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UN CULTE DYNASTIQUE
AVEC
EVOCATION DES MORTS
CHEZ LES
SAKALAVES DE MADAGASCAR
UN CULTE DYNASTIQUE
AVEC
ÉVOCATION DES MORTS
CHEZ LES
SAKALAVES DE MADAGASCAR
r^i£ « i*:ro:ivi:ba. »
PAR
Henry JRUSILLON
DE LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÈLIQUES DE PARIS
INTRODUCTION
PAR
Raoul ALLIER
PROFESSEUR HONORAIRE DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS
PARIS
LIBRAIRIE ALPHONSE PICARD et FILS
82, rue Bonaparte, 82
1912
INTRODUCTION
M. Rusillon est parti de France en 1897 pour
devenir, à Madagascar, un des agents les plus
dévoués et les plus actifs de la Société des Mis-
I sions évangéliques de Paris. Il a été à la tête du
district de Mahéréza jusqu'en 1906.
En 1904, des circonstances particulières l'ont
appelé dans des régions où l'apostolat chrétien
avait encore pénétré fort peu. Il en a profité
^pour entreprendre une sorte d'exploration spiri-
tuelle dans le nord-ouest de l'île, et tout particu-
lièrement dans le Boina. Il a fait tout seul ce pre-
mier voyage d'enquête (septembre-octobre 1904).
Il en a fait un second de beaucoup plus longue
durée, de juin à octobre 1907, accompagné, cette
fois, d'un de ses collègues, M. André Chazel.
A la suite des constatations rapportées par eux,
il a reçu la mission de poursuivre les efforts ainsi
^commencés. Et, d'avril 1909 à mai 1911, il n'a
I plus quitté ces pays, les parcourant dans tous les
sens, dépensant ses forces sans compter, privé
X
K.
6 LE TROMBA
souvent, à l'exemple de son Maître, d' « un lieu
où reposer sa tête», connu dans tous les villages
comme étant le Blanc à qui l'on peut aller dire
toutes ses détresses, conquérant par sa vie d'abné-
gation la confiance et l'attachement de toutes
ces populations. Et quand son travail lui laissait
quelque loisir (j'ai des raisons de soupçonner
que ces instants de loisir étaient dérobés sur les
heures dues au sommeil), il le consacrait à rédiger
hâtivement les notes prises durant ses courses.
C'est ainsi qu'il a réuni un dossier d'une valeur
rare sur une question très importante et mal
connue.
Il était dans les pires conditions pour écrire
un livre ; il était sans doute dans les meilleures
pour en rassembler les éléments. Un voyageur,
en traversant un pays, peut aisément colliger
des plantes ou des pierres, observer tels ou tels
phénomènes climatériques. Il n'obtient pas, en
courant, des documents psychologiques. Un séjour
prolongé ne lui suffît même pas pour cela. Il
faut que les âmes, au lieu de se fermer comme
elles le font toujours devant un étranger, s'ou-
vrent à lui. M. Rusillon, au milieu de ces popu-
lations, n'était pas comme un pur et simple
« Vazaha ». Il était l'ami secourable, le conso-
lateur et, malgré toutes les différences de race,
INTRODUCTION 7
le frère. Il a vu des choses que le Blanc ne voit
généralement pas, et, comme il savait la langue
indigène, il a pu comprendre des paroles qui,
pour d'autres, auraient été dépourvues de sens.
Et voilà pourquoi le dossier qu'il nous donne
aujourd'hui sur le Tromba a une valeur exception-
nelle. Ce n'est pas une dissertation bâtie sur des
documents de seconde ou de douzième main.
C'est, pour sa plus grande partie, un recueil de
« choses vues » ; c'est la déposition claire, précise,
détaillée, d'un témoin.
Ce n'est pas la première fois que l'on nous
parle du Tromba. Au fond, c'est du Tromba
qu'il s'agit dans les phénomènes d'agitation
plus ou moins tumultueuse qui se sont produits,
en 1863 et 1864, sous le règne de Radama II
et auxquels l'on a donné le nom de Ramanenjana.
Je rappellerai ces faits tout à l'heure. Des descrip-
tions en ont été fournies, mais très sommaires
et insuffisantes, dans les principaux ouvrages
sur l'histoire malgache. Une étude assez détaillée
et précise — la meilleure qui ait été faite jusqu'ici —
a été publiée en août 1867 dans un recueil médical,
The Edinburgh Médical Journal, et reproduite,
en 1889, dans Y Antananarivo Annual (n° VI,
pages 19-27). Il faut la compléter avec les détails
8 LE TROMBA
donnés par le P. de La Vaissière dans son livre,
publié d'après les notes du P. Abinal : Vingt ans
à Madagascar, p. 228-235 (1).
Il est temps d'étudier ces phénomènes en eux-
mêmes, dans leurs caractères spécifiques. Il fau-
drait que des recherches, analogues à celles que
M. Rusillon a menées à bien dans la Boina, fussent
entreprises dans les différentes parties de l'île.
Quand cette enquête générale sera terminée,
il y aura lieu de comparer les faits observés
avec d'autres qui se sont passés en d'autres
temps et en d'autres lieux. C'est alors seule-
ment — et à condition que ces autres faits aient
été analysés avec précision — que la comparai-
son pourra présenter quelque intérêt véritable et
surtout quelque utilité scientifique. Jusqu'ici l'on
s'est trop préoccupé de rapprocher des mani-
festations qui ont, évidemment, des traits com-
muns, mais qui se sont produites dans les mi-
lieux les plus divers, et dont aucune n'a été exa-
minée de très près.
A propos du Ramanenjana de 1863 et 1864, on s'est
(1) Le titre de l'ouvrage est exactement : Vingt ans a
Madagascar : Colonisation, — traditions historiques, — mœurs
et croyances, d'après les notes du P. Abinal et de plusieurs
autres missionnaires de la Compagnie de Jésus, par le
P. de La Vaissière, de la même Compagnie (in-8°, Paris, 1885).
INTRODUCTION 9
phi, non sans raison^ à rappeler les épidémies de
danse que l'on a notées au Moyen Age sous les noms
de « danse de Saint-Vit ou Saint-Guy » et « danse
de Saint- Jean », notamment celles qui se sont
répandues en Allemagne en 1021 et en 1278, celle
qui a sévi avec une intensité particulière à Aix-
la-Chapelle en 1274, celle de « Tarentisme »
qui s'est abattue à plusieurs reprises, et spéciale-
ment au xviie siècle, sur l'Italie méridionale.
Il est intéressant de citer ces phénomènes ; il
est bien probable qu'ils ne sont pas sans rapports
avec le Tromba ; mais, avant de préciser trop,
il serait bon de nous donner, sur chacun d'eux,
plus de détails (1).
Un cas récent de « Tarentisme » collectif a
été signalé par les journaux en septembre der-
nier. Cette fois, la description est assez précise.
J'en citerai les traits essentiels d'après ce qu'en
a publié le Temps (18 septembre 1911).
(1) L'enquête qu'il s'agit d'ouvrir est probablement plus
vaste qu'on ne pense au premier abord. Il y a lieu, par
exemple, de se demander si certaines cérémonies, qu'on ren-
contre ici ou là, même dans des religions supérieures, ne sont
pas des survivances atténuées, modifiées, d'autres phénomènes
en rapport avec ceux qui sont étudiés ici. Voici, par exemple,
quelques détails de la procession de sainte Orosia, à Yebra,
dans le Haut-Aragon. Je les emprunte à une petite publica-
tion, l'Etoile du Matin (Janvier 1912), qui paraît à Oloron ;
10 LE TROMBA
La scène se passe dans la Troude (ou Troade),
non loin de la petite ville de Yéni-Chehr, qui fut
l'antique Sigée. Le témoin, un Anglais, voit ceci :
« Au milieu d'un groupe de femmes qui hurlent,
le témoin qui écrit est M. le pasteur Albert Cadier : « La pro-
cession se forme, conduite par les porteurs de croix et de
drapeaux. Au centre, la châsse s'avance soutenue par quatre
hommes. A demi-courbés sous la châsse, marchent un homme,
une femme, deux enfants de 4 et 6 ans, que l'on dit démo-
niaques. Dix danseurs précèdent ce groupe douloureux. Tenant
dans chaque main un bâton blanc orné de pompons multico-
lores, ils se livrent au son d'un fifre à force gambades, tandis
que leurs bâtons s'entrechoquent en un mouvement rythmique. »
Ils ont des « chapeaux enrubannés, fleuris de fleurs artificielles
au milieu desquelles est planté un miroir. A leur tête marche
un petit enfant vêtu comme eux. Encadrant la châsse et les
danseurs, s'avancent en file indienne des hommes vêtus de
grands manteaux de bure. Ils sont pieds nus et tête nue, et
leurs manteaux de parade sont de vraies guenilles. Chacun
d'eux représente les bergers d'un même village. Cet honneur
leur revient du fait que ce fut à un berger que l'ange révéla
le lieu de la sépulture de Santa-Orosia. Quant aux danseurs,
ce sont toujours des jeunes hommes de Yebra. Bien que payés
par leur municipalité, ils seront largement gratifiés pour leur
peine par les paysans venus là. Aussi bien s'y ingénient-ils à
souhait. C'est ainsi que, dans l'après-midi, ils danseront en
l'honneur de tous ceux qui, en échange, sauront leur octroyer
de bonnes pièces blanches. Nous pensions, tout naturellement,
qu'en arrivant à l'église les danseurs allaient cesser leurs jeux.
Ce fut le contraire qui eût lieu. En effet, jamais je n'ai vu
danse aussi frénétique que celle à laquelle ils se livrèrent dans
ce sanctuaire. Le rythme des bâtons, qui continuaient à
s'entrechoquer en cadence, s'accéléra au point qu'il devint
impossible aux yeux de le suivre... » Il y a là des traits qui
rappellent de façon obsédante d'autres choses vues dans
d'autres circonstances. Je n'en tire aucune conclusion. Mais il
est permis de dire que le problème existe.
INTRODUCTION 11
sanglotent et gesticulent, quatre jeunes filles, les
« possédées », tordent, convulsent comme des
marionnettes leurs bras, leurs jambes et leur
corps. Deux d'entre elles exécutent une sorte de
danse ralentie, comme ceux qui ont été piqués
par la tarentule. La troisième se jette la tête
en avant sur le sol, au risque de se briser le crâne ;
l'autre agite ses membres en avant et en arrière,
dans une espèce de gymnastique suédoise. Elles
sont tout essoufflées, haletantes, les yeux hagards. »
A croire les spectateurs, c'est saint Georges qui
tient ces jeunes filles en son pouvoir et qui les
contraint à cette agitation.
L'Anglais s'informe, et il apprend que des crises
de ce genre se produisent depuis trois ans, avec
un caractère épidémique, parmi les femmes de
Yéni-Chehr. La maladie fait son apparition tous
les ans à la même époque, une semaine environ
avant la fête de saint Georges ; elle arrive à
son maximum d'intensité le jour de la fête, puis
diminue progressivement et disparaît. Les gens
du village expliquent que les personnes qui souf-
frent ainsi ne sont pas des malades ordinaires :
elles sont possédées du saint, et il leur arrive
d'acquérir ainsi le don de double vue et la puis-
sance d'opérer des miracles. « Cette année, dit
un autre témoin, l'épidémie s'est considérablement
12 LE TROMBA
développée. Le jour de la Saint-Georges, j'ai
assisté à l'office du matin, dans l'église. La voix
des officiants était couverte par les clameurs des
possédées. Il y en avait plus d'une centaine qui
causèrent un tel désordre que mes nerfs en furent
tout ébranlés. »
L'Anglais dont je parlais tout à l'heure a vu
ce spectacle : « Sous l'icône du saint, se tenait une
jeune femme, les cheveux épars, agitée et gémis-
sante. Son agitation allait croissant ; au paroxysme
de la crise, elle se jeta sur l'icône et l'étreignit.
Puis, tout à coup, elle se mit à grimper jusqu'en
haut de la balustrade qui enveloppe l'autel,
c'est-à-dire à une hauteur d'environ quinze pieds,
le long d'une colonne n'offrant aucune saillie.
C'est un exercice qui aurait fait honneur à un
acrobate professionnel. Quand elle en eut atteint
l'extrémité, une autre possédée vint l'y rejoindre. »
Il y a une parenté évidente entre ces faits
et ceux que nous raconte M. Rusillon. Ce qu'il
ne faut pas, — et c'est ce que l'on a trop fait jus-
qu'ici — c'est se contenter de voir les similitu-
des et négliger ce qui fait l'originalité de chacun
de ces ordres de faits. A chacun d'eux les
croyances mises en jeu donnent une caractéris-
tique spéciale. Il importe d'arriver à déterminer
ces caractéristiques différentes.
INTRODUCTION 13
Ce n'est pas facile, dès qu'on veut sortir des
généralités vagues. Un collègue de M. Rusillon,
M. Pechin, dont le ministère s'exerce au Bet-
sileo, a noté récemment dans son district une
maladie qu'il a décrite avec le plus de soin pos-
sible (1) :
« On l'appelle ici Bilo, raconte-t-il ; un vieil-
lard qui vient de faire un séjour de plus de trente
ans dans le nord de Madagascar me dit que,
sauf quelques particularités, c'est comme le
Tromba des Sakalaves. En route, à deux heures
au sud d'Ambositra, nous voyons un rassemble-
ment ; c'est le Bilo. Il y a là une personne at-
teinte de cette maladie, qui s'en va à l'aventure
à travers la campagne ; parents et voisins la sui-
vent. Un peu plus loin, encore un malade ; dans
chaque village on nous parle du Bilo... La mala-
die vient du sud ; depuis quelques jours seule-
ment, elle a fait son apparition ici et se répand
comme la peste. C'est comme une affection ner-
veuse qui atteint tout le monde, jeunes et vieux,
hommes et femmes, surtout les jeunes gens. Ils
déclarent avoir mal à la tête, quittent brusque-
ment la maison, s'en vont errants, parfois nus,
(1) Journal des Missions êuangéliques, 1910, t. I, p. 277
et suiv.
14 LE TROMBA
par monts et par vaux, se tenant de préférence
auprès des tombeaux. Ils sont agités, secouant
leurs membres et tout leur corps par des gestes
nerveux, ayant de temps en temps leurs mains
jointes derrière le dos comme si elles étaient
attachées, puis les dénouant brusquement, criant
sans cesse en haletant : Hiaka, hiaka, hiaka. Ce
mot sort de leur gorge comme un soupir dou-
loureux. »
Citons encore ce cas décrit par le même té-
moin : «... J'aperçois une jeune fille de quatorze
à quinze ans, marchant d'un air égaré, le front
barré, les yeux hagards, gesticulant d'une fa-
çon continue. Elle soulève les bouts de son lam-
ba comme pour s'éventer, élève les bras, les
tord, parfois trépigne sur place. Une dizaine de
femmes, deux ou trois hommes la suivent, frap-
pant des mains. Elle arrive près d'un tombeau
(un amoncellement de pierres rectangulaires),
tourne autour, continuant ses gestes. On lui
donne une bouteille d'eau dont elle se mouille
le visage, asperge ses voisins. Le groupe s'ac-
croît des passants. Une grosse matrone sort une
petite glace, la met en face de la malade et com-
mence à lui faire vis-à-vis pour danser, en sui-
vant la cadence des battements de mains conti-
nus de la foule. Les mouvements désordonnés
INTRODUCTION 15>
reparaissent. Quelquefois les forces de cette
enfant paraissent décuplées ; elle frappe le sol
comme une folle, tourne plusieurs fois sur elle-
même, secoue non seulement ses membres, mais
le haut de son corps, comme si elle voulait se
tuer. De temps en temps, elle s'écrie : « Je suis
malade », d'un air triste et lassé. Ou bien encore :.
« Frappez des mains plus vite, accentuez la
cadence ! » Et elle ne cesse de trépigner, se-
couant son lamba, faisant le tour du tombeau.
A dix minutes de là, j'aperçois la même scène,
le même cortège ; il y a, en plus, une grosse
caisse pour exciter trois ou quatre jeunes filles
malades. Les deux groupes se sont rencontrés :
elles sont là maintenant cinq bacchantes en
proie à leur folie. Aux excitations des battements
de mains et de la grosse caisse, les jeunes filles
répondent par un accroissement d'excentricités..
L'une se blesse à la tête contre les pierres du
tombeau, une autre se laisse tomber lourdement,
exténuée, sur le sol ; ses compagnes la soulèvent,,
elle retombe ; on essaie de nouveau de la sou-
lever... »
Si l'on relit cette description après avoir étu-
dié celles de M. Rusillon, on est frappé de plu-
sieurs détails. D'abord tout se passe auprès des
tombeaux ; les « esprits possesseurs » sont donc
16 LE TROMBA
censés être les esprits de morts, d'ancêtres. On
nous parle d'un miroir ; c'est aussi le cas dans
bien des scènes rapportées par M. Rusillon.
Enfin, dans un autre passage que je n'ai pas cité,
M. Pechin note la présence de la fièvre et il soup-
çonne le paludisme de n'être pas tout à fait
innocent dans l'affaire. Il ne semble donc pas
que le vieillard betsileo qui identifie le Bilo avec
le Tromba commette une erreur. Mais il y a plus :
d'autres témoins ont fait, à propos du Bilo, d'au-
tres constatations. Ils ont observé qu'avant de
préparer le chant du Bilo, on construit une sorte
de cadre en bois, qui a l'air soit d'un lit, soit d'une
table, et auquel on accède par une sorte d'échelle
spécialement construite pour la circonstance.
Voilà des détails qui rappellent singulièrement
certains de ceux qui sont fournis par M. Rusil-
lon (1). J'ajoute que la cérémonie qui suit est
assez différente de celles dont on trouvera plus
loin la description. Et j'avoue ne pas savoir très
bien, après avoir lu ces documents, s'il faut ou
non identifier le Bilo et le Tromba. Mon embar-
ras augmente, quand je vois que d'autres témoins
identifient le Bilo et le Salamanga, qui est bien
(1) Antananarivo Animal, VI, p. 118-120. Voir plus loin
pages 67, 69, 70, 86, 88, 96, 104, 110.
INTRODUCTION 17
une sorte d'exorcisme, mais dont les détails ne
sont pas exactement du Tromba (1). S'agit-il
de phénomènes qui sont bien les mêmes, mais
dont les divers observateurs n'ont parfois saisi
que tel ou tel aspect ? Les différences notées ne
portent-elles que sur des points tout à fait secon-
daires ? On ne pourra répondre à ces questions
qu'après une enquête généralisée et approfondie.
Si les descriptions et les analyses de M. Ru-
sillon aident à comprendre un peu mieux quel-
ques-uns des faits rapportés incidemment dans
telle revue ou dans tel livre, elles jettent une
lumière assez vive sur l'affaire du Ramanenjana
à laquelle je faisais allusion plus haut et dont il
est temps de parler maintenant. Ce que l'on en
sait de plus précis — nous verrons que c'est in-
complet — est dû à l'étude de M. A. Davidson
(1) Antananarivo Animal, VII, p. 267. Le P. de La Vais-
sière, dans le livre déjà cité (p. 232), est d'avis que le Tromba,
le Bilo, le Salamanga, le Ramanenjana ne sont qu'une même
maladie désignée, dans les divers dialectes, par des mots
divers. D'autre part, un témoin, qui s'est efforcé d'étudier de
près ces phénomènes, M. G. Mondain, m'assure que les Mal-
gaches du Centre emploient parfois ces mots les uns pour les
autres sans se rendre un compte exact des sens différents que
ces mots peuvent avoir chez les Sakalaves ; il pense que
l'identification dont il s'agit est trop hâtive et suppose une
analyse incomplète des faits.
2
18 LE TROMBA
qui a été signalée plus haut et dont nous repro-
duirons ici l'essentiel :
« Pendant le mois de février 1863, les Euro-
péens en résidence à Tananarive entendirent
parler vaguement d'une maladie nouvelle et
étrange qui avait apparu dans la région du sud-
ouest. Les indigènes l'appelaient Imanenjana, et
les danseurs étaient nommés Ramanenjana, nomj
qui n'éclairait en rien la nature de cette affec-
tion. De proche en proche, elle arriva dans la
capitale, et au mois de mars elle y fut commune.
Au début, on vit des groupes de deux ou trois
personnes, accompagnées de musiciens, danserj
sur les places publiques ; après quelques semai-
nes, ces personnes se comptèrent par centaines,
tellement qu'on ne pouvait sortir de chez soi
sans rencontrer quelque bande de ces danseurs.
La contagion s'étendit rapidement jusque dans
les villages les plus éloignés de l'Imerina et même*
dans les chaumières isolées.
« ...Les personnes qui en étaient atteintes
appartenaient surtout, mais non exclusivement,
aux classes inférieures. C'était en majorité des
jeunes femmes de quatorze à vingt-cinq ans ; il
y avait toutefois un nombre considérable d'honv
mes parmi les danseurs, mais ils ne dépassaient
pas le quart du chiffre total.
INTRODUCTION 19
« ...Les malades se plaignaient ordinairement
d'un poids et d'une douleur dans le péricarde,
d'un^malaise général, parfois d'une raideur à la
nuque. Quelques-uns éprouvaient aussi des dou-
leurs dans le dos et dans les membres ; le plus
souvent il y avait accélération dans la circula-
tion du sang, quelquefois même de légers symp-
tômes fébriles. Après s'être plaints de ces malai-
ses pendant un, deux ou trois jours, ils manifes-
taient une agitation nerveuse ; alors si la moin-
dre excitation agissait sur eux, notamment s'ils
entendaient un chant ou un son de musique, ils
devenaient incapables de se maîtriser, s'échap-
paient, couraient à l'endroit où la musique se
faisait entendre, et se mettaient à danser, par-
fois pendant plusieurs heures consécutives, avec
une rapidité vertigineuse. Ils balançaient la tête
d'un côté à l'autre d'un mouvement monotone
et ils agitaient les mains de haut en bas. Les dan-
seurs ne se joignaient jamais au chant, mais ils
faisaient entendre fréquemment un profond sou-
pir. Les yeux étaient hagards, toute la physio-
nomie avait une expression indéfinissable d'ab-
sence, comme si les malades eussent été absolu-
ment étrangers à ce qui se passait autour d'eux.
La danse se -réglait sensiblement sur la musi-
que, qui était toujours aussi rapide que possi-
20 LE TROMBA
ble et semblait ne l'être jamais assez au gré des
danseurs ; bientôt c'était moins de la danse que
du saut. Ils dansaient de la sorte, à l'étonnement
de tous les assistants, comme s'ils eussent été
possédés de quelque esprit malin, et avec une
endurance plus qu'humaine, lassant la patience
et les forces des musiciens qui se relayaient fré-
quemment entre eux jusqu'à ce qu'enfin les dan-
seurs tombassent subitement comme frappés de
mort ; ou bien, si la musique venait à s'inter-
rompre, ils se précipitaient en avant comme sai-
sis d'un nouvel accès, et se mettaient à courir
jusqu'à ce qu'ils tombassent par terre dans un
état d'insensibilité...
« Ils aimaient à porter avec eux des cannes
à sucre. Ils les tenaient à la main ou les mettaient
sur l'épaule quand ils dansaient (1). Souvent aussi
on les voyait évoluer en portant sur la tête un
vase plein d'eau, qu'ils maintenaient en équili-
bre avec une étonnante dextérité. Le tambour
était leur instrument favori, mais ils se ser-
vaient aussi d'autres instruments. A défaut
d'instrument, les assistants battaient la mesure
avec leurs mains ou chantaient un air particu-
(1) On verra plus loin, par exemple pages 82, 113, que
M. Rusillon note une canne parmi les accessoires ordinaires
du Tromba.
INTRODUCTION 21
lièrement aimé des danseurs. Leur rendez-vous
préféré était à la pierre sacrée d'Imahamasina,
sur laquelle bien des souverains de Madagascar
ont été couronnés. Ils dansaient là pendant des
heures entières, et, avant de finir, déposaient sur
la pierre une canne à sucre en guise d'offrande.
« Les tombeaux étaient aussi pour eux des
lieux favoris de réunion ; ils s'y rencontraient
le soir et y dansaient au clair de lune jusqu'après
minuit.
« Beaucoup d'entre eux prétendaient être en
relations avec les morts, notamment avec la feue
reine Ranavalona Ire. En décrivant plus tard leurs
sensations, ils disaient avoir éprouvé comme celle
d'un cadavre attaché à leur personne, et dont
tous leurs efforts ne parvenaient pas à les débar-
rasser ; d'autres parlaient d'un poids qui les atti-
rait incessamment en bas ou en arrière (1). Ils
(1) Quelques passages, que j'emprunterai au P. de La Vais-
sière (p. 229-230), éclairciront ces détails. D'après lui, on
racontait que Ranavalona Ire, mécontente de voir son fils
Radama II rompre avec sa politique xénophobe, avait résolu
ie venir en personne le mettre à la raison. Elle était partie
iu séjour des morts, suivie d'une foule d'ombres, dont les
ânes accompagnaient seulement leur souveraine, tandis que
i'autres portaient ses bagages : « Au premier village qu'elles
rencontrèrent sur la route, les ombres chargées des bagages
passèrent leurs fardeaux aux vivants ; ceux-ci, à leur tour, le
remirent à d'autres au village suivant, comme cela se pra-
tique encore à Madagascar, où les colis royaux passent de
22 LE TROMBA
abhorraient par-dessus tout les porcs et les cha-
peaux. La seule vue de ces objets les révoltait
au point de les jeter parfois dans des convul-
mains en mains, et de village en village, jusqu'à ce qu'ils
arrivent à destination. Ainsi voyageait, disait-on, l'ombre
royale. Les vivants réquisitionnés pour la corvée des bagages
se sentaient tout d'abord saisis d'un violent mal de tête.
Bientôt après leur apparaissaient les ombres de la suite de
Ranavalona les entourant de leurs longues files et leur assi-
gnant un paquet, avec ordre de le porter jusqu'au prochain
village. Ces pauvres gens tombaient alors dans un état d'exal-
tation extraordinaire ; ils se mettaient à danser pendant une
journée ou deux dans leur village et aux environs, affirmant
qu'ils voyaient leur ancienne souveraine et lui faisaient
cortège. Ce temps écoulé, ils revenaient à leur état ordinaire,
et le village retrouvait la paix. C'est le 12 mars 1863 que la
nouvelle de cette étrange contagion fut portée à Tananarive
par des gens qui venaient du pays des Betsiléos ; elle pro-
duisit une sensation profonde... Cette impression, alimentée
chaque jour par de nouveaux bruits, alla croissant jusqu'au
26 du même mois. Ce jour-là, on annonça que l'ombre de feue
Ranavalona avait fait son entrée dans son ancienne capitale.
Ce qui est certain, c'est que la contagion envahit la ville le 26,
et qu'avant le soir, les visionnaires parcouraient les rues.
Ils se disaient chargés d'un paquet invisible à tout le monde,
qu'il leur fallait porter à la suite de Sa Majesté. Parfois leur
négligence leur attirait de rudes corrections ; on les voyait
alors se tordre, et pousser des cris comme sous l'impression
de coups violemment administrés, et leurs larmes roulaient
longtemps encore après la fin du châtiment. Leurs yeux
rouges, leurs traits tendus, les firent appeler par le peuple,
tantôt Ramanenjana (de henjana, tendu, raide), tantôt
Ramenabe (de mena, rouge, bé, grandement), et comme ils
répétaient sans cesse le mot maika (pressé, je suis pressé),
on les appela aussi Ramaika. » A propos du nom de
Ramenabe, donné à ces malades, je ferai simplement
remarquer que l'épidémie venait du Menabe et que les rois
INTRODUCTION 23
sions ; elle les mettait toujours en fureur. Ils
éprouvaient également une vive répulsion, plus
difficile à expliquer, pour la couleur noire. Les
pourceaux sont réputés impurs par plusieurs
tribus malgaches, et l'on s'explique que ces ani-
maux aient pu être l'objet d'une horreur supers-
titieuse. D'un autre côté, les chapeaux rappe-
laient le souvenir odieux des étrangers ; mais
comment expliquer cette antipathie à l'égard
d'une couleur ?... »
M. Davidson a eu raison de noter ici la répul-
sion éprouvée par les malades à l'égard des étran-
gers, des « Vazaha ». Il aurait dû aller jusqu'au
bout de la pensée qui s'était présentée à son
esprit. Cette répulsion est un facteur impor-
tant de tous les phénomènes. Elle ne portait pas
seulement contre les personnes, mais contre
toutes les idées que ces personnes représentaient,
contre les moeurs nouvelles qu'elles prétendaient
introduire, contre la religion qu'elles prêchaient (1).
dont les noms sont le plus répétés dans les litanies du
Tromba sont d'anciens rois du Menabe. Je note la coïnci-
dence sans rien affirmer de plus. Cf. plus loin, p. 61-62, 140.
(1) « Des Ramanenjana, dit 3e P. de La Vaissière, avaient
osé dire publiquement au roi que sa mère était venue le
prendre pour l'emmener chez les morts ; elle ne pouvait
supporter que, par l'introduction des blancs dans Je pays, et
par la tolérance illimitée de leur religion, il ruinât tout ce
qu'elle avait établi dans le royaume. » (Op. cit., p. 231).
24 LE TROMBA
Et dès que l'on a compris cela, tout le reste s'ex-
plique, — peut-être même l'horreur de la couleur
noire et des pourceaux. Ces malades se sen-
taient, disaient-ils, sous la domination d'un
esprit. Cet « esprit » détestait les nouveaux
venus. Il avait peur d'être exorcisé par eux.
Et il connaissait l'histoire du possédé de Gadara
dont les démons furent envoyés dans un trou-
peau de pourceaux (1). Les sentiments qu'il
nourrissait à l'égard de ces animaux n'ont rien de
mystérieux. Quant à la couleur noire, c'est celle
des redingotes portées par les missionnaires an-
glais et des soutanes qui caractérisent les jésui-
tes français.
M. Davidson a eu raison aussi, dans un autre
passage : « Le choix du voisinage des tombes,
pour les évolutions des malades, dit-il, s'explique
par le culte des ancêtres et le respect supersti-
tieux des tombeaux. » C'est vrai, mais c'est
trop vague, et c'est insuffisant. La vérité, c'est
que l'esprit qui est censé s'emparer des malades
est l'esprit même d'un mort, d'un ancêtre. La
réaction contre les nouveautés morales que les
étrangers apportent monte du fond même de
l'être ; elle est une suggestion de toutes les pen-
(1) Marc V, 1-7. Cf. Matth. VIII, 28-34 ; Luc VIII, 26-37.
INTRODUCTION 25
sées, de toutes les passions, de toutes les éner-
gies qui sont systématisées dans le subconscient ;
en un sens, on peut dire que la vieille person-
nalité malgache se réveille en ces malades avec
une intensité violente et qu'elle les domine. Ils
expliquent naturellement leur état moral par une
possession, et ils rôdent autour des lieux hantés
par ces morts qui revivent en eux. Et l'on sai-
sit fort bien que, s'ils nomment parfois l'ancê-
tre qui s'empare d'eux, ils désignent, non pas
Radama Ier, qui a ouvert le pays aux étrangers,
mais la reine Ranavalona Ire qui les a chassés et
qui a persécuté leurs adhérents.
