Lombards,  et  peut-être  auparavant  ',  l'Adda  séparait  la  Neus- 
trie  de  l'Austrie. 

D'autre  part,  nos  textes  mentionnent  la  province  des  Alpes 
Cottiennes  et  y  font  rentrer  Albenga,  Asti  et  Tortone.  Or, nous 
savons  que,  lors  de  la  restauration  de  l'autorité  impériale  en 
Italie,  vers  552,  le  nom  d'Alpes  Cottiennes  a  été  donné  à  une 
province  qui  comprenait  toute  la  Li^^urie  actuelle  avec  Gèn« 
et  Savone,  plus  Bobbio  et  Tortone  ^ 

Pour  préciser  davantage,  il  faut  envisager  nos  trois  textr 
séparément. 

Le  texte  cyclique  C  est  notablement  plus  long  que  B  :  il  ac- 
croche à  notre  légende  la  légende  des  saints  Marcien  de  Tor- 
tone et  Second  d'Asti^;  il  introduit  l'épisode  d'Orphetus,  il 
appelle  Antiochus/^r^^e^  Alpium  Cottiarum  ;  il  raconte  qu'Ita- 

1  Paul  Diacre  :  Hist.  Longob.,  ii,  14  (M.  G.  —  Scr.  r.  lon^.  81).  Cf.  Ci- 
polla  :  Appunti  sulla  storia  d'Asti  (Venezia,  Antonelli,  1891),  p.  40;  et 
Savio,  loco  citatOf  p,  26-27. 

2  Je  n'ignore  pas  les  polémiques  provoquées  par  le  fameux  texte  de  Paul 
Diacre,  ii,  16.  Contre  Mommsen  (Corpus  I,  L.  v,  2,  810),  je  crois  avec  Paul 
Fabre  (Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire,  1884,  390)  que  Paul  Diacre  ue 
s'est  pas  trompé  et  que  la  province  nouvelle  date  à  peu  près  de  la  pragma- 
tique. Noter  que,  en  576,  l'aucienoe  province  des  Alpes  Cottiennes  (SubC, 
Embrun)  est  passée  sous  la  domination  des  Francs. 

3  Analectay  xv,  133  et  30  mars  797.  Sapricius  envoyé  par  Adrien  dans  le? 
Alpes  Cottiennes  à  la  place  d'Antiochus  avec  mission  de  tupr  les  chrétieDs 
arrive  à  Asti  chez  Secundus.  Mais  Secundus,  qui  visitait  Galocerus  daaa  sa 
prison,  est  secrètement  devenu  chrétien  de  cœur;  après  avoir  pris  congé  de 
lui,  il  accompagne  Sapricius  qui  va  à  Tortone  afin  déjuger  Martianus.  Visitf'i 
par  une  colombe  et  par  des  anges,  il  passe  le  Reno,  le  Burmina  (?j,  arrive 
avec  Sapricius  à  Milan,  visite  dans  leur  prison  Faustin  et  Jovite  qui  le  bap- 
tisent avec  l'eau  d'un  nuage  miraculeux,  traverse  le  Pô  et  arrive  à  Tortone, 
toujours  escorté  par  des  anges.  Il  visite  Martianus  qui  prend  le  corps  et  k 
sang  du  Seigneur  et  qui  comparaît  bientôt,  au  temple  de  .Tupiter,  devant  Sa- 
pricius :  il  refuse  de  sacrifier,  il  est  décapité,  et  Secundus  ensevelit  soc 
corps.  Sapricius  l'apprend  :  Secundus  reste  ferme  dans  la  foi  ;  s'il  est  tortur 
les  auges  le  réconfortent  et  le  fout  échapper.  Sapricius  court  alors  à  Asti  oi 
il  retrouve  Secundus  dans  la  prison  de  Calocerus  :  il  envoie  Calocerus  à  Al 
benga  et  l'y  fait  tii«r,  il  fait  décapiter  Secundus  et  il  informe  Adrien  de  le 
mort  de  Martianus,  de  Secundus  et  de  Calocerus.  —  Il  est  possible,  probabit 
même,  qu'il  a  existé  des  gestes  séparés  de  Marcianus.  Cf.  infra,  les  geste; 
d'Inaocentius. 


ORIGINE   DE  LA   VERSION    CYCLIQUE  191 

licus  a  été  mangé  par  les  botes  qui  ne  touchaient  pas  les  saints, 
que  les  onagres  tiennent  de  pieux  discours  ;  il  donne  aux 
ministri  d'Adrien  qui  sont  convertis  par  eux,  puis  mis  à  mort, 
les  noms  de  Boniface,  Donat  et  Félix. 

Le  texte  G  associe  dos  légendes  de  Brescia,  de  Milan, 
d'Albenga,  de  Rome  et  de  iXapies;  il  n'a  donc  pu  être  rédigé 
qu'à  une  époque  et  dans  un  milieu  où  l'on  s'intéressait  à  la 
lois  à  Naples,  à  Rome,  à  Albenga,  à  Milan  et  à  Brescia.  Or,  il 
y  a  une  époque  où  ce  groupement  très  particulier  a  été  très 
naturel  :  de  569  à  6i3  le  clergé  milanais  a  résidé  à  Gênes  et 
a  élé  entretenu  en  grande  partie  par  V église  romaine.  C'est 
durant  l'été  de  569  que  les  Lombards  ariens  ont  pris  Milan  et 
que  l'archevêque  de  Milan  Honoratus  s'est  réfugié  à  Gènes  *  ; 
c'est  en  643  que  Rothari  a  conquis  et  annexé  au  royaume 
lombard  toutes  les  villes  du  littoral  tyrrhénien  qui  s'éche- 
lonnent depuis  Luni  jusqu'à  la  frontière  franque,  Gènes  com- 
prise *  ;  c'est  saint  Grégoire  le  Grand  ou  ses  prédécesseurs  qui 
ont  assigné  les  revenus  du  patrimoine  sicilien  aux  clercs  mi- 
lanais exilés  'K 

Que  cette  situation  politique  et  ecclésiastique  ait  mis  en 
contact  les  traditions  des  diverses  églises  et  pu  susciter  l'idée 
de  les  associer  ou  de  les  combiner,le  simple  bons  sens  le  sug- 
gère, —  ei  deux  passages  des  Dialogues  le  confirment. 

«  Liberius  et  l'évèque  de  Luni,  Veaantius,  m'ont  raconté,  dit 
saint  Grégoire,  la  triste  destinée  d'un  certain  Valentin  :  c'était 
un  «  defensor  »  de  Féglise  de  ÎMilan,  qui  vivait  à  Gènes  ;  mal- 
gré les  désordres  de,  sa  conduite,  il  fut  enterré  dans  une  église, 
celle  de  Saint-Syrus  ;  les  démons  vinrent  l'y  chercher  une 
nuit,  en  faisant  du  vacarme,  au  grand  efTroi  des  gardiens;  ils 
le  tirèrent  dehors  par  les  pieds  *. 

De  même  à  Brescia  :  le  patricien  Valérien  a  gardé  dans  sa 
vieillesse  ses  habitudes  de  débauche,  et  lui  aussi,  il  a  obtenu 
d'être  enterré  dans  une  église.  La  nuit  qui  suit  ses  funérailles, 


1  Harlmann  :  Geschichte  Italiens  hn  MUtelalter  (1900),  ii,  1,  35.  —  Sur  les 
tristes  conséquences  de  l'invasioa  lombarde  au  point  de  vue  ecclésiastique, 
cf.  Duchesne  :  Les  évéehês  d'Italie  et  l'Invasion  lombarde  [Mélanges...  Ecole 
de  nome,  1903,  xxni,  83]. 

2  Hartmann  :  op.  cit.,  ii,  1,  243. 

3  Ep.  XI,  4.  P.  L.,11,  1122.  fM.  G.  xi,  6;  tome  IL  p.  265J  La.  question  mila- 
niiise  joue  un  grand  rôle  dans  les  préoccupations,  tient  une  grande  place  dans 
la  correspondance  desaiot  Grégoire.  CL;;a^stm,  et  Hartmann,  op.  cit.,i'.,i,l6S. 

*  iv,  53.  P.  L.,  77,  413-416. 


192  TRADITIONS    DE    l/lTALIR    DU    NORD 

le  bienheureux  Faustin  dit  au  gardien  de  prévenir  l'évoque  : 
qu'il  jette  dehors  ce  cadavre  fétide  avant  trente  jours,  sinon  il 
mourra.  Le  gardien  n'ose  faire  la  conunission  :  et  le  trentième 
jour,  bien  qu'il  soit  en  pleine  santé,  l'évèque  meurt,  tout  d'un 
coup  \  » 

Voici  les  textes  de  saint  Grégoire  :  «  Joannes  quoque  vir 
magni ficus,  inhac  urbe  locum  prœfectorumservans^cuius  gra- 
vitatis  atque  veritatis  sit  novimus  :  qui  mihi  testatus  est  Vale- 
rianum  patricium  in  civilate  quœ  Brixa  dicilur  fuisse  de- 
functum.  Cui  ejusdem  civitatis  episcopus,  accepto  pretio,  lo- 
cum in  ecclesia  prœhuit,  in  quo  sepeliri  debuisset.  Qui 
videlicel  Valerianus  usque  ad  œtatem  decrepitam  levis  ac  lu- 
bricus  exstitit  modumque  suis  pravitatibus ponere  conlempsit. 
Eadem  vero  nocte  qua  sepulius  est,  bealîis  Faustinus  martyr^ 
in  cujiis  ecclesia  corpus  illud  fuerat  hurnatum ,  custodl  sua 
apparuiî.  dicens  :  Uade  et  die  episcopo...  —  Adest  quoque  in 
prœsenti  veiierabilis  frater  Venantius  Lunensis  episcopus  et 
maynificus  Liberius  vir  nobilissimus  atque  veracissimus,  qui 
se  scire  suosque  homines  interfuisse  testantur  ei  rei  quam 
narrant  nuper  in  yenuensi  urbe  contiyisse.  Ibi  namque,  ut 
dicunt,  Valentinus  nomine,  ecclesiœ  mediolanensis  defensor, 
defunctus  est  y  vir  valde  lubricus,..  cuius  corpus  in  ecclesia 
beati  martyris  Syri  sepultum  est. 

En  une  page  de  saint  Grégoire,  écrite  vers  593,  voici  donc 
la  preuve  des  rapports  légendaires  qui  unissent,  à  l'époque  lom- 
bai'de,  Rome  et  Milan,  Brescia  et  Gênes;  et  cette  même  paye 
nous  apporte  la  preuve  que  la  léyende  commence  de  s'intè* 
resser  à  saint  Faustin  de  Brescia  !  N'est-il  pas  vraisemblable 
que  c'est  à  cette  époque  qu'on  a  songé  à  rapprocher  dans  un 
même  roman  pieux  ces  mêmes  villes,  en  racontant  l'histoire 
de  ce  même  saint? 

Je  remarque  encore  que  le  texte  G  s'occupe  de  Marcien  de 
Tortone  et  de  Second  d'Asti  ;  or,  Rothari  a  réuni  aux  vieux 
pays  lombards  d'Asti  et  de  Tortone  les  pays  liguriens  de  Gênes 
et  d'Albenga.  On  s'expliquerait  donc  que  G  eût  été  rédigé  au 
temps  des  conquêtes  de  Rothari,  vers  640-630,  alors  que  de 
nouveaux  rapports  s'établissent  entre  toutes  ces  églises  désor- 
mais réunies  sous  le  même  joug,  alors  que  ne  se  sont  pas  encore 
desserrés  les  anciens  rapports  noués  avec  Rome  depuis  569. 

1  IV,  52.  p.  L.,  77,  413. 


LE    TEMPS    DE    ROTHARI    ET    d'aRIPERT  193 

Prt^cisément  Rothari  était  duc  de  Drescia  ;  sa  femme  Gonde- 
berge  était  très  pieuse  ;  le  frère  de  Gondeberge,  Aripert,  qui 
était  aussi  dévot  qu'elle,  qui  régua  de  652  à  661,  était  fils  d'un 
duc  ^Astiy  Guiidoald  \  Noter  que  les  évêchés  ont  été,  sans 
doute,  réorganisés  à  ce  moment.  N'est-ce  pas  alors,  vers 
le  milieu  du  vu*  siècle,  que  le  texte  cyclique  aura  été  ré- 
digé-? 

Je  remarque  enfin  que  les  saints  Boniface,  Donat  et  Félix 
sont  nommés  ensemble  et  ensemble  attachés  à  Rome.  Ce 
sont,  dit  la  légende,  trois  ministri  d'Adrien  qui,  sur  son  or- 
dre, veulent  ligolter  les  martyrs  et  sont  aussitôt  saisis  par  le 
démon  ;  délivrés  par  les  prières  des  martyrs,  ils  se  convertis- 
sent malgré  Aurélien  et  malgré  l'empereur;  ils  sont  égorgés 
hors  des  murs  de  Rome.  Leurs  corps,  gardés  par  des  anges  qui 
chantent  les  psaumes,  sont  ensevelis  par  Faustin  et  Jovite  que 
d'autres  anges  ont  guidés  jusque  là  ;  on  nous  présente  Boni- 
face^  Félix  et  Donat  comme  des  disciples  des  saints  de  Bres- 
cia\ 

J'ai  montré  ailleurs  *  que  le  monastère  et  le  culte  romains 
de  saint  Boniface  datent  sans  doute  du  pape  Boniface  IV  (608- 
615)  et  que  la  version  latine  doit  avoir  été  suscitée  parle  culte 
romain.  Si  l'auteur  anonyme  de  notre  texte  s'intéresse  à 
saint  Boniface,  si,  d'autre  part,  il  ignore  la  légende  vulgate^ 
c'est  peut-être  qu'il  écrit  à  un  moment  où  le  culte  du  saint 
de  TAventin  est  dans  la  ferveur  de  ses  débuts,  alors  qu'aucune 
tradition  n'est  encore  bien  soudée  à  son  nom.  Nous  voici  encore 
ramenés  à  la  première  moitié  ou  au  milieu  du  vu*  siècle. 

1  Hartmann,  op.  cit.,  ii,  1,  244. 

2  Savio  ne  veut  pas  en  reculer  la  date  au-delà  de  750  (p.  30).  Le  Galocère 
d'Albenga,  d'après  lui,  serait  le  Galocère  romain  volé  par  Astolphe  en  753  et 
donné  à  Albenga  ;  malgré  les  efforts  de  Savio  (p.  32),  cela  reste  une  pure 
hypothèse;  Galocère  d'Albenga  est  sans  doute  un  martyr  d'Albenga.  Que 
pèse  le  témoignage  de  la  chronique  de  saint  Pierre  de  la  Varatella,  «  écrite 
peut-être  au  xvii«  siècle  »  ?  N'y  a-t-il  pas  des  saints  indigènes  qui  ont  été  ou- 
bliés, des  saints  importés  dont  le  culte  a  prospéré  dans  leur  nouvelle  patrie  ? 
Le  silence  d'Adon  et  des  martyrologes  s'explique  sans  doute  par  l'étrangeté 
(le  certains  épisodes  :  je  crains  que  les  onagres  prêcheurs  ne  les  aient  effrayés- 
—  Le  mot  Lubras  se  lit  dans  les  gestes  d'Abundius  qui  semblent  dater  du  v«- 
vie  siècle. 

Nous  avons  un  texte    indépendant   qui    célèbre   Secundus  d'Asti,  B.  H.  L., 
566  (  [Secundus,  civis  Astensis,  miles  strenuus    atque   cornes  palatinus...]  » 
Ge  texte  n'est  connu  que  par  fragments  [février,  ii,  820-821  ou  821-822[.  Peut, 
•ître  est-il  parallèle  k  Secundus  de  Vintimille. 

3  Analecta,  xv,  147-150,  §  68-70. 
*0.  M.  R.,  I,  167- i68. 


h 


III  13 


194  TRADITIONS    DE    l'iTALIR    DU  NORD 

Lo  texte  B  ignore  Marcicn  et  Second,  lionilace,  Donat  et 
Félix  (en  même  temps  qu'Orpliète).  No  serait-il  pas  antérieur 
à  Tôpoque  où  les  conquêtes  de  llothari  ont  ra[)proché  sous 
une  môme  domination  Alhen^^^a  et  Gènes  d'Asti  et  de  Tortone  ; 
antérieur  au  temps  où  s'est  répandu  le  culte  et  le  prestige  de 
Boniface?  Ne  remonterait-il  pas  au  temps  de  Théodelinde  et 
de  saint  Grégoire? 

Le  texte  A  paraîtôlre  un  abrégé  :  après  avoir  conduit  à  Home 
Faustin  et  Jovite^  Fauteur  inconnu  tourne  court,  brusque- 
ment ;  quia  longum  est  b.  Christi  marlyrum  Fauslini  et  Jo- 
vitœ  omnem  «  textum passionis  »  seumiraculorum  exponere.ad 
gloriosum  eorum  exitum  veniamus.  Ce  textus  passionis  sem- 
ble désigner  un  texte  analogue  àB  ou  G.  —  A  quelle  époque 
cet  abrégé  aurait-il  été  écrit?  On  peut  songer  au  temps  de  Pe- 
tronax  (720-751),  l'abbé  lombard  du  Mont-Cassin  qui  installa 
dans  la  grande  abbaye  le  culte  des  saints  de  Brescia  *.  Mais 
c'est  là  une  pure  hypothèse;  l'épisode  de  Galocère  qu'on  fait, 
ici,  mourir  à  Milan,  est  en  particulier  très  obscur.  11  est 
aussi  probable  que  A  date  également  de  la  première  moitié  du 
vu*^  siècle  ^ 

En  résumé,  il  semble  que  la  légende  de  Faustin  et  Jovite 
date  de  l'époque  lombarde,  —  et  que,  des  trois  textes  qui  nous 
sont  parvenus,  B  remonte  aux  environs  de  600,  C  au  milieu 
du  vii*^  siècle,  A,  peut-être  à  la  première  moitié  du  siècle  sui- 
vant, peut-être  à  une  époque  antérieure  et  à  peu  près  contem- 
poraine de  celle  qui  ont  vu  éclore  les  deux  premiers  ré- 
cits. 


*  Paul  Diacre  :  Hist.  Longob.,  vi,  40.  —  Chronicon  casinense,  i,  4  [R.  I.  S., 
IV,  258].  Cf.  Savio,  op.  cit.,  34-35. 

2  Le  rattachement  de  Galocère  à  Milan  peut  avoir  été  tenté  au  temps  où 
Milan  réorganise  son  diocèse  et  relève  son  influence  (Mansuetus).  (Il  semble 
que  A  soit  plus  près  des  gestes  romains  que  B  et  C).  (Noter  que,  dans  les 
j^estes  de  Secundus  et  Marcien,  Galocère  semble  rattaché  à  Asti). 

Retrouver  l'histoire  de  Faustin  et  Jovite  est  parfaitement  chimérique.  Est-il 
défendu  de  penser  qu'ils  se  retrouvent  au  F.  H.,  derrière  les  faustinianus  et 
ioventia  de  Bretagne  que  le  férial  mentionne  au  xiv  des  K.  de  mars  [éd. 
Rossi-Duchesne,  p.  21]  :  les  noms  se  ressemblent,  les  anniversaires  se  tou- 
chent ;  Brixia  est-il  très  loin  de  Brittanis  ? 

Ni  dans  son  discours  pour  la  dédicace  du  Concilium  sanctorum  [P.  L.,  20. 
959],  ni  dans  son  éloge  de  saint  Philastre  [P.  i.,  20,  997,  eq.],  saint  Gauden- 
tius  [4-  410?]  ne  fait  aucune  allusion  à  nos  martyrs.  —  De  même,  la  lettre 
de  saint  Eusèbe  de  Verceil  au  clergé  de  Tortone  ne  souffle  mot  d'Innocen- 
tius. 


LES    SOURCES    DE    LA   LEGENDE  i^X) 


ïll 


Cette  légende  s'est  élaborée,  ces  textes  ont  été  ncrits,  selon 
toutes  les  apparences,  dans  des  cercles  milanais  où  l'on  était 
très  au  courant  des  choses  de  Rome  et  de  la  haute  Italie.  Cela 
résulte  de  ce  que  nous  avons  dit  déjà  ;  cela  ressort  aussi  des 
rapports  qui  unissent  à  nos  textes  certains  gestes  romains. 

Il  est  probable,  comme  on  ^  l'a  déjà  montré,  que  les  gestes 
du  pape  Alexandre  étaient  connus  dans  les  cercles  qui  nous 
occupent  :  c'est  d'eux  peut-être  que  vient  notre  comte  Aure- 
lianus;  c'est  d'eux  peut-être  que  vient  le  mot  magus  appliqué 
à  nos  martyrs  par  le  peuple  et  par  Adrien  -.  —  C'est  d'un 
texte  analogue  que  dérive  sans  doute  le  synchronisme  établi 
par  l'anonyme  entre  le  pape  Télesphore  et  Adrien  :  noter 
que  ce  synchronisme  ne  se  rencontre  ni  dans  le  Liber  Pontifi- 
calis  ^  ni  dans  les  Gesia  Gelulii  *  ni  dans  les  G  est  a  Symphe- 
rosœ  ^  —  Il  est  possible  que  nos  auteurs  aient  connu  les  gesta 
Ahiindii  ^,  où  se  trouvent  mentionnés  un  Martianus  clarissi- 
mus  et  la  localité  de  Lubras  (Prima  Porta)  ;  mais  on  ne  voit 
pas  qu'ils  aient  rien  tiré  des  gesta  Caloceri  et  Partheni  \ 

On  voit  très  bien,  en  revanche,  qu'il  y  a  des  rapports  entre 
notre  légende  et  les  gestes  de  saint  Sébastien  ^  Saint  Sébas- 
tien, d'après  ses  gestes,  a  été  élevé  à  Milan,  qui  paraît  être  le 
centre  d'où  rayonne  la  légende  de  Faustin  et  Jovite  ;  comme 
Apollonius  et  Télesphore,  c'est  un  chrétien  convaincu, mais  qui 
se  cache  ainsi  que  Polycarpe  et  évite  de  se  faire  prendre  ; 
comme  Faustin  et  Jovite,  Sébastien  est  enveloppé  d'une  lu- 

*  Savio.  A7iatecta,  xv,  39.  —  Cf.  G.  M.  R.,  i,  220-221. 
2  3  mai,  371. 

'  I,  128-129.  Télesphore  est  placé  sous  Antonin  et  Marc,  Sixte  sous   Adrien, 

♦  10  juin.  261.  G.  M.  R.,  i,  227. 
M8  juillet,  350.  G.  M.  R.,  i,  197. 

«  16  septembre  293.  G.  M.  R  ,  i,  230. 

'  19  mai,  300.  G.  M.  R.,  i,  185. 

»  20  janvier,  621.  G.  M.  R.,  i,  18G  et  ii,  97. 


190  TRADITIONS    1)K    l'iTALII:    DU    NORD 

mière  cdleste;  comme  eux,  il  reçoit  la  visite  du  Christ  et  des 
anges  ;  dans  les  deux  léj^^endes  le  signe  de  croix  est  un  signe 
magique  qui  domple  les  taureaux,  ou  rend  inofîensifs  les  char- 
bons ardents,  ou  rend  la  parole  à  Zoé;  ce  sont  des  milliers 
d'âmes  que  gagnent  au  Christ,  ici  Tranquillinus,  là  Faustin  et 
son  compagnon;  ici  et  là,  on  fait  mention  du  cimetière  sou- 
terrain qui  se  trouve  tout  proche  de  Itome,  ad  cathacumbas  ; 
le  pape  confère  la  prêtrise  et  le  diaconat,  ici  à  Tranquillinus  et 
à  ses  enfants,  là  à  Faustin  et  à  Jovite. 

De  même,  il  y  a  des  rapports  entre  les  gestes  des  saints  de 
Brescia  et  ceux  de  Nazaire  et  de  Celse  ^  Le  rayonnement  de 
Milan  est  plus  sensible  encore  dans  ceux-ci  que  dans  ceux-là  ; 
tous  deux  attachent  leur  héros  à  la  fois  à  Milan  et  à  Home  ; 
tous  deux  s'intéressent  à  la  Ligurie  (Albenga;  ad  scm.  Pere- 
grinum)  ;  tous  deux  racontent  que  les  martyrs,  jetés  à  l'eau, 
sont  miraculeusement  sauvés  par  Dieu. 

Mais  je  remarque  que  les  gestes  de  Faustin  et  Jovite  ne  pré- 
sentent pas  un  trait  fort  curieux  qui  se  retrouve,  inégalement 
marqué  il  est  vrai,  dans  les  gestes  de  Sébastien  et  dans  les 
gestes  de  Nazaire,  et  qui  les  reporte  tous  deux  au  temps  des 
controverses  engagées  entre  catholiques  et  Manichéens.  L'in- 
sistance avec  laquelle  Fauteur  des  premiers  (§  2,  6-7)  appuie 
sur  la  spontanéité  du  martyre  ne  dénonce  pas  moins  claire- 
ment ces  controverses  que  la  mention  de  Simon  le  Mage,  et  le 
souci  d'authentitier  et  d'apostoliciser  qu'on  remarque  dans  les 
autres  ^.  —  11  faut  donc  que  la  question  manichéenne  ait  perdu 
toute  actualité,  tout  intérêt  au  temps  où  écrivaient  les  rédac- 
teurs de  Faustin  et  Jovite  ^  Les  points  de  contact  ne  s'expli- 
quent pas  par  l'identité  d'auteur  ni  même  par  l'identité  de 
milieu,  mais  par  une  influence  littéraire.  Rien  d'étonnant,  du 
reste  :  Faustin  et  Jovite  datent  de  la  première  moitié  duvEi^  siè- 
cle, Sébastien,  Nazaire  et  Celse  du  v^,  seconde  moitié. 

Les  rapports  de  notre  légende  avec  les  gestes  de  Sophie  ^,et 

1  G.  M.  R.,  II,  61. 

2  G.  M.  R.,  1,  331,  et  tout  le  chapitre  iv  de  la  troisième  partie.  —  Noter  que 
les  gestes  d'Alexandre  ont  été  influencés  par  les  mêmes  polémiques,  §  13.  Cf 
G.  M.  R.,  I,  333. 

3  En  revanche,  on  ne  voit  pas  qu'il  y  ait  des  rapports  bien  nets  entre 
Faustin  et  Jovite,  Gervais  et  Profcais,  Vitalis  et  Valeria,  Vitalis  et  Agricola, 
bien  que  le  même  orgueil  milanais  soit  très  sensible  chez  tous,  surtout  chez 
Vitalis  et  Valeria. 

*  En  voici  un  bref  résumé.  Au  temps   d'Adrien,   Sophie   et  ses  trois  filles, 


LES  SOURCES  DK    LA  LEGENDE  197 

ceux  d'Anastasie  *  sont  moins   aisés  à  établir  :  on  voit  bien 
qu'ils  existent,  on  discerne  inpins  bien  ce  qu'ils  ont  été. 

Voici  les  points  de  contact  des  gestes  de  Sophie  et  des  gestes 
de  Faustin  et  Jovite  *  :  1.  Prestige  de  Milan;  2.  Epoque 
d'Adrien  ;  3.  Adrien  poussé  à  la  persécution,  icipar  Antiochus, 
là  par  Italiens  ;  4.  Voyage  de  JMilan  à  Rome  ;  5.  Massacres  en 
masse;  6.  Conversions  en  masse;  7.  Sophie  convertit  Lucine 
que  baptise  le  pape  Anaclet,  comme  Faustin  convertit  Afra  que 
baptise  le  pape  Télesphore  ;  8.  On  insiste  sur  la  valeur  édifiante 
delà  lecture  des  Gesta  înaitijrum;  9.  Rôle  des  anges;  10. 
Apparitions  de  lumières  célestes  ;  11.  Plomb  bouillant  versé 
dans  la  bouche  des  martyrs;  12.  Colombes  qui  se  posent  sur 
la  tête  de  Secundus  ou  sortent  de  la  bouche  d'Agape  ;  13. 
Confiance  dans  la  vertu  magique  du  signe  de  croix;  14.  Indé- 
pendance des  deux  gestes  par  rapport  au  Liber  Pontiflcalls 
qui  ne  place  au  temps  d'Adiien  ni  Anaclet  ni  Télesphore  ;  15. 
Un  Antiochus  princeps  apparaît  dans  les  deux  légendes. 

Entre  les  gestes  de  Faustin  et  Jovite  et  les  gestes  d'Anastasie, 
je  relève  aussi  quelques  traits  communs  :  1.  Une  tradition  de 
l'Italie  du  nord  est  mise  en  rapport  avec  Rome  ;  2.  On  insiste 
sur  la  valeur  édifiante  de  la  lecture  des  Gesta  martijrum\  3. 
Chrysogone  est  réservé  à  Dioclétien,  comme  Faustin  et  Jovite 
à  Adrien;  4.  Offres  tentatrices  faites  aux  martyrs  ;  5.  Rôle  des 
anges  ;  6.  Tentative  faite  afin  de  noyer  les  martyrs  en  pleine 
mer;  7.  Délais  {induciœ)  donnés  avant  la  mort;  8.  Prier  les 
mains  étendues  ;  9.  Les  textes  ont  ou  veulent  avoir  la  physio- 
nomie d'un  abrégé  (verum  quia  longum  est...) 

Mais,  ici  encore,  je  remarque  que  les  gestes  de  Faustin  et 
Jovite  ne  présentent  pas  un  trait  fort  curieux  qui  se  retrouve, 
inégalement  marqué  il  est  vrai,  dans  les  gestes  d'Anastasie  - 
et  dans  les  gestes  de  Sophie  et  qui  les  reporte  tous  deux  au 
temps  des  controverses  engagées  entre  catholiques  et  mani- 


Elpis,  Pistis,  Agape  voDt  de  Milan  à  Rome;  accueillie  par  la  veuve  Thessa- 
minia,  elle  convertit  une  sœur  de  Prétextât,  repousse  Antiochus  qui  veut 
épouser  une  de  ses  filles,  convertit  Palladius  et  sa  famille  chez  qui  elle  était 
gardée  en  prison.  Ses  amis,  le  prêtre  Marcel  et  le  diacre  Decoratus  sont  dé- 
capités; ses  filles  sont  martyrisées;  elle  meurt  en  paix  et  Palladius  lui  élève 
un  mausolée  splendide. 

*  G.  M.  R.,  1,  137. 

^  Plusieurs  ont  été  indiqués  par  Savio. 

^  Et  dans  les  gestes  de  Cautius,  qui  leur  sont  apparentés,  mais  qui  n'ont 
rien  de  commun  avec  les  nôtres.  Cf.  G.  M.  R.  ii.  212. 


198  TRADITIONS    DE    l'iTALIE    IJIJ    NORD 

cliéens  :  ils  insistent  sur  la  spontanéité  du  martyre,  sur  les 
circonstances  qui  expliquent  la  fuite  des  chrétiens  persécutés, 
sur  la  rupture  de  la  vie  commune  entre  mari  et  femme  ^  Il 
faut  donc  que  la  question  manichéenne  ait  perdu  son  actualité 
lorsqu'on  mettait  par  écrit  l'histoire  de  Faustin  et  Jovite.  Les 
points  de  contact  ne  peuvent  s'ex[)liquer  que  par  une  influence 
littéraire.  A  cette  conclusion,  encore,  rien  de  surprenant  :  les 
gestes  d'Anastasie  sont  du  v°  ou  vi*"  siècle,  comme  aussi  les 
gestes  de  Sophie  ^. 

J'ajoute  que  les  gestes  d'Eleuthère  ^  semhlent  aussi  avoir 
été  mis  à  profit  par  nos  rédacteurs  :  1.  Même  époque  dans  les 
deux  légendes,  Adrien  ^  ;  2.  Même  rapport  flottant  avec  Rome  ; 
3.  Même  croyance  à  la  valeur  édifiante  de  la  lecture  des  Ge.sta 
ynartyriim  ;  4.  Même  série  de  tourments  :  le  feu  d'abord,  puis 
les  bêtes,  qui  caressent  les  martyrs  ^;  5.  Rôle  des  anges  :  G. 
Vertu  du  signe  de  croix  ;  7.  Vains  efforts  pour  séduire  les 
saints  ;  8.  Eleuthère  convertit  Félix,  comme  Faustin  et  Jovite, 
Calocère  ;  9.  N'y  a-t-il  pas  rapport  entre  les  (munera)  candida 
d'Eleuthère,  et  la  schola  candidatorum  de  Faustin  et  Jovite  **  ? 
10.  Les  bêtes  féroces  reçoivent  l'ordre  des  saints  de  traverser 
la  ville  sans  faire  de  mal  à  personne. 

Il  est  donc  clair  que  les  rédacteurs  des  gestes  de  Faustin  et 
Jovite  connaissaient  Eleuthère  et  surtout  les  quatre  légendes 
de  Sébastien,  de  Nazaire,  de  Sophie,  d'Anastasie  et  qu'ils  ne 
s'intéressaient  pas  aux  questions  auxquelles  les  controverses 
catholico-manichéennes  avaient  donné  tant  d'importance. 
Peut-être  même  doit-on  dire  que  le  merveilleux  dont  usent  si 
libéralement  nos  auteurs,  est  destiné,  dans  leur  esprit,  à 
prouver  l'origine  divine  de  l'Eglise  et  la  nature  divine  de 
Jésus  ;  l'arianisme  n'était  pas  complètement  abattu  chez  les 
Lombards,  dans  la  première  moitié  du  vu^  siècle  :  peut-être 
les  miracles  abracadabrants  dont  est  semé  notre  texte  devaient- 
ils  le  combattre,  peut-être  ont-ils  contribué  à  le  ruiner  ^ 

1  Nos  textes,  retouchés  par  des  Catholiques,  le  laissent  entrevoir:  Sophia 
détourne  les  femmes  de  manger  et  de  boire  avec  leurs  maris  ;  le  texte  pri- 
mitif devait  aller  plus  loin  (Cf.  les  gestes  de  saint  Pierre  [Linus]  dont  la  diffu- 
sion en  ces  pays  est  attestée  par  les  gestes  de  Nazaire)  et  interdire  la  vie 
conjugale. 

2  La  version  A  de  Faustin  Jovite  présente  une  physionomie  plus  romaine 
que  B  et  G  [Cf.  les  versions  cassiniennes  de  Sophie  et  d'Anastasie  comparées 
aux  versions  mombrilienues  de  ces  légendes].  Afra  est  sans  doute  un  double 
de  la  sainte  d'Augsbourg. 

3  Texte  de  Mombritius,  i,  250  [B.  H.  L.,  2451]. 


INNOCENTIUS    DK    TORTONE  199 

Voici,  enfin,  une  autre  légende  évidemment  apparentée, 
malgré  les  apparences,  avec  Faustin-Jovite  ;  elle  s'est  élaborée, 
elle  a  étc  rédigée  dans  les  mêmes  cercles  et  au  même  mo- 
ment. 


IV 


A  la  louange  et  la  gloire  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ 
nous  avons  pris  la  peine  de  rapporter  ce  quil  a  fait  de  peur 
que  CouoLi  nètoufjdt  Vœuvre  de  sa  grâce.  Dans  la  cité  de 
lortoncy  rUlustre  Quintius,  de  souche  romaine,  avait  épousé 
la  lucanienne  Innocentia  :  et  tous  deux  avaient  reçu  de  Valé^ 
rien,  Gallien  et  des  autres  empereurs  un  privilège  [auctori- 
tatem]  portant  quils  7i  eussent  à  subir  aucune  persécution  du 
fait  de  leur  foi  chrétienne,  ni  eux  ni  leur  famille  [genus].  // 
demeurait  près  du  temple  de  Jupiter;  mais,  fuyant  ce  voisinage, 
il  habitait  souvent  la  villa  appelée  Jata^  non  loin  de  Tortone, 
près  du  fleuve  Golubus,  qui  était  propriété  d' Adrien  [?  sub 
polestate  Adriani]  ;  on  V appelle  aujourd'hui  le  val  de  saint 
Innocentius.  Au  temps  de  Dioctétien  et  de  Maximien,  il  était 
donc  le  seul  que  la  persécution  n  atteignit  pas.  Il  ensevelissait 
la  nuit  le  prêtre  Marcellin  et  ses  compagnons  cjui  avaient  été 
décapités^  et  rédigeait  le  récit  du  combat  qu'avait  soutenu 
chacun.  Il  cachait  chez  lui  les  Ecritures  divines.  Mais  (à  la 
longue),  tous  les  livres  et  toutes  les  églises  furent  brûlés  ;  le 
prêtre  Jean,  qu'il  avait  recueilli  durant  six  mois,  fut  dénoncé 
au  prœses  Léon  et  décapité  hors  de  la  porte  Ticinaise  :  Quin- 
tins  l'ensevelit  près  du  Golubus  ;  mais,  bien  c^ue  le  diacre 
Maliodore  ait  échappé  aux  recherches,  Vépiscopat  reste  quinze 
ans  vacant.  —  Le  fils  de  Quintius,  Quintius,  reçut  comme 
nom  propre,  en  même  temps  ([ue  la  grâce  du  baptême  {le 
7iom)  d' Innocentius,  et  sa  fille  le  nom  d' Innocentia.  Quintius 

1  B.  H.  L.,  4281  [17  avril,  478  ou  482]. 


200  Ti{Ar)iTioNs  i)i:  i/italie  du  nohu 

mourut  à  ce  moment  même  et  fut  enseveli  hors  de  la  terre  Ma- 
rinea  ;  et  Innocentius^  qui  avait  alors  22  ans,  fut  arrête  par 
Léon.  Car  les  prêtres  d is  idoles  veulent  détruire  les  Quinlii 
afin  de  saliver  Tortone,  la  fille  de  Home  [Dorthona  qu<'jb  fuit 
filia  RoiiiœJ  ;  «  J'ai  appris  qui  tu  es,  lui  dit  Léon  ;  tu  vis 
comme  un  sacrilège.  Livre-nous  les  trésors  de  ton  père  et  les 
écritures  qu'il  faisait  la  nuit  »  ;  et  il  ordonne  qu'on  confisque 
sa  fortune,  qu'on  brûle  les  gestes  de  tous  les  chrétiens  qu^on 
trouvera  chez  lui,  et  qu'on  l'enferme  à  la  prison  de  la  porte 
Vercellina.  Or,  pendant  la  nuit,  voici  que  Quintius  apparaît 
à  son  fils  :  «  Va  à  Rome,  lui  dit-il  ;  tu  y  seras  sauf  ;  Diocté- 
tien nous  ignore  encore^  il  mourra  cette  année,  et  la  paix  sera 
rendue  à  V Eglise.  »  Et  les  portes  s'ouvrent,  Imiocentius  part, 
arrive  dans  sa  maison  de  Floriaca,  prend  avec  lui  ses  trois  es- 
claves (pueros),  confie  sa  sœur  à  ses  tuteurs  et  se  rend  à 
Rome  ou  Vévêque  Melchiade  lui  fait  un  honorable  accueil.  Et 
Dioclétien  et  Maximien  moururent  cette  année  même. 

Maliodore^  créé  évêque  par  V  archevêque  de  Milan  saint  Ma- 
terne, demeura  dans  cette  dignité  jusquà  la  conversion  de 
Constantin  :  celui-ci  frappé  de  la  lèpre  pour  avoir  persécuté 
les  chrétiens,  avait  fini,  en  effet,  par  se  faire  baptiser  et  tout 
restituer  aiix  chrétiens  par  un  édit  [auctoritate  impérial!].  A 
la  mort  de  Maliodore,  Silvestre,  le  sicccesseur  de  Melchiade, 
en  référa  à  Constantin  ;  il  avait  ordonné  diacre  Innocentius, 
dont  il  dit  à  C empereur  toute  l'histoire.  Innocentius  devient 
évêque,  on  lui  restitue  tous  ses  biens,  il  doit  contraindre  à  la 
conversion  Gentils  et  Juifs  :  il  exilera  ceux  qui  refuseront,  et 
confisquera  leurs  biens  au  profit  de  son  église.  Innocentius 
retourne  donc  à  Tortone,  réorganise  le  culte,  et  commence  son 
èpiscopat  le  VIII  des  kalendes  d'octobre.  Les  Juifs  de  la  porte 
Ticinaise  refusent  le  baptême  :  on  les  exile  dans  les  provinces 
et  leur  synagogue  est  détruite  ;  on  construit  deux  églises  et  un 
baptistère  ;  une  des  églises  s^ élève  au  lieu  oh  habitait  Mar- 
cianus  ;  on  renverse  le  temple  de  Jupiter  et  de  Mars  ;  on  élève 
la  basilique  de  saint  Etienne  martyr  et  l'église  des  saints 
Apôtres.  Au  haut  du  premier  camp  [in  vertice  castri  prions], 
on  construit  la  basilique  des  saints  Sixte  et  Laurent,  un  mo- 
nastère, des  puits,  une  citerne,  un  égout,  un  aqueduc.  Inno- 
centius opère  de  nombreux  7niracles  au  nom  de  Jésus-Christ, 
guérit  les  aveugles,  renverse  les  autels,  brûle  les  bois  sacrés, 
établit  des  prêtres,  fait  tonsurer  les  cleixs  suivant  l'usage  de 


1NN0CI5NTIUS     DK    TORTONK  201 

Silvestre  ;  et  les  habitants  de  Tortone  combattent  les  Marco-' 
mans. 

Innocentius  trouva  le  corps  de  saint  Marcianus,  dont  il 
Usait  chaque  jour  les  actes,  les  combats  :  c'était  la  dix-sep^ 
tième  année  de  son  épiscopat.  Le  prêtre  Jacques  avait  eu  un 
songe^  et,  sur  ses  indications  y  les  diacres  Celse  et  Gaudentius 
avaient  cherché  sous  un  sureau.  On  lisait  sur  le  tombeau  :  ici 
repose  le  corps  de  saint  Marcien  évèque  ;  07î  voyait  à  côté  une 
éponge,  et  un  vase  de  verre  rempli  de  sang.  Le  jour  de  Vin- 
veiition  est  le  XIII  des  /calendes  de  décembre.  Une  basilique 
fîit  érigée  en  son  honneur.  —  A  la  faveur  de  la  paix  des 
églises,  r évèque  alla  à  Rome  pour  prière  et  pour  affaires  :  il 
avait  des  intérêts  [pecuniasl  à  Rome  et  en  différentes  cités,  à 
Lucques  par  exemple, et  en  pays  lucquois  (l):  —  V église  de  Tor- 
tone était  très  riche,  —  et  son  père,  noble  romain,  avait  épousé 
une  lucquoise  (?).  C'est  à  Ravenne  et  en  Pentapole  qii  étaient  les 
biens  des  Quintii.  Ln  allant  à  Rome,  en  Etrurie  et  en  Pe?ita- 
pôle,  il  ressuscita  une  veuve,  Perpétua,  qui  demandait  à  Dieu 
de  ne  pas  mourir  avant  de  l'avoir  vu,  et  qui  était  décédée 
pourtant  avant  son  arrivée.  Ce  sont  les  témoins  du  fait  qui  le 
racontent. 

Il  opéra  bien  d'autres  miracles.  Nous  avons  pris  soin  d'en 
écrire  quelques-uns ,  que  nous  avons  lus  dans  le  livre  du  diacre 
Celse:  les  ennemis  [gentes]  l'ont  détruit',  Dieu,  pour  nos  pé- 
chés, les  a  lancés  sur  nous.  Une  sénatrice,  fille  de  Prospère,  et 
femme  de  Sabinus  le  scribe,  vivait  dans  la  chasteté  et  la  piété; 
elle  ornait  les  églises.  Comme  on  V apercevait  souvent,  la  nuit, 
avec  V évèque,  des  clercs  y  virent  la  preuve  que  leur  évèque 
était  dompté  par  la  concupiscence  de  la  chair  :  on  causait.  Un 
dimanche,  Innocentius  fit  signe  à  la  servante  du  Seigneur  pour 
qu'elle  apportât  des  charbons  ardents  ;  et,  pendant  une  heure, 
il  y  tint  ses  pieds  appliqués,  sans  même  que  son  vêtement 
brillât.  Quant  aux  clercs  calomniateurs,  ils  fuirent  emportés 
par  la  lèpre.  Innocentius  mourut  le  XV  des  kalendes  de  mai 
et  fut  enseveli  diligemment  par  les  chrétiens. 

Ce  texte  présente  des  traits  fort  rares,  qui  paraissent  dé- 
noncer une  époque  tardive:  1.  En  vertu  d'un  privilège  de 
Valérien  [auctoritatem  a  Valeriano^  qui  est  propre  à  leur  {b.- 
m\\\Q\^generi  illiusl^,\Q?>  Quintii  ont  le  droit  de  pratiquer  le 
christianisme  ;  2.  À  la  mort  de  Maliodore,  le  nouvel  évèque 


202  TRADITIONS    DK    l'iTALIK    DU   NORD 

de  Tortonc,  Innocl;nlius,  somblc  cv(t{i  par  rempereur,  après 
avoir  été  (]6si<^n6  par  l'archevêque  de  Milan  ;  ^1  L'évêque  de 
Torlone  est  représenté  comme  ayant  l'administration  et  la 
direction  de  tous  les  intérêts  urbains;  4.  l.e  (ils  de  Quintius 
reçoit  un  nouveau  nom  à  son  baptême,  Innocentius.  On  son^^^e 
à  l'époque  des  Ottons. 

Le  culte  de  Marcianus  et  d'Innocentius  est  attesté  à  Tortone, 
à  ce  moment  mémo,  par  un  diplôme  de  l'évêque  de  Tortone 
Giseprandus,  daté  de  940.  Giscprandus  rapporte  que  l'abbaye 
de  Vendersi,à  demi-ruinée,  a  été  donnée  par  le  roi  Hugo  aux 
saints  Marcianus,  Innocentius  et  Laurenlius  : 

Abhaciam  de  Vender  (si)  in  honore  s.  Pétri principis  apos- 
tolorum  constructam,  ubi  corpus  s,  Fortunati  quiescit,  qiiain 
Hugo  serenissimus  rex,.,  iam  quasi  profanatam  et  velut  om- 
nino  annullatam  sancto  Marciano  sanctoque  Innocentio  atque 
Laurencio  sancte  derionensis  ecclesie  auctoribus.,.  tradiderat  '. 

Notre  texte  remonte  peut-être  à  ce  moment.  11  cite  Lau- 
rent, aussi  bien  que  Innocentius  et  Marcianus.  Mais,  d'après 
notre  texte,  Laurent  n'est  pas  aussi  intimement  associé  aux 
deux  autres  saints  que  d'après  le  diplôme  ;  le  Laurent  du  di- 
plôme semble  un  saint  indigène  ou  naturalisé,  le  Laurent  de 
la  légende  est  certainement  le  martyr  romain,  diacre  de  saint 
Sixte.  11  est  peu  vraisemblable  que  les  deux  textes  soient  très 
exactement  contemporains. 

On  doit  ajouter  que  la  légende  est  postérieure  au  diplôme  : 
un  Laurent  inconnu  vénéré  à  Tortone  aura  été  facilement  con- 
fondu avec  son  fameux  homonyme;  d'autant  que, les  gestes  de 
Faustin-Jovite  l'attestent,  —  et  aussi  les  gestes  d'Innocentius, 
nous  Talions  voir  — ,  on  connaissait  très  bien  à  Tortone  les 
légendes  romaines.  On  s'expliquerait  difficilement,  au  con- 
traire, que  le  compagnon  de  saint  Sixte,  d'abord  connu  et 
vénéré  comme  tel,  se  fût  peu  à  peu  séparé  de  son  compagnon 
traditionnel,  — à  supposer  que  ce  Laurent  de  Rome  ait  jamais 

1  M.  H.  P.,  Chart.  i,  158,  cité  par  Savio  ;  Gli  antichi  vsscovi  d'Italia,  i, 
(1899)  p.  386. 

Savio  note  qu'un  diplôme  de  Giseprandus  du  6  juin  945  ignore  Marcianu? 
et  ne  cite,  comme  patrons  de  Tortone,  que  Laurent  et  Innocentius  :  ad  siis- 
tentalioneyn  et  utilitatetn  canonicornni  in  ecclesia  s.  Laurentii  simulqiie 
Iiwoceniii  Deo  fartiulantium  [Bottazzi  :  Monutnenti  inediti,  p.  1.  —  Cf. 
Savio  :  Gli  antichi  vescovi  d'Italia,  i,  379  n.  1].  —  A  la  fin  du  x^  siècle, 
Lambert  semble  avoir  possédé  quelques  terres  près  Tortone  :  cf.  ses  di- 
plômes IV  et  VII  fScbiaparelli  ^^:  I  Diplomi  di  Guido  e  di  Laniberto 
Roma,  1906,  79-89J. 


LES    SOURCES    DE    LA    LEGIN')!': 


203 


pu  être  appelé,  au  même  titre  que  Marcianus  et  Inuocentvus, 
auctor  dertoiiensis  ecclesie.  —  La  légende  d'innocentius  rellète 
une  situation  de  culte  qui  est  chronologiquement  postérieure 
à  celle  qu'atteste  le  diplôme  :  on  peut  la  dater  approximative- 
ment de  la  fin  du  x®  ou  du  début  du  xi^  ^ 

On  peut  se  demander  si  ce  texte  récent  ne  repose  pas  sur  un 
texte  antérieur. 

Notre  texte  signale  deux  fêles,  l'anniversaire  de  la  mort 
I  XV  kalendes  de  mai]  et  l'anniversaire  de  l'ordination  épisco- 
pale  [VIII  des  kalendes  d'octobre]  :  ce  détail  nous  fait  songer 
au  is^  et  au  v°  siècle,  il  dérive  peut-être  des  gestes  du  vi^  ou 
du  vil'  siècle  ;  il  n'a  sans  doute  pas  été  inventé  par  le  rédac- 
teur du  x^  siècle. 

Notre  texte  emprunte  plusieurs  traits  aux  gestes  du  v®  vi®  et 
du  vii^  siècle.  Les  noms  de  Celse,  de  Perpétue  et  des  Marco- 
nians,  le  livre  du  diacre  Celse  qu'on  allègue,  l'invention  mi- 
raculeuse du  corps  de  Marcianus,  tous  ces  traits  paraissent 
empruntés  au  cycle  Gervais-Protais  et  Nazaire-Celse,  —  De 
Sophia  vient  peut-être  le  titre  de  fille  de  Rome  qui  est  donné 
à  Tortone,  ainsi  que  le  voyage  de  l'évêque  à  Rome.  —  L'an- 
nonce de  la  fin  de  la  persécution  a  été  empruntée  à  Sébastien 
ou  à  Marcel  ;  — et  l'histoire  de  Constantin  atteint  de  la  lèpre  a 
été  puisée  aux  gestes  de  Silvestre. 

Innocentius  est  dit  fils  de  Quintius  et  successeur  de  Ma- 
liodore.  Or,  je  trouve  que  deux  évêques  de  Tortone  se  sont 
appelés  Quintus  [en  451]  et  Maliodore  [vers  649]  -.  J'imagine 
que  les  personnages  de  la  légende  ont  été  inspirés  par  ces  per- 


^  Le  R.  P.  Savio  [Analecta  Bol.,  xv,  377]  pense  qu.' Innocentius  emprunte  à 
Vhistoire  datiana  la  date  du  sacre  de  Maliodore  de  Tortone  par  Materne  de 
Milan  [avant  312|,  et  donc  qu' Innocentius  ne  peut  être  antérieur  à  la  Ou  du 
XI»  siècle.  —  Je  suis  moins  aflirmatif  et  moins  précis  que  lui  :  il  ne  faut  pas 
presser  les  indications  chronologiques  des  légendes,  d'autant  qu'ici  Mirocles 
n'est  pas  nommé  ;  est-il  impossible  que  Vhistoria  datiana  dépende  d'un  texte 
antérieur  qu'aurait  aussi  utilisé  le  rédacteur  d' Innocentius  ?  —  Le  R.  P.  Savio 
pense  que  le  Marcianus  de  Tortone  est  identique  à  l'évêque  de  Ravenne  Mar- 
cianus qui  aurait  été  transporté  à  Tortone  et  confondu  avec  Marcianus  de 
Dorostorum.  Le  texte  d'Agnellus,  si  vague  «oitil,  est  contraire  à  toutes  ces 
hypothèses  et  la  valeur  de  la  vie  de  Probus  de  Ravenne  est  sujette  à  £au- 
tion.  Pourquoi  ne  pas  admettre,  à  Tortone,  un  pieux  personnage  dénommé 
Marcianus  ? 

-  Quintus  signe  au  concile  de  Milan  de  451,  Maliodore  au  concile  du  La- 
tran  de  649  [Troya  :  Codice  dipi.  longoô.,  ii,  477[.  Cf.  Savio:  op.  cit.,  i,  381.  — 
A  propos  des  domaines  de  l'église  de  Tortone  en  Ligurie,  se  rappeler  que  la 
Ligurie  a  été  conquise  par  Rotiiari  au  milieu  du  vii^  siècle. 


204  i'RADlTIONS    DE    l'iTALIR    DU    NORD 

sonnages  historiques  ;  ce  qui  nous  invite  à  dater  de  la  fin  du 
vil*  siècle  l'introduction  de  ces  détails  ou  Torigine  même  du 
mouvement  16f:,^endaire. 

Voici  précisément  qu'au  milieu  du  vu*  siècle,  si  l'on  accepte 
la  conclusion  de  notre  enquête  touchant  Faustin  et  Jovite, 
apparaît  le  texte  cyclique  qui  célèbre  ces  saints  et  qui,  préci- 
sément, conte  avec  détail  la  mort  de  Marcianus.  Los  gestes 
d'ïnuocentius  rappellent  et  attestent  la  gloire  de  Marcianus  ^  : 
est-ce  que  ce  n'est  pas  l'indice  qu'ils  connaissent  la  léirende 
cyclique  des  saints  de  Brescia  ^?  Et,  puisqu'ils  célèbrent  Inno- 
centius  qic  ignore  Faust'm-Jovite,  est-ce  qu'on  n'est  pas  fondé 
à  voir  en  eux  comme  un  complément  de  la  légende  tortonnaise 
qui  apparaît  dans  Faustin-Jovite'^  La  légende  d'Innocentius  a 
peut-être  été  suscitée  par  la  légende  de  Marcianus  ;  elle  est 
sans  doute  apparue  d'abord  dans  la  seconde  moitié  du 
vil®  siècle;  de  ce  texte  perdu  viendraient  tous  les  détails  em- 
pruntés aux  gestes  romains  qu'on  lit  dans  notre  version  du  xc 
et  qui  font  songer  aux  traits  analogues  qu'on  a  notés  dans 
Faustin- Jovite'^. 


^  §  5.  «  Fecerunt  baptisterium,  et  aliam  ecclesiam  secus  baptisterium,  quo 
in  loco  resederat  Marcianus  :  §  6,  cum  uero  legeret  quottidie  acta  et  certa- 
mina  s.  Marciani...,  corpus  inuenit... 

2  loi  et  là  apparaît  le  même  temple  de  Jupiter. 

3  Noter  les  points  de  contact  de  Domninus  et  d'Innocentius  :  ici  et  là,  on 
cherche  et  Ton  trouve  des  corps  saints  ;  on  reproduit  le  texte  d'une  ins- 
cription ;  on  conte  des  miracles,  on  s'intéresse  à  Rome,  aux  basiliques  lo- 
cales, etc. 


CHAPITRE  IX 


TRADITIONS  DE  TUSCIE 
{VIA  AURELIA) 
LES  SAINTS  TORPES,  PAULIN,  AMSANUS,  SECUNDIANUS,  MARCIANUS 


La  Via  Aurélia,  commencée  peut-être  par  le  censeur  C. 
Aurelius  Gotta  (242  av.  J.-C),  partait  du  Janicule,  gagnait  la 
mer  et  longeait  la  côte  tyrrhénienne  par  Gività-Vecchia  et 
Pise.  Elle  fut,  deux  siècles  plus  tard,  prolongée  jusqu'à  Gènes. 
Plus  tard  entin,  Marc-Aurèle  donna  à  cette  grande  voie  un 
nouvel  accès  à  Rome,  du  côté  du  Vatican.  Suivons-la  en  re- 
venant de  Gênes  à  Rome.  A  Pise^  à  Lucques,  à  Sienne,  à  Gi- 
vità-Vecchia et  à  Bracciano,  nous  trouverons  des  légendes 
parentes  des  légendes  romaines. 


En  ce  temps ^ là,  comme  Néron  était  le  maître  de  toutes  les 
provinces  (?)  et  avait  restauré  en  V honneur  de  son  nom  la 

»B.  H.  L.,  8037  ]17  mai,  7J. 


