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PRINCIPES
REPUBLICAINS
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III ( UN^TiTUTJON l'OLITlQUK
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il I- <i!;K(;oiRK k CiE., Libraires-Éditeui;.-
1H70
UNE VOIX DU PACIFIQUE
PRINCIPES
REPUBLICAINS
I. DIEU — RELIGION
II. LA RÉPUBLIQUE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL
m. CONSTITUTION POLITIQUE
^ ^ JUSTICE ET VÉRITÉ.
''La Place.''''
SAN FRANCISCO
Louis Grégoire & Cie., Libraires-Éditeurs
T879
3^.
1-
.-v^
i'^
Les quelques pages qui suivent ont été écrites à la suite
des événements de 1870.
Confiées pour publication à différentes personnes, et
même envoyées à un journal de Paris dont le titre provoque
au ralliement, il en coûte peu à notre amour-propre de décla-
rer que nous sommes encore, après six ou sept ans écoulés, à
en recevoir les premières nouvelles.
Bien que cette circonstance ne soit pas une recommanda-
tion auprès du public, nous avons enfin pris le parti de faire
imprimer nous-même cet opuscule, croyant encore à son
utilité et à son à-propos, sur quelques points, pour le résul-
tat de la campagne de 1880.
Ayant quitté la France depuis fort longtemps et sans
doute pour toujours, nous nous intéressons néanmoins à ses
destinées, qui, à nos yeux, sont celles du genre humain tout
entier.
La France seule, de tant de nations, résoudra rationnel-
lement la question religieuse, politique et sociale, car
seule, selon nous, elle est douée d'un tempérament philoso-
phique.-
Les Etats-Unis de l'Amérique du Nord se sont trouvés
en face de la question de l'esclavage. Ils l'ont résolue à
l'aide du fusil, en violant le principe même qui faisait la
base de leur confédération. Ils sont aux prises maintenant
avec la question du travail libre, et ilb s'apprêtent à le
résoudre avec la même brutalité.
Le jésuitisme a creusé aux Etats-Unis les plus belles
taupinières. Son succès y est tel que les Américains se rassu-
rent en tenant le danger en un profond mépris. Le fameux
journaliste réformateur Greeley en se berçant de l'espoir
enfantin que son ''Sauveur" vivait; et Bennett, le non
moins fameux journaliste ecclectique en apparence, a rendu
le dernier soupir en serrant une médaille ultramontaine
dans sa main.
Il n'y a rien à attendre d'une aggrégation d'hommes
névralgiques dirigés par des journalistes félons ou bornés,
influencés par des femmes hystériques, prêches par des mi-
nistres aux abois, placés qu'ils sont entre le Papisme et le
(Spiritisme, qui se sont peut-être entendus pour désagréger
le Protestantisme, lequel n'avait déjà pas trop de cohésion.
C'est donc à la France des Turgot, des La Place, des
Dupuis (*), des Charles Fourier qu'il faut donner notre
sympathie, nos encouragements, notre appui; car elle est la
servante dévouée de l'Idéal, l'amante éprouvée du Bon, du
Beau, du Vrai.
Papebte, septembre 1878.
(*) L'obscurantisme est parvenu à faire mésestimer le lumineux Dupuis, et cependant toute
les découvertes archéolog-iques modernes confirment son grand ouvrage sur I'Origine de
TOUS LES Cultes, qui, en bonne logique, devrait remplacer dans tous les collèges l'absurde My-
thologie qu'on y enseigne sur l'autorité de l'imagination des poètes.
I.
DIEU - RELIGION.
Si quelqu'un vous parle de justice dans un
autre monde; examinez s'il n'a pas intérêt à vous
faire tolérer, accepter ou souffrir quelque injus-
tice dans celui-ci.
Une grande clameur domine tous les bruits : le mora-
liste le plus imberbe se félicite d'avoir trouvé le remède à
tous nos maux en s' écriant, tout chaud encore d'un viol
quelconque du Décalotrue : -'Il faut de la religion, il faut
croire en Dieu ! " Un général breton qui s'était acquis une
certaine réputation en maniant la plume, et qui depuis s'est
rendu fameux })Our n'avoir pas su taire sortir du fourreau
la flamboyante épée de Paris, a même demandé, avant
d'accepter sa part de responsabilité dans un gouvernement
de circonstance, de lui garantir Dieu, en compagnie de deux
ou trois autres commodités sociales.