Et, s'il en est ainsi, M. Davidson, comme tous
les missionnaires d'alors, n'ont pas eu tort de
soupçonner que les adversaires des nouveautés
à l'européenne ont profité de ce mouvement pour
agir sur l'imagination crédule et la volonté débile
■de Radama II ; mais ils ne sont pas allés assez
loin : le mouvement même du Ramanenjana a
été provoqué par une réaction profonde contre
•ces nouveautés ; il n'a pas été un instrument
quelconque de cette réaction, il a été une forme
active et puissante de cette réaction même.
Le Tromba, le Ramanenjana, quelque nom
qu'on lui donne, n'est pas une forme indifîé-
26 LE TROMBA
rente du culte des ancêtres. C'est un état dans
lequel se cristallisent les anciens mobiles auto-
matiques et inconscients de la conduite, dans
lequel s'organise avec force la résistance à des
velléités de vie nouvelle, dans lequel l'âme de la
îace, menacée dans sa constitution, se recrée
sous une forme passionnelle, dans lequel les pré-
jugés d'autrefois, les répulsions éprouvées, les
vieilles rancunes, les haines tenaces et dissimu-
lées se combinent et apparaissent avec l'autorité
d'une révélation envoyée par les pères. C'est
l'état moral dans lequel se réfugie, se condense
et s'entretient un conservatisme farouche, un
nationalisme qui peut un jour s'exaspérer et deve-
nir féroce (1).
Voilà pourquoi il ne faut pas s'étonner qu'en
1895, au moment de l'occupation de l'île parles
troupes françaises, il y ait eu une recrudescence
de Ramanenjana. Des cas nombreux en ont été
signalés, notamment dans le sud-est de l'Ime-
rina (2).
Et voilà ce qui donne, actuellement encore,
une importance politique à ces manifestations,
Les fêtes que M. Rusillon décrit avec tant de
(1) Voir plus loin, pages 68, 70, 75, 91.
(2) A ntananarivo Annual, XXI, p. 62.
INTRODUCTION 27
précision reproduisent dans le menu détail le
rituel de l'hommage que l'on rendait jadis aux
rois du pays (1). Elles font plus que commémorer
cet hommage. Elles supposent la présence réelle
de ces rois revenus et comme momentanément
incarnés chez les privilégiés que le Tromba a saisis.
C'est par là qu'elles peuvent être l'expression
religieuse et le dernier asile de tout ce qui est
antieuropéen, antifrançais. Les indigènes qui
les célèbrent ne s'en doutent pas toujours ;
ils ne s'en doutent peut-être presque jamais.
Mais ce qu'ils y vont chercher, c'est la commu-
nion avec l'âme antique de leur race. Ils y font,
sans s'en rendre compte clairement, mais avec
application et ferveur, un effort suivi pour sentir
renaître en eux ceux dont ils tiennent la vie,
pour rester en contact avec les vieux chefs dis-
parus et toujours aimés, pour en recevoir des
révélations et des mots d'ordre. Telles circons-
tances peuvent se produire où les sentiments qui
feront explosion ne seront pas ceux que le gou-
vernement de la colonie souhaite de provoquer.
Qui saurait dire quel commandement de révolte
ces consciences obscures risqueront de sentir en
elles et d'attribuer à la parole vénérée des ancê-
(1) Voir plus loin, pages 60, 71-74, 88.
28 LE TROMBA
très ? Les hostilités sourdes, latentes, à peine
perçues par celui-là même qui les ressent, sont
toujours à la veille de prendre, dans le Tromba,
la forme d'une passion, la force d'une sugges-
tion irrésistible.
Alors, que faire ? Proscrire ces cultes comme
périlleux, les exterminer ? La seule pensée d'une
telle mesure est odieuse. Elle ne saurait agréer
qu'aux hommes pour qui les questions d'ordre
spirituel ne se résolvent que par la force. Rien
n'autorise à traiter comme un délit la pratique
de ces cultes aussi longtemps qu'ils ne donnent
pas lieu à des désordres ou à des rébellions con-
tre l'autorité de la France. Aussi bien serait-il
dangereux de les traquer. Ils se cacheraient dans
la brousse, et l'on peut être sûr que les sugges-
tions qui se produiraient dans ces consciences
irritées ne seraient pas faites d'amour enthou-
siaste pour les « Vazaha » vainqueurs (1). Le plus
simple est de les surveiller, sans taquinerie vexa-
toire, et d'écouter les mots d'ordre qui sont vati-
cines par les revenants invisibles et présents.
Ce qui importe ensuite, c'est de se souvenir
de l'aphorisme qu'Auguste Comte se plaît à
répéter sans cesse : « On ne supprime que ce
(1) Voir plus loin, page 176.
INTRODUCTION 29'
qu'on remplace. » Les phénomènes du Tromba
ne cesseront qu'au jour où, dans les âmes, d'au-
tres sentiments actifs, d'autres forces passion-
nelles auront succédé à la religion ancestrale.
Quelles seront ces forces ? Il est loisible à la
libre-pensée militante d'essayer de communiquer
à ces âmes une doctrine de vie. Mais, il est loi-
sible aussi à des hommes religieux, par exemple
à des chrétiens, de quelque confession qu'ils
soient, d'entreprendre la même tâche. Libre-pen-
sée et christianisme ont droit à la même liberté.
Ni l'un ni l'autre n'a droit à autre chose. L'ad-
ministration n'est qualifiée pour soutenir ni une
propagande religieuse ni une propagande anti-
religieuse. Quand elle accorde un privilège à
l'athéisme ou à l'Evangile, elle se mêle de ce
qui ne la regarde pas. Mais il sera bien permis
de dire qu'elle trahit son mandat, quand elle
affecte de traiter avec une faveur imprudente
l'adoration des anciens rois (1) et qu'elle accable
de vexations l'exercice public du culte chrétien.
Il y a là une injustice et une absurdité.
La propagande chrétienne, en elle-même,
n'intéresse pas les pouvoirs publics ; et ceux-ci
n'ont pas à prendre parti pour elle et à l'ap-
(1) Voir plus loin, page 72.
30 ' LE TROMBA
puyer. Mais il faut être aveugle pour ne pas dis-
tinguer que, dans la mesure où elle réussit, elle
met fin à l'action profonde du passé dans les
âmes, à l'envoûtement toujours menaçant des
ancêtres. Ce n'est pas une raison pour lui confé-
rer le moindre patronage ou privilège ; mais c'en
est une de se souvenir de la liberté qu'on lui doit
pour autant qu'elle se conforme à la loi et qu'elle
ne commet rien contre l'ordre public. Et il ne
faut pas appeler loi les fantaisies de l'arbitraire
administratif. Ge n'est pas une loi digne de ce
nom, celle qui ne dit pas, en un texte formel, ce
qui est permis et à quelles conditions cela est
permis (1).
Les cérémonies auxquelles le Tromba donne
lieu se célèbrent sans aucune autorisation préa-
lable et dans n'importe quel local. Pourquoi une
prédication de l'Evangile est-elle un délit si, dans
(1) Pour glus de détails, je renvoie le lecteur à ma bro-
chure. Les vexations de la liberté de conscience à Mada-
gascar (publication du « Comité pour la défense de la liberté
de conscience et de culte à Madagascar », 6, rue Schœlcher,
Paris,1909). Voir aussi la brochure de M. Paul Viollet, membre
de l'Institut : La liberté de conscience... à Madagascar,
(L. de Soye, 18, rue des Fossés-Saint- Jacques, Paris, 1908).
Les faits racontés dans ces brochures se sont passés, non pas
sous le gouverneur général actuel, M. Picquié, mais sous son
prédécesseur, M. Augagneur. Ils n'ont été rendus possibles
que par l'absence de toute loi. Le manque de garanties contre
l'arbitraire, même quand l'arbitraire ne sévit pas, est le mal.
INTRODUCTION 31
un village qui n'a ni temple ni église, elle se fait
dans la case d'un simple particulier ? Des cen-
taines d'hommes et de femmes peuvent libre-
ment parler autour de quelques individus qui
se trémoussent en se disant possédés par l'esprit
d'un mort : pourquoi traite-t-on en coupables
des gens qui se sont réunis, à cinq, dix ou vingt,
pour lire le Sermon sur la Montagne ou chanter
un psaume ? Des foules excitées se presseront
sans être inquiétées autour des Doany, égorge-
ront des bœufs, s'empliront d'alcool, feront tous
les vacarmes possibles: pourquoi quelques chré-
tiens ne pourront-ils ouvrir un lieu de culte que
si l'administration consent à les y autoriser ?
Pourquoi celle-ci ne veut-elle ni spécifier dans
quels cas cette autorisation sera de droit ni moti-
ver ses refus ? Les adorateurs des vieux rois
entretiendront aussi bien qu'ils le voudront leurs
sanctuaires ; ils les répareront à leur guise et
aussi souvent qu'il le faudra : pourquoi des
chrétiens ne peuvent-ils refaire la toiture ou un
mur d'une chapelle sans avoir mendié l'agré-
ment de fonctionnaires qui ont trop souvent l'air
de trouver la requête importune ou même imper-
tinente ?
Un tel régime n'est pas seulement un démenti
à tous les principes dont notre démocratie a la
32 LE TROMBA
prétention de s'inspirer (1) ; il est contraire aux
intérêts les plus évidents de la France. Les pauvres
sectaires qui l'ont inventé ne sauraient compren-
(1) Il est bon qu'on sache quelle caricature de ces principes
a été présentée trop souvent aux indigènes. Je citerai quelques
passages dans un article intitulé : Ennemis de la France et
publié, le 13 mars 1908, par un journal officieux écrit en mal-
gache, le Mijoha Madagascar :
« Depuis que Madagascar est devenue colonie française, la
France, notre chère mère, n'a pas cessé de nous traiter comme
ses enfants. Il nous a été montré clairement ce que la France
demande de nous et ce que le gouvernement de la République
veut que nous soyons... Presque tous les Malgaches disent
qu'ils aiment la France. Et cependant, il est triste à dire
qu'il y a encore des Malgaches notables, intelligents, intendants
des églises, qui font semblant d'aimer la France et qui,
pourtant, la haïssent...
« Qu'est-ce qu'aimer ? N'est-ce pas écouter, approuver,
honorer la volonté de celui qu'on aime?... Si nous n'écoutons
pas la volonté de la France, nous sommes ses ennemis.
« Ils sont nombreux, ces Mpitandrina (chefs de paroisse),
ces fonctionnaires, ces gouverneurs qui semblent se couvrir
de ce prétexte : « Liberté de conscience pour tous ; nous
pouvons donc suivre la prière que nous voudrons... »
« Qui pourrait croire que tel Mpitandrina, tel fonctionnaire,
tel gouverneur aime la France, s'ils ne suivent pas la volonté
de la France et s'ils ne font pas ce que le gouvernement et
ses représentants veulent qu'ils fassent...
« C'est donc à vous d'abord que je m'adresse, employés du
gouvernement... Ne faites pas semblant d'aimer la France...
alors que vos actes crient le contraire... N'allez pas invoquer
la liberté de conscience, car cela ne déguisera pas le peu de
cas que vous faites de la volonté du gouvernement. Il est
clair que le gouvernement ne veut pas 'de l'union de l'Eglise
et de l'Etat, et cependant vous allez encore chez les Révérends
Pères et chez les Missionnaires protestants. ..
« Quant à vous, Mpitandrina, employés de paroisse...,
INTRODUCTION 33
dre ces vérités élémentaires. Ils n'étudient rien ;
ils ne s'intéressent qu'aux moyens de satisfaire
leurs haines vulgaires. Il faut sans doute leur par-
donner beaucoup, leur responsabilité étant très
atténuée par leur ignorance.
En dépit des outrages auxquels l'on s'expose,
de l'indifférence ou des lâchetés auxquelles on se
heurte, du prix dont on risque de payer cette
audace, c'est servir la France que de lutter, contre
ce triste fanatisme, pour la liberté de conscience
et de culte à Madagascar. Et tant qu'il y aura
des hommes pour soutenir ce combat, le ridicule
qui pèse sur notre pays devant les étrangers qui
savent sera un peu diminué ; c'est toujours une
consolation.
Je me permets d'en espérer une autre: l'acte
noble d'un gouverneur général qui aura le
courage de rompre en visière avec un fanatisme
par trop grossier et qui, appuyé par un ministre
des colonies avisé, fondera, par un arrêté rédigé
en quelques lignes, un régime de liberté réglée
et garantie. Je crois trop en mon pays pour ne pas
prenez garde au proverbe : « Pour vivre avec la reine, il
faut se soumettre à ses lois »... Tous ceux qui sont attachés
au gouvernement de la République sont opposés aux
Missions... Ne mettez donc pas en avant la liberté de
conscience, mais faites ce que veut le gouvernement. »
3
34 LE TROMBA
attendre avec confiance cette revanche du bon
sens et de la justice ; et, au moment de déposer
la plume, je suis heureux d'avoir enfin des
raisons de penser que cette confiance patriotique
ne sera pas déçue et que le triomphe des
principes n'est peut-être plus lointain.
Raoul ALLIER.
AVERTISSEMENT
Le travail qui suit n'a pas été écrit dans un
but littéraire. Il n'est pas davantage le fruit de
quelques hâtives observations. Il a été rédigé
après l'examen de nombreux cas qui se sont
échelonnés sur plusieurs années et après des
recherches poursuivies auprès des malades gué-
ris ou des possédés affranchis. On n'a pas la
prétention de dire que le sujet soit épuisé. Il y
aura toujours, d'ailleurs, une part d'imprévu et,
par conséquent, de nouveauté dans les cérémo-
nies dont nous nous proposons de parler ; sou-
vent aussi elles diffèrent dans les détails d'une
région à l'autre et même d'un clan à l'autre.
Seul un médecin, doublé d'un psychologue,
serait qualifié pour donner à cette étude toute
la valeur désirable. Le médecin de colonisation,
qui est indigène, pourrait donner des renseigne-
ments sûrs et se montrer capable d'appréciations
justes ; mais s'il n'est pas lui-même influencé
par les erreurs de ses compatriotes, il est confiné
36 LE TROMBA
dans son travail ; ses fonctions ne lui laissent
pas la liberté de faire des observations qui ont
besoin d'être multipliées et contrôlées les unes
par les autres. Pour nous, nous avons essayé de
suivre la vérité d'aussi près que possible.
Sans nous interdire de prendre nos exemples
dans les régions diverses où nous avons pu re-
cueillir les faits, nous nous en tiendrons géné-
ralement à ce que nous avons vu dans le pays
dénommé Boina ou Boeny, qui forme la presque
totalité du nord-ouest de l'île. Au reste, il serait
arbitraire de vouloir fixer une barrière à des
phénomènes qui, par leur essence même, passent
par dessus les frontières, et ne connaissent ni
race, ni sexe, pas même l'âge.
Pour décharger le récit d'incidentes, d'expli-
cations nécessaires, nous ajoutons un très court
lexique et quelques étymologies à ce travail. Le
lecteur y gagnera d'apprendre un petit nombre
de mots indigènes et de marcher plus vite dans
le dédale des idées malgaches (Hova ou Saka-:
laves). Il rencontrera quelques répétitions, mais
quand elles ne sont pas un simple rappel, elles;
correspondent à une idée ou à une situation,
nouvelle.
Marovoay, 31 décembre 1910,
JÊsP/ë&
ILE DE
[ÂDAGASCAR
Wvrorrtlava-Jr
0
■ ±Slt 0ARA #
W1"~- CARTE ETHNOGRAPHIQUE
-i Zone d'/nf/uence
&e/«i
"■ ^ | ] Zcwe cf/nf/uen,
J-nmimst '- ' ' ^A"/aKe ■
N v> .' \ - Fark.-Sàuprim Divisions approx,
:.:.y. ■ des différentes régions.
Zone d"/nf/uence
Sakalave .
Divisions approximatives
'.rentes régions.
CARTE DE MADAGASCAR
démontrant la zone d'influence de la race Sakalave
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES
d'une tribu et de son culte
L'origine du peuple sakalave, qui occupe toute
la partie ouest de Madagascar, est entourée du
plus profond mystère en dépit de quelques indi-
cations données par Flacourt (1661) et Drury
(1687-1743). Les traditions orales, généralement
ornées de traits légendaires et conservées par des
vieillards dont c'est toute la gloire, quelques cou-
tumes religieuses et, en particulier, le Tromba
sont tout ce qu'on a pour essayer de soulever
un peu le voile derrière lequel, du reste, il n'y
a peut-être rien de spécialement intéressant.
Ce serait une erreur que de considérer les Sa-
kalaves comme formant une grande tribu homo-
gène. Non seulement ils sont divisés en deux
38 LE TROMBA
groupes dénommés d'après leur habitat : le Me-
nabe et le Boina — l'Ambongo étant compris
souvent dans l'une ou l'autre région ou partagé
entre elles — ; mais ils forment une mosaïque
de petites tribus qui ont été toutes plus ou
moins indépendantes les unes des autres et sou-
vent en guerre ouverte les unes avec les autres.
Ils ne représentèrent jamais une peuplade uni-
que et relativement nombreuse, même avant
l'arrivée des Antalaotsy ; et ces derniers durent
renoncer à mettre la main sur eux et à les réduire
en esclavage.
Le nom même qu'on leur donne aujourd'hui
est celui d'une tribu originaire du sud et qui, par
son courage, sa volonté, aidée sans doute des
circonstances, sut s'imposer à ses voisines et peu
à peu les subjuguer.
Les Sakalaves commencèrent leur marche
conquérante vers la fin du xive siècle sous la
conduite d'un certain Andrianalimbe. Mais si l'on
trouve ce nom ici et là dans les travaux de plu-
sieurs malgachisants, il est impossible d'en re-
trouver la trace dans les traditions, du moins
dans celles que nous avons pu nous faire conter.
Parmi les esprits se révélant par le Tromba, on
trouve, mais rarement, un certain Andriamai-
zimbe qui pourrait bien être Andrianalimbe, les
ORIGINE D'UNE TRIBU 39
deux noms ayant un même sens et Andria-
maizimbe étant considéré comme le Tromba le plus
lointain, si ce n'est le plus renommé. C'est son
fils ou petit-fils qui accentua le caractère conqué-
rant de la tribu ; mais celui-ci aussi — Àndria-
mandazoala — est absolument inconnu ; on
le retrouve, cependant, mentionné dans les céré-
monies du Tromba où il est considéré comme un
Moasy guérisseur remarquable, et même comme
un Zanahary an Hiboka ou « dieu dans le ciel ».
En réalité, la tradition ne remonte pas plus
haut qu'Andriamisara ; et encore à son sujet y
a-t-il des hésitations. Pour les uns, Andriami-
sara est sorti de la mer et s'est imposé à la tribu
sakalave. Il en fit une tribu invincible. Pour
d'autres, il est descendu du ciel et, son œuvre
accomplie, il y est remonté. Une troisième hypo-
thèse — indigène, elle aussi — est fondée sur
des raisons religieuses et étymologiques. Andria-
misara serait un Ombiasy qui suivait le roi d'une
tribu du sud et qui, par ses ody, lui assurait la
victoire. A la mort du roi, il en aurait pris la
place. Quant à son nom, il le devrait à son habi-
tude de rechercher sans cesse et d'acheter per-
pétuellement de nouveaux ody (Sara : achat ;
misara : acheter ; andriana : noble, grand). De
son vrai nom il s'appelait Tofotra : mot traduit
40 LE TROMBA
en hova par Tafita et en français par « a passé »
sous entendu : « la mer ». De ce récit, transmis par
une tradition ou inventé de toutes pièces, il y
a lieu de rapprocher les aventures de Drury qui
sut jouer, à l'occasion, le rôle de sorcier. Enfin
on déclare qu'Andriamisara était blanc, ce qui
aide à croire que les premières indications ne
sont point de pure imagination. Il est arrivé en
plus d'une circonstance que des voiliers firent,
naufrage sur les côtes inhospitalières de notre
île et que tels individus purent, à force d'audace
et d'habileté, ou simplement profitant de l'igno-
rance du noir, s'imposer comme chefs de clan.
Il semble bien, dans tous les cas (qu'il s'agisse
des trois personnages indiqués, ou d'un seul d'en-
tre eux), qu'ils étaient d'origine européenne ou
au moins arabe. Drury raconte avoir vu une
princesse blanche; et aujourd'hui encore la
suprême preuve qu'on donne comme décelant le
Sakalave, c'est son teint cuivré, c'est-à-dire for-
tement hâlé. Cela réduit le nombre des membres
de la tribu à bien peu de chose et indique sa puis-
sance d'assimilation.
Ce n'est point ici le lieu d'entreprendre une
discussion au sujet de l'étymologie du mot Saka-
lava. Il n'est lui-même pas plus vieux que les
conquêtes de ceux qui le portent. Peu à peu il
ORIGINE D'UNE TRIBU 41
remplaça les noms des diverses tribus subju-
guées ; de ces noms, beaucoup sont parvenus jus-
qu'à nous ; et l'on retrouve des individus qui les
portent et même se réclament de droits plus
anciens que ceux des rois sakalaves.
Ce fut d'abord le Menabe qui fut envahi par
le fils ou petit-fils d'Andriamisara : Andrian-
dahifotsy. Celui-ci eut des fils, craignit pour sa
couronne chèrement acquise ; et il envoya plus
au nord celui de ses enfants qui lui paraissait le
plus à craindre ou le plus entreprenant. Andria-
mandisoarivo est son nom. Ce fut la conquête
du Boina. A son tour Andriamandisoarivo en-
voya ses fils plus au nord; et c'est ainsi que, de
Tuléar jusqu'à la montagne d'Ambre, s'établit
l'hégémonie sakalave. Ce fut pendant plus d'un
siècle une longue série de combats où même les
Arabes, fortement installés sur la côte, à l'embout
chure de la Mahavavy, furent vaincus.
Andriamandisoarivo mourut, laissant un nom
aimé et respecté. On voua un culte à sa mémoire,
comme il avait voué, de son vivant, un culte à
ses ancêtres. Il avait conservé les cheveux, les
ongles, quelques ossements de son père, qui lui-
même en avait quelques-uns d'Andriamisara.
Son fils Andrianamboniarivo recueillit ces re-
liques, en y ajoutant les restes de son père. Ses
42 LE TROMBA
propres restes devaient être un jour traités avec
autant de vénération, et ce sont ces débris qui
forment le quatuor d'idoles nationales connues
aujourd'hui sous le nom unique d' « Andriami-
sara efa-dahy ».
Il serait sans intérêt, pour l'objet qui nous
occupe ici, de continuer cette nomenclature des
rois sakalaves ; mais il était nécessaire de rap-
peler comment s'est développée cette petite tribu
dont les chefs peuplent aujourd'hui l'Olympe
Sakalave, sont servis, invoqués, à l'égal de Dieu
même dont, en dépit de timides dénégations, ils
ont pris le nom et la place.
CHAPITRE II
LES LOLO OU ESPRITS
La croyance aux esprits et aux sorts est le
fond même de la théodicée malgache. Tous les
événements de la vie, bons ou mauvais, plus en-
core les mauvais que les bons, sont soumis à
l'influence mystérieuse des esprits. Les Mo sont
partout : sur la terre, sous la terre, dans l'eau,
sur l'eau, dans la forêt, dans la rivière, dans l'air ;
tels arbres, telles montagnes sont particulièrement
habités, et presque toujours le Mo est un ancê-
tre. C'est généralement après plusieurs généra-
tions que l'ancêtre est appelé Zanahary (créa-
teur) ; et ce nom est ordinairement réservé aux
aïeux qui se sont spécialement distingués pen-
dant leur vie ou que la légende a parés des qua-
lités les plus propres à les faire admirer.
44 LE TROMBA
Donc si unfait anormal se produit, c'est qu'un lolo
l'a jugé convenable, soit pour rappeler à l'ordre
un individu coupable de mépriser les Fady, soit
pour attirer l'attention sur lui-même. La maladie
n'a pas d'autre explication, et même le vice
trouve là une excuse. Un ivrogne, à qui le mis-
sionnaire adressait des exhortations, répondait,
sans qu'il fût possible de suspecter sa sincérité :
«C'est vrai; je souffre et je suis malheureux,
mais ce n'est pas moi qui veux boire, je suis
frappé par le lolo. » Et c'est ainsi qu'il expli-
quait son abjection, son impuissance à résister.
Un autre s'était emparé de sa volonté.
On rencontre aussi l'idée d'une certaine mé-
tempsycose. Les caïmans sont divinisés, non pas
comme dieux spéciaux, mais comme étant la
demeure des ancêtres. Souvent le Sakalave est,
à sa mort, coulé au plus profond de la rivière ;
ce fut surtout la coutume pour les anciens chefs.
Aujourd'hui encore certains individus préten-
dent être en rapports avec eux. Dès lors on ne
s'étonne pas que le crocodile soit particulière-
ment respecté. Le bœuf aussi a une part de véné-
ration, mais il doit avoir les quatre pieds blancs,
ainsi que la queue, et une étoile sur le front.
Dans les cérémonies de Tromba ou « joro velo-
na », il sera prié en longues formules embrouil-
ri
o
<i
co
pq
ri
-««I
P
-/}
O
LES « LOLO » 45
lées où reviennent tous les noms des ancêtres
connus et qui sont censés habiter le bœuf. Occa-
sionnellement, d'autres bêtes ou reptiles sont
désignés comme possédant des lolo ; mais ce
n'est généralement que pour un temps très court.
L'esprit de l'homme lui-même, ce que le Sa-
kalave appelle « dzeri» et le Hova « fanahy », peut
se séparer de l'individu, être saisi par les lolo
et s'en aller errer à droite et à gauche. A cet
égard, les idées malgaches, et pour cause, sont
extrêmement flottantes. On dit couramment
d'un enfant qu'il n'a pas encore de fanahy ou
de dzeri, ou d'un homme qui n'agit plus sui-
vant les règles ordinaires ou d'après ses habi-
tudes, qu'il est « very fanahy, » c'est-à-dire qu'il
a perdu l'esprit, seul son corps reste, il est sans
âme.
Il y a même des accidents qu'on redoute spé-
cialement, car ils mènent à la mort. Si un homme
a perdu son double: ambiroa, c'est qu'un lolo
s'est emparé de sa vie. Il convient alors d'agir
promptement pour rentrer en possession du
précieux bien, h' ambiroa est visible. Si, mar-
chant sur une route très blanche ou au bord
de l'eau, vous regardez votre ombre, vous cons-
tatez qu'il y a une deuxième ombre plus indécise,
ou pénombre, elle s'appelle ambiroa. Dans cer-
46 LE TROMBA
taines conditions de lumière, elle peut dispa-
raître ; et c'est ce phénomène si simple qui est
considéré comme un présage du plus redoutable
des malheurs.
L'ombre (tandindona) est appelée souvent
l'esprit visible, et un Sakalave explique que c'est
là une vérité incontestable : 1° parce que l'ombre
ne se sépare pas du corps, 2° parce que l'ombre
est insaisissable, et particulièrement ne peut pas
être prise entre les battants d'une porte, bien que
son possesseur ne bouge pas de place.
La deuxième ombre que produit le corps suivant
la position qu'il occupe par rapport à la lumière, et
qui est plus indécise que l'autre, s'appelle « ave-
lo » ; et si elle n'apparaît plus, c'est que les lolo
se sont emparés de l'esprit.
On voit sous quelle hantise de terreur vit
continuellement l'indigène, qu'on dit si indiffé-
rent, et comment s'explique son naturel craintif
et flottant. Il ne sait pas ; il ne comprend pas ;
il vit dans des transes perpétuelles.
Libéré de ses vattaches par la mort, l'esprit ou
dzeri, ou fanahy, ou lolo, se livre à toutes les
actions qui peuvent lui plaire. Il ira visiter ses
parents, troubler le sommeil par des rêves bizar-
res, imposer des idées curieuses, inattendues,
baroques, suggérer des actions de tout ordre,
LES « LOLO » 47
éteindre les lumières, etc. Les conditions dans
lesquelles il vit alors sont celles qu'il a connues
quand il était dans la vie ordinaire ; il a les
mêmes préoccupations ; il a les mêmes amis, les
mêmes ennemis, les mêmes richesses, les mêmes
goûts.
On trouve même plusieurs royaumes des
esprits ; et si l'un deux est spécialement renom-
mé sur les hauts plateaux (il s'agit d'Ambon-
drombe, au sud-ouest du Betsileo), il en existe
une foule d'autres dans les diverses régions de
l'ouest. Chaque tombeau est le centre d'une
petite société qui agit, sait se venger, protéger
ou rire. Les doany sakalaves sont considérés
comme la demeure de dzeri royaux; et -c'est là
qu'on vient offrir aux grands chefs, non seule-
ment des prières, mais des objets d'usage jour-
nalier, de l'argent ou de la nourriture qui reste
sur place. Dans l'Ambongo, on peut voir, en
des régions dépourvues de tout ce qui est utile
à l'indigène, de tout petits groupes d'anciens
esclaves qui s'obstinent à vivre en un lieu mal-
heureux, uniquement parce qu'ils se croient
chargés de nourrir les ancêtres dont les tom-
beaux sont là et ne peuvent être transportés.
Ces idées sont si ancrées au fond de la pensée
qu'on peut entendre des gens qui parlent de se
48 LE TROMBA
venger, après leur mort, de tels ou tels individus.
Ceux-ci, informés, cherchent alors à rentrer en
grâce. Bien plus encore, un voyageur, M. P. de B.,
ayant séjourné dans le sud (mai-sept. 1910), en a
rapporté l'information suivante : les Mahafali
se suicident pour arriver à se venger plus rapi-
dement des offenses dont ils se croient victimes,
et on a vu une sorte d'épidémie de suicide parmi
une bande de jeunes hommes.
Ceux qui croient avoir des raisons de se mé-
fier de l'esprit de certains morts ont recours
aux fanafody des mpomasy qui chassent ces
esprits ou annihilent leur influence ; ceux-ci orga-
nisent des cérémonies qui sont de vrais exor-
cismes. D'autres veulent être sûrs de n'être pas
seuls après leur mort, et ils indiquent le nombre
de bœufs qu'on devra leur sacrifier, les époques
où il faudra renouveler ces sacrifices et les libations;
car celles-ci sont la part des vivants et aussi des
morts. Les sacrifices humains faits lors du décès
des rois sakalaves, ou plus exactement de ceux qui
ont régné avant eux sur les tribus autonomes,
n'ont pas d'autres explications. Le roi décédé
.devait continuer d'avoir ses bœufs, sa fortune.;
et il lui fallait un esclave ou une femme. Géné-
ralement cet esclave, moins souvent la femme,
s'offrait volontairement après des jours de ce-
LES « LOLO » 49
rémonies et d'excitations. L'esprit du grand chef
était en repos ; il avait un serviteur esprit.
Il y a souvent aussi, dans les sacrifices, une
substitution ayant à sa base un parallélisme bien
en rapport, d'ailleurs, avec toutes les autres
idées indigènes, et qui montre, pour sa part, ce
qu'il y a de sensible au fond de l'âme malgache,
qu'une grossière incompréhension ou une con-
naissance bien superficielle représente comme
parfaitement indifférente aux choses religieuses.
