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BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
VCMLUME D'niTRODncnOll : Mémoire sur cnb Missioif au Mont Athos. Suivi d'un
mémoire sur un ambon conservé à Salonique, la représentation des Magei
en Orient et en Occident durant les premiers siècles, par MM. Vbhbé uv-
cmsNE, de rinsf itut, directeui" de l'Ecole française de Rome, et Ch. Baybt,
ancien membre des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome, recteur de
TAcadémie de Lille. 18T7. i v. iii-8*' raisin, avec 5 pi. en photographie S fr,
FASCICULE L 1. Etodbsur leLidbr Pontipicalis, par M. Tainbé Duchksrb.
2. Uechekches sur les manuscrits ARCHÉ0I.00IQUE8 DE Jacqubb Grimaldi, par
M. £. MuNTz. 3. Etude sur le mystèrb i>e sainte Aonbs, par M. Clédat. 10 fr.
II. Essai sur les «onumentb orecs et bohaiks relatifs au myrtre de Psyché,
I>ar M. Maxime Collionon 5 fr. 50
ml Catalogues DES vases peints du Musée delà Société a rcréologioue D'AriiiNEs,
i>ar M. Maxime Collignon (avec sept planches gravées) 10 fr.
nr. Les arts a la cour des papes pendant le xv* et le xvi* siàgle, par M. E.
Mt'NTK, membre de rinstitut. i'•fAl^tlE. (Ou», couronné par Vlnatitui). » »
s. B.— Ca fucienle ne •• wbA qa'avee le IX« et le XXVIII», «oatenrat les S« et 8* parties da travail
de ritatsur. La prix D«t d«s 3 roi. déjà pnbliA» «ft d« iS rraoea pris «Mambl*.
V. Inscriptions iniêdites du pays des M anses, recueillies par M. E. FrrNiqub,
ancien membre de TEcole française de Rome 1 fr. 50
Hk Notice sur divers manuscrits de la bibliothèque Vaticane. Richard h^ Poi-
tevin, peur M. Elie Berger. 1 vol. (avec une planche en héliogravure). 5 fr.
VIL Du. RÔLE msTORiQUB %É. Bertrand de Born, par M. Léon Clédat 4 fr.
Vin. Recherches archéologiques sur les îles Ioniennes. I. GORFOU,par M. Olhon
RiEMANN (av. deux pi. hors texte, et trois bois intercalés dans le texte). 3 fr.
IX. Les arts a la cour des papes pendant le xv* et le xvi* siècle, par M. Eu-
gène Muntz. Deuxième partie. 1 vol.avecdeux planches en héliogravure. 12 fr.
N. B. — Ca TaMiieale ce m ▼eod ao'atae leXXVill*, «oatanattt ta 3* partie da tmvaii de l'anteor (Voir
éfalenaot ci-deasas Aueienk IV on !'• partie de cet ouvrage).
X. Recherches pour servir a l'histoire de la peinture et de la sculpture
CHRÉTIENNES EN OrIBNT AVANT J<A QUERELLE DES ICONOCLASTES, pST M. Ch.
Batet 4 fr. 50
XI. Etude sur la lanour et la grammaire de Tite-Livr, par M. 0. Riemann. 9 fr.
Xn. Recherches archéologiques sur les îles Ioniennbs. U. GEPHALOHIEi par
M. Othon RiBMANN {avec une carie). Voir fasc. VI 11 et XVH1 3 ir.
Xin. De Ck)DiDicus msj^. oRiECis Pn II, in Bibliotheqa Alexandrino-Vaticana sche«
das excussit L. Duciiesne, gallica: in Urbe scholie olim socius 1 fr, 50
XIV. Notice sur les manuscrits des poésies de saint Paulin de Noi^, suivie
d'observations sur le texte, par M. E. Châtelain 4 fr.
XV. Inscriptions doliaires latinks. Marques de briques relatives à une partie
de la gens Domitia, recueillies et classées par M. Ch. DEscEMET(av. fig.) 12fr.50
XVL Catalogue des figurines en terre clite du musée de la Société archéolo-
gique d'Athènes, par M. J. Martha (avec 8 belles planches en héliogravure
hors texte, et un uois intercalé dans le texte) 12 fr . » *
XVn. Etude sur Préneste, ville du Latium, par M. Emmanuel Pernique, avec
une grande carte et trois planches en héliogravure 7 fr. > I
XVilL Uecuehcmes archéologiques sur les îles Ioniennes. III. SAUTE. IV.
GERIGO.V. APPENDICE, par M . Othon I\iemann (av. 2 cartes hors texte). 3 fr .5 )
XIX. Chartes de terre salntb provenant de l'Abbaye de N.-D. de Josaphat, par
H. -François Dklaborde, avec deux planches en héliogravure 5 fr.
XX. La Trikre athénienne. Etude d'archéologie navale, par M. A. Gartault
(avec 99 bvis intercalés dans le texte et 5 planches hors texte) 12 fr.
Ourra{f« cuaiuuué par l'AuuciatiOD pour rKDConrâf^einent de^ étude.^ grecques en France.
XXI. Etudes D'ÉriGRAPiiiE juridique. De quelques inscriptions relatives à Tadmi-
nistration de Dioclétien. I. Vexeminator perJlaiiam. U. Le Magislei* sacra-
rum cognitionum, par M. Edouard Clq .* 5 fr .
XXII. Etude sur la chronique en prose de Guillaume le Breton, par H.-Fronçois
Delaborde 2 f r .
XXm. L'Asclépieion d'Atbânes d'après debécentes découvertes, par M. p. Giraru
(avec une grande carte et 3 planches en héliogravure). 5 fr. 50
XXIV. Lb Manuscrit d'Isochatb I^rbinas cxi de la Vaticane. Description kt
uiSToiRE. Recension DU PANÉGYRIQUE, par M. Albert Martin -1 fr. 50
XXV. NouvELi^s recherches sur l'Entrée de Spagne, chanson de geste franco-
italienne, par M. Antoine Thomas , 2 fr .
XXVL Les sacerdoces athéniens, par M. Jules Martha 5 fr.
XXVn. Les Scolies du manuscrit d'Aristophane a Ravennb. Etude et collation,
par M. Albert Martin 10 fr.
XaVIII. Première section. Les arts a la cour des papes pendant le xv* et le
XVI* SIÈCLE, par M. Eugène Muntz, membre de l'Institut. Troisième partie.
Preinière section (avec deux planches). Voir fasc IV et IX 12 fr.
Oarraf* eouronoé pftr l'ia^tUul.
XXIX. Les origines nu Sénat romain. Recherches sur la formation et la disso-
lution du Sénat patricien, par M. G. Dloch 9 fr.
A suivre.
BIBLIOTHÈQUE
DES
£GOLE$ FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
FASCICULE QUATRE-VINGT-TROISIÈME
ÉTUDE SUR LES GESTA MARTYRUM ROMAINS
i Par Ai.BEUT DiKontco
Stanford University Libraries
r
ETUDE
SUR LES
GESTA MARTYRUM
ROMAINS
DU iMEME AUTEUR :
Synchronismes de Thistoire de la littérature française, en colla-
boration avec MM. Cirot et Thiry. (Paris, Bloud et Barrai, 1894,
in-8).
Hémoires du Général baron Desvernois. L'expédition d'Egypte.
Le royaume de Naples, 1789-1815, avec une introduction, une
carte et des notes. (Paris, Pion, 4898, in-8).
Hurat et la question de Tunité italienne en 1815, dans les Mé-
langes d'Archéologie et d'Histoire publiés par l'Ecole Française
de Rome. (T. XVlll, 1898).
Le Régime Jacobin en Italie. Etude sur la République Romaine
de 1798-1799, avec deux cartes. (Paris, Perrin, 1900, in-8).
Le Congrès de Zurich (août 1897), dans la Revue iVÈconomie
politique (juillet i898j.
La Ghristianisation des Foules. (Revue d'Histoire et de littéra-
ture religieuses, t. IV, 1899).
De Hanichaeismo apud Latines quinte sextoque saeculo atque
de latinis apocryphis libris. (Paris, Fontcmoing, 1900, in-8).
Kx PHKPARATION :
Étude sur la formation du passionnaire occidental.
Les <^ Gesta Hartyrum }s> romains, texte et commentaire.
ETUDE
GESTA MARTYRUM
ROMAINS
Albert DUFOnXCQ
Singulfri cautfli in aci Kom&nt cuIahi
le^ntur (getta CDinjruni).,. Not Itm*
Ourrage contenant six gravures hors texte en phototypie
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE TFIORIiN ET FILS
ALBERT FONTEHOING, ÉDITEUR
Lllirstre des Écoles FrangalBes d'Athènes et de Rome,
du Collège da France, de l'Éoole Normale SupArlenre
•t de la SociâtA des âlndes blatorlqnea
4, RUE LE GOFF, 4
1900
■2,12..!
Dg6l
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> .- -
>^ ^
ANTONII BOSII
SEBASTIANI TILLEMONTII
lOHANNIS BAPTISTAE ROSSII
MANIBUS
ATQUE
HAGIOGRAPHIS BOLLANDIANIS
H. G.
PRÉFACE
« ♦
PRÉFACE
Pour comprendre un fait, — , et, par là, j'entends un
texte aussi bien que quoi que ce soit, — il est nécessaire
d'en déterminer les caractères, les causes, les consé-
quences. Ce triple travail peut définir et doit satisfaire
les exigences de la pensée scientifique, quelque prix, du
reste, qu'on y attache
Je me propose ici d'entreprendre cette Iriple enquête
au sujet des « Gesta Martyrum » romains^ ensemble de
textes qui expriment les traditions relatives aux Martyrs
de Rome des quatre premiers siècles de notre ère.
Déterminer les caractères des Gestes, c'est analyser la
physionomie qu'ils présentent au point de vue philolo-
gique et au point de vue moral: étude qui suppose le
recensement des légendes qui nous sont parvenues et la
critique des textes dont il faut nous contenter; étude
qui laisse entrevoir la nature de ces légendes et l'origine
de ces textes.
Déterminer les causes des Gestes, c'est expliquer le
VIU PRÉFACE
fait après en avoir constaté Texistence ; c'est découvrir
par Tanalyse critique des traditions les faits particuliers
d'où elles sont sorties.
Déterminer les conséquences des Gestes, c'est étudier
leur histoire à travers les âges, depuis leur lente forma-
tion autour des faits primitifs qu'a isolés l'analyse, jus-
qu'à l'épanouissement de leur influence sur les idées,
sur le culte, sur la littérature et sur les arts.
— Mais, avant d'entamer ce triple travail, peut-être
convient-il d'indiquer l'état actuel et les origines loin-
laines du problème ; comment, jusqu'à ce jour, on a pré-
tendu le résoudre, et comment, peut-être, il convient de
le yjoser.
M. l'abbé Duchesne, mon ancien directeur, qui m'a
engagé dans ces recherches, ne s'est jamais désinté-
ressé de mes efforts. Qu'il me permette de le remercier
ici des conseils et des indications de toute sorte qu'il a
bien voulu me donner : ceux-là seuls qui connaissent sa
science et sa bonté peuvent comprendre tout ce que je
lui dois^
I Voici l'explication de quelques abréviations usitées au cours de ce volume:
H. S. = de Rossi: Homa SoUerranea crisliana (Uoma, 1864-1811); Bu//., suivi
d'un millésime et d'un chiffre = Bulletino di archeologia crisiiana (Roma,
i863-189i); L. P. = Duchesne: Le Liber Ponlipvalis (Paris, 1886 1892); P. L.
= la patrologie latine de Migne ; P. G. = la patrologie grecque du même
éditeur; M. G. = la collection des Monumenta Germaniae : F. II. ou Rossi-
Duchesne = Mariyroloffium hieronymianum^ ad fidem codicum .. édité par
de Kossi et M. l'abbé Duchesne (Bruxellis, 1894); un quantième de mois suivi
d'un nombre renvoie au volume des Acla Sanctorum publiés par les Bollan-
distes, où sont étudiés les saints de ce jour: le nombre indique la page du
volume.
PREMIERE PARTIE
LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
PREMIÈRE PARTIE
LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
CHAPITRE PREMIER
QUEL EST L'ÉTAT DU PROBLÈME?
11 est sinf»ulier que persoimo, jusqu'ici, n'ait étudiô los
gestes romains dans leur onsenihle*. C'est accidenlellemeut,
et comme de biais, que les savants les ont rencontrés au cours
de leurs recherches; conduits par les nécessités d'une autre
enquête, ils s'y sont, pour ainsi dire, heurtés, sans le vouloir.
C'est que l'extrême dispersion des textes et le crédit qu'on
leur accordait éloignaient également les esprits de l'idée de
les comparer entre eux; on les rapprochait couramment, au
contraire, des autres écrits relatifs à la persécution et k
l'époque auxquelles ils prétendaient se rapporter. C'est aussi
1 Voir ce que dit de Rossi, R. S., III, xxii : « Un trattato générale intorno aUi
letteratura dei passionnarii, e intorno aUe varie antiche raccoUe degii atti dgi
martiri e dei santi» aUe loro faniiglie ed età, intorno ai pararrasisti e redattoH
rettorici di quegU atti, è una délie maggiori lacune nella critica agiogradca:
e la addito aU'attenzione ed aile ricerche degli studiosi... Il campo perô fie
ë assai vasto ed inesplorato, e spero che piu d'uno vorrà cercarne la uiateria
e dare il suo contributo. »
Depuis que ces pages étaient écrites, il a paru un véritable petit traité but
les gestes des martyrs romains ; un boUandiste, le R. P. Delebaye, au c(/urs
de son étude sur la légende du Colisée, a résumé en quelques pages ce (|u'il
pense de toute cette littérature : son jugement ne ditfère guère du i^tre.
Analecta BoUandiana, XVI (1891), 236-244.
I
4 KES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
qu'ils ilonnaient Timprossion discordante de textes non classés
et d'un caractère mal défini, et que Tidée d'un examen des
sources, qui seule pouvait rendre romi)te do cette impression,
ne semble pas, jadis, avoir été jamais très distinctement
conçue.
Nous n'aurons donc à enregistrer aucune théorie expressé-
ment fornudée relative aux gestes romains ; il nous faudra cons-
truire celles qui guidaient les historiens, nous appuyant, pour
mener à bien cette œuvre délicate, et sur les principes qu'ils
ont avoués et sur la méthode qu'ils ont suivie. Ce n'est que peu
à peu, sous la pression des faits, qu'ils ont posé le problème,
précisé leurs incertitudes, éclairci leurs doutes. Reçus au
moyen âge comme textes authentiques, les gestes romains
sont critiqués maintenant comme textes apocryphes. On a
d'abord constaté le fait dr leur inautlienlicitê; — on en a
ensuite cherché la cause dans V/n/pothèse de r interpolation ;
— on en a enfin trouvé la raison dans la théorie de lapo-
cryphicité.
C'est ainsi que Ton peut tracer, semble-t-il, le dessin général
de révolution de la critique à l'égard de nos légendes ; ce sont
les trois stades qu'elle a successivement franchis.
I
Il est difficile de comprendre, plus encore d'analyser, quel
était, au moyeu âge, l'état du problème que nous étudions.
La vérité n'était pas alors envisagée de la même manière
(prelle est conçue aujourd'hui ^ ; si l'on avait déjà, en quelque
manière, la notion d'une certaine espèce de critique, on ne
suivait pas, dans l'appréciaticm des témoignages, les mêmes
règles que nous suivons aujourd'hui; les notions d'authentique,
4'historique, d'apocryphe, n'avaient pas cours. Cependant, et
quelle que puisse-être la valeur de ces diff'érences, il n'est pas
vain de se demander quel était, au xif ou au xiii'' siècle, l'état
de la question qui nous occupe : l'objet, sinon les procédés de
la' critique, sont communs aux deux époques; au moyen âge
• Pctnis Parthenopeus : c Maj^is reiu qiiam verha scnitus * (Spicil. Bom,^
IV, 283).
QUEL EST l'état DU PROBLÈME? V*
comme aujourd'hui, on se demande quoi degré de créance il
faut accorder à ces légendes; et, comme on leur accordait alors
la plus complète confiance, il est permis de dire, pour cette
raison et dans cette mesure*, en traduisant en langage moderne
une idée moyenâgeuse, que les gestes romains, aussi bien et
au même titre que les autres, étaient considérés comme authen-
tiques. Lorsqu'il écrivait sa Légende dorée^ au temps de saint
Louis, Jacques de Voragine croyait à la vérité de ce qu il
racontait, et lorsque, près de cent ans plus tard, Pierre de Noël
rédigeait dans son évêché d'Equilium le Cafalogus Sancloritm,
il n'était pas moins convaincu de la vérité des récits qu'il
mettait en œuvre.
Cette absolue confiance dans les textes est fortement
ébranlée * par les révolutions intellectuelles du xvi* siècle et
» Parmi les partisans convaincus de l'authenticité des textes, citons entre
autres M. Giovan Andréa Gilio da Fabriano, qui écrivit le Persecutioni délia
Chiesa descritte in cingue libvi... iie'primi quattro, cotninciando dal nasci-
mento di noslro Signor Giesu Christ o et venendo sino a Costanlino V Impera-
tore; si vede con heWordine d'historia, quanlo sangue sia stalo sparso ne
crudelissimi lormenli da' Sanli Martini per amor del Signore et quanto la
Santa Chiesa Catholica siastata sempre perseguitata ; et quanto ella ogni hora
ne sia riuscila piu trionfante et gtoriosa... (in Vinegia appresso Gabriel Gio-
lito de' Ferrari, 1373, in-12, 457 pages). 11 résume simplement les actes des
martyrs, ceux de saint Pierre (p. 11), comme ceux de Processus (p. 36), ou
d'Alexandre (p. 54) et de Séraphie(p. 54). — Cf. aussi : Aloysi Contarini, auteur de
VAntiquitù, Slto, t'hiese, Corpi Sa/i/i, reliquie et statue di l\oma.... in dialogo
(Napoli, in-8*, 1560}; M.ircus Attilius Serranus : De Septem Urlfis Kcclesiis
earumque reliquiis, stut ionibus e t indulgrnliis (Womao, 157.'»); Antonio Gallonio.
soit qu'il raconte VHistoria délie Santé Vergini Homane con varie annotât ioni
e con alcune rite brevi de' santi parenti loro e defjtoriosi martiri Papia e
Mauro soldati romani... (in Uoma, Donangeli, 1591, in-12), soit qu'il décrive
les instruments de torture dans sou Trattato degli istnnnenli di martirio e
délie varie manière di mnrtoriare usate da gentili contro Christiani descritte
e intaglinte in rame... (in Uoma, Donangeli, 1391, in 12); Pauli ^f^milii
Sanctorii Cascrlani, A7/ Virgines et Martyres (Homae, Facciotti. 1597), parmi
lesquelles se trouvent rangt-es Flavie Domitille, (ycilc, Agathe, Eugénie et
Agnès ; / Tesori nascosti nella aima citlà di lioma^ raccolti e posti in luce per
opéra d'Oltavio Panciroli toologo da Keggio (Roma, Zannetti, 1600) [Voici,
d'après Panciroli, les dates de fondation des églises anté-constantiniennes :
Sainte-Pudentienne, 44; Sainte-Maria in via lata, 00 ; Sainte-Prisca, 68: Saint-
Pierre in Vaticano et Saint-Matthieu in Merulana, 81 : Saint-Clément, 91 ;
Sainte-Praxède, 160; Sainte-Marie in Trastevere et Saint-Calliste, 224; Sainte-
Cécile, 232; Sainte-Marie in Schola Graeca, 261; Saint-Pancrace, 272; Sainte-
Suzanne, 290 ; Saint-Marcel, 304] ; Memorie Sacre dette Setle Chicsr di Roma
e di ait ri luoghi che si trovano per te strade di esse...^ raccolte di Giovanni
Severano... (Uoma, Mascardi, 1030.)
De ces textes, qu'il nous soit permis de rapprocher cet autre, auquel nous
empruntons un passage significatif: Vite de' santi e beati di Foligno e di quelli^
i corpi de' quali si riposano in essa città e sua diocesi^ descritte dal Sign.
6 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
les progrès croissants de larchéologie. L'esprit d'examen et la
connaissance de la vie antique tendent à la miner; la tradition
séculaire, les intérêts religieux qui semblent attachés à son
maintien tendent à la raffermir. Ce sont deux forces contraires
dont on saisit la lutte curieuse chez tous les érudits de la
Renaissance ; chez les érudits catholiques surtout, chez qui la
culture savante est très forte, le souci des intérêts religieux
très pressant. Voyez Baronius, le type le plus illustre et le plus
parfait de ces savants catholiques du xvi* siècle : rien de plus
instructif que son attitude à Tégard de nos textes. En théorie,
il les condamne ; dans son travail quotidien, le plus souvent,
il y puise. Il n'est pas de passion, peut-on dire, à laquelle il
n'emprunte quelque détail de son histoire, et Bosio n'agit pas
autrement. C'est aux gestes que Bosio* emprunte la plupart
des détails qu'il donne sur les supplices infligés aux martyrs,
comme c'est aux gestes que l'auteur des Annales emprunte
certains traits de l'histoire de saint Pierre à Rome • et nombre de
détails sur les premiers temps de l'Eglise. Mais, si la force de
la tradition est encore assez puissante, si l'impatience de l'in-
coniui est encore assez vive en lui pour le pousser à recons-
truire l'histoire en puisant k des sources aussi suspectes que
vénérées, l'esprit critique est déjà en lui assez éveillé poiu-
lui faire sentir que ces légendes sont de peu de valeur ^ ; s'il
Lodovico lacobilli dell' istessa città, e dedicate aU' lllustrissimo e Reveren-
dissimo Si^. Cardinal Caetano. In Foligno, Agostino Alterii, 1628..., p. 8. « Non
ho cilato nelle margini del libro overo di punto in punto aiiegato gU Autori
e Iiioghi dove ho cavato le cose... benrhe siano autentiche e degne di fede...
Nel riraanente me riporto alla pielà c cortesia di ciascuno, certificando tutti
che non ho havuta altra intenzione che dire la pura verità, con chiarezza e
breveraente ad effetto che, senza errore e iedio, si possa da quelli che me
leggeranno render laudi e gloria a Dio e alli medesiuii Santi e Beali e cavar
frutto per l'Anima loro. » — Nof'l Alexandre [fUstovia Ecdesinstica, Paris, 1699)
croyait à raiithenUcité des Actes de saint André (Diacres d'Achaie, H, 46) et
des traditions provençales. C'est la thèse de l'authenticité que ressuscite en
somme, d'une façon quelque peu inattendue, le D' Karl Riinstle, dans une
étude d'ailleurs très intéressante et souvent exacte [Uagiof/raphische Studien
iiber die Passio Felicilatis cum VU Filiis, Paderborn, Schouingh, 1894). Les
gestes romains (reproduits dans le Codex Augieîisis^ 32) ont été rédigés hors
de Home; ils ont été traduits du grec dans la seconde moitié du i\' siècle; ils
relèvent de la grande collection d'Eusèbe.
' Bosio, li. S., 1, m, p. 3 C; — vu, p. 7; — xx, p. 21 B.
2 Baronius, 44, g 61 ; — 57, g 101 ; — 59, g 18, t. I, p. 308-451-561 ; - 166, g 2,
t. II, p. 232.
3 H rejette les Acta Pilali, Acia Theclae, Acla Aposlolorvm. Quant au
Pseudo-Linus, il y voit des actes authentiques interpolés par les Manichéens.
Cf. 69, g 6, t. I, p. 632,
QUEL EST l'état DU PROBLÈME? 7
accepte la théorie que le Liber ponlificalis cherche à accréditer
au sujet des Notarii de TEglise romaine, il se garde de recon-
naître leur œuvre dans les textes qu'il a sous la raain^ ; il sait
([u'ils ont péri au moment de la persécution dioclétienne, et
il déclare que, parmi ceux qui ont échappé aux recherches,
beaucoup ont été viciés par les efforts des hérétiques et Tastuce
de Satan. Il n y a pas lieu de s'en montrer surpris, dit-il : « Ne
voit-on pas éclater, dans les actes sincères, la certitude de
la foi chrétienne et la gloire du Christ 2?» Aussi approuve-
t-il la condamnation proncmcéo par Gélase ; aussi n'a-t-il d'autre
dessein que de faire contempler dans les actes authentiques
qu'il connaît l'image des gestes des autres martyrs qui ont dis-
paru"^.
Ce sera l'œuvre de Tillemont de pratiquer la méthode dont
Baronius a donné la formule et senti le besoin. Baronius était
infidèle à ses principes en puisant aux gestes romains ; c'est
en s'y conformant que notre grand savant du xvii" siècle les
rejettera comme inauthentiques. Il rappelle ces principes; il
les précise; il en montre la véritable nature dans une page
fameuse qu'il convient de reproduire ici : « Que si Ton demande
« quelles sont les règles par lesquelles on a prétendu discerner
« les pièces véritables des fausses, quand on n'en sçait point les
'< auteurs ; ceux qui auront lu l'histoire du martyre de saint
1 Baronius, 238, g i, 3. t. Il, p. 531-533 : « Ilic (Anteros) gesta martyrum
diligenter aNotariis exquisivit et in Ecclesia recondidit... Caeterum res pestas
martyrum tanto studio perquisitas maxima ex parte Diocleliani edicto flammis
éditas deploravimus, cura de Martyrologio traclationem clucubravimus. »
On retrouve la môme attitude, un peu incohérente, qu'observait Baronius
dans la très cnviQnsQDisserlaliôinauguralis de nalalibus marlyrmn^ quam ex
decreto amplisshnae Facultatis Iheoloyicae praeside Domino Johanne Musaeo
S. 5. Theol. Docloreet Prof. Publ. Prhnario Fncullatis svae seniore pro Licenlla
summos in Iheologia honores ac privilégia rite capessendi D. Februarii
anno 1678 puhlico ejamini proponit M. Caspar Sagiflarius Hisi. prof. puhl.
ord. (Jenae. Typis Bauhoferianis). L'auteur doute que les sept notaires et les
sept régions ecclésiastiques aient été institués par saint Clément : « Non
immerito dubitaverim an nascente religione christiana Clemens in bas curas
devcnerit » (I, 12); il se reTuse à croire que nos textes soient ceux que les
notaires ont écrits : « Quis credat baec a Molano designata Martyrum Âcta
probae esse monetae et ab ipsis NotariisHomanae Ecclesiae profecta;certe plu-
rimaeex iliiscommentitia esse etconficta non reformidamus asserere»(l, 16).
Pourtant c'est sur les gestes de Boniface qu'il s'appuie pour montrer que les
fidèles rachetaient les corps des martyrs (111, 15), et sur ceux d'Abdon et Sennen
pour établir ce qu'il dit de l'ensevelissement inlra domos (Jll, 19), etc.
2 Baronius, 290, g 34, t. 111, p. 262. — Cf. Arnobe, I, Z6 [Corpus de Vienne,
p. 37-38).
s Jd.j 262, l 35: « Nam ex sententia Joannis Chr^'sostomi... » T. III, p. 120,
I
8 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
« Polycarpe, celle des martyrs de Lion dans Euscbe, et les
« autres qui passent pour incontestables, verront bien qu'en les
« lisant on se forme un goût pour discerner ce qui a cet air
« d'antiquité et de vérité, d'avec ce qui sent la fable ou la
« tradition populaire. La cpnnaissance de Thistoire, du style et
« de la discipline, fait juger encore de ce qui peut avoir esté
« écrit dans un temps, et de ce qui n'en peut être que fort
« éloigné*; » de sorte que Tillemont, peut-on dire, suit une
double méthode pour juger de la valeur d'un texte. Il compare
Vimpression d'ensemble que ce texte lui donne avec celle qu'il
éprouve à la lecture des documents authentiques, tels la Lettre
des Lyonnais ou celle des Smyrniotes; il fait en outre (encore)
la cnliqne détaillée du texte au point de vue de l'exactitude
historique dos faits, — et, semble-t-il, c'est la base de sa
critique destructive^ comme dirait Bacon, — et au point de vue
(le l'époque indiquée par le style et la discipline : — et ce devait
être, sans doute, le fondement de sa critique constructive. Il
n'eut pas le temps d'achever son œuvre. Dans les seize volumes
des Mémoires sur PHistoire Ecclésiastique, on ne voit nulle
part à quelle époque et dans quels milieux il situe la rédaction
de nos textes; on y démêle seulement que chaque appréciation
particulière dérive d'un rigoureux jugement porté sur l'ensemble
de cette littérature. Il est permis de le pressentir lorsqu'on
lit dans son avertissement: « La mort des saints est d'ordi-
naire ce qu'il y a de plus certain et de plus considérable
dans leur histoire, au lieu que leurs commencements sont
presque toujours assez inconnus *. » Mais c'est en étudiant dans
le détail les notes si précises qui terminent chaque volume
qu'on se rend compte distinctement de l'opinion qu'il s'est
formée de toute cette littérature. Chacune d'elles ne pourrait-
elle pas porter comme épigraphe, ces mots qui ferment
l'examen des actes de Césaire : « Je pense que le plus seur est
de le laisser au nombre de ceux dont nous connoissons la
sainteté et dont nous ignorons tout le reste -^ » ?
Ce jugement résume assez bien, semble-t-il, l'effort tenté
et l'œuvre accomplie par Tillemont; celle-ci est d'autant plus
importante que l'école historique du xvii* siècle l'adopte
* TiUemont, H. E., I, Avertissement, p.xiv-xv.
2 /rf., I, Avertissement, p. vi.
3 /rf., Il, note IV, p. 573.
QUEL EST l'état DU PROBLÈME? 9
presque aussitôt. Interrogez Jean de Launoi et Ruinart; par sa
rigueur impitoyable, le premier s'est attiré le significatif surnom
de dénicheur de saints, — et rien n'autorise à croire qu'il
exceptât les légendes romaines du jugement qu'il portait sur
toutes les productions de ce genre, — tandis que le second,
lorsqu'il entreprit de former la collection des actes sincères,
n'y put faire entrer que trois textes concernant des martjTS
de Rome : ceux qui racontent la passion de sainte Félicité,
celle de sainte Syniphorose, celle de saint Gènes *. Après les
savants catholiques, interrogez les savants non catholiques.
Dodwein prise si peu tous ces textes qu'il en attaque non
seulement les détails accessoires, mais encore les données
essentielles.
Après une lente évolution, la critique a donc reconnu le fait
de l'inauthenticité : Jacques de Voragine et Tillemont en
marquent les deux points extrêmes, et Baronius, le point moyen^.
II
Si les textes ne sont pas authentiques, quelle en est donc
l'origine ? S'ils n'ont pas été écrits par des contemporains, à
l'époque où se passaient les faits qu'ils rapportent, quand donc
et par qui ont-ils été rédigés? L'inauthenticité une fois consta-
tée, voilà le problème qui se posait, inéluctable, aux savants
des xviii" et xix* siècles^.
Une première théorie se présentait à eux, que l'on surprend,
indécise, à travers l'œuvre séculaire des Bollandistes , que
l'on trouve très précise dans les écrits de Le Blant, que l'on
constate enfin, parfaitement consciente d'elle-même et claire-
1 Je ne tiens pas compte de Laurent, Ilippolyte et Agnès, pour lesquels
Ruinart reproduit les hymnes de Prudence. Dans la seconde édition, 11 intro-
duisit les actes de Boniface.
ï Dissertaliones Cf/prianicae, XI.
'* Quelques retardataires survivent encore. Pour Galesinius, les Gesla
Priscae éidXent écrits parles notarii (A. SS., 18 janvier, p. 547); il ne semble
pas que M>' Lugari soit beaucoup plus avancé que Galesinius {Nuovo Bullet-
tino..., 1896, p. 148) : S. Sebastiano, Roma, 1889, p. 69 {Analecla Boll.,X, 368).
*■ Tillemont n*eut pas le temps de Taborder. On se rappelle qu'il signale
souvent des questions qu'il n'a pas le loisir d'examiner lui-même ; il les
indique & ses amis. Cf. infra^ III, p. 11.
10 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
ment exposée dans les ouvrages de de Rossi, où l'empruntent
H Tenvi le gros des savants qui travaillent à Tlieure actuelle :
les gestes romains seraient des textes authentiques, interpolés
et embellis. Ouvrez les volumineux in-folio des Acta Sanctorum :
que ce soit les tomes du mois de novembre que vous consul-
tiez ou ceux du mois de janvier, que ce soit les successeurs
de Baronius ou les contemporains de Técole de Tubingen que
vous interrogiez tour autour, vous surprendrez bientôt, chez tous
ces savants, d'époque, d'âge, d'esprit si divers, une môme et
commune tendance : montrer que les actes reproduisent une
première rédaction authentique, qu'ils sont sincères quant au
fond et qu'il est aisé de rendre compte des erreurs qu'ils ren-
ferment par une série de déformations successives ^
ï Cf. passim les Commentarii praevii. — Cf. surtout la dissertation de
Boiland: An Acta SS. Apocrypha? Praefatio Gêner., III, 5. (Janvier 1,
p. XXXIX.) Apocryphe ne désigne pas un texte fictif, mais un texte dont
l'auteur est inconnu, qui n'est pas canonique, qui n'est pas lu à l'église.
« NihU tainen inesse, ut in illis Patrum Scriptis ita et in his vitis praesertim
per anonymos exaratis, quod corrigi debeat, non sum ita démens ut existi-
mem. » Voilà le premier germe de la théorie boUandistc, admise au xviii* par
Aringhi et Boldetti. C'est cette même théorie qu'adoptait aussi, semble-t-il,
B. Chemnicius : il reconnaît que tout n'est pas également défendable, dans
les actes des martyrs ; mais il écrit d'autre part : « Ecclesiam certos nota-
rios adiunxisse martyribus ut acta eoruin fideliter annotarent ad laudem
Dei et instructionem fîdelium [Exom, Concilii Tndentini, p. m ; apud
Sagittarium, I, 8). U en est de même de Decio Mcmmolo: « Ho seguito tutti
(manoscritti) in quelio in che communemente concordano, tralasciando alcuni
colloquii alquanto vari, per esser dettati, corne io credo piii dalla pia conside-
razione dcgli scriltori che da certa scienza. » {Itella Vita, Chiesa el Reliquie
de Sanfi Quallro Coronafi, in Uoma Grignani, 1628, in-18,p. 15) ; et sans doute
il en est de môuïc aussi de Martinclli, dan.s son fameux ouvrage: « lioma ex
elhnica socra sanctoruin Pétri et PauU apostolica pracdicalione profuso san-
guine a Floravante .Martinelio Romano publicae venerationi exposita * (typis
Horamis Ignalii de Lazaris, 16.")'.)), Cf. p. 37, 451, passim — Ruinart admet
explicitement la théorie de l'interpolation: aux actes authentiques rédigés
soit par les martyrs, soit par leurs amis, et qui ont disparu soit par la négli-
gence des chrétiens {diiiturnitale tempovis), soit par les auto-da-fé des païens
{tl/rannoriim ynalitin) ont été « substitués » d'autres textes. « Ea autem sunt
quae passim in codicibus mami scriptis et editis occurrunt, quae lametsi pri-
migeniorum Actoriim puritatem non assequantur, multisque ut plurimum
circa personas et tempora scateant mendis, non tamen omni rejicienda credi-
dcrim. lis accenscnda stint acta in summa quidem sincera, sed quae ab
hominibus imperitis temere violala sunt, adiunctis ad priora Acta iniraculis
aut nicirtyruni cum tyrannis conccrtationibus... passim in iis aliquod prioris
sinceritalis veluti scintillae elucere (conspiciuntur; (Edition de 1731, p.viii-ix).
Rien n'autorise à penser que Ruinart ait distingué des actes des martyrs en
général les actes des martyrs romains — Le R. P. Honoré de Sainte-Marie,
qui publie, en 1713, ses Hé flexions sur les Hèr/les et sur VVsaqe de la critique
touchant l Histoire de V Eglise... les Vies des Maints (Paris, Jourbert) représente
QUEL EST l'état DU PROBLÈME? il
Cette tliëorie a trouvé dans Le Blant un défenseur et
dans ses travaux un point d'appui. Tandis que Tillemont relève
avec soin les quelques termes qui désignent les institutions
politiques du Bas-Empire, Le Blant note avec non moins
d'attention tous les termes qui se rapportent aux institutions
politiques contemporaines de l'époque prétendue et des person-
nages mis en scène ; il voit dans ceux-ci la preuve que les
gestes reproduisent une première rédaction authentique ; il
explique ceux-là. par des corrections maladroites et des embel-
lissements postérieurs, et il conclut que, malgré les apparences,
les actes ne sauraient être dédaignés*.
Fort des études do Le Blant, digne continuateur de Bosio,
de Rossi aperçoit l'importance et proclame la nécessité de la
méthode topographique dans l'étude des traditions romaines ;
en même temps il systématise la théorie éparse dans les volumes
des Bollandistes. Après avoir un moment pensé qu'aucune
« théorie générale » n'est de mise en l'espèce 2, il se ravise et
expose une « théorie générale » à l'Assemblée Dei Ctdtori, le
11 décembre 1881 : les légendes ont passé par quatre phases,
rédaction, interpolation, développements, abréviations litur-
giques; dans toutes ces transformations, la physionomie origi-
nale du texte s'est assez altérée ; mais le fond et la substance
du noyau primitif ont subsisté généralement, qu'il ait été formé
fort bien Topinion moyenne de ceux qu'effarouche la critique de Tillemont,
plus vigoureuse que rifçoureuse. Il croit que de nouveaux actes ont été rédij^cs
après — il faut entendre, semble-t-il, peu de temps après - que les actes
authentiques ont été brûlés ; il reconnaît même qu'on a falsifié ceux qui
avaient subsisté (I, 19) et ran»?e dans ce groupe de lextes refondus sur les
originaux, les gestes de Symphorose, de Félicité et de Gènes. 11 voudrait
admettre dans le recueil de Ruinart les gestes de Concordius, d'Urbain,
d'Alexandre, d'Etienne, de Marcel, de Pudentienne, d'Aurea, de Sabine, de
Marcellin et Pierre, sans que l'on voie bien clairement comment il s'en explique
l'origine. Sa critique de Uuinart et de Tillemont est souvent intéressante : il
tire habilement parti de ce que la leur est incomplète et purement né^'ative
(t. II, Dissertation ]\\passim, notamment 11* partie, p. 49-20 .— Il est probable
que, pour Mabillon, nos textes étaient interpolés; il ne jugeait pas qu'ils
fussent authentiques; pourtant il croit à VnnliquHé des gestes de saint
Clément : on y parle d'un Sisinnius qui est mentionné dans la messe du
saint {De Ulur(fia (/alUcana, III, 218). Noter qu'il remarque, à propos dos actes
de Silvestre, que le décret De liecipiendis n'était sans doute pas obsercé
{DisquisUio de Cursu gallicano, à la suite du De Uluvtfia..., édition de 1685,
p. 385-386). Lorsqu'il retrace la vie de saint Benoit et de son époque, rien ne
permet de penser qu'il plaçât à cette époque la rédaction des gestes romains.
' Cf. Les Actes des Martyrs, supplément aux Acla sincera de dom Ruinart
(Paris, 1882), elles l*erséculeurs el les Martyrs (Paris, 1893).
« H, S., 1, p. 124; — III, p. XXII.
12 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
après ou avant la paix de rEglise^. Les autours des Acta
Sanctorum avaient donc raison de ne pas s'en tenir aux cri-
tiques minutieuses de Tillemont, cavillationes Tillemontii, et
de ne pas vouloir, avec lui, condamner les Gesta; les erreurs
qu'il se plaît à relever s'expliquent très naturellement dans
l'hypothèse que Ton propose.
Telle est, aujourd'hui, la théorie le plus généralement reçue.
C'est celle qu'adopte M. Allard dans son Histoire des Persécu-
tions; celle qu'expose M. Heuser dans la Real-Encyclopoedie de
Kraus ; celle à laquelle se rallient Aubé^ et M. Neumann^ dans
leurs travaux d'ensemble et leurs enquêtes particulières. Parmi
les catholiques comme parmi les non-catholiques, en Allemagne
comme en France, on s'accorde donc à voir dans nos textes
une rédaction primitivement authentique, et plus tard interpo-
lée.
III
Une autre théorie a été pourtant indiquée. Si les textes sont
seulement interpolés, ont remarqué certains savants, il est
curieux qu'à aucune époque, pour aucune légende, aucun éru-
dit n'ait tenté do roconstituor le texte primitif qu'ils prétendent
à toutes les époques, découvrir dans toutes les passions. La
raison n'en serait-elle pas que, la terminologie administrative
du Bas-Empire rayée des gestes romains, leur physionomie
générale n'en serait guère modifiée ni leur saveur sensiblement
altérée, « au goût de ceux qui ont lu l'histoire do saint Poly-
carpe?... » D'autre part, on rappelle que, si la langue adminis-
trative du Bas-Empire renferme un certain nombre de termes
nouveaux, elle a retenu presque complètement le vocabulaire
de l'époque précédente ; et l'on pense que, ce que les gestes
présentent de remarquable et de significatif, ce ne sont pas les
» Bullelino..., 1882. p. iG2.
* Histoire des persécutions de VEtjlise jusquà la paix des Antonins, par
B. Aube, Paris, Didier, 1875, 2 vol. iii-8", et la suite.
3 Der romische Staat und die alUjemeine Kirche bis auf Diotiletian von
V. J. Neumann, I, Leipzig. Veit, 1891, in-8. C'est à la théorie de l'interprétation
que semble aussi se rattacher M. Vigneaux, dans son beau travail sur la Pré-
fecture urbaine.
QDEL EST L*ÉTAT DU PBOBLÈME? 13
mots communs aux deux époques, mais ceux-là seuls qui sont
propres à Tune (relies.
Ces deux observations ont conduit certains esprits h cette
théorie nouvelle : les Gesta Marlyrum ne diffèrent pas des
apocryphes ordinaires; sans nier le fait d'interpolations, dont
on se borne à restreindre l'importance et à discuter la date,
on conteste que la rédaction primitive des textes actuels, telle
qu'il sera possible de la reconstituer dans une édition sérieuse,
doive être regardée comme authentique.
S'il en faut croire le savant Baillet*, ce fut un cardinal
romain, intime ami d'un saint de l'Eglise, qui, le premier, pré-
tendit reconnaître dans les actes des mart}Ts romains de purs
morceaux de rhétorique, c'est-à-dire une certaine espèce d'apo-
cryphes. Aux yeux du cardinal Valero*, l'ami de saint Charles
Borromée, « Tune des causes de la falsification des légendes
(a) été la coutume qu'on avait autrefois dans plusieurs monas-
tères d'exercer les jeunes religieux par des amplifications de
rhétorique qu'on leur faisait faire sur le martyre de quelque
saint ». Dans la plupart de nos textes, il ne voyait peut-être que
des élucubrations pieuses datant du moyen âge.
Son jugement ne vaut qu'on raison de la liberté d'esprit dont
il témoigne: il se fonde uniquement, semble-t-il, sur des impres-
sions littéraires. Il n'en va pas de même de quelques indica-
tions que nous ont laissées nos illustres savants du xvii* siècle.
Adrien Baillet, « qui suit presque toujours M. Tillemont^"^ », n'a
pas craint d'écrire : « Nous ne connaissons pas même d'actes
de martyrs venus de la ville de Rome, qui n'aient été compo-
sés longtemps après les persécutions de l'Eglise, sur des
mémoires souvent défectueux ou sur des traditions populaires,
bien qu'écrits pour la plupart avec un grand air de simplicité'*. »
Qui sait si Baillet n'entend pas ici les siècles du moyen Age?
» BaiUet, /es Kiwf/esS'ain/s (Paris, 1715), 1, 13.
- Ecclcsiasticae Rheloricae, sive de ratione concionandi Hhvi sex celeher-
rimo et praestanlissimo tempeslatis noslrae Theoloffo Litdovico Granalensi...
his praepostiimus einsdem argumenti libros 1res Auguslini \'aleni^ episcopi
Veronae (Venetiis, apud Zilellum, 1578, in-12). Cf. notamment, p. 94 (UI, 3),
158 (IV, 3) des textes curieux de Louis de Grenade. Nous n'en avons pas
trouvé de décisif dans l'ouvrage du cardinal. A la môme époque, Melchior Cano
se plaignait vivement de la façon dont étaient rédigées les Vies des Saints
{Lororum theologicorum. libri, XII. Coloniae Agrippinae^ 1585, XI, 6, p. 333);
mais il est probable qu'il ne vise que ses contemporains.
3 Honoré de Sainte-Marie, op. cit., Il, p. 20.
* Viex des Sa in f s, 1, 6.
14 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
J'incline pourtant à penser qu'il vise les vi'' et vu*' siècles. Tille-
mont, qu'« il suit presque toujours », connaissait trop bien Tanti-
quité chrétienne, pour n'avoir pas au moins aperçu la conformité
(le cette littérature avec le « style et la discipline » de cette
époque. Un autre savant, son cont(Mnporain, Tun des esprits les
plus pénétrants peut-être qu'il y eût alors, l'avait déjà explici-
tement visée. Jean Pearson, l'évoque anglican de Chester,
avait vu le premier, croyons-nous, que le Liber Pontificalis
n'était pas antérieur au vr siècle et qu'il devait avoir été
rédigé environ cent soixante ans après Damase ; il avait vu, de
même, que les actes d'Alexandre n'étaient pas sincères, et il
inclinait à croire qu'ils avaient été rédigés au début du
vu** siècle ^ Quelques savants au moins de l'école dont Tillemont
' V. C. Johannis Pearsonii S. T. P. Cesiriensis nuper episcopi Opéra Pos-
thuma^ Chronologica, etc.. praelo tradidit, edenda curavit H. Dodwellus
A. M. Dubliniensis (Londini, Clavell, 1688) : « Dico... nullum papam autaliuni
qucmcumque fuisse auclorein Libri Pontificalis sive Geslorum Pontificaliuni
ante sextum saecuhim ; inio nullum eiusmodi libruni in Ecclesia exsiitissc
ante annum 160 ab obitu Damasi papae. » (Xlf, p. 126-127.) — « Alexandri papae
acta non «ante septimuni saeculum scripta fuisse puto... Non hnec vera, non
sincera, sed potius ficla et falsa oninia ner lam mendosa quam nicndacia esse
videantur ^ (VII, 226-227. — Diss. posterior). — L. Ellies du Pin pense de même
[Souvelle liihliothèque des Auteurs ecclésiablif^ues, Paris, 1686, I, 112) et
range les actes de Pierre et l*aul (Linu^), André (Arhaï«*) et Clément parmi les
actes apocryphes. — Il en est ainsi de Hasnage Histoire de t'Efflise, II, 1026)
et peut-être aussi de Burif^ny [Mémoire sur les ounuf/es apocryphes supposés
dans les premiers siècles de l Eglise, lu le l*"" mars 1757 {Hisf. de l'Académie
royale des Jnscriptiotis et lielles-Lettres, avec les Mémoires... Depuis l'an-
née 175.'M757, t. XXVI I, Paris, 1761, p. 88.) — A ce moment, la critique s'égare
dans des recherches sur les calendriers, pour lesquelles elle n'est pas encore
armée; les passions religieuses viennent aussi fausser le regard des savants.
Michel Geddes considère comme entièrement fabuleux les actes et les person-
nages de Fides, Spes et Charilas (.1 Discorery of some gross Mistakes in fhe
roman marlyrology refonnd, publish'd and authoriz'd by pope Gregory
the 13. . by Michael Geddes (LL. I). and Chancellor of the Cathedral Ghurch
of Sarum, dans les Miscelianeous Tracts, t. II, p. 177, London, Churchill, 1705).
— Montfaucon croit voir, dans Lucine, un substitut de Juno Lucina : « Nos
ab ecclesia Sancti Laurentii in Lucina duodccimam ininius diem. Suut qui
putent ortum nomen esse a Lucina matrona chrisliuna ; verum libentius iis
adstipuler qui acstimant a templo Junonis Luciuae nuncupationem derivari.
Qua ratione templum B. Mariae in Minerva, a templo Minervae, cuius rudera
proximis saecnlis ibidem supererant, denominatur : in promplu esset exempta
similia non pauca in médium adducere {Diarinm Ifalicum...y B. de Montfau-
con, Parisiis, 1702, in-8", ch. \vn. p. 2;}4). (Cf. ce qu'il dit, p. 117, du cimetière
de Saint-Laurent, ce qu'il dit de Saint-Clcment, p. 133 : <i Ilanc ferunt fuisse
ipsas Sancti Cienientis papae aedcs. Sane antiquitus a priscischristianae fidei
saeculis in ecclcsiae formam acta est. Nam initio quinti saeculi se Concilium
in ea celebrare testatur in epistola sua Zosimus Papa » ; p. 161 : < Instaurata
porro fuit variis temporibus (Sainte-Sabina), a Constantino, ut putant, primum
aedificata. At vêtus inscriptio in musivo ad imum ecclesiae fu nd a tam narrât
QLEL EST LÉTAT DU PROBLÈME? IS
résume la gloire ont compris que les textes romains étaient
apocryphes et qu'ils avaient été rédigés vers le vi° ou le
yii'' siècle.
Héritier de leurs souples méthodes, M. Tabbé Duchesne a
relevé leurs thèses : il a démontré que le Liber Pontificalis
avait été rédigé au début du vi" siècle, vraisemblablement au
temps de Symmaque et d'Hormisdas ; et il a « assimilé la rédac-
tion des Gesta pontificum à celle des Gesta martyrmn * ».
On a vu pourtant que le plus grand nombre des savants con-
temporains s'en tenaient toujours à la théorie de Tinterpolation ;
de très vives polémiques engagées au sujet du texte le plus
insignifiant qui se puisse voir, les gestes de sainte Félicité 2,
attestent jusqu'à l'évidence combien Ton s'est éloigné de la
route qu'indiquaient nos savants du xvii** siècle. Voilà donc
quel est, à la fin du xix® siècle, l'état du problème. Avant de
l'aborder à notre tour, peut-être convient-il de rechercher dans
quels termes précis il se pose. Qui sait si le malentendu ne
tient pas, pour beaucoup, à ce qu'on a trop négligé cette enquête
préliminaire ?
a Petro quodam lllyrico, tempore Gaelcslini priini papae; nisi fortasse metrico
stylo funclavH pro adanxit vel restauravit intelligatur. » — Jabionzcki retrouve
dans ies martyrs Maris, Marthe et Abacuc, des déformations du Tameux
Marius, le vainqueur des Cimbres, de la sibylle barbare qui raccompagnait
et du roi Tcutobochus, « nomine parce dctorto » ; il suppose une inscription
OBOCHVM qu'on devait restituer TEUTOBOGIIVM et qu'on a restituée
ABACHVM [Opuscula quibus lingua et antiquitas AEgyptiorum difficilia
librorum sacr. loca et historiae ecclesiasticaecapitaillustrantur... edidit J. Guil.
te Water; — Lugd. Batav. Uonkoop, 180M8i3, t. Ill (180U), p. 413-420].
' L.P. Introduction l,ccxxxi, note, et XXXII. — Cf. surtout le chapitre de l'intro-
duction, intitulé les Papes martyrs, I, lxxxix. — 11 est juste de mentionner le
travail d'Alfred Maury : Essai sur les légendes pieuses du moj/en (hje (Paris,
Ladrange, 1843). L'auteur imagine qu'on a rédigé d'abord les calendriers, puis
les martyrologes (ce qu'il appelle les hagiologies), enfîn les gestes.
'^ Cf. le premier chapitre de Kûnstle [llagioffraphische Sludien tiber die Pas-
sio Felicitatis cum Vil pliis (Paderborn, Schoningh., 1894) : 2ur Gesckickle
der Félicitas frage^ p. 1 .
I ■
Kl) I H'
CHAPITRE II
IL CONVIENT DE POSER LE PEOBLÈVB
I
A la fin du iv* siècle, on n'avait à Rome, dans les milieux
cultivés, qu'une très imparfaite connaissance de Thistoire des
martyrs qui y avaient souffert. « On ne saurait compter le
nombre des saints dont nous voyons les restes dans la ville de
Romulus ; mais voulez-vous connaître les titres qu'on grave sur
les tombes, les noms qu'a portés chacun d'eux, vous aurez
grand'peine à obtenir une réponse... Ces tombes silencieuses
sont couvertes de marbres muets ^ » Les regrets de Prudence
n'étaient que trop fondés : au temps où il écrivait, les
Romains connaissaient très mal sinon les données fondamen-
tales, du moins les épisodes particuliers de l'histoire de leurs
martyrs; l'étude du Calendrier romain et des Itinéraires
1 Prudence, Peristephanon, XI, S. Hippolyte, P. L.,60, 530.
Innumeros cineres sanctorum Romula in urbe
Vidimus, o Christi Valériane sacer.
Incisos tumulis titulos et singula quaeris
Nomina? difficile est ut replicare queam.
TantoB justoruni populos furor impius hausit,
Cum coleret palrios Troja Roma deos.
Plurima lilterulis signata sepulcra loquuntur
Martyrls aut nomen, aut epigramma aliquod.
Sunt et muta tamen tacitas claudentia lumbas
Marmora, quae solum significant numerum.
Quanta virum jaceant congeeTtis corpora acervis
ISosse licet, quorum nomina nuUa legai.
48 LES GESTP:S des 3IARTYnS ROMAINS
permet, (le prouver la première thèse comme Texamen des écrits
de Damase et de ses contemporains d établir la seconde.
Le grand nombre des saints vénérés à Rome, la connaissance
assez précise que Ton a de la date de leur fête et de l'emplace-
ment de leur tombeau, voilà le triple fait qui ressort de l'étude
du Calendrier romain qui fut rédigé vers 312, revu vers 422,
et qui nous est parvenu dans la double recension philocalienne
et hiéronymienne. On y relève 213. saints ou groupes de saints
romains ; sur ce nombre, sans doute, 86, — soit plus du tiers, —
sont dépourvus de toute attache topographique ^, et H sont
1 En voici la liste d*après rédition Rossi-Ducbesne du Férial Hiéronymien.
VJJJ K. tan, Romae, Jouini, Pastoris, Basilei, Victorianae. — VU K. ian.^
Romae, depositio Dionysii episcopi. — //// K. ian., Romae, Bonifatii ep. de
ordinatione. — JII K. ian., Romae Felicis epi. — /// non. ian. Antheri papae.
— XV K. feb. cath. pétri. — XIIII, K. feb. Sebastiani. — Xll K. /VA., Agnae,
virginis. — X K. feb. Emerentiani. — Vllll K. feb. Felicissimi. translatio
Pauii apostoli. — VI K. feb. Agnetis donati viti. Depositio sancti Pauli epi. —
V K. feb., Agnae in genui num. — ////, A', feb., Papiae et niiiitum.
/// ici. feb. Soratedis. Caloceri, Partheini (Bernensis) martyrum.
//// non mart., Martyrum X. — //// id. mart.^ depositio s. Innocentii epi.
Pr. id. tnarl., Innocentii epi (om. W.) Leonis epi et martyris (Bern. seul.)
— XVI K. apr. Alexandri, TtieodoU. — XV K. apr. Pymenii epi (B. seul.) —
VIIlI K. apr. Cyri mart. (B. seul.)
/// id. ap., Leonis papae (B seul). — Id. apr., Januarii, secutoris, encapi
(Rich.).— XIV K. maii Eleuteri epi. et Anteae matris eius. Parthenii Caloceri.
— IX K. maii, Naboris. — VI K. maii, Primitivi (E seul).— IIII K. wait, Vitalis
martyris (B seul).
VI id. ma/i(Epimachi).— V id. maii, Achillei. Nerei.— Pr. td. maii. Boniracii
(B seul). — XVI K. iun., Caloceri et Partheni. — VII K. iun., Simmetrii martjTis
(B seul). — VI K. iun, Restituli (B seul). — Prid. K. iun. Petronillae.
A', iun. Joventi cirici exiuperanti. — //// non. iun., Martyrum XLVIII. —
/// Non. iun., Marcelli. —XVK. iul. Diogenis. — VI K. iul, Johannis et Pauli.
Kal. iul., Gai, epi. — VI non. iul., Eutici... (Leçon de E, peut-être celui de
Saint-Sébastien) depositio Miltiadis — VI id. iul., natale 7 Germanorum, id
est... — V id. iul., Stephanis leonti, etc. Diomedis (E seul). — A7// K. aug,
Calociri. Partini. — XII K. aug., Praxidis (E seul). — /// non. aug. Natale
s. Drogens (om. E. Diogenis?) — VII id. aug., passio XXV mart. — Pr. id,
aug. Ghrysanthi et Danae et qui cum eis passi sunt Claudius Hilaria Jason
Maurus et milites LXX. — XVIIII K. sept. Eusebii tituli conditoris. — VIIII K.
sept., s. Genesii.
//// id. sept., depositio Ililarii episcopi. — Pr. id. sept., Proti, Uyacinthi,
Hippolyti. — XVI K. oct., passio sanctae Caeciliae virginis. — VIIII K. ocl.,
liberi epi. — VIII K. oct. depos liberi epi. — VII K. oct. eusebii epi.
IV non. oct. sancti Eusebii episcopi.— V non oct., Candidae. — VII id. oct.
Marcellini, Genuini, Nuvii. — VI K. novemb., Marciani, luci, vietL
V. id. nov., Clementis semproni. — IIII id. nov., sept. Leonis episcopi. —
XI Kal. dec, nat. sancti Clementis. — X. K. dec , Caeciliae virginis Valeriani
Tiburti Maximi. — VIIII K. dec, Clementis episcopi. — VIII K. dec, Chryso-
goni (Eleutheri, Maximi, Anthirotici episcopi). — VI K. dec, dep. Sirici epis-
copi. — Prid. K. dec, CastuU.
COMMENT IL CONVIENT DE POSER LE PROBLÈME 19
attribués à deux endroits différents * ; sans doute, 40 groupes
de saints ont plus d'un anniversaire. Mais, dans 21 cas-, le
dualisme des fêtes peut s'expliquer par le fait d'une transla-
tion : hypothèse dangereuse lorsqu'on veut en faire une appli-
cation spéciale à une question spéciale, mais légitime et vrai-
semblable, tant qu'on n'en fait pas la prémisse générale d'une
conclusion particulière. Dans 19 autres cas^, Tincertitude
est plus forte et l'hypothèse d'une translation insuffisante, un
même groupe se trouvant reproduit à plus de deux dates
distinctes. Mais qui pourra dire la part que les fautes de
copistes s'accumulant du iv* jusqu'aux siècles du moyen
âge doivent avoir dans ces incertitudes ; beaucoup sont mani-
festes ; est-ce beaucoup s'avancer que de croire qu'elles alté-
raient le texte, alors, beaucoup moins profondément qu'au-
jourd'hui?
Quant aux flottements topographiques, outre qu'ils sont peu
nombreux, ils peuvent s'expliquer de môme par le fait d'une
translation, d'une dédicace d'église, d'une erreur de copiste ou
de telle autre cause qui nous échappe. Les absences complètes
K. dec, nat, Candidae. — VII id. dec.^ Eutycbiani cpiscopi. — IIII id. dec,
Trasonis Pontiani Praetextati et aliorum LXXII... Damasi episcopi. — /// id.
dec.^ dep. Damasi (Eulaliae trasonis pontiani capilulini pretextatore et aUo-
rum X). — XV Kal. ian., Luciae virginis et Auceiae régis Antoni Irenaei
Tbeodori, papeusi Apolloniae, Apamiae, Paeni, Circussei, Arionis, Papisci,
Saturi, Victoris cum aiiis VIII. — XIIII K. ian , Luciae u. et auceiae. —
XIII Kal. ian.^ Zepbirini episcopi. — XII Kal. ian.^ depositio sancti Innocent!
episcopi victoriae. — X Kal. ian.^ atriani meteUi sirlani basélini puUi sopatri
saturnini eufronini castulae solani basilini. — VI III K. ian.^ Metrobi, Pauli,
Genoti, Theutini, Timisti.
I Cyriacus, 30 milites, Tiburtius, .Calocerus, Urbanus, Januarius, Maurus,
Laurentius, Caeciiia, Vincentius, Victor.
^ Maximus, IX K. feb., VIU K. nov. — Victor^ Felix^ Alexander, Papias^
Xll K. maii, XVi K. oct. — 30 Martyres, XI K. ian. — Januarius^ VI id.
iuL, un id. aug. — Felicula, non iun, id. iun. — Demetrius et Honoratus,
X Kal. dec. XI K. ian (plus Felicius et Florus) ; — Cyriacus Largus...^
VI id. aug., IIH id. aug. — Vincentitis, IX K. iun, X K. aug. — Anatolia^
VI id. iul. VU id.iul. — Cassianus^ III id. aug. ; id. aug. — Diogenus, II! non.
aug., XV K. iul. — Chrysunlhus et Daria pr. id. aug.; Ul K. dec. — Protus et
Hyacinlhus^ pr. id. sept., 111 id. sept.; — Candida^ K. dec, V. non oct. —
Pontianus, IIII id. dec, id. aug. — Damasus^ IIII id. dec, III id. decemb. ; —
Eusebius^ XVIIII K. sept., Vlll id. oct. — Dionysius, V id. aug. VII Kal. ian. ;
— Léo, pr. id. mart. 111 id. apr. ; — Pymenius^ XV K. apr., IIII non dec; —
MiltiadeSf VI non iul., IIII id. ian.
3 Basilla, 1 Germani, Primitivus, Soteris, Gains, Tiburtius, Caloccrus
Parthenius, Eusebius ep., Euticianus, Félix ep., Basilides, Processus Marti-
nianus, Sempronianus..., Caeciiia, Bonifatius, Agnes, Innocentius^ Naborius
Nasarius, Laurentius Hippolytius.
SO LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
d'indications topographiques sont beaucoup plus fréquentes;
mais on n'y saurait attacher d'importance; nous n'avons pas
le droit de demander autre chose à un calendrier liturgique
que les dates des anniversaires. En outre, beaucoup sont plus
apparentes que réelles; certains documents nous attestent
que les saints sans tombeau sont très rares et nous ren-
seignent de façon très précise sur l'emplacement des tombes
vénérées au premier tiers du v* siècle, peut-être même au siècle
précédent.
Je ne vise pas ici la Notitia Portarum Viarum Ecclesia-
rum circa urbfim Romam^^ que Guillaume de Malmesbury
insérait dans son ouvrage. Sans doute, elle est de beaucoup
antérieure à l'époque où il vivait, antérieure aux trans-
lations des reliques à Rome ordonnées par Paul I*""'-^ (757-
767), puisqu'elle mentionne la place qu'elles occupaient,
avant cette époque, dans les différents cimetières; mais elle
est postérieure à 642-649, car elle place sur le Celius, à
Saint-Etienne, Primus et Felicianus, qui y ont été transpor-
tés par les soins du pape Théodore^, mort en 649, pape
depuis 642.
Il ne s'agit pas davantage de VEpitome Lihri de Locis Sanc-
torum Martt/rum^y trouvé à Salzbourg, à la fin du siècle précé-
dent. Il n'est pas antérieur aux premières années de Théo-
dore, car c'est vers 642 que l'on apporta à Rome les reliques
de saint Anastase, mort martyr en Perse en 627^, reliques
mentionnées dans notre texte sur la Voie d'Ostie. Ce qui
» De Rossi, H. S., l, 146, 177.
i c Hic beatissimus poatifex (Paulus, I, 757-767) eu m omnibus spiritalibus
suis studiis mognam soliicitudinis curam erga sanctorum cymiteria indesi-
nenter gerebat ;undecemens plurima eorundem sanctorum cymiteriorum loca
neglectu ac desidia antiquitatis maxima demolitione atque eam vicina ruine
posita protinus eadem sanctorum corpora de ipsis dirutis abstulit cymiteriis.
Quae cum hymnis etcanticis spiritalibus infra banc civitatem Homanam intro-
ducens, alia corum per titulos ac diaconias seu monasteria et reliquas eccle-
sias cum condecenti studuit recondi honore.» (L. P., 1,464.)
3 « Eodem tempore levata sunt corpora sanctorum martyrum Primi et Feli-
ciani qui erant in arenario sepulta, via Numentana, et adducta sunt in urbe
Roma; qui et recondita sunt in basilica beati Stephani protomartyris. » (L. P.,
1, 332) (Theodorus, 642-649). — Simplicius et Viatrix ne sont mentionnés
nulle part. Or, € Hic (Léo II, 682-683) fecit ecclesiam in urbe Roma iuxtasancta
Viviana nbi et corpora sanctorum Simplici, Faustini, Beatricis atque aliorum
martyrum recondidit (L, P., 1, 360).
* H. S., I, 145.
6 /?. S., I, 144*
BbkÂtENt iL CÔNVlËNt Dk POSEk LE PROkÂMfe il
Confirme cette opinion, c'est que VEpitome qualifie de wiVi-
fice ornata^ la catacombe de Saint- V al entin, qui fut préci-
sément restaurée par les soins de Théodore. — Mais on
remarque que la basilique de Sainte- Agnès, sur la Voie Nomen-
tane, est dite mirae pulcriiudinis^ alors que nous savons, par
le Liher Pontificalis^, qu'elle fut restaurée par Honorius
(625-638); on remarque de même que Tune des basiliques do
Saint-Laurent, sur la Voie Tiburtine, est désignée par les mots
nova mirae pulcritudinis^ alors qu'elle fut refaite par Pelage
(579-590). N'est-il pas à croire que notre texte de VEpitome
n'est qu'une seconde édition d'un document contemporain de
ce dernier pape?
Nous ne remontons ainsi qu'à la fin du vi" siècle : 17/î-
néraire de Salzbourg-^ nous permet d'atteindre tout au moins
le premier tiers du v" siècle. Il fut découvert, il y a plus de
cent ans, dans la bibliothèque de cette ville, à la fin d un
manuscrit contenant les œuvres d'Alcuin, et publié de même.
C'est une relation originale, écrite à Rome ; partant du centre
de la ville et sortant au nord par la Porte Flaminia^ un pèle-
rin parcourt successivement tous les cimetières, passant d'une
voie à l'autre par des chemins de traverse. Le texte est anté-
rieur à 649'*, car il ignore la translation de Primus et Felicia-
nus de la Voie Nomentane sur le Celius; il est antérieur à 642,
car il ne mentionne ni les reliques d'Anastase, ni les travaux de
Théodore à Saint- Valentin. 11 est postérieur, d'autre part, au
pape Honorius, mort en 638; il le cite trois fois. Voie Flami-
nia, Voie Nomentane et Voie Aurélia, à propos des cimetières
de Saint- Valentin, de Sainte-Agnès et de Saint-Pancrace, qu'il
restaura et embellit. — Il est permis de préciser davantage.
A la diff'érence de la Notitia et de VEpitome, Vltinéraire
de Salzbourg donne une liste presque complète de tous les
papes qui se sont succédé, depuis la fin des persécutions
jusqu'à l'époque de Sixte 111(432-440). Sur la Voie Salaria
Nova, il mentionne les tombeaux de Silvestre, de Sirice, de
Célestin et de Boniface; sur la Voie Ardeatine, ceux de Marc
et de Damase ; sur la Voie de Porto, ceux d'Anastase et
d'Innocent; sur la Voie Aurélia, celui de Jules. En rangeant
» R, s,, I, 176.
« L. p., I. 323.
3 fl. s., ï, 175, et sq., 144.
* H. 5., 1, 175, 144.
22 LES GESTES DES MARtYRS ROMAINS
ces papes dans Tordre chronologique, on obtient la liste
suivante :
Silvestre, 314-335, V. S-.N.
Marc,
336,
V.
Ard.
Jules,
337-352,
V.
Aur.
Damase,
366-384,
V.
Ard.
Sirice,
384-398,
V.
S.-N.
Anastase,
399-401 ,
V.
P.
Innocent,
401-417,
V.
P.
Boni face.
418-422,
V.
S.-N.
Célestin,
422-432,
V.
S.-N,
Manquent Zosinie (417-418) et Libère (352-366). La négli-
gence qui atteint le premier s'explique sans doute par la briè-
veté et le peu d'importance de son pontificat* ; Toinission du
second n*est probablement pas primitive; elle n'est pas non
plus, très vraisemblablement, sans rapport avec les légendes
féliciennes qui défiguraient son histoire'^. — Voici donc un
document contenant la série des papes de 314 à 432; il est
complètement muet sur ceux qui ont régné, passé cette date :
il ignore XystellI et Hilaire, enterrés sur la Voie Tiburtine; il
ignore saint Léon, enterré à Saint-Pierre; tandis que ÏEpùome
rappelle que cette basilique est aff*ectée au ponti/icalis ordo^
Y Itinéraire s'abstient môme de toute mention de ce genre.
Comment expliquer qu'il se désintéresse subitement des sépul-
tures des papes, à partir de 432, après les avoir si soigneuse-
ment citées jusque-là? N'ost-il pas vraisemblable qu'il reproduit
un document antérieur composé sous Sixte III?
Qui sait même si Tédition de Sixte III ne repose pas sur une
édition antérieure, contemporaine de la réorganisation de l'Eglise
après la persécution et dont la double table philocalienne^ nous
1 Noter que Zosime manque aussi dans le F. ÏI. (Mélange^,. .y Ecole de
Rome, V, 139).
*- Cf. infra, date des gestes d'Eusébe.
VI Kal. ianuarias, Dionisi, in Calisti.
III Kal. ianuar., Felicis, in Halisti.
Prid. Kal. ianuar., Silveslri, in Pris-
cillae.
II II Idus ianuarias, Miltiadis, in
Calisti.
XVÏII Kal. fel)., Marcellini, in Pris-
cillae.
Depositio EpiscoponrM
X Kal. mai., (îai, in Cali-sti.
Il II Non. augustas Stelîani, in Ca-
listi,
VI Kal. ortol) , Eusebii. in Calisti.
VI Id. decenib., Eutichiani, in Ca-
listi.
Non. (»ctob., Marci. in Balbinae.
Prid. Idus apr. luli, in uia Aurciia.
III Non. mar., Luci., in Calisti. miliario III, in Calisti.
COMMENT IL CONVIENT DE POSER LE PROBLEME
23
consen^erait un abrégé? Avec les dates des anniversaires,
cette table indique les lieux de sépulture ; la liste pontificale
que Ton y a reconstituée déjà et qui reproduit partiellement
celle de la platoma de Saint-Calliste ' , précède immédiatement
celle que nous avons retrouvée dans ï Itinéraire : la table philo-
Item Defositio Marttrum
VI] I Kal. ianu., natas Christus in
Betleem Judeae.
Mense Januario
XllI Kal. feb., Fabiani in Calisti et
Sebastiani in Catacumbas.
XII Kal. feb., Agnetis in Nomentana,
Mense Februario
VI II Kal. mart., natale Petri de ca-
tedra.
Mense Martio
Non. mart., Perpetuae et Félicita-
tis, Africae.
Mense Maio
XIIII Kal. iun., Partheni et Caloceri
in Calisti, Diocletiano VIIII et Maxi-
miano, VI II cons. (30 i).
Mense lunio
III Kal. iul. Petri in Catacumbas et
Pauli Ostense, Tusco et Basso cons.
(258).
Mense Julio
VI Id. Pelicis et Filippi in Priscil-
lae ; et in lordanorum, Martiatis, Vi-
talis, Alexandri; et in Maximi, Silani ;
hune Silanum martirem Novati furati
sunt; et in Praetextati lanuari.
III Kal. aug. Abdos et Sennes in
Pontiani, quod est ad Ursum pilia-
tum.
Mense Auguslo
VIII Id. aag. Xysti in Calisti, et in
Praetextati, AgapiU et Felicissioii.
VI Id. aug. Secundi, Carpophori.
Victorini et Severiani Albano ; et Os-
tense VII ballistaria, Cyriaci, Largi,
Crescentiani, Memmiae, Iulianae et
Smaragdi.
III Id. aug., Laurent! in Tiburtina.
Id. aug. Ypoliti in Tiburtina et Pon-
tiani in Calisti.
XI Kal. sept., Timotei, Ostense.
V Kal. sept., Hermetis in Basitlae,
Salaria Tetere.
Mense Septembre
Non sept., Aconti in Porto, et Nonni
et Ilerculani et Taurini.
V Id. sept., Gorgoni in Labicana.
III Id. sept.. Proti et laclnti in Ba-
sil lae.
XVIII Kal. octob., Cypriani Africae.
Romae celebratur in Calisti.
X Kal. octob. Basillae, Salaria vetere,
Diocletiano VIIII et Maxinicono VIII
cons. (30().
Mense Octobre
Prid. Id. octob., Calisti in via .Au-
rélia, miliario III.
Mense Sovembre
V Id. nov., démentis, Sempronia-
ni, Claudi, Nicostrati in comitatum.
m Kl. dec. Saturnin! in Trasonis.
Mense Décembre
Id. dec, Ariston in Portum.
L. P. I., 10-12.
^ Nomina episcoporum martyrum et confessorum qui depositi sunt incymi-
terio Callisti :
Xystus,
Cornélius,
Pontianus,
Fabianus,
Eusebius,
Dionysius,
Félix,
Eutychianus.
Gaius,
Miltiades,
Stephanus,
Lucius,
Antcros,
LaudiceuSy
Polt/carpus^
Urbanus,
Mannoy
Niimidianus,
JulianuSy
Optaltis.
Horum prtmus sanctus Xystus passus eu m Agapito Felicissimo et aliis
numéro XI {H. S., II, 33, 48 ; — /. Chr., Il, 68 : — L. P., I, 234).
calienne est donc contemporaine du pontificat de saint Syl-
vestre. Mais si, au lendemain des persécutions, on s'intéressait
ainsi aux papes, n'était-il pas naturel qu'on s'intéressât aussi
aux martyrs? Si la depositio martyrum. ne donne que les plus
illustres d'entre eux, c'est que l'auteur du Chronographe
n'avait nul souci de les énumérer tous dans son guide de
Rome. Il est très vraisemblable qu'il en est de Y Itinéraire
comme du Calendrier^: c'est aussi a l'époque de Sixte III
qu'a été retouche' le calendrier de Miltiade^.
Nous connaissons donc les emplacements des tombes
sacrées en 432, sans doute même en 314, au lendemain des
persécutions. Si l'on réfléchit que les noms des martyrs étaient
gravés sur la pierre qui fermait le loculus et que les fidèles
surveillaient avec un soin jaloux tout ce qui intéressait les
cimetières 3, si l'on se souvient que, dans l'hypothèse la plus
défavorable, nous ne sommes guère éloignés de plus d'un
siècle de l'époque des persécutions, on verra qu'on ne peut
raisonnablement douter de l'exactitude des indications alors
consignées dans Vltine'raire de Salzbourg et qu'il y a lieu
de le regarder comme un document parfaitement autorisé.
Les emplacements des sépultures étaient au moins aussi sûre-
ment connus, à la fin du iv' siècle, que les dates des anniver-
saires.
Tout au contraire, les divers épisodes de Thistoire des
martyrs étaient alors parfaitement ignorés. Voyez Damase* :
enfant, il a pu connaître les persécutions; jeune homme, il
a connu les persécuteurs ^ et les confesseurs de la foi ; évêque
de Rome (366-384), il a eu plus de facilité qu'aucun autre pour
recueillir les renseignements et consulter les documents. Pour-
1 Duchesne, les Sources du martyrologe h... {Mélanges...^ Ecole de Rome,
V, 142). L'indépendance mutueUe du F. H. et du Salisburgensis se déduit
de la mention de Libère dans celui-là, de son absence dans celui-ci.
'^ Le M. H. mentionne des dédicaces d'églises de Sixte III, le baptistère du
Latran, Saint-Pierre-ès-Liens, Sainte-Marie-Majeure, Saints-Sixte et Laurent
(td., V, 143).
* Noter qu'il n'y a pas de différence notable entre ce document de 314-432
et ceux de 640 dont nous avons parlé : en deux siècles, la tradition ne s'est
pas altérée.
^ Nous avons le bonheur d'avoir, pour Damase, une excellente édition:
celle de Ihm : Damasi Epigrammala^ Lipsiae, 1895, in-12. — Cf. Hheinisches
Muséum (189.^)» p. 191 ; de Rossi, Bull.^ 1884, p. 7; Cari Weyman: De carmi-
nibus damasianis et pseudo-damasianis observationes [Revue d'histoire et de
littérature religieuses, I (1896). 58. — Cf. aussi III (1898). 564].
^ Ihm, 29, p. 34. « Percussor retutit Damaso mihi, cura puer essem. »
tant, lorsqu'il entreprend d'en retracer les saintes aventures,
comme il est pauvre de détails précis et quel prix cependant
n'y attache-t-il pas? Toutes ses épigrammes ont entre elles je
ne sais quel air de parenté, qu'elles doivent non pas seulement
à l'uniformité du style* et à la pauvreté du vocabulaire 2, mais
encore, mais surtout, à l'absence de tout détail historique et à
leur tendance moralisante. Le fait est d'importance ; mais il est
aisé de s'en convaincre. Voici, en une page, toute la « matière
historique » de ces épigrammes 3.
« (7) Félix et Adauctus sont des martyrs*. — (8) Les soldats
« Nérée et Achillée, qui exécutaient des ordres barbares, sont
« des martyrs. — (12) Dans la troupe des martyrs compagnons
« de Sixte, se trouvaient un prêtre qui vécut pendant une
« longue paix et des confesseurs venus de Grèce. — (13) Sur-
« pris par les soldats. Sixte s'est fait tuer le premier. — (14)
« Emule du diacre Etienne protomartyr, Tharsicius, surpris
« tandis qu'il porte l'Eucharistie, se fait tuer plutôt que de la
« livrer. — (18) Heraclius refuse la pénitence aux faillis;
« Eusèbe la leur accorde ; le peuple se partage entre eux ; le
« tyran les exile; Eusèbe meurt sur la côte de Sicile, évoque
« et martyr. — (22) Januarius est un martyr. — (23) Felicis-
« simus et Agapitus furent subitement mis à mort avec Sixte.
« — (27) Eutychius est mort martyr après être resté douze
« jours sans nourriture, avoir vécu dans l'ordure sans pouvoir
« dormir. — (29) Le bourreau de Marcellin et de Pierre a
« raconté leur martyre à Damase enfant ; ils ont été exécutés
« en cachette, au petit jour; avant leur mort, ils avaient eux-
« mêmes gaiement creusé leur tombe ; après, ils en ont révélé
« l'emplacement à Lucilla. — (30) Tiburtius, (31) Gorgonius,
« (32) Laurent ^, sont des martyrs. — (37) On raconte que le
« prêtre Hippolyte suivit le schisme de Novatus ; mais que, au
« moment de la persécution, il conseilla au peuple de suivre
1 Ihm, notamment les épigr. 8, 11, 12, 13, 14, 52, 53.
> Pia viscera matrls, 13, 43, 30, 37,46; — Régna (turba)piorum, 12,26,23, 37,
43, 47, 49. — Superato (contempto) principe mundi, 7, 30, 43, 47; — Damasus
rector, 7, 13, 14, 42, 44.
3 Les numéros qui précèdent chaque phrase renvoient aux numéros des épi-
grammes dans l^édition de Ihm. Celles qui ne sont pas résumées ne con-
cernent pas les martyrs de Rome.
^ Damase ne dit pas qu'ils sont frères. Cf. Delehaye, « Saints du cimetière
de Commodille >, AnalectaBoU. XVI (1898), Urageàpart, p. 20.
^ Rien à tirer des épigrammes 55 et 102.
26 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
« la foi catholique et mérita ainsi le martyre ^ — (40) On
« raconte qu'Agnès s'offrit à la mort, brava le bûcher, et
« voila sa nudité de ses cheveux 2. — (42) Des saints dont on
« ignore les noms et le nombre reposent Via Salaria Nova.
c. — (43) Soixante-deux martyrs reposent Via Sa/aria. —
n (44) Maurus subit le martyre tout enfant. — (46) Saturni-
« nus, Carthaginois, d'origine, subit le martyre à Rome^. —
« (47) Félix et Philippe sont des martyrs'*. — (48) Marcel
« enjoint la pénitence aux faillis : le peuple se révolte,
« il est exilé. — (49) Protus et Hyacintus, deux frères,
« subissent le martyre : leur tombeau fut longtemps caché'».
« — (52) Saint... est venu de Grèce, a été martyrisé à
K Rome^. »
Quels détails ajoute Damase à ce que nous apprennent le
Calendrier et 17/m^>ai/r.^ Jamais une date; jamais un nom
d'empereur, de proconsul ou de juge ; jamais un renseigne-
ment sur la vie du saint ou sur sa mort, sauf pour les cinq
martjTs : Tharsicius, Eutyrhius, Marcellin et Pierre, Hippolyte,
Agnès! Et encore, dans ces deux derniers cas, pour Hippolyte
surtout, il n'affirme rien : il rapporte simplement ce que Ton
raconte autour de lui ; »
Hippolytus fertur premerenl cum iuissa tyranni;
1 Rien à tirer de répigramme 82.
2 Rien à tirer de Tépigramnie 84.
3 Rien à tirer de répigramme 88.
^ Rien à tirer de i*épigramme 86.
^ Confirmé par l*épigramme 96.
«* Voici le résumé historique des épigrammes d'origine douteuse.
Il y a des saints (6) Faustinus, Viatrix et (38) Timothée. — (41) Une femme
est morte pour le Christ, et ses enfants l'ont suivie. — (58) Dans un autel
reposent Paul et Jean, martyrs. — (59) Deux frères... qui \ivaientà la cour.
Voici le résumé historique des épigrammes pseudo-damasiennes, recueillies
par Ihm. — (78) (77) Des Grecs sacrilèges sont devenus martyrs ; surpris par
une tempête, ils fireot un vœu à J^ipiter afin d't^tre sauvés. Après Hippolyte
qui vécut comme un moine, Adrias et Paulinasa femme reçurent le baptême:
leur f(^te est le XIIl Kal. iun. Maria et Nion son frère ont fait de larges
aumônes et ont souffert le martyre : leur fête (?) est le V id. nov. — (79) Gordia-
nus subit le martyre tout enfant. — (80) Nemesius est un martyr. — (81) Vene-
rius a suivi Castulus. — (84) Constantina, vierge vouée à Dieu, a consacré
un temple à Agnès. — (86) Des enfants ont suivi leur mère. — (87) Chrysanthe
et Darie reposent dans un même tombeau. — (88) Saturninus est un martyr.
— (96) Le tombeau de Protus et llyacinthus fut longtemps caché. — (99) Dio-
gènes est un martyr. — (100) Le jour de la depoaitio d'Alexandre, évêque et
martyr, est le XI Kal. oct.
COMMENT IL CONVIENT DE POSER LE PROBLÈME 21
et il insiste, comme pour dégager sa responsabilité :
haec AUDiTA refert Damasus
Une fois même, son ignorance est plus complète encore ; il
ignore les noms et le nombre des saints, sur le tombeau
desquels il fait graver ces vers :
(i2) Sanctorum
Nomina nec numeruni poluit retinere vetustas.
Et ce n'est point, de sa part, parti pris de dédaigner les faits;
c'est la conséquence de l'ignorance oh il se trouve de Thistoire
dont il devrait parler. La négligc-t-il lorsqu'il la connaît par
hasard? Les épigrammes de Tharsicius, Eutychius, Marcellin et
Pierre..., prouvent le contraire.
D'autre part, il semble difficile de contester son intention de
moraliste.
(8) Crédite per Daniasum possit quid gloria Christi.
dit-il ; ou encore :
(27) Expressit Damasus meritum ; venerare sepulcmm ;
ou encore :
(42) Sanctorum, quicuraque legis, venerare sepulcrum.
OU enfin :
(31) Hic, quicumque uenit, sanctorum limina quaerat.
Ces quelques citations, les travaux qu'il entreprend aux cata-
combes, montrent qu'il veut entretenir ou réchaufi'er ou diriger
la dévotion des Romains pour leurs martyrs, et, prêchant leur
exemple, les acheminer à la pratique du sacrifice. Mais pouvait-
il ignorer qu'un fait précis, l'autorité d'un exemple, produisent
sur une àme une impression plus vive et exercent sur elle une
action plus profonde qu'une exhortation générale? Melius
(îocemiir facto qnam voce. Qui parle ainsi? Précisément un
§6 Les GEsi'EÂ DES MAtlTVRS koMAlNS
contemporain de Damase, saint Ambroise*. Le but que poursui-
vait le pape lui commandait donc une autre méthode que celle
qu'il a suivie : s'il n'a pas donné à ses épigrammes un tour
historique, c'est qu'il n'était pas le maître de le faire.
Un fait confirme cette conclusion. Que l'on parcoure les
livres des prédécesseurs de Damase ou de ses contemporains,
de tous les écrivains, profanes ou sacrés, qui ont parlé du chris-
tianisme avant la fin du iv' siècle : que disent-ils des martyrs
de 'Rome? Si l'on ouvre la Patrologie latine de Migne,
tome CCXIX, colonne 583, pour consulter l'index des persécu-
tions, on constate que les circonstances générales s'y trouvent
seules rappelées, les faits individuels toujours omis. Si l'on
consulte l'index des sermons sur les saints, on déplore l'absence
de tous les écrivains antérieurs à saint Ambroise. Pour pré-
ciser davantage, veut-on enfin lire Ambroise, Augustin, Jérôme,
Prudence, Sulpice Sévère? Trois légendes s'y trouvent plus ou
moins vaguement rappelées^ : celles de Laurent, de Sébastien
et d'Agnès; et nous en connaissons plus de 75...! Et sur ces
trois légendes, il en est une qui doit sa popularité et son exten-
sion à l'idée qu'elle représente, bien plus qu'aux détails qu'elle
rapporte; je parle ici de la légende d'Agnès, exaltation de la
virginité 3. Et souvent, lorsqu'ils parlent, Ambroise, Augustin,
Prudence, comme Damase lui-même, croient devoir avertir le
lecteur qu'ils ne sont pas certains des faits qu'ils racontent et
qu'ils les donnent non comme histoire, mais comme légende.
Il faut aller plus loin. Leur ignorance '* de l'histoire des saints
ne se laisse pas seulement deviner à ces traditiir^ à ces
fertur^ dont ils sèment prudemment leurs vers ou leurs dis-
1 p. L., 17, col. 727-728. « Dictis facta priera sunt... MeUus ergo doceniur
facto quam voce ; denique sancti martyres etsi voce tacent, factonitn virtute
nos edocent; etsi lingua siient, martyrii passione persuadent.» (Ambro-
sius (?), De Satali Sanctorum Marty/mm^ Serino LX, 2.)
^ Ambroise: légende de Laurent, P. L., 17, 1216 et 705, 16, 1093 et 84; —
Sébastien, te/., 15, li97; — Agnès irf., 16, 189; 17, 701, 1210. — Prudence:
Laurent, iiL^ 60, 294, 530... Agné:», iV/., 580. — Noter la mention de sainte
Suzanne dans Claudien {Carm. Min., L. In Jacobum magistrum equitum. —
M. G. Auct. Ant., X, 340).
3 Associée à Thècle et à Pélagie. Ambroise, Ep. I, 37 (P.L., 16, 109.0. Qu»<l
Theclam, quid Agnem, quid Pelagiam loquar..., ad morlem quasi admi-
mortalitatem festinaverunt. — Cf. Jérôme, Ep. 130 (i*. L. 2i, 1109). — Sulpice-
Sévère, Dialog. Il, 13 (Halm., p. 196): € Dîcam, inquit, nobis, sed nos nuUi
quaeso dicatis : Agnes, Thecla et Maria mecum fuerunt. »
^ Augustin ne souffle mot de saint Gencs dans le de Baplismo contra Dona-
lislas. Cf. surtout Vll, 53 (P. L., 43, 2i2.)
COMMENT IL CONVIENT DE POSER LE PROBLÈME 29
cours : à examiner de près les détails qu'ils rapportent, elle
apparaît plus clairement encore. Lorsque, du haut de la croix,
Sixte console Laurent *, Prudence ne se souvient-il pas de la
scène du Golgotha^, si familière à tous les chrétiens : le
Christ mourant recommandant sa mère à son disciple bien-
aimé. Et lorsque, exposée sur le bûcher, Agnès cherche à se
couvrir pour échapper aux regards, et à tomber à terre d'une
chute décente, ne faut-il pas voir ici, plutôt qu'un détail histo-
rique, une réminiscence delà tragédie grecque, où, avec moins
de délicatesse d'ailleurs et moins de bonheur d'expressioil que
le poète chrétien ^^ Euripide nous montre Polyxène plus sou-
cieuse de sa pudeur que de sa vie.
xpiiTUToya* â xpu-îTTSiv s|X[JLaT' àpoivoiv ypeciv'*.
Enfin, lorsque Hippolyte nous est dépeint, entraîné par un
cheval fougueux entre les ronces et les rocs, laissant à chaque
pierre de la route qu'il suit quelque débri de sa chair ^, comment
douter que la légende ici reproduite n'ait subi l'influence de
la fable grecque popularisée par Ovide ^, et que quelque
chrétien, connaissant les Métamorphoses, n'ait appliqué au
compagnon de Pontien le supplice infligé au dédaigneux amant
de Phèdre? — Et c'est aii\si que les détails des légendes dont
on saisit la trace à la fin du iv"* siècle, sont toujours suspects :
tant il est vrai qu'à cette époque on connaissait mal, dans les
ï Prudence, Penstephanon.
Fore hoc Sacerdos dixerat
Jam Xyslus adfixus cruci
Laurentium flenlem videriii
Cnicis sub ipso stipite,
Désiste dîscessu meo
Fletum dolenter fundere.
(Ruinart, éd. 1731, p. 164.)
2 S. Jean, XIX, 25-27. — Cf. à ce sujet Ailard, 111, 330.
3 € In morte vivebat Pudor. » (Pseudo-Anibroise, Hymne LXV, v. 29. P. L.,
17,1211.)
* Hécube, vers 568-570 (Nauck, I, p. 158).
* Fresques décrites par Prudence 'Perisleph., XI, 77, sq.) Noter que Con-
cordia est appelée nourrice ; n'est-ce pas un souvenir des nourrices de la tra-
gédie grecque? Remarquer pourtant que saint Benoît avait sa nout*iHce (Greg.
Magn., Dialog., II. 2. - Cf. Bul., 1881, p. 42, 1827, p. 18, 1881, p. 85.
Métamorphoses, XIV. — Cf. infra, traditions tiburlines» — Cf. aussi AUard,
111, 337.
30 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
milieux cultivés, Thistoire des martyrs de Rome. Il nous faut
redire l'aveu mélancolique de Prudence : « Ce sont bien des
marbres muets qui recouvrent les tombes silencieuses ^ »
II
Au milieu du ix" siècle, on avait, dans toute la chrétienté,
une connaissance très étendue et très précise de Thistoire
des martyrs romains.
Le Martyrologe était contemporain de Tefflorescence de la
vie monastique. Cotte pensée d'édification, qui avait introduit
dans la vie des chrétiens les lectures pieuses et dans leurs
assemblées religieuses la coutume des « leçons » tirées des
écrits canoniques, se combina peu à peu avec le sentiment
de vénération que leur inspiraient les martyrs et fit naître, à
des dates différentes suivant les divers pays, Tusage de lire à
l'église, comme en particulier, les saintes passions de ces
martyrs. Ce fut bien, à ce qu'il semble, de l'adaptation de ce
fait général aux conditions particulières de la vie monastique,
que procéda le genre littéraire du Martyrologe^ recueil de
notices hagiographiques abrégées, rangées dans Tordre litur-
gique.
Né avec le monachisme, le Martyrologe en suit la fortune.
C'est à Vivarium, dans le « séminaire » de Cassiodore, que nous
en saisissons la première édition^, placée alors sous la haute
i Le silence de Jérôme, surtout, est significatir. On sait son rôle à Ronie«
rintérôt qu'il prend à l'histoire des martyrs et quelle impression lui lais-
sent les Catacombes: « Dum escm Romae puer et liberalibus studiis eru-
direr, solebam cuni ctpteris eiusdem aelatis et propositi, diebus Dorainicis,
sepulcra apostolorum et martynmi circuire; crebroque cryptas ingredi quae
in terrarum profunda defossae ex utraque parte ingredientium per parietes
babent corpora sepullurum et ita obscura sunt omnia ut propemodum ilhid
propheticum compleatur : Descendant ad infernum viventes (Ps. LIV, 16); et
raro desuper lumen aduiissum horrorem temperet tenebrarum, ut non tara
fenestram quam foramen demis<ii iuminis putes : rursumque pedetentim
acceditur et cœca nocle circumdatis illud Virgilianum proponitur :
Horror ubique aniraos simul ipsa silenlia terrent.
(Hieronymi Comm. in Ezeckielem, XII, 40; — P. L., 25, 375.)
•^ Cf. Albert Dufourcq : De Manicfiaeismo apud Latinoa quhito sexfoque
aaeculo algue de scHptis apocryphis latinis. 1, 1.
COMMENT IL CONVIENT DE POSER LE PROBLÈME 3i
autorité d'Eusèbe. Puis le mouvement monastique se déplace;
tandis queTItalie semble sombrer dans la Barbarie, les Anglo-
Saxons recueillent son héritage à Yarrow et à Wearmourth,
comme à lona et à Bangor : et c'est là que paraît, par les soins
de Bède (672-735), une nouvelle édition du texte martyrolo-
gique. Mais voici que le centre de la vie intellectuelle et
morale de TOccident se déplace encore ; avec les mission-
naires anglo-saxons, il émigré en Germanie, et c'est en Ger-
manie, que Raban Maur revoit pour la troisième fois le Marty-
rologe (vers 845), à la prière de Ratlaïk, abbé de Selingenstadt.
Voici enfin qu'après avoir contourné les frontières de la Gaule
il les franchit et s'y installe; aussi, après l'édition de Florus,
la grande autorité de l'Ecole de Lyon (848), Adon et Usuard
travaillent-ils à revoir, à compléter, à régulariser et à défini-
tivement arrêter le texte du Martyrologe. Grâce à leurs tra-
vaux, nous pouvons juger avec sûreté de l'état des traditions
martjTologiques vers le milieu du ix° siècle.
Comme c'est des martyrs romains qu'il s'agit ici, et qu'Adon
s'est occupé de ceux-là surtout, c'est lui que nous interroge-
rons pour connaître leur histoire.
Après avoir passé quelque temps dans la célèbre abbaye de
Priimm, Adon, moine de Ferrières, s'était rendu en Italie afin
d'éviter, nous dit-on, les embûches de quelques envieux.
A Rome, il recueillit beaucoup de renseignements ; à Ra-
venne, certain religieux lui communiqua un calendrier, sans
détails historiques, bien distinct du férial hiéronymien : on
racontait que le manuscrit avait été envoyé par le pape à un
évoque d'Aquilée. De retour en France, notre voyageur entre
dans le clergé de Lyon; à la prière de pieux chrétiens,
à la demande peut-être des autorités ecclésiastiques, il
rédige son Martyrologe, et le succès en est très grand; il
obtient alors l'archevêché de Vienne, où il reste jusqu'à sa
mort (860-874).
Or, dans ce Martyrologe, je relève 178 groupes de saints
romains vénérés à un jour fixe; 49 seulement sont simple-
ment nommés, sans qu'aucun détail vienne s'ajouter à la men-
tion de leur fête; encore en est-il un certain nombre, parmi
ceux-là même dont Adon raconte l'histoire à propos des
i29 autres. Restent donc 129 notices, de dimensions inégales
d'ailleurs, quelques-unes de quatre ou cinq lignes, quelques
autres de plusieurs pages, le plus grand nombre de vingt ou
32 LES GESTES DES MARTYBS ROMAINS
trente lignes, qui nous retracent l'histoire des martyrs de
Rome.
A la fin du iv* siècle, on ignore à Rome l'histoire des mar-
tyrs romains.
Au milieu du ix'' siècle, on la connaît avec ses détails
par toute la chrétienté.
Comment ce fait s'explique-t-il et d'où provient cette surpre-
nante différence que nous constatons entre les deux époques?
A plusieurs reprises, Adon cite, comme les sources auxquelles
il aurait puisé, des récits qu'il appelle tantôt passionesj tantôt
et plus souvent Gesta Martyrum^. Quest-ce donc que ces
Gesta Martyrum auxquels il a vraisemblablement emprunté
tous les détails qu'il raconte?
* IV Kal. februarii. Romae natalis Papiae et Mauri... Scriplum est in geslis
heati MarcelU papae (P. L., 123, 22i). — XIII kal. martii. in Perside, natalis
beati Polychronii... Sci'iplum in passione sancli Laurentii (id.^ 230). — XVIt
kal. Aprilis. Romae, natale sancti Cyriaci. . Scriptum est in fjeslis MarcelU
papae (tcf., 239). — Vill kal. aprilis, Romae, sancti Cirini Scriptum
in passione sancti Valentini (id., 242). — VII kal. aprilis, Romae..., natalis
S. Castuli..., ut in geslis B. Sebasliani legitur (tV/., 2i2). — X kal. maii,
natalis sanctorum Parmenii, Helimenae.... Scriptum in passione sancli
Laurentii {id., 250). — XII kal. Julii, Romae natale sancti Novatis .. De
quo Novato scribit Pastor in geslis Pudentianae et Praxedis... (ic/., 289). —
Vi kal. iulii, Romae sanctorum Johaunis et Pauli... Ab ipso Terentiano dea
cripta est passio horum sanctorum {id., 293). — VIII kal novembris... Romae,
natalis quadraginta et octo militum... Scriptum in passione sanctorum mar-
tyrum Sixliy Laurentii et Hippolyli {id,^ 384). — Noter qu'il sait que « Ante-
ros... gesta martyrum a notarlis diligenter exquisivit et in ecclesia recondidit. »
(lil Non. januarii, te/., 210.) Il cite aussi VHistoria sancli Silveslri (Xll kal.
sept, (û/., 334) et les gesl{a) ponlificali{a), VIII tV/., Aug. {id., 319). — Cf. cita-
tion des gesta Bonosi et Maximiani {W\ kal. sept... /c/., 334).
CHAPITRE III
RECENSEMENT DES TEINTES
Notre premier devoir est de réunir tous les textes qu'a pu
viser Adon, quels que puissent être, d'ailleurs, leur nature et
leurs caractères. Voici la liste que nous avons dressée, avec
le souci d'être aussi complet que possible.
On n'y trouvera pas numérotée à part, comme formant un
tout distinct, une légende fragment^ détachée d'un ensemble
parvenu jusqu a nous; ces textes, constitués souvent lors de
la formation des passionnaires, sont compris dans la rubrique
de la légende cyclique, désignés par elle et avec elle : c'est
ainsi que les gestes d'Abdon et Sennen, ceux de Sixte, de
Felicissimus et d'Agapit sont compris dans les Ge^ta Laurenti,
En revanche, on trouvera, numérotée à part, comme formant
un tout distinct, chaque légende-fille à côté de la légende-
mère : j'entends parla un récit dont on trouve le germe dans
un texte, mais dont on rencontre le complet développement dans
un autre : c'est ainsi que les Gesta Caesarii ont été catalogués à
côté des Gesta Nerei,
Je rappelle que j'exclus les légendes relatives aux confes-
seurs ratione materiae; — et les actes authentiques de l'aveu
de tous ratione formae.
Si j'ajoute que, pour éviter un appareil bibliographique qui a
semblé inutile ici*, je n'indique qu'une référence ne désignant
1 Chercher une bibliographie complète dans le bel ouvrage des Bollandistes
actuellement en cours de publication : Bibliotheca Uagiographica Latina
antiquité et mediae aelatis ediderunt Socii Bollandiani (Bruxellis. 1898-11)00.
in-8). Quatre fascicules ont actuellement paru (22 mars 1900). — Cf. notre
compte rendu dans la Revue de V histoire des Religions (mars-avril 1899,
tome XXXIX, p. 330).
34 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
qu'un seul texte — celui qui a été jugé le meilleur, — et que,
pour introduire quelque ordre dans la masse disparate des gestes
dont on va lire la liste, je les ai distribués dans le cadre corn*
mode et classique des dix grandes persécutions, le lecteur se
rendra compte de quelle façon, aussi peu systématique qu'il a
paru possible, a été conçu ce classement provisoire*.
I
PERSECUTION DE NERON
1. Gesta Pétri et Pauli (Lipsius : Acta Apostolorum Apo-
crypha^ Lipsiae, 1891), p. 119; — 2. Gesta Processi et Mar-
tiniani (2 juillet 267); — 3. Gesta Priscae (18 janvier 547).
II
PERSECUTION DE DOMITIEN
4. Gesta Nerei et Achillei (12 mai 3) ; — 5. Gesta Hya-
cinthi (26 juillet 303) ; — 6. Gesta Caesarii (4 novembre 84) ;
— 7. Gesta Nicomedis (Mombritius, II clix).
III
PERSECUTION DE TRAJAN
8, Gesta démentis (Mombritius, L 193); — 9. Gesta Poten-
tianae et Praxidis (19 mai 295); — 10. Gesta Pastoris (26 juil-
let 299); — 11. Gesta Alexandri (3 mai 371); — 12. Gesta
Hermetis et Balbinae (31 mars 896) ; — 13. Gesta Sym-
pherosae (18 juillet 350) ; — 14. Gesta Getulii (10 juin 261);
1 Lors donc que nous parlerons d*un texte, à moins dlndication contraire,
ce sera celui qui se trouve mentionné sur cette liste qui aura été visé;
RECENSEMENT DES TEXTES 35
— 15. Gesta Montani (17 juillet 223); — 16. Gesta Eleutherii
{Cat. Paris, II. 7.); — 17. Gesta Serapiae et Sabinae
(29 août 500); — 18. Gesta Sophiae {BibL Casin., III, H. 276).
IV
PERSECUTION DE MARC-ADRELE
19. Gesta Felicitatis (Kùnstle Hagiographische Studien
Paderborn, Schôningh, 1894) p. 60; — 20. Gesta Eusebii
et Pontiani (25 août 511); — 21. Gesta Eustathii {Ana-
lecta BolL, III, 65, 172; — 22. Gesta Lucillae et Florae
(29 juillet 24); — 23. Gesta Eugeniae (P. L., 21, 1105).
PERSÉCUTION DE SÉVÈRE
24. Gesta Caeciliae (Mombritius, I, 188) ; — 25. Gesta
Urbani (25 mai 5); — 26. Gesta Callisti (14 octobre 401) seu
Calepodii (10 mai 496); — 27. Gesta Bonosae (15 juillet 19) ;
— 28. Gesta Martinae seu Tatianae (1" janvier 11).
VI
PERSÉCUTION DE MAXIMIN
Néant.
VII-VIII
PERSÉCUTIONS DE DECE ET DE VALÉRIEN
29. Gesta Stephani (2 août 113); —30. (Gesta Laurenti.
Surius, IV, 607); — 31. Gesta Cyriacae (21 août 403) ; — 32
Gesta Justini (17 septembre 474) ; — 33. Gesta Cornelii(Schels-
30 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
trate, Ant. EccL, I. 188) ; — 34. Gesta Martyruni Graecorum
(de Rossi, /?. S., III, 201);— 35. Gesta Caloceriet Partheni
[19 mai 300); — 36. Gesta Rufinae et Secundae (10 juil-
et 27) ; — 37. Gesta Dignae et Meritae (22 septembre 302);
— 38. Gesta Anatoliae et Victoriae (9 juillet 671); — 39.
Gesta Pontii (Balluze, Mise, I, 29, 75); — 40, Gesta Aure-
lian (22 mai 129).
IX
PERSÉCUTION d'aDRÉLIEN
41. Gesta Basiiidis (12 juin 5); — 42. Gesta Marii et
Marthae (19 janvier 578); — 43. Gesta Aureae (24 août 755);
• - 44. Gesta Chrysanti et Dariae (25 octobre 437). — 45. Gesta
Hestitutae [Bibl. Casin,, III fl. 12.).
PERSECUTION DE DIOCLETIEN
46. Gesta Sebastiani (20 janvier 621); — 47. Gesta
Afçnetis (21 janvier 714) ; — 48. Gesta Marcelli (16 janvier
367); — 49. Gesta Susannae (11 août 624); — 50. Gesta
Cyriaci {Analecta BolL, II, 247); — 51. Gesta Abundii (16 sep-
tembre 293); — 52. Gesta Pancratii [Analecta RolL, X, 52);
— 53. Gesta Restituti (29 mai 10); — 54. Gesta Felicis et
Adaucti (30 août 545); — 55. Gesta Felicis romani (14 jan-
vier 283); — 56. Gesta Anthimi (11 mai 612) ; — 57. Gesta
Simplicii et Viatricis (29 juillet 45); — 58. Gesta IIII Coro-
natorum [Sitzimgsb,, Berlin, XLVII, 1292); — 59. Gesta
Bonifatii (14 mai 279); — 60. Gesta Rufi [Analecta BolL,
VIII, 168) ; — 61. Gesta Crescentii (14 septembre 351); —
62. Gesta Luciae et Geminiani [BibL Cas,, III tt. 270); —
63. Gesta Anastasiae (Mombritius I, 200, et Bihl, Cas,, III
flor. 183); — 64. Gesta Luceiae et Auceiae (25 juin 10); —
65. Gesta Genesii (25 août H9); — 66. Gesta Alexandri
romani (13 mai 192) ; — 67. Gesta Marcellini et Pétri
(2 juin 166) ; — 68. Gesta Primi et Feliciani (9 juin 148).
J
RECENSEMENT DES TEXTES 37
PERSECUTIONS DE JULIEN, ETC.
69. Gesta Johannis et Pauli (25 juin 33, 26 juin 138); —
70. Gesta Biblianae (Bibl. Cas., III fl. 191); — Gesta Gordiani
(10 mai 519) ; — 72. Gesta Leopardi (30 septembre 413); —
73. Gesta Marcelli et Apuleii (7 octobre 826) ; — 74. Gesta
Eusebii (14 août 166); — 75. Gesta Felicis papae [Analecta
BolL, II, 322); — 76. Gesta ApoUoniae (9 février 280); —
77. Gesta Mariiii [Cataloy, Bruxelles^ II. 18 1*).
1 Voici la liste des gestes romains imprimés dans le Sancluarium de Mom-
britius, diaprés la table qui précède chacun des deux tomes de Texemplaire
de la Bibliothèque Nationale de Paris, coté sur Tinventaire de la Réserve H,
102 : !. Abdon et Sennes martyrs, 6 ; — Agnes, 18; — Alexander Euentius,
Theodulus et- Hermès martyres, 20; — Basila Prothus et Hiacinthus, 141 ; —
Basilides, 84; — Bonefacius martyr et Aglae, 147; — Calocerus martyr, 143;
Calistus papa et mart>T, HO;— Claudius Nicostratus Symphorianus Castor et
Simplicius, 143; — Cecilia virgo et martyr, 188; — Claemens papa et martyr,
193; — Caesarius martyr, 195; — Censurinus martyr eu m sociis, 197; —
Crispinus et Crispinianus martyres, 190; — Chrysanthus et Daria martyres,
153; — Cyriacus martyr, 216;— Chrisognus Anastasia Crysonia Irène et
Theodota martyres, 200 ; — Cornélius papa, 200 ; — Domitiia Euphrosyna et
Theodora virgines et martyres cum Sulpicio et Serviliano martyribus, 238 ;
— Eugenia Prothus et Ilyacinthus martyres, 250 ; — Eleutherius episcopus et
martyr, 250 ; — Eusebius presbyter, 2.'j8; — Flavianus et Faustacum sanctis
virginibus Daphrosina et Bibiana martyribus, 294 ; — Félix et Adauctus ftiar-
tyres, 307; — Félicitas cum septem eius filiabus martyribus, 306; — Gallicanus
Ilillarinus ac Johannes et Paulus martyres, 317 ; — Gethulius Amantius et
Primilivus martyres, 327; — Genesius martyr, 333 ; — Gordianus et Epima-
chus mar., 336.
II. Hermès, 1 ; — Hyacinthus levita et martyr, 13; — Hyppolitus mar-
tyr, 14 ; — Laurentius leuita et martyr, 50 ; — Lucia et Geminianus mar-
tyres, 59; — Marceîlus papa et mar. cum sociis, 92; — Marcellinus et Petrus
exorcista martyres, 97;— Marius MarthaAudifax et Abachus martyres, 131; —
Martina virgo et martyr cum sociis, 135; — Nereus et Achilleus et Eutyces
mar., 159; — Parnienio presbyter martyr, 185 ; — Pancratius martyr. 188; —
Praxedis virgo, 194; — Petrus et Paulus apostoli, 194; — Petronilla virgo
simul cum Felicula virgine de Nicomede presbytero mar., 201 ; — Primus et
Felicianus martyres, 225; — Pistis quod est fides, Elpis quod est spes, Agape
quod est caritas et mater earum Sophia quod est Sapieutia, 205 ; — Polocro-
nius martyr cum sociis, 213; — Potenliana virgo, 21»; — Prothus et Hyacin-
thus martyres, 214;— Processus et Marlinianus mar., 220; — Reparala virgo
etmartyr, 241 ; — Huffina et Secunda martyres, 243; — Savina martyr, 248 ;
— Sebastianus martyr, 251 ; — Stephanus papa et martyr, 272 ; — Serapia
virgo et martyr, 275; — Simplicius Faustinus et Beatrix martyres, 293 ; — Sym-
phorosa cum septem filiabus mar., 305; — Suzanna virgo et martyr, 386 ; —
Tiburtius et Valerianus. 33J; — Urbanus papa et martyr, 354 ; — Xistus epis-
copus Felicissimus et Agapetus martyr, 357.
CHAPITRE IV
VALEUR DE CES TEXTES
Avant d'appuyer une conclusion sur l'étude de ces textes, il
est nécessaire d'en déterminer la valeur. Si dispersés qu'ils
soient, ils se répartissent tous en deux classes, qui corres-
pondent assez exactement à deux époques distinctes.
I
La première classe comprend tous les gestes, dont l'éditeur
ne témoigne aucun respect de la lettre du texte ; il n'a cure que
de la légende elle-même ; tous les gestes imprimés jusqu'au
xvi* siècle se rangent dans cette catégorie. Comme Jacques de
Voragine et Pierre de Noël, qui n'ont d'autre souci que de ne
pas laisser perdre quelqu'un de ces épisodes merveilleux qui
ornent leurs histoires et glorifient la puissance divine, de
même Mombritius, qui publie à Milan, vers 1475, son célèbre
Sanctuarium sive vitae Sanct07*um coUectae ex codicibtis
nianuscriptis^ montre moins de souci de l'exactitude verbale
que de désir d'édifier le lecteur*. L'édition de Lefèvre
d'Etaples^, celle de l'évêque de Vérone, Aloys Lipomani, qui
donnait à Rome, en 1551, son Historia de Vitis Sanctomm^
présentent le même caractère et ne marquent aucun progrès à
1 Noter toutefois qu*il est beaucoup plus exact que Surius.
> Agones Marlyrum mensis ianuarii libro primo con/en/t (80 teuiUets).
40 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
cet égard. Il faut en dire autant des six volumes que publiait à
Lubeck, en 1562, le chartreux Surius : De probatis sanctortim
hisloriis ex Aloysio Lipomani et manuscriptis codicibus col-
lectis. Tous ceux qui ont eu occasion d'y recourir savent quel
déplaisir il prenait à lire le méchant latin de nos légendes;
celui qui avait traduit avec tant d élégance Holding de Melbourg
et Florent de Harlem ne pouvait se résoudre à abandonner à
tant de barbarie l'histoire glorieuse des confesseurs du Christ.
Il corrige leurs erreurs; il orne leur simplicité, il s'en fait
mérite auprès du lecteur : est atitem passim non nihil muta"
tus Stylus^ sed modeste per Franciscum Laurentium Surium^ ,
Mieux qu'aucun autre, il exprime et résume les tendances des
éditeurs qui l'ont précédé ; leur inspiration n'est nullement
scientifique, purement morale.
II
Il en va tout autrement des éditions publiées après celle de
Surius. Plus ou moins consciente et précise chez leurs auteurs,
la pensée scientifique s'y trouve toujours présente. On a
déjà le sentiment qu'il y a intérêt à comparer les divers
textes entre eux; et, si l'on se hasarde à y changer un mot,
c'est dans la croyance que Ton rétablit le texte primitif. Que
nous sommes loin de Surius ! Le culte de la beauté littéraire a
fait place au souci de la vérité littérale. Si une pensée d'édifi-
cation pieuse anime encore les éditeurs dont on va ici men-
tionner les œuvres, cette intention morale n'exerce jamais ou
presque jamais d'influence sur le travail propre de l'éditeur.
Les catholiques commencent à profiter de la leçon que leur a
donnée la Réforme et travaillent avec plus de conscience.
Rosweyde l'atteste ; dans le projet qu'il avait formé et qu'il
soumit au cardinal Bellarmin, il se proposait de coUationner
tous les textes des vies des saints avec les manuscrits et les
plus anciens livres, de restituer leur style primitif et leurs
parties intégrales. Ce ne sont encore que des projets; mais ils
ï Gesta Sebasliani, dans Surius, I. 4i9. — Les textes grecs publiés par
Mclaphraste ou les pseudo-Métaphrastc présentent tous ce caractère. Leur
très faible valeur détourna Le Mattre des études hagiographiques.
VALEUR DE CES TEXTES 41
seront repris par les BoUandistes, dont Rosweyde apparaît, ici
comme pour l'ensemble de leur œuvre, lé véritable précurseur.
Il est difficile, — pour ne rien dire de plus, — d apprécier
la méthode qu'ont suivie les savants Jésuites, en éditant les
légendes romaines publiées par eux depuis 1643 jusqu'en 1894 :
tant d'esprits divers ont travaillé aux Acta Sanctomm^ à des
époques si différentes! Peut-être cependant est-il juste de
dire que l'esprit scientifique y apparaît dès le début et s'y pré-
cise à mesure que les années s'écoulent. Il apparaît dès le
début : BoUand s'engage, dans le titre même qu'il donne à sa
collection', à ne pas changer un mot du texte qu'il édite. Il
ajoute dans sa préface : Profiteor me quae de Sanctis tradita
letteris reppererim dare^ nihil mtftare, nihil ineopte ingenio
emendare^ nihil praecidere^ intégra omnia el inviolata afferre^
quoad possum'^. D'autre part, pour une même vie, il donne
plusieurs textes; quand il n'en publie qu'un seul, il ne
manque pas d'indiquer les variantes d'après les manuscrits
et les livres qu'il a coUationnés'*. Que, dès le début de leur
œuvre, les BoUandistes se soient formé des devoirs de l'éditeur
la même idée que nous, c'est donc un point qui paraît acquis.
Quant à la manière dont ils ont appliqué leur théorie, quant
à la valeur des textes qu'ils ont édités jusqu'à ce jour, on se
contentera de noter que, après les inévitables tâtonnements du
début, sauf un regrettable fléchissement aux mois d'août et de
septembre, ils ont publié les meilleures éditions qu'il fût pos-
sible d'établir, étant données les conditions du travail scienti-
fique à leur époque ^.
Plus récemment, du reste, les BoUandistes se sont associés
au grand mouvement historique qui, ranimé par l'Allemagne au
^ Acta î^anclorum BoUandua..., seruata primigenia script uvarum phrasi.
2 A.SS. Janvier, I, p. xxxii. Praef. Gen. 111. Editorum hoc opère probabi-
litasj I. —Cf. aussi p. xxiii, xxvi.
^ Praef. Gen., p. xxvi: « Si plures extant unius sancti vitae... eaeque hac-
tenus non editae, omnes hic edo, nisi compendia sint aliae aliarum. Cf. Gestd
Basilidis.
* Cf. Gesta Marlinae, 4" janvier, 11. — Gomm. praev., § 1. — Notes des
chap. I, II, m. — Cf. 5 février lli, g 10, à propos de sainte Adelhaïde de Vil-
lich : « Surius hanc vitani edidit, sed stylo passim mutato. Nos primigenia
phrasi eam damus e ins. codice monasterii Corsendoniani canonicorum regu-
lariuni îuxiaTurnhoutum in Hrabantia. »
^' On peut en dire autant des éditions données par Baluze et les autres
savants de ce temps. — l/édition des gestes de CalUste est la moins bonne
peut ùtre (par rapport au C. Vindobouensis) de celles qui sont imprimées
dons les Acla Sanciorum.
début de ce siècle, a ébranle peu à peu le reste de TEuropê.
S'ils n'ont pas pu, par malheur, — tel a été et telle
demeure la plus grave critique qu'on puisse adresser à leur
méthode d'édition, — renoncer au plan déplorable que leurs
ancêtres avaient commencé de suivre, s'il arrive souvent
encore qu'un môme texte soit démembré, les divers épisodes
de la légende étant publiés à des dates différentes, parce qu'ils
raccmtent le martyre de saints différents*, il faut reconnaître
que leurs éditions récentes sont des merveilles d'exactitude et
de précision minutieuse : témoin les quatre passions de saint
Césaire publiées par le R. P. G. Van Hoof ; témoin les diffé-
rents textes publiés dans les Analecta Bollandiana^,
Autour d'eux, du reste, ils ont trouvé plus d'un imitateur :
Funck^, Achelis'*, Wattenbach, Klinstle^, en Allemagne, Doul-
cet^ en France, de Rossi^ et les savants éditeurs de la
Bibliotheca Casinensis^ en Italie, ont publié avec le soin le plus
exact les textes de plusieurs gestes romains.
III
Est-ce à dire que nous ayons là des fragments de l'édition
définitive que les Bollandistes, nous Tespérons bien, finiront par
nousdonner un jour? Nous ne le pensons pas. Il ne suffit pas de
grouper au bas d'une page un nombre respectable de variantes :
qui sait si les manuscrits qu'elles représentent ne dérivent pas
d'un même manuscrit, d'importance peut-être secondaire? Il
faut encore qu'elles aient été recueillies avec méthode, que les
cas de répétition plus ou moins déguisés par les variantes
orthographiques^, aient été écartés, et que ces leçons-là seules
aient été retenues qui reproduisent le texte des plus anciens
1 Cf. les éditions boUandistes des Gesta Laurenti, Caeciliae, Nerei et Achil-
lei, Johannis et Pauli.
' Cf. suprà noire Catalogue des Gesta. — Les Analecta ont commencé de
paraître en 1882.
3 4 6 6 7 Fimck a édité en grec les gestes de Clément et Achelis ceux de Nérée,
AVattenbach ceux des Quatre Couronnés, de Rossi ceux des Martys grecs,
Doulcet, Kûnstle et Fûhrer ceux des Félicité. Cf. suprà notre Catalogue et la
BihL Hag, latina des Bollandistes.
<* Cf. ce qu*en dit M. Mommsen dans la préface de son édition des Variae
[M. G. — Auct. Ant. Xil, cxviij.
VALëtk DB CES tËxtËà 4à
ârchétjTpes, déterminés par la comparaison de tous les manus-
crits subsistant encore: rétablissement vraiment scientifique
d'un texte suppose le classement, partant le relevé complet de
tous les manuscrits qui existent. Cette condition-ci ne se trouvait
pas réalisée pour nos gestes ; c'est dire que celle-là ne pouvait
pas, ne peut pas l'être. Le grand nombre de passionnaires plus
ou moins volumineux qui sont déjà signalés, sans parler des
autres, l'état de dispersion oîi ils se trouvent, voilà les deux
faits qui se sont opposés, qui s'opposent encore au classement
qu'on en doit faire. En veut-on une preuve significative? Les
gestes de Processus et de Martinianus reproduisent l'une des
moins célèbres d'entre les légendes romaines ; nous en avons
relevé pourtant quarante-sept manuscrits dans huit bibliothèques.
Que serait-ce si nous avions fouillé dans tous les dépôts con-
nus? Que serait-ce s'il s'agissait non plus des'obscurs geôliers
des Apôtres, mais d'un saint Laurent ou d'un saint Sébastien,
d'une sainte Cécile ou d'une sainte Agnès?
Ce n*est pas tout. Les gestes romains ont été rédigés à une
époque oti les traditions martyrologiqucs étaient encore vivantes,
multiples, souvent contradictoires, à tout le moins d'une exu-
bérante richesse que nous pouvons à peine soupçonner; elles
étaient recueillies de divers côtés ; elles enfantaient diverses
rédactions qu'il serait fort intéressant de comparer. Par malheur
les copistes les ont laissé perdre, s'attachant de préférence à
celles qui répondaient le mieux à leur conception de l'histoire des
martyrs, et faisant prévaloir ainsi celles qui réalisaient ce type,
une fois qu'ils l'avaient inconsciemment créé. — Une seconde
raison explique qu'une tradition ait revêtu des formes diverses.
Les gestes ont été rédigés au milieu de circonstances très par-
ticulières, dont ils portent la trace : tels, ces mêmes gestes de
Processus publiés à une époque où l'on discutait le mérite des
martyrs et la spontanéité de leur sacrifice. Ces circonstances une
fois disparues, les particularités de nos textes qui les réfléchis-
saient ont eu tendance à disparaître à leur tour : les copistes
reproduisaient naturellement les textes qu'ils comprenaient
le plus aisément, les textes les moins caractéristiques.
Et c'est aussi pourquoi les éditeurs devront s'attacher avec le
plus grand soin à relever tous les manuscrits existant encore:
peut-être ceux-ci leur donneront-ils seulement des variantes
insignifiantes d'un texte cent fois lu; peut-être aussi une leçon,
inconnue jusque-là et sauvée par hasard, leur pcrmcttra-t-ellc
44 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
de restituer tout un aspect de la vie religieuse au vi' siècle.
Nous tenterons de le montrer plus loin.
Nos meilleurs textes sont donc très éloignés de ceux qui se
liront un jour dans l'édition définitive. Ces conditions peu
favorables rendent notre tâche plus délicate ; elles ne la rendent
pas impossible. Indépendamment des variantes que donnent les
éditions boUandistes, nous en avons recueilli d'autres, en assez
grand nombre, dans les bibliothèques de Rome, de Paris,
de Saint-Gall, de Vienne, de Munich et de Carlsruhe*. —
Nous n'avons pas la prétention de trancher tous les pro-
blèmes que soulèvent les gestes romains ; notre but est
plutôt d'indiquer comment il convient de les poser et suivant
quelle méthode il faut tenter de les résoudre. — Les erreurs
de copiste, si nombreuses et si graves qu'on les suppose, ne
sauraient dénaturer complètement la physionomie d'un texte
ni l'aspect d'une légende, à plus forte raison la physionomie de
tous les textes et l'aspect de toutes les légendes. Or, comme
c'est précisément l'ensemble de ces textes et de ces légendes
qui constitue l'objet de la présente étude, et qu'aucune con-
clusion n'y sera jamais appuyée sur la constatation d'un seul
fait, il en résulte qu'il est permis de l'entreprendre en toute
sécurité. — Au surplus, le sage de la Grèce prouvait en marchant
la possibilité du mouvement ; nous pouvons suivre son exemple.
1 Nous ne voulons pas attendre la publication de nos études sur les manus-
crits pour dire le très courtois accueil qui nous a été fait dans ces biblio-
thèques, à Vienne notamment, grâce à Taimable entremise du D' Rudolph
Béer, et à Karisruhe, par l'infatigable D' Alfred lloldcr.
CHAPITRE V
PARENTÉ LITTÉRAIRE DES TEXTES : LEURS CARACTÈRES
PHILOLOGIQnES
De quelque façon qu'on envisage les gestes romains, au point
de vue philologique ou au point de vue psychologique, que
Ton étudie la langue des textes qui nous sont pan^enus ou le
caractère des légendes qu'ils nous ont conservées, on est
bientôt amené à reconnaître la parenté qui relie le plus
grand nombre ^ plus étroite dans ce cas-ci, plus faible dans
celui-là *.
* Voici la liste que nous proposons provisoirement :
!• Gestes des deux premiers siècles, — Processus Marttnianus, Nereus Achil-
leus, Caesarius diaconus, Clemcns, Praxedis Potentiana, Alexander, Félici-
tas Vil filii, Sabina, Eusebius-Pontianus, Symphorosa VII filii, Getulius,
Montanus, Caecilia, Protus Hyacinthus.
2" Gestes du m* siècle. — Urbanus, CallisLus, Stephanus, Laurentius, Corné-
lius, Martyres Graeci, Calocerus Parthenius, Rufina Secunda, Basilides, Aurea-
Censurinus, Marius Martha, Chrysanthus Daria.
3* Gestes de la persécution dioctëtienne. — Sebastianus, Agnes, Abundius,
Pancralius, Restitutus, Félix Adauctus, Primus Felicianus, Anthimius, Sim-
pltcius Beatrix, Marcellus, Susanna, Anastasia, Genesius, Marcellinus Petrus.
un Coronati.
4' Gestes de Vépoque post-dioclé tienne. — Eusebius, Johannes Paulus, Bib-
biana, Gordianus.
'^ Nous nous sommes aidés de H. Rônsch, Ilala und Vulgata... (Mar-
burg, (Elwert, in-8*, 1875); de Max Bonnet, le Ijitin de Grégoire de Tours
(Paris, 1890, in-8); de Gœlzer, la Latinité de saint Jérôme (Paris, 1884,
in-8*); de Régnier, la iMtinitédes Sermons de saint Augustin (Paris 1881, in-8*).
Nous renvoyons, pour les questions d^orthographe, & W. M. Lindsay : The
Latin Language. An historical account ot latin sounds, stems and flexions
(Oxford. Clarendon Press. 1894, in-8*), et à Schûchardt : Vocalismus des Vut-
gaerlateins (3 B&nde, Leipzig, 1866-1868).— InutUe de rappeler à ceux qui vou-
draient compléter les brèves indications de ce chapitre, YArchivfUr lateinische
46 LES GESTES DES MARTYRS ROMAWS
I
Le vocabulaire des gestes romains est encore latin; les
termes qu'on y rencontre se retrouvent, en général, avec la
même acception, non seulement dans les textes des m* et
iv* siècles, mais encore chez les auteurs de l'âge de César et
d'Auguste. Il faut noter cependant un nombre assez considérable
de termes nouveaux ou d'acceptions nouvelles de termes
anciens, surtout d'alliances encore inusitées de termes déjà
connus ; ces nouveautés s'expliquent aisément par les besoins
nouveaux de la vie politique et de la vie religieuse.
Particularités phonétiques ou morphologiques : inlustrae
fidei(Vindob^, 28'^); — imperatoris (es) (Vindob, 32'). —
pugnibus(Vindob., 36') ; — palatins (Vindob., 56') ; — sacratis-
simae virginis (es) (Vindob., 83'); — domum... sancto ecclesiae
nomine tradidit (Vindob., 106') ; — virginis (virgines) (Vindob.,
83'); — domitille nepte domiciani (Vindob., 52', 132'); —
diaconem (Vindob., 32'); — decembriarium (Vindob., 3'); —
litorem (Vindob., 75').
Perietis (Vindob., 5') ; — recondit (recondidit) (Vindob., 6') ;
— frueret (Vindob., 26'); — prestasti (Vindob., 49'); —
amplectit (Vindob., 53') ; — osculabo (Vindob., 54'); — dignetis
(Vindob., 55').
Domna (Vindob., 52') ; — domnus (Vindob., 24') ; — diocli-
tianus ^Vindob., 5'-H2'); — nonarum madiarum (Vindob., 22'-
131') ; — magias (niadias), gorgiani (gordiani) (Vindob.,
24'-132'); — igniius (ignotus) (Vindob., 25'-133'); — noilo
modo (Vindob., 39'); — dada est (data) (Vindob., 53').
Mots nouveaux ou rares: christianitas (Pierre et Marcellin),
Deitas (Gordien, 2); — Magnalia (Montanus, 14); — Monachus
(Martyrs grecs, Montanus); — Christicola (Calocere, 2); —
Praeceptio (Marcel, 22) ; — Consobrinus (Susanne) ; — Jovis
(pour Jupiter) (Calocere, 5); — Eremus (Gallican, 8); —
Lexicographie, le récent mémoire de Geyer : Jahresbericht ilber Vulf/ûre und
SpùUatein {Jahr. Dursian.y 1898), 5* Heft., 1, 33, et le beau livre de F. George
Mohl : Introduction à la chronologie du latin vulgaire, étude de philologie
historique (Paris, Bouillon, 1899, in-8').
' Lire' Codex Vindobonensis Palalinus latinus, 357, sur lequel cf. infroi
PAKEKTÉ UTTÉRAIRE DES TEXTES 47
Galles (Sophia, III, 279); — Arrhatio (Jean Paul); — Zius,
Evolutatio (Sùsanne) ; — Sublimatus (Jean Paul) ; — Pestilentis-
simus (Pierre et Marcellin, 4) ; — christianissimus (Cyriaca.
Félicité 5, 403 ; Calocere, 1) ; — paganlssimus (Jean Paul) ; —
temporalis (Martyrs grecs., IIII Couronnés) ; — tentus est (Féli-
cité 5) ; — adunati (Laurent, Surcius, IV, 611, 12) ; — rescrip-
tura (Vindob., 136'); — exfractor (Vindob., 28''); — orga-
narius (12 mai. 12); — magica (Vindob., 73^) ; — maga (Vin-
dob., 8r) ; — contortatio (Vindob., 63'); — mercavit vita
(Vindob., 8'); — mortificat et viviflcat (Vindob., 19'-127'') ; —
concolligens (Vindob., 24'); — demutavit (29 août, 500); —
perpalpare (29 août, 502); — in conspectu deducerentur
(Vindob., 20'-69'); — condecorat (Vindob., 18'); — emise-
runt se ad pedes (Vindob., 22"); — obligatus (Vindob., 5'); —
axsternerentur (Vindob., 6').
Afots employés avec un sens nouveau : Praetorium avec le
sens de propriété à la campagne (Getulius, Lucilla et Flora,
Luceia) ; — rex pour imperator (Félicité-Marius-Marcel) ; —
nimius pour multus (12 mai 10) ; — alimonia (Marcel, 2); —
comitatus avec le sens de : l'ensemble des comités (Jean et
Paul, 4) ; — consignare avec le sens liturgique de confirmer
(Chrismate est parfois exprimé) (Martyrs grecs) ; — Mancipare
avec le sens de confier (Processus); — Namque employé
comme particule explicative, analogue à l'italien cioè^ se trou-
vant toujours après un mot, au début de la phrase (Jean et Paul,
140, 1); Pierre (Linus), 7-23 ; Nérée, 7, 5, Pontius, 9); —
modice pour paulo [Boniface, 5, Pierre (Linus), 11, 3] ; —
quatinus pour quomodo [Pierre (Linus), 4, 16j ; — quin etiam
)Our sed etiam [Pierre (Linus), 4, 3]; — ut quid pour cur
Pierre (Linus), 10, 14, 15] ; — siquidem pour nimirum [Pierre
(Linus), 17, 11, 27]; — vel pour potius [Pierre (Linus), 7,
14] ; — desub pour sub [Pierre (Linus), 3, 15] ; — quid pour
num Vindob., 77'-184^) ; — magis pour potius (Vindob., 95"-
202' l'-109') ; — unus comme pronom indéfini (facta est
domus... quasi una ecclesia) (Vindob., 32') (eamus una nocte?)
(Vindob., 54'); — singulus pour solus (Vindob., 69'); — peri-
clitabitur sermo (on incriminera tes conversations) (Nérée, 7) ;
— Transitorium (Félicité, K. 54) ; — omnimodus [Pierre
(Linus) 1.]; — biothanata (Sérapie, 10, Félicité); — Cleri-
catus voulant dire le clergé (Susanne) ; — incrementum, avec
le sens de fils TSébastien, 34] ; — pernoctare (Sérapie, 5).
48 LES GESTES DES MARTl'RS ROMAINS
Expressions nouvelles :
V Créées par les nouveaux besoins de la vie religieuse.
Milites Christi (Processus); — facultates erogare (Sébastien);
— Sacriôciumlaudis( Processus) ; — Participare corpus et san-
guinem [Processus, Caesarius, Stephanus, Sixtus, Aurea] ; —
Virgo Christi (Jean Paul, Nérée) ; — Abrenunciare pompis
Sathanae (Susanne) ; — Eleeraosynis insistere (Potentienne) ;
— Carnis commercium (Potentienne); — Vacare religion!
(Potentienne); — Idolorum cultura (Susanne); — Eruditae
sub orani castitate (Vindob., 7'); — Comitatus caeli (Sébas-
tien) ; — per baptismi perceptionem (Gordien); — Episcopus
Episcoporum (Sébastien, 67) ; — Servus servorum dei (Martyrs
grecs 206); Marcel, 4]; — declaratio deitatis Domini mei
Jesu Ch. (Pierre, Marcellin, 2) ; — consecratione illuminari
(id., 4); — limina sancti Pétri (Alexandre, Jean Paul); —
Christianitatis titulus (Nérée, 11,18; Sébastien).
2** D'origine diverse: plus pessimum (peius) (Vindob., 52');
— triumphalibus infulis sublimari (Jean Paul, 1); — omnium
potestatum comités (id.) ; — pensiones casarum (id.); — a
salutatione desistere (id.) ; — déesse lateri meo (id.) ; —
articulum ad rerum exitus transferamus (Vindob., 24'); —
suggestionem dare seu facere (Martyrs grecs) ; — monitionibus
sanctis et eruditione scripturarum imbuere (id., Susanne); —
secretum habuit in semetipso (18 février, 64); — magna fama
declaratus (Susanne); — subito nusquam conparuit (Susanne,
32); Lipsius (41, 63, 64, 65, 143, 223, 225, 228); — intro-
duccre aspectibus (Aurea, IIII Couronnés, Martyrs grecs) ;
— Mittere se in orationem, ou ad pedes (Martyrs grecs) ou in
amplexus; — nostras cogitationes agere (faire ce que nous
voulons) (Vindob., 11'); — famulari imperio alicuius (Jean
Paul); — oruditionis summam corripere (id.); — in evoluta-
tione adductum est (Susanne, 23); — ducatum praebere
(Pierre Marcellin, 2, Sophia, 278) ; — cognovi in caecitate mili-
tum et in responsione virginis (Calixte, 440) ; — amicus indi-
viduus (Anthimius, 10); — nominis sectari nuncupationera
(Sophia, 277) ; — sub voce praeconia, Partes Orientis (Marius-
Laurent-Boniface) ; — Civitas Pontica, Frigia, Aurélia (Clé-
mont, Basilide, Pancrace); — nobiles nati ex omni genera-
tione (Marius); — angolico comitatu properare (Sophia, 277);
— montanum culmen (Anthimius, 10 bis).
t»AREMTÉ LlTTÉtlAIRE DES TEXTES 49
II
La syntaxe est moins latine que le vocabulaire :
1** Le rôle de la préposition s'agrandit. Elle remplace assez
souvent les cas obliques. Exemples : praeceperat ad Clemen-
tianum (Vindob., 23''); misit in Hierolosymam (Calocère) ; libe-
rari per orationes (Processus) ; cf. nonus est mensis quod (id..) ;
— sunt anni triginta quod (Vindob., 39").
Elle supprime les propositions infinitives : Exemples : Putatis
quia (Jean Paul, 2); — cognoscant quia (Martyrs grecs) ; — scio
quia (Susanne); — nostis quia [Processus, Pierre (Linus)]; —
declarare quia (id.), etc.
Locutions particulières : cum grandi afllictione contristatus
(Vindob., 3'); — duri ad credendum (Vindob., W).
2" La construction de Vinfinitif s'assonplit. On le juxtapose
à des adjectifs : dignus habere [Jean Paul, Pierre (Linus)
10, 7]; — digni hoc dici (Susanne, 3); — potens est liberare
(Pierre Marcellin) ;
Ou à des verbes: praecepit januarium interrogare (Vindob.
22'), — dédit eis capitalem subire sententiam (Vindob., 3"") ;
— feciteam eius adhibere conspectum (Vindob., 31'); — per-
missi introire (Jean Paul); — iussit theudolum decoUare (Vin-
dob., 21") ; tenere (Vindob., 22") ; — misi petere (Susanne,23) ;
— venio crucifigi [Pierre (Linus), 7, 28]; etc. ; sans funir à
ces termes par le moyen d'une conjonction. Il remplace
Timpératif : non negare (Vinbob., 70').
3* On voit poindre le verbe auxiliaire, tantôt habere, plus
souvent coepi. Exemples: contristaricoepit (Jean Paul, 31); —
gaudere coepit (Jean Paul, Nérée); — assistere habeo (Boni-
face, 3). — Noter même, erant certantes pour certabant
(Bôniface, 5).
4" Un sujet logique pluriel, mais grammaticalement singu-
lier j entraîne le pluriel du verbe: « (Cyriacus) cum largo et
zmaragdo usi sunt (Vindob., 4") ; quirinus cum filia sua balbina
et omni domo sua baptizati sunt (Vindob., 19"); — uxor tenons
manum viri sui venerunt (Vindob., 22"); — corruerunt Arthe-
mius cum uxore sua (Vindob., 35"); — Marcollinua cum petro
steterunt (Vindob., 37'); — Constantius Augustus una cum
ursatio et valente convocaverunt (Félix papa).
r>0 LES GI::STES DES MARTYRS ROMAINS
Le sujet est parfois répété: « qui cum venisset cyriacus
(Vindob., 4""); — qui cum praesentatus fuisset sisinnius dia-
con. » (Vindob., 2').
5° L'ablatif absolu remplacé par r accusatif ou le nomina-
tif absolu : omnia vendita non tamen praedia, sed ornamenta
(^Vindob., 7'); — fecit calistum..., ligatum ad collum cius
saxum, in puteum demergi (Vindob., 72") ; — completum sacri-
âcium, participavit populo (Vindob., 85^); — factam epistolani
nostram, eligite (Vindob., 27'); — eosdein invicem tractantes
(Vindob., 51'); — omnis populus ad Capitolium occurrens,
palmatius (Vindob., 69'); — depositum palmatium in pelvim,
dixit ei (Vindob., 70''); — acceptum palmaiuni, simplitius
(Vindob., 70') ; — venions autem dies Kalendarum ianuaria-
runi, factus est conventus (Vindob., 72').
6° Les règles (T accord ne sont plus observées: orarium
redditus est (Vindob., 90'); — erudivit omnem sanctae scrip-
turae doctrinam (Vindob., 99""); — lumendonare (Vindob.,
71'"); — daeraonibus servis opéra manuum (Vindob., 99'); —
quicumque.... ibidem veniebat (Vindob., 1*^); — illic dirigeret
(Vindob., 4*"); — me hic adduxit (Vindob., d8'); — benedixit
fontem (Vindob., 27'); — eam uterentur (Vindob., 48*^); —
Nocere eos (Vindob., 49'); — eam nocuit (Vindob., 10'); —
lumen splendidius ut sol (Vindob., ôS""); — in donio introire
(Vindob., 57'); — Apertum est tartarus et infernus (Vin-
dob., 21'); — vadens in VII miliario de urbe Roma (Vin-
dob., 21'); — praecepit..., suae audientiae inlcrrogare (Vin-
dob., 22'); — villa qui vocatur aquas salvias (Vindob., 23'); —
praecepit ut... tribunal sibi praeparari (Vindob., 213'); —
ornamenta varie gemmarum splendore coruscat (Vindob., 26').
