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Full text of "Une heure chez M. Barrès"

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PQ 
2603 
.A52Z76 
1890 


U  dVdf  OTTAM* 
3900300398'1183 


\i. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  witli  funding  from 

Universityof  Toronto 


littp://www.arcliive.org/details/unelieurecliezmbarOOpari 


UNE   HEURE 


CHEZ  M.  BARRES 


EMILE   COLIN  —   liCPRlMERIE    DE   LAGNY 


UNE  HEURE     ^/ 

CHEZ  M.   BARRÉS  ^ '^^f 


PAR 

UN    FAUX 

RENAN 


Un  fuhlicisie  judicieux  a  écrit 
des  cotiversaiions  de  Goctke  avec 
Echcrniann  tjuc,  si  elles  n'avaient 
fas  et;  tenues  réellement,  il  fau- 
drait les  inventer. 

M.  B. 


PARIS 
TRESSE  &  SIOCK,  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

8,9,   lO,  II,  GVLERIE   DU  THtATRE-FRA  NCAIS 


1890 
Tous  droits  réservé 


r 


?Q 


NOTE 


Cette  fantaisie  sera-t-elle  ac- 
cueillie avec  faveur  par  les  déli- 
cats ?  Sera-t-elle  comprise  de  tous, 
dans  l'entourage  littéraire,  poli- 
tique et  jnondain  de  M.  Maurice 
Barrés  ?  Plaira-t-elle  à  ce  der- 
nier ? 

Je  veux  espérer  quelle  ne  le 
chagrinera  point  trop.  Il  7ie  pour- 
rait en  savoir  mauvais  gré  à  son 
auteur,  lui  qui  a  dit  :  u  Ce  ton,  fort 
reçu  envers  les  mortels,  sied-il  avec 
les  vivants  ?  On  s'accorde,  pour 
l'ordinaire,  à  parler  de  ceux-ci 
avec  habileté  et  de  ceux-là  seuls 
avec  sincérité.  C'est  affaire  d'éthi- 
que  personnelle.  » 

Soyons  sincères  ! 

L. AUTEUR. 


UNE   HEURE 

CHEZ  M.  BARRÉS 


Jeudi  dernier,  vers  cinq  heures 
de  l'après-midi,  je  passais  devant  le 
Palais- Bourbon.  J'étais  à  pied.  Un 
jeune  homme  imberbe,  de  teint  un 
peu  bilieux,  distingué,  fort  correc- 
tement vêtu,  me  salua  profondé- 
ment, en  me  croisant  sur  le  trot- 
toir. 

Après  avoir  rendu  le  salut,  je  me 
retournai  pour  voir  si  je  ne  me 
trompais  point  en  pensant  ne  pas  le 
connaître  —  bien  que  cette  tête 
fine  me  rappelât  un  diacre  qui  s'oc- 


Une  heure  che:(  M.  Barres. 


cupa  de  l'éducation  de  mon  petit- 
tils. 

Le  jeune  homme,  qui  avait  con- 
tinué son  chemin,  se  retourna  éga- 
lement. Et,  comme  je  portais  la 
main  droite  à  mon  front,  me  de- 
mandant :  •  Qui  est-ce  ?  »  il  prit  ce 
geste  pour  un  appel,  sans  doute, 
car,  venant  à  moi,  chapeau  bas: 
—  ((  Comment,  cher  maître,  me 
dit-il,  vous  ne  m'en  voulez  donc 
pas  ?  Et  vous  me  permettez  encore 
de  vous  saluer  ?  » 

Je  le  regardais,  avec  le  sourire 
d'un  homme  qui  va  s'écrier:  u  l^ar- 
don  !  il  y  a  erreur!  »  Il  crut  à  une 
approbation  et  continua: 

«  —  Je  n'aurais  pas  osé  me  pré- 
senter chez  vous,  où  vous  me  rece- 
viez si  bien,  avant  que  j'eusse  public 
Huit  jours  che:^  M.  Renan...  Mais, 
je  suis  heureux  de  l'occasion  qui 
m'est  offerte  de  vous  répéter  ce  que 
j'ai  écrit  dans  une  seconde  édition, 


Une  heure  clie:^  M.  Barrés.       g 


qui  vient  de  paraître  :  «  J'ai  été  mé- 
connu par  un  maître  que  je  goûte 
fort!  n 

J'étais  stupéfait.  Ce  jeune  homme 
croyait  parler  à  M.  Renan?  J'ai 
donc  quelque  ressemblance  physi- 
que avec  cet  homme  illustre  ? 

J'avoue  avoir  peu  lu  les  œuvres 
de  celui  que,  voilà  une  trentaine 
d'années,  le  cure  du  village  où  j'é- 
tais notaire  appelait  :  l'Ante-Christ. 
Je  sais  seulement  qu'il  est  fort  con- 
sidéré, qu'il  est  de  l'Académie  Fran- 
çaise. 

L'erreur  me  flatta.  Mais,  comme 
il  ne  fallait  point  qu'elle  durât,  je 
dis,  d'un  ton  fort  courtois  : 

—  Mon  jeune  ami,  vous  vous 
trompez... 

Ma  phrase  fut  interrompue  par 
l'arrivée  d'un  homme,  en  gilet 
rouge  et  habit  à  larges  boutons  de 
cuivre,  qui  tendit  une  lettre  à  mon 
interlocuteur  : 


lo      L'ne  heure  che^  M.  Barrés. 

—  Pardon,  messieurs...  mon- 
sieur le  député,  voici  une  lettre  que 
j'avais  oublié  de  vous  remettre... 

—  «  Ces  garçons  de  la  Chambre 
sont  bien  mal  stylés  !  »  me  dit,  en 
souriant,  le  jeune  homme. 

D'un  coup  d'œil  j'avais  lu,  sur 
Tenvcloppe  :  A  monsieur  Maurice 
Barrés. 

J'allais  d'étonnement  en  ctonne- 
ment.  Je  causais  avec  un  député? 
J'aurais  plutôt  cru  un  bachelier 
venant  d'abandonner  sa  tunique  ! 
Mais  je  me  souvins  d'un  de  mes 
poètes  favoris  :  a  La  valeur  n'at- 
tend pas...  etc.  ))  Et  je  me  rappelai 
avoir,  en  effet,  vu  ce  nom  :  Maurice 
Barrés,  dans  les  journaux,  au  mo- 
ment des  dernières  élections. 

Toutes  ces  pensées,  bien  en- 
tendu, me  passèrent  par  la  tête,  en 
une  seconde.  J'allais  reprendre  ma 
phrase  :  «  Vous  vous  trompez  », 
lorsqu'une  idée  folle  me  vint  :  si  je 


Cne  heure  chc^  M.   Bai 


poussais  la  farce  un  peu  plus  loin  ? 
J'étais  libre,  jusqu'il  l'heure  du 
dîner...  C'était  décidé...  je  serais 
M.  Renan,  et  je  ferais  parler 
M.  Maurice  Barrés,  Ce  jeune 
homme  me  paraissait  intelligent,  sa 
conversation  ne  pouvait  manquer 
d'être  agréable.  Puisqu'il  avait  écrit 
un  livre,  c'est  qu'il  s'adonnaic  à  la 
littérature.  Puisqu'il  était  député, 
c'est  qu'il  faisait  de  la  politique  ; 
deux  choses  qui  me  captivèrent  tou- 
jours, à  mes  moments  perdus... 
Oui,  j'étais  bien  M.  Ernest  Renan. 