Quand c'est un enfant qu'il faut faire accom-
pagner dans la tombe, on tue un jeune veau. Si,
au contraire, c'est une mère encore jeune, une
vache suitée sera immolée près du tombeau. La
bête qui reste pousse alors de lamentables beu-
glements qui viennent dire la désolation des
parents et assurer qu'un cortège de circonstance
a été fourni au défunt.
L'esprit lui-même reprend parfois corps. J'ai
longuement entendu parler d'une jeune femme
que j'ai connue et qui, après vingt-quatre heures
de mort, et alors que tout était prêt pour son ense-
velissement, est revenue du royaume des esprits
pour faire des communications diverses à sa
famille et à ses voisins et indiquer le jour et l'heure
exacts de sa mort définitive qui survint en effet
dans les conditions prévues. C'était à l'époque
4
50 LE TROMBA
troublée de 1903-1906, où de violentes épidémies
régnaient en Imérina, et où même des vivants
«étaient ensevelis alors qu'ils n'étaient qu'éva-
nouis ou dans un état spécial d'insensibilité, dont
sont souvent victimes les malades atteints de
paludisme chronique.
L'esprit se matérialise : on le voit sur les tom-
beaux, dans les lieux qu'il a affectionnés, dans
la case qu'il a habitée. En 1906, toute une ré-
gion à l'est de Tananarive fut vivement affec-
tée parce que, certain soir, on vit un homme célèbre
dans le pays, mais mort depuis environ dix
ans, appuyé à la fenêtre d'une case dont il avait été
propriétaire. Les détails étaient donnés avec
précision, les jours et heures indiqués, les té- 1
moins cités.
Ces deux cas ne sont point isolés ; car le soir, I
autour du feu, que d'histoires extraordinaires I
de revenants on peut entendre I Et on en enten-
drait bien d'autres, si les gens osaient parler de-
vant le missionnaire avec une pleine liberté. Uni
individu vient vous dire tranquillement qu'il a
eu la visite d'un défunt dans la nuit. Un mari
a longuement parlé avec sa femme. Celle-ci lui
a laissé un mot d'ordre pour sa conduite. Un
autre raconte ce qu'il a pu connaître de l'autre
vie d'après un rêve qu'il a fait, alors qu'il ne
• LES « LOLO » 51
dormait pas ; et il répète qu'il ne dormait pas
du tout. Il affirme tout cela très sincèrement et
dans des termes qui montrent que les voyants
ne sont pas sortis de leurs préoccupations habi-
tuelles, car les esprits ont parlé le langage de leur
interlocuteur, sans s'élever au-dessus de leurs
connaissances ou de leur moralité.
La correspondance même entre malgaches
peut montrer quelle place la question des esprits
tient dans la vie ordinaire. Nous donnons ici la
traduction d'une lettre où se trouvent, dans un
curieux mélange, des indications précieuses qui
se rapportent à notre sujet ; elle est d'autant
plus intéressante qu'elle émane d'un jeune homme
instruit, en relations habituelles avec des
Européens et des meilleurs, et qu'en outre, elle
ne nous était pas destinée.
« A... 16 octobre 1909.
... « Chose nouvelle ! Ecoute et lis bien main-
« tenant cette chose grande et nouvelle qui
« arrive ici ; elle est étonnante et il n'y a rien
« eu de pareil :
« Des messagers de l'au-delà I
«Voici donc ce que c'est. Dans le gouverne-
ment d'Isoavimbazaha, près de Miarinarivo, il
52
LE TROMBA
« y a un village appelé Ambatolampy, où vivait!
« un homme zélé pour le service dé Dieu,. M
«cet homme est mort depuis environ 10 anfï
« Comme Dieu l'a béni, il est revenu parmi self
« parents pour les réveiller ; et voici comment!
« il se manifesta dans la maison : il ne pafî
« pas et on ne le vit pas, mais il lança des piefj
« res à ceux de la maison qui ne virent pas d'Ji
« elles venaient. Il a fait cela pendant plusieurs
« jours. Puis il a changé et n'a plus lancé!
« pierres, mais il s'est mis à casser les marmites
«Ses parents crurent que c'était un. lolo de
«marais qui allait à Ambiaty ; mais il ne JB
« rêtait pas et même il s'est mis à siffler. Maigri
« cela, on ne le voyait pas. Ses enfants lui parlé-
« rent : Si tu as quelque chose de bon à dire,
« dis-le, mais ne continue pas à nous effrayer
« Cela dura encore un certain temps. Ses petil
« enfants ne voulaient pas étudier, il prit les
« ardoises, mais on ne le vit pas en chemin.
« Quand il avait lancé des pierres dans la maisM
« on croyait que c'était des brigands. QuarïHS
« de gens vinrent dans la cour pour aider |t
« habitants ; mais ils ne virent rien que les pier-
« res qui tombaient en faisant grand bruitBi
« y avait dans la maison une jeune fille Vot
« conservait des ody et qui tissait des rabanej
q .^
LES « LOLO )) 53
Cela froissait le Mo qui cassait continu elle-
ment les fils de la chaîne. En voilà assez sur
-ce qu'il a fait pendant qu'il ne parlait pas et
allons à ce qu'il a fait quand il a parlé.
« A ce moment-là, voilà ce qu'il a dit : N'ayez
(pas peur; c'est moi, Rainimamonjy votre père,
(qUi viens parce que je suis malheureux de ce
&que vous faites : 1° Vous vendez toutes les
(rizières et pourtant c'est la terre des ancê-
tres, rien ne vous forçait; 2° (petite déchi-
;rure)... vous aimez de mauvais compagnons,
, et c'est pourquoi j'ai lancé des pierres; 3° il
jfaut prier; qui ne prie pas va en enfer. —
(pendant cette conversation il dit qu'il devait
, y avoir des temps consacrés à la prière. La
(Bible est la vraie règle, ceux qui l'oublient
(quittent la vérité. Ceux qui veulent être sau-
tvés doivent obéir aux dix commandements de
«tout leur cœur. Il n'y a point de feu purifi-
cateur suivant la foi de quelques-uns. Il indi-
qua des chants à chanter (ils sont désignés)
iet même il chanta tout seul. Il expliqua les
«dix commandements et le fit bien mieux qu'un
; homme de collège expérimenté. Ceux qui
fêtaient dans la cour n'ont pas entendu cela.
2 Voici encore ce qui étonne : il a voulu qu'on
guette son assiette ; et quand le riz fut épuisé,
54 LE TROMBA
«il rendit son assiette en disant : Voici pas,
« siette. On entendit le bruit de ses mâchoires
« mais on ne vit pas son corps. Il voulut qu'on
«achetât des pastilles de menthe, il les donna à
« ses enfants, mais avant il voulut les lécher un
« peu. Tout le monde entendit cettte histoire
« et se réunit là le 7 août 1909. Il y avait là l
« gouverneur, la sage-femme, deux évangélig,
« tes, plusieurs instituteurs et environ 400 per.
« sonnes. Les gens disaient là que tout cela
« n'était pas vrai, et ils veillèrent la maison et
« pour y voir clair, les gens firent du feu pour
«voir qui parlait, quand tout d'un coup il parla
«en disant : Quand bien même il y aurait de
« grandes lumières, vous ne me verrez pas, car
« je suis esprit, croyez que je suis messager... M
La lettre continue par des recommandations
de l'esprit qui dit, entre autres choses, qu'un
deuxième esprit, au même moment, a été envoyé
en Amérique. Il sait lire, écrire, parle français,
alors même que sur la terre il ne savait rien,
étant réputé ignorant et incapable.
Bien que confus, obscur parfois, laissant devi-
ner les faits, soupçonner une supercherie, qui al
été, nous le savons, pleinement dévoilée, ce récit,
qui donnerait matière à des réflexions diverses,
LES « LOLO » 55>
montre avec évidence quelle est la mentalité
indigène. Les Malgaches, même quand ils ont été
affranchis en partie des vieilles superstitions et
notamment du culte des morts (dont la pratique
se continue, quoique dépouillée des idées qu'on
v attachait il y a peu d'années encore), demeurent
singulièrement inquiets, et leur esprit en mouve-
ment s'en va des erreurs les plus subtiles aux
négations les plus énormes ; mais même sous
celles-ci il y a une imagination toute prête à
être la dupe des choses les plus invraisemblables.
Dans les parties de l'île où l'intervention chré-
tienne ne s'est pas encore produite ou n'a pas
encore eu le temps de modifier la mentalité géné-
rale, le culte des morts — et en particulier
celui des ancêtres célèbres — a gardé toute sa
force et son attrait. Les Merina avaient une
grande vénération pour leurs rois ou reines :
ceux-ci étaient « Dieu vu par les yeux », ils
étaient les objets des attentions divines, ils
étaient eux-mêmes divinités. C'est dire où peu-
vent en être les Sakalaves crédules, victimes de
tant de changements qui n'ont jamais laissé de-
bout qu'une chose : les tombeaux. Pour eux,
toute l'idée religieuse s'est concentrée autour des
chefs, des puissants renommés pour leurs victoires
ou leur bonté : ceux-ci sont devenus leurs dieux.
56
LE TROMBA
Il est bien entendu qu'on conserve le culte des
ancêtres de la famille ; mais c'est un culte do-
mestique qui prend peu de temps et ne nécessite
pas de déplacements. On fait sur les tombeaux,
ou dans tels endroits désignés, des offrandes eu
eau-de-vie, lamba ou monnaie ; c'est tout. On
réserve le véritable effort, le grand culte, pour
les anciens chefs, qu'on appelle Andrianahary ;
« créateur », — ou Ranahary ou Andrianahary ati
hiboka: « créateur dans le ciel », — ou Andrianahary
tsy omby hiboka : «créateurs qui ne peuvent
être contenus dans le ciel ». Il y a là une série de
termes, de diminutifs, qui révèle une hiérarchie
dont on tient compte à l'occasion. C'est du plu-
ralisme.
Au dessus de tous ces créateurs, il y a buffl
Zanahary be — le grand créateur, le seul vrai — j
mais en réalité on s'occupe peu de lui. Il est trop
loin et les hommes sont si petits ! Toute la série
des rois Mo fournit un si grand nombre de média*;
teurs qu'on ne saurait s'étonner qu'il n'y ait
plus de place pour lui.
CHAPITRE III
LES DOANY SAKALAVES
T LE FANOMPOA OU SERVICE
a demeure spéciale du lolo des ancêtres, —
en particulier celle des anciens rois — est le
doany, ou tombeau ; probablement la traduc-
tion véritable est-elle : maison royale ou palais.
On en trouve plusieurs dans les environs de
Marovoay. Mahabo (1) est le plus célèbre et le
plus peuplé. Betsioka (2) et Androtsy (3) abri-
tent des esprits de seconde valeur. Ambatobe (4)
(1) Mahabo à 15 kil. environ de Marovoay, sur la rive
gauche de la Betsiboka.
(2) Betsioka à 120 kilomètres, un peu sur la droite, de la
Betsiboka .
(S) Androtsy à 2 h. 1/2 de Marovoay, au sud.
(4) Ambatobe à 7-8 heures de Majunga, au sud-est.
58 LE TROMBA
garde les restes des rois qui précédèrent les Sa-
kalaves. A Mahabiba — Majunga indigène — est5
le lieu de rendez-vous annuel de la foule q^
veut obtenir la bénédiction de ses maîtres et de
toutes les fractions de la grande famille royale
dispersée dans des lieux nombreux et éloignés^
C'est là que sont les quatre grandes relique^
saintes ou idoles, objets de culte et d'adoration»
Chaque doany est un lieu sacré, confié à la
garde de gens désignés pour leurs antécédents,
ou simplement par les descendants des rois
ou par les Mo. Là s'accomplissent des cérémo-;
nies qui ont toujours le même caractère et qui
visent au même but : glorifier les ancêtres, obte-
nir quelques guérisons ou avantages. Aucune
trace, en aucun cas, d'une idée morale un peu
élevée, bien qu'on puisse dire que le fady est la
loi religieuse par excellence ; mais celle-ci aussi
ne touche qu'à des questions d'intérêt purement
matériel.
Une première enceinte garde l'approche du
doany ; et, aux jours fastes, on y laisse pénétrer
la foule des gens qui veulent « servir ». Une
deuxième haie très serrée défend l'entrée du
terrain qui contient les tombeaux. Ceux-ci sont
à peine distincts. Entourés de grandes toiles qui
figurent des tentes, ils n'offrent au regard rien
LES « DOANY » ET LE « FANOMPOA » 59
oui puisse surprendre. Les offrandes, faites en
vaisselle, étoffes, objets d'usage courant, sont
entassées sur le sol. Parfois un des tombeaux
se trouve abrité par des tôles qui viennent jeter
là une note de vulgarité déconcertante ; ou un
morceau de bois grossièrement sculpté donne
l'idée d'un art naïf qui n'a pas su exprimer la
pensée.
Le doany de Mahabiba, seul, témoigne de quel-
ques soins. On y retrouve les deux enceintes et,
au milieu de la deuxième cour, se dresse une
pauvre case en bois sans aspect particulier. Elle
s'appelle Zomba-be, mais elle contient elle-même
une seconde maison, une réduction au tiers
environ d'une case sur pilotis. Celle-là est le
Zomba faly qui a été fait sur le modèle de l'an-
cienne case royale. Elle est spécialement la
demeure des ancêtres : Andriamisara efa-dahy,
dont on parle comme s'ils étaient vivants.
Les divers doany où se font des prières les
jours fastes sont spécialement visités, chaque
année, dès que la saison sèche est établie ; et de
longs tambours — « les Manandria » — qui ser-
vent pour ce que les Vazaha (les Blancs) appellent
assez improprement Tam-Tam — et qui repré-
sentent, eux aussi, les ancêtres, — sont promenés
d'un tombeau à l'autre par une foule qui va
60 LE TROMBA
grossissant à chaque station, jusqu'à ce qu'enfin
on arrive à Mahabiba où se fait le Fanompoa.
Ici, il vaut la peine de s'arrêter un peu ; car il
s'agit d'une manifestation importante d'un carac-
tère national en même temps que religieux.
* Le Fanompoa n'est pas autre chose que fé
service du roi. L'accomplir est un devoir et en
même temps un honneur ; et, même jusqu'à une
date très récente, tout indigène, d'où qu'il fût,
devait ce service, — sous forme d'offrande, de
travail aux doany ou de simple présence. Ceci
explique ce fait, qui au premier abord paraît
singulier et contradictoire, d'un grand nombre
de Merina et de Betsileo qui montrent un zèle
digne d'un meilleur emploi pour le (.(Fanompoa ».
Comme c'est un prétexte à une grande fête où
les gens se rendent en nombre, et par tribus,
vêtus des plus brillants lamba s et couverts de
nombreux bijoux, pour faire des offrandes et
des vœux, il faut une longue préparation.
Plusieurs mois d'avance, des émissaires sont
envoyés pour recueillir une première contribu-
tion destinée à couvrir les frais et pour indn
quer l'époque de la grande réunion. Cette épo-
que ne varie guère. C'est au mois sakalave : Fan-
javamitsaka — ou Merina Alakarabo — soit juil-
let, — qu'elle a lieu. On choisit le moment de la
; S
LES « DOANY » ET LE « FANOMPOA » 61
pleine lune. On retrouve là, mais modifiée, une
manière arabe de compter les mois et les jours»
partout on sent aussi que la modification est
surtout due aux idées ou coutumes européennes.
Près de deux mois avant les « Grandes Jour-
nées » commencent les visites de doany à doany.
Celui de Mahabo contient la Clé du Zomba
jaly et les Manandria utiles au voyage ; c'est
donc par là que débute le pèlerinage, l'ordre
venant de Mahabiba, siège des esprits supérieurs
auxquels les autres doivent obéissance. La foule
se réunit alors, fait ses prières et ses vœux,
chante, sans se lasser, de monotones refrains, tou-
jours les mêmes, en claquant des mains. Puis, sur
un signal d'un esprit ou d'un sorcier, elle se
met en route et accompagne « la Clé » (on dit
souvent le mot en français) qu'un vieillard garde
jalousement jusqu'à la frontière de son terri-
toire. Là, avec des transports de joie, les gens
de Betsioka reçoivent les précieux dépôts, et il
y a un premier arrêt qui dure jusqu'au moment
où l'esprit manifeste le désir de partir. Accom-
pagnés toujours du bruyant cortège, la Clé et les
Manandria passeront à Androtsy, à Marovoay et
Àmbatobé et enfin à Mahabiba. Tout le long du
voyage, il y aura eu chants, réjouissances, récep
lions, manifestation de Tromba.
62 LE TROMBA
Un grand nombre d'hommes accompagnent 1||
Clé, mais ce sont surtout les femmes que l'on
voit, non seulement à cause de leurs toilettes
et de leurs curieuses chevelures, mais parce que
c'est à elles que le chant incombe et qu'elles doi-
vent demeurer parfois une partie de la nuit aux
ordres des esprits. Et ce n'est point pour elles
une sinécure ; car, à chaque station, il faut trou-"
ver de l'eau pour les lolo qui ne sont pas sans
exiger qu'elle soit prise et puisée dans des condi-
tions difficiles parfois à réaliser. Ils paraissent
redouter, par dessus tout, le silence et la soli-
tude. Souvent ils soumettent leurs serviteurs
à des exercices inattendus. Je me souviens avoir
vu un jour toute l'assemblée bondir soudain sur
pieds, hurler, courir de cî de là, parce que l'es-
prit avait donné l'ordre de partir immédiate-
ment ; et les porteurs (porteurs des Manandria)
sautaient de côté et d'autre, avançant, reculant,
toujours obéissant à l'esprit. On aurait pu croire
qu'ils étaient pris d'un accès de folie. Ils étaient
entrancés. Enfin après cette fantasia, devant une
vieille pirogue, ayant la forme des pirogues em-
ployées il y a un ou deux siècles, un vieillard fit
une longue invocation aux ancêtres qui s'apaisè-
rent et traversèrent la rivière sans autres exi-
gences.
LES « DOANY » ET LE « FANOMPOA »
Cette promenade, qui dure six semaines X
lus, est une visite de souverain à souverain ;
plutôt le père va chez son fils, le chef suprême
nez Ses vassaux qui lui rendront la visite. Elle
est aussi une précaution prise contre le mécon-
tentement des esprits royaux à qui on ne rend
ou'iin culte secondaire et à qui on fait des offrandes
diverses, telles que cannes d'ébène à pommeau
d'argent orné d'arabesques, bétail, sur pieds,
ou même monnaie de cuivre ou d'argent. On
fait des vœux pour un heureux voyage aux
doany divers, et naturellement ils sont accom-
pagnés de promesses en rapport avec la fortune
^de celui qui les fait.
Les cérémonies à Mahabiba finies, avec le
même rituel et à peine quelques modifications
dans l'itinéraire, — car il faut compter avec les
esprits et les circonstances — la Clé et les
Manandria vont reprendre leur place habituelle.
Les esprits des doany sont informés de ce qui
s'est passé, ainsi que la population. Et alors se
renouvellent en petit les mêmes scènes de posses-
sions et de sacrifices; car si la foule a été nom-
breuse à Majunga, beaucoup plus nombreux
encore sont ceux qui n'ont pu aller se joindre
au groupe de leur tribu, sans parler des anciens
esclaves et même des Hova qui tiennent à hon-
64 ' LE TROMBA
neur de participer d'une manière ou d'une autre
au culte sakalave, soit par crainte, soit par su,
perstition, ou tout simplement parce qu'ils sont
complètement sakala visés, — ce qui est le cas pour
un grand nombre. Un long exil loin de leur pays
les a transformés, en admettant qu'ils eussent-
subi, en effet, l'influence chrétienne. Souvent
ils sont nés ici. Parfois on ne les reconnaît plus
tant la chevelure, les vêtements, le langage
se sont modifiés. Enfin le voyage se termine à
Mahabo où tout rentre dans le silence qui ne
sera plus troublé que par les cas isolés de Tromba
— ou par les occasions particulières de prières
telles que maladies, circoncisions, rêves, etc.
CHAPITRE IV
NY ANDROLEHIBE
OU « LES GRANDS JOURS »
Les cérémonies qui ont eu lieu à Majunga au mois
de juillet (Alakarabo) sont des cérémonies types.
Dans tous les doany, elles sont pareilles, mais
elles ont moins de faste. Ce sont elles encore
dont les différentes phases sont représentées plus
ou moins exactement dans les cas de Tromba.
Il convient donc de les examiner de plus près.
Considérons tout d'abord la maison qui est
le centre de ralliement. Elle est située à environ
deux kilomètres de Mahabiba, c'est-à-dire assez
loin de Majunga.
L'extérieur du Zomba-be n'offre aucun inté-
rêt. C'est une maison assez semblable à une
5
66 LE TROMBA
grange, couverte en satrana (latanier) ; une ran-
gée de nervures de rafia maintient la toiture en
cas de trop violents coups de vent. L'intérieur,
au contraire, un peu sombre — car l'édifice n'a
que deux portes et une fenêtre — mérite d'être
vu, pourvu qu'on cherche des idées plus que des
curiosités.
Le sol est couvert de nattes ; et la grande pièce
est divisée en lieu réservé et lieu sacré, par une
immense bande de calicot qui sert de rideau.
Dans le lieu réservé ne peuvent entrer que les
femmes de certaines tribus, nous n'y avons pas
vu d'hommes. Dans le lieu sacré se trouve le
Zomba faly, la case sur pilotis, avec un petit
escalier ou échelle. Elle est au coin nord-est du
bâtiment. C'est dans ce lieu sacré que se réunis-
sent tous les descendants des anciens rois, et on
expulse avec quelque vivacité les intrus. Dans
cette partie aussi sont remisées différentes cho-
ses considérées, elles aussi, comme sacrées parce
qu'elles ont appartenu aux anciens rois : des cru-
ches, dont la forme dénote quelque maladresse,
de vieilles lances couvertes d'une rouille séculaire,
des armes dont la forme et le poids disent l'anti-
quité. Des courges évidées contiennent de la
graisse; une série de petites coupes ressemblant
assez aux vieux crésieux d'Europe ont servi, dit-on,
LES « GRANDS JOURS » 67
à brûler de l'encens devant les rois de leur vivant ;
st même on montre des cendres... mais il est
permis de douter. Une sorte de grand lit indien
— un cadre sur lequel sont tendues des cordes —
omplète le mobilier qui ne sert guère qu'une
tois par an.
Le Zomba faly contient les restes des quatre
grands rois, conservés dans de petites boîtes
l'argent et de bois. Elles ne sont pas visibles en
:emps ordinaire, et ce n'est qu'avec des protec-
:ions spéciales qu'on peut être admis à l'heure
lu bain, derrière la grande toile, pour les con-
;empler. On est alors promu au rang de prince,
je que beaucoup de gens désirent et ce que très
Deu obtiennent.
Les jours fastes pour les cérémonies sont le
undi et le vendredi. Un peu avant, et dans l'in-
;ervalle entre ces deux jours, on organise la fête,
3n cherche les bœufs, on désigne les places. C'est
'après-midi seulement qui est considéré comme
férié.
L'entrée de la première enceinte — le Vala-be
— est relativement facile à l'étranger. La foule,
elle, attend l'autorisation d'entrer. La première
cour franchie, il faut se présenter à la porte du
Vala mena, et là certaines observations sont à
faire. D'abord sur le costume : tout ce qui est
68 LE TROMBA
Européen déplaît aux ancêtres, et on cherche
naturellement à éviter leur courroux. On pré-
tend faire déshabiller les gens vêtus de panta-
lons et chaussés de souliers, et c'est ce que doi-
vent faire quelques Hova fort mortifiés de l'aven-
ture. Mais plusieurs d'entre eux ont été pru-
dents ; on les voit revêtir le « Sikina » sakalave.
Vers la fin de l'après-midi, on est plus tolérant,
— plus tolérant, dans tous les cas, qu'en cer-
tains villages de Y Ambongo, qu'il faut ou tra-
verser vêtu du costume national ou éviter.
Dans la cour, tout le tour du Vala mena — ou
Rova en Merina — sont attachés des bœufs qui
sont destinés aux sacrifices et qui sont répartis
par tribus. C'est peu à peu que l'ordre de les
tuer est donné. Il part de l'intérieur du Zomba-
be ; et un homme de chaque tribu vient à son
tour représenter les siens. On ne peut pas dire
que le Malgache prenne jamais garde de ne pas
tuer un animal avec cruauté ; pourtant ce qu'on
peut voir dans la cour du Vala mena est spécia-
lement sauvage et cruel. Avec une lance datant
de longues décades, rouillée, ébréchée, sans tran-
chant, on égorge d'innocents animaux qui souf-
frent mille tortures ; car la peau elle-même ne
réussit à être entamée qu'après de longs efforts.
L'animal, la tête maintenue sur le sol, les cornes
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LES « GRANDS JOURS » 69
plantées en terre, a la gorge sciée. C'est un la-
mentable et répugnant spectacle.
Immédiatement après la mort du bœuf, la
lance sacrée est ramenée dans le Zomba-be et
lavée dans une des nombreuses cruches pleines d'eau.
Cette eau a été apportée là par les princesses
servantes. Elle est maintenant souillée, rougie
du sang resté à la lance, et elle est bue avec avi-
dité par des gens qui espèrent ainsi s'incorporer
quelque chose de l'esprit des ancêtres. Ce qui
peut en rester est jeté sur la foule qui se précipite
au devant du Tso-drano en poussant des cris
de joie, en se bousculant ; car il s'agit, d'avoir
une part aussi grande que possible de cette
bénédiction.
A l'intérieur, les femmes, dans le lieu réservé,
frappent des mains, chantent des refrains mono-
tones, toujours les mêmes : supplications aux
esprits de se manifester, de pardonner, de bénir.
C'est quand on examine de près le sens des mots
qu'on retrouve ces idées-là, mais il est permis
d'avoir des doutes sur la compréhension qu'en
ont celles qui les chantent ; on peut même les
soupçonner d'ignorer le sens primitif de leurs
cantilènes.
Derrière l'immense toile, les princes et prin-
cesses arrangent le lit. Il prend même l'aspect
70 LE TROMBA
d'une table. On le recouvre d'une natte ; puis
une grande nappe blanche est étendue par dessus.
On pourrait croire que Ton va dresser un couvert.
Sous le meuble ainsi préparé on place les petites
coupes dans lesquelles brûlent Yemboka, l'encens
sakalave, qui répand une forte odeur acre et
désagréable.
Pendant ce temps, un ancêtre s'est emparé
d'un vieillard. Celui-ci avance péniblement, le
corps secoué par de violents spasmes. Il monte
avec lenteur l'échelle du Zomba faly, et son bras
droit se met à trembler sans causes apparentes.
Cela dure près d'une heure. Enfin il parle en
branlant la tête. Personne n'entend rien. Il se
baisse sur la porte, soutenu par un acolyte, et
il entre en conversation avec Andriamisara efa-
dahy. Il lui présente les vœux du peuple, lui
demande de consentir à sortir. Pendant qu'il
poursuit cette conversation, un deuxième indi-
vidu entre en trance ; et possédé aussi par l'es-
prit, il dispute au premier la petite place en haut
de l'échelle. Celui-ci veut s'adresser au peuple.
C'est un orateur. Il branle la tête d'une manière
étrange, par secousses violentes et il parle du
nez, comme ayant la bouche pleine d'eau. Par
dessus la toile, qu'il abaisse un peu, il lance un
discours, compréhensible cette fois et sur lequel
LES « GRANDS JOURS » 71
il n'y a pas à se méprendre. Il reproche au peuple
de se laisser entraîner par des habitudes nou-
velles, il dit la douleur des ancêtres, recom-
mande de ne se laisser tromper par personne,
puis il s'arrête et se met à pleurer à chaudes
larmes.
Une femme, cette fois, veut s'approcher de
l'échelle ; d'où, discussion entre les esprits. Ils
semblent s'entendre ; un mot circule : « la clé,
la clé » — le mot est tantôt dit en français, tantôt
en malgache. — Enfin ! on ouvre la porte du
Zomba faly. Au pied de la petite case tous les
princes se rangent ; une cruche de terre, pleine
de cette eau dans laquelle on a lavé la lance
sacrée, est remise au vieillard possédé, qui as-
perge avec générosité tous ceux qui viennent se
présenter; iljettemêmel'eauauloin. C'est la béné-
diction d'Andriamisara à toute sa descendance.
Cette première ablution terminée, quatre indi-
vidus qui ont été désignés par les ancêtres, c'est-
à-dire qui, une fois ou l'autre, ou très souvent,
ont passé par le Tromba, se revêtent de grandes
chemises rouges et de bonnets pointus de laine
rouge (le rouge est la couleur royale). Le peu-
ple est averti que l'ancêtre s'approche, le bruit
rythmé des claquements de mains redouble,
on chante plus fort, les tambours battent, un
72 LE TROMBA
homme frappe du triangle, on agite une sorte
de tambourin indigène, le Kahiamba, on
sonne de la grande corne de mer, on tire des
coups de fusil à l'extérieur. Toute la famille
royale se réunit autour de la table, on intercepte
absolument la lumière, et seul un homme de
haute taille peut voir ce qui se passe sur la table.
Les hommes rouges y déposent successivement
quatre petites boîtes qu'ils ont portées sur leurs
épaules, comme si elles étaient invraisemblable-
ment lourdes ; et ils franchissent avec une len-
teur calculée le court espace, quelques mètres,
qui sépare la case de la table. Les princes s'incli-
nent, s'agenouillent, dansent en se tordant en de
longs mouvements onduleux et en élevant les
mains ; ils lancent les formes diverses de saluta-
tions.
C'est à ce moment qu'arrive le représentant
du gouvernement français présent officiellement,
puisqu'attendu. Il ne demeure là que quelques
minutes, et il est assez curieux de constater avec
quelle satisfaction tout le monde reçoit cet en-
voyé ; il accomplit, sans s'en douter, et aux yeux
des indigènes présents, un acte de vassalité.
Alors seulement on baigne les idoles ; chacune
d'elles représente une sorte d'encrier à trois ou
quatre compartiments, auquel on aurait ajouté,
LES « GRANDS JOURS » 73
à chaque extrémité, une longue queue par laquelle
on puisse le saisir. Chaque subdivision est ornée
de nombreux rangs de perles de diverses cou-
leurs, et c'est à l'intérieur que se trouvent les
dents, les cheveux, les ongles des ancêtres. On
les lave abondamment, ces idoles, avec soin, avec
tendresse, en se servant d'un chiffon qu'on trempe
dans une mixture composée d'eau, de miel,
d'huile de ricin, d'extrait d'une herbe odorante
qui provient de la forêt. L'opération se poursuit
dans le bruit. Et, tandis qu'on prodigue aux
ancêtres force de ces expressions respectueuses
qu'on entend encore aujourd'hui, et en s'accom-
pagnant d'une mimique qui pourrait faire croire
à leur présence réelle, d'anciens esclaves agitent,
sans se lasser, des éventails qu'on retrouve dans
toutes les cérémonies de ce genre — même aux
enterrements — comme s'il s'agissait de chasser
des mouches importunes.
Au dedans et au dehors on accueille l'ancêtre,
on l'acclame, on le reconduit. On a l'impression
d'assister à une réception assez semblable à ce
que devaient être les réceptions de ces roitelets
d'autrefois ; et involontairement on pense au bain
de la reine à Tananarive, d'autant plus que bien
des détails le rappellent. Dès qu'ils sont rentrés
au Zomba-faly, toujours avec le même cérémo-
74 LE TROMBA
niai, il semble qu'on n'ait plus à se préoccuper
d'eux, et les princes se précipitent à la curée.