205  TRADITIONS    DE    TTTSCIE    (viA    AURELIA) 

ville  de  Plsc,  en  Tuscie,  cl  emheUl  les  ornemerUs  du  priUoira 
et  le  palais  de  TessellœÇ/?),  ridée  lui  vint,  à  lui  et  aux  siens, 
de  construire  un  temple  ou  les  dieux  seraient  adorés  cJiaque 
jour.  Ils  trouvèrent  le  temple  qui  est  à  Ventrée  de  la  porte 
Latine,  à  la  tête  du  pont  de  l'Ausaris,  et  V ornèrent  de  tables 
de  marbre  rayées,  et  y  dressèrent  une  statue  de  Diane,  d'or 
pur  et  de  perles,  pour  qu^on  r adorât  chaque  jour  :  la  statue 
était  d'une  grandeur  étonnante,  les  traits,  les  yeux  semblaient 
vivants  ;  et,  sur  V  ordre  de  Néron,  on  la  fixa  sur  le   devant 
(?  in  vultu  templi),  en  grande  pompe.  Un  banquet  joyeux  cé- 
lébra   la  dédicace  du  temple,  et  chaque  jour  les  prêtres  ne 
cessaient  d'ij  célébrer  les  offices.  Mais  V  empereur  ne  s*  en  tint 
pas  là  :  il  imagina  de  fabriquer  un  ciel  et  nul  nosa  le  con- 
tredire. On  fit  donc  au  ciel  d'airain,  dressé  (?)  sur  90  colonnes 
de  marbre  à  une  hauteur  de  cent  pieds  et  percé  d'une  (multi- 
tude) de  petits  trous.  Ses  (ministri)  serviteurs  firent  tomber  par 
là  de  l'eau  sur  la  terre  :  il  semblait  cjue  ce  fut  de  la  pluie  ;  et 
Narzius,  gardien  du  lieu  {?  loci  servatorj,  s'écria  :  «  Que  tout 
le  monde  confesse  la  grandeur  infinie  du  nom  de  Diane  :  c'est 
en  son  honneur  que  Néron  fait  ces  prodiges.  »  Il  y  avait  aussi 
une  machine  qui  imitait  le  soleil  :  Néron  faisait  allumer  des 
lampes  le  matin  et  les  faisait  éteindre  le  soir  ;  le  soir,  à  la  on- 
zième heure,  il  accrochait  aussi  dans  la  machine   qui  repro- 
duisait la  lune,  un  grand  miroir  très  clair,  orné  de  pierres 
précieuses.  Mais,  une  fois,  le  miroir  tomba,  et  nul  n'en  trouva 
les  morceaux.  De  même,  comme  il  faisait  passer  un  quadrige 
sur  le  ciel,  afin  d'imiter  le  tonnerre,  Dieu  envoya  un  grand 
vent,  le  quadrige  fut  jeté  au  fleuve,  le  cocher  fut  décapité  et 
disparut.  —  Or,  un  jour,  que  l'empereur  siégeait  à  son  tri- 
bunal et  proclamait  la  grandeur  de  Diane,  mère  des  dieux, 
Torpes  l'arrêta:  il  faisait  partie  de  son  ofQcium,  mais  l'Es- 
prit-Saint le  remplissait,  a  II  n'y  a  qu^wi  Dieu,  dit-il  ;  j'ap- 
partiens à  la  même  famille  que  tes  fidèles  (fidèles  tui)  marty- 
risés à  Rome  :  je  les  ai  vus  couronnés  par  la  main  des  anges 
et  recevoir  la  vie  éteiiielle,  »  —  «  Quel  est  l'ordre  de  ta  cons- 
cience qui  te  fait  protester  ainsi?  »  —  «  Une  conscience  hon- 
nête retire  du  mal,   appelle  à  la  vie;  et  puis,  V  Esprit-Saint 
souffle  ou  il  veut.  Tout  ce  que  tu  fais  voir  n'est  qu'une  fiction  ; 
ton  tonnerre  est  dans  le  fleuve;  j'adore  le  Dieu  vivant  qui, 
seul,  a  fait  les  grands  luminaires  du  ciel  ».  Mais  lorsqu'il  sort 
du  palais,  menacé  par  Néron,  Torpes  réfléchit  qu^il  na  pas 


TORPES    DE    PISE  207 

le  baptême  du  salut;  comme  il  sait  quily  «,  dans  la  mon- 
tagne, un  prêtre  Antoine,  lequel  s'y  cache,  il  sort  de  la  ville, 
au  milieu  de  la  nuit,  par  la  porte  de  Lucques  (?  porta  lucana) 
et,  par  le  côté  de  V amphithéâtre,  il  va,  il  monte  peu  à  peu, 
en  criant:  (C  Antoine,  père  saint,  ou  es-tu?  )>  —  «  Qui  es- 
tu,  »  répond  Antoine  de  son  oratoire.  —  €  Je  suis  Torpes,  ton 
esclave.  »  —  a  Malheur  à  moi,  car  tu  es  de  /'officium.  » 
—  «  N^aie  pas  peur  ;  laisse-moi  embrasser  tes  mains,  prie 
pour  moi  ;  je  veux  adorer  le  Christ,  mais  je  ne  suis  pas  bap- 
tisé :  baptise-moi.  »  —  a  Au  nom  de  mon  Seigneur  Jésus-Christ, 
je  te  baptise  »,  répond  Antoine  ;  et  ils  descendent  au  pied  de 
la  montagne,  à  l'endroit  ou  ils  trouvent  de  Veau  vive,  du  côté 
de  la  storia  leonum  {??)  ;  Antoine  bénit  Veau,  arrose  V  officier 
du  baptême  du  salut  et^  après  avoir  fait  le  signe  du  Christ, 
il  lui  dit  adieu,  l'embrasse  en  pleurant,  disant  :  «  Que  l'ange 
du  Seigneur  t'accompagne  !  »  —  Jorpes  revient  cette  même 
nuit.  Tout  d'un  coup,  il  entend  qu'on  lui  parle,  il  se  retourne 
et  voit  un  ange  resplendissant  de  lumière.  «  IS^'aie  pas  peur, 
dit  l'ange  :  Dieu  t'a  couronné  cette  nuit  par  sa  main  ;  n'aie 
pas  peur  des  menaces  de  tes  ennemis  :  je  suis  avec  toi.  Dans 
toute  la  ville,  il  n'a  pas  été  trouvé  un  autre  homme  que  toi 
qui,  pour  le  Christ,  consentît  à  recevoir  un  soufflet.  Sois  fort 
dans  la  vérité!  Je  sais  cjue  tu  seras  avec  nous,  dans  le  para- 
dis, avec  la  multitude  des  anges  ;  quant  à  ton  corps,  je  le 
transporterai  dans  une  autre  province.  »  —  Et  Torpes  se  re- 
lève; il  remercie  le  Seigneur  qui  lui  a  donné  son  ange  et  ([ui 
l'a  choisi,  lui  seul,  Torpes,  pour  lui  donner  la  foi  (me  solurn 
clegisti  in  hac  civitate  contidere  in  te). 

Rentré  par  la  porte  de  pierre,  il  va  au  forum  ou  siège  Né- 
ron. L'empereur  le  confie  à  l'un  de  ses  conseillers  et  parents  : 
le  saint  leur  a  annoncé  qu'ils  mourront  avec  Diane,  la  mère 
des  dieux  ;  puis  Néron  a  hâte  d^ aller  à  Rome  où  les  saints  su- 
bissent d'atroces  tourments.  Et  Torpes  est  mis  en  prison  ;  et 
Satellicus  ordonne  que  les  bêtes  restent  trois  jours  sans  nour- 
riture. Le  troisième  jour,  Torpes  comparaît.  «  Sacrifie,  lui 
dit  Satellicus  ;  et  tu  conserveras  tes  honneurs  (?  antecedct  te 
honortuus).  »  Torpes  refuse  ;  Une  veut  pas  renier  l'ange  qu'il 
a  vu.  On  le  frappe  ;  on  l'attache  à  la  colonne  Habietina,  son 
sang  coule  comme  l'eau  d'une  fontaine.  Mais  le  saint  lève  les 
yeux  au  ciel,  il  prie  Dieu  de  le  venger  ;  et  la  colonne  tombe, 
tue  cinquante  impies,  dont  Satellicus.  I^es  ministrî   furieux 


208  TRADITIONS    DE    TUSCIE    (viA    ALHELIA) 

mettent  Torpcs  sur'  la  roue^  et  Silvinus,  fils  de  Satellicus, 
grince  les  dents  de  rage.  Il  est  vrai  que  le  peuple  mécontent 
s'agite  :  l'on  se  hâte  de  conduire  le  martyr  à  V amphithéâtre . 
Un  signe  de  croix  tue  net  le  premier  lion  qu'on  lâche  sur 
lui  ;  le  léopard  qui  vient  après,  courbe  la  tête  et  baise  les  pieds 
du  saint.  Ce  que  voyant,  le  conseiller  de  V  empereur  Evellius 
se  convertit  et  s'enfuit  à  Rome,  oh  il  est  décapité  le  cinq  des 
kalendes  de  mai.  Lorsqu'il  est  conduit  sous  le  ciel  d'airain, 
Torpes,  levant  les  yeux  au  ciel,  prie  Dieu  de  tout  fracasser 
par  son  ange  ;  aussitôt  un  orage  éclate,  le  tonnerre  retentit, 
le  ciel  s'écroule  ainsi  que  vingt'Ciuatre  colonnes,  tuant  une 
multitude  de  païens,  et  jetant  le  doute  au  cœur  de  beaucoup 
d'idolâtres.  Silvinus  ordonne  qu!on  en  finisse^  quon  le  déca- 
pite. Torpes  est  conduit  à  la  porte  de  Rome,  il  passe  devant  la 
maison  de  son  ami  Andronicus,  qu'il  prie  d'ensevelir  son 
corps  et  qu'il  exhorte  à  croire  en  Dieu.  Mais  les  ministri  em- 
pêchent Andronicus  de  venir  :  il  fallait  que  s'accomplît  la 
parole  de  l'ange,  je  transporterai  ton  corps  dans  une  autre 
province.  Le  cortège  franchit  la  porte  Circensis  ;  il  monte  dans 
une  petite  barque  oit  les  soldats  tiennent  le  martyr  de  peur 
qiiil  ne  se  jette  dans  le  fleuve  ;  Silvinus  avait  donné  ordre 
qu'on  le  décapitât  en  pleine  mer  afin  qu'il  ne  pût  ressusciter  : 
car  le  Dieu  des  chrétiens  faisait  beaucoup  de  miracles.  Puis 
un  homme  était  accouru  qui  avait  dit  aux  gardiens  :  «  Déca- 
pitez-le sur  terre,  au  bord  de  la  mer  y).  En  effet,  lorsqu'ils 
furent  arrivés  (in  graduni  Arnensem  (??)  à  l'embouchure  de 
l'Arno.,  ils  franchirent  la  rive  du  fleuve  ;  Torpes  dit  :  «  Reçois 
mon  esprit  »,  et,  ayant  levé  les  yeux  au  ciel,  il  fut  décapité. 
Les  ministri  mirent  le  corps,  avec  un  chien  et  un  coq,  dans 
une  petite  barque  hors  d'usage  qu'ils  trouvèrent  là  et,  lors- 
qu'ils l'eurent  perdue  de  vue,  ils  s'en  allèrent.  Mais  l'ange 
survint,  qui  la  conduisit  au  port  de  Sinus  (en  Espagne)  :  le 
chien  était  là  pour  veiller  {sur  les  reliques),  le  coq  pour  les 
indiquer  {aux  chrétiens).  La  sénatrice  Celernna,  que  Vange 
réveille,  et  à  quiil  promet  le  succès  de  toutes  les  prières  quelle 
adressera  à  Dieu,  réunit,  en  effet,  une  multitude  de  prêtres  et 
un  peuple  innombrable  :  jeûnant,  en  grande  pompe,  ils  vont 
au  bord  de  la  mer  et  ne  trouvent  rien.  Celerina  lève  les  yeux 
au  ciel,  et  prie.  Alors  le  coq  chante  ;  au  flanc  d'un  rocher  on 
trouve  la  barque,  le  corps,  le  coq  et  le  chien  ;  on  enveloppe  le 
corps  dans  des  linges  et  on  le  porte  à  Sinus  oh  il  est  enseveli. 


TEXTES    APPARENTÉS  209 

A  ce  moment  le  coq  et  le  chien  disparaissent.  Or,  Celerina 
régnait  sur  la  moitié  de  f  Espagne  ;  elle  éleva  au  saint  une 
église  magnifique^  avec  de  superbes  grilles  (cancelli),  où  beau- 
coup  de  malades  et  de  possédés  furent  guéris;  et  elle  laissa 
à  réglise  beaucoup  d'argent.  —  Quinze  ans  aprèSy  on  apprit 
que  Néron  était  mort  :  ce  qui  remplit  de  j'oie  toutes  les  pro- 
vinces, car  toutes  croyaient  en  Je  sus- Christ,  Cest  alors 
qu'arriva  à  Sinus  un  membre  de  son  officium,  Artemius  ;  il 
demanda  le  nom  du  saint  qui  y  était  vénéré  aux  habitants  de 
tendroit  fcommanentes  loci  illius)  et  conta  quil  avait  pris 
part  à  son  supplice.  Sur  la  demande  qu*on  lui  adressa,  il 
dicta  les  gestes  de  Torpes^  et  dit  comment  il  avait  souffert.  Le 
jour  de  sa  fête  est  le  trois  des  kalendes  de  mai.  [Tous  ceux  qui 
rinvoquent  en  mer  sont  sauvés.) 

Torpes  est  peu  connu  :  si  Adon  %  si  Flodoard  *  résument 
ses  gestes,  on  cherche  vainement  son  nom  dans  le  férial  hié- 
ronymien,  aussi  bien  que  dans  le  calendrier  populaire.  Aucun 
texte  ne  peut  éclairer  notre  enquête. 

Torpes  est  un  martyr,  ou  du  moins  un  saint  vénéré  à  Pise  : 
nos  gestes  l'attestent  par  eux-mêmes.  Pise  était  un  centre  ma- 
ritime important  ^  :  de  là  le  trait  qui  les  termine,  au  moins 
dans  certains  manuscrits. 

11  me  semble  très  probable  qu'ils  sont  nés,  comme  les 
gestes  d'Hedestus,  autour  des  ruines  d'une  villa  impériale. 
Tous  les  épisodes  qui  les  composent  ne  l'indiquent-ils  pas? 
C'est  Torpes  qui,  pour  punir  l'impiété  de  Néron  et  glorifier  le 
Seigneur,  avait  jeté  à  terre  ces  ruines  mystérieuses  qu'on 
voyait  dans  la  campagne. 

Il  est,  du  moins,  certain  que  les  gestes  sont  apparentés  aux 
gestes  d'Alexandre  de  Baccano,  lesquels,  on  s'en  souvient, 
sont  parents  d'Hedestus,  où  Néron  apparaît  aussi  bien  que 
dans  Torpes.  Voici  les  points  de  contact  des  légendes  :  1.  Né- 
cessité du  baptême  de  l'eau  pour  être  sauvé;  2.  Le  baptême 
est  conféré  au  nom  du  Christ;  3.  L'auteur  connaît  les  gestes 
des  Apôtres  [ici,  physionomie  de  magicien  de  Néron]  ;  4. 
Souci  d'authentifier  Thistoire,  en  la  rattachant,  ici  et  là,  à  un 

^  P.  L.,  123,  267-268. 
2P.  i.,  135,  661. 

■^  Auguste  établit  une  colonie  à  Pise  [Pline,  m,  5,  50].  On  ne  sait  rien  sur 
Pise  au  temps  de  Néron  [C.  I.  L.,  xi,  1,  p.   273]. 

m  U 


210  TRADITIONS    DE    TUSCIR    (VIA    AURELIa) 

personnage  acteur  du  drame  ;  5.  Insistance  sur  l'action  sou- 
veraine do  la  grâce  ;  6.  Conversion  d'un  notable  païen  (11er- 
culanus,  Evellius)  ;  7.  Tremblement  de  terre;  8.  Echo  des 
controverses  touchant  la  fuite  fAnloine  se  cache  dans  Ja 
montagne]  ;  9.  Le  peuple  est  favorable  aux  martyrs. 

Ces  rapports  s'expliquent-ils  par  une  action  littéraire  s'exer- 
çant  à  une  époque  postérieure  à  la  rédaction  d^ Alexandre  ;  ou 
bien  les  textes  sont-ils  à  peu  près  contemporains?  Ici  encore, 
on  peut  pencher  pour  la  seconde  hypothèse  :  elle  paraît  rendre 
compte  sans  difficulté  de  deux  traits  communs  à  Torpes  et  à  deux 
gestes,  eux-mêmes  parents  à' Alexandre  :  comme  dans  Donat, 
un  ermite  est  mêlé  à  l'histoire  de  Torpes  |  ici,  Antoine  ;  là, 
HilarinJ  ;  comme  dans  Erasme^  le  saint  prie  Dieu  de  le  ven- 
ger *  et  d'exaucer  ceux  qui  le  prieront  en  son  nom.  —  Je  croi- 
rais volontiers,  néanmoins,  que  Torpes  remonte  à  la  seconde 
moitié  du  vi*"  siècle  :  l'absorption  de  tous  les  dieux  païens  par 
Diane,  mère  des  dieux,  l'emploi  des  i^vm^s  fidèles  [%  2],  honor 
[§  6],  comnianentes  loci  [§  10],  enfin   l'idée  qu'a  le  rédacteur 
de  faire  organiser  par  Néron  un  service  religieux  quotidien  sur 
le  modèle  du  culte  chrétien,  tout  cela  me  parait  déceler  une 
époque  un  peu  plus  récente  que  celle  d'Alexandre  de  Baccano. 
Pise  accueillit  sans  déplaisir,  semble-t-il,  la  restauration  impé- 
riale ^  ;  elle  parait  avoir  été  assez  prospère  à  la  fin  du  vi^  et  au 
début  du  vii^  siècle '.  C'est  peut-être  de  ce  moment  que  date 
notre  version  des  gestes. 

Je  crois  qu'il  y  a  rapport  entre  la  translation  du  martyr  en 
Espagne  où  l'enterre  cette  reine  inconnue  qui  s'appelle  Ce- 
lerina  et  l'imitation  des  gestes  de  saint  Vincent  que  trahit  la 
légende  '\  L'auteur  connaissait  l'histoire  de  saint  Vincent  :  de 
là  l'intérêt  qu'il  témoigne  à  l'Espagne. 

^  Dans  les  gestes  pseudo-ambrosiens  de  Gervais  et   Protais,  le  martyr  rap- 
pelle l'exemple  de  Jésus  qui  priait  pour  ses  bourreaux. 

2  Pise  ouvre  ses  portes  à  Narses,  sans  faire  résistance  [Hartmann,  i, 
339]. 

3  Sur  l'importance  que  S.  Grégoire  attache  à  son  appui,  cf.  Ep.  xiii,  33 
[P,  L.,  77,  1284].  —  Papebroch  pense  que  les  gestes  de  Torpes  faisaient  par- 
lie  de  la  collection  martyrologique  de  Ceraunius  de  Paris.  C'est  fort  possible  ; 
mais  la  raison  qu'il  apporte  ne  me  paraît  pas  suffisante  [17  mai,  5,  §  1]. 
Pour  lui  aussi,  du  reste,  le  texte  date  du  vi»  ou  du  vii^  siècle.  —  Nous  ne  sa- 
vons pas  au  juste  de  quand  date  l'appellation  de  S.  Tropez  en  Provence  : 
elle  dérive  sans  doute  d'un  établissement  pisan  en  ces  parages  à  une  époque 
postérieure. 

*  N'est-ce  pas  de  Vincent  que  vient  l'idée  d'avoir  donné  pour  compa- 
gnons au  martyr,  un  coq  et  un  chien,  bêtes  que  l'on  mettait  dans  lé  sac  des 


PAULIN    DE   LUCQUES  211 

Et  d'où  vient  l'idée  de  la  translation  miraculeuse  ?  Peut- 
être  de  Vitus,  peut-être  d'Eleufhère  ou  de  liestitiita.  Notre 
auteur  devait  connaître  les  légendes  d'origine  grecque  :  il  uti- 
WsQ^Erasme  ;  et  les  promesses  de  l'ange  à  Celerina  rappellent 
des  traits  de  ce  genre  qu'on  trouve  dans  les  textes  grecs.  Ce 
qui  confirme  la  date  que  nous  avons  proposée  pour  Torpes. 


1  de 

es 


II 


Le  Seigneur  miséricordieux  a  daigné  descendre  du  haut  des 
de  deux  dans  le  sein  de  la   Vierge  pour  éclairer  le  monde;  il 
revient  des  enfers  et  monte  au  ciel  dans  notre  chair.  Pourtant^ 
beaucoup  de  rois  et  de  princes  de  la  terre  nient  que  Jésus- 
Christ  Fils  de  Dieu  soit  le  vrai  Dieu  et  Sauveur  du  monde  ;  ils 
nient.,,  la  Trinité  suprême  et  inséparable  (màWxàwd).  Parmi 
leur  troupe  impie,  Néron  s'élance,  comme  du  carquois  de  Sa- 
tan, pour  torturer  les  adorateurs  de  Dieu.  Il  fait  construire  en 
Tuscie,  dans  la  cité  de  Pise,  à  Ventrée  de  la  porte  Latine^  à 
la  tête  du  pont  de  VAuser,  un  très  grand  temple  de  Diane 
qu'il  orne  magnifiquement  ;  il  fait  faire  une  statue  de  Diane 
en  or  et  en  perles  qu'on  adorera  tous  les  jours  :  les  traits  et 
les  yeux  semblent  vivants  ;  elle  est  fixée  au  sommet  du  temple 
(?)  (in  vultu).  Puis  il  ordonne  quon  construise  un  ciel  d'airain 
supporté  par  90  colonnes  de  marbrcy  hautes  de  100 pieds  :  il  en 
tombe  une  eau  qui  semble  être  la  pluie.  Des  lampes  et  des  mi- 
roirs  et  des  quadriges  imitent  le  soleil  et  la  lune  et  le  tonnerre... 
Mais  ces  machines  se  brisent.  Cependant  V empereur  veut  faire 
reconnaître  par  tous  la  grandeur  de  Diane,  mère  des  dieux^ 
et  il  envoie   un  édit  dans  toutes  les  provinces  pour  que  les 
chrétiens  sacrifient  à  DianCy  ou  meurent  dans  les  supplices, 

parricides  ?  —  L'écroulement  du  temple  fracassé  par  Dieu  n'a-t-il  pas  été 
suggéré  par  l'histoire  de  Samson  ?  Cf.  Bestituta,  Amsanus  et  Tobit.  — -  Noter 
qu'Erasme  rappelle  parfois  Vincent  fies  poids  de  fer  dont  on  charge  le  mar- 
tyr], —  Torpes  rappelle  encore  Sabinus,  Grégoire,  etc..  Sur  le  mot  com^ 
manere,  cf.  Zeumer,  p.  476  et  Fustel  de  Coulanges  :  Alleu  et  Domaine  rural^ 
418-453. 
»  B.  H.  L.  0555  [12  juillet,  208  ou  256].    . 


212  TRADITIONS    DE    TUSCIE    (VIA    AIIHELIa) 

En  ce  temps'lày  dans  cette  même  province,  dans  la  cité  de 
LucqueSj  il  y  avait  un  évêque  Pauimus  qui  avait  été  ordonné 
par  saint  Pierre  et  qui  amenait  beaucoup  [de  païens)  à  la 
connaissance  de  Dieu:  assisté  des  prêtres  Sévère  et  Antoine^ 
il  leur  confère  le  baptême  au  nom  du  Seigneur^  et  consacre 
sept  églises  et  ordonne  des  prêtres  et  des  clercs.  Les  appari- 
teurs de  Néron^  quon  a  prévenus,  le  trouvent  en  compagnie  de 
Sévère  et  du  diacre  Luc  et  du  soldat  Théobald  :  ils  chantent 
des  psaumes  dans  V oratoire  [?  cella)  qui  est  dédié  à  la  sainte  et 
inséparable  Trinité,  à  la  Croix  sainte  et  vivifiante^  à  Marie  im- 
maculée mère  de  Dieu,  et  à  Etienne  protomartyr,  Paulin  re- 
mercie le  Christ  et  réconforte  ses  frères  :  «  Déjà  nous  tenons 
la  vie  éternelle  ;  n  ayons  pas  peur.  »  —  «  Vous  adorez  un 
crucifié,  leur  dit  Néron,  quand  on  les  introduit  en  sa  présence  ; 
vous  détruisez  le  culte  des  dieux  qui  chaque  jour  font  pro- 
gresser Vétat.  »  —  ((  C^est  sagesse  de  renoncer  aux  idoles  et 
d adorer  le  vrai  Dieu,  qui  s'est  incarné.  »  —  «  Sacrifie  à  la 
grande  Diane,  »  —  «  Je  me  sacrifie,  en  effet,  moi-même,  vic- 
time immaculée,  au  Seigneur  mon  Dieu  Jésus-Christ  que  je 
sers  en  esprit.  »  On  les  frappe  ;  leur  sang  coule  à  terre  ;  et  ils 
ne  cessent  de  bénir  Dieu  tout-puissant.  Père  du  Seigneur 
Jèsus-Christy  qui  leur  a  don7ié  part,  avec  les  saints  martyrs, 
à  la  résurrection,  à  la  vie  éternelle,  et  à  V incorruptibilité  de 
l'âme  et  du  corps.  Enfermés  sans  nourriture  au  fond  de  la 
prison,  ils  chantent  :  propter  hoc  dilatatum  est  cor  meum,  et, 
trois  jours  après,  bien  que  V  empereur  jure  sur  le  salut  des 
dieux  de  les  livrer  aux  bêtes,  ils  refusent  de  se  sauver  en  sa- 
crifiant.  Ils  font  le  signe  de  la  croix  {dans  r amphithéâtre), 
lèvent  les  yeux  au  ciel  et  prient  Dieu  de  ne  pas  livrer  leurs 
âmes  (animas^  aux  bêtes  ;  et  celles-ci,  subitement  adoucies, 
leur  lèchent  les  pieds  et  les  mains.  «  Que  sont  ces  maléfices 
(maleficia),  dit  Néron,  —  «  Ce  sont  des  bienfaits  (bénéficia; 
de  Dieu  :  crois  en  lui,  fais  pénitence  pour  le  sang  des  saints 
que  tu  as  répandu  et  tu  obtiendras  la  vie  éternelle.  » 

Le  comte  Anolinus,  à  qui  V empereur  les  a  envoyés,  les  eni" 
prisonne,  Paulinus  prie  Dieu  de  conserver  et  d^accroître  la 
foi  du  peuple  de  Lucques  (populus  lucanus)  et  des  églises  qu'il 
a  fondées,  par  JésuS'Christ,  Sauveur  du  monde ^  qui  est  co- 
eternel  au  Père  et  au  Fils,  et  vit,  et  règne  dans  les  siècles  des 
siècles,  c(  Ta  prière  est  exaucée,  lui  dit  un  ange.  Demain  tu 
mourras  martyr  ;  ton  corps  sera    enseveli  à  Lucbues,  dans 


LES    SOURCES     DE    LA    LEGENDE  213 

r église  de  la  sainte  Trinité  que  tes  mains  ont  consacrée.  Tu 
seras  le  patron  de  la  cité  ;  grâce  à  toi  les  ennemis  ne  pourront 
jamais  la  détruire.  Remercie  Dieu.  »  —  Le  lendemain^  en 
effet,  Anolinus  le  fait  comparaître  ;  il  refuse  de  sacrifier  à 
ces  démons  que  sont  les  dieux;  et  après  qu'on  a  triplé  ses 
tourments  et  qitil  a  prié  Dieu  de  recevoir  son  esprit,  il  rend 
l'esprit,  ainsi  que  Sévère  ;  quant  à  Théobald  et  aux  autres,  ils 
sont  décapités  ;  et  Anolinus,  bientôt  après  envoyé  à  Milan^  y 
fait  périr  Nazaire  et  Celse,  Gervais  et  Pilotais.  Le  lieu  où 
sont  morts  Théobald,  Luc  et  les  autres  n'est  pas  très  éloigné 
de  r  endroit  quon  appelle  latus  historise  leonum  ;  le  glorieux 
confesseur  du  Christ,  Antoine,  l'apprend,  et  malgré  la  défense 
d^ Anolinus,  il  les  ensevelit  la  nuit  avec  l'aide  de  Valerius  et 
de  Victor,  de  Lucien  et  de  beaucoup  d'autres.  Les  corps  de 
Paulin,  Sévère  et  Théobald  reposent  dans  des  sarcophages 
noirs  à  Lucques^  dans  V église  de  la  Trinité^  au  midi,  dans  la 
partie  de  Porieiit  ;  les  autres  corps  sont  {conservés)  à  V endroit 
Gif  ils  ont  été  décapités.  Us  ont  été  martyrisés  au  pied  de  la 
montagne  de  Pise,  par  le  comte  Anolinus,  sous  V empereur 
Néron,  le  quatre  des  ides  de  juillet.  La  translation  des  saints 
a  été  opérée  le  jour  des  kalendes  d'avril,  tandis  que  règne 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ. 

Le  patron  de  Lucques,  Paulinus,  est  plus  mal  connu  encore 
que  Torpes  ;  il  n'est  mentionné  ni  dans  le  férial  hiéronymien, 
ni  dans  le  calendrier  populaire,  ni  dans  Adon,  ni  dans  Notker. 
C'est  sans  doute  le  saint  local. 

La  légende  est  évidemment  calquée  sur  Torpes  ;  à  la  fin,  on 
a  cousu  quelques  détails  empruntés  à  Gervais-Protais^.  Peut- 
être  le  rédacteur  inconnu  a-t-il  pris  certains  traits  à  Secundia- 
nus  [nosmet  ipsos  offerimus)  et  à  Susanne  (pénitence  du  sang 
des  saints)  et  à  Pergentinus,  Gratilianus  ou  ÏMcie  [bénéficia 
maleficia].  Noter  q\ï£utychius  précise, comme  Pau li7îus,ïem- 
placement  des  sarcophages,  etquelesdeux  textes  sont  parents 
de  Gratilianus  et  de  Torpes  :  tous  ces  gestes  forment  groupe-. 

A  quelle  époque  écrivait  l'auteur?  —  Puisqu'il  utilise  Torpes, 
il  ne  peut  guère  être  antérieur  au  début  du  vu"  siècle.  Le  nom 
de  Théobald,  l'église  dont  il  cite  le  nom  compliqué,  ces  deux 
faits  nous  invitent  du  reste  à  ne  pas  remonter  plus  haut. 

J'attire  particulièrement  Tattention  sur  le  nom  de  l'église  : 

*  Cf.  supra,  p.  203,  pareille  observation  à  propos  d'Innocentius. 
^  L'auteur  semble  encore  connaître  Sébastien  [utilité  politique  de  la  piété], 
Grégoire  de  Spolèle  [animae]. 


214  TRADITIONS    DE    TUSCIE    (viA    AURELIA ) 

elle  est  dédiée  ad  honorem  sanctœ  et  individus  Trinitalisy 
sanclcB  et  vivifiCéE  Crucis,  ad  honorem  interner  a  tœ  virginis 
Mariée  genitricis  Dei  et  Doniini  Nostri  Jesu  Christi  et  sancti 
Stepkani  protomartyris.  Nous  connaissons  un  texte  latin,  mo- 
delé sur  les  gestes  de  Ccsaire,  qui  conte  la  translation  à  Rome 
d'Etienne  protomartyr  ^  :  il  date  sans  doute  du  vu*  siècle.  Le 
culte  de  la  sainte  Croix  a  pris,  à  cette  même  époque,  un  no- 
table accroissement  :  on  connaît  les  campagnes  entreprises 
par  Heraclius  afin  de  la  recouvrer  et  la  fête  de  l'Exaltation  de 
la  Croix  établie  à  Rome  par  le  pape  Serge  [687-701  ]  ^ 

La  dernière  phrase  nous  parle  d'une  translation  opérée  le 
jour  des  kalendes  d'avril  ;  mais  loin  de  nous  apporter  aucune 
lumière,  elle  pose  un  problème  ;  et  je  ne  vois  pas  comment  le 
résoudre.  Peut-être  avons-nous  ici  une  trace  de  la  réorgani- 
sation de  l'église  au  temps  de  Rothari  ^  Peut-être  le  texte  est- 
il  apparenté  à  Domninus  :  ici  et  là,  l'hagiographe  nous  parle 
de  certaines  translations  mystérieuses  ;  il  parle,  ici  et  là,  une 
langue  théologique  d'une  précision  afîectée  ;  ici  et  là,  le  saint 
réconforte  ses  compagnons.  Paulinus  doit  dater  du  vu®  siècle. 

Il  est,  à  tout  le  moins,  très  certain  que  le  texte  remonte  à  une 
époque  troublée.  Dieu  promet  a  Paulinus  :  te  ibi  existente  pa- 
trono,  ciuitas  illa  manibus  hostilibus  nullo  tempore  destruetur . 
Le  patronage  de  Paulinus  était  alors  considéré  comme  très 
utile  à  la  ville  de  Lucques  :  c'est  donc  qu'elle  en  avait  besoin. 

Saint  Grégoire  nous  conte  une  courte  histoire  qui,  de  son 
temps,  courait  à  Lucques.  C'est  la  preuve  que,  à  Lucques  aussi, 
dès  ce  temps,  les  légendes  locales  étaient  en  formation.  C'est 
une  confirmation  de  notre  hypothèse  touchant  la  date  du  texte. 

Frigdia-       Il  y  a  deux  ans,  raconte  saint  Grégoire,  Venantius,  Vèvêque 

nus  de    deLuna,  m' a  raconté  le  miracle  suivant  qu  opéra  Frigdianus, 

évêque  de  Lucques,  Le  fleuve  Auseris  déborde  souvent  ;  aussi 

les  habitants  de  la  vallée  tâchaient-ils  de  le  dériver  sur  d'au- 

*  B.  H.  L.,  7878,...  \Cat.  Brux.,  i,  70].  -  Cf.  G.  M.  R.,  i,  388. 

2  L.  P.,  1,  374.—  Cf.  G.  M.  R.  i,  373,  n.  4.  On  ne  sait  rien  de  Lucques  de- 
puis le  siège  qu'elle  a  soutenu  contre  Narses,  en  553  [Agathias,  i,  12-17].  Cf. 
Hartmann,  i,  339  et  C.  I.  L.,  xi,  i,  296.  —  L'évêque  de  Lucques  signe  au  con- 
cile de  Rome  de  649  [Hartmann,  ii,  i,  268]. 

3  irest  peu  vraisemblable  qu'on  ait  attendu  jusqu'au  temps  de  la  transla- 
tion de:i261  [B.  H.  L.,  6556]  pour  démarquer  Torpes.  —  Il  y  avait  à  Lucques, 
au  vu»  et  au  viii^  siècle,  une  école  épiscopale  [Hartmann,  ii,  2,  27].  Serait-ce 
le  berceau  de  ces  légendes  et  des  légendes  apparentées. 

*  Dialogi,  m,  9,  [P.  L.,  77,  233).  —  Cf.  Flodoard  :  xiii,  1  [P.  L.,si35,  845]. 


AMSANUS    DE    SIENNE  215 

très  pays  y  mais  en  vain,  malgré  leurs  efforts.  Alors  V  homme 
de  Dieu  Frigdianiis  se  fit  faire  un  petit  râteau^  se  mit  en  prière 
et  commanda  au  fleuve  de  suivre  son  râteau^  partout  où  il  le 
promènerait.  Le  fleuve  quitta  son  lit,  s'en  creusa  un  autre  ou 
le  lui  avait  commandé  Frigdianus  et  cessa  d' endommager  les 
récoltes.  » 

Ce  saint  cvêque  Frigdianus  est  absolument  inconnu.  Le 
récit  de  Grégoire  Je  Grand  a  formé  le  fond  d'une  légende  *  qui 
célèbre  ses  vertus.  Le  saint  est  censé  venir  ex  Hibernia  Scotiœ 
insula  ;  est-ce  un  souvenir  de  Colomban  et  de  ses  disciples  ? 
Lucques  n'est  pas  fort  éloigné  de  Bobbio.  Un  diplôme  du  20  jan- 
vier 685  mentionne  un  monastère  lucquois  de  saint  Fricdianus- 
(sic)  ;  au  temps  de  Charles  et  de  Pépin,  Tévèque  de  Lucques 
Jean  a  fait  construire  à  Fricdianus  un  magnifique  tombeau. 

Le  texte  se  rencontre  dans  des  manuscrits  du  xi**  siècle. —  On 
n'y  insiste  pas  davantage  parce  que  la  légende  est  de  forma- 
tion récente  et  qu'elle  est  étroitement  liée  à  celle  de  Finianus, 
episcopus  iMagbilensis^,  dont  l'étude  est  extérieure  à  notre  objet. 


III 


On  raconte  dans  les  gestes  divins  que,  s'il  est  bon  de  cacher 
les  secrets  du  roi,  il  est  glorieux  de  révéler  à  tous  les  merveilles 
du  Dieu  tout-puissant.  C'est  pourquoi,  dans  la  mesure  de  nos 
faibles  forces^  confiant  dans  la  miséricorde  de  Celui  qui  ré- 
compense les  bons  et  rachète  les  péchés,  je  vais  dire  quelques- 
unes  des  merveilles  que  Dieu  a  opérées  par  le  bienheureux 
AmsanuSy   martyr.    Comme  Dioctétien  commandait  pour  la 

*  Codex  Ambrosianus,  B.  55,  inf.  (du  xi«  eiècle)  f»  228"^  \Analecta,  xi,  262- 
263]  :  c'est  le  texte  B.  H.  L.,  3175  {Summœ  Trinitati..,]  Cf.  trois  autres  textes 
dans  Golganus  :  Acta  Sanctorum  ueteris  et  maioris  Scotise  seu  Hibernix,  i, 
634,  638,  640  (Louvain,  1645,  in-f).  [B.  H.  L.,  3174,  3176,  3177]. 

2  BethmaDD  :  Lnngob.  Regest.  Neues  Archiv.,  m,  239-240. 

^  Noua  Legenda  Angliœ  [Londre»,  1516,  10-40].  fo  147.  B.  H.  L.  2990. 

*  B.  H.  L.,  515.  Cat.  Brux.,  i,  129.  D'après  le  Codex  Bruxellensis  206.  du 
nue  siècle  ;  fo  137. 


216  THADITIONS    DE    TUSCIE    (viA    ATIRKLIA; 

septième  fois  dans  nome  [imporante  seplies],  il  y  avait  à  Home 
un  noble  y  Tranquillinus,  dont  le  fils  Amsanus  servait  Dieu 
depuis  son  enfance.  Il  était  né  à  Rome  et  élevé  parmi  les 
scholares.  Un  jour,  comme  il  avait  douze  ans,  il  s'enfuit  à 
V église,  cherchant  un  prêtre  pour  se  faire  baptiser.  Le  prêtre 
Protasius,  prévenu  en  songe  par  un  ange,  se  réveille^  va  au 
secretarium  oh  jaillit,  dans  une  odeur  d'aromates^  une  fon- 
taine d'eau  pure  ;  il  y  célèbre  les  choses  de  Dieu  [ea  quae  Dei 
sunt]  et  baptise  Amsanus  :  la  chrétienne  Maxima,  qui  était 
du  territoire  anacritain  %  devint  sa  mère  du  baptême  [mater 
de  baptismo  efîecta  est],  et  y  dès  lors,  ils  n'ont  qiiiine  âme. 

La  treizième  année  de  V empire  [XI 11  anno  imperii...]  des- 
dits empereurs,  une  cruelle  persécution  survint  :  dans  toutes 
les  cités,  tous  les  bourgs  [vicus],  toutes  les  demeures,  on  éle- 
vait des  statues  à  Jupiter,  on  mettait  à  la  torture  quiconque 
nommait  le  Christ,  A  ce  moment,  Amsanus  vivait  chrétienne- 
ment, en  secret,  depuis  sept  ans  ;  il  avait  dix-neuf  ans.  Il  se 
mit  donc  à  réfléchir  sur  Dieu,  et  dit  :  a  Tirai,  je  dirai  aux 
empereurs  que  j e  suis  chrétien  et  que  je  désire  mourir  pour 
son  nom  [pro  illius  nomine  mori  desidero].  >)  //  va  trouver 
Maxima,  sa  mère  par  le  baptême  ;  comme  elle  partage  son 
désir,  ils  vont  tous  deux  se  livrer.  Mais  ils  guérissent  un  aveugle 
en  route  et  sont  dénoncés  par  un  scélérat  aux  sérénissimes 
augustes,  «  Nous  sommes  nés  de  parents  libres  [ingenuis], 
comme  Vatteste  toute  notre  parenté  de  cette  ville  [affinitas 
nostra  in  hac  urbe].  »  —  «  Vous  confessez  le  Crucifié,  vous 
raillez  nos  dieux.  Sacrifiez  ou  mourez,  »  —  «  Vos  dieux  ne 
sont  propices  ni  à  eux-mêmes  ni  à  leurs  fidèles.  Jésus-Christ 
nous  favorise,  au  contraire  ;  nous  nous  livrons  aux  supplices 
pour  V amour  de  lui.  Nous  Vinvoquons  pour  quil  nous  ap- 
pelle à  {partager)  sa  gloire...  Votre  Jupiter  [Jovis]  nest  rien  ; 
ce  n'est  pas  lui  qui  a  fait  le  monde  ni  l'homme,  cest  le  Dieu 
tout-puissant,  Père  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  ;  comme 
le  prophète  le  dit,  cest  le  diable  qui  a  trompé  l'homme  et  Va 
poussé  à  adorer  des  dieux  en  bois.  »  —  «  Vous  n'êtes  pas  ici 
pour  parler  des  prophètes,  mais  pour  sacrifier.  «  —  «  Nous 
croyons  en  JésuS'Christ,  l'ami  de  la  chasteté  et  de  la  pudeur  ; 
nous  sommes  prêts  à  souffrir  le  feu  et  les  fers.  :»  0??  les  en- 
ferme ;  mais  ils  prient  le  Seigneur '.VrohdisW,  Domine,  cor 
nostrûm...;  une  odeur  suave  emplit  la  prison,  une  voix  leur 

1  Faut-il  lire  tanagritain  ?  Cf.  Vitus'B,  G.  M.  R.  II,  169,'176. 


TEXTES    APPARENTÉS  217 

dit:  Gaudete  in  Domino  semper...,  quia...  meruistis  accipere 
quod  nec  oculus  uidit  nec  auris  audiuit...  Et  les  martrjrs 
s  agenouillent  et  remercient  Dieu  et  chantent  avec  David  : 
Exaudi,  Deus,  orationem  meam...  ;  ne  derelinquas  nos  usque 
in  line.  Pendant  leur  sommeil  un  ange  leur  apparaît  qui  leur 
dit  :  «  Confiance^  Notre  Seigneur  Jésus  vous  appelle  à  la  vie 
éternelle.  î) 

Comme  ils  comparaissent  le  lendemain^  et  persistait  dans 
leur  foi,  on  les  sépare,  AJaxima,  restée  seule,  refuse  de  se 
laisser  fléchir  et  rappelle  David,  qui  dit  :  Simulacra  gentiuni 
argentum  et  aurum  ;  elle  rend  Vesprit  tandis  quon  la  roue  de 
coups  de  hdton.  Amsanus  s'enfuit  de  sa  prison,  arrdve  à  la 
ville  [urbem]  qui  est  appelée  Balneum  Regense,  Là,  le  Sei- 
gneur lui  apparaît  et  lui  dit  :  c<  Tu  as  rejeté  les  démons  ;  je 
ferai  de  toi  une  colonne  de  mon  temple,  une  porte  de  la  vie 
éternelle.  »  Deux  mois  après,  il  arrive  à  Sienne  [in  oppidum 
Senense]  et  ij  opère  beaucoup  de  merveilles.  Le  proconsul 
Lisias  y  érige  les  idoles  d^ Hercule,  Jupiter  et  Saturne  et  lui 
commande  d'y  sacrifier,  ainsi  que  le  lui  ont  ordonné  les  cm" 
pereurs,  «  Pourquoi  ne  sacrifies-tu  pas  ?  »  —  c<  Bon  pour  toi 
d'adorer  des  dieux  qui  ne  peuvent  rien  pour  eux  ni  toi.  J'adore 
Jésus-Christ.  Et  qui  donc  tes  statues  représentent-elles  ?  Mé- 
ritent-ils le  respect,  ceux-là  ?  »  —  On  le  jette  dans  une  {chau- 
dière) de  poix  et  de  résine  bouillantes  ;  puis,  comme  il  ne 
souffre  pas,  il  est  décapité  près  du  fleuve  Arbiam,  le  jour'  des 
kalendes  de  décembre,  et  on  V ensevelit  là  même.  Ses  bienfaits 
s'y  multiplient  jus qu  à,  ce  jour,  à,  la  louange  et  à  la  gloire  de 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  à  qui  honneur  et  pouvoir  dans 
les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Amsanus  est  inconnu  du  férial  hiéronymien,  du  calendrier 
populaire  et  d'Adon. 

Le  cadre  topographique  de  la  légende  est  facile  à  recon- 
naître :  Rome,  Bagnorea  [Balnus  regis^.  Sienne  \Colonia 
Julia  Senensis  *]. 

Certains  détails  de  la  légende  attestent  qu'elle  est  parente 
de  différents  textes  du  vu^  et  du  vi*  siècle.  Amsanus  est  un 
enfant  de  Page  de  Vilus  et  Maxima  rappelle  Modestus  :  il  a  le 
courage  d'Agapet.  Ici  comme  dans  Secundianus,  le  martyr 
«  désire  mourir  pour  le  nom  »  du  Christ  ;  il  reproche  aux 

^  C.  I.  L.,  XI,  I,  p.  332. 


218  TRADITIONS    DE    TUSCIE    (viA    AUREUA) 

païens  les  turpitudes  de  leurs  dieux  ;  il  refuse  d'adorer  Saturne  ; 
à  l'annonce  de  la  persécution  il  reconnaît  que  «  le  temps  est 
venu  ». 

Ici  comme  dans  Cassicn  de  Todi  (et  dans  Vnlentin)  apparaît 
le  terme  scholarcs  et  Finfluencedes  gestes  de  saint  Sébastien  : 
c*est  de  Sébastien  que  viennent,  j'imagine,  la  marraine  \ma- 
ter  de  baptismo]  et  le  nom  de  Tranquillinus  ;  comme  l'auteur 
de  Cassien,  le  rédacteur  d^Amsanus  s'excuse  de  la  médiocrité 
de  ses  moyens. 

Ici  comme  dans  Eupliis  et  dans  Alexayidre  de  Jiaccano, 
le  martyr  est  sommé  d'adorer  une  trinité  païenne  ;  et  les  deux 
légendes  mettent  en  scène  un  personnage  appelé  Protasius,  et 
toutes  deux  s'intéressent  à  la  question  de  la  fuite. 

Ce  dernier  trait  nous  rappelle  Domninus  et  Pergentiniis  ; 
et,  dans  Domninus  comme  ici,  les  événements  sont  datés 
anno  imperii  [imper atorunï]  ;  et  un  ange  vient  réconforter  le 
martyr,  ici  comme  dans  Pergentinus. 

La  guérison  de  l'aveugle,  le  jeune  âge  du  saint  et  l'opposi- 
tion de  ses  parents,  que  laisse  deviner  le  rédacteur,  nous  font 
ressouvenir  de  Gratilianus.  —  On  pourrait  citer  encore  quel- 
ques nouveaux  points  de  contact  entre  nos  gestes  et  d'autres  ^  ; 
ils  confirmeraient  tous  le  fait  que  l'on  voit  déjà  très  clairement 
et  l'hypothèse  qui  en  dérive  ;  je  veux  dire  la  parenté  d'^m- 
sanus  avec  les  légendes  du  vii^  siècle,  et  l'attribution  de  ce 
texte  à  cette  date. 

Voici  qui  peut  préciser  cette  conclusion.  On  a  conservé  une 
seconde  version  de  la  légende  ^,  qui  ne  s'écarte  que  très  peu 
de  la  première  :  la  plus  notable  difîérence  qui  les  sépare 
l'une  de  l'autre,  c'est  que  la  première  [A]  écrit  oppidum  se- 
nense,  la  seconde  [B]  civitas  senensis.  J'imagine  que  le  ré- 
dacteur du  texte  A  distinguait  une  civitas  d'un  oppidum,  et 
que  le  rédacteur  du  texte  B  avait  perdu  le  sens  de  cette  dis- 
tinction :  A  serait  donc  antérieur  à  B  ^ 

On  voit,  d'autre  part,  que  l'évêché  de  Sienne  a  été  restauré 
au  temps  de  Rothari,  peu  après  049  ;  l'évêché  avait  sans 
doute  disparu  à  la  fin  du  vi^  siècle.  La  légende  siennoise  da- 

1  Sabinus,  Terentianus  \septies\. 

2  B.  H.  L.,  516.  [Baluze.  Miscellanea  :  éd.  Mansi,  vi,  63-65]  Ce  texte  écrit: 
1.  hnperante  Diocletiano  octies^  Maxhniano  sep  lies  ;  2.  Maxirna  de  territorio 
olymjphynato;  3.  18  ans  au  lieu  de  19  ;  4.  Il  insiste  sur  l'oppositioQ  qu'Amsa- 
nus  rencontre  chez  ses  parents  [Cf.   Vitus,  Gratilianus,  Nazaire...  Barbé]. 

3  Hartmann,  ii,  1.268-269.  —  Troya  :  Codex  d.  400,  405,  406,  407,  408. 


SEGUNDIANUS    DE    CIVITA-VECCHIA  219 

terait  donc  du  temps  de  Rothari  et  de  la  réorganisation  de 
l'église  locale,  c*est-à-dire  du  milieu  du  vu®  siècle  ;  il  n'est  pas 
impossible  qu'on  ait  encore  su  distinguer  à  ce  moment  entre 
civitas  et  oppidum. 

Je  remarque  qu'elle  utilise  un  passage  bien  connu  du  livre 
de  Tobit  ^  et  qu'elle  reflète  l'usage  du  temps  lorsqu'elle  nous 
montre  le  martyr  faisant  appel  à  ses  parents  pour  prouver  sa 
liberté  -. 


IV 


Le  cinq  des  ides  d'août^  à  Coloniacum  qui  est  apptlé  Co- 
lonia^  au  temps  de  Dèce  César  et  sous  Valérien  préfet,  une 
grande  persécution  s* éleva  contre  les  chrétiens.  Il  y  avait  alors 
un  certain  Secundianus .,  togatus^  qui  dirigeait  le  palais  (?  qui 
praesidebat  palatio)  :  c'était  un  homme  très  éloquent  et  versé 
dans  les  sciences  du  siècle  (in  arte  mundana),  rhétorique,  mu- 
sique, philosophie ,  arithmétique,  astronomie  ;  il  avait  la  fa~ 
veur  de  tous  les  grands  (illustres)  et  animait  Valérien  contre 
les  saints  martyrs,  «  Pourquoi  donc,  se  demandait-il  en  son 
cœw\  les  chrétiens  désirent-ils  à  ce  point  mownr  pour  le  nom 
du  Christ  ?  »  Le  sage  Marcellianus,  avec  qui  il  discutait  sou- 
vent philosophie  et  grammaire,  avec  qui  il  méditait  parfois  les 
vers  de  Virgile  : 

lam  noua  progenies  cœlo  dimittitur  alto, 
lam  uenit  et  uirgo,  redeunt  saturnia  régna... 

lui  fit  une  fois  cette  réponse  :  «  Si  les  chrétiens  désirent  mou- 
rir, c'est  que  y  à  les  entendre,  la  mort  est  suivie  du  jugement 

'  XII,  7.  —  Ce  même  texte  est  utilisé  dans  l'histoire  de  l'inventioii  d'Etienne 
60  415  [P.  L.,  41.821,  833J,  dans  Justine,  dans  certains  [miracles  de  Clé- 
ment, etc..  Cf.  Restituta  et  Torpes  {Tobit,  higes,  Habacuc). 

2  Formulœ  Lindenbrogianœ,  21  ;  Senonenses,  2  e^  5  ;  Merkelianœ^  28  ;  etc., 
[Fustel  de  Coulanges  :  Alleu  et  domaine  rural,  325J. 

•'  B.  H.  L.,  7550  [juin  I,  35  ou  341.  Sur  les  textes  B.  H.  L.,  7551  et  7552,  cl, 
infra,  p.  223,  n.  2.  —  Le  texte  de  Mombritius,  ii,  263,  est  un  résumé. 


220  TRADITIONS    DE    TDSCIE    (viA    AURELIa) 

et  de  la  résurrection.  Mais,  en  somme,  qu' est-ce' que  le  Christ  »  ? 

—  f(  Au  sens  allégorique  et  pro'pre  (?  ad  alle^oricum  proprie- 
talis  sensum),  il  est  l  Oint,  »  —  «  S'il  est  l'Oint  dé  Dieu,  Dieu 
est  donc  connu.  »  —  «  Voilà  bien  ta  sagesse.  Tu  as  lu,  on  le 
voit,  ses  historiographes.,  Luc  et  Matthieu  y  d'après  lesquels  il 
a  fait  beaucoup  de  miracles,  tandis  que  les  démons  le  reçoit' 
naissaient  pour  Fils  de  Dieu  ;  si  leur  témoignage  vaut,  il  est 
Dieu.  On  Va  tué,  mais  il  est  ressuscité.  Et  comment  pourrions- 
nous  adorer  nos  dieux?  Nous  en  savons  toutes  les  turpitudes .  » 

—  ((  Tu  dis  vrai.  »  —  «  Reconnaissons  donc,  conclut  Secun- 
dianus,  que  les  chrétiens  ont  raison  d aimer  le  Christ  et  de 
vouloir  mourir  pour  lui.  »  A7Tive  alors  Virianus,  commun 
ami  des  deux  autres  ;  après  les  avoir  salués  y  il  se  met  à  dis' 
cuter  avec  eux  des  sciences  du  monde,  «  Malheur  à  moi,  dit 
Secundianus  :  f  adore  les  idoles  muettes ^  et  fai  torturé  tous 
les  saints!  »  —  «  Suis-j'e  devenu  fou,  reprend  Virianus  : 
vous  voilà  prédicateurs  de  cette  religion!  »  —  «  Croyons  au 
Christ,  Dieu  et  Seigneur,  sur  la  foi  de  ceux  qui  désirent  per- 
dre cette  vie  pour  acquérir  la  vie  éternelle.  »  —  «  Cest  vraiy 
dit  Virianus  :  s'il  est  quelque  chose  d'éternel,  il  faut  le  cher- 
cher. »  Les  trois  amis  envoient  donc  quérir  le  prêtre  Tiniothée 
du  tilulus  Pastoris.  Secundianus  le  salue,  demande  le  baptême 
au  nom  du  Seigneur  Jésus-Christ  et  Marcellianus  fait  de 
même.  Timothée  les  catéchise  ;  comme  ils  croient  au  Dieu  Père 
tout  puissant,  —  à  Jésus-Christ  son  Lils  Unique  Notre  Sei' 
gneur,  —  qui  a  été  conçu  du  Sai?ît- Esprit  et  est  ne  de  la 
Vierge  Marie,  Timothée  les  baptise  au  nom  du  Père  et  du  F'ils 
et  du  Saint-Esprit  pour  quils  croient  à  la  rémission  des  pé- 
chés ;  et  le  bienheureuob  Sixte,  évêque,  les  signe  du  signe  de  la 
croix.  De  ce  jour,  ils  donnent  aux  pauvres  leurs  richesses. 

Deux  mois  après,  Secundianus  togatus  est  demandé  par  Va- 
lérien  qui  a  appris  sa  conversion,  et  celle  des  autres  scholas- 
tici  Virianus  et  Marcellianus.  Il  lui  écrit  :  «  A  mon  frère  Se- 
cundianus togatus  Valérien  préfet.  Pourquoi  ne  viens-tu  pas 
à  notre  conseil  :  nous  avons  besoin  de  toi.  »  —  «  Mes  frères, 
le  temps  est  venu,  dit  Secwidianus  à  Marcellianus  et  Virianus. 
J'irai  seul.  »  —  «  Nous  t* accompagnerons .  »  Et  tous  les  trois, 
au  point  du  jour,  vont  au  palais  de  Salluste,  oii  Valérien 
habite  avec  Dèce.  Valérien  siège  dans  la  basilique  dite  dAscle- 
pius.  «  Eh/  bien,  Secutidianus,  qu'est-ce  que  j'entends?  » 
—  «  Je  ne  dis  rien.  »  — «  Tu  es  devenu  fou.  »  —  «  Je  suis 


SECUNDIANUS    DE    CIVITA-VKGCHIA  221 

devenu  sage.  Si  tu  savais,  si  tu  comprenais,  tu  désirerais 
m' imiter.  Les  martyrs,  tu  le  sais,  méprisent  les  richesses.  Mal- 
gré mes  crimes,  je  crois  que  le  Seigneur  Jésus-Christ  me  sau^ 
vera.  »  —  «  Alors,  tu  es  chrétien.  »  —  «  Parfaitement  »  ;  et  il 
persiste,  bien  qu'il  perde  l'amitié  de  César,  et  que  Valérien  ne 
lui  ait  jamais  fait  de  mal.  Marcel lianus  et  Virianus  se  font 
arrêter  avec  lui. 

Quand  Dèce  l'apprend,  il  refuse  d'y  croire  ;  puis,  il  fait 
venir  Secundianus ,  qui  arrive,  le  visage  illuminé  :  «  Souvietis^ 
toi,  lui  dit-il,  de  ta  sagesse  d^antan.  »  —  «  Elle  est  folie  ;  toi 
aussi,  quitte  ta  folie.  ))  On  apprend  alors  à  Dèce  que  les  autres 
schulastici  sont  encore  en  prison  :  il  les  envoie  [avec  Secun- 
dianus),  escortés  de  quarante  soldats,  à  Promotus,  consularis 
Tusciae,  qui  est  à  Cività-Vecchia.  Celui-ci  les  fait  comparaître 
ù  son  tribunal,  sur  le  forum,  devant  une  idole  de  Saturne, 
«  Pourquoi  iiobeissez-vous  pas  ?  »  —  «  Nous  obéissons  aux 
ordres  de  Dieu,  non  à  ceux  du  diable.  i>  —  c(  Sacrifiez.  » 
—  c(  C'est  nous-mêmes,  si  nous  en  sommes  dignes,  que  nous 
offrons  en  sacrifice  à  Dieu,  non  au  diable.  »  Tandis  qu'on 
les  bat  et  les  déchire,  ils  glorifient  le  Seigneur  et  crachent  sur 
l'idole  qui  tombe,  fracassée,  et  lèvent  les  yeux  au  ciel,  et  re- 
mercient le  Seigneur  Jésus-Christ.  Un  valet  des  bourreaux 
(minister  carnifîcum)  tombe  mort  ;  un  autre  implore  les  trois 
saints  du  Dieu  tout-puissant  qui  le  torture.  Alors  Promo- 
tus ordonne  qu'on  les  décapite  ;  on  les  mène  au  lieu  Colonia- 
cum,  qui  est  dit  Colonia,  au  62''  mille  de  Rome,  on  les  déca- 
pite et  on  les  jette  à  la  mer.  La  nuit  suivante  le  serviteur  de 
Dieu  Deodat  trouve  les  corps,  puis  les  têtes,  et  les  ensevelit  où 
ils  ont  été  tués,  le  cinq  des  ides  d'août.  Leurs  prières  fleurissent 
dans  l'église  du  bienheureux  Pierre,  à  Toscanella  (in  civi- 
late  Tuscana),  tandis  que  règne  Notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
à  qui  honneur  et  gloire  dans  l'infini  des  siècles  et  des  siècles. 
Amen. 