Mais si chacun est d'accord sur la nécessité d'une religion
et la croyance en un Dieu, la dis})ute commence aussitôt
qu'on veut aller au fond des choses. Quel Dieu faut-il
adorer V Est-ce Jupiter, le .Dieu de toutes les intempéran-
ces? Est-ce Jehovah, le Dieu de toutes les fureurs? Quelle
religion faut-il pratiquer? Est-ce la juive, la musulmane?
Est-ce la chrétienne? Cette dernière l'emporte en effet dans
tout le monde occidental. Voyons donc sous quelle forme
elle se présente à notre esprit dans son aspect le plus saisis-
sable, la doctrine catholique.
Soyons bref. Comme dogmes fondamentaux, cette reli-
gion nous oflre la Chute de la Rédemption; comme témoi-
gnages de sa mission divine, les miracles; comme sanction
6 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
de sa morale, le Paradis et l'Enfer. Or, ces dogmes, ces
témoignages, cette sanction sont pour nous des sujets de
division par excellence et non de religion. Les dogmes sont
absurdes, les témoignages douteux ou n'ayant pas la portée
qu'on leur attribue communément; quant A la sanction, elle
est enfantine ou abominable.
Les Dogmes sont Absurdes. — Nous écartons de la discus-
sion la partie, pour ainsi dire, matérielle de la Création, telle
qu'elle est narrée dans la Bible (par exemple, le soleil formé
après la terre, le père apparaissant après sa tille, etc.); nous
n'envisageons ici que la chute de l'homme et la doctrine
qui en découle. Dieu donc crée l'homme d'une faron assez
grossière et forme la femme, son chef-d'œuvre, d'une ma-
nière passablement cruelle. Puis il les place dans un lieu
de délices. Il leur permet d'user de tout, excepté de man-
o'er d'un seul fruit. La désobéissance devait entraîner la
mort: et la défense, bien entendu, provoque la transgres-
sion. Donc l'homme ionihe fatalement, mais Dieu l'épar-
gne, grâce à l'intervention d'une deuxlc nie personne divine,
son Fils unique, qui s'olFre généreusement comme victime
expiatoire. Dieu le Père accepte la transaction ; néan-
moins il condamne provisoirement Adam et toute sa race
aux souffrances, à la maladie, à la mort.
Le genre humain, ainsi dégradé, se pervertît de plus en
plus en se multipliant, et enfin. Dieu, fatigué et irrité,
envoie un déluge universel qui anéantit du coup tous les
habitants de la terre, sauf une seule famille. Que devient,
dans cette conjoncture, Dieu le Fils? C'était là })Ourtant
une occasion légitime d'intervenir, de rappeler le Père à sa
promesse. Mais, passons :
A la suite de cette immense catastrophe. Dieu, malgré
son mécompte avec l'unique couple issu directement de ses
mains, se choisit un peuple favori par l'intermédiaire duquel
toutes les merveilles doivent se manifester. Mais on peut
dire que ce peuple n'a été choisi que pour souffrir. Ces
souffrances sont telles que, comme tous les malheureux, il
DIEU-RELIGION. 7
espère un Sauveur. Puis, lorsque ce Sauveur arriva, il le
méconnaît. On pouvait s'y méprendre. Le peuple juif
comptait sur un conquérant pour le venger de toutes les
humiliations qui avaient été son lot pendant une longue
suite de siècles. Il ne pouvait le reconnaître dans un paci-
fique ouvrier charpentier, fils de charpentier, et qui, entre
autres choses, s'en allait répétant dans les villes et bourgades
de la Judée que son royaume n'était pas de ce monde. Il
n'était pas, en efi'et, le saveur national espéré, mais bien ce
Rédempteur qu'un verset équivoque de la Genèse annonce
comme devant écraser avec son talon la tête du serpent.
En un mot, c'était Dieu le Fils, incarné dans le sein d'une
Vierge par l'opération du Saint-Esprit, la tvoidème personne
divine, et qu'on a vu jadis s'offinr à son Père pour racheter
rilumanitè du péché originel et nous replacer dans notre
état primitif de bonheur et d'innocence.
Admirez, la logique du procédé! Adam viole inconsidé-
rément, en cédant -a l'invitation d'une compagne à laquelle
l'homme ne peut ou ne doit rien i efuser, ce que nous
api)ellerons un règlement de police, et Dieu le Père veut
l'exterminer; mais ses descendants, délibérément, et en en
revendiquant insolemment la responsabilité, égorgent son
propre fils. Dieu comme lui, et voih\ qu'il les reçoit en
faveur et les admet à merci !
