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4
V'/r-
*-*
ETUDE
SUR
L'ETHNOGRAPHIE DE L'AFRIQUE. .
L'étude des races qui peuplent l'Afrique présen-
tait, il y a trente ans, une grande simplicité. A l'ex-
ception des nations histmîqups des bords de la Mé-
diterranée, dont l'origine caucasienne était évidente,
le reste de ce continent était l'apanage des Nègres,
et la race nègre se reconnaissait à sa chevelure lai-
neuse, à sa grande bouche encadrée de lèvres épais-
ses , à sa peau noire , à des dents obliquement im-
plantées, un talon récurrent, des formes épaisses
et massives, des yeux jaunes ou bruns, et un angle
facial' aigu correspondant à une intelligence peu
développée. On reconnaissait encore à l'extrémité
méridionale de l'Afrique l'existence d'un rameau
particulier de nègres bruns comprenant les Hotten-
tots et les Cafres, et comme on n'admettait pour la
race nègre qu'un type unique, on se trouvait placé
dans une opposition insurmontable en apparence
avec les enseignements de l'Écriture Sainte.
2 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Après vingt années il ne me reste plus de doute
sur la nécessité de refaire cette étude et je prends la
liberté de vous la présenter d'une manière beaucoup
moins savante que Prichard , mais tout à fait indé-
pendante de ses travaux.
La région de l'Atlas et la vallée du Nil nous occu-
peront d'abord pour y faire la part incontestée
des peuples caucasiens qui les habitent dès la plus
haute antiquité. Nous y voyons des peuples appelés
Libyens, Massyles ou Numides, Massésyles, et Maures
ou Maurusiens. Rien dans les auteurs anciens ne
nous autorise à supposer qu'ils fussent d'une race
différente des autres peuples riverains de la Médi-
terranée. Ils nous sont connus par les rapports des
Phéniciens qui colonisèrent une grande partie des
côtes, des Grecs établis dans la Cyrénaïque et des
Romains qui soumirent les uns et les autres. Salluste
nous apprend qu'au delà du httoral de la Numidie
vivait la nation des Gétules partagée entre le séjour du
pays de Tuggurt (dont le nom s'est conservé sans al-
tération) et des solitudes où ils nomadisaient, et qu'ils
avaient pour voisins au sud les Éthiopiens : Super
Numidiam Getulos accepimus, partim in Tuggurtis,
alios incultius vago agitare, post eos jEthiopas esse.
fSallmt. de Bello jugurth.J
Nous lisons dans Pline ^ que l'Achéen Polybe reçut
de son ami Scipion Émilien le commandement d'une
^ Hisl. nat. I. V, c. I, p. 9.
DE L'AFRIQUE. 3
flotte- avec laquelle il navigua en dehors du détroit de»
Colonnes d'Hercule , 213 milles au delà de Lixus,
c'est-à-dire jusqu'au voisinage de la ville moderne de
Mazagan dans l'empire de Maroc. Au delà de ce point
il trouva d'abord les Gétules Âutololes^ les Éthiopiens
Pérorses, derrière eux les Pharusiens avec les Gétules
Daras, pui» les Éthiopiens Daratites avec un fleuve
plein de crocodiles et d'hippopotames qui doit se
trouver avec un nom presque intact dans uiie pro-
vince de l'empire de Maroc située au sud-ouest de
l'Atlas. Cette position est d'autant plus aisée à devi-
ner qu'il est dit que dans cette dernière partie de sa
navigation il suivît sans interruption le pied des mon-
tagnes de l'Atlas.
Strabon, moins explicite, se borne à dire * que les
parties occidentales» de la Maurusie sont occupée» par
des peuples appelés Maures par les Ron^aÎBS, nation
libyenne, nombreuse et fortunée^ qui habite en face
de l'Ibérie.
^ Sous le règne de Claude * ce même pays ftit pàr-
>> couru par le» aarniées romainesy et, dépassant les li-
\ mite» fixées par Auguste, Suetonius PaulintfSy le con-
^ quérant de ta Bretagne, s'avança même à quelques
, milles au delà de l'Alk»^ qu'il appelle Dyri» et qifil
^ vit couvert d'arbres gigantesques. C'est dans celte
partie qu'habitaient les Éthiopiens Pérorses. Puis ,
1 L. XVU,cap. 41.p. 450.
« Pline, I.V,c. 4, p. 9.
A ÉTUDE SUR l'ethnographie
ajoute Pline, par Textinction presque totale des Mau-
res et des Massésyles, la Tingitane ne fut plus habitée
que par les Gétules, surtout de la puissante tribu des
Autololes, qui en partageaient les immenses forêts
avec des éléphants. Ces animaux s'avançaient jusqu'au
mont Abyla en face de Gibraltar.
« Au delà du pays des Gétules nous trouvons, dit-
il, les Libyégyptiens, puis les Leucéthiopiens ou Éthio-
piens Blancs, et plus loin les peuplades éthiopiennes
auxquelles le voisinage du fleuve Nigir a fait donner
le nom de Nigrites, y>
Strabon, si laconique sur les extrémités occiden-
tales de l'Atlas, mérite d'être à son tour, ainsi qu'Hé-
rodote, notre guide dans la Libye orientale : « L'inté-
rieur des terres au-dessus de la Grande Syrte et de la
Cyrénaïque est, dit-il, ' habité par les Libyens: on
trouve d'abord les Nasamones, puis quelques tribus
de Psylles, de Gétules et de Garamantes: plus à
l'orient encore sont les Marmarides, voisins de la
Cyrénaïque et du temple d'Ammon. » Ces peuples fu-
rent bientôt aux prises avec les Romains; Lucius
Corn. Balbus de Cadiz, vainqueur des Garamantes,
triompha, 18 ans avant l'ère chrétienne (l'an de Rome
735) pour la prise de Cydamus (Gadames), de Ga-
rama et de 25 villes ou peuplades.
S'il était permis de chercher quelques faits ethno-
logiques dans ces maigres documents, je dirais que
1 Strabon, liv. Vil, par. XVIII, p. 489.
DE L'AFRIQUE. . 5
Pline et Strabon semblent considérer tous ces peu-
ples indigènes de l'Afrique septentrionale, les Gétu-
les, les Garamantes, les Nasamones, comme les mem-
bres de la grande famille libyenne, et qu'ils y ratta-
chaient les Maures et les Massyles ou Numides, et,
probablement aussi, les peuples qu'ils désignent par
le nom d'Éthiopiens Blancs. Quant aux Éthiopiens
Nigrites qui tiraient leur nom du Nigir, ils devaient
être nègres, car si ce fleuve a désigné le Niger, il n'a
pu être connu des anciens sans son cortège de peu-
ples noirs.
L'histoire de Procope atteste suffisamment que si
la plupart de ces peuples ont été soumis par les Ro-
mains, ils ont cependant conservé leur existence et
repris leur indépendance, grâce à leurs déserts et aux
montagnes peu accessibles de l'Atlas.
Les résultats de la conquête des Arabes, pendant
la seconde moitié du septième siècle, paraissent avoir
dépassé ceux de la conquête romaine. La race li-
byenne ou berbère fut non-seulement soumise, mais
partiellement déplacée; elle s'associa à la conquête
de l'Espagne, sous les ordres de Tarekh, général ber-
bère de naissance; une partie des puissantes tribus
des Zénètes (Zenatas) et des Gomères s'établit en An-
dalousie. Mais, comme c'est à partir de cette époque
que la Barbarie est inondée de tribus bédouines,
sans compter la population arabe des cités et des
.cantons cultivés , que l'on nomme peut-être impro-
prement des Maures, il est permis de penser qu'une
f
6 ÉTUDE SUR l'ethnographie
partie des Libyens ou Berbères prit, en cédant la
place aux conquérants, une direction opposée à celle
de l'Espagne et s'enfonça au sud jusqu'aux confins
du Soudan. Il y a toute une lisière de ce pays qui,
sans être située sur les grands fleuves du Niger et du
Sénégal et sur le lac Tchad, fut autrefois habitée par
des noirs et ne tarda pas à céder la place à la race li-
byenne; c'étaient les pays de Four, de Ouaday, de
Kanem, d'Asben, de Masina, d'ËI-Hodh, de Walata,
d'Azer Aswanek, limités au nord par le 18^ degré de
latitude septentrionale, qui, au moyen âge, formaient
encore des royaumes n^es ' . La race berbère s'est
conservée dans les portions suivantes de la région de
TAtlf^ : la Petite et la Grande Kabylie, ainsi que les
montagnes au nord de Lalla-Magrania dans l'Algérie
occidentale. Toute la région montagneuse de l'empire
' ) Maroc entre Maroc, Fas et Draha, est occupée par
nombreuse et vaillante nation des Schelluhs*, la
•anche la plus nombreuse de cette race libyenne.
Si de l'Atlas nous descendons au sud vers le Sabra
lus le trouvons en très-grande partie occupé par la
ition célèbre des Touarîks (aussi nommés Tawa-
ighs et Tarki ou Targhi), qui se donnent à eux-mê-
es le nom d'Amazigh % qui signifie libres, par op-
isition à celui d'Imghad donné par eux à certaines
' Pesborough Cooley, Negroland of ihe Arabs, passim.
' Schillouks ou Schilha. Le capitaine John Washingloii les
)uve è peine distincte des Kabyles de l'Algérie.
? AlI<i>t>Gltitgltausiiij;ulier; lmi^t;h.igh au pluriel-
DE L'AFRIQUE. 7
peuplades du pays de Ghral qu'ils ont réduites à la
condition d'ilotes. Ce peuple est intéressant, moins
par son caractère cruel et ses habitudes de pillage,
que parce qu'il a conservé la langue et l'écriture des
Libyens, les anciens voisins de Carthage. Distinguer
parmi toutes ces tribus de Touariks, de Schillouhs,
de Kabayls * quels sont les descendants spéciaux des
Massyles, des Gétules et des Maures de l'antiquité,
est devenu chose impossible de nos jours, mais les
Berbères n'en forment pas moins les héritiers directs
du sang des Libyens de l'antiquité.
Dans la vaste étendue du Sahra occupée spéciale-
ment par les Youariks on distingue sous les noms de
Hogar * et d'Azkar ^ les Touariks occidentaux et
orientaux. Plus au sud ils ont expulsé les nègres du
pays diAshen auquel ils ont donné le nom actuel
d'Aïr ou Ahir, et on les trouve même établis depuis
longtemps * sur les deux rives du Niger à 100 milles
au nord-ouest de Yaourie et à 150 milles au sud-
ouest de Sokoto ou Sackalou, sur une étroite bande
de territoire nommée Dindina.
Il reste peu de chose de la fameuse et vaillante
tribu berbère des Zenètes ou Zenata qui, au milieu
^ Kabayls el non Kabyles signifie seulement les trihm.
^ Les Hongar, Akkar, ou Augars sont les Touariks deTouai
jusqu'au Niger.
^ Les Azkar, ou Azghar, sont les Touariks de Ghrât et du
Fezzan; les Kailouï sont les Touariks d'Asoudi etd*Aïr. Barth
et Richardson. »
* Barlb.
8 ÉTUDE SUR l'ethnographie
du huitième siècle, donna un asyle sous ses tentes au
dernier rejeton des kalifes Omiades et l'aida à fonder
le kalifat de Cordoue. .
Les oasis du désert de Libye, Audjilah,Ghadames*,
Sokna, Si-Ouah , sont encore habitées par la race li-
byenne, ainsi que M. Cailliaud a pu s'en convaincre
dans son voyage à l'Oasis d'Ammon (Si-Ouah), où se
parle encore, selon Jackson, la langue des Schillouhs.
A l'autre extrémité du désert, enfin, le fleuve Sé-
négal a reçu son nom du voisinage de la tribu des
Zenagha ou Senhadja, autrefois les seuls habitants
du Sahra occidental, maintenant réduits à un petit
nombre '.
M. Faidherbe considère les Schillouhs de l'Atlas
marocain comme ayant conservé le plus pur des idio-
mes de la langue berbère. Ils ont les cheveux bou-
clés et soyeux. Mais, d'autre part, les Touariks Ke-
laouï du pays d'Ahir, de Tintellustet d'Asoudi, qui
font en grand le commerce des esclaves^ ont considé-
rablement altéré le teint et les traits de leur race par
leurs mariages fréquents avec des négresses.
ARABES.
On conçoit aisément qu'au septième siècle les Bé-
douins, conquérants de la Mauritanie, aient quitté
^ Dans l'oasis de Ghadamis, visitée par Laing et plus ré-
cemment par M. Dickson, consul anglais a Tripoli, une popula-
tion berbère parle un idiome touarik.
3 ATaganet.
DE L'AFRIQUE. 9
leur aride patrie pour s'établir dans les régions plus
favorisées de la Barbarie qu'ils nommaient Al-Mogi'eb
ou Gharb (l'occident); mais cette émigration des con-
quérants les a portés jusqu'aux solitudes du Sahara,
aussi inhospitalières que celles de l'Hedjaz et du Ned-
jed. Les Arabes Schaambahs ou Schambats sont une
peuplade pillarde établie près de Ouregla sur la li-
mite méridionale du Sahara algérien, entre les Maures
et les Touariks. Sur toute la côte occidentale du dé-
sert, des hordes de pasteurs ai'abes, nommés Maures,
ont supplanté l'ancienne population berbère. M. le
colonel Faidherbe, gouverneur de la colonie fran-
çaise du Sénégal, énumère leurs tribus et lés dé-
peint, mais il avoue qu'à une certaine distance de la
côte il y a des tribus qui échappent à une classifica-
tion absolue, paixe que leur langage, leurs traits et
leurs traditions ne permettent pas de distinguer en
eux l'élément arabe de l'élément berbère (Zenagha
ou Senhadja). Les navigateurs portugais du quin-
zième siècle confondent sous un même nom de Mau-
res les Arabes, les Berbères et souvent même les nè-
gres. — Brue, dans ses voyages à la Sénégambie, de
1697 à 1718, fut le premier à dire que, sur la rive
droite du Sénégal, ces Maures étaient des Arabes, un
peu plus basanés que les Européens, et Geoffroy de
Villeneuve, de 1785 à 1788, donna quelques détails
sur les Maures Braknas et les Trarzas aujourd'hui
bien connus.
Les migrations des Arabes, comme celles des Ber-
10 ÉTUDE SUR L'ETHNOGRAPHIE
bères, ont franchi les limites septentrionales du Sou-
dan. Barth * a vécu dans le Kanem avec les faibles
restes des Béni Sliman (fils de Solyman), Arabes tur-
bulents venus des^ bords de la Grande Syrte au pays
de Kanem et presque détruits par les Touariks depuis
leur retraite au bord septentrional du lac Tchad. Le
même voyageur a revu sur le bord méridional de ce
lac les Choua Daghana ' , déjà visités par Denham,
dont la langue est un arabe plus pur que celui de la
Barbarie et qui provient de l'Hedjaz.
La dernière nation saharienne sur l'origine de la-
quelle il plane encore des doutes est celle des Tib-
bous^, qui occupent dans la partie orientale du dé-
sert un espace triple de la France. Le major Denham,
le premier voyageur qui les ait visités et décrits, dit
que quelques-unes de leurs femmes avaient des traits
fort agréables; que leurs dents blanches contrastaient
avec le noir éclatant de leur peau; que les hommes,
très-laids à Bilma, avaient les narines assez ouvertes
pour pouvoir y enfoncer jusqu'au fond avec leurs
doigts le tabac dont ils se régalent. Plus au sud ( à
Kachifery) les femmes lui parurent jolies, avec un
front haut et un teint plus cuivré qu'à Bilma. — En-
fin les Tibbous de Gonda, les plus voisins des nègres,
avaient les yeux grands, saillants et intelligents, la
i Vol. III.
^ Les Arttbes du lac Tchad portent nu Bornou le nom géné-
rique Je Choua el au Bagherme celui de Chiwa.
3 Tébou ou Tida (Barlh).
DE L'AFRIQUE. 11
bouche grande, le nez aplati, mais le front élevé et le
visage cuivrée Ces détails fort maigres et passable-
tnenl contradictoires avaient engagé le grand géogra-
phe Ritter à compter les Tibous comme une branche
de la grande famille berbère. Le comte d'Escayrac
de Lauture pense au contraire que ce sont des nè-
gres, parce qu'il a trouvé à un Tibou, esclave au Caire,
la peau très-noire et le même type de visage qu'aux
nègres du Baghermi et du Bornou,et que, sur un vo-
cabulaire de cinquante mots de la langue tibbou,il ne
trouva pas de ressemblances avec le berbère '. Le té-
moignage de Denham permet encore le doute sur la
valeur de ces raisons, et nous le garderons, ainsi que
le savant Latham le fait sur les caractères de ce der-
nier peuple de l'Afrique septentrionale.
ETHNOGRAPHIE DE LA VALLÉE DU NIL.
Je dois me borner à citer, sur l'origine des anciens
Égyptiens, le passage suivant d'une lettre de M. Lep-
sius, adressée de Nubie à M. Bœkh, le 10 septembre
1844, et insérée dans \es Annales des Voyages^.
i Denham, p. 472, 174, 181.
^ Bulletin do la Société de Géographie de Paris, n^ 55.
Juillet 1855, p. 57 et 73. — Août 1855, p. 422.
