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Full text of "Un culte dynastique avec évocation des morts chez les Sakalaves de Madagascar, le "tromba""

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UN  CULTE  DYNASTIQUE 


AVEC 


EVOCATION    DES    MORTS 


CHEZ   LES 


SAKALAVES  DE  MADAGASCAR 


UN    CULTE    DYNASTIQUE 


AVEC 


ÉVOCATION  DES  MORTS 

CHEZ    LES 

SAKALAVES  DE  MADAGASCAR 
r^i£  «  i*:ro:ivi:ba.  » 

PAR 

Henry  JRUSILLON 

DE   LA   SOCIÉTÉ   DES   MISSIONS  ÉVANGÈLIQUES   DE   PARIS 

INTRODUCTION 

PAR 

Raoul    ALLIER 

PROFESSEUR   HONORAIRE  DE  L'UNIVERSITÉ  DE  PARIS 


PARIS 

LIBRAIRIE    ALPHONSE    PICARD    et    FILS 

82,   rue  Bonaparte,    82 
1912 


INTRODUCTION 


M.  Rusillon  est  parti  de  France  en  1897  pour 

devenir,  à   Madagascar,   un   des   agents   les  plus 

dévoués  et  les  plus  actifs  de  la  Société  des  Mis- 

I  sions  évangéliques  de  Paris.    Il  a  été  à  la  tête  du 

district  de  Mahéréza  jusqu'en  1906. 

En  1904,  des  circonstances  particulières  l'ont 
appelé  dans  des  régions  où  l'apostolat  chrétien 
avait  encore  pénétré  fort  peu.  Il  en  a  profité 
^pour  entreprendre  une  sorte  d'exploration  spiri- 
tuelle dans  le  nord-ouest  de  l'île,  et  tout  particu- 
lièrement dans  le  Boina.  Il  a  fait  tout  seul  ce  pre- 
mier voyage  d'enquête  (septembre-octobre  1904). 

Il  en  a  fait  un  second  de  beaucoup  plus  longue 
durée,  de  juin  à  octobre  1907,  accompagné,  cette 
fois,  d'un  de  ses  collègues,  M.  André  Chazel. 

A  la  suite  des  constatations  rapportées  par  eux, 

il  a  reçu  la  mission  de  poursuivre  les  efforts  ainsi 

^commencés.  Et,  d'avril  1909  à  mai  1911,  il  n'a 

I  plus  quitté  ces  pays,  les  parcourant  dans  tous  les 

sens,   dépensant  ses  forces  sans   compter,   privé 
X 
K. 


6  LE   TROMBA 

souvent,  à  l'exemple  de  son  Maître,  d'  «  un  lieu 
où  reposer  sa  tête»,  connu  dans  tous  les  villages 
comme  étant  le  Blanc  à  qui  l'on  peut  aller  dire 
toutes  ses  détresses,  conquérant  par  sa  vie  d'abné- 
gation la  confiance  et  l'attachement  de  toutes 
ces  populations.  Et  quand  son  travail  lui  laissait 
quelque  loisir  (j'ai  des  raisons  de  soupçonner 
que  ces  instants  de  loisir  étaient  dérobés  sur  les 
heures  dues  au  sommeil),  il  le  consacrait  à  rédiger 
hâtivement  les  notes  prises  durant  ses  courses. 

C'est  ainsi  qu'il  a  réuni  un  dossier  d'une  valeur 
rare  sur  une  question  très  importante  et  mal 
connue. 

Il  était  dans  les  pires  conditions  pour  écrire 
un  livre  ;  il  était  sans  doute  dans  les  meilleures 
pour  en  rassembler  les  éléments.  Un  voyageur, 
en  traversant  un  pays,  peut  aisément  colliger 
des  plantes  ou  des  pierres,  observer  tels  ou  tels 
phénomènes  climatériques.  Il  n'obtient  pas,  en 
courant,  des  documents  psychologiques.  Un  séjour 
prolongé  ne  lui  suffît  même  pas  pour  cela.  Il 
faut  que  les  âmes,  au  lieu  de  se  fermer  comme 
elles  le  font  toujours  devant  un  étranger,  s'ou- 
vrent à  lui.  M.  Rusillon,  au  milieu  de  ces  popu- 
lations, n'était  pas  comme  un  pur  et  simple 
«  Vazaha  ».  Il  était  l'ami  secourable,  le  conso- 
lateur et,  malgré  toutes  les  différences  de  race, 


INTRODUCTION  7 

le  frère.  Il  a  vu  des  choses  que  le  Blanc  ne  voit 
généralement  pas,  et,  comme  il  savait  la  langue 
indigène,  il  a  pu  comprendre  des  paroles  qui, 
pour  d'autres,  auraient  été  dépourvues  de  sens. 
Et  voilà  pourquoi  le  dossier  qu'il  nous  donne 
aujourd'hui  sur  le  Tromba  a  une  valeur  exception- 
nelle. Ce  n'est  pas  une  dissertation  bâtie  sur  des 
documents  de  seconde  ou  de  douzième  main. 
C'est,  pour  sa  plus  grande  partie,  un  recueil  de 
«  choses  vues  »  ;  c'est  la  déposition  claire,  précise, 
détaillée,  d'un  témoin. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  l'on  nous 
parle  du  Tromba.  Au  fond,  c'est  du  Tromba 
qu'il  s'agit  dans  les  phénomènes  d'agitation 
plus  ou  moins  tumultueuse  qui  se  sont  produits, 
en  1863  et  1864,  sous  le  règne  de  Radama  II 
et  auxquels  l'on  a  donné  le  nom  de  Ramanenjana. 
Je  rappellerai  ces  faits  tout  à  l'heure.  Des  descrip- 
tions en  ont  été  fournies,  mais  très  sommaires 
et  insuffisantes,  dans  les  principaux  ouvrages 
sur  l'histoire  malgache.  Une  étude  assez  détaillée 
et  précise  —  la  meilleure  qui  ait  été  faite  jusqu'ici — 
a  été  publiée  en  août  1867  dans  un  recueil  médical, 
The  Edinburgh  Médical  Journal,  et  reproduite, 
en  1889,  dans  Y Antananarivo  Annual  (n°  VI, 
pages  19-27).  Il  faut  la  compléter  avec  les  détails 


8  LE   TROMBA 

donnés  par  le  P.  de  La  Vaissière  dans  son  livre, 
publié  d'après  les  notes  du  P.  Abinal  :  Vingt  ans 
à  Madagascar,  p.  228-235  (1). 

Il  est  temps  d'étudier  ces  phénomènes  en  eux- 
mêmes,  dans  leurs  caractères  spécifiques.  Il  fau- 
drait que  des  recherches,  analogues  à  celles  que 
M.  Rusillon  a  menées  à  bien  dans  la  Boina,  fussent 
entreprises  dans  les  différentes  parties  de  l'île. 
Quand  cette  enquête  générale  sera  terminée, 
il  y  aura  lieu  de  comparer  les  faits  observés 
avec  d'autres  qui  se  sont  passés  en  d'autres 
temps  et  en  d'autres  lieux.  C'est  alors  seule- 
ment —  et  à  condition  que  ces  autres  faits  aient 
été  analysés  avec  précision  —  que  la  comparai- 
son pourra  présenter  quelque  intérêt  véritable  et 
surtout  quelque  utilité  scientifique.  Jusqu'ici  l'on 
s'est  trop  préoccupé  de  rapprocher  des  mani- 
festations qui  ont,  évidemment,  des  traits  com- 
muns, mais  qui  se  sont  produites  dans  les  mi- 
lieux les  plus  divers,  et  dont  aucune  n'a  été  exa- 
minée de  très  près. 
A  propos  du  Ramanenjana  de  1863  et  1864,  on  s'est 


(1)  Le  titre  de  l'ouvrage  est  exactement  :  Vingt  ans  a 
Madagascar  :  Colonisation,  —  traditions  historiques,  —  mœurs 
et  croyances,  d'après  les  notes  du  P.  Abinal  et  de  plusieurs 
autres  missionnaires  de  la  Compagnie  de  Jésus,  par  le 
P.  de  La  Vaissière,  de  la  même  Compagnie  (in-8°,  Paris,  1885). 


INTRODUCTION  9 

phi,  non  sans  raison^  à  rappeler  les  épidémies  de 
danse  que  l'on  a  notées  au  Moyen  Age  sous  les  noms 
de  «  danse  de  Saint-Vit  ou  Saint-Guy  »  et  «  danse 
de  Saint- Jean  »,  notamment  celles  qui  se  sont 
répandues  en  Allemagne  en  1021  et  en  1278,  celle 
qui  a  sévi  avec  une  intensité  particulière  à  Aix- 
la-Chapelle  en  1274,  celle  de  «  Tarentisme  » 
qui  s'est  abattue  à  plusieurs  reprises,  et  spéciale- 
ment au  xviie  siècle,  sur  l'Italie  méridionale. 
Il  est  intéressant  de  citer  ces  phénomènes  ;  il 
est  bien  probable  qu'ils  ne  sont  pas  sans  rapports 
avec  le  Tromba  ;  mais,  avant  de  préciser  trop, 
il  serait  bon  de  nous  donner,  sur  chacun  d'eux, 
plus  de  détails  (1). 

Un  cas  récent  de  «  Tarentisme  »  collectif  a 
été  signalé  par  les  journaux  en  septembre  der- 
nier. Cette  fois,  la  description  est  assez  précise. 
J'en  citerai  les  traits  essentiels  d'après  ce  qu'en 
a  publié  le   Temps  (18  septembre  1911). 


(1)  L'enquête  qu'il  s'agit  d'ouvrir  est  probablement  plus 
vaste  qu'on  ne  pense  au  premier  abord.  Il  y  a  lieu,  par 
exemple,  de  se  demander  si  certaines  cérémonies,  qu'on  ren- 
contre ici  ou  là,  même  dans  des  religions  supérieures,  ne  sont 
pas  des  survivances  atténuées,  modifiées,  d'autres  phénomènes 
en  rapport  avec  ceux  qui  sont  étudiés  ici.  Voici,  par  exemple, 
quelques  détails  de  la  procession  de  sainte  Orosia,  à  Yebra, 
dans  le  Haut-Aragon.  Je  les  emprunte  à  une  petite  publica- 
tion, l'Etoile  du  Matin  (Janvier  1912),  qui  paraît  à  Oloron  ; 


10  LE   TROMBA 

La  scène  se  passe  dans  la  Troude  (ou  Troade), 

non  loin  de  la  petite  ville  de  Yéni-Chehr,  qui  fut 

l'antique  Sigée.  Le  témoin,  un  Anglais,  voit  ceci  : 

«  Au  milieu  d'un  groupe  de  femmes  qui  hurlent, 


le  témoin  qui  écrit  est  M.  le  pasteur  Albert  Cadier  :  «  La  pro- 
cession se  forme,  conduite  par  les  porteurs  de  croix  et  de 
drapeaux.  Au  centre,  la  châsse  s'avance  soutenue  par  quatre 
hommes.  A  demi-courbés  sous  la  châsse,  marchent  un  homme, 
une  femme,  deux  enfants  de  4  et  6  ans,  que  l'on  dit  démo- 
niaques. Dix  danseurs  précèdent  ce  groupe  douloureux.  Tenant 
dans  chaque  main  un  bâton  blanc  orné  de  pompons  multico- 
lores, ils  se  livrent  au  son  d'un  fifre  à  force  gambades,  tandis 
que  leurs  bâtons  s'entrechoquent  en  un  mouvement  rythmique.  » 
Ils  ont  des  «  chapeaux  enrubannés,  fleuris  de  fleurs  artificielles 
au  milieu  desquelles  est  planté  un  miroir.  A  leur  tête  marche 
un  petit  enfant  vêtu  comme  eux.  Encadrant  la  châsse  et  les 
danseurs,  s'avancent  en  file  indienne  des  hommes  vêtus  de 
grands  manteaux  de  bure.  Ils  sont  pieds  nus  et  tête  nue,  et 
leurs  manteaux  de  parade  sont  de  vraies  guenilles.  Chacun 
d'eux  représente  les  bergers  d'un  même  village.  Cet  honneur 
leur  revient  du  fait  que  ce  fut  à  un  berger  que  l'ange  révéla 
le  lieu  de  la  sépulture  de  Santa-Orosia.  Quant  aux  danseurs, 
ce  sont  toujours  des  jeunes  hommes  de  Yebra.  Bien  que  payés 
par  leur  municipalité,  ils  seront  largement  gratifiés  pour  leur 
peine  par  les  paysans  venus  là.  Aussi  bien  s'y  ingénient-ils  à 
souhait.  C'est  ainsi  que,  dans  l'après-midi,  ils  danseront  en 
l'honneur  de  tous  ceux  qui,  en  échange,  sauront  leur  octroyer 
de  bonnes  pièces  blanches.  Nous  pensions,  tout  naturellement, 
qu'en  arrivant  à  l'église  les  danseurs  allaient  cesser  leurs  jeux. 
Ce  fut  le  contraire  qui  eût  lieu.  En  effet,  jamais  je  n'ai  vu 
danse  aussi  frénétique  que  celle  à  laquelle  ils  se  livrèrent  dans 
ce  sanctuaire.  Le  rythme  des  bâtons,  qui  continuaient  à 
s'entrechoquer  en  cadence,  s'accéléra  au  point  qu'il  devint 
impossible  aux  yeux  de  le  suivre...  »  Il  y  a  là  des  traits  qui 
rappellent  de  façon  obsédante  d'autres  choses  vues  dans 
d'autres  circonstances.  Je  n'en  tire  aucune  conclusion.  Mais  il 
est  permis  de  dire  que  le  problème  existe. 


INTRODUCTION  11 

sanglotent  et  gesticulent,  quatre  jeunes  filles,  les 
«  possédées  »,  tordent,  convulsent  comme  des 
marionnettes  leurs  bras,  leurs  jambes  et  leur 
corps.  Deux  d'entre  elles  exécutent  une  sorte  de 
danse  ralentie,  comme  ceux  qui  ont  été  piqués 
par  la  tarentule.  La  troisième  se  jette  la  tête 
en  avant  sur  le  sol,  au  risque  de  se  briser  le  crâne  ; 
l'autre  agite  ses  membres  en  avant  et  en  arrière, 
dans  une  espèce  de  gymnastique  suédoise.  Elles 
sont  tout  essoufflées,  haletantes,  les  yeux  hagards.  » 
A  croire  les  spectateurs,  c'est  saint  Georges  qui 
tient  ces  jeunes  filles  en  son  pouvoir  et  qui  les 
contraint  à  cette  agitation. 

L'Anglais  s'informe,  et  il  apprend  que  des  crises 
de  ce  genre  se  produisent  depuis  trois  ans,  avec 
un  caractère  épidémique,  parmi  les  femmes  de 
Yéni-Chehr.  La  maladie  fait  son  apparition  tous 
les  ans  à  la  même  époque,  une  semaine  environ 
avant  la  fête  de  saint  Georges  ;  elle  arrive  à 
son  maximum  d'intensité  le  jour  de  la  fête,  puis 
diminue  progressivement  et  disparaît.  Les  gens 
du  village  expliquent  que  les  personnes  qui  souf- 
frent ainsi  ne  sont  pas  des  malades  ordinaires  : 
elles  sont  possédées  du  saint,  et  il  leur  arrive 
d'acquérir  ainsi  le  don  de  double  vue  et  la  puis- 
sance d'opérer  des  miracles.  «  Cette  année,  dit 
un  autre  témoin,  l'épidémie  s'est  considérablement 


12  LE    TROMBA 

développée.  Le  jour  de  la  Saint-Georges,  j'ai 
assisté  à  l'office  du  matin,  dans  l'église.  La  voix 
des  officiants  était  couverte  par  les  clameurs  des 
possédées.  Il  y  en  avait  plus  d'une  centaine  qui 
causèrent  un  tel  désordre  que  mes  nerfs  en  furent 
tout  ébranlés.  » 

L'Anglais  dont  je  parlais  tout  à  l'heure  a  vu 
ce  spectacle  :  «  Sous  l'icône  du  saint,  se  tenait  une 
jeune  femme,  les  cheveux  épars,  agitée  et  gémis- 
sante. Son  agitation  allait  croissant  ;  au  paroxysme 
de  la  crise,  elle  se  jeta  sur  l'icône  et  l'étreignit. 
Puis,  tout  à  coup,  elle  se  mit  à  grimper  jusqu'en 
haut  de  la  balustrade  qui  enveloppe  l'autel, 
c'est-à-dire  à  une  hauteur  d'environ  quinze  pieds, 
le  long  d'une  colonne  n'offrant  aucune  saillie. 
C'est  un  exercice  qui  aurait  fait  honneur  à  un 
acrobate  professionnel.  Quand  elle  en  eut  atteint 
l'extrémité,  une  autre  possédée  vint  l'y  rejoindre.  » 

Il  y  a  une  parenté  évidente  entre  ces  faits 
et  ceux  que  nous  raconte  M.  Rusillon.  Ce  qu'il 
ne  faut  pas,  —  et  c'est  ce  que  l'on  a  trop  fait  jus- 
qu'ici —  c'est  se  contenter  de  voir  les  similitu- 
des et  négliger  ce  qui  fait  l'originalité  de  chacun 
de  ces  ordres  de  faits.  A  chacun  d'eux  les 
croyances  mises  en  jeu  donnent  une  caractéris- 
tique spéciale.  Il  importe  d'arriver  à  déterminer 
ces  caractéristiques  différentes. 


INTRODUCTION  13 

Ce  n'est  pas  facile,  dès  qu'on  veut  sortir  des 
généralités  vagues.  Un  collègue  de  M.  Rusillon, 
M.  Pechin,  dont  le  ministère  s'exerce  au  Bet- 
sileo,  a  noté  récemment  dans  son  district  une 
maladie  qu'il  a  décrite  avec  le  plus  de  soin  pos- 
sible (1)  : 

«  On  l'appelle  ici  Bilo,  raconte-t-il  ;  un  vieil- 
lard qui  vient  de  faire  un  séjour  de  plus  de  trente 
ans  dans  le  nord  de  Madagascar  me  dit  que, 
sauf  quelques  particularités,  c'est  comme  le 
Tromba  des  Sakalaves.  En  route,  à  deux  heures 
au  sud  d'Ambositra,  nous  voyons  un  rassemble- 
ment ;  c'est  le  Bilo.  Il  y  a  là  une  personne  at- 
teinte de  cette  maladie,  qui  s'en  va  à  l'aventure 
à  travers  la  campagne  ;  parents  et  voisins  la  sui- 
vent. Un  peu  plus  loin,  encore  un  malade  ;  dans 
chaque  village  on  nous  parle  du  Bilo...  La  mala- 
die vient  du  sud  ;  depuis  quelques  jours  seule- 
ment, elle  a  fait  son  apparition  ici  et  se  répand 
comme  la  peste.  C'est  comme  une  affection  ner- 
veuse qui  atteint  tout  le  monde,  jeunes  et  vieux, 
hommes  et  femmes,  surtout  les  jeunes  gens.  Ils 
déclarent  avoir  mal  à  la  tête,  quittent  brusque- 
ment la  maison,  s'en  vont  errants,  parfois  nus, 

(1)  Journal  des  Missions   êuangéliques,   1910,  t.   I,   p.  277 
et  suiv. 


14  LE    TROMBA 

par  monts  et  par  vaux,  se  tenant  de  préférence 
auprès  des  tombeaux.  Ils  sont  agités,  secouant 
leurs  membres  et  tout  leur  corps  par  des  gestes 
nerveux,  ayant  de  temps  en  temps  leurs  mains 
jointes  derrière  le  dos  comme  si  elles  étaient 
attachées,  puis  les  dénouant  brusquement,  criant 
sans  cesse  en  haletant  :  Hiaka,  hiaka,  hiaka.  Ce 
mot  sort  de  leur  gorge  comme  un  soupir  dou- 
loureux.   » 

Citons  encore  ce  cas  décrit  par  le  même  té- 
moin :  «...  J'aperçois  une  jeune  fille  de  quatorze 
à  quinze  ans,  marchant  d'un  air  égaré,  le  front 
barré,  les  yeux  hagards,  gesticulant  d'une  fa- 
çon continue.  Elle  soulève  les  bouts  de  son  lam- 
ba  comme  pour  s'éventer,  élève  les  bras,  les 
tord,  parfois  trépigne  sur  place.  Une  dizaine  de 
femmes,  deux  ou  trois  hommes  la  suivent,  frap- 
pant des  mains.  Elle  arrive  près  d'un  tombeau 
(un  amoncellement  de  pierres  rectangulaires), 
tourne  autour,  continuant  ses  gestes.  On  lui 
donne  une  bouteille  d'eau  dont  elle  se  mouille 
le  visage,  asperge  ses  voisins.  Le  groupe  s'ac- 
croît des  passants.  Une  grosse  matrone  sort  une 
petite  glace,  la  met  en  face  de  la  malade  et  com- 
mence à  lui  faire  vis-à-vis  pour  danser,  en  sui- 
vant la  cadence  des  battements  de  mains  conti- 
nus  de  la  foule.    Les   mouvements   désordonnés 


INTRODUCTION  15> 

reparaissent.  Quelquefois  les  forces  de  cette 
enfant  paraissent  décuplées  ;  elle  frappe  le  sol 
comme  une  folle,  tourne  plusieurs  fois  sur  elle- 
même,  secoue  non  seulement  ses  membres,  mais 
le  haut  de  son  corps,  comme  si  elle  voulait  se 
tuer.  De  temps  en  temps,  elle  s'écrie  :  «  Je  suis 
malade  »,  d'un  air  triste  et  lassé.  Ou  bien  encore  :. 
«  Frappez  des  mains  plus  vite,  accentuez  la 
cadence  !  »  Et  elle  ne  cesse  de  trépigner,  se- 
couant son  lamba,  faisant  le  tour  du  tombeau. 
A  dix  minutes  de  là,  j'aperçois  la  même  scène, 
le  même  cortège  ;  il  y  a,  en  plus,  une  grosse 
caisse  pour  exciter  trois  ou  quatre  jeunes  filles 
malades.  Les  deux  groupes  se  sont  rencontrés  : 
elles  sont  là  maintenant  cinq  bacchantes  en 
proie  à  leur  folie.  Aux  excitations  des  battements 
de  mains  et  de  la  grosse  caisse,  les  jeunes  filles 
répondent  par  un  accroissement  d'excentricités.. 
L'une  se  blesse  à  la  tête  contre  les  pierres  du 
tombeau,  une  autre  se  laisse  tomber  lourdement, 
exténuée,  sur  le  sol  ;  ses  compagnes  la  soulèvent,, 
elle  retombe  ;  on  essaie  de  nouveau  de  la  sou- 
lever... » 

Si  l'on  relit  cette  description  après  avoir  étu- 
dié celles  de  M.  Rusillon,  on  est  frappé  de  plu- 
sieurs détails.  D'abord  tout  se  passe  auprès  des 
tombeaux  ;  les   «  esprits  possesseurs   »  sont  donc 


16  LE    TROMBA 

censés  être  les  esprits  de  morts,  d'ancêtres.  On 
nous  parle  d'un  miroir  ;  c'est  aussi  le  cas  dans 
bien  des  scènes  rapportées  par  M.  Rusillon. 
Enfin,  dans  un  autre  passage  que  je  n'ai  pas  cité, 
M.  Pechin  note  la  présence  de  la  fièvre  et  il  soup- 
çonne le  paludisme  de  n'être  pas  tout  à  fait 
innocent  dans  l'affaire.  Il  ne  semble  donc  pas 
que  le  vieillard  betsileo  qui  identifie  le  Bilo  avec 
le  Tromba  commette  une  erreur.  Mais  il  y  a  plus  : 
d'autres  témoins  ont  fait,  à  propos  du  Bilo,  d'au- 
tres constatations.  Ils  ont  observé  qu'avant  de 
préparer  le  chant  du  Bilo,  on  construit  une  sorte 
de  cadre  en  bois,  qui  a  l'air  soit  d'un  lit,  soit  d'une 
table,  et  auquel  on  accède  par  une  sorte  d'échelle 
spécialement  construite  pour  la  circonstance. 
Voilà  des  détails  qui  rappellent  singulièrement 
certains  de  ceux  qui  sont  fournis  par  M.  Rusil- 
lon (1).  J'ajoute  que  la  cérémonie  qui  suit  est 
assez  différente  de  celles  dont  on  trouvera  plus 
loin  la  description.  Et  j'avoue  ne  pas  savoir  très 
bien,  après  avoir  lu  ces  documents,  s'il  faut  ou 
non  identifier  le  Bilo  et  le  Tromba.  Mon  embar- 
ras augmente,  quand  je  vois  que  d'autres  témoins 
identifient  le  Bilo  et  le  Salamanga,  qui  est  bien 


(1)  Antananarivo  Animal,  VI,  p.   118-120.  Voir  plus  loin 
pages  67,  69,  70,  86,  88,  96,  104,  110. 


INTRODUCTION  17 

une  sorte  d'exorcisme,  mais  dont  les  détails  ne 
sont  pas  exactement  du  Tromba  (1).  S'agit-il 
de  phénomènes  qui  sont  bien  les  mêmes,  mais 
dont  les  divers  observateurs  n'ont  parfois  saisi 
que  tel  ou  tel  aspect  ?  Les  différences  notées  ne 
portent-elles  que  sur  des  points  tout  à  fait  secon- 
daires ?  On  ne  pourra  répondre  à  ces  questions 
qu'après  une  enquête  généralisée  et  approfondie. 

Si  les  descriptions  et  les  analyses  de  M.  Ru- 
sillon  aident  à  comprendre  un  peu  mieux  quel- 
ques-uns des  faits  rapportés  incidemment  dans 
telle  revue  ou  dans  tel  livre,  elles  jettent  une 
lumière  assez  vive  sur  l'affaire  du  Ramanenjana 
à  laquelle  je  faisais  allusion  plus  haut  et  dont  il 
est  temps  de  parler  maintenant.  Ce  que  l'on  en 
sait  de  plus  précis  —  nous  verrons  que  c'est  in- 
complet —  est  dû  à  l'étude  de  M.  A.  Davidson 


(1)  Antananarivo  Animal,  VII,  p.  267.  Le  P.  de  La  Vais- 
sière,  dans  le  livre  déjà  cité  (p.  232),  est  d'avis  que  le  Tromba, 
le  Bilo,  le  Salamanga,  le  Ramanenjana  ne  sont  qu'une  même 
maladie  désignée,  dans  les  divers  dialectes,  par  des  mots 
divers.  D'autre  part,  un  témoin,  qui  s'est  efforcé  d'étudier  de 
près  ces  phénomènes,  M.  G.  Mondain,  m'assure  que  les  Mal- 
gaches du  Centre  emploient  parfois  ces  mots  les  uns  pour  les 
autres  sans  se  rendre  un  compte  exact  des  sens  différents  que 
ces  mots  peuvent  avoir  chez  les  Sakalaves  ;  il  pense  que 
l'identification  dont  il  s'agit  est  trop  hâtive  et  suppose  une 
analyse  incomplète  des  faits. 

2 


18  LE    TROMBA 

qui  a  été  signalée  plus  haut  et  dont  nous  repro- 
duirons ici  l'essentiel  : 

«  Pendant  le  mois  de  février  1863,  les  Euro- 
péens en  résidence  à  Tananarive  entendirent 
parler  vaguement  d'une  maladie  nouvelle  et 
étrange  qui  avait  apparu  dans  la  région  du  sud- 
ouest.  Les  indigènes  l'appelaient  Imanenjana,  et 
les  danseurs  étaient  nommés  Ramanenjana,  nomj 
qui  n'éclairait  en  rien  la  nature  de  cette  affec- 
tion. De  proche  en  proche,  elle  arriva  dans  la 
capitale,  et  au  mois  de  mars  elle  y  fut  commune. 
Au  début,  on  vit  des  groupes  de  deux  ou  trois 
personnes,  accompagnées  de  musiciens,  danserj 
sur  les  places  publiques  ;  après  quelques  semai- 
nes, ces  personnes  se  comptèrent  par  centaines, 
tellement  qu'on  ne  pouvait  sortir  de  chez  soi 
sans  rencontrer  quelque  bande  de  ces  danseurs. 
La  contagion  s'étendit  rapidement  jusque  dans 
les  villages  les  plus  éloignés  de  l'Imerina  et  même* 
dans  les   chaumières  isolées. 

«  ...Les  personnes  qui  en  étaient  atteintes 
appartenaient  surtout,  mais  non  exclusivement, 
aux  classes  inférieures.  C'était  en  majorité  des 
jeunes  femmes  de  quatorze  à  vingt-cinq  ans  ;  il 
y  avait  toutefois  un  nombre  considérable  d'honv 
mes  parmi  les  danseurs,  mais  ils  ne  dépassaient 
pas  le  quart  du  chiffre  total. 


INTRODUCTION  19 

«  ...Les  malades  se  plaignaient  ordinairement 
d'un  poids  et  d'une  douleur  dans  le  péricarde, 
d'un^malaise  général,  parfois  d'une  raideur  à  la 
nuque.  Quelques-uns  éprouvaient  aussi  des  dou- 
leurs dans  le  dos  et  dans  les  membres  ;   le  plus 
souvent  il  y  avait  accélération   dans   la   circula- 
tion du  sang,  quelquefois  même  de  légers  symp- 
tômes fébriles.  Après  s'être  plaints  de  ces  malai- 
ses pendant  un,  deux  ou  trois  jours,  ils  manifes- 
taient une  agitation  nerveuse  ;  alors  si  la  moin- 
dre excitation  agissait  sur  eux,  notamment  s'ils 
entendaient  un  chant  ou  un  son  de  musique,  ils 
devenaient  incapables   de  se  maîtriser,   s'échap- 
paient,  couraient  à  l'endroit   où  la   musique  se 
faisait  entendre,  et  se  mettaient  à  danser,  par- 
fois pendant  plusieurs  heures  consécutives,  avec 
une  rapidité  vertigineuse.  Ils  balançaient  la  tête 
d'un  côté  à  l'autre  d'un  mouvement  monotone 
et  ils  agitaient  les  mains  de  haut  en  bas.  Les  dan- 
seurs ne  se  joignaient  jamais  au  chant,  mais  ils 
faisaient  entendre  fréquemment  un  profond  sou- 
pir. Les  yeux  étaient  hagards,  toute  la  physio- 
nomie avait  une  expression  indéfinissable  d'ab- 
sence, comme  si  les  malades  eussent  été  absolu- 
ment étrangers  à  ce  qui  se  passait  autour  d'eux. 
La   danse  se  -réglait  sensiblement   sur  la   musi- 
que, qui  était  toujours  aussi  rapide  que  possi- 


20  LE    TROMBA 

ble  et  semblait  ne  l'être  jamais  assez  au  gré  des 
danseurs  ;  bientôt  c'était  moins  de  la  danse  que 
du  saut.  Ils  dansaient  de  la  sorte,  à  l'étonnement 
de  tous  les  assistants,  comme  s'ils  eussent  été 
possédés  de  quelque  esprit  malin,  et  avec  une 
endurance  plus  qu'humaine,  lassant  la  patience 
et  les  forces  des  musiciens  qui  se  relayaient  fré- 
quemment entre  eux  jusqu'à  ce  qu'enfin  les  dan- 
seurs tombassent  subitement  comme  frappés  de 
mort  ;  ou  bien,  si  la  musique  venait  à  s'inter- 
rompre, ils  se  précipitaient  en  avant  comme  sai- 
sis d'un  nouvel  accès,  et  se  mettaient  à  courir 
jusqu'à  ce  qu'ils  tombassent  par  terre  dans  un 
état  d'insensibilité... 

«  Ils  aimaient  à  porter  avec  eux  des  cannes 
à  sucre.  Ils  les  tenaient  à  la  main  ou  les  mettaient 
sur  l'épaule  quand  ils  dansaient  (1).  Souvent  aussi 
on  les  voyait  évoluer  en  portant  sur  la  tête  un 
vase  plein  d'eau,  qu'ils  maintenaient  en  équili- 
bre avec  une  étonnante  dextérité.  Le  tambour 
était  leur  instrument  favori,  mais  ils  se  ser- 
vaient aussi  d'autres  instruments.  A  défaut 
d'instrument,  les  assistants  battaient  la  mesure 
avec  leurs  mains  ou  chantaient  un  air  particu- 


(1)  On  verra  plus  loin,  par  exemple  pages  82,  113,  que 
M.  Rusillon  note  une  canne  parmi  les  accessoires  ordinaires 
du  Tromba. 


INTRODUCTION  21 

lièrement  aimé  des  danseurs.  Leur  rendez-vous 
préféré  était  à  la  pierre  sacrée  d'Imahamasina, 
sur  laquelle  bien  des  souverains  de  Madagascar 
ont  été  couronnés.  Ils  dansaient  là  pendant  des 
heures  entières,  et,  avant  de  finir,  déposaient  sur 
la  pierre  une  canne  à  sucre  en  guise  d'offrande. 

«  Les  tombeaux  étaient  aussi  pour  eux  des 
lieux  favoris  de  réunion  ;  ils  s'y  rencontraient 
le  soir  et  y  dansaient  au  clair  de  lune  jusqu'après 
minuit. 

«  Beaucoup  d'entre  eux  prétendaient  être  en 
relations  avec  les  morts,  notamment  avec  la  feue 
reine  Ranavalona  Ire.  En  décrivant  plus  tard  leurs 
sensations,  ils  disaient  avoir  éprouvé  comme  celle 
d'un  cadavre  attaché  à  leur  personne,  et  dont 
tous  leurs  efforts  ne  parvenaient  pas  à  les  débar- 
rasser ;  d'autres  parlaient  d'un  poids  qui  les  atti- 
rait incessamment  en  bas  ou  en  arrière  (1).  Ils 


(1)  Quelques  passages,  que  j'emprunterai  au  P.  de  La  Vais- 
sière  (p.  229-230),  éclairciront  ces  détails.  D'après  lui,  on 
racontait  que  Ranavalona  Ire,  mécontente  de  voir  son  fils 
Radama  II  rompre  avec  sa  politique  xénophobe,  avait  résolu 
ie  venir  en  personne  le  mettre  à  la  raison.  Elle  était  partie 
iu  séjour  des  morts,  suivie  d'une  foule  d'ombres,  dont  les 
ânes  accompagnaient  seulement  leur  souveraine,  tandis  que 
i'autres  portaient  ses  bagages  :  «  Au  premier  village  qu'elles 
rencontrèrent  sur  la  route,  les  ombres  chargées  des  bagages 
passèrent  leurs  fardeaux  aux  vivants  ;  ceux-ci,  à  leur  tour,  le 
remirent  à  d'autres  au  village  suivant,  comme  cela  se  pra- 
tique encore  à  Madagascar,  où  les  colis  royaux  passent  de 


22  LE   TROMBA 

abhorraient  par-dessus  tout  les  porcs  et  les  cha- 
peaux. La  seule  vue  de  ces  objets  les  révoltait 
au  point  de  les  jeter  parfois   dans   des  convul- 

mains  en  mains,  et  de  village  en  village,  jusqu'à  ce  qu'ils 
arrivent  à  destination.  Ainsi  voyageait,  disait-on,  l'ombre 
royale.  Les  vivants  réquisitionnés  pour  la  corvée  des  bagages 
se  sentaient  tout  d'abord  saisis  d'un  violent  mal  de  tête. 
Bientôt  après  leur  apparaissaient  les  ombres  de  la  suite  de 
Ranavalona  les  entourant  de  leurs  longues  files  et  leur  assi- 
gnant un  paquet,  avec  ordre  de  le  porter  jusqu'au  prochain 
village.  Ces  pauvres  gens  tombaient  alors  dans  un  état  d'exal- 
tation extraordinaire  ;  ils  se  mettaient  à  danser  pendant  une 
journée  ou  deux  dans  leur  village  et  aux  environs,  affirmant 
qu'ils  voyaient  leur  ancienne  souveraine  et  lui  faisaient 
cortège.  Ce  temps  écoulé,  ils  revenaient  à  leur  état  ordinaire, 
et  le  village  retrouvait  la  paix.  C'est  le  12  mars  1863  que  la 
nouvelle  de  cette  étrange  contagion  fut  portée  à  Tananarive 
par  des  gens  qui  venaient  du  pays  des  Betsiléos  ;  elle  pro- 
duisit une  sensation  profonde...  Cette  impression,  alimentée 
chaque  jour  par  de  nouveaux  bruits,  alla  croissant  jusqu'au 
26  du  même  mois.  Ce  jour-là,  on  annonça  que  l'ombre  de  feue 
Ranavalona  avait  fait  son  entrée  dans  son  ancienne  capitale. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  contagion  envahit  la  ville  le  26, 
et  qu'avant  le  soir,  les  visionnaires  parcouraient  les  rues. 
Ils  se  disaient  chargés  d'un  paquet  invisible  à  tout  le  monde, 
qu'il  leur  fallait  porter  à  la  suite  de  Sa  Majesté.  Parfois  leur 
négligence  leur  attirait  de  rudes  corrections  ;  on  les  voyait 
alors  se  tordre,  et  pousser  des  cris  comme  sous  l'impression 
de  coups  violemment  administrés,  et  leurs  larmes  roulaient 
longtemps  encore  après  la  fin  du  châtiment.  Leurs  yeux 
rouges,  leurs  traits  tendus,  les  firent  appeler  par  le  peuple, 
tantôt  Ramanenjana  (de  henjana,  tendu,  raide),  tantôt 
Ramenabe  (de  mena,  rouge,  bé,  grandement),  et  comme  ils 
répétaient  sans  cesse  le  mot  maika  (pressé,  je  suis  pressé), 
on  les  appela  aussi  Ramaika.  »  A  propos  du  nom  de 
Ramenabe,  donné  à  ces  malades,  je  ferai  simplement 
remarquer  que  l'épidémie  venait  du  Menabe  et  que   les  rois 


INTRODUCTION  23 

sions  ;  elle  les  mettait  toujours  en  fureur.  Ils 
éprouvaient  également  une  vive  répulsion,  plus 
difficile  à  expliquer,  pour  la  couleur  noire.  Les 
pourceaux  sont  réputés  impurs  par  plusieurs 
tribus  malgaches,  et  l'on  s'explique  que  ces  ani- 
maux aient  pu  être  l'objet  d'une  horreur  supers- 
titieuse. D'un  autre  côté,  les  chapeaux  rappe- 
laient le  souvenir  odieux  des  étrangers  ;  mais 
comment  expliquer  cette  antipathie  à  l'égard 
d'une  couleur  ?...    » 

M.  Davidson  a  eu  raison  de  noter  ici  la  répul- 
sion éprouvée  par  les  malades  à  l'égard  des  étran- 
gers, des  «  Vazaha  ».  Il  aurait  dû  aller  jusqu'au 
bout  de  la  pensée  qui  s'était  présentée  à  son 
esprit.  Cette  répulsion  est  un  facteur  impor- 
tant de  tous  les  phénomènes.  Elle  ne  portait  pas 
seulement  contre  les  personnes,  mais  contre 
toutes  les  idées  que  ces  personnes  représentaient, 
contre  les  moeurs  nouvelles  qu'elles  prétendaient 
introduire,  contre  la  religion  qu'elles  prêchaient  (1). 

dont  les  noms  sont  le  plus  répétés  dans  les  litanies  du 
Tromba  sont  d'anciens  rois  du  Menabe.  Je  note  la  coïnci- 
dence sans  rien  affirmer  de  plus.  Cf.  plus  loin,  p.  61-62,  140. 
(1)  «  Des  Ramanenjana,  dit  3e  P.  de  La  Vaissière,  avaient 
osé  dire  publiquement  au  roi  que  sa  mère  était  venue  le 
prendre  pour  l'emmener  chez  les  morts  ;  elle  ne  pouvait 
supporter  que,  par  l'introduction  des  blancs  dans  Je  pays,  et 
par  la  tolérance  illimitée  de  leur  religion,  il  ruinât  tout  ce 
qu'elle  avait  établi  dans  le  royaume.  »  (Op.  cit.,  p.  231). 


24  LE   TROMBA 

Et  dès  que  l'on  a  compris  cela,  tout  le  reste  s'ex- 
plique, —  peut-être  même  l'horreur  de  la  couleur 
noire  et  des  pourceaux.  Ces  malades  se  sen- 
taient, disaient-ils,  sous  la  domination  d'un 
esprit.  Cet  «  esprit  »  détestait  les  nouveaux 
venus.  Il  avait  peur  d'être  exorcisé  par  eux. 
Et  il  connaissait  l'histoire  du  possédé  de  Gadara 
dont  les  démons  furent  envoyés  dans  un  trou- 
peau de  pourceaux  (1).  Les  sentiments  qu'il 
nourrissait  à  l'égard  de  ces  animaux  n'ont  rien  de 
mystérieux.  Quant  à  la  couleur  noire,  c'est  celle 
des  redingotes  portées  par  les  missionnaires  an- 
glais et  des  soutanes  qui  caractérisent  les  jésui- 
tes français. 

M.  Davidson  a  eu  raison  aussi,  dans  un  autre 
passage  :  «  Le  choix  du  voisinage  des  tombes, 
pour  les  évolutions  des  malades,  dit-il,  s'explique 
par  le  culte  des  ancêtres  et  le  respect  supersti- 
tieux des  tombeaux.  »  C'est  vrai,  mais  c'est 
trop  vague,  et  c'est  insuffisant.  La  vérité,  c'est 
que  l'esprit  qui  est  censé  s'emparer  des  malades 
est  l'esprit  même  d'un  mort,  d'un  ancêtre.  La 
réaction  contre  les  nouveautés  morales  que  les 
étrangers  apportent  monte  du  fond  même  de 
l'être  ;  elle  est  une  suggestion  de  toutes  les  pen- 

(1)  Marc  V,  1-7.  Cf.  Matth.  VIII,  28-34  ;  Luc  VIII,  26-37. 


INTRODUCTION  25 

sées,  de  toutes  les  passions,  de  toutes  les  éner- 
gies qui  sont  systématisées  dans  le  subconscient  ; 
en  un  sens,  on  peut  dire  que  la  vieille  person- 
nalité malgache  se  réveille  en  ces  malades  avec 
une  intensité  violente  et  qu'elle  les  domine.  Ils 
expliquent  naturellement  leur  état  moral  par  une 
possession,  et  ils  rôdent  autour  des  lieux  hantés 
par  ces  morts  qui  revivent  en  eux.  Et  l'on  sai- 
sit fort  bien  que,  s'ils  nomment  parfois  l'ancê- 
tre qui  s'empare  d'eux,  ils  désignent,  non  pas 
Radama  Ier,  qui  a  ouvert  le  pays  aux  étrangers, 
mais  la  reine  Ranavalona  Ire  qui  les  a  chassés  et 
qui  a  persécuté  leurs  adhérents. 

Et,  s'il  en  est  ainsi,  M.  Davidson,  comme  tous 
les  missionnaires  d'alors,  n'ont  pas  eu  tort  de 
soupçonner  que  les  adversaires  des  nouveautés 
à  l'européenne  ont  profité  de  ce  mouvement  pour 
agir  sur  l'imagination  crédule  et  la  volonté  débile 
■de  Radama  II  ;  mais  ils  ne  sont  pas  allés  assez 
loin  :  le  mouvement  même  du  Ramanenjana  a 
été  provoqué  par  une  réaction  profonde  contre 
•ces  nouveautés  ;  il  n'a  pas  été  un  instrument 
quelconque  de  cette  réaction,  il  a  été  une  forme 
active  et  puissante  de  cette  réaction  même. 