Mais examinons si, même en ce sens, le sacrifice a eu de
l'efiicacité : Adam, en péchant, a entraîné dans sa chute
toute sa progéniture; le Paradis a disparu comme par
enchantement, pour faire place aux ronces et aux épines.
Un Dieu se présente pour expier la faute. Sans compter
les soufi'rances sans nombre endurées déjà par l'Humanité
elle-même, on épuise sur Jésus toutes les atrocités du cruci-
tîement. La singulière justice de Dieu le Père avait, ce nous
semble, tout lieu d'être satisfaite.
Au moment donc oii l'inoflensive victime du Golgotha
baissait la tête et s'écriait : "Tout est consomme !" le Dieu
8 PRINCIPES REPUBLICAINS.
de la Bible, celui qui a dit : " Que la lumière soit !" et la
lumière fut, devait en un clin d'oeil renouveler la terre. Il
devait précipiter le Tentateur, le rusé serpent, le Diable
enfin, puisqu'il faut l'appeler par son nom, au fond de
l'abîme, et sceller à tout jamais l'ouverture du gouffre; les
ronces, les épines, les lieux désolés devaient disparaître pour
faire place au paradis restauré; enfin l'homme, rentré en
grâce, devait être exempt de la maladie, affranchi de la
mort par le pur effet et comme conséquence obligée de
l'acte de rédemption qui venait de s'accomplir d'une manière
aussi solennelle. Adam avait perdu le monde au moral
comme au physique; Jésus devait restaurer toutes choses
dans leur état primitif.
Eh bien ! qu'on lise l'histoire à partir de notre ère; qu'on
relise l'histoire de celle qui lui est antérieure ; qu'on balance
les calamités de la nature, les forfaits et les cruautés des
hommes d'avant et d'après, et que l'on détermine de quel
côté le plateau penche, et si Dieu le Père a observé les
termes du contrat. Si la Chute est réelle, la Rédemption ne
l'est pas, du moins par Jésus, qui est mort en vain,
Nous esquissons ici à grands traits ces dogmes étonnants.
Il faudrait des volumes pour exposer d'abord et réfuter
ensuite toutes les billevesées que certains hommes doués
souvent d'un très-grand talent et d'une haute vertu ont
débitées sur ce thème brahmanique greffé sur l'hallucination
juive par l'imagination grecque.
Mais ce qui ajoute encore à la confusion, c'est que l'Eglise
romaine ne craint pas d'aller directement à l' encontre de
certaines affirmations catégoriques des livres prétendus
saints. Prenons comme exemple le cas de la Vierge Marie.
On lit dans Matthieu, I, 24-25 : ^'11 (Joseph) prit sa femme
(Marie), mais il ne la connut point jusquà ce qu'elle eut
enfanté son premier -né Jésus." Donc, pour nous servir de
l'expression consacrée, il la connut après, et \q premier -né en
suppose un second, sinon un troisième. C'est déjà bien
DIEU-RELIGION. 9
concluant, mais c'est encore corroboré par ce passage, entre
beaucoup d'autres (Matthieu, XII, 46-47): "Comme Jésus
''pariait encore au peuple, sa Mère et ?>es frères, qui étaient
"dehors, demandèrent à lui parler, et quelqu'un lui dit ;
" Voilà, TA m.ère et tes frères sont là dehors qui demandent
" à te parler." Le texte est formel, mais on u prétendu que
frère ici veut dire cousin. S'il en était ainsi, mère, alors,
dans le même passage, voudrait dire tante. La science,
sortant enfin de sa complaisance habituelle, a prononcé.
Elle a déclaré par un organe autorisé que le mot employé
dans le texte original pour frère signifiait tout simplement
frère. Le Saint-Esprit a donc eu un compère dans l'humble,
mais heureux saint Joseph. Néanmoins Marie, selon
l'Eglise romaine, est Vierge, toujours Vierge. Hélas I ne
pas l'être est donc un crime, et voilà toute l'Humanité
flétrie ! Notre siècle a eu le privilège d'assister à la confir-
mation de cette insulte; elle lui a été lancée à la face par
un corps de célibataires décrépits qui n'a pas reculé devant
l'impudeur de proclamer le dogme de I'Immaculbe Concep-
tion. Toutes les autres conceptions, celles auxquelles le
genre humain doit de se perpétuer, sont donc souillées ! Et
ce sont les femmes qui, en général, font la fortune de cette
religion, laquelle en rendant à une mère exceptionnelle un
culte idolâtrique, outrage du même coup toutes les autres
mères, qui n'ont pas eu la faveur des visites du Saint-Esprit,
la troisième personne de la Trinité I
Eh bien ! on le demande, le bon sens humain est-il assez
éprouvé? Peut-on imaginer, pour expliquer la présence du
mal physique et moral sur la terre quelque chose de plus
absurde, de plus humiliant et à la fois de plus audacieux ?