7** Les cas disparaissent: beatum Gregorio ante vestigia
sua praesentari (Vindob., 99'); — nobili familiae ortus (Vin-
dob., 95'); — christianis viris erudiri (Vindob., 21') ; — can-
dentem... et reputante (Vindob., 21' ou 22'); — in ignem
aetcrnum cremari (Vindob., 22'); — (Clenientianus) declina-
vit ad sacrificandum ianarius (Vindob., 23'); — pimenius
erudivit iulianus litteris (Vindob., 6'); — in tellude templum
(Vindob., 23') ; — miliario plus minus unus ^ (Vindob., 24') ; —
1 C'est une sorte d'attraction par analogie phonétique qui semble expUquer
cette construction. Cf. convertit se ad Susannae disciplinae (Vindob., 56') ;
consifjnans pectus suus (Vindob., 5"î'j, — Cf. aussi des cas d'attraction par ana-
logie grammaticale, sinon phonétique, oi^ans dominum et psalleniem (Yin-
PARENTÉ LITTÉRAIRE DES TEXTES 51
splendidiim et fulgente (Vindob., 26'); — IIII Idus maiarum
(Vindob., 30'); — cum eutycen et victorino (Vindob., 30'); —
praefectus.... anniano (Vindob., 32'); — in aeternum luctum
et lacrimis serapiternis eris (Vindob., 36'); — viris primo
et feliciano in domino perdurantes... incusati sunt, Diocletiano
et Maxiraiano dicentes (Vindob., 38*^); — seraphia... contemp-
tricem (Vindob., oO*"); — indutie mihi date (Vindob., 50');
— pitollam nomine Susanna (Vindob., 53'); — inveni eam
sanctam et pulchritudinis clarissima et deo aeterno dicata
(Vindob., 53'); — dixit autem Diocliciano Augustus (Vin-
dob., 56') ; — virginem nomine Iiiliana arrepta (Vindob., 69');
— cognovi in caecitatem et in responsa (Vindob., 70*"); —
ieiunans et orans dominum et psallentem (Vindob., 74'); —
mitti centumcellis (Vindob., 63*"); — sic definislis ut.., nec
nostras minas terrearis (Vindob , 63*").
On voit que toutes les règles de la syntaxe latine sont en
déroute : les cas disparaissent ; la fonction grammaticale des
mots est indiquée par leur place dans la phrase* ; la syntaxe
des gestes romains annonce la nôtre.
III
Plus encore que la syntaxe, le style de nos textes nous
éloigne du latin véritable. Ce n'est pas, on le pense bien, les
jeux de mots^ qui donnent cette impression, ou même cette
affectation que Ton constate et qui se manifeste par des inver-
sions élégantes^ ou par des alliances inattendues'* ou par des
antithèses poussées avec un soin symétrique^ ou par de
dob.,74'); — adfuit eis angélus quieos coasolarentur (Vindob., 38'); — feci
ut herodes rex infantes interficerent (Vindob., 11').
^ Cf. aussi de curieuses constructions, comme ceUes-ci : inlerea dum baec
agerentur, pestilentissimus judex serenus nomine incurrit ci infirmitas (Vin-
dob., 35').
' Sur mililia (Processus, Ilyacintbus, etc.).
3 Pidei applica et castilati. — Inerliam sectari et otium (Jean Paul, 2); — o
qnam beata est virginitas quae ab bis omnibus est necessitatibus aliéna (Nérée).
♦ Morti sesc ac praecipilio daret (Césaire, p. niaxiina 5); — mortificat et
vivificat (Vindob., 19').
* Jean Paul, 33, 3. — Césaire, p. maxima 12; — Alexandre 11; — Lau-
rent, IV, 610.
5â LES GEStBS DEd MARTYRS ROMaINS
curieux morceaux d'apparat*, qui nous font pressentir, par
leur allure lyrique d'hymnes à demi-inspirées, qu'une poésie
va peut-être éclore, étrange et morbide, de ces proses
informes; qui peut ignorer que rien n'était plus cher au
goût des Romains que les sententiae ingénieuses, si ce n'est
peut-être les tirades à grand effet?
Les incessantes répétitions de mots, le grand nombre des
expressions abstraites, enfin la disparition presque complète
de la période, voilà trois des caractères les plus saillants du
style de nos légendes : ils font comprendre tous trois com-
bien nous sommes éloignés du latin véritable. Comme dans
les épopées primitives, les poèmes homériques ou les chansons
du moyen âge, les narrateurs, loin de fuir le retour des
expressions qu'ils ont déjà employées, semblent se complaire
à les reprendre. C'est ainsi que les mômes qualificatifs repa-
raissent toujours, attachés aux mêmes événements et aux
mômes personnes, et que les mêmes rubriques reviennent avec
une monotonie fatigante au cours des divers récits : sans doute
parce que l'esprit du lecteur d'alors, plus assoupi que le nôtre,
repasse avec indiflTcrence par les mêmes chemins qu'il a tra-
versés déjà et revoit sans déplaisir une même idée présentée
sous le même jour.
Le fait est étranger au génie de la langue latine. Voici qui
lui est contraire : le grand nombre des mots abstraits (cf. supra)
souvent construits avec un autre mot, abstrait aussi, de telle
sorte que l'expression tout entière détonne et qu'il y a con-
traste entre les idées exprimées et le vocabulaire qui les
exprime. Exemples : eruditio scripturarum (Martyrs grecs),
dare pecunias, pecuniarum enormitas, parentum hereditates;
generositas nostrae conjunctionis (Susanne), amor pater-
nitatis, sermo aedificationis, vas electionis; — pater bonae
recordationis (Potentienne); — credulitas legis sanctae Christi
(PieiTe etMarcellin), declaratio deitatis; — reverentialapidum
(Urbain) 2.
1 La prière de Coiistanlina, dans Jean PauL 33, 3. — CL Agnès. —
CL Quelques va^es reflets de poésie dans Pierre et Marcellin (2 juin) : « Clauso
diei luminc, nox initiuni suum splendore stellaruin dcmonstraret » ; et les
àines qui s'envolent, sous forme de colombes. La seule légende un peu poé-
tique par la simplicité de sentiment et d'expression est encore celle de Sim*
plicius et Viatrix : noter aussi certains passages des Gesta Caeciliae.
2 Ajouter à cela quelques images obtenues en accouplant un terme abstrait
& un terme concret. Exemples : semitam timoris monstrare (Jean Paul, 2) ;
I
PARENTÉ LITTÉRAIRE DES TEXTES 53
Mais, plus fortement encore que ces caractères particuliers,
c'est l'aDure générale du style qui surprend : les propositions
se succèdent, coordonnées plutôt que subordonnées, indépen-
dantes plutôt que coordonnées, juxtaposées les unes aux
autres, émiettées, sautillantes, sans lion logique. Et ce n*est
pas un procédé de Tauteur; c'est impuissance de sa part à
composer une phrase; son esprit est incapable de tenir plu-
sieurs idées ensemble sous l'étreinte d'une même pensée; il
n'a pas la force nécessaire à qui vent manier la période, si
puissante et si souple. Et, de fait, celle-ci se rencontre bien
rarement dans nos textes; ou sent nettement qu'au moment oii
on les rédigeait, sous une langue latine encore d'apparence et
de forme, s'en développe une autre mieux adaptée aux popu-
lations nouvelles qui la parlent, à leurs besoins nouveaux, à
leur tour d'esprit particulier. Le latin est bien mort^; les
rédacteurs des gestes romains en ont retenu les mots ; mais
ils en ont perdu le sentiment.
— aures cordis mei {id.) ; — flammae castitatis (Nérée) ; — thalamus cae-
lestis {id.).
* « En 476, lorsqu'Odeacre détruit l'Empire d'Occident et fonde le royaume
d'Italie, on peut dire que la langue latine a vécu [Mobl. op. cit. p. 322].
CHAPITRE VI
PARENTÉ PSTCHOLOGIQUE DES LÉGENDES :
LEUR PHYSIONOMIE MORALE
Pareillement, les historiens des martyrs ont conservé leur
mémoire, mais n'ont pas gardé leur esprit. Je n'en veux
d'autres preuves que leur impuissance à égaler à la variété de
l'histoire la variété de leurs récits ; — leur impuissance à com-
prendre l'âme des confesseurs du Christ; — leurs préoccupa-
tions, enfin, si étrangères à l'époque des persécutions.
I
Quelque chose de constant subsiste sous les incidents divers
qui illustrent chaque passion : l'ordre des divers éléments et
certains détails du récit. On peut noter d'abord un certain
nombre de rubriques qui ouvrent et qui ferment chacun d'eux :
le type le plus répandu des rubriques initiales marque l'époque
où le martyr a souffert : Tempore qito^y ou in diebus illis'^^
ou encore régnante^.,. Il est très rare que la passion ne com-
1 Cf. Césaire, Processus. Eusèbe Pontien,Serapie, Lucilla. Félicité, Calliste,
Etienne, Laurent (Cal... Brux.^ I, 91), Digna Mérita, Maris, Aurea, Chry-
santhe, Susanne, Marcel, Simplicius, Pancrace, Abundius, Alexander Roma-
nus.
< Cornélius.
' Lucie et Geminien, Genesius, Martyrs grecs, Restitutus, Prisca, Vibbiane,
Jean Paul. Cf. Variot, Ev. Apocr.^ p. 353.
56 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
mence pas par cette indication chronologique : quand le cas se
présente, c'est un indice que notre texte n'est qu'un démem-
brement d'un autre ou qu'il nous est parvenu altéré. — Le type
le plus répandu des doxologies est : Cui est honor et gloria in
saecula saeculorum *. Amen^ qui se rencontre parfois sous
cette forme plus complète : cui honor et gloria^ potestas et
imperiuniy ou sous cette forme modifiée : cui honor et impe-
rium in aeterna. Un second type de clausulae^ donne : qui
cum Pâtre et Spiritu Sancto vivit et régnât in saecula saecu-
lorum. Amen, » Il est également très rare que la passionne se
ferme pas sur Tune ou l'autre de ces clausulae : c'est encore
un indice que le texte est altéré ou démembré.
D'autres formules se rencontrent dans le cours du récit :
Et quia longum est per ordinem omnia narrare; ou encore :
vox praeconia, ieiuniis vacare^ eleemosgnis insistere^ ars
magica^ custodia privata^ créais ex toto corde^ fojcultates
erogare pauperibus^ unum libi de duobus elige^, participare
mgsterium Domini,
Ceci n'est qu'un signe. Certains incidents reviennent avec
non moins de monotonie que certaines expressions. La conver-
sion du persécuteur, la ténacité du chrétien, les tourments
qu'il endure, les miracles qu'il opère, voilà quatre épisodes qui
se retrouvent, plus ou moins longuement développés, dans le
plus grand nombre des passions.
La fragilité des choses de ce monde opposée à l'éternité
des choses du ciel, la fausseté des dieux païens fabriqués de
main d'homme, voilà deux idées sur lesquelles les gestes
reviennent avec une inlassable constance.
Ce retour réglé, prévu peut-on dire, des mêmes incidents,
racontés parfois dans les mêmes termes, exposés dans le même
ordre, encadrés dans les mômes formules, nous indique combien
pauvre était l'imagination des rédacteurs et comme ils étaient
loin de sentir la réalité vivante ; aussi ne devons-nous pas nous
étonner qu'ils comprennent si mal et l'époque des persécutions
et l'âme des martyrs.
i Nérée, Symphorose, Cécile, Etienne, Calocère, Marcel, Simplicius, Pan-
crace, Abundius, Vibbiane.
- C^saire, Processus, Serapie, Getulius, Félicité, Urbain, CaHiste, Martyrs
grecs, Rufine et Seconde, Maris, Aurea, Jean Paul.
3 Expression qui se retrouve dans Cassiodore (P. L., 70, 1144], comme aussi
cœlvs vesler (var., IV. 2ô, M. G., 125), stadium (H. T., X, 28, P. L., 69, 1183)
qui se rencontrent dans les gestes de taurent et de ])oniface,
PARENTÉ PSYCHOLOGIQUE DES LÉGENDES 57
II
Je ne saurais trop conseiller aux esprits qu'ont lassés les
analyses subtiles du roman psychologique de lire et de relire les
gestes des mart}Ts romains. Et j^aurais, sans doute, bien des
raisons à faire valoir; je n'en veux toutefois indiquer aucune
autre ici que l'extrême plaisir qu'ils ne manqueraient pas d'y
prendre par le contraste qu'ils constateraient entre les procé-
dés de l'auteur des Gesta Laurentiùi ceux de M. Paul Bourget.
Des sentiments très simples, l'absence complète d'analyse,
voilà ce qui les frapperait lorsque, pour la première fois, ils
parcourraient les légendes romaines. Le narrateur décrit du
dehors des phénomènes dont il ne paraît pas connaître les
causes, ni môme savoir s'ils en ont quelqu'une ; et si, d'aven-
ture, il se hasarde à en indiquer, ce n'est jamais que d'un mot,
rapidement jeté, et comme en passant; mais jamais aucune
explication ne prétend éclaircir l'origine des actes divers dont
l'ensemble constitue la trame du récit. C'est à croire que la
mode n'était pas, jadis, aux complications, mais aux simplifica-
tions à outrance.
Veut-on connaître la structure intellectuelle des personnages
mis en scène. Quelles objections adressent-ils au paganisme?
Comment rendent-ils compte de la victoire finale que le chris-
tianisme a remportée et des longues persécutions qu'il a subies?
L'explication est toujours d'une simplicité admirable. Oyez plu-
tôt : « Il faut abandonner le paganisme, parce que les dieux dont
il prétend imposer le culte religieux ne sont que des idoles de
bois, faites de main d'hommes, idola muta, idola manufacta » ;
voilà l'objection terrible, qui, dans la bouche des martyrs,
condamne les faux dieux. Lisez les gestes d'Urbain, ceux de
Laurent, ceux d'Etienne, ceux des Martyrs Grecs, de Censuri-
nus, de Maris, de Sébastien, de Primus et Felicianus, de
Félix et Adauctus,d'Abundius, d'Agnès, de Chrysanthe, d'Ana-
tolie, de Calocère, de Gordien; dans ces légendes, la même
objection revient avec la même persistance: il est clair qu'un
dieu que taille un sculpteur et que badigeonne un peintre est
moins puissant et moins grand que Celui qui a fait le ciel et
la terre, qui chasse les démons et accomplit les miracles à la
prière de ses saints,
58 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
Le miracle tient, en effet, une grande place dans l'esprit de
nos personnages. Ils conçoivent l'action de Dieu comme inter-
venant à tout propos en ce monde, pour modifier les événe-
ments, guider les hommes et les empires; la foi en une cause
première a comme oblitéré Tidée des causes secondes, au point
que, dans nos gestes, rien n'est plus ordinaire que l'extraor-
dinaire, ni plus naturel, au sens usuel du mot, que le surnatu-
rel lui-même. J'en donne pour preuve le grand nombre de pro-
diges dont elles sont, parfois, remplies et comme bourrées.
Mais ce qui donne à ce fait la valeur d'un document psycho-
logique, c'est que le miracle apparaît ici comme l'unique rai-
son du triomphe final de l'Église; aucune cause n'en venait
seconder l'action ni préparer la victoire ; et les persécutions
dont elle fut l'objet représentent avec une exactitude symbo-
lique l'ensemble des circonstances au milieu desquelles elle
apparut : elles résument, elles expriment, si j'ose dire, toute
son histoire jusqu'à Constantin. Il suffit de lire, pour s'en con-
vaincre, les gestes de Xérée, ou d'Alexandre, ou de Césaire,
ou de Censurinus, de Marcel, de Susanne, de Primus et
Félicianus, de Sébastien, de Pierre et Marcellin, d'Agnès, de
Jean et Paul : l'unique explication proposée par les Gesia
pour rendre compte du succès final de la lutte, c'est l'immé-
diate et constante action de Dieu lui-même. Et que l'on n'aille
pas chercher au loin la raison de ce fait : elle est toute voisine
de nous; l'explication par le miracle est la plus simple de
toutes: elle dispense de toute analyse, de tout effort intellec-
tuel ; elle convient à merveille à ces esprits paresseux, indo-
lents et mous qui accablent le paganisme sous un argument
étrange ^ et qui paraissent n'avoir jamais été aiguillonnés par
le besoin de comprendre le pourquoi des choses.
Une nouvelle preuve de cette attitude d'esprit, je la trouve
dans l'explication que proposent les gestes romains pour rendre
compte (lu fait si complexe des persécutions. Inutile de dire
que cette explication, — quand on se soucie de la donner, — est
uniforme et ne tient compte ni des différences de temps ni des
différences de lieu. Ce sont toujours des faits très simples qui
déchaînent Torage : l'avidité des empereurs -, la jalousie des
I Cet argument montre qu'à Tépoque où les gestes ont été rédigés, —
Tépoque ostrogothique, on le verra plus loin, — l'art chrétien n'exerçait
encore qu'une faible influence.
< Cf. Martyrs Grecs; Laurent; Eusèbe et Pontien; Balbina; Jean Paul;
Urbain.
PARENTÉ PSYCHOLOGIQUE DES LÉGENDES 59
prêtres ^ le prosélytisme chrétien 2, Tensevelissenient des
cadavres ^, tous faits particuliers et individuels satisfaisant à
bon compte des esprits peu exigeants.
Si maintenant, au lieu d'étudier la structui^e intellectuelle des
personnages de nos gestes, nous voulons nous rendre compte
de leur structure morale, ce sera Textrême simplicité de Texpli-
cation présentée, se traduisant par l'absence complète d'analyse,
qu'il faudra encore mettre en lumière. C'est la doctrine de l'in-
térêt qui guide les rédacteurs, quand ils essayent d'expliquer
les hommes, comme c'est la théorie du miracle qui les éclaire,
quand ils doivent expliquer les faits ; et c'est la même raison
de simplicité qui leur fait adopter celle-là, comme elle leur a
fait adopter celle-ci. L'absence d'art, l'incapacité d'analyse, la
brusquerie soudaine et comme capricieuse des transformations
morales que le narrateur est impuissant à décrire, — sans
doute parce qu'il est impuissant à les concevoir, — tous ces
traits communs à nos gestes laissent transparaître une con-
ception de la vie où l'intérêt joue le premier rôle, et dont le
peu d'élévation échappe à l'inconscience de l'auteur tout en
s'étalant dans la naïveté de récit. Quelle raison pousse à se
convertir les geôliers de Saint-Pierre, Processus et Marti nia-
nus? la puissance ^ du Dieu qu'il prêche, l'expérience qu'ils en
ont faite, l'intérêt qu'ils ont à se concilier son appui. Et quelle
raison font valoir les Apôtres pour les affermir dans leur projet ?
« Les prodiges que vous nous avez vu faire, vous aussi, vous
aurez le pouvoir de les accomplir. » — Dans le récit de la per-
sécution, à quel argument recourt Paulinus, lorsque, déses-
pérant de convaincre ses soldats infidèles, il tente pourtant un
suprême effort pour ébranler leur constance? Tous deux, comme
il le leur rappelle, comme le texte le prouve, sont à la veille
d'être nommés principes'^, et c'est à lui que revient le droit de
nomination. Voici le langage qu'il leur tient : « Soyez mes
amis ; jouissez de la récompense de vos longues années de
ï Félicité, Symphorose.
« Alexandre.
3 Etudier à ce propos : 1" les personnages de Lucine et du prêtre Jean, de
Justin (Laurent), de Césaire (Nérée), d'Eusëbe (Aurea) ; 2* les trois gestes
d*Eusébe et Pontien, Maris et Martha, Abdon et Sennen.
^ « Ili cum vidèrent mirabilia quos faciebat per beat os apostolos domi-
nus... > (ProcesitHs.)
^ Les gestes les appellent mello-principes, mot forgé sur mello-proximi. —
Cf. infrOm
60 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
service ^ » Peut-on leur dire plus clairement : « Ce grade de
pri/icejjs, terme de votre ambition, dernière récompense de
votre dévouement, si vous apostasiez, il est à vous. « Voilà
donc l'argument le plus fort auquel recourt qui veut les tenter ;
et voici la raison la plus décisive qu'invoque à son tour qui
veut les sauver : « Ne craignez pas des châtiments qui doivent
passer* » ; on sous-entend sans peine : « Craignez plutôt ceux
qui ne passeront pas. » La psychologie de Lucine ne répond-elle
pas à merveille à celle de Paulinus, et toutes deux n'éclairent-
elles pas à souhait celle du narrateur ? — Mais voici qui est
plus significatif encore et plus curieusement naïf, s'il se peut.
Processus et Martinianus supplient Pierre et Paul d'abandonner
leur prison et d'aller oîi ils veulent ; mais, s'ils leur adressent
cette prière, c'est que Néron ne pense plus aux Apôtres: « On
vous a oubliés ; partez rfonc 3. »
Dressez maintenant la liste des endroits les plus frappants
où le défaut d'analyse surprend et laisse entrevoir quelle expli-
cation le narrateur suppose '*. Rapprochez-les ensuite de ceux
où il apparaît clairement que le mépris des souffrances qui
passent s'inspire de la crainte de celles qui ne passent pas '».
Notez encore combien les martyrs des gestes se répandent en
injures grossières autant qu'inexpliquées contre les persécu-
teurs, et ceci, avant la persécution dioclétienne ^. Relisez enfin,
dans les gestes de Nérée et Achillée', l'idéal que rêve Flavie
ï Cf. Cassiodore, Var. VI, form. 6 (Migne, P. L., 69, 687): «Militiae perfu-
nctus houoribus, ornetur nomine principatus. »
* Ceci est la déformation de la pensée de saint Paul, II Corinth, IV, 18 :
Tstyàp ^XE7t<$|XEva np^<7xaipa, ta Sa |xr, jàXe7t6{XEva altoviot. — Cf. la citation de
TApôtre dans les Gesia Sophiae, 277.
•* « Uogamus iéaque vos ut ambuletis ubi volueritis. » — Cf. Gesla Marii et
Marthae. « Audiat Pietas Vestra... et salva erit anima tua et respublica tua
nugebitur » (7). — Gesia Vibbianae. « Crede in Chris! um filium dei vivi quem
lulianus imperator negat; et in diebus dignitates tuas et facultates centies
tantum muUipIicari... » (Bibl. Cass., III, fl. 192).
^ Marcel, 6, 10 ; Susanne, 8 ; Agnès, Jean Paul, Gordien, Vibbiane.
^ Calocère, 1 : «c Quia contemnentes omnia temporalia... >; 2 : € Tua enim
censura hodie est et cras non erit; Dei autem ira aeterna. »; Etienne, 8 :
« Si tanta virtus est Christi quam tu narras, melius est relinquere deos qui
nec sibi nec nobis possunt adjuvare »; Cécile : « Si vel leviter senserit quod tu
me polluto amore contingas, statim circa te furorem suura exagitat»; —
Martyrs Grecs, 204: € Verc crediuuis quia cognovinius pueri salvalionem »;
— Laurent, 4 et 8; Uufine, 2 ; Susanne, 19; Chrysanthe, 1; Léopard, 2;
Alexandre, 10, 15, 16; Marcel, 5, 7; Gésaire (p. parva), 3 ; Martyrs Grecs, 206;
Marins, 7; Sebastien, 47; Pierre et Marcellin, 13; Gordien, Restitutus,
« Gésaire (p. major), 18; Alexandre, 15, 16; Urbain, 7,
7 î 21. — Cf. Sébastien, J 13, . .
t^AtlENTÂ PSYCHOLOGIQUE DES LÂGENBES 6i
Domi tille, ce curieux paradis qui semble un premier dessin du
paradis de Mahomet, oii dans Tair bleu, sous les palmiers d or,
les houris souriantes attendent le fidèle serviteur d'Allah ; et
vous croirez sans peine qu'à côté des phrases toutes faites que
le narrateur doit placer dans la bouche des martyrs, puis-
qu'aussi bien ce sont des martyrs qu'il fait parler, on discerne
sans effort, à travers les idées qu'il se forme des événements
et des hommes, sa personnalité propre, aussi peu développée
au point de vue moral qu'au point de vue intellectuel, aussi
incapable de sortir d'elle-même par l'amour que par la pensée ;
sa psychologie particulière perce sous la psychologie de
rigueur que le sujet comporte et que la tradition impose. Nous
n'avons pas ici une authentique histoire des martyrs de Rome :
l'impression qu'elle donne est trop discordante et contradic-
toire.
III
Cette opinion s'affermit lorsqu'on remarque que les préoccu-
pations attestées par nos légendes sont tout étrangères à
l'époque des persécutions. Leur caractère tendancieux n'est
pas moins remarquable que leur enfantine psychologie; on
aurait peine à en trouver beaucoup qui soient contées ou con-
çues en dehors d'un parti pris et d'un point de vue déterminé ;
le narrateur entend toujours accréditer, à propos d'un fait his-
torique ou d'une doctrine morale, sa propre manière de voir;
et ce n'est pas par une discussion franche qu'il prétend l'impo-
ser au lecteur ; c'est par des artifices et des habiletés qu'il
s'efforce de Tinsinuer en lui.
Ce qui frappe, de prime abord, en parcourant les gestes
romains, c'est l'abondance et la précision parfois minutieuse
des renseignements qu'ils nous détaillent. Il en est qui laissent
sans défiance : les indications topographiques, par exemple,
dont on admet l'exactitude relative, et qu'il serait malaisé,
semble-t-il, d'inventer tout à fait. Mais lorsque la légende,
comme il arrive souvent, se présente partout avec une pré-
cision uniforme, que l'incident le plus insignifiant s'y trouve
déterminé dans tous ses contours avec la même minutie que
le fait le plus grave, qu'on nous donne le compte, pour citer
6â LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
un exemple, des personnages qui ont été éclairés soit par la
prédication des chrétiens, soit par Théroïsme des martyrs, tous
ces minutieux détails ne laissent pas que d'inquiéter un peu ;
d'autant qu'ils ne nous sont pas donnés en passant, ainsi qu'il
conviendrait à leur peu d'importance, et comme entre paren-
thèses : chacun d'eux fait l'objet d'une affirmation formelle;
chacun d'eux est, en quelque manière, particulièrement proposé
à la croyance — à la piété — du lecteur. L'histoire véritable,
lors môme que les documents abondent, tend à diminuer la part
de l'inconnu, sans 1 éliminer jamais; dans les gestes romains,
au contraire, ou a partout présente la sensation de l'effort tenté,
non pour restreindre ce domaine de l'oubli, mais pour le sup-
primer tout à fait.
Cette impression s'accentue bientôt, et ces inquiétudes se
précisent. Les moyens employés pour obtenir créance sont
parfois des plus grossiers. Tantôt, comme dans les gestes
d'Agnès et de Cécile, le narrateur prétend reproduire ce qu'il
a découvert dans des livres oubliés. Tantôt, comme dans les
gestes d'Eleuthère, dans ceuxdeChrysanthe etDarie,dans ceux
de JeanetPaul, de Sophie, et dans ceux d'Eusèbe, il prétend écrire
sous la dictée de l'apôtre, du martyr ou de la vierge dont il
raconte les aventures*. Tantôt, lorsque les circonstances favo-
risent son dessein, il pousse plus loin encore l'audace de ses
inventions et imagine des lettres rédigées par les saints eux-
mêmes: témoin la lettre de Ponce Pilate dans les gestes de
Pierre et Paul, la lettre de Pastor dans les gestes de Poten-
tienne, les lettres de Nérée, de Marcellus et d'Eutychcs dans
les gestes de Nerée, la lettre de Dèce dans les gestes de Lau-
rent, celles d'Auastasie à Chrysogone. Si la coutume ne s'est
pas généralisée, c'est, sans doute, qu'elle ne pouvait l'être sans
heurter les vraisemblances. Les lettres que nous venons de citer
appartiennent — sauf deux — à des légendes de l'âge aposto-
Uque : ce sont les Epîtres du Nouveau Testament qui ont ici
inspiré les rédacteurs. Et l'on ne voit pas quels autres documents
épistolaires, rapportés aux persécutions postérieures, aurait
pu alléguer celui qui aurait mis sous foï^me de lettre le récit
des tortures de saint Laurent, de sainte Agnès ou des saints
1 Eleuthère : « Eulogius et Theodiitus qui ab co ordinati sumus...» — Chry-
santé et Darie : « àveYpa*]/9|XTjv èyw OCipivo; upotoffr; vueiÇa; ^te^avo-j. » —
Jean et Paul : « Ipso référante Auspicio... Ipsa narrante Constanlina... et
ipso Terentiano scriptaest... »
PARENTÉ PSYCHOLOGIQUE DES LÉGENDES 63
Jean et Paul; il est fort douteux qu'ils aient connu la lettre
des Lj'onnaisou celle des Smyrniotes. Il se trouve donc que,
par un concours de circonstances particulières, la tendance
que Ton saisit dans les gestes romains à se présenter au lec-
teur comme document authentique, a pu, dans certains d'entre
eux, atteindre son plein développement ; la forme épistolaire
que plusieurs ont revêtue exprime à merveille et met en pleine
lumière le caractère « historiciste», si Ton me passe ce barba-
risme, qui les distingue tous.
Mais, en même temps qu'ils tendent à accréditer des faits,
plus ou moins exacts, souvent aussi nos gestes tendent à
accréditer des doctrines plus ou moins morales : c'est dire
qu'ils ne présentent pas seulement la physionomie de textes
historiques, mais celle encore de romans édifiants. Le profit
qu'an retire en écrivant l'histoire des martyrs ou seulement en
la lisant, voilà un point sur lequel ils reviennent avec une insis-
tance* un peu banale ; mais l'enthousiaste apologie de la chasteté,
apologie qui constitue le fond môme de plusieurs récits 2, et que
l'on retrouve, plus ou moins explicite, dans beaucoup d'autres,
voilà qui est peut-être significatif^. Dans Nérée et Achillée'*,
par exemple, avec un luxe de détails qui surprend, on peut
suivre, pendant plusieurs pages, une systématique attaque
contre le mariage : il s'agit d'en détourner une jeune fille et de
dérober aux hommes un trésor qui ne convient qu'à Dieu ;
aussi voyez avec quel art, — je ne dis pas avec quelle élo-
quence, — s'expriment les deux avocats. J'ose assurer que
la composition de leurs discours à tous deux, — car, comme,
dans un chant amoebé^ tels les pâtres de Théocrite ou de
Virgile, ils se répondent l'un à l'autre dans un touchant
accord, — aurait pleinement satisfait ce grand rhéteur qui
s'îippelait Massillon.il aurait constaté, non sans quelque plaisir,
qu'ils contenaient un véritable sermon sur la sainte vertu de
chasteté, sermon divisé en deux paHies, chaque partie se
subdivisant elle-même on doux points :
Premibre partie : Apologie négative de la virginité, ou
1 Cécile (Momb., I, 188).
3 Nérée et AcbiUée, Protus et Hyacinthe, Calocère et Parthenius, Jean et
Paul, Rufine et Seconde, Agnès, Sabine et Sérapie, Hermès et Balbine, Cbry-
santhe et Darie, Anastasie, Cécile, Susanne, Lucie et Geminien, — Digna et
Mérita, LuciUa et Flora, Luceia et Auceias, Restituta, Bonosa.
» Cf. infra,
^ Cf. Aube, Histoire des Persécutions,.. (Paris, 1875), p. 430 sq.
64 LES GEStES DES MARTYRS ROMAINà
attaque virulente contre le mariage. Premier point : Incon-
vénients du mariage pour la femme en tant qu'épouse :
a) jalousie des maris; h) légèreté et débauche des maris; —
Second point : Inconvénients du mariage pour la femme en tant
que mère : a) ennuis de la grossesse ; b) douleurs de l'accouche-
ment*.
Seconde partie : Apologie positive de la virginité, éloge
de cette vertu : Premier point : C'est un bien qu'il n'est plus
possible de recouvrer une fois qu'il a été perdu ; — Second
point: C'est la vertu qui approche le plus du martyre.
Le même esprit se retrouve, sinon la même argumentation,
dans les gestes dont je parlais tout à l'heure. Le haut prix
qu'ils attachent à la vertu de chasteté résume bien et met en
pleine lumière leurs tendances moralisantes.
Les doubles tendances, dont nous avons relevé la trace dans
un grand nombre de gestes romains, trouvent leur expression
la plus remarquable dans les onze prologues que nous
lisons en tête des gestes de Nérée-Achillée, Potentienne-
Praxède, Cécile, Cyriaque, Pontius, Anthimius, Urbain,
Susanne, Anastasie, Chrysanthe-Darie, Basilide^. La tendance
moralisante perce dans celui de Nérée : le rédacteur dissimule
mal la colère un peu rageuse qu'il éprouve, lorsqu'il constate
l'activité des hérétiques et la négligence des catholiques, et il
gourmande la paresse de ceux-ci, et il leur prêche que, pour
garantir le troupeau des atteintes de l'hérésie, on ne saurait
i Cf. saint Jérôme, à Eustochiuiii, ép. 22 (I, 395, Migne) :€ ... oioIesUas nup-
tiaruni, quoniodo utérus intutnescat, infans vagiat, cruciet pellex, domus
cura sollicitet.. ». Cf. aussi : Adversus Helvidium de heatae Mariae perpétua
virginitate. C'est le même accent qu'on retrouve dans le PulchetTimumCannen
— c'est saint Isidore qui parle — qu'Avitus adresse à sa sœur Fuscinia, on
sait dans quelles circonstances :
Cum longa dccem Inlerint faslidia mcnses
Perfecloque gravis fétu distendilur alvus
Semina quae palris fucrant, haec pondéra matri
Infligunt duros utero turgente dolores
Nain cum luctato solvunlur vi^cera partu,
Uua luit, tanto carnis discrimine pcndcns
Quod coiere duo...
[De Consolatoria laude Caslitaiis. — P. L., 39, 372.)
C'est au roman naturaliste que nous fait penser le Pulcherrimum Carmen
du saint évoque ; mais ce n'est pas ici, comme tout à Theure, association
d'idées par contracte,
^ Je laisse de côté les prologues des IIII Couronnés et de Digna et Mérita,
composés par Pierre de Naples.
PARENTÉ PSYCHOLOGIQUE DES LÉGENDES 65
mieux faire ni plus efficacement agir qu'en répandant le culte,
en prêchant l'exemple des saints. Le rédacteur du prologue de
Potentienne-Praxède insiste de même sur le profil moral qu'on
retire de la lecture de ces histoires ; et celui qui écrivit la
préface des gestes de Cécile et de ceux d'Urbain insiste encore
sur la même idée*. L'auteur du prologue de Basilide, enfin, ne
voit pas de moyen plus efficace de promouvoir la piété des
fidèles que d'écrire et de répandre les gestes des martyrs. Le
souci d'édifier le lecteur et de l'aider dans l'œuvre de son salut
apparaît donc ici de diverses manières, mais aussi manifeste
que dans ces hymnes • enthousiastes qui disent l'excellence et
la douceur de la virginité, reine des vertus.
Le souci d'accréditer certains faits n'est pas moins marqué
dans les prologues. Si l'on en excepte celui de Cyriaque, où l'on
trouve, tout au long développée, cette thèse — sans doute pro-
posée par quelque ancêtre inconnu de Jean de Launoi — que,
durant les troubles de la persécution, les chrétiens n'avaient
pas le loisir de faire des histoires détaillées, et que c'est seule-
ment depuis le triomphe de l'Eglise que l'on a vu apparaître
les récits relatifs aux martyrs, si l'on excepte, dis-je, le pro-
logue de ces gestes, une autre théorie réunit l'unanimité des
sufi'rages de cinq autres textes et est implicitement contenue
dans un sixième^ : les Gesta Martynim^ quoi qu'on dise, sont
authentiques. Qu'on en juge par le prologue de Praxède, où
nous avons vu que se trouvent insérées les lettres de Pastor.
Pourquoi, écrit le rédacteur, rejeter ces lettres parmi les apo-
cryphes? Les gestes sont authentiques. Cette même idée res-
sort du prologue de Pontius, de celui de Chrysanthe, dont les
auteurs se disent, on l'a vu, témoins oculaires des faits qu'ils
rapportent. Elle anime encore le prologue d'Anastasie, dont le
rédacteur nous apprend que c'est pour nous édifier, pour faci-
liter notre avancement dans la vertu, que Dieu a sauvé de
l'oubli la mémoire des premiers saints. Elle est enfin expressé-
ment développée dans les gestes de Susanne : le pieux ïhrason,
modèle que nous devons tous imiter, passait la nuit à visiter
les pauvres, le jour* à écrire les gestes. Et maintenant, par
^ Celui qui racontera les aventures de Mélanie donnera mieux qu'un
conseil, Texemple môme de la sainte : chaque veille de fête, elle avait la très
pieuse coutume de lire cinq leçons tout entières.
' Celui de Nérée : le rédacteur n'attacherait pas une telle importance aux
Geita^ s'il ne les croyait authentiques.
5
C6 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
quelle audace sacrilège voudrait-on en discuter la valeur? —
C'est ainsi que la tendance historicisie des Gesta s'accuse aussi
nettement dans les prologues que dans la multitude des détails
qu'ils racontent.
Aussi dirons-nous que ces prologues nous font véhémente-
ment soupçonner que nos légendes sont apocryphes. On donne
de ce terme une définition de fait*, lorsqu'on en fait un quali-
ficatif des livres dont l'autorité n'était pas assez généralement
établie pour qu'ils fussent lus aux offices. Si l'on cherche à en
formuler une définition explicative, on verra bientôt qu'il est
peu de livres auxquels elle s'applique qui ne contiennent cette
double tendance historiciste et moralisante, que nous nous
sommes efforcés do dégager des gestes romains. Tous ou
presque tous tendent à accréditer des faits dont l'Eglise uni-
verselle conteste l'exactitude, tandis qu'un grand nombre tendent
à accréditer des doctrines dont elle conteste la moralité. Tous
ou presque tous, aussi, présentent cette psychologie enfantine
et cette uniformité de composition qui nous ont frappés en
les lisant. L'étude intrinsèque de nos textes nous incline à
croire qu'ils sont apocryphes: on n'y sent pas vibrer l'âme
des martyrs.
* Variot, Evangiles apocryphes^ p. li.
CHAPITRE VII
COMPARAISON DBS GESTES AINSI CARACTÉRISÉS AVEC LES ACTES
AUTHENTIQUES
Peut-être ne sera-t-il pas inutile, pour contrôler notre
impression et préciser notre pensée, d'opposer une contre-
enquête à celle que nous avons instituée déjà. Los logiciens du
temps jadis aimaient à répéter que rien n'éclairait une idée
d'un jour plus vif queTidée contraire : la logique du temps jadis
avait du bon.
Relisons à loisir un acte authentique.
I
Les actes des saints Jacques et Marien conviennent à
notre dessein*. Sans doute, ils nous transportent en Afrique :
mais où trouver à Rome un acte sincère écrit en latin? D'autre
part, nul ne conteste l'authenticité de ceux-ci 2; ils ont été
rédigés par un compagnon des martyrs à une époque assez
reculée, dans la seconde moitié du iii° siècle. Ils offrent enfin,
avec les légendes romaines, certaines analogies curieuses : par
i Huinart (édition de 1689), p. 22i, ou A. SS., 12 avrU 755.
^ Puech, Prudence, p. 106. — Allord, UI, 135. — G. 1. L., Vlil, 7924. —
TiUeuiont, IV, 215, 649.
68 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
leur caractère tendancieux*, comme par la date de leur
composition et la nature de la langue dans laquelle ils ont été
écrits, nuls ne se prêtent donc plus naturellement à notre
dessein.
En 258, le second cdit de Valérien condamne à mort évéques,
prêtres et diacres. Sixte II à Rome, Fructueux à Tarragone,
Cyprien, Lucien et Montanus à Carthage, sont également exé-
cutés. C'est dans ces circonstances que trois chrétiens
cheminent tranquillement sur la route de Cirta ; arrivés à
Muguas, Jacques, Marien — c'est le nom de deux des voya-
geurs — et leur compagnon inconnu croisent deux évêques
qui reviennent d'exil, Agapius et Secundinus.Ils les accueillent
avec joie dans la ferme oii ils se sont établis, et, par les soins
dont ils les entourent, cherchent à adoucir leurs derniers
moments. Mais les païens les dénoncent; ils sont saisis,
emmenés à Cirta, jetés en prison. Jacques, déjà confesseur
sous Dèce, avoue son rang de diacre ; Marien se dit simple
lecteur, ce qui est vrai. Sans doute, il doit échapper au sup-
plice, puisque Tédit condamne d'office les seuls évoques, prêtres
et diacres, mais on se persuade qu'il dissimule son titre et que
la torture le fera parler. Les tourments ne lui arrachent ni apos-
tasie ni mensonge. On le ramène dans la prison, et les visions
qui le visitent la nuit raffermissent son âme contre la douleur.
Quelques jours après, on envoie les prisonniers à Lambesse
avec les pièces de l'instruction. Au moment oii le magistrat
ordonne le départ, le visage d'un assistant reflète tant de
joie, de piété, d'enthousiasme, qu'il est aussitôt remarqué. On
l'arrête, on Tiuterroge, c'est un chrétien comme les autres,
c'est un martyr de plus. Une marche pénible les conduit alors
à Lambesse. Présentés au légat C. Macrinus Decianus, ils sont
jetés dans cette même prison que beaucoup connaissent : la
persécution de 250 les y a conduits jadis. Bientôt on les
sépare en deux groupes. Les laïques sont mis à part, Decianus
espérant en venir plus aisément à bout ; comme son attente
est trompée, il se venge en les massacrant tous. Vient alors
le supplice des clercs. Le cortège des condamnés s'arrête au
bord de la rivière, dans une petite plaine entourée de collines ;
on les met sur un rang afin de les décapiter l'un après l'autre .
* Puech, Prudence, p, 106-101 : « On sent une tendance à Tédification dans
les actes deâ martyrs Jacques et Marien.»
CARACTÈRE DES ACTES AUTHENTIQUES 69
Pendant que, les yeux fermés, ils attendent la mort, le voile
de l'avenir se lève pour eux : ils prévoient que le sang des
justes sera vengé par les malheurs de Tempire. Cependant le
bourreau passe devant chacun, abat successivement chaque
tête ; quand celle de Marien est tombée, sa mère, Marie, s age-
nouille, baise sa tête sanglante et remercie Dieu de lui avoir
donné pour fils un martyr.
II
La lecture du texte laisse au lecteur une impression très
nette et très forte de calme, d'élévation, de sérénité grave et
douce. Tout concourt à produire cet effet, et le sentiment qui
anime le narrateur et la façon dont il l'exprime, la nature dos
idées et aussi la nature du style.
Sans doute, comme dans nos gestes, on est arrêté d'abord
par des expressions étranges : affectibus adhaerere alicuij —
pressurae saecidi^ — notitiam fraternitatis , — commvniias
vitae *, — sitburbatia vicinitas^. Comme dans nos gestes, on
relève dans les actes quelques expressions d'une élégance étu-
diée : Jn qua régions persecutionis tempestas ciim turbulen-
tins fxireret ; vixdum enim bidimm fluxerat.,,; Mariano..,
in soporis iranguilla resoluto; — ou des images frappantes:
Qua praedicaiione non tantum gentilihns insiiltabat fides
martyris^ sed etiam fratribus vigorem aemulandae virtiitis et
quasi ctassictim praecinebat ; — ou des antithèses savamment
opposées: Illos^ etsi nondum sanguine^ mente iam 7nar-
tyres , . ,;perducebantur non a paena ad paenam^ sed a gloria
potins ad gloriam.,.; o quietem in qua féliciter dormit qujis-
quis in fide vigilat.
Mais ce qui distingue les actes des gestes, c'est que ceux-là
ont une allure vraiment latine, que fait encore mieux ressortir
rétrangeté du vocabulaire ; c'est l'ampleur aisée du dévelop-
pement, la forme oratoire du récit, le caractère périodique de
la phrase, qui se déroule toujours avec ampleur et majesté. On
^ Ruinart, 2 1*
^ /</.,§ 2. — Cf. instinctus coelestis spiritus, spiritua vivificationis et gra-
tiae; in aliquo Christus de passione fulget (3); matura divinae dignationis
hora (4}.
70 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
est surpris de rencontrer chez ce Berbère inconnu un senti-
ment plus juste de la langue, un instinct plus sûr de ses usages
et de ses procédés que chez les rédacteurs romains des Gesta
Martyrinn, Relisez cette page : « Tune Agapius, qui jamdu-
« dum martyrio suo consummato fidei sacramonta perfecerat,
« qui et ipse, cum pro puellis duabus, TertuUa et Ântonia,
« quas sibi carissimas ad vicem pignorum diligcbat, repetitis
« fréquenter precibus oraret, ut secum et illae Dei dignatione
i* martjTcs fièrent, retulerat meritorum suorum tali revcla-
« tionefiduciam : quid assidue petis, quod unaoratione meruisti?
« Is ergo Agapius agenti Jacobo... apparuit. » A considérer ces
propositions incidentes qui s'enchaînent et s'appellent avant
que ridée principale soit énoncée seulement, coniraont ne pas
reconnaître, avec Tallure un peu négligée du style, le tour
oratoire de la phrase? D'autres présentent ce même caractère,
mais plus frappant encore; elles offrent une période véritable-
ment organisée. Telle est la première page de la Passion :
« Quotiescumque aliquid beatissimi martyres Dei omnipoten-
« tis, et Christi eius, festinantes ad promissa regni coelorum,
« carissimis suis verecundius mandant, memores sunt humili-
« tatis, quae «emper in fide solet facere maiores : et, quanto
« modestius petierunt, tanto efficacius împetraverunt. » Dans
tous les gestes romains, iln y a pas une phrase à rapprocher de
celle-là; comme lo latin était bien mort lorsqu'on les écri-
vait, il était certes très vivant au moment où Ton rédigeait les
actes de ces martvrs.
III
La physionomie morale qu'ils présentent ne diffère pas
moins profondément de celle des légendes romaines. Dans la
passion de Jacques et Marien, les sentiments exprimés ou sug-
gérés concourent plus efficacement encore que la nature du
style à faire naître dans l'âme du lecteur cette impression de
gravité calme et douce que nous avons notée tout à l'heure.
La passion révèle d'abord un enthousiasme ardent, une fer-
veur brûlante : ce sont véritablement des mart3Ts que nous
avons devant nous. Ils bénissent le ciel qui les livre à leurs
CARACTÈRE DES ACTES AUTHENTIQUES 71
bourreaux. Gomme ils viennent d'être arrêtés, le narrateur
s'interrompt : exoptanda nohis incursio! felix et digna
eaniltatione trepidatio ! Si quideni ad nos ventum est propter hoc
tanttim^ ut Dei dignationem Mariani et Jacobi jus tus san-
guis expleret ! Béni soit le Seigneur de toutes ces aventures,
puisque c'est à la mort qu'elles conduisent Jacques etMarien.
Quelques lignes plus bas, nous trouvons Marien, après
d'horribles tourments, pénétré d'une joie sainte : il a vaincu la
chair en confessant son Dieu au milieu des supplices. Ail-
leurs le même enthousiasme, la même ferveur de foi éclatent
dans l'énergie même des termes dont il se sert : « Avidis fait-
cibus ad tentandam fidem justorum, rabies diaboli infestantis
inhiabat » ; si les martyrs avaient vu le diable de leurs yeux,
pourraient-ils en parler avec une violence plus expressive ?
Mais c'est à la fin de la Passion qu'éclate, dans sa grandeur
surnaturelle, la sainteté de leur âme. Marien vient d'être déca-
pité et Marie sa mère en est transportée de bonheur : elle est
certaine du sort de son fils ; elle le félicite de sa gloire ; elle
se félicite elle-même de lui avoir donné le jour.
Si curieux qu'ils puissent paraître, ces traits d'enthousiasme
semblent pourtant moins remarquables que le contraste du
calme de leur âme et de l'agitation de leur vie. Au milieu
d'une persécution furieuse, ils sont saisis tout à coup ; on les
jette en prison, on les y laisse mourir de faim ; à tout instant
un centurion peut venir pour les conduire à la torture; ils
vivent dans l'attente perpétuelle de la mort, et de quelle mort !
Cependant rien ne trouble leur assurance, rien n'altère leur
sérénité : c'est toujours la même douceur, la même résigna-
tion; leurs entretiens respirent toujours le contentement et
l'espérance ; leurs visions ne leur montrent toujours que des
paysages enchantés ; ils sont tranquilles jusque dans les tour-
ments ; ils sourient au sein de la mort.
Ce calme fier, cette résignation apaisée qui dédaigne la
plainte et l'insulte, se peuvent saisir à chaque ligne : comme
si l'âme des martyrs avait passé dans celle de leur historien
et laissé quelque chose de sa douceur sereine dans les pages
qu'il leur a consacrées.
Je reconnais d'abord cet héroïsme confiant et grave dans
quelques réflexions échappées, comme par mégarde, à la
plume du narrateur. La simplicité nue du style donne un relief
étrange à ces pensées; elle met en pleine lumière l'élévation
72 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
morale et la foi qui les inspirent. « Pergebamus in Numidiam
simul, ut semperantea, socio parique comitatu viam ingressi :
quae nos ad exoptandum fldei et religionis obsequium, illos
iayn ducebat ad coelum, » D'un mot, au moment qu'on s'y
attendait le moins, par la force du contraste, le sublime jaillit
tout d'un coup. Ailleurs, quelle assurance merveilleuse, quel
dédain superbe pour les païens ; ils croient, par des tortures,
réussir à dompter l'âme, « tanquam memhrornm laceratione
frangeretur fides^ cui cura corporis vilis est, comme si déchi-
rer les membres pouvait briser la foi de l'homme pour qui le
corps est sans prix. » Spiritus cum fida spe venientis gratiae
coelo complexus suis jam noninlerest poenis, TertuUien avait
dit déjà que le corps ne s'aperçoit pas des tourments, lorsque
l'âme est toute dans le ciel*, et Flavien' avait répété après lui
que le corps ne sent plus quand l'esprit s'abandonne tout à
Dieu : c'est toujours la même pensée de détachement et de
foi. Mais jamais elle n'est exprimée dans de grandes phrases,
ni développée dans de belles tirades : le narrateur est simple
et naturel, parce qu'il est croyant et sincère.
Ces réflexions éparses, extraites et mises à part, nous ont
révélé nos martyrs, la profondeur de leur foi et la sérénité de
leur âme. Quelques scènes détachées font mieux apprécier
encore la noblesse de leur cœur : je veux parler de leurs visions.
Plus que partout ailleurs, le contraste éclate violemment ici
entre leur vie matérielle si affreusement tourmentée et leur vie
idéale si paisible et si pure; ici, mieux qu'en aucune autre
page, on voit au grand jour ce que les martyrs présentent
de plus étrange et de plus mystérieux : cette sérénité grave
et confiante au milieu des supplices les plus raffinés et les
plus cruels.
Comme Jacques faisait route avec son compagnon, au plus
fort de la chaleur, le sommeil le saisit. Un ange lui apparaît
dans un nimbe de lumière éblouissante, telle que ses yeux n'en
peuvent supporter l'éclat; les pieds de l'ange touchent à peine
la terre, ses regards percent les nuages. Il leur jette, à Marien
et à lui, deux ceintures de pourpre éclatante, leur disant ces
simples mots : « Suivez-moi bien vite. » Quelques jours après,
^ Boissier, Fin du Paganisme^ I, 433.
* Acta Lucii et Montant^ 21. c Negavit esse in passionis ictu dolorem.., »
(Ruinart, éd. 1859, p. 281.)
CARACTÈRE DES ACTES AUTHENTIQUES 73
dans les cachots de Lambèse, c'est Agapius cette fois qui vient
le visiter en songe. Il préside un repas qu'il partage avec ses
frères, envoyés à Dieu comme lui par le proconsul romain. A
cette vue, les deux amis se hâtent pour venir prendre leur part
de ces agapes sacrées. Mais un jeune enfant court au-devant
d'eux, le cou ceint d'une couronne rosée, une palme à la main :
les bourreaux l'ont pris, il y a trois jours. « Pourquoi vous
presser, dit-il; soyez remplis de contentement et de bonheur;
demain, vous aussi, vous dînerez avec nous... » — Sans doute,
nous nous plaisons dans ces récits aux descriptions poétiques et
riantes de ces chrétiens obscurs ; sans doute leurs imaginations
gracieuses nous séduisent et nous charment. Mais la joie
qu'ils laissent voir si naturelle et si sereine à l'annonce de leur
supplice nous touche plus vivement, parce qu'elle nous étonne
davantage. L'enthousiasme qui les anime est si profond, l'idée
qui les soutient si puissante et si intimement unie à leur âme
qu'ils semblent avoir perdu, avec la crainte de la mort, la
notion même de la vie; avant d'avoir quitté la terre, la foi les
a déjà ravis au ciel.
On s'en aperçoit mieux encore en lisant la vision de Marien.
Il revient de la torture, les membres brisés. Il tombe dans un
profond sommeil et se voit transporté tout d'un coup sur un
sommet d'une éclatante blancheur. Une estrade s'y dresse, à
une hauteur prodigieuse, et la foule des confesseurs s'en
approche avec ordre, et le juge les envoie au bourreau. Alors
une voix s'élève, immense et claire : « Marien, monte à ton
tour. » Et, comme il monte sur l'estrade, voici que Cyprien
lui apparaît et, venant à lui, la main tendue, lui dit avec un
sourire : « Viens, assieds-toi à mes côtés. » « Et il fut fait
comme il le désirait. » Le juge se lève alors ; tous les martyrs
l'accompagnent au prétoire. « Or le chemin traversait des
prairies enchantées, couvertes d'un feuillage épais, au milieu
de cyprès levant leur tête vers le ciel et de pins se dressant
dans l'air »; on eût dit un bois sacré. Au milieu jaillit une fon-
taine aux eaux abondantes. Cyprien prend un flacon qu'on
voit sur le bord; il le remplit, boit l'eau salutaire, et, le rem-
plissant à nouveau, le tend à son compagnon. « Et j'en buvais
avec délices, » raconte Marien. Il rend grâces à Dieu ; mais
sa voix le réveille ; la vision s'enfuit.
Cette courte page, d'une simplicité si unie, laisse je ne sais
quelle impression de douceur, d'apaisement et de paix. On
74 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
y sent tout d'abord le charme du rêve et de toutes les choses
rêvées. La réalité, avec les froissements qu'elle ne nous
épargne pas, la vie, avec les blessures qu'elle nous fait, nous
choquent ou nous meurtrissent : de là, sans doute, le plaisir
que nous goûtons à nous enfuir une heure dans un monde
idéal, pour oublier dans les rêveries d'un Virgile nous pro-
menant aux Enfers ou les visions d'un martjT nous conduisant
au Paradis, les tristesses du présent et les dégoûts de
l'existence. Les spectacles qu'ils nous dévoilent, l'atmosphère
légère et subtile de ces tableaux imaginaires, les couleurs
adoucies et flottantes de ces descriptions riantes et de ces
fantômes héroïques, exercent sur notre esprit je ne sais quel
mystérieux attrait. Mais la simplicité du récit nous émeut
plus profondément peut-être par les sentiments qu'il nous
inspire. Rien d'outré ni d'excessif; pas un mot d'orgueil ou
d'injure; ces hommes de foi ne sont pas des fanatiques. Le
sort qui les attend ne les étonne pas plus qu'il ne les effraye ;
la mort leur semble chose toute naturelle ; est-ce trop payer
de quelques instants de souffrance l'amour du Christ expirant
sur la croix? Le monde avec ses mépris, la prison avec ses
tortures se sont effacés de leur mémoire ; la réalité est abolie
pour eux ; ils ne voient plus que le terme de leur passion, la
récompense de leur sacrifice, la couronne de leur martjTe.
IV
On le voit par ces exemples : la passion est aussi naturelle
qu'elle est imposante ; la grandeur du récit n'a d'égale que sa
simplicité. Et ce caractère nous paraîtra plus remarquable
encore, si nous jetons un regard sur les plus célèbres des
actes authentiques. Voici la fameuse lettre aux Romains de
saint Ignace, que tous les siècles ont admirée, depuis Irénée *
jusqu'à Renan^ : texte unique dans l'histoire par l'alliance de
deux sentiments qui ne peuvent, semble-t-il, se développer
avec autant de puissance sans paraître contradictoires : l'amour
du Christ poussé jusqu'à la folie du martyre, une parfaite maî-
trise de soi, impérative et sereine.
ï Ad. Haereses^ xxviii, 4.
3 )lenan, les Evangiles^ p. xxv.
CABACTÈRE DES ACTES AUTHENTIQUES 75
Voici les deux lettres célèbres des Smyrniotes et des Lyon-
nais* : « Elles présentent au plus haut degré, écrivait-on
naguère 2, cette grave simplicité, ce pathétique discret, qui
manquenttropsouvent aux écrits de ce genre. Quelle admirable
sobriété de détails dans la description des supplices, d'autant
plus éloquente que les faits parlent seuls et que toute déclamation
est évitée! Elle n'est égalée que par la brièveté, la simplicité,
l'énergie des réponses des martyrs ; la mesure presque toujours
parfaite avec laquelle il est parlé de persécuteurs, dont la
violence n'est pourtant pas dissimulée ; le ton vraiment évangé-
lique, en un mot, que ces chrétiens d'Asie et des Gaules ont si
merveilleusement retrouvé ; la poésie même naïve et exquise
à laquelle ils se sont parfois élevés naturellement 3. »
Voici enfin les actes grecs d'Apollonius*, martyr romain,
comme ceux que célèbrent les Gesta. Cîomment n'être pas
frappé du calme surprenant du magistrat et du chrétien !
A les entendre ainsi discuter, celui-là interrogeant par quelques
phrases brèves, celui-ci exposant avec une tranquillité presque
indifférente les fondements de sa croyance, il semble que Tun
et l'autre n'aient aucun intérêt direct dans les questions qu'ils
agitent et qu'une simple conversation philosophique soit seu-
lement engagée entre eux; et l'on oublie qu'une vie d'homme
est ici en jeu, et que l'un des deux interlocuteurs, au sortir
du prétoire, sera conduit au supplice. Tant il est vrai que tout
ce récit ne respire que grave sérénité.
Et maintenant est-il besoin de beaucoup de paroles pour
conclure? Est-il besoin de rappeler longuement les conclusions
du précédent chapitre, l'absence de toute impression rappe-
lant même de très loin celles que nous venons de recueillir
ici, et cette composition uniforme, et cette psychologie en-
fantine et ce caractère tendancieux des diverses légendes
romaines? Il suffit de quelques mots : entre les gestes et les
actes, il y a tout un monde, tout Tinfini qui sépare l'àme d'un
martjT d'une âme égoïste et vulgaire. Pour les confondre les
uns avec les autres, il faut n'avoir ni goût littéraire ni sens
chrétien.
ï Eusèbe, H. J?., IV, 15;V, 1.
* Puech, Prudence^ p. 106.
3 Lettres des Lyonnais {sub fine): éx Sioçopcov yàp xP^C'^'^^^ ^'^ 7ravTo:(i>v
dtvOcdv 2va lïXéÇavre; «rré^avov, irpofniveYxav tô irirpi.
^ Analecla BoUandianay XIV, p. 284. — Cf, la traduction française dans
B^irdenhe^er : édit. franc., I, 377,
CHAPITRE VIII
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
LE «LIBER MARTTRUM )>
Ainsi, plus nous avançons dans notre enquête, et mieux
se précise cette impression que les gestes romains sont apo-
cr3^phes. Toutefois, avant d'attaquer le cœur du problème, en
analysant les origines de ces gestes, il convient de s'arrêter
un moment : avant de vérifier Vhypoihèse qu'elle nous laisse
entrevoir, il faut préciser la certitude qu'elle nous a fait
découvrir.
Nous avons recueilli soixante-dix-sept textes comme autant
de sources possibles du Martyrologe (édition adonienne), en ce
qui concerne l'histoire des persécutions romaines. Le plus
grand nombre — quarante-cinq environ* — nous ont pani
présenter des trait certains d'une double parenté, philologique
et psychologique, former ainsi un groupe homogène^ cons-
titiier une unité littéraire.
La pure et simple description des textes nous a conduit à
la constatation de ce fait.
Il semble qu'il ait trouvé son expression concrète, s'il
est vrai, ainsi que nous allons essayer de le démontrer, que
les Gesta Martyrum romains, de même que leur pendant
les Gesta Pontificum ont été réunis dans un même codex et
ont formé un véritable liber. Ce sera là, en même temps que
la confirmation, la conclusion logique de cette première partie.
1 Cf. supra^ p. 43.
78 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
I
Il était naturel qu'à Tépoque où s'épanouissait le culte
des martyrs on réunît leurs gestes dans un même codex :
n'ont-ils pas tous même « matière » et même u forme » ; et les
copistes qui ont pris plaisir et qui ont trouvé profit à trans-
crire la merv'eilïeuso histoire de saint Clément, de saint
Laurent ou de sainte Agnès, peut-on s'étonner qu'ils y « cou-
sent», nouveaux rhapsodes, la légende de saint Césaire, de
sainte Cécile ou des saints Jean et Paul, — à supposer que plu-
sieurs de ces textes, œuvre d'un même personnage, n'aient pas
été publiés ensemble, la première fois qu'ils ont vu le jour?
D'autre part, comme on avait réuni en un liber les notices
qui retraçaient l'histoire des premiers évêques de Rome,
n'était-il pas naturel de placer côte à côte les récits qui racon-
taient les passions des martyrs ? Les deux recueils devaient se
compléter l'un l'autre; l'un appelait l'autre ; Texistence de Tun
n'a-t-elle pu contribuer à la formation de l'autre ?
Que l'on se rappelle, en outre, ces itinéraires fameux du
V" et du VII' siècle qui guidaient les pèlerins aux tombeaux
des catacombes; que Ton rapproche de ce fait la multitude
des notices martyrologiques qui nous sont parvenues et qui
n'ont, semble-t-il, d'autre but que d'illustrer les sèches nomen-
clatures des Itinéraires, Ici encore ne devra-t-on pas conclure
que les deux recueils devaient se compléter Tun l'autre, et
l'existence de l'un provoquer la formation de l'autre ?
Un témoignage positif, enfin, atteste explicitement ce Liber
Martyrum^ dont des raisons de vraisemblance et d analogie nous
faisaient soupçonner l'existence.
En juillet 598, Grégoii'e I" adressait à l'évêque d'Alexandrie
Eulogius, qui l'avait prié de lui faire tenir la collection marty-
rologique d'Eusèbe, la lettre suivante : « Il est toujours utile
de s'entretenir avec un homme savant, soit que celui qui
l'écoute apprenne ce qu'il savait ignorer, soit qu'il apprenne,
ce qui est plus utile encore, ce qu'il savait ignorer. Je suis,
en ce moment, au nombre de ceux qui écoutent, moi à qui
Votre Très Sainte Béatitude a pris la peine d'écrire et qui dois
ainsi lui transmettre les gestes de tous les martyrs qui ont été
LE « LIBEH MARTYRDM » 79
recueillis au temps de Constantin de pieuse mémoire par Eusèbe
de Césarée. Mais, avant la lettre de Votre Béatitude, j'igno-
rais et l'existence de cette collection et l'existence de ces
gestes. Je vous rends donc grâces, parce que, instruit par les
écrits de votre très sainte science, j'ai appris à connaître ce
que j'ignorais. Si j'excepte, en effet, ce que les livres du même
Eusèbe contiennent au sujet des gestes des saints martyrs, il
n'y a rien d'autre, à ma connaissance, sur cette histoire,
dans les archives ni dans les bibliothèques de la. ville de Rome,
yw'wn seul volume^ qui contient peu de chose. Pour presque
tous les martyrs, au contraire, nous avons, jour par jour,
l'indication de leur passion avec leur nom dans un livre, et
chaque jour, en les vénérant, nous célébrons les cérémonies
de la messe ; dans ce livre, toutefois, on n'indique pas quel fut
le martyre de chacun; on indique seulement le nom, le lieu et le
jour de la passion. C'est pourquoi nous savons que, pour chaque
jour, comme je l'ai dit plus haut, beaucoup de fidèles, de tous
les pays et provinces, ont reçu la couronne du martyre. Mais
nous croyons que Votre Béatitude a ce livre. Quant à ce que
vous désiriez qu'on vous transmît, nous avons cherché et nous
n'avons pas trouvé; n'ayant pas trouvé nous cherchons encore;
si nous pouvons trouver, on vous l'envoie. »
« Utilis^ semper est docti viri allocutio^ quia aut dicii
« audiens^ quod nescire se noverat^ aut cognoscit^ quod est
« amplius^ id quod se et nescisse nesciebat. Qua in re ex
« audientium numéro ego nunc factus sum, cui sanctissima
« vestra beatitudo scribere studuit^ ut cunctorum martyrum
« gesta^ quae piae memoriae Constantini temporibus ab Euse-
« bio Caesariense collecta sunt, transmittere debeamus, Sed
« kaec neque si sic collecta sint^ neque si sint^ ante vestrae
« beatitudinis scripta cognovi. Ago ergo gratias, quia sanc-
« tissimae doctrinae vestrae scriptis eruditus coepiscire, quod
« nesciebam. Praeter illa enim quae in eiusdem Eusehii libris
« de gestis sanctorum martyrum continentur^ nulla in arclii-
« 17*0 huius nostrae vel in Homanae urbis bibliothecis esse
« cognovi, îiisi pauca quaedam in unius codicis volumine
« collecta. Nos autem paene omnium martyrum distinctis
« per dies singulos passionibus collecta in uno oodice nomina
« habemus atque cotidianis diebus in eorum veneratione mis-
1 Monumenla Germaniae. Episiol.^ II, i, p. 28.
80 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
« sarum solemnia agimus. Non tamen in eodem voliimine^
« qtns qualiter sit passus indicatur, sed tantummodo nomen^
« locus et dies passionis ponilur. Unde fît ut mxilti ex diversis
« terris atque provinciis per dies y ut praedixi, singulos
« cognoscantur martyrio coronati, Sed haec habere vos beatis-
« siî7ios credimus. Ea vero^ quae transmitti voluistis^ quae-
« rentes quidem non invenimus, sed adhuc non invenienies
« quaerimus et, si potuerunt inveniri, transmit timus. »
Il est clair que saint Grégoire distingue ici, dans l'œuvre
d'Eusèbe, deux groupes d'écrits concernant les gestes des
martyrs : ceux qu'il ne connaît pas et qu'Eulogius lui demande
et qui ont été recueillis au temps de Constantin de pieuse
mémoire; ceux qu'il connaît comme étant contenus dans les
livres du même Êusèbe ; et l'on ne peut guère douter qu'il ne
s'agisse ici des récits fameux relatifs aux martyrs qui sont
insérés dans VHistoire ecclésiastique. Saint Grégoire parle
encore d'un troisième ouvrage, qu'il n'est pas plus malaisé de
reconnaître : dans ce codex, qui contient les noms de presque
tous les martyrs distribués par jour, et qui indique seulement
les noms, le lieu et le jour du supplice, sans jamais rien dire
de la nature de celui-ci, peut-on voir autre chose, en effet,
qu'un exemplaire du f criai hiéronymien? Ce n'est pas tout :
saint Grégoire nous parle encore d'un quatrième écrit, conte-
nant des renseignements sur les gestes des martyrs, au même
titre que les ouvrages d'Eusèbe : « indépendamment de ceux-ci,
dit-il expressément, il n'y a rien a ma connaissance, sur cette
histoire, dans nos archives ni dans les bibUothèques de Rome,
si ce n'est un seul volume qui contient peu de chose. » Il y
avait donc, à Rome, en 598, « un (seul) volume », contenant
quelques pièces relatives aux « gestes des saints martyrs »,
comparables aux documents martyrologiques reproduits par
VHistoire Ecclésiastique. On ne voit pas bien quelles autres
pièces que les gestes romains, répondant à ce signalement,
pouvaient facilement se trouver à Rome, réunies en un volume,
au temps de saint Grégoire ; pour comprendre la lettre repro-
duite plus haut, on doit donc admettre comme probable qu'à la
fin du VI" siècle les gestes des martyrs romains étaient réunis
en un liber.
LE (( LIKER MARTYBUM D 81
II
Cette conclusion me . paraît très vraisemblable par elle-
même*. J'ai eu le bonheur d'en vérifier un jour l'exactitude en
découvrant une copie du passionnaire grégorien, reproduction
à peine altérée du Liber Martyrttm.
Le Codex Palatinns Vindo/wnensis latinns 357 {oWm Hisi,
Ecc/es,,ii\ XIV, A, 14), écrit au x' siècle, sur parchemin,
mesure 36 c. 1/2 sur 24 et comprend 271 feuillets d'un môme
format, numérotés, écrits sur deux colonnes de 31-33 lignes
chacune, par un même copiste, semble-t-il. Il contient
trois »< livres » différents, ayant chacun sa numération particu-
lière; les feuillets numérotés 1-107 portent aussi une autre
numération 127-232 ; les feuillets numérotés 108-206 por-
tent, de même, une autre numération lAi.v-99; les feuillets
numérotés 207-271 sont également cotés 1-0^.
C/est le second volume (108-206 ou 1 A/.S-99) qui reproduit
le Libpr Marlt/rimi grégorien.
En voici une description rapide '"*.
Ladeuxième colonnedu verso du feuillet 108 commence ainsi :
I Passio sci felicis prb^. Factum est autem ut post conpletio-
nem beatissimi felicis presbiteri alius felix germanus eius junior
nomine et actione felix et ipse presbiter cum autem adductus
fuisset ad iniquissimum draccum urbis praefoctum coepit eu m
conpellere ut idolis inmolaret qui beatus felix presbyter ait
puto quod inimici estis deorum vostrorum effecti... /0,9' per
duodecim vero annos ipsa die dominica confoctis mysteriis
dans pacem universo populo proiciens se in pavimentum in
orationem perrexit ad dominum ihesum christum qui vivit et
régnât cum deo pâtre in unitate spiritus sancti per omnia
II saecula saeculorum amen. — Passio scorinn sisinnii et
' Dautant qu'il est assuré (cf. infra) que la plupart des gestes ('•taicnt
rédigés à la fin du vi* siècle.
• La seconde numérotation du troisième livre s'arrôle au folio 39.
' S. E. Monsieur le Directeur de la Bibliothèque Impériale de Vienne a bien
voulu se dessaisir, à mon profit, pendant deux mois, de son précieux manus-
crit : qu'il me permette de lui en exprimer ici mes très respectueux et très
vifs remerclments.
. * Les titressont presque, toujours écrits en onciales, à l'encre rouge.
6
82 LES GESTES DES .MARTYRS ROMAINS
cyriaci atque zmaragdi et larci. Tempore illo quo maxi-
mianus augustus rediit de partibus africae ad urbem romam
volens placere diocliciano augusto ut in nomine eius thermas
a solo aedificaret, cepit ad invidiam christianorum omnes milites
sive romanes ad afflictionem laboris compellere et per varia
loca alios... via ostiensi miliario ab urbe Roma plus minus
octave ubi orationes eorum florent nunc et semper et quo usque
mundus steterit régnante domino nostro iehsu christo cui
m est gloria in saecula saeculorum amen. — 114^ iuliani ortu
iuliani imperatoris impiissimi persécutons cruciati sunt in diver-
sis provintiis iussu eius multa millium martyrum eo perse-
quente christianos qui prier fuerat christianus et imperio sue
persécuter et sacrilegus extitit collectus enim fuerat a pimenio
presbitero urbis rome de titulo pastoris hic pimenius presbiter
erudivit iulianus litteris sicut ipse doctus erat omnem gramma-
ticam et rethoricam et geometricam et dialecticam et arithme-
ticam et philosophiam et omnem legem christianam erudivit
eum,., {Après la page 115% trois feuillets ont été coupés
entre les mots: angelis sotiatus mancipatus sum sicut tu
(lemoniis sed ut cognoscas. — Oretur per me d, t. c, quo-
niam iudicaturus est vivos et mortuos et regniim tuum et tu
un ora demones tuos et videamtts qui exiaudatur,..) 117* in
ymnis copulabatur usque ad siritium episcopum qui etiam cum
presbiteris et diaconibus in eodem loco dno iehsu christo
sacrifitium offerebat; cui est honor et gloria in ss. — pas.
sce iuliane virg Martyrum perseverantia comprobata oo usque
concessit ut ex fide amicis conaretur resistere et inimicos ex
ipsis claustris erudiret denique temporibus maximiani imperato-
ris persecutoris christianae religionis erat quidam senator in
civitate nicomedia nomine eleusius amicus imperatoris... /j?/'
passa est autem sancta iuliana VII idus februarii sub impera-
tore maximiano régnante d. n. i. c. qui vivit et régnât cum
V pâtre et spiritu sancto in secula seculorum amen. — 121^ Pas-
sio sancti Valentini. Propheta loquitur ad deum secundum
multitudinem tuam multiplicasti filios hominum in ipsa multipli-
ratione illi spetialiter ad deum pertinent qui vitam suam vove-
rint creatori ita ut corpus et animam christo faciant unde
beatus vir teranensis episcopus sanctus valentinus bene vivendo
moruit... 1S4\,. quique a sancto habundio non longe a corpore
sancto sancti valentini sepulti conlaudantes dominum iehsum
christum qui vivit et régnât cum deo pâtre una cum spiritu
LE « LIBER MARTTRUM » 83
sancto in inmortalia secula secnlorum. Amen. — iS4^, (Une
VI ligne en haut de la colonne est sautée, puis on lit) : Alexan-
dri martyris hermetis et eventi, Quinto loco a beato petro
apostolo romanae urbis ecclesiae cathedra sedit alexander
sanctitate incomparabilis, iuvenis quidem etate sed fide senior
totiusautem populi verum affectum gratia ei divina contulerat
nam et senatorum maximam partem convertit ad dominum ut
persecutorem quoque hermen cum uxore et sorore et filiis bap-
tizaret cum mille ducentis quinquaginta servis suis uxoribus quo-
que eorum et filiis... — /50^.. ideoque locus ipse haberet pro-
prium sacerdotem usque in odiemum diem sanctorum autera
ipsorum natalis est quinto nonarura madiarum benedictus deus in
VII secula seculorum amen. — Passio sancti iaimari presbiteri,
Temporibus iuliani impiissimi imperatoris divulgati sunt multi
christiani cumque haec audisset impius iulianus iracundia
plenus iussit eos teneri et in custodia publica mitti erat qui-
dem inter eos quidam christianus nomine ianuarius presbiter
senex.... y5^^... et venientesin via que latina nuncupatur non
longe hab urbe roma miliario plus minus unus illic posue-
runt eum in cripta sexto idus magias ubi iampridem sanc-
tum epimachum sepelierant in quo etiam loco bénéficia eorum
hac virtutes florent usque in odiemum diem ad laudem et
gloriam d. n. i. ch. cui est honor et gloria simul cum deo
pâtre in unitate spiritus sancti in secula seculorum amen. —
VIII Passio domitille virginis nepte domiciani régis. Nisi studia
catholicorum securitatis suae somno quiescerent nulla posset
ratione impietas hereseos limites invadere pietatis sed ad
evigilandum nos stimulis suis exulcerant et tamen rerum...
i35\.. textus autem aepistolarum iste est nereus et achilleus
servi christi iehsu... /,?6^.. ab eorum fallacia liberari gratia
d. n. i. ch. tecum finiunt rescriptura nerei et achillei. —
Vllll Passio sanctorum marcelli nerei et achillei marcellus servus
christi sanctis confessoribus nereo et achilleo lectis litteris
vestris gaudio sum plenus cognovi enim vos constantes esse
et fide et corpore... i37\,. de petronilla vero filia domini mei
pétri apostoli quis exitus fuerit quia interrogastis soUicitae
X breviter intimabo. — Scae petronillae, Petronillae itaque bene
nostis voluntate pétri apostoli clenicam factam nam recolo
interfuisse nos cum apud ipsum plurimi discipuli eius reficerent
contigit ut titus reficeret apostolo cum universia te 138^...
illic sepelivit illum (Nicomedem) in quo crantes dominum con-
84 LES GESTES DES MARTYRS HUMAINS
sequentur que postulant interventu martyrii eius qui passus
XI est pro nomine d. n. iehsu Christi. — Passio domitille virgi-
nis^ eutices victorinus et maro servi d. n. i. ch. marcello,
sic venerunt iittere tuae ad sauctos nereum et achilleura
iam transierunt triginta dies quod pervenerant ad coronam
flavia eteniin domitilla inlustrissima imnio christianissima
cum isti sui euiiuhi docuissent eam ... /5P^.. fabricaverunt
ecclesiam in nomine eius in qua prestantur bénéficia domini
XII usque in odiernum diaera. — Passio sanctorum sulpicii et
servilia7ii, Factum est autera postquam homines dei sanc-
tos tulit a solatio domitille Aurelianus dixit ad sulpicium et
servilianum iuvenes inlustres viros scio quia conlactaneas
domitillae... lAOf.., in faciès enim suas prostrate orantes
dominum recesserunt quarum corpora sanctus Caesarius in
sargofago novo simul condiens in profundo terrae infodiens
XIII sepellivit. — Passio cesarii diaconi. Sanctum itaque cesa-
rium diaconem luxurius tradidit consulari leontio quem intro-
misum sub voce praeconia interrogavit consularis dicens :
Quid vocaris... 141^.., sepultus est iuxta terracinam in quo
loco mérita eius benae de se credentibus bénéficia praestant
in nomine patris et filii et spiritus sancti oui est honor et
xillï gloria in secula seculorum amen. — Passio sanctorum jiraxe-
dis et pudentiane virginiim^ omnia quae a sanctis gesta
sunt vel geruntur si quis voluerit studiosae perquirere et
sibi et plurimis aedificationis exibet fructum et quasi arbor
fructifera non sine causa probatur terram occupare dum vivit
et cum ipse suis porais ornatur... 14^,., ubi exubérant
boncfitia divina orationibus sanctitatis eius usque in odiernum
diom per eum qui vivit et rognât in secula seculorum amen.
XV — Marcellini et Pétri. Benignitas salvatoris nostri martyrum
perseverantia comprobata eo usque processit ut et fidei amicos
comprobaret et inimicos et inimicos eorum ex ipsis inferorum
daustris eruerct denique dum tenerentur petrus exorcîstae
officium gerens multis vicibus caesus missusque fuisset in
obscurissima... i45\,. collegit lucilla et posuit in veiculo
noctu et adduxit viam labicanam miliario ab urbe tertio et
sepellivit subdie IIII nonarum ianuariarum in pace amen. —
XVI Primi et Feliciani V, id, iunias. Temporibus diocliciani et
maximiani imperatoris seva fuerat orta tempestas et qui-
cuinque 146"^ inventus fuisset huius viae seclator dei et idolis
consentire noluisset... iSO"^ est autem basilica ipsorum ab urbc
Le <( LIBER MARTVRtM » 8b
roraa miliario quarto X quorum natalis est quinto idus iunii
régnante d. n. i. c. cui est honor et gloria in s. s. amen. —
XVII Processi et Martiniani Tempore quo symon magus crepuit
intus et impiissimus nero tradidit beatissimos apostolos...
.,,15^2"^ régnante domino deo atque salvatore n. i. c. qui (cum
pâtre) vivit et régnât in unitate spiritus sancti (deus) per omnia
xvill s. s. amen. — Passio sanctanim niartyrum Biifîna et Seciinda^
rufina et secunda duae sorores virgines cives romanae pâtre
clarissimo genite asterio matrae clarissima aurelia cum fervore
persecutionis iussu valerianae et gallieni augustorum... 154"^ d.
n. i. c. qui cum pâtre et ss. vivit et régnât in s. s. amen, passe
xviiu sunt autem die sexta iduum iuliarum. — Félix pape fuit
autem temporibus constantini filio constantirii magni principis
usque ad constantium augustum Liberius quidam papa urbis
romae... deportatus est a constantio eo quod minimae voluisset
heresi arianae consentire... 155'' in basilica quam ipse cons-
truxerat via aurelia quinto decimo Kl. dccembrium in miliario
secundo, cuius natalis caelebratur IIII Kl. augustarum ad
laudem et gloriam nomini tui deus usque in praesentem
XX diem. — Passio sanctae seraphiae virginis, Cum dios itaque
metuendus persecutionis innotuisset christianis multi etiam
per orbem terrarum... 158^^ régnante d. n. i. ch. qui vivit et
régnât cum deo pâtre in unitate s. s. per inmortalia s. s. amen.
XXI — Passio sancte susanne virginis temporibus diocliciani
et maximiani augustorum fuit quidam prb nomine gavinius de
urbe roma frater uterinus gagi episcopi hurbis romae... 165\..
in universo mundo cum p. et s. s. d. n. i. c. in saecula saecu-
lorum amen. Explicit passio sanctre susanne martyris. —
XXII Incipit passio eusebii mcase augusto die XIIII. Eodom tempore
quod liberius de exilio revocatus fuerat a constantio augusto
heretico in eadem tantura dogma ut non rebaptizaret populo,
sed unam communionem... iÔô^-" et cessavit persecutio non
tamen multuni tempus douante d. i. c. qui vivit et régnât in
XXin ss. amen. Explicit passio eusebii. — Incipit passio Sci Agapiti
mar mense augusto die XXIII sub antiocho pagano erat
quidam puer nomine agapitus timens deum hic omnia sua
renuntiavit... 169"^ per famulum dei agapitum et per christum
dominum nostrum qui vivit et régnât cum deo pâtre et cum
s. s. in s. s. amen. Explicit passio sci agapiti martyris. —
Incipit passio genesi martyris mense augusto die XXV impo-
rante dioclitiano cum cessassent per annos quattuor ecclesiae
S6 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
oranes aepiscopos et sacerdotes in hoc tempore fuit quidam in
civitate a roma... 170',., eodem dioclitiano quarto consule
régnante d. n. i. ch. cui est honor et gloria in ss. amen. —
XXV Passio sancli corne lii papae mense september diem XIIII.
Temporibus decii caesaris maxima persecutio orta est christianis
et praecepit decius 171"^ ut clerici qui ubicumque inventi fuis-
sent... i72^,,, lucina... qui cum deo pâtre et ss. vivit et régnât
XXVI in s. s. amen. — Incipit passio beati Mavricii cum sociis
suis sex milia sexcentorura LXV decimo Kl. octobres passio-
nem sanctorum martyrum qui hune locuni glorioso sanguine
inhistrant per honorom gestorum stilo explicamus ea utique
fide qua... 17 5\,. cui est honor et gloria imperiura et potestas
XXVII per omnia ss. amen explicit passio sancti niauritii. — Incipit
passio sancti calisti pape rome mensè octobr. die XIIII.
Temporibus macrini et alexandri incendie divine concreinata
est pars capitolii a nieridiano et intra templum iovis ruit manu
sinistra aurea... 179' XIIII Kl. novembrium in pace régnante
d. n. i. c. qui vit et régnât deus per omnia s. s. amen explicit
xxviil passio sancti calisti episcopi — incipit passio beati cesarii
inarh/ris natale eius mense novembre die primo tempore quo
claudius matrem suain negavit gladio furore arrei)tus talem
auctoritatem per totum orbem... 18^,., ad laudem et gloriam
d. n. i. ch. qui vivit et régnât in s. s. amen. Explicit passio
XXVllil sancti caesarii — incipit passio sancli theodori martyris
mense novembre die nono temporibus suis maximianus et
luaximinus imperatores miserunt per omnem terram regni sui
edictum adversus omnes vere christi religionis cultores... —
185\.. s. s. qui vivit et rognât et nunc et semper et in s. s.
amen explicit passio sancti theodori. — Incipit expositio
sancti gregorii episcopi tt/ronensis ecclesiàe liber miraculortnn
beati démentis martf/ris atque ponti/icis in divinis volumi-
nibus refertur quod secretum régis abscondere b()(num) est dei
enim mirabilia enarrare 186' glorificura est et sicut beatus
paulus apostolus ait quos presciit et praedestinavit... 187\,,
implore dignatus est ch. d. n. cui est honor et gloria in secula
XXXII seculorum amen exphdunt miracula sancti démenti. — Incipit
passio 188"^ Chrisogoni niartyris mense november die vice-
simo III I. Pretextati inlustri viri filiam anastasiam legimus
a chrisogono viro christianissimo eruditam ad cuius notitiam...
190*,,, carptim per a* micas anastasiae ad ipsius anastasiae
1 Quelques lettres illisibles.
LE « LIBER MâHTYRUM »
87
XXXII finem attingo amen. — Incipit passio sancii donati episcopi
erat quidam puer in civitate romana nomine donatus clericus
in titulo pastoris nutritus a pimenio presbitero in titulo supras-
cripto eruditus omnem mundanam sapientiam cum iuliano sub-
diacono... iOS^iuntaL civitatem arretiam in pace régnante d. n.
i. ch. cui est honor et gloria in ss i94' saeculorum amen —
XXXIII incipit passio sancti alexandri niartyris et episcopi mense
septembre die XXI in iilis diebus cum essent insidia paga-
norum adversus christianos sub antonino imperatore beatissimus
alexander aepiscopus... 198^,.. cuiua depositio celebratur
XI Kl. octobrium régnante d. n. i. ch. cui est honor et gloria
XXXlIiI in s. s. amen — incipit passio sancti savini martyris et epis^
copi cum dttobus diaconibus suis marcellum et superantium
mense aprile die XVII idcirco maximo misso sexto veneto
vincente pars maior clamavit dicens : christiani toUantur
et voluptas constat dictum duo decies... W^^ sub die VIII
iduum decembrium ubi praestantur benefitia sanctorum usque
XXXVi in bodiernum diem :— incipit passio sancti concordii mar-
tyris KaL ianuariis temporibus antonini imperatoris gra-
vissima persecutio orta est in urbe roma ita ut non emeudi nec
rendendi cuiquam licentia facilius tribueretur nisi qui diis
immolassent... pater gordianus... presbiter de titulo pastoris...
303\.. spoletana... beati concordii martyris praestante eo pro
cuius nomine passus est qui vivit et régnât in s. s. amen
XXXVII — incipit vita sancti Laurentii mense febmario die IIII
a nativitate d. n. i. ch. usque ad consulem dioclitianum annos
CGLXX temporibus gagii pape sub cuius temporibus beatus lau^
rentius infinibus genio lati a civitate spolitina plus minus VIII...
hostiarius, lector, exorcista, sequens quod interpretatur aco-
litus deinde subdiaconus deinde diaconus deinde presbiter deinde
episcopus fieri... 203\.. régnante d. n. i. ch. cui est honor et
gloria laus et imperium aeterna potestas qui cum pâtre et ss.
xxxvill vivit et régnât in s. s. amen — incipit vita sancti iohannis
penarensis martyris mense martio die XVIIII factum est
autem 203* cum beatus iohannes egraederetur de provintia
syria oravit ad dominura dicens domine deus caeli et terrae
deus abraham deus isaac et deus iacob... 204\., cum pâtre et
spiritu sancto in saecula saeculorum amen — passio sancti
gregorii spoUtini mense décembre die XXII temporibus
dioclitiani et maximiani imperatorum talis furor a sacrilegis
XXXVIIII
gS . LES GEStKâ DES MARTYRS ROMAINS
exarJéscebat... 207',.- ipsi honoret gloria et laus et impcrium
in saecula saeculorum.
Dans les bibliothèfiues de Bruxelles, ni de Namiir, ni de Paris
(Nationale), ni de Chartres, dont les Bollandistes ont relevé
les manuscrits hagiographiques; dans celles de Bîïle ni de
Berne, ou de saint-Gall, de Vienne, de Munich ou de Carlsruhe,
que j*ai parcourues moi-même, il n'y a pas de manuscrit qui
présente un groupement de textes identique à celui-ci, ni
seulement du môme genre ; nous avons ici vingt-sept gestes
des martyrs de Rome (23) ou des environs de Rome (4) se
suivant immédiatement Tun l'autre, une seule fois interrom-
pus par les actes de saint Maurice. Ce simple fait dénonce
avec évidence l'origine romaine de Tarchétype que repro-
duisait le copiste de notre manuscrit. — Le choix du texte qui
ouvre le recueil l'indique aussi clairement ; à Rome seulement
on pouvait choisir un texte aussi insignifiant que celui de Félix
le prêtre; son seul mérite était d'être considéré comme romain
et d'être vénéré le 14 janvier. — L origine enfin des cinq mar-
tyrs dont les gestes ferment le recueil s'accorde à merveille
avec notre thèse: Sabinus, Concordius, Laurentius, Johannes,
Gregorius sont tous vénérés en Ombrie, c'est-à-dire dans la
province qui entretenait avec Rome, son débouché au sud et
son principal marché, les plus fréquents rapports. L'archétype
du Vindobonensis 357, qui reproduit un aussi curieux groupe-
ment de textes ombriens et romains, a été composé près de
l 'Ombrie, à Rome.
Cet archétype est certainement antérieur au mouvement lit-
téraire qui se développa a Rome, au début du vu* siècle, au
temps des Grégoire et des Boniface (590-625) ; il ne contient
aucun des textes rédigés à cette époque, ni celui de Boniface,
ni celui d'Eleuthère, ni celui de Lucie et Géminien, ni celui
de Martine * — l'omission des gestes de Martine est particu-
lièrement intéressante, parce que ce sont eux qui, le plus sou-
vent, sont placés au début des passionnaires. — Cet archétype
ne contient aucun texte qui soit postérieur à saint Grégoire
(t 004) ; il date donc au plus tard de la seconde moitié du
vi" siècle. Etant donnés sa date et son origine, étant donné que
saint Grégoire ne connaît qu'un seul codex de ce genre, il est
1 Cf. infra.
LE • VLVEM HAÏTI tFM
>>
très vraisemblaMe que l•a^cLc:^^.e.ior.■ :r^xâr/.:>~::dvVit-r.r.o
n'est aufre que le livre doai ï-^i-î ^''re_-ire jarlru; » E... pus.
III
On peut prétiser .lavanlage et .k-ttriiiinor avi-o «luo! jik»
vraisemblance lorigine de ce i^-i..un;ùre gn-^'or.on. Si Ion
met à part les cinq textes ombriens Savmiis. Concnnus, Unu-
rentius Johannes, Grejrorius . qui le tenninent, anisi que les
deux textes toscans Donalus. Alexander qui les preoetlenl,
on constate que les rmgt-^rpl .v^>7r< rrsla„l «.«/ rr,,u/y'n>'>rnt
({i<trU,ués suivant tordre lilurgiqur. depuis le 1+ janvier
(Félix) iusiiuau 24 novembre Chrysog..ne . deux textes
exceptés La passion de Vibbiane ■> janvier, et ceUe de
Julienne de C urnes 16 février- sont placées après les gestes
de Marcel ^16 janvier . avant ceux de A îdentin ^14 fevnen :
il V a là une interpolation évidente.
L'intmluction des gestes tle Jidienne de Cumos« v"" ««f
Nicomédie) n*a guère pu se pnMluire quk un luoinout ou
s'épanouissait le culte de la sainte. Or la coiTesiwudaiice <lc
Grégoire I" avec Beueuatus2 et Fortunatus* nous invite j\
penser qu'aux environs de l'an 600 ce culte prenait une
extension notable; c'est alors sans doute que les gestes do la
sainte ont été rédigés et intro<luits dans le passionuairo roiuam.
_ L'interpolateui- aura introduit les gestes de A ib uaue
en même temps que ceux de Julienne. Les gestes de Vibbiauo
sont intitulés Iuliani; le dévot de sainte Julieimo, trompe par
ce titre aura cru sans doute pieusement agir en rapprocliant
de sa sainte Julienne un saint Jidien. Ce n'est pas tout. Les
{restes de Vibbiane (Julien) sont vraisemblablement du même
auteur que les gestes de Donat d'Arezzo. Tous deux insistent
sur les soins que Pigmenius prit do Julien enfant; les gc^stes
de Vibbiane se présentent comme l'œuvre d uu Donatus
?^o sua devolioae fundasse. quod in honorem "^'-t' Scvcnn. c.,nj,.^. n» et
Julianae marlm-h dcsiderat consecran. » (Episl., IX, 84 , l L.. il, ""»•'
» GreKoriu. Fortunalo episcopo Neapolitano. Januaria religlosa fcnlna
«anctuX Slatorom ScTerini confessoris et Julianae martyrts oblala petl-
tione (Epist. IX, 85; P. L.,n. 1015.)
90 LES GESTES DES MARTYRS ROMAINS
subdiaconus regionarius s, sedis apostolicae ; qu'y a-t-il
d'étonnant à ce que ce Donatus ait écrit de même la vie de
son patron ? L'interpolateur de Cumes, contemporain de
saint Grégoire, aura donc ajouté à la fin de sa copie le texte
qui suivait sans doute les gestes de Vibbiane, qu'il avait sous
les yeux. — C'est à lui aussi qu'il faut peut-être attribuer l'in-
troduction des gestes d'Alexandre de Baccano*; c'est lui enfin,
plus vraisemblablement encore, qui a adjoint le petit liber
ombrien au liber romain ; il était contemporain de saint Gré-
goire (590-604) et à quelle époque les rapports de Rome avec
rOmbrie ont-ils été plus fréquents qu'alors ?
Le passionnaire grégorien n'est donc, semble-t-il, qu'une
édition augmentée d'un liber romain antérieur. Mais n'est-il
pas à craindre que les gestes introduits par le second éditeur
en aient chassé d'autres? Les cultes des saints connaissent les
vicissitudes des choses humaines; tel qui brille aujourd'hui
d'un radieux éclat sera éclipsé demain par un rival plus heu-
reux, souvent plus jeune. J'ai peine à croire que les miractila
démentis reproduits par notre texte aient fait partie du Liber
martynim primitif; ils pourraient bien avoir été introduits, à
la place des gestes eux-mêmes par l'interpolateur de Cumes,
tout heureux de répandre un texte nouveau alors et qui racon-
tait de si prestigieuses merveilles. — En môme temps que les
gestes de saint Clément^ le second éditeiu*, sensible à la nou-
veauté, n'aurait-il pas fait disparaître encore, avec les gestes
de sainte Cécile peut-être 2, un autre texte vénérable, les
gestes de Maris et de Marthe? A la fin du vi* siècle, les vieux
saints persans étaient éclipsés sans doute par la jeune sainte
de Nicomédie, devenue la patronne de Cumes. On s'explique-
rait ainsi que les gestes de Valentin de Terni ne se trouvent
pas dans le liber ombrien ajouté par le second éditeur et qu'ils
aient pris place dans le liber romain, l'édition princeps : les
gestes de Maris racontent l'histoire d'un Valentin de Rome ;
l'homonymie des saints aura rapproché leurs textes.
Si le second éditeur de Cumes, au temps de saint Grégoire,
1 Ces gestes, ainsi que les gestes de Sabinus ont peut-Atre été introduits au
X* siècle ; les quatre derniers textes ombriens sont rangés dans Tordre du
calendrier.
2 C'est vers 590 que Grégoire de Tours écrivit son livre in Gloria Marlyrum,
Noter ici un trouble dans la numérotation des pièces : on passe brusquement
de 29 (Théodore) à 32 (Ghrysogone) : il devait y avoir 30 (Cécile). 31 (Clément).
LE « LIBER MARTYRUM » 91
a sacrifié ainsi deux ou trois gestes anciens pour répandre
deux textes nouveaux, a-t-il borné là ses suppressions ? Les
gestes de Donat et d'Alexandre n'ont-ils pas pris la place
d'autres passions, un peu démodées aussi? Je croirais volon-
tiers qu'ils ont chassé les gestes d'Anasiasie et peut-être
d'Eugénie. Les gestes de Chrysogone sont brusquement inter-
rompus * par les gestes de Donat ; il est naturel de penser
qu'ils devaient être complétés par leur suite naturelle, les
gestes d'Anastasie. On a vu, d'autre part, que le passionnaire
grégorien s'ouvre par les gestes de Félix prêtre; c'est évi-
demment parce que le second éditeur voulait commencer au
mois de janvier qu'il a choisi ce texte, malgré son insignifiance
rare. Jadis l'année liturgique commençait à Noël ; comme le
férial hiéronymien, le Liber Martyrum devait commencer ce
même jour et s'ouvrir, en conséquence, par les gestes de
sainte Anastasie. L'hypothèse est confirmée par le Codex Pari-
sinus laiinus 3779, qui représente la tradition du passionnaire
grégorien et qui commence au 25 décembre. Le second édi-
teur aura rejeté à la fin de son manuscrit les passions des
saintes vénérées à Noël qui ouvraient le liber qu'il avait sous
les yeux, parce qu'il voulait commencer au mois de janvier;
puis il les aura à demi sacrifiées — ne reproduisant dans les
gestes de Chrysogone que la première moitié des gestes
d'Anastasie, — comme il avait sacrifié déjà les passions de
Clément et de Maris.
Une autre raison nous invite à penser que le liber s'ou-
vrait sur les gestes complets d'Anastasie. Le culte de cette
sainte était très florissant parmi les Grecs de Rome, avant ot
pendant l'occupation byzantine 2; or, c'est de l'époque byzan-
tine que semble dater le Liber Martyrum dont le dévot de
sainte Julienne, au temps de saint Grégoire, nous donna une
réédition remaniée. Les gestes de Calliste (14 octobre) sont
immédiatement suivis des deux gestes de Césaire (1" novembre)
et de Théodore (& novembre), qui dénoncent la date de la pre-
mière édition. Théodore est un martyr grec dont le culte fut
importé à Rome, selon toute vraisemblance, par les soldats de
Bélisaire et de Narscs; c'est au pied du Palatin, la forteresse
* Avec ceux-ci, il n'y a, dans la copie de Vienne, que deux textes incom-
plets : ceux de Praxëde et de Sérapie.
« Cf. infra.
^î LES GESTES DES MAKTVRS AOSfAlNâ
grecque, qu'est établie son église ; si c'est au temps de
Léon III (795-816) qu'elle est pour la première fois mention-
née dans les textes*, la mosaïque qu'on y voit encore remonte
certainement au vi" siècle. — Les gestes de Césaire sont plus
caractéristiques 2 que ceux mêmes do Théodore; notre manus-
crit de Vienne, bien qu'il reproduise déjà une brève histoire
du modeste diacre, à la fin des gestes de Nérée, nous pré-
sente un autre texte racontant la môme légende, mais enri-
chie, cette fois, embellie et développée, la passio maxima des
Bollandistes. Or le culte de ce saint Césaire, auquel s'intéresse
si vivement le premier éditeur, est encore un culte grec ; c'est
aussi sur le Palatin que Césaire est vénéré : c'est le 21 avril,
anniversaire de la fondation de Rome, que sa fête est célébrée;
c'est la racine même de son nom Kawapis;, qui l'a prédestiné,
semble-t-il, à devenir le protecteur des Césars et le patron des
Impériaux; et, de fait, à peine installés à Rome, ceux-ci lui
ont consacré un oratoire, et l'extension du culte a provoqué le
développement de la légende. L'édition primitive du iiber qui
reproduit, à sa place selon le calendrier, cette légende nou-
velle, a été composée à la même date que celle-ci ; le Liber
Martynnn romain, qui fut remanié au temps de saint Grégoire,
remonte à l'époque byzantine.
Nous avons donc retrouvé le Liber Martyriun dont nous
soupçonnions l'existence. Ce livre exprime, il symbolise, il
incarne, si j'ose ainsi dire, la double parenté qui unit les gestes
romains. C/est de ce point de vue surtout qu'on doit en appré-
cier l'intérêt et en mesurer l'importance 3.
Voilà donc déterminé le fait que nous nous sommes proposé
d'étudier ; reste à en donner l'explication en analysant les
causes qui l'ont produit.
1 L. P., Il, 12.
3 Cf. in fia.
3 Nous comptons publier bientôt une étude un peu complète sur le Codex
Vindobonensis et sa tradition littéraire que nous croyons avoir relrouyée : le
codex Auqiens'ts 32 n*en est qu'un chaînon. Les gestes romains qui n*avaient
pas été recueillis dans le liber étaient sans doute conservés à part, en raison
de leur étendue, dans de petits codices (tels les gestes de Sébastien, de Pierre
et Paul, de Laurent, de Silvestre). D'autres étaient réunis, sans doute, soit
en raison de leur communauté d'origine, foit en raison de leur parente mo-
rale (tels les gestes d'Agnès, Lucie, Agathe, Cécile?).
DEUXIÈME PARTIE
ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
DEUXIÈME PARTIE
ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
CHAPITRE I
LES SOURCES : LEURS CARACTÈRES GÉNÉRAUX
Deux ouvrages, de tout temps très connus à Rome, touchent
de très près à l'histoire de ses martyrs : j'entends les écrits
qui s'autorisent des noms illustres de saint Jérôme et d'Eusèbe.
Il convient d'examiner, dès l'abord, les rapports de ces textes
avec les nôtres; on verra que rien n'éclaire d'un jour plus vif
que cette enquête préalable le caractère général des sources
d'où les gestes romains dérivent.
I
Si surprenant qu'il puisse paraître, les gestes romains sont
indépendants du célèbre calendrier, ainsi qu'il apparaît lorsque
l'on confronte les données des deux textes relatives aux noms
des saints et aux lieux de sépulture ^ .
Le premier point est depuis longtemps -acquis. De Rossi
écrivait déjà en 1883'^ : « Ce n'est pas un fait nouveau; il y a
> L^accord touchant des dates des anniversaires s*explique par une com-
mune dépendance par rapport à la tradition liturgique.
« Bull., 1883, p. 151. « Non è nuovo, cfae di Martiri ignoti ai fasti e calen-
dari a noi pervenuti ci dieno notizie genuine le memorie locatif i monumenti,
eepigrafi. »
96 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
des martyrs inconnus aux fastes et aux calendriers parvenus
jusqu'à nous, sur lesquels les traditions locales, les monuments,
Tépigraphie nous donnent des renseignements authentiques. »
A ce témoignage qu'il nous suffise d'ajouter que le férial ignore
Flavie Domitille (Nérée); — Benedicta et Terentianus (Jean
o't Paul); — Dafrosa, Demctria et Bibbiana (Vibbiane); — les
Martyrs Grecs; — Eusèbo, Pontien, Vincent et Peregrinus;
— Arthemius, Candida, Paulina (Pierre et Marcellin); —
Abundius, Abundantius et Marianus (Abundius), Tryphonia,
Cyrilla, Cyinaca, Crescentius (Laurent), Getulius, les person-
nages dos gestes de Susanne, etc.
Le second point ne sera pas contesté après la lecture des
tableaux suivants : les localisations propres aux gestes
impliquent leur indépendance par rapport au férial ; les locali-
sations qui leur sont communes s'expliquent par leur égale
dépendance par rapport aux traditions locales.
Voici la liste des rares martyrs urbains mentionnés par le
calendrier: XVIII K. maii (ad thermas), Diocletiani, Cyriaci,
conditoris tituli; — X K. aug. via colla (B seul) natale Pri-
mitivae ; — • III id. aug. ad duas donnis iuxta Diodetianas,
Susannae; — XVIIII K. sept. Eusebii, tituli conditoris; —
VI id. nov. ad Caeliomonte, nat. Semproniani, Claudi, Nicos-
trati et Castorii; — XV K. nov. Trans Tibère. Caeciliae.
Les localisations intra tirbem sont au contraire nombreuses
dans les gestes, infiniment plus que dans le texte hiérony-
mien.
Voici un exemple du fait : pour une localisation célienne
donnée par le calendrier, en voici sept dans les gestes : IIII
Couronnés; — Cyriaca; — Sixte; — Martyrs Grecs (Ara Car-
bonaria), — Pancrace (insula cuminiana, vicus Dionysii), —
Etienne (templum Claudii), — Jean et Paul (domus Byzantii).
Voici, d'autre part, la liste des localisations, indiquées par
les gestes, qui sont absentes du férial.
Via Appia (12). — Porta Appia (Processus-Stephanus-
Cornelius) ; — Templum Martis (Stepîianus- Laurentius-Cmacus-
Cornelius); — Arenarium mil I. (Mart\Tes Graeci) ; — Domus
Montani (Montanus) ; — Arenarium. mil II. (Sébastien); —
Basilica Apostolorum (Basilides); — Catbecumbas (Basilides).
Via Latina (10). — Praedium Sulpitii et Serviliani. mill. II.
(Caesarius. p.maxima — Nérée) ; — sepulchrum Olympii. mil. I.
(Stephanus); — crypta arenaria. mil II. (Stephanus) ; —
CARACTÈRE GÉNÉRAL DES SOURCES 97
aquaeductus forma (Stephanus); — Basilei et Jovini (Stepha-
nus); — Domus Bonifatii, stadio V (Bomface)^
Via Lavicana. — Les gestes de Sébastien, des Quatre Cou-
ronnés, de Marcellin et Pierre, qui puisent à des traditions
lavicanes, ignorent l'expression ad diias laitros^ très fréquem-
ment employée par le férial, à propos des saints de cette voie
(IIII, non. iunias ; III, id. aug. ; VI, id. sept. ; VI, id. oc-
tobres; XII, K. ianuarias).
Via Tiburtina. — Trois localisations données par les
gestes sont indépendantes du calendrier : Porta Tiburtina
(Laurent); — Veranus Ager (Laurent) ; — Praedium Cyriacae
(Laurent).
Via Nomentana, — Neuf localisations données par les gestes
sont indépendantes du férial: praedium Aureliani mil XV.
(Nérée) ; — basilica Agnetis (Agnès); — praedium Justae,
mil XVI (Restitutus); — horticellus Justi. (Nérée); — mil-
liarium II (Susanna); — ad Nymphas sci Pétri (Marcel-Cyria-
cus); — civitas Nomentana (Primus et Felicianus)- mil XIII.
Via Salaria. — Quinze localisations données par les gestes
sont indépendantes du férial : praedium Aureliani mil LX.
(Nérée) ; — tertrum, mil CXXX (Nérée) ; — Priscillae coemi-
terium (Potentienne) ; — Capreoli fundus. mil CGC. (Getulius) ;
— Clivus Cucumeris (Laurent. , Abundius. , Pigmenius, Justinus) ;
— Porta Salara (Crçscentius) ; — Arcus portae Salariae (Su-
sanne); — Alexandri coemeterium (Susanne); — Thrasonis
praedium (Marcel) ; — Piniani praedium, XXIL mil. (Anthi-
mius) ; — Oratorium Maximi. XIII. mil (Anthimius); — Sal-
lustis thermae, foras muros (Marcel).
Via Flaminia. — Trois localisations données par les gestes
sont indépendantes du férial: milliarium IV, (Rufina et Secon-
da) ; — milliarium XIV (Abundius), — (Marius et Martha).
Via Comelia. — Six localisations données par les gestes sont
indépendantes du férial : Silva Candida seu Nigra (Pierre et
Marcellin) ; — Silva in fundo Buxo, mil X. (Rufine et Seconde)-^ ;
* La crypta Epimachi des gestes de Gordien vient peut^ôtre du cymiterium
Gordiani du F.H. ; le praedium Eugeniae des gestes d*Eugénie vient peut-être
du cymiterium Aproniani du F.H.
s 11 y a ici conflit entre le F.H et les G.M : le F.H donne mil XV, ad Arcas ; il
est pourtant plus probable que la divergence des textes doit s'expliquer par
une erreur de copiste.
3 Les noms populaires : fundus Buxus, Nymphae Catabassi, Locus Eupa-
risti, sont inconnus du F.H — ou dédaignés par lui.
1
98 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
— Plaiitillae praedium (Rufine); — Vaticanus in Monte Aureo
(Cornélius) ; — Ad Nyniphas Catabassi^ mil XIII (Marins et
Marthe, Eusèbe et Pontien).
Via Aurélia. — Quatre localisations données par les gestes
sont indépendantes du férial: Lucinae praedium (Processus); —
Forma Traiani (Eusèbe et Pontien) ; — Aurélia Civitas (Basi-
lides); — (Marcellin et Pierre).
Via Portuensis. — Deux localisations données par les gestes
sont indépendantes du férial : Sextus Philippi (Anthimius),
(Marins et Martha).
Via Ostiensis. — Quatorze localisations données par les
gestes sont indépendantes du férial : Ecclesia mil X (Prisca) ;
— Lucinae praedium mil VII. (Marcellus) ; — Aurea prae-
dium in loco Euparisti (Censurinus) ; — Crypta iuxta urbem
Ostiam (Censurinus); — fovea ante muros Ostiae (Censurinus) ;
— S. Laurentii ecclesia ostiensis (Jean et Paul); — Nonni
sepulchrum (Censurinus) ; — Arcus ante theatrum (Censurinus),
— (Calliste), — (Laurent), — (Marins), — (Susanne), —
(Sébastien), — (Digna et Mérita).
Via Ardeatina. — Deux localisations données par les gestes
sont indépendantes du férial: praedium DomitiUae, mil 1 1/2,
iuxta sepidchrum Petronillae (Nérée); — cassela Nicomedis,
VII mil (Nérce) s
On voit quels nombreux emprunts les gestes ont faits, non
au férial, mais aux traditions locales ; Ton est en droit de soup-
çonner que, pour les localisations communes, c'est de celles-ci
qu'ils dépendent, non de celui-là. Cette conclusion bien acquise
éclairera la question qu'il nous faut maintenant aborder : les
rapports des gestes romains et de l'œuvre d'Eusèbe.
II
La lettre de saint G\jBgoire à Eulogius^ montre qu'au vi* siècle
on attribuait à Eusèbe deux groupes d'ouvrages : les uns ne
sont pas pan^enus jusqu'à nous, tels la Suva^wY-rj twv *Ap;(aiu>v
[xapT'jpwv et le Martyrologe anonyme qu'on plaçait sous son
1 Ici encore le nom populairCf Cassela Nicomedis^ est absent du F. H.
* Cf. supra, p. 78, sq.
CARACTÈRE GÉNÉRAL DES SOURCES 90
patronage* ; nous lisons encore les autres, la Chronique et sur-
tout Y Histoire ecclésiastique.
On pouiTait croire que les rédacteurs ont puisé dans la
fameuse traduction de YHistoire ecclésiastique faite par
Rufin^. Les tendances ascétiques qu'il avait rapportées d*Aqui-
lée dans sa jeunesse, qui s'étaient fortifiées dans sa retraite de
vingt ans au Mont des Oliviers, qu'il avait déployées dans ses
ouvrages 3 devaient lui concilier la faveur de nos rédacteurs;
d'autant qu'ils y trouvaient un tableau général des événements
au milieu desquels ils devaient placer leurs récits et faire vivre
leurs personnages. Il n'en fut rien cependant. Si c'est Rufin
qui, le premier avec Zosime, accorde à Clément les honneurs
du martyre, il ne s'ensuit pas que les Gesta démentis en
dépendent : le fait s'explique sans peine par le recours à la
tradition orale*. D'autant que l'indépendance des deux textes
appanaît clairement, lorsqu'on se rappelle les erreurs et les con-
fusions de toute sorte qu'on a, dès longtemps, signalées dans
nos gestes : la lecture de l'histoire traduite et continuée par le
rival de saint Jérôme les eût éparghées à nos rédacteurs^.
Il est alors, semble-t-il, bien peu vraisemblable qu'ils aient
voidu recourir aux Archaïon ; et les mêmes erreurs et les
mêmes confusions nous contraignent de croire qu'ils n'en ont
rien fait. Peut-être même serait-il imprudent, ici, d'accuser
leur négligence; eussent-ils voulu consulter cette précieuse
collection, ils ne l'auraient pu sans doute. Saint Grégoire nous
atteste qu'il en ignore l'existence ; il n'en a même pas entendu
parler; on n'en a pas trouvé trace dans les bibliothèques
romaines. Ce n'est pas tout; les Archaïon sont écrits en grec,
et, dès le m" siècle, le grec est, à Rome, une langue savante;
les erreurs signalées dans nos textes attestent à la fois que les
rédacteurs ne sont rien moins que savants et que les gestes
* Cf. A. Dufourcq : De Manichaeismo apud Latinos, ... l" parUe, 1" chap.
* Nous n^avons pu nous procurer l'édition de Cacciari.
3 Ebert, tr. fr , I, 348 ; « Dès qu'il s'agit de glorifier l'ascétisme... »
^ 11 est vraisemblable que l'évêque ilelenus des Gestn Eugeniae vint de
rilelenus dont Rufm nous dit la sainteté. Cf. Tillemont, //. £., IV, :j85. (Sur
Clément, cf. Funck : Opti^a patrum^ app-i I, xxi.) Et ce fait rend plus remar-
({uable encore et plus significatif l'ignorance où se tiennent nos rédacteurs
vis-à-vis de VHisloire ecclésiastique.
^ Cf. notamment avec les Gesta Johannis et Pauli, les chapitres xi et xxxii
du !•' livre (P. L., 21, 482, 501). Cf. ce que dit de Fossi R. S.: 111, 211 : t Gli
autori di leggende... non si brigarono di consultare rari fasti dei prefetti di
lloma. »
iOO ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
ont été vraisemblablement éciits après les persécutions, par-
tant après le m* siècle*. Il est donc établi que leurs auteurs
anonymes ne pouvaient consulter la grande collection d'Eusèbe,
et qu'ils ne Tout pas consultée.
Reste le Martyrologe attribué à Tévêque de Gésarée. Il était
écrit en latin. D'autre part, Thistoricité d'^milianus et l'exac-
titude de la date consulaire dans les gestes de Calocère et
Parthenius, Thistoricité de Julius Donatus dans les gestes de
Rufine et Seconde, l'exactitude du récit que donnent du mar-
tyre de Maximus les gestes de Cécile, nous invitent à penser
que le rédacteur disposait d'un document authentique : le mar-
tyrologe donnait les noms des juges et la description des sup-
plices : il est possible qu'il ait été parfois utilisé. Quoi qu'il en
soit à cet égard, il est certain qu'il ne fournissait aucun autre
renseignement que ne fournit déjà le férial; il est certain que
les gestes ne lui ont pas emprunté, non plus qu'aux Archaion
ou à Rufin, les épisodes qu'ils nous rapportent ; comme ils sont
indépendants du pseudo-Jérôme, ils sont, dans leur ensemble,
indépendants du pseudo-Eusèbe. Il est bien vraisemblable que
c'est aux seules traditions locales qu'ils puisent, à celles qui
sont attachées aux églises comprises dans l'enceinte, comme à
celles qui s'épanouirent dans les sanctuaires des catacombes.
1 Les textes grecs que nous avons, et qui ont si fort troublé les critiques,
ont été traduits sur les originaux latins au temps des Byzantins et, plus tard,
à Saint-Alexis, à Grotta Ferrata et en Calabre.
CHAPITRE II
TRADITIONS LOCALES URBAINES
'.ciTe
I
C'est par le Trastevere qu'il faut comnieucer notre voyage à
travers les églises de Rome ; c'est là que sont localisées les tradi-
tions relatives à saint Pien^e, le maître du chœur des martyrs
romains, et c'est là que s'ouvrit certainement la première
«église » romaine : le quartier juif était là, Philon l'atteste '-\
i. « Au temps de Néron^ les juifs demandent à Paul de dé~
Gestes fendre leur loi contre Pierre qui F abandonne; mais loin de se
fies **J^*^^ quereller^ les deux apôtres s'embrassent dès qu'ils se ren-
contrent et se racontent^ Vun ses voyages en Espagne ^ F autre
ses luttes contre Simon, Le succès couronne leur apostolat
et tourne contre eux les prêtres païens et juifs qui gagnent
1 Nous rappelons que nous nous servirons presque exclusivement, au cours
de cette étude, des cinq documents suivants, tous indépendants des gestes ;
!• le Calendrier romain, contenu dans le F. H. (édition Ilossi-Duchesne); —
2* les Epigrammes de Damase (édition Ihni); — 3* le Sacramenlaire Léonien
(édition Felloe); — 4* les Itinéraires, surtout le Salisburgensis (édition de
Rossi); — 5* les signatures du concile romain de 499 (M. G. — Auct. Antiq. Xll
et Duchesne : les Titres presbt/ie'raux et les diaconies. Mélanges, Vil, p. 217).
— Cf. le chapitre des Mirabilia intitulé : Haec sunt loca quae inveniunlttr in
passionihus sanctorum (Jordan, 11, Gl.'i).
- « Alioqui non passus fuisset Transliberim bonam L'rbi partem teneri a
Judacis quorum plerique erant libcrtini; quippe qui, belli iure in potestateiu
rcdacti, ab heris suis manu missi fuerant, permissi ritu maionim vivere. Ilos
sciebat habere suas proseuchas in quibuscoetusraccrcnt, pracsertimsabbatis,
iuxtarcligioncnip.i!riani.« [Légal io ad Caium... apud Bosiuui. — Cf. édit. Man-
gey (Londres 1142), II, 568. — Cf. Martial, I, 35, X, 3; Xll, 46].
10^ ANALYSE CRlTIQtJt!: hE& TRADITIONS ROMAINES
Simon à leur cause. Devant Fempereur^ Simon et Pierre font
assaut de prodiges : Fapôlrei'end la vue à un aveugle ^ Simon
fait rire les statues de pierre; il change d apparence sous les
yeux de Néron; mais^ comme il veut se faire pousser pour le
Christ y Pierre fait lire les lettres que Ponce Pilate envoya à
Claude au sujet de celui-ci; d'un signe de croix,, il fait dis-
paraître les chiens magiques que Simon fait apparaître,
prêts à le dévorer^ et Simon ne peut deviner ce qu*il pense.
Mais le magicien se relève de ses défaites en racontant sa
résurrection glorieuse. Comme Néron interpelle Paul qui,
pendant cette joute merveilleuse, reste muet, Paul raconte
son œuvre : et Pierre confirme son récit, ajoutant que, pen-
dant de longues années, il a été informé de ses travaux par
les lettres que lui ont écrites ses évéques établis dans le monde
romahi, presque dans toutes les cités. Et Paul, à son tour,
confirme ce que dit Pierre et insiste sur la conformité des
deux doctrines qu'ils prêchent. — Enfin, un grand prodige
va clore la lutte : Simon prétend qu'il va s'élever au ciel où
il rejoindra son père : il monte sur ime tour élevée au Champ
de Mars et prend son vol. Mais voici que Pierre et Paul se
mettent en prières, Paul se plaçant après Pierre qui a été
élu avant lui par le Seigneur ; et Simon tombant sur la voie
sacrée se brise en quatre morceaux. Néron furieux ordonne au
préfet Agrippa de faire exécuter Pierre à la Naumachie ; et
Pien*e demande à être crucifié la tête en bas, en souvenir de
son maître, par humilité: il apaise les chrétiens qui veulent
se venger de Néron en leur racontant l'apparition merveil-
leuse quil a eue sur la VoieAppienne, le Christ lui ordonnant
de ne pas s'enfuir de Rome pour qu'il y fut une seconde fois
crucifié dans sa personne. Puis, comme il meurt, on voit
apparaître des hommes saints que nul n'a vus jusqu'alors et
qui, de concert avec Marcellus, fancien disciple de Simon
converti par Pierre, enlèvent le corps en cachette et F enseve-
lissent sous un térébinthe, à côté de la Naumachie, au
Vatican. Quant à Néron, détesté du peuple et de l'armée, il
s'enfuit tremblant de peur; on ne le voit plus; on assure,
qu'errant dans les forêts, mourant de faim et de froid, il a été
dévoré par les loups. Et, comme des Grecs veulent un jour
reporter en Orient les corps des apôtres, un tremblement de
terre épouvantable avertit le peuple romain ; on court, on les
arrête à l'endroit qu^on appelle la caiacombe. Voie Appia, au
Saint pierhè Et saInt t»AuL ioâ^
///" mille; on y garde les corps jusqu'à ce qu'on les reporte,
dans la splendeur des hymnes, aux lieux qui ont été prépa-
rés pour saint Pierre au Vatican de la Naumachie, pour
saint Paul, Voie d'Ostie, au IP mille; où leurs bienfaits ré-
pondent aux prières dans les siècles des siècles. Ainsi soit-ilK
C'était aux alentours de la basilique de Saiut-Pierre^, cons-
truite par Constantin sur remplacement du tombeau réédi-
fié peut-être par Anaclet 3, que se répétait la légende. On en
discerne assez nettement Thistoire depuis sa naissance jusqu'au
déclin du iv' siècle.
Aucun texte ne contredit le témoignage, si explicite d'ail-
leurs, qu'elle apporte touchant le lieu du supplice et l'empla-
cement des tombeaux; ce témoignage est, au contraire, con-
firmé par le calendrier romain^ et par un passage du prêtre
romain Caïus^, qui vivait au temps de Zéphyrin (199-217):
* Noua avons choisi ce texte (édition Lipsius, Acfa Peiri...^ p. 119-177),
parce qu'il est plus analogue qu'aucun autre aux gestes romains qui sont
notre objet, et parce qu'il reproduit aussi bien qu'un autre le fonda légendaire
existant à la Gn du iv* siècle que, seul, nous étudions ici. Cf. tn/'râ, la seconde
période de l'histoire de cette légende (v* et vi* siècles).
^ c Eodem tempore Augustinus Contantinus fecit basilicam beato Petro
apostolo in templum Apollinis cuius loculum eu m corpus sancti Pétri ita
recondtt... » (L. P., I. 176.)
La basilique de Saint-Pierre est située à droite de la Via Aurélia Nova,
entre cette voie et la voie Triomphale: le tombeau primitif et les sépultures
qui se trouvaient autour étaient peut-être sur quelque diverticuium qui
reliait les deux voies ou sur un chemin qui longeait le cirque de Néron
(Palatium Neronianum). L'édifice constantinien s'élevait en partie sur l'empla-
cement de ce cirque ; son mur méridional et même les colonnades de ses
nefs de gauche reposaient sur Tun des côtés du monument démoli. Le
templum Apollinis est un souvenir du célèbre sanctuaire de Cybéle, le Fri-
gianum des régionnaires du iv^ siècle (L. P., I, 119 >3). Sur la basilique cons-
tantinienne, cf. de Rossi, Ins. CAr., II, 229; Duchesne, L. P., I; 193<'i.
^ € (Anacletus) memoriam beati Pétri construxit et conposuit, dum pres-
byter factus fuisset a beato Petro seu alia loca ubi episcopi reconderentur '
sepulturae. »(L. P., 1, 125).
* m • KL- IUL. I ROM/E. Uia au I relia. Natal scoru (apostolor pétri | et
pauli) pétri | IN ÛATICANO | Pauli. vero, inuia | ostensi. utruq; | in cata-
cumbas. | passi sub nerone. | basso et tusco. | consulib; | . (B). — 111 KL *
IUL * Rom Nat scorum pe | tri pauli. apostolorum pe | tri in vaticano pau
liuero | uia ostensi... W. (Rossi, Duchesne, 84).
^ « Ëyti) Bï TOC TpéTiaia twv àiroordXcDv ï^oi dEtÇat. iocv y^P Os)>Y)(rr|C àiceXO&tv inl
Tov BotTixavbv, yJ èwi rriv ôôbv ttjv *û(jTiàv, e{ipT)<TSi; xa Tpé^iata tcôv xa'jTTjv ifipu-
aajiivwv TTjv èxxXTi<T(av. » (Apud Eusebium, II, 25, éd. Dindorf, IV, 82). — Cf.
L. P., I., 118: «... sepultus est via Aurélia in templum Appolinis iuxta locum
ubi crucifixus est, iuxta palatium neronianum, in Vaticanum, ^iuxta territu-
rium Triumphalem, III kl. iul. »
104 ANALYSE CtllTlQDE DES TRADITIONS ROMAINES
« Pour moi, dit-il, je puis montrer les tombeaux des Apôtres.
Si vous les voulez voir, vous n'avez qu'a aller au Vatican et à la
voie d'Ostie. Vous y verrez les monuments de ceux qui ont
fondé cette église. »
L'époque du martyre est bien le règne de Néron, et, plus
précisément, Tannée 64. La date ronsulaire que porte le
Codex Bernensis, Tusco et Basso consulihiis désigne l'an 258,
nous reporte à la persécution de Valérien et ne peut évidem-
ment s'appliquer au martyre des apôtres. Comme w il y a des
dates consulaires figurant ainsi dans des calendriers romains
et qui sont relatives à des translations »; comme, d'autre part,
en 258, les cimetières furent confisqués et que « les chefs de
l'Eglise romaine durent avoir des craintes pour les sépultures
déjà très connues du Vatican et de la voie d'Ostie, il est
naturel qu'ils aient cherché à mettre en sûreté, dans un lieu
obscur et ignoré, les précieux dépôts qu'elles renfermaient* ».
La date de 258 se rapporte vraisemblablement à une translation
opérée dans ces circonstances, à la catacombe de Saint-
Sébastien, Voie Appia. L'hypothèse est d'autant plus satisfai-
sante qu'elle rend compte de l'épisode légendaire, suivant le-
quel les corps sacrés volés par les Grecs demeurèrent « un
an et sept mois à la Catacombe ».
Mais s'il est facile d'écarter la date de 258, il est plus malaisé
de restituer la date exacte. Celle que porte le Chronographe
de 354 nous reporte à Tan 55*^ ; or le Chronographe dépend ici
de la chronique d'Hippolyte, qui dépend elle-même de listes
épiscopales plus anciennes, existant à la fin du ii* siècle. C'est
donc un témoignage fort grave : il semble néanmoins difficile
de s'y tenir 3. Saint Paul, écrivant aux Romains, en 58, ignore
i Duchesne, Origines chrétiennes^ 82 ; — L. P., I, civ.
s Imperante Tiberio Caesare passns est dominus noster Jésus Christus
duobus geminis consiilibus (29) Vlli Kl. apr. et post ascensum eius beatissi-
mus Petrus episcopalum susceplt... Pctrus ann. XXV mens, uno d. Vllll. Fuit
temporibus Tiberii Caesaris et Gai et Tiberi Claudi et Neronis a cons. Minuci
et Longini (30; usque Nerine et Vero (55, Nei^one et Velere). Passus autem
cum Paulo die III K. iulias, cons. ss. imperante Nerone. — Linus, ann. XIÏ,
m. IlII. d.XII. Fuit lemporibus Neronis a consulatuSaturnini et Scipionis (56)
usque Capitone et Rufo (67) {Catalogue libérien, L. P » 1, 2) (Cf. Fasti Vindob,
Priores ; M. G. Aucl. Ant., IX, 283). < Pctrus... primum tenuit cathedram epis-
copatus in Antiochia annos VII. Hic Petrus ingressus in urbe Roraa, Nerone
Caesare, ibique sedit cathedram episcopatus ann. XXV m. II d. 111... Martyrio
cum Paulo coronatur post passionem Dominianno XXXVIll (L. P., 1, 118).
3 Comme on Ta essayé naguère encore {Katholik.^ 1887, 1, 135). Entre
autres études, cf. V Année du Alarlyre des saints Apôtres Pierre et Paul, par
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SAINT PIERRB ET SâINT PAUL i05
coniplètement que saint Pierre, après les avoir évangélisés, ait
subi le martyre au milieu d'eux ; ce qui ne laisse pas d être
surprenant. Pareillement, saint Luc racontant dans les Actes
Tarrivée de saint Paul à Rome, en 61, ne souffle mot de saint
Pien'e ; ce qui rend difficile de croire que saint Pierre y soit
déjà venu, ou, du moins, y ait fait un long séjour; ce qui rend
impossible d'admettre qu'il y ait été martyrisé six ans aupa-
ravant. Ce n'est pas tout : aucun texte ne mentionne des actes
de persécution à Rome, avant l'an 64; il est même générale-
ment admis que Néron, succédant à Claude en 54, améliora la
situation des Juifs, partant celle des chrétiens* ; le martjTe de
sîdnt Pierre, au lendemain de l'avènement de Néron, contredit
donc tout ce que nous savons de ses premières années et
apparaît cpnmie inexplicable. Il semble, du reste, que la date
de 55 a été artificiellement obtenue en combinant avec la date
de l'Ascension du Christ (5 mai 29, dans le Chronographe) la
tradition des vingf-cinq années de l'épiscopat de saint Pierre.
Cette donnée, évidemment inexacte, ne repose donc pas sur
un document authentique.
La tradition des vingt-cinq années de l'épiscopat de Pierre,
sans doute connue par Eusèbe, du moins drement attestée
par saint Jérôme, explique qu'on ne puisse accepter avec con-
fiance les dates qu'ils nous fournissent, 45 et 70 ; saint Jérôme
ne saurait renforcer le témoignage d'Eusèbe ; il se contente de
le remanier ou de le traduire. Et Ton devine qu'ils utilisent
tous deux une traditicm de vingt-cinq années d'épiscopat, sans
en connaître au juste les deux termes extrêmes*.
Si l'on écarte tous ces témoignages douteux pour ne se fier
qu'aux faits patents, on est conduit à fixer à l'an 64 la mort
le R. P. Gams... (trad. Belet). Paris, Duprey, 1867. — Gams a le mérite de rat-
tacher le martyre de saint Pierre aux massacres qui ont suivi Tincendie de
juillet 64. il a le tort de reculer Texéculion de Tapôtre jusqu'en 65, vraisem-
blablement pour sauver l'anniversaire du mois de juin, qui est, sans doute,
celui de la translation : le texte du calendrier, la date qu'il donne, semblent
l'indiquer. — Nous n'avons malheureusement pas pu prendre connaissance
du récent ouvrage de M. Erbes : Vie Todlestage der Apostel Paulus una Peints
und ihre rômische Denckmàler (Leipzig, 1899).
* Duchesne, Origines^li.
2 Eusèbe : ^Pcoiiatcov KXavSioc ittr; ly* ...Xlétpo; ô xopu^xto; Tr,v év *Av-
Tio)reî« TcpcoTTiv 0&|ie>.fa><7a; èxx>.r,(jîav eîç *Pto|iyiv airstvt xr,p'jTTWv xh eùayYÉXiov. 6
ô'avrb; iutoc tt,; iv 'Avtioxeîx èxxXr,Tta; xal Tf,ç iv *Pa»{irj irptoto; irpoéorr) ïtai
TeXsKovetoç avToO.
Jérôme : Romanorum Ciaudius regnavita. Xlll, mens. Vill. dieb... XXVIlil.
Petrus apostoius cum primus Antiochenàm ecciesiam fundasset Romam mit
106 ANALYSE CRITIOUË DES TRADITIONS ROMAINES
(le saint Pierre. Le 19 juillet de cette année, le feu prend aux
alentours du grand cirque, dévore le Palatin, les boutiques de
la Voie Sacrée, la région dlsis et de Sarapis, ravage le Celius,
TAventin et s'arrête au pied de TEsquilin au bout de six jours;
puis il se rallume dans les jardins de Tigellinus et, durant
trois jours, ravage le Viminal, le Quirinal et le Champ, do
Mars; siu* les quatorze régions de Rome, dix sont consumées*.
Le peuple accuse Néron qui arrive d'Antium en toute hâte.
« Pour faire taire cette rumeur, c'est Tacite qui parle (il était
alors âgé de dix ans), Néron prodidt des accusés et soumet
aux supplices les plus raffinés les hommes, odieux à cause de
leurs crimes, que le vulgaire appelle chrétiens. Celui dont ils
tirent ce nom, Christ, avait été, sous le règne de Tibère, sup-
plicié par le procurateur Ponce Pilate. L'exécrable supersti-
tion, réprimée d'abord, faisait irruption de nouveau, non
seulement dans la Judée, origine de ce mal, mais jusque dans
Rome, où reflue et se rassemble ce qu'il y a partout ailleurs
de plus atroce et de plus honteux. On saisit d'abord ceux qui
avouent; puis, sur leurs indications, on arrête les autres, en
masse, coupables moins du crime d'incendie que d'être haïs du
genre humain. On ajoute les moqueries aux tourments; des
hommes enveloppés de peaux de bêtes meurent déchirés par
les chiens, ou sont attachés à des croix, ou sont destinés à
être enflammés et allumés, quand le jour tombe, en guise de
luminaire nocturne. Néron a prêté ses jardins pour ce spectacle;
il y donne des courses, mêlé à la foule en habit de cocher ou
monté sur un char. Aussi, bien que ces hommes soient cou-
titur ubi evangelium praedicans XXV annis eiusdem urbis episcopus perse*
verat. Olymp, 205, 111 ^4. Abrah^ 2059 : Versio armenia de his silet. (Schœne,
II, 152, 153). 205 Olymp. = 43, 44, 45, 46 p. G. N. -- 2057-2060 d'Abraham.
Eusèbe: inX izàtr i S'aOroû xotc âSix^ixaiti {à'c^Jy(r^\UL<Ti Cod.) xaX xbv 7cpc5TOv xatà
XptvTtavwv sveSitÇaTO Sko^plov, Tjvîxa Iléxpo; xal IlaOXo; ol OetdraTOt êmàfxrokùi
•ztù 'jtzïp j^pioToO (jLapTupr,(ravTE; xaTeariçÔrjaav àyâvi.
Jérôme: Primas Nero super omoia scelera sua etiam persecutionem in Xria-
nos facit in qua Petrus et Paulus gloriose Romae obcubuerunt (Schœne, 11,
156, 157). Abr. 2084 ; Olymp. 211, 4, Nero 14. — 2084 d'Abraham = 70 p. C. N.
= 211, 4, Olymp. (Cf. Sync, 644, 2) (Schœne, II, 235). — Il n'y a rien àcet égard
dans le nouvel ouvrage de M. Schône : Die Wellchronik des Eusebius in ihrer
Bearbeitung durch Hievonymus (Berlin, Weidmann, 1900, in-8). — Dans V His-
toire ecclésiastique, Eusèbe accepte la donnée de Justin que Simon est venu
à Rome sous Claude (II, 13) ; et il assure (II, 14) que Dieu a envoyé saint Pierre
à Rome pour le combattre.
» Tacite, Annales, XV, 38, 44, 52. — Suétone, Sero, 31, 38, 39. — Dion, LXll,
16-17.
SAINT PIERRE ET SAlKT PAtL 107
pables et dignes des derniers supplices, on en a pitié, parce
qu'ils sont sacrifiés non à Tutilité publique, mais à la cniauté
d'un seuH. » Voilà, de la plume de Tacite, les premiers gestes
des premiers martyrs de Rome : ce sont les martyrs du Vati-
can. Tacite nous dit, en effet, que Néron avait prèle ses
jardins; or ses jardins s'étendaient au-delà du Tibre, sur le
Vatican-, et entouraient un vaste cirque réservé aux plaisirs
impériaux. Il se trouve donc que le tombeau de saint Pierre
occupe remplacement même où moururent les premiers mar-
t\Ts de Rome. Pourquoi Taurait-on joint à eux, s'il n'était
pas mort avec eux; pourquoi ne lui aurait-on pas fait Thon-
neur d'une sépulture spéciale, à lui, le prince des Apôtres?
N'était-il pas naturel de Tenten^er au lieu même où il avait
soufi'ert^, comme il advint pour saint Paul, et comment, en
temps ordinaire, aurait-il pu être mis à mort dans les jardins
impériaux? N'est-il pas vraisemblable ([ue, s'il repose au
Vatican, c'est qu'il y mourut avec ses frères dans la grande
crise du mois d'août. Le fait de son supplice s'explique faci-
lement par là même, ainsi que l'emplacement de son tombeau.
A cette raison de vraisemblance, le calendrier romain ajoute
le poids de son témoignage. Le Codex Epternacensis, confirmé
' Sed non ope humana non largitionibus principis aut dm placamcntis
decedcbat infaniia quin iussum inccndiuai crederetur ergo abolendo rumori
Nero subdidit reos et quesitissimis pénis affecitquos per flagitia invisos vulgus
ChrisUanos appeUabat auctor nominis eius Christus tyberio imperitante per
procuratorem Pontium Pilatuui suppHcio alTectus erat repressaque in praescns
exitiabiU superstitio rursum erumpebat non modo per iudeam originem eius
mali sed per urbem etiam quo cuncta undique atrocia aud pudenda conlluunt
celebran turque igitur primum correpti qui Tatebantur deinde indicio eorum
multitudo ingens baud proinde in crimine incendii quam odiohumani generis
coniuncti sunt et pereuntibus addita ludibria ut ferarum tergis contecti
laniatu canum interirent aut crucibus afûxi aut flammandi atque ubi defecis-
set dies in usu nocturni luminis urerentur hortos suos ei spectaculo Nero
obtulerat et circense ludicrum edebat habitu aurigae permixtus plebi vel
circulo insistens unde quanquam adversus sontes et novissima exempta
meritos miseratio oriebalur tanqnam non utilitate publica sed in sevitiam
unius absumerentur [Tacite, Annales^ XV, 44 {Codex Mediceus) ; diaprés
Arnold: Die Neronische Christenverfolgung^ 5-6). (Leipzig, 1888). Cf., dans
cette même étude, une très intéressante critique, et très fouillée, de Tacite.
* Tacite, Annales, XIV, 14.
3 Près de Saint-Pierre in Montorio, sur le Janicule, on montre une petite
chapelle ronde ou Ton raconte que fut plantée la croix de Saint-Pierre
(Cf.Bosio, 74). Cest une légende de formation toute récente; d'après Marucchi
{Conférences d'archéologie chrétienne, cours autographié, II, 11), elle n'est
pas antérieure au xv* siècle. Cf. pourtant Lugari : le Lieu de crucifiement de
saint Pierre (Tours, Mame, 1898).
108 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
par le Hernensis et le Wissenburgensis * porte au troisième
jour des kalendes de juillet (29 juin).
Rome nt aposlolor pétri et pauli et aliorum DGGGCLXXVIHI martyrum
Qu'est-ce que ces neuf cent soixante-dix-neuf martyrs qui
sont fêtés en même temps que saint Pierre et saint Paul?
Comment se fait-il qu'aux deux martyrs romains on ait joint
d'autres martyrs ignorés ? Pourquoi n'avoir pas célébré, dans
une fête à eux réservée, les deux docteurs de l'Eglise univer-
selle, les deux fondateurs de l'Eglise romaine ? Pourquoi avoir
fait à neuf cent soixante-dix-neuf martjTS l'honneur insigne
de leur donner le même natale qu'à Pierre et Paul? N'est-ce
pas qu'ils ont souffert en même temps que ceux-ci ? Ne semble-
t-il pas qu'ils doivent être identifiés avec les martyrs du Vati-
can dont nous entretient Tacite ? Le Codex Bemensis rattache
très explicitement leur souvenir à la même Voie Aurélia (qui
partait du Vatican) où il rattache précisément les fêtes de
Pierre et de Paul.
IH. KL. lUL. I H0M.4-:. Uia au | relia. Natal scoru
IN EADEM URBE | aurelia. sconim. | Nevatiani. et ali | orum non-
gento I rum. septuagin | ta et septe mar |
Puisque ces neuf cent soixante-dix neuf martyrs sont véné-
rés au Vatican, puisqu'ils sont fêtés au même jour que Pierre
et Paul, puisque Pierre et Paul sont vénérés au même lieu
que ces neuf cent soixante-dix-neuf martyrs, il est à croire
qu'ils ont tous souffert ensemble, la même année comme au
même endroit.