Les  héros  de  ces  gestes  sont  attestés  par  le  férial  hiéro- 
nymien  \  à  la  date  du  9  août  : 

E.  in  tuscia  veriani  marcelliani  secundiani  romani 
largi.,. 

1  Rossi-Duchesne,  p.  103. 


222  TRADITIONS    DE    TUSCIE    (VIA    AURELIa) 

B.  ET  IN  COLO{N)NI  Tusciœ  UIA  AURELIA  rniliario 
XV.  I^ausiini.  Uiriani^  Marcellianij  Secundiani  et  Sixli, 

W.  et  in  colonia  nat  scorum  faustini,  uirianiy  rnarcelliam 
secundiani  xysti. 

Nous  ne  pouvons  pas  définir  le  groupe  auquel  appartien- 
nent les  saints  :  ni  V Epternacensis  ni  surtout  le  Bernensis  ne 
les  isolent  comme  fait  la  légende.  Ici  comme  ailleurs,  on  de- 
vine que  l'histoire  réelle  a  disparu. 

Le  thème  légendaire  suggère  deux  observations.  La  ques- 
tion de  la  spontanéité  du  martyre  a  fourni  la  matière  du  pre- 
mier développement  :  ce  qui  nous  invite  à  penser  que  le  texte 
peut  dater  du  vi®  siècle.  —  La  mise  en  œuvre,  d'autre  part, 
atteste  chez  l'auteur  la  préoccupation  suivante  :  comment 
s'est  opérée  la  conversion  au  christianisme  des  gens  instruits, 
des  intellectuels,  les  scholastici  *  ?  L'auteur  a  voulu  répondre  à 
cette  question  en  racontant  une  histoire  qu'il  prétend  au- 
thentique. 

Et  cette  double  remarque  s'appuie  des  points  de  contact 
que  l'on  discerne  entre  nos  gestes  et  deux  autres.  Les  gestes 
de  Terentianus  de  Todi,  qui  appartiennent  presque  certaine- 
ment au  second  quart  du  vi®,  emploient,  comme  les  nôtres,  le 
terme  de  togatus  et  s'intéressent  également  à  une  mystérieuse 
colonia.  Les  gestes  de  Valentin  s'intéressent  autant  que  les 
nôtres  à  la  question  des  scholastici  convertis.  Seciindianus 
date  sans  doute,  comme  Torpes,  de  la  fin  du  vi^  siècle  ou  du 
début  du  vue  siècle. 

Je  note  encore  que  nos  gestes  ont  été  écrits  dans  les  mi- 
lieux où  l'on  connaissait  les  gestes  romains.  Le  prêtre  Ti- 
mothée,  qui  baptise  les  trois  amis,  est  attaché  au  titulus 
Pastoris,  comme  le  Pigmenius  de  Donat.  Tl  est  peut-être 
identique  au  prêtre  Timothée  à'Hedestus  :  Secundianus  rap- 
pelle assez  bien  Hedestus.  Lorsque  les  trois  amis  s'abordent, 
ils  se  saluent  l'un  l'autre  [§  3]  avec  un  souci  de  l'étiquette 
qu'on  trouve  aussi  nettement  marqué  dans  Susanne,  —  où 
l'auteur  inconnu  insiste  complaisamment  sur  la  science  de  ses 
héros,  —  où  il  est  également  question  du  palais  de  Salluste, 
—  où  Ton  appuie  avec  insistance  sur  la  spontanéité  des  mar- 
tyrs, et  la  vénération   qu'on  doit  aux  saints,  et  la  rémission 


^  Cf.  §  1.  Secundianus  est  très  versé  dans    Vars  mundana,    sive  rhetorica, 
musica,  philosophia,  arithmetica,  astronomia. 


TEXTES    APPARENTÉS  223 

des  péchés  que  procure  le  baptême.  La  formule  si  scires  re- 
vient à  plusieurs  reprises  ici  aussi  bien  que  dans  Censur'inus, 
Irénée  de  C/iiusi,... 

Notre  auteur  a  quelque  culture.  Il  sait  que  Sixte  est  à  peu 
près  contemporain  de  Dèce  ;  il  connaît  Marcianus  Capella  ;  il 
connaît  enlîn  les  vers  fameux  de  Virgile  où  Constantin  a 
montré  comme  une  prédiction  du  Christ  '. 

Un  point  reste  obscur. 

Qu'est  au  juste  cet  endroit  dit  Coloniacum  qiiod  appellatur 
Colonia,  qui  est,  d*après  les  gestes,  à  62  milles  de  Rome, 
d'après  le  Bernensis  au  15®  mille  de  la  voie  Aurélia.  Il  faut 
sans  doute  le  chercher  aux  alentours  de  Cività-Vecchia  :  mais 
quel  point  désigner  précisément?  La  table  de  Peutinger  men- 
tionne sur  la  voie  Aurélia,  entre  Rome  et  Cività-Vecchia 
plusieurs  colonies,  Alsium  et  Pyrgos,  Castrum  Novum  et 
Gravisca.  Notre  Colonia  est  peut-être  une  de  celles-ci  ;  je 
n'oserais  dire  laquelle.  —  Civitas  Tuscana  est  sans  doute  la 
moderne  Toscanella  ^ 


•  Bucoliques,  iv,  5,  sq.  «  Magnus  ab  integro  sœclorum  nascitur  ordo 

lam  redit  et  Virgo,   redeunt  saturnia  régna. 

Cf.  Oratio  Constantini  ad  sanct.  cœfum,  19-20  [Eusèbe  :  Vita  Const.  sub 
tioej.  —  Lactance  :  Div.  Inst.  vu,  24.  —  Jérôme  :  Ep.  53.  —  CL  S.  Reinach  : 
Cultes,  Mythes  et  Religions,  ii,  QQ. 

Sur  la  légende  de  Secundiauus,  cf.  Tillemont,  m,  331  et  704  :  et  Allard.  ii, 
314-317.  Le  calendrier  populaire  et  Adon  l'iffoorent.  Elle  est  utilisée  par 
Usuard  [P.  Z..,  124,  315-316]  et  par  Notker  \P'.  Z.,  131,  1136].  Un  évêque  de 
Tuacana  siège  au  concile  de  649,  Hartmann,  ii,  1,  268. 

-  On  connaît  deux  autres  versions  des  gestes  :  Codex  Bruxellensis  21  885 
(de  1277)  [Cat.  Brux.,  n,  433]  et  Codex  Parisinus  5360,  du  xiv«  [Cat.  Paris, 
11,  337].  La  version  de  Paris  est  une  amplification  verbeuse  de  notre  texte: 
après  avoir  nommé  Sixte,  on  ajoute  :  «qui  tune  quoque  uigesimus  quintus 
exliterat  post  beatum  petrum  apostolum  fullus  apostolicis  honoribus  >.  —  Je 
ne  connais  pas  la  version  de  Bruxelles. 

On  a  conservé  deux  adaptations  des  gestes  de  Secundianus.  L'une  les  attri- 
bue à  Florentins,  Julianus  et  leurs  compagnons  de  Pérouse  :  c'est  le  texte 
B.  II.  L.  3052;  les  noms  des  saints  sont  seuls  changés.  —  L'autre  les  attribue 
à  Gratinianus  et  Felinus,  qui  sont  également  des  saints  de  Pérouse:  c'est  le 
texte  B.  H.  L.,  3633  [le"-  juin,  25-30].  Peut-être  date-t-il  de  la  translation  de 
Gratinianus  et  Félinus,  qui  ont  guéri  Amizo  (en  979),  au  monastère  d'Arona 
que  construisait  à  ce  moment  ledit  Amizo.  Peut-être  remonte-t-il  à  une 
époque  antérieure  [cf.  Paulinus  avec  Torpes]. 


224  TRADITIONS    DE    TUSCIE    ^VIA    ALRELIA) 


Marcianus  ^w  temps  de  V empereur  Maximien  qui  succède  à  Dioclétien^ 
et  de  Pro-  '(^oici  quel  prodige  sur Vint  au  Capitule  :  la  tête  de  Jupiter  Ca- 
de  "sanLi-pitolin  dont  la  statue  est  en  or,  et  se  trouve  à  V  intérieur  du 

TH-èsBrac-  l^^P^^y  A^^  trouvée  toute  tordue.  Maximien  ordonna   donc 

[cianoj 

1  Ce  texte  est  inédit.  Il  est  conservé  par  le  Codex  A.  2  de  VArchivio  du  cha- 
pitre de  Saint- Pierre  au  Vatican,  folio  24^ 

Incipit  passio    Se.  Mm.   Marciani  prbi,  Macarii    |  f.  21^  et 
Stratoclini  et  Protogeni  men.  ianuario  ii. 

^  «  Temporibus  maximiani  imperatoris  qui  regnauit  post  diocletianuna  imp, 

faolum  est  taie  sigmim  in  Capitolio  ut  iouis  capitolinus  intra  templum  —  cuius 
simulacrum  erat  aureum  —  subito  capud  eius  extortum  est,  et  iussit  ut  sacrifi- 
ciam  {cor.  cia)  consueta  offerrent  in  omnem  [cor.  te)  ciuitatem  [cor.  ni)  et  omnes 

5  xrianos  ubicumque  inuenti  protinus  ad  sacrificia  trahi.  Deuulgata  est  eius 
praeceptio  in  toto  orbe.  Tune  uicarius  protogenis  ueniens  secundiim  preceptum 
ad  lacum  qui  dicitursabbatinum,  iussit  ut  in  termis  aquarum  sacrificia  offerrent 
et  sacrificauit  in  eisdem  thermis.  Tune  iussit  uicarius  protogenis  ut  ubicumque 
inuenti   fuissent  Xriani  cogerentus  sacrificia    offerre.  Ueoustianus  quidam  ex 

10  magistratu  nomine  siluius  dixit  ad  protogenem  :  Uir  prudentiae  divee,  hic  est 
quidam  prbr  nomine  marcianus  qui  doctrinis  et  suasionibus  seducit  populum 
et  facit  eos  recedere  |  II  a  cultura  deorum.  Protogenis  uicarius  dixit  :  Currat 
praeceptio  dnorum  nostrorum  ut  ubicumque  inuenti  fuerunt  prophani  in  hoc 
territorio  ad  meducinon  tardentur.  Tune  siluius   ex  magistratu  cucurit  et  te- 

15  nuit  Marcianum  prbum  cum  macario  exorcista  et  stratoclinium  lectorem 
quos  uinctos  adduxit  ad  protogenem  uicarium  in  foro  cludi  *  et  optulit  ai 
eos  in  conspectu  ciuium.  Quoscum  uidisset  protogenis  gaudio  repletus  dixit  ad 
eos  :  Quare  non  obaudistis  praecepta  principum?  Respondit  marcianus  presbyter 
et  dixit  :  Non  necesse  est  nobis  de  hac  re  loqui.  Protogenis  uicarius  aixit  :  die 

20  mihi  in  quo  otficio  estis.  Respondit  marcianus  :  ego  peccator  presbyter  non 
meritus  ;  hii  filii  mei  macarius  exorcista  et  stratoclinius  lector.  Protogenis 
uicarius  dixit  :  Audite  me  et  deponite  perniciem  et  uiuitse  quia  bona  est  uita 
quam  mors.  Respondit  marcianus  presbyter  dicens  :  bene  locutus  es  et  ta- 
men  ut  scias  quia  melior  est  uita  quam  mors.  Protogenis  dixit  :  istam  insa- 
niam  non  derelinquis,  nisi  una  nocte  mecum  conflictum  habueris  ;  ego  enim 
factis  pœnarum  in  te  exercebor.  Et  iussit  duci  omnes  très  in  custodiam  domo 
sua.  Alia  nocte  misit  |  25'*  et  adduxit  eum  in  conspectu  suo  et  dicit  ad  eum: 
homo  die  mihi  quse  est  prsedicatio  tua.  Respondit  marcianus  presbyter  :  Quia 
Xs  deus  dei  filius  ipse  est  deus.  Protogenis  uicarius  dixit  :  Et  quid  dicis  de  io- 

30      uem  omnipotentem.  Marcianus  presbyter  dixit  :  Turpis  qui  née  sibi  nec  aliis 

*  Il  faut  lire  évidemment  Forum  Clodii, 


25 


MARCIANUS    DE    SAN    LIBERATO  225 

qic^on  offrit  dans  toute  la  cite  les  sacrifices  accoutumés  et  quun 
obligeât  tous  les  chrétiens  à  sacrifier.  L ordre  fut  expédié  dans 
le  monde  entier.  Le  vicaire  Protogenis  vint  offrir  un  sacrifice 

insania  lasciuiarum  pepercit  ;  uitara  ipsius  reqnire  et  iuuenies  qualis  fuerit. 
Protogenius  uic&rias  dixit  :  tu  quidem  uitaiu  doi  tui  déclara  nobis.  Marcia- 
nus  prb  dixit  :  Audi  me,  haec  est  uita  dui  mei  iliu  Xri  qui  natus  est  ex  maria 
uirgiue  deus  de  deo,  passus  et  mortuus  est  et  post  triduura  resurrexit  et  in 
omnibus  in  se  credentibus  hoc  promisit  ut  post  mortem   uitam  aeteroaui  me- 

a 

reantur  habere.  Protogenis  uicarius  dixit:  Osteode  mihi  ipsam  uitaui  quem 
dicis  eeteraam.  Marcianus  presbyter  dixit  :   ut  credas  et  baptizeris  et  peniteu- 

e 

tiam  agas  de  sanguine  sanctorum  quem  effudisti  et  uiuis  in  aeternum.  Res- 
pondit  protogenis  uicarius  :  ergo  noli  tardare,  fac  quod  scis  esse  uerum.  Mar- 
ciauus  presbyter  dixit  :  audi  uerba  mea  et  uoli  tardare  baptismum  percipere, 
Protogenis  uicarius  diiit  :  tu  non  tardare.  Dicit  ad  eum  marcianus  presbyter  : 
ieiuna  hodie  et  cras  quod  |  II  dus  uoluerit  faciemus.  Et  indicto  ieiunio  prae- 
cœpit  protogenis  in  domum  suam  quasi  egrotum   se   hostendere,  et   post   tri- 

is  ibus  ae 

duum  facta  omnia  consueta  dicit  protoienis  ad  marcianum  presbyterum  : 
habeo  simulacra  ex  parentum  meorum  precepto  ;  quid   uis   ut  faciam  ?    Res- 

ro  atn 

pondit  marcianus  presbyter  dicens  :  si  ego  ea  uidebam  et  dico  quid  fieri  de- 
béant.  Et  introduxit  eum  in  quoddam  cubiculum  suum  ubi  inuenit  iouem  et 
mercurium  et  iunonem  et  pallatem.Cui  dixit  marcianus  presbyter  :  utostendas 

«■e  «         -  .. 

te  intègre  crede  dûm  nrm  ihm    xrm,  tu  manibus  tuis  omnia  ydola  confringc. 

e 
Eadem  hora  protogenis  uicarius  manu  sua  omnia  ydola  confregit  et  ignem  ap- 

0  e 

poBitum  in  puluerem  redigit.  Eadem  die  baptizauit  protogenem  et  omnem  do- 
mum eius.  Ab  eadem  die  cœpit  protogenis  omnem  facultatem  suam  uenundare 
etdare  pauperibus.  Audiens  autem  probatianus  magistratus  ueniens  ad  urbem 
romam,  intimauit  omnia  maximiano  imperatori.Tunc  maximianus  misit  corne- 

l  a       o 

ium  comitem  et  teouit  marcianum  presbyterum  una  eum  macurium  exorcista 

0 

et  stratocliniu  lectore.  Quos  eum  uidisset  dixit  ad  eos  :  Seducitis    homines  ut 

e 

non  soUempnia  offerant  diis  |  f.  25v,  etiam  ad  ritum  christianitatis  suadilis. 
Marcianus  prbter  dixit  :  nos  ad  ueritatem  perducimus  ut  unusquisque  non 
pereat  sed  habeat  uitam  eeternam.  Tune  cornelius  iratus  """  duci  eos  fecit 
in  quoddam  arenarium  et  ibidem  eos  capitalem  iussit  subire  sententiam  sub 
die  quarto  nonarum  ianuariarum.  Quorum  corpora  collegit  quidam  ex  familia 
Protogenis  nomine   Narcissus  et  sepeliuit  in  eadem   cripta   miliario   ab   urbe 

mo 

roma  XXVII  ubi  florent  orationes  sanctorum  usque  in  hodiernum  diem. 
Amen.  Post  uero  dies  quinque  fugit  protogenis  in  fundum  suum  in  territorio 

0 

coranu  (?)  quod  dicitur   suplicianum  :    hoc  audiens   cornelius  misit  et  tenuit 

0  0  0 

feum  qui  nec  discussum  eum  seruis  suis  narcissum  et  argeum  et  marcellinum 
et  papatem  suo  iussit  ut  ibidem  decollarentur  ia  fundum  supplicianum  terri- 

nio 

torio  corse  miliario  ab  urbe  XXX  ubi  hodie  corpora  eorum  requiescunt  in 
pace  régnante  dno  nro  ihu  xpo  cui  est  honor  et  gloria  in  s.  s.  Amen. 

III  15 


22f>  TRADITIONS    DE    TTISCIK    (v\\    AURICLIA) 

dans  les  thermes  du  lac  de  JJracciano  et  ordonna  d'y  conduire 
les  chrétiens.  Cest  alors  qu'un  ancien  rnafjlstrat,  Venustianns 
Silvius,  dénonça  à  Protofjenis  le  prêtre  Marcianus  comme  le 
sédiicteur  du  peuple.  «  Amenez-moi  tous  les  chrétiens  de  ce 
territoire  »,  répondit  Protogcnis.  Marcianus  est  donc  arrêté , 
ainsi  que  V exorciste  Macarius  et  le  lecteur  Stratoclinius.  On 
les  mène  au  forum  Clodii  (?),  oii  ils  confessent  la  foi.  Mais,  la 
nuit  suivante,  Protogenis  se  fait  amener  Marcianus  et  se  laisse 
convertir  par  lui  :  «  Le  Christ  Dieu,  fils  de  Dieu,  est  lui-même 
Dieu  ;  Jupiter  est  un  être  ignoble  et  lascif,  tandis  que  le  Christ, 
né  d'une  Vierge,  mort  et  ressuscité,  donne  la  vie  éternelle  à 
tous  ceux  qui  croient  en  lui;  la  vie  éternelle  cest  de  croire,  et 
d'être  baptisé,  et  de  faire  pénitence  pour  le  sang  des  saints 
qu'on  a  répandu,  et  de  vivre  éternellement.  »  Protogenis  feint 
une  maladie,  jeûne  deux  jourSy  brise  lui-même  ses  idoles  et 
se  fait  baptiser  avec  toute  sa  maison  ;  puis  il  vend  ses  biens  et 
les  donne  au  pauvres. 

A  cette  nouvelle,  le  magistrat  Probatianus  court  à  Rome  et 
avertit  Maximien  qui  envoie  le  comte  Cornélius.  Marcianus, 
Macarius  et  Stratoclinius  sont  arrêtés  {de  nouveau),  conduits 
dans  un  arènaire  et  décapités  le  IV  des  noues  de  janvier.  Nar- 
cissus,  un  esclave  de  Protogenis,  recueille  les  corps  et  les  en- 
sevelit dans  la  même  crypte  au  28^  mille  de  Rome.  Cinq  jours 
après,  Protogenis  s  enfuit  dans  son  domaine  Supplicien,  sur 
le  territoire  de  Cora  ;  mais  Cornélius  Varrête  et  le  fait  déca- 
piter avec  ses  esclaves  Narcisse,  Argée,  Marcellin  et  avec  son 
père  nourricier  [papate],  dans  ce  même  domaine  Supplicien, 
sur  le  territoire  de  Cora,  au  30'  mille  de  Rome  :  aujourd'hui 
encore  leurs  corps  y  reposent  en  paix,  tandis  que  règne  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  à  qui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles 
des  siècles.  Amen! 

Les  bords  du  lac  de  Bracciano  *  [lacus  sabatinus'],  qui  soal 
aujourd'hui  désolés  par  la  malaria,  au  printemps  du  moins, 
étaient  couverts,  à  l'époque  romaine,  de  somptueuses  villas; 
les  anguilles  du  lac  étaient  fameuses  ;  non  loin  de  là,  les 
AqucB  Apollinares  attiraient  les  malades  du   fond  même  de 

1  Sur  la  situatioa  exacte  du  ForurrC  Clodii,  découverte  par  Desjardins,  cf. 
Annali  deW  Istituto,  1859,  p.  55,  sq.  ;  Table  de  Peutinger,  p.  131-132  et  139-140, 
et  le  Corpus,  xi,  1,  p.  496-507.  —  Cf.  Anon.  Ravenne,  iv,  36,  [Pinder-Parthey, 
p.  285]. 


INFLUENCE    DES    MARTYRS    DE  TOMES  227 

l'Espagne.  Lu  Christianisme  s'établit  peu  à  peu  dans  le  pays  : 
aux:  conciles  romains  <le  313  et  de  41)5,  nous  voyons  siéger 
un  Donatianus  et  un  autre  évêque  de  Forum  Clodil  ^ 

A  ces  faits,  qui  sont  certains,  j'ajoute  une  hypothèse  :  Fo- 
rum Glodii  eut  son  martyr,  ou,  du  moins,  son  saint  local, 
Marcianus  ;  et  j'explique  la  légende. 

Avec  le  nom  du  martyr,  on  avait  gardé,  comme  il  arrive, 
le  souvenir  de  son  anniversaire  :  IV  non  ian.y  deux  janvier. 
On  voulait  donner  au  martyr  une  histoire  :  le  plus  urgent 
était  donc  de  lui  trouver  d'abord  des  compagnons.  On  chercha 
au  début  de  janvier. 

l^e  férial  hiéronymien  fournissait  un  grand  nombre  de 
noms  : 

E.  IlII  non  isiridoni  epi  antioc  et  in  alio  loco  stratonici 
maccari  abbani  \., 

111   nona  ianuar...   Et    in  ciui  Tomis   Claudonis    Eugenis 

Uo(li  trium  iîrm  argei  narcissi  et  marcellini. 
Ces  noms  reparaissent  dans  le  calendrier  populaire  : 
ÏV  Non.  Beati  Macarii  et  Tomis  martyrum  Argei^  Narcissi 
et  Marcellini  ^ 

Les  trois  martyrs  de  Tomes  Argée,  Narcisse  et  Marcellin 
sont  certainement  les  prototypes  historiques  *  de  ces  doubles 
légendaires  que  sont  les  trois  esclaves  martyrs  Argée,  Nar- 
cisse et  Marcellin  ^  ;  et,  de  même,  les  saints  Stratoclinius 
[Stratonicus]  et  Macaire  sont  les  prototypes  de  notre  lecteur 
Stratoclinius  et  de  l'exorciste  Macaire.  L'hypothèse  est  d'au- 
tant plus  vraisemblable  qu'à  Tomes  aussi  il  y  avait  un  Mar- 
cianus, et  que  la  légende  de  ce  Marcianus  était  connue  en 
Italie  dès  le  v®  siècle  ^ 

*  Optât:   de  Schismate   Donatistarum,  1,  23.  —  Cf.  de  Rossi  :  Bull.^  1887, 
92,  1  [Thiel.  160J. 

2  Rossi-Duchesne,  p.  4-5. 
^  P.  L.,  123,  145-146. 

*  Sur  ce8  martyres  de  Tomes,   dous  sommes    renseifçnés   par   un   fragment 
Bubsistaot  du  martyrologe  euaébien  [fragment  de  Lorsch]  [Rossi-Duchesne,  p. 

,5]  :  c'étaient  trois  frères,  fils  de  l'évêque,  qui,  pris  comme  recrues,  refusent 
le  service  militaire,  au  temps  de  Licinius  ;  on  les  noie  ;  les  corps,  rapportés 
par  la  mer,  sont  ensevelis  dans  la  villa  d'Amantius. 

^  Je  me  demande  même  si  le  papas,  qui  meurt  avec  les  trois  esclaves,  n'a 
pas  été  suggéré  par  le  papatis  des  Kaleudes  de  janvier:  «  in  africa  Victoris  Fe- 

■  liais  Narcissi  Argiri  et  alioru  IIII    papatis  primiani  :   [p.   4].  —  Mais  peut- 

lêtie  avons  nous  ici  un  souvenir  de  Vitus. 

I     •  Cf.  G.  M.  R.,  II,  248-251. 


228  TRADITIONS    DE    TUSCIE    (viA    ATIREMa) 

Les  personnages  trouvés,  roslail  à  les  faire  a-ir.  C'est  dire 
qu'il  fallait  choisir  un  texte,  et  le  démarquer.  On  s  arrêta,  U 
semble,  à  Sabinus.  Ici,  comme  dans  Sabinus,  nous  voyou 
un  prêtre  [évèque.  S.]  chrétien,  assisté  de  ses  deux  clerc. 
[Marcel,  Exuperantius.  S.],  comparaître  devant  un  ma-istral 
\augustalis.  S.],  qui  est  le  représentant  d'un  seul  et  même  em- 
pereur,  Maximien,  ~  qui  se  convertit,  -  qui  demande  pardon 
de  ses  crimes  passés,  —  et  qui  brise  lui-môme  ses  idoles  ;  ici  et 
là  apparaît  un  magistrat  païen  appelé  Venustianus  ;  ici  et  la, 
on  lui  donne  deux  noms  [Venustianus  Silvius  ;  Eugenianus 
Hermogenianus]. 

J'ajoute  que  les  deux  textes  attestent  chez  leur  auteur  une 
connaissance  assez  exacte  de  la  vie  antique  :  la  scène  du  cirque 
le  prouve  [S.]  et  aussi  la  mise  en  scène  de  Jupiter  Capitolin,  et 
de  son  temple,  et  de  sa  statue  dorée.  Il  se  pourrait  que  Sabi- 
71US  et  Marcianus  fussent  l'œuvre  d'un  même  auteur  ;  il  est 
sûr,  à  tout  le  moins,  que  l'auteur  de  l'un  et  de  l'autre  appar- 
tiennent au  même  groupe  et  datent  du  même  temps  .  rSoter 
que  les  anniversaires  des  deux  saints  sont  tout  proches  lun 
de  l'autre  [III  kal.  ian.  et  IlII  non  ian.]. 

Et  j'ajoute  encore  que  notre  auteur  connaissait  et  utUisail 
Sébastien.  La  feinte  maladie  de  Protogenis,  le  bris  des  idoles 
la  distribution  des  biens  aux  pauvres,  la  fuite  de  Protogenis^ 
tout  cela  rappelle  de  très  près  les  aventures  de  Nicostrale  e 
de  Chromatius  ^  i  ♦ 

Mais  pourquoi  Protegenis  s'est-il  caché  et  est-il  mort  c 
Gora,  in  fundo  supplicianol  Le  plus  simple  est  d'admettn 
que  l'église  de  Forum  Clodii  possédait  à  Gora  une  propriété 
le  fundus  supplicianus.  Nous  savons  que  plusieurs  église 
romaines  '  avaient,  dans  ce  même  pays,  des  terres  impor 
tantes.  Peut-être  en  était-il  de  même  de  l'église  de  toron 
Glodii.  Il  est,  du  moins,  très  vraisemblable,  que  Protogem 
est  un  saint  fictif,  analogue  aux  doubles  de  Stratoclimus  t 
de  Macarios,  d'Argée,  de  Narcisse  et  de  MarceUin. 

Je  remarque  la  nature  grecque  de  la  plupart  de  ces  nom^ 
Protogenis,  Macarios,  Stratoclinios  :  et  je  me  rappelle  qu 

1  Cf.  suprUt  p.  87. 

2  G.  M.  R.,  I,  301  et  ii,  97.  .     ^       .     »•,,  .  , 

3  Le  titulns  Equitii,  le  titulus  Sihestri,  le  baptistère  de  Goûstaotia  < 
môme  l'église  de    saint    Jean-Baptiste,   h   Albano   [L.    P.,   i,    l?l>,   i'^» 

J871. 


TEXTES    APPARENTÉS  229 

l'auteur  de  Valentin  de  Terni  s'intéresse  à  la  langue  grecque 
et  utilise  Côme  et  Damien.,  tout  comme  le  rédacteur  de  Mar- 
cianiis  \ïi\\\?>e;  Argèc  et  Narcisse.  Les  gestes  des  Martyrs  Grecs 
font  venir  de  Grèce  Hadrias  et  Paulina  sa  femme,  Martana  et 
Yaleria  sa  fille  ;  si  tous  ces  Grecs  viennent  à  Rome,  c'est  afin 
de  voir  le  temple  de  Jupiter  Gapitolin,  ut  videremus  temphim 
Capitolii  invicti  Jovis  \  Marclaniis  est  parent  des  Martyrs 
grecs  comme  de  Valentin  et  de  Sabinus  ^. 

Certains  mots  du  récit  ^  permettent  de  croire  que  l'hagio- 
graphe  visait  et  combattait  Tarianisme. 


1  R.  S.,  ni,  203.  —  Comparer  encore  le  rôle  du  dénonciateur,  tenu  ici  par 
lin  ancien  magistrat,  Venustianus  Silvius,  là  par  un  préfet  de  la  ville,  Maxi- 
raus  (Les  martyrs  grecs  vivent  cachés  dans  les  grottes,  un  peu  comme  les 
héros  à'Hefiestus). 

2.  Noter  que  Secundianus  rappelle  Terentianus  et  Valoitin,  que  Sabinus 
est  parent  de  Terentianus  et  de  Marcianus  :  tous  ces  textes  forment  groupe. 

3  Cf.  supra  p.  224,  note  1,  ligne  29. 


CHAPITRE  X 


TRADITIONS  DE  CAMPANIE 

LES  SAINTS  FELIX,  MAXIME,  RESTITUTA,  AMBROISE 

MARCELLUS  ET  APULEIUS. 


Continuant  notre  marche,  descendons  au  sud,  vers  ces  pays 
de  l'Italie  napolitaine  qui  sont  la  porte  de  l'Orient.  Nous  y  re- 
trouverons rinfluence  de  la  Légende  romaine. 


//  arriva  qu  après  la  mort  du  bienheureux  Félin ^  un  autre 
Fèlix^  son  frère  cadet,  qui  était  aussi  prêtre^  fut  conduit  à 
Unique  Draccus,  préfet  de  la  ville:  celui-ci  voulut  le  con- 
traindre à  sacrifier .  «  Vous  n  aimez  donc  pas  vos  dieux,  leur 
dit  le  bienheureux  Félix  :  ceux  auxquels  vous  me  menez  au- 

*  B.  H.  L.,  2885,  [14  janvier  951  ou  233]:  «  Factum  est  post  completionem  bb. 
Felicis...  » 


232  TRADITIONS    DE    CAMPANIK 

vont  aussi  peu  de  chance  que  ceux  à  (jui  on  a  conduit  mon 
frère.  Si  vous  voulez  éprouver  la  force  de  mon  Seigneur  Jèsus' 
Christ^  menez-moi  au  Capitole  :  fy  renverserai  Jupiter  lui- 
même  ^  le  prince  de  vos  démfms.  »  JJraccus  le  fait  battre  et 
renvoie  travailler  aux  carrières  du  Mont  de  Circée.  Il  y  trouve 
une  démoniaquCy  la  fille  du  tribun  Probus,  qui  commandait 
là  [qui  prœerat  loci]  ;  et^  comme  il  la  guérit,  Probus  le  pro- 
tège :  ce  Probus  méritait  son  nom.  C'était  un  citoyen  de  hole. 
Félix  guérit  encore  Vhydropisie  de  sa  femme  et  il  le 
convertit.  Son  collègue  le  dénonce  au  consularis  ;  ma/^  les 
membres  de  /'offîcium  qui  viennent  arrêter  Probus  sont  aus- 
sitôt saisis  d'atroces  douleurs  dans  les  mains  ;  elles  cessent 
sitôt  quils  confessent  le  Christ  et  se  font  baptiser. 

Lorsque  Probus  a  fini  son  temps  de  tribun  (expleto  autem 
tribunitii   tempore),    Félix  revient  à  Noie  avec  lui,  met  en 
fuite  r  idole  d'un  oracle  païen  et  en  convertit  le  prêtre  ;  il  par- 
donne aux  voleurs  qui  viennent,  la  nuit,  voler  les  légumes  de 
son  jardin;  il  convainc  d'impuissance  Apollon  qui  ne  peut 
deviner  ce  que  cache  son  poing  fermé  {un petit  Evangile)^  et  le 
réduit  au  silence^    et  brise  sa  statue.   Les  païens  se  conver- 
tissent ;  on  construit  un  oratoire  au  lieu  même  où  Apollon 
était  adoré.  Le  bienheureux  Félix  survit  douze  années  (à  ces 
événements)  dans  cette  ville  ;  tous  les  païens  qui  voulaient  at- 
taquer les  chrétiens  (?  christianum  rapere  conareturj  étaient 
saisis  par  le  démon,  puis  guéris  par  Félix,  et  se  convertis- 
saient. La  douzième  année,  un  dimanche,  après  avoir  célébré 
les  mystères,  il  s  étend  sur  le  pavé  (projiciens    se  in  pavi- 
mQXiixxm)  pour  prier  et  va  vers  le  Seigneur  Christ  qui  vit  et 
règne  avec  Dieu  le  Père  dans  l'unité  de  F  Esprit-Saint  à  tra- 
vers tous  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

A  la  fin  du  vin''  siècle,  il  y  avait  à  Rome,  sur  le  Pincio  — 
un  peu  en  arrière,  sans  doute,  et  au  nord,  de  la  Trinité  des 
Monts  d'aujourd'hui —  une  église  qui  tombait  en  ruines  et  que 
reconstruisit  le  pape  Hadrien,  772-795  :  elle  était  dédiée  à  un 
saint  Félix  *. 

De  quelle  époque  datait  l'église?  Rien  ne  permet  de  le  dire 

1  L.  P.,  1,  500:  «  Basilicam  vero  beati  Felicis  positam  in  Pincis,  quse  in  rui- 
nis  erat  et  tectum  eius  distectum  existebat,  facto  eodem  tecto,  noviter  ipsam 
ecclesiatn  renovavit  et  vestem  super  altare  eiusdem  ecclesise  de  quadrapolo 
faciens  obtulit  ». 


FilAX   DU   PINCIO  233 

avec  certitude.    Mais  je    lis,  dans  le    calendrier  populaire  : 

XIX  Kal.  Feb.  Nolae^  Fèlicis  preshyteri,  in  Pincis  se- 
pulti  ^ 

Les  mots  Nola?,  Fèlicis^  in  Pincis  prouvent  que  le  Félix  du 
Pincio  doit  être  identifie  à  saint  Félix  de  Noie.  Les  mots  in 
Pincis  sepidti  s'expliquent  si  Ton  admet  l'existence  de  Téglise 
consacrée  à  Félix  de  Noie,  sur  le  Pincio,  au  temps  où  Ton 
compilait  le  calendrier  :  V église  aura  suggéré  le  tombeau.  Dès 
lors,  l'église  du  Pincio  pouvait  exister  au  début  du  vu^  siècle  ; 
et  le  culte  de  Félix  n'y  devait  pas  ôtre  établi  depuis  peu. 

Le  mart3Tologe  d'Adon  confirme  ce  qu'on  a  dit  :  s'il  ne 
mentionne  pas  expressément  l'église  de  saint  Félix  sur  le  Pin- 
cio, il  rapporte  que  le  corps  de  saint  Félix  a  été  enseveli  sur  le 
Pincio,  près  de  Rome^  et  que  son  tombeau  est  signalé  par  des 
miracles  : 

Sepultusque  iuxta  Urbem  in  loco  qui  dicitur  Pincis^  ubi 
claris  sernper  fulget  virtutibus,  ab  Helpidio  venerabili  et 
sancto  viro  ^. 

C'est  dire  qu'zY  y  eut  transfert  de  culte  et  romanisation  du 
saint.  Sans  doute  l'évolution  de  la  légende  s'est-elle  achevée 
et  a-t-elle  abouti  au  dédoublement  du  personnage  :  le  tom- 
beau fictif  du  Pincio  n'a  pas  supprimé  le  tombeau  réel  de  Noie. 
Paulin  parle  de  ce  dernier,  il  le  place  hors  de  la  ville,  en 
pleine  campagne  ^  : 

Quœ  mûris  regio  et  tectis  longinqua  vacabat, 
fusus  ibi  laeto  ridebat  cespite  campus^ 
uberius  florente  loco^  quasi  prescia  iam  tune 
semper  honorandi  mundo  uenerante  sepulcri 
gaudebat  sacro  benedici  corpore,  seque 
veris  amœna  habitu,  quo  dignior  esset  humando 
martyre^  gramiiiibus  tellus  sternebat  odoris. 

Le  texte  qu'on  a  résumé  d'abord  présente  ce  curieux  carac- 
tère qu'il  reflète  la  légende  au  point  moyen  de  son  évolution, 
à  mi-chemin,  si  je  puis  ainsi  dire,  de  Noie  et  de  Rome. 

C'est  Félix  de  Noie  que  notre  texte  célèbre  :  il  l'associe 
étroitement  à  un  tribun  Probus,  qui  est  civis  nolanus  ;  après 

i  P.  Z,.,  123,  147-148. 

2  P.  I.,  123,  215,  D. 

3  Car  m.  nat.,  vi,  132  [P.  X.,  61,  493,  C,  D]. 


234  TRADITIONS    DE    GAMPANIE 

un  court  séjour  au  mont  de  Circée,  c'est  à  Noie  que  V6\'\x  et 
son  ami  l*robus  viennent  s'établir  ;  c*est  là  que,  durant  douze 
années,  il  lutte  contre  les  païens  et  c'est  là  qu'il  meurt. 

Mais  ce  n'est  pas  là  qu'il  est  enterré.  Notre  texte  ne  dit  pas, 
sans  doute,  que  le  tombeau  est  hors  de  Noie  ;  mais  il  ne  rap- 
pelle pas  davantage,  au  contraire  de  ce  que  l'on  attend,  qu'on 
peut  le  vénérer  à  Noie  :  aucune  allusion  à  ces  miracles  qui 
sont  de  style.  Ce  silence  est  significatif.  Et  voici  qui  l'est  bien 
davantage  :  comme  il  se  détache  de  Noie,  saint  Félix  prend 
racine  à  Rome.  On  le  transforme  en  un  frère  d'un  autre  Félix, 
martyr  de  Rome  qui,  associé  à  un  saint  Adauctus  de  Rome, 
est  fêté  à  Rome  le  30  août  : 

Factum  est  autem  ut  (post)  completionem  beatissimi  Felicis 
presbyteri  alius  Félix  germanus  eius  iunior  nomine  et  actione 
et  ipse  presbyter. . . 

Quelques  vers  de  Damase  ont  été  compris  de  travers  et  ont 
facilité  l'équivoque  : 

0  semel  atque  iterum  vero  de  nomine  Félix.., 
Qui  intemerata  fide  contempto  principe  mundi 
Confessus  Christum  cœlestia  régna  petisti. 
0  vere  pretiosa  fides,  cognoscite,  fratres  \ 

Damase  joue  sur  le  nom  Félix  ;  il  félicite  semel  atque  ite- 
rum celui  qui  le  porte,  de  Tavoir  si  bien  mérité  et  d'avoir  ga- 
gné le  royaume  du  ciel  ;  Damase  s'adresse  ensuite  à  ses  frères 
et  leur  montre  par  là  le  prix  de  la  foi  :  c'est  elle  qui  a  valu  à 
Félix  son  bonheur.  Un  lecteur...  distrait  a  vu  dans  tout  cela 
qu'il  y  avait  eu  deux  frères  du  nom  de  Félix  ^  :  et  voilà  com- 
ment Félix  de  Noie  s'agrégea  à  la  troupe  des  martyrs  romains  î 

On  aperçoit  d'autres  traces  encore  de  la  «  romanisation  »  de 
Félix  :  sa  légende  est  compilée  d'après  les  gestes  romains.  Le 
nom  de  Draccus  est  emprunté  di Félix- Adauctus  ^  —  L'épreuve 

1  Ihm.  n.  7,  p.   10-11. 

2  L'hypothèse,  présentée  par  Delehaye,  est  très  vraisemblable  :  les  saints 
du  cimetière  de  Commodille  [Analecta,  xvi  (1897),  p.  22-28].  —  Sur  Félix  et 
Adauctus,  cf.  G.  M.  R.,  i,  244. 

3  «  RoQicE,  via  Ostiensi,  milliario  secundo  ab  Urbe,  natale  beatissimorum 
martyrum  Felicis  et  Adaucti,  sub  Diocletiano  et  Maximiano  imperatoribus, 
prsefecto  et  judice  Draco.  »  —  Je  cite  d'après  le  résumé  d'Adon  \P.  L.,  12:^, 
342,  D.  —  30  août].  —  Les  gestes  de  Félix  et  Adauctus  sont  explicitement  vi- 
sés par  notre  texte  :  «  B.  Félix  ait  :  puto  quod  inimici  eslis  deorum   vestro- 


LES  SOURCES  DE  LA  LEGENDE  235 

imposée  à  Apollon  est  suggérée  par  Pierre-Paul  *.  —  La  guéri- 
son  de  la  fille  du  tribun  qui  commande  au  lieu  d'exil  du  mar- 
tyr est  imitée  de  Nérée  K  —  L'attitude  du  tribun  qui  délivre  les 
chrétiens  confiés  à  sa  garde  rappelle  ce  qui  se  passe  dans  Se- 
bastien  \  — L'idée  que  le  rédacteur  se  fait  du  Capitole  apparaît 
déjà  dans  Calliste  %  Marcianus,  les  Martyrs  Grecs,  —  Et 
Yalenlin  s'étend  sur  le  sol  pour  prier  %  aussi  bien  que  Félix.  Le 
Félix  que  nos  gestes  célèbrent  s'appelle  encore  Félix  de  Noie  ; 
il  est  plus  qu'aux  trois  quarts  romain. 

A  quelle  date  le  texte  remonte-t-il? 

Les  mots  pagani  et  Jovem  principem  ddpmonioriim,  le  fait 
que  Félix  n'est  pas  présenté  comme  un  martyr,  tout  cela  nous 
défend  de  nous  arrêter  avant  le  vi®  siècle,  et  même,  sans  doute, 

rum  effecti  ;  ad  quoscumque  enim  me  duxeritis  in  deorum  templis,  hoc  eis 
eveniet  quod  illis  evenit  ad  quos  meum  fratrem  duxisse  vos  iam  peni- 
tet  »  [Félix  Romanus].  Or  je  lis:  c  Félix...  perductus  iuxtatemplumSerapis,  dum 
cogeretur  ad  sacri  Scan  dum,  exsufflavit  in  faciem  statuœ  aereae,  et  statim  ceci- 
dit.  Item  ductus  ad  Mercurii  statuam,...  Item  ad  simulacrum  Dianœ,  quod  pari 
modo  dejicit  {P.L.,  123.  343,  D.  Félix  Adauctus]. 

1  Pierre  défie  Simon  de  deviner  ce  qu'il  pense  :  «  Petrus  dixit  :  Divi 
nitas  in  eo  est  qui  cordis  rimatur  arcana;  dicat  nunc  mihi  (Simon)  quid  co- 
gito  uel  quid  facio,  quam  cogitationem  meam,  antequam  hic  mentiatur,  prius 
tuis  auribus  insinuo,  et  non  audeat  meutiri  quee  cogito.  Nero  dixit  :  Accède 
hue,  et  die  mihi  quid  cogitas.  Petrus  dixit  :  lube  mihi  adferri  panem  orda- 
ceum  ei  occulte  dari...  Petrus  benedixerat  panem  quem  acceperat  ordeaceum 
et  fregerat  et  dextera  atque  siuistra  in  manica  coUegerat.  Tune  Simon  indi- 
goatus  quod  dicere  non  posset  secrelum  apostoli...  »  [Pseudo  Marcellus,  §  24-27. 
—  Lipsius,  141-143].  — Cf.  «  Videns  popuium  iutrantem  dixit  eis  (Félix)  :  Si  vero 
diviuus  est  Apollo,  dicat  mihi  quid  ego  clausa  manu  retineo.  Erat  autem  in 
manu  eius  Evangelium  brève  iu  quo  eratscriptura  orationis  dominicae.  Et  cum 
non  posset  nullus  indicare,  nec  sacerdosnec  vates  eorum...  [Félix  Romanus,5]. 

2  Eutyches  exilé  au  16»  mille  de  la  voie  Nomeutane  guérit  la  fille  du  con- 
ductor  loci  [G.  M.  R.,  i,  209]  ;  Victorious,  exilé  auGO®  de  la  Voie  Salara,  guérit 
le  vice  dominus  de  l'endroit,  qui  est  paralytique  ;  IMaro,  exilé  au  130^  mille, 
guérit  le  procurateur  de  Septempeda  qui  est  hydropique  [G.  M.  R.,  i,  228]. 

3  «  Igitur  cum  omues  ad  domum  priiniscrinii  perducti  starent  catenarum 
nexibuâ  vincti.  hoc  modo  eos  vir  Dei  Sebastianus  alloquitur...  Tune  b.  Sebas- 
tianus  jubet  eos  omnes  a  vinculis  calenarum  exsulvi.  »  [Sebastien^  30].  —  «Tuuc 
Probus  tribunus  cum  vidisset  hoc  miraculum  factum...,  exiude  iam  noo..- 
permisit  penilus  ut  ibi  injuriae  (Félix)  subjaceret  ».  [Félix  Romanus,  2]. 

*  «  Temporibus  macrini  et  alexandri  iacendio  divino  coucremeta  est  pars 
capitolii  a  meridiano  et  intra  templum  iovis  ruit  manus  sioistra  aurea  et  re- 
liquata  est  [Calliste,  1].  —  Cf.  G.  M.  R.,  i,  135-136  et  les  gestes  des  Martyrs 
grecs  :  «  Capitolium  deeeritur  et  omois  cultura  templorum  desolatur  ».  — 
«...  ad  capitolium  me  ire  jubete  ut  ipsum  jovem  principem  daemoniorum  ves- 
trorum  ruere  faciam  »  [Félix  Uomanus,  §  1].  —  Cf.  supra  p.  224. 

'  «  Valentiûus...  strato...  humi  cililio  eleuauit  puerum  cerimouem  de  lecto 
et  proiecit  eum  seminecem  in  eo  cilitio  in  quo  ipse  orare  consueverat...  » 
[Valentin],  —  «  Projiciens  se  in  pauimeutum  iu  orationem...  »  [Félix  Roma- 
nut,  6]. 


236  TRADITIONS    DE    CAMPANIR 

avant  le  milieu  ou  la  fin  de  ce  siècle.  Comme,  d'autre  part, 
nos  gestes  ignorent  l'ensevelissement  in  Pincis,  bien  qu'ils  y 
tendent  ;  comme  cet  ensevelissement  in  Pincis  est  aitest/3  dès 
le  premier  quart  du  vii^  siècle,  sans  doute,  par  le  calendrier 
populaire,  on  doit  croire  qu'ils  sont  antérieurs  à  cette  époque, 
ou  qu'ils  ne  la  dépassent  guère  :  on  peut  les  rapporter  sans 
crainte  d'erreur  au  début  du  vu"  siècle  ou  à  la  fin  du  vi\ 

Quelques  faits  confirment  cette  impression. 

Le  rédacteur  raconte  une  curieuse  histoire  de  voleurs  :  ve- 
nus la  nuit  dérober  des  légumes,  ils  trouvent  (des  pioches  et 
des  instruments)  de  fer  et,  contraints  par  la  force  mystérieuse 
du  saint,  croyant  le  voler,  ils  travaillent  pour  lui,  à  la  clarté 
de  la  lune,  jusqu'au  jour. 

Cum  autem  ibi  fuisset  s.  Félix  et  ortum  sibi  excoleret,  uene- 
runt  nocte  qui  olera  râpèrent  :  et  inuenientes  ibi  uangas^  tota 
nocte  luna  lucente  laborauerunt.  Videbatur  autem  eis  quod 
furtum  facerent,  Illi  autem  mane  inventi  sunt  laborantes, 
Q210S  cum  vidisset  s.  Félix,  dit  eis  :  adjuvet  uos  Dominus, 
filioli.  Illi  autem  mittentes  se  ad  pedes  eius  confessi  sunt  quid 
uoti  eorum  fuisset  et  quod  Dominus  procuras  s  et  *. 

Saint  Grégoire  raconte  une  histoire  presque  identique,  qu'il 
rattache  à  saint  Isaac,  l'ermite  syrien  de  Spolète  ^  : 

Die  quadam  ad  uesperum  in  hortum  monasterii  fecit  j acta- 
ri  fer  rament  a,  quœ  usitato  nos  nomine  uangas  uocamus.  Dixit 
itaque  discipulis  suis  :  Tôt  uangas  in  hortum  projicite  et  citius 
redite.  Nocte  uero  eadem  dum  ex  more  cum  fratribus  ad  exhi' 
bendas  laudes  Domhio  surrexisset,  prœcepit  dicens  :  Ite  et  ope- 
rariis  nostris pulmentum  coquite  ut  mane  primo  paratum  sit. 
Facto  autem  mane  fecit  deferri  pulmentum  quod  parari  jus- 
serat  atque  hortum  cum  fratribus  ingressus,  quot  uangas  iac- 
tari  prœceperat  tôt  in  eo  laborantes  operarios  inuenit.  Ingressi 
quippe  fures  fuerant,  sed  mutata  mente  per  spiritum  appre- 
henderunt  uangas  quas  inuenerunt  et  ab  ea  hora  qua  ingressi 
sunt  quousque  uir  Domini  ad  eos  ueniret,  cuncta  horti  illius 
spatia  quœ  inculta  fuerant  coluerunt.  Quibus  vir  Domini  mox 
ut  ingressus  est,  ait  :  Gaudete,  fratres,  multum  laborastis, 
iam  quiescite.  Quibus  illico  alimenta  quœ  detulerat  prœbuit, 


1  Félix  Romanus  4. 

2  Sur  lequel,  cf.  supra,  p.  61. 


LE    TEXTE    d'aDON  237 

eosque  post  tanti  laboris  faligationem  refecit.  Suf ficienter  au- 
tem  re  fer  lis  ait  :  JSolite  rnalum  facere  *... 

Grégoire  cite  ses  auteurs  :  ceux  qui  l'ont  renseigné  sur  [saac 
sont  des  moines  —  multi  nostroriuriy  —  principalement  une 
religieuse  Grégoria  qui,  au  moment  où  il  écrit,  habite  encore 
à  Rome  à  coté  de  l'église  de  Sainte-Marie,  —  enfin  le  véné- 
rable Eleuthère  ^ 

Il  n'est  pas  tout  à  fait  nécessaire,  dès  lors,  d'admettre  que 
le  texte  de  Grégoire  a  influencé  le  rédacteur  de  Félix  :  celui-ci 
a  pu  connaître  directement  la  tradition  de  Spolète,  comme  il 
a  pu  s'inspirer  du  récit  de  Grégoire.  De  toute  manière,  on  ne 
risque  pas  de  se  tromper  beaucoup  en  faisant  de  lui  un  con- 
temporain du  pape,  en  datant  son  texte  de  d~  600. 

Les  termes  de  la  langue  administrative  dénoncent  la  même 
époque  :  je  passe  sur  officium^  consularis ,  prœfectus  Urhi  ; 
j'insiste  sur  le  tribunus.  D'après  Félix  Romanus,  le  tribun  est 
le  commandant  local,  nommé  pour  une  durée  déterminée;  il 
est  assisté  d'un  collega.  Or,  au  temps  de  l'exarchat,  le  tribu- 
71US  «  est  le  commandant  militaire  de  la  ville  où  il  réside  et  du 
district  environnant  M)  ;  il  a  reçu,  en  matière  civile,  des  attri- 
butions très  étendues  ;  il  est  le  représentant  de  l'exarque,  qui 
le  nomme.  Nous  ne  savons  pas  qu'il  ait  un  collègue  ;  le  dé- 
tail, pourtant,  n'est  peut-être  pas  fictif. 


Reste  un  problème.  Quel  est  le  rapport  de  nos  gestes  au 
texte  d'Adon  qui  raconte  l'histoire  de  Félix  de  Noie? 

Le  récit  d'Adon  *  se  caractérise  par  les  traits  suivants  :  1.  Le 
culte  est  expressément  rattaché  à  Noie  : 

XIX  Kal.  februarii.  Apud  Nolam  Campauiœ,  natale  beati 
Felicis  presbyteri. 

2.  Le  corps  est  enseveli  in  Pincis,  par  un  saint  prêtre  Ilel- 
pidius  qui  confesse  la  foi  contre  les  hérétiques,  et  meurt  mar- 

1  Dialog.,\\\,  14,  P.  L.,  11,  245. 

^  Eodem  loco.  P.  L.,  11,  244.  B.  —  Noter  que  la  légende  de  Paulin,  le 
chantre  de  Félix,  conte  qu'il  cultivait  des  légumes  en  Afrique.  Dial.,  m,  1. 
—  P.  L.,  77,  217.  Je  me  demande  encore  si  l'épisode  de  l'oratoire  construit 
par  Félix  au  lieu  même  où  était  adoré  Apollon,  n'est  pas  inspiré  par  ce  pas- 
sage de  saint  Grégoire:  sur  le  mont  Cassin,  saint  Benoît  construit  un  oratoire 
consacré  à  saint  Jean  et  à  saint  Martin  ou  lieu  même  où  était  adoré  Apollon. 
[f\  L.,  66,  152J. 

3  Diehl,  113-123. 

'' P.  i.,  123,  214-215. 


238  TRADITIONS    DR    CAMPy\NIE 

1}T.  Adon  croit,  selon  foules  les  vraisemblances,  que  le  l^incio 
se  lr()uv(;  près  de  Noie.  Voici  le  texte  : 

ScpuUiisque  luxta  urbcm  in  loco  (/ni  dicitur  Pincis,  ubi 
claris  semper  fulget  virtulibiis,  ab  lloApidio..,  Ilic.  martyr 
et  conf essor  hœreticis  invictissime  restitit. 

3.  Maxime,  évêque  de  Noie,  le  sacre  prêtre  :  —  4.  Félix  est 
supplicié  après  qu'il  a  délié  les  dieux,  mais  l'ange  de  Dieu  le 
délivre  et  l'envoie  chercher  son  évèque  ;  —  o.  Félix  trouve 
son  évêque  mourant  de  faim,  le  réconforte  avec  des  raisins 
miraculeux  et  le  porte  à  la  ville  chez  une  veuve  ;  —  6.  Après 
qu'il  a  converti  Probus,  on  vient  l'arrêter  ;  on  lui  demande  à 
lui-même  où  il  est  ;  il  se  sauve  et  se  cache  dans  un  trou  que 
dissimulent  des  toiles  d*araignées  ;  une  femme  l'y  nourrit  trois 
mois  ;  —  7.  Après  qu'il  a  chassé  Apollon,  à  Noie,  il  refuse 
l'épiscopat  que  lui  offre  le  peuple. 

Les  gestes  se  caractérisent  par  les  traits  suivants  :  1.  Probus 
est  dénoncé  par  son  collègue  au  consularis  ;  mais  les  membres 
de  Vofficiiim  qui  viennent  l'arrêter  sont  miraculeusement 
saisis  de  douleur,  et  se  convertissent  ;  —  2.  L'épisode  des  vo- 
leurs de  légumes  ;  —  3.  L'histoire  du  petit  évangile  qu'il  tient 
dans  le  poing  et  que  ne  devine  pas  Apollon  ;  —  4.  La  cons- 
truction d'un  oratoire  à  la  place  du  temple  d'Apollon  ;  —  5.  La 
doxologie  in  unitate  spiritus  sancti. 

Les  gestes  et  Adon  ont  en  commun  :  1.  Le  personnage  de 
Félix  de  Noie;  —  2.  L'idée  que  Félix  de  Noie  est  le  frère  de 
cet  autre  Félix  qui  est  le  compagnon  d'Adauctus  :  Adon  ren- 
voie expressément  à  leurs  gestes  : 

Hoc  eis  eueniet  quod  euenit  illis  ad  quœ  meum  fratrem  Fe- 
licem  uos  duxisse  pœnituit  ^ 

3.  La  comparution  devant  Draccus  et  le  défi  de  Félix  ;  — 
4.  L'exil  au  mont  de  Circée  et  la  conversion  de  Probus  ;  —  o.  La 
conversion  du  pontifex  dœmonum  de  Noie,  l'expulsion  d'Apol- 
lon et  la  destruction  de  son  temple  ;  —  6.  La  mort  de  Félix 
douze  ans  après. 