3 Aun. desVoy. 1845, vol. 111.
12 ÉTUDE SUR l'ethnographie
€ L'affinité caucasique de l'ancienne langue égyp-
tienne, que je crois avoir signalée le premier en 1835,
par la comparaison des dérivés pronominaux, et, en
1836, par celle des noms de nombre, est aujourd'hui
une chose généralement admise et décisive en faveur
de l'origine asiatique des Égyptiens. D'un autre côté,
l'affinité de la langue Ghîz de l'Abyssinie avec les ra-
meaux des langues sémitiques démontre également
que le peuple abyssin est aussi venu de l'orient. »
Si de l'Egypte nous remontons le Nil jusqu'en Nu-
bie et en Abyssinie, cette ancienne jEthiopia supra
jEgyptumy pour y chercher l'origine et l'état ancien
des peuples qui l'habitent, Diodore de Sicile*, après
avoir décrit les splendeurs de Méroë, nous dit « qu'il
existait encore beaucoup d'autres tribus éthiopien-
nes, dont les unes habitaient les deux rives du Nil et
les îles formées par ce fleuve, les autres occupaient
les confins de l'Arabie (c'est-à-dire l'intervalle com-
pris entre le Nil et la Mer Rouge), et d'autres vivaient
dans l'intérieur de la Libye. Presque tous ces Éthio-
piens et surtout ceux qui sont établis sur les rives du
Nil, avaient la peau noire, le nez épaté et les cheveux
crépus. Leurs mœurs étaient sauvages et féroces
comme celles des bêtes auxquelles ils ressemblent.
Leur corps était sale et leurs ongles très-longs. »
Diodore décrit ensuite avec de certains détails de
mœurs et, ce qui vaut mieux, de position géographi-
1 Diod. Sic, lib. III, 3.
DE L'AFRIQUE. 13
que, des nations d'Éthiopiens chasseurs, d'Éthiopiens
éiéphantomaques, les Simes (nez camus), et aux li*
miles extrêmes de ces régions méridionales, les Cy-
namolgues (tétant les chiennes), qui avaient d'innom-
brables troupeaux de bœufs. Il place sur les bords
de la Mer Rouge des Ichthyophages, et dans les mon-
tagnes voisines des peuples de Troglodytes nomades.
Dans les régions plus méridionales, il fait mention de
prairies submergées, marécageuses, couvertes de ro-
seaux et pleines d'insectes malfaisants, d'immenses
troupeaux de bœufs, d'éléphants et de lions.
La comparaison que nous avons faite de tous les
passages rend évident pour nous que Diodore et Stra-
bon ont puisé aux mêmes sources. Ils doivent des
fables à Artémidore d'Éphèse (liv. 8^) et des citations
importantes au grand Eratosthène et à Agatharchide
de Cnide (lib. II); mais les citations de Diodore, plus
détaillées que celles de Strabon, laissent facilement
deviner qu'il s'agit de régions beaucoup plus lointai-
nes que la Nubie, situées sur le cours supérieur du
Nil Blanc ou de ses tributaires.
Dans la Nubie orientale, Eratosthène plaçait la na-
tion des Blemmyes, et sur la rive opposée, c'est-à-
dire la rive gauche du Nil, les Nubœ, grande nation
de Libye qui s'étendait depuis Méroë jusqu'aux cou-
des formés par le Nil: « Ils ne sont point, dit-il, soumis
aux Éthiopiens, mais ils vivent indépendants, partagés
en plusieurs royaumes *. y> Eratosthène dit positive-
1 Liv. XVIl, c. 1 , p. 31 0, 3 1 1 .— C. I, par. XXIII. p. 440.
14 . ÉTUDE SUR L'BTHNOGRÂPHIE
ment que la rive occidentale du Nil était habitée par
les Libyens, tandis que la rive opposée était occupée
par les Éthiopiens, et que ces peuples se disputaient
les bords du fleuve et ses îles. Par Éthiopiens il en-
tendait les peuples civilisés de Méroë qui, au dire de
Diodore, avaient donné aux Égyptiens deux systèmes
d'écriture, beaucoup de leurs usages, et passaient
pour être les plus anciens habitants du pays.
Ajoutons un passage du roi Juba, cité par Plme \
qui affirme que les peuples qui bordent le Nil, de
Syène à Méroe, ne sont point des Éthiopiens, mais
des Arabes; qu'Héliopolis même avait été bâtie par
les Arabes. Juba compte 68 villes ou bourgades sur
l'une et l'autre rive du Nil. Cette assertion est obscure
en ce qu'elle ne spécifie pas une rive du Nil plutôt
que l'autre; mais elle serait fort importante si, comme
cela est fort probable, elle ne concernait que la rive-
droite habitée par les Blemmyes dont elle attesterait
ainsi l'origine.
Le témoignage d'Ératosthène, de Diodore, de Pline
et de Strabon constate, en résumé, l'existence de
deux races différentes, des nègi'es au sud-ouest et
d'une nation civilisée , les Éthiopiens ( pewÉ-êtce d'o-
rigine asiatique)^ sur la rive droite du Nil.
Examinons maintenant les changements que cette
di^ribution de la Nubie peut avoir éprouvés^
Les habitants actuels de la Nubie sont, au nord,
1 Liv. VI, p. 34.
DK L'APKIQUE. 15
les Barabras ou Berbares, les Mahass ou Méhas et les
Dongolas, les Bischaryi à l'est, les Nubas, les Arabes
et peut-être des nègres au sud.
Les plumiers, habitants des rives du Nil dans la
Nubie septentrionale, sont tous compris par M. Lep-
sius sous le nom de Nuba \ et y parlent depuis la li-
mite de rÉgyptè jusqu'à Berber et au voisinage de
Sehendi, plusieurs dialectes de la même langue (Nô-
binga). Le^ Barabra ^ et les habitants du Méhas et du
Dongola sont des branches de cette famille de peu-
ples, et M. Latham s'accorde avec Lepsius pour re-
connaître l'affinité de leurs dialectes.
La langue nuba est aussi parlée en partie dans le
nord du Kordofal. Mais Latham place encore dans le
même groupe des peuples noirs situés plus au sud
aux limites du Kordofal, et même les Schillouks et
les Denkas du Nil Blanc, qui présentent au superlatif
les traits physiques de la race nègre. Lepsius les en
repousse comme parlant une langue nègre tout à fait
étrangère. Tel n'est pas le cas des Nubas des bords
du Nil. Lepsius les appelle les Nubas bruns ou rou-
ges. Brun-Rollet les trouve non pas rouges, mais
d'un jaune assez clair dans le pays de Dongola*, et
^ Leur nom propre est Nop ou Nuba, au pluriel Nobîga; et
leur langue se nomme nôbinga.
^ Barabra est le pluriel de Berber.
3 Brun-Rollet, Nil Blanc, f^. 214, ât6.
^ Rhtor donne les Barabras comme ayant de beaux traits,
avec une peau de la couleur de Tacajou trës-foncé, tandis que
les Mahass seraient très-noirs avec des lèvres nègres.
16 ÉTUDE ^UR l'ethnographie
dit que jusqu'aux frontières méridionales de la Nubie
et vers les montagnes au sud-ouest de Sennaar, vi-
vent des peuples Nubas de couleur bronzée *, dont les
cheveux à demi-crépus et frisés, le nez moins aplati
que celui des nègres, les pommettes des joues peu
saillantes et tous les traits les rapprochent de la race
sémitique.
La fame.use nation du Foungis ou Nubas, qui fonda
Sennaar en 1480 et y domina près de 400 ans, a la
peau de couleur bronzée, de nuances plus ou moins
obscures, et les cheveux assez courts et frisés.
Holroyd * reconn^ut également que dans la moderne
Khartoum le teint est d'un brun foncé. Telle paraît
avoir été l'opinion d'un voyageur plus récent, plus
spirituel que scientifique % qui semble reconnaître
avec plaisir l'impression que fit sur lui la beauté des
femmes nubiennes. La population d'El Obeid, la ca-
pitale du Kordofal, se compose des mêmes éléments.
Les hommes y sont grands et bien faits ; leurs traits
sont beaux, leur peau d'un brun foncé, leur chevelure
ti'ès-longue et légèrement frisée. Leurs femmes sont
belles.
Nous n'avons guère parlé jusqu'ici que des habi-
tants de la rive gauche du Nil. Sur la rive droite et
^ Les Noba-Ânaidj dans les montagnes de Gouieh, au sud-
ouest de Sennaar. •
^ Holroyd, Journey to Kordofan. Journal oftheR. Geogra-
phical Society of London. Vol. IX, part, g'*, p. 169, 178.
^ Charles Didier, Cinq cents lieues sur le Nil, passim.
DE L'AFRIQUE. 17
particulièrement dans cette espèce de triangle formé
par la rencontre du Nil Blanc avec l'Atbara, que les
anciens appelaient l'île de Méroë, se trouve le grand
peuple des Bischarîyn que beaucoup de voyageurs
qualifient d'Arabes parce qu'ils mènent en partie une
vie pastorale.
On place à côté d'eux et plus au sud, dans le pays
de Takka, les Adendoas*, qui n'en sont peut-être
qu'une puissante tribu, car Sait en énumère huit
fixées entre le Nil et Souakin. Ces Bischarîyn habi-
tent aussi le pays de Taka. Ch. Didier les a vus d'un
brun d'acajou avec des cheveux lisses. Toutes ces
tribus sont musulmanes et nomades.
M. Lepsius attache une grande importance à l'é-^^
tude de cette race brune ou bronzée, car il voit en
eux les descendants de ces Éthiopiens de Méroë et de
Napata qui ont laissé sur toutes les rives du Nil tant
de monuments de leur ancienne civilisation, qui s'y
représentent eux-mêmes de couleur brune, qui ont
aidé les Égyptiens à expulser les Hycksos de la Basse
Egypte, et qui, selon Diodore *, plaçaient sur la tête
de leurs rois une mitre semblable à la coifl^re des
Pharaons. Le D^ Lepsius a trouvé en Nubie de nom-
breuses inscriptions en caractères démotiques égyp-
tiens et en lettres grecques, mais dans une langue
inconnue, et il soupçonne qu'elles appartiennent aux
^ Ou Hadendoah, Arandoah de Sait. Didier, 50 jours dans
le désert. 1854, II et III.
9 Diodore de Sicile, III, 3.
2
18 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Éthiopiens civilisés qui ont couvart de pyramides les
environs de Napata et de Mâroê, leurs deux capitales.
Or il prétend trouver les descendants de ces Éthio-
piens dans les Bischariyn du Taka, dont les traits sont
nobles et presque européens, et qui font encore usage
d'une langue riche et abondante. Il renonce à asso-
cier cette langue à celle que parlaient les anciens
Égyptiens, dont elle lui semble diflférer sous le rap-
port lexicographique aussi bien que par ses formes
grammaticales; mais il insiste d'autre part sur ce que
les auteurs anciens que nous avons cités parlent tou-
jours de ces Éthiopiens, associés à la civilisation
égyptienne, comme d'un peuple absolument distinct
des Nubœi qui étaient d'origine occidentale et que
Strabon appelle des Libyens.
Le comte d'Escayrac de Lauture * doute cependant
de la possibilité de rattacher la langue bischarîy ou
plutôt bedja* aux langues indo-européennes, et s'ap-
puie sur un vocabulaire trop court peut-être pour
faire absolument autorité.
Un autre savant français^, le D' Peney, bien mieux
qualifié comme médecin en chef de l'armée égyp-
tienne, dès longtemps fixé en Nubie, assure que tous
les peuples indigènes de la Nubie ( les Mahass , les
Danagla^ les Ababda, les Bicharrîyn, les Adendah,
^ Bull. Soc. Géog. de Paris. Juillet 1855, p. 55.
^ Bega de Lepsius.
s Bulletin Soc. Géog. de Paris. Mai 1859, p. 323.
^ Habitants de Dongola.
DE L'AFRIQUE. 19
les Halanga, les Soukina) offrent entr'eux au physi-
que comme au moral des traits de ressemblance qui
les font reconnaître et les distinguent des autres races
avoisinantes. Cette opinion sur les traits physiques
de ces races nubiennes dont M. Peney fait une seule
famille n'infirme pas celle du Dr Lepsius sur l'his-
toire spéciale et sur la langue des Bicharrîyn. Cette
langue les unit aux habitants de Souakin, aux Ada-
reb et aux Ababdeh ou Ababda, peuplade de couleur
foncée, à cheveux lisses, qui parle un idiome non
arabe et habite le nord-est de la Nubie et même le
sud-est de l'Egypte. Tous reconnaissent leur descen-
dance d'une ancienne nation nommée les Bedjas ou
Begas.
ARABES.
Disséminées au milieu des descendants des Nubas
et des Bedjas, que nous pouvons appeler les vrais in-
digènes de la Nubie, vivent des tribus arabes, ainsi
que nous en avons vu dans le désert de Sahara. Tout le
pays autour de Khartoum en est peuplé. Les Hassa-
niyeh vivent au sud-ouest de cette ville sur la rive
gauche du Nil Blanc et dans le coude du Nil voisin
de Berber ; les Kababich (ou Kubbabish des auteurs
anglais), établis dans le désert de Bayouda, tirent
leur origine, suivant M. Parkins*, des Howàra, tribu
^ Mansfield Parkins. Journal of the R. Geographical So-
ciety of London. Vol. XX, part. 2^, p. 855.
20 ÉTUDE SUR l'ethnographie
qui de Tunis avait fui vers la Haule-Égypte. Le cheîk
Mohamed el Townsy compte avec les Béni Jérar neuf
tribus d'Arabes Bédouins sur les frontières du Dar
Four. La plupart des Arabes de la Nubie parlent un
idiome extrêmement pur, celui du pays de Hedjâz, et
se disent les descendants de ceux des Koreïchites ou
Arabes de la Mecque , qui préférèrent émigrer en
Afrique plutôt que de reconnaître pour prophète et
pour souverain Mohamed leur concitoyen.
Les Arabes Shukeriehs^ habitants des bords de
TAtbara, sont grands, beaux et ils ont le teint clair ;
mais le D^ Lepsius voit encore tout le long du Nil
jusqu'à Fazoglou des peuplades brunes qui, depuis
les limites méridionales de Dongola, parlent arabe
sans exception, et nous nous demanderions volontiers
avec le D»* Lepsius si elles l'ont toujours parlé. Le
Dr Werne regarde aussi comme des Kabyles les
Schaïgië qu'il a rencontrés dans le pays de Taka.
ABYSSINIE.
Si le classement des peuples de la Nubie présente
quelques complications, les difficultés sont encore
plus grandes pour l'Abyssinie, pays qui, sur une éten-
due de 36,000 lieues carrées, un peu supérieure à
celle de la France, est hérissé d'une trentaine de na-
tionalités différentes. Ici cependant nous avons l'a-
^ Linani, Voy. sur le Bahr el Abyad, Journ. R. Geog. Soc.
London. Vol. II, p. 189.
DE L'AFRIQUE. 21
vantage d'un terrain mieux étudié, quoique bien im-
parfaitement encore. Les Abyssiniens qui professent
la religion chrétienne ont excité assez d'intérêt pour
être depuis trois cents ans visités par des voyageurs
chrétiens de toutes les croyances. On sait que, pour
atteindre le plateau qu'ils habitent, il faut auparavant
franchir le territoire brûlant qu'habitent au bord de
la Mer Rouge les tribus Danakil, d'une race et d'une
religion différentes.
Bruce \ qui a étudié les chroniques plus ou moins
véridiques des Abyssiniens chrétiens, nous apprend
que ce peuple fait remonter son origine à Cusch, pe-
tit-fils de Noé , dont les descendants auraient fondé
Axoum, leur ancienne capitale, avant le temps d'A-
braham (1808 avant J.-C), et plus tard Méroë. La
chronique d' Axoum s'attribue aussi la fameuse reine
de Saba, l'appelle Makeda, et fait descendre une lon-
gue série de rois de Menilek, le fils qu'elle aurait eu
de Salomon. Par la fondation d'Axoum le siège de
l'empire resta longtemps fixé dans le Tigré, l'une des
provinces les plus septentrionales de l'Abyssinie , et
on parla généralement la langue de cette province,
appelée la langue Ghîz (Ghees). Le siège de l'empire
ayant été successivement transféré dans les provinces
plus méridionales de Lasta, de Choa, et enfin à Gon-
dar, dans l'Amhara, la langue amharique devint et
es encore la langue nationale des Abyssiniens chré-
» Vol. II, liv. II, p. 177, 482, 188, 217.
22 ÉTUDE SUR l'ethnographie
tiens et supplanta le ghiz, qui n'est plus que la lan-
gue littéraire et sacrée*. Or, l^une et l'autre de ces
langues ont avec l'arabe ancien des rapports qui,
joints aux caractères physiques, sur lesquels nous re-
viendrons, rendent évidente l'origine schémitique du
véritable peuple abyssinien auquel M. Ch. Beke donne
le nom d'Éthiopiens *. M. Antoine d'Abbadie trouve
dans la langue amharique un fond d'expressions
schémitiques combiné avec une grammaire chami-
tique.
Chacun sait la découverte faite par le capitaine
• Wellsted des palais et des inscriptions laissés à Nakb-
al-Hadjar dans l'Hadramaut par les Himiarites ou Ho-
mérites , cet antique peuple puissant et civilisé dans
l'Arabie méridionale^; inscriptions dont le nombre a
été bien augmenté par le voyage de M. Arnaud dans
l'Yémen ; or, M. Bird, secrétaire de la Société asiatique
de Bombay, aidé des recherches de Gesenius, conclut
que les inscriptions d'Himiar, de même que les ins-
criptions éthiopiennes d'Axoum en Abyssinie , sont
écrites dans une langue dérivée du phénicien en let-
tres correspondantes aux caractères des Hébreux et
des Phéniciens, mais écrites de gauche à droite.
L'inscription trouvée par Sait à Axoum est en même
^ Le ghîz est cependant encore parlé dans un district d*Ua-
mazen.