Cette hypothèse est confirmée et vérifiée dans un texte très
autorisé et très explicite. Avant la fin du i" siècle, saint Clé-
ment écrivait à l'église de Corinthe, au nom de l'église de
Rome-: « A saint Pierre et saint Paul, on a joint une foule
1 Rossi-Duchesne, 84.
- « Aià s»^,Xov xal çôôvov ol |iiYi(rroi xal SixaidraTOi (tt-jXoi iliùiy^r^(S9.yt xal Ewc
ôavxTO'j 7,6Xr)<Tav. Aà^toiiEv «pb ô^TaXiirâv toy; aYaOo'j; àico^TToXou;' Ilé-rpov. 6ç
fiifli Çf,>.ov àStxov o-Jx eva ovfià ôvo, àWk irXeîova; CTrrjveyxev ttovouc x«l ovtm
|jiapT*jpr,9a; éiropevOri el; tbv ôçsiXôiuvov t^wov tt,; lûlrki- Aià Çy,Xov xal spiv
IlaOXo; ÛTtopLovr,; Ppa^Eiov ëSei^sv, éirràxeç 8e>T(ià çopéffa;, çvy*^^'-'^"^» Xitao^el;,
XTjpyÇ Yevô(jLevo; k'v te t^ àvatoX^ xal iv tr^ €v(rEt, tb yevvaîov Tf,ç frioreoi; aÛToO
xXêo; D.aëev, 8ixaio<TÛvr|V SiSà^a; ôXov tôv xôo-piov, xal àirl to T£p|ia tt,; 6v(rsci>c
èXOwv xal |iap-;ypT,<7a; éiil Ttôv t,yov|iIv(i>v, oÛtcoc à7C7)XXaYT) toO xÔ9(i.ov xal eiç
SAINT PIERRE ET SAINT PAUL i09
d'élus qui ont enduré beaucoup d'affronts et de toiu'ments,
nous laissant ainsi un merveilleux exemple. Des femmes ont
été poursuivies, Danaïdes et Dircès, qui, ayant souffert de ter-
ribles et monstrueuses indignités, ont atteint leur but dans la
course sacrée de la foi et ont reçu la récompense, toutes
faibles de corps qu'elles étaient. » En même temps que Pion'e
et Paul, des chrétiennes sont donc mortes, après avoir paru
sur la scène, sous le costume des filles de Danalis et de
Dircès ^ De tels usages, on le sait, étaient reçus chez les
Romains. « Pour leur plaire, il fallait qu'Ixion fût véritable-
ment roué-, qu'Icare se brisât en tombant du cieP, qu'Hercule
pérît dans les flammes '*, qu'un brasier consumât la main de
Mucius Scaevola ^ que Pasiphaé subit l'étreinte du taureau *',
qu'Orphée^ ou Dédale* fût vraiment mis en pièces, Attis vrai-
ment mutilé^, Laureolus, au dernier acte d'un drame, vraiment
tué sur la croix *o. » N'est ce pas à des spectacles de ce genre
que saint Clément fait allusion ; et quel cadre mieux adapté à
ces spectacles que le cirque du Vatican, oîi flambèrent les
martyi's dont Tacite nous (lépeint la mort? Comment n'être pas
frappé de la convenance interne do tous ces faits ? conmient no
pas les rapporter dès lors aux hécatombes qui suivirent l'in-
cendie de Rome en août 64 ? Or saint Clément range formcl-
ment Pierre et Paul parmi ceux qui en furent les victimes,
ToJTsiç T5Î; àvSpaaiv... juvr^ôpsCcxôt; t:o\ù Tz'kfflsq... Tout nous
Tov «Yiov t6icov èiroprj6r„ v7ro(iov7t( '^twà^i^foz (uyioTo;, *jicoYpa|i|i<$c* — Tovtot;
Tot; àv$pâ<rtv 6atci>c TcoXiTev^apivoi; <rj^Tfipoi<7^ tcoX'j icXfiÛo; ixXsxtcôv, orrivs;
icoXXatç aloxfat; xat ^ao-ivotc 6(à Cn^ov icaOdvTEC ûità^tiyyi.x xsXXiorov éyÉvovto
iv Ti(jL?v. Atx s^iXov lnùyfitXirat Yvvatxec Aavaiie; xat Aépxae, alxtaixara $etvà xat
àv6ata icaOoOo'at, iicX xbv ttjç icîotccoc ^fi6atov ip6|iov xaT7,vTT)(Tav xal eXaéov yépa;
^ewaiov ol àa6evEïç xtâ awjjiaTi. » (1, Cieinentis ad Corinth., V-Vl ; — Apud
Funck, Opéra Pair. Àp., I, 66-70.)
^ Le groupe, qui se trouve actueUement au Musée de Naples (après avoir
été au paiais Farnèse), venait précisément d'être apporté à Rome ; il faisait
partie de la collection d'Asinius Pollion (Pline, Hisl. nat., XXXVi, 4), d'après
Allard, 1, 51-52, note 1.
^ Tertullien, De PudicUia, 22.
3 Suétone, ^ero^ 12.
^ TertuUien, Apol.^ 15.
» Martial, EpisL, VllI, 30.
' Suétone, Nero^ 12; Martial, de Spect.^ 5.
7 /d., 21.
8 Id., 8.
Tertullien, Apol., 15.
>o Martial, de Speci,, 7 (d'après Allard, I, 50).
110 ANALYSE CKITIQDE DES TRADITIONS ROMAINES
invite à croire que saint Pierre, sinon saint Paul, fut martyrisé
en août 64 * .
Le souvenir de ces atrocités se perdit peu à peu ; le fait
principal, le fait du martyre des apôtres émergea bientôt seul
* Noter qu*un Bassus était consul en 64 comme en 258 ; il est possible que
cette coïncidence ait entraîné, par suite d*une erreur de copiste, Tintroduc-
tion des consuls de 258 et la disparition de ceux de 64. — Saint Paul, étant
citoyen romain, fut sans doute rais à part, jugé et exécuté séparément : on
s*expUquerait ainsi qu'U n'ait pas été enseveli au Vatican, mais sur la Voie
d'Ostie. Toutefois, on doit être, à son endroit, beaucoup moins affirmatif : le
fait de sa sépulture séparée, la grande vraisemblance de son voyage d'Espagne
permettant le doute ; il faudrait alors expUquer Voccasion de son supprice. —
Rien ne contredit (Tacite prononce le mot criix), tout confirme la donnée
légendaire relative à la nature du martyre de saint Pierre : Tévangile de saint
Jean semble indiquer clairement qu'il fut crucifié. Le Seigneur dit à Tapâtre :
0T£ TiC vewtepo; é^oivvue; asaurbv xal TTEpiEicdcTeic oicov rfitktz- ''Orav ôc Y7)pà<Dr);,
èxxevetc ta; X^^P^C vov, xàt aXXo; J^tatm <rs xal oioei oirov o*j OéXei;, tovto Se
eÎTiev <Dr)[iatvfa>v irolco Oavaxw S^Çaaei tov 6ebv (XXI, 18-19). — Origènc (au livre
troisième de ses Commentaires sur la Genèse) est le premier qui assure qu'il
ait été crucifié la tète en bas (cité par Eusébe, H. £ , 111, 1). Le fait n'est
pas impossible : Sénéque, qui semble bien avoir remarqué l'héroïsme sou-
riant des premiers martyrs romains {EpisL. 78, Lucilio, apud AUard, 1, 54-55),
qui parle quelque part très explicitement du supplice de la croix (Cons. ad
Marciam, 23 : « Brachia patibulo explicuerunt), écrit ailleurs (Cons. ad Mar-
ciam, 20) : « Video istic cruces non unius quidem generis, sed aliter ab aliis
fabricatas : capite quidem conversos in terram suspendere. » 11 est possible
que c'ait été par raffinement de cruauté de la part des bourreaux ; il est pos-
sible que c'ait été marque d'humilité de la part de saint Pierre, ainsi que
l'interprète la tradition, après Origène : saint Pierre n'aurait pas voulu mourir
comme le Christ (Cf. Tertullien, De Praescr, 36). Noter, à cet égard, une
variante très curieuse de la légende dons les Gesta Vetri et Pauli reproduits
dans le Codex Monacensis 14418 (du ix*) : « Rogavit rursum sibi pedes everti
et caput dcorsum ut ad caelum se venturum ostenderet » (f* 29').
— Me sera-t-il permis d'ajouter ici une hypothèse à toutes celles que l'on
a proposées déjà pour rendre compte des vingt-cinq années d'épiscopat attri-
buées à saint Pierre ; cette donnée résulterait d'une erreur du calendrier romain,
déformant le texte des listes épiscopales du ir siècle. C'était une tradition reçue
que les apôtres employèrent vingt-cinq ans à jeter les fondements de l'Eglise,
Lactance l'atteste : t Extremis teuiporibus Tiberii Caesaris, ut scriptum legi-
mus, Dominus Noster Jésus Christus a Judaeis cruciatus est, post diem deci-
mum Kalendarium Aprilium, duobus Geminis consulibus : cum resurrexiss et
die tertio, congregavit discipulos, ... aperuit corda eorum..., quoofficio reple-
to..., eum procella nubis... rapuit in caelum. Et inde discipuli, qui tune erant
undecim, assumptis in locum Judae proditoris Matthia et Paulo, dispersi sunt
per omneui terram ad Evangelium praedicandum, sicut illis magister Dominus
imperaverat ; et per annos quinque et viginti usque ad principium Neroniani
imperii per omnes provincias et civitates Ecclesiae fundamenta miserunt.
Cumque iam Nero imperarct, Petrus Romain advenit; et... convertit multos
ad iustutiam ... Qua re ad Neroncni delata,... Petrum cruci affixit et Paulum
interfecil. » {De Morte Pers. 2. — P. L, 7, 193-197.)
Il se trouve, en effet, qu'il y a vingt-cinq ans entre la date traditionnelle de
la Passion (29) et l'avènement de Néron (54). Comme on a daté l'histoire du
Christ, par un effet de perspective, relativement à la iin de cette histoire
SAINT PIERRE ET SAINT PAUL ili
de l'oubli qui ensevelissait rapidement Thistoire primitive * ;
c est, du moins, le seul fait que Ton retrouve dans la tradition
qui se forma jusqu a la fin du iv" siècle. De saint Paul, on no
peut dire que fort peu de chose : Eusèbe nous atteste à la fois
lexistence de ses gestes et leur caractère apocryphe ^ ; ils ne
nous sont peut-être accessibles que dans le MapTjpiov IlajXou ^
et dans un passage de Maximus de Turin ^. Nous fussent-ils
même parvenus tout entiers, dans leur forme originale, nous
manquerions de textes pour en expliquer la genèse : Origène
seul nous livre un fait intéressant à cet égard : c'est dans les
gestes de saint Paul qu'il lisait l'épisode fameux de Tappari-
plus importante et mieux*connue que tout le reste (saint Luc, 111. 1), [Cf. Loisy :
l.a Chronologie de M, Harnack, dans le Bulletin critique^ 5 août 1899
(p. 435-436}], on a daté sans doute, le début de Thistoire de TEgllse par le fait
le pins apparent aussi et le mieux connu, c'est-à-dire les massacres de
Néron ; il plaisait, du reste, aux chrétiens, que leur premier persécuteur ait
été ce fou furieux (« tali dedicatore damnationis nostrae etiam gloriamur »,
Tertullien, ApoL, 5). Dans la période obscure qui s*étend entre les deux dates,
on a placé avec vraisemblance la fondation du grand nombre des Eglises ;
et Ton a fait partir de la seconde date (5i) Thistoire officielle de TEglise en
général et Thistoire publique et connue des diverses églises. C'est ainsi, je
suppose, que Ton data du Tan 54 la naissance de TEglise de Rome, c'est-à-dire
la venue de saint Pierre & Rome (puisque saint Pierre avait évangélisé les
Romains, il était convenable qu'il les eût évangélisés le premier et que tout
procédât de lui). Aussitôt après avoir dit : « Apostoli ecclesiae fundamenta
fniscrunt »,,Lactance ajoute: «Cumqueiam Nero imperaret, Petrus Romam
venit » ; parlerait-il autrement si Pierre était venu à Rome, aux premiers
jours du règne? — Or c'est précisément cette date (54-55) que donne le Cbrono-
graphe. Je suppose que le compilateur aura pris pour la fin de Vèpiscopat de
Pierre la fin de son épiscopat anté-romain^ puisque Lactance permet de croire
que c'est en 54 (55) que l'on a fixé parfois et la fondation officielle de l'Eglise
romaine et la venue de saint Pierre à Rome ; et notez que les seuls textes qui
datent ce dernier fait du temps de Claude s'appuient sur les rapports plus
que douteux de saint Pierre avec Philon (Eusèbe, H. E., II, 17) et avec Simon
(saint Justin, ApoL, II). Le catalogue épiscopal de la fin du ii* siècle était
rédigé, sans doute, en termes brefs, peu explicites, obscurs; l'erreur que repro-
duit le texte du Ghronographe serait aisément explicable. Si Ton admettait
cette hypothèse, la véritable tradition romaine serait restituée : après avoir
passé vingt-cinq ans, comme les autres apôtres, dans une sorte d'épiscopat
itinérant, saint Pierre aurait définitivement fondé l'église romaine en 54, dix
ans avant qu'elle reçut, avec son pasteur, le baptême du sang.
* Cf. Acilius Glabrion, P. Graecina, saint Ignace, Télesphore, saint Justin
et tant de saints oubliés dans le calendrier.
*^ II. E., III, 3 : oùSà |iT)v xà; Xe^oiiéva; aùtoû Tcpà^Et; £v «{JLfiXsxtoïc Trapef-,
3 Lipsius, Acta Pétri... ^ 104.
^ Homélie 101 (P. L., 57, 488). « Deinde cum apud Sergium Paulinum pro-
consulem Simon Magus Paulum apostolum oppugnaret. utique Ecclesiae vas
tentabat et veneficis artibus illum quassare cupiebat ; sed tanta ab illo virtute
convictus est ut non solum artis infirmitate sed etiam oculorum cum amis-
siône caecaret et pariter illi auferret carmen et visum. »
ii2 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
tion (lu Seigneur, revenant poiu- être une seconde fois crucifié*.
Par bonheur, les textes relatifs à saint Pierre sont plus
nombreux : ils attestent clairement* que la tradition, pour
la plus grande part, n'est pas vraiment indigène. L'idée d'où
elle procède toute et qui la résume est celle d'un conflit
de Tapôtre et de Simon le Mage. Ce conflit est indiqué dans
les Actes des Apôtres. Tandis que Paul ravage l'Eglise et que
Etienne est massacré, Philippe descend à Samarie. w Un
homme, du nom de Simon, se trouvait dans la ville : il prati-
quait la magie et émeneillait le peuple de Samarie, disant qu'il
était un grand personnage. Tous s'attachaient à lui, petits et
grands, disant : Celui-là est la puissance de Dieu, celle qui est
appelée grande. Ils s'attachaient donc à lui parce que ses opé-
rations magiques, depuis quelque temps, les enchantaient. »
Mais Philippe survient qui ruine son prestige et qui parvient à
le convertir ; survient ensuite Pierre, auquel il veut acheter le
pouvoir de conférer le Saint-Esprit par Timposition des mains.
El Pierre le maudit. « Périsse ton argent avec toi, puisque tu
as cru que le don de Dieu pouvait être acquis par des richesses, »
et Simon épouvanté de cette malédiction manifeste son repen-
tir et demande à Pierre de prier pour lui 2. Le conflit de Pierre
et de Simon a donc une racine historique dans les Actes des
Apôtres, et l'on peut voir, dans les Récognitions et les Homé-
lies Clémentines^ comment le rejeton s'est épanoui.
Mais ce conflit avait la Syrie pour théâtre : comment donc se
localisa-t-il à Rome ? Il faut noter d'abord que les Aclos étaient
lus à Rome, si même ils n'y ont été composés, et que c'est le
fondateur de l'Eglise de Rome, saint Pierre, qui est mis en
* € Kl T(i> tï 9ÎX0V 7capaSéÇa(76ai to èv tat; Ila'jXou IIpâ^Eviv àvaYCYps|i|Uvov, û;
ÛICÔ Toû Sci>Tf|poc cipr|(jtivov* "AvcoOev |iiXX(d <TTavpoCa6ai, outo; cî>( lieroc Tf|V èTri-
ST)(i.tav icapaSé^cxat rbv "AvcoOsv {jiXXa> oraupoûoÔat yiv^iuvov. Comm. in Joan-
nem,t. XX (P. G., 14,600).
* € 'AvTjp 5é Ti; àvd|iaTi £i(jlu>v TcpouTcfîpxcv èv T>j ndXei {laYÉutov xal âÇtoravwv
TO eQvoc Tfjç SaixAptac Xé^cov eïvai tiv« éauxbv iJiYav, ta 7cpo<T£Îx*v icivre; «tco
(itxpoO iii>( (uyàXou Xeyovtc; 0'jt4; eortv tj Avva|itc toC 6eo*j tj xaXou(jLévT) MeyàXTj.
icpo«T6Ïxov lï avrw iià to {xavâ Xp6'^*a Taîc iiayîai; iU<rraxÉvat avrov;... 'Ifiwv tï
6 i£i|ici>v OTi lia. Tv^c i-Ki^ifTitùç T(i>v ytipîùs tu>v àT:o<rr^Xb>v StSoTat to irvev(&a irpo(rr,-
vîyxev aÙTOÎ; xP^H-^^ût Xi^tav A6ts xâjxol Tr,v èÇouertav TavTTjv Tva ta èàv èmOcS xà;
Xeipaç Xa(x@avir] Trveû(jiA âytov. IlÉTpoç tï eïirev «pb; avTbv Tb àpYvpt^v aou (tjv (toI
eir) elç âTcwXetav 6ti ttjv Supcàv tov Oeoû èv6|ii9a; 8ià xpT^P'-^tTwv xTsto^ai.... âicoxpt-
6elç Sa 6 S^picov eiicev AeriÔ7)Te û(ieî; Cirèp èjxoO irpb; xbv xupiov fiitw; (jLr|8èv è7céX6y}
iTc'éiii iv elpyjxaTe. (Actes, VllI, 9... 18... 24. — Weslcott and Horl. 1895*,
263-264).
3 Duchesne, Origines ^ 94.
SAINT PIERRE ET SAlNt PAIJL lia
conflit avec Simon. On conçoit donc que Thistoire extra-romaine
de saint Pierre se soit réfléchie et comme incorporée à son
histoire romaine ; les Romains, intéressés à la gloire de leur
patron, ne devaient-ils pas inconsciemment modeler celle-ci,
qu'ils ignorèrent bientôt, sur celle-là, qui était consignée par
écrit et dont la pureté était garantie par la canonicité du livre ?
Qui sait même si ce comédien dont parle Suétone, et qui
vivait à Rome au temps de Néron*, au temps de saint Pierre
par conséquent, ne se confondit pas bientôt, dans l'imagination
populaire, avec le mage syrien ? Ce n'est pas tout : une autre
cause contribua très efficacement à la romanisation de la
légende. Le dieu sabin Semo Sancus était vénéré dans Tîle du
Tibre, comme l'atteste la base de la statue retrouvée là même
en 15742; on y lit :
SEMONI SANCO DEO FIDIO
SACRVM
Or saint Justin raconte, après avoir donné plusieurs détails
sur Simon, qu'il fut considéré comme un dieu et qu'on lui éleva,
dans l'ile de Tibre, une statue avec l'inscription :
SIMONI DEO SANCTO
Ces trois mots se retrouvent à peine modifiés sur notre base
de statue ; c'est dans l'île de Tibre que nous avons retrouvé
celle-ci ; c'est dans l'île de Tibre que Justin a lu ceux-là : il
serait bien étonnant que ce n'ait pas été notre inscription qu'ait
lue — et mal lue — saint Justin, ou l'auteur dont il dépond.
L'erreur de saint Justin une fois commise ^, la localisation du
* Suétone ; Nero. 12 : « Icanis primo statim conatu iuxta cubiculum eius
decidit ipsuinque cruore respersit» (éd. Roth.» 173). — Cf. Juvénal, 111, 74
(éd. Hermann, 13). — Voici, d'autre part, ce qu'on racontait de Théodote: ce
qui ferait croire que les contrefaçons légendaires de TAscension étaient de
mode. fxaOdclrEp xal tov OavixAorbv ixeîvov xbv icpûTOv Tf|Ç xax' avxoùc Xeyoïxivr,;
Tcpo^Tjta^aç olov àniTpoirdv xtva 0e6SoTov icoXùc alpet Xôyo;, (ôc a(p6{JLevdv tcots xal
àvaXa|iâav6{Uvov el; oûpavoù; irapeorfîva^texaixaTaiiKTTeOfTai ivjxh"^ xû» Tf,c ànârr,;
fcve'juiaTt, xal SicncEvOévra xaxû; TeXeurfiiTai [Eusébe, H. E., V. ,16 (éd. Dindorf)*
IV, 218].
« G. I. L., VI, 567-568. Esser, Des heiligen Petrus Aufenthalt.,. (Brcsiau,
1889, in-8*), p. 68. — Duchesne, Origines, 92. — C. L. Visconti, Un Simulacvo
di Semo Sancus {Studi di slona e dirillo, 1881, 106).
3 La légende de cette statue tibérine se retrou ve-t-elle dans ce passage des
actes manichéens, oùMarcellus dit qu'il éleva une statue à Simon avec celts
8
il4 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
conflit à Rome, peut-on dire, était chose faite. Elle éveilla
sans (lout^ la curiosité populaire ; elle provoqua sans doute ce
décalque de l'histoire de Samarie, racontée dans les Actes,
dont nous parlions tout à Theure ; de fait, au début du
m' siècle, les Philosophouniena rapportant que Simon lutta, à
Rome, contre les apôtres. — (Mais Simon, vaincu par Pierre,
comme jadis par Philippe, renonce à la lutte et quitte
Rome).
Parvenue à ce second stade, la tradition n'a plus qu'un pas
à faire pour établir un rapport entre le martyi'e de l'apôtre et
son conflit avec le magicien. Ce pas fut franchi très aisément,
sans doute, sous l'influence de faits qui nous échappent. Mais
ce que les textes nous pennettent de soupçonner, ce sont les
reprises et les retouches de la légende, qui, divei'sement modelée
par des piétés différentes, s'essaye, se modifie, efl'ace ses pre-
mières ébauches avant de se fixer dans sa forme définitive. C'est
d'abord la Résun*ection que Simon tente de contrefaire, au
témoignage des Philosophouniena*, mais c'est ensuite à l'Ascen-
sion qu'il s'essaye, au dire d'Arnobe^ (vers 305), de saint Cyrille •'*
(vers 350), des légats de Libère* (vers 355), et d'Ambroisc^
(vers 389) ; c'est enfin à la contrefaçon de l'Ascension que la
légende s'arrête; mais elle se dédommage en faisant mie petite
place au démarquage de la Résurrection. — Et, pendant que la
légende se développe ainsi et se transforme, s'enfonçant peu à
peu dans les imaginations romaines, elle semble prendre
racine aussi dans le sol romain. On se montre, sur la Voie
Sacrée, quatre pien'es qui présentent un aspect particulier : ce
sont celles sans doute sur lesquelles s'est fracassé Simon ^. Et
l'on décrit la route qu'a suivie saint Pien*e en s'échappant de
la Maniertine, parla Via Nova, le titulus Fasciolae, la Via et
dédicace : Simoni iuveni deo (Lipsius, Acin Petri^ 57); ou bien ce passage
dépend-il d^Irénée, d'après lequel les Simoaiens élevaient des statues à leur
fondateur?
» VI. 20.
8 « Viderant enira (Romani) currura Sinonis Magi et quadrigas igneas
Pétri ore diCTatas et noniinato Chrlsto evanuisse. »
a Cat., VI, 14-1.;.
* P. L., 13, 765 : « Sicut in adventu bc.itissiuiorum apostolorum glorificatur
Dei nomen in ruina Siuionis. »
^ HejLameron, IV, 8.
« « In quattuor parles fracliis quattuor silices adunavit qui sunt ad testi-
nionium victoriac apostolicae usque in hodiernum diera. » (Gestes de Pierre
et Paul; Lipsius : Acta Pctrl, 167).
SAINT CALLISTE 115
la Porta Appia* : sa délivrance miraculeuse des prisons d'Hérode
en a sans doute suggéré ici, par Teffet de Tincessant recoiu^
aux Actes, une réplique à peine voilée 2. Apres Toubli des orgies
sanglantes du Vatican que dépeint Tacite, et oii Néron crucifia
saint Pierre, la légende s'est formée peu à peu autour du
conflit samaritain de Tapôtre et de Simon racontée par les
Actes.
2. a Au temps de Macrin et (T Alexandre y le consul Palma-
Gestes « tius impute aux chrétiens l'incendie crime partie du Capitale
e s.Calliste. ^^ ^^ divers incendies partiels; les soldats qu'il envoie saisir
« Calliste, dans le TrasteverCy sont aveuglés; une vierge
« sacréCy Julianay.est saisie par le diable le jour d'unsacri-
« fice solennel, si bien que Palmatius se fait baptiser par
« Calliste dans le quartier des Ravennates, ainsi que sa
« femme et quarante-deux personnes de sa fnaison. Palma-
« tiuSy arrêté par le tribun Torquatus, confesse le Christ
« devant Alexandre, est confie au sénateur SimpliciuSy guérit
« Blanda, femme de Félix, convertit Simplicius et sa famille,
« que baptisent le prêtre Calépode et Févêque Calliste. Calé-
« pode est décapité aux kalendes de mai; son corps, jeté au
« Tibre, en est retiré et enseveli au cimetière qui porte son
« nom, le 6 des ides de mai. Calliste se cache dans la maison
« de Pontien, au quartier des Bavennates; il convertit le
« soldat Privatus, mais est découvert et jeté dans un puits.
« Le prêtre Asterius lensevelit au cimetière de Calépode,
c< Voie Aurélia, la veille des ides d'octobre. »
L église de saint Calliste existe encore; (elle est mentionnée
dès 352''^); les gestes de Maris et de Marthe Tattestent'*. Le
■ 2 juiUet, 304: « Exeuntes ergo... per viam quae Appia nuncupatur, ad
portam Appiam perveoerunt...» Gestes de Processus.
3 Actes^ Xil, 6 12. — Noter que la légende, incertaine dans sa croissance,
appliqua d'abord à Pierre et à Paul des épisodes qui finirent par demeurer la
propriété exclusive du premier (cf. supra, p. 111, l'apparition du Seigneur à
saint Paul et saint Paul aveuglant Simon). — Dans les gestes de Sérapie et
Sabine (29 août, 500), on lit: « te inuoco. Domine Jesu Christe, qui sanctos
apostolos in carceris custodia detentos clausis ianuis visitasti et confortasti. »
Aucun texte, à ma connaissance, ne raconte que Pierre et Paul — c'est d'eux
évidemment qu'il s'agit — aient été, dans une même prison, réconfortés par
I une visite du Christ: il y a peut-être ici la trace d'une tradition disparue.
3 Duchesne, Mélanges^ VII, 226. Elle a été fondée par Jules.
« 19 janvier, 580-581, § 4.
116
ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
quartier des Ravennatos, ttrbs Ravennatiam, aussi appelé
Castra Transtiberim *, non loin de la Naumachiae regio*^, tirait
son nom de ce fait que le détachement de la flotte de Ravenne
séjournant à Rome, y avait son quartier ^^ La date de Tanni-
versaire, le lieu de rensevelissement de Calliste, sont attestés
parle Chronographe '*, le férial'», les Itinéraires^' et les décou-
vertes récentes : le cimetière de Calépode et les ruines de la
J)asilique céuïétériale de saint Calliste ont même été retrouvés,
via Aurélia ^. L'époque et la réalité du martyre que peuvent
faire contester la i)oli tique bienveillante d'Alexandre Sévère,
et le changement de sens du mot martyr s'expliquent peut-être
par une émeute popidaire, dans laquelle le pape aurait été mas-
sacré^. « La comparaison entre les actes, si faible qu'en soit
l'autorité historique et diverses cir(*onstances de temps et de
lieu, nous fait comprendre de quelle nature fut le martjTO.
Calliste fut précipité, dit la légende, d'une fenêtre dans un
puits, au Trastevere, et son corps fut ensuite porté en grand
secret dans le cimetière de Calépode. Ces violences, d'un
caractère tout à fait illégal, ne peuvent avoir eu lieu d'après
l'ordre d'Alexandre Sévère. Mais... l'ensemble de ces faits
certains persuarle que la mort <le Calliste... dut arriver à la
suite d'une féroce émeute dos païens ^. »
3.
Gestes
de sainte
Cécile.
« Cécile^ femme très illustre, décide son mari Valérien à
^ respecter sa virginité et le convertit au christianisme ainsi
« que Tiburce son frère ; elle les fait baptiser tous deux par
« le pape Urbain, Malgré les ordres de V empereur, ils ense-
(( velissent les corps des 77iartyrs; dénoncés et amenés devant
« le préfet Tvrcius Almachius, ils confessent leur foi an
« champ appelé Pagus et convertissent le cornicularius
1 Dans les gestes de Maris et Marthe.
« Citée dans les gestes de Sébastien et de Pierre.
3 Cf. article Canlm de Vaglieri (Ruggiero : Dizionario epigrafico, 11, 138).
4 Cf., sitpi^a p. 21. Galisti, in via Aurélia, mil 111.
'• F. n., p. 132. Uoiuae, via Aurélia, in ciuiiterio Calepodi, Calisti epi.
« R. S., I, 182-183.
7 Dans la vigne de Lamperini.
« Pourtant le martyre de Calliste doit être considéré comme douteux, en
raison de la nécessité où se trouvaient les catholiques de l'égaler à llippolyte,
son rival, qui était martjT. [Cf. Philosophoumena, IX, 11. Tertullien : De Putli-
citia 23 (P. L., 2, 1021)j.
De Rossi, Bull., 1866, 93. Cf. AUard, 11, 201.
SAINTE CECILE 117
« Maxime. Irrité de la rêàistance qu'il rencontre^ le préfet
« fait décapiter Valérien et Tiburce avec le nouveau prosélyte
« que Cécile ensevelit à côté de son mari et de son beau^
« frère. Elle continue de prêcher la foi nouvelle^ comme le
« pape Urbain de baptiser les nouveaux convertis^ parmi
« lesquels rUlustrissime Gordien. Arrêtée enfin et conduite
« devant Almachius, elle est condamnée et égorgée dans sa
<( maison y le 22 novembre; le pape Urbain l'ensevelit au
« milieu des autres évêques, ses collègues, et transforme sa
« maison en église, »
Le groupcinout do ces martyrs, la date de leur anniversaire,
la localisation transi ihérine de lenr culte, est confirmée et pré-
cisée par une famille des manuscrits hiéronymiens ^ et par un
passage du Liber Pontificalis'-. Le premier texte associe la
vierge Cécile à Valérien, Tiburce et Maxime, et date leur
fête du 22 novembre (X. ktd. dec.) ; le se<'ond atteste que
ces saints étaient vénérés, à ce jour, dans Téglise du Traste-
vere qui subsiste encore, dès le temps du pape Vigile (537-
555).
Mais le manuscrit qui nous donne le meilleur texte du
calendrier isole de se.s compagnons la Caecilia'^ du 22 novembre,
sans doute celle qui reposait Voie Appia, dans la chapelle
des Papes ; mais ce même manuscrit, ainsi que ceux des deux
autres familles — Taccord est remarquable — font d'un saint
Caecilius le titulaire du culte transtibérin, à la date du 17 no-
vembre '* ; il paraît que les données de cette histoire sont
moins solides qu'elles ne le senddent d'abord.
J'incline à croire que le groupement des martyrs est pri-
1 € X KL. DEC. Roui caeciliae virginis v.ileriani tyburli nmxinii » {Cod.
Wissenb. Rossi-Duchesne, p. 146).
2 « Qui Anthemius scribon veniens Romae invenit eum (Vigilium) in ecclesia
sanctae Caeciliae X. KaL déc. » (L. P., 1, 297, in Vigilio, 537-;ir)5.)
^ « X K. dec rom caeciliae et in alax felicis zeti... {Cod. Eplern. Rossi-
Duchesne, p. 146).
* Cod. Bern. Cod. Eplevn. Cod. Wissenb.
XU KL. DEL XV K dec. . rom Iran- XU KL • DEC...
sitae I herabe ceciU Romae trans libère Nat
nicom sci ceciH In niconiedia
ROME. Translibe
re. caecîHi
IN NICOMED. ^Rossi-Puchesnc, p. 144,)
ii8 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
lïiitif; que ranniversaire et la localisation transiihérino sont
dérivés. L'association d'une sainte Cécile aux saints Valérien,
Tiburce et Maxime est attestée clairement par le calendrier, le
11 août* ; et le Codex Bemerisis, dont on sait Timportance au
point de vue de la topographie sacrée, rattache ce groupe à
la Voie Lavicane, iîiter duas lattros; et nous trouvons dans
ces pai'ages, — exactement Voie Tiburtine, cinquième mille —
un oratoire dédié à sainte Cécile, au temps de Zacharie (741-
752)2. Il est difficile de ne pas croire qu'un groupe Cécile-
Valérien-Tiburce-Maxime ait été vénéré, le 11 août, entre la
Tiburtine et la Lavicane. Il aura été attiré au Trastevere parce
que le Caecilius du 17 novembre a été bientôt confondu, sans
doute, avec la Caecilia du 11 août : Thomonvmie des noms
l'explique, et aussi le prestige des mart^'rs du cycle de
saint Laurent, vénérés précisément les 10 et 11 août, Voie
Tiburtine, qui faisaient tort aux autres martyrs de ces mômes
jours et de cette même région ; et enfin ce fait que, le
22 novembre, à Ostie^, étaient vénérés, le même jour que la
sainte Cécile Appienne^ un saint Valérien, un saint Tiburce,
un saint Maxime, associés, il est vrai, à un saint Demetrius et
à un saint Honoratus. Comment les dévots des martvrs dé-
laissés du 11 août n'auraient-ils pas été heureux d'échapper
au voisinage dangereux des compagnons de saint Laurent;
comment ii'auraient-ils pas été heureux de s'installer dans
cette église du Trastevere — qui portait, sans doute, le nom
de son fondateur Caecilius?
L'époque du martyre peut être fixée avec assez de vraisem-
blance. Ce n'est pas l'époque d'Alexandre Sévère (222-2îi5).
On ne saurait s'appuyer sur la mention du pape Urbain (222-
230), qu'il faut distinguer de l'Urbain, compagnon de Cécile ;
1 m IDUS. AGS. III id. a^ rom nt tiburti III ID. AG. Rom nt
ROME. UIA LA ualeriani caeciliae scorum tiburti ualeria-
uicana. Int duos susannae | ni caeciliae virg.
lauros Tyburty.
ualeriani. et ceci
lie uirginis. (Rossi-Duchesne, p. 101.)
* « ... Praedium... situm quinto ab bac Romnna urbe miliario, via tibur-
Una, in quo et ovatotnum sanctae Caeciliae esse dinoscilur... » (L. P., I, 434.
In Zacharia, 741-732.)
^ X K. dec rom caeciliae et iu alax felicis zeli et in ostea demetri et hono-
rati valeriani tiburti maximi. Il y a d'autres Caecilia dans le fcrial, même à
Rome (Rossi-Duchesne, 69, 121). Le sacramentaire Léonien dépend de nos
gestes (Feltoe, p. 149).
SAINTE CÉCILE i\9
la dualité de ces personnages est fondée sur la dualité de
leurs tombeaux qui ont été retrouvés*. C'est parce qu'ils
ont été confondus que Cécile a été placée au temps de Sévère.
Deux autres faits ont facilité, du reste, Tattribution de la sainte
à cette époque : la proximité de Téglise de Saint-Calliste, mort
en 222, grâce auquel le souvenir des empereurs illyriens a
déjà pris racine dans le quartier du Trastevere ; la confusion
du Gordien 2 des gestes avec le prêteur urbain, qui devint
plus tard consul en 229 et empereur sous le nom de Gordien III
en 232 et qui avait été mêlé au procès intenté par TEglise
romaine à la corporation des cabare tiers. Ces deux faits con-
tribuèrent sans doute à affermir la croyance que Cécile était
morte au début du m* siècle ^.
La vérité, c'est qu'elle vécut et mourut sous Marc-Aurèle :
la date du martyre doit être placée entre l'élévation de Com-
mode à la dignité d'auguste et la mort du grand empereur,
c'est-à-dire entre juin 177 et mars 180 : « Cette date est sug-
gérée par une indication précieuse du martyrologe d'Adon. Le
compilateur du ix' siècle termine un résumé des actes de la
sainte par ces mots : Passa est beata virgo Marco Aff relia et
Commodo imperatoribtis. Cette phrase ne saurait être de l'inven-
tion d'Adon, car elle contredit d'autres passages de son récit.
Ainsi il croit que l'évoque Urbain est le pape de ce nom,
contemporain d'Alexandre Sévère. Pour être logique, il eût
t Allardf I, 427-439. Nous noua rangeons comme lui à la solution proposée
par de Rossi : R. S., 11,XXXV11 et 150. Il nous paraît très difficile d'admettre
qu*un contemporain de Symmaque, ayant à dater un martyr, ait préféré
Marc-Aurèle et Commode à Dioclétien, Déce ou Valérien.
* Comme le remarque Neumann, nous n'avons aucun indice d*une inscrip-
tion mentionnant Gordien à Sainte-Cécile ; TinscripUon aurait peut-être gêné le
développement de la légende; conçoit-on une inscription n'étalant pas tous les
titres du personnage? — Malgré Tavis de M. Erbes, dans son très beau mémoire
sur sainte Cécile, nous la plaçons à Tépoque de Marc-Aurèle. Lorsque le
rédacteur dit qu elle a été ensevelie dans la chapelle papale, c'est le langage
de son temps qu'il parle; et M. Erbes n'a rien à tirer du fait que cette cha-
pelle n*a été affectée aux papes que lorsqu'on eut à ensevelir Pontien et Ante-
ros. Il est vain, étant donné ce que nous connaissons de la grande catacombe
appienne, de prétendre que sainte Cécile n'a pu y trouver une sépulture; il
est très probable que sa famille possédait là un domaine funéraire (R. S ,
II, 143-157). Et il est impossible d'expliquer la donnée d'Adon, si l'on ne veut
pas qu'il Tait prise dans une recension aujourd'hui perdue (Cf. Erbes : Lie hei-
lige Caecilia im Zusammenhang mit der Papstcrypla sowie der dllesien Kirche
Roms. — Z. S. fur Kirchengeschichte, IX Band. 1 lleft. 1887, p. 1).
3 Croyance attestée aussi par ÏEpilome Carlhaginiensis (M. G. Chronica
Minora I, 494).
420 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
dû reporter au règne de cet empereur le martyre de la sainte.
Il ne le fait pas, mais reproduit, au contraire, une formule
chronologique incompatible avec cette date. Cette formule
provient évidemment d'un document qu'Adon eut sous les
yeux, et ce document est indépendant des Actes. » Ce qui
nous autorise à y ajouter foi, c'est qu'il est en harmonie par-
faite avec certains faits bien établis. Le trône occupé par deux
empereiu-s, la sépulture refusée aux martyrs, la citation
presque textuelle des rescrits d'Hadrien et de Marc-Aurèle^,
ces traits réunis conviennent à la fin du règne de ce dernier
souverain, tandis que, dans le cours du siècle suivant, la men-
tion des deux rescrits par le magistrat eût été un contresens :
la situation légale des chrétiens avait totalement changé.
La réalité du martyre d'une Cécile peut être déterminée avec
certitude 2. Ce qui le prouve, ce n'est pas l'emplacement du
tombeau retrouvé auprès de la crypte papale, dans une area
appartenant aux Caeci/ii; le fait lui-même inviterait plutôt à
croire le contraire : on aurait imaginé le martyre pour expli-
quer la place d'honneur occupée parla sainte auprès des évoques,
sans penser que ce furent les évêques qui furent ensevelis
auprès de la chapelle privée des propriétaires primitifs de la
catacombe. Mais cette certitude qu'infirmerait plutôt la décou-
verte du tombeau, elle nous a été rendue par la découverte d'un
cadavre. En 822, Pascal I" trouva une Cécile dans un cercueil
de bois de cyprès, revêtue d'une robe tissue d'or, des linges
sanglants roulés aux pieds, et la transporta lui-môme dans la
basiUque transtibérine^. En 1599, pour la seconde fois, le
corps fut mis au jour devant Baronius^ et Bosio^: sur la robe
d'or, on voyait encore les taches de sang, et la tête était à
moitié détachée du tronc.
1 « Ignoras quia domini nostri invictissimi principes iussenint ut qui non
negaverint esse christianos, puniantur; qui vero negaverint, dimittantur. »
Sur le rescrit d*Hadrien à Minucius Fundanus, cf. Allard, I» 239 sq.
^ Quoi que dise Neumann, p. 310.
3 L. P., 11,56... «Aureis illud vesUtum indumentis*, cum corpore venerabi-
lis sponsi Valeriani, pariterque et linteamina martiris illius sanguine plena. »
* Baronius, Annales, 821, 1 12-19.
^ Bosio, Historia passionis sanclae Caeciliae.p. 155, 170.— C'est sans doute à
Prétextât qu'eut lieu l'invention des reliques par Pascal (L. I. II. 56} : il y avait
donc eu peut-être une première translation de Calliste à Prétextât. — Mais
comme il y eut vraisemblablement un certain nombre de Caecilia chrétiennes
et plusieurs Caecilia martyres, il est très possible aussi qu'il y ait eu confu-
sion de cadavres.
SAINT CIIRYSOr.ONE ^21
4. « Anastasie , fille du Romain Prétextât vir illustris est ins-
Gestes de « truite par Chtysogone^ qui a passé deux années dans la
Chr^offone. " ^^^^9^ de vicaire et a gagné au Christ le vicaire Rufinus et
M sa famille ; il la réconforte par ses lettres lorsque son mari
« PuhliuSj avec lequel elle a cessé la vie commune, apprend
« qu^elle est chrétienne et la persécute; il dirige son zèle
« charitable, lorsque, Publius étant mort, elle donne sa for-
« tune aux pauvres. Survient alors la persécution de Dio-
« clétien, qui ordonne de tuer tous les chrétiens. Chryso-
« gone, quil se réserve et quil fait conduire à Aquilée oi\
« il se trouve, refuse la préfecture et le consulat, n dignité
« de sa famille »; conduit ad aquas Gradatas, il est déca-
ti pitéy son corps, jeté sur le rivage, est enseveli iiuta pos-
« sessionem quae dicitur ad saltus, où demeurent trois
« vierges, Agape, Chionia et Irène, par le saint vieillard
« Zoïle, dans sa demeure, suh interraneo cubiculo: celui-ci
« retrouve la tête du saint et meurt à son tour après que le
« Christ lui a annoncé le prochain martyre des trois vierges et
« celui d^Anastasie. Chrysogone a été décapité le 23 novembre
a [sub die nono kal. decemh.) et a été enterré le 27 [sub die
« quint 0...) »
La légende déguise à peine Thistoire. Que Chrysogone ait été
décapité à Grade, comme elle Tassure, ou bien ailleurs, il
reste que c'est un saint d'Aquilée, ainsi qu'elle le raconte :
le férial l'atteste. La donnée qu'elle fournit relativement à
la date est exacte, à un jour près; le môme document le
prouve; Tinexactitude s'explique aisément par une en^eur de
transcription.
La romanisation un peu vague et comme diffuse de la lé-
gende s'explique aussi historiquement : il y avait à Rome, il
y a encore, au Trastevere, une église de Saint-Chrysogone
[titulus Chrysogoni), attestée à la fin du v° siècle par les signa-
tures du concile de 499 ^ Le culte du saint d' Aquilée a été
importé sans doute, dans la première moitié du v* siècle, en
même temps que celui des saints de Milan, Gervais et Protais,
auxquels la matrone Vestine élevait une église (vers 417)**^;
• • •
1 Duchesne, Mélangea, VII, 227.
Gestes de « Jd. 223. — Le codex Camotensis 190 (XIII-XIV) nous a conservé un
saint Rufus. texte distribué en trois leçons, relatif à saint Rufin. « Dioclélien ayant
« entendu parler de Grisogonus », « viri inter contemporaneos clanssimi r>. le
122 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
ce qui explique la donnée du férial hioronyniicn [codex
Epternacensis)^ au 24 novembre :
« Rom nt crisogont. »
De la genèse de la légende nous ne pouvons rien dire.
Triililions
ii.v. r-es. Le pons lapideus des gestes de Simplicius et de Viatrix,
le pons maior des gestes de Vibbiane, ne sont qu'un seul et
même pont, semble-t-il, qu'il faut identifier avec le Ponte
Rotto d'aujourd'hui ^
Vifisula Lycaonia des gestes de Calliste, d'Eugénie, des
Mai'tvi's Grecs, de Maris et Marthe 2, est la fameuse île du
Tibre ', où s'élève l'église de Saint-Barthélcmy ; l'expression
populaire insida Lycaonia est en rapport avec des légendes
aujourd'hui perdues, qui s'étaient épanouies sans doute autour
des anciens temples subsistant alors'».
« retint deux ans en prison : e ^ pendant ce temps, par ses parûtes et par ses
« lettres, Grisogone reconfortait tes confesseurs. Il convertit ainsi un vicaire
« liufus, chez lequel il était détenu. Après sa mort, Dioctétien revint d\iqui-
« lie à Rome ; apprenant la conversion de Ru fus, ne pouvant vaincre sa
M constance, il le fit mettre à mort, IIII ttal. decemb. » Les mêmes événe-
ments sont rapportés, en résumé, par Adon, à cette même date (P. L., 123'-
405). Il faut probablement voir dans ce vicaire RuPus, le vicaire Rufinianus de
nos gestes : les Romains employaient volontiers Tun pour Tautre Rufus et
Rufinianus, Faustus, Faustinus et Faustinianus, Clementinus et Clementia-
nus (de Rossi: Rull., 1869, 7. — R. S., III, 657). L'hypothèse est vérifiée par le
codex Vindohonensis 357, folio, 81* : on y lit, non Rufinus, mais Rufus.
> Kummer, De Urbis Romae pontibus antiquis. Schalke, 1889, p. 24. —
Allard, IV, 368.
« 14 octobre 401. — P. L., 21, 1105. — R. S., III, 202. — 19 janvier 578.
3 Tile-Live, II, .*». — XI, sommaire. — Denys d*Ilalic., V, 13.— Suétone, Claude
25. — Cf. M. Uesnier, De Insuta Tiberina (à paraître).
^ On ne sait à quelle époque précisément fut ouverte Téglise Saint-Nicolas
in Carcere, établie dans ou près l'insula lycaonia ; elle date sans doute de
Tépoque byzantine. Qui sait si lycaonia ne serait pas une déformation de
nicalonia? Noter que le coJex Vindobonensis 357, folio 71'-78% 2* colonne,
quatrième ligne (bas) porte « in liberim ante insulam nichaoniam. y> — D'autre
part, d'après le Rreviarium Apostolorum, saint Barthélémy aurait évangélisé la
Lycaonie ; est-ce que cette donnée ne serait pas la cause de la localisation du
culte romain de saint Barthélémy à Tinsula Lycaonia? ou ne serait-ce pas
plutôt le contraire? Nous avons démontré ailleurs que le Rreviarium et les
Gesta Rartholomaei avaient été rédigés à Rome au début du vr siècle {De
Manichaeismo apud Latinos F-V7* saecul. 2* partie, chapitre III].
SAINTE VIBBlÂNE 123
II
Comme les traditions du Trastevere, les traditions chré-
tiennes de la ville haute*, localisées dans les quartiers qui
s'étendent sur la lisière orientale de Rome, illustrent toutes les
origines des églises qui s y sont établies : sainte Vibbiane, saint
Eusèbe, sainte Praxède, sainte Potentienne, sainte Susanne.
i. « Pigmeniusa été le maître de Julien dans son enfance;
Gestes de « F/aviantis, ancien préfet, se convertit avec toute sa famille ^
ste I lane. ^^ Dafrosû sa femme j Demetria et Vibbiane ses filles; il est
« dénoncé à Julien pour avoir recherché les corps de Crispus,
« Crispinianus et Benedicta, mis à mort, la nuit, dans leur
'< maison, ainsi que le lui ont révêlé Jean et Paul ; ses biens
a sont confisqués, lui-même exilé ad Aqttas Tauranas, via
« Claudia, au 60* mille : il meurt tranquillement le 2 des ka-
« lendes de janvier, Dafrosa est confiée à t(n certain Faustus
« son parent, qui doit la ramener au paganisme ; iuais c'est
a lui qu^elle gagne au Christ, Faustus, traduit devant Julien,
« meurt subitement en sa présence, le 6 des ides de juillet, et
. « est enseveli par Dafrosa dans sa maison, à lui, à côté de la
a domus sanctorum iohannis et pauli peu après, elle rend
« rdme à son tour, aux ides de janvier, — Julien se fait alors
« présenter ses deux filles : Demetria, qui meurt de peur en
a sa présence, Vibbiane, qui est confiée à une femme sacri-
« lège Rufina, Elle ensevelit Demetria dans sa demeure, à
« côté de Dafrosa sa mère, résiste aux instances de Rufina, et
« est à peine soumise à la torture qu'elle rend Pâme, Son
« corps est recueilli au forum Tauri par le prêtre Jean et
« est enseveli par lui dans sa maison, à côté de sa mère et
« de sa soBur, dans un cubiculum, à Rome, ad caput Tauri
« iuxta palati licinianum, ad formam claudiam, le 4 des
1 Ce n'est pas arbitrairement que nous groupons ensemble les traditions
de la ville haute. Cette région a une physionomie distincte et une : ce sont les
Monii ou les CoUi; cf. ce que dit M. Gatti, qui est désintéressé dans la ques-
tion : « Quella vasta zona, che dalla Via Venti Settembre si estende alla Piazza
Viltorio Emmanuele ed ove sono sepolti i docuuienti délia più arcaicaciviltà ed
arte latina... {Atti del sesto Congresso Storico, p. 247}.
124 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« nones de décembre. — Jean et Pigmenius avaient coutume
« de se rencontrer dans la maison de Vibbiane, Jean est dé-
« capite, sans même avoir été entendu, Voie Sa/ara^ devant
« la statue du Soleil, au Clivus Cucumeris ; il y est enseveli,
« dans une crypte, par le prêtre Concordius, iuxta concilium
« 7nartyru?n, le 8 des /calendes de janvier. Quant à Pigmenius,
« revenant à Rome, aveugle, après quatre ans de séjour en
a Perse, il croise Julien sur la Voie Sacrée, l'insulte, est jeté
« da?is le Tibre; son corps, recueilli par la matrone Candida,
« est enseveli par elle dans une crypte du cimetière de Pontien
a le i2 des kalendes de mars. Après la mort de Julien ^ une
<c parente de Flavien, appelée Olympia, recherche dans sa
« demeure les corps de Dafosa, Demetria et deVibbiane ; elle
« la transforme en une basilique quon appelle Olympina et
« y demeure jusqu'au temps de Vévêque Sirice. Ici finit la pas-
« sion qu'a écrite Donatus, subdiaconus regionarius sanctae
« sedia apostolicae. »
Il est évident que les gestes reproduisent la légende de
fondation de Téglise Sainte-Vihbiane, consacrée par Simplicius
entre 468 et 483 *.
Que cette église ait été d'ahonl une habitation privée, cVst
ce que nous invitent à croire et Thistoire de la fondation de
saint André, à la même éjx)que ''^, et notre connaissance topogra-
phique de coUg région de Rome : là s'étendaient les jardins de
P. Licinius Gallienus, désignés sous le nom de palatium lici-
îiianum^; notre texte confirme du reste cette hypothèse.
Que cette église ait été consacrée au cidte, avant d'être dé-
diée à sainte Vibbiane, c'est ce que peut indiquer le texte du
Liber Pontificalis : « hic. dedicavit... aliam basilicam intra
urbe Roma », et c'est ce qui ressort du texte des gestes : la
maison de Dafrose, Demetria et Bibbiana, devint la basilica
Olympina,
Il est aussi facile de vérifier l'exactitude d'une autre indica-
tion topographique contenue dans les gestes. Le forum Tauri,
le caput Tauri intra formam Claudii et Palatium Licinii^ se
» L. P., I, 249.
2 Id., I, 249, 2:iO, note 2.
3 BuU... Communale, 1874, p. o5. — Nibby, Aulica, 11, 238.
* Bosio, p. 384 ; — Aringhi, H, 124 ; —Jordan, II, 3!9.
SAINTE VIBBIÂNË 12S
trouvent non loin de Téglise Sainte-Vibbiane et de la porte
Tiburtine*, tout près des propriétés de T. Statilius Taurus^.
Mais, en quittant ces questions de topographie locale |K)iu*
aborder l'analyse de la formation légendaire, nous quittons le
domaine dos certitudes pour entrer dans celui des hypothèses.
Aucun texte antérieur à nos gestes ne mentionne les mar-
iyr& dont ils retracent Thistoire. Le prêtre Jean est certaine-
ment le prêtre ensevelisseur des persécutions dioclétiennes ; — :
ce qui nous donne la date probable des martyrs. Pigmenius
vient de la Voie de Porto (cf. infra) et Flavianus, de la Voie
Claudia,jarf Aquas Taurianas; je soupçonne fort que Faustus
n'est qu'une transformation du Faustus, qui, au temps de
Symmaque, combattit seul pour l'Eglise ^ et qui dut bénéficier
de la vénération qui s'attacha au pape dont il défendit la cause
avec tant d'ardeur'*. De Dafrose, Demetria et Vibbiane, Ton no
saïu-ait rien dire.
Entrevoit-on, du moins, pourquoi ces saints ont été groupés
ensemble et placés à 1 époque de Julien, puisque le silence des
auteurs du iv* siècle nous empêche de penser qu'ils aient
effectivement souffert alors? Il est à croire que c'est la
découverte de trois corps, reposant à l'intérieur de la ville
comme ceux des saints Jean et Paul, qui suggéra à plusieurs
que le même emplacement de sépulture s'expliquait par le
même genre de mort, sous le règne du même persécuteiu* aux
allures perfides et secrètes. L'influence des fameux martyrs du
Celius est manifeste : le rédacteur de Vibbiane les avait lus, il
les a sans doute corrigés (Cris pus, Crispinianus et Benedicta).
Mais faut-il admettre que c'est au temps de Simplicius que
fiu'ent trouvés trois corps de femme dans la basilica Olym-
pina ? L'hypothèse pourrait rendre compte du changement de
nom du titutus^ du groupement des saints principaux, enfin de
l'époque qui leur a été assignée. Elle se heurte, il est vrai, à
deux difficultés : le silence du Liber Pontificale, qui est assez
1 Cette-^porte était désignée au moyen âge sous le nom de Porta Taurina
(Cf. UrUchs: Codex lopogr., 113, 127, 135, 141, loO).
^ Entre saint Eusèbe et la porte Tiburtine, on a trouvé un cippe délimitant
les horti tauriani (Lanciani, Bul. Comm., 187i, p. 57; — Visconti, ïrf.,^187o,
p. 15:i; — deRossi, Bull. Comm., 1890, p. 283). Sur le cippe funéraire de Publius
AElius Taurus, on avait sculpté un taureau. C. I. L., VI, 9011.— (Cf. C. I. L., VI,
1875, les Aper). — Guasco, Musco Capilolino^ li3.
3 L. P., 1, 96, 98, 260-261.
* Cf. infra^ Gestes de Gordien.
de saint
Eusèbe.
426 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
surprenant, le silence surtout du sacram en taire Léonien, qui
parle, avec une si solennelle émotion, de la sépulture « intra
urbem » de Jean et Paul, et ignore jusqu'aux noms de Vibbiane,
Demetria et Dafrose. Néanmoins le peu de diffusion de chaque
légende *, la composition particulière du sacramentaire Léonien,
doivent nous empêcher de conclure. Il se pourrait que la décou-
verte des corps fût survenue seulement au temps de Symmaque
ou d'Hormisdas.
2. « Au temps où Libère et Constance persécutaient les
Gestes « catholiques partisans de Félix^ un prêtre^ Eusèbe ^^osa leur
« tenir tête ; enfermé dans une étroite cellule^ il y mourut.
« Grégoire et Orose^ prêtres^ qui étaient ses parents^ Pense-
« velirent le 19 des kalendes de septembre^ Voie Appia, au
« cimetière de Cal lis te, à côté de saint Sixte et inscrivirent
« sur sa pierre : « Eusèbe, homme de Dieu ». Pour se venger,
« Constance enferma Grégoire dans la même cellule et Pg
« laissa mourir de faim ; Orose recueillit son dernier soupir
H et r ensevelit à côté d' Eusèbe ; et la persécution de Corn-
« tance et de Libère continua son cours, »
Rien ne confirme, rien n'infirme les données de la légende
quant à l'emplacement du tombeau du prêtre Eusèbe. Celui qui
est mentionné par Damase^ et les Itinéraires^ est le pape de
ce nom, qui reposait dans une crypte, assez éloignée de la
crypte papale '*. Mais la précision du détail donné par les gestes
invite à en admettre l'exactitude ; tout le monde pouvait contrô-
ler la teneur de Tinscription que rapportait le rédacteur.
La date qu'il donne se retrouve dans le férial, suivie de ces
mots : tituii conditoris, La date est donc certaine. Et il appa-
raît clairement que ces gestes, comme ceux que nous avons
étudiés déjà, prétendent raconter l'histoire du saint,' titidaire
do l'église de ce nom, attestée dès 499^.
Quant aux détails qu'ils rapportent, ils sont empruntés à la
légende de Félix et de Libère rapportée par le Liber Ponti-
> Cf. infraj Gestes de Clément,
î Ihm, 18, p. 25.
3 De Rossi, R. S , I, 180.
* Rossi, ft. S., Il, 195. — L. P., ï, 167, note 3.
^ Mentionnée aussi en 593. — On a l'épitaphe d'un lecteur de TEglise au v*.
Cf. Bu//., 1882, p. 112.
F
SAINTE POTENTIEISNE 127
ficalis ' : si Libère, qui fut aussi populaire de son vivant que
Félix le fut peu, prit bientôt dans l'imagination populaire la
place qu y occupait son rival, c'est que celui-ci fut peu à peu
confondu avec le saint Félix de la Voie de Porto. — Mais pour-
quoi le souvenir de FEusèbe inconnu qui avait donné son nom
au titulus — sans doute, parce qu'il l'avait fondé, ainsi que
l'indiquent les analogies, ainsi que le prouve le férisd, — pour-
quoi fut-il mêlé à ces histoires ? Le plus simple est d'admettre
qu'un Eusèbe était mentionné dans les traditions confuses qui
couraient sur saint Félix.
3. « Le prêtre Pas t or écrit à Timothée^ le disciple de saint
Gestes ^^ Paul, pottr savoir s'il confirme la donation que Novatus, son
Potentlenne *^ f^ère, a faite de tons ses biens à lui-même^ Pastor^ et à
et Praxède « Praxèdcy sœur de Pudentienne^ fille de Piidens^ également
.etdePastor). „ disciple de Paul; ce Pudens a changé sa tnaison du Viens
a Patricus en un titulus Pastoris^ auquel Pie a joint un baptis-
« tere, Timothée répond en ratifiant la donation de son
« frère. — Pastor reprend alors la parole et raconte comment
« les thermes de Novatus ont été changés en une seconde
« église^ le titulus Praxedis. »
Cette légende illustre la fondation des deux basiliques
qu'elle mentionne. On peut indiquer avec certitude quels faits
historiques elle représente; on peut indiquer avec vraisem-
blance quelles évolutions successives elle a subies.
Les faits historiques, germes des traditions, sont le double
rôle que jouèrent dans la primitive Rome chrétienne, les deux
famiUes des Acilii Glabriones et des Cornelii Pudentes.
L'œuvre des premiers se résume toute dans la fondation du
cimetière de Priscille : les dernières découvertes de de Rossi ont
rois hors de doute que l'hypogée privé des Acilii a été le pre-
mier noyau de la fameuse nécropole salaricnne'^. Or, on sait
qu'un Acilius Glabrio est mort chrétien sous Donatien 3, que
» Duchesne L. P., I, CXXV, note 3.
2 Les Acilii avaient des terrains sur le Pincio [Bull, hlituto..^ 1S68, p. 119).
— (6u/., 1889, p. 104 et sq). 11 y avait des Priscus et des Priscilla dans la gens
Acilia avant le mariage de Aria Plaria Ver a Priscilla avec M* Acilius Glabrio
consul en 186. Cf. G. I. L., XIV, 248i (Dans un fragment de Marini concernant
le Glabrio de 132, on a Ji>*MClLLA ACILIANA.
' Dion, 67, 13. — Suétone, Domitien, 10.
12S ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
certaines parties de la catacombe ont certainement été creu-
sées de son vivant, qu'il a eu une femme dont nous ignorons
le nom, que le nom de Priscille se rencontre chez ses descen-
dants, dès le milieu du ir siècle * et qu'enfin il y avait, dès 58,
des Priscilla chrétiennes ^ : il est donc possible que la Priscille
éponyme du cimetière établi sur les terres d'Acilius Glabrio
ait été sa propre femme. La Priscille dont nos gestes font
la femme de Punicus, la mère de Pudens, la grand'mère
de Pudentienne et de Praxède ne serait que la transformation
de ce personnage qui dut laisser une trace profonde dans Tima-
gination populaire, et par l'époque reculée de sa vie, et par
l'importance exceptionnelle de son rôle.
L'œuvre des Cornelii Pudentes est représentée par VEccle^
sia Priscae (cf. infra) et par Vecclesia Pudentianu, Le chris-
tianisme de cette famille est attesté dès 221^; l'expression
même d'ecclesia pudentiana révèle un adjectif dérivé du nom
propre Pudens : notre connaissance des premiers temps du
christianisme à Rome explique cette constatation philologique :
les premières églises urbaines étaient-elles autre chose qu'une
salle de réunion dans la maison d'un riche chrétien? Vecclesia
pudentiana était l'église installée dans la maison des Pu-
dentes. De quelle époque date la conversion de cette famille?
La mention d'un Pudens dans les épîtres de saint Paul^ ne
suffit pas à la placer avec certitude au i**" siècle : elle est très
vraisemblablement du second au plus tard.
Quant à Tunion de ces deux familles, elle n'est pas démon-
trée en fait. Elle était rendue possible par la communauté de
croyance qui les rapprochait ; elle est rendue probable par
1 équivalence de Prisca = Priscilla'^ , par l'existence d'une Pmca
chez les Pudentes^ et d'une Priscilla'^ chez les Aci/ii, par
1 C. 1. L., XIV, 2i84. — De Rossi, BuL, 1889, p. 119.
2 Scaint Paul, Rom., XVI, 3. — I Corinth., XVI, 19. — II, Tim., IV, 19.
3 L'épilaphe d'une CORNELIA PVDEXTIANA a été trouvée à Saint-CaUiste,
H, S., 1,312. — Diplôme de Marius Pudens Cornelianus, consul en 2*22, trouvé
à Sainle-Prisca, BuL, 1867, 46.
* Saint Paul, II Timothée, IV, 21.
6 Saint Paul, Rom., XVI, 3. — I Corinth., XVI, 19. — Il Tira., IV, 19. —
Actes, XVIII, 2, 26.
^ La plaque de bronze mentionnant Manius Pudens Cornelianus a été
trouvée dans la maison de Prisca, sur TAventin. Bu//., 1867, p. 46.
7 ACILIA PRISCILLA, C. F: trouvé sur un sarcophage à Priscille. Bull., 1889,
p. 118, fille de Aria Plana Vera Priscilla, femme de Manius Aciiius Glabrio,
consul II um en 186.
SAINTE POTENTIENNE 129
l'existence aussi d'un Cornélius chez les Pudentes et chez les
Acilii en 152*.
Quoi qu'il en soit de leur union, ce sont les souvenirs laissés
dans la chrétienté romaine par les Acilii du I" siècle et les
Cornelii du IP qui sont les deux faits historiques que Ion
démêle à l'origine de la légende.
Comment -donc est-eUe née et quels accroissements succes-
sifs a-t-elle pris ? — Elle est née à Vecclesia pudentiana : le
rôle des Pudentes a été simplifié, abstrait et comme « indivi-
dualisé » ; il a été attribué à Pudens. — La mentiond'un Pudens
dans Saint Paul Ta fait placer au temps des Apôtres et lui a
fait associer Timothée^. — L'époque apostolique où la légende
était située, Tanalogie verbale des deux mots Pudentiana et
Potentianay martyre généralement rattachée, ainsi que Per-
pétue, au temps de saint Pierre 3, ces deux faits auront amené
l'équivalence aecclesia pudentiana = ecclesia potentianae »;
l'oubli des conditions de vie du christianisme primitif aura
facilité la confusion, et sainte Potentienne aura été introduite
dans la légende, à côté de Pudent et de Timothée. — La situa-
tion du tombeau de Potentienne* placé près de celui de Praxède,
autre martyre dont l'histoire était inconnue^, l'emplacement
de l'église pudentienne au Vicus Patricus sur le Viminal non
loin de l'église de saint Praxède sur l'Esquilin eurent pour
conséquence l'association des deux saintes^.
Ainsi formée, la légende a subi une modification nouvelle
dans une petite chapelle annexée à la basilique ef détruite
en 1595. On y voyait sur une jnosaïque, analogue, sans doute,
à celle qui décorait l'hypogée des Acilii s, un personnages assis,
nimbé, prêchant la divine parole aux brebis qui l'écoutent; en
étudiant le dessin qui nous l'a conservée^, on se convainc sans
1 Marius Pudens Cornelianus, de 222. — Une inncription de Tivoli (C. I. L.,
XI V, 4237) prouve que M. Aciiiua Glabrion, consul en 152, s^appelait Cornélius
(Bull., 1889, 119).
^ Le Timothée de la Voie Tiburtine n*a sans doute exercé nulle influence
sur celui-ci.
3 Lipsius, Op. cit., 218, 12 ; 219, 8 ; 222, 2.-4 novembre, 219.
* La compagne de Perpétue, ou quelque autre.
^ Le F. H. montre qu'elle n'était pas primitivement associée à Poten-
tienne.
* On en arriva peu à peu à croire qu'elles étaient sœurs.
f But., 1867, p. 43.
" De Rossi, if t/«aict... dernier fascicule paru.
» Codex Vaiicanus 5407, p. 82.;
9
130 ANALYSE CRlTlQUK DES ÏRÂDlTIONâ ROMAINES
peine que ce personnage n'est autre que le Bon Pasteur ^ :
hypothèse que confirme la haute antiquité de la construction.
Lorsque les idées chrétiennes se furent modifiées et que le culte
du Bon Pasteur eût disparu, le nom resta à l'oratoire où, peut-
être, il était primitivement inscrit: la valeur en fut transfor-
mée et le Bon Pasteur devint Saint Pastor,
La métamorphose du symbole cémitérial en une personnalité
sainte était facilitée, du reste, par la tradition qui donnait ce
surnom môme à Hermas, frère de Pie, et qui habituait les esprits
à associer ce nom, jusque-là surtout symbolique, à un individu
déterminé-. De cette influence résulta ime tendance des rédac-
teurs à placer Pastor au temps de Pie : de la viennent les
contradictions de nos gestes, faisant des mêmes personnages
des contemporains des apôtres et du prédécesseur d'Anicet.
La contiguité du sacelliim Pastoris et de Vecclesia pudentiana,
comme elle fut cause de Tassociation de Pastor à Pudens, fut
cause, de même, qu'il fut placé à la même époque que lid^.
. a Au temps de Dioclétien et de Maximien Auguste, il y
Les Gestes de " «^«iV tin prêtre nommé Gabinius, frère utérin de tévéque
Ste Suzanne. « Caius^ fils d'un consul, cousin de Dioclétien; très versé
« dans toutes les sciences, il avait fait des Traités contre les
« païens. Sa fille unique, Suzanne, qui a hérité de lui toute
« sa science, est demandée en mariage au nom de Dioclétien
« pour Maximien son fils, par Claudius, consobrinus de
« Gabinius. Sur les conseils de son père et de son oncle,
« Suzanne se décide à rester vierge; elle annonce sa décision
« à Claudius et le convertit ainsi quePraepedigna^, sa femme,
« Alexandre et Cutias, ses fils. MaximuSj comes rei privatae,
1 Ciacconio y voit un saint Pierre ; mais on sait qu'U en voyait partout. Il
été guidé sans doute par une tradition tardive, d'après laquelle saint Pierre
aurait célébré la messe en cet endroit.
^ Il y a des saints Pastor, 8 R. ian., 4 K. apr., pr. K. maii, 4 id. aug.,
9 R. sept.
3 Le vicus Laterantts n'est pas identifié avec cerUtude; j'identifie la Crypta
Nepotiana ou Novatiana mentionnée aussi dans les gestes d*Etienne et de
Laurent (Bosio, 529. — BuU. criL, 1897, 237) avec une crypte découverte
via Urbana, en mai 1896, par M. Pettignani? : par sa construction et sa déco-
ration, elle rappelle le style des catacombes. Baronius identifie les thermes
de Novatus avec les thermes de Timothée des Actes de Justin {Bull., 1866,
p, ss). — On ne peut dire d'où viennent Novatus, Eusebius, Punicus. Le
rapport de la Sabinilla des gestes de Poten tienne avec la Sabinilia des gestes
de Maris est encore obscur.
s Le Codex Vindobonensis 357 écrit toujours Praedigna.
SAINTE SCZÂNNE l3i
« frhre de Clauditis que Dioclétien envoie à celui-ci^ se laisse
« toucher à son tour; il visite Gabinius dans sa demeure^ à
« tare de la Porte Salara, près du Palais de Salluste,
« apprend que Suzanne est consacrée à Dieu^ demande le
« baptême et distribue ses biens aux pauvres par l'entremise
« de Thrason^ togatus. Dénoncés à Dioclétien par Arsicius^
« adjutor comitis rei privatae^ tous sont arrêtés^ sauf Caius,
« malgré Serena^ femme de Dioclétien, qui est secrètement
« chrétienne et sur les conseils (Fun païen Jules. Gabinius et
« Suzanne sont jetés en prison; Claudius et sa famille sont
« précipités dans un gouffre à Ostie, Suzanne, confiée à Sere-
<t na, est confirmée par elle dans sa résolution première,
« Dioclétien, furieux, la renvoie dans sa maison et pei^ut
<( à Maximien de Py prendre de force ; mais un ange arrête
« Maximien et Curtius qui vient après lui, Macedonius rem-
« prisonne, ne peut obtenir d'elle qu^ elle consente à sacrifier;
« au contraire y elle renverse les idoles par la seule force de
M ses ptières : tel le Jupiter doré qui se dressait sur la place
« devant le palais de Salluste. La sainte es/ alors égorgée
« dans sa maison qui touchait à celte de Cuius, Serena
« Auguste recueille son corps, f ensevelit dans son propre
a palais et le dépose au cimetière dWlexaiulre, dans un are-
« naire, à côté des briqueteries, le Î3 des ides d'août. Comme
« la maison de Gains touchait à celle de Gabinius, dès cette
« époque on y établit une statio in duas domus. Et ces événe-
« ments se passaient dans la sixième région, le long du Viens
« Mamurtini, devant le forum de Salluste, »
L'église dont la légende raconte Torigine est mentionnée
en 499, sous le nom de titulus Gai; c'est elle encore qui est
très vraisemblablement désignée sous le nom de ad duas
domxis, par le férial comme par les gestes*.
Quant à son origine véritable, nous n'en pouvons rien dire :
l'histoire des martyrs dont nous avons ici les noms, est, en
effet, presque complètement inconnue. La date, de l'anniver-
saire de Suzanne est confirmée, sans doute, par le férial ; mais
* En 1869, on a retrouvé plusieurs salles d'une magniûque maison romaine
eontiguë à Sainte-Suzanne {BuUeL., Istituto, 1869, p. 229). — Les jardins de
Salluste, palalium SaUustii sont très connus (Jordan, II, 123. — L. P., I, 229) :
ils s'étendaient de la Porta Pindana à la Porta Salana»
13â ANALYSE CRITÎQtE DES TRADITIONS ROMAINES
le lieu (le sa sépulture est ignoré des itinéraires * ; 'ses compa-
gnons ne sont mentionnés dans aucun texte (sauf Caius), sa
parenté avec Diocléticn est très probablement fabuleuse,
Tépoque précise fixée par les gestes erronnée, puisque Caius
est mort en 283 et que c'est en 285 que Dioclétien est devenu
empereur; Maximien est pris pour Galère, Suzanne pour
Valérie, Serena pour Prisca*.
Cette incertitude de Thistoire explique à quelles difficultés
Ton se heurte quand on veut expliquer la genèse de la légende.
On peut avancer, toutefois, que trois faits l'ont déterminée :
1° la contiguïté de deux maisons chrétiennes, situées près des
jardins de Salluste et dont Tune appartenait sans doute à un
Gains, peut-être le pape de ce nom ; 2° le christianisme de
Prisca et de Valeria d'où vient, sans doute, Tidée d'avoir fait
de certains personnages des gestes des parents de Dioclétien ;
3" rhistoire de Constantin qui réagit sur l'imagination chré-
tienne et sur qui se modèlent les traditions antérieures : Serena
relève d'Hélène plus encore que de Prisca.
5 « Au temps oti Maximien ^ à son retour (f Afrique ^ coihstruit
La légende de « les thermes dioclétiens^ une grande persécution sévit contre
S. Cyriaque ^^ [^^ chrétiens^ on les etnploie aux travaux. Ci/riaque, aide' de
ees°es de ** Largus et de Smaragdus^ distribue les aumônes du pieux
S. Marcel 3). <( Tlirason ; fait diacre par le pape Marcel^ il se concilie Fami'
« tié de Dioclétien en guérissant sa fille Artemia^ et reçoit de
(( /?//, lorsqu'il revient de Perse ^ où il a également guéri Jobia,
« fille de Sapor^ une maison située à côté des Thennes. Mais^
« lorsque F empereur se retire en Dalmatie^ la persécution se
« rallume sur P ordre de Maximien : le licaire Carpasius tor-
« ture les saints; Cyriaque et vingt-et-un fidèles sont décapités
(( Voie Salara^ hors des murs, à l'intérieur des Thermes de
« Salluste. Le prêtre Jean les ensevelit sur cette même voie le
« 17 des calendes d'avril; transportés, voie d'Ostie, au sep-
« tième mille, par Marcel et Lucine, ils y sont de nouveau ense-
« velis le 6 des ides d\iotU. Carpasius, qui avait profané le
« baptistère de Cyriaque, est possédé du diable. »
» Cf. Aringhi,IV,29,7, t. II. p. 224.
2 Laclance Mort. Versée. \:\. (P. L., 7,216).
2 Et dans les Gestes d Anthime. Cf. aussi le Codex Palalinus, 8 août, p. 332,
§28.
SAINT CYRIAQUE 133
C'est encore une légende de fondation d'église. Celle-ci est
bien connue : le titiiliis Cyriaci est mentionné des 499 ; il est
détruit dans le cours du xv'' siècle; lors de la construction du
palais des Finances, on en retrouve les fondations « Via di
Porta Pia* ».
Les thermes de Dioclétien, dont ou voit encore les ruines
énormes entre le Grand-Hôtel et la Gare Centrale, sur le Vimi-
nal, ont été construits au début du iv* siècle : on ne saurait
dire à quelle date exactement-^.
L'histoire elle-même est très obscure. L'époque à laquelle on
place Cyriaque ne soulève aucune objection ; l'ensevelissement
Voie Salara est très douteux étant attesté, non par les Itiné-
raires^ mais seulement par Pieire Mallius au xii* siècle ; la date
de sa très douteuse translation ou celle do sa mort est confir-
mée par le férial-^ L'association de Cyriaque à Largus et
Smaragdus, à Memmia et Juliana, est également confirmée
par ce même texte. Mais c'est tout ce que l'on peut dire :
l'histoire du voyage de Perse et de la guérison de Jobia
parait absolument légendaire ; elle rappelle non pas le voyage
d'Abercius'*, mais les aventures de Pigmenius, le maître de
Julien^*.
* Arinellini, le Chiese di Homa^ p. 189.
« C. I. L., VI, 1130. — Bull, Communale, 1872, p. 66 ; 1886. p. 19i : 1888,
p. 36; 189.3. p. 301.
3 La localisation de Cyriaque sur la Voie d'Ostie est également mentionnée
à l'époque d'Ifonorius (620-638) par le L. P., 1, 324; mais notre texte est anté-
rieur. Peut-être la légende de Cyriaque Sextus Sestius a-t-elle rapport à la
fondation de Téglise.
* A. Harnack, Abercius und Cyviacus, Séria Ilarteliana, Wien, 1896,
p. 142, 444.
^ xNous avons une autre légende de Cyriaque. La voici (Analecta Boll.,
-, , II, 247) : « Sejt'lus Sestius, fils de Quint us Seat us, grand personnage de Toscane,
*'*^ « lui-même esprit fqrt distingué, fait ses premières armes sous Thrason,
^ .. « magister mililum, déjà gagné au ctirislianisme. Après huit ans et dix mois
■^ ^^ 'a lie service, l'immoralité du paganisme lui répugne ; il se trouve qu'il entre
« un jour dans le temple de Mars, que ses doutes habituels lui reviennent à
« Vesprit et que, la nuit suivante, un songe lui apprend que, le lendemain, il
« trouvera le Christ, (iaius est prévenu miraculeusement de lui donner au
4 baptême le nom de Cyriaque, qui, au dire de Marcellin, veut dire en
« syriaque, le philosophe. Sur quoi, Sestius entend le lendemain le prêtre
« Jean lire VEvangile ; il est touché de la grâce et va trouver Thrason : celui-ci,
« par ses aulici Sisinnius, Smaragdus et Largus infot*me Gaius, qui baptise
« Sestius du nom de Cyriaque. Il devait être martyrisé dans la persécution de
« Dioclétien, »
Le texte est postérieur à 597 : il parle quelque part de la septième année
de pontificat de Grégoire I", 590-604. 11 n'est qu'une reprise et un développe-
134 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
III
Ce ne sont pas les souvenirs chrétiens qui manquent sur
les collines qui s'élèvent, ni dans les quartiers qui s'étendent
au cœur môme de Rome : ils y sont plus nombreux peut-être
que sur le pourtour de la ville: mais leur physionomie est
toute différente. Tandis que là, nous l'avons vu, chaque tra-
dition monumentale a sers'i comme de noyau à plusieurs
autres, dispersées un peu partout, se les est, si j'ose dire,
agrégées, de telle sorte que, ce qui fait Tunité interne du
récit, comme ce qui en a constitué le noyau primitif, c'est
l'édiflco et que, à chaque basilique, peut-on dire, correspon<l
une légende, celle qu'elle a fait naître; — ici, tout au con-
traire, on constate que plusieiu^s traditions sont attachées à un
seul et môme édifice et que ces traditions monumentales, loin
d'en grouper d'autres autour d'elles, se sont elles-mêmes laissé
attirer par d'autres, de telle sorte qu'elles constituent, non le
fond d'une seule légende, mais des épisodes secondaires de
plusieurs.
Et le fait s'explique sans peine. Au cœur de la ville, il n*y
a pas une église, pas un grand centre chrétien, pas de grande
légende par conséquent ; les édifices païens s'y pressent,
palais, temples, places publiques, oii les chrétiens étaient traî-
nés poiu* sacrifier aux idoles on périr dans les tourments : les
souvenirs accessoires devaient donc seuls s'v trouver attachés
et fournir les détails qui enrichissent et précisent les tradi-
tions. Il est donc intéressant de noter que le môme fait qui a
déterminé la répartition topographique des premières églises
romaines — je veux dire la force de résistance du paganisme
ment de la légende rapportée plus haut: les mêmes personnages se retrouvent
dans les deux textes. Le rédacteur du vu* (?) siècle connaît et utilise le Liber
PontificalU*. La localisation du temple de Mars est, sans nul doute, fantai-
siste: les gestes de Marcel et d*Anthime Tignorent; enQn la célébrité du
temple de Mars était telle qu'il n*y a rien d'étonnant à ce qu'un rédacteur Tait
introduit dans son œuvre.
* Notices de Gains, de Marcellin et de Marcel mises à contribution Analecta,
II, 234. — Un autre texte écrit a dû aussi être utilisé : cf. p. 256 (VI" leçon) :
« ... Sicut scriptura testatur ».
LE CAPiTOLE 135
national dans les quartiers centraux * — a déterminé par là-
même la physionomie différente des traditions urbaines, sui-
vant qu'elles ont germé au cœur de la ville ou sur le pour-
tour. On Ta déjà vu pour celles-ci, on va s'en convaincre
pour celles-là, qu'elles se soient groupées au Capitole, au
Palatin, à l'amphithéâtre ou dans le quartier des Nova fora
Caesarttm.
La double colline du Capitole avec le temple de Jupiter et
4. la citadelle apparaissait nettement comme la double forteresse
Traditions qiû défendait le paganisme national et contre la puissance des
(jipito mes. jj^gg Q^ contre la puissance des armes. Aussi flgure-t-il comme
la montagne sainte, symbole du culte des diçux, dans les gestes
d'Alexandre 2, ceux d'Anastasie'', ceux de Jean et Paul*,
ceux de Restitutus^, ceux de Pontius^, et, plus tard, dans
ceux d'Aurelianus^. Dans les gestes des Martyrs Grecs, U
valeur symbolique en est plus d'une fois nettement exprimée.
« Capitolium deseritur^ dit Maximus à Valérien, et omnis
cultura templorum desolatur, » Aussi Decius dit-il : « Jubé-
mus omnes a culiura Capitolii non recedere » ; aussi les
chrétiens, quand ils envisagent l'avenir et escomptent leur
triomphe final, parlent-ils expressément de la chute du Capi-
tole : « haec quant videmus Capitolii fabrica cum omnibus
déstructura, »
Mais c'est surtout dans les gestes de Calliste que le symbo-
lisme du Capitole apparaît plus vivement encore ; il n'influe
pas seulement sur l'expression de la pensée ; il détermine en-
core la conception de la légende. La partie sud du Capitole est
incendiée ; la main dorée du Jupiter Capitolin se liquéfie tout
d'un coup; l'autel lui-même est dévoré par le feu 9. C'est au
Capitole que le Dieu chrétien a frappé le Dieu païen ; c'est
donc au Capitole que celui-ci doit prendre sa revanche : tous
I Ducbesne : Les litres pitsbytéraux et les diaconies {Mélanges, VII, 217).
s 3 mai, 376, § 7.
s 28 octobre, 513.
« 25 juin, 33, 138.
» 29 mai, 10.
• Baluze, Mise, 1, 29, 75.
7 22 mai, 129.
« De Rossi, R. S., III, 203.
* Après TinceDdiede 69, et la reconstruction de Domitien, nous ne connais-
sons aucun a\itre incendie du Capitole,
136 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
les Romains reçoivent Tordre de s'y rendre pour y sacrifier, lé
jour de Mercure; mais c'est au Capitole que le Dieu chrétien,
défié, affirme à son tour sa supériorité et sa toute-puissance:
au moment où, sous le couteau des sacrificateurs, le sang des
victimes coule à flots, une vierge du temple nommée Julienne
est tout d'un coup saisie par le diable et le persécuteur, Pal-
matius, court chez Urbain demander le baptême.
Au pied de la colline, la Ctistodia Mameriina, jadis Tullia-
nus Carcer^ avait reçu après Jugurtha, après Vercingétorix,
nombre de chrétiens parmi ceux qui n'étaient pas gardés en
cùstodia privata. Aussi la voit-on mentionnée dans les gestes
de Processus 2, ceux de Calliste 3, ceux des Martyrs Grecs *,
ceux d'Etienne 5, de Laurent^, de Chrysanthe^, de Marcel ^ et
d'Abundius 9. — Au bas de l'autre pente, passait la Cloaca
Maxima: c'est elle, sans doute, qui est mentionnée dans les
gestes de Sébastien *o, comme l'égout où le corps du saint fut
jeté et recueilli par Lucine ; c'est peut être à elle aussi, que
les gestes de Laurent** font allusion, à propos du cloacarius
Irénée.
2. L'importance politique du Palatin durant la période impé-
Traditiona riale explique qu'il soit mentionné si souvent dans les gestes
Palatmes. ^^^ martyrs, soit que les événements rapportés par les rédac-
teurs l'aient eu réellement pour théâtre, soit que son rôle his-
torique se soit comme doublé d'un rôle purement légendaire.
Il est cité dans les gestes de Processus, ceux de Symphorose,
d'Eleuthère, de Montanus, de Sophia, de Martina, de Prisca,
de Gènes, de Sébastien, de Marcel, de Pancrace *2, de Vibbiane
et de Léopard. Les gestes de Laurent nous parlent du palais
de Tibère, ceux de Processus du Septizonium des Sévères,
1 Cité sous ce nom dans Tédition boUandiste des Gestes de Chrysanthe et
Darie.
« 2 juillet, 267.
3 14 octobre, 401.
« De Rossi, /{. S., III, 201.
^ 2 août, 1)3.
« Surius, IV, 607.
7 25 octobre, 437.
8 16 janvier, 367.
* 16 septembre, 293.
ïo 20 janvier, 621. — Les Mirabilia confirment cette hypothèse.
»> Surius, IV, 607.
»* Texte de Namur; Analetta, X, 52.
LE PALATIN 137
ceux de Martinadu célèbre temple d'Apollon détruit eu 363*.
Mais c'est surtout dans les gestes de Sébastien qu'il occupe
une place importante : et comment pourrait-on s'en montrer
surpris puisque Sébastien est présenté comme chef de cohorte
et ami personnel de l'Empereur? Le temple d'Elagabal qu'on y
trouve cité est celui que mentionne Lampride^; X hippodrome
où il fut martyrisé doit être peut-être cherché dans le stade
de Domitien : celui-ci, par sa disposition, éveille l'idée de ces
jardins de luxe, que Pline appelle hippodromi dans la longue
lettre où il nous énumère les beautés du sa villa •^. C'est sur
la colline même où l'Empereur avait sa résidence que devait
demeurer et souffrir celui qui avait été son ami.
Il faut faire une place à part, dans cette revue des traditions
palatines, à celles qui nous sont parvenues dans les gestes de
Chrysogone et les gestes de Damase : contrairement aux
autres, chacune d'elles s'est en quelque sorte incarnée dans
une seule légende, tout comme les traditions de la Ville Haute
ou celles de Trastevere : l'anomalie s'explique par l'époque tar-
dive de leur formation.
La légende Les clercs qui desservaient la petite église de Sainte-Anas-
de sainte tasie, au pied de la colline impériale, racontaient la suite de
(Gestes Thistoire de saint Chrysogone. « Après la mort de celui-ci^
de saint « leur sainte était ventte d'Açuilée à Sirmium pour visiter
Chrysogone). ^^ /^^ confesseurs; saisie par les paiens elle avait résisté à
« ProbuSy elle avait sauvé par ses prières le navire où on
« V avait jetée — il faisait eau de toute part — et finalement^
« avait été décapitée^ sous Dioclétien^ aux îles Palmaria^ le
« 8 des calendes de janvier^ après avoir assisté au supplice
« des trois sœurs Agapè, Irène et Chionia^ de Thessalonique^
« qu'elle avait enterrées^ et de la vénérable Théodote marty-
« risée à Nicée de Bithynie le 4 des nones: son crime était
« d"* avoir refusé d'épouser Ulpien y prêtre du Capitole à Rome^
« et d'avoir refusé de même de sacrifier aux di^ux. Son corps
« fut déposé dans la basilique construite dans la maison
« cTApollonie le 7 des ides de septembre. »
> Ammien MarceUin, XXIII, 3.
« Lampride, Heliogabal, Nibby, Ant.^ 1,455.
3 Pline, Ep, V, 6: « A capite porticus triclinium excurrit: valuis xystum
desinentem et protinus pratum multumque ruris uidet, fenestris hac latus
xysti et quod prosilit uillae hac adiacentis hippodromi nemus comasque
138 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
Quoique la légende place à Rome une partie de ses aven-
tures, on sait* que sainte Anastasie n'est pas une martyre de
Rome, mais de Sirmium, dont le culte fut importé à Constan-
tinople sous le patriarcat de Gennadius, entre 458 et 471 ^. (Com-
ment donc la légende romanise-t-elle une partie de l'histoire ?
Les origines de Téglise nous l'expliquent. Elle avait été fon-
dée par une dame romaine nommée Anastasie : la preuve en
est qu'elle en portait le nom, comme Tattestent trois signa-
tures du concile de 499. Qui était cette Anastasie, et à qucUe
date fonda-t-elle Téglise? Ce n'est pas la femme de Marinianus,
vir illuster ^, consul en 423, et ce n'est pas au début du v* siècle:
la basilique est attestée dès l'époque de Damase*; il faut donc
admettre que c'est une Anastasie mère, ou plutôt grand-mère^
de la femme de Marinianus qui a fondé la basilique. Comme elle
portait le môme nom que la sainte de Sirmium, vénérée àCons-
tantinople, on s'explique sans peine que le culte de celle-ci se
soit implanté dans le tilulits de celle-là et qu'elles aient été
bientôt confondues ^. Le rédacteur aura introduit Apollonia au
moment oîi la confusion commençait de se faire, afin de l'accé-
lérer.
Les autres éléments de la légende sont extra-romains au
môme titre que l'épisode central : Théodote vient de Nicée*^,
prospectât... In summa cryptoporticu cubiculum ex ipsa cryptoporticu exci-
sum, quod hippodromum vineas montes intuetur... Hinc oritur diaeta quae
viHae hippodromum adneclit (éd. Keil, p. 93-94). Cf. Marx : Dos sogenannte
Sladium auf dem Palatin [Jahrbuch d. K. 1). Instituts^ 1891, 201). — Deglane,
Mélanges, 1889, p. 205. Hûlsen: Rëmische Mitlheil, 1895, p. 277.
1 Duchesne, Mélanges, 1887, p. 387 et 402.
» Théodore le lecteur, II, 65.
s De Rossi, 1ns. Chr,, II, p. 55; — L P., I, CXXVII.
^ On a Tépitaphe d'un lecteur de Téglise DE BELA.BRV : or sainte Anasta-
sie est la seule église du Velabre; et elle est certainement antérieure à Damase,
car, passé ce pape, les églises sont désignées, non plus par le nom du quar-
tier, mais par celui de leur fondateur. Cf. Duchesne, op. cil.
^ On sait que, chez les femmes, les noms se transmettaient le plus souvent
degrand'mére à petite-fUle.
^ Les signatures du concile de 593 donnent lilulus sanclae Anaatasiae, non
plus lilulus Anaslasiae, comme en 499. — L'église romaine de sainte Apollonie
n'a été construite qu'en 1582 [Armellini : Chiese, p. 690].
7 Ou de Césarée. Cf. F. H., XVICal. Dec. Cf. infrà. — Le Codex Parisinus
11753 (XII s.), nous a conservé une autre légende, en latin, que reproduisent
aussi, en grec, un assez grand nombre de manuscrits : elle est éditée dans les
Acta Sanctorum, au 28 octobre. En voici la substance:
La légende <i Au temps de Dioclélien et de Valérien, son consul, on dénonce aux auto-
d'Anastasie « rites un monaslèi^e de sainte Sophie situé près de Rome, oii demeurent avec
Romaine, » Vabbesse Sophie, les Vierges Alhanasia, Thçoctistis, TheodoHs et Ançtstasia,
LE PALATIN 139
•
les trois sœurs martyres de Thessalonique, comme Chryso-
gone vient d'Aquilée.
ïji ic'î^ende L' oratoire de Saint Césaire sur le Palatin n'eut pas moins
de saint d^influence que le tiiultis Anastasiae sur certaines traditions
'jîcsie» martyrologiques. Il est certain, quoi qu'on en ait dit*, qu'il se
«Je saint trouTait sur la colline même, dans une dépendance du palais ^ ;
hniiiase). jj est non moins certain qu'il a été la cause première de tout un
mouvement légendaire.
On lit dans les gestes de saint Damase ^ que « Valentinien
i< son grand ami^ épousa sur son conseil la fille de Théodose,
« Eudoxie, la fondatrice du titidus sancti Pétri ad Vincula, Il
a en eut deux filles^ Eudoxie, rainée^ qui mourut jeune, et
« Galla la cadette: celle-ci, furieuse de voir son père lui
« prendre le jardin où elle avait coutume de jouer pour le
M donner à Damase, gui voulait y construire une basilique à
« saint Laurent, s'attaqua aux fondations de la nouvelle
a église. Damase la reprit avec bonté ; Penfant continua, et
« Dieu, pour la punir, permit qu'elle fut possédée du diable.
M Ses parents affligés renvoyèrent au sanctuaire d'Isidore
« de Chios, célèbre par les guénsons qu'il opérait chaque
€ Probus envoie un tribun avec des agents de police: comme Us arrivent ^
€ Athanasia, Theodoiis et TheocHsiis, réussissent à se sauver; Sophie recom-
« mande à Anastasie qui a vingt ans, et qu'elle a recueillie il y a trois ans,
« d'être digne des leçons qu'elle lui a données. Conduite à Rome, interrogée
« par Probus, Anastasie lui résiste : dés/iabillée^ torturée^ elle j'aille ses per-
« sécuteurs ; si elle défaille deux fois, elle est reconfortée par un certain
€ Cyrille, qui est secrètement chrétien et qui est décapité ; elle est décapitée
« elle-même hors de la ville, Sophie, avertie par un songe, va chercher son
« corps et l'ensevelit ».
C'est sainte Anastasie vénérée à Rome qui est évidemment visée ; c'est un
rédacteur étranger à Rome qui parle djun monastère de sainte Sophie aux
environs de Rome; c'est à Constantinople, où Ton connaissait très bien le culte
romain de la sainte, que fut vraisemblablement rédigée cette légende,
peut-être au vu* siècle. Le texte grec est certainement le texte original :
le jeu de mot suivant ratteste: « Quare anastasia es vocata? Illa responditquia
statuit me dominus, » « 6 Se izp66oç. Tt aoi ovoti.a; icpûTov a*jtT)v rjpeto. Kai
T^ i^xproi;. 'Ava9Ta<r(a xaXoC[i.at, frjvt. Kal yàip CKvé(rTT]aé \u 6 K'jpioc... (28 oct-
obre, 522).
> Lanciani, Forma Dr bis Romae, pi. 29.
« Jean Diacre: Vita Gregorii Magni, IV, 20. — Duchesne, Bul, Crit. (1885),
Vi, 417 ; L. P., I, 377 ««, Mélanges, 4897. p. 25, note 2.
' 1 nov. 126. — Le texte complet: Vita et actus beati Damasi papae {inc:
quia scriptum est quos praedestinavit...; expl: ad vitem christi reuocabat)
est imprimé (pp. 33-38) dans les S. Damasi opéra quae extant et uita ex codi-
cibus ma.., Sarrazani (Romae. Typis Vaticanis, 1639, in-12). — Le second texte
de S. est postérieur, puisqu'il mentionne Hadrien I et Etienne IX (p. 60) à
celui dont nous nous sommes servi : dans celui-ci, on trouve le mot cardinales.
140 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« jour. Passant par Terracine , où raccueillit rèvéque
« Félix^ Galla fut conduite au tombeau de saint Césaire
« qui la délivra. Les Augustes accourent, transportés de
« bonheur; ils font trensporter A Rome les reliques du sainte
« et Damase les ensevelii à Vintérieur du Palatin^ sous
« rauteL »
Dans ce court récit, on relève au moins cinq erreurs : 1** des
deux Valentiniens (364-375 et 375-392) contemporains de Da-
mase 366-384), aucun n'a épousé la fille d'un Théodose ; 2"* la
Galla, fille de Valentinien I", a pour sœur, non Eudoxie mais
Grata ou Justa, pour mère non Eudoxie, mais Justina ; 3* Valen-
tinien III a l)ien épousé une Eudoxie, fille d'un Théodose, mais
il n'est pas contemporain de Damase, mort en 384, car il règne
de 423 à 455; 4* les filles de Valentinien III et d'Eudoxie sont,
non pas Eudoxie et Galla, mais Eudoxie et Placidia ; 5" Eudoxie
ne mourut pas du vivant de son père, mais lui survécut et
épousa Hunéric * .
Quels faits historiques se cachent sous ces inexactitudes et ces
erreurs? La tradition atteste deux faits : 1° la construction
d'une basilique dédiée à saint Laurent par un pape, ami d'un
Valentinien. Or, le Liber pontificalis nous apprend que Sixte III,
grand ami de Valentinien III, qui l'avait consulté sur son ma-
riage, éleva, en efi*et, une basilique à saint Laurent. C'est évi-
demment le souvenir de ce fait, qui se retrouve déformé dans
les Actes de Damase 2.
2° La localisation du culte de Césaire au Palatin. Césaire,
saint terracinais, dont nous étudierons plus loin la légende,
était fêté le 21 avril, le férial l'atteste. Mais le 21 avril est
précisément l'anniversaire de la fondation de Rome; d'autre
part, la racine même du nom Kawaptc; semblait le prédestiner
à devenir le protecteur des Césars et le patron des Impériaux ;
si Ton ajoute qu'il y avait un Kataaptsç déjà vénéré dans l'em-
pire byzantin, on comprendra sans peine que les Grecs, lorsqu'ils
s'établirent à Rome et installèrent sur le Palatin le centre du
gouvernement nouveau, aient dédié un oratoire au saint mar-
tyr, qui, par la date de sa fôte, apparaissait comme le patron
de Rome, et, par la signification de son nom, comme le patron
des Césars de Byzance.
1 Cf. Les textes cUéa par le P. Van-Hoof, !•' novembre, p. 90.
9 On verra plus loin comment s'explique la déformation du souvenir.
LE PALATIN 141
Le culte de Césaire installé au Palatin suggéra l'idée que
le corps du saint y reposait. — Mais Césaire était enterré et
vénéré à Terracine. — Il était donc nécessaire que naquit un
jour une légende de translation* ; c'est cette légende que nous
avons rencontrée dans les actes de saint Damase.
Voici comme on peut en décrire la genèse. La famille des
Valentiniens avait laissé après elle un solide renom de piété ;
les deux premiers n'avaient-ils pas été grands amis de Damase ;
le troisième n'avait-il pas eu souvent recours aux conseils de
Sixte III ; n'était-ce pas Théodose enfin qui avait commencé
la basilique de Saint Paul, et Eudoxie celle de Saint Pierre
aux Liens? Quoi de plus naturel que d'attribuer à un person-
nage d'une aussi pieuse famille la translation de saintes
reliques?
Pareillement, c'était à une Galla que l'on devait tout natu-
rellement songer en l'occurrence. Au temps où la tradition se
forma, vivait une GaUa, fille du patrice Symmaquo qui passait
partout poiu- une sainte. Scunt Grégoire le Grand ^ disait tenir
de personnes graves, qui l'avaient connue, qu'elle avait été
visitée par saint Pierre lui-même et par lui-môme conduite
au ciel; on racontait au même moment que, le 17 juillet 533,
sous le pontificat de Jean II, une lueur lui était apparue, que
le pape était accouru aussitôt se mettre en prières : Statim^
duo seraphim in illo splendore apparuertint tenenies manibus
SKIS venerabilem imaginem Deiparae Virginis Mariae^ quant
ipsi patilaiim descendentes in manibtis ipsivs pontificis posue-
rimtj les cloches se mirent à sonner et une peste qui sévissait
cessa ; en reconnaissance de quoi, une église fut établie dans
la maison de Galla^. — La renommée de cette Galla attirait
l'attention sur ce nom lui-môme et l'entoiu'ait d'une atmos-
phère de vénération pieuse : la sainteté de la fille de Sym-
maque devait réagir sur les Galla antérieures.
Or, il y avait précisément dans la famille des Valentiniens
un personnage qui prenait dans l'histoire populaire le
nom de Galla : c'était Placidia, fiUe de Valentinien III. Son
1 11 est très possible qu'une memoria ait été réellement déposée dans la
chapelle : la légende aurait ampliflé seulement le fait.
2 Dialog,, IV, 13. (PL. 11, 340). — 5 octobre, 162.
3 Codex VallicellanuSy B. 50, num. 5i. Le Codex Reg, Sue, Chr. 5, donne
une vie de sainte Galla, avec la préface Omnia quae a aanclis,,. {A, ss. add. ad
1 febr. I, 939).
142 ANALYSE CRITIQUE DEâ TRADITIONS ROMAlNEâ
nom se transformait naturellement : sous Tinfluence de la renom-
mée qu'avait laissée sa grand'mère, la célèbre Galla Placidia
de Ravenne, la flUe de Théodose I", la sœur d'Honorius, la
femme d'Ataulph, puis de Constantius; sous Tinfluence, ensuite,
du souvenir qu'on avait gardé de son arrière grand'mère Galla,
la fille de Valentinien I*'', la femme de Théodose I", la mère
de Galla Placidia. C'est cette Galla qui fut contemporaine de
Damase : on s'explique ainsi que Sixte III «lit été transformé
en Damase et que saint Laurent de la catacombe ait été confondu
avec saint Laurent in Damaso.
3. La vaUée comprise entre le Capitole et le Palatin, qui aillait,
Us traditions s'(3iargissant en éventail vers l'Esquilin, le Viminal et le Quiri-
ù^Fora^ "^^' embrassait le Forum * et était couverte de quelques-uns
Nova des plus célèbres monuments de la ville ^ : aussi en trouve-
Caesarum. rons-nous beaucoup qui sont mentionnés dans les gestes.
Un amphithéâtre est souvent cité pur eux. Nul doute que ce
soit non Yamphitheatrum Castrense, dans une situation trop
excentrique et toujours désigné sous son nom complot, niciis
Yatiiphitheâtre Flavirn — le Colisée d'aujourd'liui — près
duquel on pouvait voir le Colosse Doré, la statue du Soleil, la
Pierre Scélérate et la Mrfa Sfff/nffs, L'amphithéâtre est men-
tionné <lans les gestes de Prisca, <le Martina, (rKleuthère,
d Eusèbe et Pontien et de Laurent, — ces derniers sont
les seuls qui y placent la mort d'un martyr^. — Ceux des
Martyrs Grecs, comme ceux d'Eusèbe et Pontien parlent de
la Petra Scelerata ad laciim pastoris, iuxta amphitheatrum.
Qu'est-ce au juste que ce /«cw.y pastoris? Celui peut-être qui
est mentionné dans Publius Victor'* et d'où dérivait im sur-
nom de la basilique du Vicus Long us ; yeui-èiro faut-il y voir
1 Sur les traditions chrétiennes du Forum, cf. L. Duchesne : le Forum
chrétien (Rome, Cuggiani, 1899, in-18).
2 Sur les traditions chréUennes attachées À ces monuments, cf. II. Delehaye :
LAmphithéAtre Flavien et ses environs, clans les textes hagiographiques {Ana-
lecta, 1897, 209).
3 31 juillet 138. « Cum percussi fuissent (Abdon et Sennen in amphi-
theatro), (gladiatores) ligavcrunt pedes eorum ex iussu Valeriani et traxerunt
et iaclaverunt eos ante simulacrum solis. » Martyrs exécutés près du Colisée :
Symphronius, Olympius, Exuperia, Theodulus (gestes d'Etienne).
* P. L., 18, 439. — Cf., le lacus Pastorum de la Notitia reg.y IV (Jordan., II,
119, 515^. — L. P., I, 221 : < in vicum longum, quae cognominatur ad lacum. »
Cf. Delehaye, loc, cit., p. 230.
f
-' Le templum telluëis 143
un souvenir de Tétang de Néron, qui se trouvait à Tendroit du
Cotisée *. — Qu'est-ce que cette Petra Sceierata?» C'est sans
doute une pierre qu'on remarquait en raison de sa singularité,
près de ÏArchivwm praefectuvae Urbis-. — La statue du
Soleil 3 citée par les gestes d'Etienne et ceux de Laurent, la
Meta Sttdans ^ mentionnée dans ceux de Restitutus sont bien
connus de même : celle-ci était une magnifique fontaine
établie par Domitien, dont on voit encore le noyau central, au
bas de la Vélie, à gauche de l'arc de Constantin; celle-là
était une statue de Néron en dieu du Soleil, haute de 36 mètres,
toute en bronze doré et avec des rayons : c'était Tœuvre de
Zénodore ; elle avait été érigée sur une grande base carrée en
maçonnerie (dont on voit encore les ruines à gauche de la Meta
Sudans) au moment où Néron construisait la Maison Dorée,
après Imcendie de Rome, en 64.
Non loin de cette Maison Dorée, dont aucune légende ne
fait mention, s'élevaient les thermes de Trajan, cités par les
Gestes des IV Couronnés et que nous font très bien connaître
Pausanias^ et Dion Cassius^. — Le temple d'Esculape qui appa-
raît dans le môme texte, nous est, au contraire, entièrement
inconnu : néanmoins, il ne saurait être rejeté comme imagi-
naire, d'autant plus qu*un détail très pariiculier, très vraisem-
blable, nous invite à (Toire que le rédacteur raconte ce qu'il a
vu : il parle des curae... in praeconias aenas ciim charac-
teribus, allusion transparente aux tablettes votives en bronze
avec des inscriptions qui racontent la guérison obtenue*^.
En avant de ce temple et de ces thermes, se dressait le
fameux temple de la Terre, templum Telluris, ou in Tellure
très fréquemment mentionné dans les gestes. Il apparaît dans
^ Martial, Ep., II. Le Forum Boarium était parfois désigné sous le nom de
lacua (Eth, in Cosm., cité par Bosio., XVI, 119}.
* Jordan., 11, 119; — MartineUi, p. 39. bans les cryptes vaticanes, on croit
la conserver (25 août 118, note b. b). — Cf. Delehaye, loc. cil.^ 230-231.
3 2 août 139-144. — Surius, IV, 607, ou 31 juillet, 131-138. — Delehaye,
loc. cit., 228-230. Cette statue existait encore sans doute, à Tépoque ostro-
gothique.
« 29 mai 10.
^ Pausanias, V, 12, 4.
« Dion., 69, 4. — Cf. Chronogr , 354, p. 146, M. — G. I. L., VI, 1670, 8677.
Jordan., 11, 524. — Lanciani, Lincei, 1, 484. — Hûlsen., Rôm.Mitth,, 1892,302.
7 Jordan., Comm. in honor. Th. Mommsenii, p. 356. — De Rossi, Bull., 1879,
p. 59. — Sur les termes de Trajan, cf. Gatti : Atli del 6» Congresso Slonco^
p. 253.
144 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITlOxNS ROMAINES
ceux d'Eusèbe et Pontien *, ceux d'Etienne 2, ceux de Lau-
rent^, de Calocère^, de Maris ^, de Marcel^; il est très
souvent placé à côté d'un templum Palladis comme dans les
gestes des Martyrs Grecs "^j de Cornélius^, d'Abmidius^ et de
Gordien ^0^ On Ta placé longtemps près du temple élevé par
Donatien à Pallas, sur le forum auquel Nerva devait donner son
nom'', à l'endroit où se trouvent aujourd'hui les Colonacce.
D'autres voulaient le voir, non loin de là, à la Torre dei Gonti,
élevée en 1203 par Innocent III sur les murs d'une cella rec-
tangulaire encore visible alors '*. Il semble qu'il faille le situer
définitivement, toujours dans le même brillant quartier des
Carines, mais plus près de Saint-Pierre-aux-Liens et du Por-
tique Tellurensis, de la Via délia Polveriera, à l'endroit où
s'élevait l'église de San-Salvador dont les ruines ont été décou-
vertes, puis détruites dans leté de 1891 lors des travaux
entrepris pour l'ouverture de la rue Cavour: on y avait
trouvé, au xvi* siècle, les débris d'un temple magnifique sur
lesquels se lisait le mot Telluris *3.
Le temple de la Paix ni le forum de Nerva ne sont cités
dans nos textes, mais le forum d'Auguste y appéu'aît une fois,
dans les gestes de Félicité ''*, sous son nom populaire de forum
Martis^'^, — Le Forum de Trajan est deux fois mentionné dans
les Gestes des Martyrs Grecs *^, et dans ceux de Gordien'^,
1 25 août 511.
2 2 aoat 144, d.
8 Surius IV, 607.
^ 19 mai 300.
6 19 janvier 578.
16 janvier g 4, 18, 21.
f De Rossi R. S, 111, 201,
« Schelstrate Antiq, EccL, \, 187.
16 septembre 29J.
ïo 10 mai 349.
11 Plan de Palladio. Jordan., II, 488. — Un des fragments du plan de Sévère
porte TELL.
ïï Nibby Ani,, I, 716. — Visconti, lull. comm,, 1887, 248. — Lancianl, id,
1882, p. 16.
ï3 Codex ligor. paris., 1119; f* 307, cité par Lanciani, Bull, comm., 1892,
p. 32. — Cf. Hûlsen, Rom. Millheil, 1893, p. 299, sq. — Delehaye, lac. cit., 232
et 248.
»* Doulcet, Mémoire p. 188.
1^ Cf. templum Marlis dans les gestes de Cornélius, le campus Martis, dans
les gestes de Cyriaque.
ï« R. S., III, 202.
17 10 mai 519.
8AINT JEAN ET SAINT PAUL 145
le temple de Serapis dans ceux de Félix et d'Adaiiotus^ Le
Circus Flamineus apparaît de môme dans les Gestes des
Martyrs Grecs ^ et dans ceux de Marcel^, le Circus Agonalis
dans ceux d'Eusèbe et Pontien*.
IV
Les traditions chrétiennes attachées au Celius se sont agglo-
mérées en quatre grandes légendes qui prétendent toutes racon-
ter Torigine des quatre basiliques construites sur ses pentes,
S. S. Jean et Paul qui en couronne la crête vis-à-vis du Palatin,
tandis que les Quatre Coiu'onnés, S. Clément, S. S. Pierre
et Marcellin regardent TEsquilin, celui-ci du haut de la col-
line, ceux-là, dans le creux de la vallée.
{. « Gallican^ général de t armée romaine^ après avoir vaincu
Ge.4tes « les Perses, envahisseurs de la Syrie , demande à Constantin
éan^eTpttul ** Auffustc la main de Constaniina sa fille, au moment où
« menacent les Scythes; et Rome tout entière apjntie ses
« prétentions, Constantin hésite sachant que sa fille veut rester
« vierge ; mais celle-ci, confiante en Dieu, promet d épouser
« Gallican s'il revient vainqueur de la guerre scythe, lui remet
« ses deux eunuques, le praepositus Jean et le prijnicerius Paul
« et garde auprès d'elle ses deux filles, Attica et Artemia,
« Toutes deux se convertissent ; Gallican revient victorieux
t< pour avoir imploré dans la bataille le secours du Christ''.
« // suit r exemple de ses filles, se démet du consulat, se
« retire à Ostie et y vit saintement, constniisant une église
« et chassant les démons. Au temps de Julien, il se retire en
« Egypte, à Alexandrie, puis fuit au désert et, finalement, est
« martyrisé par Rautiànus, comes templorum. A ce moment,
M Jean et Paul sont dénoncés à Julien parce qu ils distribuent
« les richesses que .Constaniina leur a laissées; le onzième
1 30 août 5(5.
« n. S., m, 202.
» 16 janvier, 367, Bull, comm., 1873, 217; 1885, 83.
* 23 août, 511.
^ Y a-t-il un rapport entre cette donnée et la légende de Clovis, vainqueur
A Tolbiac ?
10
146 ANALYSE CRITIQLE DES TRADITIONS ROMAINES
« jour après leur comparution^ à F heure du dîner ^ ils sont
« saisis par le campidoctor Terentianus, refusent d'encenser
« la statuette de Jupiter du corps des Joviens; à la troisième
« heure de la nuit^ ils sont décapités^ ensevelis dans leur
« maison^ et on répand le bruit qu'ils ont été envoyés en
« exil, {CrispuSj Crispinianus et Benedicta^ qui les avaient
a aidés à distribuer leurs aumônes ^ découvrent leurs corpsy et
« sont décapités; ils sont ensevelis à leur tour par les
« prêtres Jean et Pigmenius et par rex-praefectus Flavien *}.
« — Mais Terentianus se convertit; Jovien, qui succède à
« Julien, fait appeler le sénateur Byzantius, lui donne înis-
« sion de retrouver les corps de Jean et Paul et lui conseille,
« aifisi qu'à Pammachius, son fils, lorsqu'ils ont retrouvé les
« martyrs, d'établir une église dans leur maison. »
Il est évident que ces gestes représentent la légende de fon-
dation du tittdus désigné encore au concile de 499 par le nom
de Pammachius, et, en 514 déjà, dans le Liber Pontificalis, par
les noms de Jean et Paul. Il est certain que cette légende
enveloppe deux traditions locales distinctes, une tradition
ostienne relative à Gallican, une tradition célienne relative à
Jean et Paul réunies par la communauté de Tépoque pré-
tendue: Julien, et du personnage central: Constantina^. Il est
encore certain que la tradition ostienne est gravement inexacte
(cf. infra) ; il est probable que la tradition célienne Test égale-
ment.
En môme temps qu'elle met en scène un personnage fabuleux
(Gallicanus), elle présente des traits légendaires assez apparents :
tels, le groupement d'une vierge et de deux eunuques (cf. Nérée-
Achillée et Domitille ; Protus-Hyacinthus et Eugénie ; Calocere-
Parthenius et Anatolie); ou encore ^ la révélation miraculeuse
d'une sépulture d'abord inconnue^.
D'autre part, les textes du IV siècle sont tous également
1 Ces détails sont très certainement une interpolation, due au rédacteur
des Gestes de Vibbianne. Us ne se trouvent pas dans la plupart des manus-
crits, ni dans le texte de Mombritius.
> Tels sont les liens apparents des deux traditions. Le personnage de Pam-
machius en a fait réellement l'unité.
^ Noter aussi Tensevelissement intra domum. Cf. Olympiades et Maximus
dans les Gestes de Laurent (Surius, IV, 609); Abdon et Sennen, id; 8usanna
(10 août 632, i 5).
^ cr. Abdon et Sennen, Pierre et Marcellin, par exemple.
I
SAINT JEAN ET SAINT PAUL 14*7
muets. Rion do ce que nous conuaissons de l'hisloirc de Rome
sous Julien ne nous autorise à croire qu'il y ait eu, dans cette
ville, en plus des tracasseries et des vexations alors coutu-
mières, persécution sanglante. Le silence de saint Jérôme et
de tous les écrivains qui nous parlent de Pammachius, Paulin
de Xoles, Augustin et Pidladius est particulièrement décisif.
Nous avons de la vie de Pammachius une comiaissance précise *
et suffisannnent détaillée; jamais aucun détail ne peut être
noté, aucune allusion ne peut-être saisie dans les textes qui
s'applique à Jean et Paul; on voudrait pourtant qu'il en ait
établi le culte dans sa propre demeure, on voudrait qu'il en
ait fait peindre le martyre sur les nuirs de sa maison.
Enfin, notre texte a été rédigé cent cinquante ans après
Julien, au début du VP siècle', alors que se développe, à Rome,
un puissant mouvement légendaire. Et il est à noter que Cas-
siodore, qui parle longuement de plusieurs martyrs^ de la
persécution de Julien, ne souffle mot dé Jean et Paul ; il est
contemporain cependant du rayonnement de leur culte : il ne
> n appartient à la fatniUe des Fnrii. Né vers 340, il étudie à Rome avec
Jérôme ; devient sénateur, est appelé par PaUadius vir proconsitlari». AHié à
Marcena, il épouse Paulina, seconde fille de Paula. De 392 à sa mort, il
entretient une correspondance avec saint Jérôme : s'occupe particulièrement
de Jovinien, et de l'opposition que rencontrent les écrits de Jérôme contre
celui-ci. Jérôme le remercie et se juslitie dans le Liber Apologeticus ad Pam-
machium pro libi-ia contra Jovinianum [Migne, P. L., 22, 4U3; il lui écrit en
303 (Cf. Ih* Opl'uno yenerc inlerprelandi); il lui envoie sa défense contre Jean
de Jérusalem ; il lui écrit longuement en 391, pour le consoler de la mort de
sa femme; [dans cette lettre, il lui parle du xenodochium protégé aussi par
Tubiola, nullement de Téglise].
En 401, saint Augustin le félicite d'avoir renvoyé ses colons donatistes de
ses domaines de la Proconsulaire (Ep. 58). Palladius voit en lui Thomme par-
fait (II. L.. 122). — En 405, c'est sur ses exhortations que Jérôme étudie
les prophètes ; c'est à lui et à Marcella que sont dédiés les Commentaires
sur Daniel (401); en 408, la préface à Isaïe parle encore de lui. Il meurt
en 410 (Migne, P. L., 22, ép. 48, i9, 57, 66, 84, 97 ; — 33. 223 ; — 61 , 207). Ceillier :
//. Gen. des Aut. Sacrés (Paris. 1861), VII, 203. — WcUzer et Welte : Kirchen-
lesicon: IX (1323). 1, 895.
Des elogia pseudo-domasiens [litlerae .. maiores quam in reliquis damasia-
nis leguntur. Ihm.^ p. 39], le n* 58 (//im) était gravé au monastère de saint
Jean et Paul du Vatican [de Rossi, In. Chr.^ Il, 274 n* 5), le n» 39 se trouvait
à saint Cosme et Damien [Aide Manuce, Codej- Valicanus, 52M, p. 244] :
il ne donne aucun nom ; le seul fait qu'il contienne {fratres) est contraire
aux gestes : dans ceux-ci, en elTet Jean et Paul ne sont pas (encore) frères.
— Noter que les gestes ignorent l'incendie du fameux temple d'Apollon Palatin
survenu en 363. Si la légende était véritablement julienne, aurait-elle
négligé ce fait ?
* Cf. infra.
« Hist. Trip., VI (P. L., 69, 1027).
i48 A^iALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
les plaçait donc pas sous Julien. — Ces faits nous invitent à
(Toire que rattril)utiou de celte histoire à Tépoque de Julien
est purement légendaire: coiie conclusion toutefois demeurera
hypothétique, tant que Ton ne pourra pas retracer avec certi-
tude la genèse de la légende.
Voici quelle hypothèse on peut présenter à cet égard.
L'histoire du pieux Pammachius, propriétaire (fune église
installée dans sa maison de Celius*, fondateur d'un xenodo-
chvnn sur ses terres à Porto ; — l'histoire de Julien, chré-
tien d'abord, puis apostat, finalement persécuteur, sont vrai-
semblablement les noyaux primitifs et historiques de la légende.
Le renom de piété laissé par Pammachius, le renom sataimpie
laissé par Julien créaient une double tendance dans Tima-
gination populaire : idéaliser Tun jusqu'à en faire un saint,
noircir l'autre jusqu'à en faire un bourreau.
Ces deux traditions naissantes se trouvèrent un jour mises
en contact avec une autre tradition qui se développait, voie
Nomentane^. La fille de Constantin, Constantina, qui était
morte en 354, après une vie très agitée et peu exemplaire,
subissait une métamorphose curieuse qui la faisait apparaître,
elle femme d'Hannibalien, puis de Gallus, vierge sainte et
dévote d'Agnès. Les libéralités de sa famille, jointes à la pré-
sence de son somptueux tombeau, attirèrent et retinrent fixée
sur elle l'imagination des Roniains. L'analogie de son nom-*
avec celui de Constantia '♦, dont le Liber Ponûficalis entoure
le souvenir de tant de vénération^, devait amener, le temps
aidant, une transformation du personnage; la réputation de
piété qui s'attachait à la mémoire de la tante enveloppait peu
à peu, purifiait, idéalisait la nièce. Peut-ôtre même mèla-t-on
I Que régUse du Celius soit la maison de Pammachius, le fait est attesté :
1* parce qu'eUe s'appelait en 499 Titulus Byzanii; 2" parce que Byzantius est
dit père de Pammachius.
« Cf. infra. — La raison de cette mise en contact est la communauté de
l'époque où vécurent Constantina, morte en 354, Julien, mort en 363.
3 Nous lisons Constantina dans les Gestes d'Agnès : 1* cette pieuse personne
demande la construction d'une basilique, comme la fille de Constantin dans
le L. P. : or celle-ci ne s'appelle sûrement pas Constantia, puisque c'est à la
sœur de Constantin que ce nom est réservé; — 2* comme dans L. P., elle est
fille de Constantin ; — 3* comme dans les gestes de Jean et Paul, elle est
fille de Constantin ; — 4* Plusieurs manuscrits donnent Constantina.
^ Ce qui explique qu'Hélène, femme de Julien, soit restée dans l'ombre.
^ L. P., I, 180 : baptisée par Silvestre; I, 207. Libère exploite son renom de
sainteté pour entrer à Rome.
SAINT Jean et SAtNt PAÙL 149
à ces souvenirs celui qu'avait laisse Flavia Coiistantia *, fille
posthume de Constance II, morte jeune encore, sans avoir eu
d'enfant, et laissant après elle un grand renom de piété. Ces
souvenirs transformèrent la femme ambitieuse et sans scru-
pule qui avait voulu se servir de Vétranion pour posséder le
souverain pouvoir ; en elle, comme en ses parentes, on vit
peu à peu une femme pieuse et sainte, une vierge consacrée
à Dieu.
En môme temps que Constantina, son second mari, Gallus
se métamorphosait dans les imaginations romaines; Tidéalisa-
tion progressive de sa femme réagissait sur lui et purifiait
peu à peu sa figure. La haine qui s'attachait au nom de Julien
l'Apostat enfantait l'idée de lui opposer son frère, antithèse
et cc^ndamnation vivante de sa conduite et de montrer que,
tandis que l'un devenait le fléau de l'église, l'autre en devenait
la gloire. Le renom de piété d'un Gallicanus, donateur de
l'église des saints Pierre, Paul et Jean Baptiste d'Ostie^
achevait cette transformation de Gallus : car, nous savons qu'au
V' et au VI' siècles, les deux noms de Gallus et GalUcanits
étaient 'pris souvent l'un pour l'autre et confondus l'un avec
l'autre -^ L'histoire de Gallus-Gallicanus se modelait enfin, en
s'épanouissant, sur l'histoire de Pammachius, dont le souvenir
avait réagi sur le donateur de l'église ostienne et l'avait, en
quelque manière, pénétré : n'étaient-ils pas destinés à se fondre
l'un dans l'autre par leur commune réputation de piété, et leur
commun séjour ad ostia Tiberina'*?
Ce développement en bleu de Gallus appelait un développe-
ment parallèle et contradictoire en noir de Julien. L'Apostat
pouvait-il s'être montré plus doux vis-a-vis des Chrétiens qu'un
Dioclétien ou un Dèce? D'autre part, les légendes fameuses de
Domitille, d'Eugénie etd'Anatolie, fidèlement escort<?es de leur
couple d'eunuques Nérée-Achillée, Protus-Hyacinthus, Calo-
cerus-Parthenius créaient, dans l'imagination des pèlerins, une
tendance à associer deux eunuques familiers à chaque vierge
I Née en 361, elle était morte en 383.
^ L. P., 1, 184 : « Item dona qiiae optulit Gallicanus basilicae supra«crii».
tae sanctorum apostolurum Pétri et Pauli et Johannis BapUstœ...
* Cal, Libérien [L. P., 1, 4] : « (Zephyrinus)... a cons. Saturnini et Galli... »
Abrégés Ket F (L. P., I, 60) : « (Zephyrinus)... a consulatu Saturnini et Galli-
cani. »
* Gallican est à Ostie. Cf. infra.
l50 ANALYSÉ GRItlQDE DEâ TRADITIONS ROMAINES
du Christs Qui sait si ce ne sont pas là les deux faits d'où
procèdent et Tépoque assignée et la qualité attribuée aux deux
martyrs du Celius?
Quant à ces martyrs oux-nièmos, s'ils no sont ni les vic-
times de Julien, ni les familiers de Constantina, quelle est leur
histoire véritable?
On ne peut songer longtemps à voir en eux une transfor-
mation du célèbre ensevelisseur dont parlent les légendes
dioclétiennes : s'il est souvent associé à un autre saint, ici
Crispus, là Pigmenius, là encore Thrason, nulle part on ne lui
trouve un compagnon du nom de Paul. — On ne peut croire
davantage que Jean et Paul soient dos martyrs fictifs. 11 est
à noter, sans doute, que le souvenir de Gallicanus est associé
à une église de Pierre, Paul et Jean-Baptiste; il est possible
que, par suite d'événements à nous inconnus, le vocable de
l'église se soit modifié, que les noms <le Paul et Jean"^ se soient
attachés au souvenir de Gallicanus et aient été ainsi uïis en
contact avec Constantina.
Mais il est plus simple d'admettre que Jean et Paul sont deux
martyrs de la persécution dioclétienne : un fait nous hivite à le
croire, la mention du corps des Joviens, caractéristique de cette
époque ; on peut noter aussi que notre Artemia est homonyme
de la fille de Dioclétien guérie par Cyriaque (Gestes de Marcel).
Le souvenir de leur histoire véritable se serait complètement
perdu au cours du iv*' siècle : ce qui 1(» prouve de façon péremp-
toire c'est l'examen des frescpies*^ qui ornent leur confession et
qui n'ont aucun rapport avec notre légende. '
Ces fresques sont au nombre de six, disposées sur deux rangées,
l'une au-dessus de l'autre, décorant trois murailles dont deux se
font vis-à-vis et la troisième, au fond, relie les deux premières.
Celles de la rangée supérieure représentent, à droite et à gauche,
un homme et deux femmes : la fresque de gauche Jes montre au
1 Sur les « ascétiâations » de tradition, cf. infra.
- L'inscription pseudo-damasienne {I/im., ;I8, p. 59, donne :
Uanc aram domini servant Paulusquo Johannes.
^ Cf. les photograptiics ci-jointes : je les dois à l'obligeance de mon
ami, M. Laurent, ancien membre de l'école d'Athènes, de passage à Rome
en 1891. Elles ont été découvertes par le R. P. Germano di S. Stanislao en 1881.
Cf. La Casa Celimonlana dei S. S. Maitiri Giovanni a Paolo (Roma, Cuggiani,
1894, in-8») et P. Allard : La Maison des Martyrs [Etudes d'hisloire et d'archéo-
logie^ Paris, Lecoflre, 1899, 159).
SAINT JEAN ET SAINT PAUL 11)1
moment où on les conduit devant le juge, surveillés par deux
gardiens*; celle de droite nous fait assister à leur exécution^;
celle du fond, évidée par la fenestella confessionis présente
deux saints, peut-être saint Pierre et saint Paul : la fresque qui
se trouve au-dessous nous otfre une âme sainte, en forme
d'orante, entrant au paradis, tandis que deux personnages
lui baisent les pieds : saint Pierre et saint Paul n'intercèdent-
ils pas pour obtenir son entrée au ciel? Les deux autres
fresques latérales de la rangée inférieure se répondent, ce
semble, comme celles qui se trouvent au-dessus : celle de
gauche représente deux hommes, celle de droite deux femmes.
L'un des deux hommes, de figure noble et grave tient un
calice dans la main, qu'il semble présenter à son compagnon,
qui est en face: chose curieuse, celui-ci a la main coupée^.
Des deux femmes peintes sur le panneau de droite, Tune
désigne Tautre qui s'en va, tournant le dos, portant la main
droite au menton d'un air grave et inquiet. Il suffit de
comparer cette description des fresques à l'anaTyse des gestes
pour reconnaître qu'il est impossible d'expliquer les unes par
les autres.
Si Jean et Paul sont des martyrs dioclétiens peu connus,
vénérés au Celius, comment donc la piété romaine s'est-elle
tout d'un coup reportée sur eux ; comment les a-t-elle attribués
à l'époque de Julien?
Deux corps inconnus ont sans doute été trouvés, dans une
réparation faite au titulns au début* du v* siècle, comme les
1 Les coiffures de ces deux gardiens sont exactement les mômes que celles
des gardiens de saint Pierre représentés sur les sarcophages. Cf. Garucci,
V,319, 2.
^ On n'a pas le droit de prétendre, sans raison positive, que les fresques
supérieures de droite et de gauche représentent deux groupes différents de
martyrs : leur position symétrique, le fait que les personnages de droite se
retrouvent exactement à gauche, ces deux raisons montrent que le peintre a
Toulu représenter deux moments différents de l'histoire d'un même groupe
de saints : peut-être Crispus, Gripinianus et Benedicta, vénérés le lendemain
de la fête de Jean et Paul.
3 Que le lecteur veuille, ici, se rapporter à la photographie. M. Leroux,
peintre de TAcadémie de France, à Rome, a bien voulu s'assurer qu'un véri-
table moignon était ici représenté, que le stuc et la peinture étaient également
en bon état. — Les fresques ne paraissent pas antérieures au v* siècle, au
moins : la tradition inconnue d'où elles relèvent concernait peut-être les
mêmes martyrs Jean et Paul. D'autres faits montrent qu'au v* et au vi* siècle
les traditions martyroiogiques romaines étaient beaucoup plus riches que nos
gestes ne semblent l'indiquer (cf. infra Clément).
* Je dis an début : le Salhburgenxls^ en ettet, men*ionne Jean et Paul;
182 ANALYâl! CtltTIQt*£ t)fiS ttiÀDITlONS ROBlAlNËâ
corps (le Gervais et Protais avaient été trouvés à Milan :
rimagination populaire, vivement frappée par ce fait extraor-
dinaire, a tenté de l'expliquer de façon non moins extraor-
dinaire. Il se trouvait que le jour de ranniverstdre des deux
saints tombait le lendemain du jour de la mort de Tapostat*;
il se trouvait que Torigine de la basilique remontait à l'époque
de son règne et que la piété de la foule était comme tra-
vaillée du besoin de noircir le dernier persécuteur : on com-
prend que le martyre des saints Jean et Paul ait été placé
par la légende au temps oîi celui-ci règne dans le monde.
L'invention des deux corps n'est pas mentionnée dans le Liber
Pontificalisy mais n'y a-t-on pas relevé d'autres lacunes plus
graves? Mais ' n'explique- 1- elle pas à mcneille ce que la
légende présente de singulier, l'époque prétendue, l'ensevelib-
sement intra muros^ l'essor soudain du culte au cours du
V* siècle, enfin l'accent de la préface fameuse du Sacramentaire
Léonien : « Bien que les mérites précieux de tes justes, partout
où ils sont pieusement invoqués, soient toujours présents dans
ta puissance, dans ta clémente providence, tu nous a cepen-
dant gratifiés d'un immense bienfait: ce n'est pas seulement le
pourtoui' de cette ville que tu as entouré, comme d'une cou-
ronne, des passions glorieuses des martyrs; au cœur même de
la cité tu as enfoui encore les membres vainqueurs des saints
Jean et Paul, de sorte que ceux qui regardent a l'intérieiu:
aussi bien qu'au dehors (de nos murailles) rencontrent (égale-
ment) l'exemple d'une confession pieuse et le secoiu's d'une
bénédiction magnifique 2 ».
d*autre part, le monastère des Saints-Jean et Paul — sous ce nom peut-être —
remonte à saint Léon (L. P., I, 234, 239, 249. — R. S. IH, 258 apud Battifol :
Bréviaire; 59j.
I Julien est mort dans la nuit du 26 au 27 juin 363. Ammien Marcellin,
XX V^ 2-3; Schwarz, p. 150 {apud Goyau, Chronologie, p. 501.)
'^ « Quamvis enim tuorum mérita prctiosa justorum, quocumque fidcliter
« invocentur, in tua sint virtute praesentia ; potentes tamen nobis démenti
« providentia contulisUt ut non solum passionibus Martyrum gloriosis urbis
« istius ambitum coronares, sed etiam in ipsius visceribus civitatis sancU
« Johannis et Pauli victricia membra reconderes, ut interius exteriusque cer-
« nentibus et exempium piae confessionis occurreret et magniûcae benedictio-
4 nis non deesset auxilium ». — L'association de Grispus et Crispinianus &
Jean n'a peut-être d'autre cause que la proximité des anniversaires : le FH
place leur fête au 26 juin. Il ignore Benedicta et Terentianus.
3 I
4
LES QUATRE GOUKONNÉS iS3
â. « Quatre corniciilarii * refusant de sacrifier^ devant la statue
Gestes des « d'Esculape des thermes de Trajaji, sont mis àmortparDiO"
« clétien et ensevelis de nuit par le bienheureux Sébastien
« et Miltiade, évêque^ voie Lavicane ^ au troisième mille ^ avec
<c d'autres saints, dans un arénaire. Comme on ignorait leurs
« noms et qu'ils fiaient ensevelis le 6 des ides de novembre
« «in.se que les quatre sculpteurs de Pannonie SimpronianuSj
« Nicostratus, Claudius et Castorius convertis par Simplicius
« et martyrisés avec lui sous le même Dioclétien pour avoir
« refusé de sculpter des idoles, le bienheureux Miltiade évêque
c< ordonna de célébrer leur anniversaire sous les noms de
« Claudius, Nicostratus, Simpronianus et Castorius, »
Deux textes du iv° siècle contenus dans le chronographe de
354, et quatre du v°-vi% les gestes de Sébastien, le férial, le
sacranientaire Léonien et le concile de 595 nous permettent
de critiquer cette obscure légende, qui illustre Thistoire du
titulus Quattuor Coronatorum de 595, identique peut-être au
titulus Emilianae de 499 ^.
Dans le chronographe de 354, au 6 des ides d'août, on lit :
« VI. id, aug. Secundi, Carpophori, Victorini et Sève-
riani Albano. »
Or, nombre de manuscrits des gestes portent : « //// comi-
cularii, quorum nomina haec sunt Secundus, Severianus,
Car po foras et Victorinus, » Les quatre comicidarii de nos
gestes sont-ils donc à identifier avec les quatre saints d' Albano ?
II n y a plus de doute aujoiu-d'hui : il faut les en distinguer.
Les martyrs d'Albano sont vénérés le 6 des ides d'août ; les
cornicularii le 6 des ides de novembre ; ceux-ci sont ensevelis
sur la voie Lavicane, au cimetière ad duas lauros, au troi-
sième mille ; ceux-là, sur la Voie Appia, à la catacombe de
l^toile, au quinzième mille •'^. A cette double différence de
sépulture et d'anniversaire s'ajoute l'affirmation formelle des
gestes eux-mêmes : « dum nomina eorum reperiri minime
> Saglio, Dict. Ant,^ 1, 1509. — Mommsen; Romische Slaalsver.., II, o28.
2 TiUemont, V, 123; de Rossi, HulL, 1879, p. 46 ; AUard, IV, 130 ; Duchesne,
Mélanges, Vli, 221. Les deux textes publiés en 1853 et en 1896 nuus paraissent
dater de la même époque environ. [Cf. Sitzungsberichte... Berlin, ph.-hist, Cl.,
1896. 1292. — Silzungsberichte... VVie/i, 1853 (X), 118.]
3 Bull., 1869, p. 70. — Le Codex liernensis, au 6 des ides d'août, donne
rindicalion du quinzième mille.
154 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« potuissent^ jussit beatiis Miltiades episcopns ut sub nomine
« sanctorum Claudii, Nicostrali, SimpronianietCastoriianm-
« versaria (lies eonim recolatur, » La découverte du Codex
Parisiensis 10861, étudié par de Rossi en 1856, et, quarante ans
après, publié par Wattenbach, fortifie nos raisons et nous em-
pêche de confondre les deux groupes de martyrs : dans le texte
primitif qu'il nous livre, les noms des saints d'Albano ne se
lisent pas. —
On lit encore dans le chronographe :
« V. id. nov, démentis, Senproniani, Claudiy Nicostrati
in comitatum. »
S'agit-il de notre double groupe? Les trois derniers noms
le donnent à penser; la mention de in comitatttm semble le
prouver : le terme de comitatus s'applique naturellement au
cimetière ad duas lauros où sont enterrés les comicularii :
n'est-il pas contigu au mausolée d'Hélène, au domaine impérial
où s'élevait celui-ci ^ ?
Il n'en est rien cependant La mention de démentis éveille
les soupçons : comment y voir une déformation de Castori'î Le
soupçon se fortifie lorsque l'on constate que les compagnons
de démens sont vénérés le 5 des ides de novembre et les
comicularii le 6. La vérité jaillit lorsqu'on se reporte au férial
hiéronymien. On y lit, en effet :
U ID. NOUEB. ROMAE. démentis et Sinp (ro) ni.
En rédigeant Talmanach qui nous est parvenu, le copiste a
écrit la ligne qu'on vient de lire. En reportant ses yeux sur
le manuscrit qu'il copiait, il s'est trompé, et, retrouvant un
Sinp (ro) ni{ani) uneligne plus bas, au 6 des ides de novembre,
il ne s'est pas aperçu que c'était un autre saint et a ajouté
Claitdii, Nicostrati; il a supprimé Castorii et ajouté in comi-
tatum, parce qu'il sait que les comicularii vénérés sous les
noms des sculpteurs pannoniens ne sont que quatre et qu'ils
sont enterrés auprès de sainte Hélène 2. La mention du chro-
nographe au 5 dos ides de novembre ne concerne pas le groupe
des IIII Couronnés. —
ï Bu//., 1879, p. 70; 1882. p. IH.
- Epitome... « Juxta viam vero Lavicanam, ecclesia est sanctae Heleoae...
ibi IV Goronati id est Claudius, Nicostratus, Sempronianus, Castorius, Sim-
pl'pins.
LES QUATRE COURONNÉS 155
On lit dans les Gesta Sebastiani^ au paragraphe 76 de rédition
boUandiste : « Nicostratus et Clatidius nna cum Castorio et
« Mctorino et Syniphoriano^ dum corpora sanctorum per ora
« Tiberina reqitirerent^ a persecutoribus tentisnnt et ad Urbis
« Praefectimi perducti, Erat judex Fabiantis,.. » Nous savons
d'aillours que Nicostratus oîiijmmiscrinius (§ 23); que Casto-
riits est son frère (§ 25) ; que Claudius est commentariensis et
qu'il a pour fils Symphoriamis ; nous savons qu^ls sont asso-
ciés aux gestes de Sébastien et jetés à la mer^
Mêmes noms ou à peu près que ceux des héros de nos gestes,
même association à Sébastien, même supplice, peut-on ajouter,
voilà trois rapports que Ton saisit facilement entre les deux
légendes. Qu'il y ait coïncidence quant aux noms, influence
des llll Couronnés sur Sébastien quant aux détails, c'est l'ex-
plication la plus plausible qu'on en puisse donner : car il n'y
a pas de doute que le laterculus de VEpternace/isis'',
VII. id. nô in alT
et alibi | nat sinfori nicostrati gaudi uictoris castori balsami
doive ôtre lu :
VU. id. nû in aff
et alibi | nat sinfori nicostrati claudii uittoris castori balsami.
il n'y a pas de doute que victoris soit une déformation de
victoriniei gaudi de claudii et que le moi alibi du mîirtyrologe
corresponde au silence que gardent les gestes sur la sépulture
des martyrs ; comment douter dès lors que la date qu'il fixe à
leur anniversaire n'ait été déterminée par celle d'autres saints,
de noms presque identiques? Qu'il y ait davantage, qu'une
légende ait emprunté à l'autre ses personnages, comme nous
invite à le croire l'association de Sébastien à chacune d'elles,
c'est ce que rend peu probable, pour les gestes des Couronnés,
le fond même et l'allure du récit; pour ceux de Sébastien,
l'association de nos quatre personnages à Victorinus leur
compagnon, à Zoé et à Symphorose, femmes de deux (rentre
eux, à Tranquillinus enfin et à Chromatius, comme aussi le
rôle qu'ils jouent dans l'ensemble de l'histoire.