Malgré un endoctrinement dix-huit fois séculaire, malgré
les obstacles de tous genres suscités par les pouvoirs tempo-
rel et spirituel, l'esprit humain a toujours protesté et pro-
testera toujours contre cette religion qui ment à son nom et
n'a jamais été qu'une source de division. Hostile à la raison,
ennemie de la science, ce n'est qu'une monstrueuse erreur
10 PRINCIPES EÉPtJBLICAINS.
destinée, il faut le croire, dans le plan providentiel, à nous
exciter à découvrir toutes les vérités par les obstacles qu'elle
sème sur la voie du progrès. C'est le seul bieufait qu'on
lui doive; nous admettons volontiers qu'il est immense.
" Mais, objectent ses partisans poussés à bout, nous ne
donnons pas notre religion comme étant conforme à la rai-
son, nous la prêchons comme un fait prouvé par des témoi-
gnages.
Témoignages douteux. — Les miracles sont revendiqués,
supposés même par toutes les croyances de l'espèce, mais
étant d'ordre purement subjectif, ils échappent à la preuve
et fuient la lumière. Ils n'entraînent la conviction que
chez ceux qui sont déjà convaincus. Au reste, depuis les
phénomènes constatés du Spiritisme, ils ne prouvent plus la
divinité absolue et exclusive d'une doctrine. Ce sont des
faits rares, il est vrai, mais qui se produisent quand certai-
nes conditions sont réahsées. Leur accomplissement n'im-
plique pas l'intervention d'une volonté divine personnelle et
actuelle. Un thaumaturge peut se former, la constitution
du sujet aidant, absolument comme un boxeur, par voie
d'entraînement; et Jésus lui-même en a donné la recette.
(Marc, IX, 29.) Les éléments de la puissance morale
rayonnent du foyer central qui les engendre à travers l'Uni-
vers comme les éléments de la force physique : il s'agit de
absorber et de se les assimiler par l'exercice.
Les imperfections reconnues des livres dits saints indi-
quent assez qu'ils ne sont pas l'œuvre directe de la sagesse
divine. En général, l'interprétation qui en est faite pour
en extraire la donnée cathoUque est vaine, forcée, subtile
et contre le sens littéral et ambiant. Donc, comme tout
produit de l'esjDrit humain, ils peuvent contenir et contien-
nent en effet des vérités de tout ordre comme aussi des
erreurs de tout genre. La critique judicieuse ne peut
accepter certaines circonstances des faits qu'ils relatent. Il
se peut que Moïse ait traversé la mer à pied sec, sans ad-
DIEU-RELIGION. 11
mettre que les flots^se soient écartés à son commandement;
il se peut que le pharaon d'Egypte ait été englouti avec
toute son armée, sans croire que les flots se soient repliés
sur l'injonction d'un homme. Et ainsi de tous les événements
de cette classe. Quant à Lazare ressuscité, où est-il? Jésus,
qui était son ami, n'a pu le tirer du sépulcre pour l'y laisser
retomber une deuxième fois. On ne dit pas qu'il soit
monté au ciel avec lui. S'il avait été ressuscité, il existerait
encore aujourd'hui pour porter témoignage de la puissance
du Verbe fait Homme.
Lorsqu'un fait est historique, les auteurs des Hvres hé-
breux ont pu en avoir connaissance tout comme les écri-
vains appelés profanes; mais alors il faut que la relation qu'ils
en font soit conforme aux lois immuables qui régissent l'uni-
vers. Si leur récit, au contraire, est légendaire, c'est-à-dire
ornementé, ampHfié, merveilleux, nous soutenons que la
raison est dans son droit de ne pas reconnaître l'autorité
d'une doctrine qui les invoque pour réclamer et légitimer
notre obéissance.
Cependant, qui admet comme authentiques ces témoigna-
ges improbables et croit aux dogmes outrageants de la Chute
et de la Rédemption, gagne le Paradis; celui qui les conteste
ou nie, a l'Enfer en partage.