Mais,  comme  je  ne  savais  pas  à 
quoi  M.  Barrés  voulait  faire  allu- 
sion, je  crus  prudent  de  déclarer, 
en  recommençant  mj  phrase  : 

—  Mon  jeune  ami,  vous  vous 
trompez  ..  si  vous  croyez  que  je 
puisse  en  vouloir  de  quelque  chose 
à  qui  que  ce  soit.  A  mon  âge,  on 
est  indulgent...  Je  ne  vous  demande 
que   de    ne   plus   [varier   de    cela... 


12     L'fie  heure  che:^  M.  Barres. 

Bien  mieux,  ne  pariez  pas  de  moi, 
mais  seulement  de  vous.  Cela  vous 
va-t-il?...  Ne  restons  pas  ici...  Où 
alliez-vous  ?...  Je  vais  de  votre 
côté... 

—  «  Je  rentrais  chez  moi,  cher 
maître...  » 

—  Pour  travailler?...  C'est  bien... 
Vous  m'y  accompagnerez. 

Et,  comme  nous  traversions  la 
chaussée,  M.  Barrés  s'écria  : 

—  «  Si  nous  prenions  garde  à  ces 
voitures  ?...  J'en  ai  très  peur  !  » 

—  Vous  avez  raison,  répondis-je 
en  riant.  .\  mon  âge,  je  puis  me 
faire  écraser. . .  Mourir  ainsi,  ou  au- 
trement... J'ai  fini  mon  œuvre... 
Mais  il  serait  regrettable  qu'en  vous 
renversant,  un  cocher  privât  la 
France  d'une  de  ses  futures  gloires  ! 

M.  Barrés  se  contenta  de  sourire, 
d'un  air  entendu.  Et  je  crus  l'en- 
tendre murmurer  :  t  Pourquoi  : 
futures  ?  » 


LA   POLITIQUE 


Quand  nous  fûmes  sur  le  pont 
de  la  Concorde,  M.  Barrés  me  dit; 

—  «  Cet  endroit  est  plein  de  sou- 
venirs pour  moi.  Ah  !  cher  maître, 
si  vous  aviez  vu,  l'an  dernier,  avant 
les  échecs  définitifs  du  parti  auquel 
j'appartiens,  les  manifestations  po- 
pulaires qui  nous  y  étaient  offertes. 
Nous  traversions  ce  pont  et  cette 
place,  à  la  sortie  de  la  Chambre, 
en  serrant  des  milliers  de  mains 
révisionnistes  !...  C'était  tou- 
chant... » 

Cela  était  débité  avec  une  nuance 


14     Une  heure  che:ç  M.  Bxnès. 

charmante  de  raillerie.  M.  Barrés, 
après  avoir  enflé  la  voix  aux  mois 
«  manifestations  populaires  »,  lan- 
çait le  «  mains  révisionnistes  »  sur 
un  crescendo  de  ton,  en  scandant 
les  dernières  syllabes.  L'expression 
me  parut  heureuse,  d'ailleurs.  C'est, 
je  crois,  une  vraie  trouvaille. 

—  u  Mais,  reprii-il,  toutes  ces 
vaines  agitations  de  vos  contempo- 
rains vous  laissent  assez  froid... 
Dites-moi,  cher  maître,  n'avez-vous 
pas  découvert  beaucoup  de  «  Gé- 
néral Boulanger  w  dans  Thistoire 
des  Assyriens  ?  » 

—  Oui,  répondis-je,  payant  d'au- 
dace,... à  chaque  fois  que  les  hom- 
mes voulurent  cesser  d'être  libres! 

—  t  Si  je  n'étais  respectueux, 
cher  maître,  je  vous  dirais  que  c'est 
Vi  une  phrase  que  j'ai  maintes  fois 
entendue  dans  les  réunions  publi- 
ques... Mais,  sans  doute,  désirûtes- 
vous   faire   une  allusion  délicate  à 


Une  heure  che^  AI.  Barrés,      ib 


une  de  mes  œuvres?  En  ce  cas, 
vous  savez,  peut-être,  qu'en  écri- 
vant :  Un  Homme  Libre  je  ne  son- 
geais guère  à  la  politique.  » 

Mon  rôle  commençait  à  m'em- 
barrasser.  M.  Barrés  me  collait  fa- 
cilement, en  me  parlant  des  Assy- 
riens. Le  «  peut-être  »  de  sa  dernière 
phrase  m'indiquait  qu'il  avait  dû 
envoyer  son  volume  à  M.  Renan. 
Je  sais  que  les  auteurs  font  ainsi 
présent  de  leurs  œuvres  aux  per- 
sonnes dont  l'estime  a  pour  eux 
quelque  prix.  Je  le  sais,  ayant  reçu 
deux  fois  des  traductions  d'Horace, 
en  vers  français,  dues  à  la  plume 
d'un  de  mes  collègues  en  notariat. 

Mais  j'évitai  une  réponse  en  di- 
sant : 

—  Ah!  la  politique!  Chose  bien 
compliquée.  Quelle  idée  d'en  faire, 
à  votre  âge!  Laissez  cela  à  ceux  qui 
ont  épuisé  la  vie?  Vous  êtes  jeune, 
vous  avez  du  talent,  vous  avez  de 


i6      Une  heure  che^  M.  Barrés. 


l'esprit.  Vous  êtes  assez  beau  cava- 
lier pour  que  les  belles  dames  ne 
vous  soient  point  sévères.  Si  vous 
perdez  votre  temps  à  correspondre 
avec  vos  électeurs,  quand  ferez-vous 
des  chefs-d'œuvre?  Quand  aimcrez- 
vous?  Quand  vivrez-vous? 

—  a  Laissez-moi  vous  apprendre, 
cher  maître,  répliqua  xM.  Barrés, 
que  je  ne  corresponds  guère  avec 
mes  électeurs.  Les  députés  gouver- 
nementaux sont  assaillis  de  réclama- 
tions des  fonctionnaires  qui  firent 
pour  eux  campagne.  Il  leur  faut 
courir  les  ministères,  demander  de 
l'avancement  pour  celui-ci,  une  aug- 
mentation pour  celui-là,  puis,  obte- 
nir un  bureau  de  tabac  pour  un 
président  de  comité,  un  sursis  d'ap- 
pel pour  un  réserviste,  une  réduc- 
tion d'amendes  pour  un  fraudeur 
bien  pensant...  enfin,  entretenir  des 
relations  avec  le  préfet,  les  sous- 
préfets,   les  maires    et   les   gardes- 


