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Full text of "Une solution politique et sociale : confédération, décentralisation, émigration"

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u^ 


UNE 


SOLUTION 

POLITIQJE  ET  SOCIALE 


I.MPRIMEKIE    DE    L.    TOI.NON    ET    C%    A   SAINT-GEBMAIN. 


UNE 


SOLUTION 


POLITIQUE  ET  SOCIALE 


CONFEDERATIOX— DECENTRALISATION  — EMIGRATION 


CORNELIUS   DE  BOOM 


CONSUL     HONORAIRE     DE     BELGTJUE 


PARIS 

MICHEL  LÉVY  FRÈRES,  LIBRAIRES  ÉDITEURS 

RUE     VIVIENNE.      2      BIS,      ET      BOlILEVAni)      DES     ITALIENS,      15 

A   LA   LIBRAIRIE   NOUVELLE 
1  8  G  4 


h  51 


AVANT-PROPOS 


L'univers ,  pour  qui  saurait  l'embrasser  d'un  coup 
d'fleil,  serait  un  fait  unique,  une  grande  vérité. 

D'Alembert.  —  fre/ûce  de  l'Encyclopédie. 


En  offrant  ce  livre  au  public,  je  n'ai  pas  la 
prétention  de  faire  une  œuvre  littéraire  ;  je  ne 
prétends  pas  davantage  prendre  place  parmi  les 
philosophes  novateurs  ou  les  inventeurs  de  sys- 
tèmes. Des  idées  que  je  vais  essayer  de  dévelop- 
|)er,  les  unes  paraîtront  peu  neuves,  les  autres 
ou  originales,  ou  étranges  ;  je  suis  préparé  et 
résigné  à  ces   critiques. 


2  AVANT-PROPOS 

C'est  un  devoir  de  conscience  que  j'accomplis. 

Le  temps  où  nous  vivons  est  une  époque  de 
transition  ;  nous  traversons  une  de  ces  crises  où 
les  destinées  de  l'humanité  se  renouvellent. 
Notre  génération,  ou  celle  qui  lui  succédera, 
assistera  à  la  transformation  de  la  société 
actuelle.  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  croient  que 
l'indifférence  et  l'inaction  soient  permises  au 
milieu  de  ce  grand  travail.  Je  ne  m'exagère  point 
mes  forces,  je  ne  m'illusionne  pas  sur  l'utilité 
que  pourra  avoir  dans  la  reconstruction  du  nou- 
vel édifice,  le  grain  de  sable  que  ma  bonne 
volonté  y  apporte  ;  je  donne  aujourd'hui  ma 
parole  comme  demain  je  prêterais  mon  bras. 


Il 


Cette  parole  qui  précède  et  prépare  l'action, 
d'autres  l'ont  dite  avant  moi,  d'autres  la  répé- 
teront après,  mais  elle  est  l'expression  d'une 
idée  commune  qui  s'élucide,  qui  s'agrandit,  qui 


AVANT-PROPOS  3 

se  complète  en  passant  de  bouche  en  bouche.  Le 
problème  est  trop  vaste  et  trop  complexe  pour 
qu'on  puisse  en  attendre  la  solution  d'une  seule 
intelligence.  Les  plus  humbles  ont  donc  le  devoir 
de  concourir  à  une  œuvre  qui  intéresse  l'hu- 
manité tout  entière.  Celui-ci  a  fouillé  toutes 
les  bibliothèques  de  l'Europe  et  apporte  le  fruit 
de  ses  recherches.  Cet  autre  a  analysé  tous  les 
systèmes  et  nous  en  présente  la  critique;  ceux- 
ci  ont  rêvé,  ceux-là  ont  calculé,  et  nous  devons  à 
leur  imagination  ou  à  leurs  veilles  de  précieuses 
et  savantes  statistiques  ou  de  lumineuses  uto- 
pies qui  nous  ouvrent  des  horizons  nouveaux. 

Je  n'ai  fait,  pour  ma  part,  ni  savants  calculs, 
ni  rêves  brillants;  je  n'ai  eu  le  loisir  ni  de  feuil- 
leter les  livres,  ni  d'étudier  les  systèmes. 

J'ai  vu,  j'ai  réfléchi,  j'ai  comparé. 


AVANT-PROPOS 


III 


Le  tribut  que  j'apporte,  c'est  le  résumé  d'obser- 
vations consciencieusement  faites  pendant  trente 
années  de  voyage.  A  coté  de  ce  que  pensaient, 
de  ce  qu'écrivaient  en  Europe,  dans  le  recueille- 
ment de  leur  retraite,  les  économistes  et  les  phi- 
losophes, j'ai  cru  qu'il  pourrait  y  avoir  utilité  et 
intérêt  à  faire  connaître  ce  que  les  mêmes  préoc- 
cupations inspiraient  à  un  Européen  dans  les 
parties  civilisées  de  l'Amérique,  dans  les  forêts 
vierges  du  Brésil,  dans  les  pampas  de  la  Plata, 
sur  les  bords  du  Sacramento  et  jusque  dans  les 
solitudes  de  la  Patagonie. 

Les  problèmes  dont  ce  siècle  porte  en  lui  l'en- 
fantement, se  sont  emparés  si  puissamment  de 
notre  génération  que,  quand  l'esprit  s'est  une 
fois  livré  à  ces  méditations,  il  ne  peut  s'en  dis- 
traire sous  aucune  latitude,  dans  aucun  des  acci- 
dents de  la  plus  aventureuse  existence. 


AVANT.PROPOS 


IV 


Je  rapporte  donc  en  Europe  ces  idées  qui 
m'ont  suivi  partout,  se  confondant  dans  mon 
cœur  avec  tous  les  souvenirs  de  la  patrie  ;  mon 
livre  n'eût-il  pas  d'autre  portée,  qu'il  servirait 
du  moins  à  prouver  quelle  place  a  toujours  eue, 
dans  mes  pensées  et  dans  mes  affections,  cette 
vieille  Europe,  centre  de  la  lumière  et  de  l'intel- 
ligence, dont  on  s'éloigne  si  rarement  dans  notre 
temps,  sans  espoir  d'y  revenir. 

Voilà  ce  qui  a  donné  naissance  à  mon  livre  ; 
voici  maintenant  le  but  qu'il  se  propose  :  cher- 
cher, indiquer  des  moyens  qui  puissent  conjurer 
les  menaces  de  l'avenir  et  améliorer  le  sort  des 
populations  européennes. 


UNE   SOLUTION 

POLITIQUE  ET  SOCIALE 

PREMIÈRE    PARTIE 


Une  grande  révolution  démocratique  s'accomplit 
parmi  nous.  Tous  la  voient,  mais  tous  ne  la  jugent 
pas  de  la  même  manière. 

A.  DE  TOCQUEVILLE.— Z)e  la  Démocratie 
en  Amérique. 

Pour  bâtir  sur  des  ruines,  il  faut  d'abord  démolir. 
Après  avoir  démoli,  il  faut  bâtir. 

VlTRUVE.  —  Traité  d'architecture. 


CHAPITRE     PREMIER 

PROGRAMME 

Je  ne  veux  pas  ici  faire,  après  tant  d'autres,  le 
tableau  si  souvent  reproduit  des  inquiétudes,  du 
malaise  et  des  misères  de  notre  société.  Je  m'en 
tiendrai  aux  faits  les  plus  incontestables.  Per- 
sonne, dans  aucun  pays,  ne  croit  à  la  stabilité 
définitive  de  l'état  de  choses  actuel.  En  haut 
comme   en   bas,    il  y  a   le   pressentiment  d'un 


8  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SOCIALE 

inconnu  que  les  uns  redoutent,  que  les  autres 
espèrent,  sans  que  ni  les  uns  ni  les  autres  sachent 
bien  ce  qu'ils  doivent  craindre  ou  espérer. 

Les  indices  de  ce  malaise  social,  les  aveux  des 
vagues  inquiétudes  qui  se  sont  emparées  de  tous 
les  esprits,  ce  n'est  ni  dans  les  livres,  ni  dans  les 
journaux  seulement,  ni  dans  les  conversations 
intimes  que  nous  les  voyons  se  manifester;  ils 
éclatent  dans  le  langage  des  hommes  les  plus 
intéressés  à  la  stabilité  des  affaires  publiques  et 
jusque  dans  les  documents  officiels.  Dans  la 
séance  du  sénat  français,  du  15  décembre  1863, 
M.  de  la  Guéronnière,  si  bien  placé  pour  consta- 
ter l'état  de  l'opinion  en  France  et  en  Europe, 
ne  formulait-il  pas  ainsi  à  son  tour  le  phéno- 
mène social  que  nous  signalons,  et  ne  lui  don- 
nait-il pas  ce  nom  si  caractéristique  du  mal  de 
l'inconnu,  dans  une  phrase  que  nous  emprun- 
tons au  compte-rendu  de  cette  séance  ? 

L'orateur  vient  de  signaler  les  grandeurs   de 
l'Empire  et  il  ajoute  : 

«  Au  sein  de  cette  puissance,  il  est  pourtant 


PROGRAMME  9 

»  un  indice  d'un  certain  malaise  ;  il  perce  une 
»  préoccupation  nouvelle,  il  surgit  une  inquié- 
»  tude  étrangère  aux  premières  années  du  règne. 
»  On  interroge  l'avenir,  on  souffre  d'un  mal 
»  nouveau,  mais  sérieux,  que  j'appellerai  le  mal 
»  de  l'inconnu.  » 

On  n'échappe  à  une  crise  que  pour  en  entre- 
voir une  autre  plus  menaçante.  En  politique, 
tout  équilibre  est  rompu,  et  il  y  a  une  guerre  au 
bout  de  toutes  les  solutions.  En  économie  sociale, 
les  besoins  grandissent  plus  vite  que  ne  s'aug- 
mente la  richesse,  et,  malgré  les  efforts  sincères 
des  gouvernements,  auxquels  toute  justice  doit 
être  rendue,  le  prolétariat  est  une  plaie  qui  s'é- 
largit tous  les  jours. 

Faut-il  donc  désespérer  de  l'avenir,  ou  atten- 
dre, dans  une  stoïque  résignation,  qu'un  cata- 
clysme violent  transforme  le  monde  ? 

Le  règne  du  fatalisme  est  passé,  et  la  devise 
des  temps  modernes  doit  être  :  Aide-toi,  le  ciel 
t'aidera. 

Il  y  a,  dans  l'organisation  politique  et  dans 
l'organisation  sociale,  des  vices  qui  sont  la  source 


10  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

du  mal.  Ces  vices  sont-ils  irrémédiables?  Quels 
sont-ils  ? 

Tel  doit  être  le  point  de  départ  de  toutes  les 
méditations,  de  toutes  les  recherches.  Telle  est  la 
direction  que  j'ai  suivie  dans  mon  travail. 

La  première  partie  de  mon  livre  sera  consacrée 
à  la  recherche  et  à  l'analyse  des  causes  qui  ont 
amené  les  maux  et  les  périls  que  je  viens  d'indi- 
quer brièvement,  et  sur  la  réalité  desquels  tout 
le  monde  est  d'accord. 

Dans  la  seconde  partie  je  tâcherai  de  démontrer 
qu'il  existe  des  moyens,  sinon  de  guérir,  du  moins 
d'améliorer  cet  état  de  choses,  avant  que  le  mal 
ne  soit  irrémédiable. 


CHAPITRE     II 


DEUX   FLÉAUX 


La  civilisation  a  pour  but  essentiel  d'augmenter 
le  bien-être  des  populations.  Les  gouvernements 
peuvent  se  tromper  parfois  sur  les  voies  à  suivre, 
sur  les  moyens  à  appliquer;  mais  ce  serait  leur 
faire  une  injure  gratuite  que  de  ne  pas  les  sup- 
poser, dans  leurs  actes,  animés  des  meilleures  in- 
tentions. N'ont-ils  pas  d'ailleurs  un  intérêt  réel 
à  donner  aux  besoins  des  administrés  une  satis- 
faction qui  assure  leur  docilité  et  leur  obéissance? 

Les  privilèges  de  castes  s'effacent  de  jour  en 
jour  :  on  peut  dire,  sans  tenir  compte  de  quelques 


12  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

insignifiantes  exceptions,  que  depuis  un  demi- 
siècle  surtout,  l'Europe  entière  marche  vers  ce  but 
de  la  civilisation  que  nous  venons  de  définir. 

Mais  la  civilisation  apporte  avec  elle  certains 
inconvénients  qui  sont  la  conséquence  de  son 
développement. 

Elle  agglomère  les  populations  là  où  se  fait 
le  plus  sentir  l'influence  de  ses  bienfaits,  et  de 
la  production  hâtive  des  richesses  naissent  des 
rivalités,  des  compétitions,  qui,  d'individu  à  indi- 
vidu ou  de  nation  à  nation,  suscitent  la  concur- 
rence, la  paix  armée,  et  trop  souvent  la  guerre. 

Je  pose  donc  comme  les  deux  principales  causes 
des  perturbations  que  j'ai  signalées  :  la  densité 
des  populations  en  Europe  et  les  précautions  ad- 
ministratives gouvernementales  que  de  vieilles 
traditions  politiques  imposent  aux  États. 

C'est  à  chacune  de  ces  considérations  que  je 
m'attacherai  d'abord. 


CHAPITRE   m 


A.CCR01SSEMENT  DE  LA  POPULATION 


Quelque  prodigieux  que  soient  les  progrès  de 
l'industrie,  quelque  précieuses,  quelque  variées 
(jue  soient  les  merveilles  enfantées  par  le  génie, 
de  l'homme,  la  base  essentielle  de  sa  véritable 
richesse,  c'est  le  sol.  Là  est  le  nécessaire  ;  le  reste 
est  le  superflu.  Il  faut  à  chaque  homme,  à  chaque 
famille,  un  espace  normal  pour  se  mouvoir  et  se 
nourrir  ;  ai-je  besoin  d'ajouter  qu'il  ne  s'agit  nul- 
lement ici  d'un  partage  agraire,  mais  d'un  indis- 
pensable équilibre  entre  ce  qui  vit  et  ce  qui  fait 
vivre  ? 


14'  SOLUTION   POLITIQUE    ET   SOCIALE 

Cet  équilibre  n'cst-il  pas  rompu  dès  aujour- 
d'hui? et  surtout  n'est-il  pas  permis  de  pressentir 
une  époque  prochaine  oi^i  les  résultats  entrevus 
maintenant  éclateront  avec  une  siuistrc  évidence? 

Si  en  consultant  les  statistiques  les  plus  au- 
torisées, nous  cherchons  quelle  est  la  moyenne 
du  chiffre  de  la  population,  relativement  à  l'éten- 
due du  territoire  de  l'Europe  centrale;  entre  le 
minimum  fourni  par  la  Suisse,  de  61  habitants 
par  kilomètre  carré,  et  le  maximun  donné  par 
la  Belgique,  158,  nous  trouvons  110  pour  l'an- 
née 1821. 

Mais  depuis  1821  certaines  questions  ont  été 
plus  approfondies  ;  on  a  surtout  cherché  à  se 
rendre  compte  de  certains  phénomènes  écono- 
miques, tels  que  l'accroissement  de  la  population  : 
sans  vouloir  ici  approfondir  les  diverses  expli- 
cations données  aux  résultats  que  produisait  la 
science,  nous  constatons  que  la  moyenne  de  l'ac- 
croissement annuel  pour  les  régions  que  nous 
avons  déjà  prises  comme  types  étant  entre  0,41 
minimum  fourni  par  l'Autriche,  et  1,57  maximum 
donné  par  la  Prusse,  soit  0,99,  ou  1  pour  100,  il 
faut  ajouter  aux  résultats  constatés  en   1821 


43 
100? 


ACCROISSEMENT   DE   LA   POPULATION  15 

pour  avoir  une  évaluation  exacte  en  1864  des 
rapports  de  la  population  avec  le  territoire,  soit  : 
157  individus  par  kilomètre  carré,  et  non  plus  110, 
avec  l'aggravation  qu'ont  pu  apporter  aux  appré- 
ciations antérieures  les  lignes  de  chemin  de  fer 
et  les  terrains  consacrés  aux  cultures  industrielles. 
Voici  le  tableau  que  nous  trouvons  dans  l'ou- 
vrage de  M.  Maurice  Block,  intitulé  :  Puissance 
comparée  des  divers  États  de  l'Europe  (p.  16)  : 


Grèce 2,16  pour  100     \ 

Prusse 1,57  —           ' 

Norwége 1,39  — 

Suède 1,17  — 

Pays-Bas 1,12  — 

Grande-Bretagne .    .  1,09  — 

Russie 1,05  — 

Danemark  .    ,    .    .  1,03  — 

Italie 1,00  — 

Allemagne  ....  0,99  — 

Espagne 0,93  — 

Belgique 0,83  — 

Suisse 0,66  — 

France 0,53  — 

Autriche 0,41  — 

Portugal 0,12  - 


La  moyenne 

résultant 

de  ces  chiffres 

est  de 

ijOGa""". 


Ces  calculs  sont,  comme  on  le  voit,  confirmatifs 
des  miens.  Je  continue  donc  ma  démonstration. 
Ainsi,  en  nous  reportant  à  l'année  1821,  pour 
110  individus  qui  avaient  à  se  nourrir  et  à  se  mou- 


16  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

voir  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Italie  ou  en 
France,  il  n'y  avait  que  1  kilomètre  carré.  De  ce 
kilomètre,  qui  doit  subvenir  à  tant  de  besoins  di- 
vers, il  faut  déduire  l'espace  perdu  en  constructions 
et  en  routes,  les  rivières,  lacs  et  canaux,  les  bois, 
les  montagnes,  les  rochers  et  tous  les  terrains  non 
susceptibles  de  culture.  C'est  donc  beaucoup  moins 
de  1  kilomètre  qu'avaient  déjà,  en  1821,  les  110  in- 
dividus auxquels  cette  part  était  faite. 

Il  est  aisé  de  voir  par  ce  qui  précède  à  quel 
point  se  rétrécit,  d'année  en  année,  le  cercle  où  il 
est  permis  à  certaines  nations  de  se  mouvoir.  Pour 
donner  aux  conclusions,  que  nous  tirerons  plus 
tard,  la  puissance  d'une  démonstration  impar- 
tiale, nous  avons  basé  nos  calculs  sur  des  moyennes. 
Que  serait-ce  si  nous  avions  pris  pour  objectif 
la  Prusse  avec  son  accroissement  annuel  de  1,57 
pour  100?  Et  cependant  une  seule  preuve  suffit 
pour  des  démonstrations  moins  rigoureuses  que 
n'a  besoin  de  l'être  celle-ci. 

En  1864,  il  faut  qu'un  kilomètre  carré  suffise 
en  Europe  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  évolu- 
tions et  à  tous  les  développements  de  157  indi- 
vidus. 


ACCROISSEMENT    DE   LA    POPULATION  17 

En  conséquence  du  même  calcul,  la  progres- 
sion restant  la  même,  ces  157  seront  300  avant 
un  siècle,  et  l'espace  se  sera  en  quelque  sorte 
rétréci  à  mesure  que  la  population  aura  aug- 
menté ;  car  les  besoins  de  la  communauté  s'im- 
posent avant  ceux  de  l'individu,  et  le  luxe,  dans 
la  part  qu'il  fait  au  superflu,  est  souvent  plus 
écouté  que  la  nécessité  dans  ses  plus  légitimes 
revendications.  Qu'il  suffise  de  rappeler  la  place, 
de  plus  en  plus  grande,  prise  par  les  voies  de 
communication,  chemins  de  fer,  parcs  publics  et 
jardins  particuliers. 

Pour  fixer  avec  plus  de  précision  dans  l'esprit 
de  nos  lecteurs  cette  démonstration,  dont  l'impor- 
tance ne  saurait  leur  échapper,  nous  en  ferons 
une  application  plus  rigoureuse  à  un  pays  voisin, 
très-visité,  très-connu,  et  dont  la  dimension  ter- 
ritoriale peut  être,  en  quelque  sorte,  embrassée 
facilement  par  l'imagination.  Nous  dirons  donc  : 
la  Belgique,  en  1864,  compte  environ  5  millions 
d'habitants  ;  l'accroissement  annuel  de  sa  popu- 
lation est  porté  par  les  statistiques  à  0,83, 
car,  en  1831,  cette  population  n'est  évaluée  qu'à 
3,758,814,  chiffre  qui,  en  1859,  époque  du  der- 


IS  SOLUTION   POLITIQUK   ET  SOCIALE 

nier  recensement,  était  de  4,671,187.  Cet  accrois- 
sement est  donc  de  83  centièmes,  non  pas  en 
cent  ans,  car  il  tant  tenir  compte,  dans  ce  calcul 
comme  dans  tons  les  antres,  de  l'intérêt  composé, 
mais  en  soixante-dix  ans  environ.  Ainsi,  en  1934, 
la  population  sera  de  5  millions  +^  de  5  millions, 
soit  8,500,  nombre  rond;  et  dans  un  siècle  et  demi 
d'ici,  époque  dont  il  est  bien  permis  de  ne  pas  se 
désintéresser,  puisque  c'est  celle  où  vivront  les 
fds  de  nos  petits-fils,  la  Belgique  devra  subvenir 
aux  besoins  de  18  ou  19  millions  d'habitants! 
Quel  est  l'homme  de  bon  sens  qui  peut  compter 
sur  un  pareil  miracle?  Figurons-nous,  en  effet,  la 
densité  de  la  population  par  kilomètre  carré.  Elle 
est  en  ce  moment  de  165  individus,  et  déjà,  dans 
certaines  contrées,  les  villages  se  touchent,  et,  du 
clocher  d'une  ville,  il  est  rare  qu'on  n'aperçoive 
pas  les  clochers  de  plusieurs  villes  voisines.  Que 
restera-t-il  donc  pour  la  culture,  quand,  au  lieu 
de  165  individus,  c'est  594  qui  devront  habiter  et 
se  mouvoir  sur  chaque  kilomètre  ? 

Au  reste,  je  ne  saurais  mieux  faire,  pour  donner 
une  idée  de  l'insuffisance  actuelle  des  ressources 
de  l'Europe  en  céréales,  que  de  citer  une  partie 


ACCROISSRMKNT    [)E    LA    POPULATION  19 

(Y une  très-iiîtcrcssante  et  très-rare  brochure  pu- 
Ijliée  en  1853  par  M.  le  comte  Abel  Hugo,  en  forme 
de  mémoire,  adressé  au  gouvernement. 

C'est  le  résultat  de  longues  et  savantes  obser- 
vations démontrant  une  périodicité  presque  régu- 
lière entre  les  phases  d'abondance  et  de  di- 
sette, mais  se  résumant  par  le  chiffre  énorme  de 
1,338.798,999  fr.,  dont  la  France  avait  été  tribu- 
taire dans  l'espace  de  quarante  et  une  années  pour 
combler  le  déficit  de  ses  récoltes*. 


*  Voir  aux  notes  les  extraits  de  la  brochure  de  M  Abel  Hugo, 
note  A. 


CHAPITRE    IV 


INSUFFISANCE    DES   RÉCOLTES 


A  cette  menace  de  l'avenir,  on  répond  par  deux 
arguments  :  l'industrie  de  la  culture  progresse 
comme  toutes  les  autres  industries  ;  la  production 
augmente  dans  les  champs  comme  dans  les  ateliers 
des  villes.  En  outre,  la  facilité  du  transport  a  sup- 
primé les  distances.  La  disette,  sur  un  point,  est 
compensée  par  Tarbondance  sur  un  autre,  de  telle 
sorte  que  les  désastres  du  temps  passé  ne  sont 
plus  à  redouter  pour  l'avenir.  ,Te  ne  partage  pas 
cette  confiance.  J'admets  que  le  présent,  à  cause 
des  améliorations   qui  ont  été   réalisées ,  puisse 


INSUFFISANCE  DES  RÉCOLTES  21 

être  avantageusement  comparé  au  passé,  soit  ; 
mais  les  perspectives  de  l'avenir  ne  sont  pas  les 
mêmes.  Il  y  a  des  bornes  aux  améliorations,  des 
limites  aux  défrichements  ;  mais,  à  l'accroissement 
de  la  population,  il  n'y  en  a  pas. 

Le  sol  a  deux  espèces  de  fertilités  :  celle  C{ui  lui 
est  propre ,  celle  qu'il  puise  dans  l'accumulation 
séculaire  de  la  terre  végétale,  et  cjui  est,  pour 
ainsi  dire,  inépuisable. 

Telles  sont,  en  général,  les  vallées  qui  bordent 
les  chaînes  de  montagnes  et  les  terrains  formés 
par  les  détritus  de  très-antiques  forêts. 

Beaucoup  d'autres  régions  ne  doivent  leur  fer- 
tilité qu'au  renouvellement  artificiel  d'une  quan- 
tité d'humus  limitée.  Ce  cas  est  le  plus  ordinaire, 
l'autre  n'est  que  l'exception.  Or,  cette  fertilité, 
entretenue  par  la  main  de  l'homme,  elle  s'épuise 
vite.  Un  exemple  frappant  nous  en  est  fourni  par 
une  culture  moderne,  celle  de  la  betterave  si  ha- 
bilement pratiquée  dans  les  meilleures  régions 
agricoles  du  nord  de  la  France. 

Pendant  un  certain  nombre  d'années,  le  sol  a 
suffi  à  une  production  normale  ;  mais  le  cultiva- 
teur, enrichi  par  ces  premiers  résultats,  encou- 


22  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

ragé  par  des  expériences  ultérieures ,  a  voulu 
compenser  par  les  engrais  l'appauvrissement  de 
la  terre.  Il  a  réussi  dans  une  certaine  mesure  : 
c'est-à-dire  que  la  betterave  a  rendu  en  eau  ce 
qu'on  lui  donnait  en  engrais  ;  mais  le  jus  sucré, 
le  vrai  fruit  de  la  terre,  a  diminué  ou  s'est  main- 
tenu à  son  premier  niveau,  de  telle  sorte  que  les 
relations  commerciales  entre  le  cultivateur  et  le 
fabricant  de  sucre,  étant  basées  sur  le  poids  de  la 
betterave  livrée ,  sans  qu'on  ait  pu  s'entendre  sur 
une  évaluation  de  la  tare  pour  les  parties  pure- 
ment aqueuses,  cette  industrie  s'est  déplacée  et  a 
tendance  à  s'installer  dans  des  contrées  oii  la  cul- 
ture artificielle  est  moins  développée.  Ne  peut-on 
pas  conclure  de  cet  exemple  que  les  moyens  arti- 
ficiels, les  perfectionnements  de  la  culture  ont  des 
limites  que  la  nature  elle-même  impose?  Au  reste, 
la  betterave  qui  se  développe  et  grossit  dans  le 
milieu  même  des  engrais  dont  on  a  garni  le  sol , 
doit  profiter  de  cet  amendement  bien  plus  que 
l'épi  de  blé  au  développement  duquel  l'air,  le 
soleil  et  l'eau  du  ciel  doivent  concourir. 

Je  suis  loin  de  nier  la  difterence  qui  existe  et 
que  tout  le  monde  peut  constater  entre  un  champ 


INSUFFISANCE  DKS   RÉCOLTES  23 

bien  labouré,  bien  cultivé,  bien  fumé,  et  un  champ 
aucjuel  auront  manqué  ces  précieuses  prépara- 
tions ;  mais  je  maintiens  pour  le  blé,  comme  pour 
la  betterave,  la  limite  que  la  nature  impose  aux 
moyens  artificiels,  et,  pour  l'accroissement  des 
produits  en  céréales,  si  je  les  accepte,  je  reven- 
dique la  part  de  la  paille  qui  est  prise  sur  la 
nourriture  de  l'épi.  Je  ne  veux  prouver  qu'une 
chose,  c'est  que  le  progrès  en  agriculture  n'est  pas 
illimité,  puisqu'il  a  pour  borne  une  cause  produc- 
tive, l'humus,  qui  ne  peut  se  renouveler  indéfini- 
ment. 

Et  cette  vérité  est  tellement  irréfutable,  que, 
pendant  que  tous  les  produits  de  l'industrie 
humaine  perdent  de  leur  valeur  par  une  fabrica- 
tion simplifiée  et  perfectionnée,  le  sol,  qui  reste 
l'étalon  immuable  de  toutes  les  valeurs,  aug- 
mente incessamment  de  prix,  tant  on  a  compri 
(jue  ses  produits  étaient  fatalement  limités. 


s 


CHAPITRE    V 


IMPUISSANCE    DU    COMMERCE 


J'arrive  à  rargument  basé  sur  la  liberté  du 
commerce,  l'emploi  de  la  vapeur  et  la  facilité  des 
communications.  Cet  argument  aurait ,  grâce  à 
l'achèvement  du  réseau  des  chemins  de  fer  euro- 
péens, une  véritable  valeur,  si,  en  fait  de  blé, 
l'Europe  centrale  pouvait  se  suffire  à  elle-même, 
si  les  moissons  de  l'Italie  et  de  l'Espagne  pouvaient 
compenser  l'insuffisance  des  moissons  en  Allema- 
gne, en  Angleterre,  et  réciproquement;  mais, 
depuis  longtemps,  l'Europe,  pour  le  plus  essen- 
tiel ,  le  plus  indispensable  de  ses  aliments,  est 
tributaire   de    l'étranger.   Notre  grenier,   depuis 


IMPUISSANCE   DU   GUMMERCE  2o 

de  longues  années,  est  à  Odessa.  Or,  voilà  que  ce 
grenier  est  à  son  tour  devenu  insuffisant.  Quand 
nous  entendons  parler  des  importants  arrivages 
de  céréales  américaines  qui  encombrent  les  quais 
du  Havre,  de  Londres  ou  de  Liverpool,  il  ne  faut 
pas  croire  que  ce  soit  une  concurrence  suscitée 
sans  motifs  aux  négociants  de  Crimée  par  l'activité 
habile  des  Yankees.  Quand  les  journaux  de  France 
signalent  avec  un  certain  orgueil  les  services  que 
commence  à  rendre  la  colonie  algérienne,  en  en- 
voyant à  Marseille  des  blés  durs  qui  soutiennent 
la  comparaison  avec  les  plus  beaux  produits  de  la 
Mer  Noire,  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  ce  soit  là 
une  superfluité  destinée  seulement  à  réjouir  l'or- 
gueil national  des  défenseurs  de  cette  colonie. 
Non  ;  le  commerce  avec  Odessa  est  toujours  aussi 
actif,  aussi  important,  et  nous  n'avons  pas  appris 
que  le  moindre  découragement  se  soit  manifesté 
chez  les  expéditeurs  des  ports  russes,  ni  que  leur 
marchandise  soit,  plus  que  par  le  passé,  restée 
dans  leurs  magasins.  Mais  ce  qu'on  oublie  de  re- 
connaître, c'est  que  la  population  augmente  d'an- 
née en  année  en  vertu  des  lois  que  nous  posions 
tout  à  l'heure,  et  que  les  exigences  du  bien-être 


26  SOLUTION  POLITIQUE   ET  SOCIALE 

font  pour  un  grand  nombre  d'individus  une  né- 
cessité du  pain  blanc,  qui  était  jadis  pour  eux  un 
objet  de  luxe.  Voilà  pourquoi  Odessa  ne  suffit 
plus  ;  voilà  pourquoi  nous  absorbons  tout  ce  que 
l'Algérie  nous  envoie;  voilà  pourquoi  nous  deman- 
derons bientôt  à  l'Amérique  son  blé,  plus  impé- 
rieusement que  nous  ne  lui  demandons  aujour- 
d'hui son  coton. 

Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  doutent  de  l'avenir, 
ni  qui  désespèrent  du  génie  humain  ;  je  crois  à 
de  prodigieux  progrès  dans  la  navigation  comme 
dans  tous  les  autres  arts,  mais  en  cela  comme  dans 
tout  le  reste,  je  crois  que  tout  ce  qui  est  humain 
est  borné,  et  voilà  les  calculs  devant  lesquels  ma 
confiance  s'arrête. 

Les  290  millions  d'habitants  qui  peuplent  l'Eu- 
rope, demandent  à  l'Amérique,  depuis  quelques 
années,  une  quantité  de  céréales  que  je  néglige 
dans  mon  hypothèse.  Je  suppose  qu'il  y  ait ,  à 
l'heure  présente,  équilibre  parfait  entre  la  con- 
sommation de  ces  290  millions  d'individus  et  les 
ressources  productives  de  l'Europe  jointes  aux 
subsides  supplémentaires  de  la  Crimée,  de  l'Egypte 
et  de  l'Algérie.  J'admets  encore  que  les  progrès  de 


IMI'LlSSAXCh:    DU  COMMERCE  27 

la  culture  suffisent  à  satisfaire  à  l'accroissement 
des  besoins  d'une  population  dont  le  premier 
symptôme  de  bien-être  est  la  substitution  du  pain 
blanc  aux  aliments  plus  grossiers  qui  lui  suffisaient 
précédemment.  Mais  je  me  transporte ,  par  la 
pensée,  en  l'an  de  grâce  1934,  dans  soixante-dix 
ans,  époque  à  laquelle,  selon  la  loi  de  l'expérience 
du  passé,  la  population  se  sera  doublée,  et  je  me 
demande  quelle  est  la  quantité  de  blé  que  l'Eu- 
rope devra  importer  alors  d'Amérique. 

En  accordant  à  chaque  individu,  en  moyenne, 
une  consommation  quotidienne  de  400  grammes 
de  pain  *  (et  je  prie  de  remarquer  que  si  le  pain 
n'est  point  encore,  à  cette  époque,  d'un  usage  uni- 
versel, il  devra  être  remplacé  par  des  productions 
dont  l'absence  a  produit  des  disettes  aussi  terribles 
que  celles  du  blé,  la  pomme  de  terre  par  exemple), 
j'arrive  à  trouver  que  chaque  jour  l'Amérique  devra 
expédier  à  l'Europe  affamée  116  millions  de  kilo- 
grammes de  blé ,  c'est-à-dire  le  chargement  de 
116  navires  de  mille  tonneaux. 


*  Maurice  Block  dans  la  Statistique  de  la  France,  comparée  avec 
les  autres  États  de  l'Europe,  pago  355,  établit  que  la  consom- 
mation en  pain  est  de  412  grammes  par  individu. 


-'S  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

Poussons  l'optimisme  jusqu'à  admettre  que  les 
développements  de  la  navigation  lui  permettent 
de  faire  face  à  un  pareil  service;  sommes-nous 
certains  que  la  population  américaine,  de  l'aug- 
mentation et  des  besoins  de  laquelle  il  faut  aussi 
tenir  compte,  suffira,  même  avec  l'aide  de  la 
vapeur,  aux  immenses  travaux  d'une  pareille 
culture  ? 

Ce  qui  peut  faire  illusion  à  ceux  que  rassurent 
les  améliorations  de  notre  époque ,  c'est  qu'en 
comparant  le  temps  présent  aux  siècles  passés, 
ils  ne  sont  plus  affligés  par  le  spectacle  de  ces 
famines,  de  ces  épidémies  qu'elles  engendraient 
et  qui  décimaient  des  provinces,  parfois  même 
des  nations  tout  entières.  Je  suis  loin  de  vouloir 
contester  cette  différence,  mais  je  ne  puis  m'em- 
pêcher  d'étudier  les  circonstances  tout  à  fait 
exceptionnelles  au  milieu  desquelles  elle  s'est 
produite.  Croiî-on  que  chaque  siècle  puisse  en- 
fanter une  aussi  merveilleuse  invention  (juo  la 
vapeur?  Combien  de  milliers  d'années  le  monde 
l'a-t-il  attendue,  et  comljien  de  milliers  d'années 
peut-être  devra-t-il  attendre  une  invention  qui  la 
remplace  comme  elle  a  remplacé  ce  qui  était  avant 


IMPUISSANCE   DU  COMMERCE  fO 

elle?  Nous  bénéficions  présentement  et  excep- 
tionnellement de  ressources  nouvelles  qui  suffi- 
sent cependant  à  peine  à  parer  aux  inconvénients 
que  nous  signalons.  On  dit  que  la  vapeur  a  sup- 
primé les  distances  :  dans  ce  mot  que  l'usage  a 
consacré,  il  y  a  un  aveu.  Que  peut  faire  de  plus  la 
vapeur  ?  Je  ne  veux  pas  exagérer  la  portée  de  cet 
argument;  je  crois  que  les  distances  seront  fran- 
chies, dans  l'avenir,  plus  rapidement  et  à  moins 
de  frais  qu'elles  ne  le  sont  aujourd'hui,  mais  j'ai 
voulu  seulement  indiquer  que,  quand  on  parle  du 
temps  présent  dans  lé  sujet  qui  nous  occupe,  on 
oppose  un  remède  exceptionnel  à  un  mal  qui  ne 
s'arrête  pas.  Enfin  les  progrès  de  la  culture,  quel- 
que prodigieux  qu'on  les  suppose,  n'empêchent 
pas  l'épuisement  de  la  terre  végétale,  et  j'ai  prouvé, 
je  crois,  que  c'est  là  qu'on  en  arrivait  fatalement 
par  une  production  forcée.  Ne  soyons  pas,  d'ail- 
leurs ,  trop  fiers  de  cette  amélioration  momen- 
tanée, et  ne  nous  hâtons  pas  de  nous  écrier  qu'on 
ne  meurt  plus  de  faim  dans  notre  temps. 

Au  moment  même  où  nous  écrivons  ceci,  nous 
lisons,  à  la  date  du  21  février  18C4,  dans  la 
Co7^respondance  générale,  recueil  |)resque  officiel, 


:J0  SOLUTION   POLITIQUE   ET  SOCIALE 

que  la  famine  est  assez  terrible  en  Hongrie  pour 
que  cinq  personnes  soient  mortes  de  faim  en  un 
seul  jour,  dans  une  petite  ville  dont  ce  journal 
cite  le  nom.  Ne  nous  rappelons-nous  pas  les  rava- 
ges que  causait,  il  y  a  quelques  années,  en  Irlande 
et  en  Belgique,  la  maladie  des  pommes  de  terre? 
La  charité  privée,  l'assistance  publique  durent 
intervenir;  mais  l'expérience  a  toujours  prouvé 
que  ces  secours  sont  impuissants  pour  peu  que  la 
disette  prenne  des  proportions  considérables  et 
frappe  un  pays  tout  entier. 

C'est  donc  par  centaines  et  par  milliers  que  les 
statistiques  comptaient  les  victimes.  Devant  ces 
calamités,  toutes  les  divergences  politiques  s'ef- 
facent et  les  hommes  clairvoyants  de  tous  les 
partis  s'unissent  pour  jeter  le  cri  d'alarme. 

A  la  date  du  26  janvier  1864,  le  journal  catho- 
lique le  il/oîîc?^  publie  les  extraits  suivants  d'une 
lettre  qui  lui  est  adressée  de  Londres  : 

«  Le  paupérisme  nous  menace  de  nouveau  de 
son  invasion  terrible.  Le  Lancashire,  après  avoir  vu 
le  nombre  de  sespaupers  (comme  on  appelle  ici  les 
pauvres  ayant  droit  aux  secours  alloués  par  la  loi 


IMPUISSANCE  DU  COMMERCE  31 

des  pauvres)  s'élever,  sur  une  population  de  2  mil- 
lions d'àmes,  à  plus  d'un  huitième  de  cette  popu- 
lation (272,000),  en  décembre  1862,  —  sept  fois 
autant  que  dans  les  temps  ordinaires,  —  l'avait 
vu  descendre,  à  la  fm  de  1863,  au  quinzième 
(133,500).  Aujourd'hui,  chaque  semaine,  on  con- 
state une  augmentation  d'environ  o, 000  paupe^^s, 
et  on  en  compte  actuellement  150,620. 

»  Les  journaux  de  Londres  nous  racontent  cette 
semaine  les  détails  de  quatre  morts  par  suite 
d'inanition,  constatées  par  les  enquêtes  du  coro- 
ner.  Une  pauvre  femme  de  soixante-quatorze  ans, 
du  nom  de  Mary  Barrelt,  est  tombée  morte  sur  le 
trottoir  d'Old- Montagne  street,  White-Chapel, 
dans  l'est  de  Londres,  pendant  qu'elle  se  rendait 
au  workouse,  accompagnée  par  deux  voisines.  Le 
rapport  du  médecin  a  déclaré  qu'elle  était  morte 
d'une  maladie  du  cœur,  accélérée  par  le  froid  et 
la  faim.  Un  semblable  verdict  a  été  prononcé  sur 
le  cadavre  de  Mary  Clarke,  âgée  de  soixante-cinq 
ans,  morte  d'inanition  au  n^  22,  Esscx  street , 
Stepney,  dans  la  môme  partie  de  Londres,  devant 
la  boutique  d'un  boulanger  du  voisinage.  La 
pauvre  femme,   ((ui  était  couturière,  avait  con- 


32  SOLUTION  POLITIQUE   ET  SOCIALE 

stamment  refusé  d'entrer  dans  un  ivorkhouse.  Un 
autre  jury  a  déclaré  qu'il  fallait  attribuer  aux 
privations  de  tous  genres  la  mort  de  William 
Schaw,  jeune  homme  de  vingt-huit  ans,  décédé 
au  n^  i,  Gherry-Tree  square,  Gripplegate,  district 
est-central  de  Londres.  Enfin,  un  autre  verdict 
de  mort  accélérée  par  les  privations,  a  été  rendu 
dans  le  cas  de  Mary  Overee,  âgée  de  soixante- 
quatre  ans,  trouvée  morte  dans  une  espèce  de 
cuisine  souterraine,  au  n^  9,  Pollard's-row, 
Bethnalgreen-road ,  partie  nord-est  de  Londres  ; 
cette  dernière  avait  vainement  demandé  à  l'offi- 
cier des  secours  de  la  paroisse,  M.  Christey,  d'être 
assistée  hors  du  workhouse,  où  toutes  ces  pau- 
vres femmes  redoutent  tellement  d'entrer.  » 

M.  de  Girardin,  dans  son  journal  la  Presse, 
reproduit  cette  désolante  énumération,  et  il  y 
ajoute  la  conclusion  suivante  : 

«  Que  faudrait-il  donc  qu'il  arrivât  pour  que 
»  les  gouvernements  s'occupassent  moins  de  fusils 
»  et  de  canons  rayés,  de  vaisseaux  blindés  et  cui- 
»  rassés,  et  s'occupassent  plus  des  malheureux 
»  (|ue  l'ignorance   déprave  et  que  la  faim  tue? 


IMPUISSANCK  DU  COMMERCE  33 

»  Quand  donc  enfin  la  société,  tirée  de  l'ornière 
»  des  lois  positives,  aura-t-elle  trouvé  ses  vraies 
»  lois  ?  Quand  les  cherchera-t-elle  ?  Quand  recon- 
»  naîtra-t-elle  qu'elle  devrait  avoir  un  autre  but 
»  que  de  faire  tuer  des  Américains  du  Nord  par 
»  des  Américains  du  Sud,  des  Polonais  par  des 
»  des  Russes,  des  Danois  par  des  Austro-Prus- 
»  siens,  etc.,  etc.?  Quels  sont  les  ennemis  de  la 
»  société  ?  —  Ce  sont  la  mort  prématurée,  la 
»  misère  imméritée,  l'ignorance  invétérée.  Ce 
»  serait  à  ces  trois  ennemis  qu'il  faudrait  faire 
»  une  guerre  sans  relâche  et  sans  fin.  Mais,  en 
»  Angleterre,  où  cependant  règne  la  liberté  de 
»  réunion,  qui  est-ce  qui  songe  à  la  faim  des 
»  autres?  » 

Si  nous  remontons  de  quelques  années  encore 
dans  nos  souvenirs,  nous  rencontrons  les  sinistres 
années  de  1846  et  1847.  Qu'on  ouvre  le  Diction- 
naire d'économie  politique  dont  on  ne  saurait  sus- 
pecter l'exagération,  on  y  verra  quelles  consé- 
quences entraînèrent  les  privations  de  ces  deux 
années  :  augmentation  dans  le  chiffre  des  décès, 
diminution  dans  celui  des  mariages  et  des  nais- 


34  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SOCIALE 

sances,  se  résumant  par  un  déficit  de  plus  de 
60,000  individus  dans  raccroissement  normal  de 
la  population,  pour  la  France  seulement.  Que  de 
mystérieuses  souffrances  cache  ce  chiffre  des  sta- 
tistiques. La  mort  lente  par  l'étiolement,  par  l'é- 
puisement, par  l'insuffisance,  n'est-elle  pas  la 
mort  aussi  bien  que  celle  qui  arrive  après  quel- 
ques jours  d'inanition  ?  Le  mal  qui  atteint  la  vie 
dans  son  germe  n'est-il  pas  aussi  terrible  que 
celui  qui  la  tranche  dans  son  cours? 

M.  Abel  Hugo,  dans  le  chapitre  iv  de  sa  bro- 
chure, intitulé  :  Influeiice  des  disettes  sur  la  popu- 
lation, démontre  ce  résultat  de  la  manière  la  plus 
évidente  (Voir  la  note  B). 

Je  n'ai  pas  voulu  encombrer  ce  chapitre  des 
réflexions  que  doit  cependant  inspirer  la  pensée 
d'une  simple  augmentation  dans  le  prix  des 
céréales,  comme  celle  dont  l'Europe  a  souffert  en 
1846  et  de  1854  à  1857,  en  1860  et  1861.  Quelle 
perturbation  dans  le  budget  d'un  pauvre  ménage, 
quand  le  prix  du  pain  monte,  comme  nous  l'avons 
vu  si  souvent,  de  25,  50  et  même  de  100  pour  100! 

Si,  des  faits  généraux,  je  voulais  descendre  aux 
faits  de  détails,  combien  d'exemples  ne  trouve- 


IMPUISSANCE   D[î  COMMERCE  35 

rais-je  pas  dans  ces  cinquante  dernières  années; 
et  que  de  volumes  je  pourrais  remplir  si  je  vou- 
lais fouiller  l'histoire  des  temps  passés!  Mais 
comme  c'est  l'avenir  seul  qui  me  préoccupe,  c'est 
dans  l'étude  de  l'époque  actuelle  que  je  cherche 
mon  enseignement,  et  j'y  trouve,  hélas  !  assez  évi- 
dentes, assez  nombreuses,  assez  indiscutables,  les 
preuves  que  déjà,  en  temps  ordinaire,  l'Europe 
ne  peut  plus  suffire  à  l'alimentation  de  ses  habi- 
tants, et  que,  malgré  la  multiplicité  des  échanges, 
la  facilité  des  communications,  la  rapidité  des 
transports,  elle  est  impuissante  pour  parer  à  une 
crise  qui  la  surprend ,  pour  combler  un  déficit 
inattendu. 


CHAPITRE    VI 


FORCES  PERDUES.  — CONSOMMATEURS  IMPRODUCTIFS 


Il  est  une  autre  cause  à  laquelle  j'ai  attribué  le 
mal  :  le  trop  grand  nombre  de  consommateurs 
improductifs,  la  disproportion  entre  le  nombre 
des  administrateurs  et  des  fonctionnaires  de  tout 
ordre,  de  toute  espèce,  et  celui  des  administrés. 

J,-J.  Rousseau  avait  été,  lui  aussi,  frappé  de 
cette  anomalie  qu'il  Ibrmulc  en  ces  termes  dans 
son^  Contrat  social  : 

«  Dans  tous  les  gouvernements  du  monde,  la 
))   personne    publique   consomme  et   ne   pi'oduit 


FORCES  PERDUES. —CONSOMMATEURS  IMPRODUCTIFS      37 

»  rien.    D'où  lui  vient   donc  la   substance  con- 

»  sommée?  Du  travail  de  ses  membres.  C'est  le 

»  superflu  des  particuliers  qui  produit  le  néces- 

»  saire  du  public,  d'où  il  suit  que  l'État  civil  ne 

»  peut    subsister    qu'autant  que  le    travail  des 

»  hommes  rend  au  delà  de  leurs  besoins.  » 

Le  remède  à  cette  plaie  est-il  plus  facile  à 
trouver?  Étudions  et  analysons  le  mal  d'abord, 
tel  qu'il  s'étale  sous  nos  yeux. 

L'Europe  compte  une  population  totale  de 
290  millions  d'habitants.  Tous  sont  consomma- 
teurs dans  une  proportion  plus  ou  moins  forte; 
mais  si  nous  voulons  rechercher  le  nombre  d'in- 
dividus capables  de  produire,  il  y  a  de  nombreux 
retranchements  à  opérer  sur  ce  premier  chiffre. 
Il  faut  d'abord  en  déduire  la  femme,  dont  les  tra- 
vaux extérieurs  sont  une  exception  et  une  ano- 
malie que  les  progrès  de  la  civilisation  feront  tôt 
ou  tard  disparaître.  C'est  donc  sur  145  millions  et 
non  sur  290  que  nous  devons  établir  notre  calcul. 
Il  en  faut  défalquer  les  vieillards  et  les  enfants. 
Si  nous  prenons  comme  population  valide  et  pro- 
ductive  celle  de    18  à  50   ans,  écart   qui   nous 


38  SOLUTION    POLITIQUE  KT  SOCIALE 

semble  trop  larçe,  nous  trouvons  que  cette  frac- 
tion équivaut  au  chiffre  rond  de  45  pour  100  de 
la  })opulation  mâle  *. 