Sanction Enfantine ou Abomu^able. — Gouverner les
hommes par l'appât ou la crainte; faire des égoïstes et des
êtres vivant de vertus négatives, ou des peureux et des
hypocrites, tel est le caractère principal d'une croyance qui
ajourne la justice à un autre monde. Elle a été la pierre
d'achoppement des sociétés du passé. Par le fait que les
hommes de sentiment, toujours les mieux doués, se sont
abandonnés à la contemplation ou résignés à vivre d'abné-
gations, le monde a été Uvré sans contrepoids aux hommes
de sensation et de connaissance. Or, les uns ne redoutaient
guère qu'à l'heure de leur mort le châtiment évoqué de
l'enfer; quant aux autres, ils devaient être peu sensibles à
12 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
la jubilation oisive du paradis. La soumission à la loi reli-
gieuse révélée n'était donc que partielle ou factice, et
malgré les signes extérieurs, le cœur de l'homme était resté
cruel.
On dit que notre civilisation est issue du christianisme :
oui, en s'en détachant. Lorsque cette croyance sortit
triomphante du chaos de ses origines, il se fit une nuit
profonde dans le monde occidental. Le progrès n'était pas
d'avancer, mais de reculer. Le but, c'était le point de
départ, c'est-à-dire l'impossible. Pour réaliser l'idéal en-
seigné, il fallait s'abstenir de vivre. La perfection, c'était
l'annihilation. L'homme était honteux de lui-même : il se
mutilait. Mariez-vous, vous faites bien; ne vous mariez
pas, vous faites mieux î De cet immense contresens, de
cette universelle contrainte devaient résulter, et il résulta
en effet des monstruosités sans exemj)le. Et l'humanité
fourvoyée ne reprit sa marche ascendante qu'alors que le fil
philosophique, romj)U violemment par l'invasion de cette
aberration fatale, se renoua aux sources i-atioimelles à l'épo-
que si bien nommée de la Renaissance.
Cependant, c'est sur de pareils dogmes, sur la foi de pa-
reils témoignages, l'espoird'un tel paradis et la crainte d'un
d'un tel enfer, que les sociétés modernes, ou plutôt leurs
gouvernements, veulent fonder leur conservation. Ah !
c'est (jue nos adversaires sont habiles! Lorsc^u'ils ont vu
que les peuples allaient échapi)er à leur abrutissante domi-
nation, ils ont cherché et trouvé un moyen de retenir ces
gouvernements dans leur alliance. Le moment est solen-
nei : il s'agit du dégagement d'une vérité importante.
Ecoutez, vous allez avoir la clef des révolutions qui commen-
cent avec la satisfaction d'un devoir accompli, d'un droit
bCCiuis, et qui se terminent dans la désolation, au milieu des
ruines et des crimes.
On a souvent parlé du secret du jésuitisme. Il est
facile de le surprendre. La dangereuse Compagnie n'a-t-
elle pas été fondée expressément pour faire échec à la libei-té?
DIEU-RELIGION. 13
Eh bien, voici ce secret formidable dans sa simplicité, son
énergie, son efficacité, et que chacun en fasse son profit :
Cest de compromettre la cause du progrès vis-à-vis des gouver-
nements établis ou à établir.
Républicains, comprenez-vous enfin pourquoi, au lende-
main d'une victoire, vous êtes entourés, débordés, poussés
lans l'absurde, l'impossible, l'odieux, enfin écrasés si vous
•ésistez et déshonorés si vous cédez ? C'est que le jésuitisme
est à l'œuvre. Vous criez : Vive la .République! cri assez
large pour résumer tous les droits, tous les devoirs de l'hom-
me; le jésuitisme fait ajouter par ses instruments aveugles:
Démocratique et Sociale ! ce qui sème l'épouvante et vous
fait courir sus. Vos excès, c'est-à-dire les excès commis en
votre nom, font son espoir et son succès. Impuissant contre
la Raison, (cette autorité légitime et souveraine contre la-
quelle il conspire et lutte incessamment,) il spécule sur toutes
les folies pour l'empêcher de l'emporter contre la Foi, qui
n'est, en somme, que la science attardée. Après Février,
vous aurez Juin; après Septembre, vous aurez la Commune
dévoyée. Le crime doit être attribué, non à la République,
qui en souft're, mais aux prétendants de toute couleur, favo-
ris du jésuitisme, qui en profitent et cherchent à pêcher une
couronne en eau trouble.
