Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
p^ss:^.
ÉTUDE
SUR
LES ORIGINES ET LA NATURE
uu
ZOHAR
MUk (l'iioe Éde sur l'histoire de )a Kabbale
PAH
S. KARPPE
Docteur èi-lettrcti.
(OAllOSTHÈRBS.)
PARIS
FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C"
108, Boulevard Salnt-Oermaln, 108
1901
Tous Hroitfl réservé*.
A-
A LA MEMOIRE
DK
Ernest RENAN et James DARMESTETEI
LEUR ÉLÈVE liECONNAlSSANT.
INTKODIICTION
Rien ne peut donner une idée des conceplions étran-
ges, des hypothèses hizarres^ des extravagances mala-
dives et passionnées qui se rencontrent dans Tesprit et
sous la plume des historiens du myslicisme juif. Sous
prétexte qu'on se trouvai! devant une langue sacrée et
dans le domaine du mystère, on s'est permis tontes les
opinions.
LeR travaux antérieurs au xix« siècle ignorent ou
méconnaissent entièrement le point de vue véritable
du problème. Ils Texaminenl à la lumière d*un dogme,
soit juif, soit chréti(*n, soit même judéo-chrélien. Ils
sont animés du désir de trop judaïser (»u de Irop rhri^-
lianiser le myslicisme juif. Ils font œuvre de Ihéoluyieiis
e». non d'historiens. J'ai sous les yeux un opuscule <bî
la fin du xviii" siècle intitule ainsi : l)v ht noturr et tir.
f origine de la doctrine de rémanation rhrz les Kabbali^-
teHy ou Réponse à la question suivante proposée par la
Société d'archéologie de Casse l : Ui doctrine des Kabha-
listes touchant l émanation de toutes choses de f essence
propre de Dieu, est-elle oui ou non sortie de la philosu-
1
)
II KNTHODUCTIO.N
plue f/rca/taf'/ psiv Joh. Friedr. Kleuker. Riga, 1785 à
1786. Eh bien! les lexlcs n'y sont même pas enlre-
viis (1).
La bibliographie du mysticisme juif pourrait faire
à elle seule l'objet d'un long travail. Sans vouloir l'en-
treprendre ici, nous croyons devoir cependant indiquer
en quelques mots les qualités et les défauts essentiels,
je ne dis pas des œuvres innombrables et fastidieuses
antérieures au wx.*" siècle^ mais des œuvres de notre
1. La conuaissaiice de la Kabbale parmi les chrétiens date du
luoment de la publication de la Kabbala denudfUa. Pic de la Miran-
(lole et Heuchlin avaient, il est vrai, déjà esquissé un système de
la doctrine, mais elle demeura réellement inconnue jusqu'au jour où
Knorr V. Hosenrolh publia son œuvre en Mul. Or, \a.Kabbnla dtnu-
data ne considère dans le Zofiar que le « Livre des Mystères » et la
a (irande et la Petite Assemblée «, c'est-à-dire précisément les
parties les plus obscures.
Pour montrer combien les connaissances rcslèreiil vagues à ce
su jet, disons que Brucher,Gcic7i. d.PkiloMipkicy LMm, 1733 (IV*^ par-
tie, p. 810-17 , indique jusqu'à douze explications difTérentes des
riefiroth, explications religieuses, philosophiques, démonologiques,
astronomiques, astrologiques, physiques, logiques, arithmétiques,
méthodologiques, alchimiques, politiques, messianii^ues.
Si la Kahhala denudata mettait les chrétiens peu v.n rapport
avec !<' texte, elle donnait en revanche beaucoup d'extraits des
comnienlaleurs. Luria, Corduera, Irira, (failleurs assez, mal enten-
dus. C'est à lra>ers le prisme de ces commentaires que la Kab-
bale se présonla d'abord au monde chrétien La plupart des chré-
tiens (^ui s'en occupèrent distinguaient la Kabbale pure et impure^
mais naturellement ils rejetaient comme impure tout ce qui était
en contradiction avec les dogmes chrétiens, voir par exemple Peter
Speeth Syrbius dans sa Diss, de origine atheismi ; Peter Béer, Gesch, d,
Jud. , notamment la2* partie ; Freystadt,Ka66a/i'mu5 undPantheismus,
etc. Même des savants juifs tels que Ribasch, Ghaym Vital éta-
blirent la mémo distinction.
tNTIiODUCTION 111
sifecle qui, les prenlièrei^^OAt posé le problème et préparé
sa solution.
Avec l'apparition de la Kabbale de Ad. Franck, This-
toire du mysticisme juif entre ÛAM une phase nouvelle,
véritablement critique et scieutiflqae. La manière dont
Franck a mis le problème en lumière, la place qu'il a
faite à la question chronologique, la méthode et Téclat
de ses analyses --quoique ihbomplèles — AxxSefrr Yezirnh
et du Zohafj les rapprochements, quoique un peu hâtifs
et défectueUi) qu'il A établis entre la Kabbale et les phi-
losophies extérieures ont jeté uu jour lumineux sur la
question et ont posé quelques-uues des prémisses do
toute recherche ultérieure.
L'érudition du travail de Joël, La philosophie reli-
gieuse du Zohar, très substaulielle, l'exposition 1res
serrée de la métaphysique du Zohar, vue, il est vrai, à
travers un trop grand ^ubjectivisme juif, la discussion
critique à laquelle il soumet chacuU des points de la
conception de Franck, donnent à son ouvrage un double
mérite : celui de mieux faire comprendre son prédéces-
seur, et celui d'éclairer par rdntithëse non pas la ques-
tion chronologique sUr laquelle ils sont à peu près d'ac-
cord, mais le fond eëseUtiel de là conception kabbalisti-
que.
Mais ces deux ouvrages, les plus remarquables et les
plus complets qui aient paru jusqu'à ce jour, ont, à notre
avis, de grandes lacunes. Us limitent arbitrairement le
problème et l'étudient sous uU angle très particulier ;
ils embrassent, eh effet, dans le mot Kabbale tout le mys-
ticisme jqif. Or, c'est là précisément que git le nœud de
la question. Il s*agit de savoir à quel moment le mysti-
IV tNTRODUCtION
cisme juif prend le nom de Kabbala.Ei ce n'est pas seu-
lement, une question de dénomination : il y a plus. Il
s'agit de distinguer le mysticisme juif, tel qu'il apparaît
à ses origines et dans les premiers temps de son déve-
loppement, d'avec le mysticisme ultérieur^ tel que Tont
façonné Tépoque gaonique (1) et le moyen âge. Cette
distinction essentielle, capitale, dans un travail sur le
mysticisme juif, ne se rencontre ni chez Franck, ni chez
•Tool. Il leur était loisible de ne s'occuper que de la Kab-
bale proprement dite, mais il fallait alors nettement
circonscrire le champ et ne pas créer une confusion en
présentant cette Kabbale comme étant tout le domaine
du mysticisme juif.
De plus, dans ce champ restreint de laKabbale propre-
ment dite, ils ne portent leurs elTorts que sur quelques
points, Franck sur le Sefer Yezirah et le Zohar, Joël
surtout sur ce dernier. Or la Kabbale est représentée
par bien autre chose. Le Sefer Yezirah n'est qu'un des
multiples jalons de la route qui aboutit au Zohar. On
pouvait faire du Zohar, en tant qu'aboutissement de la
Kabbale, le centre des recherches, mais le choix du Sefer
Yezirah comme élément préparatoire était arbitraire; il
n'avait pas plus de droit à cet honneur que tel autre ou-
vraî4:c comme le Bahir ou leMassechelh Azilnth, etc. Il n'v
1. On appelle gaonim les docteurs qui suivirent ceux qui assis-
tèrent à la clôture et la rédaction du Talmud, c'est-à-dire les
héritiers des Amoraïm et des Saboraîm.
Chefs des académies de Soura et Poumbedita, ils dirigèrent
jusqu*à la 6n du \« siècle, à côté et souvent contre Texilarque, les
destinées intellectuelles et morales des Juifs, non seulement de
Itahvlonic mais de tous les pays.
INTRODUCTION V
a pas ià seulement un défaut de méthode, il y a une erreur
fondamentale, qui fait du Se fer Yezirah un aboutissant
digne d*étre mis en balance avec le Zohar. Franck va
même jusqu'à établir entre l'un et Taulre un lien ima-
ginaire; il prétend, déjà dans le Sefer Yezirah, trouver
Tunité de substance et l'émanation. Sans doule le Sefer
Yezirah est entré dans le courant qui conduit au Zohar,
mais pas plus que telle autre œuvre. Donc^ ou bien il
fallait se contenter de considérer le Xohar qui est, en
elfet, comme le canon kabbalistique, ou bien il fallait
étudier la totalité des œuvres préparatoires qui ont
abouti au Zohar,
Un autre tort de ces historiens et de presque tous les
historiens de la Kabbale est de Tavoir considérée comme
l'expression d*un système dont Tuniformité et l'homo-
généité ne seraient troublées par aucune doctrine hété-
rogène. Ils ont bien vu que la doctrine était présentée
par pièces et morceaux, et en quelque sorte à la lisière
des textes sacrés en général, et du Pentateuque en par-
ticulier; mais ils n*en ont pas moins admis à la base une
conception harmonieuse, élaborée d'un coup et comme
jaillissant tout armée du cerveau d'un homme ou des
spéculations d'une école. Franck reconnaît bien l'inéga-
lité de style du Zohar ^ le défaut d'unité dans l'exposition ,
la méthode et les pensées de détail, mais non pas dans
l'ensemble. Pour lui l'émanation est écrite à chaque
page de l'œuvre des Kabbalistes. Pour Joël, rien ne
marque clairement que les Kabbalistes aient pensé à
l'émanation et toute leur œuvre est uniformément d'ac-
cord avec la doctrine juive traditionnelle. D'autres y ont
VU pn platonisme ou plutôt un néo-platonisme d'ui^e
VI INTRODUCTION
seule teneur, d'autres encore un néo-pythagorisme très
complet, pour ne pas pftrler 4© oeux qui y'oat vu une
doctrine préparatoire du christianisme ou même une
gnose juive.
Les historiens qui n'oqt pas été troublés par la vision
préalable et partiale d'un système préconçu ont eu le
torl de no voir dans la Kabbale qu'un côté métaphysique.
La métaphysique tient assurément une grande place
dans le mysticisme juif ; mais ce n'est pas au détriment
de beaucoup d'autres éléments. Il convient que ces élé«
ments soient démêlés du reste et étudiés pour eux-
mêmes. Comme il s'esl agi de mysticisme, on a encore
une fois voulu à toute force que tQut fût mystique; et
comme la métaphysique est la scienee la plus abstraite
et par conséquent la plus mystérieuse, on a voulu que
tout fût métaphysique, ou au moins on a cru que les élé-
ments métaphysiques étaient seuls dignes d'être tenus
sous le regard de l'historien. Je ne vois pas non plus
apparaître chez presque aucun des historiens du mysti-
cisme juif, ou plutôt de la Kabbale — puisque la plupart
se portent vers elle» — en quoi ce mysticisme est vérita-
hlemeiiijuif, où est en lui la caractéristique, l'empreinte
de l'esprit juif, comment la doctrine hétérogène a laissé
une partie d'elle-même en passant par ce qu'on pourrait
appeler le verre coloré du judaïsme, comment l'esprit
juif n'a pas simplement subi la doctrine étrangère,
comment il l'a dominée autant qu'il en à été dominé,
comment le fond juif est souvent demeuré sous la greffe
étrangère pratiquée sur lui.
On n'a pas non plus assez tenu compte de la manière
particulière dont l'Orient en général, les Juifs en parti-
TNTRonrnTiON vri
culier ont conçu racquiesceineiil à une doclrino, l'expo-
sition de celte doctrine dans un livre et d'une manière
générale, la production d*une œuvre intellecluelle.
UOrienl n'a jamais eu Vidée de ce que peut Hroi un
système harmonieux, uniforme, homogcVne. Chaque idée
partielle ou chaque groupe d'idées y est examiné on soi,
et si elles s'imposent à l'esprit, si mAmo elles n'ont que
la vraisemblance pour elles, ellessont jointes sans ordn^
sans classement, aux idées déjà reçues. Il se forme ainsi
un amas, une juxtaposition d'idées, de doctrines, qui
jurent parfois de se trouver ensemble, mais dont la pré-
sence simultanée ne choque pas l'Oriental, parce qu'elles
jouissent toutes du même prestige, qui s'attache, à ses
yeux, à toute production delà pensée. Là est le secret de
cette littérature anonyme qui abonde particulièrem<Mit
chez les Juifs : de là sort la Bible, le Talmud, le mvsli-
cisme juif.
Dans ce rapide examen des œuvres les plus récentes
sur le mysticisme juif, quelques historiens méritent une
place à part. Landauer, le premier, a vu et présenté la
question sous son aspect véritablement historique et
critique. Dans les notes posthumes Orient. ^845, Lilbl,
no" 13, 44, 15, 16 sqq., 31 sq., il ébauche une analyse
des éléments constitutifs de la Kabbale ; mais ce ne soûl
que des notes décousues, jetées au hasard et qui n'étaient
dans son esprit qu'une base très imparfaite d'un travail
ultérieur. D'ailleurs^ lui aussi limite le domaine de ses
recherches à ce qu'on pourrait appeler l'œuvre zohari-
lique proprement dite. Rien ou presque rien de la dis-
tinction préalable et indispensable entre le mysticisme
juif et la Kabbale.
vin INTROhl iTTON
Quelques arlicles de Gnilz [Bespreckuny des Geiyer-
sches Lesebîiches zur Mischna), son opuscule Gnosticis-
mus und Jude?Uhum, quelques monographies (passim),
et les notes qui figurent à la lin du tome YII de son
Histoire des Juifs jettent quelques clarlés sur celte dis-
tinction.
Il serait injuste de ne pas mentionner les monogra-
phies assez nombreuses, quoique assez confuses, et pas
toujours dûment fondées, de Jellinek dans ses Beilrth/e
zur Geschichle der Kabbala,
Rappelons aussi une analyse très serrée du Zoharpa,r
Ignatius Stern(i) parue dans la Zeitschrift ben Charui-
nya\ « Versuch einer umstândiichen Analyse des Zo-
har. », Jahrg. 1, i858, 3, 260 sqq. ; Jahrg. Il, i8:i9, s.
Ki sqq. ; Jahrg. 111,1 sqq.
En résumé, il n'exisle sur la q.ioslion du mysticism<»
juif que des monographies visant surtout le Sepher
Yezlrnh el le Zo/t<//*. Quelques-unes en Irèspolil nombre
étendent la question, mais il n'existe pas de travail
d'ens(»mble prenant le myslicismj juif à ses origines
autaut que ces origines se décèlent, le suivant pas à |>as,
jusqu'à la clôture de la Kabbale tbéoriquts j'entends le
/ohar\2).
Nous n'avons certes pas la prétention dt* résouilre
délinitivcmeut le problème du mysticif.me juif. Mais
1. Je tiens à remercier ici le docteur l.ue\^e, rabbin de Szofredin,
qui a birn voulu me confler les notes posthumes d'ignatius Sleni,
particulièrement l*ébauche du dictionnaire que ce dernier a fait du
Zohar. J'en ai fait largement profit.
2. Jellinek a formulé le projet de ce travail synthétique ; il a
m<^me jeté au hasard quelques pierros de rédifice; la mort ne lui
il^|)a^ laissé le temps d'achever son œuvre.
nous voudrions éclairer le sens véritable de ce mysli-
cisme, ce qu'il est sous sa forme première, en quoi il
est loin d'être alors la Kabbale proprement iiite, com-
ment il se transforme ; quels éléments nouveaux il
reçoit au cours de son développement, comment ces
éléments s'appliquent sur le fond primordial, comment
tout ce que la diversité des temps a apporté va se ra-
masser pour aboutir à ce produit étrange, je dirai pres-
que ce précipité, qu'on appelle le Zoliar, comment enfin
les lois qui ont présidé au développement de l'esprit
juif et de la littérature juive en général trouvent une
nouvelle application dans Thistoire du mysticisme.
Notre but, en un mol, est de présenter en un tableau
d^ensemble Tbintoire du mysticisme juif sans restreindre
le sens et la portée de ce mot à la Kabbale et en faisant
à cette dernière la place que lui assigne la critique.
Nous voulous appliquer à cette histoire les règles qui
président à toute étude historique, sans nous préoccu-
per de savoir si le résultat de nos recherches favorisera
telle ou telle conception.
lin cette question du mysticisme l'historien doit éln^
plus circonspect qu'en tout autre ordre de recherches.
Le mysticisme soulève dans l'Ame humaine les ten-
dances les moins rationnelles, celles qui sont le plus
portées à se répandre inconsidérément au dehors. Celui
qui l'étudié n'est que trop tenté de donner carrière à ses
facultés intuitives et de trahir la froide raison, l^uis le
mysticisme juif en particulier est si étroitement appa-
renté à la religion qu'il faut mettre une double garde à
la frontière de Tune et de Tatilre, sous peine de voir se
troubler la ligne (je démarcation nécessaire à l'histoire
véritable.
X INTRODUCTION
Daus cfîl essai de syiilhèso deux méthodes s*offrent à
nous : celle qu'on pourrait appeler la méthqde logique
et celle qu'on pourrait appeler la méthode chronologique.
D'une part, nous pouvons aborder d'emblée la doctrine
à laquelle le mysticisme juif a nbouti au cours du
xnr siècle, en analyser les éléments, prendre chaque
élément à part, en chercher la première apparition au
sein du judaïsme et en suivre les transformations in-
sensibles jusqu'à sa fixation dans la littérature zohariti-
que. D'autre part nous pouvons, sans dès l'abord tenir
compte de la forme zoharitique du mysticisme juif, con-
sidérer l'ensemble de la doctrine telle que chaque &ge
la constitue. La première de ces méthodes a quelque
quelque chose de factice ; elle implique que tous les
éléments sont nettement tranchés dans le Zohar et que
les produits antérieurs qui sont en quelque sorte venus
s*y précipiter, sont restés séparés les uns des autres ; elle
implique aussi que toute la substance antérieure est
entrée dans le Zohar et que réciproquement le Zohar
ne contient pas autre chose; elle implique une tradition
sure, ininterrompue entre une forme de mysticisme et
la forme suivante : tous points qui ne sont pas démon-
trés ; enHn elle a quelque chose de tranché, d'abstrait,
do pou conforme à la réalité. Nous préférerons donc
Tantro méthode. Nous exposerons les formes de la doc-
trine mystique toiles que chaque époque les révèle, sauf
à voir s'il v a connexité entre les diverses formes.
CHAPITRE I-
Les sources de Thistoire du mysticisme
jxiif.
Les sources auxquelles on peut el doit puiser Thistoire
du mysticisme juif sont avant loul «les sources directes.
Nous ne cherchons pas dans ce travail à caractériser
le mysticisme de Tépoque biblique. Ce mysticisme —
s'il a existé — n'apparaît pas, je veux dire que rien no
marque clairement Texislence de doctrines occultes en-
tretenues et développées à l'ombre el on marge de la n»-
ligion. La Bible est précisément le contraire d'un livre
mystique, j'entends que les causes qui lui ont donné le
jour sont les causes destnicliv(»s do loule doctrine mys-
térieuse; s'il est permis de jeter un regard dans la brume
qui enveloppe l'origine de la Bible, il apparaît que la
tendance des écrivains bibliques est de sortir du mystère,
de formuler une loi sociale, morale, politique et philo-
sophique qui détermine avec force et clarté toute la vie
intellectuelle et matérielle de ceux qui s'v soumettent.
Chez les peuples ambiants, dans l'Kgypte et dans la
Chaldée, le mysticisme était précisément le grand apa-
nage, la grande arme de Taristocratie sacerdotale et po-
litique. On sait, par exemple, que depuis une antiquité
reculée, le monothéisme était la doctrine occulte des
prêtres d'Osiris et que le polythéisme el les mythes
n'étaient qu'un tissu brillant destiné à voiler au peuple
les vérités philosophiques qui auraient fait sa force; chez
les Chaldéens aussi^ on ne Ta pas assez remarqué; la
hiérarchie théistique s'achemine de bas eu haut vers nu
2 us SOIIKOES DF. l'mISTOIRK DU MYSTK.lSMIi JUIf
monothéisme concentré en Bel-Marduk, eh bien, l'œuvre
des prophètes juifs qui se concrétise autour de Moïse, et
Tœuvre des écrivains, ses successeurs, est, à nos yeux,
une œuvre de démocratisation anti-mystique. Plus de
privilèges de doctrines secrètes, mais la révélation dans
le plein ciel, du haut du Sinaï ; plus de doubles doctrines,
dont Tune, faite pour les prêtres et l'autre pour le peuple,
mais raffirmation d'une doctrine monothéiste homogène.
Cela ne veut pas dire que la doctrine religieuse antérieure
au monothéisme n'ait piEis laissé sa trace, et qu'il n'y ait
pas, sous la couche nouvelle, des couches anciennes que
nous pouvons rechercher. Voici ce que j'écrivais (qu'on
me permette celte citation), dans le Journal asiatique^
(n'' de janvier-février 1897) : « La Bible, dans ce qu'elle
a de plus primitif, de plus conforme au génie du peuple
qui l'a faite, doit être l'objet d'une comparaison suivie
avec les conceptions primitives des Assyro-Babyloniens,
et le travail qui a été si fécond pour la philologie indo-
européenne peut-il être tenté pour la philologie sémi-
tique? Les hommes qui ont fait la Bible et les hommes
qui ont laissé la plupart des textes cunéiformes que nous
possédons appartiennent bien à la même famille. A
l'heure des divisions ethniques, chaque groupe destiné
à un développement particulier a pu emporter un fonds
de traditions identiques revêtues d'une forme identique,
c'est-à-dire une mythique et une poétique communes.
Quelles que soient les transformations opérées dans la
suite de l'histoire d'un peuple, l'antique empreinte ne
s'eiïace jamais complètement. » Mais cette recherche
n'est pas notre objet. Rlle implique, d'ailleurs, la science
sémitique comparée, œuvre vaste et féconde, appuyée à
la fois sur l'pgyptologieet Tassyriologie. Four nous, qui
cherchons l'origine de ce qui deviendra le Zohar, l'étude
des idées bibliques ou sous-en^endues pa(* la 6ible n'est
LES >OrR<:F.> IIE LIIISTOIRL M MY-M«:i>MK JUI *»
pas directement nécessaire. maisThistoiro du mysticisme
altérieur qui nous occupe, l'élude de la Bible est indis-
pensable, parce que la Bible a été le point d*appui dont
chaque âge s'est réclamé.
Il faut ajouter que la Bible n'est pas l'expression adé-
quate de Tépoque biblique. L'image de cette époque
ne s*y reflète qu'imparfaitement, suivant le hasard et le
caprice des traditions; réciproquement, elle contient un
certain nombre d'idées post-bibliques. Pour ne tenir
compte que des résultats les plus assurés de la critique
moderne, plusieurs livres du Pentateuque, tout Ézéc/nel,
le Deutéro-haïe, Daniel et d'autres écrits prophétiques,
de nombreux Psaumes, VEcclésiaste portent incontesta-
blement l'empreinte d'un temps postérieur à Texil. Ces
œuvresne peuvent doncètre consultées qu'en tant qu'elles
ont conservé et fixé des traditions postérieures. Il faut
donc appliquer à la lecture de la Bible la méthode
historique et critique telle que la seconde moitié de ce
siècle Ta constituée.
Pour le mysticisme juif au cours de Tépoque babylo-
nienne, perse, et jusqu'aux environs de l'ère chrétienne,
les parties bibliques de Tépoque et les apocryphes doi-
vent donc ^tre mis à contribution. Les apocryphes n'ont
pas été jugés dignes de figurer dans le canon, parce (Qu'ils
contiennent des idées non tout i\ fait conformes k ce que
l'on avait cru être la doctrine biblique. Mais précisément
parce que les apocryphes furent traités comme des
œuvres hétérodoxes, ils purent devenir et devinrent eu
effet le refuge de toutes les idées étrangères et extérieures
à la doctrine pure. Comme leur caractère hérétique n'en-
tachait en rien le canon, puisqu'ils n'y Figuraient pas,
les conceptions les plus hardies s'y donnèrent carri(>r(\
Nous dirions volontiers que les apocryphes sont eu
quelque sorte une bible gnosliquc. A nous, qui cherchons
4 LliS SOUHCKS DK LUlSTOlUt: DU MYSTlCISMIi JUIK
feous lo dogmatisme officiel et convenu les idées occultes,
ils peuvent être d'un grand secours.
Les documents assyriens — y compris ceux de Tépoque
persane — déjà féconds en renseignements pour Tépoquc
biblique, le sont aussi pour Tépoque suivante, et cela
est vrai encore de toutes les sources de comparaison
authentiques du monde sémitique.
Mais la source la plus abondante pour les deux ou
trois siècles qui précèdent Tère chrétienne, pour les
siècles qui la suivent, est la littérature talmudique, à sa-
voir : la Misc/iruij les Beraïtoty le Talmud proprement
dit, les Midraschim,
Nous répéterons ici ce que nous avons dit à propos
des sources bibliques. Il faut nettement dégager l'examen
de la littérature lalmudique des commentaires, notam-
ment de Técole de Raschi et des Tosefot sous l'égide
desquelles on a rhabitude de la lire. Les commentateurs
interprètent trop souvent le texte à travers les idées de
leur temps. 11 est permis néanmoins de se servir des
explications traditionnelles que les commentateurs ont
recueillies et conservées, pourvu que la traditionsoit sûre.
On sait que la Mischna est le code officiel tel que Ta
rédigé Juda le Saint, en éliminant tout ce qui ne lui
semblait pas tout à fait congruant avec la doctrine juive
traditionnelle. Consacrée presque exclusivement aux
questions de droit, elle ne nous peut servir qu'en tant
que le mysticisme a agi sur l'ensemble du code et ses
articles partiels.
Mais parmi les lois et propositions que Juda le Saint
a écartées du canon mischnaïtique, il en est beaucoup
qui, vu précisément leur caractère hétérodoxe, ont pour
nous un intérêt particulier. Ce sont les Berattot (delà
racine bar, en dehors). Ce sont en quelque sorte les
apocryphes de la Mischna. Exclus du code théorique
Les sources de l'histoire bu mysticisme juif 5
proprement dit, ils reparaissent dans les discussions,
auxquelles Tinterprétation du code a donné lieu dans
les écoles de Palestine et de Babylonie. Les Berattot
sont à la Mischna ce que la doctrine mystique tout en-
tière est à la doctrine dogmatique reçue, une porte ou-
verte aux conceptions qui ne pouvaient accepter les
limites étroites dans lesquelles une école, quelle quelle
soit, voulait enfermer la pensée juive.
Par le Talmud proprement dit, j'entends le commen-
taire du code sous forme de Halachah ou Questions
juridiques et Haggadah ou Questions d*homilétique et
morales. La Halachah^ quoique surtout réservée aux
discussions techniques, nous intéresse en tant que les
idées hétérogènes ont pu agir sur elle et réciproque-
ment. Le désir de réprimer ou de favoriser l'éclosion du
mysticisme a inspiré la création de certaines lois; cer-
taines propositions règlent le mode de transmission des
idées mystiques. Mais c'est surtout la Haggadah qui est
devenu le grand asile et, pour ainsi dire, le déversoir de
tout ce qui n'a pu trouver place ailleurs. Là se présente
à nous le mélange le plus discordant de toutes les philo-
sophies et de toutes les sciences. Ce qui n'a pu se presser
dans le cadre de la Haggadah a pris son refuge dans ce
ce qui en est la suite et le développement : les Midraschim.
Bien que la chronologie des idées émises dans le Tal-
mud soit très flottante, môme lorsque les traditions sont
associées à certains noms, les erreurs que nous pouvons
commettre ont une limite, la limite même qui marque
la clôture définitive du Talmud, c'est-à-dire environ
500 après J.-C. Pour ce qui est des Midraschim il nous
faut procéder avec une grande prudence. La plus grande
confusion règne dans leur ordre chronologique. Beau-
coup d'entre eux sont l'expression d'idées postérieures
à l'époque talmudique, souvent postérieures à Tappari-
6 LKS SOIRCES DE L*111ST0ÎRE DU MYSTICISME 4U1K
tion du Sefer Yezirah lui-même. La critique chronolo-
gique des Midraschim resie à faire. Ce n'est pas noire
objel. Nous n* avons pu que nous appuyer sur les résul-
tats les plus solides.
Pour le mysticisme de Tépoque gaonique nous avons
en premier lieu les œuvres mystiques elles-mêmes ré-
digées en langue hébraïque. Une grande obscurité plane
Kur les titres véritables et la teneur précise de ces œuvres.
Nous en possédons de nombreux fragments, sans que
nous sachions s'ils appartiennent au même ouvrage ou
à des ouvrages distincts. Une classification s^imposait;
nous avons essayé de la faire.
A partir de Tépoque gaonique les Juifs, dispersés à
travers le monde, établissent entre eux une union intel-
lectuelle et morale. De nombreuses correspondances
s'échangent de communautés à communautés et parti-
culièrement de docteurs à docteurs. On s'interpelle, on
se questionne, on se consulte par lettres. Certains doc-
leurs réputés pour leur science des Écritures et du Tal-
mu(l sont littéralement assaillis par les Juifs de tous les
pays qui attendent d'eux Téclaircissemenl d'un problème
théorique ou un conseil pratique. De là cette quantité
de Quaestiones et Responsa (n'ï^lirn m^Kir) qui sont une
mine féconde pour Thislorien du mysticisme juif, parce
qu'elles sont en quelque sorte la discussion critique <lu
monde juif. Quoique ces Responsa proviennent pour la
plupart de docteurs restés dans la ligne traditionnelle et
orthodoxe, leur hostilité ou leur acquiescement aux
idées mystiques sont également instructifs.
Les historiens et les philosophes arabes sont consultés
avec fruit sur cette époque. A partir du moment où
l'islamisme entre dans la voie scientifique et scolastique,
les idées arabes et les idées juives suivent une marche
parallèle. Non seulement les unes éclairent les autres,
LES SOURCES DE L HISTOIRE DU MYSTICISME JUIF 7
mais encore ceilains liislorieus arabes ont consacré une
élude spéciale à l'histoire des idées juives.
Pour Tépoque suivante cl celle de la Kabbale propre-
ment dite jusqu'à la fin du xiiic siècle, rien ne peut rem-
placer Tétude des œuvres mystiques même. Un certain
nombre d'entre elles sont éditées. Beaucoup et en plus
grand nombre n'existent qu*à Tétat de manuscrit.
La collection de manuscrits la plus remarquable est
celle de la Bibliothèque de Munich, originairement la
propriété d'un savant nommé Joh. Albert Widmanstadt.
Né au commencement du xvi* siècle, à Nellingen, en
Wurtemberg, il étudia à Tubingen, sous la direction de
Reuchliu, voyagea beaucoup en Angleterre et en Italie,
devint en iS38 le chargé d'allaires de TËlecteur de Ba-
vière. Dans la suite il renonce à la vie publique, pour se
livrer à Tétude. il fut le premier éditeur de la traduc-
tion syriaque du Nouveau Testament d'après deux ma-
nuscrits nestoriens. Après avoir beaucoup écrit, sur la
grammaire syriaque, sur le Coran, il se mit à Tétude du
Zohar avec une telle ardeur qu'il put mettre bientôt en
marge de son manuscrit un très beau commentaire.
Pendant son séjour à Rome et d'antres villes dltalie, il
réunit les manuscrits hébreux, on fil copier d'autres, en
reçut en cadeau du cardinal /ligydc de Viterbc. Il visait
surtout à réunir des manuscrits kabbalistiques; il y
réussit pleinement. Il y a là ù iVIunich 313 codices qui
contiennent plus de 1.000 manuscrits, tous de contenu
médical ou kabbalistique.
Ce qui préoccupait surtout Widmanstadt c'était le côté
théurgique de la Kabbale. Aussi ces manuscrits appor-
tent-ils peu de lumière à Thistoire de la Kabbale spécu-^
lative ; en revanche, ils éclairent toute l'histoire de la
Kabbale après le Zohar et, par contre-coup, le Zohar
lui-même.
m
8 LES SOUHGKâ DE L'HISTOIRE DU MYSTlGISMl!; JUIF
Après celte collection, mais bien après, viennent celle
(lu Vatican, celle de la Bibliothèque nationale de Paris,
la collection Opt)enhcim à Oxford, la collection de Rossi
à Parme.
A côté des œuvres mystiques proprement dites, il y a
des traces de ces œuvres dans des ouvrages d'un autre
ordre. Beaucoup de traductions et de commentaires de
rKcrilure, quoique n'émanant pas d'adeples du mysti-
cisme, ont subi rinfluence de la doctrine. Il en est de
môme pour les innombrables travaux dont le Talmud a
été Tobjet. Il est telle interprétation de Naclimaniou de
Raschi, qui éclaire une conception demeurée obscure
dans Tœuvre où elle est apparue pour la première fois.
Les écrivains juifs, qui ont touché tant soit peu au
mysticisme et mèiiie ceux qui n*y ont pas louché du
tout, seront consultés avec fruit. La doctrine mystique
a pris du xi*" au xiv*" siècle une telle extension, que peu
d'esprits l'ont côtoyée sans y laisser quelque chose d'eux-
mêmes. Les plus purs rationalistes même, comme
Saadyah et Maïmonide par exemple, doivent être étudiés
et dans les parties de leurs œuvres nettement hostiles à
la doctrine et dans celles où le rationalisme est légère-
ment teinté de mysticisme.
Ce que nous avons dit des liesponsa do la période
précédente demeure vrai pour celle-ci.
Il faut user, mais avec une extrême réserve, des com-
mentateurs kabbalistiques postérieurs à la clôture du
Zohar. Ils procèdent à Tégard de la Kabbale de l'âge
classique, comme la Kabbale a procédé à Tégard de la
doctrine des Ages précédents, comme les traductions et
commentaires de chaque époque ont procédé à Tégard
de Tépoquc antérieure, j'onlenris qu'ils introduisent
dans la Kabbale des doctrines de leur temps. Or, après
le Zohar, la Kabbale décline rapidement, sous le nom de
LES SOURCES DE L^UISTOJKK DU MYSTICISME JUIF 9
Kabbale pratique, en uue espèce de thaumaturgie extra-
vagante et puérile. Elle peut être pour elle-même Tobjet
dune étude, mais ne doit pas être prise au sérieux quand
elle se donne comme Finterprétalion de la Kabbale.
Ainsi Louria par exemple (1534-1572), un des plus dan-
gereux de ses commentateurs, considère le Zohar comme
un tout logique et systématique dans lequel un élément
appelle et attend Tautre, et sa conception a déterminé
celle de presque tous les historiens de la Kabbale.
11 faut être encore plus circonspect devant les nom-
breux travaux juifs et chrétiens apparus entre le w'' et
XIX* siècle. Les premiers ratiocinent déplus en plus sur
les données antérieures et les faussent; les seconds ont
le grand tort de n'aller que rarement aux textes mêmes,
mais de tirer leurs connaissances de seconde ou de troi-
sième main; ils sont en outre presque tous dominés par
ridée préconçue de trouver dans la Kabbale l'expression
du christianisme.
CHAPITRE II
Considérations générales sur le
mysticisme juif.
Il faul avanl tout distinguer le mysticisme juif du
mysticisme en général.
L'histoire des idées n'est que Thistoire des luttes entre
les deux éléments de la nature humaine, entre l'élément
rationnel et Télémenl irrationnel, entre ce qui est com-
mun et égal chez tous et ce qui constitue le mot propre-
ment dit, entre la réflexion et Fintuition. C'est en quel-
que sorte la lutte entre Tespritet le cœur de rhumanité,
Tesprit qui répond aux problèmes, en suivant la longue
chaîne des inductions et des déductions, et le cœur qui,
supprimant tout intermédiaire, s*élance d*un bond vers
ce dont il a besoin; l'esprit qui compare, juge, con-
clut et le cœur qui frémit, croit, aime. Suivant que dans
un homme ou dans une époque c'est Tun ou Fautre de
ces éléments qui prédomine, cet homme ou cette époque
sont mystiques ou ne sont pas mystiques. Le mysti-
cisme apparaît donc dans son acception la plus générale
comme une expression de la foi, comme une hypertro-
phie de la foi, comme une opposition de la foi à la rai-
son, comme une revanche de la foi sur la science.
Eh bien ! le mysticisme juif est précisément — et c'est
la marque distinctive que nous lui trouvons — le con-
traire du mysticisme ordinaire : il est une revanche de
la science sur la foi.
Le monothéisme est rosseuce de la philosophie rcii-
CONSIDÉRATIONS titlNKRALES SIR f.K MYSTICISME JUIF I l
gieuse des Juifs, à Torigine sous une forme Ihéoriquc
et admise chezrélite seulement, puis après par la grande
masse elle-même. Ce monothéisme élève Dieu à une
telle hauteur au-dessus de Thommo, que tendre vers lui
sous une forme quelconque est un sacrilège. L*humble
créature esl à Tégard du Créateur « comme un vase en-
tre les mains du polier ». Celle conception présente, il
est vrai, l'homme comme « créé k l'image de Dieu » ;
mais les besoins^ les rigueurs du monothéisme, les (fan-
gers que le polythéisme ambiant lui faisait courir, firent
passer celle conception au second plan, pour mettre
hors d'atteinte le Dieu un, pour sauvegarder sa solitaire
et sublime majesté. Les traditions légendaires voulurent
que Dieu eut défendu à Thomme de toucher à « l'arbre
de science ». Dieu seul est omniscient, Dieu seul sait
vraiment ; vouloir savoir est un empiétement sur sa
puissance. « Les choses cachées appartiennent à Jalivé
notre Dieu et les choses révélées sont à nous >» [DeifL
89,28). Chez d'autres peuples, les (irecs par exemple Ja
réflexion, dès qu'elle prend conscience d'elle-même, si»
porte librement sur l'objet qu'elle vent ; pour les Juifs dt»
Tépoque biblique toute rechercht» subjective» dans le
domaine de la philosophie religieuse est une forme iPat-
tentât contre Dieu.
Or, l'homme ne renonce pas ainsi à satisfaire l'ins-
tinct de curiosité scientifique qu'il porte au fond de lui-
même. C'est ici que l'esprit juif prit r>on refuge dans le
mysticisme. Le mysticisme lui servit à légitimer la
science sans porter atteinte à la foi. Sans doute il n'est
pas permis à tous de savoir, mais quelques-uns et sous
certaines conditions le peuvent. Dieu ne veut pas que la
créature lève les yeux pourlepénétrer,luietson œuvre;
mais il a des hommes, des hommes à lui, des prophètes,
puis des docteurs, puis des philosophes et des savants.
12 rONSlDÉRATIONS OKNÉRALES SUR LK MYSTICISME JUIF
H leur est permis, à eux, de soulever le pli du voile qui
couvre les choses. C'est pour eux que Dieu a déposé
au fond des paroles qu'il a révélées aux hommes uu sens
caché, ignoré de la foule, que seuls les initiés peuvent
découvrir.
Le mysticisme juif est donc, sous sa forme la plus gé-
nérale, une manifestation non avouée et inconsciente de
rinstinct d'investigation scientifique. Ce caractère pri-
mordial lui restera et toutes les formes qu'il prendra y
auront leur raison d'être.
Issu du besoin de savoir, le mysticisme juif accueil-
lera avec joie tout ce qui apaisera ce besoin. Il sera
éclectique. Il s'étendra indistinctement et confusément
sur tous les domaines de la pensée. Tout ce que la suite
des temps apportera deviendra pour lui objet de spécu-
lation, il grossira de la sorte en un amas toujours plus
désordonné de doctrines hétérogènes, où viendront se
m**lor la philosophie religieuse de la Bible, la symbo-
lique de la Haggadah et du Midrasch, le folklore baby-
loni<»n et la doctrine perse, des reflets des premiers
philosophes grecs, comme Platon, Ari8lote,Pytliagore et
d'autres, des débris d'alexandrinisme , notamment du
néo-pylhagorisme et du néo-platonisme, des concep-
tions gnostiques judéo-chrétiennes et chrétiennes, de
la scolastique arabe et de la scolastique chrétienne,
des notions venues on ne sait d'où et des superstitions
populaires du moyen-âge, de l'alchimie et de l'astrolo-
gie, de la littérature et de la poésie, des contes et des
fables, tout cela juxtaposé et non fondu, tout cela dé-
marqué à travers la suite des siècles et l'incertitude des
traditions orales. Si, prenant les œuvres, expression de
toutes ces idées,on en avait arraché les feuillets un à un
et qu'on eût brouillé le tout, on n'aurait pas pu produire
une confusion plus grande. Au xiir siècle, on pourra
CONSlDI%RATIONS GÊNKRALFS SIR LE MYSTICISME JliP 13
croire un instant qu'il va s'opérer au sein du mysticisme
juif, un groupement par écoles ; il y apparaît comme un
essai de systématiser les données antérieures. Mais ce
n*est là qu'une tentative éphémère. Le Zohar, bientôt
après, présentera l'œuvre la plus éclectique et la moins
systématique qui se renconire dans Thisloire de la phi-
losophie.
Issu du besoin de satisfaire la raison plus que le cœur,
lo myslirisme juif sera plus rationnel qu'inluilif, plus
spéculatif que contemplatif; il n'aura rien de celte sen-
mentalité maladive que nous trouvons ailleurs ; il ne
connaîtra pas, en général, les ravissements, les extases
voluptueuses, les élans d'amour exalté, les soupirs et
les larmes d'une tendresse sublime et inassouvie.
Alimenté par le contact de la pensée juive et de la
pensée non juive, le mysticisme juif variera dans son
caractère fondamental. Suivant que Tune ou l'autre
l'emportera, il se rapprochera de la doctrine orthodoxe
ou des conceptions hétérodoxes. Les vicissitudes du
nationalisme pèseront sur lui. L'élément prédominant
décidera aussi des alternatives de succès et de revers
qu'il aura auprès des Juifs. Son élaboration restera tou-
jours l'apanage de quelques-uns, mais son influence
auprès de la masse sera en raison directe de son rappro-
chement de la doctrine reçue.
Nous avons dit que pour le monothéisme biblique
toute science attente à la puissance de Dieu. Le mysti-
cisme tendra doncà se présenter sous le vêtement le plus
humble, le plus inoiïensif; il voudra en quelque sorte s'a-
briter derrière Dieu lui-même et ses paroles: il préten-
dra ne rien inventer, mais chercher simplerpent ce que
Dieu a déposé au fond de son livre. Il se présentera de
plus en plus comme une interprétation, un commentaire
des saintes Écritures. Parce qu*il est précisément tout le
14 CONSIDÉRATIONS GÉN^KALES SIR LE MYSTICISME JUIF
contraire, il visera inconsciemment à se légitimer en se
réclamant de la Bihle. Celte prétention, timide à Tori-
gine, plus hardie aux temps gaoniques, aboutit dans
ToBUvre zoharitique à faire de toute la doctrine mys-
tique une sorte de vade-niecufn de TÉcriture et même
plus parliculièremenl du Penlateuque. Cette évolution
forntelle lui est aussi imposée par le besoin de se défen-
dre contre le dogmatisme triomphant, qui se donnait
comme Tunique dépositaire de l'interprétation tradi-
tionnelle. Dans cette évolution il n'aura pas conscience
des changements opérés eu lui, il se croira bien réelle-
ment l'interprète de rÉcrilure dans ce qu'elle a de plus
profond; il comparera TÉcriture à une mer et il s'ap-
pellera lui-même « le plongeur qui va chercher les perles
que Dieu a ensevelies dans les profondeurs de Tabîme ».
Le mysticisme juif n'est pus une simple interprétation
des textes, ni une paraphrase venant au secours de ce
qui n'y est que v«iguenienl indiqué, ni un développement
ou une extension de niols bibliques librement choisis,
car tout cela supposerait une réflexion consciente qui
n'est pas inhérente à Tesprit juif d'alors. Non ; Tesprit
juif considère Tout comme donné dans le Itvre qui est la
source de sa foi. Tout est contenu dans le mot de la
révélation. Il s'agit seulement pour lui de s'en emparer
de plus en plus, (^est autour de ce contre immuable que
chaque forme de mysticisme trace son cercle plus ou
moins étroit^ selon que le but visé est plus ou moins
lointain. Quel que soit le développement ultérieur, la
Bible demeure le document où chaque siècle puise sa
subsistance; elle est Texpression lapidaire de tout; la
suite des siècles n'a qu'à traduire ce style en une langue
courante. Juns dit avec raison que l'Écriture sainte est
considérée comme un amas de documents oi!i Ton puise
^ son gré. ftamener le présent au passé, coucher l'esprit
CONSIDKHATIONS GÉNÉRALES SUR LE MYSTICISME JUIF 15
de chaque âge daas la lettre de la Bible et, comme diseat
les docteurs, « rapiécer le vêlement usé avec des étoffes
neuves, » ou « verser dans tes vieilles outres un vin nou-
veau », c*esl le trait fondamental de l'activité juive, mais
nulle part ce trait n'est plus en relief que dans le dévelop-
pement du mysticisme, parce que lo mysticisme étant
plus éloigné de TÉcrituro, Teiïorl fait pour l'y ramener
apparaît plus visible.
Le mysticisme juif sera donc contraint à ne tenir
presque aucun compte des lois do la saine logique. Il
donnera une portée abusive au procédé qu'on appelle
Tallégorie ou Tallégorisme symbolique. La méthode
allégorique est à la base même do toute la production
intellectuelle des Juifs à partir de Toxil. C'est grûce à
elle que les Juifs de Tépoque babylonienne et perse,
tiennent en quelque sorte leurs textes sacrés à jour,
j'entends qu'ils y transportent ce que les temps nouveaux
ont apporté. On a dit quelquefois que les Juifs ont pris
le procédé allégorique aux stoïciens et que c'est par la
voie de Talexandrinisme qu'il a passé chez eux. Pré-
seutée de la sorte, cette opinion nous paraît inexacte.
L'allégorie est inhérente à Tesprit biblique. Les pro-
phètes ne parlent que par allégorie. Philon en attribuant
aux thérapeutes des livres mystiques d'une haute anti-
quité fait remonter la méthode iillégorique très loin dans
le passé. « Ils interprètent, dit-il, la loi mosaïque allégo-
riquement, persuadés qu'ils sont que les mots de cette
loi ne sont que des signes et di;s symboles des vérités
secrètes ; de plus, ils possèdent des écrits d'anciens sages,
qui, en tant que fondateurs de leur secte, leur ont laissé
beaucoup de monuments de la sagesse allégorique,
monuments qui leur servent de modèles [De vita cou-
tempLy 11,475) et ibid,: « Tinterprétalion de TÉcri-
liire saif^le ^ pour but, }^ leurs yeux, de trouver le sens
16 CONSIDÉRATIONS fiéNÉRALES SUR LE MYSTICISME JUIF
caché ésolériquo par le moyen de i^cmégorie. Car la loi
cnlièrc apparaît à ces hommes comme un être organique,
qui aurait pour corps le sens littéral, et pour àme le
sens caché. Là, Tâme rationnelle commence à voir les
mots comme dans un miroir ; elle apprend à connaître le
caractère sublime des pensées. ., à pénétrer et à éciaircir
los symboles et ainsi avoir l'invisible. » — Plu» tard
Tallégorie s'imposachaque jour davantage h eux, comme
elle s'est imposée depuis à la théologie arabe, comme
elle s'impose à tous ceux qui veulent accepter les idées
nouvelles tout enrestanttraditionnalistes. Les Juifs n'ont
donc pas eu à l'emprunter à d'autres. Mais pour ce qui
est de la portée que le mysticisme juif donna à Tallé-
gorie, les Juifs nous paraissent avoir véritablement subi
rinfluence stoïcienne. Les stoïciens étendant eux-
mêmes Tapplicotion de la méthode allégorique qu'ils
trouvèrent chez les cyniques^ s'en servirent pouradapter
îi leurs idées les mythes traditionnels: ils cherchèrent
eu eiïel ol surent trouver dans les mythes l'expression
symbolique de toute leur philosophie.
Ils ne rejetèrent pas la théologie, mais ils en firent
une expression de la physique ; ils ne nièrent pas la
religion du peuple, mais ils s'arrogèrent le droit de
l'appliquer par voie allégorique aux phénomènes de la
nature et aux idées morales. Un d'eux, Heraclite, pose
cetio définition [Alleg, Hom., 5): 5 vàp oXXa ptlv ivcpeywv
Tpcxs;, £T£pa 3i cov XsYSt TT^jiaîvwv, â';:(i)vu{jL(i>çâXXriYOp{a>^aX£TTat.
C'est ainsi qu'ils virent dans le mythe d'Héphaislos, le
feu; dans celui d'Iléra, l'air; dans celui d'Hermès, le
Logos ; c'est ainsi qu'ils affirmèrent que tout ce qui parait
indigne des dieux n'est pas à prendre à la lettre, mais
doit être considéré comme indiciiim inclusae pht/sio-
loffiae.
Les Juifs ne purent, il est vrai, tirer de Tallégorie
nONSlDÉRATÎONS GÉNÉRALES SUR LE MYSTICISME HW 17
(elle que Tcnlcadaical les sloïcicns, une applicaliori
immédiate, par cette raison que ta Bible ne contenait
pas de mythes, du moins à leurs yeux. Mais ce que les
mythes sont pour la philosophie religieuse des Grecs ^
les récits bibliques le sont pour la Bible. Les Juifs Tirent
donc pour les récits bibliques ce que les stoïciens avaient
fait pour les récits mythiques : ils les interprétèrent
comme des allégories philosophiques, morales et scien-
tifiques. Ils ne nièrent pas pour cela la valeur historique
et réelle des récits, mais ils superposèrent au sens litté-
ral, expression de la réalité, un sens caché, expression
de ridée. Le sens littéral fut appliqué aux choses du
monde sensible, le sens caché aux choses du monde
supra-sensible.
L'allégorie devint pour les Juifs un véritable genre
littéraire qu'ils désignèrent sous le nom de Midrascli.
L'analyse du mot marque clairement le sens de la chose.
La racine rfr^.vc// signifie chercher, interroger. Plus l'es-
prit juif est sensible à la perte de l'esprit prophétique,
plus il s'attache désespérément aux écrits issus de lui.
Dans la confusion d'idées nouvelles qui Tassaillent, il
ne voit d'autre moyen de sortir d'embarras que de de-
mander ses idées aux textes mêmes qui lui sont chers.
Comme autrefois le patriarche [Genhe, 2o, 22; Ex. ii\,
45) les Juifs interrogent Dieu. Ce que la vision est avant
l'exil, le Midrasch dans son acception la plus large, c'est-
à-dire l'interprétation allégorique, l'est pour l'époque
ultérieure.
Le caractère primordial du mysticisme juif est donc
qu'il existe moins par le fond que par la forme. La loi
qui présidera à son développement sera qu'il tendra de
plus en plus à être aussi mystique par sa doctrine que
par sa méthode. A mesure» que des conceptions nouvelles
étendront le champ de la pensée juive, cette pensée de-
18 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE MYSTICISME JUIF
viendra plus obscure chez les esprits intuitifs. Tout en
se jetant avidement sur toutes les idées apportées par
le flot du temps, elle deviendra en quelque sorte plus
farouche à mesure qu'elle s'éloignera de son berceau.
Elle marchera, parce qu'une force invincible l'entraîne ;
elle se portera partout, elle embrassera tout, puis quand
elle aura fait le tour de tous les systèmes et de toutes
les doctrines, elle présentera dans le Sefer Yezirah et le
Bahir d'abord, ensuite dans Técole d'Isaac l'Aveugle,
enfin et surtout dans la littérature zoliarilique, quelque
chose de si obscur qu'elle semblera avoir peur d'elle-
m^me et osera à peine balbutier son expression. Cette
peur ira jusqu'à dominer l'esprit do ses adeptes et l'es-
prit de ceux qui ne le seront pas, elle traversera toute
la décadence de la Kabbale, tout Tâge de la Kabbale
pratique; elle gagnera les non-juifs au point qu'en notre
siècle môme on ne pourra prononcer le mot de Kabbala
sans exciter presque instantanément, comme un frémis-
sement instinctif de mystérieux respect.
Le mysticisme juif est le grand refuge de toutes les
iddes nouvelles qui s'imposent à l'esprit juif,mais qui no
trouvent pas à se loger ailleurs; tout ce qui n'entrait
pas dans un cadre établi, tout ce qui ne se pliait pas ù
une rubrique, venait échoir là. Le mysticisme devient
ainsi le véhicule de la spéculation libre qui se développe
à côté du dogmatisme et en opposition avec lui. Presque
invisible aux temps bibliques, il vit sourdement à l'épo-
que talmudique, apparaît au grand jour aux temps des
gaonim\ il brille d'un bel éclat du x^' au xiii<^ siècle,
mais il demeure en marge de la doctrine officielle qui va
de la Bible au Talmud, du Talmud à Saadyah, de Saan
dvah à Maïmonide, de Maïmonide à Mendelssohn.
CHAPITRE III
Le mysticisme juif jusqu'à la clôture
du Talmud.
Baur a émis l'idée que le niyslicisnie prend toiijoiir.4
une grande force après une époque de trouble profond,
il entend qu'après un grand malheur, une calaslropho,
des guerres, le besoin de croire, d'espérer, de se ratta-
cher à quelque chose, exalte les facultés intuitives, af-
fectives, sources du mysticisme. Cette opinion trouve
une confirmation puissante dans Thisloire du mysti-
cisme juif, en ce sens que ce mysticisme prend après
I*exil une extension très marquée; mais, suivant les lois
qui lui sont propres, cette extension se fait au bénéfice
de la raison plus que de la foi. Aristote dit que, lorsque
rhomme a fait face aux exigences premières de la vie,
lorsqu'il s'est procuré les commodités de la vie quoti-
dienne, alors seulement Tesprit s'élève à la philosophie.
En effet, lorsque la vie politique et Tindépcndance
juive eurent sombré, lorsque Tunité religieuse et na-
tionale eut été brisée, les besoins supérieurs et les as-
pirations idéales cédèrent tout d'abord devant rimmeu-
sité de la douleur et Tangoisse accaparante des «ouvr-
nirs. Mais quand ce qu'on peut appeler la période de
grand deuil fut passée et que Tapaisement eut un peu
pacifié Tâmo juive, il se fil en elle un grand vide. Toutes
les aspirations que Tantique vie pratique et cultuelle
occupaient jadis se trouvèrent libres et cherchèrent un
aliment. Cet aliment, la science le leur fournit. L'acli-
'iO LK MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTIRE Dr TALMLD
vite ne pouvant plus guère se porter sur la vie réelle,
se porta sur la vie théorique et spéculative. A partir de
l'exil jusqu'à la clôture du Talmud l'esprit juif prend
peu à peu conscience de lui-même; des doutes surgissent
(]ue le judaïsme officiel ne lève pas, des problèmes se
posent que la Bible et la scolastique talmudique sont
impuissantes à résoudre, les comment et les pourquoi
naissent qui ne se satisfont pas de la simplicité muette
(lu mosaïsme liltéral. Lïime juive suit insensiblem(*i)l
la voie qui la conduit de Tobjectivisme biblique au sub-
jectivisme du moyen-âge. Le passage de Tun à Taulre
se manifeste par une double expression, le Talmud et le
mysticisme.
Le Talmud exprime la lutte entre la prophétie et la loi,
le mysticisme exprime la lutte entre le sentiment et la
réllexion, entre la foi et la raison. Le Talmud naît du
heurt du judaïsme selon la lettre et du judaïsme selon
l'esprit, le mysticisme naît du heurt du judaïsme à tout
ce qui lui est étranger. Le Talmud est le produit de la
pensée juive évoluant sur elle-même, le mysticisme est
le produit de la pensée juive évoluant sous Faction de
la pensée non-juive. Le Talmud se meut dans Tintérieur
même du judaïsme moral et théocratique, le mysticisme
dépasse ce cadre et considère le judaïsme en tant qu'é-
lément de la pensée universelle. L'un est le résultat de
la réllexion dialectique appliquée aux prescriptions di-
vines et destinée a les protéger contre toute intrusion
d'éléments païens, j'entends l'ensemble de toutes les
formes d'isolement qui font couime une haie touffue et
protectrice autour du monothéisme; l'autre, au con-
traire, est le résultat de la libre activité de la pensée
juive ouverte sans parti-pris à toutes les idées.
Or, le caractère intrinsèque et essentiel du judaïsme
est éthico-religieux et plus éthique que religieux la re-
LE IIYSTIGISHK JUIK JUSQU'A LA CLOTUIŒ DU TALMUD '2 1
ligion juive n'étant tout entière qu'une expression
théocratique de cette éthique. Cette éthique se ramène
tout entière à l'idée de justice; c est là la raison dernière
et le fondement de son monothéisme, de son c( Dieu-
Providence » gouvernant Tunivers comme un roi {gou-
verne son royaume, rendant aux bons et aux méchauls
selon leurs œuvres; c*est aussi cette conception élhique
qui préside au choix des livres bibliques quand il s*ai;it
de clore le canon, des textes talmudiques quand il s'a-
git d*en fixer et d'en coordonner les documents. Il y a
toujours quelque chose d'artificiel et de faux dans les
contrastes absolus; mais si l'on veut néanmoins carac-
tériser la pensée non juive par rapport à la pensée
juive, on peut dire que si Tune a un caractère <Uhiquc,
l'autre a un caractère physique. La conception juive est
anthropocentrique, la pensée non-juive est cosmocen-
trique : l'une s'applique à l'univers en tant que se rap-
portant à la destinée de Thomme, l'autre étudie Tuni vers
en tant qu'ensemble dont Thomme n*est qu'un élément;
si la conception éthique conduit au monothéisme, au
Dieu-Providence, à la création ex nihilo, la conception
physique conduit au panthéisme, à la théorie de Téma-
nation, à l'épanouissement mythique, poétique et artis-
tique de la doctrine païenne. Dès lors, le jour uù la
conception juive se trouva en contact avec la concep-
tion non-juive, il se produisit une doctrine* étnin;^^^,
mélange de Tune et de Tautre et dont le caractère dé-
pendait de l'élément qui prédominait en elle. Aux temps
bibliques, comme nous avons vu, ce mysticisme est
difficile à saisir, parce que les points de contact de la
pensée juive avec la pensée non-juive se perd dans la
nuit de l'histoire et parce que cette pensée, entièrement
attentive à sa vocation nationale, ne se déploie pa^. Mais
après l'exil elle bondit hors d'elle avec une élasiicilé
22 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUO
d^aulant plus grande que la vie nationale ne Taccaparait
plus, el que la vie au dehors élargissait son domaine en
embrassant tous les domaines de la pensée universelle.
Nous avons dit que la grande source de Thisloire du
mysticisme îi partir de Texîl de Babylone jusqu'à Tépo-
que gaonique est la lilléralure (almudique. Chose cu-
rieuse, c'est le Talmud qui a donné l'hospitalité à ce
mysticisme qui est son antithèse; c'est lui qui est pres-
que Tunique dépositaire de tout ce qui a fermenté sous
le couvert de l'orthodoxie dogmatique. Or la littérature
talmudique s'étend sur plusieurs siècles ; aussi ne nous
promettons-nous pas un ordre parfait dans la succession
des idées. II ne faut pas non plus nous attendre à trou-
ver une exposition large et complète des idées mysti-
ques ; elles sont éparses, quelquefois à peine indiquées,
et il nous faut souventlesdeviner à travers les allusions
énigmaliques ; il nous faut les recueillir à travers les
quinze in-folio qui constituent cette littérature.
Que les talmudistes aient eu connaissance d'une doc-
trine mystique, cela ressort clairement du Talmud lui-
même, tout d'abord d'un certain nombre d'expresions qui
nepeuvenlavoir d'autre sens. Nous y trouvons assez sou-
vent la mention d'un Maaseh Bercschith (Fait de la Créa-
tion) et d'un Mameh Mercabah (Fait du Char) dans des
conditions telles qu'il ne peut s'agir que de doctrines
occultes. Voici tout d'abord les passages les plus re-
marquables. Talmud de Jérusalem, lia (Talmud do
Babylone, Chagiyak 14) : « Rabbi Jochanan ben Zaccai
était en route, monté sur un âne, et derrière lui mar-
chait Rabbi Eléazar b. Aroch. Celui-ci dit : « Maître,
(( enseigne-moi un chapitre de Maaseh Mercabah. » Le
mattre répondit: « Les sages n'ont-ils pas enseigné
« qu^il ne fallait pas exposer la Mercabah même à un
(( seul, à moins qu'il ne fut sage et un homme pénétrant
LE MYSTICISME JUIF JUSQU*A LA CLOTURE DU TALMUD 23
u par lui-même. » — « S*il en est ainsi, reprit le disciple,
permets que j'en touche quelques mots. » — « Parle, » ré-
pliqua le maître. Lorsque Rabbi Eléazar se mit à parler
Mercabah, le maître descendit de sa monture en disant :
ce II est indécent que je reste perché sur un Ane, quand
« on traite devant moi de la gloire de mon Créateur. »Cc
disant, ils s'assirent sous un arbre. Alors le feu fondit sur
eux du ciel et les enveloppa, et les anges du service
dansèrent et chantèrent devant eux. Un ange cria du
sein du feu : u La Mercabah est bien telle que tu Texpo-
ses. » Et les arbres commencèrent à entonner un chant
d^allégresse. Lorsque R. Eléazar eut lini, R. Jochanan
se leva,rembrassaet dit:« Loué soit le Dieu d'Abraham,
a d'Isaac et de Jacob qui a donné à notre père Abraham
(r un descendant aussi intelligent, capable de parler de
a la magnificence de notre Père céleste. »0n voit déjà
le caractère solennel de cette page et les restrictions
qu*elle contient. Le Talmud précise ces restrictions.
Talmud de Jérusalem M b (Talm. de Babyl. Chagigah
2, 1): « On ne doit pas traiter du Maaseh Bereschit,
même devant un groupe de deux personnes, ni de la
Mercabah devant un seul, à moins qu*il soit sage et
réfléchi par lui-même. » Et immédiatement à la suite :
u Quiconque s'occupe de pénétrer quatre choses à savoir :
Ce qui est en haut^ ce qui est en bas, ce qui est avant, ce
qui est après et il vaudrait mieux pour lui qu*il ne fût
pas né, quiconque n'épargne la gloire de son Créateur,
il vaudrait mieux pour lui qu'il ne fût pas né. » Déjà
au II* siècle avant l'ère chrétienne, un Juif hellénisant,
Ben Sirach, dit de même en s*adressant à ses contempo-
rains : « Ne cherche pas les choses qui sont trop hautes
pour toi, et ne scrute pas ce qui dépasse tes forces ; di-
rige ton esprit vers ce qui est clairement exposé, car il
n'est pas bon d'explorer l'inconnu. Ne t'occupe pas du
'6
24 LE MYSTICISME JUIF JUSQU^A LA CLOTURE DU TALMUD
superflu, car il fa déjà élé révélé plus qu*un esprit
humain ne peut embrasser » [Sirach^ 3, 24, 22). Mais
revenons au Talmud, Chagigah i2a : « Rabbi Jochanan
dit à son disciple Eléazar : « Viens que je t'enseigne le
« Masseh Mercabah »; il répond : « Plus tard, car je n'ai
(( pas Tâge voulu. » Rabbi Âssi, quelque temps après la
mort de Rabbi Jochanan, dit à ce mèmeËléazar: « Viens
« que je t'enseigne le Maaseh Mercabah, » il répond:
« Si je m'en étais cru digne, je l'aurais appris de Rabbi
c Jochanan, mon maître. »
Succa 28 a rapporte de R. Jochanan b. Zaccaï qu'il a
étudié tous les sujets grands et petits. Le Talmud ex-
plique que par les grands sujets il faut entendre le Mer-
cabah et par les petits les questions juridiques. — Dans
Sabbat 43 a et Ménachoth 45 a, on fait pour l'enseigne-
ment de la Mercabah^ les mêmes réserves que plus haut
et on interdit en outre de l'enseigner avant la 30^ année,
ou à des élèves de moins de 30 ans. Dans Psachim 50 a on
défend explicitement d'en parler devant la masse. Cha^
gigah il 6 en exclut quiconque n'a pas une conscience
scrupuleuse (cf. iSftrfrfw.scAm 71 ayMenachot29 6, Talmud
de Jérusalem Berachoth 9» 1 ; flieronym. prsefatio ad
Ezechiel).
Tout d'abord qu'est-ce donc que ce « fait de la créa-
tion » et ce « fait du char »? Évidemment le premier
fait allusion au t^ chapitre de la Genèse qui commence
par le mot Bereschit et le second fait allusion au t^'et au
10^ chapitre d'Ezechiel où il est question du char di-
vin (1); Tun a évidemment trait à des questions cosmo-
1. Étant donnée la place que tient cette page dans le développe-
ment du mysticisme jaif, 11 nous faut ici la donner tout entière.
« Or il arriva, dit Ézéchicl, dans la trentième année, le cinquième
jour du quatrième mois, comme je me trouvais parmi les exilés
près du fleuve du Kebar, les cieux s'ouvrirent à moi, et je vis des
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 25
goniques, l'autre à des questions transcendanlalcs, mé-
taphysiques. Maïmonide dit avec raison : a Le Maasch
visionsde Dieu... La parole de Jaliveh futadresséeà Ézéchiel. fils de
Rouzl, prêtre au pays des Ghaidécns près du fleuve de Kebar, et la
main deJahveh fut là sur lui. Je regardai donc, et voici qu'un tour-
billon de vent vient du nord, une épaisse nuée et un feu tournoyant,
et la splendeur était tout autour; au centre, il y avait comme un
métal sortant du feu. Kl au milieu apparaissait comme une forme
de quatre animaux. Voici leur aspect. Ils avaient une forme hu-
maine, et chacun avait quatre faces, et chacun avait quatre ailes.
Leurs pieds étaient droits, la plante en était comme la plante d'un
veau et ils étincelaient comme de l'airain brillant. De dessous leurs
ailes, apparaissaient des mains d'homme dans quatre directions,
car les faces et les ailes étaient sur quatre directions. Leurs ailes
étaient jointes l'une à l'autre. Pour marcher ils ne se tournaient
pas, mais chacun marchait droit devant lui. La forme de leur
figure était une forme humaine de face, et tous les quatre avaient
une ligure de lion sur la droite et tous les quatre avaient une
figure de bœuf sur la gauche, et tous les quatre avaient une figure
d'aigle. Leurs figures et leurs ailes étaient disjointes par en haut.
Chacun avait deux ailes jointes et deux qui couvraient leur corps. Kt
chacun marchait droit devant lui. Ils allaient où le vent (resprit?)
les portait sans se tourner en marchant. Quant à l'aspect des ani-
maux, ils avaient l'apparence de charbons ardents, de flambeaux
allumés ; le feu courait parmi eux ; ce feu avait une splendeur écla-
tante, et réclair en jaillissait. Ils allaient et venaient comme l'éclair
et je regardais, et voici qu'une roue m'apparut sur le sol auprès
des animaux, sur quatre directions. L'aspect et le travail des
roues était comme celui d'une pierre de Tarschiscli (pierre pré-
cieuse?). 11 était identique pour tous. C'était comme si une roue
était emboîtée dans une roue. Elle marchait dans les quatre di-
rections et ne se tournait pas pour marcher. Elles avaient des
jantes hautes à faire peur, et les jantes de toutes les quatre
étaient garnies d^eux tout alentour. Le mouvement des animaux
entraînait les roues et quand les animaux se soulevaient dn sol,
les roues se soulevaient avec eux. Partout où le vent (resprii) les
poussait ils allaient et les roues dans le môme sens, car le vent
qui animait l'animal animait la roue. Quand ils s'arrêtaient elles
s*arrétaient... Une figure était au-dessus des têtes dos animaux,
26 LE MYSTICISME JUIF JLSQU*A LA CLOTURE DU TALMUD
Bereschil est la science physique et le Maaseh Mercabah
la science mélaphysique ». Mais, faut-il entendre par là
nu simple commentaire cosmologique et métaphysique
sur la Genèse et sur Ezéchiely ou faut-il entendre tout
nue espèce de surface en cristal transparent étendue tout par-
dessus. C*est Jusqu^à cette étendue que les ailes se dressaient Tune
m face de Taulre... et j*entendis le bruit des ailes quand elles
«Haicnl en marche, bruit retentissant comme celui des grandes
eaux, comme la voix du tonnerre, comme le bruit d*un camp... Et
au-dessus de cette surface qu'ils portaient sur la tète, on voyait
({uelque chose comme un trône en pierrede saphir, et surcettefigure
de trône il y avait comme une figure d*homme siégeant par-dessus,
cl je regardai toujours, et je vis comme un métal de feu au centre,
depuis ce qui avait la figure de rois et au-dessus et au-dessous
du feu partout et une splendeur éclatante tout autour, comme
Taspecl de larc-en-ciel qui traverse la nuée un jour de pluie, ainsi
était l'aspect de cette splendeur : c'était Taspect de la figure de la
gloire de Jahveh. Je regardai, je tombai face contre terre et j'en-
tendis une voix qui parlait. » — Cette tbéophanie se répète à peu
près au chapitre 10 avec cette variante que ces animaux sont appelés
cherubim ou chérubins. C'est elle qui va dominer dans l'imagination
mystique. Les autres théoplianies comme celle d'Isaïe, chapitre 6,
celle du songe de Jacob, de Moïse, enfin celles de tous les passages
bibliques qui parlent du trône de Dieu et de son apparition (par
exemple Wa6ac. 3, verset, 4 etc., ZacAan>,passim) n'y joueront qu'un
rôle sf'condaire. Rien en effet dans les théophanies antérieures, ni
m^mc dans celles d'Éiie (I R. 19), ni de Micha 22, 19, ni Is. 6.,
1-3, ne ressemble à la vision d'Ézécbiel. On est à peu près d'ac-
cord aujourd'hui qu'Ézéchiel est beaucoup plus près de l'époque
persane que la tradition ne le veut faire croire. Gela ressort de
bien des points : il cite Daniel comme un type de sagesse et de
piété; le silence complet de Jérémie sur son compte; sa langue a
des formes et locutions particulières qui sont empruntées aux
autres prophètes; de plus elle a une teinte araméennc ; le Talmud
eu aie sentiment, puisqu'il afnrme(Ba6(i Bat,,ib a) quelelivre d'Ézé-
chiel fut rédigé par la (irande Synagogue. — Le chroniqueur
(I Chrun., 28, 18 et 19) dit que les chérubins de l'arche sont une
copie de la Mercabah. Puis Se>tic/i,49,lO, loue Ézécbiel d'avoir vu
la Mercabah.
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD 27
un ensemble de doctrines constituées par elles-mêmos
et rattachées à ces deux parties de TEcrilure? Un passage
de Chagigah 43 « semble favoriser la première hypothèse.
Les docteurs discutent sur la question de savoir jus-
qu'où va la Mercabah dans le chapitre AÉzéchiel et cha-
cun d'entre eux indique un verset différent. C'est nous
apprendre clairement que la spéculation mystique, sans
être absolument limitée à un commentaire rigoureux et
serré, prenait à coup sûr son point de départ dans le
texte prophétique. Nous n'ignorons pas ce qu'à travers
toute la littérature juive, le mot commentaire peut em-
brasser de choses. De plus, le mystère dont on entourait
ces questions, la circonspection qu'on apporte au mode
de propagation, les conditions imposées à la forme de
l'enseignement, à l'âge et aux facultés des disciples,
tout cela marque bien que Ton se trouve en présence
d'une doctrine sérieusement constituée et di^'jà dange-
reuse pour la foi orthodoxe. — D'après Graetz, c'est la
cosmogonie gnostique qui fait le fond du Maaseh Bore-
schit et la théorie gnostique du Fléroma fait le fond du
Maaseh Mercabah. Nous ne voyons pas comment Gradz
peut limiter cette cosmogonie et cette métaphysique au
gnosticisme. Et nous considérons la gnose non pas an
sens étroit où Tout enfermée les écrivains patriotiques,
c'est-à-dire comme un simple effort hérésiarque, mais
nous l'entendons dans son acception la plus large, ap-
plicable aussi bien à Jean-Bnptisle qu'à Simon le Mage,
partant de l'essénisme et allant à travers le christianisme
primitif, à travers les hérésies nazaréennes et ébionites
pour aboutir à la conception gnostico-parsique de Mani.
Or le Maaseh Bereschit et Mercabah ne peuvent pas
être identifiés avec la Gnose, parce qu'il y a entre Tune
etTautre des différences fondamentales.
La gnose émet hautement la prétention de pénétrer
28 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD
Tossence de Dieu ; le mysticisme juif à quelque moment
qu'on le prenne maintient le principe de Timpénétrabilité
divine. La gnose constitue sa cosmogonie par Tapothéose
des forces naturelles, le mysticisme juif par Thypostase
des qualités divines. Mais les deux doctrines de tendance
et d'essence divergentes ont, comme nous le verrons par
la suite, bien des conceptions communes, non pas em-
pruntées Tune à l'autre, mais issues d'un fond commun
de néo-platonisme et de néo-pythagorisme, c'est-à-dire
que les doctrines venues de toutes parts, de la Grèce
aussi bien que de l'Orient, produisirent un double courant
mystique : le mysticisme gnostique en face et en marge
du dogmatisme judéo-chrétien ou helléno-chrétien et le
mysticisme juif en face et en marge du dogmatisme
juif.
Si nous établissons une relation entre le passage de
Chagifjah 2, 1, que nous avons cité en premier lieu, et
les autres, nous pourrons en conclure que le Maaseh
Bereschit est précisément la science de ce qui est en bas
et de ce qui est avant, c'est-à-dire de la raison dernière
et du comment de la création, et que d'autre part le
Maaseh Mercabah est la science de ce qui est en haut et
de ce qui est après, c'est-à-dire du monde supra-sensible
et des idées eschatologiques. Chagigah (2, 5) confirme
notre manière de voir, en expliquant l'un par l'autre
les deux termes « être versé dans le Maaseh Mercabah » et
« s'occuper de la gloire du Père céleste ». — La locution
« interpréter (les textes) selon la Mercabah » s'applique
donc à l'explication mystique sous forme de commen-
taires des premiers chapitres de la Genèse et du premier
chapitre d'Ezéchiel; elle signifie qu'à côté de l'explica-
tion homilétique faite pour le peuple, à côté de l'explica-
tion juridique faite pour la grande masse des disciples,
il existait une explication mystique faite pour l'élite.
LE MYSTICTSMK JUIF JUSQU^A LA CLOTURE DU TALMUD 29
L'expression « entrer dans le Pardës )> mérite égaie-
menl d'attirer notre attention, particulièrement dans le
passage suivant [Cha^igah 14 b). « Quatre entrèrent dans
le Pardès (b. Asaï, b. Soma, Acher et R. Akiba). Ben
Asaï regarda et mourut, B(3n Soma regarda et perdit la
raison, Acher coupa dans les plantations, seul R. Akiba
entra et sortit sain et sauf. » — Un passage de Philon
nous montre que la métaphore : « entrer dans le jardin »,
« sévir dans les plantations » était depuis longtemps cou-
rante pour marquer la spéculation hétérodoxe : « On
pourrait, dit Philon, faire la question suivante : Puisque
la sainteté véritable est dans l'imitation de Faction di-
vine, pourquoi me serait-il défendu de planter de mes
mains un bois dans le sanctuaire divin? (allusion à
Deutér.^ 10, 24 : « Tu n'érigeras pas d'Astarlé d'un arbre
quelconque près de l'autel de Jahvé ton Dieu »)? Ré-
ponse : A Dieu seul il convient de planter et d'établir les
vertus de T/lme ; mais Tesprit humain doit rester passif...
et si toutefois loi^ ô faculté rationnelle, tu veux planter,
plante des plantations fécondes et non une forêt touffue,
car dans la foret il y a à la fois des arbres sauvages et
apprivoisés... et planter ensemble le mal sauvage et in-
fécond avec la vertu tendre et féconde^ ne serait pas
bien... » [Leg. alleg.j I, 52 sq.). D'un de ces quatre doc-
teurs, de Ben Soma, le Midrasch nous transmet un épi-
sode qui jette quelque lumière sur le passage talmudique
(Midrasch, Genèse Rabbahy ch. 2 : « Un jour B. Somaétait
assis, méditatif, plongé en soi et comme stupide ; à ce
moment vint à passer Rabbi Josué b. Chananya qui le
salua, le resalua sans obtenir de réponse, alors il l'inter-
pella en ces termes : « Ben Soma, d'où viens-tu, et où
« errent tes pensées? » A cela B. Soma répondit laconi-
quement : « Je méditais » R. Josué lui dit : « Je prends à
« témoins le ciel et la terre que je ne me séparerai pas do
30 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA IXOTUBE DU TALMUD
« loi avanlque tu nein*aies dit robjetdelesinédilations. »
Enfin B. Soma dit : « J'étais plongé dans Tétude du Maa-
(c seh Bereschit et de mes réflexions il résulte clairement
« pour moi qu'entre les eaux supérieures et inférieures
« dont il est parlé dans le récit de la Genèse il n'y avait
« qu'un espace de deux à trois doigls. » Nous aurons Toc-
casion de revenir sur ce point de la doctrine hétérodoxe;
pour le moment il nous suffit de déduire de ce passage
que pour la tradition de ce Midrasch il y a similitude
entre le « ravage des plantations divines » et un point
de la doctrine occulte du Maasch Bereschit. Cette assi-
milation est d'autant plus légitime que les docteurs et
Philon, en usant de cette métaphore, ont probablement
dans la pensée le mythe de Tarbre de la science et du
fruit défendu, qui font précisément partie du Maaseh
Bereschit de la Genhe. N'est-ce pas pour eux une façon
de dire : se livrer à la spéculation occulte, c'est porter
atteinte à Tomniscience et à la toute-puissance divines,
c'est « attenter à la gloire de son Créateur », c'est re-
tomber dans la faute des premiers hommes?
D'un autre côté Philon nous apporte le témoignage
irrécusable de Texistence d^une doctrine mystique chez
les Juifs de son temps. A propos de quelques passages
bibliques où il s'agit de conception et d'enfantement,
après avoir donné de ces passages une explication mé-
taphysique que nous retrouverons ailleurs, il ajoute :
« Ceci, ô vous initiés (mystes). après avoir sanctifié vos
oreilles, recevez-le dans votre Ame comme un saint mys-
tère et ne le communiquez à aucun profane ; gardez-le
plutôt en vous comme un trésor, fait non de biens péris-
sables comme Tor et l'argent, mais du bien suprême de
la connaissance de Dieu et de la vertu et de leur enfant
commun, la « science » [Des Chérub., I, 446, 447). —
Ailleurs, à propos des villes lévitiques, ou villes de re-
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUO 3t
fuge, il ilil ; « Il y a de ce passage uae explication aiilre,
mais qui n*est communiquée que dans le Saint des saints,
qui n*est faite que pour les oreilles des anciens, et inac-
cessible aux oreilles des jeunes. Il s'agit de la plus su-
f^ blime des forces divines...» (0^5 .sûcri/., 489). — A propos
des trois anges qui visitent Abraham, symbolisant, selon
lui, les forces supérieures, la puissance et la bonté asso-
ciées dans le Dieu un, il dit : <• L'Ame doit mêler et
pétrir eu elle ces idées afin de recevoir l'impression de
la puissance et de la bonté, et si elle a été initiée aux
mystères parfaits, elle ne doit communiquer à personne
ces secrets divins, mais au contraire les ramasser et les
garder bien profondément en elle. Car la révélation
mystérieuse sur Dieu et ses forces doit rester cachée, or,
ce n'est pas l'affaire de tous de garder ces trésors... Ce-
lui-là seul le peut qui peut garder beaucoup en soi...
[De$ mcrif.y I, 473 sq.).
Ainsi donc nous sommes clairement en présence
d'une doctrine mystique gravitant comme physique au-
tour de la cosmogonie des premières pages de la Ge-
nhe^ et comme métaphysique autour de la vision
d'Ëzéchiel. Cette doctrine, inaccessible à la masse, est
réservée à quelques disciples d'élite dont Tintelligence,
la maturité et la discrétion ont été mises à Tépreuve.
Nous savons d'ores et déjà par ce que nous venons de
voir qu'elle n'était pas vue d'un ceil favorable dans le
judaïsme ofGciel, particulièrement en tant qu'elle pou-
vait compromettre les fondements de la loi religieuse;
mais jusqu'à une certaine limite et selon les temps elle
était sinon encouragée, du moins tolérée. Certains pas-
sages cités plus haut marquent clairement que, dans des
circonstances données et toutes précautions prises, elle
pouvait être traitée et discutée; même que ses adeptes
compétents étaient de la part des plus savants docteurs
32 LR MYSTICISME JU(P JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD
l'objet d'une vénération craintive. Le Tàlmud la compare
parfois au miel par allusion au passage des Proverbes :
« Si lu as trouvé du miel, manges-en jusqu'à satiété,
mais non jusqu'à être obligé de le rejeter » (Talmud de
Jérusalem 77e; cf. Traité Chagigah 43 a et 14 b). Philon,
lui aussi, délimite le myticisme légitime qu'il sépare net-
tement de la spéculation inconciliable avec les fonde-
ments de la loi. Le mysticisme orthodoxe pénètre avec
une sainte pudeur dans les profondeurs de la spécula-
tion touchant les mystères divins ; le mysticisme hété-
rodoxe se vante d'anéantir Dieu : « L'un, dit Philon, at-
tribue tout à lui-même, l'autre se soumet à Dieu ; l'un
est personnifié par Gain (il faut peut-être penser ici à la
secte gnostique des Caïnites), l'autre par Âbcl {Des sa-
crif., 1, 163. Cf. 1, 176 et De posterit., V, 174).
Il ne faut pas oublier que le Talmud n'est qu'un amas
de notes, en quelque sorte l'expression sténographiquo
do la vie intellectuelle juive à travers les nombreux
siècles. Si on tient compte en outre de la censure exer-
cée par le dogmatisme contre toute doctrine mystique,
on se convaincra que les données concernant le mysti-
cisme en général, quoique très laconiques, impliquent
cependant tout un épanouissement de spéculation mys-
tique. Il est impossible qu'on n'ait pas soulevé, dans les
écoles à côté de la scolastique talmudique, d'autres pro-
blèmes, le comment et le pourquoi des choses. La doc-
trine mystique était-elle seulement orale ou se trouvait-
elle consignée par écrit dans des traités spéciaux ?II y a
bien des raisons pour écarter l'hypothèse d*une doctrine
écrite. Les termes « interpréter, transmettre, enseigner,
livrer » employés pour l'enseignement mystique sem-
blent marquer une transmission orale. — Les docteurs
parlent souvent do Maaseh Beraschit et Maaseh Merca-
bah sans savoir au juste ce que signifie cette dénomina-
LE MYSTICISME JUIF JCSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD ^^^
lion {Chagigdh 14 A), ce qui ne s'explique que par l'ab-
sence de documents.
Le mystère même dont on entourait ces spécula-
tions, la manière dont les disciples s'y prennent pour
apprendre quelque chose de laMercabah,la loi générale
qui préside au mode de transmission des idées juives,
tout cela fait incliner dans le même sens. Enfin une
Baraïta citée par le Talmud à la suite de la Mischnah de
Chagigah 2, 1 dit que Ton peut transmettre les « têtes
de chapitres ».Maïmonide entend par là de courts apho-
rismes résumant les idées générales. Nous repoussons
cette interprétation, parce que ces espèces d'arguments
en tête des matières ne sont pas dans les habitudes jui-
ves ; rien non plus ne permet de traduire ainsi les mots
c( têtes de chapitres ». Mais nous trouvons là une con-
firmation en faveur de notre opinion sur la transmission
purement orale des doctrines mystiques. Précisément
parcequece mysticisme n'avaitaucuneexpression écrite,
on sentait le besoin de fixer l'ordre des questions et de
faire pour lui ce que les docteurs firent pour le Talmud
en général avant sa rédaction, j'entends parler des acro-
stiches mnémotechniques appelés simanim qui ramas-
sent en un mot la suite des arguments. EnPin voici une
dernière citation qui nous paraît décisive. Vajikra Rabba
3i ei Midrasch r^Az/im 104, 3. R.Simon dità R.Samuel;
J'ai entendu dire que tu étais très versé en Haggadah
(pour certains docteurs tout ce qui n'est pas Ualachah
estHaggadah);explique-moi de quelle manière la lumière
fut créée. Il répondit à voix basse et confidentiellement :
Dieu s'enveloppa d'un vêtement lumineux qui inonda
tout l'univers. — Pourquoi es tu si mystérieux, reprit
Rabbi Simon, n'est-il pas écrit clairement Ps. 104, 2 :
« Il s'enveloppa de lumière comme d'un vêtement » ?
L'autre répliqua : « Du ton bas et confidentiel que j'ai
34 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD
reçu celle doctrine je te la Iransmels » (cf. Schemoth
Rabbah, chap. iS).
Nous fondant sur toutes ces données générales, nous
émettrons l'hypothèse suivante. Dans le fond de l'ombre
épaisse que le Talmud jette sur le mysticisme, nous
voyons les maîtres de la doctrine, ceux qui, aidés par
les idées hétérogènes et par leur réflexion propre éla-
borent et développent les éléments reçus des mains de
leurs devanciers. Ces maîtres arrivés au sommet de la
spéculation mystique choisissent avec circonspection
des disciples d*élite auxquels ils transmettent en quelque
sorte la matière première et le plan général des doctrines ;
ils laissent à l'initiative de ces disciples de parcourir
par eux-mêmes le chemin qu'ils ont suivi pour leur
propre compte, ou même de pousser plus avant, c'est-à-
dire de devenir maîtres à leur tour. Ceux qui n'arrivent
pas à cette maîtrise se contentent de tirer des éléments
reçus des applications haggadiques, homilétiqiies, des-
tinées à l'enseignement du peuple. Celte division des
adeptes de la spéculation mystique en trois groupes
explique le passage de Chagigah 446 où Rabbi Johanan
ben Zaccaï, à qui l'on a rapporté des prodiges intellec-
tuels accomplis par ses disciples, dit : « J*ai vu en songe
que nous étions tous sur le sommet du mont Sinaï,
quand du ciel une voix nous cria : Montez, montez, de
splendides banquets vous attendent, vous, vos disciples
et tous ceux qui entendront leurs doctrines, voua ^ies
destinés à entrer dans la troisième catégojne^cesi'k'divv^
si nous entendons ce langage voilé, que vous êtes dignes
de passer du Sinaï ou de Tinterprétation pure et simple
de la loi aux recherches métaphysiques et mystiques,
c'est-à-dire vous n'êtes plus des disciples mais des maî-
tres. » Avec cette hypothèse un des textes cités plus
haut s'éclaire d'une lumière nouvelle. La difficulté en
LE MYSTIClbME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALML'D 35
avail frappé les plus anciens commcntaleurs. Comment,
en effet après que le maître a refusé de traiter de la
Mercabah devant son disciple, ce dernier demande-t-il
à en traiter de sa propre autorité? bien plus, comment
se fait-il que le maître écoute le disciple avec ravisse-
ment, aux applaudissements de la nature terrestre et
céleste? C*est, croyons-nous, qu'au début le maitre re-
fuse de traiter ces problèmes devant un disciple dont il
Q*a pas suffisamment expérimenté le caractère et les fa-
cultés ; puis, quand le disciple se livre tout à coup sur le
fond des éléments reçus à des développements subtils
et profonds, l'entretien qui a commencé par la forme in-
férieure de la spéculation mystique, monte jusqu'à la
forme supérieure à laquelle les anges mêmes applaudis-
sent en disant : Oui, voici bien de la Mercabah véritable.
Ainsi s'explique aussi que Rabbi Johanan, dans un autre
passage cité par nous, offre spontanément à ce même
disciple les enseignements de la Mercabah et, chose
étrange» cette fois c'est le disciple qui refuse^ ce qui
nous marque par surcroit que les rédacteurs du Talmud
ne possédaient que des données vagues et contradictoires
sur les hommes et les choses du mysticisme. Ces don-
nées, la tradition les associait de préférence à certains
docteurs que Tétrangeté de leurs opinions désignait
pour être les représentants du mysticisme. Tels sont
Rabbi Johanan ben Zaccaï, A. Akkiba, le docteur sur-
nommé Acher et d'autres. La vie de ces docteurs enve-
loppée d'un tissu de miracles, d'aventures mystérieuses,
engageait les époques ultérieures même jusqu'à la clô-
ture du Zohar à les choisir comme les types, les cham-
pions des doctrines mystiques (cf. Sabbat 33 A, 34 tf;
Baba Mezia 84 A; Ketubot 72 b\ Jebamot 49 b\ San-
hédrin 98 a\ Talmud de Jérusalem, Schebiit 9 a\ Mi-
drasch Rabbah, Gen, sur la section Vajiscà/ach).
36 LE MYSTICISME JUIF JUSQU*A LA CLOTURE DU TALMUD
Avant de passer à Texposé môme des éléments mys-
tiques que nous avons pu recueillir dans la littérature
talmudique, disons encore un mot de la manière géné-
rale dont le mysticisme s'est glissé dans le Talmud. Il
s'y insinue naturellement avec la Haggadah. Il se couvre
de l'obscurité haggadique et profite de ce que Tatten-
tion orthodoxe montait surtout la garde autour du code
halachique. Parfois quand les docteurs veulent se dé-
tendre de la scolastique de la Halachah et donner un
peu carrière à leur fantaisie et à Timagination des dis-
ciples, des questions indiscrètes se font jour, et quand
elles sont bien posées il est plus dangereux de ne pas y
répondre que d'y répondre. Alors maîtres et disciples
se laissent aller à soulever un coin du voile qui couvre
le monde invisible. Le mode d'expression mélaphorique
de la Haggadah encourage toutes les audaces, la porte
est tout à coup ouverte aux spéculations métaphysiques
les plus inattendues, les plus contraires à la doctrine
pure du judaïsme. Puis, la pensée juive, subitement
effrayée de sa propre audace, tourne court et revient par
un verset de l'Écriture inconsciemment exploité à la
saine et inoffensive jurisprudence scolastique.
Mais le mysticisme force même la triple haie de la
Halachah. Remarquons que la Halachah en général fait
précisément ce que fera plus tard la Kabbala. Pour se
légitimer, elle se rattache comme elle peut aux mots,
aux lettres, aux points de l'Écriture sainte et quand tous
les artifices de cette dialectique n'aboutissent pas, elle
tranche la question du mot souverain de Kabbala^ c'est-
à-dire tradition reçue^ remontant à Moïse et recueillie
par lui de la bouche même de Dieu. Le mysticisme avant
même toute consécration mystique du mot Kabbala pro-
fite de l'occasion pour entrer avec le reste. Avec le
traité relatif à l'agriculture entrent les notions «réolo-
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 37
giques, astronomiques, physiques; avec les lois relatives
aux fêtes s'introduisent d'autres notions astronomiques
et astrologiques; les lois relatives à la pureté donnent
accès à des notions de médecine et de médecine occulte,
de thaumaturgie^ d'exorcisme, d'angélologie et de dé-
monologie; les lois relatives aux sacrifîces et à la jui>:u-
lation des bètes font passer des notions Â^anatomie.
Les lois qui s'appliquaient aux rapports généraux do
l'homme à Dieu, comme par exemple les lois relatives
à la prière, ouvrent la porte aux rapprochements mys-
tiques de la créature et du Créateur. Enfin la métapliy-
sique pure accompagne la discussion des textes lilur-
giques, en particulier les invocations adressées à Dieu
et les épithètes accolées à son nom. Nous allons essayer
d'entrer dans les détails.
Mais auparavant il est bon de présenter en quelques
n)ots la doctrine religieuse des Juifs telle qu'elle avait
triomphé dans le dogmatisme offîciel de l'époque talmu-
dique.
L(B progrès des idées et la catastrophe de Texil ont dé-
finitivement brisé la délimitation nationale de Tidée de
Dieu. Dieu est congu comme une sorte de monarque
absolu^ gouvernant l'univers comme un roi gouverne
son royaume. La pensée juive se satisfaisant de cette
comparaison ne cherche pas à scruter la nature de oc
Dieu, ni à pénétrer le comment de son gouvernement.
Les docteurs^ dans leur généralité, sont scrupuleuse-
ment respectueux des propres paroles de Dieu. Ex. 33,
20, 23, déclarant qu'il ne peut être vu et ne révélant à
Moise que ses « voies »; Ex. 33, 13, 14 et:H, G. Quand
une fois ils ont dit Dieu est Uu, ils s'arrêtent et ne se
permettent plus que de parler de ses attributs. Hicn de
métaphysique ne s'attache à ces attributs. Dieu n*y est
considéré que dans son rapport avec Tunivors et surtout
38 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a L\ CLOTURE DU TALMUD
avec rhomme. Ils ne sont que la projection au ciel des
qualités humaines. Dieu est juste, bon, miséricordieux.
Ex. 20, 4 ; 34, 6 ; Dent. 32, 40; Il Samuel 22, 31 ; Lsaïe,
48, 12; Ps, 141$, 17, etc., etc.. Les Anciens qui figurent
dans Ex. 24, \0 disent avoir vu Dieu et entendent par
là le tapis de saphir qui est sous ses pieds; Isaïe (6, 5)
entend par la vision de Dieu la vision de la splendeur
de son trône; Ezéchiel (ch. 1 et 10) n'ose parler que de
l'image, la ressemblance de Dieu. Daniel (7, 5) dit avoir
vu l'Ancien des jours et entend par là le vêtement de
Dieu. Le Talmud appelle le silence sur toute recherche
relative à la nature de Dieu et recommande à la place
de la spéculation mélaphysique des hymnes et des
prières [Megillah 18, Chagigah 13, Chulin 59).
Il y a entre Dieu et Tunivers un abîme que rien ne peut
combler. Pour cela la théologie juive ne peut parler ni
de théogonie ni de cosmogonie. Dieu a créé Tunivers
comme l'artisan crée une œuvre. Bien mieux il lui a
suffi de dire : Que cet univers soit [Gen. 1; Ps, 33, 9;
148, 5; h, 42, 5, etc.). Quand la Bible dit que le souffle
de Dieu est le principe de tout (ft-, 104, 24; Ps. 139;
Jérém. 23, 24), elle n'entend pas que Dieu vil dans l'uni-
vers, mais ce n'est là qu^une métaphore pour indiquer
qu'il tient en ses mains la vie de cet univers et qu'il le
peut faire entrer dans le néant comme il l'a appelé à
l'être. L'univers naît conime par un coup de baguette
magique. Le motôarrt (créer) de Gen. 1, 1 désigne dans
l'esprit biblique un miracle qui ne tombe pas sous la loi
de la raison {Nomb. i^,30; Jérém. 31,22; fsaîe^ ô7^ 19;
Ps. i>^, 12). Dieu est donc le maître absolu de cet uni-
vers qu'il n'a créé que pour faire éclater sa magnificence
{Isaïe y GO, 1 ; Ps.^passim, presque à chaque page). Les lois
de la nature sont à sa merci, il les interrompt à son gré.
Nous sommes à Tantipode de la couccption physique
LK MYMICISMK Jl IK Jl Sol 'a LA «.LOTriîK !>« TAIMI P '.^\)
des choses; loul est considrré sous lui as[>ecl éllii«nh'.
Pour se niollro(M) rapjiorlavec les hommes Dieu .nirs
nnges; mais ces anges n'out aucune allrihulion spériah; :
ils sont des envoyés, des porteurs de nouvelles chari;es
occasionnellement de rcpréseuler Dieu. Gfn, l<>, !, uu
émissaire céleste est envoyi» à Af^ar et au versel IS (ui
nous dit i| ne c'est Dieu lui- mémo (cf. /V». n>, 17;î^l, I 7;-l,
7 et 48 ; Hx, 3, 2, i, eli\). D.ius la conceplinu pure du ju-
liaisnae l'ange n'esl pas uu élrc ;\ paît résidant auprès de
Dieu ; il ne commande à aucune force, aui un r5le ne lui
est a.ssii;né au ciel, il no liiiure m<'*me pas dans le récit
de lacréation; l'ang^e n'est aulnM|ue Dieu lui-mémo, en-
trant dans une espèce de douhie [M>ur se meltie en com-
munication avec l'homme.
L'homme esl l'œuvre d'un Dieu parfait; il (\sl h» roi
de la création {(irn, I, 26). Il sedislinjfue du reste, m en
qu'il a en lui un soufdede Dieu, tandis (|u<; les animaux
n'ont qu'une vie purement physi(|ue {(rpfi, I, 20, 2i; 1!,
19). On ne peut supposer que le judaïsme (jui a été. à ses
origines, à Técole de TKgypte, ait ignoré la dislinctiiui
de VXiuQ et du corps; mais il se refuse toute rechcrclie
métaphysique sur cet ohjet. Le dogmatisme talmudique
dégage insensiblement et spiritualise ce (|ue la Hihie
appelle le souffle de Dieu dans riiomme, mais il se con-
tente d'assimiler celle àme à untî matière lumineuse,
subtile, sans oser pénétrer plus avant dans son essence.
Il ne se permet pas non plus de traiter la question de
l'immortalité de l'dme. L'indécision qui! apporte dans
lexamen de ces problèmes marque qu'il \n} les considère
pas comme faits pour lui, et (ju*il (;st plus (idèle à sa
sa nature et à son génie quand laissant de c6té toute
spéculation supra-sensible ou ultra-terrestre, il se borne
ù étudier et à régler la vie terrestre.
L'homme «îst libre : il peut faire le bien ni le fTwil, le
4(> LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD
judaïsme nie Texistence du mal dans Tœuvre créée par
Dieu. Dans le récit delà Genèse Dieu, considérant chaque
soir l'œuvre accomplie, trouve qu'elle est bonne, et le
sixième soir, jetant un coup d'œil sur Tensemble, il trouve
qu^il est très bon. Le mal n'entre dans le monde qu'avec
la réflexion, c'est-à-dire avec l'homme prenant conscience
de sa liberté et luttant contre la loi imposée par Dieu à
son action et à ses passions. Le devoir de l'homme est
d'imiter Dieu mais non de se rapprocher de lui. L'homme
ne peut quoi qu'il fasse sortir de sa condition humaine
pour revêtir une forme d'être supra-humaine. Rien ne
peut diminuer la distance qui sépare le Créateur de la
créature. La doctrine pure du judaïsme évite Tombre
même d'une confusion entre Dieu et l'homme.
Dieu est la providence de l'univers. Il connaît les voies
de chaque homme et ses actions sont inscrites dans son
livre (Ps. 87, 6; 139, 46). Toute la destinée humaine
est réglée par lui (I Sam. 2, 6). Il est rémunérateur des
bons et des méchants (tous les psaumes, je dirai pres-
que toute la Bible et le Talmud)^ car c'est l'idée fondamen-
tale de toute l'éthique juive.
Les idées eschatologiques ont une double forme : une
forme terrestre et une forme ullra- terrestre. D'une part,
le corps rejoint les mânes des ancêtres jusqu'au jour où
Dieu rappellera cette poussière à la vie : ce sera le grand
jour du jugement qui précédera l'ère messianique, l'ère
de bonheur terrestre sous un roi souverainement sage et
bon. L'humanité réconciliée en une seule famille unie
dans la vertu, la paix et Tamour, éclairée du flambeau
de la connaissance divine, c'est là l'idéal du messianisme
biblique, idéal, mêlé d'ailleurs d'espérances plus ou
moins étroites, suivant les prophètes ou les docteurs. Les
temps messianiques ne sont pas la suite d'une évolution
plivsi<|ni\ mais le résultat de la vertu. L'homme est Vu-
LB MYSTIQISIII JUIF JUSOU*A LA GLOTURB DU TALMUD 41
nique insinirnenl é% ce bonheur rêvé. C'est un bonheur
purement terrestre fondé sur révolution morale {h. 2,
3-4; Mieh. 4, i«3; Habac. 8, 14; Sephon. 3, iQ\ Zachar.
Il, 10; Pa. 99, 28, 29; /oe/, 4, 19; 7jaie,30, 23, 25; 41,
18, 19; E$éch, Af, l\ Jérém. 31, 12; 33, 12, etc., traité
Sanhédrin, pa$$im, notamment tout le dernier ohapilre).
— D'autre part le souffle ou âme retourne à Dieu el y
reçoit la récompense de ses mérites ou subit le châti-
ment de ses fautes. — A partir de Texil el sous rinfluence
des idées ambiantes, c'est surtout sous ce second aspect
que Ton envisage l'avenir ; c'est surtout Timmorlalilé de
r&me qui passe au premier plan, au préjudice de la résur-
rection des corps.
Voilà grossièrement esquissée la doctrine religieuse
des Juifs telle qu'elle se présente à nous dans le dogma-
tisme officiel du oanon biblique et talmudique. Tout
souci de la recherche scientifique et philosophique est
exclu. La Bible et le Talmud disent &rt et jamais dtôxi;
ils sont réimpression d'une théologie et non d'une philo-
sophie ; ils demandent Télan spontané du cœur et non
les déductions de la raison. Aux yeux des docteurs,
poser une question au sujet du fondement mémo de la
doctrine, c'est d'oras et déj& être impie; demander c'est
nier. La judaïstne dit avec haïe^ tf8. 8, 9 : « Les pensées
de Dieu ne sont pas mes pensées », et il s'arrôte avec le
Psalmiste (03, Ifi, a2)d6vant les limites de son savoir, ut
il dit avec Prou. 1^ 7 : le commencement de toute science
est la crainte de Dieu.
Le principe de la théosophie est que l'esprit humain
peut pénétrer l'essence même de Dieu et l'économie in-
terne de l'univers. Ce principe, le mysticisme l'apporta
et le cultiva au sein du judusme. Tout d'abord il altère
la conception de Dieu. Il tend à combler l'abime qui
sépare le Créateur de la créature. La pensée juive prend
42 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD
conscience des notions d'immanence et de transcen-
dance et elle donne à ces notions une expression
singulière. S'appuyant sur Dent. 33, 26 et Ps. DO, 1 (où
sa Gloire chevauche sur les nuées du ciel, et où d'autre
part il est appelé le « lieu » d'Israël), le Talmud appelle
Dieu «Makom» mpa (lieu, espace) (cf. Abboth, 2, 9; Gen.
Rab. 68, iO). Partant de cette dénomination le Midrasch
ajoute : 11 est écrit : « La demeure du Dieu éternel. »
Jusqu'ici on ne nous dit pas si Dieu est la demeure de son
univers ou si Tunivers est sa demeure, mais d'autre part
il est écrit : « Tu es notre demeure » (Ps. 00, 1) ; donc
Dieu est la demeure de l'univers, mais l'univers n'est pas
sa demeure {\).
Et sous une autre forme « Dieu est le lieu du monde,
mais le monde n'est pas son lieu (2). Le Talmud exprime
parfoiscclte idée souscette forme métaphorique : « Prends
garde de no pas heurter, fouler des pieds la Schechinah
(Gloire) ^:^''0^^ ^S:i pnn iSî<i (Tr. Kiddaschin 31 a), El Geiu
Rab, y ibid. ajoute l'explication suivante : « 11 (Dieu) est
comme un homme à cheval dont le vêtement flotte de côté
et d'autre; le cheval est attaché au cavalier, et non le ca-
valier au cheval (3), » c'est-à-dire si nous entendons bien
les choses le cheval est subordonné au cavalier et non le
cavalier au cheval, le cheval fait partie du concept cava-
lier, mais non le cavalier du concept cheval, ou : en reve-
nant à l'univers, Dieu n'est pas immanent mais transcen-
dant, ou : Dieu est l'espace universel dans lequel est
contenu l'uïiivers, mais Tunivcrs ne contient [»as Dieu.
1. hw irv^D n'n'pn dn ^^yiv i:s ^^î< aip mSn nzTO s^hd
Stt7 1:17*2 n'2'pn ^in^ nnî< yyro i^^dt hd ijvio irsS-.y dxi laSiy
"y^rfû laSiy ^^Ki uhrj
2. loip^ nhrjri yi^<^ nhrj h'OJ laipa n'i'pn
'. '"!:"2 ?^^■"• "i^\x* -;S*N» r^VE-::^ '"'^ri didh hv iwiiir iiaji
LE MYSTICISME JUIK JUSOl A LA CLOTUHK DU ÏALMl'D 4*?
Chasdai Crescas, le philosoplie juif le plus o^i^in•ll
avant Spinoza et celui-là même qui est dans la ligne
directe conduisant à Spinoza, explique ainsi ces passag^es
talmudiques : « Les anciens ont pour colle raison ap[»li-
qué le mot lieu ou espace à l'essence (à la formi') «lune
chose, parce que cette essence informe, détermine et
limite l'objet et puisque Dieu est TesscMice de tout ce
qui est, car il produit, détermine et limite tout, les anciens
docteurs lui ont appliqué le nom de Makom (lieu,
espace)... et celte dénomination est particulièrement
belle, car de même que les dimensions du vide entrent
dans les dimensions du corporel et de sa plénitude, ainsi
Dieu entre dans toutes les parties de Tunivers, est le
lieu qui les porte et l'espace qui les soutient (1) » (O/*.
Adonaty tr. 1).
Quoi qu'il en soit^ il y a dans ces lignes une prc^occupa-
tion métaphysique concernant la nature de Dieu et son
rapport avec l'univers, préoccupation (|ui s'oppose direc-
tement à laconception orthodoxe. Dieu n'est plus infini-
ment séparé de l'univers. Même Tr. Herach, M) compare
l'union de Dieu avec le monde à l'union de l'âme avec
le corpSy sans cependant vouloir mar(|uer par là comme
les stoïciens que Dieu n'est que Tàme de l'univers.
Ailleurs nous trouvons la première ébauche — très ma-
térialisée— de ce que la Kabbale appellera la concentra-
tion de Dieu sur lui-même. Le Midrasch Rahbah (len.^
section V, se demande comment le Dieu infini peut loger
dans un temple étroit construit par l'homme. Un païen
demanda à K. Meir : Conunentci» même Dieu dont il est
1. Remarquons en passant le point suivant d'une importance
capitale pour l'histoire du « spinosisme»: ce qui détermine Chas-
dai à cette interprélation, c'est la nécos«ilé de Imuxer tn J)ieu \v
principe de tout ce qui est corporel.
44 LR MYSTICISItË iVW JUSQU'A LA CLOttJRK f)U TAttUD
dit, Jérémie, !I3, â4 ! « Un homme peuMI M déi*obcr à moi,
dit Jàhvé, n*ést-eé pas (|tie Je remplie lé ciel el là terre,
parole de Jahvé » ][}ëul-ll parlât à Uù\M du hatil de
l'espace étroit qUi se trouvé entré le» ËhérUbi&s de l'arche
{ExodCy passim) ? Lé docteur répondit : « Régarde*toi
dans ce miroir » ; il le fit, et il se Vit éri grandeur natu-
relle. « Maintenant régarde-loi dan» cet autre miroir plus
pclit. » Il le fit, et se vit dé grandeur réduite. « Si donc toi,
faible mortel, continua le docteur, tu peuï voir ta forme
se changer à plaisir, comment û'en sêrail-il pas à plus
forte raison ainsi, (|ù Créateur! fo Midraëch h,, section
ihid, 34, eslenôoré pluç éj^plicitè \ « Lorsque Dieu dit à
Moïse : Construis-moi Udô demeuré, MoHé ft'étonua inté-
rieuremeul et pensa: Comment? la gloire divine ne
remplit-elle pas tous les mondes^ comment peuMi désirer
que je lui construise une demeuré: Et 11 lui fut répondu :
Moïse tu m'as mal compris. Je ne demande qu'une
demeure de vingt coûdéé9 de loUg et huit de large ; bien
plus, je descendrai et concentrerai ma gloire sur une
seule coudée carrée (I). »
Seul aussi, le mysticisme peut expliquer ^ue certaines
pages talmudiques s'aventurèrent k Interpréter tes mé-
taphores des écrits prophétiques comme l'expression
poétique d'idées philosophique^ ôt qUé Certaine^ autres
s'occupent de pénétrer lés pénêhants, lés travaux, les
souffrances ieHieM {A bodah Zarahi, Berâch. 59, SanhM.
95; ChfKj. 5,15).
Le premier de ces passages rëgle ainsi Remploi du
tomps de Dieu. Sur les 12 heures du jour il en emploie
3 à étudier la Thorah, les 3 suivantes à juger l'univers,
les suivantes à pourvoir à la nourriture de Tunivers,
les dernières à enseigner la Thorah auxjenfants en bas
1. n!DK Sy HGK "pra n:i3«^ dmW i1k# vhn liSf nSt
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD 45
Age. Et la nuit? La nuil, il parcoiirl sur son Konib Ips
innombrables mondes qu'il a créés; le seconri présento
Dieu versant des larmes dont le bruit fait retentir les
mondes, chaque fois que la misère de son peuple exilé
parmi les nations lui vient à Tesprit. Bornons-nous à
ces deux, exemples. Us suffisent. A peine si ce grossier
anthropomorphisme atténue parfois ce qu'il a de cho-
quant en lui par l'expression « s'il se peut » (Sa7i/t. 96,
Rosch Hasch, 17, Chagig 13).
Dans la conception pure du judaïsme les <( voies » Ai\
Dieu sont les qualités avec lesquelles il apparaît en tant
que gouvernant l'univers et particulièrement en tant
que gouvernant l'homme.
Pour le mysticisme, ces « voies » deviennent des at-
tributs. Les ann de Y Ex, 34 , 6, 7 deviennent les mi^.
Le mysticisme fait une sélection parmi ces attributs;
il les groupe eu attributs de justice (1) et attributs de
grâce (2). Nous lisons, Genèse Rabbah y chsip, 12 : «< Dieu
dit : « Si je crée l'univers avec l'attribut de la grAce, les
« péchés seront trop nombreux; si je le crée avec l'attri-
« but de la justice, comment pourra-t-il subsister? Je le
« créerai donc à la fois avec l'attribut de la justice et Tat-
« tribut de la grâce (3). » La Kabbale ultérieure donnera
une place importante h cette idée de mélange harmonieux
fait de justice et de grâce et considérée comme fonrle-
ment ou « balance » de Tunivers.
Bien plus, — elc*est là une transformation à laquelle
nous ne saurions trop rendre attentif — le mysticisme
1. yi7\ m^.
2. D^amn ma.
3. n^N^n *'in a^an-in n-!*22 pSi^n nx "«jn Nin dn n'3'pn nos
4- ' LK MYSTICISME JUIK jrsOlVv LA r.LOTUHE DU TALMUD
lend à considérer ces altribuls iiidépeiiflammenl de
l>ieu, c ommo des essences en soi.
Lesdocleurs discnlenl (»S/?/i//. 38 a el C/tor/. 14 a)s,[n l<»
sens qu'il faut allribiier an pluriel du mol trdne qui
figure dans ce verset de Daniel: h Kl je vis comme on
plaçait des trônes et l'Ancien des jours se mita siéger... »
11. José exprime l'avis que ce pluriel s'applique aux
deux trônes dont l'un est alleclé a la justice, et l'autre à
la miséricorde de Dieu. HerachotJi 16 h présente Tatlri-
buldc la bonté et de la clémence comme comparaissant
devant Dieu (t). — Nous avons vu plus haut que Dieu
se sert de ses attributs comme d'instruments pour créer
l'univers. Cliagiga 12 confirme cette conception par ces
mots : « C'est au moyen de dix choses que l'univers fui
créé : la sagesse, l'intelligence, la science, la force, Ta-
vertissemenl ou limite, la vigueur, la justice, le droit, la
grAce et la miséricorde » (2), enfin et avec cette variante
dans leSi4AAoM de R. Nathan: «Au moyen de sept choses
Dieu créa son univers : ce sont la science, l'intelligence,
la vpgu(»ur, l'avertissement ou la limite, la justice, la
grâce et la miséricorde ».
Heujarquons d'abord qucî ces « choses » ne sont plus
les mêmes que V Exode appelle voies de Dieu. Pour les
obtenir on a choisi dans {'Kcriture des nom^ pouvant
bien désigner des attributs de Dieu, mais pouvant aussi
être pris [)our eux-mêmes. Ilemarquons ensuite que le
texte de C/iaf/if/a/i éiiniuon* dix choses, celui des Abholli
de R. Xalhan n'eu connait que sept. Les deux nombres
dix et .sY*/y/ jouissent également depuis les temps immé-
moriaux d'un é^ial prestige aux yeux des Juifs. Le nom-
bre sf'pi est à la base du calendrier juif et son caractère
t. ■j\-^*:m:y) "]rt: me yiïS Nzn
n^?2n"ai icni 'tSEttJQz pivi -1:2:1
*A rà .1 /i'ri-i>T.^ r^i- n-kT^tifx /. '
LE MYSTICIî^MK JUIK JUSgU A LA CLOTl HE DU TALMLM) î/
saciélui vienlile l'époque cliaMceane primitive iKs sept
jilanètes ob«;ervées par les Clialdéens et dont le culte
tenait une place capitale flans leur vie reli^Meuse. De là,
chez les Juifs, l<»s sept jours île, la seniain<\ l(»s sepl
années qui séparent une année de relAclie de Taulre, les
sept semaines d'années qui séparent un jubilé de Tau-
Ire, elc. ; de là, le rôle non-seulement du nombre 7, mais
du nombre 70, multiple de iO et de 7 ; d'autre part le
nombre 10 esl celui des 10 paroles du Uécalogueet c'est
assez pour justifier sa présence dans le mysticisme.
iNous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir sur ces points
à propos du développement extraordinaire que ce mys-
ticisme des nombres prendra dans la littérature zohari-
lique. Dans la question qui nous occupe il semble que
l'on ait voulu à toute force, et contre toute logique,
atteindre le nombre iO ou 7. En effet, dans le texte do
Chagigah les mots « sagesse, intelligence, science sont
à peu près synonymes, ou tout au moins dans la langue
biblique, le premier contient les deux autres; il en est
de même pour les mots '* force et vigueur », pour u jus-
lice et droit», pour « grftce et miséricorde », de sorte que
les<iix choses se réduisent en réalité à cinq.
Maintenant quel est le sens véritable de ces textes? le
Talmud entend-il que ce sont ces attributs divins qui
ont présidé à Tœuvre créalric<\ c'est-à-dire que Dieu,
pour créer Tunivers, a manifesté, a mis en œuvre cer-
taines <|ualités à lui propres, ou que Dieu s'est servi de
certaines essences indépendantes de lui-même et exis-
tant en soi. Un passage tiré des Ahholh de R. Nathan,
ihid. 37, nous fournira la réponse à cette question et
nous fera apparaître la perturbation (ju'avaieut subie dès
ce moment les idées bil)li(]ues. Il y a sept Midoth ou attri-
buts (\\nfont le service devant le trône glorieux de Dieu.
Ce sont : la Sagesse, la Justice, le Droit, la Grâce, la
48 LE MTSTIGTSMB JUIP JUSOU'a LA CLOTURE DU TALilUD
Miséricorde, la Vérité el la Paix (1). Ces notions abs-
traites, ces idées considérées comme des réalités ou des
instruments, durent jeter un profond trouble dans l'es-
prit juif, et ce qui le prouve c'est la confusion qui règne
et sur leur nature, et sur leur nombre et sur leurs noms
mêmes.
Le Talmud ne sait plus comment les appeler et il se
liro d affaire par le mot dabar qui, dans la langue bi-
blique a déjà le double sens, de parole et de chose, qui
dans la langue post-biblique sert de terme générique à
toute idée nouvelle. On dirait que la pensée juive, en
même temps qu'elle prend conscience des idées abstrai-
tes, a besoin, pour pouvoir les comprendre, de leur prê-
ter au préalable une réalité matérielle. Les abstractions
les plus étranges sont réalisées. Riea n'est plus frappant
à cet égard que ce passage de Pemchim 54 a (cf. Bereschit
Rab,, ch. v) : « Sept choses furent aréées avant là création
de Tunivers, entre autres : la pénitence, etc.. >» (2). Mais
ce qui est certainement au fond de ces hésitations, de
ces gaucheries, c'est que la pensée juive est sur la voie
qui la conduit à admettre des hypostases intermédiaires
entre Dieu et l'homme; elle marche à grands pas vers la
<loctriDe de Témanation et du panthéisme.
La pensée mystique s'enhardit h pénétrer le mode de
création qui a appelé l'univers du néaht à Tétre. Dieu
projeta tout d'abord le monde dans sa pensée. De ces
mondes conçus il choisit le meilleur possible ou bien
même il créa des types de mondes différents et il en fit
une sélection. Oen, Rab, 4 : « Dieu vit tout ce quMl avait
Di^Ty". m2K D^^niT ton ttsu?^'
2. nrxirnn «ik niwp d'^rjn ^<^l:«r o'^'ip ^kisj onai nyac
aS'îyn n^nzS n?2"ip
LK MYSnCtSn JUIF jusqu'à la CLOTURE DU TALMUD 49
fail, et voici, c'était très biea » ; de ce verset R. Abahou
conclut que Diea créa diiïérents mondes avant d'en ar-
river à celui-ci. Alors seulement il dit : a Celui-ci me va,
les autres ne me vont pas(l). » BeresûhU Rabbah, sec-
tion m, fol. 3, col. S, appuyant sur ces mots : « Et il fut
soir » , alors que rien précédemment ne nous apprend
ce qui peut être le soir, croit trouver là une allusion à la
préexistence dans le temps. De même, du terme ordinal
(c premier joui^ », il Conclut que Tordre du temps avait
existé aup&ravant. R. Abahou en conclut que Dieu avait,
avant la création de ce monde, tenté des mondes divers,
qu'il avait aussitôt anéantis.
Cet optimiste leibnitzien est «^ sinon sous la forme
prédde de Leibnit^ ^^ du moins d'une manière générale
d&û6 la ligne de l'orthodoxie Juive. Mais il ne faut pas
croire que le pessimisme ne soit pas, lui aussi^ représenté
par la doctrine mystique. Un docteur Jouant précisément
sur 6e même verset de la Genèse fait des mots qui signi-
fient « très bien » (S), les mots « bonne est la mort (:{) »
et nous rencontrons, dans Beraehol 10, cette expres-
sion du pessimisme le plus désespéré : h II (Adam)
prit conscience du jour de la mort et entonna un chant
de triomphe » (4).
Nous avons 6ité plus haut le passage de Ldvifiqup
Rab. 32 et du Midrasch Tehilim, 104, 2, rapportant que
Dieu pour créer la lumière s'enveloppa d'un vêtement
lumineux dont Téclat inonda la terre. Il faut quelque peu
appuyer sur ce passage. Il faut d'abord le considérer
^ 1. iKDa in2« '1 iû« 1^^ lie n:n"! ncy wk S^ t\\^ u^rh^ Nir
2. iNQ ma.
3. nio iTta.
hO LE MYSTICISMK 4L'II' JLSOl*A LA r.LuTl HE III TALML'D
cuninie une aniplificalion de Ps. iVA, 2 : « H s'enveloppa
de lumière comme d'un vêtement. » Puis il y a ici un
souvenir de la vieille mythique chaldéenne. Dans celte
mylhique, le vertement de Marduk, le Dieu suprême, lient
une place dans sa lutte avec Tiamat, le monstre marin,
ou le chaos à l'origine des choses. Le vêtement est écla-
tant de lumière et lui sert à vaincre les ténèbres, à y
porter la lumière, l'ordre et la vie.
Enfin et surtout ce passage a une couleur panlliéisti-
que, la lumière est adhérente à Dieu. La lumière n'est
qu'une enveloppe, une forme d'être de Dieu. On peut
entendre aussi que l'essence de Dieu, n'ayant aucune
qualité, ne peut être lumineuse et que pour faire rayon-
ner la lumière il a fallu — c'est ainsi que l'entendront
et le développeront les kabbalistes ultérieurs — que Dieu
jetât autour de cette essence une enveloppe plus gros-
sière, plus matérielle.
La création ex nihilo ne satisfait plus la pensée juive.
La notion dualiste d'une matière première^ coexistante,
me semble résulter du passage suivant. Le Talmud de
Jérusalem 77 a rapporte comme une donnée très an-
cienne au nom de |{. Jehudah b. Basi, ce qui suit : « A
rorigine des choses l'univers était de l'eau dans de
l'eau. Eneiï»»t, il est écrit : t< Le souffle d'Elohim planait
« sur la face des eaux ; de cette eau, Dieu lit de la neige ;
« de celle neige. Dieu fil la terre » (1). (Cf. Midrasch
« Misc/i/e, 93, 3.)
Dans les PirAéde R. Eliézer, 3, l'on rapporte au nom
de Bar Kappara que le sens liltéral de l'Kcrilure semble
bien marquer une matière première coexistante et c'est
le tohu-bohu qui constitue cette matière. Chagigah 14 6
LE MYSTICISME JIIK Jl>C»li'A LA CLuTL RE DL TALMll) 51
porte ces mots : t< Quand vous arriverez auprès des
pierres de marbre pur, gardez-vous de dire : eau, eau. »
Dans le passage mystique, la pierre de marbre pur est
la pierre fondamenfale ^^T^v px de la création. Le sens
de ce passage est donc le suivant : « Quand vous traiterez
de la matière première, gardez- vous d'admetlre un
double principe; ne dites pas : Les eaux supérieures ont
fécondé les eaux inférieures. »
Chagigah ii « et Midrasch Kumolh 3 nous présenlont
ridée de la création conslanle : »i Dieu crée tous lesjours,
comme il est écrit»(1): « Dieu renouvelle chaque jour
l'œuvre de sa création » el ihid, : « Chaque jour sont créés
des esprits nouveaux » (2). Ces lexles n'enlendent pas,
croyons-nous, que Dieu maintient à fout instant le monde
existant, ce qui serait anticiper sur Descartrs, mais qu'il
jette à chaque instant dans Tespace des mondes nou-
veaux.
De même que le mysticisme tend à diniinuer de plus
en plus l'abîme que le mosaïsme a jeté entre Dieu et
l'homme, de même il rapproche d'une manière générale
le monde supérieur du monde inférieur. Peu à peu l'un
est considéré comme le reflet de l'autre. Le ciel est le
prototype de la terre. Dieu avant toute autre chose avait
créé la Thorah. Cette Thorah lui servit ensuite de mo-
dèle; il la regarda comme un architecte regarde un plan.
Or, la Thorah étant, pour la pensée juive, la source do
tout, elle est en quelque sorte l'idée des idées qui a ins-
piré Dieu. Le mysticisme juif projette au ciel une idéa-
lisation de tous les objets de la terre. « Toutes les œu-
vres de la création furent créées dans leur stature parfaite,
dans la plénitude de leur intelligence et de leur beauté »
•^ v-T!-i rs*"'::: n*^vi t<^ii 122
52 LE MYSTiaSMB JUIF JUSQU'A LA CLOTURB DU TALMUO
{Rosch Haschana II a; Hulin 60 a). Il pousse celte idée
aussi loin qu'il peut, avec son exagération coutumière.
Le nombre 7 en vigueur en bas Test de même en haut.
Il ne fait^ en somme, que revenir à son point de départ,
puisque les Chaidéens en avaient déduit le caractère sa-
cré des sept planètes observées par eux. Il y a donc sept
ciels : l'un d'entre eux porte le nom de Zebul (1) (le mot
zebuly signifie splendeur et n'est qu'une dénomination
synonymique du Temple de Jérusalem, I Rois^ 8, 13).
Dans ce ciel réside la Jérusalem céleste, prototype de
la Jérusalem terrestre. Dans cette Jérusalem est le tem-
ple idéal, modèle du temple de Sion. Sur Tautel de ce
temple, Fange Michaël présente chaque jour en offrande
à Dieu les âmes des justes {Chagigah 11 b). Tout ce qui
est sur terre a son représentant au ciel. On y trouve
même des écoles faites sur le type et avec la destination
des écoles rabbiniques {GtUen 68, Baba Mezia 59). Les
anges de l'échelle de Jacob trouvent en haut et en bas
le même visage de Jacob, en haut le Jacob supérieur
type et en bas le Jacob inférieur copie ; ils montent pour
contempler la figure d'en haut et redescendent pour
contempler la figure d'en bas (1). — Bref, et ce sera la
meilleure manière de résumer cette conception, « Dieu
ne fait rien sans méditer le type idéal dont le monde
terrestre est le reflet. — Pour les gnostiques aussi, par-
ticulièrement pour les ophites, la communauté sacrée du
monde céleste est le prototype de TÉglise terrestre, con-
ception qui a également passé au christianisme dogma-
tique. Origône dit (C. Cels. YI, 35) :« Quelques-uns fontde
rÉglise sur terre un écoulement d'une Église céleste et
d'un Ëon supérieur » {i%%kr^oiq Tiviç iicdupavCou Kal xpeiTovoç
a'uovoç a-Tcop^tav ervat ty;v kiA y^ç £xy.Xr,c{av). — La lettre aux
1 . S-27 .
LB MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 53
Gaiates parle d'une Jérusalem céleste qui est libre et la
mère de tous {Ctalaies, 4, 26.) : i^ 3à dKvco 'UpoucoLkriiL èXsj-
Les Valentiaiens disaient expressément (d'après Irén.
Il, 7, 1) que les choses de ce monde ne sont que les
images, les ombres des choses célestes et supra-sensî-
bles.
Nous avons ici, comme on voit, une simple applica-
tion mystique des « idées platoniciennes ».
Le rapprochement de Dieu vers la nature et rhomnie
transforme aussi l'angélologie. Pour que le bond de Un-
fini vers le fini puisse se faire accepter par le mono-
théisme mosaïque, le mysticisme sème, tout le long de
la route, une profusion d'esprits dont la gradation con-
duit insensiblement d'un terme à l'autre.
Le monothéisme devient moins inflexible; les anges
ne sont plus de simples missi de Dieu : ils prennent un
caractère propre, des attributions propres; ils devien-
nent la déification de toutes les forces naturelles, de
toutes les abstractions, de tous les modes et de toutes
les formes d'êtres ; ils deviennent les prôte-noms d'un
polythéisme qui n'a pas conscience de lui-même. Ce qui
le prouve le mieux, c'est la manière dont se forment
leurs noms par exemple : Jofielou Beauté-Dieu, Za<;/.a-
gel ou Pureté«Dieu, Acatriel ou Couronne-Dieu {herach.
7a),OurielouLumière«Dieu,RaphaëlouGuérison-Dieu,
{Jomçj 37 a), Souriel ou Taureau-Dieu [Herach. 54 a), Dou-
bel ou Ours-Dieu {Joma 47 a). Tous ces noms sont com-
binés pour l'adjonGlion du mot Bl (Dieu) avec un nom
abstrait quelconque^ A chaque être du monde sensible
on prépose un ange [Pesachim 118, Jalkut Lamenta-
tion 8, 1). Non seulement chaque individu, mais chaque
peuple a son ange (Sabbath 156). « La famille céleste
pst romplèle comme la («mille torrestro, of lo mcui'li'
5i LE MYSTICISMK JUIK JUSQU'a LV CLOTURE DU TALMUD
des esprits est encore plus innombrable que celui des
corps » {Pesikla Rabba 33 . Même il dépend de Thomme
d*en augmenter le nombre. Chaque bonne action crée
un ange de lumière, chaque mauvaise action crée un
démon de ténèbres (Al/gem, Zeit. des Jzideuthutm, 111
Jahrg., n«» 99-iOl ; IV Jahrg,, n°^ 17, 26, 27, 40, 41).
Les anges sont divisés en deux groupes bien distincts :
les anges du bien, el les anges du nial^ les anges de
lumière et les anges de ténèbres^ les anges proprement
dits et les démons. Nous avons vu que, dans le judaïsme
pur, le mal n'existe pas en soi, il n'a aucune place dans
le domaine de Tabsolu, et par conséquent ce dualisme
n*y a aucun sens. Le mysticisme apporte celte idée que
le mal est, indépendamment de Taclion humaine ; même
il y a des êtres mauvais qui en sont Tincarnation, il y a
des forces mauvaises conjurées contre Dieu même. C'est
là une nouvelle et très significative concession aux doc-
trines étrangères.
A la tète des anges du bien est Métatron; Métatron est
désigné comme le représentant de Dicn (Sanhédrin 38 ô) :
« Dans Ex. 23, 20 il est dit : « Il (Dieu) parla à Moïse
« en ces termes: « Monte vers Dieu. «Le Talmud objecte :
« Pourquoi le texte ne dit-il pas monte vers moi »; et
il répond: C'est Métraton qui transmet cet ordre à
Moïse, Métatron dont le nom est comme celui de son
maitre (1). » Dans un autre passage du Talmud Méta-
tron est présenté comme étant chargé spécialement
« d'inscrire dans le livre divin les mérites d'Israël (2) •>
et R. Acher est taxé d'apostasie pour avoir émis cette
opinion. Si R. Acher voulait simplement dire que Mé-
1. n^S i^N* • • • .tS ^rr*2 ^S\s nSy .th: Sx nS:? i^n hï^c Sn*:
L». Sn^uh NiT.iT nnic"'^ sn^un n^S n'fzn^n^NT ^ntz^cc ^^n
LE MYSTiaSMi: JLIK JlSvC A LA CLOTLRK DU TALMll» rC>
tatroo est le scribe de Dieu, on ne comprendrai l pas la
sévérité du Talmnd à son égard. Mais nous croyons voir
dans cette opinion une doctrine semblable à celle des
gnostiques, qui admettent au-dessous de Dieu nn 6s?ç
sT/iitsupTo; ou vs^ioriOr,; réser\'é à l'ancienne loi, à Israël
et subordonné au Père éternel qui ne s'est manifesté
aux hommes qu'avec la nouvelle loi. En effet, ailleurs
[Chagiffah 15 b), ce même R. Acher qui n*est autre que
R. Elischa h. Abouïa» surnommé ainsi en raison même
de ses opinions hétérodoxes {Acher signifie Tautre, terme
fort méprisant dans le langage talmudique), considé-
rant la puissance de Mélatron, dit : '< Peut-être faut-il
admettre qu*il y a deux puissances (1). » Le mysticisme
juif le plus hardi ne pouvait laisser passer celte doctrine
sous peine de saper les fondements mêmes du judaïsme.
Ailleurs, Métatron semble se confondre avec le » Prince
de Tunivers » : il assiste à Torigine des choses, il est un
îejrepoç Oeiç chargé par le Père de créer l'univers [C/nt-
lin 60 a, Jebamot 16). Midrasch Gen. Rabba \, \^ nous
fournit cette explication étrange. « Il y a des interprètes
qui expliquent Métatron comme le faisaient Ben Azaï
et Ben Soma, à savoir que la voix de Dieu s'incorpore on
lui... » D*après R. Josuaben (ihanaya (cf. Bâcher, Agada
des Tan., p. 454), Mélatron est le doigt de Dieu. ïargum
Jonathan nous le présente comme une incarnation d'Ile-
iioch qui d'après Genèse, i>, 24 est enlevé vivant au ciel.
Nous rendons attentifs à cette conception qui réapparaî-
tra enveloppée d*un brillant lissu de légendes dans la
doctrine mystique de Tépoque des gaonim. A côté de
1. ^n nrwi ^nu; DlS\n on kqu;, ce que Hai Gaon explique
ainsi : II faut ealendre ces mots au sens des Persans qui admettent
Ormuzd et Ahriman, c'est-à-dire un principe bon et un principe
mauvais, une source de lumières cl une source de ténèbres. (V.
En. Jacob, ad hoc,)
.»
5H LE MYSTICISME JUIF JUSQU A LA CLOTURE DU TALMUD
MétatroQ nous avoasi à li^ tète des anges du bien son
confrère Syndalfopj, ppmmons encore le « Prince de la
mer », le <( Prince du désert », le a Prince des ruines et
lieux désolés »^ ,
A la tète des démons est.Samael. 11 commande à des
légions innombrables (le Roucholh et de Schedim. Les
esprits malfaisants entourent Thomme par troupes. Ils
sont aussi hostiles à son corps qu'à son âme. Ils l'atten-
dent à sa naissance ; ils €;nveloppent sa tête de mille dan-
gers, ils jettent dans son cerveau des fantômes terribles.
Ils sont partout, aucun être ne pourrait supporter la vue
de tous les esprits m apvais qui le guettent, (^uand nous
donnons mal c'est qu'ils assaillent notre être, c'est qu'ils
souillent notre corps, surtout notre visage et nos mains.
Us sont sur l'çau que nous buvons, sur la surface des
sources où nous puisons; ils sont si nombreux qu'ils
usent par le frottement de leurs doigts les vêtements
des docteurs {Beracho(fy 6, SçtbbcU 156). Ils sont puis-
sants, car ils sont plus nombreux que nous et » se hé^
rissent autour de pops, commç une palissade fiulo^r
d'un champ ». Chacun en a mille à sa gftuche et dix
mille à sa droite, par allusion à Ps. Oi, 7. Quand nous
nous sentons serrés dans une foule, ce sont eux qui nous
pressent; quand nos genoux el nos membres sont cour-
baturés, ce sont eux qui pèsent sur noqs. Des formules
s'introduisent dans le judaïsme à Teffct de conjurer
leur action ; il y a des moyens préventifs contre eux, il
y a des amulettes couvertes d'inscriptions propitiatoires
destinées à parer leyr^ coups [Sajbbaf. 67 a ; Pesachim
111 ù). A toute heure du jour les espaces sont le théâtre
d'une lutte acharnée entre les anges du bien et les dé-
mons. L'homme peut beaucoup sur l'issue du combat.
— Leurs fonctions dans Téconomie générale sont in-
nombrables. Il y en a qui sont chargés spécialement des
LE MTSTiaSlfE JUIF JUSQU A LA aOTURE DU TALNUD 57
services célestes, d'autres sont attachés au service de la
terre et notamment à celui de Thorome {Sabbat 117 6),
d'autres sont toujours sur le chemin du ciel et de la
terre. A chaque mode de pensée, à chaque mode d'ac-
tion dans le bien et dans le mal correspondent au ciel»
sur la terre, au dessous de la terre et dans tous les es-
paces, on groupe d'anges ou un groupe de démons. La
fantaisie juive se donne libre carrière; elle crée : Akulriel
chargé de porter à Dieu les paroles et les pensées de
pitié des hommes (^^rocAo/A 9 a) ; Syndalphon, qui est
de cinq cents parasanges (remarquons celte mesure per*
sane) plus haut que tous ses compagnons, et qui passe
son temps à tresser des couronnes pour son Créateur
{Chagigah i3 b). — Chaque jour Dieu crée une classe
d'anges qui récitent devant lui un cantique et dispa*
raissent (Beresch. Rabb,, sect. 78; Echa Babba.Gha,!^. 3,
Y. 22, et Chagigah i4 a). Les anges ne comprennent que
l'hébreu, c'est dans celte langue qu'il faut leur adresser
des prières {Sabbat i2 b, 76 a). Tous les anges se pré-
sentent chaqne jour pour qu'il en soit fait la revue ; ils
passent en un clin d'œil devant le trône divin, puis ils
vont reprendre leur rang et leurs fontions. Quand une
âme après son séjour terrestre vient rejoindre en paix
la patrie céleste, il se fait un frémissemenl joyeux dans
toute Passemblée des anges, la nouvelle passe au vol
d'un groupe à l'autre. Tous poussent un immense cri
d'allégresse pour remercier Dieu de leur avoir rendu
une de leurs précieuses compagnes.
Quant à la substance dont sont composés les anges,
le Talmud la compare tantôt à un feu, tantôt à un mé-
lange de feu et d'eau, tantôt à une lumière, enfin et sur-
tout à un souffle ou esprit. Nous surprenons ici le che-
min que parcourt la pensée juive, pour arriver à la dis-^
tinction tout abstraite de l'esprit et de la matière. Les
58 LE MYSTICISME JUIF JUSQU^A LA CLOTURE DU TALMUD
anges ont d'abord été considérés comme des corps su-
périeurs faits d^une matière supérieure^ c'est-à-dire des
éléments feu, eau, puis d'une matière encore plus sub-
tile, la lumière ; enfin l'esprit pur se dégage entièrement
de sa gangue matérielle. La langue hébraïque man-
quant de termes pour cette notion y adapte le mot rouach,
vent^ souffle, qui s'éloigne de plus en plus — avec le
développement du mysticisme — de la conception très
matérielle qui s'y attache dans la Bible, Nous verrons
que l'histoire d'un certain nombre de mots bibliques en-
registrera fidèlement lliistoire du mysticisme.
Parce que le mysticisme atténue la distance entre
Dieu et la nature et notamment l'homme, il faut que
celte nature et cet homme ne soient pas trop indignes
de ce rapprochement, il Faut qu'il s'y rencontre certains
éléments qui autorisent et appellent ce rapprochement.
Ainsi le mysticisme est naturellement amené à distin-
guer au fond de cette nature des essences supérieures
mariées à elle pour un temps^ mais dont l'origine et la
destination sont plus hautes. L'angélologie était déjà
un moyen de semer sur tout le long de la roule une série
descendante d'esprits. Mais il faut que dans l'homme
même habite un esprit, qui soit par sa nature et sa tin
apparenté avec Dieu. C'est le mysticisme qui a apporté
à la pensée juive la conception spiritualiste deTàme que
le dogmatisme biblique avait sinon ignorée, du moins
laissée hors de son horizon.
Pour bien marquer la distinction de cette àme d'avec
le corps, le mysticisme l'a présentée comme préexistente
au corps. Dieu créa à l'origine des choses un certain
nombre d*àmes de.stinées à s'unir au corps. Le Talmud
parle d'un trésor ou magasin où les âmes sont renfer-
mées jusqu'à l'heure de leur descente. Ce sont elles dont
il est parlé au Ps. *39, verset 1 6. . . : <« Dnn*^ ton livre elles
LE MYSTICISME JUIP jrSQi: A LA CLOTURE DU TALMUD 59
sont inscrites » (cf. San/iedrin 38 6 et Sabbat 152 b).
D'après Aboda Zarab^elles sont cachées sous le trône de
Dieu dans un réservoir (1); d'après Chagigah 12 by elles
circulent librement dans les plaines célestes, de compa-
^ie avec les âmes des justes qui ont déjà passé par des
corps (2). Elles habitent au septième ciel parmi les au-
tres trésors de vie et de bénédiction. Le Messie ne viendra
que lorsque toutes auront connu la vie du corps [Jeba-
moih 62 et Niddah 13) (3) ou avec ce correctif (Midrasch
Qoheleth) : «cLe roi messianique ne viendra que lorsque
seront apparues toutes les âmes que Dieu a réalisées dans
sa pensée » (4). Les docteurs discutent sur la question
de savoir ce qui détermine Tàme à s'associer au corps et
le Talmud se domande si Tâme entrée dans le monde
corporel est un esprit tombé qui doit expier ses fautes
ou si Tunion au corps est une épreuve imposée à toutes
les âmes, afin que, dans la lutte contre les passions inhé-
rentes à la matière, elles puissent prendre conscience de
leur valeur et confirmer leur haute origine^ ou mentir à
celte origine. Le Talmud laissant la question en suspens
conclut que le meilleur pour Thomme dans Tune et
Tautre hypothèse est d'ôlre très scrupuleux sur ses ac-
tions. — Le Midrasch considère la vie de Tâme unie au
corps comme une épreuve. Gen. Rab. 9, nous lisons :
u les prescriptions n'ont été données à Thomme que
comme une épreuve, c'est par la douleur que Thomme
peut mériter la vie future » (5). — Et ailleurs : «il faut
que Tâme pour connaître la vie connaisse Tinstincl du
4. niQW liriN ou r^u (?)
2. m^na^S ^n'tTOjr ]ncttr:T a^pny Si; ]txûw: ia niaiv
5. imc^ rrro n^ rn mnzn fin ]n2 «]i3rb kSk miiran ^zro hi
H2n aSiv "nS \>h2 mnsn
60 LB MYSnCISMB JtHF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALM UD
mal ; les passions sont nécessaires, autrement l'homme
ne virfAit pas, si riiistifict du mal n'était pas, Thottittie
ne construilrait pas de maison, ne se marierait pas, tie
se livrerait pas au commerce «> (1). Enfin Chagigah 15 a,
parlant de la lutte, de la guerre, de l'antithèse qui est
au fond des choses et qui est voulue par Dieu, ajoute :
a Toute chose a son contraire; il (Dieu) a créé les justes
et il a créé leurs contraires, les iliéchants ; il a créé le
paradis et son contraire, Tenfer » (2). Le mysticisme tal-
mudique ne considère donc pas la vie comme une paix
béate, mais comme Une action de T&me en guerre avec les
passions. Nous retidons attentifs à celte antithèse que le
mysticisme juif appelle aussi la balance des choses. Cette
notion sera l'objet d'un développement très étendu dans
la Kabbale ultérieure.
Nous savons par Irénée, I^ 31, 2 et Épiphane^ 26, 4;
Clément d*Alexandrie, Strom., III, S, 5, que certaines
secles gnostiques héritièlres des anciennes doctrines phal-^
liques et orgiastiques avaient poussé le libertinage jus-
qu'à pratiquer la communauté des femmes. Elles (parti*
culièrement les Caïniles) légitimaient ces pratiques en
disant que personne ne pouvait atteindre la félicité « qui
n'avait pas passé partout» . La littérature talmudique a
gardé la trace de leurs ravages au sein des Juifs. Nous
lisons dans le Midrasch Qohel. Rab. 1 , 8 : « Un des disci-
jples de R. Jonathan passa aux hérétiques {minim). Son
maître le rechercha et le trouva occupé à des aptunioth{?).
Les hérétiques firent dire au maître : N'est-il pas écrit,
Prov. i, 14 : Associe ton sort au nôtre, une seule bourse
pour nous tous (verset dont les hérétiques se réclament
\ . "jnji H102 nVi nw» nm nVi nn dtn n:a nS T\ri yr ^ViSnw
2. «-^2 ]T^]3i «13 D'înn Nia oipnx ki2 ... HT nw*^ HT PN d:
LE MYSTICISME lUIK JUSQU^A LA CLOTURE DU TALMUD 01
pourlégilimerla communauté des femmes)? A ces mots le
docteur prit la fuite, mais ils le poursuivirent et lui criè-
rent : Docteur» exerce donc un pieux acte d'amour envers
cette jeune personne (ils se trouvaient en effet occupés
avec une jeune fille). Les hommesjuifs agissent-ils ainsi?
reprit le docteur d*un ton plein de reproches. Pour toute
réponse ils reprirent le verset des Proverbes, Alors U
continua à fuir et ils le poursuivirent encore jusqu'à ce
(ju'il eût atteint sa. maison et qu'il se fût enfermé chez
lui, et ils crièrent à travers les murs : Va, Rabbi Jona^
than, va, et dis à ta mère que tu n*as pas osé te retourner
et nous regarder de près» autrement tu aurais davantage
couru après nous que nous après toi » (cf. Qohel. Rab.
4 y 9; Aboda Zara 16 b ; ^alkui Micha^ 1).
Mais revenons à Tidée de préexistence ou plutôt à
celle qu'elle implique, à savoir l'idée de réminiscence.
Nous lisons, en effet, Tr. Niddah 30 : « Avant la nais-
sance de l'enfant, toute la Thorah lui est enseignée,
comme il est écrit : « Alors que les mystères de Dieu
« étaient sur ma tente » (où le Talmud voit une allusion
à la vie anté-terrestre). Au moment où l'enfant apparaît
au jour, un ango s approche de lui, le frappe à la boiiclio
et lui fait oublier toute sa science (1). »
Dire que Tâme a connaissance de toute la Thorah,
c'est traduire exactement, dans la langue du mysticisnu>
juif, que l'âme avant d'entrer dans le corps a contemplé
auprès de Dieu le spectacle des idées. Ibid. Niddah 30 b
exprime la même idée sous une forme plus obscure :
A Quand l'homme nait, ce qui était fermé s'ouvre ot ce
qui était ouvert se ferme, c'est-à-dire il oublie ce qu'il
savait dans l'existence anté-terrestre et il apprend à
1. Sy .tSn iiDa l'sxia; niD niinn Sd im^ ]noSo tS-jc an::
•jcn n3u*2i V2 v^' •!-n2S': -jnS?2 ni dS^vS t^mS xy^c y^T^ ^bn^
OSÎ LE MYSTICISME JUIF JUSOU*A LA CLOTURE DU TALMUD
nouveau, c'est-à-dire le ciel se ferme pour lui et le spec-
tacle de la terre commence. »
L*àme est Télément essentiel de l'homme celui qui dé-
termine son individualité, son moi. UsLnsSanh. 91 nous
lisons en effet ce passage singulier : Antoine (l'empereur
ou le gouverneur?) demanda un jour à R. Jchuda : « A
quel moment précis Yktne est-elle donnée à l'homme, à
rheure de la conception, pendant la grossesse^ ou à la
naissance? » Le docteur répondit : « A l'heure de la
naissance. » Antoine reprit « Comment cela est-il pos-
sible, puisque le corps sans âme n'est qu'un amas de
chair» proie de la pourriture? »
C'est donc bien Tàme qui est la vie du corps.
Le Talmud de Jérusalem (cf. Genèse Rab. 14) nous
présente cinq dénominations ou (le passage n'est pas
clair) divisions de Tàme humaine qui sont : « Neschamah,
Rouach, Nefesch, Jechidah, Chajah » (1). Le Talmud
n'explique pas ce qu*il entend par ces mots ; mais, nous
fondant sur Tétymologie, nous pouvons dire sans trop
de hardiesse : Neschamah est l'âme proprement dite
dans son sens le plus abstrait. Employé dans la Genèse
avec une acception toute matérielle {Gen. 2), ce terme
devient pour le mysticisme la dénomination de l'âme
en tant que distincte du corps. Rouach désigne plutôt
Tesprit ou l'élément rationnel ; Nefesch^ Tâme sensible ;
Chajah^ Tâme vitale. Quant au dernier terme Jechidah,
il signiRe littéralement unité et désigne précisément
Tâme en tant que déterminant le moi ou en tant qu'éta-
blissant son union avec le corps. Dans le Midrasch
Qoheleth, fol. 82, col. a, apparaît également la distinction
de nac: et «;£:. R. Bon dit : « Au moment où l'homme
dort, le corps le dit à la Neschamah, la Neschamah au
LK MYSTICISME JUIF JISOU'a LA r.LOTUIlE DU TALMUD (i^
Nefesch, le Nefesch à l'ange» Tange au chérubin... el^
ainsi hiérarchiquement jusqu'à Celui qui a dit au Monde :
« Sois » (cf. Vayikra Rabba, sect. 32, fol. 172» col. b).
Dans Taanit 17 b on parle encore d'une âme supplé-
mentaire, et on entend par là que pendant toute la
durée du sabbat et des jours de fAte, le Juif reçoit de
Dieu un redoublement ou un supplément de vie et en
quelque sorle une âme nouvelle.
La loi sexuelle qui tient une place si importante dans
la mythique et la poétique du polythéisme de tous les
peuples et qui était cachée au fond de la plupart des
doctrines mystiques s'imposa à son tour à l'esprit juif
avec une telle force qu'elle devienda peu à peu te centre
de toute la Kabbale. Le Talmud nous en présente la
première ébauche dans Berachoth 61 a [Kerubin 18»
BereschU R. 8) : a Ce premier homme a été créé avec
deux visages ou aspects, mâle d'un côté et femelle de
l'autre » (1) et le commentateur Raschi explique : Dieu
créa tout d'abord une forme à deux visages» l'un devant
et l'autre derrière, puis il fendit le tout par le milieu et
fit Eve de l'une des deux.
Un sens mystique s'attache au mariage {Sanh. 22 a et
Soiah 2 a) : a Quarante jours avant la formation de l'en-
fant mâle (dans le sein de sa mère) une voix divine pro-
clame quelle enfant sera sa femme (2). » Et ailleurs ce
mot qui se rencontre plusieurs fois : « Quand un homme
et une femme sont réunis, la gloire divine réside parmi
eux (3). » La première union a un caractère indissoluble
et le mysticisme s'oppose à Tinslitulion du divorce pro-
clamé hautement légitime par le dogmatisme rabbinique
1. "jNDD nap:i ]«Da idt ptt7Nnn aiN Nns: ]^sin3 n
2. "»rSsS 'rSs nn nN3fv Sip n^ ii-.n ni'^i"' aiip dv d
3. anf^n n:^Dit; n^xi «j^n
64 LE MYSTICISME JUIF JUSQO'a LA CLOtURB DU TALMUD
{Jebamoth 63 a, Sanh. 22 a ei d) : a L'homme r>e trouve
de sérértité d*Ame qu'avec sa première femme et la
femme ne peut contracter d'union véritable qu'avec sou
premier mari » (1) et ibid. : « Tout peut être remplacé,
excepté la feihme de sa jeunesse. » La notion de loi
sexuelle ne s'applique pas seulement à Thomme, mais à
la nature terrestre et à la nature céleste, à Dieu et jus-
qu'aux abstractions mêmes. Gen.R. 13, parlant du chaos
primordial présenté comme Un immense océan, dit :
« Les eaux supérieures furent des eaux mâles et les
eaux inférieures des eaux femelles (2). Lôrs de la créa-
tion les unes fécondèrent les autres ». Chagigah 42,
et Gen. A. 10 présente cette idée sous une autre forme :
<c Comment Dieu créM-il le monde? Il prit deux moi-
tiés d'œuf et les féconda l'une par l'autre (3). » Le Tal-
knud se fondant sur Isaïe, Stt, 10, appelle la terre : « La
fiancée, la vierge de Dieu (4) » {Gren. R. 11). R. Simon
R. Jochal enseigne : c< Le Sabbat dit à Dieu : « Maître
de l'univers, chaque jour de la semaine a sa compagne
[zuff^ syzygie), excepté moi. » Dieu répondit : <« Que l'as-
semblée d'Israël soil ta compagne. »
La forme humaine elle-même prend un sens mystique
et est considérée comme la forme supérieure qui préside
à l'ensemble des choses. Se rattachant au passage de la
Genhe qui fait de Thomme l'image, la ressemblance de
Dieu, les mystiques étendent le divin sur toute chose au
2. map: D^:T3innni u^^y^ D^Mvn a^cn
3. Dans la cosmogomie védique Brahma couve dans l'œuf cos-
mique une aimée cosmique, c'est-à-dire 200.000.000 d'années; puis
il brise l'œuf en deux parties et fait de Tune la voiHe dort^e du ciel
et de Taulre In surface argentine de la terre.
4. nVTc, ncnx, nS:
IB'MYSTICISME JUIF JUSQUE LA CLOTURE DU TALMUD 65
moyen de la forme humaine et ils vont jusqu'à dire :
« Plus il y a d*hommes, plus aussi il y a d'images du di-
vin et plus il y à de divin dans la nature. » Jehamoih 53
6» biâe dit : « Quiconque manque de satisfaire à la loi
de reprodiiction est un assassin et diminue la Grande
Image (1). )»
Le mysticisme, en rapprochant Dieu de rhomme,rap«»
proche Thomme de Dieu(SaitA. 1 1 : cf. Psac/dm 68) : « Les
justes sont pltis grands que les anges qui servent devant
la facede Dieu » (2). Gen. R. 21 : « Les anges du ser-
vice divin disent à Dieu : « Qu'y a-t-il de bon dans
lliomme ?» Il leur répond : Sa sagesse est plus grande
que la vôtre (3). Gen. Rabba 69, et Jalcut 1,743, 945 :
« Les justes augmentent par leur piété la force de
Dieu »(4), et « Les méchants s'appuient sur Dieu mais
les justes, Dieu s'appuie sur eut (5). » Nous rencontrons
icipodt la première fois ce que les kabbalistes ultérieurs
appelleront rinfluence de la nature sur Dieu^ à savoir que
les justes ont une action puissante sur Tissue du combat
qui se livre entre le bien et le mal. Celui qui accomplit
un acte moral devient le collaborateur de Dieu dans
l'œilvre de bien. Chaque cérémonie, chaque prière émeut
les sphères supérieures et a une répercussion jusqu'à
Dieu même. « Chaque bonne action donne naissance à
un ange de lumière. Les anges tressent des couronnes
avec les sons mélodieux sortis de la bouche de ceux qui
chantent des hymnes à Dieu. )>
1. m^tn ttTOOi n^iy\ -^sif i^nd n^ar nnss pDiv •^rNtrr S^
3. Dnb "TiDN 12^ na nt din n'a'pn ^3s^ rrwn ^dnSq iign
00 LE MYSTICISME JUIK JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD
Dans ce duel entre les puissances du bien et les puis-
sances du mal, rhomme peut faire incliner la balance en
contraignant Dieu d'intervenir. Nous surprenons par là
même le sens véritable du dualisme, du dualisme tel
que Tentend le mysticisme juif. Du dualisme zoroastrien
qui est plus physique que moral, il fait un dualisme
purement moral où les forces opposées sont en dernier
ressort subordonnées au Dieu un. Malgré toute sa har-
diesse, la pensée juive, où qu'elle soit entraînée, demeure
fidèle au monothéisme qui plane sur son berceau.
En même temps que le mysticisme tend à rapprocher
rhomme de Dieu et en vue de rendre ce rapprochement
plus facile, il spiritualise tous les rapports entre Tun et
l'autre. Le dogmatisme avait déjà remplacé par la prière
le sacrifice des victimes aboli depuis la perte de la na-
tionalité juive. Le mysticisme insiste sur la prière, par-
ticulièrement sur la prière en commun, sur le sentiment
d'élévation intérieure qui se communique à chaque mem-
bre d'une assemblée en prière^ sur la douce et pénétrante
émotion d'une &me en communion avec d'autres âmes
et qui toutes s'épanchent devant Dieu. Le judaïsme
donne accès à ce qu'on appelle la prière intérieure. Ce
n'est plus une supplique qui doit frapper l'oreille de Dieu
et qu'il est libre d'exaucer ou non, mais un mouvement
intérieur qui met Tàme en relation intime avec Dieu,
qui est comme le sentiment conscient et l'expression des
liens mystiques qui unissent d'une manière constante
Dieu à la nature humaine et à l'àme.
C'est l'àme humaine quittant pour un moment son lieu
d'exil^ revenant dans sa patrie et reprenant sa place dans
le concert harmonieux du ciel. Dans cette conception la
prière agit à coup sûr sur le cours des choses ; elle ajoute
par son existence même une force nouvelle à la série des
forces existantes.
LE MYSTICISME Jl'lK JUSQC'a LA GLOTl'RE DU TALMUD 07
Nous la verrons avec la suile el dans le Zohar devenir
parla médiation des justes la grande force motrice non
seulement de Tunivers physique mais de Tunivers mo-
ral.
Le mysticisme spiritualise le fait même de la mort. On
dirait qu*il a bonté de voir T&me, la fille du ciel, subir
jusqu'au bout l'odieuse promiscuité du corps et pour
cette raison il la fait s'exhaler en un baiser. Le baiser
dégagé de toute scorie matérielle est, aux yeux du mys-
ticisme juif, le mode de rapport supérieur des êtres in-
tellectuels (Baba Bathra 17). L*àme de Moïse au mo-
ment de sa mort reçoit un baiser de Dieu et s'unit à lui;
de même les patriarches meurent d'un baiser de Dieu.