11  n'est  pas  sur,  comme  on  pourrait  d'abord  le  croire,  que 
la  mention  du  tombeau  in  Pincis  ait  été  empruntée  par  Adon 
au  calendrier  populaire  :  le  calendrier  ignore  le  confesseur  et 
martyr  Helpidius,  qui  est  mis  en  étroite  relation  avec  le  tom- 
beau du  Pincio.  D'autre  part,  le  récit  d'Adon  suppose  les  gestes 

1  P.  L.  123, 214.  c. 


MAXIMUS     DE    GUMES  239 

(le  F'elix-Adauctus.  Le  texte  d'Adon  témoi<>ne  déjà  de  la  ro- 
manisation  de  Félix  ;  il  n'exprime  pas  la  pure  légende  de  Noie. 
Mais,  dans  Adon,  la  romanisation  est  moins  avancée  que 
dans  les  gestes  :  ceux-ci  ii^norent  complètement  l'évoque  de 
Noie,  Maximus,  qui  tient  une  grande  place  dans  le  récit  de 
celui-là  ;  ils  ne  soufllent  mot  de  Tépiscopat  de  Noie,  qui  est 
olTert  à  Félix  ;  ils  ignorent  cette  cachette  où  il  s'est  réfugié,  et 
qu'on  devait  se  montrer  à  Noie.  Adon,  de  fait,  récrit  en  prose 
les  fameux  poèmes  de  saint  Paulin.  Les  traits  propres  aux 
gestes  n'ont  aucune  couleur  locale  :  ils  se  retrouvent  dans 
d'autres  légendes.  J'imagine  que  le  texte  dont  Adon  s'est  servi  ^ 
est  antérieur  aux  gestes  ;  que  le  rédacteur  de  nos  gestes  a  re- 
tranché de  la  source  d'Adon  les  détails  qui  avaient  une  physio- 
nomie nolasque  ;  et  que,  pour  élotler  son  récit  devenu  un  peu 
maigre,  il  y  a  introduit,  d'après  ses  souvenirs,  surtout  d'après 
S.Grégoire,  la  quadruple  histoire  des  soldats  soudain  torturés, 
des  voleurs  soudain  convertis,  du  petit  évangile  caché  dans 
le  poing  et  de  l'oratoire  succédant  au  temple  ^ 


II 


es 


de 

3  3     Au  temps  de  Dloclétien  et  de  Maximien  empereurs,  sous  le 

préfet  Antonin,  on  fit  une  grande  persécution  contre  les  chré- 
tiens :  sur  les  places,  dans  les  nymphées,  autour  des  maisons, 
on  élevait  des  idoles  auxquelles  chacun  devait  sacrifier  avant 
de  pouvoir  acheter  ou  vendre.  C'est  alors  que  le  praeses  Fa- 
hianus  est  envoyé  dans  la  cité  de  Cumes  ;  il  convoque  le 
peuple,  lui  dit  sa  mission,  et  tout  le  peuple  se  jette  à  terre  et 

1  II  est  très  possible  qu'AdoQ  ait  copié  textuellemeat  la  plus  grande  partie 
de  ce  texte.  Noter  que,  dans  Adou,  l'épisode  du  temple  d'ApolloQ  est  très  l.ref  ; 
et  que,  dans  les  gestes,  il  est  maladroitement  coupé  eu  deux  par  l'histoire 
des  voleurs. 

*  On  ne  peut  pas  dire  la  date  exacte  du  texte  que  lisait  Adon,  ni  de  l'in- 
troduclion  à  Rome  du  culte  de  Félix  de  Noie. 

3  B.  H.  L.,  5846,  30  octobre,  319. 


240  TRADITIONS    DE    CAMPANIK 

adore  les  idoles.  Il  y  avait  alors^  à  Cumes,  un  homme  saint 
et  chaste^  Maximiis  ;  il  arme  son  front  du  trophée  de  la  croix 
et  se  présente  au  prœscs.  «  Tu  n  échapperas  pas  à  Dieu^  lui 
dit'il  ;  pourquoi  pousser  les  hommes  à  adorer  les  idoles  sourdes 
et  muettes  ?  »  —  «  Qui  donc  es-tu  (cuius  condicionis  esj  pour 
me  parler  ainsi  ?  ))  —  a  Je  crois  au  Christ.  »  —  «  Ne  sais-tu 
pas  que  les  empereurs  invaincus  m'ont  confié  cette  province 
pour  tuer  ceux  qui  ne  voudraient  pas  sacrifier  ?  if>  —  «  Tais- 
toi,  malheureux  /  »  J^t,  tandis  quon  le  bat,  les  bras  des  bour- 
reaux défaillent  de  douleur  :  on  reconduit  M aximus  en  prison. 
Il  y  reste  dix  jours,  sans  eau  ni  pain.  Mais  le  Seigneur  le  ré- 
confortait :  range  du  Seigneur  le  visite  au  milieu  de  la  nuit, 
la  terre  tremble,  ses  chaînes  tombent.  Les  deux  cents  prison- 
niers qui  sont  les  compagnons  du  martyr  se  convertissent,  et 
Maximus  remercie  Dieu  et  lui  demande  un  prêtre  :  crainte 
des  embttches  de  Fabianus,  les  prêtres  étaient  dispersés.  Or  le 
Seigneur  apparaît  à  Vévèque  Maxentius  et  V envoie  à  laprison, 
porteur  des  mystères.  Maxentius  se  tient  devant  les  portes  et 
crie:  a  Si  quelqu'un  désire  se  faire  baptiser,  quil  vienne:  je 
SUIS  prêtre  de  mon  Seigneur  Jésus-Christ  ».  Tous  se  jettent  à 
ses  pieds,  et  il  les  baptise  au  nom  du  Père,  et  du  Fils  et  de 
l'Esprit-Saint  ;  puis,  il  s'en  va. 

A  la  nouvelle  de  cette  conversion,  Fabianus  laisse  les  pri- 
sonniers en  prison,  et  fait  venir  Maximus  :  il  sacrifiera,  ou 
marchera  pieds-nus  sur  des  charbons  ardents.  Maximus  arme 
son  front  du  trophée  de  la  croix,  et  marche,  au  nom  du  Sei- 
gneur Jésus-Christ,  sans  rien  sentir  :  «  Mets  donc,  au  nom 
de  ton  Jupiter,  ta  main  sur  ces  charbons  :  nous  verrons  s'il  te 
délivrera.  »  —  Quels  sont  ces  maléfices,  »  dit  Fabianus.  — 
a  JHgnore  tout  maléfice  ;  c'est  mon  Seigneur  Jésus-Christ  qui 
opère  en  moi  ce  prodige  )).  On  le  suspend  sur  le  chevalet  ;  il 
prie  le  Seigneur  et  le  chevalet  se  brise.  On  amène  son  enfant  ; 
il  a  trois  mois  ;  et  V enfant  confesse  à  haute  voix  que  le  Christ 
est  le  vrai  Dieu,  qui  nous  a  rachetés  par  sa  passion.  Le  ^vdèses, 
redoutant  une  sédition  populaire^  le  fait  battre  de  coups; 
r enfant  meurt  après  avoir  demandé  de  Veau  :  «  C'est  Veau 
du  ciel  que  tu  vas  boire,  »  lui  répond  sa  mère,  toute  joyeuse 
d'avoir  offert  à  Dieu,  innocente  hostie,  le  fruit  de  son  sein. 

c(  Combien  de  temps  useras-tu  de  tes  maléfices,  dit  Fabianus 
au  martyr.  »  —  «  Pourquoi  m' interroger  ?  Je  rends  grâces 
au  Christ  qui  a  couronné  mon  enfant.  »  On  le  suspend  la  tête 


I 


MAXIME    DE    CUMES  241 

en  bas  ;  il  perd  tout  son  sang  par  le  nez  ;  mais  y  sept  jours 
après  y  il  est  vivant  encore  et  invoque  le  Seigneur  ;  et  les  dix- 
huit  soldats  qui  le  voient  sont  aveuglés,  et  lorsqu'ils  im- 
plorent le  Seigneur  Jésus-Christ,  ils  sont  aussitôt  guéris.  On 
les  décapite  avec  les  deux  cents  prisonniers  qui  ont  reçu  le 
baptême;  leurs  corps  sont  ensevelis  soigneusement  par  les 
chrétiens.  —  Cependant  Fabianus  veut  toujours  dompter 
Maximus  ;  mais  les  flammes  qui  lui  brûlent  les  côtes  ne  r en- 
tament paSy  tandis  qu'elles  tuent  un  des  ministri  ;  beaucoup 
se  convertissent^  et  le  martgr  ne  cesse  de  louer  et  d'implorer 
le  Seigneur.  Il  refuse  encore^  un  autre  jour,  d'adorer  Ascle- 
pins  ;  son  sang  rougit  la  terre^  qui  ne  l absorbe  pas,  et  té- 
moigne ainsi  contre  le  persécuteur.  Il  le  défie  et  raille  son 
impuissance.  A  la  fin,  Fabianus  dicte  la  sentence  :  a  T impie 
Maximus  est  rebelle  aux  dieux,  blasphème  les  empereurs, 
refuse  de  sacrifier  :  qu'il  soit  mis  à  mort,  et  son  corps  aban- 
donné aux  oiseaux.  » 

F^es  soldats  le  conduisent  à  deux  milles  de  la  cité.  Il  chante 
le  long  de  la  route,  et  il  prie,  a  Dieu  tout-puissant,  dit-il, 
ouvre  les  geux  de  tous  ceux  qui  m' entourent , pour  qu'ils  sachent 
que  tu  es  le  seul  Dieu,  et  quil  ri  y  en  a  point  d'autre  hormis 
toi  ».  La  terre  tremble,  beaucoup  se  convertissent,  et  reçoivent 
le  baptême  ;  les  soldats  les  imitent.  On  enterre  Maximus  au 
lieu  qui  est  appelé  Via  Caballaria,  où  les  miracles  se  multi- 
plient jusqu'à  ce  jour  :  les  lépreux  sont  guéris,  les  démons 
chassés...  Quinze  ans  après,  comme  les  reliques  de  Maximus 
étaient  cachées,  le  saint  apparaît  à  une  pieuse  femme  :  «  Ju- 
lienne, lui  dit-il,  avertis  les  prêtres  afin  quils  transportent 
mes  reliques.  Je  suis  Maximus^  confesseur  de  Dieu,  »  — 
€  Nous  ne  savons  où  tu  reposes.  »  —  «  Cherchez  dans  le 
champ  innocent  ?  au  point  où  se  dressé  la  croix  [in  agro  inno- 
centi  ubi  uideritis  Crucem].  »  Toute  la  cité,  chantant  et  bénis" 
sant  le  Seigneur,  va  chercher  le  corps:  on  le  trouve,  il  est 
intact,  blanc  comme  la  neige  ;  on  l'ensevelit  avec  des  aromates, 
en  glorifiant  Dieu  qui  couronne  ses  saints.  Le  bienheureux 
Maximus  a  souffert  le  IV  des  kalendes  de  novembre,  tandis 
que  règne  Notre  Seigneur  Jésus-Chinst  à  qui  honneur  et  gloire 
et  empire  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 


III  16 


242  TRADITIONS    DE    CAMPANIK 

Cette  légende  nous  est  parvenue  dans  un  autre  texte  '  fjul 
rappelle  de  très  près  le  précédent,  niais  qui  s'en  écarte  par 
deux  traits  :  il  remplace  Cuines  par  Aparnée,  il  ignore  la  révé- 
lation du  corps  à  Julienne. 

Or,  nous  pouvons  identifier  avec  certitude  cette  Julienne  : 
c'est  une  sainte  vénérée  à  Cumes  et  qui  vient  peut-être  de  Ni- 
coniédie  ;  l'efflorescence  de  son  culte  date  de  la  seconde  moitié 
du  vi**  siècle  ^. 

Cette  sainte  de  Cumes  tendait  à  s'associer  à  Maxime  de 
Cumes  :  ils  ont  tous  deux  même  attache  topographique,  et  je 
rencontre  à  Naples,  à  la  fin  du  vi®  siècle,  un  monasterium 
sancti  Archangeli  quod  Macharis  dicilur  atque  sanctorum  Ma- 
ximi,  Erasrni  et  Julianœ  ^ .  On  en  vient  à  soupçonner  que  le 
développement  de  Maxime  est  parallèle  au  développement  de 
Julienne  et  à* Erasme,  que  le  culte  et  le  texte  datent  de  la  se- 
conde moitié  du  vi®  siècle. 

Est-ce  à  dire  que  Maxime,  comme  Julienne  et  sans  doute 
Erasme,  repose  sur  un  texte  grec? Le  contraire  est  tout  à  fait 
assuré.  Maxime  est  copié  sur  Pontien  de  Spolète  *.  Voici  les 
points  de  contact  des  deux  légendes  :  1.  Mission  du  juge  Fa- 
bianus  ;  2.  Le  peuple  se  montre  d'abord  docile  à  ses  volontés  ; 
3.  Le  martyr  marche  sans  se  brûler  sur  les  charbons  ardents 
après  s'être  signé  au  front  ;  4.  Les  bras  des  bourreaux  dé- 
faillent ;  5.  Le  martyr  est  enfermé  en  prison  sans  nourri- 
ture ;  6.  Pourtant  il  ne  meurt  'pas,  car  il  est  assisté  par 
Dieu. 

Le  rédacteur  a  emprunté  quelques  traits  secondaires  à 
d'autres  textes,  latins  ou  grecs.  Asclepius  vient  sans  doute  de 
Grégoire  de  Spolète,  qui  est  apparenté  à  Pontien.  —  C'est 
Hedestus  qui  a  suggéré,  j'imagine,  l'épisode  de  Maxentius,  les 
prêtres  dispersés,  les  fidèles  qui  les  cherchent  parce  qu'ils  ont 
besoin  de  leur  ministère.  —  Et  l'enfant  qui  parle  et  confond 
le  juge  a  certainement  été  pris  soit  à  Cyricus-Julitta  %  soit  à 


1  B.  H.  L.,  5845.  Bibl.  Casinensis,  m,    flor.  147,  ou  30  octobre  319. 

2  Cf.  G.  M.  R.,  V. 

3  Grégorii  Epist,  x,  14,  P.  L.,  77,  1076,  B.  [et  ix,  170,  172;  tome  II.  167, 
169,  M.  G.].  Ce  monastère  a  été  fondé,  récemment  semble-t-il,  par  une  cer- 
taine Alexandrin.  —  Est-ce  des  reliques  de  ce  Maximus  qull  est  question  danu 
une  lettre  de  Grégoire  à  Chrysauthe  de  nov.  598  [M.  G.  ix,  49.  — tome  I1,76J? 

4  Cf.  supra,  p.  100, 

5  Cf.  G.  M.  R.,  V. 


SOURCES  DE  LA  LEGENDE  243 

Prudence  ',  qui  conte  une  liistoire  toute  semblable.  Saint  Ro- 
manus  interroge  un  enfant. 


«  Romanus  ardeiis  experiri  innoxiam 
Lactantis  oris  indolem  :  «  Filiole,  ait, 
Die  quid  videtur  esse  verum  et  congrueiis, 
Unumne  Christiim  colère  et  iii  Christo  Patrem  ; 
Au  comprecari  mille  formarum  deos.   » 
Arrisit  infans,  nec  moratus  retulit  :  « 
Est  quidquid  illud  quod  ferunt  homines  Deum, 
Unuiïi  esse  oportet,  et  quod  uni  est  unicum. 
Cum  Christus  hoc  sit,  Ghristus  est  verus  Deus. 
Gênera  deorum  multa  nec  pueri  putant.» 


Dès  lors,  comment  concevoir  le  rapport  des  deux  versions 
qu'on  a  dites  ? 

Apamée  est  proche  Antioche  ;  et  notre  texte  est  latin  ; 
Maxime  est  évidemment  un  saint  local  de  Cumes,  ville  latine  ; 
son  culte  est  attesté  au  temps  de  saint  Grégoire,  àNaples,  ville 
latine.  L*attache  d'Apamée  est  donc,  très  certainement,  fictive. 
J'imagine  qu'elle  a  été  suggérée  par  l'attache  nicomédienne  de 
Julienne.  La  version  où  apparaît  Apamée  est  donc  postérieure, 
de  peu  sans  doute,  à  la  version  latine  de  Julienne. 

L'ensevelissement  de  Maxime  par  une  pieuse  femme 
nommée  Julienne  suppose  seulement  qu'on  vénérait  à  Cumes 
une  sainte  Julienne.  Nul  besoin  de  faire  intervenir  la  légende 
de  cette  sainte  :  il  est  très  possible  que  le  culte  local  de  Julienne 
à  Cumes  soit  antérieur  à  la  légende  grecque  et  indépendant 
d'elle.  La  version  ce  Julienne  »  serait  donc  antérieure  à  la  ver- 
sion «  Apamée  ». 

Mais  voici  une  difficulté.  Comment  admettre  la  disparition 
de  Julienne  dans  la  version  c(  Apamée  »  ;  le  rédacteur  qui  veut 
modeler  l'histoire  de  Maxime  sur  l'histoire  de  Julienne  a-t-il 
donc  intérêt  à  séparer  les  deux  saints  que  réunissait  la  légende 
de  Cumes?  —  Je  ne  vois  pas  de  réponse  satisfaisante.  Les  faits 
sont  tels  :  ils  trahissent  sans  doute  un  caprice  de  nos  rédac- 
teurs. L'époque  à  laquelle  ils  écrivaient  reste,  du  moins,  bien 
assurée  :  c'est  la  seconde  moitié,  peut-être  la  fin  du  vi®  siècle. 


'    Péri  Stgphanon,  x,  661,  sq.  Ruinart,  395. 


244  TRADITIONS     DE    CAMPANIE 


TII 


Gestes  de  Lorsque  fut  mort  Vimpie  empereur  Adrien,  dont  la  cruauté 
de  Sora  i  avait  désolé  le  monde,  Aurélien  monta  sur  le  trône:  il  n  était 
pas  moins  cruel.  En  ce  temps-là  brillait  à  Rome,  dans  la  ré- 
gion qu^on  appelle  le  Trastevere  [in  regione  quœ  transty- 
berim  dicitur],  une  j eune  fille  appelée  Restituta.  Son  père  se 
nommait  Ethel,  sa  mère  Dabia.  Elle  était  belle,  noble,  riche', 
aussi  beaucoup  voulaient-ils  U épouser,  et  lui  offraient  de  Vor 
et  dés  étoffes  d'or.  Restituta  restait  fidèle  à  V  amour  du  Christ; 
elle  priait  nuit  et  jour,  les  mains  au  ciel:  c(  Seigneur,  disait- 
elle,  toi  qui  as  envoyé  V archange  Gabriel  à  la  très  glorieuse 
vierge  Marie,  toi  qui  as  converti  Veau  en  vin  à  Cana  de  Ga- 
lilée et  éclairé  la  Samaritaine,  daigne  m'envoyer  ton  ange 
afin  de  me  garder  continuellement  [iugiter]  /  »  Et  l'ange  du 
Seigneur  apparut,  le  visage  étincelant,  dans  une  robe  blanche  : 
((  Je  suis  r archange  Gabriel,  un  des  sept  qui  se  tiennent  tou- 
jours devant  le  trône  du  Seigneur.  »  —  «  Mon  cœur  frémit, 
répond  Restituta,  lorsque  je  vois  les  chrétiens  traqués  et  tor- 
turés comme  des  bêtes.  »  Et  voici  que  sa  frayeur  redouble  :  le 
diable  lui  apparaît  avec  sa  hideuse  figure  et  la  menace  de  lui 
faire  couper  la  tête.  Mais  la  sainte  le  chasse  par  la  force  du 
signe  de  croix  ;  et  le  Seigneur  lui  apparaît  en  personne,  la 
rassure  et  V envoie  à  la  cité  ciui  est  appelée  Sora  :  «  Va,  disait- 
il,  à  la  porte  du  Latran  ;  tu  y  trouveras  un  ange  qui  te  con- 
duira à  Sora.  » 

Lorsqu'elle  se  réveille,  Vange  la  saisit  par  les  cheveux  et, 
comme  autrefois  le  prophète  Abacuc  de  Judée  en  Chaldée,  il 
la  transporte  de  Rome  à  Sora.  Une  veuve  avait  son  fils  ma- 
lade; Restituta  implore  le  Dieu  qui  a  guéri  Tobit  et  la  belle» 
mère  de  Pierre,  et  la  santé  est  restituée  [restituta  est]  à  V  en- 
fant ;  et  quarante  personnes  se   convertissent,    bénissant   le 

1  B.  H.  L.,  7192.  Bibl.  Casinensis,  m,  fl.  12-16. 


RESTITUTA    DE    SORA  245 

Seigneur  qui  a  prédestiné  Restituta,  selon  la  signification  de 
son  nom  [secundum  nominis  sui  elliiinologiani],  à  sauver  les 
habitants  de  Sor a  ! ..,  La  nouvelle  de  la  guérison  de  Cyrille 
parvient  au  consul  de  la  cité,  V inique  Agacius.  Il  veut  épouser 
Restituta,  bien  qu'elle  soit  réponse  du  Christ^  et  sa  servante. 
Restituta  refuse,  confesse  sa  foi  et  est  torturée.  Mais  Vange 
la  visite,  et  le  pieux  créateur  et  rédempteur  du  genre  humain 
Ipius  conditor  et  redemptor  huinani  generis]  vient  dans  sa 
prison  lui  apporter  sa  récompense  et  souper  avec  elle  :  que 
nul  n^en  doute.  Les  ministres  d'iniquité  tombent  à  ses  pieds  et 
sont  baptisés  par  le  prêtre  Cyrille  au  nom  du  Père  y  et  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit  ;  ils  étaient  au  nombre  de  trente-neuf.  On 
les  conduit  donc  hors  des  murs  au  lieu  qui  est  ditFoTus(?)près 
d'un  très  ancien  temple,  et  ils  y  sont  décapités.  Au  temps  de 
la  paix ^  on  purifie  cet  endroit  \impur~\^  et  on  y  consacre  un 
temple  du  Seigneur  en  Vhonneur  de  sa  mère  sainte  Marie  et 
de  saint  Pierre  apôtre.  Les  ministri  qui  les  ont  mis  à  mort  de- 
viennent aveugles^  et,  dans  leur  détresse,  ils  implorent  Resti- 
tuta :  elle  les  guérit  et  les  convertit.  Agacius  la  fait  compa- 
raître encore^  il  lui  offre  le  mariage,  il  la  somme  de  sacrifier  : 
mais  en  vain  :  a  lu  ri  es  que  cendre  et  pourriture  et  ver  de 
tombeau,  lui  dit-elle  ;  je  ne  veux  pas  de  toi  pour  époux,  je 
n'adorerai  pas  tes  dieux  !  »  Décapitée  près  du  fleuve  Camellus, 
elle  est  ensevelie  à  côté  de  l'église  du  bienheureux  Jean-Bap- 
tiste, au  point  où,  plus  tard,  une  église  fut  construite  en  son 
homieur,  (Dieu)  y  opère  beaucoup  de  miracles,  aussi  bien  que 
partout  où  une  église  est  placée  sous  son  nom.  —  Sept  jours 
après  sa  mort,  elle  apparut  au  vénérable  Amasius,  évéque  de 
cette  cité  de  Sora:  il  retrouva  la  tête  de  la  sainte, 

Restituta  est  inconnue  du  férial  hiéronymien,  du  calendrier 
populaire  et  d'Adon  :  la  seule  Restituta  que  signale  le  premier 
de  ces  textes  [18.  5  Kal.  ian.]  est  la  célèbre  martyre  africaine. 
C'est  celle-ci,  peut-être,  qui  fut  vénérée  à  Sora  comme  elle 
l'était  à  Naples  \  et  qui,  à  la  longue,  fut  considérée  comme 
martyre  de  Sora.  L'histoire  de  Sora  est  malheureusement  peu 
connue  :  nous  savons  seulement  que,  à  l'aube  du  vni®  siècle, 
elle  fut  prise  par  Gisulf  de  Bénévent*. 

'  B.  H.  L.,  7190  [17  mai,  20]. 

2  Paul  Diacre,  vi,  27.  [Waitz.  p.  174]. 


1 


2iG  TFtADITIONS    ])R    CAMPANlIî 

La  légende  de  Restituta  et  des  guérisons  merveilleuses 
qu'elle  opère  a  été  suggérée  certainement  —  le  rédacteur  le 
laisse  voir —  par  le  nom  de  la  sainte,  secundum  norninis... 
ethimologiàm.  Et  ce  souci  du  sens  étymologique  des  noms  nous 
fait  souvenir  d'Abundius  *  et  de  Gaudentius  2.  —  Les  offres 
des  prétendants  à  la  sainte  sont  un  souvenir  à* Agnès.  —  Les 
termes  redemptor  et  conditor..,  sont  peut-être  inspirés  par 
Consta7itius.  —  Les  livres  canoniques  de  Tobit  et  de  Ilabacuc 
sont  manifestement  connus  de  l'auteur. 

La  légende  présente  encore  certains  traits,  quelquefois  très 
rares,  qu'on  retrouve  dans  les  textes  du  vu®  siècle.  Ici  comme 
dans  Firmina  ',  le  persécuteur  veut  se  faire  épouser  par  la 
sainte  ;  et  sans  doute  le  dîner  que  Restituta  partage  avec  le 
Christ  n'est-il  pas  sans  rapport  avec  le  dîner  qu'Olympiades 
offrait  à  Firmina,  et  que  Firmina  refuse  :  celui-ci  aura  sug- 
géré celui-là,  à  moins  que  ce  soit  l'inverse,  ou  que  tous  deux 
aient  été  imaginés  par  la  même  cervelle.  —  Les  événements 
sont  censés  se  passer  au  temps  d'Aurélien,  comme  dans /r«?w6''e 
et  Secu7idus. — Les  constructions  d'églises  sont  mentionnées 
ici,  aussi  bien  que  dans  Gaudentius^  Abundius,  Eutychius... 
—  L'apparition  du  diable  et  la  victoire  de  la  sainte  armée  du 
signe  de  croix  ont  été  empruntées  sans  doute  à  Julienne  ^.  — 
C'est  de  Lucie  Geminien  ^  que  viennent  sans  doute  la  trans- 
lation miraculeuse  à  travers  les  airs,  la  mention  duLatran,  la 
visite  que  le   Sauveur  rend  à  sa  martyre. 

Restituta,  enfin,  est  apparenté  à  la  légende  (ÏAmasius  :  les 

1  Cf.  supra,  p.  67-68. 

2  Cf.  supra,  p.  169.  Je  note  aussi,  dans  Gaudentius,    une  fontaine  sacrée. 

3  Cf.  supra,  p.  129. 

*■  Cf.  supra,  G.  M.  R.,  v. 

s  Cf.  G.  M.  R.,  V.  —  Il  est  possible  que  le  texte  qu'on  a  résumé  ne  soit  pas 
identique  au  texte  du  vu®  siècle  que  dénoncent  les  points  de  contact  dont 
on  a  parlé.  Le  passage  sur  l'archange  Gabriel  a  peut-être  été  écrit  à  une 
époque  plus  tardive,  lorsque  s'épanouissait  le  culte  du  Monte  Gargano  *.  — 
Noter  que  i^îVmtna  rappelle  aussi  Lucie-Géminien.  — On  a  signalé  trois  autres 
textes  :  l'un  est  abrégé,  divisé  en  trois  leçons,  qu'on  trouve  dans  le  bréviaire 
ca()ouau  de  1489;  un  autre,  distribué  en  douze  leçons,  est  attribué  à  l'évêque 
Joîinellus  l27  mai,  656,  §  7];  le  troisième,  enfin,  est  très  probablement  l'œuvre  du 
moine  Grégoire,  plus  tard  évêque  de  Terracine,  qui  vivait  à  la  fin  du  xi^  et 
au  début  du  xu^  siècle  ;  il  raconte  que  Restituta  est  décapitée  en  compagnie 
de  Cyrille  et  de  deux  autres  chrétiens  ;  il  ajoute  surtout  au  récit  de  la  pas- 
sion un  liber  miraculorum  [27  mai,  664  ou  658.  —  Cf.  CaC.  Paris,  m,  254, n.  3]. 

*  Noter  cependant  que  Michel  apparaît  dans  Alexandre  de  Baccanoel  que 
le  culte  du  Moule  Gargano  remonte  au  vii^  siècle,   aemble-t-il. 


AMASIUS    DE    SORA  247 

deux  saints  ont  môme  attache  topo^^ra[)liique,  Sora  ;  ici  et  là 
apparaissent  des  périphrases  analogues  :  conditor  et  redemptor 
miindi  \I(estituta\,  Salvator  miindi  [Amasliis]  ;  le  même  terme 
higiter  ;  Amasias,  enfin,  est  expressément  cite'  par  Restituta. 
Et  les  textes  ne  foisonnent  pas  qui  connaissent  Amasius  ! 


IV 


Amasius^  prêtre  du  Sauveur  du  monde  [Salvatoris  mundi 
sacerdos],  était  très  instruit  dans  les  dogmes  salutaires  de  la 
foi  :  il  brillait  comme  une  lumière  [dans  U Eglise),  Aussi  dé- 
sirait-il voir  les  lieux  vénérables  [où  son  Maître  avait  vécu) 
afin  d'instruire  ceux  qui  ignoraient  la  foi  catholique'.  V hérésie 
arienne  avait  grandement  souillé  la  Syrie,  et  la  Libye  et  toutes 
les  provinces,  et  même,  un  peu,  l'Italie,  tant  que n^ avaient  pas 
paru  les  très  fameux  docteurs  Hilaire,  Augustin,  Ambroise 
et  les  autres  orthodoxes.  Mais  racontons  comment  saint  Ama~ 
sius  même  guérit  un  paralytique.  Il  arrive,  chemin  faisant, 
à  la  ville  quon  appelle  Sora  :  la  veuve  qui  V  accueille  a  un 
fils  malade;  il  le  guérit.  Au  bruit  du  miracle,  les  habitants 
accourent  :  ils  demandent  continuellement  [iugiter]  à  être  ins- 
truits dans  la  foi  orthodoxe.  Amasius  se  rend  à  leurs  prières  ; 
Urbain,  diacre  de  Vévêque  de  Teano,  se  joint  à  lui,  et  le  fait 
élire  évêque  de  Teano  lorsque  m.eurt  révêc/ue  [qui  occupait 
d'abord  cette  dignité).  Avec  l'aide  des  citoyens  de   la  ville, 
Amasius  construit  un  portique  à  colonnes  et  un  cimetière,  oli, 
à  sa  mort,  on  V  ensevelit  en  paix.  De  longues  années  après,  les 
habitants  de  Sora  qui,  d'abord,  avaient  embrassé  les  erreurs 
de  rhérésie,  mais  qui  étaient  revenus  à  la  foi  catholique,  — 
je  veux  dire  :  leurs  descendants  —  se  ressouvinrent  dumiracle 
qu  avait  opéré  et  de  la  doctrine  qu  avait  prêchée  Amasius  :  ils 
construisirent  une  basilique  en  son  honneur,  oii  pendant  de 
longues  années  se  manifesta  la  vénération  qu'il  inspirait  ; 
Vévêque  s'y  rendait  le  jour  de  la  fête  anniversaire  [in  amasii 

1  B.  H.  L.,  354  [fit*.  Casiiiensis,  m,  fl.  3661. 


248 


TUAf)ITIONS    I)K    CAMPANIE 


[solepnit<il(»]  ;  ci  les  Jiommes  pieux  y  venaûml  des  pays  (Hoiyni's^ 
apportant  leurs  offrandes,  rendant  yrdces  au  Dieu  Père,  et 
FiLs\  et  Ksprit-Saintj  à  qui  honneur  et  gloire  dans  les  siècles 
des  siècles.  Amen. 


Gestes  de 

Paris  de 

Teaaum  ^ 


Ce  texte  est  apparenté  à  Restituta  pour  les  raisons  qu'on  a 
dites  ;  et  je  crois  qu'elles  permettent  de  le  dater  jusqu'à  nou- 
vel ordre  du  même  temps  que  Restituta  et  de  l'attribuer  au 
même  auteur.  Peut-être  l'intérêt  qu'il  témoigne  à  la  lutte  contre 
l'arianisme  témoigne-t-il  qu'il  est  contemporain  de  l'époque 
lombarde  et  révêle-t-il  un  incident  inconnu  de  la  conquête. 

Amasius  est  encore  mentionné  dans  un  autre  récit  *, 
qui  prétend  également  raconter  son  histoire  [B].  Voici  quels 
traits  le  caractérisent  :  1.  La  persécution  arienne  chasse  le 
saint  d'Orient  en  Italie  ;  2.  C'est  le  pape  Jules,  romanœ  sedis 
antisteSy  qui  l'envoie  prêcher  hors  de  Rome,  au  temps  de 
Constance,  successeur  de  Constantin  ;  3.  Le  prédécesseur 
d'Amasius  est  nommé,  c'est  Paris  ;  4. Jules  consacre  Amasius, 
cornu...  gr alise  salutaris  super  caput  eius  effundens. 

Or,  Paris  de  Teanum  nous  est  connu  par  un  texte  légendaire 
dont  voici  l'analyse. 

Comme  le  monde  romain  était  encore  la  proie  de  Vidolatriey 
Paris ^  prêtre  du  Seigneur  [sacerdos  Domini],  athénien  d'ori- 
gine, vint  d'Orient  en  Italie,  et  arriva  dans  cette  ville  de  Cam- 
panie  ciuon  appelle  Teanum  :  il  avait  été  le  compagnon  de 
Libanius  et  de  Basile  le  Grand  \à  Athèîies?],  Or^  Teanum 
était  la  proie  de  t idolâtrie  ;  on  y  adorait  surtout  un  dragon, 
—  ce  que  le  vulgaire  appelle  un  boa  [boam]  ;  — il  habitait  une 
source  profonde  à  côté  de  la  porte  [subterior]  inférieure  de  la 
cité  ;  on  lui  avait  élevé  un  autel,  on  l'y  Jiourrissait  religieuse- 
ment. Mais  Dieu  a  pitié  des  habitants  ;  il  leur  envoie  Paris, 
qui  trouve  à  la  fontaine^  portant  la  nourriture  du  dieu,  la 
fille  du  praeses  Simpronius ,  Tranquillina.  Il  apprend  ce  ([ui 
va  se  passer  ;  et,  fort  de  sa  prière.,  lorsqii  arrive  le  dragon,  il 
touche  la  tête  du  monstre  avec  le  bdton  [virgaj  qui  est  [appui 
de  sa  marche  et  le  signe  de  sa  force  [quam  levandi  laboris 
et  regiminis  causa  gestabat].   Le  dragon  s'endort,  Paris  le  dé- 


1  B.  H.  L.,  355  [23  janvier  484  ou  98]. 

2  B.  II.  L.,  6466  [5  août  73J. 


PARIS    DE    TEANUM  249 

pouille  de  son  pouvoir  et  le  jette  dans  le  fleuve  Saon.  On  le 
traîne  devant  le  praeses  :  telle  est  bien  lingratitude  des 
hommes!  Mais  il  soutient  intrépidement  la  cause  de  Dieu, 
créateur  de  toutes  choses  ;  il  domptCy  sans  combattre,  un  ours 
et  un  lion  gigantesques.  Les  citogens  tombent  à  ses  pieds  :  il 
les  convertit,  il  les  baptise,  il  les  confirme  en  les  faisant  par^ 
ticiper  au  corps  et  au  sang  du  Seigneur  [dominici  corporis  et 
sanguinis  eos  participio  solidavit].  Après  avoir  été  élu  évêque 
par  Silvestre,  qui  habite  le  mont  Siracte,  il  ordonne  des 
prêtres  et  fait  diacre  le  bienheureux  Urbain,  son  troisième 
successeur  ;  il  détruit  les  temples  des  idoles  et  les  bois  sacrés, 
se  fait  construire  un  ciinetière  par  les  fidèles  après  ciue  le 
Saint-Esprit  lui  a  annoncé  sa  fin,  et  meurt,  et  est  enseveli  le 
jour  des  nones  du  mois  d'août.  On  élève  une  église  sur  son 
tombeau  et  une  basilique  près  de  la  source  du  dragon;  ses 
bienfaits  s'g  multiplient,  grâce  au  concours  de  Notre  Seigneur 
Jêsus-Chîist  à  qui  honneur  unique,  et  unique  empire  avec  le 
Père  et  l* Esprit-Saint. 

Longtemps  après  V église  tombe  en  ruines  et  est  envahie  par 
l'herbe.  Mais  les  miracles  la  révèlent  aux  habitants  du  pags. 
Deux  paralgtiques,  Guiscard  et  Eustadia...^  et  beaucoup 
d'autres  sont  guéris. 

Il  semble  que  ce  texte  soit  parallèle  à  la  version  de  Resti- 
tuta  qui  est  attribuée  à  Grégoire  de  Terracine  :  ici  et  là,  un 
récit  de  miracles  est  ajouté  à  une  vie  de  saint  ;  et  la  légende 
d'Amasius  A  est  parente  à  la  fois  de  Restiluta  et  de  Paris. 

Voici  les  traits  qui  rapprochent  Paris  d'Amasius  A  et  de 
Kestituta;  1.  Le  mot  sacerdos  [prêtre];  2.  La  mention  des 
grands  personnages  mêlés  à  l'histoire  chrétienne,  ici  Hilaire, 
Augustin,  Ambroise,  là  Basile  et  Libanius  ;  3.  La  construction 
d'un  cimetière  et  d'une  église. 

Voici  les  traits  qui  rapprochent  Paris  d'Amasius  B  :  1.  Le 
personnage  de  Paris  ;  2.  L'origine  orientale  du  saint;  3.  L'in- 
troduction dans  son  histoire  d'un  pape  romain  ;  4.  L'utilisa- 
tion du  Liber  Pontificalis  :  Amasius  y  puise  ce  qu'il  dit  de 
Jules  et  des  Ariens  et  de  Constance  *,  Pains  lui  emprunte  Sil- 
vestre^  le  mont  Siractis    [Siraptis,  Soracte]  et  l'histoire  du 

'  L.  P.,  1,  205.  «  Hic  multas  tribulationes  et  exilio  fuit  mensibus  X.  » 


250  TRADITIONS    DE    CAMPANIE 

dragon*;  5.  Paris  whoi  Amasius  sans  le  nommer:  si  le  ré- 
dacteur voit  dans  Urbain  le  troisième  successeur  de  Paris, 
c'est  qu'il  sait  quel  est  le  second,  Amasius. 

Je  remarque  que  le  calendrier  populaire,  au  dfibut  du 
vu®  siècle,  rappelle  que  le  pape  Jules  eut  à  souffrir  de  l'arien 
Constance  : 

Via  Aurélia,  Julii  pap^e  et  confessoris  sub  Constantio 
ariano  '. 

Le  pape  Jules  est  cité  dans  Victorin-Séverin  parmi  les  grands 
papes. 

On  se  souvenait  donc,  au  vii%  de  ses  démêlés  avec  les 
ariens  :  c'est  peut-ôtre  de  ce  temps  que  datent  la  légende  de 
Paris  et  la  version  B  des  gestes  à  Amasius,  Paris  connaît  ces 
démêlés  ;  et  Amasius  B  est  parent  de  Paris.  Comme  il  arrive 
d'ordinaire,  la  légende  d'Amasius  s'est  donc  exprimée  à  la 
môme  époque  sous  deux  formes  distinctes. 

L'auteur  à' Amasius  B  et  de  Paris,  un  même  personnage 
sans  doute,  a  peut-être  emprunté  aux  gestes  des  douze 
Syriens  l'idée  défaire  venir  d'Orient  ses  héros.  Peut-être  s'est- 
il  souvenu  des  moines  grecs  chassés  en  Occident  par  la  persé- 
cution des  empereurs  monothélites  :  l'histoire  de  Maxime  de 
Chrysopolis  est  fameuse. 

Il  s'inspire  manifestement  des  mythes  de  Thésée  ou  de 
Persée. 

Il  aimait  les  réflexions  morales  :  soient...  nociva,  dit-il,... 
majori  reverentia  excoli  quanto  contigit  ca  ah  hominibus  plus 
timeri  ;  ou  encore  :  soient  perversi  homines  pro  bonis  mala 
rependere,  \\  connaissait  peut-être  les  gestes  de  Donat  d'Eu- 
ria  :  l'histoire  du  dragon  de  Paris  est  calquée  sur  celle  du 
dragon  de  Donat  plutôt  encore,  je  crois,  que  sur  le  fameux 
épisode  des  gestes  de  Silvestre  ^  —  Il  peut  sembler  surpre- 
nant de  lui  voir  citer  Libanius  et  saint  Basile.  Mais  l'auteur  de 
Cassien  de  lodi  faisait  de  même,  et  l'on  va  constater  des  faits 
analogues  à  la  même  époque  et  dans  le  même  pays. 


1  L.  P.,  1,  170.  «  Hic  exilio  fuit  ia  monte  Siracten,...  cuius  (Gonstantiai) 
persecutionem  primo  fugiens  exilio  fuisse  cognoscitur.  » 

2  12  avril,  P.  L.,  123,  153-154,  —  Noter  que  Donat  d'Arezzo  va  aussi  se 
faire  sacrer  à  Rome  par  le  pape  Jules;  Donat  a  peut-être  été  retouché  au  dé- 
but du  vii^   siècle  [cf.  supra,  p.    169]. 

3  Cf.  Mgr  Duchesne,  L.  P.,  i,  p.  cix.  Peut-être  aussi  y  a-t-il  à  l'origine  de 
l'épisode  le  souvenir  d'un  culte  païen  aaimal. 


AMBROISE    DE    FERENTINO 


251 


«  Au  temps  des  empereia^s  Maximien  et  Dioctétien,  il  y  avait 
un  homme  très  chrétien,  Ambroise,  de  famille  noble,  origi- 
naire de  Ligurie,  Revenant  d'Espagne,  le  prœses  Dacianus  le 
fit  entrer  parmi  ses  soldais  et  le  nomma  centurion  :  il  con- 
naissait son  courage  et  sa  force.  Après  avoir  rendu  compte  des 
affaires  dont  il  avait  été  chargé  et  reçu  de  toute  la  curie  des 
remerciements  et  des  présents,  il  fut  envoyé  en  Campante  pour 
détruire  les  chrétiens  et  pour  s'occuper  de  diverses  autres 
affaires.  Il  siégeait  dans  son  consistorium^  à  Ferento  (in  Fe- 
rentinae  civitatis  consistorio),  lorsque  des  païens  lui  dénon- 
cèrent Ambroise  comme  chrétien.  Il  le  fait  venir:  «  Je  t'ai 
donné,  dit-il,  mon  amitié ,  de  grands  honneurs  ;  et  tu  rejettes 
nos  dieux  pour  adorer  un  Crucifié  !  »  —  u  Oui,  j'adore  le 
Christ.  »  £ty  comme  il  reste  fidèle  dans  sa  foi^  Dacia7ius  lui 
fait  ôter  son  ceinturon  (balteum),  sa  chlamyde,  son  uniforme, 
son  collier  d'or  :  on  l'enchaîne,  on  l'enferme^  sans  painni  eau. 
Mais  les  anges  le  nourrissaient  et  le  consolaient.  Un  mois 
après,  quand  Dacianus  le  fait  chercher,  il  n'est  pas  mort  : 
*  Aie  égard  à  ta  jeunesse,  sacrifie  aux  dieux!))  —  u  Satan 
a  endurci  ton  cœur.  Je  ne  sacrifie  qu'à  Dieu  tout-puissant 
qui  règne  dans  les  deux  !  »  Quand  on  le  bat,  il  prie  Dieu,  il 
s'offre  en  sacrifice  à  lui  ;  le  peuple  accourt  pour  le  regarder, 
et  Dacianus,  mécontent,  le  fait  reconduire  en  prison.  Quelques 
jours  après,  nouvel  interrogatoire,  nouvelles  tortures  :  Am- 
broise est  plongé  dans  la  poix  et  la  résine  bouillantes,  et  il  ne 
cesse  de  défier  son  bourreau  :  il  ne  sent  rien.  Le  lendemain, 
Dacianus  va  à  V amphithéâtre  qui  est  contigu  à  la  porte  San^ 
quinaire,  et  il  se  fait  présenter  le  martyr  du  Christ  ;  mais, 
à  la  prière  de  celui-ci,  après  qu'il  a  levé  au  ciel  les  yeux 

*  R.  H.  L.,  375  \Cat.  Paris,  m,  546].  [Le   texte   vient   du    Codex  Parisinus 
3278,  du  xive  siècle,  f»  142].  —  Sur  la  curie,  cf.  Diehl  :  p.  93,  sq. 


252  TRADITIONS    DE   CAMPANIK 

et  les  mains,  les  idoles  tombent  en  poussière^  et  lui-même 
brise  le  Mercure  que  Dacianus  lui  ordonne  d^adorer.  «  Je 
vengerai  les  injures  de  mes  dieux  »,  dit  le  Ujran,  FA  il 
fait  jeter  le  saint  de  Dieu,  ligotté,  dans  une  chaudière  ar- 
dente. Mais  les  Ferentinates  qui  viennent  voir,  le  lendemain 
matin,  trouvent  intact  le  martyr.  A  la  fin,  on  le  jette,  un 
rocher  au  cou,  dans  le  fleuve  Alabre  ;  et  voici  que  lange  du 
Seigneur  le  délie  et  le  sauve  :  miracle  qui  convertit  quatorze 
nobles  de  la  cité  [de  nobilibus].  Dacianus  quitte  alors  Feren- 
tum  et  fait  dresser  son  tribunal  au  lieu  quon  appelle  Vicus  : 
comme  Ambroise  et  les  quatorze  nouveaux  baptisés  persistent 
dans  la  foi,  il  prononce  la  sentence  :  c<  Le  centurion  Ambroise 
qui  méprise  les  édits  de  F  empereur  romain  et  prêche  le  Christ 
que  les  Juifs  ont  crucifié,  sera  décapité  avec  ses  i4  compa- 
gnons. »  Ce  qui  fut  exécuté  par  les  bourreaux  le  il  des  ka- 
lendes  de  septembre. 

Voici  un  texte  embarrassant.  Le  centurion  Ambroise  est  in- 
connu duférial  hiéron3^mienetdu  calendrier  populaire,  d'Adon, 
d'Usuard  et  de  Notker.  Chose  plus  fâcheuse  encore,  il  offre 
peu  de  points  de  contact  très  nets  avec  les  gestes  que  nous 
connaissons. 

Le  saint  jeté  au  fleuve  et  délivré  par  un  ange,  c'est  un  trait 
qu'on  retrouve  dans  Valentin-Hilaire  ;  le  saint  qui  s'offre  lui- 
même  à  Dieu  en  sacrifice  et  qui  fracasse  les  idoles,  voilà  peut- 
être  un  souvenir  de  Sabinus  ;  et  c'est  peut-être  de  Secundia- 
nus  que  vient  cette  idole  s'effondrant  d'elle-même.  La  porte 
Sanguinaire  me  rappelle  ce  pont  et  ce  ruisseau  Sanguinaires 
qui  apparaissent  dans  Pontien  et  dans  Grégoire  de  Spolète. 
J'imagine  enfin  —  c'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  clair  —  que  la 
mention  de  Dacianus  et  de  l'Espagne  indiquent  des  connais- 
sances et  des  préoccupations  analogues  à  celle  que  trahissent 
la  fin  de  Torpes,  Vincent  de  Bevagna,  etc.  :  par  analogie  avec 
Torpes,  je  daterais  Ambroise  des  environs  de  l'an  600. 

Ce  dernier  trait  nous  invite  à  penser  que  le  rédacteur  in- 
connu connaissait  la  littérature  mart3^rologique  :  ce  qui  m'en- 
courage à  proposer  l'hypothèse  suivante.  Ambroise  le  centu- 
rion a  peut-être  été  modelé  sur  Marcellus  de  Tanger  ^.  Ici  et 

1  B.  H.  L.,  5253  |Ruinart  (1859),  343].  Tillemont,  iv,  575  et  768.  Cf. 
Allard,  iv,  132,  sq. 


MARCELLUS    ET    APULEIUS  253 

là,  le  martyr  est  centurion  *  ;  ici  et  là,  le  juge  sièij^e  i?i  consis- 
torio  "^  ;  ici  et  là,  le  saint  ôte  son  ceinturon  [halllieum]  ^  ;  ici  et 
là,  on  rapporte  le  texte  de  la  sentence*.  Le  calendrier  popu- 
laire cite,  à  la  date  du  30  octobre,  Marcellus  de  Tanger,  cen- 
turion et  martyr  ^  J'ajoute  que,  à  cette  même  date,  dans  ce 
même  pays  %ona  une  preuve  certaine  de  l'inQuence  qu'exercent 
surles  rédacteurs  de  nos  légendes  les  actesdu  martyr  deTanger. 
Je  vise  la  légende  de  Marcellus  et  Apuleius. 


VI 


fii- 


ie  Au  temps  de  Julien  Auguste,  il  y  avait  à  Rome  [in  Urbe] 
un  centurion  ordinaire  [centurio  ordinarius],  nommé  Mar- 
cellus :  il  était  riche  et  libéral.  La  grâce  de  Dieu  qui  veut 
sauver  tous  les  hommes...  fit  quil  se  soumit  à  la  religion 
chrétienne  ;  il  secourait  les  pauvres  et  les  indigents.  Comme  il 
se  rendait  en  Apulie,  et  passait  par  Capone^  il  fut  arrêté  par 
le  praeses  Dragontius  sur  l'ordre  de  César.  Il  refuse  de  sacri- 
fier,  il  est  emprisonné  y  et  quand,  Dragontius  mort,  son  suc- 
cesseur Fortunatus  veut  le  séduire,  il  résiste  avec  fermeté.  Le 
préfet  de  la  milice  [praelectus  militiae]  auquel  on  renvoie, 
Agricolanus,  nest  pas  plus  heureux  :  Marcel  résiste  aux  me- 
naces et  aux  promesses.  Lorsqu'il  est  condamné  à  m,ort  il  de- 

*  <t  Marcellus  quidam  ex  centurionibus  legionis  trajanse...  »  ["§  IJ.  [Même 
époque  aussi]. 

^  <  Resideas  in  coasistorio  preecepit  iutroduci  Marcellum...  »  [§  2j. 

^  «  Quid  tibi  visum  est  ut...  te  disciogeres  et  baltheum  et  vitem  proji- 
ceres...  »  [§  2.  —  Cf.  Mariuus,  dans  Eusèbe.  H.  E.,  vu,  15J.  Noter  que  vitis 
manque  dans  Ambroise. 

*  a  Ita  dictauit  senteatiam  :  Marcellum  qui  centuno  ordinarius  milltabat, 
qui  abjecto  publioe  sacramento  poliuisse  se  dixit...  gladio  animadverti  placet  » 
[§  5]. 

5  «  III  Kal.  aug.,  Tingitanse,  Marcelli  centurionis  et  martyris.  »  P.  L,,  123, 
173-174. 

^  Le  Fereotum  dont  il  est  ici  question  est,  j'imagiue,  le  Fereutum  le  plus 
proche  de  la  Campanie,  Ferentino  près  Veroli  et  Alatri.  —  Il  est  vraisem- 
blable qu'Ambroise  en  était  le  patron. 

'  13.  11.  L.,  5251  [7  octobre  828j. 


254  TRADITIONS    DE    CAMPANIE 

Dinnde  un  (Ulai  pour  prier  ;  il  se  prosterne  si  terre,  remercie 
In  Seigneur^  et  se  relève  en  lui  dlsmit  :  u  Seigneur,  je  remets 
mon  esprit  entre  vos  mains  »  ;  le  speculator  l'exécute.  Mais, 
comme  Apuleius^  l'esclave  [faniulus|  de  celui-ci^  se  déclare 
chrétien  à  son  tour,  il  est  exécuté  immédiatemetit.  Ces  deux 
martyrs  ont  souffert  sous  Julien  César,  les  nones  d'octobre, 
tandis  que  règne  Notre  Seigneur  Jésus- Christ,  à  qui  honneur 
et  gloire  dans  les  siècles  des  siècles. 

Le  culte  de  Marcellus  et  Apuleius  est  attesté,  à  Rome,  au 
cours  et  peut-être  au  début  du  vii^  siècle.  C'est  de  ce  temps, 
j'imagine,  que  date  aussi  la  légende. 

Le  sacramentaire  Gélasien  *  nomme  nos  deux  martyrs  : 

Sanctorum  tuorum  nos,  Domine,  Marcelli  et  Apulei  beata 
mérita  prosequantur  ! ...  Sacramentis,  Domine,  muniamur  ac- 
ceptis  et  sanctuorum  tuorum  Marcelli  et  Apulei...  armis  cœ- 
lestibus  protegamur , 

Le  calendrier  populaire  porte  : 

Nonœ  [octobres^,  Marcelli  et  Apuleii  qui  primo  adhœserunt 
Simoni  mago,  deinde  apostolo  Petro  :  sub  Aureliano  consulari 
viro  martgrio  coronati  ^ . 

Bien  que  la  légende  de  Marcellus  et  Apuleius  que  suppose 
ce  texte  diffère  de  celle  qu'on  a  résumée,  il  est  certain  qu'il 
s'agit  ici  et  là  des  mêmes  personnages  :  le  couple  de  noms  est, 
ici  et  là,  identique,  aussi  bien  que  la  date  de  l'anniversaire. 

Notre  texte  a  conservé  deux  traits  qui  se  lisent  dans  les 
gestes  du  vu®  siècle,  et  qui  semblent  indiquer  la  date  où  il 
fut  écrit  :  «  reçois  mon  esprit  »,  dit  le  martyr  à  Dieu  avant 
de  recevoir  la  mort  ;  et,  lorsqu'il  est  arrivé  au  lieu  du  supplice^ 
il  demande  un  délai  pour  prier.  Ces  deux  détails  se  retrouvent 
le  premier  dans  Victorinus,  Eutychius,  Pergeniinus  Laurenti- 
nus,  etc..  le  second  dans  Torpes,  Eutychius,  Pergentinus 
Laurcntinus,  Valentin  Hilaire.,  etc. 

Notre  texte,  d'autre  part,  s'inspire  certainement  des  actes  de 
Marcel  de  Tanger.  Voici  les  points  de  contact  que  j'ai  notés  : 
1.  Ici  et  là  le  martyr  est  un  centurio  ordinarius  ^;  2.  Ici  et  là, 
deux  des  juges  portent  le  même  nom,  Fortunatus  et  Agrico- 

2  Ed.  Wilson,  p.  202,  lxi,  non.  octobres,  [éd.  Muratori,  i,  671]. 
i  P.  L.,  123,  171-172. 

2  (c  Agricolanus  dixit  :  centurio  ordinarius  railitabas  ?  »  [§  4]. 


MARCELLUS    DR    CAPOUE  253 

laiius  '  ;  3.  Ici  et  là,  le  saint  comparaît  tour  à  tour  devant  deux 
tribunaux  ;  4.  Ici  et  là,  un  païen  qui  assiste  le  persécuteur 
se  convertit  à  la  vue  du  martyr  et  est  exécuté  après  lui  :  Apu- 
leius  est  calqué  sur  Cassianus. 

Il  est  donc  très  vraisemblable  que  Marcelliis  Apuleius  et 
Ambroise  de  Ferento  ont  été  rédigés  dans  un  même  milieu, 
d'après  les  actes  de  Marcel  de  Tanger,  au  début  du  vu"  siècle. 

C'est  dans  le  même  pays,  en  Campanie,  qu'Ambroise  et  Mar- 
cel étaient  vénérés.  On  l'a  dit  pour  Ambroise.  Quant  à  Mar- 
cellus  et  Apuleius,  il  est  vrai  que  nos  textes  ignorent  Capoue 
et  mentionnent  Home.  Mais  leur  culte  est  attesté  à  Capoue  :  et 
c'est  de  Capoue  que  vient  la  légende  *.  Dans  l'église  de 
Saint-Priscus,  près  Capoue,  détruite  en  1776  et  qui  datait 
peut-être  du  temps  de  Gélase  ',  il  y  avait  une  mosaïque  absi- 
(J;do  011  l'on  voyait  un  Marcellus  rapproché  d'un  Agostinus. 
Le  férial  hiéronymien,  enfin,  donne  *  : 

E  :  nonas  oc.  in  capua  marcelli  quarti  Marcellini. 

B  :  JN  CAPUA  CAmpafi  Quarti  Marcellini. 

Il  est  clair  qu'il  y  avait  à  Capoue  un  saint  Marcellus  asso- 
cié, peut-être,  à  un  autre  martyr  [Agostinus,  Quartus  ou 
Apuleius],  et  qui  était  fêté  le  jour  des  nones  d'octobre  :  c'est 
ce  saint  Alarcellus  qui  est  le  héros  de  notre  légende. 


On  voit  moins  bien,  réserve  faite  de  ce  qui  a  été  dit  plus 
haut  touchant  le  milieu  où  elle  fut  rédigée,  quelle  en  fut  la 
genèse. 

Le  texte  qui  a  été  analysé,  A, place  les  martyrs  au  temps 
de  Julien;  le  texte  du  calendrier  populaire,  B,  les  rattache  à 


^  «  Anaatafiius  Fortunatus  praeses  ei  dixit....  Ipse  sanus  transmitteris  ad  do- 
mioum  meum  Aurelium  Agricolanum  »  [§  2J... 