Dans  les  pays  suivants  :  France,  Angleterre, 
Prusse,  Italie,  Belgique,  Autriche,  Saxe  et  Dane- 
mark, si  nous  restreignons,  ce  qui  nous  semble 
plus  logique,  aux  hommes  de  20  à  45  ans,  la 
puissance  du  travail,  nous  n'avons  plus  qu'une 
proportion  de  35  pour  100  environ,  renvoyons,  du 
reste,  nos  lecteurs  au  tableau  ci-joint.  Mais, 
dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  il  faudra  faire 
encore  la  part  des  riches  oisifs,  des  malades  et 
des  impotents.  Est-ce  exagérer  que  d'évaluer  ces 


*  Maurice 

Blocic, 

Tableau 

statistique  des 

populat 

ions  d'après 

âge  : 

Individus  de 

moins  de  13  < 

îns. 

33,199 

— 

de 

15 

à  18 

— 

5,558 

— 

18 

à  20 

— 

3,706 

] 

— 

20 

à  25 

— 

8,911 

— 

25 

à  30 

— 

8,264  1 

— 

30 

à  35 

— 

7,135  1 

^"  1000  / 

,K   594 

— 

35 

à  40 

— 

6,524 

— 

40 

à  45 

— 

5,296  ] 

1 

— 

45 

à  50 

— 

5,758 

/ 

— 

50 

à  55 

— 

4,476 

— 

55 

à  60 

— 

3,489 

. 

— 

60  et  au-dessus 

7,684 

100,000 


FORCES  PERDUES.  -  CONSOMMATEURS  IMPRODUCTIFS      39 

catégories  à  5  pour  100  ?  Or,  quand  ces  déductions 
sont  opérées  sur  le  chiffre  de  145  millions,  nous 
n'avons  plus,  pour  la  catégorie  de  18  à  50  ans,  que 
61,987,500,  et,  pour  la  catégorie  de  20  à  45  ans, 
nos  145  millions  se  trouvent  réduits  à  48,212,500. 
Si  maintenant,  pour  simplifier  ce  calcul  sur  lequel 
reposeront  plusieurs  de  nos  arguments,  si,  pour 
mieux  fixer  la  pensée  du  lecteur,  je  prends  la 
moyenne  entre  les  chiffres  des  deux  catégories 
pour  n'en  avoir  qu'un  seul,  je  trouve  qu'en 
Europe  le  nombre  des  travailleurs  valides  et 
capables  de  produire,  devant  suffire  à  la  consom- 
mation des  290  millions  d'habitants,  est  de 
55  millions  environ.  Il  n'y  a  donc,  en  réalité, 
qu'un  individu  apte  à  produire  pour  5  ^  con- 
sommateurs. Tous  les  efforts  ne  devraient-ils  pas 
tendre  à  établir  un  meilleur  é(|uilibre;  la  civili- 
sation n'a-t-elle  pas  pour  but  de  remédier  au 
vice  de  cette  proportion  qui  se  traduit  pour  le 
producteur  en  excès  de  travail,  et  pour  le  con- 
sommateur en  une  production  insuffisante.  En 
est-il  ainsi  et  la  civilisation  européenne  n'ag- 
grave-t-elle  pas  le  mal  qu'elle  devrait  soulager? 


CHAPITRE    VII 


ARMÉE 


Débarquez  dans  un  port  d'Europe,  franchissez 
la  frontière  d'un  de  ses  États,  qui  rencontrez- 
vous  d'abord?  à  qui  avez-vous  d'abord  affaire? 
Au  douanier  et  au  soldat. 

Nous  discuterons  plus  tard  l'utilité  du  rôle  que 
remplissent  ces  fonctionnaires  ;  apprécions  d'a- 
bord leur  importance  numérique.  Voici,  d'après 
le  Journal  de  la  statislique  de  Paris  1860  à  1863, 
un  tableau  des  forces  militaires  des  différents 
États  de  l'Europe  à  une  époque  de  paix  : 


ARMEE  ii 

ARMÉE.  BUDGET 

—  pour  ces  armées 

PAYS.                                         ^^      .,  ' 

Etvectif  par  année, 

de  1860  à  18G3.  de  1860àl863. 

France 513,349  h.       688,645,393  Ir. 

Autriche 467,211  336,554,200 

Belgique 40,115  32,252,630 

Espagne 200,400  125,661,871 

Élats-Romains 8,845  4,422,500 

Les  États  de  l'Allemagne.    .      178,575  82,698,687 

Grèce 10,921  5,434,826 

Hollande 59,431  46,907,920 

Italie 314,285  329,661,141 

Prusse 214,482  156,733,672 

Grande-Bretagne 300,823  677,429,375 

Russie 1,000,285  529,240,000 

Danemark 50,000  17,538,610 

Suède 67,867  17,086,604 

Norwège 18,157  8,447,706 

Turquie 429,000  150,000,000 

Roumanie 20,000  11,800,000 

Serbie 2,500  800,000 

Portugal 48,020  19.000,000 

Suisse {néant.) 


3,944,267  h.  3,240,400,000  fr. 

Il  résulte  de  ce  document  que,  dans  l'état 
actuel  des  choses,  sous  un  régime  de  paix,  par 
simple  mesure  de  précaution  et  de  prudence, 
quatre  millions  d'hommes,  dans  la  fleur  et  la 
force  de  l'âge,  sont  condamnés  à  une  existence 
complètement  improductive.  Je  ne  parle  ni  de 
l'éloignement    de    la   famille ,   ni    des   périls   de 


ii  SOLUTION   l'OLlTlQUE  ET   SOCIALE 

roisivotc,  ni  dos  oniiiiis  i]c  la  i;aniisoii.  je  méloi- 
gnerais  de  mon  sujet  ;  je  passerai  même  sous 
silence  cette  captivité  des  marins,  dont  l'invention 
des  bastilles  de  fer  flottantes  va  encore  aggraver 
la  désolante  monotonie  ;  je  fais  du  raisonnement 
et  non  de  la  sensibilité,  et  c'est  dans  des  chiffres 
vrais  que  je  mets  toute  l'ambition  de  mon  élo- 
quence. 

Le  système  des  armées  permanentes  coûte  donc 
annuellement,  à  cette  autre  armée  des  travail- 
leurs productifs,  un  premier  déficit  de  4  millions 
de  soldats;  mais  ce  n'est  pas  tout. 

Ces  4  millions  d'hommes  arrivent  au  régiment 
avec  leur  simple  costume  de  la  ville  ou  des 
champs,  qu'ils  vont  échanger  contre  l'uniforme. 
L'État  les  prend  tout  nus.  Ce  sont  4  millions 
d'hommes  qu'il  se  charge  d'équiper,  d'habiller, 
de  loger  et  de  nourrir.  L'entretien  de  ces  hommes 
improductifs  exige  donc  une  somme  de  travail, 
qui  devient  improductif  lui-même  par  le  fait  de 
sa  destination.  Outre  les  casernes  (|u  il  faut  éle- 
ver ou  entretenir,  outre  la  nourriture  qu'il  faut 
produire  pour  les  hommes  et  les  chevaux,  c'est 
le  chanvre,  la  laine  et  même  la  soie  qu'il  faut 


AU.MÉE  43 

tisser,  c'est  le  cuir  qu'il  faut  tauiicr  et  vernir, 
c'est  le  fer  qu'il  faut  forger  ;  je  ne  suis  point  au 
jjout  de  cette  énumération,  quoique  je  n'aie  pas 
la  prétention  de  la  faire  complète.  L'entretien  du 
soldat  n'est  qu'une  partie  du  budget  de  la  marine 
et  de  la  guerre.  S'il  faut  au  soldat  un  fusil,  il 
faut  des  cartouches  pour  ce  fusil  ;  aussi  avons- 
nous  la  direction  des  poudres  et  salpêtres  dont 
le  personnel  doit  être  ajouté  à  l'armée.  Si  la 
caserne  est  la  résidence  de  paix,  il  faut  être  pré- 
paré à  la  guerre  ;  les  tentes  du  camp,  les  case- 
mates des  forteresses  doivent  donc  être  toujours 
prêtes.  Que  de  maçons,  que  de  charpentiers,  que 
de  manœuvres,  outre  les  soldats  du  génie,  pour 
la  construction  et  pour  la  réparation  de  ces  mil- 
liers de  kilomètres  de  fossés,  de  retranchements 
et  (le  murailles.  Pour  ces  forteresses,  il  faut  des 
des  canons;  quels  travaux  immenses  et  variés 
n'exigent  pas  les  besoins  <h^  l'artillerie  seule- 
uient,  depuis  le  métal  de  la  pièce  jusqu'au  l)ois 
(hi  fourgon  ?  Et  les  and)ulances!  Et  les  hôpitaux! 
Entrez  dans  un  arsenal  si  vous  voulez  avoir  une 
idée  de  toutes  ces  nécessités  de  la  gueri-e.  Outre 
les  équipages  des   navires   et   le   contingent  du 


44  SOLUTION   POLITIQUE  ET  SOCIALE 

bagne,  celui  de  Toulon  occupe  6  à  8,000  ouvriers 
civils.  Nous  retrouvons  clans  les  ports  la  fabrica- 
tion de  certains  objets  dont  l'usage  est  commun 
à  la  marine  et  aux  armées  de  terre  ;  mais  entre 
cette  immense  fabrication  intérieure ,  combien 
d'articles  arrivent  déjà  fabriqués  au  dehors  :  les 
clous,  les  plaques,  et  toutes  ces  pièces  de  fer  dont 
la  consommation  a  pris  de  jour  en  jour  de  si 
colossales  proportions  depuis  l'application  de  la 
vapeur;  le  charbon,  enfin,  dont  l'extraction  et  le 
transport  emploient  plus  de  bras  encore  que  le 
minerai. 

Ces  travaux,  dont  nous  venons  de  faire  la  longue 
énumération,  se  résument,  pour  l'ensemble  des 
États  de  l'Europe ,  dans  un  budget,  guerre  et 
marine,  de  3,240,400,545  fr.En  tenant  compte  du 
prix  moyen  de  la  main-d'œuvre  dans  les  divers 
États  qui  figurent  sur  le  tableau  officiel  que  nous 
avons  reprodi.it,  main-d'œuvre  qui  représente  à 
peine  2  fr.  par  jour,  nous  trouvons  qu'à  nos 
4  millions  de  soldats,  il  faut  ajouter  au  moins 
4  millions  d'hommes  valides  employés  aux  tra- 
vaux qu'entraîne  la  préoccupation  de  la  guerre. 


CHAPITRE    VIII 


DOUANE 


Notre  liste  des  valeurs  humaines  improductives 
n'est  pas  close.  A  côté  du  soldat ,  j'ai  cité  le 
douanier. 

La  douane  a  pour  but  de  maintenir  un  niveau 
factice  entre  les  facultés  productives  des  diffé- 
rentes nations,  ou  de  prélever  au  profit  de  l'État 
un  impôt  sur  l'activité  des  échanges.  Je  discu- 
terai plus  tard  cette  thèse  qui,  dans  ces  derniers 
temps,  a  été  trcs-élucidée,  sinon  résolue.  Je  veux 
seulement  ici  grouper  le  chiffre  des  foiiclioii- 
naires  improductifs. 


46  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

Dans  la  pensée  des  hommes  cVÉtat  protec- 
tionistes,  M.  Thiers  entre  antres,  le  maintien 
des  donanes  se  rattache  beaucoup  moins,  en 
réalité,  à  l'idée  de  protéger  telle  ou  telle  in- 
dustrie, qu'au  désir  de  sauvegarder  l'indépen- 
dance de  chaque  nation,  en  l'enq^ôchant  de  de- 
venir tributaire  obligée  d'une  autre,  pour  un  objet 
de  première  nécessité,  tel  que  fer ,  charbon  ou 
autre,  crainte  qui  n'aurait  pas  de  raison  d'être 
dans  un  système  que  je  me  réserve  de  développer 
plus  tard. 

La  France  emploie  et  solde  25,000  douaniers 
de  service  actif,  sans  compter  le  personnel  des 
administrations  centrales*.  Dans  cette  guerre  de 
tarifs  et  de  prohibitions,  chaque  peuple  est  obligé 
de  proportionner  ses  précautions  à  celles  des 
autres;  étant  donc  donnée  une  même  étendue  de 
côtes  ou  de  frontières,  nous  retrouverons  partout 
en  Europe  une  proportion  égale  de  sentinelles 

*  Maurice  Bloch  (page  391),  Statistique  de  la  France  com- 
parée, etc.,  etc. 

Personnel  administratif.    2,056    Traitement.    5,233,000  fr. 
Service  actif 25,347  id.  21,216,347 

27.403  26,449,347 


DOUANES  47 

veillant  sur  l'iiiiroduction  des  dentelles,  du  tabac, 
de  la  soie,  de  la  bijouterie  ou  de  mille  autres 
objets. 

A  l'instar  de  l'État,  chaque  ville  a  aussi  sa 
ligne  de  douane  dans  les  barrières  de  son  octroi. 
Pour  la  France,  les  frais  de  perception  sont 
portés  au  budget  général  pour  le  chiffre  de 
198,237,347  fr.,  sans  parler  des  budgets  muni- 
cipaux. On  a  trop  parlé  des  complications  de 
l'administration  française ,  pour  que  je  veuille 
appuyer  mes  calculs  sur  le  chiffre  de  ses  dé- 
penses de  perception  presque  égales  à  ses  dé- 
penses militaires,  j'établirai  donc  une  moyenne 
entre  ce  budget  et  celui  des  autres  nations,  c'est- 
à-dire  en  additionnant  douaniers ,  percepteurs 
des  contributions  directes  et  indirectes  des  oc- 
trois,  là  oi^i  ils  existent,  en  ajoutant  à  ce  per- 
sonnel le  nombre  d'hommes  dont  le  travail  ii 
pour  but  de  les  faire  vivre,  eux  et  leurs  familles. 
Je  reste  évidemment  au-dessous  de  la  vérité  en 
évaluant  à  1,500,000  \c  chiffre  de  ces  indivi(his 
que  j'espère  pouvoir  |)i'()uver  être  inutiles,  aussi 
clairement  ([u  il  est  déiuoidré  (piils  sont  iinpi-o- 
ductifs. 


CHAPITRE    IX 


DIPLOMATIE   ET    POLICE 


Reste  une  dernière  catégorie  dont  j'espère  en- 
core démontrer  plus  tard  la  coûteuse  inutilité, 
celle  des  agents  diplomatiques  et  consulaires. 

J'y  joindrai  tous  les  employés  subalternes  et 
les  hommes  de  police  non  avoués.  En  tenant 
compte  de  tout  ce  qui  vit  des  sommes  allouées  à 
ces  divers  services,  je  porterai  pour  l'Europe  le 
chiffre  de  cette  classe  à  500,000  individus. 

Soldats 4,000,000 

Pour  les  entretenir.     .     .    .  4,000,000 

Douanes  et  octrois.     .     .     .  1,500,000 

Diplomatie  et  police  secrète.  500,000 

Yoilà  donc  10  millions  d'hommes  dans  la  force 


DIPLOMATIE   ET    POLICE  49 

de  l'âge  qu'il  faut  retrancher  des  53  millions  de 
producteurs. 

Avant  de  pousser  plus  loin  mon  raisonnement 
et  les  conséquences  que  je  prétends  en  tirer,  j'ai 
besoin  de  faire  observer  à  mes  lecteurs  que,  dans 
cette  liste  de  fonctionnaires  inutiles,  je  n'ai  fait 
entrer  aucun  de  ceux  que  je  considère  comme 
indispensables,  dans  les  rouages  d'un  bon  gou- 
vernement, au  maintien  du  bon  ordre  et  de  la 
morale  publique,  à  la  conservation  de  la  pro- 
priété. 

J'entends  donc  non-seulement  conserver  dans 
leur  emploi  le  gendarme  qui  assure  la  sécurité 
des  routes,  le  garde -champêtre  qui  veille  sur  la 
propriété  rurale,  la  police  municipale  qui  pré- 
vient les  délits  et  assure  l'exécution  de  la  loi, 
mais  je  voudrais  encore  relever  le  prestige  moral 
de  ces  agents  de  l'autorité  et  accroître  leur  bien- 
être.  Ainsi  donc,  après  avoir  essayé  de  démon- 
trer (|uo,  par  le  fait  de  l'accroissement  continu 
de  la  |)()pu]ati<)n ,  le  sol  cultivable  devait  iufailli- 
blement  devenir  insuffisant  pour  les  besoins  de 
cette  population  dans  un  espace  de  temps  peu 
considérable,  nous  venons  de  prouver  que,  dans 


SO  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

l'état  actuel  de  son  organisation,  l'Europe  n'avait 
même  pas  la  libre  disposition  des  bras  valides 
dont  elle  a  si  grand  besoin  pour  résister  aux  en- 
vahissements de  la  misère  et  de  la  famine,  et  que 
ce  n'était  pas  sur  55  millions  de  producteurs, 
mais  sur  45  millions  seulement,  qu'elle  pouvait 
compter  aujourd'hui,  c'est-à-dire  qu'un  seul  tra- 
vailleur doit  subvenir  aux  besoins,  non  pas  de 
5,27,  mais  de  6,44. 


CHAPITRE    X 


IMPOSSIBILITÉ   DES   RÉFORMES 


Il  nous  reste  à  rechercher  si  l'Europe,  telle  que 
nous  la  voyons  aujourd'hui,  n'est  pas  aussi  im- 
puissante à  augmenter  le  nombre  de  ses  produc- 
teurs qu'elle  le  serait  à  élargir  son  sol.  En  res- 
pectant ses  limites  territoriales  aussi  bien  que 
son  prétendu  équilibre  politique,  je  crois  pouvoir 
prouver  qu'il  lui  serait  aussi  impossible  de  sup- 
primer un  soldat  ou  un  douanier  que  d'ajouter 
un  acre  de  terre  à  sa  superficie. 

Je  ne  suis  pas  dans  les  secrets  des  gouverne- 
ments, je  n'écris  pas  pour  les  diplomates,  et  mon 


52  SOLUTION  POLITIQUE   ET   SOCIALE 

ambition  est  d'être  compris  par  tous  les  hommes 
(le  bon  sens,  en  ne  leur  donnant  à  juger  que  des 
faits  dont  ils  peuvent  se  rendre  compte,  comme 
moi,  à  première  vue  et  sans  le  secours  de  con- 
naissances spéciales. 

Peut-on  nier  les  sentiments  de  défiance  dont 
les  gouvernements  sont  animés  les  uns  envers  les 
autres?  Prenons  quelques  exemples  dont  l'évi- 
dence puisse  nous  dispenser  d'une  énumération 
plus  complète.  Chaque  année,  quand  le  budget 
de  l'Angleterre  est  discuté  dans  le  Parlement , 
nous  entendons  des  députés,  économes  des  deniers 
publics,  s'élever  contre  l'exagération  des  dépenses 
de  la  marine  et  de  la  guerre.  Alors  un  ministre 
se  lève  à  son  tour  et  vient  développer  à  quels 
dangers  la  patrie  peut  être  exposée  de  la  part  de 
tel  ou  tel  voisin  ambitieux;  il  énumère  les  forces 
de  cet  allié  d'aujourd'hui,  qui  peut  être  un  en- 
nemi demain,  et  il  conjure  son  adversaire,  au 
nom  des  sentiments  les  plus  patriotiques,  de  ne 
pas  s'opposer  à  une  mesure  (ju'il  laisse  entrevoir 
plus  indispensable  encore  qu'il  ne  veut  le  dire. 
Les  demandes  du  ministre  sont  votées.  Si,  main- 
tenant, le  voisin  auquel  on   prête  des  intentions 


IMPOSSIBILITÉ    DES    RÉFORMES  53 

hostiles,  avait,  an  contraire,  le  désir  ou  le  besoin 
(le  désarmer,  il  prend  à  son  tour,  comme  une  me- 
nace, ce  qui  n'était  qu'un  acte  de  prévoyance,  et, 
pour  se  tenir  au  niveau  des  ressources  qui  peu- 
vent être  dirigées  contre  lui,  il  augmente  à  son 
tour  sa  flotte  et  son  armée.  Il  se  passe  en  ce  mo- 
ment des  faits  qui  sont  des  arguments  bien 
évidents  pour  ma  thèse. 

La  marine  militaire  est  en  voie  de  transfor- 
mation. De  même  que  les  navires  à  vapeur  ont 
remplacé  les  bâtiments  à  voiles,  de  même  que 
Ihélice  a  succédé  à  l'aube ,  les  carcasses  de  bois 
font  place  aux  cuirasses  de  fer.  La  métamorphose 
de  l'artillerie  est  aussi  complète.  Mais  quand  on 
entre  dans  la  voie  de  pareilles  innovations,  la 
découverte  d'aujourd'hui  rend  inutile  celle  d'hier, 
et  le  progrès  de  demain  infligera  le  même  sort  à 
nos  œuvres  d'aujourd'hui.  Entre  la  force  de  per- 
cussion du  boulet  et  la  puissance  de  résistance 
du  blindage,  il  y  a  une  lutte  dont  il  est  impos- 
sible de  prévoir  le  terme;  nous  en  sommes  aux 
pièces  de  300,  même  de  500,  dit-on,  et  aux 
plaques  de  fer  de  6,  même  de  10  pouces;  où  cela 
s'arrêtera-t-il ?  Le  résultat  le  plus  clair,  jusqu'ici, 


Si  SOLUTION   POLITIOUE   ET   SOCIALE 

c'est  qu'en  cas  de  grande  guerre,  un  vaisseau  de 
ligne  de  120  canons  étant  hors  d'état  de  résister 
au  moindre  Monitor  ou  Merrimac,  il  faut  absolu- 
ment que  chaque  peuple  suive  les  extravagants 
progrès  de  celui  qui  a  poussé  plus  loin  les  expé- 
riences. Quelques  chiffres  donneront  une  idée  de 
l'augmentation  qui  en  résulte  dans  les  dépenses. 
Dans  l'ancien  système,  les  frais  de  construction 
d'un  navire  du  plus  haut  bord,  atteignaient  bien 
rarement  plus  de  2  millions  de  francs.  Les  der- 
niers échantillons,  sortant  présentement  des  ports 
de  Cherbourg  ou  de  Toulon,  coûteront  de  12  à 
15  millions. 

Si,  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  nous  pas- 
sons en  Autriche  ou  en  Prusse,  nous  trouvons 
cette  dernière  puissance,  sentinelle  toujours  en 
éveil ,  les  regards  tournés  vers  ses  provinces 
du  Khin,  risquer  la  popularité  du  roi,  l'union 
des  pouvoirs  et  la  paix  intérieure,  plutôt  que  de 
consentir  à  une  réduction  dans  l'effectif  de  son 
armée. 

Sans  rechercher  à  qui  doit  en  remonter  la  res- 
ponsabilité première,  les  armements  de  l'Autriche 
expliquent  sutfisamment  ceux  de  l'Italie,  et  le  taux 


IMPOSSIBILITÉ   DES    KÉFORMES  55 

de  la  rente,  à  Turin,  démontre  assez  quelle  in- 
fluence cette  paix  armée  exerce  sur  la  prospérité 
des  finances  italiennes. 

L'Autriche  a  des  alarmes  plus  vives  encore  et 
mieux  justifiées.  En  face  de  l'Italie,  s'épuisant 
pour  organiser  une  armée  hors  de  proportion 
avec  ses  ressources,  elle  se  croit  obligée  à  entre- 
tenir, sur  le  pied  de  guerre,  180  mille  hommes 
dans  la  Vénétie. 

La  Prusse  et  l'Autriche,  au  reste,  n'auraient- 
elles  pas  ces  préoccupations  extérieures,  que  leur 
rivalité  dans  la  Diète  de  Francfort  entretiendrait 
entre  elles  une  concurrence  de  soldats  et  de 
canons. 

Faut-il  parler  de  la  Turquie,  dont  les  destinées, 
même  depuis  la  chute  de  Sébastopol,  sont  remises 
en  question  au  moindre  bruit  d'un  changement 
dans  les  alliances  européennes?  Son  sort,  discuté 
chaque  jour  dans  les  feuilles  des  plus  petits  États, 
autorise  du  moins  pour  elle  des  dépenses  qui, 
cependant,  ne  la  sauveront  pas. 

Ce  qui  se  passe  actuellement  en  Danemark 
prouve  suffisamment  combien  était  précaire,  mal- 
gré tous  les  protocoles,  la  possession  des  du- 


36  SOLUTION   l'OLlTlOUh;   El'   SOCIALE 

chés  de  Holstein  et  de  Schleswig,  et  combien  la 
force  des  armes  était  nécessaire  au  gouvernement 
de  Copenhague  pour  maintenir  sa  domination 
contre  les  revendications  continuelles  de  l'AlJe- 
magne. 

La  Russie  est  l'exemple  le  plus  frappant  de  la 
nécessité  des  grandes  armées  dans  l'organisation 
de  certains  États.  Elle  a  beau  posséder  d'im- 
menses territoires  sous  les  latitudes  du  JNord,  un 
impérieux  instinct  la  pousse  toujours  au  sud  et 
à  l'ouest,  vers  le  soleil  et  la  civilisation.  C'est  par 
une  fatalité  de  position  qu'elle  menace  Constan- 
tinople  et  qu'elle  empiète  incessamment  sur 
l'Europe  centrale.  Elle  obéit  à  ses  destinées , 
quand  elle  cherche  à  s'incorporer  la  Pologne , 
quand  elle  envahit  la  Finlande.  Pour  jouer  ce  rôle 
sur  tant  de  points  à  la  fois,  dans  les  montagnes 
tlu  Caucase  comme  sur  les  bords  du  tleuve  Amour, 
pour  être  à  la  fois  Mongole  et  Américaine,  en  môme 
temps  que  puissance  européenne,  pour  avoir  sa 
voix  dans  les  conseils  des  nations  civilisées  (|uoi- 
qu'on  soit  encore  peuple  à  demi -barbare,  il  faut 
pouvoir  se  faire  respecter,  se  faire  craindi'e  par 
une  grande  organisation  militaire  ;  aussi  pourrait- 


liMPOSSlBlLlTE    L'ES    RÉFORMES  57 

on  dire  de  la  Russie  quelle  est  uu  camp,  et  si  nous 
avons  porté  à  1,000,285  leffectif  de  son  armée, 
c'est  que  nous  n'avons  voulu  prendre  qu'un  chiffre 
indiscutable,  mais  que  nous  savons  être  au-des- 
sous de  la  vérité,  car  la  plupart  des  statistiques 
relèvent  à  1,500,000. 

Cette  plaie  des  armements  exagérés  qui ,  d'an- 
née en  année,  devient  un  mal  plus  incurable, 
inspirait  déjà  à  Montesquieu  les  rétlexions  sui- 
vantes, que  je  crois  à  propos  de  citer  : 

«  Une  maladie  nouvelle  s'est  répandue  en  Eu- 
rope ;  elle  a  saisi  nos  princes  et  leur  fait  entre- 
tenir un  nombre  désordonné  de  troupes.  Elle  a 
ses  redoublements ,  et  elle  devient  nécessaire- 
ment contagieuse;  car,  sitôt  qu'un  État  aug- 
mente ce  qu'il  appelle  ses  troupes,  les  autres, 
soudain,  augmentent  les  leurs;  de  façon  qu'on 
ne  gagne  rien  par  là  que  la  ruine  comnume. 
Chaque  monarque  tient  sur  pied  toutes  les  ar- 
mées qu'il  pourrait  avoir,  si  ses  peuples  étaient 
en  danger  d'être  exterminés;  et  ou  nomme  paix 
cet  état  d'efforts  de  tous  contre  tous.  Aussi  l'Eu- 
rope est-elle  si  ruinée,  que  les  particuliers  qui 


58  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

»  seraient  dans  la  situation  oij  sont  les  trois  puis- 
»  sances  de  cette  partie  du  monde  les  plus  opu- 
»  lentes,  n'auraient  pas  de  quoi  vivre.  Nous  som- 
»  mes  pauvres  avec  les  richesses  et  le  commerce 
»  de  tout  l'univers. 

»  La  suite  d'une  telle  situation  est  l'augmen- 
»  tation  perpétuelle  des  tributs  ;  et,  ce  qui  pré- 
»  vient  tous  les  remèdes  à  venir,  on  ne  compte 
»  plus  sur  les  revenus,  mais  on  fait  la  guerre  avec 
»  son  capital.  11  n'est  pas  inouï  de  voir  des  États 
»  hypothéquer  leurs  fonds,  pendant  la  paix  même, 
»  et  employer,  pour  se  ruiner,  des  moyens  qu'ils 
»  appellent  extraordinaires,  et  qui  le  sont  si  fort 
»  que  le  fils  de  famille  le  plus  dérangé  les'imagine 
»  à  peine. 

»  II  est  vrai  que  c'est  cet  état  d'efforts  qui 
»  maintient  principalement  l'équilibre,  parce 
»  qu'il  éreinte  les  grandes  puissances.  » 


CHAPITRE    XI 


IMPUISSANCE  DE   LA   DIPLOMATIE 


Le  mal  u  t'ait  de  tels  progrès  de  nos  jours,  que 
ce  ne  sont  plus  seulement  les  écrivains  et  les 
philosophes  qui  sont  frappés  de  la  grandeur  du 
péril ,  les  souverains  eux-mêmes  jettent  le  cii 
d'alarme.  Il  y  a  quelques  mois,  le  16  août  1803, 
lempereur  d'Autriche  ne  réunissait-il  pas  à  Franc- 
fort les  membres  de  la  Confédération  germa- 
nique, pour  y  concerter  avec  eux  les  moyens 
d'aplanir  pacitiquemont.  amicalement,  les  difli- 
cultés  qui  divisent  rAllemagnc? 

Plus  récemment  encore,  un  autre  prince,  (pii 


60  SOLUTION   POLITIQUE   ET   SOCIALE 

ne  saurait  être  suspect  d'une  aversion  exception- 
nelle pour  la  guerre,  car  il  porte  le  nom  et  il  est 
l'héritier  du  plus  grand  capitaine  des  temps  mo- 
dernes, il  dispose  de  la  plus  redoutable  des  ar- 
mées, ^^apoléon  III,  cependant,  le  4  novembre  1863, 
ne  faisait-il  pas  à  tous  les  souverains  de  l'Europe 
la  proposition  solennelle  d'un  congrès  où  seraient 
plaidées,  par  la  justice  et  par  la  raison,  les  causes 
que  décide  trop  souvent  la  force  seule  sur  les 
champs  de  bataille  ? 

Rappelons  ce  qu'objectait  à  cette  proposition 
dans  sa  dépêche  à  l'ambassadeur  accrédité  en 
France,  le  ministre  de  la  pacifique  Angleterre  : 

«  Lord  Russell  à  lord  Coioley. 

«  2o  novembre  1863. 

»  Après  une  longue  paix ,  aucune  puissance 
»  n'est  disposée  à  céder  un  territoire  auquel  elle 
»  a  droit  en  vertu  d'un  traité,  ou  à  l'égard  du(}uel 
»  elle  peut  invoquer  la  possession.  » 

La  morale  politi(|uc  de  l'Europe  est  tout  en- 
tière dans  ces  paroles,  et  elle  se  r('>suine  en  deux 
points  :  1°  11  ne  peut  y  avoir  de  congrès  et  de 


IMPUISSANCE  DE   LA  DIPLOMATIE  61 

traité  qu'après  la  guerre  ;  2^  tout  État  à  qui  on 
demandera,  à  un  titre  quelconque,  une  cession 
de  son  territoire,  refusera  si  sa  possession  repose 
sur  le  texte  d'un  traité  ou  sur  le  fait  accompli  : 
en  d'autres  termes,  les  traités  ne  peuvent  être 
faits  ou  déchirés  que  par  la  guerre.  (Il  est  bien 
entendu  qu'il  ne  s'agit  pas  des  traités  de  com- 
merce, des  conventions  postales  ou  autres  ana- 
logues.) 

L'histoire  donne  malheureusement  raison  à 
cette  doctrine.  Or,  si  la  force  doit  décider  en  toute 
circonstance,  la  question  du  désarmement  est 
résolue;  le  désarmement  est  impossible. 


CHAPITRE   XII 


INUTILITÉ    DES    TRAITÉS 


La  démonstration  de  cette  vérité,  par  les  faits, 
n'est  pas  moins  évidente.  Nons  savons  dans  quelles 
conditions  les  traités  sont  généralement  rédigés  : 
c'est  après  la  guerre  ;  ils  sont  donc  imposés  au 
faible  par  le  fort,  au  vaincu  par  le  vainqueur. 

Je  ferai  grâce  au  lecteur  d'une  érudition  facile  ; 
je  ne  lui  parlerai  ni  de  la  guerre  de  Trente  ans, 
ni  du  traité  de  Westphalie,  ni  même  de  la  paix 
d'Amiens.  J'arrive  sans  préambule  aux  fameux 
traités  de  Vienne  en  1815,  dont  les  stipulations 
ont  encore  la  prétention  d'être  la  base  du  droit 
public  en  Europe. 


INUTILITÉ    DES   TRAITÉS  63 

Tout  le  monde  sait  en  quelles  circonstances  ces 
fameux  traités  furent  signés.  La  chute  de  Napo- 
léon faisait,  en  quelque  sorte,  table  rase;  quinze 
ans  de  guerre  avaient  tout  mêlé,  tout  rapproché, 
effacé  bien  des  vieux  préjugés  et  merveilleuse- 
ment préparé  l'Europe  à  une  nouvelle  organisa- 
tion. Les  dépouilles  étaient  assez  opulentes  pour 
satisfaire  à  toutes  les  réparations  légitimes,  et, 
pour  peu  que  chacun  sût  modérer  ses  prétentions, 
on  devait  être  en  mesure  de  pouvoir  contenter  à 
peu  près  tout  le  monde. 

Et,  en  effet,  les  intentions  durent  être  excel- 
lentes, puisque  la  réunion  des  souverains  contrac- 
tants prit  le  nom  de  Sainte-Alliance. 

Cependant,  voyons,  cinquante  ans  après,  ce  qui 
est  advenu  des  conventions  rédigées  sous  d'aussi 
respectables  auspices.  Voici,  dans  l'ordre  chrono- 
logique, quels  sont  les  changements  que  ces  traités 
ont  subis  : 


64  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 


BELGIQUE 


La  révolution  belge,  en  modifiant  l'organisation 
du  royaume  des  Pays-Bas,  a  nécessité  une  pre- 
mière dérogation  aux  stipulations  des  actes  du 
congrès  de  Vienne. 

L'article  95  de  l'acte  final  avait  réuni  les  an- 
ciennes provinces  des  Pays-Bas  et  les  ci-devant 
provinces  belgiques  sous  la  souveraineté  de  la 
maison  d'Orange-Nassau.  Le  traité  de  Londres  du 
19  avril  1839*,  conclu  entre  l'Autriche,  la  France, 
la  Grande-Bretagne,  les  Pays-Bas,  la  Prusse  et  la 
Russie,  a  prononcé  la  séparation  définitive  de  la 
Belgique  et  de  la  Hollande,  séparation  qui  exis- 
tait  de  fait  depuis  la  révolution  belge  de  sep- 

*  Ce  traiti''  annule  un  traité  précédent  du  13  novembre  1831. 


INUTILITÉ   DES    TRAITÉS  6!5 

tembre  1830.  Le  même  jour,  un  traité  était  direc- 
tement signé  à  Londres  entre  les  ambassadeurs  du 
roi  des  Belges  et  du  roi  des  Pays-Bas,  consacrant 
les  limites  que  recevraient  désormais  les  terri- 
toires des  deux  royaumes. 


II 


GRAGOVIE 


L'incorporation  de  Cracovie  à  l'Autriche^  en 
1846,  a  amené  l'annulation  d'un  autre  article 
des  traités  de  Vienne. 

Un  traité  additionnel  entre  la  Russie,  la  Prusse 
et  l'Autriche,  signé  à  Vienne  le  3  mai  1815,  et 
annexé  à  l'acte  général  du  congrès  du  9  juin  sui- 
vant, portait  : 

«  La  ville  de  Cracovie,  avec  son  territoire,  est 
déclarée  à  perpétuité  cité  libre  et  indépendante, 
et  strictement  neutre,  sous  la  protection  des  trois 
hautes  puissances  contractantes.  » 


66  SOLUTION   POLITIQUE   ET    SOCIALE 

Aux  termes  de  l'article  6  de  ce  traité,  les  trois 
cours  s'engageaient  à  respecter  et  à  faire  res- 
pecter en  tout  temps  la  neutralité  de  la  ville 
de  Cracovie  et  de  son  territoire,  où  aucune  force 
armée  ne  pourrait  jamais  être  introduite  sous 
quelle  forme  que  ce  fût. 

Une  convention  conclue  à  Vienne,  le  6  novembre 
1846,  entre  l'Autriche,  la  Prusse  et  la  Russie, 
c'est-à-dire  entre  les  trois  puissances  protec- 
trices de  la  république  de  Cracovie,  stipula,  à  la 
suite  des  événements  dont  le  grand-duché  de 
Posen,  Cracovie  et  la  Gallicie  avaient  été  le 
théâtre,  au  commencement  de  la  même  année, 
que  Cracovie  et  son  territoire  seraient  rendus  à 
l'Autriche  et  réunis  à  la  monarchie  autrichienne, 
pour  redevenir,  comme  avant  1809,  la  propriété 
de  Sa  Majesté  Impériale  et  Royale  Apostolique. 


INUTILITÉ  DES  TRAITÉS  67 


IIÏ 


FRANCE,     SECOND     EMPIRE. 


Nous  arrivons  ici  au  changement  le  plus  consi- 
dérable apporté  aux  actes  du  congrès  de  Vienne 
et  aux  traités  de  1815;  nous  voulons  parler  de 
l'avènement  du  second  Empire. 

Par   l'article   2   du  traité  d'alliance  entre    les 
cours  d'Autriche,  de  la  Grande-Bretagne,  de  la 
Prusse  et  de  la  Paissie,  signé  à  Paris  le  20  no- 
vembre  1815,  les   hautes   parties   contractantes 
jugeaient  convenable  de  renouveler  et  de  confir- 
mer  comme   mutuellement   obligatoires    les   ar- 
rangements contractés  l'année  précédente,   «  et 
particulièrement    ceux    par    lesquels     Napoléon 
Bonaparte    et  sa   famille,    ensuite  du   traité    du 
11   avril   1814  (dit    de   Fontainebleau)   ont  été 
exclus    à    perpétuité    du    pouvoir    suprême    en 
France,  laquelle  exclusion  les  puissances  contrac- 


6S  SOLUTION   PACIFIQUE   ET    SOCIALE 

tantes  s'engagent,  par  le  présent  acte,  à  main- 
tenir en  vigueur,  et,  s'il  était  nécessaire,  avec 
toutes  leurs  forces.   » 

On  sait  ce  qu'il  advint,  en  décembre  1851,  de 
cette  disposition  des  traités  de  1813,  lorsque  la 
France  adopta,  par  près  de  8  millions  de  voix,  le 
plébiscite  suivant,  soumis  à  la  nation  par  le  séna- 
tus-consulte  du  7  novembre  1852  : 

«  Le  peuple  veut  le  rétablissement  de  la  dignité 
impériale  dans  la  personne  de  Louis-Napoléon 
Bonaparte,  avec  hérédité  dans  sa  descendance 
directe,  et  lui  donne  le  droit  de  régler  Tordre  de 
succession  au  trône  dans  la  famille  Bonaparte.  » 

Au  long  préambule  du  traité  du  20  novembre 
1815,  signé  par  les  puissances  coalisées,  et  qui 
excluait  du  trône  Napoléon  et  sa  famille,  un 
sénatus-consulle  du  î2  décembre  1852,  a  répondu 
par  ces  deux  lignes  : 

«  Louis-Napoléon  Bonaparte  est  empereur  des 
Français  sous  le  nom  de  Napoléon  lîl.   » 


INUTILITE    DES    TRAITES 


IV 


AFFAIRE    DE    NEUCHATEL. 


La  séparation  du  canton  de  Neuchâtel  d'avec  la 
Prnsse  marque  la  quatrième  modification  appor- 
tée aux  décisions  du  congrès  de  Vienne. 

Parmi  les  pays  que  l'article  23  de  l'acte  final 
du  9  juin  1815  attribuait  au  roi  de  Prusse,  à  ses 
héritiers  et  successeurs,  se  trouvait  la  princi- 
pauté de  Neuchâtel  avec  le  comté  de  Valengin. 

Par  un  traité  signé  le  26  mai  1857  entre  la 
France,  l'Autriche,  la  Grande-Bretagne,  la  Russie, 
la  Prusse  et  la  Confédération  suisse,  le  roi  de 
Prusse  a  consenti  à  renoncer  à  perpétuité,  pour 
lui,  ses  héritiers  et  successeurs,  aux  droits  sou- 
verains que  l'article  23  du  traité  de  Vienne  lui 
attribuait  sur  l'État  de  Neuchâtel,  qui,  «  relevant 
désormais  de  lui-même,  continuera,  dit  le  traité, 
à  faire  partie  de  la  confédération  suisse,  au  même 


70  SOLUTION    PACIFIQUE    ET    SOCIALE 

titre  que  les  autres  cautous  et  conforniéuient  à 
l'article  75  de  l'acte  final  du  congrès  de  Vienne.  » 
Les  événements  qui  se  sont  accomplis  en  Italie 
en  1859,  ont  amené  à  leur  tour  de  graves  modifi- 
cations dans  la  constitution  du  pacte  de  Vienne. 


RENONCIATION    DE    L  AUTRICHE    A    LA    LOMBARDIE. 


L'article  93  du  traité  de  Vienne  avait  reconnu 
l'Empereur  d'Autriche  comme  souverain  légitime 
de  la  Lombardie,  entre  autres  territoires  dont  Sa 
Majesté  rentrait  en  possession,  en  vertu  d'anciens 
traités  et  par  suite  de  la  dernière  guerre. 

Par  l'article  12  du  traité  de  paix  entre  la 
France  et  l'Autriche,  signé  à  Zurich  le  10  no- 
vembre 1859,  l'Empereur  d'Autriche  a  renoncé 
pour  lui  et  ses  sucesseurs,  en  faveur  de  l'Empe- 
reur des  Français,  à  ses  droits  et  titres  sur  la 
Lombardie  ;   et,   par   un   autre  traité   conclu    le 


INUTILITÉ    DES    TRAITÉS  71 

même  jour  entre  la  France  et  la  Sardaigiie, 
lEmpereur  des  Français  transférait  au  roi  Vic- 
tor-Emmanuel les  titres  et  droits  que  le  précé- 
dent traité  lui  donnait  sur  la  Lombardie. 


VI 


an:n'exions  en  italie 


De  leur  côté,  les  décrets  qui  ont  successive- 
ment annexé  au  royaume  de  Sardaigne  les  pro- 
vinces de  l'Emilie  (Bologne,  Ferrare,  Forli,  Massa 
et  Carrara,  Moclène,  Parme,  Plaisance,  Piavenne, 
Keggio)  ;  —  la  Toscane  ;  —  les  Marches  ;  —  les 
provinces  de  l'Ombrie;  —  les  provinces  napoli- 
taines et  la  Sicile,  ont  à  leur  tour  effacé  diffé- 
rents articles  du  pacte  de  1815,  et  notamment  les 
articles  98,  100,  103  et  104. 


72  SOLUTIOiN    POLITIQUE    ET    SOCIALE 


VII 


CESSION     DE     LA    SAVOIE    ET    DE    NICE. 


La  cession  faite  par  la  Sardaigne  à  la  France 
de  la  Savoie  et  du  comté  de  Nice,  a  fait  dispa- 
raître ce  paragraphe  de  l'article  l^'"  de  la  seconde 
paix  de  Paris  (20  novembre  1815)  :  »  Des  fron- 
tières du  canton  de  Genève  jusqu'à  la  Méditer- 
ranée, la  ligne  de  démarcation  sera  celle  qui,  en 
1790,  séparait  la  France  de  la  Savoie  et  du  comté 
de  Nice.  » 

La  loi  du  17  mars  1861,  rendue  par  le  parle- 
ment de  Turin,  qui  change  le  titre  de  roi  de 
Sardaigne  en  celui  de  roi  d'Italie,  a  également 
annulé  l'article  87  de  l'acte  final  du  congrès  de 
Vienne. 


INUTILITÉ  DES  TRAITÉS  73 


VIII 


ILES    IONIENNES. 


Enfin,  une  nouvollo  modification  anx  actes  dn 
congrès  s'est  récennnent  (jpérée  par  la  rénnion 
à  la  Grèce  des  îles  Ioniennes,  en  vertu  de  la 
renonciation  faite  par  l'Angleterre  au  protectorat 
immédiat  et  exclusif  qu'elle  exerçait  sur  les  sept 
îles,  aux  termes  d'un  traité  conclu  à  Paris  le 
5  novembre  1815,  entre  les  cours  de  Londres, 
de  Berlin,  de  Vienne  et  de  Saint-Pétersbourg,  et 
auxquelles  la  France  accédait  en  septembre  1816. 

Tels  sont  les  changements  et  les  modifications 
apportés  aux  traités  de  1815.  Quant  à  celles  de 
leurs  dispositions  qui  restent  encore  debout,  ne 
sont-elles  pas,  pour  un  grand  nombre,  défec- 
tueuses, incomplètes,  surannées,  et  surtout  en 
désaccord  avec  l'esprit  nouveau  et  les  aspirations 
modernes  des  peuples? 


74  SOLUTION    POLITIUUE    ET    SOCIALE 

Sur  d'autres  points,  où  les  dispositions  du 
traité  de  1815  sont  encore  maintenues,  les  pro- 
testations n'ont  pas  été  moins  énergiques  ni 
moins  sanglantes;  mais  c'est  la  force  qui  a  décidé 
de  leur  maintien.  Entre  la  Pologne  qui  reste, 
malgré  ses  révoltes,  sous  la  domination  du  czar, 
et  Cracovie  qui  est  annexée  à  l'empire  d'Au- 
triche, y  a-t-il  une  autre  différence  que  celle  du 
succès  à  la  défaite?  N'est-ce  pas  le  droit  du  plus 
fort  qui  décide  uniquement  que  les  traités  sont 
violés  ici  et  là  respectés? 

Dans  les  possessions  européennes  de  la  Tur- 
quie, en  Grèce,  dans  les  Principautés  danu- 
biennes, combien  de  fois  la  nécessité  n'a-t-elle 
pas  imposé  des  modifications  radicales  aux  an- 
ciennes stipulations? 


CHAPITRE    XIII 


CONCLUSION    DE    LA   PREMIÈRE    PARTIE 


De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  deux  grandes 
causes  rendent  le  désarmement  impossible  :  l'an- 
tagonisme des  États,  leur  rivalité,  soit  quelle 
réside  dans  des  préjugés  nationaux,  soit  qu'elle 
se  personnifie  dans  des  ambitions  individuelles  ; 
les  conflits  d'intérêts  industriels  et  commerciaux, 
puis  l'inexécution  permanente,  inévitable,  des 
traités,  effaçant  le  droit  à  peine  inscrit,  et  sus- 
pendant sur  toutes  les  relations  internationales 
l'éternelle  menace  des  solutions  par  la  guerre. 

A  ces  causes   qui   se  rattachent  aux  rapports 


76  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

des  nations  entre  elles,  ne  faut-il  pas  en  ajouter 
une  troisième,  la  nécessité,  pour  certains  gouver- 
nements, d'avoir  une  force  de  compression  à 
opposer  à  l'esprit  de  révolte  d'une  partie  de  leurs 
sujets?  Lors  même  qu'une  paix  générale,  sur  des 
bases  inespérées,  s'établirait  entre  les  divers 
États  de  l'Europe,  la  Russie  ne  serait-elle  pas 
obligée  d'avoir  une  armée  contre  la  Pologne  et 
le  Caucase.  l'Autriche  contre  la  Hongrie  et  la 
Vénétie,  rAngleterre  elle-même  contre  l'Irlande, 
et  naguère  encore  le  Danemark  contre  le  Hols- 
tein  ? 

Je  pourrais  même  trouver  des  exemples  de 
périls  exceptionnels  et  temporaires,  où  l'ar- 
mée devient  un  auxiliaire  à  peu  près  indispen- 
sable de  la  police,  pour  le  maintien  de  la  tran- 
quillité pul)lique,  et  on  ne  contestera  pas  que, 
dans  certains  moments,  en  Prusse,  l'armée  n'ait 
été  aussi  indispensable  à  Berlin  qu'elle  peut  l'être 
aujourd'hui  sous  les  murs  de  Duppel  ou  sur  les 
frontières  du  Rhin.  Ainsi  donc  l'existence  des 
10  millions  de  soldats,  de  douaniers,  et  d'autres 
fonctionnaires  énumérés  plus  haut,  est  néces- 
saire : 


CONCLUSION  DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE  77 

1"  Parce  que  les  États  vivent  dans  une  rivalité 
et  une  défiance  perpétuelles. 

S**  Parce  que  les  traités  ne  sont  pas  et  n'ont 
jamais  été  respectés. 

3"  Parce  qu'il  y  a  des  nécessités  d'ordre  inté- 
rieur qui  exigent  ce  recours  permanent  à  la  force. 