^ Nous avons vu plus haut Lepsius donner aussi le nom d'Ë-
ihiopiens aux ancêtres des Bidjas de la Nubie.
3 Voir Journ. Soc. R, Géog, de Londres. Vol. VII, p. 20.
DE L'AFRIQUE. 23
temps un mélange d'arabe et de ghîz, en caractères
semblables à ceux des médailles des Machabées, et
elle rapporte qu'un nommé Jean, évêque d'Ethiopie,
envoyé dans ce pays par l'empereur Justin, oncle de
Justinien*, en 521 de notre ère, instruisit, depuis le
voisinage de la rivière (le Nil?) les Sabéens de VHaz-
ramaa, c'est-à-dire les Arabes de FHadramaut. Tous
les historiens grecs et chrétiens attestent les naviga-
tions des Phéniciens dans la Mer Rouge, et, ce qui
achève de prouver les anciens rapports d'origine des
peuples voisins de l'Abyssinie et de l'Arabie méridio-
nale avec les peuples araméens du nord, c'est que
^ La chronique d'Âxoum reconnaît pour apôtre des Abyssi-
niens Frumentius, qui devint leur évêque vers Tannée 300 de
Jésus-Christ. Toutefois Justinien et sa femme Théodora, con-
sidérant cette conversion comme non avenue tant que les chré*
tiens d'Ethiopie restaient étrangers aux controverses théologi-
ques du clergé byzantin , se disputèrent (528) leur conversion
aux dogmes opposés des monophysites et des catholiques.
Une inscription éthiopienne un peu antérieure à Tannée 521
de Tère chrétienne trouvée dans un puits d'Axoum par M. Sa-
peto, missionnaire, un peu avant Tarrivée de Rûppel, atteste
que les Nobas ou Nubas païens, ayant envahi et. saccagé le
royaume d*Axoum , furent poursuivis par le roi d*Abyssinie
Tazéna, fils d'Ala-Amieda, qui en fit, au passage du Takkazé,
un massacre tel, que le lit fut comblé de cadavres; il leur prit
ensuite la ville de Seïda, y détruisit les idoles, y substitua le
christianisme et soumit le pays jusqu'à la Nubie Rouge, Il
compte ensuite un total de 1527 ennemis adultes et enfants
tués, pris ou emmenés en esclavage, résultat bien mesquin et
qui rappelle les inscriptions pharaoniques d'Abou Simbal et de
la Thébaïde. — Mém. de M. Sapeto, Nouv. Annales des voya-
ges. Paris 1845, p. 303-
24 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Massovdi, dans son livre des Prairies d'or, et d'au-
tres historiens arabes rapportent au sujet des descen-
dants de Khatan ou Yoctan, le patriarche de l'Arabie
méridionale, qu'ils parlaient le syriaque antérieure-
ment au mélange des divers dialectes qui constituent
actuellement l'arabe.
L'ancienne langue ghîze, négligée dans toute l'E-
thiopie, est cependant encore parlée dans un district
de la province d'Hamazen. M. Antoine d'Abbadie
considère comme faisant aussi partie de la famille
schémitique le khasi, appelé tégrdi, au sud d'Aïlat,
et le tégrdi parlé dans les hautes terres à Test du
Takkazay, ainsi que dans le Sémen, le Oualkaït, le
Béra, le Ouasaïa, etc.
Indépendamment des provinces centrales de l'A-
byssinie on trouve la langue amharique encore parlée
au sud, dans le Choa, dans le pays fort peu connu de
Gouragie encore plus au sud, autour des deux ports
de Souakin et d'Arkiko sur la Mer Rouge. Enfin, d'a-
près les recherches de tous les ethnologues africains S
confirmées par la visite récente du courageux capi-
taine Burton, les habitants de la ville d'Harrar (Hur-
rur) parlent une langue très-semblable à l'amharique
mais l'écrivent avec des caractères arabes. Ils sont
célèbres dans l'histoire d'Abyssinie par leur fanatisme
musulman et par les guerres dévastatrices que leur
^ Barker's Report on ihe site of Harrar. Journ. Roy. Geog.
Soc. of London. Vol. XII, part. 2, p. 243.
DE L'AFRIQUE. 25
sultan Ahmed Gran (Mohamed Gragné) fit aux empe-
reurs de l'Abyssinie chrétienne jusqu'en 1537 qu'il
périt dans une bataille contre Christophe de Gama.
Ils sont isolés cependant du reste des Abyssiniens.
Un dernier peuple qui ne l'était pas moins, qui a
parlé la langue de l'Abyssinie jusqu'à une époque peu
ancienne, habite loin au delà du Nil le pays d'Enarya
(Enarea), visité par M. Antoine d'Abbadie. Un autre
pays où Ton soupçonnait également bien peu la con-
servation de l'élément abyssinien, est le Mazaga, pays
plat, humide et boisé, qui fait partie de la Nubie
orientale plutôt que de l'Abyssinie septentrionale, et
dont les habitants avaient à tort jusqu'à présent été
comptés comme des Schangallas ou Nègres, et que
M. Vayssières <léclare appartenir évidemment à la
même race que les Abyssins.
AGAOUS.
Toutefois parmi les habitants chrétiens de l'Abys-
sinie se trouve un peuple considérable sur lequel
Bruce fut le premier à donner des détails abondants,
je veux parler des Agaous (Agows). Ils habitent en
deux gi'andes divisions le centre de l'empire : 1» les
montagnes à l'est du Takkazé, les bords de celte ri-
vière, les pays agrestes de Ouâg (Wag), de Ouay
(Way) et de Khamta ou Khamtina, où ils portent les
noms de Goualiou Agaous, et surtout de Tcheratz
Agaous ; 2» un pays beaucoup plus vaste à l'ouest.
I
26' ÉTUDE SUR l'ethnographie
au sud-ouesl et au nord-ouesl du lac Tzaiia, les pro-
vinces d'Agaumider, de Dembea et de Kuara. Leur
langue est rude et gutturale'. Au temps de Bruce * les
Agaus de la première division étaient des montagnards
redoutés pour leur vaillance, restés presque indépen-
dants et assez indifférents à la religion, quoique ils
eussent, au septième siècle, renoncé au culte d'Osiris
et de l'étoile de Siriiis (Seir) ', qui était le symbole du
Nil, pour embrasser le christianisme. Leurs frères les
Agaous occidentaux se regardaient comme une colo-
nie des premiers qui s'était établie en chassant de-
vant elle les Nègres ou Changallas dans les plaines
fertiles* de l'Abyssinie occidentale. Us étaient, au
temps de Bruce, très- nombreux, laborieux, soumis et
riches des produits du sol. Beke a depuis lors par-
couru ces mêmes plaines fertiles de i'Agaumider que
's invasions des Gallas ont presque
e désert.
Une à regarder les Abyssiniens ou
ne arabe comme les aborigènes et
une nation plus récemment établie
lis partagerions volontiers l'opinion
ipposée de M. Beke qui ne trouve
je les Agaous et les Falaschas, dont
us tard, ne soient les restes de la
9. VI. p, 797.
0.
c. London. XIV, pari. 1, p. 7, 10.
DE L'AFRIQUE. 27
populàlion primitive refoulée et démembrée par Tin-
vasion des étrangers d'origine arabe. lis sont les seuls
Abyssiniens qui fassent remonter leur généalogie jus-
qu'aux anciens rois tels que Min-Ylik, le fils fabuleux
de Salomon. Nous les voyons partout dans la posi-
tion habituelle des races vaincues, en groupes isolés,
soumis, laborieux, agrestes, comme certaines peupla-
des des castes inférieures de THindoustan. Dans au-
cune province et dans aucun temps connu nous ne
voyons de souveraineté de cette nation. Ils sont en-
core dispersés en petits groupes au milieu des Abys-
siniens, dans une foule de districts entre le Takkazé et
le lac Tzana, et, tout récemment encore, M. de Cour-
val, se rendant de Massouah à Khartoum par l'extré-
mité la plus septentrionale de l'Abyssinie, y vit les Bo-
goz, peuplade d'anciens chrétiens descendus, selon
lui, des Agaus voisins des sources du Takkazé. Notre
compatriote, M. Munzinger, qui a passé plusieurs an-
nées parmi ces Bogoz, affirme d'une manière non
moins positive , que leur souche était de la race des
Agaôus du Lasta, et que leur langue est encore par-
lée par les Takoué et assez répandue dans le nord de
l'Abyssinie. ( Munzinger, Sitten der Bogos. Ziegler,
Winterthur, 1859.) Le savant missionnaire M. Beke
conclut à la convenance d'admettre dans une même
famille dépeuples aborigènes, ces Agaus et même
deux peuples de la frontière septentrionale, les Dalla
ou Schankala du Takkazé et les Takoué ou Bodje,
malgré leur surnom de Barèa ou Barya qui signifie
28 ÉTUDE SUR l'ethnographie
esclaves noirs. Les mêmes considérations ont en-
gagé M. Antoine d'Abbadie à former de toutes ces
langues et d'autres intimement liées , parlées dans
le Sémène et dans tous les pays occupés par les
Agaous, une famille qu'il a le premier appelée lan-
gues chamitiques , et qu'il considère avec raison
comme fort importante, car, tandis que les vocabu-
laires qu'il en a recueillis, indiquent une filiation de
ces langues avec les langues Gonga, parlées non-seu-
lement sur une partie des rives du Nil Bleu (Abaï)
mais bien loin au delà dans le pays de Kaffa et au-
tres, d'autre part, cette antique langue des Agaous a
prêté une partie de ses formes grammaticales à la
langue amharique * et présente avec elle d'autres res-
semblances.
Les recherches de M. A. d'Abbadie se sont égale-
ment portées sur un peuple dont l'étude devient dif-
ficile. Quiconque a quelque notion de l'histoire d'A-
byssinie, sait qu'il est vaguement parlé d'un royaume
de Juifs autrefois indépendant , dans la province de
Sémène, la plus montagneuse et la plus centrale de
l'Abyssinie, dont tous les rois passaient pour s'ap-
peler Gédéon et toutes les reines Judith. Les Abys-
siniens les appelaient Falaschas. L'histoire * abyssi-
nienne constate, en effet, l'existence temporaire d'un
état indépendant formé dès le X^ siècle d'un peiiple
^ Letlre de M. A. d'Abbadie à M. Renouard, 1844. —
Nouv. Ann. des Voyages, 1845. Vol. II, p. H3.
2 Bruce IV, p. 76, 78.
DE L'AFRIQUE. 29
suivant le culte mosaïque , gouverné par une reine
nommée Judith, dans les montagnes de Foggora, la
partie méridionale du Sémène. Ces Juifs furent vain-
cus * en 1268 et n'habitent plus le Foggora; le roi
Socinios les força dans le Dembéa d'embrasser le
christianisme et on les retrouve dispersés et en petit
nombre, ignorants et misérables, presque sans pas-
teurs, sans livres et sans culte. Gobât ne put réussir
à en voir d'assez instruits pour en obtenir quelques
renseignements ; mais M. Beke * et M. d'Abbadie af-
firment qu'ils sont encore répandus dans toute l'A-
byssinie, qu'ils se donnent le nom de Falasyartj qui
signifie exilés ; que leur type physique et leur langue
montrent suffisamment qu'ils appartiennent à la race
chamitique des Agaous ; que cette langue est la même
que celle qui vient de s'éteindre dans le Dembia, et
qui est encore parlée par les Agaous dans le Kouara,
et que les noms authentiques de leurs anciens rois
ne peuvent pas s'expliquer par les langues sémiti-
ques.
Les observations de M. Lefèvre^ signalent les ca-
ractères physiques de ces diverses races abyssiniennes
de manière à montrer combien elles se rapprochent
toutes des asiatiques. Nous demandons la permission
d'en présenter ici le résumé.
^ Rochet d*Héricourl, Premier voyage au Clioa, p. 183 et
suivantes.
' Beke, Journal R. Geog. Soc. London XIV, part. I, p. 7.
^ Lefèvre, Voyage en Abyssinie, I, p. LV.
30 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Les populations qui , par la conformité de leur
langage avec la langue guize (celle des plus anciennes
inscriptions trouvées à Axoum) paraissent provenir
de la première phase de la civilisation abyssinienne
(correspondant à l'époque de Ptolémée Evergète),
habitent les provinces de l'Amacène (Hamazen, au
nord-est de l'Abyssinie); elles sont distinguées par
une tête longue et remarquablement étroite pour une
race noire ; le nez est long et recourbé, les lèvres peu
épaisses; leurs yeux, vifs et taillés comme ceux des
Arabes, sont souvent enfoncés dans l'orbite; le front
est proéminent et ne manque pas d'ampleur, les
pommettes de la face sont saillantes, le col étroit ;
enfin toutes les parties du corps sont bien propor-
tionnées.
Les habitants du Lasta, issus de la deuxième civi-
lisation (contemporaine de l'année 300 environ), ont
la tête petite mais bien faite; le nez droit, le front
grec, Tœil indien et le profil ouvert. La couleur de
leur peau est moins foncée que celle des autres chré-
tiens, sans en excepter ceux de TAmhara ; leur corps
est svelte, le pied et la main petits
Les peuples qui vivent aux environs de Gondar
et qui forment la population qu'on appelle Amhara,
ont le crâne très-large, l'œil d'une beauté remarqua-
ble et parfaitement placé dans son orbite, la face peu
développée par rapport au crâne, les pommettes sail-
lantes, l'angle facial ouvert et le corps bien propor-
tionné, si ce n'est un développement un peu exagéré
DE L'AFRIQUE. 31
des hanches. Ils ont les cheveux crépus, mais avec de
nonibreuses exceptions ; leur peau varie de teinte à
rinfini; cependant elle est généralement d'un brun
olivâtre foncé.
DANAKIL.
La nation abyssinienne, que tant de liens rattarchent
à TArabie, en est séparée par une zone de peuples
qui lui semblent au premier abord étrangers. Les
géographes de l'antiquité que nous avons cités pla-
cent dans les montagnes parallèles à la côte de la
Mer Rouge une race de troglodytes qui s'étendent en
Nubie comme en Abyssinie. L'histoire ne fournit au-
cune raison de supposer que cette race ait changé de
demeure.
La zone maritime de TAbyssinie porte vers le nord
le nom de Samhar et plus au sud celui de Dankali.
Les peuples qui l'habitent vivent assez misérablement
des produits de la chasse et de celui de leurs troupeaux
mal nourris par une terre brûlée par le soleil. Au con-
traire des Abyssiniens ils professent tous la religion
mahométane. Les noms de leurs principales tribus
sont au nord les Chohos ou Chihos qui se donnent à
eux-mêmes le nom de Torah*, les Taltals plus au
sud, les Hazortas ou Assaortas et les Affar, que les
^ Sait. — Isenberg and Krapf. Journal *R. Geog. Soc.
London, Vol. X, part. III, p. 456. 457, 463.— VateKs Proben
S. 276.
32 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Arabes appellent les Danakil*. Ils ne diffèrent que
peu des premiers pour les traits et pour le langage et
sont tous de la même race, et les vocabulaires de
Seetzen et de Sait paraissent à MM. Krapf et Isen-
berg les rapprocher des Bicharyins et des troglodytes
de la Nubie. Cette population du littoral est remar-
quable par la beauté des formes et par la régularité
des traits, quoiqu'elle ait le teint beaucoup plus noir
que la population éthiopienne. On rencontre aussi
très-fréquemment chez elle des cheveux lisses, et ce
caractère bien tranché devient sensible dès Cosséïr,
en Egypte, chez les Ababdehs, et continue partout où
il n'y a pas eu de mélange avec les races nègres, dans
quelques-unes des tribus Chohos en Nubie, chez les
Taltals et les Danakil sur le littoral de l'Abyssinie.
Bruce signale les cheveux laineux des Chohos ou
Torah, et chez les Danakil d'Adel et d' Aoussa la peau
simplement basanée et les cheveux lisses. Rochet
d'Héricourt a vu de même une partie des Danakils '
d'Adel cuivrés et d'autres noirs avec un front large,
tandis que leurs femmes ont les lèvres belles et ver-
meilles*.
^ Mot formé de Oankali, qui esl le pluriel de Donkolah ou
Dongoio ; les Abyssiniens du Choa les appellent A'dal et les
Arabes Adayil qui est te pluriel d'Adel ou Adal.
2 Bruce, Vol. III, p. U, 15.— Rochel d'Héricourt, p. H5.
— Lefèvre,Vol. I, LV.
DE L'AFRIQUE. 33
SOMÂLL
Ces peuples habitent même en dehors du détroit
de Bab-el-Mandeb, et, par les pays d'Adel et de Mara;
pénètrent dans l'intérieur jusqu'aux frontières du
Choa. Le petit golfe de Tadjioura les sépare d'un
autre peuple avec lequel ils ont beaucoup de ressem-
blance, les Somâlis, qui occupent le littoral de l'ex-
trémité la plus orientale de l'Afrique depuis Tadjioura
jusqu'au cap Jerdaffoun (Guardafui) et jusqu'à l'équa-
teur à 300 lieues plus au sud.