N"'imaginez pas (pie nous donnons une importance de
fantaisie au jésuitisme. Cet ordre est tout puissant par son
organisation, sa discipline et ses maximes. Précipité du
pouvoir en 1830, il s'est depuis, une fois revenu de sa
frayeur, mis à courtiser le peuple; il s'est insinué dans tous
les rangs, dans toutes les professions. Il s'est emparé de
l'instruction, de l'éducation. Son influence a été assez
grande pour taire fausser jusqu'à la seience. En voulez-
vous une preuve aussi évidente que singulière ? C'est le
triomphe même du polémiste Veuillot. Si ce journalis-
te avait rencontré sur son chemin un seul homme au
courant de la question, et qui eût étudié la soi-disant
religion dans ses théologiens et même dans ses phi-
14 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
losophes libéraux, il ne serait jamais parvenu à l'autorité
dont il jouit. Ce fanatique gouailleur a carrément affirmé
les dogmes catholiques, poussé à bout leurs conséquences,
mettant audacieusement à profit les décevants paradoxes de
notre compatriote Joseph de Maistre; tandis que ses adver-
saires, dédaigneux ou distraits, souvent ignorants et quel-
quefois complices, se contentaient de tailler certaines
branches qui repoussaient toujours, au lieu de frapper au
tronc dont la chute eût entraîné tout le reste. Si la science
absolue voulait sortir de sa retraite ou de sa réserve, où en
serait, par exemple, la Genèse, base de toute la doctrine ?
LFne seule branche des connaissances humaines, l'astronomie,
la réduirait à néant. Comparez V hypothèse de La Place,
admise par toutes les sommités scientifiques modernes, avec
la révélation de Moïse. Vous n'aurez pas besoin de chercher
de quel côté est la vérité : elle apparaîtra toute seule avec
éclat. Tandis que les faits confirment de plus eu plus la
justesse de la déduction de l'immortel géomètre, ils font,
comme conséquence, toujours de plus eu plus ressortir
l'absurdité de la narration du fameux législateur hébreux.
Oui, Français, il faut un Dieu, mais le Dieu qui ne se
contredit pas, celui de la Raison; oui, sans doute, il faut une
religion, mais la religion qui ne divise pas, celle de la
science, démontrable partout, et qui, seule, conséquemment,
peut devenir universelle. Les faits et gestes du Dieu bibli-
que, malgré les élans d'une poésie plus démesurée que
grandiose, révoltent ou épouvantent la conscience humaine
ce Dieu fera donc toujours des rebelles. Les dogmes de la
religion révélée répugnent à la raison humaine ou l'outra-
gent : cette religion ne produira donc jamais que des
dissensions. La fable juive peut détruire d'autres fables,
mais, lorsqu'elle l'emporte, c'est qu'elle trouve plus absurde
qu'elle-même. C'est un progrès, mais qui s'arrête là. Loin
de civiliser, le catholicisme est un obstacle à la civilisation.
L'Asie presqu' entière nous est fermée par suite de ses
prédications insensées. Le bonze et le brahme repoussent
DIEU-RELIGION. 15
avec horreur le pivtre catholique; c'est à bras ouverts qu'ils
accueilleraient le savant. Si même les missioiniaires font
quelques prosélytes sérieux, c'est sous le («ouvert de la
science; mais s'il leur arrive parfois d'éclairer, c'est toujours
dans le secret espoir d'obscurcir ensuite. Ne pouvant plus
s'opposer au flot toujours montant des connaissances, ils
minent le sol pour l'attirer à le faire disparaître dans leur
ténébreux souterrain.
Où ne portent-ils pas le trouble? Abusant de l'ignorance
des masses, ils engendrent partout des dangers. Leur inso-
lence et leurs outrecuidantes prétentions provoquent leur
massacre et retardent d'autant le développement des senti-
ments fraternels parmi les nations. En Europe, ils seraient
des perturbateurs de la pire espèce s'ils prêchaient contre
les moeurs, les lois et les religions établies; en Chine ou
ailleurs, ce sont des martyrs.
Livrant bataille au monde dans ses passions naturelles,
dans ses désirs et aspirations légitimes, ils font dévier
l'Humanité de sa voie. A la jouissance des dons célestes,
ils substituent la mortification de la chair et l'anéantisse-
ment de l'esprit. Ils proscrivent l'amour, le civilisateur, le
paraclet par excellence, et qui, seul, fait communier la
créature avec le Créateur. Ils étrangent le couple humain.