La  suppression  des  armées  dépend  donc  néces- 
sairement de  la  suppression  de  ces  trois  causes. 
Aucun  espoir  d'amélioration  n'apparaît.  La  pro- 
position d'un  congrès,  faite  par  Napoléon,  a  été 
repousséc;  l'impraticabilité  de  cette  grande  me- 
sure était  avouée  même  par  ceux  qui,  par  défé- 
rence, y  donnaient  leur  adhésion.  Je  suis  donc 
autorisé  à  regarder  comme  démontrée  la  néces- 
sité des  armées  permanentes,  tant  que  l'Europe 
conservera  son  organisation  actuelle  ;  c'est  ce  qui 
me  restait  à  prouver  dans  la  première  partie  de 
cet  ouvrage. 

J'ai  dit  en  effet,  en  commençant,  qu'à  mes 
yeux  le  malaise  général  de  l'Europe  provenait 
de  deux  causes  :  i^  L'accroissement  illimité  de 
la  population  sur  un  sol  dont  la  fertilité  a  des 
bornes  et  dont  la  surface  ne  peut  s'étendre; 
2°  la  disproportion  entre  le  nombre  des  gouver- 


78  SOLUTION    POLITIQUE   ET   SOCIALE 

nants  et  celui  des  gouvernés,  et  la  déperdition 
énorme  de  forces  productives  qui  en  résultait. 
Des  calculs  reposant  sur  les  statistiques  les 
plus  otficielles,  nous  ont  donné  le  chiffre  de 
10  millions  de  fonctionnaires  improductifs. 

Après  avoir  fait  ressortir  les  conditions  d'âge 
et   de  force  qui  aggravent  le  préjudice  de  cette 
improductivité,  nous  avions  à  prouver,  pour  com- 
pléter notre    démonstration,    ({uW    était   chimé- 
rique  d'espérer    une    réduction    notable   sur    ce 
chiffre,  et  que  le   second  fléau  était  aussi  fatal, 
aussi  irrémédiable   que   le  premier,    tant  qu'on 
resterait  dans  les  vieilles  ornières  du  passé.  Je 
vais  essayer  maintenant,  tout  humble  que  je  suis, 
et  venant  après  tant  de  profonds  penseurs,  tant 
d'écrivains    illustres,    non    pas    de    changer   les 
mœurs  ni  les  conditions  de  la  société  actuelle, 
mais  de  mettre  sous  les  yeux  de  mes  lecteurs  des 
expériences  faites,  et,  quoique  m'appuyant  uni- 
quement dans  mes  théories  sur  des  faits  d'une 
vérification  facile,  j'aurai  toujours  présente  à  l'es- 
prit cette  observation  de  J.-J.  Rousseau  dans  son 
Contrat  social  : 

«  Les  peuples,  ainsi  que  les  hommes,  ne  sont 


CONCLUSION  DE  LA    PREMIÈRE  PARTIE  79 

dociles  que  dans  leur  jeuuesso,  ils  deviennent 
incorrigibles  en  vieillissant;  quand  une  fois  les 
coutumes  sont  établies  et  les  préjugés  enracinés, 
c'est  une  entreprise  dangereuse  et  vaine  de  vou- 
loir les  réformer  ;  le  peuple  ne  peut  pas  même 
souffrir  qu'on  touche  à  ses  maux  pour  les  dé- 
truire, semblable  à  ces  malades  stupides  et  sans 
courage  qui  frémissent  à  l'aspect  du  médecin.  » 
Je  me  souviendrai  que  j'ai  affaire  à  l'Europe 
qui  est  un  vieux  malade,  et,  en  exposant  ma  re- 
cette, mon  principal  souci  sera  de  démontrer 
combien  l'application  en  serait  facile,  et  combien 
elle  peut  se  concilier  avec  l'essence  môme  du  ré- 
gime qu'elle  a  pour  but  d'améliorer. 


DEUXIÈME    PARTIE 


Il  ne  sulTll  pas  d'organiser  un  gouvernement  parfait: 
il  l'aui  surtout  un  gouvernement  pratltable,  d'une  ap- 
lilicalion  facile  et  comninne  à  tniis  les  Elals:  loin 
(le  là,  on  nous  présente  aujourd'hui  des  constitutiims 
inexécutables  et  compliquées. 

Aristote. 


CHAPITRE    PREMIER 

CONFÉDÉRATION 

Il  est  nii  mot  qui  prend  de  jour  en  jour  une 
place  plus  large  dans  le  langage  politique  :  cest 
le  mot  confédération.  L'idée  que  ce  mot  exprime 
n'est  point  une  révélation  de  date  récente  ;  elle 
représente  une  sorte  de  gouvernement  qui  a  été 
expérimentée  dans  la  plus  haute  antiquité,  et 
dont  le  principe  a  été  appliqué  de  bien  des  façons 
diverses. 


8-2  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

C'est  sans  doute  cette  flexibilité  même  qui  le 
fait  revivre  à  des  époques  différentes,  son  appli- 
cation pouvant  toujours  être  mise  en  harmonie 
avec  la  perfectibilité  des  institutions  humaines. 

Nous  avons  exposé,  dans  un  précédent  cha- 
pitre, sur  quelles  bases  reposait,  depuis  1815,  le 
droit  européen.  Nous  avons  inonlrt'  coiidjien  de 
fois  les  traités  de  Vienne  avaient  été  déchirés 
depuis  cinquante  ans,  et  combien  peu  étaient 
solides  les  parties  du  vieil  éditice  qui  restaient 
encore  debout. 

Connnent  les  penseurs  sérieux  n'auraient-ils 
pas  été  frappés  du  double  phénomène  qu'ont 
offert  rxVllemagne  et  la  Suisse  pendant  ce  demi- 
siècle  si  jdein  dincertitudes,  de  troubles  et  de 
déchirements  ? 


SUISSE 

Occu])ons-nous  d'abord  de  la  Suisse. 

On  sait  quelle  a  été  l'origine  do  la  première 
alliani';^  formée  |)ar  (juehpu^s  cantons,  dans  le 
biil    Liiiit{ue    de     s'affranchii'    <rnne    domination 


CONFÉDÉRATION      ■  83 

étrangère.  Je  ne  veux  ni  refaire  ce  récit,  ni  ra- 
conter les  adhésions  successives  qui  ont  constitué 
hr  Suisse  telle  que  nous  la  voyons  aujourd'hui. 
Je  rappellerai  seulement  que  trois  races  diffé- 
rentes, hostiles  partout  ailleurs,  ont  accepté  dans 
ce  petit  pays  un  pacte,  grâce  auquel  elles  ont 
toujours  vécu  dans  la  plus  parfaite  intelligence. 

Il  y  a  en  Suisse  des  cantons  allemands,  des 
cantons  français  et  des  cantons  italiens,  chacun  y 
parlant  sa  langue,  y  conservant  ses  mœurs,  et 
pratiquant  sa  religion. 

Combien  de  fois  depuis  que  cette  union  existe, 
l'Allemagne,  la  France  et  l'Italie  n'ont-elles  pas 
été  en  guerre  l'une  contre  l'autre? 

Toutes  ces  hostilités,  toutes  ces  haines  de 
races,  toutes  ces  rivalités  d'intérêts  sont  venues 
expirer  aux  frontières  de  la  Suisse. 

Les  dissentiments  religieux  ont  pénétré  dans 
son  sein  :  les  plus  audacieux  novateurs,  les  dé- 
fenseurs les  plus  obstinés  du  dogme  traditionnel, 
y  ont  trouvé  des  partisans,  y  ont  recruté  des 
soldats.  Depuis  la  fondation  de  l'Église  réformée 
de  Genève,  jusqu'à  la  ligue  du  Sunderbund,  il 
n'est  pas  de  pax-s  où  le  mouvement  des  idées  reli- 


84  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

gieuses  ait  plus  agité  les  esprits.  Et  cependant, 
au  milieu  de  ces  luttes  si  vives,  non-seulement 
aucune  atteinte  n'a  été  portée  au  pacte  fédéral, 
mais  encore,  jamais  la  pensée  d'une  séparation 
ne  s'est  produite,  et  même,  à  la  veille  d'en  venir 
aux  mains,  les  adversaires  saisissaient  toute 
occasion  de  protester  de  leur  amour  pour  la  pa- 
trie commune. 

Si  nous  examinons  la  Suisse  au  point  de  vue 
industriel,  nous  trouvons  plus  accusées  encore 
les  singularités  heureuses  qui  caractérisent  son 
régime  politique.  Les  prodigieux  développements 
qu'a  pris  l'industrie  à  notre  époque,  ont  créé 
partout  des  antagonismes  et  des  conflits,  non- 
seulement  d'État  à  État,  mais  dans  le  sein  même 
des  nations,  entre  des  intérêts  qui  se  croyaient 
lésés  ou  sacrifiés.  Il  me  suffira  de  citer,  pour  la 
France,  les  débats  retentissants  que  soulevèrent 
les  réclamations  des  propriétaires  vinicoles  con- 
tre les  exploitations  de  houilles,  et  contre  l'in- 
dustrie métallurgique,  ou  l'incessante  querelle 
des  armateurs  et  des  raflineurs  contre  bs  fabri- 
cants de  sucre  indigène. 

La  Suisse   était  plus   exposée  qu'aucun  autre 


GOiNFÉDÉRATION  83 

pays  h  cetl'^  i^uorrc  civile  dos  intérêts  de  eoiisoni- 
iiiation  intérieure  et  d'exportation.  Cependant, 
toutes  les  transformations  modernes  se  sont  opé- 
rées sans  que  personne  ait  fait  entendre  une 
plainte,  sans  que  la  constitution  fédérale  ait  été 
jamais  rendue  responsable  de  ce  qui  pouvait 
sembler  une  faveur  accordée  aux  uns  ou  un  sacri- 
tice  imposé  aux  autres. 

Je  dois  prévoir  l'objection  de  ceux  ({ni  me  rap- 
pelleraient certains  conflits  extérieurs  auxquels 
la  Suisse  a  été  mêlée,  tels  que  sa  nationalité 
violée  en  1814,  ses  démêlés  avec  la  Prusse,  au 
sujet  de  Neuchâtel,  et  ses  réclamations  lors  de 
l'annexion  de  la  Savoie  à  la  France.  Je  reconnais 
très-volontiers  que  la  Suisse,  malgré  sa  position 
exceptionnelle,  n'a  point  pu  s'abstraire  du  milieu 
où  elle  est  placée  ;  je  ne  veux  pas  examiner  si 
elle  a  montré  plus  de  sagesse  que  ses  adversaires, 
dans  la  conduite  des  négociations,  pas  plus  que 
je  ne  veux  lui  faire  un  mérite  de  ce  qui  peut  être 
attribué  à  l'exiguité  de  son  territoire,  ou  à  sa 
situation  géographique.  Ce  n'est  pas  sur  ce  ter- 
rain (pie  j'ai  posé  la  question  ;  j'ai  voulu  établir 
que,   soit  dans  ses  dissensions    intérieures,  soit 


86  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

dans  les  démêlés  qu'elle  a  pu  avoir  avec  létrau- 
ger,  jamais,  de  la  part  d'aucun  des  cantons,  la 
constitution  fédérale  n'a  été  en  cause,  ci  ja- 
mais complications  du  dedans,  ou  du  dehors, 
n'ont  provoqué  ni  un  péril  ni  une  menace  de 
révolution  de  la  part  des  citoyens. 


ALLEMAGNE 


Entre  la  Suisse  et  l'Allemagne,  je  sais  que  l'as- 
similation ne  saurait  être  complète;  mais  peut- 
être  les  différences  qui  existent  entre  les  deux 
constitutions  me  serviront-elles,  autant  que  leurs 
rapports,  à  dégager  les  vérités  qui  ressortiront 
de  la  comparaison. 

Pour  la  Suisse,  le  congrès  de  Vienne  n'avait  eu 
qu'à  consacrer  un  état  de  choses  préexistant;  (ui 
avait  ajouté  seulement  de  nouvelles  garanties  à 
la  stipulation  de  la  neutralité.  Pour  l'Allemagne, 
le  problème  à  résoudre  était  plus  complexe  :  les 
principes  de  restauration  conservatrice,  sous  l'in- 
spiration desquels  agissaient  les  souverains,  leur 


CONFÉDÉRATION  87 

iiiiposaieni,  sous  peine  (l'inconséquence,  l'obliga- 
tion (le  replacer  à  la  tète  de  leurs  États  ceux  qui 
y  avaient  régné  aux  mômes  titres  qu'eux-m(''ines, 
en  vertu  du  droit  divin.  L'Allemagne  fut  donc 
partagée  en  trente-quatre  souverainetés  grandes 
ou  petites.  Mais  comment  assurer  la  paix  entre 
des  voisins  de  force  si  inégale  ?  Comment  surtout 
garantir  leur  indépendance  vis-à-vis  les  uns  des 
autres,  et  surtout  entre  l'envahissante  Russie  qui 
les  menaçait  d'un  côté,  et  la  France  objet  de 
perpétuelles  défiances?  On  ne  trouva  pas  de 
meilleur  moyen  que  de  constituer  une  grande 
Confédération  germanique. 

L'Autriche  et  la  Prusse  y  furent  admises.  C'é- 
tait donner  à  cette  création  une  puissance  mili- 
taire capable  de  la  faire  respecter,  c'était  assurer 
l'exécution  des  décrets  de  la  diète  de  Francfort, 

Je  n'ai  pas  besoin  de  signaler  les  inconvénients 
nombreux  qui  ne  tardèrent  pas  à  se  révéler,  les 
tiraillements  continuels  que  provoquait  la  rivalité 
des  deux  grandes  puissances.  Je  crois  que  l'éta- 
blissement de  la  confédération  fut  une  heureuse 
combinaison,  mais  je  suis  loin  de  prétendre  que 
cet  état  de  choses  fut  parfait.  Je  veux  seulement 


88  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

rechercher  si  les  inconvénients  qu'on  est  en  droit 
de  lui  reprocher  sont  le  fait  du  principe  en  lui- 
même,  ou  si  on  n'en  trouverait  pas  plutôt  l'expli- 
cation, à  l'origine,  dans  les  éléments  qui  étaient 
en  contradiction  avec  le  principe  lui-même,  et 
qu'on  s'était  cru  dans  la  nécessité  de  lui  amal- 
gamer. 

Toute  idée  d'association  implique  l'idée  d'éga- 
lité; or,  l'énorme  disproportion  de  puissance  exis- 
tant, par  exemple,  entre  l'empire  d'Autriche,  et 
telle  principauté  comptant  à  peine  quelques  cen- 
taines de  mille  d'habitants,  ne  devait-elle  pas. 
dans  la  pratique,  fausser  le  principe  de  la  confé- 
dération ? 

En  mettant  face  à  face  l'Autriche  et  la  Prusse, 
ces  deux  puissances  rivales,  à  côté  de  trente  petits 
souverains  qui  ne  pouvaient  avoir  de  volonté  à 
opposer  à  la  leur,  on  devait  se  résigner  aux  in- 
trigues et  aux  compétitions  que  devait  susciter 
cette  rivalité  sans  contrepoids. 

Ce  qu'il  était  facile  de  prévoir  arriva.  11  en  est 
résulté  sans  doute  des  luttes  intestines  et  une 
certaine  impuissance  à  Textérieur:  mais  ce  qu'il 
faut  reconnaître  surtout,  et  attribuer  à  l'organi- 


CONFÉDÉRATION  89 

satioii  fédérale,  malgré  .soji  iin})erf;H'tii)ij .  c'est 
que  l'indépendance  de  tous  les  membres  de  la 
Confédération,  vis-à-vis  de  l'étranger,  fut  scru- 
puleusement maintenue:  c'est  que,  dans  son 
ensemble,  la  Confédération  germanique  sut  se 
faire  respecter  de  tous  ;  c'est  qu'enfin  les  droits 
du  prince  le  plus  faible  ne  souffrirent  pas  plus 
d'atteinte  que  ceux  du  plus  puissant  des  con- 
fédérés. 

Quelle  est  l'organisation  qui  aurait  pu  garantii- 
de  pareils  bienfaits,  pendant  cinquante  ans.  à 
l'Allemagne  morcelée,  avec  ses  constitutions  di- 
verses, ses  intérêts  opposés  et  l'hostilité  de  ses 
religions  ? 

Si  le  maintien  du  statu  qiio  politique  est  nno 
espèce  de  bien  négatif,  la  constitution  féd('>i'ale  a 
procuré  aux  États  alliés  des  avantages  très-posi- 
tifs et  très-considérables.  Bien  avant  rétablis- 
sement des  chemins  de  fer,  les  relations  fédérales 
avaient  puissamment  contril)ué  à  l'organisai  ion 
d'un  service  comnum  des  postes  et  messageries 
([ui  desservaient  plusieurs  états.  C'est  encore 
l'intimité  des  rapports  entre  les  membres  de  la 
Confédération,  qui  rendit  plus  cho(|uantes  et  plus 


90  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

intolérables  les  entraves  qne  maintenaient  entre 
tons  ces  petits  pays  les  formalités  de  donanes  et 
la  diversité  des  monnaies. 

Si  la  simplification  ne  fnt  pas  pins  prompte  et 
pins  complète,  ce  n'est  certes  pas  an  principe 
fédératif  qu'il  faut  l'attribner:  il  fnt  toujours  un 
agent  d'unitication  ;  mais  il  avait  incessamment  à 
combattre  l'élément  de  discorde  et  de  dissolution 
que  la  rivalité  des  grandes  puissances  avait  intro- 
duit dans  la  constitution  même  de  la  Confé- 
dération. 

C'est  parce  qne  Innion  des  douanes  fut  surtout 
une  œuvre  prussienne ,  que  l'Autriche  refusa 
obstinément  de  s'y  associer,  et  entretint,  contre 
cette  mesure,  les  jalousies  et  les  défiances  des 
États  secondaires  qui  gravitaient  dans  son  orbite. 

L'Allemagne  doit  donc  beaucoup,  politiquement, 
économiquement  et  commercialement  au  système 
fédératif  (jui  la  régit  depuis  1815,  et,  si  les  ré- 
sultats n'ont  pas  été  plus  satisfaisants  encore, 
c'est,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  parce  que  l'or- 
ganisation du  système  était  défectueuse  dès  son 
origine. 

Il  est  une  autre  contrée  où  nous  pouvons  rc- 


CONFÉDÉRATION  9i 

i;i'(Mler  ({Lie  l'expérience  n'ait  point  été  faite  :  c'est 
lltalie. 

L'unité  incomplète  (|ui  a  succédé  au  niorcel- 
lenient  des  États,  antérieur  à  la  dernière  guerre, 
n'a  pas  produit  des  résultats  tellement  brillants, 
qu'il  ne  soit  permis  de  mieux  attendre  dune  autre 
combinaison. 

A  la  paix  de  Yillafranca,  c'est  une  confédération 
que  proposa  Napoléon  III.  Les  passions  étaient 
encore  trop  ardentes,  pour  que  le  plan  put  être 
froidement  et  mûrement  étudié  ;  l'ambition  de 
Turin,  les  idées  unitaires  des  Italiens,  le  repous- 
saient aussi  énergiquement  que  les  rancunes  de 
l'Autriche  ;  mais  l'idée  ne  fut  pas  moins  mise  en 
avant  et  développée;  si  elle  n'a  point  prévalu,  c'est 
son  opportunité  bien  plus  (jue  sa  valeur  ([ui  a  été 
condamnée.  Au  reste,  en  rappelant  ce  fait,  qui  ne 
s'est  point  accompli,  je  n'ai  eu  d'autre  intention 
que  de  montrer  combien  l'idée  de  la  forme  fédé- 
rative  est  acceptée,  non  plus  seulement  pai-  les 
faiseurs  de  systèmes,  mais  par  les  esprits  les  pbis 
pratiques  et  par  les  hommes  aux([uels  le  ma- 
niement des  affaires  donne,  siii'  un  |)ai'eil  sujcl, 
une  si  grande  autorité.  Et   j'ajouterai  seulement 


92  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

que  c'est  dans  une  fédération  que  le  |)n)l)lèine 
insoluble  jusqu'ici  du  pouvoir  temporel  de  la 
papauté,  coexistant  avec  une  Italie  indépendante, 
a  trouvé  sa  solution  la  plus  acceptable. 


ETATS-UNIS 


Je  viens  donc  de  mettre  sous  les  yeux  dn  lec- 
teur les  exemples  que  me  fournit  l'Europe,  et  qui 
ont  contribué  à  faire  naître,  dans  certains  esprits, 
l'idée  d'une  confédération  plus  étendue.  Mais  il 
existe  un  spécimen  plus  complet  de  cette  forme 
de  gouvernement.  Il  y  a  au  monde,  depuis  moins 
d'un  siècle,  une  confédération  qui  démontre  d'une 
façon  bien  plus  éclatante  ce  que  les  nations  peu- 
vent espérer  d'une  pareille  association,  cest  la 
Confédération  des  États-Unis  d'Amérique. 

Je  sais  que  le  moment  peut  paraître  mal  choisi 
pour  parler  de  cet  empire  et  de  ses  prospérités; 
mais  je  suis  de  ceux  cpii  croient  ({ue  la  crise 
actuelle  sera  passagère  et  (jue  le  principe  fédératif 
sortira  plus  inébranlable  (pie  jamais  de  l'épreuve 


COiNFÉDÉRATION  93 

fatale  quil  était  condamné  à  traverser  tôt  ou  tard, 
soit  qu'à  l'avenir  il  y  ait  une  Confédération,  soit 
qu'il  y  en  ait  deux.  Il  ressortira,  d'ailleurs,  de  cet 
examen,  comme  de  ce  que  j'ai  dit  sur  l'Allemagne, 
que  le  principe  fédératif  ne  saurait,  à  aucun  titre, 
être  responsable  de  maux  dont  les  causes  par- 
faitement connues  lui  sont  si  complètement  étran- 
gères ;  toutefois,  comme  dans  les  institutions  que 
nous  allons  examiner,  jespère  trouver  la  solution 
d'un  problème  qui  préoccupe  également  la  géné- 
ration actuelle,  la  décentralisation;  je  m'étendrai 
davantage  sur  ce  troisième  exemple,  où  j'espère 
puiser  des  leçons  plus  décisives  et  un  enseigne- 
ment plus  complet. 

On  a  coutume  de  faire  dater  de  1776  et  4787, 
c'est-à-dire  de  la  déclaration  d'indépendance,  et 
de  l'adoption  de  la  constitution,  l'établissement 
de  la  Confédération  des  ÉtLts-Unis;  cependant  les 
bases  de  ce  grand  édifice  avaient  été  posées  bien 
des  années  auparavant. 

Les  colons  établis  sur  ce  vaste  continent  y 
avaient  rencontré  d'autres  enncMiiis  avant  d'avoir 
à  cond^attre  les  soldats  de  la  métropole.  Anté- 
rieurement à  la  Intt"  contre  l'Angleterre,  qui  cou- 


H  SOLUTIOx\    POLITIQUE   ET   SOCIALE 

stitua  définitivement  l'union,  la  nécessité  de  se 
défendre  contre  les  Indiens  indigènes,  avait  rap- 
proché, dans  lin  intérêt  coinniiin,  les  puritains 
de  la  nouvelle  Angleterre,  les  chevaliers  de  la 
Virginie  et  les  quakers  de  la  Pensylvanie. 

En  1643,  une  convention  intervient  entre  le 
Massachussets,  le  Connecticut  et  le  nouvel  Hamps- 
lîire,  stipulant  sous  le  nom  de  colonies  unies  de 
la  nouvelle  Angleterre.  Il  est  curieux  de  retrouver 
en  germe,  à  cette  date,  les  principes  essentiels  de 
la  constitution  de  1787.  Les  mots  confédération, 
congrès  sont  déjà  prononcés,  et  le  principe  de  la 
députation  provinciale  est  adopté.  Cette  ligue  dura 
pendant  quarante  ans.  Mais  la  pratique  avait 
révélé  son  insuffisance  et  son  imperfection.  L'ac- 
tion du  pouvoir  central  était  nulle,  il  n'y  avait  ni 
exécutif  ni  justice  générale.  En  1754,  un  nouveau 
congrès  se  réunit.  Outre  les  trois  États  qui 
figurent  dans  la  ligue  de  1643,  nous  voyons  y 
participer  Rhode-Island,  New-York,  Pensylvanie 
et  Maryland.  Cette  fois,  on  décide  à  l'unanimité 
que  l'union  des  États  esf  absolument  nécessaire 
au  salut  de  la  colonie,  et  on  propose  le  plan  gé- 
néral d'un  gouvernement  fédéral. 


CONFÉDÉRATION  93 

C'est  le  comnienceineiit  de  la  lutte  qu'on  pres- 
sent déjà. 

En  mai  1775,  un  congrès  réunit  les  treize  États 
qui  doivent  être  les  fondateurs  de  l'union. 

L'année  suivante,  la  déclaration  de  l'indépen- 
dance est  proclamée. 

Pendant  les  années  qui  suivirent,  jusqu'à  la 
paix  signée  en  1783,  les  préoccupations  de  la 
guerre  font  diversion  aux  soucis  de  l'administra- 
tion intérieure;  on  obéit  surtout  aux  nécessités 
de  la  situation;  c'est  principalement  de  1783 
à  1786  que  se  mûrissent  et  s'élaborent  les  projets 
de  constitution.  Cette  constitution  est  votée  le 
17  septembre  et  soumise  successivement  à  la 
sanction  populaire  des  ditïerents  États.  L'adhé- 
sion de  llhode-Island,  qui  arrive  la  dernière, 
est  donnée  le  ^9  mai  1790. 

Je  crois  devoir  mettre  sous  les  yeux  des  lec- 
teurs le  préambule  et  la  déclaration  de  l'indépen- 
dance des  États-Unis  (4  juillet  1776),  ainsi  qu'un 
résumé  de  la  théorie  de  ce  gouvernement  (jui  , 
pendant  plus  de  soixante-dix  ans,  a  réglé  les  (h^s- 
tinées  d'un  grand  peuple,  aidant  au  développe- 
ment de  ses  prospérités  iiKHiïes,  assurant  la  paix 


96  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

au    dedans ,    l'indépendance   et   la   grandeur  au 
dehors*. 

DÉCLARATION     DE     L'INDÉPENDANCE 

«  Tous  les  hommes  sont  créés  égaux;  ils  sont 
»  doués  par  le  Créateur  de  certains  droits  inalié- 
»  nables;  parmi  ces  droits  se  trouvent  la  vie,  la 
»  liberté  et  la  recherche  du  bonheur. 

»  Les  gouvernements  sont  établis  parmi  les 
»  hommes  pour  garantir  ces  droits,  et  leur  juste 
»  pouvoir  émane  du  consentement  des  gouvernés. 

»  Toutes  les  fois  qu'une  forme  de  gouvernement 
»  devient  destructive  de  ce  but,  le  peuple  a  le 
»  droit  de  la  changer  ou  de  l'abolir,  et  d'établir 
»  un  nouveau  gouvernement,  en  le  fondant  sur  les 
»  principes,  et  en  l'organisant  en  la  forme  qui  lui 
))  paraîtront  les  plus  propres  à  lui  donner  la 
))  sûreté  et  le  bonheur. 

»  La  prudence  enseigne,  à  la  vérité,   que  les 

*  Le  lecteur  trouvera,  à  la  fin  de  l'ouvrage,  le  texte  même  de 
la  constitution  (17  septembre  1787).  Elle  est  si  peu  connue  en 
Europe  et  se  rattache  si  directement  aux  idées  développées  dans 
ce  livre,  que  personne  ne  contestera  l'utilité  de  ce  document. 
Voir  la  note  C. 


CONFÉDÉRATION  97 

»  gouvernements   établis    depuis   longtemps    ne 

»  doivent  pas  ôtro  changés  pour  des  causes  légères 

»  et  passagères;  et  l'expérience  de  tous  les  temps 

»  a  montré,  en  effet,  que  les  hommes  sont  plus 

»  disposés  à  supporter  des  maux  supportables , 

»  qu'à  se  faire  justice  à  eux-mêmes,  en  abolissant 

»  les  formes  auxquelles  ils  sont  accoutumés;  mais, 

»  lorsqu'une  longue  suite  d'abus  et  d'usurpations, 

»  tendant  invariablement  au  même  but,  marque 

»  le    dessein    de   les   soumettre    au    despotisme 

»  absolu,  il  est  de  leur  droit  et  de  leur  devoir  de 

»  rejeter  un  tel  gouvernement,  et  de  pourvoir, 

»  par  de  nouvelles  sauvegardes,  à  leur  sécurité 

»  future.  » 

THÉORIE     DU     GOUVERNEMENT 

«  Le  gouvernement  des  États-Unis  est  une  ré- 
»  publique  démocratique  et  fédérative,  composée 
»  d'États,  et  basée  sur  la  constitution  de  1787. 

»  D'après  la  constitution,  le  pouvoir  du  gou- 
»  vernement  est  investi  de  trois  grandes  attribu- 
»  tions  :  le  pouvoir  exécutif,  le  pouvoir  législatif 
»  et  le  pouvoir  judiciaire.  » 


98  SOLUTIOx\   POLITIQUE    ET    SOCIALE 


LE     POUVOIR     EXECUTIF 


«  A  la  tête  du  pouvoir  exécutif,  est  un  pré- 

»  siclent. 

»  Il  est  le  seul  fonctionnaire  exécutif  reconnu 

»  par  la  constitution. 

»  Il  est  nommé  par  un  collège  électoral ,  élu  lui- 
»  même  par  le  suffrage  de  tous  les  États. 

»  Ce  collège  est  composé  d'un  nombre  d'élec- 
»  teurs  spéciaux,  égal  au  nombre  de  sénateurs  et 
»  de  députés  de  chaque  État. 

»  Le  président  est  élu  pour  quatre  ans  et  rééli- 
»  gible  indéfiniment. 

»  Personne  ne  peut  être  élu  président,  s'il  n'est 
»  citoyen  né  dans  le  pays  et  âgé  de  trente-cinq 
»  ans. 

»  Le  président  a  le  commandement  en  chef  de 
»  l'armée  de  terre  et  de  mer  et  de  la  milice  de 
»  l'union.  Il  peut  opposer  son  veto  à  toutes  les 
»  lois  votées  par  le  congrès;  mais,  malgré  ce  veto, 
»  toute  loi  devient  executive  si  elle  a  été  votée 


gonfp:dération  99 

»  une  seconde  fois  par  les  deux  tiers  des  membres 
»  des  deux  chambres. 

»  Le  traitement  du  président  est  de  25,000 
»  piastres  (125,000  fr.)  par  année.  Il  a  pour  rési- 
»  dence  la  Maison-Blanche  à  Wasinghton  pendant 
»  la  durée  de  ses  fonctions. 

»  Le  vice-président  est  de  droit  président  du 
»  sénat. 

»  En  cas  de  mort  ou  de  résignation  des  pou- 
»  voirs  du  président,  il  devient  président  pour 
»  le  reste  du  temps  que  devait  durer  la  prési- 
»  dence. 

»  Les  élections  pour  la  présidence  et  la  vice- 
»  présidence  ont  lieu ,  tous  les  quatre  ans ,  le 
»  premier  mardi  de  novembre.  Le  nouveau  pré- 
»  sident  élu  entre  en  fonctions  le  4  mars  suivant. 

»  L'administration  des  affaires  publiques  est 
»  confiée  à  un  certain  nombre  de  fonctionnaires 
»  qui  prennent  le  titre  de  secrétaires.  Ils  sont 
»  nommés  par  le  président.  Chacun  d'eux  est  à  la 
»  tête  d'un  département  sous  l'autorité  du  pré- 
»  sident. 

»  Il  y  a  sept  départements,  dont  voici  les  titu- 
»  laires  : 


100  SOLUTION   PACIFIQUE   ET   SOCIALE 

»  Secrétaire  d'État; 
»         —        de  la  trésorerie  ; 
»         —        de  la  guerre  ; 
»  —        de  la  marine  ; 

»         —        de  l'intérieur; 
»  Directeur  général  des  postes  ; 
»  Attorney  général.  ;) 

POUVOIR     LÉGISLATIF 

«  Tout  le  pouvoir  législatif  réside  dans  le  con- 
»  grès,  qui  se  compose  de  deux  chambres,  un 
»  sénat  et  une  chambre  des  représentants. 

»  Le  sénat,  ou  chambre  haute,  est  composé  de 
))  deux  membres  élus  par  la  législature  de  chaque 
»  État.  Les  sénateurs  sont  nommés  pour  six  ans. 
))  Ils  doivent  être  âgés  de  trente  ans  au  moins. 
»  Ils  n'ont  pas  besoin  d'être  originaires  des  États- 
»  Unis,  mais  ils  doivent  être  naturalisés  depuis 
»  neuf  ans  au  moins,  et  avoir  leur  résidence  dans 
»  l'État  qui  les  a  choisis. 

»  Chaque  sénateur  a  une  voix. 

»  Outre  ses  attributions  ordinaires,  le  sénat  est 


CONFÉDÉRATION  101 

»  investi  de  certaines  fonctions  judiciaires,  et  ses 
»  membres  constituent  alors  une  haute  cour  de 
»  forfaiture. 

»  Les  arrêts  de  cette  cour  se  bornent  à  priver 
»  l'accusé  de  son  emploi  et  de  son  titre. 

»  La  chambre  des  représentants  a  seule  le  droit 
»  de  déférer  les  cas  de  forfaiture. 

»  La  chambre  des  représentants,  ou  chambre 
»  basse,  est  composée  de  membres  élus,  tous  les 
»  deux  ans,  par  le  suffrage  direct  des  citoyens  de 
»  tous  les  États. 

»  Pour  fixer  le  nombre  des  représentants  à  élire 
»  par  chaque  État,  un  recensement  a  lieu  tons  les 
»  dix  ans. 

»  Les  dernières  élections,  en  1863,  donnaient 
»  un  représentant  pour  124,000  âmes.  Toutefois, 
»  chaque  État  admis  dans  l'union  a  le  droit  d'en- 
»  voyer  un  représentant  au  congrès,  lors  même 
»  que  sa  population  n'aurait  point  atteint  ce 
»  chiffre. 

»  Dans  les  États  à  esclaves,  ceux-ci  étaient 
»  comptés  pour  les  trois  cinquièmes  de  leur 
»  nombre  dans  le  chiffre  total  des  électeurs. 

»  Chaque  représentant  doit  être  âgé  de  25  ans 


10-2  SOLUTION    POLITIQUE  ET    SOCIALE 

»  au  moins,  citoyen  des  États-Unis,  depuis  sept 
»  ans,  et  avoir  sa  résidence  dans  l'État  où  il  a 
»  été  nommé. 

»  Outre  ces  représentants ,  chaque  territoire 
»  qui  n'est  pas  encore  admis  comme  État  dans 
»  l'union,  a  le  droit  d'envoyer  un  représentant  au 
»  congrès,  où  il  peut  prendre  part  aux  débats, 
»  quand  il  s'agit  des  intérêts  de  son  territoire, 
»  mais  où  il  n'a  pas  le  droit  de  vote. 


POUVOIR    JUDICIAIRE 

«  Le  pouvoir  judiciaire  du  gouvernement  des 
»  États-Unis  réside  dans  une  cour  suprême,  et 
»  dans  telle  autre  cour  inférieure  que  le  congrès 
»  peut  juger  à  propos  de  constituer. 

»  Le  pouvoir  judiciaire  consistait,  en  dernier 
»  lieu,  dans  une  cour  suprême,  neuf  cours  de 
»  circuit  et  cinquante  cours  de  district. 

»  L'attorney  général,  comme  chef  de  la  magis- 
»  trature,  est  membre  du  cabinet;  il  est  le  con- 
»  seiller  légal  du  gouvernement. 


C  0  N  F  Ë  D  É  K  A  T 1 0  N  m 


RAPPORTS  DU  GOUVERNEMENT  CENTRAL  AVEC  LE  GOUVERNEMENT 
DES  ÉTATS,  ET  ATTRIBUTIONS  DE  CHACUN  DE  CES  DEUX  POUVOIRS 

«  Pour  bien  comprendre  le  système  du  gouver- 
»  nenient  des  États-Unis,  il  est  essentiel  de  savoir 
»  qu'à  côté  du  gouvernement  central  de  Washing- 
»  ton ,  qui  s'occupe  exclusivement  des  affaires 
»  d'intérêt  général  et  des  relations  extérieures, 
))  il  y  a  pour  chaque  État  un  gouvernement  séparé, 
»  ayant  son  pouvoir  exécutif,  législatif  et  judi- 
»  ciaire,  et  dont  les  attributions  s'étendent  au 
»  règlement  de  l'administration  de  toutes  les 
»  affaires  intérieures  et  d'intérêt  local. 

»  C'est  ainsi  que,  par  le  paragraphe  8  de  l'ar- 
))  ticle  l^""  de  la  constitution,  les  États  ont  déféré 
»  au  gouvernement  central  les  pouvoirs  suivants  : 
»  Droit  de  déclarer  la  guerre,  de  faire  la  paix,  de 
»  conclure  les  traités,  de  battre  monnaie,  d'or- 
»  ganiser  le  service  de  la  poste  et  des  douanes, 
»  de  réglementer  le  commerce  avec  l'étranger; 
»  enfin,  d'accomplir  tous  les  actes  caractéristiques 
»  de  la  souveraineté  nationale  ;  tandis  que,  par  le 


104  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

»  paragraphe  10  du  même  article,  tous  ces  droits 
»  sont  interdits  aux  gouvernements  des  États. 

»  Mais,  par  l'article  10  des  amendements,  tous 
»  les  pouvoirs  qui  ne  sont  pas  compris  dans  les 
»  délégations  énoncées  ci -dessus,  sont  réservés 
»  au  gouvernement  des  États  et  au  peuple.  D'où 
»  il  découle  que,  par  la  constitution,  il  est  interdit 
»  au  président  comme  au  congrès  national,  d'in- 
»  tervenir,  sous  aucun  prétexte,  dans  l'adminis- 
»  tration  des  affaires  intérieures  des  États. 

»  Gomme  aussi  les  gouvernements  particuliers 
»  ne  peuvent  exercer  aucun  contrôle  sur  les 
»  affaires  extérieures  relevant  de  la  souveraineté 
»  nationale,  dont  ils  ont  fait  délégation  au 
»  congrès. 

»  Chaque  État  a  sa  constitution  particulière. 
»  Les  principes  et  la  forme  en  sont  à  peu  près 
»  semblables. 

»  Le  pouvoir  exécutif  est  partout  le  même  ;  il 
»  réside  dans  un  gouverneur  nommé  par  le 
»  suffrage  direct.  Les  attributions  et  pouvoirs  du 
»  gouverneur,  dans  les  États,  sont  analogues  à 
»  ceux  du  président  vis-à-vis  de  l'union. 

»  Il  nomme  aux  principaux  emplois,  conjointe- 


CONFÉDÉRATION  105 

»  ment  avec  le  sénat;  comme  le  président,  il 
»  adresse  des  messages  à  la  législature,  et  veille 
»  à  la  bonne  exécution  des  lois. 

»  Comme  le  président,  il  peut  être  mis  en 
»  jugement  et  destitué  pour  trahison,  concussion 
»  ou  autres  méfaits. 

»  Il  a  aussi  ses  ministres,  secrétaires  d'État,  de 
»  la  trésorerie,  etc.;  mais  il  n'y  a  pas  de  dé- 
»  partements  de  la  guerre,  de  la  marine,  des 
»  postes,  etc.,  puisqu'ils  dépendent  du  gouver- 
»  nement  central. 

»  Le  pouvoir  législatif  est  partagé,  comme  le 
»  pouvoir  législatif  du  gouvernement  central , 
»  entre  deux  chambres,  un  sénat  et  une  chambre 
»  de  représentants. 

»  Sénateurs  et  représentants  sont  nommés  par 
»  le  suffrage  direct. 

»  Les  règlements  des  législatures  des  États  sont 
»  les  -mêmes  que  ceux  du  congrès  de  Washing- 
»  ton. 

»  Le  veto  du  gouverneur  s'exerce  dans  les  mêmes 
»  conditions  que  celui  du  président. 

»  Les  restrictions  apportées  au  droit  de  vote 
»  sont  à  peu  près  nulles.  On  est  électeur  à  21  ans^ 


106  SOLUTION    l'OLITIQUE    ET    SOCIALE 

»  et  lalfirmation  de  l'électeur  qui  se  présente 
»  suffit.  Si  son  aptitude  est  contestée,  c'est  au 
»  contradicteur  à  faire  la  preuve. 

»  Les  juges  sont  nommés,  dans  certains  États, 
»  par  le  gouverneur;  dans  d'autres,  par  la  légis- 
»  lature;  dans  d'autres,  enfin,  par  le  suffrage 
»  direct  du  peuple.  11  y  a  généralement  deux 
»  degrés  de  juridiction  :  une  cour  de  district  et 
»  une  cour  suprême  ou  cour  d'appel,  qui  réside 
»  au  siège  du  gouvernement  de  l'État.  » 


DECENTRALISATION 

Même  en  voyant  ce  luxe  de  garanties  assurées 
à  l'indépendance  des  États,  nous  sommes  tellement 
habitués,  en  Europe,  à  vivre  en  face  de  gouverne- 
ments centralisateurs,  qu'il  n'est  pas  superflu 
d'insister  sur  les  résultats  obtenus  par  les  ar- 
ticles de  la  constitution  que  nous  venons  de 
citer. 

Ce  n'est  point  une  vaine  formule  que  ce  prin- 
cipe, qui  est  la  base  du  pacte  fédéral  :  un  État 
n'aliène  de  sa  souveraineté  que  ce  qu'il  en  con- 


CONFÉDÉRATION  107 

cède  volontairement  à  l'autorité  centrale.  Dans  la 
république  américaine,  tout  repose  sur  ce  prin- 
cipe qui  consacre  et  maintient  la  plus  large  et  la 
plus  féconde  décentralisation. 

La  part  du  pouvoir  central  exécutif  se  borne  à 
la  direction  des  relations  diplomatiques,  à  l'ad- 
ministration des  douanes,  des  monnaies  et  du 
service  postal.  L'armée,  réduite,  en  temps  or- 
dinaire, à  la  garde  des  frontières,  comptait  à 
peine  17,000  hommes  au  commencement  de  1861. 
La  marine  militaire,  n'ayant  d'autre  but  que  de 
protéger  le  commerce  maritime  de  la  république, 
se  composait  de  quelques  frégates  et  bâtiments 
d'un  rang  inférieur.  Les  fonctions  de  la  justice 
fédérale  et  de  la  cour  suprême  sont  restreintes 
aux  cas  qui  ne  peuvent  ni  froisser  ni  même  inté- 
resser les  juridictions  locales.  Ce  gouvernement, 
si  simplitié,  si  limité,  siège  dans  une  petite  ville 
dont  la  population  et  l'étendue  contrastent  avec 
1  accroissement  qu'ont  pris  tant  d'autres  cités 
autour  d'elle.  C'est  qu'en  effet ,  Washington 
résume  la  politique  des  États,  mais  elle  ne  l'ab- 
sorbe pas. 

La  vie  politique  est  partout. 


108  SOLUTION   POLITIQUE    ET   SOCIALE 

Chaque  État  a  son  sénat,  sa  chambre  des 
députés,  sa  justice  à  divers  degrés,  et  sa  capitale, 
cahïie  et  modeste  comme  Washington  ;  car  cette 
capitale  n'a  pas  phis  que  le  siège  du  gouverne- 
ment central,  la  volonté  ni  le  pouvoir  d'empiéter 
sur  les  attributions  municipales  de  la  dernière 

bourgade. 
Le  seul  et  vrai  principe  de  souveraineté  réside 

dans  la  commune. 

L'État  est  divisé  en  un  certain  nombre  de  dis- 
tricts ou  comtés,  mais  les  fonctionnaires  de  ces 
districts,  comme  le  gouverneur  lui-même  de 
l'État,  sont  nommés  par  l'élection  directe,  ainsi 
que  le  maire  de  la  plus  humble  commune. 

Partout,  dans  l'ordre  administratif,  judiciaire, 
tinancier,  comme  dans  la  part  si  faible  laissée  à 
l'exécutif,  c'est  le  citoyen  se  gouvernant  lui- 
même  :  h  self  gouvernement. 


CRISE     ACTUELLE 


Je  ne  veux  pas  éluder  l'objection    qu'on    peut 
tirer  de  la  guerre  actuelle.  La  Confédération  amé- 


CONFÉDÉRATION  d09 

ricaine  présente  un  spécimen  plus  accompli  que 
la  Suisse  ou  l'Allemagne  du  gouvernement  fédé- 
ratif;  mais  il  n'y  a  rien  de  parfait  en  ce  monde,  et 
la  Ilépublique  américaine  avait,  elle  aussi,  un  vice 
originel  que  je  suis  loin  de  vouloir  dissimuler. 

Sur  ce  sol,  qui  devait  produire  de  si  merveil- 
leuses moissons,  un  germe  de  corruption  avait 
été  déposé  par  les  premiers  colons  européens.  Au 
premier  recensement  de  l'Union,  on  constatait,  à 
côté  de  3  millions  de  citoyens  blancs  libres, 
600,000  esclaves  noirs. 

La  résolution  manqua  aux  législateurs  qui  n'o- 
sèrent point  arracher  cette  herbe  fatale.  Ils  espé- 
raient sans  doute  que  cet  élément  malsain  dispa- 
raîtrait, grâce  à  la  forte  constitution  de  l'œuvre 
qu'ils  avaient  créée.  On  put,  en  effet,  se  laisser 
aller  pendant  quelque  temps  à  une  trompeuse 
contiance,  mais  bientôt  les  proportions  du  mal 
devinrent  telles,  que  la  crise  put  être  prévue  par 
tout  esprit  clairvoyant.  L'esclavage  avait  grandi 
avec  la  république  ;  la  mauvaise  herbe  ne  pou- 
vait plus  être  extirpée  sans  un  profond  déchi- 
rement du  sol  américain. 

L'annexion  de  chaque  État  nouveau  au  sud  du 


no  SOLUTION   POLITIQUE   ET    SOCIALE 

36'  30",  et  qui  avait  la  liberté  d'admettre,  ou  de 
ne  pas  admettre  l'esclavage,  devenait,  entre  les 
États  libres  et  les  États  à  esclaves,  un  combat 
parlementaire  qui  devait  aboutir  à  de  plus  san- 
glantes, à  de  plus  terribles  batailles.  L'admission 
du  Kansas  fut  le  prélude  de  la  catastrophe  que 
fit  éclater  l'élection  du  président  Lincoln. 

Je  ne  veux  pas  prononcer  une  seule  parole  qui 
puisse  changer  le  caractère  inoffensif  et  spéculatif 
de  cet  ouvrage  ;  je  cite  les  faits,  quand  ils  sont 
évidents,  quand  il  y  aurait  inconvénient  à  les 
passer  sous  silence;  j'en  tire  l'enseignement  qui 
sert  ma  thèse,  mais  je  n'y  mêle  aucun  commen- 
taire hostile.  La  guerre  civile  de  l'Union,  pour  la 
civilisation  du  monde  entier,  est  un  fait  déplo- 
rable que  je  constate,  dont  je  note  l'origine  in- 
discutable ;  ma  seule  prétention  est  de  rappeler, 
que,  d'une  part,  la  cause  de  cette  guerre  est  an- 
térieure à  l'établissement  de  la  confédération,  et 
que,  d'autre  part,  elle  est  tellement  indépendante 
des  principes  essentiels  de  cette  constitution,  que 
malgré  l'ardeur  des  haines,  malgré  les  passions 
qui  poussent  les  États  du  Sud  à  une  séparation 
avec  le  Nord,  —  le  culte  pour  la  constitution  n'a 


CONFÉDÉRATION  lH 

souffert  aucune  atteinte.  Les  États  séparatistes 
ont  pris  le  nom  d'États  confédérés,  et  quand  ils 
ont  cru  devoir  modifier  le  pacte  social,  ils  n'y 
ont  introduit  d'autres  changements  que  ceux  qui 
avaient  trait  au  maintien  de  l'esclavage,  point 
unique  qui  fût  en  litige  entre  eux  et  ceux  dont  ils 
se  séparaient.  Les  vingt-trois  points  sur  lesquels 
la  constitution  des  confédérés  diffère  de  la  con- 
stitution primitive  de  l'Union,  sont,  en  dehors 
de  cela ,  d'une  insignifiance  telle ,  que  je  crois 
pouvoir  me  dispenser  même  de  les  noter. 