« Les Somàlis, dit lord Valentia, le premier qui les
visita, ne sont ni Nègres ni Arabes. » Le capitaine
Jehenne, de la Prévoyante, les trouve grands et bien
constitués; la couleur de leur visage tient le milieu
entre celle de l'Arabe et du noir de Mozambique; leurs
traits sont réguliers, les yeux grands et bien fendus;
les cheveux crépus, il est vrai, comme ceux des lo-
loffs, mais plus fins et beaucoup plus longs. Rochet
les a également trouvés d'une belle taille avec un
grand front et un nez presque aquilin. Leurs lèvres
ne sont pas épaisses. Le lieutenant Christophe et le
capitaine Burton les décrivent de même. Le capitaine
Cruttenden, qui les a visités plusieurs années de suite
et a fait connaître leur pays mieux que personne, a
appris que les Somàlis de la côte en face de l'Arabie,
à l'ouest du cap Jerd Affoun, se disent les descendants
d'un cheïkh arabe d'une grande sainteté, nommé
3
SA ÉTUDE SUR l'ethnographie
Isaac. Celui-ci épousa, dit-on, sur la côte africaine
une femme galla, et ses trois fils repoussèrent dans
l'intérieur les anciens habitants de la nation des Gal-
las, en laissant ses terres à la tribu des Isas qui, nom-
breux comme les sables de la mer, sont cependant
désignés comme des Somâlis. Mais la côte orientale
de l'Afrique, depuis le Cap Jerd Affoun jusqu'à
l'équateur, est également occupée par des tribus
puissantes de Somâlis dont quelques-unes vivent de
la chasse dans les montagnes de l'intérieur, tandis que
l'on rencontre en outre des familles arabes auxquel-
les on donne par égard le titre de Shériffs (nobles). *
ÇALLAS.
Aucun peuple ne joue depuis deux siècles dans
l'histoire de l'Abyssinie un rôle plus important que les
Gallas. Dès 1537, sous le règne de David III, deux pro-
vinces méridionales de l'empire, le Bali et. le Dawaro,
furent occupées par un peuple nouveau venu d'une
contrée ignorée au sud. On les appela Gallas, ce qui,
suivant Rochet, signifie envahisseurs et, suivant Beke,
des pasteurs . Dans leur propre langue ils se nomment
Ilm'Orma (fils des hommes). Dans la sixième année
du règne deSertza Denghel ou Melec Segued, en 1568,
les Gallas firent une véritable invasion. L'empereur
^ Chrislopher. Journal R. Geog. Soc. London. XIV, p. I.
— Barker, d^ Vol. XVFEl, part II. — Crultenden, d«, Vol.
XVIII, part. 2, p. 136. — XIX.
DE L'AFRIQUE. 85
à la vérité vainquit une de leurs tribus , les Azés, et
resta deux ans dans leur pays; en 1594 ils envahirent
la province chrétienne d'Enarya; en 1600, Socinios
eut à défendre contre eux les provinces de Damot , de
Gojam et duBiguemider; de nouvelles invasions eurent
lieu en 1637.
Quelques rares victoires chèrement achetées ne
sauvèrent pas un pays épuisé par sa lutte précédente
contre le sultan d'Harar. Les Gallas étaient une
nation jeune et courageuse; leurs innombrables tribus
se succédaient dans la lutte et s'incorporaient gra-
duellement au pays, comme autrefois les cinq inva-
sions successives des Gaulois dans la Cisalpine. Fan-
tassins autrefois, ils étaient devenus formidables par
leur cavalerie, depuis que la conquête de l'Abyssinie
méridionale leur avait livré des chevaux et des pâtu-
rages. Ils épouvantaient leurs ennemis parleur nombre
et par l'habitude barbare d'arracher aux prisonniers
les organes de la génération. Au temps de Bruce ils
étaient, comme les Goths Tétaient dans le Bas Em-
pire, au cinquième siècle, établis et naturalisés dans
une moitié de l'empire et maîtres indirects de l'autre
moitié. Une langue unique, mais entièrement diffé-
rente de l'abyssinienne, unissait toutes leurs tribus.
Ils dirent à Bruce qu'ils avaient autrefois habité des
pays voisins de Téquateur où les pluies tombaient
à rinverse de l'Abyssinie. Leurs traditions plus mo-
dernes et les recherches de Ch. Beke ne semblent
pas avoir éclairci davantage cette question. La plus
36 ÉTUDE SUR l'ethnographie
grande ignorance a pu régner sur la race à la-
quelle appartenait ce peuple. Bruce désigne comme
un nègre un chef Galla qu'il rencontre*. Aujourd'hui
les témoignages abondent pour assigner à ce peuple
sa place dans la famille des nations. Rochet a vu
en eux une belle race, d'un teint cuivré plutôt que
noir, plus claire que les Abyssins , dont le nez est
aquilin, le front large, droit et relevé, l'expression
noble, les cheveux longs et tressés. Leurs femmes sont
très-belles.
Beke et le savant Latham sont d'accord pour com-
prendre dans une même famille les langues parlées
par toutes les nations de la partie orientale de l'Afri-
que, lesGallas, les Somâlis, lesDanakil, lesHaza-
ortas et les Chohos. Une fois les Gallas associés à
tous ces peuples dont la liaison avec l'Arabie est évi-
dente, il est curieux de savoir jusqu'où s'étend à l'inté-
rieur du continent une nation dont on n'aconnu l'exis-
tence que du jour où ses armes ont envahi l'Abyssinie.
Ils ne vont pas à moins de 200 lieues au sud de ces
mêmes frontières. Ils entourent complètement le
petit territoire auquel est maintenant réduit l'ancien
royaume d'Harar. Le D'Beke compte cinquante et une
^ Beke, Distribulion géographique des langues de l'Abyssi-
nie, dans l'Allas physique de Berghaus, F. XIX, liv. p. 10-12,
1850 —Bruce, Vol. II. liv. II, p. 225, 226.— T. III, p. 409,
411, 414, 442. —T. IV, p. 78.— T. VI, p. 423. — Rochel,
deuxième Voyage, p. 178. — Beke, Journal R. Geog. Soc.
London. Vol. XIII, part. 2, p. 268.
DE L'AFRIQUE. 37
de leurs tribus dans les pays dont ils encadrent et cer-
nent également le Choa et le Gurague. Dans cette der-
nière direction, chrétiens pour la plupart ils ont trente-
neuf monastères. Autour d'Harar ils sont encore
payens. Dans le pays d'Enarya la conquête des Gallas
mahométans a supplanté l'ancienne race de chrétiens
Abyssiniens. Ce pays montagneux a pour voisin au sud
le pays plus montagneux encore de Kaffa visité seule-
ment parM.d'Abbadie(1846)etilsemble parla que les
hautes régions de l'Abyssinie se prolongent bien loin
au sud avec les caractères propres aux pays de mon-
tagnes. Tous les témoignages concourent à nous les
représenter comme habités par des peuples qui n'ont
aucun des caractères de la race nègre. Bruce con-
naissait déjà les Naréens ainsi que lesCafféens comme
des hommes moins bruns que tous les Abyssins , en
ajoutant toutefois que ceux qui vivaient le long des
marais étaient excessivement noirs, avec les cheveux et
les traits des nègres. La plupart des esclaves amenés
du midi en Abyssinie sont des Gallas dont la peau
est, sauf beaucoup d'exceptions, plus claire que celle
des Abyssiniens et autant que celle des Espagnols.
Les esclaves amenés de la contrée lointaine du Zin-
gero, sans être Gallas, ni chrétiens ou mahométans,
sont encore les moins foncés de tous ceux qu'on
amène aux marchés de l'Abyssinie et proviennent
d'un pays encore plus élevé que l'Enarya.
La nation des Gallas s'étend au sud-ouest jusqu' à
des régions où on la soupçonnait bien peu. Le fleuve
38 ÉTUDE SUR L'ETHNOGRAPHIE
Webbe les sépare à l'est des Somâlis et, jusque sous
l'équateur, au-dessus des côtes on trouve la tribu des
Boren Gallas, à peau rougeâtre, habitant un plateau
élevé d'une grande salubrité. On en trouve même plus
loin au sud jusque vers Mombaça et toujours avec le
type abyssin.*
NÈGRES.
L'examen de tous ces peuples, qui oflrent, jusqu'au
delà de l'équateur, le type opposé à là race nègre
amène assez naturellement la recherche des représen-
tants de cette race dans la Nubie et l'Ethiopie. Il n'est
pas un des anciens voyageurs qui ne mentionne l'exis-
tence de peuples nègres, surtout entre la Nubie et
l'Abyssinie. Les Dobas, par exemple, sont un peuple
dont le Portugais Alvarez traversa le territoire gou-
verné de son temps par vingt-quatre chefs indépen-
dants; il les dit très - vaillants et leur applique la
désignation de Maures, qui dans la bouche des Es-
pagnols et des Portugais, comprenait indifféremment
des Arabes, des Nègres et des Berbères. Bruce les
appelle une race barbare de pasteurs qui ont, dit-il,
beaucoup de ressemblance avec les Gallas et sont
payens comme eux. Il ajoute cependant que l'em-
pereur d'Abyssinie, Bœda Mariam, en punition de
' Léon des Avanchers, Bullel. Soc. Géog. Paris, mars 1859.
— Beke, Journ. R. Geog. Soc. London. Vol. XIII, p. 257,
260, XIV, p. 9. — Bruce, Vol. IV, p. 120.
DE L'AFRIQUE. 39
leurs incursions, les avait taillés en pièces, de 1468
à 1478, et leur avait imposé la religion chrétienne.
Ces témoignages contradictoires ne décident pas la
question , et aucun voyageur plus moderne ne nous
met à même de le faire*. Combes et Tamisier, toute-
fois sans avoir visité leur pays, appellent les Dobas
des nègres. — Sait les place au sud-est du Wojjerat,
entre les Gallas, les Danakil et les Tigréens, et les
appelle aussi des nègres.
Les Abyssiniens désignent sous le nom de Chan-
gallas ou de Schankalas, tous les peuples noirs qui
les entourent au nord et à l'ouest et qu'ils réduisent
en esclavage; mais ici encore le doute semble être
permis. Ainsi le pays de Mazaga traversé par leMareb,
n'a récemment offert à M. Vayssières que des tribus dé-
signées à tort comme nègres ou Changallas et qui ap-
partiennent évidemment à la même race que les Abys-
sins. M. de Courval • ne le contredit point; mais, en
parlant des habitants du pays de Barka (le même que
le Mazaga), il leur donne la qualité de chrétiens pour la
forme, anciens vassaux des empereurs de l'Abyssinie,
en guerre continuelle contre les Bazen, nègres Chan-
gallas habitants d'un district montagneux qui sépare
le Barka du Tigré.
Les Abyssiniens appellent encore Changallas du
Takkazéy le peuple des Dalla, au nord-ouest de Gondar,
^ Bruce, Vol. III, p. 154. — Combes et Tamisier, II,p.l45.
* Vayssières, Vol. I, p. 52. — Courval, Buflet. Soc. Géog.
Paris, Nov. 1858, p. 322.
40 ÉTUDE SUR l'ethnographie
chez lesquels Beke ne voit pas le moindre rapport avec
les derniers Changallas dont il nous reste à parler.
Enfin, il existe, à Touest de l'Agaoumider et au sud de
Sennaar, une région montagneuse et peu connue qui,
sur les deux rives du Nil Bleu ou Abaï, s'étend sur
un espace peut-être égal à la Suisse et au Tyrol en-
semble (3500 1. c.) et où vivent d'autres Changallas,
que Beke appelle cette fois de véritables nègres, beaux
hommes d'une taille élevée et musclés, autrefois ex-
pulsés de l'Agaoumider par les Agaous, ses habitants
actuels; — les Wamberas, Gallas de nuances très-
variées; — les Gindjar, nègres mahométans parlant un
arabe corrompu, et les habitants du pays aurifère de
Fazogl, dont on peut dire la même chose. C'est dans
la même direction que M. d'Abbadie place encore les
tribus peu connues des Guinza, d'un noir de jais, sans
aucun des traits des nègres, et des Konfal , qu'il con-
sidère comme le plus parfait mezzo termine entre le
nègre et l'éthiopien à nez droit. ;
« Quoique le savant Pritchard se soit efforcé d'établir
l'unité d'origine entre les nègres et les Caucasiens,
je ne me sentais pas, dit M. d'Abbadie, satisfait de
ses raisons , et le désir de jeter un peu de jour sur cet
obscur mais intéressant sujet fut un des principaux
motifs qui me poussèrent vers le cœur du continent
africain. Je suis maintenant arrivé , par mes obser-
vations personnelles, à la même conclusion que Prit-
chard; et , s'il m'est jamais donné de revoir l'Europe,
rien ne me sera plus agréable que d'apporter mon
DE L'AFRIQUE, 41
tribut d'observations pour prouver cette communauté
d'origine que la Révélation enseigne mais dont la
science a souvent douté. Après onze années d'examen
j'estime pouvoir choisir une série de nuances qui ren-
drait impossible de dire où commence le nègre et
où finit l'homme rouge. Dans l'Ethiopie les races
passent par transitions du rouge au noir. — Le nègre
est produit par la double influence du soleil et d'une
nourriture végétale. — Comme le nègre a souvent
l'angle facial très-ouvert et que la couleur noire de
la peau ne lui appartient pas exclusivement, les Abys-
siniens le reconnaissent à son pied plat , à un talon
saillant , à un mollet prononcé , tandis que l'Éthio-
pien rouge en a peu ou point , à une ride transver-
sale sur son orteil , et à ce que ses cheveux ne s'al-
longent guère au delà de cinq centimètres. »
« Les Tigray ou Tigréens, vivant de céréales, four-
millent de gens noirs. Leurs voisins, lesHazzo, qui
vivent de viande et de lait, sont rouges par le teint et
par les traits. Les Saho, qui en sont également voisins
et parlent la même langue, vivant de céréales et de
lait, sont tous plus foncés en couleur et souvent noirs.
— La race beaucoup plus méridionale des Gurague
est rouge , a peu d'individus noirs et vit de viande. —
Le teint des voyageurs abyssins devient cependant
plus sombre en passant des terres basses aux plateaux.
En 1848, une ophthalmie contractée dans une plaine
élevée de 1800 mètres me priva de la vue pendant
quelques semaines. Étant allé chercher la santé sur
42 ÉTUDE SUR l'ethnographie
un plateau élevé de 3000 mètres, je trouvai, en
recouvrant la vue, que mon jeune esclave, dont la
peau était auparavant d'une nuance café au lait clair,
était devenu d'une nuance approchant du noir et
j'étais le seul à m'en étonner. * »
AFRIQUE OCCIDENTALE.
Dans la première partie de cette étude nous avons
montré comment dans cette Afrique, le berceau re-
connu de la race nègre, un grand nombre de nations
doivent être mises à part comme formant une série
d'échelons liés entr'eux par des analogies de langage
et de traits physiques, rattachés à leur tour aux races
asiatiques. Elles occupent une si forte portion du
continent africain que les deux cinquièmes doivent
être retranchés d'emblée pour s'ajouter au domaine
déjà si vaste des races asiatiques. Nous nous propo-
sons maintenant d'étudier les autres lacunes qui se
trouvent encore dans les trois cinquièmes restants,
apanage supposé de la race nègre, et par combien
de nouvelles nuances de couleur, de traits et de
langage , cette race vient se lier aux peuples, d'ori-
gine asiatique déjà maîtres de tant de terrain. Nous
^ Noies sur les nègres de TElhiopie par Antoine d'Abbadie,
Bullel. Soc. Géog. Paris, Mars 1859, p. 171.
DE L'AFRIQUE. 43
compterons la Sénégambie, la Guinée septentrionale,
le Soudan, l'Afrique équatoriale et l'Afrique australe,
comme autant de régions dans lesq^uelles nous nous
proposons d'étudier ces nuances et de procéder au
classement des nations qui les peuplent.
SÉNÉGÂMBIE.
C'est en 1446 que le Portugais Denis Fernandez
passa le premier devant l'embouchure d'un fleuve,
qu'il nomme Zanaga, qui divisait le pays des n Assé-
nages 1^ des « Jalofes j>. Il y prit quatre « nègres »
qui s'occupaient de la pêche et découvrit plus au sud
le Cap Vert.
L'année suivante, 1447, Lancelot, parti de Lagos
et retournant en Portugal, découvrit la même rivière
(d'Ovidech), à laquelle il donna le nom d'un Maure
appelé Zanaga, dont nous avons fait Sénégal, et que
l'on prenait alors pour une des branches du Nil. On
appela Sénégal le premier royaume de ce qu'on ap-
pelait « les nègres Jalofs », qui habitaient les bords
du fleuve. Quelques années après (1455) le Vénitien
Aloïsio da Ca da Mosto et Uso di mare découvrirent
et remontèrent le fleuve Gambra (Gambie), puis le
Rio Grande (1456), et partout ils virent des Nègres.
Deux siècles et demi se passèrent depuis ces pre-
mières découvertes des Portugais, sans que l'étude des
peuples y lit le moindre progrès. Avec l'établissement
des Français à l'embouchure du Sénégal, nous avons
I
44 ÉTUDE SUR l'ethnographie
appris les noms de ces peuples, les Mandingues, les
Jolofs ou Jalofs, les Maures, les Foulés, les Felou-
pes, les Biafares, les Seracolets. -•— Brue visita , en
1697, les Maures Braknas , qu'il appelle Ebraguena
et, remontant le Sénégal, il observa que presque par-
tout ce fleuve sépare les nègres des Maures qu'il as-
simile aux Arabes. Les Jolofs, vers la mer, lui paru-
rent les nègres les plus foncés. Dans le royaume de
Galam, il vit les n^res Seracolets (de la rivière) mé-
langés à des Mandingues. Dans le Bambouk , il vit
également des Mandingues, nègres, conquérants du
pays incorporés à ses anciens habitants. Il entendit
parler du pays de Manding situé vers le sud. Brue fit,
de i697 à 1718, six voyages dans presque toutes les
n-ioiiae H., sinigai _ gy Galam, au Casson, à Sierra
■ivières Cazamanza etFalémé. Lana-
ne des détails les plus importants est
me Foulés. Il voit bien ene\i\<i.des
a on n'en voit pas, dit-il, qui soient
tel que celui des Jalofs au sud de la
3art sont d'une couleur fort basanée.