Une  heure  che:;  M .  B.irrès.      1 7 


champêtres  du  département...  Ils 
reçoivent,  le  matin,  cinquante  lettres 
exigeant  une  réponse,  et,  si  le  dé- 
parlement est  proche  de  Paris,  vingt 
visites,  au  moment  du  déjeuner,  ce 
qui  bouleverse  l'estomac...  Mais 
moi,  je  suis  de  l'Opposition...  Un 
fonctionnaire  se  garderait  bien  de 
m'écrire,  de  peur  d'être  révoqué. 
Mes  électeurs  ne  me  demandent 
rien,  sachant  que  je  ne  puis  rien 
obtenir...  Et  puis,  ce  sont  de  braves 
ouvriers,  heureux  d'avoir  un  repré- 
sentant connu...  Périodiquement, 
ma  signature  paraît,  dans  un  journal 
très  répandu,  au  bas  d'un  article 
traitant,  le  plus  souvent,  des  ques- 
tions sociales...  à  un  point  de  vue 
élevé...  Je  ne  pense  pas  qu'ils  aient 
jouissance  à  me  lire,..  Mais  ils  cons- 
tatent que  je  m'occupe  d'eux.  Ils 
savent  mes  votes...  J'ai  une  feuille  à 
ma  dévotion  là-bas,  qui  parle  de  moi 
fréquemment...  J'ai  déjà,  deux  fois, 

3 


i8      Une  heure  che^  M.  Barres . 

rendu  compte  de  mon  mandat  avec 
succès...  Et  en  voilà  encore  pour 
trois  ans  et  demi...  » 

Comme  M.  Barrés  se  taisait,  pour 
reprendre  haleine,  je  lui  dis,  avec 
sincérité  : 

—  Ah  !  c'est  très  curieux  tout 
cela...  du  moins  ce  que  vous  m'ap- 
prenez sur  le  bonheur  des  députés 
de  l'Opposition.  Mais,  votre  situa- 
tion personnelle,  à  la  Chambre?... 
Vous  amusez-vous  énormément? 

Il  reprit  : 

—  ((A  vrai  dire,  non.  Ce  n'est 
point  chose  digne  de  l'attention  d'un 
philosophe  qu'un  débat  sur  le  «  Ré- 
j)  tablissement  du  Droit  de  vaine 
»  pâture,  »  débat  auquel  prennent 
part  quatre  personnages  qui  vous 
parlent  du  <(  sein  de  la  Commission  » 
et  que  seuls  trois  ruraux  écoutent, 
Pendant  ces  longues  séances,  les  mi- 
nistériels font  leur  courrier.  Moi, 
je  préfère  aller  à  la  bibliothèque.  » 


Une  heure  cUe^  M.  Bjirrès.       iq 

—  Ou  à  la  buvette?  inierrompis- 
je  avec  esprit. 

—  «  Je  ne  bois  jamais!  me  ré- 
pondit sévèrement  M.  Barrés.  Ma 
seule  débauche  est  d'aller  fumer  un 
cigare  dans  les  couloirs...  Si  un 
scrutin  se  présente,  des  camarades 
complaisants  ontl'honneur  de  mettre 
dans  les  urnes  des  bulletins  à  mon 
nom.  C'est  très  commode...  » 

—  Et,  dans  quels  termes  êtes-vous 
avec  vos  collègues? 

—  «  Bien,  avec  mes  amis  poli- 
tiques, naturellement.  Au  mieux 
avecquelques  membres  de  la  droite... 
les  socialistes  catholiques...  des  gens 
bien  élevés...  Mal  avec  quelques 
gouvernementaux  connus  jadis  et 
qui  me  reprochèrent  sottement  le 
boulangisme...  Le  reste,  indifférent. 
Beaucoup  d'imbéciles,  là-dedans... 
Aucun  intérêt  à  les  fréquenter... 
Aucune  conversation.  En  somme, 
très    peu    de    valeurs    réelles    à    la 


•zo      Une  heure  che:^  M.  Barres. 


Chambre.  Je  cherche  des  gens  qui 
soient  l'équivalent  de  Berryer,  de 
Lamartine...  je  mets  Hugo  en  de- 
hors... Parmi  mes  amis,  un  homme 
que  je  crois  très  fort,  c'est  La- 
guerre.  . .  > 

—  Vous  n'avez  pas  encore  parlé  à 
la  tribune?  Vous  êtes-vous  décou- 
vert un  talent  d'orateur? 

—  <(  C'est  un  genre  spécial...  De 
l'esprit,  de  bons  mots,  réparties 
vives  aux  interruptions,  et  de  belles 
phrases,  pour  tinir,  point  pom- 
peuses, mais  bien  rhytmées,  dans 
les  notes  douces,  avec  des  idées  gé- 
nérales... Je  n'ai  encore  parlé  qu'en 
réunions  électorales,  où  je  me  fis 
applaudir,  bien  que  n'employant 
point    les    habituelles   formules...  » 

—  A  quand  vos  débuts  à  la 
Chambre? 

—  a  Oh!  c'est  très  ditBcile!...  On 
ne  se  figure  pas  au  dehors  la  façon 
dont  tout  cela  s'organise...  Une  fois 


Une  heure  che^  M .  Barrés. 


je  veux  «  prendre  la  parole  »,  mes 
amis  m'en  empêchent.  Pas  d'ordres, 
bien  entendu. ..  Mais  on  me  prie  de 
laisser  un  des  chefs  de  file  faire  le 
discours...  A  droite,  une  autre  fois, 
on  me  représente  que  si  c'est  un 
boulangiste  qui  attache  le  grelot, 
l'affaire  est  perdue  et  on  m'engage 
à  y  renoncer...  Alors  quoi.'*...  C'est 
d'ailleurs  chose  inutile  qu'une  inter- 
pellation... Le  gouvernement  est 
toujours  assuré  du  triomphe...  On 
se  fait  huer  par  les  ministériels,  et 
Floquet  vous  morigène  avec  des 
sentences  que  lui  souffle  son  se- 
crétaire... Non...  je  parlerai  un 
jour,  sans  l'annoncer,  sur  une  ques- 
tion ouvrière...  J'apporterai  des 
chiffres.  On  sera  ctonné...  Je  serai 
très  court...  Je  dirai  que  je  ne  viens 
pas  faire  de  phrases...  Si  je  prépa- 
rais une  séance?  Une  salle  à  la 
sauce  Deschanel?  Je  serais  coulé, 
sûrement...  J'ai  des  amies  qui  m'ont 


22      Une  heure  che:^  M.  B.irrès. 

prié  de  les  avertir... elles  voudraient 

m'entendre...  je  m'en  garderai  bien. 
C'est  une  trop  grosse  partie  à  jouer, 
pour  le  moment...  L'an  dernier, 
l'Opposition  se  faisait  écouter...  Ah! 
si  nous  avions  réussi'...,  Mais,  main- 
tenant... à  moins  d'événements 
bien  inattendus  et  qu'on  ne  peut 
même  pas  prévoir...  rien  à  faire... 
On  verra  venir...  » 

—  Et  le  général  Boulanger?  de- 
mandai-je. 

—  «  Cher  maître,  me  dit  M.  Bar- 
rés, nous  voici  arrivés  à  Ta  porte  de 
mon  logis...  Voulez-vous  me  faire 
l'honneur  de  vous  y  reposer  un  ins- 
tant? Le  général  Boulanger?...  C'a 
été  un  très  bon  tremplin!  » 


II 


LARRANGEMENT    DE    LA    VIE 


Donc,  nous  étions  arrivés  à  la 
porte  de  la  demeure  de  M.  Barrés. 
En  l'écoutant  parler,  je  n'avais  point 
pris  attention  au  chemin  parcouru. 