On  a  cherché  à  donner  à  la  guerre  actuelle 
d'autres  motifs  que  l'esclavage  ;  nous  n'avons  pas 
de  meilleure  réponse  à  faire,  que  de  citer  les 
paroles  suivantes  empruntées  à  un  discours  pro- 
noncé à  Milledgeville,  huit  jours  après  l'élection 
du  président  Lincoln,  par  M.  Alexandre  Stephens, 
nommé  depuis  vice-président  des  États  confé- 
dérés : 

«  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  croient  que 
»  l'Union  nous  a  été  funeste.  Où  trouveriez-vous, 
»  soit  en  Europe,  soit  en  Asie,  ou  dans  le  reste 
)>  de  l'Amérique,  un  gouvernement  qui  ait,  dans 


12  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

tous  les  temps,  depuis  qu'il  existe,  et  dans 
toutes  les  circonstances,  respecté  et  protégé 
plus  efficacement  les  libertés  du  peuple?  Je 
dirai  même  qu'à  mon  avis  nous  avons  trop  de 
liberté,  nous  avons  une  trop  grande  abondance 
de  biens  dont  nous  sommes  indignes, 

» Mon    ami   M.    Tombs    fait  valoir, 

comme  l'un  des  motifs  secondaires  qui  doivent 
déterminer  le  Sud  à  la  séparation,  la  question 
du  tarif.  Quelques  mots  doivent  suffire  pour 
faire  justice  de  ce  grief.  Lorsque  je  suis  entré 
dans  la  vie  politique,  en  1832,  la  Caroline  du 
Sud  menaçait  de  se  retirer  de  l'Union  pour  une 
question  de  tarif;  mais  la  difficulté  fut  aplanie, 
et  nous  n'avons  eu,  depuis  1833,  au  sujet  du 
tarif,  aucun  motif  de  plainte.  Le  tarif  actuel 
(celui  de  1857)  a  été  voté  par  la  Caroline  du 
Sud  aussi  bien  que  par  le  Massachusetts.  Il  est 
donc  inexact  de  dire  que  le  Sud  est  obligé  de 
payer  des  droits  arbitraires  imposés  par  le 
Nord,  puisque  les  représentants  du  Massachu- 
setts, à  l'unanimité,  se  sont  prêtés  à  abaisser 
les  droits  autant  que  les  hommes  d'État  du 
Sud  l'ont  désiré. 


CONFÉDÉRATION  113 

»  Ne  peut-on  pas  espérer,  si  les  hommes  d'État 
»  du  Massachusetts  en  sont  venus,  en  1857, 
»  à  penser,  relativement  au  tarif,  comme  les 
»  hommes  d'État  de  la  Caroline  du  Sud,  qu'en 
»  1861,  ils  penseront  comme  ceux  de  la  Caroline 
»  du  Sud  et  de  la  Géorgie,  sur  les  autres  ques- 
»  lions  qui  agitent  aujourd'hui  le  pays?  J'ai  foi, 
»  pour  mon  compte,  dans  le  triomphe  final  de 
»  nos  idées.  » 

Ainsi,  un  des  premiers  magistrats  de  la  confé- 
dération du  Sud,  en  même  temps  qu'il  témoigne 
des  bienfaits  de  l'Union,  reconnaît  que,  pour  tout 
autre  conflit  d'intérêt  que  l'esclavage,  pour  la 
question  des  douanes,  si  complexe,  si  considé- 
rable, dans  un  pays  d'un  commerce  si  étendu,  la 
constitution  pouvait  suffire  à  la  conciliation  de 
toutes  les  prétentions.  Et  quand  on  voit  quelles 
dispositions  la  masse  de  la  nation  américaine 
montrait  pour  toute  transaction  équitable,  peut- 
on  affirmer  que,  même  sur  ce  terrain  brûlant  de 
l'esclavage,  un  arrangement  ne  fût  pas  intervenu, 
si  la  querelle  n'avait  pas  été  envenimée  par  une 
secte  d'ambitieux,  qui,  partout,  provoque  le  dé- 

8 


114  SOLUTION  POLITIQUE    ET    SOCIALE 

sordre,  pour  en  profiter,  et  qui,  en  Amérique, 
forme  une  classe  si  distincte  qu'on  lui  a  donné  le 
nom  très-peu  considéré  de  politiqueurs. 

Ai-je  besoin  de  dire  que  je  ne  confonds  aucu- 
nement avec  ces  brouillons  les  hommes  supé- 
rieurs d'une  véritable  valeur  politique,  tels  que 
MM.  Daniel  Webster,  Stéphen  A.  Douglas,  Henry 
Glay,  John  G.  Galhoun,  J.-J.  Grittenden,  et  tant 
d'autres? 

Qu'on  me  permette  une  hypothèse  qui  sera 
comme  une  contre-épreuve  de  ma  démonstration. 
Supposons  que,  quand  les  colons  du  continent 
américain  se  furent  affranchis  du  joug'  de  la  mé- 
tropole, au  lieu  de  se  constituer  en  une  fédéra- 
tion d'États  libres,  ils  aient  adopté  les  formes  de 
gouvernement  dont  l'Europe  leur  fournissait  les 
modèles  ;  supposons  un  empire  de  Virginie,  une 
royauté  de  Massachusetts  ou  de  Pensylvanie,  un 
duché  souverain  pour  les  Garolines  ou  le  Ken- 
tucky,  un  comté  indépendant  de  Vermont;  ima- 
ginons, pour  chacun  de  ces  États,  une  organisa- 
tion établie  à  l'instar  de  ce  qui  se  pratique  sur 
l'ancien  continent,  une  cour  avec  ses  hauts  digni- 
taires, une  diplomatie,  une  armée,  des  douanes, 


GONFÉDÉRATIOiN  115 

une  législation,  un  système  monétaire  particuliers 
à  chacun.  Peut-on  admettre  soixante-dix  ans  de 
paix  au  milieu  de  tant  d'éléments  de  rivalités  et 
de  querelles,  et  quand  il  aurait  suffi  de  l'ambition 
d'un  seul  prince,  pour  semer  la  discorde  et  la  guerre 
autour  de  lui?  Se  représente-t-on  les  difficultés 
qu'aurait  rencontrées  la  réalisation  de  tous  les 
travaux  d'utilité  générale,  la  création  des  routes, 
puis  des  chemins  de  fer,  la  navigabilité  de  ces 
immenses  cours  d'eau  qui  traversent  quatre  et 
cinq  États  différents,  s'il  avait  fallu  compter  avec 
les  prétentions  rivales  de  populations  divisées  et 
de  souverains  hostiles? 

Que  d'obstacles  aux  grands  défrichements,  aux 
développements  de  l'industrie  et  du  commerce! 
que  d'efforts  entravés,  découragés!  que  de  temps, 
que  de  forces  perdus! 

A  ce  chaos,  opposons  le  splendide  témoignage 
qu'a  pu  rendre,  de  la  constitution  de  son  pays, 
un  citoyen  américain  dont  les  paroles  ont  un 
caractère  en  quelque  sorte  officiel.  Voilà  ce  qu'a 
pu  écrire  M.  Bigelow,  consul  à  Paris,  dans  son 
livre  Les  Etats-Unis  d'Amérique  en  1863,  livre 
qui  attend  encore  un  contradicteur. 


116  SOLUTION  POLITIQUE   ET    SOCIALE 

«  Si  Moïse  ne  voulut  pas  croire  que  -Dieu  eût 
»  conduit  dans  le  désert  les  enfants  d'Israël,  pour 
»  les  y  laisser  mourir  de  faim,  je  ne  puis,  moi, 
»  quand  je  considère  les  actes  de  notre  grande 
»  république ,  et  la  façon  presque  miraculeuse 
»  dont  elle  s'est  constituée  et  maintenue ,  je  ne 
»  puis  supposer  qu'elle  soit  destinée  à  s'éteindre. 

And  leave  the  world  no  copy  *. 

»  Pendant  les  soixante -dix  années  qui  se  sont 

»  écoulées  depuis  leur  organisation ,   les    treize 

»  États  primitifs  en  ont  vu  se  grouper  vingt  et  un 

»  autres  autour  d'eux;  la  population  générale  du 

»  pays  a  presque  décuplé,  et  celle  de  la  grande 

»  métropole  s'est  multipliée  trente  fois.  La  marine 

»  commerciale  qui,  en  1792,  ne  comprenait  que 

»  564,437   tonnes,   en    représentait,    en    1861, 

»  5,539,813;  les  importations,  pendant  la  même 

»  période,   s'élevèrent  de  157,500,000  francs  à 

»  1,810,819, 705, francs;  et  les  exportations,  de 

»  103,765,490  francs  à  plus  de  1.250  millions  de 

»  francs.  En  1792,  la  terre  était  encore  vierge,  à 

*  Sans  laisser  au  monde  sa  copie. 


CONFÉDÉRATION  il7 

»  l'ouest  des  États  riverains  de  l'Atlantique; 
»  actuellement,  l'agriculture  nationale  est  repré- 
»  sentée  par  plus  de  i  million  et  demi  de  fermes 
»  d'au  moins  200  acres  en  moyenne,  répandues 
»  sur  toute  l'étendue  du  continent ,  et  dont  la 
»  valeur,  en  y  comprenant  les  instruments  ara- 
»  toires,  est  supérieure  à  35  milliards  de  francs. 
»  Les  manufactures ,  au  commencement  de  ce 
»  siècle,  n'avaient  qu'un  développement  tout  à 
»  fait  insignifiant  ;  maintenant,  leur  produit  an- 
»  nuel  dépasse  9  milliards  500  millions  de  francs. 

»  En  1792,  le  service  postal  des  États-Unis  ne 
»  parcourait  que  9,070  kilomètres;  en  1861,  il 
»  s'étendait  sur  225,000  kilom.,  dont  35,426  kilo- 
»  mètres  de  chemins  de  fer.  La  première  voie 
»  ferrée  destinée  au  public  fut  ouverte  en  1825; 
»  en  1860,  il  y  avait,  aux  États-Unis,  49,222  kilo- 
»  mètres  en  exploitation,  ayant  coûté  5  milliards 
))  672,264545  fr.   , 

»  Le  système  de  télégraphie  électrique  le  plus 

»  simple  et  le  plus  efficace,  fut  inventé  par  un 

»  Américain,  et  le  pays  est  maintenant  couvert 

»  d'un  réseau  de  lignes  télégraphiques  formant 
»  un    ensemble    d'environ    96,540    kilomètres. 


H8  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

«L'armée  qui,  en  4793,  ne  s'élevait  qu'à 
»  5,120  hommes,  comprend  aujourd'hui  pkis  de 
»  800,000  soldats  en  activité.  La  marine,  dont 
»  l'existence,  en  1793,  était  plus  que  probléma- 
»  tique,  avait,  au  l^*"  janvier  1863,  60  bâtiments 
»  de  plus  qu'aucune  autre  nation  du  globe. 

»  Le  peuple  américain  croit  avoir  définitivement 
»  résolu  le  grand  problème  de  la  liberté  religieuse  ; 
»  il  élève  des  temples  pour  tous  les  fidèles,  quelle 
»  que  soit  leur  confession,  sans  intervention  de 
»  la  part  du  gouvernement.  Il  a  mis  à  la  portée  de 
»  toutes  les  classes  les  bienfaits  de  l'instruction 
»  élémentaire,  et,  de  plus,  il  a  consacré,  à  la  fon- 
»  dation  et  à  l'entretien  d'écoles  gratuites,  plus  de 
»  50  millions  d'acres  (20,000,000  d'hectares)  de 
»  terres  domaniales.  Il  imprime  et  livre  à  la  cir- 
»  culation,  des  journaux  en  nombre  plus  consi- 
»  dérable  que  toute  autre  nation,  et  l'on  pourrait 
»  presque  dire  que  toutes  les  nations  réunies. 

»  Il  a  donné  un  asile  et  un  domicile  à  plus  de 
»  7  millions  d'émigrants  étrangers ,  y  compris 
»  leurs  descendants;  et,  ce  qui  est  sans  exemple 
»  dans  l'histoire,  mettant  en  pratique  le  principe 
»  auguste  de  fraternité  universelle,  il  a  offert  une 


CONFÉDÉRATION  119 

»  concession  *  à  prendre  sur  les  meilleures  terres 
»  libres  encore  du  domaine  public,  et  sans  dis- 
»  tinction  de  nationalité  ou  d'opinion  politique 
»  et  religieuse,  à  tous  ceux  qui  consentiraient  à 
»  partager  les  destinées  de  la  république. 

»  Il  a  enseigné  au  monde  la  direction  des  cou- 
»  rants  de  l'Océan  et  les  voies  de  l'électricité  dans 
»  l'espace  ;  les  produits  de  son  génie  inventif  se 
»  rencontrent  dans  toutes  les  parties  du  monde; 
»  ses  diplomates  ont  contribué,  dans  une  grande 
»  mesure,  à  l'application  libérale  des  lois  mari- 
»  times  et  à  l'affirmation  des  droits  des  neutres  ; 
»  ses  institutions  politiques  et  sociales,  au  moins 
»  dans  les  États  libres,  ont  ennobli  le  travail  ;  il 
»  a  placé  l'égalité  politique  de  tout  Américain, 
»  indigène  ou  naturalisé ,  sous  l'égide  des  ga- 
»  ranties  constitutionnelles;  il  a  rendu  accessibles 
»  à  toutes  les  classes,  sans  distinction,  les  dignités 
»  publiques  et  les  emplois  salariés  par  l'État, 

»  Enfin,  ce  peuple  vient  d'accepter  de  propos 
»  délibéré  tous  les  risques  d'une  désastreuse 
»  guerre  civile,  plutôt  que  de  changer  en  symbole 

*  160  acres  (64  hectares  65  ares  20  centiares). 


120  SOLUTION    POLITIQUE    KT    SOCIALE 

»  de  propagande  esclavagiste  ce  drapeau  consacré 
»  par  tant  de  luttes  en  faveur  de  la  liberté. 

»  Voilà  ce  que  la  République  américaine  a  su 
»  faire  pendant  sa  courte  carrière.  Quelle  que  soit 
»  l'opinion  de  celui  qui  lira  ces  pages,  quant  au 
»  résultat  final  de  la  révolution  actuelle,  il  devra 
»  au  moins  reconnaître  qu'une  nation  qui  a  ac- 
»  compli  tant  et  de  si  grandes  choses  en  un  aussi 
»  court  espace  de  temps,  a  donné  au  monde  des 
»  leçons  que  l'on  pourra  tôt  ou  tard  mettre  à 
»  profit.  Tous  ces  merveilleux  efforts  ne  peuvent 
»  manquer  de  contribuer,  c'est  mon  intime  con- 
»  viction ,  à  étendre  le  domaine  de  la  science 
»  politique  et  à  prouver  à  la  foi  vaccillante  du 
»  monde  que  l'homme  est  capable  de  se  gouverner 
»  lui-même. 

»  L'avenir  pourra  constater  peut-être  que  les 
»  institutions  des  États-Unis  sont  plus  ou  moins 
»  défectueuses,  et  que  la  souveraineté  populaire 
»  pourrait  être  assise  sur  des  bases  mieux  rai- 
»  sonnées  et  plus  solides;  mais  de  grands  prin- 
»  cipes  sont,  dès  à  présent,  immuablement  réso- 
»  lus  :  c'est  que  les  gouvernements  doivent  être 
»  organisés  uniquement  en  vue  du  bien-être  des 


CONFÉDÉRATION  121 

»  gouvernés;  et  que  le  meilleur  des  gouvenie- 
»  ments  est  celui  qui,  au  moyen  d'un  système 
»  représentatif  parfaitement  équitable ,  assure  à 
»  l'universalité  des  citoyens,  le  droit  de  faire  et 
»  d'appliquer  les  lois  sous  le  régime  desquelles  il 
»  leur  convient  de  vivre. 

»  Je  crois  qu'il  m'est  permis  d'affirmer  (ju'une 
»  honorable  part,  dans  la  démonstration  pratique 
»  de  ces  deux  principes  fondamentaux,  appar- 
»  tient  à  la  grande  nation  qui  combat  actuelle- 
»  ment  pour  son  existence  de  l'autre  côté  de 
»  l'Atlantique.  » 

Il  n'y  a  rien  à  ajouter  à  un  aussi  magnifique 
tableau. 

Avant  d'essayer  l'esquisse,  bien  incomplète  du 
système  des  confédérations,  j'avais  montré  la 
Suisse  assurant  la  paix  intérieure  et  extérieure, 
l'accord  de  tous  les  intérêts ,  le  respect  de  toutes 
les  croyances  à  ses  populations.  J'avais  fait  res- 
sortir tous  les  bienfaits  que  l'Allemagne  doit  au 
régime  fédératif ,  tous  les  maux  qu'elle  a  évités, 
grâce  à  cette  forme  de  gouvernement;  il  me  reste 
à  répondre  à  une  objection. 


m  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 


PUISSANCE     DE     L   ACTION     FEDERATIVE 

En  Europe,  où  nous  ne  rêvons  qu'antagonisme 
et  conflits,  on  reproche  à  la  forme  fédérative  de 
laisser  le  pouvoir  central  sans  initiative,  sans 
ressorts  et  sans  ressources  suffisantes  dans  le  cas 
d'une  agression  extérieure  ou  d'un  grave  péril 
intérieur  à  conjurer.  Ce  qui  se  passe  présentement 
en  Amérique  est  une  réponse  bien  significative 
à  cette  appréhension. 

Jamais  aucun  État  ne  fut  exposé,  dans  aucun 
temps,  à  une  crise  comparable  à  celle  que  traverse 
aujourd'hui  la  république  américaine.  En  effet, 
tout  ce  que  soixante-dix  ans  de  paix  et  de  pros- 
périté lui  avaient  donné  de  puissance  et  de  force, 
tourne  on  alimewts  pour  la  guerre  fratricide  qui 
se  déclare.  Elle  trouve  les  pouvoirs  désarmés; 
17,000  soldats  épars  aux  extrémités  de  l'immense 
territoire  ;  aucune  habitude  de  l'art  des  batailles, 
de  l'aversion  pour  ce  métier  homicide;  dans  le 
•nord,  des  arsenaux  vides,  pas  de  généraux  ;  un 
trésor   qui,   jusque-là,    n'a   eu   qu'une   crainte, 


CONFÉDÉRATION  123 

l'excédant  des  recettes  sur  les  dépenses,  et  qui  n'a 
eu  qu'un  souci,  l'équilibre  du  budget;  un  peuple, 
par  conséquent,  aussi  peu  habitué  aux  impôts 
qu'aux  emprunts.  Voilà  dans  quelles  conditions 
éclate  cette  guerre  entre  deux  confédérations.  11 
n'y  a  point  encore  trois  ans  qu'elle  dure,  et,  de 
la  part  du  Nord  seulement,  il  y  a  eu  12  milliards 
de  francs  dépensés,  sans  que  le  crédit  public  ait 
croulé,  il  y  a  eu  deux  millions  d'hommes  armés, 
sans  que  les  bras  manquent  ni  à  l'agriculture  ni 
à  l'industrie.  De  la  part  du  Sud,  les  efforts  ont  dû 
être  plus  prodigieux  encore,  puisqu'il  n'est  point 
vaincu,  et  qu'il  soutient  la  lutte  avec  une  popu- 
lation bien  inférieure  en  nombre  et  avec  des  res- 
sources bien  moins  considérables. 

Jamais  aucun  gouvernement  n'a  donné  l'exem- 
ple d'une  force  d'expansion  comparable.  Les 
efforts  de  la  convention  française,  en  1792.  contre 
la  coalition  européenne,  la  persévérance  de  l'An- 
gleterre dans  son  duel  contre  Napoléon,  restent 
bien  au-dessous  de  cet  incroyable  témoignage  de 
vitalité  et  d'énergie.  Ce  déploiement  de  forces,  si 
prodigieux  des  deux  côtés,  malgré  les  hésitations 
et  les  répugnances  d'une  partie  de  la  population 


124  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

à  assumer  la  responsabilité  d'une  rupture,  queût- 
il  été  en  face  d'une  agression  de  l'étranger,  alors 
que,  sans  diversité  de  sentiments,  sans  hésitation 
du  patriotisme,  sans  division  de  forces,  tout  eût 
été  réuni  et  dirigé  contre  l'étranger!  Ce  qui  se 
passe  sous  nos  yeux  ne  peut  nous  donner  qu'une 
faible  idée  des  prodiges  dont  la  grande  république 
eût  étonné  le  monde  pour  la  défense  de  son  terri- 
toire et  le  maintien  de  sa  constitution. 

Au  reste,  c'est  ce  que  pressentaient  depuis 
longtemps  les  hommes  supérieurs  de  notre  vieille 
Europe,  quand  ils  suivaient,  dun  œil  inquiet,  les 
gigantesques  progrès  de  la  civilisation  russe  et  de 
la  démocratie  américaine.  Le  fils  aîné  de  lord  Derby, 
lord  Stanley,  dans  un  des  premiers  discours  qui 
ont  inauguré  sa  carrière  politique,  se  plaint  de 
voir  l'Europe,  distraite  des  seules  préoccupations 
sérieuses  qu'elle  puisse  avoir,  user  son  énergie  et 
ses  forces  dans  de  vaines  querelles  intestines, 
lorsque,  dit-il,  grandissent  au  Nord  et  de  l'autre 
côté  de  l'Atlantique  deux  nations  contre  lesquelles 
l'Europe,  avant  un  siècle,  sera  hors  d'état  de 
lutter. 

Napoléon   P""  n'avait-il  pas  entrevu  le  même 


CONFÉDÉRATION  123 

péril,  quand  il  s'écriait  à  Sainte-Hélène  :  avant  cin- 
quante ans,  l'Europe  sera  républicaine  ou  cosaque. 
Son  neveu,  Napoléon  III,  qui  s'est  pénétré  de  ses 
idées,  en  tenant  compte  des  modifications  que  le 
temps  y  apportait,  n'a-t-il  pas  écrit  dans  le  livre, 
fruit  de  ses  meilleures  études  et  de  ses  plus  sé- 
rieuses méditations  : 

»  Je  le  dis  à  regret,  je  ne  vois  aujourd'hui  que 
»  deux  gouvernements  qui  remplissent  bien  leur 
»  mission  providentielle  ;  ce  sont  les  deux  colosses 
»  qui  sont  au  bout  du  monde,  l'un  à  l'extrémité 
»  du  nouveau,  l'autre  à  l'extrémité  de  l'ancien  *. 
»  Tandis  que  notre  vieux  centre  européen  est 
»  comme  un  volcan  qui  se  consume  dans  son  cra- 
»  tère,  les  deux  nations,  orientale  et  occidentale, 
»  marchent  sans  hésiter  vers  le  perfectionnement, 
»  l'une  par  la  volonté  d'un  seul,  l'autre  par  la  li- 
»  berté. 

»  La  Providence  a  confié  aux  États-Unis  d'Amé- 
»  rique  le  soin  de  peupler  et  de  gagner  à  la  civili- 

*  Je  ne  prétends  pas  dire  par  là  que  tous  les  autres  gouverne- 
ments de  l'Europe  soient  mauvais:  je  veux  dire  seulement  que, 
dans  le  moment  actuel,  il  n'en  est  aucun  qui  soit  à  la  hauteur  d'une 
aussi  grande  mission.  (Note  de  l'auteur  des  idées  napoléoniennes.) 


126  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

»  satioii  tout  cet  immense  territoire  qui  s'étend 
»  delAtlantiquc  à  la  mer  du  Sud,  et  du  pôle  nord 
»  à  l'équateur.  Le  gouvernement,  qui  n'est  qu'une 
»  simple  administration,  n'a  eu,  jusqu'à  présent, 
»  qu'à  mettre  en  pratique  ce  vieil  adage  :  Laissez 
))  faire,  laissez  passer,  pour  favoriser  cet  instinct 
»  irrésistible  qui  pousse  vers  l'Ouest  les  peuples 
»  d'Amérique.    » 

Enfin,  un  polémiste,  auquel  on  ne  saurait  re- 
fuser une  grande  perspicacité,  M.  de  Girardin, 
dans  le  numéro  de  la  Presse  du  !2i  février  1864, 
après  avoir  analysé  tout  ce  qu'il  y  a  de  prodigieux 
et  d'effrayant  à  la  fois  dans  les  proportions  qu'a 
prises  la  guerre  civile  de  l'union,  résume  ses 
craintes  dans  les  paroles  suivantes  : 

«  La  politique  ne  saurait  prévoir  de  trop  loin. 
»  En  Amérique,  selon  toutes  les  probabilités,  les 
»  unionistes  finiront  par  l'emporter  sur  les  séces- 
»  sionnistes  ;  alors  l'Union  américaine ,  purifiée 
»  de  l'esclavage  et  aguerrie  par  les  combats,  ne 
»  tardera  pas  à  acquérir  une  force  redoutable 
»  contre  laquelle  il  se  pourrait  que  l'Europe  tout 
»  entière  ne   fît  tout  juste  que   le  contre-poids 


CONFÉDÉRATION  127 

»  nécessaire.  De  la  part  de  l'Europe,  ce  serait  une 
»  grave  imprudence  d'attendre  qu'il  fût  trop  tard 
»  pour  nouer  une  puissante  confédération  qui  op- 
»  pose  à  l'Union  américaine  l'Union  européenne. 
»  Qu'on  ne  dise  pas  que  nous  voyons  dans  l'avenir 
»  un  danger  qui  ne  saurait  exister  dans  la  réalité  ! 
»  Il  y  a  soixante-dix  ans...  moins  que  cela,  il  y  a 
»  cinquante  ans...  moins  que  cela  encore,  il  y  a 
»  trente  ans,  de  quelles  railleries  eût  été  couvert 
»  le  presbyte  qui  eût  annoncé  que  la  marine  amé- 
»  ricaine  couvrirait  toutes  les  mers  et  égalerait  en 
»  nombre  et  en  force  la  marine  britannique  !  Qui 
»  eût  ajouté  qu'une  moitié  des  États-Unis  lèverait 
»  en  trois  années  deux  millions  d'hommes,  et  ver- 
»  serait  dans  ses  caisses  quatorze  milliards  de 
»  francs,  sans  succomber,  sans  fléchir  sous  le 
»  poids  d'une  telle  guerre  ni  de  tels  emprunts! 

»  Osons  le  dire  à  la  France,  osons  le  dire  à 
»  l'Europe  :  tous  leurs  débats  sur  ce  qu'elles  ap- 
»  pellent  l'équilibre  européen  sont  des  débats 
»  puérils  ;  toutes  leurs  querelles,  tantôt  à  propos 
»  de  l'Italie,  tantôt  à  propos  de  la  Pologne,  tantôt 
»  à  propos  du  Danemark,  sont  des  querelles  mcs- 
»  (juines,  des  querelles  de  ménage.  Il  y   a  une 


128  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

«  autre  politique  à  faire  que  cette  politique  ca- 
»  duque  et  agonisante. 

»  L'Europe  attendra-t-elle  que  l'Amérique, 
»  d'autant  plus  insolente  qu'elle  verra  l'Europe 
»  plus  divisée,  vienne  l'y  contraindre  en  toute 
»  hâte?  Notre  voix  accoutumée  à  crier  dans  le 
»  désert  s'y  perdra-t-elle  une  fois  de  plus?  Ce  ne 
»  serait  pas  une  raison  pour  nous  taire.  Si  le 
»  camp  ne  se  réveille  pas  lorsque  la  sentinelle 
»  fait  feu,  ce  n'est  pas  la  faute  de  la  sentinelle  : 
»  c'est  la  faute  du  camp,  » 

Fidèle  au  programme  que  je  me  suis  posé,  je 
ne  suis  pas  sorti  du  cercle  des  choses  éprouvées 
par  l'expérience,  et  dont  chacun  peut  contrôler  et 
constater  l'authenticité.  C'est  à  ce  titre  que  j'ai 
analysé  les  exemples  du  gouvernement  fédératif 
que  m'offraient  l'Europe  et  l'Amérique.  J'ai  pu 
m'appuyer  sur  des  autorités  qui  ne  sont  pas  sus- 
pectes. Je  vais  essayer  maintenant  de  tirer,  sans 
sortir  du  réel  et  du  positif,  des  conséquences 
nouvelles  des  faits  que  je  me  contente  de  consi- 
gner, et  d'opinions  émises  avant  moi  et  par 
d'autres  que  moi. 


TROISIÈME    PARTIE 
LES    SOLUTIONS 


Tout  annonce  je  ne  sais  quelle  grande  unité,  vers 
laquelle  nous  marchons  à  grands  pas. 

J.  DE  Maistre.  —  Soirées  de  Saint-Pétersbourg. 


BASES  D  UNK  NOUVELLE  CONFEDERATION 

Dans  l'aperçu  rapide  des  trois  spécimens  de 
gouvernement  fédératif  que  nous  offre  la  société 
moderne,  j'ai  cherché  l'explication  de  la  faveur 
qui  s'attache  aux  mots  de  confédération  et  de 
décentralisation  ;  j'ai  été  amené  à  examiner  plus 
à  fond  si  cette  faveur  se  justifiait,  et  pour  m'en 
rendre  un  conqotc  exact,  je  me  suis  demandé  si 
la  plus  défectueuse  des  tntis  ('(uif'édéi'atioiis  (pu? 


130  SOLUTlUiN    PULITIOUE    ET    SOCIALE 

j'étudiais  ne  deviendrait  pas  comparable  à  la 
meilleure  si  on  appliquait  à  l'une  les  progrès 
réalisés  dans  l'autre. 

Entre  la  Confédération  américaine  et  la  Confé- 
dération germanique,  les  différences  sont  consi- 
dérables et  nombreuses  ;  essayons  de  supprimer 
celles  qui  nous  frappent  le  plus. 

J'ai  signalé  les  inconvénients  de  l'inégalité  des 
forces  entre  les  membres  de  la  Confédération  ger- 
manique ;  j'aurais  pu    même  tirer  de   ce  qui    se 
passe  dans  les  duchés  du  Schleswig  et  du  Hols- 
tein  un   plus  vif  enseignement,    si  je   n'avais   à 
cœur  de  rester  dans  le  domaine  exclusif  des  théo- 
ries. Je  puis  toutefois,  par  la  pensée,  emprunter 
à  l'Union  américaine  la  proportionalité  plus  équi- 
table de  ses  États  et  leur  indépendance  vis-à-vis 
les  uns  des  autres.  Je  suppose  donc  l'Autriche  et 
la  Prusse   amoindries  au  profit  des   plus   petits 
États,  et  ramenées  au  chiffre  moyen  de  la  Bavière 
ou  du  Wurtemberg.  La  Confédération  se  compose- 
rait, en  admettant  la  fusion  de  quelques  princi- 
pautés microscopiques,  de  douze,  quinze  ou  vingt 
États  d'une  population  de  3  à  S  millions  d'habi- 
tants. Chaque  État  demeure,  pour  son  adininis- 


BASES    D'UNE   NOUVELLE  CONFÉDÉRATION        131 

tration  intérieure,  complètement  indépendant;  le 
système  de  la  décentralisation  américaine  est  ap- 
pli(|ué  dans  tous  ses  développements  et  dans  toute 
sa  sincérité.  A  Francfort,  comme  à  Washington, 
se  réunissent,  dans  une  diète  permanente  ou  tem- 
poraire,  les  députés  qui  ne  s'occupent  que   des 
intérêts  généraux  ou  des  relations  avec  l'étran- 
ger. L'Allemagne  n'a  rien  perdu  de  sa  force  ;  elle 
est,  plus  et  mieux  que  jamais,  la  nation  qui  peut 
opposer  à  .toute  aggression  une  masse  compacte, 
homogène,  de  45  à  50  millions  d'habitants.  Elle 
est  délivrée  de  toutes  les  intrigues  ambitieuses  et 
turbulentes-,   de  l'arrogance  des  forts,   de  la  dé- 
fiance et  de  la  susceptibilité  des  faibles.  L'égalité 
resserre  les  liens  du  pacte  social.  Le  patriotisme 
s'épure,  s'élève  et  s'agrandit. 

Entrée  dans  cette  voie,  l'Allemagne  achève, 
sans  obstacles,  les  améliorations  qu'elle  doit  déjà 
à  sa  constitution  fédérale,  tout  imparfaite  qu'elle 
soit.  D'État  à  État,  il  n'y  a  désormais  ni  défiance 
à  garder,  ni  précautions  à  prendre,  puisqu'il  y  a 
un  tribunal  im|)artial  et  suprême  pour  toutes  les 
querelles  intestines  (|ui  |)ourraient  surgir. 

Tout  se  traite,  tout  se  vich^  à  Francfort  ;   donc 


132  SOLUTION    POLITIQUE    ET   SOCIALE 

plus  de  douanes  intérieures,  et  une  diplomatie 
unique  pour  représenter  la  confédération  au  de- 
hors. Ces  importants  résultats  obtenus,  il  reste  en- 
core, je  le  sais,  entre  la  Confédération  américaine 
et  la  Confédération  germanique,  une  dissemblance 
capitale.  La  première  n'a  pas  de  voisins  qui  puis- 
sent l'inquiéter;  bornée  par  deux  océans,  la  sé- 
curité de  ses  frontières  vers  le  Canada  ou  vers  le 
Mexique  lui  a  permis  de  se  développer  à  l'intérieur, 
sans  souci  de  la  guerre  et  presque  sans  armée. 
L'Allemagne  resterait  donc  encore  dans  des 
conditions  bien  moins  favorables.  Mais  elle  aurait 
sur  ses  voisins  d'Europe  une  telle  supériorité  rela- 
tive, ses  progrès  en  toutes  choses  seraient  si  ra- 
pides, si  éclatants,  qu'après  une  expérience  de 
quelques  années,  les  nations  voisines  ne  sauraient 
résister  au  besoin  de  l'imiter. 

Ici,  je  le  comprends,  je  vais  être  obligé  de 
demander  à  mes  lecteurs  un  plus  grand  effort 
d'imagination,  un  détachement  plus  conq:»let  des 
idées  traditionnelles,  des  préjugés  consacrés  par 
le  temps. 

Je  n'ai  pas  été  le  premier  à  exposer  la  théorie 


BASES   D'UNE   iNOI  VELLE   GOiNFÉDKRATION        i:J3 

des  confédérations  ;  avant  moi,  on  a  complété 
l'idée,  qui  est  mon  point  de  départ,  en  groupant 
autour  de  la  Confédération  germanique  une  con- 
fédération latine,  une  confédération  slave,  et 
même  une  confédération  Scandinave.  Ce  que  je 
voudrais  ajouter  à  mon  tour,  c'est  une  démon- 
stration des  avantages  qu'il  y  aurait  à  diriger  les 
esprits,  non  pas  vers  cet  autre  fractionnement 
qui  remplace  les  États  par  les  nationalités,  mais 
vers  l'idée,  bien  plus  réalisable  qu'on  ne  le  sup- 
pose, d'une  grande  unité  européenne. 

Et  qu'on  me  permette  de  citer,  comme  pou- 
vant marquer  une  étape ,  dans  cette  marche 
des  esprits  vraiment  politiques,  quelques  pages 
des  Idées  napoléoniennes,  écrites  en  1840  par 
Napoléon  III,  et  nous  révélant  les  pensées  intimes 
de  Napoléon  P""  dans  les  jours  de  sa  puissance. 
Le  lecteur  voudra  bien  se  rappeler  quels  progrès 
se  sont  accomplis  depuis  cette  époque  dans  le 
monde  physique  comme  dans  le  monde  moral, 
et  il  ne  pourra  manquer  de  conclure  que  l'audace 
de  ce  grand  penseur  eût  été  beaucoup  plus  loin 
encore,  s'il  eut  par1(''  après  l'application  de  la 
vapeur  et  la  découverte  de  l'électricité. 


i3i  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

Ce  qu'on  va  lire  est  le  début  du  chapitre  Y, 
intitulé  :  But  oh  tendait  V Empereur.  Le  titre  par- 
ticulier est  :  Association  européenne . 

«  Lorsque  le  sort  des  armes  eut  rendu  Napo- 
»  léon  maître  de  la  plus  firande  partie  du  conti- 
»  nent,  il  voulut  faire  servir  ses  conquêtes  à  l'éta- 
»  blissement  d\ine  confédération   européenne  *. 

»  Prompt  à  saisir  la  tendance  de  la  civilisation, 
»  l'Empereur  en  accélérait  la  marche,  en  exécu- 
»  tant  sur-le-champ  ce  qui  n'était  renfermé  que 
»  dans  les  lointains  décrets  de  la  Providence.  Son 
»  génie  lui  faisait  prévoir  que  la  rivalité  qui  divise 
»  les  différentes  nations  de  1  Europe  disparaîtrait 
»  devant  un  intérêt  général  bien  entendu. 

»  Plus  le  monde  se  perfectionne,  plus  les  bar- 
»  rières  qui   divisent  les    hommes   s'élargissent, 


*  Il  fit  précéder  l'acte  additionnel  par  ces  paroles  remarqua- 
bles :  «  J'avais,  dit-il  en  parlant  du  passé,  pour  but  d'organiser 
»  un  grand  système  fèdératif  européen,  que  j'avais  adopté  comme 
1  conforme  à  l'esprit  du  siècle  et  favorable  aux  progrès  de  la 
»  civilisation.  Pour  parvenir  à  le  compléter  et  à  lui  donner 
»  toute  rétendue  et  toute  la  stabilité  dont  il  était  susceptible, 
»  j'avais  ajourné  l'établissement  de  plusieurs  institutions  inté- 
»  rieures,  plus  spécialement  destinées  à  protéger  la  liberté  dos 
»  cilovens.  » 


UASES   D'UNE    NOUVELLE    CONFEDERATION        135 

plus  il  y  a  de  pays  que  les  mêmes  intérêts 
tendent  à  réunir. 

»  Dans  l'enfance  des  sociétés,  l'état  de  nature 
existait  d'homme  à  homme  ;  puis  un  intérêt 
commun  réunit  un  petit  nombre  d'individus 
qui  renoncèrent  à  quelques-uns  de  leurs  droits 
naturels,  afm  que  la  société  leur  garantît  l'en- 
tière jouissance  de  tous  les  autres.  Alors  se 
forma  la  tribu  ou  la  peuplade,  association 
d'hommes  où  l'état  de  nature  disparut,  et  où  la 
loi  remplaça  le  droit  du  plus  fort.  Plus  la  civi- 
lisation a  fait  de  progrès,  plus  cette  transfor- 
mation s'est  opérée  sur  une  grande  échelle.  On 
se  battait  d'abord  de  porte  à  porte,  de  colline  à 
colline  ;  puis  l'esprit  de  conquête  et  l'esprit  de 
défense  ont  formé  des  villes,  des  provinces,  des 
États  ;  et  un  danger  commun  ayant  réuni  une 
grande  partie  de  ces  fractions  territoriales,  les 
nations  se  formèrent.  Alors  l'intérêt  national, 
embrassant  tous  les  intérêts  locaux  et  provin- 
ciaux, on  ne  se  battit  plus  que  de  peuple  à 
peuple,  et  chaque  peuple,  à  son  tour,  s'est  pro- 
mené triomphant  sur  le  territoire  de  son  voi- 
sin, lorsqu'il  a  eu  un  grand  homme  à  sa  tête  et 


13(3  SOLUTION    POLITIQUE    FÎT    SOCIALE 

»  une  grande  cause  derrière  lui.  La  commune,  la 
»  ville,  la  province,  ont  donc,  l'une  après  l'autre, 
»  agrandi  leur  sphère  sociale,  et  reculé  les  limites 
»  du  cercle  au-delà  duquel  existe  l'état  de  nature. 
»  Cette  transformation  s'est  arrêtée  à  la  frontière 
»  de  chaque  pays,  et  c'est  encore  la  force  et  non 
»  le  droit  qui  décide  du  sort  des  peuples. 

»  Remplacer  entre  les  nations  de  l'Europe  l'état 
»  de  nature  par  létat  social,  telle  était  donc  la 
»  pensée  de  l'Empereur;  toutes  ses  combinaisons 
»  politiques  tendaient  à  cet  immense  résultat; 
»  mais  pour  y  arriver,  il  fallait  amener  l'Angleterre 
»  et  la  Russie  à  seconder  franchement  ses  vues. 

»  Tant  qu'on  se  battra  en  Europe,  a  dit  >'ap(;- 
))  léon,  cela  sera  une  guerre  civile.  » 

»  La  sainte  alliance  est  une  idée  quon  m'a 
»  volée,  »  c'est-à-dire,  la  sainte  alliance  des 
»  peuples  par  les  rois  et  non  celle  des  rois  contre 
»  les  peuples.  Là  est  l'immense  différence  entre  son 
»  idée  et  la  manière  dont  on  la  réalisée.  Napoléon 
»  avait  déplacé  les  souverains  dans  l'intérêt  mo- 
»  mentané  des  peuples;  en  1815,  on  déplaça  les 
»  peuples  dans  lintérèt  particulier  des  souverains. 
»  Les  hommes  d'État  de  cette  époque,  ne  consul- 


ASSl.MILATlUiX    DES    PliUPLKS  l.J? 

»  tant  que  des  rancunes  ou  des  passions,  basèrent 
»  un  équilibre  européen  sur  les  rivalités  des 
»  grandes  puissances,  au  lieu  de  l'asseoir  sur  des 
»  intérêts  généraux.  Aussi  leur  système  s'est-il 
»  écroulé  de  toutes  parts.  » 

ASSIMILATION    DES    DIFFÉRENTS    PEUPLES 


La  découverte  de  l'imprimerie  a  changé  les  conditions 
sociales  :  la  presse,  machine  qu'on  ce  peut  briser, 
coiitinuera  à  détruire  l'ancien  monde,  jusqu'à  ce  qu'el  e 
en  ait  formé  un  nouveau. 

Chateaubriast. —  Mémoires  d'Outre-Tomhe. 


Les  grandes  découvertes  qui  illustrèrent  le 
xix°  siècle,  la  vapeur  et  l'él'i'ctricité,  ont  été  si  vite 
appliquées  à  nos  besoins  matériels,  cjue  l'effet 
moral  produit  par  elles  est  un  peu  ou^^lié  ;  nous 
sommes  frappés,  surtout,  et  émerveillés  de  la  rapi- 
dité avec  laquelle  nous  nous  transportons  d'un 
point  sur  un  autre,  et  des  quelques  minutes  qui 
suffisent  pour  qu'on  soit  instruit  à  Londres  et  à  Paris 
de  ce  qui  se  passe  à  Saint-Pétersbourg  et  à  Cons- 
tantinople  ;  mais  se  rend-on  suffisamment  compte 
de  cette  révolution  bien  plus  intéressante,  qui, 
chaque  jour,  à  notre  insu,  s'opère  dans  nos  idées 


138  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

et  dans  nos  habitudes?  Qu'un  fait  se  passe,  sur 
quelque  point  que  ce  soit  de  l'Europe,  et,  le  len- 
demain, à  la  même  heure,  pour  ainsi  dire,  tout 
ce  qui  est  intelligent,  sur  notre  continent,  lira 
le  même  récit,  fera  les  mêmes  commentaires, 
vivra  enfin  pendant  un  instant  des  mêmes  idées. 

Qu'on  prenne,  dans  n'importe  quel  pays,  les 
journaux,  dont  la  lecture  est  devenue  un  besoin 
si  universel;  qu'on  en  sépare  ce  qui,  pour  chaque 
localité,  a  un  intérêt  spécial,  et  on  verra  combien 
s'élargit  chaque  jour  la  place  prise  par  les  affaires 
d'un  intérêt  général. 

C'est  cette  préoccupation  des  mêmes  choses 
s'imposant.  pour  ainsi  dire,  à  tous  dans  le  même 
moment  et  dans  des  conditions  pareilles,  qui  de- 
vient le  fond  commun  de  l'esprit  européen.  Peut- 
on  supposer  qu'il  n'en  résulte  pas  une  similitude 
dans  le  jugement,  et,  par  suite,  une  conformité 
des  habitudes  de  l'esprit.  Les  hommes  qui  sont 
appelés  à  la  même  heure  à  apprécier  les  mêmes 
événements,  à  flétrir  le  mal,  à  louer  le  bien,  en 
vertu  des  mêmes  principes,  à  analyser  toute 
œuvre  d'art  qui,  par  les  traductions  rapides,  n'est 
plus  le  patrimoine  exclusif  d'aucune  nation,  ces 


ASSIMILATION    DKS   l'EUPLES  139 

hommes  peuvent-ils  rester  longtemps  étrangers 
les  uns  aux  autres?  Le  Russe,  l'Allemand,  l'Es- 
pagnol et  l'Anglais  sont-ils  aujourd'hui,  les  uns 
pour  les  autres,  ce  qu'étaient  leurs  ancêtres?  et 
si  on  réfléchit  que  cette  révolution  dans  les  com- 
munications date  de  quelques  années  seulement, 
est-il  permis  de  douter  des  rapprochements  bien 
plus  intimes  encore  qu'opérera  l'avenir? 

Oui ,  déjà  en  grande  partie ,  la  télégraphie , 
les  chemins  de  fer  et  les  grands  développements 
qu'a  pris  la  presse  depuis  cinquante  ans,  ont 
supprimé  les  frontières  :  un  Parisien  est  main- 
tenant aussi  près  de  chez  lui  quand  il  est  à 
Francfort,  qu'il  y  était  autr^^fois,  quand  douze 
heures  de  diligence  l'avaient  conduit  à  Orléans. 
Ajoutons  qu'il  est  déjà  presque  plus  chez  lui  à 
l'étranger  qu'il  n'y  était  jadis  quand  il  arrivait 
en  province,  car  un  commencement  d'unité  s'est 
accompli  par  la  facilité  et  la  fréquence  des  dépla- 
cements. Quand,  d'un  bout  à  l'autre  de  l'Europe,  on 
retrouve,  à  chaque  station  des  chemins  de  fer,  les 
mêmes  costumes;  quand,  au  buffet,  les  mêmes  ali- 
ments vous  sont  servis;  quand,  dans  chaque  viUe 
où  vous  vous  arrêtez,  vos  yeux  rencontrent  des 


140  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

boutiques  installées  de  la  môme  manière  et  gar- 
nies des  mômes  marchandises:  quand  vous  retrou- 
vez le  soir,  au  théâtre,  l'opéra,  le  drame,  souvent 
même  le  vaudeville  qu'on  jouait  dans  la  ville  que 
vous  venez  de  quitter;  quand  l'usage  d'une  langue 
unique  dans  les  transactions  internationales  tend 
si  évidemment  à  se  généraliser  ;  quand  les  tarifs 
en  toutes  choses  s'égalisent;  quand  tant  de  bar- 
rières entre  les  peuples  tombent  ou  s'abaissent, 
peut-on  croire  à  l'immuabilité  de  celles  qui 
restent  debout? 

Tout  concourt  à  une  fusion  des  peuples,  et  ce 
travail  de  transformation  est  bien  plus  rapide  en 
réalité  quil  ne  le  semble.  C'est  pour  cela  que  ce 
qui  pouvait  paraître  chimérique,  il  y  a  un  siècle, 
peut  être  considéré  comme  réalisable  dans  un 
avenir  prochain,  si  on  a  l'intelligence  des  progrès 
qui.  chaque  jour,  s'accomplissent  sous  nos  yeux. 

Qu'on  ne  voie  pas  une  contradiction  entre  la 
constatation  de  ces  progrès  que  je  suis  heureux 
de  signaler,  et  les  inquiétudes  que  m'inspire 
l'avenir  de  l'Europe,  envisagé  à  un  autre  point  de 
vue  ;  le  remède  est  à  côté  du  mal  ;  si  j'avais  pensé 
autrement,   je   n'aurais   point   écrit   ce   livre.  Je 


ASSIMILATIO.N    DES    PEUPLES  141 

reste  donc  dans  mon  programme,  quand,  à  côté 
des  élémeuls  de  rivalités,  de  haines  et  de  dis- 
cordes que  renferme  l'organisation  politique  de 
l'Europe,  je  fais  voir  les  facilités  de  réforme  et 
les  chances  de  salut  qui  s'y  trouvent  mêlées. 

L  idée  de  confédération  européenne  aurait  ren- 
contré, il  y  a  un  siècle,  des  nations  presque  in- 
connues les  unes  aux  autres,  séparées  par  les 
préjugés  et  par  l'ignorance  hien  plus  encore  que 
par  la  distance,  sans  rapports  intellectuels  ni 
commerciaux,  sans  que  rien,  dans  les  mœurs,  pro- 
testât contre  l'isolement  où  elles  étaient  tenues 
les  unes  vis-à-vis  des  autres,  sans  que  rien,  dans 
les  masses,  fit  contrepoids  aux  hostilités  tradi- 
tionnelles des  gouvernements. 

Cette  idée  s'applique  aujourd'hui  à  des  popu- 
lations qui  se  connaissent,  que  mille  intérêts 
divers  rattachent  les  unes  aux  autres,  et  qui, 
divisées  encore  sur  les  moyens,  ont  cependant  un 
but  unique  :  l'union  et  la  paix. 

Voilà  pourquoi   le   mot  de  confédération  euro-    . 
péenne,  prononcé  d'abord  par  des  rêveurs,  peut 
maintenant  être  pris  au  sérieux,  et  pourquoi  je  vais 
encore,  pour  mon  compte,  en  continuer  l'étude. 


ri2  SOLUTION    POLIÏIQUI':    ET    SOCIALE 


ÉQUILIBRE    DES    ETATS    CONFEDERES 

L'exemple  de  l'Allemagne  confédérée  était  si 
peu  utopique,  si  peu  alarmant  ])onr  les  principes 
les  plus  conservateurs,  que  j'ai  pu  l'étendre  par 
hypothèse  au  reste  de  l'Europe.  J'ai  insisté  sur 
les  conditions  nouvelles  faites  à  notre  société, 
qui  rendent  mon  hypothèse  moins  inacceptahle  ; 
je  vais  donc  examiner  les  résultats  qu'aurait  la 
réalisation  de  cette  donnée. 