Le  Tromba,  le  Ramanenjana,  quelque  nom 
qu'on  lui   donne,   n'est  pas   une  forme    indifîé- 


26  LE   TROMBA 

rente  du  culte  des  ancêtres.  C'est  un  état  dans 
lequel  se  cristallisent  les  anciens  mobiles  auto- 
matiques et  inconscients  de  la  conduite,  dans 
lequel  s'organise  avec  force  la  résistance  à  des 
velléités  de  vie  nouvelle,  dans  lequel  l'âme  de  la 
îace,  menacée  dans  sa  constitution,  se  recrée 
sous  une  forme  passionnelle,  dans  lequel  les  pré- 
jugés d'autrefois,  les  répulsions  éprouvées,  les 
vieilles  rancunes,  les  haines  tenaces  et  dissimu- 
lées se  combinent  et  apparaissent  avec  l'autorité 
d'une  révélation  envoyée  par  les  pères.  C'est 
l'état  moral  dans  lequel  se  réfugie,  se  condense 
et  s'entretient  un  conservatisme  farouche,  un 
nationalisme  qui  peut  un  jour  s'exaspérer  et  deve- 
nir féroce  (1). 

Voilà  pourquoi  il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'en 
1895,  au  moment  de  l'occupation  de  l'île  parles 
troupes  françaises,  il  y  ait  eu  une  recrudescence 
de  Ramanenjana.  Des  cas  nombreux  en  ont  été 
signalés,  notamment  dans  le  sud-est  de  l'Ime- 
rina   (2). 

Et  voilà  ce  qui  donne,  actuellement  encore, 
une  importance  politique  à  ces  manifestations, 
Les  fêtes  que  M.   Rusillon  décrit  avec  tant  de 


(1)  Voir  plus  loin,  pages  68,  70,  75,  91. 

(2)  A  ntananarivo  Annual,  XXI,  p.  62. 


INTRODUCTION  27 

précision  reproduisent  dans  le  menu  détail  le 
rituel  de  l'hommage  que  l'on  rendait  jadis  aux 
rois  du  pays  (1).  Elles  font  plus  que  commémorer 
cet  hommage.  Elles  supposent  la  présence  réelle 
de  ces  rois  revenus  et  comme  momentanément 
incarnés  chez  les  privilégiés  que  le  Tromba  a  saisis. 
C'est  par  là  qu'elles  peuvent  être  l'expression 
religieuse  et  le  dernier  asile  de  tout  ce  qui  est 
antieuropéen,  antifrançais.  Les  indigènes  qui 
les  célèbrent  ne  s'en  doutent  pas  toujours  ; 
ils  ne  s'en  doutent  peut-être  presque  jamais. 
Mais  ce  qu'ils  y  vont  chercher,  c'est  la  commu- 
nion avec  l'âme  antique  de  leur  race.  Ils  y  font, 
sans  s'en  rendre  compte  clairement,  mais  avec 
application  et  ferveur,  un  effort  suivi  pour  sentir 
renaître  en  eux  ceux  dont  ils  tiennent  la  vie, 
pour  rester  en  contact  avec  les  vieux  chefs  dis- 
parus et  toujours  aimés,  pour  en  recevoir  des 
révélations  et  des  mots  d'ordre.  Telles  circons- 
tances peuvent  se  produire  où  les  sentiments  qui 
feront  explosion  ne  seront  pas  ceux  que  le  gou- 
vernement de  la  colonie  souhaite  de  provoquer. 
Qui  saurait  dire  quel  commandement  de  révolte 
ces  consciences  obscures  risqueront  de  sentir  en 
elles  et  d'attribuer  à  la  parole  vénérée  des  ancê- 

(1)  Voir  plus  loin,  pages  60,  71-74,  88. 


28  LE   TROMBA 

très  ?  Les  hostilités  sourdes,  latentes,  à  peine 
perçues  par  celui-là  même  qui  les  ressent,  sont 
toujours  à  la  veille  de  prendre,  dans  le  Tromba, 
la  forme  d'une  passion,  la  force  d'une  sugges- 
tion irrésistible. 

Alors,  que  faire  ?  Proscrire  ces  cultes  comme 
périlleux,  les  exterminer  ?  La  seule  pensée  d'une 
telle  mesure  est  odieuse.  Elle  ne  saurait  agréer 
qu'aux  hommes  pour  qui  les  questions  d'ordre 
spirituel  ne  se  résolvent  que  par  la  force.  Rien 
n'autorise  à  traiter  comme  un  délit  la  pratique 
de  ces  cultes  aussi  longtemps  qu'ils  ne  donnent 
pas  lieu  à  des  désordres  ou  à  des  rébellions  con- 
tre l'autorité  de  la  France.  Aussi  bien  serait-il 
dangereux  de  les  traquer.  Ils  se  cacheraient  dans 
la  brousse,  et  l'on  peut  être  sûr  que  les  sugges- 
tions qui  se  produiraient  dans  ces  consciences 
irritées  ne  seraient  pas  faites  d'amour  enthou- 
siaste pour  les  «  Vazaha  »  vainqueurs  (1).  Le  plus 
simple  est  de  les  surveiller,  sans  taquinerie  vexa- 
toire,  et  d'écouter  les  mots  d'ordre  qui  sont  vati- 
cines par  les  revenants  invisibles  et  présents. 

Ce  qui  importe  ensuite,  c'est  de  se  souvenir 
de  l'aphorisme  qu'Auguste  Comte  se  plaît  à 
répéter  sans   cesse   :    «  On   ne  supprime  que  ce 

(1)  Voir  plus  loin,  page  176. 


INTRODUCTION  29' 

qu'on  remplace.  »  Les  phénomènes  du  Tromba 
ne  cesseront  qu'au  jour  où,  dans  les  âmes,  d'au- 
tres sentiments  actifs,  d'autres  forces  passion- 
nelles auront  succédé  à  la  religion  ancestrale. 
Quelles  seront  ces  forces  ?  Il  est  loisible  à  la 
libre-pensée  militante  d'essayer  de  communiquer 
à  ces  âmes  une  doctrine  de  vie.  Mais,  il  est  loi- 
sible aussi  à  des  hommes  religieux,  par  exemple 
à  des  chrétiens,  de  quelque  confession  qu'ils 
soient,  d'entreprendre  la  même  tâche.  Libre-pen- 
sée et  christianisme  ont  droit  à  la  même  liberté. 
Ni  l'un  ni  l'autre  n'a  droit  à  autre  chose.  L'ad- 
ministration n'est  qualifiée  pour  soutenir  ni  une 
propagande  religieuse  ni  une  propagande  anti- 
religieuse. Quand  elle  accorde  un  privilège  à 
l'athéisme  ou  à  l'Evangile,  elle  se  mêle  de  ce 
qui  ne  la  regarde  pas.  Mais  il  sera  bien  permis 
de  dire  qu'elle  trahit  son  mandat,  quand  elle 
affecte  de  traiter  avec  une  faveur  imprudente 
l'adoration  des  anciens  rois  (1)  et  qu'elle  accable 
de  vexations  l'exercice  public  du  culte  chrétien. 
Il  y  a  là  une  injustice  et  une  absurdité. 

La  propagande  chrétienne,  en  elle-même, 
n'intéresse  pas  les  pouvoirs  publics  ;  et  ceux-ci 
n'ont  pas  à  prendre  parti  pour  elle  et  à  l'ap- 

(1)  Voir  plus  loin,  page  72. 


30    '  LE   TROMBA 

puyer.  Mais  il  faut  être  aveugle  pour  ne  pas  dis- 
tinguer que,  dans  la  mesure  où  elle  réussit,  elle 
met  fin  à  l'action  profonde  du  passé  dans  les 
âmes,  à  l'envoûtement  toujours  menaçant  des 
ancêtres.  Ce  n'est  pas  une  raison  pour  lui  confé- 
rer le  moindre  patronage  ou  privilège  ;  mais  c'en 
est  une  de  se  souvenir  de  la  liberté  qu'on  lui  doit 
pour  autant  qu'elle  se  conforme  à  la  loi  et  qu'elle 
ne  commet  rien  contre  l'ordre  public.  Et  il  ne 
faut  pas  appeler  loi  les  fantaisies  de  l'arbitraire 
administratif.  Ge  n'est  pas  une  loi  digne  de  ce 
nom,  celle  qui  ne  dit  pas,  en  un  texte  formel,  ce 
qui  est  permis  et  à  quelles  conditions  cela  est 
permis  (1). 

Les  cérémonies  auxquelles  le  Tromba  donne 
lieu  se  célèbrent  sans  aucune  autorisation  préa- 
lable et  dans  n'importe  quel  local.  Pourquoi  une 
prédication  de  l'Evangile  est-elle  un  délit  si,  dans 


(1)  Pour  glus  de  détails,  je  renvoie  le  lecteur  à  ma  bro- 
chure. Les  vexations  de  la  liberté  de  conscience  à  Mada- 
gascar (publication  du  «  Comité  pour  la  défense  de  la  liberté 
de  conscience  et  de  culte  à  Madagascar  »,  6,  rue  Schœlcher, 
Paris,1909).  Voir  aussi  la  brochure  de  M.  Paul  Viollet,  membre 
de  l'Institut  :  La  liberté  de  conscience...  à  Madagascar, 
(L.  de  Soye,  18,  rue  des  Fossés-Saint- Jacques,  Paris,  1908). 
Les  faits  racontés  dans  ces  brochures  se  sont  passés,  non  pas 
sous  le  gouverneur  général  actuel,  M.  Picquié,  mais  sous  son 
prédécesseur,  M.  Augagneur.  Ils  n'ont  été  rendus  possibles 
que  par  l'absence  de  toute  loi.  Le  manque  de  garanties  contre 
l'arbitraire,  même  quand  l'arbitraire  ne  sévit  pas,  est  le  mal. 


INTRODUCTION  31 

un  village  qui  n'a  ni  temple  ni  église,  elle  se  fait 
dans  la  case  d'un  simple  particulier  ?  Des  cen- 
taines  d'hommes   et   de  femmes   peuvent   libre- 
ment parler  autour   de   quelques   individus    qui 
se  trémoussent  en  se  disant  possédés  par  l'esprit 
d'un  mort   :   pourquoi  traite-t-on   en  coupables 
des  gens  qui  se  sont  réunis,  à  cinq,  dix  ou  vingt, 
pour  lire  le  Sermon  sur  la  Montagne  ou  chanter 
un  psaume  ?  Des  foules  excitées  se  presseront 
sans  être  inquiétées  autour  des  Doany,  égorge- 
ront des  bœufs,  s'empliront  d'alcool,  feront  tous 
les  vacarmes  possibles:  pourquoi  quelques  chré- 
tiens ne  pourront-ils  ouvrir  un  lieu  de  culte  que 
si  l'administration  consent   à  les  y  autoriser   ? 
Pourquoi  celle-ci  ne  veut-elle  ni  spécifier  dans 
quels  cas  cette  autorisation  sera  de  droit  ni  moti- 
ver ses   refus    ?   Les  adorateurs   des   vieux   rois 
entretiendront  aussi  bien  qu'ils  le  voudront  leurs 
sanctuaires  ;   ils   les   répareront   à  leur  guise  et 
aussi   souvent    qu'il   le   faudra    :    pourquoi    des 
chrétiens  ne  peuvent-ils  refaire  la  toiture  ou  un 
mur   d'une   chapelle   sans   avoir   mendié   l'agré- 
ment de  fonctionnaires  qui  ont  trop  souvent  l'air 
de  trouver  la  requête  importune  ou  même  imper- 
tinente ? 

Un  tel  régime  n'est  pas  seulement  un  démenti 
à  tous  les  principes  dont  notre  démocratie  a  la 


32  LE    TROMBA 

prétention  de  s'inspirer  (1)  ;  il  est  contraire  aux 
intérêts  les  plus  évidents  de  la  France.  Les  pauvres 
sectaires  qui  l'ont  inventé  ne  sauraient  compren- 


(1)  Il  est  bon  qu'on  sache  quelle  caricature  de  ces  principes 
a  été  présentée  trop  souvent  aux  indigènes.  Je  citerai  quelques 
passages  dans  un  article  intitulé  :  Ennemis  de  la  France  et 
publié,  le  13  mars  1908,  par  un  journal  officieux  écrit  en  mal- 
gache, le  Mijoha  Madagascar  : 

«  Depuis  que  Madagascar  est  devenue  colonie  française,  la 
France,  notre  chère  mère,  n'a  pas  cessé  de  nous  traiter  comme 
ses  enfants.  Il  nous  a  été  montré  clairement  ce  que  la  France 
demande  de  nous  et  ce  que  le  gouvernement  de  la  République 
veut  que  nous  soyons...  Presque  tous  les  Malgaches  disent 
qu'ils  aiment  la  France.  Et  cependant,  il  est  triste  à  dire 
qu'il  y  a  encore  des  Malgaches  notables,  intelligents,  intendants 
des  églises,  qui  font  semblant  d'aimer  la  France  et  qui, 
pourtant,  la  haïssent... 

«  Qu'est-ce  qu'aimer  ?  N'est-ce  pas  écouter,  approuver, 
honorer  la  volonté  de  celui  qu'on  aime?...  Si  nous  n'écoutons 
pas  la  volonté  de  la  France,  nous  sommes  ses  ennemis. 

«  Ils  sont  nombreux,  ces  Mpitandrina  (chefs  de  paroisse), 
ces  fonctionnaires,  ces  gouverneurs  qui  semblent  se  couvrir 
de  ce  prétexte  :  «  Liberté  de  conscience  pour  tous  ;  nous 
pouvons  donc  suivre  la  prière  que  nous  voudrons...  » 

«  Qui  pourrait  croire  que  tel  Mpitandrina,  tel  fonctionnaire, 
tel  gouverneur  aime  la  France,  s'ils  ne  suivent  pas  la  volonté 
de  la  France  et  s'ils  ne  font  pas  ce  que  le  gouvernement  et 
ses  représentants  veulent  qu'ils  fassent... 

«  C'est  donc  à  vous  d'abord  que  je  m'adresse,  employés  du 
gouvernement...  Ne  faites  pas  semblant  d'aimer  la  France... 
alors  que  vos  actes  crient  le  contraire...  N'allez  pas  invoquer 
la  liberté  de  conscience,  car  cela  ne  déguisera  pas  le  peu  de 
cas  que  vous  faites  de  la  volonté  du  gouvernement.  Il  est 
clair  que  le  gouvernement  ne  veut  pas 'de  l'union  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat,  et  cependant  vous  allez  encore  chez  les  Révérends 
Pères  et  chez  les  Missionnaires  protestants. .. 

«  Quant  à  vous,    Mpitandrina,    employés   de   paroisse..., 


INTRODUCTION  33 

dre  ces  vérités  élémentaires.  Ils  n'étudient  rien  ; 
ils  ne  s'intéressent  qu'aux  moyens  de  satisfaire 
leurs  haines  vulgaires.  Il  faut  sans  doute  leur  par- 
donner beaucoup,  leur  responsabilité  étant  très 
atténuée  par  leur  ignorance. 

En  dépit  des  outrages  auxquels  l'on  s'expose, 
de  l'indifférence  ou  des  lâchetés  auxquelles  on  se 
heurte,  du  prix  dont  on  risque  de  payer  cette 
audace,  c'est  servir  la  France  que  de  lutter,  contre 
ce  triste  fanatisme,  pour  la  liberté  de  conscience 
et  de  culte  à  Madagascar.  Et  tant  qu'il  y  aura 
des  hommes  pour  soutenir  ce  combat,  le  ridicule 
qui  pèse  sur  notre  pays  devant  les  étrangers  qui 
savent  sera  un  peu  diminué  ;  c'est  toujours  une 
consolation. 

Je  me  permets  d'en  espérer  une  autre:  l'acte 
noble  d'un  gouverneur  général  qui  aura  le 
courage  de  rompre  en  visière  avec  un  fanatisme 
par  trop  grossier  et  qui,  appuyé  par  un  ministre 
des  colonies  avisé,  fondera,  par  un  arrêté  rédigé 
en  quelques  lignes,  un  régime  de  liberté  réglée 
et  garantie.  Je  crois  trop  en  mon  pays  pour  ne  pas 


prenez  garde  au  proverbe  :  «  Pour  vivre  avec  la  reine,  il 
faut  se  soumettre  à  ses  lois  »...  Tous  ceux  qui  sont  attachés 
au  gouvernement  de  la  République  sont  opposés  aux 
Missions...  Ne  mettez  donc  pas  en  avant  la  liberté  de 
conscience,  mais  faites  ce  que  veut  le  gouvernement.  » 

3 


34  LE   TROMBA 

attendre  avec  confiance  cette  revanche  du  bon 
sens  et  de  la  justice  ;  et,  au  moment  de  déposer 
la  plume,  je  suis  heureux  d'avoir  enfin  des 
raisons  de  penser  que  cette  confiance  patriotique 
ne  sera  pas  déçue  et  que  le  triomphe  des 
principes  n'est  peut-être  plus  lointain. 

Raoul  ALLIER. 


AVERTISSEMENT 


Le  travail  qui  suit  n'a  pas  été  écrit  dans  un 
but  littéraire.  Il  n'est  pas  davantage  le  fruit  de 
quelques  hâtives  observations.  Il  a  été  rédigé 
après  l'examen  de  nombreux  cas  qui  se  sont 
échelonnés  sur  plusieurs  années  et  après  des 
recherches  poursuivies  auprès  des  malades  gué- 
ris ou  des  possédés  affranchis.  On  n'a  pas  la 
prétention  de  dire  que  le  sujet  soit  épuisé.  Il  y 
aura  toujours,  d'ailleurs,  une  part  d'imprévu  et, 
par  conséquent,  de  nouveauté  dans  les  cérémo- 
nies dont  nous  nous  proposons  de  parler  ;  sou- 
vent aussi  elles  diffèrent  dans  les  détails  d'une 
région  à  l'autre  et  même  d'un  clan  à  l'autre. 

Seul  un  médecin,  doublé  d'un  psychologue, 
serait  qualifié  pour  donner  à  cette  étude  toute 
la  valeur  désirable.  Le  médecin  de  colonisation, 
qui  est  indigène,  pourrait  donner  des  renseigne- 
ments sûrs  et  se  montrer  capable  d'appréciations 
justes  ;  mais  s'il  n'est  pas  lui-même  influencé 
par  les  erreurs  de  ses  compatriotes,  il  est  confiné 


36  LE   TROMBA 

dans  son  travail  ;  ses  fonctions  ne  lui  laissent 
pas  la  liberté  de  faire  des  observations  qui  ont 
besoin  d'être  multipliées  et  contrôlées  les  unes 
par  les  autres.  Pour  nous,  nous  avons  essayé  de 
suivre  la  vérité  d'aussi  près  que  possible. 

Sans  nous  interdire  de  prendre  nos  exemples 
dans  les  régions  diverses  où  nous  avons  pu  re- 
cueillir les  faits,  nous  nous  en  tiendrons  géné- 
ralement à  ce  que  nous  avons  vu  dans  le  pays 
dénommé  Boina  ou  Boeny,  qui  forme  la  presque 
totalité  du  nord-ouest  de  l'île.  Au  reste,  il  serait 
arbitraire  de  vouloir  fixer  une  barrière  à  des 
phénomènes  qui,  par  leur  essence  même,  passent 
par  dessus  les  frontières,  et  ne  connaissent  ni 
race,  ni  sexe,  pas  même  l'âge. 

Pour  décharger  le  récit  d'incidentes,  d'expli- 
cations nécessaires,  nous  ajoutons  un  très  court 
lexique  et  quelques  étymologies  à  ce  travail.  Le 
lecteur  y  gagnera  d'apprendre  un  petit  nombre 
de  mots  indigènes  et  de  marcher  plus  vite  dans 
le  dédale  des  idées  malgaches  (Hova  ou  Saka-: 
laves).  Il  rencontrera  quelques  répétitions,  mais 
quand  elles  ne  sont  pas  un  simple  rappel,  elles; 
correspondent  à  une  idée  ou  à  une  situation, 
nouvelle. 

Marovoay,    31    décembre    1910, 


JÊsP/ë& 


ILE   DE 

[ÂDAGASCAR 


Wvrorrtlava-Jr 


0 


■       ±Slt       0ARA  # 

W1"~-  CARTE  ETHNOGRAPHIQUE 

-i  Zone  d'/nf/uence 


&e/«i 


"■  ^  | ]  Zcwe  cf/nf/uen, 

J-nmimst    '-  ' '    ^A"/aKe ■ 

N  v>    .'  \     -  Fark.-Sàuprim  Divisions  approx, 

:.:.y.  ■  des  différentes  régions. 


Zone  d"/nf/uence 
Sakalave . 

Divisions  approximatives 
'.rentes  régions. 


CARTE    DE    MADAGASCAR 

démontrant  la  zone  d'influence  de  la  race  Sakalave 


CHAPITRE   PREMIER 


LES    ORIGINES 


d'une  tribu  et  de  son  culte 


L'origine  du  peuple  sakalave,  qui  occupe  toute 
la  partie  ouest  de  Madagascar,  est  entourée  du 
plus  profond  mystère  en  dépit  de  quelques  indi- 
cations données  par  Flacourt  (1661)  et  Drury 
(1687-1743).  Les  traditions  orales,  généralement 
ornées  de  traits  légendaires  et  conservées  par  des 
vieillards  dont  c'est  toute  la  gloire,  quelques  cou- 
tumes religieuses  et,  en  particulier,  le  Tromba 
sont  tout  ce  qu'on  a  pour  essayer  de  soulever 
un  peu  le  voile  derrière  lequel,  du  reste,  il  n'y 
a  peut-être  rien   de  spécialement  intéressant. 

Ce  serait  une  erreur  que  de  considérer  les  Sa- 
kalaves  comme  formant  une  grande  tribu  homo- 
gène.   Non  seulement  ils   sont   divisés   en   deux 


38  LE   TROMBA 

groupes  dénommés  d'après  leur  habitat  :  le  Me- 
nabe  et  le  Boina  —  l'Ambongo  étant  compris 
souvent  dans  l'une  ou  l'autre  région  ou  partagé 
entre  elles  —  ;  mais  ils  forment  une  mosaïque 
de  petites  tribus  qui  ont  été  toutes  plus  ou 
moins  indépendantes  les  unes  des  autres  et  sou- 
vent en  guerre  ouverte  les  unes  avec  les  autres. 
Ils  ne  représentèrent  jamais  une  peuplade  uni- 
que et  relativement  nombreuse,  même  avant 
l'arrivée  des  Antalaotsy  ;  et  ces  derniers  durent 
renoncer  à  mettre  la  main  sur  eux  et  à  les  réduire 
en  esclavage. 

Le  nom  même  qu'on  leur  donne  aujourd'hui 
est  celui  d'une  tribu  originaire  du  sud  et  qui,  par 
son  courage,  sa  volonté,  aidée  sans  doute  des 
circonstances,  sut  s'imposer  à  ses  voisines  et  peu 
à  peu  les  subjuguer. 

Les  Sakalaves  commencèrent  leur  marche 
conquérante  vers  la  fin  du  xive  siècle  sous  la 
conduite  d'un  certain  Andrianalimbe.  Mais  si  l'on 
trouve  ce  nom  ici  et  là  dans  les  travaux  de  plu- 
sieurs malgachisants,  il  est  impossible  d'en  re- 
trouver la  trace  dans  les  traditions,  du  moins 
dans  celles  que  nous  avons  pu  nous  faire  conter. 
Parmi  les  esprits  se  révélant  par  le  Tromba,  on 
trouve,  mais  rarement,  un  certain  Andriamai- 
zimbe  qui  pourrait  bien  être  Andrianalimbe,  les 


ORIGINE    D'UNE    TRIBU  39 

deux  noms  ayant  un  même  sens  et  Andria- 
maizimbe  étant  considéré  comme  le  Tromba  le  plus 
lointain,  si  ce  n'est  le  plus  renommé.  C'est  son 
fils  ou  petit-fils  qui  accentua  le  caractère  conqué- 
rant de  la  tribu  ;  mais  celui-ci  aussi  —  Àndria- 
mandazoala  —  est  absolument  inconnu  ;  on 
le  retrouve,  cependant,  mentionné  dans  les  céré- 
monies du  Tromba  où  il  est  considéré  comme  un 
Moasy  guérisseur  remarquable,  et  même  comme 
un  Zanahary  an  Hiboka  ou  «  dieu  dans  le  ciel  ». 

En  réalité,  la  tradition  ne  remonte  pas  plus 
haut  qu'Andriamisara  ;  et  encore  à  son  sujet  y 
a-t-il  des  hésitations.  Pour  les  uns,  Andriami- 
sara  est  sorti  de  la  mer  et  s'est  imposé  à  la  tribu 
sakalave.  Il  en  fit  une  tribu  invincible.  Pour 
d'autres,  il  est  descendu  du  ciel  et,  son  œuvre 
accomplie,  il  y  est  remonté.  Une  troisième  hypo- 
thèse —  indigène,  elle  aussi  —  est  fondée  sur 
des  raisons  religieuses  et  étymologiques.  Andria- 
misara  serait  un  Ombiasy  qui  suivait  le  roi  d'une 
tribu  du  sud  et  qui,  par  ses  ody,  lui  assurait  la 
victoire.  A  la  mort  du  roi,  il  en  aurait  pris  la 
place.  Quant  à  son  nom,  il  le  devrait  à  son  habi- 
tude de  rechercher  sans  cesse  et  d'acheter  per- 
pétuellement de  nouveaux  ody  (Sara  :  achat  ; 
misara  :  acheter  ;  andriana  :  noble,  grand).  De 
son  vrai  nom  il  s'appelait  Tofotra  :  mot  traduit 


40  LE    TROMBA 

en  hova  par  Tafita  et  en  français  par  «  a  passé  » 
sous  entendu  :  «  la  mer  ».  De  ce  récit,  transmis  par 
une  tradition  ou  inventé  de  toutes  pièces,  il  y 
a  lieu  de  rapprocher  les  aventures  de  Drury  qui 
sut  jouer,  à  l'occasion,  le  rôle  de  sorcier.  Enfin 
on  déclare  qu'Andriamisara  était  blanc,  ce  qui 
aide  à  croire  que  les  premières  indications  ne 
sont  point  de  pure  imagination.  Il  est  arrivé  en 
plus  d'une  circonstance  que  des  voiliers  firent, 
naufrage  sur  les  côtes  inhospitalières  de  notre 
île  et  que  tels  individus  purent,  à  force  d'audace 
et  d'habileté,  ou  simplement  profitant  de  l'igno- 
rance du  noir,  s'imposer  comme  chefs  de  clan. 

Il  semble  bien,  dans  tous  les  cas  (qu'il  s'agisse 
des  trois  personnages  indiqués,  ou  d'un  seul  d'en- 
tre eux),  qu'ils  étaient  d'origine  européenne  ou 
au  moins  arabe.  Drury  raconte  avoir  vu  une 
princesse  blanche;  et  aujourd'hui  encore  la 
suprême  preuve  qu'on  donne  comme  décelant  le 
Sakalave,  c'est  son  teint  cuivré,  c'est-à-dire  for- 
tement hâlé.  Cela  réduit  le  nombre  des  membres 
de  la  tribu  à  bien  peu  de  chose  et  indique  sa  puis- 
sance d'assimilation. 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  d'entreprendre  une 
discussion  au  sujet  de  l'étymologie  du  mot  Saka- 
lava.  Il  n'est  lui-même  pas  plus  vieux  que  les 
conquêtes  de  ceux  qui  le  portent.   Peu  à  peu  il 


ORIGINE    D'UNE    TRIBU  41 

remplaça  les  noms  des  diverses  tribus  subju- 
guées ;  de  ces  noms,  beaucoup  sont  parvenus  jus- 
qu'à nous  ;  et  l'on  retrouve  des  individus  qui  les 
portent  et  même  se  réclament  de  droits  plus 
anciens  que  ceux  des  rois  sakalaves. 

Ce  fut  d'abord  le  Menabe  qui  fut  envahi  par 
le  fils  ou  petit-fils  d'Andriamisara  :  Andrian- 
dahifotsy.  Celui-ci  eut  des  fils,  craignit  pour  sa 
couronne  chèrement  acquise  ;  et  il  envoya  plus 
au  nord  celui  de  ses  enfants  qui  lui  paraissait  le 
plus  à  craindre  ou  le  plus  entreprenant.  Andria- 
mandisoarivo  est  son  nom.  Ce  fut  la  conquête 
du  Boina.  A  son  tour  Andriamandisoarivo  en- 
voya ses  fils  plus  au  nord;  et  c'est  ainsi  que,  de 
Tuléar  jusqu'à  la  montagne  d'Ambre,  s'établit 
l'hégémonie  sakalave.  Ce  fut  pendant  plus  d'un 
siècle  une  longue  série  de  combats  où  même  les 
Arabes,  fortement  installés  sur  la  côte,  à  l'embout 
chure  de  la  Mahavavy,  furent  vaincus. 

Andriamandisoarivo  mourut,  laissant  un  nom 
aimé  et  respecté.  On  voua  un  culte  à  sa  mémoire, 
comme  il  avait  voué,  de  son  vivant,  un  culte  à 
ses  ancêtres.  Il  avait  conservé  les  cheveux,  les 
ongles,  quelques  ossements  de  son  père,  qui  lui- 
même  en  avait  quelques-uns  d'Andriamisara. 
Son  fils  Andrianamboniarivo  recueillit  ces  re- 
liques, en  y  ajoutant  les  restes  de  son  père.  Ses 


42  LE   TROMBA 

propres  restes  devaient  être  un  jour  traités  avec 
autant  de  vénération,  et  ce  sont  ces  débris  qui 
forment  le  quatuor  d'idoles  nationales  connues 
aujourd'hui  sous  le  nom  unique  d'  «  Andriami- 
sara   efa-dahy    ». 

Il  serait  sans  intérêt,  pour  l'objet  qui  nous 
occupe  ici,  de  continuer  cette  nomenclature  des 
rois  sakalaves  ;  mais  il  était  nécessaire  de  rap- 
peler comment  s'est  développée  cette  petite  tribu 
dont  les  chefs  peuplent  aujourd'hui  l'Olympe 
Sakalave,  sont  servis,  invoqués,  à  l'égal  de  Dieu 
même  dont,  en  dépit  de  timides  dénégations,  ils 
ont  pris  le  nom  et  la  place. 


CHAPITRE  II 


LES  LOLO  OU  ESPRITS 


La  croyance  aux  esprits  et  aux  sorts  est  le 
fond  même  de  la  théodicée  malgache.  Tous  les 
événements  de  la  vie,  bons  ou  mauvais,  plus  en- 
core les  mauvais  que  les  bons,  sont  soumis  à 
l'influence  mystérieuse  des  esprits.  Les  Mo  sont 
partout  :  sur  la  terre,  sous  la  terre,  dans  l'eau, 
sur  l'eau,  dans  la  forêt,  dans  la  rivière,  dans  l'air  ; 
tels  arbres,  telles  montagnes  sont  particulièrement 
habités,  et  presque  toujours  le  Mo  est  un  ancê- 
tre. C'est  généralement  après  plusieurs  généra- 
tions que  l'ancêtre  est  appelé  Zanahary  (créa- 
teur) ;  et  ce  nom  est  ordinairement  réservé  aux 
aïeux  qui  se  sont  spécialement  distingués  pen- 
dant leur  vie  ou  que  la  légende  a  parés  des  qua- 
lités les  plus  propres  à  les  faire  admirer. 


44  LE   TROMBA 

Donc  si  unfait  anormal  se  produit,  c'est  qu'un  lolo 
l'a  jugé  convenable,  soit  pour  rappeler  à  l'ordre 
un  individu  coupable  de  mépriser  les  Fady,  soit 
pour  attirer  l'attention  sur  lui-même.  La  maladie 
n'a  pas  d'autre  explication,  et  même  le  vice 
trouve  là  une  excuse.  Un  ivrogne,  à  qui  le  mis- 
sionnaire adressait  des  exhortations,  répondait, 
sans  qu'il  fût  possible  de  suspecter  sa  sincérité  : 
«C'est  vrai;  je  souffre  et  je  suis  malheureux, 
mais  ce  n'est  pas  moi  qui  veux  boire,  je  suis 
frappé  par  le  lolo.  »  Et  c'est  ainsi  qu'il  expli- 
quait son  abjection,  son  impuissance  à  résister. 
Un  autre  s'était  emparé  de  sa  volonté. 

On  rencontre  aussi  l'idée  d'une  certaine  mé- 
tempsycose. Les  caïmans  sont  divinisés,  non  pas 
comme  dieux  spéciaux,  mais  comme  étant  la 
demeure  des  ancêtres.  Souvent  le  Sakalave  est, 
à  sa  mort,  coulé  au  plus  profond  de  la  rivière  ; 
ce  fut  surtout  la  coutume  pour  les  anciens  chefs. 
Aujourd'hui  encore  certains  individus  préten- 
dent être  en  rapports  avec  eux.  Dès  lors  on  ne 
s'étonne  pas  que  le  crocodile  soit  particulière- 
ment respecté.  Le  bœuf  aussi  a  une  part  de  véné- 
ration, mais  il  doit  avoir  les  quatre  pieds  blancs, 
ainsi  que  la  queue,  et  une  étoile  sur  le  front. 
Dans  les  cérémonies  de  Tromba  ou  «  joro  velo- 
na  »,  il  sera  prié  en  longues  formules  embrouil- 


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LES    «    LOLO    »  45 

lées  où  reviennent  tous  les  noms  des  ancêtres 
connus  et  qui  sont  censés  habiter  le  bœuf.  Occa- 
sionnellement, d'autres  bêtes  ou  reptiles  sont 
désignés  comme  possédant  des  lolo  ;  mais  ce 
n'est  généralement  que  pour  un  temps  très  court. 

L'esprit  de  l'homme  lui-même,  ce  que  le  Sa- 
kalave appelle  «  dzeri»  et  le  Hova  «  fanahy  »,  peut 
se  séparer  de  l'individu,  être  saisi  par  les  lolo 
et  s'en  aller  errer  à  droite  et  à  gauche.  A  cet 
égard,  les  idées  malgaches,  et  pour  cause,  sont 
extrêmement  flottantes.  On  dit  couramment 
d'un  enfant  qu'il  n'a  pas  encore  de  fanahy  ou 
de  dzeri,  ou  d'un  homme  qui  n'agit  plus  sui- 
vant les  règles  ordinaires  ou  d'après  ses  habi- 
tudes, qu'il  est  «  very  fanahy,  »  c'est-à-dire  qu'il 
a  perdu  l'esprit,  seul  son  corps  reste,  il  est  sans 
âme. 

Il  y  a  même  des  accidents  qu'on  redoute  spé- 
cialement, car  ils  mènent  à  la  mort.  Si  un  homme 
a  perdu  son  double:  ambiroa,  c'est  qu'un  lolo 
s'est  emparé  de  sa  vie.  Il  convient  alors  d'agir 
promptement  pour  rentrer  en  possession  du 
précieux  bien,  h' ambiroa  est  visible.  Si,  mar- 
chant sur  une  route  très  blanche  ou  au  bord 
de  l'eau,  vous  regardez  votre  ombre,  vous  cons- 
tatez qu'il  y  a  une  deuxième  ombre  plus  indécise, 
ou  pénombre,    elle  s'appelle   ambiroa.  Dans   cer- 


46  LE    TROMBA 

taines  conditions  de  lumière,  elle  peut  dispa- 
raître ;  et  c'est  ce  phénomène  si  simple  qui  est 
considéré  comme  un  présage  du  plus  redoutable 
des  malheurs. 

L'ombre  (tandindona)  est  appelée  souvent 
l'esprit  visible,  et  un  Sakalave  explique  que  c'est 
là  une  vérité  incontestable  :  1°  parce  que  l'ombre 
ne  se  sépare  pas  du  corps,  2°  parce  que  l'ombre 
est  insaisissable,  et  particulièrement  ne  peut  pas 
être  prise  entre  les  battants  d'une  porte,  bien  que 
son  possesseur  ne  bouge  pas  de  place. 

La  deuxième  ombre  que  produit  le  corps  suivant 
la  position  qu'il  occupe  par  rapport  à  la  lumière,  et 
qui  est  plus  indécise  que  l'autre,  s'appelle  «  ave- 
lo  »  ;  et  si  elle  n'apparaît  plus,  c'est  que  les  lolo 
se  sont  emparés  de  l'esprit. 

On  voit  sous  quelle  hantise  de  terreur  vit 
continuellement  l'indigène,  qu'on  dit  si  indiffé- 
rent, et  comment  s'explique  son  naturel  craintif 
et  flottant.  Il  ne  sait  pas  ;  il  ne  comprend  pas  ; 
il  vit  dans  des  transes  perpétuelles. 

Libéré  de  ses  vattaches  par  la  mort,  l'esprit  ou 
dzeri,  ou  fanahy,  ou  lolo,  se  livre  à  toutes  les 
actions  qui  peuvent  lui  plaire.  Il  ira  visiter  ses 
parents,  troubler  le  sommeil  par  des  rêves  bizar- 
res, imposer  des  idées  curieuses,  inattendues, 
baroques,    suggérer   des    actions    de  tout   ordre, 


LES    «    LOLO    »  47 

éteindre  les  lumières,  etc.  Les  conditions  dans 
lesquelles  il  vit  alors  sont  celles  qu'il  a  connues 
quand  il  était  dans  la  vie  ordinaire  ;  il  a  les 
mêmes  préoccupations  ;  il  a  les  mêmes  amis,  les 
mêmes  ennemis,  les  mêmes  richesses,  les  mêmes 
goûts. 

On  trouve  même  plusieurs  royaumes  des 
esprits  ;  et  si  l'un  deux  est  spécialement  renom- 
mé sur  les  hauts  plateaux  (il  s'agit  d'Ambon- 
drombe,  au  sud-ouest  du  Betsileo),  il  en  existe 
une  foule  d'autres  dans  les  diverses  régions  de 
l'ouest.  Chaque  tombeau  est  le  centre  d'une 
petite  société  qui  agit,  sait  se  venger,  protéger 
ou  rire.  Les  doany  sakalaves  sont  considérés 
comme  la  demeure  de  dzeri  royaux;  et -c'est  là 
qu'on  vient  offrir  aux  grands  chefs,  non  seule- 
ment des  prières,  mais  des  objets  d'usage  jour- 
nalier, de  l'argent  ou  de  la  nourriture  qui  reste 
sur  place.  Dans  l'Ambongo,  on  peut  voir,  en 
des  régions  dépourvues  de  tout  ce  qui  est  utile 
à  l'indigène,  de  tout  petits  groupes  d'anciens 
esclaves  qui  s'obstinent  à  vivre  en  un  lieu  mal- 
heureux, uniquement  parce  qu'ils  se  croient 
chargés  de  nourrir  les  ancêtres  dont  les  tom- 
beaux sont  là  et  ne  peuvent  être  transportés. 

Ces  idées  sont  si  ancrées  au  fond  de  la  pensée 
qu'on  peut  entendre  des  gens  qui  parlent  de  se 


48  LE    TROMBA 

venger,  après  leur  mort,  de  tels  ou  tels  individus. 
Ceux-ci,  informés,  cherchent  alors  à  rentrer  en 
grâce.  Bien  plus  encore,  un  voyageur,  M.  P.  de  B., 
ayant  séjourné  dans  le  sud  (mai-sept.  1910),  en  a 
rapporté  l'information  suivante  :  les  Mahafali 
se  suicident  pour  arriver  à  se  venger  plus  rapi- 
dement des  offenses  dont  ils  se  croient  victimes, 
et  on  a  vu  une  sorte  d'épidémie  de  suicide  parmi 
une  bande  de  jeunes  hommes. 

Ceux  qui  croient  avoir  des  raisons  de  se  mé- 
fier   de   l'esprit    de   certains    morts    ont   recours 
aux    fanafody    des    mpomasy    qui    chassent    ces 
esprits  ou  annihilent  leur  influence  ;  ceux-ci  orga- 
nisent des  cérémonies  qui  sont    de    vrais    exor- 
cismes.  D'autres  veulent  être  sûrs  de  n'être  pas 
seuls  après  leur   mort,    et  ils  indiquent  le  nombre 
de  bœufs  qu'on  devra  leur  sacrifier,  les  époques 
où  il  faudra  renouveler  ces  sacrifices  et  les  libations; 
car  celles-ci  sont  la  part  des  vivants  et  aussi  des 
morts.  Les  sacrifices  humains  faits  lors  du  décès 
des  rois  sakalaves,  ou  plus  exactement  de  ceux  qui 
ont  régné  avant  eux  sur  les  tribus  autonomes, 
n'ont  pas   d'autres   explications.    Le  roi   décédé 
.devait  continuer  d'avoir  ses  bœufs,  sa  fortune.; 
et  il  lui  fallait  un  esclave  ou  une  femme.  Géné- 
ralement cet  esclave,  moins  souvent  la  femme, 
s'offrait  volontairement  après   des  jours   de  ce- 


LES    «    LOLO    »  49 

rémonies  et  d'excitations.  L'esprit  du  grand  chef 
était   en   repos   ;     il   avait   un   serviteur   esprit. 

Il  y  a  souvent  aussi,  dans  les  sacrifices,  une 
substitution  ayant  à  sa  base  un  parallélisme  bien 
en  rapport,  d'ailleurs,  avec  toutes  les  autres 
idées  indigènes,  et  qui  montre,  pour  sa  part,  ce 
qu'il  y  a  de  sensible  au  fond  de  l'âme  malgache, 
qu'une  grossière  incompréhension  ou  une  con- 
naissance bien  superficielle  représente  comme 
parfaitement  indifférente  aux  choses  religieuses. 
Quand  c'est  un  enfant  qu'il  faut  faire  accom- 
pagner dans  la  tombe,  on  tue  un  jeune  veau.  Si, 
au  contraire,  c'est  une  mère  encore  jeune,  une 
vache  suitée  sera  immolée  près  du  tombeau.  La 
bête  qui  reste  pousse  alors  de  lamentables  beu- 
glements qui  viennent  dire  la  désolation  des 
parents  et  assurer  qu'un  cortège  de  circonstance 
a  été  fourni  au  défunt. 

L'esprit  lui-même  reprend  parfois  corps.  J'ai 
longuement  entendu  parler  d'une  jeune  femme 
que  j'ai  connue  et  qui,  après  vingt-quatre  heures 
de  mort,  et  alors  que  tout  était  prêt  pour  son  ense- 
velissement, est  revenue  du  royaume  des  esprits 
pour  faire  des  communications  diverses  à  sa 
famille  et  à  ses  voisins  et  indiquer  le  jour  et  l'heure 
exacts  de  sa  mort  définitive  qui  survint  en  effet 
dans  les  conditions  prévues.   C'était  à  l'époque 

4 


50  LE   TROMBA 

troublée  de  1903-1906,  où  de  violentes  épidémies 
régnaient  en  Imérina,  et  où  même  des  vivants 
«étaient  ensevelis  alors  qu'ils  n'étaient  qu'éva- 
nouis ou  dans  un  état  spécial  d'insensibilité,  dont 
sont  souvent  victimes  les  malades  atteints  de 
paludisme  chronique. 