Reste donc à confronter avec les gestes ces trois faits, attes-
» Tillemont, IV, Ti.i.
* Uossi-Duchesne. p. 440.
i&6 ANALYSE CRITIQUE DES TRAbltlÛNS ROMAINËâ
tés tous les trois par des textes du vi* siècle : le culte de Sin-
pronianus, Claudius^ Castor et Nicostratus est localisé au
Célius^; il y a à Rome, en 595, un tUulits IV Coronatorum^;
l'expression et le culte romain des IV Coronafi sont tous
doux antérieurs à 595'^.
Qu'est-ce que ce culte du Ceiius? Que désigne l'expression
IV Coronati?
Qu'elle ait désigné d'abord les cornicularii, c'est un point
très vraisemblable : les marmorarii étaient cinq; d'autre
part, leurs noms étaient connus; quel besoin de leur appliquer
une dénomination conmiune, comme celle qui nous est par-
venue; quoi de plus naturel, au contraire, que de l'attribuer à
quatre martyrs dont on ignorait les noms?
Mais pourquoi les IV ("ouronnés, ensevelis sur la voie Lavi-
cane ont-ils été vénérés sur le Cclius ; conmient la tradition
qu'avait enfantée le souvenir de leur passion n'est-elle pas
restée localisée au cimetière qui gardait leurs corps*? — 11
se trouvait que le viens appelé Caput Africae descendait les
pentes du Célius pour remonter ensuite sur l'Esquilin ; et c'est
précisément sur la partie do l'Esquilin opposée au côté droit
de l'église que s'élèvent les thermes de Trajan et la statue
d'Esculape où les cornicularii subirent le dernier supplice.
N'était-il pas naturel que leur souvenir s'attachât peu à peu
à un sanctuaire tout voisin du théâtre de leur héroïsme et de
leur victoire^? Ce qui est assuré du reste, c'est que le fait
d'un double sanctuaire n'a rien qui doive étonner : sainte
Cécile, sainte Agnès, saint Laurent, saint Marcel, sainte
Sabine, saints Pierre et Marcellin étaient également vénérés
dans un double sanctuaire, urbain et cemitérial.
Et comment expliquer cette association des cinq Pannoniens
et des quatre Romains? Pourquoi cette tradition lointaine
s'enlace-t-elle, et de si curieuse manière, à une tradition
romaine?
Il faut se rappeler que c'est en Pannonie, dans le pays do
• F. H. Codex DernensiSy VI, id., nov., p. 140.
'^ Concile de 595: signatures citées par Duchesne, Mélanges, VII, 2*21.
•* Sacr. Léonien, VI, id. nov. — Cf. aussi. Sacr. Gelasien et saint Grégorien
(Muratori, II. 127).
* Il est certain qu'au temps des Goths aucune translation n'avait déjà été
faite.
» De Rossi, Bull, 1879. p. 80.
LES QUATRE COURONNÉS 157
nos cinq sculpteurs, que se trouve la résidence inipériiile de
Sirmium ; il faut se rappeler la pieuse activité d'Hélène, et ses
voyages par tout TEmpire ; est-il surprenant que la renommée
des marmorarii soit parvenue jusqu a elle et que, par elle-
même ou par les gens de sa suite, elle soit arrivée jusqu'à
Rome? — Il faut se rappeler surtout que les rapports entre les
deux pays n'étaient pas rares : à saint Calliste, sur la voie
Appia une fresque représente saint Quirinus, évêque de Siscia,
en Pannonie, transféré à Rome au iv* ou au v* siècle * ; une
inscription conservée au Latran (Xll. 10) nous a gardé le
souvenir d'un Flavius Ursicianus, cives pannonius militam in
officia magislri qui moiu'ut à Rome, à vingt-deux ans, le 2 des
calendes de novembre; les évoques pannoniens Ursace et
Valens étaient connus du populaire qui les transformait en
prêtres romains 2. Les rapports de Rome avec le nord de l'Italie
étaient étroits — les légendes de Chrysogone et d'Anastasie
l'attestent, on s'en souvient'* — et les pays Danubiens, véri-
table « marche )> de l'Italie du Nord étaient avec elle en rela-
tions constantes : c'était saint Ambroise qui avait ordonné
l'évêquc de Sirmium Anemius, et c'était le renom de sainteté
de sîiint Ambroise qui avait gagné au Christ la reine des Mar-
comans, Frigitia^.
A la fin du v* siècle, survint brusquement l'invasion des
Ostrogoths; ils venaient de la Pannonie, précisément : on devine
que cotte circonstance ne fut pas sans influer sur la connaissance
que l'on avait à Rome de la Pannonie et de son histoire. Bien
plus : les Ariens qui, même après leur départ, dominaient sur
les bords du Danube, les Rugiens, les Scyres, les Turcelinges
persécutaient cruellement les catholiques, et les catholiques se
sauvaient en pays ami, en Italie notamment. En 488, les disciples
de saint Séverin, l'apôtre illustre du Noricum Ripense, se réfu-
gient avec le corps do leur maitre à Mons Feletus^; sous le
pontificat de Gélase (492-96), sur les instances de celui-ci et
la prière d'une dame napolitaine, Barbaria, ils allaient s'établir
entre Naples et Pouzzoles, au château de LucuUus. Or, voici
qu'à la même époque, l'abbé Eugippius, le disciple de saint
ï Adon (P. L., 123, 279-280); BuH. 1894. — Marucchi : les Catacombes Romaines,
p. 178.
* L. P., I, XXXV.
» Cf. supra, p. 133, 117.
* Paulinus, Vila Ambrosii, 11 (P. L., 14: 30, 36, 39).
' Vila Seuerini, 44.
158 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
Scvcriii entre en relations suivies avec le monde romain: c'est à
une vierge romaine, Proba, qu'il dédie ses Excerpta^ex operi/jus
sancti Aitgvstini; c'est sur le conseil du diacre romain, Pas-
chasius, qu'il publie la .vie de son maître : et il lui envpie en
même temps un de ses diacres, « un nommé Deogratias, fort
bien instruit des miracles que Dieu avait faits par saint Séverin,
soit dans sa translation, soit à Lucullane* ». Je soupçonne ce
pieux personnage de ne s'être pas borné à dire les men-eilles
qu'avait opérées le grand apôtre de Pannonie. Il contait des
choses admirables ; on l'écoutait avec ferveur ; ses auditeurs
ne se fatiguaient pas de l'entendre ; comment ne l'auraient-ils
pas interrogé sur les martyrs de ces lointains pays? Qui sait
même s'il ne montra pas aux clercs romains qu'il rencontra
chez Paschase un acte authentique rédigé jadis par un contem-
porain des marbriers? l'emploi d'un document de ce genre
expliquerait fort bien l'emploi étrange du mot philosophas et
du mot actuariifs a gleba dans notre iG\iG et l'accord bien
remarquable qu'il présente avec les Canons d'Hippolyte''. Ce
qui me paraît, du moins, très vraisemblable, c'est que c'est
aux rapports d'Eugippius avec Paschase, et, plus précisément
peut-être, au « nommé Deo gratias » qu'il faut rattacher l'intro-
duction véritable à Rome de la légende pannonienne.
Il faut se rappeler encore qu'il n'est pas d'expressions plus
usuelles sous la plume d'un chrétien que celles de corona et de
coronati pour désigner le martjTe et les martyrs; elles avaient
cours en Pannonie aussi bien qu'à Rome ; elles pouvaient s'ap-
pliquer aux înarmorarii prosqu'aussi bien qu'aux corniczi/arii^.
La communauté d'appellation s'ajoutant àla comnumauté d'anni-
versaire engendra la connnunauté de culte et l'association des
» TiUemont, XVI, 178-179. — Cf. Cassiodore : Diiiin Litler. 23. — Et la pré-
face de M. Sauppe à la Vita Seuerini [M. G. Auct., Ant 1, vi, ix, xlvi].
^ « Fecerunt Victorias atque Cupidines, Âsclepii autem simulacrum non
fecerunt. t Les chrétiens ne pouvaient travailler à des idoles, niais ils avaient
le droit de représenter certains symboles païens ayant une valeur pureuient
décorative. L'ornement alion des catacombes romaines l'atteste, et aussi les
Canons d'Hippolyte: « Omnis artifex noverit sibi nullo modo liccre idolum
vel aliquam Aguram idolatricam effingere, sive sit aurifaber sive argenta-
rius, sive pictor sive alius generis arUfex. — Si quis autem artifex post baptis-
mum receptum inveniatur qui eiusmodi rem confecerit, exceptis ils rébus quae
ad usum hominum pertinent, excommunicetur donec poenltentiam agat. »
65-66 (Duchesne, Culle, (2« éd.), 508-509).
«^ Le groupement particulier des Pannoniens invite à croire que Simplicius
restait dansTombre.
LES QUATRE COURONNÉS 159
deux légoiules : de là naquit dans les milieux romains une ten-
dance à installer à Rome le culte des Pannoniens, dont Deo-
gratias avait dit la mort glorieuse. Il se trouvait d'autre part
que l'appellation de IV Coronati s'attachant à l'église célienne
pour la raison que nous avons dite, inspirait naturellement aux
fidèles le désir d'y vénérer des reliques saintes. Or, celles des
comicularii, vénérées voie Lavicane, étaient trop connues pour
qu'on pût avoir la pensée de les attribuer au Celius. Celles des
mamiorarii restaient seules disponibles : la tradition travailla
sur elles, imagina qu'elles avaient été transférées à Rome :
n'étaient^elles pas préparées pour le voyage, emballées qu'elles
étaient dans des châsses de plomb? Ici encore, le culte suggéra
l'hypothèse d'une translation ^ Lorsque, vers 850, Léon IV fit
^ Le fait n'est pas démontré; en effet la translation do saint Séverin,
rinfluence d'Eugippius sur la tradition, que je crois réelle, n'implique nuUe-
ment la réalité de la translation : notre texte ne sufAt pas à rétablir, et elle
n'est pas indispensable à Texplication de la genèse légendaire ; VEpilome
de locis sanctorum marlyrum ne mentionne pas les comieularii et les mar-
morarii^ mais seulement les IV coronati ; s'il ajoute, en son lieu, Simplicius, .
c'est par suite de la confusion des marmorarii et des cornicularii ; le texte du
L P., II, 115 sur lequel de Rossi s'appuie n'est pas sûr: il avoue lui-même
{Bul.y 1879, p. 82, note 1) que « in molli codici la frase è diversa ed in
luogo... dicum Claudio.,, dice... idesl Claudii,y> Comment concilier ce texte
avec les données de VEpilome ? Si les corps avaient porté sur leurs cer-
cueils des marques d'attribution certaine, on n'aurait pas dit, sans doute,
4 sollerU cura... repperit. »
Cette translation est pourtant possible. Des translations de cadavres et de
reliques sont attestées aux v*-vi* siècles : le pape Agapit, mort à Constsntinople
en 536, est transporté à Rome in loculo plumbeo (L. P., I, 288); il en est de
même du pape Vigile, mort à Syracuse en 555 (L. P., 1, 299), enseveli Via
Salara et du fameux eunuque Narses qui mourut à Rome « et cuius corpus
positus est in lucello plumbeo^ reductus est cum omnes divilias eius Constan-
tinopolim » (L*. P., I, 306). Les Romains de cet âge n'étaient donc pas en
peine de transporter des cadavres, dans des cercueils de plomb — comme
ceux où reposaient les IV Couronnés ; — ils savaient encore, de la même
façon sans doute, transporter des reliques. — La translation des reliques
de saint Etienne, premier martyre, qui finirent par rester aux Baléares, en
428, est fort connue (Severiani ep. epistola ad Judaeos, P. L.. 20, 733) ; nous
avons déjà parlé de la translation de saint Anastasie de Sirmium à Constan-
tinople et de saint Severin près de Naples; à la même époque, les reliques de
Probus et Tarachus sont transportées au monastère d'Eulhyme, celles de
Barnabe à Salamine de Chypre, celles de Gervais et Protais en Norique ; en
529, Justinien demande à llormisdas un fragment au moins des reliques de
saint Laurent (P. L., 63, 474); quelque quarante uns plus lard. Pelage envoie
à Childebert des reliques de saint Pierre et de saint Paul (P. L., 69, 403); à la
même époque, des reliques des Machabées sont transportées à Rome (Cf.
RampoUa delTindaro: Martyre el sépulture des Machabées |trad. fr. Descléej,
peut être aussi des reliques de saint Etienne; au temps de saint Grégoire enfin,
le diacre Agiulfe apporte à Grégoire de Tours des reliques de martyrs romains.
Gestes de
St Clément.
460 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
transporter sous r;iutel nuijeur de la basilique ci'^lienne dont il
avait été prêtre titulaire avant de coiffer la tiare*, les corps
des Quatre Couronnés, il les trouva effectivement tous les cinq^:
et comment ne les eût-on pas trouvés? Il y avait si longtemps
que l'on croyait à leur présence en ce lieu !
3- « Clémenty troisième évêqtie de Rome^ est également aimé
« des païens, des juifs et des chrétiens : il convertit Théo-
« dora^ femme de Sisinnius^ ami de Nerva, guérit Sisin-
u nius, subitement aveuglé en entrant dans une église oîi,
« poussé par la jalousie , il a suivi sa femme ; il le convertit
<^ même, Dieu s'étant laissé toucher par les prières de Théo-
« dora. — Cependant le comte des offices Publius Torquitia-
« nus ordonne aux préfets des régions de poursuivre partout
« les chrétiens, Mamertinus, préfet à Rome, se fait présen-
« ter Clément ; et, sur tordre de Trajan, après qu'il a
« refusé de sacrifier, il F envoie en exil dans la ville qui est
« située dans le désert de Cherson, au-delà de la mer et du
« Pont, Le <aint y trouve deux mille chrétiens, employés
« dans les carrières de marbre; il fait jaillir une source dans
« le désert et opère de si nombreuses conversions quil con-
« f ère plus de cinq cents baptêmes jmr jour et fonde soixante-
« quinze églises en un an. Le praeses Aufidianus, envoyé
« pour enrayer le mouvement, fait précipiter Clément au
« milieu de la mer, afin de dérober son corps aux chrétiens ;
M înais la mer se retire, le peuple 7'etrouve le corps de Clé-
« ment dans un abri qui a la forme d'un temple ; et ses
« disciples Cornélius et Phoebus reçoivent du ciel Vordre
« de Vy laisser, le même miracle devant se répéter tous les
« ans à pareil jour. »
Que la légende n'ait aucun rapport avec Thistoii^e, le fait
Cf. aussi la lettre de Grégoire !•' à l'évoque de Milan Constantin qui lui
demande des reliques de Paul, de Jean et de Pancrace (P. L., 17, 1015-1016).
Une translation de reliques n'a donc, en soi, rien qui doive surprendre.
— Peut être Deogratias avait-il apporté avec lui une memoria des Panno-
niens.
> L. P., H, 115: «Basilicam... quam ipse usquedum ad pontiAcii deductus
est apicem. prudentissimo moderamine rexit. »
* Ce ne fut pas sans avoir bien cherché : « SollerU cura inquirens repperit. >
L. P., Il, 115.
SAINT CLÉMENT 161
est trop connu pour que nous y insistions * : comment s'ost-cllo
formée, voilà le problème à résoudre.
Elle ignore les traditions romaines relatives à Clément^. La
première, que nous appellerons la tradition flavienne est rap-
portée par les gestes de Nérée : elle fait du pape Toncle do
Flavie Domitille, le neveu de Flavius Cleniens mort martyr en
95, le frère de Plautilla; elle le place au temps de Domitien.
— Notre texte ne fait mention d'aucun de ces faits : il n y fait
pas la plus légère allusion.
La seconde tradition romaine, que nous appellerons la tra-
dition célienne est rapportée par le Liber Pontificalis: elle
s'est formée évidemment autour du dominicum du Celius,
attesté sous ce nom dès l'époque constantinienne au plus
tard ^. Elle fait de Clément le quatrième pape et le place à
l'époque de Titus. — Nos gestes font de Clément le troisième
pape et datent sa mort du règne de Trajan : ils sont donc
indépendants de la tradition célienne comme de la tradition
flavienne.
Ils dépendent au contraire d'une tradition chersonésienne,
relative à un Clément de Chersonèse dont le souvenir se sera
mêlé au souvenir du Clément de Rome*. Cette proposition
n'est qu'une hypothèse: car, si l'on doit affirmer que le
christianisme était implanté dans ce pays dès Tépoque des per-
sécutions^, on ne peut rien ajouter de plus précis, avec une
entière certitude. Mais cette hypothèse est fondée siu* trois
faits: 1* un Clément a obtenu les honneurs du culte à Cher-
son : notre texte le prouve ; 2* Clément de Rome n'a pas été
exilé en Chersonèse : aucun document authentique, aucune
tradition d'origine romaine ne permet de le croire ; 3° il semble
que les gestes rapportent certains traits empruntés à la topo-
graphie locale de la Chersonèse. (Cf. les carrières exploitées
1 Cf. Ligthfoot, The Apostoltcs FatherSy Clément; — Duchesne, Ongines
chrétiennes^ p. 176.
> On n'y trouve aucune trace de la confusion du Clément de Philipp. IV, 3,
faite par Origëne: In Joannem, 1, 29, t. IV, 253.
3 Cf. rinscription gravée sur la lame de bronze de Lelio Pasqualini, Bull.^
1863, p. 25.
^ Le fait s'explique par les circonstances qui dominaient la vie romaine au
début du VI* siècle (Cf. infrà le chapitre intitulé Byzance)^ et non par Texil de
Martin I" en Chersonèse: U a régné de 649 à 655, et Grégoire de Tours, mort
en 594, connaît la tradition relative à Cherson.
& En 296, le christianisme nous est attesté par les monnaies retrouvées :
BulL, 1864, p. 5.
11
162 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
et la source qui jaillit dans le désert.) — Il est probable qu'ils
reproduisent, quant au martyre deCherson, une tradition cher-
sonésienne.
Est-ce à dire qu'ils ne représentent aucune tradition romaine?
Je ne le pense pas. La double tradition chersonésienne (le fait
du martyre, la localisation à Cherson) n'exclut pas nécessaire-
ment une tradition romaine antérieure, qu'elle aurait fortifiée
en la modifiant et en la précisant: en la modifiant au sujet du
martyre parce que la tradition tendait à conférer cet honneur à
tous les papes afin d'embellir leur histoire^ et que l'homonymie
de notre saint avec le consul Fla\îus Clemens, martyr en 95,
favorisait cette tendance ^ ; — en la précisant au sujet de l'exil :
ces deux mêmes raisons pouvant faire croire qu'il avait été
banni dans les îles de la mer Tyrrhénienne, comme ses illustres
parents : et il faut noter que ces îles sont désignées parfois
par le nom de Pontus èîul -rsv izsvtcv ^, alors que les gestes
disent i:spàv tou tîcvtou. — D'autre part, l'épisode de Sisinnius
et Theodora n'a rien de chersonésien et présente, au contraire,
une physionomie romaine assez accentuée : dans les gestes de
Sébastien, comme dans ceux-ci, on voit certains personnages
se mêler subrepticement à des réunions chrétiennes ; dans les
gestes de Calliste, on en voit d'autres aller à la recherche
de ces réunions secrètes. Il est clair que les traditions
romaines avaient conservé le souvenir de la curiosité qu'exci-
taient les assemblées des premiers fidèles et du mystère
dont ils aimaient à les entourer; l'épisode de Sisinnius en
porte témoignage : c'est un indice révélateiu*. — Enfin, si nos
gcbtes attestent la fusion d'un Clément de Chersonèse et d'un
Clément de Rome, il faut nécessairement qu'à ce Clément de
Rome ait été attaché à une troisième tradition romaine, puis-
qu'il ne peut venir d'aucune des deux que nous connaisons
déjà, la tradition flaviennc et la tradition célienne*.
ï Le Libet* Ponlificalis le prouve.
« Funck, Theol. Quart., 1879, 531.
3 Dans Malala, par exemple.
*• Peut-être même y a-t-il eu une quatrième tradition relative à Clément : la
Chronique de Nestor, qui dépend de nos gestes, ne connaît pourtant pas Corné-
lius. Mais on peut ne voir là qu'un accident survenu dans la tradition paléogra-
phique. — Nous n'avons pas déterminé le rapport de Theodora avec celle des
gestes d'Alexandre, celle des gestes d'Abundius, celle de TEcclesia Theodorae
citée dans Baronius, anno 418, | 79, t. VII, p. 150.
SAINT PIERRE ET SAINT MARCELL1N 168
4. « Lucilla^ femme très chrétienne^ parente de Firmina,
Gestes « recueille et ensevelit [le 4 des nones de jitin^ voie Imvî-
et M^re^ir'n* " cfl/i^, au HP mille^ dans une crypte auprès de Tiburce) les
« corps du prêtre Marcellin et de F exorciste Pierre^ décapites
« dans le Bois Noir par le bourreau Dorothée, sur tordre du
« vicaire Serenus, pour avoir converti le geôlier Arthemius,
« sa femme Candida, sa fille Paulina, »
La date de Tanniversaire est attestée par le férial :
« //// non. iun. duos laurosj mil IIII via Lavicana Mar-
cellini presbyteri et Pétri exorcistae».
Le lieu de la sépulture est attesté de même par les indica-
tions des Itinéraires : « Postea intrabis in speluncam : ibi
pansant sancti martyres Petrus presbyter et Marcellinus mar-
tyr [Salisburgensis) — et par les découvertes récentes ^
Les détails de Thistoire ne paraissent pas aussi surs. L'éloge
de Damase^, quoiqu'il s'inspire des récits du bourreau, ne
donne pas autant de détails que les gestes. — D'aulre part,
on y relève une évidente imitation des gestes d'Alexandre :
Pien'e convainc Arthemius par le même miracle qui ouvre
les yeux d'Hermès; et Arthemius se voit récompensé d'une
foi si peu méritoire par la guérison de sa fille Paulina, comme
Hermès par la guérison de sa fille Balbina. — On y saisit
encore comme une trace des gestes de Processus ; converti
au Christ, Arthemius veut relâcher les prisonniers qu'on
a remis à sa gai'de, connue l'ont fait Processus et Mar-
tinianus, une fois qu'ils ont élé convertis par saint Pierre. —
La Candida des Gestes vient probablement de la martyre de
Pontien, dont l'église abritait le tombeau d'un autre groupe
Pierre et Marcellin inconnu ^. — On remarque enfin que les
saints Thomatus et Rogatus et les quarante-deux autres qui
paraissent être associés à eux par le férial, ne jouent aucun
rôle dans leiu's gestes. Et l'on se demande si à l'histoire réelle
des martyi's ne s'en serait pas substituée une autre, sans
> BuU., 1882, p. m.
s Ihm., 29, p. 3i. — Le palais de Claudius, cité dans les gesta Stephani,
a élé retrouvé sur le Celius (AUi del 6* Congresso Storico^ p. 252). — Cf. la
petite étude de P. Bruder: Die heiligen Martyrer MarceUinus vnd Petnis...
(Mainz. Kirchheim, 1878, in-lB), livre I.
3 Bosio, 129-13.'). — Bottari, I, 202. — Bull., 1891, 150.
I
L
I
164 ANALTSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
rapport avec la première : le terme lïexorcista attaclié à la
mémoire de Pierre aurait été le noyau de la tradition nouvelle :
b 7
les gestes d'Alexandre et de Processus, Yeloginm de Damase,
la tradition relative aux Pierre et Marcellin de Pontien, en
auraient fourni les épisodes ; elle se serait constituée à une époque
assez tardive, non pas autour de la basilique cémitériale^, mais
à Téglise célienne et aurait été répapdue par quelque clerc
désireux de rehausser la gloire des saints qui la protégeaient.
En gravissant par le Vicus Publicus les hauteurs de l'Aven-
tin, on se heurt<ait à un temple de Diane, mentionné dans les
gestes d'Urbain, d'Eugénie et de Prisca, et bien connu par les
renseignements que nous fournissent Tite-Live, Denys d'Hali-
carnasse et Suétone. — En contournant le temple à droite, on
arrivait à sainte Sabine, à gauche à sainte Prisca.
1. « Sérapie, vierge^ citoyenne d'^Antioche habite à Vendis
fiestes (( iium (?) dans la maison de Sabine, veuve de Valentin, fille
u^teSabîne* " de Herodes Metallariiis [?) qui, sous Vespasien, donna trois
« grands jeux à Rome, Mandée par le praeses Uerillus, elle
« revient chez elle saine et sauve. Trois jours après, le
« praeses prépare des jeux au-delà du pont gui se trouve
« au dessus des Arcus Bini, se fait ramener Sérapie et la
« livre à deux jeunes gens d^ Egypte; mais Dieu ne pennet
« pas quelle soit violée. Ramenée devant le praeses, elle
u raille sa déception, rend à la vie les deux jeunes
« Egyptiens, est torturée et finalement décapitée au-delà de
« r Arcus Faustini iuxta aream Vindiciani ducis ducum, le 4
« des calendes d'août. — Sabine ensevelit Sérapie; traduite
« devant le préfet Helpidius, elle est décapitée et ses biens
« confisqués le 4 des calendes de septembre. Les chrétiens
« déposent son corps dans son monument de foppidum des
« Vendinenses, ad arcum Faustini. »
ï Elle vient d'être tout récemment retrouvée par M. Marrucchi: cf. la
cripta stoHca dei SS, Pietro e Marcellino recentemente tcoperla sulla via
lavicana [Nuovo BuU. 1898, 137).
&AiM*E SÉRAPIÊ Et SAINTE SAbInÉ 165
La sainte Sabine, héroïne do la légende et éponyme du
titulus aventin*, est solidement attachée à Rome, sinon par le
férial, du .moins par le Salishurgensis : dans ce document,
sa tombe est signalée sur la Voie de Porto. L'église aventine
est attestée à la même époque précisément; le prédécesseur
de Sixte, Célestin P' (422-432) est mentionné dans l'épitaphe du
prêtre PieiTC qui la fonchx; le Liber Pontificalis confirme les
données de cette épitaphe.
L'histoire de sainte Sal)ine, par contre, est solidement atta-
chée à la* terre d'Ombrie. Si on n'y a pas retrouvé les Arciis
Bini et Faustini, — d'ailleurs inconnus à Rome, — on devine que
Yoppidum Vindennatiiim était le centre urbain de ces Vindi-
nenses ombriens dont parle Pline 2; du reste, la couleur
ombrienne des noms de Valentin et <le Sal)ine est attestée par
le Valentin de Rieti et le Sabinus d'Assise ; le terme à'area^
enfin, était courant en Ombrie^.
Il est donc vraisemblable que la sainle romaine a été con-
fondue avec son homonyme ombrienne dont l'histoire avait
surnagé. // y avait à Rome^ sur cette même voie de Porto oti
reposait la titulaire de V église aventine ^ une colonie ombrienne :
les inscriptions l'attestent'*.. — L'époque assignée parla tradition
ombrienne ne soulève aucune difficulté ; les noms d'Herodes,
de Sabine, de Valentin sont usuels dans la première moitié
du II" siècle; l'épisode des deux Egyptiens peut égidement
s'expliquer par l'histoire'^ et la légende. On ne saurait rien
dire au sujet dos autres épisodes ni dos autres personnages
(Beryllus apparaît dans les gesta Tarachi) ; on ne saurait dire,
en particulier, si l'anniversaire du oO août est ombrien ou
romain, ni si l'association de Sal)ineà une sainte Sérapie**, est
historique ou légendaire, vient de Rome ou d'Ombrie.
Tout près de sainte Sabine, saint Bonifacc.
1 Cf. Ephemeria Spalatensis (Jaderae), 189i, p. 9. « Die allchrislliche
PrachUhùre von S, Sabina in Rom», par A. Ehrhard.
« PUne, H. S., III, 14, 19.
» BuU., 1871, p. 93. — R. S., III, 429.
« De Rossi. R. S., III, 682.
^ Tertullien : Apol., 50 «... Ad lenoneiii potius quam ad leonem... »
< Le nom, d'origine égyptienne, fut transformé bientôt, par uu jeu de
mots pieux en Seraphia.
St Boni face.
166 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
2- « Ali temps de Dioclétien et de Maximien, Boniface,
iPn!Î^ffit " intendant d Aglaé, riche dame romaine^ et son amant, est
« envoyé en Asie par celle-ci, touchée de repentir, avec mis-
« sion de recueillir et d'apporter à Rome les reliques des
« martyrs. Martyrisé lui-même à Tarse par le juge Simpli-
« dus, il est rapporté à Rome par ses gens, enseveli par
« Aglaé, voie Latine, au cinquième stade ; il avait été mar-
(( tyrisé le quatorzième jour du mois de mai. »
Le saint Boniface titulaire de Téglise n'a aucune attache
romaine. Le Bemensis (14 mai) ne saurait entrer ici en ligne
(le compte ; le Boniface ([u'il mentionne au 14 mai, à la diffé-
rence de TE et du W nuiets à cet endroit, est une évidente
addition faite d'après notre légende elle-même. Le premier
pape du nom de Boniface (418-422) n'est certainement pas le
martyr aventin; il a de très solides attaches salariennes; le
férial, le Salis/mrgensis, le Liher Pontificalis en témoignent
également. Le nom même de Bonifacius est imisité avant le
V® siècle, comme tous les noms de facture semblalde; d'autre
part, la plus ancienne attestation de l'église aventine est donnée
pcO* l'Epitonïo (642-649) : ecclesia S. Bonifacii martyris ubi
ipse quiescit. Le Boniface qui la protège a donc été importé
à Rome entre les débuts du v' siècle et le milieu du vu*.
On peut songer à trois saints Boniface. Le diacre de l'abbé
Liberatus martyrisé avec lui par les Vandales, n'est vraisem-
blablement pas le nôtre : sans doute, Victor de Vite était lu
et goûté à Rome, les gestes de Cécile et d'Abdon l'attestent;
mais les compagnons du mai'tvr africain ne reparaissent pas
dans la tradition romaine, qui est, en outre, exempte de toute
attache africaine. — L'cvèque de Ferento, au vi* siècle, n'est
pas davantage, semble-t-il, le titulaire de notre église. Sans
doute il put être, à Rome, en grande vénération; les Dialogues
de saint Grégoire nous invitent à le penser ; mais on ne voit
pas qu'il ait été martyr ni qu'il ait passé pour tel ; surtout on
ne voit pas qu'aucun personnage de la seconde moitié du
VI" siècle ait ol)tenu les honneurs du culte dans une église
romaine à lui particulière dès la première moitié du vu*. —
On en vient à penser que c'est le Boniface, de Cësarée de
Cappadoce, attesté par le calendrier au VII id. iun., dont le
culte a été installé sur l'Aventin ; si la légende ne parle pas
SAINT fiONtil'ACË 167
de Césarée, ni même de Cappadoce, ni encore de Lucien qu'il
faut peut-être associer au saint de Césarée, elle place en
Orient son principal héros. L'hypothèse a pour elle qu elle
s'appuie sur des cas d'analogie; les cultes de Comeet Damieu,
de Serge et Bacchus, de Césaire, de Théodore furent importés
par les Byzantins. Que la Cilicie ait remplacé la Cappadoco
et Tarse, Césarée, il n'y rien là d'étonnant ; cette substitution
s'explique par l'influence de Victor et Corona (14 mai) et do
Tarachus (13 mai).
Si telle est l'origine du cidte aventin, quelle est l'origine
de la tradition?
La tradition a été suggérée par l'église. On a prétendu le
contraire, en s'appuyant sur ce fait qu'elle Tignore * ; mais les
gestes d'Eusèbe, des IIII Couronnés, de Pierre et Marcellin,
d'Anastasie, de Clément, ignorent de même les églises de
Clément, d'Anastasie, de Pierre et Marcellin, des IlIICx^uroiuiés,
d'Eusèbe : qui conteste pourtant qu'ils n'en illustrent l'histoire?
En précisant nos connaissances sur les origines de l'église,
nous risquons donc de jeter quelque lumière sur les origines
de la tradition. Trois papes du nom de Boniface régnent de
607 à 625 : on n'en compte que deux avant 607, Boniface P''
qui règne de 418 à 422, Boniface II qui règne de 530-532 :
deux, par conséquent en deux siècles. Et tout d'un coup, en
moins de trente ans, en voici trois, presque coup sur coup,
et qui ne sont pas originaires du même pays. Le fait atteste
le rayonnement du nom ; il invite à penser que c'est de cette
époque que date l'installation du culte de Boniface sur l'Aventin.
Or le Liber Pontifxcalis atteste que Boniface IV qui régna
de 608 à 615, suivant en cela l'exemple do saint Grégoire,
transforma sa maison en monastère : (domum suam monas-
1 La différence que M. Tabbé Duchesne indique {Mélanges, X) entre les textes
grec et latin nous paraît d'importance très secondaire : quinque et quinqua-
ginta, irêvTc et itcvTr,xovTa se prennent aisément Tun pour l'autre. La leçon
donec aedificaret domum eius passione dignam, où il voit la caractéristique
d'une tradition particulière est propre à un seul des mss latins vus par les
Bollandistes, le Vaticanus 6075 ; c'est une évidente correction née du désir
de concilier, avec le fait de l'église aventine et de sa tradition propre con-
tenue dans VEpilomej la tradition des gestes. — La localisation latine fantai-
siste est moins surprenante qu'il ne semble : les gestes de Basilide con-
tiennent une localisation du même genre ; bien plus, les gestes de Nérée font
de son compagnon et de lui-même les eunuques, valets de chambre de
Domitille, et chacun pouvait lire dans leur basilique l'inscription de Damase
qui en faisait des soldats. — Cf. Clément.
i68 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROSlAINES
terium fecit). Il faut, sans doute, entendre ici un monastère
de diaconie : ces sortes de bureaux de bienfaisance, attestés
pour la première fois en 68 i* remontent au début du siècle
très vraisemblablement ; et Ton voit que, plus tard, régUse
aventine est désignée sous ce nom. L'on sait enfin que les
supérieurs des diaconies étaient apfcléijpaterow dispensator-;
et voici que, au temps de saint Grégoire 590-604, Ton trouve
un diaconus atque dispensator ecclesiœ qui s'appelle Boni-
fatius^, — Mais alors, objectera-t-on, Tintroduction du culte
de Boniface à Rome, la consécration d'une chapelle à ce
martyr dans le monastère de diaconie aventin n'est-elle pas
vraisemblablement le fait de ce diaconus atque dispensator
ecclesiae ; et ne faut-il pas les dater Tune et l'autre du ponti-
ficat de Grégoire 590-604 et non du pontificat de Boniface IV,
608-615.
Je lève cette difficulté en identifiant le pape Boniface IV
(608-615) avec le Boniface « diaconus atque dispensator
ecclesiae » du temps de saint Grégoire. Le Liber Pontificalis
ne nous oblige nullement à dater de l'époque du pontificat de
Boniface la transformation de sa maison en diaconie. La
chronologie autorise, d'autre part, l'identification des deux
personnages. Le Liber Pontiftca/is, enfin, atteste que Boni-
face IV était originaire de la Valérie, (( natione Marsorum de
civitate Valeria » et c'est de cette même province de Valérie
que saint Grégoire semble bien faire venir son Boniface :
«Etienne..., qui était ^ par aagnation^^ très proche parent de
Boniface, diacre et dispensateur de l'Église..., fut prêtre de
la province de Valérie ^. » Ce Boniface était moine ^ ; et voici
qui, pour nous, est très intéressant, il fut envoyé à Constanti-
nople en qualité d'apocrisiaire^. N'est-il pas vraisemblable de
croire qu'il a connu à Constantinople le saint de Cappadoce,
qu^il s'y est intéressé comme à son patron et que, à son
retour à Rome, en ayant obtenu peut être quelque relique, il
lui a cxinsacré, dans sa maison, un oratoire?
> L. P. I., 364. Benoit II.
« L. P. I. 364 note.
3 Vialog. III, 20, (P. L. 17,269).
^ « Stephanus... huius nostri Bonifacii diaconi atque dispensatoris Ecclesiae
agoatione proximus... Valeriae provinciae presbyter fuit [piaLy III, 20; P. L.,
• 7, 2G9).
6 ViaLy m, 29 (P. L., 77,285).
« Epistolae, XIV, 8 (P. L., 77, 1310).
SAINTE PRI8CÂ 169
3. « Sous le règne de Claude , la bienheureuse Prisca est
Gestes « saisie dans une église^ conduite devant F empereur et^
SicPrhtcai " après avoir été longtemps torturée par Limenius^ parent
« de Claude^ décapitée le 18* jour de janvier, voie d'Ostie^
« au 10* mille : et deux aigles gardaient son corps lorsque
« survint l'évéque de Rome qui l'enterra. Longtemps après^
« Dieu révéla à Eutychien^ praesul apostolicae sedis Vrbls
« Romae, en quel endroit elle reposait et Eutychien trans-
it porta son corps au son des hymnes et des cantiques^ à
« côté de rArc Romain^ dans t église des saints martyrs
« Aquila et Prisca, »
Primitivement, Téglise illustrée par cette légende était dési-
gnée par le simple vocable de Prisca : les signatures du concile
de 499 le montrent. Elle fut établie, sans doute, au m* siècle,
dans la maison d'un Marins ou dans celle d'un Cornélius Pu-
dens : Tinscription de Marins Pudens Cornelianus consul on
222, trouvée dans les jardins de la basilique, invite à le croire.
Qui était, à quelle époque vivait Prisca qui fonda Téglise?
On ne saurait rien avancer avec certitude. Cependant, si Ton
remarque que, malgré le désir évident du rédacteur de situer
cette histoii'e à Tépoque apostolique, elle présente un synchro-
nisme curieux entre Claude (II) (268-270) et Eutychien (275-
283), on pensera que c'est à leur époque que vivait peut-être
cette pieuse chrétienne : Thypothèsc s'accorde fort bien avec
l'inscription de 222 : notre Prisca ne serait autre que la fille
ou la petite fille de M. Pudens Cornelianus.
Le titulus Priscae du v" siècle est désigné au ix' pour la
- première fois, sous le nom d'Aquila et Prisca 2. Si Ton rap-
proche du Liber Pontiftcalis qui mentionne la translation
d'une Aquila et d'une Prisca sous le règne de Léon III (795-
816), l'épitaphe d'une Aquila Prisca et celle d'un Aquilius
Priscus trouvées au cimetière Ostrien 3, on ne peut dire néan-
1 Cf. Gôrres : Dos martyr ium iler h, Prisca (Jahrb. fur prol, Theol.. XVII,
1893, 112).
* (Test dans le Liber Ponlificalis (11, 21, Léon III) qu'apparaît pour la
première fois le vocable eccUsia Aquilae et Priscae ; à cette même époque,
dans ce même texte, le vocable ecclesia Priscae est encore usité (11, 4, 21).
3 L'anniversaire de Prisca, qui tombe le 18 janvier, ne serait pas sans
rapport avec ce fait : le 18 janvier est le jour où Ton fête la Cathedra sancti
Pétri, le grand jour de TOstrien. — L. P., Il, 11M16. -^ Bu//., 1888-1889, 129,
note 4, 130-131. — Cf., C. 1. L., VI, 12, 273.
i^O
ANàLVSË CtllTlQLE DES tRADltlÔMS ROMAlNËâ
moins, avec certitude, que ce soient les amis de saint Paul
dont les corps aient été transportés par Léon. Lorsque saint
Paul écrit sa seconde épître à Timothée, ses amis sont en
Asie et rien ne fait soupçonner qu'ils soient depuis revenus à
Rome. Mais il est possible qu'ils y soient revenus ; et puis,
les Romains pieux n y regardaient pas d'aussi près. Un moine
crut ou voulut faire croire que les corps transportés étaient
ceux mêmes des amis du grand apôtre : leur souvenir était
plus glorieux, certes, que celui d'une sainte obscure ; il fallait
que l'église fût placée sous leur vocable. Il imagina donc, je le
soupçonne, par une fraude habile autant que pieuse, d'expli-
quer cette appellation de Prisca en imaginant une translation
et de fonder l'antiquité du vocable Aquila-Prisca en le présen-
tant comme antérieur à Tépoque de cette translation, comme
datant par conséquent du temps des Apôtres : saint Paul ne
dit^l pas àoxaffadOs Tlptaxav xal 'AxjXav... y.a\ tyjv xa-r'oîxov a'jTo>v
èxxXridiav (Rom. XVI. 3-5). Ce qui appuie cette hypothèse,
c'est qu'il est fort possible qu'une sainte Prisca, isolée, ait été
transportée à Rome du 10" mille de la voie d'Ostie ; cette trans-
lation effective, un peu antérieure, semble-t-il, à l'apparition
du vocable Aquila Prisca, aurait suggéré le double légendaire
qu'atteste notre texte.
*• Voici encore une légende de fondation d'église. Il s'agit du
Gestes titiilus Fasciolae, situé Via Nova, au point où, par un coude,
Processus ^^llc"<^î rejoint la voie Appienne, près des thermes Antonins.
et « Processus et Martinianus, geôliers de saint Pierre et de
xMartinianus. „ saint Paul, convertis par eux leur conseillent de fuir. Les
« apôtres sortent de prison ; comme ils passent Via Nova^
« une bandelette — fasciola — tombe des jambes du bien-
« heureux Pierre; il continue sa route^ mais, arrive' à la Porta
« Appia, il voit Notre-Seigneur Jésus-Christ et, le reconnais-
« sont, lui demande, « Seigneur, où allez-vous ? — A Rome,
c< répond le Seigneur, pour être crucifié une seconde fois ;
« quant à toi, reviens à Rome. Et Pierre revint à Rome. »
i L'église aventine aura été choisie, comme étant la plus proche : les
cimetières de la voie d'Ostie étaient rattachés à ce tilulus. Cf. i'épitaphe
d'Adéodat : Marchi, Monum.y p. 26. — Noter que Toratoire trouvé en 1776,
où Ton crut distinguer des fresques du iv* siècle représentant les. apAtres,
ne confirme en rien l'origine apostolique de sainte Prisca. — De Rossi, Bull,,
t867, p. 46.
âÂtMT PRÔCESàUlà ET SAlNt MAkTlMlANt'S l7l
Ces deux épisodes des gestes de Processus ne sont pas de
même origine. L'un est purement romain : celui qui raconte la
chute de la bandelette — fasciola. Le tittdus Fasciolaey
attesté en 377, portait vraisemblablementle nom d'une romaine,
sa fondatrice; mais comme le terme de Fasciola a, en même
temps la signification de « bandelette » , il arriva de bonne
heure, que rimagination populaire travailla sur ce jeu de mot.
L'importance de la voie Appia tendait à y fixer la vieille
tradition de Tapparition du Christ à saint Pierre ; la conve-
nance interne des deux épisodes contribua à fixer le second
Voie Appia, à rattacher le premier à saint Pierre : c'est dans
sa fuite qu'allait lui reprocher Jésus, que l'apôtre avait perdu
une bandelette ^
Nous avons fini notre tour de Rome à l'intérieur de l'en-
ceinte ; nous voici revenus dans le voisinage des saints Jean et
Paul, et voici que les gestes de Procossus semblent nous
engager sur la Voie Appia. Par la splendeur des souvenirs
chrétiens qui s'y pressent, connue pai» la majesté des monu-
ments païens qui s'y dressent, elle mérite plus qu'aucune, le
titre de « Reine des voies romaines » que les anciens aimaient
à lui donner. Il est juste de commencer par elle notre tour
de Rome « fuori li mura » et de descendre d'abord dans les
hypogées vénérables qui se cachent tout autour.
1 Cf. infra. Le plus ancien oratoire attesté à cette place est mentionné
dans une charte de 1288: « Ecclesiam scae Mariae ubi Dominus apparuit. »
Nerini, Boniface et Alexis, p. 253. — Un édicule fut construit au même endroit
sous Paul m par Reg. Polus (Nibby. Mod,^ I, 453). — L*église porte actuelle-
ment le nom de Santa Maria délie piante (Jordan, II, 335, 615. — Severano,
7 chieae, 1, 461).
CHAPITRE III
TRADmOïS GEHITËRIALBS
DE LA VOIE APPIEHNE A LA VOIE ÏOHEHTANE
I»
De la Porta Appia ou les gestes de Processus nous ont
conduit, on apercevait distinctement deux monuments superbes :
à droite, et en arrière de l'enceinte, les thermae Severianae
dont on n'a pas retrouvé la situation très précise : ils sont
mentionnés une fois dans les gestes d'Eugénie 2 ; à gauche, en
avant de l'enceinte, le templum Martis, construit par Sylla^.
^' « Une mât, Ntinesius rencontre Valérien et Maxime dans le
Gextes ^^ temple de Mars^ accomplissant un sacrifice suivant un rite
i.Vmt Etienne " sacré, A la prieure du saint, Maxime est saisi par le diable
ce et meurt en faisant emprisonner Nemesius ; Lucilla, la fille
« de celui-ci, est décapitée à cet endroit même, tandis qnon
« entraine son père sur la Voie Latine pour Cy égorger à son
a tour. Mais lorsque réveque Etienne est mené au temple par
M les soldats, il invoque le Dieu qui détruisit la tour de con-
« fusion élevée à Babel et aussitôt, dans le fracas du tonnerre,
« à la lueur des éclairs, s^écroule le temple sacrilège; et les
« soldats épouvantés s'enfuient et relâchent le bienheureux
« Etienne. »
1 Cf. Marrucchi : Les Catacombes Romaines^ p. 135.
î P. L., 21, 1105.
^ Gicéron, ad Quintum fralrem, III, 7; Tit. Liv., X, 23, 12; XXII, 1, 1^.
f*^
174 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
Etienne est mort en 257 : aucun document ne laisse entre
voir que le temple de Mars ne fut pas debout à cette date ;
aucun ne permet de critiquer les autres données de la tradi-
tion. On peut supposer seulement que c'est le nom de Lucilla
qui a suggéré au rédacteur Tespèce particulière du miracle
qu'il raconte : une guérison de cécité. On peut admettre que
c'est cette Lucilla qui est citée dans le férial, via Appia,
le 3 des ides d'août, dans un groupe de saints entre Pastor et
Pontianus,
2. « Durant la persécution de Dèce^le pape Corneille est exilé
Gestes j< ^ Centumcellae ^ otï le consolent les visites des fidèles et les
SI Corneille. " lettres des évêques — celles notarfiment de Cyprien lui par-
« lant de Celerinus, Irrité de cette correspondance^ Dèce
« fait venir Corneille à Rome^ l'interroge in Tellure ante tem-
« plum Martis et ordonne de le conduire au temple de Mars
« pour Vy faire sacrifier. En passant près de fArcus Stillae^
« il guérit Sallustia^ femme du soldat Cerealis, gui se con-
<( vertit avec vingt et un de ses camarades: tous^ refusant de
« sacrifier^ sont décapités avec le pape au temple de Mars^
« en dehors de la porte Appia, Ils sont ensevelis par Lucine^
<c dans une crypte de son champ, à côté de la voie Appienne. »
Sur deux points la tra<Iition est exacte. L'époque d'abord:
non que Corneille ait été tout à fait contemporain de Dèce,
mort deux ans avant lui en 251 : mais c'est bien vers le
milieu du m* siècle qu'il a vécu. La topographie ensuite : il
faut passer par VArcus Stillae (la porte Capène*) pour aller du
temple de Tellus au temple de Mars ; d'autre part, c'est à côté
du cimetière de Calliste que reposait Corneille, dans le champ
de Lucine : la crypte de Corneille, illustrée par les premières
découvertes de de Rossi (1849-1852) est à une cinquantaine de
mètres de la crypte papale et n'y fut reliée que tardivement.
Pourquoi Corneille ne fut-il pas déposé dans celle-ci ? On peut
croire, — si l'on se rappelle siu'tout que son épitaphe fut gra-
vée en ciU'actères latins, et non en caractères grecs comme
celles de ses contemporains — que la raison en est que Cor-
neille appartenait à la gens Cornelia, qui avait ici sa sépulture
1 Juvenal, 111, ii ; Jordan, II, 19, 380.
^ Epigranime pseudo-damasienne, Ibm.
SAINT ALEXANDRE ET SAINTE BALBINE JT^
privée et dont les membres tenaient à leurs illustres ancêtres * •
On peut croire aussi que c'est de cette région cémitériale — de
son nom — que vient la Lucine de notre texte et celle du Liber
Pontificalis : les deux noms de Lucine et de Corneille se sont
trouvés associés par le fait de la sépultiu'e de celui-ci; d'où
l'intrusion de celle-là dans son histoire : ici, elle ne fait encore
que l'ensevelir; dans le Liber Pontificalis ; elle est intimement
mêlée à la translation de Pierre et Paul. Tout nous invite donc
à croire qu'elle n'est qu'un double de la Lucine apostolique.
Sur trois points, la tradition est incomplète et inexacte.
L'anniversaire indiqué - est celui — non de la mort de Corneille
qu'on ignore — mais de sa translation à la fin du m" siècle; car
il est mort à Centumellae, sans avoir été martyr: »* Centtim-
cellae expidsus, ibi cum gloria dormitionem accepit, » dit le
continuateur d'Hippolyte, contemporain des faits. D'autre part,
s'il est vrai que Cyprien a écrit alors à Corneille^, Cjprien
n'était pas alors emprisoilné, et ce n'est pas dans cette lettre,
qu'il parle de Celerinus*.
3. « Qtiirinus tribun qui garde Hermès, pré/et de la ville.
Gestes « converti par Alexandre et r exhorte au nom d'Aurelianus,
ae saini >^^ comes utriusQiie militiae, à renoncer à ses erreurs et à
Alexandre , ^ , ' . ,
et (le sainte « reprendre sa charge, se convertit a son tour en voyant
Balbine. « gu Alexandre a miraculeusement échappé à ses gardiens,
« pour se rendre auprès de Hermès, Sa fille Balhina est
« guérie de ses scrofules par r imposition du carcan de
« révêque; il se fait baptiser avec toute sa maison, est déca-
« pité sur l'ordre dAurélien et enseveli par les chrétiens au
« cimetière de Prétextât, — Cest là aussi qu'est ensevelie
« Balbina d'après ses propres gestes, »
Le silence des textes sur ces événements est complet, jus-
qu'au vu* siècle; le chronographe, Damase, le Liber Pontifi-
calis ignorent également Quirinus et Balbina; le férial les
mentionne, mais ne leur donne pas la date qui leur convien-
1 De Rossi, A. S,, I, 274, sq.
2 Confirmé par le férial et le chronographe.
s Ep. 60.
* Ep. 2i,27, 38, 39.
A noter de curietises analogies de style entre les gestes de Corneille et ceux
de Processus.
176 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
(Irait d'après notre légende ^ Les itinéraires mentionnent le
tombeau du tribun au cimetière de Prétextât ; de Rossi croit
l'avoir retrouvée dans Isispelunca magna. « Cette crypte, dit-il,
est une très belle construction en briques, comparable aux plus
beaux édifices des meilleurs temps de l'Empire, et certainement
antérieure à celle de saint Janvier (qui remonte à 162). Même
le style très simple des corniches qui la décorent diffère du
caractère commun de celles qui ornent cette dernière... Nous
avons trouvé une grande partie du coffre de marbre blanc, qui
fut, à l'origine, placé à l'intérieiu' de la niche revêtue de
briques, plus tard agrandie en forme de chambre. C'est un des
plus antiques sarcophages que j'aie vus dans les catacombes
romaines ; sa décoration est simple et architecturale ; au
milieu de la façade principale est le buste du défunt, person-
nage orné du laticlave... ; les tribuns d'ordre sénatorial étaient,
à cause de leur laticlave, appelés laticlavii. Tout conspire
donc à nous faire reconnaître ici, conformément aux témoi-
gnages écrits, le sépulcre de Quirinus, tribun et martyr sous
Hadrien • ».
*• « An temps d'Alexandre^ fils de Mammée^ bienveillant
Gestes de ^^ pour les chrétiens^ Almachiiis préfet de la ville commet à
« leur poursuite le vicaire Carpasius. Urbain^ dix-huitième
« successeur de saint Pierre est saisi dans une crypte avec
« les prêtres Jean et Mamilianus et trois diacres ; trois tri-
« buns^ Fabianus, Callistus et Ammonius^ deux prêtres^
w Fortunatus et Justinus le visitent dans sa prison. Anulinus
« son geôlier se convertit et est décapité. Mené deux fois
« au temple de Jupiter qui se trouve ad Pagum^ il persiste
« dans sa foi et renverse V idole. Lucien décapité est enseveli
a à Prétextât par le prêtre Fortunatus^ le \2 des calendes
a de juin; Urbain décapité à son tour est enseveli à Pré-
« textat avec ses compagnons par les trois tribims Fabianus^
« Callistus et Ammonius le 8 des Kalendes de juin. Cepen-
« dant Marmenia^ femme de Carpasius, voyant son mari
« possédé du diable^ se convertit avec Lucine^ sa fille^ et
ï F. H., p. 178, 160.
2 BuU.^ 1872, p. 8. — Il est douteux que rassociation de Quirinus aux
autres personnages des gestes d*Alexandre ait une valeur historique ; l'empla-
cement de son tombeau entre ceux de Felicissimus et Agapit, de Janvier et
d*Urbain ne confirme pas nécessairement les données de la tradition.
SAINT URBAIN ijl
« reçoit le baptême des tnains de Fortiinat et de Justin, Elle
« transporte le corps d'Urbain dans sa demeure qui était en
« dehors du palais de Vespasien, à côté des colonnes et lui
« construit, à lui et à ses clercs, un tombeau magnifique au-
w dessous duquel elle fait creuser uue grande galerie carrée et
« très bien construite. Saisie à son tour, elle est décapitée et
« ensevelie par Fortunat auprès d'Urbain : leur fête est celé-
« brée le 3 des Kalendes de juin. »
Une confusion s'est produite ici, entre le pape Urbain et un
martyr son homonyme. Le pape fut enseveli à Saint Calliste;
nous y avons retrouvé son épitaphe gravée en lettres grecques *.
— Nous connaissons d'autre part la crypte du cimetière de
Prétextât 2 où fut enseveli le contemporain de Cécile : la dua-
lité de sépulture atteste la dualité des personnages. L'anniver-
saire de celui qui reposa dans Tun des quatre cubîcula de la
spelunca magna nous est inconnu : la date donnée par les
gestes peut aussi bien s'être primitivement rapportée au pape
qu'au martyr. La grande galerie dont ils attribuent Taména-
gement à Marmenia est la fameuse spelunca magna des Itiné-
raires^ retrouvée par de Rossi. — Quant au Pagus près
duquel s élevait le temple de Jupiter oii fut décapité le prêtre
Lucien, il se trouvait à quatre milles de Rome, non loin de la
célèbre villa de Hérode Atticus *, au-dessus de la catacombe
de Prétextât. — Au x' siècle, le souvenir d'Urbain s attacha
aux restes d'un tombeau de 1 époque des Antonins qu'on trans-
forma en église sous le nom de Saint Urbino alla Caffa-
relia ^.
Quant aux autres épisodes rapportés par la tradition, aucun
fait positif ne permet d'en critiquer la valeur : on ne sait par
conséquent si les personnages qu'ils mettent en scène sont
contemporains du martyr ou du pape.
ï R. s., H, 51-54.
« R. s,, l 180-181.
8 R. S., I, 180-181.
^ Vidal-LablachOf Herodes Alticus, Paris, 1872, p. 6.'>, sq.
& Duchesne, L. P., I, cxciv, 63, 143. L'emplacement exact du Palais de Ves-'
pasien est encore difficile à fixer : peut-être faut-il le chercher aux environs
du forum Pacis qu'on appelait aussi Forum Veapasiani,
la
i78 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
o. « Au temps de Valérien et de Gallien^ le pape Etienne
Gestes de « ranime son clergé et opère de nombreuses conversions.
Si Ltienne. ^^ Amené devant Valérien^ il persiste dans sa foi ^ mais est
* « délivré par le peuple. Par malheur^ les soldats envahissent
« la catacombe et regorgent le 4 des nones d'août^ tandis
« qu^il offre le saint sacrifice ; il est enseveli là-même où il
« est tombée au lieu qui s'appelle maintenant cimetière de
« Calliste. Quelques jours après ^ facolyte Tharsiciiis est sur-
« pris portant l Eucharistie^ égorgé et enseveli dans le même
« cimetière^ voie Appienne. Sixte est élu à la place cT Etienne^
« le 9 des Calendes de septembre^ Valérien étant consul pour
« la troisième fois et Gallien pour la seconde. »
Le martyre de Tharsicîus est attesté dès le iv" siècle par
Damase*, le lieu de sa sépulture par VEpitome et la Notitia^.
Son association au pape Etienne ne repose sur aucune donnée
positive : il est même permis de penser que la tradition est ici
sans valeur. L^éloge damasien nous apprend que l'imagination
chrétienne aimait à rapprocher de Tacolyte chrétien le diacre
protomartyr :
Par meritura, quicumque legis, cognosce duorum,
Judaicus populus Stephanuin meliora monentem
Perculerat saxis, tulerat qui ex hoste tropaeum,
Martyrium primus rapuit levita fîdelis.
Tarsicium sanctum Ghristi sacramenta gerentem
Gum maie sana manus premeret vulgare profanis
Ipse animam potius uoluit dimittere caesus
Prodere quam canibus rabidis caelestia membra.
L'habitude naquit d'associer l'un à l'autre les noms et les
histoires de Tharsicius et de Stephanus : le temps et l'igno-
rance firent le reste ^.
La date de l'anniversaire du pape conservée par la tradition
appienne est confirmée par le férial et le Chronographe de 354.
L'époque oîi il mourut est indiquée avec une exactitude rela-
tive : c'est bien à l'époque de Valérien que Sixte fut élu pour
le remplacer. Il y a lieu seulement de noter une erreur de
1 Ihm, 14, p. 21.
î Rossi, R. S., 1,180-181:11,9.
3 fl. S , II, 7.
SAINT ETIENNE 479
deux ans : ce n'est pas en 255, comme l'indiquent les gestes *,
mais en 257 qu'eut lieu le changement de pape^.
La sépulture est exactement placée voie Appienne, au cime-
tière de Calliste. Plus sûrement que le Liber Pontificolis, le
chronographe de 354 confirme le fait. Si, à l'époque de Léon IV,
comme l'atteste la notice de celui-ci, le culte d'Etienne est
transporté sur la voie Latine ; si même le fait résulte d'un Capi-
tulare Evangeliorum et des Itinéraires du vu" siècle^, ces
textes n'infii-ment pas le témoignage des gestes, ni l'exactitude
de la légende : ils sont tous postérieurs à Grégoire ^^ Et Ton
s'explique le transfert du culte, soit par l'attraction naturelle
exercée siu* le pape par ses compagnons de la voie Latine, soit
par une translation effective^.
Un fait, du reste, confirme d'une éclatante manière la tra-
dition appienne, à savoir l'évolution même de la légende.
Qu'Etienne n'ait pas soufi'ert de mort sanglante, c'est ce
qu'invite à croire le silence que gardent à son égard saint
Cyprien et le biographe de Cvprien, Pontius ^ ; c'est ce qui
ressort surtout du chronographe de 354 qui le range parmi les
évêques, non parmi les martyrs. Que la tradition fasse mourir
Etienne de la mort de Sixte II, c'est ce qui apparaît avec
évidence lorsque l'on compare avec les gestes de celui-là
l'histoire de celui-ci^. Comment expliquer qu'elle ait pu naître,
si l'on refuse d'admettre que le sépulcre de l'un ait été voisin
du sépulcre de l'autre ? Or, nous savons de façon certaine que
Sixte fut enterré à Saint Calliste "'.
6. M Sous le consulat de Valérien et de Ltfcillvs^ Etienne étant
Gestes « pape^ le moine Hippolyte convertit Panlina^ femme de
^^'irecs^^ « Hadrias son frère et ses enfants Néon et Maria^ qiiins-
« truisent le prêtre Eusèbe et le diacre Marcel. Maxime
« envoyé pour les espionner se convertit j est décapité et ense-
1 « Valeriano tertium et Gallieno secundum consulibus. »
' Une tradition (Manuscrits E) fait mourir Etienne sous Maximien : ce
n'est qu'un grossier anachronisme, analogue à celui qui dépare la notice
d'Urbain, il n'est pas signalé avant le XI*. Cf. Rossi, R. S., II, 85. Duchesne,
L. P., 1, 154.
3 R. S., 1, 181.
* R, S., Il, 83.
* Tillemont, IV, 28.
« Cf. infrà, p. 183-18 1..
7 W.
180 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
veli par Etisèbe au cimetière de Calllste^ voie Appia^ le
13 des Calendes de décembre, Cest également voie Appia^
dans tm arénaire où ils avaient coutume de se réunir^ au
1"" niille^ que Paulina, morte sous les yeux de Valérien
est ensevelie par le diacre Hippolyte *. Pour effrayer
Hadrias et le moine son frère^ Secundianus togatus fait
décapiter sous leurs yeux Néon et Maria le 6 des Calendes
de novembre et le pape Etienne les ensevelit dans le même
arénaire^ au l*"* mille de la voie Appia, Les deux frères
Hadrias et Hippolyte le moine sont exécutés à leur tour
et ensevelis aussi par Hippolyte le diacre, sur tordre du
pape Etienne, le 5 des ides de novembre, clans Varénaire
du 1" mille, auprès des saints qui les avaient précédés dans
la gloire. Leurs parentes, Martana et Valeriana sa fille^
qui arrivent de Grèce neuf mois après, trouvent leurs
tombeaux sur les indications du pape; elles y vivent
durant treize années, elles y sont ensevelies le 4 des ides
de décembre, au temps de la persécution où il était défendu
d'acheter du pain et de puiser de l'eau sans sacrifier tout
d'abord. »
L'exactitude de la tradition quant à remplacement des
sépultures est confirmée par la Notitia -, d'après laquelle « in
ecclesia S. Sotheris et non longe pansant martyres Hippoly-
tus, Adrianus, Eusebius, Maria^ Martha, Paulina, Valeria,
Marcellus » ; elle a été vérifiée par les fouilles de de Rossi qui
a retrouvé leur chambre sépulcrale à Saint Calliste dans la
région de Soteris, vers le nord^.
Les dates des anniversaires ne sauraient être discutées avec
précision, le férial ignorant ces martjTs. Le Breviarium Gello-
nense'*^ dans le texte qu'il donne, porte sans doute : « V id.
nov. Rom3Le. Hippoly tus, Adrias », et XIII, KaL dec, Romae,
Maximiprb; sans doute, on retrouve au VI deKal. de novembre
un Marianus et un Néon perdus dans un groupe phrvgien qui
pourraient bien èlre la Maria et le Néon de nos gestes. Mais
le silence des manuscrits les plus autorisés, tels que YEpter-
1 JUdentifîe YHippolytus quidam de la page 20f> avec VHippolytus diaconuB
de la page 207.
« R. S., I, 181.
3 R. S., III, 313, 201, 214. — AUard, III, *6, note 2.
* D'Achéry: Spicilegium^ in-f", II, 23,
LES « MARTYRS GRECS » 181
nacefisis et le Bernensis, l'âge tardif du Breviarium Gello-
nense^ invitent à penser que les anniversaires qu'on y relève
ne sont qu'une addition postérieure au texte primitif, un
emprunt à nos gestes.
L'époque où moururent les martyrs est beaucoup moins
incertaine que les dates de leurs anniversaires. La mention de
Valérien au début du texte, semble rattacher l'ensemble des
faits à la persécution de 257-258; l'obligation de ne rien
acheter sans sacrifier tout d'abord nous reporte à la crise de
303-304. Mais la première date est confirmée, par la mention
du préfet Maximus, — quoique, à vrai dire, Maximus apparaisse
déjà, comme consul, dans les gestes d'Etienne, dont on sait le
rôle dans ces gestes-ci et que le rédacteur ait pu l'emprunter
à ceux-là, en le faisant monter en grade ; — elle est confirmée
encore et surtout par ce chiffre bizarre de treize années (cf.
supra) y qui nous reporte à la persécution de Claude. D'autre
part, la popularité de la persécution diodétienne, explique
qu'on ait attribué à une autre persécution les détails propres à
celle-ci. Entre 258 et 304, nous pouvons, avec vraisemblance,
choisir lat première date.
La même incertitude enveloppe les détails divers que rap-
porte la tradition. Les deux épigrammes qu'a conservées le
codex Turonensis - ne sauraient la confirmer, étant de la môme
époque.
Olim sacrilegam quam misit Graecia turbam,
Martyrii meritis nunc decorata ni te t.
Quœ medio pelagi votum miserabile fecil,
Reddere funereo dona nefando loui.
Hippolyti sed prima Odes caelestibus armis 5
Respuit insanam pestiferamque luem,
Quem monachi ritu tenait spelunca latentem
Ghristicolis gregibus dulce cubile parans,
Post hune Adrias sacro mundatur in amne
Et Paulina suo consociata viro 10
XIII K. IVN.
Epigr. 78 (Ihm. p. 81.)
I II est du IX* siècle, Rossi, R, S., III, 198.
^ Cf. Ihm, Intr.^ p. xi.
182 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
...SVB D VID NOV...
Nata Maria simul caro [cum fratre Nio]ne
(îaudentes sacram p[romerluere fldcm.
Divitias proprias Christi praecepta secuti
Pauperibus larga distribucre manu. 5
Quorum praeclaris monitis multoque labore
Accessit summo sancUi caterua deo.
Post animas Christo Iradentes sanguine fuso
Ut vitam caperent, non timuere mori.
Horum virtutes quem passio lecta docebit 10
Rite sais famulis discet adesse deum ^
Ep. 77 (p. 80).
Que le poète inconnu qui compose ces elogia rapporte ici
les mômes événements que les gestes, et que trois divergences
séparent les deux textes Tun de l'autre, c'est ce qui ressort
avec évidence du seul rapprochement des documents. Pourquoi
les épitaphes marquent-ils au XIII K. iun. l'anniversaire de
Paulina marqué par les gestes au XIII K. nov,? Pourquoi
Maria et Néon, tout enfants dans la légende, sont-ils regardes
parle poète comme disposant de leurs biens? Enfin, on ne
saurait ne pas se demander pourquoi le texte que nous lisons
aujourd'hui ne développe pas les mômes événements qui sont
mentionnés dans les premiers vers de l'épigramme 78, et si
la passio désignée par le vers 10 de l'épigramme 77 est celle
qui nous est parvenue ?
A cette dernière question, on peut répondre par Taffinna-
tive, sinon avec certitude, au moins avec vraisemblance. Il n'y
a pas trace d'un autre texte sur lequel reposerait celui que
nous lisons. Il n'y a pas apparence que cet autre texte ait
existé : les incertitudes chronologiques du nôtre montrent
qu'il n'utilisait aucun document authentique ; si l'on rapproche
de ce fait la physionomie générale qu'il présente et qui rap-
pelle les gestes romains par l'abondance des indications topo-
graphiques autant que par la psychologie de ses personnages,
on conclura qu'il fut rédigé, sans doute, à là même époque
que le plus grand nombre. Cette hypothèse est confirmée par
cette autre: les éloges pseudo-damasiens ^, sont vraisem-
blablement de Tépoque de Vigile dont on sait le zèle pour
^ Les deux épigrammes ne font sans doute qu'une seule et même pièce de
vers, écrite sur deux sépulcres se regardant. 11 est étrange que de Hossi et
Ihm ne s'en soient pas aperçus et citent le 77 avant 78, c'est-à-dire la suite
avant le commencement.
SAINT SIXTE 183
effacer les ravages de la guerre et rendre aux catacombes leur
antique splendeur. La passio à laquelle renvoie l'épitaphe 77
est véritablement la nôtre*.
Cette conclusion ne saurait être ébranlée par les difficultés
qu'elle rencontre. Les gestes ne font qu'une allusion légère ^ à
l'incident de la tempête et au vœu d*HippoIyte à Jupiter Sty-
gien : mais que doit-on conclure de là? — Une divergence de la
tradition peut expliquer que Néon et Maria soient regardés
tantôt comme des enfants, et tantôt comme des personnes
capables de disposer de leurs biens 3. — Des erreurs dans la
transcription des gestes ou dans celle des elogia rendent
compte aisément de la variante IVN — NOV. — C'est bien
notre texte qui est mentionné dans les épigrammes conservées
par le Codex Turonensis.
Quant à savoir pourquoi le rédacteur ne développe que l'une
d elles, et qui sont ces martyrs, et quelle est leur histoire véri-
table, c'est une ambition à laquelle nous devons renoncer*.
7, « Sixte pape^ ainsi que ses deux diacres^ Felicissimus et
Gestes de « Agapity confesse avec obstination la foi chrétienne devant
SI Laurent. „ /)^ç^ ^i Valérien, Amenés au temple de Mars, tous trois
« refusent de sacrifier; à la parole de Sixte , une partie du
« temple s* écroule. Ils y sont ensuite ramenés et décapités^
« le 8 des ides d*aoi\t. Leurs corps sont recueillis la nuit par
« les chrétiens et ensevelis, Sixte dans une crypte du cimetière
w de Calliste, Felicissimus et Agapity au cimetière de Pre-
« textat, »
1 On a retrouvé un fragment de l'inscription primitive, en 1887, prés de
santa Maria de Monti. Ce fragment portait:
SVBD. V. ID. NOV
GVM FRATRE NIO
ROMER
la paléographie de Tinscription est bonne, mais atteste qu'elle n'est pas pbi-
localienne. Cf. Sotizie degli scavi^ 1887, p. 178. — But. Comm., 1887, p. 257.
— BuL, 1887, 60.
^ A. S., m, p. 203 : « Paulina dixit: et quid de voto nostro erit quod nos in
mare promisimus reddituros cum filiis nostris in Capitolio. »
^ L'explication proposée par de*Rossi — par Néon et Maria, on désignerait
Hadrias et Paulina, leurs parents — me parait moins naturelle.
^ Peut-être sont-ils originaires de Phrygie : Cf. FH, au VI Kal. Nov. ; les
Gestes font venir les saints de la Grèce (Cf. Geata Clçmentis : Graecia s'éteA-
dant à la Chçrsonèse.)
1.34 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
Sauf en ce qui concerne le lieu et le genre du supplice et l'as-
sociation de Dèce à Valérien, la tradition appienne relative à
Sixte II mérite toute confiance. S. Cyprien, contemporain des
événements et très bien renseigné sur ce qui passait à Rome ^
écrit 2 : « Xistum in cemiterio animadversum sciatis octavo
iduttm augustarum die. » Son témoignage est confirmé, du
reste, quant à la date par le chronographe, le férial, le Liber
Pontificalis ; il est complété, quant à remplacement des sépul-
tures par le férial, les Itinéraires et par les fouilles de de Rossi' ;
quant à Fassociation des deux diacres au pape par Damase ^,
et le Liber Pontificalis'^ \ il semble contredit, à tort, par
Prudence^, quant aux circonstances de la mort de Sixte.
Prudence avance que Sixte a été crucifié; Cyprien paraît
savoir qu'il a été décapité"^. Nous savons aujourd'hui que l'édit
do 257 interdisait aux chrétiens de se réunir dans les cime-
tières 8 et que Tédit de 258 prononçait la peine capitale contre
lesévêques, prêtres et diacres, ajoutant qu'ils seraient exécutés
aussitôt après avoir été arrêtés^. En vertu de cette double
ordonnance, Sixte, surpris dans le cimetière, assis dans sa
chaire *o épiscopale, fut décapité sur le champ**. Son corps fut
transporté dans la crypte pontificale ; la chaire couverte de sang
y fut aussi rangée. L'erreur de Prudence s'explique, si Ton
admet qu'il a pris à la lettre les mots de Damase : hi cnicis
invictae comités paritergue ministri; son imagination de poète
transforma ce détail, à moins que l'imagination populaire ne
l'eût déjà transformée*-.
1 Un messager lui fut envoyé pour lui annoncer la mort du pape.
3 Ep. 80, 82, ad Successum. Cf. AUard, III, 80-81.
3 Bull., 1870, p. 42 ; 1872, p. 74 ; 1874, p. 35 ; R. S., II, 87.
* Ihm., 23, p, 30.
6 L. P., I, 156.
« Péri Steph,, II, 26, 28.
' Tel est souvent le sens du mot animadvej^sus : du reste, c^était le supplice
ordinaire.
8 Allard, m, 51.
^ « In continent! animadvertantur »; cité par Allard, III, 79, 319.
>o Ihm., 13, p. 20.
>i Une petite basilique fut construite au cimetière de Prétextât, ubidecolla-
ius est Sûclus, Cf. R. S., I. 181, 247 ; II, 89. Mais les Mirabilia suivent les
gestes : Jordan, II, 111.
^^ La tradition de Técroulement du temple de Mars à la parole de Tévéque
est commune aux gestes de Laurent et à ceux de saint Etienne. Est-ce reffet
ou la cause de la confusion des deux histoires, lorsqu'elles attribuent à Sixte
le genre de mort d*Etienne, à Etienne le genre de mort de $ixtç?
Bil'I. Jii Ec. Fr. d'AlKiUi et dt Romt. 1-uic. LXXXIII. l'I. III
FRESQ.UES DE LA CONTESSION DES SS. JEAN ET PAUL
Fresque htéralc siipL^rieurL' di; ^jutlic.
SAINT CALOCÈRE ET SAINT PARTIIENIUS i85
8- « Au temps de Philippe^ le premier empereur chrétien^ qtii
Gestes „ associa son fils à l'empire^ fonda Philippopolis en Thrace et
liiocère et " ^*^ '^ millénaire de la fondation de Rome^ jEmilianiis
luthenius. « illustris fut rappelé de l'Orient. Après sa mort et la mort
a des deux Philippe^ tués l'un à Vérone^ Pautre à Rome,
« survient l'avènement au trône de Dèce le sacrilège^ qui
« fait exécuter l'évêque de Rome nommé Sixte et Laurent,
« son vénérable archidiacre, et Alexandre ^ évêque de Jéru-
« salem, et Babylas^ prêtre de F église cTAntioche. On lui
« dénonce Calocère et Parthenius, deux eunuques auxquels
<* Mmilianus, mourant, a confié sa fille Anatolie Caliste :
« tous deux confessent leur foi, Calocère est torturé par le
« préfet de la ville Libanius siégeant in Tellude; Parthenius
« lui raconte la vie du Christ et est torturé de même : puis
« tous deux sont mis à mort dans une forêt où les bourreaux
« abandonnent leurs corps. Sainte Anatolie les fait recueillir
« par ses esclaves, les ensevelit dans la crypte où repose Sixte
« et orne leur tombeau de colonnes de porphyre. Tous deux
« étaient enfants de la province cT Arménie, Calocère l'aîné,
« Parthenius le plus jeune ; ils souffrirent le 14 des kalen-
« des de juin, sous le consulat de Dèce Auguste et de
« Gratus. »
L'emplacement de leur tombeau est confirmé par YEpitome,
la Notitia et les découvertes. A Tendroit où les gestes mar-
quent le sépulcre des martyrs, on a trouvé les épitaphes d'un
jEmilius Paternus, d'une jEmil{ia), d'un Fulvius, d'une
Petronia clarissima femina, d'un... ius JEmilianus^. Il est
donc infiniment probable que cette partie de Thypogée fut
d'abord la propriété privée de la famille des MmÙii'^, et que
notre Parthenius était un afi'ranchi de cette famille.
La date de l'anniversaire et l'époque du martjTe sont con-
firmées, d'abord par l'exactitude de la date consulaire : Dèce
et Gratus furent véritablement consuls en 250 ; ensuite par
le férial qui, au 19 mai, résume les gestes de nos saints et les
associe également à Dèce; enfin et surtout par l'époque à
laquelle vécut -^milianus, qui, lui aussi, est un personnage liis-
1 il. s., II, 210 sq.
^ On a lu le nom d'un Fulvius Petronius iEmilianus sur un tuyau de plomb,
trouvé non loin 4ii cimetière de Calliste (Bor^hesi, Opère, IV, 310). [
1B6 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
torique dont la vie est très bien connue * : — ces trois faits
établissent avec certitude Tépoque oii moururent nos deux
saints.
Mais cette conclusion soulève des difficultés qu'on n*a pas
encore résolues. Le chronographe de 354 place en 304 Calocère
et Parthenius ; de Rossi, après du SoUier, veut y voir la trace
d'une translation « in locum ttitiorem » , au moment de la crise
dioclétienne et s'appuie sur une inscription qu'on lit à saint
Calliste, « /// id. feb. ». L'hypothèse est vraisemblable et
peut contenir une part de vérité. Néanmoins, elle n'est pas
satisfaisante, car le chronographe donne XII II kal, iun, et le
grafflte, III ici. februar ; si le chronographe rappelle l'année de la
translation, pourquoi ne donne-t-il pas aussi le jour de la
translation ?
Nos incertitudes s'accroissent de toutes les incertitudes du
férial. Ce n'est pas deux dates, comme le dit de Rossi, c'en est
cinq qu'il mentionne 2; Tune d'elles est même suivie d'une
indication topographique se rapportant au cimetière de Basille,
sur la Voie Salara 3. On constate qu'il y a eu, comme le pres-
sentait Fiorentini, sinon un autre couple Parthenius-Calocerus,
ou un autre Parthenius, du moins un autre Calocerus associé
à Faustinus et Jovita et vénéré le 4 des kalendes de mai^ ;
la mention de l'un a induit le copiste à ajouter l'autre; de là,
seraient venues les confusions que nous avons notées.
Quant à Callista, dont le prénom était Anatolie, son asso-
ciation aux eunuques, son existence même sont bien incer-
taines ; Tadjonction d'un praenomen au cognomen dénote une
basse époque^: elle rappelle étrangement Flavie Domitille et
ses deux amis : n'a-t-elle pas été suggérée par elle ?
9. « Sébastien, élevé à Milan^ citoyen de Narbonne^ est vn
Gestesde « ami de Dioclétien et de Maximien empereurs, qui lui donnent
e as len. ^^ ^^ commandement de la première cohorte : aimé et vénéré
1 Anard,Il,241.
» lU, id. feb. (Bernensis et graffite) ; (X)]1II Kl. maias; XIU RI. aug.;
XVI Kl. iunias, via Salara. Basillae ; XIIH Kl. iun. CaUiste.
3 \\ faut dire, du reste, que les Itinéraires ne renrerment pas cette mention.
^ MombrAius, 1, 148. Les saints sont rattachés à l'Egypte, à la civitas Brisi-
nia, àMilan et peut-être à Rome (le templum Martis).
^ Cf. Delehaye {Analecta Bollandiana, 1891, 240-241) et de Rossi, A. S.,
II, 213.
SAINT SÉBASTIEN 187
« de louSy chrétien fervent^ mais cachant sa foi afin de
« pouvoir réconforter les martyrs. Il raffermit Marcus et
« Marcellianus ^enfants jumeaux de Tranquillinus et Marcia^
« rend la parole à Zoé, femme du primiscrinius Nicostrate
« qui gardait Marctis et Marcellianus ; il la convertit ainsi que
« son mari Castorius, son heau-frère Claudius le commen-
« tariensisj Symphorose sa femme, Félix et Felicissimus ses
« deux fils y six autres amis et trente-trois autres personnes :
« le prêtre Polycarpe donne à tous le bapêtme, — Agrestius
« Chromatius, préfet de la ville, est à son tour éclairé par
« Tranquillinus et se convertit avec Tiburtius son fils et mille
« quatre-cents personnes de sa maison. Durant lapersécution
« qui sévit sous le consulat de Maximien et d'Aquilinus,
« alors que nid ne peut rien acheter sans sacrifier tout d'à-
« bordjCaius reste à Rome avec Marcellianus, Marcus, Iran-
« quillinus, Sébastien, Tiburce, Nicostrate, Castorius, Zoé,
« Claudius, Victorinus et Symphoriamis, tandis que Chroma-
« tins part avec les autres, Marcus et Marcellianus sont faits
« diacres, Tranquillinus prêtre, Sébastien défenseur de
« r Eglise, les autres sous-diacres. Pour plus de sûreté, ils
« logent tous <:hez Castulus, chrétien, zétaire au Palais,
« Mais Zoé est saisie tandis qu'elle prie à la confession de
« Saint-Pierre, à r anniversaire des apôtres, et jetée au
« Tibre; Tranquillinus est lapidé en allant à la confession
« de Saint-Paul, à l'octave des apôtres; Nicostrate, Claude,
« Castorius, Victorinus, Symphoriamis sont jetés à la mer;
« Tiburce est décapité, Castulus massacré, Marcus et Marcel-
« lianus empalés et ensevelis. Voie Appia, au second
« mille, ad Arenas, Sébastien est saisi, percé de flèches,
« recueilli et guéri par Irène veuve de Castulus, repris et mis
« à mort. Il est enseveli, comme il Fa demandé en songe à
« Lucine, aux catacombes, à l'entrée de la crypte des apôtres, »
Que Sébastien ait été enseveli bu lieu dit ad Cathecumbas,
le fait est attesté, sinon par Damase, du moins par le chrono-
graphe ; il est confirmé par la construction du monastère que
Sixte III y éleva (432-440)*, par Tinscription votive que pla-
cèrent dans la crypte deux prêtres de Jean et Paul sous In-
» L. P., I, 236, note 13.
t96 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
nocent I (401-417); enfin par les Itinéraires ^ La mention de
la confession de saint Pierre et de saint Paul à ce même endroit
s'explique sans peine : on sait^ que les reliques des apôtres y
furent transportées en 258 pour être de nouveau déposées au
Vatican, après la paix de TEglise ; et Ton sait aussi que leur
culte y subsista après cette seconde translation : Damase y fit
graver une inscription en leur honneur ^ et le férial atteste qu'on
y faisait station au jour d.e leur fête *.
La date de l'anniversaire du saint semble aussi certaine que
le lieu de son tombeau. Dès le iv" siècle, il est célébré le
21 janvier, en même temps que Fabien. Et l'on ne saisit pas
trace, dans les textes postérieurs, d'une tradition divergente.
Le férial, comme le sacramentaire Gélasien au vu* siècle^, le
sacramentaire Grégorien au viri siècle^ s'accordent avec le
chronographe.
L'époque des martyrs semble bien être celle de Dioclétien :
quelques-uns souff*rirent sans doute dans les premières années
du règne, le plus grand nombre dans la persécution finale. La
première date est déterminée d'abord par le synchronisme
établi entre Dioclétien, empereur depuis le 17 septembre 284^
et Carin, empereur de décembre 283 à avril 285®; elle est
confirmée par le consulat de Maxime et d'Aquilinus qui est de
286^. On n'y saurait rien objecter, car Maximien fut César
dès le mois de mai 285 et Auguste dès le mois d'avril 286 ; et
M. Junius Maximus — qu'il est permis de retrouver sous le
Maximien des gestes — fut préfet de la ville en cette même
année 286. Si, d'autre part, aucun texte ne nous autorise à
admettre sous le règne de Carinus aucune persécution régu-
lière, rien de ce que nous connaissons de son caractère et de
ses actes *^ ne nous empêche de croire à des tracasseries
ou à des vexations, comme paraissent en supposer les pre-
miers rapports de Sébastien avec Marcus etMarcellianus.
^ Le F. H. ne donne aucune indic^^on topographique au 21 janvier.
2 Duchesne. L. P., I, ex et suprà, p. 104.
3 L. P . 1, 212.
* FH. 29 juin.
6 Muratori, I, 637.
« Muratori, II, 20.
7 Ctiron. d'Alex., p. 274. — Schiller, II, 120.
9 Tillemont, III, 519; Schiller, I, 884-
» Goyau, p. 338.
10 VopiscuB, Carinus,
SAINT SÉBASTteN <)Sd
Il est non moins vraisemblable que les gestes rapportent
certains souvenirs qui remontent à la grande crise de 302-304.
La mort de Sébastien, officier dans un corps de la garde, se
place aisément à Tépoque où les Augustes semblent préluder
à la persécution générale par Tépuration de Tarmée. D'autre
part, Tobligation de sacrifier étendue à tous les chrétiens,
imposée à tous comme condition préalable de tout achat nous
reporte aux jours afi*reux qui suivirent Tédit de 304 ; comme
aussi la fuite de Chromatius qui se cache dans ses terres de
Campanie avec nombre de fidèles.
L'origine milanaise du martyr est aussi probable que 1 époque
où il vécut. L'importance de son culte dans cette ville, à la
fin même du iv* siècle, nous est attestée par Ambroise * et con-
firmée par le silence du Sacramèntaire Léonien, livre d origine
purement romaine^.
En dehors de ces certitudes — touchant la sépulture et
l'anniversaire de Sébastien — , et de ces vraisemblances —
touchant le lieu de son origine, l'époque de sa vie et les cir-
constances de sa mort — , il semble malaisé de rien dire de
positif et de précis. Il serait oiseux de discuter sur les fonc-
tions de Fabianus et d'Agrestius Chromatius tout autant que
sur les diff'érents détails rapportés par les gestes^. Aucun
document ne permet de mesurer la valeur plus ou moins légen-
daire des personnages qu'ils groupent ensemble'*.
1 P. L., i7. 21; 15, 1497-1498. Le détail qui fait de Sébastien le premier
defeiisor civilatis est, sans doute, de tradition milanaise; Cf. Tillemont,
IV. 740.
• Noter que c'est seulement au vii* siècle, sous Théodore (642-649), qu'il
a pour la première fois un oratoire à Rome., L. P., I ; 333 (sans parler du
monastère de la catacombe).
3 La question de Marcus et Marcellianus est particulièrement obscure. Les
gestes les enterrent sur la Voie Appia, au deuxième mille, ad Arenas; les
Itinéraires sur la Voie Ardéatine — de Rossi a expliqué Terreur du férial confon-
dant le cimetière de Balbine. ad, s. Marcum et celui de Basile, ad ss, MarcUm
et Marcellianum, même voie (R. S., I, 261, 132). — Cette contradiction est
peut-être plus apparente que réelle : la grande nécropole callistienne n'est-
elle pas à cheval sur les deux voies, notamment dn côté de Sainte Soteris?
^ Saint Ambroise fait naître Sébastien à Milan — non à Narbonne comme
le Pseudo-Ambroise ; — à la différence dç celui-ci, il lui fait rechercher la
mort.
190
ANâLVSE critique des tRÀDltlôNS ftOMAlNËS
II*.
Gestes de
saint Jean.
« Comme saint Jean refusait de renier le Christ , le pro-
« consul (VEphèse en avertit Domitien par une lettre, Domi-
« tien irrité fit venir P Apôtre et le fit plonger dans V huile
c( bouillante^ devant la porte Latine j non sans Savoir fait
« fouetter et raser, afin qu'il partît déshonoré, la veille des
« nones de mai. Saint Jean sortit de la cuve d'huile fwuil-
« lante^ sans une blessure. Pour conserver ce souvenir^ les
« chrétiens constmisirent une église en cet endroit, »
Le fait est expressément attesté par TertuUien*, qui avait
été à Rorae. Mais le souvenir s'en perdit de bonne heure :
aucune autre légende romaine n'y fait allusion, celles-mêmes
qui ont leurs attaches sur la voix Latine ; le texte de Méliton
Tignore de même. Elle reparaît pourtant dans le courant du
VI*' siècle : la fête du 6 mai est attestée par Tédition du calen-
drier romain qui parut au début du vu* siècle 2; l'église est
signalée au cours du vi" siècle 3.
1. « Sulpitius et Servilianus amis d'Aurelianus^ viri illustres,
Gestes de « fiancés à Euphrosyna et Theodora, sœurs de lait de Flavie
saint Nérée. ^^ Domitille, se convertissent au christianisme en apprenant
« que Domitille a guéri un aveugle, Hérode^ frère de Théo-
« rfora, et une muette, la fille de la nourrice d^Euphrosyne,
« Comme ils refusent de sacrifier, Luxurius, frère (TAure-
a lianus qui vient d'être frappé par Dieu, les livre au préfet
« urbain Anianus, avec l'autorisation de Trajan ; Anianus
1 Cf. Marucchi : Les Catacombes romaines, p. 199.
2 « Si autem Italiae adjaces, habes Romam unde nobis quoque auctoritas
praesto est. Istn quam felix ecclesia I cui totam doctrinam Apostoli cum
sanguine suo profuderunt ; ubi Petnis passion! dominicae adaequatur ; ubi
apostolus Joannes, posteaquam in oleum igneuni demersus nihil passus est
in insulam relegatur «, (De praescr,, 36., P.-L.,2, 49). Que Domitien ait mandé
saint Jean à RomM, U n'y a rien là d'invraisemblable : il y avait mandé de
même les parents de Saint Jude.
3 P. L. 123, lo7-lo8, Cf. infra,
^ Grescimbent, Uistoria délia Chiesa di S. Giovanni avanti Porta latina
(Rome, 1716. — cité dans Lipsius I., 414).
SAINTE ECGÉMr. 19l
w les fait décapiter; leurs corps sont ensevelis ^ voie Latine^
« au 2' mille. » •
Cette dernière indication est confirmée par les Itinéraires.
VEpitome mentionne les tombeaux de Siilpitius et Servilianus
après ceux de Quartus et Quintus, au cimetière de Gordien, et
la même mention se rencontre dans la Notifia et la Vita Adria-
m*. Le nom même de ces martyrs est inconnu au chronographe,
à Damase, au Liber Pontificalis, au forial, au Sacrcmentaire
Léonicn 2.
2. « Eugénie, fille de Claudia et de f illustrissime Philippe,
Gestes <c gouverneur de l'Egypte sous le septième consulat de Com-
d'Eugénie. ^^ fyigj^^ ^^Q^ir d'Avitus et de Sergius, refuse d* épouser à
« Alexandrie, Aquilius, fils d'Aquilius le consul ; elle se
<( réfugie sous l* habit masculin ^ avec ses detix eunuques Pro-
« tus et Hgacinthus au monastère de Saint-Helenus dont Théo-
« dorus est préfet. Admise par févéque Helenus, elle refuse,
« malgré les prières des moines édifiés par ses vertus, de
« diriger le monastère ; elle repousse famour de Mélanthie
« qui l'accuse, prouve son innocence en montrant quelle est
« femme : cette reconnaissance entraine beaucoup de conver-
« sions. Sévère et Antonius Augustes, pour enrayer le mou-
« vement, envoient Perennius préfet qui fait décapiter Phi-
<( lippe : Eugénie construit ttn monastère pour les vierges
ii, saintes, Claudia unxenodochium,puis, avec ses trois enfants
« retourne à Rome. Avitus est envoyé comme proconsul à Car-
« thage, Sergius comme vicaire en Afrique. Basilla s'attache
« à Eugénie et est baptisée par Cornélius : livrée par une
« servante^ elle est abandonnée par Pompeius, son fiancé,
« décapitée avec Protus et Hyacinthus dans la persécution
» fl.S., 1.180-181.
2 BosiOy p. 299, m, 27. — H a trouvé une inscription au Borgo Vecchio, près
de Saint- Angelo, portant :
. Cf. Boldetti, 561.
SIMPLIGIVS MARTYR
SERVILIANUS MARTYR
3 Ce qui était interdit par le concile de Gangres, dont les canons avaient
pris place dans la collection de Denys le Petit : « Si qua mulier propter conti-
nentiam quae putatur babitum mutât et, pro solito muliebri, amictum uirilem
sumit, anatbema sit» (P. L. 67, 1158).
ii9â ANALYSE CtllTtCfUE: DES TRADITIONS ROMAINES
« (le Gallien et Valerien. Eugénie refuse au préteur urbain
« Nicetius de sacrifier à Diane, au temple de l'île Lycaonia;
« jetée au Tibre, elle flotte sur l'eau ; jetée dans les fours
« des Thermae Severianae^ elle ne brûle pas. Décapitée par
« un spiculator^ dans sa prison y elle est ensevelie dans son
« champ j non loin de la ville ^ voie Latine. »
Cette dernière indication est exacte : le férial mentionne le
tombeau d'Eugénie sur la Voie Latine^ au cimetière d'Apro-
nianus ^ ; les Itinéraires ^ et le Liber Pontificalis * confirment
cette donnée.
L'époque oii mourut Eugénie est moins assurée, la légende
mentionnant à la fois le septième consulat de Commode, les
Augustes Sévère et Antonin, en dernier lieu Gallien et Vale-
rien. On peut admettre il est vrai que les deux premières
indications chronologiques se rapportent au père de la sainte,
et que c'est à l'époque de Gallien (260-265) pour Gallus (251-
253) ou de Valerien (253-260) que celle-ci subit le martyre. A
moins que ce ne soit le voisinage du pape Etienne mort à cette
époque qui y ait fait placer la légende.
Quant au fond même du récit, débarrassé de ses invraisem-
blances^, on ne saurait en garantir ni Texactitude historique
en général, ni, en particulier, le rapport avec la sainte de la
Voie Latine. Saint Avit, évèque de Vienne, de 500 à 526 en
connaît les deux épisodes essentiels, la retraite et le déguise-
ment d'Eugénie®, l'accusation de Mélanthie et la reconnais-
sance qui en résulte : mais il ne prononce pas le nom de Rome
et rien ne nous oblige à supposer qu'il y localise la légende*^.
1 D*après le texte que lut Bosio., A. 8., p. 2^8, III, 25.
1 Noter que les gestes ne lui empruntent pas la date de l'anniversaire —
Vlll. Kal. ian — qu'ils semblent ignorer.
8 R. S., I, 180-181.
* L. P., I. 385.
6 Tillemont., IV., 585., note IV.
< Mêmes aventures arrivent à Sainte-Marina, (9 juUlet, 278). Je n'ai pu me
procurer Tétude de M. Usener: Legenden der Pelagia (Bonn. 1879).
^ Avitus Poem.^ VI, 503, {Monum. Gertnaniae. AucL Anliq., VI, 289). — Je
me demande même, après coup, si, au lieu d'admettre que c'est saint Avit qui a
utilisé la légende, il ne faut pas croire que c'est le légendaire qui a puisé dans
saint Avis —, comme l'auteur des gestes de Cécile dans Victorde Vite. U arrive
souvent que les gestes particularissent et localisent des légendes un peu
vagues et flottantes — comme les gestes de Processus la légende de la fuit«
de saint Pierre. (Cf. supra, p. 171).
SAINT ETIENNE 193
Celle-ci, d'autre part, par les fonctions qu'elle attribue à Phi-
lippe, la mention qu'elle fait des monastères^ le personnage
d'Helenus qu'elle introduit, la ville d'Alexandrie qu'elle cite,
se présente à nous avec une physionomie nettement égyptienne.
Il est probable qu'à une Eugénie inconnue, enterrée Voie Latine,
s'est comme accrochée la légende d'une Eugenia, ou d'une
EuphemiaS ou d'une Eulalia d'Alexandrie ou de toute autre
ville d'Egypte : l'homonymie des noms, la communauté d'anni-
versaire peuvent avoir déterminé cette intrusion égyptienne
dans la tradition latine '^.
3. « Nemesius^ tribun des soldats, converti par la gitérisonde
Gestes de « sa fille Lucilla. est décapité entre la Voie Appienne et la Voie
« Latine le 8 des kalendes d'aotit, et enseveli par Etienne ,
« Voie Latine y près de Rome, Symphronius, banquier de
« de NemesiuSy est confié in custodia privata au tribun Olym-
« piuSyÇue convertissent les prières de sa femme Exuperia,
« de son fils TheoduluSj et les miracles de Symphronius,
« Brûlés vifs devant la statue du Soleil à côté de l'amphi-
« théâtre y ils sont ensevelis la nuit par Etienne avec son clergé,
a iuxta uiam latinam mil /, le 7 des kalendes d'août, Valénen
« étant consul pour la troisième fois, Gallien pour la seconde, —
« Valérien et Gallien font rechercher Etienne et ses prêtres ;
« douze d^ entre eux, dont Bonus, F au s tus, Maurtis, Primiti-
« vus, Calumniosus, Joannes, Exuperantius, Cyrillus etHono-
« ratus sont décapités Voie Latine, à côté de Caqueduc, Ils
« sont ensevelis par Tertullinus, victime cTOlympius quoiqite
u païen encore, à côté de Jovinius et de Basileus, Voie La-
a tine, aux kalendes daoût, »
Aucune trace ^ de ces traditions — ni les noms ni les dates —
ne se peut relever dans le Chronographe, ni dans Damase,
ni dans le Liber Ponlificalis, ni dans le férial. Les indications
des Itinéraires ne confirment pas tout à fait la tradition dés
gestes. Le Salisburgensis a ici une lacune; ÏEpitome parle
crune basilique do Tertullinus^ que nous connaissons et qui se
> F. H., V, id. iulii. Alexandriae (p. 90) associée à Euticus, cf. Ruinart, p. 543.
^ D'autant que les gestes sont évidemment modelés sur ceux de Domitille-
Nérée-Achillée.
•* Nous exceptons Nemesius et Lucilia. Cf. supra. Traditions appiennes.
* Hossi, R.S., 1, 180. ..,::. i
13
104 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
trouvait entre le cimetière de Gordien et celui d'Apronien, au
deuxième mille environ, comme le porte notre texte; comme
il le porte encore, c'est au cimetière d'Apronien que VEpitome
et la Notifia placent les tombeaux de Nemesius, Olymphrius,
Simpronius et Theodulus. Mais VEpilome parle d'un groupe
de vingt-huit clercs ensevelis avec le pape^ la Notititia d'un
groupe de vingt — y compris Nemesius — , les gestes d'un
groupe de douze, tous nommes dans la rescension arménienne,
tandis que neuf seidement sont cités dans les textes latins
et treize dans la recension métaphrastique : il faut renoncer
à savoir le nombre de ces martyrs. L'aqueduc est connu et
mentionné par Fabretti^, Boldetti*^; Jovinius et Basileus sont
attestés par le férial au 8 des kalendes de janvier: aucun
autre texte ne place leur tombeau Voie Latine ^
4. (( Gordien, vicaire de l'empereur Jidien, converti par le
Gestes de « prêtre Janvier ainsi que Marina sa femrne^ est jugé par
St Gordien. ^^ Clemefitianus tribun, décapité et enseveli le 6 des ides de
« mai, Voie Latine, à un mille environ, dans une crypte où,
« depuis longtemps déjà, reposait Epimaque.
«
Cette tradition s'explique par. deux faits: l°le cimetière de
Gordien, troisième station sur la Voie Latine, après Apronien et
Tertullin: l'existence en est attestée par le férial '\ les Itiné-
raires 6, les découvertes*^; il y eut certainement un Gordien, au
temps des persécutions, propriétaire de lacatacombe, ou enseveli
dans la catacombe, qu'il ait ou non été martyr. — 2" Gordien,
père du pape Agapit^, partisan de Symmaque qui combattit
avec Faustus contre Festus et Probinus et fut tué ^ avec Dignis-
t Dans le texte arménien, Honoratus manque ; aux autres noms du texte
latin sont ajoutés : Theodosius, Basilius, Castulus et Bessus. — Dans le texte
métaphrastique, Honoratus est nommé avec Theodosius, Basiltus, Castulus
et Donatus.
2 inscr. antiq., VI II, 547.
3 Osservar, 11, 18, p. 562.
« 2 mars, 128; Rossi, R. S., 1, 259 ; Neumann, 309, 1 ; 2 août, 144, note 6.
^ Codex Bernensis, VI id. maias, Rome. Via Latina, in cimit. eiusdem
natale Gordiani.
« R, S., 1,180-181.
7 Bosio, p. 298, III, 26.
8 L. P., I, 287.
9 L. P., I, 96-98; Thiel, I, 662; L. P., I, 146. — Ennodius : libellus pro
synodo, 192, P. L., 63, 185). Théodore le lecteur (P. L., 86, 193}.
SAINT GORDIEN 195
siinus dans les massacres do 502. L'histoire du Gordien de la
catacombe était tombée dans le plus profond oubli, comme
l'atteste, sinon la légère incertitude qui s'attache à la date de
son anniversaire*, du moins la diversité des compagnons qu'on
lui donne. Tantôt il apparaît seid, comme dans le Codex Epter-
nacensis et le Codex Bernensis; tantôt il est associé à un saint
Primolus parfaitement inconnu d'ailleiu's - ; tantôt il est associé
à Epimaque d'Alexandrie, soit par un simple rapport de sépul-
ture'' soit par un rapport do parenté extrêmement étroit*; et
(*et Epimaque lui-même apparaît tantôt seul, tantôt associé à
un saint confesseur Midon : tous deux se retrouvent à Prétex-
tât, à cette même date, dans le Bernensis et le Wissenhur-
gensis, — Mais il s'est trouvé que le Gordien, père du pape
Agapit, était prêtre de saints Jean et PauP et que, à ce
titre ^, il avait l'administration des cimetières de la Voie Latine
et de la Voie Asinaire jusqu'à la Voie Lavicane — celui de
son homonyme, par conséquent — ; il se trouve encore que son
compagnon et son ami Dignissinuis est prêtre lui aussi, de
saints Jean et Paul; du coup, un rapport s'établit entre le nom
de Gordien et la persécution de Julien; quelques années passent,
ensevelissant rapidement le souvenir de ces événements dans
la plus complète indifférence ; la renommée des saints du Celius so
répand; le besoin de noircir l'apostat se précise; le lien (jui
unit Gordien à l'empereur se transforme : la légende est
née".
I VI ou VII, id. maias, simple variante paléographiqiie.
« FH : Vil, id. maias.
3 Gesla Gordiani (édition bollandiste).
* VEpUome en fait son frère. A. S., 1, 180-181.
^ L. P., 1, 260, 261, 265. On a sa signature, en cette qualité, au concile
de i99.
« «. S., IH, 515, 516.
' On peut penser que saint Gordien de la voie Latine résulte de Tidéalisation
du Gordien tué en 502. La chose n*est pas impossible, d'autant que Sym-»
maque laissa un grand renom de sainteté qui dut envelopper ses partisans
(L. P., I, 268, 1. 13). Le fait qui heurte Thypothèse est qu on ne voit pas que
le cimetière portÀt, avant Symmaque, un autre nom qu'après ; de plus, les
Itinéraires attestent le tombeau du saint.
196 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
IIP
i. Tihurtitts, fils (TAgrestiits Chromativs^ préfet^ se convertit
Gestes de avec son père à la vue ifun angç^ est baptisé par le prêtre
' Polycarpe devant Sébastien^ reste à Rome pendant la persé-
cution {^67)^ ressuscite mi homme tombé par la fenêtre {%li)^
est trahi par V apostat Torçuatus^ amené devant le préfet
Fabiantfs (§ 78), décapité voie Lavicane au III'' quille et
enterré au même endroit (§ 82)**.
La tradition est indépendante de Damase ^ qui consacre un
elogitim à Tiburtius, sans donner aucun détail sur lui ; elle est
également indépendante du férial, auquel elle n^eraprunte ni la
mention ad duas lauros ni la date de Tanniversaire Illid.aur/.
L'indication qu'elle donne pour remplacement de la sépul-
ture est confirmée par le férial : ces deux lauriers se trouvent,
d'après celui-ci, à la distance qu'elle indique ; elle Test encore
par les Itinéraires* et par les découvertes récentes '» : le cime-
tière qu'on a retrouvé date de la période qui précéda la paix
constantinienne plutôt que de la suivante.
Quant à l'association de Tiburce à Sébastien, nous n'en pou-
vons mesurer la valeur.
1 Cf. \fanicchi : Les Catacombes romaines, p. 205. Pour les gestes des II11
Couronnés et de Pierre et de MarceUin, cf. supra^ p. 153 et 163: légendes
céliennes. 11 est naturel que les deux grandes traditions lavicanes se soient
transportées dans la même région du Celius : c'est là qu'aboutissait la
Voie Lavicane.
^ M. Allard prétend (IV, 362) que Castulus fut martyrisé Voie Labicane.
Les gestes (g 83) ne donnent aucune localisation.
y Ihm., 30, p. 36.
* Salisburgensis. Via Labicana: in aquilone parte ecclesia Helenae primus
Tiburtius martyr. — Id., Epitome^ Notifia, Vila Adriani ; H. S., I., 178-179.
•' Bu/., 1864, 10, 82; 1873, 147; 1877, 21; 1878, 46, 49-71, 149; 1879, 75, 87;
1881, 164; 1882,111, 130.
SAINTE STMPHEROSE
i9'
IVi
t.
'ie-ites de
sainte
Synipherose.
« St/mphérose^ femme de Getulitts^ frère d'Amantiifn
martyr^ est martyrisée sur l'ordre d'Hadrien, ad Fanum
Hercttlis et finalement jetée à rAniene. Son frère Eugène^
principal de la curie tiburtine, F ensevelit près de la ville.
Les corps de ses sept enfants, martyrisés après elle, sont
jetçs dans une fosse profonde à un endroit que les prêtre
appellent ad septem biothanatos. Après la persécution^ on
leur élève des tombeaux; on célèbre leur fête le \h des
/calendes d'aotit ; on conserve leurs corps au 8' mille. »
Le rédacteur combine ici deux traditions locales distinctes,
dont on peut reconstituer la physionomie propre avant d'en
expliquer le mélange intime.
Sur la voie Tiburtine, le souvenir d'une mère chrétienne
martyrisée avec ses sept enfants s'était attaché à la villa
d'Adrien : le nom que les gestes donnent à la mère est confirmé
par le férial^, et par les Itinéraires 3. On en peut dire autant
des noms des sept enfants depuis qu'on ^ a expliqué par une
erreur de copiste l'étrange méprise du férial au 15 des kalendes
d'août, rectifiée, du reste, au 5 des kalendes de juillet. La réalité
du martyre, oii l'on pourrait être tenté de voir une imitation
et comme une réplique des gestes de Félicité ou de la passion
des Macchabés •'' est attestée par le passage du férial que nous
avons cité et par l'existence des tombeaux mentionnés dans
les Itinéraires ; elle est garantie d'ailleurs par certains passages
de la légende et par les découvertes : un temple d'Hercule est
trois fois mentionné dans notre texte : on peut, sans péril,
identifier avec THpaxXstsv de Tibur que Strabon mentionne
à côté du temple de la Fortune de Préneste *•. Les sépultures
ont même été retrouvées: au xvii* siècle déjà, Bosio^ avait
^ Cf. Marucchi : Les Catacombes Romaines^ p. 223.
3 XV. Kal. aug.
3 R. S., 1.
* Duchesne: F, H. Proleg.
6 Aube, I, 290.
« Strabon., V, III, H.
7 Bosio, R, S., p. 401 ; III, 40.
198 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
remarqué certains restes d'une basilique cémitériale dans une
terre de Maffei qui avait, à travers les siècles, gardé le nom
de a set te frate; en 1878, Stevenson a relevé, dans un champ
appelé Tavernttco/e^, un peu avant d'arriver à CasteirArcione^
les ruines d'une petite basilique à laquelle une autre avait été
adossée dans la suite, afin de pouvoir contenir les chrétiens
qui accouraient de toutes parts 2 : une communication avait été
établie entre les deux absides pour permettre aux fidèles qui
priaient dans la nouvelle basilique d'apercevoir la confession :
on sait que les premiers chrétiens hésitaient à déplacer les
reliques.
L'époque du martyre ne saurait être déterminée avec une
entière certitude. Les termes de Symphérose, i^ufjL^îpsuffa et de
Biothanatos nous reportent à un âge où le grec était aussi com-
mun! que le latin ; ce qui conviendrait à merveille à l'époque de
cet empereur qu'on traitait de Graeculits. Mais le grec fut sans
doute parlé à Tibur plus longtemps qu'ailleurs: Strabon ne
dit-il pas que c'était une vraie ville grecque, comme Préneste-*?
Sur la voie Salara, une autre tradition s'était développée, à
Gabies, gardant la mémoire d'un Getulius, d'une seconde Sym-
phérose, sa femme, d'Amantius et de Cerealis (r/*. infra).
Les deux traditions se mêlèrent bientôt dans Timagination
populaire : Tidentité de nom des deux Symphérose, celle de
Tibur et celle de Gabies (ou Torri) sur la Voie Salara, la com-
munauté d'époque à laquelle toutes deux vécurent, devait
nécessairement entrahier la confusion. D'autant qu'une autre
cause V contribua encore : le souvenir d'un certain Zoticus
s'associa à la tradition salarienne comme à la tradition tibur-
tine et contribua à les enlacer et ii les unir. Il v avait un Zoticus à
Tibur*, voisin par conséquent do Symphérose et de ses fils ; il
y avait un autre Zoticus sur la voie Lavicauo, au dixième mille ^,
qui se rattachait au Getuhus de la Voie Salaria et par l'homo-
nvmie des deux" villes oîi l'un et l'autre étaient vénérés'», et
par l'homonymie d'un compagnon auquell'un et l'autre étaient
1 Propriété du marquis GrazioU qui fit les frais des fouilles.
^ Stevenson : Scoperla délia basilica di S. Sinferosa e dei suoi selle figli al
nono tniglio délia via Tiburlina; 1818. — Bul , 1818, 75.
3 Slral)on. « çaai 6"KXXr,vfÔa; àpiçoTÉpa; », V, III, U.
« Fulvius Cardinalis, p. 16; 10 juin, 2G2; 18 juUlet, 352, g 8.
* F. H, 1111, id. februarias.
^ Gabies de Sabine (ou Torri) et Gabies de Latium.
SAINT LAURENT i^9
associés ^ De ces multiples rapports résulta bientôt la fusion
de la femme de Getulius et de la mère des sept martyrs, et
aussi — sans que, à vrai dire, elle se soit jamais complète-
ment accomplie — celle de Getulius et de Zotique ^. — Com-
ment expliquer autrement l'intrusion de Getulius et d'Aman-
tius dans la tradition tiburtine et le silence de la tradition
salarienne sur les événements de Tibur?^.
2. « Romanus^ soldat^ aperçoit un ange debout auprès de
Gestes de a Laurent pendant son martyre ; il se convertit et est baptisé
St Laurent. ^^ ^^^ Laurent que Dèce fait ramener au palais. Cependant
SteCyriaque" Dèce se fait présenter Romanus quij s^avouant chrétien,
et de « est décapité en dehors des murs de la Porte Salara, le
"' '°* « 5 des ides d'août^ et enseveli par le prêtre Justin dans une
« crypte de VAger veranus, — Laurent, archidiacre de
« Sixte, à qui celui-ci a confié la direction de C Eglise, se
« joue de Dèce, est grillé sur une claie : Justin prêtre et
« Hippolyte vicaire pointent son corps dans le champ de la
« veuve Cyriaca, via Tiburtina, où Laurent était venu la
« nuit; ils f ensevelissent au soir dans une crypte de la Voie
« Tiburtine, la propriété de Cyriaca, à Vager Veranus, le 4
« des ides (PaoïU, — Hippolyte vicaire à qui Valérien, pré-
« fety a confié Laurent, se convertit. Sa maison suit son
« exemple; Concordia^ sa nourrice, est décapitée; 19 autres
« personnes sont décapitées également en dehors des murs de
« la Porte Tiburtine, et Hippolyte est abandonné à des che-
« vatfx sauvages. Les corps des saints laissés in campo iuxta
« Nympkam ad latusagri Verani, le jour des ides d'août, sont
« recueillis par le prêtre Justin et ensevelis au même endroit, —
« Irenaeus, égoutier, lui porte avec Abundius le corps de
a Concordia retrouvé dans un égoût, grâce au soldat païen
« Porphyrius qui désirait voler ses bagues, — ceci treize
u jours après la passion d'Hyppolyte : — Justin r ensevelit
« apud corpus Hippolyti et ceterorum. Irénée et Abundius,
« précipités dans t égoût par ordî^e de Dèce, le! des Kalendes
1 Amantius, cité dans les Gestes de Getulius et au F. H. : 1111 id. feb.
^ Cf. lamelle de plomb découverte en i652 dans le tombeau de Saint-Michel
(Bosio, iî. 5., p. 401). — Codex Casinensis^ Codex Vaticanus longobardicis
caraclericis exaralus, cités par Cardulus, Sotae, p. 15; 18 juillet, 352, g 8.
— Cf. Doulcet, 93-94.
3 Adon place au 27 juillet la fête de Symphérose : c'est une énigme-
200 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« de septembre y en sont retirés par Justinet ensevelis iuxtacorpus
« beati Latirentii in crypta in agro VeranOy le vingt-septième
« jour après la passion des saints. — Tryphonia, fetnme de
« Dèce^ voyant son mari tourmenté par le diable^ se fait
« baptiser par Justin et^ morte ^ est ensevelie par lui dans la
« crypte où fut enterré Hippolyte^ le 15 des Kalendes de
« novembre, — Cyrilla^ fille de Dèce^ refuse de se marier et
« de sacrifier aux idoles : décapitée par ordre de Claude^
« elle est ensevelie par Justin ^ auprès de Saint Laurent j
« le 5 des Kalendes de novembre. »
Le fait du martyre de Laurent est attesté par Damase^ ; la date
de son anniversaire par le Chronographe ^ et le férial.; le lieu
de sa sépulture par la catacopribe et les basiliques mentionnées
par les Itinéraires ^ et subsistant encore près de VAgro Verano :
la basilique constantiniènne à Toccident, abaissée par Léo-
pardus, agrandie et embellie par Pelage II (579-590) et la
basilique construite par Sixte III (432-440) à Torient de la
colline: toutes deux se touchant par la convexité de leurs
absides^, réunies et comme fondues en une seule par Honorius III
(1216). L'époque assignée à ces événements par la tradition
tiburtine est attestée par saint Cyprien^, par Eusèbe^, aussi
bien que parle Liber Pontificalis'^ .
Mais si le fait du martyre, la date de l'anniversaire, le lieu
de la sépulture de saint Laurent paraissent aussi bien établis
que l'époque à laquelle il convient de le placer, les difficultés
commencent aussitôt que l'on veut connaître les saints qui
sont morts avec lui. Le Liber Pontificalis ne confirme plus ici
les données des gestes; il invite à les contrôler.
Des quatre personnages qu'il associe, en eff'et, au martyr
principal, deux sont absolument inconnus : le sous-diacre Clau-
dius et le prêtre Severus n'apparaissent ni dans notre texte, ni
• Ihm., 3?, p. 37; 55, p. 57.
2 Le chiffre donné par le Chr. s*explique par une erreur de copiste;
le Codex Epternacensis 8*accorde avec les gestes pour donner le 4 des ides
d'août.
3 R. S., 1.
^ Gomme les temples de Vénus et de Rome, sur remplacement de Sainte-
Françoise Romaine.
^ Épistola 80.
« Eusébe, Chronic. ^ R, S., il, 212.
' L. P., I, 68, 155.
s s
g-:
SAIKT LAURENT 201
dans le calendrier : Daraase est muet à leur endroit et les
Itinéraires ne mentionnent pas leurs tombeaux. — Crescentius
a sa sépulture mentionnée par le Salisburgensisy la Notitia et
VEpitome dans la basilica maior de Sixte III. — Romanus est
qualifié de lecteur par le Liber Pontificalis^ de soldat par les
gestes; mais c'est, sans doute, le même personnage qu'aura
transformé la légende afin d augmenter d'un miracle* la gloire
de Laurent ; son tombeau est mentionné dans les Itinéraires,
tout au fond des galeries cémitériales ; son épitaphe a peut être
été retrouvée en 1864, à Saint- Laurent-, son nom fut peut-
être donné au titulus Romani de 499 ^, sa crypte fut peut-être
détruite en 1876* : ces « peut-être » ne sont pas inutiles : rien
ne confirme ces hypothèses, si rien n'y contredit.
Dans la même église que Crescentius et Romanus reposaient
aussi, selon le Salishtirgensis, une Cyriaca sancta vidiia et
martyr et in altéra loco s, Justinus, L'une et l'autre parais-
sent dans nos gestes sans que leur sépulture soit indiquée ni
même mentionnée leur mort; l'une et l'autre sont devenus les
héros de gestes séparés, qui n'eurent qu'une popularité très
faible^, et dont l'auteur se proposait sans doute de réunir et de
compléter les renseignements épars dans les gestes de Laurent.
L'anniversaire de Justin est placé par le tùvialprid, non, atig ;
son tombeau, nous l'avons vu, était voisin de celui de Cre-
centius, dans l'église de Sixte III. Cyriaca est absente du fériail ;
son nom ne s'y trouve que dans un manuscrit de Bède-Florus,
à la Vaticane. Mais son souvenir est attaché à Sainte Maria
Dominica et surtout à VAger Veranus : on racontait qu'elle
était propriétaire du champ où saint Laurent fut enseveli^, que
ce champ fut confisqué pendant les persécutions et qu'on y
éleva, après la paix de l'église, la basilique superbe dont Léo-
pard devait abaisser le niveau et Pelage enrichir la décoration.
Le fait est qu'on y a trouvé l'épitaphe d'une Quiriace"^ et que les
pèlerins du v* siècle y ont vu le tombeau d'une Cyriaca s.
^ La conversion d'un soldat.
> De Rossi, Bull., 1864, 33.
s n y eut aussi un Romanus à Antioche. Prudence : Péri aleph., X.
^ Stevenson, Nuovo Dul.^ 4895, p. 89. — Une tradition mentionnée par
le R. P. Le Bourgeois place à Saint-Laurent in fonte le lieu de son baptême.
^ Stevenson, Nuovo Bull., 1895, 97.
• L. P., l, 182.
7 BulL, 1864, 34.
8 B. S. I, 178.
202 ANÂLY8E CRITIQUE DE8 TRADITIONS ROMAINES
Irénée et Abundius furent ensevelis, si Ton en croit les gestes,
iuxta corporisS. Laurentii, Ici encore les Itinéraires confirment
leurs indications. « Ihi pausat^Yii-on dans le Salisùurgensis^
SS. Abundius et Herenaeus, martyres via tiburtina^. » Quant à
la date qu'ils assignent à leurs anniversaires, elle est contredite
par le férial : celui-ci donne : « X KaL sept. ad. s. Laurentiitm.. .
Abundii' y), ceux-là le VII: la différence est peu sensible;
de quelque manière qu'on Texplique — erreur de copiste ou
divergence de tradition — le culte des deux cloacarii reste
fixé au dernier tiers du mois d'août.
Rien ne contredit donc jusqu'ici aux données essentielles des
gestes : un double rapport chronologique et topographique réu-
nit tous ces martyrs dans une même région de la voie Tiburtine,
à une même époque de Tannée ; cette double parenté qui les
lie semble garantir Texactitude relative de la tradition. Il y a
de bonnes raisons, au contraire, pour douter des détails qu'elle
apporte au sujet d'Hippolyte, Concordia, Tryphonia, Cyrilla.
Que Tryphonia et Cyrilla fussent femme et fille de Dèce, le fait
est manifestement inexact : non pas que le nom d'esclave porté
par Tryphonia nous invite à le penser : (l'affranchie Marcia
était concubine de Commode^), mais notre connaissance de
l'histoire de Dèce nous oblige à le croire. Il est seulement
possible, si l'on veut^, qu'elles aient appartenu à sa maison. —
Qu'elles fussent ensevelies toutes deux, contrairement à ce
que racontent les gestes, auprès de saint Hippolyte, c'est ce
qui ressort d'autre part du texte même du Sa/ishtfrgensis ^.
Il en va de même de Concordia : sa tombe est mentionnée dans
ce même texte: mais sa qualité de nourrice d'Hippolyte est
ignorée ou contestée par tous les Itinéraires ^. Le fait est que
nous ignorons tout de ces martyrs, hormis ce point seulement:
comme leur tombeau était tout voisin de celui d'Hippolyte, elles
1 Je ne saurais trancher la question de savoir si le petit cubiculum dont
parle leSalisburg est celui d'Irénée : le texte est trop corrompu ; d'autre part,
les gestes n'autorisent pas à séparer le tombeau d'Irénée de celui d* Abundius.
11 faut attendre des inscriptions. Nuovo BuU., 1895, 73.
- La restitution Irenaei ne souffre pas de difficulté.
3 De Witte : Du chnstianisme de quelques impérahHces romaines avant
Constantin. —Mélanges d'Ai^chéotogie, III, 10 (Paris, 1833). — De Rossi, BuLy
1882, 27.
^ AUard, III. 203. — On a la maison d'un Dèce inconnu.
ï- De Rossi, R. S., 1, 178, — Stevenson, Nuovo Bull., 1895,73.
^ Le Salisburgensis en fait sa femme ; la Sotitia la nourrice de Cyrilla.
SAINT HIPPOLYTE 203
furent associées à l'histoire de ce saint et engagées à sa suite
dans le cycle de Laurent.
Quant à Hippolyte lui-même, deux faits apparaissent comme
incontestables et, du reste, comme incontestés : au milieu du
iv* siècle, un Hippolyte étmt vénéré aux ides d'août*; il était
vénéré dans la catacombe qui porte son nom*. De cette double
donnée, il faut rendre compte, en recherchant d'abord quels
faits historiques elle recouvre, ensuite quel développement
légendaire elle supporte.
Le catalogue libérien qui, pour l'époque antérieure à 235,
reproduit la chronique d'Hippolyte, se termine par ces mots :
« Eo tempore, Pontianns episcopits et Hippolytus preabyter
« cru/es sinit deportati in Sardiniay in iiisu/a nociva^ Severo
« et Quintino consu/ihus ». 235 — Pour qu'un Hippolyte soit
ainsi mentionné avec un pape dans une chronique papale, il faut
nécessairement qu'il ait occupé dans l'église une situation
considérable. Or, nous connaissons d'ailleurs un Hippolyte,
disciple d'Irénée, qui joua un grand rôle à Rome, à la fin
du II* siècle, dans les controverses pascales, et au début du iii%
dans les controverses contre Praxéas. Si nous admettons qu'il
avait quelque trente ans au temps de A^ictor, il en devait avoir
plus de soixante au temps de son exil. On comprend que
Maximin qui s'efi'orçait, moins d'inquiéter la masse des chré-
tiens que de frapper leurs chefs, n'ait pas hésité à sévir contre
un docteur aussi illustre, quoique atteint déjà par la vieillesse ;
aussi bien on ne saurait s'attendre à voir les scrupules retenir
le bourreau d'Anteros. D'autre part, on n'a aucune raison de
contester le fait puisqu'on ne connaît historiquement aucun
personnage du nom d'Hippolyte qui soit parvenu à la même
célébrité. II vivait encore, ainsi que Pontien, le 21 novembre 235,
jour de l'ordination d'Anteros; il mourut, sans doute, ainsi que
l'ancien pape, victime des fiè\Tes de Sardaigne et du travail
des mines ; son cadavre enfin fut rapporté à Rome, sous le règne
de Philippe, en même temps que celui du Pape, enseveli et vénéré
dans le cimetière de la Voie Tiburtine : comment expliquer
autrement que l'anniversaire de tous deux ait été fêté le même
jour 3.
» Chronographe de 354. — L. P., I, 12.
^ Ceci résulte de la comparaisoa du Chronographe et du Salisburffensis.
^ Duchesne, Origines chréliennes^ p. 306. — Cf. supra, le Chronogr.^ 354.
1
204 ANALY8E CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
La découverte de 1551 a confirmé et afi'ermi ces hypothèses : k
cette date, on trouva dans cette catacombe une statue d'Hippo-
lyte sur la base de laquelle était gravée la liste de ses œuvres ;
ainsi, soit qu'il fût propriétaire du terrain oîi se développa le
cimetière, soit que, plutôt, il en ait été le créateur et l'organisa-
teur, c'est cet Hippolyte qui lui a donné son nom. Comme le
cimetière de Calliste est ainsi appelé en souvenir de celui qui n'y
fut pas enterré, qui n'en fut pas possesseur, mais qui l'amé-
nagea, de même le cimetière d'Hippolyte fut aussi désigné, je
suppose, par le nom de celui qui en dirigea l'installation.
Mais, dira-t-on, l'hypothèse est peu vrai semblable : com-
ment croire qu'au même moment oii l'église romaine devait
concentrer tous ses efforts et toutes ses naissantes ressources
afin de s'établir Voie Appienne, elle voulut en distraire une
bonne part pour les afi'ecter à une tentative analogue sur
la Vie Tiburtine? — L'objection tombe d'elle-même, ou plutôt
elle se retourne contre ceux qui s'en armaient. Au moment
oîi il s'établissait Voie Tiburtine, Hippolyte était en conflit
avec l'église; on a eu raison do voir dans notre docteur
l'auteur des ^i'kzGo^où\kiyx et le chef d'une église schismatique ;
l'histoire des origines du cimetière Tiburtin complète ces faits
et les éclaire; l'harmonie d'hypothèses diff*érentes n'est-elle
pas une présomption de leur exactitude? Tandis que Calliste
organisait, au temps de Zéphyrin d'abord, sous son propre
pontificat ensuite, « le cimetière », en réunissant les hypogées
des Caecilii et des ^Emilii, son ennemi acharné faisait de la
catacombe tiburtine le centre d'une communauté rivale. On
s'explique alors ce titre surprenant d'évêque de Rome que lui
donnent Eusèbe et les sources grecques ^ ; on s'explique surtout
ces coïncidences curieuses de temps, de lieu, de situation
ecclésiastique et théologique qu'on a si souvent relevées entre
l'auteur inconnu des «InXsasçsjixsva et Texilé de Sardaigne ; on
s'explique encore cette singuHère identité des livres qu'on attri-
bue à l'un et à l'autre; on s'explique enfin le développement
même de notre légende*.
ï Lightfoot, Apostolics Faihers, I. Clément ofRom., //p. 433, fait de Hippolyte,
rév(>que de la population flottante, qui vivait à Porto. \\\ reprend en la corri-
geant la thèse de Ruggieri (De Porluensi S. II. Episcopi et Martyris Sede,
Romae, 1171). La grande objection est Tignorance de saint Jérôme, ami de
Pammachius, un des principaux personnages de ce pays.
s Voici Tobjection de M. Tabbé Duchesne, p. 312. « 11 y a entre les deux
hérésiologies une différence plus grande que celle qui peut séparer deux œuvres
BAINT HIPPOLYTE 205
A la fin du rv' siècle, dans reloghim damasien*, Hippolyte
nous apparaît avec le double qualificatif de martyr et de nova-
tien. Qu'il soit devenu martyr, il n'y a rien là que de très
naturel : nous savons par saint Cyprien^ que, au milieu du
m' siècle, on appelait ainsi les simples confesseurs ; dès l'époque
de sa mort, le terme de martyr a donc pu être associé à son
nom^. Plus tard, l'extension du terme se restreignit à ceux
qui, confessant leur foi, avaient perdu la vie ; l'habitude prise
empêcha de rectifier une appellation désormais inexacte
lorsqu'elle s'appliquait à Hippolyte; le mot suggéra l'idée et,
peu à peu, Ion en vint à croire qu'Hippolyte avait été mis à
mort.
Qu'Hippolyte soit devenu novatien, voilà qui peut surprendre
d'abord, le novatianisme ne s'étant pas développé avant 251 et
Hipolyte étant certainement mort avant cette époque *. Le fait
s'explique néanmoins. Hipppolyte avait été longtemps hérétique
et schismatique ; d'autre part, le novatianisme était encore très
vivant au temps de Damase et très redouté; les Romains d'alors
avaient des hérésies une horreur très vive plutôt que des idées
d*un même homme... ; il y a ladifférence d*nn esprit à un esprit. r> Mais aucua
texte ne mentionne simultanément les deux Hippolyte. Est-il possible de pré-
voir les évolutions successives d'un esprit particulier 7 L'emprunt du cycle
pascal aux hérétiques s'explique par le retour d'H. à l'orthodoxie et son
importante renommée ; on s'explique de même, qu'on lui ait rendu son titre
de prêtre : Caliiste mort, la vieillesse approchant, H. a dû devenir plus trai-
table ; l'approche de la persécution, après une longue paix amollissante, invitait
les chefs d'église à concentrer leurs forces avant la bataille. Cf. Origène,
adv. CeUxiiriy c. 15.
Saint Jérôme (De Vins, 6i) et avant lui Eusèbe (/f. J?., VI, 22) attribuent &
Hippolyte un écrit contre lotîtes les hérésies, ce qui est le titre exact des Phi-
losophoumenaxsTà nao-ûv alpsTe<i>v. — D'après la préface de l'ouvrage, l'auteur
a déjà exposé et réfuté brièvement les hérésies ; or Photius atteste (Cod. 121)
que saint Hippolyte avait fait un petit traité contre trente-deux hérésies com-
mençant avec les Dosithéeus et finissant par les Noëtiens. — L'auteur des Phi-
losophoumena renvoie (X, 32) le lecteur à un autre de ses ouvrages intitulé :
Tfîpl rr|; tou wavro; oùo-ta; ; or le catalogue des écrits d'Hippolyte gravé sur
la base de sa statue mentionne un npb; *'EXXr,va; xal irpb; IlXacTcova r, xal icepl
Tov 7caiv76;, et Photius remarque (Cod. 48) que les manuscrits portent égale-
ment icepl Toû 9cotvT6; ou Tcspl tf^; toO icavTOc oOo-Caç.
» Ihm, 37, p. 42.
' Cyprien, Ep. 12, I, p. 502, édition Hartel.
3 Ce qui s'explique par : 1* la déportation en Sardaigne ; 2* le sens du mot
grec |iâpTv; témoin ; 3* l'usage courant du grec comme langue ecclésiastique
au temps d'Hippolyte.
* M. l'abbé Duchesne a réfuté de façon péremptoire ceux qui, à la suite de
de Rossi, prolongent sur la foi de Damase, la vie d'Hippolyte jusqu'après 251
(Oritjines, 308).
206 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
très distinctes; ils étaient fiers de leur orthodoxie plutôt que
savants en hérésiologie ; s'agissait-il de quelqu'une d'entre
elles, ils lui attribuaient avec plus de bonne foi que d'exactitude
les caractères de celles qu'ils connaissaient particulièrement,
pour avoir été ou pour être encore attaqués par elles. A partir
de Léon I" (44i-4()6), c'est le manichéisme qui personnifie
pour eux l'hérésie; avant Innocent I", (iOl-407,) sousDamase
par conséquent (36G-384), c'est le novatianisme qui représente
à leurs yeux cette fille de Satan. — Une raison particulière
contribuait, du reste, à faciliter cotte absorption de l'idée
d'hérésie par l'idée de novatianisme, à la fin du iv'' siècle: je
veux dire le grand crédit dont Cyprien jouissait alors, et la
large place que tient Novatien dans ses écrits. Cyprien était,
au IV* siècle, le seul grand nom de l'église latine : Jérôme et
Augustin commençaient seulement à faire parler d'eux et Ter-
tullien était entaché de montanisme ; d'autre part, ses ouvrages
étaient vénérés presque à l'égal des Evangiles : de fait, on en
trouve certains dans le^ mêmes manuscrits que les livres du Nou-
veau Testament. On sait enfin dans quelle situation délicate il
se trouvait pendant la persécution dé Dèce : les faillis préten-
daient rentrer dans la communion de l'église, sur la simple
présentation d'im billet de confesseur ; Novatus qui admettait de
les recevoir à cette seule condition, partait à Rome pour intri-
guer contre son évêque*, y devenait bientôt l'agent le plus
actif de Novatien. Les seuls souvenirs que, dans leur ignorance
de l'histoire, eussent conservés les Romains, venaient donc
expliquer, confirmer, fortifier les impressions qu'ils recevaient
des circonstances ; le passé, aussi bien que le présent, contribuait
à leur faire considérer le novatianisme comme l'incarnation de
l'hérésie et un hérétique, au sens général du terme, comme un
novatien, au sens particulier du niot.
Une troisième raison, plus précise encore, éclaire cette sin-
gulière transformation d'Hippolyte le docteur. Il y eut à
Antioche un Hippolyte^ novatien, qui, avant de mourir, revint
à l'orthodoxie et dont Eusèbe racontait la passion dans
les 'Ap-/a{a)v. Comment douter que ce fait ait confirmé la
croyance qui résultait naturellement de ce que nous venons
de dire? Que l'on se rappelle quelles confusions étranges
ï Duchesne, Origines ^ 417.
* Duchesne, Origines^ 321.
SAINT HIPPOLYTE 207
commettaient parfois les plus savants évoques; que Ton se
rappelle encore avec quelles réserves parle Damase, de quelles
précautions il entoure ce qu'il avance, nous avertissant par là
qu'il ne se tient pas pour assuré : « fertxir^ haec aitdita refert
Damasus », et Ton s'expliquera ce qualificatif de novatien
attaché au docteur Hippolyte, par un homme qui appartient
comme Damase aux milieux cultivés de Rome^
On se disposera par là-mème à comprendre quels embel-
lissements devaient déformer la légende cà son passage dans les •
milieux populaires. A peu près contemporain de Damase,
puisqu'il est mort en 406 et celui-ci en 38i, Prudence fait
mourir Hippolyte de la même mort que le fils de Thésée :
il s'inspire d'une fresque qu'il a vue au cimetière. La légende
date donc du iv* siècle : sa naissance s'explique par l'homo-
nymie des noms et la vraisemblance du fait. Le châtiment
infligé à l'amant de Phèdre avait été popularisé chez les Latins
par Ovide 2 et, plus encore, sans doute, par les usages de la
peinture décorative. On pouvait savoir en outre que des
femmes et des vierges chrétiennes avaient représenté au
naturel, dans l'amphitéâtre, la tragique histoire des Danaïdes
et des Dircés ^ ; on devait croire aisément qu'un préfet, ayant
à punir un chrétien du nom d'Hj^polyte, lui avait infligé le
même supplice qu'Aphrodite au fils de Thésée. Un fait curieux,
du reste, a dû concourir à la naissance de la légende : le jour
même où l'on fêtait la mort d'Hippolyte, le 13 août, un
sacrifice solennel avait lieu sur l'Aventin dans le fameux temple
de Diane que nous avons mentionné au précédent chapitre ^ :
i/ était précisément décoré de fresques représentant le supplice
du favori d'Artemis'^. Qui voudrait soutenir que la présence
de cette peinture, et la communauté d'anniversaire s'ajoutant
à la communauté de nom n'a pas contribué à enlacer l'un à
l'autre le prétendu martyre d'Hippolyte et le supplice imaginé
par le dépit d'une déesse ^ ?
Reste à expliquer le dernier avatar du personnage. Le confes-
1 F. H., 30 janvier. Cf. Adon, 30 janvier, Ducbesne, op. ci/., 317 sq.
* Ovide, Métamorphoses, XV, i97.
3 Aiiard, I, 41-48.
* Cf. supra j page 164.
^ Prudence, c. Symmachum, H, 53-56. — Marquardt : Culte, II, 373.
^ On peut même se demander si la date de Tanniversaire du martyr ne vien-
pas de la date de la fôte païenne. L'homonyu'e des noms rendrait compte de
ce fait comme de la légende du suppUce.
208 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
seur est devenu martyr, Thérétique novatien, le compagnon
de Pontien est mort comme le fils de Thésée : comment a-t-il été
associé à saint Laurent et comment est-il devenu vicarius ?
Cette transformation dernière était préparée par le novatia-
nisme de la légende qui le plaçait, comme Laurent, à T époque
de Dèce-Valérien ; elle fut accomplie par la proximité des tom-
beaux et le voisinage des anniversaires. Puisqu'il avait trempé
dans le schisme qui avait éclaté au moment de la persécution
de Dèce, était-il possible qu'il eût échappé aux recherches
de ce tyran? Comment le croire, lorsqu'on voyait son tombeau
non loin de ce martyr illustre, vénéré par tout le monde chré-
tien? Comment le croire surtout, lorsqu'on fêtait son anniversaire
quelques jours seulement après celui de l'archidiacre de Sixte?
C'était, sans nul doute, un de ses compagnons, comme Irénée
et comme Abundius, comme Romanus et comme Justin.
La profonde ignorance où l'on était alors de Tliistoire,
l'influence de ce môme Romanus, l'influence d'autres légendes
analogues qui imprimaient un certain tour à l'imagination
populaire, la façonnaient, l'habituaient à voir, avec sa piété
naïve, dans la conversion d'un persécuteur comme une revan-
che anticipée de Dieu, toutes ces causes — et d'autres, sans
doute, que nous ne pouvons discenier encore — déterminèrent
l'évolution finale de cet enigmatique martyr et fixèrent la forme
dernière sous laquelle la piété romaine se le représenta. L'ad-
versaire de Sabellius, Tennemi de Calliste, le compagnon de
Pontien ne fut plus, pendant de longs siècles, qu'une pâle
copie de Quirinus, d'Asterius, de Chromatius, de Gordianus et
de cent autres.
3. « Vactetrr Genès, parociiant vne conversion devant Dioclé-
Gestes « tien y est siibitement touché de la grâce. Il confesse sa foi
de St Genès. ^^ devant rEmpereur, est livré an préfet Plantien qui le
« fait décapiter y le 25 aotït ».
Il y avait à Rome, voie Tiburtine, un saint Genès dont l'his-
toire était parfaitement inconnue : on savait peut être qu'il
avait été acteur, inimtis^: ce souvenir, peut-être le nom seul,
enfanta la tradition. Comme Gelasius d'Heliopolis, comme Por-
> Vet. Cat. Carth. Mabillon, Analecla, III, 412. — R. H., VIII. Kl. sept. —
Salhhtirg., et EpUome, R. S., I, 180.
SAINT NIGOMÈDE 200
phyre et Ardaléon, on supposa qu'il s'était converti en jouant
devant le prince : le thème légendaire était trouvé. On em-
prunta au Gènes d'Arles ^ la date de Tanniversaire et même
l'époque du martyi'e ^ — quoique le Gènes de Rome fût tout
voisin des héros du cycle laurentien — : un jour la légende
fut mise par écrit; c'est le texte que nous lisons^.
V4
1. « Un prêtre Nicomedes fait communier Petronilla le jour
Gestes des « où le comte Flaccus vient lui demander sa main et où
aintsNérée ^^ ^^^ meurt. Arrêté par ordre du Comte ^ il refuse de sacri-
Nicomèdc. « fier et meitrt sous les coups. Son cadavre jeté au Tibre est
« recueilli par son clerc Justus: celui-ci V ensevelit dans son
« champ, voie Nomentane, en dehors des murs, le 7 des
« Kalendes d'octobre'-^, — Eutyches, qtii, ainsi que Victorinus
« et Maro, a succédé à Nérée et à Achillée dans la confiance
« de Domitille, rengage à repousser les avances cT Aureliamts
« et à rester fidèle à Dieu, Attrelianus se le fait donner par
« Nerva et, sur son refus de sacrifier, il r envoie dans une de ses
« terres au seizième mille de la Voie Nomentane, Eutyches
« y guérit la fillt. du conductor loci, et y opère des conver-
c( sions nombreuses. Il est mis à mort et les chrétiens élèvent
<( une basilique au-dessus de son tombeau, »
Le lieu de la sépulture de Nicomède est attesté par YEpi-
tome, la Notitia^ Vltinéraire d*Einsiedeln, la Vita Adriani.
L'hypogée retrouvé par Bosio, le 14 décembre 1601, dans les
ï Très populaire, il était vénéré à Lucques: Grégoire de Tours. De Gloria
MarL, 67 (Rrusch, 533).
> Dioclétien ne pouvait être à Rome à cette date ni en 285, ni en 290, ni en
303 (Tillemont, IV, 418, 694).
Les deux Gènes ont été confondus par Pierre de Natali: Catalogue, VII, 110.