J'ai  constaté  les  hienfaits  dont  l'Allemagne 
était  redevable  à  l'établissement  d'une  confédéra- 
tion. J'ai  essayé  de  montrer  aussi  quels  obstacles 
s'opposaient  à  une  amélioration  plus  complète. 
Si  le  principe  fédératif  (pii  fonctionne  en  Alle- 
magne était  accepté  par  l'Europe  entière,  et  mis 
en  pratique  dans  des  conditions  pareilles,  il  est 
incontestable  que  les  mêmes  résultats  seraient 
obtenus  et  dépassés  par  le  fait  seul  de  leur  géné- 
ralisation ;  ce  serait,  en  eftét,  un  acheminement 
à  la  suppression  des  douanes  intérieures  et  à  une 


EQUILIBRE    DKS    ETATS    CONFEDERES  113 

diminution  notable  des  armées.  Mais  il  ne  faut 
demander  à  l'humanité  que  ce  qu'elle  peut  don- 
ner :  nous  avons  vu,   dans  la  diète  de  Francfort, 
la  prépondérance  disputée  constamment  par  les 
grandes  puissances,  et  les  petites  obligées  de  se 
soumettre  ;  nous  avons  vu  certaines  formes  admi- 
nistratives des  gouvernements  forts  s'imposer  à 
des  gouvernements  faibles,  et  la  protection  acceptée 
par  ceux-ci,  dégénérer  en  dépendance  et  en  sou- 
mission. La  confédération  européenne  risquerait 
donc  de  nous  offrir,   en  grand,  le  spectacle  que 
nous  présente  la  diète  de  Francfort  dans  des  pro- 
portions plus  restreintes  ;   ce  serait,  en  quelque 
sorte,    l'absorption    de   tous   les   anciens    traités 
dans  un  traité  nouveau,  unique,  qui  deviendrait 
le  pacte  social  ;  mais,  par  cela  même  que  ce  pacte 
tiendrait  lieu  des  anciens  traités  et  qu'il  aurait 
à  régler  les  mômes  intérêts,   il  pourrait  bien  ne 
pas  être  plus  inviolable  (pie  les  anciens  traités, 
s'il  n'y  avait  pas  toujours,  au  service  du  droit,  la 
sanction  de  la  force;  car,  nous  l'avons  dt>jà  dit, 
c'est  toujours  la  violence  qui  a  déchiré  les  traités. 
Si  donc,  dans  une  confédération  européenne,  il 
y  a  encore  des  forts  en  face  des  faibles;  si  cette 


I'i4  SOLUTIOiN    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

inégalité  des  associés  laisse  une  issue  ouverte 
aux  ambitions,  une  chance  aux  entreprises  vio- 
lentes, le  pacte  social  pourra  être  déchiré,  comme 
l'étaient  auparavant  les  traités.  Rien  n'empêchera 
la  Russie,  la  France  ou  l'Angleterre,  de  faire  ce 
que  font  en  ce  moment  l'Autriche  et  la  Prusse,  à 
l'égard  de  leurs  confédérés  de  Francfort,  de  vou- 
loir conquérir  une  prépondérance  qui  romprait 
l'équilibre.  Quelle  sagesse  il  faudrait  aux  puis- 
sants souverains  d'Autriche  ou  de  Russie  pour 
respecter  les  droits  de  petits  États  comme  la 
Suisse  ou  la  Belgique  ! 

Quels  progrès  nous  avons  à  faire  encore,  pour 
ne  pas  voir,  derrière  le  vote  du  délégué  d'une 
puissance,  le  nombre  des  baïonnettes  qu'elle  pos- 
sède pour  appuyer  son  avis  au  besoin!  Le  vice 
capital  dans  les  combinaisons  que  nous  venons 
d'analyser,  c'est  donc  la  grande  inégalité  des 
associés.  L'établissement  d'une  confédération  eu- 
ropéenne serait,  je  le  répète,  la  réalisation  d'un 
immense  progrès,  et  il  n'est  point  surprenant  que 
cette  idée  se  soit  emparée  de  tant  d'esprits  éle- 
vés. Mais  si,  en  l'étudiant  sous  toutes  ses  faces, 
on  arrive  commo  moi   à  reconnaître  le   point  es- 


ÉQUILIHRE    DES    ÉTATS    COXFËDÉRI'S  145 

sentiel  de  son  imperfection,  tous  les  efforts  ne 
devront-ils  pas  se  diriger  vers  la  recherche  des 
moyens  les  plus  propres  à  remédier  au  mal?  C'est 
donc  de  ce  côté  qu'il  faut  se  mettre  à  l'œuvre,  et, 
pour  prêcher  d'exemple,  je  vais  offrir  ma  solution 
sans  prétendre  toutefois  à  l'infaillibilité  de  la 
recette. 

La  confédération  amènera  une  énorme  diminu- 
tion dans  l'effectif  des  armées  ;  ce  sera ,  nous 
l'avons  suffisamment  expliqué,  un  de  ses  plus 
grands  bienfaits,  mais  ce  bienfait  serait  plus  con- 
sidérable encore,  si  le  peu  de  forces  militaires 
(sauf  toujours  celles  nécessaires  à  la  police  et  au 
maintien  de  l'ordre)  qui  serait  conservé,  était 
enlevé  au  gouvernement  particulier  des  États 
confédérés  et  placé  sous  la  direction  exclusive  du 
pouvoir  central.  Cette  idée  a  déjà  été  émise,  et 
je  pense,  comme  ceux  qui  s'y  sont  ralliés,  que 
si  elle  était  adoptée,  un  bien  grand  pas  serait  fait. 

Mais,  après  la  suppression  de  cette  inégalité, 
tellement  choquante  entre  certains  États,  qu'elle 
empêche  toute  sincérité  d'association,  il  reste  en- 
core un  obstacle  à  briser,  c'est  la  disproportion 
dans  le  chiffre  des  poj)ulati()ns. 

10 


!46  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

Il  n'y  a  pas  de  fiction  qui  puisse  faire  admettre 
qu'au  sein  du  congrès  fédéral  européen,  la  parole 
du  délégué  de  la  Russie  représentant  60  millions 
d'associés,  ne  pèsera  pas  plus  dans  la  balance  des 
délibérations  que  celle  de  l'ambassadeur  de  tel 
petit  duc  allemand  dont   le   domaine  compte  à 
peine  7,000  habitants.  La  suppression  des  armées 
ne   remédierait  donc  que  très-imparfaitement  à 
l'inégalité  des  positions  ;    une   nouvelle  division 
administrative  des  territoires  est  donc  indispen- 
sable, et  si  on  est  convaincu  de  la  nécessité  de 
cette  mesure,    n'y  aurait-il    pas   avantage  à   la 
prendre  de  suite,  logique,  radicale,  dans  des  con- 
ditions qui,  non-seulement  assureraient  le  pré- 
sent, mais  qui  garantiraient  encore  l'avenir? 

Nous  avons  vu  quels  changements  s'étaient 
opérés  dans  les  rapports  de  peuple  à  peuple, 
grâce  aux  merveilleuses  découvertes  qui  assignent 
désormais  un  rôle  si  important  à  la  vapeur  et  à 
l'électricité;  j'ai  dit  que  les  transformations  ma- 
térielles auxquelles  nous  sommes  à  peine  accou- 
tumés, nous  empêchent  d'apprécier  dans  toute 
leur  étendue  les  révolutions  qui  se  sont  accom- 
plies, dès  maintenant,  dans  les  esprits  et  dans  les 


ÉQUILIBRE    DES    ÉTATS    CONFÉDÉRÉS  147 

mœurs;  ne  pourrait-on  pas  aussi  faire  entrer  en 
ligne  de  compte  les  progrès  probables  des  sciences 
économiques  appliquées  depuis  si  peu  de  temps, 
et  calculer  les  éventualités  de  l'avenir  d'après  les 
résultats  obtenus  dans  les  dernières  années? 
Ne  nous  appuyons  que  sur  des  faits  acquis  et  in- 
discutables. Le  système  du  libre  échange,  préco- 
nisé par  l'Angleterre,  adopté  par  le  gouvernement 
français,  est  appelé  à  prévaloir  avant  longtemps 
dans  l'Europe  entière  :  sa  conséquence  naturelle, 
c'est  la  suppression  des  douanes  entre  les  États 
libre-échangistes,  et  un  nouveau  développement 
dans  les  rapports  de  peuple  à  peuple. 

Dès  que  cette  barrière  est  supprimée,  le  mar- 
ché pour  les  populations  des  frontières  ne  de- 
vient-il pas  la  ville  où  l'écoulement  des  produits 
est  le  plus  assuré,  en  tenant  compte  uniquement, 
de  part  et  d'autre,  des  frais  ou  des  difficultés 
provenant  de  la  distance?  Si,  par  exemple,  pour 
les  contrées  pyrénéennes,  Barcelone  est  le  centre 
commercial  important,  n'est-ce  pas  là  que  se 
dirigeront  les  produits  plutôt  qu'à  Perpignan,  à 
Pau  et  à  Bayonne  ?  N'ira-t-on  pas  faire  ses 
échanges  à  Lille  plutôt  qu'à  Mons  ou  à  Courtrai, 


148  SOLUTIOiN   POLITIQUE  Eï  SOCIALE 

si  Lille  est  un  marché  plus  actif,  et  si  les  forma- 
lités douanières  sont  supprimées? 

Je  me  demande  combien  de  temps  durera  le 
souvenir  des  anciennes  frontières,  quand  ce  sou- 
venir s'effacera,  se  perdra  dans  des  communica- 
tions de  chaque  jour,  et  quelle  différence  il  y 
aura  entre  l'habitant  du  Hainaut  et  celui  du  dé- 
partement du  Nord,  quand  ils  auront  vécu  pen- 
dant quelques  années  de  cette  vie  commune  des 
intérêts  et  des  plaisirs?  Combien  il  resterait  peu 
de  ce  qui  constitue  aujourd'hui  le  préjugé  des 
nationalités  qui,  on  le  sait,  conserve  aujourd'hui 
sa  vivacité,  principalement  sur  les  frontières!  Je 
ne  veux  cependant  lui  porter  aucune  atteinte 
violente  ;  je  veux  qu'il  meure  de  sa  belle  mort, 
par  le  seul  effet  de  l'extension  des  rapports  et  de 
l'agrandissement  des  idées. 

Voilà  donc  les  frontières  effacées  par  un  nou- 
veau courant  de  relations,  et  le  sentiment  des 
vieilles  nationalités  considérablement  affaibli  ; 
n'oublions  pas  que,  par  l'établissement  de  la  con- 
fédération européenne,  c'est  au  siège  du  congrès 
fédéral,  à  Francfort,  à  Genève  ou  à  Bruxelles,  que 
se  traitent  toutes  les  grandes  affaires.  Il  en  résulte 


ÉQUILIBHE   DES    ÉTATS   GONFÉDÉUÉS  149 

nécessairement  que  le  rôle  des  anciennes  capitales 
est  considérablement  amoindri  ;  les  rapports 
internationaux  étant  si  notablement  simplifiés , 
et  les  relations  avec  les  pays  en  dehors  de  la 
confédération  étant  dirigées  par  le  congrès  cen- 
tral. Tout  rouage  qui  est  superflu  n'est-il  pas 
nuisible?  ne  serait-on  pas  autorisé  à  aviser  au 
remplacement  de  ces  capitales,  ou  du  moins  à 
proportionner  leur  importance  à  leur  utilité? 
N'est-ce  point  déjà  un  pressentiment  de  cette 
nécessité  de  l'avenir,  qui  rend  si  vif,  si  impérieux, 
dès  aujourd'hui,  le  besoin  de  décentralisation  ;  et 
les  choses  en  étant  venues  au  point  que  nous 
indiquons,  l'occasion  ne  serait-elle  pas  excellente 
pour  appliquer  un  système  que  ne  combattent 
même  plus  en  théorie  ceux  qui  lui  sont  le  plus 
hostiles  dans  la  pratique? 

La  centralisation  actuelle,  c'est  toute  la  vie  politi- 
que concentrée  sur  un  seul  point;  c'est  le  sang  du 
corps  entier  appelé  au  cerveau  jusqu'à  le  conges- 
tionner. Les  inconvénients  d'un  pareil  état  de  cho- 
ses sont  trop  connus,  trop  frappants,  pour  que  j'y 
insiste  davantage  ;  je  les  mentionne  pour  y  décou- 
vrir les  caractères  opposés  de  la  décentralisation. 


ISO  SOLUTION   POLITIQUE  ET  SOCIALE 

La  décentralisation,  c'est  la  vie  politique  circu- 
lant sans  entrave  dans  tout  le  corps  social;  c'est  la 
sève,  courant  de  la  racine  au  sommet  et  vivifiant 
toutes  les  branches. 

Nous  avons  ce  problème  à  résoudre,  et  d'autre 
part  nous  avons  à  trouver  un  système  de  réparti- 
tion équilibrée  pour  le  chiffre  des  populations. 
Nous  voulons  une  confédération  où  la  force  des 
États  s'égalise,  et  nous  voulons  pour  ces  États  l'ac- 
tivité indépendante  de  la  décentralisation.  Nous 
avons  protesté  de  notre  respect  pour  la  vieille  tra- 
dition des  nationalités  ;  mais  nous  avons  prouvé 
en  même  temps  que  ce  préjugé  ne  tiendrait  pas 
longtemps  contre  la  pratique  d'une  nouvelle  or- 
ganisation sociale.  Toutefois,  nous  voulons  at- 
tendre qu'il  se  transforme  de  lui-même,  et  nous 
laissons  Anglais,  Français,  Allemands,  rester  ce 
qu'ils  voudront  être,  autant  de  temps  qu'il  leur 
plaira. 

Je  leur  dirai  seulement  :  au  lieu  de  quatre,  cinq, 
ou  six  grandes  villes,  au  bénéfice  desquelles  se  font 
toutes  les  améliorations,  auxquelles  vous  payez  de 
si  lourds  tributs,  qui  vous  dictent  vos  lois,  qui 
vous  imposent  vos  modes,  en  dehors  desquelles 


ÉQUILIBRE    DES   ÉTATS    COiNFÉDÉRÉS  151 

tout  est  silence,  immobilité,  atonie,  ne  préfère- 
riez-vous  pas.  Prussiens  de  la  Silésie,  Autrichiens 
du  Tyrol,  Français  du  Languedoc  ou  de  la  Bre- 
tagne, avoir  à  votre  portée  un  centre  intellectuel 
administratif,  judiciaire  et  commercial  qui  vous 
affranchirait  de  toutes  les  tyrannies  d'une  mé- 
tropole unique? 

Quel  développement  pour  l'activité  des  esprits, 
si  la  France,  par  exemple,  secouait  le  joug  de  sa 
capitale!  Quatre,  cinq  ou  six  départements  groupés 
selon  les  affinités  d'intérêt  ou  les  convenances  to- 
pographiques,  constitueraient  un  petit  État.  Au 
lieu  des  conseils  généraux,  qui  n'ont  présentement 
qu'une  voix  consultative,  et  dont  toutes  les  déci- 
sions sont  subordonnées  aux  arrêts  d'un  pouvoir 
central,  éloigné,  presque  étranger,  représenté  par 
un  préfet,  fonctionnaire  amovible,  le  plus  souvent 
sans  famille,  sans  racine  dans  le  pays,  chaque  État 
aurait  sa  représentation  élective,  chambre  des  dé- 
putés et  sénat.  Toutes  les  affaires  intérieures  se- 
raient réglées  par  ce  parlement  local,  qui  ne  relè- 
verait que  du  congrès  central,  et  seulement  pour 
les  relations  extérieures  et  les  affaires  d'intérêt  gé- 
néral, telles  que  poste,  monnaie,  armée  fédérale. 


1S2  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

Au  lieu  d'une  France,  qui  serait  toujours,  pour 
les  confédérés,  un  sujet  de  défiance  et  de  terreur, 
portant  toujours  la  guerre  dans  les  plis  de  son  dra- 
peau, on  aurait  huit,  dix  ou  douze  Frances  sympa- 
thiques, inoffensives,  se  développant  chacune  dans 
sa  liberté,  sans  porter  ombrage  à  personne,  et  ne 
gardant  de  la  nationalité  que  les  instincts  bons  et 
féconds. 

Ce  que  je  dis  de  la  France  pourrait  s'appliquer 
aux  autres  grandes  puissances,  et  il  n'en  est  point 
une  seule  qui  ne  donnât  ainsi  satisfaction  à  quel- 
ques-uns des  griefs  articulés  contre  elle.  L'Angle- 
terre, par  exemple,  serait  délivrée  des  incessantes 
réclamations  de  l'Irlande  ;  il  n'y  aurait  de  brisé 
que  les  liens  d'une  domination  détestée;  tous  les 
rapports  utiles  seraient  maintenus,  la  suppression 
de  toute  contrainte  rendrait  à  chacun  la  clair- 
voyance de  ses  intérêts,  et  l'indépendance  ferait 
plus,  pour  une  véritable  union,  que  le  triomphe 
de  la  force. 

Pour  l'Autriche,  ne  serait-ce  pas  un  moyen  d'é- 
viter une  catastrophe  qui  lui  est  prédite  depuis  si 
longtemps?  Hongrie,  Bohême,  Croatie.  Tyrol.  Yé- 
nétie  retrouveraient  une  existence  indépendante, 


ÉQUILIBRE   DES   ÉTATS   CONFÉDÉRÉS  153 

et  l'Autriche  échapperait  au  péril  d'un  démembre- 
ment violent. 

Pour  l'Italie,  ce  serait  la  solution  du  problème 
posé  par  ses  amis  les  plus  clairvoyants,  la  fédéra- 
tion dans  l'unité.  Avons-nous  besoin  de  rappeler 
tous  les  arguments  qu'on  a  fait  valoir  en  faveur  de 
ce  système,  et  n'est-il  pas  infiniment  plus  logique 
que  l'accouplement  de  Naples  et  de  Turin,  de  Pa- 
ïenne avec  Florence?  N'est-ce  pas  une  solution 
plus  complète  encore  que  le  projet  de  Yillafranca 
proposé  par  Napoléon  III  ? 

Enfin,  malgré  tout  mon  désir  d'éviter  les  ques- 
tions brûlantes  de  la  politique  actuelle,  n'y  aurait- 
il  pas,  dans  la  constitution  de  ces  États,  une  issue  à 
cette  éternelle  et  insoluble  difficulté,  le  pouvoir 
temporel  du  Pape? 

Quant  à  l'Allemagne,  c'est  pour  elle  que  la  chose 
semblerait  faite,  puisqu'elle  y  gagnerait  précisé- 
ment l'égalité  des  confédérés  allemands  qui  lui 
manque,  et  on  ne  verrait  plus  surgir  de  querelles 
sanglantes  comme  celles  dont  les  duchés  de  Schles- 
wig  et  de  Holstein  sont  le  théâtre,  la  cause  étant 
jugée  par  le  droit  et  non  par  la  force. 

L'Europe  se  divise  présentement  en  cinquante 


15i  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

États,  trente-trois  pour  la  Confédération  germa- 
nique et  dix-sept  en  dehors.  Si  ses  deux  cent  qua- 
tre-vingt-dix millions  d'habitants  étaient  partagés 
en  États  de  cinq  millions  chacun  environ,  on  aurait 
cinquante-huit  États  au  lieu  de  cinquante;  la  dif- 
férence est  petite  à  ce  point  de  vue,  mais  quelle 
révolution  dans  l'homogénéité  et  dans  l'équilibre! 

Les  cinquante-huit  États  ont  tous  un  congrès 
central,  une  représentation  égale;  c'est  là  que  sont 
adressées  et  jugées  toutes  plaintes,  toutes  récla- 
mations. Dès  que  l'intérêt  général  n'est  point 
atteint,  pourquoi  justice  ne  serait-elle  pas  rendue? 
et  de  quelle  façon  une  violence  pourrait-elle  se 
produire,  toute  force  militaire  étant  à  la  disposi- 
tion du  congrès?  Comment  les  prétentions  privées 
pourraient-elles  prévaloir  contre  le  sentiment  de 
la  majorité? 

Dans  l'établissement  d'un  pareil  gouvernement 
qui  garantirait  tous  les  droits,  préviendrait  toute 
perturbation,  découragerait  toute  ambition,  quelle 
assurance  de  paix!  quelle  sécurité  pour  les  intérêts 
privés  et  publics,  pour  le  commerce,  pour  l'indus- 
trie, pour  le  travail,  pour  la  propriété!  Plus  de  ces 
bouleversements  périodiques  accompagnés  de  tant 


PART   DU  TEMPS  155 

de  terreurs,  précédés  et  suivis  de  si  longues  in- 
quiétudes. 

Stabilité  pour  l'État,  sécurité  pour  les  citoyens, 
voilà  le  double  résultat  qu'on  serait  certain  d'obte- 
nir ;  voilà  le  prix  d'un  peu  de  clairvoyance  et  de 
résolution. 

Voilà,  en  un  mot,  notre  idéal. 


PART    DU      TEMPS 

Je  crois  que  la  confédération  européenne  ainsi 
décentralisée  offrirait,  plus  qu'aucune  autre  com- 
binaison, des  gages  de  concorde  et  de  paix  dura- 
bles; c'est  à  nos  yeux  la  réalisation  de  tout  le  bien 
que  comporte  en  soi  la  force  fédérative;  toutefois, 
je  ne  me  dissimule  ni  les  difficultés  matérielles 
qu'il  y  a  à  vaincre,  ni  les  préjugés  qu'il  faudra 
déraciner.  Si  j'ai  poursuivi  mon  système  jusque 
dans  ses  dernières  conséquences,  c'est  parce  que  je 
crois  que  le  temps  mûrit  toutes  les  idées  justes, 
quand  on  ne  veut  pas  leur  donner  par  la  violence 
une  éclosion  précoce.  C'est  donc  du  temps  seul,  du 
progrès  qui  s'opère  chaque  jour  dans  les  esprits. 


136  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

que  j'attends  racceptation  d'une  idée  qui  peut  au- 
jourd'hui paraître  étrange.  J'en  donne  ici  l'expres- 
sion dernière  devant  laquelle  certaines  timidités 
peuvent  reculer,  mais  l'idée  s'imposera  peu  à 
peu  dans  les  diverses  transformations  successives 
qu'elle  subira.  C'est  ainsi  que  la  constitution  d'un 
congrès  européen,  fait  qui  est  si  près  d'être  ac- 
cepté, en  principe  du  moins,  conduit  à  la  néces- 
sité d'un  congrès  permanent.  Aussi,  suis-je  tout 
disposé  à  accepter  comme  la  réalisation  d'un  pro- 
grès très-notable  et  très-heureux  pour  l'humanité 
chaque  pas  qui  se  fera  dans  cette  voie.  Je  crois 
avoir  entrevu  le  but,  mais  je  n'ai  jamais  eu  la  pen- 
sée folle  de  vouloir  supprimer  les  étapes. 

Même  en  exposant  ce  système  d'une  confédéra- 
tion fractionnée,  décentralisée,  tout  fabuleux,  tout 
impossible  que  cela  paraisse,  j'ai  le  droit  de  dire 
qu'en  presque  tous  les  points,  je  m'appuie  encore 
en  cela  sur  l'expérience,  puisque  cette  organisa- 
tion, ([ui  peut  paraître  chimérique  à  quelques-uns, 
n'est  autre  quun  système  éprouvé  depuis  près 
diiu  siècle  et  signalé  par  des  prospérités  dont 
l'histoire  de  l'humanité  ne  nous  offre  point  un 
second  exemple. 


liNFLUENGE    DES    INSTITUTIONS  lo7 

INFLUENCE    DES     INSTITUTIONS    SUR    LE    CARACTÈRE 
DES    PEUPLES 

C'est  encore  la  constitution  des  États-Unis  que 
je  vais  invoquer,  en  faisant  remarquer  une  fois  de 
plus  que  la  crise  actuelle  n'a  aucun  rapport  avec 
cette  constitution,  qu'elle  est  la  conséquence  fa- 
tale d'une  plaie  locale,  l'esclavage,  que  l'Europe 
n'a  point  à  redouter,  puisque  ce  fléau  n'y  existe 
plus.  La  constitution  a  fait  tout  le  bien,  et  n'est 
pour  rien  dans  le  mal  qu'il  lui  était  même  impos- 
sible d'empêcher,  puisque  ce  mal  est  plus  ancien 
qu'elle  et  lui  avait  été  légué  à  sa  naissance  comme 
un  virus  dans  du  sang  pur. 

Nous  pouvons  donc,  en  toute  confiance,  ap- 
puyer nos  raisonnements  sur  l'exemple  d'une 
constitution  qui  a  si  incomparablement  fait  ses 
preuves,  qui  fonctionne  depuis  quatre-vingts  ans, 
sans  que  jamais  une  perturbation  sérieuse  ait  per- 
mis de  mettre  en  doute  son  eflicacité  et  sa  sagesse. 

Les  États  qui  constituent  la  confédération  amé- 
ricaine ont  des  chiffres  de  population  assez  iné- 
gaux ;  cela  tient  au  développement  hàtif,   préci- 


158  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

pité,  de  cette  puissance  qui  est  encore  clans  son 
premier  âge  ;  mais  cette  inégalité  dans  le  nombre 
des  habitants  n'est  que  temporaire;  elle  corres- 
pond très-exactement  avec  la  marche  et  les  pro- 
grès de  l'émigration  européenne.  Les  colons  sont 
restés  aussi  près  qu'ils  ont  pu  du  littoral,  tant 
que  le  sol  n'y  était  pas  occupé  ;  à  mesure  que 
ces  espaces  se  garnissaient  d'habitations,  ils 
ont  cherché  plus  loin,  dans  l'intérieur,  ce  que 
leurs  devanciers  avaient  trouvé  plus  près  du 
rivage  ;  à  ceux-là,  d'autres  ont  succédé,  qui  ont 
porté  plus  loin  le  travail,  qui  les  rendait  à  leur 
tour  propriétaires.  C'est  ainsi  que,  successive- 
ment, les  États  se  sont  peuplés,  la  densité  de 
population  répondant  partout  à  la  proximité  du 
lieu  de  débarquement  et  aux  facilités  de  l'exploi- 
tation. Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  une  carte 
pour  se  rendre  compte  des  causes  qui  ont  amené 
et  qui  entretiennent  temporairement  cette  iné- 
galité ;  on  pourrait  presque  prédire  avec  une 
exactitude  mathématique,  combien  de  temps 
mettra  tel  ou  tel  État  à  atteindre  un  chiffre 
donné  d'habitants,  si  les  proportions  de  l'émi- 
gration européenne  ne  changent  pas.  Encore  fau- 


INFLUENCE    DES    INSTITUTIONS  159 

drait-il  tenir  compte  de  la  facilité,  chaque  jour 
croissante,  des  communications,  et  d'un  fait  ca- 
pital, les  développements  prodigieux  de  la  Cali- 
fornie et  de  rOrégon,  qui  donnent  à  la  grande 
république  d'autres  points  d'expansion  par  le 
Pacifique. 

Les  communications  avec  le  Pacifique  et  par  le 
Pacifique  prenant  chaque  jour  plus  d'importance, 
les  États,  les  derniers  admis  ou  les  moins  bien 
partagés  jusqu'ici  sous  le  rapport  de  la  population, 
participeront  de  plus  en  plus  à  l'accroissement 
général  qui,  d'année  en  année,  ira  en  s'égalisant. 

C'est  ce  que  la  constitution  a  prévu,  quand  elle 
a  décidé  que  chaque  État,  quel  que  fût  le  chiffre 
de  sa  population,  enverrait  deux  sénateurs  au 
congrès,  tandis  que  le  nombre  des  députés  serait 
proportionnel  au  recensement  de  la  population 
de  chaque  État. 

Cette  sage  combinaison  pourrait  être  adoptée 
pour  les  cinquante-huit  États  de  l'Europe  confé- 
dérée :  et  comme  la  division  administrative  et 
territoriale  de  ces  États  se  serait  opérée  sur 
des  pays  en  plein  développement  et  sur  des 
populations  stables,  on  ne  serait  point  exposé  à 


160  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

une  grande  inégalité  dans  le  nombre  des  députés 
de  chaque  État. 

Quant  à  leurs  attributions,  je  n'ai  pas  la  pré- 
tention de  me  faire  ici  législateur  ;  je  crois  qu'il 
y  aurait  à  s'inspirer  à  la  fois  des  traditions  et 
des  circonstances  nouvelles,  mais  je  suis  bien 
convaincu  qu'une  fois  l'idée  principale  adoptée 
et  mise  en  pratique,  la  réalisation  des  mesures 
secondaires  serait  de  la  plus  grande  facilité. 

On  m'opposera,  je  le  sais,  une  objection  dont 
on  a  usé  bien  souvent,  mais  qui  ne  trouve  point 
ici  son  emploi.  L'Amérique,  me  dira-t-on,  lors 
même  que  sa  population  ne  serait  pas  d'une 
intelligence  et  d'une  moralité  supérieure  à  la 
population  européenne,  n'en  a  pas  moins  sur 
nous  l'avantage  de  pouvoir  offrir  à  ses  habitants 
des  ressources  bien  plus  complètes  pour  la  satis- 
faction de  leurs  besoins.  Le  travail  moralise,  le 
bien-être  est  l'ennemi  des  révolutions  ;  il  est  donc 
facile  d'avoir  une  population  morale  et  tranquille 
quand  son  travail  et  son  aisance  sont  assurés. 

Me  répéter  cela  à  moi  comme  aux  autres,  ce 
n'est  pas  me  faire  une  objection,  c'est  me  four- 
nir mon    principal   argument   puisque,   précisé- 


INFLUExNGE    DES    LNSTITUTIONS  161 

ment,  reconnaissant  ce  qui  manque  à  l'Europe, 
mon  but  serait  de  lui  faire  partager  les  avan- 
tages dont  jouit  l'Amérique. 

Est-il  logique  de  croire  à  une  supériorité  native 
des  Américains  quand  on  se  reporte  à  l'origine 
de  cette  nation?  Il  y  a  un  siècle,  la  population 
des  États-Unis  était  de  3  ou  4  millions  d'habitants 
dont  la  moitié  était  née  en  Europe,  dont  un  quart 
était  né  de  parents  européens,  et  dont  le  dernier 
quart  descendait  d'aïeux  issus  d'Europe. 

Il  ne  faut  pas  avoir  vécu  en  Amérique  pour  ne 
[)as  reconnaître  que,  chez  l'Américain,  certaines 
aptitudes  ont  reçu  un  développement  supérieur, 
et  que  l'individu  surtout  y  est  devenu  plus  com- 
plet, plus  jaloux  de  sa  dignité,  plus  conscient  de 
sa  force  ;  mais  puisque  l'origine  est  la  même, 
cette  supériorité  ne  saurait  donc  être  attribuée 
([u'au  régime  différent  sous  lequel  vivent  les  deux 
peuples  depuis  qu'ils  se  sont  séparés. 

En   adoptant  un  gouvernement  semblable,    et 

par  la  pratique   des  mômes   institutions,    il  n'y 

aurait  donc   pas  de  raisons   pour  que   l'Europe 

n'entrât  point  en   possession  des  avantages  que 

l'Amérique  a  dû  à  sa  constitution  fédérative. 

11 


162  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SOCIALE 

Nous  avons  vu  que  la  suppression  des  armées 
permanentes  devenait  une  chose  facile  *.  Le  nombre 
de  tous  les  autres  fonctionnaires  publics  pouvait 
également  être  diminué  considérablement  sans 
inconvénient;  les  douanes,  par  exemple,  n'existent 
pas  d'État  à  État,  et  nous  verrons  plus  tard  com- 
bien leur  rôle  pourrait  être  réduit,  l'Europe  con- 
fédérée n'ayant  plus  à  compter  qu'avec  les  autres 
parties  du  monde.  Un  des  deux  fléaux  que  nous 
signalions  au  début  est  donc  à  peu  près  vaincu, 
un  des  deux  problèmes  est  résolu  ;  examinons  si 
la  solution  de  l'autre,  au  point  oîi  nos  supposi- 
tions nous  ont  amenés,  est  aussi  impossible  qu'elle 
nous  le  paraissait  en  commençant,  quand  nous 
cherchions  un  remède  qui  pût  se  concilier  avec 
le  maintien  de  l'organisation  actuelle  de  l'Europe. 

*  L'exagération  ruineuse  des  dépenses  militaires,  vient  tout 
récemment  d'inspirer  une  chaleureuse  protestation  à  M.  Patrice 
Laroque.  J'emprunterai  encore,  dans  une  note  qu'on  trouvera  à 
la  fm  de  mon  livre,  de  très-intéressants  documents  à  l'ouvrage 
qu'il  vient  de  publier,  sous  le  titre  :  De  la  Guerre  et  des  Armées 
permanentes,  ouvrage  couronné  par  le  Congrès  des  amis  de  la 
paix,  de  Londres.  En  multipliant,  comme  on  doit  le  voir,  les 
emprunts  et  les  citations,  j'ai  à  cœur  de  prouver  combien  je  fais 
bon  marché  de  toute  prétention  personnelle,  et  combien  je  pré- 
fère à  toute  satisfaction  de  vanité,  l'autorité  qu'ajoutent  à  mes 
paroles  tant  de  témoignages  divers.  (Voir  la  note  E  à  la  fm  de 
l'ouvrage.) 


ÉMIGRATION    ORGANISÉE  i63 


EMIGRATION    ORGANISEE 

Toute  l'humanité  ne  sera  qu'une  seule  famille. 
•  Saint  Jean. 

Toutes  les  familles  ne  seront  qu'une  famille,  et 
toutes  les  nations  qu'une  nation. 

Lamennais. 

Le  seul  remède  est,  à  mon  avis,  l'émigration. 
Cette  pensée  a  été  formulée  dans  une  question 
soumise  au  congrès  international  de  bienfaisance, 
à  Bruxelles,  en  1856.  Voici  le  texte  du  pro- 
gramme :  «  Aviser  aux  moyens  de  prévenir  l'ac- 
»  croissement  désordonné  de  la  population,  et 
»  notamment  à  l'organisation  permanente  et  ré- 
»  gulière  de  l'émigration.  »  Le  lecteur  trouvera 
à  la  fin  de  cet  ouvrage  les  conclusions  de  la  sec- 
tion, développées  dans  un  remarquable  rapport 
fait  par  M.  Jules  Duval.  Je  suis  trop  heureux  de 
me  trouver,  sur  beaucoup  de  points,  en  conformité 
d'idées  avec  cet  honorable  écrivain,  pour  ne  pas 
lui  emprunter  quelques  pages  du  livre  qu'il  a 
publié,  en  48G2,  sous  le  titre  d'Histoire  de  l'Émi- 
gration, ouvrage  couronné,  en  1861,  par  l'Aca- 
démie des  sciences  morales  et  politiques.  Je  les 


164  SOLUTION  POLITIQUE   ET  SOCIALE 

extrais  du  chapitre  :  Déductions  scientifiques  et 
pratiques,  qui  porte  pour  épigraphe  cette  maxime 
si  juste  et  si  élevée  de  Gasparin  :  «  Le  monde  est 
»  un  tout  dont  chaque  partie  est  Hée  à  toutes  les 
»  autres  par  des  liens  nécessaires  et  malheureuse- 
»  ment  méconnus.  » 

«  Aucun  doute  ne  s'élève  sur  les  avantages  que 
»  retire  de  l'émigration  le  pays  où  elle  apporte  son 
»  activité  entreprenante;  il  s'enrichit  par  le  travail 
»  plus  encore  que  par  le  capital;  l'exemple  secoue 
»  la  torpeur  des  indigènes  et  guide  leur  igno- 
»  rance  ;  d'une  entente  commune,  on  explore,  on 
»  exploite  des  trésors  enfouis  au  sein  de  la  terre. 

»  Les  pays  qu'abandonnent  les  émigrants  sont 
»  les  seuls  à  élever  quelquefois  des  réclamations, 
»  rarement  fondées  sur  une  exacte  observation  des 
»  phénomènes  économiques. 

»  L'expatriation  éclaircit-elle  les  rangs  popu- 
»  laires,  l'offre  de  travail  sera  moins  abondante  et 
»  moindre  la  concurrence  des  travailleurs;  le  sa- 
»  laire  haussera,  ou  bien  il  deviendra  plus  régu- 
»  lier.  Le  marché  du  travail,  qui  ne  pouvait  occuper 
»  tous  les  jours  de  l'année  toute  une  population, 
»  l'occupera  si  elle  est  réduite  dans  une  proportion 


ÉiMIGRATION    ORGANISÉE  165 

»  sensible  et  à  un  prix  moins  avili.  A  la  hausse 
»  des  salaires  correspondra  la  baisse  des  denrées 
»  de  consommation,  dont  la  demande  se  mesure 
»  au  nombre  des  consommateurs. 

»  Cette  double  oscillation  en  sens  opposé  sert 
»  l'intérêt  de  toute  la  classe  ouvrière.  Les  patrons, 
»  qui  peuvent  regretter  d'abord  d'avoir  à  payer  la 
»  main-d'œuvre  un  peu  plus  cher,  sont  entourés 
))  d'une  population  purifiée  de  toutes  les  mauvaises 
»  suggestions  de  la  misère.  Le  salaire  monte-t-il 
»  trop  pour  le  cours  des  débouchés,  le  génie  de  la 
»  mécanique  vient  en  aide  au  capital,  les  préten- 
»  tions  oppressives  reçoivent  un  juste  échec,  et 
»  l'émigration  elle-même  se'ralentit  sous  l'attrait 
»  de  plus  hauts  salaires.  Quant  aux  producteurs 
»  des  denrées  de  consommation,  s'ils  les  vendent 
»  un  peu  moins  cher,  la  vente  en  est  plus  régu- 
»  licre  et  plus  profitable  avec  une  clientèle  ayant 
»  quelque  épargne  qu'avec  une  clientèle  indigente. 

»  Quand  les  émigrants  appartiennent  à  la  classe 
»  bourgeoise,  et  qu'ils  emportent,  avec  leur  intelli- 
»  gence,  un  capital  de  quelque  importance,  ledom- 
»  mage  est  encore  plus  apparent  que  réel.  Les  pro- 
»  fits  deviennent  plus  élevés  pour  ceux  qui  restent, 


166  SOLUTION  POLITIQUE   ET   SOCIALE 

»  par  la  répartition  d'une  même  quantité  d'af- 
»  faires  et  de  bénéfices  en  un  moindre  nombre  de 
»  mains.  On  dit  alors  que  les  fabricants,  les  mar- 
»  chauds,  les  propriétaires,  se  font  moins  de  con- 
»  currence  ;  et  sans  avoir  besoin  de  renchérir  leurs 
»  marchandises,  il  leur  suffit,  pour  gagner  davan- 
»  tage,  de  tirer  meilleur  parti  de  leurs  frais  géné- 
»  raux.  Alors  le  nombre  des  intermédiaires,  trop 
»  souvent  parasites ,  diminue  ;  les  ateliers ,  les 
»  usines,  les  fabriques,  s'agrandissent:  les  do- 
»  maines  s'arrondissent;  la  production,  dégagée 
»  d'un  état-major  inutile,  produit  plus,  à  moins 
»  de  frais.  Le  capital  emporté  par  les  émi- 
»  grants,  se  trouve  bien  vite  remplacé  par  celui 
»  que  crée  une  épargne  devenue  plus  facile;  et 
»  souvent,  d'ailleurs,  il  rentre  multiplié  au  pays 
»  natal. 

»  La  population  elle-même,  qui  semble  directe- 
»  ment  entamée,  ne  l'est  pas  à  moins  de  circon- 
»  stances  exceptionnelles,  comme  celles  où  s'est 
»  trouvée  l'Irlande,  auquel  cas  l'émigration  prend 
»  le  caractère  d'une  véritable  amputation,  mais 
»  une  amputation  pareille  à  celle  des  boutures  vi- 
»  vantes  de  l'arbre  qui,  détachées  du  tronc  et  re- 


ÉMIGRATION   ORGANISÉE  167 

»  plantées,  reverdissent  en  un  vigoureux  rejeton. 
Livrée  à  son  cours  naturel,  l'émigration  ne  fait 
pas  de  ces  saignées  qui  attendrissent  les  cœurs 
les  plus  fermes,  quelque  nécessaires  qu'elles 
soient.  Les  mêmes  causes  qui  avaient  produit  un 
certain  nombre  d'êtres  humains,  survivent  à  l'é- 
migration et  remplacent  bientôt  les  départs  par 
les  naissances.  Les  populations  qui  émigrent  le 
plus,  croissent  le  plus  vite,  tandis  que  celles  qui 
émigrent  le  moins,  multiplient  le  moins.  Pour  les 
hommes  comme  pour  les  choses,  la  production  se 
règle  sur  le  débouché.  L'émigration  entre-t-elle 
dans  les  prévisions  des  parents,  ils  ne  redoutent 
pas  une  famille  nombreuse  ;  est-elle  étrangère 
à  leurs  plans,  ils  ont  souci  de  la  fécondité  du 
sein  maternel  et  agissent  en  conséquence. 
»  Dans  l'ordre  économique,  l'émigration  est  une 
exportation  de  travail,  de  capital  et  d'intelligence 
qui  développe,  aux  lieux  qu'elle  quitte  comme  en 
ceux  où  elle  va,  une  force  nouvelle  de  production 
et  de  consommation  ;  elle  ouvre  de  nouveaux 
marchés  d'achat  et  de  vente,  même  aux  peuples 
qui  n'ont  point  de  colonies.  Par  elle,  les  zones  et 
les  climats,  les  terres   et  les  mers  échangent 


163  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

»  leurs  produits,  pour  l'accroissement  de  la  ri- 
»  chesse  des  nations. 

»  Dans  l'ordre  politique ,  l'émigration  est  une 
»  diffusion  pacifique  du  sang,  de  la  langue,  des 
»  sentiments,  des  mœurs,  des  idées,  des  insti- 
»  tutions,  qui  accroît  dans  le  monde  extérieur  le 
»  prestige  et  la  puissance  des  métropoles.  Elle  les 
»  dégage  d'éléments  qui  l'affaiblissent  et  peuvent 
»  la  troubler,  si  on  ne  leur  ouvre  des  issues 
»  régulières  :  les  prolétaires  sans  travail,  les 
»  ambitieux  sans  emploi,  les  déchus,  les  déclassés, 
»  les  mécontents,  les  esprits  généreux  emportés 
»  vers  les  grandes  entreprises. 

»  Dans  l'ordre  ethnographique,  l'émigration  et 
»  la  génération  des  peuples  :  un  acte  de  virilité 
»  qui,  accompli  avec  mesure  dans  ses  conditions 
»  normales,  ne  porte  aucune  atteinte  à  la  santé, 
»  quoiqu'il  enlève  l'essence  de  la  sève  vitale , 
»  c'est-à-dire  l'élite  même  des  travailleurs.  Une 
»  mystérieuse  élaboration  renouvelle  rapidement 
»  le  sang  un  instant  appauvri,  et  la  nature  retrouve 
»  ses  forces  intactes  jusqu'à  ce  que  l'âge  ou  la 
»  maladie  l'en  privent.  Pareil  est  le  destin  des 
»  peuples  et  des  races.  Incapacité  d'émigration  et 


ÉMIGRATION   ORGANISÉE  169 

de  génération,  signe  de  maladie,  d'impuissance, 
menace  de  prompt  déclin. 

»  Dans  l'ordre  humanitaire ,  l'émigration  est 
l'exploitation  du  globe,  progressivement  débar- 
rassé de  ses  fléaux  du  règne  animal  et  du  règne 
végétal.  Quand,  sous  la  main  d'intrépides  pion- 
niers, les  marais  se  dessèchent,  que  les  fleuves 
rentrent  dans  leur  lit  et  que  les  déserts  se  cou- 
vrent de  récoltes  ,  la  climature  et  la  santé 
générale  s'améliorent.  En  s'adonnant  à  ces  tra- 
vaux héroïques,  que  la  légende  mythologique 
immortalise  sous  les  traits  d'Hercule  et  de 
Thésée,  les  races  se  rapprochent  et  fondent  leurs 
nuances  et  leurs  antipath-'os  dans  des  alliances 
de  sang  et  d'intérêt. 

»  Enfin,  dans  l'ordre  cosmogonique,  l'émigration 
est  une  expansion  de  la  force  aimante  et  intelli- 
gente qui  est  l'homme,  et  qui,  comme  toutes  les 
forces,  tend  à  l'équilibre.  Circulation  de  sang, 
dilatation  des  fluides,  marées  de  l'Océan  et  de 
l'atmosphère,  vibrations  de  l'éther,  cours  des 
astres ,  sont  des  applications  variées  de  cette  loi 
de  la  nature  qui  établit  le  Cosmos  sur  l'har- 
monie des  mouvements,  se  réglant  et  se  ponde- 


170  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SOCIALE 

»  rant  par  de  réciproques  attractions.  Les  agglo- 
»  mérations  excessives  sont  des  condensations 
»  anormales  de  force  humaine  qui  troublent  et 
»  corrompent  la  société,  ou  y  éclatent  en  coups  de 
»  foudre,  quand  cette  force  cesse  de  s'écouler 
»  silencieusement  dans  le  milieu  ambiant. 

»  Ce  milieu  qui  est  la  terre,  est-il  saturé  de 
»  fluide  humain?  En  d'autres,  termes  le  globe 
»  est-il  peuplé  au  complet  ou  seulement  appro- 
»  che-t-il  de  ce  terme?  Un  chiffre  le  dira. 

»  La  surface  des  terres,  moins  les  zones  glacia- 
»  les,  est  évaluée  à  12  milliards  d'hectares,  ce 
»  qui  indique  sur  le  pied  de  1  habitant  pour  2  hec- 
»  tares  (50  par  kilomètre  carré),  la  possibilité  d'y 
»  faire  vivre  aisément  5  à  6  milliards  d'habitants, 
»  au  lieu  d'un  milliard  qui  s'y  trouve  aujourd'hui! 

»  Un  jour  viendra-t-il  où  la  .terre  elle-même 
»  sera  trop  petite  pour  ses  habitants?  Nous  pour- 
»  rions  refuser  de  prévoir  ce  malheur  de  si  loin  ; 
»  mais,  en  voyant  tous  les  êtres  croître  pendant 
»  une  première  période  de  leur  vie,  et  puis  s'arre- 
»  ter,  nous  inclinons  à  appliquer  à  l'humanité  la 
»  même  loi.  Elle  cessera  de  s'accroître  dès  que 
f)  sa  croissance  ne  sera  plus  nécessaire  à  sa  fonc- 


ÉMIGRATION    ORGANISÉE  171 

»  tien,  qui  estrexploitation  intégrale  du  globe  par 
»  rémulation  amicale  de  tous  les  peuples.  » 

Le  lecteur  s'est  aperçu  déjà  de  la  différence  de 
point  de  vue  où  nous  sommes  placés  ;  M.  Jules 
Duval  envisage  l'émigration  dans  les  conditions 
pratiques  que  lui  fait  l'organisation  actuelle  de 
l'Europe;  ses  considérations  sont  pleines  de  jus- 
tesse, ses  conseils  sont  fort  sages,  mais  je  crois  à 
l'insuffisance  du  remède,  limité  aux  ressources  du 
présent  ;  j'ai  donc  appelé  à  mon  aide  l'hypothèse 
d'une  modification  politique,  et  c'est  sur  ce  terain 
que  je  prie  le  lecteur  de  vouloir  bien  encore  me 
suivre. 

Le  changement  de  constitution,  je  me  hâte  de 
le  reconnaître,  ne  saurait  exercer  dinfluence  sur 
le  chiffre  de  la  population  ni  en  arrêter  l'accrois- 
sement ;  or,  nous  l'avons  dit  avec  des  détails  suf- 
fisants, cette  agglomération  exagérée,  non-seule- 
ment doit  amener  la  misère  et  la  famine,  mais, 
selon  bien  des  gens,  elle  empêche  qu'on  puisse 
établir  une  comparaison  vraie  entre  l'Européen 
dont  les  besoins  ne  peuvent  être  satisfaits  et  qui, 
à  cause  de  cela,  est  envieux,  turbulent,  difficile 
à  gouverner,  et  l'Américain  des  États-Unis  dont 


172  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

le  travail  assuré,  dont  le  bien-être  obtenu  sans 
froissement  ni  dommage  pour  personne  assurent 
la  tranquillité  et  la  sagesse  ;  il  faut  donc  mettre 
l'Européen  dans  des  conditions  analogues  à  celles 
où  se  trouve  le  citoyen  des  États-Unis,  non  seule- 
ment au  point  de  vue  moral,  mais  encore  au  point 
de  vue  matériel;  il  faut  qu'il  puisse  se  mouvoir, 
se  développer  dans  un  espace  suffisant. 

Qu'a  fait  l'Américain  pour  assurer  ce  bien-être 
et  cette  sécurité  que  nous  lui  envions?  Quand  le 
territoire  occupé  par  lui  et  les  siens  s'est  trouvé 
trop  étroit  pour  son  besoin  d'expansion,  il  a  cher- 
clié  au  debors  l'espace  qui  lui  manquait,  et  qui, 
dispensé  avec  tant  de  largesse  par  le  créateur, 
n'attendait  que  les  bras  de  l'homme  pour  le  nour- 
rir et  l'enrichir. 

Que  l'Européen  fasse  de  même  ;  il  n'a  plus  qu'à 
le  vouloir. 