Si le mysticisme présente l'homme tel qu'il est sorti des
mains de Dieu, comme un être supérieur, il est contraint
pour expliquer le lamentable spectacle que la vie hu-
maine offre trop souvent, il est contraint, dis-je, d'ap-
puyer sur la doctrine du péché originel. La doctrine
pure du judaïsme ne s'arrête pas beaucoup à cette doc-
trine ; elle n'accorde pas beaucoup de poids à la page de
l^. Genèse qui relate la faute el le châtiment d'Adam.
Peut-être a-t-elle conscience que cette page n'est que l'ex-
pression d'un mythe symbolisant dans le temps et à l'o-
rigine de la famille humaine, ce qui a lieu dans l'espace
pour chaque individu qui passe de l'enfance à la res-
ponsabilité virile. L'idée de justice et de responsabilité
personnelle qui domine surtout à partir de Tépoque pro-
phétique repousse l'idée qu'une faute commise par le
premier père puisse retomber sur l'humanité entière. Les
prophètes, notammenty^r^mf>, 81,29-20 ; Ezéchiel; i8(cf.
Deut. 24, 46), prolestent vigoureusement contre ce dic-
ton répandu alors : « Les pères ont mangé le raisin vert et
les enfants ont les dents agacées », et Ezéchiel (ibid.)
établit longuement et en toute clarté Tidée de responsa-
68 LE Mt8TIGtSME JUfF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUp
bilité individuelle. Les docteurs {Sanh. 27 6) admettent
que Dieu ne châtie les en&nts pour les crimes des pères
que lorsqu'ils persistent dans les fautes commises. Si
quelques rabbins admettent l'extension de la faute
d'Adam à ses descendants, ils ajoutent ce correctif :
« L'effet de la faute disparaît avec la révélation sinaîti-
que » (1). D*après d'autres, il disparaît déjà au troisième
patriarche {Sabbat 146 b). Et d'une manière générale,
l'homme juste se libère facilement de la faute qui pèse
sur sa naissance {Sotah 12 a). La place que cette faute
joue dans la dogmatique du christianisme fut, depuis
Tère chrétienne pour les Juifs, une raison nouvelle de la
laisser dans Tombre.
Le mysticisme juif, au contraire, pour la raison que
nous avons indiquée, ne craint pas de s*y arrêter. Gen.
Rab. oppose l'état de pureté du premier homme à celui
qui suivit sa faute. Le premier homme fut comme un
des anges qui servent devant la face divine (2), mais(il^-
dahZarah 22 b; cl. Jebamoth 103 6): « Le serpent mit
une tare sur lui (3) » [Sanh. 38 b, Chag. 12 a). R, EHézer
dit: « Le premier homme était grand de la terre au ciel,
mais comme il se couvrit de laideur Dieu mit la main
sur lui et le diminua(4). >» Chag. 12 a : « Avec la lumière
que Dieu créa le premier jour l'homme pouvait regarder
d'une extrémité du monde à l'autre, mais comme il agît
mal, Dieu retira cette lumière. » Baba Baihra 17 a: « Le
premier homme entraîna la mort pour lui et ses descen*
1. Saint Paul a bien tenu compte de ce correctif mais en Tinter*
prêtant ainsi : Avec la loi le péobé sans disparaître est devenu
conscient {Epi$t. Paul, Y, 13, 14).
LE MYSTICISME JUIF JUSQU A U CLOTURI:: DU TALMUD (i9
dants (1). » Le mysticisme tentera de plus en plus de don-
ner au péché originel droit de cité au sein du judaïsme et
à cet effet il combinera ladoctrine avec Tascélisme rabbi-
nique et les espérances messianiques; même il étendra
les effets du premier péché sur la nature entière. Dans
le judiûsme dogmatique, Tidéal est moins derrière Inhu-
manité que devant elle. L'état d'innocence de la nature
avant la faute de Thomme ne fait Tobjet d'aucun regret.
Les prophètes regardent en avant. Au lieu de gémir sur
le passé, ils jettent le cri d'espérance qui retentit encore
à nos oreilles. Le mysticisme, au contraire, se complaît
à décrire Tétat parfait que revêt la nature avant la faute
de rhomme [Jalkut 20, 4).
Le mysticisme jette autour de Fère messianique les
couleurs les plus brillantes; il Tenveloppe d'un tissu
de légendes et de fantaisies. Les expressions métapho-
riques des prophètes relativement à Ta venir aident forte-
ment à déployer les ailes de l'imagination mystique. Le
TaUnud et les Midraschim contiennent sur cet objet
un tel débordement de fictions qu'il faudrait un volume
pour le fondre en un tout (cf. Kétuboth 111 et 1 i2\Sanh,
101; Jomah 21; Sabbat 30, etc., etc.). Quelques traits
seulement. Le Messie sera annoncé trois jours avant son
apparition par le prophète Ëlie. D'abord apparaîtra un
certain Messie Ben Joseph qui sera tué dans les guerres
entreprises contre le grand ennemi Goginagog. Toute la
terre le pleurera et le véritable Messiele rappellera à la vie
[Succa 52). Celui-ci, à son apparition, revêtira une figure
lumineuse. Cr^é à l'origine des choses, il attend auprès
du trône divin que toutes les âmes aient passé par les
corps et que son règne arrive. Satan en voyant le rayon-
nement éclatant de sa lumière pâlit, parce qu'il recon-
70 LE MYSTlClSMIi: JUIF JUSg'UA LA CLOTURE DU TALMCO
nait en lui celui qui troublera son empire [Jalkut sur
haïe, 63; Pessarim 74; Gén. /?. 1 ; Vajihra, R. 15 ; Abo.
dah Zarah 5). Le Messie apparaîtra monté sur un âne
Jalkut sur Gén. 88, 3); il subjugera tous les peuples et
son règne commencera. Alors les morts seront ressus-
cites; alors se tiendront les grandes assises; Dieu fera
sortir le soleil de son orbite (Gitlin 76, b). Les pécheurs
trouveront dans cette flamme le châtiment, les justes
leur joie (Niddah 8 b). Le mal s'évanouira de la terre.
Dieu aura tué rinstinct mauvais danslecœur de l'homme.
Les hommes seront immortels sur terre [Psach. 68 et
G. R. 26). Ce ne sera [pas seulement la transformation
morale rêvée par le judaïsme dogmatique mais une évo-
lution psychologique et physique. Non seulement l'ac-
tion morale de la personnalité messianique opérera et
sanctionnera révolution morale des hommes, mais son
apparition marquera le couronnement d'un processus
physique dans la nature de l'homme et dans l'économie
de Tunivers.
Le judaïsme biblique et rabbinique conçoit la vie
comme une action, et ce principe, il l*étend même à l'ère
messianique. Les prophètes et les docteurs, dans le ta-
bleau idéal qu'ils tracent de l'avenir, se figurent la na-
tion ou l'humanité unie dans la paix et Tamour sous la
direction d'un roi sage et bon, c'est-à-dire ofl'ranl le
spectacle d'une harmonie parfaite dans l'action com-
mune. Les docteurs vont jusqu'à dire : « Une heure de
bonnes œuvres et de pénitence (c*est-à-dire d'action)
dans ce monde vaut mieux que toutes les félicités du
monde futur (i). »
Le mysticisme ne veut pas que les fantaisies brillantes
i« im "yyo niy^ n'^r:2 W'-iw D^^ryDi naiirnnns nw hn:
LB MYSTIGISMB JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 71
qu'il jette autour de Tère messiaaique terrcslre ternisse
la spiritualité de la vie future {Bera. 31 / et Sabbat 63 a,
Stmhed. 99 a), a Les révélalions prophétiques ne visent
que Tère messianique, niais la vie future prop rement dite
n*est pas perceptible aux sens » (1). Berachot 17 a essaie
dans sa langue maladroite de donner une idée de cette
forme de vie: ce La vie future ne connaît ni le manger
ni le boire..., mais les justes siègent là, leur couronne
sur la tète et jouissent de Téclat de la gloire divine» (2).
Ils seront enveloppés d'une auréole, ils seront trans-
figurés. Ils se nourriront de la gloire divine, c'est-à-dire
qu'ils participeront à Dieu, ils se perdront en Dieu. Leur
joie éclatera sur leur visage. « Le visage des justes res-
semblera dans la vie future au soleil, à la lune, au ciel
constellé » (3).
La lumière primordiale, que Dieu avait créée au pre-
mier jour de la Création en vue d'une humanité sans
tache, devint avec la faute d'Adam trop pure pour des
yeux humains. Dieu la diminua, la rogna et en retira la
meilleure part pour la vie ultra-terrestre.
Le Talmud a la tradition vague de races d'animaux dis-
parus ; ainsi il se demande ce qu*est devenu le Tanin
(monstre marin) de la Genèse et il interprète cette dis-
parition dans le sens de ses idées mystiques. Les races
disparues seront la réserve ultérieure des justes.
La pensée juive portant toujours plus loin sa force
d'abstraction dégage le signe de la chose signifiée, le
mot de la chose, le nom de l'objet dénommé ; puis elle
3. yipiS naaSSi nnnS Ninbi^rob D'ïan a^pny h^ nn^js
•
72 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD
accorde au nom, au mot et même à la lettre et au nom-
bre une valeur en soi comme principe essentiel. Un sens
spécial s'attache tout d'abord à tel ou tel nom propre de
Dieu employé dans les textes sacrés. Tout dans l'Écri-
ture ayant sa raison d'être, ce n'est pas sans dessein par-
ticulier qu'elle emploie tantôt le nom Élohim, tantôt
Jahvé, ou Élou Schaddai. Dans le Midrasch Tanchuma
sur Ex. 3, 13 nous lisons: Dieu dit à Moïse : «Tu désires
savoir mon nom... : lorsque je juge mes créatures, je
m'appelle Élohim et lorsque je fais la guerre au mé-^
chant, je m'appelle Zébaoth (1). »
Le nom de quatre lettres ou Yahvé paraît avoir joué
dès Tépoque talmudique un rôle capital dans le mysti-
cisme théorique et aussi et surtout dans le mysticisme
pratique. Le Talmud (Joma lia) dit au sujet de ce
nom qu'il était connu autrefois (j'entends qu'on en con-
naissait la prononciation) et qu'il était permis alors aux
sages de l'enseigner à ses enfants et à ses disciples une
fois par semaine (ou une fois tous les sept ans?) (2). Ce
tétragramme appelé aussi c< nom distinctement pro-
noncé ))(Mischnah, traité Joma, VI, p. 2) et « nom uni-
que, propre » {Sanhédrin 56 a, Schebouot 36 a) ne pouvait
être prononcé que dans le sanctuaire, notamment par les
prêtres récitant la bénédiction sacerdotale (Mischna,
Sola^ Vil, p. 6) et par le grand-prêtre le jour du jeûne
(Mischna, Jomay l. c,^ ibid, Talmud 36 b). Il résulte d'une
citation de Maïmonide que le Talmud Joma 39 b et
Menachot 109 6 (nos éditions ont des leçons divergentes)
portaient ces mots : « Après la mort de Siméon le Juste
les prêtres, ses frères cessèrent de bénir par le tétra-
1. Nip: ^3N ^wsnD ^sS yrb trpao nn^ ^atzr ntrrob n'i'pn ton
mN33f Nip3
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 73
gramme^ mais ils bénirent par le nom de douze lettres. »
Le nom divin est ensuite comme détaché de lui-même
pour constituer un être en soi. R. Eliézer dit : « Avant la
création du monde il n'y avait que Lui et son nom(i). »
Le mysticisme ne se contente pas des noms donnés par
rÉcriture, mais il combine des noms nouveaux auxquels
il attribue une vertu particulière. Le Taimud parle de
noms mystérieux de Dieu ayant douze^ quarante-deux
et même soixante-douze lettres [Kidduschin 91 a). Le
nom de douze lettres {Joma^ ibid.) pouvait être ensei-
gné à tout le monde, mais à une époque ultérieure il ne
devait plus être confié qu'aux prêtres et à l'élile du
peuple. Celui de quarante-deux lettres était tout à fait
saint et vénérable; il ne devait être transmis qu'à un
homme « sur, d'un âge mur, ni colère, ni ivrogne, ni
vaniteux, mais doux et alTable dans ses relations » ; le
Taimud promet les récompenses les plus hautes à celui
qui <' saura garder fidèlement ces grands secrets». Enfin
Vûjikra Mabba, ch. 23, Deharim Rabba, ch. I, nous
parlent de la délivrance d'Israël par le nom divin de
soixante-douze lettres. La manière dont les rédacteurs
du Taimud et du Midrasch traitent de la forme et de
Faction de ces noms marque qu'ils en ignoraient tota-
lement la nature. On peut supposer avec Maïmonide
[Mot Neb, I, 62) qu'ils réunisssaient un certain nombre
d'idées métaphysiques fondamentales et qu'ils étaient
comme la quintessence et le point de départ de la spécu-
lation et de renseignement mystique.
Le Taimud jouant sur le mot ot qui, dans la langue
biblique, a le sens de signe, démonstration, et dans Thé-
breu ultérieur, le sens de caractère, lettre, associe ces
deux sens et fait des lettres les signes des choses. Une
74 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD
Haggadah rapporte que Betzalel^ rarchilecte du laber-
nacle portatif, connaissait les combinaisons des lettres
qui ont présidé à la création du monde (1). Et le Tal-
mud nous apprend en eiïet ailleurs que « Dieu créa le
monde au moyen de deux lettres, ce monde avec la lettre
he et le monde futur avec la lettre jod » (2) (cf. JalkiU
sur B. 727). Sabbat 29 a dit en propres termes : « En
montant au ciel, Moïse trouva Dieu occupé à tresser des
couronnes aux lettres, c'est-à-dire les lettres sont les
reines des choses, Tessence des choses (3). Nous aurons
mainte occasion de rappeler ce passage.
Nous rencontrons dans le Talmud en tête de certaines
discussions des groupes de lettres ramassant en un ou
plusieurs mots ou en une phrase les lettres et les mots
par lesquels débutent les arguments qui suivent. Ces
groupes de lettres appelés simanim sont, comme nous
savons déjà, un moyen mnémonique datant du temps où
CCS discussions étaient l'objet d'une transmission orale
plutôt qu'écrite et ils se sont maintenus dans la rédac-
tion.
Ces signes ou plutôt le principe sur lequel ils se fon-
dent seront pour le mysticisme le point de départ de tout
un ordre de combinaisons artificielles, appelées Notari-
kon ou acrologie, Zir/// ou permutation, Guematriaon
évaluation numérique.
Le Nolarikon considère chaque mot de TÉcrilure
1. nhvjT\ Kia: n7\yQ3 DVDiKn^^iyS rr^tz;
11>2 K1S3 N3n
Marcus? dans Irénée, eh. gr. dit que les quatre lettres du mol
«PX^i (c'est-à-dire du premier mot de la Genèse) ont servi d'instru-
ment au Créateur. Le mot km est, d'après lui, le premier nom
divin.
3. n*^niNS anns iu;ip 'n'i'pnu; "iNira anaS nxao n^yurs
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 75
comme composé des initiales de mois nouveaux qu'il
choisit arbitrairement et il substitue de la sorte, au sens
de rÉcriture, un sens tout différent, dépendant unique-
ment du caprice de Timagination. Ce procédé est em-
ployé pour la première fois, semble-t-il, dans le Talniud
de Jérusalem, Chagigah 2 (cf. Midrasch Rab.^ ch. t). —
Le Guematria estime la valeur numérique d'un mot (on
sait que les lettres de Talphabet hébreu sont aussi em-
ployées comme nombres) et substitue à ce mol un mot
d*une valeur numérique équivalente. — Le Ziruf rem-
place dans un mot une lettre quelconque par une lettre
quelconque en vertu d'une clé déterminée. Le Talmud
de Jérusalem (104) mentionne lui-même de ces principes
plusieurs applications qui sont : le Atbasch, Albam^ et
Achas Bata{i). La première de ces combinaisons con-
siste à considérer la première lettre de Talphabet comme
équivalente de la dernière, la deuxième comme équiva-
lant à Tavant-dernière, etc., el à les remplacer, si besoin
est, Tune par l'autre. La seconde combinaison divise
l'alphabet en deux moitiés, el considère la première
lettre de la première moitié comme équivalente de la
première letlre dé la seconde. La troisième combinaison
en fait de même après avoir, au préalable, divisé Talpha-
bet en trois groupes, c'est-à-dire que la première lettre
peut permuter avec la huitième et la quinzième, la
deuxième avec la neuvième et la seizième et ainsi de
suile. Enfin dans Succa 32 b nous trouvons le at-bach,
c'est-à-dire le premier chiffre des unités permute avec
le dernier chiffre des unités, le deuxième avec Tavant-
dernier. Puis le premier chiffre des dizaines permute
avec le dernier chiffre, etc. Le Talmud s'appuie même
sur cette dernière combinaison pour en déduire même
76 LE MYSTICISME JUIF JUSQD^A LA CLOTURE DU TALMUD
une loi halachique. Une fois ce principe admis, les appli-
cations en sont infinies, et le mysticisme ultérieur ne se
fera pas faute d'en user et d'en abuser. Avec la libre
spéculation mystique entre dans le judaïsme un certain
nombre de notions scientifiques ayant traita en ce qui
nous concerne, à Tastronomie et plus particulièrement
à l'astrologie, à la médecine, à la géographie. Le Tal-
mud recommande Tétude de l'astronomie : « l'homme est
tenu (pour connaître profondément les choses) de calcu-
ler les solstices et le cours des étoiles (i) ».
Le ciel récèle de profonds mystères, il doit être
« une source de science et de sagesse » (Tr. Sabbat 75).
Le traité Sabbat (156 a) présente les notions astrolo-
giques suivantes. « Ce ne sont pas les différents jours,
mais les différentes heures du jour qui sont sous Tin-
fluence des astres. Celui qui naît à l'heure du Soleil sera
un homme dont tous les desseins seront à découvert, et
qui vivra de son propre bien. Celui qui naît à l'heure de
Vénus sera un homme riche et voluptueux, parce qu*avec
cet astre natt la lumière. Celui qui naît à Theure de
Mercure sera, un homme de mémoire et de science,
parce que cet astre est le scribe du Soleil. Celui qui
natt à l'heure de la Lune sera un parasite dont les des-
soins seront mystérieux. Celui qui naît à Theure de Sa*
turne sera un homme dont les plans seront déjoués ;
d'autres disent : tous les plans dirigés contre lui seront
déjoués. » Nous renvoyons pour l'explication de ce texte à
notre article (n« da mars-avril 1895). Remarquons seule-
ment ici que Tinfluence des astres est transportée des
jours aux heures et que ce principe de fatalisme inconci-
liable avec la doctrine juive relative à la Providence
LE MYSTICISME JDIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 77
divine ne se fait accepter de la pensée juive qu'avec
cette restriction exprimée ailleurs dans le Talmud :
<x L'influence des astres n'a aucun eiïet sur Israël. »
D'après Bardesanc les choses de la terre sont sous la
direction de sept esprits enfermés dans les planètes et
des douze génies du zodiaque. A chaque constellation
correspondent trente étoiles. Le Talmud contient des
idées à peu près analogues [Berachoth 326) : « Sion dit :
Dieu m'a abandonnée. Ma fille, lui répond Dieu» com-
ment peux-tu parler ainsi, puisque douze signes du zo-
diaque ont été jetés par moi dans Tunivers ; à chacun
j'ai donné trente chefs, à chaque chef^ trente légions,
etc.. », c'est-à-dire puisque la destinée est réglée par
l'influence d'astres innombrables et que le ciel veille
sur toi.
L'influence des astres n'agit pas seulement sur les
hommes ; mais, dit Bereschit Babha (secl. 10, fol. 8,
col. 6) : « Il n'y a pas jusqu'à la moindre plante ici-bas
qui n'ait au firmament son étoile, laquelle lui ordonne
de croître selon Job^ 38, 33 : « Connais-tu les lois du
ciel et son action sur la terre ? »
Le Talmud a connaissance de la sphéricité de la terre.
Le Talmud de Jérusalem, Abodah Zarah, 3, rapporte
qu'Alexandre le Grand apprit au cours de ses conquêtes
que la terre était ronde et que l'on n*a pas besoin de
reprendre le même chemin pour venir à son point de
départ. C'est pour cela, ajoute le texte, qu'il est repré-
senté un globe à la main.
Sur la page de Baba Batra 25 a, A, qui a servi de
fondement à tant d'extravagances au temps des Gaonim,
nous ne saurions mieux faire que de citer ce que dit
Saadia dans son commentaire du Sefer Yezirah 2, 3 ;
« Rabbi Éliézer et R. Josué admettent tous deux que le
ciel est au dessus de la terre ; ils sont d'accord sur ce
78 LE MYSTICISME JUIF JUSQU*A LA CLOTURE DU TALMUD
principe ; ils discutent seulement sur le tour que fait le
soleil. Ils admettent tous deux que des deux côtés de
rOrient et de l'Occident il y a des portes par les-
quelles le soleil entre et sort malin et soir. Leurs dis-
cussions portant sur ceci : R. Éliézer croit que lorsque
le soleil sort le soir par Tune des portes de TOccident^
il s'élève au dessus du ciel, en une marche circu-
laire et le matin il entre de nouveau par les portes de
rOrient; et K. Josué admet que lorsqu'il sort le soir par
Tune des portes de l'Occident il tourne autour du nord
et ne cesse de marcher droit pour rentrer le matin par
l'une des portes orientales. Tous deux admettent aussi
que le ciel dans sa partie verticale et dans sa voûte est
comme une cloison opaque qui empêche la lumière du
soleil de pénétrer au dessous, sans cela le soleil nous
serait visible la nuit. Voici comment ils s'expriment :
R. Éliézor: (c Le monde ressemble à une galerie, et
le côté nord n'est pas fermé et quand le soleil arrive
à Tangle nord-est, il tourne et s'élève au-dessus du
firmament. » R. Josué dit : « Le monde ressemble à
une voûte et le côté nord est fermé et quand le soleil
arrive à Tanglc nord-ouest, il fait le tour et repasse der-
rière la voûte. » Saadia ajoute : « L'opinion reçue chez
nous est que la terre et le ciel sont tous deiuc comme
une boule^ que la terre est à l'intérieur du ciel comme
un point, que le jour le soleil se meut au dessus de la
terre, et la nuit au dessous de la terre, que c'est Topa-
cité de la terre qui empêche de voir le soleil de nuit, et
constamment la moitié du ciel ; cette opinion a été éga-
lement mentionnée par les anciens (les docteurs). » En
effet, Psachim 94 A, nous lisons : « Les savants des au-
tres nations disent : Le soleil marche de jour au dessus
de la terre et de nuit au dessous de la terre. Rabbi ajoute:
leurs paroles sont plus acceptables que les nôtres. »
LE MYSTICISME JUIF JUSQU A LA CLOTURE DU TALHUD 79
Il est très singulier de trouver dans le Talmud la coii-
ceplion que les atomes sont des raclures que le soleil
détache de sa sphère au cours de ses révolutions. Le
mot ^D^ KQT»i Nain [Joma 20 h) répond tout à fait au grec
ÇujjjwtTa (Aristote, Z)eamma, I, c. 2) (cf. Schemot Rab. V,
Traité Nedar, fol. 6 A).
En même temps que la pensée mystique aborde la
métaphysique, Timaginalion mystique se croit tout per-
mis dans le domaine de la fantaisie et des superstitions.
Sanh. 63 rapporte comment un docteur a pu, gr&ce à
des procédés occultes, créer une génisse et même un
homme. Taaiiit 19 donne les moyens de déterminer
Dieu à faire pleuvoir. Berach. 6 enseigne les combinai-
sons qui contraignent les esprits à se rendre visibles.
Pessach. 120 et GitL 69 indiquent les formules tutélaires
contre les effets de la magie. Sabbat 61 et 66 b parle de
mixtures magiques et d'amulettes ayant un effet curalif.
Le chat et la peau de chat posée sur les yeux ou les
reins tient une place importante dans cette médecine.
Les docteurs ont évidemment connaissance des vertus
de l'eau et des vertus électriques de la fourrure des
fauves. D'autres animaux, en particulier le coq, joueut un
rôle dans la magie talmudique. Le coq annonçant le
jour apparaît un être initié aux desseins de Dieu. Chas-
sant par son cri les mauvais génies de la nuit, il devient
le symbole mystique et le représentant de la lumière et
delà vie(l). D'après Sabbat, Mischna YI et Talmud
Jérus. 77 a, on croyait que le clou ayant servi à la pen-
daison pouvait aider à guérir la fièvre terce ou la
fluxion (2). La dent d'un renard, pensait-on, pouvait
réagir contre Tinsomnie.
1 . Berachot prête d*autre part aux mauvais esprits des pattes de coq.
2. Que roQ rapproche de cette superstition celle qui chez nous
a trait à la corde d'un pendu.
8() LE MYSTiaSME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD
En résumé, od voit que ce mysticisme est encore très
vague, très informe, que les idées n'y sont qu'es-
quissées, les problèmes sont à peine entrevus^ les
solutions sont gauches, hésitantes et faites d'images
métaphysiques sans précision, la métaphysique de l'es-
sence divine est à peine soupçonnée, les doctrines
des intermédiaires commencent à poindre sans que rien
ne nous fasse penser au développement immense qu'elle
va prendre, la conception de Tâme encore mal dégagée
no permet pas de soupçonner ce qu'elle sera dans le
Zohar ; l'angélologie, les théurgies, l'arithmologie ont
déjà quelque ampleur, mais sont cependant loin de leur
épanouissement et de leurs excès ultérieurs. Or, nous
pouvons bien à présent faire le raisonnement suivant : Si
comme le veulent la plupart des historiens de la Kabbale,
s'il y avait dès ce moment une tradition kabbalistique —
révélée ou non — nous pourrions bien par une conclu-
sion voulue n'en avoir aucune trace dans le Talmud,
mais nous n'aurions pas cette ébauche incertaine, tâton-
nante, et qui ressemble à quelque reflet lointain des
doctrines en Grèce et à Alexandrie.
Nous pourrions, en effet, dès à présent montrer ce
que le mysticisme épars dans le Talmud a de commun
avec la philosophie aiexandrine, mais nous aimons
mieux, au moins pour la métaphysique, attendre que
cette métaphysique ait suivi son cours et atteint avec le
Zohar son point de maturité. La comparaison en jaillira
alors plus facile, plus complète et plus lumineuse. Mais
pour ce qui revient à TinQuence persane, nous voulons,
sans tarder, en marquer les limites.
Le Talmud dit lui-même que les Juifs, à leur retour
de l'exil, rapportèrent de Babylone les nom des anges,
le nom des mois et des lettres de Talphabet. Rien ne
nous empêche d'accepter celte tradition, quant au fond.
LE MYSTICISME JUIF JUSQU*A LA CLOTURE DU TALMUD 81
Évidemment, le séjour des Juifs en Babylonie n'a pas
eu lieu sans qu'il y ait eu, entre les vainqueurs et les
vaincus, des échanges, tout au moins des emprunts^
d'éléments scientifiques et philosophiques de toute na-
ture.
Dans le premier ordre d'idées énumérées par le Tal-
mud il ne faut pas évidemment voir seulement des noms
proprement dits, mais ce qui se rattache à ces noms, et
la doctrine, et la distribution hiérarchique des catégo-
ries d'anges^ tout ce qui, en etfet, transperce dans le
Talmud^ tout ce qui va vivre et se multiplier dans l'ima-
gination populaire, tout ce qui va être le noyau de Tan-
gélologie supérieure. Au second emprunt, le nom des
mois, se rattachent à coup sur les notions qui gravitent
autour de ces noms, notions d'astronomie et d'astro-
logie, entremêlées d'ailleurs avec l'angélologie et l'as-
tronomie digne de ce nom. Enfin par les noms des
lettres il faut penser peut-être à des procédés théurgiques
ayant pour base la combinaison des lettres. Donc, nous
pouvons pour ce qui est du fond, accepter comme au-
thentique la tradition du Talmud.
Mais, d'autre part, il est certain que le Talmud en pla-
çant ces emprunts à l'époque du premier exil, c'est-à-
dire plus de SOO ans avant J.-C, fait subir aux tradi-
tions dont il ignore la provenance exacte, le recul
poétique et prestigieux qui lui est coutumier. Ce n'est
pas pendant le séjour de 50 ans d'exil qu'on appelle
exil de Babylone et qui va de 586-87 à 536 avant J.-C.
qu'il faut placer cette origine, mais dans cette époque
de floraison qui se place dans les premiers siècles de
l'ère chrétienne. De cette époque, en effet, le Talmud a
gardé des souvenirs précis, et pour les notions astrono-
miques en particulier, les noms qu'il cite sont bien
ceux d'alors^ tel le docteur Samuel, contemporain de R.
82 LE HTSTICISME JUIF JDSQU*A LA CLOTURE DU TALMUD
le Saint..., à qui « les voix du ciel étaient aussi familières
que les rues de sa ville. » Au temps de Tédit de Cyrus,
au contraire, Tangélologie persane groupée sous Ormuzd
et Âhriman n*avait pas encore détrôné le culte de Mar-
duk-Bel (les documents cunéiformes font foi de la
chose). Or, ce n est pas la suite de Marduk, mais bien la
troupe des dévas persans, qui a passé dans le Talmud,
les Dévas d'Âhriman, qui « mâles et femelles courent
en foule de tous côtés, de mille, de dix mille côtés. ..^ qui
se présentent sous toutes les formes, qui sèment parmi
les hommes la maladie, souillent leurs corps pendant
la nuit, assiègent les vivants à peine nés^ les mourants
à leurs derniers instants, ces dévas qui s'accouplent
l'un à Tautre et se reproduisent éternellement... »
Maintenant comment ces idées examinées jusqu'ici
ont-elles trouvé accès dans le Talmud? Ici nous sommes
complètement dans le domaine des conjectures. Cepen-
dant il nous parait probable qu^avant de passer dans la
littérature talmudique les doctrines nouvelles et parti-
culièrement l'angélologie ont leur foyer de vie et de
propagande et ce foyer n est autre que la fameuse secte
des Ësséniens. Le Talmud lui-même et les témoignages
extérieurs vont nous le démontrer.
Les dénominations les plus fréquentes des Ësséniens
sont : « les premiers Chassidim )> et les « Compagnons »
(Chaberim), de préférence cette dernière, comme Ta dé-
montré Fraenkel : Die Essaer (Zeitsch. fiir die relig. In-
terrets der Judenthums, Jahrg. 1846, p. 4il-461. V.
Fraenkel, Monastschr. II, p. 30 sqq.). L'hébreu Chassi-
dim répond parfaitement au grec 'AatBaroi (I Macc, 2,
42; 1 à 13 et II Macc. 14,6).
Les Ësséniens nous apparaissent pour la première
fois au milieu du n* siècle comme une des trois sectes
principales des Juifs palestiniens. « A cette époque
LE MYSTICISME JUIF JUSQU'A LA CLOTURE DU TALMUD 83
(c esl-à-dire entre 160 et 143 av. J.-C.) il y avait en Pa-
lestine trois sectes juives :Ies Pharisiens^ les Saducéens
et les Esséniens. Philon comptera de son lemps plus de
40.000 Esséniens. Nous avons également sur eux quel-
ques indications dans Pline, Porphyre et et Épiphane.
Lorsque, après la guerre d'Adrien, le Sanhédrin et les
écoles émigrèrent en Galilée, celte contrée devint le
siège de TEssénisme. La doctrine y dut prendre un cer-
tain développement, car les Galiléens passent dans le
Talnïud pour être des métaphysiciens distingués. (Voir
traité Sabbat 80.) L'Académie de Tibériade fut détruite
en 360 par Gallien et avec elle cesse toute l'activité in-
tellectuelle en Palestine. C'est à ce moment que TEs-
sénisme disparut.
On peut affirmer a priori que Tascélisme, frère du
mysticisme et de la contemplation, que d autre part,
leur communisme exempt de soucis matériel, ne pou-
vaient pas ne pas conduire les Esséniens à chercher par
delà la doctrine juive, une doctrine plus étrange. Nous
ne sommes d'ailleurs pas entièrement dépourvus de do-
cuments sur cette doctrine.
Leur métaphysique relative à Dieu semble avoir pris
son point de départ dans le tétragramme, ce nom ineffa-
ble qui, jadis réservé aux grands prêtres, devenait main-
tenant le privilège, ou le prétendu privilège d'associa-
tions d'initiés. Nous voyons dans le Talmud, un Assi
(Essénien) de Sippora dire à un certain R. Pinchas :
a Viens, je vais te communiquer le tétragramme. »
L'autre se refuse à cet enseignement parce que^ étant
prêtre, il ne peut, suivant la loi mosaïque, rien accepter
de personne. Nous savons d'autre part que ce nom divin
leur était si sacré qu'ils se refusaient à le prononcer
même pour prêter serment.
Les Clémentines, qui contiennent beaucoup de vestiges
84 LE MYSTiaSME JUIF JUSQU'a Là. CLOTURE DU TALMUD
esséniens^ nous permeltent d'entrevoir le caractère gé-
néral de la métaphysique essénienne, et ce caractère
annonce de loin celui de la Kabbale. Nous y lisons :
« Sans cesse les anges contemplent le visage du Père,
car le Père a une figure en tant qu'étant la première et
unique beauté ; le type de la beauté. Il a aussi tous les
membres comme nous, mais non pas pour s'en servir...
Son corps est infiniment plus léger que l'esprit qui est
en nous, et plus lumineux que toute lumière; de sorte
que le soleil apparaît en face de lui comme des ténè-
bres... C'est d'après sa figure qu'il a en quelque sorte
avec une noble empreinte formé l'homme... Dieu lui-
même est le Tout et Thomme est son image ou micro-
cosme. »
Selon Ëpiphane,une conception essénienne présentait
Tôlre primitif comme produisant au moment de la créa-
tion, tout d'abord, l'homme primordial {Adam Kadmon)
sous forme androgyne. Cet homme se serait ensuite
scindé en deux^ la partie m&le devenait le Fils, et la
partie femelle devenait l'Esprit Saint (1), deux figures
égales, hautes de 96 lieues, larges de 24, selon la me-
sure de la colonne de nuée qui figure dans V Exode. Cela
ne nous conduit-il pas en plein dans le mysticisme du
Schiur Koma?
A la métaphysique divine se rattachait nécessairement
l'angélologie. Une des grandes aspirations des Ëssé-
niens était de capter l'esprit prophétique, ou d'atteindre
l'extase de l'Esprit-Saint par la médiation des anges. Ils
étaient ainsi naturellement amenés à donner à l'angélo-
logie persane droit de cité dans le judaïsme.
1. Dans rÉvaogile aux Hébreux aurait Gguré, d'après S. Jérôme
et Origène, celte doctrine de TEsprit-Saint considérée comme mère.
Jésus lui-même y aurait dit : Ma mère TEsprit-Saint me saisit par
les cheveux et me conduisit sur la haute montagne du Thabor.
LE MYSTICISME JLIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD 85
A côté de ce mysticisme Ihéoriqiie, on surprend chez
les Esséniens des traces irrécusables d'une doctrine
Ihéurgique. L'originalité de leur vie les faisait passer
aux yeux du peuple et peut-être à leurs propres yeux
pour les maîtres des forces de la nature. Le peuple at-
tendait d'eux Téloignement des maux dont ils souf-
fraient, ou leur prêtait le pouvoir de pénétrer les arrêts
de Tavenir, d'amener la pluie qui tardait avenir, d'exor-
ciser les possédés, et en général de guérir toutes les
maladies résistantes. Nous retrouvons dansJosèphe une
conGrmation de ces choses. Le Talmud et les écrivains
arabes parlent d'un manuel médical (n^t^iDl IDD) attribué
au roi Salomon (Traité Pesach. 56 a ; Fabricius, Codex
pseudepigraphus V TI, 1042 ; cf. ^e\\ y Légendes bibliques
des musulmansj p. 225, 279). Selon Maïmonide (Gom-
ment, du Talmud, tr. Pesachim), ce manuel était un re-
cueil de cures et d'exorcisations magiques. Ces cures
s'opéraient par la prononciation de certaines formules
et de versets de TÉcriture sainte (peut-être accompagnés
d'attouchements et de passes magnétiques) et aussi et
surtout par l'emploi de racines et de pierres (peut-être
d'aimants dégageant une force magnétique curative).
Josëphe confirme le caractère à la fois théurgique et
pratique des Esséniens. D'une part il nous apprend
[De belL jud.y II, 8, 7) qu'ils avaient non seulement des
commentaires spéciaux adaptés à l'Écriture, mais des
écrits occultes au sujet desquels les néophytes devaient
jurer ([xr^Sevl [xeTaSouvai twv ÎOYiAaTwv iziptùç ri (hq auToç rapé-
Xa6ev... xal (juvTY)prj(jeiv li xfjç alpiQ^ecoç aiTw pi6X(3c).
Josëphe nous apprend en outre que Tangélologie for-
mait la partie ésotérique de ces livres. Les noms des
anges y occupaient une telle place, partant avaient une
telle importance mystique, que le serment d'admission
des jeunes initiés comprenait la formule suivante : auvTY)-
86 LE MYSTICISME JUIF JUSQU'a LA CLOTURE DU TALMUD
piQdeiv o|jio{(»)ç xi T6 Tîjç 2ipicetùç aiicov 3(6X{a %ol\ xi xwv «yysXwv
cvofJiaTa (fl^ bclLjud,, II, 8, 7).
D*autre part il nous les présente comme possédant un
véritable corps de doctrine théurgique, jalousement gardé
dans ces écrits d'une haute antiquité : arouSà^ouji Sa âxTo^ox;
Ta Twv TzaAaiwv (iuYYpaîA[xaT7 [jiaXi(XTa ti -irpoç wf éXetav «{^u/ïJç xa'i
(JciîxaTOç ixXsYOVTEç (Z)^ Ae//. jtid.^ V> 8, 6).
De ces livres ils puisaient particulièrement l'art de
guérir, par le moyen des racines et des pierres: IvOev
ajToTç xpoç ÔepaTceiav zaÔwv ^{Çai it àXe^iTi^ptoi xal XiÔwv iB'.ottqteç
àvepcuvwvrai [ibid.).
Pour ce qui est des exorcismes dont Torigine remonte
à Salomon, Josèphe nous dit que de son temps encore
ces pratiques étaient en vigueur: xal vivr^ [j.i;(pt vOv-juap*
VjIxTv if) 6£pa?7e(a -ïuXeTffTOv td^ruet .
Il rapporte qu'un certain Éléazar, pour chasser le dé-
mon d'un possédé, lui fit autour du nez des passes par
le moyen d'un anneau d*or et d'une racine prescrite
dans le manuel, et le démon céda (iin/tç^., VIII, 2, 5). Enfin
Josèphe n'oublie pas les pratiques d'oneiromancie et de
prédiction d'avenir en usage chez les Esséniens [Antiq,^
XV, 10, 5 et XVII, 13 ; De bell. jud., I, 3, 5).
Ainsi la vie et la doctrine des Esséniens furent sans
aucun doute le grand courant médiateur entre les doc-
trines non juives et le mysticisme talmudique. Placés
entre les Sadducéens et les Pharisiens, ils étaient sur le
chemin que prennent les idées pour passer du dehors au
dedans, et parmi ces idées, leur vie les préparait naturel-
lement à se jeter de préférence sur ce qui pouvait four-
nir un aliment à leur séparatisme, c'est-à-dire sur l'éso-
térisme métaphysique et théurgique.
CHAPITRE IV
La Mercabah au temps des Gaonixn.
Le mysticisme juif, lel qu*il s'étail iloveloppé depuis
l'exil de Babylone jusqu'à la clôture du Talmud, subit
en apparence, à partir de ce moment, une éclipse qui se
prolonge jusqu'au si' siècle. La spéculation métaphy-
sique et cosmogonique qui en avait été le caractère sinon
exclusif du moins prédominant, le cède momentanément
à une spéculation d'un ordre inférieur. Le rôle de la rai-
son diminue au profit de Timagination et du cœur, sou-
vent aussi au profit d*une exaltation maladive, source
d*extravagances. On dirailque l'imagination juive, bridée
depuis la fin de la période prophétique, célèbre ses satur-
nales. La scolastique talmudique en la comprimant lui
a donné une élasticité plus vive, et maintenant^ au sor-
tir de la discipline des docteurs, elle prend sa revanche
par un mépris de toutes les lois de la science et de la lo-
gique. Alors naît ce qu'on appelle la Yeridatk Hfimmer-
kabahf littéralement : descente au fond de la Mercabah,
méditation de la Mercabah, c'est-à-dire une forme de
contemplation qui va se perdre dans les espaces du ciel
et de Tenfer. On se souvient du fameux passage relatif
aux quatre docteurs. Au temps des Gaonim on s'ap-
puya sur ce passage pour donner à cette contemplation
une extension prodigieuse. Le terme « entrer dans le
Pardès », qui figure comme nous avons vu dans le pas-
7
88 LA MKRGABAQ AU TEMPS DES GAONIM
sage lalmudique en question, est maintenant appliqué
à une exaltation mystique produite par des abstinences
el des mortifications; cette exaltation transporte Tesprit
à travers la longue série des noirceurs infernales, des
palais et des splendeurs célestes, et c'est l'ensemble de
cette vision que Ton appelle alors le « Pardès ». Il se
constitue un véritable code qui prescrit les préparations
auxquelles il convient de se soumettre pour être digne
de cette vision. L'homme qui se propose de pénétrer les
mystères du ciel et de l'enfer doit jeûner très longtemps,
rester immobile, la face tournée contre terre, la tète entre
ses genoux et murmurer avec une voix monotone des
chants et des prières. Par la répétition interminable dos
formules <* Saint, Saint, Saint », « l'Eternel est Un », on
détruit en soi les derniers rayons de la raison et on
entre dans une espèce d'inconscience, état préparatoire
excellent pour aborder les régions supérieures ou infé-
rieures. Si rhomme est resté longtemps dans cette atti-
tude, il commence seulement à entrevoir les portes qui
s'ouvriront sur les spectacles merveilleux ; et à mesure
qu'il augmente son ascétisme, il puriHe sa vision, et il
en parcourt un à un tous les degrés. Se fondant sur le
Talmud de Jérusalem [Sabbat 1), leTalmud de Babylone
[Sotah fin ; Midrasch R. sur le Cantique des cantiques^,
on constitue dix degrés dV»lévation par lesquels le con-
templatif doit passer avant d'atteindre l'extase propre-
ment dite ; ce sont : « Eveil de l'attention (scrupule ?\
Prudence, Séparation (retraite, ascétisme ?), Pureté mo-
rale, Pureté rituelle, Sainteté, Humilité, Angoisse du
péché, Piété, Esprit Saint (1).» Arrivé à celte hauteur,
,r\'^.::; ,ntt7''.'Tp ,n"*-'2 ,71*7: .rT''-»s ,n'îT"'«T .rv^vn-i c'^z^ nVr''^
LA IIERCABAU AU TEMPS DES GAONIM S9
rinilié sent la Schecliinah ou gloire divine reposer sur
lui. Alors il doil s'armer de toutes les formules d'incan-
tation qui désarment les anges gardiens des portes (1).
Haï Gaon (i"Teschubah), reprenant tout le détail des
conditions préalables et essayant d en spiritualiser la
conception, dit : « Alors (quand l'initié a parcouru tous
les échelons qui conduisent à la contemplation), le ciel
s'ouvre devant lui, non qu'il y monte, mais il survient
quelque chose dans son cœur qui le fait entrer dans la
vision des choses divines »... El pour rendre acceptable
àTesprit la possibilité de ces contemplations, Ilaï ajoute
une explication qui nous présente comme un avant-
go&t de la mystique zoharitiquo : « Les choses infé-
rieures en général sont suspendues aux choses supé-
rieures par espèces^ par exemple les âmes unies aux
corps sont liées aux âmes supérieures, aux esprits purs
et ainsi l'homme est virtuellement en rapport avec le
degré le plus sublime des choses. Si par la Chochmuk
(il faut entendre ici, par ce mot, non pas science, ni
sagesse en général, mais initiation mystique), il passo
de la virtualité à Tacte, il peut arriver à pénétrer Tuni-
vers supra-sensible. Déplus, rhomnio étant un micro-
cosme est le résumé de tout et rellète en lui Tunivers
entier; en particulier, la Chochmah en lui est la (]uin-
tessence «le tous les mystères cachés au fond des chost^s
et le représentant de la grande Chochmah, hi « (choch-
mah Kedumah » [Sagesse première) qui s'exprime i^t
s'identifie dans laThorah.
Ce mysticisme ne visait pas seulement les contem-
1. Orig'-n»î {Cnntr, (V/s., VI, 31 1 nous «lit ijui.' dans la partie iiif»*-
rieuro du diagramme lies Ophiles fi|UMii'ai«»nt l«*s priiTcs à aJressri"
après la mort et diiraut le? p»*ivgrinations de rame, aOii (robl'iuii-
des archontes jrouvorneiirs du w\ racc"s de ces demeures.
90 LA MERGÂBÂH AU TEMPS DES GAOXIM
plations purement théoriques, il aspirait aussi à une
fin pratique, Ihéurgique. Dans le fragment tiré du Livre
d'Hénoch, sur lequel nous reviendrons longuement tout
à rheure, on dit que les mystères ont été transmis de
génération en génération, en vue de servir à la guérison
des malades (1). Salmon b. Jerucham, un Karaïte adver-
saire de Saadyah, qui vécut au commencement du k^ siè-
cle, reproche précisément aux mystiques rabbanites de
prétendre conjurer parleur exaltation les maladies, cal-
mer les tempêtes, apaiser les bêles fauves (2) ; ailleurs
il parle de noms mystiques dont Taction occulte verse
comme un filtre dans le cœur des amants. Quelques
savants de Gaïrouan demandèrent à Haï Gaon ce qu'il
fallait penser de la faculté d'opérer des prodiges que
prétendent posséder certains exaltés vivant partni eux;
ils s'exprimèrent ainsi : « Ces mystiques nous présentent
quantité de livres qui sont remplis de noms mystiques
1. uhrjh KiiS nw:inan aiSinn Ss n n'îa innb. Déjà avant le
Talmud {Sabbat 616) nous rencontrons des formules propitiatoires
que l'on inscrivait sur la batterie de cuisine et au pied des lits et qui
étaient destinées à servir de préventifs. Encore de nos jours, chez
certains Juifs, on épingle aux rideaux du lit de la femme en couches,
ainsi qu*au berceau du nouveau-né, un feuillet imprimé contenant
une objurgation en hébreu à Tadresse des esprits malfaisants.
Nous savons, d'autre part, que jusqu'au v^siècle s'était maintenu,
pour les chrétiens, l'usage de certains phylactères-amulettes
chargés d'inscriptions, de noms d'anges et de démons et destinés
à être appliqués sur les parties malades du corps ou à servir de
porte-bonheur d'une manière générale. A la fin du v« siècle, un
concile de Rome condamna les phylactères qui ne portent que des
noms de démons : « phylacteria omnia quae non angeiorum... sed
ilaemonum magis nominibus inscripta sunt » (Concil, Roman, y
I, ao -492).
2. D^^n:*: d''So2 nsi: niu?'::^ msai a^V.n ins*»" r:cnb2 i-^^s
LA MERGÂBAn AU TEMPS DES GAONIM 91
de Dieu, de noms d'anges, de figures et de sceaux
occultes. Celui qui désire se livrer à des pratiques mys-
tiques écrit tel ou tel nom, accomplit telle ou telle action
et alors le prodige s'accomplit, et les vieillards, gens de
foi et de piété, en voyant ces livres s'en éloignent et
n'osent les toucher » (1). Haï, tout en doutant de la vertu
de ces livres, reconnaît qu'ils existent et il en nomme
plusieurs : le Sepher Hajaschar^ le Razah Rabbah, le
Chorbah de Moïse [Respp. Haï. CoUect. Taam Zekenim^
56 sq.)-
Pour être jugé digne de ces facultés thaumaturgiques,
il fallait tout d*abord être désigné par la nature même,
c'est-à-dire porter sur la physionomie et les mains cer-
taines lignes détournées. La physiognomique et la chi-
romancie s'introduisent ainsi dans le judaïsme, non
pour elles-mêmes, mais comme un moyen de discerner
les disciples dignes d'être initiés aux grands mystères.
Scherira Gaon dit [Respp, Gaonim^ n" 122 cité par Nach
mani dans son Comment, du Pentat, et dans sa Dera-
scha^ p. 17) : « C'est pour cette raison que les docteurs
se sont transmis la manière de lire dans la physionomie
et les lignes de la main ; eu efTet, ils ne pouvaient trans-
mettre ces mystères et ces secrets qu'à ceux que certains
signes y déposaient (1). » Ziuni cite un passage des He-
chaloth (qui manque dans le fragment existant^ objet de
notre étude ultérieure) d'après lequel l'ange de la face
communique à R. Ismaêl les signes des lignes du front
et de la main (Jellinek, Beth Hammidreschy Inlrod.,
1. n-.ou?'! mr:u?no nr:3 ans ains ijSxn dicq ansD ntrsi
mr y rrmh nr.im p mu?vS NXiin idint lamn nnyï o^s^ba
D^vian kS". anD annsnx: anson ams ^^nti^td
2. iv^2*;'û-»;r niDi n>:s m;n 'nznb in^ D^î2:n anoio vn pSi
9*2 L\ MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
p. xvn). L*opusculeS^pA^ Hajaschar et un certain Sepher
Jochasim (v. Tosafot, Tr. Talm. ChuHUf 60 a) de cette
époque contenaient beaucoup de notions ayant trait à la
physiognomique et à la chiromancie en vue d'évoquer
les esprits et de se livrer à d^autres opérations de ma-
gie. D'après les données éparses que j*ai pu recueillir
dans les Respp, gaoniques, ce sont de préférence les
lignes ou plis du front et du creux de la main qui déci-
dent des aptitudes thaumaturgiques de chacun. Scherira
nous apprend d'autre part que la physiognomique se
rattachait depuis une antiquité reculée au passage de
rÉcriture: « Voici le livre des généalogies de Thomme »
que Ton interprétait : « Voici le livre relatif aux nais-
sances, à l'avenir de rhommc(4) ».
Les œuvres mystiques. — Il nous faut maintenant
aborder la littérature qui sert d'expression à celte pre-
mière forme du mysticisme gaonique. Si nous débutons
par cette littérature d'assez bas étage, au lieu d'aller d'em-
blée à l'expression du mysticisme spéculatif, c'est que ce
mysticisme inférieur, loin d'être l'objet d'étude d'une
élite de métaphysiciens, conquit des adeptes nombreux
dans la masse et que, refoulé seulement par Téclosion
zoharitique, il réapparaîtra dans ce qu'on est convenu
d'appeler la Kabbale pratique avec une telle force, que
c*est lui plus que le mysticisme spéculatif qui donnera
au mysticisme juif son caractère définitif. C'est lui qui
à partir du xiv« siècle se présentera à Tcspril de la
masse quand on prononcera devant elle le mot Kaô-
balah.
Mais pour traiter de cette littérature nous allons nous
heurter à une difficulté très complexe. Nous nous trou-
vons, en effet, en présence d'un certain nombre de frag-
LA MERCABAH AI TEMPS DES (iAOMH 93
monts d'œuvres sans que nous puissions dire à coup
sur où ils commencerit et où ils tinissent, s'ils sont les
chapitres d'un grand ouvrage synthétique, ou des par-
celles d^œuvres indépendantes que le hasard ou la con-
fusion des citations ultérieures a enchevêtrées. Ces frag-
ments sont communément dénommés ainsi :
!• Schiur Komah (Mesure de hauteur) ;
2* Livre dHénoch ;
3* Hechaloth Rahbati (Grand Palais^ ;
4" Hechaloth Zutrati (Petit Palais) ;
5* Otiyoth de R, Akiha ou Alfa-Beta de R. Akiba
(Alphabet de R. Akiba).
I, Le Schiur Komah, — Le Schiur Komah parait être
au premier abord le centre de toute cette littérature.
Nous n*en possédons que deux fragments assez courts.
Ce que ces fragments nous permettent de conclure sur
Tensemble de Tœuvre, c'est que cette œuvre se propo-*
sait d'envisager Dieu comme un homme immense avec
des membres humains, un visage humain, une barbe,
etc. Toutes les parties du corps divin portent des
noms étranges qui paraissent n*ôlre d'aucune lan-
gue ; Tauteur en connaît les mesures exactes et ces me-
sures sont indi(}uées en parasanges célestes, chaque pa-
rasange étant de mille fois mille aunes, chaque aune de
quatre empans, un empan allant d'une extrémité du
monde k Taulre. Voici le principal fragment : « Le corps
de la Schechinah est de 236 fois 10.000 parasanges, 118
fois 10.000 des reins à la tête et autant des reins aux
pieds ; ces parasanges ne sont pas des parasanges ordi-
naires, mais chacune a 1.000 fois 2.000 coudées^ la
coudée 4 empans, l'empan comprend l'espace qui va
d'une extrémité du momie à l'autre (i) ». L'auteur de
94 LA MERGABAH AU TEMPS DES GAONIM
cette description monstrueusement anthropomorphique
croit avoir apporté quelque chose d'absolument mer-
veilleux. En effet, quand R. Ismaël (c'est lui qui dans la
version classique va chercher au ciel la révélation de ce
grand mystère) est sur le point d*ètre initié par Dieu à
ce grand secret, les anges tentent tout d'abord de s*y
opposer et Dieu les apaise en disant que la révélation du
Schiur Komah est destiné à dédommager Israël de ses
souffrances. Dans une des Respp. de Scherira nous
voyons que Toeuvre originelle contenait ces mots : « R.
Ismaël dit : Quiconque connaît les mesures de Dieu
peut être assuré de la félicité future et jouit déjà du
bonheur terrestre, à condition toutefois qu'il en répète
chaque jour la doctrine. »
Le Schiur Komah ne fut pas sans soulever une vio-
lente indignation.* Les Karaïtes l'invoquèrent à toute
occasion pour reprocher au rabbinisme la grossièreté et
la matérialité de sa théosophie. Salmon b. Jerucham ne
croit pas pouvoir infliger à Saadyah une honte plus
grande qu'en lui rappelant sa familiarité avec cette œu-
vre : « sa bouche ne profère pas, il est vrai, cette doctrine,
mais la Haggadah lui est un ornement et le Schiur Ko-
mah lui est une gloire et un honneur » (cf. Dukcs, Orient, ^
1850, p. 508). Cependant il ne faut pas se hâter de con-
damner Tanthropomorphisme du Schiur Komah. Il n'est
peut-être qu'apparent. On a supposé non sans raison que
le point de' départ de cette œuvre se trouve dans le Can-
tique des cantiques. Si, en elïet, ce chant voluptueux
d'amour a pu trouver place parmi les livres du canon,
c'est que les auteurs du canon lui ont donné une inter-
.»*«i
I
L% MEP.l^BAE a: TEJIP5 T'ES ù^:.\lll î>5
prélalion midrasch'que. Ils y :.nt vu une ai-êArorit <vm-
bolisant l'amour de Dieu p:u- Israr!. une paru.hrA>e Je
la déuGmiDation de fiancé «jîî d'êpo-ux que les prophètes
dooDoni souvent à Dieu. Ce T-L»in! Je départ une fois ac-
cepté fait passer avec lui :es imagts K s plus malerielles.
Or. on peut conjecturer qunr les mysiiquos de l'époque
qui nous occupe prirent ombrage de ce malérialisme.
Mais que faire? on ne pouvait toucher à un livre consa-
cré par le prestige du can^^n biiilique. et un des plus
populaires. Ne pouvant !e supprimer, on le rendit inof-
fensif; on (»oussa à son extrême la description matérielle
de Dieu, au point quVIle échappa à toute représentation
et dépassa d'une autre manière Tontendement humain.
On voulut que Dieu à force d'être conçu d'une manière
anthropomorphique se dérobât à toute conception. Le
Schiur Komah est de la sorte une métaphysique dune
nature particulière reléguant à ea manière Dieu dans une
hauteur inaccessible. De là ces mesures hors de propor-
tions, ces parasanges comprenant tant de millions
d'empans, ces empans embrassant tout l'espace; de là
aussi ce mot du Schiur Komah, maintenant très clair :
fi Cette mesure relative à noire Créateur est inaccessible
aux créatures :
II. Le Livre fTllénoch, — Avant de passer au fragment
du Livre d'Hénoch qui fait partie de la littérature mys-
tique de ré[)oqne,il faut nous étendre assez longuement
sur le premier Livre d'Hénoch, sous sa forme originelle
telle qu'elle nous a été conservée dans une traduction
éthiopienne, parce que cet ouvnige a exercé un attrait
puissant sur les mystiques juifs en général et sur Tima-
ginalion mystique du temps des Gaonim en j)articulier.
Il a été un des cadres de prédilection de la pensée mys-
96 LA MERCABAH AU TEMPS DBS GAONIN
tique. Pour douner à toutes les fautaisies eschatologi-
ques amassées depuis le premier exil le prestige de
I ^antiquité, il parut bon à un certaiu moment de les mettre
dans la bouche non d'un prophète quelconque, comme on
le faisait d^abitude pour tous les romans pieux et les
Midraschim, mais dans la bouche d*un homme des an-
ciens temps que ses rapports surnaturels avec le ciel
désignaient particulièrement. Depuis une antiquité asset
haute on avait beaucoup réfléchi sur le verset de Genèse,
5^ 24 : (( Et Ilénoch marchait avec Dieu et il disparut
parce que Dieu le prit à lui. » L'imagination juive idéa-
lisa ces mots « Hénoch marchait avec Dieu » et les in-
terpréta comme si la Genèse eût voulu parler non seu-
lement de la piété du patriarche, mais des rapports
spirituels quil aurait eus durant toule sa vie avec les
anges, avec le monde supérieur eu général, avec Dieu.
La patristique chrétienne fit d'Hénoch comme un proto-
chrétien et de sa mort Timage anticipée de Tascension
du Christ. Cette interprétation fournissait une donnée
commode pour tontes les extases. Héuoch pendant toute
sa vie ne cesse de méditer Dieu et au moment de sa
mort, ou même de sa disparition, il parcourt sous la di-
rection des anges tous les espaces du ciel. II voit tout,
il entend tout ce qui est, ce qui sera; il lit les livres di-
vins qui portent dans leurs feuillets tout l'avenir céleste
et terrestre. Toutes les légendes (jui se greffèrent sur
la vie idéalisée d*ilénoch se condensèrent, à un certain
moment, en un tout confus dont nous allons essayer de
donner une idée.
L'ouvrage commence par rapporter la chute des anges,
leur hymen charnel avec les filles des hommes et la pro-
création des géants avec lesquels tous les maux se ré-
pandent sur la lerre. L'auteur énumère le nombre des
anges, la région terrestre qu'ils habitent, les mystères
LA MERCABAII Al TF.MPS 1\Y:> i;AOMM 97
sacrilèges auxquels ils iuitièrent les hommes. Azazel
leur enseigna Tari do faire dos épéos, des couteaux, des
boucliers^ la fabrication des bijoux, du fard, des collyres,
la mixture des couleurs^ tous les éléments de luxe et de
perdition; Amezarak lour apprit les formules magiques;
Baraqel Tastrologio; Cocabcl les signes astronomiques,
Les anges du bien, Michai'l, Gabriel, Suryan et Uryan s'en
émurent et rapportèrent à Dieu les corruptions et les
iniquités produites par les anges tombés. Dieu promit
de mettre tin k cet état de choses, fit coucher Azazel
enchaîné dans les ténèbres, alluma la iruerre parmi les
géants nés des unions monstrueuses et les Ht s'entre-dé-
vorer. Le moment est venu d'envoyer le délug^o, balayer
les crimes de la terre, mais auparavant il prend à lui lié-
noch et en fait son scribe. Voici comment Hénoch rap-
porte sa montée au ciel : « Le cours des étoiles et des
éclairs me poussa et lèvent me donna des ailes, et je
montai au ciel jusqu'auprès d'un mur de cristal enve-
loppé de feu. J'entrai dans la ilamme ot j'approchai d'un
palais tout de cristal... Son toit était comme le sentier
des étoiles et des éclairs, partout des rhénibins, des
flammes, un ciel liquide... et jo vis au tond un trùue
dont l'aspect était couleur de neige, il était enveloppé
d'étoiles et de voix do chérubins; le vêtement de Celui
qui est grand en magnificence était plus brillant que le
soleil, plus éclatant que la neige... et il médit : Approche,
Hénoch, approche de ma sainte parole. »
Hénoch est chargé par Dieu d'apporter aux anges la
conPirmation de leur châtiment éternel. 11 se dirige vers
rextrcniité du ciel et de la terre, où sont enchaînés les
géants du mal. Mais pour y arriver il doit parcourir tout
l'univers. C'est là le cadre dans lequel l'auteur place ses
visions. Hénoch parcourt les lieux où naissent l'éclair et
le tonnerre^ où naissent les sources de la vie; il voit les
98 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
montagnes qui amassent sur leur sommet les nuées
d'hiver, il voit les profondeurs béantes des abimes, les
réservoirs des vents, les fondements de la terre, la pierre
angulaire, les colonnes du ciel, les souffles qui chassent
devant eux le soleil et les astres, les sept mon-
tagnes faites tout entières de rubis, d*albâtre et de sa-
phir.
Il fait connaissance avec Uriel^ l'ange qui préside au
tonnerre et au tremblement de terre ; Raphaël, l'ange
des esprits unis au corps humain ; Raguel, l'ange de la
vengeance ; Michaël, l'ange de la meilleure partie des
hommes, c'est-à-dire le peuple.
Il voit les extrémités du ciel et de la terre, l'espace
béant du vide ; là sont les étoiles qui ont transgressé
Tordre divin en déviant de leur marche.
II parcourt encore le lieu du châtiment éternel, les
demeures où les morts attendent le jour du Jugement, il
s'arrête longtemps devant Tâme d'Abcl qui ne cesse de
gémir sur les iniquités de son frère et de toute la race de
Gain ; il visite les c jmpartiments des méchants, des
justes et de ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre. Il voit la
montagne sur laquelle Dieu sera assis au jour du Juge-
ment, l'arbre qui sera livré aux justes, et dont le fruit
leur donnera l'éternité et dont le parfum répandra en
eux la paix et le bonheur.
L'auteur s'étend longuement et à nouveau sur les de-
meures des justes, leurs occupations, leurs prières en
faveur des hommes. La justice coule à flots devant eux
et leur pitié se répand sur la terre comme une rosée,
leur bouche est pleine de louanges et d'hymnes. Hénoch
demeure longtemps à contempler ce lieu et à entendre
le concert harmonieux do ces louanges ; il entend les
voix qui exaltent Dieu et les voix qui chaulent les mé-
rites des justes, celle qui détourne la puissance de Salan
LA MERCABAn AU TEMPS DES GAOMM 99
et des calomnies qu'il apporte. Il est lui-même irrésisti-
blement entraîné à chauler et à exalter.
Puis il voit la Sagesse qui, n'ayant pu trouver de de-
meure sur la terre parmi les hommes, est retournée à son
berceau parmi les anges, alors que l'iniquité et la sottise
sorties de leurs réservoirs ont trouvé parmi les mortels
un sol fertile.
11 voit beaucoup d'autres mystères, comment les es-
prits sont répartis, comment toutes choses sont pesées
selon le poids de Tesprit, comment Téclair et le tonnerre
sans être une seule chose marchent ensemble liés par un
même esprit qui produit simultanément la lueur de Tun
et le bruit de l'autre ; il voit Tesprit mâle et fort de la
mer qui la retient par une bride et la lAche à son gré.
Au chapitre 63 ce n'est plus Ilénoch mais Noé qui
prend la parole et demande des révélations à son aïeul
Hénoch. C'est un nouvel artifice pour dérouler tout le
chapelet des idées. Hénoch rappelle — et cette fois avec
plus de détails — tous les mystères que les anges de
Satan ont eu le tort de communiquer aux hommes, les
formules de magie, les forces qui président à la fonte
des métaux, comment l'argent et les stalactites se for-
ment de la poussière, comment au contraire le plomb et
l'élain jaillissent d'une source. Il lui apprend le nom
d'autres anges pervers: de Gadreel, qui fut le tentateur
d'Eve et qui enseigna aux hommes à fabriquer l'épée,
la cuirasse, le bouclier et tous les instruments de mort;
Pénémon, qui révéla l'amer et le doux, qui révéla le pa-
pier, l'encre et l'écriture, toutes choses qui font pécher
beaucoup car les hommes ne sont pas faits pour fixer
leur foi avec le calam ; sans celte maudite Sirène ils
seraient restés purs et la mort ne les aurait jamais tou-
chés; Kesbeel qui enseigna le nom caché de Dieu et le
serment céleste qui servit à créer tout l'univers, le nom
100 LA MERCABAII AU TEMPS DES GAONIU
et le serment en qui et par qui est constitué l'ordre im*
muable des esprits et des choses. Il lui révéla la loi des
astres, les six portes par lesquelles le soleil passe à son
lever et les six portes par lesquelles il rentre à son cou-
cher. Le soleil roule sur un char poussé par le vent, et la
longueur respective des jours et des nuits dépend de la
largeur des portes et fenêtres qui lui donnent accès sur
la terre. Il parle longuement de Tannée solaire de 364
jours et de Tannée lunaire de Soi jours. Il y a un service
d'anges spécial pour rétablir Taccord entre Tune et
Tautre. La lune reçoit le septième delà lumière solaire.
Pendant les deux premiers quartiers delà lune, le soleil
ajoute chaque jour 1/14, qu'il reprend dans la même me-
sure pendant les deux derniers quartiers.
Hénoch est ensuite conduit auprès des tables célestes
qui portent la destinée de tout. Il voit d'avance toute la
série des hommes qui restent à naître et il lit la relation
de toute leur vie.
Hénoch avertit Mathusalem et les siens des terribles
châtiments suspendus sur les iniquités des hommes. Il
lui parle longuement du règne de la justice. Puis il lance
un véritable pamphlet contre le luxe, les bijoux, les orne-
ments, et couvre de louanges ceux qui mortifient la chair,
qui dédaignent Tor, Targent et les biens de ce monde.
Le Livre d'Hénoch est donc un livre apocalyptique
comme celui de Daniel, avec cette ditTéreuce cependant
que les parties apocalyptiques du Livre de Daniel et les
Apocalypses en général ne s'occupent que de Tavenir,
des avertissements qui s'y rattachent et des vertus qui
le préparent. Le Livre d'IIénoch, outre la part qu'il fait
à cet avenir, traite aussi des sciences et particulièrement
des sciences naturelles et c'est encore là une forme
d'Apocalypse, puisque aux yeux de la pensée juive les
notions relatives aux forces terrestres et célestes soiU
LA MERCAliAII Al TK)iPS DtS 0>OMM lOl
considérées comme inaccessibles à la masse des esprils
et consliluenl des mysières ou choses apocalyptiques.
C'est déjà là un premier motif qui désignait naturel-
lement aux mystiques juifs ce livre comme une mine de
notions occultes. Ce (|ui dut en outre exercer un grave
attrait sur l'imagination mystique, c'est cette confusion
des choses célestes et terrestres, cette connexilé entrt*
le ciel et la terre, qui en constitue un des Irails essen-
tiels. Le mysticisme juif qui tend précisément au fur el
à mesure de son développement à rapprocher et à fondre
Tun dans l'autre Tordre sensible et Tordre supra-sen-
sible, trouva dans le Livre d'Hénoch une impulsion puis-
sante et un aliment substantiel. La prédestination ou
préexistence très nettement marquée dans ce livre fut,
elle aussi, une cause de son succès. L*idée de table céleste
ou de registre portant par avance tout ce qui doit se
dérouler dans la réalité jusqu^à la fin des temps sédui-
sait Timagination mystique penchée sur tout ce qui est
obscur et par conséquent aussi sur tout ce qui est éloi-
gné dans l'avenir. Ces u destinées de toutes choses tenues
prêtes à descendre », quel appel et quelle tentation pour
Tardeur contemplative des hommes ultérieurs!
Ajoutons que Touvrage a un caractère assez vague
pour servir décadré à toutes les imaginations. L'auteur
ne précise rien, il pille véritablement les parties bibli-
ques qui se prêtent le mieux à ses conceptions, il fait
une véritable mosaïque de versets bibliques. — L'auteur
est un mystique avant la lettre. Il en a la méthode ou
plutôt Tabsence de méthode. Il croit se maintenir entiè-
rement sur le terrain biblique et il puise largement dans
ce que nous avons ap}>elé la mythique et la poétique
biblique, notamment dans les Psaumtis et dans ./o/>. Il
prend à la lettre les magasins célestes dont nous parle
la Bible, les trésors nù sont renfermés le vent^ la grêle,
102 LA MERGABAU AU TEMPS DES GAONIM
la pluie, etc., la pierre angulaire sur laquelle la terre
est fondée, les colonnes sur lesquelles s*appuie la voûte
céleste; il croit aux flèches divines, au carquois divin,
auxmagasinsd*approvisionnementsducieI,el il parvient
à enchâsser dans ce fond biblique les conceptions les
plus éloignées de la Bible, grâce à ce mode d*intei*préta-
tion d'une fécondité inépuisable^ qui s'appelle Tallégo-
risme.
La composition du Livre d*Hénoch se place aux en-
virons de l'ère chrétienne, étant donné que le dernier
événement connu par l'auteur est la guerre d'Anliochus
Sidetes contre Jean Hyrcan. Il était originellement écrit
en hébreu ou en araméen comme le prouve l'étymologie
d'un certain nombre de noms propres inventés par l'au-
teur. Étant donnée la place que l'angélologie y occupe
on peut conjecturer que Tauteur appartenait à la secte
des Esséniens (v. Jellineck, Zeitschrift der deutsch, mor-
genlànd, Gesellschaft, VII, p. 249 ; cf. Josèphe, De bello
jiid., Il, 8, 7). Cela semble résulter aussi de son hostilité
à la parure et aux ornements (ch. 98, 2) à tel point qu'il
en attribue l'invention à des anges tombés.
Une autre marque d'essénisme, c'est qu'Hénoch se sent
poussé à l'aspect du soleil levant à exalter la gloire do
Dieu (cf. Josèphe, §5).
La lin de l'ouvrage^ en vantant.ia mortification de la
chair^ le dédain de la nourriture terrestre, le mépris de
Tor et de l'argent, s'inspire de la doctrine essénicnne la
plus pure. Le Livre d'IIénoch nous serait inconnu, si
heureusement pour nous il n'avait été traduit en éthio-
pien et conservé dans cette traduction en Abyssinie.
D'apoès saint Augustin, il tomba dans Toubli avec l'en-
trée de la période d'ignorance de l'Église latine; dans
rÉglise grecque nous voyons encore à la fin du vin* siè-
cle le moine Syncelle en tirer grand profit et en citer dans
LA MËRCABAU AU TEMPS DES GAONIM 103
sa chronographie quelques fragments relatifs aux anges
tombés.
Récemment, en 1778, le célèbre voyageur anglais J.
Bruce le porta en Europe en des manuscrits originaux.
Tel donc que nous le possédons, le Livre d'Hénoch —
d'ailleurs remanié h différentes époques — a son berceau
dans le mysticisme chrétien de Tépoque palristique. Il est
incompréhensible que Dillmann le transporte à Tépoquo
hasmonéenne. La terminologie chrétienne y est transpa-
rente. « Le Fils de Thomme » dont le livre parle, qui ré-
side auprès de TAncion des jours, ne peut être que le
Christ. Au chap. 46, 47 nous lisons : « Ilénoch dit :
Là je vis la tête des jours (la Tète de la vieillesse, TAn-
cien des jours) et sa tête était blanche comme la laine,
et à côté de lui un autre dont l'aspect était celui d*un
homme. Je consultai Tange sur ce Fils de Thomme, et
sur la raison pour laquelle il se tenait auprès de l'An-
cien des jours. Il me répondit : « Celui-ci est le Fils de
l'homme en qui est la justice. »
Sous l'action du Livre d'IIénoch la physionomie
d'IIénochse transforme entièrement. Dans le Talmud,
Hénoch n'a rien de ce caractère mystique qu'il prend
dans la suite ; et Gen. Rab, ch. 2i>, bien loin de le consi-
dérer comme un prophète ou un saint, le présente comme
ni bon ni méchant, et même comme ayant été transporté
après sa disparition en enfer dans la région des péclieurs.
Mais déjà dans le livre des Jubilés, la ligure d'IIénoch se
transforme; transporté au paradis, il est chargé d'ins-
crire les jugements divins, les chiUiments éternels des
uns, les récompenses éternelles dos autres. Il est appelé
le scribe de la justice, le Grand Scribe {Sephira liab.);
dans les Pirké de R. Eliézcr nous trouvons un certain
nombre de descriptions quasi astronomiques relatives au
passage du soleil par les j^orles et fenêtres célestes et ces
104 LA HERCABAH AU TEMPS DES GAO^aM
notions sont mises sur le compte des révélations d*Hé-
noch (cf. ch. 6; Livre d'Hénoch, ch. 72 à 73). Enfin dans
le Coran la transfiguration est complète. Hénoch revêt
sous lenom dldris un caractère très auguste. Il est lejuste
prophète que Dieu a élevé au rang suprême (sourate
19, 54 à55). Or, c*est précisément l'islamisme qui semble
avoir été l'intermédiaire entre le Livre d'Hénoch et le
mysticisme juif. A l'époque gaonique en effel, une fusion
s'opéra entre la physionomie d'Hénoch et le mysticisme
contemplatif. Hénoch devient un des héros favoris au-
tour duquel se groupe ce mysticisme et pour mieux le
préparer à ce rôle on Tidcntifie avec Mélatron. Méta-
tron jusqu'à présent était considéré comme un ange pré-
posé aux autres, existant déjà lors de la création du
monde. Métatronest maintenant la transfiguration d'Hé-
noch monté au ciel. « Hénoch, fils de Yered, dont le nom
est Mélatron (1) » [Otijoth^ lettre alef). Voici la consé-
cration d'Hénoch telle que le rapporte le fragment qui
sous le nom de fragment d'Hénoch nous est resté de
cette époque. « Dieu dit : « Je l'ai muni d'ailes, je l'ai
pris, j'en ai fait mon serviteur Métatron unique parmi les
enfants du ciel. Je l'ai distingué aux premiers temps.
Lorsque je vis dégénérer la génération du déluge, j'en
ai retiré ma divinité et je suis monté dans les hauteurs
au son de la trompette selon Ps. 47, 6... et j'ai pris
parmi eux Hénoch, le fils de Yered, et je l'ai fait monter
parmi les sons de la trompette vers les quatre bûtes du
char, afin qu'il me servît de témoin dans Tavenir. JeTai
préposé à toutes les richesses et trésors que je possède
dans chaque ciel, et j'ai remis dans sa main la clé de
tout. . • i) (Suit une longue amplification des occupations de
Mélatron...) « Métatron a quatre-vingt-douze noms cor-
1. ]rn2:r2 rscxs -rr- yi 7î:n
LA MERCABÂII AU TEMPS DES GAOMM 105
respoQclanl aux quatro-ving^l-douzc noms inefTables gra-
vés sur le char... et qualre-vingt-dou7.e sceaux sont
scellés par sou doigl el destinés à marquer les décisions
relatives au ciel, aux royaumes supérieurs, les destinées
de chaque nation et de chaque royaume terrestre, les
décisions de TÂUj^e de la mort. )>
Ilénoch devient donc pour les contemplatifs le grand
délenteur des mystères célestes, le grand révélateur des
secrets. C'est lui qui guide ceux qui entreprennent ce
voyage terrible. C'est à lui que s'adresseront les prières
de ceux qui désireront être dignes do ces augustes vi-
sioDs; c'est lui qui leur prescrit la marche à suivre pour
obtenir Taccès des demeures célestes; c'est lui aussi qui
dirige leur promenade contemplative, qui raffermit le
visionnaire contre les terreurs qui l'accablent au seuil
de chaque inconnu, et par extension contre toutes les
maladies qui pt3uvenl accabler les hommes. Il est le
grand médecin des corps et le grand directeur des Ames.
On n'a pas de peine à voir dès à présent le vide bril-
lant de ces contemplations, ce besoin de s*étourdir par
des mots, les promesses, les splendeurs tictives. On sent
bien que c'est en quelque sorte juir une application, je
dirai presque, pur une application extérieure que la
pensée juive entre dans cette voie.
C'est ce qui va encore mieux apparaître avec, les lle-
chalolh.
III. />.s' Hochalotli ou Palais, — Les Her/ialoth, appe-
lés aussi Pirké Hechalotk et Pirké Mercabah^ sont Tœu-
vre la plus classique de la littérature mystique qui nous
occupe. L'auteur commence par exalter ceux qui arrivent
à contempler la Mercabah, les « voyants de la Mercabah ».
Ils contemplent les pensées et les actions les plus se-
crètes, ce qui est el ce qui n'est jjas encore; ils pénètrent
r intention de ceux qui leur veulent du bien ou du mal
106 LA MERCABAn AU TEMPS DES GAONIM
*
et ils sont l'objet d*une faveur si particulière de la part
de Dieu que leurs ennemis, s*ils le veulent, sont immé-
diatement frappés. Leur valeur est si grande aux yeux
de Dieu que « seuls, un roi, un grand-prêtre^ un sanhé-
drin réunis ont une valeur supérieure ».
Avant d'être digne d'aborder les Hechaloth, a il faut
que l'homme possède à fond les Lois et les Prophètes, le
Talmud, la Ilaggadah et le Midrasch. » Puis l'ouvrage
parle des chants et des hymnes que l'homme doit psal-
modier pour parcourir toutes les phases de la contem-
plation ; il fait un tableau sombre des terreurs qui ac-
compagnent la vision, terreurs telles que les myriades
d'anges, quoique chaque jour témoins de ce spectacle,
sont saisis éternellement par un tremblement extatique.
C'est une peinture fastidieuse des émotions, des agitations
mystiques h la vue des feux qui enveloppent le char
divin, des joies voluptueuses qui saisissent le voyant
quand il entend les sublimes harmonies. On ne nous fait
grâce de rien et l'on déroule devant nous tous les acces-
soires de la Mercabah, tous les détails de ces acces-
soireSy les anges qui y veillent, la forme de chaque
ange, la description de ses ailes, de ses vêtements, de
son vol. L'auteur va jusqu'à hyposlasier des terreurs
qui donnent accès à la Mercabah. Elles sont assises sur
les essieux, les roues, le siège. Bref, la théophanie d'K-
zéchiel est découpée en mille morceaux et autour de
chaque élément se concrétise un amas fastidieux de dé-
tails.
L'auteur met en garde contre les dangers qui s'atta-
chent à l'heure où se produit la contemplation, le sur-
croît de forces que cette heure donne à Samaël, auteur
des maladies, des fléaux, des stérilités.
Après celte longue introduction, Touvrage aborde la
description des sept palais ou temples célestes qu'il faut
LA MERCABAH Al' TKMI»S DES GAOXIM 107
traverser avant d'arriver à laMorcabah. Fliiil ailles grar-
diens veillent aux portos de chaque temple. Leurs noms
sont des dénominations abstraites quelcon(|ues associées
au nom Dieu, comme Matakel (Doux-Dieu\ Baradel
^Grèle-Dieu), Dahariel (Pureté, Éclat-Dieu). A la porte
du septième palais sont des guerriers terribles, debout,
l'épée au clair; de leurs yeux sortent des étoiles de feu,
de leur bouche jaillissent des charbons ardents ; il y en
a qui sont assis sur des chevaux terribles, (c chevaux
de terreur et d'angoisse, chevaux de sang, de grêle qui
boivent des Heuves de feu. » Puis viennent les formules
et les amulettes devant lesquelles le gardien ouvre les
portes. L'auteur s'étend longuement sur la description
du septième ciel, sur les anges qui le desservent, sur
les formules et psaumes qui doivent être récités au mo-
ment où Ton a accès au trône glorieux lui-même. Un
dialogue se produit entre Dieu, Israël et les anges, au
sujet des procédés secrets par lesquels on peut s'ins-
truire sans étude et se donner en quelque sorte la science
infuse.
Un trait curieux de ce livre est qu'il a des subterfuges
pour permettre à la fois de prononcer et de ne pas pro-
noncer les noms inelfahles ; il emploie pour cela des
érjuivalenls grecs et latins. Il y a d'ailleurs chez tous les
mystiques un engouement marqué pour les mois de lan-
gues étrangères. Ainsi Tango Dumiel, portier de l'enfer,
adresse aux nouveaux venus ces mots :
ce qui, d'après la savante interprétation de M. Schwab,
n'est autre chose qu'une transcription des mots grecs :
ip'TTTjV T^;j.£pav ip'.T:r^'^ y.aviSivsv 7£y.v5v £iVr,vr,, « Bonjour,
squelette, squelette sacré, paix. »
IV. LAlfa-Beta de R. Akiba, — Les Otijoth de R.
108 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
Akiba paraissent n^avoir été à roriginc qu^un moyen
pratique pour apprendre à lire aux enfants. On ratta-
chait, à cet effet, à chaque lettre certains préceptes pour
mieux en graver le son dans l'écrit des enfamts. Il
existe une version primitive destinée à enseigner aux
enfants en même temps que les lettres, le sens et la
portée du Décaloguc. Peu à peu le» anneaux s'écartèrent
pour faire place d'abord à des aphorismes haggadiques,
puis à des conceptions mystiques. Nous allons dire quel-
ques mots de Touvrage qui non» est parvenu sous cette
forme. Il part de ce point de vue que les lettres de Tal-
phabet, base de la parole ou du verbe, sont Tessence et
le principe de tout, ou au moins enveloppent toutes
choses; puis, il prend chacune de ces lettres et en dé-
compose le nom eu ses consonnes. Par exemple la lettre
bet en bt (rhébreu faisant abstraction des voyelles, les-
quelles ne figurent piis dans le corps du mot). De plus,
il considère la forme matérielle des lettres et c'est ainsi
que Talphabet hébreu devient le lieu d'un ensemble de
doctrines mystiques. Voici un passage qui jettera quel-
ques clartés sur la méthode ou plutôt sur le procédé de
cet ouvrage. Il se trouve à la fin du développement re-
latif à la lettre alef.
« Pourquoi écrivons-nous cette lettre par un signe et
le dénommons-nous au moyen de trois signes? Parce
qu'elle est considérée comme une, à la manière de Dieu,
qui est un, quoique l'invocation à son nom soit triple et
sa glorilicalion triple. Et d'où savons-nous que Dieu est
appelé Un? De Deiitéronome ^ 6, 4 : « L'Éternel notre
Dieu est Un, » Et maintenant d'où savons-nous que l'in-
vocation est triple : « Éternel Dieu litcrnel »? De m^me
de Ex. 34, G. « U Éternel^ VÉiernel, un Dieu miséricor-
dieux... » Et d'où savons-nous que sa glorification est
triple ? D7.stf?^, 6, 3: « Saint, Saint, Saint est le Dieu... •>
LA MERCABAH AU TEMPS DKS GAO.MM lOQ
et Isaîe^ 14o, 3 : « L'Éternel est f/rand el très di^jnc de
gloire^ et il n'y a pas de bornes à sa grandeur >». Enfin
d'Ex. Î6, 1 : « Alors Moïse et les enfants d'Israël chan^
tèrent cette chanson : Je veux chanter rÉternel... » De
cette masse confuse, empruntée par pièces el morceaux
à la Pesikta, au Tanchuma ;1) et à d'autres Midraschim
enchâssés dans Talphabet, nous extrayons les éléments
suivants :
Au moment de la création du monde les 22 lettres
gravées avec un burin de feu sur la couronne auguste de
Dieu descendirent et se placèrent devant lui, et chacune
lui dit : « Crée le monde avec moi. » D*abord se présenta
la lettre iav 'r , commencement du mot Thurah, Dieu la
repoussa parce qu'il la destinait à devenir le si^^ne des
affligés; puis vint la lettre schin (r), commencement du
mot Schaddaï; il la repoussa encore parce que celte let-
tre est aussi le commencement des mots schaw eischeker^
ipurNTO, mensonge, or le mensonge n'a pas de pieds;
aussi le schin (r?' avec ses trois branches supportées par
une pointe ne peut-il servir de fondement au monde.
D'autres lettres furent repoussées; enfin vint le lour
du beth (2), le commencement du mot Iwracha (ni"»!), bé-
nédiction, et Dieu Cf>nseiitit à en faire le rondement du
monde el le connnencemenl de la loi. Comme la lettre
aie/ (H) so tenait muette à Técart, DieuTinlerpellaen ces
termes : « Pourqm»i ce silence? — Je n'ose pariiitre de-
vant loi, car je suis la plus infime des lettres. Toutes les
lettres représentent un nombre multiple, et moi je ne
l. LoTîincliuiiia ♦•stuu onsombl»'. de mnrcoîiiix llap^^1^iiquos qui se
rattachent au docteur de ce nom ; ce docteur \vcut à peu près dans
la deuxième moitié du iv^ siècle.
La Pesikta est une dos plus anciennes colNvtions d'tia^i^adas ; la
preuve de son ancienneté est r^rclle ne connail pas le Talmud,
avec lequel elle est, d'ailleurs, très souvent en contradiction.
110 LA MERCABAH AU TEHPS DES 6A0NIM
représente que l'unité. Dieu la calma en lui disant : Toi,
tu me représentes, moi-même qui suis un, et la Thorah
qui est une ; c'est pourquoi le alef comme le grand signe
de la vérité (nt:«) se tient solidement sur ses pieds. »
Prenons maintenant les lettres dans leur ordre.
Alef («) est le principe de l'alphabet, comme Dieu est
le principe de tout. Alef est lu d'une émission de voix et
dénommé par trois signes pour marquer à la foisTunité
de Dieu et sa triple invocation.
Beih (i) est le commencement du mot Bmah (intel-
ligence), le principe, par conséquent, de toute activité
intellectuelle, surtout de la spéculation mystique. La
Bmah est au dessus même de la Thorah, elle en est la
source.
Remarquons, d'une part, cette espèce de compromis
entre l'unité et la trinité, d'autre part l'élévation à l'hy-
postase de l'attribut Binah.
Giiimeli^) nous présente une énumération de catégo-
ries innombrables d'anges et n*offre pas d'intérêt parti-
culier.
Bé (n) joue un rôle capital dans le nom Yahvé ; « par le
hé^ il a créé l'univers. »
Vav 0) p&r une application arbitraire de la combinai-
son appelée Giiematria groupe autour du tétragramme
une étrange mystique des noms divins qui se retrouvera
dans le Zohar.
Zayin (t), ayant une forme de poignard ou de clé, est
la clé divine qui ouvre toutes les stérilités, les magasins
célestes de la pluie, les yeux des aveugles, les lèvres
des hommes éloquents, les fers des esclaves, la tombe
des morts, la porte des enfers. A cette lettre se rat-
tachent aussi quelques notions générales d'astrologie
concernant l'influence des mazaloth (constellations).
Enfin nous y relevons cette idée, déjfi rencontrée dans le
LA MERCABAQ Al* TKMPS DE> liAONIM 111
Talmud, que l'imago du Jacob lerroslre endormi est
adorée par les anges d'en bas qui ligurent sur le bas de
réchelle, et l'image du Jacob céleste est adorée par les
anges supérieurs ; 1). On se rappelle en eiFet l'excès
auquel les mystiques poussent la conception des idées
types. Ici, au Jacob, fils dlsaac, qui est étendu sur la
grand'roule, correspond un Jacob céleste, modèle et
prototype de l'autre.
Cheth (n). — A cette lettre se rattache la description de
ia Schechinah (Ciloire divine) qui figurait avec quelques
variantes dans le Schiur Koma : « Le corps de la Sche-
cbinah est de 236 fois 10.000 parasanges. 1 18 fois 10.000
des reins à la tète, et autant des reins aux pieds ; ces
parasanges ne sont pas des parasanges ordinaires, mais
chacune a 1.000 fois 2.000 coudées, la coudée i empans,
Tempan comprend l'espace qui va d'une extrémité di^
monde à l'autre. — Pour réveiller les morts. Dieu se
sert d'une trompette de 1.000 coudées célestes et il émet
des sons qui parcourent l'univers entier. A chaque son
se fait une évolution nouvelle vers la résurrection et la
vie. Au premier, l'univers tremble; au second, la pous-
sière se ramasse; au troisième, les os se réunissent; au
quatrième, les membres se charpentent;au cinquilMue,
la peau s'étend sur les os ; au sixième, Tesprit et Tùme
rentrent dans leur corps ; au septième, les morts se
lèvent. »
Kaf (3) traite des conditions des justes dans TEden, de
leurs vêtements soyeux, de leur couronne ou auréole,
de leur table do pierres précieuses, de leur coupe cris-
1, Cette idée me fait penser que le songe dn Jacob [GcnfisCy 28,
12) ne doit pas être expliqué comme si les anges montaient et .
descendaient, comme on Tentcnd d'habitudo, mais comme sidoi^
anges étaient échelonnés immobiles du haut en bas de réchelle.
112 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAOMM
talline, des parfums délicats servis par trois anges; les
cieux distillent sans relâche une ambroisie parfumée,
appelée aj^petrsemd^ et des milliers d^anges font retentir
uae harmonie extatique.
Lamed (b) dit quelques mots^ du cœor humain consi-
déré comme le microcosme de rhonune, de même que
rhomme est le microcosme de l'univers.
Mem (D), le commencement du mot Mercahah, fournit
l'occasion d'une description du char d*Ëzéchiel, thème
rebattu sur lequel il est inutile de s'arrêter. Voici ce-
pendant un passage curieux qui dans certaines éditions
est amené par cette lettre : a Dieu a soixanfec-dix noms,
noms exprimés ; quant aux autres, ils sont innombrables. . .
Cesnonnfi sortent des trônes de sa gloire, ornés d'innom-
brables couronnes de feu, de flamn^s et de tempêtes...
A leurs côtés marchent mille camps divins, et milU fois
mille camps- tout puissants le& guident parmi toutes les
angoisses et les terreurs, parmi la crainte et Teffipoi,
parmi la gloire et la majesté, dans la puissance et Téclat,
dans la grandeur et dans la sagesse... et les camps té-
moignent à ces noms honneur et gloire et poussent de-
vant eux le trisagian : « Saint, Saint^ Saint. »
C'est en cortège triomphai qu'ils les conduisent à
travers tous les cieux, comme des fils de rois, puissants
et glorieux, et lorsqu'ils les ramènent auprès du trône,
toutes les bêtes de la Mercabah ouvrent leurs gueules
pour chanter en chœur les louanges du nom glorieux de
Dieu et crient tous ensemble : « Loué soit ce nom, glo-
rieux à jamais ! »
Les autres lettres de Talphabet ne nous oflVent pas
grand'chose. Rapportons cette comparaison étrange
entre laboiicheetlamer,qui se retrouvera dans le Zohar.
« L'une et l'autre s'ouvrent pour dévorer ; toutes deux
sont remplies de perles et répandent de l'eau ; Tune
LA MKRCABAn AI' TEMPS DKS UAONIM ll-'i
noie les navires, Taulre les hommes par la parole; Tuno
a des tempèles, Taiitre des calomnies. L*unc et rautii'
taent, Tune et Tautre sont également redoutées et re-
doatables; Tune et Tautre aboutissent à la boue et à la
vanité ».
Voici le portrait singulier de la félicité ultérieure des
justes et du châtiment des méchants. Ce châtiment con-
siste à voir, ù travers la porte entre-baillée du para-
dis, le spectacle snivant : a Chaque juste est revêtu d*un
manteau royal et coiffé d*une couronne : il est assis
comme un roi sur un trône d'or, devant une table de
pierre précieuse; dans sa main il lient une coupe d'or
remplie (Vnn baume de vie. La table est couverte de
tous les mets les plus délicieux. Â chacun d*entre eux
sont affectés trois anges... et les cieux s'ouvrent et font
pleuvoir sans cesse uno rosée de parfums; autour d'eux
des milliers d'anges font retentir les harmonies les plus
mélodieuses. Dieu lui-même danse et tous les astres
entrent dans la ronde. Les méchants en voyant ce spec-
tacle tombent sur leur face et versent d'interminables
larmes. »
Enfin citons encore un passage que nous lirons du Betk
Hammidrascli d(» Jollinork (III, p. 27 , où nous voyons
les OHjoth acconliM rhospitalité au ritualisme purement
cultuel et faim ainsi du mvsticisme le cadre momentané
du dogmatisme I(î plus rigoureux, marque certaine que
le judaïsme dogmatique et le judaïsme mystique ne fu-
rent pas toujours si séparés : « Un jour Dieu siégera au
paradis. Tous les justes seront assis devant lui... Dieu
leur enseignera los fondements de la doctrine nouvelle
qu'il chargera le Messie dapporler aux hommes, et lors-
qu'il arrivera à Ilaggadah Zeroubabel le fils de Schaltiel
se lèvera et dira la [trière des morts (litanie qui sert aussi
à séparer un service religieux de l'autre); sa voix reten-
114 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
tira d*uQe extrémité du monde à Taulre et tous les habi-
lants de l'univers crieront : Amen! y compris les Israé-
lites pécheurs et les païens retenus dans Tenfer... Et
Dieu s'enquérant dira : « Qu'est-ce donc que ce grand
(( bruit? » Les anges du service répondront : Mallre de
Tunivers, ce sont les Israélites pécheurs et les païens de
l'enfer qui font retentir leur Amenl Alors la miséricorde
divine sera émue et II dira : Pourquoi leur imposerais-
je plus longtemps ce châtiment, ce n'était pas leur faute
s'ils ont péché, mais celle de leurs mauvais instincts, et
sur-le-champ il remettra les clés de l'Enfer à Michaël et
Gabriel en leur disant : Allez et faites sortir des enfers
ceux qui sont retenus loin d'ici (Selon Isaïe^ 26, 2) ».
Le rabbin Hirz Trêves dans son commentaire cite un
passage, tiré, dit-il, de V Alphabet de R.Akiba, que notre
fragment ne contient pas et dans ce passage Hgurenlces
mois : « On connaît la longueur de Dicu^ mais pour la
mesure de sa hauteur il n'y a pas de fin [ensof) ; si cette
citation était authentique, nous rencontrerions ici pour la
première fois — dans une acception, il est vrai, purement
matérielle et anlhropomorphique, ce terme de ensof (\xï\
occupera la première place dans le mysticisme zoharili-
que.
L'ouvrage se réclame du nom de Akiba parce que le
Talmud dit de lui qu'il a interprété jusqu'aux moindres
traits, jusqu'aux queues des lettres hébraïques. Il était
donc tout indiqué pour prêter son nom à une étude mys-
tique gravitant autour de l'alphabet hébreu.
Quant au caractère général de cet opuscule, j'entends
l'exaltation de l'alphabet, il n'est pas difficile à saisir.
Du besoin d'adapter les idées platoniciennes à la pensée
juive nait la conception qui fait de la Thorah le plan et
l'idée directrice, l'idée des idées du Grand Architecte.
Puis chaque mot, chaque trait, chaque point de l'Écri-
-lia 'ie .1 Yj! n r^ Je Duii. nuis cha-jLie .oUro osî on
-u-rloue ?or:e un -vtv i:i:i a svr^i à bv'r.îr i'i:nivoi*5 c:
cLacccr d'-îrnlre vi^es «i il fouvoir abrî.er >v'a< so> aus-
picéf un-E- partie ti..- cet univers.
Maiat»=-naat que nou^ avons donné une i-lee du con-
tenu de celte litlr-rature. une question se pose ; Ces
divers fr.xements appas liennt-nt-ils à dos œuvres dis-
linc:e>. ou v a-t-il conn^xiié entre elles comme entre les
éléments dun tout? Lv Caraïle >a!mon b. Joruoham.quo
nous avons dêia reno «utré et qui vécut à la tin du
IX* sii^oie et au ri^mmenoemenl liu x*. écrivit contre les
rabijin< en Général el Saadyah t n particulier un ouvrage
de polémiqua intitulé Mihh'.nftnr/t, dans lequel i! leur
reprocha leur conception anlliropi^morphique de Dieu.
Pour fonder ce reproche il cite des passages lires des
Ofijoih, puis il ajoute : ^^ Je menlionnerai maintenant le
Schior Koma dont ces pécheurs n'ont pas eu honte, el
j'expliquerai Ir sens de chaque membre el de chaque
mesure... el ce que siîrnilie Mèlatron aux v-.mix île leur
doctrine héréti(]ue : •> Kl alors l'auteur fail dt'ux fus h»
lourde Talphabet el y rallache loul ce ijui ligure dans
le Schiur Koma.
Enfin Ilirlz Trèvi'S dil à la lin du Schiur Koma : w el
sur ce point il e<t écrit dans ÏAleph Beth de Hahhi Akiha,
etc., » marque certaine qu'à sou époque encore on se
référait do l'un à l'autre el que les données sur le Schiur
Koma étaient ou bien lirées «le VAIrp/t Ui'th de Hahhi
Akiba ou même n'existaienl plus que dans ce dernier ou-
vrage. Nous avons donc ici la preuve il'une connexilé
entre les Otijuth et le Svhiur Koma.
De plus, dans celte même inlroduclion du Schiur
Koma que Salmon b. Jerucham a sous les yeux, nous
trouvons ce qui suit : « Lorsque Dieu voulut révéler le
116 LA MtiIRGABAH AU TEMPS DES GAONIM
mystère relatif auK mesures, les ang^es se fàchèreat et
dirent : « Comment révéler ces choses à un mortel, en-
« fant de la femme. » Or, ce passage figure aujourd'hui
dans le fragment sur Hénoch. Dans ce frag-ment Meta-
tron dit : « L'Eternel, Dieu dlsraël, m'est témoiu que
lorsque j'ai voulu révéler ce mystère à Moïse, toutes les
Puissances célestes se sont tournées contre moi, et m'ont
dit : Pourquoi veux-tu révéler ce mystère? » Donc ce
qu'on considérait alors comme appartenant au Schiur
Koma, appartient pour nous au fragment sur Hénoch;
donc les deux fragments ne faisaient qu'un et la con-
nexitédu Schiur Koma avec les Otijoth s'étend mainte-
nant au fragment sur Hénoch. D'autre part dans le texte
de Salmon b. Jerucham, Métatron s^associe lui-même
aux anges étonnés et dit à Dieu : « Si tu veux magni-
fier Israël, donne-lui des martyrs, mais ne va pas jusqu^à
lui faire connaître ces secrets. » Dieu le calme en exaltant
le mérite de R. Ismai^l. Métatron se déclare satisfait,
apaise lui-même les anges et obtient rautorisation de
parler. Ce passage se rencontre également sous une
forme laconique dans notre fragment sur Hénoch, et
c'est là un nouveau témoignage du lien qui existe entre
entre ce fragment et le Schiur Koma.
Dans l'édition de Cracovie (1397) des 0///^y/A de R.
Akiba nous trouvons à la fin de la lettre aleplt une glo-
rification de Hénoch Métatron. Il v est dit en substance
que Dieu a soixante-dix noms et que Hénoch élevé au
rang des anges en a autant. Hénoch y est appelé petit
Dieu et détenteur des mystères. Tous ces traits figurant
dans notre fragment relatif à Hénoch, nous trouvons là
la marque d'une liaison étroite entre les Otyoth et le
fragment sur Hénoch.
Enlin pour ce qui est des Hechaloth la relation de Sal-
mon b. Jerucham nous apprend que c'est au moment où
LA MERCABAII AU TKMPS DKS GAONIM 117
R. Ismaël meurt marlyr pour sa foi qu'il est jupe digne
de ces révélations. Or noire édition dos Héchaloth a pré-
cisément pour cadre qu'un empereur romain (Lupinus?)
fit exécuter plusieurs docteurs et que l'un d'entre eux,
R. Ismai*!, monta au ciel pour savoir si la décision de
leur mort était irrévocable. Là, Métatron, après lui avoir
révélé ce qui concerne les mesures de Dieu, lui fit par-
courir toutes les demeures célestes. De plus — et chose
très frappante — dans le manuscrit de la collection
Oppenheim 9, 1061, les Héchnlolh portent le tilre de
« Livre dllénocli ». Enfin une longue citation du Ziuni^
13 sqq., se d(mnant comme empruntée aux //ecA^//o/// parle
de la transfiguration d'Hénoch et des noms qu'il porte.
Nous constatons donc sur la foi de toutes ces relations
une connexité étroite entre le Schiur Koma, les Otyoth,
le fragment d'IIénoch et les Iléchalotb. Au moins pou-
vons-nous affirmer que Salmon b. Jerucham emprun-
tait ses citations à un texte dans lequel ces quatre ou-
vrages se trouvaient fondus ensemble. Le centre de
toute cette efflorescence mystique est lo Schiur Koma.
C'est lu le mystère, le nïvstère des myslèros, celui dont
la révélation émeut les anges, celui que dans lapseudo-
épigraphie gaonique, les docteurs se disputent riionneur
d'avoir été chercher au ciel. Ce mystère est détenu et
révélé par Métatron. Métatron est une transfiguration
d'Hénoch. Il n'est pas seulement le révélateur de ce
mystère, mais c'est lui qui est chargé de guider le con-
templatif à travers toutes les pérégrinations célesles et
infernales. Puis toutes ces données sont enchâssées
dans le cadre de l'alphabet, c'est-à-dire rattachées à la
mystique des lettres. Tel est le fond de ce mysticisme,
qui d'ailleurs peut n'être lui-même qu'un résumé de
tout le développement mystique antérieur, placé entre
le VI* et le viii" siècle.
118 LA MERCABÂH AU TEMPS DES GAONIM
Quoi qu'il en soit, sur ce fond immuable Timagina-
lion individuelle jette des fantaisie innombrables. On
s'ingénie à varier les héros de cette montée et l'on subs-
titue à R. Ismaë], tantôt R. Eliézer, tantôt R. Akiba,
tantôt R. Nechounyah b. Hakanah, ou encore les dix
martyrs. Parfois même c'est Moïse qui est choisi comme
le type du contemplatif. heJalkut Reubeni cite un pas-
sage étendu des Pirké Héchaloth où se trouve exposée
une espèce à'at^censio Mosis. A son entrée au ciel la route
lui est barrée par Kemuel, Raziel, et d'autres anges en-
vieux de voir la Thorah quitter le ciel pour être livrée
aux hommes. Sur Tordre de Dieu, Moïse démontre aux
anges que la Thorah n'est pas faite pour eux, mais pour
les hommes; car elle implique Texistence des passions
dont les anges sont affranchis. En même temps que
Dieu communique à Moïse la Loi, il lui révèle d'autres
mystères, lui donne accès aux palais célestes et enfin
lui communique les mesures qui constituent le mystère
le plus terrible.
Puis on varie les conditions dans lesquelles s'est effec-
tuée la montée; tantôt à l'occasion de la fuite de K.
Akiba, ou simplement au moment où il s'est agi do
donner un encouragement aux dix martyrs, etc.; on
varie sur le nom de l'ange révélateur des secrets et à
côté de Métatron figure Suriel et Raziel et il se fait au-
tour de chacun comme une concrétion de légendes.
Quelques autres œuvres. — Sans pouvoir nous livrer
à l'analyse de tous les Midraschim mystiques qui se
placent entre le vi* et xri* siècle, nous voulons cependant
présenter encore quelques-uns qui sont comme des types
ou des genres littéraires et qui semblables à une matière
souple et flexible se plièrent à toutes les formes et h
tous les caprices individuels.
Le groupe « Raziel ». — C'est tout d'abord le groupe
LA MERCÂBAn AU TEMPS DES GAONIM 119
« Sepher Ilazicl » (1). D'après la Genhe la faute du pre-
mier homme, le contact de l'arbre de la science lui ap-
prit ce qu'il aurait dû à jamais ignorer : la distinction
efTective du bleu et du mal. Le mysticisme oublie com-
plètement le sens de cette page. Il entend que la faute
prise en soi a diminué l'homme, a affaibli son corps et
son esprit et par conséquent a jeté pour lui un voile de
mystère sur la face des choses. L^œuvre du mysticisme
est précisément de soulever ce voile et d'arriver à rendre
à l'homme par la raison et surtout par la force de l'ex-
tase ce que le péché lui a enlevé. Mais pour donner à ces
révélations mystiques le prestige de Tantiquité et les
abriter sous le nom d'Adam lui-même, on a imaginé ce
qui suit : Après son châtiment et dans la nuit intellec-
tuelle épaissie autour de lui, Adam adresse une longue
prière à Dieu ; il se plaint de son ignorance et il conjure
Dieu de lui rendre la science dont il a été privé par sa
faute. Trois jours après, Adam voit devant lui l'ange
Raziel assis au bord du fleuve qui longe le paradis.
L'ange demeure là sous ses yeux jusqu'à l'heure où le
soleil est à son midi. Dans sa main il tient un livre scellé
du sceau divin. Il dit à l'homme : « Pourquoi ce visage
triste; je suis venu chargé d'exaucer ta prière. Ce livre
t'apprendra ce qui t'adviondra jusqu'au jour de la mort,
à toi, à tes fils après toi, et à toutes les générations après
eus, à quiconque saura se soumettre aux conditions im-
posées. Ce livre dira aussi s'il y aura des famines, des
fauves, si la moisson sera bonne ou mauvaise, etc..»
L'ange Raziel à ces mots brisa le sceau et lut devant
Adam. Puis il le lui tendit et disparut dans une flamme
montée du sein du fleuve. Celle donnée une fois posée,
1. Il y a dilTiTCiites œuvras de co nnin. Le plus importante est
attribuée à B. KI«jîizar d-i Wornis. Mais, à coup sûr, la donnée pre-
mière, le cadre primllir, remonte à l'opoquc des Gaonim.
9
1^ LA HERCABAH AU TEMPS DES GAOMM
l'auteur déroule loule la série monotone de ses préten-
dues révélations. Il cite le Hechalothj les Otijoth deR.
Akiba (cf. 12 a A, 46 a, 19 a, 23 b). Il cite Métatron Pt
quand tout est fini nous avons pour tout résultat quel-
ques centaines de dénominations nouvelles relatives aux
anges qui président aux points cardinaux, aux saisons,
aux jours, des interprétations imaginaires touchant les
signes du zodiaque, les vents, les planètes dans les diffé-
rents temps et lieux. D'une manière générale tandis que
le mysticisme qui gravite autour de Métatron s'occupe
de préférence des régions supra-terrestres, le mysticisme
qui apour centre Raziel, appelé le détenteur de la clé des
sciences terrestres, ne quitte pas la terre et tend à satis-
faire le besoin de pénétrer les liens cachés qui unissent
les choses entre elles, leur actionréciproque, afin d'armer
par ce moyen l'initié de forces dérobées à la vue des au-
tres hommes.
A côté d'Hénoch, à côté d'Adam, Noé devient égale-
ment un personnage favori du mysticisme gaonique.
Celui-ci se fonde pour cela, d'une part, sur Genèse, 6, 9,
où Noé est dit : « marchant avec Dieu » et, d'autre part,
sur le livre d'Hénoch lui-même qui, ch. 10, 2, présente
Noé comme un voyant en rapport avec les autres, Noé
est généralement le porte-parole des connaissances mé-
dicales; voici sous quelle forme : les fils de Noé se plai-
gnent à leur père des fléaux et des maladies occasionnés
par la procréation des démons. Noé demande à Dieu
comment il doit répondre à ses fils. L^ange Raphaël se
présente, met sous verrous les neuf dixièmes des démons
et laisse l'autre dixième aux mains de Mastema, leur chef,
en vue de châtier les méchants. Puis il conduit Noé sur
le mont Loubar (peut-être Luban, Liban?) et lui donne
certaines connaissances sur la nature des bois aroma-
tiques, l'emploi de la résine, comme préservatif contre
Li MERCABAU AU TEMPS DES GAOMM 121
la peste ft contre la lèpre (il est probable que la résiae
passait pour un puissant antiseptique), sur Ja meilleure
saison de cueillir les simples, les lieux les plus propices,
enfin sur leurs vertus. — Noé met ces connaissances
par écrit et c'est dans cet écrit, conclut Touvrag-e, qu'ont
puisé de tout temps les sag-es de l'Egypte et de Tlnde.
Un opuscule intitulé Sc/temachzaï et Azazel nous pré-
sente un mélange curieux d'éléments empruntés à la
fois à la Bible et au folklore babylonien, au mysticisme
talmudique et à la mythique classique. Rien n'est plus
instructif pour montrer comment la pensée mystique
juive procède, comment elle emprunte, comment elle
adapte et comment elle altère.
Les anges Schemachzaï et Azazel quittent le ciel pour
aller répandre le nom divin jusque chez les mortels les
plus corrompus. Ils se rendent auprès de femmes de bas
étage pour les convertir au bien. Mais ils sont eux-mêmes
pris au piège. Le premier est séduit irrésistiblement par
la beauté d'une certaine Ischtahar; mais elle, au con-
traire, touchée subitement par la vertu qui se déi^age
de l'ange, acquiert la pureté angéliqu«'; il so fait hu
échange de leurs natures. Ischtahar, avec Taide du télra-
gramme, s'élance au ciel et, en récompense «le sa vertu,
elle est mise au nombre des Pléiades. Quant à Sche-
machzaï, lui se livre à toute la corruption des hommes.
Cependant, il se réveille à temps pour faire pénitence
avant l'arrivée du déluge, il échappe à l'anéantissement;
mais en châtiment de la séduction qu'il a tenté d'exercer
sur les filles des hommes, il est suspendu les pieds en
l'air, entre la terre et le ciel. Azazel, lui, erre toujours,
incorrigé, impénitent et c'est lui qui stimule les femmes
à exciter Timpudicité par le luxe et les ornements.
On saisit ici sur le vif un singulier mélange de données
empruntées à la mystique chaldéenne et jetées dans nu
122 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
cadre juif. Celte Ischtahar n'est autre que l'Ischlar,
TAstarté des Phéniciens, la Vénus phénicienne, avec
cette différence toutefois que Astarté remplit presque
à elle seule tout TOlympe féminin des Phéniciens. Puis,
cet élément venu tout droit de la Phénicie ou de la Grèce
subit l'élaboration juive. Astarté est réhabilitée au con-
tact des anges^ elle se sert des procédés cabbalistiques
pour prendre son vol vers les cieux, et c'est par la mé-
diation du tétragramme qu'elle va prendre rang parmi
les Pléiades. Rappelons ici pour bien préciser ces choses
— qu'une légende longtemps accréditée et non encore
complètement effacée parmi les Juifs, fait de la résur-
rection du Christ, l'œuvre du nom ineffable. Jésus aurait
durant son vivant fixé ce nom sur un amulette, aurait
attaché cette amulette sur la plante de ses pieds, et
Taurait introduite dans la chair du pied droit. 11 n'est
pas défendu de penser que Topuscule qui nous occupe
est une fable à tendance destinée à venger Eve du rôle
que lui fait jouer la Ge^ièse et à verser sur Thomme et
sur les anges eux-mêmes l'esprit de corruption trop
complaisamment endossé par la femme. Si celte conjec-
ture est la vraie, l'auteur de celte fable serait certaine-
ment une femme.
Les vcxu'la'. . — Les voyages aux enfers deviennent le
cadre de la démonologic la plus extravagante. L'ouvrage
qui sous ce rapport a eu le plus d'action sur le mysti-
cisme ultérieur notamment sur le Schaar Haguemoul de
Nachmanide est le Maaseh de R. Jehoschoua. Il met en
scène R. Jehoschoua b. Levy qui, ayant rencontré le
prophète Élie^ lui demande des révélations sur l'empire
infernal. Elie ouvre devant lui les trois portes qui
donnent accès Tune sur la mer de Tenfer, l'autre sur le
désert, l'autre sur la cité infernale. Puis il parcourt avec
lui toutes ces différentes régions,. L'auteur nous présente
LA MERCABAII AU TEMPS DES (.AOMM 123
alors une véritable vsxjia qui n'est pas sans quelque res-
semblance générale avec celle que nous donnent Homère
Virgile ou Dante. Tous les synonymes bibliques sont
mis à contribution pour servir de dénomination à cette
géographie singulière. Le « Schachath » (fosse), « Aba-
don » (abime de perdition), «Choschek» (ténèbres),
« Bor» (puits de Tabime) des Psaumes, même le Tohu-
Bohu de la première page de la Genhe, etc., etc. devien-
nent autant de divisions, de quartiers visités par le doc-
teur. Il y est témoin des spectacles les plus horribles; il
voit toutes les manifestations du mal, toutes les laideurs
physiques et morales, des montagnes de charbons en-
flammés pèsent sur la poitrine des méchants, des fleuves
de feu baignent sans trêve leurs corps pantelants. Il y
en a qui sont suspendus par les mains, le nez^ la langue
contraints de dévorer sans relâche du sable brûlant ; il y
a des femmes attachées éternellement par les seins, et
et les uns et les autres sont roulés alternativement du
feu dans la neige et de la neige dans le feu. A chaque
étape, à chaque mode de chllktimentest préposé un autre
démon.
Dans la peinture des peines infernales et dans la des-
cription des jouissances célesti.'S, le génie juif déploie
une fantaisie qui n'a certes pas la grandeur terrible de
celle du Dante, mais qui par bien des côtés rappelle le
cadre des tableaux de la Divine Comédie, Les innom-
brables vîy.uir. de la mythologie païenne et de la patris-
tique chrétienne qui précédèrent et préparèrent l'œuvre
de Dante ne furent pas non plus sans influence sur le
mysticisme juif.
Ce mysticisme ne se meut pas toujours dans un do-
maine purement mystique. Il enveloppe souvent, sous
une forme apocalyptique semblable au Livre de Daniel,
les événements historiques dont le contre-coup a pu
124 LA MEKCABAH AU TKMPS DES GAONIM
atteindre les Juifs. Dans un ouvrage appelé «Prière de
R. Simon b. Jochaï » ou « Mystères de R. Simon b.
Jochaï », ce docteur reçoit de Métatron des révélations
soi-disant sur l'avenir d'Israël et qui ne sont en réalité
qu'un reflet des événements de la veille.
Nous y trouvons des allumions très transparentes aux
luttes entre les princes mahométans et les princes chré-
tiens, aux Croisades, aux misères qu'elles entraînent,
aux meurtres d'enfants accomplis par des Croisés fana-
tiques. Nous ne devons pas être, dans cet opuscule, bien
loin de la première Croisade, car elle fut la plus terrible
pour les Juifs de l'Europe orientale et de l'Orient. Le
présent est si sombre que Tauteur, considérant cet amas
de misères comme une ère de douleurs messianiques ou
d'enfantement messianique, se jette à corps perdu dans
la transfiguration mystique de l'avenir.
Conclusions générales. — Si nous jetons un coupd'œil
général sur cette éclosion mystique, nous y distinguons
les éléments suivants : Le caractère essentiel de ce mvs-
ticisme est qu'il s'arrête brusquement dans la voie de
l'abstraction métaphysique et rebrousse chemin vers l'an-
cienne Haggadah. A côté, et en dehors de Tancienne
scolastique taimudique qui parle uniquement de froide
logique, à côté du mysticisme spéculatif et en oppo-
sition avec lui, la pensée juive, en vue de sortir pour un
moment du flot d'abstractions qui Télouffenl, se jette
avec avidité sur Tangélologie et l'eschatologie comme
sur une source plus rafraîchissante. L'angélologie est
étendue à tout Tempirc céleste; autour des anges s'agite
tout un monde éclatant de splendeurs C'est comme une
idéalisation et une projection au ciel de tous les rêves
conçus par Israël, sous l'inspiration de ses malheurs, el
de ses espérances messianiques. Jérusalem et tout ce que
ce nom magique dit au cœur des exilés n'est plus dans
LA MERCABAH AU TEMPS DES (iAD.NIM 125
Jérusalem. Tout l'éclat jeté par rimagination sur le pa-
lais et le temple, les tlots d'or et d'argent semés sur toute
chose, tout le brillant cérémonial du trône et de Tautel,
tout le cortège magnifique des princes et des prêtres,
tout cela transfiguré est transporté au ciel.
Cette idéalisation poursuit un double but. D*abord elle
tend à élever l'Ame populaire, à la tremper par le spec-
table des faveurs sublimes dont ceux-là ont été l'objet,
qui ont souffert pour leur foi; par le déploiement des
visions sublimes qu'il leur a été donné de contempler.
Puis les visions radieuses du ciel doivent faire oublier
les sombres spectacles de la terre, le monde idéal paré
des plus riches couleurs doit consoler Vdme des noirceurs
et des tristesses du monde réel. Le mysticisme jette sur
les douleurs terrestres Tarche d'une immense espérance.
De môme qu'à l'époque babylonienrle et persane les
hommes d'élite avaient jeté en p«lture à l'Ame populaire
ce qu'on peut appeler des romans pieux gravitant autour
des anciens prophètes, créant au besoin ces prophètes,
pour montrer que leur esprit n'était pas éteint en
Israël, de même les écrivains de l'époque gaonique ver-
sent au peuple le courage et l'espérance par ce «[u'on
pourrait appeler des romans mystiques, groupés autour
des prophètes et des martyrs, lit pour cette raison, l'ima-
gination mysliquene se plaît pas seulement à contempler
le ciel, mais elle se tlatle de voir Tidéal deve*iir un jour
la vérité; elle sarrAte au tableau radieux de l'ère mes-
sianique, aux prodiges qui la précèdent, et aux mer-
veilles qu'elle réalisera; l'ànie tout entière d'un [leuple
qui commence à se sentir un paria cherche un refuge
dans cet avenir, dans ces faits, ces fêtes, ces palais d'or
et d'azur. Ainsi les rapports sont rétablis entre le ciel et
la terre, des myriades d'auges sont au service du Messie
et de l'humanité régénérée, la Jérusalem idéale descend
126 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
pour remplacer la Jérusalem délruite, le temple idéal se
dresse à la place où fui jadis le temple réel, et cette évo-
lution est pour toute Tarmée céleste le signal de la des-
cente sur terre. Dieu et tout son cortège viennent à ja-
mais résider parmi les hommes.
En même temps et par une contradiction qui n'est
qu'apparente, une place de plus en plus grande est faite
aux démons, ou plutôt au siège des démons, l'enfer.
L'ancienne eschatologie tout en reconnaissant l'existence
de Tenfer ne s'y arrête pas ; elle préfère s'étendre avec
complaisance au ciel et aux splendeurs qu'il renferme.
La raison qui à Tépoque gaonique détermine un besoin
plus ardent d'utopie et d'idéalisation, j'entends l'assom-
brissementde Tàme juive, détermine aussi un déploie-
ment de couleurs plus ternes. Depuis le premier exil les
Juifs n'avaient pas subi de choc aussi violent que la ter-
reur musulmane et les premières Croisades. Avec l'épo-
que gaonique Tespérance juive replie par instant ses
ailes. L'àme juive a des heures d'abattement; alors elle
oublie cette montée vers la vie, vers l'être, vers Faction,
vers la joie, vers la justice finale embrassant tout dans
une harmonie divine. Elle se penche sur les ténèbres du
mal, de l'enfer; même elle prononce un mot qui est l'an-
tithèse de tout son passé et de toute sa doctrine, le mot
de c< damnation éternelle. »
Pour cette même raison un élément tout nouveau fait
son apparition dans le judaïsme : l'ascétisme. Tout ce
que nous pouvons démêler en fait d'ascétisme dans le
Talmud est une expression obscure de B. Azaï contre le
mariage et une Halachah qui d'ailleurs marque plutôt
une tendance végétarienne qu'ascétique^ tr. Erubin 3 b :
« Toute ville qui n'a pas de verdure, l'homme d'étude
ne doitpas y habiter. » Le Pharisien dont on a voulu faire
une forme d'ascète au moins dans l'acception primitive
LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM 127
du mot est en réalité un homme séparé dos autres, non
avec ridée de retraite ou de mortification, mais avec
ridée de distinction et d'originalité. Avec le mysti-
cisme gaonique Tascélisme entre dans le judaïsme et il
est suivi de tous les excès qu'il traîne généralement
derrière lui. Le jeune, Tabslinence, les mortifications de
la chair deviennent des moyens propres à hâter l'état
complemplatif. Cependant cet ascétisme ne va jamais
jusqu'à fouler aux pieds les lois qui sont la condition
même de la durée de l'espèce humaine. Le mariage reste
enveloppé d'une auréole de sainteté et Ton prévoit déjà
rimportance que la loi sexuelle va prendre dans Tordre
moral comme dans Tordre physique.
Le mysticisme tend à remplacer le prophétisme. Les
anciens prophètes sont tous des hommes inspirés par
Dieu pour apporter un enseignement moral aux hommes.
Les prophètes comme Moïse, Samuel, Élie, Elisée ne
diiïèrent de leurs successeurs que par ce fait que le pres-
tige de leur enseignement est préparé par des moyens
thaumaturgiques ; mais le miracle est entièrement su-
bordonné à Tœuvre morale. Il disparaît complètement à
partir des prophètes orateurs et écrivains qui ne comp-
tent plus pour agir sur les âmes que sur la vigueur natu-
relle de leur éloquence. Les mystiques de Tépoque des
Gaonim se donnent, eux aussi» comme des inspirés; ils
font, eux aussi, appel à la thaumaturgie et àTéloquence,
ils ont, eux aussi, un but moral qui se double d'un but
contemptatif.
Ce mysticisme se concilie un peu mieux avec la doc-
trine pure du judaïsme ; il suffit d'élargir un peu les
mailles de Tangélologio et des théophanies bibliques
pour Ty faire rentrer sans grande résistance. C'est pour
cette raison aussi qu'il ne s'est pas borné à un élite, mais
a pris une extension plus grande auprès de la masse.
128 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
Noas trouvons dans les Respp, des Gaonim des traces
de véritables sectes mystiques appelées « Voyants de la
Mercabah » et « Contemplatifs de la Mercabah. »
Enfin j'ajouterai une remarque d'ordre purement for-
mel. C'est parce que ce mysticisme est plus près du ju-
daïsme qu'il trouve un point d*appui plus solide dans la
Bible. On sait que le mysticisme juif en général accro-
che en quelque sorte du dehors ses doctrines aux textes
bibliques. Nulle partce procédé n'est plus sensible qu'ici,
et c'est particulièrement aux Psaumes et au livre de Job
qu'il est fait appel. Il se produit ici un phénomène litté-
raire extrêmement curieux. Dans la poétique et la my-
thique cosmique de la Bible, les Psaumes et le livre de
Job occupent la première place parce qu'ils nous ont
conservé l'amas le plus considérable de métaphores re-
flétant les croyances antiques. Toutes ces métaphores
exaltant l'œuvre divine, quoique vidées de leur premier
sens, n'en gardent pas moins dans les mois les marques
immuables des anciennes conceptions. Elles sont donc
pour cette raison des formes très précieuses pour enve-
lopper Tangélologie, Turanologie, l'eschatologie de l'épo-
que gaonique. De la sorte on remplit ces métaphores
d'une substance non identique mais analogue à celles
qu'elles ont perdues. Abritée par le canon biblique lui-
même, la pensée juive se dédommage un peu de l'àpreté
de son monothéisme par la fantaisie brillante et légère
d'un polythéisme inconscient. L'anli^jue fond polythéiste
que les prophètes avaient eu tant de mal à vaincre repa-
raît sans compromettre pour cela le monolhéisme.
Quelle est la date, plutôt la limite chronologi [ue su-
périeure à laquelle il faut placer réi!losion de ce mysti-
cisme. Dans sa letlro-missivt? De judaîcis auperst/tio-
nihus à Louis le Pieux qui fut écrite en 72ÎI, Agobard
dit: <« Qiioil nobis non minime nolum est, qui quotidie
LA MERCABAn AU TEMPS DES GAO.NÏM 129
pêne cum eis (Judaeis) loijiientes mysteria orroris ipso-
rum audivimiis. Dicuiit dcniqiie Dcum suum esse cor-
porcum et corporeis liaeameniis per memhra distiuctum
etaliaquadam parte ilium audire, aliavidere, alia loqui,
vel aliud quid agcre... » (V. Agob. Oper., éd. Baluzii.
75 sq.). Ailleurs : « Sedire Deum more terreni alicujus
régis in solio, quod a quatuor circumfcratur bestiis et
magico quamvispalatiocontineri plurosqiie coelos esse,
quorum unum, quod ipsi vocant Raka(Rakia?), alterum
vero appellant Araboth in quo Dominum aslruunt resi-
dere. »
Il est évidemment fait allusion, dans ces passages, au
iSchiur Komah et aux Hechalolh.
Yoici maintenant dans le même Agobard une citation
presque littérale des 0/(/oM. Agobard reproche aux Juifs
« habere Deuin septem tubas quorum una mille ei cubi-
lis metialur » (1).
Et Agobard conclut : « VA quid plura? Xulla Veteris
Tesiamenti pagina, nulla senlentia est, de qua vel a ma-
joribus suis non haboant conficta et conscripta monda-
cia, vel ipse nsque hodie nova senipor superstitione
confinganl et inlonoLTali n^apondon^ pniesumant. »
Or, la polémique d'A^obard nous reporte à la pre-
mière moitié du ix»-* siècle.
D'autre pari, V Ascensio Mosis que nous avons men-
tionnée etqui fait partie de ce groupe d'œuvres mystiques
se rencontre déjà dans la Pesikla. Or, la Pesikta, quoi-
que remontant sous sa forme première à l'époque ara-
inéenne, ne fut complètement close (|uVn « 777 après la
destruction du Temple » (cli. 1), c'est-à-dire vers 843
après Jésus-Christ.
"S'ir "r aS-y.i ï^-D-c -jV^n
130 LA MERCABÂH AU TEMPS DES GAONIM
Enfin, les Pirké de R. Éliézer contiennent des allu-
sions à Ismaël» c'est-à-dire à Tlslam. A la fin de Ton-
yrage se trouvent sous forme de prophétie ces mots :
« Quand deux frères régneront en même temps sur les
Arabes» le Messie viendra, » Il ne peut s'agir ici que des
fils d*Haroun al-Rachid, Alemin et Almamin, qui régnè-
rent en même temps, Tun à Touest et au sud et Taulre
à Test. A la mort du père des troubles se produisirent
qui pouvaient faire espérer aux Juifs la fin de Tlslam et
la fin de leurs malheurs. Ceci nous conduit donc dans
les toutes premières années du ix.^ siècle. Mais les Pirké
de R. Éliézer, tout en contenant quelques éléments de
mysticisme haggadique, gravitant autour du trône divin
suspendu dans l'espace, ignorent encore la description
des sept temples célestes, la fusion d*Hénoch avec Mé-
tatron. Nous pouvons donc en conclure qu'ils sont sur
le seuil du mysticisme gaonique et nous pouvon<^ sans
trop de hardiesse placer le commencement de ce mysti-
cisme vers 820 après J.-C.
Le caractère anthropomorphique et matérialiste du
mysticisme gaonique peut être comparé à Tanthropo-
morphisme qui, au même moment, sévit dans la théologie
arabe, particulièrement dans la secle des Muschabihia,
ou Muggasima^ c'est-à-dire la secte de ceux qui compa-
rent Dieu à d'autres êtres, qui le représentent corporelle-
ment, qui prétendent même que le corps de Dieu est
composé de membres ayant la figure des lettres de Tal-
phabet (cette dernière doctrine est celle de Mughira, un
de leurs plus anciens anthropomorphistes) ; la figure
divine, celle d'un homme fait de lumière, portant sur
la tête une couronne de lumière. Le scheik Chicham
aurait admis, d'après Alkabir que Dieu est un être corpo-
rel ayant — nous retrouvons le Schiur Komah — sept
toises de longueur, mais de ses toises à lui. Un autre
i
LA MERCABAH Al TFMPS DES ÙAOMM loi
Muschabihite, David Algawarabi, après avoir représenté
Dieu avec un corps de chair et de sans:, constitué par
des membres semblables à cenx de l'homme, ajoulait on
s'adressant à ses auditeurs: u Demandez-moi tout ie
reste, mais faites-moi grâce de la partie sexuelle et de
la barbe. ^Voir, pour tous les détails. Schahraslani, 77. ot
142, 143. Cf. Haarbrucker, II, 412, etc.)
D'autres traits rapprochent le mysticisme juif d'alors
des conceptions arabes. Schahrastani parle d*une soc te
(v. trad. Haarbrucker, I, 256 6, sq.^. appelée Makariba«
admettant que Dieu avait parlé aux prophètes par Tin-
termédiaire d'un ange qu'il avait préposé à toute la créa-
tion et dont il aurait fait son lieutenant; ils disent que
tout le contenu de la Loi relativement à Dieu se rapporte
à lui.
Nous aurions ici la doctrine que nous avons vue pré-
cédemment graviter autour de Mélatron, et il résullorail
de ce témoignage que celte doctrine avait j)Our elle,
non seulement quelques penseurs isolés, mais tout un
groupe d'hommes ayant un nom particulier.
Schahrastani parle égalomont do doux socles jnivos, les
Jodaanites et les Makariiti^s ; los proniiors, adoptes do
Juda Jodaan, donnent au Poutateuque un sons à la fois
littéral et allégorique, c'est-à-dire qu'ils rojottont l'an-
thropomorphisme et considèrent ce qui los choque dans
la Bible comme l'expression symbolique de vérités
abstraites; les autres maintiennent tous les anthropo-
morphismcs de la Bible, mais ils les appliquent à un
ange dont ils font une espèce de double do Dieu. Schah-
rastani attribue la fondation de cotte secte à Benjamin
Nahavendi. Dr, Benjamin Nahavendi vécut vers 800,
comme le prouvent les documents caraïtes qui en font
un disciple de Josia, petit-fils (FAnan, ce qui nous re-
porte encore au commencement du ix*" siècle.
132 LA MERCABAn AU TEMPS DES GAONIM
Rappelons pour terminer que Epiphane, Hères, j 19,
rapporte, que d'après le Juif Éliézer, le Christ revêt sou-
vent une forme matérielle qui alors prend des propor-
tions colossales ; la description qu*il en fait rappelle ce
que notre Schiur Komah dit non plus du Christ mais de
Dieu le Père.
Le Midrasch Coneii^ et les Pirké de R. Éliézer, — Autour
de cette époque se placent quelques opuscules que nous
ne pouvons laisser dans Tombre, parce qu'ils rendent
plus explicable l'apparition de certains éléments ulté-
rieurs; ils contribuent à éclaircir notre marche. Tels
sont le Midrasch Canen^ et les Pirké de R. Eliézer.
Midrasch Conen. — Le Midrasch Conen, qui se rattache
à ce mysticisme, essaie de fondre les conceptions an-
thropomorphiques des Uechalolh et du Schiur Komah
avec les conceptions sur les attributs divins : <( Justice et
Grâce » avec la « Sagesse. »
En voici la teneur en quelques mots : Dieu ayant créé
les choses par thèses et antithèses, les contraires se dé-
voreraient sans la « Grâce. » Israël serait la proie des
autres peuples, les hommes en général celle des démons,
les animaux domestiques celle des animaux sauvages.
Sans les anges de la Grâce, les anges de la Justice pren-
draient le dessus et le monde périrait par excès de
sévérité. Heureusement la « Grâce » exerce sur les
contraires son action médiatrice. La Grâce est donc la
condition d*ètre du monde, elle est la première expres-
sion de la Sagesse.
La Sagesse a pour seconde expression la Thorah ;
sans la Thorah, la création ne pourrait durer. Les lois
du Penlateuque, par exemple, les lois de reproduction,
les lois concernant l'agriculture, sont indispensables à lu
marche des choses. C'est là le contre du Midrasch Conen :
il faut que la Thorah soit le fondement du monde. Puis^
LA .MFFCAr.AH AT TfcMP? DtS GAOMM l;;,*"*
Tauleurne fait que jeU-r quolqi:cs élémonls autour ii«*
ce centre, éléments empruntés au mysticisme jrao-
niqiie.
Remarquons que cet opui^cule constitue un pas tu
avant dans la voie du mysticisme spéculalif. La sajresse
n'v est plus Identifiée avec la loi, mais elle est un prin-
cipe antérieur, un attribut divin primordial produisant
à la fois, d'une part l'attribut de la erAce et d'antre part
la loi. Remarquons aussi que la Tliorab devient de plus
en plus, non seulement le code des loisreliofieuses. mais
le code des Kùs cosmiiiuos, l'expression de toutes les
idées de Dieu, relatives au «iouveruement non plus seu-
lement d*lsra«-l, mais de l'univers tout entier. Remar-
quons que la pensée juive a «le [dus en {dus besoin de
multiplier les intermédiaires en toutes choses, n^mar-
quons enfin que ces idées contraires, de niédialions,
tout en étant encore va^Mies et confuses, lui jiaraissent
toutefois assez importantes pour qu'elle croie nécessaire
de les réconcilier avec l'existence et la forme de la loi
juive.
Pirké de li. Ii/irzcr. — Dans les yV//r de II. Kliézer,
qui sont en gén/'iîi! uiir reprise Irrs délayée de lufifni'sr
et d'une partie de VEdode, se rencontrent quelques fraj;;-
ments mystiques (|ue nous ne devons pas passer st»us
silence, parce (|n'ils sont souvent évoqués, «léveloppés
et appliqués dans la suite et que le /ohar en particulier
leur fait des emprunts presque textuels.
« Avant la création du monde y est-il dit au chapiln» î3,
il n'existait que Dieu et son nom; alors il lui vint à
Tesprit de créer Tunivers et il le dessina (burina) d<»vanl
lui, mais l'univers ne put ItMiir debout parce qu*il n*avail
pas de fondenients et quel est ce fondement ? le repentir.
Il crée donc au préalable le repentir et en même temps,
c'est-à-dire avant la création, il créa six autres objets :
la ïhorah, Tenfer, le paradis, le trône de sa j;loire. le
1^ LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
temple de Jérusalem et enfin le nom du Messie. » Il faut
maintenant entrer dans quelques détails.
Par Dieu et son nom Tauteur entend le nom qui lui
appartient indépendamment de la création, son nom
d'essence, probablement le tétragramme. En faisant de
la pénitence le fondement de Tunivers, il pense évidem-
ment à ce que nous avons rencontré dans le Talmud et
ce que nous trouverons dans toute son extension plus
tard^ à savoir que sans une médiation entre la justice et
la grâce, Tunivers n'est pas possible. Cette médiatrice
que le Talmud n'indique pas est, selon lui, le repentir
qui est une conciliation entre la loi de justice et la loi
d'amour. Quant à la Thorah, nous savons que, pour le
mysticisme, elle est non pas seulement la loi propre à
Israël et faite pour lui, mais le plan général sur lequel
Dieu a construit son univers et il doit nécessairement
être antérieur à cet univers. Le trône glorieux n'ayant
de raison d'être pour Dieu qu'en tant qu'il veut se ma-
nifester ne doit avoir été créé qu'à la veille de la créa-
tion du monde. Le temple dont il est question est à
coup sûr le type céleste du temple de Jérusalem dont
ce dernier n'est qu'un reflet et qui à l'époque messiani-
que viendra occuper la place du temple détruit.
Créer le nom du Messie, c'est, suivant le principe que
nous avons énoncé créer Têtre même qui le porte.
Dans ce même chapitre 3, Tauteur poursuit ainsi:
a Par 10 paroles » l'univers fut créé, à savoir Dieu dit:
Que la lumière soit ; Dieu dit : Que la voûte soit ; Dieu
dit : Que les eaux se réunissent ; Dieu dit : Que la terre
se couvre de verdure ; Dieu dit: Que les luminaires
soient; Bieu dit: Que les eanx fourmillent; Dieu dit:
Que la terre produise; Dieu dit : Faisons Thomme; Dieu
dit: Voici, je vous donne comme nourriture ; Dieu dit:
Il n'est pas bon que Thomme soit seul. » Remarquons
LA MERlABAH au TEMl'S DE> GAOMM IXj
bien qu'il s*agil ici Je dix paroles au seus humain du
mol et qu'il n*est nullement questions d'hypostases.
L'auteur continue : « Et l'univers fut aussi créé par
trois principes, à savoir: la sagesse, rinielligence et la
science, et ces trois principes présidèrent aussi à lacons-
troclion du tabernacle et à celle du temple de Jérusa-
lem. » Le tabernacle et le temple étant, comme nous
avous vu, des miniatures, des microcosmes, les mêmes
principes ont servi de base à Tun et aux autres. Le nom-
bre 10 et le nombre 3 correspondent aux dix Sctiroth et
aux trois fondements du Se fer l'ezirah. Notons enfin la
Trinité: « Sagesse, Intelligence et Science » qui n'est
en somme composée que de la Chochmah (Sagesse) et
de ses deux svnonvmes bibli jues.
Chapitre 3, îbid. : « D'où furent créés les cienx? De
la lumière du vêtement de Dieu. Il prit ce vêlement,
rétendit comme un manteau, et les pans allèrent, allèrent
jusqu'à ce qu'il leur dit : Assez. Kt la terre ? Elle fut
créée avec la neige qui est sous le trône île Dieu. Il en
prit, en répandit sur l'eau, les eaux se solidiliêrent et
devinrent poussière. » Ce passage est le plus important
de tout Topuscule et il aura un retentissement extraor-
dinairedans la lignée mysliqueqni va jusqu'au xur- siècle.
Simple extension dans Tesprit de Fauteur du texte des
Psaumes : « Il a fait de la lumière son vêlement », et do
Job : il dit à la ueige : ce Sois terre », il sera pour les kab-
balistes le point de départ traditionnel auqui^l ils ratta-
cheront l'idée d'émanation, l'idée de concentration et
ridée do matière première.
L'auteur a une singulière manière de présenter la
doctrine deThommeen tant que microcosme : « Pour créer
rhommc, Dieu rassemble la poussière des quatre coins
de la terre, de la poussière rouge, noire, blanche, jaune
dont il fait successivement le sang, les entrailles, les os
10
136 LA MERCABAII AU TEMPS DES GAONIM
et les nerfs, le corps, afin que l'homme réunisse le tout
et afin que de quelque côté qu'il se dirige il ne puisse
jamais nier, oublier qu'il est poussière [ibid.].
Voici ce que Fauteur dit de lame (ch. 34, fin) : « L'àme
ressemble à son Créateur ; comme lui, elle voit et est in-
visible; comme il supporte son univers sans fatigue, elle
supporte le corps sans etTort. Les âmes sont d'essence
divine. — Pendant le sommeil de Thomme, alors qu'il
est couché immobile, Tâme se promène par toute la terre
et lui rapporte en songe tout ce qu'elle a vu. — Il y a
cinq voix qui vont d'une extrémité du monde à l'autre,
et malgré cela ne sont pas entendues^ et parmi ces voix
figure (avec le gémissement d'un arbre fruitier que
Ton brise, — n'omettons pas cette belle pensée) le cri de
Tâme se détachant du corps. Celte âme, à ce moment dé-
pouillée de tout élément périssable, dans sa pure spiri-
tualité, voit Dieu, et à cette vue elle fait éclater un cri
formidable.
Nous rencontrons ici (ch. 40; pour la première fois
l'emploi « du nom distinct », letétragramme, comme pré-
servatif moral : « Au moment de la révélation sinaïtique
60 myriades d'anges accompagnèrent Dieu dans sa des-
cente, répondant aux 600,000 hommes d'Israël. Chaque
ange portait dans sa main une couronne scellée du « nom
distinct » (lélragramnie) et ils en couronnèrent chaque
homme d'Isr;u"l. Ces couronnes les protégèrent de toute
faute et éloignèrent l'action funeste de Tange du mal. »
Au chap. Ci, 7 et S, nous trouvons des conceptions bi-
zarres relatives à l'astronomie que le Zohar reprendra.
L'auteur explique les révolutions des astres par la pré-
sence d'une multitude de fenêtres pratiquées dans la
voûte céleste. Le soleil passant par ces fenêtres déter-
mine par son apparition et sa disparition, selon leur lar-
geur et leur distance respective, la variété des saisons
LA MEKCAIJAU AU TEMPS DES GAOMM 137
et les divisions du temps. — Alin qu'un astre n'empiète
pas sur le domaine d'un autre et notamment pour que
le soleil et la lune demeurent dans leur orbite, cet orbite
est enferméentre des couverclesqui, au moment du lever,
se disjoignent insensiblement et laissent passer les astres
comme s'ils sortaient d'un étui, puis se retournant
passent de l'Occident à TOrient a(in derecueillir les astres
à leur coucher et de tracer ainsi leur limite extrême.
Enfin voici quelques débris de la mythique chaldéenne
et aryenne : « Toute l'armée céleste se renouvelle chaque
jour ; par exemple le soleil se couche dans Teau {\) du
Okianos(i) (Qxsavc;), Océan (fauteur semble reproduire
cesdonnéessans trop les comprendre et sans savoir ce que
peut être cet Okianos) : comme un homme éteint sa lampe
dans l'eau, ainsi TOkianos éteint les feux du soleil et il n'a
plus aucun éclat ni chaleur durant la nuit jusqu'à ce qu'il
seretrouveàl'OrientJàilse baigne dans un lieu vc de feu,
et il revêt ses flammes. Ainsi il se renouvelles et renou-
velle chaque jour l'univers. Di* même pour la lune, les
étoiles et les planètes, chaque soir ils se baignent dans
un fleuve d'éclairs et en sortent pour éclairer h*s nuits. »
La date de l'opuscule nous est fourni au chapitre î^O.
L'auteur parlant des (ils dUsmaël dit : « Les fils d'Ismaiil
accompliront dans l'avenir quinze œuvres retentissantes
en Palestine, ils hi mesureront au cordeau, ils feront
des tombes, des enclos pour les troupeaux, ils augmen-
teront le mensonge, ojjprimeront la vérité, éloigneront
Israël de sa loi, inventeront l'encre et le calam, rebâti-
ront des villes détruites, aplaniront des voies, planteront
des jardins et des pardès, entoureront le Temple d'une
clôture, élèveront un monument dans le sanctuaire ; à
la fin de leur domination, deux frères seront à leur tête
1. D-ZS'piJ^.
138 LA MERCABAH AU TEMPS DES OAONIM
en même temps. » Or, ce fait, comme nous avons vu, s'est
présenté à la mort d'Haroun al-Raschid. L*auteurne
fait que rattacher sous forme de prophétie à Thistoire
d*Agar et dlsmaëldes épisodes de la conquête des Arabes
en Palestine, dont la renommée est arrivée jusqu'à lui.
Nous sommes donc dans les années qui suivirent immé-
diatement la mort d'Haroun al-Raschid, c'est-à-dire dans
la première moitié du ix« siècle.
Le Se fer Yezirah, — Le mysticisme haggadique et es-
chatologique ne constitue pas tout le bilan de l'époque
gaonique. Il en occupe, certes, la plus grande part;
mais il y a à côté de lui une œuvre qui lient quelques
pages, mais qui a joué un rôle capital dans le dévelop-
pement du mysticisme juif. Nous voulons parler du
Sefer Yezirah ou Livre de la Création. Nous ne discutons
pas pour le moment la légitimité de ce rôle, nous l'accep-
tons comme un fait, sauf à y revenir.
Il ne nous semble pas inutile de donner ici une traduc-
tion intégrale du Sefer Yezirah, parce que nous aurons
dans la suite à y faire un appel constant, puis aussi, et
surtout parce qu'on se méprend tant et si souvent sur
la valeur de cette œuvre, que rien, sinon la vue du texte
même ne pourra crever les illusions qui se sont créées
autour d'elle(i).
1. Il a existé de tout temps des textes très divergents du Sefer
Yezirah. Celui que traduit et commente Saadyah est loin d'ôtre
identique à celui de Sabbataï Douolo, lequel diffère encore sur
bien des points de celui de Jeliudali bar Barzilai. Étant données ces
divergences, nous adoptons la version qui a prévalu dans les tradi-
tions juives, bien quelle ne soit pas très probablement la \ersion
originale. Il s'agit en ellet, pour nous, moins d'une élude philolo-
gique que philosophique; et sous ce rapport la version qui a été
adoptée nous est d'un plus grand intérêt. La seule confrontation
de toutes les variantes demanderait un volume. Ce n'est pas notre
objet.
LE SRFER YEZIRAU [\\\^
CIIAPlTRl!: 1
Par 32 voix merveilleuses (1) de Sagesse, Yah, Yeho-
vah Zebaoth, Dieu vivant, Dieu fort élevé et sublime,
demeurant éternellement, dont le nom est saint— il est
sublime et saint— (2) a tracé (3) et créé son monde en trois
livres : le livre proprement dil, le nombre et la parole (4).
Dix Sefiroth (o) sans rien (6) et 22 lettres dont 3 lettres
fondamentaIes(7), 7 lettres doubles et 12 lettres simples(8).
1. Ou mystérieuses.
2. On a voulu trouver ici rénumération de dix noms divins. Mai?
il a fallu pour cela faire violence au texte.
3. Sous forme de lype, comme la suilc le précise.
4. I/auteur semble appeler livre l'expression écrite ou parlée du
Verbe. De sorte que la traduction se rail plul('>t « Verbe ». Il veut
dire qu'il y a trois Verbes fondamentaux : l** le Livre proprement
dit (récriture, les lettres de l'alphabet) ; 2° le Nombre; 3" la Parole,
— Le texte ne s'oppose pas à la traduction suivanle : Le nombrant,
)c nombre, le nombre, ce qui signliierait le sujet, le nombre
reliant le sujet et l'objet, Tobjet. — L'auteur tend à produire un
jeu homophonique avec les mots Sc/er, St/«r, Sippwr qui, joints
à la dénomination générale Sefarim et aux Sefiroth qui vont venir,
produit un cliquetis de mots étrange et voulu.
5. Nous rencontrons iri pour la première fols le mot Sc/iroth,
On le traduit communément par «nombre». C'est l'idée préconçue de
trouver le pythagorisme dans le Sefer Yezirali qui a entraîné ct*
sens. Mais rien ne rautorisc. En réalité, comme nous le verrons,
ces 10 SeÛrotli ne sont pas 10 nombres, mais IC éléments et direc-
tions.
6. L'auteur songe très probablement à Jo6, 26, 7 : « Il (Dieu) tend
il suspend la terre sur le néant » (Bclimah). — Si l'on dérive le
mot de la racine balam, il a le sens de fermé, littéralement ; tenu
par un frein {Psaumes, 32, 9); donc ici le sens serait : clos, fermé,
indépendant, en sou
7. Littéralement : lettre-racine.
8. Les nombres 10,3, 7, 12 ont, dans la conception des Juifs, un
prestige consacré par l'antiquité.
l'iO LA MERCABAH AU TEMPS DES GAOIflM
Dix Sefirolh sans rien, selon le nombre de 10 doigts, 5
en face de 5 (1). El Talliance de l'Un est adaptéejusle au
milieu parla circoncision de la langue (2) et la circon-
cision de la chair (3).
Dix Sefirolh sans rien, 10 et non 9, 10 et non 1 1 . Com-
prends avec sagesse et médite avec intelligence, examine-
les et creuse-les. Rapporte la chose à sa clarté et mets
son auteur à sa place (4).
Dix Sefirolh sans rien; leur mesure est de 10 sans fin :
profondeur de commencement et profondeur de fin;
profondeur de bien el profondeur de mal ; profondeur de
haut et profondeur de bas; profondeur d'Orient et pro-
fondeur d'Occident, profondeur de Nord et profondeur de
de Sud (5); un maître unique, Dieu, roi fidèle, règne
1. C'est-à-dire 'JO SeÛroth sont liées Tune à Tautre et dépendent
toutes de TUn qui a contracté avec elle rallianco de la lanf^ue,
c'est-à-dire qui leur a donné TÊtre par le Verbe.
2. Gomme la main constitue le lien des doigts, ainsi la langue
(le Verbe) constitue Tunité des deux nombres. Ils ont cela de com-
mun qu'ils ont été exprimés ; c'est le fait d'avoir été exprimés qui
constitue leur valeur, leur puissance.
3. La circoQcision de la chair est le signe distinclif dlsraêl,
c'est-à-dire l'expression physique, le Verbe physi<|ue, expression
du Verbe moral. — Cette interprétation me paraît d'autant plus
juste que d'autres versions (celle de Saadiah etdeSabbataï Douolo)
ont. au lieu de : par la circoncision, etc., par la parole, la langue
et la bouche.
4. C'est-à-dire, le nombre 10 n'est pas dû au hasard, il est voulu
par un ^trc. Cet être lui est donc supérieur. Donc ne confonds pas
la créature avec le Créateur. Il semble que l'auteur, comme effrayé
de la puissance qu'il va prêter aux Sefirolh et voulant éviler toute
méprise dans l'esprit du lecteur, apporte ici une affirmation solen-
nelle du monothéisme.
5. Je ne sais ce que l'auteur entend par profondeur du mal, à
moins qu'il ne songe à haie, 45, 7. Peut-être a-t-il «Hé entraîné
par l'antithèse, ou par son désir de trouver pour les Sefirolh
10 formes ou modes ou directions.
LE SEFER YEZIRAH 141
sur lous du haut de sa demeure sainte et éteraclle (1).
Dix Selîrolh sans rien; leur aspect est comme Téclair,
mais leur (in n'a pas de fin (2). Son mot sur eux est
qu'ils courent et viennent (3), et selon sa parole ils se
précipitent comme la tempête et se prosternent devant
son trône (4).
Dix Sefiroth sans rien; leur fin fixée à leur commen-
cement et leur commoncouient à leur fin, comme une
flamme attachée au charbon (3). Le maître est unique
et il n^a pas de second. Or devant l'Un que comptes-
tu (6)?
1. Dieu seul est élernd ; les Seflroth sont indéflnis mais non
infinis ; de là le mot a profondeur ».
2. C'est-à-dire : les nombres sont finis, mais la série des nombres
est infinie.
3. C'est-à-dire : à partir d'un certain nombre lesmftmes nombres
reviennent, suivant son mot, r'est-à-diro le mot de Dieu exprimé
par Êzvchu'l, 1, 14 où il est dit des animaux du char : « Et les
animaux coiiraii^nl et revenaient comme des éclairs. »
4. F/aiiteur cherclio à rattacher comme il peut ses conc»;ptions
à celles de la Mcrcabah.
5. Les 10 Sefirolh sont cuchev(^lr«'es l'une dans Taiitre comme
le charbon f^l la llamnie, l'ime provienl d».^ l'autre et l'on ne sait
où l'une commiMice et où l'autre finit : ce qui s'applique aux élé-
ments et aux directions, comme nous le verrous.
G. Le délerniinatif d'unité que le monothéisme juif applique avec
constance à Dieu si;,^nilic dans son acception première qu'il n'y a
qu'un Dieu par oppo-ilion à la pluralité des dieux adorés par les
autres p»»upb*.s : c'est un cri de révolte contre le polythéisme. Mais
pris en soi, ce qualificatif olFusquo le mysticisme: il a le tort, aux
youx de l'auteur du >V/er Yt-tra/i, de placer Dieu dans la caté-
gorie dos nombres. 11 faut écarter cela. Et, c'est là, croyons-nous,
le sens de ce para.srapbe. Les Sefiroth au nombre d»* 10 impliquent
mie suite: donc dire (|iie Dion est un, c'est dire en apparence
qu'il e.^t le coriimen» ornent d'une série, qu'il implique autre chose
après lui. C'est C(; niio l'auteur ne veut pas. Dieu est au-dessus du
142 LA MERGABAH AU TEMPS DES GAONIM
Dix Sefiroth sans rien; ferme (1) ta bouche et ne parle
pas ; ferme ton esprit et ne pense pas, et si ta bouche se
hâte de parler et ton esprit de penser, retourne au pas-
sage où il est dit : Les hèles courent et viennent et c'est
sur cette chose que l'alliance a été conclue.
Dix Sefiroth sans rien.
1* L'esprit du Dieu vivant, voix, esprit, parole (2) et
c'est là l'Esprit Saint (3).
2« L'air du souffle; Il y tracé et taillé (4) 22 lettres^
nombre, il est Un sans second ; toute autre unité n'est une que
relativement, mais Dieu est Un absolument. On sent très bien que
Fauteur n'a pas à sa disposition la langue abstraite qu*il faudrait,
mais il entend bien ce que plus tard Bachya et Iben Zaddik après
lui appelleront dans une langue plus philosophique le Un pur et
simple (TheoL de Bachya, p. 68; cf. Ib. Zaddik, p. 1).
1"t:iS yiysh ^iki wn lai^sn in^n nim, c'est l'unité une et
simple, seule adorable, l'unité au sens absolu, tb xaiOapà>; h que
Plotin oppose à tû iietoxri £v, l'unité dérivée.
1. Ici Fauteur joue visiblement sur le mot bélimah ce qui tend
à prouver que le sens primitif est tout autre, la littérature mys-
tique étant coutumière de ces jeux homophoniques.
2. La voix est l'instrument de TEsprit s'exprimant en paroles, et
tout cela constitue le Verbe. Donc : 1° le Verbe.
3. Manière d'identifier le Verbe avec TEsprit Saint, c'est-à-dire
l'inspiration qui anime les Écritures ; c'est donc une manière de
judaïser cette conception. L'auteur met bien à profit la duplicité
du mot hébreu Rouah (mi) signifiant à la fois souffle et esprit ;
a-t-il pensé à lapnewmapylhagorienne qui, d après les commenta-
teurs, est le souffle du monde, une espèce d'organisme au moyen
duquel Tillimité est entré dans le limité, zhai S'éçaerav xai o\ Ilu-
Oay^P^^^^ yévov, xa\ èneKTievai auTO) xo) oupavco ex xoO àiziipoyj Tiveufiaro;
wç àvaiivéovTi xa\ t6 xevbv ÔiopiÇei tàç çvdei; x. t. X. (Arist., Phys.,
IV, 6).
4. C'est-à-dire : tracé avec la voix et taillé, découpé dans
l'air.
LE SEFBR YEZIRAn 143
H lettres fondamentales, 7 doubles et 12 simples (1); et
Tesprit est à chacune d'elles (2).
S"" L'eau venant de Tair (3) ; Il a taillé avec elle 22
lettres en fait de tohu-bohu, en limon et argile (4);
il en traça comme une sorte de parterre, il en tailla
comme une espèce de mur, il en serra comme une sorte
de toiture ; il versa de la neige dessus et cela devint pous>
siëre, comme il est dit, à la neige il dit : Sois terre (5).
4^ Le feu venant de l'eau ; il a tracé et taillé avec lui
le trône glorieux, les séraphins les hôtes (chajoth), les
1. Les 32 voix se décomposent donc comme suit: 10 Sefirotli
+ 3 + 7 -f 12 lettres. De ces nombres, le nombre 10 est consacré par
le Décalogue, reparait dans le Talmud, comme nous l*avons ren-
contré à propos des 10 instruments ou des 10 attributs qui ont servi
lors de la création. Les 10 sphères d'Aristote paraissent n^ivoir pas
été sans influence sur le nombre des Seflroth. Le nombre 7 remonte
aux origines anté-bibliques, au berceau même des Sémites en
Chaldée. Les Chaldéens ayant observé sept planètes (en comptant le
Soleil et la Lune comme des plunè(es) firent du nombre 7 la base
de leur calendrier et de leur vie religieuse.
Chez les Juifs le nombre 7 devinl le nombre >i\civ pour la divi-
sion du temps, pour la durée dos fêtes, etc. — Le nombre 12 se
trouve également consacré par l'âge et constiluo .iaiis la Chaldée
la base du système sexagésimal, base du calcul. Quant au nombre 3,
nous le rencontrons dans les invocations les plus antiques, dans
les formules finales des documents assyriens sous la forme uK^me
où il a passé dans la Riblc (haïe, 6, 3).