Ces célibataires vénèrent ou plutôt adorent la Vierge, mais
ils méprisent la Femme : ils considèrent son contact comme
impure, et toute leui; énergie est tournée à combattre l'aima-
ble féminin. En ne voulant voir dans l'homme qu'un
reproducteur béat et dans la femme qu'une femelle passive,
active seulement à voiler ses charmes, à paralyser ses at-
traits, ils portent celui-là à se faire une compagne de la pipe
ou de la bouteille, ils obligent celle-ci à se réfugier au
couvent, où elle s'étiole ou se déprave en vaines ardeurs
pour un époux mystique.
Leur culte est une représentation théâtrale. Les pauvres
choisis dont ils lavent les pieds les ont déjà propres. Ils
ne pratiquent pas la Cène, ils la parodient. Du dernier repas
16 PRINCIPES REPUBLICAINS.
de Jésus, ils ont fait une panolâtrie sans nom. L'homme
fait par Dieu fait Dieu à son tour et en quantité illimitée :
il lui suffit pour cet objet d'un peu d'eau et de farine,
quelques gouttes de vin, force signes de croix, certaines
paroles et des génuflexions à écœurer les anges. L'Eglise
n'est plus composée que de prêtres ;• les laïques n'apparais-
sent que pour leur tirer la langue, afin d'y recevoir une
hostie qui, si elle se colle au palais, doit en être détachée
avec cette même langue sans oser y porter les doigts. Puis-
que les anciens augures en étaient arrivés à ne pouvoir se
regarder sans rire, le temps est plus que venu pour les
prêtres modernes de ne pouvoir se rencontrer au pied des
autels sans rougir.
Ils ne sont pas les disciples de Jésus; ils sont simplement
les continuateurs des pontifes païens, dont ils ont pris la
défroque. Le christianisme, tel qu'il peut résulter du texte
des Évangiles, a été dénaturé du jour où le prêtre, son ennemi
mortel, s'en est emparé. Les oripaux, les momeries,
tout ce qui reposait sur la doctrine barbare de l'expiation,
remplacèrent alors la religion du cœur et de l'esprit enseignée
par le maître aimable auquel la philosophie moderne a rendu
son vrai caractère et que ses prétendus ministres étaient
parvenus à faire haïr. Qui serait étonné en entrant dans
Saint-Pierre de Rome un jour où le Pape officie ? C'est
Jésus. Sa surprise augmenterait, si on lui disait — il ne
pourrait le deviner — que les cérémonies qui s'y font sont sa
religion et que le Saint-Père est son représentant. Il n'en
croirait ni ses yeux ni ses oreilles et se retirerait bien
confus. Et les soldats qui fléchissent le genou et présentent
les armes au Pape se demanderaient peut-être, en voyant
passer le Sauveur du Monde devant leurs rangs immobiles,
si cet homme à robe rouge, au maintien si grave et en
même temps si doux, ne serait pas un partisan de Garibaldi
sur lequel la police ferait bien d'avoir l'œil ouvert.
Français, votre salut n'est pas dans ce Dieu qui jongle
avec ses lois et souff're le Diable comme auxiliaire : il n'est
DIEU-RELIGION. 17
pas dans cette prétendue religion qui provo(|iie incessam-
ment et comme à plaisir l'esprit humain à la combattre.
Loin d'être votre salut, cette croyance fait votre danger,
votre faiblesse, votre misère. Les hommes de prière
coûtent cher — matériellement, moralement et intellectuel-
lement. Ils en ont à votre bourse comme à votre cerveau.
Souffrir dans ce monde avec l'espoir de jouir dans l'autre ;
se livrer à la contemplation au lieu de travailler ; attendre
d'une intervention miraculeuse de la Providence le succès
de telle ou telle entreprise, c'est jeter la perturbation dans
toutes les relations sociales et renoncer à exécuter sa part
du labeur commun. L'État a pour devoir de se séparer
sans hésiter d'une pareille institution, non parce qu'elle est
la religion, mais parce qu'elle est l'erreur, s'il ne veut
partager l'aversion qu'elle inspire partout où la raison
exerce ses facultés.