}ien prise, mais ne sont pas si grands
ue les Jalofs. Ils soïit mahométans et
rritoire de 196 lieues d'étendue de
c'est-à-dire le Bondou et le Fouta-
idiquait dès lors la transition des Ber-
js par le moyen des Foulés , et nous
importance de ce dernier peuple en
que les habitants du pays de Casson,
DE L'AFRIQUE. 45
au nord du Sénégal, étaient Foulés d'origine, et il est
le premier qui nous les montre comme habitant en-
core bien loin vers le sud le pays de Foutadialon
dont il confond souvent la capitale , Timbou, avec
Timbouktou .
Dès lors, chaque voyageur est venu confirmer par
des détails plus précis l'existence de cet échelon
formé par les Foulahs entre les deux races différen-
tes. — Moore dit qu'ils ressemblent beaucoup aux
Arabes. Jobson dit que les Foulahs ou Foulis for-
ment, au sud du Sénégal, un état puissant et étendu ;
que d'autres vivent dispersés sur la Gambie dans la
dépendance des Mandingues. Il raconte que ces Fou-
lis de la Gambie sont d'une couleur basanée et qu'ils
ont de longs cheveux noirs, beaucoup moins frisés
que ceux des nègres. Leurs femmes ont la taille d'une
beauté extraordinaire et les traits du visage fort
réguliers. Elles arrangent leur chevelure avec beau-
coup de propreté * .
Au temps de Le Maire les Foulahs ou Foulis habi-
taient les deux rives du Sénégal, ce qui se rapporte
probablement au Kasson et au Foutatoro. Park, qui,
selon l'habitude conservée longtemps, en parle ce-
pendant comme de « nègres », dit qu'ils sont plutôt
basanés que noirs, que leurs traits sont petits et leurs
cheveux soyeux ; que du Fouladou ou Pays des Fou-
lahs ils sont venus occuper les pays de Toro et de
^ Jobson*s Golden trade, 1620.
46 ÉTUDE SUR l'ethnographie
BondoUyOù ils sont pasteurs et vivent de laitage, quoi-
qu'ils ne fassent pas de fromage.
Mollien visita, en 4 81 8, le Dialon, pays montagneux,
situé aux sources du Sénégal, de la Gambie et de la
Falémé. Il le vit habité par une branche de la même
nation à laquelle on donne le nom de Poules rouges
et qui passe pour être venue, vers l'an 1760, du pays
de Masina, situé sur la lisière méridionale du. Sahara,
pour faire la conquête du Dialon. Ils refoulèrent dans
les montagnes les Dialonkès , peuple aborigène, et y
introduisirent le mahométisme qu'ils professent avec
fanatisme. Il leur trouva les lèvres épaisses et les che-
veux un peu laineux, mais avec une peau cuivrée et
des traits qui approchent de ceux des Européens.
Mollien dit même avoir rencontré parmi eux quelques
hommes aussi blancs qu'un habitant du midi de
l'Europe, et qui n'étaient cependant pas des albinos.
Le portrait que nous tracent le major Gray et Do-
chart desFoulahs du Bondou, est encore plus posi-
tif: « Ce sont (les Maures exceptés) de tous les Afri-
cains occidentaux , ceux dont les traits ressemblent
le plus à la physionomie des Européens. Leurs che-
veux sont plus longs que ceux des noirs et leurs yeux
plus grands et plus expressifs; leurs femmes plus
agréables, plus propres. Leur peau est d'une couleur
de cuivre claire. »
Lamiral et Golberry ont visité le Sénégal en 1 786
et en 4787. Le premier dit que les Poules ou Fou-
lahs , habitants du pays . de Fouta-toro, sont d'une
DE L'AFRIQUE. 47
constitution délicate et diffèrent des autres nègres par
la figure et les mœurs. Ils ont le visage maigre et
allongé, le nez fortement prononcé et arqué, les che-
veux longs et tressés en une multitude de petites nat-
tes. Il y a, dit-il , deux sortes de Poules , les noirs et
les rouges. Les premiers sont bons soldats et robus-
tes, ils ressemblent aux autres nègres; mais les rou-
ges sont d'une couleur cuivrée et d'un tempérament
débile. Leur langue est douce à entendre. Les femmes
Poules surpassent en beauté les Sénégalaises; elles
sont de la plus jolie figure ; elles ont la taille mince
et déliée, les yeux beaux, la voix tendre et beaucoup
de penchant pour une musique douce et pour l'a-
mour. » — Golberry qui est le premier à mentionner
l'établissement des Poules rouges ou Foulahs dans
le Dialon, dit cependant que les hommes y sont
beaux, intelligents, forts et braves ; qu'ils parlent une
langue plus belle et plus sonore que celle des Man-
dingues; que leurs femmes, d'un teint cuivré, ont
les cheveux plus longs et moins laineux que le reste
des négresses et qu'elles sont spirituelles, belles et
tendres.
Enfin, nous citerons sur ce peuple le témoignage
encore plus récent de M. Ingram , gouverneur des
établissements anglais dans la Gambie : « Les Fou-
lahs, dit-il, sont décidément beaux. Leurs traits sont
réguliers ; au contraire des Mandingues et des Jolofs,
ils ont la bouche petite , des lèvres européennes, un
nez presque aquilin , la chevelure douce et soyeuse,
48 ÉTUDE SUR l'ethnographie
point du tout laineuse , des sourcils bien tracés, de
longs cils^ de beaux yeux noirs. Beaucoup d'entr'eux
sont d'une teinle cuivrée claire, quoique la majorité
soit beaucoup plus foncée. Quelques-unes de leurs
jeunes femmes passeraient pour belles même en Eu-
rope > * .
Il ne peut y avoir aucun doute sur la nécessité de
rattacher les Foulahs aux peuples de la partie sep-
tentrionale de l'Afrique ; mais il est intéressant de
voir jusqu'où ils se sont avancés dans l'intérieur. Au "
delà du pays de Dialon et de la limite méridionale
de la Sénégambie, c'est-à-dire dans la Guinée, dans
les montagnes de Sierra Leone, à Scherbro, sur la
rivière Mesurado, vers le cap Monte et jusqu'au cap
de Palmas, vivent un certain nombre de tribus nom-
mées Somom^ qui sont encore des Foulahs par la
langue, les traits et l'histoire. Toutefois, le berceau
de cette race doit se trouver sur les rives du Sénégal.
Au sud de la Gambie nous trouvons enfin les races
de type nègre ; les Mandingues forment la plus nom-
breuse. Au Bambouk, dont ils ont fait la conquête
en l'an 1400, ils ont les traits réguliers et leur peau
est d'un noir mêlé de jaune *. Ils habitent sur tout le
cours de la Gambie, le WouUi, le Boursalum.Ils sont
insouciants, paresseux et sensuels. Les Féloupes, sur
^ Governor Ingranfs expédition up Ihe Gambia in January
^843. — Journ. Geog. Soc. of London. Vol. XVH, pari. 2,
p. 153.
^ Golberry.
DE L'AFRIQUE. 49
la Cazaraanza, sont petits, forts et trapus. Leur
peau rude est d'un noir foncé. Cependant leurs traits
fins ont plus de rapports avec ceux des noirs de
rinde qu'avec ceux des nègres. Les Dialonkès, abo-
rigènes du Dialon, en Valliant aux conquérants, Fou-
lahs idolâtres, ont produit une race hideuse et sau-
vage, dont les traits sont grossiers, la peau rougeâtre
et la langue un mélange d'Arabe et de lolof ^
L'union des Portugais à des femmes Mandingues a
donné le jour, sur les bords du Cazamanza et du Rio
Grande, à des mulâtres aussi noirs que leurs mères,
mais qui veulent passer pour « blancs )). On rencontre
de même sur le Zambézi des noirs qui portent les
noms les plus distingués de la noblesse portugaise
et prétendent au nom de blancs.
Les SerawouUis (Seracolets des auteurs français),
habitants du royaume de Galam ou de Kajaaga sont
robustes, d'un noir de jais comme les Jolofs et parlent
une langue différente de celle des Foulahs *. Ils n'ont
ni la vivacité, ni les manières élégantes des Foulahs
du Bondou ^ Le pays de Kaarta, sur la lisière du Sa-
hara, est habité par un mélange de Foulahs et de
Mandingues qui, après une longue lutte, ont été as-
servis par leurs voisins les Maures du désert et les
Bambarras du Soudan. — Le Bondou, entre le Sé-
négal et la Gambie, est également habité par un mé-
^ Mollien.
3 Park.
3 Gray et Docbarl.
50 ÉTUDE SUR l'ethnographie
lange de Foulahs, de Mandingues, de Jolofs et de Se-
rawoullis *.
Si la transition des nègres aux Berbères semblait
trop brusquement marquée par la race Foulahs, sur
laquelle nous nous sommes longuement étendus, elle
serait adoucie par un anneau intermédiaire entre ces
derniers et les nègres. Nous voulons parler des lolofs,
Jalofs, Ghiolofs ou Oualofs, qui habitent au nord de
la Gambie, le long de la mer et particulièrement le
voisinage de la colonie française du Sénégal. Moore
est le premier voyageur qui ait fait remarquer le con-
traste qu'il y a entre l'extrême noirceur de leur peau
et l'incomparable beauté de leurs traits; il ne leur
trouve ni le nez épaté, ni les grosses lèvres qui sont
des attributs particuliers aux Mandingues et aux Fe-
loupes.
Golberry trouva les hommes de cette nation beaux
et bien faits et leurs femmes très-jolies, quoique leurs
cheveux fussent laineux et crépus, leur nez un peu
arrondi, leurs lèvres un peu grosses, et leur teint du
noir le plus brillant et le plus pur. Leur langue aussi
était harmonieuse.
Le baron Roger, autrefois gouverneur du Sénégal,
trouva l'angle facial presque aussi ouvert chez les Jo-
lofs que celui des Européens.
Enfin, nous nous bornerons à citer sur ce peuple
le tableau plus récent et plus détaillé qu'en trace un
^ Gray el Docbart.
DE L'AFRIQUE. 51
officier anglais. Les traits des hommes de cette race
sont très-agréables, dit le lieutenant Hewett*, par leur
régularité et l'absence complète de tous les carac-
tères de la race nègre; au point que si, au lieu d*être
d'un noir de jais, ils eussent eu le teint blanc ou sim-
plement basané , un grand nombre passeraient pour
des modèles de beauté masculine. Leur taille est éle-
vée et bien prise et leur maintien noble ; leurs extré-
mités petites et bien différentes de la grande main et
du pied massif qui caractérisent les nègres. Le point
remarquable est leur chevelure qui semble plus lon-
gue que la laine de la plupart des nègres, et tordue en
petites mèches cylindriques. En considérant ce der-
nier trait, toute leur constitution physique, leur reli-
gion et leurs rapports avec les Arabes et avec les tri-
bus les plus foncées de l'Hindoustan, je pense que la
nation des Jolofs ne peut pas être classée dans la fa-
mille nègre, et qu'elle doit être issue d'une horde
arabe qui a renoncé à la vie nomade. Toutefois, leur
conversion au mahométisme est d'une date récente ,
et vu leur couleur, ils sont classés d'habitude dans la
famille nègre i> *.
^ On ibelolofiis of WeslAfrica, by lieut. HeweU, S^** High-
lander. Proccedings of the R. Geographical Soc. London.
Junel857, p. 513
' L'accord de tous ces témoignages permel de trouver étrange
Tassertion du D^ Bartb , qui n*a pas vu les Jolofs ou Wolofs,
quelque compétent qu'il soit sur d'autres points, «qu'ils doivent
se ranger avec les Kanouri du Bornou parmi les nations les
plus nègres et les plus épaisses de corps. » Proccedings R.
Geog. Soc. London. July 1858.
52 ÉTUDE SUR l'ethnographie
GUINÉE SEPTENTRIONALE ET SOUDAN.
Depuis les frontières méridionales de la Sénégam-
bie jusqu'à Téquateur, les nations africaines appar-
tiennent presque sans exception à la race nègre, dont
elles présentent les traits au superlatif. Ce sont des
hommes trapus, ramassés, forts, presque tous de taille
élevée, surtout dans le delta du Niger. Toutefois, chez
les habitants du Timanni la peau n'est que d'un noir
sale et livide et ceux du Baman, moins noirs que les
JolofFs du Sénégal, ont, comme les Felatahs, le nez
aquilin, les lèvres minces et les cheveux crépus.
Nous serons bien éloignés de cette unité de race
dans l'examen des nations du Soudan , c'est-à-dire ,
de la vaste région comprise entre le Sahara, la Gui-
née, la Nubie et les sources du Sénégal, région à la-
quelle les indigènes apphquent quelquefois le vieux
nom libyen de Tekrour. Bien qu'elle ait été visitée au
moyen âge par des voyageurs fameux, par El Bekri
au milieu du onzième siècle; par Ebn Batouta, en
1353; par EbnKhaldoun, en 1 382, les voyageurs
modernes seuls ont jeté quelque jour sur les carac-
tères physiques des races qui l'habitent. — Mungo
Park l'aborda par l'extrémité occidentale, où il trouva
les Bambarras, nation très-nombreuse et très-éten-
due, dont le territoire commence à cent lieues à l'est
de Galam. Ils ont tous les caractères prononcés que
DE L'AFRIQUE. 53
l'on attribue à la race nègre , leur tête est ronde,
leurs cheveux crépus et laineux , leurs traits épais et
grossiers. Ils ont la pommette des joues très-saillante,
le nez très-plat, les lèvres très-grosses , les jambes
cagneuses, la voix rude. Leur couleur cependant n'est
pas d'un beau noir.
Lors des voyages d'El Bekri , d'Ebn Batouta et
d'Ebn Khaldoun,le Soudan étaitréellementle pays des
noirs et le Niger coulait au milieu de leurs terres tandis
qu'il leur sertaujourd'huidelimite.Entrecefleuveet le
dix-huitième degré de latitude septentrionale, les pays
de Masina, d'Asben, de Kanem , de Ghânata étaient
des états nègres, au milieu desquels commençaient
à s'immiscer des nations berbères et des tribus ara-
bes. Aujourd'hui la révolution est accomplie. Les
Berbères Senhadja commencèrent par soumettre
Ghânata. En 1740 la peuplade touarègue des Kel-
ouïs a expulsé du pays d'Asben les Gôberawas, bran-
che de la nation des Haoussa qui n'est pas cependant
purement noire * et a donné à ce pays le nom d'Ahir.
Les Fougabou, anciens habitants nègres du Kanem,
ont dû admettre des Tébous , des Berbères et plu-
sieurs tribus arabes *. L'ancien royaume nègre de
Masina est devenu, au sud-ouest de Tembouktou, la
division occidentale de l'empire des Fellatas. Un em-
pire nègre de Melli étendit sa puissance sur le cours
1 Barlh, I, p. 335.
5 Barlh, II, p. 201. 633. Les Beni-Slîman, elc. Les Da-
ghâna, III, p. 79.
54 ÉTUDE SUR L'ETHNOGRAPHIE
du Dioliba de l'année 1235 à 1453; mais, en 1468,
les Songhay lui enlevèrent Tembouktou et le renver-
sèrent tout à fait en 1501. Or, ces Songhay étaient
un peuple berbère, sorti de la partie centrale du Sa-
hara. Toutefois, le Bomou, l'Adamawa ou Foumbina,
le Baghirmi, le Haoussa, le Noufi, le Borgou, le Zan-
fara sont encore de véritables pays de nègres, et le
Di* Barth appelle ceux du Baghirmi « une belle
race» \ Les habitants du Bomou, alliés d'assez
près par le langage à leurs voisins les Kanembous
riverains aussj du lac Tchad, portent comme nation
le nom de Kanouri^y qui indique leur parenté avec
les habitants du pays et de la ville de Kano, située en-
tr'eux et le pays de Haoussa. La nation des Haoussa,
que Barth ne trouve cependant pas purement noire ^,
habite à l'ouest de Kano , dans un pays désigné au
moyen âge par le nom de Gober. Elle habitait aussi
au nord le pays d'Asben ou d'Ahir; mais elle en a été
chassée, ainsi que nous l'avons dit plus haut, par les
Berbères Kel-Owis et depuis lors elle a été asser-
vie par les Fellatas qui ont détruit Denkama sa ca-
pitale.
Les Fellatas dont le nom remplit aujourd'hui l'Afri-
que, sont appelés parleurs voisins Foulbés, FouUans,
Poules, Foulahs , Foulfoudé, Fellani. Clapperton est
le premier qui nous ait appris que sous leur peau fon-
1 m. p. 310.
« II, p. 303.
« I, p. 335, 505.
DE L'AFRIQUE. 55
cée, une teinte légèrement rougeâtre, un nez aquilin,
une intelligence vive justifient les prétentions de ce
peuple au nom de blanc. Barth aussi leur trouve * des
traits circassiens lorsqu'ils n'ont pas dépassé l'âge de
vingt-cinq ans, et les place entre les nègres et les ber-
bères. Conquérants du Haoussa, du Masina, du Zan-
fara, du Noufi , du Foumbina qu'ils nomment Ada-
mawa, et d'autres pays du Soudan, ils y ont porté le
pillage, la dévastation et le mahométisme. Cependant
cet empire fondé sur de si tristes bases, décrépit avant
le temps , chancelle déjà et pourrait bien incessam-
ment succomber devant la résurrection menaçante
des Songhay , cet autre peuple, venu du nord , que
nous avons vu renverser, en 1501, l'empire nègre de
Melli. Ils habitent encore le coude compris entre le
Haoussa et Tembouktou.