2. L'auteur cntend-il que l'Esprit de Dieu les anime tout»^s ou
plus matériellement, qu'elles sont toutes taillées dans le vent ou
rair.
3. L'eau est conçue comme une dégradation de lair.
4. C'est celte eau même qui est tohu-hohu, limon et argile.
5. L'auteur reprend la théorie que nous avons remontrée dans
le Talmud au sujet de la neige constituant sous le trône de Dieu
la matière première qui créa le monde. — Voiri comment l'auteur
se figure les choses : dans l'eau issue de l'air il a découpé et
taillé une espèce de parterre ou mur ou toit, un fondement solide
en limon durci et il y a versé toute l'eau sous forme de neige.
144 LA MERCABAU AU TEMPS DES GAONIM
roues saiaLes (1) cl avec ces trois il a foadé sa demeure
comme il est écrit : Il fait des vents ses messagers et du
feu flamboyant ses serviteurs (2).
Il a choisi 3 lettres parmi les simples suivant le fon-
dement des 3 lettres fondamentales, alef, mem, schm,
et il les a fixées à son grand nom et avec elle a scellé
6 côtés ;
5"* Il a scellé le haut et il s'est tourné en haut et Ta
scellé avecy/iw.
6° Il a scellé le bas et il s'est tourné en bas et Ta scellé
avec hjv,
7® Il a scellé Test et il s'est tourné devant lui et Ta
scellé aveciyA.
8° Il a scellé Touest et il s'est tourné en arrière et Ta
scellé avec vhj.
9*^ Il a scellé le sud et s'est tourné vers la droite et Ta
scellé awecjvh,
10° Il a scellé le nord et il s*esl tourné vers la gauche
et Ta scellé avec hvj.
Voici les 10 Sefiroth sans rien : Esprit du Diou vivant,
puis air de l'esprit, eau de l'air, feu de Teau, haut, bas^
est, ouest, nord, sud (3).
1. Ces mots empruntés ii la théophanic d'Kzéchiel paraissent
être devenus une sorte do terminologie consacrée pour désigner
tout le monde supra-sensible.
2. Comment le l'eu u*esl-il qu'une dégradation de l'eau alors que
généralement dans cet ordre de conceptions le Oui o-^t considéré
comme l'élément le plus subtil, rélémcnt supérieur, conception
que l'auleur semble d'ailleurs partager, puisqu'il fait du feu la
matière du monde supérieur ? On a observé avec raison (]ue Tau-
teuc s'inspire ici de la cosmogonie des premières lignes de la
Gew^se où les éléments se succèdent dans Tordre suivant : au
\Qv<cl'2 Rouach m"', souille, air; ibid. : nvit/im Z]'*2,eau, et au ver-
set 3 : nr ."^IN', lumière, feu.
3. L'auteur considère non pas le télragramme tout entier, mais
LK SEFKK YK/IKvn 14.")
CHAPlTKi: II
Vingl-(loiixl».'llivs,iJonl.^ leUivsfoinlanKMilalos," ili>u-
bles et 12 simples; 3 foiKiaiiiciitales : ah'f\ mf*m, schin;
il les a fondées comme [tlateaii ilo mérite et plateau de
démérite et le fléau de la loi établit Téquilibre (i); 3 fon-
damentales : a{e/\ mrm, schin : mem, lettre sourde ; schin^
lettre sifflante; ale/\ correspondant à Tair qui est le
souftle établissant ré<|uilibre entre les deux autres (2).
les trois premières lettres. Il laisse de ciStô la quatrième qui est la
deuxièm»' Puis coin binant ces trois lettres do six manières diiïè-
rentes il proihiit l*'S six combinaisons dont Dieu s'est s<Tvi pour
sceller les six diroclinns dans la inatiiTo fondanuMilaie, o't'sl-à-dirc
donne à la matièn* 0 din^ctions i|ui la répandent dansTospacc: La
matièrtï est eoii^idérre commit ciibtï de six eôl»''s.
Les lOSelirolli sont ilnm; eonslitues par io Verbe, trois rléments
et six directions. Ce m*, sont donc pas des n«»nibres, et nous avons
eu raison do ne pas Iraduiri- le mot S'/t/*-//». Les nombres qui
fij^'urcut dans lo >rf'f r Vi'i/n/A <nnt, nous W i'ei»r'li»n-, h», ::, 7, 12.
Mais 1') n'a pas de place pivpuniicranto. ibMuaniii'iiis la division
des 10 Seûrolli en 1 -f- .') -•- tj. lilli; aura son impnitanet* dans la
division, la dt'nnmination t-t la déterminât i<ins d'S i:' S'^liioth
zo h antique s.
1. L'auteur, pour exprimer l'idée de conciliation des conlraires,
emprunte l'imap^ de la balanc:?. Il ne faudrait [>as donnrr à cette
ima^e une portée exa;;érée ni y voir Tidéo de thèse, antithèse et
synthèse. Nous avons rcucontré précédemment la conception qui
fait du mond»j un étal tempéré entre la justice et la grâce, c'est
cette conception que l'auteur a m vue.
-. C'est-ii-dire qm; l'idée tl'«!':|uiiilu'e e>t indi<iin'f aussi par
le .son d'îs lettres. Il l'aril rem ir.|uoi' aussi que ces trois let-
tres embrassent à [leu «b* chose prés lalphalMl tout entier alcf
en léti^, mf'in au centre, schin avanl-deinièrr. Kntiu n tr f c^i Tlni-
tial du mot avlv (air), incm celle du mot imu/im ^eau, et schin
représi^nlc le mol esrh \Um). La comparaison do la balance sera
146 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
Vingt-deux lettres fondamentales; il les a tracées^ tail-
lées, multipliées (combinées), pesées, interverties et il en
a formé toutes les créatures et tout ce qui est à créer dans
l'avenir (1).
Vingt-deux lettres comme fondement. Il les a tracées
avec la voix, il les a taillées dans l'air, il les a fixées dans
laboucheen 5 endroits : alefyhetyChetyayinaYCcla gorge;
guimely jod, kaf^ kof avec le palais ; dalet^ tet^ lamed,
mm, taf BLwec la langue; zayhiy samek, schirij resch,
tzade avec les dents; bet^ vav, merrij pè avec les lè-
vres (2).
Vingt-deux lettres comme fondement fixées à lasphère
comme un mur par 231 portes; la sphère se meut devant,
derrière (3). Signe de la chose : rien n'est supérieur en
bien àOneg et rien n'est supérieur en mal à Néga.
Comment les a-t-il combinées (multipliées), pesées, in-
largement mise à profit par les premières œuvres qui entreront
dans la formation du Zohar.
1. C'est-à-dire le réel et le possible. L'auteur semble avoir en
vue ridée émise antérieurement, à savoir que Dieu crée chaque
jour. — Profitons de l'occasion pour émettre ce princiqe qu'il ne
faut jamais chercher ailleurs une idée que Tautcur peut avoir trouvée
dans le judaïsme qui Ta précédé. Il vit avant tout sur le mysti-
cisme juif antérieur.
2. L'auteur adopte la division des lettres hébraïques on cinq cM-
gories suivant les organes qui servent à les prononcer. Cette divi-
sion apparaît chez les grammairiens à partir du vin*» siècle.
3. On a voulu voir ici la grande sphère céleste, celle qui dans la
cosmogonie du moyen âge meut toutes les autres. Je ne trouve
rien de semblable ici. L'auteur fait une simple comparaison em-
pruntée à une roue ; les 22 lettres sont comme fixées à cette roue,
et la roue, en tournant dans un sens et l'autre, produit des com-
paraisons multiples. L'auteur y joint un signe ou exemple : les
lettres ayin, nun, guimel produisent ou le mot Oneg (délices) ou
son anagramme Sega (plaies, mal). — Quant aux 231 portes, voir
immédiatement après.
LE SEFtR YEZIKAli 147
lerverlies?-4/e/ avec toutes et toutes avec iùef\ bel avec
toutes et toutes avec fM*t\ toutes tournonl en cercle par
231 portes (1} et il se trouve que toutes les créations et
toutes les paroles sortent de là, ensemble, sous une
même forme. — Il a formé le solide du néant, il a fait
l. Vi.iici cûuinioul jVntends ces '231 portes : Chaque loUro avoc
lonlesles aulr;- produit : i-M x *"- l'ombinaisons = VciU.
Et toiile? avec chacune pro luisent également 46C combinaisons,
ce qui nous dunno t-n tout 02*.
Mais là-dessus tombe la moitié ; on eiTet. par exemple pour la
lettre ^, les combinais«»n- ha et ah exisleni iléjii pour la lettre ci,
et en dél'ahiuant ainsi t<iul ce qui tombe pour les lettres suivantes
on est ramen»' à î'V? i'omi.inaison<. Mai-* pour arrivi-r au chilTro
231, il faut admettre "U bi-'U que l'autour n»» compte [»as b's ana-
grammc* comme des C"tnbinaisons nouAelîe-s.ce q-ii nous réduit à
-'i62 : 2 = 231. ou bien qu«' l'auteur entend par portes chaiiue com-
binaison avec son anagramme.
Voici comment Saadiaii e\pli«iue la cliose [traductitïu do M. Lam-
bert; : ce sont 22 séries... la premii'T'' est " Ve si::nf ii'pri'sente
les quiesccntes 'b, ''U 'h eic... justprau ttir\ la s-cou le sj-hi» est
h'hfj^ 6'/,... jusqu'au tiu \ la troisième série y', ./'', ./;/. .//... jus-
qu'au tav\ il en »•>? île ni'Mne pour /, A ju^iju'à t^v. En tout, cela
fait 22 multiplié par 22 ou ISi ; il faut on retrancher 22 mots qui
ne sont pas des produits d'une lettre avec une autre, à savidr " de
la première série, hh de la Si'conile,;;j/ de la troisième,!// de la qua-
trième, parce que (/ avec '/ ne produit qu'une même fitrure ilans
iVir et qu'un seul mot dans la parole et ils n'ont pas d'interver-
sion,car si on les intervertit ils restent dans leur premier état: il
reste donc iG2. Mais de ces Vl)2 on ne trou\e que la moitié, car b
qui est dans la première série est cumuie '»' qui est dans la se-
conde... et si tu lais le com[)b^ tu trouveras que la moitié des
lettres ne fait ipie reproduire l'autre moitié : c'est pMurqu<»i il a
dit : Et toutes tournent en cercle parce qu'elles tournent en s'in-
tervertissant. Or lorsque tu prends ia muilié de 'ii*)2 cela fait 231.
Mais on peut objectera cela que 'h n'est pas du tout lauiéme chose
que 6', par exemple : le mol ah signilie père et ha signilie : il est
venu, da « sache », ad i< jusqu'à », etc. »
148 LA MERCABAIT AU TEMPS DES GAONIM
de rien quelque chose, il a taillé de grandes colonnes (i)
dans Tair insaisissable (2) et voici le signe : a/e/ avec
toutes et toutes avec alef, il regarde, il parle, et il fait
toutes les créatures et toutes les paroles, sous une même
espèce; signe de la chose, 22 objets et nn seul corps.
CHAPITRE m.
Trois lettres fondamentales, alef^ mem^ se/an; il les a
fondées pour être le plateau du mérite, le plateau du
démérite et le fléau de la loi, mettant l'équilibre enlre
les deux autres.
Trois lettres fondamentales, alef, mem, schi?i; grand
mystère, merveilleux, caché, scellé avec six anneaux (3)
et dont dérivent trois mères qui sont : l'air, Teau, le feu,
et d'elles sont nés les pères, et des pères sont nées les
générations (4).
Trois lettres fondamentales, alrf, mem, schin ; fon-
dement, il les a tracées, il les a multipliées, il les a
pesées, il les a interverties et il en a formé trois prin-
cipes dans l'univers, trois principes dans Tannée et trois
principes dans la personne màle et femelle (5).
i. L'auteur semble penser à Job, 5,li.
2. L'air insaisissable deviendra dans la langue de la Kabbale
proprement dite le Avir Kadmnn (air primordial).
3. Six directions, ou lûon ces 3 lettres sont susceptibles de 6 com-
binaisons.
'\, Celle terminologie est emi>runléc à la Gcnrse, 5, 1 ; 6, 9;
10, 1 ; etc., pour exprimer dans un langage biblique les éléments
et tout ce qui en dérive.
5. Il s'est servi de ces trois lettres comme de types et il en a
reproduit l'image dans l'univers (l'espace), dans Tannée (le temps),
dans l'homme. — L'homme est l'image racourcie du temps, qui
est lui-môme l'image de l'univers. Il y a une relation harmonieuse
entre Thomme, le temps et l'univers.
LK SKKKH VKZIKAII I iO
Trois principes, alefy mem^ >c/iiu, ilans runivers
représonlant l'air, Tcau elle feu. Les cieux soni tirés du
feu, la terre est liréc Ac l'eau el Tatmosphère est tirée de
Taîr qui est la loi d'«»quilibre entre les deux autres (i .
Trois principes dans Tannée : la chaleur, le froid el
rhumidité [2) ; la chaleur est tirée du feu, le froid est
tiré de Teau ; Thumidité est tirée de Tair, loi établis-
sant l'équilibre entre les deux autres (3).
Trois principes dans la persunnc : la t^te, le ventre
elle tronc. La tète est tirée du l'eu, le ventre est tiré
de l'eau et le tronc est tiré de l'air, loi établissant
l'équilibre entre les deux autres {%),
Il a fait régner la lettre «/<?/" sur l'air el lui a al taché
une couronne, et il a combiné l'une avec l'autre, et il en
a formé l'atmospiiëredaus l'univers, la demi-saison dans
Tannée, le tronc dans la personne mâle et femelle (o).
1. L'auteur scml)le .>ui\ ro l.'i loi on v«*rtu de larpiollo loi rli'ments
sont plactîs selon IcMir poids, le plus lonrij supporlanl un plus
léger : la torro >upporle l'eau, l'eau supporte Tair, l'air supi)orlo \r
feu.
2. LVlé, riiiver et la ^ieml-^ai^uu.
3. L'auteur divise l'année en trois saisons seul«Mnenl, la saison
chaude, la saison froide el la saison niélanirée «'galcniont de l'une
et de Taulrc.
1. Toutes ces re!alio;is sont purement arbitraires. La t<^le, étant
la partie supérieure, doit être tirée de l'élémenl supérieur : le l'eu;
le ventre, au contraire, étant la partie inférieure doit être tiré de
l'élémonl inférieur : l'eau, et le trône entre Tun et l'autre, de l'élé-
ment intermédiaire : Tair.
5. Les traditions talniudiques rapportent que les lettres ont été
révélées munies d'ornements et de couronne 'Brrachot, "21) h) et
nous avons rencontré dans le mysticisme talmudique cette idée
que Dieu tresse des couronnes aux lettres (8a66a^ 29 «). Elles sont
les reines des choses parce qu'elles ont servi à exprimer la ïhorah
qui pour le mysticisme est l'expression du Verbe. — Encore de
nos jours, dans les rouleaux de la Thorah lue dans les temples
150 LA HERCABAU AU TEMPS DES GAONIM
Il a fait régner la lettre mem sur l'eau, il lui a attaché
une couronne, il a combiné Tune avec l'autre, et il en a
formé la Terre dans l'univers, l'hiver dans l'année, et le
ventre dans la personne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre /o^f sur l'action^ il lui a atta-
ché une couronne, il a combiné l'une avec l'autre, et il
en a formé la Vierge dans l'univers, le mois Éloul dans
Tannée (6* mois) et la main gauche dans la personne
m&le et femelle.
Il a fait régner la lettre lamed sur la cohabitation et il
lui a attaché une couronne, il les a combinées Tune avec
l'autre, et il en a formé la Balance dans Tunivers, le
mois de Tischri (7" mois) dans l'année et la bile dans la
personne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre nun sur l'odorat, il lui a atta-
ché une couronne^ il a combiné l'une avec Tautre et il
on a formé le Scorpion dans l'univers, Cheschvan
(8° mois) dans Tannée et Tintestin grêle dans la per-
sonne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre samek sur le sommeil, il lui
a attaché une couronne, il a combiné Tune avec l'autre
et il en a formé le Sagittaire dans Tunivcrs, Kislev
(9' mois) dans Tannée et Testomac dans la personne
mâle et femelle.
U a fait régner la lettre ayin sur la colère, il lui a atta-
ché une couronne, il a combiné Tune avec Taulre et il
en a formé le Capricorne dans Tunivers, Tebet (10'' mois)
dans Tannée, le foie dans la personne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre zadé sur le toucher; il lui a
attaché une couronne, il a combiné Tune avec l'autre et
il en a formé le Verseau dans Tunivers, Schebat(li*
juifs les lettres sont souvent surmontées d*ornemenls et de cou-
ronnes.
Li: ^EKER YEZIRAD 151
mois) dans Tannée el l'œsophage dans la personne mâle
et femelle.
Il a fait régner la lettre /tof sur le rire (joie), il lui a
attaché une couronne, il a combiné Tune avec l'autre et
il en a formé les Poissons dans Tunivers, Âdar (12* mois)
dans Tannée et la rate dans la personne mule et femelle.
Il a fait régner la lettre schin sur le feu ; il lui a atta-
ché une couronne, il a combiné Tune avec Tautre et il
eu a formé le ciel dans l'univers, Tété dans Tannée et la
tête dans la personne mâle et femelle.
CHAPITRE IV
Sept doubles : bet, gxiimel, dalet, kaf, pe, resch, tav^
usités avec deux prononciations : A, bh\ y, gh'y rf, dli ;
ky kh ; /?, ph ; r, rh ; t, th, à Timage du doux et du dur,
du fort et du faible (1).
Sept doubles : bel, guiniel^ dalet, kaf^ pe^ resch^ tav,
fondement de : sagesse, richesse, ]poslérité, vie, pouvoir,
paix, grâce (2).
Sept doubles : bel, giiimol, dalety kaf, pe^ resch ^ tav,
1. Chacune de CCS leUresest forte ou faible, suivant sa place
dans les mots hébreux. — La double prononciation du resch n'est
plus sensible pour nous, mais les grammairiens prétendent que
les anciens Hébreux dislinguaient parfaitement \t resch grasseyé
et le reich roulé.
2. 11 ne faut pas chercher de relations logiques entre les lettres
et les idées que Tauteur y rattache. Il prend dos aphorismes quel-
conques el les relie comme il peut aux lettres et aux nombres. Les
sept idéos énumérées par lui ne sont pas tout à fait semblables à
celles que nous trouvons, PirkeAlmlh 6,8 : « la beauté, la force, la
richesse, la sagesse, la vieillesse, les cheveux blancs et les enfants
sont la gloire du juste, comme la gloire du juste est la gloire du
monde. » — Il e^l certain qu'il courait toutes sortes d'aphorismes
de celte nature dans la bouche du peuple.
11
152 LA MEP.CABAF AU TEMPS DES GAONIM
doubles en paroles et par les contraires; contraires :
sagesse, sottise; contraires: richesse, pauvreté; con-
traires : postérité, stérilité ; contraires: vie, mort; con-
traires : pouvoir, servitude; contraires: paix, guerrr ;
contraires : grâce, laideur.
Sept doubles : b, g, d, k, p, r, t, haut, bas, est, ouesl,
nord, sud, et le sanctuaire fixé au milieu les porte tous (i).
Sept doubles, 6, g, d, k, p, r, i ] sept et non six, sept
et non huit ; médite-les, creuse-les, rapporte la chose à
son évidence et mets le Créateur à sa véritable place. —
Sept doubles, A, g, rf, A:, p, r, /, fondement; il les a tra-
cées, gravées, combinées, pesées, interverties et en a
formé sept constellations dans Tunivers, sept jours dans
Tannée et sept orifices dans la personne mâle et femelle.
Voici les sept const(»llalions dans Tunivers : Saturne,
Jn[iiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure, Lune (2).
1. 11 prend iri le sanctuaire comme un objet quelconque, qui.
env«.'lop|)éde ses six dimensions, nous donne lenoml)r('7: do plusjtî
sam tuairejoue un rôle particulier dans les idées myslii|ues; il est
coiisidt'ré comme un petit cosmos repi'êsentant le p^rand. Un s'in-
j^vnW. à trouver une relation étroite entre ses parties et celles do
l'iniivers. Cette idée disséminée dans beaucoup dVruMiîS mys-
ti'Mi'îs fait l'objet d*ouvraires particuliers; nous la rt;trouv«'roiis. —
Si '.auteur, ai: li^u d»* m^ rflerer au tabernacle du déscil entend
paibM- du Temple de Salonion,'.il est possible d*adnnîltre qu'il soul'c
a liz''':hi"l, 5, o (pii présenbi Jérusab;m et le Ternjile comiiH* étant
aU ri»nli'e d»; la t<*rriî. Ce criilre porte vu qu^Iqu»* sort»'. I*r.>paci'
comme le ccnln' d'une spln-iv supporte laspluTc.
i. Dans If'Talmud, S'/A/*^^ 150 '/,rordro d«»s7(;sl : Soleil, Vénus.
Mercure, î.un»'. Saturne, Jupiter, Mars. \)r, (lui'.lqut* l'a«;on qr'ou
I\ iivi-ai^î cet oriire ne su justilie pas astrononiiqu«Mn»Mit. <ieiui
d»- ()îiaM«'jîns,di's«picls dfrivonl ces notions ot toujours (lï li;i\vl.
•j^, 1*^ ; "j'i f, \ III Ua\>l. r>7, (M-07 u) : Lune, Sr»leii, Jupiter, Viim-,
S.it.iin-', M:us. Mrrcure, r «-sl-à-ilire l'oi'dr»! des divinités tpjî \
pr-M.l'i.t (\oii' Schrailcr, Etudes tt riifi'iurs, p. 3'î7 à ii'.»). l*our le
i» f\:i' T' ://'//(, comme pour les Chaldècns,b; Soleil cl laLnrîf i* ' >
LK ïtKKR YEZIRAU 153
Voici les s*pt jours dans raiiuée : les sept jours Je la
semaioL' : Ivs >»'pl orifices «lans la personne mâle el
femviie sont : Jeux yeux deux oreilles, deux narines et
uae bouche.
Il a fail réL'^ner la lettre bet sur la sa^resse. il lui a atta-
ché une coMronne, il a combiné lune avec l'autre et il eu
a formé la Lune dans Tunivers, dimanche dans Tannée el
l*œil droit dans la personne mâle et femelle.
Il a fait réi^ner la lettre f/uime/ sur la richesse, il lui
a attaché unt* couronne, il a combiné Tune et Taulre et
il en a formé Mars dans Tunivers, lundi dans Tannée,
l'oreille droih* dans la por^onlle m^\o et femelli'.
Il a fail réirner la letln» nalrih sur la postéril*». il lui
a attaché une couronne, il a combiné Tune av«'c Taulre
et il en a formé le Soleil dans l'univers, mardi dans
Tannée, la narine droile dans la personne niAlo et
femelle.
Il a fail réijner la lettre kaf sur la vie, il lui a attaché
une coui >uiit-, il a combiné Tune avec Taulre et il en a
formé Vénus dans Tunivers, mercnuli dans Tannée, Tœil
gauche dans la personne màh» et f<»in(»lle.
11 a fail régner la li'tlre /jr sur W pouvoir, il lui a
attaché une l'ouronnc, il a couibiiié Tune avec Taulre et
il en a formé Mercure dans Tunivers, jeudi dans Tannée
et Toreillo gauche dans la per>onn»» niàie et femelle.
Il a fail régner la lettre r(*sch sur la paix, il lui ji alla-
ché une courinne, il a combiné Tune avec Taulre el il en
a formé Saturne dans Tunivers, vcndrcili dans Tannée
et la narine gauche dans la ]iorsonne mâle et fiMuelle.
11 a fait régner la lettre far sur la grAce, il lui a atta-
ché une C(uiroiine, il a combiné Tune avec Taulre el il en
six aulrcs planèlos rciiiiviil dans la dt.'iioiiiiiialioii goiK'ralc dV-
toilij.s.
154 LA HERCABAH AU TEMPS DES OAONIM
a formé Jupiter dans l'univers, le sabbat dans Tannée et
la bouche dans la personne m&le et femelle.
Sept doubles, 6, y, rf, k, p, r, /, avec lesquelles ont été
tracés 7 mondes, 7 ciels (i), 7 terres (2), 7 jours, 7 fleu-
ves, 7 déserts, 7 semaines (3), 7 années, 7 années de
friche, 7 jubilés (4) et le sanctuaire (5). C'est pour cela
qu'il aime la septaine sous le ciel (6).
Comment les a-t-il combinées? 2 pierres bâtissent 2
2 maisons, 3 pierres bâtissent 6 maisons, 4 pierres bâtis-
sent 24 maisons, 5 pierres bâtissent 120 maisons, 6 pier-
res bâtissent 720 maisons, 7 pierres bâtissent 5040 mai-
sons (7) ; à partir de là compte ce que la bouche ne
peut proférer et ce que Toreille ne peut entendre (8).
1 • Suivant les données de la Mercabah .
2. Suivant les données du folklore babylonien, la terre est divi-
sée en sept régions superposées; c'est ce que, croyons-nous, Tau-
teur entend.
3. Qui, dans la religion cultuelle juive, sépare la léte de Pâque
de la fête des Semaines.
4. Pour faire la 50* année, année de grand Jubilé, où, selon la
Thorah, les patrimoines devaient être restitués aux familles res-
pectives.
5. Où le nombre 7 domine pour la forme des choses et !a durée
des félcs, le nombre des victimes.
6. Philon, après avoir parlé longuement du rôle du nombre 7
dans la loi juive, dans les voyelles grecques, dans les organes du
corps humain, dans la musique, conclut en des termes semblables ;
xaipec ùi t) çv<n; tt) êiiTaSi (Legis allegor,^]^ 42).
Dans la Pesikta nous rencontrons les mêmes mots :
7. C'est-à-dire une racine de 2 lettres est susceptible de li roni-
binaisons; 3 radicales sont susceptibles de 6 combinaisons, i d«'
24, etc.
8. La série est infinie.
LE SEFER YEZIKAn 155
CHAPITRE V
Douze simples: he,vaVj zaïn, cliet^ tetjjod, lamed.nun^
sameky ayin, zade, kaf^ fondement de : parole, pensée,
marche^ vue, ouïe, action, cohabitation, odorat, som-
meil, colère, nutrition, rire.
Douze simples : A^, yay, zaïn^ chei, tetjod^ lamed, ?iun,
samek, ayin^ zade^ kaf^ fondement de 12 arêtes de dia-
gonales (de côtés) : arêtes est-sud, arête est-nord, arête
est- bas, arête sud-haut, arête sud-est, arête sud-bas,
arête ouest-haut, arête ouest-sud, arête ouest-bas, arête
nord-haut, arête nord-ouest, arête nord-bas, et elles s'é-
largissent, s'écartent, et vont jusque dans rélernilé et
ce sont les bras du monde.
Douze simples : A, y, 3, cA, /, y, /, /j, 5, a, z^ A; il lésa
fondées, il les a tracées, gravées, combinées, pesées,
interverties, et il en a fait les 12 constellations dans
Tunivcrs, les 12 mois dans Tannée, les 12 directeurs (1)
(organes directeurs dans la personne mâle et femelle).
Voici les 12 constellations dans Tunivers : iiélier.
Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, llalauce.
Scorpion, Sagittaire, Cipricorne^ Verseau, Poisson.
Voici les 12 mois dans l'année : Nissan, Yar, Si van,
Tammouz, Ab^ KIoul, Tischri, Ciheschwan, Kislev,
Tebeth, Schevat, Adar.
Voici les 12 directeurs dans la personne mâle et
femelle : deux mains, deux pieds, deux reins, bile, foie,
intestin grêle, bas-ventre, œsophage, rate (2).
1. Le ScferYcùrah établit, suivant lanatomie d'alors, une hiérar-
chie panni les organes du corps humain.
2. D'après une autre version : deux organes agiles (bile et foie),
deux organes calmes (rate et estomac), deux organes tenant le
156 LA MEhCABAII AU TEMPS DES GAOMM
Il a fait régner la lettre he sur la rate, il lui a attaché
une couronne, il a combiné l'une avec l'autre, et il en a
formé le Bélier dans l'univers, Nissan dans l'année, le
pied droit dans la personne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre vav sur la bile, il lui a attaché
une couronne, il a combiné Tune avec l'autre, et il en a
formé le Taureau dans l'univers, lyyardans Tannée et le
rein droit dans la personne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre zayn sur le foie, il lui a atta-
ché une couronne, il a combiné l'une avec l'autre, et il
en a formé les Gémeaux dans l'univers, Sivan dans
l'année^ le pied gauche dans la personne mâle et fe-
melle.
Il a fait régner la lettre chet sur l'intestin, il lui a at-
taché une couronne, il a combiné Tune avec l'autre et il
en a formé le Cancer dans l'univers, Tammouz dans
Tannée et la main droite dans la personne mâle et femelle.
Il a fait régner la lettre tel sur Testomac, il lui a atta-
ché une couronne, il a combiné Tune avec l'autre et il en
a formé le Lion dans Tunivers, Ab dans Tannée et le rein
gauche dans la personne mâle et femelle.
CHAPITRE VI
Voici (1) les 3 mères : alef, me?n, se/fin, f;t d'elles
sont issus les 3 pères, ^?V, eau, fen\ des pères sont issus
les générations, soit donc 3 pères et leurs jjénî'^ rations,
7 constellations et leurs milices et 12 anHes en diago-
nale. — La preuve de la chose, les témoins fidèles (2/
milieu, médiateurs et coDscillers (reins), deux organes gais ou ex»*
"iitîinl les ordres (œsoptiage et bas-ventre).
1. Ici commence une espèce de récapitulation.
2. C'est-à-dire l'expression de ces principes dans la réalité.
LE SKFtR YFi:iKAli 157
sont : lo mori^ie. ranné»?, la personne, oi ia loi o>: :
12 T. li: i! les asuspenius au ilruçon^l . à la sphère i\
et au cœur. — 3 mères. '.2 *»/. mem, <c/rn eorrrspou<!ant
à : air, rau, f^u. Le feu i-n haui, l'eau en has v\ l'air,
soufile tenant le milieu entre lis Jeux autres.
Lo signe Je la ehose, le feu porle l'eaii; mrm est
souriio. schin e<t siftiante, ii!rf est entre les iltMix. Le
dragon Jans Piinivers est comme un roi sur son li oue^
la sphère dans Tannée est comme un roi dans s;i ville.
le cœur dans la personne est comme un roi dans ses
provinces (A . De plus il y a des contraires en faie l'un
de l'autre, le bien en face du mal. le mal en face du bien,
le bien vient du bien, le mal vient du mal: le bien est
î. Ona iiitorpr'tt'î ce mol tn'«5 »liversi*mi'nl. l.'anltMir oiilcn»!
évidemmt'Ut ijuo le draçoii ost à riinivors. c «pio la >|':i.n' t»st à
l'année, co «ïu»; Io civiir t-st à la p»^rsoiuie, i''i»sl-â-*lin' !.' c«'ntre
ou la lorcc inipnl^ivi- du t<*ul. I.e dra^ou pourrait doui. èlre «luel-
que chose comiinî ia i'i«nstellalioïi du Sorponl, points d'intorsec-
tiens où 50 (ou{enl l'ori itt» du soîoil A d»» r«»nualiMii\ l.i'> deu\
points d'inlrr>ectii»n <t'raii-nt la lot»' l't ta «juiMur du ilra«:on v\,
Maïmonid<»,C'.»rnnient. sur la .Mi>i'haah,.\l)odah Zara, \'l ^,;l pi'ipus
du "*:"'". et Saadia,('ouiuieut. Sfr»"' ^r/irah . In |»assairt' «iu :>rjn
JSaM'e/ jettera pt-ul-iMn* (picii^uo ciail»* sur otledouut'o : *• l.t» >t'r-
pent !u\anld«' Uni'' (27, 1) est la conslfllalion du uiunsh<' app^lr
par les dMileurs hsi (dragon), parce ipi'à lui siuil suspoudus ^il
fait d»''rivcrle niul do la racino tahi/i, suspendro) U's 12 njijih's du
zod;a<iu«\ Par lois il rhasse dans le rioi, tl'une i^xlrôniité â l'auhv,
et îiiorsil portiî K* nom de -orpont fuvaul et parfois il inlroijuit sa
queu' dans sa houclie comme un serpent enroule.
J. La spliî're est la sphère supérieure ipii dôlermine le mou\(^-
mout de toutes \c.> autres sphrres et la rcvidulion clo ti»us les asires
et par conséquent préside à l'année.
3. C'e<t-à-dir»; le drai^on ne i[uille pas le [valais, l<^. cii*l, la
sphère deinoure voisine du citîl et h*. ciiMir «*st un centre pur<MMiMil
terrestr»'. l-es trois sont un»; uianifc^^taiion de Dieu, mais rinir. rsl
plus éloiuMiée de lui que l'aulns — ou t>ieu h; dragon est un eenlrr
158 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONIM
«
une pierre de touche pour le mal, et le mal^ une pierre
de touche pour le bien. Trois dont chacun se tient à part.
L'un est à décharge, l'autre à charge et le troisième est
entre les deux. Trois en face de trois et Tun au milieu;
douze se tiennent rangés en bataille, trois amis> trois
ennemis, trois ressuscitant^ trois tuant. Et Dieu, roi
fidèle, règne sur tous du haut de sa demeure sainte pour
Téternité. L'un est au-dessus des trois, et les trois sont
au-dessus des sept et les sept sont au-dessus des douze,
tous attachés Tun à l'autre. Voici les vingt-deux lettres
par lesquelles Ehjh, Yah, Yahvé Elohim, Yahvé Elohim,
Yahvé Zebaoth, El-Schaddai, Yahvé Adonai a tracé les
choses, et dont il a fait les livres, et dont il a créé son
univers et dont il a formé tout ce qui est créé et tout ce
qui reste à créer.
Lorsque vint Abraham notre père (qu'il repose en
paix), il regarda, il vit, il approfondit, il comprit, il traça,
tailla, combina et la création lui fut accessible selon
Genèse. Le maître du Tout se révéla à lui, il le reçut
en son sein, Tembrassa sur la tète, l'appela son ami, lui
révéla les secrets, et conclut une alliance éternelle avec
lui et sa postérités, selon Genèse, 15 et 17. Il conclut une
alliance avec lui entre les dix doigts de sa main : c'est
Talliance de la langue, et entre les dix doigts de ses
pieds, et c'est l'alliance de la circoncision. Il lui attacha
vingt-deux lettres à la langue, il les trempa d'eau, les
brûla de feu...
Il est dificile de dégager la pensée véritable de l'au-
teur du Se/er Yezirah, ni même si l'auteur a véritable-
immobile, la sphère se meut sur elle-même sans changer son or-
bite, et le cœur est comme un roi dans la guerre, c'est-à-dire pré-
side à Tordre des organes multiples rangés comme en bataille
autour de lui. Je donne ces explications sous toutes réserves, n'é-
tant pas arrivé à la pleine clarté des vues de l'auteur.
LE ^EFER YEZlR.in 15i>
ment une doctrine. Il nous présente 10 Sefirolh consti-
tués par l'Esprit de Dieu, 3 éléments et 6 directions,
puis 22 lettres divisées en 3 lettres fondamentales,
7 doubles et 12 simples et ce sont les 32 v«mx de la sa-
gesse. Ces notions sont loin d^étre claires ; d*abord il
va enchevêtrement et contusion entre le groupe des
Scfiroth et celui des lettres. Les Sefiroth^ air, eau et
feu, qui font partie du groupe des 10, ont leum corres-
pondants, ou fondements ou représentants dans les let-
tres rt/e/, menij schin qui font partie des 22. Or, d'après
le § 1 du ch 1, il taille successivement ces 22 lettres
avec ou dans ces éléments. Comment est-ce possible
puisque ces éléments sont eux-mùmes la résultante de
2 parmi ces 22 lettres ? L'auteur ne me paraît pas être
arrivé à tirer ses propres conceptions au clair, ni surtout
à leur donner une expression nette. Je pense qu'il a
vaguement conçu les choses de la manière suivante :
En tête de la création vient : Le Verbe, c'est-à-dire la
parole de Dieu ou TEsprit-Saint. Ce Verbe, en expri-
mant les lettres aie/, mem, schùif donne naissance aux
3 éléments, et en produisant par ces lettres G combinai-
sons il donne naissance aux 6 directions, c'est-à-dire
donne aux éléments la faculté de se répandre dans tous
les sens. Puis, imprimant dans ces éléments les 22 let-
tres de l'alphabet, y compris les 3 lettres, (ilrf, viem,
schin (non plus en tant qu'éléments substantiels, mais
formels) et en exprimant toute la variété de mots qui
résultent de ces lettres, il produit toute la multiplicité
des choses.
Un double principe préside à cette production : un
principe juif et un principe non-juif. Un principe juif, k
savoir que les mots sont identiques aux choses qu'ils
désignent, et un principe non-juif, à savoir l'idée plato-
nicienne. Le principe juif remonte îi tino origine très
160 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAONCM
reculée. Pour les Sémites (1 ) avoir un nom et être consti-
tuent la même idée, de là dans la Bible les bénédictions
de Jacob demandant pour ses enfants que Tango les
appelle par son nom {Gen. 48, 7). Son nom est pour
eux un gage de vie. De là l'importance du changement
de nom pour Abraham et Sarah (Ge«. 17, 4, 8), pour
Jacob [Gen. S&, 10). De là Thabitude d'associer le nom
divin au nom de chaque homme. Le même idéogramme
babylonien signifie nommer et exister. Dans les for-
mules propitiatoires» les noms de ceux qui en sont
Tobjet sont répétés des centaines de fois, afin que les
dieux favorables ne s'y trompent point. Et ce n'est pas
là une simple métaphore. Dans leur conception, on a
réellement prise sur l'être quand on a prise sur le nom.
Ce que les rois assyriens craignent le plus, cest que leur
nom ne soit un jour eiïacé de la terre et que cette dis-
parition n'entraîne celle de leur être dans le royaume
des morts. Leur grand soin est de multiplier les figu-
rines portant ce nom; ils les répandent à profusion,
surtout dans les soubassements dos édifices, dans les
angles inaccessibles aux hommes et aux esprits. — Si
nous nous sommes livré à cette digression, c'est pour
bien mettre en relief cette idée que, dans la conception
des Sémites, le nom, l'appellation d'un ôtre ou d'une
chose et cet être et cette chose constituent uuo st^ule
idée. De ce principe mystique a pu sortir facilement cet
autre principe que, pour Dieu, exprimer un nom, c'csi
créer l'être qui le porte ; du moment que les mauvais
anges ont accès à Têtre quand ils ont accès au nom, les
1. Des travaux n»cents prouvent qu'il eu est de mt>m»î chez d'au-
tres races. M. Tarde m'ai^prend [Lnyitiuc sociale, p. 25.) que « pour
Ips (îroiMiIandais orientaux, riioninie se compose de Irois parties :
le corps, l'âme et le nom. Le nom est mis sur le même vang que
l'âme et jugé immortel comme elle. »
\' ^y^ a — . _ • . i -..•■-•--. 4, . - 3: ^ . -■
é aï -J'i- - À ^ . : ' . r, V : j L ' j ' f "^ ■-■.*..- • < : . :. ■ - 7 -
lainrm 1: :"•-":•-•:"-" ii> -r. \î' . :. V - . *t .^
incoLt^f:i:■.^ ::.r::" *i ri:.::- ii::s "• ::\ -r i'^ :::
Dieu trr* f:-":.r. \n: irs .•.■*..::> :- . a. lî- : -. • ":-^ -.«r'ri-
cîpesqu". z.Tr^:i'.:.'. à :■'.;:•-> '.-..:-> * . .î^^.-*-.- :■: ::: :
j'uaivrr?. l) a-.::-, z \t\. -.n :ri.>::: .î r - .ai* - • , -ros
lie ce- !v ::•?.!. : : • 2.:;: mi m- :v :î;. r: n:^ .iu:!^ :»v^n:.
un dé:«i.iC-; ni-".", 'v m-- ■:.■.> ta-^.:»!- .'îjî-uv ^^ . : nîro
• • • •
C'.- chanî;viiiv:.: -■:;!: !i -liT^^'i^ :i ^ïa:; ::■!"< r. ^n :i> ti
leurs ^u:^.■^. 'Jii T'r'îî • r.. 'î'f .ïiiîi'rî y.i.- p.ir '•• :.ri!i-
ciiiP mtlai-î.V'ii :;;..- .lU It- Wrijo i. i:-- lin: ifs :i. ;< ;>1»-
l'imnif-nse v:t:;''i''' !• s ■ iii'i».'>.
Mai^ hâîjïis-!! Hi^ lit; !»• i.iiro. r;cii iif nous iii,iii]ih» clai-
rement il in< !•• ^' 't )"*r."'''^/ il«*s tiM''t'S dii jivliïa:r«»-
risme. L^* py ii ij-îi-^m" f.iil du n ^iii:'!i' »mi s*»! \\ maliîMo
el la fornif du in-'i: !■•. i h* .l.ui> .f '^' * } • :•' .■ / .=' n ^!nî»M»
n'esi rii.'ii en lir-in-'in-'. ii îi'i-^t 11; la hm::!'!.-. ni la tMino
d'i nomhiv, il n«* 'li*'."r[n;n«* îm^^ li tjn.i.il»» iln n-^înlMi'. il
■
délerniin*' 5''iil'ni'':il l»*-^ So!ir.»îli il u^^ Icilri'H l'I 11* st»nl
ces Sefip'ilii •*! •■•••' ifllr^s i[ni •Hin>iiluiM)l Ti'ssiMiro tli»s
choses. Si l'aiilrnr .1 MiMi ivr!lcn!i»ul i*i>iinii !«• n\ ih.i^i
risme. il n»» rai^mini i[ne iluni* manière i;ènei'ali\ «l il a
accommoilé il sulMmlonné sa iheorii» îles uonilnes aiâ\
besoins du jniiaïsnie.
Peul-ètrr a-l-il m i»n main nn il»- res |ïsiMnln-éi'ri!s
comme il en rin-nlail pour l*\iliau'<»re el |»iuii- In auroiip
d'aiilres iihilosnplh's i»n*i*s. hans rt*s |»stMnlo-iii;uini»ls la
doctrine du inaîlr»* élail nn**lét» eonlusiMnenl À rrllr de ses
disciples et à i^elN» iPauliTs rrolos. l'.'csl ainsi (|tic Tau-
leur du Sefer Vezinih a pueonnaîlre laeont'eplion dt» Ni
162 LA MERCABAH AU TEMPS DES GAOïNlM
comaque d'après lequel le nombre n*esl plus l'essence,
la substance des choses, mais un modèle^ une relation
des choses, de la pensée de Dieu, TrapiîetYjjia, ip^/r^Tu-si (Ni-
com., Arithm.j Introd., 16, p. 8) ; c'est-à-dire ils sont
coanus pourle Se fer K^z/raA, les médiateurs entre Dieu et
rUnivers, à la fois modèles et instruments, autrement dit,
le nombre perd son caractère mathématique pour prendre
un caractère théologique et métaphysique. Tous les pytha-
goriciens postérieurs finissentpar se représenter les nom-
bres comme quelque chose d'analogue aux idées de Platon.
Le Sefer Yezirah ne contient aucune trace certaine de
panthéisme. Les Sefiroth sont bien « liées Tune à l'autre, )>
mais elles sont toutes ensemble nettement séparées de
Dieu. Dieu est au-dessus des lettres et des nombres
comme le Créateur est au-dessus de la création. Us
n'émanent pas de lui mais il les a tracées, exprimées,
formées du néant, du non-être (1:1:;^ I3\s répondant exac-
tement au {xr< ov des Grecs). Le Verbe d'où d'écoulé tout
le reste n'est pas une émanation de Tessence de Dieu.
II est sa parole et non sa substance. Ce Verbe une fois
donné, toutes les formes d'êtres en dérivent bien par
voie d'émanation, mais Dieu ne fait que présider à cette
génération. L'auteur dé Sefer Yezirah prend à tâche,
semble-t-il, de ne pas sortir de la doctrine pure du mo-
nothéisme juif. Il emploie comme à dessein pour la ge-
nèse des choses les tournures de la première page de la
Genèse, Les expressions comme « mets le Créateur à sa
place véritable, » qui revient à plusieurs reprises et « les
Sefiroth vont se prosterner devant son trône » semblent
vouloir appuyer sur l'inaltérable pureté du monothéisme.
La doctrine qui, après la cosmogonie proprement dite,
domine dans le Sefer Yezirah est laconception de Thomme
comme microcosme. L'univers est une superposition de
trois ordres de choses : l'espace, le temps et Thomme.
LE sEFFF YIZ «AH iCH
L'homme estî'image en racccurci do ce qui s'eoouie dans
le temps et de ce qui se meut dans l'espace. Il y a é(\m-
valence entre la vie humaine, Tannée, l'univers, dans
son acception la plus haute* mais une équivalence tout
extérieure, c'est-à-dire que les mêmes membres s'appli-
quent à l'un et aux dfux autres. L'auteur fait ainsi une
application toute superficielle de la doctrine qui établit
un parallc'le entre le macrocosme et le microcosme.
Ce qui me frappe ensuite dans cet opuscule^ c'est ce
besoin de classer, de cataloguer et en quelque sorte
d'accrocher les connaissances à des nombres. On dirait
que la pensée juive se sent écrasée par toutes les notions
nouvelles relatives à l'astronomie, à la physique, à l'ana-
tomie^ etc., elle sent le besoin de les étiqueter pour
mieux en soutenir le poids. File est comme un enfant
qui commençant à porter sa main et son esprit sur les
objets qui l'environnent pour conquérir le monde exté-
rieur compte tout, encombre tout, parce que, incapable
encore de synthèse et de généralisation, s'attache au seul
genre qui lui soit accessible : le nombre.
A ce besoin se joint aussi, croyons-nous, une préoccïi-
pation pédagogique. Ici nous nous permettrons d'expri-
mer, sous toute réserve, une opinion qui. nous nous
hâtons de le dire, n'a pas de fondement scienliiique, mais
est plutôt une impression qu'une conclusion raisonnée.
Le Sefer Yezirah n'est peut-être pas le point initial mais
final d'une longue série d'idées et il est possible qu'il soit
l'œuvre d'un pédagogue préoccupé de quintessencier
en un manuel très court, en une espèce de Misclinali,
toutes les connaissances scientifiques élémentaires :
Connaissances relatives à la lecture et ît la f^ramniairc :
les vingt-deux lettres de Talphabel avec toutes leurs
combinaisons, telles qu'elles figurent sur des tableaux
destinés à apprendre à lire aux enfants, lelli's que selon
164 LA MERGABAn AU TEMPS DES GAONIM
Saadyah (Commeut., cli. 4, § 4) il s'en trouvait alors
dans les vilk'S de Palestine et d'Egypte; puis la division
des lettres selou les organes qui les prononcent, la nature
des lettres susceptibles d'une double prononciation, etc.
Connaissances cosmologiques et physiques comme le
nom et la nature des éléments, les rapports et les diffé-
rences qui existent entre eux, leur densité, etc.
Connaissances relatives à la division du temps, les
jours de la seniaine, les mois de l'année, et, sV rattachant,
les notions sur Ii.»s planètes, les signes du zodiaque.
Connaissances relatives à l'espace, les points cardi-
naux, les directions de la rose des vents et y compris des
notions de géométrie concernant le carré, le cube.
Connaissances relatives à Tanatomie comme la divi-
sion des organes, leurs noms, leurs fonctions, le rôle
capital du ca»ur.
Enfin des cunnaissances essentielles relatives à la doc-
trine juive, comme le monothéisme, la cosmogonie de la
Genè^Cy la circoncision et aussi les conceptions touchant
la Mercabah.
Delasorle le5///<^/ Yezirahn^iS(^T^^{ ri(»n moins qu'une
œuvre mystique. Il ne serait autre chose qu'un «enchiri-
dion » éléniLHlaire se proposant de rai tacher entre elles
au moyen «Ifs nombres et des lettres toutes les notions
qui sont rohjrl «renseignement du premi<T '\\i\\ Ce «jui
me confirm»* dans inuii im[»ression, c'rsl cet If langue
gauche et hésilatite dans l'abstraction tendant à iMre le
moins abstraite possibk*, cherchant par conséquent à se
rendre acce^^siliie aux intelli^^enres les jdus frustes. En
tous les cas, cunimi» l'on voit, on a beaucoup surfait la
valeur de cettf «iMivre quand on la ciiantée comnn» une
avant-courrli;;' di- !a Kabbale, comme l'iiri des pnîes Je
la mysti'jur /. Inrifuiu»'.
Eu lisanl Ir >v/f'r Vrzirah^ on ne peut s't'nipéchur de
Li: SEKKK YKZIRAII U)T>
penser au procédé du •rnostiqui.» Marcos ol do corlairis
théoloyi'nsarabes. D'aiiivs Irénéo, //m*V., I, IG, Marc, le
disciple de Valenlin, aurail fait des 21 lellros de l'alplia-
bel grec des émanations figurées de trois puissances qui
embrassent le nombre entier des éléments supérieurs.
Les 9 consonnes muettes désigneraient les 1) Puissances
du Père, les semi-voyelles au nombre de 8 désigneraient
les Verbes, la vie. Lt's sept voyelles désigneraieul
rhomnie, TKglise, etc.
Ce qufî le Sefpr Ypz'naK fuit pour les racines, Marcos
le fait pour les lettres. Par exernpie, il prend la Irlire
delta et la résout en d-r-l-f-a ; chacune de ses b»llres
est analysée de la mèmr manière, de sorte qu'à un mol,
qu'à une phrase se substitue une intinilé d'autres mots et
d'autres {»hrases : '\z zi\-x z-y.yv.v* ypay-ixaTa iv sajTM ïyi\
Tîv:* : xnz -^xp ts :îX-.a y.r. t: îax. ts Kx\iizx... la -xjzx -aX'.v
\^px-j,'j.x'x zi xWio'. vcasovTJc. ypx\j.\j.x-:uyt (jhul, ap, Irèn.).
Voilà pour la forme Pour le fond les analof^it^s que»
iii'act'/ a établies (Mitre \v. Sof^r Yrzivnk et certains |».»inls
de la doctrine di's pseudn-élémenUures nous paraissent
peu fondés, pas plus qucî la conc<'plion g^Miérah^ «h» (^irael/
sur le S^/^r Y^zirnli^ i]\\"\\ consiiliu'e comme nn lixrc «le
polémique anli-gnostiqnr. 11 serait en etîel rtrang»'
qu'un auteur juif fît laguein' au guosticisme en lui em-
pruntant rétran.nelé diî sa mélhodo et Télrangeté non
moins dani^ereuse decerLaint*s de ses doctrin<'s. Le Sti-
fer Yezirah est bien plutôt à nos yeux UQ»» concession que
le mysticisme juif fait au gnos'J':isino, on plutôt nn r:lleL
des idées gnosliqurs dan-; la piMiséc mystique d»*^ Juifs.
Un fond d'idées liétérodoxrs a jn'oduil ici le gnolicisme,
là le mysticisnn» juif.
Nous ne discuterons |)as ropinion qui attribue la com-
position du Sefer Yezirah au patriarche Aliraham. Mtin-
tionnons seulement que Jellim;k a voulu conclunî de la
166 LA HERCABAH AU TEMPS DES GAONIH
mention du nom d*Abraham de la fin qu'elle est née dans
un milieu essénien, parce que les Esséniens, pour prou-
ver l'autorité et la vérité de leurs doctrines, rapportaient
leur origine à Abraham. Si Tidée de Jellinek avait quel-
que valeur on ne s'expliquerait pas que l'époque talmu«
dique ne se soit pas occupée de cet ouvrage. Nous trou-
vons,il est vrai {Sanhédrin 7), R. Jehoschoua b. Chananya
exprimant l'opinion que, par les procédés relatifs à la
« Yezirah » ou puisés dans un livre concernant la Yczirah
(les éditions ne sont pas d'accord sur la version déPini-
tive) , on peut faire des opérations thaumaturgiques
comme, parexemplc, tirer des citrouilles des veaux gras.
Mais ce passage, d'ailleurs unique de son espèce et peu
clair, autorise seulement à conclure qu'ilexistait à l'cpo-
que talmudique des recueils de procédés théurgiques et
thaumaturgiques, mais nullement à Texistence de notre
Sefer Yezirah.
L'attribution du Sefer Yezirah à Rabbi Akiba n'est pas
beaucoup plus digne d'être discutée. Elle est d'ailleurs
relativement récente. C'est un kabbaliste du xiv" siècle,
Isaac Delatès, qui. dans la préface de l'édition de Cré-
mone du Zohar, se demande le premier « qui a permis à
R. Akibad'écrire en l'appelant Mischnah le Sefer Yezirah,
puisque c'est un livre transmis oralement depuis
Abraham? » Ce qui a pu entraîner cette attribution,
c'est ce point commun entre le Sefer Yezirah et les expres-
sions de R. Akiba [Chagigah 15 a) : « Et l'un en face do
l'autre signifie qu'il a créé des justes et il a créé des mé-
chants, il a créé le paradis, il a créé Tenfer. » « De plus
la réputation qu'a laissée R. Akiba comme ayant inter-
prélé toutes les lettres et jusqu'aux queues des lettres de
l'Écriture )j a pu contribuer à répandre cette opinion,
mais le Sefer Yezirah porte incontestablement les marques
d'une époque bien ultérieure qui le fait placer avec beau-
\
LE SEKEH YEZIRAH 167
coup plus de iég;iliniilé au coiiimencenienl de Tépoque
gaonique. Toul d*abord il existe sûrement au moment où
Agobard écrit sa lettre au roi Louis le Pieux : il y a fait
en effet clairement allusion en disant des Juifs : « lilteras
quoquealphabelisuicreduitexistere sempilernas, étante
mundi principium impetrasse diversa ministeria, quibus
oportet in seculo praesidere ». La lettre d*Agobard nous
reporte à Tan 829. — D'autre part, l'auteur du Sefer
Yczirah connaît les distinctions grammaticales concer-
nant le double prononciation des lettres d, g^ d, k^ p^ r,
/; il connaît la division des lettres par organes, mais il
ignore les points-voyelles. On sait qu'à Torigine et sous
sa forme classique la langue hébraïque ne connaît
d'autres voyelles que celles qu'on est convenu d'appeler
maires leciiofiis ^c'esl-k-àire alef, jody i^at;, joignant à leur
valeur comme consonnes, une valeur comme voyelles
{a, /, ou). Les autres voyelles flottent autour de ces trois
{a, i, ou), comme on peut le constater encore de nos jours
chez les Arabes. Les points-voyelles sont Tœuvre des
Massorëtes; si l'auteur, les avait connus^ il aurait été
frappé de leur nombre 7 et il n'aurait pas mamjué de
leur donner une place dans son ouvrage. Toutes ces con-
sidérations nous conduisent à penser que l'apparition du
Sefer Yezirah se place au commencement de Tà^e gram-
matical, c'est-à-dire entre le vm'' et le ix'' siècle.
Quoi qu'il en soit du sens primordial du Sefer Yezirah
dans Tesprit de celui qui Ta écrit, le Sefer Yezirah bien
ou mal compris eut une grande portée pour le dévelop-
pement du mysticisme ultérieur. Il s'est produit ici dans
une certaine mesure ce qui s'est produitpour les éléments
apocalyptiques du livre de Daniel. Chaque âge rencontra
dans ce dernier l'expression de ce qu'il cherchait, une
réponse aux vagues aspirations qui le travaillaient. Les
ditférentes formes que revêtit le messianisme autour
de l'ère chrétienne s'y retrouvent telles qu'elles s'agi-
12
168 LA MBRCABAn AU TEMPS DES GAONIM
taient confusément au fond de la conscience populaire.
Il en est de même pour le Sefer Yezirah. Les généra-
tions mystiques qui suivirent le Sefer Yezirah y virent ce
qu'elles voulurent bien y voir. Le vague de la langue ol
la force de l'imagination mystique y aidant, on en fit un
espèce de bréviaire mystique dont le sens littéral implî-
pliquait un sens plus profond. On procéda à son égard
comme le mysticisme en général et de tous les temps
avait procédé à l'égard de FEcriture.
L'obscurité de la langue et le caractère aphoristique
de ses propositions favorisaient grandement ce travail.
Sur le texte se superposa une couche abondante de com-
mentaires. Depuis Saadyah à travers le x", xi% xu* et
xiii« siècle jusqu'au seuil du Zohar, les interprètes se suc-
céderont sans relùche. Nous nous contenterons d'en
signaler les principaux. En tête vient celui de Saadyah
qui cherche dans le Sefer Yezirah le rationalisme péripa-
léticien qui lui est cher. Puis celui d'Isaac b. Salomon
Israeli deCairouan,d'EliaUasaken qui, d'après Botarel,
aurait surtout appuyé sur le mysticisme des nombres ; de
Sabbataï Donolo qui s'appliqua à la fois à donner au
texte sa forme la plus sûre et l'expliqua selon ses
propres tendances, la doctrine naturaliste; celui de R.
Jehuda bar Barzilaï, au début de xii* siècle. Au xni* siècle,
Abulafia se vante d'avoir étudié douze commentaires du
Sefer Yezirah. Mentionnons encore le commentaire de
Rabad,le frère d'Isaac TAveugle, qui se rapproche de la
doctrine du Bahir et qui est déjà tout imprégné de la
doctrine mystique qui trouvera tout son épanouisse-
ment dans l'école d'Isaac TAveugle; celui de Nachma-
nide remarquable par son laconisme.
Juda Hallevi dans son Cusari, IV, 23 et Abraham Ilm
Ezra sur Ex. 3, i."} commentèrent certaines parties. Enfin
Ibn ijabirol et Isaac Ibn Gayat et le célèbre Raschi en
firent un grand usage.
V
Le mysticisme chez les grands théolo-
giens juifs.
Avant de passer à la Kabbale proprement dite, il nous
faut jeter un coup d*œii sur fœuvre de quelques esprits
juifs qui, sans être des esprits mystiques, onl cependant
collaboré au développement du mysticisme, soit que des
éléments mystiques se fussent glissés dans leur doctrine,
soit que cette doctrine ait pris place immédiatement, in-
dépendamment d'eux et quelquefois malgré eux, dans le
courant du mysticisme.
Nous voulons parler de Saadyah, Ibn GabiroU Juda
Hallevi, ibn Ezra cl Maimouide.
Saadyah, — Saadyah est avant tout un rationaliste
aristotélicien ; dans son ouvrage théologique, Crot/anccfi
et opinions, aussi bien que dans son Commentaire sur W
Se fer Yezirah^il tt»nd à apporter au dogmatisme, tel qu'il
résulte de la Bible et duTalmud, Tautorité et le prestige
de la raison. Il est donc en principe plutôt opposé au
mysticisme, mais il ne faut pas oublier (]ue le mysticisme
juif est une chose très complexe, faite de doctrines mys-
tiques au sens ordinaire du mot et de doctrines spécula-
tives en général. De la sorte Saadyah a pu apporter
quelques éléments qui ne tarderont pas à être engloutis
par le mysticisme.
D'abord il ne pousse pas son rationalisme àrextréme,
170 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
il n'admet pas que la raison puisse aspirer à tout. Il
lui refuse le domaine cosmogonique proprement dit, à
savoir comment le Créateur a créé les choses ex nihilo.
Cette science, dit- il, n'est accessible qu'à Timagination
et seules les révélations mystiques de Dieu peuvent en
donner connaissance à l'homme. De plus, sa conception
de Dieu môme, au moins telle qu'elle figure dans son
Commentaire sur le SeferYezirah,est un mélange de ratio-
nalisme et de mysticisme. Pour Saadyah Dieu est dans
l'univers ce que la vie est dans l'être vivant. Il est à la
fois dans chaque partie et dans chaque tout. Tout corps
a en lui une partie plus délicate, siège de la vie : c'est
l'àme, et cette âme a en elle une partie plus subtile qui
est la raison. Dieu est à l'univers ce que cette partie
subtile esta Tâme et au corps. Comme dans l'homme la
vie est dirigée par la raison, ainsi la puissance divine
est dirigée par la raison. Saadyah va jusqu'à dire que
c'est dans Tair, parce qu'il est simple et fin, que se déve-
loppe cette raison divine. Elle y existe et le meut comme
la raison et la vie meuvent le corps. C'est dans cet air
répandu en toutes choses que réside l'existence de Dieu
dans l'univers (Comment., ch. 4,1). — Ailleurs il dit
que Dieu est au centre de la création de façon à la sou-
tenir (ch, 2, 3), Nous attirons particulièrement l'atten-
tion sur l'idée qu'il se fait de Tair, parce que cette con-
ception contribuera à produire celle qui est représentée
dans le Zohar par le « Avir Kadmon » (Air primor-
dial. ♦
Le Commentaire nous présente encore quelques autres
éléments mystiques qui ont leur importance pour la
suite. Au chap. 3 , § 6 il nous présente le tabernacle
comme une image do l'univers; la toiture représente le
ciel, car son tissu est d'azur, les agrafes d'or représentent
les étoiles du ciel (cf. Sabbat 19 a : « les agrafes pa-
SAADYAU 171
raisseol dans les étoiïes comme les étoiles dans le ciel »).
Les bases du tabernacle correspondent aux bases de la
terre qui sont les collines et les montagnes. Saadyab
établit un parallélisme entre i*univers en tant que ma-
crocosme, le tabernacle en tant que monde moyen et
l'homme en tant que microcosme; il va jusqu'à formuler
une équation entre le soleil et la lune dans Tunivers, le
candélabre dans le tabernacle et les yeux dans i^homme,
puis (1*1 même entre le firmament séparant les eaux su-
périeures des eaux inférieures, le rideau séparant le
Saint des saints du reste et le diaphragme séparant l'or-
gane de nutrition de Torgane de respiration.
Saadyab admet que l'âme se compose de trois facultés
essentielles, la raison, la concupiscence et la colère (au
sens des mots grecs vsj;, lz'.Ou[i.{a, ^•j\Liç;) : la raison qui juge
et sait, ou nesc/iamah; la concupiscence qui préside à
Talimcntationet au commerce sexuelou;je/(?iTA,el la co-
lère qui s'irrite et punit ou rouach. Il y joint (à la suite
de Bereschit Rabba li,9) les deux facultés secondaires,
chajah qui répond à IMmo vitale des anciens et jechidah
qui constitue le Moi proprement dit, ou, pour parler
comme Saadyah, '< ce qui fait qu'aucune autre créature
ne lui ressemble ».
Saadyab admet la résurrection, c'est-à-dire l'union ul-
tra-terrestre deTîlmoot du corps; pour lui, comme pour
le mysticisme de l'époque talmudique, et comme plus
tard pour la Kabbale, cette résurrection aura lieu quand
le nombre des iïmcs qui à l'origine ont été destinées à la
vie sera épuisé. Mais il repousse de toutes ses forces la
métempsychose. La théologie dogmalique représentée
par Saadyab, Maïmonide et tous les rationalistes, main-
tiendront très nette la dislincliou de res deux concep-
tions. Ils rejetteront toujours la niétenipsycliose, parce
que cette doctrine snns être absolument inconciliable avec
172 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
la doctrine pure froisse leur conception plus simpliste
de la justice divine, et jette un certain trouble sur cette
notion essentielle du judaïsme. Mais dans la suite le mys-
ticisme verra une liaison étroite entre l'idée de résurrec-
tion et le nombre limité des âmes d'une part, et d'autre
part l'idée de métempsychose. Le mysticisme entendra
que le nombre des &mes sera épuisé non pas quand le
nombre conçu par Dieu à Torigine aura été atteint, mais
quand toutes les âmes créées dès alors et errant dans les
plaines célestes auront passé par le châtiment ou par
répreuve du corps, et pour cela il faut que celles qu'ils
ont déjà mariées à ce corps se soient graduellement affran-
chies par des pérégrinations successives de toutes les
passions inhérentes à la matière.
Saadyah traite de la distinction mystique et de l'action
mystique des noms divins. Elohim est le nom de la divi-
nité en tant qu'auteur de la création, c*est son nom d'es-
sence. Saadyah est sur ce point en désaccord avec pres-
que tous les philosophes juifs qui réservent cette qualité
au télégramme Jhvh, Pour lui ce nom représente Dieu
en tant qu'auteur des miracles et au lieu de l'expliquer
parccjesuisceluiquisuis, » c'est-à-dire rhlre, il l'explique
(en considérant la forme comme un factitif) « Je fais être
celui que je fais être ».
Il pense que les noms divers employés par la Dible ont
une valeur spécifique en relation avec les choses dont
•
U s'agit. Il cite par exemple [Gen, 17, 1 ; Ex. 3, 14; 15,
2; Dent. 5, 23; I Samuel, i, 3; haïe, 6, 1. V. Comment.
An Se fer Vezirah, i, S i).
Il croit à l'influence mystique des lettres et des nom-
bres; mais, selon lui, à l'origine des choses cette in-
fluence s'est traduite par des moyens physiques; les
lettres et les nombres, tracés, combinés dans Tair ont
créé des figures par lesquelles et suivant lesquelles l'air
<AADYAII 173
s'est condensé, raréfié. écli.iiilTé et de la sorte a produit
la variété des choses (Comment., cli. i: ch. 2, f.
Saadyah explique n'Aie/., 4, 7), comme les mystiques,
la Mercabah d'EzéchieL II prétend qu'Ezéchiel a vu sept
couleurs ditTérentes de feu : un feu faible et contenu
[Èzéch. 1, i., puis un feu bleuâtre [ibid. et cf. Crotfmict>$
et opinions, p. 20o , puis un feu rouge iihid.j vers. 13),
pais un rayonnement de lumière jaune ( verset lo\ un
feu noir (ch. 10, 12), un feu de cristal (1, 22,: eniin, le
trône d*un feu cristallin plus pur (1, 26).
Les éléments mystiques que Saadyah a réunis dans le
Commentaire sont bien particuliers à ce commentaire.
Il n'y revieuilra pas dans son ouvrage de théolo2[ie pro-
prement dite, où il exprimera sur les choses des idées
d'un aristotélisme plus pur. Mais ici, aussi bien que dans
le Commentaire, il admet la métbode diuterpré'ation
dont le myslicisuie fait sa méthode de prédilection, j*en-
tends Tallégorie. Sans se soucier du sens véritable des
versets de TKcriture tel qu'il résulte du contexte, il les
détache de leur milieu, les considùn» en soi et en lire les
appuis qu'il croit indispensables à sa doctrine. Kouoliliii
n'a donc pas eu tout à fait tort en comptant Suiidyah
parmi les défenseurs de la Kabbale; les limites-entre le
rationalisme pur et le rationalisme mystique des pen-
seurs juiTs sont souvent si ténues que Saadyah ne peut
pas ne pas laisser g:liî>ser dans son œuvre certains élé-
ments qu'il eût été le premier à désavouer s'il avait pu
se douter quel parti la Kabbale saurait en tirer.
Ibn Gahirol. — Ibn Gabirol est le philosophe jui" qui
à coup sur a eu une action décisive sur le iléveloppe-
ment que nous sommes convenus d'appeler la Kabbale
ultérieure. Ou voit a priori ^Q\\\'y\\\o\ ihuliïeu être ainsi .
Platonicien et néo-platonicien égaré au milieu dos théo-
logiens juifs, il exerça natiu'ellement un attrait puissant
174 LE HYSTiaSHE CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
sur les esprits qui étouffaient dans la logique péripatéti-
cienne. Nous n'avons pas dessein de présenter un exposé
complet de sa philosophie, mais nous voulons relever les
éléments qui attireront particulièrement à lui les kabba-
listes du xn* et du xm* siècle et sans lesquels l'œuvre
zoharitique ne se comprendrait pas.
Et d'abord sa conception de Dieu. Comme presque
tous les théologiens juifs postérieurs à l'époque talmu-
dique, il pense que la nature véritable de Dieu nous est
inacceàsible, qu'il nous est impossible de rien connaître
et de rien dire de Tessence de Dieu ; mais il appuie tel-
lement sur le caractère transcondental de Dieu, il redoute
à ce point l'anthropomorphisme et met un tel abtme entre
Dieu en tant qu'être et la nature, qu'il a contribué plus
peut-être que Maïmonide lui-même au développement
de la conception du Ënsof. Le premier, il a nettement
distingué Dieu en tant qu'essence et Dieu en tant que
créateur, moteur, agent, et sa distinction passera tout
entière à la doctrine du « long visage» et du « petit
visage » du Zohar.
Mais c'est surtout par sa conception des intermédiaires
et particulièrement sa conception de la volonté qu'il a
agi sur le Zohar. Le voici : Comme Dieu doit rester au-
dessus de tout contact avec l'univers, il n'a pu le faire
naître que par des intermédiaires et le premier de ces
intermédiaires est la Volonté. La Volonté est la média-
trice entre la substance première ou cause, et la matière
et la forme, ou effet. C'est elle qui fait passer la forme
de la puissance à l'acte (i). (Extraits d'Ibn Falakuera, I,
3;2, 18, 19, 20 et 21, 31).
Mais Ibn Gabirol ne s'explique pas clairement sur la
nalure précise de cette volonté; je dirai même qu'il nVn
\. Sysn ^s nz7]^ -Ti*n i<'^Tn ^ic^^e Tii^in
\ - *
£a:r .i v: .:i:r «r?: -:.t .i.j: .r..:.:55:r.f. :r..\:> .::rtu:
pene.re Ji::* .r . r:f -: f y r^: ^r*::. r. :-: m-:;:: :. .:: *-:
con-ij;- ::»j: . :'. V. 57: -e: V. '•> : . La V.'. n:-» :::e::A!î:
en rTiOuv-m-rr.: tij-.r* Ivs -iibj'.ariOvs >:':r::.;v..-;> vo;::
K 4
Ecrilure-v: /arr^.it- V» r:--f::î:i'.-:iî rTZ": •rz^* . Po:ir
cell»? m^me raison :\ l'aM.-.li^* iîuo..niofôi< Svi£:o<50, lo
Verbeéiant î*vx:r»j55ij:i i-.- !a <aîr-. sso e: iio faisant ou'un
* « A
avec ♦:!!»?. ou ^n:ore ce:*-.- v •'_-»:Ke o>*. tili'-mr^îiii» omanêo
de la «11;.'»'-?»? K'\ \3L<\>'.-^<^ r>'. /inieriiiêJiairo •. n:!'.* ï^iiu
el elle. • T.i ^^ saje. t-: La sai:t'^>e est la <-.»uiv.* x\m o.nilo
de loi, lii as :a.: t-îiianf r ■!•• : i s^i^resso iin»^ v.^î^wilo *leUM'-
miné*?. V"!r «^a poèsiv iîr.iliil»>»> : C'jît/\*nnr -iV r.îyiZî^V,
vers SH éi y>//>x. V. ."û : La vilont/* os: la fiuvt» ijui !io
les choses ^n ivstant av^o ;t*s ohos»**, » ol V. IS : • Kilo
habite en haut dit-z ît.* Crt.M^iii : :; d'\[ i"ac Tf : • «Jiïo
ia Vojonî»/ »:f>i tiiil t-î 'jio l'.Hjt I si iMi olK*. •
Ibii Gabirol fiit <lon^ <lo la Voloulo .l'iino iKirU une
force L*ssentiell»;Miu-iil iilonli«iue avoc Dieu.quoUiuo ohose
comme Uim Iui-mt*mf eu tant ijue puissaïu'o rrealrioe;
d'autre pari, il ru fait une essence iniièpeuiianto. une
hypi.islase d'un «les attributs ilivins, soit île rattribiit
puissance, soit de Taltribul saicesse» soit de Tallribut
volonté, non au sens ordinaire du mol, mais en tant que
f • • I •
J«***»»^*^ w»»»»^»»^ V»*^* ^"^•V» ■*•»••-»• «■^»«»^» •■«i^^^ ^«««^ «^^^ ■>«
• |-.>><»ta im .m fS » i , ^» A te > Il A' * , •■• «-M lli\M.>
* • • « 1
^^m ,m'\ /. y •!'•>. Ml I N I I .. • lÎ! W lad*- i • .Mm te l,m* I te ^» I lÂ^I \é\-\ S\
i I t •
^. ^ .•*! .A^ n;^.M I-» te
• .•* ;-.i 1 1 ..-Il Nil . te N
176 L'L MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
cause de différenciation, de multiplicité par la matière et
la forme. Gomme Philon, comme la plupart des néo^
platoniciens, il est obligé d*admettre la double nature
de la Volonté. Il faut, en effet, que la création de Tuni-
vers soit Tœuvre de Dieu, et il faut aussi qu'elle ne le
soit pas; il faut qu*elle le soit parce que si elle ne Tétait
pas il y aurait un Dieu créateur agissant indépendam-
ment de lui, et ce serait le dualisme, et ce serait aussi
le renversement de la doctrine fondamentale du judaïsme,
et il faut qu'elle ne le soit pas au moins dans son essence,
parce qu'alors la différenciation serait transportée dans
Tunité de Dieu, ce qui est absurde. Quoi quil en soit, la
confusion d'Ibn Gabirol traversera toute Tœuvre zohari-
tique. iNous la retrouverons alors et nous verrons com-
bien elle sera féconde en conceptions étranges, obscures,
d*ailleurs bien faites pour alimenter les aspirations mys-
tiques.
La confusion qui règne dans la nature de la Volonté
se reflète aussi dans son mode d'action. Ibn Gabirol la
considère comme finie en tant qu'agent et infinie en tant
qu'essence {\); après avoir comparé la Volonté se ré-
pandant en toutes choses à la source versant Teau sur
tout ce qui l'entoure, il restreint sa comparaison en
disant : « La seule différence est que la Volonté procède
sans interruption, sans arrêt » ; V, 64).
Ibn Gabirol admet que toutes les fornu's ont d'abord
été unies en un i)oint inilial qui, onsuilo, alla se multi-
pliant et se graduant pour produire successivement le
monde intelligible et le monde sensible. Cm i>oint qui
irest (ju'unc autre dénomination \\o\\v la volonté ou l'iii-
tollect constitue le monde des substances simples. Il y a
ainsi dans le système d'Ibn (îabirol une superposition de
Irùis mon-lr'? ; 1 c^'ui îe> su':i'ii.înC'"^s ^'implo^; 2 colui
des sphifTi-s c«:^I»/sIh>: :>* oiriui «le? tlèmenîs on lios caté-
gories ou dv ia géof raiion l«u d».- ia corrujili «n. Nous nin-
sistons {la? >iir ct/ii»- .]U''>:ion mais noi\< at lirons lallon-
tion sur la dêfiuitioD Je ct' poiut priiiMidia! ot nou^
ferons remarquer ']u'Ibu G^Uiirûl R*'kpuie saiiiple 'li vision
sur le verset d'/s'iî^, 43,7 : ,i Tou. e qui porte un n »m,
c'est pour mon nom et ma gloire *]Uv je l*ai tr-V. tnrmê
eifatt,» où gît. l'omme lerappxDrtelbnEzraau nom d'ibu
Gabirol, » le mvslèredu monde. " Le Z^har le renrondra
pour fonder sa triple et quadruple division de l'univers.
Les substances simples ne se communiquent paselles;
mêmes aux subsianres inférieur»*s, mais seulement leurs
forces et leurs rayons, qui émanant d'elles, • lé passent
leurs propres limites comme la lumière qui se «-'«mmu-
nique du soleil à l'itir. «lépasse la limite du sniiii. Klles
cuntinuont à d»*jiendre toutes de rêmanalinn première,
issue de la volonté. De plus comme Kémanalion se fait
par la c .immunication des forces dérivées el non de l'es-
sence, les subsUmees su[»érieures n»' «liuiiuuenl pis en
faisant naître les iiiférii*ures, ci^miue la «li liiMir -lu fou
ne diminue pas quoiqm* ce feu fasse n.iiU'f un>* chaleur
dans Tair ambiant. Ilomme imiles les émanai ions suc-
cessives résultent de la première, il s'ensuit que toutes
les substances soûl lié<*s Tune à Tautre et tontes ensemble
à la première substance. IbnGabirol, pour remire sensible
sa doctrine par une image matérielle, compare la volonté
se répandant surtout à la facullé visuelle se répauilant
dans Tair el s'unissanl à la luniièr»» du soleil. Il !a com-
pare aussi à récoultîuienl de l'eau jaillissant di' la source
et se répandant toul à l'eulour. a II»- la ui-'ine manière
que la facullé visu(»lle se répand et s^iiuil dans l'air à la
lumière du soleil, ainsi la voloulé eu lanl (ju»' forme si»
répand dans la matière », el « La sagesse est la source
178 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
de vie qui jaillit de loi ». V. 64 : « La Volonté et son
effusion sur la matière est comme l'écoulement de l'eau
qui sort de la source et se répand sur tout ce qui est au-
près d'elle (1). »
Il compare aussi Témanation h la parole de Thomme
(S, 71) : « Lorsque l'homme prononce une parole^ sa
forme et son sens se gravent dans Toreille et Tintelli-
gence de Tauditeur. De même Dieu a prononcé une
parole dont le sens est imprimé dans l'essence de la
matière et elle l'a gardée en elle. La voix est en quelque
sorte une matière générale répondant à la matière uni-
verselle. Elle s'exprime en voix particulières, en sons,
en mouvements, en pauses, comme la matière univer-
selle se divise en matières particulières. La parole pro-
noncée, entendue correspond à la forme extérieure et le
sens intérieur de la parole correspond à la forme inté-
rieure. »
Nous retrouverons cette terminologie et elle sera le
point de départ de nouveaux développements. Notons
aussi deux mots qui figurent dans ce passage le mot
jezod, littéralement : « fondement », pour désigner la
matière, et le mot aj/al pour exprimer les alentours, les
environs, le milieu, Tair ambiant. Ce dernier mot devien-
dra la dénomination proprement dite de Témanation
zoharilique. Nous verrons par. la suite que ce n'est pas
le texte original arabe qui aura été entre les mains des
kabbalistes, mais ou bien la tradition dlbn Falakuera
ou quelque autre adaptation hébraïque.
A mesure que les substances vont en descendant, elles
s'épaississent et enfin elles finissent par se corporifier et
s'arrêter à leur extrémité. Ibn Gabirol se demande alors
ii'.N i;abirol 170
commenl colle facullé ilivino. qui est le tlo^^ié exln;mo
de perfoclion el de puissance, peut ainsi aller en s'atTai-
blissant, comment elle peul ainsi apparaître plus ilans cer-
taines substances que dans certaines autres, et il répond :
En effet, la faculté divine ne saurait s'all'aiblir, mais ^son
langage est assez obscur quand les autres facultés aspi-
rent à elles, elles montent en baut et projettent do Tom-
bre sur le bas (1) ;^3, 33 el dans la Couronne royale il s'ex-
prime dans des termes analogues: «< Toi, tu es l'Être, par
l'ombre de la lumière duquel tout est né » (2). ce qui
signifie que la matière ne re<;oil de sa volonté que selon
sa réceptibilité, ou encore comme il dit 4. 22) : ^^ L'affai-
blissement^ répaississomont do la lumière i]ui se répand
dans la matière provient do colle malien*. La forme est
une lumière parfaite [or f/amour], la matière est le con-
traire ; à mesure que la matière descend, elle s'épaissit
selon la distance; à mesure qu'elle se corporilie, la
lumière y pénètre de moins en moins, c'osl-à-dire la
lumière remplissait tout au début cl Ims df la créa-
tion les rayons se rotirèront, laissant li' tout dans l'om-
bre, puis revinrent ;i la matièio selon sun dvi^iv de ré-
ceptibilité. Nous avons ici on gfnn<' la ductrine do la
concenlration zoharilitiuo.
Les mysliiiuos se jottoronl tout d'abord avec avidité
sur cette idée que les substances spirituelles ont éj^çale-
menl une matière, mais une matière spiriluello, qu'il y a
une gradation insensible depuis l'esprit absolument pur,
DieUj jusqu'à la matière inférieure, que chaque essence
matérielle est bien telle parrappnrl à ce qui vient au-des-
sus d'elle, mais est spirituelle ou formollo,par rapport îi
ce qui lui est inférieur. Les kabbalistcs s'empareront avec
1. .A 7i,^.i » i"i 1 1 n7^ — . . ^ .lis r\,n^i^ -.. .Âiwi» —
•> ■**•■ ^-— ••^•v* Sv»^ •^•••v
180 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS TOÉOLOGIENS JUIFS
bouhcur d^une doctrine qui tente de dépasser le dualisme
aristotélicien si tranchant entre la matière et la forme. Le
principe de différenciation entre les choses n'est plus alors
(lu ni à la matière, ni à la forme, mais à Téloignement de
la source primordiale, Tunité absolue. Dans la descente
graduelle des choses la matière ne connaît plus d'autre dif-
férence que son plus ou moins de distance de la source qui
détermi ne son plus ou moins de réceptibilité. Ce n'est donc
plus une différence qualitative, mais quantitative. Tout
l'univers reflète, h des degrés divers mais d'une manière
matériellement identique, la même Unité. Tout Tunivers
participe au même écoulement de la cause première.
Un lien mystérieux et ininterrompu va du Dieu suprême
jusqu'à la matière la plus infime. Ce lien ne va pas seu-
lement du Créateur à la créature, mais de la créature au
Créateur. La Kabbale accommodera à ses besoins le lan-
gage métaphysique dlbn Gabirol quand il dit que la ma-
tière se meut dans la direction de la forme, que dans son
désir d'atteindre le bien et la jouissance elle tend à l'ob-
jet aimé, que le mouvement de toutes les substances est
un mouvement d'aspiration vers l'unité absolue, que les
sphères tendent à retourner vers leur auteur (cf. Dante,
Paradis, I, pass.).
Le Zohar développera ce parallélisme de la descent*'
et de la montée des choses, de l'action de Dieu sur l'uni-
vers et de l'univers sur Dieu, de la double chaîne maté-
rielle et morale qui lie toutes choses. Si dans la Cou-
ronne de la rof/autéy entraîné par le feu de la poésie, il
dit que la main de Dieu noua avec de puissantes agrafes
les tentures de la création et atteignit avec force jus-
V. i8. •:: nnnNnm r\^*''^r] bs' 21.1x2 npnin
V. 51. misn.T. pp-ncn ny"i:n
IBN «ÎABTKOL ISI
qu'aux bords exln^mes de l'univers (vers 94 et suiv.j, le
mysticisme (cf. Juda Hallevi, Kitzari^ iv, 23 et Maïmo-
nide, t, 72) prendront à la lettre ce qu'il appellera la
force de liaison de Dieu (Aristote,Z)« Mxmdo, (5, p. 398 :
Le rationalisme dualiste est vaincu. Le monothéisme,
un monothéisme mystique, triomphe; que dis-je, ce mo-
nothéisme est un panthéisme qui ne va pas jusqu'au
bout. Le germe qui fécondera, et que féconde Spinoza,
est jeté en terre, j'entends que l'extension de la matière
à toutes les essences corporelles et spirituelles est sur le
chemin qui conduit à travers le Zohar, à travers Duns
Scot et Giordano Bruno, h la doctrine qui considérera
les formes comme de simples accidents de la matière
pour faire de la matière la substance universelle, unique,
identique à Dieu, Dieu.
Ibn Gabirol lig^ure les substances simples comme des
sphères ou des cercles parce qu'elles s'enveloppent dans
le sens où le sujet enveloppe l'attribut et la cause Teflel.
Il entend, par ces mots, que Tinférieur étant contenu
dans le supérieur, le supérieur renferme rinl'ériuur,
comme nous dirions, Tenchâsse, et comme il dit lui-
même (cf. III, 41 et 43) : « La substance corporelle
subsiste dans la substance spirituelle, est sous sa dé-
pendance. » Ce n'est donc pas au sens propre que la
substance supérieure enveloppe l'inférieure, bien au
contraire, étant donné le mode d'émanation conclu paj
Ibu Gabirol et parleskabbalistesà sa suite; étant donné
le point initial retiré au centre, l'effet enveloppe maté-
riellement la cause, comme les ravons du soleil enve-
loppent le noyau.
Ibn Gabirol semble tenir à toute force à atteindre
pour les sphères le nombre 10. Non seulement il admet
une neuvième sphère qui, selon lui, est destinée à en-
182 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
traîner loutes les autres de l'est à Touest, mais il en
admet une dixième, quoique déjà la neuvième et à plus
forte raison la dixième soient rejetées par la plupart des
philosophes et des théologiens. Bien plus, s'appuyant sur
le Lévitiqiie (27,32) : « La dime (il entend le nombre 10)
est sacrée à Dieu ». Il se livre à une exaltation enthou-
siaste de ce nombre, du mystère inaccessible et du calme
auguste qui enveloppe la dixième sphère. « G*est de ta
force, ô Dieu, quejaillit son éclat; émané de toi il revient
à toi » [Couronne de la royauté, vers 329 et suivants).
Dans son ouvrage philosophique il en traite longuement
on des termes qu'il nous faut citer presque textuelle-
ment, parce qu'ils ont une importance capitale pour le
mysticisme ultérieur. « Uunité première étant l'unité
en soi fait Tunité au-dessous d'elle. Comme celle-ci n'est
qu'un effet de l'unité première, absolue et que cette
unité première n'a ni commencement, ni fin, ni multipli-
cité, ni variété, il s'ensuit nécessairement que l'unité
qui n'est qu'un reflet d'elle^ un produit d'elle, soit su-
jette à toutes ces imperfections Plus l'unité approche
de la véritable unité première, plus la matière qui la
représente est une et simple... C'est pourquoi la subs-
tance de l'intellect perçoit toutes les choses par l'unité
d'essence qui la constitue, car son unité enveloppe toutes
les unités qui constituent la substance de toutes choses. . .
1511e séjourne avec elles et gît en elles. C'est pourquoi
les formes de tout existent dans la forme de Tintellect
qui les porte et les embrasse. » Doncibn Gabirol fait de
l'intellect également l'intermédiaire entre Dieu et la
nature, et il place cet intellect dans la sphère la plus
élevée.
Dans cette même sphère il transporte tout le cortège
de l'antique Mercabah,les anges qui chantent continuel-
lement la gloire de Dieu, Immédiatement au-dessus il
IBN GABIROL J83
place la Mercabah elle-même. « Là, dit-il, est le mystère,
le principe, le fondement [jesod),yi Son interprétation mé-
taphysique du char est très singulière. Nous ne la pos-
sédons que dans le texte latin : « Ideo dicitur maleria
sicut cathedra unius, et volunlas donatrix formae sedet
in ea et quiescit supra eam. » La matière est conçue
comme le siège, le trône de Dieu et c'est là le sens pro-
fond des théophanies qui figurent dans TÉcriture (Ézé-
chiel, I et 10 et h. 6,1).
Le mot galgalin employé par Ibn Falakuera pour dé-
signer les sphères est celui qui est adopté par toute la
terminologie juive et il se distingue nettement du mot
Sefiroth employé par le Spfer Yezirah. Cela n'empêchera
pas la Kabbale de mêler les deux conceptions et bien
d'autres éléments encore pour en tirer les Sefiroth du
Zohar.
Les autres nombres auquels Ibn Gabirol prête un ca-
ractère sacré sont les nombres 3 et 4. « L'unité, dit-il
(4, i8), n'est pas la racine de tout, puisque l'unité n'est
qu'une forme et que le tout est à la fois forme et matière
mais 3 est la racine de tout, c'est-à-dire Tunité repré-
sente la forme et 2 représente la matière. » Ailleurs il
fait l'application suivante de la tetraa pythagoricienne :
« La forme de Tintcllect ressemble à la forme de l'unité ;
la forme de l'âme ressemble à 2; la forme de l'élément
vital ressemble à 3; la forme de la nature ressemble à 4.
La naissance est ordonnée suivant le premier degré,
l'être suivant le deuxième, et la qualité suivant le troi-
sième, et la quantité suivant le quatrième (i).
1 . n-nyï yZKx:S .Tzn ursin n-^Vj?*i ir^^n nr.j?S rvom hyc7\ r"":y
n^N^i'cn ,ï2'^xn Sk nci7 srz'ûn riTir. r.cSttrn Sn TViy:^ n^jvnn
mrNm ,n^:rn nSi*r:i ni-iDC ninon*^ -nsM t^v^i nirr^s
n:;2-'sn t^toz miiDîZ m^D^n". ,ntt?Scn ThT2z nirr^
13
184 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS 'ni^:OLOGIKNS JUIFS
Âpres avoir expliqué que la substance à mesure que
Ton va en descendant devient plus multiple et plus su-
jette à la diversité et au changement jusqu'à ce qu*ello
arrive à la substance de ce monde de la quantité, il tire
pour sa doctrine une preuve du Sefer Yezirah. « C'est
pourquoi, dit-il, il a été écrit que la composition du
monde s'est faite par l'inscription des nombres et des
lettres dans l'air. » C'est-à-dire parce que les parties de
l'air sont plus disséminées, plus divisées, Dieu y a placé
le commencement de la substance composée. Ibn Gabirol
substitue à Tinterprétation mystique et physique une
interprétation métaphysique conforme à son système
(2, 26, 27).
Le monde intelligible est le prototype du monde sen-
sible, c'est-à-dire dans Tun comme dans l'autre toute
substance inférieure émane de la supérieure, ou mieux,
toute forme inférieure émane de la forme supérieure.
La similitude d'émanation ou d'action implique la simi-
litude de forme ; il faut qu'il en soit ainsi, puisque c'est
la même forme primordiale qui se reflète à des degrés di-
vers dans la longue série des émanations successives.
Mais pour arriver à bâtir le monde sensible sur le
monde intelligible, Ibn Gabirol commence par bâtir le
monde intelligible sur le monde sensible (fîn du IIP,
commenc. du IV* livre). Les Kabbalistes tomberont daus
la m^me pétition de principes.
L'homme ou microcosme est Timage de l'univers ou
macrocosme, sous le rapport de Tordre ou de la cons-
truction.
De même que dans l'univers la substance la plus sim-
ple n'arrive à la substance corporifiée que par des inter-
médiaires, de même la substauce de l'intellect qui est la
plus subtile, la plus simple et la plus sublime de toutes
les substances du microcosme,.ne s'attache pas immédia-
IBN GABIROL JS5
tement au corps et a pour inlormédiaires l'àme et lesprit
(3.6^.
La construction deTunivers en tant que corps univer-
sel et substance spirituelle qui IVnveloppo il la compara
à la construction de Thouime dans lequel lo corps cor-
respond au corps universel. et les substances spirituelles,
motrices du corps, aux substances universelles motrices
de Tunivers : elles sont soumises à riulellect universel,
cr viennent à sa suite » comme les substances motrices
du corps humain sunL soumises à son intellect '> ^111,44).
C*esl là une application toute métaphysique de la fa-
meuse doctrine du microcosme. Elle se maintiendra
rarement à cette hauteur au sein de la Kabbale et désré-
nérera en une série de fantaisies plates, plus enfantines
encore que celles que nous avons déjà reaconlrét»s.
La conception qu'lbn (iabirol se fait do Tàme ne sert
pas dans son ensemble Tobjet que nous poursuivons.
Rappelons seulement qu'il distins^ue en elle trois facul-
tés : lame végétative qui préside a la génération et à la
croissance, l'àme vitale qui préside à la sensibilité et à
la locomotion et ràmc raliDunelle qui presitle à la pen-
sée (î^, 27 a, 30). Étant donné que l'Ame est capable de
connaître toutes les autres inleliiirences, il dnit v avoir
une certaine ressemblance et un lion entre elle et ces
intelligt?nces. De plus, elle tient le milieu entre la subs-
tance de riulellect et Tessence, c'est-à-dire qu'elle est
esprit pour le corps et matière à l'égard de la volonté.
<^tte conception entre simplement dans le système gé-
néral d'ibn Gabirol qui fait dtî tout rire une forme ou
esprit par rapport à Têlro qui esl au-dessous et une ma-
tière par rapport à Tètre qui esl au-dessus. Les kabba-
listes détacheront cette conception de IVime de tout le
reste pour faire deTàme un lien^ un véhicule puissant du
monde inférieur au monde suj)érieur.
18G LE MYSTICISME COEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
Ibn Gabirol admet que Tàme, au momenl où elle est
créée, possède toute la science, mais lorsqu'elle s'unit à
la matière, elle est empêchée de recevoir ses impressions
et les notions se retirent en elle, car les ténèbres de la
matière font que sa lumière s'obscurcit et que sa subs-
tance s'épaissit (S, 65).
Elle s'unit au corps pour prendre connaissance par
l'essence des choses sensibles et remonter par cette voie
aux choses intelligibles. Le contact avec les choses sen-
sibles est pour elle^aux yeux d'Ibn Gabirol, une manière
de passer de la puissance à Tacte, c'est-à-dire, si nous
l'entendons bien, d'exercer sa puissance et de lui faire
reconquérir la pureté et la clarté, non pas celle qu'elle
possédait avant son mariage avec le corps, mais une
pureté postérieure à rexpéricnce, une pureté éprouvée,
et par conséquent plus assurée. Dans la Courofine de la
royauté, il tient un langage moins métaphysique :
« Toute la troupe supérieure est née du fleuve de feu et
quand ils ont chanté Thymne de Dieu ils disparaissent
dans ce feu, les uns sont d*un feu pur, les autres sont
de feu et d'eau, pour marquer la réconciliation au ciel
des éléments ennemis. L'àme a jailli de la mer brûlante
des esprits, enveloppée, pénétrée de feu; tu l'as envoyée
au corps comme un secours et une garde ; c'est du feu
de l'âme qu'est sorti le corps. Le séjour des esprits et
des âmes est le trône de Dieu. De là ils s'élancent, là ils
reviennent quand ils ont dépouillé les misères de la vie
terrestre » (vers 348 et suivants et vers 439 et sui-
vants).
Le métaphysicien si abstrait que fut Ibn Gabirol laisse
une porte ouverte à la faculté mystique proprement dite ;
même il fait de la méditation extatique la condition in-
dispensable de la connaissance la plus sublime. « Poui
arriver à comprendre les substances simples, il faut que
IB.N GAUIHOL 137
rhomnie s'élève par la force de la méditation aune telle
hauteur qu'il soit entièrement dégagé des liens corporels
et comme identifié avec les substances spirituelles il doit
déployer de grands efforts pour atteindre ce terme qui
estpourTàmela félicité suprèmo »)'!) (3,37, 38). Il entend
non pas l'effort de la raison mais l'extase mystique fran-
chissant toute la série qui sépare le monde sensible du
monde intelligible et volant jusqu'à la volonté créatrice,
même jusqu'à l'essence première.
Voici pour finir quelques exemples de Tallégorisme
d'Ibn Gabirol. Dans son commentaire sur la Genèse,
Ibn Ezra rapporte en son nom l'interprétation suivante
du mythe de i'Éden. Le jardin symbolise le monde supé-
rieur, le fleuve représente la mer ou le principe de toute
chose, les quatre courants représentent les éléments.
Adam dénommant les animaux est le symbole de la
science qui donne les définitions et le nom des choses.
Eve désigne. Tàme céleste ayant le désir d'être envoyée
sur la terre. Les vêtements de peau figurent Tenveloppe
matérielle de l'âme, ou le corps; l'exil d'Adam, c'est
l'exil de Tàme dans les corps. L'échelle de Jacob marque
la faculté rationnelle, les anges sont les pensées qui
tantôt montent, tantôt descendent, tantôt s'attachent à
un sujet spirituel, tantôt à un sujet matériel.
En résumé, Ibn Gabirol n'agit pas sur le dogmatisme
juif; sa confusion, sa compromission entre la matière et
l'esprit fut pour la pensée dogmatique une grande cause
d'éloignement. Les théologiens oublieront jusqu'au
nom même de ce penseur. Mais le mysticisme en fera
son profit et la Kabbale absorbera en elle, d'une part,
une grande partie des éléments platoniciens et néo-pla-
toniciens tels qu'ils sont reflétés par le prisme d'Ibn Ga-
1. snTr^iXi "inTï mpm an ^'zy^i ior>' inxnn
188 LE MYSTICISME CllbZ LE:» UHA.MUd TlltOLOUlbNâ JUIFS
birol ; d'autre part, un certain nombre d^éléments nou-
yeaux qu'il aura apportés.
Juda Hallevi, — Juda Ilallevi se meut entièrement
dans le cadre du dogmatisme. C'est un théologien juif
dans l'acception la plus pure du mot^ fuyant presque
d*instinct la spéculation philosophique et particulière-
ment la spéculation métaphysique. Il déclare très nette-
ment {Kuzari{i), nr, 4 à 3) que la foi pure est supérieure
à toute déduction de laraison et il rejette (2) (iv, 14) le Sefer
Yezirah comme ne pouvant apporter aucune clarté sur
les problèmes redoutables. Cependant, nous trouvons
dans son œuvre un certain nombre de conceptions que
le mysticisme ultérieur reprendra à son compte.
L'idée générale qui traverse le Knzari est que le peu-
ple juif est le peuple élu de Dieu, et, comme tel, dans un
rapport étroit avec l'Être divin, non pas seulement dans
un rapport moral, mais dans un rapport matériel, mys-
tique avec Tessence divine; toutefois, ce rapport ne se
manifeste, ne devient réel, fécond, ne passe en quelque
sorte de la puissance à Tacle, que dans certaines condi-
tions, dans un pays déterminé par Taccomplissement de
pratiques déterminées. C'est à la lumière de cette idée
que Juda Hallevi étudie les lois et les institutions juives,
notamment le culte des sacrifices. De tout temps ce culte
a été Tobjet d'études très approfondies (cf. Spencer, De
legg, hebr. dhsert, li ï)e ratione et orhjinn sacri/icionnn]
G. L. Uauer, Lehrbuch d^r Go t les </. Verfassuivj dt^r ait m
Hebriier, t. I,p. 80,31i; J. Jahn, BibL ArcheoL, Part. 111,
p. 365422), D'une manière générale on a émis, sur les
sacrifices, deux opinions opposées, l'une partant du point
1. Pour prôsentor la doclrin»^ juivo. Ju«la Hallevi iinajj'iuc un dia-
logue filtre un doclt'ur juif cl le roi des (A'izar>,re penplo qui >ous
l'impulsion de son roi avait passé tout entitT au judaïsin»*.
2. M^N y^vji ripz-^
dr téZl".iI.~' *â "t . " llâ-rSiZ:- à t» - : . ^ *: .1. :: ■«■.■.■'-
place. î V u.- : i:-f:-ii-- a. s-:;::."^:: : : :: à. -t-
sain: J-41 «li'^* -•■::-. '^i-: J--:?: : < :r: .. :•>
juif*. D. li z::r.:. M^?.:.r.. .f, A:\r>Àr.f.. :-:5 A::.r:^ ^ :
tence «d^ Diru ramyl -.-> r.3:îi:r.v>. C>*1 l'opinion lie
■
P^4'»#'/^.c: !.U'-* . i I:*::K-:a.R. L b.Tv r>.;ii..NA.'hnîAin.i< .
R. Moi'-r J vr*. Br-T-Ai: J'.:'.ia H-î-vi. :out m ;%i:vir:i-
nant plu:'*: ïj ^er-'iii-rrr-u: ^.s'eoarti» coponJ:intào l'iino
et delauire i-.- ■.>:- 'plnionN. O-nsiderant iiniqiuMv.or*: U»
feu qui coD>*.:mv \\ viciimo tt voyant dans oo fou Tolo-
raent !e plus dv^icit e: !" pîus snblii ilo ions los élo-
menls s»ibluîia:r».'>. i! tn fuit n.Mi >ouI'.mU'IU i-* sxmh^ilo
de la pré>on?'.- iiviïi-, m ii*i \\ v-i.» :iiy>ti.]iio p;ir ..uv-uvi'*
s"entn?îivni .siii<0'.-*>" !.• rappori • ntr»- IsiMi'l »^i son Oirii,
et qui O'^cup'- en .jn- "::i:e sorlo dan* io rilualismo jnil la
place que le f-^vT. >an"^ niâolio alhimo sur l\uili'l de la
famillo. tf-nniî dans lo oulîo dos anciens Aryens .A";/: pv.
2, 26. Cf. îi.3.; ot suivanls\
Juda llalifvi assimile le rapport de la Seheohinah
(Gloire divin»' avec Israël à celui tle lespril avec le oorp>.
Ce n'est que lorsjue riiomme le veul que oe rapport lui
devient seusiljle, autrement il est lui même emprisonm^
noyé dans la masse inerte du corps. Il en est île nit^nie
pour Israël; il faut qu'il leutle sans resse ;\ prendre con-
science de sou union avec Dieu et c'est à cela que visent
toutes les inslilulions mosaïques. Toutes concourent im
190 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
médiatemenl ou médiatement à ce but, et la conscience
de cette union devient à son tour la source de toutes les
vertus et de tous les progrès.
Juda Hallevi (IV, 3), voulant figurer Dieu par une re-
présentation sensible, le compare à une lumière, parce
que la lumière est parmi les choses sensibles ce qu'il y
a de plus beau, de plus fin et ce qui enveloppe tout l'uni-
vers ; mais, contrairement à la plupart des théologiens,
il trouve un avantage très grand aux représentations an-
thropomorphiques comme Ex, 24,10; Nomb. 12, 8 et la
Mercabah d'Ezéchiei, et même aux mesures corporelles
du Schiur Koma, parce qu'il y a dans tout cela quelque
chose qui confond Tespritde la masse et qui, à défaut de
conceptions abstraites, lui inspire une terreur salutaire.
Juda Hallevi est un des premiers théologiens juifs qui
se soit fortement attaché à séparer le nom divin Jhvh
ou tétragramme, de tous les autres noms. Nous ne trou-
vons avant lui que Jacob b. Nissim qui, lui aussi, appuie
longuement sur le nom ineffable (v. les fragments pu-
bliés par Geiger dans les Nite Naamanim, I, p. 16-17 ; II,
p. 47-48). Juda Hallevi considère le tétragramme comme
le plus grand avantage que Dieu ait départi à son peuple
(4, 3). C'est le nom propre de Dieu^ par opposition à tous
les autres qui ne sont que des noms appellatifs. L'impor-
tance de ce nom est marqué par les lettres mêmes qui le
composent; ces lettres servent de voyelles à toutes les
autres et constituent le moyen de rendre toutes les autres,
vivantes, perceptibles (c'est-à-dire que les lettres jody
vavy he, sont avant Tinvention massorétique des points-
voyelles ce que Ton a appelé les maires lcctio7iis, c'est-à-
dire hcy (et alef) servant à rendre le son a,jod^ le son /,
vav le son ou, et autour de ces trois voyelles flottent
toutes les autres. Ces lettres sont donc en quelque sorte
les esprits des autres lettres. Juda Hallevi semble avoir
été amen4 a re/.r iir- ::i7 -T > •■ • ;' .: ;. :!. I.:.:: ::
les lellre* du :é::.t:::ÀTini-.- -.r«: :v::-5ca;er> c.iu:.:-.^ !v5
sons de toute? l-s auir-.? .v:::-:-?. E:. e:i e:!o:. dà:.5 >.Vii
commentaire Je que! :ju--5 pa^sa^v? iv c-j i^vr^ Kuz : :".
IV. 25 il r^prenl la m-^me ima^e Je /Ame o: au c:«rp$
et celle ima^e devienJra classique Jans la lerni.uologio
des kabbalistes cf. Iba Ezra dans soa S::'\2Û />? .■..'/■:;'].
éd. Lippn'Ktnn. f. 4ù. la nitroie ima^e es: appliquée aux
seDS par rapport aux mots r""Z" t'ch" -'"C^ Z'cr::
r"*:? r*-*" : cf. Bahir, éd. AnislerJam. f. 7 : cf. Azriel ? ,
Comment, ^ur !t Canti'jue .
Juda Ualievi 12. 2 traiiant des noDisdivius en :réué-
».
rai n'admet pour Dieu que des noms négatifs comme «« vi-
vant », « un ^* qui ne sont pas mis pour eux-nu'*mes et ne
visent qu'à la négation des contraires; nous appelons
Dieu « vivant pour dire qu'il n'est pas mort, mai-^ il est
au-dessus et de la vie et de la mort ; nous l'appelons .« un '^
pour dire qu'il n'est pas multiple, mais non au sens positif
du mol ï' un », indiquant pour une chose que ses parties
sont cohérentes, car Dieu esl au-de<sus de toute cohé-
sion.
Voici comment Juda Ilallevi expliqu»» le> ninîs S''^t'/\
Sefar, Sippow\ Sefor Yvzirnh, 1, 1. S('far\}s[ la quantité.
le nombre en vertu duquel les corps ont de l'harmonie
et de la proportion, ce qui donne ù chaque corps sa rai-
son ti'ètre, saîinalité... Tout est dans le nonU)re. Sippour
esl la langue et la voix, mais une langue et une voix di-
vines, qui appellent à la vie ce dont elles profèrent le nom.
Sefer est l'Écriture, l'écriture divine, c'est-à-diro l'uni-
vers. Sefer, Sefar, Sippottr sont en Dieu une seule et
même chose alors que chez l'Iiomme elles constituent
trois choses distinctes. Chez l'homme, la pensée, la pa-
role et l'écriture ne sont que les signes de Texistenco
d*unc chose, tandis que chez Dieu elles constituent celte
192 LE MYSTICISME CUKZ LES GRANDS TEÉOLOGIENS JUIFS
chose elle-même [Kuzari, IV, 25). Je oe crois pas qne
Juda Ilallevi entende par là Tidée toute métaphysique
de ridentité en Dieu du sujet pensant et de Tobjet pensé,
mais simplement la doctrine conforme aux traditions
juives que la pensée ou le Verbe de Dieu réalise par son
existence même, l'univers sensible.
Une opinion fréquente dans le Talmud est que la Pa-
lestine» Jérusalem, le temple sont le centre de la surface
terrestre. Yoma 56 b : « C'est de Sion que l'univers a com-
mencé d'être, car on a enseigné au nom de R. Éliézer;
L'univers a été commencé par son milieu ». Sanhédrin
(37 a) : « Il (Le Sanhédrin) à Jérusalem siège sur le nom-
bril de la terre. » Midrasck Echa (3, 64) : « Le sanctuaire
qui est au centre de l'univers» Enfin Tanchuma [%^cX ,
Kedaschim) : « La Palestine est au centre de l'univers ;
Jérusalem est au centre de la Palestine ; le Temple est au
centre de Jérusalem ; le Saint des saints est au centre du
Temple; l'arche est au centre du Saint des saints » (cf.
Raschi sur Ézéch, o, 5). On sait que les anciens ont pensé
de môme d'Athènes, de Delphes qu'ils appelaient ciAçaAé;
de la terre (Pyndare, Pyth. 6, commenc. ; Sophocle, OBrf.
Roi, 889;Eurip.,Om/<?, v. 32o;Tite-Live, XXXVIII,48;
Ovide, Metam, X, 168 : in medio positi Delphi). Juda Hal-
levi reprend cette opinion et explique la configuration
de la terre comme une série do cercles conceutriquos au-
tour de Jérusalem, disposés par rapport à la ville sainlo,
et en vue du ravonnoment de la loi émanée d'elle, on
vue aussi de faciliter la promesse prophétique et messia-
nique d'un concours de tous les peuples vers la mon-
tagne de Sion à Jérusalem.
En parlant (les patriarches (I, 47) il dit qu'ils formèrent
comme la substance, le noyau, le cœur de Thunianité,
la liirne direclc, issue d'Adam. Les autres hommes dos
premières générations furent, en quelque sorte, Técorce
ABV E/RA lOi)
des bons, ce que ibii Tibbon dans la traduction bébraïquo
du Kiizari traduit par l'expression Kelifot (pelures),
expression qui passera au Zobar. Le noyau seul est en
rapport avec Dieu, Técorce ne sert qu'à le préparer et à
le proléger.
Abn Ezra. — Abn Ezra, pythagoricien et platonicien
et plus le premier que le second, est le penseur juif qui
contribua le plus à développer le mysticisme des nom-
bres et des lettres, mysticisme qui tient une place im-
portante dans la Kabbale théorique et qui constitue
presque toute la Kabbale pratique. Esprit mathématicien
formé à l'école de Gerberl, Almansor et Averroès et tem-
pérament mystique, il mit les mathématiques au service
de son mysticisme. Pour aller immédiatement au cœur
même de ce mysticisme, il faut aborder le Sefer Haschem
ou« Livre du Nom » qui, vu le laconisme et Toriginalité
du style, ne peut être lu qu'à la lumière du pythago-
risme.
Le Livre du Nom se propose de traiter du nom divin,
du nom xat' izzyr.^t (par allusion à Lévit. 24, 16 et Dent,
28, 58) du nom unique, distinct, glorieux, le tétra-
gramme. En voici la substance :
L'auteur commence par distinguer le nom Jhvh de
tous les autres noms divins, en ce qu'il est le nom d'es-
sence de Dieu, tandis que les autres ne sont que des
noms qualificatifs ou appellatifs. Comme nom d'essence
il n'admet pas de pluriel ni d'article et ne peut être dé-
rivé d'un verbe. L'Ecriture le désigne sous trois formes:
jh^ jhvh, jhjh ; mais parmi ces trois le second est le
plus saint ; c'est celui qui ne doit pas être prononcé par
le profane et qui pour cette raison n'a pas de voyelle*
C'est le \(iv\{ïih\Qn()mcn proprium de Dieu.
Il faut considérer tout d'abord que dans le tétragramme
la quatrième lettre he est la même que la seconde. Or^
19 'fr LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS TQËOLOGIENS JUIFS
comme chacune de ces quatre lettres a une importance
capitale, la quatrième ne peut simplement répéter la
seconde. Elle peut et doit donc être remplacée par une
lettre quiescente comme elle et représentant la même
voyelle dans les maires lectionis. Cette lettre est la lettre
alef. Nous avons ainsi pour le tétragramme les lettres
aleff Ac, vav, jod^ répondant, dans l'alphabet hébreu, au
nombre i, 5, 6, 10.
L'auteur part de ce principe que, puisque Dieu est au
dessus de toute la création, le nom qui le désigne en
propre doit avoir une supériorité sur tous les autres. 11
doit être un reflet de TÉtre qui le porte. Les attributs
que Tesprit humain dans sa faiblesse conçoit de Dieu
doivent être également symbolisés dans le nom, dans la
forme de ces lettres, dans le nombre que représentent
ces lettres.
Le nombre 1 étant le fondement, le principe de tous
les nombres, n'est pas lui-même un nombre. Dans son
* commentaire sur VEcclésiaste 7, 17, Abn Ezra s'explique
avec plus de précision. Il dit: « Ce n'est que lorsque 1
s'ajoute à lui-même que naît un nombre, à savoir 2,
qui est, à proprement parler, le premier nombre. » Dans
le Schaar Udschamayim (1, 84) de R. Abraham Cohen
Irira nous trouvons un développement qui peut servir
de commentaire à la pensée d'Abn Ezra.
De même que Tunité n'est pas un nombre, mais con-
tient eminenter tous les nombres, ainsi l'Etre premier
contient tous les autres sans en être aucun d'une ma-
nière déterminée. L'unité est considérée comme conte-
nue dans tous les nombres non pas seulement en tant
que tout, mais aussi en tant que composée de parties
dont chacun est une nouvelle unité. Elle est donc aussi
bien dans les parties que dans le tout. D'une manière
analogue Dieu est le principe de toutes choses sans être
ABN EZRA 195
aucune de ces choses ; il est non seulement le principe
qui donne tout à tous et agit sur tous, mais aussi la
source vivante dont tout jaillit, qui est tout, absolument
une, simple et parfaite. D'après le pythagorisme aussi,
le nombre 1 contenant les deux éléments des nombres, à
savoir Timpair et le pair, est en quelque sorte la racine
d'où sortent tous les nombres, mais lui-même n'est pas
un nombre car tout nombre est une pluralité d'unité (cf.
Arist., Metaph,, I, ch. o)(i).
Au nombre \ correspond le nombre iO {fod) qui finit
la série des unités et commence celle des dizaines. Le
10 est considéré comme Tiinité de la série des dizaines.
C'est pourquoi il y a neuf sphères, plus la dixième qui
est sainte. Pour bien comprendre la pensée d'Abn Ezra,
il faut se rappeler que les pythagoriciens mettant a
priori le cosmos à la base de Tunivers et ne pouvant
trouver que 9 sphères, à savoir: le soleil, la lune, les
1. C'est aussi du corcle des nliMis néo-pylliagoricicnnos. noiam-
ment de la théologie arithmiUique do Nicomaquo, que la compa-
raison de Dieu avec l'unité, et sa relation avoc les nombres, passa
chez les Juifs, probablement parrintormédiaircdelasecle arabe des
Frères de la Purelt*. Chez Scliabrastain, II, 88, Anaximène dit : Dieu
est rUn, mais nnn l'un en tant que commenconienl dos nombres,
car le nombre 1 revient multiple, tandis que lui ne devient pas
multiple. — Kt Plotin : Si le premier est appelé Un on entend par
là qu'il existe sans multiple, sans quelque chose d'identique au
dehors et sans différenciation en soi, mais dans cette dénomination
il nous fautfaire abstraction de toute idée positive (voirZeller, 111',
2e part., 437). Cet un <livin est le to xaOapro; êv, l'un par oppos»^.
au Trp ixsTO/r, £v, Tun dérivé. — Nous retrouvons cette idée chez
Bachya qui dans sa théologie traite longuement de l'unité véritable,
puis chez Ibn Zaddik qui traduit littéralement l'expression de
Plotin par les mots 'C'.CEn ^\r^^T\ "Tn^ runité;)?/re de l'un, chez
Gabirol : « Tu es un, mais non l'un tombant sous la loi du nombre,
car le nombre ne t'atteint pas », d'où Tidée a passé dans le courant
mystique de la Kabbale.
196 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIEXS JUIFS
cinq planètes, les étoiles fixes et la sphère qui enveloppe
le tout^ inventèrent de toute pièce une dixième, qu'ils pla-
cèrent à Tantipode et qu'ils appelèrent sainte (Aristotc,
Metaph. de coelo^ II, 9, 43.) Porphyre, Vit. Pythag,,
p. 243). Donc la décade est sainte (Lévit. 27, 32 ; Deut,
14, 24). La lettre jod qui le représente a la fornic d'un
demi-cercle parce que la décade renferme en elle toutes
les unités simples. Âbn Ezra dérive le moi jod de la ra-
cine todoth [Nehemi^ 12, 34), qui, selon lui, signifie
chœur, union, harmonie, parce que 40 est la somme des
quatre premiers hombres.C'estla tétras pythagoricienne.
Dix est aussi le nombre des catégories, dont neuf ac-
cidents et une substance. Il faut se rappeler ici les caté-
gories d'Aristote {Categ. ch. 4). Parmi les catégories la
substance quid existe en soi; elle est, comme dit
Abn Ezra, la substance qui porte (4), lo support, le subs-
tratum, les autres sont des accidents (cf. Maïmonide,
Miboth Hegyou, ch. 10 et Saadyah, Croyances et opi-
nions, chap. B, 2). C'est pourquoi le premier mot du
Décalogue est « je suis jhvh », c'est-à-dire je suis la
substance. Et de même que le nombre 4 n'est pas à
proprement parler un nombre, mais contient tous les
nombres, ainsi la première proposition du Décalogue
n'est pas un commandement, mais Texpressionde la foi
intérieure en Dieu, foi qui contient implicitement tous
les commandements.
Les carrés des nombres 4 et 40 sont semblables aux
nombres eux-mêmes. Abn Ezra entend que 4* =^ 4 et 40*
z= 100, c'est-à-dire reproduit matériellement la dizaine.
(k»lte propriété appartient aussi aux deux autres nom-
bres du tétragramme, c'est-à-dire que 5" := 25 et 6* zz.
36 ramènent les nombres îJ et ♦).
1. SzT- zt:
ABN KZRA 197
C(is quatre nombres sont les nombres u ronds », c'est-
à-dire que des produits quelconques les reproduisent
toujours. Ils sont de la sorte le symbole du cercle, c'est-
à-dire le symbole de Timité, de la perfection, de Tinva-
riabiiilé de Dieu. Le cercle est aussi le symbole de la
nature en ce qu^clle revient sans cesse sur elle-même,
rattache ses commencements à ses lins et enveloppe en
son sein par une suite infinie des figures finies. C*est
pourquoi les lettres alef^ lie, vav,jod jouent aussi au
point de vue grammatical un rôle capital dans la langue
hébraïque.
La lettre //e est composée de deux parties distinctes
pour indiquer les deux contraires : essence et forme,
substance et accident. Le yocf en tète du tétragramniu
représente la substance avant toute différenciation^ et le
he qui vient en second représente la substance en tant
que se dédoublant en cause et effet. Le vav a la valeur
mathématique 2 X 6= 12. t; étant laG" lettre deTalpha-
bet hébreu.
Âbn Ëzra appelle G un nombre <( corporel ou cubique
égal ». Pourcomprendrecettc dénomination il faut savoir
que d'après \i}.s Éléments d'EucliJe, livre Vlll, 17, le nom
bre cubique est le produit de trois nombres. Abu Ezra
ajoute un nombre « égal », probablement parce que la
somme de ses facteurs est égale au produit 1 4- 2 4- *i
=: 1 X 2 X '^^ Kuclide appelle les nombres qui ont cette
propriété « nombres parfaits », ou plutôt voici le sens
véritable et complet du nombre parfait : si on prend plu-
sieurs nombres en partant du nombre i et en doublant
toujours jusqu'à ce que la somme des nombres posés
soit un nombre premier, le produit de cette somme par
le dernier nombre est un nombre parfait (Euclide, livre
IX, proposition 36). Par exemple, si on pose la série 1,
2, 4, 8, 16 et qu'on s'en timno à 2, on a 1 + 2 = 3, nom-
198 LE MYSTICISME CUEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
bre premier; donc 2X3 = 6, nombre parfait. Abn Ezra
remarque que, si on ajoute le double de 6 (i2) à ses fac-
teurs, on obtient un autre nombre cubique égal, c'est-à-
dire que i2 + (6 + 4 -I- 3 -f 2 4- i = i6) + 16 = 28,
nombre parfait. Kn effet, posons la série i, 2, 4, 8, 16,
arrêtons-nous à 4 : nous avons 1 -|-2 -t-4 = 7, nombre
premier ; 4 X 7 =: 28, nombre parfait.
Le tétragramme/orf, Ae, vav, (he), étant composé de
trois lettres différentes, marque les trois dimensions des
corps : la largeur, la longueur, la hauteur ou profon-
deur. Le vav avec sa valeur numérique 6 marque les
six faces descorps^ comme nous le rencontrons déjà dans
le Sefer Yezirah (allusion à la fin du chap. I).
Les quatre lettres du tétragramme donnent 24 com-
binaisons, mais étant donnée la répétition du he^ cela
se réduit à 12 combinaisons; par conséquent grâce au
procédé de transpositions et d'interversions, le tétra-
gramme devient le nom de 12 lettres dont il est parlé
antérieurement.
Le nombre 4 a cela de commun avec le nombre 1 qu'ils
sont tous les deux des carrés.
Le tétragramme contient trois lettres différentes pour
indiquer qu'à partir de 3 les nombres entrent dans une
nouvelle phase, c'est-à-dire que pour 3 et les nombres
suivants le produit du nombre par lui-même est plus
grand que la somme du nombre et d'un autre nombre
égal à lui-même^ ce qui n'est pas pour les nombres in-
férieurs à 3. En effet 3X3-9>3+3=:6,de même
pour 4, etc., tandis que lXl<t + ^et2x2 z=:2 4- 2.
De même que 6 est le seul nombre parfait de la série
des unités, de même 28 est le seul nombre parfait de la
série des dizaines. Dans chaque série il ne peut y avoir
qu'un seul nombre parfait, soit 6, 28, 496, 8128, etc.
Puis Abn Ezra se livre à des combinaisons de nombres
A£N EZRA 199
qui deviendroiil pour ses successeurs la base de combi-
naisons analoirues et nouvelles. La somme de nombres
premiers df la série des unités est 18 l-r2-7-3-ro-fT
et la somme des nombres non premiers ^ii les appelle
composés est 27 4 — 6 — 8 -r 9 : 18 et 27 sont dans le
même rapport qui; 2 et 3 ou que 10 et 15. c'est-à-dire
dans le même rapport que la première lettre du tétra-
gramme 10 et les deux premières réunies ^10 -f 5). Une
certaine combinaison peut faire du tétragramme un
tout de 72 lettres répondant au nom divin dont parle le
Talmud. En eiTet. si on ajoute la première lettre comme
valeur numérique 10 à elle-même, plus la deuxième,
cela nous donne 23; si on ajoute à 25 la somme des
3 lettres (10 -f 3 + 6- = 21, cela nous donne i6: enfin,
si on ajoute à 16 la somme des 4 lettres (10 -j- 5 + 6 -f
5) = 2G, le résultat sera 72. La base de ce nombre est
dans Exode (1-1, 10 et 21). Ici il nous faut faire appel au
commentaire sur le passage en question, oii Abon Ezra
remarque que les trois versets 19, 20, 21 ont chacun
72 lettres ^cf. Raschi sur ^S'/zcc^/ 45 </, oii l'on ilèinonlre
que le premier verset d'Ezéchiel, qui est le commence-
ment de la Alercabah, peut également se ramoner à
72 lettres}. Si nous faisons le produit de la somme des
2 premières lettres du tétragramme, soit 13 par sa moitié
7 1/2, ou mieux 8, nous aurons 15 X 8 = 120 dont les
facteurs représentent le double de la somme des fadeurs,
c'est-à-dire les diviseurs de 120.60 -f 40 -|- 30 -f-Si +
20 + 15 + 12+10-i-8 + 6 + 3 + 4-f3 +2-}- 1 =
210 est le double de 120. C'est là une propriété spéciale
au nombre 120. Ce nombre a aussi ce privilège qu'il est
la somme des carrés des nombres pairs de la série des
unités, soit 2* -h 4' + 6' -f 8« = 120.
Si nous considérons la moitié du tétragramme 15, si
nous multiplions ce nombre par laseconde moitié, 6 + S
14
âOO LE MYSTIC1SMK CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
= il, nous avons 15 X ^* = ^65, <!"' esl lasomme des
carrés des nombres impairs de la série des unités^ soit
l« + 3* + o* + 7* + 9« = !63.
Si nous prenons la première lettre du tétragrammc,
soit 10, et que nous y ajoutions la somme des deux pre-
niiers réunis, soit 15, nous obtenons 25, qui est le carré
de la deuxième {he := 5). — Si nous ajoutons le carré
de la somme des deux premiers nombres, soit 15' = 225,
au carré de la somme des trois premiers nombres, soit
iO + 5 + 6 = 2!' = Ul, nous obtenons 225 + 441 =
666. Si nous retranchons 666 du carré de la somme des
4 nombres, soit 10 + 5 + 6 + 5 = 26» = 676, il reste
676 — 666 :=! 10 ylod). — Si nous multiplions la pre-
mière moitié, 15, par le tout 26, nous obtenons 390, qui
correspond selon la Guematriaau moi schamayim (ciel),
soit 300 + 40 + 10 + 40 = 390. — Si nous multiplions
la première lettre par elle-même et par toutes les autres,
nous obtenons :
lOX^OzzlOO
10 X 5 z= 50
10 6=3 a)
10 X 5 z= 50
200
Si nous faisons de même pour la secrmde, nous oht**-
nons :
5X5 = 25
5 X ^> = -^
5 X 5 =z 25
80"
total : 260 + 80 = 340, correspondant numériquement
au mol schem (300 + iO) = 340, ce qui indique identité
entre y/if// (lélragramnie) et achcm -=: nom.
Puis Abn Ezra, après avoir exposé et calculé les ré-
sultats obtenus par Ptolémée, Archimède ^t d'autres
•"."•"** *' '■*n-'"rT •- . 1 •- LT'T . — 'fr- 1 .'- i» ."-jrr
j • ■ ' _
Lf Si T~;
-•-: 2' T.
par Je 8 de i-i c-.-.onnr- -iv i:îii:hr t-t iO l lo a :..'"A-î:ue i.i:
droite; d*.' m^rnt'..* • S. ie pr-rt -.''Irni • si luiric \ \'. e
7 de srauche et ie J «ie droiie. dt- m»>mê l* \ ô. — A j. mi-
lirdeî*/ .'i r...rdr-/ *--*. rv-nversH. c'e<t-.i-iirt !o îiomi:'
représ^-nlanl lt?5 imités pas**? à zauciio et c-.Uii ut> ui-
zaines pa>-e a droite.
Enfin Abn Ezra mentionno ce ijii on a appolo \*\ii^
lard le carré mai'ique. c'e>t-ii-»liro qu'il tMit-. iid JisposiM-,
croyons-nous, les î.» premiers nombres, do nianioro K\\\r .'»
202 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
soit au centre et les nombre pairs dans les quatre angles :
e
/■
t
y
6
3
y
5
4
ce qui donne le total 15, dans toutes les directions (ho-
rizontales, verticales et en diagonales). Or, 15 est la va-
leur numérique de /A, moitié Aq jhvh. Ce carré magi-
que fut aussi appelé le sceau de Salomon. On lui prêtait
des vertus occultes et miraculeuses. On vit dans le nom-
bre 5 du centre le Logos divin, gouvernant le tout, et
dans les quatre nombres pairs des angles les quatre élé-
ments. (Cf. comm. Kol. Jehudah sur Kuzari, 4, 26.) Le
carré magique devint un emblème pour les amulettes (1).
C'est surtout par le Livre du Nom qu'Abn Ezra
entre dans le courant mystique; cependant quelques
expressions, véritables formules philosophiques isolées
dans son Commentaire sur le Pentateuque, méritent
d'être retenues; notons très particulièrement cette for-
1. 11 existe aussi un carré magique fondé sur la base du nombre
34 et englobant les 16 premiers nombres. (Voir Bibl. nationale, Ca-
binet des Médailles, n° 16, médaille à légende hébraïque.) Lorsqu'un
carré magique est tel qu*en le coupant en deux par une parallèle à
un côté et en prenant les deux morceaux on forme un nouveau
carré magique, ce carré est appelé diabolique {\. ibiJ,y Bibl. natio-
nale, n<>* 17 et 21). Pour ce qui concerne le carré magique en
général, voir B. VioUe, un traité complot des carrés magiques
pairs et impairs, simples et composés, à bordure, compartiments,
croix, châssis, équerres, suivi d'un traité des cubes magiques et
d'un essai sur les cercles magiques (Dijon, 1837, 2 vol. iu-8<>).
mul»? qui fijure O-^n^i*:. I. i prop-* do !a créaii:n do
rhomme : Di^-'U e*: ".'U:i -: iî o^i l'au'.ear de tout o: î! est
Tout: je ne pui? mcxr-r.i-.ier . Piii> f - » :> 3. JS . après
avoir repris en suLstan:-? ce qui fait r'.»bjo*. -lu livre du
nom il ajoute : • Toi.it e^t dans îT'n ••n piiissano»\ il îT'n
est dans tout en acte. Enliu Et . ^^i. ti il di: ; ^ Lui
seul est, i[ est ot-lui «{ni sait la science et l'objet su. ^
Expression qui a d'auiant plus d*iniportanco que nous la
trouvons précisée ain-^i. Gf^n. 18. 21 : » La vérité est
que le Tout connaii chi-ja».- partie par la voie du Tout et
non par la voie de la partie . c'est-à-dire que le Tout a
conscience de la partie non en tant que parli»^. mais en
tant que se rapportant au Tout. Si nous réunissons ces
données éparses et quelques autres encore, si nous con-
sidérons le myslèru dont Abu Ezra les enveloppe, nous
ne pouvons nous emp»}cher de penser qu'il y a dans Abn
Ezra une tendance très marquée au panthéisme l .
La conception d' Abn Ezra sur l'àme est importante pour
le myslicisme «lu Zohar. Selon lui, l'ûme aspire par sa
nature même à tout Cf qui est noble et bien. Peiidanl
son stage terrestre sa lài.he c«"»nsisle seulement a déployer
ce qui gil en elle et à faire sa vocalii>n céleste. Jusqu'ici
nous avons une doctrine voisine du platonisme: mais
Abn Ezra va plus loin. Selon lui. l'Ame humaine lient,
par sa position et sa nature, le milieu entre le haut et bas.
entre le monde spirituel et le monde sensible ou connue
nous dirions en langage moderne, entre le monde des
1. Rappelons ici quWbn Ezra est un des llu'oloiriens juifs que
Spinoza a l*^ plus «Hiidié comme le prouvent les cilalions qu'il lui
emprunte dans le traité Ihéoloirico-poliliqui'. Si nous considérons
que c'est précist';ment au couuuonlairc qu'il s'en ivlèiv, nous arri-
vons, avec l'appoint (|ue nous donnera réeole d'isaao !\\vo.ui,He, :^
uno conclusion ou tout au moins à une conjocluro capitale pour
éclaircir la geni'se du système spinozisle.
204 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS TUÉOLOGIENS JUIFS
noumènes et le monde des phénomènes. Elle présente
tout en images comme un reflet du modèle qu'elle a con-
templé dans son divin séjour. Aussi est-elle le trait d'u-
nion entre le monde supérieur et le monde inférieur. Klle
abaisse ce qui est trop haut, elle élève et anoblit ce qui
est trop bas. Elle est le char, la Mercabah véritable sur
laquelle Dieu descend et sur laquelle Thomme monte, et
non seulement l'homme, mais avec elle monte tout Vu-
nivers. Sa descente n'a d'autre but que de chercher à
emporter sur ces ailes la nature sensible tout entière.
(Commentaire surDeiiL 32, 1 ; Ex. 10, 20 et pass,)
A la Gn du recueil de poésies intitulé le Divan (publié
par Jacob Egers, Berlin, 1886, p. (42 et (43), figurent
quelques morceaux en prose rimée qui offrent un grand
intérêt parce que Abn Ezra y présente les sphères comme
le séjour d'êtres vivants. Dans la sphère de la Lune, il
logu les hommes pieux et saints; dans Mercure, les
hommes savants dans l'art de penser et d'écrire avec
tout leur cortège de mages, de nécromanciens en géné-
ral, de tous ceux qui usent avec habileté de leur langue;
dans Vénus^ les femmes gracieuses dansant et chantant
en s' accompagnant des sons mélodieux des flûtes et des
harpes; dans le Soleil, sont des héros puissants occupés
sans cesse à revêtir leur roi d'un manteau éclatant ; dans
Mars, des hommi»s rouges, hommes de sang, destruc-
teurs ot homicides terribles à voir, livrés sans iclâche à
la guerre et au pillage; dans Jupiter, sont les justes,
ceux qui ont tenu leurs mains loin de la corruption et
leurs yeux loin du mal, les doux, les pacifiants, juges,
magistrats, prophètes et princes; dans Saturne, les
hommes de finesse et de ruse, un peu tortueux dans
leurs actions et leurs paroles; dans la sphère des étoiles
fixes, vivent des peuples grands et forts, innombrables,
qui se poursuivent sans s'attendre jamais. — Abn Ezra
MAÏMO.MDii: iî05
semble, il est vrai, siniplemenl exprimer en langfue poé-
tique le caractère que la mythologie et la Iraiiitiou juives
prêtent aux sphères et à l'iullueiice qu'elles exercent
sur la naissance selon ce que nous avons reucoulré dans
leTalmud. Cependant rien ne nous empêche de croire
qu'Abn Ezra parle au propre et non au lipruré, d'autant
qu'il se propose de traiter t* des sphères dont les formes
fleurissent et les ànit'S prospèrent. » En tout cas, qu*il
parle par Ggure ou non. le résultat est le même pour les
mystiques qui, dans la suite, le liront et s'empareront
de sa pensée ou plutùt de ses mots.
Malmonide. — Miiïmonide. quoique considéré généra-
lement conmie le type même du rationalisme juiî et
aussi parce qu'il est rationulisle. tient au mysticisme par
sa conception générale di' la Bible l't sa nléthodt^ d'inter-
prétation du texte biblique, par la l'orme de son ensei-
gnement, par quelques points tic saiioclrine.
On a souvent dit que Alaïmonide était, avant tout, pé-
ripatéticien. [mis tht*oIogien juif et qu'il sub>M'doimait
presque toujours la liibie ù Aristole ou au m^ins K> pliait
aux exigences de la doctrine grecque. li serait him plus
vrai de dire que M;iïinoniiii* est, avant tout, Juif \[ aris-
totélicien par siiriToîl. LaHible e>t et ileuieure pour lui,
comme pour tous les ihéoloyiens juifs. Tunique souice île
vérité; mais connue, d'autre part, d'après lui. Aristote
est généralement vrai aussi, il faut qu'il s'accordt' avec
la Bible: toutefois la Bible n'est pas limitée àladoi'lrine
péripatéticienne, elle est mieux : elle contient toute la
vérité; elle est iine mine inépuisable de connaissances,
mais une mine ensevelie sous terre qui n'ollre ses ri-
chesses qu'à celui qui sait creuser bien avant et qui sait
trouver sous le sens apparent le sens caché. Autrement,
c'est-à-dire, si on ne démêle i»as le sens extérieur du sens
intérieur ou le sens «'xotérique du sens ésotérique,
206 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
l'Écriture n'est qu'un tissu de contradictions et une
cause perpétuelle de troubles.
« L'Écriture, dit-il (Introduction du Guide des égarés),
est comme un puits caché à une grande profondeur, et ce
n'est que par l'interprétation des allégories et d'une allé-
gorie par l'autre que Ton noue en quelque sorte les cor-
des qui servent à y puiser. )> 11 la compare aussi à une
pomme d'or dans un filet d'argent à mailles extrêmement
fines. Cette pomme a deux faces, une face extérieure
belle comme l'argent et une face intérieure belle comme
l'or. Tune apparaissant tout d'abord à celui qui examine
la chose de loin et superficiellement et l'autre ne se ré-
vélant qu'à celui qui regarde avec attention. Cette consi-
dération est si importante que toute méprise sur le mode
d'interprétation, ou toute incapacité de discerner le sens
littéral et évident du sens profond et, pour appeler les
choses par leur nom, du sens mystique, constitue pour
la foi un danger redoutable. Aussi ce que Maïmonide se
propose en fin de compte dans le Guide des égarés, ce
n'est pas d'exposer ses conceptions philosophiques, ni
même de concilier Aristote avec la Bible, mais de guider
ceux qui s'égarent à prendre les allégories bibliques
dans leur sens apparent et faux. »
Voici quelques exemples de l'allégorisme mystique de
Maïmonide : nous choisissons de préférence son interprc^-
tation des premières pages de la Genèse^ du premier cha-
pitre à'Ezéchiel et du livre de Joh, parce que nulle part
mieux qu'ici se manifeste le caractère de cette méthode.
D'après Maïmonide le premier verset de la Genèsf
doit se traduire non par : « Au commencement Dieu créa
le ciel et la terre, » mais « avec la terre » et entend par
laque le tout fut créé simultanément. Ensuite seulement
les choses se démêlèrent comme si un laboureur semait à
la fois dans la même terre des graines variées qui lève-
MAÏMOMDK '2)1
raient et pousseraient l'une après Taulre à des époques
différentes. Ainsi les luminaires furent créés dès le pre-
mier jour et suspendus seulement le quatrième. Les pre-
miers versets se proposent en outre de nous enseigner
les quatre éléments, la terre, Teau, Tair représentés par
les mots erez , mayim, rouach^ et le feu représenté par
le mot choschek qui signifie littéralement ténèbres, ou
feu obscur, primordial, élémentaire. Les éléments sont
énumérés selon leur position naturelle, la terre d'abord,
au-dessus de la terre^ Teau, puis Tair, puis le feu. La
séparation >,des eaux opérée par Dieu n'est pas simple-
ment locale mais physique. L'eau inférieure devint Teau
proprement dite et Peau supérieure reçut une autre
forme et devint la matière des sphères.
Le récit de la faute du premier homme a le sens sui-
vant. Nous y voyons que le serpent n'est à aucun mo-
ment en rapport avec Adam, mais c'est toujours par l'in-
termédiaire d'Kve qu'il communique avec lui. Ce serpent
représente la faculté imaginative, laquelle n'afîecte pas
directement l'intelligence, représontéo par Adam, mais
ne la trouble que par l'intermédiaire de la facullé sensi-
ble, représentée par Kve. La postérité é<^rasaut de son
talon la tête du serpent et blessée par lui, c'est la posté-
rité de la femme, ou Télre humain triomphant de l'ima-
gination par la facullé rationnelle. Souvent la faculté
imaginative ou les passions frappent l'homme au talon,
c'est-à-dire Tempéchent d'avancer, de développer sa
raison, d'atteindre les choses intelligibles. Maimonide
explique que Dieu plaça Adam dans l'Eden pour l'élever
au-dessus du monde des changements dans une caté-
gorie supérieure d'êtres. Enfin il fait de Caïn le symbole
de la faculté technique ou pratique, notamment de l'agri-
culture, d'Abel le représentant de la réflexion simple qui
préside au gouvernement des individus et des sociétés.
208 Lt: MYSTICISME CDEZ LES GRANDS TUÉOLOGIENS JUIFS
et de Seth rinlelligence véritable qui, seule, demeure,
tandis que les autres facultés périssent comme Caïu et
Abel. Toutes ces interprétations ne sont pas réellement
contenues dans les paroles de Maïmonidcmais ressortant
plutôt des mots couverts qu*il emploie; nous verrons
pourquoi il ne croit pas devoir parler clairement.
Dans la théophanie d'Ézéchiel {Guide des égarés, 3, 2),
il pense que les quatre bêtes [Ézéchiel, i, 10) représen-
tent les sphères célestes dont le nombre est réduit à
quatre, celle de la lune, celle du soleil, celle des cinq
autres planètes , et celle des étoiles fixes; les quatre vi-
sages indiquent les quatre causes du mouvement des
sphères, c'est-à-dire la forme sphérique,râme,rintellcct
par lequel elle conçoit, et l'intelligence séparée, objet
de son désir. La double course des bètes « courant et
venant » dont parle le prophète marque le double mou-
vement des sphères^ mouvement périodique de Tocci-
dent à Torient, et mouvement diurne de l'orient à Toc-
cident. Les bêles se meuvent dans la direction de
Tespritqui les anime, c'est-à-dire Tintention divine, de
la volonté divine. Les quatre roues et faces des roiios
marquent les quatre éléments attribués à la matière
première, les yeux dont ils sont remplis représentent
les couleurs de la matière première ; si les roues sont
attachées aux bètes et subissent tous leurs mouvomenls,
c'est pour dire que les éléments n'ont aiiciino action par
eux-mêmes, mais suivent Timpulsion des sphères; enliu
les bêtes et les roues sont attachées les unes aux autres
et no forment qu'un seul être jiour dire que toutes les
sphères ensemble ne forment qu'une seule substance re-
présentée par le cinquième corps.
L'histoire de Job (3, 22) n'est qu'une parabole ii la-
quelle se rattache un grand mystère, à savoir l'idée de
la Providence. Les lils de Dieu qui ligurent dans le pro-
MAÏMOMDE
209
luyiie représentent le bien, tout ce qui est issu direc-
tement de Dieu, c'est-à-dire les intelligences et les
sphères. Satan qui est la cause de tous les malheurs de
Ji>b représente la privation inhérente à la matière et la
source de tous les maux. Com:ne Job, les hommes
croient ces maux émanés directement du Créateur, mais
il n*en est rien. La matière est bien créée par Dieu, mais
elle n'est pas un mal en elle-même. De plus, Satan peut
s'attaquera tout, mais non à Tàmede Job. La matière non
plus, ni ses privations, ni ses maux n*ont aucune prise
sur l'Ame immortelle.
Mais encore une fois il ne faut pas croire que toutes
ces interprétations relatives à la physique et à la méta-
physique se trouvent exprimées dans le Guide avec
clarté et précision. Non, nous les y avons plutôt entre-
vues que vues, et cela en nous appuyant sur Ibn Tibbon
et Abarbanel, ses meilleurs commentateurs. Bien plus,
en no faisant qu'entrevoir ces vérités nous avons ré-
pondu fl la pensée iutime de Maïmonide, car il se pro-
pose précisément de ne pas parler un lan^a»;».' clair et il
a sur ce point des idées d'un myslicisnii^ bien singulier.
Aux yeux de Maïmonide, la luélapliysiijue et même
la physique qui y conduit sont des sriences oiîcuites et
il les enveloppe d'un double mystère, mystère dans le
mode d'enseignement, mystère dans leur nature même,
La métaphysique est le but final des études. L'homme
qui veut y atteindre doit s'y préparer longuement, par
une disci[)lino très rigoureuse dîins Télude d(î la logique
et des malhéuiatiques. Ces sciences ne conduisent pas
directement à la mélapliysi(|ue, mais à la physique qui,
dans la langue des docteurs et du myslicisnie juif, ré-
pond au Maaseh llereschit. Avec hi physique nous en-
trons déjji dans le domaine du mystère. Elle ne peut
être enseignée que par énigme et vcUégoviG {Guide ji /Si;
210 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
cf. Inlrod. de Mischne Thorah, I, 1 partie, 1-4). C'est
pourquoi les premières pages de la Genèse ayant préci-
sément pour but d'imiter à cette science ne parlent que
par symbole et l'Écriture débute sans explication et
sans précision par cette affirmation « au commence-
ment Dieu créa » (i, 17). Les philosophes anciens
parlent également de la physique par énigmes, ainsi
Platon appelle la matière femelle, la forme mâle. Encore
la physique n'est-elle que la préparation à la méta-
physique. Le terme auquel tout ce qui précède doit
aboutir est la métaphysique. « Celui qui n'étudie que la
logique et les mathématiques est encore en dehors du
palais et en cherche l'entrée. Celui qui est arrivé à la
physique est entré dans la demeure royale et s'y pro-
mène, enfîn celui qui se livre à la métaphysique est ar-
rivé au près du souverain même » (3, 31).
Maïmonide, après avoir fait à la métaphysique un
double et triple rempart de science, jette sur cette
science elle-même un voile de plus en plus épais. Il ne
consent à en enseigner à son disciple que les premiers
éléments, et ces éléments mêmes il ne les présentera pas
en ordre mais au contraire disséminés, mêlés à d'autres
objets afin de nuire à leur clarté, afin que les vérités
aussitôt entrevues se dérobent et passent devant les
yeux « comme un éclair ou comme le glaive tournant
dont parle la Genèse » (3, 24). En conséquence Maïmonide
n'entre jamais dans'le cœur même de ce sujet, ilTef-
fleure seulement et c'est avec perplexité, avec une véri-
table anxiété intellectuelle qu'il l'effleure ; il le reprend,
il le quitte pour y revenir par saccades, y porter une
main discrète comme quelqu'un qui manierait un char-
bon brûlant et qui craindrait de se blesser. « Ce que
j'en crois posséder moi-même, dit-il (de la Mercabah),
n'est qu'une simple conjecture et une opinion person-
MAÏMOMUE 211
nelle. Jo n'ai point ou là dessus de révélation divine qui
m'ait fait savoir réellement ce qu'on ait voulu dire... il
est possible qu'il en soit autrement cl qu'on ail voulu
dire tout autre chose » (4, inlrod.) et ibid, (3, 32) à
propos de rintorprélalion du livre de Job ; il dil encore :
« il faut bien comprendre ces choses et lu trouveras alors
que c'est en quelque sorte par une inspiration divine que
j'ai trouvé toutes ces idées. Enfin au chap. 7 (fin) il dit :
« N'espère point après ce chapitre entendre de moi un
seul mot sur ce sujet... car tout ce qu'il était possible
d'en dire a été dit et je m'y suis même engagé trop témé-
rairement ». Maïmonide est envahi sans cesse par une
crainte mystérieuse d'attenter aux vérités intangibles et
destructrices de la raison humaine, ces craintes apparais-
sant dans ce qu'il dil (3, 32). «Il y aune limileau-delà de
laquelle Tosprit humain ne peut plus rien. Il en est de
la méditation philosophique « comme du regard matériel
qui ne peut dépasser un certain point et si on force les
yeux on les alîaiblit ». Dans la fameuse allégorie des
quatre docteurs Akiba fut le seul qui entra et sortit en
paix, parce qu'il s'arrêta devant ce qui est irrédncli-
blement mystérieux, « parce qu'il ne déclara pas men-
songe les choses dont le contraire ne lui était pas
démontré ». « Il faut manger modérément du miel »
{Prov. 2o, 27). (Cf. Ecclesiast. 7, 16 : « Ne cherche pas
trop de sagesse ; pourquoi veux-tu l'anéantir ».)
Ramassons maintenant dans le corps de la doctrine de
Maïmonide quelques éléments qui n'ont peut-être pas
concouru directement à la formation de la Kabbale — car
la Kabbale sortira précisément de l'opposition faite au
rationalisme aristotélicien et maïmonidien — mais qui,
défigurés par quelques penseurs juifs, moitié kabba-
listes et moitié théologiens dogmatiques, ont été insérés
par eux dans la trame de l'œuvre zoharitique.
212 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS TUÉOLOGIENS JUIFS
£l d^abord Maïmonide élëvd Dieu dans une région si
abstraite, si inaccessible à l*esprit humain qu'il ne veut
pas faire la moindre concession aux conceptions anthro-
pomorphiques et qu^il traite de paganisme et voue au
bûcher toute la littérature qui gravite autour du Schiur
Koma (V. Respp. de Maïmonide d«ins Nite Naamanim,
p. 47. Cf. YTBXiVe\,Mo7iasschriftJahrg,y \ 839, p. 67 sqq.).
Mais il ne suffit pas que nous disions de Dieu : « Il n'a
rien de corporel »; pour purifier notre conception il faut
Taffranchir de tout ce qui ajoute quelque chose à Tcs-
sence une et simple de Dieu. Nous n^avous pas à traiter
ici de la théorie des attributs, mais il convient d'en dire
quelques mots en vue d'une autre doctrine qui y touche
de près. Maïmonide admet qu'un attribut quelconque
affirmé de l'essence de Dieu serait un accident qui por-
terait en Dieu la pluralité. Tout au plus admet-il comme
possibles les attributs qui désignent Dieu en tant qu'a-
gissant, car la diversité des actions n'implique aucune
diversité dans l'être qui agit.
Mais, et c'est ici le point important, n'y a-t-il pas à côté
des attributs purement d'action ou extérieurs à Dieu des
attributs d'essence et refuser à Dieu les attributs vie,
puissance, science, volonté, ii'esl-ce pas lui refuser la
perfection, et n'est-il pas juste d'admettre qu'il y a en
Dieu quelque chose par quoi il peut, quelque chose par
quoi il sait, quelque chose par quoi il veut, car l'idée de
puissance n'est pas la même que celle de science, ni
que celle de volonté? Maïmonide répond : On ne peut
établir absolument aucune comparaison entre Dieu et
la créature et il est faux d'affirmer quoi que ce soit do
Dieu. Les attributs, vie, science, puissance, volonté, ne
sont dits de Dieu que comme des homonymes et non
pas comme une relation de plus ou de moins par rapport
aux hommes. Même la vie n'est au sens propre qu'un
MAÏMOMDK -21:»
accident qui s'ajoute à l'cssoiico et ne peut s'appliquer à
Dieu. Nous (lisons que Dieu existe mais non Je l'exis-
tence, qu'il est un, mais non de l'unité, cVst-a-dire que
nous n'exprimons de Dieu que quelque chose de négatif,
qu'il existe pour dire qu'il n'est pas non existant^ qu'il
est un pour dire qu'il n'est pas multiple. Les seuls at-
tributs véritables qui conviennent à Dieu sont des attri-
buts négatifs.
Or ci'tff conception si abstraite de l'unité de Tessence
divine est bien près de ressembler à l'Un des néo-plato-
niciens qui, voyant dans la distinction du sujet pensant
et de Tobji^l pensé une pinralité, refuse à l'un absolu
jusqu'à la pensée, ou même l'élève au-dessus de la
pensée. Or Maïmonide ne peut admettre cette doctrine
puisqu'en même temps qu'il conçoit Dieu comme un, il
le conçoitaussi avec Aristole comme un intellect toujours
en acte; c'est j^ourquoi Maïmonide est conduit à un«»
question connexe àcelle <los attributs, à savoir comment
Dieu peut être ù la fois, saus être alFecté de pluralité,
sujet et objet de la pensée, ou selon le langai;^ d«» la
scolaslique judéo-arabe, cnnimenl Dieu pt»ut être à la
fois le sujet pensant , la pensée , et l'objet pensé
{Guide, I, t38;. Maïmi-mitle lève cette difficulté eu par-
tant de la nature de l'esprit humain en soi; il dénumtre
que dans l'acte de pensée pure de l'homme il y a unité
parfaite entre W. sujet et l'objet. Pour bien comprendre
ce qu'il veut dire et éclairer par avance un des points
les plus obscurs de la métaphysique du Zohar, il faut
nous reporter à la doctrine d'Aristote qui, à la ques-
tion de savoir comment l'esprit en soi , étant sans
passivité, sans relation avec le corps, peut recevoir les
idées, répond que l'esprit est constitué potentiellement
par ces idées elles-mêmes; c'est par son activité propre
qu'il est ses idées réalisées, c'est-à-dire, d'après iinter-
214 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
prétalion d'Alexandre d'Aphrodisias, que l'esprit est une
virtualité à recevoir les formes de pensées, quelque chose
comme une table non couverte de caractères, c'est-à-
dire ayant la possibilité d'en être couverte, quelque chose
de purement abstrait, une faculté, un substratum, de
sorte que l'esprit pensant, recevant l'objet pensé, est
identique avec lui, et si dans l'homme il y a parfois dis-
tinction entre le sujet et l'objet, c'est parce que l'homme
n'est pas la pensée en acte'; mais en Dieu qui est énergie
pure, cette dualité ne peut avoir lieu.
Ajoutons ici, pour achever tout ce qui nous intéresse
quant à Dieu, ce que Maïmonide dit des noms de la divi-
nité. Il distingue le tétragramme de tous les autres noms,
en ce que tous les autres se rapportent à Dieu en tant
qu'agissant, et lui seul à Dieu en tant qu'essence.
C'est le nom qu'il n'a de commun avec aucun autre,
le nom propre. Bien que ce nom dérive évidemment
de la racine hvh , être , Maïmonide lui dénie toute
étymologie, et il aime mieux le reléguer dans une espèce
de mystère. Sa prononciation même n'était pas connue
de tous (I, 61, 62); les hommes instruits se la transmet-
taient et ne l'enseignaient qu'aux disciples d'élite. Au
tétragramme se rattachent les noms y ah et ehyeli dési-
gnant l'un ridée d'existence éternelle, l'autre l'idée
d'être nécessaire. Maïmonide s'étend longuement à expli-
quer les noms de 12 et de 42 lettres dont il est parlé dans
le Talmud. Ils sont, d'après lui, non pas des dénomina-
tions au sens propre du mot, mais une juxtaposition
d'idées se rapprochant de la conception de l'essence
divine et exprimant des choses mystérieuses relatives à
la métaphysique.
Maïmonide se garde bien de préciser et de dire quel
sens ces noms évoquaient, s'il aune idée sur ce point ou
s'il n'en a pas; il semble éprouver un véritable malaise à
Mv.MNÏI.E 215
entrer dans 1^ cœur J»:* «"t- sujvl ot s'il y consacre beau-
coup de notes c'est pour mieux l'envelopper et ne pas
laisser percer sa pensée intime.
Passons à sa théorie dc-s sphères. Selon Maimonide, les
sphères célestes sont douées d'une àme 2. i . c'est-à-dire
Dnt un principe en ell*?s-mêmes par lequel elles se
meuvent et 1.2 il attribue avec plus de précision le
mouvement à un désir mis en elles par rinlelligcnce su-
prême, désir qui les fait aspirer vers celle intelligence.
Elles ont aussi un intellect au moyen duquel elles con<;oi-
vent ridée qui fait l'objet de ce désir, ol cet objet n'est
autre que Dieu: c'est f-n ce s^ns seulement qu'il est vrai
de dire que Dieu les met on mouvement. Dieu est donc
la cause finale du mouvement des sphères et l'dme qu'elles
ont en elles en est la cause efficiente. Or, ce mouvement
est uniforme, enfermé dans une limite invariable. Le
désir qui anime les sphères n'est donc pas à concevoir
comme un désir proprement dit, mais seulement comme
la conscience de leur nécessité et la soumission volon-
taire à la loi qui les gouverne.
Il faut bien distinguer l'idée de désir au seus où l'eni-
ploie Maïmonide de l'idée d'aspiration ou de progrès.
Nous comprendrons mieux ainsi ce que la Kabbale en
prendra et ce qu'elle en laissera. — .Maïmonide rapporte
l'opinion des philosophes d'après lesquels le nombre
des sphères et par conséquent aussi le nombre des
intelligences séparées est de dix. Ce sont d*abord les
neuf sphères proprement dites (celles qui environnent
tout, celles des étoiles fixes, celles des sepl planètes).
Quant à la dixième, elle esl, remarquons-le bien, l'in-
lellecl aciif qui préside pour les autres au passage de la
puissance à Tacte. (^ette dernière est au monde do la
naissance et de la corruption ce que chaque intelligence
séparée est à sa sphère, c'est par son influence bicnfai-
216 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JCJIFS
santé que le monde sublunaire, notre inonde subsiste ,
ces intelligences peuvent aussi être appelées des anges
qui approchent de Dieu et portent ses bienfaits au
monde terrestre, et c'est aussi le sens le plus général du
mot malach, dénomination des anges de la Bible (II, 6).
Tout donc dans l'univers s'est fait par l'intermédiaire de
ces anges ou intelligences séparées, et c*est ce que le
Midrasch entend quand il dit : <c Dieu ne fait rien sans
avoir consulté la famille supérieure. »
Dieu agit donc sur notre monde de la manière sui-
vante : Faction divine « s'épanche, découle de Dieu sur les
intelligences selon leur ordre successif; les intelligences
de ce qu'ils ont reçu « épanchent des bienfaits et des
lumières » sur les corps des sphères célestes, et les
sphères a épanchent des forces » sur le monde de la
naissance et de la corruption ; chaque ordre a en partage
assez d'épanchement divin pour se suffire et en dispen-
ser aux ordres inférieurs. Dieu est une source inépui-
sable et c'est ainsi qu'il faut entendre Jéremie (7, 1.3^ où
il est appelé « source d'eau vive » {Guide, II, 11 et 12),
Maïmonide, comme nous le voyons, se préoccupe sur-
tout de Taction d'un ordre général sur un autre ordre
jusqu'à notre monde périssable ; il n'entre pas pour ce
monde en lui-même dans le détail de celle action. Il ne
dit même pas que ce monde est le ternie et la cause
finale de celle gradation d'épanchemenls successifs ;
chaque ordre ne se dépouille que de son superflu. La
Kabbale zoharitiquc fera à notre monde la part plus
belle. Les ordres intermédiaires entre Dieu et nous
seront avant tout des médiateurs et trouveront leur
raison d*ètre et leur félicité à être la chaîne qui conduit
du Créateur à l'homme. L'homme naura pas les reliefs
de la lable céleste, il viendra s'asseoir à la table même.
L'univers entier sera à son service. De métaphysique et
MAÎM-.tMbrl -217
physique la coniiption di.- viendra anthropocentrique t-t
myslique.