Ils veulent, eux aussi, participer à la baignade.
L'eau est devenue malpropre, mais en même
temps sacrée, et chacun en veut ; on en boit, on
en passe sur sa figure, on s'essuie les mains dans
les cheveux des voisins, et c'est là une marque
ultime d'affection ou de respect. Même un habile
réussit à canaliser ce qui a été versé sur la natte,
et il en remplit une petite bouteille. Derrière le
voile, on chante toujours, mais plus doucement.
Seuls, quelques possédés viennent pleurer et par-
ler d'une manière incompréhensible.
Au dehors la scène n'a pas changé. Un groupe
de deux cent cinquante femmes environ est
accroupi : c'est celui qui, pour une raison occa-
sionnelle ou à cause du rang de celles qui le for-
ment, ne peut entrer dans le Zomba-be. On va,
on vient autour des bœufs égorgés dont la tête
est presque séparée du tronc et qui offrent un
triste spectacle, d'autant plus étrange que,
sous de magnifiques tamarins, se presse une
foule élégante et parée de toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel. Ceux qui vont partir et qui n'ont pu
entrer vont s'agenouiller auprès du mur et se
frappent le front contre terre en levant leurs deux
mains par dessus la tête et en prononçant leurs
LES « GRANDS JOURS » 75
vœux. Puis, tout d'un coup, grande clameur.
Les femmes fuient et des bandes d'hommes se
répandent dans le Vala mena ; ils viennent pour
le partage de la viande. Il n'y a d'ailleurs pas
partage à proprement parler, mais simulacre de
dispute, avec cris, discussions qui pourraient
devenir dangereuses surtout avec des gens ivres,
armés de grands couteaux, et alors qu'une longue
attente les a excités.
Chacun se sauve avec son morceau ; car on
pourrait le lui arracher, ce qui est autorisé par
la tradition. Aussi le Vala mena est-il bientôt
vidé. Il est nuit, et chacun court hâtivement du
côté de sa demeure.
Le vendredi qui suit le bain est spécialement
consacré à la réjouissance. Car c'est à ce mo-
ment-là que se payent les vœux, que se racon-
tent les guérisons, qu'on peut obtenir qu'An-
driamisara efa-dahy, toujours porté par les qua-
tre individus vêtus et coiffés de rouge, soit ex-
posé au public, fasse un tour dans la cour. Alors
on se précipite à leur suite, on s'agenouille sur
leur passage, on chante, on crie, on hurle, on
ne se possède plus. C'est du délire.
Une somme de près de 800 piastres (4.000 fr.)
a été versée pour vœux divers cette année (1). Les
(1) 1910.
76 LE TROMBA
offrandes sont collectives ou individuelles. Elles
peuvent être la conséquence de vœux faits à
tout autre doany, car ils ne sont habités que par
les esprits enfants ou vassaux. Sur ces offran-
des, on prend une part pour indemniser les gar-
diens, faire quelque cadeau aux sorciers, aux per-
sonnages que l'on a pris l'habitude de désigner,
en français, de ce nom qui ne leur convient pas
exactement. Mais, en général la plus grande par-
tie est laissée à la disposition des lolo qui savent
la répartir avec beaucoup d'intelligence et d'à-
propos.
Dès le lendemain, c'est la dispersion ; on accom-
pagne la Clé et les Manandria. Comme on a
« ouvert le temps du grand service » on le « ferme ».
On recommencera dans neuf ou dix mois ; et,
pendant ce temps, il n'y aura plus que les mani-
festations particulières, rappelant de plus ou
moins loin ce qui vient de se passer et se rap-
portant tantôt à l'un, tantôt à l'autre des rois de
la lignée sakalave ou hova. Ce sont elles qui ont
reçu le nom général de Tromba.
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CHAPITRE V
LE TROMBA
QUELQUES NOTES *
Avril 1903. Tsiarifarano, Imerina. — « ... En
entrant dans le village un bruit sourd et bizarre
frappe mes oreilles. A mes questions des enfants
répondent : « C'est une vieille femme qui danse. »
Intrigué, je vais à la case d'où part le bruit
et je trouve là deux enfants qui tapent une
peau tendue sur le col d'une cruche cassée. La
case, complètement vide, est parfaitement ba-
layée, et une vieille, maigre, décharnée, danse ;
(1) Comme nous tenons à fournir ici plus de documents
que de théories, nous reproduisons purement et simplement
dans ce chapitre les observations que nous avons pu faire, et
nous les donnons dans les termes mêmes où nous les avons
notées à chacune des dates indiquées.
78 LE TROMBA
en réalité elle marche sur place et se tortille de
temps en temps. Elle est hideuse. J'essaye de
lui parler, et je n'en tire qu'un sourire effrayant,
découvrant ses gencives édentées. Elle danse
depuis deux jours, dit-on. Elle a la fièvre, et
je ne puis obtenir de personne aucune espèce
de renseignement. A ma rentrée chez moi, on
me signale deux cas pareils à Mahabo. S'agit-il
du Ramanenjana ? Il faudra chercher. »
26 août 1904. Marovoay, Boina. — « A plu-
sieurs reprises j'ai vu, en route, des sortes de
tentes dans lesquelles on chantait en claquant des
mains. On paraissait se réjouir. On me dit que
j'ai vu le Tromba. J'essaye de me faire expli-
quer de quoi il s'agit, mais toutes les données
sont confuses. On m'a montré une femme : hier,
elle a été frappée par le Tromba. Elle a parlé
tout d'un coup, informant la famille qu'elle allait
au village voisin, etc. Son discours fini, elle a
demandé ce qu'elle venait de dire. On le lui a
répété ; alors elle a préparé son départ. « L'es-
« prit a parlé, il faut obéir. » Mon interlocuteur
ne voit là qu'une supercherie de femme rusée.
Pour avoir ses idées sur le sujet, je le prie de
me les résumer par écrit. Je l'ai là, ce travail,
mais incompréhensible parce qu'incomplet et
QUELQUES NOTES 7&
hérissé de termes inconnus. Cependant il montre
déjà que le Tromba est autre chose qu'une im-
posture ; on pourrait croire que c'est un remède
et une maladie. Il y a une étude à faire. »
Juillet-août 1905. Le Boina. — « Ici et là, j'ai
revu les tentes du Tromba. J'ai voulu m'appro-
cher. Parfois j'ai pu entendre les chants ; mais
on se méfie de moi ; à mes questions on répond :
« Nous nous amusions » ou « Nous sommes
« heureux parce qu'un malade est guéri. » Le plus
souvent, à mon approche, on se sauve, et je ne
puis rien savoir. Malgré mes efforts, je ne suis
donc pas beaucoup plus avancé. Je sais qu'il
y a des tentes dans lesquelles il se passe quel-
que chose ; mais on ne peut, on ne veut me don-
ner aucun renseignement sur les phénomènes
étranges que les conversations font supposer. J'ai
vu qu'on se met du blanc sur le nez et sous le
lobe des oreilles. Je vois surtout qu'il y a anta-
gonisme entre ceux du Tromba et les autres.
On me dit que Tromba veut dire, créateur, roi,
ancêtre, esprit. Décidément j'avance lentement.
Serait-ce que je suis mal accompagné ? En effet
mon guide hova manifeste du mécontentement.
On le fuit. Il ne sait guère que réprimander, et
moi qui voudrais comprendre ! En outre, je man-
80 LE TROMBA
que de temps. Quand pourrai-je reprendre le
sujet ? »
Juin 1907. Ankaboka, Boina. — « J'ai vu les
Doany sacrés de Mahabo, les dons offerts aux morts.
J'ai vu comment les sectateurs d'Andriamisara
prient à deux genoux en se frappant le front
contre terre. Surtout je viens de voir le Tromba.
Il faisait nuit depuis longtemps et j'avais perdu
le sentier ; mais des chants tristes et monotones
m'ont remis sur la voie, et j'arrive en face de la
case où se fait l'étrange concert. J'interroge un
homme : « Ce n'est rien. D*** a son démon,
« comme elle a son démon tous les mois. » J'entre
dans la case. Des quinquets fumeux éclairent
l'assemblée. Une jeune femme, à Tair souffrant,
est étendue sur une natte, tandis qu'une cin-
quantaine de ses compagnes psalmodient une mé-
lopée sauvage bien qu'harmonieuse, en s'accom-
pagnant de claquements rythmés des mains. La
malade souffre ; en apparence personne ne s'en
préoccupe, sauf pour faire brûler devant elle un
peu d'encens qui remplit la case de fumée. J'es-
saye une question ; la réponse est pour le moins
bizarre : « C'est le service. » J'en sais autant
qu'avant. Je prends sur moi de congédier tout ce
monde et je reste seul avec la malade et son
QUELQUES NOTES 81
mari. J'interroge de nouveau. La malade a son
Tromba. Quand le Tromba est là, elle tremble,
elle souffre. C'est un ancêtre qui la visite et c'est
pourquoi il faut « servir ». Cependant, cette
fois-ci, l'ancêtre est plus exigeant que d'ordi-
naire. On l'appelle aussi Zanahary. D*** souf-
fre spécialement, elle se sent épuisée. Je crois
bien: la malade a le pouls à 125, les lèvres brû-
lées, une température élevée ; elle est en plein
accès de fièvre, et c'est la fièvre dite hématuri-
que... J'essaye de donner quelques indications
qu'on se hâte d'accomplir, et je sors. Je trouve là
mon interlocuteur du début : « Tu as vu, elle
« a son démon. » Celui-là, il a dû lire l'Evangile, et
il n'en a retenu qu'une chose : « Un démon la
tourmente. » Pour moi je suis perplexe.... »
Juillet 1907. Marovoay. — « Les fêtes d' « An-
driamisara efa-dahy » ont eu lieu. J'ai été à
diverses reprises voir ce qui se passait. Dans
une petite case bien propre on a mis deux tam-
bours très longs. On les appelle Manandria.
Ils viennent de Mahabo. Tous les jours et tout
le jour, les femmes chantent leurs mélopées.
Elles ne se lassent pas. De temps en temps un
cri : « Ah ! elle est frappée du Tromba. » Alors
on voit une femme qui se lève, les yeux vagues,
"7677:
82 LE TROMBA
grimaçante ; elle se dandine sur un pied, puis
sur l'autre, en se soutenant sur un long bâton
dont l'extrémité est munie de petites clochettes.
J'ai voulu photographier, mais ces femmes
connaissent l'appareil. Avec un à-propos éton-
nant, elles ont tourné la tête, et avec un tel
ensemble que le mouvement semblait concerté.
On parle des tambours et beaucoup de « la Clé ».
J'ai fait demander le gardien chef ; il m'a fait
des réponses entortillées. Evidemment il veut
passer pour un oracle : « On marche sur l'ordre
« des esprits, et les esprits sont dans les tambours.
« Ils commandent et on part. Les rois sakalaves
« sont de lignée divine, parce que le premier, le
« grand roi, Andriamisara, est tombé du ciel ; et
« il y est retourné sans mourir. La preuve, c'est
« qu'on ignore où est son tombeau. » Seulement
tout cela sent l'histoire apprêtée, car à Maha-
biba il y a les ongles et les cheveux du dit An-
driamisara. Alors... Le mieux, je crois, est de
penser qu'ils ne comprennent pas grand' chose
à ce qu'ils font. Ils obéissent servilement à une
tradition, sans souci de savoir le passé, ou de
donner un sens précis à leurs actes.
« Après huit jours, toute la foule est partie
dans une course insensée, toujours sur l'ordre
des esprits dans les tambours ; les esclaves,
QUELQUES NOTES 83
chargés d'éventer les tambours de crainte des
mouches, comme on évente les grands ou les
cadavres, avaient fort à faire. Ils bondissaient
d'une manière désespérée. La scène était du plus
haut comique et pourtant profondément triste. »
Septembre 1907. Au bord de la Mahavavy du
nord. — « Il était quatre heures et je m'étonnais
de voir un si grand village si complètement vide.
Pourtant, après un instant, j'entends des chants.
J'avance un peu, et j'aperçois une tente de
Tromba. Mon arrivée ne trouble personne, je
puis regarder. Toute la population est là, elle
chante et frappe des mains. Elle entoure deux
femmes pâles et souffrantes. Ces dernières, assi-
ses sur une caisse, sont habillées de rouge et por-
tent un costume d'homme. Le fait m'étonne.
Elles font face à une sorte de grand autel sur
lequel sont installées trente ou quarante bou-
teilles de Toaka — de l'hydromel — et trois
assiettes blanches, contenant de l'eau, de la terre
blanche, quelques pièces d'argent et quatre piè-
ces d'or (80 fr.). Les deux femmes sont malades
depuis longtemps. A entendre la description
de leurs malaises, à les voir, il est facile de diag-
nostiquer le paludisme chronique. Tandis que
nous les observons avec sympathie, un cri stri-
84 LE TROMBA
dent se fait entendre, un long huhulement per-
çant et tremblé ; et, rapidement, une bande de
femmes se serrent autour d'une des leurs qui,
en hurlant, soufflant, et à grands gestes, rejette
tous ses vêtements. Elle se laisse revêtir, sans
protester, de nouveaux lamba qui semblent avoir
été déposés là pour elle. On ne s'occupe pas des
malades, dont la physionomie est devenue plus
douloureuse encore. Je remarque surtout une
femme dont je ne comprends pas le rôle. Elle va,
elle vient, on lui obéit, elle se dandine sur un
long bâton orné à'ody divers et percé par le
haut. On pourrait la croire entrancée, mais j'ai
des doutes ; elle parle aux malades, leur fait
des caresses d'une familiarité excessive On
nous dit que cela doit durer très longtemps, une
partie de la nuit... Le soleil est près de se cou-
cher, il faut partir. Je note : l'autel est au nord-
est, les malades regardent vers le nord, inquiè-
tes. »
Mai 1909. Antsatramira, Boina. — « Des cris
sauvages m'ont attiré : je croyais qu'on excitait
des bœufs dans une case. Non 1 Une trentaine
d'hommes et de femmes excitaient ( « chauffaient le
travail ») deux jeunes hommes. Entrancés,
ceux-ci se dandinent devant une sorte d'autel
c:
t.
o o
— 50
60
c:
a
Os
40
QUELQUES NOTES 85
au nord-est de la case. Ils parlent par mono-
syllabes, et on leur répond sur un ton très res-
pectueux, ils ont l'air absents, hébétés. Dans des
coupes, de l'encens, emboka, est éteint. J'ar-
rête le tapage. Je saisis un des malades, sans
que l'autre cesse de se dandiner en articulant de
vagues sons. La main est moite et froide, le
pouls est faible, les traits du visage sont tirés. La
fièvre existe dans cet organisme déjà depuis
longtemps. Le malade est insensible, je le remue
sans qu'il y prenne garde. Décidé à voir la fin
de la scène, je m'assieds sur le seuil, et les hur-
lements recommencent. On claque des mains, on
tape sur des pièces de bois qui servent de tam-
bour. Les jeunes hommes continuent de se dan-
diner, les mouvements s'accusent, les specta-
teurs redoublent de zèle, les malades parlent un
peu à la façon des ivrognes. Tout d'un coup
l'un d'eux se jette en arrière, il tombe comme
une masse, mais sa chute est amortie par un
des assistants qui a l'air de l'avoir prévue. Je
me demande même s'il ne l'a pas provoquée. Peu
après, scène identique : le deuxième jeune hom-
me tombe en arrière. L'un et l'autre des malades
reviennent rapidement à un état naturel. J'évite
de faire des questions. On se disperse. On voit
que la cérémonie est, pour cette fois, finie. »
86 LE TROMBA
Juin 1909. — « Le lundi me paraît être un jour
favorable au Tromba ; et il semble que le Tromba
se contente d'une musique bien inférieure ;
car c'est sur de vieux bidons de pétrole qu'on
frappait ce matin. Il est vrai qu'il s'agissait
d'un Tromba à l'usage de pauvres gens. De-
vant un autel sommaire, une assiette, avec de
la terre blanche et quelque menue monnaie dans
de l'eau, un morceau de miroir, quelques chif-
fons rouges, une bouteille contenant du miel.
Une misérable femme est assise, attendant la
manifestation du Zanahary. Son costume mérite
attention : elle porte sur la tête une couronne
de feuilles. A ses oreilles, à son cou, sont sus-
pendus des colliers de verroterie ; sur ses lamba
rouges sont des ornements de papier doré ; elle
a un sikina d'homme autour des reins. Pro-
fitant de ce qu'elle est encore dans son bon sens,
j'essaye de questionner la pauvre femme. Elle est
malade de la poitrine, elle s'en va; et elle a plu-
sieurs petits enfants. Elle a essayé des remèdes
des blancs, mais en vain, et ils coûtent si cher.
En parlant, elle étend ses mains décharnées, elle
arrache sa lamentable parure, efface les traces
de terre blanche sur sa figure. Elle a donc un
lolo, un Zanahary, un ancêtre, est-ce qu'elle sait ?
Elle n'était pas malade autrefois, le cas est donc
QUELQUES NOTES 87
clair ! J'essaye d'obtenir quelques explications :
Pourquoi cette eau, cette terre ? Pourquoi le
déguisement ? Pourquoi le bruit ? Au fond elle
ne sait rien, elle est confuse. « C'est l'habitude,
« c'est comme cela qu'il faut faire, il y a des gens
« qui guérissent. » Et fiévreusement, avec des
gestes brusques, elle démolit l'autel, elle appelle
son dernier-né, elle veut du silence mainte-
nant Je suis ému devant cette douleur, et je
vois bien qu'elle mourra bientôt, cette femme : les
phtisiques n'en ont pas pour longtemps sous ce
climat peu généreux, et elle est sans espoir »
Août 1909. Sambirano. — « A passer loin
des routes battues, on a souvent des surprises.
J'ai pu assister à un Joro-Velona. Sur la
place du village, la population est assemblée,
silencieuse, presqu'émue. Elle regarde un bœuf
qu'on vient d'écorcher, elle écoute l'intermina-
ble litanie que font deux vieillards à un autre
bovidé. L'un des deux hommes tient la queue
de l'animal, il la tient à deux mains, et il lui
adresse un discours embrouillé où tous les noms
des ancêtres trouvent place. A la fin il perd la
mémoire, il tend la queue du bœuf à son con-
frère: « Reçois-la; moi, je ne sais plus »; et l'au-
tre continue. Tandis que se passe cette scène,
88 LE TROMBA
une autre se déroule un peu plus loin. Il se fait
une bénédiction. D'une case de bois on jette de
l'eau. Au lieu de fuir, chacun se précipite en
avant. C'est, en effet, l'eau qui a servi à laver
le malade en vue de qui est fait le Joro-Ve-
lona ; elle est devenue sacrée, et en recevoir
une goutte équivaut à prendre un remède pré-
ventif. C'est un enfant qui est malade, il se
plaint de la tête, de la nuque, tous les os lui
font mal... Un Zanahary habite en lui et il faut
obtenir qu'il sorte
J'ai fait une visite à Ts***, le
roitelet de la région. Il venait d'arriver, et je me
suis trouvé chez lui en même temps que les fem-
mes et tout le peuple qui venaient le saluer. Une
chose me frappe : la similitude complète
qu'il y a entre la cérémonie du Tromba et celle
de la salutation. C'est même si frappant qu'on
pourrait prendre l'une pour l'autre: même genre
de chants, mêmes claquements de mains, on brûle
de l'encens, on fait des génuflexions, on vient
même appuyer le front sur les pieds du roi, en
adressant des prières et des louanges, car il siège
sur une sorte de lit d'honneur ; même cette der-
nière coutume est mise en pratique dans les cas
de Tromba. Ici Ts*** remplace le malade ! Signi-
ficatif ! »
QUELQUES NOTES 89
Août 1909. Ampasimena. — « ...Dans la cour
de la maison royale de B*** sont assemblés des
hommes, des femmes. Déjà cela dure depuis
deux jours, personne ne semble fatigué de chan-
ter ; on se relaie. Il s'agit d'obtenir du Zanahary
une manifestation en faveur d'une jeune femme
qui est désespérée de ne pas avoir d'enfant. Elle
est assise en face de l'autel, vraie statue de la
douleur et du découragement. Sa patience sem-
ble sans borne. De temps en temps, un huhule-
ment dit qu'un esprit secondaire passe. On s'at-
tend à quelque chose ; car les lamba de rechange
sont là. Je remarque que la maîtresse des céré-
monies est la même que celle que j'ai vue au
bord de la Mahavavy : elle se dandine sur son
bâton en soupirant et en marmottant des choses
incompréhensibles. Elle compte l'argent dans
l'assiette, elle met du blanc sur le nez de quel-
ques personnes. C'est une professionnelle
L'esprit ne s'est pas manifesté et la jeune femme
n'aura pas d'enfant... On me dit que B*** a un
Tromba mensuel ! Serait-ce le signe distinctif
des princesses ? »
Septembre 1909. Ankingabe. — « ...Je n'y
suis pas allé. J'en éprouve trop de tristesse, mais
évidemment c'était une fête. Les toilettes les
90 LE TROMBA
plus riches ont été étalées, tandis qu'on se cou-
vrait de bijoux. C'était un rutilement de soie et
d'or. Cela a duré trois jours et doit recommencer
la semaine prochaine... C'est un grand Zanahary,
paraît-il... »
Janvier 1910. Marovoay. — « C'est bien en
vain qu'on voudrait défendre le Tromba. Le dé-
fendre du reste est une erreur. Je viens de le
voir en ville dans une grande cérémonie. Je suis
arrivé alors qu'une foule entourait un possédé.
Il se balançait en faisant des grimaces avec
son nez et sa bouche et en soufflant curieuse-
ment. On aurait pu croire un chat en colère. Evi-
demment, à le regarder, on éprouve une certaine
gêne. Il est soutenu par un individu qui obéit
à tous ses gestes. Tout d'un coup le possédé
en veut à ma personne. Il s'avance sur moi et
s'étonne de ne me voir pas plus remuer que s'il
n'était pas là. Il sort de la case ; j'en profite
pour y entrer. On en a fait un doany en deux
parties. Auprès de la toile qui simule une tente,
il y a une chaise dont je m'empare, cela pour
la plus grande stupeur du public ; c'est la chaise
de l'esprit qui se promène autour de la case.
Celui-ci rentre et vient me souffler dans la fi-
gure. Il veut sa chaise sans doute, mais cette
QUELQUES NOTES 91
fois-ci j'entends la garder ; du reste je n'ai pas
encore ouï dire que les esprits s'asseoient. Je
prends la main de mon homme, elle est moite
et fraîche, le pouls est normal, les yeux à peine
vagues quoique le regard soit fixe. J'entreprends
de faire asseoir le possédé sur la natte. J'or-
donne : Assieds-toi ! il se trémousse un peu. Je
répète l'injonction sans autre résultat que de
voir souffler le chat. Alors, sur un ton qui n'ad-
met plus de réplique : « Assieds-toi ! » Do-
cilement le possédé obéit, il reprend un air natu-
rel, il se frotte les yeux avec force. Après quel-
ques explications, je me retire... Dans la rue le
possédé me rejoint et me fait observer que j'ai
des vêtements européens ce qui offense Andria-
misara »
Avril 1910. — « Il y a un petit Tromba domes-
tique. Je suis entré chez Ra*** et j'ai été bien
surpris de trouver la famille en train de « ser-
« vir ». Le Tromba, cette fois, s'était emparé de
la femme, et elle avait dressé l'autel, une minia-
ture d'autel ; du miel dans une bouteille, l'as-
siette avec la terre et l'argent étaient là, etRa***
était assise regardant fixement dans le miroir
rayé de blanc. Elle est certainement aussi sur-
prise que moi ; elle ne s'attendait pas à me voir.
92 LE TROMBA
Elle s'excuse, elle est malade de la fièvre, les
remèdes des Vazaha n'y ont rien fait, alors,
« comme on sait bien qu'il faut suivre la relU
« gion des gens du pays où Von habite », elle s'est
mise à servir — et sa famille à boire suivant l'ha-
bitude. — Ra*** est hova et le Tromba l'a prise
comme tant de ses compatriotes. J'essaie quel-
ques explications ; mais on a déjà beaucoup bu
dans l'après-midi et les hommes n'ont plus toute
leur raison. Donc je me retire, pour être bientôt
suivi par la femme qui me couvre d'injures au
nom du Tromba : Je veux donc la faire mourir
que je trouble ainsi le Zanahary ? Elle va souf-
frir plus que jamais et c'est moi qui suis res-
ponsable Tromba et alcoolisme sont deux
choses qui me paraissent se rencontrer assez sou-
vent. »
Juillet 1910. Madirovalo. — « ...En face de
chez moi, il y a circoncision, et les événements
promettent d'être corsés. On a introduit dans
la case une provision d'alcool suffisante pour
enivrer une bonne partie de la population. Dans
les coins on parle bas ; il y aura invocation des
•ancêtres, Tromba. C'est samedi, on a déjà bu
passablement; mais c'est surtout dans la nuit de
dimanche que doivent se manifester les esprits.
MAHABIBA : Dans l'intérieur du Vala-Mena
LES FEMMES A L INTÉRIEUR DU VALA-MENA SERVENT
L'individu debout est un a fondu » (il fut même gouverneur)
On aperçoit un des bœufs sacrifiés
QUELQUES NOTES 93
La journée du dimanche est passée à monter
une case pour les invités, on boit, on rit ; déjà des
femmes chantent, claquent des mains ; on essaie
de faire danser des enfants. Une femme s'en
mêle. On pourrait croire qu'il s'agit d'un simple
jeu, elle est un peu confuse. En réalité il s'agit
d'essayer le tempérament, de provoquer la crise
dans laquelle l'esprit, les esprits se manifesteront.
Tour à tour on chante hova et sakalave ; mais,
dans cette case, il n'y a pas un Sakalave, pas un
Makoa, pas un ! La nuit passe. A deux heures
du matin, scandale. On se bat, sans du reste que
s'interrompent les chants et les femmes entran-
cées. Je sépare les combattants, poignant specta-
cle sous la lueur rouge d'une torche d'herbe.
Les femmes, toutes occupées à leur affaire, ne
semblent pas voir que les hommes sont ivres.
On sort en cortège pour aller chercher l'eau né-
cessaire à la cérémonie qui doit avoir lieu au
lever du soleil. Un sorcier, plusieurs hommes
excitent les femmes qui, certes, n'ont plus be-
soin de cela ; elles sont plusieurs déjà qui ges-
ticulent étrangement, tandis que les hommes
invoquent les ancêtres qui parlent par elles. Au-
tour de la case, c'est un vrai sabbat, une sara-
bande affolante, une ronde d'insensés en fureur
qui frappent à tour de bras sur les murs de la
94 LE TROMBA
case, à l'intérieur ; c'est dix, quinze, vingt fem-
mes qui sont prises par le délire ; il ne reste pres-
que plus personne pour chanter, les hommes
hurlent ; les femmes, presqu'entièrement dévê-
tues, bondissent d'une manière invraisemblable,
se bousculant les unes les autres, les bras en
l'air, poussant des cris qui n'ont plus de nom.
Elles ont complètement perdu tout contrôle sur
elles-mêmes, et cette folie dure jusqu'au lever du
soleil et pendant l'opération de la circoncision (1).
Inutile de vouloir les arrêter, elles sont dominées
par leurs nerfs et déployent une force extraordi-
naire. Il y a là des femmes que j'ai vues saines
de raison ; elles ne me reconnaissent plus, elles
sont toutes à leur étrange exercice, les esprits
des ancêtres se sont emparés d'elles. La conta-
gion est un fait ; il y a des femmes là qui au-
raient voulu échapper et elles ont dû se joindn
à leurs compagnes.
« Un fait m'a frappé dans ce cas, comme dans
plusieurs autres. A un moment donné, que rien
ne fait prévoir, la scène cesse brusquement,
sans transition ; et ces femmes qui, il y a un ins-
tant, avaient tout oublié, redeviennent modestes
(1) J'ai su depuis que l'opération faite dans ces conditions
a eu de déplorables suites ; l'un des enfants a failli mourir
et restera infirme.
QUELQUES NOTES 95
d'apparence et aussi paisibles que si rien d'ex-
traordinaire ne s'était passé ; elles fuient même
en ramassant à la hâte quelque vêtement, prises
soudain d'une honte qu'on serait en droit de
trouver étrange, si on ne les croyait en effet,
lorsqu'elles obéissent au Tromba, sous une in-
fluence qu'elles ne peuvent fuir. »
Août 1910. Ambato, Boina. — « ...Le soleil
commence à mordre moins fort ; je me promène
de long en large, échangeant quelques propos
avec les passants jamais pressés. Voici venir
un milicien ! Il est bien bossu de tous les côtés !
C'est étrange pour un militaire ! Ah ! c'est que
dans ses poches, vrais sacs, sous ses bras et jus-
que dans son dos, il y a des bouteilles de « Tau-
reau (1) ». Il y a fête chez lui, dit-il sans s'arrêter !
Je le laisse passer et j'emboîte le pas. Certai-
nement il y a anguille sous roche, allons voir 1
A peine quelques minutes de marche et nous
voici auprès d'une case où l'on chante. J'y suis !
(1) Nom donné à un gros vin qui, après coupage, est vendu
aux indigènes. J'ai vu aussi vendre sous le même nom un
mélange fait avec un verre de vin par litre, une dose d'alcool
et de l'eau ayant passé sur de l'écorce de palétuvier ; le
mélange qui revenait à 0.22 par litre, était vendu 0.80 et
servait de payement, en partie du moins. Le traitant, pour
s'excuser, disait: « Ils aiment mieux cela. »
96 LE TROMBA
Il s'agit d'un cas de Tromba. J'entre. Une grosse
mégère a la prétention de me faire boire une
mixture composée d'eau, de miel et de terre blan-
che dans laquelle elle a longuement promené ses
doigts graisseux. Mon regard la cloue sur place.
Je ne désire pas parler, mais voir et entendre.
Mon silence fait que je suis vite oublié.
« Au milieu de la case est une femme habil-
lée à la façon des hommes sakalaves, elle porte
un chapeau, — un chapeau d'homme, les femmes
n'en portent jamais. Tout autour d'elle, une
troupe de chanteurs s'égosillent à qui mieux
mieux en claquant des mains. Un grand indi-
vidu presque nu excite de la voix et du geste
ceux qui sont tentés de se reposer, et le « Taureau »
est versé à grandes rasades. La grosse mégère se
promène toujours avec son bol à la main. Elle
fait boire les passants : rares sont ceux qui osent
refuser. La malade, indifférente à tout, me re-
garde d'un œil vague. En face d'elle est une
femme qui se dandine et pousse parfois des cris
sauvages en s'approchant du visage de la pa-
tiente. Elle la force à regarder dans un miroir
sur lequel on a tracé des raies blanches ; puis
elle fait quelques passes de la main droite en
tenant le miroir de la main gauche, et la malade,
vaincue, incline la tête en grimaçant, les lèvres
QUELQUES NOTES 97
tombantes. Elle dort. La femme au miroir pousse
un grand cri et chacun l'imite : l'esprit est là, il
va parler.