L'esprit  se  matérialise  :  on  le  voit  sur  les  tom- 
beaux, dans  les  lieux  qu'il  a  affectionnés,  dans 
la  case  qu'il  a  habitée.  En  1906,  toute  une  ré- 
gion à  l'est  de  Tananarive  fut  vivement  affec- 
tée parce  que,  certain  soir,  on  vit  un  homme  célèbre 
dans  le  pays,  mais  mort  depuis  environ  dix 
ans,  appuyé  à  la  fenêtre  d'une  case  dont  il  avait  été 
propriétaire.  Les  détails  étaient  donnés  avec 
précision,  les  jours  et  heures  indiqués,  les  té- 1 
moins  cités. 

Ces  deux  cas  ne  sont  point  isolés  ;  car  le  soir,  I 
autour    du    feu,    que    d'histoires    extraordinaires  I 
de  revenants  on  peut  entendre  I  Et  on  en  enten- 
drait bien  d'autres,  si  les  gens  osaient  parler  de- 
vant le  missionnaire  avec  une  pleine  liberté.  Uni 
individu  vient  vous  dire  tranquillement  qu'il  a 
eu  la  visite  d'un  défunt  dans  la  nuit.  Un  mari 
a  longuement  parlé  avec  sa  femme.    Celle-ci    lui 
a  laissé  un  mot  d'ordre  pour  sa  conduite.   Un 
autre  raconte  ce  qu'il  a  pu  connaître  de  l'autre 
vie  d'après  un  rêve  qu'il  a  fait,  alors  qu'il  ne 


•  LES    «   LOLO    »  51 

dormait  pas  ;  et  il  répète  qu'il  ne  dormait  pas 
du  tout.  Il  affirme  tout  cela  très  sincèrement  et 
dans  des  termes  qui  montrent  que  les  voyants 
ne  sont  pas  sortis  de  leurs  préoccupations  habi- 
tuelles, car  les  esprits  ont  parlé  le  langage  de  leur 
interlocuteur,  sans  s'élever  au-dessus  de  leurs 
connaissances  ou  de  leur  moralité. 

La  correspondance  même  entre  malgaches 
peut  montrer  quelle  place  la  question  des  esprits 
tient  dans  la  vie  ordinaire.  Nous  donnons  ici  la 
traduction  d'une  lettre  où  se  trouvent,  dans  un 
curieux  mélange,  des  indications  précieuses  qui 
se  rapportent  à  notre  sujet  ;  elle  est  d'autant 
plus  intéressante  qu'elle  émane  d'un  jeune  homme 
instruit,  en  relations  habituelles  avec  des 
Européens  et  des  meilleurs,  et  qu'en  outre,  elle 
ne  nous  était  pas  destinée. 

«  A...  16  octobre  1909. 

...  «  Chose  nouvelle  !  Ecoute  et  lis  bien  main- 
«  tenant  cette  chose  grande  et  nouvelle  qui 
«  arrive  ici  ;  elle  est  étonnante  et  il  n'y  a  rien 
«  eu  de  pareil  : 

«  Des  messagers  de  l'au-delà  I 

«Voici  donc  ce  que  c'est.  Dans  le  gouverne- 
ment d'Isoavimbazaha,  près  de  Miarinarivo,  il 


52 


LE   TROMBA 


«  y  a  un  village  appelé  Ambatolampy,  où  vivait! 
«  un  homme  zélé  pour  le  service   dé  Dieu,.  M 
«cet  homme  est  mort   depuis  environ   10  anfï 
«  Comme  Dieu  l'a  béni,  il  est  revenu  parmi  self 
«  parents  pour  les  réveiller  ;   et  voici  comment! 
«  il  se  manifesta   dans  la  maison   :  il  ne  pafî 
«  pas  et  on  ne  le  vit  pas,  mais  il  lança  des  piefj 
«  res  à  ceux  de  la  maison  qui  ne  virent  pas  d'Ji 
«  elles  venaient.  Il  a  fait  cela  pendant  plusieurs 
«  jours.   Puis  il  a  changé  et  n'a  plus  lancé! 
«  pierres,  mais  il  s'est  mis  à  casser  les  marmites 
«Ses   parents    crurent   que   c'était   un.  lolo   de 
«marais  qui  allait  à  Ambiaty  ;  mais  il  ne  JB 
«  rêtait  pas  et  même  il  s'est  mis  à  siffler.  Maigri 
«  cela,   on  ne  le  voyait  pas.  Ses  enfants  lui  parlé- 
«  rent  :  Si  tu  as  quelque  chose  de  bon  à  dire, 
«  dis-le,  mais  ne  continue  pas  à  nous  effrayer 
«  Cela  dura  encore  un  certain  temps.  Ses  petil 
«  enfants   ne  voulaient  pas   étudier,   il  prit  les 
«  ardoises,    mais   on   ne  le  vit  pas   en   chemin. 
«  Quand  il  avait  lancé  des  pierres  dans  la  maisM 
«  on  croyait  que  c'était  des  brigands.  QuarïHS 
«  de  gens  vinrent  dans  la  cour  pour  aider  |t 
«  habitants  ;  mais  ils  ne  virent  rien  que  les  pier- 
«  res  qui  tombaient  en  faisant  grand  bruitBi 
«  y  avait   dans   la   maison  une  jeune  fille Vot 
«  conservait  des  ody  et  qui  tissait  des  rabanej 


q  .^ 


LES    «    LOLO    ))  53 

Cela  froissait  le  Mo  qui  cassait  continu elle- 
ment  les  fils  de  la  chaîne.  En  voilà  assez  sur 
-ce  qu'il  a  fait  pendant  qu'il  ne  parlait  pas  et 
allons  à  ce  qu'il  a  fait  quand  il  a  parlé. 
«  A  ce  moment-là,  voilà  ce  qu'il  a  dit  :  N'ayez 
(pas  peur;  c'est  moi,  Rainimamonjy  votre  père, 
(qUi  viens  parce  que  je  suis  malheureux  de  ce 
&que  vous  faites  :  1°  Vous  vendez  toutes  les 
(rizières  et  pourtant  c'est  la  terre  des  ancê- 
tres, rien  ne  vous  forçait;  2°  (petite  déchi- 
;rure)...  vous  aimez  de  mauvais  compagnons, 
,  et  c'est  pourquoi  j'ai  lancé  des  pierres;  3°  il 
jfaut  prier;  qui  ne  prie  pas  va  en  enfer.  — 
(pendant  cette  conversation  il  dit  qu'il  devait 
,  y  avoir  des  temps  consacrés  à  la  prière.  La 
(Bible  est  la  vraie  règle,  ceux  qui  l'oublient 
(quittent  la  vérité.  Ceux  qui  veulent  être  sau- 
tvés  doivent  obéir  aux  dix  commandements  de 
«tout  leur  cœur.  Il  n'y  a  point  de  feu  purifi- 
cateur suivant  la  foi  de  quelques-uns.  Il  indi- 
qua des  chants  à  chanter  (ils  sont  désignés) 
iet  même  il  chanta  tout  seul.  Il  expliqua  les 
«dix  commandements  et  le  fit  bien  mieux  qu'un 
;  homme  de  collège  expérimenté.  Ceux  qui 
fêtaient  dans  la  cour  n'ont  pas  entendu  cela. 
2 Voici  encore  ce  qui  étonne  :  il  a  voulu  qu'on 
guette  son  assiette  ;  et  quand  le  riz  fut  épuisé, 


54  LE   TROMBA 

«il  rendit  son  assiette  en  disant  :  Voici  pas, 
«  siette.  On  entendit  le  bruit  de  ses  mâchoires 
«  mais  on  ne  vit  pas  son  corps.  Il  voulut  qu'on 
«achetât  des  pastilles  de  menthe,  il  les  donna  à 
«  ses  enfants,  mais  avant  il  voulut  les  lécher  un 
«  peu.  Tout  le  monde  entendit  cettte  histoire 
«  et  se  réunit  là  le  7  août  1909.  Il  y  avait  là  l 
«  gouverneur,  la  sage-femme,  deux  évangélig, 
«  tes,  plusieurs  instituteurs  et  environ  400  per. 
«  sonnes.  Les  gens  disaient  là  que  tout  cela 
«  n'était  pas  vrai,  et  ils  veillèrent  la  maison  et 
«  pour  y  voir  clair,  les  gens  firent  du  feu  pour 
«voir  qui  parlait,  quand  tout  d'un  coup  il  parla 
«en  disant  :  Quand  bien  même  il  y  aurait  de 
«  grandes  lumières,  vous  ne  me  verrez  pas,  car 
«  je  suis  esprit,  croyez  que  je  suis  messager...  M 

La  lettre  continue  par  des  recommandations 
de  l'esprit  qui  dit,  entre  autres  choses,  qu'un 
deuxième  esprit,  au  même  moment,  a  été  envoyé 
en  Amérique.  Il  sait  lire,  écrire,  parle  français, 
alors  même  que  sur  la  terre  il  ne  savait  rien, 
étant  réputé  ignorant  et  incapable. 

Bien  que  confus,  obscur  parfois,  laissant  devi- 
ner  les   faits,    soupçonner  une  supercherie,  qui  al 
été,  nous  le  savons,  pleinement  dévoilée,  ce  récit, 
qui  donnerait  matière  à  des  réflexions  diverses, 


LES    «    LOLO    »  55> 

montre  avec  évidence  quelle  est  la  mentalité 
indigène.  Les  Malgaches,  même  quand  ils  ont  été 
affranchis  en  partie  des  vieilles  superstitions  et 
notamment  du  culte  des  morts  (dont  la  pratique 
se  continue,  quoique  dépouillée  des  idées  qu'on 
v  attachait  il  y  a  peu  d'années  encore),  demeurent 
singulièrement  inquiets,  et  leur  esprit  en  mouve- 
ment s'en  va  des  erreurs  les  plus  subtiles  aux 
négations  les  plus  énormes  ;  mais  même  sous 
celles-ci  il  y  a  une  imagination  toute  prête  à 
être  la  dupe  des  choses  les  plus  invraisemblables. 

Dans  les  parties  de  l'île  où  l'intervention  chré- 
tienne ne  s'est  pas  encore  produite  ou  n'a  pas 
encore  eu  le  temps  de  modifier  la  mentalité  géné- 
rale, le  culte  des  morts  —  et  en  particulier 
celui  des  ancêtres  célèbres  —  a  gardé  toute  sa 
force  et  son  attrait.  Les  Merina  avaient  une 
grande  vénération  pour  leurs  rois  ou  reines  : 
ceux-ci  étaient  «  Dieu  vu  par  les  yeux  »,  ils 
étaient  les  objets  des  attentions  divines,  ils 
étaient  eux-mêmes  divinités.  C'est  dire  où  peu- 
vent en  être  les  Sakalaves  crédules,  victimes  de 
tant  de  changements  qui  n'ont  jamais  laissé  de- 
bout qu'une  chose  :  les  tombeaux.  Pour  eux, 
toute  l'idée  religieuse  s'est  concentrée  autour  des 
chefs,  des  puissants  renommés  pour  leurs  victoires 
ou  leur  bonté  :  ceux-ci  sont  devenus  leurs  dieux. 


56 


LE   TROMBA 


Il  est  bien  entendu  qu'on  conserve  le  culte  des 
ancêtres  de  la  famille  ;  mais  c'est  un  culte  do- 
mestique qui  prend  peu  de  temps  et  ne  nécessite 
pas  de  déplacements.  On  fait  sur  les  tombeaux, 
ou  dans  tels  endroits  désignés,  des  offrandes  eu 
eau-de-vie,  lamba  ou  monnaie  ;  c'est  tout.  On 
réserve  le  véritable  effort,  le  grand  culte,  pour 
les  anciens  chefs,  qu'on  appelle  Andrianahary  ; 
«  créateur  »,  —  ou  Ranahary  ou  Andrianahary  ati 
hiboka:  «  créateur  dans  le  ciel  »,  — ou  Andrianahary 
tsy  omby  hiboka  :  «créateurs  qui  ne  peuvent 
être  contenus  dans  le  ciel  ».  Il  y  a  là  une  série  de 
termes,  de  diminutifs,  qui  révèle  une  hiérarchie 
dont  on  tient  compte  à  l'occasion.  C'est  du  plu- 
ralisme. 

Au  dessus  de  tous  ces  créateurs,  il  y  a  buffl 
Zanahary  be  —  le  grand  créateur,  le  seul  vrai  — j 
mais  en  réalité  on  s'occupe  peu  de  lui.  Il  est  trop 
loin  et  les  hommes  sont  si  petits  !  Toute  la  série 
des  rois  Mo  fournit  un  si  grand  nombre  de  média*; 
teurs  qu'on  ne  saurait  s'étonner  qu'il  n'y  ait 
plus  de  place  pour  lui. 


CHAPITRE  III 


LES  DOANY  SAKALAVES 
T  LE  FANOMPOA  OU  SERVICE 


a  demeure  spéciale  du  lolo  des  ancêtres,  — 
en  particulier  celle  des  anciens  rois  —  est  le 
doany,  ou  tombeau  ;  probablement  la  traduc- 
tion véritable  est-elle  :  maison  royale  ou  palais. 
On  en  trouve  plusieurs  dans  les  environs  de 
Marovoay.  Mahabo  (1)  est  le  plus  célèbre  et  le 
plus  peuplé.  Betsioka  (2)  et  Androtsy  (3)  abri- 
tent des  esprits  de  seconde  valeur.  Ambatobe  (4) 


(1)  Mahabo  à  15  kil.   environ   de   Marovoay,    sur  la   rive 
gauche  de  la  Betsiboka. 

(2)  Betsioka  à  120  kilomètres,  un  peu  sur  la  droite,  de  la 
Betsiboka . 

(S)  Androtsy  à  2  h.  1/2  de  Marovoay,  au  sud. 

(4)  Ambatobe  à  7-8  heures  de  Majunga,  au  sud-est. 


58  LE    TROMBA 

garde  les  restes  des  rois  qui  précédèrent  les  Sa- 
kalaves.  A  Mahabiba  —  Majunga  indigène  —  est5 
le  lieu  de  rendez-vous  annuel  de  la  foule  q^ 
veut  obtenir  la  bénédiction  de  ses  maîtres  et  de 
toutes  les  fractions  de  la  grande  famille  royale 
dispersée  dans  des  lieux  nombreux  et  éloignés^ 
C'est  là  que  sont  les  quatre  grandes  relique^ 
saintes  ou  idoles,  objets  de  culte  et  d'adoration» 

Chaque  doany  est  un  lieu  sacré,  confié  à  la 
garde  de  gens  désignés  pour  leurs  antécédents, 
ou  simplement  par  les  descendants  des  rois 
ou  par  les  Mo.  Là  s'accomplissent  des  cérémo-; 
nies  qui  ont  toujours  le  même  caractère  et  qui 
visent  au  même  but  :  glorifier  les  ancêtres,  obte- 
nir quelques  guérisons  ou  avantages.  Aucune 
trace,  en  aucun  cas,  d'une  idée  morale  un  peu 
élevée,  bien  qu'on  puisse  dire  que  le  fady  est  la 
loi  religieuse  par  excellence  ;  mais  celle-ci  aussi 
ne  touche  qu'à  des  questions  d'intérêt  purement 
matériel. 

Une  première  enceinte  garde  l'approche  du 
doany  ;  et,  aux  jours  fastes,  on  y  laisse  pénétrer 
la  foule  des  gens  qui  veulent  «  servir  ».  Une 
deuxième  haie  très  serrée  défend  l'entrée  du 
terrain  qui  contient  les  tombeaux.  Ceux-ci  sont 
à  peine  distincts.  Entourés  de  grandes  toiles  qui 
figurent  des  tentes,  ils  n'offrent  au  regard  rien 


LES    «    DOANY    »    ET   LE    «    FANOMPOA    »  59 

oui  puisse  surprendre.  Les  offrandes,  faites  en 
vaisselle,  étoffes,  objets  d'usage  courant,  sont 
entassées  sur  le  sol.  Parfois  un  des  tombeaux 
se  trouve  abrité  par  des  tôles  qui  viennent  jeter 
là  une  note  de  vulgarité  déconcertante  ;  ou  un 
morceau  de  bois  grossièrement  sculpté  donne 
l'idée  d'un  art  naïf  qui  n'a  pas  su  exprimer  la 
pensée. 

Le  doany  de  Mahabiba,  seul,  témoigne  de  quel- 
ques soins.  On  y  retrouve  les  deux  enceintes  et, 
au  milieu  de  la  deuxième  cour,  se  dresse  une 
pauvre  case  en  bois  sans  aspect  particulier.  Elle 
s'appelle  Zomba-be,  mais  elle  contient  elle-même 
une  seconde  maison,  une  réduction  au  tiers 
environ  d'une  case  sur  pilotis.  Celle-là  est  le 
Zomba  faly  qui  a  été  fait  sur  le  modèle  de  l'an- 
cienne case  royale.  Elle  est  spécialement  la 
demeure  des  ancêtres  :  Andriamisara  efa-dahy, 
dont  on  parle  comme  s'ils  étaient  vivants. 

Les  divers  doany  où  se  font  des  prières  les 
jours  fastes  sont  spécialement  visités,  chaque 
année,  dès  que  la  saison  sèche  est  établie  ;  et  de 
longs  tambours  —  «  les  Manandria  »  —  qui  ser- 
vent pour  ce  que  les  Vazaha  (les  Blancs)  appellent 
assez  improprement  Tam-Tam  —  et  qui  repré- 
sentent, eux  aussi,  les  ancêtres,  —  sont  promenés 
d'un  tombeau   à   l'autre  par  une  foule  qui  va 


60  LE   TROMBA 

grossissant  à  chaque  station,  jusqu'à  ce  qu'enfin 
on  arrive  à  Mahabiba  où  se  fait  le  Fanompoa. 

Ici,  il  vaut  la  peine  de  s'arrêter  un  peu  ;  car  il 
s'agit  d'une  manifestation  importante  d'un  carac- 
tère national  en  même  temps  que  religieux. 

*  Le  Fanompoa  n'est  pas  autre  chose  que  fé 
service  du  roi.  L'accomplir  est  un  devoir  et  en 
même  temps  un  honneur  ;  et,  même  jusqu'à  une 
date  très  récente,  tout  indigène,  d'où  qu'il  fût, 
devait  ce  service,  —  sous  forme  d'offrande,  de 
travail  aux  doany  ou  de  simple  présence.  Ceci 
explique  ce  fait,  qui  au  premier  abord  paraît 
singulier  et  contradictoire,  d'un  grand  nombre 
de  Merina  et  de  Betsileo  qui  montrent  un  zèle 
digne  d'un  meilleur  emploi  pour  le  (.(Fanompoa  ». 
Comme  c'est  un  prétexte  à  une  grande  fête  où 
les  gens  se  rendent  en  nombre,  et  par  tribus, 
vêtus  des  plus  brillants  lamba s  et  couverts  de 
nombreux  bijoux,  pour  faire  des  offrandes  et 
des  vœux,  il  faut  une  longue  préparation. 

Plusieurs  mois  d'avance,  des  émissaires  sont 
envoyés  pour  recueillir  une  première  contribu- 
tion destinée  à  couvrir  les  frais  et  pour  indn 
quer  l'époque  de  la  grande  réunion.  Cette  épo- 
que ne  varie  guère.  C'est  au  mois  sakalave  :  Fan- 
javamitsaka  —  ou  Merina  Alakarabo  —  soit  juil- 
let, —  qu'elle  a  lieu.  On  choisit  le  moment  de  la 


;    S 


LES    «    DOANY    »    ET   LE    «    FANOMPOA    »  61 

pleine  lune.  On  retrouve  là,  mais  modifiée,  une 
manière  arabe  de  compter  les  mois  et  les  jours» 
partout  on  sent  aussi  que  la  modification  est 
surtout  due  aux  idées  ou  coutumes  européennes. 
Près  de  deux  mois  avant  les  «  Grandes  Jour- 
nées »  commencent  les  visites  de  doany  à  doany. 
Celui  de  Mahabo  contient  la  Clé  du  Zomba 
jaly  et  les  Manandria  utiles  au  voyage  ;  c'est 
donc  par  là  que  débute  le  pèlerinage,  l'ordre 
venant  de  Mahabiba,  siège  des  esprits  supérieurs 
auxquels  les  autres  doivent  obéissance.  La  foule 
se  réunit  alors,  fait  ses  prières  et  ses  vœux, 
chante,  sans  se  lasser,  de  monotones  refrains,  tou- 
jours les  mêmes,  en  claquant  des  mains.  Puis,  sur 
un  signal  d'un  esprit  ou  d'un  sorcier,  elle  se 
met  en  route  et  accompagne  «  la  Clé  »  (on  dit 
souvent  le  mot  en  français)  qu'un  vieillard  garde 
jalousement  jusqu'à  la  frontière  de  son  terri- 
toire. Là,  avec  des  transports  de  joie,  les  gens 
de  Betsioka  reçoivent  les  précieux  dépôts,  et  il 
y  a  un  premier  arrêt  qui  dure  jusqu'au  moment 
où  l'esprit  manifeste  le  désir  de  partir.  Accom- 
pagnés toujours  du  bruyant  cortège,  la  Clé  et  les 
Manandria  passeront  à  Androtsy,  à  Marovoay  et 
Àmbatobé  et  enfin  à  Mahabiba.  Tout  le  long  du 
voyage,  il  y  aura  eu  chants,  réjouissances,  récep 
lions,  manifestation  de  Tromba. 


62  LE   TROMBA 

Un  grand  nombre  d'hommes  accompagnent  1|| 
Clé,  mais  ce  sont  surtout  les  femmes  que  l'on 
voit,   non  seulement  à  cause  de  leurs  toilettes 
et  de  leurs  curieuses  chevelures,  mais  parce  que 
c'est  à  elles  que  le  chant  incombe  et  qu'elles  doi- 
vent demeurer  parfois  une  partie  de  la  nuit  aux 
ordres  des  esprits.  Et  ce  n'est  point  pour  elles 
une  sinécure  ;  car,  à  chaque  station,  il  faut  trou-" 
ver  de  l'eau  pour  les  lolo  qui  ne  sont  pas  sans 
exiger  qu'elle  soit  prise  et  puisée  dans  des  condi- 
tions difficiles  parfois  à  réaliser.   Ils  paraissent 
redouter,  par  dessus  tout,  le  silence  et  la  soli- 
tude.   Souvent    ils    soumettent    leurs    serviteurs 
à  des  exercices  inattendus.  Je  me  souviens  avoir 
vu  un  jour  toute  l'assemblée  bondir  soudain  sur 
pieds,  hurler,  courir  de  cî  de  là,  parce  que  l'es- 
prit avait   donné   l'ordre   de  partir  immédiate- 
ment ;  et  les  porteurs  (porteurs  des  Manandria) 
sautaient  de  côté  et  d'autre,  avançant,  reculant, 
toujours  obéissant  à  l'esprit.  On  aurait  pu  croire 
qu'ils  étaient  pris  d'un  accès  de  folie.  Ils  étaient 
entrancés.  Enfin  après  cette  fantasia,  devant  une 
vieille  pirogue,  ayant  la  forme  des  pirogues  em- 
ployées il  y  a  un  ou  deux  siècles,  un  vieillard  fit 
une  longue  invocation  aux  ancêtres  qui  s'apaisè- 
rent et  traversèrent  la  rivière  sans  autres  exi- 
gences. 


LES    «    DOANY    »    ET   LE    «    FANOMPOA    » 

Cette  promenade,    qui   dure  six   semaines    X 
lus,  est  une  visite  de  souverain  à  souverain  ; 
plutôt  le  père  va  chez  son  fils,  le  chef  suprême 
nez  Ses  vassaux  qui  lui  rendront  la  visite.  Elle 
est  aussi  une  précaution  prise  contre  le  mécon- 
tentement des  esprits  royaux  à  qui  on  ne  rend 
ou'iin  culte  secondaire  et  à  qui  on  fait  des  offrandes 
diverses,  telles  que  cannes  d'ébène  à    pommeau 
d'argent    orné    d'arabesques,    bétail,  sur    pieds, 
ou   même  monnaie   de  cuivre   ou   d'argent.    On 
fait   des   vœux   pour   un   heureux   voyage   aux 
doany  divers,   et  naturellement  ils  sont  accom- 
pagnés de  promesses  en  rapport  avec  la  fortune 
^de  celui  qui  les  fait. 

Les  cérémonies  à  Mahabiba  finies,  avec  le 
même  rituel  et  à  peine  quelques  modifications 
dans  l'itinéraire,  —  car  il  faut  compter  avec  les 

esprits et  les   circonstances  —  la   Clé  et  les 

Manandria  vont  reprendre  leur  place  habituelle. 
Les  esprits  des  doany  sont  informés  de  ce  qui 
s'est  passé,  ainsi  que  la  population.  Et  alors  se 
renouvellent  en  petit  les  mêmes  scènes  de  posses- 
sions et  de  sacrifices;  car  si  la  foule  a  été  nom- 
breuse à  Majunga,  beaucoup  plus  nombreux 
encore  sont  ceux  qui  n'ont  pu  aller  se  joindre 
au  groupe  de  leur  tribu,  sans  parler  des  anciens 
esclaves  et  même  des  Hova  qui  tiennent  à  hon- 


64        '  LE    TROMBA 

neur  de  participer  d'une  manière  ou  d'une  autre 
au  culte  sakalave,  soit  par  crainte,  soit  par  su, 
perstition,  ou  tout  simplement  parce  qu'ils  sont 
complètement  sakala visés,  —  ce  qui  est  le  cas  pour 
un  grand  nombre.  Un  long  exil  loin  de  leur  pays 
les  a  transformés,  en  admettant  qu'ils  eussent- 
subi,  en  effet,  l'influence  chrétienne.  Souvent 
ils  sont  nés  ici.  Parfois  on  ne  les  reconnaît  plus 
tant  la  chevelure,  les  vêtements,  le  langage 
se  sont  modifiés.  Enfin  le  voyage  se  termine  à 
Mahabo  où  tout  rentre  dans  le  silence  qui  ne 
sera  plus  troublé  que  par  les  cas  isolés  de  Tromba 
—  ou  par  les  occasions  particulières  de  prières 
telles  que  maladies,  circoncisions,  rêves,  etc. 


CHAPITRE    IV 


NY  ANDROLEHIBE 

OU     «     LES     GRANDS     JOURS     » 


Les  cérémonies  qui  ont  eu  lieu  à  Majunga  au  mois 
de  juillet  (Alakarabo)  sont  des  cérémonies  types. 
Dans  tous  les  doany,  elles  sont  pareilles,  mais 
elles  ont  moins  de  faste.  Ce  sont  elles  encore 
dont  les  différentes  phases  sont  représentées  plus 
ou  moins  exactement  dans  les  cas  de  Tromba. 
Il  convient  donc  de  les  examiner  de  plus  près. 

Considérons  tout  d'abord  la  maison  qui  est 
le  centre  de  ralliement.  Elle  est  située  à  environ 
deux  kilomètres  de  Mahabiba,  c'est-à-dire  assez 
loin  de  Majunga. 

L'extérieur  du  Zomba-be  n'offre  aucun  inté- 
rêt.   C'est   une   maison   assez   semblable   à   une 

5 


66  LE    TROMBA 

grange,  couverte  en  satrana  (latanier)  ;  une  ran- 
gée de  nervures  de  rafia  maintient  la  toiture  en 
cas  de  trop  violents  coups  de  vent.  L'intérieur, 
au  contraire,  un  peu  sombre  —  car  l'édifice  n'a 
que  deux  portes  et  une  fenêtre  —  mérite  d'être 
vu,  pourvu  qu'on  cherche  des  idées  plus  que  des 
curiosités. 

Le  sol  est  couvert  de  nattes  ;  et  la  grande  pièce 
est  divisée  en  lieu  réservé  et  lieu  sacré,  par  une 
immense  bande   de  calicot  qui  sert   de  rideau. 
Dans  le  lieu  réservé  ne  peuvent  entrer  que  les 
femmes  de  certaines  tribus,  nous  n'y  avons  pas 
vu   d'hommes.   Dans  le  lieu  sacré  se  trouve  le 
Zomba  faly,   la   case  sur  pilotis,  avec  un  petit 
escalier  ou  échelle.  Elle  est  au  coin  nord-est  du 
bâtiment.  C'est  dans  ce  lieu  sacré  que  se  réunis- 
sent tous  les  descendants  des  anciens  rois,  et  on 
expulse  avec  quelque  vivacité  les  intrus.   Dans 
cette  partie  aussi  sont  remisées    différentes   cho- 
ses considérées,  elles  aussi,  comme  sacrées  parce 
qu'elles  ont  appartenu  aux  anciens  rois  :  des  cru- 
ches, dont  la  forme  dénote  quelque  maladresse, 
de  vieilles  lances  couvertes  d'une  rouille  séculaire, 
des  armes  dont  la  forme  et  le  poids  disent  l'anti- 
quité.   Des    courges    évidées    contiennent    de   la 
graisse;  une  série  de  petites  coupes  ressemblant 
assez  aux  vieux  crésieux  d'Europe  ont  servi,  dit-on, 


LES    «    GRANDS   JOURS   »  67 

à  brûler  de  l'encens  devant  les  rois  de  leur  vivant  ; 
st  même  on  montre  des  cendres...  mais  il  est 
permis  de  douter.  Une  sorte  de  grand  lit  indien 

—  un  cadre  sur  lequel  sont  tendues  des  cordes  — 
omplète  le  mobilier  qui  ne  sert  guère  qu'une 

tois  par  an. 

Le  Zomba  faly  contient  les  restes  des  quatre 
grands  rois,  conservés  dans  de  petites  boîtes 
l'argent  et  de  bois.  Elles  ne  sont  pas  visibles  en 
:emps  ordinaire,  et  ce  n'est  qu'avec  des  protec- 
:ions  spéciales  qu'on  peut  être  admis  à  l'heure 
lu  bain,  derrière  la  grande  toile,  pour  les  con- 
;empler.  On  est  alors  promu  au  rang  de  prince, 
je  que  beaucoup  de  gens  désirent  et  ce  que  très 
Deu  obtiennent. 

Les  jours  fastes  pour  les  cérémonies  sont  le 
undi  et  le  vendredi.  Un  peu  avant,  et  dans  l'in- 
;ervalle  entre  ces  deux  jours,  on  organise  la  fête, 
3n  cherche  les  bœufs,  on  désigne  les  places.  C'est 
'après-midi  seulement  qui  est  considéré  comme 
férié. 

L'entrée  de  la  première  enceinte  —  le  Vala-be 

—  est  relativement  facile  à  l'étranger.  La  foule, 
elle,  attend  l'autorisation  d'entrer.  La  première 
cour  franchie,  il  faut  se  présenter  à  la  porte  du 
Vala  mena,  et  là  certaines  observations  sont  à 
faire.  D'abord  sur  le  costume  :  tout  ce  qui  est 


68  LE    TROMBA 

Européen  déplaît  aux  ancêtres,  et  on  cherche 
naturellement  à  éviter  leur  courroux.  On  pré- 
tend faire  déshabiller  les  gens  vêtus  de  panta- 
lons et  chaussés  de  souliers,  et  c'est  ce  que  doi- 
vent faire  quelques  Hova  fort  mortifiés  de  l'aven- 
ture. Mais  plusieurs  d'entre  eux  ont  été  pru- 
dents ;  on  les  voit  revêtir  le  «  Sikina  »  sakalave. 
Vers  la  fin  de  l'après-midi,  on  est  plus  tolérant, 
—  plus  tolérant,  dans  tous  les  cas,  qu'en  cer- 
tains villages  de  Y  Ambongo,  qu'il  faut  ou  tra- 
verser vêtu  du  costume  national  ou  éviter. 

Dans  la  cour,  tout  le  tour  du  Vala  mena  —  ou 
Rova  en  Merina  —  sont  attachés  des  bœufs  qui 
sont  destinés  aux  sacrifices  et  qui  sont  répartis 
par  tribus.  C'est  peu  à  peu  que  l'ordre  de  les 
tuer  est  donné.  Il  part  de  l'intérieur  du  Zomba- 
be  ;  et  un  homme  de  chaque  tribu  vient  à  son 
tour  représenter  les  siens.  On  ne  peut  pas  dire 
que  le  Malgache  prenne  jamais  garde  de  ne  pas 
tuer  un  animal  avec  cruauté  ;  pourtant  ce  qu'on 
peut  voir  dans  la  cour  du  Vala  mena  est  spécia- 
lement sauvage  et  cruel.  Avec  une  lance  datant 
de  longues  décades,  rouillée,  ébréchée,  sans  tran- 
chant, on  égorge  d'innocents  animaux  qui  souf- 
frent mille  tortures  ;  car  la  peau  elle-même  ne 
réussit  à  être  entamée  qu'après  de  longs  efforts. 
L'animal,  la  tête  maintenue  sur  le  sol,  les  cornes 


'S  ^ 

>    o 


LES    «    GRANDS   JOURS    »  69 

plantées  en  terre,  a  la  gorge  sciée.  C'est  un  la- 
mentable et  répugnant  spectacle. 

Immédiatement  après  la  mort  du  bœuf,  la 
lance  sacrée  est  ramenée  dans  le  Zomba-be  et 
lavée  dans  une  des  nombreuses  cruches  pleines  d'eau. 
Cette  eau  a  été  apportée  là  par  les  princesses 
servantes.  Elle  est  maintenant  souillée,  rougie 
du  sang  resté  à  la  lance,  et  elle  est  bue  avec  avi- 
dité par  des  gens  qui  espèrent  ainsi  s'incorporer 
quelque  chose  de  l'esprit  des  ancêtres.  Ce  qui 
peut  en  rester  est  jeté  sur  la  foule  qui  se  précipite 
au  devant  du  Tso-drano  en  poussant  des  cris 
de  joie,  en  se  bousculant  ;  car  il  s'agit,  d'avoir 
une  part  aussi  grande  que  possible  de  cette 
bénédiction. 

A  l'intérieur,  les  femmes,  dans  le  lieu  réservé, 
frappent  des  mains,  chantent  des  refrains  mono- 
tones, toujours  les  mêmes  :  supplications  aux 
esprits  de  se  manifester,  de  pardonner,  de  bénir. 
C'est  quand  on  examine  de  près  le  sens  des  mots 
qu'on  retrouve  ces  idées-là,  mais  il  est  permis 
d'avoir  des  doutes  sur  la  compréhension  qu'en 
ont  celles  qui  les  chantent  ;  on  peut  même  les 
soupçonner  d'ignorer  le  sens  primitif  de  leurs 
cantilènes. 

Derrière  l'immense  toile,  les  princes  et  prin- 
cesses arrangent  le  lit.   Il  prend  même  l'aspect 


70  LE   TROMBA 

d'une  table.  On  le  recouvre  d'une  natte  ;  puis 
une  grande  nappe  blanche  est  étendue  par  dessus. 
On  pourrait  croire  que  Ton  va  dresser  un  couvert. 
Sous  le  meuble  ainsi  préparé  on  place  les  petites 
coupes  dans  lesquelles  brûlent  Yemboka,  l'encens 
sakalave,  qui  répand  une  forte  odeur  acre  et 
désagréable. 

Pendant  ce  temps,  un  ancêtre  s'est  emparé 
d'un  vieillard.  Celui-ci  avance  péniblement,  le 
corps  secoué  par  de  violents  spasmes.  Il  monte 
avec  lenteur  l'échelle  du  Zomba  faly,  et  son  bras 
droit  se  met  à  trembler  sans  causes  apparentes. 
Cela  dure  près  d'une  heure.  Enfin  il  parle  en 
branlant  la  tête.  Personne  n'entend  rien.  Il  se 
baisse  sur  la  porte,  soutenu  par  un  acolyte,  et 
il  entre  en  conversation  avec  Andriamisara  efa- 
dahy.  Il  lui  présente  les  vœux  du  peuple,  lui 
demande  de  consentir  à  sortir.  Pendant  qu'il 
poursuit  cette  conversation,  un  deuxième  indi- 
vidu entre  en  trance  ;  et  possédé  aussi  par  l'es- 
prit, il  dispute  au  premier  la  petite  place  en  haut 
de  l'échelle.  Celui-ci  veut  s'adresser  au  peuple. 
C'est  un  orateur.  Il  branle  la  tête  d'une  manière 
étrange,  par  secousses  violentes  et  il  parle  du 
nez,  comme  ayant  la  bouche  pleine  d'eau.  Par 
dessus  la  toile,  qu'il  abaisse  un  peu,  il  lance  un 
discours,  compréhensible  cette  fois  et  sur  lequel 


LES    «   GRANDS   JOURS   »  71 

il  n'y  a  pas  à  se  méprendre.  Il  reproche  au  peuple 
de  se  laisser  entraîner  par  des  habitudes  nou- 
velles, il  dit  la  douleur  des  ancêtres,  recom- 
mande de  ne  se  laisser  tromper  par  personne, 
puis  il  s'arrête  et  se  met  à  pleurer  à  chaudes 
larmes. 

Une  femme,  cette  fois,  veut  s'approcher  de 
l'échelle  ;  d'où,  discussion  entre  les  esprits.  Ils 
semblent  s'entendre  ;  un  mot  circule  :  «  la  clé, 
la  clé  »  —  le  mot  est  tantôt  dit  en  français,  tantôt 
en  malgache.  —  Enfin  !  on  ouvre  la  porte  du 
Zomba  faly.  Au  pied  de  la  petite  case  tous  les 
princes  se  rangent  ;  une  cruche  de  terre,  pleine 
de  cette  eau  dans  laquelle  on  a  lavé  la  lance 
sacrée,  est  remise  au  vieillard  possédé,  qui  as- 
perge avec  générosité  tous  ceux  qui  viennent  se 
présenter;  iljettemêmel'eauauloin.  C'est  la  béné- 
diction d'Andriamisara  à  toute  sa  descendance. 

Cette  première  ablution  terminée,  quatre  indi- 
vidus qui  ont  été  désignés  par  les  ancêtres,  c'est- 
à-dire  qui,  une  fois  ou  l'autre,  ou  très  souvent, 
ont  passé  par  le  Tromba,  se  revêtent  de  grandes 
chemises  rouges  et  de  bonnets  pointus  de  laine 
rouge  (le  rouge  est  la  couleur  royale).  Le  peu- 
ple est  averti  que  l'ancêtre  s'approche,  le  bruit 
rythmé  des  claquements  de  mains  redouble, 
on  chante  plus  fort,  les  tambours  battent,  un 


72  LE   TROMBA 

homme  frappe  du  triangle,  on  agite  une  sorte 
de  tambourin  indigène,  le  Kahiamba,  on 
sonne  de  la  grande  corne  de  mer,  on  tire  des 
coups  de  fusil  à  l'extérieur.  Toute  la  famille 
royale  se  réunit  autour  de  la  table,  on  intercepte 
absolument  la  lumière,  et  seul  un  homme  de 
haute  taille  peut  voir  ce  qui  se  passe  sur  la  table. 

Les  hommes  rouges  y  déposent  successivement 
quatre  petites  boîtes  qu'ils  ont  portées  sur  leurs 
épaules,  comme  si  elles  étaient  invraisemblable- 
ment lourdes  ;  et  ils  franchissent  avec  une  len- 
teur calculée  le  court  espace,  quelques  mètres, 
qui  sépare  la  case  de  la  table.  Les  princes  s'incli- 
nent, s'agenouillent,  dansent  en  se  tordant  en  de 
longs  mouvements  onduleux  et  en  élevant  les 
mains  ;  ils  lancent  les  formes  diverses  de  saluta- 
tions. 

C'est  à  ce  moment  qu'arrive  le  représentant 
du  gouvernement  français  présent  officiellement, 
puisqu'attendu.  Il  ne  demeure  là  que  quelques 
minutes,  et  il  est  assez  curieux  de  constater  avec 
quelle  satisfaction  tout  le  monde  reçoit  cet  en- 
voyé ;  il  accomplit,  sans  s'en  douter,  et  aux  yeux 
des  indigènes  présents,  un  acte  de  vassalité. 

Alors  seulement  on  baigne  les  idoles  ;  chacune 
d'elles  représente  une  sorte  d'encrier  à  trois  ou 
quatre  compartiments,  auquel  on  aurait  ajouté, 


LES    «    GRANDS   JOURS   »  73 

à  chaque  extrémité,  une  longue  queue  par  laquelle 
on  puisse  le  saisir.  Chaque  subdivision  est  ornée 
de  nombreux  rangs  de  perles  de  diverses  cou- 
leurs, et  c'est  à  l'intérieur  que  se  trouvent  les 
dents,  les  cheveux,  les  ongles  des  ancêtres.  On 
les  lave  abondamment,  ces  idoles,  avec  soin,  avec 
tendresse,  en  se  servant  d'un  chiffon  qu'on  trempe 
dans  une  mixture  composée  d'eau,  de  miel, 
d'huile  de  ricin,  d'extrait  d'une  herbe  odorante 
qui  provient  de  la  forêt.  L'opération  se  poursuit 
dans  le  bruit.  Et,  tandis  qu'on  prodigue  aux 
ancêtres  force  de  ces  expressions  respectueuses 
qu'on  entend  encore  aujourd'hui,  et  en  s'accom- 
pagnant  d'une  mimique  qui  pourrait  faire  croire 
à  leur  présence  réelle,  d'anciens  esclaves  agitent, 
sans  se  lasser,  des  éventails  qu'on  retrouve  dans 
toutes  les  cérémonies  de  ce  genre  —  même  aux 
enterrements  —  comme  s'il  s'agissait  de  chasser 
des  mouches  importunes. 

Au  dedans  et  au  dehors  on  accueille  l'ancêtre, 
on  l'acclame,  on  le  reconduit.  On  a  l'impression 
d'assister  à  une  réception  assez  semblable  à  ce 
que  devaient  être  les  réceptions  de  ces  roitelets 
d'autrefois  ;  et  involontairement  on  pense  au  bain 
de  la  reine  à  Tananarive,  d'autant  plus  que  bien 
des  détails  le  rappellent.  Dès  qu'ils  sont  rentrés 
au  Zomba-faly,  toujours  avec  le  même  cérémo- 


74  LE    TROMBA 

niai,  il  semble  qu'on  n'ait  plus  à  se  préoccuper 
d'eux,  et  les  princes  se  précipitent  à  la  curée. 
Ils  veulent,  eux  aussi,  participer  à  la  baignade. 
L'eau  est  devenue  malpropre,  mais  en  même 
temps  sacrée,  et  chacun  en  veut  ;  on  en  boit,  on 
en  passe  sur  sa  figure,  on  s'essuie  les  mains  dans 
les  cheveux  des  voisins,  et  c'est  là  une  marque 
ultime  d'affection  ou  de  respect.  Même  un  habile 
réussit  à  canaliser  ce  qui  a  été  versé  sur  la  natte, 
et  il  en  remplit  une  petite  bouteille.  Derrière  le 
voile,  on  chante  toujours,  mais  plus  doucement. 
Seuls,  quelques  possédés  viennent  pleurer  et  par- 
ler d'une  manière  incompréhensible. 