Dans une exploration récente (1 854) de la rivière
Tchadda, le grand tributaire oriental du Niger, le
Dr Baikie est arrivé au pays de Hamaruwa, où il a
trouvé les Baïbaï, peuple misérable , sauvage et am-
phibie. Ils ne portent pas de vêtements. Ils forment la
population aborigène du pays d'Hamaruwa, mais sont
déjà mêlés et soumis aux Poules ou Felatahs,les con-
quérants du Tékrour.
Un autre peuple, peu connu, chez lequel on trou-
vera peut-être aussi les caractères les moins favora-
bles de la race nègre, les Yédinas, habitait autrefois
^ n, p. 421.
56 ÉTUDE SUR l'ethnographie
le pays situé au sud du lac Tchad, à Test et à l'ouest
du fleuve Schary. L'invasion des Kanouri dans le
Bornou et celle des Arabes sur le bord méridional
du lac, ont réduit ces nègres Yédinas à la possession
des îles basses du lac , d'où ils exercent la piraterie
sous le nom de Bouddumas.
Ici encore, de même que dans la Nubie, les tribus
arabes viennent envahir le domaine des races afri-
caines. Désignées sous le nom générique de Chouâ,
elles nomadisent au sud-est du lac Tchad, où elles
ont été visitées par Denham et par Barth. L'Afrique
a noirci leur teint sans altérer leurs traits, et leur ori-
gine se reconnaît au dialecte du Hedjaz qu'elles par-
lent avec la même pureté que les Arabes de la Nubie
méridionale \
Du lac Tchad jusqu'en Nubie, nous ne connais-
sons que par des rapports indigènes, c'est-à-dire bien
incertains, les nations qui occupent la partie orien-
tale du Soudan. Dans le Ouaday, le premier état qui
se présente, un peuple de nègres payens, les Djénàk-
hérah *, est exposé aux fréquentes invasions des fer-
vents musulmans, dans les montagnes qu'il habite au
sud de ce pays. La même chose arrive aux nègres
Fertit au sud du Dar-Fôr. Les montagnes fertiles de
Marrah sont la demeure et l'asile des Koungâras ou
Koundjârah, nègres que Lepsius considère comme
1 I. p. 3i5. Barth.
2 Mahomed el Touiiisy.
DE L'AFRIQUE. 57
les aborigènes du For et du Kordofal. Dans ce même
pays qui a conservé en partie sa population primitive,
enveloppée par les envahisseurs de race berbère, le
scheikh Mohamed-el-Tounisy compte encore neuf
tribus d'arabes bédouins. Suivant M. Bnm-Rollet*,
tous les esclaves amenés des régions montagneuses au
midi du Sennaar, du Kordofâ.1 et du Dar-Fôr, ont le
crâne déprimé sur les tempes, le front fuyant, le nez
aplati, les cheveux laineux et crépus, les dents pro-
clives et la peau couleur decharbon.M.Holroyd,au
contraire, trouve que des esclaves amenés des monta-
gnes situées à six ou sept journées de marche au midi
d'Ël Obéid , la capitale du Kordofal, avaient la peau
foncée, mais pas noire et les traits de la race nègre
à un degré beaucoup moins prononcé que les habi-
tants du Dar For, les Schillouk et les Denkas du Nil
Blanc. C'est sur les rives de ce dernier fleuve , non
pas sous réquateur, mais vers le 42^ degré de latitude
septentrionale, que le baron Mûller trouve le type de
la race nègre porté au superlatif.
Dans cette vaste région du Soudan, de même que
sur le Sénégal et la Gambie, outre les peuples de type
nègre, les Arabes et les Berbères, nous pouvons en-
core constater l'existence d'échelons intermédiaires,
entre les deux races opposées. L'Écossais Duncan,
dans sa rapide excursion d'Abomey à Adafoudia, en
1845, vit les montagnes de Kong habitées par un
1 p. 216.
58 ÉTUDE SUR l'ethnographie
peuple nommé Mâhis^ dont le front est proéminent,
mais le crâne plus étroit et comprimé au sommet
plus que celui des Dahomeys. Il avait cependant le
teint beaucoup plus clair que celui des Dahomeys,
plus clair même que chez les Fellâtas; ces traits s'al-
lient cependant à des cheveux laineux.
De même encore nous apprenons par le D^ Barth *
qu'une grande nation, nommée Mâsa, habitait autre-
fois le Bornou, le Mandara, le Lôgone, etc. Les Ka-
nouri l'ont expulsée de la plus grande partie du Bor-
nou, mais elle occupe encore, sous les divers noms
de Mousgou, de Gamergous , de Zani , le pays très-
peuplé d'Oujé au midi du Bornou, le Lôgone, le Man-
dara et le Marghi, contrée montagneuse et boisée au
sud de Bornou. Ils sont indépendants dans les mon-
tagnes du Mandara, mais actuellement très-affaiblis
par leurs dissensions intérieures, et leur qualité de
payens les expose aux grazzies de leurs voisins mu-
sulmans. Tous ces peuples, race belle, forte et nom-
breuse, ont l'angle facial ouvert et le front proémi-
nent, mais la peau, qui chez quelques-uns est d'un
noir luisant, est chez d'autres d'un rouge jaunâtre,
semblable à la rhubarbe, cuivrée chez quelques-
uns, tandis que leur chevelure est frisée sans être
laineuse.
1 II. p. 339, 42r III, p. 178.
DE L'AFRIQUE. 59
AFRIQUE AUSTRALE.
Quoique Tordre géographique nous eût imposé le
devoir d'examiner ici les races qui peuplent TAfrique
équatoriale, nous avons de bonnes raisons pour y re-
noncer afin de procéder, comme nous l'avons fait jus-
qu'ici, du connu à l'inconnu. Abordons le continent
africain par son , extrémité méridionale, séjour dès
longtemps exploré des Hottentots et des Cafres.
HOTTENTOTS.
Cette côte, découverte en 1487 par les Portugais,
ue fut jamais visitée par eux que pour y livrer des
combats aux indigènes. Il était réservé aux Hollandais
d'en apprécier les avantages, et ce ne fut qu'en 1652,
cent soixante-cinq ans après la découverte du Gap d{e
Bonne Espérance, que Van Riebeck y conçluisit la
première colonie hollandaise. Dès 1686, un ouvrage
du chirurgien Ten Rhyne ( ch. X. ) décrivit ainsi les
Hottentots, dans le territoire desquels était cette co-
lonie : € Ils sont bruns; quelques-uns ont même une
peau assez blanche; ils regardent une peau noire
conune un des caractères de la beauté. Ils ont les
membres bien musclés, les jointures très-grosses, le
nez plat, le front courbé et des cheveux laineux qu'ils
coupent ou rasent de diverses manières. Les femmes,
plus laides que les honunes, ont les épaules très-ar-
60 ÉTUDE SUR l'ethnographie
rondies, mais un caractère très-particulier les distin-
gue de toutes autres femmes de l'Afrique. Ce sont
deux languettes ou appendices charnus dont elles sont
si glorieuses que, si un étranger entre dans leur ca-
bane, elles lèvent aussitôt leur tablier pour les lui
montrer. i>
Le naturaliste Kolbe, revenu du Cap en 1713, si-
gnale aussi une excroissance calleuse qu'il dit servir
de voile aux mêmes organes. Il attribue à l'art l'a-
platissement du nez des Hottentots ; dit leur cheve-
lure courte et laineuse, leur corps bien proportionné.
Par la grandeur des yeux, l'épaisseur des lèvres et
l'aplatissement du nez, il les trouve semblables aux
nègres; mais il peint les Hottentots comme olivâtres,
tandis que les Cafres de Nantal sont d'un noir très-
luisant et ont le nez naturellement camus.
Thunberg, naturaliste suédois élève de Linné, sé-
journa au Cap de 1772 à 1776. Il dit que, chez les
Hottentots, la pommette des joues a tant d'élévation
et de saillie que leur visage partut toujours maigre.
Ils ont le nez plat par le haut, gros par le bout et un
peu camard, quoiqu'il ne soit pas trop court. Leurs
lèvres, dit-il, sont très-épaisses; leurs cheveux d'un
noir de jais, peu épais et semblables à de la laine fri-
sée; déroulés ils n'ont qu'un pouce de longueur. Le'
teint des Hottentots tire sur le jaunâtre. Chez leurs
femmes les mamelles et les fesses prennent souvent un
volume extraordinaire.
Levaillant est d'accord avec le savant suédois sur
DE L'AFRIQUE. 61
tous ces traits caractéristiques des Hottentots. Sparr-
mann, qui les visita en 4776, dit que la plupai't ont
la racine du nez fort basse, ce qui fait que la distance
d'un œil à l'autre est plus grande que dans les visa-
ges européens. L'iris de leurs yeux est rarement clair
et généralement d'un brun foncé. La couleur de leur
peau est d'un brun jaunâtre. « On ne trouve point
parmi les Hottentots, dit Sparrmann, en opposition
avec les voyageurs précédents, les lèvres épaisses de
leurs voisins les nègres^ les Cafres et lesMozambiques.
On dirait que ce qui couvre leur tête est une espèce
de laine noire et frisée , sans être fort épaisse , si sa
dureté naturelle n'annonçait pas que ce sont des che-
veux plus laineux, s'il est possible, que ceux des nè-
gres. 1^
Nous trouvons l'indication des mêmes caractères
dans la relation du voyage que Barrow fit au Cap, en
1 799. Le corps des Hottentots est, dit-il, dessiné dé-
licatement comme celui d'une femme, et leurs mus-
cles peu prononcés n'indiquent aucune force. Leurs
pommettes saillantes et leur nez épaté les rendent
laids de visage; leurs yeux sont, en même temps, très-
longs, étroits, fort éloignés l'un de l'autre et leurs
paupières fermées comme celles des Chinois. Leur
peau est d'un brun jaunâtre ou feuille morte. — Leurs
cheveux sont d'une nature bien singulière ; car ils ne
couvrent pas tout le péricrâne ; mais ils sont placés
en petites touffes à quelque distance les unes des au-
tres, et, lorsqu'ils sont coupés courts, ils sont aussi
62 ÉTUDE SUR l'ethnographie
durs qu'une brosse à souliers, avec cette différence
qu'ils sont frisés et crépus , en petits globules ronds
de la grosseur d'un pois chiche. Quelques-unes de
leurs femmes sont des modèles de perfection physi-
que, avant leur première grossesse. Mais, quand elles
sont devenues mères, leur gorge pendante prend des
dimensions énormes; leur ventre. gonfle et les parties
postérieures grossissent si incroyablement que le coc-
cyx semble se relever extérieurement.
BOSCHIMANS.
De 1683 à 1686 des Hollandais exécutèrent deux
premiers voyages qui leur firent connaître le peuple
des Namaquas qui vit au nord des Hottentots. — Vingt-
cinq ans plus tard Kolbe visita également les Nama-
quas, les Goriquas, les Damaquas et quelques autres
tribus qui se sont depuis lors fondues avec les colons.
Puis on apprit l'existence d'un nouveau peuple auquel
les Hollandais donnèrent le nom de Boschimans ou
Hommes des buissons. Ils habitent particulièrement
les plateaux stériles et desséchés au nord et au sud
des Montagnes Neigeuses que les Hollandais appellent
Roggeveld (champs de seigle).
On a donné des Boschimans des descriptions très-
diverses. Barrow les trouva très-petits; le plus grand
des hommes qu'il vit n'avait que quatre pieds neuf
pouces de hauteur et la plus grande femme que qua-
tre pieds quatre pouces. Leur couleur et leurs traits
DE L'AFRIQUE. 63
en général annoncent une origine commune avec les
Hottentots. Ils ont le ventre excessivement protubé-
rant, le dos concave et leur paupière supérieure,
comme celle des Chinois, se joint à l'inférieure en
s'arrondissant auprès du larmier. Leur agilité incroya-
ble s'exerce dans des bonds prodigieux.
Truter et Somerville, en i 804 , les trouvèrent de
couleur feuille morte, comme les Hottentots, et virent
aussi leur chevelure divisée en vilaines pelotes indui-
tes de graisse et d'ocre rouge. Sparrmann ne voit en-
tre eux et les Hottentots d'autre différence que dans la
manière de vivre. Campbell les trouva grands, forts,
prodigieusement agiles et doués à un point incroyable
de la propriété de résister, suivant les circonstances,
à un jeûne prolongé comme à des excès de glouton-
nerie.
Levaillant appelle les Boschimans a un ramas de
mulâtres, de métis, de nègres et de Hottentots fugi-
tifs. » La vérité est en effet que ce peuple se compose
de Hottentots échappés aux persécutions des colons
hollandais. Ceux-ci, dans des incursions sanguinai-
res, se font un plaisir de les égorger et d'enlever en
grand nombre leurs enfants pour les réduire en escla-
vage* Les cavernes, les fentes des rochers, les soli-
tudes montagneuses et les plaines stériles de Rogge-
veld, où la pluie est inconnue, sont devenues les seuls
asiles de ces malheureux , de même que les buissons
dont ils ont reçu leur nom. Ils y restent tapis, plies
en deux comme des bêtes fauves dans un nid. On
64 ÉTUDE suit l'ethnographie
voudrait pouvoir affirmer que ces horreurs ont cessé
avec la domination négligente et égoïste des Hollan-
dais ; mais il n'en est rien. Gomme par le passé les co-
lons persécutent les Boschimans; ils ont envahi leurs
solitudes et, sous prétexte que ce sont des sauvages
placés par la nature à un degré intermédiaire entre
l'homme et le singe et étrangers à la notion de la pro-
priété, les Boschimans ont été dépouillés de leurs
meilleures terres, des oasis de leur triste désert, des
sources si rares chez eux, et ils sont réduits à vivre
de lézai'ds, de sauterelles, de fourmi" ^ '
d'autres aliments immondes. Les n
reconnaissent aussi susceptibles qu
d'un développement moral et intelle
timents afTectueux. ' Il est aisé de c<
quoi des malheureux réduits à de
parlent le plus pauvre des dialectes
différent même des autres Hottentol
pas compris. ' On comprend encc
n'ont pas de termes pour distingue!
de celui d'épouse.
A mesure que les voyages se sont i
térieur de l'Afrique, on y a reconnu
plus grand nombre de peuplades bos(
bell affirme (i820) que le grand dés
du fleuve Orange n'est habité que pï
' Walckenaer, XVill, p. 249.
« Walckenaer, Afrique, XVIII, p. 843.
DE L'AFRIQUE. 65
Anderson en ont rencontré une faible horde au sud-
ouest du lac N'Gami ; Livingston en a visité une autre
dans les marais au nord du fleuve Zouga , et pense
que les Batletli , peuple ichthyophage riverain de ce
fleuve, sont de vrais Boschimans.
En 1805, Lichtenstein visita les Koranas et les Bet-
jouanas. En 1834, le missionnaire Smith, parti de
Graaf Reynett et de Philippolis, visita les rivières
Caledon et Limpopo, Kourouman et le pays des Bas-
souto. Il eut des rapports avec 27 tribus différentes
et s'assura que la race hottentote est beaucoup plus
étendue qu'on ne l'avait précédemment supposé. *
GHIQUAS.
Sur les deux rive? du fleuve Orange vivait une
peuplade composée de Hottentots bâtards; sur l'in-
vitation des missionnaires, ils renoncèrent à ce nom
choquant et, ayant reconnu que la plupart d'entr'eux
descendaient d'un nommé Griqua, ils choisirent cette
dénomination. Ils vivent unis avec les Koranas ".Mof-
fat • trouve naturellement que les traits des Hotten-
tots dominent chez les Griquas.
^ Journ. Geographical Soc. London. VI, part. 1.
^ Campbell, 1813.
^ MofTaf s Visit to Moselekalze, p. 95.
5
66 ÉTUDE SUR L'ETHNOGRAPHIE
KORANAS.
Les Koranas, visités par Lichtenstein en 1805, lui
parurent également une tribu hottentote , dont les
femmes ont l'énorme développement des fesses par-
ticulier à cette nation. Ces Koranas ou Corannas ,
selon Burchell, mal décrits par Barrow, sont un peu-
ple paisible adonné à la vie pastorale, bon, de taille
plus élevée que les Hottentots Namaquas * . Ils ont la
tête bien faite et se donnent le nom de Koras (hom-
mes qui portent des souliers) '. Leur dialecte a plus
d'affinité avec le hottentot que celui des Boschimans.
Ils vivent vers la rivière Hartebeeste, au nord du fleuve
Orange, et entre les deux sources du Gariep, conti-
gus et mêlés à des Hottentots et à la tribu betjouana
des Batchapis. Ils leur donnent quelquefois de leurs
filles recherchées pour leur beauté.
NAMAQUAS.
La dernière branche de la nation hottentote dont
nous ayons à nous occuper est celle des Namaquas.
Thompson remarqua de bonne heure leurs rapports
avec les Hottentots et les Koranas. Levaillant les trouve
si grêles des jambes et de tout le corps, qu'il dit qu'on
1 Thompson, 1824.
8 Burchell, Travels in ihe inlerior of Soulh Africa.
DE L'AFRIQUE. 67
les croirait passés à la filière. Peu difficile sur les
charmes de ces noires beautés, le voyageur français
trouve leurs femmes jolies, « beaucoup plus vives que
les hommes», avec les pommeltesdes joues moins sail-
lantes que chez lesHottentots. Barrow fut au contraire
frappé de voir chez elles la gorge se développer d'une
manière si difforme, qu'il vit une mère jeter son sein
à son nourrisson derrière son épaule.