« La malade commence à danser sur son
séant sans le moindre souci de la pudeur; elle
tourne en frappant des pieds, elle étend les bras
en faisant de grands gestes, en accord du reste
avec les battements de mains et tout le tinta-
marre rythmé qu'on fait autour d'elle. Elle n'a
plus conscience de rien. A ce moment, de plusieurs
côtés on crie: « elle veut écrire, elle veut écrire ! » — On
lui donne un crayon — et elle fait le geste d'écrire
dans l'espace, d'une manière très lente. Les assis-
tants se mettent à invoquer le Zanahary ; ils
veulent savoir son nom, on le supplie d'abandon-
ner la malade, on le remercie de tant d'honneur.
La femme au miroir intervient de nouveau, donne à
boire à la malade l'eau de l'assiette et lui fait de
grandes raies blanches du coin des lèvres jusqu'aux
oreilles. Celle-ci se met à parler, et l'individu qui
excite les chanteurs répond ; il s'établit une sorte
de conversation entre l'esprit et les gens, par son
moyen. On demande des remèdes, des indica-
tions de jours, des nouvelles de parents, etc.
« Pendant tout ce manège, quelques femmes, au
dehors, ont préparé une tente, et elles viennent
avertir que le Bain est prêt. On cherche aussi
7
98 LE TROMBA
des lamba auxquels on a l'air de tenir spécia-
lement. D'un signe la femme au miroir dit qu'il
faut attendre. Tout d'un coup la malade gri-
mace plus douloureusement, elle pleure à gros-
ses larmes et danse toujours en frappant alter-
nativement des pieds ; elle vire sur sa caisse tan-
tôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Ses mouve-
ments deviennent brusques, elle se frappe la tête,
commence à s'arracher les cheveux. C'est une
lutte entre la femme au miroir et elle. L'émotion
est grande parmi les assistants ; plusieurs pleu-
rent. Il y a des salutations ; elles vont d'un esprit
à l'autre. Les Tromba sont là, ils agissent sur
les assistants, ils en ont fait leurs choses.
« A ce moment, n'y tenant plus, j'empoigne
par un bras l'excitateur, et je vais le placer à
quelques mètres hors de la case dans laquelle tout
d'un coup se fait un silence de plomb. On entend
les gens respirer. La malade ne se réveille pas, ses
bras tombent le long du corps, sa tête se baisse
très bas, comme si la nuque ne pouvait la porter.
Je prends le bras, il retombe. J'essaye dedever la
tête, elle retombe. J'essaye d'ouvrir l'œil, je ne
rencontre aucune résistance. La cornée est insen-
sible, le pouls est très faible, les battements des
tempes sont lents et plutôt durs ; la main est
froide et moite. La malade ne sent rien, elle
s'affaisse dans la position où on la place.
QUELQUES NOTES 99
; •
« Tandis que je me livre à cet examen, tout
autour de moi on se lamente: « Ne lui fais pas
« de mal, ne te fâche pas, c'est un ami, il parle
« malgache comme nous, sois bon, secours-nous,
« sauve-nous. » D'abord je me demande si c'est
à moi qu'on s'adresse. Mais, non ! on est age-
nouillé, on lève les mains en l'air, on se pros-
terne le front en terre. Alors c'est à la malade ?
Non, elle est insensible et n'entend rien. C'est au
lolo Zanahary que ces supplications sont adres-
sées. La femme revient à elle très lentement et
je me retire suivi du mari qui me demande de
ne pas l'accuser auprès des autorités. Il m'expli-
que en pleurant : sa femme est malade de la
fièvre, comme jamais ; rien n'a pu la guérir. C'est
le lolo du Boïna qui la fait souffrir ; alors on
fait le « Service », on en est à la deuxième céré-
monie... Je lui donne quelques conseils et lui
demande de m'amener sa femme quand elle sera
dans son bon sens
« Ils sont venus. Je n'ai presque pas re-
connu la femme dans ses vêtements hova pro-
pres et soignés. Son visage reposé est si diffé-
rent que je me demandais si c'était bien la même
personne. Elle ne se souvient de rien, elle se
plaint seulement d'avoir mal à la racine des che-
veux. On comprend cela, et le contraire éton-
100 LE TROMBA
nerait. Hier elle aurait mangé du verre pilé, bu
du vinaigre chaud, avalé des aiguilles sans s'en
rendre compte. Ce dont elle souffre, c'est d'un
état palustre qui remonte à plusieurs mois ; il
lui faut de la quinine, une nourriture appro-
priée »
Octobre 1910. Antalia. — « ...Il est bien petit,
le village, mais on y trouve un homme ayant
des relations avec les esprits. Dans sa case, juste
sous le toit, est suspendue une claie sur laquelle
est rangé en bon ordre tout ce qui est néces-
saire à l'évocation. Il s'explique volontiers ; mais,
s'il connaît les manières de procéder, il ignore
les raisons ou les origines des pratiques. Il vient
de descendre la claie, il a dressé l'autel minus-
cule. « Pourquoi cela ?» — « Je demande. »
— « Tu demandes quoi ?» — « Je demande
« parce que mon enfant est malade. » Il met
de l'encens dans deux coupes, de la terre blan-
che dans une assiette blanche, de l'argent, des
pois (poas) d'or et d'argent. — « Mais pour-
quoi cela? » — « Je demande! » Et tandis
que l'encens brûle, il élève les deux mains vers
l'est en murmurant une formule qu'il ne veut
pas répéter. Il prend un peu de blanc sur son
doigt et il trace une longue ligne sur la tête de
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QUELQUES NOTES 101
son fils, depuis l'extrémité du nez jusqu'à l'oc-
ciput. Toute la famille y passe ; un voisin peut
se faire oindre le sommet de la tête et le des-
sous des oreilles. Encore une invocation mur-
murée, il semble que seul l'homme prie, les
autres n'écoutent même pas. On boit l'eau de
l'assiette, chacun en a une gorgée; puis tout l'at-
tirail est placé dans un linge blanc remis sur la
claie, elle-même recouverte d'un morceau d'étoffe
blanche. « Alors c'est fini ? » — « Oui, j'ai de-
ce mandé. » — « Oui, et après ? » — « Après, on
« verra ; peut-être le Mo sera-t-il content, car on
« lui a donné de l'argent ! » — « Ah ! » J'exa-
mine le garçonnet, il a une fièvre violente, des
maux de tête. On accuse un Zanahary de vivre
en lui, et c'est la fièvre paludéenne. Tout ce qui
est bon, tout ce qui est mauvais, on l'attribue aux
esprits »
Fin octobre 1910. Miadana. — « ...J'ai vu deux
mendiantes, bien intéressantes l'une et l'autre.
Esclaves toutes les deux, leurs sorts sont cepen-
dant fort différents, quoiqu'aussi peu enviables
que possible. La première : « Sans parents, sans
« amis, sans enfants. Je n'ai plus la force de tra-
ce vailler, et pour comble je suis aveugle. Je n'ai
« rien, absolument rien, pas même un Zanahary. »
102 LE TROMBA
Et c'est cela surtout qu'elle regrette; car, avec
un Zanahary, elle pourrait vivre, on la crain-
drait, ou on la soignerait pour recevoir quelque
chose du Mo : Triste destinée, « n'avoir pas
même un Zanahary ! »
« La deuxième parle avec une certaine no-
blesse, et, malgré ses infirmités, son maintien
a quelque chose de digne. Elle aussi est sans
personne ; mais, avec une vraie fierté, elle dit :
« J'ai un Zanahary »; et elle montre son front,
sa nuque (la fièvre), ses jambes ankylosées qui ne
veulent plus la porter (rhumatisme). « Comment
« sais-tu que tu as un Zahanary ? » — « Il remue
« en moi », et elle montre sa tête, sa poitrine. Je
veux tâter le pouls. La pauvre vieille est alors
secouée par de grands frissons qui passent sur
tout son corps décharné : C'est le Zanahary qui
proteste. « Et qu'est-ce qu'il veut, ton Zana-
« hary ? » — « Il veut de l'argent, le service, alors
« il sortira et je serai guérie. » Hélas ! »
CHAPITRE VI
LE TROMBA
MALADIES — AGENTS — PRÉPARATIFS
Le mot Tromba n'a pas un sens unique. Il
représente souvent tout l'ensemble des cérémo-
nies auxquelles donnent lieu les visites des ancê-
tres. D'autres fois il désigne seulement le malade
dans lequel les esprits ont élu domicile ; mais
alors c'est par extension ; car il est bien entendu
que ce sont les esprits seuls qui sont les Tromba.
Enfin les maladies, certaines maladies, sont appe-
lées Tromba, comme étant causées par les lolo
ou le Zanahary.
En effet, il faut un état physique spécial pour
qu'éclatent les divers phénomènes, preuves de la
présence du dieu. Aussi est-ce surtout ceux qui
font une longue maladie, ou qui, à la suite d'une
104 LE TROMBA
crise subite, ont découvert leurs capacités mé-
dianimiques ou hypnotiques, qui se trouvent
en possession de Tromba. Ils ne se rendent, du
reste, aucunement compte de la succession des
phénomènes dont ils sont les jouets, et ils agis-
sent dans la plus complète inconscience, « frap-
pés par le Zanahary », et pour obéir aux coutu-
mes qu'ils suivent avec la plus grande supersti- !
tion.
Les objets choisis de préférence comme dignes
des attentions du Tromba sont les gens impalu-
dés, sujets à de fréquents accès de fièvre, ou qui
en sont à la phase de cachexie où tous les mem-
bres font mal et où même parfois on éprouve une
certaine difficulté à marcher. Une chaleur intense
s'empare du malade ; il a, dit-on, « la fièvre dans
les os »; ou encore: « les chiens lui mangent les
muscles ». Il lui semble parfois qu'on lui déchire
les chairs. Peu à peu il s'affaiblit, alors que son
cerveau, au contraire, est en proie à une grande
agitation. Ses pensées ont une rapidité extraor-
dinaire, et sa lucidité l'étonné lui-même. C'est le
commencement du délire. Le malade s'en rend
compte au début, mais il est incapable de maî-
triser ses mouvements ou sa pensée. Le Tromba
s'est établi là à demeure. Comme le fiévreux a
des alternances de repos ou d'insensibilité et d'agi-
MALADIES AGENTS PRÉPARATIFS 105
tation, on dit : « Le Tromba est couché », ou
« le Tromba veut sortir, agir, il demande qu'on
le serve. » Les gens pris par les rhumatismes, par
une bronchite chronique, l'asthme ou des symp-
tômes de tuberculose pulmonaire ou autre, sont
aussi « frappés par les esprits ». L'érysipèle,
dont la marche paraît si étrange aux indigènes,
est une autre façon du Tromba de se manifester.
Qu'un état fâcheux de santé empêche quel-
qu'un de trouver le sommeil nécessaire pour
reprendre des forces, ou en fasse la proie de
cauchemars plus ou moins effrayants, il est cer-
tainement la demeure des ancêtres. Le rêve
joue ici un rôle considérable (1) ; mais il faut qu'il
(1) Le rêve d'ailleurs apparaît dans presque toutes les
manifestations religieuses. 11 est tour à tour punition ou
récompense... Les chrétiens malgaches eux-mêmes lui don-
nent une grande importance. Ceci nous a forcé à examiner
la question du rêve en elle-même et à chercher à l'expliquer.
Cela devenait important, soit à cause de la fréquence des
occasions où il fallait parler, soit à cause de cette sorte de
loi antithétique qui conduit tantôt une âme pure à faire des
rêves où l'odieux le dispute à l'absurde, et tantôt un parfait
gredin à voir les cieux ouverts et les anges servant Dieu dans
la Gloire. Le rêve est un saut du subconscient dans le cons-
cient ou par dessus le conscient. La volonté, à l'état de veille,,
repousse une pensée ; celle-ci revient brusquement au mo-
ment où la volonté ne peut plus exercer sa tension, comme un
ressort reprend sa position dès que ce qui le maintient cesse
de le retenir. Vous repoussez les idées impures, mauvaises ;,
elles reprennent une place à l'heure où vous ne pouvez plus
leur opposer la résistance de la volonté. La couche inférieure
106 LE TROMBA
ait une certaine coordination. Si le malade a vu
la mer, un bateau, le peuple réuni comme pour
une fête, les chefs, il n'y a plus à douter : le Trom-
ba est là. Il est facile de voir dès maintenant
quelle part importante la suggestion a dans
toute cette affaire. On se souvient qu'Andria-
misara ou ses prédécesseurs sont arrivés par la
mer, ils sont venus à bord de grands voiliers, le
peuple a été subjugué, et ils ont pris en main la
direction de la tribu. Un cerveau victime déjà
d'une imagination dévergondée, encouragé par
les conversations journalières, les récits abra-
cadabrants, surexcité par de longues insomnies,
et toujours prêt, même quand il n'est pas sous
l'influence de la fièvre, à traiter de divin tout ce
qui est anormal, est préparé à faire du cauche-
mar la preuve ultime de la visite des esprits. Le
malade croit qu'il personnifie un ancêtre, qu'il
revit le passé. Il se dépersonnalise.
qui se forme en dehors de notre propre désir se superpose à
celle que nous avons voulu constituer. Plusieurs phénomènes
religieux, inattendus, peuvent s'expliquer ainsi, sans du reste
qu'on puisse en faire une règle ; l'hypothèse, ici, paraît îé-
pondre à la réalité des faits et s'applique avec la même appa-
rence de justesse aussi bien aux rêves mauvais qu'aux rêves
bons, lesquels sont une cause fréquente de la conversion
chez les noirs !
Reste à examiner la différence qu'il peut y avoir entre la
vision et le rêve.
MALADIES AGENTS PRÉPARATIFS 107
Il faut noter cependant que très souvent ce
n'est pas le malade qui pense avoir un ou plu-
sieurs Tromba (il est évidemment question de
ceux qui sont pris pour la première fois). C'est
la famille éplorée qui cherche un moyen de le
soulager ou qui veut une explication. Elle lui
suggère alors qu'il a peut-être un Tromba. Le
malade n'est pas toujours facile à convaincre. Il
a vu des scènes qui ont fait impression sur lui.
Il a vu les patients pleurer, gémir, crier ; et cette
situation ne lui paraît pas enviable. Mais, dans
la presque totalité des cas, il finit par céder et il
se rend, accompagné des siens, chez un mpisikidy
plus ou moins renommé. Ce dernier, après avoir
consulté ses graines et interrogé le malade, déclare
si, oui ou non, il y a lieu de se livrer aux exor-
cismes. En ce cas, il désigne l'individu auquel il
convient de s'adresser.
Ici il faut faire connaissance avec les agents
du Tromba.
Le premier et le plus important, c'est le Fondy,
c'est-à-dire l'individu qui possède un Tromba de
première force ou esprit guérisseur. Mais le fondy
ce n'est pas lui à proprement parler, c'est
l'esprit, la force qui est en lui. Le nom qui lui
revient en fait, c'est Fiketrahana, vieux mot
malgache qui veut dire : siège. Il est le siège du
108 LE TROMBA
fondy — et fondy se trouve être un mot Kisoa-
heli qui se traduit par « charpentier », « fa-
ce bricant ». Les Malgaches de la côte lui donnent
le sens de créateur. Le fondy ou fiketrahana, véri-
table hypnotiseur (homme ou femme, peu im-
porte) est toujours accompagné d'un Mpamoaka
(qui fait sortir) ou Mpitam-baravarana (qui fait
passer la porte). Ce dernier doit, invariablement,
faire partie de la famille du fondy et être en
relations particulièrement intimes avec lui. La
plupart du temps, c'est le mari ou la fe*nme. Ce
mpamoaka est un interprète, c'est grâce à lui
que les assistants pourront comprendre ce qui
se passe entre le fondy et le malade ou bien
entre l'esprit ou les esprits qui ont pris posses-
sion de lui et ceux des assistants, la présence d'un
esprit attirant d'autres esprits.
Le fondy est appelé guérisseur ou Moasy parce
qu'entrancé lui-même il dit alors les remèdes
dont il faut se servir, les maladies (noms des
rois) dont il est question. La puissance plus ou
moins réelle de Vody indiqué s'ajoute à sa puis-
sance intrinsèque, et le malade avec lequel il est
en communication est d'autant plus facilement
guéri, sans, du reste, que ce dernier puisse espé-
rer — ce que peut-être il ne voudrait pas — être
séparé à jamais de son Tromba. On donne aux
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MALADIES AGENTS PRÉPARATIFS 109
fondy le qualificatif de grands, quand ils ont plus
de douze Tromba, et le nombre des Tromba peut aller
jusqu'à 16. On ne voit d'ailleurs pas pourquoi
le chiffre s'arrête là. Tout aussi bien les esprits
pourraient être légion, les manifestations se-
raient semblables. Nous connaissons plusieurs de
ces fondy et mpamoaka ; ce sont des hommes et
des femmes jouissant en apparence d'une bonne
santé (1) ; ils ont des traits intelligents, mais qui
indiquent une forte volonté. Ils ont l'habitude du
commandement, une véritable audace. Ils se
sont découvert une puissance qu'ils ne s'expli-
quent pas, mais dont ils usent. Ils se considè-
rent comme des élus. Leur rôle est d'autant plus
facile qu'on accepte par avance de se soumet-
tre à eux. Ils sont les objets d'une véritable véné-
ration. Le simple énoncé de leur nom cause sou-
vent une explosion de sentiments admiratifs.
C'est au milieu de tout un appareil que le
fondy agit.
Dans la partie nord-est d'une pièce, — parfois
on fait une case tout exprès (et cela explique
les tentes qu'on place dans le lieu désigné par
(1) Il y a là une différence avec leurs « clients » qui, eux,
sont généralement des malades.
110 LE TROMBA
l'esprit) — on met un siège : une caisse générale-
ment qui doit servir au malade. On la décore ou
tout au moins on la recouvre d'un tapis : c'est le
trône royal. En face du trône se monte un autel
sur lequel on place l'assiette contenant l'eau, le
miel, la terre blanche, des racines de nénuphar,
et de l'argent ou de l'or, offrande aux esprits.
On met là aussi une glace, au cas où le Tromba
serait une reine, un chapeau au cas où ce serait
un homme. Ici, déjà, nous voyons l'inconsé-
quence des agents du Tromba ou du malade : la
glace servira toujours, qu'il s'agisse d'un homme
ou d'une femme, elle est un des ustensiles les
plus utiles au fondy, et il ne s'en sépare guère ;
il en a besoin quand il fait ses passes et pousse
ses cris. L'eau contenue dans l'assiette prend un
goût doux grâce au miel, amer à cause des ra-
cines de nénuphar ; elle est âpre au palais à cause
de la terre blanche. Elle est sacrée, et c'est une
boisson prise avec avidité par le malade ou les
assistants. On s'en sert aussi pour faire des as-
persions. Le mélange, dit-on, est capable de
réchauffer : il est « fanala manintsy » (qui enlève
le froid). La fièvre, en effet, commence par un
accès algide, et généralement les malades en sont
à ce stade de l'accès au début de la cérémonie.
L'eau elle-même doit être puisée dans des en-
MALADIES AGENTS PRÉPARATIFS 111
droits spéciaux et à l'heure où aucun quadru-
pède ou oiseau n'a pu la troubler. Il la faut par-
faitement pure.
Quant à la terre blanche, qui sert à marquer
le visage des assistants ou leur corps, les bou-
teilles et tout ce qui est employé pour la céré-
monie, il est difficile d'y voir autre chose qu'une
de ces coïncidences aimées par les Malgaches et
recherchées par les sorciers. La terre blanche est
appelée ravoravo, « joie », « contentement » ;
ceux qui sont oints sont « ravoravoina », c'est-à-
dire « mis en état d'être joyeux, contents ». On
dit bien parfois qu'il y a là une idée de purifica-
tion ; mais il ne s'agit que des fady transgressés,
et par conséquent la valeur qu'on pourrait attri-
buer au symbole s'en trouve beaucoup diminuée.
Une petite coupe, parfois plusieurs petites
coupes de terre, contenant de Vemboka ou encens
malgache, brûleront devant le malade. On aura
soin de l'entourer le plus possible de fumée ; et
plus cette fumée s'élèvera en spirales larges et
compactes, plus sûrement l'effet attendu se pro-
duira. C'est un signe d'adoration et de prière;
et c'est aussi, pour l'esprit, un moyen de fuir
dans les airs. C'est encore un expédient pour agir
sur le malade qui, peu à peu, perd conscience
dans cette atmosphère lourde et violemment par-
fumée.
%
112 LE TROMBA
De chaque côté de l'autel sont des bouteilles
de miel (c'est-à-dire d'hydromel), ou d'alcool, ou
de gros vin appelé « Taureau ». Cela dépend
des endroits. Les bouteilles, marquées avec la
terre blanche, sont au nombre de deux fois sept,
manière de dire 14 dans le Tromba dont l'arith-
métique offre quelques singularités. Toute cette
boisson est destinée à réchauffer le zèle des chan-
teurs, à réparer leurs forces. Et puis c'est une
fête de recevoir la visite royale; d'où nécessité
urgente, de se livrer à d'abondantes libations
dont l'effet se fera sentir sûrement, les esprits
agissant avec plus de liberté dans une assem-
blée que les fumées de l'alcool ont rendue plus
sensible.
Dans un endroit réservé on met quelques
lamba. Ils sont destinés au malade (homme ou
femme), lorsqu'il sera entré en trance et qu'on
saura à quel genre d'ancêtre on aura à faire.
Ce pourra être un roi, une reine, ou même un
esclave, son envoyé; il sera ho va ou sakalave.
Mais une fois que le malade aura endossé ces
vêtements-là, après avoir brusquement rejeté les
siens, ils seront conservés, mais pour n'être
jamais portés, sauf au jour où le Tromba se mani-
festera de nouveau. Ces lamba sont semblables
à ceux des rois d'autrefois : une chemise rouge,
DOANY DE MAHABO
Case de tôle dans le Doany de Mahabo.
Tombeau d'un guerrier . Andriamaha-
tendriarivo, de son vrai nom Itoko,
fils d'Andrianamboniarivo .
La colonne de soutènement est une des
rares manifestations artistiques des
Sakalaves. On en retrouve de pareil-
les dans les autres Doany. Très dif-
ficile à obtenir parce qu'il est fady
de photographier.
Un essai d'explication de la colonne sculptée donne le
récit suivant (en commençant par en haut, après les pre-
miers dessins) : un crocodile s'est emparé d'une femme
(ou un esprit sous la forme d'un crocodile) — le mari
éploré fait un sacrifice (ou implore un bœuf) le mari et
la femme réunis à nouveau se réjouissent. La lance repré-
sente l'arme préférée des Sakalaves ; l'individu à côté
esquisse un mouvement du Tromba.
(Dessin fait par un indigène)
MALADIES — AGENTS PRÉPARATIFS 113
ou bien un lamba à grandes franges ou ayant
encore une large bande de soie. Il s'agit de toute
une garde-robe de demi-sauvage dont la com-
position est fort hétéroclite. Un homme s'ha-
bille en femme et vice versa ; cela dépend du
Tromba. On voit des gens fort prévoyants ;
ils apportent leurs lamba royaux. Par avance ils
prennent leurs précautions. Ils sont prêts à rece-
voir la visite.
Un dernier instrument doit retenir l'attention.
C'est la canne sur laquelle s'appuient, à tour de
rôle, le fondy, le mpamoaka et le malade. Elle
est longue, à la façon des bâtons de montagne,
parfois ornée de sculptures (des arabesques, un
serpent, un caïman, un bœuf). Le haut se trouve
creusé sur une profondeur de quelques centi-
mètres où contient une petite boîte d'argent dans
laquelle on a mis des ody, des feuilles diverses,
des petites pierres, du miel, de la graisse, toute
une série de petites malpropretés dites sacrées,
qui sont le secours de ceux qui s'appuyent sur
le bâton. On pourrait voir en lui une sorte de
sceptre ; mais il est vrai aussi que le Sakalave
n'aime pas marcher sans canne. Elle lui rappelle
sans doute sa lance dont on l'a forcé de se sépa-
rer. Autre particularité : le bâton est quelque-
fois muni de clochettes qui sont censées tinter
8
114 LE TROMBA
*en dehors de la volonté de celui qui le tient, et
qui s'agitent vivement quand la trance vient ou
que le fondy gesticule en criant près de la figure
du malade. Celui-ci à son tour sursaute, ce qu'on
aie saurait trouver étonnant.
Le bruit, — un grand bruit dans certains cas,
imais toujours rythmé, régularisant les divers
«mouvements du malade, soit qu'il danse sur son
séant, soit qu'il frappe du pied, se dandine, ou
marche autour de la case, — est de rigueur.
domine les claquements de mains, fort divers, ne
■sauraient suffire, on prend des tambours, et cela
achève de donner à la cérémonie un air de récep-
tion à la cour d'un roi nègre. A l'occasion, od
aura d'autres instruments de musique, tels qui
violon ou accordéon, sur lesquels, pendant des
heures et parfois des jours, on jouera toujours
les quelques mêmes et rares notes. On se con-
tentera au besoin de vieilles boîtes de farine, ou
de bidons de pétrole. Une simple feuille de fer-
blanc, arrachée à quelque caisse, peut faire l'af-
faire. L'essentiel semble être d'étourdir le malade
Enfin on a soin de préparer un bain qui pourn
être exigé par l'hôte royal ; c'est la suprêmi
preuve de vénération qu'on puisse lui donner
Dès lors il n'y a plus qu'à attendre, — dan;
un demi-jour si possible — ; et le plus souven
MALADIES AGENTS PRÉPARATIFS 115
les séances débutent de manière à pouvoir se
poursuivre dans la nuit. Les chants commencent.
Le malade fait son entrée, et, immédiatement, le
fondy se met devant lui, tandis que le mpamoaka
excite à grands gestes l'ardeur des assistants.
CHAPITRE VII
LE TROMBA
LES ^QUATRE GRANDS STADES
Si les cérémonies du Tromba sont monotones,
allés n'en sont pas moins nombreuses ; et, seul,
un peuple pour qui le temps ne compte pas peut
j'en accommoder. Non seulement chacune des
séances est longue, mais elles se renouvellent plu-
sieurs fois à des époques plus ou moins rappro-
chées, jusqu'à ce que le résultat attendu se soit
produit ; et chaque série de séances prend un
caractère spécial. En outre des réunions prépa-
ratoires, il y a quatre grandes cérémonies : le
Misafosafo : on caresse le Tromba, on l'allèche,
on l'engage à venir ; — le Vakim-bava : le Tromba
signale sa présence ; — Y Anpitononina : on fait
parler le Tromba, on l'invoque pour tous les
118 LE TROMBA
objets possibles ; — enfin le Valy-hataka ou réjouis-
sance avec sacrifice de reconnaissance.
Le fiketrahana, averti de la visite d'un malade
ou d'un demandeur, se livre lui-même à une
série d'exercices qui doivent assurer le succès
de son intervention. En premier lieu il se « bai-
gne », et son ablution a un double but : d'abord
elle efface toute trace des souillures survenues
à la suite de contacts divers ; ensuite elle lui
confère un caractère spécial, il devient sacré.
Net de souillures, sacré, il a le droit d'entrer en
relations avec le ou les fondy qui sont en lui,
et il leur adresse des invocations en leur expli-
quant les raisons pour lesquelles il fait appel à
leur puissance. En réalité, par auto-suggestion,
il se met plus ou moins en état d'hypnose ; cela
explique la nécessité d'un mpamoa-varavarana
qui, naturellement, doit faire partie de la famille
et vivre auprès de lui pour apprendre et inter-
préter son langage.
C'est alors qu'on introduit pour la première
fois le malade auprès de lui, mais en grand secret,
car il s'agit de déterminer d'une manière sûre
si le malade est victime d'un Tromba ou non.
Quelques personnes, des intimes, sont là. Elles
chantent, frappent des mains, ce qui est obliga-
toire durant toutes les cérémonies ; et le malade
LES QUATRE GRANDS STADES 119
est en face du guérisseur (fiketrahana ; fondy
\moasy, les Européens disent assez improprement
(sorcier). Ce dernier a deux méthodes de travail ;
Icar, on l'a compris, ce qu'il a besoin de savoir,
c'est s'il est en face d'un sujet sur lequel il exerce
quelque action ou non. Il peut, au milieu du
bruit rythmé, par le moyen des passes, de la.
glace, obtenir un sommeil plus ou moins profond,,
pendant lequel se manifestent des tremblements.
Le mpamoa-varavarana déclare alors que la
réussite est certaine et le fondy fixe le jour d'une
séance publique.
Cette première méthode échoue-t-elle, ils en
essaient une autre. Le malade est mis sous une
sorte de grand drap, et, sous ce drap, on brûle
dans une petite coupe le fameux « emboka »
et quelques herbes odorantes ; et tout le temps
que dure cette fumigation, les parents s'agi-
tent, chantent leurs invocations. Après un
certain temps, si l'opération a réussi, le malade
est rendu à l'air libre ; il n'a plus conscience de:
lui, il grimace et pleure en ayant des mouvements
des épaules, des bras et des jambes, qui suivent
le rythme des claquements de mains. C'est par ce
moyen-là que le « mpamoa » agira en public. Si
le malade est réfractaire, — et le cas est fré-
quent, — on dit simplement : « Il n'y a pas de
Tromba. »
120 LE TROMBA
La première séance publique ne semble avoir
qu'un but : prouver aux assistants que le malade
a un Tromba. Réunis dans une case, ils l'accueil-
lent de la façon dont ils accueilleraient un visi-
teur royal, et ils montrent la plus grande patience
en attendant la manifestation. Ils chantent sans
se lasser et frappent des mains avec un véritable
art ; et déjà on fait circuler les bols de Toaka
ou de « taureau ». Le fondy fait une longue
invocation dans le bruit, il prie les ancêtres, il
les nomme tous ; il leur parle du malade, et
lui-même semble en proie à une crise. De son
côté, le malade tremble, et le bruit augmente
autour de lui. Les tremblements redoublent ; le
fondy reconnaît un parent : « C'est lui, c'est
bien lui », et au milieu d'un grand tapage joyeux,
on se sépare. Il y a lieu, en effet, de se réjouir.
Le fondy indique le jour de la prochaine réu-
nion, car il convient d'éviter les jours néfastes ;
mais pour les fiévreux, il est facile de voir que
le jour choisi est aussi celui de l'accès. Chacun
se retire, marqué de signes blancs que l'on con-
serve avec soin le plus longtemps possible.
La deuxième cérémonie a beaucoup plus d'ap-
parat. Elle est plus soigneusement préparée et
représente peut-être ce qu'il y a de plus spéci-
fiquement religieux dans le Tromba.