—  Vous  avez  choisi  un  beau  quar- 
tier, lui  dis-je.  Quelle  est  donc  cette 
place  ? 

—  u  La  place  Malesherbes,  ré- 
pondit M.  Barrés.  En  face,  voici 
l'hôtel  Gaillard.  Moi,  j'habite  l'an- 
cien atelier  de  Bastien-Lepage... 
l'appartement,  pour  mieux  dire... 
l'atelier  est  inoccupé...  Il  me  sert 
de  salle  d'armes...  » 


24      U}xe  heure  che:^  M.  Banès. 

Nous  traversâmes  un  long  couloir 
et  montâmes  un  escalier  à  rampe  de 
chcne  où  je  faillis  me  rompre  le 
cou,  vu  l'obscurité.  Une  vraie  en- 
trée de  cloître...  J'ai  cherché  le  bé- 
nitier... Trop  de  moyen-âge,  pour 
un  jeune  homme  aussi  moderne. 
Deux  étages.  Nous  entrâmes. 
M.  Barrés  me  dit  : 

—  Voici,  cher  maître,  mon  souf- 
froir,  comme  dirait  mon  ami 
Bourget. 

Je  ne  sais  quel  est  ce  dernier 
personnage.  Un  soir  qu'un  vieux 
camarade  de  l'École  de  Droit  m'en- 
traîna, en  souvenir  des  fêtes  de 
notre  jeunesse,  dans  de  mauvais 
lieux,  j'entendis  avec  plaisir,  au 
café-Concert,  un  chanteur,  déguisé 
en  ouvrier  pochard,  qui,  je  crois, 
portait  ce  nom.  Est-ce  de  lui  qu'a 
voulu  me  parler  M.  Barrés  ?  Toutes 
proportions  gardées,  M.  Gambetta, 
le  grand  orateur,  ne  fréquentait-il 


Une  heure  che:^  M.  Barres.     2  3 

pas  M.  Coquelin,  de  la  Comédie- 
Française?  et  Napoléon  n'admettait- 
il  pas  Talma,  parmi  ses  familiers? 
Mais,  passons. 

J'inspectai  rapidement  Tendroit 
où  je  me  trouvais.  C'était  une  pièce 
de  cinq  mètres  de  long,  sur  quatre 
de  large.  Pas  de  tapis,  sur  le  par- 
quet ciré.  Les  murs  étaient  recou- 
verts d'une  étoffe  bleu-de-soldat. 
Pas  de  tableaux,  ni^de  gravures. 
Sur  la  cheminée,  entre  deux  candé- 
labres de  bronze,  une  photographie 
du  général  Boulanger,  en  petite 
tenue,  avec  une  dédicace  datée  de 
Jersey.  Les  meubles,  riches  et  de 
bon  goût.  D'abord,  une  large  table 
de  noyer  à  pieds  tournés,  couverte 
de  livres,  de  journaux  et  de  papiers, 
avec  tout  ce  qu'il  faut  pour  écrire. 
Une  autre  table,  en  palissandre  in- 
crusté d'ivoire.  Un  cabinet  de 
même  style.  Pas  de  bibliothèque, 
ce  qui  me  surprit.   Deux  fauteuils. 

4 


20      Une  heure  che:{  M.  Barrés. 


Enfin,  un  divan,  long,  recouvert 
d'un  vieux  tapis  persan,  avec  un 
coussin. 

Comme  je  regardais  ce  divan, 
M.  Barrés  me  déclara  : 

—  <L  Oui,  c'est  la-dessus...  » 

Je  compris  et  me  contentai  de 
répliquer  : 

—  N'en  abusez  pas  î... 

—  «En  user,  de  façon  discrète, 
suffit  bien!  répondit  M.  Barrés.  Ce 
n'est,  après  tout,  intéressant  que 
comme  intermède  I  Et  je  n'y  vois 
point,  cher  maître,  la  large  joie  que 
vous  dites,  un  jour,  être  l'une  des 
meilleures  choses  de  la  vie...  Ce  ne 
furent  pas  souvent  les  objets,  une 
minute  désirés,  que  j'y  possédai  .. 
Il  m'eût  fallu  dépenser  trop  d'ins- 
tants et  trop  de  soins...  Je  suis  in- 
capable d'une  longue  attente...  Je 
profitai  plutôt  de  hasards,  que  je 
ne  cherchais  point  à  faire  naître... 
Je    récompensai     aussi     des    insis- 


Une  heure  clier;  M.  B.irrès.      27 

tances...  Des  dames  viennent  quel- 
quefois me  demander  des  billets, 
pour  assister  à  une  séance  de  la 
Chambre,  ou  me  prier  de  signer 
une  des  mes  œuvres...  Ces  aven- 
tures pourraient  divertir  un  san- 
guin... Elles  m'enlèvent  de  pré- 
cieuses heures  de  méditation,  sans 
compensation  suffisante.  C'est  ce 
que  j'y  vois  de  plus  clair...  » 

—  Pourtant.  .  hasardai-je.  timi- 
dement, les  femmes  ont  du  bon!... 

—  «  Le  seul  instant  où  je  pense 
cela,  reprit  mon  interlocuteur,  est 
celui-ci  :  Après  un  lin  dîner,  au- 
quel j'ai  peu  fait  honneur,  quelques 
gouttes  de  vin  authentique  et  vieux 
m'ayant  légèrement  surexcité,  je 
suis  au  milieu  de  jeunes  dames, 
très  belles,  très  élégantes  et  très 
décolletées,  et  de  respectables 
amies  très  spirituelles,  je  con- 
trefais M.  deV...  ou  dis  quelques 
méchancetés    sur    M.    Z...,    l'audi- 


28      Une  heure  che:ç  M.  Barres. 


toire  sourit  avec  complaisance.  Il  y 
a  comme  une  possession  de  ces  cer- 
veaux. Et  parfois,  mes  yeux  s'arrê- 
tent une  seconde  de  plus  qu'il  n'est 
convenable  sur  deux  yeux  brillants, 
qui  semblent  consentir;..  Mais  il 
faudrait  que  la  chose  ne  fiât  pas 
remise  au  lendemain  1  » 

—  Vous  aimez  beaucoupallcr  dans 
le  monder  demandai-je. 