Au  dehors  la  scène  n'a  pas  changé.  Un  groupe 
de  deux  cent  cinquante  femmes  environ  est 
accroupi  :  c'est  celui  qui,  pour  une  raison  occa- 
sionnelle ou  à  cause  du  rang  de  celles  qui  le  for- 
ment, ne  peut  entrer  dans  le  Zomba-be.  On  va, 
on  vient  autour  des  bœufs  égorgés  dont  la  tête 
est  presque  séparée  du  tronc  et  qui  offrent  un 
triste  spectacle,  d'autant  plus  étrange  que, 
sous  de  magnifiques  tamarins,  se  presse  une 
foule  élégante  et  parée  de  toutes  les  couleurs  de 
l'arc-en-ciel.  Ceux  qui  vont  partir  et  qui  n'ont  pu 
entrer  vont  s'agenouiller  auprès  du  mur  et  se 
frappent  le  front  contre  terre  en  levant  leurs  deux 
mains  par  dessus  la  tête  et  en  prononçant  leurs 


LES    «    GRANDS   JOURS    »  75 

vœux.  Puis,  tout  d'un  coup,  grande  clameur. 
Les  femmes  fuient  et  des  bandes  d'hommes  se 
répandent  dans  le  Vala  mena  ;  ils  viennent  pour 
le  partage  de  la  viande.  Il  n'y  a  d'ailleurs  pas 
partage  à  proprement  parler,  mais  simulacre  de 
dispute,  avec  cris,  discussions  qui  pourraient 
devenir  dangereuses  surtout  avec  des  gens  ivres, 
armés  de  grands  couteaux,  et  alors  qu'une  longue 
attente  les  a  excités. 

Chacun  se  sauve  avec  son  morceau  ;  car  on 
pourrait  le  lui  arracher,  ce  qui  est  autorisé  par 
la  tradition.  Aussi  le  Vala  mena  est-il  bientôt 
vidé.  Il  est  nuit,  et  chacun  court  hâtivement  du 
côté  de  sa  demeure. 

Le  vendredi  qui  suit  le  bain  est  spécialement 
consacré  à  la  réjouissance.  Car  c'est  à  ce  mo- 
ment-là que  se  payent  les  vœux,  que  se  racon- 
tent les  guérisons,  qu'on  peut  obtenir  qu'An- 
driamisara  efa-dahy,  toujours  porté  par  les  qua- 
tre individus  vêtus  et  coiffés  de  rouge,  soit  ex- 
posé au  public,  fasse  un  tour  dans  la  cour.  Alors 
on  se  précipite  à  leur  suite,  on  s'agenouille  sur 
leur  passage,  on  chante,  on  crie,  on  hurle,  on 
ne  se  possède  plus.  C'est  du  délire. 

Une  somme  de  près  de  800  piastres  (4.000  fr.) 
a  été  versée  pour  vœux  divers  cette  année  (1).  Les 

(1)  1910. 


76  LE   TROMBA 

offrandes  sont  collectives  ou  individuelles.  Elles 
peuvent  être  la  conséquence  de  vœux  faits  à 
tout  autre  doany,  car  ils  ne  sont  habités  que  par 
les  esprits  enfants  ou  vassaux.  Sur  ces  offran- 
des, on  prend  une  part  pour  indemniser  les  gar- 
diens, faire  quelque  cadeau  aux  sorciers,  aux  per- 
sonnages que  l'on  a  pris  l'habitude  de  désigner, 
en  français,  de  ce  nom  qui  ne  leur  convient  pas 
exactement.  Mais,  en  général  la  plus  grande  par- 
tie est  laissée  à  la  disposition  des  lolo  qui  savent 
la  répartir  avec  beaucoup  d'intelligence  et  d'à- 
propos. 

Dès  le  lendemain,  c'est  la  dispersion  ;  on  accom- 
pagne la  Clé  et  les  Manandria.  Comme  on  a 
«  ouvert  le  temps  du  grand  service  »  on  le  «  ferme  ». 
On  recommencera  dans  neuf  ou  dix  mois  ;  et, 
pendant  ce  temps,  il  n'y  aura  plus  que  les  mani- 
festations particulières,  rappelant  de  plus  ou 
moins  loin  ce  qui  vient  de  se  passer  et  se  rap- 
portant tantôt  à  l'un,  tantôt  à  l'autre  des  rois  de 
la  lignée  sakalave  ou  hova.  Ce  sont  elles  qui  ont 
reçu  le  nom  général  de  Tromba. 


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CHAPITRE  V 


LE  TROMBA 

QUELQUES   NOTES  * 


Avril  1903.  Tsiarifarano,  Imerina.  —  «  ...  En 
entrant  dans  le  village  un  bruit  sourd  et  bizarre 
frappe  mes  oreilles.  A  mes  questions  des  enfants 
répondent  :  «  C'est  une  vieille  femme  qui  danse.  » 
Intrigué,  je  vais  à  la  case  d'où  part  le  bruit 
et  je  trouve  là  deux  enfants  qui  tapent  une 
peau  tendue  sur  le  col  d'une  cruche  cassée.  La 
case,  complètement  vide,  est  parfaitement  ba- 
layée,  et  une  vieille,  maigre,  décharnée,  danse  ; 


(1)  Comme  nous  tenons  à  fournir  ici  plus  de  documents 
que  de  théories,  nous  reproduisons  purement  et  simplement 
dans  ce  chapitre  les  observations  que  nous  avons  pu  faire,  et 
nous  les  donnons  dans  les  termes  mêmes  où  nous  les  avons 
notées  à  chacune  des  dates  indiquées. 


78  LE    TROMBA 

en  réalité  elle  marche  sur  place  et  se  tortille  de 
temps  en  temps.  Elle  est  hideuse.  J'essaye  de 
lui  parler,  et  je  n'en  tire  qu'un  sourire  effrayant, 
découvrant  ses  gencives  édentées.  Elle  danse 
depuis  deux  jours,  dit-on.  Elle  a  la  fièvre,  et 
je  ne  puis  obtenir  de  personne  aucune  espèce 
de  renseignement.  A  ma  rentrée  chez  moi,  on 
me  signale  deux  cas  pareils  à  Mahabo.  S'agit-il 
du    Ramanenjana  ?    Il    faudra    chercher.    » 

26  août  1904.  Marovoay,  Boina.  —  «  A  plu- 
sieurs reprises  j'ai  vu,  en  route,  des  sortes  de 
tentes  dans  lesquelles  on  chantait  en  claquant  des 
mains.  On  paraissait  se  réjouir.  On  me  dit  que 
j'ai  vu  le  Tromba.  J'essaye  de  me  faire  expli- 
quer de  quoi  il  s'agit,  mais  toutes  les  données 
sont  confuses.  On  m'a  montré  une  femme  :  hier, 
elle  a  été  frappée  par  le  Tromba.  Elle  a  parlé 
tout  d'un  coup,  informant  la  famille  qu'elle  allait 
au  village  voisin,  etc.  Son  discours  fini,  elle  a 
demandé  ce  qu'elle  venait  de  dire.  On  le  lui  a 
répété  ;  alors  elle  a  préparé  son  départ.  «  L'es- 
«  prit  a  parlé,  il  faut  obéir.  »  Mon  interlocuteur 
ne  voit  là  qu'une  supercherie  de  femme  rusée. 
Pour  avoir  ses  idées  sur  le  sujet,  je  le  prie  de 
me  les  résumer  par  écrit.  Je  l'ai  là,  ce  travail, 
mais    incompréhensible    parce    qu'incomplet    et 


QUELQUES    NOTES  7& 

hérissé  de  termes  inconnus.  Cependant  il  montre 
déjà  que  le  Tromba  est  autre  chose  qu'une  im- 
posture ;  on  pourrait  croire  que  c'est  un  remède 
et  une  maladie.  Il  y  a  une  étude  à  faire.    » 

Juillet-août  1905.  Le  Boina.  —  «  Ici  et  là,  j'ai 
revu  les  tentes  du  Tromba.  J'ai  voulu  m'appro- 
cher.  Parfois  j'ai  pu  entendre  les  chants  ;  mais 
on  se  méfie  de  moi  ;  à  mes  questions  on  répond  : 
«  Nous  nous  amusions  »  ou  «  Nous  sommes 
«  heureux  parce  qu'un  malade  est  guéri.  »  Le  plus 
souvent,  à  mon  approche,  on  se  sauve,  et  je  ne 
puis  rien  savoir.  Malgré  mes  efforts,  je  ne  suis 
donc  pas  beaucoup  plus  avancé.  Je  sais  qu'il 
y  a  des  tentes  dans  lesquelles  il  se  passe  quel- 
que chose  ;  mais  on  ne  peut,  on  ne  veut  me  don- 
ner aucun  renseignement  sur  les  phénomènes 
étranges  que  les  conversations  font  supposer.  J'ai 
vu  qu'on  se  met  du  blanc  sur  le  nez  et  sous  le 
lobe  des  oreilles.  Je  vois  surtout  qu'il  y  a  anta- 
gonisme entre  ceux  du  Tromba  et  les  autres. 
On  me  dit  que  Tromba  veut  dire,  créateur,  roi, 
ancêtre,  esprit.  Décidément  j'avance  lentement. 
Serait-ce  que  je  suis  mal  accompagné  ?  En  effet 
mon  guide  hova  manifeste  du  mécontentement. 
On  le  fuit.  Il  ne  sait  guère  que  réprimander,  et 
moi  qui  voudrais  comprendre  !  En  outre,  je  man- 


80  LE    TROMBA 

que   de  temps.    Quand   pourrai-je   reprendre   le 
sujet  ?   » 

Juin  1907.  Ankaboka,  Boina. —  «  J'ai  vu  les 
Doany  sacrés  de  Mahabo,  les  dons  offerts  aux  morts. 
J'ai  vu  comment  les  sectateurs  d'Andriamisara 
prient  à  deux  genoux  en  se  frappant  le  front 
contre  terre.  Surtout  je  viens  de  voir  le  Tromba. 
Il  faisait  nuit  depuis  longtemps  et  j'avais  perdu 
le  sentier  ;  mais  des  chants  tristes  et  monotones 
m'ont  remis  sur  la  voie,  et  j'arrive  en  face  de  la 
case  où  se  fait  l'étrange  concert.  J'interroge  un 
homme  :  «  Ce  n'est  rien.  D***  a  son  démon, 
«  comme  elle  a  son  démon  tous  les  mois.  »  J'entre 
dans  la  case.  Des  quinquets  fumeux  éclairent 
l'assemblée.  Une  jeune  femme,  à  Tair  souffrant, 
est  étendue  sur  une  natte,  tandis  qu'une  cin- 
quantaine de  ses  compagnes  psalmodient  une  mé- 
lopée sauvage  bien  qu'harmonieuse,  en  s'accom- 
pagnant  de  claquements  rythmés  des  mains.  La 
malade  souffre  ;  en  apparence  personne  ne  s'en 
préoccupe,  sauf  pour  faire  brûler  devant  elle  un 
peu  d'encens  qui  remplit  la  case  de  fumée.  J'es- 
saye une  question  ;  la  réponse  est  pour  le  moins 
bizarre  :  «  C'est  le  service.  »  J'en  sais  autant 
qu'avant.  Je  prends  sur  moi  de  congédier  tout  ce 
monde  et  je  reste  seul  avec  la  malade  et  son 


QUELQUES    NOTES  81 

mari.  J'interroge  de  nouveau.  La  malade  a  son 
Tromba.  Quand  le  Tromba  est  là,  elle  tremble, 
elle  souffre.  C'est  un  ancêtre  qui  la  visite  et  c'est 
pourquoi  il  faut  «  servir  ».  Cependant,  cette 
fois-ci,  l'ancêtre  est  plus  exigeant  que  d'ordi- 
naire. On  l'appelle  aussi  Zanahary.  D***  souf- 
fre spécialement,  elle  se  sent  épuisée.  Je  crois 
bien:  la  malade  a  le  pouls  à  125,  les  lèvres  brû- 
lées, une  température  élevée  ;  elle  est  en  plein 
accès  de  fièvre,  et  c'est  la  fièvre  dite  hématuri- 
que...  J'essaye  de  donner  quelques  indications 
qu'on  se  hâte  d'accomplir,  et  je  sors.  Je  trouve  là 
mon  interlocuteur  du  début  :  «  Tu  as  vu,  elle 
«  a  son  démon.  »  Celui-là,  il  a  dû  lire  l'Evangile,  et 
il  n'en  a  retenu  qu'une  chose  :  «  Un  démon  la 
tourmente.    »    Pour    moi    je    suis    perplexe....    » 

Juillet  1907.  Marovoay.  —  «  Les  fêtes  d'  «  An- 
driamisara  efa-dahy  »  ont  eu  lieu.  J'ai  été  à 
diverses  reprises  voir  ce  qui  se  passait.  Dans 
une  petite  case  bien  propre  on  a  mis  deux  tam- 
bours très  longs.  On  les  appelle  Manandria. 
Ils  viennent  de  Mahabo.  Tous  les  jours  et  tout 
le  jour,  les  femmes  chantent  leurs  mélopées. 
Elles  ne  se  lassent  pas.  De  temps  en  temps  un 
cri  :  «  Ah  !  elle  est  frappée  du  Tromba.  »  Alors 
on  voit  une  femme  qui  se  lève,  les  yeux  vagues, 


"7677: 


82  LE   TROMBA 

grimaçante  ;  elle  se  dandine  sur  un  pied,  puis 
sur  l'autre,  en  se  soutenant  sur  un  long  bâton 
dont  l'extrémité  est  munie  de  petites  clochettes. 
J'ai  voulu  photographier,  mais  ces  femmes 
connaissent  l'appareil.  Avec  un  à-propos  éton- 
nant, elles  ont  tourné  la  tête,  et  avec  un  tel 
ensemble  que  le  mouvement  semblait  concerté. 
On  parle  des  tambours  et  beaucoup  de  «  la  Clé  ». 
J'ai  fait  demander  le  gardien  chef  ;  il  m'a  fait 
des  réponses  entortillées.  Evidemment  il  veut 
passer  pour  un  oracle  :  «  On  marche  sur  l'ordre 
«  des  esprits,  et  les  esprits  sont  dans  les  tambours. 
«  Ils  commandent  et  on  part.  Les  rois  sakalaves 
«  sont  de  lignée  divine,  parce  que  le  premier,  le 
«  grand  roi,  Andriamisara,  est  tombé  du  ciel  ;  et 
«  il  y  est  retourné  sans  mourir.  La  preuve,  c'est 
«  qu'on  ignore  où  est  son  tombeau.  »  Seulement 
tout  cela  sent  l'histoire  apprêtée,  car  à  Maha- 
biba  il  y  a  les  ongles  et  les  cheveux  du  dit  An- 
driamisara. Alors...  Le  mieux,  je  crois,  est  de 
penser  qu'ils  ne  comprennent  pas  grand'  chose 
à  ce  qu'ils  font.  Ils  obéissent  servilement  à  une 
tradition,  sans  souci  de  savoir  le  passé,  ou  de 
donner  un  sens  précis  à  leurs  actes. 

«  Après  huit  jours,  toute  la  foule  est  partie 
dans  une  course  insensée,  toujours  sur  l'ordre 
des    esprits    dans    les    tambours  ;    les    esclaves, 


QUELQUES    NOTES  83 

chargés  d'éventer  les  tambours  de  crainte  des 
mouches,  comme  on  évente  les  grands  ou  les 
cadavres,  avaient  fort  à  faire.  Ils  bondissaient 
d'une  manière  désespérée.  La  scène  était  du  plus 
haut  comique  et  pourtant  profondément  triste.    » 

Septembre  1907.  Au  bord  de  la  Mahavavy  du 
nord.  —  «  Il  était  quatre  heures  et  je  m'étonnais 
de  voir  un  si  grand  village  si  complètement  vide. 
Pourtant,  après  un  instant,  j'entends  des  chants. 
J'avance  un  peu,  et  j'aperçois  une  tente  de 
Tromba.  Mon  arrivée  ne  trouble  personne,  je 
puis  regarder.  Toute  la  population  est  là,  elle 
chante  et  frappe  des  mains.  Elle  entoure  deux 
femmes  pâles  et  souffrantes.  Ces  dernières,  assi- 
ses sur  une  caisse,  sont  habillées  de  rouge  et  por- 
tent un  costume  d'homme.  Le  fait  m'étonne. 
Elles  font  face  à  une  sorte  de  grand  autel  sur 
lequel  sont  installées  trente  ou  quarante  bou- 
teilles de  Toaka  —  de  l'hydromel  —  et  trois 
assiettes  blanches,  contenant  de  l'eau,  de  la  terre 
blanche,  quelques  pièces  d'argent  et  quatre  piè- 
ces d'or  (80  fr.).  Les  deux  femmes  sont  malades 
depuis  longtemps.  A  entendre  la  description 
de  leurs  malaises,  à  les  voir,  il  est  facile  de  diag- 
nostiquer le  paludisme  chronique.  Tandis  que 
nous  les  observons  avec  sympathie,  un  cri  stri- 


84  LE    TROMBA 

dent  se  fait  entendre,  un  long  huhulement  per- 
çant et  tremblé  ;  et,  rapidement,  une  bande  de 
femmes  se  serrent  autour  d'une  des  leurs  qui, 
en  hurlant,  soufflant,  et  à  grands  gestes,  rejette 
tous  ses  vêtements.  Elle  se  laisse  revêtir,  sans 
protester,  de  nouveaux  lamba  qui  semblent  avoir 
été  déposés  là  pour  elle.  On  ne  s'occupe  pas  des 
malades,  dont  la  physionomie  est  devenue  plus 
douloureuse  encore.  Je  remarque  surtout  une 
femme  dont  je  ne  comprends  pas  le  rôle.  Elle  va, 
elle  vient,  on  lui  obéit,  elle  se  dandine  sur  un 
long  bâton  orné  à'ody  divers  et  percé  par  le 
haut.  On  pourrait  la  croire  entrancée,  mais  j'ai 
des    doutes  ;    elle  parle  aux   malades,    leur  fait 

des   caresses    d'une   familiarité    excessive On 

nous  dit  que  cela  doit  durer  très  longtemps,  une 
partie  de  la  nuit...  Le  soleil  est  près  de  se  cou- 
cher, il  faut  partir.  Je  note  :  l'autel  est  au  nord- 
est,  les  malades  regardent  vers  le  nord,  inquiè- 
tes.   » 

Mai  1909.  Antsatramira,  Boina.  —  «  Des  cris 
sauvages  m'ont  attiré  :  je  croyais  qu'on  excitait 
des  bœufs  dans  une  case.  Non  1  Une  trentaine 
d'hommes  et  de  femmes  excitaient  (  «  chauffaient  le 
travail  »)  deux  jeunes  hommes.  Entrancés, 
ceux-ci  se  dandinent  devant  une   sorte    d'autel 


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40 


QUELQUES    NOTES  85 

au  nord-est  de  la  case.  Ils  parlent  par  mono- 
syllabes, et  on  leur  répond  sur  un  ton  très  res- 
pectueux, ils  ont  l'air  absents,  hébétés.  Dans  des 
coupes,  de  l'encens,  emboka,  est  éteint.  J'ar- 
rête le  tapage.  Je  saisis  un  des  malades,  sans 
que  l'autre  cesse  de  se  dandiner  en  articulant  de 
vagues  sons.  La  main  est  moite  et  froide,  le 
pouls  est  faible,  les  traits  du  visage  sont  tirés.  La 
fièvre  existe  dans  cet  organisme  déjà  depuis 
longtemps.  Le  malade  est  insensible,  je  le  remue 
sans  qu'il  y  prenne  garde.  Décidé  à  voir  la  fin 
de  la  scène,  je  m'assieds  sur  le  seuil,  et  les  hur- 
lements recommencent.  On  claque  des  mains,  on 
tape  sur  des  pièces  de  bois  qui  servent  de  tam- 
bour. Les  jeunes  hommes  continuent  de  se  dan- 
diner, les  mouvements  s'accusent,  les  specta- 
teurs redoublent  de  zèle,  les  malades  parlent  un 
peu  à  la  façon  des  ivrognes.  Tout  d'un  coup 
l'un  d'eux  se  jette  en  arrière,  il  tombe  comme 
une  masse,  mais  sa  chute  est  amortie  par  un 
des  assistants  qui  a  l'air  de  l'avoir  prévue.  Je 
me  demande  même  s'il  ne  l'a  pas  provoquée.  Peu 
après,  scène  identique  :  le  deuxième  jeune  hom- 
me tombe  en  arrière.  L'un  et  l'autre  des  malades 
reviennent  rapidement  à  un  état  naturel.  J'évite 
de  faire  des  questions.  On  se  disperse.  On  voit 
que  la   cérémonie  est,   pour  cette  fois,   finie.    » 


86  LE    TROMBA 

Juin  1909.  —  «  Le  lundi  me  paraît  être  un  jour 
favorable  au  Tromba  ;  et  il  semble  que  le  Tromba 
se  contente  d'une  musique  bien  inférieure  ; 
car  c'est  sur  de  vieux  bidons  de  pétrole  qu'on 
frappait  ce  matin.  Il  est  vrai  qu'il  s'agissait 
d'un  Tromba  à  l'usage  de  pauvres  gens.  De- 
vant un  autel  sommaire,  une  assiette,  avec  de 
la  terre  blanche  et  quelque  menue  monnaie  dans 
de  l'eau,  un  morceau  de  miroir,  quelques  chif- 
fons rouges,  une  bouteille  contenant  du  miel. 
Une  misérable  femme  est  assise,  attendant  la 
manifestation  du  Zanahary.  Son  costume  mérite 
attention  :  elle  porte  sur  la  tête  une  couronne 
de  feuilles.  A  ses  oreilles,  à  son  cou,  sont  sus- 
pendus des  colliers  de  verroterie  ;  sur  ses  lamba 
rouges  sont  des  ornements  de  papier  doré  ;  elle 
a  un  sikina  d'homme  autour  des  reins.  Pro- 
fitant de  ce  qu'elle  est  encore  dans  son  bon  sens, 
j'essaye  de  questionner  la  pauvre  femme.  Elle  est 
malade  de  la  poitrine,  elle  s'en  va;  et  elle  a  plu- 
sieurs petits  enfants.  Elle  a  essayé  des  remèdes 
des  blancs,  mais  en  vain,  et  ils  coûtent  si  cher. 
En  parlant,  elle  étend  ses  mains  décharnées,  elle 
arrache  sa  lamentable  parure,  efface  les  traces 
de  terre  blanche  sur  sa  figure.  Elle  a  donc  un 
lolo,  un  Zanahary,  un  ancêtre,  est-ce  qu'elle  sait  ? 
Elle  n'était  pas  malade  autrefois,  le  cas  est  donc 


QUELQUES    NOTES  87 

clair  !  J'essaye  d'obtenir  quelques  explications  : 
Pourquoi  cette  eau,  cette  terre  ?  Pourquoi  le 
déguisement  ?  Pourquoi  le  bruit  ?  Au  fond  elle 
ne  sait  rien,  elle  est  confuse.  «  C'est  l'habitude, 
«  c'est  comme  cela  qu'il  faut  faire,  il  y  a  des  gens 
«  qui  guérissent.  »  Et  fiévreusement,  avec  des 
gestes  brusques,  elle  démolit  l'autel,  elle  appelle 
son  dernier-né,  elle  veut  du  silence  mainte- 
nant   Je  suis  ému  devant  cette  douleur,  et  je 

vois  bien  qu'elle  mourra  bientôt,  cette  femme  :  les 
phtisiques  n'en  ont  pas  pour  longtemps  sous  ce 
climat  peu  généreux,  et  elle  est  sans  espoir » 

Août  1909.  Sambirano.  —  «  A  passer  loin 
des  routes  battues,  on  a  souvent  des  surprises. 
J'ai  pu  assister  à  un  Joro-Velona.  Sur  la 
place  du  village,  la  population  est  assemblée, 
silencieuse,  presqu'émue.  Elle  regarde  un  bœuf 
qu'on  vient  d'écorcher,  elle  écoute  l'intermina- 
ble litanie  que  font  deux  vieillards  à  un  autre 
bovidé.  L'un  des  deux  hommes  tient  la  queue 
de  l'animal,  il  la  tient  à  deux  mains,  et  il  lui 
adresse  un  discours  embrouillé  où  tous  les  noms 
des  ancêtres  trouvent  place.  A  la  fin  il  perd  la 
mémoire,  il  tend  la  queue  du  bœuf  à  son  con- 
frère: «  Reçois-la;  moi,  je  ne  sais  plus  »;  et  l'au- 
tre continue.   Tandis  que  se  passe  cette  scène, 


88  LE    TROMBA 

une  autre  se  déroule  un  peu  plus  loin.  Il  se  fait 
une  bénédiction.  D'une  case  de  bois  on  jette  de 
l'eau.  Au  lieu  de  fuir,  chacun  se  précipite  en 
avant.  C'est,  en  effet,  l'eau  qui  a  servi  à  laver 
le  malade  en  vue  de  qui  est  fait  le  Joro-Ve- 
lona  ;  elle  est  devenue  sacrée,  et  en  recevoir 
une  goutte  équivaut  à  prendre  un  remède  pré- 
ventif. C'est  un  enfant  qui  est  malade,  il  se 
plaint  de  la  tête,  de  la  nuque,  tous  les  os  lui 
font  mal...  Un  Zanahary  habite  en  lui  et  il  faut 
obtenir  qu'il   sorte 

J'ai  fait  une  visite  à  Ts***,  le 

roitelet  de  la  région.  Il  venait  d'arriver,  et  je  me 
suis  trouvé  chez  lui  en  même  temps  que  les  fem- 
mes et  tout  le  peuple  qui  venaient  le  saluer.  Une 
chose  me  frappe  :  la  similitude  complète 
qu'il  y  a  entre  la  cérémonie  du  Tromba  et  celle 
de  la  salutation.  C'est  même  si  frappant  qu'on 
pourrait  prendre  l'une  pour  l'autre:  même  genre 
de  chants,  mêmes  claquements  de  mains,  on  brûle 
de  l'encens,  on  fait  des  génuflexions,  on  vient 
même  appuyer  le  front  sur  les  pieds  du  roi,  en 
adressant  des  prières  et  des  louanges,  car  il  siège 
sur  une  sorte  de  lit  d'honneur  ;  même  cette  der- 
nière coutume  est  mise  en  pratique  dans  les  cas 
de  Tromba.  Ici  Ts***  remplace  le  malade  !  Signi- 
ficatif !   » 


QUELQUES    NOTES  89 

Août  1909.  Ampasimena.  —  «  ...Dans  la  cour 
de  la  maison  royale  de  B***  sont  assemblés  des 
hommes,  des  femmes.  Déjà  cela  dure  depuis 
deux  jours,  personne  ne  semble  fatigué  de  chan- 
ter ;  on  se  relaie.  Il  s'agit  d'obtenir  du  Zanahary 
une  manifestation  en  faveur  d'une  jeune  femme 
qui  est  désespérée  de  ne  pas  avoir  d'enfant.  Elle 
est  assise  en  face  de  l'autel,  vraie  statue  de  la 
douleur  et  du  découragement.  Sa  patience  sem- 
ble sans  borne.  De  temps  en  temps,  un  huhule- 
ment  dit  qu'un  esprit  secondaire  passe.  On  s'at- 
tend à  quelque  chose  ;  car  les  lamba  de  rechange 
sont  là.  Je  remarque  que  la  maîtresse  des  céré- 
monies est  la  même  que  celle  que  j'ai  vue  au 
bord  de  la  Mahavavy  :  elle  se  dandine  sur  son 
bâton  en  soupirant  et  en  marmottant  des  choses 
incompréhensibles.  Elle  compte  l'argent  dans 
l'assiette,  elle  met  du  blanc  sur  le  nez  de  quel- 
ques  personnes.     C'est     une     professionnelle 

L'esprit  ne  s'est  pas  manifesté  et  la  jeune  femme 
n'aura  pas  d'enfant...  On  me  dit  que  B***  a  un 
Tromba  mensuel  !  Serait-ce  le  signe  distinctif 
des  princesses  ?  » 

Septembre  1909.  Ankingabe.  —  «  ...Je  n'y 
suis  pas  allé.  J'en  éprouve  trop  de  tristesse,  mais 
évidemment   c'était   une   fête.    Les   toilettes   les 


90  LE    TROMBA 

plus  riches  ont  été  étalées,  tandis  qu'on  se  cou- 
vrait de  bijoux.  C'était  un  rutilement  de  soie  et 
d'or.  Cela  a  duré  trois  jours  et  doit  recommencer 
la  semaine  prochaine...  C'est  un  grand  Zanahary, 
paraît-il...    » 

Janvier  1910.  Marovoay.  —  «  C'est  bien  en 
vain  qu'on  voudrait  défendre  le  Tromba.  Le  dé- 
fendre du  reste  est  une  erreur.  Je  viens  de  le 
voir  en  ville  dans  une  grande  cérémonie.  Je  suis 
arrivé  alors  qu'une  foule  entourait  un  possédé. 
Il  se  balançait  en  faisant  des  grimaces  avec 
son  nez  et  sa  bouche  et  en  soufflant  curieuse- 
ment. On  aurait  pu  croire  un  chat  en  colère.  Evi- 
demment, à  le  regarder,  on  éprouve  une  certaine 
gêne.  Il  est  soutenu  par  un  individu  qui  obéit 
à  tous  ses  gestes.  Tout  d'un  coup  le  possédé 
en  veut  à  ma  personne.  Il  s'avance  sur  moi  et 
s'étonne  de  ne  me  voir  pas  plus  remuer  que  s'il 
n'était  pas  là.  Il  sort  de  la  case  ;  j'en  profite 
pour  y  entrer.  On  en  a  fait  un  doany  en  deux 
parties.  Auprès  de  la  toile  qui  simule  une  tente, 
il  y  a  une  chaise  dont  je  m'empare,  cela  pour 
la  plus  grande  stupeur  du  public  ;  c'est  la  chaise 
de  l'esprit  qui  se  promène  autour  de  la  case. 
Celui-ci  rentre  et  vient  me  souffler  dans  la  fi- 
gure.  Il  veut  sa  chaise  sans   doute,   mais  cette 


QUELQUES     NOTES  91 

fois-ci  j'entends  la  garder  ;  du  reste  je  n'ai  pas 
encore  ouï  dire  que  les  esprits  s'asseoient.  Je 
prends  la  main  de  mon  homme,  elle  est  moite 
et  fraîche,  le  pouls  est  normal,  les  yeux  à  peine 
vagues  quoique  le  regard  soit  fixe.  J'entreprends 
de  faire  asseoir  le  possédé  sur  la  natte.  J'or- 
donne :  Assieds-toi  !  il  se  trémousse  un  peu.  Je 
répète  l'injonction  sans  autre  résultat  que  de 
voir  souffler  le  chat.  Alors,  sur  un  ton  qui  n'ad- 
met plus  de  réplique  :  «  Assieds-toi  !  »  Do- 
cilement le  possédé  obéit,  il  reprend  un  air  natu- 
rel, il  se  frotte  les  yeux  avec  force.  Après  quel- 
ques explications,  je  me  retire...  Dans  la  rue  le 
possédé  me  rejoint  et  me  fait  observer  que  j'ai 
des  vêtements  européens  ce  qui  offense  Andria- 
misara » 

Avril  1910. —  «  Il  y  a  un  petit  Tromba  domes- 
tique. Je  suis  entré  chez  Ra***  et  j'ai  été  bien 
surpris  de  trouver  la  famille  en  train  de  «  ser- 
«  vir  ».  Le  Tromba,  cette  fois,  s'était  emparé  de 
la  femme,  et  elle  avait  dressé  l'autel,  une  minia- 
ture d'autel  ;  du  miel  dans  une  bouteille,  l'as- 
siette avec  la  terre  et  l'argent  étaient  là,  etRa*** 
était  assise  regardant  fixement  dans  le  miroir 
rayé  de  blanc.  Elle  est  certainement  aussi  sur- 
prise que  moi  ;  elle  ne  s'attendait  pas  à  me  voir. 


92  LE    TROMBA 

Elle  s'excuse,  elle  est  malade  de  la  fièvre,  les 
remèdes  des  Vazaha  n'y  ont  rien  fait,  alors, 
«  comme  on  sait  bien  qu'il  faut  suivre  la  relU 
«  gion  des  gens  du  pays  où  Von  habite  »,  elle  s'est 
mise  à  servir  —  et  sa  famille  à  boire  suivant  l'ha- 
bitude. —  Ra***  est  hova  et  le  Tromba  l'a  prise 
comme  tant  de  ses  compatriotes.  J'essaie  quel- 
ques explications  ;  mais  on  a  déjà  beaucoup  bu 
dans  l'après-midi  et  les  hommes  n'ont  plus  toute 
leur  raison.  Donc  je  me  retire,  pour  être  bientôt 
suivi  par  la  femme  qui  me  couvre  d'injures  au 
nom  du  Tromba  :  Je  veux  donc  la  faire  mourir 
que  je  trouble  ainsi  le  Zanahary  ?  Elle  va  souf- 
frir plus  que  jamais  et  c'est  moi  qui  suis  res- 
ponsable     Tromba    et    alcoolisme    sont    deux 

choses  qui  me  paraissent  se  rencontrer  assez  sou- 
vent. » 

Juillet  1910.  Madirovalo.  —  «  ...En  face  de 
chez  moi,  il  y  a  circoncision,  et  les  événements 
promettent  d'être  corsés.  On  a  introduit  dans 
la  case  une  provision  d'alcool  suffisante  pour 
enivrer  une  bonne  partie  de  la  population.  Dans 
les  coins  on  parle  bas  ;  il  y  aura  invocation  des 
•ancêtres,  Tromba.  C'est  samedi,  on  a  déjà  bu 
passablement;  mais  c'est  surtout  dans  la  nuit  de 
dimanche  que  doivent  se  manifester  les  esprits. 


MAHABIBA  :  Dans  l'intérieur  du  Vala-Mena 


LES   FEMMES   A   L  INTÉRIEUR   DU   VALA-MENA    SERVENT 

L'individu  debout  est  un  a  fondu  »  (il  fut  même  gouverneur) 
On  aperçoit  un  des  bœufs  sacrifiés 


QUELQUES     NOTES  93 

La  journée  du  dimanche  est  passée  à  monter 
une  case  pour  les  invités,  on  boit,  on  rit  ;  déjà  des 
femmes  chantent,  claquent  des  mains  ;  on  essaie 
de  faire  danser  des  enfants.  Une  femme  s'en 
mêle.  On  pourrait  croire  qu'il  s'agit  d'un  simple 
jeu,  elle  est  un  peu  confuse.  En  réalité  il  s'agit 
d'essayer  le  tempérament,  de  provoquer  la  crise 
dans  laquelle  l'esprit,  les  esprits  se  manifesteront. 
Tour  à  tour  on  chante  hova  et  sakalave  ;  mais, 
dans  cette  case,  il  n'y  a  pas  un  Sakalave,  pas  un 
Makoa,  pas  un  !  La  nuit  passe.  A  deux  heures 
du  matin,  scandale.  On  se  bat,  sans  du  reste  que 
s'interrompent  les  chants  et  les  femmes  entran- 
cées.  Je  sépare  les  combattants,  poignant  specta- 
cle sous  la  lueur  rouge  d'une  torche  d'herbe. 
Les  femmes,  toutes  occupées  à  leur  affaire,  ne 
semblent  pas  voir  que  les  hommes  sont  ivres. 
On  sort  en  cortège  pour  aller  chercher  l'eau  né- 
cessaire à  la  cérémonie  qui  doit  avoir  lieu  au 
lever  du  soleil.  Un  sorcier,  plusieurs  hommes 
excitent  les  femmes  qui,  certes,  n'ont  plus  be- 
soin de  cela  ;  elles  sont  plusieurs  déjà  qui  ges- 
ticulent étrangement,  tandis  que  les  hommes 
invoquent  les  ancêtres  qui  parlent  par  elles.  Au- 
tour de  la  case,  c'est  un  vrai  sabbat,  une  sara- 
bande affolante,  une  ronde  d'insensés  en  fureur 
qui  frappent  à  tour  de  bras  sur  les  murs  de  la 


94  LE    TROMBA 

case,  à  l'intérieur  ;  c'est  dix,  quinze,  vingt  fem- 
mes qui  sont  prises  par  le  délire  ;  il  ne  reste  pres- 
que plus  personne  pour  chanter,  les  hommes 
hurlent  ;  les  femmes,  presqu'entièrement  dévê- 
tues, bondissent  d'une  manière  invraisemblable, 
se  bousculant  les  unes  les  autres,  les  bras  en 
l'air,  poussant  des  cris  qui  n'ont  plus  de  nom. 
Elles  ont  complètement  perdu  tout  contrôle  sur 
elles-mêmes,  et  cette  folie  dure  jusqu'au  lever  du 
soleil  et  pendant  l'opération  de  la  circoncision  (1). 
Inutile  de  vouloir  les  arrêter,  elles  sont  dominées 
par  leurs  nerfs  et  déployent  une  force  extraordi- 
naire. Il  y  a  là  des  femmes  que  j'ai  vues  saines 
de  raison  ;  elles  ne  me  reconnaissent  plus,  elles 
sont  toutes  à  leur  étrange  exercice,  les  esprits 
des  ancêtres  se  sont  emparés  d'elles.  La  conta- 
gion est  un  fait  ;  il  y  a  des  femmes  là  qui  au- 
raient voulu  échapper  et  elles  ont  dû  se  joindn 
à  leurs  compagnes. 

«  Un  fait  m'a  frappé  dans  ce  cas,  comme  dans 
plusieurs  autres.  A  un  moment  donné,  que  rien 
ne  fait  prévoir,  la  scène  cesse  brusquement, 
sans  transition  ;  et  ces  femmes  qui,  il  y  a  un  ins- 
tant, avaient  tout  oublié,  redeviennent  modestes 


(1)  J'ai  su  depuis  que  l'opération  faite  dans  ces  conditions 
a  eu  de  déplorables  suites  ;  l'un  des  enfants  a  failli  mourir 
et  restera  infirme. 


QUELQUES    NOTES  95 

d'apparence  et  aussi  paisibles  que  si  rien  d'ex- 
traordinaire ne  s'était  passé  ;  elles  fuient  même 
en  ramassant  à  la  hâte  quelque  vêtement,  prises 
soudain  d'une  honte  qu'on  serait  en  droit  de 
trouver  étrange,  si  on  ne  les  croyait  en  effet, 
lorsqu'elles  obéissent  au  Tromba,  sous  une  in- 
fluence qu'elles   ne  peuvent  fuir.    » 

Août  1910.  Ambato,  Boina.  —  «  ...Le  soleil 
commence  à  mordre  moins  fort  ;  je  me  promène 
de  long  en  large,  échangeant  quelques  propos 
avec  les  passants  jamais  pressés.  Voici  venir 
un  milicien  !  Il  est  bien  bossu  de  tous  les  côtés  ! 
C'est  étrange  pour  un  militaire  !  Ah  !  c'est  que 
dans  ses  poches,  vrais  sacs,  sous  ses  bras  et  jus- 
que dans  son  dos,  il  y  a  des  bouteilles  de  «  Tau- 
reau (1)  ».  Il  y  a  fête  chez  lui,  dit-il  sans  s'arrêter  ! 
Je  le  laisse  passer  et  j'emboîte  le  pas.  Certai- 
nement il  y  a  anguille  sous  roche,  allons  voir  1 
A  peine  quelques  minutes  de  marche  et  nous 
voici  auprès  d'une  case  où  l'on  chante.    J'y  suis  ! 


(1)  Nom  donné  à  un  gros  vin  qui,  après  coupage,  est  vendu 
aux  indigènes.  J'ai  vu  aussi  vendre  sous  le  même  nom  un 
mélange  fait  avec  un  verre  de  vin  par  litre,  une  dose  d'alcool 
et  de  l'eau  ayant  passé  sur  de  l'écorce  de  palétuvier  ;  le 
mélange  qui  revenait  à  0.22  par  litre,  était  vendu  0.80  et 
servait  de  payement,  en  partie  du  moins.  Le  traitant,  pour 
s'excuser,  disait:  «  Ils  aiment  mieux  cela.  » 


96  LE   TROMBA 

Il  s'agit  d'un  cas  de  Tromba.  J'entre.  Une  grosse 
mégère  a  la  prétention  de  me  faire  boire  une 
mixture  composée  d'eau,  de  miel  et  de  terre  blan- 
che dans  laquelle  elle  a  longuement  promené  ses 
doigts  graisseux.  Mon  regard  la  cloue  sur  place. 
Je  ne  désire  pas  parler,  mais  voir  et  entendre. 
Mon  silence  fait  que  je  suis  vite  oublié. 

«  Au  milieu  de  la  case  est  une  femme  habil- 
lée à  la  façon  des  hommes  sakalaves,  elle  porte 
un  chapeau,  —  un  chapeau  d'homme,  les  femmes 
n'en  portent  jamais.  Tout  autour  d'elle,  une 
troupe  de  chanteurs  s'égosillent  à  qui  mieux 
mieux  en  claquant  des  mains.  Un  grand  indi- 
vidu presque  nu  excite  de  la  voix  et  du  geste 
ceux  qui  sont  tentés  de  se  reposer,  et  le  «  Taureau  » 
est  versé  à  grandes  rasades.  La  grosse  mégère  se 
promène  toujours  avec  son  bol  à  la  main.  Elle 
fait  boire  les  passants  :  rares  sont  ceux  qui  osent 
refuser.  La  malade,  indifférente  à  tout,  me  re- 
garde d'un  œil  vague.  En  face  d'elle  est  une 
femme  qui  se  dandine  et  pousse  parfois  des  cris 
sauvages  en  s'approchant  du  visage  de  la  pa- 
tiente. Elle  la  force  à  regarder  dans  un  miroir 
sur  lequel  on  a  tracé  des  raies  blanches  ;  puis 
elle  fait  quelques  passes  de  la  main  droite  en 
tenant  le  miroir  de  la  main  gauche,  et  la  malade, 
vaincue,  incline  la  tête  en  grimaçant,  les  lèvres 


QUELQUES    NOTES  97 

tombantes.  Elle  dort.  La  femme  au  miroir  pousse 
un  grand  cri  et  chacun  l'imite  :  l'esprit  est  là,  il 
va   parler. 