-  Ruinart  (1859j,  345.  c  Cum  bealissimus  Cassianus  Aureliano  Agriculano 
asenti  vices  praefeclorum  praetorio  militari  exjeptor...  ejusdem  parebat  offi- 
cio...,  cum  sententias  exciperet...,  ubi...  capitalem  viîlit  ferire  seateotiam, 
exsecrationem  sui  clara  voce  coutestaos,  graphium  et  codicem  projecit  ia 
terra...  Respoudit  beatissimus  Cassianus  ;  iniquam  euui  dictasse  senten- 
tiam.  I 

2  Les  deux  textes  imprimés  qui  les  célèbrent  sont  tirés,  l'un  du  Breviarium 
Capuanum  de  1489  [B.  H.  L-,  5252],  l'autre  du  Sancluarium  Capanum  de  Mo- 
nnchus  [1630,  p.  137],  [B.  H.  L.,  5251]. 

^  De  Rossi,  Bullett.,  1884,  106.  et  Garucci  :  iv,  254. 

"  Rosai-Ducbeene,  p.  130. 


2rîG  TRADITIONS    DE    CAMPANIE 

saint  Pierre,  et  donc  les  fait  mourir  sous  iWjron  '  ;  un  Iroisièmo 
texte,  que  j'appelle  C,  en  fait  des  contemporains  du  (Christ. 
Les  vertus  de  Marcellus  /ont  son  prestige  dans  la  cité.  IL 
donne  à  Pévêque  Archelaûs  tout  l'argent  qui  est  nécessaire  pour 
racheter  les  captifs  faits  prisonniers  par  les  700  soldats  qui 
gardent  le  camp  ;  et  son  désintéressement  convertit  beaucoup 
de  ceuX'ci.  A  la  fin^  il  renonce  au  service,  et  il  est  décapité 
avec  son  esclave  Apuleius,  sous  Aurélien  consularis.  On  l'en- 
sevelit non  loin  de  Rome,  le  jour  des  noues  d'octobre  ^ 

La  version  B,  d'où  dérivent  Adon  et  le  calendrier  populaire, 
suppose,  évidemment,  que  Marcellus  de  Capoue  a  été  con- 
fondu avec  le  Marcellus  des  gestes  de  Nérée-Achillée^  ;  de  ces 
mêmes  gestes  vient  pareillement  l'Aurelianus  vir  consularis . 

L'homonymie  des  deux  Marcellus,  le  silence  de  Nérée  sur 
la  fin  de  Marcellus,  le  disciple  de  saint  Pierre,  ces  deux  faits 
auront  introduit  la  légende  de  Capoue  dans  la  tradition 
romaine.  Apuleius  aura  suivi  son  compagnon.  C'est  peut- 
être  au  début  du  vu®,  ou  à  la  fin  du  vi®,  que  cette  confusion 
se  sera  opérée.  Il  n'est  pas  sûr  que,  antérieurement  à  cette 
date,  Marcellus  de  Capoue  ait  eu  sa  légende  ;  et  c'est  à  cette 
date,  précisément,  que  la  confusion  est  attestée  par  le  calen- 
drier populaire. 

La  version  C,  que  caractérise  la  mention  de  l'évêque  Ar- 
chelaûs, connaît  Aurelianus  consularis  :  elle  est  donc  posté- 
rieure à  celle  dont  on  vient  de  parler.  Mais  le  nom  de  cet 
éveque  Archelaûs  est  remarquable.  Hegemonios  opposa,  dans 
un  texte  fameux  ^  l'hérésiarque  Manès  à  l'évêque  de  Cascara, 
Archelaiis  ;  Archelaiis,  d'après  le  récit  d'Hegemonios,  a  pour 
ami  un  pieux  chrétien,  nommé  Marcel  ;  c'est  dans  sa  maison 
qu'Archelaiis  discute  avec  Manès  ;  enfin  ce  pieux  Marcel  met 
à  même  l'évêque  Archelaiis  de  délivrer  7700  captifs  :  la  gar- 

1  De  même  Adon,  7  octobre,  P.  £,.,  123,  376.  «  Eodem  die,  S8.,  mm.  Mar- 
celli  et  Apuleii  qui  quidem  primo  adhaeserunt  Simoni  Mago  ;  sed  videntes 
mirabilia  quee  Dominus  operabatur  per...  Petrum,  relicto  Simone,  doctrinae 
apostolicae  se  tradiderunt...  Aureliano  consulari,...  martyrii  coronam  reporta- 
runt.  Sepulti  non  longe  ab  urbe  Roma.  » 

B.  H.  L.,  5252  [7  octobre,  829,  §  13]. 

2  G.  M.  R.,  I,  251. 

3  Traube  :  Acta  Archelai^  Sitzungsber.  d.  k.  bayer.  Akad.  d,  Wissenschaf- 
ten.  1903.  533  ;  HarnacK  :  Chronologie  d.  altch.  Liiterat,  ii,  193,  548  ;  C.  H. 
Beeson  :  Hegemonius.  Acta  Archelai.  Leipzig.  1906.  Traube  a  découvert  le  texte 
grec  en  avril  1902.  La  traduction  latine  semble  dater  des  environs  de  400  et 
provenir  de  Rome.  Cf.,  aiissi  P.  G.,  10,  1429.   —  Tillemont,  iv,  387-399. 


HEGEMONIOS  257 

nison  romaine  a  cru  voir  une  agression  dans  un  pèlerinage  des 
habitants  de  Cascara  demandant  à  Dieu  le  succès  de  leurs 
moissons,  elle  a  massacr(5  les  uns  et  emprisonné  les  autres. 
Si  j'ajoute  que  le  texte  d'IIegemonios,  dès  l'antiquité,  était 
traduit  en  latin,  on  admettra  que  la  légende  de  Marcellus- 
xVpuleius  est  calquée  sur  l'ingénieux  écrit  d'Hegemonios. 

Cela  est  certain  autant  qu'inattendu  :  voici  qui  est  moins 
curieux  et  plus  obscur.  Archelaiis  est  dit,  dans  la  traduction 
latme  d'Hegemonios,  episcopiis  Mesopotamige ;  et  voici  que  les 
gestes  de  Sergius  et  Bacchus,  qui  font  souffrir  et  mourir  ces 
saints  sur  les  bords  de  l'Euphrate  [castelliim  Terrapijrgum, 
Rhuzafatam],  associent  à  Sergius  et  Bacchus,  Marcellus  et 
Apuleius.  Et  je  note,  dans  la  version  latine  de  Sergius  Bac- 
chus, certains  traits  qui  rappellent  fort  Marcellus -Apuleius 
et  Ambroise  le  centurion  :  ici  et  là,  même  emploi  du  mot  fa- 
mulus,  même  cérémonie  de  dégradation  militaire  \  même 
renvoi  des  martyrs  à  un  second  tribunal,  même  reproduction 
du  texte  de  la  sentence.  —  Faut-il  admettre  (\\xq  Sergius 
Bacchus,  dans  sa  forme  primitive,  associait  réellement  unMar- 
cellus  et  un  Apuleius  à  Sergius  et  à  Bacchus?  Faut-il  admettre, 
au  contraire,  que  Sergius  Bacchus,  dans  sa  teneur  primitive. 
Ignorait  Marcellus  et  Apuleius,  et  que  ces  deux  saints  ont  été 
mtroduits  dans  la  légende  orientale  au  temps  où  celle-ci  était 
mise  en  latin,  alors  que  s'épanouissait  le  culte  de  xMarcellus  et 
d  Apuleius?  —  Ce  qui  serait  une  raison  de  dater  la  version  la- 
tine de  Sergius  Bacchus  du  début  du  vii^  siècle. 

Je  penche  pour  la  seconde  hypothèse  :  Marcellus  et  Apuleius 
disparaissent  aussitôt  qu'introduits  ;  s^ils  appartenaient  aux 
couches  les  plus  anciennes  de  la  légende,  aurait-on  négligé  de 
les  associer  complètement  à  Sergius  et  à  Bacchus  et  de  les  faire 
périr  avec  eux? 

^'^y^^^màQ  Marcellus  Apuleius  et  à' Ambroise  le  centurion 
connaissait  5er^m^^â!ccAw5  et  la  conférence  fictive  d'Arche- 
laus  avec  Mânes,  aussi  bien  que  les  actes  de  Marcel  de  Tan- 
ger; il  vivait  dans  le  même  milieu  que  les  rédacteurs  des 
gestes  de  Tuscie  et  d'Omhrie.  Il  a  lui-même,  selon  toutes  les 
vraisemblances,  traduit  Sergius  Bacchus  et  introduit  Mar- 
cellus et  Apuleius  dans  ce  texte. 

nLlhfT""^  chlamydibus  et   militieE   uestibus  et  torques   aiireas...  \Sernius 
III  ,, 


■ 


CHAPITRE   XI 


TRADITIONS  DE  VALÉRIE  ET  DU  PICENUM 

LES  SAINTES  ANATOLIE  ET  VICTOIRE,  LES  SAINTS  SÉVÈRE, 

VICTORIN    ET   SÉVERIN 


Il  nous  faut  maintenant,  pour  achever  notre  tour  circulaire 
autour  de  Rome,  faire  une  excursion  en  Valérie  et  dans  le  Pi- 
cenum. 


//  arriva  qu^ Aurelianus ,  homme  illustre,  demanda  en  ma- 
riage, par  r intermédiaire  de  matrones^  une  vierge  consacrée 
à  Dieu,  Anatholie.  Celle-ci  sollicite  un  délais  afin  de  pouvoir 
distribuer  ce  quelle  a  aux  pauvres  et  aux  chrétiens  ;  puis  elle 
se  dit  malade,  Titus  Aurelianus  prie  alors  son  ami  Euqène 

*  B.  H.  L.,  859i;et  417-420.  —  C'est  ce  texte  que  reproduit,  en  le  dévelop- 
pant parfois,  le  Codex  Augiensis  ;  le  Codex  Palatinus  s'arrête  avant  d'en  arri- 
ver là. 


200  TRADITIONS    DE    VALERIE    ET    Di:    PICENUM 

(Tintervenir  :  qiiil  envoie  sa  /lancée  Victoire  intercéder  auprès 
(V Anatholie.   Victoire  montre,  en  effets  à  Analholie  que  Dieu 
ne  condamne  pas   le  mariage',  mais  Anatkolie   lui  raconte 
r angélique  vision  quelle  a  eue,  et  que,  selon  Vanfje,  la  virgl- 
nité  remporte  sur  le  mariage.    Victoire  se  laisse  convaincre  ; 
elle  prie  Anatholie  de  faire  revenir  langCy  et  celui-ci  reparait 
et  réitère  ses  déclarations  :  «  La  virginité,  la  chasteté,   le  ma- 
riage ont  chacun  sa  dignité  ;  mais  la  virginité  est  d'or,   la 
chasteté  d'argent,  le  mariage  d'airain  ».   Victoire  se  consacre 
à  son  tour  à  Dieu.  —  Eugène,  furieux,  querelle  Aurélien  :  il 
a  tout  perdu.  Mais,  sur  le  conseil  de  celui-ci,  avec  la  per- 
mission  de  DècCy  il  part  avec  Anatholie  et  la  conduit  ad  lerri- 
torium  Torense,  tandis  que  Aurélien  conduit  Victoire  ad  Tri- 
bulanuni   territorium.  Ils   comptent    venir  à  bout   des    deux 
vierges  par  la  famine  et  la  violence.  Or,  il  g  avait  in  civitate 
Tribulana  un   dragon   très    mauvais  ;  Domicianus,   dominus 
civitatis,  supplie  Victoire  de  tuer  le  monstre,  et  aussitôt  il  se 
convertira  avec  tous  les  habitants.  Assistée  par  lange,  Victoire 
va  à  la  caverne  et  chasse  le  dragon  au  nom  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  ;  et  le  peuple  veut  l'adorer  comme  une  déesse. 
Elle  se  contente  de  faire  construire  un  oratoire  et  d'g  grouper 
une  soixantaine  de  vierges,  âgées  d'au  moins  neuf  ans  :  elle 
les  instruit  dans  les  hgmnes,  les  psaumes  et  les  cantiques.  Et 
Eugène  nose  rien  faire  savoir,  crainte  de  voir  confisquer  par 
le  fisc  les  biens  de   Victoire  qiCil  a   occupés.  Mais,  la  troi- 
sième année  *,  le  cornes  templorum  Jaliarque  tue  la  vierge 
sainte  qui  n'a  pas  voulu  adorer  Diane,  Le  peuple  fuit  et  pleure 
sept  jours  ;  les  prêtres  du  Christ  ensevelissent  le  corps  dans 
un  sarcophage,  à  V endroit  d'où  elle  avait  chassé  le  dragon, 
ou,  abondent  les  prières  de  la  martgre  pour  le  salut  de  tous, 
dans  tous  les  siècles  des  siècles.  Amen.  Les  vierges  {de  Victoire^ 
persistent  dans  la  virginité,  tandis  que  le  comte  Taliarque 
devient  lépreux  dans  les  six  jours  et  meurt  rongé  par  les  vers. 
Sainte  Victoire  a  souffert  le  10  des  kalendes  de  janvier,  avec 
les  louanges  du  Christ  à  qui  honneur  et  gloire,   louange  et 
domination  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

1  Le  texte  de  Namur  [Analecta,  ir,  159,  §  8],  dit  qu'il  appela  ud  pontificem 
Capitolii  nomine  JuUanum  et  misit  ad  eum...  Taliarcum.  —  Je  me  demande 
si  le  texte  n'est  pas  ici  altéré;  si  Juliaaus  n'a  pas  joué  le  rôle  de  déooDcia- 
teur. 


I 


ANATOLIE    ET    VICTOIRE  261 

Anatolie  et  Victoire  sont  deux  saintes  vénérées  en  Sabine, 
que  le  fériai  liiéronymien  nous  fait  connaître,  au  VI  des  ides 
de  juillet  *  : 

Ë  :  safini  anatholiêe  victoriœ . 

B:  IN SAUINIS,  anatoliss  uictorii, 

W  :  In  sauinis  anatholiœ  ulcturide. 

Cette  localisation  des  saintes  rend  assez  bien  compte  de  la 
topographie  légendaire  :  le  territorlum  Torense  est  sans  doute 
Tiora,  au  diocèse  de  Rieti  ;  le  territorium  Tribulanum  est  cer~ 
tainement  Trebula  Mutuesca  ^.  Nous  avons,  enfin,  un  récit  ^ 
suivant  lequel  les  corps  auraient  été  portés  à  Subiaco,  au 
Sagro  Speco  de  Saint  Benoit,  puis  découverts  au  temps  de 
Benoît  VIÏ  (974-983)  et  de  l'évêque  de  Rieti,  Anastase.  Tous 
ces  documents  convergent  :  la  racine  de  la  légende  est  certai- 
nement un  culte  sabin. 

Mais  il  est  plus  délicat  d'en  retracer  la  genèse.  Dans  la  ba- 
silique de  Sant,  Apollinare  Nuovo,  à  Ravenne,  Anatolie  et 
Victoire  sont  représentées  côte  à  côte,  à  gauche  :  comme  ces 
mosaïques  datent  du  vi®  siècle  ^,  c'est  un  indice  que  nos  saintes 
étaient  dès  lors  l'objet  d'une  considération  particulière. 

A  la  fin  du  vii^  siècle,  saint  Aldhelme  ^  raconte  leur  his- 
toire dans  son  double  Eloge  de  la  Virginité  :  on  la  lisait  à 
l'église  le  jour  de  leur  lète.  Il  fait  d'elles  deux  sœurs,  dans  le 
poème,  non  dans  l'ouvrage  en  prose.  Victoire,  recherchée  par 
Eugène,  chasse  un  dragon  malfaisant,  du  territorium  trihnla- 
nurn  ;  Anatolie,  la  fiancée  d'Aurelius,  guérit  un  démoniaqueje 
fils  du  consul,  et  délivre  un  Marse  des  enlacements  d'un  ser- 
pent qu'il  poussait  à  la  piquer.  Toutes   deux  sont  égorgées. 


>  P.  89,  10  juillet.  —  Cette  date  eet  celle  que  donne  F  [9  juillet,  673,  §  12]. 
Cf.  infra. 

2  Jung.,  p.  485.  —  C.  I.  L.,  ix,  p.  463.  —  H  y  a  aujonrd'tiui  de  ce  côté  un 
village  qui  s'appelle  S.  Auatolia  [G.  1.  L.,  ix,  433],  —  Noter  que  Concordius 
mentionne  la  civitas  Tribulus. 

3  B.  H.  L.,  417  et  421  :  9  juillet  677  et  681. 

*  On  sait  que  le  texte  d'Aguellus  est  assez  équivoque,  —  Cf.  Bayet  :  Re- 
cherches... p.  98,  n.  1. 

*  De  laude  virg.,  45  [P.  L.,  89,  279,  B-280]  et  De  laudibus  virginitatis,  52 
[P.  L.,  89,  151,  C-1521.  —  L'édition  reproduite  par  Migue  [P.  L.,  89,  280,  D], 
contient  une  faute  de  texte  évidente.  A  deux  reprises  elle  donne  morsum  au 
lieu  de  Marsum  :  c'est  Marsum  qu'exige  le  seos  et  la  comparaison  de  ce  pas- 
sage avec  le  passage  parallèle  du  De  laudibus  [P.  L.,  89,  152,  Dj.  —  De  même 
les  LXK  virgunculse  [P.  L.,  89,  152,  C],  doivent  être  lues,  sans  doute,  LX  : 
cf.  decies  senas  [P.  L.,  89,  280,  B],  —  Cf.  Eliwald  :  Aldhelma  Gedicht  de  Vir- 
ginitate  [Gotna,  1904,  progr.]. 


262  TUAUITIONS    Dli    VALÉUJE    ET    DU    l'ICENUM 

A  la  lin  du  ix",  Adon  et  Flodoard  racontent  également  la 
légende,  mais  en  la  modifiant  davantage.  Adon  '  \H\  rattache 
les  saintes  au  Picenum,  lait  torturer  Anatolia  par  un  certain 
Faustinianus  et  assure  qu'elle  convertit  un  Marse  nommé 
Audax  :  c'était  un  charmeur  de  serpents  qui  devait  la  faire 
piquer  par  ses  bêtes  et  qui  avait  été  piqué  par  elles.  En  re- 
vanche, il  retranche  de  l'histoire  de  Victoire  l'épisode  de 
Domitianus  et  du  dragon.  —  Et  Flodoard  "^  [C],  comme  il  ar- 
rive d'ordinaire,  suit  Adon. 

Nous  avons  enfin,  indépendamment  du  texte  qui  a  été  ana- 
lysé [D],  deux  autres  versions  anonymes.  La  première  ^  [EJ 
est  assez  longue  :  elle  reflète  curieusement  les  polémiques  re- 
latives à  la  fuite  *,  elle  joue  sur  le  nom  de  Victoire  ^  elle  sup- 
prime l'épisode  du  dragon,  conserve  l'épisode  du  Marse  Audax, 
et  reproduit  l'histoire  d'Anianus,  tils  de  Diodore  consularis  : 
Anatolie  chasse  le  démon  qui  le  tourmentait.  J'ajoute  encore 
que  cette  version  fait  allusion  au  baptême  par  le  sang  ^  et  pré- 
sente Anatolie  et  Victoire  comme  deux  sœurs  de  lait,  collac- 
taneœ. 

La  seconde  version  [F]  est  très  courte  '^  :  elle  raconte  seule- 
ment l'histoire  d'Anatholie,  du  fils  de  Diodore  et  d'Audax  ; 
mais  elle  ajoute  ce  trait  curieux  : 

Cor]pus  vero  Audacis  Marsi  marlyris,  quoniam  de  Oriente 
fueraty  uxor  et  filii  tulerunt  et  navigaverunt  :  ferentes  sua 
omnia  et  gesta  quœ  in  iUo  libello  scripta  sunt  h.  Anatholiœ 
virginis  et  in  finem  Audacis  martyris.  Amen, 

J'imagine  que  ce  dernier  texte  est  la  suite  et  la  fin  du  texte 
que  nous  avons  résumé,  D  :  celui-ci  ne  nous  disait  pas  ce  que 
devenait  Anatholie,  celui-là  ne  nous  souffle  mot  de  Victoire. 
Or,  il  n'y  a  pas  de  doute  que  ces  deux  saintes  ne  soient  asso- 
ciées par  la  légende  —  comme  du  reste  par  le  férial  :  —  nos 


1  p.  L.,  123,  299-300  et  417-418  [9  juillet  et  23   décembre], 
a  ir,  17.  —  P.  L.,  135,  669-672. 

5  «  Temporibus  Decii  Gaesaris  erant  Romae  sacratissimae  Virgines  Christi...  » 
[9  juillet,  676  ou  677.  B.  H.  L.,  417]. 

^  a  t'amulatum  Ctiristo  clandestinum  exhibebant  ;...  melius  discentes  oc- 
culte  religioni...  insistere  ;...  Doli  te  ultro  morti  ingerere:...  audierant 
uamque  a  sacerdotibus  Christi...  cwn  perseculi  vos  fuerint...  » 

B  «  De  uominia  tui  vocabulo  te  exhortor;...  diabolum  vincas  ut  proberis 
vera  Victoria.  » 

6  «  Id  sanguine  baptizatus  *,  §  20. 

•!  B.  H.  L.,  418,  9  juillet,  672-673,  §§  8-12.  «  S.  autem  Anatolia  cum  esset  in 
ieiuuiis  et  oratiouibus  aitenuata...  » 


LE    TEXTE    d'ALDHELME  263 

deux  textes  sont  donc  incomplets.  Mais  ils  se  complètent  ad- 
mirablement l'un  l'autre.  L'un  et  l'autre  sont  donc  les  deux 
parties  d'un  ensemble  :  les  passionnaires  ont  démembré  celte 
légende,  comme  ils  démembrent  les  légendesde  Sérapie-Sabine, 
de  Potentienne-Praxède,  etc.  Les  textes  DF  forment  un 
même  tout. 

La  comparaison  du  texte  ainsi  reconstitué  avec  le  double 
récit  d'Adhelmc  confirme  l'bypothèse  ;  c'est  ce  texte  que 
lisait  Aldhelme.  Il  connaissait  un  texte  écrit,  puisqu'il  assure 
qu'on  le  lisait  in  piilpito  ecclesiœ.  Son  récit,  d'autre  part,  est 
tout  à  fait  parallèle  à  celui  de  DF  :  il  semble  en  faire  le  ré- 
sumé, éliminant  les  détails  accessoires 'et  gardant  les  épisodes 
centraux  ^.  Voici  un  court  passage  où  Ton  saisit  aisément  son 
procédé  (il  s'agit  de  la  sommation  adressée  par  Victoire  au 
dragon)  : 

Texte  cf  Aldhelme .  Texte  des  gestes. 

P.  L.,  89,  152,  B.  Analecta,    il,    159,  lignes  22-25,  §  7. 

«  la    Domine,   inquit,  Jesii   Christi  «  In  nomine   Domini  Nostri  Jesu 

DoQiini  Nostri  exi  hinc,  draco  ue-  Christi,  exi  ex  hoc  loco,  draco  ne- 
quissime  et  da  honorem  Dec,  vade  quissime,  et  da  honorer,!  Deo  vivo 
ubi  non  habitant  homines.  »  et  vero  et  Jesu  Ghristo,  Filio  eius,  et 

vade  ubi  non  habitant  homines  nec 
pecora,  nec  ea  quee  ad  hominem  per- 
tinent, ubi  nec  arator  arat  nex  vox 
hominis  personat.  » 

Il  suit  de  là  que  DF,  utilisé  par  Aldhelme  [f  709],  a  été 
rédigé  au  plus  tard  dans  la  seconde  moitié  du  vu®  siècle  envi- 
ron. Je  remarque,  du  reste,  que  le  calendrier  populaire  con- 
naît la  légende  =^  ;  or,  il  a  été  composé  au  temps  des  Boniface 
[()08-615],  et  corrigé  jusqu'au  temps  de  Serge  [701];  c'est 
encore  au  vii^  siècle  que  nous  sommes  ramenés  *. 

1  La  vision  de  l'ange;  l'intervention  de  Victoire  auprès  d'Anatolie  ;  le  nom 
du  pontifex  Capitolii,  le  rôle  du  cornes  templorum,  le  nom  du  père  du  pos- 
sédé guéri  par  Anatolie. 

^  Exil  de  deux  vierges  qui  ne  veulent  pas  se  marier;  avidité  de  leurs  pré- 
tendants ;  Victoire  chasse  le  dragon,  Anatolie  sauve  le  hls  du  consul  et  le 
marie;  oratoire  dans  l'antre  de  la  bête  où  Victoire  réunit  des  vierges. 

3  9  juillet.  «  In  civitate  Tyriae  (Thoree),  Analoli*  et  Audacis  ;  23  décembre, 
Victoriae  martyris  »  P.  L.,  123,  163-164.  177-178. 

*  Oui  sait  81  le  pape  Eugène  I  [654-657]  n'a  pas  un  rôle  dans  la  genèse  de 
la  légende?  C'est  le  successeur  de  Martin  I,  c'est  l'homme  du  parti  byzantin  : 
il  devait  avoir  de  nombreux  ennemis.  L'un  d'eux  n'a-t-il  pas  voulu  lui  jouer 
un  vilain  tour   en  montrant  un  de   sea  ancêtres,  le  prétendant  d'Anatolie, 


2()4  TUADITIONS    DE    VALKUIE    LT    JjU    l'ICKNUM 

Mais  quel  est  le  rapport  de  l>  et  de  K  à  1)  F?  Eet  B  ignorent 
l'épisode  du  dragon;  j'y  noie,  d'autre  part,  certains  traits  qui 
rappellent  les  gestes  de  l'époque  ostrogothique  :  insistance  tou- 
chant la  spontanéité  du  martyre  et  la  licéité  de  la  fuite  ;  baptême 
par  le  sang.  B  dérive  sans  doute  de  E.  —  DF  présente  aussi 
des  particularités  qui  semblent  dénoncer  le  même  temps  :  l'his- 
toire du  dragon  ne  serait-elle  pas  une  réplique  d'un  passage 
fameux  des  gestes  de  Silvestre?  le  souci  de  marquer  l'authen- 
ticité des  gestes  fait  songer  au  décret  pseudo-damasien.  — 
Enfin  dans  DF  et  dans  E  je  relève  ces  mensonges  commis  par 
Analolie  afin  d'éluder  le  mariage  et  de  distribuer  ses  biens 
aux  pauvres  ;  et  surtout  cet  éloge  de  la  virginité  et  cette 
horreur  du  mariage  qui  rappellent  Nérée-Achillée^  Cécile, 
Calocère-Parthenius  ^,  et  la  trahison  des  sponsi  qui  rappelle 
Ru  fine-Seconde  et  le  vol  des  terres  des  vierges  qui  se  re- 
trouve dans  Agathe^  et  l'intervention  de  Victoire  qui  rappelle 
l'intervention  de  Darie,  et  le  monastère  de  vierges  qui  fait 
souvenir  de  Sophie^  ou  à' Anastasie  romaine. 

On  peut  donc  penser  que  E  et  D  F  sont  des  versions  rema- 
niées et  divergentes  d'un  texte  de  l'époque  ostrogothique,  ou 
plutôt  de  deux  textes  de  cette  époque    différant   eux-mêmes 
entre  eux  [l'un  donnant,  l'autre  négligeant  l'épisode  du  dra- 
gon]. :f 
Mais  il  est  également  possible  que  les  traits  qu'on  a  relevés" 
s'expliquent  par  influence  littéraire  ;   que  l'auteur  de  E,  aussi 
bien  que  l'auteur  de  DF,   ait  lu  les  gestes  romains.  La  ques- 
tion reparait  :  quel  est  le  rapport  de  E  à  DF  ? 

11  est  possible  que  E  soit  aussi  antérieur  à  Aidhelme  ;  ici  et 
là,  je  relève,  dans  les  mêmes  passages,  l'emploi  du  verbe  sa- 
tagere  ;  et  c'est  peut-être  dans  E,  où  Anatolie  et  Victoire  sont 
collactane-e,  que  Aidhelme  a  pris  l'idée  de  les  présenter  comme 
sœurs,  lorsqu'il  écrivait  son  poème.  Aidhelme  aurait  pris  con- 
naissance de  E,  après  avoir  écrit  en  prose  le  de  laudibus,  avant 
d'avoir  écrit  en  vers   le  de  laude  ;   et  il  l'aurait  utilisé  dans 

soQs  un  jour  fâcheux.  Cf.  la  singulière  histoire  que  content,  sur  un  pape 
Eugène,  les  gestes  des  XII  Syriens,  supra,  p.  66-67,  76.  Bien  que  les  noms 
d'Eugène  et  d*Anatolie  soient  antérieurs  au  vue  siècle,  ils  semblent  jouir  de 
la  vogue  à  ce  moment.  —  La  mention  du  bouclier  de  Miuerve,  avec  la  tête 
de  la  Gorgone,  vient  sans  doute  û'Euplus  C.  Le  Marse,  quelque  peu  magi- 
cien, inspiré  de  même  par  des  souvenirs  d'auteurs  classiques,  se  retrouve 
ailleurs. 

1  On  sait  que  l'héroïne  de  Galocère  se  nomme  Anatolie.  Cf.  G.  M.  R.  I,  185. 


SKVÈRE    DE    VALÉRIE  265 

celui-ci.  K  serait  donc  à  peu  près  contemporain  de  DF  ;  et  la 
divergence  des  deux  versions  serait  une  preuve  qu'elles  datent 
du  temps  où  la  légende  était  en  pleine  floraison,  oii  elle  s'in- 
fléchissait diversement  au  gré  des   imaginations  pieuses. 

Il  est  donc  possible  que  E  et  DF  soient  des  versions  rema- 
niées de  deux  textes  datant  de  Tépoque  ostrogothique  ;  il  est 
possible  que  ce  soit  deux  textes  rédigés  pour  la  première  fois 
au  vir  siècle.  Je  ne  vois  aucun  fait  qui  exclue  avec  quasi  cer- 
titude l'une  ou  l'autre  de  ces  hypothèses.  Mais  j^'incline  vers 
la  seconde  :  la  légende  a  la  physionomie  d'un  centon  ;  puis, 
l'épisode  du  dragon  et  le  jeu  de  mot  sur  le  nom  de  Victoire 
font  souvenir  de  Resiituta^  tandis  que  le  rôle  de  Diane  rap- 
pelle Torpès, 


11 


^j®  Au  temps  de  Maximien,  la  persécution  sévissait  contre  les 
chrétiens.  Dans  une  de  ces  vallées  que  le  parler  populaire 
appelle  Interocrina,  un  chrétien  pieux,  de  famille  préfecto- 
rale [de  génère  prsefectorum],  originaire  de  Ravenne^  et  qui 
y  avait  été  élevé,  Severus,  faisait  d' abondantes  aumônes  ;  il 
était,  du  reste^  très  instruit  dans  les  lettres  divines  que  lui 
avait  enseignées  à  S.  Vitalis  de  Ravenne  son  maître  Corné- 
lius :  tout  jeune,  il  avait  la  sagesse  d'un  vieillard.  Après 
avoir  guéri  un  certain  Euticius,  qui  depuis  quatre  ans  était 
aveugle,  Sévère  alla  à  Rome,  en  pèlerinage,  pour  prier:  re- 
venu [au  pags),  il  fut  ordonné  prêtre  à  V église  Sainte-Marie 
d'Interocrina,  et  ses  vertus  le  rendirent  célèbre.  Un  jour 
quun  père  de  famille,  sur  le  point  de  mourir,  lavait  envogé 
chercher,  il  arriva  trop  tard  :  travaillant  à  sa  vigne,  il  avait 
voulu  finir  ce  quil  avait  commencé  ;  mais,  par  là  vertu  de  ses 


•  B.  H.  L.,  76S5  [Analecta,  xi,  241-42,  d'après  le  Codex  Ambrosianus,  B.  40, 
inf  ,  fo  80"",  du  xii8  siècle.  Cf.  15  février,  827,  §1  et  2.  —  Muratori  :  lîer  . 
/ta/.  Ss.,  1,  2,  563]. 


266  TRADITIONS    DK    VALÉRIE    liT    DU    PICENUM 

prirres^  le  saint  homme  ressuscita  le  mort.  Et  le  ressuscité 
raconte  comment  les  diables  C emmenaient  en  le  brûlant,  lors- 
qu'un ange  les  arrêta,  disant:  «  1 1  amenez-le  ;  te  prêtre  Sévère 
le  pleure  amèrement.  »  Il  fit  pénitence  et  mourut  joyeusement  ^ 
sept  jours  après,  battes  attention^  mes  frères  très  aimès^  je 
vous  en  prie,  à  ce  témoignage.  —  Lorsqu'il  apprit  ce  qui 
s'était  passéy  Maximien  fit  arrêter  Sévère,  et,  sans  jugem,ent, 
le  fit  décapiter  dans  la  vallée.  Deux  anges^  sous  la  forme  de 
deux  colombes,  vinrent  chercher  son  âme,  et,  après  avoir  fait 
sur  son  corps  la  figure  de  la  croiXf  ils  la  portèrent  au  ciel.  Le 
corps  fut  enterré  à  côté  de  la  très  forte  place  d*Orvieto,  et  là 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ  accomplit  beaucoup  de  prodiges 
jusquà  ce  jour  pour  l'amour  de  lui.  Il  a  souffert  le  jour  des 
kalendes  de  février,  tandis  que  règne  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  à  qui  honneur  et  gloire  avec  le  Père  et  l' Esprit-Saint 
dans  r infini  des  siècles  et  des  siècles.  Amen, 

laterocreum  ( Androdoco)  est  situé  sur  le  territoire  de  Rieti  '  : 
c'est  la  station  de  la  voie  Salaria  où  s'embranche  la  route  d'A- 
miterne  et  d'Aternum. 

Le  signe  de  croix  que  les  colombes  font  sur  le  corps  du  saint 
rappelle  un  trait  tout  à  fait  analogue  ^  qui  se  rencontre  dans 
les  gestes  de  Lucie  et    Geminien. 

Le  récit  du  ressuscité  nous  fait  souvenir  à' Alexandre  de 
Baccano  et  des  textes  que  j'ai  cités  à  ce  proposa  Voici  le  pas- 
sage parallèle  de  Sévère  : 

Multi  erant  valde  homines  qui  me  per  loca  tenebrosa  duce- 
bant,  ex  quorum,  ore  ac  manibus  ignis  valde  exibat  quem  to- 
1er  are  nullo  modo  poteram.  Cumque  per  obscur  a  loca  diutius 
ducerent,  subito  pulchr se  visionis  juvenis  cum  aliis  sodalibus 
suis  juvenibus  nobis  euntibus  obviavit  qui  me  irahentibus 
dixit  :  reducite  illum  quia  Severus  presbyter  amarissime  eum 
plangit.  Suis  enim  lacrymis  et  intercessionibus  suis  Dominus 
ei  vitam  reddidit. 

1  Jung.,  485. 

2  Comparer  Lucie  Geminien  et  Sévère.  Lucie  Geminien  raconte  :  «  et  dum 
inde  sancta  lucia  concite  pertrausisset,  ecce  columba  alba  ut  nix  descendens 
de  cœlo  super  caput  geminiani  tertio  figuram  crucis  fecit  »  [Codex  Palatinus 
846, f*'  1271",  i].  Et  je  lia  dans  Sévère  :  «  venerunt  duo  angeli  in  specie  duarum 
colnmbarura  qui  figuram  crucis  super  corpus  eius  facientes  ferebaot  animani 
illius  in  cœluui  *  Mutatori  :  R.  I.  S.,  i,  2,  562-63. 

3  Cf.  supra,  p.  2  et  9. 


-       UNE    PAGE    DES    DIALOGUES  2()7 

Ce  qui  est  également  sur,  c'est  que  notre  légende  est  le  re- 
maniement d'une  page  de  saint  Grégoire.  Saint  Grégoire  ra- 
conte, en  eiïet,  la  résurrection  d'un  chrétien  qui  avait  envoyé 
chercher  le  pieux  Sévère,  à  Interorina,  en  Valérie  :  Sévère 
était  arrivé  trop  tard.  Grégoire  ne  dit  rien  du  martyre  du  saint, 
ni  de  ses  origines  ravennates,  ni  de  la  guérison  d'Euticius,  ni 
do  l'époque  à  laquelle  il  vécut:  j'imagine  que,  sur  tous  ces 
points,  le  rédacteur  du  vii^  siècle  a  tiré  de  son  crû  ce  qu'il  a 
ajouté  à  Grégoire. 

Voici  le  passage  : 

In  eo  etiarn  loco  Interorina  vallis  dicitur  quœ  a  rmiliis 
nerho  rustico  Interocrina  nominatiir ,  in  qua  erat  quidam  vir 
vitœ  valde  admirabilis,  nomine  Severus,  ecclesiœ  h.  Marise 
Dei  genitricis  seniper  uirginis  sacerdos.  Hune  euni  quidam 
paterfamilias  ad  extremum  uenisset  diem,  missis  concile 
nuntiis,  rogauit  ut  ad  se  quantocius  ueniret  suisque  orationi^ 
bus  pro  peccatis  eius  intercederet,  ut,  acta  de  m^alissuis  pœni- 
tentia,  solutus  culpa  excorpore  exiret.  Qui  uidelicet  sacerdos 
inopinate  contigit  ut  at  putandam  vineam  esset  occupatus  at- 
que  ad  se  uenientibus  diceret  :  antecedite,  ecce  ego  uos  subse- 
quor ., ,  Paululum  moram  fecit  ut  opus,  quod  minimum  resta- 
bat,  expleret...  Eunti  uero  in  itinere  occurrentes  hi  qui  prius 
veneraiit,  obviam  facti  sunt  dicentes  :  Pater  quare lardasti  ?.., 
iam  defunctus  est.  Quo  audito  ille  contremuit  magnisque 
uocibus  se  interfectorem  illius  clamare  cœpit...  Cumqiie 
uehementer  fieret,...  repente  is  qui  defunctus  fuerat  ani- 
mam  recepit,...  [et)...  ait  :  Tetri  ualde  erant  homines  qui  me 
ducebant  ex  quorum  ore  et  naribus  ignis  exibat  quem  tolerare 
non  poteram.  Cumque  per  obscura  loca  me  ducerent,  subito 
pulchrx  uisionis  juvenis  cum  aliis  nobis  euntibus  obviam  fac- 
tus  est  qui  me  trahentibus  dixit  :  Reducite  illum  quia  Severus 
presbyter  plangit:  eius  enim  lacrymis  Dominus  donauit  ^ ... 

Notre  auteur  est  un  prédicateur  qui  veut  émouvoir  lésâmes, 
les  effrayer  et  les  sauver. 

Perpendite  quseso.^  fratres  dilectissimij  quis  est  qui  loqui- 

tur Acta    sunt  haec  ut  fidèles  ecclesicC   Dei   exemplum  a 

beato  Severo  accipiant. 

1  Dialogi.,  i,  12.  P.  L.,  11,  2i2-2l3.  —  Cf.  supra,  p.  201,  une  histoire  assez 
analogue  :  Innoceutius  el  Perpétua.  (Noter  encore  que  les  gestes  de  Victorin- 
Séveriu  counaissenl  un  Innocentius).  —  Je  n'ai  rien  pu  tirer  de  l'histoire 
d'Orvieto  qui  éclairât  la  légeude. 


208  TRADITIONS    DE    VALKHIK    ET     DU    l>lCENUxM  fl 

J'imagine  qu'il  (écrivait  vers  le  milieu  du  vu"  siècle.  Ainsi 
s'explique  qu'il  utilise  Lucie-Gérninicn  et  Grégoire.  Ainsi 
semble  toute  nalu relie  l'idée  (ju'il  eut  de  rattacher  Severus  à 
Uavenne  et  à  S.  Vital  de  Ravenne. 


III 


Gestes  Jusquici  nous  avoïis  rapporté  ce  qu'avait  dit  Jérôme:  que 
rin  1  le  lecteur  le  remarque.  Le  reste  de  V ouvrage  est  notre  œuvre  : 
que  votre  charité  m'écoute  avec  bieuveil lance.  Tout  ce  que 
nous  avons  trouvé  dans  les  auteurs  exacts  (fideli),  nous  V  avons 
introduit  dans  notre  histoire,  afin  de  ne  pas  laisser  ignorer 
aux  hommes  des  vertus  que  Dieu  na  pas  ignorées.  Et  d'abord, 
commençons  par  Victorin,  qui  était,  nous  l'avons  lu,  le  frère 
de  Séverin  :  sur  ce  solide  fondement  nous  pourrons  parfaire 
r  édifice. 

A  la  mort  de  leurs  parents,  se  dirigeant  F  un  Vautre,  riva- 
lisant de  bons  offices  l'un  envers  l'autre,  ils  s'offrirent  à  Dieu, 
{(y était  des  habitants  de  la  province  du  Picenum,  oii  la  Po' 
tenza  —  Flusor  —  arrose  Septempeda),  En  lisant  V  Evangile 
et  les  malédictions  qu'il  lance  contre  les  riches,  ils  se  déta- 
chent des  liens  du  siècle,  donnent  aux  pauvres  leurs  richesses, 
et  courent  y  ainsi  allégés,  à  la  suite  du  Seigneur,  disant  :  Post 
te  in  odorem  unguentorum  tuorum  currimus  \Cont.  i,  5]. 
Mais  Victorin  rêve  d'une  perfection  plus  haute,  et  gagne  le 
désert,  séjour  des  parfaits  :  il  quitte  sa  hutte,  et,  dans  la 
forêt  Prolacem  de  la  montagne  voisine  (vicini  montis),  s'ins- 
talle au  fond  d'une  grotte  qui  surplombe  un  ruisseau  et  si 
étroite  qu'un  seul  homme  y  peut  trouver  abri.  Il  en  couvre 
Ventrée  de  feuillage,  prie  la  nuit  et  s'occupe  à  ne  rien  faire 
(otiosum  agens  negotium),  se  donnant  tout  à  Dieu  seul.  Van- 

1  B,  H.  L.,  7659-64.  8  janvier,  500.  «  Hue  usque  nos  patris  Hieronymi 
(îiota  refereulos...  »  —  Cf.  Marangoui  :  Acta  S.  Victoririi  episcopi...  [Roaiae 
1740J. 


VICTORIN     ET     SÉVERIN  269 

tique  ennemi  du  genre  humainpril  alors  la  forme  (Tune  jeune 
fille  y  égarée  à  travers  la  forêt;  elle  implore  la  pitié  de   Vic^ 
torin  :  c^quil  V  arrache, inie  nuit  seulement^  aux  sang  lier  s, aux 
ours  et  aux  loups.  »  Victor  in  la  fait  entrer  ;  mais  le  pied  de  la 
jeune  femme  le  touche  et  déchaîne  en  lui  les  désirs  ;  la  dou- 
ceur  de  sa  voixy  la  beauté  de  son  visage,  l éclat  de  son  regard 
qui  égale  i éclat  des  ragons  de  la  lune  glissant  à   travers  les 
feuilles, la  solitude —  Victorin  oublie  Dieu, — tout  pousse  le 
saint  à  céder.  Il  en  arrive  à  V œuvre  criminelle...  et  voici  que 
le  Brigand  bondit  sur  le  jeune  homme  :  «  Eh  !  bien,  lui  dit- 
il^   ô  le  plus  parfait   des  hommes!...    Heste  blesse,  toi  qui 
osais  rêver  de  la  couronne  )>.  Et  il  s'évanouit.  —  Peu  à  peu 
la  lumière  paraît,  les  astres  s'effacent  :  Victorin  fuit  sa  cellule^ 
témoin  de  son  crime  ;  il  court  l'avouer  à  son  frère  et,  pour  se 
punir,  se  suspend  par  les  mains  à  un  arbre  dont  il  a  fendu  le 
milieu.  En  vain  Vévêque  accourt,  prévenu  par  Séverin  :  Vie- 
torin  refuse  d'être  délivré  ;  il  jeime  toute  la  semaine,  ne  pre- 
nant cju!un  petit  pain  et  un  peu  d' eau  le  dimanche  soir.  Et 
Séverin  jeûne  en  même  temps  que  lui.  Au  bout  de  trois  ans, 
Victorin  n'a  plus  que  la  peau  sur  les  os  ;  mais  tout  le  monde 
connaît  sa  pénitence,  on  va  trouver  V évêque  qui  arrive  au  mo- 
nastère et,  d'un  ton  rigoureux,  ordonne  au  pénitent  de  s'ar- 
rêter :  «    Crois-moi,    Victorin  ;  nous  sommes  les  héritiers  de 
saint  Pierre  :  ce  qui  est  délié  sur  la  terre  est  aussi  délié  au 
ciel.  Et  nous  vogons  les  parois  de  l'arbre  s'écarter  :  le  ciel  fa 
pardonné  ».  Victorin  demande  une  semaine  encore  de  jeûne; 
puis,  lorsciue  l'évêque  revient  avec  le  peuple  ciui  grimpe  sur 
les  arbres  et  couvre  le  toit  du  monastère,  et  crie  dhme  même 
voix:   ((Père,  absous  celui  que  Dieu  a  absous/  »,  l'évêque 
t'engage  encore    à    interrompre    ses    souffrances  ;    Victorin 
adresse  à  Dieu  une  longue  prière  et  lui  demande  de  rompre 
ses  liens,  s^il  a  vraiment  fini  d'expier.  Alors,  bien  que  le  ciel 
soit  absolument  pur,  un  coup  de  tonnerre  retentit,  qui  pulvé- 
rise les  liens  du  saint  pénitent.  Il  est  conduit  à  l'église  ;  bientôt 
il  devient  évêque  d' Amiterne,  et  meurt  plein  de  vertus,  et  entre 
dans  le  chœur  des  saints,  tandis  que  règne  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  qui  vit  et  règne  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 
Quant  à  Séverin,  dont  nous  avons  dit  qu'il  était  le  frère,  il 
partage  ses  pénitences  selon  qu'il  a  été  dit  :  frater  fratreni  ad- 
juvans  exaltabitur  [Proverb.  18,  Î9ei  1G\  ;  et  il  mérite  l'épis- 
copat  de  Septempeda.  Il  mourut  le  VI  des  kalendes  de  mai, 


270 


TRADITIONS    DE    VALERIE     ET    DU    PICENUM 


futenseveli  au  lieu  où  était  le monasû're  et,  mort,  opéraplus  de 
(juérisons  merveilleuses  qu'il  n'en  opérait  lorsqu  il  était  vivant. 
Je  crois  même  ne  pas  devoir  taire  ce  que  nous  avons  appris 
touchant  sa  sainteté.  On  fête  sa  déposition  le  jour  des  ides  de 
mai  et  son  élévation  à  Vépiscopat  le  jour  des  kalendes  de  mai. 
Or,   la  veille,  un  certain  Innocentius  —  qui  méritait  son 
72omy  —  vit  une  grande  lueur,  au  milieu  de  la  nuit,  dans  la 
forêt,  tandis  qu'il  gagnait  Fabriano  :  il  crut  que  c  était  un 
incendie.  Comme  il  entend  du  bruit,  il  imagine  que  c'est  le\ 
rector  provinciae  qui  se  met  en  route,  de  nuit»  Et  il  voit  quatreS 
personnages  marcher  devant,  portant  des  torches:  d'où  la  lu' 
mière  qui  éclairait  la  forêt  ;  puis  venaient  deux  hommes  vêtus 
d'une  étolcy  portant  des  baguettes  ;  puis,  assis  sur  un  cheval 
un  autre  dont  les  vêtements  et  les  cheveux  étaient  plus  blancs\ 
que  la  neige  ;  puis  un  autre,  également  à  cheval,  et  qui  étaitl 
tout  chauve.  Ils  étaient  suivis  d^une  foule  immense,  qui  allaitl 
à  pied.  Comme  l'un  d'eux  boitait  et  restait  en  arrière,  InnoA 
centius  lui  demanda,  non   sans    quelque    cutnosité,   ce   que] 
c'était.  Les  quatre  lampadaires  étaient  quatre  évêques  :  Xgste,^ 
Marc,  Marcel  et  Jules  ;  les  deux  qui  portaient  des  baguettes, 
Etienne  [protomartyr)  et  Laurent  ;  les  deux  autres,  les  deux\ 
Apôtres  Pierre  et  Paul  ;  le  reste,  la  foule  des  martyrs  et  des\ 
évêques  ;  on    allait  à  Severino  [Zypherinum?)  (cura  muta- 
toriis  Pétri  *  ?)  :  Séverin  avait  prié  saint  Pierre  de  venir  ce\ 
jour-là  pour  bénir  et  visiter  le  peuple.  —  Qui  pourrait  douter 
des  mérites  de  Séverin,  lorsque  les  Apôtres   lui  font  un  si\ 
grand  honneur  ? 

Si  quelqu'un  voulait  connaître  la  vie  d^ Innocentius ,  voicil 
quelques  mots  à  ce  sujet.  Innocentius  court  aussitôt  à  une] 
église,   est  fait  catéchumène,  est    baptisé,   devient   clerc    et' 
obtient  mêm,e    la  grâce  du  sacerdoce  (presbyterii   benedic- 
tionem).  Un  jour,  comme  il  va  au  monastère  de  S.  Séverin, 
où  il  a  été  ordonné,  il  passe  la  Potenza  grossie  par  les  pluies, 
sur  une  poutre  qu'ont  jetée  les  bergers.  La  petite  brebis  qui  le 
suit  — c'est  tout  son  bien  (census)  —  l'interpelle  :  «  Pour-\ 
quoi  m! as-tu  abandonnée?  »  —  «  Passe,  répond  Innocentius, 
comme  j'ai  passé  moi-même  au  nom  de  Notre  Seigneur  Jèsus-^ 
Christ.  »  Et  elle  passe  au  nom  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ\ 
qui  vit  et  règne  dans  V  unité  de  V Esprit-Saint  à  travers  tousi 
les  siècles  des  siècles.  Amen. 


Vêtements  de  rechange. 


VICTORIN-SÉVERIN    ET   NÉRÉE  271 


IV 


L'explication  de  cette  légende,  attestée  au  vu"  siècle,  par 
le  calendrier  populaire  *,  tient  tout  entière  dans  la  comparai- 
son du  texte  qu'on  vient  d'analyser  avec  deux  autres  textes  de 
capitale  importance. 

Le  premier  de  ces  textes  est  un  passage  des  gestes  de  Nérée 
et  Achillée  '.  Leur  amie,  Flavie  Domitille,  est  soutenue  dans 
la  foi  et  maintenue  dans  l'horreur  du  mariage,  après  leur 
mort,  par  Eutyces,  Victorinus  et  Maro,  trois  amis  d'Auspicius 
qui  les  a  ensevelis.  Aurelianus  voulait  épouser  Domitille  :  il 
sévit  donc  contre  les  trois  saints  ^ 

Quasi  servos  per  sua  prœdia  singulos  divisit,  Eutycen  in 
sexto  decimo  ah  (Jrbe  lia  N ornent ana  ;  Victorimim  vero  in 
sexagcsimo^  Maronem  vero  in  centesimo  trigesimo  in  eadem 
Salaria  via  :  jussitque  eos  in  terram  fodere  per  totum  diem, 
ad  vesperum  vero  cantabrum  manducare.  Sed  Deus  omnipo- 
tens  dédit  eis  gratiam  in  locis  peregrinis.  Nam  Eutyces  con- 
ductoris  loci  filiam  a  diabolo  liberavit  ;  Victorinus  auteni 
vicedominum  loci  paralyticum  per  très  annos  de  lecto  non 
surgentem  fecit  orando  incolumem.  Maro  vero  morbo  hydro' 
pis  laborantem  procuratorem  civitatis  Septempedœ  liberavit. 
Interea  facientes  sermonem  ad  populum  docuerunt  multos 
Christo  credere  et  facti  presbyteri  populum  credenlium  am- 
pliavere.  Tune  diabolus  replevit  ira  nientem  Aureliani  et 
misit  qui  vario  génère  pœnarum  interficeret  eos.  Nam  Euty- 
cen inmedia  via  diu  caedi  iussit  quamdiu  spiritum  exhalaret  : 
cuius  corpus  rapuit  populus  Christianorum  et  cum    honore 

*  8  janvier.  «  Neapoli,  Severioi  confessoris  Viciorini  fratris  »  ;  et  5  sep- 
tembre. «  Romee,  Victorini  martyris  fratri»  Severiai,  qui  post  miraoi  pœQitu- 
diuem  Amiternae  urbis  episcopus  et  martyr  factus  est  »  [P.  L.,  123,  145  146, 
et  167-168]. 

2  12  mai,  6.  —  Cf.  G.  M.  R.,  i,  251. 

3  12  mai,  11,  G,  §  19.  —  12,  A,  §  20. 


272  TRAniTIONS    DE    VALKRIK     KT    DU     PICENUM 

macjno  scpullo  in  CJirisli  nomine  super  enrn  hasilicam  fahri- 
cdvll.  VictoriHum  vero  apud  eurn  loi  ara  qui  CotUlas  appella- 
tur,  uhl  puientes  aquœ  émanant  et  sulpliureœ,  in  ipsis  capiic 
deorsum  per  horas  très  teneri  iussit  et  iterum  suspendi.  Hoc 
triduum  pro  nomine  Christi  passus  Victorinus  mifjravit  ad 
Dominum.  Jussit  autem  Aurelianus  corpus  eius  non  sepeliri. 
Et  cum  una  die  apud  Cotilias  jacuisset,  venerunt  Amiterncn- 
ses  populi  christianiet  rapuerunt  eian  et  in  suum  territorium 
transtulerunt  atque  ibi  sepelierunt.  Maronem  vero...y  (qui) 
immanissimam  petram  quam  vix  ad  trochleam  septuayinta 
homines  pensare  potuissent...  quasi  levés  paleas  poriavil.., 
per  duo  miliaria  sanus  et  in  eo  loco  posuit  in  que  orare  con- 
sueverat(et  omnis provinciœ populum  haptizavit),  consularis.,. 
accepta  ab  Aureliano  potestate  inte.rjecit..,  Populi  autem  ex- 
cavaverunt  petram  quam  humeris  portaverat  et  ibi  sepelierunt 
eum  et  ecclesiam  Christi  fabricaverunt  in  nomine  eius,  in  qua 
prœstantur  bénéficia  Domini  ad  gloriam  nominis  sui  usque  in 
hodiernum  diem. 

Certaines  données  sont  communes  aux  deux  textes  ;  non 
certaines  autres. 

Les  deux  textes  attestent  d'un  commun  accord  qu'il  y  a  à 
Amiterne  un  saint  local  appelé  Victorinus  ;  —  que  ce  Victo- 
rinus d'Aniiterne  a  subi  un  supplice  de  suspension,  —  que  ce 
Victorinus  d'Aniiterne  est  associé  au  saint  de  Septempeda  (?). 

La  localisation  de  Victorin  à  Amiterne  est  confirmée  par 
l'onomastique  locale,  par  une  inscription,  et  par  le  férial  hié- 
ronymien.  Aujourd'hui,  sur  les  ruines  d'Amiterne  s'élève  un 
bourg,  qui  s'appelle  San  Vittorino  \  On  y  conserve  un  vieux 
sarcophage,  où  sont  inscrites  les  lignes  suivantes. 

IVBENTE  DEO  CHRISTO  NOSTRO 
SANCrO  MARTVRI  VICTORINO 
QVODVVLDEVS  EPIS  DE   SVO  FECIT  \ 


1  Achelis  :  Die  Acta  Nerei  et  Achillei,  p.  46.  —  Le  village  date,  semble-t- 
il,  du  xiie  siècle.  On  vient  d'y  retrouver  une  catacombe  [Nuovo  Bulletino, 
1903,  187]. 

2  G.  I.  L.,  IX,  4320.  —  Amiterne  paraît  avoir  été  très  florissant  sous  l'em- 
pire. Cf.  l'inscription  vi,  1772,  qui  mentionne  Vordo  splendidissimus  Amiteminx 
civitalis,  les  ruines  retrouvées  [Notizie...  Scavi.,  1880,  290,  350,  379  ;  —  1891, 
96,  321  et  (:.  I.  L.,  ix,  4209]  :  les  habitants  étaient  municipes  [d'après  Pauij- 
Wissowal. 


viCTORiN  d'amiterne  273 

Maningoni  remarque  ranalogie  de  ces  caractères  avec  les 
lettres  dainasiennes  ;  pour  de  Uossi,  ils  dénoncent  le  iv"  ou 
le  v^  siècle. 

l^e  férial  liiéronymien  porte  au  26  juillet  la  mention  sui- 
vante ^  : 

b].  VIIII  k  ag...  rom  victorini  militaris  aciani  capitonis 
silvani... 

B.  UllII  KL,  AGS.  IN  AMIT  (ER)  NINA  ciuitate  milites 
octoginta  très.  AB  URBE  Romana.  Uia  salaria.  Natl  Uic- 
torini, 

W.  VIIII  KL.  AG.  In  amiternina  ciiii  milites  lxxx  m  ab 
urbe  romana  uia  salutaria  nat  soi  uictianni. 

Ce  texte  confirme  la  localisation  de  Victorin  à  Amiterne. 
La  mention  des  83  soldats  que  donnent  le  Bernensis  et  le 
Wissemburgensis  dérive  évidemment  d'une  interprétation 
fautive  de  l'abréviation  mil.  lxxxiu  :  les  mots  ab  urbe  romana 
le  prouvent  sans  contestation  possible.  —  \J Epier nacensis 
ne  contredit  pas,  autant  qu'il  semble,  l'accord  de  tous  ces 
témoignages  :  il  indique  que  Rome  est  le  lieu  où  l'on  vénère 
le  groupe  des  martyrs  auquel  appartient  Victoiin;  mais  parla 
il  prouve  seulement  que  Victorinus  fait  partie  d'un  groupe  de 
martyrs  vénérés  à  Rome. 