MaïmoniJe aborde la théorie du microcosme non pas
au sens où la qiit.'Sliun a été traitée dans les Abol/t de
R. Nathan et le Se/^fr Yezinih, ni au sens où Tout reprise
les iLéologiens Juifs comniu Ibn Zaddik dans son u Mi-
crocosme ". Mainiunide se propose seulement de dé-
montrer que l'univers dans Sun ensemble ne forme
qu*un seul individu, un tout animé et orjranique ayant
la forme sphériquc. C'est dans cet esprit qu'il compare
Tuaivers à l'homme. De môme que Thomme, quoique
composé de parties dilférentes, est un seul individu, de
même Tunivers quoiqu'embrassaut dans son ensemble
les sphères, les éléments et tout ce qui est composé, est
un seul tout, un sulide ayant pour centre le globe ter-
restre, autour duquel viennent se placer, pur cercles
concentriques, Teau, Tair, le feu et le cinquième élé-
ment, Téther^ qui est la substance des sphères célestes.
De même qu<.* dans le corps humain il y a des membres
dominants et des membres dominés — rappel uns -nous
le Sefer Yezirah — qui i»nl besoin, puur durer, de la
direction d'un or^^ane principal, le cœur, de menu» dans
l'univers, les parties dominantes comme le ciut|uième
corpSy et les parties dominées cumnïe les éléments, re-
çoivent le mouvement et la vie de la sphère céleste. De
même que les facultés au moyen desquelles l'homme
nait et subi*iste sont les mûmes qui causent sa perte, de
même dans l'univers les causes de la naissance sont
celles de la destruction.
Mais toutes ces comparaisons s'appliquent à un in-
dividu vivant ((uelconque et non spécialt>ment à l'indi-
vidu humain. Pour que rhomme siiit réellomt^nt un mi-
crocosme, il faulquelijue chose de plus. De même, en
effet, qu'il y a dans l'homme une faculté rationnelle qui
218 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS .
lui est propre et qui dirige Tensemble, de même il y a
dans l'univers quelque chose qui gouverne le tout, qui
communique à Torgane principal la faculté motrice, et
ce quelque chose est Dieu (ibid.j I, 72).
Maïmonide^ en s'efforçant de présenter Tunivers
comme un tout organique, semble vouloir aboutir à cette
conclusion que le Dieu un n'a pas créé directement le mul-
tiple, mais n'a pu donner naissance qu'à un autre un,
point primordial enveloppant en lui toute la diversité
ultérieure. Ce sera aussi la doctrine du Zohar.
En traitant du bien et du mal et du but de la vie hu-
maine, Maïmonide se livre à des considérations qui,
d*une part, côtoient de très près Tascétisme, c'est-à-dire
la doctrine la plus contraire au judaïsme fondamental,
d'autre part aboutissent à une forme d'extase intellec-
tuelle d'un vol très puissant. «
Il admet que toutes les imperfections physiques et
morales proviennent de la matière. Tout le mal sort de
la matière et tout le bien provient de la forme; en se
rapprochant de la forme, Thomme accomplit le but de la
vie, c'est-à-dire en s'unissant avec l'intellect^ avec Tin-
tellect actif, source de toutes les formes, il accomplit la
volonté de son Créateur. Cet homme n'accepte les be-
soins matériels que comme des nécessités de la condi-
tion humaine. Il les subit avec douleur, avec honte ; il n'y
pense pas, il n'en parle pas, il en restreint autant que
possible les exigences, se bornant à ce qui est indispen-
sable pour soutenir la vie sans en faire un objet de
puissance ; autrement il pèche par la meilleure partie
de lui-môme, la forme, et cela est plus grave que le
péché effectif qui ne souille que le côté animal de sa na-
ture, de même qu'il est plus grave d'accabler de travail
un homme libre qu'un esclave [Guide, III, 8).
Le but suprême de la vie est d'acquérir la connais-
MAÏMONIDE 219
sance de Dieu et par conséquent de méditer sur toutes
choses qui peuvent aider à cette connaissance. Cette
idée de Dieu doit ètre^ non un fruit de Timagination,
mais une idée très pure au moyen de Tintellect, atteinte
non directement par l'amour mais par la perfection,
fondement de Tamour. Une fois que l'homme a acquis
cette perfection, il doit en occuper constamment sa
pensée et chercher la solitude, si elle est favorable à la
méditation. Seule la méditation de Dieu, fortifiant son
intellect, fortifie par cela même le lion qui le rattache à
son Créateur.
Éloigner sa pensée de Dieu, c'est relâcher ce lien et
même risquer de le briser. Quel est le but de tous les
préceptes? ils concourent tous immédiatement ou mé-
diatement à remplir Tesprit de la pensée de Dieu. L'idéal
pour l'homme serait de pouvoir vivre sans cesse avec
Dieu par son intellect, tout en vivant par son corps avec
les hommeSy à veiller — je traduis ainsi la pensée de
Maïmonide — pour Dieu seul, c'est-à-dire à tourner
vers lui le meilleur et le plus pur de son être et accom-
plir toutes les autres besognes, comme en dormant, ou
comme dans un rêve.
Ce degré suprême a été atteint par les patriarches et
Moïse. Ils perçurent Dieu de manière à cHre constam-
ment unis à Lui et c'est là le sens tout spirituel de l'al-
liance qu'il conclut avec eux.
Dieu veille sur l'homme selon l'application de son in-
telligence, non pas l'intelligence virtuelle, mais Tintelli-
gence actuelle. Le fait même de penser à Dieu l'enve-
loppe d'une lumière protectrice, suscite l'épanchement
divin, et le seul fait de ne pas y penser le plonge en des
ténèbres redoutables.
La jeunesse est un obstacle à cette union avec Dieu.
Tant que « les humeurs corporelles sont en ébullition »,
220 LE MYSTICISME CHEZ LES GRANDS THÉOLOGIENS JUIFS
il est difficile d'acquérir la pureté d'idées qui conduisent
à ridée la plus pure. Mais à mesure que le feu des désirs
tombe, la lumière grandit, rintelligence se fortifie;
quand la vieillesse est venue et au moment de la mort
la force de méditation atteint son plein développement
et donne la plus grande des jouissances. C'est à cette
condition seulement que Tâme se sépare du corps pour
participer à la jouissance et à l'immortalité des intelli-
gibles. C'est en ce sens qu'il faut entendre ce qu'on rap-
porte des patriarches, de Moïse et d'Aaron» à savoir qu'ils
moururent d'un baiser de Dieu pour dire qu'ils mouru-
rent par la violence de l'amour divin {Guide, fin de la
3* partie).
Dans le mysticisme ordinaire c'est l'amour qui consti-
tue le trait d'union entre Thomme et Dieu. C'est par le
cœur et non par Tintelligence que le mystique vit avec
Dieu et finit par s'identifier avec Lui. L'intelligence et
la réflexion, étant des éléments subjectifs et non sponta-
nés, sont plutôt un obstacle à cette union. Il faut, au con-
traire, que toute raison soit supprimée, que toute vie
subjective et personnelle, œuvre de cette raison, soit
anéantie; il faut que le cœur absorbe en lui, boive toutes
les énergies vitales, que la vie du corps et de l'esprit
viennent se plonger en liri pour devenir amour afin que
ce cœur soutenu par l'être tout entier puisse assez s'a-
breuver de divin et finisse par ne faire plus qu'un avec
Dieu.
Dans le mvsticisme de Maïmonide c'est, au contraire, la
raison qui passe au premier plan et il est aisé de com-
prendre pourquoi. Comme l'essence divine demeure
inaccessible à toute aspiration humaine, quelque sublime
qu'elle soit, l'homme ne peut que tendre à l'intellect ac-
tif, manifestation directe de Dieu, et ce n'est que par
son propre intellect qu'il peut s'y attacher. Il ne s'agit
pas d*aiiner mais de niédii^-r. il >*aff:i de subordonnor
tootes les forces à la raison, de secouer aulour d'elle
tous les élément^ affectifs c«:'mme ■'^n secouerait la cen-
dre qui cou\Te un feu. Seule la raison monte vers les
intelligibles, laissant derrière elle toute la eneniile du
corps et du co*ur: seule, ille est susceptible de devenir
rimpérissable. si toutefois t-lle parvient à refléter avec
pureté cette image de l'image de Dieu.
Dans cette opposition du mysticisme de Maïmonide
au mysticisme ordinaire éclate d'une manière saisissante
ce qui est précisément le trait dominant du mysticisme
juif : le caractère rationnel. Même quand ce mysticisme
atteint toute sa hauteur, surtout alors, il no cesse d*ètre
une œuvre de raison, je dirai presque une œuvre de
science.
VI
La Kabbale
Considérations générales, — II faut distinguer tout
d'abord dans l'expression Kabbalah le mot et la chose.
Le mot dérive de la racine kabalah et signifie à l'ori-
gine la loi orale par opposition à la loi écrite. Nous
avons dit au début de ce travail quel sens et quelle por-
tée il faut donner pour Tintelligence de la pensée juive
au principe qui fait de la Bible l'unique source de vé-
rité. On supposa de bonne heure qu'à côté du texte écrit,
Dieu avait communiqué à Moïse de vive voix l'interpréta-
tion du texte. C'est cette interprétation qu'on appela alors
la loi orale. Le Pentateuque rapporte que Moïse passa qua-
rante jours en compagnie de Dieu sur le sommet du mont
Sinaï. On se demanda ce qu'il avait pu faire durant cet
espace de temps et on répondit à cette question en affir-
mant que c'est précisément alors que Dieu lui avait com-
muniqué verbalement le commentaire de la loi écrite.
K Moïse, dit la tradition, reçut [kibbel) la loi de Dieu et
la transmit aux anciens, les anciens la transmirent aux
prophètes, les prophètes la transmirent aux hommes de
la Grande Synagogue » (Traité Aboth^ commenc. ; cf.
Si fri, col. 6i, Mischnah Taanith, 2, 1).
La Kabbale est donc, si nous allons au fond des cho-
ses, la tradition ou mieux le cadre traditionnel dans le-
quel vinrent prendre place toutes les lois, toutes les
LA KABBALli 223
id<5es nouvelles qui dans le cours des siècles firent en
quelque sorte cortège à la Bible et notamment au Pen-
tateuque. Je dis Pentateuque parce que le mot Kabbala
s'appliqua quelquefois aux écrits prophétiques par op-
position aux livres mosaïques, comme si ces écrits n'é-
taient eux-mêmes qu'une espèce de tradition et de com-
mentaire du livre de Moïse. C'est donc une espèce de
chaîne très souple qui donne accès à autant d'anneaux
que l'on veut^ pourvu que ces anneaux ne soient pas en
apparence au moins trop disproportionnés avec ceux qui
sont déjà fixés.
Les talmudistes usèrent très libérale :Tient avec \v^Kab-
balûy non seulement quand la loi, l'idée, la doctrine
nouvelle trouvaient un appui solide dans la lettre môme
du texte, mais aussi quand, à bout de raisonnements,
de déductions, et trop souvent de sophismes, ils n'arri-
vaient pas à loger les éléments nouveaux dans la chaîne
des éléments anciens. Alors ils ne se faisaient pas faute
de la rompre violemment comme un autre nœud gordien,
et forçant les choses, ils décrétaient : a c'est une halachah
reçue par Moïse sur le mont Sinaï. »
Les Karaïtes^ nés au milieu du ]x° siècle, révoltés de
l'abus de la Kabbala s'y opposèrent avec force. Niant le
principe fondamental de la loi orale, à savoir la légiti-
mité de riiypolhèse qui la faisait remonter à Moïse, ils
revinrent au texte pur et simple. Ils rejetèrent tout com-
mentaire arbitraire, œuvre du temps et des hommes,
pour ne déclarer divin que ce qui jaillissait immédiate-
ment de la lettre même du document sacré. Telle est
donc la délimitation primordiale do la Kabbale.
Dans le style philosophique ultérieur le mot Kabbala
a parfois, mais assez rarement, le sens de (c positif » ou
a historique » opposé a l'idée d'à priori purement ration-
nel.
224 LA KABBALE
Pais nous trouvons tout à coup à partir d'un certain
moment le mot Kabbala appliqué à quelque chose de
tout différent, qui n'a aucun rapport avec ce que nous
venons de voir, appliqué, dis-je à, une forme de mysti-
cisme qui frappe dès Tabord par son aspect abstrait mé-
taphysique très éloigné, infiniment éloigné de la doctrine
pure du judaïsme, éloigné aussi de la forme de mysti-
cisme antérieur, mais n'étant inconciliable ni avec Tune
ni avec l'autre, pourvu toutefois que Ton tienne compte
et de l'étonnante élasticité de la pensée juive et de la
souplesse de la méthode d'interprétation appliquée aux
textes sacrés.
C'est peut-être dans un passage deHai Gaon rapporté
parR. Nathan Baalhaaruch que nous surprenons pour la
première fois le sens intermédiaire entre le sens ancien
et nouveau. Haï, parlant de formules de conjuration, dit
que nous n'en comprenons ni les mots ni la portée et il
ajoute: « c'est de la Kabbala », ce qui peut vouloir dire :
ce sont des traditions dont nous avons perdu la clef, ou
bien c'est une doctrine kabbalistique, mystique, impéné-
trable à notre esprit.
Mais avant d'aborder la caractéristique de la Kabbala
nouvelle, de la Kabbala au sens qui a prédominé et qui
a irrévocablement refoulé tous les autres, il convient de
préciser la première apparition incontestable de la chose
et du mot appliqué à la chose.
Les adeptes de la Kabbale rapportent eux-mêmes très
nettement leur origine à Isaac TAveugle ou tout au plus
à son père Abraham, b. David de Posquières. Joseph
Gikatilia, un des plus fervents d'entre eux, écrit dans
son Pertisch Hahagadah conservé dans le Sefer Ha-
Jiefesch hachochamah de Moïse de Léon : « La Kabbale
qui est entre nos mains remonte par la chaîne de la tra-
dition au Maaseh Mercabah d'où elle a passé à la colonne
LA KABBALE 'J25
droite, le pieux rabbin Isaac l'Aveugle ; 1 . » Lapremière
partie de celte phrase est évidemment une simple affirma-
tion qui ne prouve rien puisqu'elle n'a aucune précision.
Gikatilia prétend purement et simplement que la chaîne
de la Kabbale relative auMaaseh Mercabah va jusqu'au
Sinaî, ce qui est tout d'abordincompréhensible, puisque la
Mercabah ne figure pour la première fois que dans Ezé-
chiel et que Tauteur ne dit pas par quels intermédiaires
elle a passé de là à celui qu'il appelle la colonne droite
ou la colonne d'angle de la doclrîne,c'est d'ailleurs cette
seconde partie qui nous importe. On y voit clairement
qulsaac TAveugle passa de bonne heure pour le fonda-
teur de la Kabbale. Bachya dans son commentaire sur
la section Vayiscfilach dit, ne laissant aucune prise au
doute : « Isaac T Aveugle est le père de la Kabbala w.De
même Schem Tob^ Isaac d'Acco, Recanati, rapportant
des doctrines relatives à la Kabbale, ajoute souvent :
« comme nous avons appris d'Isaac TAveugle. » Nous
reviendrons sur ce point.
Rien ne marque mieux la modernité de la Kabbale que
l'opposition et l'esprit critique qu'elle rencontra. Voici
comment au commencement du xui*^ siècle Isaac Pulgar
traite les prétentions des kabbalistes de son tempsfdans
son Ezer Hadah, fol. S5 a) : « Les hommes appelés kabbîi-
listes croient que l'esprit humain n'a pas la faculté d'at-
teindre ce qui est caché par la force même de l'intelli-
gence, j'entends par la recherche des causes, mais qu'il
ne peut y atteindre que par la voie de la Kabbale dérivée
des prophètes. Or, comment peuvent-ils savoir avec cer-
titude que la Kabbale qui est présentement entre leurs
226 LA KABBALE
mains est bien celle qui a élé entendue de la bouche des
prophètes? Ces tradilions prophétiques ne peuvent-elles
pas avoir été oubliées et perdues dans la suite des temps
à travers les vicissitudes des Ames et la suite des mal-
heurs! A cela ils répondent : Dieu nous garde de
mettre en doute les traditions qui nous viennent d'hom-
mes très vénérables, pas plus que nous mettrions en
doute le livre de la Loi et les écrits prophétiques. Voilà
comment ces hommes ont Taudace de mettre les livres
de leurs vaines futilités au niveau des Livres saints. Ils
ne se disent pas quedepuis la mort de Moïse les hommes
de notre foi se sont toujours évertués, efforcés de garder
intact le texte véritable de TÉcriture, de manière à ce
qu'il n'y manquât aucune lettre, à ce qu'aucune lettre
ne se substituât à une autre, et malgré ces efforts cons-
tants il y a aujourd'hui des variantes dans les écrits
saints. Or donc quand on lit les livres qui sont entre
les mains de nos kabbalistos on y trouve un double as-
pect. Premièrement des mots étranges qui stupéfient
sans rien dire à Tesprit et qui ne contiennent aucune idée.
Ce ne sont que des mots, égarement de la raison, pour
faire croire des choses inaccessibles à la raison. Deuxiè-
mement : la plupart des choses qu'il est possible à
rhomme de comprendre avec la raison, se trouve chez
eux à rebrousse-poil de ce qui conduit Tcsp rit à la saine
raison. Même une partie de leurs idées est une négation
complète de l'unité de Dieu et de ses attributs. Us ont
Taudace de railler et de mépriser ceux qui se livrent à
la philosophie véritable, qui appliquent leur esprit à lire
les livres authentiques de ces philosophes. Ils vont jus-
qu'à leur dire : Pourquoi passez- vous votre temps à
ces vains livres, puisqu'il n'y a pas dans l'esprit de
l'homme de faculté capable de saisir les choses cachées,
de faire des miracles, de changer le cours de la nature,
LA KABBALE 2^7
de pénétrer les vérités profondes? toutes choses qn'ils
se vantent, eux^ de pouvoir faire sans fatigue, sans effort,
rien que par Tinterprétation de leurs livres prétendus vé-
nérables, livres qui, d'après eux, seraient restés cachés
dans la maison des sages les plus éminents jusqu'au jour
où Dieu leur en enseigna Tinterprétation. »
Ce passage marque bien clairement qu'au xw"" siècle
la prétention à l'ancienneté que les kabbalistes revendi-
quent pour leurs doctrines est toute récente et, d'autre
part, nous éclaire sur le fond théorique et pratique des
livres relatifs à cette doctrine, la théorie gravitant au-
tour de Dieu et de ses attributs, et la pratique occupée à
des procédés théurgiques et magiques.
De plus, Ben Aderet. faisant dans Respp. (I, n* 94) allu-
sion aux mêmes hommes, ne les désigne même pas
encore par le mot « kabbalistes » et il les appelle « les
maîtres des mystères de la Thorah ».
« Pour tous les préceptes, dit-il, certains hommes,
détenteurs des mvslères de la Thorah, ont dans leur
esprit des raisons très vénérables, quoique les péchés de
cette génération aient tari les sources de la tradition
entretenues depuis la destruction du Temple».
- Les rabbins les plus célèbres du xiv** siècle, eux aussi,
Simson de Chinon, R Nissim b. Reuben, Salomon Du-
ran, expriment également dans leurs Respp. toute leur
antipathie pour cette intruse qui se désigne par le nom
solennel de Kabbala,
Ainsi donc les témoignages négatifs qui nous tracent
la limite supérieure de l'apparition de la Kabbale, le
témoignage positif dans Thostilité de ses adversaires
les témoignages plus directs encore de ceux qui s'en
disent nettement les adoptes nous conduisent, pour la
naissance de la Kabbale proprement dite, au commence-
ment du xiii® siècle. Maïmonide,le représentant le plus
228 LA KABBALE
autorisé du rationalisme aristotélicien, venait de mourir
(1205), le moment était propice.
Ce qui caractérise la Kabbale à ses origines, c'est
qu elle tend à débarrasser le mysticisme juif de tout élé-
ment non métaphysique. Elle commence par faire passer
tout le mysticisme antérieur par son creuset et ne retient
que ce qui peut entrer dans son système. De la sorte et
sous rimpulsion de cet esprit elle est amenée à rejeter ou
à modifier tout ce qui tient au dogmatisme juif, tous les
éléments cultuels et rituels, toutes les équivoques anté-
rieures issues de Tanthropomorphisme^ tout le rationa-
lisme pur et simple. La Kabbale est avant tout un essai
de systématisation sous Timpulsion didées nouvelles.
Ces idées d*une part sont inspirées par une opposition
très marquée au Talmud^ à la Mischnah, à ce qu'on pour-
rait appeler la partie législative du judaïsme, et aussi,
par une opposition non moins vive au rationalisme.
La Kabbale est avant tout une opposition à la casuis-
tique talmudique ou, si l'on veut, une form e de révolte
de la foi contre la loi. Elle est le refuge des esprits, qui
se trouvant mal à Taise dans les mailles subtiles et inex-
tricables des lois talmudiques et dans le cadre étroit des
formules rituelles, cultuelles et liturgiques, cherchent
unesource d'eau vive. Jamais autant qu'alors, le dogma-
tisme talmudique n'avait été aussi étouffant.
Durant toute Tépoque de formation du Talmud nue
casuistique très minutieuse avait bien occupé les esprits,
mais elle avait gardé une certaine force vitale ; elle
maintenait la libre discussion et ses décisions n'avaient
rien de tranchant et d'irrévocable. Mais depuis que
l'école de llaschi et des Tosaphistes avait échafaudé
interprétations sur interprétations, commentaires, su-
percommentaires et hypercommentaires, depuis que la
Miscliria Tliorah de Maïmonido avait tout catalogué,
LA KABBALB 229
étiquolc, le scolaslique ialmudique était doveiui comme
un enclus muré, sans air et enveloppé d'une atmos-
pMTe (]{' morl. Les kabbalisles brisèrent ce mur derrière
lequel on ne respirait plus. Ce que saint Paulavait été à
saint Jacques, ce que le gnosticisme avait été à la spécu-
lation patriotique, la Kabbale le fut à la scolaslique
talmudique.
Cela ne veut pas dire que les kabbalistes rejettent
purement et simplement les lois élaborées par le Tal-
mud,ni k plus forte raison les lois bibliques, mais ils les
animent d^un esprit nouveau, ils leur donnent une portée
conforme à leurs doctrines. Les tentatives de celte na-
ture que nous avons trouvées éparses dans Saadyah,
Juda Ilale vi, même parfois dans Maïmonide, se précisent,
se généralisent et finissent par envelopper le Penta-
teuque et tout ce qui s'y rattache.
Cet antinomisme prend parfois une expression très
violente. Sur le verset DeiU. 20 a on ne connaît pas le
tombeau de Moïse », le Zohar dit : « Maintenant ou le
connaît; ce tombeau c'est la Mischuah » ; et encore sur
le verset des Proc. 30, 21, 22, 23 : « Trois choses font
trembler la terre, entnj autres cjuand une servante parle
contre sa maîtresse », le Zohar dit a la maîtressse cest
la Thorah, la servante c'est la Mischnah, maintenant
c'est la Mischnah qui règne sur la Thorah, c'est la ser-
vante qui règne sur la maîtresse. » IN 'est-ce pas dire clai-
rement que la Mischnah asservit et même ensevelit la
loi mosaïque.
Voici encore quelques passages dans le même sens.
Le Zohar (1, 27, b) contient en substance ce qui suit (la
langue en est très obscure)-: « La Mischnah est la femme
de Métatron,de même qu'il est appelé garçon ou servi-
teur du ciel, aussi elle eslThumble servante de la Kab-
bale ou Gloire céleste (Schechinah). L'entrée de la ternî
230 LA KABBALE
promise fut fermée à Moïse parce qu'il avait frappé le
rocher, au lieu de lui parler, c'est-à-dire qu'il en avait
tiré à grand*peine la Halachab, la Mischaah, la Gue-
marah, toute la casuistique lourde et embrouillée qui ne
jaillit pas de source, au lieu qu'il aurait dû en faire sortir
avec aisance par le simple jeu de sa parole le flot abon-
dant de la Kabbale. La servante règne sur la maîtresse.
Dieu est séparé d'Israël, la terre tremble » (cf. Suppl.,
ai, 53), et comme suite à ce passage {Zohar^ III, 279) :
« Il y a rocher et rocher, il y a pierre et pierre. Il y a des
pierres qui ne contiennent pas de source jaillissante et la
parole ne suffit pas. Pour le rocher devant lequel s'est
trouvé Moïse, il suffisait de lui parler ; le rocher dur, au
contraire, c*cst la Mischnah. »
Dans son Imre Schefer, Abulafia, un des premiers
kabbalistes que nous retrouverons plus loin, distingue
trois catégories de docteurs : ceux qui font de la
Mischnah et du Talmud l'unique aboutissant de leurs
études et en attendent tout : ils sont incurables; puis
viennent les docteurs qui, ayant étudié Tuneet l'autre, ne
croient pas devoir s'arrêter là mais cherchent encore à
méditer la philosophie : ceux-là, sont difficiles à guérir,
mais la guérison est possible ; enfin, ceux qui après avoir
acquis l'érudition philosophique dans son ensemble,
n*y trouvent pas encore l'apaisement de leur esprit et
vont à la Kabbale. Abulafia, il est vrai, ne s'arrête pas
encore et distingue une quatrième classe; mais ce n'est
pas là notre objet pour le moment, retenons seulement
son hostilité et son dédain pour les talmudistcs qui ne
sont que talmudistcs.
Le Zohar (III, 121 b) va jusqu'à dire que pour celui
qui étudie et médite le Zohar, les cérémonies et les
prières ont perdu tout sens. Il n'y a plus pour eux (h*
distinction entre ce qui est permis (rituellement) et ce
LA KABBALE 231
qui esL défeadu, entre le pur et Timpur. Môme la dis-
parilion de la Mischnah et du Talmud entre à ses yeux
dans la constitution du bonheur du règne messianique
« les temps antémessianiques pendant lesquels le bien
et le mal sont encore en lutte^ sont sous Tempire de la
Mischnah, mais lors de la délivrance du mal ce sera le
règne de la contemplation. Malheur à ceux par la faute
desquels le règne actuel se traîne en longueur ! »
Le Zohar (lil, lo3) tourne en ridicule la forme de la
dialectique talmudique, ses divisions infinies en soixante
sections et il dit ironiquement que parmi les procédés
d'oppression employés par les Egyptiens pour accabler
les Hébreux figurent les formes de raisonnement en vi-
gueur dans la méthode rabbinique.
Enfin le Scfcr Hakanah va jusqu'à traiter d*absurde
et de mensonger tout ce que la casuistique antérieure
présente comme une soi-disant tradition (Kabbala) : « Ils
se permettent d'appeler ainsi et de faire remonter jus-
qu'à Moïse des choses où l'esprit ne comprend rien. »
Coïncidence curieuse, presque à la même époque
Joachim de Flore écrivait LÉoanrjile éternel et y cher-
chait à persuader aux hommes que la loi à qui avait ap-
partenu l'empire du passé devait désormais faire place
à l'amour et à la contemplation. Les âmes chrétiennes
et les âmes juives se sentent également à l'étroit dans
le dédale de la casuistique religieuse ; c'est le même ap-
pel à l'air libre, c'est la même concentration de l'âme
sur l'amour, c'est le même élan de mysticisme.
Ce qui marque bien le caractère anti-talmudique du
Zohar, c'est qu'en son nom se lèvera au xviii« siècle la
secte des néo-piélistes qui rejettent ouvertement tout le
monceau des pratiques talmudiques. C'est le Zohar
aussi qui servira d'arme à la secte ultérieure des zoha-
ristes qui, ne craignant pas de s'intituler à la fois zo-
46
232 LA KABBALE
haristes et anli-talmudistes, feront ainsi du Zohar comme
renseigne même de leur opposition au Talmud et iront
jusqu'à déclarer le Talmud rempli de doctrines en con-
tradiction avec les attributs divins, avec la charité en-
seignée par la loi de Moïse, avec les fondements mêmes
du judaïsme. « Heureusement, diront-ils, le Zohar est
venu arracher les hommes aux subtilités de la forme
pour les ramener au fond des choses. »
Bien non plus ne montre mieux Tesprit véritable qui
anime les kabbalistes que le double aspect sous lequel
ils considèrent Maïmonide. En tant qu'auteurs du
Mischne Thorah (son canon talmudique), il n'est ni lu
ni apprécié par eux ; mais en tant qu^auteur du Guide, il
leur apparaît tout autre. Dans la guerre qui éclata après
sa mort au sujet du Guide et qui partagea en deux
camps les rabbins de France et d'Espagne, il fut attaqué
avec tant d'acharnement et tant d'étroitesse par l'or-
thodoxie qui voyait en lui un danger pour la foi, que
beaucoup de kabbalistes se trouvèrent naturellement du
côté de ses défenseurs. Ils soutinrent en lui celui qui
avait fait à la Mercabah une si grande place dans son
œuvre. Ce n'est pas qu'ils pardonnent au rationalisme
aristotélicien dont il est le représentant; mais ils par-
donnent encore moins au dogmatisme talmudique qui
Ta choisi comme cible. Cela est si vrai que quelques-
uns vont jusqu'à faire de Maïmonide un kabbaliste. L«*
kabbaliste Schem Tob Ibn Gaon dit avoir vu de son
temps un vieux parchemin dans lequel Maïmonide parle
comme un des adeptes de la Kabbala : « Je cerlifie avoir
vu dans un manuscrit très vieux les mots suivants :
« Moi, Moïse, fils de Maïmon, lorsque je me plongeai
« dans les profondeurs de la Mercabah, etc. » et, continue
Schem Tob, ses paroles se rapprochaient de celles dos
véritables initiés » (Migdal Oz sur Jad Chasakah). On
LA KABBALE 233
montrait aussi plus lard une prétendue lettre de Maïmo-
nide à ses disciples sous le titre de « Lettre des mystè-
res » [Megillath Setarim) dans laquelle il aurait complè-
tement désavoué la philosophie et indiqué des procédés
mystiques pour acquérir la vérité.
Aussi bien les kabbalistes dans leur opposition au ra-
tionalismc ne portent pas leurs coups directement sur
Haïmonide, mais ils frappent plus haut et visent le ra-
tionalisme dans sa source, dans Aristotè; à Aristote ils
o pposent Platon et le néo-platonisme.
Nous avons dit au début que le mysticisme est surtout
un mysticisme ralionel. Qu'on ne se hâte pas de mettre
cette opinion en contradiction avec ce que nous disons
ici de Tesprit an ti -rationaliste de la Kabbale primitive,
celle de l'école d'Isaac l'Aveugle. Cette école ne mécon-
naît nullement les droits de la raison, mais ce qu'elle
repousse, c'est la raison mise au service du formalisme
Domiste et de la casuistique talmudique; ce qu'elle
craint, c'est de voir la raison compromettre la vérité en ra-
tionalisant, en couvrant de son auguste autorité les an-
thropomorphîsmes de la Bible, du Talmud, du Midrasch
et du mysticisme antérieur. Nous ne parlons encore une
fois ici que des kabbalistes primitifs; les successeurs,
les kabbalistes de l'école d'Aboulafia et ceux qui tien-
nent d'Éléazar de Worms, subordonneront entièrement
la raison à la faculté contemplative et aux combinaisons
mathématiques artificielles.
Avec la Kabbale apparaît dans le mysticisme juif une
intrusion très notable d'éléments chrétiens et cela tient
à plusieurs causes : d'une part, Tesprit d'opposition au
rationalisme d'Aristote qui rapproche les esprits du néo-
platonisme, les conduit par cela même à la source de
philosophie ancienne qui a concouru le j)lus largement
à alimenter le dogmatisme fondamental du christia-
234 LA KABBALE
nisme. D'autre part Tesprit d'opposition au dogmatisme
juif conduit souvent au-delà des justes limites qui sépa-
rent la doctrine juive de la doctrine chrétienne. Enfin
indépendamment de toute raison logique, les rapports
fortuits entre le mysticisme juif et le mysticisme chré-
tien et leurs représentants sont féconds en idéestenant à
la fois des deux doctrines.
Il faut bien comprendre que la Kabbale ne fait nulle-
ment table rase de tout ce que le passé lui apporte; bien,
au contraire, elle prétend tenir à ce passé par une tradi-
tion non interrompue. Elle revendique bien son titre de
Kabbalah, mais elle jette tout le legs du passé dans le
creuset de principes nouveaux, elle les refond et, plus
elle transforme, plus elle réforme plus aussi elle se dit
traditionaliste; plus elle est nouvelle, plus elle veut pa-
raître ancienne. Plus elle s'éloigne de la Bible en esprit,
plus elle se réclame de la lettre. Même, voulant donner
à son attachement pour la Bible une forme de plus en
plus rigoureuse elle portera peu à peu tout le poids de
ses efforts sur le seul Pentateuque comme pour se légi-
timer et s'abriter derrière ce qui de tout temps a été con-
sidéré dans le judaïsme comme la substance sacro-sainte
de l'Ecriture sainte.
On se tromperait grossièrement en voyant là une ten-
tative entachée d'une ombre de déloyauté. Les kabbalis*
les agissent dans la certitude absolue que la Bible con-
tient bien véritablement tout ce qu'ils y lisent. Le même
principe d'adaptation de rÉcriturequi en fait jaillir tout
ce qui depuis la clôture du canon occupe la pensée juive,
en fait sortir avec le môme droit, la même autorité, le
mvsticisme de la Kabbale. Les kabbalistes croient être
aussi fidèles, plus fidèles aux documents sacrés que les
lalmudistes, les midraschistes, les interprètes de tous
les temps. Ils pensent même entrer plus avant dans le
LA KABBALE 235
sens intime de la parole divine, ils veulent faire rayon-
ner cette parole d'un éclat plus pur que la scolastique
du Talmud ou Tanthropomorphisme de la Haggadah.
Us prétendent être les dignes successeurs, les seuls hé-
ritiers légitimes des prophètes, ceux que Daniel annonce
quand il dit : « les intelligents brilleront comme Téclat
du firmament. » Renan a appelé quelquefois la Kabbale,
nous ne savons pas si c'est dans un ouvrage imprimé ou
dans l'improvisation d'un cours, la gnose juive. Cela
est vrai, non au sens plein du mot, mais en tant que les
kabbalistes comme les gnostiqucs se donnent comme les
représentants, les porteurs de Tinterprétation véritable.
Même le mot hébreu répondant au mot vv^ji^ ils se l'ap-
pliqueront sans que d'ailleurs ce mot entraine le moins
du monde une similitude de doctrine. Si en effet quel-
ques éléments proprement gnostiques, comme nous le
verrons, apparaissent dans le mysticisme juif, ce n'est
nullement parce que l'un est l'héritier de l'autre, mais
parce que le ileuve du passé, en charriant toutes sortes
d'éléments, charrie aussi quelques idées gnosliques qui
entrent dans le courant du mysticisme juif.
Avec la Kabbale, la pseudo-épigraphie prend un
développement extraordinaire. Les kabbalistes se récla-
ment volontiers de l'autorité des prophètes comme Élie,
plus particulièrement des docteurs comme R. Johanan
ben Zaccai, Ismaël b. Elischa, R. Akiba, Simon b. Jochai.
Ils font ce qu'avaient fait de tout temps les adeptes des
doctrines nouvelles, soit qu'ils voulussent accroître le
prestige de ce qu'ils croyaient la vérité et dans un but
très louable, soit que pour ces esprits peu critiques la
délimitation entre l'ancien et le nouveau fût très flottante,
ou que des idées à peines apparues fussent enveloppées
de légendes prestigieuses; ainsi la pseudo-épigraphie
n'était plus que la sanction des faits établis. Il faut nous
236 LA KABBALE
garder d'appliquer à ces temps et à ces esprits nos règles
d'investigation et de production. Rien ne conduirait à
des résultats plus faux.
On peut établir une distinction assez nette entre la
forme de la Kabbale telle qu'elle apparaît en Orient^ en
Espagne, en Italie, et dans le sud de la France d'une part
et la forme qu'elle revêt dans le nord de la France et
dans l'Allemagne d'autre part. L'une est plus abstraite,
plus métaphysique, sans cependant exclure absolument
les éléments tels que la magie, la chiromancie, la dé-
monologie et^ des vestiges du mysticisme antérieur ;
l'autre s'attache plus au mysticisme des nombres et des
noms; Tune tient plus de Platon et du néo-platonisme
et de la philosophie en général, l'autre reste davantage
sur le sol juif quoique en y semant, à l'imitation dlbn
Ezra, beaucoup d'éléments pythagoriciens. Du mélange
de toutes les tendances les plus divergentes sortira
l'œuvre étrange, véritable Babylone des doctrines le»
plus hautes et les plus puériles : le Zohar.
vil
Essai de classification.
.DansTespace qui sépai'e le désordre du mysticisme
antérieur à la Kabbale et le désordre encore plus xon-
fus du Zohar, nous entrevoyons un certain essai de
systématisation et de classement qui nous permet de dis-
tinguer trois écoles :
1"* L'école dlsaac TAveugle qu'on pourrait appeler
Técole métaphysique, non que la métaphysique y soitTé-
lément exclusif mais elle en est Télément prédominant ;
2° L'école d'Éléazar de Worms qui s'applique spécia-
lement au mysticisme de lettres et des nombres ;
3° L'école d*Aboulafia qui tient des deux précédentes
et les développe Tune et l'autre dans le sons de la con-
templalion pure.
haac r Aveugle. — Dlsaac l'Aveugle lui-même nous
savons fort peu de choses. Ses successeurs parlent avec
respect de son commentaire sur le Sefer Yezirah, et de
son art à discerner les âmes neuves des âmes vieilles^
c'est-à-dire celles qui en étaient à leur premier mariage
avec le corps et celle qui selon les lois de la métempsy-
cose faisaient déjà un second ou troisième pèlerinage.
Comme beaucoup de grands initiateurs, comme Pytha-
gorc, comme Socrate, il paraît avoir surtout agi par
l'enseignement oral. Dans son Bade Aron, Schem Tob
ibn Gaon dit à plusieurs reprises : « R. £zra de Geronde
338 ESSAI DE CLASSIFICATION
(le disciple dlsaac TAveugle) composa un commentaire
des Haggadolh tel qu'il Ta reçu de son maître Isaac
l'Aveugle », ce qui semble bien indiquer qu'Isaac l'A-
veugle s'occupa d'interpréter les Haggadoth et les
prières, c/est-à-dire assurément de les spiritualiser dans
le sens de son système. Mais il en résulte en même
temps qu'il écrivit lui-même peu d'ouvrages. Sa cécité,
constante dans les traditions des kabbalistes, est aussi à
elle seule une raison suffisante pour expliquer sa sobriété
comme écrivain. En tout cas, c'est h Beaucairc dans
cette Provence, carrefour de tant d'idées, point d'inter-
section du Nord et du Midi, autour d'Isaac l'Aveugle, que
l'on peut placer le berceau de la Kabbale.
La caractéristique de son enseignement et de l'école
qu'il fonda apparaît immédiatement chez son principal
disciple Ezra-Azriel (1).
Ezra-AzrieL — Voici la doctrine d'Ezra telle qu'il Ta
exposée dans son ouvrage intitulé : Explication des dix
Seftroth par questions et répoîises.
Dans l'introduction il dit tout d'abord que lorsqu'il
\. On n*a jamais su si ces deux noms représentent un seul et
même personnage ou correspondent à deux disciples d'Isaac TA-
veugle. Les kabbalistes ultérieurs les confondent toujours. Jacubo
dans son Yuchasin fait d*Ezra le maître de Nachmanide; au con-
traire, Meïr benGubbaî et d'autres attribuent cet honneur à Azriel.
Recanati prête à Azriel le Commentaire duCantique des cantiques;
Isaac d'Acco et d'autres mettent le môme ouvrage sur le compte
d'Ezra. A nos yeux, Ezra et Azriel constituent les dénominations
d'un seul et même personnage. La littérature juive est féconde en
confusions de cette nature et particulièrement pour les noms
Ouziel, Azriel. Ezra. Ezra-Azriel vécut de 1100 (à 1238. Il raconte
de lui-même que dans sa jeunesse il voyagea beaucoup, en quête
d'une doctrine occulte relative à Dieu et à la création. Après de
longues pérégrinations il trouva un homme qui se réclamait d'une
tradition antique et accréditée et qui apaisa ses doutes.
EZRA-AZRIEL 239
apporta sa doctrine aux philosophes de Ilaschafcl (Sé-
ville?) et qu'il traita devant eux du En-Sof des Sefiroth,
ils restèrent bouche bée et dirent : « Dieu nous garde de
croire à ces choses à moins d'une révélation miracu-
leuse. » C'est pourquoi Ezra destine son ouvrage aux
hommes qui cherchent, aux philosophes. Ce sont les
philosophes qu'il tend à conquérir et |c'est chez les phi-
losophes qu'il prend son point de départ.
Ezra part do la définition négative que Maïmonide
donne de Dieu et qui seule, selon lui est possible ; il rai-
sonne ainsi : « Le concept qui réunit tout l'ensemble de
ces négations est le concept du En-Sof (sans fin, infini;.
Le En-Sof est illimité, un, en soi, sans attribut, sans
volonté, sans idée, sans intention, sans parole, sans
action. Cet être ne peut avoir voulu la création, car la
volonté implique dans Tagent qui veut un changement,
une imperfection.
Mais si cet être est infini, tout est enlui^ et rien n*est
en dehors de lui. Or, si tout est en lui, il s'ensuit que
Tunivers limité, défectueux, est également en lui, car
s'il n'avait pas aussi le pouvoir de réaliser le fini, sa
puissance serait limitée et ne serait pas infinie. Il faut
donner ici la parole à Tauteur :
« L'infini est l'être absolument parfait sans lacune.
Donc, quand on dit qu'il y a en lui une force illimitée;
mais non la force à se limiter, on introduit une lacune
dans sa plénitude. D'autre part, si on dit que cet univers
— qui n'est pas parfait — provient directement de lui,
on déclare que sa puissance est imparfaite. Or, comme
on ne peut attribuer aucune lacune à sa perfection, il
faut nécessairement admettre que le En-Sof a le pou-
voir do se limiter, lequel pouvoir est lui-même illimité.
w Une fois cette limite issue de lui en première ligne,
ce sont les Sefiroth qui constituent à la fois la puissance
I
240 ESSAI DE CLASSIFICATION
de perfeclion et la puissance d'imperfection. En effet,
quand elles reçoivent la plénitude surabondante qui
découle de sa perfection, elles ont une puissance par-
faite, mais quand Técoulement ne leur arrive pas elles
onl une puissance imparfaite. Elles ont par conséquent
le pouvoir d^agir à la fois d'une manière parfaite et
d*une manière imparfaite. La perfection et l'imperfec-
tion fondent la variété des choses. »
« D'autre part, dire que Dieu dirige sur l'acte créateur
sa volonté sans l'intermédiaire des SeRroth, c'est s'ex-
poser à l'objection, à savoir que la volition implique une
imperfection dans le sujet qui veut. Dire au contraire
que sa volonté n*a pas été dirigée sur Tacte créateur,
c'est faire objecter que la création serait une œuvre de
hasard. Or, tout ce qui naît du hasard n'a pas d'ordre
affermi. Mais nous voyons que les choses créées ont un
ordre assuré, qu'elles naissent, subsistent et périssent
d'après cet ordre. Eh bien ! cet ordre c'est Tensemble des
Sefiroth. Les Sefiroth sont la puissance d'être de tout
ce qui est, de tout ce qui tombe sous le concept du
nombre. Et comme l'existence des choses créés est due à
Tintermédiaire des Sefiroth, elles se distinguent néces-
sairement Tune de l'autre et il y a en elles une région
supérieure, inférieure et médiale, quoique toutes sortent
d'une seule racine fondamentale, l'infini sans lequel il
n'y a rien. »
On a donc ainsi démontré l'existence des Sefiroth,
mais comment démontrer maintenant qu'elles sont au
nombre de dix unies en une seule puissance? Les Sefi-
roth, avons-nous dit, sont le commencement et le prin-
cipe de tout ce qui est limité. Or tout ce qui est limité
se résout en une substance et un lieu, car il n'y a
pas de substance sans lieu et il n'y a pas de lieu sans
la présence d'une substance. Mais on ne peut recon-
EZRA-AZHIEL 241
naître à une substance moins qu'une triple puissance
(supérieure, médiale, inférieure). Puis quand cette triple
puissance s'étend en longueur, en largeur et en profon-
deur (hauteur), cela fait 9; comme ensuite une substance
ne peut subsister sans un lieu et réciproquement, il s'en-
suit que le nombre qui enveloppe substance et lieu ne
peut être inférieur à 10. C'est pourquoi il est dit (dans le
Sefer Yezirah) 10 et non 9 ; mais d'autre part 10 et non
11, car on pourrait croire que si les 3 deviennent 9, les
4 deviennent 6. ce qui ; n'est pas, car il faut considérer
que le lieu n'existe que par suite de la substance et que
la substance et le lieu ne constituent qu'une seule et
même puissance. »
Le nombre 10 n'est pas incompatible avec l'unité du
En-Sof^ puisque l'unité est le fondement de tous les
nombres et que la multiplicité sort de l'unité comme
le feu, la flamme, l'étincelle, la lumière, la couleur,
quoique distincts, ont cependant une cause unique»
Et la preuve que les Sefiroth sont émanées et non
créées ? Il résulte de la perfection de Dieu que la forme
de production de l'univers est Témanation, c'est-à-dire
un mode qui peut se dépenser sans rien perdre. Autre-
ment où serait la marque de la perfection divine, puisque
le propre des choses créées est précisément de ne pas
être identiques à elle-même et de diminuer. D'autre part,
comment les Sefiroth pourraient-elles autrement suffire
sans mesure et éternellement à tous les besoins do
l'univers ?
Mais si les Sefiroth sont émanées, comment peuvent-
elles être limitées, mesurables et concrètes? La réalité
concrète et mesurable est une conséquence de leur limite
et elles ont une limite afin de marquer d'une part, comme
nous avons dit, la puissance de Dieu à se limiter, et
d'autre part parce que toute chose pour être perceptible
242 ESSAI DE CLASSIFICATION
à l'esprit doit être limitée; or les Sefiroth destinées à
rélever la gloire de Dieu étaient destinées à être connues
par rhomme. Mais si les Sefiroth sont limitées, leurs
limites émanent de Dieu d'une manière illimitée. C*est
pourquoi il a été dit (dans le Sefer Yezirah) : leur mesure
est 10 sans fin.
L'émanation a-t-elleeu un commencement ou est-elle
éternelle? Si elle a commencé on peut objecter : com-
ment peut-il y avoir du nouveau et du changement dans
l'absolu? et si Ton dit qu'elle est éternelle on s'expose à
se voir objecter; mais alors les Sefiroth sont égales et
identiques au En-Sof. Il faut admettre que parmi les
Sefiroth il y en a une, la première, qui en effet a existé en
Dieu de toute éternité, mais seulement en puissance.
Quant à l'objection de l'identité des Sefiroth entre elles,
on peut répondre par la comparaison d'un flambeau au-
quel on aurailallumé toutes sortesdeluminaires, qui quoi-
que sortis du même principe, seraient plus ou moins
éclatants. De même les Sefiroth diffèrent entre elles par
leur plus ou moins d'antériorité.
Les Sefiroth contiennent on principe tout ce qui est
contenu dans l'univers; autrement comment tout Tuni-
vers pourrait-il en sortir? De môme que l'âme, toute en
étant une, conçoit la pluralité, ainsi les Sefiroth, quoique
simples, renferment toute la variété des choses. Si l'on
veut se servir d'une comparaison sensible^ on peut dire
que la force première ressemble à une lumière cachée
et invisible; la deuxième à une lumière obscure, visible
mais embrassant toutes les couleurs; une espèce d'a-
zur, principe <lo toutes les couleurs ; la troisième est
verte, la quatrième blanche, la cinquième rouge^ la
sixième blanc-rouge, la septième rouge-blanc, la hui-
tième un mélange des deux, la neuvième à la fois,
blanche, rouge et blanc-rouge, la dixième embrassant
EZRA-AZRIEL 243
toutes les couleurs, mais des couleurs distinctes à Tœil.
La première Sefirah s'appelle « hauteur supérieure »
parce qu'elle est élevée au-dessus même de l'élévation ;
la deuxième s*appelle sagesse : elle est le principe des
intelligibles ; latroisième intelligence : elleconstitue lafin
du monde intellectuel ; la quatrième s'appelle grâce ; la
cinquième, terreur ; la sixième, beauté; elle forme la Gn
du monde sensible, vital, organique ; la septième s'ap-
pelle victoire, la huitième majesté^ la neuvième le juste
fondement du monde, la dixième justice : elle constitue
la fin du monde des corps.
Et voici maintenant leur action graduelle. La première
est destinée ou préside à la force divine, la seconde à
la force des anges, la troisième à la force prophétique,
la quatrième à répandre la grâce parmi les essences
supérieures, la cinquième à répandre la terreur de sa
force, la sixième à répandre la pitié sur les choses infé-
rieures, la septième à faire croître et à fortifier Tàme
sensible en voie de développement, la huitième à pro-
duire la gradation successive, la neuvième à faire éma<
ner la force de toutes les autres, la dixième est la voie
par laquelle Tensemble de toutes les autres forces se
répand dans le monde inférieur.
L'âme humaine ou Tâmc vitale subit TinQuence de
toutes : de la première SePirah elle tient le moi, de la
deuxième la force vitale, de la troisième la force ration-
nelle, de la quatrième la force affective, de la cinquième
l'âme proprement dite, de la sixième le sang, de la sep-
tième la charpente, de la huitième la chair, de la neu-
vième les nerfs, de la dixième la peau.
Puis l'auteur cherche à trouver pour sa doctrine une
confirmation dans l'Écriture et chez les docteurs. Du
Dieu sans nom et sans qualificatif il croit rencontrer
l'expression dans les Psaumes (A toi ne convient que le
244 ESSAI DE CLASSIFICATION
silence, Ps.&Sf 2) et dans ce mot des docteurs: La trace de
la sagesse est le silence (Tr. Aboth commenc). Les Seii-
roth se trouvent indiquées d'après lui dans les dix paro-
les créatrices dont parlent leTalmud et les Midraschim
qui — étant donné que Dieu créa le monde en une seule
parole — sont destinés à marquer qu'il y a dix émana-
tions de Tune par rapport à l'autre. Le corporéité, le
nom et l'action des Sefiroth, Ezra les déduit également
des versets de l'Écriture qui n'ont d^ailleurs d'autre
rapport avec Tidée qu'une similitude de mots. L'école
d'Isaac l'Aveugle croit tenir la vérité avec tant de certi-
tude qu'elle se contente, pour en trouver la confirmation
dans les textes antérieurs, des à-peu-près les plus con-
traires à toute méthode logique et saine. Elle ne fait
d'ailleurs qu'appliquer le procédé des interprètes juifs
de tous les temps.
Ainsi donc Ezra et Técole d'Isaac l'Aveugle qu'il repré-
sente ne veulent mêmeplusaffirmerde Dieu qu'ilest l'Être
ni même qu'il est l'Un, mais suppriment par un nouvel
effort d'abstraction celte dernière affirmation, ils expri-
ment le concept Dieu par le mot En-Sof, sans fin, infini
qui résume en lui toutes les négations. L'unité ne vient
qu'en second lieu et comme une première émanation du
En-Sof.
Mais alors se pose pour Ezra le problème qui s\?st
posé à l'esprit de tous ceux qui ont relégué Dieu dans
une sphère inaccessible,'notammentà tous les néo-plato-
niciens et à Philon. Ce problème c'est la possibilité de
l'action de Dieu sur le monde. Les néo-platoniciens for-
mulent la question ainsi : Dieu ne pouvant être présent
dans le monde par son essence ne peut l'être que par son
action. Mais cette action ne peut être directe, immédiate,
car le parfait est souillé par le contact de l'imparfait. Il
faut donc que du fond de cet être, dans lequel tout inteU
EZRA-AZRIEL 2>r>
ligible même s'efface, Tesprilfasse se détacher certciines
forces et que de la sorte l'abstraction avance d*un pas
vers la réalité.
Ezra ne formule pas la question tout à fait de la mémo
manière^ il dit : Dieu ayant toutes les puissances doit
avoir celle de limiter sa perfection. Comment donc cette
limite est-elle possible sans qu'elle rejaillisse sur lui Til-
limité? Mais formulé d'une manière ou d'une autre c'est
toujours le m^me problème : la nécessité d'expliquer le
rapport de Dieu avec l'univers soit pour le produire, soit
pour le gouverner, sans que les imperfections de cet uni-
vers soient transportées dans l'Être parfait, c'est-à-dire la
nécessité de trouver entre l'absolu et le relatif, entre
rinfîni et le fini, des médiateurs qui tiennent de l'un et
de l'autre. Ces médiateurs ou intermédiaires, l'école
d'Isaac l'Aveugle les appelle Sefiroth. Les Sefiroth sont
donc des forces émanées du En-Sof et qui limitent le
réel en tout. Ce sont en quelque sorte des possibilités du
réel.
Le chemin est long qui va des 10 Maamaroth ou-
paroles qui figurent dans le Talmud et les Pirké de
Eliézcr et des 40 Sefiroth du Sefer Yezirah aux Sefiroth
d'Ezra. On se souvient que parles dix paroles ayant servi
h créer l'univers, on entendait jusqu'ici les mots « Dieu
dit » répétés dix fois dans les premières pages de la Ge-
nèse et les 10 Sefiroth du Sefer Yezirah sont non pas les
nombres en soi mais la décade appliquée aux trois élé-
ments, aux six directions et au souffle ou esprit du Dieu
vivant, c'est-à-dire ont une conception exclusivement
physique et non métaphysique. Seul le souffle de Dieu
pourrait être entendu dans ce dernier sens. Mais les
Sefiroth d'Ezra etde l'école d'isaac l'Aveugle no sont plus
ni des « mots », ni des « paroles », ni des principes phy-
siques m ais des essences métaphysiques portant les noms
246 ESSAI DE CLASSIFICATION
d'attributs divins. Ezra emprunte à rÉcrilure Tidée de
voies ou attributs en considérant les premières comme
la manifestation des secondes et comme le mode d'action
de Dieu, il emprunte au Talmud et au Sefer Yézirah la
conception de dix principes ayant présidé à la création
de Tunivers. Il joint tout cela aux intellects de Maïmo-
nide et enQn fait rentrer le tout dans la conception de
Témanation dlbn Gabirol ; alors seulement il relègue le
résultat obtenu dans le domaine métaphysique.
Mais sa conception des Sefiroth n'est rien moins que
claire. Quels sont exactement le rôle et la portée des dix
Sefiroth? Je comprends que la première de toute éternité
contenue en puissance dans le En-Sof constitue le passage
de la puissance à l'acte, c'est-à-dire le passage de Dieu
en tant qu'essence, à Dieu en tant que se manifestant.
Mais que faut-il penser des suivantes? Les Sefiroth deux,
trois, relatives aux intelligibles, président-elles directe-
ment à l'ordre intellectuel, les trois suivantes à Tordre
sensible, les trois autres à l'ordre naturel? Mais alors
pourquoi ne sont-elles pas immédiatement en relation
les unes avec l'univers intellectuel, les autres avec l'uni-
vers sensible, les autres avec l'univers naturel qu'elles
représentent, et pourquoi vont-elles s'épancher Tune
dans l'autre jusqu'à atteindre, par une succession d'effets
et de causes, la dernière, chargée de communiquer
toutes leurs forces réunies à l'univers créé. D'autre part,
les Sefiroth ne sont-elles qu'une série de chaînons entre
la force première et l'univers, entre l'abstraction la plus
pure et la réalité la plus concrète? Alors que signifient
leurs distinctions et leurs divisions en Sefiroth intellec-
tuelles, sensibles et naturelles,puisqu'elles sont toutes au
même litre à la fois passives et actives, destinées à re-
cueillir et à transmettre également la force première
venue du En-Sof.
EZRA-AZRIEL 247
En réalité nous pensons que les Sefirolh se réduisaient
primitivement au nombre de trois et étaient tout d'abord
un reflet du système d'émanation, tel que nous Tavons
rencontré dans Ibn Gabirol. La première, qui marque le
passage à Tacte de la force potentielle contenue en Dieu^
représente la volonté constituant le passage du Dieu-es-
sence au Dieu créateur. La deuxième « sagesse » ou Se-
firah des intelligibles représente l'intellect universel, et
la neuvième, « le juste fondement du monde », représente
la matière universelle. Ce qui nous confirme dans cette
idée, c'est tout d*abord le nom même qu'elles portent et
le procédé artificiel avec lequel ces noms ont été diver-
sifiés jusqu'à atteindre 10. En eiïet la troisième, a intel-
ligence », est une répétition affaiblie de la seconde « sa-
gesse » ; les cinq autres, « grâce, terreur, beauté, vic-
toire, majesté », n'évoquent aucunement l'idée du monde
sensible ou naturel qu'elles sont dites représenter, pas
plus que la dixième, « justice », ne rappelle par son nom
ridée de sa fonction, tandis que, d'autre part, pour la
première, deuxième et neuvième, les dénominations sont
dans un rapport logique avec les choses dénommées.
La première, « hauteur au-dessus de toute recherche »,
marque le point obscur qui constitue la première mani-
festation du EnSof et dans lequel Tesprit humain ne
distingue encore rien. La deuxième, « sagesse », est bien
le symbole du monde intellectuel, et la neuvième^ porte
le nom yeaod qui bien avant la Kabbale s'applique chez
les penseurs juifs à la matière. C'est le mot qui est em-
ployé dans les extraits d'ibn Falakuera pour traduire
l'idée de matière universelle d'Ibn Gabirol.
Ce n'est pas un faible appui pour notre opinion que de
voir Ezra, très précis et clair quand il s'agit de la !'•, de
la 2® et de la 9« Sefirah, être, au contraire, très embarrassé
quand il est question d'indiquer le rôle des autres.
17
248 ESSAI DE CLASSIFICATION
Enfin ce qui nous fail croire que l'auteur a certaine-
ment^ soit directement, soit par renseignement dlsaac
l'Aveugle, eu connaissance des « sources de la vie », ou
tout au moins des extraits dlbnFalakuera, c'est un cer-
tain nombre de traits parallèles, comme les comparai-
sons matérielles tirées des couleurs, de la lumière, de
Tœil humain et surtout cette conception si particulière
de Tàme humaine reflétant tout Tunivers supérieur et
subissant l'action de toutes les Sefiroth au même titre
que r^me rationnelle d'Ibn Gabirol résume en elles
toutes les formes d'émanations supérieures. Cette der-
nière doctrine procède à coup sur d*Ibn Gabirol et ne
peut procéder que de lui.
Donc, les Sefiroth étaient originellement au nombre
de trois. Puis on peut conjecturer que plus tard on ne
voulut plus se contenter d'une superposition de trois éma-
nations entre l'univers et Dieu. Le nombre 10 consacré
par beaucoup d'écrits antérieurs, par le Décalogue tout
d'abord, par les dix paroles créatrices énumérées dans
le Talmud et les Pirké de R. Eliézer, par les dix Sefi-
roth du Sefer Yezirah, par la décade d'Ibn Ezra greffée
sur la première lettre du tétragramme, par les sphères
d'Ibn Gabirol et de Maïmonido, s'imposa aussi à Isaac
l'Aveugle et à son école et celle-ci obtint ce nombre d'une
manière originale par Tapplication des trois diincnsions
de l'espace à chaque Selirah et i'invenlion d'une der-
nière chargée de recueillir et de transmettre à l'univers
terrestre toutes les forces émanées des autres.
La théorie des Sefiroth est ainsi l'expression de la
pensée juive raffinant encore sur les abstractions méta-
physiques antérieures et étendant encore de quelques
degrés la distance qui sépare Dieu de l'univers. La réa-
lité n'rsl que la résultante d'un principe mélaphysique
spécialement allecté à elle; ce principe n'est lui-môme
EZRA-AZIUKL 249
que Teffet d'une IriniLé, d'autres principes affectés au
inonde naturel; ceux-là ne sont encore que ]*émanation
de trois nouveaux principes affectés au monde sensible ;
ceux-là seulement donnent accès aux principes intellec-
tueisy lesquels conduisent à Tunité, non pas Tunité ab-
solue, mais l'unité contenant déjà en elle toute la plura-
lité. Cette unité enfin conduit à celui qui n*est plus même
ridée d'une idée. Arrière le mysticisme antérieur avec
ses anthropomorphismes et son polythéisme angélolo-
gique. Autour du En-Sof plus rien de celte agitation,
conçue sur le type de la vie terrestre et humaine, plus
rien même de sensible, plus rien de perceptible, mais au-
dessus de ridée un long désert dlrréel, dlmpalpable,
d'Ineffable, dernier et suprême effort de l'abstraction.
Les dix SePiroth portent des dénominations, qui dans
rÉcriture s^appliquent en général a des attributs de
Dieu ; mais cela n'implique pas que ces émanations
soient des hypostases; Ezra ne le dit nulle part; il les
appelle simplement des forces émanées en spécifiant
toutefois que ces forces restent attachées à leur source
première. L'école d'Isaac TAveugle ue soulève pas en-
core le problème, si violemment agité dans la suite sur
la question de savoir si les Sefirolh sont des instruments
ou des essences indépendantes, des accidents ou des
substances, dos canaux de transmission ou des êtres.
L'ouvrage d'Kzra paraît être dans l'esprit de l'auteur
un résumé très pur de la doctrine métaphysique de
l'école, écrit uniquement à l'adresse des spéculatifs.
C*est l'hostilité que cette doctrine aura rencontrée auprès
des philosophes et dont il est parlé au début, qui Paura
sans doute ilélermiué à présenter méthodiqueinenl, sous
forme de (juestions et de réponses, la substance méta-
physique <]iii s'enseignait a l'école.
Un mol encore, peut-être très hardi, mais qui nous pa-
250 ESSAI DE CLASSIFICATION
ratt d'une extrême importance pour Thistoire de la
philosophie. Que Ton considère les Sefiroth se divisant
par leur objet en deux catégories : celle qui préside au
monde des intelligibles (& la pensée) et celle qui préside
au monde sensible et naturel que les kabbalistes rat-
tachent toujours à ridée d'étendue, iav)D;que Ton tienne
compte en outre de ce fait qu'elles ne cessent d'être unies
à Dieu comme le charbon à la flamme, que l'on se rap-
pelle la formule d'Aben Ezra, à savoir : L'un contient
tout en puissance et le tout contient l'un en acte; et que
l'on fasse maintenant un bond, jusqu'à Spinoza. Nous
ne voulons pas conclure pour le moment : nous atten-
dons d'être au Zohar pour revenir sur cette question.
VIII
Le Traité de rémanation.
Avec le Traité de rémanation qui appartient à la
même école^ nous avons une conception un peu différente
de la doctrine ; nous avons en outre un premier essai
pour la concilier avec le mysticisme antérieur et faire
rentrer ce mysticisme dans le cadre de la métaphysique
nouvelle. Ce n'est pas sans raison que Fauteur choisit
le prophète Élie, pour être son porte-parole. En effet si
Ezra-Azriel vise les philosophes, il cherche, lui, à con-
quérir tous les croyants, ce II ne suffit pas^ dit-il, pour
être digne de ces grandes révélations d^ètre un homme
d'étude, il faut, avant tout, être un homme de foi ; il ne
suffit pas de connaître la Bible, la Mischnah, la Ilaggadah .
Tout cela est vain si Ton n'a pas la foi, si on n'aspire
pas avec confiance, dans la lassitude du cours ordinaire
de la vie, à la sublime et mystérieuse Mercabah. »
Après ce préambule Élie enseigne la doctrine sui-
vante :
Au commencement Dieu sépara la lumière des ténè-
bres en limitant, en concentrant sa propre lumière qui
remplissait tout. Puis il créa des mondes nombreux qui
périrent, parce que u semblables à des arbres plantés
sur un espace trop étroit ils se jalousèrent et se dispu-
tèrent la vie. » L'auteur semble vouloir dire que la
création [bara) n'était pas la forme de production durable
252 LE TRAITÉ DE L'ÉMANATION
et ne pouvait enfanter que des mondes périssables. Seule,
Témanation pouvait donner naissance à un monde stable.
On se souvient qulbnGabirol avait souligné le verset
à^Isaïe (43, 7) : « Tout ce qui se réclame de mon nom
c'est pour ma gloire que je l'ai créé, formé q\. fait. D'après
Ibn Ezra, Ibn Gabirol aurait dit de ce verset : « Là gtt
le mystère de l'univers ». « Après Ibn Gabirol ce fut
Abraham bar Cbiyya qui souligna les 4rois verbes du
texte dlsaïe et Abrabanel sur le premier mot de la Genèse
rapporte en effet ce qui suit au nom de ce théologien :
Dieu produisit d^abord le principe de toute chose par
une création virtuelle qui est la Berîah(lepremier Verbe),
puis le passage de la puissance à l'acte fut l'œuvre de
Asyah et Yezirah (les deux autres Verbes).
C'est de ce même verset que l'auteur de notre traité
prend son point d'appui pour y rattacher non pas trois
modes de production, mais quatre univers différents ré-
pondant aux quatre lettres du nom divin. En effet ces
trois mots, indiquant une forme de création ordinaire,
faite pour être comprise par la masse^ impliquent une
forme plus haute accessible à la seule élite des initiés
et qui est l'émanation [azilah). Dieu s'enveloppe d'un
manteau de lumière et ce fut le monde émané, séjour de
sa gloire. Puis vintle monde créé proprement dit (béryah),
première dégradation du monde émané, siège de Tordre
moral, séjour des âmes justes, et dos sources de toute
bénédiction; là est laMercabah glorieuse sous la direc-
tion d'Akalriel [kvter — couronne ; ^/=:Dieu); là sont les
sept palais aiïectés au bonheur, à la liberté^ à Tamour,
à la grâce, à la joie et à la substance du ciel. Une nou-
velle dégradation produit le monde Yézirah, séjour des
figures de la vision d'Ezéchiel, de dix catégories d'anges
avec leur chef, et le chef suprême Métalron, transfigura-
tion « d'un mortel en feu », là aussi sont les souffles ou
LK TRAITi: DE L ÉMANATION 253
àmcs rationnelles des hommes. Le quatrième monde,
Asyah, renferme les anges qui président aux actes hu-
mains et qui sont chargés de recueillir les prières et les
vœux des hommes. Là, Syndalphon (rjvaîeXçs;), laide de
Métatron.mène le combat contre Lilith, Samaol et leurs
70 capitaines. Après quelques digressions très confuses
qui proc^dent à Tégard de TÉcriture avec l'arbitraire le
plus déconcertant et le plus rebelle à un exposé scien-
tifique, l'ouvrage aborde enfin la théorie desSefiroth.
Nous lisons I Chron, 20, H : « A loi, Étemel, appar-
tient la grandeur, la force, la beauté, la victoire, la ma-
jesté, etc., » et d'autre part, nous avons vu dans le Sefer
Yezirah ce que Ton dit des 10 Sefiroth sans rien. Ces Se-
firoth, poursuit Fauteur, sont en eiTet sans figure, sans
ressemblance; elles sont l'œuvre pure des doigts divins,
les instruments de Dieu. De même qu*un orfèvre à un
creuset d'un nom spécial pour l'argent et un autre pour
l'or, quoique Tun et Tautre soient faits d'argile, ainsi les
« voies de Dieu )>, quoique portant des dénominations
difl'ércntes, sont pétries de la même essence. Et d'où
leur vient leur nom deSp/iroth? du mot 5^/;^/;* de V Exode,
518, 18, et du verset de Job, 38, 37 : « Qui comptera (de
la racine saphar) avec sagesse, ce qui est aux cieux. »
Ces Sefiroth sont :
1' Couronne;
2*» Sagesse, aussi appelée esprit du Dieu vivant qui
se divise en 32 voies lumineuses (cf. Sefer Yezirah, 1, 1 ).
3° Intelligence;
4^ Grâce, figurée à la droite de Dieu, personnifiée
dans Abraham;
3^ Terreur, figurée à la gauche de Dieu, représentée
par Lsaac;
6* Boauté, représentée par Jacob;
7* Victoire, représentée par Moïse ;
254 LE TRAITÉ DE L'ÉMANATION
8*» Majesté, représentée par Aaron ;
9® Le Juste fondement du monde, représenté par
Yo«ef;
10° Royauté, représentée par David.
Ainsi donc, nous retrouvons, dans le Traité de Téma-
nation, un nombre considérable de vestiges mystiques
du passé, relatifs à la Mercabah et à ses accessoires,
aux régions célestes, à Tangélologie et à la démonologie,
avec Métatron, Syndalphon, Samaël. Puis la théorie de
la concentration non plus au sens anthropomorphique
que nous avons rencontré, mais modifiée et transportée
dans le domaine métaphysique et rendue sensible à Tes-
prit par Timage qui deviendra classique, à savoir le jeu
de la lumière et de Tombre. Avec Tidée dlbu Gabirol
relative à l'impénétrabilité croissante des choses, à me-
sure qu'elles s'éloignent de la Cause première, Tauteur
constitue le Zamzam (concentration) sous la forme que
nous retrouverons dans le Zohar. Ensuite nous rencon-
trons à propos des Sefiroth des dénominations nouvelles
pour la première et la dernière et qui prédomineront
également dans la suite. Les Sefiroth sont mises en re-
lation avec les patriarches et rattachées à la termino-
logie du Sefer Yezirah. Enfin elles sont appelées très
nettement instruments de Dieu ou voies de Dieu.
Jellinek [Atiswahl kabhalist Mystik, I, 1853, Leipzig)
attribue cet ouvrage à R. Jacob Nasir (xii* siècle) et cela
parce que Recanati (Comment, sur le Pentateuque,
173 d) et Isaac d'Acco (dans son Meirat Enatjm) disent que
le prophète Elic dont se réclame notre ouvrage apparaît
d'abord à R. Jacob Nasir. Mais pourquoi attacher une
telle importance à cette pseudo-épigraphie d'Élie. Éiie
est depuis un temps immémorial un personnage que
l'on fait servir à tout. L'époque talmudique déjà l'iden-
tifie avec le Messie et lui réserve la solution des pro-
LE TRAITÉ DE L ÉMANATION 255
blêmes de casuistique demeurés en suspens. Dans la lit-
térature homilétique^ il est le grand censeur, le graad
moraliste. Rien d'étonnant que les kabbalistes,' à leur
tour, s'abritent sous son nom sans qu'il soit besoin d'en
conclure qu'ils ont en cela un but précis. D'ailleurs si
les révélations d'Élie sont selon les auteurs rapportées à
Jacob Nasir, ces mêmes auteurs les font également
descendre jusqu'à Isaac l'Aveugle, Azriel et Nachma-
nide. Nous croyons plus probable de rattacher l'œuvre
à un disciple dlsaac l'Aveugle ou d'Ezraqui, regrettant
l'ancienne mystique, aura voulu adopter la Kabbale nou-
velle sans préjudice de l'ancienne et aura tenté un essai
de conciliation entre l'une et l'autre.
IX
Le Bahir.
On pense quelquefois rattacher à la même école la
« Prière de R. Nehunyah ben Hakanah » ou Bahir et
« Le Livre de llnluition ». Pour ce dernier, la chose ne
fait aucun doute, mais pour le Bahir rien n'est moins
certain. Il faut en dire quelques mots.
Le Bahir se présente comme un dialogue fictif tenu
par des docteurs imaginaires. Nous y trouvons la doc-
trine des Sefirotb, peut-être entendue au sens de la
Kabbale nouvelle; je dis peut-être, car les Sefiroth n'y
apparaissent même pas avec les nom^s qu'elles garderont
à travers toute la Kabbale théorique, mais sous la déno-
mination passée de AfaâfWûnm, discours, parole créatrice,
verbe. Cette appellation empruntée au passé, notamment
à la paraphrase d'Onkelos et aux Pirke de R. Eliézer,
ne marque nullement la conception nouvelle, élaborée
par Técole d'Isaac l'Aveugle. Le nom de JE;i-So/ n'appa-
raît qu'une fois dans tout l'opuscule et le passage n'est
pas clair. Les Maamarim y peuvent très bien être enten-
dues au sens de paroles exprimées par le En-Sof, ou de
nombres cosmiques selon la terminologie du Sefer
Yezirah, ou encore comme des sphères à la manière
d'Abn Ezra et Ibn Gabirol. Rien — encore une fois —
LE BAHIR -57
n'indique que nous sommes en présence d*enlités méta-
physiques comme dans Técole nouvelle. L'ensemble de
l'ouvrage marque plutôt le contraire. Ainsi le Bahir met
les Maamarim en rapport avec les membres du corps
divin, il transporte la loi sexuelle dans les régions supra-
sensibles et jusqu'en Dieu lui-même, il place à ses côtés
un élément féminin, la Schechinah ou Gloire et il pré-
sente cette Schecliinah, en apparence du moins, sous
une forme toute matérielle et sensuelle. Puis, étendant
ce principe sexuel à l'univers entier, il dit : Dans l'uni-
vers non plus, rien n'est possible, rien n'est durable
sans le concours do la femelle.
Voici quelques autres points dignes d'être relevés dans
le Bahir, Il explique ainsi les mots de Genèse^ 1, 2 : « Et
la terre était tohu bobu ». Avant la création, il y avait
quelque chose de tohu^ de troublant pour Thomme,
parce que ce quelque chose n'avait pas de forme et était
indéfinissable. Mais ce quelque chose était bohu [bo-fni
en lui, en soi) c'est-à-dire qu'il avait une existence
réelle; donc il existait, avant la création, quelque chose
de privé de forme et de différenciation, et qui fut en-
suite transformé en une masse confuse, chaotique, mais
différenciée. Dieu, avant la création proprement dite,
tira du néant et évoqua devant lui (le texte n'est pas
clair) une matière intelligible qui fut comme un mélange»
surabondîml de salut et de bénédiction. De celte pléni-
tude [malr, ^Xr,pc;jLa) sortit la Chochmah (woia) qui fui
identique à la Thorah. Nous constatons immédiatement
le caractère prédominant de la méthode du mysticisme
nouveau. Ce mélange de doctrines hétérogènes, issues
du gnoslicisme et du judaïsme dogmatique, sera le grand
modo do prodticlion, do renouvellement du mysticisme
spéculatif.
Avant la création, dit encore le Bahir, Dieu se prit à
25S LE BAHIR
créer une grande iumibre, mais cette lumière était telle-
ment éclatante que nul regard humain n aurait pu la
soutenir. Alors il n'en donna qu'un septième et réserva
le reste aux justes^ c'est-à-dire qu'il limita la lumière;
nous avons évidemment ici une interprétation un peu
naïve du fameux ipoç des gnostiques, et de la doctrine
de la concentration. L'auteur du liahir apparaît encore
un peu déconcerté devant ces nouveautés. Le opzq de-
vient pour lui ceci : Dieu ne donna que le septième et
dit aux hommes : Si vous êtes capables de garder ce
septième, je vous donnerai le reste.
Le Bahir met à profit un passage fameux d'Ibn Ëzra
où il compare les voyelles par rapport aux consonnes, à
l'âme par rapport au corps : « De même que le corps n'a
pas de vie sans Tàme, de même les consonnes ne peu-
vent avoir de sens sans les voyelles » (cf. Bahir, 7 a, édi-
tion Amsterdam, avec Ibn Ezra, Safah, Berurah, 4 b).
Voici quelques mots d'éthique qui seront le point de dé-
part d'un mouvement d'idées considérable dans le Zohar.
c< Le juste est le fondement du monde, c'est par lui que
lé monde croit, se maintient et se réjouit. Le juste est
une colonne qui va de la terre au ciel et selon que celte
colonne qui porte tout Tunivers se fortifie ou s'affaiblit,
Tunivers lui-même gagne ou perd en forces. »> — Doctrine
admirable et qui va trouver dans la suite un magnifique
épanouissement.
L'époque d'apparition du Bahir est assez difficile à
préciser. Nous savons, d'une part, qu'il existait en 1245,
puisqu'il est, dès ce moment, attaqué par le docteur
Meir b. Simon de Narbonne. D'autre part, les observa-
tions grammaticales qui s'y rencontrent ne permettent
pas de le rejeter en arrière au-delà de la période qu'on
est convenu d'appeler « l'âge de la grammaire hébraï-
que ». Ces limites supérieure et inférieure nouscondui-
LE BAHIR 259
sent entre le xu* et le xiii* siècle. Cotte date est certes
voisine de la naissance de la Kabbale, mais elle ne
prouve pas pour cela la connexité ou la dépendance du
Bahir et de Técole d'Isaac l'Aveugle. Il n'en est pas de
même pour le Livre de C Intuition,
X
Le Livre de llntuition.
Le Livre de flntuittoîi se propose spécialement de
traiter des relations des Sefiroth avec le En-Sof. Dieu
est un, identique à lui-même dans toutes ses forces,
comme la flamme qui se joue en des couleurs variées.
Ces forces émanent de lui, comme la lumière émane de
l'œil, comme un parfum émane d'un parfum, comme
Téclat d'un flambeau émane d'un autre flambeau sans
que ce dernier perde quelque chose (nous retrouvons
ici à la fois la terminologie dlbn Gabirol et celle d'Ezra-
Azriel). Avant de créer, Dieu fut un, en soi, sans mou-
vement, sans limite, sans distinction. La meilleure ma-
nière de le connaître consiste à combiner et à calculer
les lettres de son nom. On aboutit ainsi à affirmer de
lui le seul point que Ton puisse affirmer, à savoir qu'il
est obscur, enveloppé en soi et sans différenciation.
Puis Tauteur adresse une prière aux dernières Sefiroth
et dans cette prière il met les Sefiroth en relation avec
les membres du corps humain. La grâce et la force (sy-
nonyme de terreur) figurent les bras, la beauté repré-
sente le trône, la victoire et la majesté les hanches, le
fondement et la royauté les pieds, et le tout forme le
corps de la Gloire divine. Le but de cet ouvrage nous
paraît être de mettre en garde contre la tendance de
certains kabbalistes à détacher les Sefiroth et à en faire
LK LIVRE DE L'INTUITION 261
(les essences au détriment de la conception unitaire.
C'est pour cela qu'il insiste si fortement sur Tunile et
ridenlité des Sefiroth entre elles; c*est pour cela aussi
qu*il les figure comme les membres d'un seul corps, pour
cela enfin qu'il leur adresse les prières qui reviennent à
Dieu.
Cette question des prières préoccupait beaucoup
l'école d'Isaac l'Aveugle. Puisque le Dieu-essence enve-
veloppé dans son éternel mystère est inaccessible, les
prières devuicnt-elles continuer à lui être adressées à
lui-mùme ou aux Sefiroth ses médiateurs. Dans le pre-
mier cas, elles risquaient de n'avoir aucun accès auprès
de lui.; dans le second, il surgissait une grosse difficulté.
A laquelle des Sefiroth s'adresser de préférence? Fuis
cette invocation à des forces multiples ne constituerait-
elle pas un grand danger pour la foi au monothéisme?
Ne pourrait-elle pas rebuter les jeunes adeptes et en
tous les cas devenir un reproche spécieux dans la bou-
che des adversaires de lu Kabbale. En effet, dans une de
ses liespp. (il® 137), Ribasch rapporte que son maître
R. Ferez Ilacohon et R. Simon <lo Chinon reprochent
violemment aux kabbalisles d'adresser leurs prières
tantôt h une Sefirah, tantôt à une autre. <c Com ment, leur
disent-ils, pouvez-vous invoquer tantôt une Sefirah,
tantôt une autre? Les Sefiroth ont-elles donc un carac-
tère divin pour que vous fassiez appel à elles comme à
Dieu? » Ils répondent : Dieu nous garde de faire appel
à un autre qu'a lui-même, la Cause des causes, mais
nous faisons comme quelqu'un qui a un procès et qui
demande au roi de faire justice. Que lui demande-t-il,
sinon d'ordonner au chef «le la justice déjuger et non
de donner un ordre au trésorier royal? D'autre part, ce-
lui qui demande un don demande au roi de donner des
ordres (i sou trésorier et non à son juge. Ainsi la prière
262 LB LIVRE DE l'intuition
vise toujours en fin de compte la cause première; seule-
ment la pensée se dirige vers telle ou telle Sefirah.
Cette question était d'autant plus importante que la
prière n'élait plus pour la Kabbale ce qu'elle avait été
jusqu'alors, un hymne ou une supplique, mais elle pre-
nait un sens et une portée tout à fait supérieure tenant
une place à part dans la série des exercices cultuels et
spirituels. Nous avons vu dans Ezra que les Sefiroth
tiennent du parfait et de l'imparfait, c'est-à-dire que
leur épanchement est illimité dans sa qualité, mais non
dans sa durée et que ce qu*elles donnent dépend de ce
qu'elles reçoivent. Eh bien ! parmi les causes qui peuvent
en quelque sorte stimuler, exciter cet épanchement, la
prière est au premier rang; elle est le grand levier au
moyen duquel l'homme peut mettre en branle l'action,
je dirai presque le mécanisme des SeGroth. A l'instant
où Tàme humaine dirige son vol vers les sphères supé-
rieures, les Sefiroth s'émeuvent et plus la ferveur et la
tension d'esprit sont grandes, plus il y a de croyants
réunis dans une même pensée spirituelle, plus aussi
l'émotion est grande dans les régions suprasensibles.
Au concert harmonieux des invocations venues de la
terre répond au ciel un écho sublime. — Naturellement
le formalisme littéral auquel aboutit trop souvent l'es-
prit le plus pur apporte ici encore les excès de son étroi-
tesse et de sa casuistique. Ce n*est plus seulement la
prière qui prend une valeur symbolique, mais chaque
acte concomitant, chaque mouvement des lèvres, chaque
inflexion de la voix, chaque inclinaison du corps. Il
s'établit un véritable code mystique de la prière qui rè-
gle chaque mot, chaque syllabe, chaque mode de pro-
nonciation, chaque geste en quelque sorte, chaque
figure. On va jusqu'à s'imaginer que la moindre déro-
gation à ces règles a immédiatement son contre-coup
LE LIVPE DE l'intuition 263
perturbateur dans le monde céleste. La fameuse prière
des « dix-huit bénédictions » est répartie avec un soin
minutieux entre les 10 Sefirolh (cf. Schem Job Gaon,
Meirat Enayiniy sect. liescha/ac/i, cod. Béer 53 a; R.
Israël dans Haemoiinah ve/tabiiachou, 1 1 of ; Nachnianide,
Comment, sur la Gen,, 40, i ; Bachya b. Ascher, Coin-
ment, sur Yitro et Veetchanaii),
On consacre des traités entiers à la question de savoir
comment il faut prononcer le mot Un dans la formule :
V Éternel est notre iJieUy l Eternel e^t Un, afin d'envelop-
per dans une seule émission de voix Dieu et les Sefiroth,
sans que la multiplicité des unes puisse nuire à Tunité
de Tautre.
Non seulement pour la prière mais pour le cérémonial
tout entier des remaniements importants s'imposent. La
Thorah prescrit des lois qui, prises à la lettre, implique-
raient un Dieu matériel. Comment par exemple oser af-
firmer du En-Sof que le parfum des sacrifices est agréable
à ses narines. 11 faut donc donner à celte loi et à d'autres
analogues une interprétation nouvelle. Les sacrifices
n'affectent d'aucune manière le Kn-Sof, mais seulement
les Sefiroth; leur but n'est pas d'affréter le En-Sof mais
d'émouvoir les Sefiroth et par elles l'épanchement qui
parleur médiationdécoulesurrunivers. Cette idée se ren-
contre pour la première fois dans un écrit qu'on attribue
tantôt à Nachmanide, tantôt à Ezra, « le Commentaire
sur le Cantique des cantiques » (p. 21 a). « Par le sacri-
fice, l'esprit descend, et après avoir parcouru les canaux
sacrés il s'approche de nous >> ; de là pour désigner le sa-
crifice, le mot korban, de la racine harab (approcher).
Par suite les pratiques et les cérémonies ont une im-
portance capitale sur la marche générale des choses.
Tout l'univers est intéressé à la fidélité avec laquelle on
les accomplit « L'accomplissement des préceptes est la
18
264 LK LIVRK DE LI.NTU1TI0N
lumière vitale. Celui qui les pratique sur terre conserve,
affermit par elles rensomble des choses, ybid. Cantique
des cant.y p. 11.) Par exemple la cérémonie appelée
« la bénédition des prêtres » pendant laquelle les pré-
tendus descendants de l'ancienne Iribn sacerdotale mon-
tent à Testrade du temple et levant leurs deux mains
bénissent l'assemblée est interprétée comme nne invoca-
tion aux Sefiroth et est destinée à appeler leurs bénédic-
tions et à indiquer par le symbole des dix doigts que
c'est en elles que git la source de la vie [Cant, descant,,
12 b). Cf. Sefer Yezirah,
Le Commentaire du Cantique des cantiques semble
avoir été précisément destiné à compléter l'œuvre phi-
losophique d'Ezra-Azriel en exposant le sens mystique
de toute la partie formelle de la religion, afin, d'une part
de préparer le remaniement des prières et des cérémo-
nies que lesdoctrines entraînaient à sa suite, d'autre part,
de montrer que les théories nouvelles n'étaient pas in-
conciliables avec Tesprit du judaïsme.
Telle est à peu près dans sa substance première la doc-
trine d'Isaac l'Aveugle et de son école, c'est-à-dire la
forme première de la Kabbale. 11 ne faudra pas Toublier
chaque fois que ce mot de Kabbale paraîtra devant nous.
On voit que cette première forme est faite, pour ce qui
est de la métaphysique, d'une abstraction des abstractions
néo-platoniciennes, d'une reprise et d'une multiplication
arbitraire des intermédiaires dlbn Gabirol.
Par son essai de différenciation des modes créateurs
elle s'achemine vers le panthéisme. Puis elle constitue
un essai de donner aux lois métaphysiques une cou-
leur physique empnintée précisément aux choses de
la couleur de la lumii'^re, ce qui sera aussi la poétique de
la métaphysique du Zohar; c'est enfin pour ce qui est de
la religion traditionnelle une spiritualisation, uneidéali-
i DB L INTUITION
265
satton mystique de tous les éléments du passé, suscep-
tibles d'être transformés, uae élaboration d'aspirations
D ouvelles avec les formules anciennes. Dans tous tes cas
le cadre du Zuhar est créé.
XI
Nachxuanide
Les efforts d'Ezra-Azriel n'auraient peut-être pas con-
quis à la Kabbale le succès auquel elle aspirait, s*il n'avait
pas eu pour disciple Moïse ben Nachman, communément
appelé Nachmanide, lequel, venu tard au mysticisme, le
fit bénéficier aux yeux des docteurs orthodoxes et dog-
matistes de l'autorité d'un passé déjà long consacré à
l'étude du judaïsme dogmatique. On n'osa plus après lui
mettre en suspicion une doctrine à laquelle avait acquiescé
un homme comme Nacbmanide, réputé d'ailleurs par sa
piété traditionaliste. Le poète Meschulam en Vidas Da-
siera [Dibre chachamim^ 77) chante ainsi :
Pour nous le ûls de Nachman est une citadelle sûre;
Ezra, Azriel nous ont enseigné sans tromper ;
Ils sont mes prêtres, ils éclairent mon autel.
Plus tard une légende se forma sur la manière dont
Nachmanide était arrivé à la Kabbale. On raconta que
malgré les efforts tentés auprès de lui par un vieil initié il
était demeuré intangible. Un jour, ce kabbalisle pris en
flagrant délit de mal fut condammé à mort. Avant l'exé-
cution il fit appeler Nachmanide et lui affirma que le soir
même il viendrait le trouver pour fêter avec lui Tagapc
sabbatique. En effet par un procédé occulte il se substitua
à un âne qui fut exécuté à sa place et le soir il entra subi-
NACnMANIDE 267
tement dans la chambre de Nachmanide. Col événement
le convertit.
Outre le prestige que Nachmanide apporte à la Kab-
bale par sa personne, il lui rendit un double service. Tout
d'abord il entra résolument dans la voie où s*était à
peine engagé Ezra- Azriel , à savoir qu'il ne se conten ta pas
de fonder la Kabbale théorique philosophique, mais d'en
pénétrer la loi, la loi jusque-là apanage des seuls talmu-
distes et haggadistes. Il ne suffisait pas en effet d'énoncer
des doctrines mystiques, il fallait encore en animer Tes-
prit de TEcriture, il fallait surtout interpréter en ce sens
les précoptes de la Bible et particulièrement du Penta-
teuque. Nachmanide accorda une place importante à cette
espëce de vulgarisation de la Kabbale. Il fut un ceux qui
contribua le plus à la greffer sur les textes sacrés.
Seuls les textes sacrés, dit-il, sont la source de la vérité;
les philosophes ne sont que les contempteurs de la loi
[Schaar Haguemiil, 103 b). La Bible donne plus d'éclair-
cissements sur les problèmes difficiles que toute la phi-
losophie {Deraschaj p. 20 a, 2i). Les adeptes de la philo-
sophie quand ils se trouvent en présence de problèmes
véritables ne font qu^accumuler doutes et difficultés.
Aristole lui-même ne peu prouver avec certitude si le
monde a eu un commencement ou non, tandis que la
Bible contient là-dessus des vérités absolues. Celte Bible
est aussi la source de la Kabbale et c'est surtout le Peu-
tateuque qui en est le dépositaire, La Thorah primor-
diale créée par Dieu avant l'univers, celle qui lui a servi
de plan était écrite avec des caractères de feu noir sur
du feu blanc. Moïse la transcrivit en langage ordinaire.
En lui donnant la loi destinée aux hommes. Dieu lui
communiqua en même temps la connaissance de tout
l'univers inférieur et supérieur, tout ce qui est relatif au
Maaseh Bereschit et au Maaseh Mercabah, tout ce qui
268 NAGHMANIDE
concerne les quatre forces du monde sublunaire (la
force de cohésion, la force de croissance, la force mo-
trice, la force rationnelle), ce qui esl relatif à leur es-
sence, à leur action, à leurs qualités, puis tout ce qui
regarde les sphères^ les lois qui président au développe -
ment des plantes et des animaux, ce qui est clair et ce
qui est obscur. Tout cela est indiqué dans la Thorah, soit
en paroles précises, soit par allusion, par combinaison
de nombres, par figures de lettres, par les queues et les
couronnes des lettres. Même, d'après une tradition sûre,
la Thorah tout entière ne serait qu'un groupe de noms
divins, c'est-à-dire que les lettres peuvent être coupées
de telle sorte qu'elles ne forment qu'une série innom-
brable de ces noms. Par exemple les premiers mots Be-
reschitbara Elohim en Berosch Ytbara Elohim, et cela
sans préjudice des autres combinaisons.
Ce n'est pas que Nachmanide conteste l'interprétation
simple. En tant que s'adressant à l'humanité la Bible
parle une langue accessible à tous et son sens est à con-
sidérer sans aucune relation avec quelque chose de plus
élevé. Mais en tant qu'émanant de la sagesse divine, ce
sens dépasse la sphère de l'intelligence ordinaire et ne
peut ^tre rapporté qu'au monde suprasensiblc. Chaque
mot est l'expression adéquate d'une conception très
haute qui a dû être condensée, épaissie, en quelque sorte
dégradée, pour pouvoir revêtir une expression humaine.
Toute la loi est ainsi remplie de corporifications d'idées
sublimes. Elle esl tout entière un écho du divin. Chaque
lettre du texte est une puissance spirituelle, un anneau de
la chaîne qui relie le ciel à la terre (cf. Derascha, p. 30 ût,
31 ). Aussi Nachmanide, dans les interprétations les plus
importantes du Pentateuque,commence-t-il toujours par
donner le sens ordinaire, puis il lui superpose un sens
mystérieux qu'il se plaît à envelopper de voiles en disant
NACHMAMDb: 269
généralement : Celle interprétation simple n'épuise pas
le sens du texte; il y a encore sous ces mots un grand
mystère... Tinitié comprendra. Ce n'est souvent qne
grâce au parallélisme de ses autres écrits que nous pou-
vons deviner sa pensée.
Dans le commentaire de Nachmanide un esprit tout
nouveau anime les préceptes bibliques. Tout est trans-
figuré parla théosophie. La Ioin*est pas donnée en vue
de la terre, mais en vue du ciel. L'homme vit dans un
double rapport avec la nature visible et avec la nature
invis^le. Après le cours de son existence terrestre il
doit se perdre entièrement en Dieu. Le but de cette vie
est donc qu'il se détache insensiblement des liens de la
nature. C'est en vue de cette fin que le législateur a
baigné les cérémonies, les lois, les institutions d'une
substance céleste, de manière à rendre Thomme à chaque
heure de sa vie conscient de son union avec le ciel^ de la
force et de la solidité que l'accomplissement de ces lois
peut donner à cette union.
L'immolation des victimes n'est plus considérée comme
un hommage à Dieu ou un moyen de lui arracher des
faveurs, mais comme l'expression visible de l'union la-
tente de l'homme à Dieu; c'est le passage de cette union
de la puissance à l'acte. La fumée s'élevaut sur l'autel et
montant aux narines de Dieu est l'imago du rapproche-
ment qui s'opère entre le souffle divin qui s'appelle l'âme
humaine et son divin auteur. La montée de l'âme vers
sa source est comme parfumée d'un nectar spirituel.
Dieu respire l'âme humaine.
Ce n'est plus une raison hygiénique qui motive la dé-
fens(; de certains animaux, ou la défense de sang vivant,
mais c'est la crainte de voir l'âme, enfant du ciel, souillée
par le contact d'une matière trop grossière. Avant Noé
toute chair était interdite aux hommes [Genèse, i, 29),
270 NAGHMANIDE
parce que les animaux ayant, eux aussi, une âme motrice
détiennent une parcelle du monde supérieur et ont une
parenté avec les êtres doués d'une âme rationnelle. Ce
n'est qu'à partir du déluge qu'il fut permis aux hommes
de manger de la chair. Encore faut-il que cette chair ne
contienne plus de sang, car le sang est le siège de Tâme.
Le sang est aussi un symbole de sensualité et doit être
éloigné de l'âme (cf. Comment, sur Genèse, 4,29; Léviti-
que, 20, 6).
Le léviral, c'est-à-dire l'obligation pour le frère d'un
homme mort sans postérité d'épouser la veuve, ne vise
plus simplement à perpétuer le nom du mort, mais ren-
ferme un mystère plus profond que Nachmanide appelle
le mystère de l'enfantement. Sur Genèse, 38, 8, il dit :
(( C*est un mystère très grand que celui de la naissance
de l'homme. Ce n'est pas pour perpétuer le nom du dé-
funt que le frère doit épouser la veuve, c'est là dans l'É-
criture un motif apparent qui couvre un motif plus pro-
fond. Ce qu'elle cherche, c'est la délivrance de l'Ame
errante du mort. » « Tout en effet doit tendre à Tâme.
La cohabitation en soi est une chose méprisable; elle ne
doit viser que la reproduction et la réapparition d'une
âme » {Lévitique.m, 5). Or, les lois qui président à l'en-
fantement des âmes n'ont aucun rapport avec celles re-
latives au corps II y a des âmes qui portent on elles d'au-
tres âmes; ensemble elles descendent, ensemble elles
remontent ; donc, avec le second mariage et l'apparition
d'un enfant Tâme du mort suspendue à celle du nouveau
né renaît à la vie du corps; les deux âmes entrent en-
semble dans la même enveloppe, refont ensemble le pè-
lerinage terrestre; ensemble elles se séparent du corps,
ensemble elles remontent vers leur berceau commun.
A côté de la transfiguration mystique des préceptes, le
commentaire de Nachmanide nous offre encore un cer-
NACUMANIDE 271
tain nombre de données qui méritent d'être relevées.
Tout d'abord sa théorie cosmique qu'il présente sur Ge-
nèse i, 1 : « Du néant absolu, Dieu créa tout d'abord une
matière fine, subtile, sans consistance mais ayant la force
potentielle de la réceptibilité de la forme, et c'est là la
matière première hiyulé * (JXrjdes Grecs). De cette matière
première Dieu tira toutes choses ; c'est elle que la Genèse
entend par le mot tohu [Genèse, i, 2). Puis il revêtit
cette matière déformes, c'est le bolm de la Genèse. Cette
matière première fut d'abord comme un point. Ce point
est ce que l'Écriture appelle la pierre fondamentale delà
création. Ce point, Dieu le présenta sous quatre formes,
ce qui fit de lui quatre éléments : le feu, l'eau, la terre,
l'air indiqués dans les premiers versets de la Genèse (cf.
Maïmonide,5///;ra).Ces quatre éléments sont circonscrits.
L'eau enveloppe la terre, l'air enveloppe l'eau, le feu
enveloppe l'air. Quand ce point eut revêtu ses quatre
formes, il devint lumineux et c'est ce que la Genèse en-
tend entend exprimer quand elle dit : « La lumière fut. »
L'univers était né.
Nachmanide admet donc une matière première créée
ex7iihi/o. Celte matière est un élément très fin, une sim-
ple force potentielle, ayant la faculté de passer du possible
au réel. Mais il admet en même temps que cette matière
première, quelque subtile qu'elle fût, avait un double as-
pect : un aspect spirituel et un aspect matériel, la partie
spirituelle destinée à constituer les esprits, et la partie
corporelle destinée à constituer les corps.
Cette distinction tranchée, absolue, entre les esprits
et les corps entraîne chez Nachmanide des conséquences
immédiates sur sa conception de l'àme humaine. L'âme
humaine est d'une essence qui ne peut être assimilée en
1. ^S^n.
272 NACHMA.MDK
aucune manière au corps. Cette essence suit des lois pro-
pres qui présidente sa naissance, à son développement,
à son mariage avec le corps. Tout ce qui dans TÉcriture
nous paraît incompréhensible quand nous le rapportons
aux choses du corps, s'éclaire d'une .lumière éblouissante
quand nous le rapportons à son objet véritable, cause
finale des écrits sacrés : Tâme. Nous avons vu plus haut,
par quelques exemples, quel aspect nouveau, tout spiri-
tuel, tout imprégné en quelque sorte de la spiritualité de
l'àmc, Nachmanide donne aux préceptes. Partout^à tra-
vers le Pentateuque tout entier^ il n'admet de légitimité
d*existence pour la matière que si elle se met au service
exclusif deTâmc; chaque fois qu'elle est une fin en elle-
même elle est méprisable. Les conditions les plus légiti-
mes de la vie matérielle, le manger, le boire, la repro-
duction, n*acquièrent quelque sainteté que par laprésence
de Tâme. Quelquefois l'âme réussit à faire du corps
qu'elle habite un véritable temple. Nachmanide tire pour
l'association de Tâme et du corpe une belle (application
du principe talmudique suivant: « Ce ne sont pas les
demeures qui honorent ceux qui les habitent, mais les
habitants honorent leur demeure. » Mais généralement
Tàme n*a rien à gagner à ce mariage. La matière reçoit
plutôt quelques reflets de sa sainteté qu'elle-même n'en
reçoit de la matière.
Voici un ou deux exemples qui montreront combien
Nachmanide pousse le spiritualisme à sa dernière limite.
11 admet que le premier homme fut créé androgyne.
Mais il admet aussi que le soufQe divin, pour animer
et anoblir cette double forme, vint se placer à Tinter-
section des deux corps, et pour éclairer d'avance une idée
importante du Zohar nous ajouterons que chaque partie
distincte emporta une moitié d'âme.
Nachmanide aime à citer et à développer le passage
NACQMAMDK 273
midrasctiique suivant : Peadant que Khonime dorl, le
corps lo dit ù Tàme sensible, rame sensible le dit à Tàme
rationnelle, i'<lnie rationnelle le dit à l'ange (fange gar-
dien), etc. Pour NachmanideTàme se sentant en mauvaise
compagnie avec le corps, brise quand elle le peut ce ma-
riage. Avant même le divorce définitif elle fait des ab-
sences passagères, elle va errer au ciel, reprendre contact
avec ses sœurs et quand elle revient au corps, celui-ci
prend conscience de tout ce qu'elle a vu. De là, les visions
du rêve.
Nachmanide, tout en se maintenant, en général dans
ses poésies sur le terrain du judaïsme traditionnel» en a
imprégné quelques-unes d'un mysticisme qui n'est rien
moins que conforme aux traditions. Nous y trouvons
même quelquefois un mélange singulier entre les élé-
ments kabbalistiques elles éléments gnostiques, entre la
doctrine des Sefiroth et celle du Pléroma. C'est surtout
à propos de Tume que la comparaison est sensible. C'est
par le moyen de canaux, appelés « les canaux de l'épan-
chement », que, d'après Nachmanide, elle sort duu grand
réservoir », terme absolument adéquat au pléroma gnos-
tique (Néander, Kirchengesch.^ 1, 2* partie, p. 743 et
Matter, Gnosticisnnis, p. 95 sqq ). — L'union de ràmeuvec
le corps ne peut que la souiller et quoi qu^elle fasse, elle
n'a de salut que dans Tamour diviu qui, après l'avoir
laissé errer^ la reprend à lui. La Sop/na gnostique, elle
aussi, après avoir longtemps erré, ne doit iinalemenl
son salut qu'à l'intervention directe et voulue du
Père.
Nachmanide avait été très réfractaire au mysticisme,
mais une fois qu'il en fut l'adepte il le fut jusqu'au bout,
recueillant avec la même hùte toutes les idées mystiques
de quelque ordre qu'elles fussent. C'est ainsi qu'il se fît
le porteur de notions relatives à la chiromancie et à la
274 NAGBMANIDE
physiognomique enseignées par Chérira, et de notions
relatives à Tastrologie.
« Notre maître Chérira, dit-il, a écrit que les docteurs
se transmettaient Tunà l'autre les signes du visage et les
lignes de la main... De la sorte ils pouvaient ne livrer
les mystères de la loi et les idées occultes qu'à celui chez
lequel il découvraient ces signes marquant l'aptitude
des disciples avant même qu'ils aient pu entrer en com-
merce avec eux » (Commentaire 6V«. 8, 2), et ailleurs;
(c la science de la main et des plis du front... c'est là
une science très ancienne et très vraie, transmise par
une tradition sûre » [Derascha^ p. 28).
« Dieu en créant toute chose a fait que les choses su-
périeures conduisent les inférieures et il a mis la force
de la terre et de tout ce qu'elle porte dans les astres sui-
vant les lois qu'enseigne l'astrologie. Au-dessus des
astres, il a préposé les anges qui en sont les âmes. De
la sorte toutes les combinaisons supérieures ont leur
répercussion en bas sur les peuples et les hommes. Il y
a aussi des lois certaines que Ton peut lire dans les en-
trailles des oiseaux, dans leur voix, dans leur vol^ non
pas certes pour la connaissance d'un avenir éloigné, mais
pour des temps qui sont proches. C'est ce que l'Écrilure
entend dire quand elle loue le roi Salomon d'avoir su
parler sur les oiseaux. Elle entend dire qu'il connaissait
l'astrologie et la divination. »
Nachmanide porta aussi l'effort de son mysticisme
sur un point nouveau : l'éthique, déjà dans son com-
mentaire, mais surtout dans un ouvrage spécial intitulé:
La porte de la rémunération. Ce qui domine tout d'abord
dans cet ouvrage, c'est sa conception mystique de la
souffrance. La souffrance est presque toujours, d'après
Nachmanide, une souffrance d'amour. Pour les uns elle
est un avertissement; Dieu voit avec douleur Tâmccé-
NACIIMANIDE 275
leste s'enlizer dans les misères du corps, et pour Tar-
rêler, il lui envoie des douleurs. C'est une affliction
grande parnii les âmes du ciel et les anges de voir une
de leurs compagnes se rendre indigne de son origine et
de sa destinée. Tous alors cherchent à peser sur Dieu,
afin que, réprimant pour un peu de temps sa bonté tou-
jours prête à s'épancher,il frappe cette âme de coups salu-
taires. Si elle demeure sourde à cet avertissement, ils re-
doublent de violence aPm de faire payer sa rançon sur la
terre et ne pas être obligés de la lui faire payer au ciel.
Même pour le juste, il y a des souffrances d'amour ; le
juste lui-même n'est pas parfait, il est en lui des sco-
ries, que le creuset de la douleur détache de son âme.
Mais ces souffrances d^amour Thomme ne doit pas se les
infliger lui-même, il faut qu'il les reçoive, et les reçoive
avec joie de la main divine. Malheur à celui qui ne
souffre pas, car ce bonheur implique que Dieu Ta aban-
bonné, qu'il l'a condamné pour la félicité future et qu'il
lui laisse inviolée la félicité présente afin qu'il n'ait rien
à réclamer de sa destinée. Ses souffrances sont des gages
de bonheur ultra-lerrestrc ; aussi certaines douleurs sont-
elles destinées à rendre à l'homme la vie plus lourde,
Teffort plus grand et à accroître son mérite et partant,
son droit au bonheur futur. Enfin, il y a des douleurs
qui sont faitespour transformer de la puissance à l'acte,
les germes de bien que l'âme humaine porte en elle.
Ce sont en quelque sorte des douleurs d'enfantement de
l'âme féconde en vertus.
Il y a là, dans cette conception do l'âme ennemie
éternelle de la matière, et dans cette conception de
la souffrance, une fissure par laquelle tout le mysti-
cisme ascétique avec son cortège d'excès aurait pu en-
trer dans la Kabbale. Jusqu'à la clôture du Zohar il n'en
fut rien. Mais la <* Kabbale pratique » s'en souviendra.
276 NACUMAIflDE
Nachmanide s'occupe ensaile de la destinée de
]*homme après la mort. Les hommes se divisent en trois
catégories : les justes parfaits, les méchants, et ceux qui
sont entre les deux, c'est-à-dire ceux chez qui le bien et
le mal se font équilibre. Chose curieuse, Nachmanide
loge ces derniers dans une espèce de purgatoire d'où,
après qu'ils ont gémi et aspiré vers le mieux^ ils sont
enlevés au séjour des bienheureux.
Pour les méchants, leur Ame est enfermée dans l'en-
fer. Mais comment cela est-il possible, puisque Tâme ne
peut être limitée à un lieu? Certes, répond Nachmanide,
il n'y a pas à proprement parler d'emplacement pour
Tâme, mais en tous cas, l'âme est attachée à l'enfer
comme sur la terre elle est attachée au corps, car on ne
peut pas dire non plus que l'âme ait dans le corps son
siège précis, c'est une essence subtile, éthéréc, associée
au corps comme la flamme à la mèche, répandue dans
tout le corps et cependant une et simple. Et en quoi
consiste pour les méchants, ce grand châtiment qu'on
appelle l'anéantissement? Il consiste à ce que leur âme
s'assimile à celle des animaux. L'âme des animaux,
quand ils sont morts, retourne à son élément qui est
Tair, mais il n'y a pas anéantissement, annihilation ab-
solue. De même et à plus forte raison, l'âme humaine
qui est d'essence supérieure ne peut périr entièrement,
mais elle perd sa supériorité, elle s'attache à la sphère
ignée et descend le fleuve de feu qui prend sa source au
trône divin et coulo jusqu'à l'enfer. Emportée par ce
courant, elle retourne à l'élément feu. C'est là le sens
mystique de la combustion dans l'enfer. Elle souffre de
ne pas revenir à son essence supérieure comme « un fruit
qui se détache de l'arbre souffre d'être foulé au pied >>.
Les justes, au contraire, sont clarifiés et transfigurés,
mais ce n'est qu'à l'époque messianique que commen-
NACIIMAMDK 211
cera pour eux la félicité future dans sa sérénité immua-
ble. Entre le moment de la mort et cette époque l'âme
évolue . Nachmanide admet la métempsycose pour
toutes les âmes, mais il limite les pérégrinations au
nombre trois. C'est au terme de ces évolutions que Tàme
est définitivement jugée et qu'il lui est fait selon ses
œuvres. (Cf. Comment, sur Genèse j 38, 8; Ex., !I0, 5;
Deutéronome, 2S, 5; Eccles., I, 7 et Jo6, 33, 29.) C'est
de ce dernier verset : « Ces choses, Dieu les pratique
parfois trois fois avec Thomme », qu'il déduit précisé-
ment le nombre des pérégrinations et le Zohar (III, 216 a^
280 b, Suppl. pass.) en fera de même. Il commente
longuement le mot du Talmud : « Dans l'autre monde,
il n'y aura ni manger ni boire, mais les justes y seront
assis, y siégeront une couronne sur la tète et ils joui-
ront ainsi de l'éclat divin. » C'est-à-dire les justes seront
assis pour indiquer la paix, l'affranchissement assuré
de toutes les misères du corps; ils jouiront de Dieu,
c'est-à-dire que l'âme sera unie à Dieu en ayant de lui
une connaissance adéquate à son essence; ils trouveront
dans colle perception la félicité; elle comblera toute la
plénitude de leurs désirs.
Dieu en créant toute chose a fait que les choses su-
périeures conduisent les choses inférieures et il a mis la
force de la terre et de tout ce qu'elle porte dans les as-
tres selon les lois que fixe l'astrologie. Aux astres il a
proposé comme guide les anges qui en sont les âmes et
1 ours combinaisons supérieures ont une répercussion
s ur les peuples et les hommes. Il y a aussi des lois cer-
ta ines qui permettent de lire l'avenir dans les entrailles
des oiseaux, dans leur voix, dans leur vol. C'est ce que
#
r Ecriture entend dire quand elle rapporte du roi Salo-
m on qu'il savait parler sur les oiseaux.
N achmanide traite aussi de la nécromaucie, de la ma-
278 NACHMANIDE
gie {Ex. y 20, 2; Deut, 18, 9). L'évocation des démons
ou des mauvais esprits est, d'après lui, un art qui a be-
soin d'être étudié longuement. Il parle d'entretiens qu'il
a eus avec certains maîtres de Tart de la conjuration et
il mentionne des traités relatifs aux rapports avec les
mauvais esprits et à la manière d'en faire ses instruments
{Genèse, 4, 22; Derescha^ p. 8 et H).
On voit que l'activité mystique de Nachmanide s'est
étendue sur la plupart des questions agitées alors par
la Kabbale théorique. Nachmanide a cela de particulier
parmi les disciples de l'école métaphysique qu'il incline
déjà la spéculation vers des fins théurgiques, parce qu'à
ses yeux le mysticisme, loin de se cantonner dans la re-
cherche pure^ doit conduire bien vite à la conquête et à
l'asservissement des forces cosmiques. Après le Zohar,
lorsque la folie de cette théurgie troublera la raison,
Nachmanide sera un de ceux vers lesquels les esprits
égarés se tourneront avec le plus de complaisance.
XII
Eléasar de Worms. — L'école allemande.
Dans Técole d'Isaac l'Aveugle il y a encore des lueurs
très vives de spéculation philosophique. Quoique ces
lueurs y soient trop souvent obscurcies par des nuées
d'extravagances et une application fantaisiste des doc-
trines non-juives aux textes juifs, on sent cependant
que la philosophie a passé par là«
Il n'en est plus ainsi dans ce que nous sommes con-
venus d'appeler Técole allemande, école qui a très pro-
bablement dans R. Jehudah Chasid (le Pieux) de Ratis-
bonne, son fondateur (1), el, en tout cas, dans son
disciple R. Eléasar de Worms, son grand représentant.
C'est sa doctrine qui nous servira à caractériser la doc-
trine de l'école.
Au début Eléasar do Worms semble faire faire à la
Kabbale un pas en avant. Dans son « Commentaire du
1. Des traditions légondaircs font remonter Torigine de l'i^cole
jusqu*en Rabylonic. Ainsi, H. Schem Job dit dans ses Emmunot
(39 h) ([u'à la nouvelle de l'arrivée d'un grand kabbalislo babylo-
nien, du nom de R. Kcschischa, en Apulie, H. Jehudah le Pieux
serait accouru do Hali<bonne à Corbeil» de Gorbeil en Ai)ulie, pour
être initié à renseignement sacré. U. Eléasar de Worms cite d'au-
tres initiateurs comme R. Samuel Ilachasid, R. Kléasar de Spire,
R. Kalonymos, lequel en 787 aurait été transplanté de la Lom-
bardie à Mayencc par Charlemagne lui-même (v. Luzzato, Il GiM-
daismo illustratoy I, ôO sqq.).
19
280 ELÉASAR DE WORMS. — L*ÉCOLE ALLEMANDE
principe d'unité et de foi (iQNm iw%n no «ni^s), il
marque, en effet, une vive sympathie pour la doctrine de
Saadyah et Ton peut espérer après cette œuvre et après
la préface de son grand ouvrage intitulé Rokeach (npi)
qu'il va faire la guerre au grossier et parfois grotesque
matérialisme du mysticisme gaonique. La violence avec
laquelle il repousse toutes les conceptions d'un Dieu
corporel fait penser qu'il va chasser du Panthéon mys-
tique toutes les idoles matérielles qui en encombrent le
sauctuaire. Mais ce spiritualisme ne demeure pas logi-
que avec lui-même. Au philosophe rationaliste, disciple
de Saadyah, succède bien vite un Eléasar mystique re-
prenant d'une main ce qu'il avait abandonné de l*autre
et rendant un hommage complet au matérialisme de
VAggada et du Schiur Koma. Et nous voyons réappa-
raître les Hechaloth (Palais) avec leurs fausses splen-
deurs et avec eux tout le tissu angélologique des Gaonim,
avec des milliers de noms nouveaux et un renchéris-
sement de fantaisies. Mais ce n'est pas encore la caracté-
ristique d'Eléasar et nous n'insisterons pas sur ce côté
de ses idées.
Ne voulant ou ne pouvant pas faire de la mystique
métaphysique un objet en soi, il transporte la solution
de tous les problèmes du domaine de la spéculation dans
celui de l'arithmétique — et quelle arithmétique! Sur
la base des procédés que nous avons rencontrés dans le
Talmud, à savoir le Notarikon, la Guématria, le Ziruf,
il se livre à des procédés nouveaux, combinaisons sans
limite et sans frein, évaluations arbitraires, permutations
fantaisistes, et il ouvre ainsi largement la porte à toutes
les niaiseries et à toutes les folies. Prenons, par exem-
ple, le nom de Yhvh. Il en prend tout d'abord la pre-
mière partie y//(n^) dont l'évaluation numérique est 13.
Puis il déclare que tous les mots ou syllabes bibliques
ELÉASAR DE WORMS. — L ÉCOLE ALLEMANDE 281
ayant la même valeur peuvent se substituer l'un à
Tautre; non seulement 15, mais tous les muliples de 15
ont une valeur sacrée; mais leur sainteté diminue à
mesure qu'ils s'éloignent du nombre primordial, leur
base sacro-sainte. — Yh étant, en raccourci, le nom de
Dieu, tous les noms et syllabes représentés par 15 et les
multiples de 15 sont dans une certaine mesure comme
des ramifications du nom divin et un prolongement de
Dieu lui-même. Dieu peut ainsi, avec un peu de bonne
volonté, être équivalent à tout et tout à Dieu. Ëléasar ne
le dit pas, mais il le pense peut-être. « Dans Tordre mys-
tique, déclare-t-il, les lois relatives aux nombres tom-
bent, il n y a plus là ni un, ni multiple, mais le un et le
multiple se confondent. » On sent ce à quoi une telle
doctrine peut conduire et ce qu*un esprit comme Spi-
noza pourra en tirer.
Ce n'est pas que Eléasar de Worms soit très préoccupé
des problèmes métaphysiques; au contraire, il ignore
même ou veut ignorer les spéculations de Técole d'Isaac
TAveugle; il ne prononce pas une seule fois le mot En-
Sof, ni celui de Sefiroth au sens qulsaac l'Aveugle et ses
disciples lui donnent, mais il procède directement d*lbn
Ezra ot il pousse la forme mathématique du mysticisme
dlbn Ezra jusqu'à sa dernière limite, afin de pouvoir y
faire entrer tout ce que lui inspire le mysticisme des
Gaonim et particulièrement la Kabbale pratique ou ap-
pliquée dont il a été le plus fécond promoteur. Il nous
faut ici jeter un coup d'œil sur l'œuvre d'Eléasar de
Worms qui a déterminé à travers Abulaiia et à travers
le Zohar la bifurcation de la Kabbale théorique vers la
Kabbale pratique; nous voulons parler An Se fer Raziel,
Le Se fer Raziel se dit avoir été communiqué par Tange
Raziel (Mystère-Dieu) à Noé au moment de son entrée
dans Tarche. Il est écrit, sur une pierre de saphir; « en
282
ËLÉASAR DE WORMS. — l'ÉGOLE ALLEMANDE
lui sont les grands mystères^ les mystères des degrés
supérieurs, des astres^ de la révolution, de la fonction
et des mœurs de tous les corps célestes; par la science
qu'il donne on peut obtenir tous les secrets des choses,
la mort et la vie, Tart de guérir et d*interpréter les
songes, l'art do faire la guerre et d'apporter la paix. »
Cela posé, le Sefer Raziel se présente comme l'ouvrage
ayant fourni à la Kabbale appliquée et en général à la
superstition juive son arsenal le plus riche en amulettes,
talismans, formules propitiatrices, formules curatives,
placets, mixtures magiques, philtre d'amour et de haine.
Aujourd'hui encore l'écho de ces superstitions, comme
celui du nom d'Eléasar de Worms n'est pas éteint. Il
faut entrer dans quelques détails.
Les talismans les plus simples ont la forme de deux
triangles entrecroisés, portant dans les angles et au
centre les lettres du tétragramme enveloppant Tun ou
l'autre des noms divins qui se rencontrent dans la Bible.
ELÉASAR DK WORMS. — L'ÉCOLE ALLEMANDE 283
C'est le talisman {yii2p, camée) ordinaire commun,
propre à toutes les circonstances de la vie, mais dont
Tefficacité est assez médiocre, en raison même de sa
généralité.
Nous avons ensuite une forme plus compliquée, qui
n*est plus adaptable à tous les cas, mais qui a cependant
un caractère assez général. Elle est destinée à chasser le
mauvais esprit des corps possédés, à éteindre les incen-
dies, à guérir les maladies, à frapper par envoûtement la
figurine de cire représentant Tennemi ; elle implique pour
être efficace une grande pureté extérieure ou intérieure,
autrement elle se retourne contre celui-là même qui la
porte . E I le est formée par une série de triangles aigus, dans
lesquels viennent prendre place des mots allant en dimi-
nuant jusqu'à n'avoir plus qu'une lettre (v. p. 284).
Ce talisman peut aussi servir de philtre. Il suffit pour
cela d'inscrire sur un vase d*airain ayant la forme indi-
quée le nom de labien-aimée rebelle, mais les caractères
doivent être tracés non avec de Tencre, mais avec la
sueur du front de l'amoureux.
Pour faire renaître l'amour entre mari et femme, il
y a un talisman spécial. Il doit être gravé à l'eau de rose
avec un burin d'airain sur une écorce, une peau de bête,
ou même la chair des intéressés. Il lie complètement
la personne qui en est atteinte et Tasservit entièrement
à la volonté de celui qui en use (voir le dessin,
p. 285).
Ces derniers signes ne sont évidemment qu'un mé-
lange arbitraire de caractère hébreux, grecs et autres
déformés et de figures géométriques quelconques.
Le talisman représenté par la figure suivante doit
rendre celui qui le porte maître de l'espace et lui donner
la rapidité de Toiseau. Mais il ne peut servir que pour
rentrer du lointain chez soi et non pour aller de chez
284
ELÉASAR DE 'WORMS. — L'ÉCOLE ALLEMANDE
^/^
S"
soi au loin. Il peut aussi
servir à ramener de force un
esclave fugitif (1) [nv H^anS
nintrr) (v. p. 286).
On distingue au centre les
lettres lia = 15 = ,t FA,
abrégé de Ykvheien face de
la figure la formule clas-
sique rrnN n^ pon (Protection
de Yh Yhyh).
Ce talisman légèrement
transformé peut servira ma-
nier le feu sans danger et
sans crainte de propager un
incendie ; il peut aussi étouf-
fer un incendie naissant.
La figure suivante repré-
sente le camée destiné à la
réussite des opérations com-
merciales. Il doit être gravé
sur une écorce d'arbre et être
suspendu au flanc gauche.
Ainsi armé, ie commerçant
en voyage aura chance de
mener ses affaires à bonne
fin (v. p. 287).
Voici maintenant le talis-
man protecteur des femmes
en couches et des nouveau-
nés; il les garantit contre
1. Celle donnée qui nous trans-
porte en plein dans les mœurs
romaines est très curieuse.
O 0
\ — u
A
O
O
^ — o V..O
7/^/X/Hl< UX
■>C>1 1-
?
s^ ^ J-^ «► *-V-«^
86 ELÉASAR DI TORUS. — L'ÉCOLE AUEHANDE
B mauvais œil, contre la magie, contre l'envoûtement
et particulièrement
contre les mauvais gé-
nies qui assiègent
l'enfant naissant et le
démon de la fièvre qui
attaque la mère. La
mère et l'enfant sont
mis sous ia sauvegarde
d'Adam et Eve (c'est
la formule qui revient
sans cesse); les noms
des anges invoqués
sont des dérivatifs de
noms persans comme
le fond des supersli-
lionset leur forme sont
d'origine persane. On
y trouve aussi des imi-
tations de cris d'oi-
seau; ainsi les mots
sanovi, satisanovvi re-
présentant les oiseaux
chimériques figurés au
centre de notre dessin.
Ces cris cl ces figurés
sont destinés àcEFrayer
les mauvais esprits ou
symbolisent eux-mê-
mes les mauvais es-
prits que l'on conjure
ainsi.
Ce talisman est fixé au lit de la mère.
Au nom de...
ELÉASAR DE WORMS.
L ECOLE ALLEMANDE
287
Michaël, Gabriel, Raphaël, elc... {suil une série assez
longue de noms (fanges (v. p. 288).
Je le conjure au nom d'Eliyh (Jhvh),au nom d'Eve.
Je te conjure, toi (génie mauvais) et tes armées et tes
serviteurs de ne pas atteindre la femme telle, fille de telle,
en couches, ni Tenfant qui lui est né ni de jour, ni de nuit,
ni en mangeant, ni en buvant, ni à la tète, ni au cœur,
ni à ses 248 membres, ni à ses 365 muscles.
On aide la mémoire et on guérit la mémoire malade
on mangeant un gâteau de froment sur lequel on inscrit
d'un côté les noms Arimas, Ahrimas, Armimas (proba-
blement des déformations du nom OrmuzJ), de l'autre
Assicl (guérîson-Dieu), Ansiel (contrainte-Dieu), etc. —
Il y a des formules pour se donner la science infuse, pour
chasser un homme de son foyer, pour ramoner la vo-
laille en fuite, pour retrouver les objets perdus, pour
faire remonter un bijou du fond de l'eau, pour découvrir
les fruits et les sources. Il y a tout un système de for-
ELÉASAR DK WORMS. — l'i'XOLE ALLEMANDE 280
nmlcs destinées à ragriculture. L'auteur est ainsi amené
à s'occuper des solstices, de la météorologie, des signes
du zodiaque, de la cosmographie en général. Il fixe les
formules qui doivent accompagner les semailles, la plan-
tation des arbres, les soins à donner à Tolivier, l'élève
du bétail (ne dirait-on pas que cette division s'inspire de
celles des Géorgiques de Virgile). II reprend et fait servir
à ses desseins toute la cosmographie fantaisiste du
passé, notamment celle du Livre d'Hénoch. Il esquisse
une physique fondée à la fois sur le Sefer Yezirah et sur
la doctrine des quatre éléments d'Aristote. Un point
mérite attention. En résumant les deux premiers chapi-
tres du Sefer Yezirah, il insiste particulièrement sur le
vent ou l'air. Partant comme les naturalistes grecs du
phénomène de la vie, qui ne peut se passer d'air, il con-
clut à l'air comme principe primordial. C'est Tair qui fait
croître les êtres organisés. L^atmosphère est vide, creuse,
afin que l'air puisse y pénétrer. Sans le vide il n'y a pas
de création possible, parce qu'il n'y a pas de place pour
Pair. L'émission de la voix (de la voyelle fondamentale
a m) ne peut se faire sans air. L'air est ainsi le principe
de tout. Le feu, Teau, la terre ne sont que des principes
secondaires issus de Tair.De la parole créatrice de Dieu
qui fut une aspiration d'air humide et chaud, Thumidité
s est détachée en premier et a constitué l'eau, une seconde
séparation a constitué le feu, enfin Tair qui restait s'é-
paississant, se condensant, a constitué la poussière ou
terre. L'air, principe de tout, a son siège sous le trône
divin, qui pour cette raison est creusé par en dessous.
L'emploi le plus noble de l'air est l'homme, car la vie
humaine est surtout faite d'air et de sang, avec une pré-
dominance de l'air. Si, en effet, on lui brise un membre
et si on fait couler le sang, il ne meurt pas ; si on le sai-
sit par la gorge de manière à empêcher l'air de passer, il
290 ELÉASAR DE WORMS. — L*KCOLE ALLEMANDE
m
meurt. Le sang n'est aulre chose que de Tair condensé.
L'âme est de l'air raréfié.
Nous retrouvons ici un écho de la doctrine d'Anaxi-
mènes de Milet avec une application arbitraire de sa théo-
rie de la condensation et de la raréfaction.
Nous ne voyons pas d'intérêt à suivre Ëléasar de
Worms dans le détail de ses opérations arithmétiques,
de ses combinaisons angélologiques, de ses formules. Ce
que nous avons dit suffit pour montrer la part qui lui
revient dans le développement du mysticisme juif. Ra-
menant ce mysticisme à quelque chose de très inférieur,
Tcntlant de superstitions et de théories erronées, il l'en-
gagea dans une voie contraire, à la spéculation et à la
science, et il prépara comme aucun autre les folies de la
Kabbale pratique.
Parmi les disciples d'Lléasar de Worms nous ne par-
lerons que de Menaqhem^ notamment de son ouvrage
intitulé « Couronne du Nom suprême » (avû dut "^ns). Cet
ouvrage est sous l'influence directe du maître et en
partie du « Livre du Nom » d'Aben-Ezra. Il s'occupe
surtout du létragramme et des 10 Sefiroth et il relie
celles-ci à celui là. Il définit tout d'abord Dieu « le com-
mencement des commencements et la fin des fins, anté-
rieur à tout antérieur, sans changement et sans acci-
dent ». — « Ceux, poursuit-il, qui cherchent à fixor sa
mesure sont des impies; il ne faut pas raisonner ces
choses; elles n'appartiennent qu'aux cœurs "simples, aux
méditateurs du saint tétragramme. Ce tétragramme
doit être surtout considéré dans la forme. matérielle des
lettres n, \ n, ^ qui le constituent. Le Premier des pre-
miers a choisi ces quatre lettres, parce qu'elles se distin-
guent de toutes les autres par un caractère particulier.
Le f/od (^) est semblable au pojnt mathématique dont se
développent l'étendue, la longueur, la largeur, par con-
ELKASAR DE WORMS. — L'ÉCOLE ALLEMANDE 291
séquenl les corps; il représente ainsi l'unité de la spiri-
tualité de Dieu et la subtilité de la pensée qui conçoit
Dieu. Dans la série de Talphabet yod occupe le centre.
Il est donc le centre du Verbe. En y joignant les trois
lettres suivantes 3, S, D, nous avons le mot ibr: (roi), lequel
est donc précédé et suivi de 9 lettres et c'est tout l'alpha-
bet. Le sens de ces mystères est que yody ou Yhvh^ est
roi et porte Tunivers supérieur et inférieur et aussi que
la dernière Sefirah ou Royauté qui représente le monde
inférieur est liée au divin comme le yod est lié à "ba. —
Numériquement yod équivaut à 10, symbole du nombre
constitué par les sept sphères, plus les deux éléments, plus
Tun. Quoique chacun des quatre éléments ait un fonde-
ment et principe en soi, ils n'ont été à l'origine que deux,
formés chacun par un couple de deux. Ainsi, dans la
réalité, deux éléments sont presque toujours mariés Tun
à Tautre, Tair chaud est à la fois du feu et de Tair, la
terre et l'eau s'unissent pour faire le limon. On voit dans
quelle mesure cet auteur a connaissance de la physique
d'Aristote. Le philosophe grec apparaît encore lorsque
Minachem appelle la « Couronne » ou la première Sefirah
la « la Cause des causes 0 (mbyn nSsr) faisant passer les
choses de la puissance à l'acte avant le temps, car le
temps a commencé en môme temps que s'est fait ce pas-
sager du possible au réel. Celte Cause des causes est
identique avec l'Intellect actif (Sysn Ssc;) et son action
sur la Sefirah suivante se produit par voie d'émanation
(v^e^'g). Cet Intellect actif, il le définit ainsi : « Une
substance intérieure, première création de Dieu, force
émanée de la Volonté, simple, claire et pure, substance
éternelle à laquelle on ne peut rien ajouter et dont on ne
peut rien retrancher, faisant passer tout l'être en puis-
sance à Tacte, et inaccessible aux sens (i). La lettre yod
1. Tnzvûvrs ysnnp bxNn hd ... N^nn •n-.-^s nSnn -«rjE cïy
292 ELLASAR DE WORHS. — l'ÉCOLE ALLEMANDE
représente aussi les 10 Seiirolh, qui, à leur tour, ont
leur image dans le corps humain de la manière sui-
vante : La Couronne est le cerveau, la Sagesse et lln-
ielligence sont les yeux, la Grâce et la Force sont les
bras reconciliés dans la Beauté ou le cœur, le reste
constitue les muscles et les jambes. Puis les Sefiroth
sont encore mises en rapport — au moyen d'équations
numériques — avec les patriarches, avec les bêles de la
vision d*Ezéchiel, avec les métaux précieux^ avec les
fleuves de FEden, et tout cela est ensuite farci de versets
bibliques, de maximes morales, de symbolisme, d'homi-
létique, d'allusions aux cérémonies cultuelles.
Après le yod vient le hé (n). L'auteur déclare le ht
graphiquement semblable à la pensée résidant au fond
de l'esprit; phonétiquement, il s'exprime dans un souffle
et numériquement il équivaut à 5, c^est-à-dire à la
moitié de 10 et ce nombre 5 symbolise les quatre hu-
meurs plus Tùme.
Le vav (:) a la forme d*un corps et il s*émincit en
descendant comme le corps^ pour marquer qu'il est la
dernière des manifestations directes de Dieu.
Ainsi donc, les trois lettres y, A, w^ représentent la
Pensée ou Esprit-Saint, le souffle ou la force vitale et le
corporel. La quatrième lettre, qui est encore un //<?, est
là pour permettre la formation des trois temps du verbe
"\"i, iT.n, rpri% et aussi pour exprimer, par sa double pré-
sence, la double présence de Dieu au commencement et
à la Fin, en haut et en bas. Si on élève chaque lettre du
tétragramme au carré, ou obtientau total le nombre 186,
qui correspond numériquement à Krzn Sy (sur le trône),
àSy.s (actif) et à 2*:£*n (roues). Du tétragramme sort le
mK^y^n Sz K^ï":)r yicrw nED*n Tm^c? «'"^ ic« ^ny: izt ^<•!^•: -t
ELÉASAR DE WORMS. — l'ÉGOLE ALLEMANDE 293
nom sacré de 12 lettres et de 72 lettres de la manière
suivante : L'univers est un cercle divisible en 12 angles,
dont chacun a 6 dimensions (12 X 6 z: 72).
On voit que le disciple d'Éléasar et le second représen-
tant de Técole allemande tend à faire une première syn-
thèse entre les données de cette école et la métaphysique
de Técole spéculative et naturellement il la fait au dét ri -
ment de cette dernière.
Il ne faut pas oublier que les adeptes de Fécole alle-
mande propagèrent la forme de leur mysticisme jusqu'en
Espagne. Salomonb. Adret parle dans ses Respp. (n^ 5i8)
d'un disciple d*Eléasar de Worms appelé Abraham de
Cologne (d'ailleurs honorablement connu dans son école).
Cet Abraham de Cologne serait venu en Espagne, y au-
rait enseigné et môme aurait exposé sa doctrine devant
le roi de Castille Alphonse X.
XIll
Abulafiâ
' ' Nous arrivons ainsi à celui qui essaya de fondre les
deux écoles en un tout pour les mettre au service de la
contemplation pure, c'est-à-dire au service d'une forme
un peu plus extravagante de la Mercabah des Gaonim;
nous voulons parler d'Abulafia.
Pour bien comprendre les idées d' Abulafiâ il faut jeter
un coup d'œil sur sa vie. Abraham b. Samuel Abulafiâ
naquit à Saragosse (Tudële ?) en 1 240 . Jusq u'à sa trentième
année il étudia la Bible, le Talmud, la médecine, la phi-
losophie, notamment les œuvres de Saadyah et de Mai-
monide. Il fut un lecteur assidu d'Aben Ezra. Quant à
ses études mystiques il dit lui-même dans sa lettre à R.
Jehuda Salmon que nous rencontrerons tout à Theure et
dans son commentaire mystique de Maïmonide qu'il
avait été initié à la doctrine de l'école de Nachmanide.
<c C'est là, dit-il, que Ton m'enseigna les voies par les-
quelles se révèlent les intentions véritables, les mys-
tères de la loi, et ces voies sont au nombre de trois le
Notarikon (acrologie), la Guémalria (évaluation numé-
rique), le Ziruf (permutation). » Dans une autre lettre il
dit avoir médité douze commentaires différents du Sefer
Yezirah. Mais il ne se contentapas de poursuivre un but
spéculatif; il s'imagina bientôt avoir atteint, par la mé-
ditation des lettres et des nombres, l'inspiration prophé-
ABULAFIA 295
tique et être lui-même le Messie attendu par l'humanité.
Fort de l'esprit divin qui l'animait, il quitta sa patrie
pour aller à la conquête de sa destinée.
On sait que Senacherib, roi d'Assyrie, n'avait trans-
porté dans son royaume que les 10 tribus constituant le
royaume d'Israël proprement dit (722-721 av. J.-C).
Or, dès Tépoque talmudique une légende s'était formée
qui présentait les 10 tribus comme ne s'étant jamais as-
similées à la population assyrienne, mais comme ayant
gardé toute leur force de cohésion et vivant à part der-
rière un certain fleuve Sambation. Ce fleuve, disait-on,
charriait pendant les six jours de la semaine des pierres
de grêle et do feu, et mettait ainsi les tribus à l'abri de
toute agression. Seul, le septième jour il demeurait en
repos (de là son nom Samhalion^ Sabbatton, Sabbat).
Abulafla partit donc à la recherche de ces tribus. La
légende ajoutait en effet que le Messie serait chargé de
ramener les 10 tribus en Palestine et de refaire Tunion
entre Israël et Juda.
Mais les troubles des Mongols en Syrie refroidirent
bien vile les ardeurs du jeune Messie. Il revint sur ses
pas et nous le trouvons en Italie, à Turin en 1279, à
Capoue en 1280. L'année suivante, 1281, il se rendit à
Rome en vue de convertir aujudaïsnie le pape Martin IV.
Le pape se trouvait en ce moment à Suriano, à une jour-
née environ de Rome. Il eut vent des intentions d'Abu-
laPia et donna aussitôt ordre de ne pas laisser approcher
ce fou, mais de le faire périr sur un bûcher en dehors
même de la ville. Subitement le pape mourut (voir Grâtz,
Monatschrift /. Gesch, ?/. Wissensch. des JudeiUhums^
Jahrg. XXXVI, 1887, p. 558). Abulafia échappa à la
mort : après avoir été retenu quelque temps prisonnier à
Rome, il fut relâché. De là il se rendit en Sicile où il se
présenta comme le grand prophète, le grand Messie.
20
296 ABULAFIA
G*est ici qu'il fut attaqué par la plus haute autorité rab-
binique du temps, R. Salomon b. Adreth. Un peu plus
tard nous le trouvons fixé à Capoue où il parait avoir
fondé une école visitée par de nombreux disciples.
La vie d'Âbulafia, quoique connue seulement dans ses
traits généraux, marque la tendance de son esprit vers
une forme de mysticisme dépassant la Eabbala elle-
même. Nous avons de lui sur ce point des lettres très
précises et significatives. R. Salomon b. Adreth, consulté
par les Juifs d'Italie sur les agissements du prophète-
messie, avait écrit à un certain Acbitob de Palerme une
lettre dans laquelle il avait vigoureusement attaqué Abu-
lafia et lui avait reproché de ne rien comprendre aux
éléments essentiels de la Kabbale, ni à la doctrine des
Sefirothy ni à celle de Témanation et de présenter une
doctrine nouvelle, étrange, relative aux lettres et aux
nombres en vue de conduire à Tesprit prophétique. Nous
ne possédons pas la lettre de Salomon b. Adreth, mais
la réplique indirecte que lui fit Abulafia en s*adressant à
un certain R. Jehuda Salmon. Abulafia distingue tout
d'abord quatre sources de connaissance : 1** les cinq sens ;
2^ les idées ou les iO nombres abstraits; 3^ le consente-
ment universel; 4» la tradition. Sans s'arrêter aux deux
premières qui sont connues, ni à la troisième qui n'a pas
en soi une très grande force de véracité, il passe à la qua-
trième : la tradition (Kabbalah). Mais ce n'est pas de la
tradition en général qu'il veut s'occuper, mais seulement
de cette Kabbale spéciale aux kabbalistes, ignorée du
commun des rabbins, lesquels sont livrés tout entiers au
Talmud. Or, cette Kabbale comprend deux domaines :
l'un, concernant la connaissance de Dieu par le moyen
des 10 Sefiroth, et Tautre concernant la connaissance de
Dieu par le moyen des 22 lettres qui composent les noms
et lessignes et qui conduisent àTinspiration prophétique.
ABILAKIA 297
La première de ces deux formes kabbalisliques est
encore apparentée à la philosophie qui cherche à étudier
Dieu dans ses œuvres. Le divin est en quelque sorte un
flambeau placé en dehors de l'esprit philosophique et
qui l'éclaire. Les adeptes de cette Kabbala ont le tort de
donner aux Sefiroth des noms distincts, par exemple ils
appellent la première Couronne, parce qu'elle est au
sommet do toutes les autres et ainsi de suite jusqu'à la
dixième, en présentant toujours l'une comme la cause de
l'autre. Chez quelques-uns d'entre eux il y a une telle
confusion avec le christianisme que certains kabbalistes
ont senti le besoin de resserrer l'unité de Dieu. Eux, ces
kabbalistes christianisants^ ont seulement remplacé la
Trinité par la décade, et de même que les chrétiens
disent : Il est Un et trois font Un, ainsi certains kabbalis-
tes disent que la Déité est constituée par 10 Seliroth et
ces 10 ne forment qu'Un (1) (cf, Respp. Ribasch, n*57)(2).
Il faut remarquer ici que dans cette conception la Sefirah
supérieure ou Couronne s'identifie avec le En-Sof, ques«
tion qui soulèvera de graves discussions dans la Kabbale
post-zoharitir{nc(v. Pardcs Rimmouin, 3*ch. : Le Ku-Sof
est-il identique à la Couronne?). D'après Abulalia, le En-
Sof, la cause première, n'est pas une Sofirah, mais elle
est adéquate à Celui qui nombre les nombres, l'auteur
des Seliroth, elle est l'espace, le lieu dans lequel sont
placées les Sefiroth.
Dans son Imre Schefer il pousse encore plus vigou-
1 . ninzSr Durn "TnvS '•zen nr^scn nSzpn ^Srnc; "m^N -j^^eS
nr-j-^cyn ^:^cï^^ D^Si^p^m ciScn ^:inN*2 c^-'i'ijn ic'n
298 ABULAFIA
reusement la critique des Sefiroih. Les adeptes de cette
doctrine, dit-il, ignorent eux-mêmes à quoi s'applique
ce nom de Seiiroth, si c^est à des corps réels ou à des ac-
cidents, S) c'est à des matières sans forme ou a des formes
sans matière, à des âmes séparées du corps ou a des es-
prits appelés intellects purs; mais ils se contentent de
dire que ce sont des choses émanées de Dieu, qui ne sont
pas sans lui, ni lui sans elles^ maintenant du moins.
Avant la création elles étaient en lui par leur type, en
puissance, et lorsqu'il a voulu créer le monde, il les
a fait passer de la puissance à l'acte. Aussi appellent-
ils Tune d'entre elles volonté. De la sorte ils ne peu-
vent considérer cette volonté ni comme créée ni comme
éternelle. Il en est de même pour la « pensée » qu'ils
appellent Couronne supérieure et qui constitue^ à leurs
yeux, la première Sefirah.
Outre l'intérêt de ces lignes au point de vue de la na-
ture véritable des Seliroth, remarquons aussi que nous y
rencontrons un essai de conciliation entre la Volonté
d'Ibn Gabirol et les Sefiroth. Déjà Jacob b. Schechet l'avait
tentée auparavant en introduisant dans son ouvrage in-
titulé Portes du ciel la volonté comme une première Se-
firah. Pour Abulafia, sans ètreuneSefirahparelle-môme,
elle est la médiatrice entre Dieu et les Seliroth en géné-
ral et, par conséquent, si nous considérons Tensemble
des Sefiroth comme l'ensomblc de la création, elle est
comme pour Ibn Gabirol la médiatrice entre la cause
première et l'effet.
Après avoir rejeté la forme kabbalislique considérée
jusque-là comme le dernier terme du mysticisme, Abu-
lafia en arrive à la forme qu'il préconise, celle qui prend
pour moyen les combinaisons de lettres et de noms. Ce
mysticisme est, d'après lui, le mysticisme véritable, la fin
dernière de l'homme. Chez celui-là seul qui Ta atteint,
ABULAFIA 299
Tesprit passe de la puissance à Tacle ; à lui seul se révèle
le mystère de la nature divine. Quand il est arrivé au
sommet de cette doctrine il cesse d'être un simple kabba-
liste pour devenir un prophète. Ce n'est plus alors par
une lumière qu'il Téclaire du dehors qu'il connaît Dieu,
mais son esprit le quitte, s'unit à Dieu et ne fait plus
qu'un avec lui. Et voici comment s*opère cette union :
les dix Sefiroth se concentrent dans sa méditation pour
entrer toutes ensemble dans la plus haute qui est la Pen-
sée ou la Couronne ou l'Air primordial» qui est comme la
racine de toutes les autres et qui repose elle-même dans
le En-Sof. C'est de la même manière que tous les nom-
bres se ramènent à l'un, et que les racines et les branches
jetées au feu se transforment en leur élément primordial :
la terre. Ces Sefiroth répondent à l'être humain tout en-
tier et de même que la tête, les deux bras^les deux reins,
les parties sexuelles, la force vitale, le cœur^ le cerveau
(ce qui fait dix éléments) s'unissent en une' unité supé-
rieure et ne font plus qu'un dans l'intellectuel actif, ainsi
l'esprit ramassant en lui toutes les Sefiroth s'unit à ce
même intellect. Sous un autre aspect les Sefiroth peuvent
être considérées comme une trinité supérieure corres-
pondant aux trpis premières lettres de l'alphabet (ici
Abulafia se réclame personnellement de R. Jehuda de Ro-
thenburg et de R. Eléasar de Worms) représentant aussi
les trois principes de la vie humaine : le principe vital
proprement dit (cœur), le principe végétatif (force), le
principe rationnel (cerveau).
C'est donc en définitive par les lettres et les nombres
auxquels tout correspond, et les Sefiroth et les éléments
constitutifs de l^homme, que cet homme peut ramasser
toutes les forces en un point, faire de tout son être de
l'intellect actif, c'est-à-dire une substance assimi-
lable à Dieu. C'est donc, en définitive, par les let-
«
0
300 ABULAFIA
très et les nombres qu*il peut monter jusqu'à Dieu.
Dans une lettre adressée à Abulafia^ un savant du nom
de R. Abraham avait affirmé la supériorité de la philo-
sophie sur la Kabbale et avait ridiculisé tous ces procé-
dés mystiques^ toutes ces formules relatives à Taccont^
aux pauses, à rémission de voix avec lesquels il faut»
selon la Kabbale, prononcer les noms divins, Abulafia
réplique de la manière suivante :
Tout d'abord il invoque l'exemple d'un contemporain
chrétien, le mystique Bonaventure qui avait distingué
sept degrés de contemplation.il distingue à son tour
sept méthodes d'interprétation de rÉcriture. L'Écriture
est comme une matière par rapport à l'esprit, c'est l'es-
prit qui lui donne la forme qu'il veut.
Lui aussi, continue-t-il^ prise beaucoup la philosophie.
Il Ta étudiée avec ardeur, notamment les écrits physiques
et philosophiques d'Aristote traduites en hébreu, le Guide
de Maïmonide, etc. Aristote est certes un chercheur re-
marquable, mais la Kabbale nouvelle, celle qu'il apporte,
qui consiste dans la connaissance du nom divin au moyen
de combinaisons, de permentations des 22 lettres de
l'alphabet, est bien plus haute, plus haute que la philoso-
phie, plushaute même que la Kabbale des Seiiroth . Elle est
la plus haute puissance d'élévation humaine, elle est la
Kabbale prophétique qui conduite l'union de Fintellect
avec Dieu. C'est à celte Kabbale qu'il a voué sa vie,
c'est pour elle qu'il a écrit 26 ouvrages mystiques et
22 écrits prophétiques. De même que les figures de la
logique nous apprennent à conclure, de même l'art des
combinaisons de lettres nous conduit à la découverte de
la vraie notion de Dieu. Arislole a dit aue les mots com-
4
posés de lettres variant chez les dilTérenls peuples ne
sont qu'oeuvres de convention représentant des concep-
tions identiques, de même les lettres se composent, d'une
F^
^w
I
ABULAKIA 301
part, d'encre, espèce de matière plastique indéterminée^
et,d*autre part, d'une forme constituée par les figures.
Or, comme les mots se composent de lettres et que les
choses s^exprimentpardes mots il s'ensuit que les lettre s
représentent tout ce qui est. L'écrit visible à Tœil res-
semble à l'univers inférieur, sensible ; le mot perceptible
à l'oreille ressemble au monde médial, et la pensée in-
terne ressemble au monde supérieur.
Nous avons vu Abulafia pratiquer assidûment Abn
Ëzra, se réclamer d'Ëléasar de Worms et de INachmanide.
Or le point commun de ces mystiques, c'est qu'ils ont
tous accordé une grande attention au mysticisme des
lettres, des nombres et des noms divins. Abulafia est
donc avant tout un adepte de cette forme mystique. C'est
là qu'il prend son point de départ. D*autre part, nous
l'avons vu se livrera Tétude de plus de douze com mcntaires
du Sefer Yezirah, ce qui nous confirme dans l'idée qae
nous nous faisons de sa tendance première. Mais tandis
que le Sefer Yezirah met les lettres et les nombres au
service de la cosmogonie, tandis que les maîtres nom-
més tout à rheure les subordonnent à la Kabbale des
Sefiroth dont ils font l'aboutissant de la spéculation
mystique, Abulafia prétend dépasser cette spéculation
et opérer, sur la base des combinaisons arithmétiques,
l'union de l'àme rationnelle avec Dieu, union dont Ibn
Gabirol et Maïmonide faisaient le fruit et la récompense
de la recherche philosophique. Chez aucun mystique
n'apparaît mieux l'àpreté soi-disant scientifique du mysti-
cisme juif. Rien n'est plus étrange ni plus caractéristique
que cette manière d'enfermer l'esprit, c'est-à-dire ce qu'il
y a de plus plastique, de plus rebelle à toute loi de fixité
dans une égalité mathématique et de faire de l'inspiration
prophétique la solution d'une équation entre les valeurs
numériques fictives de deux mots ou de deux noms
302 ABULAFU
divins. Chiffrer Tunionde Tinlellect humain avec rintel-
lect divin est vraiment le dernier mot de la science mys-
tique. L'inspiration devient ainsi uu problème d'arithmé-
tique — et quelle arithmétique — la résultante d'assi-
milations numériques, fictives, entre tel passage de
rÉcriture et tel autre, choisi arbitrairement, le fruit d'un
jeu de mots entre tel nom de la divinité et son synonyme.
L*auguste science des nombres est traînée à la remorque
des fantaisies les plus puériles. La science où la logique
doit régner en souveraine est embauchée pour être
rhumble servante d'une folle. Nous avons vraiment le
droit de retourner contre Abulafîa et sa Kabbale ce que la
Kabbale naissante avait dit de la Mischnah. C'est la ser-
vante qui gouverne la maîtresse.
On ne se doute pas des extravagances auxquelles il
aboutit et on est effrayé des abîmes d'absurdité dans les-
quels l'esprit humain peut se perdre quand la saine rai-
son a quitté le gouvernail. Ainsi, par exemple, en consi-
dérant que les mots hébreux signifiant la loi, la média-
trice et les lettres saintes ont la même valeur numérique
(1232), il conclut que la loi est la médiatrice entre Dieu
et les lettres^ base de toutes choses. — Puisen prenant dans
le nombre 1232 la série des mille comme des unités, il on
tire la valeur numérique 1 -f- 232 = 233 qui répond à son
tour au mot hébreu signifiant prière, etc. En passant
de nombre à nombre il passa de conception à conception.
Le Notarikon, le Ziruf, la Gucmatria conduisent d'éche-
lon en échelon à travers toutes les formes de contempla-
tion jusqu'aux régions les pins hautes de l'inspiralion
prophétique. *< Heureux, dit-il, dans son Commentaire
sur leGwîWe,ceux qui suivent ma voie; j'apporte avec la
connaissance des nombres et des noms divins l'esprit
saint, la résurrection des morts et le règne messianique. »
Mais quelle plasticité, quelle souplesse de combinai-
ABULAFÎA :^3
sons! Sous le couvert d'une exactitude mathématique
c'est la plus libre fantaisie qui se met en liesse. Ce n'est
pas le nombre qui détermine l'idée, c'est Tidée ou plutôt
le caprice de la pensée qui détermine le nombre (1).
En même temps apparaissent chez AbulaPia les pre-
miers éléments de ce qu'on appellera Tarithmomancie
qui consiste à associer un nombre à chaque élément, à
chaque astre et à fonder sur cette base une astrologie
en quelque sorte mathématique, qui met la puissance
attachée aux astres au pouvoir des combinaisons de
nombres.
Mais la connaissance des noms et la combinaison des
lettres ne suffisent pas pour se mettre en communion
avec le monde des esprits ; il faut encore s'adonner à des
pratiques ascétiques, s'enfermer dans la retraite, mourir
au monde, affranchir son esprit de soins vulgaires, et là,
1. Voici un aperçu des procédés de la Guematria. Il y a diffé-
rentes manières de calculer la valeur numérique d'un mot. Ce
sont : 1° l'addition de la valeur des lettres; 2° en ajoutant celte
valeur au nombre des lettres, ou quand c'est un verset tout en-
tier, au nombre des mots; 3** la décomposition du nombre repré-
senté par les lettres en ses propres leltres suivant les sons qui
renoncent. Ces lettres deviennent alors le point de départ de nou-
veaux calculs; 4^' enjoignant la première leUre k la première et
deuxième réunies, puis à la première, deuxième et troisième
réunies, etc. ; 5<* en faisant le carré de la somme ou la somme
du carré.
On peut aussi diviser en deux la figure d'une lettre et Abulafia
en fait un usage fréquent (v. Bibl. Nation., n^» 770»3 et 771)
p. ex. iV ayin, en i: (nun^ vaw)\ n en n [h en cf, v); S en 31 (/ en
c, V).
On peut encore lire le verset à rebours ou combiner la lecture
normale avec la lecture à rebours. On peut substituer un mot à un
autre ou un verset à un autre au moyen de clefs constituées elles-
mêmes en vertu d'un autre calcul ou par un nom divin quel-
conque.
304 \BULAFIA
vétu de blanc, recueillir son âme, rassembler loute sa
puissance intérieure sur un point et alors seulement
prononcer les lettres du nom divin, sur un rythme voulu,
avec des modulations déterminées, avec des inclinaisons
de corps précises jusqu'à ce que Tesprit soit troublé et
le cœur embrasé. Abnlafia entre dans des détails mul-
tiples sur la manière d'émettre chaque consonne, chaque
voyelle, chaque accent.
Le Livre de C Unité diWBxi donné à Dieu la double déno-
mination de père et de mère, et avait distingué, dans les
Sefiroth, les éléments mâles et les éléments femelles*
Âbulafia va jusqu'à transporter en Dieu même le
dualisme sexuel. Après avoir dit que la distinction de la
cause et de refTet gtt en Dieu, le grand androgyne, par
un acte générateur intérieur, AbulaGa s'arrête avec corn*
plaisance sur cet acte, sur la description du membrum
gejierationis divin. Il y voit le principe se bifurquant en
principe mâle et femelle, il y voit sous un autre aspect
Tunivers constitué par la collaboration de la Trinité 5e-
men mtmdi, ovtim mundi, matrix mundt, ce qui fait
penser au semen miindi du monstre persan Kajornord,
fait d'un mélange de lumière solaire pure et d'eau dis-
tillée (v. Kanne, Pantheum, p. 48) (1). Des détails sou-
vent licencieux rappellent, abstraction faite des combi-
naisons de lettres et de nombres, dont il les émaille, les
détails du culte phallique que nous rencontrons dans
la mythique et le mysticisme d'autres peuples. Par un
long et impénétrable détour, le mysticisme juif donne
1. FVnel dérive le nom Zarnam que porte une des divinités per-
.^anes du phénicien zara^ semence, ilasclii commente aussi Jes
mots de la Genèse : « Et le soufile de Dieu planait sur la face des
eaux
" comme une colombe gît sur son nid, en français « acouveter ».
ABULAFIA 305
la main aux doctrines de TAsie antérieure et de la
Grèce.
Et sait-once qui constitue pour lui le point de départ
de cette idée? C'est avant tout ce fait que le nombre 390,
valeur numérique du mot hébreu qui signiiie gloire
divine, et aussi celles des mots mâle et femelle réunis
et du mot qui signifie « androgyne ».
Nous avons vu Abulafia s'autoriser d'une théorie du
mystique chrétien Bonaventure, relative aux sept degrés
de la contemplation- Cette citation implique chez lai
une étude et une connaissance du mysticisme chrétien.
Nous trouvons, d'autre part, dans ces écrits plus d*un
appel fait au dogme du christianisme. En parlant des
trois noms divins Yhvh^ Yh, Eiohim, il dit : « Ce sont là
les trois noms sacrés qui marquent le mystère de la trinité
et la trinité de Tunité. De même que la sagesse, Tintel-
ligence et la science sont toutes trois, une seule et même
chose, de même que les expressions, il fut, il est, il sera,
ne sont que les variétés d'une même essence, de même
les trois personnes ne font qu'une seule personne, à la
fois une et triple (1).
« S'il en est ainsi, Dieu a un nom un, marquant sa
substance une, et qui est toutefois triple, mais cette tri-
nité est une. Que cela ne te semble pas étrange, déjà ces
noms t'expliquent la chose... ces noms qui sont trois et
qui tous trois désignent une substance une, identique à
elle-même, de même la triple invocation de « Saint, saint ,
saint »... et, d'autre part, pour le concept, la trinité, la
sagesse, l'intelligence et la science (2). »
1. u-.bï; byi tt?Vwn no^ hv anirsn ttripn ma^; n^rS^r t-ji
mtt;s:n rr^zrWtt; nnya iia>< p sn ri^^D b^m mm hm*. mn^ p-rn
306 ABULAFIA
Dans un poème il se vante d'avoir remplacé les pre-
mières Sefiroth des kabbalistes par cette trinité qui est
prouvée à ses yeux par les mots thn in« thn m (le ma-
riage de un, un, un) numériquement équivalent au mot
Ssn (Tout) . Enfin ilditen propres termes : La trinité divine
est constituée par dmSn, hiSh p «ripn rm Dieu, fils de
Dieu, Esprit-Saint.