«  La  malade  commence  à  danser  sur  son 
séant  sans  le  moindre  souci  de  la  pudeur;  elle 
tourne  en  frappant  des  pieds,  elle  étend  les  bras 
en  faisant  de  grands  gestes,  en  accord  du  reste 
avec  les  battements  de  mains  et  tout  le  tinta- 
marre rythmé  qu'on  fait  autour  d'elle.  Elle  n'a 
plus  conscience  de  rien.  A  ce  moment,  de  plusieurs 
côtés  on  crie:  «  elle  veut  écrire,  elle  veut  écrire  !  »  —  On 
lui  donne  un  crayon  —  et  elle  fait  le  geste  d'écrire 
dans  l'espace,  d'une  manière  très  lente.  Les  assis- 
tants se  mettent  à  invoquer  le  Zanahary  ;  ils 
veulent  savoir  son  nom,  on  le  supplie  d'abandon- 
ner la  malade,  on  le  remercie  de  tant  d'honneur. 
La  femme  au  miroir  intervient  de  nouveau,  donne  à 
boire  à  la  malade  l'eau  de  l'assiette  et  lui  fait  de 
grandes  raies  blanches  du  coin  des  lèvres  jusqu'aux 
oreilles.  Celle-ci  se  met  à  parler,  et  l'individu  qui 
excite  les  chanteurs  répond  ;  il  s'établit  une  sorte 
de  conversation  entre  l'esprit  et  les  gens,  par  son 
moyen.  On  demande  des  remèdes,  des  indica- 
tions   de   jours,    des    nouvelles    de   parents,    etc. 

«  Pendant  tout  ce  manège,  quelques  femmes,  au 
dehors,  ont  préparé  une  tente,  et  elles  viennent 
avertir  que  le  Bain  est  prêt.   On  cherche  aussi 

7 


98  LE   TROMBA 

des  lamba  auxquels  on  a  l'air  de  tenir  spécia- 
lement. D'un  signe  la  femme  au  miroir  dit  qu'il 
faut  attendre.  Tout  d'un  coup  la  malade  gri- 
mace plus  douloureusement,  elle  pleure  à  gros- 
ses larmes  et  danse  toujours  en  frappant  alter- 
nativement des  pieds  ;  elle  vire  sur  sa  caisse  tan- 
tôt dans  un  sens,  tantôt  dans  l'autre.  Ses  mouve- 
ments deviennent  brusques,  elle  se  frappe  la  tête, 
commence  à  s'arracher  les  cheveux.  C'est  une 
lutte  entre  la  femme  au  miroir  et  elle.  L'émotion 
est  grande  parmi  les  assistants  ;  plusieurs  pleu- 
rent. Il  y  a  des  salutations  ;  elles  vont  d'un  esprit 
à  l'autre.  Les  Tromba  sont  là,  ils  agissent  sur 
les  assistants,  ils  en  ont  fait  leurs  choses. 

«  A  ce  moment,  n'y  tenant  plus,  j'empoigne 
par  un  bras  l'excitateur,  et  je  vais  le  placer  à 
quelques  mètres  hors  de  la  case  dans  laquelle  tout 
d'un  coup  se  fait  un  silence  de  plomb.  On  entend 
les  gens  respirer.  La  malade  ne  se  réveille  pas,  ses 
bras  tombent  le  long  du  corps,  sa  tête  se  baisse 
très  bas,  comme  si  la  nuque  ne  pouvait  la  porter. 
Je  prends  le  bras,  il  retombe.  J'essaye  dedever  la 
tête,  elle  retombe.  J'essaye  d'ouvrir  l'œil,  je  ne 
rencontre  aucune  résistance.  La  cornée  est  insen- 
sible, le  pouls  est  très  faible,  les  battements  des 
tempes  sont  lents  et  plutôt  durs  ;  la  main  est 
froide  et  moite.  La  malade  ne  sent  rien,  elle 
s'affaisse  dans  la  position  où  on  la  place. 


QUELQUES    NOTES  99 

;  • 

«  Tandis  que  je  me  livre  à  cet  examen,  tout 
autour  de  moi  on  se  lamente:  «  Ne  lui  fais  pas 
«  de  mal,  ne  te  fâche  pas,  c'est  un  ami,  il  parle 
«  malgache  comme  nous,  sois  bon,  secours-nous, 
«  sauve-nous.  »  D'abord  je  me  demande  si  c'est 
à  moi  qu'on  s'adresse.  Mais,  non  !  on  est  age- 
nouillé, on  lève  les  mains  en  l'air,  on  se  pros- 
terne le  front  en  terre.  Alors  c'est  à  la  malade  ? 
Non,  elle  est  insensible  et  n'entend  rien.  C'est  au 
lolo  Zanahary  que  ces  supplications  sont  adres- 
sées. La  femme  revient  à  elle  très  lentement  et 
je  me  retire  suivi  du  mari  qui  me  demande  de 
ne  pas  l'accuser  auprès  des  autorités.  Il  m'expli- 
que en  pleurant  :  sa  femme  est  malade  de  la 
fièvre,  comme  jamais  ;  rien  n'a  pu  la  guérir.  C'est 
le  lolo  du  Boïna  qui  la  fait  souffrir  ;  alors  on 
fait  le  «  Service  »,  on  en  est  à  la  deuxième  céré- 
monie... Je  lui  donne  quelques  conseils  et  lui 
demande  de  m'amener  sa  femme  quand  elle  sera 
dans  son  bon  sens 

« Ils  sont  venus.  Je  n'ai  presque  pas  re- 
connu la  femme  dans  ses  vêtements  hova  pro- 
pres et  soignés.  Son  visage  reposé  est  si  diffé- 
rent que  je  me  demandais  si  c'était  bien  la  même 
personne.  Elle  ne  se  souvient  de  rien,  elle  se 
plaint  seulement  d'avoir  mal  à  la  racine  des  che- 
veux.   On  comprend  cela,   et  le  contraire  éton- 


100  LE   TROMBA 

nerait.  Hier  elle  aurait  mangé  du  verre  pilé,  bu 
du  vinaigre  chaud,  avalé  des  aiguilles  sans  s'en 
rendre  compte.  Ce  dont  elle  souffre,  c'est  d'un 
état  palustre  qui  remonte  à  plusieurs  mois  ;  il 
lui  faut  de  la  quinine,  une  nourriture  appro- 
priée     » 

Octobre  1910.  Antalia.  —  «  ...Il  est  bien  petit, 
le  village,  mais  on  y  trouve  un  homme  ayant 
des  relations  avec  les  esprits.  Dans  sa  case,  juste 
sous  le  toit,  est  suspendue  une  claie  sur  laquelle 
est  rangé  en  bon  ordre  tout  ce  qui  est  néces- 
saire à  l'évocation.  Il  s'explique  volontiers  ;  mais, 
s'il  connaît  les  manières  de  procéder,  il  ignore 
les  raisons  ou  les  origines  des  pratiques.  Il  vient 
de  descendre  la  claie,  il  a  dressé  l'autel  minus- 
cule. «  Pourquoi  cela  ?»  —  «  Je  demande.  » 
—  «  Tu  demandes  quoi  ?»  —  «  Je  demande 
«  parce  que  mon  enfant  est  malade.  »  Il  met 
de  l'encens  dans  deux  coupes,  de  la  terre  blan- 
che dans  une  assiette  blanche,  de  l'argent,  des 
pois  (poas)  d'or  et  d'argent.  —  «  Mais  pour- 
quoi cela?  »  —  «  Je  demande!  »  Et  tandis 
que  l'encens  brûle,  il  élève  les  deux  mains  vers 
l'est  en  murmurant  une  formule  qu'il  ne  veut 
pas  répéter.  Il  prend  un  peu  de  blanc  sur  son 
doigt  et  il  trace  une  longue  ligne  sur  la  tête  de 


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QUELQUES    NOTES  101 

son  fils,  depuis  l'extrémité  du  nez  jusqu'à  l'oc- 
ciput. Toute  la  famille  y  passe  ;  un  voisin  peut 
se  faire  oindre  le  sommet  de  la  tête  et  le  des- 
sous des  oreilles.  Encore  une  invocation  mur- 
murée, il  semble  que  seul  l'homme  prie,  les 
autres  n'écoutent  même  pas.  On  boit  l'eau  de 
l'assiette,  chacun  en  a  une  gorgée;  puis  tout  l'at- 
tirail est  placé  dans  un  linge  blanc  remis  sur  la 
claie,  elle-même  recouverte  d'un  morceau  d'étoffe 
blanche.  «  Alors  c'est  fini  ?  »  —  «  Oui,  j'ai  de- 
ce  mandé.  »  —  «  Oui,  et  après  ?  »  —  «  Après,  on 
«  verra  ;  peut-être  le  Mo  sera-t-il  content,  car  on 
«  lui  a  donné  de  l'argent  !  »  —  «  Ah  !  »  J'exa- 
mine le  garçonnet,  il  a  une  fièvre  violente,  des 
maux  de  tête.  On  accuse  un  Zanahary  de  vivre 
en  lui,  et  c'est  la  fièvre  paludéenne.  Tout  ce  qui 
est  bon,  tout  ce  qui  est  mauvais,  on  l'attribue  aux 
esprits » 

Fin  octobre  1910.  Miadana.  —  «  ...J'ai  vu  deux 
mendiantes,  bien  intéressantes  l'une  et  l'autre. 
Esclaves  toutes  les  deux,  leurs  sorts  sont  cepen- 
dant fort  différents,  quoiqu'aussi  peu  enviables 
que  possible.  La  première  :  «  Sans  parents,  sans 
«  amis,  sans  enfants.  Je  n'ai  plus  la  force  de  tra- 
ce vailler,  et  pour  comble  je  suis  aveugle.  Je  n'ai 
«  rien,  absolument  rien,  pas  même  un  Zanahary.   » 


102  LE   TROMBA 

Et  c'est  cela  surtout  qu'elle  regrette;  car,  avec 
un  Zanahary,  elle  pourrait  vivre,  on  la  crain- 
drait, ou  on  la  soignerait  pour  recevoir  quelque 
chose  du  Mo  :  Triste  destinée,  «  n'avoir  pas 
même  un  Zanahary  !    » 

«  La  deuxième  parle  avec  une  certaine  no- 
blesse, et,  malgré  ses  infirmités,  son  maintien 
a  quelque  chose  de  digne.  Elle  aussi  est  sans 
personne  ;  mais,  avec  une  vraie  fierté,  elle  dit  : 
«  J'ai  un  Zanahary  »;  et  elle  montre  son  front, 
sa  nuque  (la  fièvre),  ses  jambes  ankylosées  qui  ne 
veulent  plus  la  porter  (rhumatisme).  «  Comment 
«  sais-tu  que  tu  as  un  Zahanary  ?  »  —  «  Il  remue 
«  en  moi  »,  et  elle  montre  sa  tête,  sa  poitrine.  Je 
veux  tâter  le  pouls.  La  pauvre  vieille  est  alors 
secouée  par  de  grands  frissons  qui  passent  sur 
tout  son  corps  décharné  :  C'est  le  Zanahary  qui 
proteste.  «  Et  qu'est-ce  qu'il  veut,  ton  Zana- 
«  hary  ?  »  —  «  Il  veut  de  l'argent,  le  service,  alors 
«  il  sortira    et  je  serai  guérie.    »   Hélas  !  » 


CHAPITRE    VI 


LE    TROMBA 

MALADIES  —   AGENTS  —  PRÉPARATIFS 


Le  mot  Tromba  n'a  pas  un  sens  unique.  Il 
représente  souvent  tout  l'ensemble  des  cérémo- 
nies auxquelles  donnent  lieu  les  visites  des  ancê- 
tres. D'autres  fois  il  désigne  seulement  le  malade 
dans  lequel  les  esprits  ont  élu  domicile  ;  mais 
alors  c'est  par  extension  ;  car  il  est  bien  entendu 
que  ce  sont  les  esprits  seuls  qui  sont  les  Tromba. 
Enfin  les  maladies,  certaines  maladies,  sont  appe- 
lées Tromba,  comme  étant  causées  par  les  lolo 
ou  le  Zanahary. 

En  effet,  il  faut  un  état  physique  spécial  pour 
qu'éclatent  les  divers  phénomènes,  preuves  de  la 
présence  du  dieu.  Aussi  est-ce  surtout  ceux  qui 
font  une  longue  maladie,  ou  qui,  à  la  suite  d'une 


104  LE   TROMBA 

crise  subite,  ont  découvert  leurs  capacités  mé- 
dianimiques  ou  hypnotiques,  qui  se  trouvent 
en  possession  de  Tromba.  Ils  ne  se  rendent,  du 
reste,  aucunement  compte  de  la  succession  des 
phénomènes  dont  ils  sont  les  jouets,  et  ils  agis- 
sent dans  la  plus  complète  inconscience,  «  frap- 
pés par  le  Zanahary  »,  et  pour  obéir  aux  coutu- 
mes qu'ils  suivent  avec  la  plus  grande  supersti-  ! 
tion. 

Les  objets  choisis  de  préférence  comme  dignes 
des  attentions  du  Tromba  sont  les  gens  impalu- 
dés,  sujets  à  de  fréquents  accès  de  fièvre,  ou  qui 
en  sont  à  la  phase  de  cachexie  où  tous  les  mem- 
bres font  mal  et  où  même  parfois  on  éprouve  une 
certaine  difficulté  à  marcher.  Une  chaleur  intense 
s'empare  du  malade  ;  il  a,  dit-on,  «  la  fièvre  dans 
les  os  »;  ou  encore:  «  les  chiens  lui  mangent  les 
muscles  ».  Il  lui  semble  parfois  qu'on  lui  déchire 
les  chairs.  Peu  à  peu  il  s'affaiblit,  alors  que  son 
cerveau,  au  contraire,  est  en  proie  à  une  grande 
agitation.  Ses  pensées  ont  une  rapidité  extraor- 
dinaire, et  sa  lucidité  l'étonné  lui-même.  C'est  le 
commencement  du  délire.  Le  malade  s'en  rend 
compte  au  début,  mais  il  est  incapable  de  maî- 
triser ses  mouvements  ou  sa  pensée.  Le  Tromba 
s'est  établi  là  à  demeure.  Comme  le  fiévreux  a 
des  alternances  de  repos  ou  d'insensibilité  et  d'agi- 


MALADIES  AGENTS  PRÉPARATIFS      105 

tation,  on  dit  :  «  Le  Tromba  est  couché  »,  ou 
«  le  Tromba  veut  sortir,  agir,  il  demande  qu'on 
le  serve.  »  Les  gens  pris  par  les  rhumatismes,  par 
une  bronchite  chronique,  l'asthme  ou  des  symp- 
tômes de  tuberculose  pulmonaire  ou  autre,  sont 
aussi  «  frappés  par  les  esprits  ».  L'érysipèle, 
dont  la  marche  paraît  si  étrange  aux  indigènes, 
est  une  autre  façon  du  Tromba  de  se  manifester. 
Qu'un  état  fâcheux  de  santé  empêche  quel- 
qu'un de  trouver  le  sommeil  nécessaire  pour 
reprendre  des  forces,  ou  en  fasse  la  proie  de 
cauchemars  plus  ou  moins  effrayants,  il  est  cer- 
tainement la  demeure  des  ancêtres.  Le  rêve 
joue  ici  un  rôle  considérable  (1)  ;  mais  il  faut  qu'il 

(1)  Le  rêve  d'ailleurs  apparaît  dans  presque  toutes  les 
manifestations  religieuses.  11  est  tour  à  tour  punition  ou 
récompense...  Les  chrétiens  malgaches  eux-mêmes  lui  don- 
nent une  grande  importance.  Ceci  nous  a  forcé  à  examiner 
la  question  du  rêve  en  elle-même  et  à  chercher  à  l'expliquer. 
Cela  devenait  important,  soit  à  cause  de  la  fréquence  des 
occasions  où  il  fallait  parler,  soit  à  cause  de  cette  sorte  de 
loi  antithétique  qui  conduit  tantôt  une  âme  pure  à  faire  des 
rêves  où  l'odieux  le  dispute  à  l'absurde,  et  tantôt  un  parfait 
gredin  à  voir  les  cieux  ouverts  et  les  anges  servant  Dieu  dans 
la  Gloire.  Le  rêve  est  un  saut  du  subconscient  dans  le  cons- 
cient ou  par  dessus  le  conscient.  La  volonté,  à  l'état  de  veille,, 
repousse  une  pensée  ;  celle-ci  revient  brusquement  au  mo- 
ment où  la  volonté  ne  peut  plus  exercer  sa  tension,  comme  un 
ressort  reprend  sa  position  dès  que  ce  qui  le  maintient  cesse 
de  le  retenir.  Vous  repoussez  les  idées  impures,  mauvaises  ;, 
elles  reprennent  une  place  à  l'heure  où  vous  ne  pouvez  plus 
leur  opposer  la  résistance  de  la  volonté.  La  couche  inférieure 


106  LE   TROMBA 

ait  une  certaine  coordination.  Si  le  malade  a  vu 
la  mer,  un  bateau,  le  peuple  réuni  comme  pour 
une  fête,  les  chefs,  il  n'y  a  plus  à  douter  :  le  Trom- 
ba  est  là.  Il  est  facile  de  voir  dès  maintenant 
quelle  part  importante  la  suggestion  a  dans 
toute  cette  affaire.  On  se  souvient  qu'Andria- 
misara  ou  ses  prédécesseurs  sont  arrivés  par  la 
mer,  ils  sont  venus  à  bord  de  grands  voiliers,  le 
peuple  a  été  subjugué,  et  ils  ont  pris  en  main  la 
direction  de  la  tribu.  Un  cerveau  victime  déjà 
d'une  imagination  dévergondée,  encouragé  par 
les  conversations  journalières,  les  récits  abra- 
cadabrants, surexcité  par  de  longues  insomnies, 
et  toujours  prêt,  même  quand  il  n'est  pas  sous 
l'influence  de  la  fièvre,  à  traiter  de  divin  tout  ce 
qui  est  anormal,  est  préparé  à  faire  du  cauche- 
mar la  preuve  ultime  de  la  visite  des  esprits.  Le 
malade  croit  qu'il  personnifie  un  ancêtre,  qu'il 
revit  le  passé.  Il  se  dépersonnalise. 


qui  se  forme  en  dehors  de  notre  propre  désir  se  superpose  à 
celle  que  nous  avons  voulu  constituer.  Plusieurs  phénomènes 
religieux,  inattendus,  peuvent  s'expliquer  ainsi,  sans  du  reste 
qu'on  puisse  en  faire  une  règle  ;  l'hypothèse,  ici,  paraît  îé- 
pondre  à  la  réalité  des  faits  et  s'applique  avec  la  même  appa- 
rence de  justesse  aussi  bien  aux  rêves  mauvais  qu'aux  rêves 
bons,  lesquels  sont  une  cause  fréquente  de  la  conversion 
chez  les  noirs  ! 

Reste  à  examiner  la  différence  qu'il  peut  y  avoir  entre  la 
vision  et  le  rêve. 


MALADIES  AGENTS  PRÉPARATIFS      107 

Il  faut  noter  cependant  que  très  souvent  ce 
n'est  pas  le  malade  qui  pense  avoir  un  ou  plu- 
sieurs Tromba  (il  est  évidemment  question  de 
ceux  qui  sont  pris  pour  la  première  fois).  C'est 
la  famille  éplorée  qui  cherche  un  moyen  de  le 
soulager  ou  qui  veut  une  explication.  Elle  lui 
suggère  alors  qu'il  a  peut-être  un  Tromba.  Le 
malade  n'est  pas  toujours  facile  à  convaincre.  Il 
a  vu  des  scènes  qui  ont  fait  impression  sur  lui. 
Il  a  vu  les  patients  pleurer,  gémir,  crier  ;  et  cette 
situation  ne  lui  paraît  pas  enviable.  Mais,  dans 
la  presque  totalité  des  cas,  il  finit  par  céder  et  il 
se  rend,  accompagné  des  siens,  chez  un  mpisikidy 
plus  ou  moins  renommé.  Ce  dernier,  après  avoir 
consulté  ses  graines  et  interrogé  le  malade,  déclare 
si,  oui  ou  non,  il  y  a  lieu  de  se  livrer  aux  exor- 
cismes.  En  ce  cas,  il  désigne  l'individu  auquel  il 
convient  de  s'adresser. 

Ici  il  faut  faire  connaissance  avec  les  agents 
du  Tromba. 

Le  premier  et  le  plus  important,  c'est  le  Fondy, 
c'est-à-dire  l'individu  qui  possède  un  Tromba  de 
première  force  ou  esprit  guérisseur.  Mais  le  fondy 
ce  n'est  pas  lui  à  proprement  parler,  c'est 
l'esprit,  la  force  qui  est  en  lui.  Le  nom  qui  lui 
revient  en  fait,  c'est  Fiketrahana,  vieux  mot 
malgache  qui  veut  dire  :  siège.  Il  est  le  siège  du 


108  LE   TROMBA 

fondy  —  et  fondy  se  trouve  être  un  mot  Kisoa- 
heli  qui  se  traduit  par  «  charpentier  »,  «  fa- 
ce bricant  ».  Les  Malgaches  de  la  côte  lui  donnent 
le  sens  de  créateur.  Le  fondy  ou  fiketrahana,  véri- 
table hypnotiseur  (homme  ou  femme,  peu  im- 
porte) est  toujours  accompagné  d'un  Mpamoaka 
(qui  fait  sortir)  ou  Mpitam-baravarana  (qui  fait 
passer  la  porte).  Ce  dernier  doit,  invariablement, 
faire  partie  de  la  famille  du  fondy  et  être  en 
relations  particulièrement  intimes  avec  lui.  La 
plupart  du  temps,  c'est  le  mari  ou  la  fe*nme.  Ce 
mpamoaka  est  un  interprète,  c'est  grâce  à  lui 
que  les  assistants  pourront  comprendre  ce  qui 
se  passe  entre  le  fondy  et  le  malade  ou  bien 
entre  l'esprit  ou  les  esprits  qui  ont  pris  posses- 
sion de  lui  et  ceux  des  assistants,  la  présence  d'un 
esprit  attirant    d'autres    esprits. 

Le  fondy  est  appelé  guérisseur  ou  Moasy  parce 
qu'entrancé  lui-même  il  dit  alors  les  remèdes 
dont  il  faut  se  servir,  les  maladies  (noms  des 
rois)  dont  il  est  question.  La  puissance  plus  ou 
moins  réelle  de  Vody  indiqué  s'ajoute  à  sa  puis- 
sance intrinsèque,  et  le  malade  avec  lequel  il  est 
en  communication  est  d'autant  plus  facilement 
guéri,  sans,  du  reste,  que  ce  dernier  puisse  espé- 
rer —  ce  que  peut-être  il  ne  voudrait  pas  —  être 
séparé  à  jamais  de  son  Tromba.  On  donne  aux 


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MALADIES  AGENTS  PRÉPARATIFS      109 

fondy  le  qualificatif  de  grands,  quand  ils  ont  plus 
de  douze  Tromba,  et  le  nombre  des  Tromba  peut  aller 
jusqu'à  16.  On  ne  voit  d'ailleurs  pas  pourquoi 
le  chiffre  s'arrête  là.  Tout  aussi  bien  les  esprits 
pourraient  être  légion,  les  manifestations  se- 
raient semblables.  Nous  connaissons  plusieurs  de 
ces  fondy  et  mpamoaka  ;  ce  sont  des  hommes  et 
des  femmes  jouissant  en  apparence  d'une  bonne 
santé  (1)  ;  ils  ont  des  traits  intelligents,  mais  qui 
indiquent  une  forte  volonté.  Ils  ont  l'habitude  du 
commandement,  une  véritable  audace.  Ils  se 
sont  découvert  une  puissance  qu'ils  ne  s'expli- 
quent pas,  mais  dont  ils  usent.  Ils  se  considè- 
rent comme  des  élus.  Leur  rôle  est  d'autant  plus 
facile  qu'on  accepte  par  avance  de  se  soumet- 
tre à  eux.  Ils  sont  les  objets  d'une  véritable  véné- 
ration. Le  simple  énoncé  de  leur  nom  cause  sou- 
vent   une    explosion    de    sentiments    admiratifs. 

C'est  au  milieu  de  tout  un  appareil  que  le 
fondy  agit. 

Dans  la  partie  nord-est  d'une  pièce,  —  parfois 
on  fait  une  case  tout  exprès  (et  cela  explique 
les  tentes  qu'on  place  dans  le  lieu  désigné  par 


(1)  Il  y  a  là  une  différence  avec  leurs   «  clients  »   qui,  eux, 
sont  généralement  des  malades. 


110  LE   TROMBA 

l'esprit)  —  on  met  un  siège  :  une  caisse  générale- 
ment qui  doit  servir  au  malade.  On  la  décore  ou 
tout  au  moins  on  la  recouvre  d'un  tapis  :  c'est  le 
trône  royal.  En  face  du  trône  se  monte  un  autel 
sur  lequel  on  place  l'assiette  contenant  l'eau,  le 
miel,  la  terre  blanche,  des  racines  de  nénuphar, 
et  de  l'argent  ou  de  l'or,  offrande  aux  esprits. 
On  met  là  aussi  une  glace,  au  cas  où  le  Tromba 
serait  une  reine,  un  chapeau  au  cas  où  ce  serait 
un  homme.  Ici,  déjà,  nous  voyons  l'inconsé- 
quence des  agents  du  Tromba  ou  du  malade  :  la 
glace  servira  toujours,  qu'il  s'agisse  d'un  homme 
ou  d'une  femme,  elle  est  un  des  ustensiles  les 
plus  utiles  au  fondy,  et  il  ne  s'en  sépare  guère  ; 
il  en  a  besoin  quand  il  fait  ses  passes  et  pousse 
ses  cris.  L'eau  contenue  dans  l'assiette  prend  un 
goût  doux  grâce  au  miel,  amer  à  cause  des  ra- 
cines de  nénuphar  ;  elle  est  âpre  au  palais  à  cause 
de  la  terre  blanche.  Elle  est  sacrée,  et  c'est  une 
boisson  prise  avec  avidité  par  le  malade  ou  les 
assistants.  On  s'en  sert  aussi  pour  faire  des  as- 
persions. Le  mélange,  dit-on,  est  capable  de 
réchauffer  :  il  est  «  fanala  manintsy  »  (qui  enlève 
le  froid).  La  fièvre,  en  effet,  commence  par  un 
accès  algide,  et  généralement  les  malades  en  sont 
à  ce  stade  de  l'accès  au  début  de  la  cérémonie. 
L'eau   elle-même  doit  être  puisée  dans   des  en- 


MALADIES  AGENTS  PRÉPARATIFS      111 

droits  spéciaux  et  à  l'heure  où  aucun  quadru- 
pède ou  oiseau  n'a  pu  la  troubler.  Il  la  faut  par- 
faitement pure. 

Quant  à  la  terre  blanche,  qui  sert  à  marquer 
le  visage  des  assistants  ou  leur  corps,  les  bou- 
teilles et  tout  ce  qui  est  employé  pour  la  céré- 
monie, il  est  difficile  d'y  voir  autre  chose  qu'une 
de  ces  coïncidences  aimées  par  les  Malgaches  et 
recherchées  par  les  sorciers.  La  terre  blanche  est 
appelée  ravoravo,  «  joie  »,  «  contentement  »  ; 
ceux  qui  sont  oints  sont  «  ravoravoina  »,  c'est-à- 
dire  «  mis  en  état  d'être  joyeux,  contents  ».  On 
dit  bien  parfois  qu'il  y  a  là  une  idée  de  purifica- 
tion ;  mais  il  ne  s'agit  que  des  fady  transgressés, 
et  par  conséquent  la  valeur  qu'on  pourrait  attri- 
buer au  symbole  s'en  trouve  beaucoup  diminuée. 

Une  petite  coupe,  parfois  plusieurs  petites 
coupes  de  terre,  contenant  de  Vemboka  ou  encens 
malgache,  brûleront  devant  le  malade.  On  aura 
soin  de  l'entourer  le  plus  possible  de  fumée  ;  et 
plus  cette  fumée  s'élèvera  en  spirales  larges  et 
compactes,  plus  sûrement  l'effet  attendu  se  pro- 
duira. C'est  un  signe  d'adoration  et  de  prière; 
et  c'est  aussi,  pour  l'esprit,  un  moyen  de  fuir 
dans  les  airs.  C'est  encore  un  expédient  pour  agir 
sur  le  malade  qui,  peu  à  peu,  perd  conscience 
dans  cette  atmosphère  lourde  et  violemment  par- 
fumée. 


% 

112  LE   TROMBA 

De  chaque  côté  de  l'autel  sont  des  bouteilles 
de  miel  (c'est-à-dire  d'hydromel),  ou  d'alcool,  ou 
de  gros  vin  appelé  «  Taureau  ».  Cela  dépend 
des  endroits.  Les  bouteilles,  marquées  avec  la 
terre  blanche,  sont  au  nombre  de  deux  fois  sept, 
manière  de  dire  14  dans  le  Tromba  dont  l'arith- 
métique offre  quelques  singularités.  Toute  cette 
boisson  est  destinée  à  réchauffer  le  zèle  des  chan- 
teurs, à  réparer  leurs  forces.  Et  puis  c'est  une 
fête  de  recevoir  la  visite  royale;  d'où  nécessité 
urgente,  de  se  livrer  à  d'abondantes  libations 
dont  l'effet  se  fera  sentir  sûrement,  les  esprits 
agissant  avec  plus  de  liberté  dans  une  assem- 
blée que  les  fumées  de  l'alcool  ont  rendue  plus 
sensible. 

Dans  un  endroit  réservé  on  met  quelques 
lamba.  Ils  sont  destinés  au  malade  (homme  ou 
femme),  lorsqu'il  sera  entré  en  trance  et  qu'on 
saura  à  quel  genre  d'ancêtre  on  aura  à  faire. 
Ce  pourra  être  un  roi,  une  reine,  ou  même  un 
esclave,  son  envoyé;  il  sera  ho  va  ou  sakalave. 
Mais  une  fois  que  le  malade  aura  endossé  ces 
vêtements-là,  après  avoir  brusquement  rejeté  les 
siens,  ils  seront  conservés,  mais  pour  n'être 
jamais  portés,  sauf  au  jour  où  le  Tromba  se  mani- 
festera de  nouveau.  Ces  lamba  sont  semblables 
à  ceux  des  rois  d'autrefois  :  une  chemise  rouge, 


DOANY  DE  MAHABO 


Case  de  tôle  dans  le  Doany  de  Mahabo. 

Tombeau  d'un  guerrier  .  Andriamaha- 
tendriarivo,  de  son  vrai  nom  Itoko, 
fils  d'Andrianamboniarivo . 

La  colonne  de  soutènement  est  une  des 
rares  manifestations  artistiques  des 
Sakalaves.  On  en  retrouve  de  pareil- 
les dans  les  autres  Doany.  Très  dif- 
ficile à  obtenir  parce  qu'il  est  fady 
de  photographier. 


Un  essai  d'explication  de  la  colonne  sculptée  donne  le 
récit  suivant  (en  commençant  par  en  haut,  après  les  pre- 
miers dessins)  :  un  crocodile  s'est  emparé  d'une  femme 
(ou  un  esprit  sous  la  forme  d'un  crocodile)  —  le  mari 
éploré  fait  un  sacrifice  (ou  implore  un  bœuf)  le  mari  et 
la  femme  réunis  à  nouveau  se  réjouissent.  La  lance  repré- 
sente l'arme  préférée  des  Sakalaves  ;  l'individu  à  côté 
esquisse  un  mouvement  du  Tromba. 

(Dessin  fait  par  un  indigène) 


MALADIES  —  AGENTS  PRÉPARATIFS      113 

ou  bien  un  lamba  à  grandes  franges  ou  ayant 
encore  une  large  bande  de  soie.  Il  s'agit  de  toute 
une  garde-robe  de  demi-sauvage  dont  la  com- 
position est  fort  hétéroclite.  Un  homme  s'ha- 
bille en  femme  et  vice  versa  ;  cela  dépend  du 
Tromba.  On  voit  des  gens  fort  prévoyants  ; 
ils  apportent  leurs  lamba  royaux.  Par  avance  ils 
prennent  leurs  précautions.  Ils  sont  prêts  à  rece- 
voir la  visite. 

Un  dernier  instrument  doit  retenir  l'attention. 
C'est  la  canne  sur  laquelle  s'appuient,  à  tour  de 
rôle,  le  fondy,  le  mpamoaka  et  le  malade.  Elle 
est  longue,  à  la  façon  des  bâtons  de  montagne, 
parfois  ornée  de  sculptures  (des  arabesques,  un 
serpent,  un  caïman,  un  bœuf).  Le  haut  se  trouve 
creusé  sur  une  profondeur  de  quelques  centi- 
mètres où  contient  une  petite  boîte  d'argent  dans 
laquelle  on  a  mis  des  ody,  des  feuilles  diverses, 
des  petites  pierres,  du  miel,  de  la  graisse,  toute 
une  série  de  petites  malpropretés  dites  sacrées, 
qui  sont  le  secours  de  ceux  qui  s'appuyent  sur 
le  bâton.  On  pourrait  voir  en  lui  une  sorte  de 
sceptre  ;  mais  il  est  vrai  aussi  que  le  Sakalave 
n'aime  pas  marcher  sans  canne.  Elle  lui  rappelle 
sans  doute  sa  lance  dont  on  l'a  forcé  de  se  sépa- 
rer. Autre  particularité  :  le  bâton  est  quelque- 
fois muni  de  clochettes  qui  sont  censées  tinter 

8 


114  LE   TROMBA 

*en  dehors  de  la  volonté  de  celui  qui  le  tient,  et 
qui  s'agitent  vivement  quand  la  trance  vient  ou 
que  le  fondy  gesticule  en  criant  près  de  la  figure 
du  malade.  Celui-ci  à  son  tour  sursaute,  ce  qu'on 
aie  saurait  trouver  étonnant. 

Le  bruit,  —  un  grand  bruit  dans  certains  cas, 
imais    toujours    rythmé,    régularisant    les    divers 
«mouvements  du  malade,  soit  qu'il  danse  sur  son 
séant,  soit  qu'il  frappe  du  pied,  se  dandine,  ou 
marche  autour   de  la  case,   —  est   de  rigueur. 
domine  les  claquements  de  mains,  fort  divers,  ne 
■sauraient  suffire,  on  prend  des  tambours,  et  cela 
achève  de  donner  à  la  cérémonie  un  air  de  récep- 
tion à  la  cour  d'un  roi  nègre.  A  l'occasion,  od 
aura   d'autres  instruments   de  musique,  tels  qui 
violon  ou  accordéon,   sur  lesquels,  pendant   des 
heures  et  parfois   des  jours,   on  jouera  toujours 
les  quelques  mêmes  et  rares  notes.   On  se  con- 
tentera au  besoin  de  vieilles  boîtes  de  farine,  ou 
de  bidons  de  pétrole.  Une  simple  feuille  de  fer- 
blanc,  arrachée  à  quelque  caisse,  peut  faire  l'af- 
faire. L'essentiel  semble  être  d'étourdir  le  malade 

Enfin  on  a  soin  de  préparer  un  bain  qui  pourn 
être  exigé  par  l'hôte  royal  ;  c'est  la  suprêmi 
preuve   de  vénération  qu'on  puisse  lui   donner 

Dès  lors  il  n'y  a  plus  qu'à  attendre,  —  dan; 
un  demi-jour  si  possible  —  ;  et  le  plus  souven 


MALADIES  AGENTS  PRÉPARATIFS      115 

les  séances  débutent  de  manière  à  pouvoir  se 
poursuivre  dans  la  nuit.  Les  chants  commencent. 
Le  malade  fait  son  entrée,  et,  immédiatement,  le 
fondy  se  met  devant  lui,  tandis  que  le  mpamoaka 
excite   à   grands   gestes   l'ardeur   des   assistants. 


CHAPITRE    VII 


LE    TROMBA 

LES  ^QUATRE    GRANDS  STADES 


Si  les  cérémonies  du  Tromba  sont  monotones, 
allés  n'en  sont  pas  moins  nombreuses  ;  et,  seul, 
un  peuple  pour  qui  le  temps  ne  compte  pas  peut 
j'en  accommoder.  Non  seulement  chacune  des 
séances  est  longue,  mais  elles  se  renouvellent  plu- 
sieurs fois  à  des  époques  plus  ou  moins  rappro- 
chées, jusqu'à  ce  que  le  résultat  attendu  se  soit 
produit  ;  et  chaque  série  de  séances  prend  un 
caractère  spécial.  En  outre  des  réunions  prépa- 
ratoires, il  y  a  quatre  grandes  cérémonies  :  le 
Misafosafo  :  on  caresse  le  Tromba,  on  l'allèche, 
on  l'engage  à  venir  ;  —  le  Vakim-bava  :  le  Tromba 
signale  sa  présence  ;  —  Y Anpitononina  :  on  fait 
parler  le    Tromba,    on   l'invoque  pour   tous   les 


118  LE   TROMBA 

objets  possibles  ;  —  enfin  le  Valy-hataka  ou  réjouis- 
sance avec  sacrifice  de  reconnaissance. 

Le  fiketrahana,  averti  de  la  visite  d'un  malade 
ou  d'un  demandeur,  se  livre  lui-même  à  une 
série  d'exercices  qui  doivent  assurer  le  succès 
de  son  intervention.  En  premier  lieu  il  se  «  bai- 
gne »,  et  son  ablution  a  un  double  but  :  d'abord 
elle  efface  toute  trace  des  souillures  survenues 
à  la  suite  de  contacts  divers  ;  ensuite  elle  lui 
confère  un  caractère  spécial,  il  devient  sacré. 
Net  de  souillures,  sacré,  il  a  le  droit  d'entrer  en 
relations  avec  le  ou  les  fondy  qui  sont  en  lui, 
et  il  leur  adresse  des  invocations  en  leur  expli- 
quant les  raisons  pour  lesquelles  il  fait  appel  à 
leur  puissance.  En  réalité,  par  auto-suggestion, 
il  se  met  plus  ou  moins  en  état  d'hypnose  ;  cela 
explique  la  nécessité  d'un  mpamoa-varavarana 
qui,  naturellement,  doit  faire  partie  de  la  famille 
et  vivre  auprès  de  lui  pour  apprendre  et  inter- 
préter son  langage. 

C'est  alors  qu'on  introduit  pour  la  première 
fois  le  malade  auprès  de  lui,  mais  en  grand  secret, 
car  il  s'agit  de  déterminer  d'une  manière  sûre 
si  le  malade  est  victime  d'un  Tromba  ou  non. 
Quelques  personnes,  des  intimes,  sont  là.  Elles 
chantent,  frappent  des  mains,  ce  qui  est  obliga- 
toire durant  toutes  les  cérémonies  ;  et  le  malade 


LES  QUATRE  GRANDS  STADES  119 

est  en  face  du  guérisseur  (fiketrahana  ;  fondy 
\moasy,  les  Européens  disent  assez  improprement 
(sorcier).  Ce  dernier  a  deux  méthodes  de  travail  ; 
Icar,  on  l'a  compris,  ce  qu'il  a  besoin  de  savoir, 
c'est  s'il  est  en  face  d'un  sujet  sur  lequel  il  exerce 
quelque  action  ou  non.  Il  peut,  au  milieu  du 
bruit  rythmé,  par  le  moyen  des  passes,  de  la. 
glace,  obtenir  un  sommeil  plus  ou  moins  profond,, 
pendant  lequel  se  manifestent  des  tremblements. 
Le  mpamoa-varavarana  déclare  alors  que  la 
réussite  est  certaine  et  le  fondy  fixe  le  jour  d'une 
séance  publique. 

Cette  première  méthode  échoue-t-elle,  ils  en 
essaient  une  autre.  Le  malade  est  mis  sous  une 
sorte  de  grand  drap,  et,  sous  ce  drap,  on  brûle 
dans  une  petite  coupe  le  fameux  «  emboka  » 
et  quelques  herbes  odorantes  ;  et  tout  le  temps 
que  dure  cette  fumigation,  les  parents  s'agi- 
tent, chantent  leurs  invocations.  Après  un 
certain  temps,  si  l'opération  a  réussi,  le  malade 
est  rendu  à  l'air  libre  ;  il  n'a  plus  conscience  de: 
lui,  il  grimace  et  pleure  en  ayant  des  mouvements 
des  épaules,  des  bras  et  des  jambes,  qui  suivent 
le  rythme  des  claquements  de  mains.  C'est  par  ce 
moyen-là  que  le  «  mpamoa  »  agira  en  public.  Si 
le  malade  est  réfractaire,  —  et  le  cas  est  fré- 
quent, —  on  dit  simplement  :  «  Il  n'y  a  pas  de 
Tromba.    » 


120  LE   TROMBA 

La  première  séance  publique  ne  semble  avoir 
qu'un  but  :  prouver  aux  assistants  que  le  malade 
a  un  Tromba.  Réunis  dans  une  case,  ils  l'accueil- 
lent de  la  façon  dont  ils  accueilleraient  un  visi- 
teur royal,  et  ils  montrent  la  plus  grande  patience 
en  attendant  la  manifestation.  Ils  chantent  sans 
se  lasser  et  frappent  des  mains  avec  un  véritable 
art  ;  et  déjà  on  fait  circuler  les  bols  de  Toaka 
ou  de  «  taureau  ».  Le  fondy  fait  une  longue 
invocation  dans  le  bruit,  il  prie  les  ancêtres,  il 
les  nomme  tous  ;  il  leur  parle  du  malade,  et 
lui-même  semble  en  proie  à  une  crise.  De  son 
côté,  le  malade  tremble,  et  le  bruit  augmente 
autour  de  lui.  Les  tremblements  redoublent  ;  le 
fondy  reconnaît  un  parent  :  «  C'est  lui,  c'est 
bien  lui  »,  et  au  milieu  d'un  grand  tapage  joyeux, 
on  se  sépare.  Il  y  a  lieu,  en  effet,  de  se  réjouir. 
Le  fondy  indique  le  jour  de  la  prochaine  réu- 
nion, car  il  convient  d'éviter  les  jours  néfastes  ; 
mais  pour  les  fiévreux,  il  est  facile  de  voir  que 
le  jour  choisi  est  aussi  celui  de  l'accès.  Chacun 
se  retire,  marqué  de  signes  blancs  que  l'on  con- 
serve avec  soin  le  plus  longtemps  possible. 

La  deuxième  cérémonie  a  beaucoup  plus  d'ap- 
parat. Elle  est  plus  soigneusement  préparée  et 
représente  peut-être  ce  qu'il  y  a  de  plus  spéci- 
fiquement religieux  dans  le  Tromba. 