3 Noter qu'il ne contient aucune donnée topographique. — C'est seulement
au vui* siècle qu'il a une église à Rome, sous Grégoire III Cf. Harnack :
Gesch, der altchr., LUI., 821. — Cf. Tétude très consciencieuse qu'a faite de
cette légende M"* Bertha von der Lage: Sludien zur Genesiuslegende (Berlin,
Gaertner, 1898, 2 fascicules).
^ Cf. Marrucchi: Les Catacombes Romaines, p. 253.
^ La dale se trouvait dans le texte que lut Bosio.
14
210 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
jardins de la Villa Patrizi *, est certainement antérieur au
III* 'Siècle, puisqu'on y trouve de nombreuses inscriptions
grecques. On ne sait rien de positif sur les rapports de
Nicomède et de la gens Catia^ propriétaire de la catacombe ;
on ne peut donc fixer Tépoque où il vécut ^. — Justus est
complètement inconnu.
La basilique d'Eutyches n'est attestée par aucun autre
document et n'a pas été retrouvée : mais le férial mentionne,
au même endroit que notre texte, wncymiteriiim Eiitychii^ ; il
faut donc admettre qu'il y avait au dix-huitième mille un
hypogée avec une basilique cémitériale auxquels était attaché
le souvenir d'un Eutyches, d'ailleurs inconnu.
2. « Severiiia^ femme (TAtireliamiSy cornes utriusque militiae
Gestes de „ envoyé par Trajan à Séleucie d'Isatrrie, afin cT exterminer
* « tous les chrétiens^ ensevelit dans sa terre au septième inille
« Eventiiis et Alexandre dans un même monument^ Theodu-
« lus dans un autre. Cet Alexandre est le pape qui a con-
« verti le préfet Hermès et le tribun Quirinus : il est mort à
« trente ans^ et Eventius à quatre-vingt-un. »
Les gestes d'Alexandre sont comparables à ceux d'Urbain :
le pape a été confondu avec un martyr homonyme. Le jeune
âge que lui attribuent les gestes nous invite à le penser ;
d'autant qu'il n'est pas enterré au Vatican, comme les papes
des deux premiers siècles et qu'il est formellement exclu par
saint Irénée du nombre des martyrs ^.
Voici qui supprime toute incertitude : le férial, au 5 des
nones de mai, ne lui donne pas le titre d'évêque ; il le cite
après Eventius ; une inscription trouvée à la catacombe ^,
le cite de même en seconde ligne seulement, après un autre
martyr dont le nom est incomplet. — Le calendrier, au
1 Bosio, R. s., p. 414; III, 44 et 50, p. 435.
2 De Rossi, BuU., 1865, 49. — R. S., I, 178. L. P., 1, 322 (Ariiighi, II, 127).
— Ce Nicomède est sans doute celui qui donna son nom au tilulus attesté
en 499. — Les gestes de Nicomède indiquent l'époque de Maximien, que con-
tredit la suite du récit.
3 F. H., VllI Kl. sept. — Damase (Ihm, 27, 32) consacre un elogium à un
Eutyches qui diffère de celui-ci par ses attaches topographiques (saint Sébas-
tien) et son genre de mort.
* Adv. Ilaereses, lll, 3.
^ De Rossi, bis. Chr.y I, vu. — Marucchi : op. cit., 287.
SAINT ALEXANDRE 2li
M mars, mentionne à Rome un Alexandre, évoque, et un
Theodulus, diacre, sans rappeler Eventius. — On saisit dans
l'abrégé Cononien la trace d'une tradition antérieure, attestant
que le pape Alexandre n'a pas été toujours associé à Even-
tius et Theodulus qu'elle néglige*. — La confusion du pape et
du martyr est encore attestée par le fait que le Salisburgensis
connaît deux saints Alexandre, l'un sur la voie Salara Nova,
l'autre voie Nomentane^. — Un texte très explicite enfin nous
reporte à une époque où la légende n'existait pas encore sous
la forme qu'elle a prise dans le plus grand nombre des
manuscrits: le Codex Monaceims 4554, f° 54 (VIII-IX s.)
place Alexandre sous l'empereur Aurélien, date son anniver-
saire du 17 mars, fait de Theodulus un laïc et ignore Even-
iius : « Passi sunt autem beati martires alexander aepiscopus
et theodolus laicus apud urhem romain die XVI KaL apr.
sub aureliano imperatore, régnante d. n. 1. C. cui est gloria
ciim Pâtre et Spiritu Sancto in saectda saecidorum. Amen, »
Quant à ce martyr et à ces compagnons, nous en savons
peu de chose. La catacombe découverte en 1855, conformé-
ment aux indications de la Notitia, au lieu dit « Coazzo »,
jadis «Casa Nova 3», dans une propriété de la Propagande
appelée « Capo Bianco » paraît antérieure au premier tiers
du m* siècle : on y trouve des inscriptions latines écrites en
caractères grecs ^. C'est évidemment à la suite de la confu-
sion des deux Alexandre que le martyr a été placé à l'époque
de Trajan.
3. « Papias et Maunis^ voyant Sisinnius et Saturninus
r. estes de « réduire en poussière /es idoles^ se convertissent au Christ
« à la vue du préfet Laudicius, Sisinnius et Saturnifius sont
« décapités Voie Momentané au deuxième mille, Papias
1 L'hypothèse, aperçue par FioreDtini, a été démontrée vraie par M. Tabbé
Duchesne. Le Liber Pontificalis^ contemporain des gestes, ne saurait les
confirmer: il relève de la même tradition; deux légères variantes : Theo-
dulus est fait diacre; Alexcmdre est décapité, au lieu de mourir à la suite des
piqûres dont on lui a criblé le corps.
« R. S., I, li7.
» Aringhi, t. II, 148, liv. IV, c. 22. — L'erreur du Salisburgensis et de VEpi-
tome s'explique par la confusion de l'Alexandre de la Voie Nomentane avec
l'Alexandre de la Voie Salaria (L. P., 1, 263. — Ihm, 100, 100. — Bul,, 187o, 146,
1884, 85, 24).
* De Rossi, /. C/ir., I, ex.
St .Marcel.
212 ANALYSE CRITIQUE DES TKADITIONS ROMAINES
« et Maiims, suppliciés au Circus Flauiinius^ sont enierrea
« par le prêtre Jean^ voie Nomentane^ ad nymphas b. Pétri
« ubi baptizabat, le 4 des KaL de février. »
C<3S deux saints sont attestés par une inscription trouvée
près des thermes de Dioclétien * : elle nomme Papias et Mau-
roleon. Que ces deux noms désignent nos deux martjTS, leur
association même le montre, et le début du mot « Mauroleon »
et le lieu môme où Tinscription fut trouvée. Le monogramme
constantinien qui la décore, permet de la dater de la fin du
IV* siècle ou des premières années du v". On ne peut rien
dire de plus -.
4. « Justa recueille le corps du bienheureux Restitutus^ rem-
Gestes de « baumey le porte dans sa terre de la Voie Nomentane, en
St Restitus. ^^ faisant prévenir revécue Etienne, A l'aube, on arrive â
« rht/pogée du seizième milles et on enterre le corps dans
« tme crypte y le 6 des Kalendes de juin'^ ; chaque jour les
« malades et les possédés de Nomentum^ venant au tombeau
« du martyr y y recouvrent la santé, m
La date de Tanniversaire est confirmée par le fériaH ; — le
lieu de la sépulture par l'hypogée et Téglise de Rcstitutus vus
par Bosio, aujourd'hui détruits -^ — Il n'y a, sans doute,
aucun rapport entre ce Restitutus et celui qu'on vénère à
Naples 6, ou celui dont on a retrouvé une inscription à Domi-
1 Bull. 1887, p. 10.
3 De Rossi n*a pas réussi a les rattacher au groupe de Victor, Félix et
Alexandre cité par le F. H., au 10 des kal. de mai, in cym. marlyrum; et
au 16 des kal. d'octobre, ad Caprea in cym. maiore. Les indications topo-
graphiques concordent, mais les anniversaires diffèrent, Maurus manque, trois
inconnus le remplacent (BtiW. Com?^., 1883, 24r4; — R.6\, 1, 179,190; — Armel-
lini : CimiUri, 195 ; - Bull , 1877, 10. - Allard, iv, 383 ; — Aringhi, II, 147).— 11
y a un Maurus au F. II.. prid. id. aug. ; c*est celui des gestes de Ghrysanthe ;
il y en a un autre, romain d*origine, vénéré à Gallipoli d'Italie, martyrisé
sous Numérien par le Dux Cerinus, 1" mai 41.
^ Ferrari donne le 4 des kal. de juin.
* Moyennant une correction facile: le F. H. donne III id. iunii: le copiste
aura séparé, enlisantles deux jambages du V (vi Kl. iun).
& Bosio, H. S., p. 416 C; III, 47; Bull., 1881, p. 106-107, d'après Steven-
son.
6 Boldetti, p. 123 ;I, 25.
SÂtNTS t>tlIMUâ fit FEUetANtâ âl3
tille en 1853*. Peut-être la pierre encastrée dans Tescalier
de Saint-Agnès et qui porte
LOCVS RESTITVTI
vient-elle du cimetière de Monte Rotonde. — Rien ne contredit,
ni ne confirmé l'époque indiquée par les gestes.
3. « Sous Dioctétien^ Primus et Felicianas refusant de
Gestes .< sacrifier à Hercule et à Jupiter sont livrés à Pro?notus,
PTiumset " p^*<i€^€S de Nomentum, au treizième mille. Ils y souffrent
FelicianuB. « le martyre^ sont transportés ad Arcus Numentanos intra
« arenarium et ensevelis iuxta areîmrium. Après leur mort^
« ils guérissent les malades ; après les persécutions^ on leur
« élève une basilique au quatrième mille de Rome : leur fête
« est le 5 des ides de juin, »
La date de l'anniversaire est confirmée par le férial; — le
lieu du tombeau par le férial, le Liber Pontificalis^ les décou-
vertes. Le férial les mentionne, en effet, au quinzième mille:
Técart est faible et s'explique par une erreur de transcription
ou une divergence dans l'appréciation de la distance. Une
inscription mentionnée par Ciampini^, reproduite par de Rossi^,
et un passage du Liber Pontificalis^ nous apprennent que le
pape Théodore (642-649) les transporta de î'arénaire de la
Voie Nomentane à S. Stefano Rotonde. Bosio^ assure enfin
qu'il a trouvé au neuvième mille, les ruines d'une basilique et
les restes d'une catacombe aujourd'hui très dévastées 6. On ne
peut rien avancer de plus.
' De Rossi, R. S., I, 109 ; Tillemont, V, 121.
s Vêler. Monunu, II, 32.
3 Ins, Chr.,\\, 152.
* L. P., I, 332.
•• Bosio, /ï. S., p. 416; lïl, 46.
« Stevenson, BuL, 1880, 106.
âi4 ANALYSE CRifiQtiB DËà TkADIttÔNS KÔMAlNËS
6. « Agnes y vierge de treize ans^ préservée par un ange des
Gestes de « souti/ures du lupanar^ est décapitée par te préfet Aspasius
® ^ ** « pour avoir refusé d!épouser son fUsj et enterrée dans le
« praediolum de ses parents^ Voie Nomentane. Eméren-
« tienne^ sa sœur de lait, tuée sur son tombeau^ est enterrée
« in confinio agelli beatissimae Agnetis, Constantina^ fille
« de Constantin^ va prier à ce tombeau; gitérie^ elle y fait
« élever une basilique et bâtir son mausolée. »
Trois détails sont certainement légendaires: le motif du
martyre d'abord. Il est de style, dans les récits où tout
l'intérêt repose sur le pericidum casfitatis^ d'imaginer que la
vierge consacrée à Dieu est recherchée en mariage par un
noble romain : il suffît de se rappeler les gestes de Domitille,
d'Eugénie, d'Anatolie, pour se convaincre que le récit du
pseudo-Ambroise est, non pas un souvenir historique, mais un
incident traditionnel et quasi nécessaire de ces sortes d'his-
toires. La lecture des actes syriaques et des menées qui sont
muets à cet égard* confirme nos soupçons.
L'association d'Emérentienne à Agnès ne saurait être
davantage admise. On ne connaît pas d'inscription qui la men-
tionne antérieure à notre texte, tandis qu'il en est deux qui
montrent cette sainte engagée dans deux autres groupes :
celui de Sophia, Pistis, Elpis et Agape, Via Aurélia^; — celui
de Victor, Félix et Alexandre sur cette même Voie Nomen-
tane"^. L'association des deux cultes s'explique d'abord par
la proximité des deux hypogées — Eraérentienne reposant au
cimetière ostrien et Agnès dans celui qui porte son nom — ;
ensuite, par l'influence des traditions du iv" siècle : les sœurs
de lait chères à saint Jérôme*.
L'époque du martyre est incertaine. Il est probable que c'est
le développement qu'a pris la légende à Tépoque constanti-
nienne qui Ta, en quelque sorte, attiré aux premières années
du iv* siècle ; d'autant qu'on plaçait alors tous les martyrs dont
1 Assemani, II, 159. — Les actes syriaques sont évidemment inspirés des
actes de Pierre: c'est parce qu'eUe proche avec succès la chasteté aux
Romaines, qu'Agnès est dénoncée par les maris.
•^ Suovo BulleU,. 18%, lîio.
3 Itinéraire («. S., I, 178-179); inscription du iv« trouvée par M. Lanciani.
* Ep. LIV, 13 ; LXXIX, 9.
SAINTE AGNÈS 215
on ignorait la date véritable. Il paraît assuré que TAspasius
Paternus des gestes n'est pas celui que mentionnent les actes
de Cyprien : on conçoit sans peine comment la similitude des
noms a produit cette croyance. Il est probable que la sainte
a souffert au m' siècle, dans un moment de persécution
horrible : on ne peut rien ajouter de plus précisa
Il est trois points, en revanche, pour lesquels les gestes ne
donnent prise à aucune critique et reçoivent même confirma-
tion. Le jeune âge d'Agnès est rendu très vraisemblable par
l'unanimité de la tradition, surtout par l'importance que ce
détail a pris dans l'évolution de la légende. La date de son
anniversaire se retrouve dans le férial au 12 des kalendes de
février et dans le chronographe de 354, sinon dans le calendrier
grec 2. Le lieu de sa sépulture est indiqué, sinon par le calen-
drier, du moins par les Itinéraires; il a de plus été retrouvé dans
les fouilles entreprises en 1855 parles chanoines du Latran^.
En rapprochant ces faits des découvertes faites dans la cata-
combe, on s'explique sans peine la formation de la légende.
Au moment de la paix de l'église, un petit hypogée, séparé
par un arénaire du grand cimetière ostrien, gardait le corps
d'une martyre obscure appelée Agnès. La famille constanti-
nienne acquit à une date inconnue le terrain qui entourait le
cimetière pour y bâtir un mausolée* ; et ce fait décida des des-
tinées ultérieures de la tradition. Des rapports s'établissent
entre les desservants de la catacombe et leurs augustes voi-
sins; ceux-ci construisent sinon un baptistère, du moins une
église au-dessus de la confession : Constantina, femme de
Gallus, puis d'Hannibalien y est enterrée en 354, Hélène femme
de Julien en 360. Cependant la renommée de la sainte se
1 Baronius, Mart.^ p. 54, se fonde à tort sur le motvicarius pour dater le
martyre de Dioclétien. — L*historia inventionis {Breviarium Ultrajectinum)
fait mourir sous'Aurélien, Benignus, fils spirituel (?) de la sainte : elle aurait
alors péri sous Dëce.
3 II la place au 14 janvier ; in genulnum au 21 ; une troisième fête au
5 juillet. Kraus., R. E., l, 28. La Sainte-Agnès du XV K. nov. (FH, 133),
doit être rattachée à Nix;omédie (Cf. VEplem,) ; elle n*est rattachée à Ostie
que par une mauvaise lecture du copiste.
s Bull., 1865, 48.
* Peut-être après la suppression des prétoriens. L'église est attestée en 367.
Cf. Liber Precum (P. L., 13, 83). Sur les mosaïques de Sainte-Constance
détruites en 1620 par le cardinal Veralli, cf. Description de M. Mûntz d'après
le Ms. de P. Ugonio de 1594, trouvé à Ferrare en 1878. — Lefort, Enseign,
chrétien, 16 avril 1894.
âl6 ANALYSE CRltlQUÉ DES ttlADITlOiNS ftOMAtNEâ
répand — Damase lui consacre une épigramme — et son cime-
tière retire quelque nouvel éclat de cet impérial voisinage.
Le petit hypogée, si modeste à lorigine, étend ses galeries
et multiplie ses tombeaux pour satisfaire au pieux empresse-
ment des fidèles, soucieux d'être enterrés ad sancios^ auprès
des mêmes saints qui doivent présenter à Dieu les âmes des
princesses impériales. Ce centre nouveau de vie religieuse de-
vient même assez important pour que les évoques aient à s'occu-
per d'en assurer le fonctionnement normal. Innocent I"(401-418}
le confie aux soins de Leopardus et de Paulinus, prêtres du
tilu/us de Vestina au Vicus Longiis * et décide que l'admi-
nistration du cimetière sera rattachée à ce titre ; Boniface
enfin (418-422) reconnaît et consacre, sij ose dire, la renommée
de cette basilique récente en la choisissant pour y célébrer le
baptême solennel de la Pâques '2.
Le développement du culte survenu au iv* siècle appelait et
rendait en quelque sorte nécessaire un développement parallèle
de la légende: le voisinage du tombeau impérial qui avait déter-
miné celui-là détermina également celui-ci. La fille de Cons-
tantin enterrée prés de la catacombe avait été deux fois mariée
et ne s'était pas fait remarquer par la régularité de sa vie ;
elle devait se métamorphoser cependant en une vierge sainte
et dévote d'Agnès. Les libéralités de sa famille, la splendeur
de son mausolée attirèrent et retinrent fixée sur elle Timagi-
nation de la foule. L'analogie de son nom^ avec celui de
cette Constantia*, dont le Liber Pontificalis entoure le sou-
venir de tant de vénération •'% devait amener, le temps aidant,
une transformation du personnage ; la réputation de piété qui
s'attachait à la mémoire de la tante, enveloppa peu à peu,
purifia, idéalisa la nièce. Ces souvenirs transformèrent la
femme d'Hannibalicn et de Gallus; en elle, comme en ses
parentes, on s'habitua à voir ime femme pieuse et sainte, une
vierge consacrée à Dieu. — Dès lors, pouvait-elle s'être fait
ensevelir auprès d'Agnès sans avoir eu poxu* elle une particu-
i L. P., I, 222.
» L. P„ I, 227.
3 Nous lisons Constantina dans les gestes d'Agnès comme dans ceux de
Jean et Paul, c'est la leçon des manuscrits. Cf. aussi supra, p. 148, note 3.
^ Ce qui explique quilélène soit restée dans Tombre.
•'• Il rapporte qu'elle a été baptisée par Silvestre (p. 180), que Libère a tâché
d'exploiter son renom de sainteté pour rentrer à Rome (p. 201). La véritable
(^onstaiitia, scrnr <le Constantin, était morto on 328.
2 1
S 8.
si
SAtNtE AGNÈS îi*
lièrc dévotîon? C'était, on n'en pouvait douter, pour reconnaître
la protection que lui avait accordée la sainte, que la princesse
avait ainsi marqué le lieu de son éternel repos ; sans doute, elle
lui devait la guérison de quelque grave maladie, peut-être même
la grâce d'avoir été illuminée par le Christ. Et, travaillant
sur les souvenirs attachés à ces monuments, la foule créa la
légende, telle qu'elle apparaît dans le Liber Pontificalis et les
Gesta Martynim. La passion de Jean et Paul, on peut s'en
souvenir, continue et développe celle d'Agnès : Constantina
y rappelle que la sainte Ta guérie de la lèpre ; elle engage à
rester vierges Attica et Artemia, comme nous l'avait annoncé
le rédacteur du texte constantinien ; elle nous y entretient de
Constantintis, de Constantius et de Constans Atigusti : ce qui
répond à merveille à fimperator et aux duo fratres Augustin
mentionnés par ce même rédacteur.
On voit comme l'évolution de la tradition s'explique par le
développement du culte et à quelle popularité elle parvint après
ses humbles débuts 2.
1 II y avait une seconde Agnès, vénérée à Porto. Bull., 1866. p. 37-38. Son
histoire est inconnue : on ne peut donc savoir si elle exerça quelque influence
sur la tradition nomentane.
2 Allard, IV, 385. — Duchesne, Bull. Criliq., I, 223. — La légende qu'Agnès,
exposée sur le bûcher, vit tout d*un coup s'allonger ses cheveux et put ainsi
voiler sa nudité, s'explique par la « surnaturalisation », si j'ose ainsi dire,
d'un détail rapporté par Damase.
Nudaque profusuni criiiem per membra dédisse (v. 7; Ihm., 40, p. 44).
Le Codex San Gallensis 561 (du X-XI s.) donne quelques variantes inté-
ressantes que je n'ai retrouvées dans aucun autre manuscrit : aucun ange
n'apparaît dans le récit de la résurrection du jeune homme; la femme du
préfet est mise en scène, on lui donne le nom d' Artemia (Cf. l'Artemia des
Gesta Johannis et Pauli); le préfet se convertit au christianisme avec sa
femme et sa famille ; le vicaire reproche à Agnès d'avoir pour époux celui
que le préteur Ponce Pilate a condamné et qui est mort en croix.
CHAPITRE IV
TRADmON S GÉHITÊRIAIiES (suite) :
DE LA VOIE SALARA A LA VOIE ARDÊATINE
P
1. a Au temps de Claude, on arrêta deux cent-soixante
Geste» de « chrétiens quon enferma Via Sa/ara, dans les briqueteries
st Maria. ^^ ^f g^ff> /'q,, ly^i f) coups de flèches : Maris et Marthe, Audifax
« et Ahacuc, aidés du prêtre Jean les ensevelirent ainsi que
« le tribun Blastus dans une crypte de la Voie Salara, à côté
« du Clivus Cucumeris. »
Les Itinéraires confirment Je lieu do sépulture indiqué par
la tradition ; Blastus se retrouve dans le férial ; le Clivus
Cucumeris- est bien connu; les briqueteries ne le sont pas
moins : on les retrouve dans les gestes de Laurent, de Chrv-
santhe et de Suzanne et dans le Liber Pontificalis^ \ elles
étaient situées à 2 ou 3 kilomètres de Rome, près de Thypo-
gée des Jordanie tout près du chemin de traverse qui rejoi-
gnait la Nomentane ; im grand nombre de briques parvenues
jusqu'à nous portent ces mots SALou SALARou FIG SAL ou
DE VIA SALARIA'», — Aucun document ne permet de discu-
* Cf. Marucchi : Les Catacombes Romaines, p. 293-384.
2 F. H., XV, KUiul.
3 Notice de Silvestre, I, 197 »2.
* Marini : Iscr. doliari, 308, 323, 337, 34.*», 381, 405, 437, 457, '478. 554, 555,
947, 948, 1228, 1257. — De Rossi, H. S., I, 14, 15, ad calcem.— /?*///.,! 892, 4 4-45.
2âO ANaLVSË CktTiQtË bES tRADlTtÔNS hOMAtNËâ
ter l'époque assignée à ces martyrs, ni leur association k
Maris. Il est vraisemblable que Tempereur Claude n'est qu'une
transformation du Claude de la légende suivante.
2- « Le soldat Romamts se convertit à la suite (Tune vision,
Gestes de ^^ ^g^ décapité Voie Salara le 5 des ides d'août. Quelque
« temps après, Claude fait décapiter, dans les briqueteries de
« la Voie Salara, quarante-six soldats avec leurs femmes
« qui avaient embrassé le christianisme; ils sont ensevelis
« par les prêtres Justin et Jean au Clivus Cucumeris le 8
« des kalendes de novembre, à côté de 120 autres martyrs
« dont Theodorius, Lucius, Marcus et Petrus, »
Romanus est inconnu du férial et des Itinéraires, Il faut
peut-être reconnaître les quarante-six soldats des gestes dans
le quarante-huit martyrs que mentionne le férial au 4 des
nones de Juin, sans indication topographique. Les 120 autres
se retrouveraient également au 8 des kalendes de novembre ;
mais ils sont associés à un martvr nommé Maximius et loca-
lises au cimetière de Thrason. Il est pourtant malaisé d'admettre
qu'il se rencontre sur la même voie deux groupes de même
nombre. Mais, entre nos deux textes contradictoires, nul fait
ne permet de choisir.
3. « Treize chrétiens saisis avec Abuhdius dans la maison de
Gestes de « Theodora sont décapités le 8 des ides d'août et ensevelis
bt Abundius. ^^ ^^^^ le prêtre Jean et la matrone Theodora dans une crypte
« dn Clivus Cucumeris. »
Au 7 des ides d'août, le férial mentionne vingt-cinq martyrs;
au Clivus Cucumeris, la Notifia en indique trente : peut-être
faut-il les identifier avec les treize anonymes de nos gestes : la
différence de chiffre peut s'expliquer par une erreur de copiste,
5". « Le pape Alexandre convertit le préfet urbain Hermès
Gestes dç « avec sa femme, sa fille et mille deux cent-cinquante per^
St Alexandre ^^ sonnes de sa maison en guérissant sa nourrice aveugle et
« en ressuscitant son fils, Hermès donné en garde au tribun
« Quirinus, le convertit avec l'aide d'Alexandre; mais il est
SAINT HERMÈS 2ii
« saisi par le comte Aurelianus et décapité; Theodora^ sa
« sœtir^ recueille ses restes, les ensevelit Via Salara Vetere
« non loin de Rome, le 5 des Calendes de septembre, »
Cette tradition constate et explique l'existence de la cata-
combe de Hermès. « Il existe, en effet, sur la Voie Salara
Vêtus une catacombe dont l'origine est probablement très
ancienne et à laquelle est resté attaché le nom de Hermès.
Ses restes y reposaient encore au vi® siècle et des lampes brû-
laient continuellement devant son tombeau : on retrouve sur
rétiquette — pittacnrsis — d'une des fioles d'huile recueillies
devant les tombeaux des martyrs des catacombes, et envoyées
par le pape Grégoire le Grand à Théodelinde la mention de
Ses. Hermès.,. Le tombeau de saint Hermès demeura pendant
les vil", VIII* et ix* siècles l'un des rendez-vous des pèlerins ;
au XIV* siècle, alors que la plupart des sanctuaires des cata-
combes étaient depuis longtemps abandonnés, la piété publique
connaissait encore le chemin de son cimetière ^ . »
La catacombe est donc bien connue ; quant à l'origine que la
légende lui assigne, c'est une autre affaire. Il est certain qu'il
n'y eut jamais un Hermès, préfet urbain, sous Trajan ni sous
Adrien ; il est certain que l'hypogée existait au ii* siècle^; il est
certain que Hermès est un nom d'esclave ou, par conséquent,
un nom d'affrancîii. Au ii" siècle, - — sous Adrien notamment, —
les affranchis ont joué à la cour des rôles importants ^ ; on a le
droit de penser que c'est un affranchi du ii" siècle, appelé Her-
mès, appartenant peut-être à la cour impériale qui fit creuser
une catacombe dans une de ses terres ; son nom y demeura
attaché lorsque la catacombe devint propriété ecclésiastique *.
4. « Le prêtre Jean qui, aidé de Pigmenitts, a enseveli Vibbiane
Gestes de « fille de Dafrose et de Flavien, est décapité Via Salara,
ste Vibbiane. ^^ f/ç^^^nt l'idole du Soleil, au Clivtis Cucumeris ; c'est là que
» Allard, I, 210. — Cf. BulL, 1894, H-70. — Suovo Bull., 1893, p. U ; 1896,
p. 99. — Bonavenia : // Cimitero di S. Ermete (Civiltà Callolica, 21 luars 1891).
« BulL, 1894, 16. — C. I. L., VI, 8987.
3 Témoin Proxenes, sous Commode. H devint procuralor thesaurorum^
procuralor patiHmonii, procuralor munerum^ procuralor vinorum^ et il
embrassa le christianisme. De Rossi, Ins. Chr., I, p. 9, n* 5.
^ La date de l'anniversaire, o septembre, a cours dès le v*.
222 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« .son corps est recueilli jjar le prêtre Concordins et enseveli
« dans un sarcophage^ à côté des martyrs^ le 8 des Calendes
« de juillet. »
Ce prêtre Jean est, sans doute, le prêtre ensevelisseur des
légendes dioclétiennes ; il est inconnu du férial, mais son nom
se trouve deux fois dans les Itinéraires.
6. « Protus et Hyacinthus accompagnent Eugénie dans sa
Gestes de « ^uite au monastère de saint Helenus ; Basilla s'attache à la
te ug me. ^^ mainte avec autant de dévouement que ses deux eunuques^
« quand elle vient à Rome. Cornélius la baptise ; mais livrée
.< par une servante et abandonnée de Pompeius son fiancé ^
c< elle est décapitée avec Protus et Hyacinthus et ensevelie
« Voie Salara. «
Comme la légende d'Hermès, cette légende-ci raconte les
origines d une catacombe, celle de Basilla*. La crypte oii furent
ensevelis Protus et Hyacinthus, déjà mentionnés au iv* siècle
dans le chronographe et célébrés par Damase 2, a été décou-
verte, en parfait état de conservation, en 1845^ ; la plaque qui
fermait le locus confirme, ainsi que le chronographe et le férial,
la date de Tanniversaire fournie par les gestes. Le texte du
Bernensis et du Wissenburgensis'^ ne confirme pas les données
de nos gestes quant au groupement qu'ils indiquent : il prouve
seulement que la composition de ces manuscrits est postérieure
à la date de la légende. Le silence de YEpternacensis'^, Tanni-
yersaire de Protus et Hyacinthus distinct de celui d'Eugénie,
le rôle qu'on leur attribue, permet de croire que l'association de
la sainte et de ses prétendus eunuques n'est pas primitive,
qu'elle a été inspirée par la légende si populaire de Nérée et
Âchillée et que l'histoire véritable de Protus et Hyacinthus
était inconnue. Toutefois l'hypothèse ne deviendra certitude
que du jour où Ion pourra indiquer pom'quoi l'on a réuni dans
ï Bull., 1877, 28, 73, 74; 1878, 46; 1880, 96, 123.
« Ihm., 49, p. 52.
3 Bull., 1894, 21.
^ IIII id. sept. Basillae, 8. Proti et Jacinthiqui fuerunt doctores christianae
legis s. Eugeniae et Basillae.
'' X. K. oct. in cimiterio eiusdem Basillae.
SAINTE FÉLICITÉ 223
une môme légende, à une sainte de la voie Latine, deux mar-
tyrs de la voie Salara*.
Quant à Basilla, c'était avec Hermès l'éponyme du cime-
tière, ainsi que l'attestent le chronographe, le férial et les Iti-
néraires; le chronographe semble placer son martyre au 10 des
calendes d'octobre 304. Ce que nous soupçonnons pour Protus
et Hyacinthus est donc ici complètement assuré : l'association
de Basilla à Eugénie semble purement légendaire 2.
7- « Au temps (fAntonin, à la suite (Tune sédition des prêtres^
r'^t'îr ^® « Félicité est arrêtée avec ses sept fils, Januarius, Félix, Phi-
« lippe, Silanus, Alexander, Vitalis, Martialis ; traduite
« devant le préfet urbain Publius, elle refuse de sacrifier
« ainsi que ses enfants : tous sont mis à mort 3. »
Les dates des anniversaires nous sont jonnues ^ celles des
enfants par le chronographe'' et le calendrier ; celles de la
mère par le calendrier^. Les gestes ne les mentionnent pas.
Les emplacements des sépultures sont connus exactement
de même ^. Les gestes les ignorent aussi.
L'époque est incertaine : rien n'empêche absolument
d'admettre l'indication des gestes et de placer des martyrs
au temps d'Antonin ou de Marc-Aurèle; il se trouve même
que l'année 162 convient plus parlicuUèrement à notre récit,
« à cause des particularités suivantes : Deux Augustes ; —
l'absence momentanée de l'un, faisant que, bien que la justice
soit rendue au nom de tous deux, un seul soit invoqué momen-
tanément par le juge; — un préfet de Rome dont on sache
avec certitude qu'il a porté le prénom de Publius; — enfin
des calamités publiques assez exceptionnelles pour persuader
que la colère des dieux exige des sacrifices expiatoires*^. »
ï Rômische Quartschr., 1894, 138; Bul, 1894, 112, 119.
2 L'inscnption rapportée par Bosio (p. 560) n'est d*aucun secours.
3 Cf. Fûhrer : Ein Beitrag zUr LÔsung der Felicitasfrage (Leipzig, Fock, 1890).
— Kûnstle : Hagiographische Studien ilher die Passio Felicitalis (Paderborn,
1894 ; Schôningh). — Fûhrer : ZUr Felicitasfrage (Leipzig, Fock, 1894). —
Doulcet : Mémoire relatif à bi date du martyre de sainte Félicité (dans
VEssaisur les Rapports de V Eglise chrétienne et de VEtat romain, Paris, 1882).
* L. P., I, 11-12. Cf. note 5 et Rossi-Duchesne, p. 89, VI, id. lui.
^ F. H. 9 Juiiiet« VII id.., rom... felicitatis cum prb. VII felicis philippi mar-
cialis alexandri et alior triû.
* Us sont attestés, en outre, par les Itinéraires et, quant à lanuarius, par
les découvertes. Bull.^ 1863, p. 1.
7 AUard, 1, 351.
S24 ANALYSE CRITIQDK DES TRADITIONS ROMAINES
Quant au groupement des personnages, est-il historique ou
légendaire? La communauté d'anniversaire de sept saints
enterrés en quatre endroits différents invite à penser que
le lien de parenté que la tradition mentionne n'est pas tout à
fait inexact. D'autre part, si Félicité est séparée de ses fils
par le chronographe, si elle a un anniversaire distinct dans le
férial, si elle a une sépulture distincte à la catacombe de
Maximus, elle a aussi une fête qui lui est commune avec ses
enfants, au 9 et 10 juillet; on ne voit pas comment elle aurait
été associée aux septem fratres : il est probable que son his-
toire a été réellement associée à la leur. — Mais il n'en résulte
pas qu'elle ait été leur mère : le férial semble en faire une
vierge et, de ses fils prétendus, des prêtres ^ L'association
de ces martyrs, le nombre des sept prêtres aura enfanté peu
à peu une réplique de l'histoire dos Macchabés.
8. « An temps où Maximien, à son retour (T Afrique, cous-
Gestes de « tndt les thermes dioclétiens, une grande persécution sévit
St Marcel. ^^ contre les chrétiens qui ont à leur tête l'evéque Marcel.
« Touché par la grâce durant l'interrogatoire de Sisinnius,
« le commentariensis Apronianus confesse le Christ: il est
« décapité Via Salara, au deuxième mille, le 4 des nones de fé-
« vrier. Sisinnius, ainsi que son compagnon le diacre Satumi-
« fius, comparaît devant le préfet Laodicius ; tous deux sont
<i exécutés, puis ensevelis par Thrason, leur ami, dans sa
« terre de la Voie Salara le 4 des kalendes de décembre.
« Crescentianus est enterré par le prêtre Jean à Priscille,
« dans un arénaire de la Voie Salara, le 7 des kalendes de
« décembre. Marcel, saisi, meurt le 17 des kalendes de février,
« après avoir été palefrenier dans les écuries du service des
« postes : son corps recueilli par le prêtre Jean et la bien-
« hetireuse Lttcine est enseveli dans le cimetière de Priscille^
« Via Salara Vetere, au troisième mille. »
La date de Tanniversaire, le lieu de la sépulture du pape sont
attestés par le férial et le Liber Pontificalis, sans parler des
Itinéraires.
L'époque qui lui est assignée par la tradition est exacte : il a
i Cf. VII id. iul. — Damase ne donne aucune lumière.
SAINT CHRYSANTHE 225
été élu le 26 mai ou le 26 juin 308 ^ ; il est mort le 16 janvier
309 2. En 308, Maximien lutte contre Maxence 3, puis contre
Constantin qui l'épargne^. Marcel et Maximien ont donc été
contemporains. — Il est certain toutefois que le synchronisme
établi par la tradition vise la grande persécution antérieure
à la retraite de Dioclétien à Salone en 305 : il y aurait donc,
dans la légende, une légère erreur : on en discerne aisément
Torigine. — On en relève une autre, et plus grave celle-ci, dans
le récit que font les gestes de la mort de Marcel. A la suite
de dissensions intérieures relatives à la réintégration des
faillis dansTEglise, Marcel fut exilé et mourut en exilai on ne
peut dire d'où vient la légende du Catabulum.
La même obscurité nous dérobe l'histoire des saints qui lui
sont associés. Sisinnius et Satuminus sont peut-être célébrés
par Damase ®, qui, selon son habitude, ne nous donne aucune
lumière sur eux. La date de l'anniversaire, le lieu de sépulture
du second, sont confirmés par le chronographe, le férial et les
Itinéraires ; Apronianus et Sisinnius sont absents tous deux,
à cette date et à cet endroit, et du férial et des Itinéraires ^ ;
peut-être viennent-ils ainsi que Lucine des gestes d'Anthime.
9. « ChrysanthuSy fils de ^illustre Polemius d'Alexandrie^
Gestes de c< vient à Rome avec son père au temps de Numérien. Très
Chrysanthe " "^'^^"^^ dans toutes les sciences, il est converti par Carpo-
« phore^ prêtre de la cinquième région et, huit jours après
« son baptême, il prêché le Christ. Sa foi résiste à la jmson,
« à là volupté; la vestale Daria, aussi remarquable par sa
« beauté que par son esprit, essaye en vain de le toucher:
« c'est elle qu'il convertit, et tous deux s^épousent avec fin-
« tention de rester vierges; et tous deux conquièrent au
« Christ une foide d'hommes et de femmes. Les maris délais-
* L. P., I, CCIL.
2 L. p., I, 164.
3 SchiUer, /lom.Ge»c/t., II, 180.
* Lactance ; de Morte Persecutoi^m^ 29. — Baehrens, 174.
» De Rossi, Ins, Chr., Il, 62, 103, 138; iJ. S., II, 204.
< Ihm, 28, 46, 88 ; p. 33, 49, 92.
' Apronianus se trouve dans les textes développés du férial, mais encore au
6 des ides d*aoùt. Le nom de Sisinnius se lit fréquemment dans le fénal
jamais Voie Salara, à la date donnée par les gestes. Le 11 des kal. de
décembre, on trouve un Sisinnius et un Satuminus, mais celui-ci est attribué
& Antioche, celui-là & Auch.
13
226
ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
ses se plaignent an consul Celerinus qui livre Chrysanthe
et Darie au tribun Claudius : celui-ci^ touché par la grâce
se convertit avec sa femme Hilaria, Maurus et Jason, ses
fils et sept soldats. Tous sont décapités par ordre de Numé^
rien et ensevelis ensemble non loin d'un aqueduc antiçuCy
Voie Salara. Hilaria que les persécuteurs ont oubliée place
chacun de ses fils dans un sarcophage ; saisie peu après^
elle meurt tout d'un coup et est ensevelie par ses deux
servantes dans son champ; on y élève un petit oratoire
— Cependant Chrysanthe et Darie sont ^ l'un jeté en prison^
r autre conduite au lupanar. Torturés tous deux par Céleri-*
nus, ils sont conduits Voie Salara^ dans un arénaire, et y
sont lapidés dans une même fosse; et^ comme leurs miracles
attirent une foule immense^ Numérien fait un jour murer
rentrée de l'oratoire, Pt tous « les visiteurs deviennent mar-
tyrs, entre autres le prêtre Diodore et le diacre Matirin^. »
Deux points semblent assurés : le lieu de la sépulture et
l'époque des martyrs. Leférial, au 3 des kalendes de décembre,
les Itinéraires, notamment la Notitia, un Codex Wissemburg^
confirment, quant au premier point, l'indication des gestes ; et
les découvertes les éclairent: on a retrouvé, non loin de l'en-
droit qu'ils indiquent, des conduites d'eau appartenant à un
ancien aqueduc 3. Quoi qu'on ait dit, l'époque de Numérien
ne saurait être rejetée àla légère. Pour qui veut bien réfléchir
à ces deux faits : 1* l'immense popularité de Valérien parmi
les rédacteurs de légende; 2** l'unanimité de la tradition paléo-
graphique attestant toujours Numérien, il devient très diffi-
cile d'admettre que nos martyrs n'aient aucun rapport avec ce
Numérien. — Comment donc en expliquer la naissance, puisque
Numérien ne résida jamais à Rome: nommé César par Carus
son père, en môme temps que Carinus son frère, en octobre
282^ il part aussitôt pour la guerre perse ^, devient Auguste en
1 Le texte grec peut être du viu* siècle, contemporain d'Etienne III (752-757) ;
son aUure prétentieuse et pédante le distingue des textes gothiques ; il a été
composé sur un texte de cette époque que connaissait Grégoire de Tours [Gl.
Mart.^ 37. — Kmsch^ p. 512) : la révélation du tombeau que mentionne
celui-ci est un trait ostrogothique, absent de notre rédaction.
2 Rom., Quart., 1887, 161.
3 fiosio, R. S., 488-503. — De Kossi, BuL, 1873, 11.
« SchiUer, I, 882.
6 Tillemont, 111, 282, 726,
\
SAINT GETULICS 227
août 283, guerroie en Pannonie, puis sur les bords de TEuphraie
et du Tigre ^ devient empereur en décembre 283, ramène
Tannée par la Mésopotamie et TAsie Mineure et est assassiné
par Aper sur les rives du Bosphore en septembre 284' : pen-
dant ce temps Carinus son frère régnait à Rome. Où donc la
tradition a-t-elle pris naissance d'un martyre romain ordonné
par Numérien?
La question est fort obscure : une seule hypothèse se pré-
sente, assez incertaine, il est vrai : deux martyrs de Rome,
Chrysanthe et Darie, plus ou moins inconnus, auraient été con-
fondus avec un couple Chrysanthe-Darie, ou avec un Chry-
santhe, ou avec une Darie placés à Tépoque de Numérien. Un
passage des gestes raconte que Numérien ordonna de jeter
à la mer le tribun Claudius après lui avoir attaché une pierre
au cou ^ ; pareille tradition ne peut être née que dans un port
de mer. Or le férial mentionne, au 15 deskalendes d'août, la
fête d'une sainte Daria, à Constantinople. D'autre part, deux
personnages sont associés à Chrysanthe et Darie par les textes
liturgiques, qui sont inconnus à notre rédaction, Saturninus^ et
Marinianus^: n'est-il pas permis de conclure qu'un rédacteur a
combiné une tradition de Constantinople, avec une tradition
salarienne^?
10. « An temps it Adrien^ Getulins est saisi par le vicaire
Gestes « Cerealis à Gahies en Sabine; aidé d'Amantim^ son frère,
de saint « // convertit son persécuteur et le fait baptiser par Sixte.
be U1U8. ^^ ^(if^en rapprend par le caissier Vincentitis, fait juger les
« coupables à Tibnr par le consiilaris Licinius et les fait
ù brûler Via Salara an trentième mille y en Sabine, au-delà
« du Tibre, dans un champs appelé Capreolis, Coniîue les
« flammes respectent le corps de Getulius, il a la tfite écrasée
u et est enseveli dans son château, en Sabine, au lieu appelé
« Capri, dans la ville citée plus haut, dans un arénaire de
« ses propriétés. »
1 Vita Cari, 8. — Schiller, 1, 883.
« VUa Cari, 12.
3 25 octobre, § 20, p. 481.
* F. H., III kl. dec. — De Komx, Ins. C/ir., II, 103.
6 VI kal. nov„ p. 136.
< La date de Tanniversaire parait incertaine: le férial donne le /// kl-
dec. pour Tbrason ; et le pridie idus aug. Des remaniements posiérip'.ira
228
ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
Ce Getulius ne se retrouve pas dans le férial. Mais Gabies de
Sabine a été découverte en 1757 dans la moderne Torri* ; quant
à la catacombe, on croit en avoir retrouvé la trace 2. Le lieu
de la sépulture est confirmé. On ne peut rien dire touchant la
date de Tanniversaire ni du martyre.
Gestes
de saint
Nérée.
« Victoriniis et Maro qui ont remplacé Nérée et Achille e
« dans la confiance de F/avie Domitille et l'exhortent à
« demeurer vierge^ sont exilés par le comte Aiirelianus dans
« ses terres de la Voie Salara^ Victorinus au soixantième mille,
« Maro au cent trentième, Victorinus guérit le vice dominus
« du lieu^ paralytique depuis trois ans; Maro guérit Chydro-
« pisie du procurateur de Septempedum. Furieux, Aurelianus
« ordonne leur mort : Victorinus est suspendu pendant trois
« heures au-dessus des eaux sulfureuses de Cotilias et est
« asphyxié; des chrétiens (FAmiterne dérobent son corps et
« r ensevelissent chez eux. Maro doit être écrasé sous une
« pierre énorme^ cFaprès l'ordre qu'apporte Turgius, ami
« d' Aurelianus; mais le saint porte cette pierre que soixante-
i< dix hommes pourraient à peine remuer, stfr une distance
« de deux milles; toute la population se convertit; mais le
« consularis le tue. On creuse alors une église dans la pierre
<( que le martyr a portée sur ses épaules. »
Victorinus est un saint d'Ami terne, comme Tattestent le
bourg de San Vittorino construit sur les débris de la ville
antique 3 et Tinscription de Tévêque Quodvultdeus* conservée
sur un vieux sarcophage : il est mentionné dans le férial, le
24 juillet^.
Maro est regardé comme Tapôtre du Picenum. Si, à Septem-
pedum, il a cédé la place à Tévèque Severinus — qui adonné
son nom à la ville, San Séverine — il est vénéré comme le
patron d'Urbisaglia; on garde son image à Tolentino; il a un
donnent VI k. nov,, XIII K. ianu. En 390, un Polemius fut préfet du prétoire
en Italie.
ï GaUetti : Gabio scoperto ove èora Torri, Roma, 1157, p. 11.
- Stevenson, Cimitero di S Zotico, p. 61. — Bull., 1880, 108. — Suovo BuU.,
1891, 161.
3 Ilans Achelis, 46.
* C. I. L., IX, 4320. — Marangoni, Acta Victorini, p. 26.
^ F. H., p. 54. Les Aquae Cutiliae, d'après Vltin. Antonint se trouvent à
41 milles de la borne des Cent Milles, d*Interocrium (Antrodoco). Achelis, 60-
SAÎNt CKESCËNtlÛâ
229
autel à C!olbina, et des reliques à Colbina et à Monte-Leone :
partout, son anniversaire est fêté au 15 avrils
> Achelis, 47.
Nota. — Nous négligeons les gestes d*Anthime : la seconde partie raconte
la légende de SimpUcius et celle de Cyriaque, que nous avons déjà vue ou que
nous verrons ; la première est proprement picénate.
Gestes Nous n'insisterons pas sur les origines des gestes d'Eleuthère et Antbie :
de saint c'est la légende de fondation de Téglise de Rieti : 1* Le culte n est pas romain:
Eleuthère. la mention de Rome au XIIII K. maias^ s'explique par l'intrusion de Parthe-
niiis et Galocerus; 2* Le culte vient de Rieti (Greg., Magn. Dial., IV, 12. —
F. H. 16 septembre. — Monastère de saint Eleuthère à Rieti) ; 3* c'est une
légende de fondation d'église: l'affectation d'apostolicité qui la caractérise,
le prouve. € Anthias vidit in corpore beatum Paulum... Eulogius et Theodulus
qui ab eo (Eleutherio) ordinati sumus... Petrus, Paulus, Simon. » Cf. Infra.
Gestes De même, nous étudierons rapidement les légendes de Crescentius et de
de saint Leopardus. « .Serin/ Crescentius, fils d'Euthymius, est an^été par Turpius, pour
Crescentius avoir enseveli son père. Conduit à Rome de Pérouse oU il s'était réfugié, il
passe par le pont Milvius, où il guérit une femme aveugle; jugé par Dioctétien
en dehors de la Porte Salara, au tribunal de Salluste, il est décapité en
récitant le psaume In capite libri scriptum est de me, et enseveli par la femme
qu'il a guétne dans la crypte gui contenait beaucoup de saints : il a été
martyrisé le 18 des kalendes d'octobre, longtemps après vint Charles /••" au
temps du pape Etienne; Vévéque de Sienne Antifredus apporta le corps à
Sienne le 4 des ides d'octobre et VensevelU avec de grands honneurs. »
Le saint est inconnu du calendrier (édition hiérony mienne); 1 édition du
vil* siècle, au 15 kaL oct. signale à Rome, Narcissus et Crescentianus
(P. L., 123, 169-170), donnée qu'Adon lui emprunte. 11 est possible que ce Cres-
centianus soit le nôtre : en 1606, on assure que le corps du saint, ou d'un saint
Crescentius fut extrait du cimetière de Priscille ( 1 4 septembre. 35 1). — Etienne V
(885-891) est contemporain de Charles III (881-887) : mais on ne voit pas qu'à
cette époque Tévèque de Sienne »e soit appelé Antrifredus ; Gams signale un
Ansfredus vers 752-754 : il y a bien alors un pape Etienne, Etienne II (752-
757), mais on ne voit pas qui peut être le roi Charles. Enfin il y a, paralt-il,
à Sienne (Ughelli III, 626j une fresque représentant la translation: elle serait
datée de 1058. Explique qui pourra.
Gestes
de saint
Léopard.
Les gestes de Léopard racontent que le saint, tout jeune enfant, fut
aperçu de Julien V Apostat, que charma sa béante. Mandé par lui au palais,
Léopard y passe quatre mois, en qualité de chambellan ; il étudie les sept
arts libéraux chez un maître qui demeure super Tyberim iuxfa pontem Molium :
ce dernier, qui s'appelle Vnlentin, le gagne au Christ en lui rappelant que ses
ancêtres sont réduits en poussière ; il le baptise « ad thermas Diocletiani, in font^e
qui vocatur Palatinus : est autem ipse fons tnfra t/iermas Diocletiani, ducenle
aquneductu usque ad christoclinium quae vocatur aurea domus ». Léopard
refuse alors d'encenser Julien ; il est décapité la veille des kalendes d'octobre,
enterré à 30 milles de Home, à Otricoli, puis transféré à Aix-la-Chapelle. —
Le texte a été, sans doute, rédigé à l'occasion de cette translation, vers le
IX* siècle, avant Usuard, par un moine qui avait été à Rome — Le nom de
Leopardus est attesté à Rome par le lecteur de l'église pudentienne (Bull.
1867.51), bien connu par son ambassade auprès d'Auibroise. (L. P., 1, 220-222
note 5). VEpitome mentionne, sur la voie Salara, ad S. Hermetem, un
Léopard (/L >'., 1, 176). La domus Aquilinea mentionnée dans les gestes n'a
sans doute aucun rapport avec la domus Caii Aquilei du Viminal (30 sep-
230 ANALYSE CRITIQUE DES tHADlTlONS HÔM AINES
II»
*• « Les saintes fuyant en Toscane^ sont arrêtées via Flaminia,
Gestes ^^ ^^^ quatrième mille. »
des saintes ^
Rufme
et Seconde. Rien ne contredit ni ne confirme ce détail.
2. « Au temps de Dioclétien et de Maximien, à incitation
Gestes « des pontifes^ le prêtre Ahiindius et le diacre Abundantius
®**^?* « sont saisis, torturés et conduits via Flaminia au qua-
« torzième mille pour y être décapités; près de Luhras, ils
« rencontrent le clarissime Marianus, ressuscitent son fils, les
« baptisent tous deux, assistent à leur exécution le 5. kal,
« sep. : Theodora recueille leurs corps, et les ensevelit chez
M elle^ au vingt-huitième mille.
Les saints sont absents du Clironographe, de Damase,
du férial et des Itinéraires. On peut vérifier cependant le lieu
et répoque du martyre. Lubrae est une déformation de
Rubrae * aujourd'hui « Prima Porta » ; le cimetière de Theodora
est connu, sur la Voie Flaminia, à vingt-six milles de Rome —
Terreur des gestes s'explique par une faute de copiste ; — il
remonte aux premières années du iv" siècle 3; c'est à cette
époque que nous fait aussi remonter le style de Tinscription
suivante, déposée aujourd'hui au Latran * :
« Abundio prbs marturi sancts dep. VII idus. dec. »
Mais quelle est la date de l'anniversaire ? Les gestes laissent
entendre que les saints furent martyrisés vers le 28 août, et
teinbre, 417). — Ces gestes, comme les précédents, mentionnent le ponte
Molle : c'est là, sans doute, que les ambassades carolingiennes faisaient étape
avant d'entrer à Rome.
> Cf. Marucchi : Les Catacombes Romaines^ p. dS'î.
« Martial, Ep. IV, 64.
» HuU., 1883, p. 134,151.
* Classe X. Kraus., R. E., Il, 126. — Becker : Die Inschriften der romischen,.i
Géra, 1818, page 25.
SAtNTS MARIS Et MARtHË
à3l
inscription donne le VII. id. dec. Peut-être cette date-ci
indique-t-elle la déposition définitive, celle de notre texte la
date du supplice ou de Tensevelissement provisoire. — Quant
au lieu môme de la sépulture, si éloigne de Rome, il s'explique
sans peine : ce sont, sans douté, les chefs de la communauté '
de Rignano qui, réfugiés à Rome, saisis et décapités, ont été
ensuite transportés par les fidèles dans le pays qu'ils évangéli-
saient.
3.
Gestes
« Le vénérable prêtre Valentin est saisi par Claude , con-
des^'s^nts *^ fesse sa foi devant lui; il l'attrait converti sans le préfet
Maris « Calptimius. Le princeps Asterius essaye en vain de le cor-
« rompre : c'est Valentin qui le convertit en lui exposant les
« mystères de la foi et en guérissant sa fille : aussi est-il
« décapité Via Flaminia^ le 16 des kalendes de mars : Savi-
« nilla remevelit aussitôt. »
et Marthe.
Valentin est ignoré du chronographe et de Damase : VEpier-
nacensts et les Itinéraires confirment la date de son anniver-
saire et le lieu de sa sépulture. Mais si Ton remarque qu'il
y a à Terni, sur la même Voie Flaminia, vénéré au même jour,
un saint du même nom, on pensera, sinon que les deux per-
sonnages n'en font qu'un, comme le veut Tillemont ^ et comme
empêche de le croire la dualité des cimetières, du moins que
les deux légendes ont pu se fondre et se mêler. Aucun docu-
ment ne permet de discuter l'époque du martyre ni la valeur
des groupements.
III
1.
Gestes
de saint
Maris.
c< Au temps de Claude^ arrivent de Perse à Rome afin
« de prier aux pieds^ des apôtres^ Maris et Martha, sa
« femme, avec leurs fils Audifax et Abacuc; ils secourent les
« chrétiens et ensevelissent les martyrs. Ils comparaissent
« devant Claude, proclament leur foi en Jésus et leur ori-
« gine royale : ils sont fils et fille de l'empereur Maromenius
» Tillemont, IV, 678. — Cf. Manicchi, M. // Cimitero e la basilica de S.
Valentino. Roma, 1890.
2 Desiderio desideravimus ad pedes apostolorum ad orationem occurere.
n^
ANALYSE CftlTlQtJE DÈS tkAt)ITtON8 DOMAINES
2.
Gestes
des saintes
Ituflne
et Seconde.
« et dit roi Ctisines. Ils sont confiés au vicaire Musciamts :
« Marthe est tuée in Nympha^ les autres dans un arénaire
« ad NymphorS Catabassi, Leurs corps à demi bnilés sont
« ensevelis par Félicité y dans sa terre ^ le 13 des kalendes de
« février. »
L'origine orientale des saints est déclarée par leurs noms.
Audifax, — Ambacuc, — Marins, déguisement du nom persan
Maris, — Martha homonyme d'une sainte assyrienne*. La date
de l'anniversaire est attestée par le fériâl; le lieu de la
sépulture par le môme calendrier^, et les Itinéraires^. La
Nympha Catabassi, se trouve entre les voies Cornelia et Aurélia,
à l'endroit aujourd'hui appelé Santa Nymfa^ où subsistent
encore les restes d'une église.
L'époque du martyre peut être fixée ; ce n'est pas, évidem-
ment, celles de Claude I", c'ent. vraisemblablement celle de
Claude II '* : rhypothèse seule rend compte du développement
de la tradition qui confond les deux Claude et prétend faire
de nos martyrs des contemporains des apôtres. Maromenius et
Cusines annoncent fort bien Olympiades et Maximus : la légende
a dû être calquée sur celle d'Abdon et Sennen.
« Ru fine et Seconde ^ filles du clarissime Aurelius et de la
(c clarrissisme Aurélia^ fiancées à Armentarius et à Varinius
« refusent d'apostasier comme eux^ dans la persécution de
« Valérien-Gallien^ et veulent s'enfuir dans leurs terres de
« Toscane. Dénoncées au comte Archesilaus^ elles comparais-
« sent devant le préfet Julius Donatus et sont décapitées le
« 5 des ides de juillet^ « via Cornelia^ au dixième mille ^ à
« l'endroit qui s'appelle Buxus : Plautilla les ensevelit, »
L'époque du martyre est probablement exacte : Junius Dona-
tus fut préfet en 257^. La date de l'anniversak'e est confirmée
1 Assemanni, 1, 123.
s n donne le douzième mille.
8 R. S., 1, 182.
« Allard, 111, 202-204. — Aube, IV, 4i4-451. — Les gestes de Cominius de
Catane, d'Eutychius de Ferentum, de Gratiliamus de Faléries^ de Ptolémée de
Nepi, des Martyrs grecs, de Prisca, des Martyrs d'Ostie, attestent la réalité de
cette persécution.
& Chron. de 354.
ftW. Jf! F.e. Fr. d'Atbènts it dt Rome.
FRESCHIES DÉCORANT L
Fasc. LXXXIII. PI. VI
MAISON DE PAMMACHIUS
|«n (1 Paul)
SAtNT PROCESSUS
233
par le calendrier, le lieu de la sépulture par Téglise qu'y cons-
truisit Damase et le siège épiscopal qui s*y fixa^ sans parler
du férial et des Itinéraires; il est mentionné du reste, dans
les gestes de Pierre et Marcellin ^.
IV3
1.
Gestes
« Processifs et Martiniamis condamnés par Cçesaritts sont
d saint " décapités^ voie Aurélia; Lucine les enterre où ils ont été
Processus. " frappés le 6 des nones de juillet. »
Le lieu de la sépulture est attesté par les Itinéraires'' ^ la
basilique et le cimetière qui Tentoure; on en a retrouvé les
restes^ en 1880. Tout près s'élève un sanctuaire dédié à
Lucine : nul doute qu'ici, comme pour Hippolyte dans les gestes
de Laurent, le voisinage des sanctuaires n'ait été cause de
l'association des martjrs.
2.
Gestes
des saints
Eiisèbe
et Pontien.
« Ait temps de Commode^ le sénateur Julius est converti
(( par les prédications d'Eusèbe et de ses compagnons^ Pon-
« tien, Vincent, et Peregrimts : appelé par le vicaire Vitel-
« lius^ il refuse de sacrifier à Hercule et à Jupiter, est
« supplicié et enseveli au cimetière de Calépode le ii des
ï Dès le ▼!• siècle, L. P., h 518-52. — Tinemont, IV, 5. Nibby : Dinlorn llï,
4i. — Tomasetti : Archivio Rom, 111. 306.
^ 2 juin, 169, «le préfet ordonna qu'ils fussent menés au Bois Noir qui
s'appelle aujourd'hui en leur honneur le Bois blanc. »
3 Cf. Marucchi : Les Catacombes romaines, p. 47.
^ La date de l'anniversaire VI. non iul. se retrouve à peu près (B et \V donnent
Marcianus pour Martimanus) au F H : mais on y trouve aussi au pr. K. iun. s.
romae processi martiniani gallieni germani victuris silvani thalisfori... (p. 69).
On ne peut dire quelle est la valeur du groupement proposé, ni la vraie date
du martyre: il est probable qu'il s'agit des mêmes saints, en l'un et l'autre cas.
^' Â la station des deux Félix, L. P., I, cxxv. — Lanciani : Lincei, I, 446.
— De Rossi, R. S., I, 182. Bull., 1881, 104; 189,4 135. L'église est attestée
des Théodose, par le Praedeslinatus, 86 (P. L., 53, 616). L'indication du Ber^
nensis: VI Non. iul. rome in cimilero damasi, via aureliay miliario II. Processi
marciani s'explique par une faute de copiste : il suffit de lire à la même date
VI non. iul. rom. damasi et mil. II, processi marci (dans le Wiss) pour s'en
convaincre. Un copiste aura sauté et, et aura vu dans le terme damasi une
indication topographique analogue à Callisli.
â34 ANALVSE CRttlQUE l)Eâ tRADlTtONS RÔMAlNBâ
« kalendes de septembre. Evsèhe arrêté par Vitellws conti-
« nue de parler j quoiqu'on lui ait arraché la langue, con-
te vertit^ durant son supplice fun de ses bourreaux Antonius
« qui est décapité voie Aurélia^ à côté de Faqueduc de Tra-
« jan le II kal, sept. Il convertit encore un prêtre du Capitole^
« Lupulus, et un geôlier qti'il baptise du nom de Simplicius
« et qui découvre le corps d' Antonius; le prêtre Rufin Fense-
w velit au cimetière de Calépode, dans une crypte, le huitième
« jour après sa mort. Eusèbe, Vincent, Pérégrin etPontien sont
« ensevelis par le bienheureux Rufin au sixième mille, dans
« Î//1 arénaire entre la voie Aurélia et la voie Triomphale, le
« 8 des kalendes de septembre». (Aringhi, /, 209.)
Tous ces saints f ainsi groupés, à cette date, dans cette
région sont inconnus au chrorographe, à Damase, au férial,
au Liber Pontificalis, aux Itinéraires. L'aqueduc de Trajan est
très connu : ce fut le dixième de ceux que posséda Rome : (il
fut construit pour remplacer YAcqua alsietina *) ; le cimetière
de Calépode ne Test pas moins grâce aux Itinéraires^ et aux
fouilles-*. L'arénaire où furent ensevelis Eusèbe et ses compa-
gnons ne saurait 6tre déterminé avec certitude : peut-être est-
ce celui que découvrit en 1674 Domenico Ricciardi sur le
Monte Mario'*; peut-être est-ce celui que signala le P. Marchi,
le long de la ligne qui, du Vatican, va aux premières collines
de la voie Aurélia^.
L'épisode de Juliua, inexact dans ses détails, est admissible
quant au fond. Commode fit exécuter des sénateurs chrétiens,
mais en respectant les privilèges attachés à leur rang : Julius
n'était donc pas sénateur. Il est attesté par le férial, au cime-
tière de Calépode, mais au pridie idus apriles^.
» Frontin XI. — Procope I, 15. — Nibby, Anlic, I, 364.
« R, S., I, 182.
3 BulL, 1881, 104, 106.
^ Codex Barberinianus, 100 {olim. 3, 883) : Trattato del cimitero neUa via
Âurelia, composto da Gio. Domenico Ricciardi Musico di S. Pietro neU^anno,
1677. — Carlo Padre Dio : Misure délie selle e nove Chieze, Roma, 1677, p. 49.
— Kraus., R. E. 11, 127, — La distance réelle ne correspond pas à celle que
donnent les gestes. Lorsqu^on transporta les corps à Saint-Laurent in Lucina,
en 1112, on les exhuma, Via Claudia, à Vaqua Ttxiversa (Nardeni: DelVanliclia
chiesa di S. Slephano ad Aqua Traversa. Rome, 1839. — BuU., 1894, p. 135).
6 Bull, 1881, 104.
^ Lampride cite un Julius tué par Commode (Baronius, 192, 6). — Le Ber-
nensis donne un Julius, Voire Nomentane au 9 des Kal. sepl.
SÀtNt DAâlLlDË
235
3.
Gestes de
SI Bafilide.
« Basilide qui servait sous Platon in civitate Orientali,
a demande à celtti-ci d^allcr revoir ses parents. Platon le
« prévient qu'Aurelianus qui commande la province Aurélia
« où ils demeurent^ persécute les chrétiens : Basilide perse-
« vère dans son projet^ désireux de ti servir n le Seigneur,
« Arrêté par Aurélien^ il lui reproche ^immoralité des
« dieux quil adore: il est mis à mort la veille des ides de
<c "juin. »
Cette maigre légende, écrite d'un style curieusement affecté,
où même les vers ne sont pas rares*, semble illustrer l'histoire
d'un martyr romain, bien qu'elle ne mentionne môme pas Rome.
A la même date (prid. id. iun), le calendrier signale saint
Basile associé à Dister, Polimacus, Zabilius, Aurelius, Dona-
tella, Secunda, à Rome, sur la Voie Aurélia, au cinquième mille-.
Dans ce Basile, il faut évidemment voir notre Basilide : la
localisation aurélienne explique sans doute l'introduction d'Au-
relianus dans la légende ; la déformation de Basile en Basilide
s'explique par l'influence du Basilide associé à Arasius, Rogatus,
Januarius, vénéré sur cette même voie Aurélia (au treizième
mille), presque au même jour, le 10 juin (IIII id. iunii^).
4. « Au temps de Valérien et de Gallien^ un jeune enfant
r.csies de « Pancrace, fils de Cledonius le Phrygien, confié après la
^i Pancrace. ^^ ^^^^^ ^/^ celui-ci à son oncle Dionysius, instruit par le pape
« Corneille, refuse de sacrifier aux idoles et est exécuté Voie
1 Omnipoteng aeterne deus qui ciincta creasti.
Qui miscros refoues, qui confers digna petenti,
Qui lapsos relevas famulos in morte iacentes
El cunclis referas caelei^tia régna benignus,
Pandc mlhi callem clemensque ducat ad urbem
Aureliain ; caros cernam exinde parentes.
Cf. plus loin : alii lui similes vario errore detenti — volucrem turpemque
bovem tortunique draconem — adorabant... et clara lumina infundere terris.
'^ Rossi-Duchesne, 77 (Pridie id. iun.). Le tribuli inagdaletis du Beimensis et
du Wiss, n'est qu^une évidente déformation du texte de VEplernacensis ;
tripoii magdaletis rom basilis... La ville de Tripoli est mentionnée ailleurs,
an VIII Kal. ian. in tripoii nat luciani.
3 Rossi-Duchesne, 77, llll, id. iun. — La distinction des deux groupes
des iO et 12 juin, vénérés sur la mêuie Voie Aurélia est attestée par la diffé-
rence du groupement, la différence onomastique des deux martyrs premiers
(basilis- basilidis) la différence des indications topographiques (14 milles au
10 juin, 5 au 12 juin). — Cf. infra.
236 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« Aurélia^ le 4 des ides de mai : Octavilla ensevelit son
« corps, n
La date de ranniversîûre est confirmée par le férial, le
lieu de sépulture par le ^férial et les Itinéraires^ ^ l'époque
du martyre par la concordance, Corneille- Valérien-Gallien et
par Texplication que Ton a donnée de Tendeur qui s'est glissée
dans quelques manuscrits : Dioclétien a parfois remplacé
Valérien-Gallien parce que la Soteris vénérée le même jour et
au même lieu que Pancrace a été confondue avec la Soteris
appienne martATiséeen 304 2.
Je soupçonne que la vraie légende de Pancrace est perdue,
comme celle de saint Félix de Porto — et que nos gestes ne
nous en donnent qu'un pâle succédané. Le Liber Pontificalis^
et Grégoire de Tours attestent très explicitement, que saint
Pancrace était surtout connu comme le vengeur des serments
violés : leur témoignage suppose une tradition avec laquelle
notre texte n'a évidemment rien à faire. Les travaux do Svm-
maque (498-514) à la basilique du saint, la faveur dont jouis-
sait auprès des fidèles, à cotte époque, la catacombe qu'il pro-
tégeait, le changement de nom de la Porte Aurélienne devenue
Porte Saint-Pancrace, les cérémonies qu'on y célèbre au
temps de Pelage (556-561) et de saint Grégoire (590-604) S les
restaurations d'Honorius (625-538) tous ces faits attestent un état
du culte qui suppose une légende autrenjont riche que celle dont
nos gestes nous ont transmis la substance. — Il ne faiit pas
oublier enfin que le calendrier semble associer à Pancrace des
saints Cyriaquo et Maxime, et que la tradition actuelle semble
i Uo«8i-Duchesne, p. 59. — R. S., I, 182.
2 R. N., III, 21.
3 L. P., 1, 303. Pelage (o:i6-36l). « Narsis et Pelagius papa consilio inito
data laetania ad S. Pancratium cum hymnis et cantici» spiritualibus vene-
runt ad S. Petrum apostolum. Qui Pelagius teneas evan^elia et crucem
domini ttuper caput suuni in anibone ascendit et sic satisfecit cuncto populo. »
— Gregorius Turonensis : Glor. M., 1, 39 (M. G., 512-513) : «Est etiam haud
procul ab urbis muro et Panchratius martyr, valde in periuribus ultor. Ad
cuius sepulcrum si cuiusquam mens insana iuramentum inane proferre
uoluerit, priusquam sepulcrum eius adeat..., aut arripitur a daemone, aut
cadens in pauimento cmittit spiritum. »
^ L. P., I. 262. On a trouvé des inscriptions mentionnant des achats de
sépulture à saint Pancrace en 521, 522, 537. — Procope, Bel. Goth.^ I, 18:
« 61 'aXXr,; itjXitj;... r^ vTtep Tcoraiiov Tiêepiv lla^xpartou àvSpbç à^ioM iirwvu|io;
o'jffa.. (p. 92). — L. P., 1, 303. — Gregorius Mag., Hom, 27. — Ep. IV, 18 (P. L.,
76, 1204 ; 77, 687). — L. P., 1, 324.
SAINTS PIERRE ET MARCELLIN
237
avoir fleuri dans le Vicvs Dionysii et Panchratii, — Il est
vraisemblable que l'histoire de ces traditions n'a pas été sans
se ressentir — comme celle de Basilide et de Sophia, — de la
présence en ces parages de l'église manichéenne.
5. « Arthemins y geôlier de Pierre et Marcellin^ converti par eux
Gestes ^^ ainsi que Candida sa femme et Paulina sa fille, est merié
des saints • j #• /> ^ _/ • • o •#
Pierre et " ^''^ Aitrelia sur l ordre du vicaire Serenus : il rencontre
Marcellin. c< avec les siens Pierre et Marcellin accompagnés dune foxde
« nombreuse^ refuse de s'échapper ^ est exécuté. »
Le souvenir dé ces saints est attesté par les Itinéraires au
cimetière de Pancrace. Arthemius s'y trouve expressément
nommé; quant à Paulinus qui l'accompagne, il est permis dV
voir une déformation paléographique de Paulina. Leur asso-
ciation à Pierre et Marcellin est rendue probable par l'éloi-
gnement de leurs tombeaux.
V*
i.
Gestes
de saint
Laurent.
« Ahdon et Sennen^ rois de Cordula en Perse^ pris par
« Dèce^ ensevelissent les chrétiens: ils sont emmenés par lui à
« Rome au moment oit Galba meurt et oit Sixte est emprisonné,
« Ils comparaissent devant Dèce et Valérien préfet le 5 des
« kalendes (faoïU^ refusent de sacrifier à l'idole qu^apporte
« Claudiits^ prêtre du Capitole, crachent sur une idole du
« Soleil et sontégorgéspar des gladiateurs dansC amphithéâtre.
« Leurs corps sont recueillis par le diacre Quirinus, ensevelis
w par lui dans sa demeure, dans tm cercueil de plomb, le
« 3 des kal. daoïU. A révoque de Constantin, les martyrs
« révèlent le lieu de leur sépulture, et ils sont transportés au
« cimetière de Pontien.
La date de leurannivcrsaire est confirmée par le chronographe
et le forial; le lieu de leur sépulture parces deux mêmes textes
et les Itinéraires. L'époque de leur supplice peut être placée
1 Marucchi : Les Catacombes Bomaines^ p. 58.
238 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
avec vraisemblance sous Dèce ou sous Valérien. Le rédacteur
a vraisemblablement emprunté au Liber Generationis — ou à
un texte en dépendant, — les noms des pays qu'il veut que
Dèce ait soumis, après avoir vaincu les Perses, la Babjlonie,
la Bactriane, THyrcanie, la Cordula, l'Assyrie ^
De là vient peut-être l'introduction dans la légende d'un
certain évêque de Babylone nommé Polychronius, que Dèce
martyrise avec son clergé au cours de sa campagne orientale :
ce Polychronius est attesté par le férial'', mais son associa-
tion à Abdon et Sennen est évidemment légendaire. Le rédac-
teur, qui connaissait le Liber Generationis et utilisait le calen-
drier, a peut-être puisé à d'autres sources écrites : il note
assez exactement l'attitude de Dèce, dévot du paganisme
officiel et traditionnel, et indique avec quelque précision le
caractère propre de la persécution de 250: .Dèce ordonne de
poursuivre non pas les chrétiens expressément dénoncés comme
Trajan, ni ceux qui font de la propagande comme Sévère, ni
ceux qui appartiennent au clergé comme Maximin : il fait tra-
quer les simples fidèles •'^.
L'origine orientale d'Abdon et Sennen est assez bien attes-
tée par leurs noms; leur qualité royale est fort douteuse. Ce
n'est pas que des princes orientaux ne soient souvent vernis à
Rome : en 65, c'est Tiridate*, en 202 Abgar IX-', en 216
Abgar X^, en 244 Abgar XP, en 252 Tiridate», en 323 c'est
Hormisdas le frère aîné de Sapor II qui vient se réfugier à
Rome^. Le séjour de ces princes devait, semble-t-il, disposer
le populaire à garder le souvenir de leurs pompes exotiques :
d^autant que le triomphe d'Aurélien, où parut Zénobie, avait
» Cf. Chronica Minora (M. G., 1, 106).
' XllI. Kal. mar. (Rossi-Duchesne, 22). — L'attention était sans doute
attirée sur ce nom par le Polychronius des Apocryphes Symmachiens (Cf.
aussi Moschus X. — P. L., 74 175.
s « Si quos profanos christianos inueneris in urbe, protinus ad tormenta
trahi eos non diffugeres. » L'édit authentique est perdu (Origène. Hom. IX in
Josue). Rapprocher de celui que donnent les gestes cet autre qui a été publié
à Toulouse en 1664 : Decit Augusti Imperatoris Edictum adversus christianoSt
nunc primum editum a Bernardo Medonio (Tolosae, Bosc. 1664).
* Dio, LXIU, 2-7.
^ Gutschmid : Osroene^ 35.
« Dio LXXVIl, 12. — Gutschmid, 37-44.
' Gutschmid, 44.
^ Mommsen: Hist, Rom., X, 280.
V Zosime; II, 27.
SAINTS ABDOM ET SENNEN 2^9
produit une vive impression, que des jeux persiques avaient
été fondés en 233* et rétablis en 350^. Et ces souvenirs
avaient été rafraîchis par l'entrée solennelle de (instance et
d'Eusébie, accompagnés du second Hormisdas en 357 3, et
raffermis en quelque sorte par Téclat des guerres de Galère et
du désastre de Julien. Les Romains devaient être portés à se
souvenir des princes orientaux et à décorer de la qualité
royale des Orientaux qui n'y avaient aucun droit. — Je soup-
çonne qu'il en est ainsi d'Abdon et de Sennen : Thistoire les
ignore ; s'il sont venus avec les princes dont on a lu les noms
ou avec Philippe, comment expliquer qu'aucun Abgar ne se soit
introduit dans leur légende? Depuis la diffusion des légendes
édesséniennes, le nom était pourtant facile à retenir.
Ce qui confirme notre soupçon, c'est remplacement de la sé-
pulture de nos martyrs : le cimetière de Pontien, où ils reposent,
est au cœur des quartiers orientaux, commerciaux, tout près du
port, où s'élèvent des entrepôts : Abdon et Sennen ne seraient-
ils pas tout simplement membres d'un collège d'ouvriers ? L'hypor
thèse expliquerait à merveille l'introduction dans la légende
de ce Galba « praesidens in tirbe », dont la mort décide du
retour de Dèce. Qu'un Galba ait effectivement été mêlé à l'his-
toire de nos martjTS, c'est ce que nous invite à croire la sin^
gularité même du renseignement donné : on ne voit pas qu'aucun
Galba ait joué un grand rôle au temps deDèce, ni de Valérien,
ni dans les guerres perses. On sait, au contraire, que, dans le
quartier des entrepôts, sur l'Aventin, s'élevaient les horrea
Galbae'^: le chronographe porte : « Galba domiim stiam depo-
suit et horrea Galbae institmt w^; la Notitia Imperii nous parle
d'un ciirator horreorum Galbanorum; Porphyrion commen-
tant le huitième vers de la douzième ode du IV livre d'Horace :
« siilpiciis horreis^ écrit: « hodieqtie Galbae horrea vino
et oleo et similibtis aliis reperta sunt^. » Ne semble-t-il pas
qu'il y ait eu un rapport réel entre ces greniers de Galba et nos
martyrs? La légende l'aurait transfiguré. Abdon et Sennen ont
été représentés, sans doute, sur un sarcophage ou sur une
1 Vita Alex. Sev., 56.
« Schiller, 11, 243.
3 Idace: Desc. Cons. — Chron. Alex^ 293.
* Bull. delVhlituto Archeol., 1880, 99. — 1883, 32, 138, 113. — 1886, 42.
* Chronica Minora (M. G., 146).
« Gf. G. I. L., VI, 338, 710. OreUi, 43. — Suétene : Galba 3,
240 ANALYSE CRITIQDE DES TRADITIONS ROMAINES
fresque en costume national; les siècles passent, les étran-
getés du costume en deviennent la parure: débardeurs ou
simples employés du port, ils se transforment en rois de T Asie ^ .
2. « Le bienheureux Cyrinus qui vivait dans File du Tibre
's^^îi' ^^^ ^^^ou in caslrum Transtiberim est etiseve/i par Maris ^ Marthe
Marthe. " ^^ ^^ bienheureux Pastor dans une crypte du cimetière de
« P on tien, »
Les documents sont muets. Ce Cyrinus doit être sans doute
identifié avec le sous-diacre Cyrinus, qui, d'après les gestes
de Laurent, demeure près de l'amphithéâtre et ensevelit Abdon
et Sennen 2 ; le voisinage du Tibre aura suggéré la localisation
de l'île du Tibre .
3. « Pigmenius^ ancien maître de Jidien l'Apostat^ estépar-
^V:}ff.^^ « gné par celui-ci petidant la persécution et se rend en Perse
' « en abandonnant le titulus Pas torts. Revenu à Rome sur
(( l'ordre de DieUy il rencontre Julien^ l'insulte sur la Voie
« Sacrée ou il le recontre : jeté dans le Tibre ^ il est recueilli
« par la matrone Candida et enseveli dans le cimetière de
« Pontien^ le 12 des kalendes de mars ».
Le même Pigmenius, prêtre du titulus Pastoris et maître
de Julien, se retrouve dans les gestes de Donat d'Arezzo^, avec
l'orthographe Pimenius, Si, comme il est très vraisemblable en
raison de l'identité d'attache topographique, ce personnage est
celui que nous rencontrons associé à Mihx, sur une fresque du
même cimetière et dont les graffites écrivent le nom PymeniuSj
> La fresque encore subsistante, reproduite par Bosio (p. 591) et Garucci
(IL 86, 2-3) est vaguement datée par Lefort du vii-ix* siècles (Etudes, 95-97) ;
M>' Wilpert qui la trouve moins bonne que celles de Marcellinus-Polliu-Petrus
et de Milix-Pumenius en place néanmoins la composition au vi* siècle. 11 est
probable que c'est sous Tinfluence de nos gestes que la fresque a été peinte.
(Les saints Milex et Bicentius qui y sont représentés à côté d*Abdon et
Sennen, avaient leurs tombeaux tout proche.) — Le calendrier mentionne le
29 juillet (IIIl Kl. aug.). Abseodus, Abdus, Rufus, Pontianus, Nicetas : Abdus
et Pontien viennent peut-être d'une mauvaise lecture de notre martyr Abdon
et de notre cimetière Pontien ; les autres martyrs doivent peut-être être rat-
tachés à Abdon.
s Surius, IV, 610.
s Mombritius, I, 234; — 7 août, 188. — Cf. supra, p. 89.
SAINT PIGMEMiCS 241
ûous obtenons ainsi une troisième forme. En voici une quatrième
et une cinquième enfin dans le Salisburgeiisis qui donne Pime-
îihis et dans ÏEpùome qui porte Pymeon, Qu'il ne faille voir
dans tous ces noms que des variantes orthographiques et que
Ton puisse conclure à l'identité des personnages mis en cause,
c'est ce que rend très vraisemblable, d'abord leur identique
localisation au cimetière de Pontion, ensuite leur commun
groupement avec la Candida de ce cimetière.
Ce groupement est assez suspect: la sainte apparaît pour
ensevelir le corps, elle ne joue aucun rôle dans l'histoire : il
semble qu'elle y ait été introduite pour une raison topogra-
phique : comme les deux tombeaux étaient voisins, on aura eu
la pensée d'associer les personnages qui en étaient titulaires.
Le groupement de Pigmenius avec Jean est recevable, au
contraire, parce qu'il n'y a aucun rapport topographique ni
liturgique entre les deux saints : ce Jean, vénéré sur la Voie
Salara, est l'ensevelisseur bien connu des légendes dio-
clétiennes.
Et ce fait nous donne, sans doute, la date exacte de Pigme-
nius : c'est au début du iv° siècle qu'il a sans doute vécu et
soufiFert. Salégende prébente un parallélisme ciuieux avec l'his-
toire de Cyriaque, très solidement attaché, on l'a vu, à
l'époque de Dioclctien : ce qui confirme la date que nous pro-
posons. Comme Cyriaque, Pigmenius va faire un long voyage
en Perse ; de même que Cyriaque a son point d'attache dans
une maison « iuxta tcrmas diocïecianas » — c'est l'église que
nous avons mentionnée plus haut * , — de même Pigmenius est mis
en rapport avec une autre maison, « iuxta domuni scrum Johan-
nis et Paiili » ; Pigmenius a l'affection de Julien comme
Cyriaque celle de Dioclétien ; comme Pigmenius enfin,
Cyriaque est vénéré dans la vallée du Tibre presque vis-à-vis
du cimetière de Pontien, voie d'Ostie, au septième mille ^. Le
même rédacteur aura peut-être imaginé les deux histoires :
c'est parce que les deux personnages et les deux cultes
avaient opéré des courses analogues dans les quartiers de
Rome, qu'il aura eu l'idée de leur faire faire, dans leurs
légendes, des voyages « parallèles » à travers l'Orient.
1 Cf. supra p. 132 sq.
> 8 août. « Ostense, VIT baUistaria, Cyriaci, Largi, Crescentiani, Memmiae,
JuUanae et Smaragdi. » (A. S., 1, 160, 182-183 {BuL, 1869, 68).
242
ANALYSE CRITIQUE DE& TRADITIONS ROMAINES
Et c'est cette « orientalisation » de Pigmenius qui l'aura
fait rattacher à 1 époque de Julien. Le retentissement de la
mort (le Julien fut immense : d'abord parce que, depuis Vale-
rien qui, lui-même, avait été le premier empereur à subir un
pareil désastre, aucun autre n'avait trouvé la mort en portant
la gueiTe dans les pays de l'Orient et de la Perse ; ensuite et
surtout parce que tous les chrétiens y virent le doigt de
Dieu : le châtiment de Julien reniant le Christ apparaissait
comme la contre-épreuve de la récompense de Constantin ado-
rant le Christ. Il est vraisemblable que, pour cette raison
aussi, l'Orient et la Perse prirent un grand relief dans l'ima-
gination populaire ; que l'histoire de Julien se fondit en quelque
sorte avec les légendes qui couraient sur les pays lointains oii
elle s'était déroulée ; que les traditions orientales, si j'ose
ainsi dire, se « julianisèrent ». Voilà sans doute, indépendam-
ment de ses attaches au cimetière de Pontien où flottait une
une atmosphère orientale, la principale cause de l'orientalisa-
tion de Pigmenius.
La ujulianisation» du personnage, enfin, explique le curieux
épisode qui s'introduit dans sa légende et qui dérive d'un fait
attesté — pour un autre personnage, il est vrai — par Socrate
et Sozomène.
« (Pigmenius aveugle) se mit à
gravir la montée de la Voie Sa-
crée, demandant Taumône, (con-
duit par) un enfant. Et voici que
l'empereur Julien, s avançant sur
un char doré Taperçut de loin : il
le reconnut, et le fit appeler. Lors-
qu'il eut été conduit en présence
de l'empereur, celui-ci lui dit :
'«Gloire aux dieux et aux déesses
que j'adore puisque je te vois. »
Le prêtre Pigmenius répondit à
haute voix: « (iloire à mon Sei-
gneur Jésus-Christ de Nazareth, le
Crucifié, parce que je ne te vois
pas.» C'est pourquoi Julien irrité
ordonna de le précipiter du pont'.
ce Maris, évoque de Ghalcédoine
en Bithynie ayant été conduit de-
vant l'Empereur, parce que son
grand âge lui avait tellement af-
faibli la vue qu'il ne pouvait plus
le conduire, lui reprocha son im-
piété et son apostasie. Ce prince,
irrité de sa liberté, lui répondit
qu'il était un aveugle que son Dieu
Galiléen ne guérirait pas. Alors
l'évoque, redoublant de hardiesse,
lui dit : (c Je remercie Dieu de
m'avoir privé de l'usage des yeux,
afin que je ne puisse voir le visage
d'un homme tonibé dans une si
horrible impiété. Julien ne répar-
tit rien à ce discours "^o
^ Gesta Bibbianae.
8 Socrate, III, 12 (P. G., 67, 412). — Cf. Sozomène, V, 4 (P. G., 67, 1223).
SAlKtS SIMPLICIUS, BÉATKICE Et ANtHlME 243
La légende s'est certainement inspirée de Thistoire ; mais
on ne voit pas précisément comment cette influence a pu
s'exercer ; Cassiodore raconte l'épisode de Maris S mais
n'est-ce pas plutôt par la tradition orale que les Romains l'ont
connu ?
*. « Simp/icitts et Favstiniis martyrisés soits Dioctétien et
Gestes ^^ Maximien sont retrovvés Voie de Porto à l'endroit appelé
sfmpUchis " Sextus Philippi. La hienhettreitse Béatrice, levr sœnr, les y
et « ensevelît y aidée des prêtres Crispns et Jean, le 4 des ka-
^^K^^h^^^\ « lendes d'août : après quoi, elle demeure sept mois auprès
« de la vénérable Lucine et toutes devx se nourrissaient des
« noix que lenr portaient deux corneilles. Un voisin de
« Béatrice, qui desirait avoir sa terre, la dénonça; elle refusa
« de sacrifier, mourut et fut ensevelie par la vénérable
« Lucine à côté de ses frères in Sexto Philippi, le 4 des
tf kalendes d'août. Mais Lucretius, dans un repas, fut saisi
« par Satan et jnourut, et Béatrice, apparaissant en songe
<( à Lucine, lui annonça que la paix serait rendue ce mois
« même aux églises du Christ, »
Tout confirme l'exactitude de la tradition : le nom seul de
Viatrix 3 a été parfois altéré. La date de l'anniversaire se re-
trouve dans le férial ; le lieu de la sépulture, confirmé par le férial
et les liinéraiî^es a été retrouvé, sur la rive droite du Tibre'*,
« Hisl.Trip. VI, 6 (P. L., 69, 1034). — Ce sont les rapports de Rome et de
Byzance qui expUquent, sans doute, que cette influence ait pu s'exercer. —
Le Codex Betmensis qualifie Pigroenius d'episcopus et mentionne sa fête le l'i
des kalendes d'avril. La qualification d'episcopus vient soit du Piminius épis-
copus vénéré à Autun, kal. novemb. ; soit d'un monastère ou d'une église
qui l'aurait choisi pour patron et qui tenait à ce que sa réputation fut bien
assise. (Un manuscrit brescian, conservé au couvent des Barnabites alla
Querce, prés Florence, désigne également Pigmenius conmie évoque, Bul.^
1891,155).
3 Un fragment d'inscription damasienne retrouvé porte Viatrix (Ihm., 6,
p. 10): on sait que le nom de Viator était très fréquent chez les premiers
chrétiens(de Rossi. H S., 111,632, sq. Bull., 1883, 14i.)
* Cosmogr. Ethique cité par BulL, 1869, 11. — B. S., III, 549-665, — Depuis
le milieu du 111* s., le culte des Arvales mourait : Annal. Jnslituto. di Corris-
pond, archeol., 1858, p. 54-79.
Le calendrier rattache à Porto, aux idées de juillet (Rossi-Ducbesne, 91)
une sainte Bonosa, sœur d'Eutrope et de Zosima. Une église dédiée & sainte
Bonosa, au Trastevere, existait dés le v* siècle (Armellini : Chiese, 684 —
Bull. 1870. 38). C'est à elle, sans doute, que se rapporte la légende suivante :
244
ANALVSË CtilTIQUE DEB TllADlTtONS HOMAlNES
entre le sixième et le dixième mille, près d'un champ qui appar-
tenait à Tadministration des jeux du cirque et qui touchait
au bois sacré des Arvales.
VP
1. « Au temps de Diocletien et de Maximien ^ Félix con-
Gcstes de» « damné par le jttge Draco est mené au supplice. Un autre
*^'a*h ^^^^'^ « chrétien qui le rencontre confesse le Christ y est exécuté:
' « on le vénère sous le nom de « l'ajouté » (adauctus), car
« on ignore son nom véritable. A l'époque de la jiaix^ on
« élève une basilique sur leur tombeau^ Voie d^Ostie, au
(( deuxième 7nille : ils avaient été martyrisés le 3 des kalendes
« de septembre. »
La date de Tanniversaire est attestée par le fcrial et le sa-
cramentairo Léonien. Le lieu du tombeau parles Itinéraires ^ et
les découvertes : en 1720, Boldctti découvrit au cimetière de
Gestes
de sainte
Bonosa.
« En 207 Sévère Perlinax poursuit les chrétiens, une vierge du Christ^ Do-
it nosttf est jetée en prison ; la prière la réconforte. Elle convertit cinquante
€ soldats qui deviennent autant de martyrs ; elle résiste au praeses^ et fina-
« lement est décapitée « foras urbis portas », aux ides de juillet ». Cette
léj^ende n'utilise aucune tradition romaine ; elle a été rédigée par quelque
moine anglais, sans doute. On a retrouvé à Porto, brisé en un grand nombre
de fragments, Téloge de Zosime: de Rossi a reconstitué douze hexamètres:
la paléographie de Tinscriplion la date du m* siècle (Bti/., 1866, 47):
Accipe me, dixit. Domine, in tua limina, Christe
Kxaudita cilo fruilur modo lumine caeli
Zosime sancta soror magno defiincta periclo
Jam videt et socios sancti cerbiminls omnes
I^etaturque videns mirantes sistcre circum
M iran turque {uilrea tan ta virtule puellam
Quam siio de numéro cupientes esse vicissim
Ccrtatimque lenent atque amplectnntur orantcs,
lara videt et sentit magni spectacula re^ni
Kt bene pro merilis gaudel sibi praemia reddi
Tecum Paule tenens calcata morte coronam
Nam fide servatacursum cum paceperept.
Une autre inscription, du iv ou v* siècle, a été trouvée, signalant nne res-
tauration des tombeaux faite par l'évoque Donat (But., 1866, 47). Bul. Com.,
1888, 163, d'après Allard, 2' édition, III, 261-263, notes.
» Cf. Maruc ni : Les Catacombes romaines, p. 77.
2 R. S., 1, 182 183.
SAINT GALLICAN 245
Commodilla, la crypte des deux martyrs. — L'histoire rapportée
par les gestes est légendaire : le nom d'Adauctus * très bien
attesté par Fépigraphie Taura suggérée aux rédacteurs. Il
semble, d'autre part, que le férial associe nos deux saints à une
sainte Gaudentiana et à trois autres martyrs parfaitement in-
connus : la coutume se serait tôt établie d'associer particulière-
ment Félix et Adauctus et de les abstraire de l'ensemble de la
tradition, qui tombait dans Toubli *^.
L'époque assignée par les gestes peut être exacte.
4.
. « Gallican^ vainqueur des Scythes^ grâce à un 7nirach%
des saints « -^^ convertit, renonce à la main de Constantina, se 7'etire
Jean et Paul. « à Ostie oi\ il vit avec le saint homme Hilarinits, et trans-
« forme sa demeure en un xenodochium. Cest lui qui éleva
« la première église d'Ostie, près de la porte Saint-Laurent,
« sous rinvocation de ce saint et sur son ordre : il refusa
« d'être nommé évfique et opéra de 7iombreuses guérisons,
« Sous le règne de Julien, des miracles empêchent les agents
« du fisc de confisquer ses quatre maisons. Il est exilé à
« Alexandrie, vit pendant un an avec les confesseurs du
« Christ, puis se retire dans le désert oiï Rautianus, comes
i< templorum, le fait exécuter. On construit une basilique
« que Fon place sous sa protection : Hilarinus, également
« mis à mort, est enterré à Ostie, »
Notre Gallicanus combine plusieurs personnages historiques :
i^ le Gallicanus, contemporain de Silvestre, donateur de l'église
Saint-Pierre, Saint Paul et Saint-Jean-Baptiste d'Ostie, célèbre
par sa piété "^ ; 2° le Gallicanus consul en 317 et en 330 ; 3° le
Gallus-Gallicanus^, frère de Julien, dont on idéalise la vie pour
l'opposer à l'apostat et pour l'adapter aux transformations de
Constantina; 4** Pammachius, l'ami de Jérôme, fondateur du
» De Vit., Onomaslicon, I, 54. — C.LL., VI, 12 994-23 022. — Gruter,560. —
Tillemont, V. 672.
s Cette association est attestée par Damase (Ihm., 7, p. 10-11), L. P. I, 276.
— Certains rédacteurs, comprenant mal Damase, ont donné un frère à Félix :
sur cette erreur et ses conséquences, cf. Analecia Bollandiana 1897, !•' fasci-
cule : H. Delehaye, p. 22 et sq. Les saints du cimetière de Commodille,
3 L. P., 1. 183.
* Le Chr. de 354 donne Ovinius Gallicanus : 17 février 317.— Borghesi:
fastes, V, 600 ; Gallicanus consul avec Aurelius.
246 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
xenodoc/iiunnï Ostie ^ ; peut-être un solitaire d'Egypte, Kiiian -.
De celui-ci serait venue la tradition du séjour en Egypte ; de
celui-là, la légende du xenodochitnn\ du troisième la locali-
sation Julienne; du second, le rôle politique et militaire de
notre personnage ; du premier, sa sainte réputation. — Hila-
rinus doit être le même qui est attesté par le férial, à Ostie,
le 17 des kalendes d*août. — Quant à Saint-Laurent d*Ostie,
aucun document ni aucune découverte ne nous Ta fait con-
naître : il est clair que la tradition dont nous saisissons ici
la trace veut en faire la plus ancienne église de la ville.
^* « Au temps de la persécution de Gallus^ Censnrinns, vir
désistants *^ praefectoriae potestatis, secrètement chrétien, est dénoncé
Censurinuset « à Vemperexir^ emprisonné à Ostie ^ à 15 milles de Rome, où
Aurea. ^^ [^ visitent le fjrétre Maximinus, le diacre Archelaus et
« Aurea, sei^ante de Dieu. — Comme ses liens sontmiraculeit'
« sèment déliés, ses dix-sept gardiens se convertissent, Félix,
« Maximus, Taurinus^ Erculanus, Venerius, Starocinus,
« Menna, Commodus, Hermès, Maurus, Eusebius, Rusticus,
« Monachus, Amandiîius, Olippus, Cyprins et Theodorus
« tribun : Maxime les baptise, les confirme et leur donne la
« cotnmunion, — V empereur apprenant que les chrétiens
« ont ressuscité un mort, Faustinus, fils d*un cordonnier, âgé
M de dix ans, envoie a Ostie le vicaire urbain Ulpidius Romu-
« lus : celui-ci se fait présenter l'évéque Cyriaque, Maxime,
« Archelatfs, Aurea, Censtirinus et les dix-sept convertis. Ils
« sont décapités le jour des nones de septembre, auprès de
« l'arc de triomphe'^qui est devant le théâtre. Le bienheureux
« Eusèhe prêtre recueille les corps, ensevelit Tau ri nus et
« Erculanus à Porto ^ Théodore dans son mausolée , les autres
« à Ostie, auprès de Cgnaque-K^^
1 Cf. supra p. 146, sq. — Cf. BuU.. 1866, p. 99 et ces mots de Jérôme (P. L.,
20,465-486). < iEgyptus et Parthus xenodochium in portu romano norunt.» —
Nuus négligeons la passion de Digna et Mérita, en partie empruntée aux
gestes d'Afra ; Gestes des saintes Dignita et Mérita. — Cf. Analecta Bollan-
diana, 1897, !•' fascicule, p. 30. H. Delehaye, op. cit.
2 Seldenius, 111, 15 ; — 25 juin, 31.
'^ 5 septembre 518. — Les gestes d'Aurea du 24 août sont un remaniement
de ces gestes de Censurinus, du 5 septembre; ils ont été rédigés, du reste, à.
peu près à la même époque, mais doivent être postérieurs: 1* ils sont plus
complets (cf. infra) ; on conçoit qu'un légendaire ajoute, on conçoit mal qu'il
retranche ; 2* ils sont tendancieux et veulent iUustrer l'origine de TégUse de
SAINTS CENSURINUS ET AUREA 247
Damase, le Liber Ponlificalis^ le Sacramentaire Léonien
ignorent ces martyrs et ces événements.
Le Calendrier romain nous assure que les premiers faisaient
partie d'un groupe de saints vénérés les uns, le plus grand
nombre au 12 ou au 11 des kalendes de septembre — l'indica-
tion du Bemensis, 13 est évidemment une erreur paléographi-
sainte Aurea d'Ostie (L. P. I., 376): ils font d'Aurea une très noble vierge, une
fille d^empereur; ils lui donnent la première place; ils en font surtout une con-
temporaine des Apôtres, en transformant Gallus en Claude : les gestes de
Censurinus sont dans le style ordinaire des gestes romains : Vir magiste-
riae potestatis (cf. gestes de Pocessus) ; vir occulte christianus (cf. gestes de
Sébastien) ; liens miraculeusement déliés (cf. gestes d'Alexandre) ; conversion
des geôliers (cf. gestes de Pocessus, de Pierre et Marcellin).
Voici les détails propres aux gestes d'Aurea. !• Elle vit au temps de Claude,
dans une terre à elle, à Tendroit appelé Euparlstus; — 2« On ne donne pas la
date de l'exécution {noues de septembre), mais celles de l'ensevelissement
(6. id, aug., pour Taurinus, Erculanus, Theodosus. 10. kl. sept, pour les
autres). — 3* Aurea, jetée à la mer (non décapitée) est ensevelie par Hippo-
lyte qui dicitur Nonnus, dans son champ, le 4 kl. sept.: martyrisé à son tour, il
est enseveli à soixante pas de la fosse où il a été jeté, 10 kl. sept. — 4« Saisi-
nianus. laboureur d'Aurea, martyrisé aussi, est enseveli par le bienheureux
Concordius prêtre 5. kal. sepfembr.
Ces gestes sont extrêmement curieux parce qu'ils éclairent d'un jour très
vif la vie religieuse de ces pays, au moment où ils furent rédigés, au vi- siècle
sans doute (cf. infra): la question des origines apostoliques était déjà à
Tordre du jour I Sainte Aurea, on l'on a vu, prétend être une contemporaine
des Apôtres: « Christus nostris temporibus dignatus est venire a Pâtre y> (cité
par Tillemont, III, 680, note 2); il y avait sans doute alors une église à elle
consacrée : n'était-elie pas la sainte la plus illustre du pays? Cette église de
sainte Aurea est explicitement attestée, du reste, au temps de Serge (687-701.
— L. P.. I., 376). — Les Gestes de Jean et Paul, racontent, d'autre part, que ce fut
Gallican qui éleva la première église d'Ostie, près la porte de saint Laurent, sur
l'ordre de ce saint et qu'il la lui consacra. — Saint Asterius* enfin, que Claude
fit exposer aux bêtes dans l'amphithéâtre d'Ostie, fut tué à Ostie, enseveli le
15 des kalendes de février : et sur son tombeau on éleva une église où fleu-
rissent les miracles, etc. (Gestes de Maris et de Marlha). H est bien entendu
que c'est de Claude, le prédécesseur de Néron, que le rédacteur veut parler ici.
// y avait donc, au W siècle, trois églises à Ostie (saint Laurent, sainte Aurea]
saint Asterius\ qui se disputaient la gloire d:être la plus ancienne. 11 est à
croire qu'il y avait ad ostia tiherina une église manichéenne agissante : les
« apostolicisations » des légendes martyrologiques paraissent être un indice
assez sur de la présence d'un groupe manichéen. Cf. notre travail De Mani-
chaeismo apud Latinos — 11 n'est donc pas sûr du tout que l'église brûlée
par les Vandales et que reconstruisit l'évêque Pierre — d'après l'inscnption
retrouvée à saint Jean Calybite et que M. Cantarelli a raison de rattacher ad
ostia Tibertna — doive se rapporter à l'église de saint Hippolyte attestée sous
Léon in. (L. P., II, 12. — Bull. Communale, 1896,67).
* Il est possible que ce soit le même Asterius qui figure dans les gestes de
Calliste, avec un autre anniversaire (XIV Kal non.), et une autre histoire (il est
prêtre et non prince) : les gestes de Calliste aussi bien que les gestes de
Marius et Marthe localisept le culte à Ostie.
248 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
que — et quelques-uns, Taurinus et Herculus notamment, aux
nonos de septembre.
Mais sur deux points, il y a désaccord entre le férial et les
gestes. Ceux-ci attachent nos martyrs à Ostie, celui-là à Porto,
(sauf Quiriacus et Archelaus que le Bemensis laisse à Ostie *).
Ceux-ci ignorent Traianus, Quadratus, Primus, Marcialis,
Epictites, Saturninus, Aprilis, Peregrinus, Marcellus, Aurelius;
celui-là, tous les martyrs des gestes, sauf Hippolyte, Aurea,
Taurinus, Erculanus, Cyriaque, Archelaus 2. — Quant au second
point, on ne doit rien décider : les deux listes peuvent se com-
pléter. Quant au premier, il apparaît clairement que ces mar-
tyrs n'étaient localisés précisément, sauf Aurea, ni à Ostie ni
à Porto, mais ad Osiia Tiberina.
A ces quelques certitudes, nous pouvons ajouter quelques
vraisemblances. Il semble que quelques-uns de ces martyrs
aient vécu, sinon souffert à Tépoque de Gallus : la mention de
cet empereur est si singulière, qu'elle doit être exacte.
Il semble que le Cyriaque, martyr de Romulus, soit le Cyriaque
de la voie d'Ostie, qui apparaît dans les gestes de Marcel.
Il semble qu'une double influence se soit exercée sur la légende :
1® une influence romaine d'abord : Censurinus, uir occulte chris-
tianus^ grand personnage à la cour, rappelle beaucoup saint
> Qu*on lise pour s'en convaincre le tableau suivant :
Chronographe C, Eptemaeensii C. Bementis C. Wi«
Vl.id. aug. OstenseVII bal- Cyriacus, Largua,
listaria Gyriaci, Memmia,...
XIII, Kl. ^argi Grescent...
ggp( In portu romano,
Bci Ippoliti.
XII, Kl. in porlu rom. yp- etinporlnromano, in porto romane
sept. politi, traiani,qua- marcialis, Aurae, nat sci oppolili.
drati, primi. Epictiti, Salnini,
Aprilis et Felicis.
XI, Kl. l'om. via ostcnsi, et in porto urbis et in porto romano
sept. timolei et in por- rome yppoliti qui peregrinorum mar
tu rom peregrini dicitur nonnus. In tyrum, nat scorum
aprelis marcialis, Hostia. nat sci marcialis aurae
epictiti, marcelli, Quiriaci et Archilei epictiti saturnini,
aureli, felicis, ip- aprilis et felicis,
politif saturnini.
non. sept. Aconti in Porto et In port. rom. in porto romano nat scorum taurini
et Nonni et Her- taurini et hercu- taurini herculiani herculiani aristo«i,
culani et Taurini. lani. Aristusi.
2 Ces deux-ci propres au Bernensis,
SAINT PAUL
249
Sébastien ; la résurrection de Faustinus rappelle beaucoup la
résurrection par Tranquillinus de Thomme qui est tombé par
la fenêtre : (noter que les résurrections sont rares dans les
gestes romains) ; Z" influence grecque, ensuite : les textes
liturgiques le prouvent: plusieurs leçons, dans les Menées^, se
rapportent à Censurinus, Aurea, Sabaïnus (Sabinianus) ; les
noms rindiquent : Aurea est parfois désignée par le nom de
Chrvsè; Hippolytus est surnommé Nonnus comme Tévêque
d'Edesse, qui, au temps de Théodose le Jeune, convertit Péla-
gie 2. La situation de la ville l'explique : Ostie était une sta-
tion intermédiaire entre Rome, la Grèce ^ et tous les pays
méditerranéens.
Gestes « Le préfet Agrippa dit à Néron : à mon avis y il faut
et de's» Paul " couper la tête à saint Paul, homme irréligieux... ^ et saint
« Paul fut décapité Voie d' Ostie ; après avoir été retenu
« aux Catacombes y il fut reporté Voie d* Ostie , au deuxième
« mi lie ^. »
La donnée topographique du texte est garantie par le témoi-
gnage de Caius et précisée par la rédaction grecque, publiée
parThilo, sic jxaaaav xaXcujxévr^v Axxcuai 2aX6Caç...', une inscrip-
tion de 604 conservée au musée de Saint- Paul, atteste que
le Pape donna cette massa à la basilique en souvenir du mar-
tyre qui y avait été consommé ^.
^Gestes
de saint
Siivestre).
« Siivestre, enfant, accueille Timothée d'Antioche, qui
« prêche le Christ en temps de persécution. Il opère beaucoup
w de conversions ; après un an et trois mois, il est livré au
« préfet de la ville, Tarquinius, et mis à mort. Siivestre porte
« le corps dans son hospice, lui consacre un martyrium de
« concert avec le pape Melciade . Théon, femme très chrétienne
i Ménologe de Basile, cité 24 août, 755-762, 52.
3 Nicéphore, H. E, (dans Eusëbe H.E.,VI, 46) parle d*un Hippolyte qui porte à
Rome une lettre de Denys.
3 De là son importance stratégique, qui éclate dans les guerres gothiques
(Procope, B. Goth., III, 15, tome II, 336); de là son importance économique,
(Pelage à Sapaudus. P. L. 69, 408). La situation du lieu Euprepis est inconnue.
« Cf. supra, p. 101 sq. et A. S., I, 182.
* Mai, Script. Vet, V., 213. — Aux Eaux Salviennes, était aussi attachée 1<\
mémoire de Marina, femme de Gordien (10 mai 553).
250 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« rensevelit dans so7i jardin^ près delà sépulhtre de T apôtre
« Paul^. »
Saint Timothée est attesté par le calendrier, sur la voie
d'Ostie, le 11 des kalendes de septembre et aussi par les//m«-
r aires. L*époque qui lui est assignée doit être exacte : il est
étrange qu'on ne lait pas confondu avec le disciple de saint
Paul, dont la tombe était si proche.
> Mombritius, II., 279.— L.P.I. CXI — R. S. I. 182-183. — Stevenson: Os-
servazioni sulta via ostense [N. fiu/., 1897, 255).
Gestes Le 25 octobre 1634, en réparant la crypte de Santa Martine, à Rome,
de sainte on trouva « les corps des saints qui, découverts sur la voie d'Ostie avec
Martina. le corps de sainte Martine, ont été transportés dans la ville, ainsi quHl
appert des vieux manuscrits de la Bibliothèque Vaticane » (!*' janvier. 18).
Mous dirons donc ici un mot de sainte Martine: « Vierge noble et riche^ prê-
ta sente'e à l'empereur Alexandre au temple d'Apollon^ elle est assistée par
u un ange : le leinple s^écroule, le démon s'échappe de l'idole où. il se cache^
< une lumière et une voix céleste convertissent ses bourreaux; les autres sont
« torturés par les anges ; conduite au temple de Diane, elle fait tomber en
« poudre les idoles; exposée dans Vamphithédtre, le lion la caresse et tue
« l'empereur; finalement, elle est décapitée, i» La sainte est signalée dans
l'édition du calendrier romain du vu* siècle; l'église du Forum, installée &
côté de saint Adrien, dans le Secretarium Senatus, est antérieure à Hadrien
(772-795. — L. P., i, .'iOl-SU) ; elle date sans doute du vu- siècle (Cf. infra).
C'est de cette époque aus&i que datent peut-être les deux inscriptions trou-
vées en 1634, sur une lame de plomb et une pierre noire. Concordius et
Epiphane étaient peut-être des compagnons de la sainte. 11 est certain que les
actes connus d'Adon n'utilisent aucune tradition locale.
Gestes 11 en faut dire autant des gestes de Lucilla-Flora, qui paraissent aussi avoir
des saints des attaches sur la voie d'Ostie. « Au temps de More Antonin et d'Aurèle Corn.
Lucilla « mode (Codex Oratorii Romani, H — 29 juillet 27), Lucilla et Flora, servantes
et Flora. « du Christ élues de Dieu, citoyennes de Rome, sont prises parEugenius, roi des
« Barbares, gui veut les épouser de force : elles lui disent qu'elles sont les épouses
c de Dieu et il les respecte : elles lui assurent toujours la victoire. Averties
c par un songe, elles reviennent à Rome car elles doivent subir le martyre
« devant le préfet Helius. Leurs corps sont ensevelis dans les faubourgs d'Ostie.
(Ms. de Gallonio, 29 juillet 27). Comme les actes de Martina sont à peu près
identiques aux gestes de Tatiana, ceux-ci rappellent de fort près les gestes de
Luceiaet Auceias. Us sont très suspects, bien qu'on ait relevé, sous Commode,
un préfet du prétoire Q. Haelius Laetus ; la localisation ostienne n'est pas même
bien assurée : Usuard ne la signale pas : il est pourtant à peu près contem-
porain de Benoit III (8:i:>-8:)8) et de l'évèque Jean auxquels on attribue la
translation des corps d'Ostie à Arezzo (Ughelli, 1, 413. — 29 juiUet 94. Tille-
mont: Hist. emp. III, 519. — Dini: Dissert, de Flora et Lucilla, Lucques, 1723).
La mention du G. 915 (Rossi-Duchesne, 99) est évidemment une retouche
inspirée par notre texte.
SAINT NÉRÉR
251
XII*
1.
Gestes
de saint
Nérée.
« Peironilla^ fille de saint Pierre^ rendue paralytique par
« .son pf're^ est recherchée en mariage par le comte Flaccus;
« mais elle meurt avant de s'être donnée à lui, Felicula^ sa
(« sœur de lait ^ qui refuse d'épouser le comte à la place de sa
« compagne^ est livrée au vicaire^ confiée aux Vestales pen-
a dant sept jours ^ finalement jetée dans un égoût. Elle en
« est retirée par le prêtre Nicomède qui Vensevelit dans sa
« cassela Voie Ardéatine, au septième mille. — Flavie Domi-
w tille^ vierge illustrissime, fille de Plautilla, nièce de Domi-
« tien Vempereur^ a pour chambellans les eunuques Nérée
« et Achillée, que saint Pierre a gagnés au Christ. Ils la
« décident à repousser les avances dWurelianus^fils du con-
« .v?//, et à rester vierge : le pape Clemens^ neveu de Clemens
« le consul, reçoit les vœux de sa nièce et lui donne le voile.
« Aurelianus, furietix, fait exiler à Vile Pontiana Flavie
« Domitille et ses deux eunuques qui trouvent rtle pervertie
« par Furius et Priscus, disciples de Simon le Mage. Les
M saints eunuques demandent à Marcellus, fils du préfet
« urbain Marcus, disciple de saint Pierre, de raconter r/iis-
(( toire de son maitre et la défaite de Simon. Avant que la
« réponse n arrive, survient Aurelianus, qui, ne pouvant cor-
« rompre Nérée et son compagnon, les envoie à Terracine,
« oit le consularis Memmius Ru fus les met à mort. Auspicius
« leur disciple, père nourricier de Domitille, transporte leurs
« corps dans la propriété de celle-ci et les ensevelit dans une
« crypte d'o^rénaire. Voie Ardéatine, à un mille et demi, à
a côté du sépulcre de Pétronilla : leur fête est le 4 des ides
M de mai. Mais Domitille continue sa résistance ; elle conver-
« tit même au christianisme Euphrosyna et Theodora et les
M décide à rester vierges. Luxurius, frère if Aurelianus, leur
« ordonne de sacrifier aux idoles : sur leur refus, il les
« enferme dans leur chambre, à Terracine, et y met le feu. Elles
« meurent, mais leurs corps restés intacts sont ensevelis par
« un saint diacre, nommé Césaire, dans un sarcophage neuf. »
* Cf. Maraccbi : Les Catacombes romaiîies, p. 102.
252 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
Il est, sinon certain, du moins très probable, que Thérome
des gestes, Flavie Domitille n'est qu'une transformation de
Flavie Domitille, mère des deux élèves de Quintilien^ femme
de Flavius Cleraens, neveu de Vespasien par Flavius Sabinus
son père: son existence nous est attestée par Dion Cassius
(67, 14), les ^tXcffsçoujxsva^ et Suétone. Sans doute, Eusèbe,
et saint Jérôme, suivis par Georges le Syncelle nous parlent
d'une Flavie Domitille, nièce de Flavius Clemens ; sans doute, ils.
prétendent reproduire l'affirmation de l'historien Bruttius^
qui ne parle pas, du reste, de Flavius Clemens; sans doute, la
Domitille de Dion est exilée à Pandataria, et celle d'Eusèbe,
dans les gestes, àPontia. — Ces trois arguments en faveur de
la distinction des deux Domitille ne sont pas convaincants.
Pontia et Pandataria furent tous deux des lieux d'exil ^ :
Dion a donc pu confondre l'une avec l'autre. — S'il est vrai
que Bruttius n'ait pas mentionné l'exil de Flavius Clemens en
même temps que celui de Domitille, on n'en peut rien conclure :
en rapportant la condamnation de Flavius Clemens, Suétone ne
souffle mot de celle de Domitille. — Georges le Syncelle,
saint Jérôme et Eusèbe sont de plus de deux siècles posté-
rieurs aux événements dont ils parlent : le doublement légen-
daire de Domitille n'a-t-il pas eu le temps de se produire ?
Il n'y a donc pas déraisons décisives pour admettre la distinc-
tion des deux Domitille : il s'en trouve de très précises, au
contraire, qui laissent entrevoir leur identité. Aucun texte,
ni Eusèbe, ni Dion, ni Jérôme, ni Georges le Syncelle, ni les
gestes ne connaît deux Domitille: et pourtant, n'était-il pas
naturel, à propos de l'exil de la nièce, de rappeler celui
de la tante? — Les gestes, où apparaît Flavie Domitille, la
vierge d'Eusèbe et de Bruttius, l'appellent une fois^ la nièce
de Domitien : « Domitillam, nobilissimam virginem^ neptem
Domitiani » ; n'est-ce pas la preuve évidente du doublement
de la femme de FI. Clemens, puisque c'est à la femme de
FI. Clemens seule que convient l'appelation « neptis Domitiani ».
î Institulione orat.^ IV, I» |2.
2 Vlll, 25.— Vespasien, 17. — H. E., III; 18 Chronique. Ep. 108,7. Ed.Dindorf,
p. 650.On Ta identifié avec Bruttius Praesens, dont la famille avait des biens
qui confinaient à ceux de Domitille, femme de Clemens (Bur, 1865. p. 24 ; 1875,
p. 74) et qui aurait été Tami de Pline le Jeune : celui-ci dit seulement Prae-
sens, Epist., VII, 3.
3 Suétone, Tibère, 53-54. — Tacite, Annales, I, 53; XIV, 63. — Hartman,
De exilio apud Romanos inde ab inilio bellorum civilium, p. 52.
* 12 mai, p. 7. B,
FLavie domitillë 2S3
Si Ton suppose enfin*, une erreur de copiste dans le texte
qu'Eusèbe a eu sous les yeux, on apercevra quelle fut Torigine
de la faute dont on vient de montrer la preuve. Au lieu de
^Xaou^av. Ao^jLSTiAXav, ^^Xaouiou KXt^iJjlsvtoç... sÇ iSeXçfJç ve^o-
vutav..., lisez <tXaou{av Ac(xsT(XXav, <tX«ou(cu KXfjpLevxoç
Yuvaixa, AopLSTiavolî èç àSeXçfjç YSYovutav, et vous comprendrez
comment la prétendue fille de la sœur de Flavius Clemens n'est,
de fait, que la femme de Flavius Clemens, fille d'une sœur
de Domitien, également nommée Flavie Domitille^. Si l'on
ajoute à cela l'oubli profond qui a si vite enseveli les premières
origines du christianisme romain, au point que les familles qui
en furent les appuis les plus fermes ne laissèrent pas une
trace profonde dans la légende non plus que dans l'histoire;
si Ton songe surtout en quel honneur était tenue la virginité
au IV' siècle et comme elle tendait à devenir un des attributs
nécessaires de la sainteté féminine ; si l'on se rappelle enfin que
nous avons constaté déjà, à propos de Gonstantina, la femme
d'Hannibalien et de Gallus, semblable phénomène de « virgi-
nisation », on ne sera pas éloigné de regarder comme infi-
niment probable que la vierge des gestes n'est autre que la
femme de FI. Clemens.
Quant au martyre que la légende raconte, il s'explique par
le besoin naturel d'exalter aussi haut que possible la chré-
tienne qui avait laissé son nom à une catacombe qui était sa
propriété 3, ou par le souvenir embelli de l'exil à Pontia et le
changement de sens du terme jxapxu;*. Quoi qu'il en soit, du
reste, à cet égard, il reste évident que la tradition attachée à
cette sainte nous reporte aux premières époques du christia-
nisme romain.
Cette conclusion est confirmée par les renseignements que
fournit l'examen de la catacombe et des inscriptions qu'on y
trouve : elle s'adapte à merveille à l'explication que suggère
le groupement des martyrs associés à Do mi tille. L'ambulacre
découvert en 1860 et déblayé en 1865^, l'hypogée retrouvé
e;Di 1852 à « Tor Marancia^ », la* crypte transformée en basi-
1 Gsell. Essai sur le règne de Domitien^ p. 298.
« Suétone, Vespasien, 3. — C. I. L., VI, 948.
8 C. l. L., VI, 16 246.
* Cf. supva^ p. 205.
* Trouvé par Michel de Rossi (i?. S., I, 187. — BulL, 1865, 23, 34, 95).
* R, S., 1, 168, 187. — BulL, 186 , 34; 1875, 8. Sur la récente rcstauratioa
de sainte Pétronilie, cf. N. Bull.^ 1899, 21.
2^4 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
lique semi-souterraine à la fin du iv* siècle*, le cubiculum
d'Ampliatus découvert en 1880 2 nous reportent au début du
11" siècle ou à la fin du i". L'inscription portant les noms de
Flavius Sabinus et de sa sœur Titiana est du ii' siècle ^ ; il en
est de même de celles de Fia villa*, de Flavia Speranda « cla-
rissima femina )>•"% de 4>X... IlToXejjLaib; ^ : celle-ci peut être du
1" siècle.
Petronilla, Nérée et Achillée se retrouvent dans la cata-
combe. Petronilla était une Aurélia^: son nom est dérivé,
non de Petrus, mais de Petro^ cognomen qu'on rencontre chez
les Flavii chrétiens et les Flavii Augustin : la sépulture de la
sainte est attestée par les Itinéraires et par le nom qui fut
donné à la basilique. Sa légende s'explique par son nom : on
oublia le rapport Petronilla-Petro ; on ne vit que le rapport
Petronilla-Petrus ; et la chrétienne de la gens Aurélia fut
métamorphosée en fille de saint Pierre : transformation très
antique et qui ne paraît pas exclusivement romaine : elle est
attestée par la « Praxis Pétri », le traité gnostique antérieur à
Irénée qu'on a découvert en 1896^.
Nérée et Achillée, qualifiés de chambellans par les gestes,
de frères parle férial, n'étaient encore que simples soldats au
temps de Damase *^, à l'époque 011 Ton construisait la basilique
de Pétronille. Leur martyre était alors représenté sur deux
colonnes, dont l'une a été retrouvée, sur laquelle on lit :
ACILLEVS**. Leur association à Domitille n'a pas de valeur
historique certaine : elle est néanmoins probable pour qui
considère l'époque où ils vécurent et l'endroit où ils furent
enterrés. Saint Paul connaît un Nérée à Rome*^ : pareil nom
ï Bii//.,1874, 8; 1873, 1; 1818, 132; 1879, 158.
•-« Bm«., 1880, 170; 1881, 157.
» BulL, 4875, 40,64.
« BulL, 1875, 40, 64.
6 Bull,, 1881, 67.
• Bull,, 1875,42,68.
7 BulL, 1875, 36.
« Bull,, 1875, 36.
» Dans un manuscrit copte, au Caire. — Cf. SUzunrjsberichle der K, preus,
Akad. der Wissensch. zu Berlin, 1896, II" Halfband, p. 839. £iii «or irenœisches
gnosiiche Originalwerck in koplischer Sprache, von D' K. Scbmidt, vorgelegt
von Hrn. Uarnack, 9 JuUlet 1896.
»o Ihm, 8. p. 12.
i» Bull., 1875, 7, 10.
ï2 Ilpbç *Pci)(iâiouc XVI : « à(77cà(ra<T0e *iXôXoyov xal 'louXtav, Nripca xal tt,v
âSeXçTiv avtoO... (éd., Westcott et Hort, p. 376);
Saints ces aire et HVACiNtHË 2^&
est rare dans les textes * ; n'est-il pas vraisemblable que c'est
l'ami de Saint Paul, ou son fils ou quelqu'un de sa famille que
l'on doit reconnaître sous le titre de chambellan et l'accoutre-
ment d'eunuque dont l'affuble la légende? Son tombeau se trouve
dans l'hypogée des Fiavii ; il y fut placé alors que la catacombe
était encore domaine privé : il est nécessaire que certains
rapports aient existé entre la gens Flavia et le nouveau con-
verti. Vivant à l'époque de Domitille, enseveli dans sa pro-
priété, il n'y a donc pas de raison do croire qu'il ne fut pas môle
à sa vie. Quant à Felicula, nous n'en pouvons rien dire : le
férial la mentionne aux nones et aux ides de juin ; sa cata-
combe, située au septième mille, n'a pas été retrouvée^. —
Malgré les déformations que le temps lui a fait subir, la tra-
dition ardéatine, on Ta vu, laisse assez aisément discerner
l'histoire qu elle recouvre.
2. « Au temps de Néron, Luxurius, envoyé comme judex à
Gestes « Terracine se lie d^étroite amitié avec tirminus, prêtre du
Ce *^'*** " temple d'Apollon, à qui Fon immolait, chaque année, un
et ilyacinUie'. " homme, le jour des kalendes de janvier. C'est alors que,
« venant d'Afrique, le diacre Césaire, débarque à Terracine
« chez le chrétien Eusèbe : il ensevelit Nérée et Achillée à
« Rome, au cimetière de la voie Ardéatine et Flavie Domi-
a tille, Theodora et Euphrosi/na à Terracine même, lorsque
« Ltixurius les eut mises à mort. Survient ensuite T époque du
M sacrifice humain : Césaire essaye en vain de détourner les
« habitants de leur projet, et les reprend sur leur cruauté
a après qu'ils l'ont accompli. Dénoncé par le pontife Firmi-
« nus, emprisonné par le primus civitatis, Luxurius, il est
(t condtiit au consularis Leontius: le temple d'Apollon
« s'écroule à ses prières^. Emprisonné pendant un an et un
« jour, il convertit, lorsqu'il en sort, le considaris Leontius,
« le baptise et le fait communier par le prêtre Julien: Léon-
« tius meurt subitement et est enseveli par sa femme tout
« près de la ville ^ dans sa terre, le 3 des kalendes de no-
« vembre. Luxurius qui fait jeter à la mer^ enfermés dans un
> Cf. V. id. maii, lom. actulis epimeni nerei. {Ept,, p. 59).
« Kraus, R, E,, II, 117.
3 Comme le temple de Mars aux prières de Sixte ou d*Etienne. Cf. supra*
256 ANALYSE CRiTIQtE DES TftADltlONâ ROSlADfES
« SOC, Césaire et Julien^ mevri piqué par un serpenta tandis
« que Césaire et Julien sont^ après leur mort ^ déposés jHir les
a flots sur le rivage : un serviteur de Dieu qui avait habité
« avec euXy recueille leurs corps et les ensevelit près de Ter-
« racine^ aux kalendes de novembre. Cependant le moine
« Eusèbe et le prêtre Félix ^ opèrent de nombreuses conver-
« sions. LeontiuSy fils de Leontius le consularis^ les fait
« décapiter et jeter au fleuve^. La mer les porte près de la
« sapinière *, où le prêtre Quartus de Capoue les enterre ^ à
« côté de Césaire^ le jour des nones de novembre. »
La date de ranniversaire donnée par les gestes est inexacte.
La fête de Césaire était célébrée à Terracine le 21 avril,
A7 U. maiij comme Tatteste le férial. L'anniversaire du
V novembre est dû à une erreur facilement explicable,
dont on sidt les progrès dans les manuscrits. UEpternacensis
porte à cette date:
« Interaci meldacasi Juliani victoris felicîs... simpliciae faustae In
[cessa capp »
On voit que Césaire manque et que le laterculus terracinien
est aussitôt suivi des mots m Caesar Cappadociae. — Suppo-
sez qu^un copiste inattentif intervertisse les mots in César
et écrive César in ; vous avez le texte précis du Bernensis :
« ... Simplicie. Prime. Cesari. ET IN CAPPADO cie, »»
Les saints cappadociens ne sont plus rattachés à Césarée,
et Césaire est rattaché au !•' novembre. — Supposez mainte-
nant qu'un autre copiste inscrive à nouveau la ville dans le
laterculus cappadocien, tout en respectant l'addition de son
prédécesseur : vous avez le texte précis du Wissemburgensis,
« ... Simpliciae primae cesari et in caesaria cappadocie... »
la faute est confirmée, le culte de Césaire rattaché à ime date
riouvelle : le Codex Eptemacensis et les gestes de Nérée, par
leur silence, vérifient l'hypothèse.
i yUfens.
^ Pinetum désigne le bois de Feronîa. Virgile : Enéide, VII, 799. — Horace t
Batires /F, 24.
SAINTS CÉSAIRE ET HYACINTHE 257
Quant à la légende elle-même, elle présente un intérêt
particulier: c'est la seule dont les textes nous permettent
de suivre les développements progressifs, la seule pour
laquelle nous puissions voir comment elle s agrège insensi-
blement toutes les traditions locales. A un premier stade de
son existence, le diacre Césaire n'est encore qu'un très modeste
personnage * : il reçoit Tapôtre Pierre, et le loge chez
lui avant qu'il ne parte pour les Trois Tavernes et pour
Rome. — Les années s écoulent, les souvenirs s'effacent,
les traditions se mêlent, et voici que Thumble diacre commence
à sortir de sa solitude ; dans la légende de Ncrée^, il joue un
rôle : c'est lui qui ensevelit Nérée et Achillée près de sainte
Pétronille, lui qui ensevelit à Terracine même, Domitille,
Euphrosyne et Theodora^. — Peu de temps après, deux
données nouvelles viennent enrichir la tradition locale. Nous
sommes à l'époque byzantine ; Rome et Carthage sont étonnées
de se retrouver sœurs — sœurs dans l'esclavage du Basileus
de Byzance — ; entre la côte d'Afrique et celle de Campanie, qui
se creusent comme pour attirer les navigateurs, et qui an-
noncent leur présence par de hauts promontoires faciles à
reconnaître, les relations de tout genre se multiplient chaque
jour, mille liens s'entrecroisent, et la croyance naît que le
diacre Césaire n'a pas suivi d'autre route pour arriver à Ter-
racine que celle que suivent à ce moment, soldats, marchan-
dises et voyageurs.
A cette même époque, apparaît dans la tradition l'épisode
de Lucianus, la truie qu'on égorge, l'homme qui se précipite
du haut de la falaise. L'épisode semble bien terracinien d'ori-
gine : la truie est consacrée à Silvanus '*, qui est particulière-
ment adoré dans la ville ^. Mais la truie eçt aussi consacrée à
la Grande Déesse ^, et la Grande Déesse est particulièrement
» Acta Pétri et Pauli. Lipsius, p. 185. — La légende sommeiUe aux
U* et m* siècles.
« Gesla Nerei et AchiUei, 12 mai, p. 3. — La légende s'élabore aux iv et
V» siècles.
3 Noter que dans la passio minima (gestes de Nérée fin)^ le consularis est
Mummius ; dans les autres (gestes de Césaire), c'est Leontius, qu'on retrouve
dans les traditions campaniennes {Gesta Archelae^ Theclae Susannae, Gesla
Hyacinthi, Gesta Montant).
* Macrobe, 3, 11, 10; Fasti, ep., p. 223. — Ovide, Fast. (1. 3i9), 4. 411. —
Varron : de re rust., 2, 4, 9. Festus, p. 238». — Arnobe, VU, 22.
6 De la Blanchère : Terracine, p. 116.
« Marquardt : CuUe, I, 206. — Juvénal, 2, 86. — Radel, Lydie, p. 26.
n
25^
ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
3.
Gestes
de saint
Mantanus.
adorée en Cappadoce * ; et Ton s'aperçoit que l'histoire de
Lucianus a une forte saveur orientale, et point du tout une
physionomie italique : cette vie de molles délices, préliminaire
du sacrifice humain ne rappelle- t-elle pas les cultes de Phrygie
et de Cappadoce, voluptueux et sanguinaires ? D'autre part il
y avait des Césaire ^ dans ces régions, précisément vénérés au
mois de novembre ^ ; les légendes de ces Césaire devaient
sans doute présenter le môme aspect que l'épisode de Lucia-
nus ; l'épisode enfin apparaît précisément après la conquête
grecque, qui amène en ces régions des soldats byzantins, d'o-
rigine asiatique et qui, par l'extension qu'elle donne au culte,
prépare et rend nécessaire un développement parallèle de la
légende. Si Ton réunit tous ces faits, on conclura que l'épisode
de Lucianus peut être d'origine cappadocienne et d'importa-
tion byzantine*.
Voici du reste un cas analogue.
« Mùntaniis, so/dat et citoyen romain, avait connu le
« Christ et l'avait persécuté, lorsque les prodiges qui accom-
« pagnèrent sa mort le convertirent à la vraie foi. Il aban-
« donne Farmée, revient à Rome et mène la vie des moines.
« Devant lepraeses Octavianus que le diable saisit, il confesse
« le Christ, ainsi qu'Aphrodisius, subitement touché de la
« grâce. Emprisonné par Adrien au moment où celui-ci
« construit son palais, il est réconforté par Notre-Seigneur
« lui-même, qui se présente à lui avec ses anges sous la
« forme d'tin enfant de quatre ans, et qui lui touche le côté.
« // opère de nombreuses conversions, confesse de nouveau
« sa foi dans les tortures ; il est exilé à Pontia, où le prcLCses
w espère qu'il mourra de faim ; mais il est nourri par Maxen-
« tins et sa fille, Margarita, tandis que son persécuteur est
« emporté en huit jours par un elephantiasis. Le saint, qui
« passait sa vie dans l'étude des saintes écritures, décide
« Margarita à devenir vierge du Christ ; et tous ceux qui
1 Noter que Jupiter Dolichenus est adoré àTerracine. C. I. L., X, 6304.
» Baronius, a. 254, § 26, 11, 619. —F. H., Non Nov.,Prid. id. nov. (p. 139, 142).
^ Peut-être ce fait a-t-il confirmé l'erreur commise au sujet du jour de
Fanaiversaire.
* Julien et Félix sont vénérés à Terracine le 1" novembre : d'où leur asso*
ciation à Césaire. — Les Quartus sont nombreux à Capoue : ils sont vénérés
au début de novembre.
SAINT MONTANUS 259
« rinvoquent en parole et en pensée * voient de merveilienses
« choses, et tous les malades et les possédés qui recourent à
<« lui sont guéris et délivrés. Les prêtres avertissent le consu-
« laris Leontius qui fait transporter Montanus à Terracine^
« le fait comparaitre au Secretarium^ qui se trouve au milieu
« du forum et le torture près du temple d'Hercule. Il y est
« attaché depuis huit jours, quand survient Marguerite: elle
H est possédée du diable, elle attend sa guérison du saint.
« Le serviteur de Dieu crache sur sa figure à l'exemple du
« Sauveur et Marguerite est aussitôt guérie. Et, comme
« Montanus se met à prier, voici qu'une apparition divine à
« la voix plus douce que le miel dit à la vierge du Christ :
« la virginité est une gemme précieuse ; la virginité est le
« plus bel état où puisse se trouver un chrétien, et plus tu
« sais que ce présent a de prix, plus tu dois mettre de soin à
« le conserver. Et moi, je ne vous abandonne pas, tout ce
a que vous me demanderez, je vous l'accorderai, je vous
« exaucerai et je vous donnerai la couronne du martgre. »
« — Montanus, en effet, est attaché à un rocher et jeté à la
« mer ; le tonnerre retentit, les éclairs ftdgurent ; la grêle
« sillone les airs ; tous sont précipités face contre terre ; le
« Seigneur descend vers son martyr, environné de V armée
« chantante des anges; et vingt-quatre vieillards, et les
« douze Apôtres portaient le corps du bienheureux, à l'île
« Pontia, sur une pierre préparée par le Seigneur, Et comme
« des matelots le croient un naufragé et, pour le dépouiller
« de son argent, s'apprêtent à le lapider, voici que retentit
« la voix du Seigneur : « Celui-ci est Montanus martyr, en
« qui j'ai mis toutes mes complaisances ; et je ne veux pas
« qu'en rien il soit affligé, lui en qui mon Père et moi-même
« nous avons mis notre joie. » — Et comme les uns voyaient ces
« prodiges, les autres non, les habitants de Pontia étaient
« dans la plus grande incertitude. Mais un mort qu'il res-
« suscita dissipa tous les doutes; et tous, au même moment,
« confessèrent : « // n'y a qu'un Dieu, Père et Fils et Esprit
« Saint, qui est dans les siècles des siècles », et aussitôt le
« bienheureux Montanus rendit l'âme en paix. Les chrétiens
« P ensevelirent dans une crypte, près du rivage, le 15 des
^ C'est ainsi que nous entendons : « Si quis eum in oratione sua habuisset
^ei haberet in mente », | 14.
260 ANALYSE CRITIQUE DES TRADITIONS ROMAINES
« kalendes de juillet. Longtemps après^ les habitants de
« Gaète, transportèrent le corps dans leur cité et l'enseve-
« lirent dans l'antique église consacrée aux saints martyrs
« Quiricus et Julitta, sous rautel majeur^ oiV, quelque
« temps après, fon vit sourdre de la manne. »
Deux faits certains suggèrent une hypothèse : 1° le culte de
Montanus àTerracine, au 15 des kalendes de juillet, ou à quel-
que autre date que ce soit est inconnu du férial ; — 2* la légende
présente une double physionomie : terracinienne d'abord : la
mention du Secretarium in medio foro civitatis, la mention
du temple d'Herule, la mention de Pontia attestent que la
tradition s'est attachée à cette côte, s y elle n'y est pas née ; —
manichéo-montaniste * ensuite : le rédacteur insiste avec com-
plaisance sur l'intimité particulière des rapports de Montanus et
du Sauveur et l'affection spéciale que celui-ci porte à celui-là ^.
Voilà les faits; voici l'hypothèse. Il y aurait eu à Terracine
un saint local Montanus dont l'histoire se serait tôt perdue.
Son souvenir se serait alors confondu avec le célèbre Monta-
nus du II" siècle, dont la secte était vivante encore, dont la
légende était donc célèbre au milieu du vi" siècle. La légende
phrygienne aurait été importée à Terracine, soit au vi* siècle,
au moment de l'arrivée des Grecs, par les soldats et les mar-
chands, soit par les Montanistes venant à Rome à la fin du
II' siècle ou au début du iii% au moment de Victor et de Praxeas ;
dans tous les cas, elle se serait épanouie dans le texte que nous
lisons sous l'influence des polémiques catholico-manichéennes'*.
On voit quelle physionomie complexe présentent, entre toutes,
les traditions romano-terraciniennes, celle de Montanus comme
1 Rapprocher de l'épisode de Jésus se métamorphosant en un enfant de
quatre ans, le chapitre 18 des npà^eiç 'AvSpéou xal MarOiia si; tt^v icd>(v tûv
àvOpwTcoçàçcDv. Edit. Tischendorf, 1851, p. 148. «^evoiievo; ô|ioioc |itxpfô Tcai2t(i>
bipaioTatâ. t Cf. aussi ch. 33, p. 165.
s Les origines du personnage rappellent saint Paul ; sa mort rappelle celle
du Christ. La date de TannÎTersaire a sans doute été déterminée par la fête
de Quiricus et Julitta, au 16 juin: peut-être ce texte faisait-il partie du cycle
légendaire de ces deux saints, mis à l'index par le concile damasien.
3 Cf. infra. Voici ce que saint Grégoire écrit aux évêques d'Espagne, à la
fin du VI- siècle (Ep. XI, 67. — P. L , 17, 1200) ; iHi vero haerelici qui in
« Trinitatis nomine minime baptizantur, sicut Bonosiaci et Catapbrygae,
« quia et illi Cbristum Dominum non credunt et isti sanclum Spititum per-
« vévso sensu esse quemdam pravum hominein Monlanum credunt^ quorum
« similes mulii sunl alii. »
SAINT MONTANUS 261
celle de Césaire ; on voit comme on peut tenter d'expliquer le
fait: c'est l'importance maritime de cette côte*, le mouve-
ment commercial dont elle fut toujours le siège qui expliquent
sans doute que les légendes qui s'y développèrent n'aient pas
été sans ressentir l'influence des cultes asiatiques, soit chré-
tiens soit païens.
Gestes de i Attestée dès la plus haute antiquité. C'est à la même région terracinaise
saint Félix et au même mont Circeo que se rattache une autre légende : elle présente, du
le prêtre, reste, la même physionomie a demi romaine que les précédentes. « Après la
€ mort de Félix, son frère, qui porte le même nom, est présenté au préfet de
« la ville, Draccus ; il annonce à celui-ci que, s*il est conduit au Copitole,
4L il renversera Jupiter, prince des démons. Draccus, effrayé, se bouche les
« oreilles et l'envoie prudemment au mont Circeo pour être employé aux
< carrières. Félix y trouve le tribun de Noie, Probus, il guérit sa fille et sa
« femme et le convertit ; dénoncés au Consularis, Dieu les pt*olège. Revenu à
« Noie, avec le tribun, Félix met en fuite les démons, brise Vidole d'Apol-
€ Ion, opère mille miracles, convertit le pays; il vit douze ans encore dans
« la même ville, puis va à Sotre-Seigneur Jésus-Christ. >
Nous avons évidemment ici une réplique de la légende de saint Félix de
Noie, dont les gestes, du reste, copient par endroits ceux de Cyriaque.