L'Europe  constituée  en  fédération  ne  forme  plus 
qu'une  seule  famille  ;  les  besoins  de  chacun  sont 
ressentis  par  tous  ;  les  statistiques  apportées  au 
congrès  prouvent  que  les  ressources  du  sol  ne  vont 
plus  suffire  à  une  population  qui  s'accroît  d'année 
en  année,  et  la  nécessité  s'impose  d'assurer  la  vie 


ÉMIGRATION    ORGANISÉE  173 

aux  générations  futures.  Il  n'y  a  plus  à  craindre 
l'opposition  d'un  monarque  condamnant  ses  su- 
jets à  la  misère  et  leur  défendant  de  s'expatrier, 
dans  la  crainte  de  voir  diminuer  l'importance  de 
sa  couronne  avec  le  nombre  de  ses  tributaires. 
NottS^sommes  plus  loin  encore  des  temps  de  vio- 
lence et  d'extermination ,  oii  les  Attila  et  les 
Gengis-Khan  poussaient,  comme  des  avalanches, 
leurs  multitudes  affamées  sur  les  contrées  dont  la 
fertilité  leur  faisait  envie.  L'Europe  confédérée  a 
même  renoncé  à  ces  traditions  de  domination  et 
de  conquête  qui,  sous  le  prétexte  de  coloniser, 
asservissaient  pour  l'exploitation  les  contrées  dont 
elle  s'emparait. 

L'Europe,  dont  toutes  les  forces  sont  réunies  en 
un  seul  faisceau,  a  une  puissance  telle  que  jamais 
puissance  pareille  n'a  existé  ;  mais  cette  puis- 
sance est  désormais  un  instrument  de  justice  et 
de  progrès.  Les  droits  que  lui  donne  sa  civilisa- 
tion, elle  ne  veut  en  user  que  pour  un  échange  de 
bienfaits.  En  face  de  l'Europe  confédérée,  il  n'y  a 
plus  comme  puissance  au  monde  que  l'Amérique 
confédérée,  et  les  deux  continents  sont  régis  par 
des  institutions  semblables,  ont  les  mêmes  aspira- 


474  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

tions,  obéissent  aux  mêmes  principes.  Les  deux 
grands  peuples  veulent  compléter  la  conquête  de 
la  nature  par  l'homme,  et  assurer  à  l'humanité  le 
bonheur  qui  lui  est  permis  sur  la  terre. 

L'un  d'eux  possède  des  territoires  immenses  où 
il  appelle  l'émigration  par  l'offre  de  concessions 
immédiates;  l'autre  possède  tout,  sciences,  beaux- 
arts,  industrie,  commerce,  tout,  excepté  le  sol 
nécessaire  à  son  existence.  Le  contraste  ne  suffit-il 
pas  pour  indiquer  la  solution? 


IMMENSITE  DES  TERRITOIRES  OFFERTS  A   L  EMIGRATION 

Le  gouvernement  des  États-Unis,  après  avoir 
laissé  la  plus  grande  latitude  aux  circonscriptions 
des  États,  après  avoir  fait  à  l'instruction  publique 
une  dotation  de  plus  de  2  millions  d'hectares, 
conserve  encore  comme  domaine  public  dispo- 
nible des  territoires  qui  suffiraient  à  600  millions 
d'habitants,  en  prenant  pour  base  la  densité  de  la 
population  en  Angleterre. 

Dans  un  article  publié  par  le  Continental  Mon- 
thly  Magazine,  en  novembre  1862,  l'honorable 


IMMEiNSITÉ   DES    TERRITOIRES  175 

Robert  J.  Walker,  ancien  ministre  des  finances 
sous  l'admistration  du  président  Pierce,  décrit  de 
la  manière  suivante  les  avantages  que  l'acte  du 
congrès  offre  aux  émigrants  de  tous  pays  : 

»  Ces  concessions  sont  situées  de  telle  sorte, 
que  rémigrant  peut  choisir  la  température  qui  lui 
convient  le  mieux,  depuis  celle  de  Saint-Péters- 
bourg jusqu'à  celle  de  Canton.  Il  aura,  à  son  gré, 
un  climat  froid,  chaud  ou  tempéré,  un  terrain 
propice  aux  travaux  de  la  ferme,  à  ceux  du  jar- 
dinage, à  la  culture  en  prairies,  ou  à  celle  de  la 
vigne,  et  il  pourra,  en  outre,  s'y  livrer  à  la  chasse 
ou  à  la  pèche. 

«  Il  pourra  produire  indifféremment  du  froment, 
du  seigle,  du  maïs,  de  l'avoine,  du  riz,  de  l'indigo, 
du  coton,  du  tabac,  du  sucre  de  canne,  d'érable  ou 
de  sorgho  et  des  mélasses,  de  la  laine,  des  pois, 
des  fèves,  des  pommes  de  terre  irlandaises  ou 
douces,  de  l'orge,  du  sarrasin,  du  vin,  du  beurre, 
du  fromage,  du  foin,  du  trèfle,  toutes  espèces 
d'herbes,  du  lin,  du  chanvre,  de  la  graine  de  lin, 
du  houblon,  de  la  soie,  de  la  cire,  du  miel,  des  vo- 
lailles et  de  tout  cela  en  quantités  incommensu- 
rables. S'il  préfère  l'élève  du  bétail,  il  aura  des 


176  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

chevaux,  des  ânes,  des  mules,  des  chameaux,  des 
vaches  laitières,  des  bœufs  de  labour,  des  chèvres, 
des  moutons  et  des  porcs.  Dans  beaucoup  de  loca- 
lités ces  animaux  n'exigent,  pendant  toute  l'année, 
ni  abri  ni  alimentation.  Il  aura  des  vergers  où 
prospéreront  non-seulement  les  fruits  d'Europe, 
mais  tous  ceux  des  tropiques.  Il  choisira  pour  voi- 
sins des  Hollandais  ou  des  Allemands,  desÉcossais, 
des  Anglais  ou  des  Gallois,  des  Français,  des 
Suisses,  des  Norvégiens  ou  des  Américains.  Il 
choisira  également  entre  les  côtes  maritimes  et 
les  rives  des  lacs  ou  des  rivières,  entre  les  terres 
déclives  de  l'Océan,  les  vallées  et  les  montagnes. 
Il  jouira  d'une  liberté  de  conscience  absolue,  se 
logera  près  de  l'église  de  sa  confession,  et  ne  payera 
de  dîmes  et  de  taxes  ecclésiastiques  qu'autant  qu'il 
y  consentira  volontairement.  Ses  fils  et  ses  fdles,  dès 
qu'ils  auront  atteint  vingt  et  un  ans,  et  plus  tôt, 
s'ils  sont  chefs  de  famille,  ou  s'ils  ont  servi  dans 
l'armée,  auront  droit  chacun  à  une  concession 
de  160  acres  (64  hectares  65  ares  20  centiares); 
et  s'il  meurt,  sa  propriété  est  assurée  à  sa  veuve, 
à  ses  enfants  ou  à  ses  héritiers.  Il  deviendra  notre 
frère,  et  jouira,  ainsi  que  ses  enfants,  de  cet  hé- 


IMMENSITÉ    DES   TERRITOIRES  177 

ritage  d'aptitude  et  de  liberté  qui  est  notre  partage. 
[1  viendra  dans  un  pays  où  le  travail  est  roi,  où  il 
est  respecté  et  rémunéré.  Si,  avant,  ou  au  lieu  de 
recevoir  sa  concession,  il  préfère  continuer  l'exer- 
cice de  sa  profession  ou  de  son  état,  travailler  à 
son  compte  ou  à  la  journée,  il  trouvera  chez  nous  un 
salaire  double  de  celui  qu'il  reçoit  en  Europe  et  une 
existence  matérielle  bien  moins  dispendieuse.  » 

En  regard  de  cette  citation,  il  est  intéressant  de 
placer  le  tableau  de  la  superficie  occupée  par  tous 
les  états  de  l'Europe. 

NOMS  DES  ÉTATS  d'eUROPE.  SUPERFICIE. 

kilomètres  carrés. 

Russie 5,4o0,194 

Turquie 2,085,596 

Suède  et  Norwége 737,832 

Autriciie  (y  compris  la   Lombardie).    .    .  665,435 

France 530,279 

Espagne 488,715 

Grande-Bretagne 313,128 

Prusse 280,194 

Portugal 112,424 

Deux-Siciles 104,550 

Bavière •.    .     .     .  70,174 

Étals  Sardes 75,457 

Danemarli 56,843 

Grèce 49,157 

États  Romains 41,295 


A  reporter.    .    .    .    11,087,123 
12 


178  SOLUTION  POLITIQUE   ET   SOCIALE 

NOMS  DES  ÉTATS  d'eUROPE.  SUPERFICIE. 

kilomètres  carrés. 

Report.     .     .     .  11,087,123 

Suisse 41,170 

Hanovre 38,456 

Pays-Bas 32,589 

Belgique 29,456 

Toscane 22,345 

Wurtemberg 19,450 

Bade 15,284 

Saxe  (royaume  de) 14,908 

Mecklembourg-Schwerin 13.123 

Hesse- Électorale 9,540 

Hesse  (grand-duché  de) 8,392 

Oldenbourg 6,309 

Modène •    .    .  6,036 

Parme 5,872 

Nassau 4,752 

Brunswick 3,718 

Saxe-Weimar 3,630 

Mecklembourg-Strelitz 2,717 

Iles  Ioniennes 2,696 

Saxe-Meynengen 2,542 

Saxe-Cobourg-Gotha 2,003 

11,372,271 

Russie 5,450,194 

5,922,077 

On  voit  que  si  on  déduit  les  vastes  territoires 
dépendant  de  la  Russie,  qui  sont  de  5,450,194  kilo- 
mètres carrés,  il  reste  pour  tous  les  autres  États 
5,922,077  kilomètres  carrés,  quantité  à  peu  près 
égale  à  la  superficie  du  domaine  public  des  États- 
Unis,  qui  est  de  5,176,000  kilomètres  carrés. 


IMMENSITÉ    DES    TERHITOIRES  179 

Mais  le  sol  des  États-Unis  n'est  pas  le  seul  qui 
soit  offert  à  l'excédant  de  la  population  euro- 
péenne. Si  l'activité,  si  le  génie  de  la  race  anglo- 
saxonne  laisse  encore  une  place  si  vaste  à  ceux  qui 
voudront  prendre  leur  part  dans  l'œuvre  de  colo- 
nisation et  de  civilisation  qu'elle  a  entreprise  sur 
une  partie  du  continent  américain,  il  reste  bien 
plus  à  faire  ;   des  territoires  non  moins  vastes  et 

tout  aussi  fertiles  sont  à  peupler  et  à  féconder 

'  .  .  .     . 

dans  cette  vaste  partie  du  contment  américam 

dont  les  Espagnols  et  les  Portugais  ont  été  les 
premiers  conquérants  et  les  premiers  colons.  Le 
seul  bassin  des  Amazones  pourrait  nourrir  une 
population  bien  supérieure  à  celle  de  l'Europe,  et 
bien  d'autres  contrées  en  dehors  des  États-Unis 
sont  mieux  appropriées  encore  au  tempérament, 
aux  mœurs  et  aux  besoins  des  Européens. 

Est-il  besoin  de  citer  le  Mexique,  dont  le  cli- 
mat, dès  qu'on  atteint  les  premières  pentes  des 
plateaux,  est  celui  d'un  printemps  éternel,  dont 
le  sol  peut  réunir  les  cultures  de  toutes  les  lati- 
tudes? Sur  les  rives  de  La  Plata  et  sur  ses  af- 
fluents, dans  tous  les  États  riverains  du  Pacifique, 
dans  la  Bolivie,  dans  la  Confédération  Argentine, 


iSO  SOLUTION   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

dans  cet  immense  Brésil  enfin,  et  jusqu'aux  li- 
mites de  Fa  Patagonie,  la  population  n'est-elle  pas 
imperceptible,  pour  ainsi  dire,  et  hors  de  toute  pro- 
portion avec  l'étendue  des  territoires  ;  n'y  retrou- 
vons-nous pas  cependant  toutes  les  latitudes  des 
différents  États  de  l'Europe?  N'y  retrouvons-nous 
même  pas  dès  aujourd'hui  des  pionniers  de  tous 
les  pays  de  notre  continent?  Mais  ces  aventuriers, 
poussés  parles  mobiles  les  plus  divers,  se  sont  ra- 
rement groupés;  l'existence  qu'ils  se  sont  créée 
est  précaire,  provisoire;  presque  tous  ne  voient 
dans  l'industrie  qu'ils    exercent,  dans  le  travail 
qu'ils  accomplissent,  qu'une  exploitation  destinée 
à  rendre  plus  prompt  le  retour  dans  la  patrie,  qui 
est  leur  unique  préoccupation.  Leur  exemple  ne 
peut  donc  servir  qu'à  prouver  la  facilité  que  les 
Européens  trouvent  à  y  vivre.  Pour  s'y  faire  une 
existence  agréable,  permanente,    pour  s'y  créer 
une  nouvelle  patrie,  nous  espérons  pouvoir  indi- 
quer ce  qu'il  y  aurait  à  faire  sans  sortir  des  limites 
du  possible  et  même  du  facile.  Mais  avant  d'a- 
border les  moyens  d'exécution,  il  est  une  question 
de  moralité  et  de  droit  que  je  désire  vider. 


L'OCCUPATION    EST    LEGITIME  i81 


L   OCCUPATION    DES   TERRITOIRES    INCULTES 
EST     LÉGITIME 


L'Europe,  aussi  bien  intentionnée  qu'elle  soit, 
peut-elle,  sans  injustice,  et  sans  faire  abus  de  sa 
force,  aller  occuper  des  territoires  qui,  nomina- 
lement, sont  la  propriété  d'autres  peuples  ?  Je  crois 
que  cette  objection  n'a  rien  de  sérieux,  quand  on 
veut  l'examiner  de  près.  Si  le  droit  de  propriété 
est  autre  chose  en  Amérique  que  l'appropriation  du 
sol  par  le  travail ,  jusqu'où  faudrait-il  remonter 
pour  trouver  les  vrais  propriétaires  de  cet  im- 
mense continent?  Les  Américains,  les  Anglais,  les 
Espagnols,  les  Portugais  et  les  autres  détenteurs 
du  sol  ont-ils  pu  faire  valoir  un  autre  titre  que 
leur  aptitude  à  féconder  des  terrains  stériles? 
Admettrait-on,  même  en  Europe,  le  caprice  ho- 
micide de  puissants  propriétaires,  qui  condamne- 
raient à  la  stérilité  une  partie  notable  des  terres 
indispensables  à  la  nourriture  de  ceux  qui  ne  pos- 
sèdent pas  ?  La  loi  ne  réside-t-clle  pas  tout  entière 


18i  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

dans  l'empêchement  de  causer  un  préjudice  à 
autrui?  Or,  quel  préjudice  peut  causer  une  émi- 
gration pacifique,  respectant  tout  territoire  ex- 
ploité, et  venant  donner,  au  contraire,  une  valeur 
inespérée  aux  exploitations  déjà  existantes  autour 
desquelles  elle  vient  s'installer. 

N'est-ce  point  à  l'émigration  que  les  États-Unis 
doivent  leur  prospérité  et  leur  puissance?  Ne  sont- 
ils  pas  les  premiers  à  le  reconnaître,  quand  ils  pro- 
diguent, comme  nous  l'avons  démontré,  les  en- 
couragements à  l'émigration?  Il  est  vrai  que  les 
proportions  de  l'émigration,  dans  notre  système, 
vont  changer  et  être  considérablement  agrandies, 
comme  nous  l'exposerons  bientôt,  mais  elle  n'en 
portera  pas  plus  atteinte  pour  cela  aux  droits  légi- 
times; nulle  part  elle  ne  sera  violente,  spoliatrice; 
elle  fera  sur  une  plus  grande  échelle  et  avec  des 
moyens  d'action  puissants,  ce  qui  s'opère  lente- 
ment, isolément,  depuis  près  d'un  siècle,  et  tout 
en  sauvant  l'Europe,  elle  assurera,  au  reste  de 
l'Amérique,  les  bienfaits  concentrés  jusqu'ici  sur 
un  espace  restreint  du  territoire  des  États-Unis. 


CONCLUSION 


Confédération,  émigration,  voilà  donc  les  deux 
remèdes  à  opposer  aux  deux  fléaux  qui  menacent 
l'Europe  :  la  déperdition  des  forces  productrices 
par  l'exagération  du  fonctionarisme,  et  l'insuf- 
fisance du  sol,  devant  l'accroissement  de  la  popu- 
lation. 

Nous  avons  vu  sur  quelles  nombreuses  et  quelles 
puissantes  autorités  s'appuyait  l'idée  d'une  confé- 
dération européenne,  j'ai  cherché  à  lui  associer 
l'idée  de  décentralisation,  qui  s'impose  de  plus  en 
plus  aux  esprits  pratiques. 

J'ai  pu,  jusque-là,  invoquer  l'exemple  défaits 
donnant  à  mes  raisonnements  l'autorité  de  l'expé- 


184  SOLUTION  POLITIQUE   ET  SOCIALE 

rience,  ce  secours  va  me  manquer  quand  j'expo- 
serai mes  vues  sur  l'émigration  telle  que  je  voudrais 
la  voir  pratiquer.  Cependant  je  resterai  si  invaria- 
blement dans  les  limites  du  possible,  et  le  con- 
trôle des  moyens  dont  je  rêve  l'emploi  est  si  facile 
pour  tous  les  esprits,  que  j'espère,  là  comme  ail- 
leurs,  échapper  à  l'accusation  d'être  un  rêveur  et 
un  utopiste. 


EMPLOI    UTILE    DES    MARINES   EUROPEENNES. 

L'Europe  a  adopté,  dans  ma  supposition,  une 
constitution  fédérative  qui  fonctionne  depuis  plus 
ou  moins  longtemps.  La  suppression  des  armées, 
des  douanes  et  de  tant  d'autres  fonctions  impro- 
ductives, a  rendu  à  l'agriculture  et  à  l'industrie 
des  millions  de  bras  qui  lui  manquaient.  Le  pre- 
mier effet  de  ce  redoublement  d'activité  est  un 
perfectionnement  de  toutes  choses,  le  défriche- 
ment de  ce  qui  était  resté  inculte  ;  mais  en  même 
temps  les  travailleurs  resserrés  sur  un  espace  trop 
étroit,  ont  le  sentiment  de  plus  en  plus  vif  de 


DES   MARLXES   EUROPÉENNES  185 

l'insuffisaiice  du  sol  et  de  la  concurrence  ruineuse 
qu'ils  sont  condamnés  à  se  faire.  Le  mal  était 
prévu,  la  confédération  va  y  remédier. 

Elle  a  trouvé  dans  tous  les  arsenaux  et  ports 
militaires  ces  puissants  navires,  instruments  de 
violence  et  de  destruction,  qui  sont  devenus  inu- 
tiles. Qu'on  calcule  ce  que  pouvaient  transporter 
de  soldats,  de  chevaux  et  de  munitions  de  guerre 
les  marines  réunies  d'Europe.  Il  ne  s'agit  plus 
maintenant  ni  de  canons,  ni  de  poudre,  ni  de 
haches  d'abordage  ;  tout  sera  approprié  à  une  pa- 
cifique mission.  Chaque  port  aura  sa  flotille 
d'émigration.  Au  lieu  de  perfectionner  la  solidité 
des  plaques  et  la  puissance  des  boulets,  on  ne 
songera  qu'à  améliorer  les  aménagements  pour 
les  passagers. 

Nous  avons  vu  que  l'accroissement  de  la  popu- 
lation en  Europe  est  en  moyenne  de  un  pour  cent. 
C'est  donc  environ  trois  millions  d'émigrants  qu'il 
faudra  transporter  annuellement  pour  maintenir 
le  chiffre  actuel.  Il  n'y  a  que  l'Europe  confédérée 
qui  puisse  suffire  à  une  pareille  tâche,  et  nous 
avons  montré  à  quel  point  la  nécessité  était  ur- 
gente, puisque,  dès  aujourd'hui,  l'Europe  ne  peut 


186  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

suffire  à  sa  subsistance.  Mais  en  même  temps  que 
nous  garantissons  l'avenir,  en  équilibrant  l'ac- 
croissement par  l'émigration,  nous  améliorons  le 
présent,  puisque  la  production  a  conquis  les  dix 
millions  de  travailleurs  valides,  dont  les  forces  se 
perdaient  dans  des  fonctions  stériles.  Ceux  qui 
partent  peuvent  donc  être  sans  inquiétude  sur  le 
sort  de  ceux  qu'ils  laissent  derrière  eux.  Aujour- 
d'hui l'émigration  est  presque  toujours  un  acte  de 
profond  découragement  ou  de  désespoir  ;  il  s'ac- 
complit avec  regret,  les  larmes  aux  yeux  et  dans 
les  angoisses  d'une  terrible  incertitude  de  l'ave- 
nir. Deux  peuples  s'y  résignent  plus  facilement, 
l'Irlandais  et  l'Allemand;  c'est  que  tous  deux  doi- 
vent retrouver  sur  la  terre  étrangère  des  compa- 
triotes établis  et  la  langue  maternelle.  Pour  tous 
les  autres,  il  y  a  la  perspective  de  l'isolement,  l'ef- 
froi de  l'inconnu,  aussi  ceux-là  sont-ils  bien  moins 
nombreux. 

Les  conditions  de  l'émigration  vont  totalement 
changer.  Elle  devient  la  plus  importante  des  opé- 
rations nationales.  Ce  ,ne  sont  plus  les  parias  de 
l'Europe  s'arrachant  avec  douleur  à  un  sol  qui 
ne  peut  plus  les  nourrir.  C'est  l'enfant  bien-aimé 


DES    MARINES    EUROPÉENNES  187 

que  la  famille  accompagne,  suit  des  yeux,  et  ne 
cessera  de  protéger  dans  l'œuvre  de  sacrifice  qu'il 
accomplit  pour  le  bonheur  de  tous.  Assez  long- 
temps les  milliards  des  budgets  européens  ont  été 
gaspillés  dans  des  dépenses  stériles  ou  nuisibles; 
après  toutes  les  économies  qu'elle  aura  réalisées, 
il  restera  largement  à  la  grande  confédération  de 
quoi  préparer  l'établissement  de  ceux  qui  se  déta- 
cheront de  son  sein.  Ils  partent  par  groupes  qui 
se  sont  eux-mêmes  choisis,  de  manière  à  retrou- 
ver partout  leur  voisinage,  leurs  habitudes,  leur 
langue,  ce  qui  est  une  si  grande  part  de  la  patrie. 
—  L'ennemi  n'est  point  sur  le  rivage  où  on  va 
aborder,  c'est  un  peuple  qui  nous  attend,  qui 
nous  appelle,  un  peuple  frère  par  la  similitude 
des  institutions,  par  la  conformité  des  principes  et 
par  la  communauté  du  but.  Au  lieu  de  canons,  le 
navire  européen  qui  aborde  en  Amérique  est 
chargé  d'instruments  de  travail  et  de  paix;  au  lieu 
de  la  poudre  qui  tue,  il  a  les  semences  qui  nour- 
rissent, et  ce  sont  de  pacifiques  travailleurs  qui 
remplacent  les  soldats  comme  passagers. 


188  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 


LA  TERRE  ETRANGERE  DEVIENT  UNE  NOUVELLE  l'ATRIE 


Chaque  convoi  d'émigrants  a  été  précédé  par 
des  délégués  de  la  confédération  qui  renseignent 
les  nouveaux  venus,  qui  les  guident  vers  les  con- 
trées rappelant  le  mieux  le  pays  qu'ils  viennent 
de  quitter.  Leurs  premiers  besoins  sont  assurés, 
et  cette  assistance  s'arrête  là  où  commencent  les 
droits  imprescriptibles  de  leur  liberté. 

Ils  peuvent  choisir  le  climat  qu'ils  préfèrent, 
et  ce  sont  eux  qui  feront  eux-mêmes  leur  gouver- 
nement comme  ils  le  faisaient  en  Europe,  comme 
ils  le  voient  faire  autour  d'eux  dans  leur  nouvelle 
patrie. 

C'est  ici  le  lieu  de  revenir  sur  ce  que  j'ai  déjà  dit 
des  transformations  qu'opèrent  sur  les  individus 
le  bien-être  et  la  pratique  d'institutions  appro- 
priées au  développement  des  bons  instincts  que  la 
nature  a  mis  en  nous.  Tout  le  monde  sait  dans 
quelle  infériorité  relative  vivent  les  Irlandais  sur 
le  sol  de  la  Grande-Bretagne.  Ce  n'est  pas  seule- 


UNE    NOUVELLE    PATRIE  189 

ment  dans  les  bouges  de  Londres  que  je  veux  vous 
les  montrer  ;  on  a  fait  assez  souvent  le  tableau  do 
leur  ignorance,  de  leur  paresse,  de  leur  malpro- 
preté et  de  leur  misère.  Certes,  si  jamais  race 
porta  dans  son  extérieur  l'aspect  de  la  dégrada- 
tion, c'est  bien  celle-là.  Voyez  ces  groupes  dégue- 
nillés, entassés  dans  l'entrepont  des  bâtiments  de 
Liverpool  ;  s'ils  ont  échappé  aux  vices  hideux  qui 
qui  atteignent  si  souvent  leurs  compatriotes  de 
Londres,  ils  apportent  de  leur  verte  Érin  toute 
l'abjection  d'un  peuple  avili  par  la  servitude,  la 
superstition  et  la  famine.  Ils  débarquent  sur  les 
quais  de  New-York,  après  une  traversée  pendant 
laquelle  l'espace  et  l'air  leur  ont  été  parcimonieu- 
sement partagés  ;  ils  y  rencontrent,  comme  com- 
pagnons de  leurs  infortunes  passées,  ces  trou- 
peaux d'Allemands  qui,  jadis,  venaient  du  fond 
de  leurs  provinces  jusqu'au  port  de  débarque- 
ment, à  pied  ou  dans  de  misérables  charrettes, 
campant  la  nuit  sous  l'arche  d'un  pont,  exposés 
le  jour  à  toute  l'intempérie  des  saisons.  Ils  ont 
pris  à  peine  quelques  jours  de  repos  à  leur  arri- 
vée, les  voilà  installés  dans  les  diverses  carrières 
qui  se  sont  offertes  à  eux  ;  la  plupart  ont  accepté 


190  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SOCIALE 

les  lots  de  terrain  auxquels  l'hospitalité  améri- 
caine leur  donne  droit.  Quelques  années  se  sont 
à  peine  écoulées,  et  le  bien-être  a  transformé  en 
citoyens  ces  ilotes  du  vieux  continent,  ces  serfs 
de  la  misère.  Au  bout  de  dix  ans,  on  aurait  de  la 
peine  à  les  distinguer  des  natifs,  tant  ils  ont  pris 
les  mœurs  de  leur  nouvelle  patrie,  tant  ils  se 
mêlent  à  toutes  les  affaires  publiques  ;  quant  à 
leurs  enfants,  c'est  déjà  une  population  améri- 
caine. 


SOLIDARITE     DE     L  EUROPE     ET     DE     L  AMERIQUE 

L'Europe  n'est  cependant  pas  oubliée  ;  ce  sou- 
venir s'entretient  par  la  conservation  de  certains 
usages,  par  la  prédilection  pour  les  mets  ou  pour 
la  boisson  nationale. 

L'Allemand  ne  renonce  pas  d'abord  à  sa  pipe, 
à  sa  choucroute  ou  à  sa  bière.  L'Irlandais  ne  se 
déshabitue  pas  du  gin,  du  jour  au  lendemain,  et  il 
garde  sa  dévotion  catholique  plus  fervente  qu'é- 
clairée. Mais  c'est  une  moralisation  incontestable 
qui  résulte  de  ce  mélange  d'une  vie  nouvelle  avec 


SOLIDARITÉ   DE   L'EUROPE  ET   DE    L'AMÉRIQUE    it)l 

la  fidélité  à  certains  souvenirs.  N'en  trouvons-nous 
pas  une  preuve  aussi  honorable  que  touchante 
dans  le  chiffre  officiel  des  envois  d'argent  faits 
par  les  émigrants  à  leurs  parents  restés  en  Eu- 
rope. Pendant  une  période  de  12  années,  de  1848 
à  1859,  les  commissaires  de  l'émigration  ont  tenu 
note  des  sommes  expédiées  par  l'entremise  des 
banquiers  américains.  Elles  s'élèvent  à  un  total 
de  274  millions  de  francs,  dans  lequel  ne  sont 
compris  ni  les  envois  en  marchandises,  ni  les 
sommes  confiées  aux  compatriotes  qui  faisaient 
le  voyage  d'Europe. 

Ces  Irlandais,  ces  paresseux  et  ces  ivrognes,  à 
la  moralité  desquels  la  misère  est  si  fatale  en 
Angleterre,  figurent  pour  la  plus  grosse  part  dans 
cette  splendide  offrande  de  populations  affran- 
chies et  transformées.  A  côté  de  cette  statistique, 
il  en  est  une  autre  qui  n'est  pas  moins  significa- 
tive, c'est  le  petit  nombre  des  émigrants  qui, 
même  après  avoir  fait  fortune,  consentent  à  quit- 
ter leur  nouvelle  patrie. 

Quand,  en  mettant  dans  l'émigration  le  salut 
de  l'Europe,  je  puis  apporter  de  pareils  faits 
et  ces  chiffres   officiels  à  l'appui    des   théories 


19-^  SOLUTION  POLITIQUE   ET  SOCIALE 

que  j'expose,  n'ai-je  pas  le  droit  de  protester 
contre  tout  reproche  d'exagération  sur  les  points 
mêmes  où  mes  espérances  pourraient  sembler  le 
plus  chimériques.  Si  de  tels  résultats  ont  été  ob- 
tenus dans  les  conditions  d'isolement  et  avec  les 
ressources  restreintes  que  je  viens  de  rappeler, 
que  n'est-on  pas  en  droit  d'attendre  de  l'émigration 
organisée,  devenant  en  quelque  sorte  une  institu- 
tion fédérale  pour  tout  le  continent  européen? 

Faut-il  se  préoccuper  des  dépenses  que  né- 
cessiterait l'application  de  mon  idée?  En  est-il 
qui  puissent  être  plus  productives  que  celles  con- 
sacrées à  l'installation  des  émigrants? 

Ce  n'est  point,  en  effet,  les  envois  d'argent  faits 
par  les  enrichis  du  Nouveau  Monde  à  leurs  pa- 
rents du  vieux  continent,  qu'il  faut  envisager 
comme  la  rémunération  des  avances  faites  ;  c'est 
le  petit  côté  de  la  question  ;  ce  quil  faut  voir, 
c'est  l'extension  des  rapports  commerciaux  propor- 
tionnés à  l'activité  industrielle  et  à  l'intimité  des 
rapports  des  peuples  entre  eux.  Quelle  influence 
exercent,  dès  aujourd'hui,  sur  l'état  économique 
de  Europe,  ses  relations  avec  les  États-Unis  ;  le 
chiffre  des  échanges  dépasse  déjà  3  milliards  de 


SOLIDARITÉ    DE    L'EUROPE    ET   DE    L'AMÉRIQUE     193 

francs  *,  combien  serait  longue  l'énumération 
des  villes  qui,  comme  Liverpool,  Manchester, 
Birmingham,  Shiffîelds,  Paris,  Lyon.  Bordeaux, 
Saint-Étienne,  Mulhouse,  Anvers,  Gand,  Liège, 
Verviers,  Brème,  Hambourg,  Elberfeld,  Zurich, 
Berne,  Saint-Gall,  doivent  à  l'exportation  amé- 
ricaine une  si  grande  part  de  leur  prospérité! 
L'accroissement  de  la  population,  l'identité 
des  mœurs,  la  similitude  du  goût,  ne  pour- 
raient manquer  d'accroître,  dans  des  proportions 
énormes,  l'importance  des  échanges.  Ainsi  l'Eu- 
rope, tout  en  soulageant  son  sol  d'un  excès  de 
population,  tout  en  rendant  à  la  production  des 
forces  perdues,  ajouterait  à  ses  ressources  un 
nouvel  élément  de  travail  et  de  richesses. 

*  Bigelow,  page  406,  pour  l'année  1860  : 

Exportations  des  États-Unis.     .     .    2,002,111,480  fr. 
Importations 1,810,819,703 


3,812,931,183 


13 


194  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SOCIALE 


DEVOIR     d'initiative    IMPOSÉ     A     LA      RACE    BLANCHE 


Il  viendra  un  temps  fatal  et  prédestiné  qu'Alirin.ane 
sera  destruit,  et  lors  la  terre  sera  toute  plate,  unie  et 
esgale,  et  il  n'y  aura  plus  qu'une  vie  et  une  sorte  de 
gouvernement  parmi  les  hommes  qui  n'auront  plus 
qu'une  langue  el  vivront  heureusement. 

Plutarque. 


Mais  lors  même  que  l'émigration  ne  serait  pas 
pour  l'ancien  continent  la  condition  du  salut,  et 
pour  le  nouveau  la  condition  du  progrès,  elle 
serait  encore  un  devoir  impérieux  pour  la  race 
blanche  cjui  a  entre  ses  mains  la  responsabilité 
des  destinées  de  l'humanité  ;  Burke  n'a-t-il  pas 
dit  :  «  Il  est  aussi  naturel  pour  l'homme  d'affluer 
vers  les  contrées  où  régnent  l'abondance  et  la 
richesse,  lorsque  pour  une  cause  quelconque  la 
population  y  est  insuffisante,  qu'il  est  naturel 
de  voir  l'air  comprimé  se  précipiter  dans  les 
couches  d'air  raréfié,  » 

Ne  trouvons-nous  pas  cette  phrase  plus  signi- 
ficative, plus  impérieuse  encore  dans  la  déclara- 


i 


DEVOIR    D'INITIATiVE  193 

tion  des  pèlerins,  premiers  émigrants  débarqués 
en  Amérique? 

«  La  terre  entière  n'est-elle  pas  le  jardin  du 
Seigneur  ?  Dieu  ne  l'a-t-il  pas  donnée  aux  hommes 
pour  qu'ils  la  cultivent  et  l'embellissent?  Pour- 
quoi nous  laisserions-nous  mourir  faute  de  place, 
tandis  que  de  vastes  contrées,  également  propres 
à  l'usage  de  l'homme  restent  inhabitées  et  in- 
cultes ?  » 

Cette  nécessité  de  la  loi  centrifuge  qui  nous 
pousse  vers  des  espaces  libres,  pour  y  déverser  le 
trop  plein  de  nos  populations,  elle  ne  pèse  pas 
seulement  sur  l'Europe.  L'Asie  aussi  déborde, 
et  là,  plus  encore  que  chez  nous,  l'inégale  réparti- 
tion des  populations  est  un  fléau.  Si  l'Europe  ne  se 
hâte  pas,  elle  sera  devancée  par  la  Chine.  C'est  en 
vain  que  la  suppression  et  le  meurtre  des  nou- 
veaux-nés sont  acceptés  comme  une  loi  néces- 
saire, c'est  en  vain  que,  sur  les  fleuves,  des  villes 
flottantes  oflrent  un  abri  à  ceux  qui  n'ont  pas  de 
gîte  sur  la  terre  ferme,  c'est  en  vain  que  la  famine 
décime  périodiquement  ces  parias  auxquels  suffi- 
sent cependant  quelques  grains  de  riz,  l'accrois- 
sement fatal   d'une  population    do  350  millions 


196  SOLUTION  POLITIQUE  ET   SuClALE 

d'habitants  brave  les  lois  les  plus  sévères,  les 
périls  les  plus  certains,  les  humiliations  les  plus 
dégradantes,  et  chaque  année,  dès  qu'un  point 
s'ouvre  à  l'émigration  chinoise,  on  voit  arriver  par 
milliers  ces  travailleurs  affamés  que  rien  ne 
décourage  et  que  rien  ne  rebute. 

Il  y  a  là,  je  le  sais,  plus  de  misère  encore  que 
de  cupidité,  et  c'est  moins  de  l'or  que  du  pain  que 
le  Chinois  vient  chercher  en  Californie  et  en  Aus- 
tralie. Je  prie  le  lecteur  de  croire  que  mon  cœur 
n'est  pas  plus  fermé  que  mes  yeux  au  spectacle 
de  ces  infortunes,  et  je  repousse  autant  que  per- 
sonne le  préjugé  des  races  dans  ce  qu'il  a  de 
cruellement  exclusif  et  d'inexorable;  mais  c'est 
en  vertu  même  de  la  maxime  philantropique  et 
humanitaire  de  M.  Gasparin,  c'est  parce  que  je 
pense  comme  lui,  que  le  monde  est  un  tout  dont 
chaque  partie  est  liée  à  toutes  les  autres,  que  je 
veux  laisser,  pour  l'accomplissement  de  la  grande 
œuvre,  à  chacun  la  mission  que  la  Providence 
lui  a  dévolue.  L'envahissement  par  le  Chinois  des 
régions  faites  pour  la  race  européenne  serait  le 
plus  fatal  événement  dont  l'humanité  pût  être 
frappée.  On  a  souvent  exprimé  en  France  la  crainte 


DEVOIR    DIMTIATIVE  197 

d'une  invasion  nouvelle  des  barbares  du  Nord.  Ce 
danger  serait  bien  moindre  que  l'envahissement 
du  continent  américain  par  les  races  asiatiques. 
L'homme  du  Nord,  ce  demi-sauvage,  a  toutes  les 
rudesses,  toutes  les  violences  de  l'être  qui  a  vécu 
à  l'état  de  nature.  C'est  la  matière  brute  qui  ne 
demande  qu'à  être  façonnée.  Ce  barbare  du  Nord 
peut  être  le  plus  fort  dans  les  batailles,  il  finira 
toujours  par  être  conquis  par  la  civilisation.  C'est 
une  évolution  qu'il  doit  subir. 

Mais  l'Asiatique  a  épuisé  les  civilisations  les  plus 
raffinées;  quelle  morale  pourra  régénérer  celui  qui 
a  défiguré  si  complètement  la  morale  de  Confucius  ? 
J'en  appelle  à  tous  ceux  qui  ont  pu  voira  San-Fran- 
cisco  ou  à  Melbourne  ces  nuées  de  sauterelles  hi- 
deuses, apportant  avec  elles  des  vices  qui  n'ont 
pas  de  nom  dans  une  langue  honnête,  pénétrantes 
comme  la  vermine,  envahissantes  comme  la  lèpre. 
Les  bras  manquaient  dans  ces  régions  nouvel- 
lement occupées  par  les  pionniers,  les  appels  les 
plus  pressants  étaient  faits  à  tous  les  courages,  à 
tous  les  bras  de  bonne  volonté;  comment  se  fait- 
il  que,  par  instinct  commun,  les  Américains  et  les 
Anglais  fassent  des  efforts  si  énergiques  pour  re- 


198  SOLUTION    POLITIQUE  KT  SOCIALE 

pousser,  venant  clAsie,  un  concours  qu'ils  sollici- 
tent si  instamment  de  l'Europe?  C'est  qu'ils  com- 
prennent qu'il  n'y  a  plus  de  sève  dans  cette 
végétation  décrépite,  qu'il  n'y  a  pas  de  rejetons 
puissants  à  greffer  sur  ces  troncs  usés,  et  que  de 
ces  eaux  croupissantes  ce  n'est  pas  la  fertilité 
qu'il  faut  attendre,  mais  des  émanations  pestilen- 
tielles qu'il  faut  craindre.  Cette  répugnance  guide 
la  conduite  des  Anglo-Saxo n s  aussi  bien  qu'elle 
inspire  leurs  gouvernements.  Rien  n'est  plus  rare 
que  de  les  voir  s'allier  avec  les  races  qu'ils  consi- 
dèrent comme  inférieures.  Je  ne  veux  pas  discuter 
ici,  au  point  de  vue  philosophique  et  humanitaire, 
la  valeur  de  ce  préjugé  ou  de  cette  opinion.  Il  y  a, 
dans  ce  que  notre  génération  traverse,  bien  des 
compromis  avec  la  justice  absolue  ;  je  laisse  donc 
chacun  libre  de  faire  ses  réserves  sur  le  hautain 
isolement  dans  lequel  se  tiennent  les  Anglo-Saxons  ; 
j'en  constate  seulement  les  résultats.  J'y  vois 
d'abord  l'explication  de  leurs  sympathies  pour 
l'émigration  européenne,  et  ensuite  je  suis  très-dis- 
posé à  attribuer  à  cette  pureté  du  sang  une  part 
des  prodiges  accomplis  par  ces  puissants  colonisa- 
teurs, quand  je  compare  ce  qu'ils  ont  fait  et  ce  qu'ils 


DEVOIR    D'INITIATIVE  199 

sont  devenus  avec  l'état  des  anciennes  possessions 
espagnoles  et  portugaises,  oii  la  colonisation  a 
pour  base  le  mélange  des  populations. 

Les  produits  de  cette  fusion  sont  tristes  à  exa- 
miner; l'indigène  est  loin  de  gagner  ce  que  perd 
l'Européen,  et  entre  les  mains  de  ces  métis,  d'iin 
orgueil  ridicule,  d'une  paresse  incurable,  les  terres 
les  plus  fertiles  de  notre  globe,  les  contrées  douées 
du  plus  magnifique  climat  restent  sans  culture  et 
trop  souvent  sans  habitants. 

Oui,  c'est  l'Europe  qui  a  mission  de  coloniser, 
de  civiliser  le  monde,  sous  toutes  les  latitudes  oii 
l'Européen  retrouve  le  climat  qui  lui  est  propre. 
La  fusion  des  races  humaines  dans  une  seule 
famille  viendra  plus  tard,  si  c'est  dans  les  décrets 
de  l'avenir.  Dieu  me  garde  d'enlever  cette  espé- 
rance aux  philosophes  qui  voient  de  si  haut  et  de 
si  loin.  Pour  le  temps  actuel,  que  chacun  s'adonne 
à  la  tâche  qui  semble  lui  avoir  été  assignée  ;  que 
chacun  défriche  et  travaille  là  où  il  peut  le  faire 
dans  les  conditions  normales  de  son  organisation. 
Aux  Chinois,  aux  Indous  les  steppes  immenses  de 
la  Tartarie;  aux  noirs  la  mystérieuse  Afrique,  leur 
patrie,  et  les  zones  équatoriales  interdites  à  notre 


200  SOLUTION  POLITIQUE  ET  SOCIALE 

activité,  mais  à  l'Européen  tout  ce  qui  correspond 
aux  climats  de  l'Europe.  C'est  du  sol  occupé  par 
lui,  fécondé  par  lui,  que  rayonnera  pacifiquement 
sur  le  reste  du  monde  cette  civilisation  dont  il  est 
aujourd'hui  le  gardien  et  le  propagateur.  Tout  le 
convie  à  l'accomplissement  de  cette  œuvre  que 
toutes  les  inventions  modernes  lui  rendent  chaque 
jour  plus  facile  et  plus  attrayante.  L'Américain 
l'appelle  comme  un  frère  dont  il  a  été  trop  long- 
temps séparé ,  et  la  Providence  elle-même  semble 
parfois  ajouter  des  séductions  imprévues  et  par- 
ticulières, quand  les  sollicitations  d'un  ordre  géné- 
ral risquent  de  ne  point  être  entendues.  N'est-ce 
pas  tout  au  moins  un  hasard  bien  heureux  que 
celui  qui  a  fait  briller  les  premières  pépites  d'or 
aux  yeux  d'un  voyageur  égaré  sur  les  rivages  in- 
connus, oubliés,  de  l'Australie  et  de  la  Californie? 
L'or  n'a-t-il  pas  été  placé  là  comme  un  appât? 
et  dès  aujourd'hui,  la  laine  et  le  blé  n'enrichissent- 
ils  pas  bon  nombre  de  ceux  qui  n'avaient  été 
attirés  que  par  le  désir  d'exploiter  les  mines,  ou  de 
laver  les  sables? 


RESUME 


Me  voilà  arrivé  à  la  fin  de  ma  tâche.  En  face 
d'une  Europe  tourmentée,  de  l'avis  de  tous,  d'un 
mal  inconnu  qui  paralyse  son  e^^sor,  menacée  aux 
yeux  des  plus  clairvoyants,  par  l'accroissement 
fatal  de  sa  population,  de  crises  incessantes  qui 
ne  peuvent  qu'aboutir  à  d'effroyables  catastrophes, 
j'ai  évoqué  une  Europe  rassurée,  pacifique,  mar- 
chant sans  secousse  et  sans  obstacle  dans  la  voie 
de  progrès  que  ses  destinées  lui  ont  tracée.  Avant 
de  me  séparer  du  lecteur,  qu'il  me  permette  une 
dernière  fois  de  bien  caractériser  le  but  que  je  me 
suis  proposé. 

A  des  regards  attristés,  découragés,  j'ai  cru  pou- 


202  SOLUTION  POLIÏlQUh:   KT  SOCIALE 

voir  ouvrir  une  perspective  tranquillisante.  J'ai 
du,  pour  être  logique,  montrer  où  menait  finale- 
ment le  chemin  que  j'essayais  d'ouvrir.  Ce  pays 
est-il  le  pays  des  chimères? Que  ceux  qui  ne  peu- 
vent me  suivre  jusque  là.  me  laissent  en  route;  je 
leur  avoue  bien  sincèrement,  que  je  n'ai  jamais 
cru  qu'il  fut  donné  à  la  génération  présente  de 
pénétrer  dans  cette  terre  promise  ;  mais  ne  marche- 
t-on  pas  plus  résolument  quand  on  sait  d'avance 
où  on  doit  arriver?  Je  m'adresse  donc  surtout  à 
ceux  qu'épouvante  le  poids  toujours  croissant  des 
dépenses  de  la  guerre,  à  ceux  qui  croient  à  la 
possibilité  de  congrès ,  de  plus  en  plus  rappro- 
chés, aboutissant  à  un  congrès  permanent;  à 
ceux  qui  ne  désespèrent  pas  d'un  désarmement 
graduel,  à  ceux  qui,  dans  les  essais  de  confédé- 
ration déjà  appliqués,  voient  une  forme  gouver- 
nementale qui  peut  se  perfectionner  et  s'étendre; 
je  m'adresse  surtout  à  ceux  que  le  problème  de 
l'émigration  préoccupe,  et  qui  y  voient  le  seul 
remède  à  un  mal  qui  approche,  le  seul  refuge 
contre  l'inflexible  marée  qui  monte,  et  à  tous 
je  dis  :  Moi  aussi  j'ai  voulu  apporter  un  témoi- 
gnage de  ma  bonne  volonté  et  le  tribut  de  ma 


R  K  s  U  M  É  203 

faible  expérience;  continuez  vos  recherches,  redou- 
blez d'efforts,  rien  ne  sera  perdu  de  ce  que  vous 
aurez  tenté,  de  ce  que  vous  aurez  accompli,  vous 
ne  naviguez  pas  à  l'aventure,  vous  avez  la  foi  de 
Christophe  Colomb,  vous  savez  que,  par  delà  ces 
tempêtes,  il  y  a  un  rivage. 


FI.V 


NOTES 


NOTE    A 


(Extraite  du  la  broclmre  de  M.  le  comte  Abel  Hugo) 


Le  songe  expliqué  par  Joseph  renferme  une 
vérité  éternelle;  toujours  les  vaches  grasses  sont 
dévorées  par  les  vaches  maigres;  aux  années  d'a- 
bondance succèdent  toujours  les  années  de 
disette. 

L'observation  avait-elle  déjà  fait  reconnaître 
aux  patriarches  hébreux  ou  aux  prêtres  égyptiens, 
dont  Joseph,  pendant  sa  captivité,  a  pu  recevoir 
les  leçons,  cette  grande  loi  de  la  nature?  Leur 
avait-elle  indiqué  la  règle  perniaiicutc  (pii  lixe  le 


208  SOLUTIOxN   POLITIQUE  ET   SOCIALE 

retour  et  la  succession  de  ces  époques  alternati- 
vement heureuses  et  malheureuses  pour  les  peu- 
ples? Nous  l'ignorons  ;  mais  il  est  certain  que 
l'étude  des  faits  statistiques  relatifs  aux  céréales, 
qui  se  sont  produits  en  France  depuis  quarante 
ans,  peut  suffire  à  constater  et  à  déterminer  en 
quelque  sorte  la  durée,  et,  par  conséquent,  la 
réapparition  des  périodes  composées  uniquement 
de  bonnes  années,  ainsi  que  celles  des  périodes  oi^i 
les  mauvaises  années  se  suivent  sans  interruption. 

Si  cette  durée  était  septennale  en  Egypte,  elle 
paraît  être  quinquennale,  ou  tout  au  plus  de  six 
ans,  en  France. 

11  est  donc  possible  de  prévoir  les  époques 
d'abondance  et  les  époques  de  disette. 

En  effet,  l'examen  comparatif  de  la  production 
et  consommation,  des  importations  et  des  expor- 
tations de  froment,  en  France,  depuis  1816,  par  le 
commerce  spécial,  prouve  que  les  années  de  disette 
succèdent  régulièrement  aux  années  d'abondance 
par  périodes  de  plusieurs  années. 

On  ne  voit  pas  les  bonnes  années  alterner  une 
aune  avec  les  mauvaises,  ou,  en  d'autres  termes, 
une    année    d'abondance    suivre  une   année   de 


NOTES  209 

disette  à  laquelle  succède  une  année  d'abondance 
suivie  à  son  tour  d'une  année  de  disette. 