LES  QUATRE  GRANDS  STADES  121 

L'autel,  pourvu  de  tout  l'appareil  déjà  décrit, 
est  dressé  à  l'est  ou  nord-est  de  la  case.  Le  siège 
du  malade  est  en  face.  L'assemblée  regarde  vers 
l'est.  Comme  auparavant,  le  fondy  cherche  à 
mettre  le  malade  en  état  d'hypnose  ;  il  s'adresse 
lui-même  à  l'esprit  qui  s'est  emparé  du  malade 
et  en  qui  il  reconnaît  son  parent.  Les  assistants 
chantent  et  frappent  des  mains;  surtout,  ils 
prient  ;  on  peut  dire  qu'il  se  fait  là  de  vraies 
prières.  A  deux  genoux,  levant  les  deux  mains 
rapprochées,  la  paume  en  haut,  par-dessus  leur 
tête,  ils  s'adressent  au  dieu  qui  est  supposé 
cause  de  la  maladie.  Le  malade  a  péché,  ce  n'est 
qu'une  transgression  d'un  fady,  il  faut  lui  par- 
donner, et  la  preuve  du  pardon  sera  dans  la  fuite 
du  Tromba  ;  aussi  lui  demande-t-on  avec  ins- 
tance de  quitter  le  malade.  Ce  dernier,  pendant 
tout  ce  temps,  pleure,  gesticule,  grimace  de  tou- 
tes les  façons,  pousse  de  grands  soupirs.  De 
temps  à  autre,  comme  pour  diminuer  l'intensité 
de  la  crise  qui  paraît  extrêmement  douloureuse, 
le  fondy,  ou  son  aide,  verse  sur  la  tête  du  pos- 
sédé une  partie  du  contenu  de  l'assiette  blanche 
et  même  lui  en  fait  boire.  Après  cette  aspersion 
succède  un  moment  d'excitation  plus  intense  qui 
fait  dire  aux  assistants  :  «  II  est  là,  il  est  là  »; 
et  on  le  prie  avec  plus  de  ferveur.  A  ce  moment, 


122  LE   TROMBA 

le  fondy  fait  de  nouveau  boire  une  gorgée  de 
l'eau  sacrée  et  fait  une  grande  marque  blan- 
che sur  le  visage  du  patient  :  elle  part  du  coin 
des  lèvres  pour  aller  rejoindre  le  dessous  du  lobe 
de  l'oreille  :  c'est  le  vaky-vava  (vaky  :  casser  ; 
vava  :  bouche).  Par  cette  opération  la  bouche  du 
malade  a  été  ouverte,  car  jusqu'à  présent  il  n'a 
rien  pu  dire.  Il  parle  enfin  :  «  C'est  moi,  je  l'ai 
rendu  malade  »;  et  tous  les  assistants  de  s'écrier: 
«  Délivre-le  !  Va-t-en  !  »  Et  on  chante,  et  on 
crie,  et  on  fait  tout  le  tapage  possible,  comme 
s'il  s'agissait  d'effrayer  l'esprit,  tour  à  tour  en- 
censé et  honni. 

Puis  ce  n'est  pas  seulement  le  malade  qui  est 
possédé.  Parmi  les  assistants  il  y  en  a  un,  deux, 
trois,  et  parfois  un  beaucoup  plus  grand  nombre, 
qui  sont  «  frappés  par  le  Tromba  ».  C'est  une 
contagion  :  les  Tromba  anciens  se  sont  réveil- 
lés à  l'ouïe  de  la  présence  d'un  des  leurs,  et  il  y 
a  des  Tromba  nouveaux  qui  se  manifestent  spon- 
tanément. 

C'est,  en  général,  à  ce  moment  troublé  que  se 
passe  une  scène  dont  il  est  difficile  de  saisir  la 
cause,  à  moins  de  dire  qu'elle  est  suggérée  par 
le  fondy  ou  son  compagnon.  Le  malade  se  met  à 
hurler,  les  cris  ont  un  caractère  différent  suivant 
la  tribu  de  celui  qui  les  pousse  ;  il  s'agite  tou- 


LES  QUATRE  GRANDS  STADES  123 

jours  plus  violemment  pendant  quelques  instants; 
puis  tout  d'un  coup  il  s'avance  un  peu  par  mouve- 
ments brusques  et  disloqués  et  rejette  tous  ses 
vêtements. Les  assistants,  qui  prévoient  l'incident,, 
l'entourent  vivement  et  le  revêtent  de  lamba 
neufs.  La  même  scène  —  qui  est  un  vrai  symbole  — 
se  renouvelle  plusieurs  fois  ;  car  chaque  Tromba 
a  son  instant  de  crise  héroïque.  Les  lamba  de- 
viennent vêtements  royaux,  ils  sont  une  offrande 
au  dieu  et  lui  sont  consacrés.  On  les  garde  à  la 
maison  dans  un  endroit  réservé,  —  le  coin  fira- 
razana,  —  celui  où  se  font  les  prières. 

Le  malade  n'est  plus  dès  lors  considéré  que 
sous  sa  nouvelle  personnalité,  dont  on  ignore  encore 
le  nom  ;  lui-même  semble  avoir  oublié  son  véritable 
état.  On  le  conduit  au  bain  en  grande  pompe,  avec 
cortège,  dans  la  tente  ou  cabane  disposée  à  cet 
effet.  C'est  un  honneur  pour  lui,  une  joie  pour 
ses  amis.  A  son  retour,  on  le  reçoit  avec  des  trans- 
ports d'allégresse.  Revêtu  des  vêtements  royaux,, 
il  se  calme  brusquement.  Il  est  une  nouvelle 
créature  ;  son  attitude  même  change.  On  continue 
de  s'adresser  à  lui,  d'invoquer  les  dieux,  mais 
progressivement  l'excitation  diminue  ;  et,  si  on 
n'a  pas  fait  un  trop  grand  usage  des  boissons 
alcooliques,  le  silence  est  bientôt  complet.  On  se 
quitte    très    heureux    (avec    des    marques    exté- 


124  LE   TROMBA 

Tieures  de  satisfaction)  ;  on  est  assuré  de  la  gué- 
Tison  du  malade.  On  devise  sur  les  suites  probables 
de  la  séance  et  sur  l'identité  du  Tromba  qui  se 
nommera  bientôt;  la  curiosité  à  son  sujet  est 
très  grande  et  la  troisième  cérémonie  attirera 
tout  un  public.  Elle  est  en  effet  d'un  haut  inté- 
rêt, car  c'est  d'elle  que  dépend  le  sort  final  du 
malade. 

Il  est  à  remarquer  que  dans  cette  deu- 
xième cérémonie  le  mpamoaka  semble  prendre 
le  rôle  d'un  grand  prêtre,  d'un  médiateur  :  il 
parle  au  nom  des  dieux,  il  prie  au  nom  des  assis- 
tants, c'est  sur  lui  que  repose  toute  la  direction 
de  l'assemblée,  il  la  «  chauffe  »  ;  cette  dernière 
est  fort  docile,  du  reste,  et  prête  à  toutes  les 
fantaisies  des  esprits.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'une 
classe  de  prêtres  ou  de  sacrificateurs,  distincte 
du  reste  du  peuple,  se  forme  de  cette  manière.  Il 
est  loin  d'en  être  ainsi,  car  le  Tromba  s'empare 
de  n'importe  qui  ;  et  celui  dont  il  a  pris  posses- 
sion a  besoin  de  son  mpamoa-varavarana.  Il  est 
donc  bien  question  d'une  sorte  de  sacerdoce 
universel,  ce  qui  a  jeté  bon  nombre  d'observa- 
teurs superficiels  dans  l'erreur  et  leur  a  fait 
dire  :  «  Les  Malgaches  n'ont  même  pas  de  prêtres.  » 

U ampitononina  ne  diffère  pas,  au  début,  des 


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LES  QUATRE  GRANDS  STADES  125 

deux  précédentes  cérémonies.  Les  dispositions 
dans  la  case,  les  personnages  sont  les  mêmes, 
mais  les  différents  acteurs  et  spectateurs  sont 
plus  excités.  Le  malade  commence  lui-même  à 
prendre  l'habitude  et  entre  plus  facilement  en 
trance.  Ce  qui  distingue  la  troisième  séance  ou 
la  troisième  série  de  séances,  c'est  que  l'esprit 
parle.  D'abord  il  doit  se  nommer  ;  cela  ne  va 
pas  tout  seul,  car  il  a  une  manière  à  lui  de  mys- 
tifier les  «  demandeurs  »  :  il  envoie  en  avant 
ses  serviteurs,  ses  esclaves,  et  ceux-ci  se  mani- 
festent par  quelques  paroles  :  «  Qu'est-ce  que 
vous  voulez  ?»  —  «  Le  maître  est  occupé.  »  — 
«  Vous  le  dérangez  sans  raison,  »  —  ou  autres  paro- 
les semblables,  à  moins  qu'ils  ne  prétendent  rem- 
placer le  maître  lui-même.  Le  fondy,  le  mpa- 
moaka  et  toute  l'assemblée  protestent  violem- 
ment ;  ils  veulent  l'esprit  lui-même.  On  injurie 
les  esclaves,  on  n'a  pas  besoin  d'eux,  ils  ne 
savent  rien,  ou  bien  on  les  envoie  chercher  le 
maître  dont  les  lumières  sont  attendues  avec 
impatience. 

Quand  les  choses  en  restent  là,  c'est  que  tout 
s'est  passé  simplement.  Mais  les  esprits  infé- 
rieurs ont  une  méthode  particulière  de  témoi- 
gner de  leur  présence  :  le  malade  se  tortille  sur 
son  siège,  il  se  met  à  rire,  rire  aux  éclats  et  sans 


126  LE   TROMBA 

arrêt  ;  cela  fait  penser  au  délire  hilarant.  Bien- 
tôt le  malade  se  déplace,  va  d'une  personne  à 
l'autre.  Il  se  produit  alors  une  certaine  confu- 
sion. Il  prend  plus  d'audace  et  se  livre  aux  fa- 
miliarités les  plus  inconvenantes.  Ce  malade 
peut  être  une  femme  en  habits  d'homme  ou  un 
homme  sous  un  jupon  ;  l'un  ou  l'autre  dans  la 
vie  ordinaire  se  garderait  bien  de  faire  aucune 
des  actions  auxquelles  il  se  livre  sans  l'étrange 
impulsion  dont  il  n'est  pas  maître.  Ces  incidents 
se  produisent  parfois  à  la  fin  des  séances  ;  quand 
le  maître  a  passé  lui-même,  ses  serviteurs  vien- 
nent comme  pour  accomplir  leur  service,  d'où 
agitation  générale  qui  se  termine  par  la  bruyante 
dispersion  de  l'assemblée.  S'ils  se  produisent 
avant,  la  lutte  est  plus  ou  moins  longue. 

Enfin  l'esprit  se  nomme.  Encore  faut-il  que 
l'excitation  ait  atteint  le  comble  et  qu'il  ait  fait 
un  certain  nombre  de  reproches  au  malade  (c'est 
bien  le  malade  qui  parle)  et  aux  assistants  :  On 
lui  a  manqué  de  respect,  on  a  oublié  les  fady, 
etc.,  etc.  C'est  Radama  (le  deuxième  roi  hova) 
ou  Andriamisara  ou  tel  autre  ;  et  immédiate- 
ment l'assemblée  se  met  dans  l'attitude  conve- 
nable pour  satisfaire  l'esprit.  Et  celui-ci  a,  dans 
ses  sentiments,  des  fantaisies  imprévues.  Tantôt 
il  déteste  tout  ce  qui  est  Européen  :  aussitôt  on 


LES  QUATRE  GRANDS  STADES  127 

rejette  ce  qui  peut  rappeler  les  blancs,  d'ailleurs 
en  restant  dans  de  singulières  illusions  à  ce  sujet. 
Tantôt  il  paraît,  au  contraire,  aimer  les  blancs  — 
c'est  en  général  le  cas  pour  Radama  —  :  toute 
l'assemblée  cherche  à  se  faire  européenne.  On 
parle  français  même.  Oh  I  un  français  d'occa- 
sion :  «  Koman  ça  va  ?  çava  bian  !  »  «  Bon  ça  »; 
et  naturellement  le  genre  d'assistants  permet 
de  plus  ou  moins  grandes  envolées. 

Il  n'est  pas  douteux  que,  sous  l'influence  de 
l'exaltation,  il  se  produise  des  phénomènes  de 
glossolalie,  que  nous  retrouverons  ailleurs  aussi. 
Beaucoup  de  gens,  en  rapports  fréquents  avec  les 
Européens  qui  leur  parlent  un  langage  simplifié, 
déplorable  à  notre  avis,  ou  qu'ils  entendent  par- 
ler, ne  consentiraient  à  aucun  prix  à  dire  un  mot 
de  français  ;  mais  le  Tromba  leur  délie  la  lan- 
gue, pour  de  courts  instants  tout  au  moins.  Des 
Hova  parlent  sakalave  ou  le  bizarre  langage  des 
Zazamanga,  des  Sakalaves  parlent  hova.  Pour 
les  uns  et  les  autres,  c'est  souvent,  dans  le  cou- 
rant ordinaire  des  choses,  une  grande  difficulté  ; 
car,  s'ils  s'entendent,  le  plus  souvent  ils  parlent 
chacun  son  propre  idiome.  Quant  au  Tromba,  il 
parle  la  langue  de  son  pays  d'origine,  sans  s'in- 
quiéter de  son  «  siège  ». 

Si  l'esprit  est  soupçonné  d'être  anti-chrétien, 


128  LE    TROMBA 

on  se  répand  en  imprécations  contre  les  chré- 
tiens ;  si,  au  contraire,  il  s'agit  de  Ranavalona  II, 
on  pourrait  se  croire  dans  un  temple.  Nous  sa- 
vons toute  une  assemblée  où,  parce  qu'on  avait 
affaire  à  un  esprit  «  prieur  »,  on  chanta  le  can- 
tique II,  le  Te  Deum  malgache,  on  lut  le  chapi- 
tre xiii  de  la  première  épitre  aux  Corinthiens  ; 
il  y  eut  même  quelqu'un  pour  faire  une  exhor- 
tation et  prier,  prier  à  la  façon  des  chrétiens.  Quel 
que  soit  le  résultat,  la  cause  est  toujours  la  même. 

L'esprit  se  nomme,  mais  n'est  pas  reconnu 
tout  de  suite  comme  le  véritable  esprit  résidant 
dans  le  malade.  Il  faut  que  ses  parents  le  recon- 
naissent. Il  se  nomme,  et  il  y  a  dans  l'assemblée 
une  violente  protestation;  c'est  que  le  Tromba  X 
existe  déjà  dans  un  tel,  et  il  ne  peut  exister  à 
deux  exemplaires  dans  le  même  endroit.  Il  y  a 
donc  certains  tâtonnements,  d'autant  plus  que  les 
esprits  aiment  le  changement,  ils  passent  de  l'un 
à  l'autre.  Bref,  l'ordre  s'établit  et  les  esprits  se 
sentent  en  famille,  ils  se  saluent,  s'interpellent. 
Soudain  tout  ce  pauvre  peuple  est  pris  de  la 
folie  des  grandeurs,  il  revit  quelque  épisode 
d'une  époque  plus  ou  moins  lointaine  ;  il  ne 
tarde  pas,  il  est  vrai,  à  revenir  à  la  réalité. 

L'esprit  qui  rend  malade  est  aussi  guérisseur, 
il  dit  des  remèdes  ;  rien  du  reste  ne  lui  est  in- 


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LES  QUATRE  GRANDS  STADES  129 

connu.  Aussi  l'interroge-t-on  sur  une  foule  de 
questions.  Il  indique  les  fady  à  observer,  les 
voyages  à  faire,  les  moyens  de  devenir  riche  ;  il 
désigne  aussi  ceux  qui  ont  jeté  des  sorts;  et  si, 
quand  le  malade  est  revenu  à  lui,  on  va  lui  de- 
mander s'il  se  souvient  de  ce  qu'il  a  dit,  tout 
est  oublié,  et  même,  par  avance,  il  a  eu  soin  de 
s'en  remettre  à  un  ami  qui  est  chargé  de  lui 
redire  tout  au  sortir  de  la  crise.  Souvent  son 
langage  est  incompréhensible  ;  car  il  s'agite  en 
parlant,  il  souffle  comme  épuisé,  même  il  mugit. 
C'est  alors  que  le  mpamoaka  sert  d'interprète. 

La  séance  se  poursuit  en  partie  double  ;     car, 
tandis  qu'à  l'intérieur  on  se  livre  à  des  exerci- 
ces  fantasques,    à   l'extérieur   on   fait   un   sacri- 
fice. Le  bœuf  offert  est  plus  qu'une  victime,  il 
■est  même  divinité.  On  ne  l'a  pas  sans  quelques 
difficultés,  car  il  doit  avoir  la  tête,  la  queue,  les 
quatre  pieds  blancs,  c'est  déjà  une  bête  de  choix; 
mais,  bien  plus,  il  faut  qu'elle  se  laisse  conduire 
à  la  mort  sans  protestation;  toute  bête  qui  mu- 
git  ou   donne   des   signes   d'inquiétude  est  relâ- 
chée ;  elle  doit  consentir  au  sacrifice  qui  a  tous 
les   caractères   d'un  sacrifice  expiatoire.   Devant 
le  bœuf,   on  fait  une  longue  invocation  à  Dieu 
(Andriamanitra),  aux  cieux,  à  la  terre,  à  la  mer, 
aux   esprits   connus   et   inconnus;   puis   le  bœuf 

9 


130  LE   TROMBA 

est  tué.  Le  premier  sang  qui  sort  de  la  blessure 
béante  sert  à  faire  une  sorte  d'aspersion  ;  on 
marque  tous  les  assistants  qui  le  désirent,  et 
particulièrement  le  malade,  sur  le  nez,  sur  le 
front,  à  la  naissance  du  cou  ou  plus  complète- 
ment encore.  On  verse  aussi  un  peu  de  ce  sang 
dans  l'assiette  blanche  pour  le  mêler  à  la  mixture 
déjà  indiquée,  et  le  tout  servira  à  des  bénédic- 
tions réitérées,  ou  pour  asperger  encore  le  malade, 
tandis  que  le  fondy  dira  :  «  Nous  éloignons  les 
nuages.  »  L'aspersion  sera  renouvelée  toutes 
les  fois  qu'un  tremblement  plus  violent  indi- 
quera que  l'esprit  remue  ;  si  quelques  gouttes 
s'égarent  sur  quelque  assistant,  immédiatement 
il  est  pris  de  tremblements.  C'est  toujours  la 
contagion,  causée  par  la  suggestion  ou  l'auto- 
suggestion. * 

Le  sacrifice  accompli,  la  viande  est  distribuée 
par  quartiers  ;  on  a  prié  le  bœuf,  puis  il  a  été 
offert  en  sacrifice  de  substitution;  enfin  on  le  man- 
ge comme  pour  participer  d'une  manière  plus 
intime  à  la  vie  du  Dieu  qui  était  en  lui.  Toutes 
ces  idées  ne  sont  certes  pas  exprimées  d'une 
manière  aussi  claire  ;  mais  on  les  retrouve  dans 
les  bribes  d'explications  qu'on  peut  obtenir  de 
temps  en  temps.  Car,  le  plus  souvent,  c'est  par 
surprise  qu'on  peut  assister  aux  scènes  que  nous 


LES    QUATRE   GRANDS    STADES  131 

décrivons,  et  il  faut  inspirer  une  bien  grande 
confiance  pour  que  les  gens  consentent  à  sortir 
de  quelques  vagues  généralités  sans  grand  sens 
et  à  fournir  les  raisons  de  tels  gestes,  telles  ac- 
tions, ou  telles  formules  ;  sans  compter  que, 
neuf  fois  sur  dix,  ils  suivent  aveuglément  un 
Drogramme  dont  ils  ne  comprennent  en  aucune 
raçon  le  sens  profond.  Ce  sont  des  formalistes. 

Après  toutes  ces  démonstrations,  le  malade 
doit  être  guéri  ;  s'il  ne  l'est  pas,  on  recommen- 
cera. La  responsabilité  de  l'échec  incombe,  croit - 
Dn,  à  quelque  intrus,  ou  tout  simplement  au 
malade  lui-même.  S'il  vient  à  mourir,  on  l'accu- 
sera de  quelque  grosse  négligence  dans  le  «  ser- 
vice »  ;  et  s'il  guérit,  ou  s'il  se  croit  guéri,  on 
prépare   le    «  Valy-hataka    ». 

Dans  cette  dernière  partie  des  cérémonies  du 
«  Tromba  »,  c'est  la  joie,  la  confiance  qui  domi- 
nent. On  n'a  plus  besoin  du  fondy  ou  du  mpa- 
noaka  ;  le  malade  guéri  est  fondy  lui-même  et 
i  son  mpamoaka.  Il  ne  tarde  pas  à  entrer  en 
;rance  par  persuasion,  et  il  parle  :  «  Le  malade 
3st  guéri,  il  avait  négligé  les  fady,  maintenant 
e  veux  des  compensations.  »  Et  l'esprit  indique 
les  fady  à  observer,  les  sommes  d'argent  à  lui 
remettre.  Puis  on  se  met  à  l'interroger  en  lui 
promettant  les   dons  plus  ou   moins  grands.    Il 


132  LE    TROMBA 

y  a  même  une  sorte  de  marchandage  à  propos 
des  fady.  On  peut  réclamer  une  moins  grande 
sévérité  et  offrir  un  dédommagement  que  l'esprit 
accepte  ou  refuse  suivant  son  bon  plaisir. 

Toutes  ces  offrandes  reviennent  au  malade 
guéri  ;  mais  il  ne  faudrait  pas  croire  qu'il  en 
ait  la  jouissance  pure  et  simple.  Il  doit  les  gar- 
der et,  si  l'esprit  l'a  dit,  s'en  faire  de  grandes 
chaînes  qui  lui  passeront  par  dessus  les  épau- 
les. Une  femme  mettra  une  pièce  de  cinq  francs 
dans  ses  cheveux  ;  elle  aura  une  ou  plusieurs 
rangées  de  grosses  chaînes  ;  tel  autre  aura  des 
cercles  d'or  ou  d'argent  au  poignet,  à  la  cheville, 
et  il  se  trouve  que  ce  qu'on  prend  souvent  pour 
un  simple  ornement  de  sauvage  est  aussi  le 
témoignage  d'une  reconnaissance  qui  veut  se  rendre 
publique.  Dans  beaucoup  de  cas,  l'argent  est 
simplement  conservé  avec  les  vêtements  royaux 
et  prendra  place  de  nouveau  dans  l'assiette  à 
la  première  occasion.  L'esprit  a  un  petit  trésor 
qu'il  distribuera,  en  telle  ou  telle  circonstance, 
en  signe  de  satisfaction.  Même,  pour  lui  faciliter 
les  libéralités,  on  a  recours  à  un  moyen  qui 
ne  manque  pas  d'originalité  et  qui  prouve  à  quel 
point  le  Malgache  sait  être  pratique. 

Le  «  joro-velona  »  ou  prière  vivante  est  un 
bœuf  donné  en  offrande  à  l'esprit  ;  mais  on  ne 


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LES  QUATRE  GRANDS  STADES  133 

le  tuera  pas.  C'est  une  jeune  bête  bien  choisie. 
La  couleur  dépend  beaucoup  de  l'esprit  auquel 
on  la  destine.  On  brûle  de  l'encens  devant  l'ani- 
mal ;  par  des  invocations  on  le  consacre  ;  il 
sert  même  à  interpréter  la  destinée  des  humains. 
Puis  on  le  rend  à  la  liberté,  une  liberté  complète 
et  qui  souvent  s'exerce  aux  dépens  du  culti- 
vateur. Jamais  le  joro-velona  ne  doit  être  effrayé, 
ou  dérangé,  ou  frappé  ;  il  est  la  propriété  de 
l'esprit  ou  des  esprits. 

Mais  il  grandit,  devient  un  bel  animal  ;  et, 
un  jour,  on  le  vend  au  nom  de  ses  propriétai- 
res. On  en  achète  un  plus  jeune  destiné  à  la 
remplacer  ;  et  la  différence  de  prix,  entre  l'achat 
et  la  vente,  laisse  une  somme  qui  est  remise  à 
l'esprit.  Celui-ci  fait  alors  une  distribution  géné- 
rale. On  vient  lui  demander  aide  et  secours, 
comme  aux  rois  de  leur  vivant  ;  on  lui  emprunte, 
et  il  se  montre  aussi  généreux  que  possible.  Seu- 
lement, la  somme  n'est  pas  toujours  suffisante 
pour  satisfaire  tout  le  monde  ;  alors,  avec  de 
la  terre  blanche  provenant  de  l'assiette  blanche, 
l'esprit  fait  une  trace  ronde  dans  la  paume  de 
la  main  du  quémandeur,  referme  les  doigts  en 
pressant  fortement  et  recommande  de  ne  pas 
laisser  perdre  le  trésor.  Le  plus  curieux  de  l'af- 
faire, c'est  que  le  quémandeur  s'estime  très  heu- 


134  LE   TROMBA 

reux.  La  fête  se  poursuit  avec  plus  ou  moins  de 
monotonie,  au  milieu  des  libations,  des  cris,  des 
jeux,  et  parfois  elle  finit  très  lamentablement  dans 
une  ivresse  générale,  ce  que  nous  avons  pu  cons- 
tater nous-même. 

à 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  tous  les  détails 
du  Tromba  soient  consignés  ici,  ni  qu'il  y  ait 
là  aussi  un  ordre  immuable.  Les  esprits  sont  fan- 
tasques, brusquent  parfois  les  choses,  et  alors  le 
malade  guérit  rapidement,  ou  ils  les  font  traîner 
en  longueur,  ils  ont  des  exigences  inattendues. 
Les  «  bains  »  et  les  sacrifices,  en  particulier,  peu- 
vent se  multiplier  ;  c'est  une  question  de  for- 
tune dans  bien  des  cas,  et  le  Tromba  est  clair- 
voyant. Il  suffit  aussi  qu'un  étranger  se  soit 
glissé  dans  le  cercle  pour  que  des  modifications 
interviennent  avec  de  longues  répercussions.  Et 
puis,  par  quoi  et  par  qui  pourraient  être  réglées 
les  fantaisies  d'esprits  en  délire,  de  malades 
inconscients,  ou  de  gens  pris  par  une  demi- 
ivresse  considérée  comme  divine  ? 

On  peut  sourire,  ou  pleurer,  devant  toutes 
ces  puérilités  ;  elles  n'en  démontrent  pas  moins 
quelle  inquiétude  agite  ces  âmes  qui  vivent  dans 
une  continuelle  angoisse,  sentant  leur  faiblesse, 
et  en  quête  d'un  protecteur,  d'un  sauveur.  Elles 


LES  QUATRE  GRANDS  STADES  135 

cherchaient,  elles  ont  cru  avoir  trouvé.  L'ani- 
misme pur  et  simple  leur  a  paru  bien  grossier  ; 
donner  des  vêtements  à  des  arbres,  verser  de 
l'alcool  sur  des  pierres  leur  semble  bien  insuf- 
fisant, et  elles  ont  été  prises  par  le  charme  étran- 
ge et  mystérieux  de  ces  rencontres  avec  les  es- 
prits. Faire  revenir  sur  la  terre  les  grands  et 
puissants  chefs,  les  conquérants  célèbres,  évo- 
quer leurs  mânes,  se  mettre  sous  leur  égide, 
s'assurer  leur  protection,  dût-on,  pour  obtenir 
ces  faveurs,  se  livrer  aux  sacrifices  les  plus  coû- 
teux et  souffrir  cruellement  soi-même,  n'est-ce 
pas  le  maximum  de  ce  que  peuvent  espérer  les 
hommes  ?  Traités  durement  par  la  nature,  vivant 
sur  un  sol  souvent  ingrat,  témoins  des  violences 
des  éléments,  navrés  de  leur  faiblesse,  effrayés 
par  la  maladie  et  plus  encore  par  la  mort,  ces 
païens  veulent  une  consolation,  essaient  de  s'ou- 
vrir un  passage  dans  l'obscurité.  Ils  étaient  en 
marche  vers  la  vérité;  mais  en  route,  sans  guide, 
ils  ont  bifurqué  et  se  sont  égarés  dans  un  sentier 
sans  issue  qui  s'est  refermé  derrière  eux.  Ils 
errent  aujourd'hui  dans  le  désert  de  l'illusion. 


CHAPITRE   VIII 


DIVERSITE  DU  TROMBA 


A  côté  des  manifestations  dont  il  a  été  ques- 
tion, il  y  a  place  pour  un  certain  nombre  d'au- 
tres phénomènes  du  même  genre  et  qui  se  ren- 
contrent   plus    ou    moins    souvent. 

Le  premier  dont  il  faut  parler  est  le  Tromba- 
tromba.  Il  y  a  dans  le  redoublement  du  mot  Tromba 
une  idée  de  diminution.  C'est  qu'en  effet,  il  ne  s'agit 
que  d'un  état  momentané  qui  ne  nécessite  aucune 
cérémonie  et  qui  se  rencontre  généralement  chez  les 
nouveaux  arrivés  dans  le  pays  (Boina),  princi- 
palement chez  les  femmes.  X.,  est  depuis  peu 
installée  dans  sa  case.  Tout  d'un  coup  elle  cesse 
ses  occupations  et  se  met  à  parler  vite  sur  un 
ton  plus  ou  moins  exalté  ou  récitatif,  se  nom- 
mant à  la  troisième  personne,  indiquant  les  fadyr 
des  voyages  à  faire,  un  lieu  de  réunion,  un  moyen 


138  LE   TROMBA 

d'avoir  de  l'argent,  etc.,  etc.  La  crise  peut  du- 
rer un  certain  temps.  X.,  revenue  à  elle-même, 
demande  ce  qu'elle  a  dit,  car  elle  ne  se  souvient 
de  rien  ;  et  immédiatement  elle  se  met  en  de- 
meure d'obéir  aux  esprits,  à  l'esprit  qui  a  parlé 
par  elle.  Elle  a  été  prise  par  le  Trombatromba. 

Ce  qui  est  à  remarquer,  c'est  que  dans  ces 
occasions  les  cas  de  glossolalie  sont  fréquents  : 
le  Trombatromba  parle  le  langage  de  la  région 
qu'il  a  traversée  ou  traverse.  Souvent  il  semble 
atteint  de  manie  déambulatoire  :  il  s'agite,  fait 
des  préparatifs,  désigne  un  but  de  voyage  plus 
ou  moins  lointain,  et  veut,  en  effet,  voyager. 

Il  est  évident  qu'en  pareille  circonstance  on  se 
trouve  en  face  de  névropathes  plus   ou   moins 
épuisés  par  de  longues  marches  plus  particuliè- 
rement pénibles  pour  des  femmes.   Il  n'est  pas 
rare  d'en  voir  faire  500,  600  kilomètres  et  plus, 
à.  pied,  avec  une  moyenne  de  45  kilomètres  par 
jour.  Parfois  même  on  marche  la  nuit,  soit  pour 
raccourcir  le  voyage,  soit  pour  éviter  la  grosse 
chaleur  au  milieu  du  jour.  Dès  lors  on  ne  s'étonne 
plus  de  l'état  nerveux  de  nombreux  individus. 
Cet  état  est  exaspéré  par  les  conversations  tenues 
en  route,  les  récits  extraordinaires,  les  émotions 
inévitables,  la  vue  des  crocodiles,  etc.  L'imagi- 
nation en  travail  prépare  le  Trombatromba  ;  et 


DIVERSITÉ    DU    TROMBA  139 

le  cas  est  naturellement  accompagné  de  fièvre  : 
les  pommettes  des  joues  sont  luisantes,  les  yeux 
brillent  d'un  éclat  inusité  ;  au  toucher  la  peau 
est  chaude  ;  tout  indique  qu'on  se  trouve  en 
face  d'une  santé  anormale.  La  tension  qu'il  a 
fallu  supporter  pendant  des  jours  et  parfois  des 
semaines  pour  préparer  un  départ,  le  désir  in- 
tense d'arriver  au  but  du  voyage,  la  nécessité 
de  penser  sans  cesse  à  l'étape  à  fournir,  au  vil- 
lage où  se  fera  la  halte  du  soir,  tout  cela  explique 
la  dromomanie. 

Quant  à  la  glossolalie,  elle  ne  saurait  être 
provoquée  qu'à  la  suite  de  la  surexcitation,  due 
à  une  timidité  ou  à  une  frayeur  qui  a  voulu  se 
dissimuler  et  qui,  en  se  surmontant  par  un 
effort  de  volonté  très  caractérisé,  a  conduit  le 
sujet  à  se  mêler  à  des  groupes  parlant  saka- 
lave.  Les  mots  ont  été  répétés  ou  se  sont  impo- 
sés, l'oreille  en  a  gardé  une  plus  grande  quan- 
tité, et  des  tournures  se  sont  inscrites  dans  l'es- 
prit. La  conséquence  est  qu'un  Hova  (homme  ou 
femme),  incapable  de  parler  sakalave  ou  makoa, 
puisqu'il  est  nouvellement  arrivé,  et  qui  peut-être 
ne  pourra  jamais  employer  l'un  ou  l'autre  dia- 
lecte, pris  par  le  Trombatromba,  perdant  sa 
personnalité,  retrouvera  celle  qui  s'est  formée  en 
lui  en  dehors  de  sa  propre  volonté  et  à  son  insu  ; 


140  LE    TROMBA 

il  parlera  par  alternance  une  langue  qu'il  ignore 
ou  n'a  jamais  employée. 

Le  Menabe  («  très  rouge  »)  est  beaucoup  plus 
rare  que  le  Trombatromba.  Il  est  plus  connu 
en  Imerina  sous  le  nom  de  Ramanenjana  ou  fiè- 
vre dansante.  Le  malade  —  ici  encore  il  s'agit 
de  la  fièvre  paludéenne  —  presque  toujours,  dans 
une  case  nettoyée  à  fond  et  privée  de  nattes, 
allusion  au  fait  que  la  terre  appartient  au  roi,  à 
la  reine,  danse  sous  une  impulsion  dont  il  n'est 
pas  maître.  Nous  avons  vu  des  hommes  faire 
tenir  en  équilibre  sur  leur  tête  des  bouteilles 
pleines  d'eau  sans  cesser  de  danser  (1)  ou  de 
marcher  en  sautillant.  Une  femme  observée  se 
livrait  au  même  manège.  Mais  ce  ne  sont  là 
que  les  signes  très  atténués  du  vrai  Ramanen- 
jana qui  sévit,  il  y  a  quarante-cinq  ans  environ, 
en  Imerina.  Les  observations  faites  à  son  sujet  ne 
semblent  du  reste  pas  avoir  été  complètes.  Mais  ce 
qui  en  est  dit  indique  une  réelle  parenté  entre  les 
deux  formes.  L'une  et  l'autre  sont  originaires  du 
Menabe;  les  chants  nomment  souvent  le  Menabe, 
berceau  de  la  deuxième  dynastie  sakalave. 

(1)  Danser  ici,  c'est  faire  des  mouvements  des  pieds  et  des 
mains  alternativement,  en  se  tortillant  de  côté  et  d'autre, 
mais  presque  sans  changer  de  place.  Le  malade  parfois  cesse 
danser  pour  de  marcher,  courir  et  sauter. 


DIVERSITÉ    DU    TROMBA  141 

Une  forme  de  Tromba  difficile  à  observer  est 
le  Kananoro  ou  Kalanoro  ;  et  ceux  qui  en  par- 
lent ne  le  font  pas  sans  une  sorte  de  crainte. 
Même  ceux  qui  en  sont  guéris  manifestent  une 
certaine  répugnance  à  aborder  ce  sujet.  Il  est 
clair  que  leurs  souvenirs  sont  désagréables.  Le 
Kalanoro  est  un  homme  de  la  forêt.  Jamais  on 
ne  l'a  vu,  mais  tout  le  monde  en  parle,  on  certi- 
fie son  existence  à  plusieurs  exemplaires  et  on 
le  décrit  :  il  est  petit  de  taille  et  semblable  à  un 
homme  ;  mais  de  longs  poils  couvrent  tout  son 
corps.  Au  fond  on  n'a  sur  son  compte  que  des 
renseignements  fort  vagues.  C'est,  disent  quel- 
ques-uns, un  homme  qui  commit  un  grand  crime 
et  qui  l'expie  maintenant.  On  l'accuse  d'être  l'esprit 
de  la  petite  vérole,  il  la  donne  et  il  la  guérit. 
Quand  il  se  manifeste,  on  ne  le  voit  pas.  Il  mange 
la  viande  crue,  les  crabes  crus.  Il  boit  l'alcool. 
Quand  il  parle,  on  doit  se  tenir  à  distance  et  on 
entend  comme  la  voix  d'un  homme  parlant  du 
nez.  C'est  un  Tromba  exigeant,  méchant. 

Nous  avons  cherché  quelqu'un  ayant  vu  ce 
Kalanoro,  et  nous  avons  fini  par  trouver  un 
homme  qui  l'avait  invoqué.  Il  y  avait  un  malade 
de  la  petite  vérole  dans  la  maison  ;  et,  pour 
obtenir  sa  guérison,  on  se  livrait  à  des  incanta- 
tions. Pour  faciliter  à  l'esprit  son  apparition,  on 


142  LE    TROMBA 

fit  dans  la  case  une  séparation  avec  un  lamba  et 
on  attendit  en  «  servani  »  (chants t  invocations). 
Enfin  on  entendit  du  bruit  sur  le  toit,  l'esprit 
descendit.  On  lui  donna  à  manger,  à  boire,  on 
entendit  sa  voix  étrange  ;  il  indiqua,  d'une  ma- 
nière bourrue,  des  remèdes  à  chercher  daus  la 
forêt  (plantes  et  racines),  il  se  plagnit  qu'on  l'eût 
dérangé  pour  si  peu  et  disparut.  La  sincérité 
de  ceux  qui  parlaient  ainsi  n'était  psa  13  mettre 
en  doute,  leur  expression  même  témoignait  de 
leur  véracité.  Qu'ont-ils  vu  ou  entendu  en  réa- 
lité ?  Il  serait  difficile  de  le  préciser.  Ont-ils  été 
les  dupes  de  quelque  maniaque  ou  imposteur  ? 
C'est  possible.  Ou  bien  encore  ont-ils  été  les  jouets 
de  leur  propre  esprit  ?  Ce  qui  demeure,  c'est  que 
le  Tromba  Kalanoro  est  redouté  plus  que  tout 
autre.  C'est  un  mauvais  Tromba.  Il  n'est  du 
reste  pas  seul  à  inspirer  de  semblables  craintes. 

Le  Sanatry  est  considéré  comme  une  malédic- 
tion, ou  plus  encore  comme  un  témoignage  du 
mépris  des  ancêtres.  Quand  le  Tromba  invoqué 
ne  se  présente  pas,  mais  qu'à  sa  place  viennent 
les  esprits  inférieurs,  les  esclaves,  et  qu'on  ne 
parvient  pas  à  les  chasser,  ni  par  prières,  ni  par 
menaces,  ni  par  promesses,  il  y  a  là  un  signe 
inquiétant.  On  essaie  de  rendre  nul  le  mauvais 


DIVERSITÉ    DU    TROMBA  143 

sort  en  multipliant  les  requêtes,  les  marques 
blanches  sur  les  visages,  les  objets  dont  on  se 
sert,  les  bouteilles,  etc.  Si  tout  cela  est  inutile, 
on  abandonne  le  malade,  ou  on  cherche  un  autre 
fondy  plus  puissant,  et  chacun  s'en  va  en  disant 
«  Sanatry  ».  Il  se  pourrait  que  le  mot  «  Sana- 
try  »  ne  soit  qu'une  corruption  du  mot  hova 
Sanatria,  donnant  une  idée  de  protestation  et 
traduit  par    «  Nullement   ». 

Le  Tsiny  (blâme)  est  une  forme  du  Tromba 
assez  fréquente.  Le  Tromba  devient  tsiny,  quand, 
après  les  invocations  et  les  rites  ordinaires,  on  ne 
réussit  pas  à  obtenir  des  esprits  (ou  de  l'esprit) 
une  manifestation  claire,  quelque  révélation. 

Le  malade  a  été  entrancé,  il  a  dansé,  il  s'est  dan- 
diné, il  a  mugi  suivant  l'habitude,  mais  rien 
d'autre  ne  s'est  produit.  C'est  que  les  esprits  lui 
tiennent  rigueur.  Il  est  sous  une  sorte  d'interdit» 
Il  a  commis  une  grave  faute;  ou  bien  un  mem- 
bre de  sa  famille  est  l'ennemi  des  ancêtres,  ou 
encore  l'esprit  (les  esprits)  a  pris  parti  contre 
lui  dans  une  querelle  ou  discussion.  Et  on  est 
assez  surpris  de  voir  ici  le  Tromba  devenir  une 
sorte  de  confesseur.  Le  malade,  revenant  à  lui, 
est  averti  qu'il  a  un  «  tsiny  »  (blâme),  qu'il  ne 
pourra   guérir,   qu'il   doit   confesser  ses   erreurs. 


144  LE   TROMBA 

Il  s'agit  naturellement  et  toujours  de  torts  exté- 
rieurs, de  fady  violés,  de  manquements  à  la  dis- 
cipline du  clan  ou  de  la  famille.  Le  malade  se 
défend  ;  on  lui  fait  passer  une  sorte  d'examen 
de  conscience,  et  on  l'oblige  au  besoin  à  s'en 
aller  vers  ceux  qui  se  plaignent  de  lui,  ou  dont 
il  doit  avoir  à  se  plaindre.  Il  s'agenouille  devant 
eux  et  les  invoque  à  la  façon  d'une  divinité  ;  et 
c'est  seulement  s'il  les  a  vaincus  par  sa  cons- 
tance, son  humilité  ou  ses  regrets,  qu'il  peut  espé- 
rer que  les  Mo  ou  Zanahary  divers  auront  pi- 
tié de  lui,  car  alors  il  est  délivré  de  toute  con- 
damnation. 

Il  semble  bien  que  cette  condamnation  doive 
parfois  servir  à  un  but  de  propagande  ou  de 
défense.  X.  (le  cas  est  authentique)  a  un  frère 
chrétien  qui  supplie  son  cadet  de  renoncer 
au  Tromba.  Le  Tromba,  profondément  offensé, 
se  venge  justement  sur  celui  qui  l'invoque  et 
le  rend  de  plus  en  plus  malade  en  refusant 
de  «  sortir  »  et  de.  rien  dire.  Le  malade  alors 
va  se  rouler  aux  pieds  de  son  frère,  le  suppliant 
de  s'éloigner  de  lui,  de  le  délivrer,  de  ne  pas 
empêcher  la  manifestation  des  ancêtres,  ce  qui 
causera  sûrement  une  mort  dans  la  famille.  On 
comprend  les  douleurs  et  l'angoisse  du  chré- 
tien. 


Ody  ou  charmes  Sakalaves 


1.  Lela-vola.  Longue  plaque  d'argent.  Pièce  de  5  francs  consacrée 

au  tromba  et  qu'on  doit  mettre  dans  ses  cheveux  et  jamais 
en  collier. 

2.  Tsiresy.  Petites  boules  dorées  qui  «  ne  peuvent  être  vaincues  », 

on  les  met  en  offrande  dans  l'assiette  destinée  au  tromba. 
3-4.  Séries  de  charmes  ou  gris-gris  en  argent  ;  la  hache  brise  les 
difficultés,  la  clé  apporte  la  fortune,  le  hameçon  accroche 
le  bonheur,  l'aiguille  perce  les  cœurs,  le  bœuf  rappelle  les 
dieux,  les  sacrifices,  les  ancêtres,  etc.  ;  chacun  varie  ses  expli- 
cations. On  porte  cela  au  cou  ou  en  bracelet. 

5.  Sofi-mare  (maharé)  :  «  Oreille  qui  entend».  A  l'intérieur  de  la 

coquille  il  y  a  des  Ody  qui  font  que  quand  il  y  a  un  malheur 
en  route,  le  possesseur  peut  entendre  le  bruit  de  son  arrivée 
et  faire  le  nécessaire  pour  se  protéger. 

6.  Tsi  leon  doza  :  «  Contre  qui  le  malheur  ne  peut  rien  ».  Cor- 

naline taillée,  de  provenance  européenne. 