—  «  C'est  une  distraction  plus 
noble  que  la  fréquentation  des  bras- 
series, dites  littéraires,  répondit 
M.  Barrés.  Les  artistes  qui  font  fi 
des  salons,  me  paraissent  être  ceux 
qui  n'y  peuvent  pénétrer.  J'aime 
mieux  écouter  de  charmantes  niai- 
series, dites  par  une  personne  gra- 
cieuse, ou  des  banalités  débitées 
par  un  homme  considérable,  et 
cela  dans  un  décor  réjouissant  l'œil, 
que  d'entendre,  pour  la  centième 
fois,  dans  le  bruit  des  soucoupes, 
un  raté  débiner  mes  confrères,  ou 


Une  heure  che:^  M.  Barrés.      29 

un  grossier  écrivain  de  talent  expo- 
ser son  critérium,  en  fumant  sa 
pipe.  Je  me  fourvoyai  jadis  dans 
ces  milieux  et  m'y  énervai.  C'est 
toujours  la  même  chose.  Celui  qui 
ne  sait  pas  en  sortir  n'arrivera 
jamais  à  urie  situation  enviable.  Ce 
n'est  point  là  que  se  bâtit  une  répu- 
tation. Pas  plus  qu'au  boulevard. 
Fini,  le  boulevard...  Les  ancêtres 
nous  le  montrent  comme  l'endroit 
où  se  font  les  célébrités.  Ce  fut 
peut-être  vrai,  dans  le  temps;  mais, 
aujourd'hui,  pensez-vous  qu'un 
article  de  Wolff  ou  un  écho  de 
SchoU  suffise  pour  lancer  un 
homme  .'^  Les  chroniqueurs  peuvent 
aider.  C'est  tout.  ,Dix  fois,  les  jour- 
naux du  boulevard,  réunis,  consa- 
crèrent leur  Premier-Paris  à  un  ro- 
man dont  l'auteur  était  un  confrère 
influent  ou  un  amateur  à  la  bourse 
largement  ouverte  ;  on  vendit  deux 
éditions.  Ce  sont  les    papotages  de 


:o      l'ne  heure  c'i"-  M.   B.irrès. 

salon  qui  sont  utiles,  avant  tout.  Il 
y  a  des  exceptions,  mais  rares... 
C'est  moins  l'œuvre  de  Zola  elle- 
même,  qui  lui  donna  sa  situation, 
que  le  scandale  qu'elle  causa  dans 
les  milieux  mondains.  Et,  voyez  : 
Zola,  désireux  de  devenir  votre  col- 
lègue à  l'académie,  et  de  tâter 
sa  gloire,  autrement  que  par  les 
rapports  de  Paul-Alexis,  s'est  fait 
présenter  dans  plusieurs  salons, 
heureux  d'ailleurs  de  le  recevoir... 
Puisqu'un  indépendant  comme  lui 
finit  par  faire  amende  honorable, 
pourquoi  ne  pas  commencer  par  où 
il  termine?  Il  est  des  auteurs,  de 
talent  très  médiocre,  qui  seraient 
méprisés  par  tout  le  monde  sMs  ha- 
bitaient le  Chat-Noir^  et  qui  ven- 
dent à  cinq  éditions,  parce  qu'ils 
sont  de  bonne  compagnie...  Vous 
ignorez,  cela,  cher  maître,  parce 
que  vous  avez  eu  des  débuts  très  spé- 
ciaux.  Mais  croyez-vous  qu'on  eût 


Une  heure  che:;  M.  Barres.     3i 

pris  au  sérieux  Tauieur  de  la  Vie  de 
Jésus  s'il  avait  pris  l'absinthe,  tous 
les  jours,  sur  le  perron  de  Tortoni 
et  passé  la  moitié  de  ses  nuits  au- 
tour de  la  table  de  baccarat  du  Cer- 
cle de  la  Presse?  » 

J'approuvai  de  la  tétc.  M.  Barrés 
continua  : 

—  «  J'ai  ce  i)onheur  d'avoir  peu 
de  vices,  et  d'être  irritable.  C'est 
dans  cette  pièce  que  je  me  réfugie 
pour  fuir  les  fâcheux,  et,  quand  j'y 
suis,  nulle  passion  violente  ne  m'ap- 
pelle au  dehors.  J'ai  l'intérieur  d'un 
homme  marié,  dont  la  femme  serait, 
à  sa  grande  joie,  toujours  en  voyage. 
Dès  que  cela  me  fut  possible,  je 
pris  à  mon  service  une  vieille 
femme  discrète  et  louai  un  apparte- 
ment confortable.  Je  déjeune  et 
dîne  chez  moi.  Je  ne  vais  jamais 
plus  au  restaurant.  C'est  le  manque 
de  «  chez  soi  «qui  conduit  à  la  paresse 
trop   d'esprits    distingués.   On  tra- 


32      Une  heure  che{  M.  Barrés. 

vaille  en  revenant  d'une  soirée  dans 
le  monde.  C'est  chose  impossible 
lorsqu'on  rentre,  après  ^voir  lu,  par 
ennui,  dix  journaux,  sur  une  ban- 
queite  de  brasserie,  au  milieu  de 
commerçants  faisant  une  partie  de 
piquet,  —  je  hais  le  jeu,  —  ou  cau- 
sant de  leurs  affaires...  » 

—  Pourtant,  interrompis- je,  les  af- 
faires, cela  doit  intéresser  un  député  ? 
Vous  connaissez  le  mot  célèbre  : 
<(  Pas  de  politique,  des  affaires  !  » 

M.  Barrés  me  regarda,  comme 
surpris  :' 

—  ((  \'oyons,  cher  maître,  me 
dit-il,  vous  ne  pensez  pas  sérieuse- 
mentque, quoique  député,  je  veuille 
m'occuper,  soit  d'affaires,  soit  de 
politique.  Je  disais,  jadis,  dans 
V Homme  Libre,  que  je  demandais 
à  l'existence  d'être  perpétuellement 
nouvelle  et  agitée.  L'an  dernier,  les 
circonstances  tirent  que  je  pus  me 
présenter  à  la  députation,  avec  des 


Une  heure  che:^  M.   Barres.     33 

chances  d'être  élu.  Je  vis  là  une 
lutte...  la  lutte  électorale,  d'abord... 
C'était  une  période  nouvelle,  pour 
moi,  et  agitée  !...  Je  faillis  être  as- 
sommé par  des  adversaires  trop 
violents...  Une  fois  député,  j'ai 
trouvé  que  cette  situation  a  des 
avantages.  On  parla  de  moi,  parce 
que  j'étais  boulangiste  ;  parce  que 
j'arrivai,  à  l'ouverture  de  la  session, 
avec  un  bras  en  échiirpe  —  je  m'é- 
tais battu  la  veille,  à  l'épée  ;  — 
parce  que  j'étais  un  des  plus  jeunes 
élus  ;  parce  que,  pour  faire  de  l'es- 
prit facile,  des  journalistes  parle- 
mentaires dirent  que  j'étais  un 
député  —  décadent,  allusion  à  mes 
œuvres,  mal  jugées  par  ces  publi- 
cistcs.  En  somme,  il  m'arriva  cette 
aubaine  de  n'être  point,  pour  le 
grand  public,  l'un  des  quatre  cents 
inconnus  du  Parlement.  C'est  à  la 
fois  le  député  et  l'homme  de  lettres 
que  l'on  invite  dans  le  monde.  Ceux 

5. 