Les Namaquas se divisent en Petits Namaquas sur
la rive méridionale du fleuve Orange, et en Grands
Namaquas, qui ont repoussé vers le nord et détruit
en partie le peuple des Damaras. Ils ont reçu des mis-
sionnaires et, parmi les voyageurs modernes, sir Ja-
mes Âlexander et Ânderson les ont visités. Ils ne
tracent pas une peinture favorable de leurs sentiments
moraux et les trouvent d'une malpropreté dégoû-
tante.
CAFRES.
Sous le nom de Gafres ou Kaffir (mécréants), les
Mahométans désignaient vaguement les peuples si-
tués dans l'intérieur et au nord-est du Gap de Bonne
Espérance. Ge nom a été appliqué plus spécialement
par les Européens au peuple qui habite la côte orien-
tale de l'Afrique, à l'est de la colonie du Gap. Mais
ce peuple repousse cette dénomination comme étran-
gère à sa langue et injurieuse, sans toutefois lui en
substituer unejautre qui soit générique. Leurs nom-
68 ÉTUDE SUR l'ethnographie
breuses tribus portent les Homs différents d'Ama-
kosa,Amapondaou Hambona,Amatembous ou Tam-
boukie, Amazoulah , Amatibele où le préfixe Am ou
Ama n'est que la forme du pluriel; de sorte que les
Amakosa les plus voisins de la colonie du Cap ont
pour véritable nom celui de Cousas, Caoussa ou Ko-
sas (hommes), et leur pays celui d'Amakosina.
Ce dernier peuple, comme le plus voisin de la co-
lonie, a été aussi le premier connu et le mieux décrit
par les voyageurs. Levaillant * dit qu'ils sont d'une
taille plus haute que les Hottentots; que leur visage
n'a pas la saillie des pommettes des joues si désa-
gréable chez les Hottentots. «Ils n'ont pas non plus
la face large et plate et les lèvres épaisses de leurs
voisins, les nègres de Mozambique. Ils ont, au con-
traire, la figure ronde, un nez élevé, pas trop épaté.
Leurs grands yeux, qu'ombrage un front large et haut,
leur donnent un air spirituel. Leur peau est d'un
beau noir bruni ; leurs cheveux très-crépus et d'un
noir d'ébène. ji>
Quoiqu'il les trouve noirs ou du moins presque
noirs, ils n'ont, selon Barrow, pas un seul trait des
nègres d'Afrique. La tête d'un Cafre n'est point al-
longée; le frontal et l'occipital forment presque un
demi-cercle , et la ligne de son profil est convexe
comme dans un Européen. <r En un mot, dit sir John
Barrow, si la nature ne lui avait pas donné ce fluide
1 Apud Walckenaer, Afrique. T. XVI, p. 356. .
^
DE L'AFRIQUE. 69
gélatineux que Tanatomie reconnaît entre le derme et
répiderme, le Cafre eût pu se placer parmi les races
européennes. — Sa figure porte des caractères si vi-
siblement les mêmes que celle des Arabes, ainsi que
sa manière de vivre, sa vie pastorale et l'habitude
de la circoncision , que son origine asiatique en de-
vient évidente » *. Aucun voyageur n'a partagé cette
opinion de sir John Barrow, et la circoncision, géné-
rale chez les Cafres, nous paraît un critère sans va-
leur, vu son universalité chez une foule d'autres peu-
ples.
Steedman trouve que leur couleur varie entre le
noir foncé, qui est peu commun, et une nuance brune
qui approche du cuivre. Selon Alberti et Brownlee,
elle est généralement d'un gris noir semblable à celui
du fer qui sort de la forge. Les Cafres de Lagoa sont
beaux et d'un beau noir. Les Cosas ont la barbe, ainsi
que la chevelure , divisée en petits flocons noirs ,
courts, laineux et rudes au toucher. Ils sont d'une
belle stature, 5 pieds 6 pouces à 5 pieds 9 pouces.
Leurs femmes sont beaucoup plus petites mais éga-
lement bien formées. Elles ont cependant ce prolon-
gement des nymphes signalé chez les Hottentotes,
mais à un moindre degré, car chez les dernières il
atteint quelquefois quatre pouces. Les Cafres de l'un
et de l'autre sexe sont également sains de corps, aler-
tes et forts, gracieux et majestueux dans leurs poses.
1 Barrow, 1799, apud Walckenaer, XVII, p. 313.
70 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Ils sont guerriers, attaquent à découvert après avoir
averti leurs ennemis. Ils parlent lentement et d'une
manière très-distincte une langue douce, pleine et so-
nore, qui fait sur l'oreille de l'Européen l'effet de l'ita-
lien. Rarement les mots ont plus de deux syllabes. Ils
n'ont ni la lettre R, ni les diphthongues si communes
dans la langue des Hottentots.
Lichtenstein * estime que les traits de leur visage
ne permettent pas de classer les Cafres dans aucune
des races humaines adoptées dans les livres de géo-
graphie ; ils ont , dit-il , en commun avec les Euro-
péens le front haut et l'os du nez relevé ; avec les
nègres les lèvres épaisses , et avec les Hottentots les
pommettes de la joue saillantes. Livingstone atteste
de même la forme européenne de leur crâne (p. â79).
Steedman ' fait connaître l'existence des Fingos ou
Vagabonds^ horde descendue de Cafres Zoulahs et
d'un grand nombre de tribus répandues dans le pays
et méprisées des autres , parce qu'elles n'ont pas de
chef indépendant. Le major-général d'Urban les ren-
contra lorsqu'il passa la rivière Kei, dans la guerre
des Cafres en \ 835. Ils vivaient au nombre de \ 7,000
dans un abject esclavage, soumis aux Àmakosa. Le
général anglais combla leurs vœux ardents pour l'in-
dépendance et les transporta sur le territoire de la
colonie, entre les rivières du Grand-Poisson et de la
1 Lichtenstein, ^805. — Walckenaer, XVIII, p. 236.
' Sleedman*s Wanderings. 8 vols. London. 1835.
DE L'AFRIQUE. 71
Basse-Keiskamma. Ils y sont occupés comme domes-
tiques des colons et plutôt agriculteurs que pasteurs.
Ces Fingos, d'une taille moins élevée et d'un teint
plus foncé que leurs anciens maîtres les Amakosa,
ont la chevelure laineuse, le nez rond,les lèvres assez
épaisses et les membres droits et musclés *.
Il est impossible de fixer encore les limites sep-
tentrionales de la race des Cafres. Lichtenstein énonce
l'opinion, partagée par M. Auguste Petermann *, qu'elle
s'étend le long de la côte orientale jusqu'au cap Del-
gado. Thompson, induit par les rapports qu'il trouve
entre leur langue et unvocabulaireapportéd'Anjouan,
dans les îles Comores , pense même que l'on peut
chercher jusqu'à Madagascar la race qui occupe la
Cafrerie. D'autre part, plusieurs passages du dernier
voyage de Livingston attestent que les nègres rive-
rains du Zambézi sont distincts des Cafres et que ce
n'est qu'à une époque assez récente, que ceux de ces
peuples qui habitent la rive méridionale du fleuve
ont été asservis par les Cafres nommés Landînes et
aussi Banyai, parmi lesquels on a vu beaucoup d'in-
dividus couleur de café au lait. Les Macouas, sur la
rive septentrionale du Zambézi, sont désignés par
le père Léon des Avanchers comme de vrais nègres
noirs.
^ Capl. Alexander, Journ. Geographical Soc. London. Vol.
V, part. 2, p. 318, 328.
2 Millheilungen. II, ^835.
72 ÉTUDE SUR l'ethnographie
BETCHOUANAS.
Il existe, à Touest de la côte de Natal et derrière
les montagnes qiii la séparent du fleuve Orange, des
peuples intéressants que la plupart des voyageurs rat-
tachent intimement aux Cafres. Nous voulons parler
des Betchouanas, Bouschouanas ou Betjouanas (les
égmiXj Livingstone, p. 200). Leurs principales tribus
sont les Bassouto ou Bakoni au sud, lesBakalahariou
Betchouanas occidentaux, comprenant les Baman-
gouato, les Batlapi, les Makololo, les Baquaines, les
Mantatis, les Batclapis, Matchappis ou Bachapins, etc.
Ce fut le 25 novembre 1801 que Truter et Somer-
ville arrivèrent pour la première fois à Litakou , la
capitale des Batchapins , la première des tribus bet-
chouanas dont on eût connaissance. Ils furent immé-
diatement frappés de la ressemblance de ce peuple
avec les Cafres de la côte, tout en les trouvant plus
civilisés, mais moins beaux. Ils avaient les cheveux
plus longs et la peau tantôt noire, tantôt brune ou
*
bronzée.
En 1805, Lichtenstein visita les Betchouanas et
fit connaître les noms d'un grand nombre de leurs
tribus. Toutes, dit-il, ne parlent |[u'une langue, qui lui
parut pleine, sonore, simple, riche en voyelles et pau-
vre en diphthongues, comme celle des Cafres Cousa,
mais possédant de plus qu'eux la consonne R dont ils
font un emploi fréquent. Il signale une ressemblance
DE L'AFRIQUE. 73
entre les racines des langues de ces deux nations.
Parmi ces tribus betchouanas, Lichtenstein nomme
celle des Macquini(Baquaina),comme fournissant aux
autres le fer et le cuivre dont elles ont besoin. Le
bronze de leurs ustensiles , analysé per Klaproth, a
donné les mêmes proportions que celui des anciens
et des peuples aborigènes du Pérou, 0.93 de cuivre et
0.07 d*étain.
L'Anglais Burchell qui vint, en 1812, visiter les
Betchouanas, nous apprend que leur langue s'appelle
Sitchouana^ et que le peu de consonnes finales, l'a-
bondance des voyelles et des lettres mouillées, la ren-
dent aussi douce que la plus harmonieuse des lan-
gues européennes. Elle n'en est pas moins susceptible
d'être parlée avec beaucoup de volubilité, au rebours
de celle des Hottentots. Elle diffère beaucoup de la
dernière ainsi que des langues parlées au nord de
l'équateur et présente, ainsi que l'avait déjà dit
Lichtenstein, de l'affinité avec tous les dialectes des
Cafres.
Quant aux caractères physiques des Betchouanas,
Burchell , qui refuse d'admettre l'origine asiatique
attribuée aux Cafres par Barrow, à cause de leur che-
velure laineuse , signale leur nez moins épaté que
celui des nègres de Guinée, leurs lèvres moins épais-
ses, le bas de leur figure et leur menton moins étroits
que chez les Hottentots. Le missionnaire Campbell
les visita en 1814; puis, Thompson, qui trouva les
Betchouanas beaux, mais un peu inférieurs aux Ca-
74 ÉTUDE SUR l'ethnographie
fres en beauté , comme en vaillance, tout en recon-
naissant aussi raffînité de leurs langues.
D'après les informations qu'il reçut des Makololo,
Livingstone îious apprend qu'ils classent en trois di-
visions toutes les tribus de la race des Betchouanas :
lo celles de la côte orientale, depuis les Amakosa ou
Coussas jusqu'aux Matebele ; 2o les Bassouto, au sud ;
3o les Betchouanas occidentaux ou Bakalahari, dont
font partie les tribus déjà nommées des Barolong, les
Bakaa, les Bamangwato, les Batlapi, etc. De toutes
ces peuplades, celle qui récemment a le plus attiré les
regards de l'Europe par son dévouement à l'égard du
voyageur Livingstone , est celle des Makololo. C'est
une branche des Bassouto, qui, de la plus méridio-
nale des tribus betchouanas, est devenue la plus sep-
tentrionale ^ Livingstone les dit de la couleur du
café au lait. Conduits par Sébitoané, chef de Câfres
Mantatis, ils se sont avancés jusqu'au fleuve Zambézi,
et s'y sont fait un empire, compris entre le 14o et le
20o de latitude australe, en soumettant les Borotsé
ou Barotsé, les Makalaka, habiles bateliers de la ri-
vière Zouga, les Batoka, les Manyeti ou Banyeti, qui
sont autant de tribus noires indigènes d'une région
fertile et très-arrosée.
* Livingstone, p. 218.
DE L'AFRIQUE. 75
DAMARAS.
La dernière peuplade de l'Afrique australe dont il
nous reste à parler est celle des Damaras. Ils habi-
tent sur la côte occidentale entre le 20^ et le 23o de
latitude. Campbell, en 1814, ne donna sur eux que
des notions bien maigres et dit qu'ils sont semblables
^aux nègres de Mozambique par leur langage, leurs
lèvres épaisses et leur peau noire. — Ils ont été visités
depuis par sir James Alexandre et surtout, en 1851 ,
par M. Francis Galton et par M. Andersen, de qui
nous'tenons des renseignements beaucoup plus com-
plets. Un même massif de montagnes excessivement
arides, qui atteignent la hauteur de 8,000 pieds, et
couvrent une surface quintuple de la Suisse, est ha-
bité par plusieurs hordes de Boschimans depuis un
temps peut-être immémorial; par des Namaquas,
qui en ont récemment envahi la partie méridionale ;
et par les Damaras dont M. Galton dit * que leur taille
est élevée, leurs traits beaux avec un angle facial de
70 0; mais qu'ils sont détestablement corrompus. Par
suite de leur faiblesse physique, la moitié a déjà été
tuée ou asservie par les Namaquas et le reste le sera
aussi. D'après le rapport d'un missionnaire établi chez
eux, les Damaras appartiennent à la famille des Ca-
fres ou du moins parlent un dialecte des Betchoua-
nas. .
^ Journ. Geog. Soc. London. XXU, p. 156.
76 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Sir James Alexandre a donné, improprement selon
M. Gallon, le nom de Damaras des montagnes (Hill
Damaras) à d'autres nègres qui n'ont rien de com-
mun avec les véritables Damaras. Ce sont les Ghou
Damup, dans les montagnes voisines de la côte, elles
Soun Damup, leurs parents de traits et de langage,
qui vivent au nord-est des Damaras. Ils sont les uns
et les autres agriculteurs et partout misérables, sou-
mis aux Damaras et aux Namaquas qui ne sont pas
agriculteurs. M. Galton considère en conséquence ces
prétendus Damaras des montagnes comme les restes
méridionaux des Ovampo, nègres noirs, intelligents
et agriculteurs, qui auraient été refoulés en partie par
les Damaras et les Namaquas venus du sud. Nous
nous proposons d'en parler dans la dernière partie de
ce mémoire.
AFRIQUE ÉQUATORIALE.
Cette dernière portion, comprise à peu près entre
le 10 de latitude septentrionale, le 20 » de latitude
méridionale, l'Océan Indien et l'Océan Atlantique,
forme un tiers à peu près du continent africain. Sur
cette vaste étendue de 500,000 lieues carrées planait,
il y a vingt ans encore, une ignorance à peu près com-
plète. Aussi devons-nous avouer que, malgré les efforts
courageux des explorateurs récents, une lumière en-
core bien imparfaite éclairera nos jugements.
DE L'AFRIQUE. 77
Les travaux des voyageurs ont attaqué cette masse
continentale de quatre côtés différents ; 1» le bassin
du Nil Blanc au nord; 2o les hauts plateaux, prolon-
gements de TAbyssinie au nord-est ; 3o la côte de
Zanguebar à Test, et 4^ le bassin du Zambézi au
sud. C'est par ce dernier point que nous commence-
rons.
Par intérêt pour les progrès de la science géogra-
phique, MM. Galton, Oswell, Livingstone et Murray
attaquèrent presque simultanément la région la moins
connue de l'Afrique. Le premier, M. Francis Galton,
pourvu des instruments et des connaissances scienti-
fiques nécessaires pour rendre son voyage utile, et
accompagné d'un Suédois nommé Andersen, consacra
une partie des années 1850 et 1854 à l'exploration
du pays des Damaras dont il donna la première des-
cription et dont nous avons rapporté plus haut les dé-
tails ethnographiques. Il s'aventura vers le nord, au
travers d'un désert brûlant et cependant boisé^ jus-
que chez les Ovampo, dont il visita la capitale et le roi
et qu'il considère comme ayant été originairement la
souche des Ghou Damup et des Soun Damup connus
sous le nom erroné de Damaras des montagnes. Ces
Ovampo, dont l'accueil fut assez bienveillant, avaient
toutes les habitudes et les qualités de la race nègre; ils
cultivent avec soin un pays fertile et bien arrosé, cou-
vrent de nombreux troupeaux leurs beaux pâturages
et habitent des villages d'une propreté remarquable.
Toutefois, déjà depuis deux ans (4849) MM. Li-
78 ÉTUDE SUR l'ethnographie
vingstone, Oswell et Murray, après de cruelles souf-
frances et trente jours passés dans le désert de Kala-
hari, au nord des Betchouanas, étaient arrivés, le 4
juillet 1849, au bord de la belle rivière de Zouga et
l'avaient remontée jusqu'au lac N'Gami, dont elle
est un émissaire. Ils y rencontrèrent un peuple nou-
veau, expert à manœuvrer des bateaux, les Bayèyé ou
Bakobas, qu'Anderson a visités en 1853 et qu'il dé-
clare être d une taille élevée, avec des traits repous-
sants et une peau de la couleur de la suie foncée. Ce
sont donc de véritables nègres, ainsi que les Ovampo,
leurs voisins.
Livingstone et Oswell revinrent au lac N'Gami en
1 850, et le virent encore dans un troisième voyage où
ils visitèrent dans sa résidence de Linyanti le bienveil-
lant Sébituané, roi des Makololo. Ce guerrier, venu
de bien loin, à la tête d'une tribu de Cafres Mantatis,
nommés les Makololo , avait fondé par les armes un
état puissant sur le cours supérieur du Zambézi ou
Lyambaye, en soumettant plusieurs nations de nègres
indigènes à cette région fertile. Les Makololo, ses frè-
res d'armes, étaient bien de la couleur du café au lait
et de véritables Cafres ou Betchouanas, mais tous ses
autres sujets, les Barotsé, les Batoka, les Banyeti,
étaient des nègres.