L'abondance  et  la  disette  n'alternent  entre  elles 
que  par  périodes  de  cinq  ou  six  années  au  plus. 

Afin  de  mieux  démontrer  cette  régularité  et 
cette  exactitude  dans  la  succession  des  périodes 
composées  de  bonnes  années  et  des  périodes  com- 
posées de  mauvaises,  il  convient  d'examiner  sépa- 
rément chacune  de  ces  périodes  qu'on  peut  en 
quelque  sorte  appeler  naturelles. 

Il  y  en  a  huit  depuis  1816.  Toutes,  à  l'exception 
d'une  seule,  présentent  la  continuité  des  mêmes 
résultats. 

Ire  Période.  —  Disette.  (6  années  :  1816  à  1821  inclus). 

Excédant  des  importations  sur  les  exportations.      6,247,178  hect. 
Ayant  coûté  a  la  France 164,029,849  Ir. 

L'excédant  des  importations  a  été  de.     .    .     .      3,659,815  hect. 
Dans  les  seules  années  1816  et  1817. 

2e  Période.  —  Abondance.  (6  années  :  1822  à  1827). 

Excédant  des  exportations  sur  les  importations.      1,248,601  hect. 
Dont  le  produit  a  été  de 19,525,528  Ir. 

3e  Période.  —  Disette.  (5  années  :  1828  à  1832). 

Excédant  des  importations  sur  les  exportations.      9,527,466  hect. 

Ayant  coûté  à  la  France 211,593,670  fr. 

14 


210  SOLUTION   POLITIQUE  ET  SOCIALE 

4«  Période.  —  Abondance.  (5  années  :  1833  à  1837). 
Excédantdes  exportations  sur  les  importations.         914,130  iiect 

Dont  le  produit  a  été  de 14,974,187  fr. 

2  de  disette,  1839-1840. 


oo  Pénode.  —  Mixte.  5  années  .  ^  „  ,,  ,      ^  looo  .o,.  .ora 

3  d  abondance,  1838-1841-1842. 

Néanmoins  les  importations  ont  dépassé  les 
exportations  de 1,126,473  liect. 

Ayant  coûté  à  la  France 28,874,000  fr. 

6«  Période.  —  Disette,  (o  années  ;  1843  à  1847). 

Excédant  des  importations  sur  les  exportations.     18,097,132  hect. 
Ayant  coûté  à  la  France 515,561,232  tr. 

7«  Période.  —  Abondance.  (5  années  :  1848-1852). 

Eîxcédant  des  exportations  sur  les  importations.    14,344,824  hect. 
Dont  le  produit  a  été  de 218,823,922  fr. 

8e  Période.  —  Disetïe.  (5  années  :  1853  à  1857). 

Excédant  des  importations  sur  les  exportations.    24,752,019  hect. 
Ayant  coûté  à  la  France 692,063,885  fr. 

En  résumé,  les  41  années  que  comprennent  les  huit  périodes 
ont  produit  un  déficit  de 1,358,798,999  fr. 


NOTES  211 

Résumé  de  la  note  A. 

EXCÉDANT  DES  IMPORTATIONS.    EXCÉDANT  DES  EXPORTATIONS. 

1816  à  1821.  164,029,849  fr. 


1828  à -1832.  211,593,670 

1838  à  1842.  28,874,000 

1843  à  1847.  315,561,232 

1853  à  1857.  692,063,885 


1822  à  1827.   19,525,528  fr. 
1833  à  1837.   14,974,187 

1848  à  1852,  218,823,922 


1,612,122,636  253,323,637 

253,323.637 


1,338,798,999 


Le  travail  de  M.  Abel  Hugo  s'arrêtant  en  1852, 
j'ai  pu  le  compléter  jusqu'en  1857  par  des  docu- 
ments officiels,  qui  confirment  toutes  les  prévisions 
du  consciencieux  économiste,  mais  j'ai  dû  m'ar- 
rêter  à  cette  époque,  aucun  renseignement  n'ayant 
été  publié  depuis  lors. 


212  SOLUTION  POLITIQUE   ET  SOCIALE 


NOTE  B 

(Extraite  de  la  brochure  de  M.  Abel  Hugo) 

Que  les  disettes  aient  une  funeste  influence  sur 
le  bien-être  de  la  population,  c'est  ce  qui  n'a  pas 
besoin  d'être  démontré  ;  nous  allons  faire  voir 
qu'elles  n'intéressent  pas  moins  son  existence  et 
son  accroissement. 

On  sait  qu'une  population  abondamment  four- 
nie de  subsistances  s'accroît  rapidement  et  en 
proportion  directe  de  l'abondance  dont  elle  jouit. 

Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  si  elle  dé- 
croît quand  elle  manque  des  subsistances'  dont 
elle  a  besoin.  Alors  les  décès  augmentent  et  les 
naissances  diminuent. 

Néanmoins,  dans  les  États  européens  modernes, 
la  diminution  est  rarement  telle,  que  s'il  n'existe 


NOTES  213 

pas  de  cause  autre  que  la  disette,  raccroissement 
de  la  population  en  soit  complètement  arrêté, 
c'est-à-dire  que  le  nombre  des  décès  surpasse  ce- 
lui des  naissances. 

On  n'a  vu  de  calamités  pareilles  qu'en  Orient, 
dans  l'Inde  anglaise,  par  exemple,  où  la  famine 
a  dépeuplé  des  districts  tout  entiers. 

Cela  n'est  même  pas  arrivé  en  France,  dans  les 
deux  plus  mauvaises  années  du  xix^  siècle,  celles 
où  le  choléra  a  fait  sa  double  apparition,  en  1832, 
qui  fut  aussi  une  année  de  disette,  et  en  1849, 
année  où  l'abondance  apporta  quelque  soulage- 
ment aux  populations  attaquées  par  l'épidémie. 

L'accroissement  moyen  annuel  de  la  population 
en  France  depuis  cinquante  ans  est  de  1/210  *. 

Il  fut  en  1832  de  1,7312  et  en  1849  de  1,2643, 
accroissement  bien  faible  sans  doute. 

L'accroissement  fort  ou  faible  est  donc  continu; 
mais  il  subit,  en  diminuant,  l'influence  des  di- 
settes. 


*  Cette  statistique  diffère  peu  de  celle  de  M  Block  que  nous 
avons  citée  plus  haut,  elle  équivaut  au  chiffre  de  0,49,  l'autre 
au  chiffre  de  0,53,  la  différence  peut  s'exphquer  par  les  années 
plus  au  moins  récentes  sur  lesquelles  on  a  opéré. 


2Ii  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

A  quel  chiffre  s'élève  cette  diminution? 

Pour  les  années  que  ^lous  allons  citer,  elle  a  été 
tantôt  de  5  vingtièmes,  tantôt  de  5  et  demi,  de  7, 
de  8  et  de  11  vingtièmes,  variant  ainsi  du  quart 
à  plus  de  moitié  sur  les  années  précédentes. 

Dans  deux  années,  l'une  d'abondance  (1810), 
l'autre  de  disette  (1811),  succédant  à  une  année 
d'abondance  et  en  éprouvant  encore  les  effets, 
quant  aux  naissances,  l'accroissement  a   été  : 

En  1810,  de  6/80  pour  1000, 
En  1811,  de  5/38  pour  1000. 
Moyenne  des  deux  années,  6,09  pour  1000. 

Dans  les  deux  années  suivantes,  1812,  année 
de  grande  disette,  et  1813,  où  les  récoltes  insuffi- 
santes ont  eu  sur  les  naissances  une  influence 
augmentée  par  la  disette  précédente,  l'accroisse- 
ment a  été  seulement  : 

En  1812,  de  3,81  pour  1000, 
En  1813,  de  4,01  pour  1000. 

Moyenne  des  deux  années,  3.91  pour  1000. 

Diminution  :  plus  de  sept  vingtièmes. 

En  1816,  année  de  récoltes  insuffisantes,  mais  ' 


.NOTES  213 

compensée  et  au  delà  par  l'abondance  des  récoltes 
de  l'année  précédente,  l'accroissement  de  popu- 
lation avait  été  de  : 

8,36  pour  1000. 

bans  les  deux  années  suivantes,  années  de  di- 
sette, il  fut  seulement  : 

En  1817,  de  6,64  pour  1000, 
En  1818,  de  5,45  pour  1000. 

Moyenne  des  deux  années  :  6,04  pour  1000. 
Diminution  :  plus  de  cinq  viyigtièmes  et  demi. 

De  1822  à  1827,  période  de  six  années  d'abon- 
dance, l'accroissement  moyen  annuel  de  la  popu- 
lation est  de  : 

6,26  pour  1000. 

Il  s'abaisse  de  1828  à  1832,  période  de  cinq 
années  de  disette,  à 

3,66  pour  1000 
Diminution  dep/its  de  huit  vingtièmes. 

L'influence  des  années  de  disette  sur  la  diminu- 


216  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

tiondelaccroisseaieot  de  population  se  fait  même 
sentir  dans  la  période  mixte. 

En  1839,  première  année  de  disette,  succédant 
à  plusieurs  années  d'abondance,  l'accroissement 
de  la  population  a  été  de': 

5,25  pour  1000 

Il  n'a  plus  été,  en  1840,  seconde  année  de  disette, 
que  de  : 

4,01  pour  1000. 

Diminution  :  cinq  vingtièmes. 

Dans  la  dernière  période  de  disette  qui  a  duré 
cinq  ans,  et  a  exigé  une  importation  (exportations 
déduites)  de  18,697,132  hectolitres  de  froment. 
Tannée  1845  qui,  par  exception,  n'a  importé  sur 
cette  masse  considérable  que  la  quantité  insigni- 
liaiite  de  331,787  hectolitres,  a  eu  un  accroisse- 
ment de  population  de  : 

6,83  pour  1000. 

Tandis  que  dans  les  trois  années  suivantes, 
1846  et  1847,  années  de  disette,  et  1848,  première 
année  de  la  période  d'abondance,  oi^i  la  France  est 
encore,  mais  qui  a  subi,  sous  le  rapport  des  nais- 


NOTES  217 

sance,  l'influence  de  l'année  précédente,  l'accrois- 
sement ne  s'est  élevé  : 

En  1846  qu'à  4,34  pour  1000  \ 

En  1847  qu'à  1,77  pour  1000    moyenne  3,02. 

En  1848  qu'à  2,95  pour  1000  ) 

Diminution  :  plus  de  onze  vingtièmes. 

Ce  qui  précède  prouve  suffisamment  l'influence 
des  disettes  sur  la  diminution  de  l'accroissement 
régulier  de  la  population,  et  indique  le  chiff're 
proportionnel  de  la  diminution. 

Nous  avons  voulu  nous  rendre  compte  de  la 
manière  dont  cette  influence  s'exerce  et  dont  cette 
diminution  s'opère;  nous  avons  reconnu  que  c'est 
par  deux  actions  simultanées,  opposées  dans  les 
moyens,  mais  concourant  au  même  but  par  la 
diminution  des  naissances  et  par  l'augmentation 
des  décès;  nous  pourrions,  au  besoin,  indiquer  la 
valeur  proportionnelle  de  ces  deux  modes  d'in- 
fluence, mais  nous  ne  donnerions  qu'une  preuve 
de  plus  aux  résultats  qui  viennent  d'être  énoncés, 
et  nous  pensons  que  les  preuves  déjà  données 
suffisent. 


218  SOLUTION    POLITIQ!  E    ET    SOCIALE 


NOTE    C 

CONSTITUTION    FÉDÉRALE   DES  ÉTATS-UNIS 
PRÉAMBULE 

Nous,  le  peuple  des  États-Unis,  afin  de  former 
une  union  plus  parfaite,  d'établir  la  justice,  d'as- 
surer la  tranquillité  intérieure,  de  pourvoir  à  la 
défense  commune,  d'accroître  le  bien-ôtre  géné- 
ral, et  de  rendre  durables  pour  nous  comme  pour 
notre  postérité  les  bienfaits  de  la  liberté,  nous 
faisons,  nous  décrétons  et  nous  établissons  cette 
Constitution  pour  les  États  d'Amérique. 

ARTICLE    PREMIER 

CONGRÈS 

Section  I.  —  Le  Congrès  des  Etats-Unis,  com- 
posé d'un  Sénat  et  d'une  Chambre  de  représen- 
tants, sera  investi  de  tous  les  pouvoirs  législatifs 
conférés  par  le  présent  acte. 


iXOTES  219 

Section  II.  —  1°  La  Chambre  des  représentants 
sera  composée  de  membres  élus  tous  les  deux  ans 
par  le  peuple  des  divers  États,  et  les  électeurs  de 
chaque  État  devront  avoir  les  qualités  requises 
des  électeurs  de  la  branche  la  plus  nombreuse  de 
la  législature  de  l'État. 

2°  Personne  ne  pourra  être  représentant  des 
États-Unis,  à  moins  d'avoir  atteint  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans,  d'avoir  été,  pendant  sept  ans,  citoyen  des 
États-Unis,  et  d'être,  au  moment  de  son  élection, 
habitant  de  l'État  qui  l'aura  élu. 

3**  Les  représentants  et  les  impôts  directs  seront 
répartis  entre  les  divers  États  qui  feront  partie 
de  l'Union,  d'après  le  nombre  respectif  de  leurs 
habitants.  Ce  nombre  sera  déterminé  en  ajou- 
tant au  nombre  total  des  personnes  libres,  y 
compris  ceux  qui  servent  pour  un  terme  limité, 
et  non  compris  les  Indiens  non  imposés  (taxés), 
trois  cinquièmes  de  toutes  les  autres  personnes. 

Le  recensement,  pour  l'époque  actuelle,  sera  fait 
trois  ans  après  la  première  réunion  du  congrès 
des  États-Unis,  et  ensuite  de  dix  ans  en  dix  ans, 
d'après  le  mode  qui  sera  réglé  par  une  loi.  Le 
nombre  des  représentants  n'excédera  pas  celui  de 


220  SOLUTION    POLITIQUK    ET    SOCIALE 

un  par  trente  mille  habitants,  mais  chaque  État 
aura  au  moins  un  représentant. 

Jusqu'à  ce  que  le  recensement  ait  été  fait,  l'État 
de  New-Hampshire  en  enverra  3  ;  Massachusetts,  8  ; 
Rhode-Island  et  les  plantations  de  Providence,  1  ; 
Connecticut,  5;  New-York,  6;  New-Jersey,  4;  la 
Pensylvanie,  8  ;  le  Delaware,  1  ;  le  Maryland,  5  ; 
la  Virginie,  10;  la  Caroline,  septentrionale,  5;  la 
Caroline  méridionale,  5,  et  la  Géorgie,  3. 

4°  Quand  des  places  viendront  à  vaquer,  dans 
la  représentation  d'un  État  au  Congrès,  l'autorité 
executive  de  cet  État  convoquera  le  corps  élec- 
toral pour  les  remplir. 

5^  La  chambre  des  représentants  élira  ses  ora- 
teurs (président  et  vice-président)  et  autres  digni- 
taires ;  elle  exercera  seule  le  pouvoir  de  mise  en 
accusation  pour  forfaiture. 

SÉNAT 

Section  111.  —  l'^  Le  Sénat  des  États-Unis  sera 
composé  de  deux  sénateurs  de  chaque  État,  élus 
par  la  législature  de  cet  état  et  chaque  sénateur 
aura  un  vote. 


NOTES  22l 

2°  Immédiatement  après  leur  réunion,  en  con- 
séquence de  leur  première  élection,  ils  seront 
divisés  par  nombre  aussi  égal  que  possible,  en 
trois  classes.  Les  sièges  des  sénateurs  de  la 
première  classe  seront  vacants  au  bout  de  la 
seconde  année  ;  ceux  de  la  seconde  classe  au  bout 
de  quatre  ans  ;  et  ceux  de  la  troisième  classe  à  la 
fin  de  la  sixième  année,  de  manière  que  tous  les 
deux  ans  un  tiers  du  Sénat  sera  renouvelé  par  les 
élections.  Si  des  places  deviennent  vacantes  par 
démission  ou  pour  tout  autre  cause,  pendant  l'in- 
tervalle des  sessions  de  la  législature  de  chaque 
État,  le  pouvoir  exécutif  de  cet  État  nommera 
provisoirement  un  sénateur  jusqu'à  ce  que  la 
législature  puisse  remplir  le  siège  vacant. 

3°  Personne  ne  pourra  être  sénateur  à  moins 
d'avoir  atteint  l'âge  de  trente  ans,  d'avoir  été 
pendant  neuf  ans  citoyen  des  États-Unis,  et 
d'être,  au  moment  de  son  élection,  habitant  de 
l'État  qui  l'aura  choisi. 

4o  Le  vice-président  des  États-Unis  sera  prési- 
dent du  Sénat,  mais  il  n'aura  point  le  droit  de 
voter,  à  moins  que  les  votes  ne  soient  partagés 
également. 


222  SL)LUT10N    politique    ET    SOCIALE 

5°  Le  Sénat  nommera  les  autres  employés  e 
dignitaires  du  Sénat,  entre  autres  un  présiden 
qui  présidera  dans  l'absence  du  vice-présiden 
des  États-Unis,  ou  quand  celui-ci  exercera  le 
fonctions  du  président  de  l'Union, 

6"  Le  Sénat  aura  seul,  le  pouvoir  de  juger  le 
accusations  intentées  par  la  Chambre  des  repré- 
sentants (impeacliment,  conformément  à  la  sec- 
tion II,  n*^  o,  de  l'article  1  sur  le  Congrès).  Quan( 
il  agira  à  cat  effet,  les  sénateurs  prêteront  un  ser 
ment  spécial.  Si  c'est  le  président  des  États-Uni 
qui  est  mis  en  jugement,  le  chef  de  la  justici 
présidera.  Aucun  accusé  ne  peut  être  déclar( 
coupable  ({u'à  la  majorité  des  deux  tiers  dei 
membres  présents. 

7"  Les  jugements  rendus,  en  cas  de  mise  er 
accusation,  n'auront  d'autre  effet  que  de  privei 
l'accusé  de  la  place  qu'il  occupe,  de  le  déclare] 
incapable'  de  posséder  tout  emploi  honorique  oi 
rétribué,  et  tout  poste  de  confiance,  dans  les 
États-Unis  ;  mais  la  partie  condamnée  pourn 
nonobstant  être  mise  en  accusation,  jugée  e1 
punie,  selon  les  lois,  par  les  tribunaux  ordi- 
naires. 


xNOTES  223 

Section  IV.  —  1°  Le  temps,  le  lieu  et  le  mode 
de  procéder  aux  élections  des  sénateurs  et  des 
représentants  seront  réglés  dans  chaque  État  par 
la  législature;  mais  le  Congrès  peut,  par  une  loi, 
changer  ces  règlements  ou  en  faire  de  nouveaux, 
excepté  pourtant  en  ce  qui  concerne  le  lieu  où  les 
sénateurs  doivent  être  élus. 

2*^  Le  Congrès  s'assemblera  au  moins  une  fois 
l'année,  et  cette  réunion  sera  fixée  pour  le  premier 
lundi  de  décembre,  à  moins  qu'une  loi  ne  la  fixe 
à  un  antre  jour. 


PRIVILEGES,    POUVOIR    ET    DEVOIRS    DU    CONGRES 

Section  V.  —  1°  Chaque  Chambre  sera  juge  des 
élections,  des  droits  et  des  titres  de  ses  membres  ; 
dans  chaque  Chambre  la  majorité  suffira  pour 
traiter  les  affaires  ;  toutefois  un  nombre  moindre 
que  la  majorité  peut  s'ajourner  de  jour  en  jour  et 
est  autorisé  à  forcer  les  membres  absents  à  se 
rendre  aux  séances  par  telle  pénalité  que  chaque 
Chambre  pourra  établir. 

2°  Chaque  Chambre  fera  son  règlement,  punira 


224  SOLUTION    POLITIQrE    KT    SOCIALE 

ses  membres  pour  conduite  inconvenante,  et 
pourra,  à  la  majorité  des  deux  tiers,  exclure  un 
membre. 

3°  Chaque  Chambre  tiendra  un  journal  de  ses 
délibérations  et  le  publiera  d'époque  en  époque 
(à  l'exception  de  ce  qui  lui  paraîtra  devoir  rester 
secret),  et  les  votes  négatifs  ou  approbatifs  des 
membres  de  chaque  Chambre  sur  une  question 
quelconque  seront,  sur  la  demande  dun  cinquième 
des  membres  présents,  consignés  sur  le  journal. 

4^  Aucune  des  deux  Chambres  ne  pourra,  pen- 
dant la  session  du  Congrès,  et  sans  le  consente- 
ment de  l'autre  Chambre,  s'ajourner  à  plus  de 
trois  jours,  ni  transférer  ses  séances  dans  un 
autre  lieu  que  celui  où  siègent  les  deux  chambres. 

Section  YI  —  1°  Les  sénateurs  et  les  représen- 
tants recevront  pour  leurs  services  une  indemnité 
qui  sera  fixée  par  une  loi  et  payée  par  le  trésor  des 
États-Unis. 

Dans  tous  les  cas,  excepté  ceux  de  trahison,  de 
félonie  ou  de  d'atteinte  à  la  paix  publique,  ils  ne 
pourront  être  arrêtés,  soit  pendant  leur  présence 
à  la  session,  soit  en  s'y  rendant  on  en  retournant 


NOTES  225 

dans  leurs  foyers;  dans  aucun  autre  lieu  ils  ne 
pourront  être  inquiétés  ni  interrogés  en  raison  de 
discours  ou  opinions  prononcés  dans  leurs  cham- 
bres respectives. 

2°  Aucun  sénateur  ou  représentant  ne  pourra, 
pendant  le  temps  pour  lequel  il  a  été  élu,  être 
nommé  à  une  place,  dans  l'ordre  civil,  sous  l'auto- 
rité des  États-Unis,  lorsque  cette  place  aura 
été  crée  ou  que  les  émoluments  en  auront  été 
augmentés  pendant  cette  période.  Aucun  individu, 
occupant  une  place  sous  l'autorité  des  États-Unis, 
ne  pourra  être  membre  d'une  des  deux  Chambres 
tant  qu'il  conservera  cette  place. 

Section  VII  —  1°  Tous  les  bills  (lois),  établis- 
sant des  impôts,  doivent  prendre  naissance  dans  la 
Chambre  des  représentants,  mais  le  Sénat  peut  y 
concourir  par  des  amendements  comme  aux 
autres  bills  (lois). 

2°  Tout  bill  qui  aura  reçu  l'approbation  du  Sénat 
et  de  la  Chambre  des  représentants  sera,  avant 
de  devenir  loi,  présenté  au  président  des  États- 
Unis;  s'il  l'approuve,  il  y  apposera  sa  signa- 
ture,   sinon,    il     le    renverra    avec    ses     objec- 

15 


226  SOLUTION   POLITIQUE   ET   SOCIALE 

tiens  à  la  Chambre  dans  laquelle  il  aura 
été  proposé  ;  elle  consignera  les  objections  inté- 
gralement dans  son  journal  et  discutera  de  nou- 
veau le  bill.  Si.  après  cette  seconde  discussion, 
deux  tiers  de  la  Chambre  se  prononcent  en  faveur 
du  bill,  il  sera  envoyé,  avec  les  objections  du  pré- 
sident, à  l'autre  Chambre  qui  le  discutera  éga- 
lement et,  si  la  même  majorité  l'approuve,  il 
deviendra  loi;  mais,  en  pareil  cas,  les  votes  des 
Chambres  doivent  être  donnés  par  oui  et  par  non 
et  les  noms  des  personnes,  votant  pour  ou  contre, 
seront  inscrits  sur  le  journal  de  leurs  Chambres 
respectives.  Si  dans  les  dix  jours  (les  dimanches 
non  compris)  le  président  ne  renvoie  point  un  bill 
qui  lui  aura  été  présenté,  ce  bill  aura  force  de  loi 
comme  s'il  l'avait  signé,  à  moins,  cependant,  que 
le  Congrès  en  s'ajournant  ne  prévienne  le  renvoi  : 
alors  le  bill  ne  fera  point  loi. 

3^  Tout  ordre,  toute  résolution  ou  vote  pour  les- 
quels le  concours  des  deux  Chambres  est  nécessaire 
(excepté  pourtant  pour  la  question  d'ajournement), 
doivent  être  présentés  au  président  des  États- 
Unis,  et  approuvés  par  lui  avant  de  recevoir  leur 
exécution,  s'il  les  rejette,  ils  doivent  être  de  non- 


NOTES  227 

veau  adoptés  par  les  deux  tiers  des  deux  Cham- 
bres suivant  les  règles  prescrites  pour  les  bills. 

Section  YIII.  —  Le  Congrès  aura  le  pouvoir  : 
i°  D'établir  et  de  faire  percevoir  des  taxes,  droits, 
impôts  et  excises;  de  payer  les  dettes  publiques 
et  de  pourvoir  à  la  défense  commune  et  au  bien 
général  des  États-Unis;  mais  les  droits,  impôts  et 
excises  devront  être  les  mêmes  dans  tous  les 
États  de  l'Union, 

2°  D'emprunter  de  l'argent  sur  le  crédit  des 
États-Unis. 

3°  De  régler  le  commerce  avec  les  nations  étran- 
gères, entre  les  divers  États  et  les  tribus  in- 
diennes ; 

¥  D'établir  une  règle  générale  pour  les  naturali- 
sations, et  des  lois  générales  sur  les  banqueroutes 
dans  les  États-Unis  ; 

5*^  De  battre  la  monnaie,  d'en  régler  la  valeur, 
ainsi  que  celle  des  monnaies  étrangères,  et  de 
iixer  la  base  des  poids  et  mesures; 

6'^  D'assurer  la  punition  de  la  contrefaçon  de  la 
monnaie  courante  et  du  papiei-  public  des  États- 
Unis; 


228  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

7»  D'établir  des  bureaux  de  poste  et  des  routes 
de  poste; 

8° D'encourager  les  progrès  des  sciences  et  des 
arts  utiles,  en  assurant  pour  des  périodes  limitées, 
aux  auteurs  et  inventeurs  le  droit  exclusif  de  leurs 
écrits  et  de  leurs  découvertes  ; 

9*^  De  constituer  des  tribunaux  subordonnés  à 
la  cour  suprême. 

lOo  De  définir  et  de  punir  les  pirateries  et 
félonies  commises  en  haute  mer  et  les  offenses 
contre  le  droit  des  gens; 

ll'^De  déclarer  la  guerre,  d'accorder  les  lettres 
de  marque  et  de  représailles,  et  de  faire  des  règle- 
ments concernant  les  captures  sur  terre  et  sur 
mer; 

12°  De  lever  et  d'entretenir  des  armées;  mais 
aucun  argent  pour  cet  objet  ne  pourra  être  voté 
pour  plus  de  deux  années. 

43"  De  créer  et  d'entretenir  une  force  maritime; 

14''  D'établir  des  règles  pour  l'administration  et 
l'organisation,  des  forces  de  terre  et  de  mer; 

15"  De  pourvoir  à  ce  que  la  milice  soit  convo- 
quée pour  exécuter  les  lois  de  l'Union,  pour  répri- 
mer les  insurrections  et  repousser  les  invasions; 


NOTES  229 

16°  De  pourvoir  à  ce  que  la  milice  soit  orga- 
nisée, armée  et  disciplinée,  et  de  disposer  de  la 
partie  de  cette  milice  qui  peut  se  trouver  employée 
au  service  des  États-Unis,  en  laissant  aux  États 
respectifs  la  nomination  des  officiers  et  le  soin 
d'établir  dans  la  milice  la  discipline  prescrite  par 
le  Congrès. 

17"  D'exercer  la  législation  exclusive,  dans 
tous  les  cas  quelconques,  sur  tel  district  (ne  dépas- 
sant pas  dix  milles  carrés)  qui  pourra,  par  la  ces- 
sion des  États  particuliers  et  par  l'acceptation  du 
Congrès,  devenir  le  siège  du  gouvernement  des 
États-Unis,  et  d'exercer  une  pareille  autorité  sur 
tous  les  lieux  acquis  par  achat,  d'après  le  consen- 
tement de  la  législature  de  l'État  où  ils  seront 
situés  et  qui  serviront  à  l'établissement  de  forte- 
resses, de  magasins,  d'arsenaux,  de  chantiers  et 
autres  établissements  d'utilité  publique; 

18*^  Enfin,  le  Congrès  aura  le  pouvoir  de  faire 
toutes  les  lois  nécessaires  ou  convenables  pour 
mettre  à  exécution  les  pouvoirs  qui  lui  ont  été 
accordés,  et  tous  les  autres  pouvoirs  dont  cette 
constitution  a  investi  le  gouvernement  des  États- 
Unis  ou  une  de  ses  branches. 


230  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

Sectio7i  [\. —  1*^  i^a  migration  ou  l'importation 
de  telles  personnes,  dont  l'admission  peut  pa- 
raître convenable  aux  États  actuellement  exis- 
tants, ne  sera  point  prohibée  par  le  Congrès  avant 
l'année  1808,  mais  une  taxe,  ou  droit  n'excédant 
point  dix  dollars  par  personne,  peut-être  imposé 
sur  cette  importation  ; 

2*^  Le  privilège  de  Vhabeas  corpus  ne  sera  sus- 
pendu qu'en  cas  de  rébellion  ou  d'invasion,  et 
lorsque  la  sûreté  publique  l'exigera; 

3*^  Aucun  bill  «  d'attainder,  »  ni  loi  rétroactive 
«  ex  posi  facto,  »  ne  pourront  être  décrétés; 

4°  Aucune  capitation  ou  autre  taxe  directe  ne 
sera  établie,  si  ce  n'est  en  proportion  du  dénom- 
brement prescrit  dans  une  section  précédente  ; 

5°  Aucune  taxe  ou  droit  ne  sera  établi  sur 
des  articles  exportés  d'un  État  quelconque  , 
aucune  préférence  ne  sera  donnée  par  des  règle- 
ments commerciaux  ou  fiscaux,  aux  ports  d'un 
État  sur  ceux  d'un  autre  ;  les  navires  destinés 
pour  un  État  ou  sortant  de  ses  ports,  ne  pourront 
être  forcés  de  faire  des  déclarations  d'entrée  ou 
de  sortie  dans  ceux  d'un  autre,  ou  d'y  payer  des 
droits  ; 


NOTES  231 

6*^  Aucun  argent  ne  sera  tiré  de  la  trésorerie 
(|u'en  conséquence  de  dispositions  prises  par  une 
loi,  et  de  temps  en  temps  on  publiera  un  tableau 
régulier  des  recettes  et  des  dépenses  publiques; 

1^  Aucun  titre  de  noblesse  ne  sera  accordé  par 
les  États-Unis,  et  aucune  personne,  tenant  une 
place  rétribuée  ou  un  poste  de  confiance  sous  leur 
autorité,  ne  pourra,  sans  le  consentement  du 
Congrès,  accepter  quelque  présent,  émolument, 
place  ou  titre  quelconque  d'un  roi,  prince  ou 
État  étranger. 

Section  X.  —  1*^  Aucun  État  ne  pourra  con- 
tracter ni  traité,  ni  alliance,  ni  confédération,  ni 
battre  monnaie,  ni  accorder  des  lettres  de  marque 
ou  de  représailles,  ni  émettre  des  billets  de  crédit, 
ni  déclarer  qu'autre  chose  que  la  monnaie  d'or 
et  d'argent  doive  être  acceptée  en  payement  de 
dettes,  ni  passer  quelque  bill  «  d'attainder,  »  ou 
loi  rétroactive  «  ex  post  facto,  »  ou  affaiblissement 
des  obligations  des  contrats,  ni  accorder  aucun 
titre  de  noblesse  ; 

2<^  Aucun  État  ne  pourra,  sans  le  consentement 
du  Congrès,  établir  quelque  impôt  ou  droit  sur  les 


232  SOLUTION    POLITIOUK    ET    SOCIALE 

importations  ou  exportations,  à  l'exception  de  ce 
qui  lui  sera  absolument  nécessaire  pour  l'exécu- 
tion de  ses  lois  d'inspection,  et  le  produit  net  do 
tous  droits  et  impôts,  établis  par  quelque  État  sur 
les  importations  et  exportations,  sera  à  la  dispo- 
sition de  la  trésorerie  des  États-Unis,  et  toute  loi 
pareille  sera  sujette  à  la  révision  etau  contrôle  du 
Congrès.  Aucun  État  ne  pourra,  sans  le  consen- 
tement du  Congrès,  établir  aucun  droit  sur  le 
tonnage,  entretenir  des  troupes  ou  des  vaisseaux 
de  guerre  en  temps  de  paix,  contracter  quelque 
traité  ou  union  avec  un  autre  État,  ou  avec  une 
puissance  étrangère,  ou  s'engager  dans  une  guerre, 
si  ce  n'est  dans  des  cas  d'invasion,  ou  d'un 
danger  assez  imminent  pour  n'admettre  aucun 
délai. 

ARTICLE    II 

POUVOIR     EXÉCUTIF 

Section  I.  —  1°  Le  président  des  États-Unis  sera 
investi  du  pouvoir  exécutif,  il  occupera  sa  place 
pendant  le  terme  de  quatre  ans  ;  son  élection  et 
celle  du  vice-président,  nommé  pour  le  même 
terme,  auront  lieu  ainsi  qu'il  suit  : 


XOTES  233 

!2''  Chaque  État  iioiiiniera,  de  la  manière  qui 
sera  prescrite  par  la  législature,  un  nombre 
d'électeurs  égal  au  nombre  total  de  sénateurs  et 
de  représentants  que  l'État  envoie  au  Congrès  ; 
mais  aucun  sénateur  ou  représentant,  ni  aucune 
personne,  possédant  une  place  rétribuée  ou  poste 
de  confiance  sous  l'autorité  des  États-Unis,  ne 
peuvent  être  électeurs  *. 

Les  électeurs  s'assembleront  dans  leurs  États 
respectifs  et  ils  voteront  au  scrutin  pour  deux 
individus,  dont  un  au  moins  ne  sera  point  habitant 
du  même  État  qu'eux.  Ils  feront  une  liste  de 
toutes  les  personnes  qui  ont  obtenu  des  suffrages 
et  du  nombre  de  suffrages  que  chacune  d'elles 
aura  obtenu.  Ils  signeront  et  certifieront  cette  liste 
et  la  transmettront,  scellée,  au  siège  du  gouverne- 
ment des  États-Unis,  sous  l'adresse  du  président 
du  Sénat  qui,  en  présence  du  Sénat  et  de  la 
Chambre  des  représentants,  ouvrira  tous  les  cer- 
titicats  et  comptera  les  votes.  Celui  qui  aura  obtenu 
le  plus  grand  nombre  de  votes  sera  président.  Si 
ce  nombre  forme  la  majorité  des  électeurs,  si  plu- 

*  Cette  clause  a  été  annulée  et  remplacée  par  le  douzième  amen- 
dement. (  Voir  la  fin.) 


234  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

sieurs  ont  obtenu  cette  majorité  et  que  deux  ou  un 
plus  grand  nombre  réunissent  la  même  quantité 
de  suffrages,  alors  la  Chambre  des  représentants 
choisira  l'un  d'entre  eux  pour  président  par  la  voie 
du  scrutin.  Si  aucun  n'a  réuni  cette  majorité,  la 
Chambre  prendra  les  cinq  personnes  qui  en  ont 
approché  davantage  et  choisira  parmi  elles  le  pré- 
sident de  la  même  manière.  Mais  en  choisissant 
ainsi  le  président,  les  votes  seront  pris  par 
État,  la  représentation  de  chaque  État  ayant  un 
vote. 

Un  ou  plusieurs  membres  des  deux  tiers  des 
États  devront  être  présents  et  la  majorité  de  tous 
ces  États  sera  indispensable  pour  que  le  choix  soit 
valide.  Dans  tous  les  cas,  après  le  choix  du  pré- 
sident celui  qui  réunira  le  plus  de  voix  sera  vice- 
président. 

Si  de'jx  ou  plusieurs  candidats  ont  obtenu  un 
nombre  égal  de  voix,  le  Sénat  choisira  parmi  ces 
candidats  le  vice-président  par  voie  du  scrutin. 

3°  Le  congrès  peut  déterminer  l'époque  de  la 
réunion  des  électeurs  et  le  jour  auquel  ils  donne- 
ront leurs  suffrages,  lequel  jour  sera  le  même 
pour  tous  les  Etats  de  l'Union. 


NOTES  235 

\o  Aucun  inilividu  autre  qu  un  citoyen  né  dans 
les  Etats-Unis,  ou  étant  citoyen  lors  de  l'adoption  de 
cette  Constitution  ne  peut  être  éligible  à  la  dignité 
de  président,  aucune  personne  ne  sera  éligible  à 
cette  fonction  à  moins  d'avoir  atteint  l'âge  de 
trente-cinq  ans  et  d'avoir  résidé  quatorze  ans  aux 
Etats-Unis. 

5°  En  cas  que  le  président  soit  privé  de  son  em- 
ploi ou  en  cas  de  mort,  de  démission  ou  d'inhabi- 
leté à  remplir  les  fonctions  et  les  devoirs  de  cette 
dignité,  elle  sera  confiée  au  vice-président,  et  le 
Congrès  peut,  par  une  loi,  pourvoir  au  cas  du  ren- 
voi, de  la  mort,  de  la  démission  ou  de  l'inhabileté 
tant  du  président  que  du  vice-président,  et  indi- 
quer quel  fonctionnaire  public  remplira  en  pareil 
cas  la  présidence,  jusqu'à  ce  que  la  cause  de  l'in- 
habileté n'existe  plus,  ou  qu'un  nouveau  prési- 
dent ait  été  élu. 

6°  Le  président  recevra  pour  ses  services,  à  des 
époques  fixées,  une  indemnité  (jui  ne  pourra  être 
augmentée  ni  diminuée  pendant  la  période  pour 
laquelle  il  aura  été  élu,  et  pendant  le  même 
temps  il  ne  pourra  recevoir  aucun  autre  émolu- 
ment des  Etats-Unis  ou  de  l'un  des  États. 


236  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

7o  Avant  son  entrée  en  fonction,  il  prêtera  le 
serment  on  affirmation  qni  suit  : 

«  Je  jure  (ou  j'affirme)  solennellement  que  je 
»  remplirai  fidèlement  la  fonction  de  président 
»  des  États-Unis,  et  que  j'emploierai  tous  mes 
»  soins  à  conserver,  protéger  et  défendre  la 
))  Constitution  des  États-Unis.  » 

Section  II.  —  1°  Le  président  sera  commandant 
en  chef  de  l'armée  et  des  flottes  des  États-Unis  et 
de  la  milice  des  divers  États,  quand  elle  sera 
appelée  au  service  actif  des  États-Unis.  Il  peut 
requérir  l'opinion  écrite  du  principal  fonction- 
naire dans  chacun  des  départements  exécutifs, 
sur  tout  objet  relatif  aux  devoirs  de  leurs  offices 
respectifs,  et  il  aura  le  pouvoir  d'accorder  dimi- 
nution de  peine  et  pardon  pour  délits  envers  les 
États-Unis,  excepté  en  cas  de  mise  en  accusation 
par  la  Chambre  des  représentants. 

2°  Il  aura  le  pouvoir  de  faire  des  traités  de  l'avis 
et  du  consentement  du  Sénat,  pourvu  que  les 
deux  tiers  des  sénateurs  présents  y  donnent  leur 
approbation  ;  il  nommera  de  l'avis  et  du  consente- 
ment du  Sénat,  et  désignera  les  ambassadeurs, 


NOTES  237 

les  autres  ministres  publics  et  les  consuls,  les 
juges  des  cours  suprêmes  et  tous  autres  fonction- 
naires des  États-Unis,  aux  nominations  desquels 
il  n'aura  point  été  pourvu  d'une  autre  ma- 
nière dans  cette  Constitution  ,  et  qui  seront 
institués  par  une  loi.  Mais  le  Congrès  peut,  par 
une  loi,  attribuer  les  nominations  de  ces  employés 
subalternes  au  président  seul,  aux  cours  de  justice 
ou  aux  chefs  des  départements  (ministres). 

3°  Le  président  aura  le  pouvoir  de  nommer  à 
toutes  les  places  vacantes  pendant  l'intervalle  des 
sessions  du  Sénat,  en  accordant  des  commissions 
qui  expireront  à  la  tin  de  la  session  prochaine. 

Section  III.  —  De  temps  à  autre  le  président 
donnera  au  Congrès  des  informations  sur  l'état 
de  l'Union,  et  il  recommandera,  à  son  examen 
les  mesures  qu'il  jugera  nécessaires  et  convena- 
bles ;  il  peut,  dans  des  occasions  extraordi- 
naires, convoquer  les  deux  Chambres,  ou  l'une 
d'elles,  et  en  cas  de  dissentiments  entre  elles  sur 
le  temps  de  leur  ajournement,  il  peut  les  ajourner 
à  telle  époque  qui  lui  paraîtra  convenable.  Il  rece- 
vra  les    ambassadeurs   et    les    autres    ministres 


238  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

publics;  il  veillera  à  ce  que  les  lois  soient  fidèle- 
ment exécutées  et  il  commissionnera  tous  les  fonc- 
naires  des  États-Unis. 

Section  lY.  —  Le  président,  le  vice-président 
et  tous  les  fonctionnaires  civils  pourront  être  ren- 
voyés de  leur  place  si,  à  la  suite  d'une  accusation, 
ils  sont  convaincus  de  trahison,  de  dilapidation 
du  trésor  public  ou  d'autres  grands  crimes  et 
d'inconduite  {misdememiors) . 


ARTICLE    III 
POUVOIR    JUDICIAIRE 

Section  I.  —  Le  pouvoir  judiciaire  des  États- 
Unis  sera  confié  à  une  cour  suprême  et  aux  autres 
cours  inférieures  que  le  Congrès  peut  de  temps  à 
autre  former  et  établir.  Les  juges,  tant  des  cours 
suprêmes  que  des  cours  inférieures,  conserveront 
leur  place  tant  que  leur  conduite  sera  bonne,  et 
ils  recevront  pour  leurs  services,  à  des  époques 
fixées,  une  indemnité  qui  ne  pourra  être  dimi- 
nuée tant  qu'ils  occuperont  leur  place. 


NOTES  2.Î9 

Section  II.  —  1*^  Le  pouvoir  judiciaire  s'étendra 
à  toutes  les  causes,  en  matière  de  lois  et  d'équité, 
qui  se  produiront  sous  l'empire  de  cette  Constitu- 
tion, des  lois  des  États-Unis  et  des  traités  faits  ou 
qui  seront  faits  sous  leur  autorité;  à  toutes  les 
causes  concernant  des  ambassadeurs ,  d'autres 
ministres  publics  ou  des  consuls;  à  toutes  les 
causes  de  l'amirauté  ou  de  la  juridiction  mari- 
time ;  aux  contestations  dans  lesquelles  les  États- 
Unis  seront  partie;  aux  contestations  entre  deux 
ou  plusieurs  États,  entre  un  État  et  des  citoyens 
d'un  autre  État,  entre  des  citoyens  d'États  diffé- 
rents, entre  des  citoyens  du  même  État  réclamant 
des  terres  en  vertu  de  concessions  émanées  de 
différents  États,  et  entre  un  État  ou  les  citoyens 
de  cet  État  et  des  États,  citoyens  ou  sujets  étran- 
gers. 

Dans  tous  les  cas  concernant  les  ambassadeurs, 
d'autres  ministres  publics  ou  des  consuls,  et  dans 
les  causes  dans  lesquelles  un  État  sera  partie,  la 
cour  suprême  exercera  la  juridiction  originelle. 
Dans  tous  les  autres  cas  sus-mentionnés,  la  cour 
suprême  aura  la  juridiction  d'appel,  tant  sous  le 
rapport  de  la  loi  (pie  du  fait,  avec  telles  excep- 


2iO  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

tions  et  tels  règlements  que  le  Congrès  pourra 
faire.  Le  jugement  de  tout  crime,  excepté  en  cas 
(le  mise  en  accusation  par  la  Chambre  des  repré- 
sentants, sera  rendu  par  jury;  ce  jugement  aura 
lieu  dans  l'État  où  le  crime  aura  été  commis; 
mais  si  le  crime  n'a  pas  été  commis  dans  un  des 
États,  le  jugement  sera  rendu  dans  tel  lieu  que  le 
Congrès  aura  désigné  à  cet  effet  par  une  loi. 

Section  III.  —  1*^  La  trahison  contre  les  États- 
Unis  consistera  uniquement  à  prendre  les  armes 
contre  eux  ou  à  se  réunir  à  leurs  ennemis  en  leur 
donnant  aide  et  secours.  Aucune  personne  ne  sera 
convaincue  de  trahison,  si  ce  n'est  sur  le  témoi- 
gnage de  deux  témoins  déposant  sur  le  même  acte 
patent,  ou  lorsqu'elle  sera  reconnue  coupable  de- 
vant la  cour. 

Le  Congrès  aura  le  pouvoir  de  fixer  la  peine  de 
trahison,  mais  ce  crime  ne  pourra  entraîner  que 
l'infamie  personnelle  et  non  la  confiscation,  si  ce 
n'est  pendant  la  vie  de  la  personne  convaincue 
(condamnée). 


NOTES  2il 


ARTICLE   IV 

POUVOIR    ET    DROITS    DES    ÉTATS 

Section  1.  —  Pleine  confiance  et  crédit  seront 
donnés,  en  chaque,  État,  aux  actes  publics  et  aux 
procédures  judiciaires  de  tout  autre  État,  et  le 
Congrès  peut,  par  des  lois  générales,  déterminer 
quelle  sera  la  forme  probante  de  ces  actes  et  pro- 
cédures et  les  effets  qui  y  seront  attachés. 

Section  11.  —  1^  Les  citoyens  de  chaque  État  au- 
ront droit  à  tous  les  privilèges  et  immunités  atta- 
chés au  titre  de  citoyen  dans  les  autres  États. 

2^  Un  individu,  accusé,  dans  un  État,  de  trahison, 

de  félonie  ou  de  tout  autre  crime,  qui  se  soustraira 

à  la  justice  et  qui  sera  trouvé  dans  un  autre  État, 

sera,  sur  la  demande  de  l'autorité  executive  de 

l'État  dont  il  s'est  enfui,   livré  et  conduit  vers 

l'État  ayant  juridiction  sur  ce  crime. 

Z^  Aucune  personne  tenue  au  service  ou  au  tra- 
ie 


242  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 

vail  dans  un  État,  sous  les  lois  de  cet  État,  et  qui 
se  sauverait  dans  un  autre,  ne  pourra,  en  consé- 
quence d'une  loi  ou  d'un  règlement  de  l'État  où 
elle  s'est  réfugiée,  être  dispensée  de  ce  service  ou 
travail,  mais  sera  livrée  sur  la  réclamation  de  la 
partie  à  laquelle  ce  service  et  ce  travail  sont  dus. 

Section  III.  —  l''  Le  Congrès  pourra  admettre 
de  nouveaux  États  dans  cette  Union,  mais  aucun 
nouvel  État  ne  sera  érigé  ou  formé  dans  la  juri- 
diction d'un  autre  État  ;  aucun  État  ne  sera  formé 
non  plus  de  la  réunion  de  deux  ou  de  plusieurs 
États  ni  de  quelque  partie  d'État,  sans  le  consen- 
tement de  la  législature  des  États  intéressés,  et 
sans  celui  du  Congrès. 

Le  Congrès  aura  le  pouvoir  de  disposer  du  ter- 
ritoire et  des  autres  propriétés  appartenant  aux 
États-Unis,  et  d'adopter  à  ce  sujet  tous  les  règle- 
ments et  mesures  convenables;  et  rien  dans  cette 
constitution  ne  sera  interprété  dans  un  sens  pré- 
judiciable aux  droits  que  peuvent  faire  valoir  les 
États-Unis  ou  quelques  États  particuliers. 

Section  IV.  —  Les  États-Unis  garantissent  à 


NOTKS  243 

tous  les  États  de  l'Union  une  forme  de  gouverne- 
ment républicain,  et  protégeront  chacun  d'eux 
contre  toute  invasion,  et  aussi  contre  toute  vio- 
lence intérieure,  sur  la  demande  de  la  législature 
ou  du  pouvoir  exécutif,  si  la  législature  ne  peut 
être  convoquée. 

ARTICLE  V 
AMENDEMENTS   A    LA    CONSTITUTION. 

Le  Congrès,  toutes  les  fois  que  les  deux  tiers 
des  deux  Chambres  le  jugeront  nécessaire,  propo- 
sera des  amendements  à  cette  constitution,  ou  sur 
la  demande  des  deux  tiers  des  législateurs  des 
divers  États,  il  convoquera  une  convention  pour 
proposer  des  amendements,  lesquels  dans  les  deux 
cas,  seront  valables  à  toute  fin,  comme  partie  de 
cette  constitution,  quand  ils  auront  été  ratifiés  par 
les  législatures  des  trois  quarts  des  divers  États , 
ou  par  les  trois  quarts  des  conventions  formées 
dans  le  sein  de  chacun  d'eux,  selon  que  l'un  ou 
l'autre  mode  de  ratification  aura  été  prescrit  par 
le  Congrès,  pourvu  qu'aucun  amendement  faitavant 


244  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

l'année  1808  n'affecte  d'une  manière  quelconque 
la  première  et  la  quatrième  clause  de  la  neuvième 
section  du  premier  article,  et  qu'aucun  État  ne  soit 
privé,  sans  son  consentement,  de  son  suffrage  dans 
le  Sénat. 