7.  Perles,  osselets,  feuilles  diverses    «  ody  fofoka  »  délivre  des 

rhumes. 


DIVERSITÉ    DU    TROMBA  145 

Quand  l'esprit  ne  veut  pas  parler,  on  emploie 
parfois  une  méthode  singulière  pour  l'amener  à 
résipiscence,  dans  laquelle  on  retrouve  le  pa- 
rallélisme ou  la  sorte  d'homéopathie  malgache 
déjà  signalés.  Une  courge  sans  défaut  et  repré- 
sentant la  tête  du  patient  qui  ne  veut  pas  se 
fendre,  c'est-à-dire  parler,  est  placée  sur  la  tête 
du  malade,  et  on  frappe  à  grands  coups  de  bâ- 
ton sur  la  dite  courge  qui  doit  s'ouvrir  à  ce  trai- 
tement énergique  («  on  lui  fait  une  bouche 
qui  s'ouvre  »).  L'entrancé,  après  cela,  se  met  à 
parler  ou  même  s'exécute  pendant  l'opération 
parfois  cruelle  et  dangereuse.  Tandis  qu'on  traite 
ainsi  le  malade,  on  fait  le  sacrifice  d'un  bœuf  au 
coin  de  la  case. 

Les  différents  Tromba  se  distinguent  par  de 
simples  petites  particularités,  et  les  intéressés 
ont  soin  d'y  prendre  bien  garde.  On  l'appelle 
Lolo:  c'est  un  esprit  de  la  terre,  ou  de  l'eau,  ou 
des  arbres,  ou  des  animaux.  On  l'appelle  Tsio- 
ka  ou  Varatrazo  :  c'est  que  l'esprit  est  dans  le 
vent  qui  souffle  du  nord-est  ou  du  sud.  On  l'ap- 
pelle Makoa  :  c'est  qu'il  s'agit  du  Tromba  des 
nègres  ;  —  ou  Razana  :  c'est  que  l'ancêtre  vient 
prendre  ou  donner  la  fortune,  la  maladie  ou  la 
guérison,  etc.,  etc.  La  liste  est  d'une  grande  mo- 
notonie. Signalons  pourtant  une  forme  spéciale  : 

10 


146  LE    TROMBA 

le  Misosy  ou  Tromba  des  voleurs  qui  s'invoque 
la  nuit,  en  n'importe  quel  endroit,  et  au  milieu 
d'un  grand  bruit,  destiné  sans  doute  à  effrayer 
les  honnêtes  gens.  Il  n'est  plus  question  ici  de 
l'esprit  d'un  ancêtre,  d'un  roi,  ou  d'un  guéris- 
seur, mais  de  la  puissance  d'un  ody  qui  s'empare 
d'unindividu  et  le  rend  invulnérable,  ou  qui  indique 
le  moyen  de  l'être.  C'est  au  nom  de  cet  ody  que 
les  troupes  de  forcenés  pénètrent  dans  les  vil- 
lages, ou  effrayent  les  gardiens  des  bœufs  et  opè- 
rent leurs  razzia.  On  ne  pense  pas  qu'il  soit  pos- 
sible de  leur  résister,  et  c'est  ce  qui  rend  les 
coups  de  mains  si  faciles  en  certaines  régions. 
Tout  ceci  montre  combien  le  Tromba  est,  dans 
l'esprit  des  gens,  utile  et  habile.  Il  s'adapte  à 
toutes  les  circonstances,  se  plie  à  toutes  les  exi- 
gences, prend  les  habitudes  du  pays  qu'il  tra- 
verse, de  la  région  où  il  élit  domicile.  Il  s'accou- 
tume à  toutes  les  individualités,  sait  distinguer 
les  castes  les  plus  diverses.  Tour  à  tour  il  rend 
malade  et  il  guérit  ;  il  entre  et  il  sort.  Mais  ja- 
mais il  ne  domine  les  idées  courantes,  ne  s'éloigne 
des  pratiques  connues  ;  et  jusque  dans  ses  bizar- 
reries les  plus  drôles,  les  plus  pénibles,  ou  les 
plus  équivoques,  on  reconnaît  la  mentalité  spé- 
ciale de  ceux  qui  sont  devenus  ses  serviteurs, 
ses  doubles,  ou  ses  interprètes,  Il  règne  ;  en 
réalité,  il  est  esclave. 


CHAPITRE  IX 


LES  CHANTS  DANS  LE  TROMBA 


Le  chant  joue  un  trop  grand  rôle  dans  les 
cérémonies  du  Tromba  pour  qu'on  ne  lui  donne 
pas  ici  une  place  spéciale.  Très  généralement,  les 
Européens  le  considèrent  comme  une  simple  dis- 
traction, un  jeu  ;  et  cette  erreur,  facile  à  com- 
mettre, se  trouve  souvent  confirmée  par  les 
indigènes  eux-mêmes  qui,  soit  par  honte  ou 
timidité,  soit  par  désir  de  ne  pas  être  devinés  ou 
raillés,  affirment  avec  force  qu'ils  s'amusent.  Or, 
les  circonstances  aussi  bien  que  les  paroles  chan- 
tées sont  la  preuve  non  discutable  qu'il  s'agit 
de  chants  religieux  qui  ont  même  souvent  le 
caractère   de  véritables    litanies. 

En  vouloir  donner  une  idée  est  une  tentative 
quelque  peu  audacieuse  ;  car,  non  seulement  de 
courtes  phrases,  comme  celles  dont  il  est  ques- 
tion, se  prêtent  mal  à  la  traduction  ;  mais  elles 


148  LE   TROMBA 

ont   des   sous-entendus   qui   nécessitent   de   lon- 
gues   explications. 

Pour  ce  qui  est  de  la  musique,  elle  varie  beau- 
coup, tout  en  gardant  une  certaine  monotonie. 
Il  est  rare  que,  dans  deux  clans,  ou  même  dans 
une  seule  série  de  séances  successives,  on  chante 
les  mêmes  paroles  sur  un  air  absolument  pareil. 
Cela  dépend  beaucoup  des  exécutants  et,  en  par- 
ticulier,   de  celui  que  nous  appelons    «  chef   de 
chœur   »  pour  lui  donner  un  nom  et  qui,   dans 
une    église    chrétienne,    s'appellerait    F  officiant  ; 
avec  une  différence  essentielle  pourtant  :  le  chef 
de    chœur   peut    changer,    et,    dans    une    même 
séance,   plusieurs   chefs  peuvent  se  succéder.    Il 
s'agit  d'une  affaire  de  sentiment  ou  d'entraîne- 
ment. Le  plus  exalté,  le  plus  autorisé,  le  moins 
fatigué   ou   le  plus   habile   devient   le   directeur 
momentané. 

Sur  un  air  donné,  on  chante  les  paroles  les 
plus  diverses.  Elles  sont  souvent  le  fait  de  l'im- 
provisation du  chef,  et  on  force  une  quantité 
invraisemblable  de  mots,  divisés  en  petites  phra- 
ses, à  entrer  dans  un  même  nombre  de  mesures. 
Il  est  vrai  que  la  langue  malgache  permet,  par 
ses  contractions,  certaines  abréviations.  Une  pro- 
nonciation extrêmement  rapide  aussi  paraît  esca- 
moter un  bon  nombre  de  voyelles  que,   seules, 


Ody  ou  charmes  Sakalaves 


8.  Sila-bao.  Morceau  de  nervure  de  rafia,  portée  au  cou  et  mar- 

quée de  l'hoioscope  du  Sikidy. 

9.  Anneau  d'argent,  pierre  trouée  ou  graine  trouée  ayant  été  con- 

sacrée, protège  des  ennemis. 

10.  Dabohany   ou  Fitariha.  Sachet  plein  de  poudre  de  racines, 

de  feuilles,  parfois  contient  un  verset  du  Coran,  donne  la 
fortune. 

11.  Ody  fitia.  Charme  d'amour,  pour  éviter  le  divorce. 

12.  Fiarovan-tena  :  «  Qui  protège  le  corps  »,  petite  brindille  ou 

racine  de  forme  anormale. 

13.  Moara.  Corne  ornée  de  perles,  à  l'intérieur  contient  des  ody 

qu'on  arrose  de  miel,  d'huile  de  ricin.  Protège  de  la  foudre 
et  de  beaucoup  d'autres  choses,  remplace  une  idole,  car  on 
lui  fait  le  service  avec  l'encens  et  les  chants. 
14-15.  Coquilles  qu'on  se  met  dans  les  cheveux  ou  au  lobe  de 
l'oreille,  parfois  en  collier. 


LES    CHANTS 


149 


peuvent  saisir  des  oreilles  très  habituées  aux  sons 
de  la  langue  indigène. 

Les  battements  de  mains  qui  accompagnent  le 
chant  sont  tantôt  sourds,  tantôt  pleins.  Le  ryth- 
me en  est  très  varié,  et  les  modes  multiples.  C'est 
tout  un  art  qui  ne  s'apprend  qu'à  la  suite  d'une 
longue  habitude.  On  peut  faire  les  mêmes  obser- 
vations au  sujet  des  joueurs  de  tambour.  Ils 
peuvent  jouer  des  sortes  de  morceaux  à  plu- 
sieurs parties  ;  et  même  un  seul  individu  sait 
fort  bien  donner  à  chacune  de  ses  mains  un 
mouvement  différent,  car  le  plus  souvent  il  ne 
frappe  pas  son  tambour  avec  autre  chose. 

Les  chants,  au  début  des  cérémonies,  sont  des 
chants  d'appels. 


Le  chef  de  chœur  seul  Us  assistants 


■trg;:^fcgz^ 


Jo  -  ron-d  Ra-na  -  ha  -  ry  !  An  -  de  -  si  -  nay  man  -  ga-tak-azy  E. 

Prière  à  Ranahary  !  (1)  Nous  la  lui  apportons  comme  suppli- 

cation . 


Reprise  du  chef 


|      reprise  des  assistants 


£4i-£4>-£-Ji 


££ 


¥ 


*=gt 


r* 


Jo  -  ron-d  Ra  -  na  -  ha  -  ry  !  An  -  de  -  si  -  nay  etc. 


(1)  Ranahary,  Zanahary  ou  Andrianahary,  le  Créateur. 


150  LE   TROMBA 

Et,  une  fois  le  chant  lancé,  il  est  continué  jus- 
qu'à fatigue  complète,  à  moins  que  le  chantre 
n'en  commence  un  nouveau  ou  qu'un  autre  chef 
n'interrompe  l'exécution.  Le  E  qui  précède  ou 
suit  les  chants  et  se  chante  lui-même  absorbe  très 
souvent  la  dernière  voyelle  du  mot  final.  Il  est 
l'exclamation  de  respect  par  laquelle  on  accueille 
les  rois  et  avec  laquelle  aujourd'hui  encore  on 
salue  les  autorités  ou  termine  les  salutations 
qu'on   veut   rendre   spécialement   respectueuses. 

Si  l'esprit  se  fait  attendre,  on  le  presse  davan- 
tage : 


Le  chef  de  chœur  seul,  1"  fois       \      les  assistants         |      le  chef  seul, 

<       K       K       K  K  ^  .2'  fois 

— _ 1 <e;  — I 


&- 


E     ka  rah    lo-ma-no!         E     E    lo-ma-noE.     lo-ma-no! 
Eh  !  s'il  parlait  (ou  agissait)  !  Eh  !  Eh  !  Parle        Eh  !     Parle  l 


Les  assistants  le  chef,  V  fois 


E        E        lo  -  ma  -  no  E.  E        ka      rah      lo   -    ma      no  1 

Eh  !     Eh  !      Parle  !  Eh  !         Eh  !      s'il  parlait  ! 


Le  chant  continue,   le  chef  de  chœur  repre- 


LES    CHANTS  151 

nant  alternativement  la  première  et  la  deuxième 
phrase  de  sa  partie  ;  tandis  que,  régulièrement, 
après  lui  les  assistants  répètent  la  leur. 
Le  chant  peut  être  encore  plus  insistant  : 

A  l'unisson  \      mesures  de  reprise 


jpÉêÉÉë^ÉfiigÉÉl 


Ka    mi-to-haE      ma-rian  -  A-hy  E  ma-nan    Bo  -  i  -  na  E  ! 

Supporte-moi,  eh  !    toi  qui  me  possèdes,  eh  I  qui  possèdes  le  Boina,  eh  * 


Le  chef  \      les  assistants  le  chef 


z^zzg: 


=2=~=~z3=J=gz: 


Bo   -   i   -   na  E  1  ma  -  uan  Bo   -    i  -  na  E  !  ma  -  nan 

Boina  eh  !  possèdes  le  Boina  eh  !  possèdes 


Les  deux  dernières  mesures  de  la  phrase  sont 
reprises  par  le  chef.  L'assistance  les  répète  aussi 
longtemps  qu'il  plaît  à  celui-ci  ;  quand  il  s'ar- 
rête, on  reprend  au  commencement,  pour  répé- 
ter encore  à  satiété  les  deux  dernières  mesures,  etc. 

L'esprit  se  faisant  désirer,  il  se  produit  une 
certaine  fatigue  et  même  un  peu  d'impatience 
dans  l'assemblée  ;  alors  le  chef  pose  une  ques- 
tion : 


152 


LE    TROMBA 


Le  chef  de  chœur  seul 


les  assistants 


:^*-^-*-*-*-*-frgrgz^r:. 


f?\ 


b^Ê3 


m 


Kor'ny  ma  -  lo      a  -  to  ?      tsy  va  -  lia  -  nay       fa  mpan  -  ja-ka  E  ! 
(variante)  Kor'ny  ma-  lo      a  -  tu  ?      tsy  hai-nay  -  fa      zam-ba-  zam-baE. 

Gomment  va  le  travail  ici  ?      Nous  ne  répondons  pas  car  il  s'agit  du 

Roi,  eh  ! 
ou  encore  Quelle  crainte  y  a-t-il  ici  ?       (variante). 

Quel  interdit  y  a-t-il  ici  ?      Nous  ne  savons  pas  cela  nous  dépasse,  e  h 


Reprise  du  chef 


reprise  des  assistants 


&• 


■?=?=¥- 


Kor'    ny     ma  -  lo        a    -    to  ?  tsy     va  -  lia  -  nay        fa 

Quand  le  malade  commence  à  s'agiter,  à  souf- 
fler, et  même  mugir  plus  ou  moins  fort,  on 
accueille  le  roi  qui  se  manifeste  ainsi  par  une 
nouvelle  prière  : 


Le  chef  seul 


les  assistants 


/> 


Toin   -    po    -     nay  ! 
Mpan  -   ja    -     kanay  ! 

To     -     fo       -      ka  ! 

An  -   dria  -    misara  ! 

Ra    -    da      -     ma  ! 

Ra    -    va     -     hinv  ! 


vy 

vy 

vy 

vy 

vy 


maev 
maev 
maev 
maev 
maev 
maev 


ae 
ae 
ae 
ae 
ae 
ae 


LES    CHANTS 


153 


Le  chef 


les  assistants     ^  le  chef  les  as. 


-ê==£rr£=t 


Notre  Seigneur 

Notre  Roi 

(Nom  de  roi  Sak.) 

(Nom  de  roi  Sak.) 

1500  ? 

(Nom  de  roi  Merina) 

1810-1828 

(Ui.e  reine  de  Majunga) 

1810 


il  vient 

il  vient 

il  vient 

il  vient 


bien, 
bien, 
bien . 
bien. 


il       vient  bien . 

il      vient  bien,  etc.,  e'c. 


Chantée  d'abord  lentement  et  à  voix  modérée, 
cette  phrase  se  dit  toujours  plus  vite  et  sur  un 
mode  de  plus  en  plus  aigu  ;  les  chanteurs  finis- 
sent par  s'arrêter,  essoufflés.  Ils  ont  excité  le 
malade  qui,  lui,  continue  automatiquement  ses 
mouvements  et  son  balancement  des  épaules  et 
de  la  tête. 

S'il  s'agit  d'un  homme  qui  est  possesseur  d'un 
Tromba  féminin,  on  l'oblige  à  revêtir  un  dégui- 
sement (le  vêtement  du  Tromba),  puis  on  chan- 
tera   : 


'%>       Le  chef  de  chœur  seul  les  assistants 


E     E      E 


Sai-ke  -  tra 


E     E     E 


Sai-ke  -  tra 


154 


LE    TROMBA 


Le  Chef  seul 

/7\ 


|      Le  chef  et  les  assistants 


•%' 


-1  -I  .   I  , — I — ±_i — -F-H- 


v? 


Sai  -  ke  -  tra      Ba  -  re  -  ra 


a     a    Ba    -  re-ra    a 


Cette  cantilène,  d'un  effet  particulièrement 
énervant  à  la  répétition,  —  si  le  lecteur  en  doute, 
qu'il  essaye,  seulement  pendant  quelques  mi- 
nutes, —  n'a  aucun  sens  précis.  Saiketra  veut 
dire  :  un  homme  qui  a  des  habitudes  de  femme, 
et  Barera  signifie  :  femme  ou  reine.  Mais  en 
voici  une  qui  pourrait  passer  pour  un  essai  de 
louange  un  peu  développé. 


,<fô      Le  chef  de  chœur  i 


=« 


=tï 


:é=~ 


fc 


/> 


dE^^^=£l 


Prélude   —     E  E  EE  EEE  E 

1  La  vitra  ankitiny  menabe  siky  vinangoko  rota  an  dala  ! 

2  Sakalavan  I  menabe  tsy  mitaly  tsy  bongobongo  ! 

3  Tsy  mitaly,  tsy  bongobongo,  tsy  mivaha,  tsy  voinbona  ! 

4  E  Valalan  I  menabe  misehoa,  misoloa  ! 

5  E  Ramena  be  zahay  aty  koa  manompo 


Les  assistants,  après  chaque  phrase  du  chef. 

■4~\     J    I       h: 


ST\ 


! 

E 
E 
E 
E 
E 
E 


:=]: 


?*=? 


E 
E 
E 
E 
E 
E 


r 

E 
E 
E 
E 
E 
E 


LES    CHANTS  155 


Le  chef      .             |   les  assistants           ,<g.  après  nombreuses 

~~l~    IV'    \    — J~T 1 i~  f — '" P  répétitions 


6  E      E        E        E      Ram  -  dem    -    ke  *      (Ramidemoka  E). 

Il  faut  se  résoudre  à  une  vraie  paraphrase 
pour  traduire  : 

I.  Le  Menabe  est  très  loin  ;  car  le  vêtement 
que  j'ai  tissé  s'est  usé  en  chemin  !  —  2.  Les 
Sakalaves  du  Menabe  ne  se  coiffent  ni  avec  des 
tresses,  ni  avec  des  boules  I  —  3.  Ils  ne  dénouent 
pas  le  bout  de  la  natte  (de  cheveux),  ni  ne  la 
laissent  tomber  !  —  4.  Oh  !  sauterelles  du  Me- 
nabe, paraissez  et  remplacez  celles  que  nous 
avons  !  —  5.  Oh  !  Menabe,  nous  sommes  ici  et 
ici  aussi  nous  servons  (l'esprit  des  ancêtres).  — 
16.  E  'Ramidemoka  (ancêtre  dont  on  n'a  que  le 
nom  posthume),  sous-entendu  :  parais  parmi 
nous. 

Il  semble  bien  que,  dans  ce  chant,  sont  expri- 
més, sous  une  forme  inachevée,  une  certaine 
nostalgie,  un  regret  d'une  terre  meilleure,  ou 
tout,  même  les  sauterelles,  était  mieux  que  dans 
le  Boina.  Pourtant  la  fin  révèle  un  espoir  puis- 
qu'on peut,  même  au  Boina,  «  servir  »  les  ancê- 
tres. 

Gomme  exemples  de  litanies,  en  voici  deux 
qu'on  chante  beaucoup  : 


156 


LE    TROMBA 


les  assistants 


rftrffez£zz£hz£iz£-. 


Mpan  -    ja  -kanay  !  ma  -  me  -  lo 

La  -     hy-fotsy  !    ma  -  me  -  lo 

Ra  -     zo  -  ky  !     ma  -  me  -  lo 

Ra  -     va-hiny!     ma  -  me  -  lo 

Rana  -   valo  -  na  !     ma  -  me  -  lo 


a 

a  ■ 

a  -    ri 

a  -    ri 

a  • 


vo 
vo 
vo 
vo 

vo 


a 


1*1    -    vo 


Le  chef 

Rasaonjo  E  ! 

Notre  roi  ! 

(Fils  d'Andriamiasra) 

(L'aîné) 

(Une  reine) 

(La  1"  reine  nova) 


Les  assistants 
en  fait  vivre  des  milliers, 
e  i  fait  vivre  des  milliers, 
en  fait  vivre  des  milliers, 
en  fait  vivre  des  mi  liers. 
en  fait  vivre  des  milliers, 
en  fait  vivre  des  milliers. 


etc.,  etc.,  la  liste  de  noms  de  rois  peut  s'allon- 
ger à  perte  de  vue  ;  car,  quand  on  n'en  connaît 
plus,  on  en  invente.  C'est  un  exercice  fort  ap- 
précié du   reste. 

La  deuxième  litanie  ci-dessous  se  répète  sans 
changement.  On  voudrait  pouvoir  dire  que  les 
gens  se  rendent  compte  de  la  valeur  des  paroles 
qu'ils  prononcent  comme  des  machines  ;  car, 
après  quelques  instants,  l'esprit  est  complète- 
ment absent  :  ce  dont  on  n'éprouve  aucune 
confusion.  Quand  le  zèle  fléchit,  le  chef  se  livre 
à  une  énergique  mimique,  et  la  litanie  reprend 
de  plus  belle  : 


Ody  ou  charmes  Sakalaves 


COLLIERS   ET    CHARMES   DIVERS 

La  petite  boîte  d'argent  se  porte  dans  lé  dos, 

elle  contient  des  charmes,  ou  parfois  des  papiers  portant 

des  versets  du  Coran  (?) 


LES    CHANTS  157 


&•       Le  chef  de  chœur      |        les  assistants  .<£• 


E  Ka    Ran    -    a  -  bo  !  An  -  a    boao  mi  -  ti-lona  a-hy  E 

E  Ka    Ran    -    a  -  bo  !  An  -  a    boao  mi  -  ti-lona  a-hy  E  (Sakal) 

ou    E  Ry  ambony  o  !  Ny  ambony  ao  no  mitsinjo  a-hy  E    (nova) 

E  Celui  qui  est  en  haut  !  C'est  celui  qui  est  en  haut  qui  me  voit  Eh  • 


Les  chants  d'humiliation  ont  aussi  leur  tour  ; 
ils  sont  pourtant  en  petit  nombre  et  offrent  cette 
anomalie  que  les  assistants  chantent  au  nom  du 
malade,    s'humilient    pour    lui,    précisément    au 

Cnoment  où  celui-ci  se  glorifie  d'être  choisi  par 
t  e  Ranahary  ou  par  un  Mo  d'autre  sorte. 

Sg       Les  assistants  \      le  chef  .<£ 

iSÉfêgjÉiÉÉÉÉgi 

Votso-ry  ahy  fa    ma  -  li     -     lo  E  !     Za  -  ho  ma  -  li     -    lo  E  ! 

Votso-ry  ahy  fa     ma  -  li     -     lo  E  !     Za  -  ho  ma  -  li     -     lo  E  ! 

Délivre-moi  car  je  suis  puni  Eh  !  C'est  moi  qui  suis  puni  Eh  ! 


Naturellement,  ces  mélopées  sont  très  nom- 
areuses  ;  nous  n'avons  voulu  ici  qu'en  donner 
me  idée  et  en  fournir  des  exemples.  Elles  se 
ressemblent  toutes  et  elles  sont,  comme  on  peut 
e  voir,  d'une  grande  pauvreté.  Nous  avons  noté 
es  principales  et  les  plus  intéressantes.  On  se 
*end  compte  aussi  comment  paroles  et  musique 


158  LE   TROMBA 

peuvent  être  utiles  pour  les  cérémonies  du  Trom- 
ba.  On  chante  généralement  à  l'unisson.  De 
temps  en  temps  il  y  a  des  essais  d'harmonisa- 
tion, et  souvent  on  termine  la  litanie  sur  un  point 
d'orgue,  à  quatre  voix,  chacun  donnant  son  petit 
coup  de  gosier. 

C'est  pendant  des  heures,  et  la  plupart  du 
temps  fort  avant  dans  la  nuit,  si  ce  n'est  jus- 
qu'au matin,  que  se  prolongent  les  exercices  aux- 
quels on  se  livre  avec  joie  et  pour  lesquels  on 
ne  regrette  ni  effort,  ni  fatigue.  On  considère 
comme  un  honneur  de  jouer  un  rôle  dans  des 
circonstances  aussi  mémorables,  sans  oublier  que 
le  refus  serait  suivi  de  la  vengeance  des  esprits..., 
si  ce  n'est  de  celle  des  intéressés  eux-mêmes,  bles- 
sés dans  leur  amour-propre  par  ce  qu'on  consi- 
dère comme  une  véritable  injure. 


CHAPITRE  X 


CAUSES  ET  EFFETS  DU  TROMBA 


Il  est  difficile  d'échapper  à  un  doute,  même 
quand  on  a  vu  le  Tromba  à  l'œuvre,  non  qu'il 
y  ait  simulation  fréquente,  mais  simplement 
parce  qu'il  n'existe  guère  de  moyens  pour  se  ren- 
dre compte  si,  oui  ou  non,  il  y  a  supercherie. 
Aussi  bien  un  Européen  est-il  mal  placé  pour 
juger  de  la  chose.  Les  indigènes,  eux,  sont  caté- 
goriques. La  simulation  est  rare.  Ce  n'est  pas 
qu'elle  ne  soit  possible,  puisque  nous  pouvons 
donner  le  récit  écourté  d'un  exemple  récent 
(novembre  1910). 

Un  jeune  Hova,  connaissant  le  Boina  depuis 
huit  ans,  mais  ayant  subi  profondément  l'in- 
fluence chrétienne,  se  demandait  quelle  part  de 
vérité  il  fallait  accorder  au  Tromba.  Il  ne  dou- 


160  LE    TROMBA 

tait  pas  de  la  sincérité  de  ses  compatriotes,  mais 
il  les  croyait  trompés.  Ses  questions  n'obtenaient 
pas  de  réponses  satisfaisantes;  son  malaise  inté- 
rieur augmentait  ;  il  se  refusait  à  voir  dans  les 
souffrances  des  malades  entrancés  la  preuve  du 
démon.  Il  se  décida  à  simuler  une  visite  du 
Tromba  dans  une  grande  réunion  convoquée 
pour  le  «  service  »  assez  loin  de  son  village.  Il 
voulait  n'être  pas  reconnu.  Il  emmena  avec  lui 
un  témoin  pour  le  cas  où  les  esprits,  présents  en 
réalité,  le  démasqueraient  et  le  livreraient  à  la 
vindicte  de  l'assemblée.  Arrivé  au  lieu  de  réu- 
nion, il  fut  encore  hésitant;  puis,  voyant  les 
esprits  aller  de  l'un  à  l'autre,  il  entra  dans  le 
cercle...    Ecoutons    maintenant    son    récit    : 

«  J'allai  m'asseoir  à  côté  du  fondy;  mais  j'étais 
un  inconnu,  il  ne  me  regarda  même  pas.  Alors 
j'eus  l'idée  de  mettre  ma  main  sur  son  pied  et 
de  faire  légèrement  trembler  mon  bras.  Alors  il 
me  regarda  de  côté,  un  peu  étonné.  Au  bout  d'un 
moment,  je  tremblais  plus  fort,  et  le  fondy  se  mit 
à  me  toucher.  Evidemment  il  me  croyait  pris. 
Alors  j'ai  commencé  à  branler  la  tête,  a  remuer  les 
épaules  et  à  souffler.  Encore  bien  plus  étonné, 
le  fondy  annonça  à  l'assemblée  qu'un  esprit  très 
puissant  paraissait  pour  la  première  fois  ;  il  m'ap- 
pela   «un   esprit   d'Imerina    »   ;   il   me  prit  par 


CAUSES  ET  EFFETS  DU  TROMBA         161 

la  main  et  me  conduisit  à  la  caisse  réservée  au 
Tromba  pour  me  faire  asseoir.  Naturellement  je 
tremblais  toujours.  A  ce  moment,  le  chef  de  X., 
que  je  connaissais  de  vue,  lui  ne  me  connaissant 
pas,  vint,  en  me  saluant  profondément,  me  de- 
mander si  je  ne  savais  qui  il  était.   J'étais  embar- 
rassé; car  je  ne  voulais  pas  mentir  et  pourtant 
je  voulais  savoir  si  les  esprits  me  reconnaîtraient  ; 
alors  j'ai  dit  :   «  Toi,  je  te  connais,  tu  es  le  chef 
«  de  X.  »  Alors  partout  on  cria  :  «  C'est  un  grand 
«  Tromba  »;    et   on   chantait  très   fort.    Le   chef 
alors  m'a  dit,  toujours  en  me  saluant  :   «  Tu  es 
«un  grand   Tromba   d'Imerina  ;   dis-moi  ce  que 
«je  dois  faire    pour  faire  plaisir  au  gouverne- 
«  ment  »;  et  il  m'a  offert  2  fr.  50.  J'ai  répondu  : 
«  Je  suis  assez  riche  sans   ton  argent   et  assez 
«bon  pour  te   dire  qu'un   excellent    chef...    (ici 
«  une  longue  énumération  sans  intérêt).  »  Mais  le 
chef  voulait  encore  savoir  s'il  aurait  de  l'avan- 
cement. Je  lui  en  ai  promis  s'il  faisait  tout  ce 
que  le   Gouvernement   demande  et  s'il   donnait 
satisfaction  au  peuple.  Je  ne  risquais  pas  de  me 
tromper.   Mais   ce   n'était  pas   encore  fini.    Il  a 
voulu   savoir  quand  il  aurait  son  avancement. 
J'ai  failli  être  embarrassé,  cette  fois  ;  mais  j'ai 
soufflé  un  peu  et,  en  soufflant,  je  me  suis  sou- 
venu   des     «  Bananiers     »    (Noël,    Nouvel    An). 

il 


162  LE   TROMBA 

Il  faut  un  mois  pour  qu'on  sache  ici  ce  qui  a 
été  décidé  à  Tananarive,  alors  j'ai  répondu  :  «  Tu 
«  sauras  ça  au  mois  de  février  ou  bien  un  an 
«  après.  »  Il  a  été  très  content  et  c'est  sûr  que 
le  Gouvernement  le  récompensera,  car  il  a  trop 

envie  de  bien  faire » 

Outre  qu'il  révèle  une  certaine  mentalité,  ce 
récit  montre  que  la  simulation  est  possible.  Mais 
il  appert  aussi  avec  lui  qu'elle  doit  être  diffi- 
cile pour  un  Malgache  superstitieux  et  à  peu 
près  impossible  à  un  Malgache  chrétien,  méri- 
tant ce  nom  à  cause  de  sa  foi  et  connu  comme 
tel.  Le  simple  fait  qu'on  ne  prend  pas  de  pré- 
cautions contre  les  imposteurs  signifie  peut-être 
qu'on  n'en  a  guère  rencontré.  Ce  serait  une 
erreur  de  croire  qu'en  général  les  chrétiens 
indigènes  considèrent  le  Tromba  autrement  que 
comme  une  manifestation  du  démon.  Ils  s'en 
tiennent  éloignés  bien  plus  avec  méfiance  et 
crainte  qu'avec  sympathie  et  regrets.  Ce  n'est 
que  peu  à  peu  qu'ils  s'affranchissent.  Comment 
la  simulation  pourrait-elle  être  fréquente,  quand, 
pour  que  les  cérémonies  se  pratiquent,  il  faut 
subir  des  séances  préparatoires,  suite  d'une 
maladie  déjà  longue,  chez  des  gens  connus  et 
même  redoutés  quoique  admirés  ?  La  fréquence 
des     séances,    la     soudaineté     de    l'action,     le 


CAUSES   ET  EFFETS   DU   TROMBA  163 

fait  qu'on  se  trouve  entre  gens  qui  se  connais- 
sent tous  de  près,  la  répugnance  même  de  cer- 
tains malades  rendent  l'imposture,  sinon  impos- 
sible, du  moins  rare.  Il  peut  d'ailleurs  exister 
différents  genres  de  Tromba. 

Nous  appellerons  le  premier  :  le  Tromba  spon- 
tané ou  naturel.  Il  est  le  produit  de  la  maladie, 
d'un  choc  nerveux,  de  l'excitation  alcoolique 
chronique,  de  la  suggestion  ou  de  l'auto-sugges- 
tion. 

La  fièvre  paludéenne,  qu'on  retrouve  dans 
presque  toutes  les  maladies,  extrêmement  insi- 
dieuse et  variable,  fournit  déjà  les  prodromes 
d'un  accès  de  Tromba.  Les  fiévreux  ne  sont  pas 
seulement  en  proie  à  des  hallucinations  très  per- 
sistantes, mais  ils  se  livrent  à  une  certaine  gesti- 
culation involontaire.  Ils  regardent  leurs  mains 
en  les  tournant  et  retournant,  pendant  un  temps 
parfois  assez  long  ;  ou  leurs  pieds  sont  affectés 
par  un  petit  mouvement  nerveux,  indépendant  de 
leur  volonté.  On  voit  même  des  malades  donner 
à  tout  leur  corps  une  sorte  de  court  balancement. 
Qu'au  lieu  de  calmer  cette  agitation,  on  l'ex- 
cite, on  la  régularise  en  lui  donnant  un  sens,  et 
nous  voici  dans  le  Tromba. 

Il  est  souvent  très  difficile  d'obtenir  d'un  fié- 
vreux qu'il  demeure  couché,  ou  même  qu'il  ne 


164  LE    TROMBA 

marche  pas  (1).  Il  est  courbaturé,  se  plaint  de 
vives  douleurs,  ses  pieds  sont  enflés,  la  tempé- 
rature est  élevée,  mais  il  continue  à  vouloir 
s'occuper  de  toutes  ses  affaires.  Il  est  en  proie 
à  une  mobilité  extrême  de  pensée.  Il  lui  est  im- 
possible de  s'attacher  à  aucun  sujet,  comme  de 
demeurer  à  la  même  place.  Qu'on  utilise  ce  be- 
soin anormal  de  mouvement  en  vue  de  l'aug- 
menter, et  ce  désordre  de  l'esprit  pour  en  tirer 
des  indications  de  valeur  très  diverses ,  nous 
serons  de  nouveau  dans  le  Tromba. 

Par  une  sorte  de  perversion  des  facultés  intel- 
lectuelles, le  fiévreux  en  arrive  souvent  à  pren- 
dre ses  cauchemars  au  sérieux  et  à  être  la  vic- 
time de  véritables  phobies.  Il  en  est  qui  ne  peu- 
vent plus  voir  le  pain,  le  riz,  ou  telles  boissons 
et  généralement  celles  qu'ils  prennent  le  plus 
volontiers  en  temps  ordinaire  ;  d'autres  éprou- 
vent "une  répulsion  violente  pour  certains  vête- 
ments, certaines  couleurs  ;  d'autres  refusent  d'en- 


(1)  Un  nommé  Farantsa,  d'origine  nègre,  est  pris  d'accès 
de  dromomanie  toutes  les  fois  qu'il  a  la  fièvre  ;  et  si  celle-ci 
n'a  pas  pu  être  prévue,  il  est  quelquefois  difficile  de  retrouver 
FaraDtsa.  Lors  de  sa  dernière  fugue  (en  1910),  on  le  retrouva 
dans  un  champ  de  cannes  à  sucre,  inconscient.  Plus  tard,  la 
fièvre  passée,  il  était  très  calme  et  raisonnable.  L'esprit 
l'ayant  visité,  on  eut  soin  de  faire  «  le  service  »  et  de  baigner 
le  malade  dans  la  case  réservée  à  Andriamisara. 


Femmes  Sakalaves  de  Nosi-be 


QUAND    ELLES    POSENT 


CAUSES   ET   EFFETS   DU   TROMBA  165 

trer  dans  la  chambre  qu'on  leur  destine.  Nous 
avons  connu  une  jeune  fille  qu'il  était  impossible 
de  faire  étendre  ou  asseoir  ;  quand,  de  force,  elle 
était  mise  sur  sa  couche,  elle  se  relevait  comme 
poussée  par  un  ressort,  déployant  beaucoup  de 
vigueur,  bien  que  n'ayant  pris  qu'une  nourriture 
insuffisante  depuis  plusieurs  jours.  Un  haut  fonc- 
tionnaire de  la  magistrature  offrait  une  autre 
anomalie  :  une  fois  installé  quelque  part,  il  n'en 
voulait  plus  sortir  et  refusait  obstinément  de  se 
nourrir.  Qu'on  atténue  un  peu  ces  cas  extrêmes 
—  dont  il  serait  facile  d'augmenter  le  nombre  — 
pour  rester  dans  la  moyenne  des  choses  qui  s'ob- 
servent tous  les  jours,  qu'on  y  ajoute  l'idée  que 
des  esprits  se  sont  emparés  du  malade,  et  nous 
serons  en  face  des  fady  et  de  la  nécessité  d'un 
exorcisme,  donc  dans  le  Tromba. 

Les  maladies  nerveuses,  qu'on  pourrait  croire 
fort  rares  chez  des  gens  que  rien  ne  semble  in- 
quiéter et  dont  l'indifférence  est  proverbiale, 
sont  relativement  fréquentes.  On  voit  souvent  des 
individus  ayant  des  tares  mentales.  L'hystérie, 
plus  ou  moins  caractérisée,  atteint  les  femmes, 
et  même  les  hommes.  Tout  cela  prépare  des  vic- 
times pour  le  Tromba,  d'autant  plus  qu'on  cul- 
tive les  dispositions  morbides  et  qu'on  encourage 
les  manies  des  malades. 


166  LE   TROMBA 

Les  idées  du  patient  lui-même,  ce  qu'il  a  vu 
lorsqu'il  était  en  santé,  le  prédisposent  à  un  état 
qu'on  vénère,  parce  que,  s'il  est  maladif,  il  con- 
fère pourtant,  outre  l'honneur  fort  grand  d'être 
la  demeure  des  dieux  (ancêtres),  celui  de  distri- 
buer de  leur  part  des  ordres,  d'indiquer  des 
remèdes  pour  autrui,  et  même  pour  soi-même. 
L'entrancé  dit  le  nom  de  ces  remèdes,  l'endroit 
où  l'on  peut  les  trouver  ;  et,  s'il  parle  de  lui,  il 
se  désigne  à  la  troisième  personne. 

La  maladie  devient  une  thérapeutique.  Le 
malade  prend  la  place  du  médecin. 

Le  Tromba  est  loin  d'être  toujours  spontané. 
Il  peut  être  provoqué.  Les  Malgaches  connais- 
sent dès  longtemps  diverses  drogues  soporifi- 
ques, et  même  ils  s'en  servent  parfois  dans  des 
buts  peu  avouables.  Des  sortes  de  hachisch  —  où 
le  chanvre  rentre  pour  une  bonne  part  —  sont 
connus  dans  certaines  régions.  Il  est  donc  pro- 
bable, pour  ne  pas  dire  plus,  que  le  mpamoaka 
se  sert  de  quelques  vieilles  formules;  et  cela  ex- 
plique la  nécessité  de  se  procurer  certaines  her- 
bes à  odeur  forte  qu'on  fait  fumer  en  même 
temps  que  l'encens  (emboka)  ou  qu'on  presse 
fortement  pour  en  extraire  le  suc  qui  sera  mêlé 
à  la  boisson  présentée  au  malade  ;  nous  avons 


CAUSES   ET  EFFETS  DU  TROMBA  167 

même  vu  qu'on  faisait  mâcher  au  patient  des 
feuilles  dont  nous  n'avons  pu  obtenir  le  nom,  ni 
savoir  la  provenance.  Les  Moasy  malgaches 
jouent  du  reste  avec  certains  poisons  végétaux 
sans  aucune  précaution  ni  inquiétude,  et  ils 
n'admettent  guère  qu'on  puisse  leur  imputer 
les  malaises  ou  même  la  mort  de  leurs  clients. 

La  seule  fumée  de  Yemboka,  alourdissant  la 
tête,  endormant  la  sensibilité,  peut  provoquer  un 
demi-sommeil,  durant  lequel  le  malade  n'est  plus 
qu'une  chose  entre  les  mains  de  celui  qui  dirige 
la  cérémonie.  Indifférent,  lassé,  il  hâte  lui-même, 
par  son  attitude,  le  moment  où  il  n'aura  plus 
conscience  de  rien,  et  où  il  deviendra  le  sujet  du 
mpamoaka  ou  du  fondy  et  un  objet  de  curiosité 
pour  les  spectateurs.  Les  bruits  cadencés,  les 
cantilènes,  chantées  d'abord  doucement,  puis  de 
plus  en  plus  fort,  contribuent  pour  leur  part  au 
résultat  attendu.  Le  tout  explique  dans  une  large 
mesure  la  contagion  qu'on  peut  observer.  Car,  si 
le  malade  est  entouré  de  fumée,  lié  par  des  spi- 
rales qui  doivent  emporter  le  mauvais  sort,  la 
case  toute  entière  est  remplie  d'une  odeur  forte 
et  prenante  ;  et  cette  odeur  agit  sur  toutes  les 
personnes  présentes.  Or,  dans  cette  assistance, 
il  y  a  toujours  quelques  malades  qui  cherchent 
la  guérison  et  qui  ont  à  demander  des  remèdes, 


168  LE    TROMBA 

des  névropathes  qui  ont  déjà  connu  la  trance  et 
qu'une  occasion  nouvelle  sollicite  avec  force. 
Tout  le  monde  aussi  peut  boire  l'eau  dans  la- 
quelle on  a  fait  macérer  les  feuilles  sacrées.  Le 
vin,  l' eau-de-vie  anisée  sont  souvent  additionnés 
d'écorces  destinées  à  augmenter  leurs  qualités. 
Enfin  la  volonté  du  mpamoaka  ou  du  fondy  est 
à  mettre  en  ligne  de  compte;  son  miroir  ou  mor- 
ceau de  miroir  n'est  pas  un  vain  ornement,  sans 
oublier  que  la  famille  a  longuement  préparé  son 
malade  par  des  récits,  des  recommandations,  une 
suggestion  de  tous  les  instants. 

Dans  tous  ces  cas  divers,  on  s'est  réuni  avec 
grand  apparat  en  vue  de  faire  «  sortir  le  Tromba». 
En  réalité  on  le  fait  entrer  ;  ou,  pour  parler 
autrement  que  les  indigènes,  tout  un  ensemble 
d'idées,  de  pratiques  et  de  circonstances  mettent 
le  malade  en  état  d'hypnose,  et  cet  ensemble  agit 
sur  tous  ceux  dont  la  volonté  a  été  plus  ou  moins 
annihilée  ou  qui  sont  déjà  sous  une  menace  de 
maladie.  stj 

La  persuasion  (la  foi)  joue  son  rôle  dans  la 
provocation.  Tel  individu  bien  portant,  soumis 
aux  fady  dont  il  est  l'esclave,  essaiera  de  s'affran- 
chir en  s'adressant  au  Tromba  d'un  voisin,  ou 
en  se  soumettant  lui-même,  vaincu  par  avance, 
aux  pratiques   conseillées  par  le  fondy.    Quand 


CAUSES  ET  EFFETS  DU  TROMBA         169 

l'esprit  parlera  par  lui,  ou  qu'un  autre  esprit 
parlera  à  son  sujet,  ce  sera  pour  lui  donner  satis- 
faction. Son  propre  désir  V entraîne  ;  et  ici,  une 
fois  encore,  apparaît  le  rôle  de  l'auto-suggestion, 
ou  la  liberté  d'interprétation  du  mpamoaka. 