Livingstone visita ces peuples dans le quatrième
voyage qui l'a illustré. Après le pays des Barotsé il re-
monta le Lyambaye ou Zambézi dans le pays de
Londa. Les habitants s'appellent en conséquence les
DE L'AFRIQUE. 79
Balonda. Ce sont de véritables nègres avec une che-
velure laineuse ' mais beaucoup plus abondante que
chez les Cafres et d'une couleur plus ou moins foncée.
Rien n'est plus variable que leurs traits et leur teint;
tous n'ont pas le nez plat, les lèvres épaisses et le
crâne saillant en arrière. « Jamais, dit Livingstone, je
n'ai pu croire, d'après ma propre observation, que
nous ayons rencontré le vrai type de la race dans ces
figures de nègres de convention qui servent d'enseigne
à nos marchands de tabac. Dans le Londa, comme
partout où la chaleur se trouve combinée avec l'hu-
midité du climat, la peau devient très-foncée, sans
être jamais entièrement noire. Chez les plus foncés il
y a toujours une nuance de brun. »
« Les Barotsé tuent des serviteurs à la mort d'un
roi et cet usage les met véritablement au nombre des
peuples nègres, quoiqu'ils ne ressemblent pas plus
rigoureusement que les Balonda au type idéal du
nègre. »
« Les Batoka ou Batonga, qui ont été soumis par
les Makololo sont cruels, et observent la coutume d'ar-
racher à la puberté les dents incisives. Leur langue
est un dialecte des autres langues nègres parlées dans
la grande vallée du fleuve Zambézi. Quant à leurs
traits, ils ont le crâne ramassé, couvert d'une laine
abondante; leur nez est plat, leurs lèvres épaisses, et
leurs traits tout à fait nègres et dégradés. Toutefois
1 Livingstone, p. 275, 290, 379, 533, 555, 576. 624.
80 ÉTUDE SUR l'ethnographie
encore, tandis que ceux des bords du Zambézi sont
très-foncés , sur les hauteurs ils n'ont que la couleur
du café au lait et de l'olive claire. »
<K Les Aogolas, de même que les Balonda, sont de
vrais nègres, avec les lèvres épaisses, le crâne renversé
en arrière, le nez aplati, la chevelure laineuse, et ce-
pendant ces traits ne se trouvent pas tous réunis dans
un seul individu ; car leur teint varie aussi du noir
foncé au Jaune clair. Tous ont une certaine épaisseur
et une certaine proéminence des lèvres, et cependant
il n'y a pas de village où des individus ne présentent
ce caractère aussi peu marqué qu'il ne l'est chez des
Européens. Ils sont tous foncés ; mais leur peau pré-
sente, suivant les individus, toutes les nuances du
noir foncé au jaune clair. Lorsque nous tombons sous
l'influence de l'air humide des régions maritimes, nous
voyons ces nuances approcher par degrés du noir de
toutes les populations côtières. De même encore la
forme de la tête et sa toison laineuse, quoique géné-
rale, n'est pas universelle. ))
€ Les Kissama, qui vivent au sud du fleuve Coanza,
ont les traits des Boschimans et des Hottentots. — A
l'est de la rivière Loajima les indigènes sont d'un olive
encore plus clair, avec la chevelure laineuse. »
Le docteur Livingstone ne fait ici que confirmer en
détail les observations antérieures d'autres voyageurs.
— ^Selon Lopez, les Mosicongos ou habitants du Congo
sont communément noirs, quoiqu'il s'en trouve un
grand nombre dont la couleur tire sur l'olivâtre. La
DE L'AFRIQUE. 81
plupart ont les cheveux noirs et frisés ; mais il s'en
trouve aussi qui les ont roux. — Leurs lèvres ne sont
pas grosses et pendantes comme celles des Nubiens,
et ils n'ont pas les traits grossiers et difformes des
nègres de la Guinée; leur physionomie présente au
contraire de l'agrément et de la variété comme en
Europe. ' Suivant le capitaine Tuckey *, les nègres des
bords du Zaïre sont d'une taille moyenne et leurs traits
ne sont pas fortement marqués ; leur peau n'est pas
aussi noire que celle des autres Africains. Beaucoup
ont les traits des Européens et une figure assez agréa-
ble. Marsden trouve des affinités de langage dans tout
le continent depuis la côte de Natal et de Mozambique
jusqu'au Congo, et Bowditch dit également que la lan-
gue du pays d'Angola est venue originairement de
l'intérieur, du pays de Cassanje.
Tandis que la masse centrale du continent africain
avait attendu un Livingstone pour s'ouvrir par le sud
aux investigations des Européens, elle avait, depuis un
assez grand nombre d'années, été visitée du côté sep-
tentrional, où le Nil et la recherche de ses sources of-
fraient à la fois des facilités et un stimulant aux voya-
geurs. — Ce fut en 1827 qu'une première expédition
fut conduite par M. Linant sur le Bahr-el-Abyad, le
Nil Blanc, et fit connaître sur son bord occidental les
nègres Schillouks. L'année suivante le désir d'enlever
^ Pigafella, Relazione de! realrae di Congo, p. 6, 20, 38.
« Walckenaer, XIV, p. 556, 54.
6
82 ÉTUDE SUR l'ethnographie
des esclaves parmi ce peuple dont la stature est de six
pieds, y ramena une expédition égyptienne comman-
dée par un nommé Ibrahim. Il trouva la rive oppo-
sée du Nil occupée par les Dinkas, autres nègres dont
la langue est presque la même que celle des Schil-
louks, leurs voisins et leurs ennemis.
En 1840, une nouvelle expédition également entre-
prise dans un but de brigandage fournit heureuse-
ment de riches matériaux à la géographie par l'ad-
jonction de MM. d'Arnaud, Ferdinand Werne et Sa-
batier. Plusieurs mois de navigation les conduisirent
jusqu'au ¥ 30' de latitude septentrionale, d'abord
jusqu'à l'extrémité du pays des Schillouks et des Din-
kas, au delà desquels ils virent les Nouers , les Keks
ou Kyks, les Helliabs, les Djours, les Bors, puis enfin
les Barrys, géants de 6 à 6 % pieds de hauteur.
Le baron MûUer, qui remonta le Nil Blanc en
1848, remarque que le type tout à fait nègre se pré-
sente parmi les peuples riverains dès le 15» de lati-
tude nord, arrive à son développement le plus grand
sousle 12o et s'affaiblit dès le 7®, au sud duquel il ren-
contre des hommes d'une couleur plus claire, dont
le corps est mieux formé et l'intelligence plus déve-
loppée. En effet les Schillouks au sud du Sennaar sont
d'un noir d'encre, d'une taille de 6 à 6 V^ pieds avec
le nez épaté, la chevelure laineuse, et des jambes
courtes. Les Dinkas leur ressemblent. Les Keks sont
des nègres pasteurs, chasseurs et pêcheurs, supérieurs
en intelligence aux uns et aux autres. Les nègres
DE L'AFRIQUE. 83
Nouers mènent une vie amphibie sur les bords du
Keïlak ou Bahr-el-Gazel et, plus à Test, sur le Sôbat,
tributaire oriental du Nil.
Les Schillouks, les Bôrs, les Nouers, les Elliabs, les
Dinkas et les Keks, forment une famille de peuples
parlant tous une même langue. Plus au sud, entre le
50 et Je 40 de latitude , les Bari ou Barrys vivent à
Test du Fleuve Blanc et dans un pays salubre, où ils
jouissent d'mie vie longue et d'une constitution athlé-
tique. Enfin à l'est de tous ces peuples et à une cer-
taine distance du fleuve, se trouvent d'autres peuples
peu connus et qui semblent former la transition en-
Ire les peuples nègres et les Gallas de la cote. Ce se-
raient, en commençant par le sud, les Fadongo que
l'on dit olivâtres; les Blidos ou Quendas que l'on dit
tantôt rouges comme les Gallas^ tantôt olivâtres^ ce
qui est plus probable; les Berrys, distincts des Barrys,
qui ont été visités par le missionnaire Vinco et sont
voisins des Gallas, sont foncés et bien faits; les Niaghis
ou Niaguès, au sud-est des Gallas, qui pourraient être
de véritables Gallas.
Entre ces peuples, limite de nos connaissances po-
sitives sur le cours du Fleuve Blanc, il reste un espace
de cent lieues au nord-est dans la direction de l'Abys-
sinie, et de deux cents dans la direction de l'est , sur
lequel vivent des peuples qui ne nous sont connus
que par des rapports recueillis par M. Antoine d'Ab-
badie, par MM. Beke, Harris, Krapf, Isenberg et par
J
84 ÉTUDE SUR l'ethnographie
le moine Léon des Avanchers \ Ces rapports établis-
sent que la région encore inconnue dont nous par-
lons, est en grande partie formée de plateaux salu-
bres, où la pluie et les récoltes se répartissent assez
uniformément sur toutes les saisons, et de quelques
vallées plus chaudes et plus boisées où naissent les
affluents du Nil Blanc. Les esclaves amenés de ces
pays sont aussi variés de couleur que les habitants
de TAbyssinie. Quelques-uns, trapus et très-musclés,
présentent les traits de la race nègre ; dans quelques
vallées chaudes vivent des Changalas, c'est-à-dire en
toute probabilité des nègres payens, pasteurs, nom-
niés Souro. Mais la plus grande partie des plateaux
paraît être occupée par des races blanches , olivâtres
ou rougeâtres, à cheveux longs, de la race des Gallas
ou de celle des Abyssiniens. Tels sont les Boren Gal-
las, les Rendilé-Gallas , les Elgog, les Barratatra-
Gallas, les Wardai-Gallas, les Dana-Gallas, les Jan-
jero.
Ce qui rattache encore ces peuples lointains à une
origine asiatique, est que le christianisme paraît avoir
été professé et l'être encore peut-être chez plusieurs
d'entr'eux.
La côte orientale de l'Afrique enfin, présente une
base pour l'exploration de l'intérieur dont se servit
dès i 797 et i 799, Lacerda, gouverneur portugais de
^ Bulletin Soc. Géog. Paris, Mars 1859. — Nouv. Ann. des
Voyages, 1845.11, p H3.
DE L'AFRIQUE. 85
Tété; il s'avança au nord-ouest jusqu'à sept journées
en deçà de la ville de Lucenda, capitale d'un prince
nommé Cazembé. Il mourut, mais ses papiers furent
rapportés par un jésuite, son compagnon, qui mou-
ru tlui-même,et ils furent perdus. Depuis lors, le Ca-
zembé a été visité par Peirero et par Monteiro. Can-
dido de Tété a visité le grand lac Nyanja. En 1823,
deux jeunes officiers, envoyés par le commodore
Owen, trouvèrent également la mort causée par l'in-
salubrité du climat, dans un voyage qui ne fut pas
poussé au delà de Tété sur le Zambézi. — En 1831,
le major Gamitto, entreprit un voyage dans la même
direction * . De 1 843 à 1 849, l'établissement des mis-
sionnaires Krapf, Isenberg et surtout Rebmann dans
les districts montagneux voisins de Mombas et de la
côte orientale, contribua puissamment à en faciliter
l'exploration et fit connaître l'existence des plus hau-
tes montagnes de l'Afrique. En 1852, l'arrivée à Ben-
guela de trois Maures partis de la côte orientale, en
traversant à moitié chemin le grand lac de Tanga-
nyika, montra que ce continent est loin d'être impé-^
nétrable^ même dans sa plus grande largeur, et en-
couragea l'expédition mémorable et encore récente
(1858) des capitaines Richard Burton et Speke, aux-
quels est due la découverte des deux lacs les plus
vastes que recèle probablement l'intérieur de l'A-
frique.
^ Desborough Cooley, Inner Africa, p. 144.
86 ÉTUDE SUR l'ethnographie
Onjdoit au commodore Owen, lors de son explo-
ration des côtes de l'Afrique en 1822 et 1823, la con-
naissance des Sohaïlîs. Le lieutenant Émery* dit
qu'ils ont dû avoir le teint aussi clair que les Arabes
dont ils ont les coutumes, la religion, mais qu'ils
surpassent en activité. Il remarque que chez eux les
hommes les plus âgés ont le teint le plus clair , et il
explique ce fait par la tradition suivante et très-fon-
dée en fait. Les Sohaïlts, maintenant habitants de la
partie du Zanguebar au sud de Mombas et de quel-
ques villes de l'intérieur, ont été chassés par les Gal-
las des portions plus septentrionales de cette côte.
Leurs villes maritimes en ruines en font encore foi ,
et la plus méridionale des tribus Gallas arrive jus-
qu'au nord de Mombas. Pour arrêter cette invasion
les Sohaïlis eurent recours à la nation noire des Wa-
nikas, et les alliances matrimoniales contractées de-
puis lors avec ces alliés ont tendu à altérer sensible-
ment leurs traits et leur teint. A l'époque où M.
Emery était gouverneur de Mombas, les Sohaïlis agri-
culteurs étaient très-pauvres. Aujourd'hui MM. Bur-
ton et Speke les ont rencontrés en grand nombre
dans l'intérieur et jusqu'aux grands lacs où ils s'en-
richissent par leur activité et par le commerce qu'ils
font concurremment avec les Arabes.
Les Wanikas ou Gens du Désert^ leurs voisins, ha-
bitent à quelques lieues dans l'intérieur des terres. Ils
1 Journ. Roy. Geog. Soc. London. III, p. 280, 281.
DE L'AFRIQUE. 87
sont d'origine nègre, mais très-mêlés de sang sémi-
tique et n'offrent pas l'apparence d'une race dégradée.
Cette double origine se trahit dans une réunion de
traits arabes pour la partie supérieure du visage avec
une physionomie nègre depuis les yeux en bas. Comme
les Gallas et les Somâlis ils ont le crâne pyramidal,
ovale, aplati sur les côtés et là où les phrénologues
placent le siège de la moralité; leur chevelure e^ lon-
gue, pendante et raide; leur front est haut, large et
saillant; d'autre part ils ont la face assez large et
plate, avec des pommettes très-saillantes, le nez, les
mâchoires et les lèvres des nègres. L'ensemble de
leur corps présente les mêmes contrastes; le torse est
d'un Arabe et les jambes d'un nègre. Chez les femmes,
une tête dont les traits sont repoussants est portée
sur un corps d'une admirable beauté. La peau est
chocolat et n'est noire que dans les cas où la mère
était une esclave noire des contrées plus méridionales.
Dans le pays montueux et froid qui s'élève à l'ouest
des Wanikas vivent les Ousambara, homme trapus
et de taille peu élevée avec une peau d'un brun clair
et un grand mélange de sang arabe. — A l'ouest des
sommités neigeuses du Kilimandjéro vivent les Masaï,
pâtres de belle taille et de couleur foncée, semblables
aux Somâlis, mais redoutés par leurs brigandages.
Depuis la côte jusqu'au bord oriental du grand lac
Tanganyika MM. Burton et Speke ont trouvé le pays
exclusivement peuplé de nègres, et ils déclarent en
même temps que les habitants des îles de ce lac sont
88 ÉTUDE SUR l'ethnographie
grands et ne différent pas des Cafres, ayant le nez plat»
les cheveux laineux et frisés, toutefois avec des lèvres
épaisses. — Ils ont remarqué que, parmi tous ces peu-
ples, les plus foncés sont les agriculteurs vivant exclu-
sivement des produits de la terre, tandis que dans le
teint des Wazaramo et des Ugogo, peuples guerriers
nourris de viande, le noir est plus clair et invariable-
ment mêlé d'une nuance rougeâtre.
Cette observation corrobore celle de M. d'Abbadie
et nous amène à résumer la longue suite des détails
que nous avons présentés sur toutes les nations con-
nues de l'Afrique. Le type nègre, tel que nous nous
le représentons, n'existe d'une manière absolue à peu
près nulle part que sur les côtes de la Guinée et sur
le Nil Blanc. Partout ailleurs il n'est qu'un fait excep-
tionnel, et la plupart des nations lui échappent tantôt
par la couleur de la peau, tantôt par d'autres traits
physiques, de manière à former une multitude d'é-
chelons créés par la sécheresse ou l'humidité du cli-
mat, par le froid ou la chaleur, par le séjour de la
plaine ou des montagnes, par l'alimentation végétale
ou animale, par des croisements, jusqu'aux nations
chez lesquelles se révèlent d'une manière incontesta-
ble le type et l'origine asiatiques et qui occupent en-
core une immense portion du continent de l'Afrique.
Les îles échappent plus encore que le continent au
type africain. C'est parce que ce fait est reconnu
pour les Comores, les Canaries, Madagascar et So-
cotra que nous nous sommes abstenus d'en parler.
DE L'AFRIQUE. 89
Loin de nous l'idée de présenter ici une classifica-
tion des nègres; puisqu'en bornant notre travail à une
tentative de délimitation nous avons vu ce but s'é-
loigner de nous à mesure que la connaissance de
l'Afrique fait des progrès. Lorsque nous voyons l'An-
glo-Américain différer déjà de la souche d'où il est
sorti, et même l'Anglais d'Australie se distinguer de
ses ancêtres par quelques traits physiques, tels, par
exemple, que l'absence du mollet, faut-il s'étonner
si les peuples étrangers à une civilisation qui semble
tout égaliser, restent entièrement soumis à l'influence
d'agents extérieurs par lesquels ils sont profondé-
ment modifiés.
P. Chaix.
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