34      ^'"^  Jieure  cl:ej  M .  Bjnè;. 

qui  me  connaissent  ne  réclament 
que  moi,  sans  aucun  titre.  Mais,  si 
je  n'étais  point  député,  et  bien  que 
je  n'aie  joué  qu'un  rôle  de  figurant 
muet,  au  Palais-Bourbon,  ce  que  je 
signe,  dans  les  périodiques,  aurait-il 
la  même  valeur  ?  Je  suis  heureux, 
je  ne  m'en  cache  point,  d'être  dé- 
puté. Comme  je  liens  à  être,  plus 
tard,  réélu,  et,  en  attendant,  à  re- 
mercier mes  électeurs,  je  m'occupe 
un  peu  des  questions  qui  les  inté- 
ressent. Questions  sociales,  xMais,  là 
où  un  esprit  borné  consacrerait  ses 
jours  et  ses  nuits,  je  passe,  avec 
autant  de  profit,  j'ose  le  croire,  de 
temps  en  temps,  une  heure  ou  deux. 
Je  vote  ainsi  que  je  le  leur  ai  pro- 
mis. Ils  auraient  pu  tomber  plus 
mal.  Je  me  demande  parfois  si  je  ne 
compatis  point  réellement  aux  mi- 
sères des  travailleurs.  Il  me  peme, 
en  ce  cas,  d'avoir  fait  entrevoir  pro- 
chaines des  réformes  qui  viendront 


Une  heure  che:(  M.   Barres.     33 


si  tard!  Quant  à  avoir  des  ambi- 
tions politiques?  Non  pas!  Outre 
que  toute  porte  m'est  fermée  de  ce 
côté-là,  vu  mon  étiquette,  je  ne 
pense  pas,  pour  le  moment  —  chan- 
gerai-je  d'avis  un  jour?...  — 
qu'être  ministre  à  quarante  ou  cin- 
quante ans,  pendant  quelques  mois, 
soit  une  compensation  sérieuse  à 
dix  ou  vingt  années  d'intrigues 
basses  de  couloirs  et  d'études  du 
Budget...  Je  passe  sur  les  terribles 
chutes  du  pouvoir...  Voyez  mon 
compatriote  Jules  Ferry,  qui  est 
quelqu'un,  en  somme...  Certes,  la 
députation  m'a  donné  quelques 
satisfactions  d'amour-propre...  à 
cause  de  mon  âge...  Je  me  suis 
même  laisse  rajeunir  un  peu...  mais 
je  démissionnerais  si  j'avais  qua- 
rante ans...  Ah  !  je  n'ai  point  be- 
soin de  m'interroger  beaucoup  pour 
voir  que  je  suis,  avant  tout,  un 
homme  de  lettres...  » 


m 


L    HOMME     DE     LETTRES 


—  i(  Oui,  poursuivit  M.  Barrés. 
Je  pense  même  que  je  ne  suis  rien 
autre.  Mais  je  n'oserais  le  dire  à 
tout  le  monde.  Si  je  siège  avec  régu- 
larité, à  la  Chambre,  ce  n'est  point 
que  je  veuille  avoir,  plus  tard,  la 
notoriété  facile  d'un  législateur.  Pas 
plus  que,  assidu  dans  le  monde,  je 
n'aspire  à  la  réputation  d'un  mon- 
dain. C'est  pour  servir  l'homme  de 
lettres  que  le  solitaire,  qui  est  en 
moi,  a  recherché  la  vie  publique, 
que  je  me  suis  présenté  à  la  dépu- 
tation  et  que  je  fréquente  quelques 


Une  heure  che^  M .  Barres.      3 7 


salons.  Quand  je  lis  ou  médite, 
mollement  couche,  en  néglige,  dans 
mon  fauteuil  à  oreillettes,  il  me 
laut  faire  un  etïort  sur  moi-même, 
pour  me  vêtir  et  aller  à  la  Chambre 
ou  dîner  en  ville.  Je  songe  à  l'en- 
nui de  ce  déplacement  jusqu'à  ce 
que  je  sois  installé  à  mon  banc,  à 
l'extrême  gauche,  lorgné  par  les 
spectatrices  des  tribunes,  qui  trou- 
vent charmant  mon  air  ennuyé,  ou 
bien,  à  table,  à  la  droite  d'une 
maîtresse  de  maison,  qui  tente  de 
faire  briller  ma  verve  et  est  heu- 
reuse de  voir  qu'elle  ne  trompa 
point  ses  invités,  en  leur  disant,  par 
avance,  quelque  bien  de  moi... 
D'ailleurs,  je  sais  que  si  quelqu'un 
me  désigne  à  soa  voisin,  il  n'est 
pas  dit:  «  Voici  M.  Barrés,  député 
de  Nancy,  »  mais  bien  :  «  Voici 
M.  Barrés,  vous  savez?...  un  litté- 
rateur... »  Ce  serait  pour  moi  une 
œuvre    purement   littéraire    qu'un 


38      (.'ne  heure  che^  M.  Barrés. 

liiscours,  de  même  qu'une  conver- 
sation n"est  qu'une  analyse  philoso- 
phique, un  conte,  une  anecdote  et 
une  nouvelle  à  la  main.  Et  si  j'ai 
tant  de  mépris  pour  la  plupart  de 
mes  collègues  du  Palais-Bourbon, 
ce  n'est  pas  à  cause  de  leurs  opi- 
nions contraires,  mais  bien  parce 
que  ces  gens-là  parlent  et  écrivent 
comme  des  cuistres,  parce  qu'ils 
n'ont  pas  de  personnalité,  qu'ils 
manquent  de  dilettaniisme,  et  pro- 
fessent des  idées  toutes  faites,  ba- 
nales et  bien  arrêtées  sur  tous  ks 
sujets.  Croyez-vous  que  j'aie  plus 
d'estime  pour  certains  députés  de 
mon  groupe  que  pour  des  oppor- 
tunistes ?  Une  chose  me  choqua 
toujours  chez  les  hautes  personna- 
lités politiques:  les  hommes  sont 
classés  d'après  leurs  opinions  et 
d'après  leur  habileté.  Le  talent  lit- 
téraire ne  compte  pas.  Si,  au  cours 
d'une  discussion  un  peu  embrouil- 


Une  heure  che^  M.  Barrés. 


lée,  vou«;  trouvez  le  joint,  si  vou-s 
posez  au  gouvernement,  ou  à  l'op- 
position, une  question  embarras- 
sante, vous  descendrez  de  la  tribune 
avec  une  ovation,  quand  bien  même 
vous  auriez  prononce  des  phrases 
de  construction  absurde  et  que  les 
sténographes  auront  grand'peine  à 
traduire  en  français.  Mais,  qu'un  de 
M  un  ou  un  Félix  Pyat  prenne  la 
parole,  est-il  un  seul  de  ses  adver- 
saires qui  saluera  sa  péroraison  d'un 
bravo- discret  ?...  Je  cite  Félix  Pyat 
parce  qu'il  fut  le  dernier  artiste  répu- 
blicain à  la  Chambre...  Gambetta 
m'a  paruamoindri  depuis  que  je  sais 
qu'il  a  dit  un  jour:  u Jetons-nous 
dans  la  liberté  comme  dans  les  bras 
d'un  port  !  •>  M.  Joseph  Reinach  a  dû 
trouver  cette  phrase  admirable, 
mais  je  suis  convaincu  qu'elie  fit 
sourire  Henry  Fouquier...  Ce  der- 
nier, lui  non  plus,  ne  semble  pas 
pressé  de  prononcer  un  long  dis- 