Dans la folie messianique Abulafia, croyons-nous, ne
vise pas seulement les Juifs, mais Thumanité entière. Et
cette concession à la trinité est un appel au christianisme.
C'est sur la base même du dogme chrétien qu'il préten-
dait convertir le pape Martin IV à son mysticisme pro-
phétique des lettres et des nombres et le gagner à sa
vocation messianique. Il est bien, lui, le nouveau Christ,
mais l'ancien n'a pas trompé les hommes en leur présen-
tant un Dieu en trois personnes. Pour cette raison
Abulafia insiste si souvent chaque fois qu'il traite des
Sefiroth sur leur division trinitaire et dans leur ensemble
et dans leur groupement partiel.
WB2r] rattrna ^s!? bSa "non hti ...«rnp tt/iip «mp p ..inva
nrrm r\2'i2n ri^:ir]r\
XIV
Le Zohar.
Considérafiom tjénéraies. — Nous voici arrivés à ce
Zohar (\\ï on peut appeler la Bible des kabbalislos, parce
que. semblableà la Bible, il est sans unité, sans cohésion,
et. comme elle, il est le fruit d'une collaboration
anonyme, d'une collaboration insaisissable, à laquelle
les idées elles-mêmes ont pris pour le moins autant de
part que les hommes auxquels elles se sont imposées et
les compilateurs qui les ont recueillies. Aussi avant
d'aborder ces idées une question gt^nérale se pose de-
vant nous.
Pour que la thèse que nous soutenons, î\ savoir que lo
Zohar est la couronne de Tarbre mystique du judaïsme,
ne branle pas dans ses fondements, il faut prouver d'une
manière irrévocable qu'il appartient à une époque rela-
tivement moderne et qu'il suit toutes les œuvres dont
nous avons parlé.
Ce qui rend tout d'abord l'antiquité du Zohar suspecte,
c'est l'apparition tardive du nom sous la plume dos écri-
vains juifs. Dans les deux Talmuds il n'en est absolument
pas question. La littérature mystique dos fiaonim et les
innombrables /{e5/?;>. du temps n'en font aucune mention.
Voici un exemple bien significatif. Le Eschkol llacofer
(écrit en 1 1 48) est un des ouvrages qui traite avec le plus
d'universalité de toutes les productions du judaïsme ;
308 LE ZOHAR
aucun ne marque une connaissance plus vaste des ten-
dances religieuses et philosophiques des Juifs. L'auteur,
Juda Hadessi combat avec amertume les anthropomor-
phismes des talmudistes. II cite tout ce qui se trouve de
cette nature dans la littérature rabbinique. Il raille
toutes les conceptions mystiques du Midrasch et de la
Baggada, il les reproduit souvent textuellement et il
ne dit pas un mot du Zohar, ni du nom, ni de la chose.
Le premier témoignage qui peut être invoqué comme
marquant la connaissance du Zohar est celui d^un certain
Todros Hallevi qui vient à la fin du xui® siècle (né en 1234,
mort après 1304; c'est le même que Todros Abulafiaqui
accompagna don Sanche lY, roi de Caslille, à son en-
trevue de Bayonne avec Philippe le Beau^ 1290). — To-
dros dans son Ozar Hacabod, p. 36 a^ cite deux passages
dontil tire TunduZcf/^ar,!, fol. 1456,etrautreduAf26fra5cA
Haneelam (actuellement ZoAar Chadasch^ édit. Amslerd.
fol. 8 a). Todros introduit le premier par ces mots : « J'ai
vu dans un Midrasch », nous avons^ en effet, vu plus haut
que le Zohar porte anciennement aussi le litre de
« Midrasch que la lumière soit )>. Todros présente ses
citations comme quelque chose d'absolument nouveau.
On s'explique très bien qu'il soit le premier à avoir
eu connaissance du Zohar. Il fut, en effet, un des per-
sonnages juifs les plus considérables de son temps. Kn
relatant le rôle joué par lui dans l'entrevue de Bayonne,
Abraham Bedarsi dans son Chotam Tabnit (imprimé en
append. du Maskiyot Kosef de Mardochaï Tama, Ams-
terd., 1770), dit : « II y a deux ans passa par notre pays
le grand roi de Castille et il mit pied à terre dans cette
ville. Parmi sa suite se trouva le grand prince, notro
maître et docteur Todros, et il était parmi les familiers
de Sa Majesté ». Nous savons par ailleurs qu'il fut très
apprécié comme médecin et financier par la reine Marie
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 309
De Molina. D'autre part il paraît avoir joué le rôle de
Mécène juif. On lui dédiait des œuvres et particulière-
ment des œuvres kabbalistiques. Moïse de Léon, un des
auteurs présumés du Zohar, lui dédia son Schekel
Hacodesch (v. Jellinek, Beitràge^ Heft II, p. 73). Lui-
même était un adepte de la Kabbale et un adversaire
très décidé de la philosophie rationaliste et de ses in-
flexibles partisans, qui rejettent tout ce qui ne se plie
pas à leur impitoyable logique, qui vont dans les ténèbres
et ne peuvent pas comprendre Texistence des esprits
supra-terrestres. Us comprennent encore moins le grand
esprit très sublime entièrement inaccessible à Tintel-
ligence humaine >> (Ozar Hacabod, p. 2 b). Il appelait la
Kabbale une science divine, qu'un voile épais devait
cacher aux yeux des profanes (iôtd.). Outre l'ouvrage
mystique que nous venons de nommer, il composa un
commentaire mystique sur Nachmanide (cf. de Rossi,
Codicesy n» 68). Ce sont là des considérations suffisant à
expliquer comment Todros est le premier chez lequel
nous trouvons une menlion et un emprunt du Zohar.
Après Todros, Mrnachem Recanati qui vécut en Italie
à la fin du xiv" siècle ou au commencemeut du xv«, donne
dans son Taame Mizovoth des extraits du Zohar. 11 est
si surpris de l'apparition de cette œuvre qu'il ne sait pas
avec précision comment la dénommer et l'appelle solen-
nellement le grand Zohar, le prodigieux Zohar.
A la même époque Eliyahou Ghayim citant dans ses
Agadoth Chamoudoth le Zohar d'après Recanati, s'excuse
de cet emprunt, en disant : « Quant à moi-même je ne
l'ai pas vu. »
Isaac ibn Minir dans son écrit de 1330 (cf. Chaluz,
IV, p. 85, note) le cite sous le nom de « Midrasch de
R. Simon b. Jochaï » et de « Midrasch Ilazohar ».
R. Jehuda Chayyat qui visita l'Espagne deux siècles plus
310 LE ZOUAR
lard vers ISOO et y écrivit son commeD taire sur le
Maarecheth Ëlohouty dit, dans la préface, qu'il n'a été
donné ni à Haï Gaon, ni à Schechet Gaon,Qi à R. Eléasar
de Worms, ni à Nachmanide de connaître le Zohar, car
de leur temps il n'était pas découvert — traduisons : il
n'était pas né.
Puis voici nn témoignage d'une importance extrême
que nous empruntons au Jochasin, nouv. édit,, p. 85
sqq. : « Au mois d'Adar, R. Isaac d*Acco (Saint-Jcan-
d'Acre) écrivit que Saint- Jean-d' Acre venait d'être dé-
truite en Tan 50 petit comput = 1290/91 ap. J.-C.(il fait
allusion à la prise de Saint-Jean-d'Acre en mai 1291 par
le sultan égyptien Al-Malek Al-Aschraf, désireux de
chasser de Palestine et de Syrie les derniers Croisés),
les hommes pieux d'Israël y subirent toutes les morts.
En l'an 65 (1305) cet Isaac d'Acco se trouvait à Nabârah
en Italie (?) après avoir fui Saint-Jean-d'Acre. Dans cette
même année il se renditàTuiitlah (Tolède ? en 1331), puis
il alla en pays latin pour rechercher comment le livre
appelé Zohar se rencontrait dans ce temps^ « ce livre com -
posé dans une grotte par R. Simon b. Jochaï et R. Eliezer
son fils. Heureux ceux qui peuvent y ajouter foi !... »
« Pour moi, continue-t-il, j'ai interrogé des disciples,
adeptes du Zohar, qui en savent bien long sur le mysti-
cisme et je leur ai demandé d'où leur pouvaient venir ces
merveilleuses révélations, qui ne devaient jamais être
transmises que de bouche en bouche et non par des écrits.
Je n'ai pas trouvé leurs répouses d'accord, l'un disant
telle chose, l'autre une autre. J'en ai entendu exprimant
l'opinion que c'est Nachmanide qui avait envoyé ce livre
de Palestine en Catalogne à l'adresse de son fils et le
vent l'aurait transporté en Aragon. D'autres prétendaient
que ce livre échoué à Alkanti (Alicante?), d'où il serait
parvenu aux mains de Moïse de Léon... d'autres affir-
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 311
maient que jamais R. Simon b. Jochaï n'avait composé
pareil livre, mais que c'était ce R. Moïse lui-même qui se
trouvait en possession du nom divin présidant à la pro-
duction des écrits (1). C'est par la vertu de ce nom qu'il
aurait écrit ces mystères, et c'est en vue de recevoir
un grand salaire en argent et en or qu'il aurait sus-
pendu son livre à l'autorité des anciens et qu'il aurait
dit : « C'est là le texte même écrit par R. Simon b.
« Jochaï, R. Eliézcr son fils et ses amis que j'ai traduit. »
Or, moi, Isaac d'Acco, en arrivant en pays latin et dans
la ville de Valladolid, résidence royale, j'y ai rencontré
ce Moïse, je lui ai plu, il m'a parlé et il m'a fait le ser-
ment suivant : « Jo jure que le livre original écrit par
« R. Simon ben Jochaï, que j'ai chez moi à Avila, je jure
« que je le le montrerai si lu y viens un jour ». Puis il se
sépara de moi et alla dans la direction d'Arbelles qui con-
duit à Avila. Là, à Arbelles, il tomba malade et mourut.
En apprenant cette nouvelle, je fus très affligé. Je me
mis immédiatement en route et me rendis à Avila où je
rencontrai un grand docteur d'un âge avancé appelé
RafAn Korbo, que j'adjurai en ces termes : Avez-vous
quelque lumière relative aux mystères du Zohar, ce livre
qui est en discussion? R. Moïse lui-même m'avait promis
des éclaircissements, mais la mort ne lui en a pas laissé
le temps. Je ne sais maintenant à qui m'adresser ni en
qui croire. Il me dit : Sache que je sais avec certitude
que jamais pareil document original ne s'est trouvé entre
les mains de Moïse de Léon; même un pareil document
n'exisle pas. Ce Moïse a été maître du nom divin prési-
dant aux écrits et c'est grâce à la vertu de ce nom qu'il
1. On se figurait que par la connaissance d'un certain nom di-
vin on ac([iiérait la vertu de composer des écrits et par le moyen
d'un autre sa faculté de parler. — Cf. Zohar Tikunim, 55, 92 a et
Respi), b. Aderetli, n° 5-58.
21
312 LE ZOHAR
a écrit ce livre. Voici comment j'ai su la chose (1). II faut
te dire que ce R. Moïse était un grand dissipateur, au
point que tout Targent et Tor reçus des mains de riches
intellectuels en récompense des révélations de ses mys-
tères, révélations qu'il leur communiquait au nom d'un
ancien docteur, était dépensé le lendemain, de sorte
qu*il a laissé sa femme et sa fille dans le plus complet
dénûment... En apprenant sa mort survenue à Arbelles,
je me suis rendu chez un homme riche de cette ville du
nom de A. Josef de Avila et je lui ai dit : Voilà le
moment venu où tu peux acquérir le Zohar, qu'aucun
prix ni d'or ni de pierres précieuses ne peut égaler.
JPour cela, voici ce qu'il faut faire : Appelle ta femme et
dis-lui de prendre un beau cadeau et de Tenvoyer à la
veuve de R. Moïse. Ce fut fait. Le lendemain il continua
ainsi : Va, maintenant dans la maison de cette veuve et
dis-lui : Mon intention est de marier la 611e à mon fils
et tu ne manqueras plus de rien jusqu'à la fin de tes
jours. Je ne demande pour cela qu'une chose, à savoir :
le Zohar, que ton mari traduisait et vendait aux gens
d'ici. . . La veuve répondit à la femme de R. Josef: Jamais ,
grand Dieu, mon mari n'a possédé pareil document, c'est
de sa tête qu'il a tiré tout ce qu'il a écrit. Même le voyant
ainsi écrire sans avoir rien devant lui, je lui disais :
Pourquoi donc répands-tu le bruit que tu traduis tout
cela d'un autre livre, ce qui n'est pas? iNe serait-il pas
bien plus honorable pour toi de dire que c'est de ta pro-
pre tête que tu produis toutes ces choses. Il me répondit :
Si je leurs révélais mon secret, ils ne prêteraient aucune
attention à mes paroles et ne m'en donneraient rien, ils
diraient : Ce ne sont que des fantaisies de son cru. Mais
en croyant que ce Zohar est composé par R. Simon
1. rs'ouâ traduisons aussi liltéralcment que possible.
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ÎH3
A. Jochaï sous rempire de rEsprit-Saiiit et soulcmenl
traduit par moi, ils l'achètent à beaux deniers... »
Quelle que soit Topinion dlsaac d'Acco sur le Zohar,
il ressort de ce passage que dès alors Tauthenticité de
cette œuvre était mise en doute, qu'il circulait toutes
sortes d*opinions sur son compte et particulièrement
celle qui fait de Moïse de Léon un imposteur l'ayant in-
ventée de toutes pièces et l'ayant abritée sous le pres-
tige d'un ancien docteur. Nous ne savons pas évidem-
ment ce qu^était alors ce Zohar, vu que nous appliquons
aujourd'hui ce nom à de nombreux fragments proba-
blement indépendants et dans lesquels différentes épo-
ques et ditlerents esprits mystiques ont inséré l'expres-
sion de leur pensée. Mais la conclusion chronologique
qui s'en dégage est assez importante, quel que soit le
sens plus ou moins large attaché par Isaac d'Acco à la
dénomination de Zohar.
Moïse de Léon, nous le savons par ailleurs, avait l'ha-
bitude de dédier ses œuvres à des Mécènes juifs, qui l'en
récompensaient largement. Ainsi nous savons qu'il dédia
son Sefei* Hamiscltkal à R. Jacob, son Se fer Harimon à
Joseph Hallevi, son Schekel Hakodesch à Todros Hallevi.
Pour ce dernier il dit dans la préface : « J'ai composé ce
livre en l'honneur de mon soutien, le grand prince
R. Todros Hallevi en Tan 5052, moi, Moïse de Léon. »
A côté de ces arguments pour ainsi dire extrinsèques
en faveur de la modernité du Zohar, il y en a d'autres in-
trinsèques dont un certain nombre ont déjà été relevés
par Jabes (Jacob b. Zebi Emden) dans son Misfachatk
Hassefarim^ Altona, 1763. Jabes attaque le Zohar en vue
de renverser les prétentions de Sabatai Zevi, le remueur
messianique des Juifs au xviii* siècle. Sabatai et ses par-
tisans prétendaient tirer leurs doctrines et la légitimité de
leurs mouvements du Zohar, et ils en faisaient un ora-
314 LE ZOHAR
de venu d'une haute antiquité. Ils en tiraient des con-
séquences contre la Bible et le Talmud et affirmaient
aussi y trouver le fondement de dogmes chrétiens. C'est
ce qui motiva la levée de Jabes contre le Zohar. Nous
ne pouvons pas citer tout ce qu'il y relève, tous les pas-
sages recueillis par lui et marquant que le Zohar cite à
faux des versets bibliques, ou ignore le sens véritable
des passages talmudiqucs,ou enfin rapporte des préceptes
rituels nés seulement au temps des Gaonim. Par exemple
[Zohar y II, 396) il prend les colonnes Jakin et Boaz du
Temple de Saiomon pour des hommes. Dans la formule
lalmudique ; Suivre quelqu'un dans la mort [Baba Mezia,
71 a, Ketiibot, 50 a), il fait dériver le dernier mot, qui,
en réalité, renferme la racine chaya (vivre) de la racine
lâcha et il l'explique par « jour >>, ce qui est absurde
[Zohar, III, 122 a). Jabes relève plus de 280 passages
qu'il faudrait considérer comme interpolés si Ton vou-
lait sauvegarder l'antiquité du Zohar. Rapportons entre
autres cette allusion aux Croisades :
[Zohar, II, 32 a) : « Rabbi José et R. Chiya étaient en
chemin. R. José dit à R. Chiya : Pourquoi ne parles-tu
pas? R. Chiya gémit et pleura et (prenant texte de la
stérilité de Sarah et de la naissance d'un fils Ismaël (1)
à Agar), il dit : Malheur sur le temps où Ismaël est né,
où il est entré parla circoncision dans l'alliance de Dieu.
Que fit Dieu? il dut donner aux enfants d'Ismaël une
part à la Terre sainte... et ils sont destinés à déchaîner
des guerres terribles. Les fils d'Edom (on sait que par
Edom la terminologie juive entend d'abord Rome et le
paganisme, puis Rome et le christianisme) se rassemble-
ront et leur feront la guerre, une guerre par mer, une
1. On sait que les Arabes font remonter leur origine à Isma«l,
<iue les écrivains juifs ne les appellent presque jamais qulsmaé-
lites, donominalion que favorisait encore la môtalhèse : islamitc.
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 315
guorre par terre, et une dans le voisinage de Jérusalem ;
les uns triompheront des autres, mais la Terre sainte
ne sera pas livrée aux enfants d'Edom.
« En ce temps-là un peuple venu des extrémités de la
terre se lèvera contre Rome chargée de crimes, l'acca-
blera de guerres pendant trois mois ; là les guerriers
s'amasseront et tomberont en sa main jusqu'à ce que
tous les enfants d'Edom se soient unis contre lui (c'est-
à-dire que le chrislianisme ait rappelé à lui tous les
Croisés) (i). »
On peut ajouter à ce passage cité par Jabes un autre
qui fait allusion au calendrier lunaire des Arabes (III,
i88) : (' La lune est un bon augure et un mauvais augure;
la pleine lune est un bon augure et la nouvelle lune un
mauvais augure. C'est parce qu'elle est à la fois symbole
du bien et du mal que les fils dlsraël et les fils d'Ismaël
Font prise pour la base de leurs calculs astronomiques. »
Enfin nous trouvons peut-être dans les lignes sui-
vantes (III, 110 a) une allusion aux combats de la che-
valerie : « Si le combattant ne «ait se garder, il ne sera
jamais vainqueur. Il doit, quand il frappe, observer très
attentivement le mouvement de l'adversaire, et pendant
que la droite agit, il laut que la gauche garde. »
1 . n'3p^T:i3? r\i2 iTan«i «aSyz bx^au^ ib^iNi «:a7 ^^r^r^ by ^ii
T2Su?^S Sw?2ti?^ "«Ja i-ii^aîi • "jiniT yr-n H^nT\ ]u:i Nurnp «vini
Xrh^^ nnaT rvcû ^''nud l'^acT vhyo N^:pn m\s 13 Nttrnp wiki
nvnDTr'? NiriNb S«itt;^ ^nb 'inS yo.yj'^ ^ij^ni laiS^ vh'i Nopni
^iSs*2 i^Sn 'j^TDbtt^n aStt^iT'S --.es ^m txrwz^ Wj^tw nc^Ssr in
Nin x?2ï ivn^ n:dt ï^^^tti ...d-n 1:2b iddh^ vh Nttrnp «riKi
316 LE ZOHAR
Passons à d'autres preuves. Le Zohar proprement dit
et les Suppléments connaissent le nom des voyelles et
des accents de Thébreu, d'invention toute récente {Zohar,
1, 15 6 et 24 b); la science grammaticale y est désignée
dans son ensemble par le mot dikduk^ terme que Ton ne
trouve pas avant le x' siècle, comme le démontre Luzzato
dans ses Dialogues sur la Kabbale et le Zohar (cf. les
observations grammaticales et exégétiques de Zohar y I,
5 *, 6 a, 36 *, 59 a, 60 a, 63 *, 105 *; II, 33 b, 81 *,
136 *, 142 b, 188 a, 194 a, 224 6, 247 a ; III, 161 a).
Le Zohar contient des citations empruntées textuelle-
ment à des auteurs antérieurs qui se placent entre le
X» et le xni® siècle, par exemple, au Kuzari (II, 36) où
Israël est comparé au cœur de l'humanité et par consé-
quent appelé à éprouver plus douloureusement les souf-
frances générales (cf. Zohar, III, 4 61 Uy 221 d); au Guide
des égarés de Maïmonide, partie II, ch. 30, où le mot
« ténèbres » de la Genèse est expliqué par feu élémen-
taire (voir pi. haut et cf. Zohar, I, 16 a). Et qu'on ne
dise pas que peut-ètrer Maïmonide Ta emprunté, car
saint Thomas rapporte cette opinion et Tattribue à Maï-
monide : « Raby Moyses... (c'est ainsi qu'il désigne tou-
jours Moïse Maïmonide) ignem significationom esse
dixit per tonobras ex quo ignis in propria sphaora non
luceat et silus ejus declaralur in lioc quod dicilur super
faciem abyssi » {Qtiaestiones dhpiitatae^ quaestio IV,
art. I, éd. Lugd., fol. 25j.
Le Zohar connaît pour désigner la « cause des causes »
les mots liai Hailot créés par la traduction tibonienne
du Guide des égarés,
Franck, voulant à toute force sauver ce qu'il peut de
l'antiquité du Zohar, s'arrête à un moyen terme. Il admet
bien que Simon b. Jochai n'a rien écrit, mais qu'il s'est
contenté de propager sa doctrine par l'enseignement
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 317
oral et que les souvenirs qu'il laissa, ou dans la mé-
moire, ou dans les cahiers de ses disciples» ne furent ré-
digés ou réunis que plusieurs siècles après sa mort, dans
le livre que nous possédons aujourd'hui sous le nom de
Zohar. El Jabes lui-même, après avoir exercé cette cri-
tique rigoureuse contre le Zohar, s'arrête à mi-chemin
dans ses conclusions et admet que dans le Zohar il faut
distinguer trois groupes : i^ le noyau ou Zohar au sens
restreint, qui serait très vieux et contiendrait d'anciens
aphorismes kabbalistiques pouvant même remonter
jusqu'à Moïse ; à ce noyau appartiendraient « le Livre des
Mystères », « la Grande et la Petite Assemblée », « les
Mystères de la Thorah » et les fragments qu*on appelle
Matnitin et Tosefia ; la rédaction de cette partie ancienne
ne remonterait pas plus haut que l'époque gaonique. —
Le deuxième groupe serait formé par le Pasteur fidèle
auquel se joindraient « les Suppléments » animés d'un
même esprit , et l'un et Tautre seraient dus à un auteur es-
pagnol, soit par exemple, Moïse de Léon. — Enfin le
troisième groupe comprendrait le « Midrasch occulte ^),
qui serait l'œuvre d'un faussaire impudent. — Outre ces
trois groupes, le Zohar contiendrait des interpolations
de ditlérents époques postérieures.
Tout cela parait assez spécieux; malheureusement la
distinction capitale que fait Jabes entre ce qu'il appelle
le Zohar proprement dit et le Pasteur fidèle^ y compris
les « Suppléments », n'est pas fondée, car des passages
entiers de l'un se retrouvent dans les autres. Par exem-
ple ce fameux commencement (édition de Crémone)
dont la tournure mystique a fait verser tant d'encre : « Au
commencement du roi Ilormenousa» (Nni:*2Tn Ormuzd?)
(dans l'édition d'Amsterdam ce passage est reporté à la
page! 3 ff; se retrouve plusieurs fois dans lesSuppléments.
Des développements très étendus et très curieux sur la
318 LE ZOHAR
physiogaomie commencés dans le Zohar (II, p. 60 a, 78)
soQt continués dans les « Suppléments » (n"* 70, p. 120 a
sqq.)* Les Suppléments paraissent bien faire corps avec
le Zohar et constituer comme une espèce d'avant-propos
explicatif. Le commencement du Zohar ne prend de sens
que s'il fait suite aux Suppléments. Ce n'est que dans
les Suppléments que Ton explique le titre général de
Tœuvre : Le Zohar. L'introduction aux Suppléments
s'intitule formellement « Livre du Zohar ». De plus,
précisément, le morceau que Todros Abulafia présente
comme un très vieux Midrasch, se trouve dans le Mi-
drasch occulte que Jabes place en dernier. Donc toutes
ces distinctions sont artificielles et Ton ne peut déclarer
un fragment plus authentique que Tautre. Toutes les
parties se réclament également du nom de Simon b. Jo-
chaï et si les unes sont nécessairement de la pseudo-
littérature, les autres le sont aussi.
L'argument principal de Franck est la forme chal-
déenne. Cette forme dénoterait, d'après lui, une époque
où la langue des Juifs était réellement l'araméen chal-
daïque. Mais ne sait-on pas qu'au moyen-âge beaucoup
de rabbins écrivaient cette langue aussi facilement que
rhébreu, et même plus facilement, soutenus qu'ils étaient
parl'abondante terminologie talmudique.Denombreuscs
Respp. des Gaonim sont écrites en cette langue; au
xni« siècle encore Nachmanide écrit en chaldéen des
poésies introductrices à ses œuvres. D*aulres exemples
abondent. D'ailleurs l'auteur n'écrit pas un araméen si
accompli. Luzzato (/. c, p. 113 à 114) montre que cet
araméen n'est ni celui de Daniel^ ni celui d'Ëzra, ni
celui des Paraphrases d'Onkelos et Jonathan, ni celui
des Talmuds de Jérusalem et de Babylone, ni même celui
des Midraschim et des Gaonim, mais un mélange extrê-
mement corrompu et incorrect de ces divers dialectes.
CONSIDÉKATIONS GÉNKRALES 319
Chose curieuse, dans un manuscrit Je Munich, le pre-
mier livre présente beaucoup de passages commençant
en hébreu et finissant insensiblement en araméen et ré-
ciproquement. Chose plus curieuse encore, le Pasteur
fidèle [Zohar, III, 82 b) reproduit un passage tiré de la
Couronne de royauté A^lhn Gabirol et relatif aux éclipses
et oubliant tout à coupqu*il écrit en chaldéen, reproduit
le texte dlbn Gabirol tel qu'il existe eu hébreu dans Ibn
Falaquera (1).
Franck fait aussi valoir en faveur de l'antiquité du
Zohar Tabsence de toute allusion au christianisme et à
la philosophie d'Âristote. Pour ce qui est du christia-
nisme, nous montrerons que cette absence n*est pas si
absolue, que le christianisme n'est pas plus resté sans
influence sur le Zohar, que le Zohar sur le christianisme.
Pour ce qui concerne Aristote, les traces sont en efl'et
faibles, encore que la « Cause des causes » et les théories
physiques du Stagyrien apparaissent quelquefois; puis
n'avons-nous pas dit que le mouvement mystique dont
sort le Zohar est précisément l'expression d'une oppo-
sition au rationalisme d' Aristote? Dès lors quoi d'éton-
nant qu'on lui fasse la part très petite?
Maintenant considérons d'un peu plus près comment
les choses sont présentées; c'est le Tanaïte Simon b. Jo-
chaï (vers 150 ap. J.-C.) et quelques autres : R. Is-
maël b. Elischa, compagnon de R. Akiba (vers 130 ap.
J.-C), R. Nechunya b. llakanah qui sont censés être les
porte-paroles de la doctrine. Or, rien, dans le Talmud,
ne les présente sous ce jour; Simon b. Jochaï, pour ne
parler que de lui qui est au premier plan du Zohar, est
un talmudiste comme les autres. Tout ce que nous trou.
1. :n:mn^ pSriDNi n^cui nt.tc- Nmp^a N^^^l NTûDO^ann «n
390 LE ZOHAR
vons d'étrange dans sa vie ou dans sa légende c'est
{Sabbat, fol. 34) que, pour échapper à la persécution des
Romains, il vécut pendant douze ans dans une caverne»
enseveli dans le sable jusqu'au cou et méditant sans
cesse la loi. Mais la méditation de la loi se présente à
chaque page du Talmud sans qu'on puisse entendre par
ce terme quoi que ce soit se rapprochant du mysticisme.
Même les paroles relatives aux châtiments ultra-terres-
tres que le Zohar met dans la bouche de R. Simon b.
Juchaï sont en contradiction formelle avec la douce al-
légorie que lui prêtent les Aboth de R. Nathan (p. 16) :
(' Un roi donna un champ très mauvais en fermage à un
cultivateur au prix de dix hectolitres de blé; Le culti*
vateur le laboura, Tarrosa et lui donna tous les soins
voulus, mais le champ ne produisit qu'un seul hectolitre
de blé. Lorsque le roi réclama le prix du fermage, le
fermier demanda toute son indulgence. Le roi la lui ac-
corda. De même l'homme est mis au monde avec l'ins-
tinct du mal qui le suit à travers toute la vie. Le terrain
est mauvais, la moisson peut-elle être belle? Dieu doit
donc être indulgent, pardonner les fautes des hommes
et se contenter d'une petite récolte. »
On peut très bien suivre la transformation de la figure
de Simon b. Jochaï. Le Talmud de Jérusalem (Moila)
(14, 17) le présente comme un thaumaturge, guérissant
des malades, exorcisant des possédés, tuant et ressus-
citant des hommes (cf. Schebuoth). Dans le Midrasch
Rabba sur le Cantique des cantiques on lui prête déjà des
vertus nouvelles. Sa prière suffit pour lever la stérilité
des femmes^ et Vayikra Rabba, 34, qui lui prête la vision
de tous les événements qui s'accompliront dans l'année
s'appuie sur Sanhédrin, 97 a, disant de lui, que sem-
blable à Moïse, il connut Dieu d'une vision immédiate.
De plus le cadre du Zohar trahit à chaque instant
CONSIDÉRATIOXS T.KNKRALES i>2î
l 'artifice. Simon bon Jochaï y apparaît comme entouré
d'une auréole, enseignant les mystères à une élite de
disciples (6 ou 12), véritable chevalerie de la Kabbala.
Lorsqu'ils se réunissent pour étudier ensemble, le pro-
phète Elie, tous les habitants des demeures célestes,
tous les anges, tous les esprits, toutes lésâmes viennent
applaudir. Dès qu'ils sont réunis on entend comme
un bruissement d'ailes de milices célestes, qui viennent
écouter ce qui jusque-là leur était demeuré inconnu à
elle-même. Simon b. Jochaï est exalté, s'exalte lui-
même et se magnifie au-delà de toute expression (cf. I,
96 i, 133 b, et suivant II, 38 a, 86 b, 49 6, 154 b\ III,
179). Il dit de lui-même : «Je prends à témoin le ciel sacré
et la terre sacrée que je vois maintenant ce qu'aucun
mortel n*a vu depuis le jour où Moïse a gravi le Sinaï
pour la seconde fois. Même je vois plus que lui. Moïse
ignorait que son visage fût illuminé; moi je le sais »
(111, 132 i, 144 a). Lorsque R. Simon b. Jochaï sentit
venir la mort, il dit à ses disciples les plus fidèles, réunis
auprès de son lit : Voici ma volonté : «Toi, Rabba, tu
écriras mes doctrinos; toi, Éléazar, lu les interpréteras,
et vous autres vous veillerez à les garder fidèlement dans
votre cœur » (111,287 A).Dira-t-on que R. Simon b. Jochaï
a écrit le récit de sa propre mort?
Si maintenant, sans nous arrêter à la surface, au cadre,
ni à tel ou tel fragment du Zohar, nous le considérons
dans son ensemble, les conclusions suivantes s'imposent
à nous. Le Zohar tout entier, depuis la première jusqu'à
la dernière ligne, porte non seulement dans les idées,
mais dans les mots, la marque d'une époque moderne,
postérieure à tout le mysticisme gaonique, postérieure à
toutes les premières manifestations de la Kabbale pro-
prement dite. Nous avons vu la première ébauche des
doctrines relatives au Kn-Sof, aux Sefiroth, au dualisme
322 LE ZOHAR
sexuel transporté jusqu'en Dieu, nous en avons surpris
la naissance, soit sous la forme de doctrines antérieures
transformées et de dénominations antérieures démar-
quées, soit sous la forme de doctrines nouvelles. Nous
en avons constaté la première apparition dans Técole
d'Isaac TAveugle, dans celle d'Abulafia. Ëh bien! le
Zohar tout entier, depuis Talpha jusqu'à Toméga, est
pénétré, baigné de ses doctrines. Si on les supprime, si
on en fait abstraction, il ne reste plus rien du Zohar, il
est illisible, inintelligible. Faire du Zohar, si prolixe, si
diffus, le fondement, et de l'école dlsaac TAveugle l'édi-
fice, c'est comme si Ton voulait placer les feuilles et les
fruits avant le tronc et les branches, avant la sève, qui
les anime. L'école d'Isaac TAveugle, indépendamment
des témoignages que nous avons recueillis, porte irrécu-
sablement la marque d'un commencement, d'une Ge-
nèse, nous y surprenons en quelque sorte Tincubalion,
le travail ab ovo qui plie l'ancien mysticisme et tout ce
qui gravite autour de lui sous la loi des principes nou-
veaux. Nous voyons cet œuf éclore peu à peu jusqu'à
aboutir à ce produit tout à fait extraordinaire qui s'ap-
pelle le Zohar.
Pouvons-nous maintenant, faisant un pas de plus,
fixer pour l'apparition du Zohar une dale précise? Ou au
préalable pouvons-nous en désigner Tauteur ou au moins
un des auteurs? Jellinek a donné des parallèles frap-
pants entre certaines parties du Zohar et certaines pages
de Moïse de Léon, tirées notamment du Sefer Hallischkah
et du Sefer Hanmon\ il en est qui entraînent impérieu-
sement la conclusion de l'identité des auteurs. Par
exemple, Sefer Harimon (II, n" 133, 2o), Moïse de Léon
tente d'expliquer pourquoi le tétragramme ne se ren-
contre pas dans les premières pages de la Genèse et
n'apparaît dans la Bible que plus tanl. C'est, pense-t-il.
«
'\^uLn\Tio>s \..rNÉRALi:> ;V23
quf* lunivor? lerrosire êtanl iini ot pêrissablo no peut-
être associé au télraïrramme ou nom d'essence auquel
s'attache Ti-lée d'élernité. Pour appuyer cette interpré-
tation sur rÉcrilure, il cite Psaume, 4G. 9, où il explique
le mot schemoih qui signifie « nom >\ comme s'il y avait
schamoth qui signifie détruire, ravager, dft sorte que le
verset prend le sens suivant : Le nom Elohim ^el non
Jhvh convient aux choses détruites, périssables. Or il y
aàcette interprétation, un vice capital, car précisément ce
verset ne contient pas le nom Elohim^ mais le tétra-
gramme. Moïse de Léon a évidemment confondu avec
Psaume. UO, 3, où se rencontre la même idée associéecette
fois au nom Elohim. Eh bien ! le Zohar (I, 58 b) présente
la même confusion et la même erreur.
On peut même trouver dans le Zohar des allusions,
qui. sous le couvert de Moïse le prophète, visent en réa-
lité un autre Moïse. Ainsi dans les Suppléments (LXIX,
110 a) et Zohar Chadasch (73 rf) l'auteur place dans la
bouche de Simon b. Jochaï, la profession suivante :
«t Ce livre (le Zohar) sera renouvelé et révélé à la fin des
temps par Moïse. Avant l'apparition de ce Moïse, le
Messie ne peut pas venir. Par lui, à l'approche de l'ère
messianique, les adeptes de la Kabbale seront abreuvés
de vérités sublimes. — Zohar, III, 273 fl, dit formelle-
ment, que grâce aux lois de la métempsycose, le pro-
phète Moïse se retrouve dans chaque génération. —
Zohar, III, 138 ab, nous offre un passage encore plus
probant. Il y est dit que « le fidèle pasteur (le prophète
Moïse) est trop humble (cf. Nomb. 12, 3) pour faire en
son propre nom des révélations sublimes. C'est pourquoi
la sainte lumière (Simon b. Jochaï) parle pour lui. C'est
le second Moïse qui doit hâter l'avènement messianique.
Certes il y a eu auparavant un personnage du même
nom; mais, semblable au corbeau de Tarche de Noé, il
324 LE ZOHAR
n'a pas réussi, ayant eu à faire à des ignorants; tandis
que ce nouveau Moïse semblable à la colombe deTarche,
réussira ». Ces passages nous paraissent d'autant plus
concluants que jamais, dans la littérature juive anté-
rieure^ Moïse n'apparatt sous Taspect d*un précurseur
messianique.
D'autres passages semblent vouloir marquer la date
de cette époque attendue par toutes les générations avec
une si vive impatience. Zohar (I, il6> ab) : « ... Quand
viendra la 60* année du sixième millénaire (donc 5060
=: 1300 après J.-C), ce sera le commencement de Tère
messianique; alors la grâce divine commencera à croître
et elle acquerra sa plénitude, etc. » Ibid., 127 a^ porte
le chiffre 66 du 6* millénaire = 5066 = 1306 après J.-C,
Zohar Chadasch (p. i5 b) donne la 70' année du 6* mil-
lénaire := 6070 := 1310 après J.-G. Toutes ces dates
nous conduisent dans les années de pleine floraison de
Moïse de Léon.
Nous avons vu plus haut d'après le témoignage dlsaac
d*Acco et d'après le témoignage de Moïse de Léon lui-
même que cet écrivain vivait de la générosité des riches.
Nous savons que, malgré leurs libéralités à son égard,
il vécut dans un dénùment constant. Or quelque chose
de cette situation et de la mauvaise humeur qui s'ensuit
perce jusque dans le Zohar (au chap. 3, 153 a) à propos
de ÏExode (o,17' où Pharaon traite les Israélites de fai-
néantSy l'auteur dit : « Vous êtes fainéants, c'est-à-dire
peu soucieux de soutenir les pauvres savants »; lA/rf. 125 «,
à propos de Zacha/'ie 13, 2 : « Je ferai disparaître Tesprit
d'impureté, » il ajoute, criant misère « : afin que les savants
ne soient plus obligés de se faire nourrir par les igno-
rants ».
Toutes ces preuves réunies et d'autres encore nous
permettent d'affirmer sans risquer de nous tromper que
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALKS 325
Moïse de Léon fut à coup sûr mêlé à la composition du
Zohar,même qu*il en fut un des principauxauteurs. Peut-
être est-ce lui précisément qui conçut le dessein de ramas-
ser en un même tout un certain nombre de fragments
mystiques, issus, comme tant d'autres écrits de la litté-
rature juive, de la collaboration anonyme d'écrivains
multiples, nés on ne sait comment sous forme de com-
mentaires de l'Écriture, à cheval les uns sur les autres.
L*œuvre de Moïse serait ainsi une œuvre de compilation
et d'acconmiodation au texte. On s'expliquerait alors
pourquoi le lien qui rattache leZohar au Pentateuque est
si ténu et si artificiel, pourquoi il apparaît comme né du
dehors et non en vertu d'un rapport intérieur et logique.
Bans tous les cas Moïse de Léon ne fut pas le seul auteur.
Outre la preuve qui résulte du caractère décousu, inco-
hérent du Zohar, le Pasteur fidèle (III, 1566) contient à
ce sujet une donnée très précise : « Le pluriel maskilim
(les intelligents) de Daniel, tS> 3, est une allusion aux au-
teurs du Zobar au nombre de 9, dont deux de la ville de
Léon et sept du royaume du même nom. A eux s'applique
le verset {Exode) : « Tout nouveau-né, vous le jetterez
dans le fleuve », c'est-à-dire que les nouveaux-nés de leur
esprit furent jetés dans le courant du Zohar. (Leurs
œuvres furent incorporées au Zohar.) » Puis il est ques-
tion dans ce même passage d*un corbeau et d'une
colombe dont Jellinek donne une interprétation très ori-
ginale, quoique bien subtile. La voici : D'après iJ^r. Germ.
Vei. Auct. Pisi. (Jost, Allgem. Geschichte, \II, 313),
Tannée 1295 vit se lever deux prophètes, l'un à Avila,
l'autre à Léon. Respp. de Salomon b. Adrelh, n'^ 548, nous
apprend que la mission du mystique d*Avila qui préten-
dait avoir reçu plusieurs écrits de la main des anges,
échoua. Or Avila porte aussi le nom à^Anebulensis et
Léon en arabe ^i^. On aura donc appelé le mystique
326 LE ZOHAR
d'Avila le corbeau et Taulre, celui de Léon : la coTo
Nous devons ici rapporter pour mémoire l'opinion de
Jost [Litterat. b. des Or. VI, p. 417) d'après laquelle le
Zohar serait Tœuvre de quelques ascètes asiatiques des
temps des Croisades. Ces ascètes auraient mélangé,
remanié, d'anciens Midraschim, des éléments théosophi-
ques et auraient mélangé tout cela à ce qu^ils auraient
d'autre part tiré d'oeuvres morales de leur temps. Ils
auraient ainsi procédé comme le Midrasch lui-même ou
comme auxvui'' siècle Mendelsohn et de nos jours Fried-
lânder et Ben David, quand ils transportent dans les
cadres juifs les doctrines de Wolfl\de Leibnitz et de Kant,
sans même prononcer le nom de ces philosophes.
Cette opinion est vraie en ce qui concerne la méthode
du Zohar, mais nous ne voyons pas où Jost trouve Tom-
bre même d'une preuve de Texislence d'ascètes asiatiques .
Dans tous les cas, les rédacteurs définitifs et derniers
compilateurs sont à chercher ailleurs.
Le mot « Zohar » que nous avons dû adopter jusqu'à
présent pour simplifier notre examen est en réalité une
dénomination très complexequ'il fautpréciseretdémêler.
Tout d'abord l'œuvre appelée communément Zohar porte
chez les auteurs juifs des noms différents. En premier
lieu vient celui de u Midrasch de Rabbi Simon b. Jochaï »
(chez Bochaye, Comment, surle Pent., SecLMisc/i/jalim,
chez R. Simon b. Zemach Durûn, Respp. III, quaesl. 36
et 37, chez R. Meir b. Gubbaï, Abodath Hakodesch). Ce
nom lui est donné en raison du docteur principal dont
l'œuvre se réclame et dans la bouche duquel sont placées
la plupart des doctrines. — En second lieu, nous rencon-
trons le nom de « Midrasch que la lumière soit » (chez
Abraham b. Samuel Zacuta^ Juchasin\ chez Azulaï,
Sch^m Hagnedolim, II, 19 A). Ce nom dérive de ce que
dans quelques manuscrits l'œuvre débute par une inter-
LK NOM DU ZOHAR 327
prélation duGen. 1, 3 : « Que la lumière soit. » — Enfin
nous trouvons le nom de « Zohar» dû à ce que dans la
plupart des éditions, le premier verset biblique qui fait
apparition est celui de Daniel^ 12, 3 : « Les intelligents
brilleront comme l'éclat {zohar) du ciel. » Déjà R. Nis-
sim avait appliqué le mot de Daniel aux adeptes du gnos-
ticisme et dans lasuite le terme servait constamment à dé-
signer des esprits plus profonds, plus pénétrants que la
masse, creusantbienavantsouslasurfacedes choses. C'est
ainsi queNachmanideTempIoiechaque fois qu'il superpose
au sens ordinaire de l'Écriture un sens mystique. Les
auteurs du Zohar se présentant comme destinés à refou-
ler déHnitivement le rationalisme et à ramener à la clair*
voyance, à l'intuition delà foi, s'intitulèrent, sur la base
de ce môme verset de Daniel, les clairvoyants, amélio-
rant la masse, « brillants comme Téclal du ciel ». Ils le
firent avec d'autant plus de force que la lumière est la
comparaison sensible qui apparaît le plus souvent dans
le Zohar. On peut aussi penser que les auteurs du Zohar
visèrent un titre parallèle à celui du Bahir {ôaher, bril-
ler; et après que le Pasteur fiilèlo et les Suppléments
eurent fait duverset de DanielVcmiAoi que Ton sait, ils
adoptèrent pourTensemble de l'œuvre la dtmomination
Zohar (éclat). Cette dénomination prévalut. Avant elle
le Zohar semble encore avoir été désigné par le titre de
Miracle de sagesse. En elTet R. Salmon b. Adreth dans
le n^ oi8 de ses Respp, parle d'un ouvrage de ce nom se
rattachant au verset de Daniel 12,3 et écrit partie en ara-
méen, partie en hébreu. Cet ouvrage aurait été apporté
par un ange à un jeune homme inculte d'Avila; la com-
munauté de cette ville s'adressa à Ben Adreth qui lui
répondit ainsi : « L'auteur des Miracles de la sagesse pré-
tend avoir rei^u un livre rempli de révélations faites à
Moïse et à Daniel. Or, il est certain que ces prophètes
00
328 LE ZODAR
n'ont jamais écrit un pareil livre surdcs sujets aussi étran-
ges et dans des paroles plus étranges encore. » Adreth re-
pousse donc {^authenticité du livre et la bonne foi de Tau-
leur. Ce livre ne peut être que le Zohar. Et c*est alors
probablement que Tauteur changea ses batteries et mit
sur le compte de Simon b. Jochaï ce qu'il avait attribué
à Moïse et à Daniel .
Avant de passer à Tétude de la doctrine il faut jeter un
?oup d'œil général sur le cadre, sur la constitution ex-
térieure du tout complexe qui forme le Zohar. Nous
avons vu plus haut qu'on l'appelait à un certain moment
« Midrasch du Zohar » et « Midrasch que la lumière soit » .
Ce nom est celui qui convient le mieux à sa nature car
le Zohar se présente tout d*abord comme un Midrasch
adapté au Pentateuque, le suivant pas à pas et n'ayant
en apparence d'autre prétention que d'être un commen-
taire.
Lorsqu'en elFet la Kabbale eut atteint un certain dé-
veloppement, une tâche s'imposait à elle : se donner des
titres de créance. Il lui restait à montrer que la source
de toute vérité était une, que Tépanouissement mystique
n'était lui-même qu'une extension de l'Écriture. L'école
d'Isaac l'Aveugle s'était déjà appliquée à adapter sa pen-
sée à la Bible en général, et aussi au Talmud, notam-
ment à la partie haggadique et homilétiquc. C'était déjà
lui donner des ancêtres d'une autorité incontestée. Il
fallut maintenant faire un pas de plus, il fallut légitimer
la Kabbale non seulement par l'autorité de la Haggadah^
non pins mt^me par la Bible en général, mais parle centre
de l'un ot de Taiitre, par ce qui était aux yeux de tous le
cœur m^'me de la révélation juive, j'entends le Penta-
teuque,laloi mosaïque. On eut à cœur de justifier le prin-
cipe énoncé par les docteurs Aboth^ ô, 22) : « Tourne-la
(la loi) toujours et toujours car tout est en elle. »
LE CADRE 329
Ce qui marque bien que ce n'est pas le PenLilouque
qui s'impose à la Kabbale, mais la Kabbale qui s*impo6e
au Pentateuque, c*est que le lien de ce prétendu com-
mentaire (le Zohar) avec le texte est d'une subtilité im-
perceptible. Très souvent on ne voit pas quel rapport logi-
que unit Tun à l'autre^ ni ce quilé<;itime la place de tel ou
tel développement dans une partie du Pentateuque plu-
tôt que dans une autre. Le premier lien posé, ïe com-
mentaire se détourne immédiatement dans une direction
inattendue et alors ce n*est plus le Pentateuque qui est
mis à contribution, mais toute TËcrituro, tout le Talmud,
tous les Midraschim, toutes les doctrines mystiques
antérieures, tout le flot confus d'idées juives et non jui-
ves. Par exemple, à propos de la séparation des eaux
des premières lignes de la Genèse, le Zohar passe im-
médiatement à ridée de séparation morale, de discus-
sion, alors l'occasion semble bonne pour parler des ré-
voltes de Goré, des discussions casuistiques d(' Scham-
maï et Hillel, et d'autres docteurs illustres, de la
scolastique du Talmud en général, etc. Selon les asso-
ciations d'idées les plus fantaisistes, reliées entre elles
par un fil invisible, le commentaire suit sa marche en-
tassant dans une confusion inextricable des interpréta-
tions exégétiques, des jeux d'homophonie et de synony-
mie, des combinaisons de lettres et de nombres, des
propositionsdogmatiqueSy des paraboles, desapliorisnies,
des fables, des odyssées symboliques. Les a^Liomes phi-
losophiques les plus hauts coudoient les subtibilités
scolastiques les plus puériles, lexégèse substantielle de
Técole d'Espagne est mêlée du verbiage scolastique, tout
cela servant d'expression à des notions de philus^-iphie,
de théo^ophie,de théologie, de cosmogonie, de physique,
d'éthique, à des données relatives à l'astronomie, à Tas-
trologie, à Talchimie, à la médecine, à la médecine
330 LE ZOHAR
occulte, à la botanique, à des superslilions touchant
Texorcisme, les amulettes, la chiromancie, la physiogno-
mie, à toutes les formes imaginables de thaumaturgie
et de théurgie, à un mysticisme vide, purement formel,
des lettres, des nombres, des noms divins et des noms
d'anges, à une mystique et à une poétique sans caractère
définissable, à des jeux d'idées rebelles à toute analyse
et qui n*ont dans nos langues modernes aucune possi-
bilité d'expression.
Là se rencontrent les produits intellectuels et aussi
les élucubralions et les aberrations de tout TOrient
et de tout l'Occident. On dirait une grande foire d*idées,
où les denrées les plus chères et les plus viles sont ex-
posées avec le même soin et vendues au même prix, où
même les perles les plus pures ont souvent les écrins
les plus grossiers et où, malheureusement plus souvent
encore^ des vases d'or ne contiennent que poussière et
cendres. Si l'on fait abstraction du cadre et des procédés
souvent étranges, inadmissibles à nos méthodes, on
éprouve je ne sais quel frisson de respect devant cet
océan d'idées venues de partout, acceptées avec la même
avidité même quand elles font mal penser, pourvu qu'el-
les fassent raisonner, pourvu qu'elles paraissent appren-
dre quelque chose à l'esprit, pourvu qu'elles semblent
rapprocher de quelques toises l'horizon de la vérité
perdu à Tinfini. C'est le cas de répéter avec Shakespeare :
« Si c'est de la folie, il y a pourtant quelque méthode
dans cette folie. »
Ce qui dispense Tauteur et le compilateur de toute
méthode, c'est la forme même sous laquelle se présente
le Zohar. S'il avait exprimé ses idées en une œuvre d'en-
semble il aurait été tenu à une certaine confusioa. Mais
comme l'œuvre ne prétend avant tout qu'à être un cova-
mQXiiBxxe^xxii vade-jnecinn du Pentateuque,il peut suivre
LE CADRE 331
pas à pas ce Pentateuque, fait lui-même de pièces et de
morceaux d^époques diverses, lui-même plein de heurts,
de contradictions, d'antinomies irréconciliables. De la
sorte Tauteur n'est gêné par aucune loi logique et il peut
entasser pêle-mèle tout ce qui se rencontre dans son
esprit et tout ce qui se trouve dans les ouvrages qu'il a
sous les yeux.
Ainsi donc le Zohar est une juxtaposition, un agrégat
d'éléments hétérogènes. Ce n*est pas un organisme bien
constitué, mais une espèce de polype monstrueux réu-
nissant les types les plus divers. En d'autres termes, ce
n'est pas un édifice mais un amas de pierres dans lequel
nous surprenons encore des blocs bruts jetés là au ha-
sard.
Dans cet amas confus nous distinguons les fragments
suivants constituant des petits touts nettement indépen-
dants du reste :
Le Livre des Mystères {Sifra Dezniuia^;
La Grande Assemblée (Idra Rabba) ;
La Petite Assemblée {Idra Zuta);
Les Mystères des mystères (Razf* Derazin];
Les Palais {Sefer Hechaloih);
Le Pasteur fidèle [Raya Mehemna) ;
Les secrets de la Thorah [Sithre Thorah) ;
Le Midrach occulte [Midrasch Haneeiam) ;
La Spéculation du Vieux (Saba);
La Spéculation du Jeune {Ventika) ;
Matnitin;
Tosefta.
Enfin englobant le tout :
Le Zohar proprement dit.
Puis viennent des opuscules qui délayent le Zohar
proprement dit, à savoir :
Le Nouveau Zohar {Zohar Chadasch) ;
392 LE ZOBAR
Le Zohar du Cantique dea cantiques (Zohar schir has»
chirim) ;
Les Anciens et Nouveaux Suppléments [Tikunim).
Le « Livre des Mystères )>, la « Grande » et la « Petite
Assemblée » forment un premier groupe, probablement
le plus ancien, car le terme « En-Sof » n'y figure pas
encore et la neuvième Sefirah y est appelée zadik (juste)
comme dans l'école d'Isaac l'Aveugle et non encore
« Fondement » ou vie du monde » comme dans le Zohar
proprement dit. Ce groupe a un caractère anthropomor-
phique nettement tranché; il est rempli par la représen-
tation et la description de Dieu sous Taspect du «Grand
Visage, n II rappelle les anthropomorphismes du mysti-
cisme des Gaonim et semble être une amplification et
une extension du Schiur Koma. En tète du groupe vient
probablement le Livre des Mystères, car les deux suivants
s'y réfèrent. Il est de même cilé dans toutes les autres
parties du Zohar, II, 47 A, 522 b ; III, 48 b, 60 A, 175 «,
261 6, 291, sous le titre de «Mystère du livre» et partout
ailleurs sous celui de «Livre des mystères » qui a prévalu.
Le dernier auteur ou compilateur du Zohar a dû lui-
même le considérer comme le premier en date, car il le
fait citer par Simon b. Jochaï comme n'étant pas de lui
(II, 176 a-y III, 146 b). Dans l'opuscule même Simon b.
Jochaï ne figure pas une seule fois.
Puis vient la « Grande Assemblée » qui tout en aj»-
portant quelques données nouvelles reprend et délaye
la plupart des conceptions du Livre des Mystères sous
une formi» plussolonnolle et plus ample. «Jusqu'à quand,
cria R. Simon à ses compagnons, jusqu'à quand persis-
terez-vous dans la position équivoque (soutenus sur un
seul pied;? N'est-il pas écrit ; « Il est temps d'agir pour
Dieu » ; le temps est court, le créancier presse, l'appel
retentit chaque jour, et il y a peu d'ouvriers. Kncore
LE CADRE 333
ceux-ci ne sont-ils occupés qu'au bord du vignoble (sans
entrer dans la gnose intérieure), sans même savoir où est
l'endroit véritable. Donc, chers amis, réunissez-vous,
armez-vous du bouclier et de la lance. . . et dans la crainte
mystérieuse de celui qui est le maitre de la vie, proférons
des vérités auxquelles les anges sacrés sont attentifs. »
Après ces mots Simon b. Jochaï s'arrêta et pleura.
« Malheur, s'écria-t-il,8i je révèle la chose, malheur si je
ne la révèle pas. » Et personne n*osa rompre le silence. ..
Ktaient présents et comptés par R. Simon : R. Ëléasar
son Plis, R. Aba, R. Jehuda, R. José fils de Jacob, R. Jitz-
chak, K. Ghiskiya b. Rab., R. José, R. Jese : ils étaient
ail nombre de dix docteurs... Ils se rendirent tousen plein
air et s'assirent en cercle à Tombro d'un arbre. Simon b.
Jochaï, après avoir prié, s'assit au milieu d'eux, et or-
donnant à tous de poser leur main sur ses genoux, il prit
contact avec toutes ces mains et se disposa à parler...
Lorsque le silence fut bien établi, on entendit un bruisse-
ment qui fit chanceler tous les genoux : c'était le bruis-
sement d'ailes de l'Assemblée céleste. » C'est daas ce (•adre
s«)l<.»niiel que l'auteur place l'enseignement de ses idées.
La u Petite Assemblée » est un résumé de ce qui est
contenu à la fois dans le «Livre des ^Mystères o et dans la
« Grande Assemblée ».
Ce qui marque bien que ces fragments sont des touts
indépendants, c'est qu'ils sont divisés par chapitres et
n'ont de près ou de loin aucun lien avec le Pentateuque.
Le compilateur, suivant en cela les compilateurs juifs de
tous les temps, les insère simplement à dilférents endroits
de la trame du Zohar sans pratiquer la moindre suture
et nous permet ainsi de les détacher sans préjudice du
contexte.
Un second groupe est formé par le « Mystères des mys-
tères » et « Les Palais » qui ont ce point commun d'être
334 LE ZOHAR
en général la reproduction de ce que nous avons trouvé
antérieurement, notamment dans les « Hechaloth » du
temps des Gaonim.
Le <c Pasteur fidèle » apparaît tout à coup à la lisière
du Pentateuque, parallèlement au Zohar proprement
dit. Mais tandis que le Zohar suit le Pentaleuque tout
entier, le u Pasteur fidèle » n'accompagne que la partie
législative. S'inspirantde la méthode d'Ezra-Azriel et de
Nachmanide^ Tauteur résume et étend Teffort fait par eux
pour donner à tous les préceptes un sens mystique digne
d^ètre opposé au sens rabbinique pur et simple. Puisque,
selon les conceptions de la Kabbale, la Thorah a servi
de plan au divin Créateur, le sens de toutes ses parties,
aussi de la partie législative, doit avoir une relation di-
recte avec Texislence de Tunivers créé. C'est cette rela-
tion que Tauteur cherche à mettre en lumière. Il envisage
chaque précepte comme apportant des révélations sur
Tordre supérieur et comme recelant une action sur les
forces théurgiques des choses. Les préceptes deviennent
ainsi une colonne d'angle, non pas seulement du gouver-
nement moral mais du gouvernement matériel de l'uni-
vers. Mais tandis qu^Ezra el Nachmanide s'attachent uni-
quement à transfigurer les préceptes bibliques, le « Pas-
teur fidèle » se propose d'opérer la même transformation
sur les préceptes talmudiques, sur les innombrables dis-
tinctions juridiques des docteurs. Toutes les infiniment
petites pratiques, créées de toute pièce par les rabbins,
il les relie aux choses de l'àme et du monde supra-sensi-
ble. De la sorte, l'auteur, tout en étant un adepte très
fervent delà Kabbale, demeure cependant sur le terrain
traditionaliste. Il donne une autorité mystique aux ins-
titutions et aux lois talmudiques, il baigne de mysticisme
le judaïsme orthodoxe. Le « Pasteur fidèle » cite fréquem-
ment un ouvrage antérieur sous le nom de « Traité pré-
LA MÉTUODE 335
cèdent ou ancien » (III, 214 h et suivants, 219 A, 232 h).
Entendrait-il par là le Zohar lui-même? Dans ses rêves,
messianiques figure (voir Zohar ^ III, 251 a) Tannée 1260
ou 1272 aprfes la destruction du Temple, c'est-à-dire 1328
ou 1340 après J.-C, ce qui nous reporte à une époque
ultérieure à Tapparition du Zohar.
Les fragments appelés « Mystères de la Thorah » et
les morceaux intitulés « Matnitin» et <( Tosefta » se con-
sacrent particulièrement à la question des Sefiroth. Ils
tendent à rendre sensible la doctrine de Témanation par
des comparaisons matérielles, empruntées presque toutes
au rayonnement de la lumière. On dirait qu'ils prennent
pour point de départ les indications du Zohar même,
par exemple de I, 107 A, 109 A, 147 a, 154 ô, 161.
Le Midrasch occulte, malgré son titre ronflant, est une
œuvre très superficielle qui se préoccupe surlout d*allé-
gorîser à la manière de Philon. Par exemple, Tinlerven-
lion d'Abraham en faveur de Sodome est interprétée
comme le plaidoyer ultra-terrestre des âmes pieuses
pour les âmes pécheresses (I, 104 b). Les filles de Loth
symbolisent les deux instincts de Thomme (1, 110 Aj, etc.
Tous ces opuscules, avons-nous dit, sont enchâssés
dans le Zohar proprement dit. C'est ce Zohar qu'il faut
aborder. Et tout d'abord sa méthode.
La méthode du Zohar est en principe la même que
celle de toute la mystique antérieure. Je veux dire l'allé-
gorisme. Il faut préciser le caractère de l'allégorisme du
Zohar. Il v a dans toutes les littératures deux formes
générales d'allégorisme : celui qui interprète les faits
par des allégories et celui qui interprète les allégories
par des faits. Les peuples primitifs allégorisent tous les
phénomènes naturels et les expliquent comme le jeu des
passions qui meuvent les êtres personnels supérieurs.
C'est ainsi que se forme le tissu mythologique. Ici l'allé-
336 LE ZOHAR
gorisme consiste à passer de la réalité au mythe. Plus
tard se produit le phénomène inverse et l'esprit passe du
mythe à la réalité, du signe à la chose signifiée. C'est
ainsi qu'aux temps de leurs poètes dramatiques les Grecs
considéraient les fables mythologiques comme Texpres-
sion de notions morales, et les Stoïciens, chez les Ro-
mains, faisaient de la mythologie l'expression de la
scène cosmique.
L'allégorisme du Zohar ne tient ni de Tune, ni de
l'autre de ces deux formes. Pour le Zohar, il n*y a pas
là en présence un signe artificiel, irréel^ et une chose
signifiée réelle, mais Tun et l'autre sont également à la
fois des réalités et des signes. Les phénomènes et les
textes ne sont pas seulement Texpression, le reflet d'un
monde supra-sensible, mais ils ont tous deux une double
réalité, réalité extérieure et sensible, réalité intérieure
et abstraite. Les mots Je TËcriture, les récits relatifs au
passé sont vrais d'une vérité historique, mais sont en
même temps le symbole d'une vérité plus haute. De
même, les phénomènes de la nature ont parallèlement
un sens réel et un sens idéal. Ils sont ce qu'ils sont et
en surplus le signe de ce qu'ils ne sont pas. En un mot,
cet allégorisme est mystique, il repose sur ce principe
que les choses visibles ont, outre leur réalité exotérique,
une réalité ésotérique, destinée à enseigner à riiomme
ce qui n'est pas visible. Et ce n'est pas seulement la
réalité sensible, mais de bas en haut toute chose n'est
jamais dans son sens profond que le signe d'autre chose
qui la dépasse. L'univers est ainsi rempli de symboles
qui, en dernière analyse, conduisent tous à l'être véri-
tablement en soi qui n'est jamais un signe mais qui est
la Grande Chose signifiée. La méthode du Zohar est bien
en harmonie avec les idées qui en sont la doctrine fon-
damentale. Puisque toul l'univers n'est qu'une grada-
LA MÉTBODE 337
tiou d'émanation, il s'ensuit que l'esprit humain peut
retrouver dans chaque effet la marque supérieure et re-
monter ainsi jusqu'à la Cause des causes. Par cette mé-
thode^ rhomme peut sans cesse, en toute occasion^ à la
vue de tout^ se mettre immédiatement en rapport avec
le monde idéal et se retremper à la source première.
Afin de lui faciliter cette montée, Dieu lui a donné
un livre : l'Écriture, et particulièrement le Pentateuque
ou la Loi. Cette loi, ayantprésidéà lagenèsede Tunivers»
ayant servi de plan au Grand Architecte, doit nécessai-
rement contenir toute vérité sur le sens profond de cet
univers. Mais» de même que dans Tunivers, il faut dé-
mêler le sens idéal sous le sens réel, de même dans
rKcriture il faut chercher le sens intérieur sous le sens
extérieur. DéjàdansleTalmud (Sanhedrin,99b iiipasnm)
nous trouvons une ébauche de cette méthode : « Un roi
impie se moqua un jour des choses insignifiantes rap-
portées par la Bible... Le Talmud observe que ces récits,
vrais en particulier pour ceux qui furent l'objet des
événements relatés,, ont en outre une portée symbolii[ue
générale ». Le Zohar reprend tout d'abord ce principe et
le formule ainsi : « Les récits sont faits pour servir de
préinice à une induction plus haute » ;^I11, 149 h). (]lhaque
verset de la loi a à la fois et un sens clair et un sens
caché (III, 71 b). Puis (III, 152 a) nous trouvons la mé-
thode exposée tout au long : « Malheur à celui qui croit
que la Thorah ne contient que des récits communs et des
paroles ordinaires, car s'il en était ainsi» nous pourrions
encore de notre temps composer une loi beaucoup plus
admirable... Il est évident que dans chaque parole glt
un mystOre profond et le monde supérieur et inférieur
sont pesés sur la même balance (c'est-à-dire les mômes
mots contiennent à la fois un sens relatifs la terre et
un sens relatif au ciel). Mais tout ce qui vient d'en haut
338 LE ZOHAR
doit tout d*abord^ pour devenir accessible, revêtir une
enveloppe mortelle. Les anges envoyés sur la terre
n'ont-ils pas dû prendre des vêtements humains, autre-
ment ce monde n'aurait pas pu les recevoir? Gomment
alors la sainte Thorah, laquelle est tout entière destinée
à notre usage, pourrait-elle se passer de vêtements? Eh
bien! les récits sont le vêlement... II y a des hommes
qui, lorsqu'ils voient un de leurs semblables bien vêtu,
se contentent de cette vue et prennent le vêtement pour
le corps. A plus forte raison ne recherchent-ils pas et
n'apprécient-ils pas Tâme qui est encore supérieure au
corps. 11 en est ainsi pour la loi divine : les récits cons-
tituent son vêtement, la morale qui en ressort est son
corps, enfin le sens caché, mystérieux est son âme... Les
simples ne prennent garde qu'au vêtement et ne voient
pas ce qui est dessous. Ceux qui sont supérieurs cher-
chent le corps. Les sages et les initiés, au service du Roi
d*en haut, ne considèrent que Tàme qui est la racine de
toute loi. De même aussi pour les choses d'en haut, il y
a un vêtement, un corps et une âme. L'âme des choses
est ce qui se rapporte au ciel... »
« Semblable à une belle, dit encore le Zohar (II, 99)
cachée dans l'intérieur de son palais, qui, tandis que son
bien-aimé passe, ouvre un moment une issue secrète,
par laquelle elle n'est vue que par lui et disparaît à nou-
veau et pour longtemps, ainsi la doctrine ne se montre
qu'aux élus et elle ne se montre pas au même degré à
tous les élus. Au début, elle fait signe avec la main en
passant, il s'agit alors de voir le signe, c'est la méthode
qu'on appelle la méthode par allusion; plus tard, elle
approche un peu plus près, murmure quelques paroles,
mais son visage est couvert d'un voile épais que les re-
gards ne peuvent pénétrer, c'est la méthode qu'on ap-
pelle méthode d'interprétation; plus tard encore, elle
Kf-
LA MÉTHODE 339
sY'nlrolienl avec Télu, le visage recouvert d'un voile iiii,
c'est la mélhode haggadique; enfin quand il s'est de la
sorte habitué à son commerce, elle se montre face à face
et lui confie les derniers reflets de son cœur, c'est la mé-
thode mystique. L'initié comprend alors facilement que
tous ces différents sens occultes sont latents au fond du
sens littéral et qu'on n'a rien retranché ni rien ajouté. »
Outre Tallégorisme de fond, il y a dans le Zohar ce
qu'on pourrait appeler l'allégorisme de forme, j'entends
que la terminologie, indépendamment des idées dont
elle est l'expression, est en soi un tissu de mots, de dé-
nominations symboliques. Sur la base de parallélismes
bibliques et talmudiques, avec Taide de combinaisons
de nombres arbitraires, il se constitua au sein des
écoles kabbalistiques, une véritable langue hiérogly-
phique dont le type le plus complet nous est donné dans
le Zohar.
L'allégorisme de fond et de forme a, aux yeux des
mystiques, cet avantage de mettre les mystères à l'abri
des regards profanes. Il est une garantie contre les vio-
lations du dehors et du dedans. Il faut en ellet une cer-
taine forco d'esprit pour comprendre les symboles, pour
saisir le rapport qui unit la forme et Tidée ; même après
une longue initiation^ il faut une certaine subtilité pour
retrouver le lien qui relie l'expression et la doctrine et
surtout pour créer des rapports nouveaux. Ainsi donc,
d'une part, une garde sévère veillait à la défense du
sanctuaire^ car les mattres mettaient les disciples à une
série d'épreuves intellectuelles et ne livraient l'ensei-
gnement qu'à une élite; d'autre part, le seuil une fois
franchi, les voiles changeants et troublants de Tallégorie
couvraient toute chose.
Dilférents degrés conduisaient à travers tous les modes
de la connaissance jusqu'à Textase la plus sublime.
340 LE ZOHAR
D'abord ce que le Zohar appelle « la vision par le miroir
éclairé indirectement », puis la « vision par le miroir
éclairé directement »ou, comme il dit encore, la connais-
sance (c du visage extérieur et du visage intérieur » des
choses (Zohar, II 23 b). Après cela vient la représentation
intuitive (cf. Philo, Leg. alleg., III). Trois degrés condui-
sent à rintuitiou. D'abord le rétrécissement de la pupille
quand l'objet est encore très lointain^ puis les yeux de-
meurent moitié ouverts, moitié fermés, et alors la vision
est tantôt obscure, tantôt claire, puis, les yeux sont com-
plètement clos et retournés, alors, la vision a un éclat
suprême (Mystères de la Thorah, 97 a et suivants). Après
la période intuitive vient la période d'amour. La loi ne
révèle des secrets qu'à celui qui Taime. De même que
ceux qui aiment ne voient rien d'autre que l'objet de
leur amour, tout leur cœur et toute leur &me s'y rattache
et ils n'ont de cesse que l'amour réponde à l'amour, ainsi
la Thorah ne se découvre qu'à son amant, à celui qui en
fait l'objet constant de sa vie [Zohar ^ II, 99 a). Après
l'amour vient l'extase qui s'applique aux visions les
plus saintes. Un exemple nous en est donné dans la
« Grande Assemblée » (122 b) : « J'étais plongé, dit
R. Simon b. Jochaï, dans l'extase contemplative, et je
vis un rayon sublime de lumière supérieure étendre son
éclat sur 323 cercles et quelque chose d'obscur se bai-
gner dans cette lumière... Puis ce point obscur, revêtu
maintenant de lumière, nagea vers la mer profonde el
sublime, où aboutissent toutes les splendeurs. Et je de-
mandai : Quel est le sens do cette vision? C'est le par-
don du péché que tu as vu. »
On voit comment cette extase s'en fait accroire à elle-
même par Taccumulation d'images poétiques (i) d'un
vague insaisissal)le.
1. Le mysticisme el la poésie ont souvent marché de pair; cette
LA MKTIIODE II kl
DâDS la Bible il apparaît à plusieurs endroits que l(;s
prophètes, depuis Samuel jusqu'aux grands prophètes
écrivains, se mettaient parfois dans un état d'exaltation
ou de vaticination, en écoutant certaines harmonies^ où
en jouant eux-mêmes de certains instruments (I Samuel,
10; WRois^ 3). Le Zohar croit pouvoir décrire les phéno-
mènes physiologiques qui accompagnaient cet état exta-
tique : « Lorsque le prophète sentait venir à lui Tesprit
divin, il était pris de violents tremblements, comme un
homme mordu par un chien, ses yeux ne laissaient plus
apparaître qu'une blancheur de miroir, réfléchissant en
quelque sorte les visions qu'il centemplait ». Le Zohar
recommande beaucoup ce moyen, mais il pense que,
pour les mystiques véritables, capables de se dégager
de la matière et de monter au ciel en esprit, il y a un
moyen bien plus efficace, c'est d'écouter les chœurs
d'anges et les harmonies (II, 63 a) des Sefiroth.
Un cadre de prédilection de renseignement du Zohar
est la promenade ou le voyage. Déjà dans le Talmud
certains aphorismes» certaines doctrines sont présentés
à loccasion d'un événement survenu au cours d'un
voyage de plusieurs docteurs. Le Zohar voulant entrer
le plus complètement possible dans la vie de son héros,
K. Simon b. Jocliaï lui fait entreprendre des voyages de
propagande. Ainsi (I^ 132) il arrive à Tibériade et, à son
entrée dans la ville, il prévoit la visite d'un délégué
connexiltî apparaît particulièrement dans le Zohar. Même dans
r«''coIe d*Isaac TAveugie ([ui tend cependant à une certaine hauteur
philosophique, l'expression des idées est empruntée non à la langue
de la philosophie mais à celle de la poésie. Précisément parce qu«'
ridée métaphysique se perd dans les hauteurs inaccessibles à la
logique, elle trouve commode de se donner pour vêlement des
formes plus brillantes que solides, les formes flottantes de ia
poésie.
«142 LE ZOUAR
chargé par une école de s'entretenir avec lui sur les
mystères de la prière. C'est en effet ce qui arrive; (I,
223 a)^ il joue un rôle semblable sur la route de Cappa-
doce à Loud; (I, 242), il fait en compagnie de ses amis
le voyage de la Galilée supérieure à Tibériade ; (1, 244 b),
R. Eléasar en route avec R. Aba s'arrêtent à une caverne
où ils sont rejoints un peu plus tard par R. Simon; (II,
143 6), R. Simon et ses compagnons rencontrent un
vieillard que le Zohar nous présente comme un ascète
du désert (solitaire de Thébaïde ou slylilc); (III, 59), il
reçoit une députation chargée de lui demander conseil
sur le moyen de susciter la pluie. (Cf. pour lui et les
autres personnages du Zohar, III, 69 a, 90 a, 106 6; I,
85 b, 86 6, 131 a, 178 a; II, 4, 10, 13 a, 163 b, 171 a,
232*; m, 35 a, 84 6.)
Certains passages rappellent les promenades péripa-
téticiennes du Lycée, par exemple (III, 202 b) : le maitre,
pour mieux s'entretenir de sujets très graves, sort de la
ville, gagne la grande route en compagnie de ses dis-
ciples. D'autres passages comme la scène d'introduction
de la Grande Assemblée rappellent le commencement
du Phédon de Platon ou du Brutiis de Cicéron. Les
disciples au nombre de dix vont s'asseoir en cercle à
l'ombre d'un arbre, les mains sur les genoux. R. Simon
b. Jochaï est assis au centre et saisissant toutes les
mains tendues vers lui il commence à parler.
La doctrine du Zohar.
XV
DIEU
Si le Zohar ne préscule pas sur Dieu une conception
uniforme, nous pouvons cependant admettre qu'il est
traversé tout entier par la distinction entre Dieu en soi,
invisible, inaccessible et Dieu en tant que créateur, se
révélant à l'esprit humain. En soi il est le En-Sof (infini),
le Ayin (néant), l'Ancien des anciens, le Mystérieux des
mystérieux, le Long Visage. Le Zohar se hi^te de décla-
rer que ces noms ne sont que des noms fictifs créés par
l'esprit humain. En effet, Tidée d'un Dieu en soi, inac-
cossiblo à Tosprit humain, exclut^/ priori tout qualificatif
ot tout nom propre. « Dieu en soi n'entre dans aucun
nom », dit le Zohar. Les noms divins — et ils sont innom-
brables — qui se rencontrent dans le Zohar ne peuvent
donc en aucune manière correspondre li une réalité
objective, mais ne sont jamais qu'une expression subjec-
tive de nos conceptions sur Dieu et son œuvre.
C<»pendant, pour parler de ce Dieu en soi, pour le
(Irj^ager précisément de toute formule et de toute déno-
mination, el d'une manière générale pour le considérer
à un point de vue objectif, il fallut bien trouver quelque
qualilicatif répondant à notre expression « Dieu en soi ».
Le Zohar emploie, en général, comme nous l'avons déjà
dit, le mot En-Sof (sans fin) devenu classique depuis
23
344 LA DOCTRINE DU ZOHAR
Técole d'Isaac l'Aveugle, « Ce Premier de là-bas que
personne ue peut méditer, ni connaître, parce qu'il est
enveloppé dans une pensée cachée et une idée incom-
mensurablement élevée au dessus de la perception d*une
pensée humaine, n'ayant rien à quoi cette pensée puisse
s'attacher, n'offrant aucune prise, ni pour l'ignorance qui
questionne, ni à plus forte raison pour la connaissance
qui affirme — c'est là le En-Sof » (I, 21 à).
Mais puisque le En-Sof évoque encore quelque idée
positive ou au moins ne présente l'idée d'InKni que par
la négation du fini, le Zohar emploie souvent à sa place
le terme Atjin (néant). Il est appelé néant parce que
nous ne le connaissons pas, parce qu'il est inconcevable
(Petl/p Assomhlêe, 288; cf. II, 64 *, 129 a).
Le En-Sol n'est susceptible d'aucune forme matérielle,
ni d'aucun signe adéquat. Le Zohar, pour celte raison,
remplace souvent la dénomination « En-Sof » qui ne lui
paraît pas assez négative par celle de « Avin » (néant)
et pour le mettre à l'abri de toute conception positive,
il étend ce même terme jusqu'à la première manifesta-
tion divine, la première Sefirah a la Couronne », de sorte
que Dieu en soi est TAyin de Tayin, le néant du néant,
une quintessence du néant, une raréfaction de néant.
Ce n'est pas qu'il faille penser ici comme le croit Franck
au pur néant de Hegel. Le Zohar, croyons-nous, se place
à un point do vue purement subjectif. Dieu est nu néant
pour Tespril harnain. Le Zohar dit formellement (II,
42 b) que toute dénomination s'appliquant à Dieu n'a
pu apparaître qu'avec la création, c'est-à-dire par rap-
port de la chose créée au sujet pensant. « Là-bas, dit le
Zohar [ibid,)y il ne peut être question d'aucim nom,
d*aucune connaissance, d'aucune forme pcDceptible. »
C'est pourquoi En-Sof et x\yin lui-même ne suffisent
[>as au Zohar pour marquer Pincoucevabilité divine;.
DIEU 345
c esl-à-dire que ces déiiominalions reafennenl encore
quelque chose de subjectif, et, comniti dit le Zohar, ils
sont postérieurs à la création, c'est-à-dire qu'ils impli-
quent une conscience extérieure à Dieu. Mais quel nom
portait-il « avant la création »? Avant la création, il est
défendu de le désigner môme par un simple signe A (n), ou
V (•). C'estseulement après la création, après qu'il eut créé
une figure et qu'il fut descendu vers les choses, alors, un
nom put s'appliquer à lui. Ainsi donc En-Sof et Ayin ne
désignent pas proprement le Dieu en soi, le Dieu éter-
nel indépendant de toute œuvre créée, mais pour ce
Dieu, il faut se contenter de Tinterrogatif : Qui? « Avant
qu'il y eut aucune forme créée, avant qu'il y eut au-
cune image, Dieu était seul, sans forme, sans ressem-
blance avec rien. Qui pourrrait le concevoir, comme il
était alors puisqu'il était sans forme concevable? Aussi
ne doit-on le représenter par aucune imago, par aucune
figure, même pas par son nom, ni par une lettre, ni par
un signe. Et c'est ce qu'il faut entendre par ce passage
de l'Ecriture : « Vous n'avez vu aucune ligure le jour où
l'Éternel vous parla » {Dcul. 4, 15), c'est-à-dire vous
n'aviez rien vu qui soit susceptible «l'être rendu p^ir une
ligure ou une image {Zu/iar, II, 112 A). « Lorsjjue tout
était encore enveloppé en lui, Dieu était le mystérieux
parmi les mystérieux. Alors, il était sans nom. Le seul
terme qui lui convint eiit été l'interrogation : Qui? >,
(Zohar, 11, 105).
Dieu en soi est doue impénétrable, inconcevable. Ce
n'est que par la création et dans la création qu'il prend
une forme connaissable. Le Zohar use de diverses sym-
boliques pour exprimer la distinction du Dieu en soi,
invisible, d'avec le Dieu visible et, pour exprimer la pas-
sage de l'un à l'autre. Dans les fragments les plus anciens
cette doctrine est ligurée sous l'aspect de deux visages.
346 LA DOCTRINE DU ZOHAR
Ici, il nous faut tout d'abord citer textuellement, du
moins ce qui est susceptible d'être rendu dans notre
langue, et c'en est la moindre partie. « Il y a un crâne
rempli de rosée avec une membrane éthérée, transpa-
rente et invisible. La laine abondante des cheveux tombe
avec symétrie. Puis, vient un front sur lequel repose
Tamour et qui est accessible aux prières des hommes.
Puis vient un œil toujours ouvert et en éveil, dont les
regards versent la sollicitude sur les choses d'en bas.
Puis viennent deux narines d'où jaillit Tesprit de vie
pourTunivers entier » (Litre des My sieveSy passim). —
Dans la Grande Assemblée la description est pi us brillante
et digne, pour ce qui est de la forme matérielle, du
Scliiur Koma et du mysticisme gaonique : <c L'éclat de
la têle étincelle en quatre cent mille univers, de son
crâne se développe chaque jour treize mille myriades de
mondes tous soutenus par lui,.. Le crâne distille une
rosée blanche, s'iri>.ant en toutes les couleurs ; cette ro-
sée est une source de vie qui anime les mondes et qui
ressuscite les morts... La longueur du visage se déve-
loppe en trois cent soixante-dix myriades de mondes.
C'est là le Long Visage. Lorsque le Petit Visage se tourne
vers lui, l'ordre s'établit dans les sphères inférieures...
Du crâne s'étend un brillant cercle de lumières qui se
répandent sur le Petit Visage et de là dans les mondes
inférieurs. Chacun reçoit un relletde l'éclat suprême de
l'Ancien des anciens... La membrane couvre le cerveau
qui révèle la sagesse mystérieuse. Cette sagesse est im-
pénétrable parce que la subtilité de la membrane ne pré-
sente aucun aspect visible. Aussi le cerveau du Long
Visage demeure-t-il en repos dans une sérénité inébran-
lable, comme le bon vin repose sur la lie... Mais dans le
Petit Visage la membrane ne serre pas le cerveau de si
près et il se ramifie en trente-deux voies de sagesse per-
.-■ r-
DiEC 347
ceptibles (cf. Se fer Yezirah, I, 1)... De la tête tombent
en bon ordre des myriades de boucles blanches, de ma-
nière qu'aucun fil ne dépasse l'autre... ; chaque boucle se
compose de fils innombrables, et chaque fil rayonne en
une multitude de cercles lumineux. Tous les fils tirent
leur suc du cerveau du Grand Visage. Chaque cheveu est
un canal ayant son point de départ dans le cerveau
obscur et invisible... Le front est le symbole de Tamour
primordial. La grâce du Petit Visage en dépend... Les
yeux aussi sont le symbole du Grand et du Petit Visage;
ils sont en réalité comme un seul œil, car ils convergent
vers un seul point lumineux... Le rayon qui en jaillit
pénètre toute chose de son reflet. Tout d'abord, il éclaire
trois lumières, la gloire, la majesté et la volupté. Ils
brillent d'une joie parfaite. Puis un second rayon répand
son éclat partout et produit par son reflet d'autres lumiè-
res^ la victoire, la grâce et la beauté. Elles brillent d'une
volupté parfaite. Un troisième rayon sort lumineux de
l'obscurité du cerveau et son reflet allume d'autres lu-
mières par lesquelles s'allument toutes les lumières in-
férieures... L'œil inférieur ne peut acquérir toute la pu-
reté de son éclat que par Tœii supérieur. Si de cet œil
supérieur Tœil inférieur n'est pas baigné et purifié, le
monde ne peut subsister un seul instant... Dans Tœil
inférieur, il y a un côté gauche et un côté droit et dans
l'œil inférieur il n y a pas do côté gauche... L*œil infé-
rieur est de couleur rouge mélangée de blanc et de noir,
Tœil supérieur est d'une blancheur intense... Le nez
surtout, caractéristique de tout visage, caractérise la
distinction de TAncien et du Jeune. Chez l'un, le nez
répand partout le souffle de vie; chez Tautre, le nez ne
donne que ce qu'il reçoit d'en haut, et il répand aussi des
flammes destructrices... »
Il convient de mettre dans la confusion de ces repré-
348 LA DOCTRINE DU ZOHAR
sentations symboliques, quelques clartés. Le a Livre des
Mystères » et la « Grande Assemblée » entremêlent d'une
manière inextricable différentes expressions sensibles
de la même idée, à savoir la distinction des deux fiices
de Dieu. Le Long Visage est invisible, mais c'est par
les rayons issus de lui que le Petit Visage devient vi-
sible. Ces rayons partent de Tœil ou du cerveau supé-
rieur et illuminent successivement les différentes lignes
du petit visage. Les linéaments sont spéciliés, et leurs
noms, sauf quelques variantes, répondent aux noms des
Sefiroth à nous connues.
Les sept formes du Petit Visage, à savoir : le crâne, la
rosée (peut-être la matière humide sécrétée parla/tmtca
arachnoida)^SL membrane qui enveloppe le cerveau {\eipia
mater), la face extérieure (selon Daniel, 7, 9), le front,
Tœil, le nez, correspondcntaux sept Sefirolh inférieures,
à partir de la grâce. Les trois premières Sefiroth, les
Sefiroth idéales ou intellectuelles, sont alors sons-enten-
dues et répondent aux trois lobes cérébraux dont on ne
parle pas.
Sous un autre aspect un peu différent, Tceil supérieur est
d'une blancheur intense, c'est-à-dire indistincte, envelop-
pant toutes les couleurs; il éclaire l'œil inférieur et y pro-
duit une première différenciation de couleurs, le rouge
d'on narlont tous los autres ravons diflérentieis. Il v .i
là une première symbolique empruntée à la lumière et
aux couleurs.
Et il y en a une autre : la barbe, symbole de force et
de puissance virile, l'élément le plus magnifique du vi-
sage, partant des oreilles pour descendre et remonter,
encadrant le visage et se divisant on treize fils blancs.
Les lèvres restent découvertes, pour que d'elles puissent
jaillir les treize paroles, les treize filets de baume répan-
dant partout la vie.
DIEU 349
Les Ireize fils répomlent aux treize voies ou attributs
de VEx. i^4, 6. Nous trouvons donc entremêlées les con-
ceptions anciennes relatives aux voies divines telles
qu'elles ont prévalu jusqu'aux environs d*Ibn Gabirol
avec la conception nouvelle des Sefiroth.
Si nous étions tenus à mettre de l'unité dans ces sym-
boles nous figurerions Tensemble de toutes ces idées par
rimage d'un homme. Du cerveau partent les forces inlel-
lecluelles, c'est-à-dire les Sefirolb; du front émanent les
attributs de bonté indépendants des Sefiroth, et de Tœil
rayonnent les lumières et les couleurs rendant visibles
les uns et les autres. Los Sefiroth sont les médiateurs
mélaj)hysiques, les rayons lumineux sont les média-
teurs cosmogoniques et physiques ; les voies sont les mé-
diateurs moraux.
Dans le Zohar proprement dit, la doctrine du Dieu en
soi distinct du Dieu perceptible est marquée avec plus de
netteté et dans une langue nn peu plus digne de la méta-
physique. « L'Ancien des anciens, Tlnconnu des incon-
nus a une forme et n'a pas de forme. Il a une forme par
laquelle Tunivers se maintient et il n'a pas de forme puis-
qu'il ne se rencontre sons aucun aspect concevable. Lors-
qu'il prit une forme, il lil rayonner dix lumières (d'après
quelques éditions neuf) cclalantes, qui brillent par lui,
répandant en tout sens une splendeur merveilleuse.
Représentons-nous un flambeau avec son rayonnement :
si nous approchons, pour percevoir les rayons, noufi ne
trouvons rien quant à leur nature si ce n'est qu'ils éma-
nent tous de ce flambeau. De môme TAncien est un flam-
beau supérieur, caché et impénétrable. Nous ne le trou-
vons que dans des rayons épars, en partie visibles et en
partie invisibles (IIL 288 a) (1).
3oU LA DOCTRINE DU ZOHAR
Pour bien rendre la couleur du Zohar, il nous faut
immédiatement achever ici tout ce qui nous reste à dire
de l'onomastique divine. Ainsi seulement nous ferons
apparaître sa caractéristique, ce mélange d'éléments
métaphysiques non juifs et d'éléments juifs, cette mix-
ture faite de la doctrine dlsaac l'Aveugle et du mysti-
cisme antérieur.
Tous les autres noms bibliques et zoharitiqucs s'ap-
pliquent aux manifestations divines par rapport à Tuni-
vers, aux aspects sous lesquels Dieu se présente à l'Uni-
vers. Ainsi, si nous entrons dans la première sphère de
possibilités perceptibles, nous trouvons la première
Sefirah (couronne) qui marque la première extériorisa-
tion de Dieu.
Donc, à Dieu en tantquesemanifestantdansla première
Sefirah , à cette première activité accessible à notre esprit,
à ce premier processus qui enveloppe tous les autres, ré-
pond, d'après le Zohar, la dénomination biblique Ehyeh
(Je suis), le premier terme de l'expression dïEx, 3, M.
A Dieu, en tant que marquant la faculté de développe-
ment de la Couronne, c'est-à-dire en marquant la sccoiido
Sefirah, correspond le second terme de l'expression de
VEx,, c'est-à-dire Asclier Ehyeh (Je serai). Enfin à Div:a
marquant le passage de cette faculté de la potentialité à
l'acte, c'est-à-dire la troisième Sefirah, répond le létra-
gramme Jéhovah dans toute sa plénitude. « Le nom
Ehyeh embrasse et enveloppe encore tout l'être, en
lui les voies sont encore cachées, unies et indistinctes
en un même point ; pour désigner la mère qui porte dans
DIKU 351
son sein tous les êtres et qui est sur le point d'enfanter
et de produire tous les individus^ dans lesquels son nom
auguste doit apparaître, Dieu se donne le nom de Ascher
Ehyeh ». Enfin, lorsque tout a été produit sous sa figure
véritable et en son lieu véritable, Dieu ne se nomme
plus que « Jéhovah ».
Pour le nom Eiohim, les extravagances du Zohar
sont encore plus étranges. Jusqu'à la révélation de ce
nom, les hommes ont considéré Dieuayant créé le monde
comme se séparant de son œuvre et laissant agir libre-
ment et sans contrôle les forces naturelles. Mais avec le
terme AVoAim, métathèse deTinterrogatif/n/, c'est-à-dire
de lappellalion de Dieu en soi, et du terme eleh (ces
choses), c'est-à-dire l'univers, se reconstitue l'union de
Dieu et des choses. Ainsi, Elohim marque la présence
de Dieu dans l'Univers^ mais sa présence lors de la
Création. Jéhovah marque le maintien, la durée de cette
présence ; aussi dans le récit de la Genèse^ après
qu'Elohim figure seul dans le premier chapitre, il lui est
adjoint dans le second le nom de Jéhovah. Au DeutérO'
notnc (i, 3o) les mois : « Jahveh est Elohim )> sii:iii(ient
Elohim se fond en Jéhovah. Le Zohar ajoute que depuis
l'exil d'Israël, depuis que la méchanceté opprime la jus-
tice, la providence divine semble invisible; tni parait
séparé de eleh, comme si toute l'économie cosmique était
troublée. Mais au jour messianique, les deux termes sépa-
rés se rcjoindront^s'uniront en une harmonie indissoluble.
C'est ainsi que le Zohar explique le passage prophé-
tique de Zacharie (14, 9) : (^ En ce jour Dieu sera Un et
son nom sera Un » [Zohar, III, 105, 1). C'est aussi le
sens des mots du credo : « L'Éternel est notre Dieu,
l'Éternel est Un » {Zohar, II, 161 a\ cf. III, 177 b).
JéhovahetElohimunisenuntout,c'estlàla véritéabsolue,
le sceau de la vérité [Zohar , III, 162, a\ II, 43, i). Au
352 LA DOGTRIFfB DU ZOHAR
point de vue non plus cosmique mais moral, Jéhovah re-
présente le principe de grâce, Elohim le principe de jus-
tice, et ces deux associations suivent logiquement tout
ce que nous venons de dire. Pour créer, la justice, Téquî*-
libre suffisaient, mais pour conserver, la grâce, la bonté
étaient nécessaires.
Comme nous voyons, la conception zoharitique des
noms divins s*oppose à celle de toute la théologie juive
selon laquelle le nomen proprium^ le nom en soi de Dieu,
indépendamment de la création, c'est Jéhovah. «Tous les
noms divins, dit Maïmonide, représentant très bien en
ce point les autres théologiens, qui se rencontrent dans
les saintes Écriture, sont dérivés des actions divines; un
seul, le tétragramme, lui est propre et désigne Tindivi-
dualité divine à Texclusion de toute autre association...
Aussi tous les autres noms ne sont nés que postérieu-
rement à la création, et cela nécessairement puisqu'ils
se rappprtent à des actions se produisant dans Tunivers,
tandis qu'à Dieu en soi ne convient pas un nom dérivé,
mais un nom unique et propre... » {Guide, 1, 61).
Les autres noms bibliques comme Schaddaï, El, etc.
représentent chacun, d'après le Zohar, une Sefirah ou
une autre idée mystique, ol il se livre sur ces noms à de
faliganles combinaisons.
Nous aurons à revenir sur ce point.
X\!
l'univebs
Le problème qui s*était posé avec tant de force au néo-
platonisme, puis à Ibn Gabirol, puis à Ëzra-Azriel et à
l'école d'Isaac l'Aveugle, à savoir : la possibilité pour
rinfini (le donner naissance au fini; la possibilité pour
L UNIVERS. — LA BALANCK 353
rinvisible de (Jovonir visible; ce problème se posa aussi
aux auteurs du Zohar. Mais comme le Zohar, autant et
plus peut-être que les néo-platoniciens, est obsédé par
le besoin de faire couler le divin jusque dans les derniè-
res couches derèlrc,eten même temps laisser au divin
toute sa sublimité, le problème va devenir pour lui le
suivant : Maintenir l'opposiiion tout en la supprimant,
maintenir Tabîmc entre le divin et le non-divin, tout en
unissant l'un à l'autre, faire du non-divin du divin^ sans
faire du divin du non-divin. Le Zohar se heurte à ce pro-
blème comme l'oiseau aux barreaux de sa cage, et au lieu
de lui donner une solution uniforme, il lui donne plu-
sieurs solutions que nous devons exposer.
La plus générale, celle qui revient la plus souvent, est
tirée du principe de médiation. Le « Livre des Mystè-
res » et la <c (jrrande Assemblée » tendant à ramasser en
quelques pages toute la substance mystique de Técole,
appelle ce principe « la balance ». Le Sefer Yezirah avait
déjà observé partout dans l'univers sensible l'opposition
lies contrainîs et la L'"in'rre incessante entre toutes cho-
ses. (( (a>s douze sont en guerre, comme ranimés pour la
bataille, les uns en face des autres, el s'il n'y a pas les
uns il n'y a pas les autres, el les uns tiennent aux autres. »
En même temps il avait formulé la réconciliation des
contraires, en énonçant le principe général : « Un plateau
de mérite et un plateau de démérite et le fléau de la ba-
lance établit Téquilibre. » Il avait appliqué ce principe à
Tunivers physique d'abord (l'air, principe médiateur
entre lo fen et l'eau ; le tempéré, principe médiateur,
entre le chaud el le froid), puis à l'univers moral (la péni-
tence, médiatrice entre le bien elle mal; le pardon, média-
teur entre la grAce et la justice). Les plus anciens frag-
ments (lu Zohar reprennent la w balance «du Sefer Yezi-
rah et en étendent l'application à la métaphysique.
354 LA DOCTRINE DU ZOHAR
« Avant que l'équilibre fût établi, les deux visages ne
purent se regarder de face », c'est-à-dire avant la pré-
sence des intermédiaires, le Grand Visage ouDieu en soi
neputdonner naissance au petit visage. «Aussi, poursuit
Tauteur dans son langage occulte, les premiers rois mou-
rurent et la terre fut anéantie jusqu'à ce que la source
primordiale de toute volonté se taillât et revêtit des vête*
ments magnifiques. » Pour comprendre ces derniers mots
il faut se reporter aux lignes suivantes de la Grande
Assemblée (ch. 2) : «Il est écrit (Genèse, 36, 31) : « Voici
les rois qui régnèrent au pays d'Edom avant qu'il y eût
des rois en Israël. »
Pourquoi cette mention? N'avait-il pas existé encore
beaucoup d'autres rois avant ceux d'Israël? Mais ces
mots recèlent un mystère profond, inconcevable à
l'homme, et le sens en est : Avant que l'Ancien des an-
ciens eût préparé les formes royales, les diadèmes pri-
mordiaux, il n'y eut ni commencement ni fin et tous
les dessins elcontours qu'il traça... ne purent tenir. C'est
à ce que l'Ecriture entend par les rois antérieurs aux
rois d'Israël. » Avant donc que Dieu eût donné naissance
auxtypes royaux ou idéaux, c'est-à-dire aux médiateurs,
c'esl-à-dire aux Sefirotli, prototypes de loule médiation,
l'univers n'était pas possible.
Cette balance est bien le premierpoint visible que nous
rencontrons ou mieux le dernier, quand Tesprit humain
remonte la chaîne de l'être. Au-delà tout est nuit et mys-
tère; on ne peut même saisir non plus le lien par lequel
la balance tient aux dieux en soi. '< La balance est sus-
pendue à un lien qui est le néant (1 ) ; elle subsiste en elle-
1. ^"m ii')! inK, littéralement un lieu de néant absolu, c'est-à-
dire un Ayin ou En-Sof. Quelques éditions portent môme ce propre
terme au lieu de ^M nSt inî< le mot Np'nv (ancien).
L UMVERS. — LA BALANCE 355
rTH>ine, ne lient à rien, est invisible. Far elle est pesé tout
ce qui a été, tout ce qui est, tout ce qui sera» (Livre des
Mystères, ïbid,).
La balance est la condition du maintien des choses.
Sans elle tout rentrerait àTinslant même dans le néant,
ou plutôt rien n'aurait pu commencer d*êlre (Zohar,/>a5-
sim). Donc pour que Tôtre infini pût donner naissance à
fètre fini, il fallut un principe médiateur. Mais quel mode
de production a présidé à l'apparition de ce médiateur?
Toutes les parties du Zohar ne répondent pas uniformé-
ment à cette question. D'une part, nous trouvons le mode
de création biblique appelée aussi création ex nihilo
qui nous était déjà apparue dans le Sefer Yezirah. Certes
Dieu n'a pu en elVet créer directement le fini. Il n'a pu
le créer qu'indirectement et porter sa force créatrice im-
médiate sur des intermédiaires tenant de sa nature infinie
et ainsi non trop indigne de lui. Mais cet acte de création
doit être conçu sous Taspect que la tradition dogmatique
lui a donné comme un passage du non-étre absolu à Tè-
Ire. Ainsi dans le livre de la " (irande Assemblée » on
nous rapporte que Dieu, une fois qu'il eut conçu eu lui
les dessins et les contours (les formes)» étendit une cou-
verture devant lui (il créa/?^' nihilo une couverture) et y
tailla et y dessina les rois, les diadèmes (les médiateurs
royaux, les types) et dans le Zohar [Vaa) : « Lorsque le
Mystérieux des mystérieux voulut se révéler, il fit d'abord
un point, etc. » absolument comme Fauteur de la Genèse
dit d.iris les premières lignes : « Au commencement Dieu
créa le ciel et la terre. » Enfin voici le passage le plus
sii^Miificalif (Zo//^/', I, 29 a) : <» Avant que Dieu créAt Puni-
vers il était seul, juscprau moment où il entra dans sa
pensée de créer cet univers (cf. II, 12 A). Il était seul,
c'est-à-dire lui seul est éternel, tout le reste est créé; il
n*y a auprès de lui aucune coexistence éternelle. »
356 LA DOCTRINE DU ZOHAR
Remarquons bien que celte doctrine conforme à la tra-
dition ne préjuge rien quant à Texistence d'une substance
primordiale, mais conduit seulement à admettre que
cette substance premiène constitue précisément la pre-
mière œuvre créée ex nihilo. C'est ce qui semble en effet
résulter de plusieurs pacages (1,31 6 et 32a):(( Avant
que Dieu créa une forme ilétaitseul Mais après qu'il
eut créé la figure de Thomme supérieur (dénomination
générale de toutes les Sefirotb réunies ou delà première
en tant qu'enveloppant tontes les autres), etc. et encore,
(( Dieu dit : Que la lumière soit.. » rÉcriture entend la
lumière primordiale que Dieu créa tout d'abord. G*est de
cette lumière i^sue des ténèbres que le Mystérieux tailla
des figures.
Quand il parle de la création ex fiihilo, ce n'est
là dans l'esprit du Zohar qu^umc proposition négative
par rapport à nne autre, à savoir que Dieu n'a pas ou
besoin pour créer l'univers d*une matière première co-
éternelle. Mais en réalité ce « rien » n'est pas un rien
absolu, ce n'est pas le pur néant do Hegel, puisque c'est
de sa toute-puissance que Dieu tiraTèlre créé. Dans tous
les passages où le Zohar parle de la création ex ni/Ulo il
onlond seulement mettre à la place d'une substance co-
exislonto à Dieu une essence immatérielle, œuvre de ses
mains, à savoir une parole ou un si;^ne. Suivant ici pres-
que pas à pas le Sofer Yozirah, le Zohar fait des vingt-
deux lettres de l'alphubet hébreu et particulièrement des
quatre lettres du tétagramme en quelque sorte l'étoffe
dans laquelle Dieu a taillé le monde. Il prononça de:>
sons; il traça, grava des signes et par là jeta le bloc d'en-
semble de l'univers. Nous n'entrerons pas dans tous les
détails fastidieux du procédé par lequel le Zohar ren-
chérit eniiore sur le mysticisme antérieur. Donnons seu-
lement quelques exemples. Avant la création, dit-il, il
LA CRÉATION DE L UNIVERS 357
n'y avait qu'un point : la lettre yod {^) dont la pointe
supérieure presque imperceptible marque le néant pri-
mordial. Du yod se développa la lettre alef (^<), (pre-
mière lettre de l'alphabet) (III, 63 b). Cette lettre « est le
commencement et la fin de tous les degrés de la créa,
tion... La pointe recèle le mystère des idées les plus su-
blimes; elle porte la triade supérieure des Sefiroth, le
corps de la lettre porte les deux autres triades » (I, 21 d\
cf. Suppl. I, 26 b), « La sagesse et la royauté (la Sefi-
rah médiale idéale et la Sefirah médiate réelle), deux
pierres du plus pur albâtre, dont coulent les deux cou-
rants les'pluspurs, sontenfermées dans l'extrémité supé-
rienrcî de la lettre alef (^{), les millions d'univers sont
suspendus à sa queue, le haut^et le bas, le ciel et la terre,
les trônes magnifiques du roi sont suspendus aux deux
faces de la lettre. La subsistance de tous les mondes,
les sentiers obscurs, les courants profonds et les dix
paroles créatrices jaillissent de la pointe inférieure...
fcf. I, 2i ab ; III, 73 a, 204 a, 223 b). La lettre beth est
à la ft)is le début de la Tiiorab et le but de la création
pi'oproment dite, réelle; elle est le fonilement du prin-
cipe mâle et du principe femelle; c'est elle qui établit
la division sexuelle parmi les autres lettres et de l'union
de tous les couples jaillit Tunivei-s » (I, 25) a; III, 3§
A, cf. pour les autres lettres I, 3 A, 93 û; II, 148 A, 235
Ik m. 47 é, 48 A, 91 6, 93 a, 152 A, 191 a, 2^5 b),
\\\\ un mol, avec l'application des lettres apparaissent en
mùmc temps la substance qui sera la matière du monde
(4 les principes qui président au développement de cette
substance.
Sur la base des noms et des lettres, b» Zî)liar reprend
tonte la mystique antérieure et non content de tout re-
prendre sans nous faire grAce de rien, il renchérit encore
sur elle. Abn-tïlzra et Abulaiia sont dépassés. Les noms
358 LA DOCTRINE DU ZOHAR
sont soumis à des mixtures inénarrables, telles que la
marmite des sorcières les rejetterait. J*ai compté pour le
seul nom de Jahveh, plus de cinquante manipulations de
cette sorte. La Guematria avec toutes ses combinaisons,
le Ziruf, le Notarikon, la figure linéaire des lettres, leur
forme renversée, le carrée le cube des nombres, des
approximations de toutes sortes jetées autour de la lettre
yod en tant que point et du vav en tant que ligne droite,
et vingt autres combinaisons variées et diversifiées...
Quelque désir que nous ayons de présenter du Zohar une
image aussi fidèle que possible, nous ne voulons pas
abuser de la patience du lecteur. Disons seulement que
le hasard qui réunit dans le tétragramme le point et la
ligne droite exalte le Zohar, et il y voit le fondement le
plus assuré de la légitimité de la Kabbale.
Pour les théologiens partisans de la création ^x nihilo
le mystère qui enveloppe Dieu en soi s*étendau premier
acte créateur. Ils admettent comme impénétrable à l'es-
prit humain non seulement la nature de ce Dieu, mais le
comment de cet acte. Ils reconnaissent àla raison humaine
le droit et la faculté de suivre et d'expliquer tout le pro-
cessus cosmique à partir de ce point initial jusqu'aux
confins extrêmes de TEtre; mais non pas le processus
qui va de Dieu en soi à ce point. Toutes les fantasmago-
ries mystiques gravitant autour des lettres ne sont pour
eux qu'un moyen artificiel d'apaiser en apparence leur
curiosité scientifique.
Mais quelques auteurs du Zohar ne se contentent pas
de cette jonglerie dos lettres et, poussant plus avant la
hariliosse de leur question, se demandent comment est
apparu ce premier point lui-même. Ce n'est plus par la
doctrine tradilionnolle de la création qu'ils y répondent,
mais par la théorie de Témanation. La doctrine de l'éma-
nation est la doctrine qui fait découler les choses dun
L'cMVEHS. — L ÉMANATION 359
principe supérieur. Mais cet écoulement peut se présen-
ter sous deux formes : ou bien il se fait en vertu d'une
nécessité intérieure et alors il est éternel : c'est l'aspect
que Témanation présente dans Tlnde, dans le néo-plato-
nisme, dans le zoroastrisme et alors l'émanation a pour
conséquence inévitable Féternité du monde; ou bien cet
écoulement ne résulte pas d'une nécessité intérieure,
mais est Teffet de la libre volonté de Dieu.
En réalité, la première forme seule est Témanation
proprement dite; car si l'univers est dans sa substance
un développement de la substance divine, ce développe-
ment doit être inhérent à la nature même de celte sub-
stance; car la loi qui préside à son développement est
aussi inhérente à sa nature que la substance même qui
en est Tessence. On ne s'explique pas alors que ce déve-
loppement, queTefflorescence du bourgeon divin se place
dans le temps, et ne soit pas éternel.
Malgré cette grave objection, c'est cette seconde forme
qu'adopte le Zohar ; malgré son opposition au dogme tra-
ditionnel, sa hardiesse ne veut pas admettre facilement
laco-élernilé du monde et ne voulant renoncer ni k Téma-
nation ni à l'éternité de Dieu, il place cette émanation
sous la loi du temps; il substitue simplement à la créa-
tion biblique dans le temps, l'émanation dans le temps.
Mais alors il tombe dans une conlraJielion nouvelle; en
eiïet il prend comme principe la volonté gabirolienne;
mais par cette volonté, il entend tantôt, comme plus tard
Chasdaï Grescas, Tintelligence divine concevant et réali-
sant de toute éternité sans agent extérieur, c'est-à-dire
qu'il établit l'intelligence et la volonté divines comme
se couvrant toujours l'une l'autre d'une manière adé-
quate ; tantôt il entend seulement par cette volonté
une détermination accidentelle, née dans le temps, et
issue du besoin de se révéler et de manifester sa gloire :
24
360 LA DOCTRINE DU ZOHAR
c'est alors que le Zohar parle d'émanation dans le temps.;
c'est ainsi qu'il écrit: « Toutes lesconstruclious cosmiques
se sont produites par voie d'émanation. Quand il dit :
Qu'il y ait une voûte céleste, qu'il y ait des flambeaux.^,
toutes ces choses sont apparues immédiatement, I, 22,
c'est-à-dire : ce n'est pas par une création, je dirai pres-
que une fabrication à la manière des hommes, mais par
un rayonnement immédiat que Tunivers est né. Mais il
est né par la volonté divine. A chaque pa<;e du Zohar
nous lisons les mots : « Quand il voulut créer l'univers,
quand il lui monta au cœur, quand il lui vint à l'esprit
de créer l'univers ».
Dieu étant rinQai, c*cst-à-dire remplissant tout, com-
ment à côté du EnSof (infini) y a-t-il place pour le Sof
(fini)? Ici comme partout le Zohar a recours à une doc-
trine antérieure qui! démarque et fait servir à ses des-
seins. Nous ne saurions trop le répéter, les auteurs du
Zohar, convaincus que leur doctrine est la vraie, que
leur connaissance est la gnose véritable, considèrent
toute la gnose du passé comme une matière informe,
infiniment plastique, prête à prendre toutes les formes,
et à laquelle eux, les initiés, impriment enfin sa forme
dernière. Le Midrasch avait admis la possibilité pour
Dieu de se concentrer. Il n'avait trouvé rien de mieux
pour expliquer certains passages de l'Ecriture, tels que
Ex. ^lô sqq. où Dieu veut résider dans un temple
et Ex, 12o, 22, où il siège sur un emplacement en-
core plus réduit. Le Zoiiar prend cette doctrine étrange
et tout aulhropomorphique, il la transforme, la trans-
porte dans le domaine métaphysique pour la faire
cadrer avec sa doctrine de Témanation. En elLil,
puisque Dieu est Tinfini, puisqu il est la substance infinie
de l'espace infini, le lieu de l'univers n'a pu apparaître
qu'après une concentration de Dieu sur lui-même. Cette
l'univers. — LA CONCENTRATION 3G1
limitation de Dieu a quelque chose d'équivalent à V'ipzc
des gnostiques qui avait pour but de poser une borne
aux choses pour les empêcher de s'étendre à Tinfini et
rappelle dans le même sens la niw (avertissement ou li-
mite) du mysticisme talmudique. « Lorsque Dieu créa
Tuni vers, cet univers allait s*étendant comme les mailles
d'un métier de tisserand, jusqu'à ce que Dieu Teùt averti
(arrêté, limité) et affermi (i). » Ainsi donc Dieu se retire
au centre. L*émanation va du centre à la périphérie. Les
différents ordres émanés s'enveloppent comme des cercles
circonscrits. « Lo roi Salomon descendant dans son
jardin planté de noyers (car il e>t écrit, Cant, des Cant.^
ch. 6, li : (c Je suis descendu dans mon jardin aux
noyers ») prit Técorce d'une noix et médita sur toutes
les écorces successives. Il comprit q\ie c'était là un objet
de joie intellectuelle et de connaissance pour les hommes,
Lenoyaude lanoix enveloppé d'écorces variées offre une
image de l'univers. C'est sous cette forme que Dieu dut
créer et (Mivelopper ainsi cet univers. Combi«;n en effet
dVcorcos couvrent le noyau. De haut on bas, depuis le
point mystérieux supérieur jusqu'au terme inférieur de
tous les degrés, tout est ainsi l'un dans l'autre, de ma-
nière que chaque chose serve d'écorce à une autre. Le
point primordial est une lumière qui ne peut être me-
surée, ni connue dans sa pureté et sa subtilité. Cette
lumière se répandit en dehors et forma ainsi comme une
tente, une enveloppe qui la vêtit. Cette nouvelle lumière
n'était certes plus aussi éclatante que la lumière pri-
mordiale, mais ne pouvait on raison de sa grande clarté
otre contemplée encore, et elle-même enveloppe de la
[>remièro, se répandit à son tour et s'enveloppa d'une
autre lumière qui lui servit de vêlement et, quoique cette
1. n-:V^'p2 ^n^3 ^Sim i^nio rx^r\ aSv^n nî< n'2'pn ^<lrl2r :vjisi
362 LA DOCTRINE DU ZODAR '
lumière ne soit que le vètemenl de la précédenle, elle
est elle-même le noyau de la suivante* Ainsi de suite toat
se produit par un développement graduel : chaque ordre
inférieur sert d'enveloppe et de vêtement à l'ordre su-
périeur dont il est issu... dans Thomme aussi il y a un
noyau et une écorce, à savoir l'esprit et le corps » {Zohar.
I, 19 A, 20 a).
Ainsi donc les ordres successifs sont comme des cercles
concentriques autour d'un foyer central, et éclairé par
ce foyer qui est Dieu. Schahrestani dans son histoire
des sectes attribue déjà une doctrine semblable à Empé-
docle (1) : « L'âme végétative, aurait dit Empédocle, est
Técorce de Tàme animale et vitale; celle-ci, Técorce de
Tâme rationnelle, etc. Tout ce qui est inférieur est une
écorce de ce qui est supérieur, et le supérieur est le
noyau. » Empédocle aurait aussi désigné cette écorce et
ce noyau par les termes : corps et esprit. Nous retrou-
vons dans ces lignes la source même à laquelle Ibn Ga-
birol a pu et a dû tirer sa conception.
Remarquons aussi que ces cercles successifs ou ces
écorces sont en quoique sorte la dégradation successive
delà lumière initiale, c'est-à-dire les limites successives
du rayonnnement divin.
Dans cette concoplion Tunivers est moins un ùiro p >-
sitif ([ne la lumière négative de celui qui seul est J T'Iro
positif. <( Les lumières se suivent dans un ordre tel que
celles qui reçoivent sonl toujours plus obscures que
celles dont elles ont ruçu ; mais devant la Cause des
1. Dès It» commencement «iti -v si»'«-li», divers ouvrages attribués
à Kmjn'^docle avaient été rapportés eu Espagne par un et*rlain
MoiiaininC'l, lils J'Aljil.ilI.ili ibn Mesaira, dii GMr.louc, selon le liic-
tionnair.* pliiIo?opliique de Djeinal cddin al-lvifti. 11 semble «ju'-
ctît oii\r.ii:e ail été un travestissement «le la doctrine vérilable
d'Kmpédocle, un pseudo-EmpédocIe.
l'univers. — LA CONCENTRATION 363
causes, aucune lumière ne demeure. Devant son éclat
tout est ténèbres. »
Considérant les cercles concentriques comme Ten-
veloppe du foyer central, Dieu, le Zohar appelle l'u-
nivers dans son ensemble, du nom qu'il donne à chaque
ordre inférieur par rapport au supérieur, à savoir « Ten-
veloppe du supérieur », et il dît: « L'univers est l'enve-
loppe, le vêlement de Dieu. »
On sait que les Psaumes, que les prophètes^ la poé-
tique biblique en général, appellent couramment cer-
tains phénomènes de la nature, comme les nuées et
autres, le vêtement, le manteau de Dieu. Cette poétique
est à coup sûr le vestige de l'antique mythologie ; ce qui
maintenant n*est plus qu'une métaphore servit à l'ori-
gine k exprimer une conception cosmique réelle. Eh
bien ! le mysticisme juif (nous avons déjà eu lieu de
remarquer la chose à propos du mysticisme gaonique)
remplit à nouveau cette poétique morte d'une substance
vivante^ Le Zohar donc prenant non plus tel phénomène,
ni même tel ordre énoncé, mais tout le rayonnement
divin, on fait le manteau, le vêtement de Dieu. Maïmo-
nido avant lui avait déjà interprété en ce sens le passage
iVExode, 33, 23 : « Tu me verras de dos, tu ne peux pas
me voir de face, » oîi l'Écriture entend, d'après lui, que
Moïse ne put contempler que l'œuvre divine qui est
son vêlement [Fondement de la loi, I, § 10. Cf. Guide, I,
21, 58 ; Zohar, l, 2 a; Suppl. I).
Enfm, nous rencontrons dans le Zohar une opinion
tenant le milieu entre la doctrine de la création ex
nihilo et la doctrine de l'émanation. Selon cette opi-
nion, l'univers est en partie émané et en partie créé.
Le Sefer Yezirah avait employé pour la production
de l'univers quatre expressions différentes toutes em-
pruntées à l'art de la sculpture, à savoir : tracer des con-
3G4 LA DOCTRINE DU ZOHAR
tours, tailler, graver, faire ou parachever. Ibn Gabirol
attira plus tard Tattention sur les trois verbes du pas-
sage d'Isate {AS^l): « Tout ce qui porte un nom, c'est
pour moi, pour ma gloire que je l'ai creé^ formé et
fait » et y avait trouvé un appui pour sa conception de.
ces trois ordres émanés. Enfin le Traité de rémanation^
sous-entendant dans ce même passage l*émanation pro-
prement dite non exprimée parce qu'elle est en dehors de
notre perception, s'était servi à son tour de ce texte pour
établir la quadruple division de Tunivers. Le Zohar re-
prend cette opinion : seul le premier monde, le monde
des Sefiroth, est émané ; mais à l'iipparition des trois
autres préside un mode de production de moins en
moins parfait représenté par les mots d'Isaïe. Le Zohar
n*explique pas clairement ce qu'il entend par ces mots.
Il se contente ici comme très souvent ailleurs d'une dif-
férenciation des termes et toute extérieure. Si Télymo- '
logie peut nous aider, nous dirons que, abstraction faite
de Témanation qui est omise, le premier terme [hara)
s'applique à la création proprement dite, création bibli-
que ; c'est en effet le mot employé dans les premières
lignes de la Grnhe, Le second terme ijazar dési^^ne la
formation, et le troisième a:>ah^ la facture du détail. Le
Zohîir comme h» Scfer Yezirah penserait à la statuaire
où il s'agit d'ahonl de créer le bloc, en second lien «Ti'-
baucher la forme de l'image ou de dessiner le muièle,
enfin et en troisième lieu de sculpter le délail.
A côté de la création ex nihilo, à côté de la doctrine
de Témanation, à côté d'un mélange de Tun et de l'autre,
nous trouvons dans le Zohar très nettement formulée,
et peut-être occupant la plus grande place, la concep-
tion panthéislique, mais avani d'aborder cette ques-
tion il faut voir tout le détail des Sefiroth. Voici les
deux passages qui Texposeut avec le plus d'amplem
LES SEFIROTU :K)5
xvir
LES SEFIROTU
(c A qui voulez-vous me comparer? à qui puis-je être
assimilé? dit le Saint » (haïe, 40, 25); de toutes les créa-
tures, quoique faites à mon imîige, il n y en a pas une
qui me soil semblable, car je puis moi-même détruire et
rétablir innombrablement la figure sous laquelle je me
révèle à Tunivers, mais il n'y a au dessus de moi aucune
autre divinité qui puisse détruire ma figure... Mais si
quelqu'un demandait : Comment cela est-il possible?
n'est-il pas écrit [Ex, \, lo) : « Vous n'avez vu aucune
figure? » on lui répondrait : Non, nous pouvons voir
Dieu sous la figure en question... mais cette figure ne
s'applique pas à Dieu dans sa réalité objective (littérale-
ment : à sa place), mais à Dieu en tant que condescen-
dant à gouverner l'univers et à répandre sa magnificence
sur les créatures... En effet, avant que Dieu ait créé une
forme dans l'univers, avant qu'il ait produit une image,
il était seul, sans figure et sans aucune ressemblance
avec rien. Qui pourrait le comprendre tel qu'il était alors
avant la création puisqu'il ne se rencontrait sous aucune
forme?... Mais lorsqu'il eut créé la figure de Thomme
idéal (dénomination des Sefiroth dans leur ensemble),
il s'en servit comme d'une Mercabah, comme d'un char
pour descendre. C'est sous cette figure qu'il voulut être
nommé et à elle correspond le saint tétragramme. Il
voulut être dénommé selon ses attributs, selon chaque
attribut en particulier, à savoir : Dieu de grâce, Dieu de
justice, Tout-Puissant, Sebaoth et Être. Par là, il visait
à faire connaître ses qualités et à faire savoir comment
sa grâce et sa miséricorde se répandent à la fois sur
366 LA DOCTBIKE DU ZOHAR
l'unîvers et sur les actioDs; car s'il n'avait pas versé sa
lumière sur toutes ses créatures, comment pourrions-
nous le connaître? Donc chaque image sous laquelle nous
le figurons désigne seulement son empire sur tel ou tel
attribut ou encore sur tel ou tel ordre de créatures. Mais
notre conception de lui ne peut pas dépasser ce qui est
exprimé dans ses attributs. Quand on le dépouille de
tout cela il n'y a en lui aucun attribut, aucune ressem-
blance, aucune forme.
L'image qui lui est le plus appropriée est celle d'une
vaste mer se répandant au loin. Cette image nous donne
lieu d'établir le calcul suivant : la source même et le
rayonnement d'eau qui en jaillit au dehors font deux.
Puis vient un grand bassin^ comme lorsqu*on creuse
une profonde cavité. Ce bassin est appelé mer propre-
ment dite. C'est le troisième point. La cavité incommen-
surable se partage en sept courants semblables à sept
vtRsseaux allongés. La source, le jet d'eau^ lamer et les
sept courants font dix. Et lorsque le maître brise les
vaisseaux qu'il a faits, l'eau retourne à la source, et il
ne reste que des débris de vaisseaux sans eaux et des-
séchés. C'est de cette manière que la Cause des causes a
donné naissance aux sept Sefirolh. La Couronne est la
source dont jaillit une lumière infinie. C'est pourquoi la
Cause suprême se donne sous cet angle le nom He En-
Sof, infinie, car sous cet appel elle n'a ni forme, ni figure
et il n'y a aucun moyen de la connaître, ni de la perce-
voir. De là, le conseil de Ben Sirach, 3, 2 : « Ne médite
pas ce qui est obscur pour toi. » Puis Dieu produisit un
vaisseau aussi petit qu'un point, comme la lettre yod,
lequel se remplit à cette source : c'est la source de la
sagesse, c'est la sagesse même, selon laquelle la Cause
suprême se fait appeler « Dieu sage ». Puis il produisit
un vaisseau plus grand semblable à lamer, qui fut appelé
LES SEFIROTH 367
intelligence. De là, le nom <c Dieu inlelligent. » Mais il
faut remarquer que Dieu est Dieu sage et intelligent par
lui-même et qu'au contraire la Sagesse et Tlntelligence
ne méritent pas leur nom par elles-mêmes, mais seule-
ment par le Sage et Tlntelligent à la source duquel elles
s'alimentent. Dieu n'aurait eu qu'à retirer Teau à lui
pour que tout fût desséché. Enfin la mer se partagea en
sept courants et il en sortit ainsi les sept vaisseaux pré-
cieux que l'on appelle « la grâce » ou « la grandeur», a la
justice » ou (c la forme », « la beauté », « le triomphe »,
« la gloire », « le fondement et l'empire ». C'est pourquoi
il est appelé « le Grand » ou « Miséricordieux »^ « le
Fort », « le Magnifique », « le Victorieux », « le Glo-
rieux », « le Fondement » ou « la Base » de toutes
choses et le Roi de l'univers. Tout est dans sa puissance ;
il peut, comme il lui plait^ diminuer le nombre des vais-
seaux, augmenter la lumière qui en découle, ou faire le
contraire » (II, 42 âr, 43 a).
L'autre passage se trouve dans les Suppléments II,
commenc. : « Maître des mondes^ tu es un et non selon
le nombre; tu es le plus sublime de tous les sublimes,
le plus mystérieux de tous les mystérieux. Aucune con-
ception ne peut te saisir. Tu as produit dix formes que
nous appelons Sefiroth, pour diriger par elles les mondes
inconnus et invisibles et les mondes visibles. Toi-même
tu t'enveloppes en elles et comme tu demeures en elles,
leur harmonie demeure constante. Celui qui se les repré-
sente séparées, distinctes divise en quelque sorte leur
unité. Ces dix Sefiroth se développent graduellement.
L'une est longue, l'autre courte, la troisième moyenne,
mais c'est toi qui les diriges, tandis que toi-même tu n'es
dirigé par personne, ni d^en haut ni d'en bas, ni de quel-
que côté que ce soit. A ces Sefiroth tu as taillé des vête-
ments qui sont des phases intermédiaires que doivent
368 LA DOCTRINE DU ZOHÂR
traverser les âmes pour atteindre le corps. De plus tu as en-
veloppé ces Sefiroth de corps. •. Dans leur ensemble elles
répondent aux membres du corps humain. La Couronne
supérieure est la couronne royale... Elle est la source
qui arrose Tarbre et qui pousse le suc à travers toutes les
branches et les rameaux. Car toi, leMattre des mondes, qui
es le fondement de tous les fondements, la cause de toutes
les causes^ tu arroses Tarbre avec cette source qui, sem-
blable k Tâme dans le corps, répand partout la vie. Mais
toi-même tu n*as aucune image ni figure dans rien qui
soit extérieur ou intérieur. Tu as créé le ciel et la terre,
le haut et le bas, les légions célestes et terrestres, tu as
créé tout cela pour que les mondes te connaissent. Mais
personne ne peut te connaître en vérité Chaque Se-
firah a un nom déterminé, mais toi, tu n'as pas de nom
déterminé, car c'est toi qui remplis tous les noms et qui
leur donnes leur valeur; si lu te dérobais, ils seraient tous
comme des corps sans âme. Tu es sage, mais non d'une
sagesse déterminée ; tu es intelligent, mais non d'une in-
telligence déterminée; tu n'as non plus aucun lieu dé-
terminé, mais tout cela est seulement exprimé par toi,
pour annoncer aux hommes ta puissance, pour leur mon-
trer comment l'univers est conduit par la sévérité et la
douceur. Si donc il est parlé d'un côté droit, d'un côté
gauche et d'un centre, ce n'est là qu'un moyen de dési-
gner ton gouvernement par rapport aux actions hu-
maines, et non pas pour indiquer que tu as un certain
attribut qui soit le droit, ni un autre qui soit la grâce :
ces termes ne répondent à aucune réalité objective. »
Comme l'on voit, la clarté de ces passages ne répond
pas à leur étendue. On n'y voit pas nettement si les Se-
firoth sont en Dieu, ou si Dieu est en elles, si elles sont
ou non détachées de lui, ou si elles ne sont autre chose
que lui-même en tant que se manifestant dans l'être
LES SEFIROTII 369
créé ou, comme dit le lexle, en lanl que « prenant un
nom ». D'une part Dieu s'enveloppe d'elles, d'autre part
il ne fait que les diriger; elles sont dites être ce par quoi
il se fait connaître; d'autre part on ne veut pas qu'on les
prenne pour tel ou tel attribut. Bref, nous ne savons pas
et le Zohar ne sait pas. C'est toujours la même duplicité
d'idées dont la source est à chercher, chez les néo-pla-
loniciens, et que tout le mysticisme juif n'a jusqu'ici
aucunement éclairci. L'ambiguïté est maintenue parce
qu'elle est jirécieuse, parce que toutes les doctrines
peuvent s'y loger, parce que toute la poétique mystique
peut y trouver un cadre.
Nous allons cependant tAcher de serrer la doctrine
d'un peu plus près.
Les noms que portent les Sefiroth dans la terminolo-
gie du Zohar varient selon l'aspect sous lequel elles sont
considérées. Prises dans leur totalité, elles sont géné-
ralement appelées « Tunivers supérieur » et aussi
0 rhomme supérieur », quelquefois « lafigure ou la forme
de Dieu ». Dans le détail, les noms sous lesquels elles
apparaissent le plus souvent et qui se rapprochent beau-
coup des dénominations apportées par l'école d'Isaac
l'Aveugle, sont les suivants :
i. La Couronne, -^n:; [Keter] ;
2. La Sagesse, rra-n (C//oc/i;wa//);
3. L'Intelligence, 7\vz [Bifiah] (la Science ou la Con-
naissance) ;
\. La Grâce ou la Grandeur, Tcn [Chesed) ou nTTa
[Guedotda) ;
3. La Justice ou la Force, p {Din) ou m-îz; ;
6. La Beauté, niNSn [Tiferet] ;
7. Le Triomphe ou la Victoire, nsT: {Nezach) ;
8. La Gloire, rn (/7orf);
9. Le Fondement, TD^()V50c?).
S70 LA DOCTRINE DU ZOHÂR
10. L'Empire ou la Royauté, nisSa {Malchut).
En tète vient la Couronne. « La Couronne supérieure
est en haut, d'elle se forment toutes les couronnes » (1)
(III, 288 b). Le nom de « Élévation supérieure », que
cette Sefiroth avait porté jusque-là, disparaît devant celui
de « couronne ». Elle couronne le « monde supérieur » ,
elle est le diadème qui orne la tète de « l'homme supé-
rieur », « elle est le métal précieux dont sont faits tous
les autres joyaux ». — Le Zohar (1, 72) associe à la Cou-
ronne le mot Basaliku (2). Nous savons que Philon après
avoir déclaré que le nombre des forces divines est infini,
divise toutes celles qui ont trait au gouvernement du
monde en deux groupes dont l'un concerne le gouver-
nement matériel, et l'autre le gouvernement moral, et
qu'il exprime Tun par le mot * k-^x^i-zr^q. Bonté, l'autre
par *Ap;(fp Puissance. A la place de ces mots il emploie
parfois ejspYSfrCa et T^ysfAivia, ou enRn r^ )fapt(r:'.xi^ et f^
gasiAîxr^ [De nom. mnt.^ I, p. 583; De vita Mos. II, 150 et
pass. ; cf. De vita Abraham. II, 47 sq.). La gadtXix^, désigne
donc la force divine qui préside au gouvernement, à la
direction matérielle de l'univers. Or la Couronne est pré-
cisément, dans l'esprit du Zohar, la première manifes-
tation du En-Sof voulant se révéler dans sa royauté.
Elle consacre en quelque sorte la royauté divine. îVV»sl-co
pas évidemment pour celte raison que le Zohar Tappelle,
à la suite de Philon, gaj-A'.y.T^. la royale? La chose ne fait
aucun doute; car si la similitude des termes n*était due
qu'à un hasard de similitude dans les idées, le Zohar
n'aurait pas conservé le mot grec. Ce point posé, ne peut-
on pas faire un pas de plus et admettre que toutes les
autres explications touchant la « Couronne » du Zohar et
I •^•^•«•» «^^ "i*"* •*«*».^»»-^v«^— ^»»^%%j«^ -.v«te%* v^n-
LES SEKIHOTU. — LA COURONNE 371
jusqu'au mot « couronne » lui-menie sont venues se su-
perposer à ce prennier sens. D'après Plessings Memno-
nium, page 528, Parménide aurait fait figurer parnf)i les
sphères qui enveloppent la terre, une sphère de feu qu'il
aurait appelée couronne. Y a-t-il lieu de penser à rap-
procher ces deux couronnes et alors l'origine des Sefi-
roth serait-elle due en premier ordre aux sphères qui
depuis Aristote avaient une grande place dans la philo-
sophie religieuse des Juifs? Ainsi la Couronne et ses
suivantes porteraient dans leurs dénominations de « Se-
firoth » la trace de la j^atpa,
La Couronne est donc la première manifestation de
Dieu, la première essence, ou force, ou voie, ou mode,
ou médiateur (nous verrons plus loin) émanée du Kn-
Sof. « Qui peut contempler le roi... puisqu'il est imper-
ceptible même aux légions célestes? Celui qui contem-
ple la couronne, contemple la magnificence du Roi »
(11, 100 b). Dans cette première manifestation sont en-
veloppées toutes les autres. « C'est l'ensemble du Tout
alors <|ur l(?s sentier^ soutt'ucore obscurs et oiichi'V(Hrés
et ramassés fuseniblo sur un poiiil... Plus lard toute
chose sort, et chacune va se former et se modeler à sa
place »(1) (III, Go A).
La Couronne en tant ([u'euveloppant encore toute
chose dans une confusion indistincte et ne présentant à
Tesprit humain aucune différenciation perceptible ne se
distingue pas beaucoup, aux yeux du Zohar^ du Ën-Sof
(Infini) et du Ayin (Néant). « Une claire connaissance de
la Couronne n'est accessible à aucune sagesse, à aucune
intelligence (III, 288 b). Aussi le Zoliar étend-il souvent
ces deux termes négatifs à la Couronne elle-même. « Il
1 ini p-^r l'UJisn'z nt i^'^'nr •^^'^ic id nS^i î^SSd kt
372 LA DOCTRINE DU ZOHAR
appelle la Couronne En-Sof, parce qu'elle n'a rien de
limité ni de Gni » (II, 42 b ; III, 258 b) : « Elle est ap-
pelée Ayin, parce que Ton ne sait pas et on ne peut
savoir ce qui est contenu en elle (III, 288 b).
Remarquons ici, à propos de la Couronne, qu'elle-
même aussi bien que chaque Seûrah peut être envisagée
à un triple point de vue : en soi, par rapport à son
origine ou à sa cause, par rapport à sa suite ou à ses
effets; dans sou action propre, dans sa relation avec
le principe qui la précède, dans sa relation avec
le principe qui la suit. La Couronne par rapport à
ce qui suit est bien quelque chose d'aussi inaccessible
que le Ën-Sof lui-même, mais par rapport à ce En-Sof
elle est quelque chose de plus positif ou plutôt de moins
négatif, c'est Tinlini ayant fait un pas vers le fini, c'est
le Néant ayant fait un pas vers l Être, c'est uue première
apparition, ou pour parler un langage plus philosophi-
que, la Couronne est la substance première.
LeZohar a une terminologie très variée pour expri-
mer ridée de la substance première. Elle est le « point
initial », le «point pur ». — « Lorsque le Mystérieux de
tous les mystérieux voulut se révéler il produisit d'abord
un point « (1, 2). — De ce point primordial il pro*
duisit l'extension, Tespace en tous sens » (I, 15 a ,
De ce poiut partent toutes les directions. C'est quoique
chose comme le poiut pur des mathématiciens. Le Zohar
le compare à la lettre yod, (I, 16 b\ (1). — La subs-
tance première est aussi appelée « l'air primordial qui
s'étend en tous sens » ^l, 10 b) (2.. Elle est « la source
N7i'3 NO-nD m^'^i in p-SN"! Nn'Oi;:! ;'p2 xc'nr nN"*:' -'•xt
TN HDnu^s i>îiT»rsi no c-r^nN*
LES SEFIKOTU. — LA COURONNE. — LA SUBSTANCE PREMIÈRE 373
primordiale dout émaneal toutes les eaux » (II, 42 />).
Elle est « la lumière primordiale qui envole partout ses
rayons » (ILI, 288 a). £lle est « la pierre fondamentale »
(I, 71 b). Ëllo est « la couleur blanche contenant toutes
les couleurs ». — Le Zoliar la présente aussi comme « ni
blanche, ni noire, ni rouge, ni jaune, mais incolore » (1)
(Zohar, commenc). Elle est « le tapis dans lequel Dieu
découpe toutes les figures magnifiques » (III, 148 a).
Derrière cette variété de termes apparaît 1res nette-
ment la variété des sources qui sont venues se perdre
dans le Zohar. Dans la représentation matérielle des
Soiirolh dans leur totalité sous Taspect d'un homme^
nous avons un écho des comparaisons d'Ezra-Azriel et
d*Abulaiia. Dans la conception d'un air primordial nous
retrouvons le Sefer Yezirah, notamment le premier cha-
pitre, dans la « source » et la (c lumière » nous avons la
terminologie d*Ibn Gabirol ; dans le point mathématique
qui tend à prendre toutes les directions apparaît Ibn
Ezra ; dan:i l'adaptation de la doctrine au verset 3 de la
Gnnesfiy nous avons une copie fidèle de l'allégorismc de
Maïmonide.
Certains passages du Zoliar font dériver le point de
Tair primordial ou le point primordial d'un autre point,
ou eniin Tair primordial du point, et de ce point un au-
tre air, dégradation du premier qui est, lui seulement,
la substance première (I, 16 6) ; mais ce n'est là qu'une
fantaisie ou un effort nouveau d*abstraction par lequel
on superpose intermédiaire sur intermédiaire afin d'é-
loigner encore, s'il se peut, Tlufini du fini, le Dieu en soi
de rUnivers. En réalité, le Zohar entend bien rendre
par ces dilïérents termes sensibles d'abord l'idée d'une
1. Sb: ]r.:i nSi piTi xr -ce xr. Dr.« vh^ >vn k!?
374 LA DOCTRINE DU ZOnAU
substance première, qui est un commencement — le
point — qui contient toute chose d'une manière indis-
tincte, foyer contenant toutes les couleurs, ayant la fa-
culté d'évoluer, doué de toutes les possibilités, source
faisant jaillir tous les courants, lumière dont partent
tous les rayons.
Le Zohar, 1, 46 6, contient encore sur la substance
ce curieux passage : « Le Ën-Sof sépara Tair de lui (ou
sien) et découvrit un point. Ce point s*en étant détaché,
le reste se trouva ùtre une lumière... et c'est là la lumière
primordiale, m Nous aurons besoin d*envisa^er ce pas-
sage très important quand nous traiterons de la question
du panthéisme; ici nous en retiendrons seulement (]u'il
y aurait eu à l'origine un air qui n*est pas encore Tair
primordial. De cet air part un point, qui, devenant un
foyer lumineux, éclaire la masse dont il est séparé.
La théorie do la substance première n'est pas nouvelle
dans le judaïsme. Les théologiens et les philosophes
juifs se partagent à son égard en trois groupes : ceux
qui la rejettent comme inconciliable avec le dogme juif;
ci'uxqui Tadmettenl, mais en eu faisant nue Mihstanri^
créé*»; i*nfin cmmix qui Taibnetteiit eomiiii' eo-i'xi«ilaiile et
C()-éternelh».l*arniiles premiers ligunMilSa.'uly.ili ilansstis
Crovaiicos t'I opinions ».*l AliiiiiJiiiuîl .(lomin 'iil.iiii' >\ii la
Tliorah, lllj. Parmi IfS >«'f«iri.is n»» rj»n<'iintr«Mil .l.'j i (•r-
taiiis docteurs du TalinUil, au uinins (raiMv> (îr ;ii/ , (i/i'^s-
lif:f^})Hf.'i niitUi(flrnihinn\ «'f llirsclifi»l«l, FranhtUYj'ihrhr.
18l*J, l\, p. 'î'ii,, «n toulcas li» .Midrasiih où nous lisons
litut'sch. Itnh, 12: ' Les six jours de la création ntî furmL
i|n'un ili';voiop|)'»ment, coiurni' nn«' ni;uiii''r«* île fain» la
CUlmIIi'IU.' ili'S lii;iji'S inùres, (jIku'UU" niùi'it :i noii h^ir-.'
c'est-à-ilin* tout»' la sul)staricu «h»s ciiost's fut cr.'jc-' \\\\\\
pn.'iuij'r jf!, puis rn«^uit(' clia|U'' i.'!i'»-i"' ilislimîhi fu sor-
tit à son tour (cf. Kas.'.hi sur fh'nrsr, *i, i-i. r/.îsi au?>si
LES SEFIROTH. — L\ MATIÈRE PREMIÈRE 375
l'opinion du R. Nissim dans ses Deraschoth et de Nach-
manide dans les premières pages de son Commentaire
sur la Thorah. — Juda Hallevi, dans son Kiizari^ I, § 67,
exprime une opinion moyenne. Sans déclarer la matière
première incompatible avec le dogme juif, il préfère
admettre la création pure et simple. De même Maïmo-
nide, Guide, W^ 6. — Enfin parmi ceux qui se rangent dans
la troisième groupe figure Gersonide dans ses Milchâ-
moth, § 17. Mais dans toutes ces opinions il est question
uniquement d*un principe matériel, quelque chose comme
la {iXv] platonicienne. SeulR. Eliézer Aschkenazi dans ses
« Œuvres de Dieu » se rapproche du Zohar en faisant
de la substance première un moyen terme entre l'esprit
et la matière. La Couronne est, en effet, un principe à la
fois spirituel et matériel; elle est, pour parler la langue
d'Aristote et dlbn Gabîrol, à la fois matière et forme.
Elle est la première manifestation, mais une manifesta-
tion complète du En-Sof. Comme le but des kabbalistes
est de ne pas mettre le En-Sof directement on rapport
avec le fini, il faut bien que la Couronne puisse le rem-
placer et contenir avec le principe spirituel la possibilité
4u principe matériel ou mieux — la matière n'étant d'a-
près le Zohar qu'une dégradation de la substance spi-
rituelle — la Couronne est cette substance dans toute
isa plénitude, avec toutes ses possibilités ; elle est Timage
fidèle, quoique affaiblie, du En-Sof. Pour cette raison le
Zohar l'appelle quelque fois « Mélatron » qui dans l'an-
cienne mystique est une espèce de comesfideiy un oeuxepoç
De la Couronne, en évoluant émanent deux principes,
nouveaux : la Sagesse et Tlntelligence. La Sagesse, prin-
cipe mâle, actif; Tlntelligence, principe femelle, passif.
Certains passages opposent ces deux Sefiroth comme la
' -cause et l'effet et pour cette raison font apparaître d'abord
25
376 LA DOCTRINE DU ZOHAR
la Sagesse qui à son tour fait émaner d'elle rintelligence.
La Sagesse se répandit, rayonna et d'elle sortît Tlntelli*
gence et il se trouva qu'elles étaient mâle et femelle »
(III, 290). Nous verrons plus loin la portée cosmique de
eette division sexuelle ; ici le Zobar veut indiquer par
cette opposition qu'à partir de la Couronne apparaissent
les contraires, c'est-à-dire commence la première diffé-
renciation des choses, a Avec la Sagesse et rintelligence
commence le développement des choses » (III, 290 â).
Le Zohar les appelle quelquefois « père et mère » (1)
\ibid., 290) parce qu'avec elle débute en quelque sorte
la série des enfantements. — Entre ces contraires il faut
un principe médiateur ou, comme dit le Zohar, « un fils
semblable à la fois au père et à la mère ». Ce médiateur
est la Science ou la Connaissance.
La Science n'est pas une Sefirah nouvelle, mais l'union
de la Sagesse et de rintelligence. Gr&ceàelle, la Sagesse
et l'Intelligence deviennent « des amis inséparables » et
peuvent procéder à l'enfantement des choses. « Quand
la Sagesse et rintelligence veulent produire toute chose,
c'est sous cette forme qu'elles le font : c'est par leur fils
qui prend les traits de son père et de sa mère et qui s'ap-
pelle science. U est le témoin de Tune et de Taulrc^ il est
le grand premier-né » (2) (III, 291 a).
Dans Tesprit du Zohar la Sagesse répond à ce que nous
appelons l'idée. Au sortir de la Couronne qui est tout et
rien, il se fait un premier groupement organique : l'idée
se sépare du reste el se constitue. La conception la plus
fréquente, celle qui se rencontre à chaque page du Zohar
1. n2pz'\ izi -iSpriN xSpn^ ir\2 ruui nnzn ex nrz ix -^:n
H'^z'-z n?K ]z ^KT ... n'^rtim «nnnD r<^m nrr npxi -l'cx* "^-.2x1
LES SEFIROTH. — SAGESSE, INTELLIGENCE 1177
est que TLire réel implique rexislence préalable d'un être
idéal dont il n'est que le reflet, Texislence d'un type, d'un
prototype intelligible, d'une idée. Cette conception n'est
pas de celles qui se rencontrent dans le Zohar, mais qui
constituent la trame même du Zohar et il Texprime sous
cette forme générale : « La pensée ou l'idée est le prin-
cipe de tout » (1) (I, 246 b). Eh bien! laSefirah Sagesse
représente cette conception générale de l'idée, mais
cette Sagesse est une idée encore trop obscure, il faut
qu'elle se dégrade en une idée plus accessible, quelque
chose comme la pensée extériorisée et c'est ce qu'il en-
tend par rintelligence. La science n'est ensuite qu'un
lien entre l'idée inaccessible et l'idée accessible. Le Zo-
har compare la Sagesse à la pensée pensée, l'Intelligence
à la pensée parlée et la Science à la voix ou parole qui
relie l'une à 'l'autre. « Viens et vois, l'idée est le com-
mencement de tout; toutefois ce commencement est
encore replié et mystérieux. Par une nouvelle évolution
on atteint un point où l'esprit peut se reposer : c'est là
rintelligence... Cette Intelligence en se développant
encore produit une voix qui est l'ensemble, la fusion de
tous les éléments et de toutes les forces : feu, eau, air ou
Nord, Sud, Est Celte voix devenue parole contient tout ;
car lorsqu'elle sort en mots articulés, elle est le trait d'u-
nion entre l'esprit et la connaissance. Et si tu médites
tous ces degrés tu trouveras que la pensée, l'intelligence
et cette voix et parole, tout est un » (2) (I, 246 b).
1. x'^^si Nn'»tt?Ni nzttrrra nn nd
«m"^i ^hnS N^^riK T^n' natrrra ^^t.l rB^sn^ td rr^^n» î6i n^z^hd
vhp p'^SH't nï?3nK xmi td ... nz'rz npK itik mnnS ^oa ir, N"n«r
K*n Yn2 S^ncn tst ...iSc kisiS •'nN* ^mn inxa nSrWN
In nS^t 1121 Nin S-ip Nin n:u N-.n ni^rrra
378 LA DOCTRINE DU ZOHAR
Cordovero, le célèbre commentateur du Zohar, voit
dans ces lignes la doctrine de l'identité entre le sujet
qui connaît, la connaissance et l'objet connu. Cette doc-
trine d'origine aristotélicienne, reprise par Juda Hal-
levidans son Commentaire sur leSefer Yezirah, par Ibn
Ezra dans son Livre du Nom et son Commentaire du Pen-
tateuque, enfin par Maïmonide, est développée par Cor-
dovero en ces termes (Nous ne saurions mieux faire ici
que de laisser la parole à Franck et nous citons son
excellente traduction du passage) : <( Les trois premières
Sefiroth, à savoir : la Couronne, la Sagesse et Tlntelli-
gence doivent être considérées comme une seule et
même chose. La première représente la connaissance ou
la science, la seconde ce'qui connaît, et la troisième ce
qui est connu. Pour expliquer cette identité, il faut savoir
que la science du Créateur n'est pas comme celle des
créatures; car, chez celles-ci, la science est distincte du
sujet de la science et porte sur des objets, qui, à leur
tour, se distinguent du sujet. C'est cela qu'on désigne par
ces trois termes : la pensée, ce qui pense et ce qui est
pensé. Au contraire, le Créateur est lui-même tout à la
fois la connaissance et ce qui connaît et ce qui est connu.
En effet, sa manière de connaître ne consiste pas à appli-
quer sa pensée à des choses qui sont hors de lui ; c'est
en se connaissant et en se sachant lui-même qu'il con-
naît et aperçoit tout ce qui est. Rien n'existe qui ne soit
uni à lui et qu'il ne trouve dans sa propre substance. Il
est le type de tout être, et toutes choses existent en lui
sous leur forme la plus pure et la plus accomplie; de
telle sorte que la perfection des créatures est dans cette
existence même, par laquelle elles se trouvent unies à la
source de leur être, et à mesure qu'elles s'en éloignent,
elles déchoient de cet état si parfait et si sublime. C'est
ainsi que toutes les existences de ce monde ont leur forme
LES SEFIROTH. — l'IDKK 379
dans les Solirolli, elles Sefirolli dans la source dont elles
émanent. » Ces lignes nous paraissent justes. Nous nous
contenterons seulement d'y faire un léger changement
et de les appliquer non pas aux trois premières Sefirolh
— car la Couronne est, selon nous et selon les termes
mêmes du Zohar, quelque chose d'indistinct qui n*arien
à faire avec aucune essence particulière, pas plus avec
la pensée ou l'idée qu'une autre — mais à la sagesse,
rintelligence et à la connaissance. Puis nous n'avons ici
qu'un mélange entre les types ou Idées de Platon avec
l'idée aristotélicienne sur la science divine. Mais nous ne
voyons pas comment Franck peut trouver ici « une doc-
trine assez semblable à celle que les métaphysiciens de
l'Allemagne regardent comme la plus grande gloire de
notre temps... La doctrine de l'identité absolue, delà
pensée et de l'existence... présentant le monde comme^
l'expression des idées ou des formes absolues de l'intelli-
gence et nous laissant entrevoir ce que peut la réunion
de Platon et de Spinoza ♦>. Le Zohar ne semble pas au-
toriser une conclusion aussi hardie. Il entend seulement,
à noire avis, que la Sagesse en se dégradant, se réalise
en Intelligence et que celle-'^i se réalisant encore devient
parole et verbe, que la pensée est le principe de tout, non
pas en tant que les êtres ont l'être par cette pensée, mais
on tant que cette pensée enfante « les voies de sagesse
qui président à l'apparition et au développement de tous
les êtres. » Le Zohar dit qu'en méditant tous ces degrés
jusqu'au dernier, on retrouve la pensée partout; c'est
dire que pour nous, pour notre esprit, nous ne pouvons
connaître la Sagesse et Tlntelligence que par la Science,
de môme que nous ne pouvons connaîfre la pensée inté-
rieure que parlaparole. Le Zohar ditbienqu'il n'y a entre
la Sagesse, Tlntclligence et la Science, aucune sépara-
tion, qu'elles sont unies, mais il ne dit nulle part qu'elles
380 LA DOCTRINE DU ZOHAR
soQi identiques. Si Cordovero avait raison, nous n'au-
rions pas fait un pas en avant depuis la Couronne. Or,
le Zohar vise précisément à n'atteindre Tètre réel que
par suite d*une série de dégradations, on ne peut parler
d'identité absolue entre Tidée et la réalité, on ne peut
parler tout au plus que de types ou d'Idées platoniciennes
servant de plan à la réalité et impliquant en Dieu la con-
naissance a priori de cette réalité. Il faut dire, pour être
juste, que Franck a conscience de dépasser la pensée du
Zohar, car jl ne présente les deux doctrines que comme
(( assez » semblables et il croit seulement « entrevoir » ce
que peut la réunion de Platon et de Spinoza.
Les kabbalistes modernes appellent quelquefois le pre-
mier groupe des Sefirotli — la Couronne, la Sagesse,
rintelligence — Olam Hamouskal (univers intelligi-
ble), voulant rendre par là leur caractère purement abs-
trait. Le mot n'est pas dans le Zohar, mais la chose. Les
Suppléments expriment cette idée en étendant Tappella-
tion Ayin du En-Sof jusqu'à la troisième Sefirah. « Le
degré appelé Ayin embrasse trois Sefiroth. »
On peut se demander pourquoi le Zohar — la question
pouvait déjà être posée à Técole d'isaac TAveugle — ne
fait pas de la Sagesse, qui répond dans une certaine me-
sure au ^z'j^ néo-platonicien, la première émanation du
Ea-Sof. Los néo-platoniciens, notamment Plotin, n'ensei-
gnenl-ils pas que de l'Être absolu jaillit un rayon lumi-
neux, le vcj^ ou l'intellect uuiversel qui est la première
réalité cv, le fondement de toute réalité et indissoluble-
ment lié à e\\e{Enn. II, 1. I, ch. 0, 7). La seule réponse
plausible à cette question est le besoin de multiplier les
intermédiaires. La Sagesse commençant la série des
diiïérenciations ne doit pas tenir directement à l'Un, et
il faut entre lui et elle une unité intermédiaire, dégrada-
tion de la première, à savoir la Couronne.
\
LV< SKrïROin. — LES LKTTRES ET LES NOMBHES 381
A la S«firah Sag.^sse et ses compagnes se rattachent
dans le Zoliar toutes les élucubralions mystiques tou-
chant les trente-deux sentiers merveilleux de sagesse,
les vingt-deux lettres de Talphabet et les nombres. Tout
le contenu des Otyot de R. Akiba a passé avec des am-
plificalions dans la préface du Zohar (I, fol. 1 a 3 ; cf. I^
203 b). D'autre part, nous y retrouvons ce que le Sefer
Yezirah a lancé dans le courant du mysticisme. C'est un
phénomène curieux que le chemin parcouru par cet ou-
vrage. Enveloppé par la légion de ces commentaires, il
apparaît dans le Zohar avec une telle solennité qu'on a
de la pein(3 à y reconnaître l'opuscule assez insignifiant
sur lequel la vérité nous forçait à exercer une censures!
rigoureuse. « Tous los mystères, dit le Zohar, sont dans
les signes (III, 2 a). Les lettres sont sorties les premières
du sein de la sagesse par deux séries de sept qui consti-
tuant les contraires et huit médiales qui servent de
médiateurs. Les lettres sont d'abord considérées dans
leur forme typiquecéleste^u s'avançant en chœur chantant
éternellement la louange de Dieu et lors de iafixationde
la Thorah empressées autour de lui, joyeuses do se
mettre à son service pour Atre l'expression de celte
grande chose «jui s'appelle la loi ; elles portent de magni-
fiques couronnes où éclatent toutes les splendeurs d'en
haut. » Puis elles sont considérées dans leurs formes
matérielles, par exemple le yod est le symbole du point
pur primordial. Le alef^le symbole de l'univers entier, la |
barre horizontale servant de médiatrice entre la boucle
d'en haut qui représente le monde supérieur et la boucle
d'en bas qui représente le monde inférieur; le beth ou-
vert sur nous, fermé sur le dehors désigné pour cette rai-
son comme ouverture de la loi, laquelle est fermée, mys-
1. v'nNT h^7i3 i^boa lin 1.1*53
382 LA DOCTRINE DU ZOHAR
térieuse et attend pour livrer ses secrets l'interprélatioa
des initiés, etc. Chaque forme est découpée, afin que
chaque tronçon, chaque queue de lettre, chaque pointe
entre dans un symbolisme particulier. Elles sont mêlées
entre elles, mêlées avec le tétragramme, toutefois avec
cette restriction toute zoharitique que les lettres mâles
nepermutent jamais avec les lettres femelles. Elles sont
considérées selon le rang qu'elles occupent dans l'alpha-
bet et il se greffe sur ce rang des combinaisons arithmé-
tiques de toute nature, mélange du mysticisme des
lettres et des nombres. Toutes les fantaisies des Oiyot
de R. Akiba sont reprises, délayées, jetéespêle-mêle avec
celles du Sefer Yezirah. Chose curieuse, le Zohar, du
moins le Zohar proprement dit, ne fait pas des combinai-
sons de nombres, des permutations, des évaluations
numériques, un usage aussi abondant que le mysticisme
antérieur. Les lettres y tiennent une plus grande place
que les nombres. Cependant ces derniers n'y sont pas
oubliés et les Suppléments n'ont rien à envier sous ce
rapport ni à Ibn Ezra ni même à Abulafia. Nous ne pou-
vons vraiment pas nous attarder à entrer dans de plus
grands détails; nous renvoyons aux passages suivants :
I, io6, \1 ab, 19 A, 21 a, 23/5, 30 b,22b. 31 a, 53*,
77 «6, 94 6, 93 A, 96«, 143 a, 145 a, j. 39 a, 193 A, 204^,
205 o, 210 a, 224 a, 234 *, 239 a, 249 b.
II, 9 a, 31 A, 33 b, 91 a, 128 a, 132 a, 134 a, 135 a,
137 a, 139 «, 131 a, 159 a, 168 a, 172 b, 180 a, 181 a,
209 b, 212 A, 226 é, 227 a, 233 a, 233 b,
III, 2 ab, 10 6, 33 ô, 52 a, 37 a, 65 A, 66 ô, 74 6, 77 b,
78 a, 91 A, 103 A, 153 a, 150 A, 180 b, 21Ca.