TROISIÈME PARTIE
HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
TROISIÈME PARTIE
fflSTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
CHAPITRE PREMIER
FORMATION ET DÉFORMATIONS DES TRADITIONS
MARTTROLOOIQUES
[f-iv* siècles]
En suivant dans tous ses détours notre longue analyse des
traditions romaines, le lecteur a vu de quels faits particuliers
elles procèdent et combien de circonstances diverses, dont on
ne saurait préjuger la nature ni la portée, avaient influé souvent
sur leurs déformations successives. Peut-être a-t-il discerné
pourtant certains traits communs à tous nos récits ; peut-être
s'est-il aperçu que certaines influences communes s'étaient
exercées sur les traditions martyrologiques, tandis qu'elles se
formaient peu à peu. Il convient de préciser cette impression,
de rassembler ici ces traits épars et de montrer comment les
diverses conditions de vie faites à l'église romaine ont diver-
sement influencé toutes ces traditions dès leur naissance:
c'est le début naturel et le préliminaire obligé de leur histoire
générale à travers les âges.
I
La première église, blottie sans doute auTrastevere, abritée
peut-être aussi dans quelque domaine de Pomponia Graecina,
à la catacombe de Lucine, sur la Voie Appienne, avait été
266 UISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
décapitée et presque toute fauchée dans les massacres de 64.
Ce fut sans doute pour relever le courage des survivant»
que Marc écrivit son Evangile et Luc sa double histoire ; il faut
dire que les circonstances leur furent favorables. La ruine du
Temple fit refluer beaucoup de Juifs sur le monde entier, sur
Rome notamment; ce désastre national et religieux semblait
prouver que Dieu abandonnait leur cause; la petite com-
munauté romaine décimée se trouva vraisemblablement ren-
forcée. — Les réfugiés lui furent encore d'un autre secours : par
eux elle rayonna plus facilement parmi les gentils : Vespasieu
était entouré d'une petite cour juive, aimable, spirituelle,,
dévouée; on sait la faveur de Bérénice auprès de Titus;
Drusilla, sa sœur vit à Rome, où Josephe, raconte « l'histoire
de sa nation à un point de vue acceptable pour les vainqueurs.
Par ces voies diverses, le judaïsme s'infiltre peu à peu dans
les mœurs romaines : Poppée, la célèbre concubine de Néron,
passe pour être affiliée*» à la vieille religion d'Israël; les
synagogues se recrutent et trouvent des protecteurs dans
la haute aristocratie. Ce sont elles, sans doute, qui en procu-
rent d'aussi puissants à la naissante église romaine; c'est
sans doute par ces Juifs répandus dans le monde impérial
que les Flavii Clémentes et les Acilii Glabriones connais-
sent la religion du Christ. Chacune de ces deux familles,
qui, toutes deux, doivent donner presque aussitôt un martyr
à la religion nouvelle, Flavius Clemens et Acilius Glabrion
(en 95) ouvre aux humbles fidèles l'accès de ses vastes tombeaux;
et ces tombeaux, aménagés peu à peu et transformés, deviennent
les catacombes de Domitille sur la Voie Ardéatine et de
Priscille sur la Voie Salara. C'est l'époque ou l'église recons-
tituée, glorieuse de ses premiers martyrs, consciente de ses
forces, pleine d'espérance et de foi est dominée par la mysté-
rieuse et puissante figure de saint Clément.
Cette église de la fin du i*"" siècle, déjà forte de l'appui que lui
doiment les deux illustres familles qui s'y rallient et qui la
couvrent, étend lentement et paisiblement le nombre de ses
fidèles durant tout le if siècle*. Malgré la crise domitienne
qui la décapite pour la seconde fois, — si le pape Clément ne
> Duchesne, Origines, 173.
' irest au II* siècle que les Caecilii et les Gornelii embrassent le christia.
nisnie.
LA PÉRIODE PRIMITIVE 267
fut pas misa mort avec Clemens le consul et Acilius Glabrio,
peut-être fut-il exilé en même temps que Flavie Domitille, —
malgré quelques autres crises que provoquèrent peut-être, que
semblent du moins dénoncer le martyre dlgnace (107) le res-
crit de Trajan(112),le martyre du pape Télesphore (vers 130?),
et celui de Cécile et de Justin, il n'y a pas de doute qu'aucune
persécution systématique ne vînt troubler alors la vie de l'église
romaine. La lettre d'Ignace l'atteste : s'il adjure les Romains
de ne pas lui envier le martyre, c'est qu'il leur connaît d'assez
puissants protecteurs pour qu'ils puissent l'arracher à la mort;
la lettre de Trajan à Pline qui exige des dénonciations précises
et des dénonciateurs responsables, n'est pas faite non plus
pour encourager les délateurs; et le rescrit d'Adrien à C. Minu-
ciusFundanus (125) n'atteste guère que les Romains se soient
montrés de zélés persécuteurs. Le relâchement moral que
dénonce Hermas indique qu'une longue paix a amolli les cœurs,
et le mouvement dogmatique intense dont Rome est le centre
ne montre pas avec moins de clarté qu'on y peut spéculer à loisir.
Entraînés dans la vie du monde ou recueilHs dans l'attente du
Christ, les chrétiens de Rome vivent avec sécurité à l'abri des
lois de l'empire; plutôt qu'elles ne les persécutent, elles les
protègent contre les passions de la foule, aveugle et haineuse.
L'histoire de Calliste au premier tiers du m" siècle [190 (?)
— 222], marque la fin de cette période primitive. C'est à ce
moment que se transforme la situation juridique des catacom-
bes: elles cessent d'être des propriétés privées pour devenir la
propriété collective de Vecc/esia. C'est à ce moment que l'on
commence à tenir registre des dépositions d'évêques et des
anniversaires de martyrs : les plus anciens noms que porte le
chronographe de 354 nous reportent au Pontien (235) ou à Cal-
liste (222) ^ — Et cette double organisation administrative et
liturgique ne fait que traduire une évolution plus profonde qui
vient de s'accomplir au sein de la conscience chrétienne : il
faut définitivement renoncer à la venue prochaine du Christ,
au prochain avènement du royaume de Dieu sur la terre. Les
temps ne sont pas encore accomplis : l'église de Jésus de
Nazareth aura une existence terrestre. Et cette nouvelle
pensée, comme elle a réagi sur la vie collective de la com-
^ Ce qui fait croire que les Archives romaines, brûlées en 303, ne devaient
rien contenir sur l'époque antérieure à Callis(e. •
268 HISTOIRE GÉ^ÉRÂLE DES TRADITIONS ROMAINES
munauté des fidèles, réagit de même sur la vie de chacun d'eux :
je n'en veux pour preuve que la transformation du style des
épitaphes funéraires, renonçant aux brèves formules et aux
invocations brèves : l'Eglise se résigne à vivre.
On ne doit donc pas s'étonner que, jusqu'à cette date, et
durant cette longue période, ni l'église ni les fidèles ne semblent
avoir fidèlement conservé la mémoire des premiers martyrs. Le
calendrier n'a gardé le souvenir d'aucun deux; si la légende a
quelque peu retenu les noms des Flavii Clémentes, des Comelii
Pudentes et des Caecilii, elle a laissé se perdre la mémoire
d'Acilius Glabrion, de saint Ignace, de saint Télesphore et de
saint Justin. Les gestes eux-même qui se rapportent à cette
époque sont peu nombreux : les souvenirs subsistant étaient
rares autant qu'incertains*.
II
Mais voici que commence une époque nouvelle ; les passions do
la foule emportent l'Etat romain : la persécution sévit. Elle
s'annonce chez Septime Sévère (202)*'^ s'accentue avec Maxi-
min (235), apparaît furieuse avec Dèce^ et Valérien * (250-
1 Pendant cette longue période de paix chrétienne et de prospérité, que
fut le siècle des Antonins, les rapports de Rome et de TOrient se multi-
plièrent, sous rinfluence de diverses causes, notamment sous Faction de la
question économique. 11 est intéressant de constater — lorsqu'on relève les
cultes orientaux localisés à Rome — que les quartiers orientaux coïncident
avec les quartiers commerciaux : c'est sur les deux rives du Tibre, tout
autour de l'Emporium, sur les voies de Porto et d'Ostie que s'éparpillent les
sanctuaires orientaux. — Il est intéressant de noter que c'est au cimetière
de Pontien, sur la Voie de Porto, qu'étaient vénérés les martyrs Abdon et
Sennen. Cr. supra.
Le Liber Genealogua (Chr. Minora., I, 196) nous a conservé les noms de
deux martyrs absolument inconnus de la persécution de Dèce, Sempronius
Paulus et Eupater.
^ Sévère refuse aux non-chrétiens le droit de devenir chrétiens (Spartien,
Seuerus, 17.)
^ Dèce frappe d'abord les chefs des églises : Fabien est exécuté à Rome le
20 janvier 230, puis il s'attaque aux simples fidèles : pour la première fois,
tous les chrétiens sont mis en demeure d'abjurer. De là, les apostasies en
masse et la controverses relatives à la pénitence.
^ L'édit de 257, ordonne aux évèques, prêtres et diacres, de sacrifier sous
peine de bannissement : l'entrée des cimetières est interdite sous peine de
mort. — L'édit de 258, condamne à mort les clercs d'un ordre supérieur.
LA PERSÉCUTION 269
257), Dioclétien* et Galère (?04) pour mourir, impuissante-
avec Julien (363). C'est l'époque des grands martyrs, les Sixte,
les Laurent et les Agnès ; les Sébastien et les Cyriaque. Les
traditions martyrologiques ne risquent plus de disparaître
dans Tindifférence et dans Toubli : elles sont recueillies avec
plus de soin. Condamnée à vivre sur cette terre, TEglise
et ses fils commencent à prendre conscience de leur passé ;
rhistoire qu'ils sentent déjà s'être accumulée derrière eux
éveille dans les âmes le souci de l'histoire, au moment même
où l'évanouissement des espérances eschatologiques supprime
la plus grave des causes qui l'ont endormi jusque-là. — Comme
les passions des martyrs sont recueillies avec plus de soin, de
même leur souvenir se garde plus fidèlement : les mêmes faits ^
l'expliquent, et aussi le caractère des dernières persécutions,
plus systématiques et plus cruelles ; et enfin, la paix de 313
suivant la persécution dioclétienne et permettant de recueillir
à loisir les souvenirs qu'elle a laissés.
On ne saurait attacher trop d'importance à cette circons-
tance dernière. La persécution dioclétienne demeura mieux
connue que tout autre, parce que son intensité et son inutilité
avaient produit sur les esprits l'impression la plus forte et
parce que le triomphe chrétien dont elle fut suivie permit à
chacun de satisfaire sa curiosité en interrogeant ceux qui
avaient survécu. Elle prit donc une importance extraordinaire
et un relief très fort dans la masse un peu confuse des souve-
nirs chrétiens : aussi réagit-elle sur les traditions qu'avaient
laissées les persécutions antérieures ; aussi les Romains eurent-
ils tendance à modeler leurs souvenirs les plus anciens sur
ceux qu'ils venaient de recueillir. Pouvait-on croire que l'on
eût jadis recherché, éprouvé, mis à mort ceux qui confessaient
le Christ en employant d'autres espions, d'autres tortures ou
d'autres supplices qu'on ne l'avait fait récemment au vu et au
su de tout le monde ? Ainsi s'explique ce fait particulier : la
confusion de la persécution de Dèce et de celle de Valérien
fondues en une seule : comment douter qu'elle résulte de l'ac-
couplement de Valérien à Dèce, suggéré par l'association
1 L*armée fut d'abord épurée. Puis parurent quatre édits (303-301) : 1* les
églises étaient rasées, les Ecritures brûlées, les chrétiens déchus de leurs droits
civils ; 2* les clercs étaient emprisonnés ; 3* ils sont mis en demeure de sa-
crifier aux dieux ; i* tous les chrétiens, laïcs aussi bien que clercs, sont mis
en demeure de sacrifier.
270 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Dioclétien-Maxiraien ? Ainsi s'explique ce fait général : l'exac-
titude de beaucoup de détails conservés par la tradition : la
correction relative de certains formulaires d'interrogatoires *,
les descriptions de supplice, la persistance de certains traits
romains^, la persistance de certains traits chrétiens ^.
Peut-être même est-il permis d'aller plus loin. L'impression
laissée par la persécution dioclétienne fut si forte qu'elle trans-
forma, non pas seulement tel souvenir des crises antérieures
qu'elle ranimait, mais l'ensemble même de l'histoire chrétienne
romaine antérieure à la paix de l'Eglise; alors qu'elles ne furent
guère jusqu'au premier tiers du m' siècle, que des crises
exceptionnelles, la crise dioclétienne inclina les esprits à croire
que les persécutions avaient été fétat normal des rapports de
l'Eglise et de l'Etat : et cette croyance a déterminé peut-on
dire toute la vie religieuse romaine au iv* et au v* siècle
tout au moins.
III
A cette époque, en effet, depuis saint Silvestre jusqu'à
«aint Léon, si le souvenir transfiguré de la persécution dioclé-
tienne n'est pas la seule circonstance qui réagisse sur la
formation des traditions martyrologiques, il n'est certes pas
sans rapport avec deux autres faits qui exercent encore cette
évolution obscure une influence considérable, le culte des
martyrs et le prestige des ascètes.
Au moment oîi le christianisme prend possession de l'em-
pire, il semble qu'il veuille faire admirer partout, avec le signe
de son triomphe, le souvenir de ses épreuves; tandis que
le monogramme constantinien apparaît fièrement sur les
édifices, une foule de basiliques, d'oratoires et de tombeaux
surgissent de tout côté, en l'honneur des martyrs. Les fidèles
se pressent dans les catacombes, inscrivant avec dévotion leurs
1 Gesta Caeciliae. — La cuslodia priuata.
^ Le sentiment de la famille, Nérée, 2. — La paix romaine, Laurent 6. — Le
devoir dû à la noblesse de sa race, Cécile, p. 511.
3 Essuyer le sang des martyrs, Suzanne, 6. — Joie des parents après le
martyre, Agnès. — Visite aux martyrs (Alexandre, Abdon, Pierre et
MarceUin, Censurinus). — Dérober les corps des saints pour les ensevelir.
Abdon et Sennen, Eusèbe et Pontien.
LE CULTE DES MARTYRS 271
noms dans les chambres sépulcrales où reposent les saints les
plus célèbres ; ils n'ont pas de plus cher désir que d'être en-
sevelis à leurs côtés ; il faudra que l'autorité ecclésiastique,
gardienne des cimetières, intervienne afin d'en prévenir la des-
truction. C'est le moment où Jérôme les décrit avec recherche,
mais non sans puissance * ; c'est le moment où, quoique parta-
lageant, en somme, l'admiration de la masse, il semble parfois
penser que le culte qu'elle rend devient excessif ; c'est le
moment où Vigilantius^, qui, après avoir été son ami comme
Rufin, l'a trahi comme lui, attaque ce culte comme idolatrique ;
c'est le moment où Julien l'Apostat le poursuit tour à tour de
ses railleries et de ses invectives ^ ; c'est le moment enfin où
l'autorité religieuse s'aperçoit qu'il n'est plus possible d'ignorer
ce mouvement et que le plus sûr moyen de le diriger, c'est
encore de s'y associer. Et voilà précisément, ce me semble,
le caractère et la signification et la portée de l'œuvre de
Damase (366-384) : comme il prévient la ruine des cimetières,
-en les embellissant, il prévient les empiétements delà dévotion
populaire, en la régularisant.
Durant les dix-huit années qu'il passe à la tête de Téglise
romaine, la Rome souterraine change d'aspect : au cimetière
■de CalUste, il fait réparer la crypte papale et la décore de deux
inscriptions splendides gravées avec le plus grand soin par
Dionysius Furius Filocalus ; il agrandit la crypte de Sainte-
Cécile et en élargit le luminaire ; il creuse l'escalier par lequel
on y descend '*. En même temps qu'il décore les tombeaux des
saints, il s'efforce d'assurer leur mémoire : de là, ces inscrip-
tions magnifiques qu'il fait graver dans tous les cimetières et
qu'on retrouve jusqu'au vingt etunième mille de la Voie Cassia^.
Quel est donc le motif de sa conduite ? Un pieux respect pour
les martyrs ? Oui, sans doute, mais n'y a-t-il pas quelque
chose de plus ? On peut tenir pour probable qu'il connaît la
fresque qui représente le martyre d'Hippolyte: son contom-
. > Cf. supra^ p. 28. note.
s Saint Jérôme, Ep. 109. AdRiparium P. L., 22, 906. — Cf. aussi, 27, 602).
Vigilantius attaquait Tusage des cierges et des reliques, la coutume des
Tîgîles, les miracles qui avaient lieu sur les tombeaux.
3 S. Cyril., adv. Iulian., VI, 203, E., 204, A. (édil. 1638).
* H entreprend des travaux analogues à Prétextât, Domitille, Commodilla,
Oenerosa.
^ A la crypte de saint Alexandre. — BulLj 1875, 145.
272 HISTOIRE GÉ?(ÉRAL£ DES TRADinO!IS R0MA1?(ES
porain Prudence nous en parlée llest certain, d'autre part, qu*il
n*en fait pas usage dans son elogium^: il connaît la tradition
et il la dédaigne. N*est-il pas, des lors, permis de penser qu'il
se défie ^ de ces légendes incertaines, d'autorité si mal définie,
d'origine si obscure, et que, racontant à la foule pieuse des
Romains le peu que Ton sait de ses saints martyrs, il veut couper
court au succès des légendes qui circulent déjà parmi elle ^.
L'œuvre de Damase ne devait pas lui survivre. En rendant
de plus en plus difficiles les ensevelissements AD SANCÎTOS,
il arrivait, sans doute, à préserver les cimetières d'une ruine
immédiate ; mais il ôtait ainsi, peu à peu, à chaque famille, la
raison particulière qui l'avait poussée jusque-là à descendre
dans les hypogées : c'était en allant visiter ses morts que cha-
cune allait vénérer les reUques les plus célèbres ; le jour où
elle ne les trouva plus à côté des martyrs, il était inévitable
que ces visites à leurs tombeaux devinssent peu à peu plus
rapides et plus rares.
Son œuvre religieuse était menacée dans un avenir beau-
coup plus proche ; sous la pression des pèlerinages, le mouve-
ment légendaire prenait de plus en plus d'intensité. Au lende-
main de la paix, c'était la Terre Sainte qui avait attiré les
curiosités pieuses des fidèles désireux de 'connaître le théâtre
de la vie terrestre de Dieu; et l'intérêt qui s'attachait au
monachisme naissant dans ces mêmes contrées^ aigubait
encore le désir de les connaître. Mais la popularité des apêtree
Pierre et Paul, morts à Rome, ensevelis à Rome, n'avait pas
> Cr. 8upra. C'est à ce moment qu'on commence à peindre les murs des
églises : saint Paulin fait décorer les murs de celle qui est dédiée à saint
Félix de tableaux représentant les scènes des deux Testaments : Tusage n*en
est pas encore établi : raro more, dit-il.
•^ Ihm., 37, p. 42.
3 Noter combien de réserves dans Yelogium d'iîyppolyte. Cf. supra,
p. 2i, 27. — Cf. saint Martin : non temere adhibens incerlis fidem (S. Severi,
Vit. Martini, 11, 2). L'attitude prudente, défiante même de Damase, ne lui
est pas particulière : voici le quatorzième canon du cinquième concile de
Cartbage en 416 : « Omnino nuUa memoria martyrum probabiliter acceptetur,
nisi... aut... vel... Nam quae per sonmia et per mânes quasi revelationes qu(-
rumlibet hominum uqicuuique constituuntur altariaomni modo reprobentur. »
^ La persécution de Julien, la reprise des reliques aux Novatiens sous
Innocent I" ((01-417) durent aviver cette religion des martyrs; Polemaeus
Silvius cite en 449 innumerae cellulae martyris consecralis {R. S., I, 129). Cf.
ce que dit Zaccarias, d'après un témoignage qui est de beaucoup antérieur
à oiO.
& Cf. infra.
LE PRESTIGE DES ASCÈTES 273
tardé à déterminer la naissance d'un second mouvement ana-
logue au premier. D'Italie, d'Afrique, d'Espagne, de Gaule,
d'Orient, les pèlerins s'étaient mis en marche vers les tom-
beaux des Apôtres : Saint Paulin^ Saint Augustin ^, Prudence^,
Sulpice Sévère^ et Grégoire de Tours ^, nous l'attestent à la
fois. Et que ce ne soit pas seulement Pierre et Paul qui aient
accaparé les dévotions chrétiennes, mais que les saints des
catacombes les aient aussi attirées à leurs tombeaux, c'est ce que
nous invite â croire Prudence chantant les louanges de Sixte,
de Laurent et d'Hippolyte. Voici donc, se pressant autour
de ces sépulcres, toute une population bigarrée d'Espagnols,
d'Africains et de Gaulois; on pense bien qu'ils n'ont pas fait un si
long voyage, enduré, sans doute, tant de fatigues, couru peut-
être tant de dangers, pour se priver du plaisir d'entendre
conter l'histoire des martyrs dont ils vénèrent les reliques ; et
leurs interrogations se succèdent, pressantes, suggérant aux
fossores et aux clercs la réponse que leur imagination pieuse
a déjà formulée dans leur Ame ; et de cet enthousiasme, dans
lequel communie cette foule, la légende naît peu à peu,
s'infléchit et se développe, flattant l'orgueil romain, simpli-
fiant, embellissant, « surnaturalisant » l'histoire, ny voyant
que la preuve palpable de la puissance infinie de Dieu et de
l'infinie .perversité du diable^.
Le IV* siècle n'est pas seulement le siècle des martyrs, c'est
aussi le siècle des ascètes ; et les deux faits ne sont pas sans
d'étroits rapports. Le culte que les premiers inspiraient
devait susciter les seconds ; et l'on voit, du reste, que la même
vénération qui entourait les uns s'attacha bientôt aux autres.
Le besoin de dévouement, la passion du sacrifice que les per-
sécutions avaient avivée se transformèrent à la paix constan-
tinienne ; l'élite chrétienne ne pouvant plus confesser sa foi
4 Ep. XX. XVII. [PL. 61, 235. 247. 382. 392].
^ De cura pro mot'le hub., VII.
3 Pen Steph., XI.
* Dialog., I, 3.
& De Gloria Conf,, 62.
« Cf. Guiraud : Rome ville sainte au V* siècle. [Revue d'histoire et de li/té-
ralure religieuses, tome III, 1898, p 55] et Dr. Joseph Zeltinger : Die Berichte
ûber Rompilger aus dem Frankenreiche bis zum lahre 800. — Ch. I. Die
frânkischen Rompilger bis zar zeit Gregors des Grossen, p. 1. [RÔm. Quar-
ialschrifl, elftes Suppl. heft, 1900.
18
274 inSTOIHE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
dans les tortures chercha et trouva d'instinct un autre champ
de bataille et de triomphe; le même saint Jérôme rêva
d'écrire Thistoire des martyrs* et devint Tapôtre du mona-
chisme ; Tascétisme prit son essor à l'époque précise où chô-
maient les bourreaux.
Partout oïl il s'épanouit, la morale chrétienne subit une
transformation profonde : la vertu la plus méritoire, la plus
divine, si j'ose dire, ce n'est plus l'amour du prochain « cari-
tas», c'eirt désormais la chasteté « castitas ». L'idéal se
déplace : ce n'est plus le commandement de l'Evangile : « Aimez-
vous les uns les autres » ; c'est la consigne du moine, observateur
jaloux de la virginité'. L'action morale se transforme : au lieu
de pousser les âmes à l'action, elle borne leur ambition à une
incessante surveillance d'elles-mêmes ; d' « impulsif » qu'il
était, si l'on me passe ce terme désagréable, le christianisme
devient purement « statique » ; n'ayant pas compris à ce mo-
ment que l'ascétisme n'a de valeur qu'en tant qu'école de sacri-
fice, sur la roule de la charité, il a reculé d'un pas.
C'est que, sous la pression dos circonstances nouvelles que
créa la paix de l'Eglise, il absorbait, il intégrait, si j'ose dire,
en les rectifiant, certaines tendances qu'il avait jusque-là con-
damnées. La vieille thèse platonicienne, écho des spéculations
orientales, que le corps est une prison pour Tâme, avait été
reprise et généralisée par Philon, lequel enseignait que la
matière est la source du mal. Elle avait inspiré, à travers lui,
toute la spéculation religieuse et morale du ii" et du m" siècles :
gnosticisme et montanisme, ces deux mouvements parallèles
et contradictoires qui tendaient à faire du christianisme Tapa-
nage et comme le monopole d'une aristocratie intellectuelle
ou d'une aristocratie piétiste, avaient tous deux, celui-ci avec
plus de réserve, celui-là avec moins de retenue, sacrifié à
1 « Scribere enim disposui... ab adventu Salvatoris usque ad nostram
aetatem, id est ab apostolis usque ad nostri temporis fecem quomodo et per
quos Christi Ecclesia nata sit et aduUa, persécution ibus creverit et martyriis
coionala ait ». {Vita Malchi, I; P. L., 23, 53). Cf. P. L., 25, 375. Gomm. in Eze-
chiel, XII, 40.
^ « Licet bona coniugia, tamen habent quod inter se ipsi conigues erubes-
cant. » (Ambroise, Exhort. virginitatis^ I, vi, 36). — Cf. les canons du concile
de Gangres. — Cf. aussi Thamin : Saint Ambroise et la morale chrétienne,
passim, — Des gestes de Nérée et de Cécile, on peut rapprocher le poème de
saint Avit adressé à sa sœur (P. L., 59, 372) et un curieux passage de Cas-
siodore{Hw/. Trip., I, li. — P. L., 69, 900V Cf. aussi la lettre de Salvien à
sa belle-mère. (Ep. IV, P. L., 54).
LE PRESTIGE DE l'oRIENT 2"; 5
la mode du jour et pris pour mot d^ordre sYxpaTs{a^ Au
III* siècle, c'avait été le manichéisme qui avait repris, en les
fortifiant, les thèses de Tascétisme absolu : il enseignait que la
chair et le mariage sont Tœuvre de l'esprit du mal^ et ces
doctrines étaient répandues par les actes apocryphes des
apôtres plutôt encore que par des romans tels que le Pasteur
(THemias^ et les Récognitions clémentines'^. Contre ces exa-
gérations, l'orthodoxie avait opposé une doctrine moyenne,
plus sage: si elle établissait contre les juifs que la chasteté
est préférable au mariage '», elle réprimandait sévèrement ceux
qui, comme les Valentiniens, exaltaient celle-là aux dépens de
celui-ci 6. Survint alors le mouvement d'Hiérakas et de Metho-
dius qui permit à l'ascétisme de se développer au sein de
l'orthodoxie, quelque douze ans avant la victoire finale de 313,
frustrant les énergies chrétiennes de la joie du martyre qui
les avait jusque-là satisfaites : Methodius déclare que la
matière et le corps humain sont voulus de Dieu et seront donc
glorifiés et demeureront éternellement^ et il proclame eîi
même temps que la virginité est le véritable moyen d'union
mystique avec la divinité.
L'Orient, dès lors, apparaît aux imaginations chrétiennes
paré d'une merveilleuse auréole. Sans doute, la vie monas-
tique se développe dans tout l'empire, en Gaule "^ même pousse
de profondes racines; mais elle n'atteint jamais au même
prestigieux éclat qu'en Syrie et en Egypte : d'autant qu'en
ces pays plus qu'en aucun autre le continent apparait aussi
comme le solitaire^ que les deux types se confondent dans
l'imagination chrétienne et que leur intime union constitue désor-
I Légende gnostique de Pierre et Paul.
« Augustin, V, 105, 106; X, 615, 570, 607, 611, 1125, 111, 217 (éd. Migne).
^ Renan: Eglise chrétienne,^. 411.
* Renan, Marc-Aurèle,^, 77.
6 Saint Paul, I Corinth. VII, 1. — Apocalypse. XIV, 4. — Justin, Apologie,
I, 15.
» Clément. Ad Corinthios, I, 38-48;
7 En Occident, ce n'est pas Tascéte qui est le successeur et le rival des
martyrs, c'est le confesseur: c'est lui, le témoin des temps nouveaux; à la vi^
de saint Antoine s'oppose la vie de saint Martin. —Et il est holi de reman
que le christianisme occidental semble être plus vrai que le christiu^me
oriental : saint Martin n'est-ii pas plus près de l'Evangile que &«nt Aj^lmne? —
Il n'en est que plus remarquable de voir le populaire romain \A^f0VT, semble-
t-il, les confesseurs et s'intéresser si fort aux ascëtes.^UÀ^ ne faut pas»
trop s'en étonner: la vertu de ceux-ci est plus « \oywm\ que la vertu de.
ceux-là.
276 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
mais pour elle le véritable témoin des nouveaux âges, le nou-
veau « martyr », jjiapTu;. L^Orient prend donc une importance
chaque jour grandissante aux yeux des chrétiens; comme
Rome était jadis la patrie des confesseurs, TOrient appa-
raît aujourd'hui comme la patrie des ascètes; et Téloi-
gnement, et les glorieux souvenirs des origines premières et le
retentissement de la persécution de Sapor contribuent encore à
rehausser son prestige. C'est alors que, en 340, Athanase
arrive à Rome, Athanase, un des disciples d'Antoine, disciple
lui-même du glorieux Paul ; Athanase qui devait écrire la vie
de son maître et, par elle, toucher le cœur d'Augustin. Ajoutez
à cela que deux des Itinéraires qui mènent les pèlerins en
Terre Sainte, celui de Joppé et celui d'Antioche, passent par
Rome à l'aller et au retour ; rappelez-vous combien de rapports
économiques et politiques associent la vie de TOrient à celle
des pays occidentaux ; et vou« comprendrez par quels intermé-
diaires la renommée des moines ascètes est venue jusqu'à
Rome ; et vous comprendrez ce merveilleux essor de la vie
monastique depuis Aquilée jusqu'à l'Aventin, parmi les hommes
et parmi les femmes, mouvement dont saint Jérôme apparaît
comme l'inspirateur, l'organisateur et le régulateur suprême*.
De cette double conséquence de la fin des persécutions, —
le culte passionné que Ton rend aux martyrs du Christ et la
révolution morale qui substitue, aux yeux des Romains, la
chasteté à la charité comme vertu première, — les traditions
romaines qui s'élaboraient alors devaient porter la double trace.
Et le lecteur se rappelle peut-être l'insistance avec laquelle
un grand nombre de gestes romains exaltent et prêchent la
virginité et le plaisir visible que prennent les rédacteurs à
ï Sur la seconde période de rascétisme romain, cf. infra, p. 335>336.
C'est vraisemblablement à partir de saint Jérôme, au moment surtout de
la lutte contre le Néo-Manichéisme, que les Romains pieux furent instincU-
yement poussés à « ascétiser » leurs traditions martyrologiques, cf. infra^
p. 335 ; de cette époque datent sans doute les < virginisalions » de Flavie
Domitille, de Constantine, de Cécile, etc : c'est par sainte Paule qui va faire
un pèlerinage aux fies Ponza que la tradiUon de Flavie Domitille entre, sans
doute, en contact avec les milieux ascétisants. — Mais qui peut dire si c'est
à l'époque hiéronymienne, ou à l'époque manichéenne (cf. infra) que ces ascé-
tisations se sont produites. C'est sans doute aussi à saint Jérôme, ou du
moins à ses amies, qu'il faut rapporter la légende de sainte Suzanne ou celle
de sainte Eugénie, toutes deux versées dans la science des Saintes Ecritures.
TRADITIONS MARTYROLOGIQUES 277
raconter des histoires d'Orient ' ; et sans doute aussi entrevoit-
il quel fut à Torigine du mouvement légendaire, le rôle de
cet enthousiasme passionné que les martyrs inspiraient aux
foules. Il semble bien que ce soit ce double mouvement reli-
gieux qui explique le caractère et môme Tépanouissement
des traditions martvrologiques.
On en vient à se demander aussi s'il n'y faut pas rattacher
encore la rédaction des gestes romains ; d'autant que les confes-
seurs ou les ascètes se disputaient, semble-t-il, avec les martyrs
les préférences de la piété populaire. Ne serait-ce pas alors,
comme au temps de Siméon le Logothète *, le succès des vies des
Confesseurs^, qui aurait poussé de pieux chrétiens à écrire les
vies des martyrs? Le moment est venu de rechercher à quelle
époque les traditions ont été consignées par écrit dans les
Gestes.
1 Cf. les gestes de Clément, d'Alexandre, d'Eleuthére, de Basilide, d'Eugénie,
ou de Chrysanthe, de Galocère, des martjTs Grecs, des martyrs d'Ostie. de
Marius, de Marcel, de Cyriaque, de Pancrace, d'Anastasie, de Boniface,
d'anthime, de Jean et de Paul, de Vibbiane et de Gordien et les gestes romains
de Tapôtre saint Mathieu. — Relire surtout les histoires du cycle laurentien:
non pas tantTépisode d'Abdon et de Sennen,que les aventures d'Olympiades
et Maximus, aventures peut-être purement fictives. Cf. infra, Byzance, p. 344.
2 Cf. PseUos: «çtXtfTiiia jièv TOt 7r«poc twv {jiapT^Spcov xat* lyfipùtw àytoviff^atot...
0*J8sv lï r,tTOv xal à àoxTjtixo; pi'o; xx-cikoL^m, Aanavri yàp xàvTSûOa (rapxcôv
xal rpuçTi TO {JLT| Tp'jçîv ». (P. G. 114, 189).
8 Cf. iVra, p. 291.'
CHAPITRE II
RÉDACTION DES TRADITIONS ROMAINES
(ÉTUDE D'ENSEMBLE)
I
Les gestes romaines sont postérieurs à rétablissement du
Bas-Empire * .
Je rappelle que les actes authentiques qui purent exister
à Rome au début du iv*" siècle durent être brûlés en exé-
cution de redit de de 304. Je rappelle encore que Constantin
et Julien sont souvent cités dans mes textes. J'insiste seule-
ment sur ce fait que la langue politique qui s'y trouve usitée
nous reporte à Tépoque du Bas-Empire^.
Voici une liste qui permettera de s'en convaincre :
Termes Gestes romains Notitia Dignitatum, etc.
Praefectus Clément, Nérre, Notitia dignitatum (Seeck, Berlin ;
Félicité, Cécile, 1876). Oc. IV, 2, 18; I, 4; IV.
Urbain
xo(ir,( 099ix(b>v Clément (Traduction de magisterofficiorum).
Magister Processus Or. I, 10; XI; Occ, I, 9; IX,
officiorum Mommsen (Nettes Arch., XIV. 462).
1 J'entends par là la séparation de rempire romain en deux empires dis-
tincts, à la mort de Théodose 393. La Sotitia Dignitatum nous reporte aux
jours d'Ilonorius et d'Arcadius.
2 Cf. Duchesne, P. L., I, ccxxx-fxxxxi note 2. « Dans les gesta martyrum
il n'y avait .. nulle raison d'introduire des traits empruntés au régime de
2d0
HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Termes
Cornes rei privatae
Gestes romains
Cornes utriusque
militiae
CoiniUilus
Suzanne
(Claudius)
Alexandre
Jean-Paul
Notitia Dignitatum, elc.
Id. Or. I., 13. XIV, 2, 8, 15. Oc, I,
12; XIÎ, 3, 30, 1; Or., XIV, 1. —
Cod, Theod., lex, 27, de petitio-
nibus, 10. 10.
(D«''forination de magister equitum et
pcditum. Or., I, 5-8). Or, XXIX, 6;
cf. Ennodius, I, Ep., 24, « magis-
ter ulriusque mililiae. »
J'avoue n'avoir pas trouvé d'autre
exemple de comitatus dt'signant
Tenseroble des comités.
Magisterpeditum Eus^be-Pontien Occ, I, n, VI 125, 275; V. 1.
Magister raililum Cyriaque Or; V-IX. Oc, XXY, 38, 41, 42;
{Analecta, II, 249) XXVI, 22; XXVIII, 23., XXIX, 7 ;
XXX, 21.
Magistera potes- Aurea-Censurinus Senator, VI, Ep. 6; IX, Ep., 24.
Processus Sidonius, I ; Ep. 3. — Theophy-
lacte Simmocat, 111,15
Or , I, 57-78; XLIII, XLV; Occ, I,
50-77 ; XIX, 2, 6; XX, 9, 11. Mom-
msen [Neiics Archiv., XIV, 461.)
Eusèbe-Pontien Or., I, 30-34; Oc, I. 23, 24; XIX.
Getulius Distinguer le vicarius praefecti
Agnes urOis adjudant du préfet urbain j du
tas
Consularis
Vicarius
Césaire
Getulius
Marcellus
Laurent
Praeses
Coetus rester
(senatus)
Princeps
Clarissimus vir
Suzanne
(Claudius)
Serapia
Laurent
Passim
Suzanne
(Claudius)
Cyriacus
vicarius urhis Romae, subordonné
du préfet du pnHoire, siégeant à
Milan, [ïnscr. à C. Caelius Satur-
ninus (Wilmanns, 1223|; citée par
Vigneaux, 121-li2). Mommsen;
Xeues Archiv. ; XIV, 491.
Or, I, 79-125... Oc, l, 84-121 ; Mom-
msen {^eues Archiv. XIV, 461.)
Cassiodore, Var., IV, 25 (M. G., 125).
Cassiodore, Var., II, 28 (M. G., 62) ;
Mommsen (Neues Archiv., XI V\
467, noie 3).
Or., XLllï, 3 ; XLIV, 4 ; Oc, XLIII,
3 ; XLIV, 4.
i*empire sous Honorius et ses successeurs; et pourtant on en trouve sou-
vent. Les fonctionnaires auxquels ont atfaire les martyrs du temps de Tr&jan
et de Marc-Aurële sont toujours ceux de la Notilia Dignilaium du v* siècle. »>
Cf. aussi Mommsen : « Die Civilver^'altung des Occidg:its blieb unter der ger-
manischen Kônigen wie die Iniperatoren sie geordnet hatten ». [Osfgolhische
Studieti. — Senes Archiv. XIV. 18b9, p. U)Q].
LES GESTES ET LA NOTITIA DIGNITATCM
28i
Termes
Togatus
Amicus
principum
Ex latere meo
Gestes romains
Suzanne
Marcel
Martyrs Grecs
Urbain,
Laurent.,
Calocere,
Restitus,
Gordien
erre,
Félicité,
nii Coronatt
Jean -Paul
Notitia Dignitatum, etc.
Le Riant. Revue de Lég. anc, et
mod,y 1875, p. 700.
Saint Augustin., Confess., VIII, 6.
Code Theodos.j VI, 2 i. — Jérôme à
Rufm: lettre III.
Praepositus
Primicerius
Primiscrinius
Cubicularius
Cubicularia
Vice-dominus
Jean-Paul Or., I. 9; X ; Oc. I, 8.
Jean-Paul Or., I, 17; Oc, I, 1d ; XIV.
Calocere - Parthe-
nius
Sébastien Oc, IV, 2:»; VI, 89 ; XVIII, 8 ; Vi-
gneaux, 103.
Calocere-Parth. L. P. Léo I. — G. l. L., XI, 310.
Mommsen (iVeMeA'Arc/iii'.,XIV, 5r2),
Nérée-Achillée
Stephanus L. P. L (Vigile). — Greg. Magn.',
Ep. IX, 37,66; Paul diacre : Hist.
Mise. XXIII, XXIV.
Gonductor loci Nérée-Achillée Chronic. farf, apud Muratori,, II,
2, col. 449.
Principalis curiae Sympherosa Code Thcodosien, XVI, 10 : constitua
tion de 412.
Senatus vel curia Getulius Justin ien, nov., 38. — Ambroise, II ;
ad Timoth. — Senator, VI, 3.
Cod, Tlieod et Inst.j passim, — Au-
sone : Mosella,
Defensor civitatis Sebastianus Cod. ryieo(/.,I, 29, 8; 30, 1 ; Cor/. /tist.
I, 55 ; Ëdits de 364 et de 409.
Il y a un cornes comitum à Naples,
sous les Normands. Du Gange:
cornes.
Cf. infra,
R. L. 318.
Dux ducum
Serapie
Magisteriani
Principatus
cohortis
Cornicularius
Processus
Sébastien
Gampidoctor
Nummorum
arcarius
IIII Coronati Or., II, 61. — Oc, 11, 45; IIÏ, 40;
Cécile IV, 20; XVIII, 6. — Cassiodore,.
Variar, XI, 36.
Beurlier, Mélanges GrauXy 297.
Symmaque, X, 34.
Jean-Paul
Getulius
2)2
HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Termes
Gestes romains
Oflicialis
Getulius
Boniface
Scrinium
Martyrs Grecs
Gonsiliarius
Anthimius
)nimentariensis
Alexandre
Boniface
Martyrs grecs.
Marcel
Melallarius (?)
Gensualis
Serapia
IIII Goronati
Melloprinceps
Protectores
Processus
Sophia
Spiculator
Editio
Boniface
Gécije
Laurent, Maris
Candida
Serapie
Boniface
Eleulhère
•€omestemplorum Jean-Paul
Tribunus
Seleucia Isauriae
Partes Orientis
Servus servorum
dei
Papa ab ostiensi
ep. sacratus
Monachi
Marcel
un Goronati
Aurea
Stephanus
Marins
Alexandre
Boniface
Galocere-Parth.
Martyrs grecs.
Marcel.
Laurent
Martyrs grecs
Mon tan us
Notitia Dignitatum, etc.
Or,, XX, 18. — Oc, XIX, 25; XX,
26 ; XXII, 50.
Or., XII, 6. — Oc, X, 6; XI, 97; XH^
36.
Gonslant. Porph., De Them., I. —
Gesta Agathae.
Gassiodore : Varwr, XI, 28 (M.G.347).
Vigneaux, 103.
God. Theod. 1. X, 19.
Gratien,G.8. — Arcad. etHon.,G. 12.
— G. Theod. De Sénat, VI. 2.
Gf. infra,
Jullian : De Protectoribus et Dômes-
ticis Augiistorum, Paris, 1883.
Momrasen : Protectores Auyusti.,
Eph. Ep., V (1884), 121.
Hydace ? (d'après du Gange), Am-
b roi se, Cî infra,
Ambroise : sermon 84 « edamus
primam editionem candidam, in
vestitu et indumentis nudorum ;
secundam vero non minus nobi-
lera.» (édition de Paiis, 1603, t. V,
c. 90.)
Je n'en ai trouvé aucun autre exem-
ple.
XLII, 40; Oc, XXVI, U-20; XXVIIÏ,
18.
Oc XXXV, 31 ; — Mommsen : (yeues
Archiv. XIV, 481, note 5 et 462,
note 4). Gassiodore, Variar, VI, 3
(M. G., 176), XI, 18 et 20 (M. G., 345
et 346).
Or., I, 3*7; II, 15.
Or., I, l; Gf. Oc, I, J; Or., III, 13.
Saint Augustin, Ep. 130., ad Pro-
bam; 217, adVitalem.
L. P. I, 202; S. Aug., Brev. CoUoq.,
III, 6.
Saint Jérôme, Ep. I, IV; de Vita
HJon, XIII; Gassien, XVIIl, 4, 5.
LES GESTES ET LES VOCABLES DES « TITULI » 283
TetTnes Gcsles romains Notitia Dignitatunij etc.
Sanctimonialis Nérée Saint Augustin. De Verb, Dom. Ser-
Boniface. mo, 22^ § 1 ; De S. Virginitate, 55.
Orthodoxi Nérée Greg. M. Dial. III, 28 (P. L. 77, 285).
ïndividuaTrinitas Boniface V(610-623) (P. L., 80, 437).
Ainsi, comme dans les vies des papes antérieurs au régime
byzantin, oii Ton n'avait aucune raison d'introduire dos traits
byzantins, on retrouve dans les gestes des martyrs des déno-
minations empruntées à la langue administrative de Tempii'e
sous Honorius et ses successeurs immédiats : nous sommes
reportés par là même à Tépoque de la Notitia Dignitattim,
II
Les Gestes romains sont antérieurs à 595.
Nous savons de source certaine qu'à la fin du vi* siècle un
certain nombre de gestes étaient rédigés: ceux que contenait
le Liber Martyrum que nous avons retrouvé et ceux qui sont
connus de Grégoire de Tours, mort en 594. Dans le In gloria
Martyrum^ ^ Grégoire dépend des gestes romains quant au
récit qu'il donne des passions de Clément et de Chrysanthe :
il est donc certain qu'avant la fin du vi" siècle, ces légendes
étaient rédigées, comme celles que contient le codex Vindo-
honensis. Mais, comme il n'y a aucune raison de croire qu'elles
l'ont. été avant les autres, comme la parenté de nos textes
nous invite même à penser le contraire, on est porté à croire
que les gestes romains, dans leur ensemble, existaient avant 594.
Une autre raison, confirme notre thèse : les changements
constatés dans la dénomination des titiili au cours du
VI* siècle s'expliquent par l'influence de nos gestes. Lorsque
l'on compare la liste de 499 à celle de 595 on constate que, dans
cet intervalle de près d'un siècle, plus de la moitié des titfdi
1 « Clemens martyr, ut in passione eius legitur, anchora colle. . » < Cri-
santus martyr, ut historia passionis déclarât, post acceptam martyrii coro-
nam cum Daria virgine... » « Est etiam haud procul ab huius urbis muro et
Panchratius martyr... » c Multi quidem sunt martyres apud urbem Romam,
quorum historiae passionum nobis integrae non sunt delatae. » (Greg. Tur.,
In Gloria MarL, 35,37, 38, 39. —M. G., p. 510513).
28^ HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
ont changé de nom. Qu'on en juge par la liste suivante: les
vocables de 499 et de 595 sont reliés par un tiret*.
Crescentiae-Sixti (?); — Tigridae-Balbinae (?); — Laurentii
Dainasi ; — Pammachi-Johannis et Pauli; — Fasciolae-Nerei ; —
Vestinae-Vitalis ; — 01 jmpiana-Bibbianae ; — AEmilianae-IIII
Coronatorum (?) ; — Iulii-Iuliii Callisti ; — Lucinae-Laurentii ; —
Gai-Susannae; — Equitii-Silvestri ; — Pudentiana-Potentianae.
— En 595 enfin, on s'aperçoit que la basilique de Saint Pierre
et Marcelliii a hérité de saint Mathieu in Merulana le nom do
liiuhfs.
On constate, d'autre part, que Tori gin e première de chacune
de ces églises qui ont ainsi changé de vocable en un siècle est,
plus ou moins directement, illustrée par une de nos légendes.
Les églises de Vitalis, de Sixte, de Balbine, de Calliste, de
Laurent, de Silvestre, de Nerée, de Suzanne, de Jean et Paul,
des Quatre Couronnés, de Vibbiane et de Potentienne, ont
donc abandonné les noms de Vestina, de Crescentia, de Tigrida,
de Jules, de Lucine, d'Equitius, de Fasciola, de Gains et de
Pammachius, les qualificatifs d'Emilienne, Olympienne et Puden-
tienne: il saute aux yeux que les saints de 595 sont plus
connus que ceux de 499 et plus qualifiés par conséquent pour
protéger un sanctuaire : or ceux-là, et ceux-là seuls, sont
célébrés par les gestes romains, tandis que ceux-ci lenr sont
inconnus-. Il est donc très vraisemblable que ce sont les gestes
qui ont décidé le triomphe des uns et la disparition des autres ;
il est donc probable que le mouvement légendaire d'oti ils sont
issus s'est développé avant 595 et a exercé sa plus forte
influence après 499.
Cette conclusion a pour elle toutes les vraisemblances et ne
heurte aucune objection : elle a, de plus, l'avantage de résoudre
une énigme dès longtemps cherchée et un problème qu'on
n'avait pas encore abordé.
Le vocable titulus Pasforis n'est que l'indice d'une tentative
qui a été faite pour changer le nom de l'église pudentienne,
1 11 importe peu que ce soit la môme église qui ait porté les deux noms:
pour trois d'entre elles, le fait n'est pas assuré. — 11 sufQt que les vocables
de 595 soient illustrés par nos gestes et ceux de 499 ignorés par eux : il est
naturel d'admetlre que les gestes ont contribué à la diffusion du culte des
saints qui triomphent en 595. — VA. la remarque d'Erbes sur la diffusion du
culte de décile, aussitôt après l'apparition des Gesla Caeciliae.
^ Sauf trois, Lucine, Fasciola, Gains, qui ont moins de renommée, & coup
sûr, que Laurent, Nérée, Suzanne.
LE « TITULUS PASTORIS » 285
qu'on ne croyait pas transformer déjà en rappelant Téglise de
sainte Potentienne ^ : c'est une tentative de tout point analogue
à celle qui réussit pour les quatorze basiliques que je viens de
mentionner. Le ou les rédacteurs des gestes de Concordius'^, de
de Stéphane^, de Laurent'* et de Yibbiane lancèrent dans la
circulation des textes où le tiiulus était désigné sous sa nou-
velle appellation. Bien plus, ils n'hésitèrent pas à on fabriquer
deux autres plus audacieux encore: dans Tun^, ils mettaient
en scène le saint lui-même qu'ils voulaient introniser dans la
vieille demeure des Pudentes ; dans l'autre ^, ils rédigeaient
les lettres qu'ils mettaient sous son nom. La tentative échoua;
sans doute, parce qu'elle était l'œuvre d'un moine ou d'un
petit groupe de moines qui croyaient avoir découvert saint
Pastor et pensaient faire œuvre pie en lui restituant la
gloire dont on Tavait injustement frustré. Les autres réussi-
rent parce qu'elles furent moins concertées, moins indivi-
duelles, plus anonymes ; parce qu'on se borna à localiser dans
une église une légende qui avait déjà cours et qu'on n'eut
pas l'audace de prétendre imposer à des Romains une légende
romaine fabriquée de toutes pièces.
L'histoire du lit it ht s Pasioris n'éclaire pas seule la trans-
formation des vocables au vi® siècle : celle du titulits Aposloio-
rum jette aussi sur ce fait une curieuse lumière. Nous avons
relevé jusqu'ici quatorze tentatives heureuses et un essai
infructueux pour changer les vocables des titiili; voici un cas
plus singulier : une tentative qui réussit d'abord poiu* avorter
à la fin. Le tihdus Apostolorurn de 499 prend, dans la première
moitié du vi" siècle, le nom de titvlus a vincula sancti Pétri pour
revenir en 595 à sa dénomination première. Il nous est attesté
sous la première forme, par la signature de Philippe, prêtre,
légat du pape au concile d'Ephèse^ en 432; sous cette forme
encore au concile de 499. Mais nous le trouvons appelé titithis
a vincula.,. par le Liher Pontificalis^ comme par le férial
1 Cf. suproy traditions locales urbaines, p. 1*27.
* 1" janvier, p. 9.
3 2 août, p. 141, e. g.
* Surius,lV,6il.
'-> Gesta Mani et Marlhae, 19 janvier, 580, 2i.
^ Gesta Potenlinnae et Prajcedis.
7 Hardouin, 1. 1488.
^ L. P., l,p. 261 (Symmaque).
286 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Hiéronymien*, par une inscription du prêtre Severus en 533^
et par la préface du poème composé par Arator en 544^. Dans
les gestes d'Alexandre, nous trouvons un curieux passage qui
attire l'attention du lecteur pieux sur les chaînes de saint
Pierre et qui en raconte la légende. Elles ont été trouvées par
Balbine, fille d'Hermès, guérie par Timposition du carcan
d'Alexandre ; elles ont été confiées alors à une illustre matrone^
du nom de Theodora*. — Après tous les faits que nous venons
de réunir, comment n'être pas frappé de leur coïncidence avec
le changement de nom du tituhis Apmtoloritm : comment ne
pas croire que nous sommes reportés à une époque où la dévo-
tion des fidèles pour les chaînes de Tapôtre prenait un nouvel
accroissement? Un très curieux passage d'une lettre des légats
à Hôrmisdas confirme cette hypothèse : ils demandent pour
Justinien un fragment des liens des apôtres^. Il est donc pro-
bable que les gestes du pape sont contemporains de ce nou-
vel essor d'une dévotion proprement romaine et qu'ils la
reflètent; il est donc très vraisemblable qu'ici encore lesgectes
romains sont intimement associés à l'histoire des changements
de vocable. N'est-ce pas à dire qu'ils leur sont antérieurs, anté-
rieurs par conséquent à 595 ?
i F. H., Kal. aug. : Bemensis: dedicatio ecclesiae a G. Petro constructae.
Gf 915. « romae statio ad scum petruin ad vincula.
« (Citée dans L. P. I., 285 note 1). — De Rossi, Insc. Chr, II, 112, 134.
3 P. L., 68, 54-55.
^ Qui sait même si ce n'est pas dans le litulus Apostolorum qu'il faut cher-
cher Ténigmatique ecclesia Theodorae?
^ La fameuse basilique deTEsquilin, dont on attribue la fondation à Eudoxie,
fille de Théodore le jeune et femme de Valentinien, est trop connue pour que
nous y insistions ici. Quant aux chaînes de saint Pierre, nous avons con-
servé un sermon de saint Jean Chrysostome à leur sujet. Cf. Mombritius,
II, 223. ~ Voici le passage de la lettre des légats à Hôrmisdas relatif aux liens
de l'apôtre (en 519}. « Fillus vester magnificus vir lustinianus, res convenien-
ter fidei suae faciens, basilicam sanctorum apostolorum, in qua desiderat
et heati Laurentii martyris reliquias esse, constituit ; sperat per paruitatem
nostram ut praedictorum sanctorum reliquias celeriter concertatis... Petit et
de catenis sanctorum apostolorum, si possibile est, et de craticula beati Lau*
renti martyris (P. L., 63, 474-475). Cf. dans les Gesta Piocessi et Martiniani
comment saint Pierre perdit ses liens devant le tilulus Fasciolae.
LES GESTES ET LE « LIBER PONTIFICALIS » 287
III
La date probable des gestes d'Alexandre nous est un précieux
indice : elle nous indique à quelle époque il convient de pla-
cer la rédaction de nos légendes : tous les termes de la langue
administrative et politique relevés plus haut conviennent à
l'époque ostrogothique*.
On peut relever plusieurs fois, dans nos textes, l'expression
de Gesta Marhjrum appliquée au récit lui-même : je le ren-
contre dans les gestes de Potentienne^, ceux d'Anthimius 3,
ceux de Gènes ^, ceux de Susanne^, de Calliste^, d'Anastasie '
et de Cyriaque^. Je le trouve aussi, avec la même signification,
dans plusieurs autres textes de l'époque ostrogothique^ et
jamais avant cette date. Le Constitutum Silvestri ^ nous parle
de notaires ecclésiastiques, qtn gesta diversonim marlyrum
suscipientes ordine renarrabant^ et la préface de la Vita SU-
vestri^^ nous entretient de l'ouvrage d'Eusèbe qui racontait
les Gesta Mari i/ mm. Le Liber Pontificalis^^ enfin et le Décret
damasien *• se servent également à plusieurs reprises de
cette même expression. Suivant une antique coutume, nous
apprend Tun, l'église romaine refuse de lire aux offices les
Gesta Martynim ; et nous lisons dans l'autre que saint Clément
a institué des notaires, qui gesta martynmi sollicite et curiose
umfsqiiisqtie per regionem suam diligenter perquireret ; —
plus loin, à propos d'Anteros et de Fabien, le même terme
reparaît. — Si l'on réfléchit qu'il ne se rencontre pas une
seule fois dans les textes avant ceux que nous venons de
» Cf. Osigolhische Sludien von Th. Mommsen (Neues Archiv., XIV (1889),
223, 451) et les Variarum de Cassiodore.
« 19 mai 299.
3 Texte du Codex Namurcensis, 53. Cf. Analecta, H, 288-289.
* Surius, IV, 917.
6 18 février, 65, §21.
« 14 octobre, 401.
' Texte du Codex BruxellensiSy 7 461. Cf. Calalogus,.., Bruxel., Il, 18-19.
» Texte du Codex Palalinus, 8 août, 332, l 29-30.
9 Hardouin, I, 290. — L. P. 1., c-ci.
^^ « Son apparition était encore toute récente au temps de Symmaque et
des controverses de 501 »; L. P. I. cxv.
*' L. P., I. Clément. — Anteros. — Fabien.
»« P. L., 59, 160.
288 HISTOIRE GÉNÉKALi: DES TRADITIONS ROMAINES
citer et qui appartiennent tous aux dernières années du v* et
aux premières du vi* siècle, on en conclura sans doute que les
gestes romains qui l'emploient également ont été rédigés à la
même époque.
Que si, dépassant les analogies verbales, nous confrontons
avec nos légendes les deux derniers textes que nous avons
cités, nous nous convaincrons que l'indice qu'ils nous ont li\Té
n'est pas trompeur et que les Gesta Martyrum sont contem-
porains du Liber Ponfificalis et du décret de Recipiendis
ou concile damasien. On a remarqué déjà* l'intérêt que les
rédacteurs du livre pontifical témoignent aux gestes des mar-
tyrs : ils s'efforcent d'en expliquer l'origine afin d'en établir
l'autorité ; ce qui nous laisse entrevoir qu'au moment oîi ils
écrivaient, les gestes n'avaient pas encore eu le temps de s'im-
poser à l'opinion publique. On s'aperçoit, d'autre part, que les
notices d'Urbain et de Corneille dépendent des gestes de Cécile
et de ceux de Corneille; — que celles d'Etienne et de Sixte
sont certainement indépendantes des gestes d'Etienne et de
ceux de Laurent; — que six autres" comparées aux gestes
correspondants présentent quelques différences notables à côté
de quelques rapports certains ; et le fait s'explique sans peine,
non par une dépendance spéciale de texte à texte, mais par
une égale dépendance par rapport à une tradition commune,
diversement exprimée et modifiée. 11 y a donc, entre le Liber
Ponfi/ica/is rédigé sous le pontificat d'Hormisdas (514-52^)
et les gestes romains qui nous sont parvenus, une solidarité
étroite et comme un enchevêtrement ^ de dépendance qui ne
laisse pas d'être significatif: n'est-il pas nécessaire d'admettre,
1 Duchesoe, L. P., introduction, g 35, lxxxix.
> La notice de Clément ignore la Chersonèse et mentione Texil du pape, in
Graecias; celle d'Alexandre mentionne les compagnons du pape cités par les
gestes, mais le fait mourir de mort différente; celle de Calliste connaît, comme
les gestes, les attaches de la légende au quartier des Ravennates ; celle d'Eusèbe
est plus complète que les gestes; celle de Marcel mentionne le catabulum de
la Via Lata comme les gestes ; celle de Galus (2* édition] fait de celui-ci un
martyr, à la différence des gestes.
3 Cet enchevêtrement de dépendance apparaît dans un cas d*une manière
tout à fait frappante : lorsque Ton confronte les gestes de Potentienne avec le
livre pontifical. Celui-ci est indépendant de ceux-là : il ne leur emprunte rien.
Ceux-là sont indépendants de celui-ci: i" Pastor n'est pas donné comme frère
de Pie; 2" aucun rôle n'est attribué à Pastor dans la fixation de la Pâques au
jour de dimanche; 3» la fixation de la Pâques au dimanche n'est pas men-
tionnée. Celui-ci et ceux-là représentent une tradition commune : Pastor vit
à l'époque de Pie. Mais on a corrigé celui-ci et ceux-là. Là correction des
LES GESTES ET LE DÉCRET DAMÂSIEN 289
pour en rendre compte, qu'ils ont été rédigés à la môme
époque ?
Et cette conclusion apparaîtra plus certaine et mieux assurée
à la suite de la comparaison qu'il faut établir entre les Gesta
Martynim et le Décret pseudo-damasien. Au chapitre m de
ce texte célèbre, parmi les opusciila recipienda^ après Ténu-
mération des œuvres de Cyprien, de Grégoire de Nazianze...,
de tous les Pères orthodoxes qui sont toujours restés en com-
munion avec l'église romaine, on lit les mots suivants*:
« Item décrétâtes episioias^ qiias,.,
« Item gesta sanctorum martynim qui midtiplicibus tor-
« mentomm Cjriiciatibus et mirabilihus confessiommi trium-
« phis irradiant. Quis ista Catholiconim diibitet majora eos
« in agonibiis fuisse perpessos^ nec suis viribus sed Dei gra-
« iia et adjutorio? Singulari cautela in sca Romana ecclesia
« non leguntury quia et eorum qui conscribere nomina peni-
« tus ignorantur et ah infideiibus et idiotis superflua aut
« minus apta, quam rei ordo fuerit^ esse putantur, Sicut
« ciiiusdam Cirici et Julittae^ sicut Giorgi aliorumque huius-
« modi passiones q, ab hereticis perhibentur compositae,
« Propter quod^ ut dictum est^ ne vel levis subsanandi ore-
« retur occasio, in sca Romana ecclesia non legiintur. Nos
« tamen cum praedicta ecclesia omnes martires et eorum
« gloriosos agones, qui Domino magis quam hominihus noti
« sunt^ omni veneratione veneramur, »
Ainsi donc Téglise romaine vénère avec dévotion les mar-
tyrs et leurs glorieux combats, plus connus^ dit-elle, de Dieu
que des hommes. Mais, guidée par une singulière prudence,
elle refuse de lire leurs gestes aux offices, et sa conduite lui
est dictée par deux et même trois raisons : la première, c'est
qu'on ignore profondément les noms des auteurs qui les ont
composés ; la seconde, c'est que des infidèles ou des simples
d'esprit les ont encombrés de détails inutiles ou déplacés ; la
troisième, qu'on ajoute incidemment, c'est que, s'il faut ajouter
foi aux bruits qui courent [perhibentur)^ ils ont été com-
posés par des hérétiques. Et qu'on ne veuille point voir dans
gestes précède l'addition du livre pontifical; elle a été faite sur la légende de
Praxède, séparée de celle de Potentienne ; or, l'addition du L. P., est, sans
doute, antérieure à 531; la correction des gestes et les gestes eux-mêmes
seraient donc antérieurs à cette date,
ï Nous donnons le texte du Vaticanus Fonlanini (Migne, P. L., 59, 171-172).
19
2J0 inSTOiaE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
cette attitude de l'Église un manque de foi en la grandeur des
saints : quel catholique pourrait douter qu'ils n'eussent supporté
de plus terribles tortures que les gestes n'en racontent, soute-
nus, non par leur propre force, mais par la grâce et le secours
de Dieu*.
Il est clair que, parmi les gesta sanctorum martyrumy les
nôtres sont aussi visés ; peut-on arguer que le signalement
quon en donne soit infidèle? Si Ton se rappelle le caractère
apocryphe que présentent nos légendes, on se convaincra sans
peine de son exactitude. Si l'on se rappelle surtout que les
gestes romains s'efforcent de s'établir dans l'opinion publique
par la précision minutieuse des détails qu'ils rapportent ; si l'on
réfléchit que, s'ils cherchent à le faire, c'est, nécessairement,
que certains s'efforcent de ruiner leur crédit et d'éclairer
l'opinion, on comprendra que les prologues tendancieux que
nous avons notés supposent le concile damasien, comme le
concile damasien suppose nos prologues^: ces deux docu-
ments s'éclairent et se complètent parce que leurs auteurs res-
ponsables se visent et se combattent ; tous deux ont vu le jour
à la même époque, parce qu'ils témoignent tous deux d'un
milieu historique identique.
La comparaison des gestes romains et du décret pseudo-
damasien confirme les résultats que nous avons obtenus en les
comparant au Libe?* Pontificalis : comme ces deux textes, ils
ont été rédigés à l'époque ostrogothique^.
1 Cf. notre travail de Manichaismo apud Latinos, 2* partie, chapitre ii.
2 Les gestes précédés de prologues seraient donc postérieurs au concile.
s Deux autres faits d!un caractère général peuvent être relev(!^s, ou indi-
qués, à l'appui de notre thèse. A considérer Tensembie de nos textes, on devine
que Tusage des psaumes se répand dans Téglise de Rome au moment où ils
sont rédigés : le plus grand nombre n'en souffle mot ; quelques-uns, comme
les gestes d'Eugénie (P. L., 73, 607, l 3, 4, 6) leur empruntent plusieurs cita-
tions (Ps. 47 et 95); d'autres, comme les gestes d'Alexandre Romain, y font un
fréquent recours et il semble bien (cf. infra) que les gestes d'Alexandre
Romain soient au début du vu*, ceux d'Eugénie, du début du vi*. Or, si ce fut
Célestin (422-432. — L. P., I, 243) qui introduisit à Rome la psalmodie anti-
phonée, ce fut Ilormisdas (514-523. — L. P., I, 269) qui en vulgarisa Tusage
en établissant une sorte d'école de chant ; la connaissance des psaumes se
généralisa dès lors dans le clergé inTérieur. \\ est fait allusion, semble-t-il, à
l'usage du chant des psaumes dans les gestes de Marcel (g 6), de Primus et
Felicianus (^ 3 et 5), de Suzanne (18 février, 64 et 11 août 631-632), de Calliste
(14 octobre 439).
Lorsque le texte des gestes sera solidement établi, on pourra étudier dans
quelle mesure le cursus s'y trouve : j'en ai noté certains cas dans certaines
recensions des gestes de Sébastien et de Nérée. M. Lejay en a trouvé dans
LA VIE DE SAINT SÉVERIN 291
Il est donc très probable, ainsi que nous l'avons soupçonné,
que rinfluence des vies des saints dont les fidèles étaient alors
si friands ont été la cause particulière* qui suscita, à ce
moment, la rédaction de nos légendes. La vie de saint Martin,
la vie de saint Ainbroise, les vies de saint Hilaire et de saint
Honorât, celles de saint Séverin et celles de saint Epiphane
ont poussé les dévots des martyrs à rappeler à leurs contem-
porains la gloire des premiers témoins de Jésus : et peut-être
récrit d'Euchaire sur les martyrs d'Agaune n'a-t-il pas été
sans influence sur quelqu'un de nos rédacteurs, jaloux de la
gloire romaine^.
Tillemont raconte qu'en 509 « on publia une lettre d'un
laïque de qualité, qui y faisait la vie d'un moine d'Italie nommé
Basilique, (qu'on ne connoist pas aujourd'hui). Eugippe ayant
vu cette lettre, témoigna avoir de la douleur de ce que ceux
qui en estoient capables, négligeoient de mettre de même par
escrit une vie aussi admirable qu'estoit celle de saint Séverin !
Cette plainte vint jusqu'à l'auteur de la vie de Basilique,
lequel manda aussitôt à Eugippe qu'il estoit prest de satisfaire
à son désir, s'il vouloit luy envoyer des mémoires. Eugippe
dressa pour cela l'ouvrage qui est venu jusqu'à nous, avec
quelque regret néanmoins de fournir une aussi belle matière à
un laïque et à un homme qui en l'ornant par une éloquence
humaine, osteroit la connaissance des vertus du saint, à tous
ceux qui u'estoient pas tout à fait instruits des lettres humaines,
(c'est-à-dire aux personnes les plus capables d'en profiter). Car
Casaiodore {Revue cntique^ 1894, t. Il, p. 275-216. — Cf. Meyer, Gôttingùtche
gelehrfe Anzeigen^ 1893, p. 17 sq.) et M. Couture dans le Sacramentaire Léonie^
{Musica Sacra, septembre 1893, p 9}: le cursus du Sacramentaire Léonienest
plus tonique que métrique, d'après M. G.
Je n'ai trouvé aucun rapport — et le contraire m'eût étonné — entre notre
littérature et les écrits aréopagitiques.
On entend bien que, lorsque je date les gestes romains de l'époque ostro-
gothique, je ne prétends nullement exclure par là quelques rédactions anté-
rieures : je n'y vois que des Taits isolés.
1 Sur les causes générales du mouvement littéraire à l'époque gothique, qui
produisit, entr'autres, les triples GesUi Apostolorum, Pontificum et Martyimm^
— à savoir Texaltation de Féglise romaine qui suit le pontificat de saint Léon
et la nécessité de la lutte contre les Manichéens — cf. notre étude de Mani-
chaeismo apud Latinos.., et infra.
' Les gestes des martyrs d'Agaune reproduits par le Codex Vindobonensis
357 faisaient peut-Mre partie du Liber Martyrum primitif: mais peut-être aussi
ont-ils remplacé les actes de saint Cyprien, — dont le chronographe nous
atteste le culte romain.
292 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
on voit par Ennode et par Cassiodore, que l'art de Téloquence
de ce temps-là estoit de ne se faire entendre qu'à peu de per-
sonnes, et par une grande contention d'esprit (Eugippe ne dit
pas comment il se dégagea de ce laïque). On voit seulement
([ue deux ans après (en 511), le diacre Pascase, qui estoit un
homme de piété et d'érudition l'ayant prié de luy faire voir
les mémoires qu'il avait dressez, il embrassa avec joie cette
occasion ; et en lui envoyant ses mémoires, il le pria d'en com-
poser une histoire, sans s'arrêter aux sentiments que son
humilité avoit accoutumé de luy donner ^ ». Ainsi naquit la vie
de saint Séverin ; ainsi naquirent, sans doute dans des circons-
tances assez analogues, la plupart des gestes romains*
> Mémoires, XVI, 179.
« Domino sancto ac mérite venerabiU Paschasio, Eugyppius in Domino salu-
tem. — Ante hoc ferme biennium, consulatu scilicet Importuni, epistoia
cuiusdam laici nobilia ad quemdam directa presbyterum nobis oblata est ad
legendum, continens vitam Basiiici monachi, qui quondam in monasterio
montis cuivocabulum est Titas super Ariminum commoratus, post in Lucaniae
regione defunctus est,Tir et multis et mihi notissimus. Quam epistolam,cum a
quibusdam describi cognoscerem, coepi mecum ipse tractare necnon et vins
religiosis edicere, tanta per B. Seuerinum diuinis affectibus ceiebrata, non
oportere celare miracula. » (Vita Severini, I, P. L., 62, 1167). — On démêle
chez Eugyppius exactement la même préoccupation que chez le rédacteur des
gestes d* Agnès et de Cécile : « Non oportere celare miracula » (P. L., 62, 1167) ;
« res mirabiles quae diu quadam silentii nocte latuerant » (P. L., id., 1168). —
Cf. dans les gestes, « infructuoso silentio tegi ^.
CHAPITRE IV
RÉDACTION DES TRADITIONS ROMAINES
(ENQUÊTES PARTICULIÈRES)
[v'-vi* siècles]
Cette conclusion générale sera confirmée et précisée par
quelques enquêtes particulières sur la date de certains gestes
romains.
I
Les gestes de Cécile * sont postérieurs à Tertullien, mort
vers 240 : les passages qui suivent l'attestent avec évidence.
« Ojudicem necessitate confusum ; sententiam necessitate confusam ;
vult ut negem me innocentem, ut parcit et saevit, dissimulât et ant-
ipse faciat nocentem; parcit et sae- madvertit,.. Vis ergo neget se no-
vit, dissimulât et advertit. Si vis centem ut eum fadas innocentem.,.
damnare, cur.., » Si damnas, cur,., »
Gesta Caeciliae. (Bosio), p. 26. TertuUiani, Apolog,, c. 2 (Ha-
verc, p. 26-33).
Du reste, Ténumération qu'on lit page 3 : « hune secuti sinit
priores apostoli^ post a. martyres, posi m. confessores, post c.
sacerdotes^ post s. virgines, post v. vidxiae^ post v. conti-
nentes.,., se retrouve dans cet ordre au livre VIII, c. 12 et 19
des Constitutions Apostoliques-.
* Cf. Erbes, Die h. Câcilia.,. Zeilschrifl fiir Kirchengeschichle, 9 Bd ,
1887-1888, p. 1 sq.
' Cf. encore Tbeophili, Comment, in evang,, IV, 16.
294 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Les gestes sont postérieurs au traité de saint Augustin
intitulé de Trinitate^ composé en 416. On lit, en effets
dans Thistoire de Cécile (p. 40) : umis est deus in majestate
snUy quemita insancta trinitate dividimus ut in uno homine
dicimus esse sapientiam, çuam sapienliam dicimus habere
ingenium, memo?nam^ intellecltnn. Cette analogie reproduit
une pensée de saint Augustin, rf^ Trinitate j X, 18, et XIV, 10:
il éclaircit le mystère de la Trinité par une comparaison
avec la memoria^ Vintelligentia^ la voltintas sixe caritas^. Que
les gestes n'emploient pas les mômes expressions qu'Augustin,
c'est un fait qui s'explique sans peine et que l'on peut, du
reste, constater souvent à ce propos : Fulgence de Ruspe,
mort en 533, reprend la pensée d'Augustin, mais se sert des
mots memoria, consiliwn et voluntas -.
Les gestes sont postérieurs à l'histoire de la persécution
vandale en Afrique composée par Victor de Vite. L'histoire
de Cécile mariée à Valerianus, refusant de se donner à lui
parce qu'elle est consacrée à Dieu et convertissant son mari
ainsi que son beau-frère, rappelle de très près les aventures
de Maxime^, mariée à Martinianus, refusant de se donner à
lui parce qu'elle est consacrée à Dieu et convertissant son
mari ainsi que ses beaux-frères. Des analogies aussi précises
éveillent l'attention : la comparaison de certains termes achève
de dissiper toute équivoque et démontre que, du rédacteur ou
de l'évoque, l'un a copié l'autre.
Les mots cubiculi sécréta silentia se retrouvent dans les
deux textes.
On lit dans les gestes ; On lit dans Victor de Vite, Hl,
« Si ista una esset vita et non 27 (page 8o) :
esset alia, iuste i^tam perdere time- « Si haec praesens vita sola fuis-
remus ; si autem est vita satis ista set, et a/iam, quae vere est^ non
melior,,, » speraremus aeternam, nec ita fecis-
sem admodicum atque temporaliter. »
1 Cr. Aug., /. c.y X, 18. « Memlni enim me habere memoriam et intelligent
tiam et voluntatem, et intelligo me'intelligere et velie atque meminisse et
yolo., ». — Gestes : « Nam ingénie adinveninius quod non dtdicimus, memcria
teneinus quod docemur, intellectu advertimus quidquid vel videre nobis conti-
gerit, Tel audire... : numquid non ista tria una sapientia in homine possi-
det?»
2 De THnitate, c. 7. — Cf. A. Dufourcq : de Manichaeismo apud LatinoSy p. 91.
3 Victor Vitensis, I, 30 : a Erant tune servi cuiusdam Vandali... Martinia>
nus, Saturianus... (Edition Petschenig, dans le Corpus de Vienne. -- Vienne^
1881, p. 13-15).
DATE DES GESTES DE CÉCILE 2^5
Dans les gestes et dans Victor de Vite (II, 95), on lit :
de pâtre procedit spiritus sanctiis ; ou ex^ pâtre procedens
spiritus sanctus. Le filioque est omis dans Fun et Tauti^e
texte.
Dans Tun et l'autre enfin, on trouve certaines constructions
rares, identiquement les mêmes : petitionem insinuare dans
les gestes, laudem insinuare dans Victor (II, 74, 79); inqin-
rere pour qtiaerere dans les gestes, inquisitio pour qnaesitio
dans Victor (II, 51). Il arrive souvent enfin que Victor de Vite
construise absolument, à Tablatif, un participe qui devrait
s'accorder avec le sujet de la phrase, ou avec un complément.
Exemple: « Ubivero munitiones aliquae videbantur^ con-
gregatis in circuitu castrorum innumerabilibus tiirbis^ gla-
diis feralibus cruciabant (I, 9, p. 6). Pareille construction
est deux fois employée dans les Gestes. Modo te credente
promereberis, et, plus loin, haec dicente Tiburiio^ Caecilia
osculata est pedibus eitis.
n est donc clair que Fun des deux auteurs a copié l'autre, qui
lui devait être assez familier. Il est clair que ce n'est pas un
évêque, racontant des faits auxquels il a pris part^ qui a
négligé de puiser dans ses souvenirs pour copier un rédacteur
inconnu : les gestes de Cécile sont postérieurs à l'œuvre de
Victor de Vite, 486.
Ils sont antérieurs d'autre, part, au Liber Pontificalis rédigé
sous Hormisdas (514-523). « Le pape Urbain joue dans les
« gestes un rôle important ; c'est lui qui instruit et baptise les
« personnes que convertissent, par la parole ou par l'exemple,
« les héros du récit, Cécile, Valérien, son mari, et Tiburce son
« beau-frère. Cette situation est indiquée, dans le Liber Pontifia
« calis, par la phrase suivante : Hic sua traditione mtdtos
« convertit ad baptismum^ etiam Valerianum, sponsum sanctae
« Caeciliae et multi martyrio coronati sunt per eius doc tri-
« nam (première édition). Urbain est présenté, au commence-
« ment de l'histoire, comme ayant déjà confessé la foi à deux
« reprises : Qui iam bis conf essor factus inter septdcra marty-
« rum latitabat. Ce titre de confesseur illustre est rappelé au
« début de la notice : Qui etiam clare {claruit ?) conf essor tem-
« poribus Diocletiani^, » Cette dernière indication chronolo-
gique est absente des gestes ; sur d'autres points, d'ailleurs,
1 Duchesne, L. P., I., xciii.
296 UISTOIUK GÉ-SÉUALE DES TKADITIONS ROMAINES
il y a quelques divergences entre ceux-ci et le Liber. Il
n'en reste pas moins — et cela seul nous intéresse — que le
Liber Poniificalis a utilisé la passion de Cécile.
Celle-ci a donc été rédigée après 486, avant 523 ^
II
Il est très probable que les gestes de Corneille sont posté-
rieurs à saint Léon, mort en 461. Le Liber Pontificalis nous
apprend, en effet, que ce pape éleva une basilique à Corneille,
à côté du cimetière de Calliste, via Appia : « fecil autem basi-
licam beato Cornelio episcopo et martyri iuxta cymiterium
Calisti via Appia- ». Or cette basilique se trouve vraisembla-
blement mentionnée dans les gestes : « in cymiterio Calisti^
ubi hodie orationes eonim floreni ad laudem et gloriam et
honorem Domini Nostri Jesu Christi, » Il s'agit de la sépulture
du pape: n'est-ce pas comme si les gestes disaient: « orationes
a clero et populo in basilica Comelii habitas in gloriam et
honorem Domini Nostri Jesu Christi ^ » ?
Il est certain, d'autre part, que les gestes sont antérieurs au
Liber Pontificalis ^ : celui-ci y puise les détails topographiques
qu'il donne sur le chemin suivi par Corneille du Forum Palladis
au Templum Martis en passant par VArcus Stillae ^ ; il y
emprunte encore le détail des rapports épistolaires de Cyprien
et de Corneille et la mention de Celerinus ; il y copie enfin la
légende du martjTe du pape.
Les gestes ont donc été rédigés après 461 , avant 523.
1 Les gestes dépendent peut-être d'Avitus, en raison de llnscription du
titulus : unus dominus, una fides, unum bapfisma (Cf. P. L., 59, 311). Mais il
est imprudent d'afûrmer : c'est peut-ôlre Avitus qui dépend de notre texte
(Cf. infra (Gestes d'Eugénie).
2 L. P., I, 239.
3 Schelstrate : Anliguitates Ecclesiae^ I., 191.
* Duchesne, L. P., I, xcvi.
* Cf. supray p. 174.
DATE DES GESTES d'eUSÈBE 297
III
Les gestes d'Eusèbe rapportent que, au temps où Libère et
Constance persécutaient les catholiques partisans de Félix, un
prêtre Eusèbe osa leur tenir tète : « eodem tempore quo Libe-
rius de exilio revocatiis fuerat a Constantio Augiisto haeretico,
in eo ianium dogmate ut non rebaptizarent popultim, sediina
communione Eusebiiis presbyter iirbis Roniae coepit decla-
rare Lïbermm haereticum et amicitm Constantii ejicitur
Félix de episcopatu^ sttbrogatur Liberius. »
Ces quelques détails portent leur date. Il est évident qu'ils
sont contraires h l'histoire, que je rappelle en peu de mots.
Libère eut réellement affaire à Constance ^ Sur son refus
d'entrer en rapport de communion avec les évêques orientaux
soupçonnes de complaisance envers Tarianisme, il fut enlevé
de Rome et ny revint que trois ans après. Son clergé, l'archi-
diacre Félix, le peuple avaient juré de ne pas déserter sa
cause : et le peuple, en effet, et la grande majorité du clergé
lui resta fidèle. Mais Félix Tabandonna et accepta Tépiscopat
des mains d'évêques fort suspects. Au retour de Libère, rap-
pelé par le peuple, il se réfugia dans la basilique de Jules,
au Trastevère, mais il en fut chassé. Après sa mort (22 no-
vembre 365) et celle de Libère (24- septembre 366), ses adver-
saires élurent un certain Ursinus : mais tout le monde se rallia
à Damase qui eut à combattre, durant son long règne, outre
les Ursiniens, les Lucifériens qui, après le triomphe de l'ortho-
doxie, n'avaient pas voulu recevoir les signitaires du concile
de Rimini, et les Hilariens qui allaient plus loin encore et les
voulaient faire rebaptiser. Ursiniens, Lucifériens, Hilariens
étaient donc plus orthodoxes, plus rigoureux, plus anti-féli-
ciens que Damase. Il est clair que ce n'est pas de leur côté
qu'il faut chercher les origines du mouvement d'opinion auquel
on doit attribuer cette étrange condamnation de Libère : et
les éloges que lui donnent saint Jérôme et la préface deLibel-
ï Saint Jérôme, Chronique; P. L., 27, 683. Libellus Precum, Préface; P. L.,
13-81.
298 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
lus Precum, Tenthousiasme qui accueillit son retour *, rendent ^
serable-t-il, le problème insoluble.
On en vient à soupçonner ^ que, si Thistoire du pape a été
défigurée, c'est que celle de son ennemi a été vraiment trans-
figiu'ée. Félix a été identifié avec Tun des saints les plus popu-
laires de Rome : de ce moment, il était inévitable que les
rôles fussent intervertis. Siu* la Voie de Porto, on vénérait un
saint Félix, à vrai dire peu connu de nos gestes, mais qui est
le seul dont le nom figure isolément comme celui d'un éponyme,
dans Tantique index des cimetières de Rome : « Cynnterium
ad insalatosy ad scum Felicem via Porttiense » ; — le seul
encore qui ait eu Thonneur de donner son nom à Tune des-
voies romaines, la via Portuensis^ que la description du
Tibre, insérée dans les manuscrits d'^Ethicus Ister et de
Julius Honorius appelle via Sci Felicis^,
Cîette transposition des événements historiques nous avertit
que notre texte doit avoir été rédigé à une époque assez posté-
cieure à Libère et à Damase. La comparaison qu'il en faut
faire avec le Liber Ponlificalis montre qu'il est contemporain
de cette compilation et, sans doute, un peu postérieur.
La notice de Libère raconte que Constance imposa à celui-
ci, lors de son retour, non le renouvellement du baptême,mais
simplement des rapports de communion avec les ariens; et
que le pape, après son entrée à Rome, se mit en rapport de
communion avec l'empereur et les ariens, s'empara des basi-
liques et persécuta avec cruauté les partisans de Félix.
« Constantius una cum Ursacio et Valente convacaverunt
aliquos qtn ex fece ariann e?'ant eij quasi facto consilio...
revocavit Liberium.,, Ingressus Liberiiis in Urbe Roma IIII
7} on, aug. consensit Constantio Augusto. Non tamen rebap-
tizatus est Liberiiis^ sed consensum praehuit, et tenuit basili"
cas,., et persecutio magna fuit in Urbe Roma, »
Le récit du Liber Pontiftcalis, comme il convient, est beau-
coup plus complet et circonstancié que celui des Gesta
Eusebii ; les expressions elles-mêmes y ont une saveur primi-
tive qu'on ne retrouve pas dans ceux-ci ; ce sont les gestes
1 Sur i^éloge métrique rapporté à Libère (?) Cf. de Rossi, Bul,^ 1883, p. 8.-
Im, Chr,, II, 83.
> C'est M. i*abbé Duchesne qui a résolu le problème, L. P., I, cxxm.
3 Pertz, De Cosmogr,, JEtici., Berlin, 1883. — BuL, 1863; p. 11.
Date des gestes d*eugénie 29^
qui dépendent du Liber et non le Libet* qui dépend des gestes :
ceux-ci sont donc au moins contemporains d'Horraisdas
(514-523).
Il est, sinon certain, au moins très probable qu'ils ne lui
sont pas postérieurs. Félix n'est pas décapité, mais seulement
chassé de sa chaire épiscopalo : cette petite divergence qui
sépare les deux textes n'indique-t-elle pas qu'au moment oîi
ils ont été rédigés la tradition est vivante encore ? — D'autre
part, l'intention du rédacteur de la légende est de glorifier
Eusèbe, fondateur du titre qui porte ce nom. Il semble bien
que les Gesia Etisebii soient au titulus Eusebii ce que sont
les Gesia Caeciliae au titulus Caeciliae: la légende de fon-
dation de la paroisse. N'est-il pas naturel d'admettre que c'est
à la même époque et sous l'empire des mêmes préoccupations
qu'ont été rédigés les deux textes?
IV
Les gestes d'Eugénie mettent en scène un évêque égyptien,
Helenus, qui visite le monastère oîi la sainte s'est réfugiée
sous un habit d'homme ; il est bien difficile de n'y pas recon-
naître une transformation du moine égyptien Helenus, dont
Rufin nous parle dans VHistoria Monachofmm * : les gestes
d'Eugénie sont donc postérieurs à Rufin, mort en 410.
Us sont antérieurs, d'autre part, il le semble bien, à saint
Avit, évoque de Vienne, mort en 526. Au sixième chant de
son poème *, il chante notre légende : l'entrée d'Eugénie au
couvent des moines dont elle devient l'abbé, l'accusation infâme
à laquelle elle est en butte et à laquelle elle répond victo-
rieusement.
Eugeniae dum toto celeberrima mundo
Fama fuit, dum dat Ghristi pro nomine vitam.
Ante tamen mulier fortes processit in actus,
Cum slipante choro sanctorum fieret abbas
Atque patrem complens, celaret tegmine matrem ;
ï TiHemont, fl. E., IV, 585.
« Vers 583.— Jf. G. Auctores Antiq.,\l, 289.
300 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Sed postquam sancto cunctis praeclaruit ore
Et meritis annisque graves longaque verendos
Religioae senes iuvenali rexit in aevo :
Impatiens recti totoque tempore serpens
Mille nocendi artes stimulis inflammat amaris,
Quod famam violare cupit, dédit inde coronam,
Gommovet insano qui fing.at amore puellae
Accendi Eugeniam motuque ardere virili...
Les gestes ont donc été rédigés entre 410 et 526 *.
Le texte des « Gestes des Martyrs Grecs » porte au début :
Erat quidam vir nomine Hippolytiis Monachus; il est donc
probablement postérieur au iv* siècle.
D'autre part, il est antérieur au pontificat d'Honorius (625-638)
et, très probablement, contemporain du vi* siècle. Il se trouve
cité, en effet, dans une épigramme^ de cette époque.
Nous avons cité cette épigranime tout au long en étudiant
les sources de la légende et son développement. Qu'il suffise
d'en rappeler ici les deux derniers vers :
« Horum virtutes quem passio lecta docebit
Rite suis famulis discet adesse deum.
et de rappeler que cette passio lecta est, à quelques détails
près, le texte que nous lisons aujourd'hui •"*. — Il est dès lors
évident que nos gestes sont antérieurs à l'épigramme.
Cette épigramme est antérieure au pontificat d'Honorius,
mort en 638 : le recueil d'où elle est extraite ne contient
aucune pièce postérieure à ce pape'*.
Elle est peut-être contemporaine de Vigile (537-555) qui
répara, dans les catacombes, les ravages de la guerre
1 II se pourrait qu*ils fussent seulement postérieurs à saint Avit (et, dans ce
cas, antérieurs à Aldhelme qui les cite (De Laude virginilalis, 245). Cf. suprn^
p. 191-192.
' Pseudo-damasienne. Cf. Ihm, 17, p. 80. — Cf. 78, p. 81.
3 Cf. p. 181-182.
* De Rossi, R. S., III, 196. — 1ns. Chi\, II, pars I, p. xli, 42, 207, 246,247.
DATE DES GESTES DES « MARTYRS GRECS » 301
gothique et composa des elogia en distiques, en Thonneur
des martyrs*; elle est, plus probalement, contemporaine
de Symmaque, mort en 514. Reprenant aussi et continuant
l'œuvre de Damase, celui-ci écrivit des épigrarames qu'il fît
placer sur les tombes saintes* : ces épigrammes sont le plus
souvent des distiques 3, comme celle dont nous nous occupons.
D'autre part, on a eu le bonheur de retrouver un fragment
de Tinscription où notre épigramme était gravée : la forme des
lettres, où Ton retrouve une lointaine influence des caractères
philocaliens, nous reporte au vi' siècle'»; de plus, le fragment
porte l'abréviation.
S V B D.
Cette abréviation (sub die), apparaît pour la première fois en
400^, et devient très fréquente à partir de l'an 500^.
Il est donc infiniment probable que Tépigrarame, et les gestes
qu'elle cite, sont antérieurs à Symmaque (499-514) ou eïi sont
contemporains.
VI
Les gestes de Sébastien sont, au moins, du v' siècle : car ils
invoquent le témoignage de saint Ambroise mort en 397 : le
rédacteur veut faire passer son œuvre pour un sermon adi'essé
parTévêque de Milan aux vierges consacrées à Dieu.
D'autre part, ils ne peuvent pas être postérieurs au vi* siècle.
Sur im manuscrit palimpseste conservé à la bibliothèque de
Berne", sous le numéro 611^, on a retrouvé seize fragments
1 Ihm., 83, p. 85; 89, p. 93.
« Ihm., 97, p. 98.
9 Cf. notamment les épigrammes en l'honneur des saints Gennaro, évèque,
et Sossio, diacre, martyrs de Campanie. Ins, Chr.^ II, pars l, 2i6.
* Notizie degli scavi, 1887, p. 178. — B. Communale^ 1887, p. 257. — De Rossi,
BuL, 1887. 60, 62.
«^ Ins, Chr., I, n. 488 (de Rossi).
^ De Rossi, Ins. chr., I, n. 933, anno 507 ; 948, a. 511 ; 958, a. 513 ; 975, a. 521 ;
979, a. 522 ; 990, a. 523; 1003, a. 525; 1023, a. 530 ; 1028, a. 532 (Cf. la série com-
plète dans de Rossi, loco citalo).
' Les g renvoient aux \ de Tédition hollandiste.
9 Catalogue des Manuscrits, p. 482. J'ai revu moi-même ce manuscrit.
302 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
<les Gesta Sébastiani publiés par les Bollandistes. En voici la
liste * :
1. f. 140*. — § 8-9: ultronejos — Sanctus Sebastianus.
2. f. 140^ — § 9, nain — vestris.
3. f. 126*, 129\ ^26^ 128\ — § 12; et ita separari; —
vernantur.
4. f. 118% ^21^ 118\ 121% 125*, 130\ 125^ — 130*;
§ 13; aspectu oculi; § 16; quantaque voluptas.
5. f. 145% 142\ 145^ 142\ — § 17 : in qua vobiscum, —
vita manet.
6. f. 123**. — §20: ex ipsis deliciis — martyres revocantur.
7. f . 122% 1 17^ — § 26 : a vinculo ferri ; § 27 : quibus volant.
8. f. 119\ ^20^ 119^ 120\ —§29: enim diabolus ; § 30 :
perducti.
9. f. 124% 131^ 124^ 131'. — § 31: a quodolenter —
hodierno die.
10. f. 136^ 135% 136% 135% — §33: Christianissimum ;
§ 34 ipse sit verus.
Id. f. 141*". — § 36: morbi remansisset, — dolore torquens.
dl. f. 141*. — § 36: desidero, — sit Dominus.
13. f. 127% 128% 127b, 128'. — §39: me et filios; § 41
scélérates.
14. f. 137% 134% 137% *34% — § 42: nam si recenseas,
§ 43 clientibus.
15. f. 133% 138% 133% 138\ — § 44: ego te de Christo
uero — Deum nos.
16. f. 132% 139% 132% 139'. — § 47 grandia — 48:
consequi valeam.
Le manuscrit primitif, dont les lignes sont à angle droit avec
récriture récente, est un grand in-i* : chaque feuille a trente-huit
lignes, (dix-neuf de chaque côté), chaque ligne, une moyenne
de vingt à vingt-quatre lettres. Il est écrit en belles onciales.
Le docteur Hermann Hagen qui s'en est particulièrement occupé,
le date du v* ou du vi* siècle, au plus tard *.
* Berner Palimpsestbldtter... Sitzungsberichte der KK. kkademie der Wiss,
zn Wien {Ph. hisL Klasse). — CVIII (1884), p. 19 sq. — L'attribution à Sébas-
tien du titre defensor civitalis est remarquable : Paulinas portait ce titre : il
était très connu à Rome au temps d'Hormisdas (cf. infva^ p. 310) : n'est-ce
pas un indice que le texte date de cette époque ?
DATE DES GESTES DE PROCESSUS 303
VII
Les gestes de Processus rapportent que Processus et Marti-
nianus étaient melloprincipes; le terme ne se retrouve dans
aucun autre texte : mais il est copié sur le terme analogue et
très bien connu : melioproximus. Les proximi étaient les
subordonnés des magislri scriniorum; les melloproximi^ les
subordonnés des proximi dont il devaient obtenir le grade
après avoir servi un an dans leur emploi*. Ils ne sont pas men-
tionnés dans le code avant 413^ : nous voici assez probablement
au V* siècle.
Paulinus, magister officiomm^y engSLge deux melloprincipes
à ne pas perdre la récompense de leurs années de service*,
c'est-à-dire le grade deprinceps qui les attend^. Or le magis-
ier officiorum a perdu avant 398 le droit de nommer les
I rotiiia DignUalum (Bt^cking, 11,462, I, 250). ^ Code Justinien XII, 19 § 5.
(Mon m8 3n-RrQger, H, 459) | 7 [id., p. 460). — § 14 (iV/., p. 461). — Du Gange :
Olossaire : MeUo proximi.
* Imp.p. HonoriusetTheodosius AA. Fauslinop.p. (Moinmsen-Krûger, II, 459)
3 Les manuscrits donnent magisler officii : notre restitution est néanmoins
certaine : 1* la légende parle de magistenani subordonnés au magisler officii:
c'est précisément le magisler officiorum qui est le chef suprême de ce corps
de police (Cassidore. Formula mag, poleslatis. Variar,, VI 6 (Migne, P. L.,
69, 687) et Bouché-Leclerq, Manuel Inslilulions, 323) ; 2* Processus et Marti-
nianus sont sur le point de passer principes ^ c'est précisément le magisler offi-
ciorum qui fait les nominations (Mommsen; Ephemeris épigr,, V; 626); —
3* le magisler officii est inconnu : on ne connaît que des princeps o/*/ictt (Diehl,
Exarchal de i?awîn n«, 4 49) ; — 4* le magisler officiorum se retrouve peut-être
dans les Gesla Aureae (21 août 755) : Censurinus est appelé vir praepositus
magisteriae potestatis. — Cf. Nolilia Dignil (Seeck, 305). Bouché Leclercq,
Manuel, 156-165.
^ c Fruimini mUitia vestra. »
^ Imp. Constantinus ad agentesin rébus (Migne, P. L., 8, 398). « Principatum
^ero (unusquisque scholae vestrae) adipiscatur matricula decurreute. >» — Gra-
tianus Valentinianus Théo Josius et Arcadius AAAA Cynegio p. p. Cod. Juslin.
XII, 21 J i. «Agentes in rébus post palmam laboris emeriti principatus
honore remuneramus. » Nol, Dignilal, (Seeck., Or., 26, 17). — Honorius et
Theodosius... Palladio (Mommsen-KrOger, II, 462). Idem Cyro pp. {id. IX, 462).
Imp. Lea A. Patricio mag. off. (ic/., II. 461-462). « Agentes in rébus qui per
ordinem consequi soient principatus insignia.. praeter emolumenta quae de
praedictis scriniis consequuntur principatus etiamsolatio debent esse contenti.»
— Gassiodore, VI form. 6 (P. L.,69, 681). «Sic nominis sui gravitate perfunctus
omat actibus principatum... militiae perfunctus honoribus, ornetur nomine
principatus. » Cf. l'article Agenles in rébus dans la Real Encyclop. (2* édit.).
304 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
principes en les choisissant parmi les ma^t^/rêant ; mais il a
recouvré ce privilège, en très grande partie, tout au moins, au
temps de's Goths* : nous voici rejetés aux environs de l'an 500.
Peut-être est-il permis de préciser davantage. Les magis-
teriaiii qui font le service de police [équités) et de ronde
(circi tores), ou qui sont préposés aux approvisionnements
[biarchi) ou qui reçoivent parfois des missions de confiance
{centniarii, (htcenarii) forment la schola agentium in rébus-.
Les deux termes agentes in rébus et magisteriani sont équiva-
lents 3. Or, il ressort de la comparaison des textes que, au moins en
latin, agens in rébus est le terme officiel et le terme le plus
ancien : il est employé par Constantin'*, Ammien Marcellin^,
Valentinien, en 386^, parla Notitia Dignitatum^ , par Honorius
en 410^, par saint Augustin^, par Théodose en 440 *o, par Léon **,
par Justinien*^ sous le pontificat d'Hormisdas (514-523): c'est à
cette époque qu'il semble disparaître *3. Or c'est précisément à
cette date que le terme de magisteriani apparaît fréquemment
dans les textes. Je le trouve dans la Suggestio legatorum ad
honnisdam^'^ , dans le Liber Pontificalis^'^ k propos du même
^ Mommsen, Princeps officii agens in rebua [Ephemei'is Epigraphica, Y
(1884)f 629]. «Gothorum aetate, antiquam ordinationem rediisse et plerosque
certe principes ex schola agentium in rébus (id est ex magisterianis) sub
magistro orficiorum constituta formulae Cassiodorianae docent (Cassiodore,
VI, 6. — P. L., 69, 687).
2 Bouché-Leciercq, Manuel ^ 323. — Rosweyde Libellus... Annotât (P. L.,
123 19o).
^ Justinien à Flormisdas (Migne, P. L., 63, 476-(77}. cEuIogium virum
strenuum agentem in rébus iuxta aiias causas. — Suggestio legatorum ad
Hormisdam (Migne, P. L., 63, 475} : < Propter hoc in urbem vestram virum
spectabilem Eulogium magistrianum direxit. »
* Constantini Magni décréta et constitutiones (P. L.« 8, 398}.
^' Cf. Carolus Fabrotus, Gtossarium (Cedrenus, II, 617).
Cod, Just , Xil, 21, H (Mommsen-Krfiger, II, 462).
' Seeck, Orient. , 26, 17. — Occid.^ 18, 5.
« Mommsen-KrQger, II, 462.
9 Confessions, VIH, 6 (P. L., 32, 756).
10 Mommsen-Kruger, II, 462.
'ï Id,
»2 P. L., 63, 475, 476, 477.
13 II se trouve une fois dans le Liber Pontificalis (I, 207). Mais il s^agit du
pontificat de Libère (352-364), et la précision du détail donne lieu de croire
que le rédacteur se servait à ce moment de pièces officielles : t Tune missa
auctoritate per Catulinum agentem in rébus, et simul Ursacius et Valens... »;
d'autant qu'ailleurs (cf. infra^ note 15), le Liber Pontificalis emploie magiste-
rianus.
»* P. L., 63, 475.
1^ L. P., I, 269, « imposuit eos, cum milites et magistrianos ». — /e/., 1, 173
(sous Serge, I, 687-70;.
DATE DEh GESTES DE NÉRÉE ET DE CÉSAiRE 305
Hormisdas et dans Victor du Tunnunum*. C'est donc à cette
époque que magisierianus semble supplanter son rival agens in
rebîis, surtout auprès de tous ceux qui ne composent pas le
monde administratif 2. C'est donc à cette époque que les Gesta
Processiet Martiniani doivent avoir été rédigés 3.
VIII
La comparaison des gestes de Processus et de ceux de Nérée
invite à croire que ceux-ci sont contemporains de ceux-là ; car
c'est une même basilique que désignait, en 499, le titulus Pas-
ciolae et, en 595, le titulus Nerei; et l'on constate que les
gestes de Processus illustrent, en quelque manière, la pre-
mière dénomination et que les gestes de Nérée ignorent la
seconde.
Cette induction est confirmée par un renseignement que
donne le Liber Pontificalis, De 524 à 526, la basilique de
Sainte-Pétronille, qui s'élève au cimetière de Domitille, fut
entièrement reconstruite : ce qui laisse à penser qu'elle faisait
triste mine, les années précédentes, sous Hormidas (514-523).
Cet état de délabrement, cette reconstruction qui en fut la con-
séquence, obligèrent, sans doute, les Romains, clergé, nobles,
peuple, à se souvenir de Tune de leurs plus vieilles églises ;
ces événements fortuits remuèrent d'antiques traditions, les
rafraîchirent, ravivèrent, sans doute, les légendes qui en étaient
Tobjet. Qui sait s'il n'y a pas rapport entre la rédaction des
gestes de Flavie Domitille et l'ébranlement que produisirent
dans l'imagination populaire les travaux exécutés dans sa cata-
combe ?
Cette conclusion s'accorde à merveille avec ce fait : qu'il y a
1 Cité par du Gange; Glossar: Magisleriani, — Avant oOO, Magisterianus
ne se rencontre que chez Palladius : Historia Lausiaca^ 149, P. L., 73, 1213).
^ Remarquer que c*est par Tempère ur qu'Eulogius est appelé agens in rébus
«t par les légats romains magisterianus: c'est qu'alors ce dernier terme
était usuel à Rome.
3 Noter que Grégoire [" (Homélie 32, in Matth., 16) a appris religiosis
quihusdam senioribus narranlibus certains miracles de Processus au temps
des Goths, sans doute à Tépoque où nous avons été conduits. Tous ces ren-
seignements concordent à merveille.
20
306 HISTOIRE GÉNÉBALE DES TRADITIONS ROMAINES
rapport très étroit entre les gestes de Nérée et ceux de Césaîre.
Il est très remarquable, — quoique jusqu'ici, croyons-nous, il
n'ait pas été remarqué, — que la fin des Gesta Nerei^ inconnue
jusqu'à ce jour, soit précisément le texte des Gesta Caesarii
publié dans les Acta Sanctomm sous le nom de passiominima.
On lit dans Nérée (p. 13, §25), après le récit de la mort et de
Tensevelissement de Sulpitius et de Servilianus :
« Posé haec, Luxuriiis ahiit ad virgines Christi; qiiaruni
corpora sanctus diaconus in sarcophago novo simid condiensy
in profundo terrae infodiens sepelivit.
El je lis, au 1" novembre, page 112 :
« Sanction itaque Caesarium diaconem Luxurius tradidit
consulari Leontio, »
Que ce texte soit la suite de l'autre, cela saute aux yeux k
première lecture. Un examen plus attentif confirme l'inpression
première ; 1° les gestes de Nérée ne finissent pas par une des
clausulae habituelles : il faut donc que le texte boUandiste ait
été tronqué ; 2® le second mot de la passio minima de Césaire
semble indiquer précisément que tout le morceau n'est qu'une
suite ; 3° les noms des personnages coïncident ; 4° les gestes de
Césaire rapportent que le diacre a été traduit devant Leontius
pour avoir enseveli les vierges brûlées par Luxurius ; et, dans
les gestes de Nérée, nous retrouvons précisément ces vierges
brûlées par Luxurius. Il est donc incontestable que la pasaio
minima des gestes de Césaire appartient aux gestes de Nérée
et les tertnineK
Or, les véritables gestes de Césaire — tels que nous pouvons
les lire dans la passio major — sont le simple développement
de cette fin des gestes de Nérée, augmentée, embellie de l'épi-
sode de Lucianus. Les gestes de Nérée complétés par Isl passio
îninima des gestes de Césaire sont donc antérieurs à ceux-ci;
ils sont donc antérieurs à la conquête grecque.
Car les gestes de Césaire sont contemporains de cette con-
quête : l'hypothèse est suggérée par le dualisme des traditions
que la légende enveloppe ; elle est requise par le caractère
grec sous lequel elle se présente à nous. La tradition liturgique
est double, Césaire étant vénéré au 21 avril et au 1" novembre ;
la tradition topographique est également double, le culte ayant
1 El Ton voit, en effet, que, dans le Codej: Vindobonetisis^ la passio minima
des gestes de Césaire termine les gestes de Nérée.
DATE DES GESTES DE LAURENT 307
une double attache à Terracine et à Rome ; la tradition littéraire
enfin est double elle-même, tantôt très mince {passio maxima)y
tantôt très ample {passio par va ^ major^ maxirna). On en est
ainsi conduit à penser que Thistoire de la légende comprend!
deux époques.
On est bientôt forcé d'admettre que c'est la conquête grecque
qui les sépare. Au second stade de son développement {passio
major et niaxima)^ en effet, la légende présente un caractère
byzantin dont les traits sont très fortement marqués: c'est au
Palatin, siège du gouvernement byzantin, que le culte est
attesté. Tous ces rapports qui paraissent attacher la légende-
k répoque de la domination grecque ne sauraient surprendre :.
le nom même du saint Kai<sipioq ne semblait-il pas le destiner
au rôle de protecteur de César et la tradition ne lui attribue-
t-elle pas la guérison d'une Galla, fille d'empereur ?
La légende terracinaise, exacte dans sa banalité, a subi une
transformation profonde au moment de la conquête de Béli-
saira : c'est à cette époque, environ, qu'il faut placer la rédac-
tion de la passio majorK
IX
Les gestes de Laurent nous ramènent, semble-t-il, à l'époque
des Ostrogoths. Ils sont postérieurs à l'usage qui veut que le
Pape soit consacré par l'évoque d'Ostie : on y voit, en effet,
le pape Denys (§27) consacré par Maximus, évêque d'Ostie. Cet
usage est déjà attesté par saint Augustin 2; il était connu et
suivi à l'époque du Liber Pontificalis^j qui en fait remonter
l'origine à Marc V
•r
1 C'est également à cette époque qull faut rapporter la rédaction des gestes
d*Anastasie: « la canonisation » de la titulaire de Téglise palatine s^explique
parce qu'elle a été confondue avec la sainte de Sirmium, vénérée à Constan-
linople (cf. infra) ; — de ceux de Clément ; ils sont indépendants de Nérée
qu'ils ignorent ; du Liber Pontificalis qu'ils contredisent, faisant mourir Clé-
ment sous Trajan et non sous Vespasien ; du férial hiéronymien qui ignore
la Chersonèse. lis sont antérieurs à Grégoire de Tours qui les cite.
« Rrev. Coll., III, 16. — Cf. Liber Diurniis (Rozière), p. 101.
^ L. P., I, 202. Marc, 336. « Hic constiluit ut episcopus Hostiae qui consecrat
episcopum palleum uteretur et ab eodem episcopus urbis Romae consecra-
retur. »
908 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Il est certain, d'autre part, que les gestes sont antérieurs
à 595. On se rappelle qu'à cette date apparaît le tituhts Xysti^
et que le titulus Lucinae devient à cette même époque titu-
lus Laurentii : ce qui laisse saint Damase seul possesseur du
titulus Damasi seu Laurentii de 499.
Entre saint Augustin et saint Grégoire, les textes attestent
combien le culte de saint Laurent devient florissant et vigou-
reux : particulièrement à la fin du v* et au début du vi* siècle.
J'en ai pour preuves les dons du pape Hilaire (461-468) et du
pape Jean (523-526) à la basilique cémitériale * ; le choix qu'il
{ait de cette basilique pour s y faire enterrer 2; la confession
en argent qu y fait construire Anastase, les maisons de pauvres
qu'y élève Symmaque^; la demande surtout que Justinien
adresse à Hormisdas, en 519, afin d'obtenir de lui un fragment
de la claie fameuse '^ Cette demande s'expliquerait-elle sans
«ne recrudescence de la dévotion populaire, dont elle ne serait
qu'un lointain écho? Et, si Ton admet ce fait, n'est-il pas
naturel d'y rattacher la rédaction de nos gestes^?
Voici un fait qui confirme et précise l'hypothèse. Parmenius,
compagnon de Polochronius, évéque de Babylone, parle bien
qu'on lui ait coupé la langue ; or nous savons, par les gestes
de Cécile, que l'ouvrage de Victor de Vite était connu et utilisé
à Rome; et nous retrouvons, d'autre part, dans ce même
ouvrage de Victor de Vite, un miracle analogue ^ : les martyrs
de Tipaza parlent, bien que la langue leur ait été coupée. N'est-il
pas vraisemblable que notre rédateur copie l'évêque de Vite?
L'épisode de Parmenius et de son chef Polochronius parait
inventé de toutes pièces. — On s'expliquerait fort bien alors
que Valerianus fût appelé Turtius : ce serait une flatterie
adressée au grand personnage qui fut consul en 494, Turtius
Uufus Apronianus Asterius.
» L. P., I, 244, 276.
* L. P., I, 2io.
3 /c/., 258, 26.3,
« Suggestio legatorum ad Ilormisdam, III, Kal. J. C. P. (P. L.,63, 474-475).
'' Il y a, à vrai dire, uae difficulté à cette hypothèse. Hippolyte est vicaHus
ëans les gestes, et la mosaïque du temps de Pelage (590) le représente
encore comme un clerc — La difficulté n*est pas invincible; il était naturel que
luutorité ecclésiastique, chargée de faire exécuter la mosaïque, se défiÀt d'une
Iracîition populaire (cf. le décret damasien) et cherchât à puiser & d'autres
«lources. — Y a-t-il rapport entre la rédaction de notre texte et le schisme
Uiuitntien?
c (V, 40. — Edition Holm. p. 48; ou Migne, P. L., 58, 245.)
DATE DES GESTES DE JEAN ET PAUL 30^
Si Ton admet que tous ces indices réunis nous permettent
de dater des environs de l'an 500 les gesta Latirenti, on
reportera sans doute à la même époque la rédaction des gestes
d'Eusèbe et de Pontien : ils nous présentent, comme ceux-là, le
miracle de la langue ; ils nous parlent d'un prêtre du Capitale^
Lupulus, qui parait avoir été suggéré par le prêtre du Capitale
Claude, dont nous entretiennent ceux-là. N'est-il pas vraisem-
blable qu'ils ont été rédigés à la même époque, peu de temps
après eux sans doute, peut-être même par le même prêtre?
Comme les gestes d'Abdon et Sennen qui ouvrent le cycle lau-
rentien, ne groupent-ils pas les détails secondaires autour
d'un même épisode central : un ensevelissement de martyrs?
XI
Les travaux exécutés dans les églises semblent avoir été
l'occasion qui décida plusieurs fois de la rédaction de diverses
légendes. On l'a vu déjà à propos de Nérée ; on peut l'admettre
de même à propos d'Etienne : la basilique fondée par Simpli-
cius (468-483) sur le Caelimontium * fut embellie par Jean et
Félix IV 2. Qui sait si ces embellissements n'ont pas ravivé la
curiosité des milieux ecclésiastiques et mis la plume à la main
de quelque moine pieux?
Il en pourrait être de même des gestes de Pancrace. Depuis
le moment où Symmaque lui a construit une basilique-^, il
semble que son culte soit devenu chaque jour plus florissant :
de fait, sa popularité est attestée par deux inscriptions de 521
et de 522 '* et surtout par Procope ^ : grâce à lui, nous savons
qu'au temps des Goths la Voie Aurélia prit le nom du martyr.
N'est-il pas naturel de rapporter à l'époque de l'extension du
culte la rédaction des gestes?
C'est encore par l'histoire de l'église et du culte que nous
pouvons dater les gestes de Jean et Paul. Ils mentionnent
» L. P., I, 249.
'^ De Rossi, Ins. chr.^ II, 1.32.
3 L. P., l, 262.
* De Rossi. Ins. chr., I, 97o, 977. — R. S., 111, 522.
û Bell. Goth., 1,12.
^310 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
l'église (le Celius sous le nom de titulus Pammachi : d'autre
part, ils sont évidemment contemporains de la grande renom-
mée des deux martjTs de la persécution de Julien. Or, c'est
en 499 que, pour la dernière fois, la basilique célienne est
désignée par le nom de Tami de saint Jérôme; et c'est du
début du vi° siècle que date la popularité de Jean et Paul,
ainsi que l'atteste la notice de Symmaque dans le Liber Ponti-
ficalis^y sinon la préface fameuse du sacramentaire Léonien'.
C'est donc, sans doute, à l'époque de Symmaque (498-514),
alors que le souvenir de Pammachius déclinait devant l'astre
grandissant des nouveaux martyrs sans avoir encore disparu,
qu'il faut rapporter la rédaction des Gesta Johannis et Patili,
XI
Dans les gestes de Processus, que nous avons datés de l'époque
d'Hormisdas, le magistrat païen porte le nom de Paulinus*
Or, nous voyons qu'au temps d'Hormisdas (514-523) et d'Aga-
pet (535-536) vivait un Paulinus, tir clarissimiis'^ qui fut consul
et se montra très dévoué aux intérêts de l'église de Rome : il
appartenait à une grande famille romaine qui comptait plusieurs
de ses membres parmi les consulaires et les sénateurs '*. Il est
probable que, devant donner un nom au magister officiorum^
qu'il introduisait dans la légende ou qu'il trouvait déjà dans la
tradition, le rédacteur a pensé à cette grande famille, chez
qui, pour parler avec Athalaric, le consulat était devenu un
honneur domestique ^.
1 L. p., I.
* Sacram, Léon, (édition Feltoc), p. 32-36.
3 Justinien à Hormisdas. Excmpl. iitt. « Vitalianus per Paulinum virum
sublimem defensorem vestrae ecclesiae rescripsit » (P. L., 63,476). — Relatio
Epiphanïï Hormisdae. «PauUnus, vestrae sedis defensor, qui vestram retulit
epistolam, suam soliicitudinem communibus consiliis actibusque contulit »
(P. L., 63, 507). — Agapit., Ep. III ad Reparatuin (P. L., 66, 4"»}.
* Alhalaric à Paulinus en 534 (Cassiodore, Variât, IX, 22 ; P. L., 69, 789).
« Neque enim fas erat, ut quem familia tanta produxerat, sententia nostra
in co corrigendum aliquid inveniret. Semen generis morum fructibus red-
didisti y».
^ « Per indictionem duodecimam, sume insignia consulatus, honorera qui-
dem arduum, sed familiae vestrae domesticum curia romana completur
paene familia vestra. (Athalaricus, Pauino, P. L., 69, 789).
DATE DES GESTES DE HIFINE ET SECONDE 311
Des faits du même genre pourront, par analogie, nous servir
à dater d'autres textes : ne témoignent-ils pas de l'époque où
ils ont été rédigés ? C'est ainsi que les Gestes de Gordien sont
contemporains, sans doute, de Symmaque : car c'est au Gordien
qui vivait alors qu'il faut demander la raison de l'époque assignée
au martjT par la légende. Comme l'ami de Symmaque était
prêtre de Jean et Paul, il est tout naturel de faire remonter à
cette circonstance Tassociation du nom de Gordien et du sou-
venir de Julien l'Apostat.
Quant aux gestes de Vibhiane, qui sait si le Faustus qui s'y
trouve mentionné n'a pas été emprunté à la grande famille qui
donnait à Rome des consuls de ce nom en 483, en 486, en 490
et en 502 •. Ils sont certainement assez notablement postérieurs
à Simplicius (468-483), le fondateur de la basilique, puisqu'on
l'y confond avec Sirice (384-399) ; d'autre part, ils sont mani-
festeuîent parents des gestes de Jean et Paul : on peut donc,
avec assez de vraisemblance, en reculer la rédaction aux der-
nières années du régime ostrogothique. Il est à noter qu'en 5il
on trouve encore, et pour la dçrnière fois, un Faustus consul^.
C'est, au contraire, au début de cette période qu'il faudrait
rapporter la composition des gestes do Calliste, de ceux de
Maris et Martha^ et de ceux de Rufine et Seconde : le Turcius
Asterius de ceux-ci, l'Asterius de ceux-là, ne viennent-ils pas
en droite ligne du consul Turcius Rufîus Apronianus Asterius
de 494'*. — C'est de la même époque, enfin, pour la niênie
raison, qu'on peut dater, semble-t-il, les gestes de Marcel, d'An-
thime et ceux de Rufus : en 492, nous trouvons un Rufus sur
la liste des consuls ; quant aux Anicii, — les gestes d'Anthimo
nous entretiennent longuement d'une Anicia Lucina, — c'était
la plus puissante peut-être des familles romaines au début du
VI'' siècle: elle donne des consuls à l'état en 489, 510, 513,
521, 522, 523,525, 526 •>.
I Klein, Fasti consulares,
^ Le fselaaiui iudex de Marins n'aurait-il pas été suggéré par Gélase
(492-i96).
* Klein, Fasti consulares. — Noter que les gestes de Cécile ont été rédigés
entre Victor de Vite et Symmaque : qu'entre Victor de Vite et Symmaque, préci-
sément en -494, Turcius fut consul ; et que les gestes mentionnent un Turcius
Almachius(Cf.fli///., 1868,p. 34. — /n*. C7*., 1. 140). Les gestes d'Abdon et Sennen
mentionnent un Turtius Apollonius ; les gestes de Marcel un Apronianus.
^ Klein : Fasti consulares. — Dès 380, un Anicius Paulinus est préfet de
Rome ; jusqu'en 408, les Anicïï fournissent un grand nombre de hauts fonc-
312 HISTOIRE GÉNÉBALE DES TRADITIONS ROMAINES
Est-il étonnant que l'esprit de flatterie ou l'esprit de rancune
ait poussé nos rédacteurs à chercher parmi leurs contemporains
les descendants d'odieux persécuteurs ou d'illustres martyrs?
XII
La collection canonique éditée par Denys le Petit date des
pontificats de Symmaque et d'Hormisdas. Le prestige du moine
scythe, dont Cassiodore* nous est un sur garant, nous invite
à penser qu on se préoccupa alors, un peu partout, dans les
milieux romains, du canon des Ecritures. L'histoire du concile
pseudo-damasien ^ autorise le même soupçon.
Or voici, en substance, ce que porte le prologue des
gestes d'Anastasie (ou de Potentienne) ^. « Rechercher les
« gestes des saints passés et présents, c'est faire un travail
« édifiant pour soi et pour les autres : on Tapprouve. Nous
« écrivons ce que nous trouvons dans les gestes, ce qu'ont fait,
« ce qu'ont dit, ce qu'ont soufi'ert les saints. Montrez que vous.
« êtes des catholiques en aimant à lire les victoires du Christ-
« Car, je vous le demande, vous qui voulez ranger les gestes
<( parmi les apocryphes, qui est-ce qui fait se tenir les canons.
« des Saintes-Ecritures'* ? Est-ce que ce n'est pas ceux qui sont
« morts pour ces mêmes canons ? Les martyrs tenaient pour la
« vraie foi qui est contenue dans les volumes, en nombre
« déterminé, des livres sacrés. Les Saintes Ecritures leur
« rendent grâces : c'est ce qu'ils ont enduré qui fait leur
« force. Aussi veulent-elles que leurs gestes soient rédigés
« afin qu'ils soient loués en présence de Dieu et des hommes^
tionnaires à TEmpire. — Malgré deux Anicii, consuls en 431 et 438, la
famille parait perdre de son influence au cours du t* siècle pour se relever h
la fin.
1 Inst. Div. Lut. 23 (P. L., 10, 1131).
- Cf. noire travaU De Manichaeismp apml Lalinos.
3 II est vraisemblable que le prologue s'applique au.x deux gestes de
Potentienne et d'Anastasie. Les manuscrits l'attribuent aussi indifféremment
à plusieurs autres textes, (gestes des martyrs Cantiens, gestes de Galla); noter
que tous deux présrntent cette particularité, assez rare, qu'ils prétendent
reproduire une correspondance authentique.
* « Per quos constant canones Scripturarura omnium divinarumn (Mombri-
tius, 1, 198).
DATE DES GESTES DE SÉBASTIEN ET D^ AGNÈS 313
i< ceux qui ont, pour leur défense, souffert d'immenses tour-
« ments en présence des incrédules. C'est donc sans rien
« recevoir qui soit en dehors du canon des Saintes Ecritures
« que nous rédigeons les gestes des martyrs catlioliques qui ont
« gardé le dogme catholique * . » Je soupçonne que ce prologue
— et les gestes qu'il annonce — est contemporain des édi-
tions de Denys le Petit et du Décret damasien.
XIII
Dans onze gestes' romains, au moins, ceux de Gordien (éd,
bollandiste)^ de Processus [Codex Angiensis^ 32, 1*. — Cod.
Vindobonensis 357), de Pancrace {Cod. Vindohonensis 576, 59')^
de Paw/(PA*-LmM.v, éd. Lipsius, ip. iir,)ileSimplicitiset Viatrix
[Cod. Axtgiensis 35,5'), de Sérapie et Sabine [Cod. Aiigiensis
32, 7\ — Cod, Vindobo?iensis 3bl y ih%^),(ï Eugénie [Cod. San
Gallensisjill), de Clément [Cod. Vindohonensis , 358, 54^ —
Cod. Vindobononensis, 498, 12r), de Félix Romanus [Codex
Vindobonensis 357 et Codex Monacensis^ 3810, S"*), de Sébas-
tien [Cod. Vindobonensis ^bô2, \()V) et A* Agnès [Cod. Mona-
censis, 3810, lO*"), les doxologios présentent une particularité
curieuse : « qui vivit et régnât in nnitate Spiritiis Sancti (on
in nnitate virtiitis) »...
* Voici la suite de ce curieux prologue — qui rappelle le prologue des
gestes de Nérée — : « Nous donnons un exemple à nos petits enfants, un ali-
ment aux&mes pieuses. Ceux qui ne veulent pas lire les batailles, ceux-là ne
veulent pas combattre à Toccasion. Que les inûdèles nous commandent le
silence, s'attachent aux combats du diable, refusent de regarder les luttes des
athlètes de Dieu ! Nous, nous parlons de ses merveilles, nous les écrivons, nous-
les prêchons... qu*on nous attaque, nous et ceux qui prennent plaisir à nous
lire, soit. Les blessures rerues au service du général font la gloire du soldat.
Les triomphes du Christ, les travaux vainqueurs de son armée étaient cachés-
dans Tombre ; nous les publions au dehors (Cf. Gestes d'Agnès et de Cécile.)
Les combats qu'ils ont livrés dans ce monde visible, nous le savons, chaque
jour nous attendent au fond de nos âmes, et ceux qui combattent mollement
sont plus grièvement blessés. Donc, pour bien manier tes armes, regarde
ceux qui s'en servent ! »
* Auxquels on peut ajouter les gestes de Mennas, {Cod. Augiensis., 32.
f' 30, vénéré à Rome) et les gestes de saint Jean (Meliton). En rapprocher
l'elogium Pétri et Pauli, de la femme de Hoèce, Klpis. — Une homélie inédite
sur saint Nicoméde {Cod. Bern., lli, f* 03) qui présente la même doxologie,
invile à croire que l'auteur avait sous les yeux un texte des gestes de Nico-
méde la présentant.
314 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Cette doxologie insiste sur la place qui revient au Christ
dans V unité trinitaire. Pourquoi cette insistance ?
Quelques-uns de ces textes, ceux de Gordien, par exemple,
•et de Processus, sont datés avec assez de vraisemblance de
répoque d'Hormisdas (514-523); il semble que les autres
puissent/-ôtre rattachés à cette même époque : ne voit-on pas
«'élever alors des controverses, dont notre doxologie serait un
écho ?
La grande révolte rie l'Orient contre Chalcédoine, qu'attestent
TEncyclique de Hasiliskus, THénotique de Zenon, le schisme
acacien, s'apaise à ce moment, ou paraît s'apaiser : plus heu-
reux que Symmaque, Hormisdas réussit à éteindre le schisme,
à faire rayer des dypliques le nom d'Acace, à imposer les
canons de 452, touchant les deux natures du Christ, unies
sans confusion, distinctes sans séparation (513-520). De ces
événements, on peut trouver la trace, sinon peut-être dans les
gestes de Calliste, crUrbain, de Cécile et des Martyrs Grecs
qui s'occupent d'expliquer le dogme trinitaire, (hi moins, dans
les gestes de Censurinus, où on lit le passage suivant : « Fides
« chrisliana liorum triuni quos audisti Patins et Filii et Spi-
« ritus Sancti ita divisionem in personis confitetur nt tamen
« unitatem siihsiantiae non dividat (5 septembre 520, § 3). »
Il n'y a pas lieu de s'étonner que ces questions aient été con-
nues de nos rédacteurs : toute la correspondance d'Hormisdas
atteste Timportance qu'avait prise, dans les préoccupations
romaines, le sdiisme byzantin; or nos rédacteurs étaient des
clercs. Qui sait s'ils n'ont pas été attachés à la grande ambas-
sade pontificale des évoques Germain et Jean?
Une controverse particulière s'était ranimée tout d'un coup
au moment où se concluait l'accord entre l'Orient et Rome :
<îlle avait failli le détruire. L'un des chefs de l'anti-chalcédonia-
nisme monophysite, Pierre le Foulon, évoque d'Antioche, avait
ajouté au Trisagion les mots b crrauptuOs'; iCr^yÂ^ et l'em-
pereur Anastase en avait ordonné l'hisertion dans les prières
liturgiques. La formule nouvelle continuait (Hgnement la lutte
détournée, inaugurée contre Chalcédoine par Zenon et THéno-
tique; si elle pouvait se justifier par la connnunication des
idiomes, la tendance monophysite ïCqw était pas moins patente.
C'était la réalité humaine pleine et entière du Christ Jésus que
les Pères de Chalcédoine avaient de nouveau proclamée et con-
firmée; et n'était-ce pas étrangement la méconnaître et insi-
LA QUERELLE DE TRISAGION 31 5
dieusement la nier que de rapporter le fait qui l'attestait avec
évidence, je veux dire la crucifixion, non pas h la seconde
personne de la Trinité, mais au Dieu trois fois saint, à la Tri-
nité elle-même ? N'était-ce pas tomber (Fune façon singulière-
ment grave dans une de ces confusions condamnées par le
concile?
Tel fut du moins, semble-t-il, l'avis du parti chalcédonien,à
Constantinople, de Vitalianus, son chef, et des moines Scythes,
(le Léon tins et de Maxentius, fougueux défenseiu^s de l'ortho-
doxie. Ils demandèrent la rectification du Trisagion par l'inser-
tion de cette fonnide unns de Trinitate cntcifixus carne : la
crucifixion était ainsi rattachée au Christ, dont on affirmait, à
la fois, la nature divine une [iinus de Trinitate) et la nature
humaine [crucifixus came).
Les monophysites étaient découverts ; leurs adversaires de-
vaient donc se garer du reproche qu'ils essuyaient continuelle-
ment; ils devaient se laver de l'accusation latente de nestoria--
nisme que semblait impliquer toute attitude an ti-monophysite.
Ces problèmes sont si délicats, du reste, et si complexes, qu'il
faut se garder, condamnant l'un, de paraître donner raison à
l'autre. Aussi les Scythes ont-ils insisté toujours sur f unité
de la seconde personne de la Trinité. Aussi Justinien écrit-il
à Hormisdas : « Filius Dei Vivi, Dominus Noster Jésus
« Christus ex Virgine Mciria natus, quem praedicat summus
« apostolorum carne passum, recte dicitur unus in Trinitate
« cum Pâtre Spirituque Sancto regnare. Sicut enim videtur
« ambiguum dicere shnpliciter unum de Trinitate, sine prae-
« misso nomine Domini Nostri Jesu Christi, sic eius personam
« in Trinitate cum Patris Spiritusque Sancti personis non
« dubitamus esse. Sine Christi namque persona nec credi
« Trinitas religiose potest^ nec adorari fideliterK.. Peu de
« jours après, presque dans les mêmes termes, il écrit encore
« à Hormisdas : « (Jésus Christus) recte dicitur unus in Tri-
« nitate cum Pâtre Spirituque Sancto regnare^ maiestatisquc
M eius personam in Trinitate non infideliter credimus"^. »
Enfin, dans la belle lettre qu'Hormisdas lui adresse en
réponse pour clore la controverse, s'il condamne eff'ective-
ment la formule qu'ont attaquée les moines Scytlies comme
' XV K. oct., 320; P. L., 63, 307.
2 Eq321; p. L., 63, 308.
316 HISTOIRE GÉNÉ.HALE DES TRADITIONS ROMAINES
attribuant spécifiquement la passion à Tessence de la Trinité,
il a grand soin de définir, selon la doctrine de saint Lc^on, la
divinité et la consubstantialité du Fils de Marie : comme le
doute de Thomas atteste son humanité, la profession de Pierre,
dit-il, en manifeste la <livinité^ Il sait sans doute, puisqu'il
1 « Quantam venerationem rcligionis habeamus quamque sollitrlli seniper
fuerimus propter uniendas sanctas ecclesias, icstis est quoque vestra beati-
fudo... Nobis etenini videtur quoniam Filins Dei vivi Dominiis Noster Jésus
Chi'islus ex Virgine Maria natus, queui praediat sumiiius apostolorum
carne passum, l'acte dicitur uniis in Tnnitale cum Pâtre Spiriluque Sancto
regnare, maiestalisque eius personam in Trinitaie non infidelifer credimu8...'k
(Exemptuin Epistolae JusUniani cos. ad Hormisdaai. — P. L., 63, 508) (521).
... Sequi dubia quam servare décréta. Naiu, si Trinitas Deiis, hoc est Pater
et Filius et Spiritus sanctus, Deus autem unus specialiter..., qui aliter habet,
necesse est aut divinitatem in multa dividens (at), ant specialiter passionem
ipsi essentiae Tnnitalis impingat ; ei, quod absit a fideliuni mentibus, hoc
est aut plures deos more profano gentilitatis inducere, aut senaibilem poenam
ad eam naturam quae aliéna est ab omni passione frans ferre. Unum est
Sancta Trinitas, non multiplicatur numéro, non crescit augmento ; nec potest
aut inteUigentia comprehendi aut, hoc quod Deus est, discretione seiungi.
Quis ergo illi secreto aeternae impenetrabilisque substantiae... profanam
divisionem tentet ingerere et divini arcana mysterii revocare ad calculum
moris humaDi?Adoremus Patrem etPiiium etSpiritumsanctum, ...inenarrabi>
lem substantiam Trinitatis..., ita tamen ut serveums divinae propria naturae,
servemus propria unicuique personae,necpersonis divini tatis singularitas dene-
getur, nec adessentiam hocquod est proprium nominum transferatur».. Proprium
est Patris ut generaret Fiiium, proprium Filii Dei ut ex Pâtre Palri nasceretur
aequalis, proprium Spiritus Sancti ut de Pâtre et Filio procederet sub una
substantia Deitatis. Proprium quoque Filii Dei ut... intra viscera sanctae
Mariae Virginis genitricis Dei unitis utriusque sine aliqua confusione natu-
ris... fieret filius hominis... Ipse Dei Filius Deus et homo, id est virtus et
infirmitas, humilitas et maieslas... Idem Dominas noster Jésus Christus, ne
inter corporis passiones Deus non esse crederetur, aut ne Deus (antum et
non homo inter opéra mirabilium stupenda virtutum, proposito nos duorum
apostolorum inforraavit exemplo, Deum esse Christum Dominum nostrum
Pétri fide, hominem Thomae dubitationc declarans... Cum in manibus
omnium sint et synodica constituta et beati papae Leonis dogmala, per-
strinxisse potius pauca quam evuluere credidi convenientis universa. Nunc
vero agnoscere satis est, et cavere proprietatem et essentiam cogitandam^ ut
sciatur qitid personae, quid nos oporteat déferre substantiae : quae qui inde-
center ignorant aut callida impietate dissimulant, dum omittunt quid sit
proprium Filii, trinae tendunt insidias L'nitati... Data VU kal. aprilis, Valerio
VC Cos. Jljrmisdas ad Juslinum. Ep. 19. - P. L., 63, 512-516).
Telle est, selon nous, Thistoire, souvent défigurée depuis Baronius, de cette
controverse. L'orthodoxie de la formule des moines Scythes ne fait pas de
doute, la lettre d'ilormisdos, que nous citons, l'atteste clairement ; Justinien
la fit adopter en 531, et le concile de 553 déclara dans sa huitième session
e* Ti; o'j)r ipio).oyÊr tbv è(rravpb}{iévov aapxi Kvpiov i?;{Ji(i>v *l7\90\iy Xpiorbv ctvsL
Osbv àXT)èivov xal Kûptov tf,; fioÇr,; xaî sva mr,; àyia; tpixco; ô toiovto; âvdcdepia
ïmiù (Hefeie, Irad. fr , III, 514).
S'ils furent éconduits par Ilormisdas, cela tient à deux raisons : 1* la
crainte qu'avait Ilormisdas de voir le schisme se rouvrir; TOrient ne se
LA QUERELLE DE TRISAGION 317
vient (le recevoir leurs lettres, que les Orientaux qui acceptent,
en frémissant, Chalcédoine, croient devoir déclarer, dans leurs
professions de foi : « hominem colentes toto animo anathema-
lizamus^ ».
C'est, semble-t-il, à cette préoccupation de ne pas donner
prise aux monophysites, au moment où on condamne effective-
meni — sinon explicitement — leur formule du IVisagion,
qu'il faut rapporter aussi la forme particulière des quelques
doxologies que nous avons signalées. Comme Justinien écrit :
<( Christi personam in Trinitate cum Patris et.Spiritus Sancti
« personis non dubitamus esse», ainsi nos doxologics portent:
« (Christus) cum Pâtre et Spiritu Sancto in unitate virtutis
régnât... », « le Cluîst que nous adorons est bien de l'unité de
la Trinité, dans la Trinité ». Justinien dit: « Unus in Trinitate
cum Pâtre Spirituque Sancto régnât », et ces termes se retrouvent
presque dans . nos doxologies : « cum Pâtre régnât in unitate
Spiritus Sancti». Les Moines Scythes, éconduits par les légats
qui comprenaient mal la question et voyaient clairement lo
danger d'irriter les Orientaux étaient accourus à Rome, y
avaient déployé une activité et une énergie peu communes :
ils n'avaient pas hésité à remuer ciel et terre, au grand déplai-
«oumettait qii*à demi, Constant inople exceptée ; les évêques catholiques,
Thomas, Nicostrate et Jean de Nicopolis ne recouvraient pas leurs sièges :
Tévèque Jean était massacré à Thessalontque par les antichalcédoniens ; à
Ephèse, à Antioche, on insultait Chalcédoine, les moines Scythes assurent
qu'un guet-apens est organisé contre eux, etc.. ; la correspondance d'Hor-
misdas et de Justinien fournit maintes et maintes preuves de cette situation ;
2* rinhabiieté des moines qui froissèrent le pape, très prudent de nature
(consueta cautela; P. L., 63, 474) par leur humeur intransigeante, turbulente
et brouillonne.
On n'a pas assez remarqué l'importance du mot carne dans la formule des
Scythes. Ceux qui proposaient, à Chalcédoine, unum de Trinitate passum,
entendaient condamner le nestorianisme et montrer qu'ils ne voyaient pas,
dans le Crucifié, une quatrième personne ; ceux qui la rejetaient entendaient
condamner le monophysisme et montrer qu'ils distinguaient, dans le Crucifié,
deux natures; en ajoutant came à la formule débattue, qu'ils acceptaient
ainsi corrigée, les moines Scythes se rangeaient avec les anti-nestoriens —
puisqu'ils disaient unum de Trinitate — et avec les anti-monophysites —
puisqu'ils confessaient explicitement la nature cftarnelle^ humaine, par con-
séquent, de leur Dieu. — Les deux études les plus exactes, à notre sens, sont
celles du R. P. Aniellt: Spicilegium Casinense complectens Analecta Sacra
et Profanai, I (M. Castn., 1893. Prolegom., II, p. xxxiv-lxx ; et jadis la disser-
latio secunda in Hisforiam Ecclesiasticam saecuU VI : De Fide Monachorvm
Scythiae^ de Noël Alexandre [Historia Ecclesiastica, tomus V, Parisiis, 1609,
p. 494^.
ï P. L., 63, 503.
318 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
«
sir (lu pape qui s en plaint amèrement; ils s étaient adressés
aux évêques exilés en Sardaigne ; ils avaient même tenté d'in-
téresser le peuple en leur faveur*. Nul doute que les clercs
qui rédigeaient nos légendes n'aient été émus de ces discus-
sions. Autour d'eux l'opinion publique ne s'y intéressait pas
moins; la lettre de Trifolius à Faustus l'atteste, et aussi le
De Unitate de Boèce.
Les gestes où cette formule se rencontre sont donc, à ce
qu'il semble, contemporains d'Hormisdas 2,
XIV
Tous ces faits particuliers viennent donc confirmer et pré-
ciser la conclusion générale à laquelle nous avions abouti dans
notre précédent chapitre : c'est à l'époque ostrogothique que
lé mouvement romain atteint son plus haut degré de puissance
et son plus large développement.
On devine qu'il se prolonge faiblement à travers tout le
vi" siècle et qu'il se ranime au temps de saint Grégoire et des
Boniface (590-625). On a vu comment les gestes de Césaire
paraissent être contemporains de l'époque byzantine ; on va
voir comment certains autres textes semblent bien avoir été
rédigés à l'époque suivante.
Les gestes de saint Boniface illustrent, on s'en souvient^
une église fondée par l'apocrisaire Boniface, au temps de saint
Grégoire le Grand (590-604) : c'est donc après cette époque
qu'ils ont été rédigés. Ces mêmes gestes, d'autre part, pré-
sentent de curieuses analogies avec les gestes de saint
Alexandre de Druzipara. La conception des deux épisodes
centraux est identique dans les uns et les autres, et la parenté
' P. L., 63, 491.
- H est même h. croire qu'une profession de foi, souvent attribuée à saint
Martin (P. L., 18, 11-12) a été rédigée sous Tempire des préoccupations de
cette heure. On y lit que unitas est ah eo qui est sanctus et spirituSj ce qui
s'accorde singulièrement avec les fmales de nos gestes. Il faut se rappeler
que, depuis saint Léon, dont Hormisdas et Trifolius répètent ici encore la
doctrine, Téglise romaine enseigne que le Saint Esprit procède du Père et du
Fils ; on conçoit qu'on puisse dire alors que le Saint Esprit résume, en
DATE DES GESTES DE BONIFACE 31^
littéraire dont ils témoignent n'est pas moins curieuse. Dans,
les uns et dans les autres, on retrouve les mêmes expressions,
rares partout ailleurs: piteriy domina ?nea, athleta Christi;
dans ceux-ci et dans ceux-là, le saint se tourne vers TOrient
pour prier ; et c'est aussi pour prier qu'il demande, dans cha-
cun d'eux, au moment de subir le dernier supplice, le délai
d'une petite heure ; dans ceux-ci et dans ceux-là apparaît un
ange, instrument divin d'un môme miracle : il refroidit la poix
bouillante où doit être précipité Boniface en la touchant cFunr
doigt ^ et il répand à terre l'huile bouillante, où doit être jeté
Alexandre, en touchant du doigt la chaudière qui la contient.