LES QUATRE GRANDS STADES 121
L'autel, pourvu de tout l'appareil déjà décrit,
est dressé à l'est ou nord-est de la case. Le siège
du malade est en face. L'assemblée regarde vers
l'est. Comme auparavant, le fondy cherche à
mettre le malade en état d'hypnose ; il s'adresse
lui-même à l'esprit qui s'est emparé du malade
et en qui il reconnaît son parent. Les assistants
chantent et frappent des mains; surtout, ils
prient ; on peut dire qu'il se fait là de vraies
prières. A deux genoux, levant les deux mains
rapprochées, la paume en haut, par-dessus leur
tête, ils s'adressent au dieu qui est supposé
cause de la maladie. Le malade a péché, ce n'est
qu'une transgression d'un fady, il faut lui par-
donner, et la preuve du pardon sera dans la fuite
du Tromba ; aussi lui demande-t-on avec ins-
tance de quitter le malade. Ce dernier, pendant
tout ce temps, pleure, gesticule, grimace de tou-
tes les façons, pousse de grands soupirs. De
temps à autre, comme pour diminuer l'intensité
de la crise qui paraît extrêmement douloureuse,
le fondy, ou son aide, verse sur la tête du pos-
sédé une partie du contenu de l'assiette blanche
et même lui en fait boire. Après cette aspersion
succède un moment d'excitation plus intense qui
fait dire aux assistants : « II est là, il est là »;
et on le prie avec plus de ferveur. A ce moment,
122 LE TROMBA
le fondy fait de nouveau boire une gorgée de
l'eau sacrée et fait une grande marque blan-
che sur le visage du patient : elle part du coin
des lèvres pour aller rejoindre le dessous du lobe
de l'oreille : c'est le vaky-vava (vaky : casser ;
vava : bouche). Par cette opération la bouche du
malade a été ouverte, car jusqu'à présent il n'a
rien pu dire. Il parle enfin : « C'est moi, je l'ai
rendu malade »; et tous les assistants de s'écrier:
« Délivre-le ! Va-t-en ! » Et on chante, et on
crie, et on fait tout le tapage possible, comme
s'il s'agissait d'effrayer l'esprit, tour à tour en-
censé et honni.
Puis ce n'est pas seulement le malade qui est
possédé. Parmi les assistants il y en a un, deux,
trois, et parfois un beaucoup plus grand nombre,
qui sont « frappés par le Tromba ». C'est une
contagion : les Tromba anciens se sont réveil-
lés à l'ouïe de la présence d'un des leurs, et il y
a des Tromba nouveaux qui se manifestent spon-
tanément.
C'est, en général, à ce moment troublé que se
passe une scène dont il est difficile de saisir la
cause, à moins de dire qu'elle est suggérée par
le fondy ou son compagnon. Le malade se met à
hurler, les cris ont un caractère différent suivant
la tribu de celui qui les pousse ; il s'agite tou-
LES QUATRE GRANDS STADES 123
jours plus violemment pendant quelques instants;
puis tout d'un coup il s'avance un peu par mouve-
ments brusques et disloqués et rejette tous ses
vêtements. Les assistants, qui prévoient l'incident,,
l'entourent vivement et le revêtent de lamba
neufs. La même scène — qui est un vrai symbole —
se renouvelle plusieurs fois ; car chaque Tromba
a son instant de crise héroïque. Les lamba de-
viennent vêtements royaux, ils sont une offrande
au dieu et lui sont consacrés. On les garde à la
maison dans un endroit réservé, — le coin fira-
razana, — celui où se font les prières.
Le malade n'est plus dès lors considéré que
sous sa nouvelle personnalité, dont on ignore encore
le nom ; lui-même semble avoir oublié son véritable
état. On le conduit au bain en grande pompe, avec
cortège, dans la tente ou cabane disposée à cet
effet. C'est un honneur pour lui, une joie pour
ses amis. A son retour, on le reçoit avec des trans-
ports d'allégresse. Revêtu des vêtements royaux,,
il se calme brusquement. Il est une nouvelle
créature ; son attitude même change. On continue
de s'adresser à lui, d'invoquer les dieux, mais
progressivement l'excitation diminue ; et, si on
n'a pas fait un trop grand usage des boissons
alcooliques, le silence est bientôt complet. On se
quitte très heureux (avec des marques exté-
124 LE TROMBA
Tieures de satisfaction) ; on est assuré de la gué-
Tison du malade. On devise sur les suites probables
de la séance et sur l'identité du Tromba qui se
nommera bientôt; la curiosité à son sujet est
très grande et la troisième cérémonie attirera
tout un public. Elle est en effet d'un haut inté-
rêt, car c'est d'elle que dépend le sort final du
malade.
Il est à remarquer que dans cette deu-
xième cérémonie le mpamoaka semble prendre
le rôle d'un grand prêtre, d'un médiateur : il
parle au nom des dieux, il prie au nom des assis-
tants, c'est sur lui que repose toute la direction
de l'assemblée, il la « chauffe » ; cette dernière
est fort docile, du reste, et prête à toutes les
fantaisies des esprits. Cela ne veut pas dire qu'une
classe de prêtres ou de sacrificateurs, distincte
du reste du peuple, se forme de cette manière. Il
est loin d'en être ainsi, car le Tromba s'empare
de n'importe qui ; et celui dont il a pris posses-
sion a besoin de son mpamoa-varavarana. Il est
donc bien question d'une sorte de sacerdoce
universel, ce qui a jeté bon nombre d'observa-
teurs superficiels dans l'erreur et leur a fait
dire : « Les Malgaches n'ont même pas de prêtres. »
U ampitononina ne diffère pas, au début, des
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LES QUATRE GRANDS STADES 125
deux précédentes cérémonies. Les dispositions
dans la case, les personnages sont les mêmes,
mais les différents acteurs et spectateurs sont
plus excités. Le malade commence lui-même à
prendre l'habitude et entre plus facilement en
trance. Ce qui distingue la troisième séance ou
la troisième série de séances, c'est que l'esprit
parle. D'abord il doit se nommer ; cela ne va
pas tout seul, car il a une manière à lui de mys-
tifier les « demandeurs » : il envoie en avant
ses serviteurs, ses esclaves, et ceux-ci se mani-
festent par quelques paroles : « Qu'est-ce que
vous voulez ?» — « Le maître est occupé. » —
« Vous le dérangez sans raison, » — ou autres paro-
les semblables, à moins qu'ils ne prétendent rem-
placer le maître lui-même. Le fondy, le mpa-
moaka et toute l'assemblée protestent violem-
ment ; ils veulent l'esprit lui-même. On injurie
les esclaves, on n'a pas besoin d'eux, ils ne
savent rien, ou bien on les envoie chercher le
maître dont les lumières sont attendues avec
impatience.
Quand les choses en restent là, c'est que tout
s'est passé simplement. Mais les esprits infé-
rieurs ont une méthode particulière de témoi-
gner de leur présence : le malade se tortille sur
son siège, il se met à rire, rire aux éclats et sans
126 LE TROMBA
arrêt ; cela fait penser au délire hilarant. Bien-
tôt le malade se déplace, va d'une personne à
l'autre. Il se produit alors une certaine confu-
sion. Il prend plus d'audace et se livre aux fa-
miliarités les plus inconvenantes. Ce malade
peut être une femme en habits d'homme ou un
homme sous un jupon ; l'un ou l'autre dans la
vie ordinaire se garderait bien de faire aucune
des actions auxquelles il se livre sans l'étrange
impulsion dont il n'est pas maître. Ces incidents
se produisent parfois à la fin des séances ; quand
le maître a passé lui-même, ses serviteurs vien-
nent comme pour accomplir leur service, d'où
agitation générale qui se termine par la bruyante
dispersion de l'assemblée. S'ils se produisent
avant, la lutte est plus ou moins longue.
Enfin l'esprit se nomme. Encore faut-il que
l'excitation ait atteint le comble et qu'il ait fait
un certain nombre de reproches au malade (c'est
bien le malade qui parle) et aux assistants : On
lui a manqué de respect, on a oublié les fady,
etc., etc. C'est Radama (le deuxième roi hova)
ou Andriamisara ou tel autre ; et immédiate-
ment l'assemblée se met dans l'attitude conve-
nable pour satisfaire l'esprit. Et celui-ci a, dans
ses sentiments, des fantaisies imprévues. Tantôt
il déteste tout ce qui est Européen : aussitôt on
LES QUATRE GRANDS STADES 127
rejette ce qui peut rappeler les blancs, d'ailleurs
en restant dans de singulières illusions à ce sujet.
Tantôt il paraît, au contraire, aimer les blancs —
c'est en général le cas pour Radama — : toute
l'assemblée cherche à se faire européenne. On
parle français même. Oh I un français d'occa-
sion : « Koman ça va ? çava bian ! » « Bon ça »;
et naturellement le genre d'assistants permet
de plus ou moins grandes envolées.
Il n'est pas douteux que, sous l'influence de
l'exaltation, il se produise des phénomènes de
glossolalie, que nous retrouverons ailleurs aussi.
Beaucoup de gens, en rapports fréquents avec les
Européens qui leur parlent un langage simplifié,
déplorable à notre avis, ou qu'ils entendent par-
ler, ne consentiraient à aucun prix à dire un mot
de français ; mais le Tromba leur délie la lan-
gue, pour de courts instants tout au moins. Des
Hova parlent sakalave ou le bizarre langage des
Zazamanga, des Sakalaves parlent hova. Pour
les uns et les autres, c'est souvent, dans le cou-
rant ordinaire des choses, une grande difficulté ;
car, s'ils s'entendent, le plus souvent ils parlent
chacun son propre idiome. Quant au Tromba, il
parle la langue de son pays d'origine, sans s'in-
quiéter de son « siège ».
Si l'esprit est soupçonné d'être anti-chrétien,
128 LE TROMBA
on se répand en imprécations contre les chré-
tiens ; si, au contraire, il s'agit de Ranavalona II,
on pourrait se croire dans un temple. Nous sa-
vons toute une assemblée où, parce qu'on avait
affaire à un esprit « prieur », on chanta le can-
tique II, le Te Deum malgache, on lut le chapi-
tre xiii de la première épitre aux Corinthiens ;
il y eut même quelqu'un pour faire une exhor-
tation et prier, prier à la façon des chrétiens. Quel
que soit le résultat, la cause est toujours la même.
L'esprit se nomme, mais n'est pas reconnu
tout de suite comme le véritable esprit résidant
dans le malade. Il faut que ses parents le recon-
naissent. Il se nomme, et il y a dans l'assemblée
une violente protestation; c'est que le Tromba X
existe déjà dans un tel, et il ne peut exister à
deux exemplaires dans le même endroit. Il y a
donc certains tâtonnements, d'autant plus que les
esprits aiment le changement, ils passent de l'un
à l'autre. Bref, l'ordre s'établit et les esprits se
sentent en famille, ils se saluent, s'interpellent.
Soudain tout ce pauvre peuple est pris de la
folie des grandeurs, il revit quelque épisode
d'une époque plus ou moins lointaine ; il ne
tarde pas, il est vrai, à revenir à la réalité.
L'esprit qui rend malade est aussi guérisseur,
il dit des remèdes ; rien du reste ne lui est in-
3
Z'
LES QUATRE GRANDS STADES 129
connu. Aussi l'interroge-t-on sur une foule de
questions. Il indique les fady à observer, les
voyages à faire, les moyens de devenir riche ; il
désigne aussi ceux qui ont jeté des sorts; et si,
quand le malade est revenu à lui, on va lui de-
mander s'il se souvient de ce qu'il a dit, tout
est oublié, et même, par avance, il a eu soin de
s'en remettre à un ami qui est chargé de lui
redire tout au sortir de la crise. Souvent son
langage est incompréhensible ; car il s'agite en
parlant, il souffle comme épuisé, même il mugit.
C'est alors que le mpamoaka sert d'interprète.
La séance se poursuit en partie double ; car,
tandis qu'à l'intérieur on se livre à des exerci-
ces fantasques, à l'extérieur on fait un sacri-
fice. Le bœuf offert est plus qu'une victime, il
■est même divinité. On ne l'a pas sans quelques
difficultés, car il doit avoir la tête, la queue, les
quatre pieds blancs, c'est déjà une bête de choix;
mais, bien plus, il faut qu'elle se laisse conduire
à la mort sans protestation; toute bête qui mu-
git ou donne des signes d'inquiétude est relâ-
chée ; elle doit consentir au sacrifice qui a tous
les caractères d'un sacrifice expiatoire. Devant
le bœuf, on fait une longue invocation à Dieu
(Andriamanitra), aux cieux, à la terre, à la mer,
aux esprits connus et inconnus; puis le bœuf
9
130 LE TROMBA
est tué. Le premier sang qui sort de la blessure
béante sert à faire une sorte d'aspersion ; on
marque tous les assistants qui le désirent, et
particulièrement le malade, sur le nez, sur le
front, à la naissance du cou ou plus complète-
ment encore. On verse aussi un peu de ce sang
dans l'assiette blanche pour le mêler à la mixture
déjà indiquée, et le tout servira à des bénédic-
tions réitérées, ou pour asperger encore le malade,
tandis que le fondy dira : « Nous éloignons les
nuages. » L'aspersion sera renouvelée toutes
les fois qu'un tremblement plus violent indi-
quera que l'esprit remue ; si quelques gouttes
s'égarent sur quelque assistant, immédiatement
il est pris de tremblements. C'est toujours la
contagion, causée par la suggestion ou l'auto-
suggestion. *
Le sacrifice accompli, la viande est distribuée
par quartiers ; on a prié le bœuf, puis il a été
offert en sacrifice de substitution; enfin on le man-
ge comme pour participer d'une manière plus
intime à la vie du Dieu qui était en lui. Toutes
ces idées ne sont certes pas exprimées d'une
manière aussi claire ; mais on les retrouve dans
les bribes d'explications qu'on peut obtenir de
temps en temps. Car, le plus souvent, c'est par
surprise qu'on peut assister aux scènes que nous
LES QUATRE GRANDS STADES 131
décrivons, et il faut inspirer une bien grande
confiance pour que les gens consentent à sortir
de quelques vagues généralités sans grand sens
et à fournir les raisons de tels gestes, telles ac-
tions, ou telles formules ; sans compter que,
neuf fois sur dix, ils suivent aveuglément un
Drogramme dont ils ne comprennent en aucune
raçon le sens profond. Ce sont des formalistes.
Après toutes ces démonstrations, le malade
doit être guéri ; s'il ne l'est pas, on recommen-
cera. La responsabilité de l'échec incombe, croit -
Dn, à quelque intrus, ou tout simplement au
malade lui-même. S'il vient à mourir, on l'accu-
sera de quelque grosse négligence dans le « ser-
vice » ; et s'il guérit, ou s'il se croit guéri, on
prépare le « Valy-hataka ».
Dans cette dernière partie des cérémonies du
« Tromba », c'est la joie, la confiance qui domi-
nent. On n'a plus besoin du fondy ou du mpa-
noaka ; le malade guéri est fondy lui-même et
i son mpamoaka. Il ne tarde pas à entrer en
;rance par persuasion, et il parle : « Le malade
3st guéri, il avait négligé les fady, maintenant
e veux des compensations. » Et l'esprit indique
les fady à observer, les sommes d'argent à lui
remettre. Puis on se met à l'interroger en lui
promettant les dons plus ou moins grands. Il
132 LE TROMBA
y a même une sorte de marchandage à propos
des fady. On peut réclamer une moins grande
sévérité et offrir un dédommagement que l'esprit
accepte ou refuse suivant son bon plaisir.
Toutes ces offrandes reviennent au malade
guéri ; mais il ne faudrait pas croire qu'il en
ait la jouissance pure et simple. Il doit les gar-
der et, si l'esprit l'a dit, s'en faire de grandes
chaînes qui lui passeront par dessus les épau-
les. Une femme mettra une pièce de cinq francs
dans ses cheveux ; elle aura une ou plusieurs
rangées de grosses chaînes ; tel autre aura des
cercles d'or ou d'argent au poignet, à la cheville,
et il se trouve que ce qu'on prend souvent pour
un simple ornement de sauvage est aussi le
témoignage d'une reconnaissance qui veut se rendre
publique. Dans beaucoup de cas, l'argent est
simplement conservé avec les vêtements royaux
et prendra place de nouveau dans l'assiette à
la première occasion. L'esprit a un petit trésor
qu'il distribuera, en telle ou telle circonstance,
en signe de satisfaction. Même, pour lui faciliter
les libéralités, on a recours à un moyen qui
ne manque pas d'originalité et qui prouve à quel
point le Malgache sait être pratique.
Le « joro-velona » ou prière vivante est un
bœuf donné en offrande à l'esprit ; mais on ne
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LES QUATRE GRANDS STADES 133
le tuera pas. C'est une jeune bête bien choisie.
La couleur dépend beaucoup de l'esprit auquel
on la destine. On brûle de l'encens devant l'ani-
mal ; par des invocations on le consacre ; il
sert même à interpréter la destinée des humains.
Puis on le rend à la liberté, une liberté complète
et qui souvent s'exerce aux dépens du culti-
vateur. Jamais le joro-velona ne doit être effrayé,
ou dérangé, ou frappé ; il est la propriété de
l'esprit ou des esprits.
Mais il grandit, devient un bel animal ; et,
un jour, on le vend au nom de ses propriétai-
res. On en achète un plus jeune destiné à la
remplacer ; et la différence de prix, entre l'achat
et la vente, laisse une somme qui est remise à
l'esprit. Celui-ci fait alors une distribution géné-
rale. On vient lui demander aide et secours,
comme aux rois de leur vivant ; on lui emprunte,
et il se montre aussi généreux que possible. Seu-
lement, la somme n'est pas toujours suffisante
pour satisfaire tout le monde ; alors, avec de
la terre blanche provenant de l'assiette blanche,
l'esprit fait une trace ronde dans la paume de
la main du quémandeur, referme les doigts en
pressant fortement et recommande de ne pas
laisser perdre le trésor. Le plus curieux de l'af-
faire, c'est que le quémandeur s'estime très heu-
134 LE TROMBA
reux. La fête se poursuit avec plus ou moins de
monotonie, au milieu des libations, des cris, des
jeux, et parfois elle finit très lamentablement dans
une ivresse générale, ce que nous avons pu cons-
tater nous-même.
à
Il ne faudrait pas croire que tous les détails
du Tromba soient consignés ici, ni qu'il y ait
là aussi un ordre immuable. Les esprits sont fan-
tasques, brusquent parfois les choses, et alors le
malade guérit rapidement, ou ils les font traîner
en longueur, ils ont des exigences inattendues.
Les « bains » et les sacrifices, en particulier, peu-
vent se multiplier ; c'est une question de for-
tune dans bien des cas, et le Tromba est clair-
voyant. Il suffit aussi qu'un étranger se soit
glissé dans le cercle pour que des modifications
interviennent avec de longues répercussions. Et
puis, par quoi et par qui pourraient être réglées
les fantaisies d'esprits en délire, de malades
inconscients, ou de gens pris par une demi-
ivresse considérée comme divine ?
On peut sourire, ou pleurer, devant toutes
ces puérilités ; elles n'en démontrent pas moins
quelle inquiétude agite ces âmes qui vivent dans
une continuelle angoisse, sentant leur faiblesse,
et en quête d'un protecteur, d'un sauveur. Elles
LES QUATRE GRANDS STADES 135
cherchaient, elles ont cru avoir trouvé. L'ani-
misme pur et simple leur a paru bien grossier ;
donner des vêtements à des arbres, verser de
l'alcool sur des pierres leur semble bien insuf-
fisant, et elles ont été prises par le charme étran-
ge et mystérieux de ces rencontres avec les es-
prits. Faire revenir sur la terre les grands et
puissants chefs, les conquérants célèbres, évo-
quer leurs mânes, se mettre sous leur égide,
s'assurer leur protection, dût-on, pour obtenir
ces faveurs, se livrer aux sacrifices les plus coû-
teux et souffrir cruellement soi-même, n'est-ce
pas le maximum de ce que peuvent espérer les
hommes ? Traités durement par la nature, vivant
sur un sol souvent ingrat, témoins des violences
des éléments, navrés de leur faiblesse, effrayés
par la maladie et plus encore par la mort, ces
païens veulent une consolation, essaient de s'ou-
vrir un passage dans l'obscurité. Ils étaient en
marche vers la vérité; mais en route, sans guide,
ils ont bifurqué et se sont égarés dans un sentier
sans issue qui s'est refermé derrière eux. Ils
errent aujourd'hui dans le désert de l'illusion.
CHAPITRE VIII
DIVERSITE DU TROMBA
A côté des manifestations dont il a été ques-
tion, il y a place pour un certain nombre d'au-
tres phénomènes du même genre et qui se ren-
contrent plus ou moins souvent.
Le premier dont il faut parler est le Tromba-
tromba. Il y a dans le redoublement du mot Tromba
une idée de diminution. C'est qu'en effet, il ne s'agit
que d'un état momentané qui ne nécessite aucune
cérémonie et qui se rencontre généralement chez les
nouveaux arrivés dans le pays (Boina), princi-
palement chez les femmes. X., est depuis peu
installée dans sa case. Tout d'un coup elle cesse
ses occupations et se met à parler vite sur un
ton plus ou moins exalté ou récitatif, se nom-
mant à la troisième personne, indiquant les fadyr
des voyages à faire, un lieu de réunion, un moyen
138 LE TROMBA
d'avoir de l'argent, etc., etc. La crise peut du-
rer un certain temps. X., revenue à elle-même,
demande ce qu'elle a dit, car elle ne se souvient
de rien ; et immédiatement elle se met en de-
meure d'obéir aux esprits, à l'esprit qui a parlé
par elle. Elle a été prise par le Trombatromba.
Ce qui est à remarquer, c'est que dans ces
occasions les cas de glossolalie sont fréquents :
le Trombatromba parle le langage de la région
qu'il a traversée ou traverse. Souvent il semble
atteint de manie déambulatoire : il s'agite, fait
des préparatifs, désigne un but de voyage plus
ou moins lointain, et veut, en effet, voyager.
Il est évident qu'en pareille circonstance on se
trouve en face de névropathes plus ou moins
épuisés par de longues marches plus particuliè-
rement pénibles pour des femmes. Il n'est pas
rare d'en voir faire 500, 600 kilomètres et plus,
à. pied, avec une moyenne de 45 kilomètres par
jour. Parfois même on marche la nuit, soit pour
raccourcir le voyage, soit pour éviter la grosse
chaleur au milieu du jour. Dès lors on ne s'étonne
plus de l'état nerveux de nombreux individus.
Cet état est exaspéré par les conversations tenues
en route, les récits extraordinaires, les émotions
inévitables, la vue des crocodiles, etc. L'imagi-
nation en travail prépare le Trombatromba ; et
DIVERSITÉ DU TROMBA 139
le cas est naturellement accompagné de fièvre :
les pommettes des joues sont luisantes, les yeux
brillent d'un éclat inusité ; au toucher la peau
est chaude ; tout indique qu'on se trouve en
face d'une santé anormale. La tension qu'il a
fallu supporter pendant des jours et parfois des
semaines pour préparer un départ, le désir in-
tense d'arriver au but du voyage, la nécessité
de penser sans cesse à l'étape à fournir, au vil-
lage où se fera la halte du soir, tout cela explique
la dromomanie.
Quant à la glossolalie, elle ne saurait être
provoquée qu'à la suite de la surexcitation, due
à une timidité ou à une frayeur qui a voulu se
dissimuler et qui, en se surmontant par un
effort de volonté très caractérisé, a conduit le
sujet à se mêler à des groupes parlant saka-
lave. Les mots ont été répétés ou se sont impo-
sés, l'oreille en a gardé une plus grande quan-
tité, et des tournures se sont inscrites dans l'es-
prit. La conséquence est qu'un Hova (homme ou
femme), incapable de parler sakalave ou makoa,
puisqu'il est nouvellement arrivé, et qui peut-être
ne pourra jamais employer l'un ou l'autre dia-
lecte, pris par le Trombatromba, perdant sa
personnalité, retrouvera celle qui s'est formée en
lui en dehors de sa propre volonté et à son insu ;
140 LE TROMBA
il parlera par alternance une langue qu'il ignore
ou n'a jamais employée.
Le Menabe (« très rouge ») est beaucoup plus
rare que le Trombatromba. Il est plus connu
en Imerina sous le nom de Ramanenjana ou fiè-
vre dansante. Le malade — ici encore il s'agit
de la fièvre paludéenne — presque toujours, dans
une case nettoyée à fond et privée de nattes,
allusion au fait que la terre appartient au roi, à
la reine, danse sous une impulsion dont il n'est
pas maître. Nous avons vu des hommes faire
tenir en équilibre sur leur tête des bouteilles
pleines d'eau sans cesser de danser (1) ou de
marcher en sautillant. Une femme observée se
livrait au même manège. Mais ce ne sont là
que les signes très atténués du vrai Ramanen-
jana qui sévit, il y a quarante-cinq ans environ,
en Imerina. Les observations faites à son sujet ne
semblent du reste pas avoir été complètes. Mais ce
qui en est dit indique une réelle parenté entre les
deux formes. L'une et l'autre sont originaires du
Menabe; les chants nomment souvent le Menabe,
berceau de la deuxième dynastie sakalave.
(1) Danser ici, c'est faire des mouvements des pieds et des
mains alternativement, en se tortillant de côté et d'autre,
mais presque sans changer de place. Le malade parfois cesse
danser pour de marcher, courir et sauter.
DIVERSITÉ DU TROMBA 141
Une forme de Tromba difficile à observer est
le Kananoro ou Kalanoro ; et ceux qui en par-
lent ne le font pas sans une sorte de crainte.
Même ceux qui en sont guéris manifestent une
certaine répugnance à aborder ce sujet. Il est
clair que leurs souvenirs sont désagréables. Le
Kalanoro est un homme de la forêt. Jamais on
ne l'a vu, mais tout le monde en parle, on certi-
fie son existence à plusieurs exemplaires et on
le décrit : il est petit de taille et semblable à un
homme ; mais de longs poils couvrent tout son
corps. Au fond on n'a sur son compte que des
renseignements fort vagues. C'est, disent quel-
ques-uns, un homme qui commit un grand crime
et qui l'expie maintenant. On l'accuse d'être l'esprit
de la petite vérole, il la donne et il la guérit.
Quand il se manifeste, on ne le voit pas. Il mange
la viande crue, les crabes crus. Il boit l'alcool.
Quand il parle, on doit se tenir à distance et on
entend comme la voix d'un homme parlant du
nez. C'est un Tromba exigeant, méchant.
Nous avons cherché quelqu'un ayant vu ce
Kalanoro, et nous avons fini par trouver un
homme qui l'avait invoqué. Il y avait un malade
de la petite vérole dans la maison ; et, pour
obtenir sa guérison, on se livrait à des incanta-
tions. Pour faciliter à l'esprit son apparition, on
142 LE TROMBA
fit dans la case une séparation avec un lamba et
on attendit en « servani » (chants t invocations).
Enfin on entendit du bruit sur le toit, l'esprit
descendit. On lui donna à manger, à boire, on
entendit sa voix étrange ; il indiqua, d'une ma-
nière bourrue, des remèdes à chercher daus la
forêt (plantes et racines), il se plagnit qu'on l'eût
dérangé pour si peu et disparut. La sincérité
de ceux qui parlaient ainsi n'était psa 13 mettre
en doute, leur expression même témoignait de
leur véracité. Qu'ont-ils vu ou entendu en réa-
lité ? Il serait difficile de le préciser. Ont-ils été
les dupes de quelque maniaque ou imposteur ?
C'est possible. Ou bien encore ont-ils été les jouets
de leur propre esprit ? Ce qui demeure, c'est que
le Tromba Kalanoro est redouté plus que tout
autre. C'est un mauvais Tromba. Il n'est du
reste pas seul à inspirer de semblables craintes.
Le Sanatry est considéré comme une malédic-
tion, ou plus encore comme un témoignage du
mépris des ancêtres. Quand le Tromba invoqué
ne se présente pas, mais qu'à sa place viennent
les esprits inférieurs, les esclaves, et qu'on ne
parvient pas à les chasser, ni par prières, ni par
menaces, ni par promesses, il y a là un signe
inquiétant. On essaie de rendre nul le mauvais
DIVERSITÉ DU TROMBA 143
sort en multipliant les requêtes, les marques
blanches sur les visages, les objets dont on se
sert, les bouteilles, etc. Si tout cela est inutile,
on abandonne le malade, ou on cherche un autre
fondy plus puissant, et chacun s'en va en disant
« Sanatry ». Il se pourrait que le mot « Sana-
try » ne soit qu'une corruption du mot hova
Sanatria, donnant une idée de protestation et
traduit par « Nullement ».
Le Tsiny (blâme) est une forme du Tromba
assez fréquente. Le Tromba devient tsiny, quand,
après les invocations et les rites ordinaires, on ne
réussit pas à obtenir des esprits (ou de l'esprit)
une manifestation claire, quelque révélation.
Le malade a été entrancé, il a dansé, il s'est dan-
diné, il a mugi suivant l'habitude, mais rien
d'autre ne s'est produit. C'est que les esprits lui
tiennent rigueur. Il est sous une sorte d'interdit»
Il a commis une grave faute; ou bien un mem-
bre de sa famille est l'ennemi des ancêtres, ou
encore l'esprit (les esprits) a pris parti contre
lui dans une querelle ou discussion. Et on est
assez surpris de voir ici le Tromba devenir une
sorte de confesseur. Le malade, revenant à lui,
est averti qu'il a un « tsiny » (blâme), qu'il ne
pourra guérir, qu'il doit confesser ses erreurs.
144 LE TROMBA
Il s'agit naturellement et toujours de torts exté-
rieurs, de fady violés, de manquements à la dis-
cipline du clan ou de la famille. Le malade se
défend ; on lui fait passer une sorte d'examen
de conscience, et on l'oblige au besoin à s'en
aller vers ceux qui se plaignent de lui, ou dont
il doit avoir à se plaindre. Il s'agenouille devant
eux et les invoque à la façon d'une divinité ; et
c'est seulement s'il les a vaincus par sa cons-
tance, son humilité ou ses regrets, qu'il peut espé-
rer que les Mo ou Zanahary divers auront pi-
tié de lui, car alors il est délivré de toute con-
damnation.
Il semble bien que cette condamnation doive
parfois servir à un but de propagande ou de
défense. X. (le cas est authentique) a un frère
chrétien qui supplie son cadet de renoncer
au Tromba. Le Tromba, profondément offensé,
se venge justement sur celui qui l'invoque et
le rend de plus en plus malade en refusant
de « sortir » et de. rien dire. Le malade alors
va se rouler aux pieds de son frère, le suppliant
de s'éloigner de lui, de le délivrer, de ne pas
empêcher la manifestation des ancêtres, ce qui
causera sûrement une mort dans la famille. On
comprend les douleurs et l'angoisse du chré-
tien.
Ody ou charmes Sakalaves
1. Lela-vola. Longue plaque d'argent. Pièce de 5 francs consacrée
au tromba et qu'on doit mettre dans ses cheveux et jamais
en collier.
2. Tsiresy. Petites boules dorées qui « ne peuvent être vaincues »,
on les met en offrande dans l'assiette destinée au tromba.
3-4. Séries de charmes ou gris-gris en argent ; la hache brise les
difficultés, la clé apporte la fortune, le hameçon accroche
le bonheur, l'aiguille perce les cœurs, le bœuf rappelle les
dieux, les sacrifices, les ancêtres, etc. ; chacun varie ses expli-
cations. On porte cela au cou ou en bracelet.
5. Sofi-mare (maharé) : « Oreille qui entend». A l'intérieur de la
coquille il y a des Ody qui font que quand il y a un malheur
en route, le possesseur peut entendre le bruit de son arrivée
et faire le nécessaire pour se protéger.
6. Tsi leon doza : « Contre qui le malheur ne peut rien ». Cor-
naline taillée, de provenance européenne.