On est véritablement confondu de voir ce que devien-
nent chez ces esprits exaltés l'idée du Verbe, comment
ils s'y plongent en quelque sorte, comment ils s'y noient,
avec quelle ferveur maladive ils en analysent tous les
LES SEFIROTE. — LES PROTOTYPES 383
élémeiils, craignant pour ainsi dire de ne pouvoir assez
hautement adorer le tout, voulant aussi exprinner à leur
manière et sans le secours des mots abstraits le sublime
de leur conception et la profondeur de leur respect.
La conception de lldée comme type de la réalité est
aussi développée dans le Zohar sous la forme très anthro-
pomorphique que nous avons déjà rencontrée sur notre
chemin, à savoir qu*à chaque réalité terrestre correspond
dans le ciel un modèle non pas seulement idéal, mais un
être matériel doué seulement d'une perfection plushaute.
« Tout ce qui est sur terre est également haut », et il n'y a
pas dans ce monde la moindre chose qui n*ait son corres-
pondant supra-sensible (1) (1,136 b; cf. III, 220-221).
Quand Y Exode rapporte que Dieu ordonnant à Moïse de
lui construire un sanctuaire lui montre en même temps
le plan, le Zohar explique qu'il lui montre les objets ty-
pes, le temple réel ayant dans le ciel un temple idéal.
Enfîn plaçant la question sur le terrain purement juif,
loZoharconsidère tous ces types, ces modèles, ces idéaux,
comme n'étant eux-mêmes qu'un reflet de laThorali (2).
LaThorah servit de plana la construction de Tunivers;
« Lorsque Dieu croaTunivers, il médita la loi, puis il créa :
c'est par la ïhorah que Tunivers a été créé comme il est
écrit [Prov. 8, 30) à propos de la Sagesse : « Je fus auprès
do lui comme un ouvrier Quand un roi veut cons-
1. ^Kna i^yv^ rho\ "jS n>Si .... kS^vS ^gj K7\ Nnxa n naSs
n^by Nnn« nSca ^^''bn vhi ^div
2. «nm^n NaSy Nia^ «nm^a na SsriD^s i^div n'n'pn ni3 t;
xn iD n'2'pn -p nicnn ]n-ûSs ^i:\N2 ^ic noSc n::Sq izyi
"jm^Ss n:a ich^ \st. N:Sa "îzn ^msbs ]iSn niSîdt nSn nqc
1
i
384 LA DOCTRINE DU ZOHAR
truîrc un palais il ne le peut sans ouvrier. Le palais une
fois construit, on n'en t'ait honneur qu'au roi, on ne le
rapporte qu'à lui parce qu'il en a eu l'idée... Do même,
Dieu pour créer l'univers consulta l'ouvrier et quoique
ce soit Touvrier qui ait construit on ne parle que du roi...
C'est le roi qui a tout fait, c'est le roi qui a bâti le temple,
avec cette diiïérence toutefois que ce n'est pas la Thorah
elle-mèmequi a construit, mais Dieu a construit en regar-
dant, en méditant la Thorah (III, 61 a. Cf. III, 220 a,
221).
On suit très bien l'histoire de cette idée. Le Midrasch
et particulièrement un ouvrage intitulé Se fer Hakanah
avait assimilé la Sagesse dont parlent les Proverbes à la
Thorah. Puis le Zohar poussant l'idée jusqu'au bout croit
pouvoir appliquer à la Thorah ce qu'il dit de la Sagesse,
celle-ci non plus entendue au sens biblique, mais au sens
zoharilique comme une Sefirah. Or comme la Sefirah
Sagesse est l'Idée contenant en elle tout Tidéal de la
réalité, la Thorah doit le contenir à son tour, et par con-
séquent elle a pu, elle a dû servir de plan à l'univers.
Nous avons vu que des œuvres spéciales auraient
tracé la voie au Zohar. Le Zohar s'y engagea avec en-
thousiasme. Il fait de celle idée ses délices. Comme il se
donnait lui-même comme un simple commentaire de la
Thorah, Texaltation la plus haute de cette Thorah répon-
dait au plus impérieux de ses besoins. Par là il scellait
la Thorah et la Kabbale d*un sceau indissoluble.
A cette première trinité de Sefiroth en succède une
autre, constituée par la Grâce on Grandeur, la Justice ou
Sévérité ou force et leur médiatrice la Beauté. La Sagesse
et ITnlelligcnce unies dans la Science président à la
substance, à l'essence des choses, la Grâce et la Justice
président au mode, à la qualité. Déjà antérieurement
dans le Talmud^ dans les Midraschim, nous avons
LKS SEFIROTH. — GRACE, JUSTICE o^Ô
trouvé coite idée que TuQiversn'esl fondé ni sur la Jus-
tice seule, ni sur la Grâce seule, mais sur un mélange de
Tune et de l'autre ; chacune d'elles seule ne constituant
pas une base solide. Mais jusqu'à présent on appliquait
cette idée qu'au domaine purement moral, à savoir que
sans la Gn\ce l'univers eût péri par manque d'indulgence
et de pardon et sans la Justice, sans la Sévérité, il eût
pi3ri par excès de relâchement et de mollesse. Dans le
domaine moral la justice est une vertu plutôt négative»
sans élan, sans générosité, pesant avec trop de précision
le bien et le mal, ou, comme dit le langage mystique,
« le plateau de mérite et le plateau de démérite ». La
grâce s'abandonne, pardonne, ajoute au plateau du bien
ce quelque chose qui vient d'elle-même et qui le fait
fléchir. La justice répond à notre idée de loi, la grâce à
Tidée d'amour. Le Zohar à la suite de Técole d'Isaac
TAveugle transporte ces idées purement morales dans
le domaine métaphysique. Cette substance, contenue
dans la Sagesse, s y trouvait sans limite; pour se réaliser
elle devait tenir compte des possibilités du réel, c'est-à-
dire ne pécher ni par défaut (justice) ni par excès (grâce),
il fallait un juste milieu, une proportion harmonieuse et
ce fut la beauté. « La Justice et la Grâce sont liées et l'une
ne peut aller sans l'autre. •. les deux sont mises en œuvre
par la Beauté, laquelle embrasse à la fois la Grâce et la
Justice... Quand toutes les couleurs, toutes lesfacessont
unies, c'est la Beauté et c'est la réalisation de toutes
choses »(1) (III, 143 A, 296 a).
11 est remarquable de trouver ici celte conception de la
beauté comme d'une harmonie, conception tout irapré-
i.NSSsa NTKS2tnHpSDNb"]3>3''»i...'»cm':wniwpnH
^*:^2 b^^Di irrra S"^d n"«îi5n ^nh niMDn '»Mn3 ^ni:;n» Kin
386 LA DOCTRINE DU ZOHAR
gnée d'alticisme et loin des coacepts habituels des
Juifs.
Mais le Zohar à côté du sens métaphysique de la grâce
et de la justice maintient égalementle sens moral. Uéla-
boralion mystique est toujours la même. Les idées du
passé sont surélevées et en quelque sorte baignées de
métaphysique, mais leur sens premier leur demeure.
Dans l'ordre purement moral la beauté n'est plus la pro-
portion, mais la miséricorde, la pitié. « Seule la miséri-
corde fait de la grâce et de la justice un corps uni, un
tout » (III, 296). Rien de plus intéressant que cette fu-
sion du beau et du bien, rappelant de beaucoup la
y.aXoy,aYaO(a platonicienne. Au groupe Grâce, Justice,
Beauté, le Zohar rattache toutes les anciennes « voies »,
les treize Middolh de VExode, qui avaient tant occupé
les commentateurs, le Talmud et les Midraschim. La
lutte entre les Middolh et les Sefirolh s'était terminée à
Tavantage de ces dernières et Abulafia déjà avait fait des
Sefiroth la racine de l'arbre mystique et des Middoth les
branches. Toutes ces voies s'étaient, déjà bien antériei -
ment au Zohar, groupées en voies de grâce et en voies
de justice, notamment dans les PirkéàQ R. Eliézer cl dans
le Se fer Hakanah.
La Justice et la Grâce tempérées l'une par l'autre re
président pas seulement à l'organisation cosmique des
choses et au gouvernement moral, mais ce tempérament
rejaillit sur les Sefiroth elles-mêmes, même les Sefiroth
les plus intelligibles et toutes alors se départagent en
Sefiroth de grâce et en Sefiroth de justice disposées sous
l'aspect de la figure suivante (p. 387).
Les Sefiroth Sagesse, Grâce, Victoire constituant la
colonne de droite sont les voies de grâce et les Sefiroth
Intelligence, Justice, Magnificence constituant la co-
lonne de gauche sont les voies de justice, les quatre Se-
L
< . r.r^^
LES SEFIROTH. — LA BEAUTE
387
firoth du centre constituant la colonne du milieu sont
les médiatrices entre les unes et les autres. « Lorsqu'une
Sefirah veut exercer la justice, elle s'alimente à la Force
ou J us tice'et toutes les Sefiroth prennent le nom de Force ;
quand elle veut exercer la grâce, elle puise à la Sefirah
irrtuKUM^ (l i^
JWnor f ««^
^ ' î \ ^* 1
^« tifiV^'
lOr» T»ioc'
"'l^ FOMOtlItUT
I
I
f
I
Grâce et toutes les Sefiroth prennent le nom de Grâce;
enfin quand elle veut exercer la miséricorde, elle puise
à la colonne du milieu et toutes les Sefiroth prennent le
nom de Miséricorde. »
Enfin les Sefiroth confondues dans la Beauté évoluent
encore, produisent le troisième et dernier groupe, Vic-
toire,Gloire, Fondement, où la Victoire représente Je prin-
388 lA DOCTRINE AU ZOHAR
cipe mâle, la Gloire, le principe femelle elle Foodement
lear médiateur. Dans le premier groupe l'idée détermine
Tessence des choses, dans le second, la beauté et la mi*
séricorde déterminent la qualité des choses ; dans le
troisième, nous avons Texpansion au dehors des deux
premiers. C'est l'idée de la beauté (avec la miséricorde)
s'asservissant les choses et fêtant en quelque sorte leur
victoire en apparaissant sur la face de Tunivers dans tout
l'éclat de leur « triomphe » et de leur « gloire ». La
force de la Beauté s*épanche en deux courants ; là est toute
expansion, toute multiplication, toute croissance; là
s'amasse toute la mâle vigueur du corps entier, de là par-
tent toutes les puissances, c'estFarmée divine conquérant
l'univers, c'est le triomphe et la gloire... toute celte force
se déverse dans la matrice du monde qui s'appelle base;
tout désir, toute aspiration de la vigueur mâle tend à
aller là » (III, 296 a) (1).
Dans la terminologie antérieure le mot Yesod s'ap-
plique à la matière universelle, dans le Zohar à la « ma-
trice du monde »,aboutissement de toutes les puissances
desSefiroth. Si nous nous rappelons que dans le symbo-
lisme mystique des Grecs etencorè dans Platon et Aristote
la matière est appelée la mère, nous avons lieu de trou-
ver dans le Yezod dix Zohar une expression résumée de
cette double mais non divergente conception. — Le Fon-
dement amasse en lui toute la substance des ScFirolIi,
mais non pour la répandre elle-même au dehors, car elle
est mère, c'est-à-dire principe passif. Pour réaliser enfin
i-inn y'^b^2 "jnn •!.t^3'»2 inn^nai ^''pittr^nnn KSuiawsnN ti
w.:2T)H NT-2 NSia Sn Nn:n xb^n rrizii snCD S-n xiim -^ti
...i^zz^zi S*'»v TOI ^t^rsz i^2-:*: ^2;b ntî3-ît ^a^2'îN^-^ Sr-
LES SEFIKOTH. — L\ DIVISION TRINITAIHE 38î>
toutes les Sefiroth dans Tunivers sensible, il faut une
dernière Sefirah, « la Royauté » ou « empire ». Par elle
seulele En-Sof devient roi, c'est-à-dire avec elle seule
apparaît Tunivers ou empire divin. La Royauté ne se
confond pas avec la Couronne, car dans la Couronne,
toutes les Sefiroth sont unies en puissance, dans la
Royauté elles sont en acte. « Tout ce qui est en bas se
nourrit d'elle, est béni et fécondé par elle... » (III, 296) ;
elle est appelée estomac parce qu elle « recueille la nour-
riture et en même temps la^dispense aux membres de
l'univers » (III, 235 a) (i).
Telles sont les Sefiroth dans leur dénomination la
plus fréquente, et dans leur sens le plus fréquent. Il va
presque sans dire que ces notions sont noyées dans un
flot d*images; elles apparaissent ainsi comme une méta-
physique incapable de demeurer à la hauteur do son
sujet, et qui, dans Timpossibilité de l'exprimer, se jette
dans la poésie, remplace la précision et la noblesse par
le ^ ague et la métaphore.
La division trinitaire que nous avons maintenue dans
Texposilion des Sefiroth est le groupement le plus fré-
quent qui se rencontre dans le Zohar. Elle est d'abord
une conséquence nécessaire de la loi des contraires cons.
tituée par deux extrêmes et un moyen, deux termes op-
posés et un terme médiateur, ou, comme nous disons,
une thèse, une antithèse et une synthèse. Cette division^
si nous Texaminions bien, n'est qu'une extension aux
Sefiroth en particulier de ce qui est vrai des Sefiroth en
général. Que sont les Sefiroth dans leur ensemble ? Elles
sont un moyen terme entre le En-Sof et l'univers sen-
sible. Les trinilés partielles répondent donc à la grande
Irinité, Dieu, les St-firoth, l'Univers.
1. NT K2:2n23f\N 'cnariD nai ypv n:p Nnnbi ]Tii Sd
390 Lk DOCTRINE DU ZOHAR
La division trinilaire répond aussi à un groupement
logique. Le premier groupe est le groupe métaphysique
ou intelligible pur qui ne se meut que dans le domaine
de ridée ; le second est le groupe moral, parce que l'as-
pect métaphysique et cosmique de la justice et de la
grâce disparaît derrière Taspect moral. Le troisième est
le groupe physico-naturel, exprimant Tidée des forces
jetées au fond des choses. Mais cette diversité de points
de vue est purement fictive, subjective, car toutes les
Sefirolh ne sont dans Tesprit du Zohar que des intelli-
gibles, cette division explique à notre esprit plutôt les
dénominations des Sefiroth que leur nature.
Sous ce même angle subjectif les commentateurs com-
parant Dieu à un architecte et Tunivers à leur palais,
disent que Dieu voulant produire Tunivers en conçoit
d'abord le plan de l'édifice : c'est le groupe qui gravite
autour de l'idée ; puis il réfléchit à la manière de réaliser
ce plan, aux principes qui doivent rendre cette réalisa-
tion possible, de manière que le détail se rapporte à
l'ensemble et que la loi de symétrie gouverne le tout ;
c'est le second groupe qui fusionne dans la beauté »
enfin il réfléchit au mode d'exécution^ c'est le troisième
groupe.
Nous avons dit à propos d'Ezra-Azriel et nous répétons
ici que, selon nous, les Sefirolh n étaient à l'origine
qu'au nombre de trois, à savoir : la Couronne ou, comme
dit Ëzra, la Sefirah supérieure répondant à la volonté
dlbn Gabirol ; la Sagesse, répondant à la forme et la
Base {Yesod) répondant à la matière universelle. On
dirait que le Zohar se souvient encore de cette ori-
gine, car il superpose aux trois trinités de Sefiroth une
trinilé centrale groupant ensemble un représentant de
chaque trinité particulière et formant ce que le Zohar
appelle la colonne du milieu. Dans cette colonne la Cou-
LES SEFIROTII. LEUR PRINCIPE TRIMTAIRE 391
rorme ne change pas de nom, car elle n'est accessible à
aucun changement ; la Beauté prend le nom nouveau de
Uoi saint; elle est en quelque sorte issue directement do
la Couronne; elle est le roi, le principe mâle ; la royauté
ou Gloire divine prend le nom de Matrone, reine, prin-
cipe femelle.
Le Zohar arrivé à la dernière trinité des Sefiroth ex-
prime son principe trinitaire sous la forme suivante : a De
même que Tunion sexuelle repose sur trois termes (mâle,
femelle, trait d'union), de même Tunion de toute chose
no peut exister, ne peut être une source de bénédiction
que par le nombre trois » (III, 296 «, A).
Si nous tenons compte de ce fait que les anneaux
essentiels de la chaîne des SePiroth sont la Couronne,
la Pensée et le Fondement, nous trouvons à peu près
la gradation plotinienne, le Fondement étant ce par
quoi les Sefiroth agissent sur l'univers, c'est-à-dire
quelque chose comme l'àme universelle de Plolin.
Plotin emploie également, pour l'apparition de ces
essences, le mot 7:p:s$;v, métaphore similaire à Tidée
d'émanation.
A la fin de son commentaire sur les dix Sefiroth Ezra-
Azriel avait associé les Sefiroth aux membres du corps
humain. Cette association reprise par Abulafia se re-
trouve aussi dans le Zohar, modifiée et appuyée par
d'autres conceptions. Nous verrons plus loin, lorsque
nous traiterons de l'homme, quelle place le Zohar
donne à la forme humaine dans l'ensemble des choses.
Contenluiis-nons de dire ici que cette forme est pour le
Zohar le lype de tous les types. Tous les mondes sen-
sibles sont enveloppés en elle. « La forme humaine est
la forme type ramassant en elle toutes les formes et la
perfection de toute chose. La forme humaine est l'image
de tout ce qui est au-dessus et au-dessous du monde supra-
26
392 LA DOCTRINE DU ZOHAR
sensible. C*est pourquoi rÂncien des anciens et le Court
Visage Tont choisi pour leur forme et figure » (i) (III,
141 b), El il ne s'agit pas ici de la forme de Thomme ter-
restre, mais de celle dont il n*est qu'un reflet : la forme
de TAdam supérieuri de TAdam primordial^ forme an-
drogyne et par cela même l'expression la plus haute de
la grande loi, la loi de l'union sexuelle, qui est une
autre forme de la loi de médiation des contraires, mais
n'anticipons pas... Seulement TAdam supérieur en tant
qu'unissant en lui le type des types est une nouvelle dé-
nomination des SePiroth dans leur ensemble : « La Cou-
ronne orne son front, les deux bras portent la Sagesse et
rintelligence, les côtés représentent la Grâce et la Jus-
tice, la poitrine est le symbole de la Beauté, les reins
celui de la Victoire et de la Gloire, les parties inférieures,
celui de la Base ; enfin, il a sous ses pieds la Royauté.
Dans quelques passages le terme d'Adam supérieur s'ap-
plique uniquement à la Sefirah Sagesse, ce qui se rap-
proche de Philon et des gnostiques chez lesquels le
Logos est présenté comme Thomme primitif, protogenos
fils de la Sophia. Le Logos se trouve par rapport à Tesprit
humain en particulier dans une parenté si étroite qu'il
est légilimement appelé 5 xa-c* elxéva ifvOpwrcç (Co/i/. linfju,
341 B ; lôirf., 326 b : ivOpwroç OmO). Ainsi seulement s'ex-
plique, selon Philon, que la Genèse parle d'une part
(i, 27) d^un homme créé à l'image de Dieu, et d'autre
part (2, 7) d'un homme tiré d'un bloc d'argile. Le pre-
mier est Thomme idéal, Thomme primordial ; le second
est l'homme terrestre.
Le Zohar se livre ensuite sur ce symbolisme aux di-
N^pvT ^Mm \^xi^ TT.Z :SS:nNT ]*Nnm ^ihSnt «:pv"r •in c-x-
^^SN "i^vn W2^pm ^-uipH Hirnp npw; ]^pnH y\iT\rw ^^kV; S^Ss
...H:*ipn^ iCpVT •'MHZ
LES SEPIROTII ET LÀ MERGABAII 303
vagatioQ3 les plus fantaisistes» parfois les plus licen-
cieuses ; les Suppléments surtout, œuvre tardive et
bâtarde, en prennent à leur aise. Puis plus tard encore
la Kabbale pratique fonde sur ces données une médecine
mystique où le nom des Sefiroth^ les noms divins, les
noms des membres malades et d'autres noms arbitraires
inscrits sur les talismans servent d'ingrédients à une
mixture mille fois plus étrange que colle de la chau-
dière d'Ëson. Cette mixture» variant à i'iniini suivant
la maladie, T&ge, le caractère du patient, est serrée
dans des phylactères ou bandelettes et appliquée sur
les parties malades. D'autre part, le Schiur Koma, la
Grande et la Petite Assemblée ttvec leurs descriptions
anthropomorphiques sont le point do départ dlnnom*
brables litanies, de placets en vue de forcer les portes
célestes. Remarquons seulement que tandis que le
Schiur Koma s'attaque à Dieu mème^ le Zohar s'arrête
à la première manifestation de Dieu» à Thomme-type et
n'ose aller au delà ; mais les Suppléments etla Kabbale
pratique n'y regardent pas de si près ; quand le symbo-
lisme de ces pages n'est plus entendu, le fétichisme de
la lettre s'en empare et une fois de plus tue l'esprit phi*
losophique et poétique des choses qu'il touche.
Le Zohar se reportant ensuite au char d'Ézéchiel, à
la fameuse Mercabah^ considère que la figure de l'homme
est la plus noble parmi les figures de la vision d'Ézéchiel
(I, 10) et que sur le char même il y a n comme une figure
d'aspect humain » {ibid. V, 26). Reliant toutes ces idées
entre elles, il appelle les Sefiroth ou l'homme type : le
char do Dieu. Les Sefiroth deviennent l'ancienne Mer-
cabah. «Après qu'il eut produit cette forme deMercabah
de l'homme supérieur, il descendit^ » etc. (Il, 42 6).
Nulle part on ne sent mieux l'eiTort de la Kabbale pour
s'insérer dans le cadre consacré parla tradition mystique
394 LA DOCTRINE DU ZOHAR
et dans lo texte de TÉcriture. L'évolution est consom-
mée. La vision d'Ézéchiel qui n'était très probable-
ment dans son esprit que la représentation de quelque
symbole assyrien, entrevue par lui, devient le porte-
parole du néo- platonisme. Ezéchiel n'eût pas été le
moins étonné du sens et de la portée de sa poéti-
que.
Nous lisons dans la Genèse {3, 22) : a Dieu dit : Voici
que rhomme est devenu comme un de nous par le dis-
cernement du bien et du mal et maintenant de crainte
qu'il n'étende sa main et ne cueille aussi les fruits de
Tarbro de vie et en mange et devienne éternel... » Cet
arbre de vie intrigue beaucoup l'auteur du Zohar ; il y
voit le symbole du Grand Arbre des Sefiroth nourrissant
de ses fruits l'univers entier, quelque chose comme Tlg-
drazil des légendes germaniques. « Au milieu de la
maison (de la création primordiale) est un grand arbre
aux branches puissantes pliant sous le poids des fruits^
pâture do toute chose; sa couronne va jusqu'aux
nues, etc. (I, 172 a; cf. Mystères de la loiy 76 b). Et ail-
leurs (I, 35 a) : « Parmi les plantations supérieures est
un arbre immense s'étendant sur douze directions et
portant son action sur d'innombrables parasanges... Il
est la source primordiale de tous les courants qui ali-
mentent kl création. » — Plus tard les commentateurs
du Zohar font de cet arbre nourricier l'image matérielle
des Sefiroth. Le En-Sof est figuré par la racine, cachée,
impénétrable aux regards ; la Couronne est représentée
par le tronc qui amasse toute la sève afin de la répandre ;
les trois premières Sefiroth par les branches, les trois
suivantes par les rameaux, les trois dernières par les
feuilles et les fleurs ; enfin les fruits symbolisent la der-
nière Sefirah, la source immédiate et prochaine de la
vie, de la réalité sensible.
i
LES SEFIROTn EN LES PATRIARCnES 395
Comme le mysticisme talmudique avait dit des pa-
triarches : « Voilà la Mercabah, le char de Dieu, et que
d'autre part cette Mercabah est constituée par les Seli-
rolh, il faut de toute nécessité que le Zohar associe et
identifie les dernières avec les premiers et que chaque
Sefirah ait son représentant patriarcal, ou, comme s'ex-
prime le Zohar, que toutes les Sefiroth soient symbolisées
par « Israël le vieux », par le vieil Israël. Dans d'innom-
brables passages, Abraham, Isaac, Jacob, etc. sont ap-
pelés les représentants des Sefiroth, Grâce, Beauté, Fon-
dement et figurent par leur action bienfaisante sur les
destinées d'Israël les bienfaits qui s'épanchent des Sefi-
roth sur l'univers. Leur trinité symbolise le principe de
médiation (cf. 1, 141 ô, 158 a; II, 110 a, 256 b; III, 38 «,
64 by 116 a, 204 a). Ils sont considérés d'une part : dans
leur vertu, expression symbolique des vertus supérieures
des Sefiroth; d'autre part, comme champions de la vé-
rité monothéiste et médiateurs entre Dieu et Israël, ils
représentent les médiateurs métaphysiques (1, 17 ô, 21 A,
43 a, 83 b, 133 b, 197 a, 208 b, 210 a, elc). Nous n'en-
trerons pas dans le détail de ces fantaisies, mais pour
montrer l'esprit philonien de cet allégorisme, nous nous
arrêterons un peu au nom de Joseph.
Joseph pourvoyant à l'approvisionnement de l'Egypte
et de sa famille représente les Sefiroth veillant à l'entre-
tien de Punîvers, son attitude avec ses frères est encore
un symbole des Sefiroth qui ne dispensent leurs bienfaits
que sous l'action de la bonté et de la vertu ; Moïse par ses
miracles marque raction miraculeuse de l'homme juste
sur le ciel; la sortie d'Egypte et le bien qui en est la suite
signifient que les Sefiroth ne rayonnent que par la média-
tion de celui qui s^est affranchi du joug de ses passions.
Depuis la clôture du Zohar, les commentateurs et les
396 LA DÛGTHINE DU SOHÀR
écoles se sont livrés h des discassions iQierminables sur
la question de savoir quelle est la nature des Sefiroth.
Le grand problème consistait à examiner si dans l'es-
prit du Zohar les Sefiroth sont distinctes ou identiques
avec Dieu et ce problème était devenu classique sous
cette forme : Les Sefiroth sont«elles des instruments ou
des essences ? Mais il faut démêler ce qu'il y a dans U
concision de cette formule.
Tout d'abord pour quelques-uns, notamment Moïse
Isserles, la question n'existe pas. Leur conception des
Sefiroth ne s'écarte pas de la vieille conception des attri-
buts, avec cette différence toutefois que les Sefiroth ne
sont pas des attributs d'essence mais des attributs d'ac-
tion. Elles ne seraient en quelque sorte qu'une extension
de la conception qui se rencontre dans le Midrasch Tan*
chuma sur Ex. 3, 13 : «Dieu dit h Moïse : Tu désires sa-
voir mon nom, eh bien ! c'est selon mes œuvres que je
suis dénommé; lorsque je juge dos créatures je suis ap*
pelé Elohim, lorsque je fais la guerre aux méchants je
suis appelé Sebaoth, lorsque je pardonne les fautes des
hommes je suis appelé EUSchadaï ». Les Sefiroth no dé-*
signent que des actions divines, mais des actions n'en-
traînant aucun changement ni dans les dispositions do
Dieu ni dans sa volonté simple et pure. Leur définition
de Dieu n'est pas objective mais subjective ; elles no sont
pas dos réalités mais des abstractions logiques. A cette
opinion s'oppose formellement tout l'esprit du Zohar.
Le Zohar présente, sans contestation possible, los Sefi-
roth non pas comme de simples concepts logiques mais
comme des essences réelles, comme des émanations
réelles du En-Sof, comme constituant les diiïérentos
phases du processus réel qui aboutit à l'univers sen-
sible. Ce ne serait qu'à un point de vue purement fictif
que nous pourrions conserver pour les Sefiroth l'appella-
LA NATURE DES 8EFIR0TU 397
lion d'atlributs, c'osl-à-dire autant que c'est par elles
seules que nous pouvons nous former quelque idée de
Dieu. Elles sont bien pour noire esprit des attributs
divins, mais il n y a aucune réalité à ce point de vue, c'est
ce que le Zohar indique lui-même sous la forme sui-
vante : (c Avant la création du monde il n'y avait aucun
rapport, aucune relation par laquelle Dieu eût pu être
appelé miséricordieux ou Juste. Tous ces noms sont
irréels (artificiels) et ne lui sont donnés que dans l'es-
prit des créatures. .. Aucun attribut réel, aucun nom ne
peut être appliqué si ce n'est aux Seflroth, lesquelles
seules ont leur nom, leur mesure, leur limite et ce sont
précisément ces noms dont nous disons que Dieu des-
cendit vers eux, qu'il gouverne par eux, est dénommé
selon eux, et s'enveloppe en eux » {Zohar y III, 2S7 b).
D'après d'autres, notamment Menachem Reccanati,
les Sefiroth ne sont que des instruments, c'est-b-dire
des êtres d'une nature supérieure dont Dieu se servit
pour créer l'univers mais qui sont absolument distinctes
do lui. -— D'autres, notamment David abbi Simra, ad-
mettent que les Sefiroth sont des essences, des subs-
tances non distinctes mais identiques àDieu. — D'autres
enfin, Luria et Cordovero en tète, professent une opinion
intermédiaire. Les Sefiroth sont bien distinctes de Dieu,
mais Dieu sans y être immanent y est toujours présent ;
Il est au<*dessua, mais non en dehors des Sefiroth.
D'une part, elles ne sont pas identiques parce que ce
serait introduire en lui le changement et la multiplicité;
d'autre part elles ne sont pas non plus une œuvre de
ses mains^ ensuite livrée à elle-même, autrement^ étant
donnéo leur nature divine et supérieure elles seraient
indépendantes de lui^ ce qui n'est pas ; elles sont donc à
la fois identiques et non identiques, distinctes etnon dis-
tinctes. Avec cette conception intermédiaire s'accordent
398 LA DOCTRINE DU ZOHÀR
assez bien certains passages fameux du Zohar, comme
par exemple celui-ci {Zohar, III, 288 à) : « Dieu est
séparé^ puisqu'il est supérieur à tout et il n'est pas sé-
paré; il a une forme et il n'a pas de forme. Il a une
forme en tant qu'il établit Tunivers et il n'a pas de
forme en tant qu'il n'y est pas enfermé. »
Le problème ainsi posé a quelque analogie avec
celui qui fut soulevé à l'époque talmudique par deux
docteurs célèbres, Hillel et Schamaî, non pas évidem-
ment au sujet des Sefiroth mais au sujet des forces na-
turelles, à savoir si les forces naturelles agissent d'une
manière indépendante ou si elles ont toujours besoin de
la coopération divine. Voici comment ces illustres doc-
teurs formulent leur opinion [Berachothy 8, 5). Le rituel
juif contient une prière destinée à être dite à l'issue du
sabbat en vue de remercier Dieu d'avoir créé le feu.
Schamaï adopte la formule suivante : « Sois béni, Sei-
gneur, toi qui as créé la lueur du feu. » Hillel au con-
traire : « Sois béni toi qui crées la lueur du feu. » Schamaï
admet que la loi qui préside a la naissance de la lumière
et du feu une fois créée, est abandonnée à elle-même,
agit par elle-même sans la collaboration de Dieu. Hillel,
au contraire, admet que la présence de Dieu y est tou-
jours nécessaire. Pour Schamaï les causes prochaines
secondes se suffisent, pour Hillel elles ont toujours be-
soin de la cause première. — Ce même problème se pose
à Tesprit de Maïmonide et voici comment il le présente :
« Sache que l'univers est comme un tout uni, un indi-
vidu, Dieu est en quelque sorte l'âme supérieure (ration-
nelle) de ce tout, car il est à l'égard de l'univers ce que
la faculté rationnelle est à l'égard de l'homme, avec
cette différence toutefois que la faculté rationnelle est
une faculté propre au corps et inséparable de lui, tandis
que Dieu n'est pas une force inhérente à l'univers, mais
tA NATURE DES SEFIROTH 399
entièrement séparée de lui : et cependant il est avec ce
monde dans un rapport constant^ quoique incompré*
hensible à la vue bornée de Thomme ; car, d'une part, il
est démontré qu'il est séparé et indépendant, d'autre
part que sa direction s*étend jusqu'à la partie la plus
infime de l'univers » [Gnidey I, 72). Maïmonide, comme
l'on voit, expose clairement le problème mais no le
résout pas^ il le déclare impénétrable. Le Zohar semble
favoriser l'opinion de Hillel quand il dit (Préface, 5 a) :
« Il est écrit : « De même que les cieux nouveaux que je
<c fais, etc. » Il n'est pas dit que j'ai fait, mais que je fais,
au présent, pour indiquer que l'action divine demeure
toujours présente ». Toutefois ce passage peut encore
signifier que Dieu crée sans relâche des univers nou-
veaux et de la sorte n'apporterait aucun éclaircissement
à la question qui nous occupe et âfeifAtic sub judice lis est.
Du reste, les divergences au sujet de la nature des Se-
firoth éclatèrent dès leur première apparition, au point
que l'on discuta sur le texte même par lequel l'école
d'Isaac l'Aveugle, et notamment Azriel, les définit dans
son Commentaire explicatif des dix Sefiroth. D'après
l'édition de Varsovie, Azriel aurait dit : « Le premier (le
principe) contient la force de tous, mais la force de tous
n'est pas la force du premier et il n'y a pas dans le déve-
loppement tout ce qu'il y a dans le principe. » D'après
l'édition de Meirben Gubbai (édition de Berlin), il aurait
dit au contraire : « le principe, la cause contient tous les
effets et les effets constituent toute la cause, car il y a
dans le développement tout ce qui est dans le principe ».
Dans le Commentaire sur le Cantique des cantiques les
Sefiroth sont appelées tantôt des voies et des instruments
déterminés et limités et un autre passage semble expri-
mer l'opinion intermédiaire par ces mots a les voies en
se parachevant devinrent des instruments » . Plus tard
400 Ik DOCTRINE DU ZOHAR
Abulafia appuie sa grande critique des Sciiroth sur oe
fait que les fondateurs ci les adeptes de la doctrine ne
savent pas eux«mèmes à quoi s*en tenir sur leur compte
et que les uns en font des essences idéales (des idées),
d'autres des essences réelles, matérielles ou substances,
d'autres des attributs, d'autres des forces, d'autres des
lois, etc.. Toutes ces divergences se reflétèrent dans la
Kabbala denudata (\u\, au tome I, part. II, p. 147, donne
aux Sefiroth les dénominations les plus contraires comme
« produits d'un principe simple, manifestations de la
bonté do l'être sublime, analogies essentielles de TÊtre
suprême, idées de sa volonté, vase de sa puissance, ins-
truments des opérations, dispensateurs de sa bonté, at-
tributs de son esprit^ les dix doigts de sa main, ses dix
noms impérissables, dix lumières par lesquelles il émane
de lui-même, dix vôtemcnts dans lesquels il s'enveloppe,
dix degrés do la prophétie, dix chaires dans lesquelles il
enseigne, dix trônes de sa Mercabah ».
Monothéisme^ Polythéisme^ Panthéisme. — Ce qui
explique toute cette variété d'opinions, c'est l'indécision
du Zohar lui-même, c'est son hésitation entre la doctrine
purement juive du monothéisme et le vieux fond poly-
théiste que le mysticisme apporte et fait remonter à la
surface, et aussi les concessions très nombreuses qu'il
fait à une doctrine qui doit réconcilier le monothéisme
avec le polythéisme, j'entends la doctrine du panthéisme.
Le monothéisme, quoique nettement distinct du pan-
théisme, n'en est pas si éloigné qu'une longue série de
spéculations et une certaine hardiesse de pensée ne
puissent assez facilement faire passer l'esprit de l'un à
l'autre. Voici comment s'opéra ce passage. D'une part
les écrits prophétiques et en général l'élite des écrits bi-
bliques poursuivirent pardelà toutes les Ans secondaires.
I t
LES SEFIROTII. — LE PANTHÉISME 401
cette fin guprèmo : anéantir dans sa racine l'antique po-
lythéisme, dont la plante si vivace alimentée par les ha-
bitudes, les charmes de la poésie et rignorance populaire
tentait sans cesse de renaître et cela à Tabri même du
génie de la langue, celle langue qui en dépit de tous les
eiïorts demeurait nécessairement imprégnée de concep-
tions polythéistes. La lutte contre le polythéisme en-
traîna le judaïsme biblique à ne pas se lasser de dire et
d'affirmer sous les formes les plus variées ces deux
choses : d'une part^ que Pieu est un, que son nom est
un, que son pouvoir est un, que lui seul a créé Tunivers,
que seul il le gouverne, que personne no peut se com-
parer à lui, que tous les autres dieux ne sont que néant
de manière que Tesprit populaire fût en quelque sorte
obsédé par Tidée monothéiste; d'autre part en répétant
sans cesse que Dieu ramasse en lui tout ce qui pour
l'imagination naïve et ignorante parait un être indépen-
dant, toute la multiplicité, toute la variété de l'univers^
il voulait habituer Tesprit de la masse à ramener le
multiple àTUn, avoir dans le multiple la manifestation
variée du même être. Ce second eiïet était particulière-
ment difficile à obtenir. La langue, je le répète^ était
encore toute pleine, je dirai presque toute chaude du
polythéisme et les métaphores si brillantes des Psaumes^
de Job no se plièrent pas si aisément à la froide simpli-
cité de l'unité nouvelle. Néanmoins les prophètes et les
autres écrivains bibliques réussirent assez bien à mettre
le langage polythéiste au service de Tidée monothéiste.
La diversité des forces de l'univers devint la diversité
des formes, des aspects divins, la nuée devint son man-
teau ou son coursier, le vent son souffle, le feu son mes-
sager, les cieux sa tente, bref, l'univers tout entier ne fut
plus considéré comme une chose en soi, mais comme
une chose relative à Dieu^ comme son expression, son
tf^^É«HKriiiSJJ-
403 LA DOCTRINE DU ZOHAR
image visible, la réalité extérieure par laquelle il nous
est perceptible. Certes dans l'esprit des écrivains bi*
bliques et talmudiques la distance demeurait infinie
entre Dieu et son œuvre, entre le Créateur et la créature,
entre « le potier et le vase d'argile », mais pour parler au
peuple une langue à sa portée et rendre Tidée abstraite
dans une forme palpable^ il leur fallait recourir à ces méta-
phores compromettantes toutes chargées de polythéisme.
Quand le mysticisme arriva avec son vieux fond poly-
théiste et avec sa gnose plus appliquée aux mots qu^aux
choses, il s'attacha avec d'autant plus de force à ces mé-
taphores qu'elles répondaient à ses secrètes tendances.
Voulant, d'une part, rendre toute leur vie à la brillante
efQorescence poétique issue du polythéisme, d'autre part
ne voulant à aucun prix renoncer complètement au mo-
nothéisme devenu un dogme juif fondamental et en
quelque sorte un élément essentiel du génie juif, il se
réfugia tout d'abord dans une espèce de compromis entre
le monothéisme et le polythéisme : il maintint bien net-
tement l'unité du Dieu suprême, mais lui subordonna
une série graduelle d'anges et de personnifications dans
lesquels il pouvait sans encombre insérer toutes ses bril-
lantes fantaisies. Nous avons rendu attentif à ce travail
lorsque nous avons traité du myticisme gaonique. Or,
avec Tapparition des Sefiroth les anges étaient relégués
à un rang bien inférieur; c'étaient les forces ou des es-
sences, ou des attributs, qui maintenant prenaient la pre-
mière place. Dès lors il fallait, toujours sans porter at-
teinte à l'unité supérieure, expliquer la multiplicité des
choses. La Kabbale flotta longtemps comme le marquent
ces hésitations sur la nature des Sefiroth à travers l'école
d'Isaac l'Aveugle jusqu'au Zohar. Dans le Zohar même
nous avons des pages imprégnées du plus pur mono-
théisme, d'autres, comme nous le verrons, toutes bai-
LES SBPIBOTH. — LB PAHTBÉISKE 403
^ées do l'anlique angéiologiej démonologie, et des fic-
tions relatives aux Hechaloth. Nous avons des mélanges
déconcertants du monothéisme et du polythéisme et nous
avons des compromis entre l'un et l'autre. L'embarras
de l'auteur du Zohar est très visible dans le passage sui-
vant I H Le En-Sof est d'une part séparé et séparé bien loin
de toute chose, et d'autre part, il n'est pas séparé ; il a
une forme et il n'a pas de forme, il a une forme en ce
gui concerne l'univers, et il n'a pas de forme en ce sens
qu'il ne s'y trouve pas (1) (tout entier) (III, 288 a).
Aussi, si nous n'avions que ces données ou si le
Zohar se contentait pour dénommer l'univers par rap-
port à Dieu des expressions très vagues de a vêtement
de Dieu », « manteau lumineux de Dieu », « image de
Dieu », etc., nous pourrions considérer ces termes
comme des métaphores synthétiques de toutes les mé-
taphores bibliques et nous n'aurions pas besoin d'y voir
l'expression d'une doctrine panthéistique. Mais nous
trouvons aussi une expression très précise et très variée
de cette doclrÎQC dans sa plus large acception.
Tout d'abord nous rencontrons quelque chose qui fait
penser au panthéisme stoïcien. L'univers est parfois
présenté par le Zohar comme une sorte de tout organi-
que ayant une seule àmc, une seule vie et formant,
comme l'avaient déjà dit Aristote et les stoïciens, un
Dans la Grande Assemblée (III, 43 ab) les fils d'Adam
apparaissent comme des types pneumatiques; par ces
types et ces formes l'esprit primordial agit sur l'univers,
et l'cnsembtc de cette action, la valeur totale de ces
forces formeraient laSchechinah ou la présence de Dieu
404 LA DOCTRINE DU ZOHAR
sur la terre. Dieu serait le souffle, ou Tàme, ou l'esprit de
cet organisme, la vie de ce corps cosmique (i)« a Ainsi le
monde inférieur et supérieur sont tous deux prôs du corps
de la Schechinah el ils sout joints et unis et ne forment
qu'un corps ; et ainsi tout n'est qu'un coi'ps et le Dietl en
haut et le Dieu en bas, et le souffle d'en haut qui anime
tout^ tout n'est qu'un corps et c'est ce que l'Ecriture dit :
Sainte Saint, Saint, Tuniverâ est rempli de sa gloire. »
Mais voici autre chose et tout d'abord les formules
générales les plus importantes : a Tout est lié et uni en un
même tout.i. au point qu'il est facile de voir que tout
est un, que tout est l'Ancien et qu'il n'y a aucune distinc-^
lion entre le tout et lui » (III, 289 b (2), 290 a). « Tout
est un et tout est Lui, tout est une seule chose sans dis'-
tinction ni séparation. » (111, 290 a et b) (3). « Le Saint
ancien existe enveloppé dans la figure de l'Un. Il est Un
et Tout est un, et toutes les lumières qui rayonnent de
lui sont Un, et rentrent dans l'Un. »
(( L'Ancien des anciens enveloppe toute chose, il est
Tout (4). » « Dieu est le commencement et la fin de tous les
degrés de la création ; tous ces degrés portent sa marque
\ et son caractère et on no peut les dénommer que par
l'un. Il est un malgré les formes nombreuses qu il a sur
lui, c'est sur lui que sont suspendues les choses supé->
1. Nc^np ndi:t NirD?2 Nnm nS^^^^St vcàr: nDnc*s "iNDOi
Nnnb 'n'2'p nS^î/'S 'n'n'p ^r\th Nn:^:*c; nV*/*? ^rw^zxs ^tr^\ -rn
'p'p'p m n'jk nnnN vh inSsi'! nei: -rnî kqV^t xn^i ^5cSlrû^
MBi; m Min kSwI niaD yiK.-i b nSd niNSir 'n
2. in nSsi y"n?2nu;Mi ly Kia kt i^pnKi ^^^bn vro. ht xSs
in hSd Kin nSs «*n nS^ nibs n^^a uisriN nSi Np^ny *s*n nSsi
.K11T2 nn n^^Sn nS nSa
3. bî yi in K^^ nS^*: m Nim insQ^noNi Q^u^inNNcnp .sp^ny
m prNi ini pTnno*! ^ntt^pno ]>:''ïi3 lîm;
4. hSd Hin Mb p^Sd n^a | o^nD nn ]^p^n:; S^^ Np'îny
•. j .. 1- . . . --,■■.'» iT
LES SEFIROTH. — LE PANTHÉISME 405
rieures ot inférieures (I, 2\ «)(!). « Alors (avant le dù-
veloppcment de la créalion) tout était enfermé dans la
même unité » (2). « Maître du monde, tu es un, et tu
n es pas selon les nombres, tu es le sublime des subli-
mes, le mystérieux des mystérieux... Tu as produit dix
formes que nous appelons Sefiroth, tu t'y enveloppes loi-
mèmo et comme tu es en elles, leur harmonie demeure
stable. Celui qui les représente séparées fait comme s^il
détruisait ton unité » (Suppl., préf., n).
Voici d*autres passages non moins significatifs : « Au
commencement... il tailla des formes dans sa clarté su-
prême ; au sein de ce mystère, des profondeurs mysté-
rieuses du En-Sof sortit une lumière rayonnante. Ce
fut lu comme un premier anneau, mais qui demeure fixé
au premier point. Ce premier anneau ne fut ni blanc, ni
noir, ni rouge, ni vert, mais incolore. Lorsqu'il prit de
rétendue il se diversifia en coaleurs, portant leur éclat
en bas. Ces couleurs font aussi partie de la même source,
et sortent toutes, en vertu de la forme intérieure et se-
crète du En-Sof » (3) (Début du Zohar).
« Avant que TAncien des anciens, le Mystérieux des
mystérieux eût préparé les formes de rois et les dia-
dèmes types, il n'y eut ni création ni évolution. C'est
pourquoi il les tailla et coupa en lui, et étendit ainsi de-
vant lui un tapis, et dans ce tapis il découpa et délimita
les rois et les formes », c'est-à-dire il tira d'abord de sa
«pn'3 \rj: NoSian nr^ip ^^D yni Hi^n ia^ r\oi o^nc la pis3
nmua mo 13 SSs pu sbi pii^ mSt pmo nS ors «bi iiin nS
«]iD yni MTiG ^D^nD "i; D^no «nnS ^^jv,; isra
406 LA DOCTRINE DU ZOUAR
propre substance TétofTe de Tunivers et dans cette élolTc
— selon le langage très anthropomorphique du Zohar —
étendue à ses pieds comme un tapis^ il tailla les façons^
les formes royales^ les types, les médiateurs (1) (Idra
Rabb.),
c( Le En-Sof fit éclater, couva dans l'air à lui, (dans
sa substance) et révéla (iit apparaître) le point primor-
dial. Lorsque ce point se fut détaché il agit comme un
foyer et le reste se trouva illuminé (2) (I, 16 b).
« Levez vos yeux au ciel et voyez qui a créé tout cela
{haïe. 40, 26). Avant que le Mystérieux des mystérieux
se fut révélé, il n'avait pour tout nom que Tinterrogatif
ywr? Or, il voulut sortir de ce mystère et prendre un
nom, alors il se vêlit d'un vêlement riche et brillant et
créa ces choses. Or, si Ton joint ensemble en un mot,
rinterrogalif qui (le mol hébreu mi ^c) et l'expression
« ces choses » (le mol hébreu hSn) on obtient par méta-
Ihèse le mot Èlohim. Avant la création Dieu ne pouvait
pas encore porter ce nom à'Élohim, mais depuis, ces
deux mots une fois joints le nom divin demeure tou-
jours sous cette forme et c'est sur ce mystère que re-
pose le maintien de l'univers [Zohar, 1, II a). Qu'est-ce
à dire, sinon que avant le développement de l'univers,
Dieu n'était pas, ou mieux n'était qu'un point d'interro-
gation, c'est-à-dire une infinité de possibilités, et que
par le développement de Tunivors il prit un nom — on
sait ce que signifie pour les Sémites prendre un nom —
il prit TKlre; l'univers est le développement de Dieu
vers TMtre, comme le mot "Sn est le développement de
1. Nsb'^i 5<:ipn l'aT nSt tj "jt^di nt!2d ";ipw-;"T xpw^'
?"••::* n^z ivu*2' "^"hzn Nim mn xS »x*r.^r:^ «niTt:; 'jrr::y r-^yi
'-i. "2CEns \\M- "j"."»^ r\T:^,i \vn n:-î nnn nt'.n^d '-rps ^ir ^'x
...TIN N^^m nti N-:nnc tn n"^ncK iNnCN- n^
LES SEFIROTH. — LE PANTHÉISME 407
n^ et ils soQt unis en un même tout, cornue les deux
termes en un même nom.
Nous avons traité plus haut de la question de l'éma-
nation. Ajoutons ici que dansTliypothèseoù cette émana-
tion est conçue comme un écoulement du sein de Dieu,
de forces potentielles créatrices, cette question n'a riea
à voir avec le panthéisme zoharitique ; mais dans Thypo-
thèse où cette émanation est conçue comme un écoule-
ment de la substance divine dévenant la matière et la
forme de Tunivers, les deux questions sont connexes. Le
Zohar, toujours flottant entre plusieurs doctrines, adopte
à la fois Tune et l'autre de ces deux formes. D'une part,
il emploie pour Témanation l'image d'un flambeau (1),
d'un foyer lumineux qui sans rien perdre de sa force en-
voie des rayons dans toutes les directions ; d'autre part, il
figure cette émanation comme un travail de développe*
ment qui s'opère dans la substance divine ou plutôt, car
le monothéisme ne perd jamais entièrement ses droits,
que Dieu opère dans sa substance.
L'identification de la pensée, du sujet pensant et de
Tobjel pensé que Franck invoque comme une des preuves
les plus solides du panthéisme zoharitique ne nous pa-
raît pas clairement ressortir du Zohar. Elle est plutôt
dans le commentaire de Cordovero que dans le texte lui-
même. Mais ce qu'il faut encore relever en faveur du
panthéisme, c'est l'union, l'identification de la Sefirah
Sagesse ou Pensée avec la Couronne et le En-Sof :
« Quand tu médites tous ces degrés lu trouves que tout
est un, que cette pensée^ principe de tout, est liée en un
tout. Cette pensée elle-même est unie sans distinction au
néant (Couronne et En-Sof) et c'est là le sens profond
du passage biblique : « Jehovah est un et son nom est
1. RappclaQt la comparaison de Platon empruntée au rayon so-
laire.
27
408 LA. DOCTRINE DU ZOHAB
un » (1) {Zohar, I, 246 b). Ailleurs (III, .288) le Zohar
compare le En-Sof et les deuxpretaièresSefiroth à trois
lètes qui n'en font. qu'une, ce L'vA«iKciea. est constitué par
trois tètes qui n'en feraient qa^un&seule, etcette lète est
ce* qu'il y a de plus élevé parmi les êtres. » — Puis le
Zohar'(I, 60 Â, et 31 a&) figure cette idenlification par
une '.comparaison très remarquable : « Pourquoi Dieu
est-il appelé un feu dévorant, c'est que celui qui désire
prendre connaissance de T unité sainte doit méditer sur
une flamme qui monte d'un feu de charbon ou d'une
lampe. Celte tiamme ne monte qu anie à un corps
opaque. Dans celte flamme il y a deux lumières : Tune
blanche et brillan te ; L'autre qui y est^ttachée est noire ou
bleue. La lumière blanche est au-dessus et monte en
ligne droite; la lumière noire ou bleue est au-dessous et
sert de siège à la lumière blanche, laquelle repose, sur
elle ; l'une est unie à Tautre de manière à ne faire qu'un. . .
Mais cette lumière noire ou bleue elle-même qui sert de
siège s'attache à autre chose qui est au dessous d'elle et
qui est la nature combustible. Cette matière combustible
passe donc par la lumière bleue ou noire pour devenir
de la lumière blanche. La lumière blanche d'en haut ne
change jamais, tandis que l'autre prend différents aspects,
est tantôt bleue^ tantôt noire, tantôt rouge. Elle est donc
unie par on double lien, en haut à la lumière blanche,
en bas à la matière combustible. C'est de cette matière
qui est à la base qu'elle puise la substance identique,
faite pour ôtre consumée et se transformer en lumière
blanche, car tout ce que la lumière bleue prend d'eu bas,
elle Tabsorbe en elle et elle alimente la lumière blanche,
laquelle ne peut s'alimenter elle-même... et de la sorte
1. narno N\n sri* in x^^i ....n:iu;nr: N*n y^niz '"rzinrn 7:i
■Ji\:7no v»*«"T ir\ Nnr^;:T "n xbs nSn ths nn nSi n^^t NiTwWn
LKS SEFIROTn. — LE PANTHÉISME 409
toul est un, toul est uni dans une mémo amitié... tout
brûle dans le mèmc.iai8C(iaUy dans lo^mâme tout... et
pour la pecfectioudes.chose&lout est liédans.uQe.oiôrae
unité (1) ».
Nonsaulament les<premièFesâefiroth^.maLS toutes les
Sefiroth «ont déclarées ideutiqaesauEa-Sof. « LeËn-Sof
est revêtu et enveloppé desSeQroi.h comme le charl)on.de
la ûamme. » Dans de nombreux passages le Zûhar, ^prës
avoir rapporté le rayonnement de la lumière primordiale
en dix lumières, ajoute : et nonobstant tout est un (III,
288 a, Qipassim).}ilèmo, d'après certaines éditions, ce
ne sont pas dix lumières, mais neuf lumières qui
émanent du flambeau cacbé, de sorte que les dix Sofiroth
seraient constituées en réalité par neuf Sefiroth propre-
ment dites etle £n'Sof,lQ.Ën-Sof se confondrait avec la
Couronne. Ainsi s'expliquerait .que Ja Couronne porte
assez souvent le nom de Ën-Sof et Ayin (II, 42 6; III,
238, ôi etc.). Citons, pour terminer, ce passage : a. Dieu
est comparable par rapport à Tunivers à Tâme par rap-
port au corps dans le sens où rame est ce qui anime al
gouverne les membres. »
Ce panthéisme, si on le dégage des éléments hétéro-
gènes qui le traversent, se présente donc sous la forme
suivante : De lïnfini, ou du pur abstrait, ou du Aon-ëtre
se développe Tètre par la médiation de dix ou neuf
modes idéaux appelés Seiiroth. Ces «modes sont des
phases nécessaires parce qae le pur abstrait. ne peut
aboutir que médialement à la réalité concrète. L^inûni,
les modes médiateurs «t la réalité sensible sont un seul
et môme être pris aux diflérents points de son développe-
ment. L'infini ne descend pas tout entier ni dans les
i. Nminz p'hi *x;ic x%-in" ... Ninn *xSd ylz^ ... Nins nS: ]nDi
"in S7V.U lurpnx 1.-1^3 \^^rji Nn-oSc jn^l ...in Nn;:?pT in
410 LA DOCTRINE DU ZOHAR
modes médiateurs ni par conséquent dans la réalité sen*
sible. Le Zohar dit bien : L'Ancien est toute la réalité,
mais non la réalité est tout TAncien et je ne vois pas
comment Franck peut traduire le passage de III, 291 [La
Kabbale^ f. 141) par ces mots : Tout est lui et lui est tout.
Mais on se tromperait si Ton pensait que le panthéisme
zoharilique se soutient aussi logiquement et apparaît en
un tout aussi systématique. 11 est traversé, faussé par
des doctrines hétérogènes; ainsi par exemple, toute doc-
trine panthéistique conséquente avec elle-même implique
que le développement graduel se fait en vertu d'une
nécessité interne et par conséquent est éternel; au con-
traire, le Zohar place ce développement dans le temps et
le fait dépendre de la volonté du premier être. Puis
même quand ce développement est commencé il dépend
encore de cet être, lequel peut, à son gré, ou en arrêter
ou en précipiter le cours. — Le monothéisme vient sans
cesse en quelque sorte adultérer la pureté de la doctrine»
Ainsi nous avons vu que le vêtement royal, le tapis,
n^émane pas de la substance mais qu'il est celte subs-
tance; Dieu lui-même le taille en soi^ le premier point
lumineux ne jaillit pas de la substance mais c'est
elle qui le fait éclater d*elle-même. Enfin l'éthique
juive vient, elle aussi, troubler rhomogénéilé de ce
panthéisme. L'univers est moins un développement
qu'une dégradation de Dieu, la réalité est bien Dieu
mais un Dieu sorti de sa plénitude par bonté pour se
révéler aux hommes. L'homme est précisément placé de
manière à rendre la partie dégradée à sa plénitude et à
sa félicité première; par lui, doit s'opérer comme nous le
verrons, le retour du Dieu imparfait au Dieu parfait.
LES SEFIROTH. — LE PANTHÉISME 411
L'ère messianique, cspéraDCcpuremenl juive et terrestre,
devient une espérance métaphysique : par elle « toute
chose rentrera dans sa racine comme elle en est sortie »
^III, 296).
Nous aboutissons aussi peut-être, je ne dis pas au spi-
nozisme^ mais à quelque chose d'assez semblable aux élé-
ments constitutifs delà doctrine de Spinoza. Tout d'abord
il fautbien savoir — nous insistons beaucoup sur ce point
— que les Sefiroth, déjà dans l'école d'isaac l'Aveugle,
et encore plus clairement dans le Zohar ne sont que des
dédoublements fictifs et purement nominaux de la
Chochmah, Sagesse, Pensée. Nous avons vu combien le
Zohar, chaque fois qu'il aborde la Sefirah pensée, sort
de son mysticisme formel, et insiste sur cette idée que la
Chochmah (sagesse) ou Machschabah (pensée) est bien
nettement la grande médiatrice, celle qui détermine la
notion et la limite de toutes choses. Tout le passé du
mysticisme, et ses ascendants néo-platoniciens et gnos-
tiques et les développements judaïques purs relatifs à la
Thora, à la sagesse, et les conceptions dlbn Gabirol et
de Maïmonidc, tout sollicitait le Zohar à donner cette
place à la pensée. D'autre part, cette pensée dans ses
évolutions successives aboutit à ce que le Zohar appelle
J'écorce ou la matière. Cette matière il ne la définit
certes pas comme l'étendue, mais dans tout le Zohar,
depuis Tapparition du premier point lumineux jusqu'au
développement final, à savoir : Técorce, toute dégrada-
tion est donnée comme le résultat d'une extension, d'une
étendue. Dans le En-Sof, tout est encore enveloppé, re-
plié sans idée d'étendue. A mesure qu'elles s'étendent
("cttrans) les choses deviennent moins lumineuses, plus
opaques, plus corporelles jusqu'à Técorce extrême qui
est dépouillée do toute lumière et qui n'est plus qu'é-
tendue. Nous sommes donc en présence du En-Sof, de
412 LA DOCTRINE DU ZOHAR
la pensée et de l'étendue, c'est-à-dire des points essen-
tiels du spinozisme, ce n'est pas une raison cependant
pour ne pas voir ce qui sépare le Zohar et Spinoza.
Pour le Zohar, l'étendue ou l'extension est le procès*
sus, le nN)de> par lequel le Ën-Sof aboutit en se dégra-
dant et à la pensée^ à la matière; la matière n'est qu'une
dégradation de> la pensée < même;
Pour Spinoza/ Tétendae n'est pas un moyen mais une
fin, un mode de la substance étemelle n'affectant que la
matière, parallèle mais entièrement indépendant du
mode de la pensée
Pour Spinoza, la pensée et l'étendue sont bien les
seuls modes que nous connaissions, mais l'Infini
revêt encore une infinité de modes que nous ne con-
naissons pas. Pour le Zohir la pensée et la matière
sont bien Taboutissement complet de Dieu. Cependant,
il faut reconnaître que le Zohar présente ce développe-
ment comme relatif à notre univers, comme révélant
Dieu en tant qu'auteur de notre univers. Il ajoute que
le nombre des univers est impossible à compter (ce qui
est une manière de dire infini). Toutes ces données im-
pliquent peut-être un développement de modes infinis.
Pour Spinoza l'univers constitué par la pensée et l'éten-
due n'est qu'un accident de la substance étenu'lle ; pour
le Zbhar, l'univers est une réalité substantielle.
Pour Spinoza, le développement de la substance éter-
nelle est éternel et nécessaire ; pour le Zohar, il est
dans le temps et dépend de la volonté du En-Sof.
Dans Tun et dans l'autre l'Infini no se révèle à nous que
par l'étendue de la pensée; tout Tunivers visible est dû à
Tactivité de la Substance éternelle et suborJonné à cette
substance ; Tun et l'autre nous offrent la vision du retour
de Tunivcrs à la substance primordiale, l'un et l'autre
font de rhomme l'agentet le médiateur de ce retour.
LES SEFIROTn ET PSttflN 413
Ce n'esl pas le IÎoq de chercher l'origine de la philo-
sophie de Spinozs ; coalcntons-nons ici de rappeler le
mot de Hegel. <c Der Duallsmiia, dcr ïm CartesîaniaohcD
System vorhanden ist, hoh Spinoza vollends auf, ais
cin Jiide. Denn dièse tiefe Eiaheit seiner Philosophie,
wie sie in Enropasicb aosgesprochon, dcr Goist-^UaeDd*
lichcs undEodliches identisch in Gott, oicbt ala einen
dritiGD, ist ein NachklaDgdesMorgenlands » {Gesch.d..
PhUosoph., I, l. irr, p; 352).
La métaphysigne du 7,'ihar et Philon. — NTaintenant
que la doclriue essentielle de la métaphysique mystique
des Juifs, celle des Sefîroth, a atteint dans le Zohar son
entier développement et potir ainsi dire toute sa matu-
rité, il noua semble à propos d'exposer ce qui, chez les
néo-plalonicicns, particulièrement chez Philon, noua
paraît devoir présenter une grande analogie avec les
idées du Zohar. Tout ce que nous avons dît précédem-
ment marque bien quo nous ne croyons pas à une action
immédiate de Philon. Le nom de Philon ne se présente
j-imais sous la plume dos philosophes juifs, Ihiïologien»
cl kabbalislcs. Le judaïsme alesandrin et Philnn, son
principal représentant, sont considérés jusqu'à l'époque
de la Kabbale comme un compromis d'une part entre
l'hellénisme el le judaïsme, d'autre part entre le ju-
daïsme et le christianisme. L'action que Plirlon avait
exercée sur le dogme chrétien par les idées du Verbe,
de la Grâce, de la Rédemption par l'ascétisme était suf-
fisante pour tenir les Juifs éloigné» de lui. Ce n'e^l que
dans le mysticisme et dans la Kabbale qu'une place
pouvait être faite à la doctrine philonienne.
Le En-Sof en tant que Long Visage ou Dieu en soi
trouve son modèle dans le Dieu philonien ; ce Dieu est
comme lui S.t.z:z:; sans altribul, c'est-à-dire élevé au-
dessus de toute qualification, inaccessible même à la
414 LA DOCTRINE DU ZOHAR
pensée la plus abstraite [Legum allegoria, I, 50 et 1, 53).
Étant aitoto; il ne peut recevoir aucun nom positif, (iç
•uîàv cvoiJLa eiîi sijlou to xapa^av xuptoXoYctTai, w [jlovo<i) xp6ffeTCt
Ta ervat ( Kt7û Mos., II, 92 Mang : cf. De somniis, I, 263).
Comme dans le Talmud, dans le Sefer Yezirah et
dans le Zohar^ le Dieu de Philon est le Lieu universel^
h T(5v 'cX(i)v TCTTot;, contenant toutes choses mais contenu
en rien. — Quand le Zohar dit : 11 est Un et Tout
(nS^I ins), ne dirait-on pas qu'il traduit le sTç xal tc riv
du Leg, alleg.^ lib. 1, et quand il appelle Dieu « source »
la plus ancienne, la source universelle, ne dirait-on pas
qu'il pense à -f; xpeaSura-n; tOiYt^i?
Gomment le Dieu de Philon ainsi relégué dans sa hau-
teur impénétrable pourra-t-il agir? 11 faut que, de cet
être, de cet abîme où tout s'efface et se perd, se déta-
chent des forces ou des êtres qui puissent établir le pas-
sage entre Tabslraction et la réalité. Plus cet être est au-
dessus de rUnivers, plus il est éloigné de toute réalité,
plus aussi s'impose l'idée d'une médiation qui rende pos-
sible l'action de Dieu sur l'univers {De vict, offer. 837 e).
Ici il nous faut entrer dans quelques détails, car la
confusion de la doctrine zoharitiquc touchant les inter-
médiaires trouve sa cause dans la confusion analogue,
confusion que Philon apporte au développement de son
Logos. Philon prend avant tout ses intermédiaires dans
la doctrine stoïcienne du Logos universel, de la raison
divine répandue partout; ce Logos il le concilie avec
les idées platoniciennes, c'est-à-dire qu'au lieu de rester
un élément matériel, le Logos devient une substance
spirituelle qui, issue de Dieu, se répand sur le moûde;
puis il mêle ce composé aux idées angélologiqucs
et aux idées démonologiques ; du mélange, résulte
la doctrine suivante : Lorsque Dieu voulut créer le
monde, il s'aperçut que chaque œuvre nécessitait un
LES SKFIROTH ET PDILON 415
modèle immatériel, et il forma d'abord le monde supra-
sensible des idées. Mais ces idées ne sont pas unique-
ment des modèles types ; ce sont des causes qui jettent de
Tordre dans la matière désordonnée. L'univers primor-
dial se compose donc de forces invisibles entourant
Dieu comme un corlège, Sépd^opouaat Suvaiieiç {De conf,
ling. 345 o). Ces forces sont les lieutenants, les servi-
teurs de Dieu, les colonnes du monde {Migr. Abr.
416 b). Ce sont les âmes pures que les Grecs appellent
des démons, et Moïse des anges [De somn. 585 a). Ces
forces sont d'une part des hypostases, d'autre part elles
sont immanentes à Dieu, elles sont des Vertus divines
( 'ApETa^), des Grâces divines (XapiTsç), tantôt placées Tune
côté de l'autre, tantôt enveloppées Tune dans Tautre,
quelquefois même résumées en deux forces principales :
la Vertu créatrice ou la source bienfaisante de la grâce,
et la Vertu dominatrice, fondement de la loi. Parfois
même Philon déclare ces forces distinctes de Dieu et il
les loge avec les anges et les âmes humaines dans une
même catégorie d'êtres {De somn, 576, 586 b). Toutes
les Ihéophanies de rÉcrilure que Philon. comme tous
les Alexandrins, rapporte aux intermédiaires, ne peu-
vent s'appliquer qu'à des êtres ayant une existence en
soi.
On voit que Philon ne s'explique pas clairement sur
la nature de ces forces et il ne peut le faire, car il est
pris dans un dilemme. En effet, il faut que ces forces
soient tout ensemble impersonnelles et personnelles :
impersonnelles, afin que Dieu puisse agir par elles et
que le Fini ait part à l'Infini ; personnelles, afin que leur
contact avec l'Univers ne rejaillisse pas sur la Pureté
de rinfini.
Pour cette raison Philon, comme plus tard le Zohar
se débat dans cette duplicité d'idées. Le problème ainsi
416 LA DOCTRINE DU ZOHAR
posé est en effet insoluble ; au lieu de le résoudre, Phi-
Ion, comme pins tard le Zôhar, se tire d'affaire par des
métaphores. Ainsi le Logos est appelé instrument îtaTxîrsp
cpYavci) 7cpo5^pY;a3t[xevoç exoqxcrrrfst (Z.^^. alleg. I, 11 06*; cf.
De Cherub, I, 162). « Dieu s'en servit comme d'un ins-
trument pour créer le monde »; le Logos est comme
un « vêtement ». a Dieu, en tant que puissance agis-
sante, s'enveloppe d'une lumière éclatante comme d*un
riche manteau, et le premierLbgos se couvre du monde
comme d'un vêtement » [De Prof. 466 c) : Xi-^tù SI to
T^Y£;j.5V',y.sv ç(i)tI ajYcetîel '7:epiXaîJLxeTa{ cSç àÇtixpswç evByjojOaT
Ta î|jt.aTia V5{X50fJvat. 'EvîueTai 51 b jxàv -rpsTSuToro;; t^j cvtcç
Xôyc^ (oç £jôf;-a wç èdôîjTa TGV xocpiov (tout cela, toutes ces
expressions passeront dans le Zbhar). Le Logos est
comme une extension de l'être divin, et pour exprimer
cette extension à travers l'univers, Philon emploie de
préférence le verbe t£{v(i). Leg, alleg, il a : Tsfvovroç tc5
0£ou TYjv àç». eauTcu SuvaiJL'.v IC2 10^ ijl=(JOV x75'j;xaTo; ap)rt tsO
Ozc7.£i;i.lvou ; cf. A/w^ nom. 1648 e, et ailleurs ce mot cu-
rieux : Téjxv£Ta'. cjîlv ToO O£lou y.aTa-ap-n;j'.v, àXXi [jlovsv
C'est par ce même verbe ts^vw qu'il désigne aussi le
rayonnement de la lumière, ce qui fait penser que dans
son esprit rémanation^des forces divines est analogue à
celle des ravonnements lumineux. II le dit d'ailleurs en
propres termes, De somn. 576 b : 5 0£o; îw; br. . . . 7,x\ z'j
[jLCvsv (pw; xkXx izx'Ko^ kzipz'j ^(ù'zç àc)rérjz5V. — Qu. D, 5. im-
mutab, 304 b et De carit. 714 e: Dieu est vstjTo; i^X'.s; —
et plus clairement dans De Chrrub.j éd. M., 1. 1, p. 156 :
Ajtc? os (ov àp/TjTjzy; aùvr; {XJpia; ixTÏvaç à/.6aXX£', (ôv cjBr/iz
£7t\v aT70r,TYî, voY;Tai Se a\ i-a^ai, envoyant de toutes parts
dos rayons tous intelligibles et aucun sensible. Philon
il est vrai, fait du Logos, l'ombre seulement de Dieu
çy.\i (dzzj{f.eg. alleg. 1, 1106) et ne parle nulle part d'une
LES SEFIROTD ET miLON 417
émanation proprement dite aTrcppcia, comme disaient. les
Stoïciens, mais cela vient de ce que la confusion qui,
aux yeux de Philon, règne dans la nature du Logos, se
continue dans son mode de formation, et dans sa parti-
cipation à Tètre en soi. En tant que substance identique
à Dieu, il participe de la nature divine et doit être émané
de lui, et eu tant que distincte de Dieu et personnel, il
doit être créé. En un mot, les Sefiroth et le Logos sont à
la fois des idées et des êtres et flottent sans cesse entre
les deux états, entre la conception idéale ou platoni-
cienne qui se concilie avec l'idée de Dieu et la concep-
tion réelle et personnelle qui brise la rigidité du mono-
théisme.
En ce qui concerne le nombre de ces forces, Philon
les déclare indéterminées.
Ici le Zohar s'éloigne du néoplatonisme et se laisse
dominer par la triade et la décade pythagoriciennes. Mais
ce qui nous frappe encore ici dans la conception philo-
nienne, c'est qu'il ramène tous les Logoià deux forces es-
sentielles, k savoir: 'ÂYaOéTr.c, Bonlé et 'Ap-/-/^, Puissance,
ou bien encore y; Xap'TT'.y.r, et t^ BxTJ^y.r^ on bien y; Îkhù^
y.a\ ^ vc;AC':£0'y.T, (De pro/uf/. quaest, in Ex. II, 68, p. 514).
On se rappelle que les Sefiroth se répartissent toutes en
Sefiroth de grâce et on Sefiroth de justice.
Le Logos répond donc parfaitement à la Couronne
parmi les Sefiroth. L'un et l'autre sont des médiateurs
entre Dieu et l'Univers et la Couronne enveloppe tout
le monde des Sefiroth, comme le Logos embrasse tout
le vcr^Tc; v,iT^z; [Mund opif, 5 B sq. ; De somn. 1133 e) ;
l'un comme l'autre est le lieutenant, l'ambassadeur de
Dieu, et le Zohar assimile la Couronne à Métatron,
comme Philon assimile le Logos à •JT.zyf^T^^q 0csu (Mut.
nom. 1047 a).
Nous avons vu dans le Zohar que c'est tantôt la Cou-
418 LA DOCTRINE DU ZOHAR
ronne, tantôt la Pensée qui est la racine de tout. Chez
Philon le Logos est, lui aussi, tantôt identique à la Sa-
gesse ou Pensée, tantôt distincte de la sagesse, qui alors
est considérée comme sa mère {Leg. alleg. 52 b et Qu.
rer. div. h. 512 b ; Migr, Abr. 389). Philon dit : « Nous
donnons le nom de mère à la Sagesse supérieure, c'est
à elle que Dieu s'est uni d*une manière mystérieuse pour
opérer la génération des choses (D. Temulentia) et c'est
de cette métaphore que leZohar tire tous les développe-
ments mystiques qui gravitent autour de la mère ou
matrone des choses.
On voit combien l'embarras dans lequel se trouve le
Zohar est l'embarras dans lequel se trouvait Philon/, on
voit que Tun comme l'autre se tire de ce dilemme phi-
losophiquement sans issue, par un amas d'images qui
né fait pas avancer la question d'un seul pas. C'est
qu'ils veulent concilier l'irréconciliable. Philon et le
Zohar sont entraînés d'une part au monothéisme par
leurs attaches juives, d'autre part au dualisme par l'in-
gérence non juive et le besoin de séparer Tlnfini du
Fini ; on peut à la rigueur concilier le monothéisme et
le panthéisme mais on ne peut concilier philosophique-
ment le monothéisme et le dualisme. En efiet, le Zohar
comme Philon prennent et doivent nécessairement
prendre leur refuge dans une espèce de panthéisme.
Voici comment :
Dans le Zohar comme dans Philon, nous trouvons
d'une part Taffirmation de deux principes nécessaires:
le principe actif, ou l'Intelligence absolue, et le principe
passif ou la matière inerte et inanimée recevant le
mouvement et la vie de Tlntelligence absolue, en vertu
de types ou modèles que cette Intelligence contemple en
elle-m^me. Dans ce système Dieu n'est qu'un démiurge
(cf. De niimd. opif, I, 4 et De plant. Noë, commenc).
LES SEFIROTD ET LES COULEURS 419
D'autre part, nous trouvons chez Tun et chez l'autre
Taffirmation de la doctrine qui fait de Dieu non pas
seulement le principe formatif de la matière existante,
mais le Créateur primordial de cette matière, auparavant
non existante, c'est-à-dire le Créateur proprement dit,
limité par rien, qui pénètre tout, le général et Tindividu,
et qui en étant partout n*est entièrement nulle part, le
lieu et le lien de toute chose sans être ces choses {De
linguarum confiisione ^ éd. Mang. I, p. 425). Bref, Phi-
Ion et le Zohar sont également conduits à prononcer ce
grand mot: « Dieu est Un et Tout » : eT; xal to irSfv xitsç
S7P.V {Leg, alleg,^ 1. I); nti «Sr, in.
Les Sefiroihei les couleurs. — A la poétique mystique,
empruntée à la lumière qui est une des formes préférées
du Zohar et qui sert de fondement jusqu'au mot Zohar ^
lui-même, se rattache ce qu'on peut appeler le mysti-
cisme des couleurs. A mesure que l'abstraction s'avance
vers la réalité, elle se revêt en quelque sorte d'une cou-
leur de plus en plus visible. De là pour le Zohar un
symbolisme d'autant plus aimé qu'il lui permet toutes
sortes de jeux billants, et un miroitement lumineux et
coloré. Les couleurs sont tout d'abord prises comme
termes de comparaison pour le développement des Sc-
firoth. Aussi longtemps qu'il s'agit du En-Sof, de l'Être
impénétrable, il ne peut être question d'aspect visible,
coloré, mais à mesure que l'invisible s'approche de la
réalité visible, il prend une apparence de plus en plus
sensible à l'œil.
La Couronne est représentée tantôt comme noire,
tantôt comme blanche, tantôt comme incolore. Elle est
noire en tant que dérivant du En-Sof et comme n'étant
rien en face de celte lumière primordiale, infinie; elle est
blanche en soi, en tant que contenant toutes les Sefiroth,
430 LA DOCTRINE DU ZOHAR
de même que la couleur blanche renferme toutes les
autres couleurs; enfin, relativement à nous, en tant que
nous étant impénétrable, elle est incolore. La Sefirah
Beauté est pourpre parce qu'elle enveloppe en elle les
quatre dernières Sefiroth. qui avec elle-même répondent
à la couleur pourpre faite selon le Zohar de cinq couleurs.
La dernière Sefirah, la Royauté, est un saphir transpa-
rent, qui s'irise en toutes les couleurs parce qu'elle ra-
masse en elle Tharmonie de toutes les Sefiroth et en
verse le reflet infiniment nuancé sur l'univers réel (1).
Les Sufiles avaient marqué les différents degrés de la
contemplation par des couleurs. Le contemplatif passait
successivement parla vision du vert, du bleu, du rouge,
du jaune, du blanc, du noir et au septième degré il ne
voyait plus rien, c'était l'absorption complète en Dieu
comme celle d'une goutte d'eau, qui, tombant dans la
mer, perd son existence individuelle et conquiert une
existence infinie. (Voir de Sacy, Journal des savants^ dé-
cembre 1821 et janvier 1822). De même, le Zohar (I, 41 6
à 45 b) en reprenant, comme nous le verrons, toute la
fantasmagorie des Hechaloth (Palais), les gradue suivant
1. Selon Maïmonide, l'ouvrage de saphir servant de mardi e-pied à
Dieu {Exode, 24, 10) désignerait précisément la matière aux
formes multiples (Guide, l'« part., cliap. 28; 2^ part., cli. 26).
Moïse flls de Salomon de Salerme dans son Commentaire sur le
Guide cite, au nom de R. Jabob b. Abba Mari b. Anatolio, une expli-
cation curieuse donnée par l'empereur Frédéric II sur le passage
des Pirké de II. Eliézer où la matière est appelée « la neige lumi-
neuse qui entoure le trône divin » : la matière, disait-il, a été dé-
signée par le Sage sous le nom de neige, symbole de blancheur,
parce que le blanc est apte à recevoir toutes les couleurs, de même
que la matière est apte à recevoir toutes sortes de formes , c'est
pourquoi rÉcriture désigne la matière comme un ouvrage trans-
parent, d'un éclat de <apliir [ExodCy ibid.) (Manuscr. liebr. de la
Biblioth. nation., n« 238, fol. 213 h).
LES SEFIROTH ET LES COL'LELHS 421
les couleurs jusqu'au dernier qui est incolore et dont
Tapparilion marque pour le coatemplatif la fin de sa mé-
ditation et rentrée daos l'inconscient.
L'arc-en-ciel occupe dans cette mystique une place à
part. Le Zohar y distingue trois couleurs fondamen*
taies : le vert, le rouge, le. blanc, symbolisant les deux
contraires et le principe médiateur. Le blanc représente
la grâce, le rouge la justice, le vert la réconciliation
des deux (I, 71 h). Puis elle symbolise les trois pa-
triarches : le vert représente Abraham dont est issu Is-
maël, rancëtre des Arabes, qui pour cette raison ont
adopté la couleur verte comme leur couleur religieuse
et nationale ; le rouge représente Isaac dont est issu Ësau,
Tancôtre d'Edom, c'est-à-dire de Rome, et pour cette rai-
son est devenu la couleur des cardinaux romains; le
blanc, symbole de l'innocence est le symbole de Jacob
(III, 215 a) (1). Un autre passage dans le Zohar analyse
dans l'arc-en-ciel quatre couleurs fondamentales, à sa-
voir : le vert, le rouge, le blanc, le saphir correspondant
aux quatre bètes de la vision d*Ézéchiel. Le Zohar ajoute
que Ces couleurs sont les couleurs fondameulales de
rUuivers. L'alchimie faisait également au mysticisme
des couleurs la part belle : la pierre pliilosophale unit en
elle d'après Kalid toute la variété des couleurs fondamen-
tales; elle est blanche, rouge, verte, noire, jaune, etc.
Pour cette raison le chimiste Stahl dans ses études sur
l'alchimie considérait que les vitres rouges et vertes des
églises essayaient de rendre les couleurs de la pierre
philosophale. Nous ne pouvons pas suivre cette question
1. po^r. piT \xcip ]n2si uizSz nSx NT nup caSnN nS □'t:;'^
S»r;Dc^ p2j iD NT Nuiib STTJï.^ ams^sT nutizS NiNpii^ Nmm
vj;" n^:o pis: TD :;2T23rsi NpciD n^hni pny> 'jra ni «pciD
422 LA DOCTRINE DU ZOHAR
dans le détail. Mais on n'a pas de peine à concevoir quel
abus la Kabbale pratique pourra tirer de ces fantaisies;
et elle n'y manque pas en effets brodant à Tinfini sur les
mélanges de couleurs destinées à entrer dans la confec-
tion des talismans, des bandelettes hygiéniques, des
coupes recevant le breuvage magique, des tables, des
lits et en général des ustensiles protecteurs contre les
maladies et en quelque sorte mauvais conducteurs des
esprits mauvais.
L optimisme, — Le Zohar admet que Tunivers présent
est la forme d'être la plus parfaite possible, que toutes les
autres formes apparues antérieurement — et elles furent
nombreuses — furent condamnées à disparaître devant
celle-ci parce qu'elles ne contenaient pas un degré suffi-
sant d'excellence. Le Zohar exprimecetteidée de plusieurs
manières. D'abord et très singulièrement en la rattachant
à Genèse^ 36, 31 : « Voici les rois qui régnèrent au pays
d'Edom avant qu'un roi régnât sur Israël... A quoi tend
ce passage? Combien d'autres rois en eiïel, n'y eut-il
pas avant qu'il n'y eut des rois en Israël? Pourquoi par-
ler des rois d'Edom plutôt que d'autres? Il y a là un mys-
tère » ; et le Zohar continue en disant que par ces rois le
Pentateuque symbolise les univers qui précédèrent notre
univers et qui ne purent se maintenir parce qu'ils man-
quaient de certaines conditions de perfection, source de
possibilités (1) (III, 128 a, cf. 133 à). L'apparition do
l'univers est subordonnée à celle de la forme humaine.
« L'univers ne peut tenir parce que l'homme n'était
1. Sxi^r^ ^:3b "jSo -jb!D >:sb anx yisz i^ba i^itn d^dSch hSni
•j'^n'»'! nSi t: nn d^ji^d hcd pnn nh-t ^sn nrsDcS .tS ^\t\ vh ...
OPTIMISME 423
pas » (1). Or la forme humaine, comme nous le verrons
plus loin, csl la forme parfaite contenant toutes les autres
formes (III, 135 û). Enfin cet univers ne pouvait se main-
tenir que par l'apparition de la Grâce, condition essen-
tielle de sa vitalité. « L'univers ne put se maintenir, et
toutes les formes et tous les types ne purent subsister
avant que la grâce fût descendue, après que tout se
fut trempé à cette source qui s'appelle la Grâce » (2) (III,
142 a). Le Zohar s'explique aussi sans symbolisme :
« Avant que Dieu eût créé ce monde, il avait créé beau-
coup de mondes et il les avait fait disparaître jusqu'à ce
qu'il lui vînt à la pensée de créer celui-ci. Pour ce
monde il se laissa guider par la Thorah et selon ses types
et plans il créa... et tout ce qui est dans cet univers
passa ainsi sous ses yeux » (III, 61 b) (3). Quant à ces
mondes non arrivés à Tétre, ils ne sont pas rentrés dans
le néant; mais, noyés dans le grand océan primordial, ils
attendent là que luise pour eux le jour de la vie. Ils ne
peuvent périr, car rien de ce qui a une fois été ne peut
périr. « C'est le privilège de la force du roi suprême,
que ces mondes qui ne purent prendre forme ne périssent
pas, que rien ne périt, même le souffle de sa bouche ;
tout a sa place et sa destination, et Dieu sait ce qu'il en
fait. Même la parole de l'homme et le son de sa voix ne
2. Np^^ny ndSqt N:ipn i^qt nS ly onns inSsa "jd ]U2T
ly ia^>pnî< nSi NQ^priN^ ]^:ipn i^pn^i "|>aS^ nm "j^p^n^n
ion nps-T nDN ^«nn Nipi: i:ipn la^^pasi n^Sy Ton nm2i
3. piSo ly yh inni i^aSy nsa ^in ndSv inh n'ipn nii «S tst
\Na Ssi ■]ui NnmNi ySa^i KoSy ^«n naob n^mm
n>Dp ]pnnNi n^apa p^So nhi n"»ap mn «oSy >Nni mn«r«"F
28
424 LA DOCTRINE DU ZOHAR
lombent pas dans le néant, toute chose a sa place et sa
demenre (II, 100 A) (1).
Ces mondes disparus, le Zohar les compare aussi à des
étincelles jaillissant de Fenclume sous le coup du mar-
teau. « Avant la création de ce monde^ et avant que les
Visages fussent en présence, les mondes disparurent et
ces mondes portent le nom d'étincelles, comme lorsqu'un
ouvrier forge le fer, des étincelles jaillissent de toute
part et ces étincelles au moment où elles apparaissent
sont éclatantes et tout à coup rentrent dans la nuit, de
même les mondes antérieurs brillèrent un instant et
s^éteignirent jusqu'à ce que TAncien des anciens prit sa
forme véritable et que l'ouvrier fût en présence de
lœuvre » (2) (III, A; cf. II, 34 4).
Et quels sont les principes de perfection? C'est tout
d'abord, comme nous avons vu, le principe de la balance
ou de la médiation des contraires qui trouve son expres-
sion la plus haute, au point de vue métaphysique, dans
les Seliroth conciliatrices, entre l'Infini et le fini; au
point de vue moral dans la Beauté ou Miséricorde con-
ciliatrice entre la justice et la grâce ; et enfin, au point
de vue physiologique et physique, le seul qui nous reste
à voir, dans la loi sexuelle.
La loi sexuelle. — Si de haut en bas la médiation des
''•in vh xSp i^^SKi u: im nSa iSdni mn na n^:^: iny n'i'pi
kSi t<inm nnvnî< N*:ipn sSn tNcip pS:;^ pinnx 'yNDTp y^drj
woiN ;27n::N td nsï-^q ^^:?2^K i^hd ]>y^y^: ^^pn npN N:".pni hm
l3v-n pM3i ';'»Gnb ^^psn ^''pn p:>j<i iry S^S "i^pn p^2s nStist
^^D'^'^priN vh^. ^i-'nnx a^ ^U2i \sDTp ]^oby ]^•^p^< "j^nt "^hSnS
Nn:r2i»sS n:^ik d^s:t Nttrnp xp^nv pnnxT iv
LA LOI SEXUELLE 425
contraires est indispensable au développement de l'être,
c'est qu*une autre loi, non moins souveraine, préside
au développement de cet être, à savoir : la loi sexuelle .
Les observations recueillies et transmises par les tra-
ditions, déjà, en partie, consignées dans le Talmud et
dans les écrits midraschiques, puis surtout la répétition
si constante, dans le Sefer Yezirah, des mots ce mâle et
femelle ( 1 ) » o ntralnërent les kabbalis tes à donner à la divi-
sion sexuelle une portée mystique considérable. Habad,
dans son GDmmentaire sur le Sefer Yezirab, étend déjà
cette division jusqu'aux signes du zodiaque et aux étoi-
les : « Il y a un mystère sexuel dans la révolution de
Tannée que suivent les astronomes. Il y a six constel-
lations relatives aux mâles, et six constellations relatives
aux femelles ; de même, on a divisé les sept étoiles pour
les groupes mâles et pour les groupes femelles (2) »
(Lucien avait également dans un traité d'astrologie admis
l'existence de planètes mâles et de planètes femelles).
Si la portée de cette loi s'étend jusque-là, c'est qu'elle a
sa source dans les sphères supra-sensibles les plus éle-
vées. « La Couronne supérieure, poursuit llabad (c'est-à-
dire la première Sefirab), a une compagne, le Diadème,
et l'union de ces deux essences est l'origine de tout l'Être,
de Tair, de l'eau, du feu, du ciel, des étoiles, des âmes.
(GommenL) Mais Rabad arrête là la limite du dualisme
sexuel. « Depuis les trois éléments, dit-il, et au-dessous
règne dans la création le mystère des sexes, mais non
au-dessus. »
La prière de Nechunya b. Hakanah et à sa suite Abu-
lafia vont plus loin et transportent en Dieu la distinction
1. Pcat-rtre aussi le souveair loiatain de l'êpo; platonicien.
2. '1 anpîS niSra 'i aninn '\Dr\w :\:*J2 r\2p2^ ^dt 71d ttn
n*2"::S (Gomment, sur le Sefer Yezirah, 8, 3).
426 LA DOCTRINE DU ZOHAR
de la cause et de l'effet, de l'élément actif et de Télément
passif ou, comme Âbulafia le dit, d'ailleurs, à plusieurs
reprises, la distioclion du màle et de la femelle coexistant
en Dieu.
Le Zohar reprend et développe tout ce que lui apporta
le passé. Il formule tout d'abord le principe général sui-
vant : (c La forme sexuelle est la forme primordiale de
la création » (III, 44 b, 151 A, 290 a). « Lorsque l'Ancien
voulut formertoutes choses, il les forma sur le type màle
et femelle (1). » « Les anciens mondes ont péri comme les
étincelles qui jaillissent sous le marteau du forgeron,
parce que TAncien n'avait pas encore pris sa forme, ne
s'était pas mis à l'œuvre... Il n'avait pas encore revêtu
la forme màle et la forme femelle » (III, 292). « Encore
présentement Dieu ne fait qu'opérer des unions sexuelles,
réaliser des mariages et c'est ce qu'il appelle créer » (2).
Toute forme, dans laquelle ne se trouve pas le prin-
cipe femelle, le Zohar ne la considère pas comme une
forme supérieure et complète. « Le Saint n'établit pas sa
demeure en un lieu où les deux principes ne sont pas
unis, la bénédiction .céleste ne descend que là où est
cette union, car elle ne peut tomber que sur un corps
entier. Or la forme màle seule et la forme femelle seule
ne constituent que des moitiés de corps » (III, 296 à). Le
Talmud et le Midrasch avaient exprimé ce joli mot :
« Quand Thommc et la femme sont réunis^ la Gloire
divine réside parmi eux. » Le Zohar lire de ce mot les
développements les plus heureux, parfois aussi les plus
1. N3pi:i ^y\ pas ^pnw nSd n^phnS n^ Np'»nrT Nnyua
2. m Nim 'îaSy y\ pS-'K aur.n aiiTa n'i'pn njtnh (i, 89).
Philon [Leg, alleg. , 1, 3 ; 1, 51) semble préseater la création de Gen., i
comme une fécondatioa des eaux inférieures par le souffle de Dieu
TsivovTo; ToO 6eoO xy\y «?* èauToO 8'5va{JLiv 5ià toO (jlÉtou Trvs'jtAaTO; a-/pt
îoO •jiroxîijj.évo'j.
. ■•■ .'-<■" " "V*"*^
LA LOI SEXUELLE 427
licencieux. « L'homme, dit-il, ne mérite pleinement ce
nom que quand Thomme et la femme sont joints ensem-
ble. Le sabbat, devant être Tobjet de sanctification pour
l'homme^ ne Test véritablement que par le mariage des
deux éléments. Aussi ne peuvent-ils se quitter ce jour-
là sans se diminuer et cesser d'être hommes. G*est parce
que dans la forme humaine se réalise le plus pleinement
et le plus purement Tunion des deux faces de TÉtre que
la forme humaine est choisie comme la base même de
tout. Quand Dieu voulut établir le monde sur les fonde-
ments, le monde ne put se maintenir parce que l'homme
n'était pas formé » (III, 135).
Chaque fois que s'opère l'union si désirée d'un mâle
et d'une femelle, cette union a un contre-coup sur les
mondes. A travers l'univers se produit un émoi ex-
traordinaire. Le Cantique des cantiques tout entier
est le symbole du chant d'allégresse qui se chante alors
dans Tunivers [Zoh.y du Cant. des cant,, 16 a, 2* co-
lonne).
Depuis le En-Sof jusqu'aux créatures les plus infimes,
tout subit l'empire de cette loi. En Dieu, dans le Dieu
en soi gît la première distinction. Le principe mâle jail-
lit du côté droit, le principe femelle jaillit du côté gau-
che. Dans d'autres parties du Zohar les deux termes ne
sont plus appelés mâle et femelle, mais bien et mal,
forme et matière, élément actif et élément passif. Nous
reviendrons sur ces points, lorsque nous traiterons du
dualisme en général, du mal et de la matière.
En considérant comme un tout l'ensemble des choses,
à savoir : le Dieu en soi et l'univers, ce tout est assimilé
par le Zohar (Petite Assemblée^ 218) à un grand andro-
gyne où le Long Visage ou Dieu en soi constitue le mâle
et le Petit Visage la femelle. Suivant une loi que nous
retrouverons à propos desSefiroth et qui semble un ves-
428 LA DOCTRINE DU ZOHAR
tige mythique, la femelle est tout d'abord issue du mâle,
puis fécondée par lui(l). Le Zobar donne à cette fécon-
dation une expression parfois si matérielle qu*il n'a rien
à envier à la crudité de la terminologie des initiations
orphiques et phalliques. En face de cette conception
grandiose de procréation cosmique toutes les petites
pudeurs disparaissent. L'expression vraie des choses de
la nature ne connaît pas plus la pudeur que la nature
elle-même. La vieille mythique hindoue et grecque ne
tient aucun compte des lois conventionnelles établies par
l'homme. Jupiter cohabite sous la forme d'un taureau
avec sa mère et donne ainsi naissance à Proserpine,
laquelle à son tour s'unit à son père. La plupart des
mythes solaires, dont la légende d'Œdipe est un des types,
présentent le mâle comme épousant sa mère. Le Zobar
formule à son tour (Supp. 98) un principe par lequel il
s'élève au-dessus de toutes les conventions pudiques.
« Dans les régions supérieures, dit-il, il n'y a pas d'in-
ceste » et le Zohar proprement dit ajoute : « En haut il y
a union entre le frère et la sœur, entre la mère et la fille,
entre le fils et le père. » Ailleurs, pour exprimer l'union
du Grand Visage avec le Petit Visage, il évoque l'idée
d'une procréation animale. Comme dans la mythique
hindoue le En-Sof fait jaillir « ex membro siio semen
quod conlinet totam rerum et hominum familiam »,
semen mundi va se déposer m matrix mvndi (2).
C'est pour cela que l'union parfaite dos Sefirolb avec
le En-Sof qui assure l'épanchement vital sur Tunivers,
est appelé Zivvoug (3), sizygic ou union sexuelle (I, 30
a. Cf. 21 a).
1. Y a-t-il ici une réminiscence de la mythologie grecque, en-
core apparente dans Platon?
2. Peut-tHre encore un écho de rc-cooo/r. iracrr,; ysvr.^ew; de Platon.
3. ann.
LA LOI SEXUELLE 429
Tous les baisers échangés dans le Cantique des caiiti^
ques sont pour le Zohar des symboles du baiser supérieur
donné par le En-Sof i la première Seflrah. « Là gît le
principe de toute union et de toute vie » (Zohar, Cant.
des cant., ibid.y 7 b) (1).
Le dualisme sexuel se retrouve dans chaque ordre de
Sefiroth, dans le groupe Sagesse-Intelligence pour Tordre
intellectuel, dans le groupe Beauté-Gloire pour Tordre
cosmique, dans le groupe Grâce-Justice pour Tordre
moral. La Sagesse» appelée aussi père, a engendré Tin-
telligence principe femelle ou mère. « Ce père est issu
de l'Ancien et fait émaner de lui Tlntelligence et il se
trouve qu'elles sont Tune mâle, l'autre femelle » {Petite
Assemblée). Le mariage de la Sagesse et de Tlntelligence
donne naissance à la Science, troisième terme du groupe
des Sefiroth intellectuelles. L'union des époux intellec-
tuels entraîne une union semblable dans les groupes
suivants : la Beauté, qui est aussi appelée le Saint Roi,
s* unit à la Gloire ou reflet de Dieu dans les choses, aussi
dénommée Matrone ou Reine. La Reine est TÉve, la
Rachel, la Léa « épanchant sur toutes choses le lait de ses
bénédictions » [Petite Assemblée, fin). Le Roi et la Reine
symbolisent le grand mariage du monde idéal avec le
monde réel, ils sont le grand couple central; Tamour qui
les unit est la condition indispensable de la subsistance
du monde. Le premier et le plus beau fruit de cet amour
est Tâme humaine; « Tâme sainte en haut est issue du
mariage du Roi et de la Reine, comme le corps en bas est
issu de Tunion de Thomme et de la femme » (3, 7). Cette
union a une double forme. Elle va de Tépoux à Tépouse
et de Tépouse à Tépoux; c'est-à-dire qu'ils sont tour à
1. De saint Ephrcm, hymne LV, il ressort que, d'après Bardesanes,
la production des quatre éléments est un fruit de l'union du Christ
avec le rvi0^3t.
430 LA DOCTRINE DU ZOBAR
tour Tun et Tautre, principe actif et principe passif. Il y
a du Roi à la Reine et de la Reine au Roi une descente
et une montée incessantes de vie. Du roi, c'est-à-dire de
la Beauté cosmique, descend l'Ordre, principe d'organi-
sation des choses, et il verse un reflet de lui-même sur
la Gloire ou Tunivers sensible; de la Reine, c'est-à-dire
de Tunivers sensible, monte en retour la Beauté morale,
la Vertu. L'âme, leur fruit commun, baignée de vertu,
s'élève dans l'amour et avec elle s'élève tout l'univers
dans lequel elle a évolué. Aussi l'union se refait de haut
en bas et de bas en haut. « Dieu se couvre le front d'une
double couronne, non seulement de sa couronne d'en
haut, mais d'une couronne d'en bas, à savoir, l'âme des
justes. De la sorte la vie s'accroît par en haut et par en
bas et la sainteté d'en haut se remplit de toute part. Le
puits s'alimente, l'océan se comble et se répand partout »
(1, 60 ab).
Enfin dans l'ordre purement moral le principe mâle
est représenté par la Sefirah appelée Grâce et le principe
femelle par la Sefirah appelée Justice. Le mariage des
Sefiroth de l'ordre intellectuel est une union essentielle,
c'est-à-dire ne peut être interrompue. « La Sagesse et
l'Intelligence sont des époux inséparables, à jamais liés
dans l'amour. » «L'union des autres ordres au contraire
n'est qu'accidentelle, ce n'est qu'un simple zivvoug ou
accouplement. »
Puis la loi sexuelle établie par les Sefiroth parcourt
en souveraine tout l'ordre des choses.
La pénétration primordiale des ténèbres par la lumière
est assimilée à une fécondation de l'une par Tautre. La
lumière est l'élément mâle, les ténèbres, l'élément fe-
melle, à ce moment ils s'unissent et deviennent un (I,
32 a).
11 y a des esprits mâles et des esprits femelles. « Tous
> ... ■.l-M.-j
LA LOI SEXUELLE 431
les esprits sont créés unis par groupe de deux, un esprit
mâle et un esprit femelle. Au moment de descendre sur
la terre, ils se séparent et suivent chacun sa voie. Si
Thomme le mérite, Tunion se rétablit, les époux se re-
trouvent à jamais inséparables. Les âmes mâles sont is-
sues du côté droit de Dieu, les âmes femelles du côté
gauche » (III, 43 6; cf. I, 91 A, 207 6).
Quand la Genèse dit : « La terre dont Thomme fut
pris » (3, 19), le texte entend que Dieu^ pour créer le
corps de Thomme, s'unit à la terre comme à une épouse...
Maintenant encore ils sont unis l'un à l'autre et ne se sé-
parent plus, ils sont confondus dans l'amour; de cette
union sortent les sources de vie qui pourvoient à tout,
qui, sans jamais faillir, sont la bénédiction de tout »
(II, 55û).
Adam, reflet fidèle de TAdam supérieur ou primordial,
dut comme son modèle unir en lui le double principe
mâle et femelle. Il fut tout d'abord créé androgyne,
Thomme et la femme étant liés dos à dos. Mais l'union
n'était pas assez parfaite ainsi. Dieu détacha la femme,
la porta à Adam de manière qu^ils pussent se voir face
à face; de même que le En-Sof ou Long Visage et le
Petit Visage ne purent s^unir pour produire Tunivers
avant Texislence d'un principe médiateur, de même
l'homme et la femme ne furent réellement unis que
quand ils se regardèrent face à face. Ainsi naquit leur
principe médiateur : l'amour (II, 231; cf. I, 34 6; III,
107 a, 141 b, 144 a). EtleZohar, Cani, descant.y ajoute
(7 a et i) : « Adam connut Eve, dit l'Écriture; c'est là le
symbole de la reconnaissance de l'union primordiale du
mâle et de la femelle idéaux. Quand ils se reconnurent^
ils échangèrent un baiser, forme supérieure d'amour,
les mondes jaillirent. »
C'est ainsi qu'il faut expliquer mystiquement ce que
432 LA DOGTBINE DU ZOHAR
la Gen èse dit au chap. 2, v. 5 : « La terre n*étail pas cou-
verte de végétation parce qu'il n'y avait pas encore
d'hommes pour la travailler », c'est-à-dire que la terre elle
aussi attendait pour produire que les Visages se fussent
regardés face à face. «
Dans le règne animal (4) le Zohar symbolise le principe
màle dans le taureau et le principe femelle dans Tàne.
Zohar (Sect. Kitisà) dit à propos du veau d'or qu'il fut
construit de manière à unir la forme d'un taureau et la
forme d'un âne, c'est-à-dire les deux principes contraires.
Dans les Suppléments cette symbolique est déjà telle-
ment admise que la Sefirab Beauté est appelée le tau-
reau de la beauté. Les Suppléments semblent aussi à
maint endroit prendre le taureau des Égyptiens, proba-
blement le bœuf Apis, pour un symbole de fécondité. Il
a peut-être été cela dans la suite, mais les égyptologues
sont d'accord pour voir dans le bœuf Apis le représen-
tant de la culture, le soleil, le grand fécondateur de la
terre et par surcroît le représentant de toute fécondité.
La division sexuelle dans le règne végétal n'est pas
inconnue à l'auteur du Zohar. II parle du fruit mâle et du
fruit femelle (Section Vaychi)^ du cèdre mâle et du cèdre
femelle [ibid. et cf. Genèse Rab. 4, et Nombres Rab. 5,
Talmud, Sabbat^ folio 57).
On ne s'imagine pas jusqu'à quelle extravagance le
Zohar porte l'application du principe. Il y a une division
sexuelle dans le cerveau humain. Les pensées sont le
produit de l'union du lobe mâle et du lobe femelle (Pas-
teur fidèle j sur Section Terumah), Les préceptes de la lé-
gislation juive se divisent en préceptes mâles et femelles.
Dans les lettresde Talphabetondistinguedeslettresmâles
i. Nous nous occuperons plus loin de la même symbolique dans
Philon.
LA LOI SEXUELLE 433
et des lettres femelles. Les kerubbim de Tarche d'alliance
sont l'un mâle, l'autre femelle, et se font face parce qu'ils
se désirent Ton Tautre. Les colonnes Jakin et Boar du
temple de Salomon sont des symboles phalliques. Elles
représentent les Sefiroth Victoire et Gloire qui symbo-
lisent elles-mêmes les forces vitales de l'Adam primor-
dial. D'après le Zohar tous ceux qui venaient demander
des enfants à Dieu avaient coutume d'apporter et de dé-
poser sous ces colonnes des offrandes du règne végétal
qui étaient des symboles de fécondité. Ces sacrifices
s'adressaient aux deux Sefiroth dispensatrices de la force
de procréation.
Il y a baiser d'union entre le soleil et la lune, afin que
de cette union jaillisse la lumière des mondes» in^mn
yi2h): n-îh^nS Nr.riTNb «in nSSdi {Midrasch occulte, f. 2 a).
Le vent est le fils de l'union des deux ,vents [Midrasch
occuUcy Cant, descant., b a, 1" colonne).
La loi sexuelle nous conduit à dire quelques mots de
la manière mystique dont le Zohar conçoit l'amour de
Dieu pour Israël. Cet amour avait été comparé dans la
littérature antérieure d'une part à celui d'un père ou
d'une mère pour leurs enfants, d'autre part à l'amour
d'un fiancé pour sa fiancée ou d'un époux pour son
épouse. Le Zohar se fondant sur les métaphores prophé-
tiques, sur la terminologie du Cantique des cantiques^ sur
toutes les interprétations symboliques que le mysticisme
antérieur en avait déjà tirées, se livre à propos de cet
amour à des commentaires souvent très licencieux. Déjà
de nombreuses poésies mystiques avaient avant lui
chanté sous une forme erotique l'amour social de Dieu
pour Israël, comme jadis les néo-platoniciens et les or-
phiques d'Alexandrie avaient chanté le Dieu primigenins.
Le Zohar les imite. Dieu connaît Israël au sens où la
Genèse dit d'Adam qu'il connut Eve. Le sacrifice des vie-
434 LA DOCTRINE DU ZOHAR
limes rapproche Israël de Dieu dans le sens où ane
femme se rapproche de son mari. L'encens est la sanc-
tification do cette union [Zohar, III, 226). Telle est ra-
pidement exposée cette loi dont Texpression traverse à
la fois le fond et la forme du Zohar. On peut dire qu'elle
est bien pour le Zohar la loi des lois, maîtresse de toute
activité depuis la production des univers, jusqu'à la pro-
duction la plus intime de l'ordre terrestre. Le Zohar a
raison de dire : Dès que Tamour est né il embrase toutes
choses : Tamour est la forme la plus naturelle de l'action
divine par les principes mâle et femelle [Zohary 9 a).
Du palais de Tamour sortent des rayonnements innom-
brables et infinis, dans toutes les directions (I, 43 b).
L'ange de l'amour vole vite, mille fois plus rapide que
l'ange de la sévérité... et tous les esprits d'en bas divisés
par la loi des contraires courent après pour s'y attacher
dans un baiser, puiser quelque chose de l'amour divin
et retrouver l'union (I, 43 b) (1).
Esprit et matière. — Mais la perfection de ce monde
ne peut être qu'une perfection relative. C'est d'une part
pour se révéler que Dieu se développa, c'est-à-dire se
développa dans les limites accessibles du fini et percep-
tibles au fini. D'autre part, et sous l'aspect théologique,
la bonté de Dieu a voulu que toute chose jusqu'au dernier
échelon de l'être ait part à sa substance infinie; en
1. Cette mystique servira aux kabbalistes ultérieurs de prétexte
à des déchaînements de passions sensuelles. On m'a affirmé, je
donne la chose sous toute réserve, que dans les mouvements mémos
dont certains kabbalistes de la secte des Chassidim accompagnent
leurs dévotions il y a encore comme un vestige et un simulacre
de ces aberrations. Le Chassid tendrait par la prière et la gymnas-
tique corporelle à produire une sorte de cohabitation de son être
avec les sphères supérieures.
ESPRIT ET MATIÈRE 435
d'autres termes, afin que I*être issue de lui atteigne toute
sa variété de développement, il a fallu le laisser
s'étendre (1 ) jusqu'à la limite inférieure de sa possibilité.
Le Zohar insiste tant sur la bonté, il revient si souvent
sur la bonté comme cause première de l'univers, que je
ne suis pas loin de croire que le Zohar comme Platon,
comme dans une certaine mesure Philon (2), comme
Chasdai Crescas et Spinoza après lui, fait de la bonté le
principe homogène dont partent toutes les variétés
d'êtres. Ce n*est pas que le Zohar voie clairement la fusion
des mondes idéal et matériel dans la bonté, ce qui sera le
terme conciliateur de la doctrine de Crescas et de Spi*
noza, mais il sent bien, quoique confusément, qu'au
dessusde la Machschabah (pensée) et du Yesod (élé-
ment), il faut un principe contenant d^une manière claire
pour Tesprit humain^ la raison de Tun et de l'autre et la
raison de leur variété et de leur différenciation même.
Ce développement de l'infini vers le fini implique
donc des dégradations du parfait vers l'imparfait. La
perfection diminue en raison de la distance qui sépare
le point d'arrivée du foyer primordial. Le Un devant
donner l'être au multiple, il fallait nécessairement que
le multiple fût inférieur à l'Un.
Par conséquent, plus Têtre en voie d'évolution s'éloi-
gna de sa source, plus il se condensa et se matérialisa.
Le développement des choses allant en quelque sorte du
centre à la périphérie, et les ordres d'êtres — comme
nous avons vu — s'enveloppant comme des cercles con-
centriques, chaque ordre est à la fois l'enveloppe, Té-
corce, la matière de l'ordre qui lui est immédiatement
1. Le mot uUTSn»^ correspond exactement au mot tsivu que
PhiloQ emploie pour le même ordre d'idées. V., p. ex., Leg. alleg,, 1, 3.
2. npeao'jTspoç yàp ôt«r,; eXso; irxp' aOrw eauv {Quod Deus immut.^
16) (I, 284).
436 LA DOCTRINE DU ZOHAR
supérieur, et l'esprit pour Tordre qui lui est immédiate-
ment inférieur.
Au commencement du x* siècle, le pseudo-Empédocle^
apporté par Mohammed Ibn Abdalla Ibn Messari d*0-
rienten Espag^ne, contenait la doctrine suivante: De la
matière créée par Dieu est émané Tinlellect ; de l'intel-
lect, l'âme; l'âme végétative est Técorce de Tâme ani-
male; celle-ci Técorce de l'âme intellectuelle. D*aatre
part R. Isaac Gijat dans son hymne cosmologique avait
comparé, non plus les âmes, mais les sphères célestes,
au point de vue de leur position relative, à des pelures
d'oignons, d'^Sîd nbas ir\H2 in?^, et la même image
fut reprise par Schem Tob b. Palkera [Mahbakkeschy
p. 37 b), Ibn Gabirol, lui aussi, avait accepté cette doc-
trine pour la superposition des éléments, qui vont de la
terre, à travers Teau et l'air, jusqu'à la sphère ignée, les
enveloppant toutes.
Le Zohar reprend d'abord la théorie des écorces pour
les différents ciels (III> 9 A, éd. Amster.). Mais, comme
toujours, ce que les théologiens antérieurs appliquent à
certains éléments physiques, le Zohar Tétead au do-
maine métaphysique, c'est-à-dire à l'être tout entier. Les
métaphores tirées de la lumière et de son rayonnement
favorisent grandement cette conception. Or nous com-
mençons à entrevoir la puissance qu'exerce chez les
mystiques juifs le mot ou l'image sur la genèse des idées.
Donc de Dieu comme centre, le développement des Se-
firoth et de leur action va par cercles concentriques,
l'inférieur enveloppant le supérieur et lui servant d'é-
corce protectrice ; Tunivers créé tout entier, y compris
les Sofiroth, est Técorce du Ea-Sof com-n-î les pelures de
l'oignon sont le vêtement du bulbe ou comme la coquille
de la noix et le reste sont le vêlement de la graine.
La milière et l'esprit ne sont donc pas, du moins sous
I '
ESPRIT ET MATIÈRE 437
cet angle du Zohar, deux essences, deux substances sé-
parées par un abîme infranchissable, mais deux modes
de la même substance considérée à son plus ou moins
d'éloignement du point initial. La matière est en quelque
sorte l'esprit devenu visible [Zohar ^ II, 74 a), La matière
est l'empreinte visible du sceau invisible qui s'appelle
l'esprit. C'est pourquoi l'univers matériel tout entier
est la copie, l'effigie du grand cachet spirituel. Le Zohar,
dont la langue demeure toujours en deçà de Tidée, ex-
prime cette notion sous cette forme imparfaite: « Tout
ce qui est au-dessus est modèle de ce qui est au-dessous,
mais tout est un. » Il n'y a donc pas divorce entre la
matière et l'esprit ; ou plutôt, la matière n'est pas ; elle
n'est que l'esprit dans ses manifestations visibles, exté-
rieures et dernières ; c'est Tétat de Tesprit aux confins
de son rayonnement. L'esprit est la partie essentielle,
interne des choses. La matière est la partie externe,
l'écorce des choses. La matière est la limite de l'esprit.
11 s'ensuit que le mal, j'entends le mal métaphysique
(nous traiterons plus loin du mal moral), la résistance
des choses, la limite des possibilités, la relativité de la
perfection, tient aux choses mêmes» mais non u la cause
première. « En haut, à Tarbre de vie de là-bas, il n'y a
pas d'écorce étrangère à l'essence, mais à l'arbre d'en
bas il y a des écorces (1) (I, 27 a).
Les gnostiques admettaient que dans cette marche du
parfait vers l'imparfait l'être, arrivé au point extrême de
son développement, produit quelque chose de négatif,
d'aveugle, d'absolument non divin, qui ne peut rester
uni avec Tétre, qui même se détache de lui, pour lui
devenir contraire, et devient un empire de ténèbres en
1. »snnST yyaSz.^ -j^K-^r: "j^s^Sp n^S ^on n>">n pa Nb'»v;S
438 LA DOCTRINE DU ZOHAR
guerre avec la lumière. La Kabbale n'ose pas aller aussi
loin. La matière n*est jamais conçue comme une enne-
mie de Dieu, mais Tenveloppe du fruit de Tèlre, elle-
même objet de la sollicitude divine, « le Saint et sa gloire
se revêt aussi d^écorces... D'ailleurs, les Sefiroth supé-
rieures elles-mêmes peuvent être considérées comme de
simples écorccs par rapport à Dieu » (Suppl. du Zohar,
XVIII, 36 a). Un jour viendra où cette limite cessera
d'être, où le multiple retournera à TUn, où tout se re-
plongera dans la même plénitude première (1). « Unjour,
le saint dépouillera ces écorces et ne réapparaîtra que
sous l'aspect d'un noyau substantiel » (Suppl., tbtd.).
A côté de ces conceptions qui demeurent monistes, le
Zohar en formule une autre, se rapprochant beaucoup
plus du dualisme. Déjà avant le Zohar cette doctrine
avait trouvé des champions parmi les kabbalistes. Jo-
seph Ibn Yakar dans son livre de la Kabbale nous rap-
porte ce qui suit : « Parmi les kabbalistes certains ad-
mettent qu'il y a deux ordres de Sefiroth, un ordre de
bien et un ordre de mal, appelés aussi ordre de pureté
et ordre d'impureté, ordre de droite et de gauche. Au
moment de l'apparition de l'univers, les Sefiroth de bien
émanèrent du fruit de Têtre et les Sefiroth de mal de
l'écorce » ; par conséquent l'être primordial lui-même
était déjà fruit et écorce. D'autre part, dans le Trésor
de gloire (Czar Hacabad) de Todros Abulafia (p. 18 a), on
lit : « Sache que la notion d'une émanation issue du
côté gauche est une notion profonde et mystérieuse,
qu'ignorent beaucoup de kabbalistes. Ils ont bien con-
naissance d'une émanation issue du côté droit, mais non
1. Dans quelques passages des Suppléments ce retour est pré-
senté comme opéré par le feu et nous avons alors une adaptation
de l'èxTiupaxTi; Stoïcienne à l'ordre final définitif.
■ ■ I
ESPRIT ET MATIÉRK 439
de celle issue du coté gauche. Us no savent pas que de
même qu'il y a une émanation bonne de la face de
droite, il y a une émanation du mal et de destruction
de la face de gauche. » Le Zohar reprend cette concep-
tion, et [Suppl. 18, 36 a) oppose aux Sefiroth que nous
connaissons, médiatrices bienfaisantes de Têtre, les
Sefiroth de gauche, sources de destruction et de néga-
tion auxquelles il donne pour la plupart des noms
empruntés à la démonologie du Livre d'Hénoch (I, 53 a ;
cf. III, 119 a) ; il dit très nettement : « En haut dans la
sainteté supérieure, aussi bien qu'en bas, il y a une
droite et une gauche et celui qui les intervertit rompt
rharmonie de l'univers et entraîne sa perte » (IV, 176.
Dans certains passages du Zohar ce dualisme étend son
ombre même sur Tordre des Sefiroth de bien, et le
Zohar distingue les Sefiroth Sagesse, Grâce, Victoire,
comme constituant la droite, et les Sefiroth Intelligence,
Justice, Gloire, comme constituant la gauche, et il les
appelle souvent par abréviation la colonne de droite,
sainte, ou pure et la colonne de gauche, impure.
Le symbole matériel de ce dualisme est le vin [Zohar^
I, 240 a\ m, 127 a) qui est à la fois bon et mauvais en
ce sens qu'il commence dans la joie et finit dans la dou-
leur (cf. I, 240 a; III, 127 a ; III, 12 b et 39 a).
Dans quelques passages la distinction de gauche et de
droite est équivalente à celle de mâle et de femelle, le
sexe faible représentant le faible, la lacune des choses.
Déjà dans Platon l'élément féminin en général est
considéré comme imparfait. Aristophane dit de Platon
qu^il remerciait Dieu chaque jour de l'avoir fait homme
et non femme, et nous lisons en effet dans le Timée,
p. 42 : rentrée de l'âme dans une nature de femme est
une manière de châtiment. C'est donc de Platon que cet
aspect misogyne a passé dans la Kabbale et de là dans
29
440 LA DOCTRINE DU ZOHAR
le rituel juif, où nous trouvons la prière suivante réci-
tée par les hommes. « Je te rends grâce, toi, Seigneur,
notre Dieu, roi universel, de ne m'avoir pas fait
femme (1). » Nous retrouvons cette idée chez les Essé-
niens (Eus., Pr, ev. XIII, ii, 14). Les Esséniens don-
naient comme motif de leur célibat : Stiti ç'IXauTov ^ yuvîj
Us conçurent aussi l'opposition du bien et du mat
comme celle de la droite et de la gauche. De là s'expli-
que la défense en vigueur chez eux de ne jamais pro-
noncer des imprécations en se tournant à droite, de ne
jamais cracher à droite ; c'est par leur in termédiai ra-
que cette idée passa dans le gnosticisme et dans la Kab-
bale.
Il y a donc là dans ce second point de vue du Zohar
quelque chose d'assez semblable à ce que d'autres phi-
losophies appellent la matière coexistante, ou co-étemell&
è Dieu, c'est-à-dire quelque chose comme le dualisme
platonicien. Nous savons que ce dualisme se trouve déjà
dans une œuvre juive bien antérieure au Zohar, les Pirké
de R. Eliézer. Rappelons-en le passage essentiel : « D'où
sont faits les cieux? Dieu fit son vêtement de lumière,
le déroula comme un manteau, et les cieux étaient nés,
et ces cieux s'étendirent toujours davantage selon le
Psaume 104 : « il s'enveloppe de lumière comme d'un
manteau^ il étend les cieux comme un tapis ». D'où fut
créée la terre? II prit la neige qui était répandue sur son
trône glorieux, la sema et ainsi naquit la terre, selon Job,
37, 6 : «il dit à la neige : Sois terre. » Ce passage signifie
bien que le manteau lumineux et la neige sont des
substances éternelles, ayant seulement attendu la mise
en œuvre divine, autrement on pourrait demander ea-
1. .Ti\s -:c'-; nSc nnN -"^i
ESPRIT ET MATIÈRE 441
core et sans fin, et d'où sont venus ce manteau lumineux
et cette neig^e éclatante? Or le Zohar, comme nous avons
va, applique l'appellation de vêtement lumineux aux
Selirolli, d'autre part l'appellation de trAae au monde
qui suit immédiatement le monde des SeGroth, c'est-à-
dire au premier monde matériel. Le Zohar reprend donc
purement et simplement le dualisme des PirAé de R.
Eliézer. Seulement tandis que les Pirké de R. Eiiézer
admettent une double substance co-éternelle, à savoir
une substance lumineuse (spirituelle?] et une substance
plus opaque (matérielle?), le Zohar les fait dériver l'une
de l'autre et n'admet avec Platon qu'une seule matière
co-éternelle.Cettematière,Maimonide déjà l'avait trouvée
indiquée dans le passage de rÉcrilure. u Ils virent le
Dieu d'Israël, et sous ses pieds était comme un ouvrage
lambrissé de saphir, éclatant et pur comme la substance
du ciel » {Ex. 84, 10). Le saphir, ajoute Haïmonide,
étant un corps transparent estpénétrableà tous les rayons
lumineux, image trës appropriée pour indiquer l'idée de
la malièrc aforme laquelle par cette « privation » même
est accessible à louEet* les formes. Le Zohar dit dans le
même sens << la couleur saphir renferme loutes les cou-
leurs et c'est làlapierrt! fondamentale do l'univers >>, el,
à propos du même verset de YExodé, u ce saphir est la
pierre angulaire, le point primordial de toute chose, ou
en d'autres termes, le trAne glorieux duTrës-IIaul s (1)
(1,71,6).
La conception zoharitique de la matière coexistante
est donc d'une part fondée sur cerlaines traditions théo-
logiques juives, d'autre part faite d'un mélange de la
1. N\n iNH pinar \^ti i.tni fma San SiSrns tdo ^iu
Ncr'-p x^Di: s'n 'Nin mcS? Sst kih nnp: \tkt p-rn» yz»
ns'w
442 LA DOCTRINE DU ZOHAR
conception aristotélicienne et platonicienne, tout cela
subordonné au monothéisme. En effet, le Zohar, retenu
par ce dogme, qui plane en quelque sorte sur ses doc-
trines les plus hardies, n'ose pas porter le dualisme jus-
que dans le En-Sof. C'est seulement à partir du « Court
Visage » que commence la distinction d'une droite et
d'une gauche, n L'Ancien des anciens est élevé au-des-
sus de toute dualité; ce n'est qu'au Court Visage que sont
suspendues la droite et la gauche, la lumière et les ténè-
bres, la grâce et la justice, et non pas à l'Ancien lui-
même » (III, i36 a) ou, en d'autres termes, « c'est le bras
droit et le bras gauche de l'Adam supérieur qui symbo-
lisent ce dualisme » (1) (III, 142 ab). Mais si nous consi-
dérons que le Court Visage ^st encore le En-Sof pris à la
première phase de son développement, nous pouvons dire
que le Zohar implique l'évolution dualiste dans l'évolu-
tion du En-Sof; seulement ce dualisme demeure subor-
donné à la volonté du En-Sof. Ce côté gauche, ou cette
matière, demeure à la merci de l'un. Nulle part le Zohar
ne parle d'un empire du mal en opposition, en révolte
contre lui.
Ces idées contradictoires, se heurtant ainsi, n'arrêtent
pas l'auteur ou les auteurs du Zohar. Après avoir en-
tr'ouvert une porte au dualisme le plus hardi, le Zohar,
comme effrayé de son audace, la renferme sans explica-
tion sur ridée [du bien ou sur Tidée de la volonté ; ces
deux choses ne font d'ailleurs qu'une. Pour le Zohar
comme pour Ibn Gabirol, notamment dans la« Couronne
de la Royauté », comme plus tard pour Crescas et Spi-
noza, la Volonté est identique à l'Intelligence bonne.
Les Sefiroth constituant le monde idéal ou métaphysi-
AXGÉLOLOGIE 443
que, si l'on veut l'ensemble des médiateurs logiques
entre Dieu et la réalité, il n'y a plus en toute logique de
place dans le Zohar pour Tangélologie. Les Sefirolh sont
précisément les anges ou, comme dit Philon, les Logoi,
les lieutenants de Dieu. Mais le Zohar trouve dans l'an-
gélologie un élément mystique trop fécond et un corps
d'idées trop enracinées chez le peuple pour qu'il entre-
prît d'y renoncer.
Vangélologie. — L'angélologie juive avant d'arriver
au Zohar avait traversé des phases bien diverses. Ces
phases sont l'expression la plus claire du conflit qui n'a
cessé d'exister entre le monothéisme en voie de conquête
et le polythéisme du passé vivant au fond de l'âme popu-
laire . L'histoire des idées j ui ves avan t l'exil n'est que l'his-
toire de la lutte entre le Dieu Un, universel^ le Dieu des
prophètes, et lesélohim antiques nationaux apportés par
l'époque qui précède les migrations et les divisions par
tribus. Toujours le peuple juif a une tendance à revenir
médiatement ou immédiatement à ses premières amours.
On comprend facilement que l'angélologie ait été un
compromis excellent entre le polythéisme et le mono-
théisme, et son apparition, sa nature sont en effet déter-
minées par le besoin de ne pas laisser périr celui-là sans
compromettre celui-ci.
Dans la Bible, comme nous savons, l'ange n'a aucun
caractère en soi ; il n'est qu'une personnification de Jahvé,
la plupart du temps Jahvé lui-même se révélant dans
un double. La catastrophe de l'exil opéra certes une
grande réforme dans l'âme juive et en chassa les der-
niers vestiges de l'antique polythéisme^ mais en même
temps elle mettait les Juifs en présence d'un autre poly-
théisme, l'angélologie si variée, si riche des Babyloniens
et surtout des Perses. Comme la poésie de l'antique
444 LA DOCTRINE DU ZOUAR
polythéisme survivait à la doctrine dans le cœur des
Juifs, à la fois très obstinés conservateurs et en même
temps très hardis novateurs, ils donnèrent facilement
accès à toutes ces légions d'esprits bons et mauvais; les
anges endossèrent toute la mythique et toute la poétique
que Jahvé ne pouvait plus prendre sur lui. A mesure que
le monothéisme s'enracina dans Tesprit juif, sa froi-
deur, sa rigidité, son uniformité imposaient le besoin
de quelque chose de riant, de plus varié, c'est-à-dire le
besoin d'une angélologie plus tourmentée, plus compli-
quée, plus fertile ensuprises. Mais en même temps s'im-
posait un autre besoin, celui de ne pas porter ombrage
au Grand Un^ de plus en plus en plus maître du génie
juif. De la sorte l'angélologie d'une part tendit sans cesse
à croître en richesse, en abondance et d'autre part à s'é-
loigner sans cesse de Dieu, c'est-à-dire à décroître en
dignité. Dans le mysticisme talmudique la confusion et
la licence régnent encore dans l'empire des esprits; ils
vivent avec Dieu presque en égaux, circulant librement
dans les régions supérieures, prenant des décisions, or-
donnant, régnant, constituant presque autant de petits
dieux à côté du grand Dieu. Peu à peu ils se hiérarchisent
et, dans le mysticisme gaonique, les catégories d'anges
s'échelonnent, selon les lois d'une perspective métaphy-
sique, depuis rhomme jusqu'à Dieu; chaque catégorie a
sa place, son rôle immuable. Elles se multiplient comme
à plaisir pour allonger de plus en plus la route qui con-
duit à Dieu et l'éloigner, le reléguer dans les brumes
d'un sommet inaccessible. Néanmoins ils font toujours
partie de la cour céleste, ils habitent la même demeure
que Dieu. Dans le Zohar, les anges s'éloignent encore,
ils ne sont plus un dédoublement du En-Sof, ils ne sont
plus ses compagnons, ils ne sont plus la garde d'honneur
qui mène à lui^ ils sont rejetés bien loin, après les mé-
^
ANGÉLOLOGIE 445
diateurs métaphysiques, dans le troisième monde, appelé
le monde Yezirah. Parfois môme ils sont placés au-des-
sous de rhomme. w Les esprits saints, messagers de
Dieu, ne sont que d'un ordre d'exeellence ; les âmes des
justes sont de deux ordres. Aussi leur degré est-il supé-
rieur» (III, 68 i).
Nous retrouvons dans le Zohar toute Tarmée spiri-
tuelle que nous avons rencontrée.antérieurement; déjà
innombrable alors, elle s'est accrue, s'il se peut, en une
troupe plus innombrable encore. Nous les revoyons tous
et beaucoup d'autres, créations nouvelles d^une imagina-
tion mystique infatigable. Toutes les folies, toutes les
licences entrent par cette porte. On dirait que dans l'es-
prit des auteurs du Zohar, multiplier les noms c'est mul-
tiplier les êtres à qui on les prête. Ils se plaisent à semer
dans les espaces des multitudes infinies de bons et de
mauvais génies comme s'ils voulaient assister au spec-
tacle magnifique d'une guerre supra-humaine et varier
sans cesse les péripéties de cette gigantesque lutte. Mé-
tatron ou Hénoch transfiguré est toujours là (II, 179 éz ; III,
217 A); Tantique Raziel règne toujours sur les mystères
du ciel avec cette différence toutefois que ce ne sont plus
les mystères du Livre cTAdam, mais ceux de la Kabbale
{Zohar^ 1, 40, 41). Nous trouvons la personnification de
toutes les vertus : Rachimiel (Miséricorde-Dieu), Zadkiel
(Justice-Dieu), Padel (Délivrance-Dieu) (Zohar, 1, 40 a,
41, 1,55 a et 146); Ozniah uniquement occupé à peser les
actions humaines dans la balance de TÉternité (II,
252 a) ; Ahaniel, qui est préposé aux enfants morts jeunes
(II, 2i6 à)\ Tahariel (Pureté-Dieu) présidant à toutes les
lois relatives à la pureté, à Thygiène, aux ablutions ri-
tuelles; Zahariel (Lumière-Éclat-Dieu), le préposé de
tout ce qui concerne la lumière, le feu, les éclairs, chargé
aussi de veiller au travail des forges et en général aux
446 LA DOCTRINE DU ZOHAR
choses de la fabrication par le feu, el ainsi de suite d'au»
très personnifications innombrables.
Le monde des esprits bons est aussi le monde des
planètes et des corps célestes. Le Zohar admet comme
Ibn Gabirol et Maïmonide que les astres sont animés par
des esprits purs et pour hiérarchiser toute cette milice
astrale, il emprunte toutes ses données au mysticisme
antérieur. Le chef est encore Métatron chargé de veiller
à rharmonie et au mouvement général du monde des
astres. Il règne sur une multitude de sujets qui sont
partagés par groupes. Chacun a sa tkcjtie et préside qui
à une sphère, qui au mouvement de la lune, qui aux
saisons, à la végétation, aux métaux. Les quatre ar-
changes veillent aux quatre éléments. Tous les noms de
planètes sont hypostasiés. II y a un esprit du nom de
Vénus (Nogah), un autre du nom de Mars (Maadim).
Toutes les conceptions astronomiques du Livre dHénoch
et de Raziel relatives au passage du soleil à travers les
signes du zodiaque, aux solstices, aux révolutions des
astres en général et en particulier de la lune, sont repri-
ses et diluées à Tinfini. Là nous trouvons les esprits
protecteurs de ceux qui sont et de ceux qui ne sont pas
encore, de l'enfant dans le sein de sa mère, de Thomme
à chaque âge, ceux qui exercent leur garde sur tout
homme et ceux qui Texercent sur les hommes privilégiés
comme le savant, les docteurs, les bienfaiteurs de leurs
peuples. Là sont les génies présidant à toutes les bonnes
actions^ ceux qui recueillent les prières, ceux qui tres-
sent des couronnes avec les vertus humaines et en ornent
l'autel idéal ; ceux qui se font les médiateurs des plaintes
de rinnocent et du juste. Là sont les instigateurs infati-
gables de la miséricorde divine, ceux qui chantent et
magnifient éternellement la gloire de Dieu et ceux qui le
célèbrent pour avoir « révélé sa beauté par les Sefiroth^
ANGÉLOLOGIE 447
par l'Adam primordial, par les formes royales, par la
loi »... (cf. II, 2i5 a, 269 a; 128 i, 130 b; III, 223; III.
167, etc.).
Les anges mauvais sont groupés parallèlement aux^
anges du bien par ordre « d^épaississement et d'obscu-
rité croissantes ». Ce sont les personnifications, de toutes
les formes du mal, de toutes les imperfections, de toutes
les laideurs, de tous les ennemis de Tordre, de Tharmo-
nie et de la vie. Par exemple, la négation cosmique
exprimée dans Genèse, i et 2, devient une superposition
de trois écorces circonscrites comme des pelures d'oi-
gnon : et la terre était tohu, est la première; bohuy
est la seconde, et « les ténèbres planaient » est la troi-
sième iSupp. 15, 86). Nous trouvons rincarnation de
toutes les abstractions du mal, delà débauche séductrice^
de la violence, de l'envie, de l'orgueil, deTidolâlrie, des
esprits que font naître et en quelque sorte éclater la co-
lère de l'homme et ses malédictions contre lui-même ou
contre autrui (II, 2o5 a, 259 et 266 a). Là, grouille la lé-
gion innombrable des démons lépreux sous la direction
de Samaël et de sa femme Lilith l'aînée, d'Aschmadaï
et de sa jeune et folle maîtresse Lilith la jeune. Pour
elle, Aschmadaï et Samaël ont combattu de longs siècles
et leur réconciliation s'est opérée en vue d'une action
commune dans la lutte du mal contre le bien. Le Zohar
identifie aussi Samaël avec l'ange de la mort, avec le
serpent de la Genèse^ avec le Satan du livre de Jo6, avec
l'instinct du mal « qui vit au cœur de l'homme dès sa
jeunesse », enfin avec le monde de la matière (I, 55; II,
43 a). L'ange de la mort a sous ses ordres des légions
correspondant à toutes les formes de maladie et de mort
(II, 248 b\ 264 b). Sous son empire sont les démons su-
ceurs de sang et ceux qui exhalent des haleines pestilen-
tielles et ceux qui siègent sur le fil deTépée et vont por-
448 LA DOCTRINE DU ZOHAR
ter la mort dans les rangs ennemis; ceux qui assaillent
les éléments corrompus et portent des ravages dans les
corps qui les absorbent; ceux qui sont assis sur le bord
de l'eau ayant passé la nuit à découvert ; ceux qui son t
préposés à la mort de chaque âge, des enfants nouveau -
nés» des jeunes gens; ceux qui président à la fièvre du
mal de tête, à la fièvre du tremblement, à Téléphantia-
sis; ceux qui <c sont chargés de compter chaque jour le
nombre des maladies et de passer la revue de leurs guer-
riers homicides », c'est-à-dire en quelque sorte les dé-
mons trésoriers de la mort. — - Dans celte étrange réu-
nion tous les siècles ont laissé leur trace. La période
biblique a apporté ses schedim, la période babylonienne
^es démons des fièvres, la période persane ses innom-
brables personnifications des microbes mauvais (les
microbes matériels étant transformés en microbes spi-
rituels et les observations relevant de la science mi-
crobiologique étant interprétés par la science théolo-
gique.)
Souvenirs du mysticisme gaonique. — Le Zohar donne
une place très importante aux brillantes et sombres pein-
tures que le mysticisme antérieur avait faites du séjour
des justes et des méchants. Dans son Sefei* Mischkan
Haeduthy Moïse de Léon avait déjà fait jusqu'à des em-
prunts textuels aux Hechalotli, au Livre dllénocli^ au
Sidre Gan Eden et il cite même les deux premiers. Dans
le Zohar — nous pouvons bien dire son Zohar — il ne se
fait pas faute non plus de puiser largement à ces écrits;
c'est une amplification fastidieuse de ce que nous avons
trouvé antérieurement. L'Éden est décrit dans tous ses
détails (II, 150 i; II 231 b\ III, 10 a). Il est placé au cen-
tre de Tunivers (II, 184 b). Il est entouré de trois retran-
chements dans lesquels les âmes prennent comme un
REPRISE DU HVSTIUSUB ANIÉBIIEUH 449
avanl-goùt des Félicités qui les attendent (IV, 196 b. Cf.
1,41; II, 243).
LA sont pour les esprits purs des palais aplendides dé -
corés des jolis noms de « Saphir » (I, 41 b), « Éclat ou
Zohar »(I, 42 a;II, 246 £), « Substance céleste » (lAit^.),
« Amour m (I, 44 b, 246 b, 253 a), .. Vénus » ([, 42 i ; II
248 oi. « Bonne Volonté » [I, 144 é; II, 233 b), enED
« Saint des saints » [ibid.). Au palais suprême sont les
Ames des justes, puis viennent celles qui ont eu un grand
lot de souiïrunccs et n'ont cessé de prier et de croire;
colles qui n'out pas achevé leur temps sur la terre, puis
celles qui ont vécu dans le deuil de Sion et de Jérusalem;
celtes qui ont quitté la vie terrestre au momeat même
où elles venaient de se repentir de leurs fautes. C*est
peut-être là, ajoute le Zohar.undegré supérieur à la vertu
constante. Puis viennent les Âmes qui ont eu pitié des
autres et (sur la même ligne) celles qui n'ont Jamais trahi
le Dieu Un.
Des palais spéciaux donnent l'hospitalité aux femmes
illustres du passé. Nous trouvons la fille do Pharaon en-
tourée d'uQ grand cortège do fcmm >s qui la servent,
Jokebed, la mère de Moïse qui, trois fois par jour, sort
avec ses compagnes au-devant de Dieu, pour le remer-
cier par des chants de lui avoir donné un tel fils, et tous
les justes écoutent avec ravissement la mélodie de leurs
vois; nous trouvons Déborah, celle qui, aux jours de
troubles, se conduisit comme un homme et comme un
héros. C'est une espèce de 'leÂu/a juive que l'auteur du
Zohar nous fait passer sous les yeux.
Avant d'arriver à l'enfer proprement dit, il y a une ré-
gion intermédiaire où le Zohar à la suite de Nacbmanide
étabUt les hommes qui durant leur vie ont conçu le re-
mords de leurs fautes, mais à qui la mort n'a pas laissé
le temps de mettre leurs bonnes patentions en pratique,
450 LA DOCTRINE DU ZOHAR
Là ils gémissent et soupirent et quand ils ont confirmé
leur résolution de bien faire, ils quittent leurs dé-
pouilles et sont enveloppés d'un vêtement de salaman-
dre qui leur permet de traverser le feu sans douleur et
de regagner le ciel (11, 150 a, & et 211 b).
« Les compartiments de l'enfer, dit le Zohar, sont in-
nombrables, car tandis que le bien a des voies limitées,
combien n'y a-t-il pas de voies et de degrés et de faces
pour rinstinct mauvais » (II, 262 b). Ces compartiments
sont distribués entre les sept palais infernaux appelés
fosse, perdition, silence, boue, scheôl, ténèbres, terre
infernale. Là sont relégués tous les criminels, chacun
selon sa faute : ceux qui ont livré leur vie aux passions
bestiales et n'ont fait aucune part à la partie céleste de
leur être ; ceux qui ont trahi leur foi ou ceux qui ont
trahi leur parole; ceux qui, sans être des criminels,
n'ont pas dispensé de grâce et de pitié à autrui ; ceux qui,
sans mal faire par eux-mêmes, ont semé la division parmi
les autres et ont poussé les autres dans la voie du mal ;
ceux qui, sans faire ni bien ni mal, ni médiatement ni
immédiatement, n'ont rien fait. Nous n'avons pas le
temps de suivre tout le détail de ces énumérations ; re-
marquons seulement que le mal est conçu la plupart du
temps non seulement comme une action positive, mais
une désertion du bien et ce bien est conçu à son tour
comme l'exercice de la pitié, de la bonté, Tesprit de sa-
criBce et la subordination de son moi au moi d'autrui
(II, 262 b à 269 A).
Les pécheurs sont châtiés par le feu, selon le degré de
leur crime, et voici dans quel sens mystique il faut enten-
dre ce châtiment. Le feu dont il s'agit n*est autre chose
que la brûlure intérieure de leurs mauvais instincts, quel-
que chose comme ce que Bossuet appellera le ver inté-
rieur du remords. Dans ce mauvais instinct même gil la
L*BOMME 45 1
source de tous leurs maux. Il les brûle et les ronge dans
la mesure où ils lui auront cédé pendant la vie. Il les brûle
sans les consumer ; d'une part en effet le Zohar, contraire -
ment à tout l'esprit du judaïsme dogmatique, admet la
damnation éternelle. « De là-bas on ne remonte plus
jamais (1) » (III, i78 a). D'autre part il évoque la vision
d'un temps où le mauvais instinct, ce feu rongeur, aura
complètement disparu (II, 250 ab) dans un anéantisse-
ment final (II, 2o ab ; cf. I, 38 a et II, 245 a).
L'homme. — L'imagination mystique la plus éche-
velée ne peut jamais prendre son point d'appui que
dans la réalité^ sauf à idéaliser cette réalité, à la tendre
en quelque sorte jusqu'à son point extrême de possibi-
lité.
Donc, pour donner un corps aux idées les plus sublimes
le mysticisme est obligé de recourir sans cesse à ce qui
est la forme la plus haute de toutes les formes de l'être :
la forme humaine. L'homme incarne en lui ce qu'il y a
de plus élevé parmi les êtres visibles, et il devient le
symbole nécessaire de tous les êtres invisibles : « L'homme
est le dernier être dans l'œuvre de la création et le pre-
mier dans l'œuvre de la Mercabah » (II, 10 b). Pour cette
raison le Zohar ne touche à l'homme qu'avec une espèce
de crainte mystérieuse, avec une tendresse mêlée de
respect et d'admiration. Chaque fois qu'il Taborde, c'est
pour Tenvelopper au préalable dans une nimbe de mys-
tère et d'obscurité. Tout en lui est mystérieux; mysté-
tériouses, les deux formes d'être, l'âme et le corps, qui
constituent son être; mystérieuse, la nature de l'âme,
son origine, sa forme première; mystérieuse, sa descente
et son désir étrange de venir se marier à un être d'es-
1. yizhvb p^^D nS in
452 LA DOCTRINE DU ZOnAR
sence si distincte; mystérieux, le mode de ce mariage et
la naissance à cette vie nouvelle ; mystérieux , rètré
nouveau qui en est le fruit, mettant entre lui et le reste
de la création un abime ; mystérieux, sa face, son front,
son regard, son port, sa marche ; mystérieuses, sa forme
de vie et lamanifestation dépensée invisible ; mystérieuse
enfin la mort, c'est-à-dire le divorce, c'est-à-dire Tabat^
tement contre terre de l'un des époux et la fuite de
l'autre.
Aussi rhomme est-il pour le Zohar Têlre des êtres, la
forme humaine, la forme des formes, la forme suprême
qui contient toutes les autres et qui en est le couronne-
ment, le résumé de toute chose^ la clef de voûte de tout
l'édifice mystérieux de Tunivers. En un mot, c'est dans
le sens du mysticisme très éthéré qu'il incline la doc»
trine du microcosme apportée par le passé (1).
1 . La conception du microcosme dont la chose» sinon le mot
existe déjà dans Platon, apparaît dans dans toute son expression
chez les néo- platoniciens. Plotin lui-même qui ne reconnaît
rhomme que dans Thomme pensant (ri çu/t, e<jT\v ô àvOowito; aOto;)
ne peut appliquer à Thomme que Texpression x6<tplo; vor.roc. Mais
déjà au temps de Jamblique nous trouvons Thabitude d'appeler
l'homme piixpb; x6<y|io;. Le mol figure déjà dans la Yita anonymi de
Pylhagore (in Photii Biblioihecay codex 249) :
oti 6 avOpa)ico; lAixpo; x6o-(xo; XèyeTai oux of' ^x twv TSffaâpcov <rrot-/e(u>v
ovyxETat (toOto yàp xai exxffTOç xwv C<^(i)v xai twv svTeXefTTarwv) !i>X* oti
icao-a; ï'/t\. xàc toO xâapiou ô'jva|iet;i év yàp tw xô^pia) slcrt 6£o\, ïa-zi xai tx
TsoxTotpa (rrotxeTa, ^<m xai toc àXoya Ç&a, ^orc xa\ çuxà. Ilao-ac tk taOraç
Taç d'jvâ(iei; ï/ti 5 âvOptoicoc tyi\, yàp Ôîtav pièv SOvapiiv ttjv XoyxTjV, e-/etv
TTjV Twv atot/eicùv 9V(Tiv, rr,v ôpe7CTtXT,v xat a'jÇyjTtxfjV xa\ toO oiiotov yev-
VïJTtXT,V.
« C-est- à-dire que l'homme est appelé microcosme, non parce qu'il
se compose de quatre éléments, car il en est également ainsi des
animaux et même des animaux inférieurs, mais parce qu'il réunit
en lui toutes les puissances de l'univers. Car dans l'univers il y a
les dif ux, il y a les quatre éléments, il y a aussi les animaux inai-
sonuables et les plantes. Lliomme a toutes ces forces, car il a la
L'noiDiE 453
Tout d'abord il reprend cette doctrine sous la forme
matérielle et extravagante qu'elle avait prise chez les
théoIog;ieng juifs, comme nous le voyons dans les Aboth
de Rabbi Nathan et dans le Midrasch appelé Midrasch du
microcosme.
Le Zohar reprend une partie de ces conceptions, avec
son exagération habituelle, c'est-à-dire arec son étroi-
tosse habituelle, car la largeur qu'il donne aux choses
n'est souvent qu'apparente, j'entends qu'elle est une
forme de son exclusivisme qui, lorsqu'il s'attache à une
force divine, la force pensante ; il a la nature des éléments, la force
divine de nuli-ition cl de croissance et la force de reproduire son
semblable. » Dans le néo-pylhagorismc l'homme est un microcosme,
parce qu'il unit en soi toutes lea forces cosmiques, les forces su-
périeures et les forces inférieures, c'est-à-dire qu'il est en quelque
sorte le point d'intersection des choses. Cette doctrine est voisine
du Zohar, et encore plus de celle de Philon.
PhiloQ dit de l'homme qu'il est à la fronlitre de la matière mor*
telle et immortelle. Il est 19^1^; jUv i(ii>]ia;, un monde en raccourci.
— [.'idée du microcosme a été reprise surtout par tes Abboth de
H. Kathan qui la Iraieslissent singulièrement. L'homme est limage
de l'univers, ses clievuux reprôsentenl les forêts, sa re.ipiration le
venl, les reins sont comparés à des conseillers, l'estomac h un
moulin, les os aux hois, les genoux auï chevaux; quand il rsl
debout il est une montagne, quand il s'étend il est une plaine
(AbulA de K. ^atha^, éd. Schtcchter, 1B87, Franfort), puis, comme
nous avons ru par le Sefer Yeztrah, Ihn Gabiroi lui donne tout son
sens métaphysique. Le Olam Kutan (Petit Monde) de [t. Joseph \\m
Zaddik (publié par Jellineck, 1854, Leipzig) consacre à la question
un ouvrage spécial dans lequel se rencontre un mélange dts doc-
trines métaphysiques les plus hautes et les notions lea plus
absurdes. — David ben Mervan ai-Hokammez soutient au i* siècle
que l'homme microcosme est la création la plus parraite et occupe
dans l'univers un rang plus élevé i[UG les anges. Cette opinion
nous est rapportée par le Caraïtc et Jephelh ben Ali (i« siècle) qui
dii en son nom ; r Adam réunissait les qualités qui n'appartiennent
pas au.x anges, tandis que tout ce qui se trouve chez les anges a '
son analogue dans Adam qui est le monde en pe lit. »
454 LA DOCTRINE DU ZOHAR
idée, ne voit plus qa*elle et l'enfle démesurément. Dans
le Midrasch du microcosme latèledeThomme représente
la voûte céleste, le Soleil et la Lune ses deux yeux, ses
cheveux les étoiles et les signes du zodiaque, 1* Agneau
et le Bélier sont tondus comme Thomme, THomme porte
le joug sur le cou comme le Taureau^ ses deux épaules
représentent les Gémeaux, son cœur le Lion, etc. Cest
certainement à ces extravagances que pense le Zohar
quand il dit : a Les diverses parties du corps humain
représentent les secrets de la Sagesse supérieure. Lapeau
représente la voûte céleste qui s'étend partout, et enve-
loppe tout comme d'un vêtement'; la chair représente
les éléments défectueux de Tunivers; les ossements et
les veines figurent les forces intérieures, les anges et les
autres serviteurs de Dieu. De même que l'enveloppe cé-
leste, la configuration des étoiles et des planètes nous
révèlent de profonds mystères, de même sur la peau de
notre corps il y a des figures et des lignes qui ont un
sens caché pour les sages qui sont initiés à cette lecture.
Voici un trait qui marque la filiation directe entre le
Midrasch du microcosme et le Zohar. Nous lisons dans
Tun que l'élément tempête (air) est représenté par la
terreur que l'homme impose à toute la création et voici
maintenant ce que nous trouvons dans l'autre (Zohar,
ibid., II, 76 a) : « Toutes les bêtes de la création, les ani-
maux les plus féroces tremblent devant le reflet d'intel-
ligence et du monde supérieur, répandu sur la face de
rhomme. Quand l'homme est pur, son seul regard fait
tout trembler; ainsi Daniel terrifie le lion. »
L'homme^poursuitle Zohar, estla plus haute puissance
de la création terrestre qui unit en elle tous les éléments
du ciel et de la terre. Lorsque Dieu voulut créer l'homme,
il prit de la poussière des quatre coins de la terre, de
sorte que toutes contribuèrent à lui donner des forces...
L HOMME-HICBOCOSME 455
Puis, il répandît sur lui l'esprit de vie qui vient d'en haut
comme il est écrit : » Il souffla dans ses narines l'esprit
de vie. a De sorte que l'homme renferme à la fois les
choses d'en haut et d'en bas (1) (I, 130 6), et ailleurs :
« Lorsque Dieu voulut créer l'homme, les régions supé-
rieures et inférieures s'émurent et toutes les sphères s'u-
nirent, entourèrent le jardin d'Eden et crièrent : k Nous
« voulons créer l'homme selon notre image, afin qu'il
V contienne toutes les dimensions de l'espace. » C'est
pourquoi il contient en effet toutes les formes de la créa-
tion i> {II, 80 b). La forme humaine est la forme type de
toutes les créations; tous les mondes terrestres et célestes
sont en lui (III, 133 a) (2). Mais le Zohar va s'élever plus
haut. Le corps humain n'est que le vêtement de l'homme,
ce qui fait réellement l'homme, ce qui en lui constitue le
microcosme c'est son âme. Nous verrons plus loin les
éléments qui composent cette âme. Disons ici que par
l'àme rationnelle il appartient au monde Beriali; par l'&me
morale, au monde Yezirah; et par l'âme vitale, au monde
Asiyah. Par la fusion de ces trois âmes eu une seule, il
réunit enluilagrandelrinitû psychique, image du prin-
cipe trioitaire, qui fait loi dans l'univers tout entier.
L'homme n'est pas seulement le résumé de l'univers,
il en est l'achèvement, le couronnement, il eu est l'ex-
pression la plus parfaite, ce sans quoi l'univers eût été à
jamais incomplet, même eût été à jamais non viable :
i. n^sra njm NWipm -inxD .tiiï Suj dinS 'n'2'p xia la
r.i'Tj pin« inaS nSin niS lan' nSci sra'jïT •^•>^•as yniuïs
rn'Ni K'zh'rt 103 12 Hj m hz'iz vdni na»! 1*3x13 vm «nn
-. C'est aiasi que lu Zoliar appelle Adam Kadmon (Homme pri-
mordial) tout l'univers des ScOrotli dans leur euscmble et Philon
lionne le mime nom au l.ogos : avapouii; S=o3 toû aiîiou Uya; {De
emr. Uu'j., 1, ill).
456 LA DOCTRINE DU ZOHAR
« Les anciens mondes durent disparaître parce que
Thomme n'était pas formé. Et pourquoi? parce que la
forme humaine contient tout, et comme elle n'était pas,
les mondes ne purent subsister » (I) (III, d55 ab). « Dès
que rhomme fut créé les mondes supérieurs et les
mondes inférieurs prirent leur forme, car tout est en-
fermé dans rhomme, il est le complément et Tachève-
ment de tout » (2) (III, 148 a).
La forme humaine est aussi la forme visible des Sefi-
roth. L homme ou l'Adam terrestre est la copie fidèle de
TAdam primordial ou céleste, en d'autres termes, de Tu-
nivers des Sefiroth(3).Cela est vrai non pas de l'homme tel
qu'il est aujourd'hui, mais de l'homme à ses origines, à
peine sorti des mains de la nature, de Tandrogyne tel
qu'il fut avant qu*Ëve en eût été détachée (II, 231 a. Cf.
I, 34 b). Alors, mais alors seulement, il représentait la
grande loi de médiation des contraires (II, 178 a; III 6,
141 b, 144 a).
Les naturalistes modernes prétendent que, dans le
règne animal^ l'embryon reste neutre pendant les trois
premiers mois, c'est-à-dire qu'il reste susceptible de
tendre à un sexe ou à un autre; ce n'est que dans les
mois suivants que le sexe se décide. Quelquefois cette
différenciation ne se produit pas et alors le résultat est
un androgyne, comme c'est d'ailleurs la règle pour les
1. 12'^ dp^dS S^-^ mn vh^. D\Np xb nu nz^^finS p^Sdt p^3
ibo^ vh rcn^K «b dtkt «t te^ipriT ]^5r. nu «nur^nNS «b
3. Pour-Pliilon Adam n*est pas créé à Timage de Dieu, mais à,
rimage d'une image de Dieu, à l'image du Logos {Quis ver. div.
haer.y 1, 505 et aill.). Or le Logos correspond bien à rensemblc dos
Sefiroth ou Adam Kadmon.
LANDROGIMB 457
organismes plus primitifs des règnesanimalouvégétal.Le
mysticisme juif a pu s'appuyer sur une notion semblable;
Puis, étendant la même loi k l'économie générale de
l'univers, elle s'est figuré le monde des Sefiroth comme un
androgyne.
D'après la Bible, le premier bomme est créé à l'image
de Dieu ; il faut que la loi s'étende à Dieu lui-même ; car
l'bomme est l'image visible du En-Sof. « La forme ba-
maine renferme ce qui est en haut et ce qui est eu bas;
c'est pourquoi l'Ancien des anciens *l'a cboisi pour sa
forme » (111, 141 b). En considérant comme un seul tout
l'ensemble des choses, Dieu et l'Univers, ce TouL est as<
similé par le Zohar {Petite Assemblée, 218) k un grand
androgyne où le Long Visage constituerait le mâle, et
le Court Visage la femelle, en d'autres termes, la cause
active et la cause passive sont censées s'uair d'une union
sexuelle pour produire l'Univers. De plus, suivant une
1 oi que nous retrouvons à propos des Sefiroth et qui
semble un vestige mystique, la femelle est tout d'abord
issue du mâle, puis fécondée par lui. De Dieu, comme
nous avons vu, jaillit le semcn mutidi, qui va se déposer
in matricem immdi. C'est ainsi que l'univers ou la Mach-
schabah (Pensée) qui le contient est appelé lanlM lalille
et tantôt la Femme do Dieu (1).
Il est possible que tout ce dualisme sexuel, chaque
fois qu'il se place sur le terrain métaphysique, ne soit
qu'une suite de métaphores, comme il arrive dans d'autres
doctrines mystiques.
Plus encore chez les Juifs, cette poétique pouvait être
nécessaire à cause de la gaucherie philosophique de la
i. Dan» l'hilon la Sojihia reçoit la semence divine cl enfante un
fila niati>ri<-l qui e^l l'univers. Elle est i la fois fenimo et tille de
Dieu [De piofu-j., I, 553; cf. De cbrkt., l, 362).
458 LA DOCTRINE DU ZOHAR
langue; mais à coup sûr beaucoup de kabbalistes, Luria
en tète^ prirent ces choses à la lettre. Bien que notre
objet dans le présent travail ne soit pas de traiter de la
Kabbale pratique, disons cependant que ce qu'on pourrait
appeler Térotisme zoharitique exerça une action dan-
gereuse sur beaucoup d'esprits ; on s'en couvrit pour lé-
gitimer les plus basses passions qui n'attendent jamais
qu'un prétexte pour éclater.