Le  férial  nous  apprend  en  outre  que  Victorin  est  fêté  le 
24  juillet.  Les  gestes  de  Nérée  ni  ceux  de  Victorin  ne  donnent 
aucune  date.  Mais  le  calendrier  populaire,  qui  semble  dépen- 
dre d'une  version  perdue  des  gestes  de  Victorin  *,  place  son 
anniversaire  au  5  septembre.  Peut-être  y  a-t-il  eu  deux  Vic- 
torin ;  peut-être  une  des  deux  dates  se  rapporte-t-elle  à  la 
depositio.,  l'autre  à  l'ordination  épiscopale  du  saint.  Pour  le 
moment,  nous  ne  pouvons,  nous  ne  devons  rien  dire  de  plus. 

Dans  les  textes,  Victorinus  a  subi  le  supplice  de  la  suspen- 
sion. Mais  les  conditions  du  supplice  sont  assez  différentes, 
ici  et  là  ;  ici,  le  supplice  est  volontaire,  le  saint  se  suspend  à 
un  arbre,  et  la  longueur  de  la  torture  n'entraine  pas  la  mort  ; 
là  le  supplice  est  involontaire  et  il  entraine  la  mort,  les  émana- 
tions sulfureuses  des  eaux  de  Cotilias  *  aspbyxiant  le  martyr. 

1  P.  95. 

2  a  Nonis  sept.  Romae,  Vicloriai  martyris,  fratris  Severini,  qui  post  mi- 
ram  poenitudinem  Amiterna  urbis  episcopus  et  martyr  factus  est.  »  Cf.  infra 
p.  275. 

3  Les  Aquas  Cutilix^  près  jRieti,  avaient  la  vogue  au  temps  des  Flaviena 
|JuDg.,  p.  486]. 

ill  18 


274  TRADITIONS    DR    VALERIB    ET    f)U    fMCENUM 

—  Il  n'y  a  pas  lieu  d'insister.  Il  est,  au  contraire,  très  intc^res- 
sant  (le  remarquer  que  Victorin  d'Amiterne  est  également  as- 
socié par  les  deux  textes  à  un  saint  vénéré  à  Septempoda. 

Septempeda  et  Amiterne  (S.  Severino  et  S.  Vittorino;  ne 
communiquent  pas  aisément  l'une  avec  l'autre.  Ce  n'est  pas 
seulement  qu'une  centaine  de  kilomètres  les  sépare,  à  vol 
d'oiseau  :  c'est  encore  que  le  massif  des  Monts  Sibillins  dresse 
entre  elles  ses  pics  de  2.000  mètres  et  plus  ;  c'est  surtout  que 
l'une,  S.  Severino,  appartient  à  la  région  des  Marches, 
pays  ouvert  qui  gravite  autour  d'Ancône,  tandis  que  l'autre 
se  cache  au  fond  des  Ahruzzes.  Amiterne  communiquait  par 
une  route  avec  la  voie  Salaria  ;  mais  la  voie  Salaria  utilisait, 
sur  le  versant  adriatique,  la  vallée  du  Tronto,  non  la  vallée 
de  la  Potenza  ;  et  les  prolongements  de  la  Salaria  atteignaient 
Fermo  et  Potenza,  non  San  Severino  ^  Il  n'en  est  donc  que 
plus  remarquable  de  voir  nos  deux  textes  établir  un  lien  entre 
Septempeda  et  Amiterne. 

Il  faut  ajouter,  du  reste,  que  le  compagnon  de  Victorin 
porte,  ici  et  là,  un  nom  différent,  et  qu'il  n'est  pas,  ici  et  là, 
dans  un  rapport  identique  avec  Septempeda.  Selon  les  gestes 
de  Victorin,  son  compagnon  est  son  frère,  Séverin,  qui  meurt 
à  Septempeda,  dont  il  est  évoque  ;  selon  les  gestes  de  Nérée- 
Achillée,  ce  compagnon  s'appelle  Maron,  il  opère  un  miracle 
à  Septempeda,  mais  il  n'y  meurt  pas  ;  le  Bernensis,  d'accord 
sans  doute  avec  la  légende  qui  s'exprime  dans  ces  gestes, 
place  sa  tombe  in  Monte  Aureo  ^  qu'on  doit  chercher  peut- 
être  près  de  Cività  Nova  ^  —  J'ajoute  enfin  que  les  anniver- 
saires ne  coïncident  pas  :  celui  de  Maron  est  le  15  avril,  celui 
de  Séverin  est  fort  indécis,  les  gestes  de  Victorin  indiquant 
trois  dates  possibles,  le  26  avril,  le  1®^  mai,  le  la  mai. 

Ces  divergences  —  plus  apparentes  peut-être  que  réelles  — 
ne  peuvent  nous  faire  oublier  les  remarquables  coïncidences 

1  Cf.  les  sept  itinéraires  indiqués  au  G.  I.  L.,  ix,  p.  479  :  le  quatrième  va 
de  Castrum  Truentinum  à  Septempeda,  par  Ascoli  et  Fermo. 

2  XVII.  KL.  MAI.  PICINO  INAUREO  MONTE  Maronis. 

^  Chroa.  Farfeuse,  «  est  ipsa  curtis  de  castello  iuter  flumen  Tuntum  et  prata 
et  prope  mare  et  prope  castellum  Montis  Aurai  [Muratori,  R.  I.  S.,  ii,  423J  ; 
dès  1510,  OQ  croit  avoir,  et  depuis  longtemps,  le  corps  de  S.  Maron  à  Civitâ 
Nova  [Massetani  ;  San  Marone  (Civitanova-Marche,  1898),  p.  28,  note  37  et 
passitn].  Si  Maron,  comme  il  est  possible,  était  vénéré  aussi  à  Septempeda, 
son  culte  aura  sans  doute  cédé  la  place  au  culte  de  Séverin,  peut-être  à  la 
suite  de  la  destruction  de  la  ville  par  les  Lombards.  —  Le  Corpus  I.  L.,  ix, 
p.  533-538  ne  m'a  rien  donné. 


IL    Y    A    DEUX    VIGTORIN  275 

que  nous  avons  notées.  L'explication  la  plus  simple  qu'on 
puisse  donner  des  unes  et  des  autres  est  l'hypothèse  que 
voici. 

11  y  a  eu  deux  Victorin,  chacun  pourvu  de  son  histoire,  de 
sa  légende  ;  et  il  y  a  eu  contamination  d'une  légende  par 
l'autre. 

Victorin  le  martyr  et  Maron  du  Picenum,  dont  les  gestes 
de  Nérée-Achillée  célèbrent  la  gloire  à  la  (in  du  v"  ou  au  dé- 
but du  VI®  siècle,  ont  servi  de  modèles  aux  deux  «  frères  » 
que  célèbrent  les  Gesta  Viciorini. 

Victorin  était  pourvu  d'un  compagnon  vénéré  à  Septem- 
peda  ;  ce  fait  entraîne  pareille  association  pour  le  second  V^ic- 
torin.  Et  du  coup  l'on  rend  compte  du  double  anniversaire  : 
24  juillet,  5  septembre.  Mais  l'hypothèse  pose  un  double  pro- 
blème. Comment  admettre,  dans  la  même  Amiterne,  deux 
saints  portant  le  même  nom  de  Victorin,  et,  s'il  ne  vient  pas 
d'Amiterne,  d'où  vient  le  second  Victorin?  Comment  expli- 
quer qu'un  saint  Séverin  ait  pu  s'enraciner  à  Septempeda? 
Les  saints  dont  s'occupe  la  légende  ont  le  plus  souvent  une 
attache  topographique  que  celle-ci  respecte  :  comment  expli- 
quer que,  dans  l'espèce,  elle  ait  attribué  au  second  Victorin 
et  à  son  mystérieux  compagnon,  les  attaches  topographiques 
de  Victorin  le  martyr  et  de  l'apôtre  du  Picenum  ? 
On  résoudra  ces  difficultés  en  rapprochant  des  gestes  un  cu- 
rieux passage  de  saint  Grégoire  le  Grand. 


C'est,  en  effet,  dans  saint  Grégoire  qu'on  rencontre  le  second 
texte  dont  la  comparaison  avec  le  nôtre  achève  de  Téclairer. 
Le  voici  tout  au  long. 

Tl  s'agit  d'un  sermon  prononcé  par  saint  Grégoire  dans  la 
basilique  des  saints  Jean  et  Paul,  le  troisième  dimanche  après 


27G  TRADITIONS    DE    VALÉRIE    ET    DU    PIGENUM 

la  Pentecôte.  Grégoire  insiste  sur  la  bonté  de  Dieu  qui  nous 
supporte  malgré  nos  péchés  *. 

Rem,  fratres,  breviter  refera  quam  vira  venerahili  Maxi- 
miano,  tiinc  paire  monaslerii  mei  atque  presbytero,  nunc 
autem  Syracusano  episcopOy  narrante  coynovi...  Ncjstris  modo 
TEMPORiBUs  ViGTORiNUS  QUIDAM  EXSTiTiT  f/ui  alîo  quoque  nomuie 
Aîlmilianus  appellatus  est,  non  inops  substantiœ  iuxta  rnedio^ 
critatem  vitœ;  sed  quia  p  1er umque  régnai  in  rerum  opulentia 
Garnis  culpay  in  quodam  faginore  lapsus  est  quod  debuisset 
valde  pertimescere  ac  de  suae  mortis    immanitate  cogitare. 

ReATUS   ERGO    SUI     GONSIDERATIONE    G0MPUNCTUS,EREX1T   SE   CONTRA 
SE,    MUNDIS   HUIUS   OMNIA  DERELIQUIT,  MONASTERIUM  PETIIT.   In  qUO 

nimirum  monasterio  tantœ  humiliiaiis  iantœque  sibi  disiric- 
tionis  exsiitit  ut  cuncii  fratres,  qui  illic  ad  amorem  divini- 
taiis  excreverant,  suam  gogerentur  vitam  despisgere  dum 
iLLius  pœnitentiam  VIDERENT.  Studuit  namque  ioto  mentis 
adnisu  cruciare  carnem^  volunt aies  proprias  frangere,..  Hic 
itaque...^  quia  nions  in  quo  monasterio  situm  est  ex  uno  la- 
lere  in  secreiiore  parte  prominebat,  illuc  consuetudineni  fece- 
rat  ante  vigilias  egredi,  ut  se  quotidie  in  fletu  pœnitentiœ... 
mactaret...  Quadam  vero  nocte  abbas  monasterii  vigilans 
hune  latenier  egredientem.,.  secutus  est.  Quem  cum  in  secreto 
montis  cerneret  in  oratlone  prostratum,,.,  cum  subito  cœlitus 
lux  emissa  super  euin  fusa  est...,  abbas...  iniremuit  et  fugit. 
Cumque  posl  longum  horae  spatium  idem  f rater  ad  monas- 
terium  rediissei...,  videns  se  esse  deprehensum  (dixii)  : 
«  Quando  super   me  vidisti  lucem    de  cœlo  descendere,  vox 

ETIAM    PARITER    VËNIT,    DIGENS    :    DIMISSUM    EST    PECGATUM    TUUM  ». 

Et  quidam  omnipotens  Deus  peccatum  eius  potuit  tacendo 
laxare  ;  sed  loquendo  per  vocem,  radiendo  per  lumen,  exem- 
plo  suse  misericordiœ  nostra  ad  pœnitentiam  voluit  corda  con- 
cutere,,.  Habete  ergo  fiduciam,  fratres  mei,  de  misericordia 
conditoris  nostri. 

Il  y  eut  donc,  dans  la  seconde  moitié  du  vi^  siècle,  —  en 
Italie  S  —  un  pénitent  nommé  Victorinus,  —  qu'avait  rendu 
célèbre  l'austérité    de  ses  pénitences,  —  et  dont  Dieu  lui- 

1  P.  L.,  76,  1257,  §  18. 

■2  Je  ne  crois  pas  que  Victoriaus  iEtnilianus  se  soit  réfugié  dans  le  monas- 
tère de  Maximianus,  c'est-à-dire  dans  la  maison  de  saint  Grégoire.  Saint 
Grégoire  ne  le  donne  pas  à  penser  :  il  en  parle  comme  d'une  personne  tota- 
lement iuconnue  aux  Romains. 


VICTORINUS    ^EMILIANTJS  277 

même,  par  un  prodige,  avait  voulu  marquer  qu'il  avait  obtenu 
sa  grâce. 

Tous  ces  traits  caractérisent  le  Yictorin  de  nos  gestes,  qui 
apparaît  ainsi  comme  le  double  légendaire  de  Victorinus 
^milianus.  Victorin  le  martyr,  que  célèbrent  les  gestes  de 
Nérée  et  Achillée,  Victorin  le  pénitent^  dont  saint  Grégoire 
nous  conte  Thistoire  merveilleuse  :  voilà  les  deux  personnages 
qui  se  sont  superposés  et  confondus  pour  former,  à  la  fin  du 
VI®  siècle,  la  figure  de  Victorin,  frère  de  Séverin.  On  com- 
prend dès  lors  que  certaines  versions  des  gestes  *  le  datent  du 
temps  de  Justinien  et  de  Vigile.  La  confusion  des  deux  Victo- 
rin s'explique  par  leur  liomonymie  ;  de  là  dérive  aussi  la  lo- 
calisation de  Victorinus  ^Emilianus  à  Amiterne;  cette  attache 
était  si  solide,  qu'elle  a  bientôt  fait  oublier  le  monastère  de 
Victorin  le  pénitent,  d'autant  plus  que  saint  Grégoire  néglige 
d'en  citer  le  nom.  L'anniversaire  du  5  septembre  est  celui  de 
Victorinus  ^Emilianus. 

Mais  ce  n'est  pas  la  seule  lumière  que  saint  Grégoire  jette 
sur  la  légende.  Une  lecture  rapide  du  texte  montre  qu'il  tend 
à  faire  l'apologie  du  cénobUisme,  à  faire  le  procès  de  la  vie 
solitaire.  Et  pareil  souci  occupe  saint  Grégoire.  Relisons  par 
exemple  la  lettre  qu'il  adresse  à  Secundinus  ^ 

i\os  enim  qui  vitam  cwn  pliiribus  ducimiis,  etsi  fornii- 
dolosi  ac  timidi,  tamen  quia  contra  ardiquum  hostem  hélium 
proposuimuSy  quasi  in  acie  stamus  ;  vos  autem,  qui  solitariam 
vitam  ducitisy  quid  aliud  quant  monomachos  di.xerim,  qui 
fervore  virtuiis  etiam  ante  aciem  exire  festinastis  ?  Cur  ercjo 
eum  non  singulariter  hostis  impetat,  a  quo  se  impeti  singula- 
riler  spectat  ?  Et  nos  quidem  qui  inter  Jiom^ines  vivimus, 
sœpe  per  homines  a  callido  hoste  temptamur  ;  vos  autem,  qui 
viam  vitse  prœsentis  extra  hominum  frequentiam  ducitis,  tan- 
to  majora  certamina  pati  necesse  est  quanto  ad  vos  ipse  temp- 

TATCONUM     MAGISTER     ACCEDIT...     AutiqUUS   VCrO    kostis    mOX    Ut 

oliosam  mentem  ^  invenerit,  ad  eam  sub  quibusdam  occasioni- 

*  Celles  qu'a  utilisées  Baronius  [Martyr.  Romain,  8  juin].  —  L'histoire  de 
Donnt  doit  avoir  été  assez  analogue  à  l'histoire  de  Victorin. 

2  IX,  52  [P.  L.,  11,  983]  [M.  G.,  ix,  147.  —  ii,  p.  142].  —Cf.  Dialog.,  m,  15- 
16  \P.  L.,  77,  256-257]. 

'  Cf.  §  3  «  otiosum  agens  negotium  ».  Cf.  ce  qu'écrit  saint  Grégoire  dans 
la  vie  de  saint  Benoît  :  «  Quamdam...  aliquando  feminam  viderat,  quam  ma- 
lignus  spiritus  ante  ejus  mentis  oculos  reduxit  ;  tantoque  igné  servi  Dei  ani- 
mum  in  specie  illius  accendit,...  [§  2.  —  P.  L.  66.  132.  B] 


278 


TRADITIONS    DIC    VALKRIE    RT    DK    PICKNUM 


RUS  LocuTURUS  ACCEDiT,  et  quœclam  ei  de  gestis  pr,'pAeritis  ad 
memoriam  reducit,  audlta  quondam  verba  indecenier  cogita^ 
tioni  resonat  et,  si  qua  dudum  turpiter  acta  sunt,  eorum  spe- 
cierti  cordis  oculis  opponit...  Sœpe  quod  niimquam  fecimus^ 
per  hostis  callidi  insidias  cordis  oculis  videmus... 

Si  Grégoire  le  Grand  ne  connaissait  pas  les  gestes  de  Victo- 
rin  en  écrivant  cette  lettre  à  Secundinus,  il  laut  reconnaître 
que  cette  lettre  et  ces  gestes  révèlent  la  même  préoccupation  : 
au  point  que  celle-là  semble  donner  en  vérité  le  programme 
et  comme  le  schéma  de  ceux-ci  ;  c'est  la  même  idée  qui 
s'exprime  ici  en  langage  abstrait,  qui  se  traduit  là  dans  une 
histoire  concrète.  Notre  texte  a  été  écrit  aux  environs  de 
l'an  600  S  dans  le  groupe  des  amis  de  saint  Grégoire. 

Ainsi  s'expliquent  certainls  traits  de  la  légende,  qui  rap- 
pelle si  souvent  les  Dialogues  :  la  belle  procession  des 
papes  romains  fait  songer  à  l'apparition  de  Juvénal  et  d'Eleu- 
thère  au  chevet  de  Probus  de  Rieti  ^  ;  la  pénitence  de  Victo- 
rin  semble  modelée  sur  le  supplice  infligé  par  les  Lom- 
bards à  deux  moines  de  la  Valérie  ^  qu'ils  suspendent  à  un 
arbre. 

Ainsi  s'explique,  sans  difficulté,  l'association  d'un  Séverin 
à  Victorin.  Le  Séverin,  frère  de  Victorin,  n'est  sans  doute  * 
quun  double  légendaire  du  fameux  Séverin  de  Norique.  dont 
les  disciples  apportèrent  le  corps  à  Naples  à  la  fin  du 
V®  siècle.  La  preuve  en  est  le  texte  du  calendrier  populaire, 
qui  écrit  à  la  date  du  8  janvier  : 

Neapoli,  Severini  confessoris  Victorini  fratris. 

1  La  formule  in  unitate  Spiritus  sancti  [§  12],  s'explique,  sans  doute, 
parce  qu'elle  se  trouvait  dans  une  version  des  gestes  de  Nérée,  —  ou  parce 
que,  dès  ce  temps,  elle  est  entrée  dans  le  fonds  liturgique. 

2  «  Qui  dum  iecto  jacentis  assisteret,  subito  aspexit  intrantes  ad  virum  Del 
quosdam  viros  stolis  candidis  amictos,  qui  eumdem  quoque  candorem  ves- 
tiura,  vultuum  suorum  luce  vincebant...  lile  autem  tantae  visionis  novitatem 
non  ferens,  cursu  concitato  extra  fores  fugit...  »  [Dialog.^  iv,  12,  P.  L.,  77, 
337-340]. 

3  «  Valentio  qui...  meo  monasterio  praefuit,  prius  in  Valerise  provincia 
suum  mooasterium  rexit.  In  qup  dum  Longobardi  saevientes  venissent,  sicut 
eius  narratione  didici,  duos  eius  monachos  in  ramis  unius  aboris  suspende- 
runt,  qui  suspensi  eodem  die  defuncti  sunt  »  {^Dialog.,  iv,  21.  —  P.  L.,  77, 
353].  —  Noter  qu'Etienne  protomartyr  est  cité  dans  Paulinus  :  cf.  supra  p.  212. 

*  Il  y  a  un  Séverin  de  Tibur   attesté  par   le  M.   R.  P.,  l^r  novembre    et  le 

L.  P.,  I,  324.  —  Il  est  possible  que  ce  soit   le  nôtre.  —  La  difficulté   tient  à 

la  date  de   l'anniversaire  de   ce   Séverin,  l^i"   novembre  :  nos   gestes    l'igno- 
rent. 


â 


SÉVERiN    DE    NORIQUE  279 

Il  n'y  a  pas  de  doute,  en  effet,  que  le  Séverin  de  Naples  ne 
soit  le  Séverin  de  Norique  :  c'est  à  Naples,  au  caslellum  Lu- 
cullanum,  qu'a  été  déposé  le  corps  de  l'apôtre  du  Noricum  Ri- 
pense,  —  Et  le  fait  n'a  rien  qui  puisse  surprendre.  Le  culte  de 
saint  Séverin  était  florissant  aux  environs  de  l'an  GOO  :  la 
preuve  en  est  que  c'est  à  Séverin  que  saint  Grégoire  veut  con- 
sacrer l'ancienne  église  arienne  iuxta  domiim  Merulanam  *  et 
que  Jean,  fermier  de  Venantius  ^,  veut  dédier  un  oratoire  ^ 
D'autre  part,  depuis  la  défaite  du  kouropalate  Baduarios  et 
l'agression  de  Faroald,  tout  le  pays  apennin  jusqu'à  Spolète 
et  Amitorne  *,  et  bientôt  jusqu'à  Bénévent  et  Crotone,  est  ra- 
vagé, puis  occupé  par  les  Lombards  :  ces  événements  sont 
favorables  à  l'installation  ou  au  développement  des  culles  des 
saints  ;  on  ressent  généralement  le  besoin  de  leur  secours.  11 
est  très  possible,  du  reste,  que  les  disciples  de  Séverin  soient 
passés  par  Septempeda  "  et  que  le  culle  de  leur  maître  y  re- 
monte à  leur  passage.  De  toute  manière,  l'origine  du  culte  de 
Séverin  à  Septempeda  n'a  rien  qui  puisse  élonner.  Or,  le 
populaire  tend  à  matérialiser  la  présence  du  saint  qui  le  pro- 
tège :  le  culte  devait  susciter  la  croyance  de  tous  à  la  réalité 
d'un  Séverin  local.  C'est  cette  croyance  qui  s'exprime  dans 
nos  gestes  ^ 

1  Epist.,  m,  19  [P.  L  ,  77,  618-619]. 

2  Est-ce  le  Venautius  évêqiie  de  Pérouse  ?  —  Noter  qu'il  y  a  un  Severns- 
SeveriDus  [cf.  Secundus  =  Secundinn?,  Epist.,  vi,  30  et  ix,  52.  —  P.  L.,  77, 
821  et  982],  évêque  dans  le  Piceoum  [Epist.,  i,  57.  —  P.  L.,11,  517-518]  :  qui 
sait  s'il  n^a  pas  eu  part  à  ces  évéuements  ?  Ce  Severus  est  sans  doute 
l'évêque  d'Ancone  [Episi.,  ix,  16,  89|. 

■^  Epist.,  XI,  31  \P.  L.,  77,  1144].  Noter  que  le  pape  Severinus  (+  640)  est 
natione  rotnnnus  [L.  P.,  i,  328]. 

^  Hartmann,  ii,  47-48. —  Cf.  les  oestes  de  Cetheiis-Peref^riiius  [13  juin,  183|. 
Je  croirais  volontiers  qu'ils  datent  des  environs  de  l'an  700,  du  temps  du  duc 
Alahis  de  Trente  [Paul  Diacre,  v,  36.  —  Hartmann,  ii,  256,  <?66],  —  qu'ils  ont 
été  rédigés  par  un  auteur  connaissant  des  histoires  authentiques,  les  gestes 
de  Susanne  et  les  gestes  de  Marcel  ;  ils  racontent  que  Cetheus,  évêque 
d'Amiterne,  a  été  mis  à  mort  par  les  Lomhards  au  temps  de  saint  Grégoire 
et  de  Phocas  et  de  Faroald. 

°  Ainsi  s'expliquerait  peut-être  la  diversité  des  dates  de  fêtes. 

^  Du  reste,  la  chose  est  remarquahle,  la  légende  est  très  sobre  de  détails 
sur  Séverin  [Baronius  avait  peut-être  un  texte  plus  plein].  —  La  visite  de 
saint  Pierre  et  des  papes  est  eu  harmonie  avec  la  gloire  de  l'apôtre  du  No- 
rique. —  Je  note  que  le  rédacteur  tient  à  souligner  la  grandeur  de  son  hé- 
ros :  comme  Valérien  de  Cimiez,  se  heurtait-il  à  des  sceptiques  ? 

Dans  plusieurs  msa.,  la  légende  s'arrête  à  la  mort  de  V'ictorin  [ainsi  le  Co- 
dex Angiensis]  ;  d'autres  enrichissent  l'histoire  de  Victorin,et  elle  seule  [ainsi 
le  Codex   Bruxellensis ,  18644-52.  CataL,  ii,  423]  :  c'est  un   souvenir   des  ori- 


280  TRADITIONS    DE    VALKfUK    KT    DU     PICKNIIM 

Et,  puisque  l'auteur  inconnu  appartenait  certainement  au 
groupe  (le  saint  Grégoire,  nous  pouvons,  avec  vraisenihlancf;, 
préciser  sur  ce  point  aussi  la  genèse  de  la  légende.  Dans  une 
lettre  adressée  à  Uusticiana,  où  Grégoire  attaque  la  passion 
—  suspecte  —  de  beaucoup  de  moines  pour  la  vie  solitaire, 
je  trouve  l'histoire  de  deux  frères,  qui  s'enfuient  de  leur  mo- 
nastère et  que  Dieu  fait  miraculeusement  reprendre  '.  iN'est-ce 
pas  encore  un  passage  de  saint  (jrégoire  que  l'hagiographe  a 
pris  pour  modèle?  N'est-on  pas,  vraiment,  fondé  à  y  voir 
comme  une  page  détachée  des  Dialogues^  ? 

gines  de  la  légende.  Je  crois  pourtant  que  notre  texte  est  d'une  seule  teneur, 
quoi  qu'il  puisse  sembler  tout  d'abord.  Certains  mas.  [Codex  Parisinus 
11753.  —  Catal.,  m,  51]  cousent  aux  gestes  de  Victorin  le  fragment  des 
gestes  de  Nérée  Achillée  qui  concernent  le  martyr.  De  même  Adon  \P.  L., 
123,346].  —  Le  texte  B.  H.  L.,  7664  est  un  remaniement  postérieur  à  la  révo- 
lution grégorienne. 

1  Epist.,  XI,  44  [P.  L.,  77,  1155-1156J.  a  Alii  quoque  duo  fratres  de  eodem 
monasterio  fugerunt,  atque  aliqua  prius  colloquendo  fratribus  signa  dede- 
runt...  » 

2  Sur  les  questions  que  pose  le  prologue,  cf.  G.  M.  R.  vi.  —  U  se  pourrait 
que  l'auteur  appartint  au  personnel  de  l'administration  du  patrimoine.  Cer- 
tains détails  de  la  langue  semblent  l'indiquer. 

Nous  avonsvu,  je  le  rappelle,  que  la  légende  d'-^milianus  de  Spolèle  semble 
dépendre  aussi  des  souvenirs  qui  couraient  sur  -dEmiliauus  le  pénitent  et 
provenir  aussi  de  l'entourage  pontifical. 


i 


CHAPITRE  XIJ 


CONCLUSION 
LE  MOUVEMENT  LÉGENDAIRE    GRÉGORIEN    ET    L'ŒUVRE 
HAGIOGRAPHIQUE  DE    SAINT  GRÉGOIRE 


Notre  voyage  à  travers  l'exarchat  nous  y  a  fait  apercevoir 
toute  une  efflorescence  légendaire  :  comme  c'est  à  l'époque 
ostrogothique  qu'ont  été  écrits  les  plus  fameux  gestes  des 
martyrs  de  Rome,  c'est  au  temps  de  l'administration  byzan- 
tine que  remontent  la  plupart  des  gestes  de  l'Italie  centrale.  Ces 
gestes  ont  donc  même  patrie  et  même  date  que  les  Dialogues 
où  saint  Grégoire  a  recueilli  nombre  de  légendes  italiennes. 
Quels  sont  les  rapports  de  ces  deux  œuvres,  l'une  indivi- 
duelle, l'autre  collective  ;  et  d'abord  quais  sont  les  caractères 
de  chacune  ? 


282  CONCLUSION 


La  légende  du  duché  est  solidaire  de  la  légende  de  la  Ville 
et  la  prolonge. 

Ici  et  là,  la  légende  enveloppe  des  traditions  locales  dont  la 
valeur  est  nulle  pour  l'historien  des  persécutions  \  très 
grande  pour  l'historien  de  la  vie  chrétienne  après  les  persécu- 
tions ;  mais  la  forme  en  est  pareille  ici  et  là,  pareille  la 
langue,  pareils  les  sentiments,  les  idées,  les  croyances.  Le 
lecteur  bénévole  qui  voudra  confronter  tous  ces  textes  s'en 
rendra  compte  aisément  ^ 

Mais  il  y  a  plus  et  mieux  que  ces  similitudes  générales  : 
certains  faits  précis  manifestent  la  solidarité  des  deux  mouve- 
ments littéraires.  Rome  tient  une  grande  place  dans  la  lé- 
gende italienne  ;  on  croit  apercevoir  dans  celle-ci  le  rayonne- 
ment de  celle-là  ;  qu'on  relise  Sabinus,  Terentianus^  les  textes 
spolétains.  —  Alexandre  ^i  Torpes,  etc..  témoignent  du  même 
souci  d'authentification  que  Potentienne  ou  Nèrèe.  — La  ques- 
tion de  la  fuite  et  de  la  spontanéité  du  martyre  est  aussi  appa- 
rente dans Domiiinu s,  Secundiamis  et  Constantms^  etc..  que 
dans  André  ou  Processus-Mariinianus .  —  Les  rédacteurs  de 
Terentianus,  des  Xll  Syriens  ou  de  Félix  le  prêtre  insistent 
sur  l'immanence  de  Jésus  au  sein  de  la  Trinité  autant  que 
ceux  qui  écrivirent  Gordien^  Processus  ou  Pancrace.  —  Con- 
cordius  niDonatj  etc..  s'intéressent  dMtitulus Pastoris  autant 
que  Stéphane^  Laurent  et  Vibbiane,  —  ^milianus  et  Victo- 
rin  d'Assise  et  les  gestes  des  XII  Syriens,  etc..  n'attestent  pas 

'  Je  ne  crois  pas  que  celui-ci  ait  le  droit  à^ y  rien  prendre.  Toutefois,  il  est 
vraisemblable  que  le  ou  les  héros  principtiux  de  chaque  légende  sont  îles 
u)artyrs  ;  peut-être  est-il  arrivé  qu'on  ait  donné  ce  titre  à  un  saint  local  qui 
n'y  avait  nul  droit.  Quant  aux  personnages  accessoires,  de  toute  évidence,  ils 
sont  fictifs  [Cf.  G.  M.  R.,  i,  359-366]. 

2  Cf.  G.  M.  B  ,  I,  première  partie;  vi,  passim. 


M 


LE    MOUVEMENT    LEGENDAIRE    GREGORIEN  283 

moins  fortement  que  Laurent^  Maris  ou  Marcel  le  prestige  de 
rOrient  sur  les  imauinations  occidentales. 

J'ajoute  qu'on  pourrait  sans  peine  recueillir  tous  les  traits, 
dispersés  dans  ce  volume,  qui  révèlent  l'inlluence  de  telle 
légende  romaine  sur  telle  autre  légende  italienne  ^  Qu'il 
suftise  de  rappeler  ici  quelques  faits.  Antliime  et  Cassien 
témoignent  clairement  de  Taction  qu'exerça  Sébastien  ;  de 
même,  Domninus  rappelle  Maurice,  Hedestus  les  Quatre 
Couronnés,  Agapet  Vitus,  Doiiat  Vibbiane  ou  Jean  Paul. 

Et  le  fait  n'a  rien  qui  puisse  surprendre  si,  parfois,  ce  sont 
des  clercs  romains  qui  ont  rédigé  nos  textes.  Les  églises  de 
Rome  possédaient  des  domaines  -  en  divers  pays  d'Italie  ;  les 
clercs  chargés  de  les  administrer  ont  appris  à  connaître  les  lé- 
gendes qu'on  y  contait  ;  ils  les  ont  rédigées  sur  le  modèle  de 
celles  de  Rome.  Rome  était  la  métropole  religieuse  et  la  ca- 
pitale militaire  :  l'inlluence  dont  nous  relevons  les  traces  ne 
pouvait  pas  ne  pas  s'exercer. 

On  discerne,  pourtant,  certaines  nuances  qui  distinguent  le 
mouvement  grégorien  du  mouvement  ostrogothique. 

Le  caractère  édifiant  des  légendes  tend  à  s'accentuer  :  par- 
fois môme,  elles  prennent  la  forme  d'un  sermon  adressé  au 
peuple  (Eutijchius,  Sévère  de  Valérie). 

Les  reliques  tiennent  une  plus  grande  place  qu'à  l'époque 
antérieure  [Valentin,  Juvénal,  Sabinus,  etc.] 

Les  anges  interviennent  plus  souvent  [Constantius,  les 
XII  Syriens  y  Ambroise,  Gratilianus..^], 

On  oublie,  —  ou  l'on  feint  d'oublier  —  dans  quelles  con- 
ditions le  Christianisme  s*est  répandu  :  le  peuple  prend  le  parti 
du  martyr  [Alexandre,  Constanlius,  Poniie?i,  etc...]. 

En  conséquence,  Tidée  de  martyr  et  l'idée  de  saint  tendent 
à  se  dissocier  :  des  saints  très  vénérés  ne  sont  plus  conçus 
comme  martyrs  [Jean  Penariensis,  Laurent  de  Spolcte, 
etc...]. 

Plus  elle  oublie  l'ère  des  persécutions,  plus  la  légende  se 
montre  docile  aux  influences  contemporaines  :  on  y  relève 
certains  traits  dont  la  tendance  anti-arienne  est  sensible 
[Juvénal,  Donat,  etc.] 

1  Cf.  G.  M.  R.,  VI.,  iudices, 

^  Sur  les  palriuaoiaes  de  l'église  romaine,  cf.  infia  appeadice  v. 


284  CONCLUSION 

Elle  s'infléchit^  parfois,  suivant  les  ambitions  d'une  église 
locale  :  telle  la  légende  de  Spoiète. 

Elle  intègre  souvent  des  fragments  d'histoire  très  récente 
[A^^milianus y  Victorin-Severin,  Uerculanus,  otc...|. 

Elle  prétend  souvent  raconter  les  origines  de  l'église  locale 
[^Agapel^  Anthime,  XII  Syriens^  Victorin^  ALmilianus,  /u;li- 
cien,  etc]. 

Elle  parle,  enfin,  une  langu(î  toute  récente  :  consules,  ma- 
jores ^  principales,  dans  Félix,  ConstantiuSy  Donat  signifient 
les  notables  du  bourg. 

Et  il  arrive  qu'elle  s'égare  dans  les  imaginations  les  plus 
cocasses  :  telles,  ces  invitations  à  dîner  qu'adressent  aux  mar- 
tyres, ici  le  persécuteur  [Firminà],  là  Jésus  [Restiluta]. 

C'est  dire  que,  dans  les  gestes  qui  constituent  le  «  mouve- 
ment grégorien  »,  il  importe  de  distinguer  les  moments  et  les 
groupes.  Mais  combien,  aujourd'hui,  le  travail  est  délicat! 

On  croit  pouvoir  discerner  trois  moments  :  avant  Grégoire, 
Grégoire,  après  Grégoire. 

Avant  Grégoire,  c'est  le  temps  de  la  crise  où  sombre  l'éta- 
blissement des  Goths,  où  se  réinstalle  l'administration  impé- 
riale :  ce  qui  correspond,  à  peu  près,  au  pontificat  de  Vigile, 
537-555.  Les  textes  rappellent  beaucoup  ceux  de  l'époque 
gothique  *.  C'est  alors  que  se  rédigent  Alexandre ,  Hedestns, 
Valenti7iy  Concordius,  Constantius ,  Anlhime  A  et  B_,  Pontien, 
Sabinus,  Grégoire,  Donat,  Seciindianus,  Marciamis,  etc... 

Au  temps  de  Grégoire,  à  la  fin  du  vi®  et  au  début  du 
vu^  siècle,  la  popularité  des  ascètes  et  des  moines  influence 
les  traditions  martyrologiques  ;  et  le  prestige  de  la  légende 
grecque,  désormais  très  bien  connue,  n'exerce  pas  une  ac- 
tion moins  grande.  On  écrit  alors  Victor  in- Séveinn,  Cas- 
sien,  yEmilianuSy  Terentianiis  A,  Victorin  d'Assise,  Félix 
de  Spello,  Félicien,  Juvénal,  certaines  versions  des  XII  Sy- 
riens, Gratilianus,  Eutychius,  Irènèe  de  Chiusi,  Gauden- 
tius,  etc...  L'attribution  aux  saints  locaux  d'une  origine  orien- 
tale est  certainement   en  rapport  avec    l'affermissement   de 

1  Quelques-uns  des  gestes  étudiés  dans  ce  volume  remontent  à  l'époque 
gothique  :  Âgapet  BC,  Terentianus  D,  Laurent  de  Spoiète  [peut-être  An- 
thime  A  et  Jean  Penariensis,  réserve  faite  de  certaines  retouches  :  le  mot 
metropolis...]  Cf.  encore  Apollinaire.  La  rédaction  des  gestes  de  toute  l'Italie 
centrale  et  de  toute  l'Italie  alla,  dès  lors,  se  complétant  et   s'accélérant. 


CARACTÈRES  DU  MOUVEMENT  GREGORIEN         285 

l'exarchat  :  peut-être  les  hagiographes  visent-ils  à  réchaulfer 
le  loyalisme  impérial  des  populations  italiennes  ;  peut-être 
doit-on  dire  qu'ils  s'en  inspirent  et  qu'ils  en  témoignent  K 

Après  Grégoire,  les  deux  traits  proprement  grégoriens  s'ac- 
centuent, le  type  légendaire  gothique  se  détériore,  les  miracles 
et  les  bizarreries  se  multiplieut  ;  surtout,  les  textes  sont  indi- 
rectement  iulluencés  par  l'œuvre  de  Rothari  et  la  restauration 
des  évôchés.  En  outre  des  remaniements  qui,  parce  que  tels, 
rappellent  les  gestes  antérieurs  —  Agapet  A,  D,  E,  X/I  Sg- 
riens,  etc.. — ,  on  rédige  alors  des  légendes  dont  la  physio- 
nomie est  assez  particulière  :  Firmina,  Amasius,  P'austin  et 
Jovite,  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  classements  provisoires,  nos  textes 
sont  contemporains  du  Calendrier  populaire,  qui,  rédigé  au 
début  et  complété  tout  le  long  du  vu*  siècle,  recueille  les  plus 
fameux  saints  dont  la  popularité  s'est  épanouie  au  vi''  ou  éclôt 
au  vii°  siècle.  Voici  la  liste  de  ceux  qui  sont,  à  la  fois,  men- 
tionnés par  le  calendrier  et  célébrés  par  nos  Gestes  : 

Concordius  [1  janvier],  (Argée,  Narcisse,  Marcellin  [2]), 
Séverin/Victorin  [8],  Félix  prêtre  [14],  Pontien  [19]  ;  —  Va- 
lentin  [14  février]  ;  —  Jean  Penariensis  [19  mars]  ;  —  (Maro, 
Eutyches,  Victorin  [13  avril |)  ;  —  Juvénal  [7  mai];  Torpes 
[17].  —  Pergentinus  et  Laurentinus  [3  juin]  ;  —  Bricius 
[8juillet]  ;  Anatolia  et  Audax  [9]  ;  —  Donat  [7  août]  ;  Agapet 
j  18]  ;  (Anastase  de  Salone  [21])  ;  Secundus  [26]  ;  —  Vic- 
torin [5  septembre]  ,  (Maurice  [22])  ;  —  Marcellus  et  Apuleius 
[7  octobre];  Hedestus  [12];  —  Herculanus  [7  novembre]; 
Alexandre  de  Baccano  [26]  ;  —  Abundius  et  Carpophore 
[10  décembre]  ;  Victoire  [23]  ;  Grégoire  de  Spolète  [24]  ;  Sa- 
biaus,  Exsuperantius,  Marcellus  et  Venustianus  de  Spolète 
[30]  ^ 

*  Sur  l'hellénisation  religieuse    de  l'Italie  à  ce  moment,  je  renvoie  à  Diehl, 
251. 
■'P.  L  ,  123,  145-178.  —  G(.  G.  M.  R.,  r,  372-375. 


28(>  CONCLUSION 


II 


En  593,  le  pape  Grégoire  le  Grand  entreprend  un  nouvel 
ouvrage  *.  A  la  demande  de  ses  familiers,  il  se  propose  de 
recueillir  et  de  raconter  les  plus  beaux  miracles  opérés  en 
Italie  par  les  Pères,  aliqua  de  miraculis  Patrum  quœ  in  Italia 
facta  audivimus  ^  Débordé  par  le  travail,  il  regrette  le  temps 
où,  dans  le  silence  du  monastère,  il  pouvait  à  loisir  cultiver 
son  âme  et  rivaliser  avec  les  ascètes  ses  contemporains  \  Ce 
sera  pour  lui  une  joie  que  de  chanter  leur  gloire,  et  comme 
un  dédommagement  du  chagrin  qu'il  éprouve  à  ne  pouvoir 
les  imiter.  Et,  pour  les  âmes  de  ses  lecteurs,  ce  sera  un  puis- 
sant réconfort  et  un  stimulant  :  beaucoup  ne  savent  pas  quels 
saints  se  cachent  alors,  et  quels  miracles  ils  opèrent  \ 

Le  livre  se  présente  sous  la  forme  d'un  dialogue  —  d'oià 
son  nom,  Dlalogi  —  :  le  pape  s'entretient  avec  son  diacre 
Pierre,  dont  la  physionomie,  à  peine  apparente,  semble  unir 
à  beaucoup  de  candeur  un  léger  scepticisme  ;  Pierre  n'inter- 
vient que  pour  suggérer  à  Grégoire  une  observation  morale, 

*  Oq  trouve  de  bonnes  choses  sur  les  Dialogues  dans  le  récent  ouvrage  de 
F.  Homes  Dudden  :  Gregory  the  great,  hU  place  in  history  and  thought 
[London,  1905,  2  vol.  in-8],  tome  I,' 321-356. 

2  Epist.,  III,  51  (M.  G.  50).  a  Gregorius  Maximiano  epo  Syracusano.  Fratres 
mei  qui  mecum  familiariter  vivuat,  omni  modo  me  compellunt  aliqua  de  mi- 
raculis Patrum...  sub  brevitate  scribere  »  [P.  L.,  77,  646,  B].  —  Cf.  Dialog.^ 
m,  19,  l'inondation  du  Tibre  antehoo  fere  quinquiennium  [P.  L.,n,  268,  G]. 

3  «  Nimiis  quorumdam  ssecularium  lumultibus  depressus...,  secretum  locum 
petii  amicum  mœroris...  Animus...  meminit  qualis  aliquando  in  monasterio 
fuit...;  quantum  rébus  omnibus  quae  voivuntur  eminebat... Et  cum  prions  vitae 
recolo..,  suspiro...  Nonnumquam  vero  in  augmentum...  doloris  adjungitur  quod 
quorumdam  vita  qui  praesens  sseculum  tota  mente  reliquerunt,  mihi  ad  aie- 
moriam  revocatur...  »  [Dialogi,  praef.  —  P.  L.,  77,  151-152J. 

*^  «  Petrus.  Non  valde  in  Italia  aliquorum  vitam  virtutibus  fulsisse  cognovi... 
Et  quidem  bonos  viros  in  hac  terra  fuisse  non  dubito,  signa  tamen  atque  vir- 
tutes  aut  ab  eis  nequaquam  facta  existimo,  aul...  silentio  suppressa...  Fit... 
plerumque  audientis  animo  duple.v  adjutorium  in  exemplis  Patrum,  quia  si 
ad  amorem  venturae  vitae  ex  praecedentium  comparatione  accenditur,  etiam  si 
se  esse  aliqui<i  existimat,  dnm  meliora  de  aliis  co'jnoverit,  humiliatur  »  [prœf. 
—  P.  L.,  77,  152-153]. 


l'œuvre    hagiographique    de    s.    GRÉGOIRE  287 

ou,  le  plus  souvent,  amorcer  un  nouveau  récit.  Les  histoires 
pieuses,  en  effet,  se  suivent  l'une  Tautre  à  travers  les  quatre 
livres  qui  composent  l'ouvrage.  Nul  plan,  d'aucune  sorte.  Le 
pape  écrit  au  hasard  de  ses  souvenirs,  ou  de  ses  sources. 
Pourtant,  le  livre  11  et  le  livre  IV  ont  une  certaine  unité  :  la 
mystérieuse  et  douce  ligure  de  saint  Benoît  domine  Tun,  la 
question  de  l'existence  de  l'âme  après  la  mort  remplit  l'autre. 
Mais  l'unité  de  ces  deux  livres  est  tout  extérieure  :  ils  se  com- 
posent, comme  les  deux  autres,  d'histoires  pieuses,  qui  se 
rattachent  à  des  évèques  ou  à  des  solitaires  d'Ttalie  du  yi^  siècle, 
et  qui  tendent  à  affermir  et  vivifier  la  foi. 

11  est  intéressant  de  marquer,  autant  que  faire  se  peut,  leur 
répartition  géographique,  leur  cadre  chronologique  et  les 
sources  où  les  a  puisées  Grégoire.  Voici,  en  trois  tableaux,  les 
résultats  de  ces  trois  enquêtes. 

Répartition  géographique  des  légendes  contées  par  Grégoire. 

\.  —  1.  In  Samnii  partibus...  ;  in  eo  loco  qui  Funditus  di~ 
ciltir...  ;  2.  Eiusdem  Fondensis  monasterii...  ;  in  eadem  pro- 
vincia  Samnii...  ;  fluvius  Vulturnus...  ;  in  Campanile  parti- 
bus... :  3.  In  eodem  monasterio  [Fondensi)  ;  4.  Baineuni  Cice- 
ronis...  ;  Valeriœ  partes...  ;  Aniiternina  civitas..,  ;  Nursiœ 
provincia...  ;  Reatina  Ecclesia...  ;  Valerise  provincia,..  ; 
5-6,  Anconitana  urbs  ;  7-8.  Monasteriura  Suppentonia  iuxta 
Nepesinam  urbem...;  Mons  Soractis ;  9.  Tusciœ  partes...  ;  Fe- 
rentum...  ;  Ravenna...  ;  10.  In  eisdem partibus...  ;  Tudertina 
civitas...\  Valeriœ  provincia ',  11.  In  eadern  provincia,..  \  12. 
Interorina  vallisy  in  eodem  loco. 

W.  —  Prœf.  provincia  NursisSy  Roma  ;  1.  Locus  qui  Enfide 
dicitur;  deserti  loci  secessum  petiit  cui  Sublacus  vocabulurn 
est...  ;  —  8.  Castrum...  quod  Cassinum  dicitur  ;  —  16.  Aqui- 
nensis  ecclesia  ;  —  21.  In  eadem  Campaniœ  regione\  —  22. 
In...  prœdio  iuxta  Terracinensem  urbem  \ — 28.  Campania  ; 
— •  3^j.  In  Campaniœ  partibus  ;  Cassinum  castrum  ;  Capuana 
urbs. 

ni.  —  1.  Nolana  urbs  ;  Africa  ;  —  2.  Roma,  Constantino- 
polis,  Corinthus  ;  —  3.  Roma,  Grœcia  ;  —  4.  Mediolanum  ; 
—  5.  Apulia,  Canusium  ;  —  (>.  J\arnia  ;  —  7.  Fundi  ;  —  S. 
Aquina  civitas  ;  —  9.  Lucana  ecclesia  ;  —  10.  Placentina  urbs  ; 
— 11.  Populonium;  —  12.  Utriculensis  ecclesia  \  —  13.  Pc-' 
rusiuni;  —  li.  Spoletum  \ —  15.  Regio  eadem  \  Nursiœ  pro~ 


288  CONCLUSION 

vincia  ;  —  10.  Pars  Campaniœ  ;  mons  marsimis  ;  —  17.  liu.rcji- 
tina  ccclesia  in  einsdem  Aureliae  parlibus  ;  mons  Argenlarius  ; 

—  18.  Campani/i^  partes  ;  —  19.  noma^  Verona  ;  —  20.  Va- 
lérie provincia  ;  —  21.  Spolelum  ;  —  22.  Vakriœ  provincia  ; 

—  23.  Prseneslini  montes  ;  —  24.  Uoma  ;  —  20.  Samnii  pro- 
vincia  ;  —  29.  Spoletum  ;  —  30.  //orna  ;  —  31 .  Ilispania  ;  — 
32.  Africa\  — 33.  Spoletum;  —  35.  liburtina  ccclesia  \  — 
30.  Adriaticum  ;  Syracusana  ccclesia  ;  Cotronense  castrum  ; 

—  37.  Nursiœ  provincia  ;  —  38.  Ferentina  civitas. 

IV.  —  7.  Capuana  urbs  ;  —  8.  7 erracinensis  urbs..,  ;  zwa:/a 
Capuana  urbs...  ;  — 9.  /n  Samnio\  —  10.  Locus...  Cample..^ 
VI  ferme  milliarii...  a  vetere  Nursiœ  urbe  ;  —  11.  Provincia 
Nursiœ  ;  —  12.  Reatina  Civitas  ;  —  13,  14,  15,  10,  i^,  Roma\ 

—  21.    Valeriœ  provincia;  —  22.    Provincia,,.  Sura;  —  23. 

Marsorum  provincia  ;  —  20.  Roma  ;  portuensis  civitas  ;  —  27. 

Centumcellœ;  —  30.  Sicilia;  Liparis;  —  31.  Roma  ;  —  32. 

Valeriœ  provincia  ;  —  35-30.  Roma,  Constantino polis  ;  —  30. 

Iberia  ;  Evasa  ;  Constantinopolis  ;  —  38.  Roma  ;  Isauria  ;  — 
40.  Roma  ;  —  51.  Portuensis  ccclesia  :  Sabinensis  provincia  ; 

—  52.  Civitas  Rrixa\  —  33.  Lunensis  ccclesia;  Genuensis 
urbs; —  53-54.  Ecclesia  mediolanensis;  —  55.  CentumceU 
lensis  urbs...  :  locus  Taurania  ;  —  50.  Narnia  ;  —  57.  Ustica 
insula  (îles  Eo  Hennés)  ;  Romanus  p  or  tus. 

Ce  tableau  montre  que  la  plupart  des  légendes  racontées 
par  Grégoire  sont  originaires  de  la  Campanie,  de  la  Valérie, 
du  Samnium  et  de  la  Tuscie,  c'est-à-dire  des  pays  contigus  à 
Rome  et  qui  gravitent  directement  autour  d'elle  ;  il  puise 
quelquefois  en  Sicile  et  dans  l'Italie  du  nord  ;  une  ou  deux 
fois  en  Orient,  en  Afrique,  en  Espagne.  On  peut  dire  que 
c'est,  essentiellement,  du  duché  de  Rome  que  les  Dialogues 
expriment  la  légende. 

Répartition  chronologique  des  légendes  contées  par  Grégoire. 

I.  —  1.  Venantius  (Theoderici seu  Gregorii  temporibus^?)  ;  — 
2.  Tempore  Totilse  régis  Gotliorum  ;  —  4.  Eo  tempore  quo  ma- 
lefici  in  hac  romana  sunt  urbe  (circa  510)  ^  ;  Langobardis 
intrantibus  Valeriœ  provinciam  ;  —  9-16.  Gothi. 

'  Cf.  Gassiodore  :  Variarum,  ix,  23. 
2  Cf.  G.  M.  R.,  IV. 


L'œUVRR    IlAGlOriRAPHIQUE    DE    S.    GREGOIRE  280 

ïl.  —  Il  il  lus  [Denedlcli)c(jo,..  qiialtuor  disclpulis  illlus  rc- 
Icrentibus  agnovi  [prœf.)\  Goiliorum...  temporibus^  cum  rex 
eorum  Totila  sanctum  virum  prophetiie  habere  spiritum  au- 
dlsset...  14,  15,  31. 

IIL  —  1.  Vandalorum  tempore  ;  —  2.  Gothorum  tempore\ 

—  3i.  Justinianus  \  — 5^  6,  11,  12,  13.  Tolila\  —  14.  Go- 
thorum temporibus  prioribus\  —  16.  Vir  vilm  venerabilis  Be- 
nedicius  ;  —  17.  Nostris  ternporibus  ;  —  18.  TotlL-e  tempore  \ 

—  19.  Autharici  tempore  ;  —  20.  Nunc...  ;  —  26-30.  Lango- 
bard[\  —  31,  33.  Nunc\  — 32.  Justinianus \  —  37.  Lango- 
bardi. 

IV.  —  13.  Gothorum  temporibus  ;  —  21-22.  Langobardi  :  — 
26.  Narsse  temporibus  ;  —  30.  Theoderici  temporibus  ;  —  31. 
Gothorum  tempore  ;  —  32,  34,  35, 36,  37  (Nostris  temporibus), 
40-4Ï  {Gothorum  temporibus),  PascJiasius...,  Sgmmachus.., 
Laurentius  \  —  47,  51,  52,  53  (Nostris  temporibus). 

Ce  tableau  montre  que  la  presque  totalité  des  légendes  ra- 
contées par  Grégoire  se  rapportent  au  vi^  siècle,  le  plus  sou- 
vent à  Vépoque  lombarde,  assez  souvent  à  V époque  gothique. 

Sources  de  Grégoire. 

Il  semble  que  les  sources  de  Grégoire  soient  de  deux  sortes  : 
de  fait,  elles  sont  toutes  semblables.  La  lettre  qu'il  écrit  à  Maxi- 
mianurt  de   Syracuse  *,  l'usage  qu'il  fait  de  ses  Homélies  ^ 


1  «  Fratrea...  me  corapellunt  aliqua  de  miraculis  Patrum...  scribere.  Ad 
quam  rem  solatio  vestree  charitatis  vehemoQter  indigeo,  ut  ea  quae  vobis  ia 
inemoriam  redeunt,  queeque  cognovisse  vos  contigit,  mihi  breviter  indicetis. 
De...  Nonnoso  abbale....  aliqua  retulisse  te  meroini  quae  oblivioni  mandavi. 
Et  hoc  igitur,  et  si  qua  suol  alla,  tuis  peto  epistolis  imprimi...  »  [/?p..  m,  51. 
—  P.  L.,  77,  646  [M.  G.  m,  50,  tome  I,  p.  206].  —  Grégoire  a  écrit  sans  doute 
d'autres  billets  du  même  genre  :  il  a  travaillé  sur  des  documents  écrits.  [Cf. 
Dial.,  I,  7.  —  P.  L.,  77,  184,  l'histoire  de  Noanosus]. 

'  Voici  la  liste  des  emprunts  faits  par  les  Dialogues  aux  Homélies.  Par 
malheur,  la  comparaison  des  uns  et  des  autres  ne  jette  pas  beaucoup  de  lu- 
mière sur  la  genèse  légendaire  :  Grégoire,  le  plus  souvent,  s'est  copié  lui- 
même.  On  en  jugera  par  un  seul  exemple, 

Somilix,  i2.  —  P.L.,16,  1122.  Dialogi.,  iv,  38.    —  P.  L.,  77,    392. 

§  7.  <  Quidam  uir  nobilis  in  Vale-  «  Chrysaorius...  vir  in  hoc    mundo 

ria     provincia    nomine     Chrysaorius  valde  idoneus  fuit,  aed  tantum  plenua 

fuit    quem    lingua    rustica     populus  vitiis...  » 
Chryserium  uocabat.  » 

m  19 


290  CONCLUSION 

montrent  qu'il  utilise  des  documents  écrits,  non  pas  seulement 


15.  —  1133. 

«  Id  ea  porticii  quas  euntibus  ad 
ecclesiam  b.  Glementis  est  pervia, 
fuit  quidam  Servulus  nomine  quem 
multi  vestruoi  mecum  cognove- 
ruDt...  » 


36. 


1273,   D. 


«  Nuper  nainque  lu  eadem  civilate 
Ti:ieophaniu8  comes  fuit.  » 

37.  -  1279. 

§  9.  «  Multi  vestrum,  ffr.,  c,  Gas- 
sium  Naroiensis  urbis  episcopum 
noverant,  cui  mos  erat  quolidianas 
Deo  hostias  offerre...  Kius  presbytère 
per  visum  Doaiiaus  astilit,  diceos  : 
Vade  et  die  episcopo  :  Age  quod 
agis,  operare  quod  operaris.  » 


37. 


1279. 


§  8.  «  Non  loDge  a  nostris  ferlur 
temporibus  factura  quod  quidam  ab 
hostibus  captus  longe  transductus 
est...  Uxor...  exstinctum  putavit  ..  : 
pro  quo  iam  velut  mortuo  hostias 
bebdomadibus...  siugulas...  curabat 
ofTerre.  » 

38.  —  1290-1291. 

§  15.  «  Ter  pater  meus  sorores  ha- 
buit,  quifi  cuDctae  très  sacrae  virgines 
fueraut  :  quarum  uoa  Tbarsilla,  alia 
Gordiana,  alia  iEmiliana  dicebatur.  » 


38. 


1292. 


§  16.  a  Ante  biennium  frater  qui- 
dam in  monasterium  meum  quod 
iuxta  b.  b.  m.  m.  Jobannis  et  Paali 
ecciesiam  situm  est,  gratia  conversa- 
tiouis  venit...  Quem  frater  suus... 
carnali  amore  secutus  est;...  longea 
vita  eius  ac   moribus   discrepabat.  > 

40. —  1310-1311. 

§  11.  «  Rem,  f patres,  refero,  quam 


IV,  14.  —  341. 