Or, ces gestes d'Alexandre, à les considérer en eux-mêmes^
paraissent être en rapports avec deux faits, datés do l'époque
précisément de saint Grégoire et de Boniface IIII. La dédi-
cace d'un sanctuaire à l'archange saint Michel, dans le château
Saint-Ange, qui est le fait de Boniface III, IV ou V (608-625)
est sans doute ce qui explique la mention très inattendue de
cet archange qu'on trouve dans nos gestes ; et la destruction
du sanctuaire de saint Alexandre à Druzipara dans la cam-
pagne victorieuse du roi des Avares Chagan, en 600, expHque,
sans doute, par l'intermédiaire d'une reconstruction d'église
que l'attention des personnes pieuses se soit portée sur l'his-
toire de ce martyr. Nos textes nous viennent d'un même
groupe de rédacteurs ; peut-être même sont-ils lœuvre d'un
même moine, appartenant aux monastères de Saint-Grégoire
sur le Gelius, ou de Saint-Boniface sur l'Aventin ; ils ont
été rédigés après la fondation de celui-ci, après le sac de
Druzipara, après la dédicace de l'église Saint-Michel Inter
ntibes.
Entre ces deux gestes, ceux de Sérapie et ceux d'Eleu-
thère, on relève des signes précis d'une parenté certaine. Et»
ici encore, cette parenté « matérielle » si j*ose ainsi dire, est,
en quelque sorte, soulignée par une parenté littéraire. Le
quelque manière, l'unité du Père et du Fils et représente Tunité de la Trinité :
« Christus qui cum Pâtre régnât Deus in unitate Spiritus Sancti ». — Hor-
misdas tenait au courant (P. L., 63, 431, 439, 471) tes évéques de Gaule et
d'Espagne : du reste la controverse dura longtemps et fit grand bruit (cf.
saint Jean Damascëne). C'est peut-ôtre ce qui explique que la formule
in unitate se retrouve dans un manuscrit des gestes de saint Vincent (Cod.,
Paris, lat. 5269}; cf. aussi les actes de sainte Geneviève (reocnsion Kohler,
i 53} et les gestes Florini (Ca/. Pans., I. 127).
320 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
terme obscur de Candida (jeux solennels ?) se retrouve dans
Boniface, Sérapie, Eleuthère ; des termes d'origine grecque,
stadium^ bionath'a^ themele^ se lisent dans Boniface, Séra-
pie, Alexandre; un curieux dispositif de prière: Sanctiis...y
Sanctus...,Sancttis,.,^ te invoco...^ le invoco..., te invoco...^
est commun à Sérapie et à Alexandre ; dans Alexandre comme
dans Eleuthère, le saint se signe le corps tout entier; TAglaïs
de Boniface pourrait bien n'être qu'une copie — aussi poé-
tiquement dénommée, du reste, — de TAnthias d'Eleuthère ;
lepoque assignée à Eleuthère peut avoir été indiquée an
rédacteur par le pape Eleuthère, mais peut aussi lui avoir été
suggérée par le texte de Sérapie : ce qui est beaucoup plus
vraisemblable.
Et comment s'en étonner, s'il est vrai que ces gestes aient
été rédigés dans les mêmes milieux, à la même époque. Il
faut noter que, dans ses Dialogues, saint Grégoire nous
parle d'un Boniface et d'un Eleuthère ; quoi <le surprenant
si ses enfants spirituels, comme les diaconites de TAventin ou <hi
Celius, s'intéressent aux patrons des saints personnages dont
les entretenait leur livre le plus aimé? N'en ont-ils pas em-
prunté la langue? Dans les gestes, en effet, se retrouve la
langue des Dialogues et celle du <lébut du vu* siècle, solidi^
sanctimonialis, reliquiae, jusqu'à ce terme phis rare iVapex
(lettre) qui revient jusqu'à deux fois dans les trois lettres de
Boniface IV conservées par les manuscrits; jusqu'à cette façon
de dater pai' le quantième du mois qui se répand à cette époque.
Noter, du reste, qu'on parlait beaucoup alors, en Italie, d'un
personnage dont nous connaissons mal l'histoire, mais qui
semble avoir joué un. rôle assez important: je veux parler du
duc Eleuthère, qui se révolta vei-s l'an 620*. Ne semble-t-il
pas que tous ces faits convergent vers une même époque
comme tous ces documents coiicordent entre eux: les gestes
<le Bonifa<*e, d'EIeuthère et d'Alexandre Humain ont été rédi-
gés, sans doute, au début du vu' siècle, peut-être sous Boni-
face V (6i9-62o), sur le modèle des gestes de Sabine par Tun
1 « Qui pugnanlo Eleutherius patricius ingressus est Neapolict et inlerfecit
tyrannum... » (L P., 1, 319, m Deusdedit, 615-618).— Eodem tempore (Boni-
fatio V, 619-625), ante dies ordinationis eius, Eleutherius patricius et ennu-
chus factus intarta adsumpsit regnum. Et veniente euiu ad civjtatem Roma-
nam, in castrum qui dicitur Luciolis, ibidem a milites Raveonates interfeclus
est » (L. P., I, 321).
DATE DLS GLSTES b£ SÉRAPŒ ET SABLNE 321
des moines du monastère de TAventin, situé tout près de rc'glise
consacrée à cette sainte ^
1 Les gestes de Sérapie paraissent appartenir à l'époque ostro^r>lhiqiie:
l'église existait alors; les gestes qui Tillustrent donnent la doxologie in uniiate;
la prière sanctut...^ sancfus,..^ sanclus .., le invoco,..^ te invoco...^ te invoco...^
ne date-t-elle pas de la même époque, des controverses relatives au Trisngion:
peut-on contester qu'elle en dérive ? Les gestes de Sérapie-Sabine sont parents
des gestes de UuGne-Seconde :
• si ab invito ablata uoSis fuerit uirgini- «• si ergo uiolata fueris, desinls c.^hc tcm-
« tas, qiiid eritis facturae cum Chris^lo. • « pliim dei tui. »
(10 juillol 30.) (29 aortl .M)0.)
21
CHAPITRE IV
DÉFORMATIONS DES TRADITIONS CONTEMPORAINES
DES RÉDACTIONS : LE NÉO-MANICHÉISME <
[v*-vi' siècles]
Au moment où Ton rédigeait les traditions romaines,
d'autres faits, dont nous n'avons pas encore parlé, exerçaient
sur elles une influence remarquable.
I
La tradition de l'église primitive touchant le martyre de
saint Pierre et de saint Paul avait été remplacée par une
légende qui s'était épanouie peu à peu jusque vers la fin du
IV* siècle 2. Cette date marque une nouvelle période dans l'his-
toire de cette légende, qui devient désormais un objet de con-
troverse et une arme de combat. Le manichéisme occidental
naissant cherche à insinuer ses théories allégorisantes dans
une histoire prétendue des origines chrétiennes ; et, cette his-
toire, ses fidèles tentent de l'écrire en rédigeant les gestes des
I Nous n'étudions ici que le rapport de ce néo-manichéisme avec les tradi-
tions martyrologiques romaines. Sur le néo-manichéisme, en général, cf notre
étude : De Manichaeismo apud Lalinos quinto sexloque saeculo alque de laii-
nis apoctyphis libris (Paris, Fontemoing, in-8% 1900).
- Cf. aupra, la première partie de Thistoire de la légende, p. 101. — Dans
rintérét de la clarté, nous avons sUppriraé toute discussion directe avec
M. Lipsius.
32^ HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Apôtres ; n'assureiit-ils pas ainsi à leurs doctrines le double
mérite d'une incontestable authenticité et d'une autorité quasi
canonique? Ils rédigent et déforment la légende de saint Pierre
et celle de saint Paul, comme ils rédigent et déforment les
légendes des autres Apôtres : ils prennent plaisir à séparer
l'histoire des deux saints dont laccord final a fondé le chris-
tianisme : n'est-il pas de bonne guerre, après tout, pour ceux
([ui veulent dissoudre celui-ci d opposer ceux-là l'un à l'autre?
Si les gestes de saint Paul ont disparu, semble-t-il, les gestes
de saint Pierre sont parvenus jusqu'à nous dans un précieux
manuscrit conservé à Verceil et qu'a publié M. Lipsius : le conflit
de l'Apôtre avec le Mage y est retracé tout au long, mais
est coupé, par endroits, de longues digressions dogmatiques. Ce
texte ne parait pas être romain d'origine : il a été rédigé vrai-
semblablement dans l'Italie du nord : comme c'est à Verceil
qu'il a été retrouvé de nos jours, c'est à Milan et à Brescia
([ue nous le voyons connu et utilisé, à la fin du iv* siècle, par
saint Aml)roise et par Philastrius ; et c'est à Milan aussi que
nous le voyons pour la première fois réfuté. Qui croira que ces
localisations, disparates et convergentes, soient unpurefi'et du
seul hasard * ?
C'est dans les plaines du Milanais que le Pseudo-Josèphe
(peut-être saint Ambroise -) écrit son curieux ouvrage sur la
ruine de Jérusalem •^ L'auteur inconnu, loin de suivre la voie
ouverte chez les Latins par l'éditeur de ^"erceil, se conforme
soigneusement aux tendances de la piété catholique, réunit
rhistoire de saint Pierre à celle de saint Paul et associe expli
citement « les docteurs des chrétiens » dans la lutte qui se
termine par la défaite de Simon le Mage, son ascension raan-
quée du haut du Capitole et sa mort à Aricie. La rédaction de
ce premier éditeur catholique ne semble pas avoir beaucoup
restreint, au moins dans ces régions, la diffusion du texte
hérétique. Si Maximus de Turin affirme, avec les catholiques,
que les deux Apôtres moururent le même jour, dans un même
lieu, sur Tordre du même tyran'», s'il les place tous deux à la
1 Lipsius, Acta Pétri... (Lipsiae, 1891, p. 45). — De Manichaeismo apud Lati'
nos, p. 39 sq. — Ambroise, c. Auxentium, 13 (P. L., 16, 1007).
' Rœnsch. Roman Forschungen^ I {Erlangen, 1883), 2o6.
3 De Excido Hieros, III, 2 (P. L., 15, 2068).
^ « Non sine causa factum putemus quod una die, une loco, unius tyranni
'olerauere sententiam... (Hom., 73. P. L., 57, 405).
POLÉMIQUES SDR SAINT PIERRE ET SAINT PAUL 325
tête des Apôtres et leur reconnaît comme un droit particulier
de prééminence*, il ne fait jouer aucun rôle à saint Paul dans
Thistoire du conflit et de la mort du magicien : c'est saint
Pierre seul qui lutte et qui vainc; et, comme dans une autre
homélie il fait des mages lamnes et Mambres - les adversaires
de Moïse, il est à peu près assuré qu'il puise ses renseignements
dans la légende manichéenne. Et cette conclusion est confir-
mée par ce fait (ju'il raconte un autre conflit de Simon le Mage
avec saint Paul devant Sergius Paulinus*^, conflit qui nous est
d'ailleurs inconnu, qui est une réplique manifeste de la discus-
sion de saint Paul et de Bar lesu devant Sergius Paulus et qui
devait donner un pendant à la lutte fameuse de saint Pierre
contre le même magicien devant Néron ; cet épisode constituait
sans doute le centre de la légende manichéenne de saint Paul.
Après Maximus de Turin (mort après 46i), après saint Léon ^
qui l'ignore ou la condamne, puisque, dans ses sermons, il n'en
dit jamais un mot, la légende des deux Apôtres romains quitte
l'Italie du nord où elle s'est épanouie jusque-là; mais elle ne
cesse pas d'être l'arme de combat qu'elle était en pays latin,
au temps de Philastrius et d'Ambroise. En se localisant à
Rome, il semble, au contraire, qu'elle devienne plus encore
un sujet de querelle, sinon un instrument de polémique. Le
décret damasien l'atteste : « A Pierre a aussi été donnée la
« compagnie du bienheureux Paul, vase d'élection : au contraire
« de ce que rapportent les bavardages hérétiques, ils ne sont
« pas morts à deux époques distinctes, mais ils ont été cou-
ce ronnés dans un même temps, un seul et même jour, par une
(c mort glorieuse, en combattant, dans la ville de Rome, sous
« Néron César ^. » Pareille insistance indique une polémique^:
^ « Beat! Petrus et Paulus ominent inter uni versos apostolos et peculiari
quadam praero><ativa pncceilunt » (Hom., 73. P. L., 57, 40 i).
* « Primuin utique Jamnes et Mambres ini^i cum Moysi signis prodigiisque
résistèrent... » (Hom., 101, P. L., :i7, 488).
3 Hom. 101 y (P. L. 57, 488). « Cum apud Sergium Paulinura proconsulem
Simon Magus Paulum apostolum oppugnaret, utique Ecclcsiae vas tentabat... »
Noter encore ce qu'il dit {Sermo, 69. P. L, 57, 674) : « De Pauli vero cervice...
dicitur fluxisse magis lactis unda quam sanguinis » : ce qui parait t^tre un
trait manichéen.
* Notamment Sermo 82 (P. L., 54, 324, 194. - 56, 23, 322).
^ « Additaest etiam societas beatissimi Pauli apostoli, vasis electionis, qui
non diverso sicut haeretici garriunt, sed uno tempore, uno eodemque die
gioriosa morte cumPetro in urbe Houia agonizans,coranatus est. » {Cod. lur.,
P.L ,59, 168).
* Noter que le Sacrementaire Léonien, livre romain s'il en fut, affirme que
Pierre et Paul ne moururent pas le mOme jour.
32C HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
il faut donc croire que des plaines du Pô la polémique mani-
chéenne est descendue sur les rives du Tibre.
C'est à cette époque, en effet, qu'il faut sans doute rappor-
ter la rédaction catholique des gestes romains de Pien*o
et de Paul, le plus souvent appelée texte de Marcellus.
La plus ancienne édition que nous en connaissions nous est
parvenue seulement dans une traduction grecque [Codex Vene-
tus Marcianus^): le rédacteur catholique suppose saint Paul
revenu d'Espagne, où l'a envoyé le rédacteur manichéen, et il
raconte l'œuvre des deux Apôtres réunis, leur intimité cor-
diale, leur lutte victorieuse contre Simon. Seulement, il ne
parle pas des quatre pierres du Forum sur lesquelles se
fracasse le magicien; il ne précise pas avec détail les circons-
tances topographiques du martyre; il ne met pas enfin, dans la
bouche de saint Pierre, ce mot si caractéristique: nosévêqties
nous ont confirmé ce que raconte saint Paul, (fans tes lettres
qu^ils nous ont écrites-, »
La seconde édition catholique, <lont nous ne connaissons
encore qu'une traduction grecrjue (Codex Regiensis^) roma-
nise davantage la tradition : c'est là que saint Pierre parle
comme pouvait le faire saint Léon après Chalcédoine; c'est
là aussi que se précisent les détails topographiques touchant
le martyre des Apôtres. L'édition nouvelle se distingue
encore de la première par l'ampleur des renseignements (lu'elle
donne sur saint Paul : le rédacteur raconte son voyage <lepuis
Gautomeletè jusqu'à Rome, et il insiste avec soin sur les con-
versions qu'il opère au moment de son martyre. Mais cotte
a<ldition ne fit pas fortune, i)eut-être en raison de son origine
manichéenne. — yne troisième édition * païuit bientôt qui conser-
vait la belle phrase papale de saint PieiTC, qui écartait le»
récits relatifs à saint Paul et qui, pour le reste, reproduisait
assez fidèlement la première version catholi(iuo. Celle-(*i avait
sur celle-là l'énorme avantage qu'elle s'adaj)tait on ne peut
plus aisément aux Actes des Apôtres, qu'elle en paraissait être
la suite normale et le naturel achèvement. Je serais assez
porté à croire ({ue cette troisième édition — comme peut-être
aussi la première — se présenta sous le patronage de saint Luc.
' Lipsius, op. cit., p. 118.
•* Lipsius, op. cil., p. 152.
3 Lipsius, op. cit., p. ns.
* Lipsius, op. cit., p. 111».
ÉDITIONS ET REMAME3IE.NTS DES TEXTES 327
Indépendamment des cas d'analogie que Ton pourrait citer,
voici une raison particulière de le croire. Les Manichéens
ripostèrent aux catholiques, et c'est sous le patronage de
Linus* qu'ils firent paraître leur réplique. Fidèles à leur tac-
tique, isolant les deux Apôtres, ils consacrèrent à chacun un
texte particulier; ils prirent un malin plaisir à faire de saint
Paul, — comme s'il se fût agi du Mage, — un ami de Néron;
ils se risquèrent même à appeler le Christ « la Vertu de Dieu^ » ;
mais, pour w faire passer » leurs hardiesses, ils copièrent ou
démarquèrent certains épisodes et la langue môme des gestes
des martyrs.
Dans le texte consacré à saint Patil, ils reprennent l'épi-
sode de Perpétue^ et des trois soldats convertis par TApôtre,
à rhetire de son martyre; ils font de ceux-ci deux préfets
et un centurion, les appellent Longin, Megiste et Aceste et
transforment celle-là en Plautilla^ lanière (V une sainte illustre
entre toutes^ de Flavie Domitille'^ elle-même. Ce n'est pas
tout : ils insistent avec complaisance sur les trois personnes de
Dieu et Tunité spirituelle qui les contient^, ils empruntent aux
historiens des martyrs leurs jeux de mots familiei-s sur le
service des saints aux ordres du Christ, comparé au service
{militia) des soldats aux ordres du prince^»; Ton trouve
même une fin de phrase qui semble provenir des gestes de
Processus^. Ils avaient senti, sans doute, que leur édition pri-
mitive des gestes de saint Paul, mal adaptée aux goûts des
Romains, ne pouvait avoir beaucoup de succès parmi eux.
C'est du moins ce qu'il est permis d'affirmer à propos des
gestes de saint Pierre. Les Manichéens abandonnent l'édition
de Verceil ou les dissertations théologiques étouffeut les récits
historiques, au grand déplaisir des Romains. Ils en recueillent
la fin seulement**, qui exprime, du reste, sous une forme dra-
matique, leurs tendances ascétiques, et ils lui donnent la forme
et l'allure des gestes des martyrs : les discours dogmatiques
1 Lipsius, op. cit.f 1-22-ii.
"^ Lipsius, op. cil., p. 28.
3 Comparer dans Lipsius, p. 39 et p. 213.
* Gesta Nereiel Achillei, 12 mai, cf supra, p. 251.
* « Cui cum pâtre in unitate spirilus sancti... » (p. 43). Cr. supra, p. 313 sq.
* Lipsius, p. 29.
^ « Eos qui vincti erant cum itlis soluere atquequo vellcnt abirc » (p. 43).
Cf. Gesia Processi.
> Comparer dans Lipsius, p. 1-22 et p. 83-101 .
?28 HISTOIRE GÉiNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
disparaissent presque tous et fout place à une passion de
saint Pierre, rais à mort parce qu'il prêche la continence aux
Romaines, — avec trop de succès au gré des maris. — Cette
histoire toute simple, facile à saisir, devait plaire encore par
son allure piquante : et le prestige du nom de Linus devait
rimposer aux âmes pieuses.
Ce n'est pas tout : pour en faciliter encore la diffusion dans
les milieux populaires, ils y insérèrent a\o\\ plus un personnage
d'un des gestes les plus connus, — comme Plautilla, — mais
un fragment entier d'une légende de renommée discrète^
celle de Processus et de Martinianus^, et, par manière de
compensation, afin de rendre plus éclatante la solidarité des
gestes indigènes et de leur littérature exotique, ils introdui-
sirent dans les gestes de Processus et de Martinianus un
fragment de leur édition de Vérceil des gestes de saint Pierre"^.
¥à c'est ainsi que Ton peut expliquer, semble-t-il, l'apparition
de Paulinus, de Martinianus, de Processus, de la Sainte Trinité
et des « magistriani » eux-mêmes dans Tédition « linienne » des
gestes de TApôtre — - que l'on chercherait en vain dans le texte
de Verceil — et fintroduction de Topisode du Seigneur rame-
nant à Rome saint Pierre en fuite — que Ton chercherait vaine-
ment aussi dans la première édition des gestes de Processus'*.
• g V et VI, Lipsius, op. cit , p. 6, 8.
"^ Le fragment relatir à la fuite de saint Pierre et à l'apparition de Jésus.
3 Ce texte est inédit. Nous l'avons heureusetnent découvei^t dans le Codex
Vallicellanus^ VU, f« 173 v. (du xiii' siècle). Le voici:
Passio scor processi et martiniani. Lectio prima. Terapore quo symon
Riagus crepuit intus impiissimus Nero tradidit beatissimos apostolos petrum
et paulum paulino viro clarissimo magisterie potestatis. Paulinus mancipavit
eos incustodia mamertini ad quos veniebant multi Xrianiinfîrmi etcurabantur
ab iniirmitatibus suis atque alii a demoniis iiberabantur p. orationes aplor,
Erant autem custodientes eosdem aplos mulU milites inter quos erant duo
magistri principes processus et martinianus.
Lectio II. — Hii cum vidèrent omnia mirabilia que faciebat p. aplos suos
doniinus ihesus Xristus mirari ceperunt dicentes, viri venerabiles nostis quia
imperator nero iam in oblivione recessit a psona vra. Ecce enim nouem
menses sunt quod in custodia estis. Rogamus itaque vos ut arabuletis ubi
uolueritis tamen in huius nos nomine in cuius uos novimus facere virtutes
magnas baptizetis.
Lectio 111. — Tune dixerunt eis apli vos crédite ex toto corde in nomine
trinitatis et ipsi pot estis facere que nos facere cognovistis. Hoc audientes
oms qui in custodia erant clamaverunt unanimiter dicentes : date nobis
aquam quia siti peririilamur. Eadem hora beatissimus petrus dum esset in
rpsa custodia mamertini dixit ad omnes : Crédite in Dominum patrem omnipo-
tentemin dominum nrm Ihm Xrm filium eius unigenitum et in spiritum sanc-
MANŒUVRES DES MANICHÉENS 329
Et les Manichéens ne bornent pas là leurs manœuvres :
comme ils ont interpolé les gestes de Procossus, ils inter-
polent encore les gestes de Nérée * — agréable façon de se
railler de la haine qu'ils inspirent à leur auteur. — Ils y
racontent que saint Pierre sauve deux fois Simon do la colère
du peuple et des atteintes des chiens; ils ajoutent que Simon,
— comme saint Paul — devient, après un an d'absence, l'ami
intime et le conseiller favori de Néron ; et, pour accréditer
leur édition linienne, et peut-être aussi ramener Tattention
sur celle de Verceil, ils renvoient le lecteur désireux de con-
naître le conflit du Mage et des Apôtres à une lettre que Linus
aurait écrite, en grec, et qu'il aurait adressée aux églises
orientales. N'est-il pas vraisemblable qu'ils espéraient faire
passer pour des traductions partielles de cette lettre mysté-
rieuse leur édition « linienne » des gestes de saint Pierre
et de saint Paul?
Qui sait même s'ils n'ont pas été plus loin et s'ils n'ont pas
cherché à ruiner le crédit de l'édition catholique en lançant
dans la circulation un texte qui y contredisait? L'édition
catholique, on l'a vu, explique le séjour des reliques aposto-
liques ad Caihecumbas par une tentative manquée des Grecs
tum et omnia ministrabuntur nobis. Cuinque orasset beatus petrus apis
Uico facto signo crucis in monte Tarbeio in custodia mamertini emanaverunt
aque de monte.
Lectio Illl. — Tuncbaptizatisuntbeatipcessus et martinianus ma^istri prin-
cipes a beato petro aplo Eodem tempore nuntiatum est paulino magistro
officio quod processus et martinianus Xriani effecli fuissent. Misit ergo
milites et tenuit eos, et cum adducti fuissent ante conspectum suum,
dixit eis : Sic stulti facti estis ut deserentes deos quos invictissimi principes
colunt sequentes vana sacramenta niilitiae vestraeammlttatis. Beati inartyres
dixerunt Nos XrisUani facti sumus.
Lee. mil. — Tune paulinus iussit ut cumlapidib; oraeorcontunderentur. Et
cum iniovem ad sacriîicandunisibi oblatum tripodam expuisset praecepiteos in
eculeo suspendi et a trabi neruis et fustibus cedi flammasque poni circa latera
eor. Deinde iussit militibus ut scorpionibus eos appensos in eculeo casli-
garent: eadem hora paulinus amisit oculuin sinistrum et post triduuni subito
arreptus ademonio expiravit. — Lectio VI hoc audiensprefectus urbis caesarius
intimavit neroni rem gestam. Imperator autem precepit ut celerius exiingue-
rentur. Tune prefectus data in e^s sententia iussit eici de custodia et duci
foras niuros in via que vocatur Aurélia ibiq ; capita eorum sunt amputata.
Sanctissima vero femina lucina coilegit corpora eor et condidit aromatibus
et sepelivit in predio suo in areuario suo iuxta locuni ubi decoUati sunt sub
die sexto nonas iulii. — Ce texte est différent de celui d'Adon (P. L.,123, 195;
et de celui de la Légende Dorée, ch. 89. (Ed. Graesse, 1889, p. 374).
^ il me parait bien vraisemblable, en effet, que noire texte des gestes de
Nérée a été retouché par un Manichéen, — à moins que ce ne soit le con-
traire qui soit arrivé.
330 UISTOIKE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
pour reprendre les corps de leurs Apôtres. Les Manichéens
n'auraient-ils pas tenté d'expliquer ce séjour d'une toute autre
manière — du reste, plus vraisemblable — ? Le Liber Pontifi'
caiis nous parle d'une translation de ces reliques aux cata-
combes, faite par les soins du pape Corneille; or, le Liber
suit exactement notre édition des gestes de ce pape jtisquà
r épisode (le la translation ^ quils ignorent et qu'il rapporte^.
Comme il y a eu deux éditions des gestes de Processus, dont
une seule était très répandue et très souvent copiée, n'y
aurait-il pas eu deux éditions des gestes de Corneille, dont
nous lisons encore l'une, et dont l'autre, aujourd'hui inconnue,
et peut-être perdue à jamais, retouchée par les Manichéens^
aurait guidé le rédacteur des gestes pontificaux ?
Le succès obtenu par la riposte des Manichéens est indiqué
aujourd'hui par le nombre des manuscrits qui la reproduisent.
Les Catholiques réplicpièrent : la brièveté des gestes manichéens
n'était sans doute pas étrangère à leur succès. A côté des édi-
tions «liniennesM, les gestes de Pierre et de Paul pouvaient
paraître bien longs : de là, les abrégés qu'ils en firent. Celui
<[ue nous avons conservé dans le Codex Monacensis 14418 ^, suit
très fidèlement la troisième édition catholique {Codex San g al-
iénais) des gestes apostoliques; les mômes expressions sont
souvent reproduites; une seule, mais curieuse variante, a été
introduite : si saint Pierre demande à être enterré la tète en
bas, ce n'est pas par sentiment d'humilité, en souvenir de la
passion du Seigneur, c/est «pour montrer qu'il va au ciel».
L'abrégé découvert dans le Codex Florentimis^, paraît être
une œuvre plus originale — r au moins par rapport aux
textes que nous connaissons — : c'est la maison de Ponce
Pilate que Pierre et Paul fréquentent à Rome ; et c'est un
parent de Ponce Pilate qui convainc Simon de mensonge,
quand il prétend être le Christ. Conformément au récit mila-
nais du psèudo-Josephe, contrairement aux données romaines
de l'édition catholique, c'est du haut du Capitole, et non pas au
Champ de Mars, que Simon tente l'Ascension.
C'est ainsi que, dans l'état actuel de nos connaissances, on
peut, semble-t-il, grouper les textes qui nous sont parvenus
• Cr. ce que dit M. l'abbé Duchesne, L. P. J., 151, note 7. — Notes de très
curieuses analogies de style entre les gestes de Corneille et ceux de Processus.
■-* Inédit.
3 Lip5ius, op. cil.^ p. 223,
LA FL'ITE DK SAINT-PIEHRE 331
et esquisser l'évolution de la polémique. Quoi qu'il en soit,
du reste, à cet égard, il semble bien que les hérétiques se
soient inspirés de la vieille thèse anti-chrétienne : la lutte
acharnée de Pierre contre Paul — , et que les catholiques
aient défendu de leur coté leur antique tradition : laccord
fondamental des deux apôtres.
II
Les rapports de saint Pierre et de saint Paul devenus objet
de polémique, n'ont pas seuls exercé une influence sur les tra-
ditions romaines, au moment de la rédaction des gestes : une
autre controverse, également inconnue, y a laissé aussi des
traces curieuses.
L'édition manichéenne des gestes de saint Pierre retrouvée
à Verceil raconte que l'Apôtre, menacé de mort par Albinus
et par Néron, s'enfuit sous un déguisement. Il hésita une
seconde avant de prendre ce parti: « Fuirai-je,mes frères? »
Et ceux-ci répondirent : « Tu ne fuis pas ; tu fais en sorte de
« pouvoir encore servir le Seigneur... et ayant été persuadé par
« ses frères, il sortit seul*. » Les catholiques virent peut-être
quelque ironie dans cette discussion si brève ; leur piété s'ac-
commodait mal d'une attitude évidemment peu héroïque; d'au-
tant que Pierre, à peine sorti de la ville, rencontrait le Seigneur
([ui venait prendre sa place et se faire une seconde fois cruci-
fier. Ce qui est assuré, c'est que, dans leur riposte, ils prirent
soin de définir exactement la conduite de saint Pierre. « On
« priait saint Pierre qu'il se rendit ailleurs. Saint Pi'frre résis-
<« tait^ (lisant que jamais il ne paraîtrait cvdvr pav crainte de
« la mort ; f/it^il est bon de souffrir pour le Christ qui s'est
« offert à la mort pour noits tous; que cette mort-là^ ce n'est
« pas la mort y mais rimmortalitê future ; que ce serait chose
« indigne qu il esquivât répreuve ^dans sa chair, lui qui^ par
a ses leçons, avait poussé beaucoup d'hommes à s'offrir au
« Christ en victimes; que la parole de Dieu devait s'accom-
« plir et lui-même, par sa passion, rendre au Christ gloire et
' L'psiiiî», op. cit.. p. 86-88.
332 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
« honneur. » Voilà, entr'autres choses, ce qu'objecta Pierre ;
« mais le peuple, en lainies, demandait que TApôtre ne l'aban-
« donnât pas sans pilote au milieu de l'orage : et Pierre, vaincu
« parles larmes, céda; il promit de sortir de la ville* ». Ainsi
présenté, l'épisode ne froissait en rien les susceptibilités
catholiques : il fut inséré, tel quel, dans quelques versions de
la troisième édition catholique. Dans cette édition du reste,
comme dans les deux autres qui l'avaient précédée, on n'avait
garde d'accepter la tradition manichéenne. L'incident n'était
pas, sans doute, passé sous silence : Tapparition du Christ à
Rome flattait trop l'amour propre des Romains pieux pour
qu'ils sacrifiassent l'épisode; mais, ici encore, on le présentait
de telle sorte qu'il tournât à la gloire de Pierre. On passait
très rapidement sur la fuite elle-même, que l'on racontait, non
pas à sa place chronologique dans Thistoire de l'Apôtre, mais
longtemps après, lorsque saint Pierre était déjà sur la croix :
c'est un simple souvenir qu'il rappelle, et il en fait le thème
d'un développement directement contradictoire au récit tendan-
cieux des hérétiques. Comme la multitude se réunit, pleine de
fureur, prête à tuer Néron et à délivrer saint Pierre, celui*ci
l'apaise : il lui dit la rencontre qu'il a faite du Sauveur en quit-
tant [a fratrihus ahscedeham) Rome et que le Sauveur lui a
donné confiance : « Ne crains rien, car je suis avec toi jusqu'à
(c ce que je t'introduise dans la demeure de mon père. Et c'est
« pourquoi, mes enfants, ajoute l'Apôtre, ne m'arrêtez pas en
« chemin : déjà mes pieds foulent la route céleste ; ne m'attris-
« tez pas, mais rejouissez-vous parce que, aujourd'hui, je
« recueille le fruit de mes peines ''. » L'épisode de la fuite
pouvait être aisément interprété, par les lecteurs des éditions
manichéennes, connue un second reniement de r Apôtre ; il
tournait à sa louange dans les textes catholiques ; à ceux qui
voulaient le délivrer et le venger, il avait- répondu: « Ne
(( m'arrêtez pas en chemin ; déjà mes pieds foulent la céleste
« route » ; loin d'avoir cherché à fuir la mort, saint Pierre avait
donc voulu son martvre.
On pourrait croire que sa gloire est seule en jeu dans ces
polémiques : on va voir qu'il n'en est rien. Les gestes de
saint André qui furent rédigés à Rome, à propos de la cons-
1 De Excidio Hievos, III, 2. (P. L., 13, 2069-2070).
* Lipsius, 0/7. ct7., p. 171-473.
LA SPONTANÉITÉ Dl* MAlîlYRE 333
truction d'une basilique à lui consacrée, roulent tout entiers
sur cette question : la spontanéité du sacrifice des martyrs.
André montre au proconsul ^^gée que le Christ a souffert,
non pas malgré lui, mais de son plein gré {non invitîfs, sed
sponte stiscejjit) ; que, s'il a été livré, la spontanéité de son
sacrifice n'en est pas diminuée, puisque, sachant d'avance qu'il
serait trahi, il ne s'est pas sauvé ; et le saint montre encore
au proconsul, par son attitude, que les martyrs, comme leur
Maître, pouvant éviter la mort, préfèrent de beaucoup le sup-
plice. Comme saint Pierre, lorsque la foule accourt pour le
délivrer, il Tadjure et lui crie : « N'empêchez pas mon mar-
tyre ^ » Le texte est parfaitement explicite ; il nous fait mieux
comprendre la portée de Tépisode dont nous parlions tout à
Theure, en même temps qu'il éclaire de curieux et obscurs pas-
sages d'autres gestes romains.
« Je viendrai vers toi, dans ta demeure, dit saint Thomas au
« persécuteur pour t'apprendre que je souffre volontairement
« pour le nom de mon Seigneur et pour te faire sentir toute la
« puissance de ma foi. » — 11 arriva, dit le rédacteur des gestes
f< de saint Silvestre, que tous, étant ainsi pourvus de sa science,
« éprouvèrent pour le înnrtfjre plus d'amour que de crainte et
« se hâtèrent avec Itti, joyeux. » — « Le préfet commença de
« parler pour que saint Clément ne s'en allât pas spontanément
« en exil, mais sacrifiât plutôt aux dieux... Mais le bienheu-
« reux Clément... montrait qu'il désirait r exil plus qu'il ne le
« craignait. » — Lorsque sainte Anastasie est conduite devant
le préfet d'UljTie, Probus, elle lui dit qu'elle est venue de Rome
à Sirmiumà la suite des saints qui se font tuer spontanément.
— Le prologue des gestes de Chrysanthe comparant aux dou-
leurs du feu éternel Tamour de cette vie parle des mart\Tes
gratuits de ceux qui viennent « s'offrir d'eux-mêmes ». — Dans
les gestes de Pierre et de Marcellin, on voit qu'Artemius,
Paulina, Candida refusent de fuir. — Il en est de môme de
Marcel et de ses amis dans les gestes qui portent son nom. —
Il en est de même encore d'Hermès et des autres nouveaux
baptisés dans les gestes d'Alexandre ^ — Les gestes de Pan-
ï Bonnet, Passio Andreae (Lipsiac, 1898), p. 1-31. — Albert Dufourcq : De
Manie haeismo apud Lalinos, p. 92-93.
- Cf. surtout §13.-3 mai 373. — Notons ici une variante intéressante —
ce n'est peut-ôtre pas seulement une variante paléographique — du Codex
Vindobonemis 3.37, f. 98% dans les gestes de Cécile : hoc... antcpono et deprc-
334 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
crace racontent que le saint, et Denj's, son oncle, baptisés
par le pape Corneille, persévèrent dans la foi et la crainte
de Dieu an point que saint Pancrace se livre spontanément
aux persécuteurs ; et ils ajoutent plus loin, sous Tinspiration du
même sentiment : « Pancrace était conduit comme un agneau
à la mort^ joyeux et content, » On ne peut douter que les
rédacteurs n'insistent ici, avec soin, sur la spontanéité des
martyrs ; et telle est aussi manifestement Tintention des catho-
liques qui écrivirent les gestes de saint André, ceux de saint
Pierre et de saint Paul.
Il faut donc que la spontanéité des martyrs ait été révoquée
en doute par les Manichéens : ne voit-on pas, du reste, qu'ils
l'ont effectivement fait, à propos de saint .Pierre, dans les
gestes de saint Pierre? Le manichéisme qui tendait à allégo-
riser le christianisme, et à le vider de son contenu historique
et positif n'était guère conciliable, semble-t-il, avec les témoi-
gnages positifs de ces témoins historiques que sont les martyrs ;
s'il spiritualisait l'Evangile au point de l'abolir, s'il écartait le
culte du Christ, que voulait-on qu'il fît du culte des martyrs?
Pour le ruiner dans l'âme de la foule, il dei^ait donc déconsi-
dérer les martyrs.
Mais si l'on voit bien quelle devait nécessairement être, en
général, l'attitude des Manichéens vis-k-vis des martyrs, il
paraît malaisé de définir, avec une entière précision, quelle
fut exactement l'origine de leurs controverses* à ce sujet
contre les Catholiques. A l'époque ostrogothique, les persécu-
tions n'étaient plus, à Rome, qu'un souvenir : ce n'est donc
pas — comme au temps de Tertullien et d'Origène, de Cyprien
« cor ut fratrem nieuiu tiburlium siciit me liberare dignetur dns et faciat nos
« ambos in sui noni'mis confessione perseculos. » Le texte boUandiste donne
perfeclos (14 avril, 205, g 4).
1 « Verum Athanasius Ubrum de satisfactione fugae olim a se conscriptum
tune eis praesentibus legit; cuius partes utiles, et quae prosint hic intexens
lotum libnim multorum versuum quaererc et légère studiosos admoneo.
(Impii) hactenus accusant quoniam manus eorum praeparatas necibus decli-
nare potuimus. Siue (auteni) tiniorem improperent, contra semetipsos tanquam
vesani loquuntur, siue contra voluntatem Del hoc dicant fleri, Scripturarum
divinarum videntur penilus inexperti... Sic et beati martyres in perseculio-
nibus temporalibus custodiebant semetipsos et dum quaererentur per latibula
fugiebint ; cum vero invenirenlur, martyrio se subdebant. Haec de Athanasio
retulisse sufficiat (Cassiodorus. Hist. trip., VI, 3*2, P. L , 69, 1042-1043). Je
<!roi8 voir une trace des polémiques relatives à la fuite dans la complai-
sance avec laquelle Cassiodore s'arrête sur le livre d'Athanase. — C'est à ces
polémiques que se rattachent sans doute certains traits curieux des gestes :
le soin que prennent les saints de se cacher. Cf. saint Sébastien et les viri
occulti Chrisiiani^ Thrnson, etc. H me parait difficile de préciser davantage.
« ASCÉTISATIONS » DE TRADITIONS 335
et (l'Athanase, — dos conditions de vie faites à la. commu-
nauté chrétienne que naquit la polémique ; à moins (ju'elle ne se
rattache directement à la vie de Maues, elle eut donc, sans
doute, une origine purement littéraire. Elle dut être provoquée,
soit par la lecture des écrits de TertuUien, soit plutôt par un
commentaire manichéen du fameux verset de saint Mathieu,
touchant la fuite (X, 23), ou du passage de saint Jean sur
Joseph d'Arimathie, disciple occulte du Sauveur, ou du passage
prédisant la mort de saint Pierre, ou enfin du passage des
Actes rapportant la fuite de St-Pierre^
Et il est vraisemblable aussi que, si tel fut le point de
départ de la polémique, le développement n'en fut pas sans
rapports avec les controverses suscitées par le culte des
martyrs. Méritent-ils vraiment les honneurs qu'on leur rend,
disaient peut-être certains alliés de Vigilantius ou de Jovi-
nien ? Si leur sacrifice a été contraint, de quelle valeur peut-il
bien être, et leur culte n'est-il pas une dérision? Et il est
vraisemblable encore que le développement de cette polé-
mique particulière ne fut pas sans se ressentir non plus
du mouvement ascétique^ parallèle, on Ta vu, au mouve-
ment martyrien. Les adversaires de celui-ci pouvaient-ils
manquer de lui opposer celui-là? Le sacrifice des martyrs
n'a rien de spontané, et leur culte est une duperie, mais
quels honneurs ne doit-on pas rendre aux ascètes dont nul
ne contestera que le sacrifice, incessamment renouvelé, soit
■évidemment et nécessairement spontané?
A Tappui de cette hypothèse, on peut citer deux faits précis.
C'est d'abord la tendresse particulière des manichéens pour
l'ascétisme, — tendresse peut-être platonique, — mais dont
témoignent tous leurs écrits, et qui contraste vivement avec
leur sévérité pour les martyrs. — C'est aussi, c'est surtout
l'importance des épisodes à tendances ascétisantes qui émaillent
les gestes romains. Le fait nous a frappé, tandis que nous en
commencions l'étude : quatre d'entre eux encadrent symétri-
» Peut-être pourtant la polémique a-t-eile un point de départ strictement
«dogmatique et manichéen : les Manichéens insistaient sur la spontanéité de
la vie de Tdme: « PriscilUanistae... maxime Gnosticorum et Manichaeorum
•dogmata permixta sectantur. . Animas dicunt eusdem naturae atque substan*
tiae cuius est Deus, ad ago lem queniiam sponianeum in terris exercendmn
per septem caelos et per quosdam gradatim descendere principatus et in
iiialignum principem incurrere, a quo istum mundum Tactum nolunt
<S. Augustin, Ilaeres., LXX. — P. L., i2, U).
336 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
quement, entre deux eunu(|iies, une vierge consacrée à Dieu, et
beaucoup d'autres, particulièrement ceux d'Agnès, de Cécile,
et de Darie, insistent avec une complaisance surprenante sur
la sainteté de la chasteté. Comme il est évident qu'ils émanent
<le catholiques, on en vient à soupçonner que les rédacteurs
ont voulu donner à leurs saints, non seulement la couronne
des martvrs, mais celle encore des ascètes : leur confiante
piété n'a pu admettre que leurs saints patrons n'aient pas
également remporté la palme dans « le combat de la
chair » et dans « le combat du sang », pour parler avec Cas-
siodore ; et ils ont, sans doute, d'autant moins hésité à
embellir ainsi l'histoire des martyrs C{\xiU ne pouvaient laisser
rascétiswe devenir le monopole de la piété manichéenne, sous
peine de voir baisser leur prestige et d'exposer les âmes « aux
morsures des loups rapaces ». Nous sommes, il ne faut pas
l'oublier, au moment oîi les artisans, à Rome, arborent,
comme enseigne, sur la façade de leurs boutiques, l'image
('e Siméon Stylitc ; où le consul romain de 505, Tliéodore,
vit avec sa femme comnje avec une sœur ; où Maurus, le fils
<!u sénateur romain Equitius, s'enfuit avec saint Benoît et pré-
|>are avec lui et ses disciples romains, dans les splendeurs
solitaires de Subiaco, la vraie réponse de l'Occident aux
ascètes orientaux. La présence des Manichéens à Rome, contri-
buait certainement à y entretenir le mouvement ascétique:
peut-on s'étonner d'en saisir Tinfluence chez nos rédacteurs
— aussi bien que chez leurs contemporains?
III
Il est vraisemblable que des polémiques d'une autre nature»
agitèrent encore les milieux où se rédigeaient les gestes
romains.
Les gestes de saint Pancrace, où nous avons aperçu déjà
comme un reflet d'une autre controverse, contiennent un
curieux passage relatif au libre abitre. « Si (les idoles) sont
« des dieux, dit le saint à l'empereur, il est évident qu'elles
« sont douées du libre arbitre... Si elles ont leur libre arbitre...
« respectez leur pouvoir..., pour qu'elles se vengent elles-
« mêmes de ceux qui ne leur rendent pas un culte. » Ce pas-
r..
SIMON LE MAGE 337
^^ lu'un seul manuscrit *, croyons-nous, nous a conservé, est
^" I, dans toute la littérature des gestes romains, qui puisse
nis directement en rapport avec les controverses péla-
es et semi-pélagiennes. Mais nous savons que nos ano-
s ne lisent guère les livres de théologie : les apocryphes,
mtraire, sont leur fait ; et Ton se demande quels apo-
hes ont pu populariser dans leurs cercles les discussions
tives à la grâce.
loses Bar Ceplia, évêque Syrien de Beth Raman et de
hlen et curateur de Mozal (SeleuciedesParthes), qui mourut
01 i, après avoir consacré un ouvrage à la multitude et à la
érence des hérésies, écrivit en outre un Commentaire sur
Paradis ^. La troisième partie de ce livre nous présente une
â'utation des liérétiques qui s'occupèrent du Paradis, notam-
3nt de Simon le Mage. « Simon... objecte : le Dieu qui créa
Adam était sans puissance et sans force : il ne put faire
qu'Adam resta tel qu'il le voulait. A quoi nous répondons :
Adam demeura tel que Dieu son créateur et son auteur voulut
qu'il fût et demeurât : ce que Dieu voulait en effet, c'est qu'il
eût un arbitre, qu'il fût son maître, qu'il fût libre, et non pas
qu'il eût une âme enchaînée et sujette comme les bêtes
animées et les objets matériels. Mais Simon nous presse.
Dieu voulait qu'Adam ne mangeât pas de cet arbre, et il en a
mangé... ; il voulait qu'il restât dans le paradis et par son
crime il en est déchu : Dieu auteur d'Adam n'était donc pas
puissant, puisqu'il n'a pas eu le pouvoir, comme il en avait la
volonté, de retenir Adam dans le paradis... Bien plus, Simon
le Mage a un autre argument qui accuse de méchanceté et
d'envie le^ Dieu créateur d'Adam... Si ce créateur d'Adam,
dit-il, ne lui avait pas défendu de manger de cet arbre...
(Adam ne serait pas déchu. Ce Dieu, continuait-il, est un Dieu
inférieur, et il y en avait un autre plus puissant). D'autres
croient que Tidée de Simon était celle-ci : le monde est issu
d'une cause mauvaise... En outre, il niait aussi, perfidement,
la résurrection des corps... »
Le livre attribué à Simon leMage que résume et réfute
ainsi Moses Bar Cepha, nous paraît être un apocryphe mani-
ï Codex Parisinus, 3779 {Analecla B., X, .'13).
- Que traduisit en latin André Masius, de BruxeUes (Anvers, Plantin, l'iOl),
in-12y : De Varadiso Commentarius,
22
338 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
choen, d'origine vraisemblablement romaine et, sans doute
aussi, de l'époque ostrogothiqne. Simon le Mage a joué un rôle
dans la littérature chrétienne à deux époques distinctes : au
if et au m" siècles, dans le monde oriental grec ; au v' et
au VI' dans le monde occidental latin. De ces deux époques,
c'est à la seconde qu'il faut faire remonter le livre que lisait
Cephas : les controverses relatives au libre arbitre conviennent
mieux au v" siècle latin qu'au ni" siècle grec. Un ouvrage où
il est à, la fois question du libre arbitre et d'Adam, et aussi
de Simon le Mage ne peut s'adapter qu'à une époque où se
développaient parallèlement la controverse pélagienne et le
mouvement manichéen.
Il est possible, du reste, de préciser davantage : le dualisme,
l'impuissance du Dieu secondaire auteur du monde*, la néga-
tion de la résurrection des corps, théories qu'expose explici-
tement l'hérétique réfuté par Cephas, sont des éléments
constitutifs du manichéisme occidental ; et Taccusation de
perfidie que l'évêque syrien du x" siècle dirige contre son
adversaire, s'accorde à merveille avec les imputations de ce
genre que saint Augustin et saint Léon dirigeaient contre les
leurs. L'origine romaine et l'époque de cet apocryphe sont
moins assurées : il semble toutefois que l'idée de composer un
traité manichéen où Simon tient le premier rôle, n'a pu germer
dans aucune cervelle latine aussi aisément que dans une cer-
velle romaine ; n'est-ce pas des apôtres romains que Simon
était l'adversaire? Nous savons, en outre, qu'en 493 Sénèque,
évêque dans la Marche d'Ancône, enseigna expressément le
pélagianisme, — ce qui touchait peu nos rédacteurs, — et
permit aux moines de cohabiter avec les vierges — ce qui
pouvait les intéresser beaucoup plus — : l'affaire fut connue à
Rome, puisque, dans une lettre datée du l*' novembre de cette
année, Gélase rappelle l'évêque à l'ordre'^. N'est-il pas vrai-
semblable que ce fut à propos de cette histoire, ou, du moins ^
dans des circonstances analogues, que l'écho des contro-
verses relatives au libre arbitre pénétra jusque chez nos
rédacteurs, et que les Manichéens tentèrent d'exploiter les
obscurités du problème dans un nouveau livre apocryphe"'?
^ Cf. A. Dufourcq: de Manichaaeismo apud Latinos^ p. 44 et 45.
2 P. L., 59, 33. — CeUlier, XV, 299.
3 II semble bien qull y ait là toute une littérature que nous avons perdue.
J'en trouve un autre indice dans le Codex Palatinus 846 et dans le Codex
BASILIDE 339
Si Torigine romaine et la date ostrogothique que ces deux faits
semblent indiquer étaient admises, n'expliquerait-on pas enfin
ce singulier passage des gestes de Pancrace, où, au nom du
libre arbitre présumé des dieux païens, le martjT demande à
l'empereur de leur laisser le soin de leurs affaires ?
Simon le Mage n'était pas le seul personnage dont les Mani-
chéens essayaient de grandir le prestige pour en abriter leurs
théories. Suivant la même méthode d'apologie directe, ils trans-
formaient l'un des martyrs les plus obscurs de Rome en un
de leurs prophètes les plus audacieux. Le fameux hérétique
Basilide avait enseigné le dualisme, frayant ainsi la voie à
Manès*; depuis lors, les catholiques n'avaient cessé de l'exé-
crer, comme les Manichéens, — ceux d'Espagne notamment,
— de le porter aux nues. Les Manichéens de Rome suivirent
l'exemple de Manichéens d'Espagne et travaillèrent à présenter
Basilide comme un prophète chéri du Christ, élu de Dieu. Il
y avait à Rome un martyr ignoré qui portait son nom : com-
bien maigre, en ses élégances poétiques, était la tradition
attachée à sa mémoire, nous l'avons montré plus haut. Les
Manichéens, hardiment, la confisquèrent, la transformèrent, je
dirais presque la divinisèrent : l'entreprise était si séduisante
quelle fut tentée de deux côtés à la fois. Un premier rédac-
teur, dont le Codex Udalrici nous a conservé la narration,
prend plaisir à faire de Basilide l'ami et comme le confident
de Jésus. Comme il servait auprès de Platon, le Christ lui
apparut et lui dit : « Je veux t'enlever du service de Platon
le préfet, et te mettre dans le mien... Va, vois les tiens et fais
en sorte qu'ils viennent avec toi dans la sainte cité de Jérusa-
lem... Vendez vos biens, corrigez l'adultère » ; et comme le
Seigneur lui dit de passer la mer, Basilide lui demande :
«
.San Gallensis 3i8, du début du ix* siècle, qui coupent les gestes de Néréc,
au moment où commence l'histoire de Pétronille par ces mots : « Finit de
APOSTOLI PETRI VERITATE ET DE PERVERSITATE SUIOTfIS. » Incipit dC ObitU PetrO-
nille et passione Felicule. — N*est>ce pas le titre d'écrits qu^ont utilisés les
auteurs de notre texte actuel?
* € Addidit Archelaus. : non ipse prijnus auctor scelerati huius dogmalis
exstiterit Mânes... ; non e\ Mane originem mali huius manasse... Fuit prae-
dicator apud Persas etiam Oasilides quidam antiquior non longe post nostro-
rum apostolorum tempora. > {Actes 'd' Archelaus, 55.— P. G., 10, 1522-1523.)
— Cf. Jérôme, adv. Jovinianum^ II, 16. c Basilides magister luxuride et
tuspissimorum amplexuum... » — Ep. 75, ad Tbeodoram viduam; « (Lucinius)
spurcissima per IJispanias Basilidis haeresi saeviente et instar pestis et
morbi totas intra Pyrenaeum et Oceanum vastante provincias fidei Eccle-
siasticae... » (P. L., 22, 687.)
3iO HISTOIRE GÉNÉKALE DES TRADITIONS ROMAINES
« Comment la passerons-nous? » — « Descendez, lui répond le
« Seigneur, et vous me trouverez sur le rivage, et je vous
« donnerai une petite barque; n'emportez pas deux tuniques,
« ni un double vêtement, ne mettez pas de pain dans vos sacs;
«je vous porterai tout moi-même : et, venant au bord de
« la mer, ils trouvèrent une barque oii était Notre-Seigneur
« Jésus-Clirist lui-même au gouvernail. Et, quand ils l'eurent
« trouvé, ils se jetèrent à ses pieds et l'embrassèrent ; et
« lui-même leur tendait les mains... « Assieds-toi à côté de
« moi, (disait-il à Basilide...); et il dit à Tun de ses anges :
« «Apporte du pain... » Et (quand ils se furent endormis)
w (Jésus) dit (encore à ses anges) : « Emportez-les et posez-
« les au huitième mille de la cité Aurélia ^ » Eît ils se réveil-
lèrent et ils rendirent l'esprit. » Dans ce prophète élu entre
tous par le Christ, les Romains ne pouvaient que difficilement
reconnaître leur martyr obscur ; leur sympathie pour les doc-
trines que Ton couvrait de son nom n'en était donc que fai-
blement accrue.
Un autre Manichéen, beaucoup plus habile, atténua l'exalta-
tion du personnage, mais en en précisant le caractère, tandis
qu'il eut grand soin de le romaniser davantage^. S'il néglige
de faire descendre du ciel le Christ lui-même pour servir de
pilote au martyr prophète, il met dans la bouche de celui-ci
une très explicite et très énigmatique apologie de la fuite
en temps de persécution. Comme on leur demandait « pourquoi
H ils avaient fui » les saints martvrs dirent : « Nous ne fuvions
♦< pas, mais nous exécutions les ordres du Seigneur, car il a été
« écrit pour nous : Si vous êtes persécutés dans une cité, fuyez
« dans une autre. » Aurelius dit : « qui est-ce qui a donné cet
« ordre? » Les saints martyrs répondirent : « Le Christ qui est le
w vrai Dieu. » — Mais, en même temps, il décalque habilement
dans les gestes de Processus l'épisode de la conversion des geô-
Hers de l'apôtre et en tire l'épisode parallèle de la conversion
de Marcel, geôlier de Basilide ; pour faire plus aisément accepter
des Romains son récit, il v introduit aux côtés de Basilide
un autre martyr Cyrinus, vénéré ad Cathectimbas^ comme
saint Sébastien : et c'est ad Cathecwnbas aussi qu'il place le
tombeau de Basilide lui-même. Ce détail est étrange : le mar-
» Codex s. Udabrici, 12 juin, 7, l 2 (3« édition des Acla),
2 Codex S. Maximini, 12 juin, 9-11 (3' édition Ae% Acta),
MANES 341
tyr romain liomoiiyme do riiérétique était vénéré sur la voie
Aurélia ; on peut se demander si le rédacteur manichéen —
qui par la prétendue conversion du geôlier Marcel semblait
égaler Basilide à Saint Pierre — n'a pas eu l'intention de sus-
citer mie dévotion rivale de celle c\m s'attachait à l'apôtre :
les <( catacombes » étaient sans doute un pèlerinage très vénéré,
et Hasilide devait bénéficier de leur prestige. — Quoi qu'il en
soit de ce dernier point, il est clair que les Manichéens ont
profité de la présence d'un Basiles (?) romain, d'ailleurs presque
complètement inconnu pour faii*e de Basilide un nom vénéré
des Romains et cher k leur piété ; on est ainsi amené à croire
que leur propagande, écrite ou orale, s'appuyait à Rome —
comme en Espagne — sur l'autorité de Basilide. Comme Simon
le Mage, Basilide devait occuper une place dans les apo-
cryphes manichéens romains.
D'autres textes nous invitent à croire que Manès leur tenait
compagnie. L'histoire du pape Marcel est mêlée à l'histoire du
diacre Cyriaque : on lit dans les gestes de celui-là que
Cyriaque, d'abord jeté en prison, en fut tiré bientôt par Dio-
clétien : sa fille Artemia était possédée du démon, et le démoR
avait déclaré que le seul Cyriaque lui ferait lâcher sa proie.
Cyriaque réussit, en effet, dans cette cure merveilleuse, et
Dioclétien lui donna une maison et fit de lui son ami. « Or,
« peu de temps après, vint une ambassade envoyée par le roi
« des Perses k Dioclétien Auguste, demandant que le diacre
« Cyriaque lui fût envoyé : car sa fille était possédée du démon,
« Alors Dioclétien ayant égard aux instantes prières de Sapor,
(( roi des Perses... ordonna à sa femme Severa de faire venir
(( Cyriaque le diacre. Lorsque Cyriaque fut venu chez Severa,
« elle lui dit l'ambassade de Sapor le roi des Perses. Et
« CvTiaque dit...: Avec l'aide de Dieu j'irai, tranquille..,
« Serena... lui donna des voitures avec tout ce qui était néces-
« saire; et, avec Largus et Smaragdus, il s'achemina jusqu'ea
« Perse. Et les soldats qui l'accompagnaient allaient en char-
« riots. Pourtant le bienheureux Cyriaque, son bâton k la main,
« arrivait toujours le premier k l'étape ; et il en fut ainsi
« jusqu'k ce qu'ils fussent arrivés auprès de Sapor. Et lors-
« qu'ils eurent été présentés au roi.., le roi leur dit... : Qui
« de vous s'appelle Cyriaque le diacre ? Et dès qu'il connut
« qui était le diacre, il l'adora et lui demanda de venir dans la
« chambre, auprès de sa fille, qui s'appelait Jobia... Cyriaque
342 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
« se jota sur le sol, priant et pleurant,... (et il dit) au démon :
« « .. le Seigneur te le commande... : sors... Et voici qu'avec
« un gémissement profond et avec fracas, écumant et criant,
« le diable disait (en se sauvant) à travers les airs : « nom
« terrible qui me force à sortir ! Et, à partir de ce moment,
« Jobia fut guérie... Et le roi offrit beaucoup de présents à
*< Cvriaque... : il n'accepta rien'. »
Or, il se trouve (^u'on racontait de Manès une histoire ana-
logue : Epipliane, Cyrille de Jérusalem et Socrate'^, qui prétend
puiser dans le pseudo-Archelalis, rapportent que ie roi de Perse,
voyant son fils malade, fit publier dans tous ses états un édit
solennel : on y promettait une récompense magnifique à qui
le guérirait. Manès voulant se faire passer pour un prophète,
plein de confiance du reste dans les livres de Terbinthe, se
présenta à la cour royale et promit de guérir le prince. Le roi
l'accueillit, lui confia son enfant, écarta les médecins : il croyait
que ses miracles étaient authentiques. Mais l'enfant royal
mourut entre les mains de Mânes; celui-ci fut jeté en prison,
et, comme le roi allait se venger de lui, il parvint à s'échapper
et s'enfuit.
L'histoire de Cyriaque n'est-elle pas un ingénieux décalque
de l'histoire de Mânes, imaginée par un Catholique et mettant
admirablement en lumière par ce rapprochement contrasté, la
lâcheté, la fourberie et l'avidité du grand prophète hérétique :
ce long et merveilleux voyage, depuis Rome jusqu'à la
cour de Perse, que le narrateur prend tant de plaisir à
décrire, n'est-il pas fait pour éveiller les soupçons ; et qui
pourrait contester le paralléhsme singulier des deux histoires ?
Appuyé sur la magie, l'homme du diable prétend guérir le ÛU
<lu roi des Perses : et il le laisse mourir entre ses mains.
Appuyé sur le Christ, l'homme de Dieu se reconnaît capable
de guérir la fille du même roi des Perses : il lui suffit d'une
prière, et l'enfant royale est guérie. Autour de ces deux
épisodes centraux, on discerne d'autres détails qui semblent
bien n'avoir pas été introduits là par hasard : c'est à un
Marcel qu'est associée l'histoire de Cvriaque, et on retrouve
un Marcel dans l'histoire de Manès. Manès a été attiré par
i Gesla Sfarcelli, 16 janvier, ') sq.
^ Cyrille : Cal.. VI (P. G., 33, :î82). — Epiphane {Adv, Haeres,, 11, 60
P. G., i2-137). - Socrale, 1,22 (P. G., 67, 137).
MANES ' 343
rimportance des richesses que le roi de Perse a promises et
Cyriaque refuse, simplement, celles que celui-ci lui offre en
témoignage de reconnaissance. Après tout ce que nous con-
naissons, il serait bien étrange que de telles rencontres fussent
rœu\Te du hasard : il est plus vraisemblable d'admettre qu'une vie
de Manh circulait dans les milieu manichéens de Rome^ ou
Ion escamotait pour le mieux les mésaventures du prophète ;
un Catholique aura trouvé Tingénieux moyen de satisfaire à la
fois sa piété à l'égard des martyrs et sa haine à Tendroit des
hérétiques; et, pour le plus grand déplaisir de ceux-ci, et à la
plus grande gloire de ceux-là, il aura modelé sur les défaites
et les défauts de Manès les victoires et les mérites de
Cyriaque. Qui sait même si ce n'est pas dans cette vie romaine
de Manès qu'il faut chercher l'origine précise des controverses
de ce temps touchant la fuite? Manès s'était enfui de sa prison;
« celui qui se disait la Paraclet et le champion de la vérité eut
« recours à la fuite : ce n'était pas un disciple de Jésus qui était
« monté sur la croix » : cette remarque de Cyrille*, un
contemporain de saint Léon ou d'Horraidas ne pouvait-il pas
la faire à son tour ?
On voit quelles polémiques suscita le Manichéisme romain,
et quelle influence il exerça sur les traditions martyrologiques-.
» Cal.,\\ (P. G., 33, 58-2).
' Je soupçonne que c*est du côté de la voie Aurélia que s'étaient groupés
les Manichéens; c'est â la voie Aurélia que sont attachées les légendes de
Basilide, de Pancrace, de Processus, de Sophia, qui toutes présentent de ces
étrangetés dont nous avons relevé quelques-uoes. Leur groupement de ce
côté date peut-être du temps de Valentin ; les grandes dimensions des loculi,
dans la catacombe de Processus, semblent dénoter une haute antiquité. C'est
sur la voie Aurélia que s'installe, au temps d'Arbogast, le prêtre tertuUian-
niste dont nous entretient le Praedestinatus (86. — P. L., 53, 616], et c est
sur la voie Aurélia qu'on a trouvé au moins deux inscriptions grecques,
rapportant le terme Ttve'jpiaTtxd; (C. I. G., 9:)78 et 9792) (?). Ce sont des indices
presque certains de la présence d'hérétiques en ces parages, et qu'est-ce
que les Romains des v*. et vi" siècles appelaient Manichéens^ sinon les héré-
tiques qu'ils côtoyaient chaque jour? — Il semble que la question mani-
chéenne est Q,%sezéiro\iemeni apparentée à ce que j'appellerais la question mila-
naise des gestes romains : les saints de TltalieduNord (Chrysogone, Anastapîc,
Sébastien, Sophie), — où il paraît que les Manichéens étaient puissants —
occupent une place tout à fait singulière parmi les martyrs romains.
Il est vraisemblable que Montanus joua aussi son rôle dans l'évolution
des traditions martyrologiques. Cf. supra, p. 2:j8, et surtout le texte de saint
Grégoire, p. 260, note 3.
CHAPITRE V
DÉFORMATIONS DES TRADITIONS CONTEMPORAINES
DES RÉDACTIONS : BTZANCB
[v"-vir siècles]
Le néo-manichéisme n'exerçait pas seul son action sur les
traditions martyrologiques au moment où elles s'incarnaient
dans les gestes : on y saisit aussi comme un reflet du prestige
dont brillait Bjzance ^
I
Les gestes romains utilisent des traditions locales ; ils
puisent à des sources essentiellement romaines; aucun épi-
sode, aucun personnage, peut-on dire, n'a trait à TAfrique,
ni à la Gaule, ni à TEspagno, encore que des rapports intimes
fussent noués entre les églises de ces divers pays et Téglise do
Rome, métropole de TOccident. Il n'en est que plus remar-
quable de voir quelle place tient l'Orient dans ces gestes.
Tantôt ce sont des Orientaux qui sont mis en scène, tels
Maris et Marthe, Audifax et Abacuc, Maromenius et Cusines,
ou encore Abdon et Sennen, Olympiades et Maximus, Polo-
chronius évêque de Babylone avec ses clercs, Parmenius, Eli-
mas et Chrvsotelimus, Lucas et Mucus. Tantôt ce sont les
i Cf. Charles Diehl : Etude sur V administration iyzantine dans Cexarchat
de Ravenne, (Paris, Thorin. 1888, in-8), surtout livre III, chapitre II. —
Augusto Gaudenzi : Sui rapporti ira Vltalia e l'Impero d'Orienté fra gli anni
Alb e5o4 D. C. (Bologna. Tipografia mUitare, 188H, in-8). — Ferdinand Grego-
rovius. Geschichte der Stadt Rom vom V bis ziim XVI Jahritundert [\ et II
B. Stuttgart, 1889, in-8).
346 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Occidentaux qui entrent en rapports avec TOrient : Gallican
est vainqueur des Perses qui envahissent la SjTÎe, puis se
retire en Egypte ; comme le diacre Cyriaque, le prêtre Pig-
menius voyage quatre ans en Perse, et c'est auprès du roi de
Perse que Publius, le mari de sainte Anastasie, est envoyé en
ambassade; saint Clément est exilé en Chersonèse; Aurelia-
mis est appelé cognes tUritisqtte militiae de Seleucia hauriae
et Theodulus est dit de Oriente presbyter ; Adrien revient
d'Orient lorsqu'il juge Eleuthère, et c'est en Orient que guer-
roie Basilide ; Chrysanthe qui, par son père Polemius, est ori-
ginaire d'Alexandrie, est martyrisé au moment où Numérien
fait la guerre en Orient ; ^milianus est rappelé d'Orient au
temps de Philippe, après que Dèce a fait exécuter Babvlas
d'Antioche, et c*est à deux eunuques arméniens, Calocere et
Parthenius, qu'est confiée Anatolia Callista ; Martana et Vale-
riana, parentes de Paulina et d'Hadrias arrivent de Grèce à
Rome ; Pancrace est, par son père, originaire de Phrygie ;
Faltonius Pinianus, mari de Lucine, est proconsul d'Asie ; Boni-
face va chercher en Orient des reliques de martyrs pour apaiser
les remords d'Aglaé, sa maîtresse ; Gordien est enterré à
côté d'Epimaque d'Alexandrie; comme Gallican, Eugénie se
retire en Egypte, dont Philippe son père était gouverneur;
Sérapie, originaire d'Antioche, est livrée à deux jeunes Egyp-
tiens; à plusieurs reprises, nos rédacteurs emploient le mot
mages ^ dans un sens défavorable : c'est le terme que les
païens et leurs pontifes emploient souvent pour désigner les
martyrs.
L'attention des Romains semble donc être assez éveillée sur
tout ce qui concerne l'Orient. Sans doute, certains person-
nages — ceux dont l'origine orientale est dénoncée par leurs
noms — sont réellement venus de ces pays lointains ; sans
doute, certains épisodes — comme les aventures de sainte
Eugénie — ont été suggérés par le prestige des ascètes orien-
taux; sans doute, enfin, des faits particuliers — comme le bruit
I 11 est inlércssanl de rapprocher des passnrrps de nos gestes relatifs aux
Mages, deux passages au moins de ('assiodore dans ['Histoire InpaHile :
« Moffos enim appellant Persae eos qui elementa deiGcant Quorum fabulas
in alia conscriplionemonstravimus. » (X, 30; P. L.,69, 1184 ) — C.f. Theodorel.
V, 39. On ne voit pas que Cassiodore ait traduit l'ouvrage de Theodoret sur
les Mages. — « Post cnius (luliani) mortem eius magiae compcrtae sunt... •»
(VI, 47; P. L., 6;i, 1062.) — Ces textes semblent bien être contemporains
de ceux où Âgués est traitée de maga et Alexandre de magus.
PRESTIGE DE L ORIENT 3i7
<les débauches égyptiennes ^ ou la large diffusion de l'histoire
de Simon le Mage ou le retentissement de la mort de Julien —
peuvent rendre compte de tel ou tel détail. Il semble pourtant
<[X\e toutes ces causes particulières recouvrent ou renforcent
l'action d'une autre cause générale, différente du prestige de
Tascétisme. C'est à Rome qu'ont été rédigés les gestes latins
des trois apôtres grecs qui reposent à Patras, à Ephèse, à
Edesse ; c'est à Rome encore qu'ont été rédigés les gestes de
ces autres apôtres qui ont porté l'Evangile dans cet autre Orient
plus lointain oîi Rome n'accède que par Byzance. Et l'on sait
par Grégoire de Tours quelles légendes courent en Occident
sur le tombeau du roi des Perses taillé dans une seule amé-
thyste ou sur les trésors de Teunuque Narses ^ ou sur les per-
pétuelles métamorphoses de l'éternel phénix qui offre le reste
<le ses dépouilles au temple du Soleil, en Egypte 3. Si Avitus,
l'évêque de Vienne écrit, en 516, que le roi des Perses doit
s'estimer heureux de la paix qu'il vient de conclure, on devine,
aux termes qu'il emploie, quelle place tient dans sa lettre le
désir de flatter l'empereur '*, et l'on se rappelle que saint
Jérôme, sur la foi d'Eubule, loue la science, l'éloquence et
l'ascétisme du premier ordre des Mages ^, tandis que saint
Ambroise parle avec admiration des Perses qui exécutent
sur eux-mêmes la sentence de mort portée contre eux^'.
Du IV* jusqu'au vu* siècle, il semble ainsi qu'une sorte de
légende enchantée transfigure l'Orient au regard des Occi-
dentaux et fasse resplendir ce nom magique d'un incompa-
rable éclat. La place que tient l'Orient dans les gestes romains
n'offre ainsi qu'un aspect particulier d'un phénomène général.
Si les Romains et les Latins d'Occident s'intéressent passion('»-
» Jérôme, IV, 848 (éd. Migne). Cf. Iluan, P. L., 21, 413. — H faut aussi, peut-
être, tenir compte des rapports particuliers qui ont de tout temps uni l'église
de Saint Marc à ceUe de Saint Pierre.
•-• H. F., V, 20. — L. P., I, 306, 307, note 11. — Cf. aussi Gl. .War/., 34.
3 Ebert(tr. fr.), I, 109.
* « Parthicas ductor, propter pacti commodum in Romanum imperium
gaudeat transire. Indus ipse, post expérimenta mansueti oris, stridula voce
compressa, leges quibus servire iubeatur graeco cognoscat interprète. »
[Avitus Anastasio, apud Sirmond : OperaVaria (Paris, 1696), 11, 12.*j.]
^ C'était Tascétisme des mages qui leur conciliait les lionnes grâces de
saint Jérôme : « Eubulus quoque, qui historiam Mithrae multis voluuiinibus
explicuit. narrât apud Persas tria gênera magorum, quorum primos qui sunt
doctissimi et eloquentissimi, excepta farina et oiere nihU amplius sumere... »
{Adv. JoviniauMm, II, éd. Migne, II-III, 303-30i.)
• llexam., XXI (P. L., ii, 107).
:U8 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
ment à ces lointains pays, n'est-ce pas ([ue leur imagination
les entoure d'une auréole merveilleuse?
Les Romains du temps de Théodoric ne peuvent être sus-
pects de tiédeur à Tendroit de leurs martyrs : Tardeur avec
laquelle ils se disputent Thonneur d'être ensevelis non loin
d'eux [ad sancfos), le soin avec lequel ils ornent leurs tombeaux,
et célèbrent leurs anniversaires, Tépanouisseinent môme de
cette littérature que nous étudions l'atteste avec éloquence :
et les graffites c^ue Ton déchiffre sur les parois des cata-
combes confirment expressément tous ces faits. Voici pourtant
(qu'une sainte, çui neat pas romaine^ est honorée par eux à
régal de leurs plus glorieuses ; on la vénère dans une basilique
titulaire ; un de ses compagnons, qui n'est pas davantage romain,
s'installe dans un autre titulus; on inscrit son nom dans le canon
de la messe ; au milieu de la nuit de Noël, on va célébrer une
messe, dans son église, en son honneur; « on y fai(t) abstrac-
tirm de la fête de Noël ; c'(est) comme une parenthèse au
milieu des solennités commémoratives de la naissance du
Christ* ; » en même temps que l'Enfant Jésus, les Romains
fêtent sainte Anastasie : ils la vénèrent à l'égal de sainte
Cécile, et saint Chrysogone à l'égal de saint Sébastien.
A la même époc^ue environ, voici deux autres saints, qui ne
sont pas romains davantage^ et qui reçoivent à Rome le même
accueil. Le pape Symmaque (498-514) leur élève un oratoire
auprès de Saiiile-Marie-Majeurc ; quelques années après,
Félix IV (520-530) leur consacre une église, au cœur même
do Rome, sur le Forum, sur la Voie Sacrée ; il aménage i\ cet
effet les Archives de la Préfecture Urbaine et le petit temple
rond bâti par Maxence à la mémoire de son fils Romulus et
consacré, très peu de temps après, en l'honneur de l'empereur
C )iistantin. Tandis (lue sainte Eugénie, et tant d'autres, n'ont
(|ue des sanctuaires cémitériaux, les saints Côme et Damien
sont vénérés dans le plus central des sanctuaires urbains.
Sainte Anastasie, les saints Côme et Damien ont en commun
' DuchesQe, Sainte Anaslasie [Mélanges^ Vil, 405). — M. Tabbé Duchesne
semble rattacher l'épanouissement de ce culte à la domination Byzantine.
Cela n'est, semble-t-il, nullement nécessaire : Tépanouissement du culte de
Côme et Damien est certainement antérieur à la conquête ; et le prologue des
gestes d' Anastasie — comme celui des gestes de Xérée — me parait être con-
temporain du concile damasien, des éditions de Denys le Petit et de la grande
crise manichéenne-romaine du temps de Symmaque.
LI':S AMBASSADES POMirU.ALES A BVZA^CE 349
ce privilège * qu'ils airivent de Byzance : si Anastasie est ori-
ginaire de Sirmium, depuis la translation de ses reliques à
Constantinople, au temps de Gennadius (458-471), les Byzan-
tins l'ont adoptée ; c'est désormais une sainte grecque, ce
qu'elle était sans doute à l'origine. Et voilà sans doute aussi
pourquoi les Romains l'adoptent à leur tour, en même temps
que les médecins anargyre^ : s'ils dépouillent ainsi leur orgueil
religieux, s'ils surmontent leurs susceptibilités pieuses à l'en-
droit même de leurs martyrs, n'est-ce pas que l'incomparable
prestige de Byzance enchaîne leurs susceptibilités et désarme
leur orgueil?
H
On a vu que l'église aventine de saint Boniface, selon toutes
les vraisemblances, date du pontificat de saint Grégoire
(590-604) et que c'est Tapocrisaire Boniface, plus tard pape
de 608 à 615, qui a introduit à Rome le culte du saint Cap-
padocien, son homonyme et son patron. Mais d où vient la
légende? On a dit^ que la caravane de Boniface allant de
Rome à Tarse par la voie de terre, avec des chevaux et des
voitures, était un trait « des moins indigènes » qui décelait
une main étrangère. Rien n'est moins sCir. Deux itinéraires
joignaient Rome à l'Orient : l'un, sans doute, contournait la
péninsule et était entièrement maritime ; mais il y en avait un
second qui utilisait la Voie Latine jusqu'à Casilinum, la Voie
Appia jusqu'à Bénévent, la Voie Trajana jusqu'à Egnatia^,
qui franchissait l'Adriatique entre ce dernier port ou Bari et
Apollonie ou Dyrrachium, qui traversait la Macédoine et la
Thrace par la Voie Egnatia, Scampa, Héraclée, Thessalonique
et Philippes. Saint Paul la connaissait bien; les légats d'Hor-
misdas (514-523), Germaiius et Joannes, Andréas et Dioscorus
1 Duchcsne, Le Forum chrétien, 33 sq — Qui sait si rappropriaiton au
culte des Archives de la Prérecture n'est pas due aux intrigues du parti grec y
Si ses saints étaient bien vus du peuple romain, n*avait-il pas quelque chance
d'en être bien vu à son tour?
* Duchesnc, Mélanges. X, 22o.
5 ex. De Via MilitaH Romanorum Egnatia qua Hlyricum^ Macedonin et Thracia
iungebantur. dissertalio geographica ; scripsit Theophilus Luc Fridericus Tafe
[Tubingae, Laupp, 184*2, în-4 }. % 111, VI, surtout VII. « Impp. Anastasio {ii)l-
350 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
la suivirent souvent ^; et les contemporains de saint Grégoire
ne l'avaient pas oubliée : témoin ce Maximianus qui, assailli
par la tempête dans l'Adriatique, fut jeté par elle à Cotrona
en Calabre'-. Il semble bien, d'autre part, que Cyriaque ait été
à pied de Rome jusqu'en Perse. La caravane de Boniface n'a
donc rien qui doive surprendre, si Ton admet qu'elle a été
imaginée par un personnage qui aurait suivi la môme route Egna-
tia que le martyr ; si l'on admet, comme il est vraisemblable
qu'elle a été décrite par un membre de l'ambassade conduite à
Byzance par le diacre de saint Grégoire ou par quelque autre
apocrisiaire. Le prétendu voyage du martyr de Rome jusqu'il
Tarse n'est, en quelque sorte, qu'un double légendaire du
voyage historique de ses dévots de Byzance jusqu'à Rome.
Cette conclusion est d'autant plus probable qu'on peut faire
valoir à l'appui un fait du même genre. Saint Alexandre ^ mar-
tyr de Druzipara part de Rome et accomplit un long voyage
dans l'Est avant de trouver la mort, aussi bien que saint
Boniface de Césarée ; comme celui-ci, celui-là suit la voie
de terre — dont nous avons gardé, du reste, une longue et
curieuse description — et voyage « en caravane » avec des
iumenta et des hasternae. Et, dans l'un et l'autre cas, le
prétexte du voyage est invraisemblable et absurde : ce sont
des reliques que l'amant d'Aglaé va quérir en Orient, comme
si Rome manquait de martyrs, et c'est la mort qu'y va cher-
cher à son tour le fils de Poemenia, comme si, à Rome, on
hésitait à faire des martyrs : lorsqu'on découvre que Processus
et Martinianus, soldats comme Alexandre, sont chrétiens comme
lui, les envoie-t-on chercher leur bourreau tout au fond de la
Thrace? La conception du voyage en Orient, épisode central
518) et lustino (518-527) pontifices romani non rarum commercium cum aula
byzantina habebant, maximopere ob Acacii haeresin. Legati, ab Auione
venientes, e meridie Apolloniae sita, per Scampinam civitatem Lychnidum.
hinc Thessalonicam, postremo ConstantinopoUm proficiscebantur. »
1 « In civitate Aulonitana... pervenimus...; quod in Scanipina civitate facium
est... Antequam nos ingrederemur in civitatem, venerabilis Troilus episcopus
cum suo clero vel... plèbe in occursum nobis est... prope omnes cumcereis
viri... nos susceperunt... Istam... epistolam ante XXX milliaria a Lignido
Tecimus... Scampis nobis positis. » (Suggestio secunda Germani et Joannis
ep., Felicis et Dioscori diaconorum et Blandi presbyterorum ad Hormisdam.
— Conc.» X, 314) (ou P. L., 63, 441-443). Cf. aussi le concile d'Epire (P. L..
63, 389).
2 Dial. III, 3d (P. L., 77, 304).
3 13 mai, 192.
SAINT ALEXANDRE DE DRUZIPARA 351
des deux légendes, est donc de même nature exactement dans
l'une et l'autre.
Qui sait s'il n'en faut pas chercher l'origine dans les voyages^
assez fréquents, des ambassades pontificales allant de Rome à
Byzance ? Les moines, les clercs pieux qui les composaient,
comme ils cherchaient naturellement à sanctifier chacune des
actions de leur vie en y associant Dieu et les saints, aimaient,
sans doute, avant d'entreprendre un long voyage, et périlleux,
à invoquer, à imaginer au besoin un patron qui l'eût fait lui-
même avant eux, qui eût parcouru leur route, qui les protégeât
durant tout le temps du trajet et auxquels ils pussent, avec sécu-
rité, se recommander chaque soir à l'étape. Qui sait si les rapports
diplomatiques établis entre Rome et B\v.ance n'ont pas suscité
des cultes itinérants^ si j'ose ainsi dire? Lorsque Tiberianus
apprend à Alexandre qu'il l'emmènera à Byzance, Alexandre
s'en félicite: « Tu veux sans doute, lui répond-il, que je
devienne célèbre dans beaucoup de pays » : n'y a-t-il pas là une
allusion à de petites chapelles établies le long du chemin ? Noter
que la légende semble indiquer que la route est semée du sang
du martyr, de ses os, de ses reliques. De ces « cultes itiné-
rants », dont les gestes de Boniface nous donneraient un indice,
les gestes de saint Alexandre seraient une expression achevée.
L'épisode central qui les caractérise tous deux, le voyage
d'Orient qu'ils retracent n'est vraisemblablement pas sans rap-
port avec les missions diplomatiques dont étaient chargés,
dans ce même Orient, des moines de ces mêmes monastères.
Un dernier fait confirme notre hypothèse ; elle explique
Tassez inexplicable flottement d'une même légende entre
Rieti en Ombrie et ^cae en Apulie*. Adrien était empereur
depuis vingt-cinq ans, raconte la légende ombrienne, lorsque,
revenant d'Orient à Rome, il entendit parler du bienheureux
enfant Eleuthère. Sa mère Anthias, qui avait vu l'apôtre Paul
M in corpore » l'avait confié à l'évêque Dynamius, qui l'avait
instruit et consacré évêque. Eleuthère convertit le comte
Félix envoyé pour l'arrêter; conduit à Rome, il est interrogé
par Adrien et torturé sur ses ordres ; il exalte Pierre et Paul
qui ont vaincu Simon le mage ; il convertit le préfet Corribon
et sort vainqueur de tous les tourments. Décapité avec sa mère,
il est enseveli avec elle près de Rieti, dans une église oîi se
1 18 avril 530. — Morobritius, 1, 230, et Cat... BruxeUes, I, 148.
352 HISTOIRE GÉNÉRAUX DES TRADITIONS lt03IAlNES
multiplient leurs bienfaits juxju'k ce jour. Li*s deux frères Eiilo-
pius et The^nlrilus qu'il a i»rdonnês ont raconté cette histoire :
ils font rue.
La mère d'Eleuthère, Anthias, raconte la légende apulieniie,
l'avait confié à un certain évê<|ue qui l'instruisit, le consacra
évêque et l'envoya en Apulie in civi/atem Apuliam^. Adrien
revenant d'Orient à Rome entendit j)arler de lui et Tenvoya
quérir par le comte Félix qu'il convertit; conduit à Rome, il
est intem^pé par Adrien et tortm^é : il exalte Pierre et Paul
qui ont vaincu Simon le mage, il convertit le jjréfet Corribon
et sort vainqueur de tous les tourments. Démembré par
quatre chevaux fougueux, il est ressuscité par l'Ange du Sei-
gneur : il vit avec les bêtes féroces sur une haute montagne
et leur enseigne à louer Dieu. Pris par les chasseurs d'Adrien
dans une battue ordonnée jKJur les jeux, il est décapité avec
sa mère. Evêque d'.Kcae, ses reliques sont portées à Rome ;
mais ses comi>atriotes les dérobent et remportent le corps.
Que ces deux textes reprodidsent, avec quelques variantes,
la même tradition, c'est ce que démontrent l'identité des deux
personnages centraux, Tidentitédes deux épisodes secondaires.
(Félix et Gorrilx)n), la même affectation d'apostolicité. Si Ton
fait abstraction de l'épisode proprement apulien — qui semble
annoncer certains couplets du cantique au frère Soleil — je
veux dire réjûsode d'Eleuthère charmant les bêtes féroces et leur
apprenant à dire, à leur manière, les louanges du Seigneur, —
les deux traditions ne diffèrent que par leurs attaches tojK)-
graphiques : ou plutôt c'est évidemment une seule et même
tradition qui s'est localisée à Rieti d'abord, à ^tcae ensuite.
Entre Rie ti et .Ecae, pourtant, aucune route n'est ouverte. La
Sabine, la Valérie, le Samnium les séi)arent, ùpres massifs
coupés de hautes vallées divergentes comme celle de TAvens,
du Vulturne, du Sagrus et du Tifernè que ne traverse aucun
chemin. Quel est donc celui que la tradition a suivie?
Il faut noter d'abord que ces deux rédactions, si différentes
par leur topographie, concordent en un point, même k cet
égard : c'est à Rome qu'est censé mourir l'apôtre de Rieti, à
Rome encore l'apôtre d'-^]cae. Ne serait-cç pas par Rome que
la tradition aurait passé? Eleuthère et Anthias sont solidement
attachés à Rome par le férial :
XÎIÏ kl. mai. Rome Eleuleri epi. et Antkn matris eius,
SAINT ELEUTHÈRE 353
disent égalent les trois meilleurs manuscrits ; aucune attesta-
tion aussi ancienne, aussi sérieuse ne nous autorise à admettre
l'existence de deux saints portant les mêmes noms, si rares, à
Rieti et à .Ecae ; il est beaucoup plus probable qu'en chacun
de ces deux endroits, comme à Histonium, par exemple, chez
lesFrentani, un Eleuthère était vénéré: cet Eleuthère aura été
confondu avec TEleuthère de Rome et se sera doublé ainsi
d'une Anthias.
On s'explique sans peine la confusion du saint de Rieti et du
saint de Rome. L'Ombrie, en général, et Rieti, en particulier,
sont situées sur la dorsale italienne Rome-Ancône, toujours
suivie par les grands courants militaires, commerciaux et reli-
gieux : nous Tavons déjà constaté à propos de Sérapie et de
Sabine ; nous le constatons ici pour la seconde fois. Et cette
fois-ci notons que, au moment où nous sommes, c'est un évèque
de Pérouse, Jean, qui consacre Pelage en 556; que c'est un
ombrien, Valentin, qui, à l'époque de ce même pape 556-561,
paraît être chargé de Tadministration du temporel de Téglise ;
enfin, qu'il n'est pas de pays sur lequel saint Grégoire, dans ses
Dialogues, nous donne plus de renseignements que sur TOm-
brie*..A l'époque où nous sonnnes, nous avons donc une attes-
tation formelle d'échanges de traditions entre l'Ombrie et
Rome : r« ombrianisation » du groupe romain Eleuthère-Anthias
est un cas analogue et contraire à celui de Sérapie- Sabine.
Quant au transfert du même groupe en Apulie, il semble
bien que ce soit les ambassades pontificales qui puissent
l'expliquer. La ville d\flcae est située sur la route directe de
Rome à Egnatia : entre Bénovent et le champ de bataille de
Cannes — que relient la Voie Trajana, — plus précisément
entre ^quum Tuticum et Herdoniae, c'est à ^Êcae qu'on
s'arrête, à JEcae qu'on fait étape. Rien de plus aisé à conce-
voir, qu'un échange de légendes entre ces deux points, étant
données les circonstances géographiques et historiques que
l'on connaît. N'est-il pas curieux de voir l'influence des ambas-
sades pontificales se rendant de Rome à Byzance sur les tra-
ditions martyrologiques romaines'^?
Et c'est ici le lieu de rappeler que certaines formules
1 P. L., 303. — Dial., III, 29 (P. L., 77, 28o, 289, SI.')).
' C'est par là que s'explique saas doute rimportation à Rome des saints de
Thessalonique, Luceia et Auceias (2.j juin, 10).
23
J
354 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
reviennent dans nos textes dont on retrouve soit le modèle
exact, soit un équivalent dans les lettres échangées entre les
Papes et les Empereurs. Claritas Vestra se lit dans Calliste,
Maimuetudo Vestra dans les Quatre Couronnés, Sanctitas tua
dans Etienne, dans Suzanne, dans Félicité ;'Ca/'iV«.s Vestra dans
Suzanne] Beatitudo Tua Ahns Pancrace; Clément ia Vestra
dans Ahundius, Siihiimitas Vestra d^ns Eugénie, etc.. Or, il se
trouve que ces mêmes termes, ou des termes analogues, appa-
raissent à chaque page de la correspondance des papes et
des empereurs, à la fin du v" siècle et au cours du vi*" siècle.
Pie tas Vestra^ par exemple, se lit dans une lettre envoyée
par Hormisdas à Anastase*, Beatitudo Tua dans une lettre
<rAnastase à Hormisdas^, Sanctitas Tua'^^ Parvitas Tua dans
une lettre de Trifolius à Faustus '*. Ces similitudes et ces
analogies n'invitent-elles pas à penser que ce sont les mêmes
hommes qui employaient les mêmes termes et que c'est parmi
les clercs de la chancellerie pontificale qu'il faut chercher les
rédacteurs de plusieurs gestes romains? L'habitude avait
façonné leur esprit et leur style : pouvaient-ils concevoir qu'un
pape du II" siècle fût appelé autrement qu'un pape du vi*?
Dans l'un et l'autre cas, les mêmes formules de politesse et
d'humilité, aussi affectées les unes que les autres, devaient se
présenter d'elles-mêmes à leur esprit et venu* d'elles-mêmes
se placer sous leur plume.
» P. L., 63, 370.
2 p. L., id.
3 P. L. 50-0 1.
* /(/., 63, 553-554, 374.
RYZANCE 355
III
II se trouve donc que Byzance a exercé sur les traditions
niartyrologiques romaines une influence déterminée, en raison
des relations politiques qui l'unissent à Rome et du prestige
moral dont elle parait investie. Et ces deux, faits ne sont pas
aussi étrangers Tun à Tautre qu'il peut le sembler tout d'abord :
jusqu'à la résurrection du Saint-Empire, au siècle de Justinien
surtout, Byzance est vraiment le centre du monde, et les Ro-
mains le sentent mieux que personne, en raison de leur passé.
Depuis le moment où l'autorité impériale disparaît de Rome
pour se concentrer à Byzance, tandis que Tautorité du Pape
s'épanouit et s'exalte (440-476), jusqu'à l'époque oîi se consti-
tue définitivement l'Etat pontifical tandis que la question icono-
claste semble devoir faire éclater le schisme grec — deux
siècles avant Michel Cerularius — , les rapports du Pape et de
l'Empereur se resserrent et se multiplient, réglés par le jeu de
quatre intérêts contradictoires : Rome veut être la maîtresse
suprême dans l'Eglise, mais Byzance lui conteste cette place,
et prétend fonder sur la primauté politique la primauté reli-
gieuse ; Rome veut que les soldats de Byzance garantissent sa
sécurité contre les barbares au dehors et contre les factieux
au dedans, mais Byzance entend garder ses soldats pour arrê-
ter les Perses ou les Musulmans, les Avares ou les Slaves.
Durant une première période (476-519) Byzance se désinté-
resse des destinées politiques de Rome ; elle l'abandonne aux
Ostrogoths, elle méconnaît la primauté religieuse du Pape :
c'est alors que, lançant l'Hénotique (482), l'Empereur annule
les décisions romaines promulguées à Chalcédoine (451 ) ; alors
que les bandes de Théodoric s'établissent en Italie et font de
Rome leur capitale. Le Pape cependant négocie pour mainte-
nir sa suprématie : en 519 il y parvient : le schisme acacien est
clos.
Une nouvelle période s'ouvre : Justinien décide son oncle
à entreprendre la restauration de l'Empire ; barbare ébloui du
prestige des splendeurs romaines, il veut réoccuper la Ville,
reine du monde. Et, dans les sphères ecclésiastiques byzan-
tines, il trouve un appui : Rome occupée par les troupes impé-
356 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
riales, le Pape ne sera-t-il pas dans la main de TEmpereur;
Byzance ne sera-t-elle pas maîtresse souveraine, dans l^Eglise
comme dans l'Etat? Le parti byzantin relève la tête à Rome,
aux derniers jours de Théodoric : le consulaire Albinus corres-
pond avec l'Empereur; en 523, en 526, en 530, Dioscore,
l'ennemi des Goths, est tout près d'être élu pape; les Goths
se sentent à ce point menacés qu'ils contraignent Félix IV à
se désigner lui-même son successeur. A cette lutte indirecte,
succède bientôt la guerre déclarée : Amalasonthe, régente au
nom d'Athalaric, mécontente les Goths par ses adroites faveurs
aux Romains : Théodat se révolte au nom de ceux-là, Tarmée
byzantine débar([ue pour le punir (535), Bélisaire prend Naples,
Rome, Ravenne avec Vitiges; et, après les éphémères succès
de Totila, Narses parfait son œuvre (552-554) et organise
l'Exarchat. — Cependant l'œuvre religieuse s'est poursuivie pa-
rallèlement à l'œuvre politique : la querelle des trois chapitres
fait pendant à la guerre Gothique. Theodora espère confisquer
la direction de l'Eglise en mettant à sa tête un homme à elle :
ce n'est plus Dioscore, c'est Vigile- Et Vigile cède, en efi*et,
mais jusqu'à un certain point seulement : le christianisme
résiste à l'esprit grec, et le monophysisme va grossir la liste
des hérésies.
Mais voici que, après la mort de Justinien grand amateur
de théologie (565), avec la mort de Narses (567) défenseur de
l'Italie Byzantine, la situation se transforme de nouveau. Le
Pape perd son protecteur au moment où les Lombards le
menacent : les ambassades «mvoyées à Tibère (578-582), à
Longin et à Maurice (582-602) sont impuissantes à obtenir
l'envoi d'une armée. — Et Byzance commence de préparer contre
Rome une rébellion nouvelle: le monothélisme dénonce le
nouvel effort autonomiste byzantin.
On voit quelles questions se débattaient durant tout le
VI® siècle entre l'Empereur et le Pape ; on devine à quels inces-
sants voyages, à (juels multiples rapports ces controverses et
ces négociations donnaient lieu : on mesure toute la place que
Byzance tenait à Rome.
Et l'on discerne aussi, non seulement par quelle voie les
nouvelles d'Orient parviennent en Occident, mais aussi la raison
dernière du prestige qui transfigure l'Orient aux regards <les
Latins et des Romains.
C'est d'abord la patrie des civilisations primitives et tout
LA PERSE 357
ensemble de la religion du Christ : sur dix textes des écri-
vains chrétiens oîi l'Orient se trouve mentionné, huit pour le
moins rappellent soit l'histoire des deux Testaments, soit les
aventures de ces conquérants et de ces législateurs fabuleux,
dont saint Jérôme, Orose et Sulpice Sévère rappellent les
noms dans leurs chroniques.
C'est encore le siège du grand empire rival, l'empire
Perse : les guerres sanglantes du iv* siècle engagées au
sujet des provinces transtigritanes, les luttes incessantes du
vi* siècle provoquées par la question des « états tampons »
ont appris aux Romains à estimer et à craindre leurs puis-
sants voisins; les relations commerciales, d'autant plus actives
entre les deux états que les routes de la Colchide et de
l'Himyar sont souvent interceptées, ont rapproché les deux
ennemis; le retentissement de la poi*sécuti(m de Sapor,
l'accueil favorable que fait Khosroes à tous les persécutés de
Byzance, nestoriens d'Edesse ou philosophes d'Athènes, les
entreprises communes des deux empires contre les Huns Blancs
et les mutuels témoignages d'estime qu'ils se sont parfois don-
nés consacrent et transfigurent, en quelque manière, leurs rap-
ports mihtaires et commerciaux et établissent entre eux je ne
sais quelle haute fraternité morale ^
L'Orient est enfin pour les habitants de Rome — comme
pour le pape — le pays de Byzance, le siège de l'Empire
romain, l'heureux rival de la terre latine délaissée; tandis que
d obscurs roitelets barbares s'en disputent les lambeaux, la
majesté de l'Empire et de Rome s'est retirée en Orient^ dans
cette Rome nouvelle, assise sur les rivages de la Corne d'Or;
1 Entre les deux empires, pour toutes ces raisons, les rapports étaient très
étroits : « Inter Romanos et Persas, semper propter diversas causas mittnntur
legationes» (Cassiodore, H. T., XI, 8.— P. L.,69, 1191. —Cf. Socrate, Vn,8).
Cf. Bury : Histot^y of the later Roman Empire (London, Mac Millan, 1889), pas-
sim. Deux satrapes persans firent le voyage de Rome et de Milan pour voir
Probus et entendre Âmbroise (Paulinus : Vita Ambrosii, 2.'i ; — P. L., U, 35).
— Arcadius confie à lezdegerd la tutelle de Théodose II (Tillemont, Emp,, VI,
597) (Le tuteur effecUf Anthemius a été ambassadeur en Perse). — Le reten-
tissement du désastre de Julien parait être le second fait qui explique la place
que tient la Perse dans les I radiUons martyrologiques (cf. supra). — C'est par
les incessants rapports de Rome avec Byzance et le monde grec doit s'expli-
quer le fait des rédactions grecques des gestes romains écrites à Rome
même. Il en est un second groupe, formé des textes anté-métaphrastiques, qui
a vraisemblablement Byzance pour patrie et le vu* siècle pour date. Un troi-
sième groupe serait enfin formé des textes rédigés à Grotta et en Calabre.
* Marcellinus Comes : < Orientale tantum secutus imperium. »
358 HISTOIRE GÉNÉRAIJS DES TRADITIONS ROMAINES
ritalie, longtemps inconsolable, demande au Basileus qu'il lui
envoie un empereur; Théodoric se déclare son esclave, Clovis
reçoit avec joie les insignes de consul, et les Romains sous
l'obsédante hantise du passé, comme les autres rêvant toujours
de TEmpire, ne peuvent détacher leurs regards de Byzance.
CHAPITRE V
VALEUR HISTORIQUE DES RÉDACTIONS
[v'-vii*' siècles]
Après avoir vu quelles doubles déformations ont subies les
traditions romaines à Topoque de leur naissance et à l'époque
de leur rédaction, nous sommes en droit de conclure que leur
valeur historique dépend de f époque à laquelle on les rap-
porte : très faible pour qui recherche ce que fut la vie chré-
tienne à Rome pendant les persécutions, elle apparaît comme
considérable à celui qui étudie ce qu'elle devint lorsqu'elles
eurent cessé.
Nous pouvons répondre à la question que posait la première
partie de cette étude : les gestes romains sont apocryphes :
nous entendons par là, prenant le mot dans sa signification
courante, qu'ils se donnent pour ce qu'ils ne sont pas. Ils ne
sont pas un document authentique sur l'histoire des persécu-
tions parce qu'ils ont été rédigés, non sur des documents
autorisés, mais d'après des traditions orales incomplètes et
déformées ^, par des clercs de faible culture intellectuelle et
morale écrivant à l'époque ostrogothique.
1 Ce qui ne veut pas dire que les auteurs des textes que nous lisons n'aient
pas eu sous les yeux un texte. Nous croyons qu'a un moment donné les
Romains se sont mis, un peu de tous les côtés à la fois, à écrira leurs légendes ;
et ils ont pu utiliser les rédactions qui leur étaient tombées sous la main : mais
360 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
On ne saurait douter que ces clercs n'aient appartenu à des
milieux romains, sinon toujours par leur naissance, au moins
par leur <'arrière, lorsqu'on se rappelle l'abondance, la préci-
sion, nous ajouterons l'exactitude des renseignements topogra-
phiques qu'il nous transmettent. Il n'est, peut-on dire, pas un
détail de nos légenrles qui n'ait, en quelque manière, sa racine
dans le sol; il n'est pas un épisode qu'elles racontent qui ne soit
comme attaché à quelque monument; il semble que la vue de
l'un ait été, pour nos rédacteurs, l'occasion de conter l'autre;
et, de fait, c'est la Ville tout entière avec sa couronne de
basiliques et de catacombes qu'ils font voir à leur lecteurs *.
Romains, nos rédacteurs sont aussi des ecclésiastiques. La
nature même de leur entreprise l'indique clairement : à moins
de raisons positives, on est fondé à attribuer à des clercs plu-
tôt qu'à des laïques l'idée de raconter la vie des saints. Au sur-
plus, l'hypothèse est confirmée par l'examen des passages qui
concernent le culte et la doctrine. Prenez les gestes de Proces-
sus, ceux de Calliste, de Laurent, d'Etienne, des Martyrs
Grecs, de Censurinus, de Maris, de Cornélius, de Marcellus,
de Suzanne, de Pancrace, d'Anthime, de Jean et Paul, de
Vibbiane. Toutes les fois que la grâce a touché indifférents
ou persécuteurs, nous voyons toujours, et dans le même ordre,
survenir les mêmes cérémonies et s'accomplir les mêmes rites :
une profession de foi somitiaire faite rx toto corde, un jeûne
d'un ou deux ou trois jours (vespertimtm ou triduamim jeju--
nittm), le baptême, la communion [jmrticipavit corpus et san-
gninem), parfois la confirmation [consignavit eos). La constance
et la régularité de ces mentions seraient assez surprenantes
dans des esprits que n'aurait pas façonnés et comme moulés
une éducation ecclésiastique: elles s'expliquent très naturel-
lement dans le cas contraire.
Il suffit, du reste, d'étudier la théologie des gestes pour se
convaincre que, si enfantine qu'elle paraisse, elle atteste une
culture religieuse particulière chez ceux qui nous la font con-
naître. Ils réfutent le paganisme en lui objectant l'immoralité
ces réductions venaient eUes-mèmes de voir le jour. Elles se sont supplantées
peu à peu Tune Tautre, pour des raisons qui nous échappent.
1 M. Ki'instle prétend que plusieurs gestes ont été rédigés en detiors de Home.
Les expressions Via qtiae nuncupaiur prouvent seulement le désir qu'a le
rédacteur de donner à son récit une allure impersonnelle de document
orficiel.
LES RÉDACTEURS DES LÉGENDES 361
de ses dieux* ; ils enseignent que le Fils de Dieu s'est fait
homme pour racheter le genre humain de la servitude du
péché*; ils racontent même, dans ses grands traits, la vie et
la mission du Sauveur : les gestes d'Alexandre, de Cécile et
de Calocère contiennent chacune une petite «Vie de Jésus».
L'exactitude de ces récits, la fréquence dos citations qui les
émaillent ne se peuvent expliquer, chez des hommes de culture
et d'intelligence médiocre, que par l'effet d'une éducation spé-
ciale : la culture ecclésiastique dos rédacteurs des gestes
romains atteste qu'ils étaient des clercs.
C'est ce que prouvent encore les rares lectures qu'ils ont faites.
Les rédacteurs des gestes de Corneille connaissaient un peu en
gros, semble-t-il, les lettres de saint Cyprien-^ et peut-être faut-il
en dire autant de celui qui introduit Aspasius Paternus dans les
gestes d'Agnès. — Le livre de Victor de Vite * quelques traités
de Tertullien^, de Jérôme et d'Augustin^ ont sans doute été
parcourus par quelques autres : et nul ne contestera que la
lecture de ces auteurs convient éminemment à des clercs. — De
même les rédacteurs des gestes romains connaissent l'Ancien
Testament : je n'en veux pour preuve que les allusions^ qu'ils y
font ou les citations^ qu'ils en donnent. — Ils utilisent davan-
tage les livres du Nouveau Testament ; le fait ressort avec
évidence des tours de phrase^ et des formules*^ qu'ils lui
empruntent, de la forme épistolaire ** qu'ils donnent parfois à
^ Sébastien, 20 janvier 633. — Chrysanthe et Darie, 25 octobre 474.
' Censurinus, 5 septembre 521, | 3 ; — Sébastien, 20 janvier 635 ; — Cécile,
p. 508.
3 L. P. I., XCIV.
* Cf. supra, p. 294.
* Cf. supra, p. 293.
* Cf. supra, p. 294.
^ Allusion %}xx trois Hébreux dans la fournaise ; cf. les fresques des cata-
combes.
^ Maris et Martha, 19 janvier 582. — Balbine, 34 mars 896. — Laurent
(Surius. IV, 611) cite la Genèse 22 et IV Reg. 2. — Hermès et Balbine.
• Infinitif construit directement avec le verbe. Actes XVI 10. — Scire quia.
Jean XXI, 17, etc..
^0 Ipsi gloria et imperium in s.-s. Amen, 1. Petnis, V, 11. — In diebus illis.
Actes Vi,l. — Amicus Caesaris. Jean XIX 12. — Comitatus. Luc 11, 44. — Facla
est in illa die persecutio magna. Actes VIII, 1. — Ex toto corde. Actes Vlll, 37.
Luc X, 27. — Custodia publica. Actes V, 18. — Voce magna exibant, Vlll, 7. —
Magis augebatur turba credentium. Actes V, 14-15. — Rapprocher des idola
manufacta. Actes XVIll, 24-29.
" Per Silvanum fidelem I Petrus, V, 12.
362 HISTOIRE GÉNÉRALF) DES TRADITIONS ROMAINES
leurs récits, enfin des citations textuelles* ou des allusion»
précises^ qu'on y relève. Il est même à noter, que, de toute
la littérature évangélique, ce sont les Actes des Apôtres qui
exercent sur nos rédacteurs Tinfluence la plus vive: les
références réunies au bas de la page précédente le démon-
trent de façon convaincante. Et qui pourrait s'en étonner?
Si tant d'expressions se retrouvent dans les gestes qui se
lisent dans les Actes, c est que ceux-ci étaient très vénérés
lorqu'on rédigeait ceux-là, comme l'atteste la traduction en
vers qu'en fit Arator et le succès qu'elle obtint (544) ; c'est
aussi que cette histoire des origines chrétiennes devait être
le livre de chevet de ceux-là surtout qui s'en croyaient les
continuateurs; c'est qu'elle était le modèle qu'ils s'efi'orçaient
d'imiter.
On peut essayer de préciser davantage : c'est au moyen clergé
qu'appartenaient le plus grand nombre de nos rédacteurs. Leurs
erreurs historiques, les enfantillages de leur théologie, leur
niveau intellectuel et moral l'attestent clairement. Mais un fait
curieux ne l'indique pas avec moins d'évidence : dans nos
gestes, les évéques, les prêtres même ont souvent un rôle
eff'acé; les diacres, au contraire, paraissent au premier plan :
saint Sixte est un petit personnage à côté de saint Laurent,
et saint Marcel pâlit étrangement à côté de saint Cyriaque;
les diacres et surtout dos sous-diacres ne devaient pas être
en minorité parmi les rédacteurs des gestes romains.
Ces clercs devaient se rattacher aux desservants des cata-
combes, réparties en sept sections rattachées aux sept régions
ecclésiastiques. La vraisemblance l'indique, et c'est aussi ce
que semble déclarer la finale des gestes de sainte Vibbiane :
« (Ici) finit la passion des saints martyrs flavien dafrose deme-
« tria et bebiana primus prêtre et priscillianus clerc et de la
« rehgieuse femme benedicta de faustus de jean prêtre et
« pigmenius prêtre. Donalus sous-diacre régionnairedu Saint-
« Siège apostolique l'a écrite, » Rien ne s'oppose à ce que ce
Donatus soit le vrai rédacteur de ces gestes : c'est peut-être
* Laurent, 0-1. — Censurinus. 1-5-8, 16. — Aurea, 1-3. — Maris. 8. — Su-
sanna, 5. — Félix et Adauctus. — Restitutus, 3. — Eugénie. — Jean et Paul,
p. 33-34.
^ Martyrs Grecs, 203. — Aurea, 1. —Maris, 12. — Sébastien, 51. — Suzanne,2.
Chrypanthe, 1. — Léopard, 1. — Eugénie Jean et Paul. — Primus et Feli-
cianus.
vâlecr historique des rédactions 363^
le seul nom d'auteur qui nous soit parvenu à travers les flot»
de cette littérature anonyme ^
II
Rédigés par des clercs romains, les gestes sont de peu de
secours et d'un très délicat usage pour l'historien des persé-
cutions. La critique extrinsèque et intrinsèque permet parfois,
on Ta vu, d'apprécier la valeur de tel ou tel détail rapporté par
les gestes. Mais cette double critique est souvent impossible:
souvent aucun document n'existe que Ton puisse confronter
avec eux : on Ta vu également. Quel parti prendre alors et
quelle attitude tenir? Que valent pour l'historien ces faits que
nous n'avons pu critiquer?
Lorsqu'ils sont une donnée essentielle de la légende, ils sont
acceptables, non comme certitudes historiques^ mais comme
croyances logiques. Notre connaissance générale de l'époque
des persécutions permet d'en concevoir \d^ possibilité ; la néces-
sité de rendre raison de la naissance du culte par-delà la for-
mation de la légende invite à en admettre la réalité. Acceptez
le fait du martyre, tout se comprend sans peine : la célébration
des anniversaires; le souvenir des événements, vivant d'abord,
puis qui s'efface; l'oubli qui ensevelit tel détail dans le passé,
qui donne à tel autre une valeur qu'il n'eut jamais ; l'histoire
se déforme: sous l'influence de la crise dioclétienne, da
culte des martyrs, du mouvement ascétique, et des condi-
tions de la vie romaine à l'époque ostrogothique, la physiono-
mie des faits s'altère; mille causes inconnues agissent, la
langue change, l'empire s'écroule et le noyau de vérité se
cache sous une enveloppe trompeuse et révélatrice tout ensemble.
Nier le martyre, n'est-ce pas supprimer la raison de cette évo-
lution légendaire; n'est-ce pas se priver des moyens de la
comprendre?
Lorsqu'ils sont des détails accessoires de la légende, ils sont
acceptables dans la mesure de leur étrangcté. L'imagination
des pèlerins et des rédacteurs tourne toujours dans le même
cercle ot ramène toujours les mômes incidents, miracles des
' Il faul peut-être y jcindre le nom de Porphyrion (IV Coronati;.
364 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
saints et conversions des persécuteurs; la singularité du fait
peut être est une garantie de son exactitude.
L'historien des persécuteurs ne devra pas oublier, enfin,
que nos textes ne donnent qu'une idée très incomplète et très
insuffisante des traditions où ils puisent. Nous ne possédons
qu'un maigre rameau des traditions relatives à saint Pancrace :
et son tombeau avait vu naître pourtant de bien merveilleuses
légendes. Les rédacteurs écrivaient ce qu'ils savaient; c'était
souvent peu de chose. Il arrive même que leurs renseigne-
ments se contrarient * . On aurait donc tort d'attacher trop
d'importance à leur témoignage : chaque texte ne représente
qu'un aspect de la tradition ; chaque tradition ne nous transmet
qu'un fragment d'histoire ; et de combien de traditions n'avons-
nous pas à déplorer la perte ^?
Les gestes romains ont un grand prix pour l'historien du
christianisme occidental tel qu'il se développa depuis Cons-
tantin jusqu'aux Lombards. Ils nous laissent apercevoir la
nature et les aspects de la vie religieuse à cette époque dans
les milieux populaires. Et cette connaissance, à peine ébauchée
aujourd'hui, est aussi essentielle à Tintelligence du christia-
nisme que l'étude des systèmes théologiquos, puisque, à côté
de l'élite intellectuelle, il y a les foules vivantes; puisque
c'est à celles-ci surtout que s'est adressé le Christ, et ses
disciples après lui; puisqu'il n'est pas démontre, enfin, que la
vie de celles-ci soit de même nature que la vie de celles-là. Il
est remarquable que, dans les gestes romains, à une ou deux
exceptions près, on ne trouve pas une allusion aux controverses
pélagiennes ou semi-pélagiennes 3. On y trouve, au contraire,
à chaque page la preuve du prestige qui entoure les mar-
tyrs; les gestes ne sont-ils pas eux-mêmes, par eux-mêmes, une
manifestation éclatante du rayonnement de leur culte? Or, c'est
un moment où on les rédige, au cours du vi" siècle, que dis-
paraissent du sol romain les dernières inscriptions païennes'*;
' Cf. les trois traditions relatives à saint Clément, svpra, p. 161.
s Le Liber Pontificalis nous parle d'une Eleutheria qu'aucun autre texte ne
mentionne.
3 « Regnum dei quod nobis paratuni est a constitutione mundi (Gesta Mar-
celli, 16 janvier, 6, Id 5). Cf. aussi supra, p. 336-337 sq.
* Elter : das alte korn in der Vorslellung des Mittelalters (Berlin, Phil.
Woohenschrift, 1898, n* 7, p. 221-222). — Gélase (i92-496) fustigeait les derniers
LA CHRISTIANISATION DE R03IE 365
c'est au début du vi" siècle, alors qu'on les rédige, que
s'accomplissent les premières transformations de temples en
églises ; c'est au vi" et au vu" siècle que fleurissent les pèle-
rinages, attestation magnifique de la ténacité de la croyance
au caractère local des dieux*. N'est-il pas à croire que les
gestes romains, parce qu'ils témoignent de l'épanouissement
du culte des martyrs, témoignent par là du ralliement des
foules romaines païennes à Jésus-Christ?
Les gestes nous découvrent que Rome fut le centre d'un
mouvement littéraire très puissant à l'époque de Théodoric :
mouvement qui, après s'être ralenti parmi les horreurs de la
guerre gréco-gothique, se ranima à l'époque de saint Grégoire
et des Boniface^. C'est dire que la rédaction des gestes des
Martyrs a passé par les mêmes phases et subi les mêmes
éclipses que la rédaction des gestes des Papes et des gestes
des Apôtres : pour ceux-là le fait est, dès longtemps, connu;
pour ceux-ci, il est très probable que saint Philippe et les deux
Jacques, dont l'histoire et le culte étaient également peu
connus à Rome jusque vers le milieu du vi" siècle, virent alors,
en même temps, se rédiger leurs gestes et s'élever leur basi-
lique : la rédaction des textes apparaît toujours comme très
étroitement liée à l'érection des sanctuaires.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de la composition de ce
Liber Martyrum dont saint Grégoire nous atteste l'existence et
dont nous avons retrouvé la deuxième édition. Tandis qu'on
rédigeait les traditions qui ne l'avaient pas été encore, on réu-
nissait dans un même manuscrit celles qui l'avaient été déjà :
le compilateur laissait sans doute de côté les gestes qui, par
leur étendue, formaient un volume et qui, pour cette raison.
païens honteux qui célébraient les Lupercales {Advevsus Andromachum, —
Thiel. I, 598-607).
• Cf. l'inscription où Achille de Spolète (402-418) démontre que saint Pierre
protège Spolète^ bien que Spolète ne possède pas le corps de saint Pierre (de
Rossi, Ins. Chr.^ II, 114) ; en rapprocher le curieux passage de saint Grégoire
que nous avons cité plus bas, p. 383, en note. — Sur toute cette question,
cf. notre article : Comment^ dans VEmpire romain^ les foules ont elles passé des
religions locales à la religion universelle^ le christianisme ? (« Revue d'histoire
et littérature religieuses », 1899, tome IV, p. 239 sq.)
2 Noter qu'au temps de Boniface, comme au temps de Symmaque, Fauto-
rité ecclésiastique s'est particulièrement occupée du culte des martyrs : Sym-
maque décide que le Gloria in excelsis sera chanté à tous les nalalicia comme
aussi tous les dimanches, et non plus seulement à Noël (L. P. I., 263-268, 41),
et Boniface réglemente la distribution des reliquiae.
366 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
étaient môme parfois divisés en livres * : tels les gestes de
saint Sébastien, de saint Laurent, de sainte Cécile peut-être et
«ans doute aussi, des saints Nérée et Achillée.
Les gestes nous expliquent enfin certains faits peu connus
ou mal compris dqnt on voit clairement qu'ils ont été la cause.
1 On peut se demander si la formule, verum quia longum est omnia per
ordinem^ etc., ne marque pas la fin du premier livre et le début du second.
Elle coïncide souvent avec le début dp la passio proprement dite : le premier
livre contenait les miracles {virlutes) ou des dicours et des récits (gesta). Cf. les
gestes de sainte Cécile. On ne voit pas que la passio ait été rédigée indépen-
damment des gesta et antérieurement à eux.
CHAPITRE VIII
DE L'INFLUENCE DES RÉDACTIONS SUR LES TRADITIONS
fv"-vii* siècles]
I
Il peut sembler téméraire de prétendre rechercher Tinduence
des textes sur les légendes d'où ils sont issus : en dehors
des textes eux-mêmes, combien rares sont nos documents sur
les traditions romaines ! Il est pourtant permis de le tenter : il
tjemble que Ton puisse discerner trois époques dans l'histoire
des rapports réciproques des traditions et des rédactions.
Au moment où les clercs de la chancellerie pontificale
^t les desservants des catacombes rédigent les gestes des
martyrs, chacun de leurs écrits n'obtient, semble-t-il, que la
plus faible diffusion ^ Mais toutes leurs rédactions attirent
l'attention générale sur les martyrs dont elles détaillent l'his-
toire; souvent elles exaltent la gloire de ces martyrs et
développent leur culte. Un exemple frappant de cette action du
texte sur la tradition a été très précisément indiqué naguère
à propos de sainte Cécile ^i avant la rédaction des gestes,
-c'est une sainte peu connue, peu fêtée : le Chronographe de 354,
Damase, Prudence l'ignorent également; les verres dorés ne
rapportent jamais son nom. A peine les gestes sont-ils écrits.
> Cf. supra, p. 161, les trois traditioas coexistantes sur saint Clément.
2 Cf. Erbes, op. cil., 11 sq. et supra.
:)d8 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
la situation change ; sainte Cécile expulse Gaecilius de l'église
trasteverine ; le pape officie en personne le jour de sa fête,
et révèque de Ravenne Vitalis, en 565, cherche à obtenir
quelque relique de son tombeau.
Seulement, lorsqu'écrivent les rédacteurs, la tradition est
trop vivace encore pour se figer sous leur plume; elle continue
de vivre dans la bouche des pèlerins et des clercs ; depuis les
origines jusqu'à ce jour, il y a continuité dans la vie légen-
daire ; les récits se sont transmis sans interruption de généra-
tion en génération ; les cimetières ont traversé les âges, gardant
à peu près intacts les monuments des origines, les réparant
après les crises passagères. Les révolutions politiques qui
tiennent tant de place dans les livres n'en occupent guère
dans Tesprit des Romains : la trame des souvenirs se modifie
sans cesse au fond de l'âme populaire sans se déchirer jamais.
Mais voici qu'en 511 le consulat disparaît; vers 540, chose plus
grave, le Sénat romain meurt, après douze cents ans de vie ;
en 547, Rome entière, — chose unique dans son histoire, —
Rome est abandonnée de ses habitants et reste déserte pen-
dant plusieurs mois. Voilà les trois faits qui marquent, dans
Thistoire de la Ville la fin d une époque et le début d'une
autre; ajoutez à cela les conquêtes et les dévastations, l'écrou-
lement subit du régime ostrogothique, les ravages de la guerre
byzantine, l'invasion lombarde enfin, qui laissa une trace si
profonde dans les souvenirs des Italiens — et des Italiennes. —
A ces grands faits généraux, ajoutez ce fait particulier, la
dévastation des cimetières par les Goths ariens — dévastation
dont Vigile secondé par le prêtre Andréas, s'efi'orce de réparer
les désastreux efi*ets : — vous comprendrez qu'il y a quelquechose
de changé dans les conditions de la vie romaine en général,
dans les conditions de la vie légendaire, en particulier.
C'est vraiment le moyen âge qui commence ici pour Rome.
Aux divers organes dont le jeu à constitué jusque-là sa vie
interne, que de lentes évolutions ont usés, que les récents
bouleversements ont ruinés tout à coup, d'autres se substi-
tuent grâce auxquelles sa vie va renaître : autour du Palatin
apparaît déjà VExercitus Romanus, comme autour du Latran
se groupe tout le Venerabilis Clerus : jusqu'en 1147, l'his-
toire de Rome n'est qu'un long et attristant dialogue entre ces
frères ennemis.
INFLUENCE DES RÉDACTIONS SUR LES TRADITIONS 369
Il est naturel de penser que la fin de Tépoque antique ne fut
pas sans influence sur les traditions des martyrs : ne tenaient-
elles pas à cette époque par toutes leurs racines? L'impression
que la conscience chrétienne a reçue de Téchec complet des
persécutions malgré les formidables efforts des persécuteurs
s'affaiblit à la longue; les traditions s*amaigrissent; le temps
accomplit son œuvre ; on oublie les origines — si cruelles —
et le triomphe — miraculeux — . On ne ressent plus le besoin
de raconter les Gesta Dei perSanclos, et comment les martyrs
ont eu raison des multiples embûches de Satan ; les embellis-
sements ne sont plus à craindre ; l'imagination de la foule ne
travaille plus à son aise sur une matière indécise et flottante, mais
naturellement riche. C'est alors que se manifeste sur la légende
l'influence du texte qui tend à la maîtriser désormais. Comme
le germe a produit le fruit, la légende a produit le texte ; en
dehors de celui-ci, elle s'affaiblit et s'étiole; sans lui, elle
mourrait. tout à fait.
Dans cette troisième période, le texte sauve la légende. De
cette multitude presque infinie de traditions vivantes qui
avaient pris naissance, peut-on dire, à chaque crypte des
cimetières, la masse était allée, on l'a dit, s'amincissant,
s'amoindrissant chaque jour ; et, à mesure que l'appauvrissement
légendaire se manifestait plus clairement, l'importance des
gestes se développait davantage. Au temps de Grégoire I'% au
VII* siècle surtout et dans les siècles suivants, s'achève la double
évolution parallèle et contraire des uns et des autres : dès cette
époque, la légende n'existe plus en dehors du texte qui l'incarne ;
on peut rechercher l'influence de celle-là sans craindre de quit-
ter l'étude de celui-ci*.
1 1^ mosaïque de Saint-Laurent hors les murs représente Hippolyte non
pas dans le costume d'un vicariua; mais dans celui d*un clerc : de Rossi
explique le fait {BuU.^ 1882, S.'i) en disant que c'est au viii* siècle qu*H. est
métamorphosé en vicaire. L'explication est inanifestement inexacte, puisque
H. est qualifié de vicarius par les gestes de Laurent, qui sont du vi*. Le
mosaïste de Pelage aura, sans doute, travaillé sous la surveillance de quelque
clerc instruit qui avait lu saint Jérôme.
24
370 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
II
Mais là ne se borne pas, semble-t-il, Tinfluence des gestes
sur les légendes romaines. En même temps qu'ils sauvent celles
dont la tradition est morte, ils en suscitent de nouvelles que
la tradition n'aurait pas reconnues.
Les gestes qui illustraient l'origine du titulus de sainte Sabine,
sur l'Aventin, avaient excité Tamour-propre, sinon la jalousie,
des clercs attachés à l'église voisine de Saint Boniface: le
monument leur avait suggéré la tradition ^ Pareille chose
advint sans doute pour l'église de sainte Lucie. Le pape Hono-
rius, qui régna de 625 à 638, consacra une église à cette sainte,,
dans les quartiers centraux, « iuxta sanctum Silvestruni '^ ».
Je crois que les clercs qui y étaient attachés n'attendirent pas.
longtemps pour suivre l'exemple des desservants de saint Boni-
face : le iiiulîfs vénérable de saint Marcel n'était pas loin ;
et leur piété ne pouvait souffrir que leur sainte ne fût pas aussi
célèbre à Rome que le martyr voisin. Ils s'arrangèrent donc
pour conter une histoire qui rappelât aux Romains leurs légendes;
et qui respectât en même temps les attaches siciliennes de la
célèbre martyre de Catane.
« Dioclétien et Maximien régnaient depuis treize ans,
lorsqu'une vieille chrétienne, nommée Lucie, fut dénoncée
par son fils Euprepius et conduite devant l'assessor Gebal;
elle refusa de sacrifier; torturée, elle fut vengée de ses
tourments par une inondation du Tibre ^ qui renversa le palais
de Dioclétien. Conduite au supplice, elle convertit le païen
Géminien, en passant près du Latran, non loin du tombeau
des saints Jean et Paul qui l'avaient instruite. Le bourreau
Pyrrhopogon est écrasé ; finalement Lucie et Géminien sont
transportés par des anges, en Sicile, sur la montagne de Taor-
mine, et, après d'autres merveilleuses aventures, Lucie meurt
1 Malgré la date récente de leur rédaction, nous avons étudié les gestes de
Boniface dans le même chapitre que les gestes ostrogothiques : leur parenté
avec les gestes de Sabine est manifeste, et ces gestes sont vraisemblablement
de Tépoque gothique.
« L. P., I, 324.
3 Suggérée sans doute par la grande inondation survenue au temps de saint
Grégoire.
LÉGENDES NOUVELLES SUSCITÉES PAR LES GESTES ANCIENS 371
de sa mort naturelle, tandis que Géminien est massacré au
sortir d'une caverne*». — Je soupçonne aussi que les gestes
de sainte Martine furent alors rédigés par les desservants de
l'église consacrée à cette sainte. Sans doute, elle est attestée
pour la première fois au temps d'Adrien (772-795) : il est pro-
bable pourtant qu'elle est d'un siècle antérieure. La sainte
est vénérée à Rome dès cette époque : l'édition du calendrier
romain faite au vu" siècle 2 l'atteste ; la Secrétairerie du Sénat,
où nous la voyons établie ou vin* siècle est contiguë à la salle
des Séances (Curia Hostilia), où le même Honorius (625-638)
qui fonda Sainte Lucie, aménagea encore l'église de Saint
Adrien^. N'est-il pas vraisemblable que notre sainte profita
de ce mouvement d'expropriations pieuses, dont on surprend
la trace dans les textes * ?
Ce qui m'invite aie croire, ce n'est pas seulement les analo-
gies verbales et morales qui rapprochent ces gestes de ceux de
Lucie, c'est encore le rapport qu ils semblent tous deux soutenir
avec un autre groupe de textes. Les gestes de'Concordius»
paraissent être contemporains des gestes de Martine : ils se
rencontrent souvent ensemble en tête des passionnaires ; ces
saints sont tous deux vénérés le même jour, 1" janvier,
d'après le calendrier du vu* siècle^; nous avons vu enfin qu'un
Concordius semble avoir été associé à Martine, et que, du
moins, leurs corps semblent avoir été trouvés en même temps ;
n'est-il pas probable que leurs gestes ont été rédigés ensemble,
à cette occasion? — Les gestes de Concordius, d'autre part,
comme les gestes de Lucie témoignent de la vie persistante des
légendes attachées au souvenir de Julien l'Apostat : sainte Lucie
nous est présentée comme l'élève des saints Jean et Paul, et
de saint Concordius on fait le fils de Gordien , martyr sous Julien ",
prêtre du même titulus Pastoris que le précepteur de celui-ci,.
Pigmenius; dans les gestes de Vibbiane, du reste, un Concor-
> 16 septembre 286. — Ces gestes se rencontrent assez fréquemment encore
dans les manuscrits. 11 est possible que les gesta minus emendala s. Felici".
ialis soient de cette époque environ : dans tous les cas, ils semblent bien
antérieurs au ix* siècle.
« Cf. P. L„ 123, 145-146 et cf. supra, p. 250.
3 Lanciani: Atti délia l'eau accad. dei Lincei, 3* série [XI (1883), p. 1].
* 11 est possible aussi que l'édition boUandiste des gestes de Prisca soit
de cette époque.
* !•' janvier 9.
« P. L., 123, 145-146.
7 Cf. supra, page 194.
372 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
dius ensevelit le prêtre Jean, sur la voie Salara. — Aux
gestes de Concordius, se rattachent peut-être ceux d'Appollo-
niaS OU reparaissent Julien et Gordien et ceux de Marcellus
et Apuleius^. Tous ces gestes sont purement fictifs, au même
titre que ceux de Boniface, de Lucie et de Martine ; mais,
à la différence de ceux-ci, ils n'ont pçis d'attache topogra-
phique, ils ne sont pas nés du désir d'illustrer lorigine d'une
église déterminée.
Ce caractère les rapproche d'autres gestes, tels que ceux
de LucîUa et Flora 3, de Bonosa*, d'Anatolie et Victoire^.
Ceux-ci, connus d'Aldhelme, semblent n'être qu'une réplique
assez peu différente des gestes de Nérée; ceux-là, nous
l'avons vu, démarquent plus fidèlement encore, presque
littéralement, la légende que l'on imagina en l'honneur des
martyrs de Thessalonique Lucqia et Auceias ; quant aux gestes
de Bonose, ils semblent bien être contemporains du temps où
des rapports très étroits reliaient Rome à l'Angleterre. — On
peut admettre, jusqu'à preuve du contraire, que ce groupe de
textes, comme le premier, a été en quelque manière suscité au
VII* siècle par les gestes romains.
III
Ce qui est plus certain, ce qui est plus important du reste, ce
qui atteste d'une façon plus saisissante encore l'influence des
gestes sur les légendes romaines, c'est qu'ils suscitent, en
quelque manière, un calendrier où les saints de celles-ci
trouvent place. On a vu que le férial hiéronymien les igno-
rait souvent ; on va voir que leur présence dans le texte appelé
1 3 février 280. Noter qu'oa trouve une ApoUonie dans le groupe qui parait
associé à Luceia et Auceias.
• 7 octobre 828. « Temporibus luliani Augusti, centurio quidam. »
3 Cf. êupra, page 250.
^ Cf. supra, p. 243-244. L'Église romaine de Bonosa, au Trastevere, a sa
plus ancienne attestation dans un document daté de 1256, conservé dans un
manuscrit de TÉcole de médecine, à Montpellier (Armellini : Chiese^ 684).
'" 9 juillet 671. — P. L.. 123, 177-178. Ces gestes n'auraient-ils pas été
rédigés vers 654-657, pour illustrer la famille du pape Eugène qui règne alors?
Us parlent longuement et honorablement d'un roi barbares Kugène. —
Cf. infra, un cas peut-être analogue dans les Gesla Mai'ini,
CALENDRIER POPULAIRE SUSCITÉ PAR LES GESTES 373
Petit Martyrologe Romain fournit la caractéristique la plus
exacte de celui-ci.
Adon raconte qu'il s'est aidé dans son travail d'un « véné-
« rable et très antique martyrologe envoyé de Rome à un
« saint évêque d'Aquilée par le pontife romain* »; l'origine
romaine du texte est indiquée par là ; elle est confirmée par
le grand nombre des fêtes romaines qui s'y trouvent, — on va
le voir, — et par deux d'entre elles notamment : celles du mar-
tyre de saint Jean à la porte Latine, et celle de la première
entrée de l'Apôtre Paul dans la ville de Rome*.
Les fêtes mentionnées dans le calendrier sont toutes anté-
rieures à Tan 700, et le plus grand nombre se rapportent à des
martyrs qui souffrirent pendant la persécution. Deux groupes
sont postérieurs à celle-ci : les anniversaires des martyrs de la
persécution vandale, tombés dans la seconde moitié du v* siècle 3,
et les anniversaires d'un certain nombre de fêtes romaines,
instituées dans le cours du vu* siècle*. — Ces deux groupes
de fêtes ont-ils été rajoutés après coup; faisaient-ils partie
do l'édition première?
Si les fêtes des martyrs vandales ont été rajoutées après
coup, c'est donc que le texte est antérieur à Hunéric, partant
contemporain de saint Léon, et du férial hiéronymien lui-même.
Or il contredit ce dernier à propos de deux fêtes romaines^ ;
comme il n'a pas, il s'en faut de beaucoup, la même autorité,
il est vraisemblable que ce sont ses données qui sont inexactes ;
elles n'auront pu avoir cours, puisqu'il est aussi né à Rome,
^ Ado peccator lectori Salutetn (P. L., 123, li4).
« 6 mai et 6 juillet (P. L., 123, 137-158 et 163-164).
' 29 mars. Apud Africam, confessorum Àrmogastis, Archinimi et Satyri,
tempore Vondalicae persecutionis (P. L., 123, 153-134). Cf. 13 juillet, 6 sep-
tembre, 13 et 28 novembre, 6 et 15 décembre.
* 13 mai. « S. Mariae ad Martyres dedicationis dies agitur, a Bonifatio
papa statutus. » (P. L., 123, 151-158 — Cf. L. P., I, 317.) — 1 nov. : Festivitas
Sanctorum quae celebris et generalis agitur Romae (P. L., 123. 173-174)
(Fêtes introduites vers 608-615). — 3 juin. Bonifatii martyris... et 16 sep-
tembre: Luciae et Geminiani... (Cf. supruy fêtes introduites sans doute entre
619-638). — 22 janvier, Anastasii (fête introduite vers 642, de Rossi, R. S., I,
143). — 9 juin: Romae in Caelio Monte (Priuii et Feliciani martyrum (fête
introduite vers 612-649. — L. P., I, 332). — 10 novembre : Chersona Lyciae,
Martini papae. qui ob catholicem fidem ibi relegatus vitam finivit (fête
introduite après 653.) — 14 septembre: Exaltatio Crucis... quando lignum...
aSergiopapa inventum... (fête introduite vers 687-701. — L. P., I, 374).
* Pontien est vénéré le 20 novembre dans le calendrier du vu* (P. L., 123,
175-176) le 13 août dans le férial (Ept. Rossi-Duchesne, p. 15) ; Félix est vénéré
le 30 mal au vir(P. L., 123, 159-160).
374 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
qu'à une époque où le férial ecclésiastique, d'une antiquité si
vénérable, était, sans doute, un peu oublié. Notre texte est
donc très vraisemblablement postérieur à la persécution d*Hu-
néric : les fêtes des martyrs vandales devaient être mentionnées
dans la première édition.
Je ne crois pas qu'on en puisse dire autant du second groupe
que nous avons distingué; il me paraît plus probable que les
fêtes qui le composent ont été introduites peu à peu dans l'édi-
tion première. I/enthousiasme des Romains pour leurs martjTS
était encore très vif au temps de saint Grégoire, des Boniface
et d'Honorius (590-638) ; il était infiniment plus tiède au temps
du pape Serge (687-701). Comme notre texte traduit d'une
façon très expressive la popularité des gestes des martyrs, il
paraît plus naturel de le rattacher à cette époque-là qu a
celle-ci. Je remarque enfin que dans la mention : S. Marine
ad martyres dedicationis dies agitur a Bonifacio papa sta^
talus, on n'indique pas le numéro de ce pape Boniface : n'est-
ce pas qu'il était vivant encore, alors que Ton rédigeait ce
calendrier populaire (608-615)?
Voici, en eff'et, ce qui date et ce qui caractérise à la fois le
martyrologe « très antique » qu*a copié Adon : il recueille avec tin
soin pieux le plus grand nombre des martyrs qui apparaissent
dans les gestes et qu'ignorait le calendrier officieL Au l*" jan-
vier, je trouve Concordius et Martina ; le 4 janvier, les saints des
gestes de Vibbiane, Priscus, Priscillianus, Benedicta et Dafrosa;
le 18, Prisca ; le 29, Papias et Maurus ; — le 2 février, Benedicta et
Apronianus; le 18, Claudius, Praepedignus, Alexander, Cutiaet
Maxime ; le 19, Gabinius ; le 23, Polycarpe, prêtre ; — le 2 mars,
Jovinius et Basileus; le 14, les quarante-huit martyrs baptisés
par saint Pierre; le 16, Cyriaque, Largus, Smaragdus, Cres-
centianus et vingt autres ; le 24, Pigmenius ; le 25, CjTinus ;
le 30, Quirinus, tribun ; le 31, Balbina ; — le 1" avril, Theo-
dora, sœur d'Hermès; le 10, plusieurs martyrs baptisés par
Alexandre; le 15, Maron, Eutyches et Victorin; le 20, Sulpi-
tius et Senihanus; le 22, Parmenius, Helim(en)as, Chrysote-
lius, Lucus, Mucus ; — le 3 mai, Alexandre, Eventius et Theodii-
lus ; le 6, saint Jean, Voie Latine ; le 7, Flavie Domitille; le 10,
Gordien et Epimaque et Calepode; le 11, Anthime; le 12,
Pancrace et Denys ; le 19, Potentienne et Pudens ; — le 5 juin,
Boniface; le 6, Artemius, Paulina, Candida; le 20, Novatus,
frère de Timothée ; le 21 , Demetria ; le 23, Jean le prêtre ; le
Lt: CALENDRIER POPULAIRE DU VII*^ SIÈCLE 375
30, Lucine; — le 2 juillet, les trois soldats baptisés par saint
Paul ; le 5, Zoé, femme de Nicostrate ; le 6, Tranquillinus ; le 7,
Nicostrate, Claudius, Castorius, Victorinus, Symphronianus ;
le 24, Vincent ; le 26, Hyacinthe ; — le 4 août, Tertullinus ; le 7,
Pierre, Julienne et 17 autres; le 13, Hippolyte martyr avec sa
famille, et Concordia, sa nourrice; le 15, Tharsitius; le 16,
Serena, femme de Dioclétien; le 18, Jean et Crispus; le 26,
Irénée et Abundius ;le 29, Sabine; — le 3 septembre, Séraphie ;
le 5, Victorin ; le 15, Xicomède ; le 16, Lucie et Geminen ;
le 17, Justin, Narcisse, Crescentianus ; — le 7 octobre, Mar-
cellus et Apuleius; le 18, Triphonia, femme de Dèce; le 28,
Cyrilla sa fille; le 31, Nemesius et Lucilla; — le 1" novembre,
Césaire et Julien; le 19, Maxime, Faustus, Eusebius ; le 29,
Saturninus, Sennes etSisinnius; — le 1*"* décembre, Chrysanthe,
Darie, Diodore, Marinianus ; le 2, Vibbiane, Faustus et Dafrosa;
le 3, Claudius, Hilaria, Jason, Maurus; le 4, Symphronius,
Olympius, Exsuperia, Theodulus ; le 23, Victoire ; Servulus.
Tous ces martyrs sont inconnus au férial hiéronymien, tous
se retrouvent dans nos gestes ; comme le férial hiéronymien
représente le calendrier officiel de Téglise romaine, c'est le
calendrier populaire des Romains que nous lisons dans le texte
que nous a conservé Adon. Il résume, il consacre le mouve-
ment religieux qu'ont provoqué les martyrs ; il est la première
et la plus naturelle conséquence de Faction de ces gestes où
les traditions ont pris corps. Le fait de la rédaction écrite a
donné à celles-ci quelque chose de Tautorité qui leur manquait,
■comme à toutes les légendes purement orales. Elles ne pou-
vaient jadis, au temps de saint Léon, faire irruption dans le
calendrier officiel; grâce aux gestes, elles peuvent aujourd'hui,
au temps des Boniface et d'Honorius, prendre leur revanche,
et remplacer dans le pratique le vénérable pseudo-Jérôme, —
qui est un peu démodé * .