Lame. — Maisl'bomme véritable n'est pas dans les
os, les nerfs, le corps, en général; tout cela n'est que
le vêtement de l'essence humaine, de l'âme (II, 76 a)^
Qu'est-ce que l'âme? Tout d'abord il faut savoir que le
Zohar fait de l'âme une substance préexistant au corps :
« Dans le temps où Dieu se prit à créer l'univers il
forma toutes les âmes destinées aux hommes, il les re-
garda toutes et en discerna plusieurs qui devaient suivre
une voie perverse. A l'heure voulue chacune est appelée
devant lui et il lui dit : Va dans telle et telle région,
animer tel ou tel corps. Elle répond : Maître de l'uni-
vers, je suis heureuse comme je suis et ne désire pas en-
trer dans un monde où je serai exposée à toutes les flé-
trissures. Alors Dieu dit : « Du jour où tu fus créée tu
n'avais pas d'autre destination. L'âme docile se résigne
à prendre le chemin de la terre et descend parmi les
hommes » (II, 96 b (1). Cf. II, 61 b). Toutes les âmes hu-
1. Sd iin*i n^Dp Nm:r-!n yhu xab:; nncS 'n'z'pn ^^::1^ n:^t3
.Tcp iT^ïHN -^.nSs*: ira!? nu;: ^jn:i zn^cS ^^:^î2î •p:\xi 'j'^n^^j
Tm -rn hz N^m inzb nu?: ^J22 rna!? ^^:^r:n cd*2 sivï ^nr\'i
na^riN iSs ^i:i ^St 'yra ^by ^bn nS "idn ndiz^j ^Knb n'n'p np
K^SyS -jH^N nSi nu m,T\^ wnt ktdSvS "h n NcbvT nnNo n^Dp
"p Nnr:u: nNcm \v^z NaSsr ^nhs "JincS n><n:inN Yv 'Nnznx-T
pn nbN7T nnnj r^rv^:^ S»
2. Nn^ujT Nnn «7aj \r: m nh^u;: npN "jn^c nbn
AUE ET CORPS 459
maines avaat de descendre dans ce monde sont formées
au ciel. Le Zobar distingue les Ames mâles et les Ames
femelles. Les premières, issues des Sefirolb mftles sont
concentrées dans la grâce, tes autres, des Sefîroth fe-
melles sont concentrées dans la justice. Avant leur des-
cente les âmes vivent par couples mis en un tout; au mo-
ment de leur apparition à la vie de ce monde, elles se
séparent pour se retrouver un jour (I, 91 b; cf. 207 b).
L'âme ainsi constituée et unie au corps n'est pas un
principe simple^ mais elle est la réunion de trois élé-
ments qui sont : la nefesch [souffle}, le ruach (esprit),
]a nesc/jumaA (âme proprement dite) (H, 141 b). Le Zohar
les désigne souvent comme trois noms de la même es-
sence, mais aussi et plus souvent comme trois forces ou
trois facultés. Voici comme il les détermine : « Dans ces
trois élémGnl3l'âmesensiI)le,resprit,etrâme proprement
dite, nous trouvons une fidèle image de ce qui se passe
en haut, car elles ne forment toutes trois qu'un seul être
où tout est lié. L'ftme sensible ne possède par elle-même
aucune lumière; elle est étroitement unie au corps au-
quel elle procure les jouissances dont il a besoin. On
peut lui appliquer le passage des Proverbes (31,15) ex-
priment sur la femme forte : « Elle distribue la nourri-
ture à sa maison et marque leur lâcbe h, ses servantes ; la
maison, c'est le corpsàentretenirjles servantes sontles
membres qui obéissent. Au-dessus de l'âme sensible
s'élève r&me morale qui subjugue les sens, qui leurim-
pose ses lois et les éclaire... Enfin au-dessus de l'âme
morale est l'esprit par lequel l'âme morale est dominée
à son tour et qui se reDète en elle par une lumière venue
d'en haut. L'âme tout entière est éclairée par cette lu-
mière; elle dépend donc entièrement de cette partie su-
périeure qui s'appelle l'esprit {!) » (il, 142 a). Il résulte do
i. C'est uDc applioalioD de la doctrine alez&ndrine et nio-pla-
460 LA DOCTRINE DU ZOUAR
ce passage que nefesch est Tàine vitale et sensible en
rapport avec le corps, présidant à la vie inférieure, aux
mouvements^ à la vie animale. Le ruach est le siège du
bien et du mal, des instincts; la neschamah est Tâme
rationnelle, pensante, l'intellect. Par une extension
bizarre de la théorie des quatre éléments, le Zohar fait
consister cette âme rationnelle de quatre éléments spiri-
tuels, de quatre esprits subordonnés Tun à Tautre, et
servant de vêtement ou d'écorce à Tautre (U, (3 b ; cf. Mys-
tèresde laloi, 80a; cf. III, 225«, 23 b; 1, 139«, 175 b) (1).
Comme on voit, ce qui préoccupe le Zohar dans sa dé-
termination des forces de Tàme, c'est le principe de hié-
rarchie mystique de Tun à l'autre; c^est en ce sens que la
doctrine aristotélicienne ou platonicienne l'intéresse,
c'est parce que cette doctrine se prête à la gradation mys*
tique des forces descendantes, c'est de la mémo ma-
nière qu'il tire partie de la doctrine gabirolienne sur l'in-
tellect. Mais outre ces éléments constitutifs de l'&me, le
Zohar porte la trace d'une quatrième partie qui n'est pas
le corps, mais qui n'est peut-être pas non plus Tàme, qui
est inhérente au corps sans se confondre avec lui, qui
répond peut-être à ce que nous appelons la vie de l'or-
ganisme et qui, dans la pensée du Zohar, est probable-
ment le principe médiateur entre l'âme et le corps.
« Pendant le sommeil l'âme proprement dite, c'est-à-dire
l'âme sensible, morale et rationnelle, quitte souvent sa
demeure terrestre pour errer danslesrégions supérieures.
II reste alors auprès du corps un souffle de vie qui a son
tonicienne qui fait du vou; seul une création directe de Dieu; c'est
aussi une manière de transporter à l'âme rationnelle ce que le
stoïcisme dit de Tâme universelle (cf. Philon, De profiig., 1, 556;
De opif. m., I, 36; Diog. de L., VII, 156).
1. Cf., pour la constitution des esprits de quatre éléments spiri-
tuels, Agrippa» De occulta philosophia.
AKE ET CORPS 461
siège dans le cœur (1). » Eafia pour que le mariage de
l'àme el du corps, c'est à-dire la vie terrestre, soit pos-
sible, il faut encore un cinquième élément que le Zohar
définit ainsi : a Au moment où s'accomplit l'union de
l'âme et du corps, le Saint envoie sur la terre une forme
à l'image de l'homme empreinte du sceau divin. Cette
forme préside à l'union des époux, un œîl clairvoyant
distinguerait au-dessus de leur tète comme un visage
absolument semblable à un visage humain et ce visage
est le type à l'image duquel l'homme va apparaître., .-
C'est cette image qui nous accueille à notre entrée dans
le monde, c'est elle qui croît en nous quand noua crois-
sons, qui quitte la terre quand nous la quittons. Elle est
issue du ciel au moment où les âmes vont sortir du
ciel,*clles apparaissent devant le Grand Roi vêtues d'une
forme supérieure, empreintes de traits qu'elles porteront
en bas. C'est de cette forme supérieure que dérive l'image
inférieure etc'esteile qui veille toujours à runioa
conjugale »{lll, lOi a6 ; IIl, 207 ab). Lo Zohar appelle
ce même principe le principe d'union tenant au corps, le
principe qui fait son moi. Nous aurions donc ici quelque
chose comme le double céleste du corps, une sorte de
ferouer que l'âme porte avec elle et qu'elle imprime au
corps terrestre. C'est quelque chose comme la forme
môme de l'âme aspirant au corps. L'âme ainsi se for-
mait son corps, et en effet le Zohar dit (I, 20 b). « Le corps
n'est à considérer que comme l'enveloppe de l'essence
humaine intérieure déterminée par l'Ame, » De même
qu'un cachet en creux imprime en relief, de mênae l'Ame,
1. Nni'm TiaD'pT unisfi in -a KSia nnna ma nsnWK nS'
Peut-âtre avons-nous ici une traduction zoharitique de la [ifoi)
V'j/r, clija Alexandrins.
462 LA DOCTRINE DU ZOHAR
imprimant sa marque aux choBes, produit le corps (1)
(II, 11 a). Le corps est donc l'empreinte de l'esprit ou de
r&me dans la matière (2]«
Le Zohar, pour bien marquer la distinction de ces élé-
mentSyleur donne une origine, une nature, des fonctions
et des destinées ultra- terrestres différentes. L'âme ration-
nelle est issue de la Sefirah Sagesse^ l'&me morale de la
Sefirah Beauté, l'âme sensible de la Sefirah Royauté. Pen-
dant le sommeil chaque partie de l'âme s'en va errer de
son côté (I, 143); dans la colère, l'âme supérieure s'ef-
face, s'oblitère; pour appeler la pitié divine sur le monde,
l'âme sensible fait appel à l'âme morale, l'âme morale
fait appel à l'âme rationnelle ; cette dernière seule parait
devant Dieu (II, 101 b; cf. III, 104 d, 176 b). Après la
mort l'âme sensible demeure sur laterre et l'âme morale
se revêt dans l'Éden d'une espèce d'enveloppe matérielle.
L'âme rationnelle monte vers sa source. Du repos et de
la félicité de l'âme rationnelle dépend la paix des deux
autres. Aussi longtemps qu'elle n'a pas effectué son re-
tour Tâme morale ne peut entrer dans TEden, l'âme
sensible ne trouve pas sa quiétude sur terre. Gomme
l'âme rationnelle du méchant rencontre mille obstacles
sur sa route, son âme morale et son âme sensible errent
comme des fantômes sans pouvoir trouver la paix. Le
Zohar fait un tableau lugubre des angoisses^ des ter-
reurs, des tourments qu'éprouvent ces esprits, de cette
espèce de fièvre qui les travaille pendant des millénaires
innombrables, jusqu'au jour lointain où la réunion de
l'intellect épuré avec son auteur apaise enfin les agita-
1. «]1N "^zb NTiSz NiTîïa T^ynsi *::S NS^Sua =]^ba amn na
... laS ^siS;3 ï^i^Sa ... kjii: >Nna nb'^i ><-iddd hm-t nhii m^n ^^n
Nob> ^NHi KSiaT 'Tï! N:";a2 iib NTzSa i^yriNi
2. C'est comme un renversement de Tentéléchie aristotélicienne
par ie moyeu de l'idée platonicienne.
AMB BT COUPS «Kt
lions de ces esprits (II, lit b, 142 a; III, 70 Â). C'est cette
nescAanKzAouàmepensantequiestr&tneproprementdite;
c'est elle qui est directement issue de l'arbre de vie, qui
est la plus proche parente de Dieu: c'est encore elle qui
reçoit directement la lumière supérieure de la sagesse, et
qui la répand sur les éléments qui lui sont subordonnés.
Elle est par rapport à Dieu « ce qu'est le rayon -visuel
par rapport à l'œil » [Supp. 70) (1). C'est elle qui constitue
la présence divine dans le sein de l'faomme et de la réa-
lité sensible. C'est avec elle que la matière se sanctifie,
prend des ailes et remonte l'échelle de l'Être.
L'union des degrés inférieurs de l'ftme avec ce degré
supérieur n'estpas nécessaire ; elle dépend de la conduite
de l'homme, te péché larel&che,la vertu la resserre; « c'est
précisément selon que celle âme supérieure a traîné
derrière elle dans cette vie les facultés inférieures, elle les
traîne encore dans l'autre » (1, 97 b (2). Cf. II, 99 b, 83 a).
C'est à-dire selon que ces facultés inférieures ont accepté
la direction de la faculté supérieure, elles bénéficieront
après la morl de son élévation et de sa félicité.
Dans la vie ultra-terrestre l'&me morale s'unit dans
l'Éden aux autres âmes de même espèce, les âmes ra-
tionnelles confondues se perdent en Dieu, mais l'âme
rationnelle ne cesse de veiller sur l'ftme morale, et celle-
ci sur l'âme sensible et c'est ainsi que se rétablit l'union.
L'ftme supérieure vit en Dieu, et d'elle la vie divine
passe à ses sœurs iaférieures et de celles-ci aux choses.
Nous avons dit que le corps humain est considéré par
certains fragments duZohar comme l'empreinte du sceau
1. Image classique depuis Platon, et que le Midrasch, Talexan-
drinisme juif, le mysticisme, la Kabbale font servir JL beaucoup de
fins.
2. iniS nswDHN '2n Koby ikhs n^'^y yau» ini«T wiias »rn
464 LA DOCTRINE DU ZOHAR
de r&me. Le Zohar, I, 179 a, dit : L'esprit crée le corps
de rhomme ou crée tout rhomme. En effet, Tétre hu-
moia tel qu'il est constitué maintenant est Tœuvre de
Tàme. C/est parce qu'il est le temple terrestre de Tâme
que l'homme est homme, c'est la présence de T&me qui
constitue la vie humaine proprement dite : « 'Avant que
Tàme soit venue^ le corps traine dans les bas-fonds de
l'univers accouplé avec les esprits mauvais, avec Lilith
et ses compagnes » (III, 19 a) (1).
Quand parait la lumière céleste qui, quoique ternie»
porte cependant la marque de son ancienne grandeur»
elle chasse Lilith avec les sucubes et incubes qui lui font
cortège. Ainsi la vie n'est pas tant le mariage de l'àme
avec le corps que l'asservissement du corps par l'àme en
vue d'une œuvre commune. La vie est la réconciliation
du degré supérieur et des degrés inférieurs de l'être»
mais une réconciliation destinée à surélever les éléments
inférieurs; le corps s'ennoblit dans le service de l'âme ,
pourvu toutefois que l'âme ne se laisse pas aller à dégé-
nérer au service du corps.
Grande et noble doctrine morale qui, sans se perdre
dans un détail fastidieux, dit avec tant de force en quoi
consiste véritablement la lutte de la vie humaine vers la
vertu et le bonheur.
Pour Philon aussi l'espace est rempli d'âmes; les plus
pures ne sont jamais aveuglées par le désir de la terre,
mais demeurant dans leur pureté primordiale servent de
médiatrices entre Dieu et Thomme. Celles plus rappro-
chées tendent vers la terre, descendent dans le corps
et sont saisies par le tourbillon de la vie matérielle, ce
n'est que la philosophie qui peut les relever {De Gigant. ^
1. Philon fait, dans quelques passages, de la descente de Tàme
Tœuvre des démons inférieurs. Mut. nom, y I, 583.
AME ET CORPS 465
1, 264, d'après Timée, 43 a). Il faut ajouter seuiemenl que
le Zohar n'admet pas partout que la descente de l'&me
soit une chute, ni que l'union Avec le corps entraîne
nécessairement le péché, comme le croit Philon. En elFet
Qti. D. s. immtitab., 306 c, il dit : « L'homme qui ne vi-
vrait qu'un jour serait coupable. »Cr. Mut. 7ïom. 1051 d:
T.; yàp ï.aOïpô; xnh ^-j-xsn nav ici yiia i^[*e?» ir:iv i, X,wi, (cf. De
Mut. nom. I, 585). Cependant la descente de l'Ame est
quelquefois présentée par lui comme l'œuvre de Dieu,
avec, il est vrai, la collahoration des démons inférieurs,
cette collaboration aboutissant à une [x'.xd] çjs:;. Les dé-
mons créent le corps et le viij^ "rtivoç [De apif. m., 1, 17);
et à ce composé Dieu insuffle la Vhr^'.i iA-riO'.vijî Çus]; {Leg.
alleg., I, 49 sq.)-
A leur séparation des corps les Ames qui n'ont pas
été esclaves de la matière sont rendues aux jouissances
pures et sans mélange ; pour les autres seulement Phi-
lon parle de métempsycose ; al v^i -àt ?:>-fTp3f a. . . Ov);t3Q
Quant à ta distinction mystique établie dans l'&me et
la destinée de chacune de ses parties, elle trouve son point
de départ dans le Timée. Nous y lisons en eiïet ce qui suit ;
« Comme nous avons dit souvent, dit Platon, que trois
sortes d'àmes habitent en nous, de même il faut dire
maintenant que cellâ d'entre elles qui persévère dans
l'action... devient nécessairement la plus fiiibie... Mais
de la plus haute de ces sortes d'àmes habitant en nous,
il faut penser que Dieu l'a donnée à chacun comme un
génie protecteur... Quiconque par conséquent se livre
aux passions ne peut acquérir que des opinions mor-
telles..., mais celui qui est soucieux d'acquérir des con-
naissances véritables, sa pensée ne peut contenir que du
divin, et quand il a saisi le vrai, il doit participer à l'im-
mortalité. »
xvm
L'éthique du Zohar.
LA DOCTRINE DE L INFLUENCE
Tout le Zohar tend à mettre les doctrines métaphy-
siques quelles qu'elles soient, même le panthéisme ,
au service de la morale. Pas plus que Spinoza plus tard,
le Zohar ne se laisse gêner, limiter par sa métaphysique,
au moment où il aborde la question morale. Logique-
ment et de toute nécessité, Taction des Sefiroth doit être
continue, puisque d'elles dépendent l'existence et la na-
ture de l'univers et que par conséquent tout arrêt bri-
serait le lien médiateur entre la cause et l'effet et sus-
pendrait la vie des choses. Mais, le besoin de transporter
cette action dans le domaine moral et de subordonner
la métaphysique à l'éthique, entraîne le Zohar à dire que
cette action est au pouvoir de l'homme. Les Sefiroth
donnent à mesure qu'elles reçoivent et dans la mesure
où elles reçoivent. Elles attendent tout du En-Sof, mais
elles ne peuvent rien par elles-mêmes. Or, d'après la
plupart des fragments du Zohar, la mise en branle
du En-Sof dépend elle-même de Thomme. L'homme
seul doit et peut mettre en mouvement Tépanchement
divin.
LA DOCTRINB DB l'iNPLUENCE 467
Il faut bien pénétrer la profondeur et la beauté mys-
tique de la doctrine exprimée dans le Zobar en ces
termes : Le monde inférieur est une copte du inonde
supérieur, l'un reçoit l'impulsion de l'autre (l) (I, 38 b].
Le monde supérieur est suspendu au monde inférieur,
le monde inférieur au monde supérieur (2) (1, 70 b).
Les mondes, étant sortis par évolution les uns des
autres, restent attachés entre eus et sont dans un rap-
port d'action et de réaction continu. Mais — et c'est
là ce qui est original — les mondes une fois ap-
parus, ce n'est pas la cause qui agit sur l'effet, j'en-
tends : ]ce n'est plus l'univers supérieur qui agit spon-
tanément sur l'univers inférieur, mais l'ébranlement du
monde idéal dépend à chaque fois do ta spontanéité, de
la volonté du monde réel et particulièrement de la
bonne volonté de l'homme. Les fils de ce grand cosmos
sont concentrés entre les mains de l'homme, la marche
et la vie physique de l'univers sont livrées à l'esprit et au
cœur de l'homme. L'homme en effet tenant par son Ame
au ciel et par son corps à la terre, ramassant en lui
tous les éléments, tous les aspects, toutes les formes,
tous les principes, est l'être unique dans lequel se maia-
tienl l'union. Il est le point de fusion de touto chose;
en lui, en lui seul, le réel et l'idéal se confondent, en lui
revit l'harmonie disparue depuis que le En-Sof avait dû
sortir de lui-même pour se révéler. L'homme est pour
ainsi dire le point d'intersection de toute chose, le car-
refour de toutes les routes qui vont de la terre au ciel
et du ciel à la terre; c'est par lui par conséquent que
doivent passer tous les courants montant ou descendant;
bien mieux, il est le grand dispensateur do tout; « sana
1. NT SnpS D'up «n nnhy noSït azn:) nttnn Nobs laa
-'. -tiljya nxnm n^nna 'ibn nvS'J »dTj
468 l'étihque du zohar
loi, rien ne pourrait demeurer » (1) (III 144 a). Prenant
lexle de la descente des anges vers Abraham : « A la
chaleur du jour » {Genèse, 18, 1), le Zohar interprète
ce passage ainsi : « Lorsque le monde inférieur est animé
du désir, de la fièvre brûlante du monde supérieur, ce
dernier descend vers lui. C'est dans l'homme que ce dé-
sir atteint la conscience de lui-même et sa plus grande
force, et c'est dans Fhomme et par l'homme que les
deux mondes se [rejoignent et se compénètrent de plus
en plus » {Zohar j l, 99 a). C'est dans le même sens qu'il
explique le passage du Psaume : « Dieu est près de celui
qui l'appelle » {Ps. 145, 18).
Ainsi rentrée sur la scène du monde d'un nouvel
être humain est d'un grand poids pour l'ensemble des
choses. Déjà le Talmud et le Midrasch avaient traité
l'homme qui ne procrée pas de monstre et d'assassin,
l'esprit juif à travers toute la littérature juive — en vertu
de ses propres principes et en vertu d'une influence
zoroastrienne — avait toujours appuyé avec force sur
le devoir qui consiste à créer la vie en général et en
particulier la vie humaine, qui en est Texpression la
plus haute.
Le Zohar reprend cette conception avec une sorte de
tendresse mystique : « L'homme qui ne donne pas nais-
sauce à des enfants est un destructeur des mondes » ;
c'est-à-dire il brise ou tout au moins relâche Tunion
d'un monde à l'autre. Il ralentit Tépanchement des bien-
faits qu'un monde verse à l'autre, puisqu'il n'augmente
pas le nombre de ceux qui réalisent et entretiennent
cette union et cet épanchement.En diminuant sur la terre
« l'image glorieuse de TAdam idéal et du En-Sof », il
diminue leur influence et il arrête quant à lui la pulsa-
LA DOCTRINE DE L'iHFLUENCB 4^
tion du graod cœur cosmique. Nous ftvonfi vu aussi
commenl le Zohar appelle l'homme daos sa plénitude,
c'est-à-dire le couple huoiaio, la « Schechinah ter-
restre », la Gloire divine sur terre, parce que ce couple
est l'espoir « des glorieuses copies futures et une pro-
messe de bénédiction pour les mondes. »
Mais c'est surtout l'homme de bien qui est une source
de bénédictions pour l'univers : « Des justes découle la
rosée qui vivifie les mondes ». C'est surtout par la vertu,
par l'action morale que l'homme peut accroître et préci-
piter l'écoulement des bienfaits divins. Par une concep-
tion très haute le Zohar subordonne jusqu'à la vie phy-
sique de l'univers, à la vertu. « — Les choses sont faites
par la vérité et la justice (Psaume 111, 8). Lo Zohar
explique : « Ces mots s'appliquentau monde supérieur et
au monde inférieurfondési'unsurrautre. C'est de l'œuvre
des justes de ce monde que part l'impulsion qui met en
mouvement l'activité du monde supérieur. La Genèse
contient une allusion à ce mystère : « Dieu n'avait pas
encore fait pleuvoir (c'est-à-dire u il manquait toute
action d'en haut ») parce qu'il n'y avait pas encore
d'homme pour labourer la terre (c'est-à-dire parce qu'il
n'y avait pas encore en bas d'œuvres de bien). Alors une
vapeur monta de la terre (c'est-à-dire l'impulsion partie
d'en bas). Et la face de la terre fut arrosée (Zohar, I,
3S a). — « Quelque nombreux que soient les chars
et les troupes de Dieu et ses anges de service, c'est
Israël qu'il a couronné du plus beau joyau : les
Seliroth. C'est à Israël qu'il a subordonné toutes tes
troupes célestes; les hymnes et les chants célestes ne
retentissent que lorsque le signal est donné d'en bas (1)
(ibid.). u Si Israiil est pieux, le trône glorieux du ciel
1. iznnx ^t^z•i rjrn î*;:y Nirmpa Nsnn p piSo Man 'in xn
r^iW tw nrrD -^yPN mzyi nzzr^m tt22'.i:t nu ht -rnS
470 l'éthique du zohar
monte toujours plus haut, enveloppé de joie el d'amour ;
si Israël est livré au mal, tout se renverse {Zohar cha-
dasck, 49 b). Ce n'est là qu'une expression juive de même
vérité métaphysique. — « Les justes de ce monde et
de l'autre dégagent un parfum de vertu qui monte
aus narines divines et le stimule à verser ses bien-
faits sur toute chose. » — Enfin voici le passage le plus
caractéristique : « Lorsque Dieu s^entre lient avec les
justes, toutes les sphères supérieures et inférieures
s'émeuvent, tous les arbres de l'Éden chantent des
hymnes, tous les oiseaux entonnent leurs louanges, le
coq chante et appelle l'homme à l'étude et au culte reli-
gieux. Alors les portes de l'abondance s'ouvrent et la
bénédiction descend; le vent de l'amour souffle, la puis-
sance des instruments de force et de sévérité est brisée
et tous les anges de la grâce et de la faveur courent à
leur poste » (II, IIO a; III, 64 b). Ici, comme on voit, le
Zohar ne suit pas Philon dans la forme négative de son
éthique. D'après Philon, l'homme ne doit jamais avoir
confiance dans sa propre force morale ; il ne peut, en
tant qu'homme, s'affranchir des sens sans avoir recours
à une force supérieure. Toute vertu sort de la sagesse
de Dieu et ne devient triomphante que par la grâce
divine [L.alleg., 75 a sqq.,100 6 ; I, 33;I,G0; I, 131) et
parlesecours duLogos [L. alleff.^oQ), « L'âme, dit Philon,
ne produit par elle-même aucun bien, tout lui vient du
dehors par la munificence qui fait pleuvoir la grâce sur
elle; il faut conjurer Dieu de ne pas abandonner à elle-
même notre misérable espèce et de lui conserver pré-
sente jusqu'au bout la miséricorde qui seule peut la sau-
ver. Le Zohar, tout en reconnaissant refficacité du se-
cours divin, subordonne son ébranlement à la vertu
LA DOCTRINE DE l'iNFIUENGB 471
spontanée de l'homme. Il fait Ae l'homme l'arbitre non
seulement de sa destinie, mais de la destinée de l'uni-
vers (1).
Malgré toutes ces concessions aux doctrines hétéro-
doxes, la pensée juive ne peut accepter cette idée de
gt&CG pour la substituer & l'idée du peuple élu.
Certes le Zohar renonce avec peine à cette doctrine
de la grâce. — On le sent bien par l'insistance qu'il ap-
porte à l'idée de secours divin. Mais il est arrêté par la
crainte de l'arbitraire qui glt dans cette idée de gr&ce.
Je dis : le Zohar proprement dit, car tes Suppléments et
le Midrascb occulte font une telle place à la conception de
l'épanchement spontané et absolu de Dieu qu'il cfttoie
bien souvent ce que le Zohar voulait éviter.
Mais d'autre partie Zohar ne peut, quoi qu'il fasse,
maintenir dans toute leur intégrité l'idée de liberté et de
responsabilité. Autrement il ne pourrait admettre l'efQ-
«acilé de l'œuvre du juste pour le salut dus méchants.
Or le principe de la piélé rémunératrice de l'homme de
bien pour les pécheurs, l'idée de rançon et de rachat s'y
rencontre souvent.
D'après Matmonide, la Providence divine s'exerce
d'autant plus fortement sur un être que cet être est plus
étroitement uni à Dieu. Ainsi l'animal n'a part à cette
providence qu'en tant que son espèce participe, tandis
que l'homme y participe individuellement en raison
directe de sa perfection, c'est-à-dire de la perfection de
sa conception de Dieu. En d'autres termes — et là nous
retrouvons les idées aristotéliciennes — Dieu n'est pas
à proprement parler ag^issant, ipais pensant; de sortç
i. Cependant dans quelques passages Philon liit que c'est dans
'àmo du juste que l 'immanence de Dieu prend sa forme la plus
élevtie.
472 L'éTHIQUE DU ZOHAR
que par conséquent la Providence ne vient pas en défini-
tive d'en haut, mais d'en bas, non pas de Dieu, mais des
choses. On voit comment la doctrine du Zohar dérive
directement de cette conception exposée par Msûmonide
dans le lAore Nebuhim, III, 17 et ailleurs.
Mais comment Thomme acquiert-il donc avec le nom
de juste, la faveur imihense d'agir sur les mondes et de
faire la vie de ces mondes?
1) Tout d^abordpar Tamour de Dieu. La crainte est
très précieuse, mais seulement en tant qu'elle conduit à
Tamour (II, 216 a). L'amour seul unit Thomme à Dieu,
(c Dans l'amour est le mystère de Tuiiité, l'adoration dans
Tamour monte et s'attache au monde supérieur, c'est
par l'amour que s'unissent les mondes d'en haut et d'en
bas (1) » [ibid.).
Quand cet amour s'est véritablement emparé de
l'homme, il fuit toute joie terrestre, il dit à toute heure :
ce Que faire encore pour accomplir la volonté de mon
Dieu? » et l'amour de sa femme et de ses enfants et tout
le reste est comme un néant au prix de son amour ponr
Dieu. Il s'attache à Dieu comme le charbon s attache à
la flamme et il est sans cesse comme un jeune homme
qui reste sans approcher de celle qu'il aime, la désirant
de toute la violence de son être, la retrouvant enfin et
s'unissant à elle.
2) Par l'amour des hommes. L'amour, qui parTaction
de la Sefirah Grâce répand l'ordre et l'harmonie dans le
monde idéal, doit aussi ordonner et harmoniser le monde
réel, particulièrement la société des hommes. De même
que sans la Sefirah Grâce les Seflroth ne pourraient
soutenir la vie, de même la société humaine n'est
pas viable sans l'amour indulgent et bon. « L'ange de
LA DOCTRINK DE L'INFLUENCE 473
l'amour a des ailes mille fois plus rapides que l'ange de
la haine », pour indiquer que l'amour doit être mille fois
plus rapide que la haine. L'amour est un des deux sceaux
avec lesquels Dieu a scellé le monde, et le règne divia
commencera le jour où l'homme aura lui-même, comme
un autre Dieu, appliqué ce sceau à la vie tout entière,
3) Par la vérité. Le Zohar reprend le joli mot des Abotk
de R. Nathao : «. Le mensonge a les jambes courtes »,
« le meuson^e n'a pas de pieds. » Seule la vérité est le
fondement assuré de toutes choses, pour le monde su-
périeur comme pour la vie humaine. La vérité, dît le
Zohar. est en quelque sorte le grand cacliet avec lequel
l'esprit s'imprime dans la matière, et comme un roi ter-
restre aime à voir son image répandue sur les pièces de
monnaie qui font circuler la vie dans son royaume, ainsi
le roi de l'univers aime à trouver gravée sur toutes
choses cette empreinte de vérité, qui détermine la vie
par la loi d'influence.
4) Par l'étude do la loi. La sagesse qui aprésidé àl'ap-
paritioEL des choses ne prend conscience d'elle-même que
dans l'homme. C'est donc par l'homme que cette sagesse
se maintient. « Dieu pour construire l'univers médita la
loi ; mais le monde une fois créé, rien ne put subsister
avant qu'il vînt à l'esprit de Dieu de créer un être qui
put continuer de s'occuper de la loi. C'est donc par lui
que subsiste l'univers. A l'heure qu'il est quiconque mé-
dite la loi et s'y applique dans toute la mesure de son
possible contribue à maintenir l'univers. Dieu en médi-
tant la loi créa l'univers. L'homme en méditant ta loi
maintient l'univers » (1) (II, I6t a et b). — De plus, par
1. p'Ssn 17 c'ipn-2 n'."! hi nSa: rh'z ba n-sSï nanuT pia
K'iV; 3"pns Tv.'zz' Nnm»! Sinipa 'im dix ii3::S nMina
Su ^'■'Z'O if.T\ h'.vzz -z '■'inric Nnr's= bsncx- 'wa Sa khch
474 l'éthique du zohar
Tétude, rhomme échappe aux séductions du mal et as-
sure par ce moyen encore le triomphe du bien, le triom-
phe de la vie et la marche de l'univers (1, 190 a).
5) Par la prière. Dans l'acte de la prière le corps humain
est tout entier au service de Tàme et uni avec elle; il est
uni par elle aux régions supérieures. Dans cet acte la
fusion de la terre et du ciel est donc parfaite. Par con-
séquent, la prière est souveraine pour déterminer l'union
des mondes. Pendant que Thomme prie sur la terre, il
s.e fait dans les espaces d'innombrables épousailles,
toute la réalité tend vers son idéal , tous les êtres ten-
dent vers leur type. Aussi toute prière doit-elle toucher
à un objet qui ramène la pensée vers les régions supé*
rieures, soit aux voies de Dieu, soit au nom divin, soit
aux Sefiroth, soit aux justes (patriarches, prophètes) des
temps passés, soit à des chants ou hymmes exprimant
une doctrine mystique, soit enfin une répétition machi-
nale d'acrostiches plongeant Tesprit dans l'oubli de ce
monde, et au-dessus de tout une prière spontanée. Seule
une méditation concentrée, et une prière intérieure
peuvent attirer cet épanchement céleste qui entretient la
vie (II, i78 a).
La prière devient la médiatrice de l'inspiration pro-
phétique (II, 4&a). L'heure de la prière devient l'heure
de répanchement divin où toute colère est apaisée.
Le geste de la main, les doigts croisés et dressés vers
le ciel ont une action efficace sur les Sefiroth par
l'effet des dix doigts, leur symbole (II, 67 ah). Mais
la prière digne de ce nom est non pas celle qui se
fait entendre, qui éclate à haute voix, mais celle qui est
méditée en silence; celle-là seule monte rejoindre la
LA DOCTRINE DB L'tNPLUBNCE 475
voix céleste, le prototype qui plaide ta cause devant
Dieu et agit sur le monde (I, 209 b, 210 a) (1).
Quand r&me quitte le corps pendant la nuit, et que
l'homme reste avec le seul principe vital, ce n'est que la
prière du matin qui peut ramener l'Ame auprès de lui.
C'est surtout la prière en commun qui entraîne pour
tous une grftce dans laquelle se perd et se fond la sé-
vérité du châtiment que peut entraîner la prière d'un
seul. La prière de quelques justes couvre de sa présence
toute l'assemblée qui les environne (II, 156 a). C'est la
prière collective qui a véritablement des ailes pour
monter au ciel [I, 234 a).
Il y a quatre espèces de prières : 1* celles qui ont pour
objet les devoirs personnels de l'homme et qui rempla-
cent les anciens sacrifices; 2° celles qui concernent ce
monde, les phénomènes de l'anivers sensible; 3° celles
qui ont pour objet le monde céleste; enfin 4* celles qui
regardent les mystères supra-célestes.
Dans l'autre partie du Zohar nous retrouvous pour la
prière le reflet des conceptions gaonîques. Les prières ne
sontpas directement recueillies par Dieu; maisilyapour
elles un palais jspécial qui a ses anges propres. Le Zohar,
U, 245 où décrit longuement et fastidieusement )e trajet
des prières pour passer de la terre au ciel jusqu'aux oreil-
les mêmes de Dieu. Nous faisons gr&ce au lecteur de tous
les noms et de toutes les descriptions des guichets et
des portes, selon que les prières sont solitaires ou faites
en commun, des exaltations ou des prières de deuil,
selon que les larmes sont versées pour un malheur public
ou pour un malheur personnel.
1. Syi . . . ttshya y^ar^ ^'a'Ni Kitton nn mïaa nom Mnm
n'Sn «sp'm Mb'o xchrvni «Si l'owS mS ]13ït «Si lya ta
476 L'ÉTmOUE DU ZOHAR
6] Par raccomplissement des préceptes. Le Zohar re-
prend et développe rinterprélation mystique de la législa-
tion mosaïque. C'est surtout le fragment intitulé « Le
Pasteur fidèle » qui s'applique à cette tâche. Ezra-Azriel,
Nachmanide et tous les commentateurs mystiques du
Pentateuque sont mis à contribution. Nous ne pouvons
exposer tout le détail de ce travail opéré sur la loi de
Moïse. Donnons seulement quelques exemples. En pre-
mier lieu figure le sacrifice^ « l'holocauste qui monte
réalise l'union de la terre et du ciel; dans la sainteté et la
pureté du sacrifice se consacre l'union des choses avecle
En-Sof x> (III, 26 6). L'homme immolant une béte à l'in-
tention du ciel opère dans sa pensée la fusion des êtres in-
férieurs avec Dieu; le feu qui consume la victime est le
symbole de la purification et de l'ennoblissement, et épure
par surcroit le cœur et la pensée de ses sentiments mau-
vais, ce qui est une autre manière de dompter la bète.
C'est pourquoi le Pentateuque recommande de tenir le feu
constamment allumé sur l'autel ; il entretient les forces
du bien contre les assauts du mal ; il brise la puissance
mauvaise (III, 27 b). Les lois relatives aux ablutions
prennent dans le Zohar, outre la destination hygiénique
que leur donne le Pentateuque, celle de cbasser les mau-
vais esprits qui assiègent les cadavres, les malades et le
corps humain en général pendant la nuit, lorsque l'âme
absente livre ce corps à l'empire du mal. Ici il y a clai-
rement un reflet de la démonologie persane groupée an-
tour d'Ahriman qui n'est elle-même qu'une interpréta-
tion théologique d'observations relevant de nos jours
de la microbiologie {Zohar, I, 53, 184 b, 178 a).
Et maintenant; qu'est-ce qui ralentit la loi d'influence ?
en d'autres termes qu'est-ce que le mal?
Le mal — ce qu'on appelle généralement le mal moral
— tient à la matière, c'est-à-dire à la limite nécessaire des
LE MAL 477
choses, maisc'estanmalcoQsciçntdeluî-mèmedansr&nie
humaine; et c'est parce qu'il prend conscience de lui, qu'il
peut se vaincre ; de la sorte la descente des Ames et leur
mariage avec le corps n'est pas une chute; mais toutes
doivent nécessairement passer par les corps, c'est-à-dire
par les imperfections de la matière, afm de vaiacre en
cette matière le principe même du mal. Le Zohar rend
tout d'abord cette idée par la formule très concise : u Tu
aimeras Dîeu de tout Ion cœur (Deuléron, 6, 5), c'est-à-
dire avec les deux instincts de ton cœur... 11 faut aimer
Dieu avecl'inslinctdu bien et l'instinct du mal » (II, 174).
Ailleurs il s'exprime avec plus de détails. R. Simon dit :
u Si Dieu n'avait pas mis dans l'homme un double ins-
tinct, celui du bien et celui du mal, sources de lumière
et de ténèbres, il n'y aurait pour lui ni vertu ni vice...
Les disciples objectèrent : Pourquoi ces deux principes
puisque le mal est plus fort que le bien 7 Ne vaudrait-il
pas mieux que l'homme ne fût pas né, plutâtque de naî-
tre avec la faculté de pécher et d'irriter Dieu... Le maî-
tre répondit : Certes non, car l'univers soua la forme
qu'il a est ce qu'il y a de meilleur. Or, la loi est indis-
pensable au maintien de cet univers, autrement l'univers
serait un désert... et l'homme à son tour est indispensa-
ble à la loi... Les disciples comprirent et dirent : Certes
Dieu n'a pas créé le monde sans cause; la loi est en
effet le vêlement de Dieu, ce par quoi il est accessible.
Sans la vertu humaine Dieu n'aurait qu'un vètemolit
mîsériible. Celui qui fait mal souille en son &me le vête-
ment de Dieu, et celui qui accomplit le bien se revêt de
)a magnificence divine » (I, 23 ab). Méditons bien le
sens de ces paroles. 11 faut tout d'abord démêler une con-
fusion. Souvent quand le Zohar parle de la loi de l'uni-
vers il entend l'ordre, l'harmonie cosmique ; ici il entend
la loi mosaïque, qui, ayant servi comme nous savons
478 L*ÈTHIQUE DU ZOHAR
de plan à cet univers, est la loi des lois. Ce passage si-
gnifie donc que c'est seulement par^e secours de la loi
mosaïque que Dieu put se vêtir, c'est-à-dire, donner
naissance à l'univers. Or, la loi mosaïque implique un
bon et un mauvais instinct dans le cœur de Thomme.
Elle implique la liberté morale. C^est donc en définitive
la liberté humaine, la libre résistance à la matière, la
libre détermination vers le bien, qui constitue la raison
d'être de l'univers et la noblesse de la vie humaine ;
c'est la liberté qui en fin de compte est le grand levier
du mouvement ascendant de Tâme et des choses. « La
liberté, dit le Zohar, est le sceau de l'avenir, du monde
avenir » (II, 114 à){l).
Le mal est nécessaire comme une condition du bien,
comme ce sans quoi le bien n'est pas. « Pourquoi, dit le
Zohar, si l'âme est d'essence céleste descend-elle sur
la terre? » El il répond par l'allégorie suivante : « Un
roi envoya son fils à la campagne afin qu'il y devint ro-
buste et y acquît les connaissances nécessaires. Après
quelque temps on lui annonça que son fils avait grandi,
qu'il s'était fortifié et que son éducation était achevée.
Alors il envoya, par amour pour lui, la reine elle-même
le prendre et le ramener au palais. Ainsi la nature en-
fante au roi de l'univers un fils, l'âme céleste et il l'en*
voie aux champs, c'est-à-dire dans l'univers terrestre afin
qu'elle se fortifie et s'ennoblisse » (I, 243). Ailleurs (II,
163 a) le Zohar compare aussi ce contact de l'âme
avec le mal, à Tépreuve qu'un père ferait subir à son
fils en le jetant dans les bras d'une courtisane, afin
que cette épreuve lui permette de confirmer sa force
morale et de se fortifier dans le bien.
L'homme par sa victoire sur le mal triomphe donc de
1. -ïDj^T NaSrr Np:2u;ia
LE MAL 479
la matière ou plutôt il subordonne en lui la matière à
une vocation plus haute; il ennoblit la matière et la fait
remonter du point extrême où elle est reléguée vers le
lieu de ses origines. En lui qui est le grand conscient, la
matière prend conscience de la distance qui la sépare
du bien suprême, et elle tend vers ce bien. Par Thomme,
les ténèbres aspirent vers la lumière, le multiple vers
Tun, la nature entière vers Dieu.
Par rhomme Dieu se refait lui-même après avoir tra-
versé toute la magnifique diversité de Têtre. Puisque
rhomme est une expression résumée du tout, quand il
a vaincu le mal en lui il Ta vaincu dans le tout, il en-
traîne dans son ascension tous les éléments inférieurs,
et par sa montée s'opère la montée du cosmos toutentier.
Comme l'homme idéal a été la Mercabah (le char) de
descente du En-Sof vers les choses, il est le char de
montée des choses vers le En-Sof.
L'âme, comme nous avons vu, est le fruit de l'union
du Roi et de la Matrone, ou de la Beauté et de la Sche-
chinah (manifestation glorieuse de Dieu dans Tunivers) ;
or, la Beauté est la quintessence des Sefiroth, c'est-à-
dire du monde idéal, et la Schechinah est la quintes-
sence du monde réel. L'âme est donc la fusion de ce
quil y a de meilleur en haut et en bas. Par la descente
de l'âme et son association au corps, l'amour va du Roi
à la Reine, de l'Époux à l'Épouse ; par la victoire con-
sciente de l'âme sur le mal et son aspiration vers sa
patrie d'origine, Tamour remonte de la Reine au Roi,
de l'Épouse à l'Époux. En passant par elle la matière
est envahie d'amour pour son Roi céleste, elle prend
des ailes et vole vers sa source parfaite, « Ainsi la vie
s'accroît à la fois d'en haut et d'en bas, la source se
remplit toujours, la mer se remplit toujours et tout est
alimenté (I, 60; cf. Pardes rimonim^ fol. 60 à 64).
480 l'éthique du zoqar
Ne dirait-on pas que les kabbalistes par cette doctrine
du courant descendant et montant des choses, d'une
part spiritualisent la doctrine naturaliste d*Héraclite
et d'autre part évoquent par avance la vision grandiose
qui figure dans YEureka d*Edgar Poë.
La vie humaine s'élargit ainsi de la vie universelle et
le but de l'univers se confond avec le but de l'homme.
Le Zohar recommande à l'homme de vivre de telle sorte
qu'il puisse se dire chaque soir : Je n'ai pas perdu ma
journée (I, 221 b). Eh bien I ce n'est pas seulement sa
journée qui est en jeu, mais la journée de l'univers.
Tout Têtre est suspendu à son être, la destinée de toute
chose est liée à sa destinée. Il dépend de lui que la na-
ture à jamais éloignée de sa source souffre, travaille et
se consume dans le désir, ou qu'elle cesse de souffrir et
retrouve la tranquille plénitude de félicité assurée dans
le sein du En-Sof. C'est cette seconde vision que le
Zohar déploya devant nous.
Mais l'âme n'arrive que rarement du premier coup à
cette hauteur. Suivons-la dans ses pérégrinations.
LA HICRATION DES AMES
LA DESTINÉE DE l'aKE APRÈS LA UOBT. — LA MIGRATION
DES AMES
Puisque la vie de rame sur terre est d'un si grand
poids pour l'ensemble des choses, ce n'est pas sur une
seule chance que le Zohar veut risquer ce précieux en-
jeu. Aussi fait-il un accueil enthousiaste k la doctrine
de la migration. D'autres raisons encore l'y détermi-
nent. D'abord le judaïsme dogmatique représenté par
Saadyah et Maïmonide l'avait toujours hannie avec trop
d'horreur de son sein pour que le mysticisme juif ne
s'empress&tpas de lui accorder la plus large hospitalité
et même de s'y attacher avec ardeur. Puis les migra-
lions, les péripéties du voyage de l'&me après la mort
ouvraient àla pensée mystique une somhre et troublante
avenue de couccplions, de conjectures, à jamais à l'abri
du co ntrAlc de la raison. Enfin au moment où se produit
le Zohar, la doctrine avait déjà pour elle, parmi les kah-
balisles, le prestige de la tradition ; nous avons vu mal-
gré l'obscurité qui couvre la pensée d'Isaac l'Aveugle,
qu'il apparaît comme un fervent adepte de la métem-
psycose ; depuis elle avait passé fidèlement de mattre
à disciple et d'école à école ; aussi cette conception est-
elle une de celles auxquelles le Zohar s'arrête avec le
plus de complaisance et dont il se plaît à varier et à
multiplier les aspects. Tout d'abord il présente les pé-
régrinations de l'âme après la mort comme une série
d'épreuves purificatrices qui lui font remonter étape par
étape le chemin qui conduit k la perfection première :
« Combien sont nombreuses les pérégrinations (liltéra-
482 L* ÉTHIQUE DU ZOHAR
lement : les roulements), car toutes les âmes passent
par des péripéties nombreuses ; les hommes ignorent
combien diverses sont les voies de Dieu, dans quels
cercles ils peuvent être entraînés, quels jugements peu-
vent être à chaque heure portés sur eux, combien d'é-
preuves attendent les âmes avant qu'elles apparaissent
en ce monde et surtout après qu'elles ont quitté ce
monde. Combien variées, combien mystérieuses sont les
lois de la métempsycose qui s'exercent sur les âmes »-
(II, 99 6) (1).
Dans le fragment intitulé Saba Demischpatim, qui &
propos des amendes de V Exode (20 et 21) traite aussi
des châtiments de Tâme et de ses migrations, nous
voyons que les âmes sont partagées selon leur origine
en trois catégories : celles qui dérivent des ofanim^ celles
qui sont issues des chayoth (deux catégories d'anges) et
celles qui proviennent directement par émanation du
En-Sof. Après avoir spécifié la nature des pérégrina-
tions variant selon la diversité des origines, le Zohar
s'abandonne à toutes les extravagances ayant pour fon-
dement la |ji6T6vaaiii.aT(o<jiç de Pythagore on de Platon, en
vertu de laquelle l'âme doit après la mort passer par
toutes les formes de la vie animale, traverser tous les
degrés de culture.
D'autre part nous y trouvons la conception suivante :
L'âme au moment de sa descente est revêtue d'un esprit
qui doit demeurer son compagnon et c'est cet esprit qui,
s'il n'a pas atteint dans cette vie le degré voulu de pu-
reté, doit rouler à travers les existences jusqu'à ce qu'il
\^ra^:ï yT\^ ii^y bDii ndi^ bss nu;j ^ja whn yT\^ «Sp'rî ND^>p
^NHO ^p2:T inaS "j^Sn^t yr\^ kdSv ^nhS pn"»^ «S i:r N:n3 i^Sn^
U HIGBATION DES AMBS 4isS
ait rencontré une sphère d'action salutaire. Les voyages
qui remplissent le mysticisme gaonique, le Zobar les re-
prend pour en faire des vi^rot d'ftraeB et pour diver-
sifier leurs odyssées ultra-terrestres. Les voyages d'âmes
infiniment variés sillonnent les espaces; ils durent pour
chacune aussi longtemps qu'elle n'a pas reconquis sa
pureté originelle (I, II, 94 ab, 97 a, 99 b, etc.).
Pour ce qui est du nombre des migrations, le Zohar
les limite, d'une part, comme Nachmanide, au nomhre
trois; d'autre part, il parle d'une succession de six re-
naisseoces après lesquelles l'âme doit avoir reconquis
toute sa liberté ; ce dernier nombre aurait son symbole
dans les six années d'asservissement de l'esclave hébreu
(Ex. 80, 1) (Zohar, II, 94 a; III, 177 a).
Nous avons vu que, d'après le Zohar, les Ames ont été
créées à l'origine par couples, qu'au moment de leur des-
cente elles se séparent pour se rejoindre dans le mariage
terrestre, si ce mariage a été conforme aux desseins de
Dieu et aux lois de l'amour, « le grand principe mysté-
rieux de l'union universelle ». Les ftmes qui n'ont pas
retrouvé leurs compagnes errent après la mort à la re-
cherche de l'Ame sœur. « L'homme, dit le Zohar, doit se
garder d'épouser une veuve, car son Ame demeure sou-
vent sous la dépendance du premier mari ; c'est comme
s'il se livrait sans voile ni gouvernail à une mer soule-
vée par la tempête » (II, 101 b sqq.). Le célibataire, ce-
lui qui n'a pas cherché ou qui n'a pas rencontré son Ame,
est après la mort u comme un atome roulé à tous les
vents, » qui ne retrouvera la paix que le jour où les cé-
lestes époux se seront rejoints. S'appuyant sur ce prin-
cipe que la loi de l'amour impose aux couples d'Ames de
se reconstituer A la fin des temps, le Zohar se plalt à
compliquer ses migrations, à nous présenter de véri-
tables odyssées d'Ames errant à travers de longues aven-
484 L^ÉTHIQUE DD ZOHAR
turesy à travers mille intrigues, à travers les mariages
et les divorces, en butte aux tromperies des esprits mau-
vais jusqu'à ce qu'elles aient reconquis leur Ithaque et
leur Pénélope. Par delà la vie terrestre se superpose
ainsi une vie spirituelle mille fois plus tourmentée, où
les complications se nouent et se dénouent plus facile-
ment, où la suppression des lois delà pesanteur et de la
distance donnent un libre essor à toutes les fantaisies.
Dans ces vérco'. des âmes on sent très nettement l'influence
du gnosticisme ; les errements et les soupirs de la Sophia
loin de son père sont transportés à Tàme malheureuse
aspirant vers sa sœur (I, 92 a; II, 402 b sqq.).
Les âmes ne sont pas toujours réduites à leurs propres
forces; quelquefois une âme plus vaillante et qui tra-
verse d'un vol plus léger les espaces obscurs s'attache
une autre plus faible. Parfois aussi une âme déjà parve-
nue à la félicité parfaite prend en pitié une sœur encore
engagée dans la lutte et elle quitte spontanément son
bonheur assuré pour se porter à son secours ; enRn la
miséricorde infinie veille, Dieu voit celles qui sont lasses
et leur prêle main forte. Toutes ces amitiés contractées,
pour lin temps « comme celles de deux passagers qui
traversent la vaste mer ou de deux oiseaux qui émigrent
aux plages lointaines », le Zohar les appelle grossesse
ou fécondation d'une âme par une autre (II, 94 et 113
passim; III, 213 a).
Pour appuyer la doctrine de la métempsycose sur les
textes bibliques, le Zohar reprend les arguments de Juda
ibn Vakar, dlsaac ben Todros et de Nachmanide qui,
l'un s'appuie sur VEcclesiasiey fi, 10, l'autre sur ÏEcclé-
siastOy 4, 2» le dernier sur/oA, 33. xNous ne donnerons pas
tout le détail de ces preuves faites de jeux de mots et de
contresens; bornons-nous à celle-ci : Ecclésiatp, Â, 2, dit :
« Et je loue les morts qui sont déjà morts, plus que les
LA «GRATION DES AHES 485
vivants qui vivent encore. » Que signifient, dit le Zohar,
les mois : qui sont déjà morts? ne sont-ils pas inutiles?
II y a là un mystère ; VEcclésiasle veut parler des morts
qui sont déjà une fois morts auparavant, c'est-à-dire qui
n'en sont plus à leur première pérégrination {Zohar,
m, 182 A; cf. 280 b, 216 o; 1, 130 a, 188 b), A ces preuves
d'emprunt le Zohar en ajoute d'autres, par exemple dans
les mots de Genèse (6, 3) : lun mn aaW3 il lit Je mot DJiça
comme s'il y avait 0303 u de nouveau » et il explique:
« quand il sera de nouveau chair » (1, 38 a). Enfm toutes
les lois relslives au mariage, qui figurent Ex. 13, 7-14,
sont transportées dans le domaine mystique et appliquée
aux mariages de l'àme après la mort et par conséquent
considérées comme des indices de la métempsycose.
11 se présente ici une objection et elle n'a pas échappé
au Zohar : « L'àme, dit-il, qui aspire avec tant d'ardenr
au corps terrestre rempli d'imperfection, comment n'as-
piterait-elle pas avec plus d'ardeur vers un corps trans-
figuré? )) En d'autres termes : il y aura résurreclion des
corps [Midra^ch hancelam, 126 a). Or, si tous les corps
doivent un jour se réveiller h. la poussière, qu'adviendra-
t-il de ceux qui auront servi d'enveloppe à la même âme?
Autrement dit : Comment la doctrine de la métempsy-
cose est-elle compatible avec la doctrine de la résur-
rection des corps? Le Zohar lève cetto objection en di-
sant que les corps sans âmes seront autant d'instruments
au service de la même àme, ou encore, comme il s'ex-
prime, seront le marchepied pour les imesjustes. (Voir
I, 131 «, 187 fl.)
On ne comprend pas non plus comment la métempsy-
cose est conciliable avec la damnation éternelle ; car, si
d'une part toutes les Âmes doivent reconquérir à travers
la succession des épreuves, leur perfection originelle,
comment le Zohar peut-il dire d'autre part (II, 99 b) :
486 l'éthique du zohar
(c Combien y a-t-il d'âmes et d'esprits qui sont roulés
éternellement et ne revoient plus jamais les parvis cé-
lestes (1)! »
Le trouble mystique qui gtt dans l'idée de répression
étemelle peut expliquer que le Zohar se mette dans une
contradiction si formelle avec le génie juif et non seu-
lement avec le génie mais avec l'esprit juif même qui
ranime dans son ensemble. En effet, le fond de lu doc-
trine morale du Zohar, appuyée sur l'idée de grâce consi-
dérée comme médiatrice indispensable, s'oppose autant
que les traditions juives à cette conception de châtiment
étemel.
lUalgré cela, quand il en arrive au chapitre des longues
et mystérieuses avenues qu'ouvre la porte de la mort,
son imagination se plaît à cette succession éternelle des
châtiments et des péripéties, vcorot, sans Ithaque, aux
naufrages sans fin de ces âmes à jamais égarées loin de
leur félicité. — Il se peut toutefois que le Zohar n'ap-
plique cette loi terrible qu'aux esprits mauvais, en rébel-
lion éternelle contre le bien; mais cela encore est con-
traire à sa doctrine de la fragilité du mal et du triomphe
définitif du bien sur le mal.
LA FÉLICITÉ ULTRA-TERRESTRE
Comme déjà le Talmud et les Midrasch et surtout
comme Maïmonide, le Zohar fait consister la félicité ul-
tra-terrestre de l'âme dans la connaissance des vérités
qui lui étaient demeurées inaccessibles tant qu'elle avait
été enfermée dans le corps. Le Midrasch occulte dit
i. ntImIsS ^>Sw nS"? Kdi": nn-îhz ^^b^N "jntc-'v yrc:^, -^s
LA FÉLICITÉ ULTBA-TERBESTRE 487
(l')0 ù) :» L'Ame connaît eL atteint ce qu'elle n'atteignait
pas dans ce monde, u Le Zohar proprement dit (II, 97 a)
esprime cette félicité boug une forme très poétique.
L'Âme purifiée au moment de quitter le corps reçoit le
baiser d'amour de Dieu qui la détache à jamais des flé-
triesurcB corporelles et l'unit à son auteur, le baiser
qui « l'unit à nouveau et à jamais à sa racine, à son prin-
cipe »(II, 97a;I, 68fl)(4).
Là, elle jouit éternellement du miroir éclatant et pur,
de l'éblouîsscment divin.
Dans les mystérieuses profondeurs du palais de
l'amour s'accomplissent les sublimes épousailles de
l'Ame et de Dieu, épousailles toutes spirituelles qui don-
nent à l'âme lo secret des grandes voluptés issues do la
connaissance du beau et du vrai. « Que signifie, demande
R. Jehuda {Midrasch occulte, 135 a), la doctrine qui pré-
sente Dieu comme préparant dans l'autre inonde un
banquet aux justes? R. Ghiya répond : Il faut prendre
ce banquet dans un sens spirituel. Ce repas n'est autre
chose que ta volupté et la nourriture spirituelle do l'Ame,
indiquée par le Psalmislc [Psaume '6i, 3) ; Ils compren-
dront ce qu'il y a de plus sublime, et ce sera leur joie. »
Mais si l'dme a contemplé avant sa doscenleiles beau-
tés suprêmes et les vérités éternelles, le retour dans sa
patrie ne peut pas lui apporter des jouissances bien nou-
velles. Il faut admettre ou bien que le Zohar fait ici abs-
traction de la doctrine de la préexistence des Ames et se
place sur le terrain dogmatique pur, ou bien il admet
que la vie de l'Ame associée au corps, ses épreuves sur
la terre, l'expérience de la réalité inférieure, lui donnent
de la réalité supérieure une connaissance plus profonde,
plus intime, plus vraie, ptusfécondeen joie. Après avoir
i. jnp'ïa »W3:i «mpizi «'m np^Tran mm
488 l'éthique du zonAR
vu la copie et pénétré Têtre jusqu'à sa limite la plus ex-
trême, elle sait mieux goûter la beauté du modèle. L'in-
tensité des joies célestes se mesure à la profondeur des
tristesses et à Tamertume des désillusions de la terre ; le
souvenir des bas-fonds de Tètre qu'elle a côtoyés, la
comparaison de son présent avec son passé lui seront
une source inépuisable de voluptés.
En eSei, ibtd. 135 a, nous lisons : « Le repos des justes
dans l'autre monde c'est qu'ils atteindront la vérité d'une
atteinte parfaite. » Et puisque le Zohar, àTimitation de
JudaHallevi et d'Ibn Gabirol, compareràme revenante
Dieu, à Toiseau rentrant dans son nid {Pasteur fidèle^
m, 278 â), on peut dire que le nid semble plus moelleux
après un long exil.
L'âme se plonge dans ce nid divin jusqu'à perdre la
la conscience de son individualité; elle va littéralement
se perdre en Dieu. « Elle va, dit le Zohar, se renouer au
tronc universel, dont elle n'est qu'un rameau. »
Le Zohar, faute de mieux, exprime sa conception par
des comparaisons obscures et des métaphores confuses,
gravitant autour du grand arbre, du grand nid de toutes
choses; il entend sans aucun doute que Tàme retrou-
vera sa place dans le Tout et avec sa place elle repren-
dra pleinement conscience de sa relation avec le Tout.
« La royale princesse rentrera en grâce à la cour du roi
son père, c'est l'amour pour ce père qui lui fera remon-
ter la distance qui la sépare de lui. )> Et ici nous retrou-
vons l'écho de Platon, de Plotin et de Philon.
Ne dirait-on pas que Philon veut nous donner un
avant-goût de la vision du Zohar. Si tu veux, dit-il, en
s'adressant à l'âme, si lu veux^ ô âme, jouir des biens
célestes, il ne suffira pas que tu quittes comme notre
premier père... la terre que tu habites, c'est-à-dire ton
corps, ta famille, c'est-à-dire tes sens... Mais il faut en-
LE HESSUNiSMB 489
core te fuir toi-même afin d'être ravie hors de toi, comme
ces danseurs enivrés d'une extase divine... alors seule-
ment l'âme ravie n'habite plus en elle-même, mais
plonge avec volupté dans l'amour divin et remonte en>
traînée vers son père {Qu. rer. div. kaer. sit).
ESCHATOLOGIE HKSSIAniQUB
Les destinées ultra-terrestres et purement spirituelles
n'empêchent pas le Zohar de s'arrêter à la vision mes-
sianique terrestre.
Le Messie lavera à jamais les dernières traces d'impu-
reté. « L'ère messianique sauvera l'humanité et l'affran-
cbira à jamais du mal et de la mort. Un jour viendra où
le mal sera vaincu. » « Dieu, dit encore le Zohar [I, 70),
conduira l'instinct du mal devant les justes; il l'égorgera
sous leurs yeux; la coquille, l'écorce seront brisées et le
noyau lumineus brillera sans obstacle »[n,69 b). Le point
septentrional qui était réservé aux méchants, aux esprits
mauvais et à leur chef Samaël, sera purifié. L'armée de
8amaël fmira (1, 146 aà). L'ange de la mort lui-même et
le serpent mauvais ne sont pasdamnés à jamais, ils ren-
treront en ce jour dans leur pureté et dans leur inno-
cence.
Nous trouvons, d'autre part, dans le Zohar une eschato-
logie messianique purement terrestre et dans le sens
prophétique (I, 25 ù, 50 b, 72 b, 117 b, 119 a; 11,1 bk
I. NaniT in"3ï3 nïnn ':^dt (cvna S? hnim^ iD"pi wniwn
^iDm yyri m kdSïq nin jnn -ysi ^iiaa yu ttm N'in 'xm
i2ïn[t Sa» iNiBiTt ^r: in":'? iiin:n»n ^ixSy «nSpsDX
Knn ^7\•<•hy loivatf] ynhv ynrK\ yiin p'n Sa in"3a
490 L*ÉTniQUE DU ZOQAH
10 a, 32 a). Cette restauration que le Zohar considère
comme une restauration matérielle de la dynastie davi-
dique sera précédée des phénomènes physiques les plus
étranges : tremblements de terre, apparitions de monstres
bizarres, obscurcissement général, pluies de feu de
toutes couleurs, plantations merveilleuses et mille autres
fantaisies où l'imagination de l'auteur se joue librement.
Le Messie, dans ses périgrinations à travers les espaces,
passe par des régions de toutes sortes où habitent les
races les plus étranges. La peinture de ces races porte
en maint endroit la marque de la chevalerie médiévale,
de son armure, de ses mœurs, de sa vie.
Cet ordre d'idées relatives au Messie nous conduit
naturellement à examiner les éléments qui rapprochent
quelques pages du Zohar, non seulement du messia-
nisme chrétien, mais du christianisme en général.
XIX
Les idées chrétiennes du Zohar.
Dans rezamea des éléments chrétiens que présente le
Zohar, il faut considérer tout d'abord que le mysticisme
juif, comme le christianisme, a un coin de ses origines
dans l'alexandrinisme platonicien, de sorte que les élé-
ments similaires peuvent être la conaéquenco d'un em-
prunt que l'un aurait fait à l'autre, mais aussi sortir au
même titre de ce berceau qui leur est commnn. Le mys-
ticisme n'a pas nécessairement puiaé au christianisme,
pas plus que le christianisme n'a nécessairemeut puisé
au mysticisme. Ils ont pu puiser tous deux à une source
identique; les mêmes conceptions ont pu devenir chré-
tiennes dans le christianisme et mystiques dans lo ju-
daïsme.
Le Zohar revient souvent sur la déchéance que la
désobéissance d'Adam et d'Eve apporta à la nature hu-
maine. D'une part, il entend cette déchéance au sens
dogmatique ordinaire, comme une faute de l'Adam ter-
restre, se laissant séduire par le mal ; ainsi (II, 231 a et
262 h) : <( Le premier homme se laissa séduire par le mal
et accomplit le mat... et pour cela sa nature fut dimi-
nuée et il entraîna la mort pour loi et tous ses descen-
dants. » De même « Adam était parfait au premier temps
de son séjour terrestre, livré tout entier à la sagesse des
choses d'en haut et d'en bas; après la souillure du péché
sa face fut diminuée, sa sagesse diminua et il ne connut
492 LES IDÉES CHRÉTIENNES DU ZOHAR
plus que les choses du corps » (III, 117 a). Enfin : « Adam
avait gardé sur terre son vêtement lumineux, ce n*est
qu'après lafaute qu'il eut besoin d'un vêtement corporel »
(III, 83 b).
Mais, d'autre part, et plus souvent la faute d'Adam
est conçue par le Zohar comme la chute de l'âme, s'a-
baissant à désirer les choses d'en bas et à s'unir à elles.
Le péché dont parle la Genèse ne s'appliquerait pas à
rhomme terrestre, mais à l'Adam idéal oubliant sa
nature supérieure pour aller aux misères de la nature
terrestre. « Avant sa faute Adam suivit la Sagesse supé-
rieure et il n'était pas encore retranché de l'arbre de vie ;
mais quand triompha en lui le désir de connaître la vie
d^en bats et de descendre vers elle, il en subit le charme au
point d'être retranché de l'arbre de vie; il connut le mal
et quitta le bien...; avant le péché il entendait la voix d'en
haut, connaissait la Sagesse d'en haut; il vivait dans la
lumière et la paix; après le péché il n'entendit plus que
la voix d'en bas » (1, 52 ab). Et ailleurs : a Malheur à celui
qui se laisse séduire par les souillures [d'en bas, car il
entraîne la mort pour lui et ses descendants... Adam
subit l'attrait et descendit pour connaître les régions in-
férieures; il suivit ses désirs jusqu'à arriver au serpent
de la passion terrestre ; il le suivit, s'y attacha et attira la
mort sur sa tête et celle de ses descendants. La souillure
demeura sur eux jusqu'au jour de la promulgation de la
loi. A la vue du Sinaï l'esprit du mal s'enfuit d'eux et
dans un miroir pur ils revirent la lumière céleste. Jus-
qu'au crime du veau d'or ils demeurèrent éblouis de cette
lumière. Avec ce nouveau péché, le serpent du mal re-
^S^C2 nSk 72ncN «Si n'»:c npSnoN* Nnc-m ^^Dins T^yariK
nnî< NSiaS ^iTDXNT n"»aia i^Trt^T ^^nriN N'ûm ]3^3 n^sui
-r- ' ■■•■ -.- -* T7T.,r3T^ 'M}^'^^^Mi^:%f
LE PÉCnK ORIGINEL 49î^
prit son empire sur eux comme auparavant et la mort
s'ensuivit pour eux et leurs enfants » (II, M),
Le Zohar logique avec lui-même explique dans le
même sens métaphysique les premières pages de la Ge-
nèse. Le séjour d'Adam dans rÉden, c'est le séjour de
Tâme dans la lumière supérieure ; la nudité avant la
faute, c'est la nudité lumineuse et toute spirituelle de
cette âme avant sa descente. Sa faute^ c'est le désir des
misères d'en bas; son expulsion, c'est la descente; les
vêtements de peau sont les corps opaques qui couvrent
et ternissent cette blanche et pure lumiî^re. Seule la vertu
lui rend peu à peu la transparence sublime de ses ori-
gines. S'il ne Ta pas trouvée lors de la mort, il ne peut
remonter et il lui faut repasser par d'autres épreu-
ves (i).
D'après cette conception du péché originel, la descente
de l'âme n'est pas une épreuve nécessaire, mais une
faute, et la mort avec toutes ses pérégrinations ultra-
terrestres n'est qu'une suite de cette première faute. On
peut aussi attribuer aux auteurs du Zohar la pensée que
la descente est une épreuve nécessaire à celles parmi les
âmes qui auront été travaillées par les désirs d'en bas,
autrement ce désir serait resté inassouvi et, suivant l'ex-
pression aristotélicienne, elle ne s'en serait pas purgée;
nous retrouverons ce point de vue.
Le dialogue de la Genèse entre Abraham et Dieu, dans
lequel Dieu, sur les instances d'Abraham, finit par pro-
mettre de pardonner à Sodome et Gomorrhe s'il s'y ren-
1. mn 73 yiXOH^n dtn ... th^t «ujiaSa «Sn «pSo kS kh^dw
']•»^n^^■T po ... hnSï nto:t Nti;iaS3 ti;aSnQ n^n yrji Nn:a3
dinS w^rhH 'n v)T^ n^m na noSît iNnT ]^:naS ■]'»-n2yNi Nn:aa
494 LES IDÉES CHRÉTIENNES DU ZOnAR
contre seulement cinq justes, et d'autre part le comman-
dement du Décalo^ue qui étend la bonne action jusqu'à
la millième génération^ établissent dans le Pentateuque
même Tidée de rançon que le bien peut foire accorder
au mal.
Il n*est donc pas indispensable de rechercher à ces
idées du Zohar une autre origine. Toutefois elles y re-
vêtent un caractère mystique tel que l'influence chré-
tienne pourrait bien ne pas y être étrangère. U y a des
âmes affranchies des misères terrestres et qui pour le
salut et la rançon de leurs sœurs malheureuses se rejet-
tent volontairement dans la mêlée.
Sans cesse des esprits d'en haut viennent comme au-
tant de sauveurs racheter et libérer les esprits plus fai-
bles enchaînés dans la prison du corps et de la matière.
C'est particulièrement sur cette idée de la juste rançon
de l'univers qu'appuiera au xviu*' siècle la secte des
Néo-Piétistes [Chassidim) et ils Tentendront non seule*
ment sous la forme traditionnelle comme une grâce di-
vine accordée aux méchants en faveur du mérite des
justes, mais comme une grâce humaine dont Thomme
de bien est armé et qu'il peut faire servir à absoudre
lui-même les fautes qui lui sont confessées.
Ce n'est pas tant par sa doctrine du péché originel que
par celle de la Trinité que le Zohar marque une influence
non discutable du dogme chrétien, ou des doctrines qui
ont préparé ce dogme. Bien que tous les kabbalistes
aient certaines idées communes, chacun a son tour
particulier. L'un s'attache plus aux Sefiroth, l'autre au
jeu des lettres et des nombres, l'un s'appuie davantage
sur le Talmud et le Midrasch, l'autre fait plutôt appel à
la spéculation philosophique. Eh bien, la caractéristique
du Zohar, sa conception particulariste est son attache-
ment au principe de la Trinité. Le Sefer Yezirah s était
' ■'^wr\'^^!r^
LA TRINITÉ 495
contenté de relever l'importance du nombre trois pour
les éléments et les principes, le Bahir avait appuyé sur
rimportance de la première trinilé des Scfiroth, mais
seulement pour les opposer aux Sefiroth inférieures.
C'est Abulafia qui engagea le Zohar dans cette voie.
Si nous n'avions dans le Zohar que les idées d'Abu-
lafia avec le tour qu'il leur a donné; si nous avions sim-
plement une application du principe trinitaire aux Sefi-
roth et à leurs reflets, dans l'univers, nous pourrions, à
la rigueur, considérer ces données comme un résultat de
la conception générale des contraires exigeant trois ter-
mes,et l'alexandrinisme suffirait pour les expliquer ; mais
nous avons autre chose. Déjà dans ses œuvres particu-
lièreSy Moïse de Léon avait écrit {Schekel Hahadosch,
ch. 3) : « Voici, je vais te révéler un mystère obscur et
profond et d'une grandeur sublime. L'homme qui est dans
ce monde n'est ce qu'il est que par l'association de trois
éléments en un tout et ce sont : l'âme rationnelle^ l'âme
vitale et Tâme sensible, et c'est par l'union des trois
qu'il est réellement rhomme complet, c'est par le mys-
tère des trois unis en un, qu'il est réellement la copie
d'en haut, Timage de Dieu. » Et dans le Mischkan Hae-
duth : « Le mystère de l'organisation des choses est cons-
titué par trois, images des trois mystérieux d'en haut,
superposés l'un à l'autre, et tout de même unis. » Et
voici maintenant ce que nous trouvons dans le Zohar :
« Trois tètes sont taillées l'une dans l'autre, et Tune au-
dessus de l'autre, et celle qui est au-dessus des deux
autres est la tête des têtes, et ce n'est pas une tète
L'Ancien est constitué par trois tètes enfermées dans
une tête, et parce que l'Ancien est représenté par le
nombre trois, tous les autres flambeaux et rayons sont
renfermés dans le nombre trois (1) » (288 ab).
1. Ncn Tni ]S^S3i Nurn nSns nsnti;^ ««mp «p^ro ^kh
496 LES IDÉES CnRÉTIENNES DU ZOHAR
« Us sont deux, et un autre s*unit à eux, ce qui fait
trois, mais en tant qu'ils sont trois ils deviennent un^ les
deux sont représentés par les deux noms du verset :
u Écoute, Israël, Jhvh est notre Dieu, Jhvh est un, le troi-
sième est Elohim qui s'unit aux deux autres, et constitue
le sceau de la vérité. Quand donc ceux-là s'unissent^ ils
font tun dans toute la plénitude de Tunité, ils sont deux
et redeviennent un(l).... » (III, 162^:). Ailleurs (II, 43 b)
le Zohar compare ce mystère aux mystères de la voix :
« Le mystère de l'unité est comparable aux mystères de
la voix. La voix est constituée par trois éléments : le feu
(la chaleur), Tair (la respiration), et Teau (l'humidité)
et toutefois ces trois ne peuvent être considérés que
comme un, de même dans les mots : Jhvh notre Dieu^
Jhvh estun , il y a trois aspects (formes, éléments) qui
n'en font qu'un. » — Enfin voici un dernier passage :
<( Voici le mystère de ces trois noms : ce sont trois de-
grés et chaque degré est à part, quoique tous ne fassent
qu'un et soient liés en un, et ne soient pas distincts »
(ffl, 65 a).
De même le nombre des Sefiroth peut être ramené à
la trinilé : la première trinité (Couronne, Sagesse et In-
telligence), en vertu même du principe trinitaire, se re-
produisent trois fois, ce qui donne neuf. Ajoutez le un
répandu à travers le tout, cela nous fait dix (certaines
parties du Zohar maintiennent neuf Sefiroth). Les rab-
rhra ^S'jb ]nn:T ]i:w2 inï;
1. Tn 11:^^ NnSn nn t^i nbn pjmi inz s^nnu'N im pa'»N ^nn
innSN niiT» m.T» ]'!:\s" Ss^tr^ toutt ]natt7 pn ^^S^< pb M2i<
SipT «71 1.TN NiT .... iTnnN TnT p:^N ]nn in Nnmi
N711 Tn r\Sy\ î^^di Nmn nuk ]^:iia KnSn ih^ni th Sip ^ran^xT
... Tn nSî< ^i:^n inSt Sip
lA TRINITÉ 497
bins sentirent si bien lo danger do cette maltiple efflo-
rosccDce du un, qu'ils repoussèrent toute la doctrine des
Sefirolh comme périlleuse pour le dogme juif, etRibach,
dans Respp. 489, dit : a S'il est vrai que les chrétiens
professent la doctrinedo la Trinité, eux (les kabbalistes)
•professent dans le mdme esprit le dogme de la dizaine.
On s'explique ainsi pourquoi certains kabbalistes, comme
Paul Ricci, Conrad Otto, Ritlangl, l'éditeur du Sefer
Yezirah, pourquoi d'autre part les Sabatéens, les Franc-
kisles et les Zoharistes, passèrent individuellement ou
en masse au christianisme. C'est que certains éléments
du Zohar avaient exercé une action prépondérante, une
sorte d'obsession sur leur esprit. Ils ne pouvaient com-
prendre comment le néo-platonisme joint à la Bible et à
certains écrits midraschiques suffisaient à expliquer ces
idées, si l'on veut parallèles au christianisme, mais non
chrétiennes (1). Ce ,qui précède éclaire aussi l'attitude
1. La vieille Egypte se représentait di-jà la nature sous l'image
d'un iHre qui non seulement engendre pcriiétuDlIcmont mais qui
s'engendre lui-même, puisqu'il est à U fois cause et effet; un Dieu
à la fois père et HIs, l'un principe caché, l'autre principe visible.
Puis Platon semble s'inspirer de ce sjmbole [Rrp., p. 508) : il fait
de l'esprit le père, la force qui engendre, et de la matière la mère
qui conçoit; le fils est le monde créé. — Dans Pliilon le père est le
Créateur, la mère est la Sagesse dans laquelle il engendre, le fils
est le monde. La Kabbale s'emparant de ces données et les variant
fait des Sefiroth une succession de trinités sexuellci'. Voici com-
ment cette trinité prit naissance ctiez les Juifs. En Rabylonie les
él^menls Logos et Esprit-Saint étant là, quand la conception de la
Sopliia arriva, elle se substitua à l'Esprit-Sainl; mais en Palestine
l'EDsprit-Saint avait jeté des racines trop profondes et lorsque arriva
d'Egypte la doctrine de la Sophia, l'Esprit- Saint garda sa place de
sorte qu'ù la place du dualisme philonien Logos et Sophia, il y eut
la Trinité, Logos, Sopliia et Esprit-Saint. Or, la loi mosaïque en-
seigne si rigoureusement l'unité de Dieu et celle unité s'était tel-
lemunt emparée du l'cspril juif qu'on dut faire eflort pour fondre
498 LES IDÉES CHRÉTIENNES DU ZOHAR
d'un Isaac Luria, comment il put prendre l'allure d'un
nouveau Christ, Messie^ fils de Joseph, comment il se
proposa par sa doctrine d'atténuer la faute du premier
homme, comment les lurianites se confessent tous les
vendredis et adorent les saints.
De là aussi l'enthousiasme des Cornélius Agrippa de^
Nettesheim, Giordano Bruno, Jacob Bôhm, Postel,
Pistorius pour la Kabbale. — Certains kabbalistes chré-
tiens, tels que Reuchlin, Knorr de Rosenroth, voient
dans la Kabbale une sorte de révélation anté-chrétienne
du christianisme. Ils la considèrent pour cette raison
comme le trait d'union le plus sûr entre le judaïsme et
le catholicisme. Si leur tentative, comme toute œuvre de
pacification et d'union mérite l'approbation de Thisto-
les trois éléments en un seul et cela en faisant de Dieu un andro-
gyne dont la partie mâle était le père (Logos), la partie femelle
TEsprit-Saint et la Sophia. Cette doctrine fut introduite dans la
Genèse, 1, 26, où on expliqua ainsi : Dieu dit à TEsprit-Saint et à
la Sophia : Faisons l'homme, etc. — Longtemps donc avant le con-
cile de Nicée les Juifs mystiques firent une tentative comme les
chrétiens pour concilier Tunité de Dieu avec ses deux acolytes
formés sous l'influence du courant alexandrin. — Philon nous dit
que dans un de ses accès d'enthousiasmes extatiques il a eu l'in-
tuition de la Trinité : « il y a dans le Dieu un, deux vertus su-
prêmes : la bonté et la puissance, la bonté par laquelle il a tout
créé, la puissance par laquelle il gouverne la création et une troi-
sième, le Verbe, placée entre les deux et les rapprochant. » — Dans
le mysticisme juif ultérieur, les éléments Logos, Sophia et Esprit-
Saint se maintinrent sous le nom de : 1" Maamar (Verbe); 2*
Chochmah (Sagesse identifiée plus lard avec la Thorah) ; 3° Rouach
(Esprit). Plus lard le Verbe devint la M achschabah (pensée ou idée),
leRouiich devint la Schechinah (manifestation glorieuse de Dieu dans
Tunivers). Ainsi se forma la Trinité, Verbe — Sagesse ou Pensée,
Gloire qui n'est autre chose que la colonne centrale des Seflrolh.
Ceci confirme aussi ce que nous avons dit, à savoir que les Sefiroth
ne furent tout d'abord qu'au nombre de trois.
L"']''^"- '^"■'*..\"
LKS KABBALISTKS CHRÉTIENS KT LA KABBALK 401)
rien, il ne doit pas oublier cependant, dans son désir de
vérité, que les kabbalistes chrétiens, pour grossir ce trait
d'union, tendirent outre mesure les éléments similaires
à la doctrine chrétienne, et les placèrent dans une lu-
mière exclusive et trompeuse. Puis ils péchèrent aussi
par l'ignorance et ne respectèrent pas assez le texte
même du Zohar. C'est ainsi que Raymond LuUe au
xiii'' siècle voit dans la Kabbale la mythologie du chris-
tianismesans laquelle ce dernier fût demeuré àjamais im-
pénétrable ;c^est ainsi que Pic delà Mirandole au xv« siè-
cle vit dans la Kabbale la révélation véritable^ la seule
preuve réelle du caractère divin de la mission du Christ.
C'est ainsi que Reuchlin au xvi« siècle et son contempo-
rain Paul Ricci donnèrent véritablement à la théosophie
chrétienne le tour de la Kabbale, et considérèrent en elle
le meilleur moyen de conversion des Juifs. Le second
alla jusqu'à dire dans son De coelesti agricultura (liv.
IV) : (( Cabbale cujus praecipui, haud dubii^ fuere culto-
res primi Hebraeorum Christi auditorum et sacram ejus
doctrinam atque fidei pietatem amplectentium aemuli
tamen paternae legis. »
L'idée dupurgatoire connexe à la doctrine des épreuves
de la métempsycose n'a pas besoin d'être rapportée à
une influence du christianisme, mais il n'en est pas de
même de l'idée de damnation éternelle. Elle est contraire
non seulement à l'esprit du judaïsme dogmatique, mais
du mysticisme lui-même, puisque ce mysticisme aime à
présenterle mal comme une privation temporaire. Qu'une
doctrine, qu'une foi à l'époque de sa première montée
vers la vie, au milieu des nécessités de la lutte^ bran-
disse comme une arme l'épouvante d'un châtiment sans
fm, on le comprend, mais que le Zohar qui fait une telle
part au pardon, à la grâce, à l'amour, donne une place
à cette doctrine terrible, la chose ne peut s'expliquer que
500 LES IDÉES CHRÉTIENNES DU ZOHAR
par une action directe du christianisme. Le sombre ta-
bleau que font les théologiens chrétiens des peines éter-
nelles de Tenfer exerça je ne sais quel attrait grandiose
et terrible sur l'imagination mystique des Juifs. « Que
d'&mes, dit le Zohar, qui ne reverront jamais les parvis
célestes. » •
Conceptions diverses relatives à la phy-
sique, à l'astronomie, à la chiromancie,
etc., etc.
Le mysticisme spéculatif ii*épuise pas le Zohar; à côté
des notions de métaphysique et d'éthique, une quantité
considérable de notions scientifiques de tout ordre sont
venues échouer là dans une confusion inextricable. On
sait que tout essai de classification scientifique implique
une vue claire ot étendue des choses et une comiaissance
des lois générales de l'esprit, c'est-à-dire une certaine
maturité de la pensée. Pour l'esprit humain sortant à
peine de son enfance et appliquant pour la première fois
la réflexion au monde extérieur, toute la réalité objec-
tive est sur un même plan, tout est, au même titre, objet
de spéculation philosophique. Telle est la pensée grecque
au temps des philosophes naturalistes ; telle est aussi la
pensée juive sous la forme qu'elle revêt dans le Zohar.
Nous avons dit que la soif de savoir est la source pre-
mière du mysticisme juif, c'est elle qui porte la pensée
juive à se jeter indistinctement et confusément sur tout
ce qui peut l'apaiser. C'est dans le Zohar que ce carac-
tère apparaît dans son jour le plus éclatant. Nous allons
recueillir comme nous pouvons les notions scieutiliques
qui y sont éparses. Nous disons i comme nous pouvons,
502 CONCEPTIONS DIVERSES
car elles sont Iravesties par le besoin de trouver partout
et toujours un symbole mystique et surtout elles sont
exprimées dans une langue obscure, créée artificiel*
lement ad hoc et n'ayant dans les autres écrits juifs
presque aucun terme de comparaison qui puisse y jeter
quelque lumière.
Conceptions physiques. — Le Zohar n'étudie pas les
phénomènes de la réalité pour eux-mêmes, ni pour en
faire des fondements à Tinduction des lois générales,
mais pour lui — un peu comme pour la doctrine de
l'identité de Schelling — la réalité ne mérite d'être exa-
minée que comme un schéma du pur idéal. Ce que le
Zohar voit de plus intéressant dans les phénomènes de
la nature, c'est qu'ils sont autant de symboles révélateurs
des vérités sublimes. Ainsi la lumière, la chaleur, Téma-
nation des rayons lumineux, l'émanation des rayons
solaires, le foyer dans ses rapports avec la périphérie,
la nature du feu, de l'air, de l'eau, leur mode d'exten-
sion, la congélation de l'eau et la fusion de la neige, la
variété et le jeu des couleurs, la caractéristique de la
couleur blanche el de la couleur noire, les affinités des
couleurs complémentaires sont à ses yeux autant de si-
gnes des réalités métaphysiques. Il ne faut donc pas
nous attendre à trouver dans le Zohar un examen ob-
jectif des choses, mais une observation purement sub-
jective placée sous l'angle du mysticisme kabbalistique.
Ce subjectivisme sera immédiatement sensible dans
l'expression qu'il donne à la théorie aristotélicienne des
quatre cléments.
Voici ce que dit Aristote dans le Traite' de la généra*
tion et de la destruction (II, 1 à 3) : « Ces quatre qualités
sont les principes des choses sublunaires, entièrement
liées aux quatre éléments et opposées deux à deux :
chaleur et froid, sécheresse et humidité. Les deux pre-
NOTIONS DE PHYSIQCB 503
miers de ces principes sont actifs, les autres passifs.
Cliacua des éléments en renferme deux : le feu est chaud
et sec, l'air est chaud et humide, l'eau est froide et
humide, la terre est froide et sèche. Le mélange des
éléments produits par le même principe forme les qua-
lités secondes Le froid, le chaud, l'humide agissent
sur la production des métaux. »
Voici maintenant quel emploi le Zohar fait de ces no-
tions :
« Les quatre points cardinaux s'unirent lors de la
création aux quatre éléments : feu, air, eau, terre; et
c'est de ce mélange que Dieu forma le corps de l'Adam
supérieur. C'est ainsi que ce corps est l'union des deux
mondes, le monde d'en has et le monde d'en haut. —
R. Simon ajoute : Les quatre éléments sont le mystère
premier de toute chose; ils sont les pères de tous les
mondes et d'eux sont issus l'or, l'argent, l'airain et
le fer, et du mélange de ces quatre dérivent d'autres mé-
taux qui leur sont semblahles Le feu, l'air, l'eau et
la terre sont tes racines premières du monde d'en haut
et d'en bas, les mondes sont fondés sur eux. Ils sont dis-
tribués aux quatre coins cardinaux : le nord, le sud,
l'est, l'ouest. Le feu appartient au nord, l'air k l'est, l'eau
au sud, la terre h l'ouest Le feu est à gauche, au
nord parce que dans le feu la force de la chaleur cL de la
sécheresse dominent; et le nord, qui est son contraire,
se mélange avec lui pour ne faire qu'un. L'eau est à
droite, au sud, et Dieu en a fait un autre mélange par
les contraires. Le nord est froid et humide, le feu est
chaud et sec. Il l'a tourné dans la direction du sud qui
est doux, cbaud et sec. L'eau est froide et humide et
après le mélange l'eau sort du sud et monte au nord
Le feu sort du nord et descend au sud, et du sud rayonne
alors la force de la chaleur sur le monde L'air est à
504 CONCEPTIONS DIVERSES
Test; Test est chaud et humide, Tair est froid et sec; le
point qui est sec s'unit au feu, le point qui est froid s'unit
à Teau, et ainsi se fait la séparation du feu et de l'eau.
La terre est froide et sèche ; c*est pourquoi la terre reçoit
tous ks autres éléments et subit tous les mélanges.
L'ouest, auquel appartient la terre et qui est froid et
sec, s*unit au nord qui est froid et humide, parce que
le froid s'unit au froid. Le sud qui est chaud et sec
s'unit par sa sécheresse à la sécheresse de Touest; ainsi
Touest s'unit de deux côtés, de même pour le sud et l'est,
la chaleur du sud s'unit à la chaleur de Test et l'est s'unit
au nord en ce que son humidité s'unit à l'humidité du
nord, de sorte que nous avons un sud-est, un est-nord,
un nord-ouest, un ouest-sud et par ces points intermé-
diaires tout est lié ensemble. — Le nord produit l'or ;
parla force du feu, se pétrit l'or; ... le feu s'unit à la
terre et forme l'or L'eau s'unit à la terre et par le
mélange du froid et de l'humide se fait l'argent; puis la
terre s'unit aux deux autres, à savoir : l'or et l'argent et il
se fait un mélange des deux. L'air s'unit à l'eau et les
deux s'unissent au feu, et il se forme de l'airain; enQn la
terre seule, par le mélange du sec et du froid, produit le
fer; mais sans la terre il n'y a ni feu, ni argent, ni airain,
parce que c'est par la terre que se fait le mélange, et
lorsque la terre est ensuite mélangée avec les autres
métaux, il se produit des métaux d'autres mélanges : le
mélange d'or produit le plomb, le mélange d'argent
produit un autre plomb, le mélange d'airain produit le
cuivre rouge » (Zohœ\ II, 23 b et 24 «).
On voit que le Zohar est préoccupé d'expliquer, d'une
pari, comment le corps humain est pétri d'un mélange de
tous les éléments, comment il a subi rinfluencc de tous
les points cardinaux; préoccupé, d'autre part, d'exposer
la genèse des choses selon la cosmogonie du Sefer Yc-
NOTto:(s DE rarstQUE 505
zirah, il brouille dans une obscurité impénétrablo les
idées d'Aristote (i) relatives aux qualités et aux élé-
ments, des bribes de notions d'alchimie, et les fontaisies
du Sefer Yezirah relatives aux points cardinaux.
Le Zohar connaît le principe que rien ne se perd dans
ia nature ; voici comment il l'exprime : « Rien ne ao perd
dans l'univers, pas même la vapeur de la bouche : elle a
son rôle el sa place et Dieu sait ce qu'il en fait; même
la parole et la voix humaines ne sont pas stériles, elles
ont leur rôle et leur place » [II, 1 00 Ô) (2).
Le Zohar a connaissance de la pierre magnétique, et
il en tire cette application mystique : « Cette pierre qui
attire le fer, quand on la chautTe, le fer saute vers elle...
toi Moïse et le mont Sinaï lorsqu'ils se trouvèrent l'un
en face de l'autre, la montagne bondit vers lui » (U,
i. Depuis un siècle avaat Ibn Gabirol Alfa-Rabî avait mis en
vogue parmi les Arabes la pliilosophie d'Aristote, mais ce n'est
que vers lu milieu du xi' siiicie avec Ibn Sina qu'Aristotc conquiert
touli' sonaulorilé chez les Arabes et les Juifs d'Espagne. Avant
(X moment on ne l'étudié qu'i travers les commentateurs néo-|ila-
loniciens et à travers certains apocryphes où ta doctrine d'Aristote
est enveloppée de fantaisies alexandrines. D'après notre conception,
on l'a vu, la Kabbale est en partie un mouvement an ti- aristotéli-
cien. Malgré cela, elle n'écliappe pas àTinQuence de certains points
de la doctrine, surtout à certains termes, comme la cause des
tausos, pour désigner Dieu (Zoftur, I, 22) mSïn nSj, « c'est-à-
dire la cause supérieure à toutes les autres causes, celle sans
l'autorisation de laquelle aucune autre cause ne peut avoir d'ac-
tion ». Telle est encore l'eipression d'àme appétissante ttE:
n'xns.T employée parle .UWraseAoccuite. Depuis longtemps ces ex-
pressions étaient courantes dans la terminologie spéculative des
Juifs.
2. cmpi n^S n'M unsiTi in» naisi Sin iS^sm diSs T<Tjns hSi
là tàp iS'SKi w: in nbn iS'Eni txtt na n'ja vz'j «in -pna
506 CONCEPTIONS DIVERSES
21 d) (i). Peut-être est-ce déjà cette même pierre que le
Talmud a en vue, quand il emploie le terme « pierre
aspirante, ou pierre qui puise. » Ësl-ce dans cette tra-
dition mystique que la légende de Mahomet et de la
montagne aurait son origine?
Physiognomie et chiromancie. — C'est à la conception
de l'homme comme microcosme que se rattachent la phy-
siognomique et la chiromancie. Le Zohar dit que le
monde supérieur a son image dans le monde inférieur,
que rhomme en particulier porte sur lui non-seulement
l'image en raccourci du tout^ mais les signes de tous les
grands mystères. « Les os, les nerfs et tout le corps de
rhomme ne sont que des signes de la sagesse supé-
rieure » (H, 76 a). « De même que Dieu a semé au ciel
les étoiles et les planètes où les astrologues lisent les
secrets divins, de même il a superposé dans le corps hu-
main témoignage sur témoignage, et de même que les
positions des étoiles et des planètes varient suivant les
événements du monde^ de même les traits et les linéa-
ments de rhomme sont de temps en temps soumis à des
changements, suivant sa destinée... Comme le ciel dans
son étendue forme une carte avec figures qui révèlent à
l'initié les plus hautes vérités, de même l'extérieur de^
rhomme, les traits de son visage, les linéaments de son
front, les lignes de ses mains forment le miroir où l'on
peut lire jusque dans ses moindres secrets le caractère
de l'individu (2) » (II, 67 a et 70 b, le fragment intitulé :
1. î^^nD nS ^DH TD nStis sSipc" N:aK \sn r-*;,-;^ 'i lax*
ii^nn vS:; abi ht uv nt inijud ^:^c im r^wn -3 i^hy n;Sia
"^121 nu;tt;a vn d^jdiq xaî< 'Yn rein D^^S^5^ in bx xnn i^nt
2. V2V ^DH ina nSdddkS ... mSTCT Duns n:'p i2yi wiiaD
i^TMDZiT] ini N^DncK^T yT:aS ... 'j^'::^Dpi yiD^iri n^: f:2i n'n'p
PHYSIOliNOHIB ET CBIRONANaE 5U7
« Myalëre des mystères » et le Zohar proprement dit).,
Et en effet le signe n'est qu'un représentant de la chose
signîTiée, et les changements dans les réalités supérieures
doivent avoir leurs contre-coups inévitables dans lesmo-
diBcations de la réalité inférieure qui n'en sont en quel-
que sorte que l'expression visible.
Ces, signes s'attachent aux cheveus, au front, aux
yeux, au visage, aux oreilles (1) (U, 70 b). Les cheveux
dressés en l'air et raides indiquent un tempérament
colère; les cheveux souples et tombants marquent une
nature douce. Le cheveux noirs, abondants et épais,
mèiés de mèches fauves, destinent celui qui les porte â
réussir dans les choses de ce monde, dans le négoce et
autres occupations semblables (II, 71 a; cf. Idra Babba,
ch. 4). « La sagesse habite celui qui a les cheveux
durs; une chevelute tendre est l'indice d'un tempéra-
ment sanguin et coléreux. » Surtout chez un homme qui
a dépassé la quarantaine les cheveux de la barbe et les
sourcils marquent, suivant leur dureté ou leur souplesse,
s'il est d'un caractère violent ou doux [Idra H. ch. 3). Un
front sillonné de lignes, dont trois à droite et trois à
gauche qui ne se rejoignent pas, si ces lignes sont re-
liées entre elles par des lignes moins profondes, c'est l'in-
dice d'une colère intermittente (II, 71 a, frag. Myst. des
myst.). Un front tendre, amolli, tout d'une pièce, sans
bosse (cercle), révèle un homme qui ne songe jamais qu'à,
lui Gtnc fait rien pouraulrui ; un frontdécoupé et bombé
trahit un homme sage et prudent (II, 71 b). Un front très
arrondi et hosseté est le signe d'un esprit minutieux, fa-
w: 13T N21TO3 iioiDpT ]'0'Bm lïH l'sSnnc ':n NoSyi yiiiv
■ ■'.■■ piS piD tjiaiy DisV
I. ]VDW^ i'£a«3 i":'M Knïoa niym w: ^2^ ^mi yspvi
508 CONCEPTIONS DIVERSES
cileiïicnt entendu dans tout ce qu*il touche, qufind bien
même il ne Ta pas étudié (II, 72 a). Les mystères de l'œil
se révèlent quand cet œil regarde un objet sans le voir,
alors Tœîl très noir, sans tache, profond, décèle un
homme dont les pensées sont tournées vers le bien, qui
aime à s'appliquer à la connaissance des vérités célestes,
à Fétude de la loi. L'œil vert marque lapitié, l'œil jaune-
vert prédispose à la folie, l'œil blanc-vert indique un
tempérament disposé à la colère et à la pitié. Les vi-
sages se divisent en quatre classes selon qu^ils se rap-
prochent plus ou moins des quatre faces de la « Merca-
bah d'Ézéchiel » : face d'homme, face de lion, face de
taureau, face d'aigle. Les traits indicateurs du visage
sont des barres unilinéaires sur la tempe droite et dou-
bles sur la tempe gauche. Ce n'est pas quand le visage
est au repos que ces témoins vienhent déposer, mais
quand il est animé par la colère ou la pitié, car alors ap-
paraissent les traits qui sont crayonnés mystérieusement
au fond de l'âme, ce que porle la face intérieure de l'es-
prit, ce que portaient les âmes au sortir de l'Eden (II,
73 b, 74 a). Un visage de lion marque un homme flot-
tant souvent entre le bien et le mal et chez lequel le bien
après une lutte acharnée finit par l'emporter. Il porte
trois lignes sur le visage, Tune à droite, qui s'étend jus-
qu'au nez, les deux autres h gauche. Aux heures où il
marche dans la voie du bien, celles de gauche s'efiTacent,
et la ligne de droite est seule visible. — Quand l'homme
tourne le dos au bien, l'esprit du mal, la passion lui
donnent une ligure de taureau, et sur ce visage appa-
raissent trois traits rouges à droite, et trois à gauche.
Aussi longtemps qu'il a quelque lueur de bien les Iraits
de gauche peuvent disparaître et ceux de droite demeu-
rent. — Enfin l'homme qui est entré sans retour, sans
espoir, dans la voie de perdition ne laisse plus apparaître
PBYSIOeNOWE ET CHIAOUANCIE 509
sur son visag'e que des traits de gauche, sanguins, et
grossissant sans cesse. Il entre alors dans la quatrième
catégorie et se rapproche de la face d'aigle (II, 74 b et
75 a). De nos jours encore l'école physiognomîste hol-
landaise classe les visages selon leur plus ou moins de
relaiion avec les types d'animaux. La théorie de la men-
suration de l'angle facial qui varie selon le volume du
cerveau se rattache à la même conception. Les lèvres
épaisses indiquent une langue mauvaise, semant sans
colère ni trouble la querelle et la division. Les lèvres
longues sans être fines révèlent plus de colère que de
méchanceté, un besoin continu de parler et imc nature
indiscrète. Les oreilles épaisses marquent la simplicité
d'esprit et quelquefois la folie. Les petites épaisses sont
un signe d'ouverture d'esprit.
Tous ces signes mystérieux relatifs au caractère, à
l'espril, aux vérités générales du ciel fit de la terre. Dieu
les a concentrés dans la panme de la main humaine. La
main contionl des lignes épaisses et fines mêlées et cb-
clievëtréos; lus lignes do la main gauche nu sont pas les
mûmes que les lignes de la main droite. Les unes sont
relatives aux choses dti foyer, les autres à la vie du
dehors. Deus ligues longitudinales et deux transversales
coupées dans toute la longueur par une diagonale, si
elles soni par surcroit semées de traits plus fins, sont la
marque inévitable de prospérité, de joie et du bonheur.
Une ligne longitudinale croisée par deux transversales
annoncent des nouvelles désespérantes dans un temps
prochain. Quatre longitudinales sur quatre transversales
marquant une longue série de désespoirs cnlïn couronnés
d'espérance (II, 77 b).
Pour le Zohar comme ponr Hai Gaon, comme pour
Nachmunide, comme pour tous ceux qui, parmi les mys-
tiques, se sont occupés de physiognomique ou do chiro-
510 CONCEPTIONS DIVERSES
mancie^ l'intérêt immédiat de ces sciences est qu'elles
permettent de discerner sur-Ie-cbamp les disciples dignes
d'être initiés aux mystères de la Kabbale. Remarquons
en effet que le Zohar greffe tout son développement sur
le passage do VExode (ch. 18) où Jcthro recommande à
Moïse de s'adjoindre dans ses fonctions de juge, des
hommes dignes et éprouvés : « Tu les choisiras, lui dit-il,
en les regardant », etc., c'est-à-dire lu jugeras sur leur
physionomie s'ils sont bien vraiment les hommes de cette
tâche.
Astronomie et astrologie, — D'astronomie se présente
dans le judai^sme sous un double aspect : un aspect reli-
gieux et un aspect mystique. D'une part, le judaïsme
dogmatique est conduit à étudier le ciel pour pouvoir
fixer les époques agraires, les fêtes, -les heures de la
prière, selon le cours de la lune, puis d'une manière gé-
nérale pour pouvoir mettre le calendrier lunaire en règl^
avec le calendrier solaire. Ce n'est pas cet aspect que
nous avons à envisager, mais nous devons dire cependant
que les connaissances nées sous l'action de ce besoin,
parce qu'elles touchaient aux choses du ciel, et parce
qu'elles déterminaient l'époque des fêtes, prirent à leurs
yeux un caractère de mystère; ainsi il se fait qu'elles
demeurèrent longtemps l'apanage secret des plus hautes
autorités religieuses; on se décida 1res tard à les confier
à des écrits accessibles à tous, et ces écrits portèrent le
nom significatif de rouleaux mystérieux et lois du mys-
tère du comput {Mégillaty Setarim^ Boraïta^ Yesod, Hai-
bur) (1).
1. Un des monuments dont la perte est très regrettable en ce
sens est la Boraïta de Rabbi Samuel dont il ne reste malheureuse-
ment que trois passages, d'ailleurs corrompus, cités dans les Pirké
de Rabbi Eliézer. Dans cet opuscule figure encore l'année julienne
de 356 jours 1/2 dont le mois est constitué par 30 jours, 10 h. 1/2,
ASTRONOMIE ET ASTBOLOGIB 511
D'aulre part, pour le judaïsme mystique, l'astronomie
moins encore que les autres sciences est considérée
comme un objet ^'étude en soi. Le ciel ne pouvait appa-
raître aux kabbalisles que comme l'introduction, comme
en quelque sorte le vestibule qui conduit aux anges, aux
Setîroth, au trône glorieux, comme pour ainsi dire l'en-
vers des réalités sublimes, la face inrérieure du monde
idéal, derrière laquelle l'intLiation kabbalistique avait à
révéler des profondeurs cachées.
Tous les savants juifs du moyen-âge à la suite de Pla-
ton et d'Aristote avaient fait des étoiles et ctcs planètes
des êtres animés. Le judaïsme adopta tout d'abord pure-
ment et simplement cette conception, tels Maimonide et
ses disciples. Dans Bichaï la doctrine est déjà modifiée en
ce sens que ce sont les anges qui deviennent les âmes ou
les intellects des sphères astrales (1), et chose curieuse,
la période par 7 x i = 28 aonécs, le mois lunaire par 29 jours
12 h. t/2. Le cycle lunaire de trois années, et chaque période de
7X3 = 21 anniîcs. Du la sorle trois périodes soUiires ou i[tiutre
périoiliîs lunaires (3 X -H = * X -' = Si) Tormunl ce que les mj's-
tiquus juifs ap|ielleut l'heure d'un joui' divin de iOOO ans. Évidemment
ce cycle de Hi ans n'est autre que celui d'Kpiphano et de Cyrille,
en d'autres termes c'est une combinaison du nombre 12 (transporté
des mots aux années] et du nombre 7 relatiT aux planètes.
1. Commcla plupart des philosophes ioniens, Philon considère
les astres comme des êtres raisonnables d'une perlection absolue
(.W. opif., le à33 b; Plant. N., 216 a). Pliilon ne dit pas expressé-
ment comme lesnéo-pythag'oricii'.ns que ces dieux visibles si
au service du Dieu invisible Cette conception, ie mysticisme
nique et Ibn Cabirol l'empruntent plutût aux néo- pythagoriciens
mais il admet que, de mSme que toutes les autres parties de l'uni-
vers sont remplies d'êtres..., de même il faut que les étoiles soient
remplies d'iMros animés, autrement nous ne les verrions pas douées
d'un mouvement circulaire {De Gigant., t. I, p. 2ô3, éd. Hang.).
" Tout l'espace entre la lune et la terre est rempli d'àmes incor-
porelles >'. Philon donne au mysticisme gaonique et zoharitique
512 CONCEPTIONS DIVERSES
celte doctrine se référé à /o6, 38, 7: « Lorsque chantèrent
ensemble les étoiles do matin et que les fils d'Elohim
poussèrent des cris de joie... » Dans le Zobar la concep-
tion se transforme encore, les astres sont maintenant les
intermédiaires entre Dieu et la terre, prép6sés aux ditîé-
rents êtres de cette terre^ exerçant une action décisive
sur les destinées terrestres. En d'autres termes les no-
tions astronomiques éparses dans le judaïsme sont mises
au service de Tastrologie.
Un soir, dans le parc de Génésareth, R. Eléazar et
R. Âba se promenant voient deux comètes qui leur four-
nissent Toccasion d'une discussion astrologique. R. Eléa-
zar, invoquant Tautorité a du Livre delà Sagesse sublime
des fils de l'Orient ». parle en ces termes : « Dans toutes
les étoiles et autres constellations du ciel il y a des êtres
faits pour Tusage du monde, chacun avec ses attributions
et son rôle. Et il n'y a pas dans l'univers entier de brin
d'herbe, quelque infime qu'il soit, qui ne soit pas sous le
gouvernement d'une étoile ou d'un astre. Et cet astre
rend compte devant Dieu du service qui lui incombe...
Ni les végétaux ne poussent, ni les arbres, ni les herbes
ne croissent sansTinfluence désastres qui sont préposés
à leur direction cl sans que ces astres se tournent vers
eux visage contre visage... Il en est qui se lèvent au
commencement de la nuit et qui se couchent avant le
matin... et il en est qui reslent levés toute la nuit, et il
ridéo d'une hiérarchie parmi ses anges. Il dit en effet que les phis
nobles président aux étoiles, qui toutes demeurent à rintérieur des
sept sphtres et sont elles seules destinées au service divin. Il les
appelle les yeux et les oreilles du Très-Haut.— Kncore Kepler ex-
pliquait le phénomène des maréf^s par l'aspiralion et la respira-
tion de l'âme de la terre, et dans notre siècle Charles Fourrier
prétendit donner des indications précises sur la nature de l'âme des
astres.
ASTROHOMtE IT ASTROLOGIE 513
en «st qui D'apparaissenl qu'un ioslant jusle assez pour
exercer leur action sur telle ou telle plante et après
cet instant fugitif ils n'apparais seat plus jamais à l'ho-
rizon de ce monde et ils sont allés luire sur d'autres ri-
vages, au lieu de leur origine (1) (II, 471 à).
De ce même Livre desâls ie l'Orient le Zohar emprunte
ce qu'il dit des comètes. Les comètes sont, selon lui,
une chevelure de la lune, maintenant détachée d'elle et
Ûottant dans l'espace. Au temps du roi Salomon la lune
avait encore tous ses cheveux, et il n'existait pas de co-
mètes (I, 123 è). <t Ces étoiles à queues qui sont dans le
ciel sont préposées aux simples et aux pierres précieuses
cl il l*or enfoui dans les mines; il en est qui sont ronges
parce qu'elles sont commises à la production de l'or
rou^e, d'autres sont jaune-vert parce qu'elle président à
la production de l'or jaune ou de l'airain a (II, 171 è;
II, 172 a; III, 233).
Le Zohar connaît la voie lactée et il l'explique ainsi :
« Au milieu du ciel s'élève en voùfe un chemin brillant :
c'est le serpent céleste, dans leqnel des multitudes innom-
hrahles d'étoiles sont liiîcs par poignées » (Zohar, I,
123 a).
I. xcccb l'TpET I't;: ij-ddx 'hz ^irpi 'Sïoi x'23d S33
î«i3;2 hz .^l'^ nn «pis tm tu Hz .Ya'pT ni-sp wcac
;lb^3■D n'ii ^nns sV tvahs ^nn S? ^sroïra inSs ^yip?:!
ini'rrj '■Q'^p «pt x'sai mna niz 'sein ^wm: y2hn-\ yzxnt
mS: 'Sti31 M'iisT ^"ictt 21 ]'ïi3Nï ^'EJX in'iSy l'trriMl
np niNi ..... 'ï>3i ion triTO nSn i? niV^bi xrnirmn ^'paa ■
"niiKT p'LT «iS^Sa Tin Ncsiri Kpi n'^i n'S'S Sa 'ttronro
Tn' ^iTnntt «S n'cmu d^Sïîk td (offl? M',nn nni
lapnN yp-n Knx'Trcua im nm in"-inxV y'vTi n'en «nna
■[Tcp ^.nhz yipp \'a:3 'i:t vieit n>n ltni «-piODp nn'is in
...ttrh-J ?3 nary igdi ^jd^ prm l'bn rra iD-'pi nu
514 CONCEPTIONS DIVERSES
Non seulement les étoiles et les planètes^ mais toutes
les ouvertures par lesquelles rancienne mystique les fait
passer en vue d'expliquer leurs révolutions ex^cent,
selon le Zohar, une action directe et irrécusable sur les
destinées des hommes, qui sur les bons, qui sur les mé-
chants, qui pour verser des faveurs, qui pour verser des
maux, tantôt pour régler le sort des heures, dos jours,
des années de tel homme en particulier, tantôt dlsraêl,
tantôt de Thumanilé entière. Selon que ces jssues sont
ouvertes ou fermées, les esprits bons et mauvais envahis-
sent ou n'envahissent pas la terre ; ils ne peuvent pas
les forcer. Seules les lois impérieuses de l'astrologie
sont les maîtresses absolues (11^ 172 ab sqq.).
Non seulement les êtres qui animent ou qui consti-
tuent les astres sont préposés à la direction des choses
terrestres, mais encore, leur position respective au ciel,
leur configuration est aux yeux du Zohar un ensemble
de signes faits pour éclairer Tesprit humain sur les vé-
rités sublimes et sur le mystère de sa destinée. (( Dieu a
fait les étoiles et les astres dans Télendue du ciel pour
que Tesprit humain puisse s*y attacher... Dans cette
voùle céleste qui couvre la terre sont tracés des signes
afin qu'on puisse pénétrer et connaître les choses cachées
et lire dans leur éclat et dans leur position ce qui at-
tend rhommo dans l'avenir.. . et selon que l'aspect de
ces étoiles change, les événements chaogent; leur po-
sition se règle sur les événements » (II, 70 h) [Raze
Derazin){{){}i^ 76 6 sqq.). — « Celui qui veut se mettre
en roule, qu'il se lève de bon matin et examine Torient
1. HNTnnNb ";^D''^i rx^i -.îz^rinN nSd hv y^nni NS^yb* y^pi ^nhs
N"T N7T ..,^^?2^nr ^mi ]"»br: n-a -.mpHNi ^-^giui ]^:\n2 yiioSi
iTn 7^piT N:tt;D3 ^sSnnci hqd ...î<"'2rD2 an^nn c^s^r nnvi
ASTRONOMIE ET ASTBOLOOIB 515
et il verra certains signes semblables à des lettres, qui
perçant le ciel apparaîtront au-dessus de l'horizon...
L'homme qui connaîtra lesens caché de ces lettres verra
qu'elles contiennent d'abord le mystère du saint nom de
42 lettres et s'il s'y applique avec recueillement et extase
il pourra contempler dans toutes leur gloire céleste :
6 yod, 3 à droite et 3 à gauche, puis 3 vav montant et
descendant au ciel... : ce sont les signes de la bénédiction
pontificale » (II, 130 b). A d'autres moments il pourra
suivre dans les mouvements des astres comme <c une
écriture de lumière et de feu » qui lui fixera la destinée
de sa journée [ibid.]. Il pourra voir aussi jaillir les étin-
celles qui sont comme la forge d'élaboration des inondes
(nnni NiDiD NinaninsjTirw). Il verra si sa prière du
matin a été exaucée, il trouvera sur sa route du côté du
sud comme une colonne plantée dans le ciel, celte co-
lonne aura une couleur pourpre. A son lever les oiseaux
du ciel chanteront un air d'allégresse et ce sera pour
lui d'un augure favorable.
Alchimie. — Un ouvrage intitulé : la Pierre des philo-
sophes {pierre philosophale) , attribué par la pseudo-
épigraphie à Saadyah, introduisit, croyons-nous, dans
le courant du Zohar les notions d'alchimie que nous y
rencontrons. Comme toujours le Zohar fait entrer ces
filets de science ou de fausse science dans le lit de son
mysticisme. Il s'attache à la couleur des métaux, afin
d'en tirer des termes de comparaison pour les Sofiroth
el les autres entités métaphysiques, à leur gisement
loin (les regards, pour y voir le symbole du mystère qui
enveloppe tes vérités sublimes ; il en distribue l'empla-
cement selon les points cardinaux : l'or au nord (1), l'ar-
gent au sud, l'airain à l'est, le fer à l'ouest.
1. Voici l'origine Je celte conception. Nous lisons dans Job (37,
2Z): «Du nord vient l'or». Ce passage seraili jamais incompréhen-
516 CONCEPTIONS DIVERSES
Avec ralchimie ambiante le Zohar considère les mé-
taux comme des mélanges, il en fait des analyses fac-
tices, en indique les procédés artificiels de fabrication.
Il connaît jusqu'à sept sortes d'or terrestre de sept cou-
leurs différentes, toutes issues de Tor idéal. Ce sont : Tor
rouge, rouge feu, rouge jaune, jaune, rouge vert, rouge
sombre^ bleu ou azur (II, 75 a, 147 a, 148 a). Nous pen-
sons que Tappellalion « or » doit être prise ici comme
un nom générique pour désigner le métal précieux ou
la pierre précieuse. Suivant son système d*évolution
par voie d'émanation le Zohar considère l'argent comme
Técorce de l'or. De l'or et de l'argent réunis, dérive
l'airain, sous l'action du feu. La réunion de l'or et de
l'airain donne naissance à la couleur azur. Peu à peu
le rouge pâlit, disparaît, se transforme insensiblement
en couleur bleue. Le rouge peut aussi, sous Faction de
l'air, se transformer en un noir très sombre. La couleur
rouge est la couleur fondamentale (II, 149 A, 150 a). —
Nous trouvons dans le Zohar les premières traces de
cette médecine occulte ou alchimie médicale qui propose
des mixtures faites de métaux broyés et de poussières
faites des différentes espèces d'or, en vue d'exorciser
les possédés et de guérir d'autres maladies (11, 213 a).
La Kabbale pratique fera emploi de toutes ces folies.
Zoologie et mythique, — Le Zohar tire parti de cer-
sible, si nous ne possédions pas un document assyrien énumérant
sur une colonne un certain nombre de régions et de montagnes et
sur une autre colonne parallèle, les productions qui en dérivent.
L'or se trouve en regard de la montagne désignée sous le nom de
Aralu. Or nous savons par ailleurs que le mot Aralu est chez les
Assyriens la grande montagne cosmique dont la base plonge dans
les enfers j}l dont le sommet est au septentrion. De là l'équation
Aralu-nord, Aralu-or, et flnalemenl la relation de l'or avec le point
septentrional.
latncsDolions de zoologie auxquelles le folklore baby-
lonien a largement collaboré. Nous lisons dans le Zobar
(II, 34 ab, 35 a) une description du monstre marin ap-
pelé Léviatan (l}et delaByzygie:« Les gouttes d'eau qui
s'écbappent de son corps sont des courants qui donnent
naissance à neuf fleuves. Dieu, lorsqu'il créa l'univcrsj
commença par donner naissance à ce monstre ; tout élaîL
enfermé confusément dans ses écailles et les premières
écailles qui s'en détacbërent furent des mondes impar-
faits qui disparurent. Si ce monstre avait pu rejoindre
sa femelle, le monde n'aurait pu résister àleur assaut et
le momie organisé n'aurait pas pu s'en échapper. Aussi
avant que Dieu l'eût tué, le monden'était pas possible. Le
monstre primordial couvrait tout et répandait partout
des ténëbres oi>aqucs. Alors Dieu lui brisa la létc et le
plongea daus l'abîme, y broya son corps, le divisa, ré-
pandit la lumière parmi ses jointures et te réduisit à
l'impuissance. » Cette description serait une énigme
indéchiffrable si elle n'était pas éclairée par les concep-
tions de la mythologie chaldéenne. Nous savons que,
pour celte mythologie, la création est en quelque sorte
un empiétement sur l'Océan cosmique. Pour créer
l'Univers, les dieux, Bel en tôle, ont dû dompter, refouler
l'Océan de toutes parts. Ces conceptions sont exprimées
claiienient, et sont encore symbolisées et comme figées
dans le mythe qui représente tous les dieux entreprenant
la lutte contre Tiamat (l'Abîme des flots) et repoussés
par clic jusqu'à ce que Marduk (un parédre postérieur
1. Les ophites aTaitnl un diagramme (Toir Hatter, Histoire du
i/nostici^ime, ]I, 146 sqq.) dans lequel liguraient deux cercles. Le
premier enveloppait sept cercles plus petits et sur la circonrérence
était inscrit le mot " Lévialan ». Maller fait de ce Léviatan la So-
pliia- Le /ohar nous dit que le Lévialan est l'image du péché ou de
la négation ou de la matière.
518 CONCEPTIONS DIVERSES
de Bel^ et portant pour cette raison le nom de Bel-Mar-
duk) eût marché à son tour contre le monstre, en eût
triomphé et l'eût rendu à jamais impuissant. Cette lutte
cosmique est relatée dans de nombreux documents reli-
gieux de la Chaldée.
D'autre part, nous trouvons dans le Zohar (Mystères
de la Création) ; « La figure primordiale apparaît sons la
forme d'un long serpent, se tordant dans un sens ou
dans Tautre, dont la queue est tournée du côté de la
tête, et la tête rejetée en arrière; il est caché, replié sur
lui-même dans une rage éternelle ; une fois seulement
tous les mille ans apparaît quelque parcelle de lui-
même, une écaille de son dos, ou une nageoire^ mais à
la fin sa tète sera écrasée dans les eaux du grand Océan,
et de ses deux tètes il ne restera plus qu'une... La simi-
litude de ces conceptions est indiscutable. Ce Léviatan,
ce serpent, ce monstre, quelque nom qu'on lui donne,
n*est dans la cosmogonie du Zohar, comme dans la cos-
mogonie assyro-chaldéenne, qu'une dénomination mys-
tique de l'océan primordial, du chaos, du tehom de
GenèsCy I, H. Quand la Genèse dit : Le souffle de Dieu
planait sur les eaux, le Zohar interprèle ces mot^ comme
une allusion au combat soutenu par Dieu contre le
monstre et c'est en vertu de ce que lui a apporté le folk-
lore chaldéen qu'il risque cette interprétation. Pour
cette raison nous voyons aussi le monstre du Zohar
rappeler son origine maritime par les écailles et les
nageoires. L'idée de serpent qui s'y ajoute est emprun-
tée au serpent de la Getièse, emblème du mal, ou du
non-être, ou du chaos primordial. Bref, la description
du monstre n'est pour le Zohar qu'une description my-
thologique sans aucune relation avec la réalité. Ailleurs
(Zohar, II, 13 a), nous trouvons une page qui semble
bien, à travers son obscurité, faire allusion à quelque
HITBIQUE M9
mythe d'ÉoIc. R. Ëliézer et R. Aba rencontrent, dans
une caverne entre Tibâriade et Sephoris, un homme
armé d'un bâton ou d'un sceptre. Dans cette caverne gtt
le secret de la marche des vents ou des courants cosmi-
ques, au sens de la doctrine d'Heraclite que le Zohar
connaît. D'autre part, ces âmes des justes dans leur
course desèendante et montante passent par là, et les
arbres puissants qui enveloppent la caverne dansent à la
rencontre de celles qui approchent. N'est-ce pas quel-
que souvenir d'EoIe tenant les vents enchaînés dans une
cavfme, souvnnir mêlé au mythe d'Orphée, et accom-
modé à la spéculation mystique ?
Puisque nous rencontrons ici une Véritable page de
mylhoIo(^îe cosmique, rapportons en même temps quel-
ques autres traits de même nature. Voici comment le
Zohar parle dç l'aurore ou —par allusion à Psaumesa,l
— de la « biche de l'aurore ». « Lorsque la biche de
l'aurore éclaire la face de l'Orient et fend l'obscurité de
la nuit, quelqu'un préposé à l'est tire un fil brillant tout
le long de l'horizon au point d'éclairer le sud, jusqu'au
moment où le soleil éclate et perce fi travers la roule tra-
cée par ce fil, et se répand sur l'univers... Ce fil puise
sa lumière dans le corps de la biche n [II, 10 a). Et ail-
leurs: <i Labiche de l'aurore est un animal qui partage
toute sa nourriture avec les autres animaux, et en
éprouve autant de jouissance que si elle la dévorait elle-
même. Elle cherche ses aliments dans les montagnes
les plus sombres, dans les lieux où les serpents en
guerre se dérobent la vie ; elle chasse ainsi jusqu'à
minuit, puis songe au retour ; enfin, à l'heure du crépus-
cule matinal, toute sa tAche est accomplie » (II, 52 b).
Le Zobar parle de vêtements faits de salamandre. Les
poètes du moyen-âge font confectionner avec les sala-
mandres des étoffes d'or imperméables au feu, pareiem-
520 CONCEPTIONS DIVERSES
pie Titurel (ch. 40, 341). C'est aussi Temploi que le Zohar
fait de ce vêtement. Les repentis du purgatoire rendo&-
sent pour franchir les ligues de feu et gagper le ciel (cf.
i oilinek^ Zooloç. du Zohar j I, Beitràge^ p. 48; Grâtze,
Beitràge zur Littéral, u. Sage des Mittelalters, p. 81).
Nous empruntons également à Jellinek le fait que le
Zohar parle (II 9 lo6) d'oiseaux issus d'arbres, ce que
les superstitions du moyen-àge affirment de certaines
oies.
Quelques nAots de la géographie ou plutôt de la cosmo-
graphie du Zohar. Le nombre 7 plane sur la configura-
tion et la division des mondes. Dieu a créé sept ciels en
haut, sept région^ et climats terrestres, sept régions in-
fernales. Au centre de la terre est une pierre fondamen-
tale, autour de laquelle les différentes couches sont dis-
tribuées comme les lamelles de Tœil autour de la prunelle.
La Palestine est la partie supérieure de la-terre. Ce n'est
que sur la terre que se trouve la race humaine» celle
issue d'Adam, copie de TAdam idéal. Chaque lieu de la
terre tourne en rond comme une balle, ceux qui sont e^
haut vont en bas, et ceux qui sont en bas montent en
haut. Aussi pour chaque lieu, quand il fait jour pour les
uns il fait nuit pour les autres et inversement, et il y a
un endroit où il fait toujours jour. Il n'y fait nuit qu*un
tout petit instant. Ces données sont tirées du livre de
II. Hammona le Vieux [Zohar, III, 9 6 et 10 a; I, 122 b).
Dans les autres mondes il y a une variété considérable
d'êtres; il en est de deux et de quatre visages. Il en est
de feu, d'eau, d'air.
Analomie. — La Kabbale ayant donné à Tunivers dans
son ensemble, par allusion à la théophanic d'Ézéchiel, le
nom de « Adam supérieur » et ayant considéré la forme
humaine comme le raccourci du tout, se voit contraint
de découvrir a posteriori^ dans la figure de l'homme, les
tH.|k ■ -r-f
■ ■ I
NOTIONS d'anatomie 521
éléments justificatifs de sa dénomination. Elle est ainsi
amenée à créer une anatomie mystique ou à faire entrer
dans son cadre les notions déjà connues d*anatomie.
Nous savons que ces notions s'étaient transmises assez
fidèlement dans les écoles des Asclépiades dont sortit
Hippocrate et dans les écoles de médecine d'Alexandrie.
Les docteurs du Talmud avaient été conduits à ces
questions par les débats relatifs à la jugulation des bétes,
aux états de pureté et d'impureté des hommes et des
animaux. Les kabbalistes y sont conduits par la méta-
physique de l'Adam supérieur.
Voici d*abord comment le Livre des Mystères décrit
le cerveau humain : « Un crâne rempli de rosée cristal-
line enveloppé d'une membrane élhérée et transparente,
presque invisible, v Nous avons probablement ici eii
premier lieu la boîte crânienne; la rosée est Thumidité
qui entoure le cerveau; cette humidité est sécrétée par
la tunica arachnoida. La membrane désigne \dLpia mater,
laquelle en effet est d'une finesse invisible. — « Dans le
crâne, poursuit le Zohar, se trouvent trois creux dont
chacun loge un cerveau. Ce cerveau est couvert d'un
voile très fin et d*un autre moins résistant par lequel
s'échappent trente-deux voies et ces trois cerveaux
(lobes?) suffisent à tout le corps » (IIl^ 136 a).
D'après d'autres parties du Zohar ce sont seize paires
de nerfs qui relient le cerveau à tout l'organisme, allu-
sion évidente aux trente-deux voies de sagesse du Sefer
Yezirah. — Les fissures du crâne ou les bosses du crâne
dont il est question dans le Livre des Mystères et la
Grande Assemblée ont-ils quelque parenté avec nos idées
modernes sur la phrénologie?
Dans la Petite Assemblée (294 a) le Zohar décrit avec
une grande minutie les formes de Toreille; il parle des
conduits tortueux destinés à éviter une pénétration trop
522 CONCEPTIONS DIVERSES
rapide et trop brusque du son, pour ne pas affecter avec
trop de violence le nerf acoustique. L'auteur a connais-
sance de la liqueur qui remplit l'intérieur de roreille, et
qui est nécessaire au bon fonctionnement du nerf acous-
tique. Il la décrit poétiquement : « la voix (le son) entre
dans cette profondeur et puise sasubstance à ce courant. »
Au lieu d'une trompe d'Eustache qui ne met en rapport
que Foreille ej la gorge, il admet, à tort d'ailleurs, un con-
duit mettant en communication la bouche, Toeil et le nez.
Voici Tanatomie de la digestion : « Trois organes do-
minent auprès de Dieu par lesquels il prend connais-
sance de tout. Ce sont : le cerveau, le cœur et le foie,
et ils fonctionnent à Tinverse des mêmes organes dans le
corps humain. En haut, c'est le cerveau qui absorbe cl
transmet au cœur, lequel à son tour transmet au foie,
et c*est je foie qui fait la distribution à toutes les parties
du t^orps ; en bas, c'est le foie qui reçoit le premier; le
foie transmet au cœur, lequel transmet au cerveau, et
c'est du cerveau que la nourriture se distribue à toutes
les parties » (III, 153 a).
Conceptions relatives à la procréation. — Apportons
ici un certain nombre d'idées mystiques qui se rencon-
trent dans le Zohar sans ordre et qui se rapportent d'une
part à la loi sexuelle et au culte phallique, d'autre part à
des pratiques de magie et de sorcellerie remontant très
haut dans le passé et par lesquels le Zohar prêtera la main
à des daclrines d'une insignifiance puérile et souvent
dangereuses pour les bonnes mœurs.
La grande affaire pour l'univers entier étant la pré-
sence de rhomme, qui est le grand microcosme, le grand
médiateur; or la grande loi étant la loi de reproduction,
tout cet univers, les puits, les montagnes, les animaux,
les plantes, les fruits particulièrement, sont mis au ser-
vice de celte loi.
CONCEPTIONS RELATIVES A LA PROCRÉATION 523
Auprès des puits s'accomplissent de grandes choses.
Dans la Bible déjà ils jouent un rôle important en ce qu'ils
ménag-ent la réunion des futurs époux. Isaac (par Ten-
tremise d'Ëliézer), Jacob^ Moïse, etCr, rencontrent pour
la première fois leurs futures conipagnes, au bord d'un
puits. Aussi le Zohar les recommande-t-il comme favo *
râbles aux unions rebelles; le silence» le doux murmure^
le mystère qui habitent au fond, éveillent Tinstinct dor-
mant des sens (1) (III, 143).
Les hautes montagnes considérées comme des expres-
sions phalliques monstrueuses se rencontrent dans le
Zohar sous le nom de montagnes de ténèbres, monta-
gnes de nuit (cf. Pardès Rimordm de Corduero : ^3^V ITSJ
D^iJsn, art. in; Gikatilia: miNnw, p. 30 sqq.; Knorr,
Kabb. denudata^ I, 277-288). — Les fruits comme la noix,
la noisette, le haricot, la figue, l'ail, des arbres comme
le palmier (2) sont également consi^iérés comme très pro-
pices à la procréation; quelques-uns de ces fruits avaient
déjà ce caractère chez d'antres peuples, mais en vertu de
leur matière même, en tant qu'étant de puissants aphro-
disiaques. Les Romains semaient devant les nouveaux
époux des noix comme symbole de fécondité et les Juifs
de l'époque talmudique les imitèrent (tr. Berachothy fol.
ni). Philon voit dans la noix le symbole de la perfection.
Les Romaines stériles se montraient dans le temple de
Junon Lucile et mangeaient des haricots; c'est pour cela
probablement que les haricots étaient sacrés aux brah-
manes, aux prêtres égyptiens, aux mystes orphiques.
1. On n'ignore pas les /onh'na/ia romaines; dans certains cultes
de l'Asie intérieure, les puits sont consacrés aux saintes épousailles
(cf. Diderot, Kncyclopédie).
2. «Palma duplici de causa hominis simulacrum esse putatur, pri-
mum quia fructorum non fert sine coitu... » (De occult. philos, ^
liv. I, p. 39; EsLmghli Anthologiay p. 50).
\
5^ CONCEPTIONS DIVERSES
Aux jours de fête de Gérés les Romains mangeaient de
Tail (Creuzer, Symbolikj IV, p. 375). LeTaimud recom-
mande Tail aux repas de la veillée de sabbat afin de favo-
riser ce qu'il considère comme un devoir. Dans le Tal-
mud de Jérusalem {MegUlat) il est question d'une secte
de mangeurs d'ail. — Le Zohar les considère d'un autre
point de vne. Tous ces fruits à plusieurs enveloppes ou
écorces superposées sont la forme même de l'univers où
l'inférieur est toujours l'enveloppe elle déchet de ce qui
lui est immédiatement supérieur; or, comme ce qu'il y
a de plus profond et de plus interne à cet univers est la
loi de reproduction, le Zohar conclut que ce qu'il y a de
plus profond dans ces fruits est leur puissance prolifi*
que. Dans certaines liturgies nuptiales des Juifs de nos
jours, Dieu est encore remercié pour avoir créé la noix.
— Les pommes sont mentionnées si souvent dans le livre
du Cantique des Cantiques y que lorsque ce livre reçut
une interprétation allégorique et mystique, la pomme
suivit naturellement le sens de ce mysticisme.
Le Zohar, taillant comme il peut dans le Commentaire
sur le Cantique des caîitiques, établit au ciel un champ
de fruits sublimes qu'il appelle « le champ des pommes »,
ce qui d'ailleurs pourrait n'être qu'une dénomination
figurée des SeBroth. Le Zohar les définit : « les ponrmes
mystérieuses, brillantes et blanches d'une lumière écla-
tante qui distribuent la vie à 370 mondes... et qui sont
issues elles-mêmes des deux pommes de TAncien des
anciens » (III, 133 A, 134 a). Il peut aussi être question
ici d'un symbole phallique, ce qui est certainement vrai,
chaque fois que les Sefirolh « Triomphe » et « Gloire »
sont appelées pommes. Surtout la grenade devient par
ses innombrables graines un symbole préféré de la fé--
condité (1).
1 . Les Grecs représentaient Éros une pomme à la main. Les
CONCEPTIONS BBLATITBS A lA PROCRÉATION 5S5
Le taureau et l'âne sont, comme dous avons vu, donnés
l'un comme le représentant animal du principe mâle,
l'autre comme le représentant du principe femelle. —
Le lapin qui passait pour un animal trës lubrique est
pris comme type de vice et de débauche. — L'&me de
l'homme lubrique émigré dans un corps de lapin. — Le
coq est le grand animal mystique, qnt par son chant et
le bruit de ses ailes annoncera l'ère messianique. « En
ce jour, une flamme venue du nord gagnera les quatre
coins du monde; elle atteindra les ailes du coq, elle le
réveillera, il réveillera tous les justes » {I, 77 A). —
L 218 a, il est appelé le « coq noir qui loge à \& porte et
qui au jour delà résurrection poussera trois cris formi-
dables a (cf. !n, 171 *, 17Î a) {i).
lois de Solon adonnaient à cha^e mariée de manger une pomme
avant la cérémoaie nuptial*!. Daiu las oiythee Scandinaves les
pommes sont la nourriture préférée de Idona.déessede la jeunesse.
1. Dans le Talmud le coq est désif^né d'iinr; part comme le com-
pagnon de Samaël, l'ange du mal : It s espnin mauvais on! des pieds
de coq. La ttupersiilion chrétienne prête au diable une crMc de
coq. Cliez les Itomains le coq est mis en relation avec le inonde in-
fernal. Oicéron, ConfrePisnn, 27, fin: «Ubi^allicantumaudivitayum
suum rcvixisse palat mensam tolli jubet >•. Cf. 10, 24 et Pétrone,
74. Chez les Perses le coq, parce qu'il salui'. le premier le lever de
l'aube et dissipe les mauvais esprits et les malfaiteurs de la nuit,
devient le symbole de la lumière, du bien, le représentant d'Or-
muzd, le grand prophète. Dans les légemles ^'ermaniques le coq
réveille les liérns au Walhalla. Dans le rolkiorc arabe Dieu a au-
prt^s do lui un coq b'anc dont les ailes sont ornées d'émeraudes
et de rubis, l'une étendue vers le levant et l'autre vers le couchant,
sa tète est sous le trône glorieux, ses pieds dans le monde infer-
nal. De bon matin i! appelle à la prière, et son chant est perçu par
tous les habitants du ciel. Quand il a chanté, tous les coqs de la
terre lui répondent. Lorsque viendra le jour de la résurrection Dieu
lui dii-a ; lUplie tes ailes et arrête de chanter afln que les habi-
tants du ciel et de la (erre sachent que l'heure du jugement ap-
proche (Bocliarl, Hieroiotcon, D. 855),
526 CONCEPT] ONS DIVERSES
Le r6Ié de la colombe de Tarche est également trans-
porté à Tavenir messianique : elle sera la grande messa-
gère du jour de Dieu (III, 164).
Le Zohar appuie la légitimité de l'ornithomancie sur
ce fait que les oiseaux, par suite de leur vol à travers
les airs, vivent dans le voisinage des esprits et connais-
sent l'avenir ; notamment II, 6 b, il décrit Tapparition
d'une nuée d'oiseaux révélant par leur vol et leur posi-
tion respective un événement très important, à savoir :
que la domination chrétienne en Palestine cessera, et
que la force du sultan d*Égypte sera également brisée.
Il y a aussi un art divinatoire et une forme de magie
qui* tire ses effets des aspects que prend l'ombre des
hommes et des choses (II, 43 a). L'ombre en général est
habitée par les génies du mal. L'ombre de la lune en par-
ticulier est très néfaste ; elle est sous l'action du grand
serpent mauvais {Midrasch occulte, II, 43).
Philon et le Zohar, deux expressions
analogues de l'allégorisine.
Aprfes cet exposé de la doclrioe du Zohar, on com-
prendra qu'il nous est difficile de Famasser en un corps
de système toutes les idées contraires qui s'y rencon-
trent. Cependant s'il fallait caractériser d'un trait le
mysticisme juif arrivé à son point de maturité, nous
dirions que le Zohar est à ce mysticisme ce que Philon
est aux apocryphes et à l'alexandrinisme.
Ce n'est pas que nous croyions à une action de Philon
sur le Zohar, car nulle part n'apparall le trait d'union
qui pourrait relier l'un à l'autre. Tout au plus peut-on '
admettre que l'œuvre de Philon s'est infiltrée par la
voie obscure de la tradition dans le mysticisme talmu-
dique et a cheminé à travers le moyen-&g'e jusqu'à l'école
d'Isaac l'Aveugle. En tous les cas il [fe peut être question
d'action directe.
Mais Philon et le Zohar représentent l'un et l'autre
l'elTet d'une même loi agissant sur la pensée juive. L'un
et l'autre résultent du contact de la pensée juive avec
la pensée non juive, l'un et l'autre ont fait de l'allégo-
risme midraschique l'instrument fécond qui seul per-
mit de greffer les idées nouvelles sur les idées anciennes,
de recevoir celles-là sans renoncer à celles-ci et de main-
5S58 PHILON ET LE ZOBAR
tenir Tunité, condition essentielle de la vie de Tesprit.
Cela étant, il nous reste^ une l&che à accomplir ; il
nous reste à montrer comment Talexandrinisme juif et
Philon sont par le fond et la forme des aboutissants
analogues au Zohar. Ce travail, outre qu^il jettera encore
un peu plus de lumière sur tout ce que nous avons dit,
pourra faciliter les recherches ultérieures et mettra
peut-être sur la voie de ce médiateur, qui après tout
n'est pas impossible entre Philon et le "Zohar.
L'importance de Talexandrinisme juif et de Philon
au point de vue qui nous concerne ne g!t pas tant dans
la doctrine que dans l'adaptation de cette doctrine à
rÉcriture. La clef du philonisme comme de la Kabbale
est dans le procédé allégorique. Sans vouloir revenir
sur ce que nous avons dit plus haut, remarquons que
Tallégorisme est le grand procédé des écrivains grecs
soucieux de trouver les idées du jour dans les écrits
anciens, notamment chez les premiers poètes. Ce que
rÉcriture est pour Philon et le Zohar, Homère Test pour
les philosophes grecs. Déjà Philon (Z>are;}wWîc. II, p., 615)
mentionne les interprètes allégoristes tels que Théa-
gènes de Rhégium, Métrodore de Lampsaque et d'au-
tres, tirant dllomère par voie allégorique les doctrines
physiques de leur temps. (Voir Bernhardy, Gnindriss
d. griech, Litter., I, 280, 466). Plus tard ce sont surtout
les stoïciens qui allégorisent pour mettre en harmonie
leurs conceptions philosophiques avec les x^ival svvotat
(v. Plut, De vita et poesi Homeri et Heraclid. Pontic.y
allegoriae Homericae ad Ilias XX, 67).
Faisant allusion à Tanthropomorphisme et àTanthro-
popalhie de certains passages homériques, Iléraclide
énonce le principe suivant qui sera également celui du
Midrasch, de Philon, du Zohar et de toutes les littératures
juives : Trivir; yip T;5£6r;7ev e? jayjBIv r^XXr)Y5p7Y;£v (Héracl.,
CONSIDÉRATIONS GtKÉBALES SUR L'aLLÉGOBISME GREC 529
c. 1). L 'homme iDtelIigent sait, ae^-rfjvù'K9V3[X(pTûvi[0!v;;AâTwv
■cr,ixkT,Dv.xi\x'^ittv{ibid.,BéT&cl., 6 sqq.).
Les procédés en vigueur se ramèoenl à deux princi-
paux :
1° L'étymologie : par exemple 'A^t^à esl tiré de ôOpijvâ
tk; ojsx, par exemple image de la ^pévr^^ (Héracl., c. 19).
Circé est le symbole du mouTement circulaire ou de la
métempsycose (â-piûitXioç itepiçopâ du mol )i(p«î); « Sa-
turnus appellatus est, quod saturetur annis d (Cicéroo,
De natur. deor., II, 25); « Gères a gereodis fructibus
tanquam gères » {ibid., H, 26).
2° Le jeu de mots : par exemple, Homère appelle le
corps li^xz pour indiquer qu'il est une chaîne de l'Ame et
d'autre p^rt il l'appelle où-^a, parce qu'après la mort il
n'est plus qu'une aijiw do l'âme (Plut., p. il57 A, C).
Une fois que par voie allégorique un mot a été subs-
titué à un autre, cette substitution est admise et peut
entrer dans des combinaisons nouvelles, par exemple
comme nous lisousdansIV/rWe, V, 75 : -Jf^fsil^ ïf,s.'/a'i.i.li
cBsïlsi, il s'ensuit que l'airain sera toujours synonyme de
froid.
Un sens allégorique spécial s'attache aux nombres. Le
mot htT,r,i désigne dans Homère un homme de bien parce
que l'unité est bonne; et l\n, désigne le malheur parce
que la dualité est un symbole du mal (Plut., /. c.,p. 1184
A, B).
Par leur fond les allégories peuvent être appliquées à
la physique ou à la morale : ojtw ixàv oâ^ Epwtoî "0^t,^% ïv
« 'He;«î,-xa; «i>^!:;)icT,- çiXoosçet (Plut., l. C, 1182 B). Dans
le Natur. deor. (II, 24) Cicérun dit : « Alia quoque ex
rationo et quidem physica magna flusit multitudodeorum
qui induti specic humana fabulas poetissuppedilaverunt,
hominum autem vJlam superstitione omni referserunt. »
C'esl sur ce fondement qu'on s'appuya pour dire
530 PHILOX ET LE ZOHAR
qu*Homère était la source de tous les systèmes ultérieurs,
comme feront plus tard les Juifs et plus particulièrement
les Juifs alexandrins et les mystiques. Ainsi l'on décou-
vrit la doctrine de Thaïes dans Vlliade (XIV, 246) :
'iîxeavoî) oowep ^bti^K^ xovTgjfft TSTuxTat (HéracK, c. 22); la
doctrine de Xénophane de Coléphon dans Vlliade (VIII,
99) : àXX' u|jL6Tç [jLèv xavTÊÇ SSwp xal ya^a "^hoi^^t ; la doctrine
des quatre éléments dans le chant II, 412 et III, 277. —
Lorsque dans Vlliade, XIV, 200 sq., Hera veut apaiser
la querelle entre Okeanos etTethys, c'est là un symbole
pour enseigner le système d'Empédocle relatif au v£txo(;
xot 9iX(a, à la séparation et au rapprochement des éléments.
— Si, Iliade, XVIII, 468 sqq., Vulcainest chargé de fa-
briquer le bouclier d'Achille, orné de toutes sortes de
choses, c'est là une allégorie pour enseigner la doctrine
d'HéracIide relative au feu(Vulcain). — Homère connaît
le Dieu suprême et il lui prête une nature purement sjli-
rituelle, il le déclare invisible et tout cela est indiqué par
Iliade, I, 498, où Zeus est assis à part des autres dieux.
— La conception platonicienne et stoïcienne sur la vertu
comme étant objet d*enseignement est indiquée dans
V Odyssée, IV, 206 : toiou yip xal :caTpoç âç xat xeTr/uiJiéva
PaÇeiç. L axaOeta est prêchée par Vlliade, XIX, 228 ; XVIII,
i 17 ; V, 252, où Homère se propose d'affranchir l'homme
des XuTH), cpYT^, 9660Ç. Jusqu'aux vertus particulières,
comme la vertu pythagoricienne relative au silence, se
trouve dans Homère, notamment dans Vlliade^ III, 2, 8 :
Papéapixov il) xpauYTj èXXT;vtxov 8à tI) ^motuiq, etc., etc. (v. Plut.,
p. 1131 B; 1132 A, 1133, 1136, 1138, 1140, 1141, 1174,
1171, 1172, 1190; Heraclite, c. 43, 49 Qipass.),
Bref, ce que les Grecs d'une époque postérieure et
émancipés firent pour Homère, les Juifs post-bibliques
des environs de Tère chrétienne et émancipés le firent
pour la Bible.
L'ALLÉilORISHE JUtP 531
La Bible elle-même n'autorisait-elle pas ce travail
d'interprétation, soit qu'on considérât tous les passages
relatifs aux généalogies et aux élymologies fantaisistes
appliquées aux noms propres, p. ex., Gen., 4, 1 et 25;
3, 29 ;'chap. 30 fin et 31; etc. etc. , soit qu'on comparât des
passages comme Gen., 33, 25, relatifs à la lutte de l'ange
avec l'interprétation du prophète Osée 19, 5 donnant à
cette lutte le sens d'un combat spirituel de la prière, etc.
De plus, de légers changements se glissant dans le
texte pour écarter quelque anthropomorphisine, favo'
risaicnt les tentativesnouvelles et plus hardies (v. Geiger,
Urschrift imd Ueberselz. d. Bibel, Breslau, 1857).
Ainsi Èzéch. , 8, 17^ le mol csn (leur nez, leur face) n'a
aucun sens. Le texte portait évidemment à l'origine le
mol 1EK (son nez — il s'agit de Dieu). Dans de nombreux
passages les mots signifiant « voir le visage de Dieu »
sont changés par une substitution de voyelles en « être
vu, apparaître devant le visage de Dieu » (cf. Frankel,
Vorstiidien zu derLXX, 1841, p. 185 sqq. et Palàsl. Exé-
gèse und alexandr. Hermeneuttk, 1851, p. 42 sqq.;
p. 133 sqq.).
Le principe de I allégorisme se dégagea ainsi sous la
forme suivante :
Grande est la puissance des prophètes, assimilant le
Créateur à la créature :
Le texte ue s'exprime de la sorte que pour s'accom-
modera notre oreille (v. Yalkul,^. 80 a; Berechotk,Z\. b).
A l'abri de t'allégorisme la doctrine étrangère se glissa
d'abord timidement dans les traductions, les traductions
araméennes qui préparaient celle d'Onkélos et les tra-
ductions grecques qui aboutirent W celle des Septante.
532 PHILON BT LE ZOHAR
Les traducteurs araméens altèrent les passages où Dieu
est déclaré Tauteur de certains actes ou mouvemeats
trop humains. A Dieu lui-même ils substituent la Yikra
ou Magnificence, la Schekinah ou Gloire, la Memra (1)
ou Parole, ou même ils placent simplement devant le
nom divin la proposition Qip afin d'éloigner Dieu du
contact direct des choses. Ce n'est plus Dieu lui-même
mais sa Memra qui crée Adam {Genèse, S, 27). qui l'ap-
pelle après la faute ; c'est la Schecbinah et non Dieu lui-
même qui passe devant la face de Moïse {Exode y 33, 14,
15-34, 6).
Sans aller aussi loin que Dahe {Geschichtliche Dar-
stellung der jud.-alex. Philosophie^ I, 72 sqq. et Urchri-
stenthum^Wj 14, 18 sqq.), il faut reconnaître chez les
traducteurs grecs les mêmes préoccupations que chez les
traducteurs araméens. Tout ce qui est relatif à Dieu
prend un caractère plus abstrait. Ainsi, Ex., M, y, 10 :
« Moïse, Aaron, Nadab et les 70 anciens virent Dieu »
est traduit par xal eTîsv tsvtostov cj eïomQXct 5 Ocsç...
Ailleurs Isaîe^ 6, 1 : « Les pans de son vêtement (du
vêtement de Dieu) remplissaient le sanctuaire », ils tra-
duisent xal xAT^jpeç 5 c?xo^ tî;^ ^s^r^ç xjtou.
L'expression Yahveh Sebaoth qui signifie dans la
langue biblique que Yahveh est le seul Dieu, le maître
de Tarmée céleste des astres et par extension des armées
terrestres (cf. Isaîe, 13, 4), ils traduisent par Kjp'.oç 5 ôec^
— >
Tcov ouva{ji£'.o)V.
Le mot bara({m dans la Bible signifie créer ex nihilo
ils le rendent (/5., 40, 26) par -:{; %7,':ilz\\t -zxj'ol r^xnx
1. Remarquons que Yikra est simplement la traduction ara-
méenne du mot hébreu kahad qui dans la Bible signiOe quelquefois
Dieu lui-même, par exemple dans Isaïe. Schechinali vient d^une ra-
cine signifiant demeurer, et répond peut-être à l'idée de Makom,
lieu, t6ico;, qui joue un rôle si considérable dans lalexandrinisme.
l'allégorismb juif 533
qui a rendu visibles to 11 tesces choses et en elTet les termes
toAu bohu {Genèse, l, 2] sont reudus par ii 3à V ^cpno;
mi ».a-smtÛ33T3ç « et ta terre était doq visible et non or-
donnée ». — A propos de la création d'Adam et d'Eve
le texte dit (Genèse, i, 27) : Dieu /es créa mâle et femelle.
La traduction, semblant anticiper sur ta doctrine de
l'androgyne, porte 'Apie* %v. (h;Xu ii^oiriifi kjtôv. Nous
pourrions multiplier les exemples. Contentons-nous de
renvoyer aux versions de Genèse, 2, 24 ; Ex., 3, 14 ; I
Rois. 8, ^3; Psaumes, Bl, 12; Job, 7, IS. etc.
Dans la Targum Yeruschalmi, la trace des idées nou-
velles s'accuse davantage. A la première page de la
Genèse il introduit purement et simplement l'idée nou-
velle de la ijagesse et il traduit par >< la Sagesse, Dieu
créa, etc., o. — Le souffle de Dieu, iàid., 1, 2 devieni,
l'espril de bonté. C'est l'esprit de bonté qui de devant
'Dieu passe sur la face des eaux pour les féconder, niti'I
i*ia 'EN h'j Kzvi^ trn "rn Dip p ^'onn. Le travail des
premiers hommes au paradis terrestre est conçu comme
un travail spirituel xn^iixa mE, idée que nous trouvons
égalemonl dans Pliilon. La création de l'homme, Ge-
nèse, 1, 27, est présentée ainsi ; « La parole do Dieu créa
l'homme à l'image d'une image de Lui (ri' 'm .NiD^a ni21 ,
nini xti '.imp p mma niriTSia mx). Déjà Mélatron est
conçu comme le grand scribe et comme le prince de la
Sagesse x-i fisc, Nnosn 'm et ces idées sont rattachées
à Genèse, 10 et k Deutéronome, 34. 6. Mais c'est surtout
la littérature apocryphlque qui servit de trait d'union
entre la doctrine juive et la doctrine non juive.
Le livre de la Sapience conçoit Dieu à la manière des
enlin Memra répond à l'hébreu dabar daos les ionombrablcs pas-
sages commençant par << la Parole de Dieu Tut à *, — hâbraïsme
pour dire : Dieu parla à, —la parole se dé tac lie peu i peu de celui
qui u prime et est coasidérée en soi.
534 PBILON ET LE ZOHAR
stoïciens comme un xveOi4.a voep6v (7, 22), comme quelque
chose de Xexrév {ibid.), qui est évidemment un écho de la
doctrine d'Anaxagore. — La création est conçue comme
Faction exercée par la Sagesse divine sur la matière in-
forme et plastique. La Sagesse est un reflet de la lumière
divine, un miroir de Tactivité divine, une émanation de
sa magnificence^ un esprit subtil, pur, omniscient, omni-
potent répandu à travers l'univers. Elle est plus active
que les choses les plus agissantes. N'étant qu'une^ elle
peut tout... et toujours immuable en soi, elle renouvelle
toute chose. Elle se répand parmi les peuples et les
âmes des saints, elle forme les amis de Dieu et les pro-
phètes (chap. 7^8, 11 passim). Nous sommes ici en
présence d'une véritable tendance à hypostasier la Sa-
gesse, à lui prêter les caractères de la raison universelle
duXcYOîcxzepixaTtxoçavec cette différence que les stoïciens
font de cette raison le Tout divin^ tandis que Tauteur
de notre livre fait cette part importante à la Sophia
sans préjudice du Dieu personnel et transcendant.
Enfm nous y trouvons la doctrine de la préexistence
(8,19 sq.) et conséquemment la distinction tranchée
entre l'âme et le corps, et la doctrine du corps consi-
dérée comme une source de péchés (t^ 4, 8, 20). Dans le
livre de Ben Sirach se rencontre à peu près la même
conception sur la Sophia que Tauteur appelle la pre-
mière-née de Dieu qui fut devant lui avant tout autre
chose, avant le commencement du temps xpo tcO iiôvoç
olt:' ipyf^ èxTicé p-e {ïA, 9). L'idée se rapproche un peu
plus de celle du Verbe. La Sagesse est sortie de la bouche
de Dieu, izo orôixaToç j'^iatou L'auteur rattache cette
doctrine au chapitre 8 des Proverbes et au chapitre 28
deJob{{).
1. Il est vrai que déjà dans la Bible nous trouvons des idées analo-
gues, par exemple Proverôes, eh. 8, la Sagessedit: « Dieu me posséda
l'allégorishb dans les apocryphes 535
Mais c'est surtout le IV' livre des Macchabées qui nous
moDlre le procédé de fusion entre des doctrines qui
semblent inconciliables. Là, nous saisissons vérllable-
ment le point de rencontre et comme le confluent de
l'allégorisme juif et de l'aUégorisme grec, sans que la
fusion y soit encore opérée. Là, nous surprenons les deux
faces du problème et l'opposition autour de laquelle
gravitera tout ralexandriaisme. L'auteur est un Juif
orthodoxe ; il tient à la lettre même de l'Écriture, aux
miracles, à tout te brillant de l'angélologie ; il tient aussi
et par dessus tout à la doctrine biblique relative à la créa-
tion et de l'Ame considérées comme des oeuvres de Dieu.
Mais d'autre part il marque une culture philosophique
très avancée, professe presque littéralement la doctrine
stoïcienne, notammnent l'éthique stoïcienne etalors pour
opérer la réconciliation il s'avise de faire du Xsy'^V^
stoïcien, c'est-à-dire de la volonté raisonnable, maîtresse
de toutes les passions, quelque chose de plus complet
qu'il appelle eJosSii; Xafa]f.iz> 1, 1 sq. Cette nouvelle et
plus haute faculté religieuse ne reçoit toute sa plénitude,
toute sa teneur réelle et complète que dans la loi mosaï-
que. Cette loi est l'expression la plus pure de la confor-
mité avec la nature : xaTÎ çûs» i^^l* nM^TafiC vs^isOetûç h tsQ
%ia-^-j xtvt:)]; (ch. B, 24]. Elle produit à coup sûr et comme
au début de sa voie, avant sa première oeuvre. De toute éteraité je
fus souveraine, dès le commence m eut, avant Je premier âge de la
terre, avant qu'il y eût des abîmes. J'étais née, avant les sources
abondantes, ch. 3, 19, 20; Psaumes 133; •fob, 2S. Hais qu'est-ce
à dire, et quelle serait cette objection ? ce que nous disons pour ces
apocryphes, nous le disons pour le canon biblique, et dans ces
parties bibliques nous ne voyons autre chose qu'un retlct de la
doctrine néo-platonicienne. La critique a raison de placer ces pages
i une époque bien postérieure à celle que leur assigne la tradi-
tion, à l'époque même du néo -platonisme, au même litre que le
commencement de l'Évangile de saint Jean.