7. Perles, osselets, feuilles diverses « ody fofoka » délivre des
rhumes.
DIVERSITÉ DU TROMBA 145
Quand l'esprit ne veut pas parler, on emploie
parfois une méthode singulière pour l'amener à
résipiscence, dans laquelle on retrouve le pa-
rallélisme ou la sorte d'homéopathie malgache
déjà signalés. Une courge sans défaut et repré-
sentant la tête du patient qui ne veut pas se
fendre, c'est-à-dire parler, est placée sur la tête
du malade, et on frappe à grands coups de bâ-
ton sur la dite courge qui doit s'ouvrir à ce trai-
tement énergique (« on lui fait une bouche
qui s'ouvre »). L'entrancé, après cela, se met à
parler ou même s'exécute pendant l'opération
parfois cruelle et dangereuse. Tandis qu'on traite
ainsi le malade, on fait le sacrifice d'un bœuf au
coin de la case.
Les différents Tromba se distinguent par de
simples petites particularités, et les intéressés
ont soin d'y prendre bien garde. On l'appelle
Lolo: c'est un esprit de la terre, ou de l'eau, ou
des arbres, ou des animaux. On l'appelle Tsio-
ka ou Varatrazo : c'est que l'esprit est dans le
vent qui souffle du nord-est ou du sud. On l'ap-
pelle Makoa : c'est qu'il s'agit du Tromba des
nègres ; — ou Razana : c'est que l'ancêtre vient
prendre ou donner la fortune, la maladie ou la
guérison, etc., etc. La liste est d'une grande mo-
notonie. Signalons pourtant une forme spéciale :
10
146 LE TROMBA
le Misosy ou Tromba des voleurs qui s'invoque
la nuit, en n'importe quel endroit, et au milieu
d'un grand bruit, destiné sans doute à effrayer
les honnêtes gens. Il n'est plus question ici de
l'esprit d'un ancêtre, d'un roi, ou d'un guéris-
seur, mais de la puissance d'un ody qui s'empare
d'unindividu et le rend invulnérable, ou qui indique
le moyen de l'être. C'est au nom de cet ody que
les troupes de forcenés pénètrent dans les vil-
lages, ou effrayent les gardiens des bœufs et opè-
rent leurs razzia. On ne pense pas qu'il soit pos-
sible de leur résister, et c'est ce qui rend les
coups de mains si faciles en certaines régions.
Tout ceci montre combien le Tromba est, dans
l'esprit des gens, utile et habile. Il s'adapte à
toutes les circonstances, se plie à toutes les exi-
gences, prend les habitudes du pays qu'il tra-
verse, de la région où il élit domicile. Il s'accou-
tume à toutes les individualités, sait distinguer
les castes les plus diverses. Tour à tour il rend
malade et il guérit ; il entre et il sort. Mais ja-
mais il ne domine les idées courantes, ne s'éloigne
des pratiques connues ; et jusque dans ses bizar-
reries les plus drôles, les plus pénibles, ou les
plus équivoques, on reconnaît la mentalité spé-
ciale de ceux qui sont devenus ses serviteurs,
ses doubles, ou ses interprètes, Il règne ; en
réalité, il est esclave.
CHAPITRE IX
LES CHANTS DANS LE TROMBA
Le chant joue un trop grand rôle dans les
cérémonies du Tromba pour qu'on ne lui donne
pas ici une place spéciale. Très généralement, les
Européens le considèrent comme une simple dis-
traction, un jeu ; et cette erreur, facile à com-
mettre, se trouve souvent confirmée par les
indigènes eux-mêmes qui, soit par honte ou
timidité, soit par désir de ne pas être devinés ou
raillés, affirment avec force qu'ils s'amusent. Or,
les circonstances aussi bien que les paroles chan-
tées sont la preuve non discutable qu'il s'agit
de chants religieux qui ont même souvent le
caractère de véritables litanies.
En vouloir donner une idée est une tentative
quelque peu audacieuse ; car, non seulement de
courtes phrases, comme celles dont il est ques-
tion, se prêtent mal à la traduction ; mais elles
148 LE TROMBA
ont des sous-entendus qui nécessitent de lon-
gues explications.
Pour ce qui est de la musique, elle varie beau-
coup, tout en gardant une certaine monotonie.
Il est rare que, dans deux clans, ou même dans
une seule série de séances successives, on chante
les mêmes paroles sur un air absolument pareil.
Cela dépend beaucoup des exécutants et, en par-
ticulier, de celui que nous appelons « chef de
chœur » pour lui donner un nom et qui, dans
une église chrétienne, s'appellerait F officiant ;
avec une différence essentielle pourtant : le chef
de chœur peut changer, et, dans une même
séance, plusieurs chefs peuvent se succéder. Il
s'agit d'une affaire de sentiment ou d'entraîne-
ment. Le plus exalté, le plus autorisé, le moins
fatigué ou le plus habile devient le directeur
momentané.
Sur un air donné, on chante les paroles les
plus diverses. Elles sont souvent le fait de l'im-
provisation du chef, et on force une quantité
invraisemblable de mots, divisés en petites phra-
ses, à entrer dans un même nombre de mesures.
Il est vrai que la langue malgache permet, par
ses contractions, certaines abréviations. Une pro-
nonciation extrêmement rapide aussi paraît esca-
moter un bon nombre de voyelles que, seules,
Ody ou charmes Sakalaves
8. Sila-bao. Morceau de nervure de rafia, portée au cou et mar-
quée de l'hoioscope du Sikidy.
9. Anneau d'argent, pierre trouée ou graine trouée ayant été con-
sacrée, protège des ennemis.
10. Dabohany ou Fitariha. Sachet plein de poudre de racines,
de feuilles, parfois contient un verset du Coran, donne la
fortune.
11. Ody fitia. Charme d'amour, pour éviter le divorce.
12. Fiarovan-tena : « Qui protège le corps », petite brindille ou
racine de forme anormale.
13. Moara. Corne ornée de perles, à l'intérieur contient des ody
qu'on arrose de miel, d'huile de ricin. Protège de la foudre
et de beaucoup d'autres choses, remplace une idole, car on
lui fait le service avec l'encens et les chants.
14-15. Coquilles qu'on se met dans les cheveux ou au lobe de
l'oreille, parfois en collier.
LES CHANTS
149
peuvent saisir des oreilles très habituées aux sons
de la langue indigène.
Les battements de mains qui accompagnent le
chant sont tantôt sourds, tantôt pleins. Le ryth-
me en est très varié, et les modes multiples. C'est
tout un art qui ne s'apprend qu'à la suite d'une
longue habitude. On peut faire les mêmes obser-
vations au sujet des joueurs de tambour. Ils
peuvent jouer des sortes de morceaux à plu-
sieurs parties ; et même un seul individu sait
fort bien donner à chacune de ses mains un
mouvement différent, car le plus souvent il ne
frappe pas son tambour avec autre chose.
Les chants, au début des cérémonies, sont des
chants d'appels.
Le chef de chœur seul Us assistants
■trg;:^fcgz^
Jo - ron-d Ra-na - ha - ry ! An - de - si - nay man - ga-tak-azy E.
Prière à Ranahary ! (1) Nous la lui apportons comme suppli-
cation .
Reprise du chef
| reprise des assistants
£4i-£4>-£-Ji
££
¥
*=gt
r*
Jo - ron-d Ra - na - ha - ry ! An - de - si - nay etc.
(1) Ranahary, Zanahary ou Andrianahary, le Créateur.
150 LE TROMBA
Et, une fois le chant lancé, il est continué jus-
qu'à fatigue complète, à moins que le chantre
n'en commence un nouveau ou qu'un autre chef
n'interrompe l'exécution. Le E qui précède ou
suit les chants et se chante lui-même absorbe très
souvent la dernière voyelle du mot final. Il est
l'exclamation de respect par laquelle on accueille
les rois et avec laquelle aujourd'hui encore on
salue les autorités ou termine les salutations
qu'on veut rendre spécialement respectueuses.
Si l'esprit se fait attendre, on le presse davan-
tage :
Le chef de chœur seul, 1" fois \ les assistants | le chef seul,
< K K K K ^ .2' fois
— _ 1 <e; — I
&-
E ka rah lo-ma-no! E E lo-ma-noE. lo-ma-no!
Eh ! s'il parlait (ou agissait) ! Eh ! Eh ! Parle Eh ! Parle l
Les assistants le chef, V fois
E E lo - ma - no E. E ka rah lo - ma no 1
Eh ! Eh ! Parle ! Eh ! Eh ! s'il parlait !
Le chant continue, le chef de chœur repre-
LES CHANTS 151
nant alternativement la première et la deuxième
phrase de sa partie ; tandis que, régulièrement,
après lui les assistants répètent la leur.
Le chant peut être encore plus insistant :
A l'unisson \ mesures de reprise
jpÉêÉÉë^ÉfiigÉÉl
Ka mi-to-haE ma-rian - A-hy E ma-nan Bo - i - na E !
Supporte-moi, eh ! toi qui me possèdes, eh I qui possèdes le Boina, eh *
Le chef \ les assistants le chef
z^zzg:
=2=~=~z3=J=gz:
Bo - i - na E 1 ma - uan Bo - i - na E ! ma - nan
Boina eh ! possèdes le Boina eh ! possèdes
Les deux dernières mesures de la phrase sont
reprises par le chef. L'assistance les répète aussi
longtemps qu'il plaît à celui-ci ; quand il s'ar-
rête, on reprend au commencement, pour répé-
ter encore à satiété les deux dernières mesures, etc.
L'esprit se faisant désirer, il se produit une
certaine fatigue et même un peu d'impatience
dans l'assemblée ; alors le chef pose une ques-
tion :
152
LE TROMBA
Le chef de chœur seul
les assistants
:^*-^-*-*-*-*-frgrgz^r:.
f?\
b^Ê3
m
Kor'ny ma - lo a - to ? tsy va - lia - nay fa mpan - ja-ka E !
(variante) Kor'ny ma- lo a - tu ? tsy hai-nay - fa zam-ba- zam-baE.
Gomment va le travail ici ? Nous ne répondons pas car il s'agit du
Roi, eh !
ou encore Quelle crainte y a-t-il ici ? (variante).
Quel interdit y a-t-il ici ? Nous ne savons pas cela nous dépasse, e h
Reprise du chef
reprise des assistants
&•
■?=?=¥-
Kor' ny ma - lo a - to ? tsy va - lia - nay fa
Quand le malade commence à s'agiter, à souf-
fler, et même mugir plus ou moins fort, on
accueille le roi qui se manifeste ainsi par une
nouvelle prière :
Le chef seul
les assistants
/>
Toin - po - nay !
Mpan - ja - kanay !
To - fo - ka !
An - dria - misara !
Ra - da - ma !
Ra - va - hinv !
vy
vy
vy
vy
vy
maev
maev
maev
maev
maev
maev
ae
ae
ae
ae
ae
ae
LES CHANTS
153
Le chef
les assistants ^ le chef les as.
-ê==£rr£=t
Notre Seigneur
Notre Roi
(Nom de roi Sak.)
(Nom de roi Sak.)
1500 ?
(Nom de roi Merina)
1810-1828
(Ui.e reine de Majunga)
1810
il vient
il vient
il vient
il vient
bien,
bien,
bien .
bien.
il vient bien .
il vient bien, etc., e'c.
Chantée d'abord lentement et à voix modérée,
cette phrase se dit toujours plus vite et sur un
mode de plus en plus aigu ; les chanteurs finis-
sent par s'arrêter, essoufflés. Ils ont excité le
malade qui, lui, continue automatiquement ses
mouvements et son balancement des épaules et
de la tête.
S'il s'agit d'un homme qui est possesseur d'un
Tromba féminin, on l'oblige à revêtir un dégui-
sement (le vêtement du Tromba), puis on chan-
tera :
'%> Le chef de chœur seul les assistants
E E E
Sai-ke - tra
E E E
Sai-ke - tra
154
LE TROMBA
Le Chef seul
/7\
| Le chef et les assistants
•%'
-1 -I . I , — I — ±_i — -F-H-
v?
Sai - ke - tra Ba - re - ra
a a Ba - re-ra a
Cette cantilène, d'un effet particulièrement
énervant à la répétition, — si le lecteur en doute,
qu'il essaye, seulement pendant quelques mi-
nutes, — n'a aucun sens précis. Saiketra veut
dire : un homme qui a des habitudes de femme,
et Barera signifie : femme ou reine. Mais en
voici une qui pourrait passer pour un essai de
louange un peu développé.
,<fô Le chef de chœur i
=«
=tï
:é=~
fc
/>
dE^^^=£l
Prélude — E E EE EEE E
1 La vitra ankitiny menabe siky vinangoko rota an dala !
2 Sakalavan I menabe tsy mitaly tsy bongobongo !
3 Tsy mitaly, tsy bongobongo, tsy mivaha, tsy voinbona !
4 E Valalan I menabe misehoa, misoloa !
5 E Ramena be zahay aty koa manompo
Les assistants, après chaque phrase du chef.
■4~\ J I h:
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E
E
E
LES CHANTS 155
Le chef . | les assistants ,<g. après nombreuses
~~l~ IV' \ — J~T 1 i~ f — '" P répétitions
6 E E E E Ram - dem - ke * (Ramidemoka E).
Il faut se résoudre à une vraie paraphrase
pour traduire :
I. Le Menabe est très loin ; car le vêtement
que j'ai tissé s'est usé en chemin ! — 2. Les
Sakalaves du Menabe ne se coiffent ni avec des
tresses, ni avec des boules I — 3. Ils ne dénouent
pas le bout de la natte (de cheveux), ni ne la
laissent tomber ! — 4. Oh ! sauterelles du Me-
nabe, paraissez et remplacez celles que nous
avons ! — 5. Oh ! Menabe, nous sommes ici et
ici aussi nous servons (l'esprit des ancêtres). —
16. E 'Ramidemoka (ancêtre dont on n'a que le
nom posthume), sous-entendu : parais parmi
nous.
Il semble bien que, dans ce chant, sont expri-
més, sous une forme inachevée, une certaine
nostalgie, un regret d'une terre meilleure, ou
tout, même les sauterelles, était mieux que dans
le Boina. Pourtant la fin révèle un espoir puis-
qu'on peut, même au Boina, « servir » les ancê-
tres.
Gomme exemples de litanies, en voici deux
qu'on chante beaucoup :
156
LE TROMBA
les assistants
rftrffez£zz£hz£iz£-.
Mpan - ja -kanay ! ma - me - lo
La - hy-fotsy ! ma - me - lo
Ra - zo - ky ! ma - me - lo
Ra - va-hiny! ma - me - lo
Rana - valo - na ! ma - me - lo
a
a ■
a - ri
a - ri
a •
vo
vo
vo
vo
vo
a
1*1 - vo
Le chef
Rasaonjo E !
Notre roi !
(Fils d'Andriamiasra)
(L'aîné)
(Une reine)
(La 1" reine nova)
Les assistants
en fait vivre des milliers,
e i fait vivre des milliers,
en fait vivre des milliers,
en fait vivre des mi liers.
en fait vivre des milliers,
en fait vivre des milliers.
etc., etc., la liste de noms de rois peut s'allon-
ger à perte de vue ; car, quand on n'en connaît
plus, on en invente. C'est un exercice fort ap-
précié du reste.
La deuxième litanie ci-dessous se répète sans
changement. On voudrait pouvoir dire que les
gens se rendent compte de la valeur des paroles
qu'ils prononcent comme des machines ; car,
après quelques instants, l'esprit est complète-
ment absent : ce dont on n'éprouve aucune
confusion. Quand le zèle fléchit, le chef se livre
à une énergique mimique, et la litanie reprend
de plus belle :
Ody ou charmes Sakalaves
COLLIERS ET CHARMES DIVERS
La petite boîte d'argent se porte dans lé dos,
elle contient des charmes, ou parfois des papiers portant
des versets du Coran (?)
LES CHANTS 157
&• Le chef de chœur | les assistants .<£•
E Ka Ran - a - bo ! An - a boao mi - ti-lona a-hy E
E Ka Ran - a - bo ! An - a boao mi - ti-lona a-hy E (Sakal)
ou E Ry ambony o ! Ny ambony ao no mitsinjo a-hy E (nova)
E Celui qui est en haut ! C'est celui qui est en haut qui me voit Eh •
Les chants d'humiliation ont aussi leur tour ;
ils sont pourtant en petit nombre et offrent cette
anomalie que les assistants chantent au nom du
malade, s'humilient pour lui, précisément au
Cnoment où celui-ci se glorifie d'être choisi par
t e Ranahary ou par un Mo d'autre sorte.
Sg Les assistants \ le chef .<£
iSÉfêgjÉiÉÉÉÉgi
Votso-ry ahy fa ma - li - lo E ! Za - ho ma - li - lo E !
Votso-ry ahy fa ma - li - lo E ! Za - ho ma - li - lo E !
Délivre-moi car je suis puni Eh ! C'est moi qui suis puni Eh !
Naturellement, ces mélopées sont très nom-
areuses ; nous n'avons voulu ici qu'en donner
me idée et en fournir des exemples. Elles se
ressemblent toutes et elles sont, comme on peut
e voir, d'une grande pauvreté. Nous avons noté
es principales et les plus intéressantes. On se
*end compte aussi comment paroles et musique
158 LE TROMBA
peuvent être utiles pour les cérémonies du Trom-
ba. On chante généralement à l'unisson. De
temps en temps il y a des essais d'harmonisa-
tion, et souvent on termine la litanie sur un point
d'orgue, à quatre voix, chacun donnant son petit
coup de gosier.
C'est pendant des heures, et la plupart du
temps fort avant dans la nuit, si ce n'est jus-
qu'au matin, que se prolongent les exercices aux-
quels on se livre avec joie et pour lesquels on
ne regrette ni effort, ni fatigue. On considère
comme un honneur de jouer un rôle dans des
circonstances aussi mémorables, sans oublier que
le refus serait suivi de la vengeance des esprits...,
si ce n'est de celle des intéressés eux-mêmes, bles-
sés dans leur amour-propre par ce qu'on consi-
dère comme une véritable injure.
CHAPITRE X
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA
Il est difficile d'échapper à un doute, même
quand on a vu le Tromba à l'œuvre, non qu'il
y ait simulation fréquente, mais simplement
parce qu'il n'existe guère de moyens pour se ren-
dre compte si, oui ou non, il y a supercherie.
Aussi bien un Européen est-il mal placé pour
juger de la chose. Les indigènes, eux, sont caté-
goriques. La simulation est rare. Ce n'est pas
qu'elle ne soit possible, puisque nous pouvons
donner le récit écourté d'un exemple récent
(novembre 1910).
Un jeune Hova, connaissant le Boina depuis
huit ans, mais ayant subi profondément l'in-
fluence chrétienne, se demandait quelle part de
vérité il fallait accorder au Tromba. Il ne dou-
160 LE TROMBA
tait pas de la sincérité de ses compatriotes, mais
il les croyait trompés. Ses questions n'obtenaient
pas de réponses satisfaisantes; son malaise inté-
rieur augmentait ; il se refusait à voir dans les
souffrances des malades entrancés la preuve du
démon. Il se décida à simuler une visite du
Tromba dans une grande réunion convoquée
pour le « service » assez loin de son village. Il
voulait n'être pas reconnu. Il emmena avec lui
un témoin pour le cas où les esprits, présents en
réalité, le démasqueraient et le livreraient à la
vindicte de l'assemblée. Arrivé au lieu de réu-
nion, il fut encore hésitant; puis, voyant les
esprits aller de l'un à l'autre, il entra dans le
cercle... Ecoutons maintenant son récit :
« J'allai m'asseoir à côté du fondy; mais j'étais
un inconnu, il ne me regarda même pas. Alors
j'eus l'idée de mettre ma main sur son pied et
de faire légèrement trembler mon bras. Alors il
me regarda de côté, un peu étonné. Au bout d'un
moment, je tremblais plus fort, et le fondy se mit
à me toucher. Evidemment il me croyait pris.
Alors j'ai commencé à branler la tête, a remuer les
épaules et à souffler. Encore bien plus étonné,
le fondy annonça à l'assemblée qu'un esprit très
puissant paraissait pour la première fois ; il m'ap-
pela «un esprit d'Imerina » ; il me prit par
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 161
la main et me conduisit à la caisse réservée au
Tromba pour me faire asseoir. Naturellement je
tremblais toujours. A ce moment, le chef de X.,
que je connaissais de vue, lui ne me connaissant
pas, vint, en me saluant profondément, me de-
mander si je ne savais qui il était. J'étais embar-
rassé; car je ne voulais pas mentir et pourtant
je voulais savoir si les esprits me reconnaîtraient ;
alors j'ai dit : « Toi, je te connais, tu es le chef
« de X. » Alors partout on cria : « C'est un grand
« Tromba »; et on chantait très fort. Le chef
alors m'a dit, toujours en me saluant : « Tu es
«un grand Tromba d'Imerina ; dis-moi ce que
«je dois faire pour faire plaisir au gouverne-
« ment »; et il m'a offert 2 fr. 50. J'ai répondu :
« Je suis assez riche sans ton argent et assez
«bon pour te dire qu'un excellent chef... (ici
« une longue énumération sans intérêt). » Mais le
chef voulait encore savoir s'il aurait de l'avan-
cement. Je lui en ai promis s'il faisait tout ce
que le Gouvernement demande et s'il donnait
satisfaction au peuple. Je ne risquais pas de me
tromper. Mais ce n'était pas encore fini. Il a
voulu savoir quand il aurait son avancement.
J'ai failli être embarrassé, cette fois ; mais j'ai
soufflé un peu et, en soufflant, je me suis sou-
venu des « Bananiers » (Noël, Nouvel An).
il
162 LE TROMBA
Il faut un mois pour qu'on sache ici ce qui a
été décidé à Tananarive, alors j'ai répondu : « Tu
« sauras ça au mois de février ou bien un an
« après. » Il a été très content et c'est sûr que
le Gouvernement le récompensera, car il a trop
envie de bien faire »
Outre qu'il révèle une certaine mentalité, ce
récit montre que la simulation est possible. Mais
il appert aussi avec lui qu'elle doit être diffi-
cile pour un Malgache superstitieux et à peu
près impossible à un Malgache chrétien, méri-
tant ce nom à cause de sa foi et connu comme
tel. Le simple fait qu'on ne prend pas de pré-
cautions contre les imposteurs signifie peut-être
qu'on n'en a guère rencontré. Ce serait une
erreur de croire qu'en général les chrétiens
indigènes considèrent le Tromba autrement que
comme une manifestation du démon. Ils s'en
tiennent éloignés bien plus avec méfiance et
crainte qu'avec sympathie et regrets. Ce n'est
que peu à peu qu'ils s'affranchissent. Comment
la simulation pourrait-elle être fréquente, quand,
pour que les cérémonies se pratiquent, il faut
subir des séances préparatoires, suite d'une
maladie déjà longue, chez des gens connus et
même redoutés quoique admirés ? La fréquence
des séances, la soudaineté de l'action, le
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 163
fait qu'on se trouve entre gens qui se connais-
sent tous de près, la répugnance même de cer-
tains malades rendent l'imposture, sinon impos-
sible, du moins rare. Il peut d'ailleurs exister
différents genres de Tromba.
Nous appellerons le premier : le Tromba spon-
tané ou naturel. Il est le produit de la maladie,
d'un choc nerveux, de l'excitation alcoolique
chronique, de la suggestion ou de l'auto-sugges-
tion.
La fièvre paludéenne, qu'on retrouve dans
presque toutes les maladies, extrêmement insi-
dieuse et variable, fournit déjà les prodromes
d'un accès de Tromba. Les fiévreux ne sont pas
seulement en proie à des hallucinations très per-
sistantes, mais ils se livrent à une certaine gesti-
culation involontaire. Ils regardent leurs mains
en les tournant et retournant, pendant un temps
parfois assez long ; ou leurs pieds sont affectés
par un petit mouvement nerveux, indépendant de
leur volonté. On voit même des malades donner
à tout leur corps une sorte de court balancement.
Qu'au lieu de calmer cette agitation, on l'ex-
cite, on la régularise en lui donnant un sens, et
nous voici dans le Tromba.
Il est souvent très difficile d'obtenir d'un fié-
vreux qu'il demeure couché, ou même qu'il ne
164 LE TROMBA
marche pas (1). Il est courbaturé, se plaint de
vives douleurs, ses pieds sont enflés, la tempé-
rature est élevée, mais il continue à vouloir
s'occuper de toutes ses affaires. Il est en proie
à une mobilité extrême de pensée. Il lui est im-
possible de s'attacher à aucun sujet, comme de
demeurer à la même place. Qu'on utilise ce be-
soin anormal de mouvement en vue de l'aug-
menter, et ce désordre de l'esprit pour en tirer
des indications de valeur très diverses , nous
serons de nouveau dans le Tromba.
Par une sorte de perversion des facultés intel-
lectuelles, le fiévreux en arrive souvent à pren-
dre ses cauchemars au sérieux et à être la vic-
time de véritables phobies. Il en est qui ne peu-
vent plus voir le pain, le riz, ou telles boissons
et généralement celles qu'ils prennent le plus
volontiers en temps ordinaire ; d'autres éprou-
vent "une répulsion violente pour certains vête-
ments, certaines couleurs ; d'autres refusent d'en-
(1) Un nommé Farantsa, d'origine nègre, est pris d'accès
de dromomanie toutes les fois qu'il a la fièvre ; et si celle-ci
n'a pas pu être prévue, il est quelquefois difficile de retrouver
FaraDtsa. Lors de sa dernière fugue (en 1910), on le retrouva
dans un champ de cannes à sucre, inconscient. Plus tard, la
fièvre passée, il était très calme et raisonnable. L'esprit
l'ayant visité, on eut soin de faire « le service » et de baigner
le malade dans la case réservée à Andriamisara.
Femmes Sakalaves de Nosi-be
QUAND ELLES POSENT
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 165
trer dans la chambre qu'on leur destine. Nous
avons connu une jeune fille qu'il était impossible
de faire étendre ou asseoir ; quand, de force, elle
était mise sur sa couche, elle se relevait comme
poussée par un ressort, déployant beaucoup de
vigueur, bien que n'ayant pris qu'une nourriture
insuffisante depuis plusieurs jours. Un haut fonc-
tionnaire de la magistrature offrait une autre
anomalie : une fois installé quelque part, il n'en
voulait plus sortir et refusait obstinément de se
nourrir. Qu'on atténue un peu ces cas extrêmes
— dont il serait facile d'augmenter le nombre —
pour rester dans la moyenne des choses qui s'ob-
servent tous les jours, qu'on y ajoute l'idée que
des esprits se sont emparés du malade, et nous
serons en face des fady et de la nécessité d'un
exorcisme, donc dans le Tromba.
Les maladies nerveuses, qu'on pourrait croire
fort rares chez des gens que rien ne semble in-
quiéter et dont l'indifférence est proverbiale,
sont relativement fréquentes. On voit souvent des
individus ayant des tares mentales. L'hystérie,
plus ou moins caractérisée, atteint les femmes,
et même les hommes. Tout cela prépare des vic-
times pour le Tromba, d'autant plus qu'on cul-
tive les dispositions morbides et qu'on encourage
les manies des malades.
166 LE TROMBA
Les idées du patient lui-même, ce qu'il a vu
lorsqu'il était en santé, le prédisposent à un état
qu'on vénère, parce que, s'il est maladif, il con-
fère pourtant, outre l'honneur fort grand d'être
la demeure des dieux (ancêtres), celui de distri-
buer de leur part des ordres, d'indiquer des
remèdes pour autrui, et même pour soi-même.
L'entrancé dit le nom de ces remèdes, l'endroit
où l'on peut les trouver ; et, s'il parle de lui, il
se désigne à la troisième personne.
La maladie devient une thérapeutique. Le
malade prend la place du médecin.
Le Tromba est loin d'être toujours spontané.
Il peut être provoqué. Les Malgaches connais-
sent dès longtemps diverses drogues soporifi-
ques, et même ils s'en servent parfois dans des
buts peu avouables. Des sortes de hachisch — où
le chanvre rentre pour une bonne part — sont
connus dans certaines régions. Il est donc pro-
bable, pour ne pas dire plus, que le mpamoaka
se sert de quelques vieilles formules; et cela ex-
plique la nécessité de se procurer certaines her-
bes à odeur forte qu'on fait fumer en même
temps que l'encens (emboka) ou qu'on presse
fortement pour en extraire le suc qui sera mêlé
à la boisson présentée au malade ; nous avons
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 167
même vu qu'on faisait mâcher au patient des
feuilles dont nous n'avons pu obtenir le nom, ni
savoir la provenance. Les Moasy malgaches
jouent du reste avec certains poisons végétaux
sans aucune précaution ni inquiétude, et ils
n'admettent guère qu'on puisse leur imputer
les malaises ou même la mort de leurs clients.
La seule fumée de Yemboka, alourdissant la
tête, endormant la sensibilité, peut provoquer un
demi-sommeil, durant lequel le malade n'est plus
qu'une chose entre les mains de celui qui dirige
la cérémonie. Indifférent, lassé, il hâte lui-même,
par son attitude, le moment où il n'aura plus
conscience de rien, et où il deviendra le sujet du
mpamoaka ou du fondy et un objet de curiosité
pour les spectateurs. Les bruits cadencés, les
cantilènes, chantées d'abord doucement, puis de
plus en plus fort, contribuent pour leur part au
résultat attendu. Le tout explique dans une large
mesure la contagion qu'on peut observer. Car, si
le malade est entouré de fumée, lié par des spi-
rales qui doivent emporter le mauvais sort, la
case toute entière est remplie d'une odeur forte
et prenante ; et cette odeur agit sur toutes les
personnes présentes. Or, dans cette assistance,
il y a toujours quelques malades qui cherchent
la guérison et qui ont à demander des remèdes,
168 LE TROMBA
des névropathes qui ont déjà connu la trance et
qu'une occasion nouvelle sollicite avec force.
Tout le monde aussi peut boire l'eau dans la-
quelle on a fait macérer les feuilles sacrées. Le
vin, l' eau-de-vie anisée sont souvent additionnés
d'écorces destinées à augmenter leurs qualités.
Enfin la volonté du mpamoaka ou du fondy est
à mettre en ligne de compte; son miroir ou mor-
ceau de miroir n'est pas un vain ornement, sans
oublier que la famille a longuement préparé son
malade par des récits, des recommandations, une
suggestion de tous les instants.
Dans tous ces cas divers, on s'est réuni avec
grand apparat en vue de faire « sortir le Tromba».
En réalité on le fait entrer ; ou, pour parler
autrement que les indigènes, tout un ensemble
d'idées, de pratiques et de circonstances mettent
le malade en état d'hypnose, et cet ensemble agit
sur tous ceux dont la volonté a été plus ou moins
annihilée ou qui sont déjà sous une menace de
maladie. stj
La persuasion (la foi) joue son rôle dans la
provocation. Tel individu bien portant, soumis
aux fady dont il est l'esclave, essaiera de s'affran-
chir en s'adressant au Tromba d'un voisin, ou
en se soumettant lui-même, vaincu par avance,
aux pratiques conseillées par le fondy. Quand
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 169
l'esprit parlera par lui, ou qu'un autre esprit
parlera à son sujet, ce sera pour lui donner satis-
faction. Son propre désir V entraîne ; et ici, une
fois encore, apparaît le rôle de l'auto-suggestion,
ou la liberté d'interprétation du mpamoaka.