Le  Tromba  par  entraînement  doit  être  accusé 
aussi  lorsqu'on  parle  de  la  contagion,  ou  du 
Tromba  épidémiforme.  Il  coïncide  souvent  avec 
des  époques  où  la  fièvre  sévit  particulièrement, 
c'est  vrai;  mais  il  est  non  moins  évident  que  des 
individus  paraissant  en  bonne  santé  sont  frap- 
pés pendant  les  cérémonies  et  rentrent  dans  leur 
état  normal  beaucoup  trop  vite  pour  qu'on  puisse 
les  croire  atteints  profondément.  Les  chants,  la 
vue  de  ce  qui  se  passe,  une  légère  ivresse,  une 
longue  attente  fatigante  les  ont  excités  ;  et  ils  se 
laissent  aller,  entraînés  par  leurs  nerfs. 

On  peut  surprendre  des  gens,  accomplissant 
les  gestes  du  Tromba  à  leur  insu,  entraînés  par 
l'exemple  et  par  le  rythme  des  cantilènes  ;  et,  comme 
ils  croient  à  la  réalité  de  la  manifestation  des 
esprits,  s'ils  s'aperçoivent  de  leurs  mouvements, 
ils  ne  manquent  pas  de  dire  :  «  J'en  ai  un  aussi.  » 
Immédiatement  leurs  mouvements  s'accentuent. 
On  les  reconnaît  facilement  à  ce  qu'ils  se  lassent 
vite,  n'ont  rien  à  dire,  et  même  semblent  hon- 


170  LE   TROMBA 

teux  une  fois  revenus  à  eux-mêmes,  ce  qui  n'est 
pas  le  cas  pour  les  gens  à  forme  de  Tromba  spon- 
tané, ou  provoqué  ;  non  seulement  ceux-ci  ne  se 
souviennent  de  rien,  mais  ils  se  sentent  fiers 
d'avoir  été  désignés  par  les  esprits  ;  et  écoutent 
avec  complaisance  les  récits  de  leurs  hauts  faits 
et  de  leurs  discours. 

Si  les  indigènes  sont  profondément  remués 
par  le  Tromba  et  deviennent  facilement  sa  proie, 
il  ne  faudrait  pas  croire  que  les  Européens  y 
échappent  aussi  complètement  que  pourraient  le 
faire  supposer  leurs  antécédents  ou  le  scepti- 
cisme qu'ils  affichent  dans  les  questions  religieu- 
ses. En  face  de  gens  entrancés,  ils  montrent  sou- 
vent de  l'émotion  et  parfois  sont  si  peu  sûrs 
d'eux  qu'on  les  voit  s'en  aller  brusquement.  Nous 
connaissons  un  adjudant,  ayant  vu  le  feu,  qui 
ne  peut  entendre,  même  de  loin,  les  cantilènes 
sans  être  pris  par  une  crainte  étrange  de  sentir 
le  Tromba  s'abattre  sur  lui;  et  il  fuit  aussi  vite 
que  le  lui  permettent  les  circonstances  et  sa  di- 
gnité. 

Beaucoup  de  «  Vazaha  »  (blancs)  avouent 
que  «  sans  comprendre  ils  croient  qu'il  y  a  quel- 
que chose  là  »  ;  et  les  explications  n'ont  pas 
auprès  d'eux  beaucoup  plus  de  succès  qu'auprès 
des    sectateurs    d'Andriamisara.    Pour    échapper 


CAUSES   ET  EFFETS   DU   TROMBA  171 

aux  esprits,  à  leur  vengeance,  s'assurer  leurs 
bonnes  grâces,  il  en  est  qui  joignent  leurs  offran- 
des à  celles  des  indigènes.  Même  plus  d'un  de 
ceux,  si  nombreux,  qui  ont  accepté  de  ces  maria- 
ges temporaires  chantés  par  Loti,  avec  plus  d'ha- 
bile dilettantisme  que  de  sens  moral,  s'abandon- 
nent entre  les  mains  de  leur  «  Ramatoa  (1)  »  et  se 
livrent  eux-mêmes  au  Tromba,  soit  par  supers- 
tition, soit  par  crainte  de  la  maladie  ou  de  la 
mort,  soit  par  atonie  si  complète  qu'ils  ne  peu- 
vent plus  réagir  en  aucune  manière.  Ce  sont  les 
mêmes  raisons  qui  font  qu'on  en  voit  essayer 
des    remèdes    invraisemblables. 

Une  question  se  pose.  Y  a-t-il,  en  effet,  des 
guérisons  à  la  suite  des  pratiques  du  Tromba  ? 
Il  s'en  produit,  cela  n'est  pas  douteux.  Il  est  toute 
une  série  de  malaises,  qui  surviennent  aux  chan- 
gements de  saison,  ou  à  la  suite  de  l'assèchement 
des  rizières  ou  marais  et  qui  disparaissent  d'eux- 
mêmes  chez  les  sujets  sains  et  encore  vigou- 
reux. S'ils  se  sont  livrés  au  Trompa,  tout  le  béné- 
fice de  leur  guérison  lui  revient.  Il  en  est  de  même 
pour  plusieurs  maladies  :  elles  suivent  leur  cours, 


(1)  Mot  respectueux,  équivalent  de  «  Madame  »,  et  singu- 
lièrement détourné  de  son  sens. 


172  LE    TROMBA 

mais,  une  fois  guéris,  les  «  croyants  »  voient  leur 
conviction  s'affermir  d'autant. 

Pour  ce  qui  concerne  la  fièvre  paludéenne,  les 
choses  sont  autres  :  le  malade  guérit  par  suite 
des  réactions  violentes  par  lesquelles  il  doit  pas- 
ser. Il  s'agite  beaucoup,  il  a  d'abondantes  trans- 
pirations ;  les  boissons  qu'on  lui  donne  sont 
amères  ;  et  il  continuera,  après  la  crise,  une  sorte 
de  traitement  d'herbes  amères  ;  il  guérira.  Il 
peut  du  reste  se  tromper  gravement,  car  il  prend 
souvent  une  force  factice,  résultat  de  l'excita- 
tion, pour  une  preuve  de  guérison  ;  il  l'affirme. 
L'accès  revient,  mais  sa  persuasion  n'en  est  pas 
modifiée  :  c'est  le  lolo  ou  Zanaharg  qui  veut  en- 
core obtenir  quelque  chose  ou  qui  veut  révéler 
quelque  nouveau  fady,  et  c'est  ainsi  que  s'al- 
longe la  cure. 

Pendant  les  séances,  la  case  devient  une  sorte 
de  boîte  de  fumigation,  et  cela  est  plus  vrai 
encore  du  drap  sous  lequel  on  met  le  malade  qui 
respire,  à  lui  seul,  toute  la  fumée  dégagée  par 
l'encens.  Il  sort  de  cette  étuve  dans  un  état  de 
sueur  profuse  et  tout  en  larmes  ;  et,  dans  le 
courant  ordinaire  d'une  fièvre  normale,  la  trans- 
piration est  la  preuve  de  la  fin  de  l'accès.  Sou- 
vent on  la  provoque  parce  qu'après  elle,  le  ma- 
lade soulagé  peut  être  soigné  avec  beaucoup  plus 
de  chances  de  succès  rapide. 


CAUSES  ET  EFFETS  DU  TROMBA         173 

Les  bains  successifs  sont  une  cure  d'hydrothé- 
rapie et,  pour  être  ordonnée  par  un  demi-sau- 
vage —  en  vue  de  résultats  fort  hypothétiques 
et  pour  s'attirer  les  bénédictions  d'ancêtres  morts 
il  y  a  200  ou  300  ans,  ou  pour  leur  témoigner 
un  respect  dont  ils  n'ont  nul  besoin,  —  elle  n'en 
perd  pas  ses  qualités. 

Enfin,  le  fondy,  mpamoaka,  moasy,  peut  ne 
pas  être  aussi  ignorant  que  la  simplicité  de  son 
costume  pourrait  le  faire  croire;  et  son  intelli- 
gence, sa  mémoire,  son  intérêt,  lui  sont  d'un 
grand  secours.  Il  connaît  des  simples,  il  sait  ce 
qu'est  le  massage;  et  ce  qu'il  recommande  à  l'état 
de  veille  n'est  pas  toujours  dépourvu  de  sens, 
loin  de  là.  Il  suit  aussi  son  malade.  Il  l'encou- 
rage. Il  se  réjouit  avec  lui,  s'il  guérit.  Il  prévoit 
les  rechutes  ;  il  s'en  sert  ;  pleure  avec  la  famille, 
s'il  y  a  décès.  (Les  affranchis  disent  volontiers  : 
il  est  rusé.)  Dans  toutes  les  affaires  importantes, 
il  interviendra,  parfois  sous  la  forme  d'un  mpi- 
sikidy  ou  d'un  modeste  guérisseur;  mais  ce  sera 
toujours  lui  et  son  influence  ne  saurait  qu'y 
gagner. 

Mais  si  le  Tromba  a  des  guérisons  à  son  actif, 
il  doit  enregistrer  aussi  des  décès.  C'est  avec 
beaucoup  de  discrétion  qu'il  nous  a  fallu  mener 
l'enquête   pour   savoir    dans    quelle    mesure   les 


174  LE   TROMBA 

malades  du  Tromba  succombent.  Les  familles 
sont  jalouses  de  leurs  secrets,  et  elles  ont  cent 
formules  pour  éconduire  le  questionneur,  d'autant 
plus  qu'elles  redoutent  les  mânes  des  trépassés. 
Pourtant,  nous  avons  pu  constater  que,  dans  un 
cercle  restreint,  bien  que  sur  une  période  de  dix 
ans,  les  cas  de  Tromba  suivis  de  mort  ont  été 
relativement  fréquents. 

La  mort  survient  parfois  à  la  suite  d'épuise- 
ment, et  cela  est  assez  naturel.  Déjà  affaibli  par 
la  maladie,  le  patient  fait  des  efforts  qui  dépas- 
sent ses  forces,  et  dont  la  durée  achève  de  l'user. 
Pendant  des  heures,  quand  ce  n'est  pas  toute 
une  nuit  et  même  beaucoup  plus,  il  se  dépense 
de  telle  manière  qu'un  homme  en  bonne  santé 
en  sortirait  malade.  Il  hâte  le  dénouement,  qu'on 
aurait  pu  probablement  éviter  en  employant  un 
traitement  rationnel. 

Pour  d'autres,  c'est  plus  tragique,  en  ce  sens 
qu'ils  finissent  dans  des  hoquets  que  les  assis- 
tants prennent  pour  la  manifestation  du  Tromba  ; 
ou  bien,  quelque  vaisseau  se  rompant,  il  se 
produit  une  hémorrhagie. 

On  cite  des  exemples  frappants  (avec  noms 
d'individus,  de  lieux,  et  dates  à  l'appui).  Un  blanc 
malade  avait  été  persuadé  de  laisser  agir  le 
Tromba  et,  devant  la  réprobation  de  ses  amis, 


CAUSES  ET  EFFETS  DU  TROMBA         175 

y  avait  renoncé  ;  mais  le  Tromba  mécontent  le 
fit  souffrir  plus  que  jamais  ;  et,  à  la  fin,  vou- 
lant le  contenter,  le  blanc  fit  faire  le  «  service  ». 
Malheureusement,  il  avait  attendu  trop  long- 
temps. Le  Tromba  le  tua,  il  s'était  vengé  de  tant 
de  négligence.  Un  indigène  était  si  tourmenté  par 
le  Tromba  qu'il  en  est  mort  de  faim  ;  car,  cha- 
que fois  qu'il  se  trouvait  en  face  de  son  assiette 
de  riz,  le  tremblement  traditionnel  le  prenait  et 
le  mettait  dans  l'impossibilité  de  manger.  Une 
jeune  femme,  atteinte  d'abcès,  mourut  dans  une 
trance,  un  abcès  s'étant  ouvert  et  ayant  produit 
une  hémorragie,  etc.,  etc.  Il  y  a  quelque  chose 
de  poignant  à  penser  à  ces  agonies,  sous  des 
oripeaux  destinés  à  rappeler  une  grandeur  qui 
s'est  singulièrement  illusionnée  elle-même.  Pri- 
ses pour  une  manifestation  nouvelle,  elles  sont 
accueillies  avec  des  chants  et  des  claquements  de 
mains,  pour  finir  dans  des  lamentations  et  des 
cris,  des  questions  qui  restent  sans  réponse  et 
une  confusion  générale. 

Quand  on  arrive  à  ces  constatations,  l'intérêt, 
un  peu  mêlé  de  curiosité,  qu'on  éprouve  pour  le 
Tromba,  se  change  en  une  profonde  tristesse;  et 
on  se  demande  ce  qu'on  pourrait  faire  pour  ame- 
ner tant  d'âmes  à  une  plus  juste  notion  des  cho- 
ses, à  une  compréhension  toute  autre  de  ce  que 


176  LE    TROMBA 

sont  la  maladie,  le  remède,  la  souffrance  et 
Dieu  même,  qui,  par  suite  d'un  anthropomor- 
phisme poussé  à  ses  dernières  limites,  devient  si 
étrangement  bon  et  mauvais,  maître  et  esclave. 

L'administration  a  essayé  parfois  des  inter- 
dictions radicales;  mais  elle  n'est  arrivée,  dans 
cette  voie,  qu'à  des  résultats  nuls.  Le  Tromba  se 
faisait  alors,  quand  même,  en  cachette,  dans  des 
villages  et  des  endroits  reculés,  ou  même  sans 
qu'on  prenne  la  peine  de  s'éloigner  et  avec  l'ap- 
probation tacite  des  petits  chefs  locaux.  Il  est 
arrivé  que  le  mécontentement  de  la  population 
fut  si  manifeste  qu'on  préférait  fermer  les  yeux. 
Nous  avons  entendu  dire  à  un  administrateur, 
qui  laissait  faire  le  Tromba  et  qui  n'autorisait 
pas  les  réunions  chrétiennes  :  «  Je  ne  vais  pas 
me  mettre  ces  gens  sur  les  bras  ;  et  après  tout, 
c'est  leur  religion.  »  Encore  était-il  mieux  inspiré 
que  tel  autre  qui  mit  un  impôt  sur  les  séances 
du  Tromba  dans  sa  province  et  fit  enregistrer 
le  fait  à  Y  Officiel,  augmentant  d'un  lamentable 
malentendu  la  charge  d'idées  fausses  chez  des 
gens  difficiles  à  atteindre,  c'est  vrai,  mais  aux- 
quels on  a  porté  trop    peu  de  véritable  intérêt. 

Pour  nous,  le  remède  est,  en  partie,  dans  une 
liberté  surveillée  qui  tuera  le  mystère  et  suppri- 
mera par  là-même  un   des   grands   attraits   du 


CAUSES  ET  EFFETS  DU  TROMBA         177 

Tromba.  Une  assistance  médicale  beaucoup  plus 
large,  officielle  ou  privée,  aurait  aussi  pour  la 
diminution  du  nombre  des  sujets  les  plus  heu- 
reux  effets. 

Mais,  par  dessus  tout,  le  Tromba  relève 
de  la  psychothérapie  ;  et  c'est  à  ceux  qui  peu- 
vent la  pratiquer,  c'est-à-dire  le  plus  souvent 
aux  missionnaires  (blancs  ou  indigènes)  que  re- 
vient la  tâche  de  le  détruire  en  apprenant  aux 
indigènes  à  se  mieux  connaître  eux-mêmes,  tout 
en  élevant  leur  esprit  vers  de  plus  hautes  pen- 
sées. C'est  par  un  traitement  psychique,  nous 
voulons  dire  spirituel,  que  seront  obtenus  les 
résultats  les  plus  positifs.  Il  faut  que  le  malade, 
le  fondy  et  tous  les  agents  du  Tromba  abandon- 
nent leurs  idées  superstitieuses  pour  que  leurs 
crises  disparaissent. 

Nous  avons  vu  des  cas  de  guérison  ;  mais 
elles  n'ont  été  complètes  que  quand  le  ma- 
lade, pour  trouver  le  calme  intérieur,  a  voulu 
accepter  le  Dieu  chrétien,  celui  de  l'Evangile. 
Plusieurs  sont  retombés  sous  le  joug  le  jour 
où  ils  ont  cru  pouvoir  se  passer  de  son  secours, 
ou  qu'on  leur  a  dit  qu'ils  n'avaient  fait  que 
changer  de  superstition  et  de  sorcier.  Il  y  a  donc 
là  pour  les  missionnaires  et  ceux  qui  les  soutien- 
nent un  devoir.  Ils  auront  aussi,  dans  un  temps 

12 


17S  LE   TROMBA 

plus  ou  moins  prochain,  la  satisfaction  d'avoir 
travaillé  à  l'affranchissement  intellectuel,  au 
développement  moral  et  social  d'un  petit  peuple 
qui  possède  toutes  les  virtualités.  En  pleine  évo- 
lution, tourmenté  par  de  nouveaux  malaises,  il 
s'essaye  à  discerner  les  contours  de  l'avenir  et 
de  l'au-delà.  Il  faut  éclairer  ses  doutes,  nourrir 
ses  aspirations,  élever  sa  conscience.  Il  pose  des 
questions  à  la  façon  du  petit  enfant  qui  lève  de 
grands  yeux  étonnés,  mais  intensément  interro- 
gateurs. Il  faut  répondre,  d'une  manière  désinté- 
ressée, laissant  à  la  Vérité  le  temps  de  faire  son 
chemin. 


LEXIQUE 


(Les  mots  dont  l'application  est  donnée  dans  le 
texte  ne  sont  pas  répétés  ici.) 

Andriamaizimbe.  —  Andriana  :  noble;  — mai- 
zina  :  sombre;  —  be:  beaucoup.  Individu  dont  le 
souvenir  se  perd  dans  un  très  grand  éloigne- 
ment.  Connu  comme  esprit  guérisseur  très  puis- 
sant. 

Andrianalimbe.  —  Andriana  :  noble  ;  alina  : 
nuit  ;  be  :  beaucoup,  grand.  Probablement  le 
même  individu  que  le  précédent.  Dans  le  Tromba 
il  est  considéré  comme  le  premier  grand  gué- 
risseur. Est  peut-être  le  bisaïeul  d'Andriami- 
sara. 

Andriamandazoala  —  Andriana  :  noble  ;  — 
mandazo  :  flétrir,  v.  ;  —  ala  :  forêt.  «  Le  noble  qui 
flétrit  la  forêt  »  (la  brûle  ?).  Grand-père  d'An- 
driamisara.    Connu   seulement   dans   le    Tromba. 


180  LE   TROMBA 

Andriamisara  efa-dahy. —  Andriana  :  noble; 
—  misara  :  v.  acheter  ;  — efa  :  quatre  ;  — misaraka  : 
ou  séparer  ;  —  dahy  de  lahy  :  homme.  «  Le  noble 
qui  achète  »  ;  «  ou  le  noble  qui  sépare  ».  La  première 
étymologie  est  une  allusion  au  fait  que  ce  pre- 
mier roi  sakalave,  dont  la  tradition  ait  gardé  un 
souvenir  net,  fut  d'abord  un  guérisseur  toujours 
en  quête  de  nouvelles  drogues  ou  ody.  La  deu- 
xième, est  une  allusion  à  sa  réputation  de  guerrier 
toujours  vainqueur.  Son  vrai  nom  est  Tofotra  ; 
celui  sous  lequel  il  est  connu,  ainsi  que  celui  de 
ses  prédécesseurs  ou  successeurs,  est  posthume. 
Il  est  fady  de  prononcer  le  nom  des  rois  défunts, 
ce  qui  rend  très  difficile  de  les  retrouver.  La 
population  actuelle  semble  les  avoir  oubliés. 
Efa-dahy,  désigne  les  fils  et  petit-fils  du  roi,  de 
efatra  :  quatre  ;  —  lahy  :  homme. 

Andriandahifotsy.  —  Andriana  :  noble  ;  — 
lahy  :  homme  ;  —  fotsy  :  blanc.  Le  noble  blanc,  fils 
du  précédent  qui  dut  aller  régner  plus  au  nord. 
Il  conquit  le  Menabe.  Son  vrai  nom  n'est  pas 
connu.  Il  est  signalé  vivant  encore  en  1668  par 
un  matelot  de  Fort-Dauphin.  Son  nom  semble 
confirmer  la  tradition  qui  fait  du  premier  roi 
sakalave,  celui  qui  forma  la  tribu,  un  blanc.  On 
retrouve  le  même  nom  sous  les  formes  de  Lahi- 
fotsy,   Ilaifotsy,  Andriafotsy. 


Femmes  Sakalaves 


DEVENUES    CHRETIENNES,    ELLES    SONT    AFFRANCHIES    DU    TROMBA 


LEXIQUE  181 

Andriamandisoarivo.  —  Andriana  :  noble  ;  — 
mandiso  :  vb.  de  diso  tort  :  à  qui  manque;  — arivo  : 
milliers.  «  Le  noble  à  qui  des  milliers  ont  manqué.  » 
Son  père,  Andriandahitfotsy,  craignant  un  com- 
pétiteur le  renvoya  plus  au  nord.  Fondateur  du 
royaume  du  Boina  —  vers  1680  —  ou  un  peu 
avant.  Son  vrai  nom  est  Ramiza  :  qui  balance, 
pèse. 

Andrianamboniarivo.  —  Andriana  :  noble;  — 
ambony  :  au-dessus,  sur;  —  arivo  :  mille.  «  Celui 
qui  a  régné  sur  des  milliers  »,  fils  du  précédent; 
a  définitivement  assis  la  dynastie  sakalave  sur  le 
trône  du  Boina.  Son  vrai  nom  est  Irano  ;  est 
signalé  en  1716,  et  régnait  déjà  depuis  plusieurs 
années. 

Ambongo.  —  Bongo  :  morceau,  bloc,  colline  ; 
—  Any  an,  am  :  à.  Le  pays  des  collines,  région 
située  entre  le  fleuve  Mahavavy  et  le  cap  Saint- 
André.  On  l'étend  quelquefois  beaucoup  plus  au 
sud.  On  retrouve  le  nom  sous  diverses  formes 
un  peu  partout  dans  l'île. 

Ambiaty.  —  Nom  d'un  village  au  nord  de 
Miarinarivo  et  d'un  arbuste  qui  sert  à  désigner 
le  village.  La  floraison  de  cet  arbuste  indique  aux 


182  LE    TROMBA 

indigènes  la  saison  propice  pour  les  semailles  du 
riz  en  Imerina. 

Antalaotsy  ou  Antalaotra.  —  Désigne  les 
premiers  Arabes  débarqués  dans  le  Boina  et  leurs 
descendants. 

Bara.  —  Nom  d'une  tribu  et  de  la  région 
qu'elle  habite  ;  tire  son  nom  de  sa  manière  vio- 
lente de  parler  et  des  sons  gutturaux  qu'ils  don- 
nent à  leur  dialecte.  Bara  :  rauque. 

Betsileo.  —  Nom  d'une  tribu  et  de  la  région 
sur  le  plateau  central  où  elle  est  installée.  Be  : 
beaucoup;  — tsy:  négation;  — leo:  vaincu.  «  Leur 
nombre  empêche  de  les  vaincre  »  ;  les  Hova  les 
soumirent  avant  1815,  plus  par  adresse  que  par 
les  armes. 

Boeny.  —  Nom  donné  généralement  par  les 
Vazaha  à  la  région  dite  Boina.  On  croit  souvent 
que  c'est  une  francisation;  c'est  ce  qui  reste 
d'une  contraction  comme  en  font  beaucoup  les 
Sakalaves  :  Mba  ho-eny,  futur  indiquant  le  mou* 
vement  vers.  L'idée  centrale  est  :  nous  allons 
là-bas  au  «  doany  »,  nous  allons  au  «  service  », 
nous  nous  réunirons  à  la  foule.  Mba  ho-enyf 
Mbo  eny,  Boeny. 


LEXIQUE  183 

Boina  (Sak.).  —  Désigne  tout  le  nord-ouest  de 
l'île,  jusqu'au  fleuve  Sambirano.  A  l'est  sa  fron- 
tière est  la  grande  chaîne  qui  s'élève  presque  brus- 
quement pour  former  les  hauts  plateaux. 

Boina,  pour  les  Sakalaves  :  grand  nombre, 
abondance,  fertilité.  Boina,  pour  les  Hova  :  apa- 
thie, indifférence,  insouciance.  Les  deux  étymo- 
logies  se  justifient.  L'une  vise  le  pays,  l'autre  le 
caractère  des  habitants. 

Doany  (Sak.).  —  Les  tombeaux  royaux,  dis- 
persés dans  le  nord-ouest.  Doany  de  Mahabo,  de 
Mahabiba,  de  Betsioka,  etc.,  etc. 

Drury  (1687-1743-50).  —  Aventurier  anglais 
qu'un  naufrage  jeta  sur  la  côte  ouest  de  Mada- 
gascar ;  il  a  donné  une  relation  de  ses  aventures. 
Il  aide  ainsi  à  établir  la  chronologie  des  rois 
sakalaves,  tout  en  révélant  que  les  mœurs  de  son 
temps  n'étaient  pas  très  différentes  de  celles  d'au- 
jourd'hui, à  l'esclavage  près  cependant. 

Emboka  (Sak.).  —  Encens  sakalave,  composé 
de  charbon  de  bois,  de  bouse,  d'huile  de  ricin  et> 
de  sève  de  Ramy  (encens  blanc).  On  le  brûle  par 
petites  galettes  dans  des  coupes  de  terre. 


184  LE   TROMBA 

Fady.  —  Tabou.  Défense  d'un  caractère  sacré, 
faite  par  les  ancêtres  ou  en  leur  nom.  On  peut 
s'imposer  des  fady  en  vue  de  certaines  bénédic- 
tions. C'est  alors  un  vœu  accompli  par  avance. 

Flacourt  (Etienne  de),  1607-1660,  gouver- 
neur à  Fort-Dauphin,  1648-1655.  Conquit  l'île 
Mascareigne  (Bourbon,  la  Réunion),  en  1649  ; 
en  1661,  parut  un  livre  relatant  ses  observations. 

Hiboka  (mot  sak.).  —  Ce  qui  est  en  haut,  le 
domaine  des  esprits,  le  ciel.  Séjour  des  dieux,  de 
Dieu. 

Isoavimbazaha.  —  /,  particule  indiquant  le 
respect  ;  —  soa-vina  :  à  qui  on  a  fait  du  bien  ;  — 
uahaza  :  les  blancs,  le  blanc.  Petit  village  créé  à 
l'est  de  Miarinarivo. 

Indien.  —  Mot  qui  s'est  substitué  à  indou,  qui 
désigne  des  émigrants  de  diverses  parties  de 
l'Inde. 

Joron-dRanahary.  —  Joro,  au  sens  propre  : 
qui  est  debout  ;  au  fig.  :  prière  et  aussi  sacrifice  ; 
—  Ranahary:  les  Dieux  créateurs.  Réunis,  les  deux 
mots  indiquent  un  sacrifice  et  spécialement  l'of- 


LEXIQUE  185 

frande  d'un  bœuf  devenant  propriété  des  esprits,' 
une  sorte  de  capital  dont  ils  tirent  intérêt 

Kahiamba.  —  Mot  makoa  provenant  de  l'ara- 
be-bantouïné.  Désigne  un  carré  de  0,20  muni 
de  deux  cloisons  de  raphia  laissant  un  vide  inté- 
rieur de  0,03  environ  et  rempli  à  la  moitié  de  grai- 
nes très  sèches.  On  agite  le  tout  pour  accompa- 
gner le  chant,  à  la  façon  d'un  tambourin.  On 
imite  le  même  bruit  en  écrasant  un  petit  roseau 
qu'on  roule  dans  les  mains  ;  il  a  le  même  nom. 

Mahabiba  (pi.  bo.).  —  Mot  d'origine  Kisoahe- 
ly,  nom  indigène  du  Baobab.  Ville  indigène  de 
Majunga  qui  doit  son  nom  à  ses  arbres. 

Majunga.  —  Le  plus  grand  port  de  l'ouest, 
très  isolé,  réuni  à  l'intérieur  par  le  fleuve  Betsi- 
boka.  Nom  d'origine  Kisoahely  :  les  fleurs.  Les 
indigènes  disent  beaucoup  Majanga,  mot  qui  pro- 
vient de  l'arabe  bantouïsé.  Il  a  le  même  sens  que  le 
précédent,  mais  en  sakalave  il  signifie  :  qui  fait 
guérir;  janga  ayant  le  sens  de  guérir, tandis  qu'en 
Merina,  il  veut  dire  :  mœurs  corrompues. 

Makoa.  —  Nègres  de  l'Afrique,  anciens  escla- 
ves, plus  ou  moins  malgachisés,  connus  sous  dif- 


186  LE    TROMBA 

férents  noms  :  zazamanga  :  enfants  bleus  ;  —  ma- 
sombika  :  mozambiques  ;  —  olo  mainty  :  les  gens 
noirs. 

Marovoay.  —  Ville  à  80  kil.  environ  de  Ma- 
junga,  sur  la  rivière  du  même  nom,  centre  popu- 
leux et  au  milieu  d'une  région  d'avenir.  Point 
de  ralliement  d'un  grand  nombre  de  tribus  et  d'in- 
dividus,. Maro:   beaucoup;  —  voay:   crocodiles. 

Menabe.  —  Mena  :  rouge  ;  —  be  :  beaucoup. 
Région  centrale  de  l'ouest.  Nom  provenant  peut- 
être  du  sol  rouge,  ou  encore  de  ce  que  les  riviè- 
res charrient  des  eaux  très  chargées  de  terre.  Il 
est  plus  probable  que  le  pays  tire  son  nom  du 
fait  que  les  Sakalaves,  pour  s'emparer  de  la 
capitale,  recoururent  à  la  ruse  :  ils  firent  rapide- 
ment un  grand  trou  dans  lequel  ils  mirent  un 
gros  bœuf  rouge  qui,  toute  une  nuit,  mugit  déses- 
pérément après  les  compagnons  dont  on  l'avait 
séparé.  Ses  beuglements  effrayèrent  tellement  les 
habitants  spécialement  sauvages  et  ignorants, 
qu'ils  s'enfuirent,  ou  ce  qui  resta  se  rendit  sans 
combat.  Pour  conserver  la  mémoire  de  ce  haut 
fait  on  appela  le  pays  Mena-be,  le  Grand  rouge, 
le  mot   «  bœuf  »  étant  sous-entendu. 


LEXIQUE  187 

Merina  (tribu)  et  Imerina  (pays).  —  Désigne 
les  habitants  de  l' Imerina  ;  région  centrale  de 
l'île.  On  a  le  tort  d'écrire  et  de  prononcer  en 
français  Emyrne,  mot  anglais  dont  la  prononcia- 
tion se  rapproche  beaucoup  de  Imerina,  très  facile 
à  lire,   écrire  et  prononcer  en  notre  langue. 

Moasy  (sak.).  —  Guérisseur  sakalave  ;  on 
retrouve  le  même  mot  dans  les  formes  Ombiasy, 
Masy,  mpimasy,  mpomasy,  qui  ont  le  même  sens. 
En  français  on  dit  sorcier. 

Ody.  —  Charme,  amulette,  gri-gri  ;  de  ody  : 
retour,  qui  fait  revenir  le  bonheur,  la  santé  ;  a 
donné    le    mot    fanafody,    traduit  par   remède. 

Rofia.  —  A  donné  en  français  Raphia  :  sorte 
de  grand  palmier  qu'on  trouve  dans  les  terrains 
humides  et  spongieux. 

Sakalava.  —  Nom  général  d'une  série  de  peti- 
tes tribus  soumises  à  celle  qui  fut  conduite  au 
début  par  Andriamisara. 

Saka:  chat;  —  lava:  long;  étymologie  accep- 
tée par  les  Hova  qui  ne  voient  dans  les  Sakalaves 
que  des  guerriers,  rusés  et  hypocrites,  toujours 
en  quête  de  vol  et  rapine. 


188  LE   TROMBA 

On  a  prétendu  que  Saka  venait  de  Sakana  : 
large  ou  travers,  et  voulait  dire  que  la  tribu  était 
originaire  des  vallées  qui  sont  en  travers  de  l'île 
spécialement  au  sud. 

Une  troisième  explication  originale  est  possi- 
ble, surtout  si  on  adopte  la  tradition  qui  veut 
qu'un  blanc  ait  conduit  la  tribu.  Sakalaue  serait 
une  transformation,  comme  on  en  observe  beau- 
coup dans  la  langue,  du  mot  français,  Esclave,  ou 
Slave,  en  anglais.  Plusieurs  anciens  auteurs  ont  écrit 
Céclave,  alors  que  la  prononciation  actuelle  donne 
bien  Sakalave,  ce  qui  impliquerait  une  transfor- 
mation nouvelle.  Le  roi  appelait  ses  esclaves  et 
ceux-ci  ont  pris  le  nom  pour  s'en  parer. 

Plus  conformes  au  génie  de  la  langue  sont  les 
indications  suivantes  :  il  existe  quantité  d'exem- 
ples où  un  k  prend  la  place  d'un  h  et  vice- 
versa,  et  saka  se  retrouve  souvent  :  Saka-be  ; 
Saka-lava  ;  Saka-fohy  ;  Saka-maloto  ;  Saka- 
mena,  comme  noms  de  rivières.  Il  est  difficile  de 
traduire  Saka  par  chat  avec  un  qualificatif,  ou, 
par  large,  ou  travers;  mais  si  le  k  est  un  h,  hova, 
on  a  Saha,  ou  vallée,  campagne  :  la  longue  val- 
lée ;  la  blanche  vallée  ;  la  vallée  malpropre  ;  cela 
est  acceptable  d'autant  plus  que  cela  corresponde 
des  noms  qu'on  retrouve  dans  les  autres  parties 
de  l'île,  Sahàbe,  Sahalava,  etc.  On  aurait  ainsi  le 


LEXIQUE  189» 

lieu  d'origine  de  la  peuplade  primitive  qui  a 
donné  son  nom  à  toutes  les  tribus  du  nord-ouest. 
—  Le  mot  Saka  se  retrouve  trop  souvent  pour 
qu'on  puisse  lui  donner  le  sens  de  barrière,  em- 
pêchement; mais  pris  au  sens  figuré,  et  le  mot 
lava  traduit  par  toujours,  cela  donnerait  :  «  Ceux 
qui  arrêtent  toujours  »,  sens  acceptable  à  la 
rigueur,  les  Sakalaves  ayant  toujours  été  un  obs- 
tacle devant  les  tribus  et  même  devant  les 
Arabes  et  ayant  longtemps  arrêté  les  Hova. 

Mais  il  se  pourrait  bien  que  tout  simplement 
les  Sakalaves  dussent  leur  nom  à  leurs  habitudes 
de  vivre,  Saka  voulant  dire  :  creuser,  fouiller. 
Or,  ils  sont  un  peuple  pasteur,  ils  se  mettent  très 
difficilement  au  travail  de  la  terre.  On  les  accuse 
même  d'être  paresseux  (ceux  qui  ne  compren- 
nent pas  qu'on  peut  travailler  autrement  qu'eux). 
Mais  pour  avoir  les  racines  de  la  forêt  et  en  par- 
ticulier les  grosses  ignames,  les  Sakalaves  sont  très 
habiles  à  fouiller  le  sol  avec  de  grands  bâtons 
dont  la  pointe  a  été  durcie  au  féu.  On  trouve 
très  souvent  les  traces  de  ces  fouilles  dès  qu'on 
s'éloigne  un  peu  des  rizières.  Les  Sakalaves  seraient 
donc  le  peuple  qui  fouille,  creuse  toujours.  On 
peut  ajouter  que  les  rivières  appelées  Saka  avec 
un  qualificatif  fouillent  le  sol,  traversent  de  véri- 
tables   gorges,    avant    d'arriver    dans    la    région 


190  LE    TROMBA 

côtière,  presque  plate.  L'une  d'elles  même  est  ap- 
pelée la  Sakalalina  :  Mina,  profond.  «  La  rivière 
qui  fouille  profondément.    » 

On  peut  choisir  suivant  son  goût  entre  ces 
différentes  suppositions. 

Sikidy.  —  Graines  arrangées  dans  des  carrés 
supposés  et  nommés,  formant  des  figures  qui, 
combinées  entre  elles,  donnent  l'horoscope.  Le 
sikidy  peut  éclairer  n'importe  quel  mystère  :  c'est 
le  système  de  divination  par  excellence,  d'ori- 
gine arabe. 

Sikina. — Pièce  d'étoffe  que  les  hommes  sakalav  es 
roulent  autour  de  leurs  reins  en  la  laissant  flot- 
ter jusqu'à  mi-jambe. 

Tromba  (sak.).  —  Esprit,  ancêtres,  Dieux  ; 
en  réalité  :  état  d'hypnose  plus  ou  moins  com- 
plet, survenant  à  la  suite  d'un  affaiblissement 
physique  causé  par  la  maladie  ou  par  les  excès  qui 
privent  le  malade  de  toute  volonté.  Pendant 
l'accès  qui  peut  être  provoqué  ou  dû  à  l'entraî- 
nement, le  sujet  se  croit,  et  il  est  cru  dépositaire  de 
la  pensée  des  Dieux  qui  demeurent  en  lui  et 
parlent  par  lui.  Le  chant  rythmé  et  diverses  pra- 
tiques hâtent  l'entrée  en  trance. 


LEXIQUE  191 

Tsodrano. —  Litt.  soufflement  d'eau  :  béné- 
diction. Les  anciens  bénissant  leurs  enfants  se 
remplissaient  la  bouche  d'eau  et  la  soufflaient  sur 
leur  tête. 

Taoro  ou  taureau,  franc.  —  Nom  donné  à  un 
gros  vin  spécialement  apprécié  des  gens  de  la 
côte. 

Vala-be  (sak.).  —  Vala.  Sak.  (Rova  en  hova)  : 
barrière,  enceinte  qui  défend  l'entrée  des  tom- 
beaux du  Zomba-be,  de  la  demeure  royale  ;  be  : 
grand. 

Vala-mena  (sak.).  —  Deuxième  enceinte  au- 
tour de  la  cour  spécialement  réservée;  —  mena: 
rouge,  couleur  royale. 

Zanahary.  —  Créateur,  appliqué  très  souvent 
aux  ancêtres  ;  on  dit  aussi  :  Ranahary,  Andria- 
nahary. 

Zomba-be  (sak.).  —  Du  mot  Kisoahely  Uyum- 
ba:  maison; — be:  grand.  La  grande  maison,  con- 
tenant le  Zomba-faly  à  Mahabiba. 

* 

Zomba-faly  (sak).  —  Zomba  :  maison  ;  faly  : 


192  LE   TROMBA 

le  mérina  ;  fady  (en  dial.  sak.  le  d  hova  devenant 
généralement  un  Z).  Case  à  l'intérieur  du  Zomba-be 
et  réservée  spécialement  aux  restes  des  ancêtres 
Andriamisara  efa-dahy,  et  interdite  à  ceux  qui 
n'ont  pas  été  expressément  désignés  par  les  es- 
prits. 


N.-B.  —  o  se  prononce  comme  ou  français  ; 
sur  la  côte  il  se  prononce  souvent  à  la  française 
o,  comme  dans  notre. 

ao  se  prononce  comme  au  français,  comme  dans 
faute. 

J  se  prononce  comme  Dz  français  :  Joro  :  Dzoro 
ou  Dzourou. 

e  se  prononce  comme  é  français  :  Be  :  bé. 


INDEX  DES  GRAVURES 


Pages 

1.  Carte  de  Madagascar 36 

2.  Un  arbre  sacré , 44 

3.  Marovoay  :  Le  service.  Un  groupe  devant 

les  Manandria  . .     48 

4.  »  »         Partie  de  groupe  : 

Une  victime ....     52 

5.  »  »         Allant  au  tromba.     60 

6.  »  »  Les    esprits    dans 

les  Manandria 
entraînent  les 
porteurs 64 

7.  »  »  La    foule    disant 

adieu  aux  Ma- 
nandria      68 

8.  Mahabiba  :  Le  Zomba-be.  L'ensemble 76 

9.  »  »  Devant  le  Vala- 

Mena 80 

10.  »  »  Dans  la  cour. . .     84 

11.  »  »  Dans  la  cour  un 

jour  de  fête.. .     92 

12.  »  »  Dans  l'intérieur. 

Le  Zombafaly.     96 

13 


194  LE    TROMBA 

Pages 

13.  Mahabo  :  Le  Doany.  L'ensemble 100 

14.  »  »  La    Porte    et    les 

gardiens 108 

15.  »  »  Le  tombeau  d'An- 

driamahatendri- 

arivo 112 

16.  »  »  Un    groupe    invo- 

quant les  morts .  116 

17.  Mahabokely  :  Le  Doany.  —   On  sort 

les  Manandria 124 

18.  Ampasimena.  —  Celles  qui  chantent  au 

Tromba 128 

181)is.              »                                    »  132 

19.  Un  Fondy  et  ses  femmes 140 

20.  lre  Série  d'Ody  ou  charmes 144 

21.  2e         »          »                  »  148 

22.  Colliers  d'ornements  composés  d'Ody..  156 

23.  Le  long  des  chemins  :  Les  pierres  votives.  160 

24.  Femmes  sakalaves  de  Nosi-Be 164 

25.  Un  affranchi 172 

26.  Un  groupe  de  femmes  affranchies ....  180 


TABLE    DES   MATIERES 


Pages 

Introduction . 5 

Avertissement 33 

Chapitre  premier.  —  De  l'origine  d'une  tribu 

et  de  son  culte 35 

Chapitre  II.  —  Les  Lolo  ou  esprits 41 

Chapitre   III.  —  Les  Doany  sakalaves  et 

le  Fanompoa  ou  le  service 55 

Capitre  IV.  —  Ny  andro  Lehibe  ou   «  les 

grands  jours  » 63 

Chapitre  V.  —  Le  Tromba  :  Quelques  notes.  75 
Chapitre  VI.  —  Le  Tromba  :  Maladies  — 

agents  —  préparatifs 99 

Chapitre  VII.  —  Le   Tromba  :  Les  quatre 

grands  stades 111 

Chapitre  VIII.  —  Diversité  du  Tromba. .  . .  129 

Chapitre  IX.  —  Les  chants  dans  le  Tromba  140 

Chapitre  X.  —  Causes  et  effets  du  Tromba,  152 

Lexique 169 

Index   des   Gravures 183 

FIN 


ALENÇON  &  CAHORS,  IMPRIMERIES  A    COUESLANT.  —  2.C 


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