«  In  Homeliis  quoque  Evangelii  ' 
jam  narrasse  me  memini  quod  in  ea 
porticu  quae  euntibus  ad  ecciesiam 
b.  Clementis  est  pervia,  fuit  quidam 
Servulus  nomine...  ut  quidem  pauper 
rébus.  » 

IV,  27.  —  364. 

«  Neque  hoc  silendum  est  quod  de 
Theophanio  Gentumcellensis  urbis 
comité,  in  eadem  urbe  positus...  » 

IV,  56.  —  421-422. 

«  Vir  vitae  venerabilis  Cassius  Nar- 
niensis  episcopus,  qui  quotidianum 
offerre  consueverat  Deo  sacriâ- 
cium...,  mandatum  Domini  per  cuius- 
dam  sui  presbyteri  visionem  susce- 
pit,  dicens  :  Age  quod  agis,  operare 
quod  operaris.  »  i 

IV,  57.  —  424. 

«  Hoc    quoque  audivimus,   quem- 
dam  apud  bustes  in  captivitate  posi- 
tum...    pro   quo    sua    conjux    diebus 
certis    sacrificium    offerre    consueve-  j 
rat.  »  b| 


IV,  16. 


348. 


«  Hoc  quod  de  Tbarsilla  amitamea 
in  Homeliis  Evangelii  dixisse  me  re- 
colo,  repiicabo.'OuseJnter  duas  alias 
sorores....  » 

IV,  38.  —  389. 

«  Theodorus  nomine  puer  fuit  qui 
in  monasterium  meum  fratrem  suum 
necessitate  raagis  quam  voluntate  se- 
cutus est.  » 


IV,  15.  —  344-345. 
«  In  eisdem   quoque  homeliis  rem 


I 


L  ŒUVRE    HAGIOGRAPHIQUE    DE    S.    GREGOIRE 


291 


lénioignages  oraux  ^  Mais  les  uns  et  les  autres  dérivent 
traditions  populaires.  II  nous  en  avertit  lui-même  : 


is  qui  prsBsto  est  frater  et  com- 

yter    raeus   Speciosus    novit... 

qiieedam,Redempta  nomine...ia 

hac  iuxta  b.  Mariœ  semper  virgi- 

:clesiam  manebat.  Haec  illius  He- 

nis  discipula   fiierat  qiioe...  su- 

rœnestinoB  montes  vitam  eremi- 

duxisse  ferebatur.  Huic  duae  in 

a  habitu  discipulaeadhaerebant  : 

ïomiDB  Romula,  et    altéra   quse 

adhuc  superest,  qnam  quidem 

scio,  sed    Domine   nescio.  Très 

8  hae  in  uno  habitaculo  commo- 

13,  morum  quidam   divitiis  ple- 

sed  tamen  rébus  pauperem   vi- 

duccbant.    Hsec     autem    quam 

itus  sum   Romula   aliam    quam 

ixi  condiscipulam  suam   magois 

meritis    anteibat.  Erat   quippe 

patientise,  summae   obedieotiae, 

s  cris  9ui  ad  sileutium,  studiosa 

ad  continuae  orationis    usum. 

.  Romula  ea  quam  graeco  uoca- 

medici  paralysin  vocant  moles- 

trporali   percussa  est...  Nocte... 

am,   Redemptam    uocavit...    Su- 

cselitus  lux   emissa    omne  illius 

lae    spatium    implevit...  Gœpit... 

U8  audiri...  Quam   lucem...  miri 

8    est     fragrantia     subsecuta... 

cum    petiit  et   accepit...  Sancta 

mima  carne  soluta  est.  d 


narrasse  me  recolo  quam  Speciosus 
compresbyter  meus  qui  banc  nove- 
rat,  me  narrante,  altestatus  est... 
Auiis  quœdam,  Redempta  nomine,... 
in  urbe  hac  iuxta  beatae  Marife 
semper  virginis  ecciesiam  manebat. 
Haec  illius  Herundinis  discipula  fue- 
ret,  quse...  super  Praenestinos  montes 
vitam  eremiticam  duxisse  ferebatur. 
Huic  autem  Redemptae  duae  in  eo- 
dem  habitu  discipulae  aderant  :  una 
nomine  Romula,  et  altéra  quae  nunc 
adhuc  superest,  quam  quidem  facie 
scio,  sed  nomiue  nescio.  Très  itaque 
hae  in  uno  habitaculo  commanentes, 
morum  quidem  divitiis  plenam  sed 
tamen  rébus  pauperem  vitam  duce- 
bant.  Haec  autem  quam  praefatus 
sum  Romula  aliam  quam  praedixi 
condiscipulam  suam  magnis  vitae  me- 
ritis anteibat.  Erat  quippe  mirae  pa- 
tientiae,  summae  obedientiae,  custos 
oris  sui  ad  silentium,  studiosa  valde 
ad  continuas  orationis  usum.  Sed... 
Romula  ea  quam  graeco  uocabulo 
medici  paralysin  vocant  molestia  cor- 
porali  percussa  est...  Nocte...  qua- 
dam...  Redemptam...  uocauit...  Subito 
caelitus  lux  emissa  omne  illius  cellulae 
spalium  implevit...  Gœpit...  sonitus 
audiri...  Quam  lucem...  est  miri  odo- 
ris  fragrantia  subsecuta...  Viaticum 
petiit  et  accepit...  Sancta  illa  anima 
carne  soluta  est.  > 

—  3.  Félix  Gurvus  ;  —  4.  Fortunatus 
a...  et  alii  viri  venerabiles  ;  Gastorius  magister  militum  ;  —  5  Epis. 
s  quidam  ;  —  6.  Maximianus  episcopus  et  Laurion  veteranus  raonachus  ; 
Gaudentius  presbyter  ;  —  10.  Julianus  notarius  ;  —  ii.  pref.  Constan- 
>,  Valentinianus,  Simplicius,  Honoratus  abbates  ;  —  m.  6.  Multi  de  nar- 
si  civitate;  —7.  Habitalores...  Fundi  ;  —  9-10.  Venantius  Lunensis  ;  — 
ilericus  senex  qui  adhuc  superest  ;—  13.  Floridus  episcopus;—  14. 
0  Gregoria  et  Eleutherius  ;  —  15.  Sanctulus  presb.  ;  —  16.  Pelagius  papa; 
7.  Quadragesimus  subdiaconus  ;  —  18.  Frater  in  monasterio  ;  —  19. 
mes  Iribunus;  -  20.  Qui  nunc  nobiscum  sunt  ;  —  21.  Eleutherius  pater  ; 
2.  Valentio  abbas  meus  ;  —  23.  Monachi  Praeoestini  ;  —  24.  Qui  Theodo- 
noverunt;  —  25.  Nostri  seniores;  —  26.  Multi  nostrorum  ;  —  29.  Boni- 
J8  monachus  ;  —  31.  Multorum  qui  ab  Hispaniee  partibus  relatione...  ;  — 
Senior  episcopus;  —33.  Discipuli  Eleutherii  ;  —  35.  Floridus  episcopus 
rlinus.  —  iv,  8.  Benedicti  discipuli;  —  9.  religiosus...  vif  ;  —  10.  Vene- 
lis  vir;  —  11.  Stephanus  abbas;  —  12.  Probus  abbas;  —  13.  Matres  mo- 
lerii  Gallae;  —  15.  Speciosus  compresbyter  ;  — 17-19.  Probus;  —21.  Valen- 


,  1.  Venantius;   — 2.    Laurentius 


292  CONCLUSION 


Si  depersonis  omnibus  iaucloribus  meis),  ipsa  specinliter 
verba  tcnerc  voluissem,  hœc  ruslicano  usa  prnlala  slt/lu^  scn- 
bentis  non  apte  susciperet  \ 

C'est  le  peuple  chrétien  qui  parle  par  la  bouclie  des  inomes, 
de  Maximianus  et  de  Grégoire.  De  là,  l'importance  de  son 
livre  ;  il  jette  sur  Tâme  populaire  italienne  au  vi«  siècle  les 
plus  vives  clartés. 


III 


Entre  la  légende  qui  s'exprime  dans  les  Dialogues  de  saint 
Grégoire,  et  celle  qui  se  déroule  dans  les  Gestes  à^  l'époque 
grégorienne,  on  aperçoit  d'abord  une  différence  notable,  et 
trois  ressemblances  précises  :  la  légende  des  Dialogues  chante 
les  confesseurs,   la  légende  des   Gestes  célèbre  les  martyrs  ; 

tio  ;  -  22.  Religiosi  viri  ;  -  27.  Viri  fidèles  ;  -  31.  Deusdedit  senex;  -  32. 
MaximiaûQB  Syracusanus  ;  -  33.  Religiosi  viri  ;- 35.  Eleutherius  ;  -  36 
Illiriciaaus  monachus  ;  -  38.  Athanasius  Isaurise  presbyter  ;  -  40.  majores  : 
—  51  Félix  portuensis  episcopus  ;  —  52.  Joannes...  locurn  prœfectorum  ser- 
vans  •  —  53.  Venantius  Luneusis  episcopus  et  Liberius  vir  nobilissimus  ;  - 
54.  Tiactorum  qui  hic  habitant  plurimi  ;  -  55.  Félix  episcopus  ;  -  57.  ReligioB) 

"^'v'oilà  la  liste,  à  peu  près  complète,  dos  «  autorité»  »  de  Grégoire.  Il  est 
quasi  certain  que  le  témoignage  du  plus  grand  nombre  lui  a  été  transmu^ 
oralement.  M  Dudden,  inquiet  de  tous  les  miracles  rapportes  par  ces  samtf 
nersonuagee,  rabaisse  la  valeur  de  leur  témoignage  et  conteste  1  exactitude 
de  ces  histoires  prises  en  bloc.  Cette  méthode  expéditive  me  paraît  contestable 
A  un  point  de  vue  purement  rationnel,  l'idée  de  fait  miraculeux  apparai' 
comme  strictement  solidaire  de  l'idée  de  fait  naturel  normal;  beaucoup  de 
faits  jadis  classés  comme  miraculeux  -  les  stigmates  par  exemple  -  sem 
blen't  aujourd'hui  normaux,  ou  à  peu  près  [Cf.  G  Dumas  :  la  fj^7«^^;«^»^;' 
chez  les  mystiques  chrétiens.  Revue  des  deux  Mondes,  !«-  mai  1907].  Et  1  idé£ 
de  loi  naturelle  semble  se  transformer  profondément  sous  nos  yeux. 

1  Prxf  \P  L  11,  153,  B].  —  H  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  que  Grégoire 
et  ses  amis  causent  avec  les  rustici  et  apprennent  à  connaître  leurs  âmes.  C( 
sont  des  moines  ;  et  voici  les  conseils  qu'ils  trouvent  dans  Gassiodore  :  ï  Ip- 
sos  rusticos  qui  ad  vestrum  monasterium  pertinent  bonis  moribus  erudite.. 
Illud*  quod  familiare  rusticis  comprobatur,  furta  nesciant,  lucos  colen 
prorsus  ignorent...  Fréquenter  ad  monasteria  vestra  convemant...  [De  tn$t 
div.  lit.,  32.  -  P.  I.,  70,  1147]. 


s.    GRKGOIRE    ET    LES    GESTA    MARTYRUM  293 

l'une  et  l'autre  ont  même  date,  mômes  racines  locales,  même 
caractère  édiliant. 

Grégoire  le  Grand  cite  explicitement  un  de  nos  gestes,  ceux 
de  Donat  d'Arezzo  : 

In  duohus  miraculis  diiorum  Patrum  virtutes  imitatus  est 
[Nonnosus)  :..  in  reparatione,..  lampadis,  virtutem  Donati  qui 
fractum  calicem  pristinœ  incolumilati  restituit '^ . 

Trois  épisodes  des  gestes  sont  manifestement  copiés  sur 
trois  passages  de  saint  Grégoire  :  l'histoire  de  Proculus  (gestes 
d'Abundius)  est  calquée  sur  celle  d'Equitius  de  Valérie  ^  ;  l'his- 
toire des  voleurs  de  Félix  prêtre  sur  celle  des  voleurs  d'Isaac 
le  Syrien  ^  ;  l'histoire  de  Sévère  de  Valérie  sur  le  récit  que  fait 
Grégoire  des  miracles  de  ce  saint  homme  ^ 

Une  page  des  gestes  est  exactement  parallèle  à  une  page 
de  Grégoire:  celle  qui,  ici  et  là,  prétend  raconter  l'histoire 
d'Herculanus,  Tévêque  de  Pérouse  mis  à  mort  par  Totila  ^ . 
On  a  vu  que  Grégoire  semble  plus  près  de  l'histoire  que  les 
gestes. 

Trois  passages  des  gestes  présentent  avec  trois  pages  de 
Grégoire  un  parallélisme  moins  frappant,  mais  aussi  réel  : 
je  vise  l'histoire  d'Anastase  dans  les  gestes  d'Abundius  (cf. 
Anastasc  de  Suppentonia)  '\  l'histoire  de  Victorin  dans  les 
gestes  de  Victorin-Séverin  \  l'histoire  d'^milianus  de  Spolète 
dans  les  gestes  de  ce  nom  (cf.  Victorin  ^milianus)  ^  Ce  sont 
les  mêmes  personnages  et  les  mêmes  événements  d'où  dé- 
rivent nos  doubles  récits  :  mais  les  déformations  légendaires 
ont  sensiblement  et  diversement  altéré,  ici  et  là,  la  tradition 
primitive. 

Deux  fragments  des  gestes  paraissent  appartenir  au  même 
tronc  légendaire  que  deux  histoires  des  Dialogues  :  Jean  Pe- 
nariensis  est  manifestement  le  fraternel  émule  dTsaac  de  Spo- 

1  Dial,  I,  7.  —  P.  L.,  77,  184.  —  Cf.  supra,  p.  168,  note  3. 

'  Dial..  I,  4.  —  P.  L.,  77,  184.  —  Cf.  supra,  p.  172-73,  note  6. 

^  Dial.,  m,  14.  —  P.  L.,  77,  245.  —  Cf.  supra,  p.  236. 

*  Dial,  1,  12.  —  P.  I.,  77,  212.  —  Cf.  supra,  p.  267. 

5  Dinl,  m,  13.  —  P.  L.,  77,  241.  —  Cf.  suj^ra,  p.  69 

Noter  qu'lsaac  le  Syrien  est  précisément  nommé  Jans  Ahundius  ;  mais  on 
ue  donne  sur  lui  aucun  détail.  Il  est  probable  que,  ici  encore,  notre  rédac- 
teur relève,  non  du  texte  de  Grégoire,  mais  de  la  tradition  orale. 

^  Dialog.,  1,  7.  —  P.  L.,  77,  181.  Cf.  supra,  p.  75 
Homil.  in  Evang,,  P.  L.,  76,  1257.  Cf.  supra,  p.  268. 

8  Loco  citato,  P.  L,  76,  1257.  Cf.  supra,  p.  114. 


2ÎJ4  CONCLUSION 

lèle  '  ;  et  j'incline  à  voir  dans  Euticius  le  rival  malheureux  de 
Floronlius  '^ 

Deux  gestes  reflètent  les  préoccupations  qui  percent  dans 
certaines  lettres  de  Grégoire  :  Grégoire  veut  donner,  Abun- 
dius  veut  retirer  à  Tévêque  de  Rome  le  droit  de  sacrer  les 
dvèques  d'Ombrie  ^  ;  Grégoire  surveille  de  près  l'exercice  du 
droit  de  pallium,  Félicien  entend  le  conférer  sans  restriction  à 
révoque  de  Foligno  *. 

Deux  gestes  semblent  refléter  la  même  situation  politique, 
ecclésiastique  et  religieuse  que  certaines  pages  de  Grégoire: 
comme  l'auteur  de  Juvénal,  Grégoire  vise  la  conversion  de 
[Varni  au  catholicisme  ^  ;  et  les  détails  qu'il  donne  sur  le  culte 
des  saints  de  Brescia  et  de  Gènes  éclairent  opportunément  la  i 
genèse  de  Faustin-Jovite  ^  | 

J'ajoute  que  Grégoire  atteste  indirectement  la  popularité 
de  plusieurs  des  héros  de  nos  Gestes  ;  Proculus,  Anastase,  Ju- 
vénal^  Sabinus,  Eutychius,  Donat,  Maxime,  Faustin,  ^Emilia- 
nus,  Isaac,  Herculanus,  Sévère. 

Les  mêmes  thèmes  légendaires  reparaissent  dans  Grégoire 
et  dans  les  gestes  :  ce  sont  les  Egyptiens  qui  entraînent  les 
âmes,  ou  les  ressuscites  qui  décrivent  les  enfers.  On  relève, 
ici  et  là,  les  mêmes  intentions  anti-ariennes  ',  les  mêmes  dé-  ! 
tails  empruntés  aux  légendes  grecques  %  les  mêmes  incidents 
de  la  lutte  que  soutient  obstinément  contre  le  Christianisme  le 
paganisme  rural  ^ 

On  doit  conclure  qu'zV  y  a  une  étroite  solidarité  entre  les 
Gestes  et  les  Dialogues  :  ces  deux  séries  de  textes  se  complètent 
et  s'éclairent  l'une  l'autre  ;  leur  rapprochement  permet  de  re- 
constituer l'ensemble  du  mouvement  légendaire  dont  les  Dia- 

«  Dialog.,  m,  14.  —  P.  L.,  77,244.  Cf.  supra,  p.  61. 

2  Eod.  op.,  m,  15.  —  P.  L.,  77,  249.  Cf.  supra,  p.  74. 

3  P.  L.,  77,  661.  Cf.  supra,  p.  76. 
*  P.  Z.,  77,  732.  Cf.  supra,  p.  82. 
8  P.  L..  77,  539.  Cf.  supra,  p.  86. 

6  Dialog.,  iv,  52-53.  —  P.  L.,  77,  413-416.  Cf.  supra,  p.  192. 

■ï  Grégoire  a  adressé  les  Dialogues  à  Theodeliade  [Paul  Diacre  :  H.  L.,  iv,  5]. 

8  «  Veoerandus  vir...  petiit  ut  sibi  paululum  orandi  licenlia  daretnr  « 
[DiuL,  III,  37.  —  P.  L.,  11,  312,  A].  Rapprocher  le  miracle  qui  survient  alors 
de  ceux  qu'on  lit  dans  les  gestes. 

9  Dialogi,  ii,  8, 19  [P.  L.,  66, 152  et  176].  «  Castrum...  Gassinum...,  in  quo... 
a  stulto  rusticorum  populo  ApoUo  colebatur  ..  lUuc...  vir  Dei  perveniens  con- 
Irivit,  idolum,  subvertit  aram,  succendit  lucos,  alque  in  ipso  templo  Apoili- 
nis  oralorium  (?)  b.  Martini,  ubi  vero  ara  eiusdeui  ApoUinis  fuit  oratorium(? 
s.  Joauuis  coustruxit...  —  Cf.  Félix  du  Pincio,  Anthime,  XII  Syriens),  etc.. 


s.    GRJ5G01RE    ET    LES    GESTA    MAR'IYHUM  295 

logues  ne  donuaient  qu'un  fragment.  Grégoire  appelle  du 
môme  nom,  respectueux  et  vague,  Paler,  un  martyr  des  Gestes 
comme  Donat  %  un  confesseur  des  Dialogues  comme  Nonnosus 
ou  Isaac  ;  il  parle  avec  la  même  piété-  des  uns  et  des  autres. 

C'est  que  la  sainteté  des  uns  et  des  autres  est  égale  et  leur 
mérite  pareil  à  ses  yeux  ;  le  confesseur  d'aujourd'hui  vaut  le 
martyr  d'autrefois.  Ainsi  apparaît  l'unité  profonde  de  ce  mou- 
vement grégorien,  ainsi  se  précise  pour  nous  la  nature  du  rap- 
port qui  le  lie  au  mouvement  ostrogothique. 

Saint  Grégoire  dit  à  Pierre  : 

Duo  sunt...  martgrii  gênera,  unum  inocculto,  alterum  in 
publico.  Nam  etsi  persecutio  desit  exterius,  martyrii  meriium 
in  occulto  estf  cum  virtus  ad  passionem  prompta  flagrat  in 
animo.  Quia  enim  esse  possit  et  sine  aperta  passione  marty- 
rium,  testatur  in  Evangelio  Dominus,  qui  Zebedaeifîliis  adhuc 
prœ  infirmitate  mentis  majora  sessionis  loca  quœrentibus  di- 
cit  :  «  Potestis  bibere  calicem  quem  ego  bibiturus  sum  »  ? 
[Mt.y  XX^  22^.  Cui  videlicet cum  responderent  :  «  Possumus  », 
ait  utrisque  :  «  Calicem  quidem  meum  bibetis  ;  sedere  autem 
ad  dexteram  meam  vel  sinistram,  non  est  meum  dare  vobis  ». 
Quid  autem  calicis  nomen  nisi passionis  poculum  signât?  Et 
cum  nimirum  constet  quia  Jacobus  in  passione  occubuit,  Joan- 
nes  vero  in  pace  Ecclesiœ  quievit,  incunctanter  colligitur  esse 
et  sine  aperta  passione  martyrium,  quando  et  il  le  calicem  Do- 
mini  bibere  dictus  est  qui  ex  persecutione  mortuus  non  est.  De 
his  autem  talibus  tantisque  viris  quorum  superius  mcmoriam 
feci,  cur  dicamus  quia  si  persecutionis  tempus  exstitisset  mar- 
tyres esse  potuissent,  qui,  occulti  hostis  insidias  tolérantes 
suosque  in  hoc  mundo  adversarios  diligentes,  cunctis  carna- 
libus  desideriis  resistentes,  per  hoc  quod  se  onmipotenli  Deo 
in  corde  mactaverunt,  etiam  pacis  tempore  martyres  fuerunt, 
dum  nostris  modo  temporibus  viles  quoque  et  sœcularis  vitœ 
personis,  de  quibus  nil  cœlestis  gloriœ  prœsumi  posse  videba- 


1  P.  L.,  71,  184,  C  \Dialogi,  i,  7]. 

-  Noter  avec  quelle  piété  S.  Grégoire  parle  des  martyrs  à  la  fia  de  la  vie 
de  S.  Benoît,  P.  L.,  66,  204.  Il  s'inspire  des  gestes  de  sainte  Félicité, 
G.  M.  R.  1.  382.  —  On  sait  que  saint  Grégoire,  dès  avant  590,  prenait  le  titre 
de  servus  servorum  Dei  [Ewald  :  Neues  Archiv.  m,  1878,  544]  :  je  le  retrouve 
dans  les  gestes  des  Martyrs  grecs.  «  Valerianus  dixit  ad  Hippolytum  :  dé- 
clara nobis,  et  tu,  nomen  tuum.  »  Hippolytus  dixit  :  «  Hippolyius  servus  ser- 
rorum  Dei  »  [de  Rossi  :  R.  S.  m,  203].  N'est-ce  pas  l<i  le  texte  qui  a  inspiré 
directement  S.  Grégoire  ? 


29G  CONCLUSION 

tur,  ohorla  occasione ,  contigit  ad  martyrii  coronias  pervenisse  ^ 
Aujourd'hui  comme  autrefois,  le  vrai  chrétien  peut  témoi- 
gner de  sa  foi,  sacrifier  son  égoïsme  à  son  idéal,  tuer  la  chair, 
parvenir  à  la  vie  éternelle  :  point  n'est  besoin  de  bourreaux 
pour  ces  martyrs  de  la  charité,  de  la  chasteté  et  de  la  foi.  C'est 
le  Seigneur  lui-même  qui  égale  à  Jacques,  le  martyr  de  Jéru- 
salem, l'apôtre  Jean  dont  la  vieillesse  indélinie  semblait  dé(if;r 
la  mort  et  qui  mourut  dans  la  paix.  Si  donc  les  chrétiens 
doivent  connaître,  admirer,  aimer,  imiter  les  martyrs  de  la 
persécution,  ils  doivent  aussi  connaître,  admirer,  aimer,  imi- 
ter les  martyrs  de  la  paix.  Et  peut-être  ce  fin  psychologue 
qu'est  Grégoire  voit-il  que  l'exemple  de  ceux-ci  sera  plus  pro- 
fitable aux  fidèles  que  l'exemple  de  ceux-là  :  les  épreuves 
qu'ont  eu  à  surmonter  ceux-ci  se  rapprochent  davantage  de 
celles  qu'impose  à  chacun  Thumble  vie  de  chaque  jour.  Voilà 
comment  et  pourquoi  l'auteur  des  Dialogues  est  contem.po- 
rain  et  parent  des  auteurs  des  Gesta  ;  voilà  par  où  se  touchent 
et  se  rejoignent  les  deux  œuvres  du  pape  illustre  et  des  clercs 
obscurs  ;  et  voilà  comment,  se  prolongeant  et  s'élargissant  au 
vi^  et  au  vue  siècle,  la  légende  des  martyrs  de  Rome  suscite 
la  légende  des  martyrs  et  des  confesseurs  dltalie  ^ 

1  Dialogî,  m,  26.  —  P.  L.,  77,  281-284.  —  Cf.  G.  M.  R.,  ii,  101,  note  1,  les 
textes  de  Salvien  et  de  Gassiodore  qui  indiquent  la  même  idée. 

2  On  traite  au  volume  V  [G.  M,  R.,  La  Légende  romaine  et  la  Légende 
grecque]  de  certains  textes  qu'il  peut  d'abord  sembler  étonnant  de  ne  pas 
trouver  étudiés  ici.  On  les  considère  comme  de  simples  adaptations  de  lé- 
gendes grecques. 


APPENDICES 


I 


APPENDICE  I 


SAINT  ALEXANDRE  DE  BACCANO 


Dans  un  article  récent  [Notes  d'hagiographie  toscane.  — 
Revue  Bénédictine,  1907.112],  D.  G.  Morin  se  demande  de  quel 
endroit  Alexandre  fut  évêque.  Il  écarte  l'opinion  de  de  Rossi, 
d'Allard,  de  la  Cività  Cattolica  et  de  Duchesne,  qui  placent  à 
Baccano  le  lieu  de  son  siège  comme  le  lieu  de  son  supplice  *. 
L'itinéraire  qu'on  fait  suivre  au  martyre  [de  X...  à  Rome  et 
de  Rome  à  la  villa  impériale  près  Baccano]  semble  indiquer  que 
le  lieu  où  il  est  arrêté  est  éloigné  de  Rome  ;  et  lorsque  l'empereur 
l'interroge  et  lui  dit  :  Tu  es  Atexander  qui  partent  Orientis 
damnasti ,  ne  semble-t-il  pas  indiquer  que  le  siège  de  Tévè- 
ché  d'Alexandre  se  trouve  en  Orient?  Justement  D.  Morin  ren- 
contre dans  le  Synaxaire  de  Constantinople,  à  la  date  du 
22  octobre  [éd.  Delehaye,  col.  1556],  l'éloge  d'un  Alexandre, 
évêque  et  martyr  qui  convertit  un  soldat,  Héracleioo,  et  quatre 
femmes,  Anne,  Elisabeth,  Théodote  et  Glycérie  ;  il  est  décapité 
avec  elles  et  avec  lui  ;  on  célèbre  sa  fête  à  Gonstantinople,  dans 

réglise  qui  lui  est  dédiée, i^Xr^atov  xoù  àytou  recopYiou  èv  xôp  KuTraptaji^. 

La  date  du  22  octobre  peut  fort  bien  être  une  erreur  et  devoir 
se  lire  21  septembre,  anniversaire  du  martyr  de  Baccano.  Le 
rédacteur  du  Sijnaxaire  semble  suivre  et  résumer  notre  texte 
latin  :   Héracleios   est     évidemment  Herculanus.   Le  culte  de 

1  Bul.  A.  C,  loco  citato.  —  Revue  des  questions  historiques,  octobre  1905, 
p.  393,  noie  1,  —  Civiltà...  anno  LV,  iv,  p.  203.  —  Archivio  délia  R.  Società 
romana  di  storia  patria,  XV  (1892),  493. 


300  ALEXANDRE    Dli    BACCANO 

Constantinople  apporte  «  une  confirmation  inattendue  de  l'allu- 
sion... des  actes  latins  aux  relations  qu'aurait  eues  avec  l'Orient 
le  martyr  de  Baccano  ».  Le  martyr  Alexandre,  vénér«jà  Haccano, 
était  evêque  d'une  ville  située  en  Orient. 

A  l'appui  de  l'hypothèse,  on  peut  encore  faire  valoir  que  la  lé- 
gende latine  date  sans  doute  du  temps  de  Vigile  \d,  supra  ]  ;  et 
que  rien  ne  s'explique  mieux,  alors,  que  l'influence  d'une  tradi- 
tion grecque  sur  une  tradition  latine.  D'autant  que,  on  l'a  vu  [p. 
()-13j,  notre  auteur  ne  se  fait  pas  faute  de  puiser  un  peu  partout 
les  éléments  de  son  récit,  notamment  dans  des  textes  grecs. 

A  rencontre  de  l'hypothèse,  on  remarque  que  l'attribution  à 
un  martyr  d'une  origine  orientale  est  un  trait  fort  banal  [cf.  G. 
M.  R.,  I.,  345-346]  ;  —  que  les  textes  latins  ignorent  les  quatre 
femmes  martyres;  —  et  que  le  texte  grec  ignore  l'empereur  Anto- 
nin,  Crescentianus,  Boniface  et  Vitalion,  la  résurrection  de  l'en- 
fant mort,  l'épisode  de  Cornelianus  et  de  l'archange  saint  Michel. 

Je  ne  rejette  pas  l'hypothèse  de  dom  Morin  ;  mais,  avant  de 
l'adopter,  me  permettra-t-il  d'attendre  qu'il  déniche  quelque 
fait  nouveau  ? 

—  Le  diptyque  de  Lucques,  dont  P.  Guidi  vient  de  déchiffrer 
la  colonne  de  gauche  [Revue  Bénédictiiie,  \^01 ,  \22]àoxiï\^, 
ligne  18  :  alexandri  [les  lignes  16  et  17  donnent  felicis^  pan- 
crat  [ii]  ;  les  lignes  19  et  20  ambro  \sï\,  z^?7<2/2 5].  Peut-être  s'agit- 
il  du  martyr  de  Baccano.  —  11  est  certain  que  ces  noms  corres- 
pondent au  Communicantes  du  canon  romain. 

—  Page  14,  note  (delà  page  13).  Des  expressions /?nm?^5 /9«- 
latinus,  primus  milesy  primus  senator^  rapprocher  encore 
l'expression  primus  \dux\  ?  exercitus^  qui  se  lit  dans  la  no- 
tice de  Constantin  (708-715)  [L.  P.,  i,  389.  393\]. 

—  Comparer  l'inscription  delà  page  13  avec  cette  inscription 
de  Slano  (district  de  Raguse),  datée  de  462. 


DP       ET  REQVIES  SGI  AC  VENERA 
ANASTASI       PRB       D.  V.  ÎD.  MART 
INDICT.  X.  V.  POST  es  SEVERINï  YCT 

|G.L  L.,  14,  623.  Cf.  diUSSiBulL  Daim. ^xxiy  (1901), p.  92.  et 
N.  B.  A.  C,  vin  (1901),  197  ;  —  d'après  Zeiller  :  Les  origines 
chrétiennes».,  de  Dalmatie,  130-131  et  p.  101,  note  1].  K 

1.  Les  mots  de  l'inscriptioa  sont  séparés  par  quatre  petites  feuilles. 


ALEXANDRE    DE    BACGANO  301 

L'inscription  d'Alexandre  portait  peut-être  veiierandus,  non 
venerabilis  ;  l'auteur  du  texte  aura  mal  lu  l'abréviation. 

—  Ajouter  à  la  page  14,  ligne  10,  après  le  mot  Vindohonen- 
sis  ;  «  peut-être  cette  version  primitive  de  A,  que  j'appelle  A', 
ignorait-elle  l'épisode  de  la  veuve  et  de  Tétole;  c'est  elle  que  re- 
manie l'auteur  de  B.  » . 

—  De  la  résurrection  de  l'enfant  par^  Alexandre,  rapprocher  une 
histoire  assez  analogue  que  raconte  saint  Grégoire,  Bialogi^  ii, 
32.  F.L.,66,  192. 

Quidam,.,  rusticus  defuncti  filii  cor  pua  in  idnis  ferens..,, 
ad  monasterium  venitj  Benedtctum  patrêm  qaœsivit...  : 
«  Redde  filium  meum,..,  »...  \ir  Dei...  flexit,  gemia  et  super 
corpusculum  in/antis  incubiiit,  seseque  erigens  ad  cœlum 
palmas  tetendit  dicens  :  «  Domine,  non  aspicias  peccata 
mea,  sed  fidem  liuius  hominis...  ;  redde  in  hoc  corpiisculo 
animam  quem  abstiilistù.,  »  Regrediente  anima...  corpuscu^ 
lum  piieri  omne  contremuii. 

En  rapprocher  encore  l'épisode  du  ressuscité  de  Mebros,  qui 
avait  fait  d'abord  un  tour  en  purgatoire  et  en  enfer,  dans  Bède  : 
Bistoria  Eccles.Anglonnn,  v,  12. 


I 


APPENDICE  II 


SAINT  AGAPET  DE  PRÉNESTE 


M.  J.  Zeiller  vient  de  reprendre  et  de  développer  l'hypothèse 
du  R.  P.  Delehaye  '  dans  son  travail  suc  Les  origines  chré- 
tiennes dans  la  province  romaine  de  Dalmaiie  [Paris,  Cham- 
pion, 1906.  —  Bibl.  de  l'Ecole  des  hautes  Etudes.  Sciences  his- 
toriques et  philologiques,  fascicule  155]. 

La  légende  de  Venant  n'a  pas  été  calquée  sur  la  légende 
d'Agapet  [p.  68J,  parce  que  plus  logique  et  plus  homogène  que 
celle-ci.  —  La  légende  d'Agapet  n'est  pas  homogène  ;  elle  n'est 
elle-même  qu'une  adaptation  d'un  autre  texte  [p.  69],  à  savoir 
la  passion  de  saint  Venance  de  Salone  [p.  72] .  Car  :  i.  Venant  de 
Camerino  donne  des  indications  topographiques  qui  s'ap- 
pliquent assez  bien  aux  environs  de  Salone  ;  2.  Les  noms  de  Ve- 
nantius  et  d'Anastasius  sont  des  noms  de  saints  dalmates  ; 
3.  Certains  détails  se  réfèrent  à  des  événements  historiques 
réels  [p.  72  et  74].  La  légende  de  Venance  de  Salone  était  fa- 
buleuse, mais  dérivait,  en  effet,  d'un  texte  authentique  [p.  74]  : 
le  roi  Antiochus  n'est  autre  que  Flavius  Antiochanus,  consul  de 
270,  préfet  de  Rome  sous  Aurélien  ;  si  Aurélien  n'a  pas  persé- 
cuté les  chrétiens,  un  usurpateur  dalmate  nommé  Septimius 
[Aurélius  Victor  :  Epit.  35J  a  pu  les  persécuter,  et  martyriser 
Venance  de  Salone.  Justement, une  des  versions  d'Agapet  conte 

1  Cf.  supra,  p.  27.  note  4. 


304  AGAPÊT    DR    PR^:NE8TE 

qn'Aiitiochus  lut  diass6  par  ses  sujets  et  tué  :  c'est  un  souvenir 
de  la  chute  et  de  la  mort  de  Septimius.  Justement,  encore,  une 
inscription  [C.  L.  I.,  m, 828]  semble  identifier  Septimius  et  An- 

tiochus.  .    . 

Ce  système  paraît  plus  ingénieux  que  solide.  L'inscription 
qu'on  apporte  n'a  aucune  attache  topographique  ou  chronolo- 
gique assurée;  l'interprétation  ni  la  lecture  n'en  sont  certaines. 

—  On  ne  sait  rien  de  Septimius  ni  de  ses  rapports  avec  les  chré- 
tiens. —  Le  nom  d'Anastasius  n'est  pas  spécifiquement  dalmate. 

—  On  n'est  guère  précis  touchant  les  indications  topographiques 
de  Venant  de  Camerino  qui  s'appliqueraient  «  assez  bien  »  aux 
environs  de  Salone.  —  Venant  de  Camerino  est  plus  homogène, 
dit-on,  ({xiAgapet  de  Préneste  :  j'en  conclurais  volontiers  que 
Vena?it  est  postérieur  à  ^^a/^é»/.  —  Le  roiAntiochus  rappelle  le 
persécuteur  des  Macchabées  plutôt  qu'un  consul  obscur.  Le  livre  I 
des  Macchabées  raconte  [1-6]  les  luttes  d'AntiochusVl  Epiphane 
[176-164]  contre  Mattathias,  Juda  et  ses  frères  ;  et  l'on  sait  le 
retentissement  de  cette  histoire  dans  l'imagination  chrétienne  : 
les  Macchabées  sont  le  type  des  martyrs  '. 

On  oublie  surtout  que  les  versions  d'Agapet  se  divisent  en 
deux  groupes  ;  et  que  celles  qui  ignorent  Anastase  sont  aussi 
homogènes  que  le  sont  en  général  les  textes  de  cette  nature  ; 
et  que  Thistoire  du  culte  de  Préneste  aux  environs  de  l'an  500 
et  les  translations  de  Jean  IV  éclairent  l'origine  des  unes  et  des 
autres.  Inutile  de  faire  intervenir  un  texte  dont  l'existence  même 
est  douteuse. 

1  s  E.  Le  cardinal  Rampolla  a  soutenu  naguère  que  les  reliques  des 
sept  frères  avaient  été  portées  d'Antioche  à  Constantioople  et  de  Constanti- 
nople  à  Rome  au  temps  de  Justinien.  Del  luogo  del  rnartirioedelsepolcro  dei 
Maccabei.  -  Roma.  Tip.  Vaticana.  1898.  -Cf.  Analec ta  iS9S.  3o6].  Quoiqu  U 
en  soit  de  la  réalité  de  ces  translations,  la  célébrité  de  1  histoire  des  Maccha- 
bées en  Occident  dès  le  vi*  siècle  ne  fait  pas  doute. 


Il 


APPENDICE  m 


SAINT  LAURENT  DE  SPOLÈTE  ET  SAINT  LAURENT 

DE  FARFA 


J'ai  publié  (p.  72)  un  texte  écrit  en  529,  qui  prétend  raconter 
Fhistoire  d'un  évêque  de  Spolète  appelé  Laurent. 

Les  Bollandistes  ont  analysé  (p.  64-65)  un  texte  qui  adapte 
à  Laurent  de  Spolète  la  légende  des  XII  Syriens. 

C'est  ce  Laurent  de  Spolète  qu'on  retrouve,  probablement 
dans  le  Laurent  auquel  la  tradition  de  Farfa  attribue  la  fonda- 
tion de  ce  monastère.  Voici,  à  ce  sujet,  quelques  textes  intéres- 
sants :  je  les  emprunte  tous  à  l'excellente  édition  du  Chronico7i 
Farfense  de  Grégoire  di  Gatino  que  nous  devons  à  Ugo  Balzani 
[tome  I,  Roma,  1903,  —  dans  les  Fonti  per  la  Slorta  dltalia 
publiés  sous  la  direction  de  c<  Tlstituto  Storico  italiano  »]. 

Grégoire  cite  un  privilège  accordé  par  le  pape  Jean  VI 
(701-705)  à  Thomas  de  Maurienne  ;  on  y  lit  ces  mots  : 

Venerabile  monasterium  sanctœ  Dei  genitricis  semperquc 
virgiiiis  Marias  quod  Laurenthis  quondam  episcopus  vene- 
randde  memoriœ  de  peregrinis  veniens  in  fundo  qui  dicitur 
Aciitianiis  territorii Sabiyiensis  constitnit ^  et  pr opter  religio- 
sam  eius  conversalionerriyet  divini  servitii  sedulitatem^  ibi- 
dem secum  co7iversantium,loca  qiiœdam  tam  emptu  quam  ex 
ohlatione  fidelium  acquisivit  [Balzani,  p.  128.  —  Cf.  le  Reges- 
tum  Farfense,  doc.  2.] 

Dans  le  Chronicoji  Grégoire  écrit  : 

...  Pater  noster  Laiirentius,  htdiis  sacri  cpenohii  œdificator 
lU  20 


306  s.    LAURENT    DK   SPOLÈTE 

primiis..,,  quando  de  terre  atque  cofjnatione  nua^  ft')C  est  de 
Siria  exivit...  in  hanc  Sabineiisem  provinciam  post  beatissi- 
morum  apostolorum  venit  adorata  limina,  in  qua  aliquantiH- 
percomrnoratuSy  dura  epnscopatus  konore  funger(Hiir...  secidi 
sublimia  sprevit,...  episcopatimi  deseruity  et  contemplât ivam 
vitam...  et...  monacfdcum  liumile  indumentum  accepit..; 
cum...  in  quodam  puteo,  loco  qui  dicitur  Aturianus  Sabi- 
nensis  provinrAœ^  imma?îissimus  tune  draco  habitaret... 
Laurentius  a  dominis  ipsius  loci  tam  vendicione  quam  con- 
cessione  eumdem  locum  accepit  et...  sevam  pepulit  Dornini 
virtute  omnipotentis  pestem...  deinde  in  uno  ex  his  quœ  ei 
tradita  vel  viendita  fuerant  loca^  idest  in  sito  cuius  vocabulus 
est  Acutianus,  una  cum  sua  germana  Susanna  monasterium 
hoc  in  honore  sanctse  Dei  genitricis  semperque  virginis  Ma- 
ride  et  sanctorum  Johannis  Baptiste  et  Johannis  E  rang  élis  tde^ 
idem  vir  Domini  Laurentius,  non  de  publico,  conslruxit..  ; 
quod  bene  idem  venerabilis  Laurentius  innotuit,  cum  in  isiius 
ecclesiœ  absida  tituium  posuit^  in  quo  refertur  ab  eo  et  Su- 
saniia  eius  germana  hoc  monasterium  non  de  publico  fuisse 
constructum..  ;  cum  autem...  diu  in  hoc  monasterio  certamen 
bonum  certassety...  ex  hoc  luce  migravit. 

Dans  son  Floriger,  Grégoire  revient  sur  Thistoire  de  Laurent 
et  livre  le  résultat  de  ses  dernières  recherches  : 

Quod  de  temporibus  saiictissimi  patris  nostri  Laurentii 
ante  gestis  beatorum  Euticii  et  Ysaac  aliorumque  sanctorum 
qui  eius  collegae  fuerunt  repperimus,  stilo  iam  veraci  profe- 
ramus.  denique  temporibus  Juliani  imperatoris  eratin partie 
bus  Syriœ  vir  vitœ  venerabilis  Anastasius  cum  duobus  fîliis 
siiis^  Bricio  scilicet  atque  Euticio..  ipatriam  relinquerunt..., 
cum  his  etiam  se  addiderunt  plurimij  maxime  nepotes  eo- 
rum  et  consanguinei  circiter  IX,  videlicet:  Ysaac,  JohanneSy 
Laurentius  y  Proculus,  Paractalis,  Vincentius,  Crispoiitus 
necnon  et  Herculanus.  Cum  quibus  et  Susanna  germana... 
Laurentii...  Romam  causa  orationis  advenerunt..  \episcopus 
Urbanus.».  Bricium  et  Carpo forum  ordinavit  presbiteros, 
Laurentium  et  Abu?idium  constituit  diaconos...  Tune  iniqui 
pagani  nuntiaverunt  Juliano . . ; prœcepit . . .  in  loco  ubi  dicitur 
Aquae  Salviœ.,.  caput  beati  Anastasii  abscidi...  Bricius  et 
Euticius...  venientes  in  viamCorneliam  ubi  dicitur  Pax San- 
ctorum... Euiicius  adBalzena  locaprimo  perrexit...  deinde... 
ad  locum  qui  Cample  dicitur  abiit...  Bricius  vero  et  Ysaac  at- 


ET    S.    LAURENT    DE    FA  RFA  307 

queJohamia^ad Spoletanamprofecti siint  iirbem...  et  monas- 
terui  ibidem  constru  {.rertint)..  Vi?îce?ilws  aiitem  Mevanœ 
episcopus...  Proculiis...  sub  oppido  Carsulaiio  monasterhim 
staluens...  Crispolitus  quoqiie  Vectojiœ...  Herculanus  autem 
Perusinœ...  Lafircnthis  vero  una  cum  sorore  sua...  Susarma 
Sabinesempetiti simt...  ;  episcopus.,.,  expulii  draconem,  in 
quo  videcelct  loco  cni  vocabtdum  est  Tnrianum,  ecclesiam 
construens...  post  hoc  autem  locum  reperiens  remotiorem 
ubi...  monasterium  elegerit^  cuius  vocabulum  est  casalis 
Acutianus...  :  construere  cœpit,  ut  conici  potest,  temporibus 
Gratiani  imperatoris. 

Le  récit  du  Floriger  repose  certainement  sur  une  version  cy- 
clique de  Laurent  qui  ditTère  sans  doute  de  la  version  analysée 
par  les  BoUandistes  [cf.  supra ^  p.  65]  :  la  version  du  Floriger 
paraît  ignorer  Gaïus.  —  Cette  version  mystérieuse  avait  été  ré- 
digée d'après  le  texte  du  Codex  Parisinus  5323  [cf.  supra, 
p.  78],  ou  d'après  un  texte  analogue  :  elle  s'intéresse  aux 
Aquds  Salviœ  et  ne  connaît  aucune  métropole.  —  Elle  modifiait 
cette  source  :  Euticius,  dit-elle,  quitte  le  pays  de  Bolsène  pour 
locum  qui  Cample  dicitur;  eWe  remplace  l'énigmatique  Sci- 
piodote  de  Victoria  par  Grispolitus  de  Bettona  [cf.  notre  obser- 
vation, p.  140,  note  3].  —  C'est  donc  à  cette  version  cyclique 
de  Laurent  utilisée  par  le  Floriger  que  se  rattache,  selon  toutes 
les  apparences,  notre  texte  de  Grispolitus  [cf.  supra,  p.  139]  : 
les  deux  textes  n'auraient-ils  pas  même  auteur?  La  version  du 
Floriger  ne  remonterait-elle  pas  au  vu*  siècle?  (La  chronologie, 
sans  doute,  est  propre  à  Grégoire). 

Le  récit  du  Chronicon  mentionne  la  Svrie  et  Susanne  ;  le 
texte  que  nous  avons  trouvé  dans  le  Vindobonensis  ignore 
l'une  et  l'autre  ;  la  version  du  Vindobonens  is  n'est  donc  pas  la 
source  du  Chronicon.  —  Cette  source  n'est  autre,  peut-être, 
que  la  tradition  locale.  Celle-ci  est  attestée,  au  seuil  même  du 
viii"  siècle,  par  le  diplôme  de  Jean  VI  ;  elle  semble  appuyée  par 
cette  inscription  de  l'abside  in  {qua)  refertur  ab  eo  et  Susanna 
eius  germana  hoc  monasterium  non  de  publico  fuisse  cons- 
tructum.  Peut-être  donc,  —  on  sait  la  valeur  du  témoignage 
de  Grégoire  —  Susanne  a-t-elle  une  réalité  historique.  Mais  il 
est  permis  de  croire  que  l'épisode  du  dragon  est  emprunté  à 
Sitvestre  (ou  à  un  texte  analogue  '.)  ;  que  l'origine  syrienne  de 

1  Anafolie-Victoire,  Paris,  Donat  (TEuria. 


308 


s.    LAURKNT    DK    SPOLETE 


Laurent  a  été  suggérée  par  l'histoire  d'isaac  ou  de  Jean  [cf. 
mpra,  p.  60-61 J  ;  et  que  le  personnage  est  identique  à  celui  que 
voulait  célébrer  l'hagiograplie  de  529  *. 

Cette  tradition  locale  s'exprimait  aussi  dans  la  Consirutio 
Farfensis  :  Grégoire  nous  l'apprend.  Lefjimus..,  in  autenticœ 
Constructionis  illius  prœmio^  quia  temporibus  Romanorum^ 
priusquam  Hitalia  gentUi  gladio  ferienda  iraderetur,  très 
viri  de  Siria  advenerunt,  scilicet  Ysaac  Johaniies  atque  Lau- 
rentius  cum  sua  germana  sorore  Susanna  de  quorum  primo 
duorum  b.  papa  Gregorius...  sic  in  Dialogorum  libro  tertio, 
capitula  decimoquarto,  mentionem  faciens  dit  ;...  ^ 


*  Je  m'explique  mal,  seulement,  comment  Geniolati  (Peniolatim)  s'appelle 
ci  Acutianus.  Feut-être  Laurent  de  Spolète  a-t-il  absorbé  un  Laurent  incounu, 
frère  d'une  Suzanne,  et  fondateur  véritable  du  monastère. 

Baizani  a  publié,  loco  citato,  p.  103,  un  sermon  inédit  sur  saint  Laurent.  — 
Cf.  aussi  Marino  Marini  ;  Série  croaologica  degli  abali  del  monastero  di 
Farfa.  Rome,  1836.  Mabillon  :  A.  SS.  0.  S.  B.,  i,  231,  anno  576. 

2  Cf.  le  Codex  ParisinusbS23  [supra,  p.  78-79,  note  1]. 


APPENDICE  IV 


SAINT  iEMILIANUS  DE  SPOLÈTR 
QUEL  ENDROIT  DÉSIGNENT  LES  TERMES  «  CIVITAS  LUGANA  » 


Une  lettre  de  saint  Grégoire,  adressée  à  Félix,  évêque  d'Agro- 
poli,  en  juillet  592,  lui  confie  le  soin  de  visiter  les  églises  de 
Vélie  (Gastellemare  délia  Brucca?),  de  Buxentum  (Gapo  sella 
Foresta?près  Policastro)  et  de  Blanda  (Porto  di  Sapri)  :  Agro- 
poli est  resté  byzantin,  tandis  que  les  trois  autres  églises  ont  été 
conquises  par  les  Lombards  |  Diehl,  p.  75]. 

Qtioniam  Velina,  Buxentina^  et  Blandana  ecclesiœ^  qudetibi 
in  viciiio  sunt  conslitutœy  sacerdotis  iioscuntiir  vacare  regi- 
miney  proptevea  fraternitali  tuœ  earum  solemniter  operam 
visitationis  iniungimus  [Hartmann,  ii,  42.  p.  141]. 

D'autre  part,  c'est  à  Agropoli  que  s'est  réfugié  l'évêque  de 
Pœstum  [Duchesne,  Mélanges,  1903,  108J. 

Enfin,  voici  comment  s'ouvre  la  lettre  de  Grégoire  à  Fé- 
lix : 

Gregorius  Felici episcopo  de  Acropoli  «  visitatori provinciîe 
Lucanise  ». 

Ce  titre  de  visita tor  provinciœ  ne  se  retrouve  nulle  part 
ailleurs  [Hartmann,  p.  141,  note].  A-t-il  une  valeur  authen- 
tique? A-t-il  été  formulé  d'après  le  contenu  de  la  lettre,  connue 
pense  Hartmann,  par  un  scribe  ? 

En  fait,  il  est  certain  qu'Agropoli  est  devenu  le  centre  reli- 
gieux de  la  Lucanie  ;  j'ajoute  :  en  fait  et  en  droit,  puisque  c'est 


310 


s.     TRMILfANUS 


l'évêque  d'Agropoli  qui  a  mission,  officiellement,  de  s'occuper 
des  églises  voisines.  Sans  doute  Pa^stum,  Potenza,  Grumentum 
et  Marcelliana  ne  lui  sont  pas  officiellement  rattachés  au  mo- 
ment oà  écrit  Grégoire,  septembre  592.  Mais  combien  de 
temps  cette  situation  a-t-elle  duré?  Ktant  donné  la  fuite  de 
l'évêque  de  Paestum  à  Agropoli,  on  peut  croire  que,  à  la  mort 
de  cet  évêque,  son  église  fut  confiée  au  titulaire  d'Agropoli,  qui 
est  tout  proche  de  Paestum.  Depuis  le  temps  de  Pelage  1  |  Jall'é, 
1015,  1017],  on  ne  sait  rien  ^  des  églises  de  la  Lucanie  in- 
térieure :  il  est  probable  qu'elles  furent  détruites  par  les  Lom- 
bards ;  il  est  probable  encore,  mais  non  certain,  qu'elles  furent 
rattachées  à  Agropoli.  Ne  se  trouvent-elles  pas  dans  la  même 
province  que  cette  ville  ;  et  n'en  sont-elles  pas  aussi  près  que 
des  églises  de  Tarente,...  d'où  les  séparaient,  de  bonne  heure, 
semble -t- il,  les  Lombards  de  Oénévent  établis  dans  la  vallée  de 
Bradanus  ? 

Si  le  terme  visitator  provinciœ  Lucanide  ne  remonte  pas  à 
l'année  592,  il  peut  refléter  une  situation  de  peu  postérieure  à 
cette  date.  Le  concile  de  649  nous  atteste,  ici  comme  ailleurs, 
une  résurrection  des  églises  locales  (Pœstum,  Buxentum,  Blanda). 

On  comprendrait  donc  bien  que,  entre  592  et  649,  on  ait  désigné 
Agropoli  par  les  mots  civitas  lucana.  C'est  Agropoli  que  dési- 
gnerait l'auteur  ^ Mmilianus  par  les  mots  civitas  lucana. 
11  faudrait  renoncer,  alors,  à  reconnaître  le  Clitumne  dans  le 
mystérieux  Cleoton  des  gestes. 

Mais  il  est  clair  que  la  localisation  d'^Emilianus  à  AgropoU 
est  fictive  :  l'explication  que  nous  avons  donnée  de  la  légende 
nous  oblige  à  le  croire  ;  ses  rapports  avec  les  textes  ombriens, 
du  reste,  sont  très  apparents. 

Et  j'insiste  sur  le  rapport  qui  raconte  l'élévation  du  saint  à 
lepiscopat.  Les  Spolétains  l'envoient  à  Agropoli  (?)  ;  sur  le  con- 
seil des  Spolétains  les  Anchi  (Anicii?)  d'Agropoli  (?)  deman- 
dent la  nomination  à  Rome  ^,  et  cest  Rome  qui  raccorde.  Il 
y  a  donc,  au  moment  où  écrit  l'anonyme,  bon  accord  entre 
Rome  et  Spolète.  —  On  sait,  d'autre  part,  la  politique  de  Gré- 
goire le  Grand  et  de  Théodeiinde  (+628)  qui,  contrariée  par. 
Maurice,  triomphe  quelque  temps  lorsque  règne  Adaloald,  616- ; 

1  Une  lettre  de  Grégoire  [juillet  599.  —  Hartmauu,  xi,  209.  tome  II,  195]1 
atteste  que,  à  cette  date,  uq  serf  de  Téglise  de  Sainte-Marie,  à  Grumeutum,] 
réside  eu  Sicile.  —  Ce  qui  concorde  bien  avec  notre  liypotlièse. 

^  Cf.  Félicien,  supra,  p.  82. 


ET    LA    CIVITAS   LUC  AN  A  311 

626  :  paix  entre  l'empire  et  les  Lombards  préparant  l'entrée  des 
Lombards  au  sein  de  TEglise  et  de  l'empire.  Je  renvoie  à  la 
correspondance  de  saint  Grégoire  et  à  ce  passage  de  Paul 
diacre,  iv,  41  : 

Sfib  /lis  {Adaloald et  Teudelinda  matre)  ecclesix  restauratœ 
siint  et  midtse  dationes  per  loca  veiwrabilia  largitse  [Wailz, 
133]. 

Qui  ^2\X  û  ^milianus  x\Q  date  pas  du  règne  d'Adaloald?' 

—  P.  110.  Rapprocher  le  dieu  Galien,  que  mentionne  JEmilia- 
71U.S,  du  dieu  Galenos  (?)  que  Ton  rencontre  dans  Euplus  E 
[G.  M.  R.,  11,  181].  Ici  et  là,  il  s'agit  d'un  dieu  guérisseur,  tel 
qu'Esculape,  et  qui  n'est  autre,  évidemment,  que  le  fameux 
médecin  Galien  [pareillement,  jEmilianus  nomme  Hippo- 
crate].  Y  aurait-il  un  rapport  entre  Euplus  E  et  JEmilia- 
nusl 

—  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  rapport  entre  notre  saint  et  le  con- 
sul ^milianus  qui  apparaît  dans  Calocère-Partfienius 
[19  mai  301,  §)^  1-2].  Noter  pourtant  que  les  héros  des  deux 
légendes  sont  Arméniens  :  n'est-ce  pas  en  souvenir  de  Calo- 
cère  et  Parthenius  qu'on  a  attribué  cette  origine  au  saint  de 
Spolète  ? 

1  Je  rappelle  que  Grégoire  le  Graod  avait  un  notaire  appelé  jEmilianus 
[cf.  supra,  p.  114,  note  2].  —  Mais  voici  une  difticulté.  Comment  expliquer 
que  Maximien  Augustics  Tusciœ  ait  autorité  sur  la  civitas  lucanu  ?  L'auteur, 
qui  écrit  en  Ombrie  Tuscie,  a  eu,  sans  doute,  une  distraction. 

Sur  la  réaction  arienne  et  lombarde  d'Arioald,  cl.  Hartmann,  ii,  1.207-209, 
et  Bethmauu  Holder-Egger  :  Langobnrdische  Hegesten  [Neues  Archiv.,  lu, 
236]. 


I 


APPENDICE  V 


DE  L'INFLUENCE  DES  PATRIMOINES  DE  L'ÉGLISE  ROMAINE 
SUR  LES  LÉGENDES  ITALIENNES 


On  a  vu  plus  haut,  p.  10  et  p.  48,  que  trois  basiliques  ro- 
maines possédaient  des  terres  près  Baccano  et  près  Laurente  : 
ce  qui  explique  sans  doute  les  points  de  contact  des  légendes  de 
Laurente  et  de  Baccano  avec  les  gestes  romains. 