ARTICLE  VI 

DISPOSITIONS    DIVERSES. 

1°  Toutes  les  dettes  contractées  et  les  engage- 
ments pris  avant  la  présente  constitution  seront 
aussi  valides  à  l'égard  des  États-Unis  sous  la  pré- 
sente constitution  que  sous  la  confédération. 

2*^  Cette  constitution  et  les  lois  des  États-Unis 
qui  seront  faites  en  conséquence,  et  tous  les  trai- 
tés faits  ou  qui  seront  faits  sous  l'autorité  des- 
dits États-Unis,  composeront  la  loi  suprême  du 
pays;  les  juges  de  chaque  État  seront  tenus  de 
s'y  conformer,  nonobstant  toute  disposition  qui, 
dans  les  lois  ou  la  constitution  d'un  État  quelcon- 
que, serait  en  opposition  avec  cette  loi  suprême. 

S''  Les  sénateurs  et  les  représentants  sus-men- 
tionués  ot  les  membres  des  législatures  des  États 


NOTES  24o 

et  tous  les  officiers  du  pouvoir  exécutif  et  judi- 
ciaire, tant  des  États-Unis  que  des  divers  États, 
seront  tenus,  par  serment  ou  par  affirmation,  de 
maintenir  cette  constitution,  mais  aucun  serment 
religieux  ne  sera  jamais  requis  comme  condition 
pour  remplir  une  fonction  ou  charge  publique  sous 
l'autorité  des  États-Unis. 


ARTICLE   VII 

1"  La  ratification  donnée  par  les  conventions  de 
neuf  États  sera  suffisante  pour  l'établissement  de 
cette  constitution  entre  les  États  qui  l'auront  ainsi 
ratifiée. 

2"^  Fait  en  convention,  par  le  consentement 
unanime  des  États  présents ,  le  dix-septième 
jour  de  septembre  de  l'an  du  Seigneur  1787  et  le 
douzième  de  l'indépendance  des  États-Unis;  en 
témoignage  de  quoi  nous  avons  signé. 

Signé  :  Georges  Washington 

ET  QUARANTE  AUTRES. 


246  solution  politique  et  sociale 

Amendements  et  additions  a  la  constitution  fédé- 
rale, PROPOSÉS  PAR  LE  CONGRÈS  ET  RATIFIÉS  PAR 
LA  LÉGISLATURE   DES  DIFFÉRENTS  ÉTATS ,    EN  VERTU 

DE  l'article  5. 

LOI  POUR  l'Établissement  ou  la  prohibition  d'une  religion 

Art.  l^^  Le  congrès  ne  pourra  faire  aucune  loi 
relative  à  l'établissement  d'une  religion  ,  ou  pour 
en  prohiber  une  ;  il  ne  pourra  point  non  plus 
restreindre  la  liberté  de  la  parole  ou  de  la  presse, 
ni  attaquer  le  droit  qu'a  le  peuple  de  s'assembler 
paisiblement  et  d'adresser  des  pétitions  au  gou- 
vernement pour  obtenir  le  redressement  de  ses 
griefs. 

droit  du   peuple   de   garder  ses   armes 

Art.  2.  Une  milice  bien  réglée  étant  nécessaire 
à  la  sécurité  d'un  État  libre ,  on  ne  pourra  res- 
treindre le  droit  qu'a  le  peuple  de  garder  et  de 
porter  des  armes. 


NOTES  247 

Art.  3.  Aucun  soldat  ne  sera,  en  temps  de 
paix,  logé  dans  une  maison  sans  le  consentement 
du  propriétaire,  ni  en  temps  de  guerre,  si  ce  n'est 
de  la  manière  qui  sera  prescrite  par  une  loi. 

DES    RECHERCHES    ET     SAISIES    DÉRAISONNABLES 

^rf.  4.  Le  droit  qu'ont  les  citoyens  de  jouir 
de  la  sûreté  de  leurs  personnes,  de  leur  domicile, 
de  leurs  papiers  et  effets ,  à  l'abri  des  recherches 
et  saisies  déraisonnables,  ne  pourra  être  violé; 
aucun  mandat  ne  sera  émis ,  si  ce  n'est  sur  des 
présomptions  fondées,  corroborées  par  le  serment 
ou  l'affirmation  ;  et  ces  mandats  devront  contenir 
la  désignation  spéciale  du  lieu  où  les  perquisitions 
devront  être  faites  et  des  personnes  ou  objets  à 
saisir. 

PRIVILÈGES    INDIVIDUELS 

Art.  5.  Aucune  personne  ne  sera  tenue  de 
répondre  à  une  accusation  capitale  ou  infamante, 
à  moins  d'une  mise  en  accusation  émanant  d'un 
grand  jury,  à  l'exception  des  délits  commis  par 


â48  SOLUTION    POLITIQUE  ET    SOCIALE 

des  individus  appartejiaiit  aux  troupes  de  terre 
ou  de  mer,  ou  à  la  milice ,  quand  elle  est  en 
service  actif,  en  temps  de  guerre  ou  de  danger 
public  ;  la  même  personne  ne  pourra  être  soumise 
deux  fois  pour  le  même  délit  à  une  procédure  qui 
compromettrait  sa  vie  ou  un  de  ses  membres. 
Dans  aucune  cause  criminelle,  l'accusé  ne  pourra 
être  forcé  à  rendre  témoignage  contre  lui-même  ; 
il  ne  pourra  être  privé  de  la  vie,  de  la  liberté  ou 
de  sa  propriété  que  par  suite  d'une  procédure 
légale.  Aucune  propriété  privée  ne  pourra  être 
appliquée  à  un  usage  public  sans  juste  compen- 
sation. 

Art.  6.  Dans  toute  procédure  criminelle, 
l'accusé  jouira  du  droit  d'être  jugé  promptement 
et  publiquement  par  un  jury  impartial  de  l'État 
et  du  district  dans  lequel  le  crime  aura  été 
commis,  district  dont  les  limites  auront  été 
tracées  par  une  loi  préalable;  il  sera  informé  de 
la  nature  et  du  motif  de  l'accusation;  il  sera  con- 
fronté avec  les  témoins  à  charge  ;  il  aura  la  faculté 
de  faire  comparaître  des  témoins  en  sa  faveur, 
et  il  aura  l'assistance  d'un  conseil  pour  sa  dé- 
fense. 


NOTES  -249 

Art.  7.  Dans  les  causes  qui  devront  être  déci- 
dées selon  la  loi  commune  (in  suifs  atcommon  lavS) 
le  jugement  par  jury    sera  conservé  dès  que  la 

valeur  des  objets  en  litige  excédera  vingt  dollars  ; 
et  aucun  fait  jugé  par  le  jury  ne  pourra  être 
soumis  à  l'examen  d'une  autre  cour  dans  les 
États-Unis,  que  conformément  à  la  loi  commune. 
Art.  8.  On  ne  pourra  exiger  de  cautionnements 
exagérés,  ni  imposer  des  amendes  excessives, 
ni  infliger  des  punitions  cruelles  et  inaccou- 
tumées. 


INTERPRETATION     LE     LA    CONSTITUTION 

Aî't.  9.  L'énumération  faite,  dans  cette  consti- 
tution,  de  certains  droits,  ne  pourra  être  inter- 
prétée de  manière  à  exclure  ou  affaiblir  d'autres 
droits  conservés  par  le  peuple. 

POUVOIRS    NON    DÉLÉGUÉS 

Art.  10.  Les  pouvoirs  non  délégués  aux  États- 
Unis  par  la  constitution ,    ou   ceux    qu'elle    ne 


230  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

défend  pas  aux  États  d'exercer,  sont  réservés  aux 
États  respectifs  ou  au  peuple. 

LIMITATION    DU     POUVOIR    JUDICIAIRE 

Art.  11.  Le  pouvoir  judiciaire  des  États-Unis 
ne  sera  point  organisé  de  manière  à  pouvoir  s'é- 
tendre par  interprétation  à  une  procédure  quel- 
conque, commencée  contre  un  des  États  par  les 
citoyens  d'un  autre  État,  ou  par  les  citoyens  ou 
sujets  d'un   État  étranger. 

ÉLECTION     DU     PRÉSIDENT 

Ai^t.  12.  —  1.  Les  électeurs  se  rassembleront 
dans  leurs  États  respectifs,  et  ils  voteront  au 
scrutin  pour  la  nomination  du  Président  et  du 
Vice-Président,  dont  un  au  moins  ne  sera  point 
habitant  du  même  État  qu'eux;  dans  leurs  bulle- 
tins, ils  nommeront  la  personne  pour  laquelle  ils 
votent  comme  Président ,  et  dans  des  bulletins 
distincts,  celle  qu'ils  portent  à  la  vice-présidence; 
ils  feront  des  listes  distinctes  de  toutes  les  per- 


NOTES  251 

sonnes  portées  à  la  présidence  et  de  toutes  celles 
désignées  pour  la  vice- présidence,  et  du  nombre 
des  votes  pour  chacune  d'elles;  ces  listes  seront 
par  eux  signées ,  certifiées  et  transmises  scellées 
au  siège  du  gouvernement  des  États-Unis ,  à 
l'adresse  du  président  du  Sénat.  Le  président  du 
Sénat,  en  présence  des  deux  chambres,  ouvrira 
tous  les  procès-verbaux ,  et  les  votes  seront 
comptés.  La  personne  réunissant  le  plus  grand 
nombre  de  suffrages  pour  la  présidence  sera 
président,  si  ce  nombre  forme  la  majorité  de  tous 
les  électeurs  réunis;  et  si  aucune  personne  n'avait 
cette  majorité ,  alors,  parmi  les  trois  candidats 
ayant  réuni  le  plus  de  voix  pour  la  présidence,  la 
Chambre  des  représentants  choisira  immédiate- 
ment le  Président  par  la  voie  du  scrutin.  Mais 
dans  ce  choix  du  Président,  les  votes  seront 
comptés  par  État,  la  représentation  de  chaque 
État  n'ayant  qu'un  vote  :  un  membre  ou  des 
membres  de  deux  tiers  des  États,  seront  nécessaires 
pour  le  choix.  Et  si  la  Chambre  des  représentants 
ne  choisit  point  le  Président,  quand  ce  choix  lui 
sera  dévolu,  avant  le  quatrième  jour  du  mois  de 
mars  suivant,  le  Vice-Président  sera  Président, 


2o2  SOLUTIOJ^   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

comme  dans  le  cas  de  mort  ou  d'autre  inhabileté 
constitutionnelle  du  Président. 

2.  La  personne  réunissant  le  plus  de  suffrages 
pour  la  vice-présidence  sera  Vice-Président,  si  ce 
nombre  forme  la  majorité  du  nombre  total  des 
électeurs  réunis,  et  si  personne  n'a  obtenu  cette 
majorité,  alors  le  Sénat  choisira  le  Vice-Président 
parmi  les  deux  candidats  ayant  le  plus  de  voix  ; 
la  présence  des  deux  tiers  des  sénateurs  et  la  ma- 
jorité du  nombre  total  sont  nécessaires  pour  ce 
choix. 

2.  Aucune  personne  constitutionnellement  iné- 
ligible à  la  place  de  Président,  ne  sera  éligible  à 
celle  de  Vice-Président  des  États-Unis. 


NOTES  233 


NOTE  D. 
RAPPORT  FAIT  PAR  M.  JULES   DUVAL 

AU  CONGRÈS    INTERNATIONAL    DE    BIENFAISANCE    DE    BRUXELLES 
Dans  la  séance  du  17  septembre  1856 

EN  PRÉSENCE  DE  S.  M.  L  F.  ROI  DES  BELGES 

Messieurs, 

Je  prends  la  parole  au  nom  de  la  deuxième  sec- 
tion du  Congrès  au  sein  duquel  la  commission  spé- 
ciale de  la  population  et  de  l'émigration  m'a  fait 
l'honneur  de  me  confier  l'expression  de  ses  vœux. 
En  toute  occasion,  le  rapporteur  eût  sollicité  la 
bienveillante  indulgence  du  Congrès  pour  un  tra- 
vail improvisé  à  la  hâte,  qui  aurait  demandé  plus 
d'autorité  personnelle  et  une  longue  préparation. 
Cette  obligation  lui  est  plus  vivement  imposée,  il 


2.ji  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

le  sent,  par  la  solennité  inaccoutumée  de  la  séance 
d'aujourd'hui.  Puisse  du  moins  la  grandeur  du 
sujet  faire  oublier  l'imperfection  de  la  forme. 

La  question  soumise  à  vos  délibérations  est 
complexe.  Dans  le  programme  du  Congrès,  elle 
est  ainsi  formulée  : 

«  Aviser  aux  moyens  de  prévenir  l'accroisse- 
ment désordonné  de  la  population,  et  notamment 
à  l'organisation  permanente  et  régulière  de  l'émi- 
gration. » 

Voici  d'abord  les  conclusions  de  la  section  : 

1°  L'accroissement  de  la  population  ne  peut  et 
ne  doit  être  combattu  par  aucun  règlement  légal. 

i2*'  Les  maux  du  paupérisme,  dus  à  l'extension 
de  la  population,  sont  atténués  d'une  manière 
efficace,  quoiqu'indirecte,  par  l'émigration. 

3^  En  conséquence,  toute  liberté  et  toute  pro- 
tection doivent  être  accordées  à  l'émigration. 

¥  Les  gouvernements,  les  associations  et  les 
individus,  doivent  combiner  leurs  efforts,  chacun 
dans  sa  sphère  propre,  pour  obtenir  de  l'émigra- 
tion tous  les  bienfaits  qu'elle  peut  donner. 

S'*  L'institution  projetée  d'une  correspondance 
internationale   doit    embrasser    particulièrement 


NOTES  25S 

réoiigratioiî    dans    le    cadre    de    ses    renseigne- 
ments. 

Population,  émigration,  telles  sont  les  deux 
faces  du  problème.  La  division  de  ce  travail  se 
trouve  ainsi  toute  tracée. 


1.  —   POPULATION 

Sur  cette  première  branche  du  problème,  il  a 
été  reconnu  que  la  brièveté  du  temps  que  la  sec- 
tion pouvait  y  consacrer  n'en  permettait  pas  une 
étude  régulière  et  tant  soit  peu  approfondie.  La 
question  de  la  population  est  une  des  plus  impor- 
tantes et  des  plus  ardues  à  la  fois  de  l'économie 
sociale  ;  nous  ne  pouvions  l'aborder  sans  vouloir 
la  scruter,  et  à  la  scruter,  de  longues  et  nombreu- 
ses séances  n'auraient  pas  suffi. 

Au  risque  de  ne  pas  répondre  pleinement  à 
l'attente  du  Congrès,  la  commission  a  préféré 
s'abstenir,  sauf  sur  un  seul  point  capital. 

Le  programme  parle  à  diverses  reprises  d'ac- 
croissement désordonné  de  la  population  et  des 
moyens  de  le  prévenir. 


23;)  SÛLUTIOxN    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

A-t-on  voulu  seulement  faire  allusion  a  la  situa- 
tion exceptionnelle  de  certains  pays  et  de  certains 
temps,  011  la  surabondance  de  population  constitue 
un  embarras  incontestable  pour  les  gouvernements 
et  les  communes? Dans  ce  cercle  local  et  restreint, 
la  commission  ne  méconnaît  pas  la  réalité  du  mal, 
et  rend  hommage  à  la  sollicitude  du  programme. 
Mais  elle  pense  que  le  remède  pour  le  prévenir  ne 
saurait  être  demandé  à  des  règlements  officiels. 
Toute  tentative  arbitraire,  pour  diminuer  la  popu- 
lation, aboutit  à  des  désordres  plus  graves.  C'est  à 
l'esprit  de  prévoyance,  c'est  à  la  conscience  indi- 
viduelle des  chefs  de  famille  à  mesurer  les  res- 
sources dont  ils  disposeront  pour  l'éducation  et 
l'entretien  des  enfants.  C'est  un  domaine  intime 
où  la  loi  ne  doit  pas  intervenir. 

Mais  le  programme  a-t-il  voulu,  se  faisant  l'écho 
de  certaines  doctrines,  proclamer,  comme  désor- 
donné en  soi,  l'accroissement  de  la  population,  dû 
à  des  causes  naturelles,  telles  que  la  facilité  et  la 
fécondité  des  mariages,  l'excédant  des  naissances 
sur  les  morts,  la  prolongation  de  la  vie  moyenne, 
et  dans  ces  accroissements  voir  une  calamité  so- 
ciale qu'il  fallait  prévenir? 


^  NOTES  257 

A  runanimité,  la  commission  refuserait  de  s'as- 
socier à  ces  tendances. 

Sans  entrer  dans  des  débats  théoriques,  il  lui 
suifit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  globe,  pour  re- 
connaître que  la  population  humaine,  bien  loin  de 
surabonder  généralement,  fait  presque  partout 
défaut,  et  longtemps  encore  ne  répondra  pas  à 
l'étendue  des  terres  vacantes. 

Pénétrée  de  ce  sentiment,  votre  commission  a 
pensé  que  le  programme  du  Congrès  n'a  entendu 
parler  que  d'un  encombrement  local  et  accidentel, 
fruit  de  circonstances  spéciales.  Le  paupérisme 
qui  en  résulte  trouvera  un  puissant  contre-poids 
dans  l'émigration.  L'esprit  divin  n'a  pas  dit  seu- 
lement à  l'humanité  :  Croissez  et  multipliez  ;  il  a 
ajouté  :  et  remplissez  la  terre.  Le  précepte  de  la 
multiplication  porte  en  lui-même  son  tempéra- 
ment. Dans  cette  parole  vous  entendez  le  principe 
même  de  l'émigration  posé  dès  les  premiers  âges 
du  monde  comme  remède  à  l'exubérance  locale.  Le 
programme  des  hommes  n'a  sur  ce  point,  comme 
sur  tous,  qu'à  suivre  le  programme  divin. 


17 


258  SOLUTION    POLITIQUE   ET    SOCIALE 


II.  —  EMIGRATION 

Nous  sommes  ainsi  conduits  à  la  seconde  partie 
du  problème. 

Concentrant  ses  débats ,  votre  commission  a 
posé  une  question  de  principe  et  une  question  de 
moyens. 

En  principe,  l'émigration  est-elle  un  remède 
efficace  au  paupérisme? 

Dans  l'application,  quels  sont  les  moyens  de  la 
rendre  salutaire  et  de  l'organiser  d'une  manière, 
soit  transitoire,  soit  permanente? 

I.  Sur  le  principe,  l'émigration  nous  est  appa- 
rue comme  un  remède  indirect  et  cependant  effi- 
cace aux  misères  qu'engendre  le  paupérisme. 

Nous  disons  indirect,  parce  que  la  majeure 
partie  des  individus  qui  vivent  de  l'assistance 
publique  sont  les  vieillards,  les  enfants,  les 
femmes,  les  inlirmes ,  les  victimes  incurables 
des  maladies  d'esprit  ou  de  corps,  en  un  mot,  ceux 
dunl  la  rigueur  du  sort  a  le  plus  diminuée  l'apti- 


NOTES  239 

tude  au  travail.  Au  point  de  vue  de  l'émigration, 
ce  sont  des  non-valeurs  qu'elle  refuse  de  recruter, 
car  il  lui  faut  des  bras  vigoureux  et  des  esprits 
actifs  et  intelligents.  Cette  catégorie  de  la  popu- 
lation misérable,  et  c'est  toujours  la  plus  nom- 
breuse, ne  profite  pas  directement  de  l'émigration. 
Et  toutefois  n'exagérons  pas ,  même  dans  le 
sens  de  la  vérité ,  l'impuissance  de  l'émigration. 
Si  les  êtres  à  la  fois  débiles  et  isolés  ne  sauraient 
être  transplantés,  il  n'en  est  pas  de  même  des 
parents  ou  des  enfants  qui  font  partie  intégrante 
de  la  famille.  Avec  quelques  soins,  l'émigration 
n'accroît  pas  sensiblement  contre  eux  la  chance 
de  mortalité;  elle  diminue  la  chance  des  priva- 
tions en  les  associant,  dans  la  patrie  nouvelle,  au 
bien-^tre  d'une  situation  meilleure;  la  présence 
des  uns  et  des  autres  est  un  puissant  aiguillon 
pour  les  membres  actifs  de  la  famille;  la  réunion 
de  toutes  les  affections  préserve  de  la  nostalgie 
et  des  déchirements  du  cœur;  elle  diminue  les 
soucis  et  les  regrets,  et  quand  l'heure  dernière 
sonne  pour  quelques-uns  d'entre  eux,  la  terre  qui 
reçoit  en  dépôt  leur  poussière,  devient  une  terre 
sainte,  la  véritable  patrie  à  laquelle  les  enfants 


260  SOLUTION  POLITIQUE   ET    SOCIALE 

tiennent  désormais  comme  par  un  lien  de  cœur, 
car  elle  a  reçu  la  sainte  consécration  des  suprêmes 
adieux  et  des  ossements  paternels  pieusement 
ensevelis. 

Le  sentiment  devient  ainsi  une  force. 

Mais  pour  n'être  pas  accusés  d'exagérer  le  rôle 
du  sentiment  dans  des  entreprises  qui  semblent  à 
quelques-uns  en  méconnaître  les  inspirations, 
n'insistons  pas  et  constatons  plutôt  comment  l'é- 
migration atténue  indirectement  le  paupérisme. 

Le  paupérisme,  quelles  que  soient  ses  causes 
génératrices,  se  manifeste  par  un  signe  caractéris- 
tique qui  en  est  en  quoique  sorte  l'essence  :  dis- 
proportion du  salaire  aux  besoins ,  soit  par  la 
hausse  des  denrées,  soit  par  la  baisse  des  salaires, 
soit  par  le  concours  des  deux  causes.  Une  densité 
excessive  de  population  fomente  ce  double  mal. 
La  concurrence  des  travailleurs  offrant,  pour  vivre, 
leur  bras  au  rabais,  voilà  pour  la  baisse  des  sa- 
laires. La  concurrence  de  ces  mêmes  travailleurs 
se  disputant  les  denrées,  voilà  pour  la  hausse  des 
subsistances.  Diminuez  la  population,  vous  agissez 
à  la  fois  et  en  sens  opposé  sur  le  prix  du  travail 
et  sur  le  prix  des  subsistances.  Moins  offert,   le 


NOTES  261 

travail  voit  hausser  son  prix;  moins  demandées, 
les  subsistances  voient  baisser  le  leur.  Pour  rap- 
peler, en  la  modifiant  un  peu ,  une  expression 
pittoresque  de  Gobden,  devenue  populaire  :  avec 
l'encombrement  de  population,  l'ouvrier  courait 
après  le  maître  ;  avec  une  population  éclaircie,  si 
le  maître  ne  court  pas  encore  vers  l'ouvrier,  du 
moins  ils  vont  d'un  pas  plus  égal  l'un  vers  l'autre. 
Et  de  même  font  le  marchand  et  l'acheteur. 

Dès  que  le  taux  des  salaires  et  celui  des  sub- 
sistances sont  en  équilibre  ou  seulement  rappro- 
chés de  ce  beau  idéal  de  l'économie  sociale,  le 
paupérisme  est  atteint  dans  sa  source  principale. 
En  procurant  cette  grande  réforme,  l'émigration 
a  justifié  de  son  efficacité. 

Mais,  dans  ces  déductions,  ne  caressons-nous 
pas  une  chimère?  La  réalité  s'est-elle  produite 
ainsi  quelque  part! 

Oui ,  Messieurs ,  une  grande  expérience  a  été 
faite  de  notre  temps,  sous  nos  yeux  :  elle  a  révélé 
avec  éclat  ces  propriétés  jusque  là  peu  connues  de 
l'émigration.  Cette  grande  expérience  s'appelle 
l'Irlande. 

Vous  savez  tous  en  quel  abîme  de  misère  ce 


2P2  SOLUTION   POLITIQUE    ET    SOCIALE 

beau  pays  était  tombé.  Les  mauvaises  lois ,  la 
mauvaise  constitution  de  la  propriété  en  étaient 
sans  doute  les  premières  causes  ;  mais  avec  une 
population  qui  croissait  plus  vite  que  les  moyens 
de  subsistance,  les  vices  de  l'institution  politique 
et  territoriale  étaient  envenimés  au  point  de  de- 
venir la  plus  effrayante  des  plaies  sociales.  Une 
convulsion  finale  semblait  imminente. 

L'idée  d'émigration  fut  présentée  aux  esprits; 
avidement  saisie,  elle  passa  vite  au  fait.  Le  cou- 
rant d'abord  insensible  s'élargit ,  s'étendit ,  se 
recruta  dans  toutes  les  provinces.  On  vit  se  renou- 
veler l'antique  exode  d'un  peuple.  En  dix  ans, 
près  de  deux  millions  d'âmes  sur  huit  abandon- 
nent une  terre  inhospitalière.  Et  admirez  le  mer- 
veilleux résultat  bien  digne  d'être  médité  par  la 
sagesse  humaine!  Pendant  que  la  population  n'a 
diminué  que  d'un  quart,  le  nombre  des  pauvres 
inscrits  au  livre  des  charités  communales  a  dimi- 
nué des  cinq  sixièmes;  de  600,000  et  au  delà 
en  1850,  il  est  tombé  en  1855  à  106,802. 

La  transformation  opérée  est  facile  à  analyser. 
La  concurrence  pour  la  location  des  terres  qui, 
sous  l'aiguillon  de  la  faim ,   atteignait  des  prix 


NOTES  263 

exorbitants,  s'est  trouvée  ramenée  à  des  prix  plus 
modérés  ;  le  travail  industriel  était  offert  au 
rabais,  il  a  maintenu  ses  droits.  Les  six  millions 
d'hommes  restants  ont  eu  en  plus  large  part  le 
sol  à  meilleur  marché,  et  plus  de  bestiaux,  de 
travail,  de  denrées;  ne  se  dévorant  plus  mutuel- 
lement, ils  ont  vécu  et  prospéré  oi^i  précédem- 
ment ils  se  ruinaient  et  périssaient. 

Nous  n'avons  garde  de  méconnaître  le  précieux 
concours  des  réformes  législatives  et  politiques 
dues  à  l'initiative  aussi  ferme  que  hardie  d'un 
ministre  qui  leur  devra  l'immortalité  de  son  nom; 
elles  ont  puissamment  contribué  à  l'amélioration 
générale;  mais  pour  devenir  fécondes,  il  a  fallu 
que  l'émigration  dégageât  du  principal  obstacle, 
du  trop  plein,  le  champ  de  l'application.  Et  l'An- 
gleterre l'a  bien  senti,  puisqu'elle  a  déployé  son 
admirable  énergie  à  organiser,  à  développer  l'é- 
migration, comprenant  bien  que  cet  affaiblisse- 
ment de  population,  qui  eût  semblé  à  d'autres  un 
affaiblissement  de  puissance,  était  le  salut  même 
de  l'Angleterre  comme  de  l'Irlande. 

Nous  sommes  donc  autorisés  à  dire  que  l'émi- 
gration  à    fait   ses  preuves  sur  la  plus   grande 


264  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

échelle,  à  la  face  du  monde,  pour  le  soulagement 
du  paupérisme  dans  les  États  qui  en  sont  affli- 
gés. Considérons  maintenant  ses  effets  sur  la 
partie  de  la  population  qui  émigré.  Ici  ses  bien- 
faits sont  plus  directs. 

Pour  peu  qu'elle  ait  été  bien  conduite,  l'émi- 
gration ne  se  perd  pas  en  des  aventures  vagabon- 
des; elle  va  droit  à  son  but  :  le  travail  et  la  colo- 
nisation. 

A  peine  a-t-elle  touché  le  sol  étranger,  qu'une 
sève  nouvelle  semble  vivifier  son  corps  et  son 
âme.  L'émigrant  se  classe-t-il  d'abord  parmi  les 
salariés,  ou  par  goût  ou  par  défaut  de  ressources? 
Dans  tous  les  pays  nouveaux  il  trouve  un  salaire, 
non  plus  inférieur  aux  besoins  de  la  vie ,  mais 
deux  et  trois  fois  supérieur  ;  gagnant  au  delà  de 
ses  besoins,  il  épargne,  et  peu  d'années  se  pas- 
sent sans  que  le  salarié  devienne  propriétaire. 

L'émigrant  a-t-il  eu  les  ressources  premières 
pour  acquérir  et  exploiter  une  propriété  ?  11  jouit 
de  tous  les  avantages  d'un  pays  neuf  où  la  terre, 
les  bestiaux,  les  forces  vives  de  la  nature  sont 
gratuites  ou  à  très-bas  prix;  les  fécondant  par 
son  propre  travail,  il  y  puise  une  rapide  aisance. 


NOTES  265 

Le  paupérisme  est  plus  que  soulagé,  il  est 
anéanti  :  de  ses  cendres  naît  la  fortune. 

Racontons-nous  une  légende  ou  une  histoire? 
demandez  à  l'administration  des  postes  ce  que  ces 
prolétaires  de  la  veille,  en  Irlande,  en  Allemagne, 
en  France,  en  Suisse,  transportés  sous  d'autres 
cieux,  expédient  d'argent  à  leurs  parents  et  amis 
restés  en  Europe?  C'est  par  millions  de  francs 
qu'on  le  compte. 

Grâce  à  ces  secours  pécuniaires,  ceux-ci  ac- 
complissent à  leur  tour  le  lointain  et  coûteux 
voyage.  Ainsi  s'est  accompli  lexode  irlandais  qui 
eût  englouti  les  subventions  de  la  bienfaisance 
publique  ou  privée.  Voilà  donc  ces  mêmes  familles, 
qui  auraient  végété  toute  leur  vie  dans  la  misère, 
devenues  en  peu  d'années  propriétaires  et  capi- 
talistes! Gomment  s'est  accomplie  cette  transfor- 
mation ? 

Par  l'émigration,  ou  plutôt  par  le  travail  libre, 
ardent  et  fructueux  qui  en  découle. 

Les  États  eux-mêmes  qui  voient  s'éloigner  une 
partie  de  la  population  n'ont  pas  à  le  déplorer. 
Les  uns,  ceux  qui  possèdent  des  colonies,  en  pro- 
fitent directement  par  le  courant  nouveau  d'é- 


266  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

changes  qui  s'établit  entre  la  métropole  et  la 
colonie,  et  dans  les  colonies  qui  prospèrent,  les 
échanges  atteignent  vite  de  grandes  proportions  : 
demandez  à  l'Angleterre  pour  l'Australie,  à  la 
France  pour  l'Algérie  !  Mais  les  États  sans  colonies 
peuvent  se  créer  aussi  des  relations  nouvelles  de 
commerce  que  l'avenir  développera.  Ce  sont  des 
alliances  de  familles  nouées  sur  les  divers  points 
du  globe  :  elles  ménagent  des  alliances  d'intérêt. 

Mais  n'est-ce  pas  déjà  un  grand  profit  que  de 
s'être  débarrassé,  sans  frapper  aucun  coup,  d'un 
encombrement  de  population  qui  créait  un  péril 
social,  d'avoir  ainsi  ménagé  un  meilleur  sort  à 
ceux  qui  restent,  en  accroissant  la  somme  dispo- 
nible, soit  de  travail,  soit  de  secours? 

Aussi  la  commission  ne  pense-t-elle  pas  que 
l'émigration  doive  se  restreindre  aux  familles  né- 
cessit'^uses.  Pour  être  féconde,  celle-ci  doit  unir 
les  trois  éléments  inséparables  de  toute  produc- 
tion normale  :  le  capital,  (pii  fournit  les  avances 
et  les  instruments  de  travail  ;  l'intelligence,  qui 
en  dirige  l'application;  le  travail,  qui  les  met  en 
œuvre.  L'élément  du  paupérisme  seul  risque  trop 
de  remplacer  une  misère  par  une  autre.  Les  États 


NOTES  267 

ne  s'appauvrissent  pas,  même  par  ce  déplace- 
ment; la  bourgeoisie  industrielle  et  commerciale 
qui  reste  voit  s'accroître,  par  la  réduction  de  la 
concurrence,  toutes  ses  chances  de  prospérité; 
les  capitaux  deviennent  plus  féconds. 

N'hésitons  donc  pas  à  proclamer  qu'à  tous  les 
points  de  vue,  l'émigration  est  un  utile  dérivatif 
aux  misères  populaires. 

Aussi  bien,  fût-elle  accueillie  avec  peu  de  sym- 
pathie, elle  s'impose  comme  un  fait  général  qui 
est  devenu  un  élément  essentiel  do  la  situation 
économique  des  nations  européennes.  En  vain  les 
gouvernements  ont  quelquefois  entrepris  de  l'en- 
traver, elle  se  joue  de  toutes  les  prohibitions! 

C'est  que  sous  la  surface  de  ce  fait  se  révèle  une 
loi  de  haute  sagesse  providentielle.  Le  globe  doit 
être  peuplé  et  cultivé,  car  les  régions  les  plus 
avancées  en  civilisation  subissent  le  contre-coup 
de  l'inculture  qui  règne  ailleurs.  Les  bords  du 
Gange  nous  envoient  le  choléra,  le  simoun  des  dé- 
serts d'Afrique  dessèche  les  récoltes  de  l'Europe 
méridionale.  Pour  l'accomplissement  de  sa  mis- 
sion, l'humanité,  comme  toutes  les  forces  de  la 
nature,  aspire  à  l'expansion  et  à  l'équilibre.  Quand 


268  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

cet  équilibre  est  rompu  par  raccomulaiion  du 
fluide  humain,  si  je  puis  dire,  sur  un  point,  il  y 
a  malaise  et  danger  d'explosion  foudroyante.  Avec 
la  libre  circulation,  chaque  atome  de  l'humanité 
se  répand  où  son  attrait,  et  en  quelque  sorte  sa 
pesanteur  spécifique,  l'appelle.  L'harmonie  ré- 
sulte de  l'équilibre. 

Il  fut  un  temps  où  cette  libre  expansion  de  l'hu- 
manité sur  le  globe  était  rendue  impossible  par 
la  difficulté  des  communications.  Aujourd'hui, 
grâce  à  la  vapeur  surtout,  une  immense  réforme 
est  en  voie  de  s'accomplir  dans  la  destinée  hu- 
maine. Bientôt  chacun  pourra  librement  choisir  le 
pays  et  même  le  gouvernement  qui  conviendront 
à  ses  besoins,  à  ses  goûts,  à  ses  croyances  poli- 
tiques et  religieuses. 

Les  chemins  de  fer  seront  les  fils  conducteurs 
qui  distribueront  aux  divers  points  du  globe  les 
courants  de  l'humanité  vivante 

Après  une  discussion  approfondie,  les  conclu- 
sions du  rapport  ont  été  adoptées  dans  les  termes 
suivants  : 

1°  L'accroissement  de  la  population  ne  peut  et 


NOTES  269 

ne  doit  être  combattu  par  aucun  règlement  légal. 

2*^  Les  maux  du  paupérisme,  dus  à  l'extension 
de  la  \)opu\^tion ,  peuve7it  être  atténués  d'une  ma- 
nière efficace  quoique  indirecte  par  l'émigration. 

3°  En  conséquence,  toute  liberté  et  toute  pro- 
tection doivent  être  accordées  aux  émigrants. 

4^  Les  gouvernements,  les  associations  et  les 
individus  doivent  combiner  leurs  efforts,  chacun 
dans  sa  sphère,  pour  obtenir  de  l'émigration  tous 
les  bienfaits  qu'elle  peut  donner. 

5°  L'institution  projetée  d'une  correspondance 
internationale  doit  embrasser  particulièrement 
l'émigration  dans  le  cadre  de  ses  renseignements. 


NOTE 

(Extraite  de  l'ouvrage 
TABLEAU  DES  VALEURS  ABSORBÉES  PAR  LES  BUDGETS 


France 

Ângletorre 

Autriche 

Prusse 

Russie 

Turquie. 

Suède... 

Danemark 

Pays-Bas. 

Belgique 

31  Étals  (le  la 
Coiit'cdèralion 
Germanique. . 

Espagne 

Portugal 

Italie 

Suisse 


TOTAL'X 


de  terre 
et  de  mer. 


liomnics 

500.01.(1 

229.871 

400.00(1 

351.734 

737.550 

31 4.0(10 

77.565 

46.000 

70.394 

74.718 

1G5  810 

256.383 

21.915 

323.675 


3. 559. 615 


SOMMES 

correspondaDtes 

à  lu  perle 

de  travail 

des  soldats 
et  marins 


(50.0U0.000 
114.935.500 
120.(00.000 
105.520.2(10 
147  510,000 
62.800.(00 
15.513.0C0 
9.200.000 
21.118.200 
22  4(5  i'O 

49.743.000 

51.276.000 

4.383.000 

64.735.000 


939.149.900 


VALEURS 
des    propriétés 

mobilières 

et  imriiobilièies 

affectées 

au  service 

de  la  guerre 


fr. 

4.400  000. OOO 
3.000.000  OOO 

a.foo  0  0.0. 0 

î. 000. 000. 000 
2.0,0  000.000 
1.000. 000. 00(. 
400.000.0t0 
20O.(jOU.C0O 
4CO.0CO.tCC 
300.000.000 

800.000.000 

800.000.000 

300.000.000 

1.200.000.0(0 

25.CO0.OCO 


18.825.000.rOO 


INTERETS 
des  valeurs 
des    propriétés 
mobiliêi'es 
t  immobilières 
affectées 
au  service 
de  la  guerre 


176.000.00' 
120  OOO.OO' 

80.000. roc 

80.000.t(IO 
80.000.000 
40.000.000 
16.0CO.000 
8. 000. 000 
I6.0o0.00t 
12.000.00. 

32.000.000 
32.000.000 
12.000  000 
48.000.000 
l.OOO.OtO 


75.'?.C00.00O 


DETTES 

publiques 

causées 

par  la  guerre 


9. 529. 63 i. 994 
20.223.217.337 
6.214.615.825 
1.042.(^49.(06 
6.48l.000;000 

461.714.352 
» 

288.845.200 
2.237.207.995 

738.607.704 

L.'iOO.OOO.OOO 

3.360.000.000 

885.540.237 

2.265  663  249 


55.231.696.359 


E 


de  M.  Patrice  Larroque) 

DE  LA  GUERRE  DES  PUISSANCES  EUROPÉEx\x\ES 


INTÉRÊTS 

des 

dettes  publiques 

causées 

D  É  P  f;  N  S  E  S 

militaires 

annuelles 

portées 

dans  les  budgets 

par  la  gueire 

officiels 

fr. 

503.S(6'.292 

fr. 

539  082  SK^i 

659.997  800 

712.938  80( 

24S  58i.633 

350.016.368 

52.132.470 

137.435  223 

235.000.000 

492.802.440 

41.303.025 

142.064.150 

» 

30.000.000 

U. 442. 260 

20.000.000 

64.027.2f0 

46. 703.0-,  S 

40.616.724 

32.235.010 

75  COO.OOO 

60.000.001 

168  000  000 

125.635.964 

28.842  173 

27.943  581 

107.730. 331 

30O.oC0.00u 

» 

3.0O0.OO0 

2.239.636.918 

3.019.8.">f..9'j9 

TAUX    REELS 

des  déptnses 

militaires 

annuelles 


fr. 
.360.0.2.677 

« 

.607.872.101 
7£8.f01.00l 
375.087.893 
955.312.440 
286.167.175 
61.513.000 
51  642.260 
147.848.488 
107. 267.131 

216.743.000 

376.612. 564 

73  168.754 

520.405.331 

4.000  OjO 


6.951.643.817 


BUDGETS 

des 

recettes 


2. 003. 952. 109 

1.8M.H4.130 

1  252  292.610 

501. 21  s. 829 

1.221. 229. 5.- 2 

286.100.615 

80.000.000 

120.213. 8:4 

195.30O.69J 

148.629.190 

380.000.000 
504.056.800 

94.041.692 
500.OCO.000 

21.68.5.500 


9.110.135.600 


RAPPORTS 

des 

dépenses    militair 

annuelles 

aux    recettes. 


Plus  des  deux  fiers. 
Près  des  8  neuvièmes. 
Vlus  des  3  cinquièmes. 
Près  des  trois  qu'trfs. 
Plus  des  trois  quarts. 
Supérieure. 
Plus  des  trois  quarts. 
Plus  des  5  dotiziè.iies. 
Plus  des  trois  quails. 
Près  des  trois  quarts. 

Près  des  3  cinquièmes. 
Près  des  trois  quarts. 
Plus  des  trois  quarts. 
Supérieui  e. 
Moins  d'un  ciiKiuienie. 


Près  des  7  neuvièmes. 


272  SOLUTION    POLITIQUE    ET    SOCIALE 

Quelques-uns  de  ces  chiffres  différent  de  ceux 
que  nous  avons  donnés  ailleurs,  mais  ces  légères 
différences  s'expliquent  par  la  diversité  des  dates 
et  des  sources  où  puise  chaque  auteur,  elles  dispa- 
raissent d'ailleurs  devant  la  similitude  des  con- 
clusions, comme  on  en  pourra  juger  par  celles 
que  tire  M.  Larroque  de  ses  recherches  : 

«  L'effectif  des  armées  de  terre  et  de  mer  de 
»  l'Europe,  sans  y  comprendre  les  gardes  natio- 
»  nales,  milices,  réserves  et  landwehrs,  est  de 
»  3,569,615  hommes  et  les  sommes  correspon- 
»  dantes  à  la  perte  de  leur  travail  s'élèvent  à 
»  939, 149,900  fr. 

»  La  valeur  improductive  des  propriétés  mohi- 
»  lières  et  immobilières,  affectées  au  service  de 
»  la  guerre,  est  de  18,825, 000,000  fr.  et  les 
»  intérêts  de  la  valeur  des  propriétés  s'élèvent 
»  à  753,000,000  fr. 

»  Les  dettes  publiques  causées  par  la  guerre 
»  forment  un  total  de  55,231,696,359  fr.  ;  et  les 
»  intérêts  de  ces  dettes  sont  de  2,239,636,918  fr. 

»  La  dépense,  militaire  annuelle,  qui,,  dans 
»  les  budgets  officiels,  est  portée  à  un  total  de 
»  3,019,856,999  fr.  s'élève  en  réalité  à  un  total 


NOTES  273 

»  de  6,951,643,817  fr.  c'est-à-dire  qu'elle  appro- 
»  che  des  sept  neuvièmes  du  chiffre  de  la  recette 
»  totale,  qui  est  de  9,1 10,l3o,600  fr.  Pour  plu- 
»  sieurs  États,  elle  dépasse  le  chiffre  des  recettes 
»  du  budget  public. 

))  Yoilà  un  résultat  véritablement  stupéfiant  et 
»  bien  éloigné  de  celui  auquel  l'attention  publique 
»  s'arrête  ordinairement.  Il  s'appuie  en  grande 
))  partie  sur  des  chiffres  officiels.  Le  point  princi- 
»  pal  sur  lequel  on  pourrait  disputer  serait  celui 
))  de  l'estimation  de  la  valeur  des  propriétés 
»  mobilières  affectées  au  service  de  la  guerre  dans 
»  les  diverses  nations  de  l'Europe,  estimation  qui, 
»  en  l'absence  de  publications  officielles  sur  cette 
»  valeur  chez  la  plupart  de  ces  nations,  est  néces- 
»  sairement  un  peu  indécise.  Ici,  en  effet,  je  ne  puis 
»  affirmer  avoir  une  certitude  véritable,  quant  à 
»  un  chiffre  précis,  et  l'un  peut  objecter  qu'étant 
»  privé  sur  ce  point  de  documents  authentiques 
»  et  complets,  j'ai  été  livré  au  vague  de  mes  éva- 
»  luations  personnelles.  La  même  raison  s'oppose  à 
»  ce  que  ceux  qui  feraient  cette  objection  précisent 
»  un  chiffre  inférieur  au  mien.  Si  je  me  trompe,  et 
»  s'ils  peuvent  m'en  fournir  un  autre  en  l'étayant 


274  SOLUTION    POLITIQUE    ET   SOCIALE 

de  preuves  rigoureuses,  je  suis  tout  prêt  à  l'ac- 
cepter. En  attendant,  je  vais  leur  faire  des  con- 
cessions tellement  larges  qu'ils  n'oseraient  pas 
eux-mêmes  mêles  demander.Quand  je  crois  être 
demeuré  au  dessous  de  la  réalité  dans  mon 
estimation  de  la  valeur  des  propriétés  mobi- 
lières et  immobilières  affectées  au  service  de  la 
guerre,  supposons  qu'on  la  réduise  de  moitié. 
Au  lieu  du  chiffre  de  753,000,000  fr.  auquel  j'ai 
porté  l'intérêt  à  4  p.  100  de  la  valeur  de  ces  pro- 
priétés pour  toute  l'Europe ,  nous  n'aurions 
plus  que  376,500,000  fr.,  et  alors  le  chiffre 
de  6,951,643,817  fr.  auquel  j'ai  porté  le  total 
de  la  dépense  militaire  annuelle,  ne  serait  plus 
que  de  6,575,143,817  fr.  Or,  ce  dernier  chiffre 
approche  encore  des  trois  quarts  du  chiffre  de  la 
recette  totale.  Allons  plus  loin.  Supposons  même 
qu'on  ne  tienne  aucun  compte  de  l'intérêt  de  la 
valeur  des  propriétés  mobilières  et  immobilières 
affectées  au  service  de  la  guerre  en  Europe,  le 
total  de  la  dépense  militaire  annuelle  serait 
encore  de  6,198,643,817  fr.,  c'est-à-dire  d'une 
somme  qui  dépasse  encore  les  deux  tiers  du 
chiffre  de  la  recette  totale.  On  voit  que  j'ai  tenu 


NOTES  275 

»  surabondamment  la  promesse  que  j'ai  faite  en 
»  commençant  cette  seconde  partie,  de  montrer 
»  que  la  guerre,  ou,  à  son  défaut,  la  paix  armée, 
))  dévore  une  somme  bien  supérieure  à  la  moitié  du 
»  revenu  public  de  l'Europe.  » 


FIN    DES   NOTES 


TABLE 


Avant-propos. 


PREMIÈRE  PARTIE. 


Programme 7 

Deux  fléaux ■!  ^ 

Accroissement  de  la  population \'i 

Insuffisance  des  récoltes 20 

Impuissance  du  commerce 24 

Forces  perdues.  —  Consommateurs  im[)roduclir> 36 

Armée ^0 

Douane : 45 

Diplomatie  et  police 48 

Impossibilité   des  réformes 51 

Impuissance  de  la  diplomatie 59 

Inutilité   des  traités fi2 

I .  —  Belgique 64 

II.  —  Cracovie : 65 

m.—  France.  —  Second  enifjire 67 


278  TABLE 

IV.  — Affaire  de  Neuchâlol 69 

V.— Renoncialion  de  l'Autriche  à  la  [.ombardie 70 

VI. —  Annexions  en  Italie 71 

VII.  —  Cession  de  la  S.ivoie  et  de  Nice 72 

Vill.  —  lies  Ioniennes 73 

Conclusion  de  la  première  partie 7^ 


DEUXIÈME  PARTIE. 


Confédération 81 

Suisse 82 

Allemagne 86 

États-Unis 92 

Déclaration  de  l'indépendance 96 

Théorie  du  gouvernement 97 

Le   pouvoir   exécutif 98 

Pouvoir  législatif 100 

Décentralisation 106 

Crise  actuelle i  08 

Puissance  de  l'action  fédérative 122 


TROISIÈME  PARTIE. 


Bases  d'une  nouvelle  confédération 1 29 

Assimilation  des  différents  peuples 137 

Equilibre  des  Elats  confédérés 142 

Part  du  temps 155 

Influence  des  institutions  sur  le  caractère  des  peuples 157 

Emigration  organisée 163 

Immensité  des  terriloires  offerts  à  l'émigration 174 

L'occupation  des  territoires  incultes  est  légitime 181 

Conclusion 1 83 

Emploi  utile  des  marines  européennes 184 

La  terre  étrangère  devient  une  nouvelle  patrie 188 


T  Ali  LE  279 

Solidarité  de  l'Europe  et  de  l'Amérique 190 

Devoir  d'initiative  imposé  à  la  race  blanche 194 

Résumé 201 


NOTES. 


Noie  A  (extraite  de  la  brochure  de  M.  le  comte  Abel  Hugo). .     207 
Noie  B  (extraite  de  la  brochure  de  M.  le  comte  Abel  Hugo). . .     212 

Noie  C— Con>tilulion  fédérale  des  Élals-Unis 218 

Note  D. —  R::pport  fait  par  M.  Jules  Duval  au  congrès  inter- 
national de  bienfaisance  de  Bruxelle,   dans  la  séance  du 

17  septembre  1 856 246 

Note  E.—  Tab'eau  des  valeurs  absorbées  par  les  budgets  de  la 
guerre  des  puissances  européennes  (extra  t  de  I  ouvrage  de 
M.  Patrice  Larroijuc).  270 


Iinpiiiiuiic  L    TulNON  el  Cic,  ii  Saihi-(..  un  m. 


^ 


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JC  Boom,   Cornélius  de 

357  Une  solution  politique  et 

B66  sociale