Le Tromba par entraînement doit être accusé
aussi lorsqu'on parle de la contagion, ou du
Tromba épidémiforme. Il coïncide souvent avec
des époques où la fièvre sévit particulièrement,
c'est vrai; mais il est non moins évident que des
individus paraissant en bonne santé sont frap-
pés pendant les cérémonies et rentrent dans leur
état normal beaucoup trop vite pour qu'on puisse
les croire atteints profondément. Les chants, la
vue de ce qui se passe, une légère ivresse, une
longue attente fatigante les ont excités ; et ils se
laissent aller, entraînés par leurs nerfs.
On peut surprendre des gens, accomplissant
les gestes du Tromba à leur insu, entraînés par
l'exemple et par le rythme des cantilènes ; et, comme
ils croient à la réalité de la manifestation des
esprits, s'ils s'aperçoivent de leurs mouvements,
ils ne manquent pas de dire : « J'en ai un aussi. »
Immédiatement leurs mouvements s'accentuent.
On les reconnaît facilement à ce qu'ils se lassent
vite, n'ont rien à dire, et même semblent hon-
170 LE TROMBA
teux une fois revenus à eux-mêmes, ce qui n'est
pas le cas pour les gens à forme de Tromba spon-
tané, ou provoqué ; non seulement ceux-ci ne se
souviennent de rien, mais ils se sentent fiers
d'avoir été désignés par les esprits ; et écoutent
avec complaisance les récits de leurs hauts faits
et de leurs discours.
Si les indigènes sont profondément remués
par le Tromba et deviennent facilement sa proie,
il ne faudrait pas croire que les Européens y
échappent aussi complètement que pourraient le
faire supposer leurs antécédents ou le scepti-
cisme qu'ils affichent dans les questions religieu-
ses. En face de gens entrancés, ils montrent sou-
vent de l'émotion et parfois sont si peu sûrs
d'eux qu'on les voit s'en aller brusquement. Nous
connaissons un adjudant, ayant vu le feu, qui
ne peut entendre, même de loin, les cantilènes
sans être pris par une crainte étrange de sentir
le Tromba s'abattre sur lui; et il fuit aussi vite
que le lui permettent les circonstances et sa di-
gnité.
Beaucoup de « Vazaha » (blancs) avouent
que « sans comprendre ils croient qu'il y a quel-
que chose là » ; et les explications n'ont pas
auprès d'eux beaucoup plus de succès qu'auprès
des sectateurs d'Andriamisara. Pour échapper
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 171
aux esprits, à leur vengeance, s'assurer leurs
bonnes grâces, il en est qui joignent leurs offran-
des à celles des indigènes. Même plus d'un de
ceux, si nombreux, qui ont accepté de ces maria-
ges temporaires chantés par Loti, avec plus d'ha-
bile dilettantisme que de sens moral, s'abandon-
nent entre les mains de leur « Ramatoa (1) » et se
livrent eux-mêmes au Tromba, soit par supers-
tition, soit par crainte de la maladie ou de la
mort, soit par atonie si complète qu'ils ne peu-
vent plus réagir en aucune manière. Ce sont les
mêmes raisons qui font qu'on en voit essayer
des remèdes invraisemblables.
Une question se pose. Y a-t-il, en effet, des
guérisons à la suite des pratiques du Tromba ?
Il s'en produit, cela n'est pas douteux. Il est toute
une série de malaises, qui surviennent aux chan-
gements de saison, ou à la suite de l'assèchement
des rizières ou marais et qui disparaissent d'eux-
mêmes chez les sujets sains et encore vigou-
reux. S'ils se sont livrés au Trompa, tout le béné-
fice de leur guérison lui revient. Il en est de même
pour plusieurs maladies : elles suivent leur cours,
(1) Mot respectueux, équivalent de « Madame », et singu-
lièrement détourné de son sens.
172 LE TROMBA
mais, une fois guéris, les « croyants » voient leur
conviction s'affermir d'autant.
Pour ce qui concerne la fièvre paludéenne, les
choses sont autres : le malade guérit par suite
des réactions violentes par lesquelles il doit pas-
ser. Il s'agite beaucoup, il a d'abondantes trans-
pirations ; les boissons qu'on lui donne sont
amères ; et il continuera, après la crise, une sorte
de traitement d'herbes amères ; il guérira. Il
peut du reste se tromper gravement, car il prend
souvent une force factice, résultat de l'excita-
tion, pour une preuve de guérison ; il l'affirme.
L'accès revient, mais sa persuasion n'en est pas
modifiée : c'est le lolo ou Zanaharg qui veut en-
core obtenir quelque chose ou qui veut révéler
quelque nouveau fady, et c'est ainsi que s'al-
longe la cure.
Pendant les séances, la case devient une sorte
de boîte de fumigation, et cela est plus vrai
encore du drap sous lequel on met le malade qui
respire, à lui seul, toute la fumée dégagée par
l'encens. Il sort de cette étuve dans un état de
sueur profuse et tout en larmes ; et, dans le
courant ordinaire d'une fièvre normale, la trans-
piration est la preuve de la fin de l'accès. Sou-
vent on la provoque parce qu'après elle, le ma-
lade soulagé peut être soigné avec beaucoup plus
de chances de succès rapide.
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 173
Les bains successifs sont une cure d'hydrothé-
rapie et, pour être ordonnée par un demi-sau-
vage — en vue de résultats fort hypothétiques
et pour s'attirer les bénédictions d'ancêtres morts
il y a 200 ou 300 ans, ou pour leur témoigner
un respect dont ils n'ont nul besoin, — elle n'en
perd pas ses qualités.
Enfin, le fondy, mpamoaka, moasy, peut ne
pas être aussi ignorant que la simplicité de son
costume pourrait le faire croire; et son intelli-
gence, sa mémoire, son intérêt, lui sont d'un
grand secours. Il connaît des simples, il sait ce
qu'est le massage; et ce qu'il recommande à l'état
de veille n'est pas toujours dépourvu de sens,
loin de là. Il suit aussi son malade. Il l'encou-
rage. Il se réjouit avec lui, s'il guérit. Il prévoit
les rechutes ; il s'en sert ; pleure avec la famille,
s'il y a décès. (Les affranchis disent volontiers :
il est rusé.) Dans toutes les affaires importantes,
il interviendra, parfois sous la forme d'un mpi-
sikidy ou d'un modeste guérisseur; mais ce sera
toujours lui et son influence ne saurait qu'y
gagner.
Mais si le Tromba a des guérisons à son actif,
il doit enregistrer aussi des décès. C'est avec
beaucoup de discrétion qu'il nous a fallu mener
l'enquête pour savoir dans quelle mesure les
174 LE TROMBA
malades du Tromba succombent. Les familles
sont jalouses de leurs secrets, et elles ont cent
formules pour éconduire le questionneur, d'autant
plus qu'elles redoutent les mânes des trépassés.
Pourtant, nous avons pu constater que, dans un
cercle restreint, bien que sur une période de dix
ans, les cas de Tromba suivis de mort ont été
relativement fréquents.
La mort survient parfois à la suite d'épuise-
ment, et cela est assez naturel. Déjà affaibli par
la maladie, le patient fait des efforts qui dépas-
sent ses forces, et dont la durée achève de l'user.
Pendant des heures, quand ce n'est pas toute
une nuit et même beaucoup plus, il se dépense
de telle manière qu'un homme en bonne santé
en sortirait malade. Il hâte le dénouement, qu'on
aurait pu probablement éviter en employant un
traitement rationnel.
Pour d'autres, c'est plus tragique, en ce sens
qu'ils finissent dans des hoquets que les assis-
tants prennent pour la manifestation du Tromba ;
ou bien, quelque vaisseau se rompant, il se
produit une hémorrhagie.
On cite des exemples frappants (avec noms
d'individus, de lieux, et dates à l'appui). Un blanc
malade avait été persuadé de laisser agir le
Tromba et, devant la réprobation de ses amis,
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 175
y avait renoncé ; mais le Tromba mécontent le
fit souffrir plus que jamais ; et, à la fin, vou-
lant le contenter, le blanc fit faire le « service ».
Malheureusement, il avait attendu trop long-
temps. Le Tromba le tua, il s'était vengé de tant
de négligence. Un indigène était si tourmenté par
le Tromba qu'il en est mort de faim ; car, cha-
que fois qu'il se trouvait en face de son assiette
de riz, le tremblement traditionnel le prenait et
le mettait dans l'impossibilité de manger. Une
jeune femme, atteinte d'abcès, mourut dans une
trance, un abcès s'étant ouvert et ayant produit
une hémorragie, etc., etc. Il y a quelque chose
de poignant à penser à ces agonies, sous des
oripeaux destinés à rappeler une grandeur qui
s'est singulièrement illusionnée elle-même. Pri-
ses pour une manifestation nouvelle, elles sont
accueillies avec des chants et des claquements de
mains, pour finir dans des lamentations et des
cris, des questions qui restent sans réponse et
une confusion générale.
Quand on arrive à ces constatations, l'intérêt,
un peu mêlé de curiosité, qu'on éprouve pour le
Tromba, se change en une profonde tristesse; et
on se demande ce qu'on pourrait faire pour ame-
ner tant d'âmes à une plus juste notion des cho-
ses, à une compréhension toute autre de ce que
176 LE TROMBA
sont la maladie, le remède, la souffrance et
Dieu même, qui, par suite d'un anthropomor-
phisme poussé à ses dernières limites, devient si
étrangement bon et mauvais, maître et esclave.
L'administration a essayé parfois des inter-
dictions radicales; mais elle n'est arrivée, dans
cette voie, qu'à des résultats nuls. Le Tromba se
faisait alors, quand même, en cachette, dans des
villages et des endroits reculés, ou même sans
qu'on prenne la peine de s'éloigner et avec l'ap-
probation tacite des petits chefs locaux. Il est
arrivé que le mécontentement de la population
fut si manifeste qu'on préférait fermer les yeux.
Nous avons entendu dire à un administrateur,
qui laissait faire le Tromba et qui n'autorisait
pas les réunions chrétiennes : « Je ne vais pas
me mettre ces gens sur les bras ; et après tout,
c'est leur religion. » Encore était-il mieux inspiré
que tel autre qui mit un impôt sur les séances
du Tromba dans sa province et fit enregistrer
le fait à Y Officiel, augmentant d'un lamentable
malentendu la charge d'idées fausses chez des
gens difficiles à atteindre, c'est vrai, mais aux-
quels on a porté trop peu de véritable intérêt.
Pour nous, le remède est, en partie, dans une
liberté surveillée qui tuera le mystère et suppri-
mera par là-même un des grands attraits du
CAUSES ET EFFETS DU TROMBA 177
Tromba. Une assistance médicale beaucoup plus
large, officielle ou privée, aurait aussi pour la
diminution du nombre des sujets les plus heu-
reux effets.
Mais, par dessus tout, le Tromba relève
de la psychothérapie ; et c'est à ceux qui peu-
vent la pratiquer, c'est-à-dire le plus souvent
aux missionnaires (blancs ou indigènes) que re-
vient la tâche de le détruire en apprenant aux
indigènes à se mieux connaître eux-mêmes, tout
en élevant leur esprit vers de plus hautes pen-
sées. C'est par un traitement psychique, nous
voulons dire spirituel, que seront obtenus les
résultats les plus positifs. Il faut que le malade,
le fondy et tous les agents du Tromba abandon-
nent leurs idées superstitieuses pour que leurs
crises disparaissent.
Nous avons vu des cas de guérison ; mais
elles n'ont été complètes que quand le ma-
lade, pour trouver le calme intérieur, a voulu
accepter le Dieu chrétien, celui de l'Evangile.
Plusieurs sont retombés sous le joug le jour
où ils ont cru pouvoir se passer de son secours,
ou qu'on leur a dit qu'ils n'avaient fait que
changer de superstition et de sorcier. Il y a donc
là pour les missionnaires et ceux qui les soutien-
nent un devoir. Ils auront aussi, dans un temps
12
17S LE TROMBA
plus ou moins prochain, la satisfaction d'avoir
travaillé à l'affranchissement intellectuel, au
développement moral et social d'un petit peuple
qui possède toutes les virtualités. En pleine évo-
lution, tourmenté par de nouveaux malaises, il
s'essaye à discerner les contours de l'avenir et
de l'au-delà. Il faut éclairer ses doutes, nourrir
ses aspirations, élever sa conscience. Il pose des
questions à la façon du petit enfant qui lève de
grands yeux étonnés, mais intensément interro-
gateurs. Il faut répondre, d'une manière désinté-
ressée, laissant à la Vérité le temps de faire son
chemin.
LEXIQUE
(Les mots dont l'application est donnée dans le
texte ne sont pas répétés ici.)
Andriamaizimbe. — Andriana : noble; — mai-
zina : sombre; — be: beaucoup. Individu dont le
souvenir se perd dans un très grand éloigne-
ment. Connu comme esprit guérisseur très puis-
sant.
Andrianalimbe. — Andriana : noble ; alina :
nuit ; be : beaucoup, grand. Probablement le
même individu que le précédent. Dans le Tromba
il est considéré comme le premier grand gué-
risseur. Est peut-être le bisaïeul d'Andriami-
sara.
Andriamandazoala — Andriana : noble ; —
mandazo : flétrir, v. ; — ala : forêt. « Le noble qui
flétrit la forêt » (la brûle ?). Grand-père d'An-
driamisara. Connu seulement dans le Tromba.
180 LE TROMBA
Andriamisara efa-dahy. — Andriana : noble;
— misara : v. acheter ; — efa : quatre ; — misaraka :
ou séparer ; — dahy de lahy : homme. « Le noble
qui achète » ; « ou le noble qui sépare ». La première
étymologie est une allusion au fait que ce pre-
mier roi sakalave, dont la tradition ait gardé un
souvenir net, fut d'abord un guérisseur toujours
en quête de nouvelles drogues ou ody. La deu-
xième, est une allusion à sa réputation de guerrier
toujours vainqueur. Son vrai nom est Tofotra ;
celui sous lequel il est connu, ainsi que celui de
ses prédécesseurs ou successeurs, est posthume.
Il est fady de prononcer le nom des rois défunts,
ce qui rend très difficile de les retrouver. La
population actuelle semble les avoir oubliés.
Efa-dahy, désigne les fils et petit-fils du roi, de
efatra : quatre ; — lahy : homme.
Andriandahifotsy. — Andriana : noble ; —
lahy : homme ; — fotsy : blanc. Le noble blanc, fils
du précédent qui dut aller régner plus au nord.
Il conquit le Menabe. Son vrai nom n'est pas
connu. Il est signalé vivant encore en 1668 par
un matelot de Fort-Dauphin. Son nom semble
confirmer la tradition qui fait du premier roi
sakalave, celui qui forma la tribu, un blanc. On
retrouve le même nom sous les formes de Lahi-
fotsy, Ilaifotsy, Andriafotsy.
Femmes Sakalaves
DEVENUES CHRETIENNES, ELLES SONT AFFRANCHIES DU TROMBA
LEXIQUE 181
Andriamandisoarivo. — Andriana : noble ; —
mandiso : vb. de diso tort : à qui manque; — arivo :
milliers. « Le noble à qui des milliers ont manqué. »
Son père, Andriandahitfotsy, craignant un com-
pétiteur le renvoya plus au nord. Fondateur du
royaume du Boina — vers 1680 — ou un peu
avant. Son vrai nom est Ramiza : qui balance,
pèse.
Andrianamboniarivo. — Andriana : noble; —
ambony : au-dessus, sur; — arivo : mille. « Celui
qui a régné sur des milliers », fils du précédent;
a définitivement assis la dynastie sakalave sur le
trône du Boina. Son vrai nom est Irano ; est
signalé en 1716, et régnait déjà depuis plusieurs
années.
Ambongo. — Bongo : morceau, bloc, colline ;
— Any an, am : à. Le pays des collines, région
située entre le fleuve Mahavavy et le cap Saint-
André. On l'étend quelquefois beaucoup plus au
sud. On retrouve le nom sous diverses formes
un peu partout dans l'île.
Ambiaty. — Nom d'un village au nord de
Miarinarivo et d'un arbuste qui sert à désigner
le village. La floraison de cet arbuste indique aux
182 LE TROMBA
indigènes la saison propice pour les semailles du
riz en Imerina.
Antalaotsy ou Antalaotra. — Désigne les
premiers Arabes débarqués dans le Boina et leurs
descendants.
Bara. — Nom d'une tribu et de la région
qu'elle habite ; tire son nom de sa manière vio-
lente de parler et des sons gutturaux qu'ils don-
nent à leur dialecte. Bara : rauque.
Betsileo. — Nom d'une tribu et de la région
sur le plateau central où elle est installée. Be :
beaucoup; — tsy: négation; — leo: vaincu. « Leur
nombre empêche de les vaincre » ; les Hova les
soumirent avant 1815, plus par adresse que par
les armes.
Boeny. — Nom donné généralement par les
Vazaha à la région dite Boina. On croit souvent
que c'est une francisation; c'est ce qui reste
d'une contraction comme en font beaucoup les
Sakalaves : Mba ho-eny, futur indiquant le mou*
vement vers. L'idée centrale est : nous allons
là-bas au « doany », nous allons au « service »,
nous nous réunirons à la foule. Mba ho-enyf
Mbo eny, Boeny.
LEXIQUE 183
Boina (Sak.). — Désigne tout le nord-ouest de
l'île, jusqu'au fleuve Sambirano. A l'est sa fron-
tière est la grande chaîne qui s'élève presque brus-
quement pour former les hauts plateaux.
Boina, pour les Sakalaves : grand nombre,
abondance, fertilité. Boina, pour les Hova : apa-
thie, indifférence, insouciance. Les deux étymo-
logies se justifient. L'une vise le pays, l'autre le
caractère des habitants.
Doany (Sak.). — Les tombeaux royaux, dis-
persés dans le nord-ouest. Doany de Mahabo, de
Mahabiba, de Betsioka, etc., etc.
Drury (1687-1743-50). — Aventurier anglais
qu'un naufrage jeta sur la côte ouest de Mada-
gascar ; il a donné une relation de ses aventures.
Il aide ainsi à établir la chronologie des rois
sakalaves, tout en révélant que les mœurs de son
temps n'étaient pas très différentes de celles d'au-
jourd'hui, à l'esclavage près cependant.
Emboka (Sak.). — Encens sakalave, composé
de charbon de bois, de bouse, d'huile de ricin et>
de sève de Ramy (encens blanc). On le brûle par
petites galettes dans des coupes de terre.
184 LE TROMBA
Fady. — Tabou. Défense d'un caractère sacré,
faite par les ancêtres ou en leur nom. On peut
s'imposer des fady en vue de certaines bénédic-
tions. C'est alors un vœu accompli par avance.
Flacourt (Etienne de), 1607-1660, gouver-
neur à Fort-Dauphin, 1648-1655. Conquit l'île
Mascareigne (Bourbon, la Réunion), en 1649 ;
en 1661, parut un livre relatant ses observations.
Hiboka (mot sak.). — Ce qui est en haut, le
domaine des esprits, le ciel. Séjour des dieux, de
Dieu.
Isoavimbazaha. — /, particule indiquant le
respect ; — soa-vina : à qui on a fait du bien ; —
uahaza : les blancs, le blanc. Petit village créé à
l'est de Miarinarivo.
Indien. — Mot qui s'est substitué à indou, qui
désigne des émigrants de diverses parties de
l'Inde.
Joron-dRanahary. — Joro, au sens propre :
qui est debout ; au fig. : prière et aussi sacrifice ;
— Ranahary: les Dieux créateurs. Réunis, les deux
mots indiquent un sacrifice et spécialement l'of-
LEXIQUE 185
frande d'un bœuf devenant propriété des esprits,'
une sorte de capital dont ils tirent intérêt
Kahiamba. — Mot makoa provenant de l'ara-
be-bantouïné. Désigne un carré de 0,20 muni
de deux cloisons de raphia laissant un vide inté-
rieur de 0,03 environ et rempli à la moitié de grai-
nes très sèches. On agite le tout pour accompa-
gner le chant, à la façon d'un tambourin. On
imite le même bruit en écrasant un petit roseau
qu'on roule dans les mains ; il a le même nom.
Mahabiba (pi. bo.). — Mot d'origine Kisoahe-
ly, nom indigène du Baobab. Ville indigène de
Majunga qui doit son nom à ses arbres.
Majunga. — Le plus grand port de l'ouest,
très isolé, réuni à l'intérieur par le fleuve Betsi-
boka. Nom d'origine Kisoahely : les fleurs. Les
indigènes disent beaucoup Majanga, mot qui pro-
vient de l'arabe bantouïsé. Il a le même sens que le
précédent, mais en sakalave il signifie : qui fait
guérir; janga ayant le sens de guérir, tandis qu'en
Merina, il veut dire : mœurs corrompues.
Makoa. — Nègres de l'Afrique, anciens escla-
ves, plus ou moins malgachisés, connus sous dif-
186 LE TROMBA
férents noms : zazamanga : enfants bleus ; — ma-
sombika : mozambiques ; — olo mainty : les gens
noirs.
Marovoay. — Ville à 80 kil. environ de Ma-
junga, sur la rivière du même nom, centre popu-
leux et au milieu d'une région d'avenir. Point
de ralliement d'un grand nombre de tribus et d'in-
dividus,. Maro: beaucoup; — voay: crocodiles.
Menabe. — Mena : rouge ; — be : beaucoup.
Région centrale de l'ouest. Nom provenant peut-
être du sol rouge, ou encore de ce que les riviè-
res charrient des eaux très chargées de terre. Il
est plus probable que le pays tire son nom du
fait que les Sakalaves, pour s'emparer de la
capitale, recoururent à la ruse : ils firent rapide-
ment un grand trou dans lequel ils mirent un
gros bœuf rouge qui, toute une nuit, mugit déses-
pérément après les compagnons dont on l'avait
séparé. Ses beuglements effrayèrent tellement les
habitants spécialement sauvages et ignorants,
qu'ils s'enfuirent, ou ce qui resta se rendit sans
combat. Pour conserver la mémoire de ce haut
fait on appela le pays Mena-be, le Grand rouge,
le mot « bœuf » étant sous-entendu.
LEXIQUE 187
Merina (tribu) et Imerina (pays). — Désigne
les habitants de l' Imerina ; région centrale de
l'île. On a le tort d'écrire et de prononcer en
français Emyrne, mot anglais dont la prononcia-
tion se rapproche beaucoup de Imerina, très facile
à lire, écrire et prononcer en notre langue.
Moasy (sak.). — Guérisseur sakalave ; on
retrouve le même mot dans les formes Ombiasy,
Masy, mpimasy, mpomasy, qui ont le même sens.
En français on dit sorcier.
Ody. — Charme, amulette, gri-gri ; de ody :
retour, qui fait revenir le bonheur, la santé ; a
donné le mot fanafody, traduit par remède.
Rofia. — A donné en français Raphia : sorte
de grand palmier qu'on trouve dans les terrains
humides et spongieux.
Sakalava. — Nom général d'une série de peti-
tes tribus soumises à celle qui fut conduite au
début par Andriamisara.
Saka: chat; — lava: long; étymologie accep-
tée par les Hova qui ne voient dans les Sakalaves
que des guerriers, rusés et hypocrites, toujours
en quête de vol et rapine.
188 LE TROMBA
On a prétendu que Saka venait de Sakana :
large ou travers, et voulait dire que la tribu était
originaire des vallées qui sont en travers de l'île
spécialement au sud.
Une troisième explication originale est possi-
ble, surtout si on adopte la tradition qui veut
qu'un blanc ait conduit la tribu. Sakalaue serait
une transformation, comme on en observe beau-
coup dans la langue, du mot français, Esclave, ou
Slave, en anglais. Plusieurs anciens auteurs ont écrit
Céclave, alors que la prononciation actuelle donne
bien Sakalave, ce qui impliquerait une transfor-
mation nouvelle. Le roi appelait ses esclaves et
ceux-ci ont pris le nom pour s'en parer.
Plus conformes au génie de la langue sont les
indications suivantes : il existe quantité d'exem-
ples où un k prend la place d'un h et vice-
versa, et saka se retrouve souvent : Saka-be ;
Saka-lava ; Saka-fohy ; Saka-maloto ; Saka-
mena, comme noms de rivières. Il est difficile de
traduire Saka par chat avec un qualificatif, ou,
par large, ou travers; mais si le k est un h, hova,
on a Saha, ou vallée, campagne : la longue val-
lée ; la blanche vallée ; la vallée malpropre ; cela
est acceptable d'autant plus que cela corresponde
des noms qu'on retrouve dans les autres parties
de l'île, Sahàbe, Sahalava, etc. On aurait ainsi le
LEXIQUE 189»
lieu d'origine de la peuplade primitive qui a
donné son nom à toutes les tribus du nord-ouest.
— Le mot Saka se retrouve trop souvent pour
qu'on puisse lui donner le sens de barrière, em-
pêchement; mais pris au sens figuré, et le mot
lava traduit par toujours, cela donnerait : « Ceux
qui arrêtent toujours », sens acceptable à la
rigueur, les Sakalaves ayant toujours été un obs-
tacle devant les tribus et même devant les
Arabes et ayant longtemps arrêté les Hova.
Mais il se pourrait bien que tout simplement
les Sakalaves dussent leur nom à leurs habitudes
de vivre, Saka voulant dire : creuser, fouiller.
Or, ils sont un peuple pasteur, ils se mettent très
difficilement au travail de la terre. On les accuse
même d'être paresseux (ceux qui ne compren-
nent pas qu'on peut travailler autrement qu'eux).
Mais pour avoir les racines de la forêt et en par-
ticulier les grosses ignames, les Sakalaves sont très
habiles à fouiller le sol avec de grands bâtons
dont la pointe a été durcie au féu. On trouve
très souvent les traces de ces fouilles dès qu'on
s'éloigne un peu des rizières. Les Sakalaves seraient
donc le peuple qui fouille, creuse toujours. On
peut ajouter que les rivières appelées Saka avec
un qualificatif fouillent le sol, traversent de véri-
tables gorges, avant d'arriver dans la région
190 LE TROMBA
côtière, presque plate. L'une d'elles même est ap-
pelée la Sakalalina : Mina, profond. « La rivière
qui fouille profondément. »
On peut choisir suivant son goût entre ces
différentes suppositions.
Sikidy. — Graines arrangées dans des carrés
supposés et nommés, formant des figures qui,
combinées entre elles, donnent l'horoscope. Le
sikidy peut éclairer n'importe quel mystère : c'est
le système de divination par excellence, d'ori-
gine arabe.
Sikina. — Pièce d'étoffe que les hommes sakalav es
roulent autour de leurs reins en la laissant flot-
ter jusqu'à mi-jambe.
Tromba (sak.). — Esprit, ancêtres, Dieux ;
en réalité : état d'hypnose plus ou moins com-
plet, survenant à la suite d'un affaiblissement
physique causé par la maladie ou par les excès qui
privent le malade de toute volonté. Pendant
l'accès qui peut être provoqué ou dû à l'entraî-
nement, le sujet se croit, et il est cru dépositaire de
la pensée des Dieux qui demeurent en lui et
parlent par lui. Le chant rythmé et diverses pra-
tiques hâtent l'entrée en trance.
LEXIQUE 191
Tsodrano. — Litt. soufflement d'eau : béné-
diction. Les anciens bénissant leurs enfants se
remplissaient la bouche d'eau et la soufflaient sur
leur tête.
Taoro ou taureau, franc. — Nom donné à un
gros vin spécialement apprécié des gens de la
côte.
Vala-be (sak.). — Vala. Sak. (Rova en hova) :
barrière, enceinte qui défend l'entrée des tom-
beaux du Zomba-be, de la demeure royale ; be :
grand.
Vala-mena (sak.). — Deuxième enceinte au-
tour de la cour spécialement réservée; — mena:
rouge, couleur royale.
Zanahary. — Créateur, appliqué très souvent
aux ancêtres ; on dit aussi : Ranahary, Andria-
nahary.
Zomba-be (sak.). — Du mot Kisoahely Uyum-
ba: maison; — be: grand. La grande maison, con-
tenant le Zomba-faly à Mahabiba.
*
Zomba-faly (sak). — Zomba : maison ; faly :
192 LE TROMBA
le mérina ; fady (en dial. sak. le d hova devenant
généralement un Z). Case à l'intérieur du Zomba-be
et réservée spécialement aux restes des ancêtres
Andriamisara efa-dahy, et interdite à ceux qui
n'ont pas été expressément désignés par les es-
prits.
N.-B. — o se prononce comme ou français ;
sur la côte il se prononce souvent à la française
o, comme dans notre.
ao se prononce comme au français, comme dans
faute.
J se prononce comme Dz français : Joro : Dzoro
ou Dzourou.
e se prononce comme é français : Be : bé.
INDEX DES GRAVURES
Pages
1. Carte de Madagascar 36
2. Un arbre sacré , 44
3. Marovoay : Le service. Un groupe devant
les Manandria . . 48
4. » » Partie de groupe :
Une victime .... 52
5. » » Allant au tromba. 60
6. » » Les esprits dans
les Manandria
entraînent les
porteurs 64
7. » » La foule disant
adieu aux Ma-
nandria 68
8. Mahabiba : Le Zomba-be. L'ensemble 76
9. » » Devant le Vala-
Mena 80
10. » » Dans la cour. . . 84
11. » » Dans la cour un
jour de fête.. . 92
12. » » Dans l'intérieur.
Le Zombafaly. 96
13
194 LE TROMBA
Pages
13. Mahabo : Le Doany. L'ensemble 100
14. » » La Porte et les
gardiens 108
15. » » Le tombeau d'An-
driamahatendri-
arivo 112
16. » » Un groupe invo-
quant les morts . 116
17. Mahabokely : Le Doany. — On sort
les Manandria 124
18. Ampasimena. — Celles qui chantent au
Tromba 128
181)is. » » 132
19. Un Fondy et ses femmes 140
20. lre Série d'Ody ou charmes 144
21. 2e » » » 148
22. Colliers d'ornements composés d'Ody.. 156
23. Le long des chemins : Les pierres votives. 160
24. Femmes sakalaves de Nosi-Be 164
25. Un affranchi 172
26. Un groupe de femmes affranchies .... 180
TABLE DES MATIERES
Pages
Introduction . 5
Avertissement 33
Chapitre premier. — De l'origine d'une tribu
et de son culte 35
Chapitre II. — Les Lolo ou esprits 41
Chapitre III. — Les Doany sakalaves et
le Fanompoa ou le service 55
Capitre IV. — Ny andro Lehibe ou « les
grands jours » 63
Chapitre V. — Le Tromba : Quelques notes. 75
Chapitre VI. — Le Tromba : Maladies —
agents — préparatifs 99
Chapitre VII. — Le Tromba : Les quatre
grands stades 111
Chapitre VIII. — Diversité du Tromba. . . . 129
Chapitre IX. — Les chants dans le Tromba 140
Chapitre X. — Causes et effets du Tromba, 152
Lexique 169
Index des Gravures 183
FIN
ALENÇON & CAHORS, IMPRIMERIES A COUESLANT. — 2.C
. s \
\
liî
University of
Connecticut
Libraries
39153027765694