40      Une  heure  che:ç  M.  Barrés. 


cours...  Est-il  beaucoup  plus  consi- 
déré, dans  son  parti,  malgré  son 
réel  talent  de  journaliste,  que  le 
dentiste  David  ou  le  cordonnier 
Guillaumou  ?  Et,  encore,  est-il  lu 
entièrement,  puisqu'il  se  dépense 
en  articles  presque  quotidiens...  On 
a  si  vite  parcouru  lesdeux  premières 
colonnes  d'un  journal  !  Moi,  ce  n'est 
pas  dans  mes  seules  chroniques  que 
je  puis  être  apprécié.  Et  mes  col- 
lègues ne  connaissent  même  point 
les  titres  de  mes  ouvrages...  » 

((  Je  pense  voir  nettement  le  monde 
extérieur...  Je  porte  sur  les  gens  des 
jugements  personnels...  Si  je  con- 
cluais comme  tout  le  monde,  où  se- 
rait le  charme?  Récemment,  je  me 
suis  mis  à  dos  V Association  générale 
des  Etudiants.  Cela  m'est  bien  égal! 
Je  ne  me  présenterai  jamais  à  la  dé- 
putation  à  Paris,  dans  le  quartier  du 
Panthéon.  Quant  aux  élèves  de 
Nancy,  je  les  avais  déjà  contre  moi, 


Une  heure  che:{  M.  Bsirrès.      41 

parce  que  leurs  anciens  furent  mes 
camarades.  Si  je  prononçai  sur  la 
«  Jeunesse  des  Écoles  »,  tant  cajo- 
lée et  encensée  par  les  gouverne- 
mentaux, quelques  vérités  sévères, 
c'est  que  je  lui  en  veux  de  ne  point 
aimer  la  littérature.  Elle  ne  com- 
prend pas  les  aVtistes  délicats.  Je 
suis  certain  qu'on  fouillerait  tous 
les  hôtels  meublés,  de  la  place  Saint- 
Michel  au  Val-de-Grâce,  sans  trou- 
ver un  exemplaire  de  :  ((  Sous  l'œil 
des  Barbares  »  ou  de  u  Un  homme 
libre.  » 

«  Les  étudiants  vous  lisent,  cher 
maître,  sur  votre  réputation  si  mal 
fondée  d'anti-clérical.  En  même 
temps,  ils  achètent  les  ordures  que 
publiait  Léo  Taxil  avant  sa  conver- 
sion... Ils  déclament  Hugo,  mais 
aussi  V Examen  de  Flora.  Pas  un 
seul  qui  goûte  Leconte  de  Lisle  ou 
Verlaine,  que  je  contribuai  à  faire 
aimer  de  la  jeune  génération  litté- 

6 


42      Une  heure  clie:^  M.  Barrés. 


raire,  en  les  distinguant,  dans  les 
Taches  d'Encre. 

«  Je  publiai  jadis  une  plaquette  : 
Le  Quartier  Latin,  où,  déjà,  je 
malmenais  mes  carabins,  potards  et 
apprentis  avocats;  on  la  vendit  fort, 
sous  rOJéon...  Je  m'en  réjouissais 
lorsque  le  commis  de  Marpon  m'ex- 
pliqua que  c'était  à  cause  de  la 
femme  nue  dessinée  sur  la  couver- 
ture... C'est  d'ailleurs  ce  que  j'écri- 
vis de  moins  bon. 

((  Je  ne  suis  vraiment  en  posses- 
sion de  tous  mes  moyens  que  si 
j'analyse  mes  sensations...  Aussi, 
ai-je  affectionné  cette  étude  dans 
mes  deux  dernières  œuvres...  Cela 
m'a  cause  môme  un  léger  ennui. 
Pendant  que  je  corrigeais  les 
épreuves  de  la  première  partie  de 
U)i  Homme  Libre.,  l'imprimeur 
m'apprit  qu'il  ne  pouvait  continuer 
la  composition  du  volume,  avant 
d*avoir  acheté  un  gros  assortiment 


i 


Une  heure  che:^  M.  Barres.      43 

des  lettres  J  et  M,  à  cause  de  la 
grande  quantité  de  JE  et  de  MOI 
que  renfermait  le  manuscrit.  » 

—  Le  moi  est  haïssable...,  inter- 
rompis-je  en  riant. 

—  <  Oui,  répondit  M.  Barrés, 
dans  les  histoires  de  chasse!  Mais, 
quand  on  veut  exposer  des  états 
d'âme,  il  vaut  mieux  montrer  la 
sienne,  avec  le  plus  de  sincérité  pos- 
sible, que  de  donner  à  des  person- 
nages fictifs  des  sentiments  de  chic 
et  de  convention...  C'est  pourquoi 
je  ne  fais  pas  de  romans.  Les  lec- 
teurs que  captive  la  «  suite  à  de- 
main »  peuvent  aller  ailleurs...  De 
même  les  imbéciles  qui  trouvent 
mon  style  obscur...  Qu'ai-je  de 
commun  avec  AL  Francis  Poictevin, 
M.  René  Ghil  et  les  petits  Floupette 
qui  fondent  de  petites  revues,  où, 
entre  mages,  on  fait  du  symbolisme 
mystique  et  anti-bourgeois  ?  Je  tente 
de    n'employer  point  d'expressions 


44      ^'"^  heure  che:ç  3/.  Barrés 

communes  et  usuelles.  Je  cherche 
des  images  nouvelles.  Voilà  tout... 
On  m'a  appelé  décadent'  Je  ne  sais 
pas  ce  que  cela  veut  dire...  Je  ne  me 
sers  point  de  mots  bizarres  ou  pré- 
cieux... Je  parle  la  langue  de  Mon- 
taigne et  de  Bossuet,  la  vôtre,  cher 
maître...  Si  je  me  suis  raconté  c'est 
que,  jusqu'à  ces  temps  derniers,  je 
n'avais  encore  vu  que  mon  «  moi  » 
qui  me  parût  curieux  à  étudier. 
Plus  tard,  je  raconterai  les  autres... 
(^uoi  de  plus  intéressant  que  les  sou- 
venirs de  personnages  célèbres  ?... 
Ce  sont  des  œuvres  complètes  où 
il  y  a  de  l'histoire,  de  la  philosophie, 
des  analyses  cérébrales,  des  critiques 
d'hommes  et  de  faits...  Quel  roman 
de  Balzac  vivra  aussi  longtemps  que 
les  Mémoires  de  Saint-Simon?... 
J'ai  bien  tâté  de  la  critique  litté- 
raire... Mais  j'y  ai  promptement  re- 
noncé... On  n'a  guère  que  des  ho- 
rions à  recevoir  et  on  peut  se  rendre 


Une  heure  che^  3/.  Barres.      45 

ennemis  des  gens  d'utile  fréquenta- 
lion...  La  philosophie  pure  et  l'his- 
toire? La  première  vous  fait  con- 
naître d'un  cercle  trop  restreint  et 
procure  peu  de  satisfactions  sociales 
immédiates  ;  la  seconde  exige  trop 
de  travail  préparatoire... 