On  a  vu  encore,  G.  M.  R.,  ii,  177,  199,  201,  que  l'introduc- 
tion à  Rome  des  cultes  de  Vitus  et  d'Agathe  s'explique  sans 
doute  par  les  patrimoines  lucanien  et  sicilien  de  l'église  ro- 
maine *  ;  et  de  même  l'introduction  du  culte  de  Vitus  en  Si- 
cile, et  du  culte  d'Agathe  à  Palerme  ^ 

On  entrevoit  quelques  autres  faits  analogues. 

Agapet  B  nous  rappelle  beaucoup  Vitus  [cf.  supra,  p.  27]  et 
s'intéresse  aux  questions  de  patrimoine.  Or,  l'église  romaine 
avait  un  patrimoine  près  Préneste  [Jaffé,  951.  — P.  L.,  09. 
417.  —  Fabre,    77-79]. 

*  Sur  les  patrimoines,  je  renvoie  à  l'excellent  mémoire  de  Paul  Fabre, 
De  patrimoniis  Romanx  Ecclesix  usque  od  selatem  Curolinorum  [IusuIîe, 
1892J,  et  à  Hartmann,  ii,  1,137  ;i,  285,  293.  299;  ii,  1,141;  ii,  2,  112  et  pas- 
sim. 

2  Je  n'ai  pas  indiqué,  G.  M.  R.,  ii,  201,  la  date  des  versions  latines  qu'on 
est  en  droit  de  supposer  derrière  les  deux  textes  grecs  d'Agathe.  S'il  était  as- 
suré que  la  division  en  deux  cercles  du  patrimoiue  sicilien  date,  comme  il 
semble,  de  saint  Grégoire,  c'est  de  cette  époque  qu'on  pourrait,  presque  sû- 
rement, dater  ces  versions  [Cf.  Tefflorescence  du  cuite  à  ce  moment,  G.  M. 
R.,  Il,  198]. 


314  LES  PATRIMOINES  KT  LES  LEGENDES 

Aiit/iime  [s?/pra,  p.  50,  n°  Ij  et  Victorin-Sttverin  [supra, 
p.  278J  nous  conduisent  près  d'Osimo.  11  semble  bien  que  l'é- 
glise romaine  possédait  de  ce  côté  des  terres  qui  faisaient  partie 
du  patrimoine  picénate  [Fabre,    8'i-84]. 

LesX/7  Syriens  [supra^  p.  6G]  nous  parlent  du  GastrumCar- 
sulanum,  à  propos  de  Proculus  [p.  73].  L'église  romaine  possé- 
dait justement  un  patrimonium  Savinense  atque  Cartioianrun 
[Epist.  Gregorii,  m,  21  de  février  593.  —  Hartmann,  i,  179; 
cf.  L.  P.,  I,  428  et  Fabre  :  75-77J,  qui  fut  fameux  au  temps 
d'Hadrien  et  de  Charlemagne.  —  Les  moines  de  Farfa  y  devin- 
rent très  puissants,  de  bonne  heure  peut-être. 

Gratilianus-Felicissima  [supra,  p.  147]  nous  rappelle  la 
massa  gratiliana  qui  est  attestée  au  temps  de  Grégoire  etd'Ho- 
norius  [Jaffé,  1621  et  2031],  et  qui  faisait  certainement  partie, 
au  VII®  siècle,  du  patrimoine  de  Tuscie. 

Les  légendes  de  Tuscie  et  d'Ombrie  prolongent,  au  cours  du 
vii^  siècle,  je  l'ai  montré  en  détail,  le  mouvement  légendaire  ro- 
main. —  On  croit,  d'autre  part,  noter  un  curieux  essor  du  patri- 
moine de  Tuscie  au  cours  du  vu®  siècle  '  :  il  fut  tel  qu'on  dut  en 
renforcer  l'administration^  en  dédoublant  la  circonscription.  Les 
deux  faits  s'appuient  mutuellement  :  chacun  témoigne  de  la  vi- 
vante influence  del'égiise  romaine  à  cette  époque  en  ces  pays. 

Les  patrimoines  de  l'église  romaine  ont  exercé  une  action  sur 
la  légende  italienne  ;  si  nous  ne  pouvons  pas  encore  en  marquer 
l'extension,  du  moins  pouvons-nous  en  apercevoir  l'existence. 
Les  membres  de  l'administration  patriinoniale  ont  fait  connaître 
au  dehors  les  gestes  romains,  à  Rome  les  cultes  italiens  :  peut- 
être  en  ont-ils  parfois  célébré  les  héros. 


1  Fabre  :  p.  73-74.  Le  dédoublement  de    ce   patrimoine    n'est   attesté  qu'au 
début  du  viiie  siècle.  Sans  doute  remonte-t-ii  au  siècle  précédent. 


APPENDICE  VI 


QUELQUES  AUDITIONS  ET  CORRECTIOiNS 


P.  17.  —  Hedestus,  Une  église  consacrée  à  saint  Hedestus,  sur 
la  voie  Ardéatine,  est  signalée  par  le  Liber  Pontilicalis,  notice 
d'Hadrien  1  [772-795]  :  Huius  temporibus  defunctus  Leoni- 
nus  consul  et  dux...  très  iincias  masse  Aratiane...  sitas  ab 
hac  Romana  urbe  miliario  XVI,  via  Ardealina^  in  qno  et 
eçclesia  beati  Edisti  esse  dinoscitnr...  [Duchesne,  i,  505]. 

Sur  cette  église,  cf.  Tomasetti  :  Arch.  Rom.,  ii,  403  [d'après 
DuchesLie,  L.  P.»  i,  519,  note  75]. 

P.  82.  —  Graton,  qui  apparaît  dans  Valent  in  de  Terni,  est 
emprunté  sans  doute  aux  légendes  apostoliques.  N'en  serait- 
il  pas  de  même  de  cetteMygdonia  qui  intervient  dansZ>^/??niV> 
[Zeiller  :  Origines  chrétiennes....  de  Dalmatie,  1906, p.  28]  : 
le  nom  se  lit  dans  les  actes  de  l'apôlre  saint  Thomas  ;  c'est  la 
femme  de  Gharisius  [Lipsius,  Die  apokryphen  Apostelges- 
chichten  und  Apostellegoiden,  i,  143,  231,236,  239,  261, 
334. j  Et,  à  ce  propos,  est-il  sur  que  Domnio  date  du  x®  siècle  ? 

P.  44.  —  Constantius.  Supprimer  les  mots  :  «  ni  même  d'un 
évêché  »  (ligne  9  ab  imo,  gros  texte).  Mgr  Duchesne  cite  un 
évêchédeSpello  qui  disparut  [)Our  jamais, en  même  temps  que 
celui  de  Bétonna,  à  l'époque  lombarde[i/é/fl^«^^5,1903,94,95]. 
—  Constantius  B%^i  dès  lors  à  rapprocher  de  Félicien  de  Fo- 


316  ADDITIONS 

gno  (ou  de  Forum  Flaminii)  ;  Fidïx  de  Spello  en  est  indé- 
pendant. Par  malheur,  nous  ignorons  tout  de  la  ruine  de 
Spello,  comme  de  la  ruine  de  Foligno,  de  Forum  Flaminii  et  de 
Bettona.  Nos  légendes  sont  évidemment  antérieures  au  temps 
oii  ces  ruines  furent  définitivement  consommées  ;  elles  re- 
flètent sans  doute  des  efforts  de  restauration.  Faut-il  songer 
au  temps  de  Rothari  ? 

P.  50.  —  Anthime.  Une  église  consacrée  à  saint  Anthime,  sur 
le  territoire  de  Cures,  en  Sabine,  est  attestée  par  une  lettre 
de  saint  Grégoire  à  l'évêque  de  Numentum,  Gratiosus  [jan- 
vier 593]  :  Fî^aternitati tuœ  curam  gubernationemque  sancti 
Anthemi  eeclesiœ,  Curium  Savinorum  territorio  consti- 
tutae^  praevidimus  commit endam,  quam  tuœ  ecclesiœ  ad- 
gregari  unirique  necesse  ^^/...[Hartinan,  ii,  178]. 

Sur  Cures,  cf.  Balzani  e  Giorgi  :  Regesto  di  Far  fa  [Roma, 
1880,  sq.],  Tomasetti  :  Arch,  délia  società  romana^  xi,  150  ; 
Jung,  Grundriss  der  Géographie.,.  (1897),  40-43. 

P.  61.  —  Jean  Penarie/isis.  De  l'attitude  d'Isaac  et  de  Valentin 
[cf.  p.  31]  lorsqu'ils  guérissent  les  démoniaques  ou  les  morts, 
rapprocher  celle  de  saint  Benoît,  Dialogi^UyS^f  P.  L.,  66.192. 

P.  69-70.  — ^^rc^//a;2?/.9.  Du  supplice  infligé  à  Herculaniis,  rap- 
procher ce  texte  du  Liber  PonlificaliSy  h  peu  près  contem- 
porain :  je  le  lis  dans  la  notice  de  Vigile,  537-555.  Quand 
Théodora  charge  Anthemus  d'enlever  \igile,  elle  ajoute  : 
?îam  per  viventem  in  sœcula  excoriari  te  facio [L.  P.,i,297]. 

P.  76.  —  XII  Syrie?is,  Noter  qu'Eugène  I  s'est  laissé  «  élire  et 
consacrer,  alors  que  Martin  n'était  ni  mort,  ni  déposé,  même 
irrégulièrement  »  [Duchesne,  L.  P.,i,342,  note]. Mais  il  change 
bientôt  d'attitude  :  dès  septembre  656,  on  le  menace  de  le 
traiter  comme  Martin,  [P.  L.  129.  653].  Peut-être  s'est-il  en- 
tendu avec  Aripert,  653-661, le  neveu  de  Théodelinde  que  les 
Lombards  ont  poussé  au  trône,  afin,  sans  doute,  de  faciliter 
leur  établissement  à  Rome,  —  comme  Martin  s'est  entendu 
avec  l'exarque  révolté  Olympius. 

La  rédaction  cyclique  serait  donc  antérieure  au  revirement 
d'Eugène  et  daterait  par  conséquent  de  653-656. 


ADDITIONS 


317 


P.  77. — XII  Syîie?is.ï)es  prétentions  métropolitaines  de  Spolète, 
Spello, Forum  Flaminii,  en  terre  lombarde, rapprocher  les  pré- 
tentions ((  autocéphales  »  de  Uavenne,  en  terre  impériale  (et 
l'œuvre  deMaurus,  642-660.  —  Cf.  L.  P.,  i,  348,  349,  note). 
Des  deux  côtés,  c  est  le  diocèse  suburbicaire  qui  est  menacé. 
[Noter  que  Home  soustrait  à  Milan  et  se  rattache  Pavie.  L. 
P.,  1,  395,  note  27.] 

Certains  évêques  —  tel,  l'évoque  de  Cagliari  au  temps  de 
saint  Grégoire  —  ont  le  titre  de  métropolitain  et  une  certaine 
autorité  sur  les  évêques  d'un  pays,  sans  avoir  pour  cela  le  droit 
de  les  ordonner  [Epist.  ix,8;  x,  16,  17, Cf.  Duchesne,L.  P.,  i, 
367,  note  6]. 

Rapprocher  encore  des  prétentions  métropolitaines  de  Spolète, 
les  aspirations  de  Lyon  au  patriarcat  des  Gaules  [Duchesne  : 
Fasles,  i,  138],  de  Constantinople  au  titre  d'église  œcuméni- 
que [concile  de  588  ;  conflit  de  Grégoire  le  Grand  et  de  Jean 
le  Jeûneur  ;  décret  de  607].  Il  est  très  clair  que  saint  Augustin 
de  Cantorbéry,  l'organisateur  de  l'Eglise  anglaise,  espérait 
obtenir  juridictioii  sur  les  Gaules  aussi  bien  que  sur  l'An- 
gleterre [cf.  la  curieuse  réponse  de  Grégoire,  juillet  601. 
Hartmann,  ix,  56'_,  §7,  tome  II,  p.  337].  L'anarchie  politique 
qui  s'étend  un  peu  partout  semble  avoir  indirectement  affaibli 
l'autorité  du  pouvoir  central,  la  papauté,  solidaire  de  Tempire 
depuis  tant  d'années  —  et  favorisé  les  ambitions  ecclésiastiques 
locales.  On  sait  quelles  raisons  particulières  s'ajoutent  à  cette 
cause  générale  pour  favoriser  l'œuvre  byzantine. 

P. 78-79. —  XI J  Sy?ne?îs. y 3i[  dit  que  la  rédaction  cyclique  de  cette 
légende  date  du  milieu  du  vii^  siècle  environ  et  qu'il  faut 
chercher  son  auteur  dans  le  monde  de  l'administration  ponti- 
ficale. 

Voici  un  fait  qui  confirme  l'hypothèse.  Julien  revenant  au  paga- 
nisme est  comparé  au  chien  revenant  h  son  vomissement  : 

Qui  Julianus post  residuum  iempus  ad  arma  bellica  imperiali 
sede  resedit  et  reversas  est  sicut  canis  ad  vomitum  suum  et 
persccutor  factus  est  christianorum  »  [1*' juillet  tract  prœl., 

8,  §  1]. 
Or,voici  ce  que  je  lis  dans  le  Liber  Po?itificalis,  dans  la  notice  du 

pape  Théodore,  642-649, le  successeur  de  Jean  IV  le  Daimate  : 
Postea  rursus  more  canis  ad  proprium  impietatis  voMrrUM 

reppedavit  {Pyrrhus)  [L.  P.,  i,  332J. 


318 


ADDITIONS 


Or,  Ip,  rédacteur  po72ti/îcal  reprodinl  texhfoll^wont  ici  une 
phrase  du  discours  tenu  par  le  pape  Martin  le  .)  octobre  6i!) 
flVIansi,  x,  878;  et  Hardouin,  m,  009;  d'après  Duchesnf^, 
L.  P.,  I,  334,  note?]. 

Cette  citation  semble  être  extrêmement  rare  dans  les  légendes 
italiennes. 

On  est  donc  en  droit  de  penser  que  le  rédacteur  du  texte  cyclique 
des  X//5î/r?>;?5Pa  empruntée,  soit  au  discours  du  pape  Mar- 
tin, directement,  soit  au  texte  du  Liber  Pontificalis  :  puis- 
qu'il est  hostile  à  Eugène,  c'est  donc  qu'il  est  favorable  à 
Martin  ;  rien  d'étonnant  à  ce  qu'il  connaisse  son  histoire. 

P.  87-  —  Sabinus.  Deux  traits  analogues  se  lisent  dans  Sabinus 
et  dans  Eiisèbe  et  Pontien  ;  ici  et  là,  l'anonyme  retrace  une 
scène  populaire  et  donne  le  compte  des  acclamations  qui  saluent 
l'empereur  ;  ici  et  là,  on  fait  allusion  à  une  relique  d'un  martyr, 
recueillie  de  même  manière  [les  mains  coupées  de  Sabinus  ;  la 
langue  coupée  d'Eusèbe]. 

J'ajoute  que  Terentianus  Z),  qui  nous  a  paru  très  étroitement 
apparenté  à  Sabinus,  présente  un  détail  qui  se  retrouve  dans 
Eusèbe-Pontien  ;  après  qu'on  lui  a  coupé  la  langue,  Teren- 
tianus crie  :  gloria  tibi,  Deus  [cf.  supra,  p.  121]  ;  après 
que  Vitellius  a  fait  couper  la  langue  d'Eusèbe,  celui-ci  s'écrie  ; 
(jloria  tibi  Domine  Jesu  Christe  [25  août,  116,  §  8].  Com- 
parer le  supplice  des  mains  coupées  [Sabi?îiis,  Alexandre], 
avec  le  supplice  de  la  langue  coupée  [^Eusèbe-Pontien,  Fe- 
rentianus\. 

Nouvelle  preuve  de  l'influence  des  gestes  romains  sur  la  lé- 
gende ombrienne. 

Noter  encore  que  la  dénonciation  de  Sabinus  rappelle  pareil  in- 
cident qui  se  rencontre  dans  les  Martyrs  grecs. 

P.  99.  —  Grégoire  de  Spolète.  L'invocation  Deus  Abraham, 
Deus  Isaac,  Deus  Jacob^  Deus  Patrum,  nostrorum  qui  se  lit 
dans  Grégoire,  Jean  Penariensis,  Constantius  A,  Vit  us, 
etc..  vient  de  la  Genèse,  xxviii,  13  ;  xxxii^  9  ;  xlviii,15...], 
ou  plutôt,  sans  doute  [G.  M.  R.,  i,  361-362],  des  Actes  des 
Apôtres  [m,  a3  ;  vu,  32], 

Les  païens  eux-mêmes  lui  attribuaient  une  valeur  magique  [Ori- 
gène  :  Co?itraCelsum,i,  22,  P.  G.,  11, 698...  ;  de  la  Blan- 
chère  :  Collections  du  musée  Alaoui,  1890,  103]. 


J 


ADDITIONS  319 

Les  chrétiens  l'ont  inséi'ée  dans  leur  liturgie.  Si  on  la  cherche 
en  vain  dans  le  Sacramentairc  Léonien,  on  la  trouve  dans  le 
Sacramentaire  gélasien\^m^ion  :  Liturgia  romana  vetus^ 
I,  536],  etc.. 

Pour  plus  de  détails,  cf.  1).  A.  G.,  i,  1,  121  (article  de  Cabrol). 
Le  rythme  ternaire  de  l'invocation,  justifié  plus  tard  par  le 
dog'ne  de  la  Sainte-Trinité,  se  retrouve  ailleurs  [cf.  supra, 
p.  154,  note  IJ. 

P.  106.  — Vinceiit  de  Bevagna  rappelle  Sabbma  et  Grégoire. 
Rien  d'étonnant  à  cela  :  c'est  l'évêque  de  Spolète,  Chrysanthe, 
qui  est  chargé  du  soin  de  visiter  l'église  de  Bevagna  [di.  supra, 
p.  77,  note  4.  —  Dans  l'édition  Marimann,  la  lettre  de 
saint  Grégoire  porte  le  numéro  166  du  livre  IX].  --  Bevagna 
paraît  au  concile  de  649  [Uuchesne  :  Mélanges...  1903  ,  95]. 
Le  texte  date-t-il  de  ce  temps  ? 

P.  125. —  Cassien.  L'anonyme  invoque  l'exemple  d'Athanase, 
Jérôme  et  Sévère,  qui  ont  raconté  la  vie  de  Paul,  Antoine,  et 
Martin.  —  Pareillement,  je  lis  dans  la  vie  de  Golomban 
écrite  par  Jonas  : 

Quorum  beatus  Alltanasius  Antoniijiieronimus  Pauli  et  Hi- 
larionis  vel  ceterorum  quos  cultus  bonss  vitœ  laudabiles 
reddebat,  Postumianus  vero,  Severus  et  Gallus  Martini 
egregide  nostris  eorum  memoriam  dimisere  sœclis,,.\]Lv\x^ch 
S.  R.  M.,  IV,  65-66]. 

Je  crois  que  cette  coïncidence  partielle  s'explique  par  l'identité 
de  situation  des  deux  hagiographes.  —  Comparer  encore  les 
vers  qu'on  rencontre  dRnsyEmitia?îus,  cf.  supra,]).  112,  avec 
les  vers  qu'on  lit  dans  la  Vifa  Columbani  [Kausch,  p.  C)Q- 
67]. 

P.  137.  —  Crescentius.  L'anonyme  confond  Pépin  le  Bref  et 
Gharlemagne.  — Pareillement  Jonas  confond  Sigebertet  Chil- 
debert  11  [Vita  Columbani,    6,  18]. 

P.  ihi.-  Eufgchius.  La  croyance  que  la  fin  du  monde  était  toute 
proche  était  encore  très  vivante  au  temps  de  saint  Grégoire, 
notamment  dans  son  âme.  Cf. à  titre  d'exemple,  Hartmann,  v, 
39,  tome  l,  p.  327  :  sei  in  hac  eius  superbia  quid  aliud 
nisi  propinqua  iam  Antickristi  esse  tempora  designantur? 


320  ADDITIONS 

[lettre  à  Gonstantina,  1  juin  595];  v,  44,  t.  I,  p.  341  :  «  Cerle 
olim  clamalur per  apostolum  :  Filioli^  novissina  hora  est, 
seciindum  quod  veritas  prœdixit.  Peatilentia  et  gladius 
mundum  sœvit,  gentes  insurgnnf.  gentibus.,.  Omnia  quœ 
prœdicta  sunt  fiunt.  Rex  superbix  prope  est...  [lettre  à 
Jean  le  Jeûneur].  —  Pour  plus  de  détails,  cf.  Galligaris  :  San 
Gregorio  Magno  e  le  paure  del  finimondo  [Atti  délia  r. 
Accad.  délie  scienze  di  Torino.  5  janvier  1896,  p.  264]. 

P.  12,  14,  96,  102, 162, 164.  — Alexandre^  Sahinus,  Pontien^ 
Irénée  de  Chiusi.  Certaines  particularités  de  ces  textes  sug- 
gèrent l'idée  que  les  cimetières  furent  réorganisés  après  la 
guerre  gothique.  Cette  idée  trouve  un  appui  dans  le  texte 
suivant  du  Liber  Pontificalis^  notice  de  Jean  II I^  561-574  : 
Bic  amavit  et  restauravit  cymiteria  sanctorum  martyrum. 
[L.  P.,  I,  305, 306,  note  1  ;  —  de  Rossi  :  R.  S ,,  i,  218  ;  m,  527]. 

—  Chap  XII.  Saint  Grégoire  fait  naturellement  penser  à  saint  Be- 
noît. Y  a-t-il  quelques  points  de  contact  entre  nos  légendes  et 
la  fameuse  Règle  .^On  retrouve,  peut-être,  son  influence  dans 
les  faits  suivants  :  1.  Vincent  de  Bevagna  cite  «l'Heptateu- 
que  ))\  comme  saint  Benoit^  ch.  xlii,  p.  44.  Wœlfflin  ;  —  2. 
L'emploi  inattendu  de  correptio,  da^us  JîJmilianns  {initio)^ 
rappelle  que  ce  terme  est  fréquemment  employé  dans  la 
Règle  ;  —  3.  L'hostilité  de  l'auteur  de  Victorin  Séverin  pour 
les  moines  gyrovagues  rappelle  celle  qui  anime  saint  Benoît, 
comme  saint  Grégoire  ;  —  4.  La  Règle  fait  allusion,  ch.  lxi, 
Lxix, aux  moines  étrangers  qui  arrivent  de  longinquis  provin- 
ciis.  Cela  nous  rappelle  nos  apôtres  de  i'Ombrie,  syriens, 
assyriens  et  arméniens. Nous  avions  déjà  soupçonné,  d'ailleurs, 
que  certains  gestes  avaient  été  rédigés  dans  des  monastères. 

On  sait, en  revanche,  que  la  phrase:  voluntas  habet  pœnam, 
?iecessitas  parit  coronam  a  été  empruntée  par  saint  Benoît 
à  la  passion  d'Iréné  [Ed.  Schmidt  :  Studien  aus  dem  bene. 
Orden.,i,  1884,  340].  La  fréquence  des  expressions  militaires 
[préface,  p.  1,  4  ;  ch.  i,  p.  8  ;  ii,p.  10  ;  LViii,p.56  ;  lxi, p.  60] 
ne  trahit-elle  pas  la  lecture  des  actes  des  martyrs  militaires, 
Jules,  par  exemple^  ou  Marcien  et  Nicandre  [G.  M.  R,  ii,  243. 
Cf.  Harnack  :  Mititia  Christ,  Tubingen,  1905,  pour  les  trois 
premiers  siècles]. 

1  Ce  mol  se  retrouve  daus  S.  Grégoire  :  Ep.  ii.  38.  p.  109.  M.  G, 


1 


TABLE  DES  xMATlEHES 


Prbface 


CHAPITRE  PHEMIEH 

TRADITIONS   DE    LA    CAMPAGNE   ROMAINE 
LES     SAINTS     ALEXANDRE,     HEDESTUS,     AGAPET 

Le  mouvement  littéraire  implanté  à  Rome  s'est-il  propagé  dans  le  duclié  de 
Rome  p.  1  ?  Les  légendes  de  la  campagne  romaine,  p.  2. 

I.  —  Légende  d'Alexandre  de  Baccano,  p.  2  :  analyse  de  la  version  de 
Vienne,  p.  2.  La  version  bollandiste,  p.  4,  et  la  version  d'Adon,  p.  5.  — 
La  légende  commune  aux  trois  textes,  p.  5  :  elle  prêche  la  nécessité  du 
baptême,  insiste  sur  son  authenticité,  s'intéresse  à  la  question  de  la  fuite, 
Ses  points  de  contact  avec  les  actes  africains,  romains,' grecs  et  cisal- 
pins, p.  6.  Les  démons  figurés  par  les  Egyptiens,  p.  8.  Les  récits  des  morts 
ressuscites,  réplique  des  mythes  païens,  p.  9.  —  La  tradition  locale  de 
Baccano,  p.  9  ;  la  villa  de  Pescennius  Niger  ;  le  fundus  Antonianus  pro- 
priété de  l'église  saint  Marc  ;  une  église  de  l'an  321.  —  Rapports  mutuels  des 
trois  textes,  p.  11.  La  fête  de  la  dédicace,  p.  12.  La  dualité  des  tom- 
beaux, p.  12. 

II.  —  Légende  d'Hedestus  de  Laurente,  p.  16  :  analyse  du  texte.  Histoire  de 
Laurente,  p.  17  :  la  civitas  et  le  viens.  La  villa  impériale,  p.  19.  Laurente  et 
la  guerre  gothique,  p.  19.  —  Rapport  d'Hedestus  avec  Alexandre  de  Bac- 
cano, p.  20,  avec  les  quatre  Couronnés  et  avec  Clément. 

III.  —  Légende  d'Agapet  de  Préneste  :  analyse  du  texte  de  Mombritius,  p.  21. 
Les  quatre  autres  versions,  p.  23.  Elles  se  divisent  en  deux  classes,  p.  24. 
Origine  et  date  de  la  seconde  classe  de  textes,  p.  24  :  le  pape  Jean  IV  et  la 
translation  des  martyrs  dalmates  ;  la  réorganisation  ecclésiastique  au  temps 
de  Rothari,  p.  25;  la  translation  d'Anastase  le  Perse,  —  Origine  et  date  de 
la  première  classe  de  textes,  p.  24  :  l'église  romaine  d'Agapet  construite  par 
Félix  IV,  le  pape  Agapet  ;  le  texte  primitif,  p.  27. 

m  21 


322 


TABLE    DES    MATIKFŒS 


CIIAPITHE    II 


TRADITIOWS    D    OMBRIE 
LES  SAINTS   VALENTIN,    COWCORDIUS,   C0R8TAWTIDS  ET  AIfTHIME 

I.  —  Légende  de  Valentin  de  Terni  :  analyse  du  texte,  p.  29.  Il  est  parent 
d'Alexandre  de  Baccano,  p.  31,  de  Getulius,  p.  32,  de  iMaris,  p.  33,  de  Cé- 
saire  ;  gestes  de  Valentin  de  Terracinp,  p.  34  ;  Valentin  et  Cômc  l)a- 
mien,  p.  35.  Son  auteur  est  à  chercher  dans  l'entourage  de  Vigile, 

II.  —  Légende  de  Concordius  de  Spolète  :  analyse  du  texte,  p.  36.  Il  est  pa- 
rent de  Jean-Paul,  p.  37  et  des  gestes  romains.  —  D'où  viennent  Eutyches, 
Concordius  et  Anthime,  p.  38. 

III.  —  Légende  de  Gonstantius  de  Pérouse  :  analyse  du  texte  bollandiste,  p  40. 
Il  est  parent  des  gestes  romains,  de  Pontien  et  d'Anthime,  p.  41.  —  La  ver- 
sion du  Mont-Cassin,  p.  42  :  ses  caractéristiques  ;  elle  s'inspire  de  Ju- 
lienne, p.  44,  appuie  ou  combat  les  prétentions  métropolitaines  de  Spolète. 
—  Le  culte  local,  p.  45  ;  les  textes  primitifs  perdus. 

IV.  —  Légende  d'Anthime  :  analyse  de  la  version  cyclique,  p.  46.  Genèse  de 
la  légende  :  le  souvenir  de  Turrania  Lucioa  absorbé  par  le  souvenir  de 
Mélanie  la  jeune,  p.  49  ;  Lucine  est  opposée  à  Mélanie,  les  jeûnes,  p.  51. 
Influence  des  gestes  de  Sébastien,  p.  52.  ~  Le  texte  long  et  le  texte  court, 
p.  53  ;  origine  récente  du  texte  long  ;  le  texte  court  suppose  des  textes  au- 
jourd'hui perdus,  p.  54.  Les  deux  textes  sont  parents  des  gestes  romains  : 
leurs  rapports  avec  Marcel,  p.  55,  et  Suzanne,  p.  56,  note;  Cantius  B,  et 
Censurinus,  p.  57  :  les  Anicii. 

CHAPITRE  III 

TRADITIONS  D'oMBRIE 
LES  DOUZE  SYRIENS 

I.  — Légende  de  Jean  Penarieosis  :  analyse,  p.  59.  L'évêque  Jean  de  Spo- 
lète. Isaac  le  Syrien  à  Spolète  à  la  fin  du  v^  siècle,  p.  61.  —  Laurent  de 
Spolète  :  un  texte  inédit,  p.  62  ;  il  donne  explicitement  la  date  de  529, 
p.  63  ;  il  est  modelé  sur  la  notice  de  Gains.  Ses  rapports  avec  Hedestus,  etc.. 
Evolution  postérieure  de  la  légende,  p.  65. 

II.  —  Légende  des  XII  Syriens  :  analyse  du  texte  cyclique,  p.  66.  D'où 
viennent  les  personnages  ?  Herculanus  de  Pérouse  d'après  les  gestes  et 
d'après  Floridus,  p.  69.  Bricius,  Abundius  et  Carpophorus,  saints  locaux  de 
Terni,  p.  72.  Proculus  de  Terni  modelé  sur  Equitius  de  Valérie,  p.  73.  Eu- 
ticius  de  Bolsène  (?)  et  Euticius  de  Nursie,  p.  74.  Anastase  modelé  sur 
Anastase  le  Perse  et  sur  Anastase  de  Monticelli  (ou  de^  Suppentonia),  p.  75. 

III.  —  La  mise  en  œuvre  de  ces  traditions  locales,  p.  76.  Le  temps  du  pape 
Eugène,  p.  76.  Les  prétentions  métropolitaines  de  Spolète,  p.  77  :  une  page 
de  saint  Grégoire.  Le  texte  cyclique  et  Venant  Agapet,  p.  78.  Les  résumés 
du  texte  cyclique,  p.  78,  note.  Le  remaniement  de  la  légende  au  monastère 
des  Aquœ  Salviœ,  p.  78,  note.  —  Les  textes  antérieurs  à  la  version  cyclique 
p,  79  :  traits  qui  rappellent   le   vi^  siècle,  la   lettre  tombée  du  ciel,  p.  80, 


TABLE    DES    MATIÈRES  32 


o 


Vitus  B  ,  Anthime,  Gonstantius,  Alexandre  de  Baccano.  Importance  des 
textes  de  Laurent  de  Spolète  et  de  Jean  Penariensis. 
IV.  —  Textes  apparentés,  p.  81,  Légende  de  Félicien  de  Foligno,  p.  82  :  ana- 
lyse du  texte  :  Forum  Flaminii  s'oppose  à  Spolôte.  Les  deux  remaniements 
de  Félicien.  —  Juvénal  de  Narni  :  analyse  du  texte,  p.  85  ;  Narni  soppose 
à  Spolète.  Les  deux  digressions  du  texte.  Ces  deux  légendes  puisent  aux 
gestes  romains  et  datent  sans  doute  du  début  du  vu*  siècle. 

CHAPITRE  IV 

TRADITIOIfS     d'oMBRIE 
LES  SAIHTS  SABIN,  GRÉGOIRE,    FEUX,   PORTIEN    ET    VINCENT,    VICTORIN,    iEMILIAKUS 

I.  —  Légende  de  Sabin  d'Assise,  p.  87.  Analyse  du  texte  de  Baluze.  Les  jeux 
à  Rome  à  l'époque  gothique  :  une  lettre  de  Théodoric,  p.  91  ;  la  sédition 
Mka.  Les  augustales,  p.  91.  Influence  des  gestes  des  martyrs  pannoniens, 
p.  92.  Le  texte  est  apparenté  à  Donat,  Valentin,  Concordius,  Constantius, 
p.  92.  Il  est  antérieur  à  la  légende  du  miracle  de  Camerino,  p.  93.  Impor- 
tance du  culte  de  Sabinus  au  temps  de  saint  Grégoire,  p.  94.  —  Traces 
d'une  seconde  version  de  Sabinus,  p.  95  :  le  calendrier  populaire  et  Adon, 
Le  texte  du  Codex  Vindobonensis,  p.  96.  Rapport  des  deux  versions  :  le 
texte  de  Vienne  semble  avoir  été  retouché,  p.  97. 

II.  —  Légende  de  Grégoire  de  Spolète  :  analyse  du  texte,  p.  98.  Il  est  appa- 
renté à  Vincent  de  Saragosse,  à  Alexandre  de  Baccano,  à  Jean  Penariensis 
et  aux  XII  Syriens,  è  Pontien,  p.  100. 

III.  —  Textes  apparentés  :  la  légende  de  Pontien  de  Spolète,  p.  100.  Analyse  du 
texte.  Une  seconde  version  reconnaissable  dans  le  calendrier  populaire  et 
dans  Adon  ;  une  réorganisation  des  cimetières  après  la  guerre  gothique^ 
p.  102.  La  légende  est  apparentée  à  Vincent  de  Saragosse,  à  Grégoire,  à 
Alexandre,  à  Constantius,  p.  102.  —  La  légende  de  Félix  de  Spello  ;  ana- 
lyse du  texte,  p.  103.  Elle  rappelle  Grégoire,  Sabinus  et  Victorin.  Elle 
est  étrangère  au  martyr  de  Salone,  Félix,  p.  103.  —  La  légende  de  Vincent 
de  Bevagna  :  analyse  du  texte,  p.  104.  Il  rappelle  les  XII  Syriens,  Gré- 
goire et  Sabinus  ;  il  est  modelé  sur  Vincent  de  Saragosse. 

IV.  —  Légende  de  Victorin  d'Assise  :  analyse  du  texte,  p  107.  Elle  est  pa- 
rente des  XII  Syriens,  de  Félicien  et  de  Juvénal,  p.  108.  Elle  puise  sans 
doute  à  la  légende  de  Christophe.  Quelle  en  est  la  patrie  ? 

Y_  _  Légende  d'yEmilianus  de  Spolète  :  analyse  du  texte,  p.  110.  Elle  est 
parente  de  Victorin,  des  XII  Syriens,  de  Jean  Penariensis,  et  aussi  de 
Sabinus  et  de  Valentin.  p.  112.  Elle  a  puisé  aux  légendes  grecques,  p.  113. 
L'origine  de  la  légende,  sans  doute,  est  double  ;  le  pénitent  vEmilianus,  at- 
testé par  saint  Grégoire,  a  été  combiné  avec  le  martyr  de  Silistrie  yEmilia- 
nus,  p  114  Nouvelle  preuve  de  l'influence  des  traditions  martyrologiques 
danubiennes  sur  la  légende  italienne. 


324  TAin,!':    DKS    MATliciŒS 


CIIAl'lTRE  V 

TRADITIONS     rj'OMÎJRIE 

VIA  AMEUIRA 

LES    SAINTS    TERENTIANUS,   CASSIEN,    FIRMINA,    SECDHDUS,   CRESCEHTIU8 

CRISPOLIT  US 

L'occupation  de  la  Voie  Amerina  par  l'exarque  Uomanus,  p.  117. 

I.  —  Légende  de  Terentianus  de  Todi  :  analyse  du  texte,  p.  118.  Nos  quatre 
versions  et  leurs  caractéristiques,  p.  120.  Terentianus  est  parent  de  Sat)i- 
nus,  p.  122.  La  version  A  date  du  second  quart  du  vi^  siècle,  p.  121.  La 
version  D  s'inspire  des  légendes  grecques,  de  celles  surtout  qui  sont  rela- 
tives à  Adrien,  et  remonte  au  temps  de  saint  Grégoire,  p.  123.  Le  culte  ra- 
cine de  la  légende,  p.  124.  Une  hypothèse  sur  l'origine  de  A  et  de  D.  p.  125, 
note  1. 

II.  —  Légende  de  Cassien  de  Todi  :  analyse  du  texte,  p.  125.  Son  caractère 
composite,  p.  127.  L'oratoire  de  Sébastien  à  Todi,  et  l'influence  de  la  lé- 
gende de  Sébastien. 

in.  —  Légende  de  Firmina  d'Amelia  :  analyse  du  texte,  p.  129.  Reproduction 
du  texte  d'après  un  manuscrit  de  l'Archivio  du  chapitre  de  Saint-Pierre- 
p.  129,  note.  Les  textes  apparentés,  p.  132.  Firmina  et  Valentin-Hilaire. 

IV.  —  Légende  de  Secundus  d'Amelia  :  analyse  du  texte,  p.  133.  Un  second 
texte  court,  ses  caractéristiques,  p.  135.  Rapport  des  deux  textes  et  leur  date. 

V.  —  Légende  de  Grescentius  de  Pérouse  :  analyse  du  texte,  p.  136.  Date  de 
notre  version,  p.  137.  Un  texte  antérieur  de  l'époque  lombarde. 

VI.  —  Légende  de  Grispolitus  de  Bettone  :  analyse  du  texte,  p.  138.  Il  est  ao- 
parenté  aux  légendes  des  Syriens.  Sa  date. 

CHAPITRE  VI 

TRADITIONS     DE     TUSCIB 

VIA  CASSIA 

LES  SAINTS    VALENTIN,   GRATILIANUS,    EDTTCHIUS 

Les  pays  de  la  Voie  Gassia,  p.  141. 

I  —  Légende  de  Valentin  et  d'Hilaire  de  Viterbe  :  analyse  du  texte,  p.  142. 
Un  second  texte  court,  p.  144.  Rapport  des  deux  textes  :  la  légende  de  Va- 
lentin-Hilaire et  la  légeode  de  Secundus;  la  translation  à  Farfa,  145;  la  lé" 
gende  de  Firmina,  p.  146.  Le  texte  du  vii^  siècle  est  perdu. 

II.  —  Légende  de  Gtatilianus  et  Felicissima  de  Falères  :  analyse  du  texte, 
p.  147.  Le  text^  d'Usuard,  p.  149.  La  légende  est  un  centon  ;  elle  date  du 
vue  siècle,  p.   151. 

III.  —  Légende  d'Eutychius  de  Ferento  :  analyse  du  texte,  p.  151.  Un  texte 
de  saint  Grégoire,  p.  153.  Eutychius,  Torpes  et  les  Martyrs  grecs... 

IV.  —  Légende  cyclique  de  Viterbe,  p.  156.  Les  débris  d'un  explicit.  L'épilogue 
d'Eutychius  et  sa  date.  Le  texte  cyclique  et  nos  textes  :  aucun  de  nos 
textes  de  Valentin-Hilaire  ne  faisait  partie  du  cycle  local,  p.  157. 


TABLE    DES    MATIERES 


325 


CHAPITRE  VII 

TRADITIONS  DE  TDSCIB 

VIA  CASSIA 

LES  SAINTS   IRÉNÉE,   DOUAT,   GAUDBNTIUS,   rBRGERTrWUS,    DOMNIWUS 

Le  pays  d'Arezzo,  p.  159, 

I.  —  Légende  d'Irénée  de  Ghiusi  :  analyse  du  texte,  p.  159.  La  topographie  de 
la  légende,  p,  161  ;  la  catacoinbe  de  Mustiola.  Le  texte  d'Usuard,  p.  162,  et 
les  inscriptions  contemporaines  de  Luitprand,  p.  163.  Les  deux  versions  de 
Toscanella  et  de  Sutri  ;  Sutri  en  728,  p.  163-164.  Les  textes  parents. 

II.  —  Légende  de  Donat  :  analyse  du  texte,  p.  165  :  son  caractère.  Le  thème 
du  sac  retrouvé  :  un  texte  de  Grégoire  de  Tours,  p.  165,  note  2.  Donat  et 
Vibbiane,  p.  167  ;  autres  textes  apparentés.  Confirmation  des  conclusions 
précédentes,  p.  167.  La  légende  est  citée  par  Grégoire  le  Grand,  p.  168. 
A-t-elle  été  retouchée  ?  Donat  et  Juvénal  ;  la  version  du  Vindobonensis  et  la 
version  du  Palatinus. 

III-  — Légende  de  Gaudentius  :  analyse  du  texte,  p.  169.  C'est  la  suite  de  Donat  : 
l'auteur  utilise  Alexandre  et  Valentin,  Juvénal  peut-être  et  les  XII  Syriens. 

IV.  —  Légende  de  Laurentinus  ;  analyse  du  texte,  p.  172.  Textes  du  férial  et  du 
calendrier,  p.  173.  Les  textes  parents,  p.  174.  Notre  version  dérive-t-elle 
d'une  version  du  vie  siècle,  p.  175? 

V.  —  Légende  de  Domninus  :  analyse  du  texte,  p.  175.  Fidentia,  p.  176  ;  la 
via  Claudia  en  Emilie,  p.  176,  note  1.  Le  texte  d'Usuard.  La  légende  est  une 
réplique  de  Maurice  d'Agaune,  p.  178,  et  d'Ursus-Victor.  —  Deux  autres 
versions  de  la  légende,  p.  179  ;  elles  datent  de  l'époque  carolingienne,  p.  181. 
Domninus,  les  légendes  gauloises  et  saint  Denys  de  Paris,  p.  182. 

CHAPITRE  VIII 

TRADITIONS   DE   l'iTALIE   DU   NORD 
LES   SAINTS   SECOND,    FAUSTIN  ET  JOVITE,    INNOCENTIUS 

L'arrière -pays  de  Gênes,  p.  183. 

I.  —  Légende  de  Secundus  :  analyse  du  texte,  p.  184.  C'est  une  autre  réplique 
de  Maurice,  p.  185.  Le  culte  de  Vintimille  et  le  culte  d'Asti,  p.  186. 

II.  —  Légende  de  Faustin  et  Jovite  :  analyse  du  texte,  p.  186,  les  trois  ver- 
sions. Discussion  de  la  théorie  du  R.  P.  Savio,  p.  188,  note  1.  La  légende  est 
antérieure  au  temps  d'Usuard,  p.  189,  postérieure  à  la  création  de  l'exar- 
chat, p.  190.  Caractères  de  la  version  cyclique  ;  exil  du  clergé  milanais  h 
Gênes,  p,  191.  Influence  de  ce  fait  sur  le  travail  légendaire  :  une  page  des 
Dialogues,  p.  191.  Les  conquêtes  de  Rothari,  sa  femme,  Gondeberge,  son 
beau-frère,  Aripert,  p.  192  ;  les  saints  Boniface,  Donat,  Félix.  —  Date  des 
deux  autres  versions,  p.  194. 

m.  —  Les  sources  de  la  légende,  p.  195  :  Les  gestes  d'Alexandre.  Abundius, 
Sébastien,  Nazaire,  p.  196,  Sophie,  p.  197,  Anastasie,  Eleuthère,  p.  198. 

VI.  —  Légende  d'Innocentius  :  analyse  du  texte,  p.  199.  Son  originalité,  p.  201. 


326 


TABLE    DliS    MATIÈRES 


Lo  diplôme  de  946  :  le  culte  de  Laurent.  —  L'auteur  utilise  Gervais  Pro- 
tais, p.  203.  Sébastien,  Silvestre.  Rapports  d'Innocentius  avecFaustin-Jovitfî 
(Marcianus)  et  avec  Domninus. 


CHAPITRE  IX 

TRADITIOHS    DE  TU8CIE 

,  VIA   AURELIA 

LES   SAINTS  TORPES,    PAULIN,   AMSARUS,  SECUNDIANDS,  MARCIAnUS 

La  voie  Aurélia,  p.  205. 

I.  —  Légende  de  Torpes  :  analyse  du  texte,  p.  205.  Une  villa  à  Pise,  p.  209. 
Rapports  de  Torpes,  d'Alexandre  de  Baccano  et  de  Vincent. 

II.  —  Légende  de  Paulin  :  analyse  du  texte,  p.  211.  Textes  apparentés,  p.  213  : 
c'est  une  réplique  de  Torpes. 

III.  —  Légende  d'Amsanus  :  analyse  du  texte,  p.  215.  Le  cadre  topogra- 
phique, p.  217.  Influence  de  Vitus,  Gassien,  Sébastien,  etc..  Une  seconde 
version.  La  restauration  de  l'église  de  Vienne  au  temps  de  Rothari,  p.  218. 

IV.  —  Légende  de  Secundianus:  analyse  du  texte,  p.  219.  Le  texte  du  férial,p.221. 
Influence  de  Terentianus,  de  Valentin,  de  Hedestus  et  de  Susanne,  p.  222. 
Influence  de  Virgile,  p.  223.  Oii  est  Coloniacum? 

V.  —  Légende  de  Marcianus  :  analyse  du  texte,  p.  224,  et  sa  reproduction,  p.  224- 
225,  note.  L'évêché  de  Forum  Glodii,  p.  226.  Influence  des  martyrs  de 
Tomes,  p.  227,  Marcianus  est  modelé  sur  Sabinus,  p.  228.  Marcianus  et 
Valentin,  p.  229. 


CHAPITRE  X 

TRADITIONS    DE    CAMPANIE 
LES   SAINTS   FÉLIX,    MAXIME,    BESTITUTA,    AMBROISE,    MARCELLUS    ET   APULEIUS 

I.  —  Légende  de  Félix  prêtre:  analyse  du  texte,  p.  231.  L'église  du  Pincio, 
p.  232  et  le  texte  du  calendrier  populaire,  p.  233.  Le  texte  d'Adon  ;  le  tom- 
beau de  Félix  est  près  de  Noie.  Romanisation  de  Félix  de  Noie,  p.  234  ;  Félix 
et  Adauctus,  Damase,  Pierre  et  Paul,  Nérée,...  La  légende  utDise  une  page 
des  Dialogues,  p.  236.  —  Caractères  du  texte  d'Adon,  p.  237  ;  son  rapport  à 
notre  texte,  p.  238.  D'où  vient  Helpidius  ? 

II.  —  Légende  de  Maximus  de  Cumes  :  analyse  du  texte,  p.  239.  Rapports  de 
Maxime  et  de  Julienne,  p  242  ;  Maxime  est  copié  sur  Pontien  et  Cyricus- 
Julitta.  La  version  d'Apamée,  p.  243  :  Julienne  en  est  absente  ;  pourquoi  ? 

III.  —  Légende  de  Restituta  de  Sora  .  analyse  du  texte,  p.  244.  Le  culte  de  la 
sainte  africaine,  p.  245;  les  sources  de  la  légende,  p.  246.  Restituta  est  pa- 
rent de  Firmina,  de  Lucie-Géminien  et  d'Amasius,  p.  246. 

IV.  —  Légende  d'Amasius  de  Sora  :  analyse  du  texte,  p.  247.  Une  seconde  ver- 
sion s'intéresse  à  Paris  :  ses  caractéristiques,  p.  248.  La  légende  de  Paris  de 
Teanum,  p.  248  :  ses  caractéristiques.  Le  souvenir  du  pape  Jules  et  la  ques- 
tion arienne,  p.  250  ;  tendances  de  l'hagiographe. 


TABLE    DES    MATIERES 


327 


V.  —  Légende  d'Ambroise  le  Centurion  :  analyse  du  texte,  p.  251.  Textes  pa- 
rents :  Torpes  et  le  groupe  Vincent  de  Bevagna,  etc..  La  légende  est  mo- 
delée sur  les  actes  de  Marcellus  de  Tanger,  p.  252. 

VL  —  Légende  de  Marcellus  et  Apuleius  :  analyse  du  texte,  p.  253.  Textes  du 
Sacramentaire  Gélasien  et  du  calendrier  populaire,  p.  254.  La  légende  est 
modelée  sur  Marcellus  de  Tanger,  p.  255  :  Marcellus-Apuleius  a  même  ori- 
gine qu'Ambroise.  Marcel  de  Gapoue,  p.  253.  —  Deux  autres  versions, 
p.  256  :  l'une  relève  de  Nérée  et  l'autre  des  Acta  Archelaï  d'Hegemonios. 
Marcellus-Apuleius  et  Sergius-Bacchus  :  la  version  latine  de  Sergius-Bac- 
chus  a-t-elle  même  origine  que  Marcellus  et  Ambroise,  p.  257  ? 


CHAPITRE  XI 

TRADITIONS    DE  VALÉRIE    ET   DD    PICENUM 
L£S    SAINTBS    ANATOLIE    ET    VICTOIRE,    LES    SAINTS   SÉVÈRE,    VICTORIN    ET   SBVERIN 

I.  —  Légende  de  Victoire  et  d'Anatolie  de  Sabine  :  analyse  du  texte,  p.  259.  Le 
culte  des  saintes  en  Sabine,  p.  261  ;  les  mosaïques  de  Ravenne.  Le  double 
récit  d'Aldhelme,  p.  261  ;  les  textes  d'Adon  et  Flodoard,  p.  262  ;  trois  ver- 
sions anonymes.  D  et  F  forment  un  même  tout,  p.  262  ;  c'est  la  source 
d'Aldhelme,  p.  263.  Quel  est  le  rapport  de  E  à  DF,  p.  264.  Textes  parents. 
Nos  textes  remontent  peut-être  au  vi^'  siècle  ;  plus  vraisemblablement,  ils 
datent  du  \n^  :  leur  rapport  à  Restituta  et  à  Torpes,  p.  265. 

II.  —  Légende  de  Sévère  de  Valérie:  analyse  du  texte,  p.  265.  Il  rappelle 
Alexandre  de  Baccano  et  Lucie-Géminien,  p.  266  ;  il  remanie  un  passage  de 
saint  Grégoire,  p.  267. 

III.  —  Légende  de  Victorin-Séverin  :  analyse  du  texte,  p.  268. 

IV.  —  Victorin-Séverin  et  Nérée-Achillée  :  Eutyces,  Victorinus  et  Maro,  p.  271' 
Points  de  contact  des  deux  légendes,  p.  272  ;  les  ruines  d'Amiterne  ;  le  texte 
du  férial,  p.  273.  —  Les  relations  de  Septempeda  avec  Amiterne.  Séverin 
est  évêque,  Maro  opère  un  miracle  à  Septempeda,  p.  274  :  les  prétentions  de 
Cività  Nova.  Il  y  a  eu  deux  Victorin,  p.  275. 

V.  —  Victorin-Séverin  et  une  homélie  de  saint  Grégoire,  p.  275  :  Victorin 
iEmilien  le  pénitent.  Confusion  de  Victorin  le  martyr  avec  Victorin  Irt  péni- 
tent, p.  277.  —  La  lettre  de  Grégoire  à  Secundinus,  p.  277  :  une  apologie  du 
cénobitisme.  Notre  légende  a  été  écrite  dans  le  cercle  des  amis  de  Grégoire, 
p.  278.  L'origine  de  Séverin  :  c'est  un  double  légendaire  de  Séverin  de  No- 
rique,  p.  2/9. 

CHAPITRE  XII 

CONCLUSION 
LE    AIOUVEMENT   LÉGENDAIRE    GRÉGORIEN    ET   l'oEUVRB    DAGIOGRAPHIQUE    DE    SAINT   GRÉGOIRE 

Quel  est  le  rapport  des  Dialogues  aux  Gestes,  p.  281. 
I.  —  Caractères   des  gestes,   p.    282.   Ils   prolongent  les  gesta  martyrum  ro- 
mains: leur   valeur  historique;    leurs  sources  romaines;    leurs  tendances, 
p.  282.  Rôle  des  clercs  romains  dans  la  rédaction  des  gestes  italiens,  p.  283. 


328  TABLE    DKS    MATIÈRES 

—  Les  traits  qui  distinguent  les  gestes  de  l'époque  grégorienne  des  gestes  de 
l'époque  gothique,  p.  283.  Les  phases  du  mouvement  grégorien,  p.  284.  Les 
gestes  de  l'époque  grégorienne  et  le  calendrier  populaire,  p.  285, 

II.  —  Caractères  des  Dialogues,  p.  28G.  Leur  origine,  p.  286.  Leurs  attaches  to- 
pographiques, p.  287  ;  leur  cadre  chronologique,  p.  288  ;  leurs  sources,  p.  289  ; 
les  Dialogues  et  les  Homélies,  p.  289-291,  note;  les  «  autorités  »  de  Grégoire, 
p.  291,  note.  Les  Dialogues,  les  traditions  locales  et  les  moines,  p.  292. 

IIL  —  Comparaison  des  deux  textes,  p.  292.  Une  différence  notable,  trois 
ressemblances  précises.  Les  points  de  contact  des  Dialogues  et  des  Gestes, 
p.  293.  Il  y  a  étroite  solidarité  entre  eux,  p.  294.  Piété  de  Grégoire  envers 
les  martyrs,  p.  295  :  origine  du  titre  servus  servorum  Dei,  p.  295  ;  note. 
Une  page  des  Dialogues,  p.  295:  saint  Jacques  et  saint  Jean,  le  martyr  de 
la  persécution  et  le  martyr  de  la  paix.  L'hagiographie  italienne  au 
VII*  siècle  prolonge  l'hagiographie  romaine. 


APPENDICES 

I.  —  Saint  Alexandre  de  Baccano,  p.  299.  Quel  est  le  siège  de  l'évêché 
d'Alexandre  ?  D.  Morin  le  cherche  en  Orient  :  un  texte  du  Synaxaire  de 
Constantinople  et  un  passage  des  gestes.  —  Autre  raison  à  l'appui  de  l'hy- 
pothèse. Quelles  difficultés  elle  soulève. 

Le  diptyque  de  Lucques,  p.  300.  —  L'expression  primus  palatinus,  p.  300,  — 
L'inscription.  —  L'auteur  de  B  devait  connaître  A',  non  A,  p.  301. 

II.  —  Sahit  Agapet  de  Préneste,  p.  303.  —  M.  Zeiller  développe  l'hypothèse 
de  Delehaye.  Difficultés  de  l'hypothèse  :  elle  ne  tient  pas  compte  d'un  fait 
(existence  d'une  classe  de  manuscrits  qui  ignorent  Anastase)  ;  le  roi  Antio- 
chus  s'explique  par  l'influence  de  la  légende  des  Macchabées,  non  pas  Fla- 
vius Antiochanus. 

III.  —  Saint  Laurent  de  Spolète  et  saint  Laurent  de  Farfa,  p.  305.  Le  pri- 
vilège de  Jean  VI.  Textes  de  Grégoire  di  Catino,  p.  306  :  leurs  sources  et 
nos  textes,  p.  307. 

IV.  —  Saint  Mmilianus  de    Spolète  p.   309.   La  lettre  de    saint    Grégoire  à 
Félix  d'Agropoli   et  le  titre    de  visitator  provinciée  Lucanix  ;  Agropoli  de- 
vient le  centre  religieux  de  la  Lucanie.  N'est-ce  pas  cette  localité  que  dési- 
gnent, dans  iEmilianus,  les  mots  civitas  lucana?  Difficultés  de  l'hypothèse 
La  politique  de  Théodelinde  et  d'Adaloald.  —  Le  dieu  Galien. 

V.  —  De  l'influence  des  patrimoines  de  Véglise  romaine  sur  les  légendes  ita- 
liennes^ p.  313.  Hedestus,  Vitus,  Agathe,  Agapet  B,  Anthime,  XII  Syriens, 
Gratilianus. 

VI.  —  Additions  et  corrections,  p  315.  Une  église  de  saint  Hedestus  sur  la 
voie  Ardéatine  ;  —  influence  des  légendes  apostoliques  sur  nos  légendes  ;  — 
l'évêché  de  Spello  et  les  gestes  de  Félix  ;  —  une  église  de  saint  Anthime  à 
Cures,  p.  316  ;  —  les  attitudes  des  saints  guérisseurs  ;  —  le  supplice  d'écor- 
chement  ;  —  l'attitude  du  pape  Eugène  1  ;  —  les  prétentions  métropolitaines 
de  Spolète,  p.  317  ;  —  la  date  des  XII  Syriens  et  le  discours  de  Martin  I^r  du 
5  octobre  649  ;  —  Sabinus,  Terentianus  D  et  Eusèbe-Pontien,  p.  318  ;  — 
l'invocation    Deus    Abraham,    Isaac  et    Jacob,    p.   319  ;   —  Vincent  de  Be- 


ff 


TARLE    DES    MATIÈRES  329 

vagna,  Sabinus  et  Grégoire  ;  —  Gassien,  Victorin-Séverin  et  Jonas  ;  —  la 
croyance  à  la  fin  du  monde,  p.  320  ;  —  la  réorganisation  des  cimetières 
après  la  guerre  gothique  ;  —  la  règle  de  Saint-Benoit  et  les  gestes  des 
martyrs. 

Table  des  matières,  p.  321. 


FIN    DE    LA    TABLE 


SAINT-AMAND    (gHEr).    —    IMPRIMERIE    BUSSIERB 


I 


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Dufourcq,  A.  -  Etude  sur  les  Gesta 
Martyrum  Romains.  v.  3 


PCNTIFJCAL   IN'STITUTE 

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59  QUEEN'S  PARK 

Toronto  5,  Canada 


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