•
> n est possible aussi que le texte ait été rédigé au temps dllonorius (()2.'î-
•638) par le même groupe de clercs qui faisaient leurs délices des gestes ostro-
gothiques, qui écrivaient les gestes de Boniface, de Lucie et de Martine sans
parler des autres, plus douteux, du même groupe. C'est le moment aussi où
ils rédigent de nouveaux guides à travers les catacombes, le moment où
rhistoriographie papale se ranime, où Ton rédige peut ôtre Toriginal romain
du sacramentaire Gélasien. l\ semble que la première moitié du vii" siècle
ait vu un mouvement littéraire romain analogue au mouvement de Tépoque
ostrogothique, mais moins puissant.
CHAPITRE VIII
DE L'INFLUENCE DES GESTES ROMAINS SUR LES IDÉES
[vr-vii* siècles]
Le calendrier légendaire n'est pas le seul texte qui nous
atteste Tautorité croissante des gestes romains ; si faible qu'en
soit la valeur morale, on devine pourtant qu a ce moment
même ils ont exercé une influence sur les idées.
I
L'église catholique romaine n'a jamais rien défini au sujet des
gestes des martyrs: elle n'avait pas aie faire. Elle enseigne
une doctrine sur les faits qu'ils recouvrent, sur le miracle en
général, sur la sainteté en général ; elle ne formule aucune
proposition sur leur manifestation dans tel ou tel événement
particulier. Il n'y a pas à étudier quelle doctrine elle propose,
mais quelle attitude elle obsene à l'égard des traditions.
366-384. Au temps de Damase, je le rappelle, la culture est encore
assez forte dans ses rangs, les souvenirs assez précis pour que
l'on ait également conscience et des ignorances réelles et des
légendes prétendues : en les négligeant, Damase montre le
peu de cas qu'il en fait * ; en les condamnant formellement,
1 Cî.mpra, p. 26, sq. 1hm(37, p. 42). Je crois retrouver la façon de sentir de
Damase dans le canon 14 du 5* concile de Cartbage en 416 : « Omnino nulla
memoria martynini probabiliter acceptetur nisi... aut... vel .. Nam quae per
Bomnio et per mânes quasi revelationes quorumlibet hominum ubicumque
constituuntur altaria, omni modo reprobentur. »
378 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
le concile pseiulo-damasien atteste qu'au début du vi* siècle
on juge cette littérature comme à la fin du iv".
172-795 Au temps d'Hadrien, nous voyons un pape admettre les pas-
sions des martyrs aux honneurs de la lecture publique : peut-
être dans ces « passions » comprend-il aussi les gestes romains.
Dans tous les cas, la culture s'est affaissée au sein de la haute
église, et la sévérité dont elle témoignait à Tégard de notre
littérature s'est vraisemblablement adoucie.
.•i90-G04 Entre Damase et Hadrien, une évolution s'est donc produite:
de cette évolution Grégoire P"" occupe le point moyen.
II
« Ce grand pape occupe, vers la fin du siècle, une place
tout aussi élevée que Ta été celle de Cassiodore au milieu de
ce même siècle; toutefois, malgré la parenté multiple de leurs
productions littéraires, elle est essentiellement différente. On
retrouve encore dans les pages de celui-ci le reflet d'une cul-
ture plus élevée qui va disparaître ; parfois môme y a-t-il une
lumière éclatante; mais, par contre, vous voyez déjà les
ombres de la nuit tombante s'étendre sur les écrits de celui-
là* . » Il suffit d'en lire quelques pages pour s'apercevoir com-
bien s'est profondément abaissé, non pas seulement le niveau
des connaissances, mais le niveau des intelligences. Je n'in-
siste pas sur ce fait que Grégoire ne sait pas le grec, (juoiqu'il
ait passé plusieurs années à Constanthiople en qualité d'apocri-
siaire. Mais voici qui est significatif : l'atmosphère intellectuelle
où il vit est assez humble; avec un incontestable talent d'or-
ganisateur et de poHtique, il fait preuve d'une surprenante
crédulité, parfois d'une inconcevable naïveté qui n'est pas tou-
jours exempte de niaiserie. Car il aime à interroger la foide
ignorante et pieuse, oi il accepte docilement toutes ces fables
(pie Damase voulait ignorer ; il invoque le témoignage de Marc
el de Luc pour s'autoriser de leur exemple et se fier bonnement
» Ebcrt,L«7/. au M. A., tr. fr. I, 578.
INFLUENCE DES GESTES ROMAINS SUR GRÉGOIRE LE GRAND 379
au témoignage d^autrui. Et quelle ne devait pas être la valeur
•de ce témoignage : saint Grégoire n'ose même pas rapporter
les paroles de ceux avec lesquels il s'est entretenu, à cause de
leur rusticité, dit-il : quia si de personis omnibus ipsa specia-
liter verba tenere uoluissem^ haec rusticano usu prolatastylus
scribentis non apte susciperel ; ce n'est pourtant pas la langue
de Cicéron ni de César que parle — ni qu'écrit — notre pape.
Que si, maintenant, nous parcourons les quatre livres des Dia-
logues, notre impression se précise et nos soupçons se con-
firment: l'écrivain qui prit plaisir à écrire tant d'histoires tri-
viales ou futiles, qui les enregistre sans mot dire, bien plus, qui
les présente comme dignes de foi et d'éloge, celui-là est de I
plain-pied avec les rédacteurs des gestes romains. Comment '
«'étonner qu'il subisse leur influence?
Une raison particulière devait efi faciliter l'action : les ten-
<lances ascétiques de saint Grégoire ne sont pas un trait moins
marquant de sa physionomie que sa faible culture intellectuelle.
Elevé par une femme très pieuse qui, à la mort de son mari,
était entrée au couvent, il avait sans doute reçu d'elle l'amour
de la vie cloîtrée. Toujours est-il qu'après avoir passé par les
affaires publiques, et s'être acquitté avec honneur des charges
qui lui étaient confiées — la préture par exemple, — il vendit
tous les biens de son immense héritage, et, comme les per-
sonnages de nos légendes que la grâce a touchés, affecta le
produit de cette vente au soulagement des pauvres et à la fon-
dation de sept couvents ; il se retira dans l'un d'eux, à Rome.
En 585, au retour de Constantinople, il rentre dans un de ses
monastères, il en devient l'abbé; et, cinq ans plus tard, il
refuse longtemps d'accepter la succession de Pelage qui le for-
çait de renoncer à la vie monastique KDe\enu pape, il ne cesse
de soupirer après cette vie ascétique qu'il n'a guère fait qu'en-
trevoir. On se rappelle l'introduction des Dialogues : accablé do
«oucis, Grégoire se retire un jour dans la solitude, et la tris-
tesse remplit son cœur: les affaires temporelles ne lui laissent
pas le loisir de cultiver son âme*. Son ami de jeunesse, le
diacre Pierre, vient le trouver, et Grégoire s'ouvre à lui :
1 C'est Ebert qui parle, I, 579.
2 En rapprocher un passage intéressant par la précision relative de la
pensée. Dialog., II, 3. De vase vitreo cruels signo rupto (Migne, P. L , 60,
136 et 138).
380 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRÂDITIOf(S ROMAINES
quelle perte irréparable n*a-t-il pas faite, le jour oîi il a renoncé
pour jamais à la vie contemplative !
On se rappelle les tendances ascétiques des Gesta Marty-
mm, les louanges qu'ils donnent à la virginité, le renoncement
qu'ils prêchent à la vie du monde ; on ne s'étonnera pas qu'il
se soit plu à les entendre conter, cet enfant d'une mère qui,
devenue veuve, se réfugie au couvent; cet homme qui, mêlé
à deux reprises aux grandes affaires, comme préteur puis
comme apocrisiaire, y renonce volontairement et refuse d'y
rentrer; ce pape qui, maitre de Rome et patriarche d'Occident,
ne cesse de soupirer après le cloître*?
III
Ce qui confirme cette idée, c'est le caractère utilitaire que
revêt l'exhortation morale dans les écrits de saint Grégoire :
et Ion a pu voir combien ce caractère était fortement imprimé
dans \e^Gesta Martyrum tovlwAw^, S'il est une idée qui reparait
dans ces textes, comme un perpétuel refrain, c'est bien ce conseil
significatif : « Les voluptés de ce monde sont passagères, les
« peines de l'au-delà sont éternelles : soyez vertueux. » Ouvrez
les œuvres de saint Grégoire, ses homélies notamment : la
même idée revient, souvent exprimée dans les mêmes termes :
Pensate ergo quia nulla sunt quae temporaliter occurrunton
encore giti se adhuc pro rébus transitortis extollit, nescit in
prnrimo venerari quod maneat, ou enfin : ecce mumlus qui
(/iligitur, fugi/'^.
D'une façon plus précise, il faut remarquer comme il parle,
non plus de la vertu en général, mais de cette vertu particu-
lière, si chère aux rédacteurs de nos légendes : la chasteté.
« Galla, dum, fervente mundi cojpia, ad iterandum thalamum
« et opes et aetas vocarent, elegit magis spiritalibus nuptiis
1 Je crois que Grégoire subit aussi Tinfluence des gestes romains par les
conversations qu'il aimait avoir avec les rustici. — Cf. avec quel respect, un
peu superstitieux, il parle des martyrs : « Quotidianis diebus in eonim vene-
ratione missarum solemnia agimus. » Lettre à Euloge, 598 (Jaffé, 517j. « Mena-
chi... qui corpus eiusdem martyris (Laurentii) viderunt, quod quidem minime
tangere praesumpserunt, omnes intra decem dies defuncti sunt » (Epist.,
Vlll, 30).
2 Homélies, II, 28 (Migne. P. L., 16, col. 1213).
INFLUENCE DOCTRINALE DES GESTES ROMAINS 381
« copulari Deo, in quibus a luctu incipitur, sed ad gaudia aeterna
« pervenitur, quam carnalibus nuptiis subjici, quae a laeiïtia
« semper incipiimt et ad finem cum luctu tendunt * ». Le même
esprit n'animaît-il pas Gaius et Gabinius lorsqu'ils détournaient
Suzanne du mariage, ou même Nérée et Achill^e lorsqu'ils
engageaient Domitille à repousser les avances d'Aurelianus en
lui peignant les joies du paradis et en lui représentant la
jalousie des maris, la rivalité des servantes, les douleurs de la
maternité? G*est toujours la même morale fondée sur Imtérôt
bien entendu : c'était peut-être la seule que pussent entendre
les Romains du vu* siècle ; mais, certainement, c'est à travers
les Gesta Martynim que saint Grégoire a pu la lire dans
l'Evangile.
IV
On peut même se demander si, indépendamment de cette
action morale, les gestes romains n'ont pas exercé sur
saint Grégoire une certaine action doctrinale.
Deux traits distinguent éminemment sa théologie. Il tend à
faire du miracle le seul signe caractéristique du fait religieux;
nullum habet meritiim cui humana ratio praehet experimen-
tum 2 ; la religion semble être transportée toute dans le monde
surnaturel et se mouvoir dans le domaine des démons et des
anges. — Le diable prend une grande place dans la pensée
religieuse d'alors. Grégoire croit que, comme le Verbe s'est
incarné, ainsi doit s'incarner le diable à la fin des temps 3;
avant la venue du Christ, le diable a\ait droit sur toutes
les âmes humaines ; il a droit encore sur les âmes incroyantes.
Or il est indéniable que les gestes des martyrs font du
miracle, non pas un des signes de la valeur du christianisme,
mais la preuve unique de sa vérité objective ; ils défigurent
inconsciemment la notion exacte du miracle moral, abolissant,
sans s'en rendre compte, la révolution intérieure, conséquence
de la grâce divine ; d'après la doctrine qui s'en dégage, ce
» Dialogues. \\\ 13 (P. L., T7, 392, 340).
> Evang., 11. hom , 26, ^1.
3 Moralia, 31, 24;- 13, 10.
382 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
n'est pas la transformation de l'action humaine qu'elle opère ;
c'est son annihilement qu'elle produit. — De même, il est indé-
niable que le diable tient une large place dans nos gestes : que
sont-ils autre chose, après tout, que le récit d'une longue lutte
entre Dieu et Satan, où les hommes ne figurent que comme
d'inertes mannequins ; tout homme est une proie que le diable
guette et que lui dérobe seule une volonté particulière de Dieu-
Ainsi, dans les gestes comme dans Grégoire, la notion du
miracle s'oblitère et s'exagère, comme le rôle de Satan s'agran-
dit : n'est-ce pas un indice de l'influence de ceux-là sur celui-
ci ? On a remarqué qu'à côté d'un augustianisme souvent'
superficiel, on discernait encore dans sa pensée d'autres élé-
ments d'une origine inconnue : n'est-ce pas des gestes romains
qu'ils semblent provenir?
Cette influence des gestes sur saint Grégoire n'a rien qui
doive surprendre. Le réveil du mouvement littéraire à son
époque, la re vision du Liber Martynim^ ces deux faits n'at-
testent-ils pas le renouveau de faveur qui s'attachait à l'histoire
glorieuse des martyrs ; et l'âme pieuse de Grégoire, formée
comme nous l'avons dit, pouvait-elle n'être pas sensible aux
mêmes merveilles qui enchantaient ses contemporains? A trois
reprises, du reste il témoigne lui-même qu'il lisait les gestes
romains : il connaît le Liber Martyrum qu'il cite dans sa lettre
à Eulogius; il dit que sainte Félicité craignait de laisser ses
fils \ivants après elle, « nelon ce qu'on lit dans le meilleur texte
des gestes * ; il raconte, enfin, dans une lettre à l'impéra-
trice Constantina, que les chrétiens d'Orient voulurent empor-
ter les corps de saint Pierre et de saint Paul, leurs concitoyens ;
qu'ils réussirent à les transporter jusqu'aux Catacombes ; mais
qu'un orage affreux les dispersa comme ils voulaient continuer
leur route, que les Romains accoururent et replacèrent les
reliques aux lieux où elles reposent encore^. Il est très mani-
^ « Sicut in gestis eius émendatioribus legitur. » {Opéra omnia^ 1, 444,
édit. Maiir. Paris, 1705.)
> « Eo tempore quo passi sunt, ex Oriente fidèles venerunt qui eorum
corpora sicut civium suorum répétèrent. Quae ductausqueadsecundum Urbis
miUiarium in loco qui dicitur ad Catacombas collocata sunt. Sed dum ea
exinde levare omnis eorum multitudo conveniens niterelur, ita eos vis
tonitrui atque fulguris nimio metu terruit atque dispersit, ut talia denuo
nuUatenus attentare praesumerent. Tune autem exeuntes romani, eorum
corpora, qui hoc ex Domini pietate meruerunt, levaverunt et in locis quibus
nunc sunt condita posuerunt. » (Ep., IV, 30. — Jaffé, 1302.)
i
I
GRÉGOIRE LE GRAND LIT LES GESTES 383
feste qu'il connaissait et les gestes de saint Pierre et de
saint Paul et les gestes de sainte Félicité : ce qu'il y avait pour
nous d'obscur dans sa conception du christianisme s'éclaire
d une lumière nouvelle. Le temps est passé où l'Eglise romaine
montrait une si singulière et si prudente méfiance à l'endroit
des gestes romains ^
1 On objectera peut-être sa lettre à Eulog:ius. JUmagine que Tàme si
pieuse, si mystique de saint Grégoire se contraignait à quelque prudence
lorsqu'on interrogeait en elle, le Pape, successeur de Pierre; ce n'est pas
tout à fait le même homme qui songe, en lui, aux intérêts de son âme et aux
intérêts de TÉglise; Tévêque rappelle ses prédécesseurs et ses ancêtres
romains, le chrétien annonce les chrétiens du moyen âge. Noter, peut-être,
du reste, une nuance de regret dans ce mot : « pauca quaedam unius volu-
minis codice... » — Les homélies prononcées par saint Grégoire aux Cata-
combes attestent la vénération qu'il a pour les martyrs. Noter aussi le
curieux passage suivant :
« Ubi in suis corporibus sancti martyres jacent, dubium, Petre, non est,
quod multa valeant signa demonstrare sicut et faciunt et pura mente quae-
rentibus innumera miracula ostendunt. Sed quia ab infirmis potest mentibus
dubitari, utrum ne ad exaudiendum ibi praesentes sint ubi constat quia in
suis corporibus non sint, ibi necesse est eos majora signa ostendere, ubi de
eorum praesentia potest mens infirma dubitare. » (Dialogi,^ II, 38, P. L.,
66, 204.)
5<i^^
CHAPITRE IX
DE L'INFLDEIÎGB DES GESTES ROMAINS SUR LE CULTE
[vii*-viii' siècles]
Si les gestes exercent déjà une telle action sur la pensée
du pape, il ne faudra pas nous étonner que leur histoire, aux
vir et viii° siècles, atteste que leur influence s'affermit et
s'étend. Lus par les moines dans leurs cellules, ils finissent
par être lus aux offices devant les fidèles.
Il est naturel, étant donnée la physionomie qu'ils présentent,
que leurs premiers lecteurs aient été les moines, à la chapelle
et dans les cellules. Il y avait près d'un siècle que saint Benoit
se retirant dans les solitudes de Subiaco, avait essayé d'y
renouveler les ascétiques exploits des moines de l'Orient :
preuve frappante que le prestige dont jouissait le monachisme
oriental au moment oii s'élaboraient les légendes était loin
de s'être affaibli à l'époque où on les rédigeait. Sans
doute, le saint de Nursie ne les met pas entre les mains
de ses frères, attestant ainsi l'autorité de fait du concile
damasien. Mais Cassiodore, dans son traité De Institutiotu*
ilivinarum litterarum^ n'a déjà plus, sans doute, les mêmes
pruderies : il invite les abbés Chalcedonius et Gerontius à
étudier les saintes Ecritures, à pénétrer les mystères de Dieu,
afin de pouvoir montrer le chemin à leurs successeurs. «Etidoo
« futurae beatitudinis memores, Vitas Patrum, confessiones
« fidelium, passiones martf/rnm legite conslanter... qui per
« totum orbem floruere * » : les gestes romains durent bénéficier
' Ctiap., 32 (Mi«(ne, P. L., 70, H H). — Cassiodore ne vise pas seulement ici
{inte^* alia) le martyrologe eusébien.
386 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
de cette autorisation générale. N'était-ce pas alors, un peu par-
tout, l'usage de lire les actes, comme l'attestent la règle de saint
Gésaire*, celle de saint Aurélien^ et celle de saint FerreoP,
comme l'attestent encore les gestes de Mélanie la Jeune:
• chaque veille de fête, elle avait coutume de réciter cinq
leçons. La lecture des gestes par les religieux remonte sans
doute au vi* siècle par ses origines premières.
Ce ne fut pas avant le vu* siècle, au contraire, que les gestes
furent reçus aux offices. Sans doute, c'avait été une vieille
coutume de l'église de lire en public les actes authentiques :
nul doute, par exemple, qu'au m" siècle, les actes de Jacques
et Marien n'aient été lus dans l'assemblée des fidèles; et
le troisième concile de Carthage^ atteste que l'usage s'était
conservé de son temps. Mais la différence est trop grande
des actes et des gestes pour que ceux-ci aient pu bénéficier
de l'honneur réservé à ceux-là avant l'affaiblissement de la
culture qui signale le haut moyen âge. Dans un Ordo Cano-
nis decantandi in ecclesia sancti Petri^ conservé par le
Codex Parisimis'^ 5J836, on voit que les gestes des martjTs
sont mis sur le même rang que les Vies des Pères catholiques^
et lus dans les assemblées des fidèles au même titre qu'elles.
Une lettre de Théodemar à Charlemagne^ atteste l'existence
du même usage. Voici enfin un texte plus important encore :
c'est d'un pape qu'il émane, et c'est l'autorisation officielle de
lire les passions à tous les anniversaires de martyrs. Hadrien
écrit à Charlemagne en 794 : Passiones sanctorum mariyrum
sancti canones censnerunt ut liceat eos etiam in ecclesia legi
cum anniversarii dies eorum celebrantur'^ ,
1 Régula ad Virgines. — 12 Janvier, Césaire, n. 69.
s Régula S, Aureliani. Inordine psallendi, P. L., 66,273, col. 432.
8 Régula S. Fen^eoli, ch. 18.
*• « Legi passiones martyrum, cum anniversarii dies eorum celebrantur. »
c. 47. — Hardouin, L 386, — ou Mansi, III. 92i.
* Cf. L. P., 1, Cl.
^ Jafife. Monum. CaroUn , p. 360.
7 Jaffe, 2485. — En rapprocher ce passage, antérieur d'un siècle : « Xec prae-
tereunda censeo sanctarum virginum Anatoliae et Victoriae praeconia quarum
rumores et prodigiorum privilégia... crebrescunt, dum scedarum apicibus^
quando... natalitia earumdeni catholici célébrant in pulpito ecclesiae i^cilan-
tur, » (Aldhelme, De laudibus Virg., 52; — P. L., 89, 151.)
LES GESTES PROTÈGENT LES CATACOMBES 387
II
Cette double action des Gesta devait entraîner une double
conséquence. Comme chaque chrétien, moine ou fidèle, dési-
rait lire, la veille de chaque fête, l'histoire du martyr qu'il
devait vénérer le lendemain, l'idée naquit peu à peu de décou-
per dans chaque geste les passages qui se rapportaient à ce
saint, de les transcrire seuls et de les transcrire aussi à la date
de ce martyre. Papias et Maurus, par exemple, sont associés
aux aventures de Cyriaque et de Marcel, mais ils ont leur
anniversaire distinct ; on démembra donc les Gesta MarcelU et
Ton constitua, de ces fragments réunis, les Gesta Papiae et
Mauri, tels que Bosio les lisait dans un antique manuscrit de
la Vallicellane ^ . Le môme phénomène qui se produit à Rome
se produit aussi ailleurs : les passionnaires locaux-so déforment,
tandis que le Martyrologe s'accroît notablement; à l'édition
eusébienne, Bède en substitue une autre plus complète.
Mais la plus importante conséquence de l'action des gestes
romains, désormais reconnus par Téglise, fut sinon de répandre
à Rome, au moins d'y entretenir la popularité des saints. Com-
bien leur culte était vivant encore au début du vir siècle, on
l'a vu plus haut : c'est ce qu'attestent aussi la mission de l'abbé
Jean et le papyrus de Monza, donnant la liste des huiles qui brû-
laient devant les tombeaux des martyrs^. Il suffit d'ouvrir le
Liber pontificalis pour s'apercevoir que leur influence persiste :
en 568, Jean IIP restaure les cimetières; Roniface^, en 619,
pour rehausser le prix des Memoriae (?), décide qu'elles seront
distribuées non plus par les acolytes, mais par les prêtres
eux-mêmes. Honorius (625-638) se distingue par les nom-
breux travaux qu'il exécute en Thonneurdes saints, restaurant
les anciennes églises et les embellissant, ou en construisant
de nouvelles"'. Serge P"" (687-701) se fait remarquer par la
vénération particulière dont il entoure les tombes saintes :
» Bosio., R, s., p. il4. C. — ni, 43.
« De Kossi, fl. S., I, 132-I3i.
3 L. P., 1, 305.
* L. P , I, 321, noie, d'après M. Tabbé Duchesne.
* L P., I, 323, 32i.
388 UISTOinE GËNËRAI.E DES TRADITIONS ROMAINES
prêtre ÎI était connu par son assiduité à célébrer la messe dans
les différentes catacombes '. Soixante ans plus tard, en 735,
Grégoire III » institua un corps de prêtres ayant pour mission
« de dire des messes chaque semaine » et décida que, dans les
cimetières situés autour de Rome, les lumières nécessaires
pour c^'lébrer les vigiles et les offrandes faites pour le sacrifice de
la messe seraient apportées du palais par \' obhlionarins qui
désignerait en même temps le prêtre chargé par le pontife
d'officier solennellement.
Un texte atteste d'une façon saisissante la vénération persis-
tante qui s'attache aux martyrs: je veux dire la translation
d'Etienne profoinartyr de Oonstantinople à Romo^ Eudoxic,
fille de Tliéodose, est possédée du diable ; et celui-ci annonce
qu'il ne lâchera sa proie que devant les seules reliques d'Etienne
protomartyr. Pelage va donc demander les reliques â Constan-
tinople ; mais les Grecs ne veulent se dessaisir qu'à bon
escient de ces gages sacrés : on leur donnera en échange
des reliques de saint Laurent, Le troc est conclu ; les Grecs
apportent k Home leurs reliques; et ils demandent qu'on
leur cède, ainsi qu'il est convenu, le premier diacre de Sixte.
Mais voici bien une autre affaire : tous ceux qui touchent aux
reliques romaines meurent. Les petits fils d'Ulysse n'avaient pas
prévu la mauvaise humeur dn saint : ils revinrent les mains
vides, et Pelage, à propos de cet accident heureux, composa
cet ehgunii :
Hic duo sanclorum reiguiescunt membra virorum ;
Stephaiius est aller; sibi par Laurenlius nique
Isiorum merilis scindamus gaudia Clirisli ;
Et caeli ciues sempcr vivamus in ipso
Oui cum P.itre deus régnât per saecula cuncta.
I] est même à croire que, stiutonnes parles gestes, certaines
légendes continuaient de se développer. On en voit, du moins,
qui précisent alors leur attaches topographiques. A la place où
s'était fracassé Simon le Mage, sur le Forum, <> on oublia les
atre pavés réunis et l'on distingua dans le voisinage, deux
ms où saint Pierre et saint Paul furent censés avoir laissé
p.. I , 311.
. no. -p. L.. *l. 817). LalégcnJc
LES GESTES SUSCITENT DES ÉGLISES 389
« la trace de leurs genoux et de leurs prières. Vers la fin du
« vi' siècle, Grégoire de Tours, sans indiquer précisément la
« Voie Sacrée, sait qu'il y a à Rome deux petites cavités dans
« une pierre, sur laquelle les bienheureux Apôtres, fléchissant
a le genou, prièrent le Seigneur contre Simon le Magicien. »
Le biographe du pape Paul (756-767) rapporte que ce pape
fonda une église sur la Voie Sacrée, près du temple de Rome,
en Thonneur des saints apôtres Pierre et Paul, là où peu avant
leur martyre, ils avaient fléchi les genoux. 11 ajoute qu'en ce
lieu on voyait encore Tempreinte de leurs genoux dans une
grande pierre, in qiiodam fortissimo silice. Nul doute que
les expressions de Grégoire de Tours et du Liber Pontificalis
ne se rapportent au même endroit de Rome et au même point
de la Via Sacra * . — Les saints Abdon et Sennen avaient été
massacrés dans le Colisée par des gladiateurs et leurs corps,
traînés en dehors de Tarn phi théâtre, avaient été abandon-
nés. Or il est fait mention dans le catalogue dressé sous
Pie V d'une église SS, Abdon et Sennen ab Coliseo'*'^ dont
l'emplacement nous est tout à fait inconnu; il est môme à
noter que le catalogue de Turin parle simplement d'une eccle-
sia SS. Abdon ei Sennen, Cette église est évidemment une
église urbaine ; il semble bien qu'il faille en chercher l'origine
première — comme celle de Téglise construite par Paul I" —
dans l'influence de la tradition préservée par les gestes; et
dans quel endroit de Rome était-il aussi naturel de la cons-
truire qu'au lieu oii avaient été abandonnés les martyrs, près
de ce Colisée où ils avaient souffert'^?
' Duchesne : Le Forum chrétien^ P. 15-17. — Gregor. Tur., Gl. Mnrt,^ 27. —
Les pavés sacrés ont été transportés à Santa Maria Nova, avant 1375 (Du-
chesne., op. cit., 19). Il est clair aussi que, jusqu'au temps du pape Paul, ce
souvenir, si populaire qu'il fôt, n'avait pas encore été consacré par la cons-
truction d'un édifice religieux. Encore celui du pape Paul ne pouvait-il s'éle-
ver sur la Voie Sacrée elle-mAme, qui, pendant tout le moyen âge, demeura
ouverte à la circulation. C'est tout près des pavés miraculeux, mais non
précisément au-dessus, que s'élev^ la nouvelle église, rendue en quelque
sorte nécessaire par le développement de la légende.
« Annlecla, 1897, p. 240.
8 Le pape Zacharie (741-752), était fils d'un certain Polychronius (L. P., I,
426), « natione Graecus ». Cette origine grecque est-elle bien certaine ; et
l'introduction à Rome du nom de Polychronius ne serait-elle pas due à l'influence
des gestes de Laurent ?
390 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
III
Cependant Taction des gestes devenait chaque jour moins
efficace pour conserver aux cimetières leur antique prestige
et contrebalancer l'indifférence des Romains* et Tinsëcu-
rité des routes: la désolation toujours croissante de la cam-
pagne écartait les fidèles des tombes des mart\TS. Aussi com-
mençait-on à parler, dans le haut clergé romain, d'un transport
général des reliques à l'intérieur de la ville. Longtemps Jean
et Paul avaient été seuls vénérés en deçà de l'enceinte. Au
vu* siècle, pour la première fois, au temps du pape Théodore
(042-648) on avait solennellement procédé à une translation
de reliques : Primus et Felicianus avaient été tranportés de
Nomentum à San Stefano^ de Rome, oii les suivaient en 682
Simplicius et Viatrix^. Plus d'un siècle après, devant l'indiffé-
rence croissante, les dévastations et les sacrilèges qu'avait
amenés l'invasion lombarde, Paul P*", élu pape en 757, se
décidait à ouvrir les plus illustres tombeaux et à transporter à
Romeles plus saintes reliques. « Depuis l'invasion, écrivait-il,
« dans la (Constitution du 2 juin 761, les fidèles ont cessé par
« indolence et par négligence de rendre aux cimetières le culte
« qui leur est dû ; on a laissé les animaux y pénétrer ; on les a
« transformés en otables et en bergeries, et on a permis qu'ils
« fussent souillés par toute sorte de corruption. Etant donc
« témoin de cette indifférence pour des lieux si saints et la
« déplorant profondément, j'ai cru bon, avec l'aide de Dieu,
« d'en retirer les corps dos martyrs, des confesseurs et des
« vierges du Christ, et, «lu milieu des hymnes et des cantiques
« spirituels, je les ai transportés dans celte cité de Rome et
« je les ai déposes dans l'église que j'ai récemment construite
« en Thoimeur de saint Etienne et de saint Sylvestre, sur
« l'emplacement de la maison dans laquelle je suis né, où j'ai
« été élevé et que mon père m'a laissée en héritage'». »
> Noter que l'église ronstruile par Paul sur la Voie Sacrée ne parait pas
avoir duré longicmps (Duchtbnef Forum chrétien^ 17).
« L. P., I, 332.
• L. P., I, 360.
* Mai. Saipt. !>/., V, 51. - Allard, H. .S., 145.
DÉCLIN DE L INFLUENCE DES GESTES SUR LE CULTE 391
Si rimpuissance des gestes romains à tenir lieu de la tradi-
tion vivante et à entretenir la vénération des fidèles pour les
martjTs n'était suffisamment attestée par ce texte, elle ressor-
tirait, sans doute, avec tout Téclat de Tévidence, de l'insuccès
<le la réaction inaugurée par Etienne III. Adrien I" (772-795),
-déploie une énergie peu commune pour ranimer la dévotion
populaire : c'est le moment où il écrit à Charlemagne pour lui
apprendre que les saints canons autorisent la lecture des gesta;
c'est le moment où il entreprend d'immenses travaux pour
rendre tant d'antiques basiliques à leur ancienne splendeur, et
ranimer ce culte qui s'éteint et meurt de mort naturelle : la
liste des constructions entreprises par lui, telle que le Liber
Pontificalis nous Ta transmise, est à ce point considérable
qu'elle nous donne comme un quatrième itinéraire du pèlerin
chrétien à Rome. Et Léon III continue son œuvre avec ardeur,
restaure les basiliques de Saint Valentin, de Saint Agapit et
de Saint Etienne, les cimetières de Saint Calliste et des saints
Félix et Adauctus.
Pascal P"" revient pourtant au projet de Paul, tant les cryptes
tombent en ruines. Le 20 janvier 817, deux mille trois-
cents corps sont transportés des hypogées dans l'intérieur
de la ville et répartis entre les diverses églises * ; quelques
années après, Serge III et Léon IV achèvent son œuvre et
ensevelissent à Saint Silvestre, à Saint Martin et à l'église des
Quattro Santi, les restes de ceux qu'on avait laissés par
mégarde. — Les gestes ont été impuissants à tenir lieu plus
longtemps de la tradition vivante et à prolonger au-delà du
vm* siècle le culte des martyrs à Rome 2.
> Inscription de sainte Praxëde.
' Noter que, de nos jours, ce sont les découvertes archéologiques seules
qui ont ranimé ce culte vénérable. La piété Ta suscité au iv* siècle, la
science Ta ressuscité au xix* ; les gestes Tont seulement entretenu au vii* et
au VIII*.
CHAPITRE X
DE {.'INFLUENCE DES GESTES ROMAINS SDR LA UlTÉRATOBE
[viii*-x\" siècles]
Avec le viii' siècle, a pris fin rinfluence des pestes k Rome
même ; avec le ix° siècle qui s'ouvre, elle se répand dans le
monde : de caite date au xni% on peut dire qu'elle s'exerce
principalement dans le domaine de la littérature. Dès le
vi' siècle, sans doute, leur popularité en dehors de Rome est
attestée par Fortunat, qui compare Radégonde à Agnès et par
Grégoire de Tours, qui cite quelques-uns de nos héros ^ ; mais
il se plaint formellement de ne pas avoir plus de renseigne-
ments qu'il n'en a sur les martyrs de Rome 2, Sans doute
encore, la piété avec laquelle il accueille les reliques que lui
apporte Agiulfe ^, son diacre, indique que le souvenir des
martyrs dut jouer un grand rôle dans sa vie morale; et
l'histoire du prêtre Aridius '* qu'il nous raconte — ler^uel
recourait aux reliques de saint Clément pour faire couler de
nouveau une source tarie — atteste aussi, dès le vi* siècle, le
rôle de nos légendes dans la vie populaire. Ce ne sont là,
pourtant, que des faits isolés et qui ne témoignent pas d'un
rayonnement littéraire aussi large que celui (jue Ton constate
ï De Gl. Mari., 82 [Mon. Germ., p. 544). — Krusch, II, 461. — Monod : Etudes
critiques... U. Fortunat : Mise. VIII, 12 (P. L., i8, 287j.
^ De Gl. Mart., 39 : € Multi quidem sunt martyres spud urbem Romam
quorum historiae passionum nohis integrae non sunt delatae » {Mon. (ierm.^
p. 513).
3 II. F., X, 1.
* Gl. Af(zr/., 36 {Mon. Germ.^ 511). - .Noter que, vers 516, Ilarignr donne
ses biens à Tévéque du .Mans, pour construire un couvent « in honorem sanc-
lae Mariae et sanclorum Gervasii et Protasii » {Mansi, VIII, 5i6).
394 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
<*n plein moyen-âge : on va voir quels modèles on leur demande
alors, quels emprunts on leur fait, quelles inspirations de toute
sorte on y cherche.
I
Le prologue d'une légende * nous montre un moine pieuse-
ment occupé à raconter la vie d'un martyr, comme le lui a
■demandé son abbé ; et, malgré son indignité et son inhabileté,
qu'il confesse d'une façon touchante, il se met en devoir de
lui obéir. Et c'est ainsi qu'il raconte la vie de saint Anthime ;
et c'est ainsi, sans doute, que d'autres moines, ses frères,
nous contèrent la passion de saint Justin, celle de sainte
Cyriaque*, de Léopard, de Crescentius, de Digna et Mérita.
A côté d'eux, Aldhelme, Eginhard et Rhaban Maur s'ins-
pirent des mêmes gestes, mais pour en tirer un parti tout
autre. L'évêque anglais Aldhelme, qui a séjourné à Rome
sous le pape Serge (687-701), fait de nombreux emprimts à
toute cette littérature : et comment s'en étonner, du reste ?
Ce sont les louanges de la virginité qu'il dit — et qu'il chante
en vers élégants, parfois gracieux — ; et l'on sait combien
cette vertu est prisée de nos rédacteurs. De fait Aldhelme
raconte longuement l'histoire de Chrysanthe et Darie, d'Eu-
génie, sinon de Cécile, d'Agnès, de Constantina, de Chionia,
Irène et Agape, de Rufine et Seconde, d'Anatolie et Victoire^.
Eginhard ^ (771-844) retrace en un long poème les péripéties
<le la translation de Pierre et Marcellin à Selingenstadt, les
trompeuses avances du diacre Deusdona, les difficultés aux-
quelles il se heurte à Rome, finalement le vol des rehques
saintes ; à côté de lui, un moine do sa ville épiscopale, raconte
> BihL Casin., 111, fl. 134-135. — Codex Parisinus, 12, 'i 11.
^ Légende de fondation de Sancta Maria in Dominica (Armellini. Chiese, 838),
•anléricure à Serge, H, 844-847, car elle ignore la translation faite à celte
époque; contemporaine peut-ôtre de Pascal, 1, 817-824, qui répare léglise.
« Cf. le De laitdibus Virginilatis (P. L., 89, 63 64) el le De laudibus Virginum
(P. L., 89, 237), notamment colonnes 133, 141, 143, 145, 147, 149, 130, 151; 258,
268, 271 ... 11 parle de saint Clément (i22-247i, mais parait ignorer ses
gestes.
* Œuvres complètes, Teulet, Paris, I8i0-1843, 2 vol. — Cf. Seues Arcfiiv.,
VII, 319. Cf. Friedrich Kurze: Einhard (Berlin, Garlner, 1899, in-8-).
ALDUELME, ÉGINllARD, RIIABAN MAUR, FLODOARD 395
Li passion des martyrs : il délaye leurs gestes en un long poème
«de 353 tétramètres trochaïques.
RhabanMaur^, contemporain d'Eginhard — né en 786, il
meurt en 856 — suit son exemple. Professeur à Fulda, puis
-évèque de Mayence en 847, il sait se souvenir, à ses moments
perdus, qu'il a étudié la métrique auprès d'Alcuin et rime de
petites épigrammes en Thonneur des saints de Rome, tels que
Justin, Irénée, Abundius^, Félicité, Concordia, Hippolyte^.
Flodoard enfin (894-966) s'inspirant de leur exemple, mais
animé d'un autre esprit, ne vise à rien moins qu'à tirer de
toute cette littérature les trésors de poésie qu elle cache et dé-
figure. Dans le long poème de dix-neuf chants qu'il consacre
AU récit des triomphes que le Christ a remportés par ses
saints, il en est quatre qui célèbrent uniquement les saints
il'Italie ; Rome forme le centre de la troisième partie du
poème ; en un long « proemhtm », il en raconte la gloire ;
puis, suivant Tordre chronologique, il retrace la passion de
chaque martyr, après l'histoire de chaque pape*. S'il a puisé
aux gestes romains plus largement que ses prédécesseurs, si
même il a eu quelque sentiment des richesses littéraires qu'ils
pouvaient cacher, le chanoine de Reims n'a pas su en tirer
quelque œuvre originale : il a borné son ambition à les mettre
en vers**.
1 Roehler, Hrabanus Maurus... Leipzig, 1870.
2 Migne, P. L., 122, 1640 et 1225.
3 cr. aussi Dûmmler, II, 211, 229, 230.
*■ Détails curieux sur saint Clément : chant II, ch. i et xiv. — GalUcan,
Jean et Paul, chant IX, ch. x et xi.
^ La popularité des gestes romains est attestée plus tard, non plus par
les remaniements qu'ils subissent, mais par les emprunts qu'on leur fait:
on les considère comme des textes authentiques (cf. supra, p. rî). Orderic
Vitalis y puise lorsqu'il raconte l'histoire de saint Pierre, Marcellus, Nérée et
Achillée (II, 7. — P. L., 188. 129), ou celle de Clément (11. 24, — te/., 197), ou
celle de Philippe dont il attribue la conversion à Pontien (I, 19, — id., 70). Il
ignore les gestes d'Alexandre (P. L , 188, 199).
396 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
II
Bien plus curieuse est la tentative de la religieuse de Gan-
dersheim, Hrotswitha '. Je ne parle pas ici de la passion de
sainte Agnès *2, qui n'est que la mise en vers du texte du
pseudo-Ambroise : je pense à la première et à la dernière de
ses six comédies, à Sapié'niia et à Gallicanns : c'est la pre-
mière fois qu'on a l'idée d'emprunter aux gestes romains la
matière d'une œuvre nouvelle.
Sapienfia est la mise en drame des aventures de Fides,
Spes et Caritas, ainsi que de leur mère. Au début, Antiochus
préfet annonce à l'empereur Adrien l'arrivée de ces chrétiennes
ferventes ; Adrien les cite devant lui, une à une; et, dans trois
scènes différentes oîi se répète, à vrai dire, à peu près la même
action, les trois sœurs refusent d'apostasier. Sapientia les
assiste, les ensevelit après leur mort et les rejoint bientôt au
ciel. La pièce est simple, on le voit; trop simple, peut-être;
nullement, comme on pouvait s'y attendre et comme on l'a
prétendu 3, moralisante et allégorique. C'est tout au plus si
l'on peut relever un passage où Sapientia se fait connaître
comme étant la sagesse : celui oii elle apprend à l'empereur»
dans la troisième scène, quel est Tàge de sa fille en lui propo-
sant une énigme et en l'expliquant ensuite, à sa demande. Que
la pièce tienne plus de l'épopée que du drame, et d'annales en
vers, même, que de l'épopée, c'est ce que Ion peut soutenir;
mais il serait inexact d'y chercher comme une première ébauche
des moralités du xiv*' siècle.
Gallicantis est supérieur k Sapientia par la richesse relative
de l'action et la vivacité naissante du Dialogue. La pièce dé-
bute par un entretien entre Constantin et Gallican, l'empereur
exhortant son général à partir en campagne contre les Scythes ;
Gallican proteste de son obéissance, mais demande en récom-
pense la main de Constantina ; et l'empereur, embarrassé, de-
mande à consulter sa fille. La seconde scène s'ouvre alors.
• Kôpke (Jlrotsuil von Gandershehn), place sa naissance vers 933. — Cf. op,
cH., p. 33.
'^ Le texte dont elle s*est servi ne contenait rien sur Emérentienne ni Cons-
tantina.
8 Magnin : De la comédie au X' siècle, p. 458 {Rev. des Deux Mondes,
4" série, t. XX). Cf. \V. Creizcnach : Gesch. des neueren Dramas, I, 17,
HROTSWITIIA 307
Constantîna assure qu'elle préfère la mort au mariage ; mais,
pleine de confiance en la volonté de Dieu, elle promet sou
consentement si Gallican est vainqueur. C'est alors que celui-
ci reparaît, anxieux de son sort ; Constantin arrive enfin, qui
fixe ses irrésolutions et lui annonce la décision de sa fille. — Ces
quatre scènes, on le voit, contiennent plus d'événements, sinon
d'incidents, que toute la pièce précédente ; le rôle de chaque
personnage résulte assez logiquement de son caractère, l'action
n'est pas ralentie par d'inutiles longueurs ; le dialogue enfin
est déjà engagé avec ime aisance et mie vivacité curieuse.
Mais toutes ces pièces — on ne saurait trop le redire — n'ont
de dramatique que le nom et la forme extérieure ; Hrotswitha
n'a pas pétri de nouveau la matière que lui livraient les gestes
et n'a pas essayé de leur imprimer une forme oii se marquât
son originalité propre. Malgré les apparences, elle n'a fait que
recommencer, pour quelques légendes, Tœuvre de Flodoard :
elle n'est en avance sur lui que d'une bonne intention.
III
Ses héritiers littéraires ne surent même pas la recueillir.
Pour Hildebert du Mans ou Philippus ab Eleomosyna — selon
que l'on attribue a l'un ou Tautre le poème de Martyrio et
laudibtes S. Agnetis *, — les gestes romains ne sont pas autre
chose qu'une matière à vers latins. Pour Pierre de Parthé-
nope^, moine du Mont-Cassin, qui vit au xi* siècle, ils ne
sont non plus qu'un modèle de développement ; de même pour
Marbode^ évoque de Rennes, qui met en vers les gestes de
Félix et Adauctus ; de même pour Guaiferius^ qui rédige à cette
ï 21 janvier, 714. — Cf. dans Pitra, Etude sur les Acla SS., Jnfr. p. lxxvh.
et sq. de curieux détails sur la littérature hagiographique au moyen âge.
2 MeLi^Spicileg.Rom., IV, 268.
3 30 août, 547.
* 4 mars, 25)8. — C'est peut-être de celte même époque que datent les gestes,
ile Hestilula (27 mai 635).
Nous n'avons pas la prétention d'épuiser tous les remaniements de textes
romains qui datent du moyen Âge : la plupart, du reste, sont encore inédits.
Voici quelques indications à cet égard. — De la vie de Lucius, on peut rap-
procher la Vita Fabiani (20 janvier 616), et les remaniements parallèles des
deux gestes d'Alexandre et de Corneille, le premier qui est imprimé dans le
Catalogue des manuscnls hagiographiques de .. Bruxelles (I, 218, U, 218. —
Cf. Analecla^ 1« 506, et Cat... Paris. ^ II, 50), le second que l'on peut lire dans
le même catalogue (!, 80-83. — Cf. aussi il, 65-67, et 14 septembre 145, et BiM.
398 HISTOIRE GÉiNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
même époque une vie de Lucius P' ; de même pour Jean, TErmite-
de Celles, qui écrit vers 1370 une vie de Flavie Doraitille ; de
même enfin, de même surtout, pour les deux hommes qui les-
Casinerutis, III, flor. 377). — Les gestes fabuleux de Marinus martyrisé sous
un empereur Marcianus doivent avoir été rédigés pour iUustrer les ancêtres
d*un pape Marinus : ils seraient ainsi soit du ix*, soït du x" siècle : il y eut
deux papes Marin, en 882-88i et en 942-946. — Les gestes d'Aurelianus (22 mai
129), qui guérit la (lUe de Déce, comme Cyriaque celle de Dioclétien, sont peut-
être du ix*-x* siècles, peut-être antérieurs: il semble assuré qu*ils ont été compo-
sés par un lecteur eissidu des gestes romains au monastère de Senator. — Les
gestes d'Eustache {Analecla, III, 65, 172. — 20 septembre 123. — BibL Casi-
nensisy 111, Qor. 331) ont vraisemblablement été traduits du grec peu avant
cette époque : Usuard est le premier Latin qui les signale ; saint Jean Damas-
cène les connaissait.
On peut former un second groupe des remaniements et des écrits de toute
nature qui sont propres aux saints les plus célèbres, tels Jean et Paul, Sébas-
tien, Agnès et surtout Laurent. Ebert signale (I, 391^ une hymne que Florus
leur consacra, et il assure que ces martyrs jouent un rôle dans les mystères-
du moyen âge. Les Bollandistes ont indiqué des textes relatifs à saint Sét>as-
tien, rédigés dans les monastères placés sous sa protection {Cat. Paris., IIÎ^
178-179,— Cal. Bruxelles., Il, iSS.— Cf. aussi I, 381). — Philippe de Harvenet
rédigea une Vie de sainte Agnès (P. L., 203, 1387). — Dans les Analecla (XU
313-318), on trouvera une hymne adressée à saint Laurent par maître Guil-
laume deMassenage; depuis longtemps déjà, on connaît deux poèmes où les
gestes de Laurent sont mis en vers : Tun est édicté au 10 août, page 510^
g 120, Tautre dans la patrologie latine de Migne (tome 171, 1607-1614): ce
dernier est rœuvre de Marbode de Rennes, qui versifia aussi les gestes de
Félix et d*Adauctus. Dans le Codex Bruxellensis 3332-46 {Cal., Il, 3^4), oa
trouve un remaniement diffus des légendes relatives au même saint, précédé
d'un texte métrique, également consacré à Laurent, qui est peut-être Tœuvre
de Jean d'Etaple?. Le Codex Parisinus 16253, signalé dans le catalogue bolian-
diste (H, 336) donne une Vie de saint Laurent entièrement fabuleuse.
Après les remaniements relatifs aux papes et aux grands martyrs, nous
rangerons dans un troisième groupe toute une série de textes, vraisemblable-
ment de la même époque, et qui présentent un tout autre caractère : dans
leur première partie seulement ils s'intéressent aux saints romains. C'est que,
pour les moines qui fabriquent les légendes de fondation de leurs églises, les
gestes romains du i*' siècle surtout deviennent comme un arsenal d'authen-
tification : ils mettent leurs personnages en rapport avec les saints romains de
ces gestes : le moyen de douter après cela qu'ils aient vécu au i" siècle ? Ainsi
saint Auspice, évèque d'Apt, devient disciple de Nérée (Codex Aplensis di»
xvii* siècle : texte attribué à Polycarpe de la Rivière en 1638. C'est À Tamitié de
M. Georges de Manteyer que je dois d'avoir eu connaissance de ce texte.) —
Ainsi, Primus et Felicianus sont associés aux saints agenais Câpres et Fides
(II. Fr., VI, 12. — 20 octobre 815) (ils étaient vénérés le même jour, 9 juin). —
Voici le début de la vie de saint Marcel d'Argentonianum (27 juin 477. — Cat.
Pains., II, 30-31) : à Rome, un très pieux, très pur, et très docte enfant appelé
Marcel a reçu les leçons du pape saint Sixte. Comme Sixte veut convertir Dèce,
il est martyrisé, Marcel court annoncer la nouvelle À Laurent et Laurent dit
à Marcel : « Marcelle, genitor tuus Egeas noluit Christum credere. Nam
mater tua Marcellina et fratres tui Saturninius et Dionysius iubente sancto
Clémente papa urbis Romae, partibus Galliarum, ut ad fidem Cbristianam
gentes instruant, directi sunt. Vade ad eos ut non pereas in manibus inimic^
LES GESTES DANS LA LITTÉRATURE DU MOYEiN AGE 399-
résument et les condensent au xiii" et au xiv*, Jacques de^
Voragiiie et Pierre de Natali^
Quelques hommes s'en inspirent moins servilement et
s'efforcent de saisir la légende à travers le texte et la poésie
morale de ces histoires sous les platitudes prosaïques des
rédacteurs. Pierre Damien ^ tire des gestes d'Anthime'le sujet
d'un de ses sermons ; les gestes d'Agnès inspirent l'auteur du
atque diaboli. » Alors Marcel quitte Rome avec Anastase et arrive à
Lyon, etc.. »' — Je lis de même dans les gestes d'Evurce, que le saint, sous-
diacre de Téglise romaine, envoyé en Gaule à la recherche de son frère et de
sa sœur, Eumorphius et Carsia, emmenés par les barbares, arrive dans In
ville d'Aurelianum au moment où... {Caf, Paria. ^ 11, 30-31). — De même-
encore, je lis dans les gestes de Peregrinus (16 mai 5f>3) : « Cum haec discrimi-
nosa in Gallias irrupisset vesania statimque latenter a fidelissimis Christianis-
ad aures Sixti Papae urbis Bomae nuntiaretur, poscentes ut talera viruui diri-
geret qui iam fidei extinctam lucernam suis deberet illuminare eloquiis et
barbarorum infidelitatem opitulante divino auxilio compesceret. Tune memo-
ratus vir Sixlus Papa... magnum et praeclarum Dei Servum Peregrinuni.
ciuem quippe Romanum, ordinavit episcopum ». — Cf. Vila Quirini (Krusch r
Vitae Passiones... III}. — C^est évidemment à Tinfluence des gestes qu'il
faut rapporter Torigine de ces épisodes.
Des fragments de légendes romaines ainsi transplantés ont quelquefois pris,
racine dans le pays. Voici deux faits : « Les anciens de Karnak pourraient ...
raconter que saint Cornélius, pape de Rome et patron de la paroisse,
a été poursuivi sur la lande de Ramak par les soldats d'un roi impie et que»
se voyant près d'être atteint, il fit une prière par laquelle les malheureux
soldats, au nombre d'environ 10.000, furent subitement arrêtés dans leur course
et changés en pierre. Au besoin, on lui montrerait dans l'église une série
de peintures assez anciennes où toute cette légende est minutieusement
retracée. (Duchesne : Deux éludes sur les légendes des ynarlyrs).
Et voici le préambule d'une prière bavaroise adressée à Cyriaque Sckrecken
und Furchl der hôllischen Geister : « Der heilige Cyriacus ist ein besonderer
Patron und Fûrsprecher bey Gott in allen unseren Xôthen und Betrûbnussen,.
besonders in den Versuchungen des hôllischen Peinds. » Je l'emprunte à la
page 366 du livre suivant : Kurzer Begriff \ Wahrer \ Andachls-Uebengen \
nebsl beygefUgten Lebens beschreihun \ gen und verschiedenen Wunderlha-
ten^ I welche... | durch die Heilige viei'zehn | Nolhhelfer | seil vielen lahren
her I in der,, \ xndem Hochslifl Bamberg gelegenen \ unddem Kloster Langheim
einvei*leiblen \ Walfahrls-Kirchen, Frankenlhal, \ zu wiirken geimhet hnl ; \
in drei Theilen vorgeslelll^ \ und auf gn&digen Befehl \ des pi. lit. Herrn lïerrn
Malachiae, des tleil. \ und befreyten Cislerzienserordens bn erwàhnlen Kloster
I Abbten und Prûlaten, der Rôm. Kaiserl. Majeslûl \ geimen Caplan^ z z \ von
F. Adam Bayer, einem Priesler daselbst verfesligel, \ und auf Koslen des
Klosters zum offenlliehen Druck befôrderl \ im Jahr Christ. 1772. | Cum pri-
vilegio Caesar. et Superiorum permissu | Bamberg, gedruckl Hen* Joh. Georg
Knelschy Vniv. Buchdrucker.
^ Cf. supra, p. 3. — C'est de leurs compilations que les gestes romains,
traduits, passent dans les légendiers français. Paul Meyer: Solice sur un
légendier français du xiii* siècle. — Notice sur trois légendiers français attri-
bués à Jean Belet. Paris, 1898-1899. — Tiré des notices et extraits des manus-
crits de la Bibliothèque Nationale..., t. XXXVl.
s Sennon 30(11 mai, 642, 1).
400 HISTOIRE GÉiNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
mystère provençal qui porte ce nom*; mais de pareils fait^
sont rares, même au moyen âge.
Il faut pourtant faire une exception pour l'Italie; plusieurs
gestes de martyrs romains ont inspiré des rappresentaiioni -.
tels les gestes de Nérée et Achillée, de Chrysanthe et Darie.
d'Agnès: ce sont ces gestes, en effet, qui font la substance de la
Rappresentatione di Santa Domili/la^ de la Rappreseniai ioae
di San Grisante e Daria, de la Rappresentatione di Srin/fi
Agncse Vergine e -Afartire di Giesii C/iristo^; mystères dont iJ
faut rapprocher, peut-ôtre, le Martirio di S. Anatolia^ « trag-é-
die, sans nom d'auteur », conservée dans un manuscrit (XL IV,
Cod. cart., in-4", XVII, N. A.) de la bibliothèque Barberini, à
Rome. Avec moins de liberté, en effet, que Tauteur du mystère
provençal — où l'on voit se convertir les courtisanes du
lupanar d'Agnès — les poètes inconnus qui écrivaient ces
pièces, sans doute vers la fin du xv* siècle, versifient les
légendes romaines. C'est ime pensée d'édification qui les
anime : voici comment parle l'Ange qui « annonce » la repré-
sentation de Flapie Domi tille.
« buon Giesù per la tua gran potontia
Concedi gratia al mio basso intelletto
Si ch'io possa moslrar per tua clemenza
L'historia si divota e'I gran concelto
Di Domitilla piena di sapienza.
Et voici comment s'exprime celui qui donne congé aux spec-
tateurs » :
tutti voi che contemplato havele
Di Domitilla la dcvota hisloria
Air elerna bouta gratie tendete...
> Sardou, le Mystère de sainte A unes (Paris, 1877, in-8). — Cf. Clédat, le
Mystère provençal de sainte Agnès (Paris, 1877). — M Gust^v Ouedenfeldt a
étudié deux mystères de saint Séi)astien : IHe Myslerien des S. Sébastian
(Berlin, Vogt, Î895).
- Sur les liappresentationi, cf. Geschichte des neueren Dramas, von Wilhcim
Creizenach (Halle, Niemeyer, 18î)3. in-8"). I" Band, p. 318. Les coUections
d'Assise et de Pérouse se font aussi remarquer par leur caractère édifiant. La
plus ancienne rappresentatione datée est celle iV Abraham et d'Isaae, 1448 ; le
plus ancien auteur connu de ces sortes de pièces est Feo Boccari I410-148i:
c'est surtout à Florence que le f;enrc s'est épanoui. — Noter pourtant que,
en 1417, la Compaynia del Gonf atone donna à Home, au Cotisée, il Martirio
di V. Pietro e di S. Paolo : je n'ai pu, malheureusement, me procurer ce texte.
3 Nous nous sommes servi d'éditions imprimées à Sienne, sans date ; noter
[pourtant que le texte de la Rapp. di S. Agnese a été édité à Florence,
en 1588, chez Giovanni Baleni.
LES GESTES ROMAINS ET LES « RAPPRESENTATIOM » 401
Mais nos poètes en sont quittes avec leur conscience, —
comme avec les exigences de leurs spectateurs, — lorsqu'ils
ont travaillé ainsi à réconforter leur bonne volonté et à
réchauffer leur foi. Aucune invention littéraire chez eux; c'est
tout au plus s'ils osent mettre en action les incidents racontés
dans la légende. Des traits de mœurs, dénonçant Tépoque à
laquelle ils écrivent, donnent seuls quelque pittoresque imprévu
à leurs monotones tirades. Lorsque le préfet de Rome apprend
que son fils est malade, il fait venir les médecins ; on interroge
la M cameriera » ; on apprend que le jeune homme n'a pas
fermé l'œil de la nuit. Et les médecins consultent entre eux ;
ils parlent latin ; et voici la sentence qu'ils rendent : « Filius
vester muUum patitur corpo morbiim ut ex urina et pulsu
preximus [sic], sert duntaxat amore ardentissimo captusest,,,
qui omnia vincit ». Sur ce souvenir classique, le père conclut :
D'hauere Agnese tu sei sbigotlito.
On a vu des oracles plus mal informés.
IV
Il est possible que ces pièces aient obtenu quelque vogue ; ce
qui semble assuré, c'est que Laurent le Magnifique ne dédai-
gna pas de les imiter.
En des vers charmants, d'une aisance exquise, le plus glo-
rieux des Medicis nous retrace Thistoire des saints Jean et
Paul, la Rappresentatione di santo Giovanni e Paolo e di
santa Costanza^ 1489 ^ Le prologue, inspiré des prologues de
Térence, invite au silence les spectateurs, leur conte la pièce
en deux mots et leur demande leur indulgence pour la « compa-
gnie de... saint Jean » qui joue la pièce,
Silentio a voi che ragunati siete,
Voi vedrete una storia nuova, e santa,
Diverse cose e dévote vedrete
Exempli di fortuna varia tanta.
> W. Creizenacb, op. ci/,, 1, 32!.
26
402 IIISTOIHË GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Senza tumuUo stien le voci chiete
Massimamente poi quando si canla;
A noi fatica, a voi el piacer resta :
Pero non ci guastate questa festa.
Lorsque la pièce commence, les parents d'Agnès veillent
au tombeau de leur fille. Sur^4ent Constance, qui pleure sur la
lèpre horrible qui la ronge et qui Toblige à renoncer au mariage ;
comme on l'engage k invoquer la sainte, voici qu'elle s'endort,
et Agnès lui apparaît et la guérit. Elle se réveille, émerveillée,
et chante sa joie^ au moment même oii arrivent Constantin,
puis Gallican vainqueur. L'empereur est heureux de voir sa
fille guérie, mais Gallican lui demande sa main; le père
hésite à se séparer de sa fille: il Taime, et puis. Gallican n'est
pas prince. C'est Constance qui le tire d'embarras : elle décide
son père à promettre au général et à l'envoyer dans la Dacie
que l'ennemi conquiert. — L'acte suivant (s'il est permis
d'employer ici un mot moderne) nous transporte en Dacie :
mais l'action est désormais moins dense, moins haletante. Nous
assistons k la bataille livrée par l'armée romaine; Gallican,
abandonné de toutes ses troupes, invoque le Dieu de Jean et
Paul qui l'ont accompagné; et l'ennemi est mis en déroute, le
fils du roi est pris. — Un courrier porte la nouvelle k Rome;
Gallican arrive bientôt lui-même, raconte sa victoire, mais
rend k l'empereur sa parole. Il consacre sa vie k Dieu et se
retire k Ostie; Constantin suit son exemple et laisse l'empire
k ses trois fils. — Loin de se quereller, ceux-ci abandonnent
le pouvoir à l'aîné; comme il meurt en blasphémant le Christ,
k la nouvelle d'une révolte, ils s'entendent encore pour appeler
Julien k l'empire : et Julien occupe le trône et prépare une
persécution générale contre les chrétiens. Jean et Paul lui
ont été dénoncés ; ils comparaissent devant lui, refusant d'en-
censer Jupiter ; et dix jours après, ils sont décapités par Teren-
tianus. — Mais la vengeance ne se fait pas attendre : la
Vierge apparaît k saint Basile et envoie saint Mercure sur la
route que Juhen doit suivre pour aller combattre les Perses :
quand Julien passe, en effet, saint Mercure le tue.
C'est un autour bien inexpérimenté que Laurent le Magni-
fique. Tantôt l'action traîne et s'allonge en tirades intermi-
nables, tantôt elle se précipite au contraire k faire perdre
haleine. Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse; ce n'est même
LES GESTES ROMAINS ET LAURENT LE MAGNIFIQUE 403
pas ce qui caractérise son œuvre. Il est plus curieux de
noter avec quelle liberté nouvelle il adapte la vieille
légende.
Comme on Ta vu par l'analyse, il ne craint pas d'en
enrichir les données : il ne consulte pas seulement les Gesta
lohannis et Panli ; il puise encore dans les Gesta Agnetis et
dans les récits qui courent le monde sur la mort de Julien ; il
«se en même temps des mêmes droits que ses devanciers et « met
en action » la campagne contre les Scythes et Imvocation de
Gallican à Jésus-Christ. On devine qu'emporté par la sponta-
néité de sa pensée il remanie la légende, il la «re-pense », si
j'ose ainsi dire.
Et ceci se marque encore précisément dans l'évolution des
caractères des personnages mis en scène. Sans doute, Laurent
parle encore, comme nos gestes, du vœu qu'a fait Constance
de consacrer sa virginité à Dieu : pourtant, ce n'est pas là,
semble-t-il, la raison de l'ennui qui saisit Constantin, à la
demande de Gallican : il regrette de se séparer de sa fille, si
belle et qui lui est si chère ; il regrette de la donner à un
« sujet », dont il craint fort, d'autre part, le mécontentement;
à de certains moments, il rappelle les personnages de la tra-
gédie classique, notamment le Félix de Polyencte,
ignorante capo, o ingegiio vano
superbia inaudila, o arroganza,
cosi hauer vinto m'è moleslo,
Se la viltoria arreca seco questo.
Che far6, daro io à un suggetto
La bella figlia mia, che m'è si cara 1
Se io non la dû, in gran pericol metto
lo slato e chi è quel che ci ripara!
Misero a me, non c' è boccon del netto
tanto fortuna è de suoi bieni avara
spesso chi chiama Constantin felice
sta meglio o assai di me, e '1 ver non dice.
Et la transformation du personnage de Constance n'est pas moins
curieuse à suivre. Elle dit à son père de promettre à Gallican
sa main, lorsqu'il reviendra vainqueur; mais ce n'est pas un
miracle qu'elle attend, c'est du hasard, des circonstances nou-
velles, du « temps » qu'elle espère un incident quelconque qui
lui permettra de rester auprès de son père. Ce n'est pas une
404 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
chrétienne qui parle, c'est une politique italienne disciple de
Machiavel :
lo veggo onde ti vien tal pena al cuore :
se dai a (iallican quel clie ha presunto
oiTendi te e me, e s'io nol piglio
per mio marito, ei regno è in gran periglio.
Quando el partito (Tagni parie pugna
ne sia la cosa ben sieur a e net ta,
to ho sentito direche 7 savio a lunga
e do, buone parole e tempo aspetta;
benche Tmio ingegno molto fu non giunga
padrCj io direi che tu migli prometta
d'assicurark) bene ogni proua,
e poi lo manda in questa impressa"^ nuova.
Ici, du reste, comme dans les autres « rappresentationi », les
anachronismes pittoresques ne sont pas rares : Gallican promet
mille ducats à qui sautera le premier sur les murs de Tennemi :
Cbi sarà primo allé mura mon tare
mille ducati per premio gli mando,
cinque cento e poi cento airaltra coppia
e la condolla tutti si radoppia
Et le trompette répète :
Da parte deir invilto capitano
si fa intendere a que che intorno stanno, etc..
Mais ce qui fait le charme de cette pièce curieuse, ce qui lui
donne une saveur souvent délicieuse, c'est l'élégance et la
délicatesse du tour. Lorsque Constance voit venir à elle son
père tout soucieux, avec quelle grâce simple et charmante elle
le prie de lui dire sa peine :
padre, i veggo in mezzo aile tue ciglia
un segno che mi dice c' hai dolore,
che mi da dispiacere e maravaglio.
o padre dolce, se mi porti amore
dimini ch' è la cagion di questo tedio
e s' io ci possa posso fare alcun rimedio.
Laurent de Médicis rappelle parfois le Canzoniere.
Au moment où il écrit, Mombritius imprime son Sanctuarium
prolongeant ainsi jusqu'à laurore des temps modernes la popu-
INFLUENCE DES GESTES ROMA[NS SUR LA LITTÉRATURE 405
larité dont ont joui les gestes romains pendant tout le moyen
âge. A cette époque, en effet, comme les prédicateurs s'en
inspirent sans cesse, les copistes ne se lassent pas de les
transcrire, avec le même zèle, par toute la chrétienté; les
manuscrits qui les conservent sont innombrables ; ils forment
le fonds commun de tous les passionnaires, ils sont le noyau
autour duquel sont groupés les textes originaires du pays oîi
écrit chaque moine.
A l'époque moderne, au contraire, ils tombent bientôt dans
un oubli profond. Si Ton met à part Lope de Vega, Desfon-
taines et Rotrou qui empruntent à nos gestes le sujet de
leurs saint Gènes, le P. de la Rue* et Massillon* qui s'en ins-
pirent tous deux dans leurs panégyriques de sainte Agnès,
il faut dire que les gestes romains, aussi bien que les autres,
sont universellement dédaignés. Il n'y a que les « dilettanti »
qui songent à s'en amuser parfois ; de nos jours, l'auteur curieux
de Thaïs emprunte à la légende d'Eugénie-Euphrosyne la matière
d'un de ses contes et retrouve, tant son âme raffinée a de souples
détours, l'accent de simplicité pieuse des scribes attendris du
saint pape Hormisdas*. Les élégances prétentieuses du Car-
dinal Wiseman dans sa célèbre Fabiola^ rappellent assez bien
celles du pseudo-Ambroise qui écrivit les Gestes de saint Sébas-
tien: je n'oserais pourtant y reconnaître l'influence de cette
légende. Il semble plus douteux encore que l'auteur du Qno
Vadis^ Henryk Sienkiewicz '*, qui a ressuscité, semble-t-il, avant
tant de succès le roman chrétien, doive rien à nos gestes. —
Leur influence littéraire est morte avec le moyen âge : à
cette époque, même elle n'a jamais été ni profonde, ni salutaire.
* Trévenret, du Panégyrique des Saints au xvii* siècle^ Paris, 1868, p. 189.
« Anatole France, VÈlui de nacre. Paris, Lévy, 1892, p. 59. —En 1892, un
opéra de M Weingartner a été joué à Berlin, qui a pour sujet l'histoire de
Gènes (B. \. der Lage, op. cit., II, 19).
3 Popular édition, London, Burns, 1898.
* Cf. R. D. M., !«' février 1899, p. 641, et la traduction que vient de
publier M. Federigo Verdinois : Hemyk Sienkiet^wiez^ quo Vadis Racconto
storico dei tempi di Nerone (Ronia, Lœscher, 1900, in-12, 479 pages). — La
Martyre de M. Richepin atteste, avec une précision curieuse, combien le
christianisme lui est étranger. — Nous n'avons pu nous procurer le récent
roman de M. F. de Noce, Cecilia ou les premiers temps du chrisUanisme
(Tours, Marne, 1899). — Les gestes de sainte Cécile inspirent encore, assez
heureusement parfois, les prédicateurs. Cf. le panégyrique de la sainte, pro-
noncé le 22 novembre 1892, dans la cathédrale de Valleyfield, au Canada-
par M. Tabbé G. Bourassa {Conférences et Discours, p. 85. — Montréal, Beau-
chemin, 1899, in-8*, 319 pages).
CHAPITRE XI
DE L'INFLUENCE DES GESTES ROHAINS SUR LES ARTS
[xv'-xvii* siècles]
Peut-être conviendrait-il d'arrêter à la fin du moyen âge
cette esquisse de Thistoiro dos gestes romains : après cette
époque, les points de vue changent si complètement, nos
légendes absorbées dans les grandes compilations de Voragine
et de Natali ont si complètement perdu toute vie propre pour
se perdre dans les profondeurs indécises de la vie légendaire
totale qu'on aurait le droit d'en abandonner Tétude comme on
abandonne quelque chose qui n'existe vraiment plus. Mais, s'il
est possible de les distinguer encore dans la masse confuse où
elles paraissent englouties, peut-être trouvera-t-on quelque
intérêt à assister à cette nouvelle métamorphose de leur vie,
à étudier cette forme nouvelle de leur influence : comme au
VI* siècle, comme au temps de saint Grégoire, comme au vn'
et vni", comme au moyen-âge, les Gesta Martyrum^ en effet,
du milieu des encyclopédies hagiographiques oii ils ont été ran-
gés, exercent encore une certaine action : non plus légendaire,
cette fois, ou morale, ou religieuse, ou littéraire, mais artis-
tique.
I
Bien avant la Renaissance, il est vrai, les légendes romaines
ont inspiré peintres et sculpteurs. Dès le iv® siècle, on observe
que la répugnance des chrétiens à traiter les scènes sanglantes
s'affaiblit pou à peu, et Ton prévoit qu'elle cessera bientôt. Le
408 UISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
Liber Pontifica/is nous apprend que, au temps de Constantin,
le martyre de saint Laurent fut représenté sur un bas-relief en
argent, et reproduit ensuite, d'après ce modèle, sans doute, sur
la célèbre médaille de Successa^ Les découvertes nous ont
fait connaître deux autres bas-reliefs: — Tun représentant
Nérée et Achillée-, Tautre Agnès 3; — elles nous ont surtout
révélé un certain nombre de fresques.
Nous noterons ici celles qui représentent le mart>Te
d'Hippolyte'* et celui des saints du Celius^, auxiv'-v* siècles;
— celles de sainte Eugénie et de sainte Agnès k Naples (cata-
combes : Stanza circolare); — et à Rome celles de saint Lau-
rent^, de sainte Félicité", de Parthenius et Calocerus^, de
Suzanne^, de Maris, Marthe et Audifax*^ au v*; — de Primus
et Felicianus*^, de sainte Félicité^**, d'Abdon et Senneu*^, de
Sébastien^'», au vu*.
A ce moment, la fresque romaine recule devant la mosaïque
byzantine ; c'est alors que Ion exécute celles qui décorent les
vieilles basiliques de Sainte Cécile et de Sainte Praxède, alors
surtout que Ton travaille à couvrir les murs des basiliques de
portraits de saints et de martyrs : les saints romains sont
représentés comme les autres dans les splendeurs dorées de
Monréale, de Ravenne et de Venise *^.
» L. P., I, 181. — Bull., 1869, 49; 1875, 10.
« Bull., 1875, p. 8, pi. IV.
3 Bu//., 1884, p. 128.
* Prudence, Peristeph., XI, 132.
'• Cr. supra, p. 150.
« A Albano, Bull., 1869, p. 75.
' Oratoire de l'Esquilin. Bull., 1884, p. 152.
» De Rossi, R. S., II, pi. XX et XXI. — .\Uard, II, 292-294.
9 Bm//., 1886, p. 11.
*o Marucchi, // cimilero dl S. Valentino, p. 66, note 3.
»• L. P., I (Théodore), 332, à S. Stefano.
ï« Via Salara, Bull., 1884, p. 152.
13 Cimet. de Pontien. Bull., 1882, p. 159. — Dès saint Basile, les chrétiens
ont représenté des scènes de martyre. (Prudence, Perisleph., IX, 9. — Bai^ile,
Homélie, 19. — Greg. Nyssen, Oral, de Mari. Theodoro. — Combéfis, Pair.
Bibl. Nov, Aucluar., 211).
■^ A Saint-Pierre-aux-Liens, on conserve une image votive de saint Sébas-
tien, peut-être du iv*-v siècle., cf. infra.
1^ Les verres dorés représentent des saints, jamais des scènes de martyre.
Kraus., B. £ , I, 28. — Au cœur du moyen âge, la fresque romaine renaît
(au XI* siècle\ mais se borne à combiner des procédés anciens, comme l'at-
testent les peintures de Bonizzio à S. Urbano (Via Appia) de 1019 et celles
de sainte Cécile (xii* siècle) (Burckhardt, Cicérone, 492).
Sur les mosaïques de la chapelle du palais archiépiscopal de Ravenne
LES GESTES ROMAINS ET L ART DU MOYEN AGE 409
Plus tard, quelques tapisseries, d'une admirable finesse,
représentent des scènes de martyre : c'est ainsi qu'une cha-
suble de 1288, travaillée en France, reproduit, parmi d'autres
sujets, la mort de Clément, Corneille et Fabien, celle de Pierre,
Marcel et Alexandre : les deux groupes sont séparés par l'image
du Christ'.
Il est donc possible de saisir, dans les œuvres d'art anté-
rieures à la Renaissance, des sujets empruntés à l'histoire des
martys romains. Mais il faut noter que la plupart ont été ins-
pirés directement par la tradition vivante, à une époque où
les gestes n'étaient pas encore rédigés ; il faut se rappeler sur-
(547}, on voit les figures d'un Sébastien imberbe et d'un Chrysanihe âgé
(arc de gauche), celles à* Eugénie, de Cécile et de Darie (arc de droite}
(je ne mentionne, bien entendu, que les martyrs romains). A S. Apollinare
Nuovo, y ai remarqué, à droite laquinius, Protus, Pancralius, Félix, Cornélius,
Hippolylus, Laurentius, Sixtus, Clemens, et, & gauche, en commençant par
la porte Eugenia, Sanina..., Anatolia, Victoria..., Emerenfiana, Daria, Anas-
tasia.... Félicitas..., Caecilia..., Agnes (avec un agneau). Le style en est
beaucoup moins libre que celui des mosaïques de la galerie supérieure:
exécutées au vi* siècle, elles ont été retouchées au ix*.
A Spoléte, dans Téglise de S. Giovanni e Paolo, consacrée en 1187, subsiste
encore une fresque de cette époque environ : au mUieu se tiennent les deux
saints, richement vêtus, tenant chacun une porte (du paradis) ; à droite, ils
sont représentés encore, Tun déjà décapité, Tautre sur le point de Têtre ;
à gauche, le jugement rendu par Tempereur (?). On lit sur la fresque IN
NOIE DNI... AD MCLXXIIII, die XIII FVLGENTIVS EPISC...
Voici quelques autres indications du même genre que je trouve dans mes
notes. Au Mans, dans la rue de Saint-Pavin-la-Cité (par le passage de la
cour d'Assé et la rue Saint-Honoré), à la maison n* 1, un bas-relief
représentant le martyre de saint Sébastien ; — à Ghenonceau (appartements
du rez-de-chaussée), bas-relief en bois représentant le martyre de saint
Laurent (1",70 sur 0",60 environ) ; — au mQnster de Bàle, dans la nef de
gauche, un panneau partagé en quatre compartiments rectangulaires : ceux
du haut, partagés en deux parties inégales par un pilier, représentent le
martyre de saint Laurent. Le juge est assis sur une chaise cunile, il tient
le sceptre ; près de lui, une colonne surmontée par une idole (?) accroupie ;
au-dessus de Tarche, une basilique. Derrière le juge, un assesseur, devant
lui, un groupe de cinq personnes : à côté de saint Laurent, conduit par le
gardien de la prison, on voit saint Sixte tenant de la main droite la crosse
et faisant, de la main gauche, un signe de protestation. Saint Laurent est
attaché éi une colonne, deux hommes lui brûlent les flancs avec des torches,
le juge est là, appuyé sur un b&ton {\" compartiment). — Une tour, dans
laquelle saint Laurent est poussé par un gardien ; un ange y pénètre par une
fenêtre pour le réconforter. Devant le juge, assis sous une sorte de balda-
quin et auquel le diable parle à Toreille, saint Laurent est étendu sur le
gril ; deux hommes le tourmentent avec des bâtons, un troisième attise le
feu avec un soufQet. Un ange lui apporte la couronne du martyre (2* compar-
timent). — On sait que le palais de TEscunal a la forme d'un gril.
^ Berteaux, Mélanges... Ecole de Rome, 1897. p. 79.
410 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
tout que, durant cette longue période, Tinfluence des gesta
s'exerce d'autre manière et sous d'autres formes.
II
A partir de la Renaissance, au contraire, les arts seuls, peut-
on dire, s'inspirent parfois des traditions romaines. Tandis que la
légende, la morale, le culte, la littérature leur échappent
complètement, la sculpture et la peinture subissent encore,
en quelque manière, leur influence. Sainte Agnès inspire au
Tintoret un joli tableau, d'un sentiment presque tendre* et une
toile intéressante au Dominiquin ^ : la scène du meurtre et les
additions à cette scène s'harmonisent avec les violons, les
flûtes et les harpes du groupe d'anges qu'on voit planer dans
l'air. — Plus souvent que celle d'Agnès, l'histoire de Lau-
rent est mise à profit, par Daddi par exemple 3, par Masolino'%
Marescalco\ Bronzino^ et Guerchin^ ; elle inspire au Titien*
un tableau d'une exécution magnifique : la tête du patient est
une des plus expressives qu'il ait peintes et le concours des
différentes lumières sur le groupe saisi en plein mouvement est
d'un magique effet. Van Dyck ne sera pas aussi heureux lors-
([u'il traitera le même sujet dans le goût du Tintoret®.
> Au chœur de Santa Maria deirOrto, à Venise.
' A la Pinacothèque de Bologne.
s Burckhardt. Cicérone^ 11. olO, note.
* Id. 543. A.
•» Id. 622. G.
« /«/. 772. B.
7 ht, 805. I.
** A Téglise des Jésuites à Vérone.
3 A Santa Maria deirOrto. — Consulter ainsi, les très intéressantes fresque»
découvertes en 186 i à Sancta Maria délia Regina. Cinq d'entre elles concernant
Sainte Agnès (1, 2, 4, 6, 8) : les panneaux préparés 3, 5, 7 n*ont pas reçu leur
peinture. La fresque 1, nous montre Agnès à TEcole; 2, la rencontre d*Agnès
et du fils du proconsul ; 4 Agnès conduite au lupanar ; ^\e martyre d'Agnès ;
8 la guérison de Constantina. Est-il trop hardi de croire que le panneau 3
devait représenter l'exposition d'Agnès nue ; le panneau 5 Agnès sur le bûcher :
le panneau 7 le martyre d'Emérentienne? — Ces fresques sont certainement
antérieures à 1330, sans doute antérieures & Giotto, peut-être d'un Siennois
(S. Maria di Donna Begina e Carte senese a Sapoli da Emile Bertaux. Napoli.
Giannini, in-8*, 1899).'
Voici quelques autres indications du même genre : à Spello (église de Sant-
Andrea), un saint Laurent de Pinturrichio ; à Florence (église de Saint-Lau-
LES « SÂIKT SÉBASTIEN » A LA RENALSSANCE 411
On soupçonne, en regardant ces toiles, que l'artiste qui les
a peintes se. souciait fort peu des détails de Thistoire, — tout
comme les orateurs sacrés dans les panégyriques des saints;
on s'en convainc en étudiant les représentations figurées du
martyre de saint Sébastien. Il n'est pas un saint romain qui
ait eu plus de peintres : la raison n'en est pas dans la vénéra-
tion spéciale dont il aurait été entouré : elle n'est autre qu'une
habitude prise par le premier d'entre eux : celle de représen-
ter le martyr à peu près nu. Comme, à cette époque, pour
faire reconnaître son talent, chacun doit montrer, — c'est
l'usage, — qu'il est capable de faire « une académie », chacun
demande le plus souvent à la légende de saint Sébastien le
moyen de faire ses preuves et l'occasion de déployer sa vir-
tuosité. Et voilà pourquoi nous pouvons admirer les toiles de
Santi^ de Costa 2, de Grandi^, de Timoteo délia Vite'*, d'Anlo-
nello^, de Marescalio^, de Libérale", de Foppa**, de Dossio^,
de Girolamo d'Udine 'o, de Pordeuone**, de PoUajuolo*^, de
*
rent), même sujet, par Au<;. Bronzino, et (à Sainte-Croix : quatrième chapeUe
à gauche du chœur) par Bem. Daddi; à Emma, même sujet (à la Certosa:
capelladel Capitolo) ; à Munich, même sujet, par Ghirlandajo {Vieille Pina-
cothèque, vin, 1012 (1899), et Rubens {id , VI. 726). — A Bibbiena (église de
Saint- Lorenzo), j'ai trouvé un curieux tableau, de 30 centimètres sur 20, repré-
sentant le martyre de saint Hippolyte: le martyr est entraîné par des chevaux ;
au fond, les murailles crénelées d'une ville : l'empereur, couronné, assiste à
Texécution ; au-dessus de ce petit tableau, qui borde un plus grand, le saint
est représenté en pied, revêtu du costume militaire, avec cuirasse et jambières.
(Non loin, saint Sébastien est représenté à son tour.) — A Bresciu, un beau
tableau de saint Clément, entre deux saints et deux saintes, debout, mitre en
tête, les yeux au ciel, d'où la Vierge le regarde, tenant Jésus dans ses bras :
le mouvement est gracieux plutôt que naturel. — A Florence, au Bargello
(VI* salle), un reliquaire en bronze noirci, par L. Ghiberti, coulé pour recevoir
les restes de Protus Hyacinthus et yemesius. — A Pérouse (Pinacothèque,
salle des Stacchi), le n* 10 représente une très curieuse S. Dignamerxta {sic).
— A Florence, (Académie., VI, 288), une Storia de S. Agnese de Granocci. —
Mentionnons aussi les fresques odieuses dont Tempesta TAncicn et RoncaiU
délie Pomerance ont couvert les murs de San-Stefano Rotondo.
' Burckhnrdt. Cicérone, 11, 517, A.
î irf. 597, B.
•» /(/. 600. B.
* Id. 60.3, E.
- Id, 610, \.
« Id. 622, C.
7 Id. 623. S.
>♦ Id. 625. K.
» Id. 710. F.
jo Id. 744, I.
n Id. 7n, I.
Ȕ Id. m, U.
412 IJISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
San Spagnoletto * , de Schidone^, du Dominiquin^, du Guer-
chin^; et c*est à cette raison que nous devons les chefs-d œuvre
de Pinturrichio aux appartements Borgia, de Sodoma, puis de
Rubens. Au palais Corsini, on garde de celui-ci un saint
Sébastien remarquable par la même liberté de peinture qu'on
admire dans le tableau du palais Rospigliosi, le Christ et les
douze apôtres ; plus beau peut-être par la clarté et Téclat du
coloris, plus curieux encore par Tinfluence du Corrège qu'il
laisse deviner. A San Spirito, à Sienne, Sodoma peignit, on
1530, à côté d'un saint Antoine abbé, un saint Sébastien,
l'une de ses plus belles créations ; mais il se surpassa lui-même
dans le saint Sébastien qu'il peignit plus tard, merveilleux par
la simplicité de son attitude, la noblesse de l'expression dou-
loureuse, la pure beauté des modelés (aux Uffizi, ii" 1279^).
III
Les gestes de sainte Cécile, à la différence des gestes de
saint Sébastien en particulier, et des gestes romains en géné-
ral, ont, au contraire, directement inspiré les peintres : un
détail du texte est même devenu le point de départ d'une
légende nouvelle et d'un culte nouveau, très vivant aujour-
* Burckhardt, Cicérone. Il, 790» I.
2 Id, 800, I.
* Id. 80*>, D. — On en connaît la reproduction en
mosaïque à saint Pierre.
* Id. 808, M. — Nous avons des statues de lui par
Rossellino (382, B), Maini (403, A), Campagna (444, H), Giorgini (419, B). Cf.
aussi les toiles de Holbein le Vieux à Munich {Vieille Pinac, 111,219) etcelui de
Van Dyck {id., III, 824). Plus intéressant encore que ce dernier est le tableau
conservé à Vienne, à l'Académie des Beaux Arts (salle 1, n* 1128. Ecole de
Padoue, x\*) : un fond de rocher domine une place, au milieu de laquelle,
saint Sébastien est attaché à un poteau : tout autour, des archers s'exercent.
— Je trouve une preuve non moins convaincante que les représentations de
saint Sébastien, du discrédit où les gestes sont tombés, dans les six grands
tableaux où Rubens a reproduit Thistoire de Déce (à Vienne: galerie Liech-
tenstein, salle IV) : aucun détail n'y rappeUe les martyrs.
^ Je n*ai pas pu déterminer à quelle époque prédomine le t3'pe du
saint Sébastien nu et jeune. Le Dominiquin le représente comme un homme
d'âge moyen, barbu. Noter que le saint S,ébastien de l'image votive qui se
trouve à Saint Pierre au x Liens et qui date au plus tard de la peste de 680 est
un vieillard drapé, cheveux blancs, barbe blanche, tenant d'une main une
couronne : mais celui de la chapelle du palais archiépiscopal de Ravenne
est imberbe. On peut signaler encore les Sébastien de Genga Girolamo da
Urbino (Galerie reliant les Urfizi au Pitti, 2205) à Florence, ceux de Montefalco
(à rilluminata, à saint Leonardo, surtout à saint Fortunnto).
i LA LÉGENDE DE SAINTE CÉCILE 413
I
■
d'hui : Cécile reine et patronne des musiciens. Le rédacteur
• qui écrivait au temps de Théodoric nous montrait la sainte,
écoutant la voix de Dieu dans son âme : « le* jour où Ton mit
« en place le lit nuptial, tandis que les instruments jouaient,
« c'est au Seigneur sçul qu'elle chantait dans son cœur, venu
« dies in qiio thalamus collocatiis est ; cantantibus organis^
« illa in corde suo soli domino decantabat^ ». Le détail est
joli : il est à croire qu'il ne passa pas inaperçu.
Dans un vieux texte allemand du xii" siècle, conservé dans
la bibliothèque Fiirstenberg, aujourd'hui à Donaueschingen^,
je crois saisir un premier et décisif développement du détail
donné par les gestes ostrogothiques :
ir vasten und ir weinon
vor gotte so grosse kraft batte
daz si die engel steteklicb zu ir latte
ir gebet in gottes oren drang
aise ein sûzes orgenen sanch.
Le rédacteur latin, quand il parle de Cécile, oppose le chant
de son âme au chant des instruments ; le poète allemand com-
pare à la douceur de la musique la douceur de ses prières :
loin de se perdre, le détail s'est précisé : Fidée d'harmonie
est désormais associée à ridée de sainte Cécile, La légende
se développe peu à peu : elle apparaît pour la première fois,
ce semble, dans les peintures un peu rapidement exécutées,
dans le style des Bicci, qui décorent les murs du Carminé
^ « lluius vocem audiens CaeciUa... venit dies in quo thalamus est coUocatus
est, et, cantantibus organis^ iUa corde suo soli doDiino decantabai^ dicens...
(Mombritius, I, 188).
^ Je me suis servi d'une copie exécutée par C. Greith et conservée à la
bibliothèque de Vienne (Codex latinus, 15 386, xix*s., cbartac, 79 feuillets) : le
manuscrit appartenait jadis à L. B., von Lassberg. La légende de sainte Cécile
est-elle d'origine allemande? Un tableau conservé à Florence (Ufûzi, 1*' cor-
ridor, 20. — Fin du xiii*) représente la sainte sans aucun attribut musical; de
la main droite elle tient une palme, de la main gauche un livre. Les huit petits
compartiments qui Tentourent, reproduisent le mariage; Cécile et Vaiérien;
Valérien couronné par les anges ; Cécile, Vaiérien et Tiburce ; le baptême de
Tiburce; Cécile convertissant les soldats; Cécile devant Almachiusile mar-
tyre. — Aldhelme avait paraphrasé le détail de notre texte autrement que ne
fit la légende postérieure. « Quae licet organica bis quinquagenis et ter qninis
sonorum vocibus concreparet harmonia, ac si lethiferos sirenarum concentus
cum inexpertos quosque ad vitaepericulapellexerint, sub praetextu integritatis
surdis auribus auscultabat. » (Aldhelme, De laud. virginitatis, 40; — P.L.,
89, 141.)
414 HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
(sacristie), à Florence^ ; elle s'épanouit dans le célèbre tableau
peint par Raphaël vers 1515, conservé à la Pinacothèque de
Bologne : qu'esf-il autre chose, en effet, que la glorification de
la musique qui s'essaye à traduire la musique intérieure de
Tàme? A terre on voit des lyres à moitié brisées, tandis que,
descendant du ciel, un chœur d'anges entonne les hymnes
divins : et tout cède à la puissance de charme que recèlent
leurs voix. Si Madeleine ne paraît pas s'y abandonner entiè-
rement, saint Paul est profondément ému des accords har-
monieux qui parviennent à son oreille, et il s'appuie, pour les
mieux écouter, sur une épée désormais inutile ; saint Jean
6t saint Augustin, écoutent aussi, et leurs physionomies reflètent
le divin plaisir qu'ils ressentent; enfin, occupant le milieu de
la toile, les yeux au ciel, les mains oublieuses de retenir la
lyre qui tombe, sainte Cécile s'abandonne au bonheur d'entendre
1 Sur ces fresques, découvertes en 1858, Cécile est représentée jouant de
l'orgue. La léf/ende de Cécile musicienne serait ainsi passée d* Allemagne en
Italie Van 1300. — A Bologne, dans Téglise de sainte Cécile, dix fresques,
sans intérêt, reproduisent les Gançailles; la conversion de Valérien, son baptême,
range qui le couronne, son martyre avec Valérien, la comparution de Cécile ;
Cécile plongée dans V huile bouillante; Cécile faisant Taumône, son enseve-
lissement.
Au cloître de S. Michèle in Bosco, à Bologne, les élèves de Louis Car-
rache ont peint toute Thistoire de la sainte sur seize fresques: 1. Cecilia
genuflessa intenta alla melodia che fanno alcuni angioletti (par P. Brizio)
— 2. Valeriano, che porgendo ladestra alla sua sposa Cecilia .. s'incamina
verso la propria casa (iV/.), — 3. Cecilia in caméra che discorre con Valeriano
(par A. BonnelU^. — 4. V'aleriano, che da alcuni poverelii, si fa insegnare la
via per ire a piedi dell.., pontefîce (B. Galanino). — 5. il pontefice lo riceve
(L. Garbieri). — 6. L'Angelo che offre a Cecilia ed a Valeriano due ghirlande
di fiori (k/.). — 7. Yari martiri che per opéra di S. C. sono portati alla sepul-
tura (G. Cavedone). — 8. Valeriano e Tibnrzio mart3Tizati («à.). — 9. Valeriano
€ Tiburzio décapitât! (A. Albini). — 10. Cecilia gitta a terra Tinutile suo orga-
netto {id.). — 11. S. C. dispensa a poverelii le sue richezze (J. Campana).
— 12. Avanti ad Almachio, S. C. ricusa di sacrificare (id,). — 13. S. C. esposta
alla atrocità délie flamme (L. Spada). — 14. S. Cecilia decapitata fL. Garbieri).
— lo L. C. moribonda in braccia a pietosi cristiani [id.). — 16. S. Cecilia por-
tata alla scpultura. — Ces fresques ont presque complètement disparu. Elles
sont reproduites dans // Claustro di S. Michèle a Bosco di Bologna^ dé
Monaci Olivetani, dipinto dal famoso Lodovico Carracci e da ait ri.., des-
critlo ed illustrato da Giampielvo Cavazzoni Zanotti (.Bologna 1776). A la
treizième fresque, je note la remarque suivante — qui atteste qu'on suivait,
en général, les gestes de Cécile avec soin: — « Eperù ne! modo di abbrucciare
la santa Giovinetta si e dilungato alquanto Lionello da ciù che ne racconta la
storia (p. 93) ; përo si è assentato del vero il nostro Spada nel dimostrare
S. Cecilia esposta ad ardere in tal manière; né si è abusato affatto délia
potestà piltoresca e poco solamente lo ha fatto per servire allabellezza ed al
garbo délia rappresentazione. » •
LA «SAINTE CÉCILE» DE RAPHAËL 415
la musique intérieure qui chante dans son âme et qu'elle
essayait d'exprimer : cette mélodie intérieure est figurée par
un chœur d'anges sur fonds or, dans le ciel bleu ; et l'expression
de sa figure, les formes fortes et riches de son corps expriment
à merveille la sérénité calme dans le ravissement.
Il faut finir sur ce chef-d'œuvre : c'est le seul où nos gestes
aient quelque part^
' L'Académie de musique fondée à Rome, en L'iSi, fut placée sous le patro-
nage de sainte Cécile; et c'est en sa qualité de patronne des musiciens que
M. Camille Bellaigue Tinvoquait naguère, dans le Temps (12 août 1896): «c Je
TOUS salue aujourd'hui, jeune patricienne de la vieille Rome... Vous êtes et
vous resterez la sainte musicienne et la sainte des musiciens. »
CONCLUSION
•27
CONCLUSION
Nous voici donc arrivé au terme de cet étude; et ce n'est
pas sans quelque mélancolie que nous voyons venir le moment
de conclure. En parcourant nos dernières pages, le lecteur a
pu se convaincre comme Tinfluence des Gesta Martyrum a été
faible, et même, dans la mesure où elle put s'exercer sur les
idées morales, combien peu elle fut heureuse. S'il veut expliquer
pourquoi, qu'il n'en cherche pas la raison autre part que dans
l'essence môme du mouvement légendaire d'où nos textes sont
issus : mouvement populaire par ses origines premières et par
tout son développement postérieur. En étudiant ces « laisses »
informes, qu'il faut pourchasser à travers les manuscrits, on se
prend à songer aux paroles d'Horace : disiecti membrapoetae.
Mais si les membres de l'œuvre sont épars, ce n'est pas qu'ils
aient été dispersés un jour : ils n'ont jamais été réunis. Un poète
n'est pas venu, un « rhapsode » ne s'est pas rencontré c^ui
coordonnât tous ces éléments et fondît tous ces morceaux
divers en un chef-d'œuvre unique. La tradition a quitté le
domaine de l'histoire, dont elle n'a plus l'exactitude; elle n'est
pas entrée tout à fait dans le domaine de la légende, dont elle
n'a pas la poésie. Et ce n'est pas seulement le temps qui a
manqué ; ce n'est pas le temps seul qui a empêché l'évolution
de s'accomplir : il a manqué un poète de génie et une langue
formée, et peut-être aussi la nature du sujet a-t-elle contribué
à l'échec final. Sans doute, « un poète ayant l'esprit capable de
« s'intéresser à autre chose qu'aux platitudes miraculeuses, de
« s'ouvrir plutôt à de larges et grands sentiments humains en
« pouvait tirer bon parti* » ; il n'en reste pas moins vrai, comme
» Puech, Prudence, p. 107-108. Cf., p. 108-100, le développement de cette
idée.
420 LES GESTA MARTYRUM ROMAINS
le pensait notre vieux Boileau, que les légendes chrétiennes
sont difficiles à aborder : Tiniaginationn'apas toute son aisance
lorsqu'elle frôle, à tout instant, des matières souvent définies
par le dogme, toujours contrôlées par TEglise. De plus, le latin
du VI* siècle, ou du v' ou du vu* n'est plus qu'une langue en
décomposition qui a perdu toutes les qualités qui faisaient jadis,
sa beauté et sa force et qui n'a pas acquis encore celles des^
idiomes qui en sortiront un jour. Enfin — et comment ne pas
en venir là ? — plus que la nature du sujet, plus que la barbarie
du langage, ce qui a empêché les Gesta Martyrum romains de
s'épanouir en quelque chef-d'œuvre, c'est qu'une âme de génie
ne s'est pas rencontrée, devinant les âmes des Martyrs à tra-
vers les traditions confuses qui les avaient si étrangement
rabaissées et si indignement méconnues : Dante n'a pas eu do
précurseur. A la place de cette merveille que Dieu a enviée
aux hommes, mais qu'ils avaient le droit d'espérer, nous
n'avons donc que des récits banals et ternes, dus à de braves
gens de sous-diacres, d'intelligence bornée et de cœur mes-
quin ; au lieu de l'Epopée des Martyrs de Rome, qui aurait pu
rayonner dans le monde pour la plus grande gloire du Christ et
de l'Eglise, nous avons une cinquantaine de gestes assez insi-
pides.
L'historien se montrera plus indulgent que le lettré. Indé-
pendamment des expressions de tendre et admirative piété
qu'on y relève, les gestes romains expriment par eux-mêmes
la vénération profonde qu'inspiraient les martyrs : les rédac-
teurs ne pouvaient pas admettre que leur histoire fût aban-
donnée à l'oubli. Les tentatives des Manichéens pour introduire
leurs théories parmi ces traditions pieuses et pour faire béné-
ficier celles-là du prestige de celles-ci soulignent ce fait d'une
éclatante manière : ces tentatives rappellent celles qu'ils faisaient
encore, à la même époque, pour exploiter le prestige de ces
autres puissants patrons qu'étaient les Apôtres. Les deux faits se
répondent, se complètent et s'éclairent: ils nous confirment dans
l'idée que c'est par les cultes intercesseurs que le Christianisme
a conquis les foules et que c'est grâce à ces cultes que celles-ci
ont pu passer des religions polythéistes locales à la religion
chrétienne catholique. Les Martyrs ont fait connaître la puis-
sance, ils ont fait aimer la douceur de la religion du Christ aux
foules innombrables des humbles ; ils ont accompli cette œuvre
d'évangélisation populaire pour laquelle tous les traités dlOri-
CONCLUSION 421
gène et de saint Augustin étaient sans force et sans vertu ^ Et
plus tard, lorsque leurs gestes ont seuls gardé le souvenir de
leur héroïsme, comme leurs basiliques gardaient la mémoire
de leurs noms, ils ont contribué par là, eux aussi, à Tachève-
ment de la grande œuvre si tenacement poursuivie : la substi-
tution de l'idée chrétienne d'un Dieu qui tire ses titres et ses
supériorités de sa perfection spirituelle à la notion d'un idéal'
divin uniquement composé de force redoutable, de perfection
corporelle et capricieuse. Au lieu d'une grande épopée chré-*
tienne, sœur aînée de la Divine Comédie, si les gestes romains
nous ont donné seulement un pendant à la littérature équivoque
des gestes des Apôtres et surtout du Livre Pontifical, il faut
dire aussi qu'ils nous font comprendre comment s'est opéré le
ralliement des foules romaines païennes à Jésus -Christ.
C'est parce qu'ils sont tous apocryphes et qu'ils expriment
tous ce mouvement religieux populaire — il convient de reve-
nir sur ce fait en terminant — qu'ils présentent, entre eux, de
si profondes analogies et qu'ils ont été réunis naturellement
dans le Liber Martj/nnn : fondés sur des traditions analogues,
rédigés dans les mêmes milieux, ils sont vraiment parents les
uns des autres. Comme sur le fond d'or des mosaïques, à Mon-
reale, à Ravenne ou à Saint-Marc, les saints raidis et gauches,
la tête cerclée dans le nimbe, les yeux fixes et le geste figé,
offrent tous je ne sais quel air de parenté plus saisissant que
les difi*érences individuelles qui les séparent, ainsi les légendes
romaines se détachent à nos yeux sur un même fond de loin-
tains souvenirs avec cette ressemblance générale et cet air de
famille que donnent nécessairement à des textes, les mêmes
•caractères, les mêmes origines, les mêmes destinées.
^ Cr. notre article : < Comment, dans TEmpire romain, les foules ont-elles
passé des religions locales à la religion universelle, le christianisme ? {Revue
•d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. IV p. 2'i9-269).
APPENDICES
APPENDICE I
LA PRISON DE SAINT PIERRE
D APRES LES GESTES DE PROCESSUS ET L* « ITINÉRAIRE d'bINSIBDELN »
Les gestes de Processus racontent que c'est à la prison
Mamertine, où jaillit actuellement une source, que saint Pierre
a été emprisonné*.
Un texte contredit ici les données des Gesta^, V Itinéraire
dEinsiedeln mentionne sur le trajet de la porte Aurélia à la porte
Prénestine, une fontaine de saint Pierre oîi se trouve sa pri-
son ^i il la place sur la rive droite du Tibre, entre la porte
Aurélia et une église des saints Jean et Paul, en face des
Molinae^ de la Mica Atirea^ et de Sancta Maria^ c'est-à-dire
sur les dernières pentes du Janicule. Le texte de V Itinéraire :
« Fontaine de saint Pierre où se trouve sa prison » fait, évidem-
ment, allusion à la môme légende que les gestes de Processus
et veut rappeler les mêmes souvenirs. Entre les deux docu-
ments la contradiction est flagrante.
1 « In ipsa custodia mamurtini dum esset...; at vero beatissimi apostoli
oraverunt in eadem custodia. »
' Cf. Grisar. La prison Mamertine et les traditions romaines de la déten-
tion et des chaînes de saint Pierre (Z. S. fur Kalh. Théologie^ 1896, passhn^
surtout p. 104 et seq.}. — On tâche de répondre ici aux objections soulevées
par le savant jésuite.
3 Lancianif Lincei, I, 441.
A PORTA AVRELIA VSQ. AD POR TAM PRENESTINAM
Fons sci pétri ubi est carcer eius molinae, mica aurea, sca maria
Sci iohannift et pauli. sci chrysogoni et scae Gaeciliae.
Cf. Jordan,, II, 320, 646. — De Rossi, Ins. Chr., II, 9. — B. S., I, 154 et 146.
* La Mica aurea a été retrouvée (Gatti : Atti del sesto Congresso SlotHcOf
p. 248}.
426 APPENDICES
Tous deux n'ont pas même valeur : Tautorité de la légende
est ici plus forte que celle de V Itinéraire. Le texte dans lequel
elle est parvenue jusqu'à nous est de Tépoque des Gotlis;
V Itinéraire est postérieur à 750; a priori^ et à moins de
raisons particulières, on doit préférer une tradition plus
ancienne à une tradition qui Test moins.
Il n'y a pas de raisons particulières de se méfier des indica-
tions des Gesta Processi. S'ils sont apocrj-phes, nous avons vu
que les données topographiques des gestes sont presque tou-
jours exactes; et, dans l'espèce, la cohérence* très remar-
quaWe de celles qui nous sont fournies est une sûre garantie
de leur valeur : il est évident que le narrateur du récit de la
fuite de saint Pierre connaît Rome. — Si les autres légendes
qui mentionnent la prison Mamertine- ne font, à ce propos,
aucune allusion à Processus et à Martinianus, pourquoi s'en
étonner et comment l'auraient-ils faite? La légende de saint
Calliste parle-t-elle des autres gestes qui mentionnent leCapitole?
— On allègue l'invraisemblance de certains faits : il est matériel-
lement impossible, dit-on, que cinquante et une personnes aient
pu tenir ensemble dans la Mamertine. Mais oublie-t-on le Tid-
lianiim et que Processus ne devait reculer devant aucune
difficulté pour faciliter le baptême de ses frères? Ou croit-on
que les Romains se souciassent si fort du confort de leurs
prisonniers? Ou attache-t-on tant d'importance à Texactitude
du chiffre donné par la légende? — On demande pourquoi
X Lucine pouvait pénétrer jusqu'aux Apôtres et à leurs compa-
gnons? Mais l'aide de Processus pouvait-elle lui faire défaut,
et les chrétiens n'avaient-ils pas la liberté de visiter là
leurs frères enchaînés? — On s'étonne de ne pas trouver la trace
la plus légère de Texistence d*nn culte à la prison Mamertine
au cours du iv'' siècle. Oubhe-t-on qu'à cette date la Mamer-
tine servait encore de prison publique '^ et ne pouvait être
désaffectée: il ny en avait pas d'autre à Rome. Oublie-t-on
qu'elle se trouvait au cœur de la ville, dans un quartier entière-
> Pour aUer de la Mamerline à la Porte Appienne, on passe naturellement
par le Sepiizonium ^ la Via Sova^ le Titulus Fasciolae.
2 Calliste, 14 octobre 440. — Martyrs Grecs, R. S., III, 206. — Stephanus,
2 août 142. — Sixtus, 6 août 140. — Marcel., 16 janvier 370. — Abundius,
16 septembre 301. — Chrysanthe, 25 octobre 482.
3 Ammien Marcellin, XXVIIt, l (éd. ISisard, p. 292, 404).
LA PRJSON DE SAINT PIERRE 427
ment païen, sur une colline syuihole du paganisme autant que
forteresse de Rome? On comprend que les empereurs aient
hésité à y établir un sanctuaire, et Ton sait, d'ailleurs, combien
les chrétiens ont dû mettre de temps et montrer de prudence
pour s'installer au cœur de la ville. — Toutes les raisons
alléguées pour affaiblir sur ce point l'autorité des gestes ne
sont que des hypothèses auxquelles il est facile d'en opposer
d'autres de même valeur.
Au contraire, il n'est pas malaisé de trouver des raisons déci-
sives qui obligent le critique à se montrer très réservé lorsqu'il
juge ï Itinéraire et très prudent lorsqu'il l'emploie. Le plissage
où nous lisons : Fons sci Pétri ubi est carcer eius^ est très sus-
pect. Les mots qui suivent, à la Ugne inférieure, désignent un
édifice qu'on ne peut identifier avec certitude : « Sci lohannis
et Pauli, » Est-ce le cloître fameux qui se trouvait au Vatican
près de Saint-Pierre*, est-ce une église indépendante de celle-
ci et distincte de celle du Cehus ? On n'en trouve pas trace
dans les documents'-; on n'en trouve pas trace sur le sol. —
Il en est de même de. la prétendue prison de Saint Pierre. Pas
un mot dans les textes ; pas une pierre sur le Janicule. C!om-
ment expliquer cette absence de ruines et ce silence des écri-
vains ? Ne serait-il pas étrange — c'est ici qu'il faut le dire
— que les chrétiens de Rome, au iv*" siècle, n'eussent pas élevé
un oratoire à leur apôtre au lieu même de sa captivité ? Y
avait-il là une prison publique ? Le Janicule n'est-il pas en
dehors de la ville et loin des quartiers païens ? Les chrétiens
avaient les mains libres ; dans l'hypothèse que nous combat-
tons, leur abstention est plus que surprenante ; on en vient
à soupçonner une erreur dans le texte de V Itinéraire,
Ce soupçon se confirme par un examen général de sa valeur.
Deux erreurs inexplicables, nombre d'obscurités inexpliquées
en affaiblissent le témoignage. Le Circus Flamineiis ne se
trouve pas Place Navone, mais sur l'emplacement actuel du
Palais Mattei et de Sonda Catarina dei Funari, entre la
via Aracoeli, la via degle Botteghe Oscnre^ la Via Delfini^ :
il est confondu ici avec le Circus Agonalis. — Les Thennae
» Duchesne, L. P., I, 239, 484-8; n, 23.
* Cf. l'inscription publiée par de Ilossi {Ins. Chr., II, 28, 51).
3 Lanciani, Lincei, 1, 440. — Jerdan, II, 329. — Varron, V, 154. — Cicéron,
ad. AU., 1, 14. — Pro Seslio, 33. — Val. Max., 7, 4. — Martial, XJI, 74, 2. —
Dion Cassius, 55, 10.
428 APPENDICKS
Commodianae ne se trouvent pas davantage derrière la
Rotonde^ mais en dehors de la Porte Capène * : elles sont con-
fondues ici avec les Thermes d' Agrippa.
On ne sait au juste à quoi correspondent Vacqua de forma
laieranense^ le Penturium, Sainte Agathe du sixième itiné-
raire ni le Paiatium Pi/ati^; et Ton est surpris de Tomission
de sainte Praxède au septième itinéraire et de remplacement
inexact atttribué à Santa Maria Anticha^ au Testamentum^
à San Stefano^.
La défiance s'accroît et les soupçons se confinnent lorsqu'on
cherche à s'expliquer ces obscurités et ces erreurs, lorsqu'on
se rappelle comment Vltinéraire fut rédigé *. Sur un4)lan de
Rome construit à une époque inconnue, par un auteur inconnu,
un bon moine, étranger à Rome et dont on ne saurait détermi-
ner ni le degré d'intelligence ni la force d'attention, a tiré
quelques grandes lignes de deux points assez éloignés Tun de
l'autre ; il nomme les monuments qu'il rencontre, à droite et à
gauche, sur son plan ^ qu'il puisse ou non les voir sur la route
ainsi tracée. — Ce n'est pas tout: son ti:ayail ne nous est pas
parvenu dans le texte original ; une copie imparfaite, proba-
blement dérivée d'un exemplaire lui-même imparfait, est seule
arrivée jusqu'à nous. Il faut compter avec les fautes des copistes,
avec celles du rédacteur de Vltinéraire^ avec celles du plan.
Les secondes, sans doute, sont les plus graves : les noms des
monuments pouvaient, par défaut de place, ne pas être inscrits
à l'endroit précis où ils auraient dû l'être, mais un peu adroite
ou un peu à gauche : et l'on expliquerait, de la sorte, les fautes
du texte, qui place à droite ce qui est à gauche, à gauche ce
qui est à droite. Les noms pouvaient être omis quand la place
manquait pour les écrire, att centre de la ville notamment ^ aux
abords du Capitole et du Forum; un système de renvois et une
« légende » réunissaient ceux qui n'avaient pu être inscrits :
et l'on expliquerait par là, par l'insuffisante clarté des signes
ou par un oubli maladroitement réparé, la substitution du Cir-
eus Flamineus au Circus AgonaUs ei des Thermae Commodia-
nae aux Thermes d' Agrippa, L'hypothèse rend compte, on le
> Lanciani, op, cit., 451. — Hérode, ï, 12, 3. — Vila Commodi, 17. —
Chronog.t p. 148, M.
< Lanciani, op, cit., 459, 465, 475, 479, 484.
» /J., op. cif„ 496.
* De Rossi, R, >., I, 154.
LA PRISON DE SAINT PIERRE 429
•
voit, des erreurs constatées et des obscurités signalées : il se
trouve qu'elle permet aussi de résoudre le problème particulier
qui nous occupe.
La mention Fons Sci Pétri ubi est carcer eius se rapportait
à la prison Mamertine ; mais le grand nombre des édifices qui
se pressent autour du Capitole et du Forum ne permettait pas
d'inscrire ces mots où ils auraient dû l'être : l'auteur du plan
les a rejetés à un autre endroit, à l'endroit précis où les a lus
le rédacteur de Yltinéraire. — Il se peut aussi qu'on ait omis
d'inscrire la Mamertine, toujours par défaut de place et qu'on
ait négligé de réparer cet oubli en la notant dans la légende ;
le rédacteur, surpris de ne pas trouver citée la prison de
Saint-Pierre, lieu de pèlerinage célèbre par le monde, et ren-
contrant au Janicule un Fons Sci Pétri ^ marqué sur le plan,
aurait ajouté de son autorité propre ubi est carcer eius. —
Ce ne sont là que des hypothèses : mais elles rendent raison
des faits en tenant compte des circonstances spéciales où V Iti-
néraire fut rédigé. Lors même qu'on les rejetterait, les erreurs
qu'on constate dans celui-ci, les obscurités qu'on y signale,
surtout la manière dont il fut rédigé, tous ces faits autorisent
les soupçons, s'ils ne contraignent pas à la méfiance. Ces
raisons générales s'ajoutent à l'incertitude du passage et à
l'époque tardive du texte sur lequel on prétend s'appuyer;
l'autorité de Yltinéraire n'est pas de telle nature qu'elle doive
nous faire douter du témoignage des gestes et de la tradition
locale qu'ils représentent ; il n'y a pas lieu de changer l'em-
placement traditionnel de la prison de saint Pierre ^.
1 Qu'il y ait eu une fontaine à cet endroit, rien de plus probable ; VAqiia
Alsielina passait parce quartier {Nibby, Ant., I, 363). — Que le voisinage de
saint Pierre, et la légende du lieu de son supplice lui aient fait donner le
nom de Tapôtre, rien d*étonnant : même fait s'est passé pour la Porta Aurélia.
Cf. Procope, BelL Golh,, I. 19 (éd. Dindorf, II, 94).
Voici le texte de Procope : 6ib hy\ oXXac 5uo ty\c TfOecDc TnSXac ivox^ei^Oat
iipoç Tôv iioXe{iiu)v Ç'jvéSaivc, rrjv t« A'JpT)Xiav — t) vûv Ilirpou toO tcSv
Xptfftov aitoaT6X(ov xopuçxiou, arc itou 11X7)91 ov xci{iévou, iiici>vv(ibç
iati — xal TTÎv C»7ckp rbv iioTa{i.ov.
» Cf. Ordo Benedicli. V (Lincei, I, 552\ — Mirabilia, 10 (Jordan, II, 617).
— Cancellieri : Sotizie del carcet^e TuUinno..,^ p. 38, 52 sq. — Jordan, I,
453, H, 480.
APPENDICE II
FRAGMENTS DE DEUX SERMONS INBDIT3 SUR LES SAINTS IRKN|5b ET ABUNDIUS
Codex Vindob., 917. — XII% 21. f. pgm., 2 colonnes,
41 lignes.
Ruperti abbatis Limpurgensis serniones (cf. Denis I DCC).
iS* Serrao de sanctis martyribus Hereneo et Abundio. De
hodierna festivitate sanctorum martyrum Herenei et Abiindii
cupientes aliquid loqui ad honorera d. n. i. ch. cuius testes
sunt ipsi et ad aedificationem proxirai, incidit illud quod legi-
mus in verbis sancti Augustini : nuUus gradus praeterniissus
est de quo non haberet testiraonium sains omnium. Quibus verbis
tanti doctoris nos pusilli subvectimus quod Deo docente in his
consideramus. Pcrpondimus enim summum et imum in mundo
gradum ; quis autem gradus superior in mundanis dignitatibus
quara regum et imperatorum, quis autem in mundo gradus
înferior quam cloacariorum sicut nempe humanis stercoribus
nuUum stercus est fetidius sicut cloacariorum gradibus nullus
contemptibilior gradus. Christus soins salus omnium de imo et
summo gradu et in corum mediis gradibus, habet testiraonium
quia de imperatoribus... habet martyres et de cloaca tara benao
sicut de regum et imperatorum auro et purpura suos habet testes.
Hinerape tes tes HereniussanctietAbundius in cloaca facti sunt d.i.
martyres quorum aliter id est Abundius non fuit cloacarius sicut
s. Herenes, scd utcrque in cloaca passos. Dominus nempe lucratus
estperlaurentiumyppolitura etperyppolitum nutricem suara con-
cordiam; cura audisset sanctae concordiae corpus in cloaca esse
absconditura... y5*melius est... in cloaca moricum deo et prodo »
quara in auladeaurata et convivorum plena mori cum diabolo...
i8^ quod ipse praestare dignetur qui cum p. et ss. vivit ot
432 GE8TA MARTYRUM ROMAINS
gloriatur Deus per omnia s. s. Amen. — 18*,.. Det autem
dominus scorum martjTum herenaei et abundii intercessionibus
ut non iuveniamur in stercore illo de quo scriptum est... Qui
sanctorum suonim H. et A. merui hoc largiri...
18" (manu recentiore) : Item de sanctis martyribus Hereneo
et Habundio. Quanta devotione sancti quorum reliquias possi-
demus in ecciesia cui specialiter attitulati sumus a nobis sunt
honorandi docemus ex dictis beati doctoris Augustini sic dicentis
cuncti martyres patres carissimi devotissime percoiendi si
specialiter hii venerandi sunt a nobis. — lUi enim orationibus
eius nos adiuvant... ; cum his familiaritas quaedam nobis data
est. Semper enim nobiscum sunt, hoc est et in corpore viventes
custodiunt et de corpore recedentes excipiunt... Habundium
unus corpus integrum excepte capite in ecciesia vestra possi-
detis... 19* Agneten... Laurentium... Romanum... Yppolitum...
^/* Nemo igitur erubescat cloacam et stercora in qua sancti
martyres nostri Herenes et Habundius promeruerunt fieri Xri
vestiraenta candida. Nemo erubescat cloacam et stercora pec-
catorum confiteri de quibus per gratiam transfiguratoris nostri
de morte in vitam transfîgurati, dicentes Christo corde et ore :
gloria tibi domine qui cum P. et SS. vivis et régnas Deus per
omnia s. s. amen.
ERRATA
P. VIII, note, ligne 2. — Lire : « Borna Sotterranea ■, au lieu de : « Solterranea ».
P. 7, noie 1, ligne 17. — Lire : « plurima ex illis », au lieu de : « plurimae ■.
P. 9, note 4, ligne 3. — 1-ire : ■ mfra, % III, page 13 », au lieu : « III, p. 11 ••
P. 23, ligne '*. — Lire : « la platonia », au lieu de : «la platoma ».
P. 24, note 2, ligne 1. — Lire : • le F. H. », au lieu de : « le M. H. ».
P. 27, lignes 24-25. — Lire : « prêchant l'exemple de ceux-ci, acheminer ceux-là à la
pratique... », au lieu de: « prêchant leur exemple le» acheminer à la pratique. •
P. 30, note, ligne 3. -- Lire : « dum essem », au lieu de : ■ dum esem ».
P. 32, ligne 11. — Lire : « Qu'est-ce donc », au lien de : « Questce donc •.
P. 37, ligne 3. — Lire : « Oesta Bibbianae », au lieu de « Gesta Biblianae ».
P. 41, ligne 16. — Lire : « plusieurs textes 3 », au lieu de : « plusieurs textes ».
P. 47, lignes 22-23. — Supprimer les mots : « mancipare avec le sens de confier (Pro-
cessus) ».
P. 50, ligne 12. — Lire : « acceplum Palmatium », au lieu de : « acceptum Palmaium ».
— ' ligne 17. — Lire : « lumen donare », au lieu de : « lumendonare ».
P. 53, note, ligne 1. — Lire: « i En 476, lorsqu'Odoacre », au lieu de: «2 En 476,
lorsqu'Odoacre ». ^ ^
P. 60, note 2. ligne 2. — Lire : ■ toi Y«p », au lieu : « t«y«P »•
P. 62, note, ligne 2. — Lire : « Tcporpow^ », au lieu de « irpotoirÇ ».
P. 66, ligne 18. - Lire : « nous ont frappé », au lieu de : « nous ont frappés ».
P. 75, note 3, ligne t. — Lire: « Lettre des Lyonnais», au lieu de: * lettres ».
P. 77, note. — Lire: « p. 45 », au lieu de : p. 43 ».
P. 77, ligne 15. — Lire: ■ des traits », au lieu de : •« des trait ».
P. 78, ligne 4 à partir du bas. — Lire: s ce qu'il ignorait ignorer», au lieu de: « ce
qu'il savait ignorer ».
P. 88, ligne 2 à partir du bas. — Lire : « étant données sa date et son origine », au lieu
dé : « étant donnés... ».
P. 92, note 3, ligne 3. — Lire : « codex Augiensîa 32 », au lieu de: • codex Auguieniit;
P. 95, note 1, ligne 1. — Lire: «l'accord touchant les dates», au lieu de: «touchant
des 'dates ».
P. 97, ligne 7 à partir du bas. — Lire : ■ Sallustii thennae », au lieu de « Sallustis ».
P. 98, ligne 23. — Lire : « VII rail (Nérée) « », au lieu de : « VII mil (Nérée)2 ».
P. 101, note 2, ligne 1. — Lire : « Urbis parlera », au lieu de : « Urbi parlera •
P. 105, note 3 de la page 104, ligne 7. — Lire: « Paulu* und Petrut», au lieu de:
» Paulxtê una Pelrua » ,
P. 106, ligne 3. — Lire : ■ Sérapis », au lieu de ■ Sarapis ».
P. 109, ligne 9. - Lire : « Dircé », au lieu dé : ■ Dircès ». ^
P. 109, dernière ligne. — Lire : ■ ttoX-j », au lieu de ■ iro>.u ».
P. 110, note 1, ligne 5 à partir du bas. — Lire: « iuslitiam », au lieu de: « lustuliam»
P. 122, note 4, ligne 4. — Lire : « folio 71 ' — 178 ' », au lieu de : « folis 7!'-78 ' ».
P. 123, ligne 19. — Lire : « et pauli ; peu après », au lieu de : « pauli peu après ». — Der-
nière ligne. — Lire : « palatium licinianum », au lieu de : • palati lucinianum ».
P. 125, note 2, ligne 5. — Lire: « Muaeo eapitolino»^ au lieu de •Afuêco».
P. 128, note 6, ligne 1. ~ Lire: «Marins Pudens», au lieu de: «Manius».
P. 133, note 4, ligne 2. — Lire : «p. 142-144 », au lieu de: «p. 142, 444».
28
434 ERRATA
p. 140, ligne 4. — Liro: « tran»|iorlera, au lieu de: « Irensporter •.
P. 151, note 3, ligne 4. — Lire : « pas antérieures au IV* siècle », au lieu de : • pas
antérieures au V* siècle ».
P. 15?, note 2, ligne 3. — Lire : « potenler tamen », au lieu de : « polentes tamea •.
P. 157, note 3. — Lire: «p. 121 et 137», au lieu de: «p. 133, 117*.
P. 157, ligne 5 à partir du bas. — Lire : • se réfugiaient », au lieu de : « se réfugient».
P. 168, ligne 5 à partir du bas. — Lire: • n'est-il {ms i)erniis de croire», au lien de:
• n'est-il pas vraisemblable de croire ».
P. 170, ligne 19. — Lire: « la voie d'Ostie » », au lieu de: * la voie d'Ostie».
P. 171, lignes 15 et 16. — Supprimer les mots: «nous voici revenus dans le voisinage
deâ saints Jean et Paul ».
P. 173, note 1. — Lire : • Marucchi », au lieu de : « Marrucchi «.
P. 180, note 1. — Lire : •• Allard, II, 254-255 », au lieu de : « Allard, II, 241 ».
P. 190, ligne 11. — Lire: • celles même», au lieu de: « celles-mèmes ».
P. 192, note 7, ligne 4. — Lire : « S. Avit», au lieu de : « S. Avis », et, ligne 5 : « par-
ticularisent», au lieu de: « particularissent ».
P. 197, ligne 6. — Lire : « les prêtres », au lieu de « les prêtre ».
P. 197, note 4. — Lire: « F. H. Proleg. p. XLV-XLVI », au lieu de: • Proleg ».
P. 198, ligne 15. — Lire : • commun », au lieu de : « communi ».
P. 201, ligne 23-24. — Lire : « Crescentlus », au lieu de : « Crecentuis ».
P. 201, ligne 24. — Lire : • férial », au lieu de: « fériail ».
P. 202, note 4. — Lire : • ou à la maison », au lieu de : on à la maison ».
P. 203, ligne 13. — Lire: -in incuia», au lieu de: «in uinda».
P. 204, ligne 11. — Lire: «vraisemblable», au lieu de: «vrai semblable».
P. 207, note 6, ligne 2. — Lire: «l'homonymie», au lieu de: «rhomouyme».
P. 208, note. — Lii-e : « F. H. », au lieu de : • R. II. ».
P. 209, noie 4. — Lire: « Marucchi », au lieu de : ■ Marrucchi ».
P. 210, ligne 19. — Lire: ■ quatre vingt-un », au lieu de: «quatre-vingt-un ».
P. 222, ligne 6 à partir du bas. — IJre : «attribue, tout permet», au lieu de: «attri-
bue, permet ».
P. 227, note H, ligne 2. — Supprimer les mots : ■ et le pridie idu» aug. ».
P. 229, nota, ligne IG à partir du bas. — Lire: « beauté », au lieu de: «beauté ».
P. 234, ligne 17. — Lire: «aqua», au lieu de: «acqua».
P. 242, 2* colonne, ligne 12, À partir du bas. — Lire: « se conduire», au lieu de: « le
conduire^».
P. 249, ligne 11. — Lire: • intermédiaires entre Rome, la Grèce», au lieu de: «inter-
médiaire entre Rome, la Grèce 3 ».
P. 255, ligne 1. — Lire: « les textes», au lieu de: «les textes i ».
— noie 1. — La supprimer complètement.
P. 267, ligne 9 à partir du bas. — Lire : » à Pontien », au lieu de : « au Pontîen ».
P. 268, ligne 12. — Lire: «eux-mêmes», au lieu de «eux-même».
P. 270, ligne 10 à partir du bas. — Lire : « encore sur celte », au lieu de : « encore
celte ».
P. 271, note 1. — Lire : • p. 30, note », au lieu de : « p. 28, noie ».
P. 27;', note 3, dernière ligne. — Lire : « quicumque », au lieu de : « uqicumque ».
P. 272, ligne 16. — Lire : « ses visites », au lieu de : « ces visites ».
P. 280, note, dernière ligne. — Lire: «neues», au lieu de: «nenes».
P. 286, noie 1, ligne 1. — Lire : « a beato Petro », au lieu de: • a C. Petro ».
P. 307, note 1. — I^ supprimer complètement.
P. 310, note 5, ligne 3. — Lire: « Athalaricus Paulino », au lieu de: «Athalaricus
Pau i no ».
P. 314, ligne 6. — Lii-e: «puissent ^tre », au lieu de: « puissenl-élre».
P. 314, ligne 13. — Lire : - diptyques », au lieu de : « dyptiques ».
TABLE DES MATIÈRES
Prrfack: Objet et divisions de ce travail vu
PREMIÈRE PARTIE
LES GESTES DBS KARTTRS ROMAINS
CHAPITRE PREMIEU
QUKL EST l'iÎTAT DU PROBLÈME
I. — Le fait de l'inautheuticité i
IL — L'hypothose de l'interpolation 9
IIL — La théorie de Tapocryphicité 12
CHAPITRE II
COaiMBNT IL CONVIENT DE POSER LE PROBLÈME
L — L'histoire des martyrs romains au iv« siècle .... 17
IL — L'histoire des martyi*s romains au i\* siècle .... 30
CHAPITRE III
RECENSEMENT DES TEXTES
L — Persécution de Néron 34
IL — — de Domitien 34
IIL — — de Trajan . 34
IV. — — de Marc-Aurèle 35
V. — — de Sévère 35
VL — — de Maximin 35
VIf-VfIL — de Dèce et de Valérien 35
IX. — — d'Aurélien -36
X. - — de Dioclétien 36
XL — — de Julien et Constance. . . . . 37
436 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV
VALEUR DE CES TEXTES
I. — Éditions édiflantes 39
H. — — scientiHques 40
III. — L'édition définitive 43
CHAPITRK V
PARENTÉ LlTTKRAïaE DKS TEXTES:
LEURS CARACTÈRES PHILOLOGIQUES
I. — Vocabulaire 46
II. — Syntaxe 49
III. — Style 51
CHAPITRE VI
PARE.NTK PSYCHOLOfilUUE DES LÉGENDES!
LEUR PHYSIONOMIE MORALE
I. — Leur composition uniforme 54
II. — Leur psychologie élémentaire 57
111. — Leur caractère tendancieux 61
CHAPITRE VII
COMPARAISON DES GESTES AINSI CARACTÉRISES AVEC LES ACTES AUTHENTIQUES
I. — Les actes des saints Jacques et Marien 67
II. — Leurs caractères philologiques 69
III. — Leur physionomie morale 70
IV. — Comparaison 74
CHAPITRE VIII
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE :
LE Liber Martyrum
1. — Le passionnaire de saint Grégoire 78
II. — Le Codex Palatinus Vindobonensis latinus 357, repro-
duit le passionnaire grégorien 81
III. — Le passionnaire grégorien n'est qu'une seconde édi-
tion d'un Liber Martyrum romain 89
TABLE DES MATIÈRES 437
DEUXIÈME PARTIE
ANALYSE GRinQUE DES TRADITIONS ROMAINES
CHAPITRE PREMIER
LES SOURCRS I LEURS CARACTÈRES GÉNÉRAUX
Pagei.
I. — Rapport des gestes avec le férial hiéronymien ... 95
II. — — avec Tœuvre d'Eusèbe 98
CHAPITRE II
TRADITIONS LOCALES URBAINES
I. — Traditions trasleverines (Saint Pierre et saint Paul,
saint Callisle, sainte Cécile, saint Chrysogone) . . 101
IL — Traditions de la ville haute (Sainte Vibbiane, saint
Eusèbe, sainte Poten tienne et sainte Praxède, sainte
Suzanne, saint Cyriaque) 123
m. — Traditions centrales (Ga[»itolines, Palatines : saint
Ce saire, sainte Anastasie; Nova Fora Caesarum) . . 134
IV. — Traditions céliennes (Saint Jean et saint Paul. Les
Quatre Couronnés. Saint Clément. Saint Pierre et
saint Marcellin) 145
V. — Traditions aventines (Sainte Sérapie et sainte Sabine,
saint Roniface, sainte Prisca, saint Processus et
saint Martinianus) 164
CHAPITRE III
TRADITIONS CÉMITERIALRS (l""" PARTIE)
DE LA VOIE APPIENNE A LA VOIE NOMENTANE
I. — Traditions appiennes Saint Etienne, saint Corneille,
saint Alexandre, saint Urbain. Les «« Martyrs Crées »,
saint Sixte, saint Calocère et saint Parthenius,
saint Sébastien) s . . 173
IL — Traditions latines (Saint Jean, saint Nérée, sainte
Eugénie, saint Etienne, saint Gordien) 190
III. — Traditions lavicanes (Saint Sébastien) 196
IV. — Traditions tiburtines (Sainte Symphérose, saint Lau-
rent, saint ïlippolyte, saint Genès) 197
V. — Traditions nomentanes (Saint Nérée, saint Alexandre,
saint Marct^l, saint Restitutus, saint Primus et saint
Felicianus, sainte Agnès) 209
438 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV
TRADITIONS CKMITKRIALES (2^ PARTIE)
DE LA VOIE SA LA HA A LA VOIE ARDEATINE
Pagres.
I. — Traditions salariennes (Saint Maris, saint Laurent,
saint Abundius, saint Alexandre, sainte Vibbiane,
sainte Basilla, sainte tVlicité, saint Ghrysanthe et
sainte Darie, saint (ielulius, saint Nérée, saint
Eleuthère, saint Crescentius, saint Léopard). . . 21 î^
IL — Traditions flaminiennes (Saint Abundius, saint Maris). 230
III. — Traditions cornéliennes (Saint Maris, sainte Rufine et
sainte Seconde) 23i
IV. — Traditions auréliennes (Saint Processus et saint Mar-
tinianus, saint Eusèbe et saint Pontien, saint Basi-
lide, saint Pancrace, saint Pierre et saint Marcellin!. 233
V. — Traditions portiennes (Saint Abdon et saint Sennen,
saint Cyrinus, saint Pigmenius, saint Simplicius et
sainte Béatrice) 237
VI. — Traditions osliennes (Saint Félix et saint Adauctus,
sainte Bonosa, saint (îallican, saint Censurinus et
sainte Aurea, saint Paul, saint Timothée, sainte
Martine, sainte Lucilla et sainte Flora) 244
VIL — Traditions ardéatines (Saint Xérée et saint Achillée,
saint Césaire, saint Montanus, saint Félix). . . . 251
TROISIÈME PARTIE
HISTOIRE GÉNÉRALE DES TRADITIONS ROMAINES
CHAPITRE PREMIER
FORMATION ET DÉFORMATIONS DES TRADITIONS ROMAINES
(,er_ve siÈCLEs)
L — Période des origines : Toubli 26»
IL — Période de la persécution : le souvenir de la persé-
cution dioclétienne 268-
IlL — Période de rétablissement de TKglise: le culte des
martyrs et le prestige des ascèles 270
CHAPITRE II
RÉDACTION DES TRADITIONS ROMAINES [v^-Vl" î^lÈOLES
(ÉTUDE D*£NSEMBLE)
L — Les gestes sont postérieurs à Télablissement du Bas-
Empire 279
IL — Les gestes sont antérieurs à 5î)5 283
III. — Les gestes romains, i>our la plupart, datent de l'époque
ostrogothique 287
TABLE DES MATIÈRES 439
CHAPITOE III
rédaction des traditions romaines [v«-vl« slècles]
(enquêtes particulières)
Page».
I. — Date des gestes de Cécile 293
II. — — de Corneille 296
III. — — d'Eusèbe 297
IV. - — d'Eugénie 299
V. — — des Martyrs grecs 300
VI. — — de SébasUen 301
VII. — — de Processus et Marliniuiius. . . . 303
VIII. — — de Nérée et Cé.saire 305
IX. — — de Laurent, d'Eusf»be et Pontien . . 307
X. — -- d'Etienne, de Pancrace, de Jean et
Paul 309
XI. — de Gordien, de Vibbiane, de Calliste,
de Rufnie et Seconde, de Maris
et Marthe, d'Anlhime et Faltonius,
de Rufus et de Marcel 310
XII. — -- d'Anastasie 312
XIII. — — de Paul (Linus), de Gordien, de Pro-
cessus, de Pancrace, de Simplicius
et Viatrix, de Sôrapie et Sabine,
d'Eugénie, de Clément, de Félix
Romanus, de Sébastien et d'Agnès. 313
XIV. — — de Boniface, d'Alexandre Romain et
d'Eleuthère 318
CHAPITRE IV
déformations DES TRADITIONS CONTEMPORAINES DES RÉDACTIONS :
LE NKO-MANICHÉISME
(yc-vi" siècles)
I. — Polémiques relatives à Saint Pierre et à Saint Paul.
II. — Polémiques relatives à la fuite. — Les ascélisations 323
de traditions 331
III. — Les apologies manichéennes de Simon, de Basilide,
de Manès (et de Montanus) 336
CHAPITRE V
DÉFORMATIONS DES TRADITIONS CONTEMPORAINES DES RÉDACTIONS (silile, :
PYZANCE
(yc.vjic SIÈCLES)
I. — Prestige de l'Orient attesté par les écrivains occiden-
taux et les cultes romains d'Anastasie et de Côme
et Damien 345
II. — Influence des rapports politiques qui unissent Rome
à Byzance sur les traditions martyrologiques. . . 3'*9
III. — Vue générale sur les rapports de Rome avec Hy/.ance
(et rOrient), à l'époque des rédactions 355
440 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VI
VALEUR HISTORIQUE DES RÉDACTIONS (v«-VII* SIECLES)
I. — Les gestes sont apocryphes : les rédacteurs des gestes
romains font partie du moyen clergé .... « 359
II. — Ils n'ont qu'une très faible valeur pour Thistorien de
la vie chrétienne durant les persécutions ; ils sont
d'un très grand prix pour Thistorien de la vie
chrétienne après les persécutions 363
CHAPITRE VII
DE l/iNFLUENCE DES RÉDACTIONS SUR LES TRADITIONS
(vi«-vii« siècles)
I. — L'épotjue ostrogolhique; conquêtes et dévastations,
après le vi« siècle, les gestes exaltent et conseiTenl
les légendes. . 367
IL — Les gestes suscitent de nouvelles légendes : sainte
Lucie et saint Géniinien, sainte Martine, saint
Concordius 370
III. — Les gestes provoquent la formation d'un nouveau
calendrier romain 37i
CHAPITRE VIII .
DE l'influence DES (iESTES ROMAINS SUR LES IDÉES
(vr-viii« siècles)
I. — L'opinion de la haute église 377
IL — drégoire I®'' et les gestes des martyrs romains . . . .378
III. — Caractère utilitaire de l'exhortation morale dans les
écrits de Grégoire , 380
IV. — Influence doctrinale des gestes sur Grégoire. ... 381
CHAPITRE IX
DR l'influence DES GESTES ROMAINS SUR LE CULTE (VII«-V1II« SiÈCLES)
I. — Les gestes donnés aux moines et lus aux oflices . . 385
IL — Conséquences de ce double fait 387
III. — Fin de cette influence: le culte des martyrs décline,
leurs reliques sont transportées à Rome .... 390
CHAPITRE X
DE l'lNFLUENGE DES GESTES ROMAINS SUR LA LITTKRATURE (vill''-XV*' SlÈCLES)
I. — Haut moyen-âge 394
IL — Hiolswitha 396
III. — Le moyen-ilge 397
IV. — Laurent de Médicis 401
TABLE DES MATIÈRES 441
CHAPITRE XI
DE l'iNFLUE.NCE DES GESTES ROMAINS SUR LES ARTS (XV«-XVII« SiÈCLES)
I. — Avant la Renaissance 407
II. — La Renaissance 410
m. — La « Sainte Cécile » de RaphaëL Sainte Cécile patronne
des musiciens 41â
Conclusion 419
APPENDICES
I. — La prison de saint Pierre d'après les gestes de Pro-
cessus et ritinéraire d'Einsiedeln 425
IL — Fragments de deux sermons inédits sur les saints
Irénée et Abundius 431
TOURS, IMPRIMBRIB OBSLIS FRÈRES
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liiii I « les manuscrits ori(;inau.x des archives du Vatican, par MM. J. Guiraud et
L. Cadibr, membre de l'Ecole française de Rome. — Les Registres de tiréf/oire X
et de Jean XXI (réunis en une seule publication) formeront un beau volume
in-4" raisin, imprimé sur deux colonnes. Ils seront publiés par fascicules de
15 à 20 feuilles environ. Le prix en e.st fixé à raison de soixante centimes par
feuille. — L'ouvrage entier se composera de GO feuilles environ. — Les trois
premiers fascicules ont paru. Prix : 26 fr. 10. — Le quatrième fascicule est
sous presse.
\r LES BEGISTBES D'WBBAW IV 02(11-1260, io7eLÎ%Jmtl
t)u analysées d'après les manuscrits originaux des archives du Vatican, par
MM. L. DoHK/ et J. GriKAiu, membres de l'Ecole française de Rome. — Cet
ouvraire formera trois volumes grand in-4* raisin, dont un sera occupé par
le Registre dilcanuTal. Usera puolié par fascic. de 15 feuilles environ chacun.
L'ouvraf^e complet formera environ 180 feuilles. Aucun fascicule ne sera vendu
séparément. — Le premier fascicule du registre ordinaire est en vente.
Prix 8 fr. 40.
Le premier fascic. du Registre dit caméral est également en vente. Prix : 7 fr. 20.
Sous presse les deuxièmes fascicules.
ir LES BEGISTBES DE NICOLAS 111 (1277-1280, 'èr"di' i'" çaj:
publiées ou analysées d'après les manuscrits originaux des archives du Vatican,
par M. Jules (îay, ancien membre de l'Ecole française de Rome. — Cet ouvrage
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