ï  Je  crois  peu  aux  jouissances  de 
l'art  pour  l'art...  Si  j'avais  la  certi- 
tude qu'un  de  mes  manuscrits  dût 
rester  éternellement  dans  un  tiroir, 
je  ne  prendrais  pas  la  peine  d'écrire 
une  ligne...  Je  me  laisserais  vivre... 
Si  j'ai  créé  une  phrase  harmonieuse, 
ce  n'est  point  parce  que  j'y  constate 
mon  talent,  que  j'éprouve  du  plai- 
sir... je  songe  qu'elle  me  vaudra 
l'estime  de  quelques  lettrés,  l'admi- 
ration de  quelques  inconnus  et  l'en- 
vie de  mes  confrères. 

c  Oui,  c'est  bien  la  gloire  littéraire 
que  je  poursuis  surtout.  Mais  encore 
sans  la  chercher  facile,  la  veux-je 
vite,  profitable...  Je  trouverais  stu- 


4G      U,ie  heure  che:^  M.  Barrés. 

pide  rhomme  de  génie  qui.  certain 
d'avoir  fait  un  chef-d'œuvre  devant 
lui  assurer  ce  qu'on  appelle  Tim- 
mortalité,  le  donnerait  à  son  exécu- 
teur testamentaire,  avec  ordre  de  ne 
le  publier  que  le  jour  de  son  enter- 
rement... Ce  n'est  pas  moi  qui  écri- 
rai jamais  de  mémoires  d'outre- 
tombe... 

t  Mais,  cher  maî:re,  étes-vous 
souffrant?  »  s'écria  M.  Barrés  en 
s'élançant  vers  moi. 

Je  l'avoue,  à  ma  honte,  pendant 
les  dernières  paroles  de  M.  Barrés, 
je  m"étais  assoupi,  tout  en  ne  per- 
dant pas  un   mot  de  ce  qu'il  disait. 

—  Non,  ce  n'est  rien...  Je  suis  su- 
jetà  cette  indisposition,  répondis-je. 

A  ce  moment,  un  timbre  résonna. 
Bientôt,  une  vieille,  qui  avait  les 
allures  d'une  servante  de  curé,  en- 
tra, après  avoir  frappé  deux  coups  à 
la  porte,  et  présenta  une  carte  de 
visite  à  M.  Barrés,  qui  me  dit  : 


Une  heure  che^  M.  Barres.     ^7 

—  ((  Je  vous  demande  pardon, 
cher  maître,  mais  ne  vous  ennuiera- 
t-il  pas  de  vous  trouver  en  présence 
d'un  «oiseau  »  qui  me  rend  visite?» 

J'étais  curieux  de  voir  la  dame 
que  traitait  si  cavalièrement  le  jeune 
député  : 

—  «  Au  contraire,.,,  faites  donc 
entrer...  je  sortirai  après... 

Je  comprenais  que  M.  Barrés  était 
heureux  de  montrer  à  cette  per- 
sonne qu'il  recevait  un  homme  aussi 
considérable  que  M.  Renan.  —  Car 
je  n'oubliais  pas  mon  rôle. 

Après  s'être  excusé,  M.  Barrés 
sortit.  Puis  j'entendis  un  bruit  de 
voix. 

Ah  !  la  traîtrise  des  couloirs  !  L'ai- 
mable jeune  homme  disait  : 

—  «  Ma  chère  dame,  vous  me 
permettrez  de  vous  présenter  à 
M.  Renan,  un  grand  écrivain  que 
j'admire  beaucoup,  mais  qui  est 
bien  en   baisse...  Voilà  une  heure 


48      Une  heure  clie^  M.  Bar-'c'. 

que  je  suis  avec  lui...  Il  n'a  pas 
prononcé  vingt  mots...  Et  encore, 
c'étaient  des  bêtises...  Il  m'a  laissé 
parler  tout  le  temps...  Et  à  la  fin,  il 
a  eu  l'impertinence  de  ronfler!  1!  » 

Je  ne  m'offensai  point  de  ces  pa- 
roles. Je  savais  que  M.  Renan  aurait 
parlé  autrement  que  moi. 

Une  dame  d'une  trentaine  d'an- 
nées, assez  jolie,  petite,  maigre,  aux 
yeux  bleus,  aux  mâchoires  infé- 
rieures un  peu  trop  développées, 
entra,  suivie  de  M.  Barrés... 

—  Mon  cher  maître,  voulez-vous 
me  permettre  de  vous  présenter  une 
de  mes  bonnes  amies... 

Je  m'inclinai.  La  dame  alla  s'as- 
seoir sur  le  divan... 

—  Je  suis  venue.  Monsieur  le  dé- 
puté, vous  demander  deux  places 
pour  la  séance  de  samedi...  Est-ce 
possible? 

Je  m'inclinai  de  nouveau  devant 
la  visiteuse. 


Une  heure  che:{  M.  Barrés.     49 

—  Au  revoir  mon  jeune  ami, 
dis-je  à  M.  Barrés,  en  lui  tendant  la 
main...  Sans  rancune... 

—  Je  vais  vous  reconduire,  cher 
maitre. ..,  vous  permettez,  madame? 

Et  quand  nous  fûmes  à  la  porte 
ouvrant  sur  l'-escalier,  je  demandai, 
tout  bas,  en  clignant  de  l'œil  de  fa- 
çon significative  : 

—  Est-ce  un  hasard? 

—  Non...  c'est  une  insistance... 

—  Récompensez-la  bien...  Mais, 
prenez  garde... 


i 


i 


CONCLUSION 


Le  soir,  en  faisant  ma  partie  de 
piquet  avec  mon  ami  Pierre,  je  lui 
racontai  Taventure  de  la  journée. 

—  «  Mais,  c'est  très  drôle,  vrai- 
ment!... Sais-tu  que  ce  jeune  homme 
t'a  montré  le  fond  de  son  cœur?... 
Ah!  la  nouvelle  génération  !... Tiens, 
tu  devrais  écrire  cela...,  pour  donner 
au  public  l'idée  de  ce  qu'est  une 
«  âme  moderne  »,  comme  ils  di- 
sent!... A  cet  âge-là,  nous  ne  pen- 
sions pas  tant  à  analyser  nos  sensa- 
tions!,.. Mais  nous  sommes  arrivés 
à  être  de  vieilles  bêtes  de  notaires!... 
Par  contre,   nous  ne  nous  sommes 


52      Une  heure  che^  M.   Barres. 

pas  fait  de  bile...  Nous  avons  en- 
core un  bon  estomac...  N'importe... 
s'il  ne  samuse  pas  à  faire  trop  de 
roulades  avec  des  <  oiseaux  •  dans 
le  genre  de  celui  que  tu  m'as  dé- 
peint, la  vie  de  M.  Barrés  sera  bien 
intéressante!  > 


FIN 


TABLE 


Note 5 

I.  —  La  politique i3 

II.  —  L'arrangement  de  la  vie  .  23 

III.  —  L'homme  de  lettres.  ,   .   .  36 

Conclusion bi 


f.MILE    COLIN    —    IMPRIMERIE    DE    LAGNY 


240 


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8235/1. 


La  Bibliothèque 
Université  d^Ottawa 
Echéance 


The  Libr 

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ACC#  1229746 


U  D'  /  OF  OTTAWA 


COLL  ROW  MODULE  SHELF   BOX  POS 
333    02      08        08      06    01