536 PffiLOIf ET LE ZOfiAR
de sa propre force les quatre vertus cardinales (ch. I,
24 sqq. ; ch. 5^ 22 sqq.). Du commencement à la fin elle
enseigne l'empire de la raison sur les passions. Tous les
personnages de TÉcriture incarnent cet idéal. Moïse
■lattrise ses passions lorsqu'il n'exerce pas lui-même de
châtiment sur Korah et ses complices, mais les aban-
donne à Dieu (ch. 2, 15). David se dompte lorsqu'il verse
à terre Tean que ses serviteurs ont cherché au péril de
leurs jours (ch. 3, 6 sqq.). — L'auteur pour lire ces
doctrines dans l'Écriture n'a pas encore besoin de recourir
à un allégorisme systématique, parce qu'il se borne à
des généralités et qu'il choisit soigneusement les héros
et les faits qu'il charge de porter ses idées. On sent bien
que s'il avait à entrer dans le détail, s'il avait surtout à
suivre l'Écriture pas à pas, il ne pourrait s'en tirer autre-
ment que par l'allégoristique. Du reste le procédé trans-
perce à quelques endroits. Ainsi au chap. 7, 12, Éléasar
repoussant par le Xc^iaixcç l'assaut des parties affectives
soulevées par le martyre est comparé à Aaron maîtrisant
par l'encensoir le feu dévorant delà peste; au chap. 14,
8, les sept jours de la création sont pris comme des sym-
boles des sept martyrs macchabéens; au chap. 15, 29, la
femme triomphant par l'eiaeéijç Xc^it^oç de toutes les an-
goisses de la douleur est comparée à l'arche de Noé,
défiant les flots. Enfin au chap. 18, 8, le serpent est re-
présenté comme un séducteur de l'innocence de la
femme : si StfçOsipf jxs Xuixewv £pY){ji.aç obopù^ èv 'îztlUô oiB'
sX'jjxT^vaTs [JLS'J Ti iyva tyJç luapôeviaç Xu^lecov a^caTr^Xoç cçt;. Nous
sommes sur la voie qui conduit à Aristobule et à Philon.
Après eux va s'opérer la fusion.
To utes les traductions et tous les apocryphes, tout en
essayant la conciliation entre les deux sources de vérité,
les maintiennent en présence l'une de l'autre avec une
autorité presque égale. Il fallait trouver un moyen de ne
l'all^gorishe dans aristobule 537
laisser debout que l'Écriture et lui subordonner tout le
reste. Il fallait pour cela systématiser rallégorisme. Ce
fut Aristobule qui tenta la chose. Cest lui qui semble le
premier (d'aprèsËuseb., Bist. eccles., VII, 33, 16) avoir
écrit des iÇ^ociEde la loi mosaïque, dont Ëusëbe \\yi-
méme(Pracp.tfi«OTy.,VII,14;VIII, ÏO; IX,6; XIII, 12)
cite des fragments. Aristobule ne se contente pas de
penser que la Bible doit être pour les Juifs ce qu'Homère
est pour les Grecs, il fait un pas de plus et quel pas :
toute la littérature grecque, y compris Homère, Hésiode,
Orphée, Linus, a sa source dans l'Ancien Testament.
Ici toute la vertu de l'allégorisme ne suffisait plus. On
alla jusqu'à introduire (est-ce lui ou un autre?) dans les
Œuvres de ces poètes quelques vers significatifs, ofi il
pouvait être question d'un « descendant de Chaldéens, à
qui seul revenait l'honneur devoir le Maître de l'Univers »
{Euseb.i*raep., evang.,W\i, 12), ou d'un septième jour
qui aurait marqué l'achèvement de l'œuvre de création
{p. es. Orfyss., V, 262, Idla'ii.oi se substituée TïTpirsv). —
De même toute la philosophie d'Aristote est tirée de
l'Ancien Testament (Clément pL\.,Strom., V, 593, D]: -riiv
~epiT:aT>jTixîJv çi),03sç[2v ït. z% tou xarà Muûsea vîi[«5 -ax: tûv
c(>.>^v^pTj'd)aii:ps])'r;Tùv(l).Ceqa'Ari8tobuleditdanssadédi-
cace au roi {probablement PtoléméePhilométor): çjswûî
>j[lJi6dtïïivTiç ixîo^^î wi'nv àpUîCouoivïvvïiaviîEpt fiîoù xp attïv
xa; |j.î] êxTCiirTEH eî^ Ta [jujOûîe^ nai av6p(ô::!vov %3.-:i.Trr,-^x, semble
calqué sur la formule stoïcienne. Les procédés allégo-
riques que révèlent le» fragments rappellent entièrement
ceux des stoïciens. Tout anthropomorphisme y est ex-
pliqué comme une métaphore de vérités philosophiques.
i. PhiloD ajoutera Hénclite en se rérérant probablement i,
Aristobule : çaolï 'Hpâxlïitov,.. aûxiîv li; 19' tlp*"' """îl ""'"'"*
ï«p eCpE[ia MuoÊuc èoti, etc. [Quia rer. die. haer., *3., I, 503. —
Et Socrale : u Socrates aMoyse edoctus » [Quaest. ap. Auek., Il, B3).
538 PHILON ET LE ZOHAR
Ainsi par exemple le repos de Dieu de la Genèse signifie
Tordre immuable de l'Univers, interprétation que les
Stoïciens tiraient de leurcftté d'Homère.
Dans la lettre d'Aristée, les prescriptions rituelles sont
le porte- paroles de vérités plus hautes. LaT défense bi«
blique de manger la chair de certains animaux signifie
que la violence et Tinjuslice souillent Tânje ; les rumi-
nants et les animaux à sabots fendus sont permis pour
dire qu'il faut souvent songera Dieu et discerner le juste
de Tinjuste, etc.
Ainsi donc, avant Philon il s'était déjà fait un grand
travail dans la pensée juive, dont 1 importance n'est que
faiblement indiquée dans les fragments qui nous restent.
Lui-même semble se référer à des écoles entières. Il parle
des èÇr^YTîTal Up(!i^ Ypa[ji.{i.aTO)v(Z)^ septen. , 1 9, II, 293) ; et ibid. ,
18, II, 242, d'une iraXaii aXXY;Yop{a. Il mentionne des col-
lections midraschisques fondées sur l'allégorie : <s\ixi9^W
jit.aTa zaXatôv àvSpéôv o? Tfjç a^.péaecoç OLpyy^izTX yiv6|jl€voi 'icoXXà
lJivT;[jL6?a Tîjç (iXXiQYopoujjLévrjÇ tîéaç ôxIXtxov [De vita contempl. ,
3, II, 475) et il ajoute que ces écrits servaient de modèle
aux interprètes de son temps : oTç xaÔT^zep Tiotv içytxÙTzoiq
^p(i;jL6vd'. [jLtfjLoîîvTai Tfjç xpoaipéjeo); t5v Tpixcv (v. pour le reste
Zeller, Philos, grecque^ p. 225 sq.).
Mais pour nous c'est Philon qui mit définitivement en
œuvre le procédé allégorique et qui opéra dans l'alexan-
drinisme la fusion parfaite entre la doctrine juive et les
doctrines étrangères; c'est ce que nous allons voir avec
quelques détails. Philon dit formellement que l'Écriture
est la synthèse de toute science, la grande source de toute
connaissance : Mwai}? 5k xal çiXojo^Caç er' aiTYjv ^^iioLi; oxpo-
TYjTa y.a» yyr^fS'^ùX^ ta iroXXi xal auvexTtxcoaaTa tûv Tfjç çu^eax;
<iva$ioaxO£'.ç(Z)^ mufid. opif., 2-3) la seule philosophie (cf.
Vita Aîos., 685 D) : ehi'zi vuv çiXocyoçoOji toÎç kî^6\f.a',q 'louSaïot
cï;v ::aTptoy çiXojo^iay, tov ^pévov sxelvov âvaOévreç Ôxiotvjjjltq) ;
l'aLL£GORISHE dans PHILON 539
aoD aulorîlé est absolue {Vita Mos., II, 163 : TrcîvTa eivs
yprfl^i 'aux h taTî iepaîç SiÉXoiç àvoYSYpairtai xp^i'^érueç ît' aÙToS
(il s'agit de Moïse).
La Bible en général, mais avant tout le Pentaleuque,
est le grand puits de vérité dans lequel ont puisé et
Pythagore et Platon et Zenon, etc. {Leg. aileg,, I, 65.
— Quod omn. pro lia., II, 454).
Philon procède avecla Bible et avec lalangue biblique
comme avec une matière 1res malléable. Il joint, disjoint
les racines sans aucunement tenir compte des lois gram-
maticales de la langue et sans même se soucier de l'or-
thographe. Il ne distingue pas doo plus l'hébreu ancien
et classique des dialectes récents. Il place sur la même
ligne l'hébreu des prophètes et le cbaldéen, produit bâ-
tard des temps ultérieurs [et. De vita ^i9S.,II, o) : iô
TuaXatBV lYpaçfjsxvotvJiut YXi>05T,XaXÎ3O!.j;(cf. ibid., III, 29).
Je ne veux pas aller jusqu'à dire qu'il ignore complè-
tement l'hébreu, quoique .sa distinction entre le télra-
gramme et le x^pc; des Septante et sa confusion des
lettres m et V (p. ex. 'A(j.[j«vîti;ç qu'il dérive de h. [Jir,Tpoî,
confusion entre uv et dk) donne bien à réfléchir (v.
Frankel, Vorstudien zu LXX, § 18).
Encore une remarque préliminaire. Philon ignore &
peu de chose près la Halacba; pour lui comme pour le
Zohar plus tard, j'entends le Zohar proprement dit, la
Halacba est l'opposé de la conception allégorique de
l'Écriture. Elle rejette l'interprétation figurée et philoso-
phique des lois. Quand, par hasard, il a besoin de s'y
référer, il cite des autorités compétentes qu'il introduit
par l'expression ix^tx eîç ôiwiî ^XQe (v. p. ex. De circum-
cis-, 2). En revanche, il fait entrer dans sa doctrine des
traditions orales que le Midrasch avait superposées aux
récits historiques de l'ËlcTiture. Il dit (De vtla Mos.,1, 1 ;
II, 81) : ta TKpï tè^ ôvîpa [Jitivysd) liiQù)-* xWx xal Ix 6(6X(uv
540 PHILON ET LE ZOHAR
ifiiv tepo)v. . . xai Tzapx TtV(5v iicb T7l> lOvouç ?cpea6uTépa>y.
Pour fonder tout son syslème, il reprend le principe
rabbinique : obiv Tio^ min « La Thorah est le fondement
du monde », ou oSiyn nw Hy\y\ mnm m2n r}'^:} « Dieu
regarde la Thorah et crée l'univers ». Il y ajoute le
principe stoïcien affirmant que la véritable moralité
consistait à vivre b[Lokoyo\)\Lh(ùq tiI; ^iaec. Comme Tuni-
vers, dit-ily est en harmonie avec la loi (toO xo<t{ji.ou tco vs[jl6>
xal ToO v6piou T(5 xdqjioo) auvaSovToç); il s'ensuit que Khomme
vivant conformément à la loi est Thomme véritable, le
vrai citoyen de l'univers, xoo vo\>,i\u:^ «vîpoç eWjq ovtoç
XOJfJLCÏTcXtTOU.
C'est pourquoi, ajoute-t-il, la loi mosaïque commence
par le récit de la création de l'univers en vue de fondre
en un tout les deux éléments, Télément loi, et l'élément
nature : xpoç to 6o'jXir;|xa Tfjç (pu^ecoç toç xpaÇstç dnceuOùvavToç
xa6' rjy y(.x'. ô 9U{jixixç xû9[1oç SioixetTac.
Pour justifier son allégorisme, il raisonne de la ma-
nière suivante {Quod Deus immuty I, 280 sq. et De
somn.y I, 236). Les Nombres {^^ 19) disent d'une part :
« Dieu n'est pas comme un homme » ; d'autre part, Deu-^
téronome, I, 31, le présentent comme un homme ; il y a
là évidemment 3uo tx àvcoTaia xetpaXx'.axepl toîj altisu, comme
deux voies de promulgations législatives, 8uo... -rij; voixo-
Oedia; 5$ci. L'une vise la vérité absolue, tI) irpoç xo iXrfiïç
èx(vsus'j7je; l'autre s'accommode aux faibles entendements,
1^ Tzpiç xi; vwôeorépwv $dÇaç. Le Zohar aussi tout en admet-
tant le sens naturel auquel il ne peut rien être ajouté et
dont rien ne peut être retranché, i.tnt naa KipT n^Taiirs
TWK T\^H iS^SN ni3qS kVi «sdikS k^t (Zohar^ II, 99); admet
un autre sens se superposant au premier : m ia« 'tD'i
yhQ^ «oSyn nso nN"rn«S nfin «nniN «m iqnt W2 in snnnS
^TavTii. Malheur à celui qui dit : La loi ne contient que
des récits humains et des choses relatives aux indivi-
^s^^^was
l'allégorisve dans paiion 5M
dus. Au contraire, le sens littéraire est l'enveloppe
{Zohar, III, 152 a) : Nnm«T KWnS xn'TinT tied 'nn. Oa
encore : sh» a^ni mS nnniM -p ^pjpi mSm a'n» nS mcn
nKOiaHa. Le vÎQ De se met que dans des cruch«»; de
même la doctrine est enveloppée dans son vêtement.
Ainsi ae trouvent fondés les deux sens de l'Écriture :
l'un qui est le sens extérieur, littéral, ^ ^1711; xa; favepà
à-iSooi; {De Abrah., II, 29; cf. ibid., II, 35) ou encore le
sens vix-.x Xiyûv {Leg. alleff., I, 77), le im»s m du Mi-
drasch; l'autre, le sens intérieur, profond, dout le sens
littéral n'est que l'enveloppe, le corps (De migr. Aàr.,
I, 450) : Sx^'*"* Y^"? ^^ i^x'i-cct ^ Ta i:\tlmx rtjc •n^o^saiat; àXXij-
YCppEïTïi {De Joseph., II, 41), et mieux : z'x icÀeïurji TÛf èv
vs;jio[^ sùlxSaXoi çavepà àfavwv xal fiiti àppi^KiM (Z>e S^C. leff.,
II, 339)- Il appelle encore le sens aJlégnrique t'x vo«|nt
{Abi'ah., II, 31): àaûiiaT» xa'i '[\i\t.w -Kpi^v^xx {iàid., 11,34);
1^ Tpo^ixwTipj ôn:6io<3ii [ibid. , II, 59) ; enfin et surtout iiKktf-
Yopia [De plant., 1, 335 ; Abrah., Il, 20; Z)e Decal., II,
180).
Mais il ne faudrait pas croire que cette méthode soit le
produit de l'arbitraire ; bien, au contraire, il existe des
règles fixesqu'il ne faut pas dépasser, xaviveç Ti}î àXAijTopf»;
{De vicl. o/fer., II, 255; De somn., 1, 631), ou encore
viiisi tf,i àXXT,Yop£oiî {De Abrah., II, U), correspond aux
anciennes Middoth dialectiques de la Baggadah et aux
règles herméneutiques des stoïciens. Ces règles doivent
sans cesse diriger l'inspiration individuelle, soucieuse
d'interpréter l'Ecriture [De cherub., I, lii; De somn.,
I, 627).
Ces r&gles se répartissent en deux grandes classes.
Dans cette division il ne se préoccupe pas du contenu
même de l'Écriture, et tout en maintenant la distinction
stoïcienne du point de vue physique et du poinl de vue
moral, il se préoccupe davantage de superposer à Tinter-
542 PHILON ET LE ZOHAR
préiatioQ à la fois physique et morale réunies une inter-
prélation métaphysique et mystique.
Dans la première catégorie rentrent tous les passages
de rÉcriture pour lesquels le sens littéral doit être com-
plètement écarté, en vue de bannir tout ce qui pourrait
être indigne de Dieu. C*estla reprise du principe stoïcien
•rcavTTj Y^P Trjaé6rj(jev*'0iJLr;pcç el [xi^ T^XXYrf6pT;a6v (v. pi. haut). Par
exemple quand il est dit d*Âdam qu'il s'est caché devant
Dieu, ce sens ne peut être maintenu puisque Dieu rem-
plit tout {Leg. alleg.y I. 88), ou bien quand Dieu pose
des questions {Quod det. pot. insid.^ I, 202, 203) il for-
.mule le principe général suivant : le sens littéral doit
être complètement écarté et s'effacer devant le sens allé-
gorique^ non seulement quand il serait indigne de la
majesté divine, mais chaque fois qu'une difficulté inso-
luble se présente, soit que le passage ne donne plus de
sens du tout, soit qu'il se trouve en contradiction avec
un autre plus important, soit qu'il se trouve être indigne
de rÉcriture en général. Il est incompréhensible par
exemple que Jacob ayant tant de serviteurs à sa dispo-
sition envoie son plus cher fils à la recherche de ses
frères {Quod det, pot, insid., F, 194). Il est impossible
que rÉcriture attribue une femme à Caïn, Genèse, 4, 17,
alors qu'il n'y avait sur la terre que Eve, sa mère {De
poster. Caïn. y I, 232). Dans la Genèse , 28, 13, Abraham
est appelé le père de Jacob alors qu'il en est en réalité
le grand-père. L'Écriture veut nous apprendre que celui
qui étudie est plus près de ri(jxT;Tix.cç que le xl-o^uri^ Tpo^cç
[De somn.y I, 646). On ne peut pas non plus prendre au
sens littéral la création en six jours [Leg. alleg., I, 44),
ni la création de la femme au moyen d*une côte de
l'homme, que déjà la charpente de l'homme rend impos-
sible (?W.,I, 70).
La deuxième catégorie comprend tous les passages
\
l'allêgorisme dans pniLON 543
où l'expression métaphorique imagée du texte nous in-
vite lui-même à penser au sens allégorique; tels sont,
par exemple, l'arbre de la connaissance ou de la vie
{De opif, m., I, 37) ou le serpent parlant [De agricult.,
I, 315).
Cette grande division posée Philon nous indique aussi
quels sont, à ses yeux, les signes visibles de Tinterpréta-
tion allégorique. Le Zohar, comme nous avons vu, les
diversifie encore et les accrott.
C'est tout d'abord le pléonasme. Déjà pour le Midrasch
{Beresch. Rabb.^ 39), les mots répétés par exemple 'jS,
Y'?, de Gen.y 12, 1, marquent un sens plus profond que
le sens littéral. Dans l'exemple cité la répétition indique
une double émigration ou pérégrination d'Abraham. De
même Gen.f 22, 11, les mots Abraham, Abraham sont
l'un une expression de la réprimande (cf. Raschi, ad
Exod.y 1, l).Pour leZohar(1, 120 a, ô;III, 138 û, 187 6),
cette répétition signifie qu'une nouvelle vie commence
pour Abraham et que le temps des épreuves est passé.
Philon raisonne d'une manière analogue. Ainsi les mots
ovôpwTToç avôpwxoç de Lévit,, 18, 6, signifie non Thomme
ordinaire mais l'homme vertueux {De gigant,, I, 267).
C'est ensuite toute expression superflue. Le Midrasch
{Beresch. Rab. 16) s^attache par exemple aux mots ma
n*an de Gen.^ 2, 17, pour en tirer l'idée non seulement de
la mort d'Adam, mais de la mort de ses descendants.
Philon formule ainsi le principe {De profug.j I, 534) :
xepiffTôv 2vo[jLa oiîàv xiÔYjatv. Il cite comme exemple Gen. 2,
16 et 17 et Gen, 15, 5. Dans ce dernier passage èÇi^YaYsv
auTcv &HÙ le mot IÇo) paraît inutile après la particule e^.
Philon en déduit que, d'après l'Écriture, Dieu conduisit
Abraham e!ç to è^wTiTw x^^p^ov, c'est-à-dire l'affranchit de
toutes les chaînes du corps. — Dans Gen., 18, 10, [xéca
8t6tX6v signifie que Dieu partagea tout en parties égales par
544 PHILON ET LE ZOHAB
le moyen du Xô^cx; xo[jl6u<; {Quis rer. div. haer,^ I, 493).
La répétition des choses déjà dites, oi3 (juzxpoXoY^^ to
©auXérrrov etdoç tauroXoYwcv eTctTETiliSeuxe (Z)tf congr. erud,
grat. , I, 529) . Le Talmud Baba Kama 64 a exprime le
même principe sous cette forme : « Quand une chose e^
dite et répétée, la répétition ne peut que viser un point
nouveau » -m b'ïattn «bw n^att^i: vh n^^ttr"»:*! mQ«:3iir -m Sd
Le Zohar tire grand parti de cette règle et il Tappliqu^
non seulement à la répétition d'un fait ou d'une idée,
mais à la répétition d'un mot dans un verset ou même
d'une lettre dans un mot
It est loisible de faire abstraction du sens syntaxique,
pour considérer un ou plusieurs mots hors du contexte.
Le Midrasch, le Talmud, les Septante, le Zohar ne se
font pas faute de séparer même un pronom du verbe
pour éviter une difficulté et Phiion fait communément
'servir un même mot à la proposition précédente et à la
proposition suivante. Ainsi à propos de Gen,^ 19, 20, il
dit que la ville de Zoar est appelée {ji'.xpi -zt xal ou p.txpa
pour nous apprendre que le sens de la vue est petit quant
à son siège, mais il est grand quant à l'étendue qu'il
peut embrasser [De Abrah.^ II, 23; cf. De plant., I, 346;
à propos du mot àrepixa6apTos de Levit.y 19, 23).
Les synonymes ont chacun leur emploi voulu. Phiion
à\i [De agricult . , 1, 300) : « Si la plupart des hommes
ne pénètrent pas bien avant dans la nature des choses et
par exemple leur donnent des noms par à peu près.
Moïse choisit l'expression propre cvof^a^tv e-jôuSoXwTaxotç
xal ifxçavT'.xwTaTO'.ç stwôe yj^f^'shxu Ainsi dans Gen., i, 27,
èzoiTîJsv et Gen,j 2,8, IzXa^îv indiquent deux espèces dif-
férentes d'hommes; VunztTzXxT^hoq est le à'vOpwTroçYr/'voç,
l'autre xai' ekcva est le àvOpw^rs? cjpiv.c; (Leg. al/eg.,l, 49,
53. Cf. Zohar sur les mêmes passages et Zohar, III, 57 b).
L'AUéflOBISHE DANS PHIUIN 54&
Oq pent ae aervir de jeu de mots pour aboulir à des
combinaisons nouvelles. Telle est l'expression de Gen.,
itt, 6 : ÉY^^puff^tçTouTv, pourdîre à l'initié de garderie secret
des mystères.
Certains adverbes, certaines prépositions ont nne va-
leur allégorique spéciale (pour le Midrasch également,
cF. Yalkut sor I Sam., 17, 36 et le Zohar, U, 132; UI,
56, etc.). Ainsi Gen., 1, 27 dans les mots xaT e'-xCtx, la
préposition xxtà indique que l'homme n'est pas créé à
l'image de Dieu, mms à l'image d'une image de Dieu,
du Logoa (Quit rer, div. haer., I, 50S).
Un mot peut Mre décomposé en ses éléments, lesquels
peuvent être chacun l'objet d'une combiaaisoQ particu-
lière. Dans Gen., 31, 10, le mot SiàXeuxa; signifie que
les premiers fruits de l'flme recevant les semences sa-
crées de la Sagesse sont d'une blancheur éclatante {De
somn., l, 65).
Chaque mot peut recevoir toutes ses acceptions pos-
sibles, par exemple, xéqui;, vêtement et ornement et uni-
vers, pour nous enseigner que le vêlement orné du
grand-prètre est le symbole de l'univers [DevUaMus.,
II, ISI). — Dans Gch., 3, ISiuoQ «Teignifie : l'daos quelle
injustice, t> Ame, t'es-lu enveloppée; 2° tu es nulle part,
car le mat est cËtors;. — Dans Gen., S8, 11 : TÔxa; peut
signîlier : 1° l'espace rempli matériellement; 2° le estTo;
Àsys; rempli par Dieu de forces incopporelles; 3° Dieu
lui-même {De iomn., I, 630).
On peut se permettre de changer légèrement un mot
en vue d'obtenir un sens nouveau. Le Midrasch et le
Zohar introduisent ce principe par la formule *]3 Hipn Sh
-3 kSk, ne lis pas ainsi, mais lis... Par exemple Ésaïe est
appelé rrro ïtim un homme des champs; on peut lire V^k
niï, un homme de chasse (Gen., Siî, 25). Le Talmud et
la Kabbale partent de là pour établir de substitution en
546 PHILON ET LE ZOHAR
substitution des alphabets cryptographiques^ gros de
nouveautés. Philon opère pour les besoins de sa cause
des changements d'accents, de voyelles, d'esprits ; ainsi
plus haut 7:00 et {Gen.y 3, 4) devient xou e! tC; devient tI
Leg. alleg.yly 97; I, 81, 82).
Le moindre élément d'un mot a son importance. La
Genèse (i, 26) dit icot/<(ja)[ji*v (au pluriel) pour marquer
que Dieu ne créa pas lui-même tout Thomme; ses colla-
borateurs se chargèrent de la partie relative au péché
{De opif. m., I, 16 ; De mut, nom, y I, 583). Le Midrasch
interprète de même que sur les trois anges apparus à
Abraham, deux seulement sont chargés de la mission
destructive à Sodome, le troisième reste auprès d'Â-
braham. II est Dieu ou représente Dieu. De même pour
Philon, la Genèse ^ **> 7) dit auyxéwixsv, c'est-à-dire q«e
Dieu ne voulant lui-même toucher au mal, fait appel à
ses anges {De confus, ling.y I, 432). — L'article a sou-
vent un sens mystique. Ainsi le mot av6<p(i>::sç accompa-
gné de l'article marque b xax' eÇox^îv àvôpwxoç, l'homme
supérieur [De profug., I, 556); 6eoç sans article signifie
le Logos et avec l'article l'être en soi {De somn., I, 665).
Une combinaison obtenue do la sorte demeure fixe. Si^
par exemple, Dieu est appelé lumière dans P5., 26, 1, la
lumière peut dans toute l'Écriture être le symbole de
Dieu {De somn., I, 632).
Le texte vaut parce qu'il dit et parce qu'il ne dit pas.
Ainsi Gen., 3, 9, Dieu appelle seulement Adam et non
Eve, pour dire qu'Eve est ici sous-entendue, c'est-à dire
lorsque le vouç est appelé, l'ar^TOr^atç y est comprise {Leg.
aile g. ^ I, 97).
Il y a un symbolisme des nombres.
Le nombre em, tx^viç, est le nombre divin, Dieu se suf-
fisant à lui-même et étant principe de tout, comme un
est principe des autres nombres {Leg. alleg., I, 66).
,--r, •• .^..v. . t ■ ..-' ' ': '^?*î*ïMÇïyj"y^.* '«^'j.»;*:»
L ALLÉGORISME DANS PRILON 547
Deux marque la divisioQ, le créé. Philon est ici Técho
du néo-pythagorisme et du stoïcisme {De opif, m., I,
7; Leg. alleg., I, 4i). Adam meurt parce qu'il touche au
deuxième arbre et marque ainsi qu'il préfère le Suaç à la
jjicviç, le créé à Tincréé.
Trois marquç l'essence divine accompagnée de ses
deux Forces fondamentales {De sacrxf. Ah. et Gain. y I,
173).
Quatre est en puissance ce que dix est en acte, c'est-
à-dire la perfection {De opif, m., I, 11).
Cinq^ à cause des cinq sens, est le symbole de la sen-
sualité (De plant., I, 349 et jt>ûS5.).
Sxx^ produit du nombre mâle et femelle (3 X 2), et
composé de parties égales (3 + 3), représente le mouve-
ment des êtres organisés (Le^. alleg.y I, 46). Le Sefer
Yezirah tire-i-il de là son « sextuple sceau appliqué aux
six directions » (fin du cbap. i)?
Sept a des nombreuses qualités merveilleuses (cf. De
opif. m,, 1, 21 sqq. et Leg. alleg., I, 45 sqq.)»
A^eî// marque la querelle, la division [Congr. erud.
grat., I, 532).
Dix est le nombre de la perfection {De plant, ^ I, 347;
De DecaL, II, 183).
Dix combiné avec cinq (10 X 5250) est le nombre de
Taffranchissement de Tàme {De mut, nom. y I. 613), etc.,
etc.
Il est à peine besoin de rappeler l'emploi varié à Tin-
fini que le Zohar fait des nombres.
A côté des nombres, tous les êtres qui figurent dans
rÉcriture sont, pour Philon et le Zohar, des porte-paroles
d'une idée étrangère à celle qui est exprimée dans le
texte. Il suffit de trouver pour cela un terme moyen qui
puisse relier cet être et l'idée qu'on y veut rattacher.
Dans leur ensemble les animaux sont un symbole des
548 PHILON ET LE ZOHAR
passions de la partie «Xoycv de Thoinme {Leç. alleg.^ I,
68) ; accompagnés de lenr berger, ils représentent les fa-
cultés corporelles dirigées par la raison (De agricult.^ l,
304) on les passions maîtrisées (ibid., I, 309). — Les
brebis, les plus doux parmi les animaux et les plus fé-
conds, sont le vouç, le meilleur en nous (De mut. nom.^ I,
616). Le mot «pcôa-ccv (brebis) marque Tidée de 7i;po6a(vstv
(progresser) et est ainsi un symbole de Tâme juste [De
somn,y l, 650). Remarquons en passant ces jeux d'étjrmo-
logie grecque se répercutant sur TEcriture. — Mais par
leur bêtise les brebis sont un symbole de {jli^ Xoytxa du
mal, de Tignorance {De sacrif, A6, et Gain., I, 170).
La génisse {Genèse, 18, 9) représente la ^xr/ii^ (Quis
rer. div. haer.y I, 487). — Le béjjier symbolise la colère
et le sophisme {Leg. aUeg,^ I, 113; I, 490). — Le cheval
représente la fougue des passions {Leg. alleg., I, 84). —
Le tigre représente le désir (tôîd., I, 57). — Le chameau,
la mémoire {De post. Cain.y l, 254), Tàne Yakoyoi; çuïiç
{De migr. Abr., I, 472).
Les oiseaux en général étant difficiles à ramener quand
ils sont envolés sont une image de la parole {De mut.
7iom., I, 616). En tant que se plaisant aux régions supé-
rieures, ils symbolisent la sagesse. Leur descente sur
terre, c'est Tâme guettant l'éther pour se marier au corps
(Quis rer. div, /mer,, I, 606). Accompagnée du nombre
sept, ils sont les sept facultés corporelles, à savoir : les
cinq sens, la parole et la faculté de reproduction (on re-
connaît la division stoïcienne). Les mâles représentent
ces facultés à Tétat actif, et les femelles à l'état passif
{Genèse, 7, 3) {Quod det. pot. insid,, I, 223). La tourte-
relle aimant la solitude est une image du Logos divin
{Quis rer, div. haer.y I, 491).
Le serpent rampant, dévorant la terre et mordant
rhomme, est une image du désir attaché aux choses ter-
•ir>''- "V "^•A'ij^fi
l'allégorisme bans pniLON 549
resires {De opif, m,, I, 58), inspirateur de Terreur {Leg,
alleg.j I, 99). — La sauterelle, c'est Tâme s'affranchissant
du corps et bondissant au ciel {De concupisc, II, 355).
Les bonnes plantes représenlentJes vertus {De plant.,
I, 335), les mauvaises comme les épines représentent
les passions {Leç. alleg., I, 336).
Les arbres beaux à regarder représentent les vertus
théoriques ; bons à manger, les vertus pratiques {Leg.
aileg., I, 54).
Le chêne de Sicbem est la xat8e(a {De migr. Abr.^ I,
471). Les grenades symbolisent Teau (Phîlon joue sur
fjcToxoç et ^uatç). Le vignoble est une image de ei^pojuvtj,
l'olivier de la lumière {Quod Detis immut,, I, 287). Le
vin de Tovota {De somn,^ I, 681). — La pâte tirée du blé
marque les révélations mystérieuses de Dieu. Le pain
est la nourriture de Tàme {Leg. alleg., 1, 157). Le rocher
représente la sagesse ininterrompue de Dieu (Quod det.
pot. insid.y I, 213).
La brique est une image de l'univers qui est, comme
elle, solide, mobile, et constitué par des éléments li-
quides {De confus, ling., I, 419). — Le soleil, c'est Dieu
en soi {De somn,, I, 631). — Les puits par leur profon-
deur sont les 66(DpT^iiJLaTa(Z)e 5omn., I, 621). — Les fleuves,
notamment les fleuves paradisiaques, représentent l'un
ràYaOcTir)ç, les quatre autres les quatre vertus cardinales
{Leg. alleg.y I, 50). L'anneau est une image de l'idée
fondamentale enveloppant toutes les formes incorpo-
relles, il Twv oX(i)v afpoytç il àp^étuicoç tîéa {De mut, nom,^
I, 598). Il marque aussi la forme que Dieu imprime à
l'âme {De somn,, I, 685). La chaîne, c'est le nexus de
tout {De mut, nom,, I, 598). Elle représente aussi la né-
cessité corporelle {De somn., I, 664). Les vêtements
sont un symbole des corps {Leg, alleg., I, 134). — - Le
vêtement du grand -prêtre en particulier est un mélange
550 PHILON ET LE ZODAR
des voYjral xal aicrOiQTal 3uva(jLetç {De migr. Abr.y I, 452). —
Son vêtement de dessous marque Tair qui descend du
ciel sur la terre. — Les Qeurs qui rornent représentent
la terre. — Les houppes représentent l'eau. — Les clo-
chettes symbolisent la collaboration harmonieuse de
l'eau et de la terre lors de la création ; ses émeraudes
sont le soleil et la lune; les six noms qui y sont gravés,
les six constellations; les douze pierres, les douze signes
du zodiaque ; les deux pectoraux, le Logos idéal et réel
et, dans Thomme, le Xéyoç êvScaOeToç et ^cpo^opixdç {De vita
Mos , Ily 153 sq.). — Le chandelier à sept branches du
tabernacle représente les sept planètes (tétVf., 11^ 150).
— Les quatre couleurs des rideaux représentent les quatre
éléments à savoir le byssus, la terre, la pourpre, l'eau
(pris à un animal marin), le jacynthe, l'air, la coque de
roche, le feu {De vita Mos., II, 148).
L'homme est un symbole duvoOç {Leg. alleg.y 1, 66; cf.
De sacrif, Ab. et Caïn., I, 181); la femme est un sym-
bole de TaraÔTiat; {Leg, alleg., I, 71 sqq.). Toutefois les
vertus ont des noms de femme, en ce que Dieu est re-
présenté comme leur époux {De profug., I, 363).
Il y a un symbolisme des noms propres. Le Midrasch
fonde ce symbolisme sur un verset des Psaumes (46, 9).
Au lieu de lire : yiNi matt^ Dttr wk « Il (Dieu) a répandu
des ruines dans le pays » • il lit : r\Myo « il a fixé des noms
sur la terre », c'est-à-dire il a caché au fond des noms
des vérités profondes. Philon semble reprendre Tidée
du Midrasch. Il dit {De cherub,, I, 149) : wapi MwujsT ai
TÛv ivc^JLaiwv 6éa£'.ç èvapYSiai xpxfiJLaTwv e'.aN èix^avTîvccSTaaa».
loç aixo 10 T^^^^x âç ovrpcYjç eiôù^ eîvat to cvofjia xal xaO' o3
T^cxai 8'a(pép6'.v [xrjBàv (cf. De agricult., I, 300).
Ces noms, une fois interprétés, demeurent, pour Philon
comme pour le Zohar, des symboles fixes, des types sym-
boliques. Ces noms, dit Philon {De mut. nom.^ I, 588),
L'aLLÉGORISHE DAHS PHILO.N %1
ne sont pas des choses mortes, ce sont, aux yeux de Dieu,
des images de ses forces, /apaxxfjpe; Suvâiuuf.
Ici nous toucbons la charpente même du système ou
plul6t du procédé philonien. Tout le pliilonisme est en
germe dans les mots suivants :o'j/ !<TTopixt] yevesXoyiix tccSt'
È(rc(v ÔNTfpa^iîax icapx tÛ aofà tO]t.o^iTrj, tMjSs'.ï toSx eu f psfûv
Xwv ivâxtuÇiç ta 8' ôvjjjurca i/£ta6aXivTîç et; Ti;v Vii/.eTép«v BtâXex-
Tov EiooiiEe» ■ri;'* ûxic^eoiv âXi;6sj [Decongr, erud. grat. , 1, 523},
Il nous faudrait un volume pour suivre Philon dans
tous ses synibolismes onomastiqaes. Contentons-nous de
quelques exemples, pris surtout au point de vue de la
comparaison avec le Zohar.
Aaron, pintt, il le dérive de in, montagne, image du
î.5y:î qui s'élève au ciel comme une montagne. Cest aussi
la faculté humaine de la parole, car dans innKilyaaussi
11K (feu) et la parole est comme un feu qui dévore, qu:
demande & s'échapper {De migr. Abrah., I, 448; Leg,
aileg., l, 96).
L'Egypte marque :
1 . Le pays de l'abondance ;
2. Le corps;
3. Particulièrement rafoBïiJtî.
{Leg. aileg,, 1, 80; De migr. Abr., l, 448).
Joseph {fpv de la racine signifiant ajouté) est ^(liis^t^x
Tipà^^tiii; et représente :
i. Le vou; ifikoobt>j.xtç<; {Quod Deus immut., I, 289);
2. Le Xôyo; pratique, l'homme pratique {De Joseph., i,
41 sqq.
Laban (^aS = blanc) : Xeuxi; , XEuxat^ixiç par sa i:o(ti.-nj
ixsr,\).o^ qui lui revient dans le partage de Jacob, repré-
sente la uXj) dÎKoioî {De profug., I, 547), et par la couleur
blanche, les couleurs en général et encore par ce moyeu
le règne du multiple.
552 PHILON ET LE ZOHAR
Moïse représente le sage connaissant Dieu^ le vct>ç
TdXeicç. — Comme dérivé delà racine égyptienne Mwç, il
est le symbole de Teaa {Leg. alleg., I, 89 et I, 413).
L'Ethiopie : xsrupoiîxériQ {Leg, alleg,^ I, 78) du mot atBw;
symbole de ia à;xeTa6Xr|Toç xal xaTaxop^îjç y^w^xt; (pent-étre le
xaTaxop-^jÇ voDç de Platon).
Tout cet allégorisme se rencontre également dans le
Zohar avec — s'il ne peut — plus de subtilité encore^
plus de jeux de mots, plus d'arbitraire étymologique et
philologique et surtout avec la préoccupation prédomi-
nante de Tau-dessus et de l'au-delà. Ce que nous en
avons indiqué dans le corps de notre travail en peut déjà
donner une idée. Nous allons encore en fournir quelques
exemples, que nous choisissons particulièrement comme
terme de comparaison avec Philon.
Tout d'abord dans le règne animal. Les animaux en
général sont des symboles de ce qu'il a de Çcoov en
l'homme [Zohar, 1,211 a; II, 48 b; II, 126 a).
Les fauves sont en outre des représentants des esprits
mauvais (III, 113 b),
La biche représente l'aurore. Ses bonds, c'est le soleil
montant à Thorizon; c'est aussi le bond de la prière du
juste [Zoh., II, 52 A; U, 46 a; II, 57 a\ III, 21 b).
L'action particulière du juste sur la Sefirah Malchut
est symbolisée par l'union du bélier et du cerf (ZoA., Kl,
68 a). Le lion symbolise le désir et la domination {Zoh.^
II, 119 /J; III, 154 a; III, 124 6).
Dans le règne végétal, le chéne^ notamment le chêne de
Sichem de l'Écriture, marque la force vitale des Sefirotb,
leur force procréatrice. Le gland est un représentant de
la fécondité en général {Zoh.^ 1, 172 a). Le chêne est omis
parmi les arbres de TÉden pour marquer que la force
profonde, la racine de Tètre, nous échappe. — La gerbe
d'hysope marque Tunion que le sacrifice opère entre la
■ T •- \ nj-.-^-'tr- ■^^MOfra-'
l'allégorismk dans fdilon 553
terre et le ciel. — La noix marque la forme concentrique
des mondes {Zoh., I, 20 a; II, 15 6, 140 b, 233 b, 2S9 b).
Le miel doux au palais symbolise la loi orale. La sobriété
avec laquelle il faut^en user nous enseigne d'être mesurés
et discrets dans la recherche des vérités supérieures
(ZoA., I, 240 a). — L'olivier avec ses fruits faits pour
être pressés marque Tépanchement divin sous l'action de
la vertu (Zoh,, II, 120 b; III, 126 a). — Le vice est un
symbole du mal, du côté gauche (Zoh,, I, 240 a; III,
127 a), — Les violettes représentent le parfum de la
vertu et aussi la fécondité, le goût parfumé de Tétude
de la Thorah {Zoh., I. 156 A; I, 242 b).
Parmi les métaux, Tor symbolise l'élément feu et l'ac-
tion du feu dans l'œavre de la création {Zoh.y II, 23 b; II,
73 a\ II, 135 a). Sous forme de cachet, il marque l'em-
preinte des types dans l'univers sensible {Zoh., I, 244 b;
II, 11 a; II, 114 a). Par sa couleur il représente la Sefirah
Magnificence {Zoh., III, 51 a).
Les phénomènes physiques en général : chaque fois
que rÉcriture parle de lumière, elle vise un sens profond
et mystérieux. La lumière du jour symbolise la grâce
divine {Zoh.^ I, 141 b). La lumière de la nuit marque le
reflet de Dieu dans les choses; la même idée s'attache au
clair de lune, etc., etc. {Zoh., I, 141 ô; II, 78 A; I, 59 a).
Les montagnes marquent Tenchatuement des choses,
le supérieur descendant jusqu'aux parties infimes de Tin-
férieur {Zoh,, II, 232 a; II, 157 a; II, 69 b). Les pierres,
réalités solides et tangibles, marquent le monde réel
{Zoh., 1,12 a, 152ïi, 231a).
Le saphir représente la Palestine (III, 240 b). L'^2K
nmvj de Ps. 48, 3 représente ceci. Lors de la création Dieu
jeta dans la profondeur de l'abtme un joyau qu'il détacha
de son trône. La pointe dépassa. Elle marqua le centre
de Tunivers {Zohar, II, 122 a).
554 PniLON ET LE ZOHAR
Les vètemeots sont le monde sensible enveloppant le
monde supra-sensible. Les vêtements magnifiques du
grand-prètre portent sur eux toute l'histoire de la créa-
tion (Zoh„ II, 275 b; II, 39 a; I, 217 a; cf. III, 250 b).
Les vêtements symbolisent aussi la transfiguration ultra-
terrestre des corps {Zoh., I, 66 a; II, 96 b, 150 a).
Chaque heure de la journée est un signe de mystères
profonds (ZoA., 1,46 a, 203 a; II, 175 a; III, 64 ez, 176 b)
de même chaque jour de la semaine et chaque mois de
Tannée.
La même interprétation s'applique à tous les noms qui
figurent dans TEcriture. — Aaronavec sa barbe opulente
partant du visage représente la Sefirah Malchut (ZoA.,
III, 20 a, 177 a, 180 b), — Balaam symbolise la vérité
qui s'impose à Thomme fermant les yeux sur les appa-
rences de ce monde (II, 69 a; II, 237 a; III, 193 b). —
fietzalel marque toutes les formes issues du côté droit;
il signifie aussi qu'un plan supérieur préside à la réalité
{Zoh., II, 222 a; 234 A). Dan, c'est la justice, la sévérité
et le côlé gauche (Zoh,, 1, 243 a; cf. II, lOi b), — Élie,
dispensateur de la pluie, signifie Tépanchement divin mis
en action par Thomme {Zok., II, 79 a; III, 68 à). — Eve
symbolise la Sefirah Beauté; mais aussi le corps, le
péché [Zoh.y II, J37 a; I, 145 b). — Job marque que
Dieu ne se mêle pas directement au mal {Zoh.^ II, 53 a;
69 a, 181 b). — Isaac, objet d'épreuve pour Abraham,
représente les passions en tant qu'éprouvant l'âme (I,
79 b\ I, 606 è, 109 a). — Joseph représente la Sefirah
Fondement (le Zohar sur ^d^ et td^); il représente aussi
l'abondance (I, 158 a, 250 i, 197 a, 184 a),
Sarah, dont Abraham dit : Elle est ma sœur, marque
la parenté entre la Sophia et la Schechinah.(Z(?A., 1, 82 a;
II, 52 a\ cf. Philon, De mut. jiom.^ I, 590; Congr. erud,
grat., \, 519). Pour les patriarches en général, ils sym-
LA DOCTRnE DE PMILOH 5!»
bolisent la Mercabah (cf. Zoh., III, 38a; III, 150 b; II,
236&;II, 110a;I, 80 a, etc.). Edom est le symbole des
mondes non arrivés à terme. Il symbolise aussi la paresse,
rioertie {Zoh.,\, 133 a; cf. Philon, De poster. Cain , l,
244 ; Quod Deus immut., I, 294).
Pour les leltres et les nombres il nous semble inutile
de rien ajoutera ce que nous avons dit.
C'est d'une part comme de l'autre, dans Pbiton et le
Zohar, la même méthode, mieux la même absence de mé-
thode. Remarquons seulement que le Zohar, à la diFTé-
renée de Philon, ne s'impose pas à un certain nombre
de règles allégoriques, dans les limites desquelles il se
meut imperturbablement ; non, il part de ce principe, que
tout dans l'univers sensible, particulièrement tous les
mots de l'Écriture ne sont que des signes, des retlets de
redites plus hautes et de vérités invisibles. En quelque
sorte chaque couche, chaque compartiment de l'être est
l'envers d'un ordre plus élevé, plus pur, plus voisin de
la Grande Réalité, l'Ancien des Anciens, le Ën-Sof.
Maintenant il faut jeter un coup d'œil sur la doctrine
^e PhiloD, non pour l'exaRiiner en soi, mais pour voir
comment les procédés allégoriques lut servent àla fonder
sur l'Ecriture. Rien ne peut contribuer davantage à ex-
pliquer l'histoire du Zohar.
Nous avons, déjà dit que Dieu est, selon Philon, «roicç
et par exemple «p^tjtsî et Mianâ,Xr,Tns^. L'Écriture lui par-
lait bien de la sublimité de Dieu, mais non de son affran-
chissemenlde toute qualité etde toute dénomination. Ce
n'est pas elle, en effet, qui lui fournit la conception de
ce Dieu, mais te dualisme platonicien entre l'idée et la
matière. La matière étant, pour Platon, ledéfectueux, le
mauvais, il ne reste pour Dieti, identifié avec l'Idée, de
place que dans l'opposition à la matière, Philon ne re-
cule pas devant les conséquences extrêmes qui en dé-
556 PHILON ET LE ZOHAR
coulent el il enlève à Dieu toute relation avec l'univers
matériel, soit avant soit après la création : to yxp ov i^ Sv
ècTtv G\jy\ Twv TzpàTzi aÛTo yàp èauTOîî îcXfJpeç xil xjto èouTb) Ixa-
vcv %xi xpo Tîjç Tou xcff|ic« yt^lTeiùç %M jji6Ti TÎ;v Yivgffiv tcO
TCovToç èv i|Ac((t> (Z)tf mw/. nom. , I, 582).
Donc les passages innombrables de T Écriture qui
attribuent à Dieu des mains, des pieds, des yeux, des
oreilles, etc., sont ôroma {De alleg., I, 50) et uTcepwxeiviôç
xai [AexoxcqjLtoç àdeSeta {De confus, ling., I, 425). Ils doivent
être interprétés. Si la Genèse (i, 27) dit de Thomme
qu'il est semblable à Dieu, ce n'est pas qu'elle entende
qu'il est une image de Dieu, mais xxf «Ixéva Oeoî èwoCr)-
aev XJT5V, c'est-à-dire que Thomme n'est qu'une image
d'une image de Dieu {De opif. /n., I, 16). II en est de ce
passage comme de beaucoup d'autres, où TËcriture en
parlant de Dieu ne fait que s'accommoder à l'entende-
ment humain : TaOxa àvOpwTrsXoYSÏTxt xapi tw vcixôôéTfj rept
ToO ixy; avôpa)T:oiJLcp?ou Oecj {De confus. Ivig,, I, 419). Et la
preuve c'est que Dieu dit une fois de lui : olx m^ avôpoMcoç
{Nomb, , 23, 19) et une autre fois : wç «vOpwTzoç watîsOjai tcv
ulcv xj-coij, ce qui signifie que Dieu en soi n*est pas comme
un homme, mais que au point de vue de l'enseignement
de rhomme, au point de vue des connaissances humaines
il est comme un homme.
De même pour ce qui concerne les aifections hu-
maines. Dieu en soi est libre des aXcva 'Y-'yM '^^^^V* îl ^st
a/v'j:cc; açc6oç xal Tj.i-zT/p^ T^xno^ ziOoj; {De Abrah,^ II, 29)
et cela résulte de Exode, 2, 12, où Moïse zspiSXe'^ajxevsÇ
Trjv iXr// t}/u^v wSe xal èxsije xxl [xr^îÉva lîwv àjTw-a Sti jjly; tcv
cvra ôecv {Leg. alleg,, I, 94).
Sur cette base nous devons pouvoir expliquer tous les
passages anthropopathiques de TÉcriture. Ainsi les ex-
pressions ivîOjîxr^Or^ xal 5'.£vcr<0r; de Gen.y 6, 6, ne peuvent
être pris au sens propre de repeutir ou regret de Dieu,
7t
;.^vn'.'
tv
LA DOCTRINE DE PïlILON 557
mais signifient que Dieu, lorsqu'il considère ses œuvres,
se sert de sa ewoia, c'est-à-dire de la connaissance r^epo-
sant en lui, et de sa ^lovor^citç, connaissance agissant sur le
dehors [Qtwd Deus immul., I, 271). Le Zohar attache à
ce même passage la distinction de la connaissance avant
la création, de la connaissance après la création.
Cette immutabilité de l'essence divine, toôêTcv a-cpeTcrov,
Philon la découvre dans Deuléronomey 5, 31, au lï xjxôO
(rcY;6i ixe-:' èjxou [Quod Deus immut.^ I, 276), d'où il résulte
que Dieu est élevé au-dessus de Tespace. Dans la Genèse,
3, 9^ Philon explique : « Toi, Adam, tu es quelque part
(^cO £î) dans Tespace, mais Dieu n'a pas de xoO » [Leg.
alleg,, I, 97). — Quand Jacob dit [Genèse, 28, 16) :
« Dieu est en ce lieu, mais je ne le savais pas », cela
signifie que Jacob ignorait jusqu'alors que Dieu ne fut
pas dans un lieu déterminé; il s'aperçut alors de son
erreur et « prit peur ». — Quand la Genèse dit d'Abra-
ham (22, 3, 4) : cTâe tov toxcv ji.dbcpoOev, cela veut dire : « que
Dieu était bien loin au dessus de toute création » (le mot
TSTToç pris ici au sens du mot makom dans le Talmud et
le Zohar (cf. Vhxlon^Deprofug.^ I, 537 à propos d'i?a:orfe,
21, 13) : Sciao) COI tézcv • toxcv yip y.aXet vuv oO yt^pa^t àxTue-
7:Xi(;pa)jjLévr;v iizb ffo)[xaTOç aXXi ôt' ùtcovciwv ajTov tcv ôsàv èxeiSY)
zepiiyiù^ ou 'Ktpii'/e'zxi xal oTt xaTaçoY^J "^^^ oXtù'i i<ni. L'affran-
chissement de Dieu de toute qualité est surtout indiqué
aux yeux de Philon par la défense mosaïque de repré-
senter Dieu sous une forme imagée {Exode, 20, 13; Leg,
alleg,, I, 53).
Mais le sens profond de cette conception de Dieu, c'est
qu'il est sans relation avec la matière, c'est-à-dire qu'il
est simple et pur. Cela est indiqué par Ps. 62 (61), 12 :
à'^raÇ xjpjcç ïXiCkrflç, ; or cet axaÇ ne convient qu'à ce qui
est if>tpaTcv, à la ;jLoviç [Quod Deus immtit,, I, 285).
Le Zohar et Philon appuient tous deux sur le passage
558 PBILON ET LE ZOHAR
de Genèse, 2, 18 : « Il n'est pas bon que Thomme soit
seul. Philon dit : Dieu n*est pas (yuyxptixa, mais aicXij ^ùtnç
et le Zohar explique : « A Dieu seul convient la solitude ».
— Les mots iytù etjxt ô wv {Exode, 3, 13) montrent que
rhomme ne peut connaître Texistence de Dieu, xyjv {Ixap-
Çtv.... Tva rpcaavaStSa^ôoifftv (5ç ou8àv Svo[Jia ii: 6{jloî5 tô raparav
xuptoXoYSÏTat 0) [i.6va) 7:p6ff£ffTi to etvat (Oc vita Mos,, I, 14 ; II,
42). Cf. Zohar sur la défense de demander le nom de
Dieu [Genèse, 32, 29).
Maintenant que Dieu est d*une manière générale in-
connaissable, Philon le trouve dans Exode, 20, 21, où il
est dit de Moïse que, pour parler à Dieu, il entra dans
Tobscurilé : e!ç tov yvoçov [De poster. Gain., I, 228).
Moïse, n'ayant rien trouvé dans Tobscurité, adresse à
Dieu la prière de voir son visage [Exode, 23, 13). Le
visage est ici l'expression la plus pure de l'Être, zapaSoXii
eT^ SfiXwdtv tyJç xaôapWTorr^ç xal eiXtxptveaxif^TYîç toO ovtoç tâiaç,
èrsi^Yî xal avOpwroç ciîsvl Y^(i)ç(ÇeTai jjlSXXov îfi TrpcdciTTO)...
Et Dieu lui répond que son èlre est axaTiXyjiîTov [De
mut, îiom-, 1, 580).
Quelques autres définitions philoniennes de Dieu re-
posent plus complètement sur le terrain juif. La compa-
raison avec un feu rayonnant fait penser à la théophanie
dlsaïo et d'Ézéchiel. Dieu en tant que cwr^^p de Tâme as-
servie aux passions rappelle le !?nu si fréquent de TEcri-
ture, et comme TÉgypte est allégoriquement le symbole
du Tzx^zq, les passages innombrables présentant Dieu
comme le libérateur de la servitude d*Égyple sont re-
portés à Dieu libérateur de Tâme [De confus, ling,, I,
418). — Enfin la comparaison de Dieu s'euveloppant de
l'univers comme d'un vêtement paraît également tiré de
la poésie des Psaumes et de Job. [De monarch., II, 225).
Cette conception de Dieu écartait nécessairement toute
idée d'un contact de Dieu avec l'univers matériel, fut-ce
^T?^T ~ ■■ l-r.-r^-^r»-! bi OJ ^«^l|f.|.IPipV^
LA DOCTRINE DE PUILON 559
même pour le créer. Or la doctrine juive réclamait un
Dieu créateur et Providence. D'autre part, les tendances
mystiques de Philon voulaient aboutir à une union im-
médiate entre la créature et son auteur. Comment récon-
cilier tous ces contraires? Philon s^empara de la doctrine
grecque des intermédiaires, ou plutôt de la doctrine
stoïcienne de Timmanence. Ainsi Dieu redevient le seul
être actif, le grand agissant, le grand citoyen de l'univers,
y.6(j[Lo\) zoXîiri;, tandis que tous les autres êtres ne sont que
des iripcaci {De cheritb., I, 161). Il crée sans cesse {Leg.
alleg., I, 46). Philon aboutit à cette formule panthéis-
tique v.^ xa» to tcîv aj-rèç wv {Leg, alleg,, I, 52).
Pour trouver dans TÉcriture l'idée de Dieu en tant
que SpajTT^p'ov afTiov {De opif. m. , 1, 2 ; De cherub .,1, 1 55 ;
cf. Diog. de L., I, 7, 134; Sextus Empiric, Adv.phys.^
I, 1) ou en tant que voDç twv oXwv {De migr, Abr,y I, 466;
cf. Epict. , II, 8), il ne s'embarrasse guère. Il s'attache au
texte de P^., 50 (49), 10, « à moi est tout le bétail des
forêts... Kiy il retient de ce verset les quatre premiers
mots et il dit : les mots ôXa [/.ou Iœtiv marquent que Dieu
est TsXswTaTr; ojtiç {De cherub,, I, 154). Lui seul est véri-
tablement, lui seul demeure dans un être, dans une paix
immuable. C'est pourquoi Jérusalem, ville de Dieu, est
une ville de paix (a^S^'n"» = iT et diW, paix), Spaatç elpi^^v
{De somn., I, 692) et le sabbat est désigné {Lévit., 23, 3)
comme sabbat de Dieu, parce qu'il jouit seul du repos
absolu (Z)^ cherub. j I, 155 ; cf. Zohar sur Lévit., 23).
A cet être suprême ne peut convenir qu'une seule qua-
lité : la Bonté. Cette bonté pour Philon et le Zohar tend
à se manifester et devient ainsi le fondement de la créa-
tion : t{(; yxp ojx eT$£v oTt vlv. icpo Tf]? toO xiqjiou yt^tiveux; îxavoç
X6i(ùpoq Yjv {De mut. nom,^ I, 585).
L'Écriture appelle l'univers Tescabeau de Dieu, pour
560 ' PHILON ET LE ZOHAR
dire que la cause de cet univers ne gtt pas dans ce qui
est créé, oux èv tw ysyov6t'. ib Twe-^rc.r^xoç atitov {De confus,
ling,, I, 419). Le lépreux est exclu de la commanauié
{Nomb.^ 6, 2) parce que avec son mélange de couleurs
il est le symbole de ceux qui admettent deux causes pour
Tonivers, à savoir Dieu et Tunivers même. De même le
Yovop^èu-^iÇ est exclu comme représentant delà doctrine de
l'écoulement d'Heraclite.
De cette bonté ne peut provenir le mal; cela ressort
de Gen.y t, 26, où Dieu, lors de la création du corps hu-
main, appelle les autres puissances à son secours (cf. De
profug., I, S56; /)e mut. nom,, I, 383). Dieu ne crée lui-
même que Tâme et pas même la [jls(jy) t}/uxi^.
C'est sous cette forme que le stoïcisme qui fait de Dieu
Tâme de toutes les parties de Tunivers, entre en conflit
avec le platonisme. Dans ce conflit le platonisme l'em-
porte; la solution de TËcriture fait pencher la balance
de son côté
Mais ce conflit avec la matière évité, il faut admettre
avec les stoïciens que Dieu est partout, Trepieiyet to ttt/
[Leg. alleg., I, 97), ce qui ressort de Deut,^ 4, 39, et de
Ex. y 17, 6 : £Y0) ïzvr^%% r.fo Tou ce. — Et Philon conclut :
-ircTcv vip t6^cv èçsÇst èv c'o oo)rl ôedç Izv. {ibid.y I, 88). Même,
continue-t-il, Dieu est le seul qui constitue Têtre des
choses. Toutefois cet univers ne limite pas l'activité
divine et le Lévit.^ 23, 2, ne parle pas de flhrpaïîa, mais
seulement de àvaxauatç de Dieu ; ce repos signifie if; aveu
y.x/j::aO£{aç svipvEta {De cherub,, I, 55). — Mais s'il est
partout, il ne veut pas de son propre gré être en contact
avec le mai, pas même pour en délivrer Thomme. Il
emploie à cet effet, selon G^n., 48, 16, un oi-^tko^ (bu6|X€vcç
{Leg. alleg,^ 1, 122). — Les châtiments même nécessaires
il les atténue par sa bonté, car sa grâce dépasse sa jus-
tice comme il résulte de Ps. 101, 1 où eXecç précède xpt-
LA DOCTRIHE DB PHILON o61
0!(, aatremenl dît : TCjseoSûTipoç ^àp llxt/; iXeou icap' aù-tiâ
îav.1. — C'est aÎDsi que Dieu abandoime à Satan les
épreuves à exercer sur Job. C'est ainsi que l'Écriture
appelle partout Dieu le pbre ou la mère des hommes,
c'est ainsi que le Livre de la Sapience dit de Dieu (li,
24, 25). H 1) aime tout ce qui est, autrement il ne l'aurait
pas créé. » Et il ne s'agit pas seulement d'éloigner Dieu
de tout contact avec le mat physique, mais aussi avec
le mal moral. EtPhilonespIiqueainsi Joi, 4, 18: «C'est
par ses anges qu'il crée la perturbation ».
Quant à l'âme humaine, elle est l'œuvre immédiate de
Dieu, selon Gen.,. i, 27, imir,iigt (au singulier) ; éiant
donné l'article défini du verset 21, ii s'agit du àv.Zf,i xaî
axpxTOî Xs^ia\).i-; (De profug., I, SS6). Cette flme supé-
rieure il la désigne encore ôrra^Yioi^ èxjuiYsTcv, ou îtsà-
•iraiilJia {De optf. m. , 1, 36). Ici Philon semble comme plos
tard Ibn Gabirol et le Zohar transportera l'âme humaine
ce que le stoïcisme dit de l'âme universelle {cf. Diog. de
L., VII, 1S6). C'est une identification du vo3<; et de la
L'âme découlant directement de Dieu ne peut être
nourrie que par lui. Ce rapport, Philon et le Zohar le
comparent également au rayonnement d'une lumière,
ou à l'émanation d'une source. Selon le symbolisme
allégorique, le soleil représente Dieu. Ps., S6, 1, Dieu
est appelé lumière (De somn., I, 632); il est ap-/irjitoî axfh
(De cherub., I, 156), mrjp] -rijî xaôapuxâTi]; ïj-j^; [De mut.
nom., I, 579). Le feu de l'autel {Lécit., 6, 2) est l'image
du feu divin nourrissant l'âme. Toutefois l'âme ne peut
supporter que le feu du Logos et non le rayonnement
immédiat de Dieu (De somn., I, 638).
Dans De profug'., I, 57S, il détermine ce rapport ainsi :
Môvsî Yip 4 Sêgç 'Jiuxïjç xal ïwiîç xai 8iai{/Ëp:vt(iiî Xoyixlji; ^^x^n
xx\ Ti;ç |ji.eTà fpov^3£(Jî ïuf;; x!v.oç. Et il conclut que l'imma-
562 PHILON ET LE ZOHAR
nence de Dieu prend sa forme la plus élevée dans r&me
du juste. C'est de la même manière que le Zoharfait du
stoïcisme enté sur la doctrine juive la base de toute son
éthique.
Pour maintenir la conception du Dieu créateur e^
Providence saos cependant trop rapprocher Dieu de la
matière, Philonn'a qu une ressource : placer entre Dieu
et l'univers des forces indépendantes, mais cependant
assez dépendantes de Dieu pour en recevoir les bienfaits.
De toute manière le heurt des doctrines demeure; car
ces forces doivent être à la fois en Dieu et hors de Dieu^
comme nous l'avons déjà remarquent propos de la mé-
taphysique du Zohar.
Au platonisme Philon prend la conception des inter-
médiaires comme des types, des modèles de la réalité
ipxsTuxot lîéat, a?paY(; (De opif. m., §§ 4-9). Au stoïcisme
il emprunte Tidée de causes agissantes [De monarch.y I,
6, 4, 2i9; cf. Zeller, III, 2, p. 314 sq.). En tant que com-
pénétrant Tunivers, elles sont bien \6^z\ (jrepfjtaTixot [De
confus, ling.y I, 431). A la doctrine juive il prend les
anges auxquels il assimile les forces [Degigant.^ I, 263).
Ce dernier emprunt n*était pas facile, les anges n'étant
dans rÉcriture qu'une simple manifestation temporaire
de Dieu; d'autre part, TÉcriture ne marquant aucune
distinction tranchée entre un Dieu esprit pur et la ma-
tière. Enfin la Mercabah d'Ézéchiel et le développement
qu elle avait pris antérieurement dans le mysticisme ne
demeura pas sans influence sur Philon.
Quoi qu'il en soit, Philon détache la force fondamen-
tale de Dieu et l'appelle d'un terme emprunté au stoï-
cisme : le Logos. Au Midrasch, il emprunte la distinction
de la Justice et de la Grâce, le Midrasch avait trouvé cette
opposition dans les noms mêmes de Dieu, Elohim lui
apparaissant comme le Dieu en tant que Justice et Yahvéh
LA DOCTHIKE DB PIIILON ODd
en tant que Grâce. Il empruote cette Honnée (cf. Zohar,
1, 2 a). Mais errant sur le télragramme, il s'avise de dé-
duire les noms divins en grec de leur racine grecque.
Ainsi e^sî de tiôijiJiE [De confus, ling. , I, 425 ; Oeiç-D'nSK sé-
rail alors «ûiirrixJ) Siivaniî et comme fa création est issue
de la bonté 9îsç se rapproche de àfaSitri; {De migr. Abr.,
I, 464); l'autre nom, xûptîç, devient le nom de la force
«aj-Awf, [De Abrah., II, 19). — La Genèse, 17, J, porte
les mots wçei] xipisç pour dire que à Abraham apparut la
tjix^xq ^%tX\ix, en vue d'enseigner au patriarche que lui
seul, Dieu, et non les étoiles, était le maître de l'univers
[De mut. nom., I, 381). Le symbole de l'ÉcritLire pour
ces deux formes sont : i" les chérubins du paradis [De
theritb., 1, 144); 2° les deux anges accompagnant Dieu,
[Genèse, 18, 2; De Abrah., 2, 19); 3" les chérubias de
l'arche d'alliance (23. 18).
Des six villes libres [Nombres, 3S, 6) Pfailon déduit
l'existence des six forces suivantes [De profug. , I, 560) :
1. OeÏsî Xs-]-=;; 2. t, r.y.Tp.t.ri i-jvz^:q; 3. f^ iaa-X:-f.i\', 4. i^ Î^ecdî;
5. T, v3[j.5&îTix'^ ; 6. i xéoiJioî vsv'î» ^^ '' semble faire sim-
plement des difTérenciations de mots, comme aussi le
mysticisme et le Zohar, par exemple la deuxième et la
cinquième n'ajoutent rien; d'autre part, la dernière est
une synthèse de toutes les autres; peut-être Philon en
sous-entendant Dieu lui-même cherche-t-il a obtenir le
nombre 7, comme le Zohar le nombre 10.
D'autre part, se fondant sur Genèse, 6, 6, il distingue
encore la vnv.j. et Stsvii^n;, l'une faculté latente [■^, èvarrj-
xHjjivi]) el l'autre faculté active (■^ wiloeiùç îtiÇoîs;) (Quod
Deus immtil., I, 277). — Ailleurs il fait une place à part
à la Sophia [De ebriet., I, 362) : u Elle reçoit la semence
divine et enfante un fils matériel qui est l'Univers. Elle
est à la fois femme et fille de Dieu » [De profug., \, 553)
et symbolisée par Baiôsu^^X (St*ii2), OjYâtrip him.
56 i PH1L0N ET LE ZOHAR
Nous sommes ainsi amenés à 7 + 2 + 1 forces, c*est-à*
dire à 10, le nombre des Sefiroth; sans que j'admette
encore une fois une action de Philon sur les Sefiroth,
Philon semble d'ailleurs présenter les forces comme in-
nombrables à propos du Deut. iO, 17, où Dieu est appelé
ôajiXeùçTwv ôswv [De confus, linç.y I, 621). C'est plutôt
aux éons de Plotin qu^il fraye ainsi la voie.
Maintenant dans quel rapport ces forces sont-elles
avec Dieu? De V Exode, 25, où Dieu est présenté comme
planant au-dessus des chérubins^ Joël dislingue les Se-
firoth du Zohar des Logoi de Philon, en prétendant que
pour lui les Logoi ne sont que des formes de Tintelli-
gcnce divine, constituant l'essence même de cette intel-
lig^ence, tandis que les Sefiroth sont des créations
distinctes. Mais comment Joël explique-t-il alors les pas-
sages philoniens comme [De sacrif. Ah. et Caïn.y 1, 177) :
«jTÔv ôpci^jievdç xal èv Taiiaiç èîx^atvoixevoç OÙ Dieu apparaît
comme troisième à côté des deux anges?
Philon compare encore le rapport des forces à Dieu,
au souffle, à propos de Genèse^ 2, 7 (Leg, alleg.y I, 51).
C'est pour lui une manière très commode d'indiquer
qu'elles sont à la fois en Dieu et en dehors de Dieu.
Pour Philon, ainsi que pour le Zohar, le rapport des
forces avec Dieu n'est pas le même que le rapport des
forces avec l'Univers. De Psaumes^ 75. 9, où il est ques-
tion d'une coupe contenant au mélange de vin non mé-
langé, cette coupe étant entre les mains de Dieu, Philon
conclut : Cette contradiction a un sens mystérieux; elle
signifie que par rapport à Dieu les forces sont non mêlées ;
par rapport à l'univers elles sont mêlées [Quod Deus
immut,, 1, 284). Le Zohar joue de même avec les cou-
leurs qu'il attribue à la couronne et a chaque Sefirah,
suivant qu'on les considère par rapport à ce qui est au-
U. DOCTRINE DE PHILO» 565-
dflssus OU par rapport à ce qui est au-dessous d'elles. — Si
Dieu est en soi eu dehors du monde, il est par ces forces
tout près de l'univers, cela résulte de Josué, 2, a ;
iOeàçèv xw oHpxtif âvu xai iwt tîJ; y^ç «Etu (fie migr.Abrah.,
I, 464). Que ces forces sont des médiatrices entre Dieu
et l'Univers, cela ressort de Genèse, 28, 12; les anges
montant et descendant sont une image des forces allant
de Dieu vers les choses, et des choses vers Dieu. Elles
sont des auxiliaires de Dieu, juvep^îî (Gen-, II, 7 : ouv.
Xiu[jir(; cf. Gen.,Z, 22: û; eT; ^^ûv); bIIhs sont aussi les
aides des hommes justes (Genèse, 6, 8). Noé trouve grâce
lapà xuplu T(^ 6ei>i [Quod Deus. immut., 1, 289). Klles sont
aussi désignées par l'Écriture [Deut., 32, 7, 9) : l<s^r,iwi
Ôpu ÈSwv x3t' apiQ^sv crfyDju't dsoS, pour délimiter toutes
les vertus [De poster. Gain., I, 242). Ici Philou fait une
place à i'angélologie juive {cf. De profug., I, 356; De
sQmn.,\,m;Leg. alleg., I, 122).
Toutes ces forces, Philon les réunit en une essence
particulière qu'il appelle : le Logos, correspondant à ce
que la Kabbale appellera : l'Adam Kadmou [cf. Zohar,
Petite Àssemhlée, 188 a). Nous savons depuis Heinze
(Die Lekre vom Logos in der griech. Philosophie, 1872)
que le terme Logos a été employé tout d'abord par Ilé-
raciite, puis d'une manière plus étendue par les stoïciens.
Philon unit dans son Logos la conception héraclitéenne,
platonicienne et stoïcienne. Heraclite se retrouve dans
son logos en tant que To;*eûç {Quis rer, div. haer., I, 503).
Platon dans son lUxtSit \htwt(De migr-Abr., I, 452) et le
stoïcisme dans la désignation du Logos comme grande
force agissante (De cherub., 1, 144). D'autre part, la figure
à la fois une et multiple du char d'Ëzéchiel a dû contri-
buer à faire naître cette conception. En effet, Philon dit
(De somn., I, 244) : Le Logos est w; ipyiaTî; ^«ix=î et (De
profug., l, 96) : lisô' r,^:iy_c\j nb e'vai tùv Buva^éuv làv Xiys^.
566 PHILON ET LE ZOHAR
L'angélologie juive en général avec son 'n hjs yo
[Josué^ S, 14) et son Métatron se reflète dans la dénomi-
lion du Logos comme oiyytkoç wpeç6uTaT0?, ipY^érf^eXoç xo-
X'jwvuixcç (De confus, ling.y I, 427).
Enfin le nom de Adam Kadmon a dû lui être fourni
par les traditions midraschiques, puisqu'il le présente
comme quelque chose d'établi : avOpœxoç OssO iz^ alSiou
XÔYoç [De confus, ling., I, 4H).
La conception du grand-prétre détenant à lui seul le
tétragramme et pouvant être le médiateur entre Dieu et
son peuple [Berachot, la ; Yoma, 10 a) peut avoir fourni
le ipyiepeyç [De gigant., I, 268), le T.oL^hCkr{zoq (De vila
Mos., II, 155). — Puis la Sophia des apocryphes n'est
pas restée étrangère à Tesprit de Philon, puisque la con-
fusion qui flotte sur cette notion à travers tout le Midrasch
demeure encore dans Philon; il en fait en effet d'une
part un principe supérieur et antérieur au Logos : xa-etTi
lï wTTTSp a::o 'rri^yi}? Tf^ç ac^iaç ::oTa[i.5Ù Tpc7:ov ô 6£Ïoç Xiyoç (De
somn,, I, 37; Deprofug., \, 562). Dieu est appelé le père,
et la Sophia la mère du Logos; d'autre part, il en fait un
synonyme du Logos (Quod det, pot, visid,, I, 213).
Le Logos, comme la couronne de la Kabbale, est ap-
pelé aussi vêtement de Dieu; d'un côté comme de lautre,
un symbolisme varié est emprunté au vêtement du grand-
prêtre : evS'JETai ô |x=v ::p£76jTaT0^ Tiu cvtoç Aoyoç wç èffôSJTa
TGV y.oŒiJLsv [De profug,,l, 562) ; et [De migr, Abr,^ I, 452) :
r^ZT^Zl'A,\^^i^T^ êy. Te tûv vcr^Tojv y.al a'76Y;TO)v ^uva(jie(i)v.
Bref, le Logos est le type des choses, la force produc-
trice de Dieu, la raison immanente de l'univers, l'ar-
change, le grand-prêtre médiateur, l'ensemble de l'éma-
nation divine, l'Être nu et multiple, identique à Dieu,
distinct de Dieu, attribut et hypostase. Il est donc beau^
coup de choses à la fois, et souvent un ensemble de
choses contradictoires. Mais précisément ce caractère
L'ALLÉGOBISlfE DANS PSILON ET LE ZOBAR 567
général el vague, sera une raison majeure pour per-
mellro à beaucoup de conceptions ullérieures de s'abriter
en quelque sorte sous le manteau large et flottant de
Pbiloo.
Maintenant, comment tout cela va-t-il sortir do
l'Écriture? Gomment l'Écriture va-t-elle enseigner le
rapport du Logos avec Dieu on soi, avec les forces mul-
tiples, avec l'univers, avec l'homme?
Pour le rapport du Logos k Dieu, Phiton a encore une
fois recours à Genèse, i, 25, notamment aux mots tiar'
Elxsfx... Il en déduit qu'il existe une image de Dieu, un
E'xiâv ôicEinsytoiuE qui devient à son tour mpiSs'.Yl^ ^^ ^^^^
ce qui vient après, ou, en d'autres termes, le cachet, le
sceau des choses, a(fpafii;{i), ^apaxTi^p. — Et Philon insiste:
ÎSwnéiai km téîe îé^ita tû3to oix h^ii (cf. De opif. m., I, S ;
Leg. alleg., 1, lOfi; De profug., I, 347). — Le nom de
Sthsi {Exode, 31,2) Philon le coupe en bu Sïa; il traduit
Èv 3X10! Oesû : ie Logos est donc l'ombre de Dieu, une pre-
mière condensation, un premier obscurcissement. Par
rapport à la lumière parfaite il est une ombre, mais sous
un autre aspect par rapport aux choses, il est une lumière ;
ii est le Dieu visible, lumineux (Gert., 31, i) : Èyid E!;j.t ô
Des; i 5?6b£ç sjt h tstcw ôeoû {De somm., I, 655), OU encore
il est ta maison de Dieu : i iir,^hi sTxs; [Exode, 36, l sq.)
opposée à a!90i]Tè! oîx:; {De congr. eritd. grat., I, 536),
Quelquefois le Logos est conçu comme un médiateur
entre les deux forces primordiales do Dieu, soit comme
un médiateur qui les délimite, soit comme un médiateur
qui les unit : Xé-j-o; -0[*ej; ou -rijv tw-^ àxEpiruv 3uv3;i£tOT cùv
sèôv Tî xctî xpàuiv {Quis rer. div. haer., I, 496; De cherub.,
l. 444).
i. C.^ mol est pcul-êlrc transparent dans le Kp3S0ia de la Kab'
baie.
568 PHILON ET LE ZOHAR
Ailleurs Philon se demande si le Logos est antérieur
ou postérieur aux deux forces fondamentales (Quis rer,
div. haer., I, 496).
Le rapport du Logos aux forces multiples résulte de
Genèse, 2, 4, aS-n; t; giêXsç Y^v^orscaç. Philon rapporte le
mot ajTv; à rj(i.épa l6ds[i.T) du verset 3 et il explique : ce
septième représente le Livre de la Création du ciel et de
la terre. Or, le livre, c'est le Logos qui contient toutes
les idées. Donc, le septième jour signifie également
Logos; donc le Logos en tant que fondement du monde
supérieur est comparable au nombre 7. (Pensez aux
Sephor, Sephar, Sippour du Sefer Yezirah de Juda Hal-
levi; Leg, alleg,^ 1, 47). Le xjpioç de Téchelle de Jacob
{Genèse^ 28, 13) représente le Logos dominant toutes
les autres forces. — Le même mystère est enseigné par
le mot |i.TQTp6T:oX'.ç {Nombres, 3iS, 5) qui joue le même rôle
à regard des colonies.
La conception du Logos comme xoiccç tcu xoqiou vct^cO
ou même comme Y.i7\koq vsTixo<; est fondée sur Genèse y 4i,
— Le Logos comme essence des choses se trouve dans
Deutéronome^ 3, 8, où la manne est appelée p7^[jux 4x7:cp£u-
6;i.£vov cù Q'i'^oL'zoq Oesj. Mais comment la manno désignc-
t-clle le Logos? Cette assimilation résulte de la racine
p (t{), d'où il résulte que le Logos est égal au Ysvixw-ca-rov
"d (Leg. alleg.^ 2, 31).
La conception du Logos comme archétype des choses
est tirée de Exode ^ 31, 2. Le plan du tabernacle portatif
proposé à Moïse et à Bctzalel s'applique à Tunivers, tcv
I, 665). La comparaison de Dieu avec un architecte {De
opif,^ I, 4) se retrouve presque identiquement dans le
Zohar.
L*idée du Logos comme instrument zy^x'K^i{Leg. alleg,^
1, 47) est tirée du chapitre 1 de la Genèse : b '^v^zm^^^^
l'allkgohishx dans philon bt le zohar 569
T:xp3Sv,-(iufxx àp/JTiraa èxiCvov ffkiiitM èii.ipfOti t1ir,{De confus,
ling., \, 4!.i). '
Le Logos en tact <]ue Xv^az isiu-jf est établi par Genèse,
IS, 10 ; SïeTXcv xiitct^aa. Son râle sous cet aagle consiste
à séparer de Dieu, l'enecmble des choses maltlples, et
ensuite à les morceler, h les délimiter : Aïyu Supi m
i^^ptxsv êSuxev îvx [uQspt:; iniii iô •{f*6\ieiffi âioxpivi] ts3 ^ci-
won;*iiTOî {Quis rer. der. haer., 1, îiOl-302).
Ces choses fraclinnnccs ont leur unité, leur lien en
lui. Cette idée qui a un vague retlel d'aristolélisme est
déduite par l'hilon du Léoitique, SI, 10. Le Logos s'en-
veloppe de l'univers comme d'un vMement, sans toutefois
déchirer ce vêlement : xat tj iiioria oi b.x^'^T^v. (De pro-
/«,?.,!, 562).
Le rapport du Logos avec l'homnlc figure dans (!«•
nèse. S, 7, car c'est particnlièreraent lu Vï3; qui est un
reflet du Logos {De opif. m., 1, U3). En ce sens le Logos
est i'vOpw»:; sjpâv.:; et Xachanja, 6, 12, nous dit : Bs!i
â-«Op(Di::; w iiv^x àvjTsXi^; il est â àsû^i:; Oeîoî àS'.3f:p<T>v
(beronfns. (in<j.,l, ili).
Créateur du ta'j<i humain, il en est aussi l'inspirateur;
il est ip^rctihi r.%: icpïçi^Tr,; [De mut. nom., [, aSl) et de
l'homme k Dieu il est le pri)tre, le grand paraclet {De
somn., 1, 68i) se chargeant de faire prédominer la Si^mx^m;
îX»^ sur la xoÀ3rnv.r, et empêcher Dieu de choisir x%o-
ï|«3tv ôvri X5ÏIWU {Quis rer. div. haer., 1, .j02).
Le Logos éclaire l'&me du pouvoir mystique, l'homme
ne peut en effet approcher Dieu eu soi, mais seulement
le Logos, ce qui résulte de Exode, 10, 2*>.
La lumière qui se répand dans les maisons israélites
est une image du Logos se répandant dans l'esprit hu-
main {De soma.,l, 634). Il est ainsi la nourriture suprême
de r&me, la manne, xpi^visu tûv [liv lEÀsistipuv r, çjyr, cÂu
570 PHILON ET LB ZOHAR
Tb) Xà-^iù {Leg. alleg.y 1, 82 eti, 122). Cette manne, selon
Exode y M, 13^ couvre toute la terre comme une rosée;
de plus elle est Xe^ccv pour dire que le Logos est Xi^oç
XeTrroç vo^dai Te xal voYjôiQvat ; elle est Xtnt.è^ ; de même le Lo-
gos est ff^éSpa SeauYT)ç xat xaOapoç ôpaOfJvai; enfin la manne
est (5(7sl xupiov; or les laboureurs disent que la semence
en quelque fragment qu'elle soit morcelée reste féconde^
de même le Logos est fécond dans son ensemble et
fécond dans ses parties.
Le Logos sauveur de l'àme est indiqué par le Lévi"
tique, 21 y H, et suivants : stti i:aaav ^}^uxy)v TSTeXeuriQ xuTov
oùx etaeXeujexat. La mort de Tâme est en eiïet la vie du
péché [Deproftig., I, 553). L'image biblique la plus ap-
propriée de Tâme pure est Melkitzedek (rappelons en
passant le rôle de Melkitzedek dans la patristique). La
Genèse, 14, 18^ l'appelle en eiïet h^ù^ Oeou toO O^iotou et
c'est la plus haute fonction du Logos {Lég, alleg., I,
103).
Nous avons dit combien la conception biblique de la
création écartait Tidée d'une matière au sens platonicien
du mot. Pour TÉcriture, la matière aussi bien que la
forme, tout vient de Dieu. Pour Philon, au contraire,
comme pour Platon, la matière est donnée comme co*
existente à Dieu, et même opposant une certaine résis-
tance à Faction divine. D'un autre côté Philon adopte la
terminologie stoïcienne présentant Dieu comme Spacrr^-
piov avriov et la matière comme ::a8Y;Tov «'/rtov de l'univers.
Cette conception, si mêlée et si contraire à l'Écriture,
Philon l'attribue purement et simplement à Moïse. Il
dit [De opif. m., I 2) : Moxjfjç lyvo) St) Sxt ivaY^atoxaT^v è^rtv
£v ToTç oîaiv To [JLiV sîvat cpaffTi^p'.ov afriov lo 8è 7:a6Y)Tov. Ka: ot».
Ts ;aIv ZpOLTTfipiO'f 0 TcT)v ôXœv voOç IttIv eiXtxp'.v^crcaTOç xal ôxpai-
çvÉîTaxGç... To 5à TïaOyjxov i'^-y/z'^ xal iy-ivrîTCV e; àauxoO xivïjdlv
Vi 7,x\ r/r/jXaT'.îGiv y.al ^y/wOàv \jt:1 toI3 voD. Et il trouve cette
l'allégorishb dans philon et le zodah 571
doctrine dans Gen., 1,2: tcviQ^jhx eeoQ èi[£f>spei:o ètcôvcd -coQ
iiSa-to;. Le souffle ou esprit de Dieu est ici le médiateur
entre Dieu et la matière.
Nous savons que Ben Sirach (3, 21) avait mis en garde
contre une telle interprétation subversive de l'Écriture,
et le Talmud aussi avait été préoccupé de ne pas entrer
dans la voie de R. Jehuda b. Pasi, c'est-à-dire de ne pas
admettre D'os d'O DSlïn .t.t nS^nnn « Auparavant l'uni-
vers était de l'eau sur de l'eau ». Ben Soma en expri-
mant cette doctrine s'était attiré de la pari de R. Josua
ce jugement sévère :<»Ben Soma est hors de lui ». Or ce
même Ben Soma dit aussi {Beresch. r., 1) que Dieu com-
mença à Féconder les eaux supérieures et par elles agit
sur les eaux inférieures. C'est à ces données midra-
scbiques que Philon semble rattacher sa conception pla-
tonico-stoïcienne quand il dit {Leg. alleg. , I, SI } ; Teîvsv-
TCQ ûicoxEtgjiévou. — Cette matière philonienne est, comme
dans Platon et le stoïcisme, dïxcia; xal à^i^spi^s;, ce qui
s'établit par Gen., 30, 32, où â Laban (XcJxaT^s;) consi-
déré comme le symbole des qualités sensibles est attribué
-rà S.mi\fjx{Gen.,2Ù, 42). Donc la matière ne revêt sa forme,
sa marque que du Logos (De somn., i, 66^) et c'est seu-
lement le X6yoç la^viq qui établit ta diflérenciation des
choses : BtaipeT rtp» ii S.'^opijaH xat aTcetsv tuv ÔXwv oùaisn xa;
ta éÇ aù-rtjç àicoxpiO^vTa Téaoapa to3 xoq*o-J irtoiXEÏa xai ti Sti
Toiltuv wsTY^vta Cwâ xe xai cuti {Quts rer. rfiu. kaer., I, 492).
— Si Jérémie appelle Dieu la a source de vie » [Jérémie,
S, 13), c'est' que la matière en soi est quelque chose de
mort, vexpov {Deprofug., I, 575).
Cependant cette matière est composée de quatre élé-
ments, dont le mélange constitue le monde. Le Sefer
Yezirah et le Zohar se donneront beaucoup de mal pour
différencier la matière première. Philon dédoit l'exis-
572 PHILON BT LE ZOHAR
tcnce dca qualre éléments des quatre pui(8 creusés par
Abraham et Isaac (Gen., ch. SB), et par une série de
combinaisons allégoriques, que j'épargnerai au lecteur,
il établit que le ciel est fait d*une matière àxataXyjrtc;. à
savoir le 7:Dp xxOapcoxaTsv, tandis que les trois autres élé-
ments s'appliquent aux choses inférieures {De somn,, I,
622 sq.).
La matière s*idcntirie avec le mal. Cela repose sur
Gen., 1, 31, où Dieu ne vante, ne trouve bien que -ri
èxjTsO Tcyvty.i ïp^x et non ttjv crxj.tojp-/Y;OeTMv ^j^tt^f {Quis rer.
div, haer,, I, 493). La matière est TzXifjîX'^eX^;, «l^wx^î» î'i-
XuTsç, çOapTT^, ivwiJLaXc;, avwoç {ibid.).
D'autre part et par une contradiction qu'on peut éga-
lement reprocher au Zohar, Philon maintient dans cer-
tains passages la création ex nihilo de l'Écriture. Ainsi
(De somn.y I, 632) : iAXwç Te ti? r^Xto? ivaTefXaç Ta xsxpuiAiJLéva
Twv awîxoTwç â7:'.3eiV.vjTat suto) xat 5 Oîsç -x zavxa Yevvi^,aaç oi
IJL5VCV elî To èfjLçaviç f/vaYfiv àXXi xal à rpsTepcv eux t^^v êics{T29ev
c'j CY;;jLio'jpYo; jJidvsv iXXi xai /.Timrjç aÙTc^ ôiv.
Pour ce qui concerne l'opération créatrice même, Phi-
lon emploie des images qu'il emprunte aux arts^ à Tar-
chileclure et au jarJinage {De opif. ;«., I, 4 et De plant.,
I, 339). Dieu est un TeyvtTr;;, cr,iJL'5jpYs;, xoffjxcTrXiTnjç, jjiop-
çûv Tov xc^jAsv, çjTCjpYs^. Cctto œuvrc et Topposition qui
sépare le monde réel du monde idéal sont enseignées
par la Genèse (1, 1, 2) : les mots sv ipyfj èirc'Tjdev 5 Oec;
-ràv cjpaviv /.al tt;v Yf;v; y; 3k y*! "k* à^paTO; xa\ axaTaaxsuarréç.
Philon explique : *Ev kpyf^ ne peut signifier un commen-
cement dans le temps, puisque le temps n'est pas anté-
rieur à Cet univers dont la création est en question, mais
il s'agit d'im apyfj xaV àp'0;/.dv; le mot aipaTsç indique
qu'il iM» s'aj^it pas du ciel réel, ni de la terre réelle, mais
(fun cii'l (.'t d'une terre aj(.');j.aT:; {De opif. m., I, 6). C*est
cet univers lumineux qui refoule la matière. 11 y a lutte
■ wfjwr • ■> -
l'aLLÉGORISME dans PniLON ET LE ZOHAR 573
à laquelle Dieu mit fin par la délimitation des choses,
exwp'.wv (G^n., 1, 4). Rappelons-nous Ybpoq des gnosti-
ques, et le bina de la Kabbale. Philon, au surplus, joue
sur les mots oupavéç, opoç et twv ôpatcTw. — Celte création
supérieure, continue Philon, est une jxcvaîtxY; ^ùffiç, puis-
qu'elle est rœuvre d*un même jour (1).
Après cela vient la création du monde réel, image
exacte du monde idéal. C'est pourquoi celui-là est ap-
pelé (Ge7i., 28, 17) xùXt) tcU oipavoO, en ce sens que le
monde réel nous ouvre la porto sur le monde idéal.
Cela posé, Philon établit le reste sans s'écarter des
premières pages de la Genèse, Le quatrième jour est con-
sacré aux constellations, en vertu du rythme musical du
nombre 4 (application de la musique des sphères dans
Platon et Aristote). Les constellations sont des êtres
éthérés divins, orfiXiLi-zot ôeTa {De opif. m., I, [H sqq.),
des Çwa voepa (De plant. ^ I, 331, encore un écho d' Aris-
tote).
Le cinquième jour est consacré aux animaux, parce
que leur caractéristique est dans les cinq sens [De opif.
1. Selon le Midrasch (Yalkut^ 2), Hîllei et Schammaï discutèrent
ainsi sur la priorité du ciel ou de la terre. Schammaï dit : Dieu
créa le ciel en premier, comme un roi bâtit son trône avant de
penser à l'escabeau de ses pieds; Hillel dit : Dieu créa la terre
avant le ciel, comme un roi songe à bâtir le fondement de son
palais avant les étages supérieurs. R. Jochanan adopte un moyen
terme. La création commença bien par le ciel, mais la terre fut
ache\)é€ avant le ciel. — La création d'un ciel et d'une terre idéale
se trouve également dans Yalkut 2 6, 3 6. Ce ciel « non corporel »
est représenlé par le « ciel transparent de la théophanie d'Rzé-
chiel » {Ezéch. 1, 22). •— La lutte entre la lumière et les ténè-
bres est figurée dans le Yalkut comme une lutte de prédomi-
nance entre le soleil et la lune. L'un et Tautre prétondent au
gouvernement du jour. Dieu met un terme à leur conflit et as-
signe à chacun son empire {Yalkut ^ 3 a).
574 PHILON ET LE ZOHAR
m., I, 14). Le sixième jour voit le couronnement de
Tœuvre ; le nombre six est en effet le xéXetoç âptO^Aoç.
La division par six jours n'a aucun sens par rapport à
Dieu, mais est nécessaire en un développement gradué
et ordonné, car, pour Dieu, il fait tout à fois, afjia yàp zdévra
Spov cîxcç 6£cv(l).
D'autre part — et ici nous sommes plus près des Se-
firoth, surtout au point de vue dû Setir Yezirah — c*est
non plus le nombre 6, mais le nombre 10, qui couronne
l'œuvre de la création. Cela s'établit par Ex., 99, 40 et
Lévii., S, 11 où la dîme (le nombre 10) est déclarée ap-
partenir à Dieu ; les 9 autres parts appartiennent à l'uni-
vers et ce sonf les neuf sphères, dont huit pour le ciel et
une qui est la terre [Congr. erud,^ 1, 534). II semble bien
que nous tenions ici Torigine du moi Sefiroth. Appliqué
originairement aux sphères, il est transporté dans la
suite aux modes métaphysiques de la naissance de TU-
nivers.
Pour ce qui concerne les métaphores empruntées au
jardinage, Philon distribue les quatre éléments ainsi :
l'eau et la terre constituent la racine des choses; l'air
et le feu sont comme les branches de l'arbre, aspirant
vers le haut. Le tout est enveloppé d'un cercle d*éther
(rappelons-nous le cercle vert-bleu du Sefer Yezirah et
Zohar).
1. Nous lisons dans le Yalkut : ... Une femme demande à R. José
ben Ghalefla : En combien de jours Dieu créa-t-il Tunivers. Il
répond : Dès le premier jour... Gomment ? — Vous est-il arrivé
parfois de faire ce remède qui s'appelle « ariston » (probablement
vSpopooTov ou v8pop68tvov, remède fait d*huile de rose délayée dans
Teau)? — Oui. — Eh bien, combien d'ingrédients employez-vous
pour cela...? Or, vous n'introduisez pas tous ces ingrédients à la
fois, mais vous faites cuire tout d'abord le potage et vous y versez
insen<^ib1ement tous les produits nécessairef« à la mixture [Yalkut^
3 6).
-^iy—jr-.-^, -WT*:
LALLKGORISME DANS POILON ET LE ZOBAR 575
Arrivons à rhomme. Dans Thomme on considère —
en les séparant d^uno manière absolue — le corps et
Tàme. Le corps a son symbole dans p^ra*T (Damas), mot
que Philon décompose en ni et pizr sang-sac, atfAoc aaxxou,
le sac de Tâme. Le corps, qui est Tcnveloppe de l'àme,
a, en effet, son principe vital dans le sang (cf. le Çco-f;
IvatjjLoç de Lévie,, 17, H. C'est la [îuvajjwç Çwtixt^j indiquée
par Detit.^ ïi, 23, (rapx©^ ^^xh- — Le corps a pour carac-
téristique d'avoir besoin de nourriture, ce qui est sym-
bolisé par Joseph, pourvoyant de vivres TEgypte et ses
familles {De mut. nom,, I, 592). Philon, jouant sur le
mot « Joseph » (de Thébreu t]Di% ajouter), l'appelle b twv
ToO (76)[jLaToç èTctTTjîsfcov TîpoaTonQç . — Mais le corps est aussi
nécessaire à la vie de l'esprit, lequel reçoit sa nourriture
dessept]facultés corporelles, al tou âXoYou SuvafjiK;^ à savoir
(comme dans la doctrine stoïcienne) les cinq sens, la
faculté de reproduction et la faculté de la parole; cha-
cune de ces facultés se charge d*apporter à Tesprit sa
part des choses extérieures. Cette vérité est indiquée par
les sept filles du prêtre de Madian (Nomb.^ 31, 49) gar-
dant les brebis de leur père (jeu de mots entre Tcpoôaxa
De mut, nom., I, 595).
Donc le corps est dans une liaison étroite avec Tâme,
ou plutôt la vie du corps enveloppe une vie supérieure
qui est ^u^ri ^^yfl<; comme Tœil, et constitue par un cercle
plus grand portant un cercle moindre, la pupille, laquelle
est cependant, à proprement parler, Torgaue de la vue
{Quis rer. div. haer.^ I, 480). Nous voyons poindre ici
l'idée des cercles concentriques que la Kabbale étend à
l'univers entier, et qu'elle exprime par des comparaisons
empruntées à la lumière et à certains fruits comme la
noix et l'oignon.
La nature du corps est allée sans cesse en s'abaissant.
576 PHILON BT LE EOHAR
Le corps du premier homme était fait d'une matière
choisie (le Yalkut^ 34, dit qu'Adam fut créé avec de l*ar-
gile sacrée tirée du pays de Moriah); mais à mesure que
l'humanité s'est éloignée du premier couple, la matière
corporelle a diminué de valeur, comme les parcelles de
fer à mesure qu'ils sont plus éloignés de Taimant {De
opif, m. y I, 32 sqq.). Noire corps à nous est aujourd'hui
une forme de mort, vexpcv xal TsOvr/iCs; isC (Leg, alleg,, I,
100), quelque chose d'aveugle (le Zohary II, 142 a). La
vie du corps est sans lumière.
Dans la nature incorporelle de Thomme, Philon dis-
tingue rarGr6r,j'.ç,'dirigée vers le corporel, le terrestre, et le
vouç, dirigé vers le spirituel, le céleste, Tune par laquelle
nous sommes des (î^a, Tautre par laquelle nous sommes
des ovôpwTîo'.; Tune portée par la SJvajjLiç Çwtixt^, Tautre par
la SJvapLt; Xoytxi^ {Quoddet. pot. insid., I, 207).
L'a&Or^at; porte dans rEcriturc le nom do terre {Leg.
alleg,, 1, 43); comme elle appartient à la partie irration-
nelle de l'homme, w akcytù ^jLépet xf,^ ^^x^é^j cH^ est appe-
lée (Gen.j 2, 5) xop-cc;, herbe {Ley. alleg., I, 48). Son
nombre est cing (les cinq vêtements donnés à Benjamin,
les cinq villes de la Pentapole). Elle est nécessaire à
Tâmc pour lui donner la^connaissancc des choses. En
ellet dans l'Écriture {Gen.. 3, 12) Adam (vcOç) dit : C'est
la femme (a'VOt;^'.;) qui m*a donné des fruits de Tarbre
[Leg. alleg.y I, 98). Elle s'impose à la raison (selon Gen.^
3, 13. — Leg. alleg.t 1, 23). Le vcuç ne peut se passer
d'elle (Adam ne peut rester seul, Gen., i, 18). Mais
d'autre part elle a besoin du vcj; pour passer de Tétat de
y; y.a6' IÇ'.v aîîOrj^'.ç à celui de y; xai' èvspYSlav arîOY;^:; {Leg.
alleg., I, 73). La Genèse dit (2, o) : Il n'y avait point
d'homme pour cultiver la terre, c'est-à-dire il n'y avait
pas de v5j; pour vivifier l'aîiOr,?'.;. (^esl lui qui envoie à
rarffôï)ffi; la pluie fécondante {Gen.y 3, 6. — Leg. alleg.j
L'aLLÊGORISIIB dans PflILOIf ET LE ZOHAR 577
I, 49). En ce sens elle peut être considérée comine une
faculté du vo5î même, à côté do Sûvaiuç >,DYtx*i, 8iay«jTw:^,
etc.. C'est ainsi qu'hvc est Urée d'une cAte d'Adam
(«Xiupx est synonyme de Sjvxjj.'.; comme le marque l'ex-
pression zUvpa^ Syîiï, Leff. allerj., I, 173).
Malgré tout, l'aisOijoiç demeure pour la connaissance
supérieure cm élément perturbateur. I! faut le fuir, cher-
cher la solitude, fermer lt;s yeux el les oreilles. L'Écri-
ture dit avec raison : Aditm dormait {Gen., 3. 21). car ce
n'est que peodanl l'absence ou la négligence du vaû;
qu'elle peut avoir quelque empiro (Leg. aiieg., I, 71).
Le V3ï>; est le soultle que Dieu (Oen., 2, 7) a commu-
niqué à riiomme (Leg. alieg., I, 49), et c'est \h dans la
SûvaiJLiî Ào-j-rer, que glt l'essence de l'àme {Quod det. pot.
iimU.,l,2Q'').
Le Logos a dans l'homme une double phase, il est ou
èvS'JOets; ou r.fZ!fip:».ii (ces termes joueront un r61e ca-
pital dauK la terminologie et la dogmatique de la patris-
liquc). Lu Zoliar insiste également sur cette distinction
et il en tire diss imagos variéus pour la distioclion du
Grand Visage cl du l'élit Visage.
Avant la cri^'utionlcs âmes étaient âaapxc. %x: àsùtiaroi
{De gif/ani., I, 266), ysûÎouî siowî âiJiîloxoi {teg. alleg., I,
49). C'est ce qui est établi par Gen., I, 27, où l'homme
apparaît comme n'étant ni homme ni femme; il était un
xvQpwTcoç Y£viKs<;, une substance pure {Leg. alleg., l, 61).
Il était moralement parfait (Leg. aileg., I, 62), habitait
le paradis, c'est-à-dire au milieu des vertus [Geit., 2, 15.
— Leg. aileg., I, 53 sq.). — Pour ce qui est de l'état du
vsQ; après la création, Phiion suit et interprèle assez
géaéralement le Time'e (p. 43 A) el rattache la doctrine à
Gen.,6, 2sq. (cf. Zohar, I, 52; 11,229 ô; 111, 83 b).
Ce V33; parfait, Dieu lu jugea digne du second rang,
immédiatement après lui (Beresch. rab., ch. 8), au point
578 PHILON BT LE ZOHAR
<
que les anges furent pris d^une telle admiration devant
rhomme idéal, qu'ils voulurent lui adresser des prières^
le prenant pour un autre Dieu. Puis les âmes pures des-
cendirent vers les corps et ainsi perdirent leur pureté {De
gtffarU.j I, 264; cf. De somn.y I, 641). Cependant ailleurs
il fait de la descente des Ames une épreuve nécessaire
(il la rattache à Gen,, î, 26), une œuvre de collaboration
de Dieu et des démons inférieurs {Mut. nom,^ I, 583) :
çauXou [Jiév vàp 4^u)rY;v ci Sis^Xaaev, ix^po'f yxp ôew xoxCa Ttp* Sa
jAior^v oi 3'/ lauToO [asvsv xaTi tov Up^oTaTOv Mwucyjv kTZ&iir^ xiQpoO
TpoTTcv £[jieXXev outy; SsHaffOai %x\o^ te xat at?7poo) otaçopiv. Aux
démons revient lacorporéité et le vou; yt/îvsç {Deopif:m.^
I, 17). Et à ce composé Dieu communique la îuvafxtç iXr;-
6tv?j; Çwîjî. Ainsi Thomme devient une «V/Tî ^^^P*' (^y-
alleg., I, 49 sq.).
Tantôt Philon admet que le corps est en soi une source
de péchés {Leg, alleg,, I, 100 sq.); il est parmi les çuaetç
IÇ éayrôv siriXT^xTct; tantôt il repousse seulement, comme
une source du mal, la prédominance du corps sur Tâme
{Leg. alleg., I, 101).
De toute façon le corps est un élément de danger.
Son symbole dans TEcriture est :
1. L'Egypte {Leg. alleg., I, 80) qui contient la ville de
Tivt;, c'est-à-diro svtoXt; àTroxpijso); ( A)^ poster. Gain., I,
236).
2. La terre (Gen., 3, 19). C'est pourquoi Caïn est mau-
dit, m 'ffy Vf!; {Gen.. 4, 11. — Quod det. pot. insid., l,
210).
3. Le veau d'or.
L'atcôr^Tiç n'est pas un mal en soi, mais seulement
lorsqu'elle se fait l'esclave de l'f^osvr^ {Leg. alleg., 1, 100).
Mais malheureusement elle Test presque toujours. C'est
pour elle que l'homme quitte son père (Dieu) et sa mère
(la Sagesse) {Gen., 2, 14; Leg. alleg.j II, 14).
E.T!r>;j"."»"'"' . ^-'^ -— ^— •«-7^13'
L*ALLÉGORlSMfc: DANS PHILON ET LE ZOOAR 579
LVîOr^Tt; est assaillie par les 7:a9r<, lesquelles sont
nombreuses comme le blé d'Egypte {Gen., 41, 19). Leur
symbole se trouve dans beaucoup de noms d'animaux
de l'Ecriture .
Le symbole de TVjSov^ est le serpent. En effet IV^Sov^ est
tortueuse (zoXjtcXoxo^) comme un serpent, elle se roule
en cinq replis selon le nombre des sens, elle est bigarrée
(7co'.y.iXY)) car variés sont les plaisirs des yeux, des oreil-
lesy etc. {Leg. alleg,, l, 29 sqq.). Elle rampe sur le ventre
et mange de la terre {De opif. mut., I^ 38); elle a une
voix humaine, car elle a beaucoup de défenseurs parmi
les hommes {ibid.); elle est rusée: en effet les objets qui
irritent les désirs humains sont travaillés avec habileté
{ibid.y I, 83) ; elle trompe les hommes {f^g. alleg., I, 89).
Les âmes ordinaires sont enchaînées par le tourbillon
de Vi^o^rfi et dévorées; mais les âmes des philosophes et
des justes tendent à dépouiller le corps pour participera
l'éternel {De gigant.^ I, 264). Us sont le sel de la terre;
ils attirent par leur médiation le salut sur les autres
hommes [De migi\ Abr,, 21 ; cf. Yalkut, 76). Tous les
personnages de l'Écriture représentent des degrés plus
ou moins élevés de la montée qui conduit à la plénitude
en soi et en Dieu. Ne suivons pas Philon sur ce terrain.
Disons seulement que pour lui le terme auquel nous
pouvons et devons aspirer est la connaissance des deux
forces fondamentales de Dieu. Au-dessus il n'y a plus
que la perception de l'être en soi, qui n'est réservée qu^aux
sages parfaits [De Abrah., II, 18 sqq.). Philon déduit
l'imperfection de notre connaissance de Gen, 88, 12, où
Jacob est représenté comme ne pouvant prendre qu'une
des pierres, sva tûv Xoywv, dont est rempli le Oetoç '^h'Ro^» Le
Zohar, chose curieuse, s'appuie sur le même passage
pour tirer une conclusion, une analogie :
580 PniLON ET LE ZOHAR
Il n'est pas dit qu^il prit les pierres, mais parmi les
pierres {Zoh.^ I, 147 b).
Rarement, Dieu prend un sage et le conduit el; to
£;a)TaTw ywpiov (selon Ge?i. lo, 5); il Taffranchit de ce
qu'il y a encore en lui du moi terrestre et le fait rentrer
dans la nature divine. C'est là pour Philon comme pour
le Zohar une application mystique et juive de la doctrine
du retour d'Heraclite et TèxTciipaxi'.; stoïcienne. L'àme,
ainsi rentrée au bercail , est pour le Zohar Toiseau reve-
nant à son nid et Philon joue d'une manière analogue
sur le nom de Sepphora (ilSï, èpviOiov) {De cherub., I, i 46j.
Ici doit s'arrêter ce qui d'une étude sur Philon peut
être de quelque profit pour Tensemblc de notre travail.
On voit que Philon et le Zohar sont une expression
analogue de Tallégorisme mystique. Sans pouvoir affir-
mer l'action de l'un sur Tautro, nous ne pouvons
qu'émettre Thypothëse suivante : Le heurt des doctrines
juives aux doctrines non juives, qui commence dès
TexildoBabylone^ produit une doctrine hétérodoxe. Cette
doctrine se produit en marge du judaïsme dogmatique
et (ransperce peut-être déjà dans certains livres du canon
biblique, à coup sur, dès la clôture de ce canon, dans les
apocryphes, dans les traductions araméennesetgrecques,
dans le Midrasch. Dans l'alcxandrinisme cette doctrine
ne craint pas d'apparaître au grand jour et elle se con-
dense en une première synthèse chez Philon. Philon est
d'une part un aboutissement, et d'autre part un point de
départ; car le courant hétérodoxe qu'il a reçu, il le rend
fortement grossi. Ainsi en partie sous son action et en
partie parallèlement à lui, le tleuve mystique chemine
sous le couvert du Midrasch et de la Ilaggadah, à travers
la littérature talmudique, à travers l'époque gaonique,
à travers la philosophie dogmatique des grands théolo-
giens et elle aboutit eniin sous le nom de Kabbale et par
L'ALLÉOORtSME Di>S PHILOH I
opposition au talmudismc mèmeiTécoled'IsaacrAveugle
et au Zohar pour finir en un mouvement étrange connu
sous le nom de Kabbale pratique.
Conclusion
Nous voici arrivé au terme de la route que nous nous
étions proposée, route longue et difficile, presque dénuée
de plaines et de vallées, mais faite en quelque sorte de
montagnes escarpées et d*àpres sommets. Parfois seule-
ment un petit vallon (gourant entre ces hauteurs permet
de reposer le regard; ce n'est qu'un répit, il faut monter
encore, plus haut que les bois serrés et inextricables,
plus haut que la nuée noire, plus haut que les pics cou-
ronnés de neige, au-dessus de ces régions même où Ton
ne voit et n'entend plus rien, où Ton ne distingue plus
aucun signe de vie, mais où Ton peut penser encore ; il
faut aller jusqu'à ces solitudes de néant ou la pensée
même reste muette.
C'est là au pays de En-Sof^ vers cet ài:£ît6iva Tijç oicrioç
et £::éx£(va voi^^ecjç que tend tout le mysticisme juif.
A travers ses hésitations, ses détours, ses multiples
errements, et parfois aussi ses bas-fonds, c'est ce point
extrême, presque invisible, qui est son étoile direc-
trice. C'est vers lui qu'il déploie tout son effort d'abs-
traction, c'est lui que visent également les premiers bé^
gaiemenls du mysticisme talmudiquc, les extravagances
du mysticisme gaonique, les spéculations métaphysiques
de la Kabbale. La Mercabah change d'aspect, elle est
plus ou moins abstraite, plus ou moins voisine de la
doctrine juive ou de la doctrine non juive. Tout le reste
se subordonne à elle, et le judaïsme dogmatique avec sa
- CONCLUSION 583
législation et son culte, et la spéculation non juive. avec
ses doctrines innombrables et inconciliables, et toutes
les sciences et tous les folklores entrent égalemcDt
à son service. Le mysticisme jette pèle-mèle dans son
puissant creuset, tantftl l'or le plus pur, et tantAt le plus
vil métal, les idées tes plus hautes de la spéculation abs-
trute et les formes les plus basses de l'anthropomor-
phisme matériel et sensuel, et il fait de l'un et de l'autre
des échelons nouveaux vers la haute cime. La vision du
£n-5of et ce qu'on pourrait appeler les lignes d'approche
du Eu-Sof sont donc le trait commun et le terme ex<
tréme du mysticisme juif & travers tous ses renouvel'
lements, à travers toute la variété de ses aspects.
C'est assez dire que son grand instrument et son pre-
mier auxiliaire est la raison, et la raison élevéeà son plus
haut degré d'abstraction. Les autres facultés, l'imagina-
tion, l'intuition, les faculu.s affectives, ne sont pas sans
intervenir; mais leiir tâche est bien effacée et toujours
subordonnée à la faculté de spéculation rationnelle (1).
Ce recours constant k la raison spéoulative dit assez
1. Au Fond les deux Tormes de mysticisme, le mysticisme ration-
nel elle mysticisme sentimealal, ne sont pas opposées l'une à l'autre,
mais elles sont l'une par rapport à l'autre dans la relation de
moyen à fln. La mysticisme sentimental Tait de l'amour le grand
vAbtcule de l'bomme vers Dieu, tandis que le mysAcisme rationnel
n'a pas dans les éléments sensibles de l'âme une confiance assez
grande et croit la raison seule capable de tendre à l'absolu par Isa
votes qui lui sont propres. Le mysticisme sentimental bit appel
aux secours de l'amour pour Tranchir l'inQni ; l'amour est l'aile sur
laquelle il transporte la raison vers l'absolu, mais en dâllnitive
c'est la raison qui perçoit cet absolu, s'unit à lui; de la sorte la fin
désirée par l'amour, c'est sa propre annibilation dana la raison
contemplative. Pour tous les mystiques queisqu'ils soient l'absolu
est nécessairement un principe simple. Ce principe n'est doncila
portée que de la faculté rationnelle et tAt ou lard les éléments
sensibles de l'âme doivent se subordonner à elle.
584 CONCLUSION
qiie la masse ne pouvait suivre, et elle a*a pas suivi. Les
masses oat besoin de doctrines qui ouvrent une échap-
pée aux élans du cœur, aux sentiments, à l'enthousiasme.
Le mysticisme juif lui demande au contraire des raison-
nements^ des déductions abstraites; il ne s'adresse pres-
que jamais au cœur. Aussi ne voyons-nous pas se pro-
duire pour le mysticisme juif ce qui se produit pour
d'autres mouvements mystiques. Il passa bien au-dessus
delà foule. A travers toute la Kabbale théorique nous ne
voyons à aucun moment que les doctrines se soient ré-
pandues au-delà d'une certaine élite. Non seulement ce
que l'on appelle une secte, mais encore ce qu'on appelle
une école, ne «e renoontre guère ici. Les doctrines sont
élaborées par quelques-uns, plus souvent par un seul.
U s'attache quelques disciples, en petit nombre, ceux
qne la physiegnomie et la chiromancie révèlent de préfé-
rence, comme destinés par la nature à recevoir l'initia-
tion. Nous avons dû, pour plus de commodité, nous ser-
vir, à Torigine de la Kabbale, de l'expression, «c école
d'Isaac l'Aveugle », sans pouvoir mettre plus de deux ou
trois noms sous cette rubrique. La solitude d'abstraction
céleste à laquelle on aspire exige une solitude de pensée
terrestre.
Pour les mêmes raisons ce mysticisme ne pouvait
beaucoup conquérir les femmes. La femme a besoin,
pour s'attacher à un mouvement d'idées, d*y trouver
encore ce qu'elle a de plus profond en elle-même : le
sentiment d'amour. Le mysticisme chrétien, sans exclure
absolument la spéculation rationnelle, tourne cependant
sans cesse autour de l'amour qui unit la terre au ciel, la
fiancée au divin Époux. La femme, y trouvant comme
une extension du plus grand des sentiments et Texalta-
tion de sa propre vie, s'y précipite comme vers une
source plus abondante de réalité et de vie idéale. Ce
j^--^ 4^--r» ^ . .i-.BT--.-nj-».
CONCLUSION 585
senliment, le Zohar n'en est pas totalement dépourvu
et nous avons trouvé quelques belles idées et quelques
belles expressions touchant Tamour. Mais ce n'est pas
cette fièvre d'une Catherine de Sienne, ni cette langueur
sentimentale d'un François d'Assise, ni cette profon-
deur intérieure d*un Jacob Boehme ; c'est quelque chose
d'assez froid où entre plus de raison que de cœur et qui
se ressent toujours de l'appareil métaphysique dont est
faite la charpente du Zohar. La femme ne pouvait trouver
ici l'aliment de son cœur qui lui est une raison pre-
mière et indispensable de son attachement, même intel-
lecluely aux choses.
Ce qui se produisit plus tard dans la Kabbale pratique
et au xvu% xviii* et xix* siècles avec 'les sectes messia-
niques n'est pas fait ^our infirmer nos remarques.
Dans la Kabbale pratique les éléments métaphysiques
de la Kabbale théorique le cèdent précisément à des élé-
ments d'un ordre très inférieur constitué d'une part par
les débris du mysticisme gaouique, d'autre part par les
parties inférieures de la Kabbale, enfin par quelques
éléments nouveaux du même étiage. Lorsque donc la
métaphysique disparut devant les superstitions telles
que la magie, les cures sympathiques, la folie des lettres
et des nombres, venue au secours de ces superstitions,
le mysticisme ne fut plus le patrimoine d'une élite et
gagna la masse. Alors il descendit de ses hauteurs, il
conquit les âmes simples du grand nombre.
Les Juifs, jusqu'au jour où les théories d*émancipation
jettent leurs premières lueurs sur Thorizon, sont unis pa r
une grande idée et par un espoir commun : l'idée et
l'espérance messianiques. Le jour où le mysticisme, des-
cendant de son sommet, met et fait rentrer dans l'horizon
du présent la date que le Zohar a assignée à l'époque
messianique, on y donna tète baissée et ce fut la porte
586 CONCLUSION
ouverte à toutes les folies. Qu'un homme se présentât
dans un moment et dans des conditions qui pussent en-
trer dans le cadre zoharitique (et il faut admettre que le
Zohar ne contribua pas pour peu à faire naître les exaltés
ou les imposteurs), aussitôt il trouvait tout prêt un
groupe de gens décidés â marcher derrière lui. Certains
rabbins virent de tout temps nettement le danger de
pareilles doctrines, et s'élevèrent avec énergie contre
ces fixations de l'ère messianique; ils ne voulaient pas
que les déceptions répétées vinssent ruiner le fondement
même de ces idées. Précaution inutile, dans les cas de
cette nature Texpérience d'une génération est de peu
de profit pour les générations suivantes. L'humanité a
une telle soif d'illusions et de bonheur qu'elle fait tou^
jours une petite exception pour le Messie qui se lève; au
lieu d'aller droit son chemin vers la science et la lumière
comme le seul Messie véritable, elle s'égare par impa-
tience^ elle s'attache à Thomme quel qu'il soit qui in-
carne ses espérances. Quand elle se réveille, elle n'est
pas guérie; au lieu de reconnaître qu'elle s'est trompée
et que ses illusions sont vaines, elle accuse l'homme au
lieu de s'accuser elle-même.
C'est ainsi qu'au xvn« siècle, Sabbataï Sévi se fonde
sur la Kabbale pour amasser la foule autour de ses doc*
taines ; c'est ainsi que plus tard Franckistes et Zoharistes
peuvent être entraînés aux pires excès de doctrines et
de mœurs; c'est ainsi que de nos jours encore, le nom
de Kabbala est demeuré dans l'imagination populaire
associé à un mélange de terreur et d'attraction reflétant
très bien la double nature de la Kabbale théorique et do
la Kabbale pratique.
La Kabbale pratique ou appliquée ne rentre pas dans
le cadre que nous avons fixé à notre travail. Mais puis-
qu'elle est-— du moins à ses débuts — une dégradation
r^-C^'V^f^^" ■ -.--.- ^.r-^-, ..^„,.,^^^j^
CONCLUSION 587
de la Kabbale théorique, il convient de jeter un rapide
coup d'œil sur son caractère.
A vrai dire, le mysticisme théurgique traverse tout le
mysticisme juif, mais tandis qu'antérieurement à l'école
dîsaac TAveugle, il existe en quelque sorte à Tétat
sporadique, sans caractère défini, sans code, sans ma-
nuel, sans être autrement fixé que par la tradition orale,
il tend, après le Zohar, tout d'abord à absorber et à sup-
planter tous les éléments métaphysiques, et descend des
hauteurs de la spéculation dans les régions de la masse,
pour agir sur cette masse et pour devenir, à certaines
heures, une source d^agitation et de révolution parmi les
Juifs. C'est dans cette systématisation et dans cette exten-
sion qu'est le caractère post-zoharitique et véritable delà
Kabbale appliquée.
Ce mouvement est déterminé par plusieurs causes.
La première est semblable à celle qui détermine déjà
le mouvement vers le Zohar, j'entends le joug accablant
du rabbinisme. Ce joug avait fait sentir tout son poids
au moment où se créa l'école dlsaac l'Aveugle, seu-
lement ces esprits spéculatifs ne songeaient qu'à s'en
ibérer eux et leurs unités; la masse, soit inconscience,
soit ignorance des moyens, y demeura étrangère ; en effet,
la codification talmudique avait encore toute son autorité
et bénéficiait du prestige de Raschi, Maïmonide^ et la
spéculation métaphysique libératrice était trop haute
pour la foule. Cependant le joug rabbinique devenant
de plus en plus pesant et le prestige des talmudistes al-
lant s'affaiblissant, la foulesongea à soiïtour à la rejeter,
et prêta une oreille complaisante à la Kabbale pra-
tique.
Cette cause générale se résout en causes secon-
daires et immédiates. Tout d'abord la place inférieure
que la doctrine rabbinique accorde aif am haarez (homme
588 CONCLUSION
de la campagne), au simple, à rillettré, en comparaison
du rôle prépondérant fait aux savants, aux docteurs; au
con traire la Kabbale appliquée elles néo-kabbalistes affir-
ment sur tous les tons que, devant Dieu, Tignorant pieux
est supérieur au docteur. — En second lieu, la prédi-
cation rabbinique portait invariablement sur la haute
valeur de Tascétisme. Aux yeux des rabbins, la situa-
tion malheureuse des Juifs leur faisait un devoir de
prêcher la sainteté et le mérite de la douleur. Les néo-
kabbalistes, au contraire, firent dans leurs doctrines une
grande part aux joies, aux passions, et même à la disso-
lution, et non contents d'en professer la doctrine
ils y joignirent l'exemple. Franck, surpris, pendant son
séjour à Laskuren, chez une femme de mauvaises
mœurs, dit, moitié Cjmique et moitié naïf, « que la pas-
sion, elle aussi, était dans les vues de Dieu, puisqu'elle
était ». Sabbataî Sévi n'avait-il pa» avant lui formulé ce
principe : « Heureux celui qui sait bannir la souffrance. »
Alors que les talmudistes proscrivent pendant les jours
de deuil ou de pénitence même un mot joyeux, à plus
forte raison un acte de joie, les néo-kabbalistes défen-
dent plus particulièrement pendant ces jours-là toute
manifestation de douleur, et ils proclament que : « Servir
Dieu, c'est le servir dans et par la joie. » — Enfin les rab-
bins visent moins la foi que l'œuvre ; les néo-kabbalistes,
au contraire, portent le poids de la religion dans la foi,
dans le sentiment religieux.
Indiquer les causes de la Kabbale pratique, c'est en
marquer le caractère. Tout d'abord elle est une applica-
tion, une adaption des doctrines métaphysiques à l'en-
tendement de la foule; par conséquent, elle est une
prédominance de plus en plus marquée de l'élément
théurgique sur l'élément philosophique ; c'est un retour,
mais un retour presque exclusif au mysticisme de l'épo-
:^^.^
CONCLUSION 589
que des Gaonim, accru encore de toutes les extrava-
gances auxquelles le Zohar pouvait se prêter.
C'est en second lieu un ferment d'agitation toujours
prêt à lever, c'est la disposition d'âme se croyant sans
cesse à la veille dumillénium tant désiré^ et par consé-
quent un état d'attente anxieuse, une sorte de fièvre du
lendemain, fièvre alimentée par tout le passé.
C'est enfin un relâchement de la morale, une sorte
de revanche de la passion sur la rigidité du code tal-
mudique, une complaisance plus grande poar les sens
et parfois un déhordement licencieux des instincts infé-
rieurs de la nature humaine. Toute la spéculation méta-
physique rentre plus ou moins dans Tombre pour ne
laisser apparaître que la doctrine de la loi sexuelle, et
Dieu sait où cette doctrine peut conduire. C'est aussi,
par la même raison, une revanche de l'ignorant sur le sa-
vant, de Tétat de la nature sur la civilisation, de la dé-
mocratie sur l'aristocratie intellectuelle.
Ce que le mysticisme juif a de commun avec tous les
mysticismes, c'est qu'il est l'expression extrême d'un be-
soin impérieux de l'âme humaine, le besoin de se mettre
en rapport avec l'absolu. Cette expression tient tantôt
plus du sentiment, tantôt plus de la raison, mais d'une
part comme de l'autre, c'est le même tourment de l'infinie
le même désir d'approcher de Tinaccessible, de voir
l'invisible.
Peut-être le mysticisme, cela est particulièrement
vrai pour le Zohar, est- il aussi l'expression de la con-
nexité intérieure et profonde des choses, qui fait que la
distinction des noms n'est qu'une fiction et que tout est
lié en un tout. De la sorte, les transports mystiques ne
sont que l'efibrt du fragment tendant à connaître et k
rejoindre l'ensemble.
Nous avons dit que le mysticisme se déploie surtout
500 CONCLUSION
Après les périodes de grande vitalité et d'agitation dou-
loureuse, comme si Tâme, en quelque sorte pour rétablir
l'équilibre, voulait secouer le poids de plomb qui l'en-
traînait vers la terre et prendre son vol. L'âme, guérie
par l'action du vide de la contemplation, laisse reparaître
cette contemplation à mesure que l'activité se rétrécit.
Le mysticisme juif , comme nous avons vu, n'échappe pas
à cette loi. C'est après la catastrophe de l'exil qu'il appa-
raît; les premières vexations de Tépoque talmudique lui
donnent son premier développement; les misères en-
traînées par les Croisades et les persécutions ultérieures
l'exaspèrent et le poussent jusqu'à sa limite extrême.
Puis ayant atteint son sommet, il retombe et échoue en
cet amas de superstitions et de folie théurgique connu
sous le nom de Kabbale pratique.
La plupart des historiens du mysticisme juif tenant
à conserver a /7nor2 l'antiquité de la Kabbale et du Zohar,
tout au moins l'antiquité de certaines parties du Zohar,
trouvent sur la route un problème difficile et presque
insoluble : la ressemblance de certains éléments de ce
mysticisme avec telle ou telle doctrine étrangère aux
Juifs. D'une part ils ne peuvent expliquer comment les
auteurs du Zohar ont pu à ce moment déjà et en Pales-
tine (car c'est en Palestine qu'ils en placent le berceau)
avoir connaissance des doctrines grecques ou autres ;
d'autre part, ils ne peuvent admettre que ce soient les
philosophes grecs qui aient emprunté leur système aux
kabbalistes, comme le voulaient certains Juifs hellénistes
de Tépoquc alexandrine, et comme les légendes juives
avaient accrédité la chose (i).
1. Rappelons, outre ce que nous avons vu, que, selon ces lé-
gendes, Arislote, venu en Palestine à la suite d'Alexandre
le Grand, y aurait pris connaissance des livres de Salomon, dans
lesquels (?) il aurait puisé les points essentiels de sa doc-
^*'^fl^''%~"'.V'' ■ ' .■ ~^ --^i-^ . v' =
CONCLUSION 591
Mais ce ne sont là que des légendes issues du besoin
de louijudaïser. Donc ces historiens sont obligés de sup-
poser, à la base du mysticisme juif et des doctrines étran-
gères, une doctrine commune qui aurait servi de source
à l'un et à l'autre; or, comme cette doctrine n'e&iste
pas, le problème n est pas résolu. Pour nous qui refu-
sons à la Kabbale et au mysticisme juif cette antiquité
reculée, et qui lui donnons un développement progressif
depuis l'époque post-exilique jusqu'au xni* et xtv'' siècle,
la question devient simple. Il n'est plus alors besoin de
le comparer à tel ou tel système en bloc, mais il est lui-
même d'abord, il a sa raison d'être en soi, il a un déve-
loppement vivant issu de sa nature. D'autre part, il
prend son bien partout où il le trouve. Lorsqu'à un
moment donné il se produit une connexité entre les
éléments juifs et les éléments non juifs, le mysticisme
juif recueille» laisse pénétrer une quantité variée et dis-
parate d'éléments étrangers.
Ces éléments laissent un double dépôt, un dépôt direct
produit par les mêmes causes qui ont fait l'alexandri-
Irine (na*lD« >Sm27 de R. Méir Abdoli). On lui prête des œuvres
comme « Le livre de la Pomme » (msnn ISD) dans lequel
il se convertit à ses derniers moments à la foi d'Israël. — Marsile
Ficin rapporte dans son De religione christiana (Paris, 1559) :
« Plate usque adeoJudaeos imitatus est ut Numenius Pylhagoricus
dixerit Platonem nihil aliud fccisse quam Moysen attica lingua (f.
48a) et Glearchus peripateticus scribit Aristotelem fuisse Judaeum »
(r. 49 a). Le Zohar, lui aussi, maintient cette légende et après avoir
dit à plusieurs reprises qu'il a puisé telle ou telle donnée dans « le
Livre des fils de l'Orient »,il ajoute (par exemple 1, 100 b et pass.):
(c Les fils de TOrient avaient eux-mêmes eu pour maître Abraham,
c'est-à-dire Abraham enseigna cette sagesse aux fils de ses concu-
bines d'où elle se répandit de toute part » Va^^n D7p ^211 VXl
]nDD hodS nc^n N^•^m i::tt;anbt
592 CONCLUSION
nisme et la gnose, et un dépôt indirect produit par Tin-
t ermédiaire des apocryphes, de Philon, de Plotin, dlbn
Gabirol pour le platonisme et le néo-platonisme^ de Mai-
monide et desArabespourraristotélisme,dlbnEzrapour
le pythagorisme et le néo-pythagorisme, des esséniens
et des gnostiques pour la gnose, des esséniens et du
T almud pour le folklore babylonien et la doctrine maz-
dé enne, des panthéistes juifs pour le stoïcisme, de tous
les pseudo-écrits, pour tout ce qui ne rentre pas dans
tel ou t el système ; et à tout cela il faut encore ajouter
r œuvre inconsciente et insaisissable des traditions, rien
ne passant plus facilement et plus confusément d'un
groupe d'hommes à un autre que les idées mystiques,
c'est-à-dire les idées touchant les grands problèmes de
la vie.
r-^^jn-^fi-Ji^' .
.-•»'
INDEX ALPHABÉTIQUE
Abarbaael, 189, 209, 252.
Abraham Bedarsi, 308.
Abraham b. Chiya, 282.
Abraham de Cologne, 293.
Abraham b. D. de Posqniëres, 224.
Abraham b. Samuel Zacuto, 326.
Abulafia, 230, 237, 295 sq., 322.
Acher, 29.
Achitob de Palerme, 296.
Adam Kadmoo, 391 sq., 455 sq.
Aegyde de Vlterbe, 7.
Agobard, 128-129, 166-167.
Agrippa de Netteshelm, 460, 498.
Ahriman, 82.
Akiba, 29, 35, 118, 166, 235.
Alchimie, 12, 515 sq.
Alexandre d'Aphrodisias, 214.
Alexandre le Grand, 77.
Alfa Beta de R. Akiba, 107 sqq.,
120.
Alfarabi, 505.
Algawarabi (secte arabe), 131.
Allégorie, Allégorisme, 15 sq., 101-
102, 527 sq. ; — dans Ibn Gabirol,
187; — Maïmonide, 205 sqq.; —
— Nachmanide, 267-269; — le
Zohar, 335 sq,; — le 1V« livre des
Macchabées, 535; — Aristobale,
537 sq.; — Philon, 538 sqq.; —
dans les pratiques cultuelles, 269
sq.
Almansor, 193.
Alphonse X de Castille, 293.
Ame et corps, 58 sq., 271 sq., 455
sq., 458 sq.
Amezarak, 97.
Amoraim, iv.
Amour mystique, 433-434.
Amulettes, 79.
Anatomie, 520 sq.
Anaxagore, 534.
Anaximènes*de Milet, 290.
Anges, 39, 53 sq., 442 sq)
Antinomisme, 230 sq.
Antiochus Sidétes, 102.
Aristobule, 537 sq.
Aristophane, 425, 439.
Aristote, 12, 79, 136, 205, S33, 289,
291, 300, 319, 371, 375, 379, 388,
403, 441, 462, 508, 505, 511.
Arithmomancie, 303.
Asaï (R.), 29.
Ascétisme, 126 sq.
Assi' (R.), 24.
Astarté, 121, 122.
Astrologie, 76 sq., 277.
Astronomie, 76 sq., 510 sq.
Atomes, 78.
Augustin (Saint), 202.
Averroès, 193.
Avir Kadmon, 178.
Azazel, 97.
Azulai, 326.
B
Bachya, 142.
Bahir, iv, 18, 168, 256, 495.
INDEX ALPHABÉTiQUE
Balance, US sq. ; — dans le Zohar,
Bardesaae, 17.
BaraJel (ange), 107.
Baraque 1 (aoge], 97.
Baur, 19.
Beebai, 139.
Beer (Peter), d.
Bea Adret, !21.
Beo Aaai, 29.
Ben Sirach, S3.
Ben Homa, S9.
Bereschit (Maïje),S3 sq., 209-210.
Boehoi (Jacob), 198.
Ilonaveoture, 300.
Bonté de Dleo, 43t iq.
Bruce (voyag. &ng1aU), 103.
Brucker, ii.
Bruno (Giordano), t93.
Uaiultet, 31.
Camée, Î6's sqq.
Carré magique, 201-202.
Charle magne, 479.
Clias«tdin],t34; néo-piétiste, 794.
Cbecbinab, 89.
Cbasdai Creacaa, ^^, 3S9, 434, 435,
Chevalerie, 3)5,
ChiromaDCie, 91, 273, 274 ; — du Zo-
bar, 509 eq., 310.
ChrUtiaui9me de U Kabbale, 233 aq .
Cacabel (auRe), 97,
-Can ce □ [ratio Q de Dien, 43 eq., 135,
179, 254'36B;— daDileZohar,36<l
sq.
Conen (Uidrash), 132.
Conlemptation (dllTéreats degrés).
339.
fiMtraireB(Tbéorleg), 131, 132, 157,
158, 160,
Dahariel(ange), 107.
Dante, IS3.
' David abbl Simrs, 397.
Itémona, 56 aq.
I AniiioupTiî, 55.
! Démonologie (dant le Zobar), 446
«..
I Dieu androgfue, 304, 393.
i Dieu dana le Zohar, 313 aq.
' Oien(ï'uDlr avec Dieu), 219-220.
Dillmana, 1D3.
Dragou (conetell.), 151.
Droite «t guucbe 427 sq., 43B aq.
Dualisme, 433 sq.
Dualisme sextiel, 301 (voir S«xuel).
Dumiel (ange), 107.
Duran (Salomon), 227.
École allemande, 279 sq.
£eorces (Thèoriea des), 436 «q.
Edgar Poe, 430.
Eléaiarb. Arouch, 21 aq.
Eléazsr de Spire, 379.
Elèazarde Wormg, 1)9.
EUa llii7,-ikpri, ifiS.
F.Iii5;
r(ra
")
Eliyabou Cbanim, 309.
Eliacba b. Abouia, 55.
Kmanation, 210-217 (358 sq., dans te
2oh.ir) traitL^ de I' —, 251 aq.
Emanation, Introd., i,v,i35,l76 sq.
Empédocte (Pseudo-), 435.
En-Sor, 174, 239 aq.
E«»éaiens, 32 sq.. 102, 439.
Esprit et matière, 434 sq.
Etbique du Zohar, 466 sq.
Épipbane, S3-81, 511.
Esprit-Saint, 84.
EucUde, 197.
Extase (dilTÉrents degrés), SS, 136,
I 181, 339 sq.
I Eira-Airîel, 233 sq., 260, 362, 361.
f".'n»':"'V **" ''*,'J
INDEX ALPHABÉTIQUE
595
Femelle, 425, 445 {passim).
Féminin, 439 sq.
Femme (élément faible), 439 sq.
Fourrier (Charles), 512.
Franck, m, iv, y, 316, 319, 379, 407.
Francklstes, 497.
Frédéric II, 4S0.
Freystadt, ii.
Friedl&nder, 326.
Gabriel (ange), 97.
Gadriel (ange), 99.
Galgalim (sphères), 183.
Gaonim, iv, '87 sqq. ; — mystic. gao-
nique dans le Zohar, 448 sq.
Geiger, 190.
Gerbert, 193.
Gersonide, 189.
Gikatilia (Joseph), 224-225.
Guematrion, 74 sq.
Gnose, vi, 12, 27, 32, 52, 235, 258,
273, 392.
Gr&tzy VIII, 27.
H
Haggadah, 5, 12, 33, 36.
Halachah, 5, 33, 36.
Hai(Gaon), 89, 90, 91, 224, 509.
Haroun-al-Raschid, 130.
Hechal-Zotrat, 93.
Hechalot Rabbati, 93, 105 sq., 120.
Hegel, 413.
Hephaïstos, 16.
Héra, 16.
Heraclite, 16, 480, 519.
Hermès, 16.
Hénoch (Livre d*), 90, 93, 95 sq.
Hénoch, 445.
Hiliel, 398.
Hin Trêves, 115.
Homme (forme humaine), 39i.
Homme, 450 sq.
Homme, couronnement de l'univers,
455 sq.
Ibn. Ezra (Abraham), 168, 189, 193
sq., 250, 252, 256, 258.
Ibn Falaquera, 183, 247, 248.
Ibn Gabirol, 168, 173 sq., 188,
246, 247, 248, 252, 256, 260, 298,
319, 352, 375, 436, 442, 445, 488.
Ibn Sina, 505.
Ibn Gayat, 168.
Ibn Tibbou, 209.
Ibn Zaddik, 142.
Idées (de Platon), 51 sq., 382 sq.
Idrit (Hénoch), 101.
Immanence, 41.
InQuence (doctrine], 65 sq., 263,
264, 466 sq.
Intuition (Livre de), 260 sq.
Irira, II.
Isaac TÂveugle, 18, 168, 224 sq.,
233, 237 sqq., 256, 322, 352.
Isaac d'Acco, 225.
Isaac ibn Minir, 309.
Isaac d*Acco, 310 sqq.
Isaac b. Salomoo, 168.
Ismaël b. Elischa, 235.
Ischtahar (12M22).
Jabès (Jacob b. Zebi Emden), 313 sq.
Jacob Nasir, 254.
Jacob b. Nisslm, 190.
Jamblique, 452.
Jean Chrysostome, 189.
Jean Hyrcan, 102.
Juda Hadessi, 308.
Juda le Saint, 4.
Jehuda le Pieux, de Ratisbonne, 279.
Jehuda de Rothenburg, 299.
596
INDEX ALPHABÉTIQUE
Jehuda bar Barzilaï, 138.
Juda Halievi, 168, 188 sq., 488.
Jehoschoua b. Chanayab, 166.
Jean-Baptiste, 27.
Jehoschoua b. Len, 122.
Jérôme (Saint), 84, 189.
Jellinek, viii, 2S4.
Joachim de Flore, 231.
Jodaaoites (secte arabe), 131.
Jochanan b. Zaccaï, 22 sq., 35, 235.
Joël, III, IV, V.
José (R.), 46.
Josaé (R.), 20.
Josëphe, 85, 102.
Jost, 326.
K
Kabbale, 222 sq.
Kabbala denudata, n.
Kalonymos, 279.
Kant, 326.
Kemuel (ange), 118.
Répler, 512.
Kesbeel (ange), 99.
Rimchi, 189.
Kleuker, lutrod., ii.
Knorr d. Rosenroth, ii. 448.
Lambert (Mayer), 147.
Laudauer, vii.
Lettres (Myst.), 73,74, 107 sqq., —
dans le Sefer Yezirah, 172 sq., 301
sq., 280 sq. ; ^ dans le Zohar, 356
sq., 381 sq.
Leibnitz, 326.
La)erté, 39, 40.
Loewc, viii.
Louis le Pieux, 128, 166 sq.
Lumière (vêtement), 50,
Luria, ii, 9, 297, 498.
Makariba (secte arabe), 131.
Mal (Le), 59, 60 ; -dans Maïmonide,
219, 219; — dansleZohar, 4768qq .
Mâle et femelle, 427 sq.
Maïmonide, 8, 16, 25, 33, 72, 73, 85,
481, 189, 205 sq., et la Kabbale,
232, 233, 239, 246, 248, 3D1, 316,
398, 426, 440, 441, 445, 471 , 486.
Main, 27.
Marcos (gnostique), 164, 165.
Marduk, 1, 50, 82.
Mariage, 63 sq.
Massecheth Azilut, iv.
Mastema (démon), 120.
Matière coexistente, 50.
Matière première, 135, 372 sq.
Matière coéternelle, 440 sq.
Matakel (ange), 107.
Mercabah (Maaseh), 22 «qq.; — au
temps des gaonim, 87 sq., 177,
182, 393 sq.
Meir (R.), 43, 224, 225.
Mendeltsohn, 18.
Messianisme, 40, 41, 69 sq., 489 sq .
Messie, 59.
Menachem Reccanati, 309.
Menachem Reccanah, 397.
Menachem (disciple d'ÉIéazar de
Worms), 290 sq.
Métatron, 54 sq., 103 sq., 120, 229.
Métrodore de Lampsaque, 528.
Michael (ange), 97.
Midrasch Conen, 132.
Midraschim, 5, 6, 12, 17, 118.
Microscome, 135 sq., 171, 184, 185,
217, 218.
Microcosme, 452 sq.
Migration desàmes^ 481 sq.
Moïse Isserles, 189, 396.
Moïse de Léon, 3i0 sq., 322, 495.
Meirb. Gubbaï, 326.
Mort, 67.
Muggassima (secte arabe), 130.
'Ti-tf
— «^ «■■ ■■i^4K*jai
INDEX ALPHABÉTIQUE
597
Muj<hira (mystique arabe), 130.
Mythique, 516 sq.
Muscbabihia (secte arabe), 130.
N
Nachiuaûide, 8, 122^ 168, 189, 238,
263, 266 sq., 301, 318, 483, 509.
Nahavendi (caraïte), 131.
Necbemyah b. Ilakacah, 118.
Néo-platonisme, ▼, 12, 213, 233,
244, 352, 380, 417, 432, 459, 535.
Néo-pythagorisme, ▼, 12, 236, 452 .
Nicomaque (pythagoricien), 161.
Nécromancie, 278.
Noms divins (mystique), 72 sq., 136,
190, 193 sq., 214 sq., 280 sq. ; —
dans le Zohar, 350, 357.
Nombres, 46 sq. (7 et 10 : 46, 47),
72 sq. ;— dans le Sefer Yesirab,
301 sq., 172 sq., 280, 381.
Nissim b. Reuben, 287.
Nolarikon, 74 sq. |
Oppenheim, 8.
Optimisme, 48 sq., 422 sq.
Origèue, 52, 84, 89, 189.
Ormuzd, 82, 317.
''Opo;, 258.
Orphique (Métatron), 428.
PauLhéisme, 50, 203, 204, 264; ^
du Zohar, 400 sq.
Pardès, 29, 87, 88.
Parménide, 371.
Passions, 59, 60, 61.
Péché originel, 67 sq.
Péuémon (auge), 97.
Pcrcz Ilacoheu, 261.
Phallique, 428.
Philou, 15, IG, 29 sq., 176, 188, 244,
370, 392, 413, 434, 442, 452, 455,
456, 460. 464, 471, 488, 497, 511,
527, 538 : — sa doctrine, 550 à 581 .
Philippe le Beau, 308.
Physique du Zohar, 503, 506.
Physiognomie du Zohar, 506.
Physiognomique, 91, 273, 274.
Pic de la Mirandole, ii, 499.
Pirké de R. Elieror, 103, 132, 1 à3 sq.
Pistorius, 498.
Platon, V, 12, 114, 231, 236, 379, 380,
388, 417, 434, 439, 441, 452, 463,
465,488, 482, 511, 530,562.
Plotiu, 195, 380, 391, 452, 488.
Poumbedita, iv.
Porphyre, 83, 190.
Postel, 498.
Préexistence, 67 sq.
Prière, 66 sq., 261, 474.
Prototype, 51 sq.
Pseudo-épigraphle, 235.
Pulgar (Isaac), 225.
Pythagore, 12, 511.
Pythagorisme, 142, 161, 162, 182,
193, 417, 482, 236.
Quaestiones et Responsa, 6.
R
Rabad, 168, 425.
Raf]juel (auge), 98.
Raphaël (ange), 98.
Raschi, 48, 168, 228.
Raymond Lulle, 499.
Raziel, Il 8, 118 sq., 445.
Recanati, 254.
Réminiscence, 61 sq.
Reuchlin, o, 7, 498, 499.
Ric-.i (Paul), 497, 499.
Rien ne se perd, 423 sq., 50:i
Rittangel, 437.
Wjbssi (de), 8.
598
INDEX ALPHAfiÉTIQUB
Saadyah, 8, 18, 98, 141, 163, 168,
169, 280, 581.
Saboraim, iv.
Sabbalaï Donolo, 138, 168.
SabbaléeQs, 497.
SabbaUl Le^i, 313.
Sacnûces (culte), 158, 189, 263, 269.
SalmoQ b. Jerncham, 90, 115.
Salomon b. Adret, 296.
Samaël, 56, 447.
SambatioD, 295.
Samuel Ilachasid, 279.
Saocbe (doo), iv, 308.
Scherira ^laon, 91.
SchahrestaDi, 131.
Schinr Koma, 84, 93, 111, 115, 280.
Schem Tob, 225, 232.
Schwab, 107.
Schammai, 398.
Sefer Yezirah, m, iv, v, vin, 6, 18,
77, 135, 138, 183^ 184, 191, 192,
237, 241, 242, 245, 246, 254, 287,
353, 494.
Sefirotb, 239 sq.; — dans le Zohar,
365 ; leur nature, 395 sq.
Sefirotb, Couronne, 253, 280; — Sa-
gesse, 253, 365 sq. ; — Intelligence,
253, 375; — Grâce, 253, 384; —
Terreur, 253, 384; — Beauté, 253;
— Victoire, 253, 387; — Majesté,
254, 387 ; — Juste fondement, 254;
— Royauté^ 255, 387.
Sefer Raziel, 281 sq.
Sexuelle (Loi), 63 sq., 304, 424 ; — en
Dieu . 427, 428 ; — dans les Sefirotb,
429,430; — dansTàme, 429,431; —
le règne animal, 432; — végétal^
432, 522.
Simon b. Jocbai, 124, 235, 319.
Simon le Sage, 27.
Sinisou de Cbinon, 227, 261.
Simou b. Zemach Durau (R.), 326.
Sizygie, 428.
Souffrance (myst. de la), 274, 275.
Soura, IV.
Sphères anhnées, 204, 205, 215.
Sphères dans Malmonlde, 215, 216.
Spinoza, 43, 249, 250, 379, 388, 411,
434, 435, 442, 466.
Spinozisme, 43.
Stem (Ignatius), vn.
Stoïciens, 15^ 16, 403, 417, 530, 534,
535.
Substance (théorie), v.
Saryan (ange), 97.
Superstitions diverses, 79.
Suriel (ange), 118.
Syrbius (Peter Speith), ii.
Talismans. 282 sq. (différentes e«-
pèces).
Tétragramme, 190-200.
Tertullien, 189.
Terre (sa sphéricité), 77.
Thaïes de MUet, 530.
Théagène de Rhegium, 528.
Thomas d'Aqoin, 375 sq., 389 sq.
Tiamat, 50.
Transcendance, 42.
Trinité, 304, 305, 337.
Todros Hallevi, 308, 309, 313.
Univers (dans le Zohar}, 352 sq.
Urian (ange), 97.
Uriel (auge), 98.
Valentinien, 52.
Verbe, 159, 160.
Vêtement lumineux, 50.
Vie future, 70 sq.
Vie ultra-terrestre, 276, 277.
Virgile, 123, 289.
INDEX ALPHABÉTIQUE
599
Visage (Grand et Petit), 393 sq.
Visage (Long), 174.
Visage (Court), 174.
Voies (de Dieu), 45 sqq.
Volonté (Doctrine de la), 194 sq.,
298.
Xénophane de Colophos, 530.
W
Widmanstadt, 7.
WolÉf, 336.
Ziruf, 74 sq.
Zoharistes, 231, 497.
Zoiiar (ses différents noms), 326 sq.,
331 sq. ; — son allégorisme, sa mé-
thode, 325 sq.
Zunz, 14.
39
t..
il 1
I:
1*.
r
V I
TABLE DES MATIÈRES
Page».
bfTRODUCTION I&X
ClikPITRE 1
Les sources de VMstoire du myatieinne Jtdf I & 9
Chapitrv II
Considéraliont générales 16 à iS
CHA.P1TRS m
Des origines à la clôture du Talmud 19 à 86
Talmad et mysticisme, p. 20. — >ConceptioQ juive et qoq-
Juive, 20 k 22. — Maaseli Bereschit et Maaseh Mercabah
(Physique et métaphysique), 22 h 37. —- La doctrine otfi-
cielie,37 à 41. — Idées mystiques relatives à Dieu et tes
rapports avec raniver», 41 d 43. * La concentration de
Dieu, 43 à 44. — Ses voies et attributs, 44 à 48. — Le
mode de création, 48 à 49. — Traces de panthéisme,
49 à 50. ^ La matière première, 50 & 51. — L'Idée pla-
tonicienne, 51 & 53. -— Les Ajiges, 53 à 58. ^L*iiBt et
le corps, 58 à 63. ^ La loi sexuelle, 63 à 64. ^ La doc-
trine de rinûuence, 65 à 67. -~ Le péché originel, 67 à
69. ^ Le messianisme, 69 à 71. — Mysticisme des noms
et des lettres, 71 à 76. — Notions d*a8trologie, 76 & 79.
— Notions diverses, 79 à 80. — Ce qu*on peut affirmer
de Torigine de cette première forme de mysticisme, 80
à 82. — Conjectures sur le rôle des Esséniens, 82 à 86.
Cbapitbr IV
La Mercabah au temps des Gaonim 87 & 168
La contemplation de la Mercabah* 87 à 92. — Le Schiur
Romah, 93 à 95. — Le Livre d'Hénoch, 95 à 105. — Les
Héchaloth (Palais), 105 à 107. *L*Alfa-BeU de B. Âkiba,
107 à 115. -~ T a-t-il connexité entre ces différentes
œuvres, 115 & 118. — Le groupe « Raziel », 118 à 122. —
Les vexujac, 122 à 124. — Conclusion et chronologie, 124
à 132. — Le Midrasch Conen et les Pirké de R. Eliézer,
132 à 13S. — Le Sefer Yezirah, 138. — Traduction et
commentaire, 139 à 158. — La critique du Sefer Yezirah,
158 à 168.
602 TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Chapitre V
Le mysticisme chez les grands théologiens juifs .... 169 à 221
Saadyah, 169 à 173. — Ibn Gabirol, 173 à 188.— Juda Hal-
lévi, 188 à 193. — Abn Ezra, 193 à 205. — Maîmonide,
205 à 221.
Chapitre VC
La KabbaU 222 à 236
Le mot et la chose, 223 à 224. — Sa modernité, 224 à 228.
— Sa première caractéristique» systématisation métaphy-
sique, 228. — Son opposition à la casuistique taimudi-
'" que^ 228 à 233. — La Kabbale et la tradition, 233 à 235.
Chapitre VII
Essai de classification par écoles 237 à 250
Isaac rAveugle, 237 à 238.» Ezra-Azriel, 238. — L*opuscule:
Explication des Sefiroth par questions et réponses, 238 &
245. — Première apparition des Sefiroth, 245 k 246. —
Leur nature, 246 à 250.
Chapitre YIII
Le traité de VÉmanation 251 à 255
La quadruple émanation, 252. — Sa conception des Sefi-
roth, 253 & 255.
Craphre IX
Le Bahir 256 à 259
Traces de gnosticisme, 257 k 258. — Sa date, 258 k 259.
Chapitre X
Le Livre de r Intuition 260 à 265
La question des prières, 261 à 263. — La question des cé-
rémonies, 263 à 265.
Chapitre XI
Nachmanide 266 à 278
Sa conception de la Bible, 267 à 268. — Sa conception des
préceptes cultuels, 268 à 271. — Sa doctrine, 270 k 273.
— Chiromancie et physiognomie, 273 à 274. — Sa con-
ception de la souffrance, 274 à 275. — Destinée ultra-ter-
restre, 276 à 277. — Astrologie, 277 à 278.
Chapitre Xll
Vécole allemande 279 à 29:^
Eléazar de Worms, 279. — Le Sefer Raziel, 281 à 290. — Son
disciple Menachen, 290 à 293.
Chapitre Xill
Abulafia. . . . • • . 294 à 306
Quelques mots sur sa vie, 294 à 296. — Sa conception de
^*.-»l.' .*«»■•*■*
TABLE DES MATIÈRES 603
l'ages.
la Kabbale, 2% à 301. — Le mysticiame des noms, des
lettrée et des nombres, 301 à 304.
Chapitre XIV
Le Zohar 307 à 342
CoDBidérations générales, 307 à 342. — Sa modernité^ 307.
— Les témoignages externes, 307 à 313. » Témoignages
internes, 313 à 322. — Conjectures sur son auteur, 322 à
326. — Ses noms, 326 à 328. — Son cadre ef sa consti-
tution, 328 à 336. — Sa méthode allégorique, 336 à 342.
Chapitrss XV à XXI
La doctrine du Zohar 343 à S26
ClAPITll XV
La doctrine relative à Dieu 343 à 352
En-Sol et Ay in, 343 A 345. » Diverses symi)oliqnes, 345 A349.
— Les autres noms divins, 350 à 352.
CHAnniBS XVI et XVII
VUnivers 352 à 465
Le principe de médiation (Balance), 353 à 355. •— La subs-
tance première, 356. — L*émanation, 358 à 360. — La con-
centration, 360 à 363. — Le symbolisme de la concentrar
tion, 363 A 364. — Les Sefiroth, 365. — Les deux passai»
ges principaux, 365 à 368. — Leurs noms, 369. — La
Couronne, "370 A 375. — La Sagesse et TlntelUgence, 375
4 380. — Les lettres et les nombres, 381 A 383. — L*ldée
platonicienne, 383 A 384. — La Grâce, la Justice, la Beauté,
384 A 386. — Colonne de droite et Colonne de gauche,
386 à 386. — La Victoire, la Gloire, le Fondement, 387 A
389. — La division trinitaire des Sefiroth, 389 A 391. —
Symbolisme du corps humain, 391 A 393. — Diverses au<-
tres symboliques, 393 A 395. ~ La nature des Sefiroth,
393 A 396. — Opinions diverses, 396 A 400. — Monothéisme,
Polythéisme, Panthéisme, 400 à 411. <— Les Sefiroth et
Spinoza, 411 A 413. — La métaphysique du Zohar et Phi-
Ion, 413 A 4i9. — Le symbolisme des couleurs, 419 A 422.
_ Conception optimiste, 422 à 424. — La loi sexuelle,
424 À 434. — Esprit et matière, 434 à 442. — Les anges,
442 A 450. — L'homme, 450. — La doctrine du micro-
cosme, 451 A 458. — L*Ame, 458 A 465.
Chapitrb XVIII
Vélhique du Zohar, . : 4C6 à 490
La doctrine de l'influence, 466 à 472. — Le juste ou homme
de bien, 472 à 476. — Le mal, 476 A 480. —La destinée
ultra- terrestre, 481 à 490.
604 TABLE BES MATltaBS
CoAmu XIX '***'*'
Les idées chrétiennes du Zohar 491 A 500
Le péché originel, 491 À 494. — U Trinité, 494 à 499. —
La damnation éternelle, 499 à 500.
Chaphhs XX
Conceptions éiaêrsu 501 à 3*2t»
Conceptions ^yaiipieB, 302 à 506. ^ Physiognomie et
chiromanc», S06 i 510. — Aatronomie et astrologie,
510 à 515. — Alchimie, 515 a 516. — Mythique, 516 k 522.
Procréation, 522 à 526.
Chapitke XX]
Phiion et le Zohar , deux expressions analogues de fallégo-
risme 527 à 5Sf
Phiion et le Zohar, 527 & 328. — L'allégorisme chex lee
Stoïciens, 528 à 530. — L*allégorisme chez les Juifs, 530
a 531. — L'allégorisine dans les traductions de la Bible.
531 & 533. — Dans certains apocryphes, dans le livre de
la Sapience, 533 à 335. — Dans le Vl^ livre des ^iccha-
bées, 535 à 536. — Dans Aristobule, 536 à 538. - Dans
Phiion, 838 & 541. — Les règles de Tailégorisme philo-
nien, 541 à 555. — Rôle de l'ailégorisme dans la doc-
trine de Phiion et coup d*œil sur cette doctrine, 533 à
581.
Conclusion 582 à 592
Angrr-. — Impriju-i-ii- ..li .ulalo A. hurdin e'. i'.'
ilinfpmi
3 9015 02450 1382
; i'. -■
DO NOT REiMOVE
OR
MUTILAT