Les principes de morale reposent sur quelque chose de
plus compréhensible que des mystères, de plus certain que
des promesses ou des menaces ultramontaines, de plus
consistant que des contradictions, de plus positif que des
subtilités. Déduits de sensations observées, de sentiments
éprouvés, ils sont susceptibles de la démonstration la plus
convaincante. Ils constituent l'homme tout entier. S'en
départir, c'est manquer aux lois de sa nature et de sa
destinée, et tout alors se transforme en résistance ou réaction
pour vous y ramener. Dieu a gravé sa loi non sur une
pierre, mais dans chaque créature. L'homme le plus
dépravé ne l'ignore pas, et il lui rend le plus bel hommage
en se cachant pour la violer. Que sert donc de la connaître
s'il y manque? Ah! c'est qu'il est borné et n'apprécie
qu'imparfaitement la portée de ses actes. Il voit une
satisfaction immédiate, et il cède, malgré la crainte du
Diable ou celle du gendarme.
Il faut donc jeter de la lumière sur les effets et leurs
causes. Eclairez les esprits. AfB.rmez et prouvez que tout
tort fait à soi ou aux autres ne reste jamais impuni ; que le
18 PRINCIPES REPUBLICAINS.
châtiment est infligé dès cette vie même, malgré des appa-
rences qui pourraient faire croire le contraire. Il n'est pas
de masque possible pour la conscience. L'homme doit
aimer Dieu — l'idéal du Bien, du Beau, du Vrai — avec
un complet désintéressement ; il doit honorer ses parents,
respecter son semblable dans son existence, sa propriété, ses
aiFections, sans espérer le Paradis, sans crgîindre l'Enfer —
ces deux chimères.
La doctrine catholique, se trompant sur la vie, se mé-
prend, par suite, sur la mort. Elle fait de celle-ci un châti-
ment et surtout un épouvantail, alors qu'elle n'est que la
condition nécessaire et rigoureuse du progrès. Sans la
mort, la volonté de la créature l'emporterait peut-être sur
le dessein du Créateur, qui ne pourrait plus arriver à ses fins
qu'en violant la liberté, ce noble apanage de l'homme.
Avec la mort, les êtres ou imparfaits ou rebelles sont inces-
samment replongés dans le creuset pour faire place à
d'autres êtres plus sensibles à l'influx divin. Mort et nais-
sance sont deux termes inséparables. Dire que la mort est
entrée dans le monde avec le péché^ quelle ineptie ! Elle
seule a permis à la vie sinon d'y paraître, au moins de s'y
prolonger. Si la géologie, comme toutes les autres sciences
au reste, avait la moindre pi-ise sur ces fanatiques, elle leur
enseignerait que la mort date de millions d'années avant
l'apparition de l'homme sur notre planète. En attendant,
ces amants de l'absurde et de l'horrible exploitent les
terreurs qu'elle inspire aux individus affaiblis par les souf-
frances ou les dérèglements et dont ils ont faussé l'éducation
première par des images et des descriptions hideuses.
Voyez leurs abominables Pensez-y bien. La mort est leur
grande ressource. Ils en jouissent avec un entrain vrai-
ment diabolique. Le sublime du genre est la fin de
Voltaire. Ils n'ont rien trouvé mieux que de faire avaler
au philosophe à l'agonie ses propres excréments. Ils ont
des inventions de ce goût. Nous croyons qu'ils ont eu l'art
de faire authentiquer le fait par Tronchin. Cela même
DIEU-RELIGION. 19
tournerait contre ses persécuteurs. Cela prouverait (pie
l'illustre vieillard était entièrement tombé en enfance, et
conséquemment était revenu à l'état d'innocence. On sait
en effet que quelques jeunes individus de notre espèce n'ont
aucune répugnance pour un pareil festin. La légende de la
mort de Lamennais est sans doute en formation. Elle sera
produite en temps et lieu. Ils lui feront, à c(»up sûr,
ingurgiter son urine. Sainte-Beuve, malgré son nom,
n'échappera pas à leur vengeance. Avant d'expirer, il se
sera certainement arraché quelques grammes de chair et
dévidé quelques centimètres de boyau, à l'instar des moines
du Musée Espagnol au Louvre, pour se faire un saucisson
en commémoration de celui qu'on l'accuse d'avoir mangé
un Vendredi-Saint.
Français, vous vous êtes bénévolement laissés endoctriner.
Votre excuse est que vous n'êtes arrivés à l'ultramontanisme
que par le plan incliné du néo-catholicisme, dont les docteurs
démocratiques trop écoutés ont été les Roux, les Bûchez, les
Cor bon. Le jésuitisme voulut aussi s'emparer de l'Alle-
magne à la suite du brillant vernis jeté par l'Ecole roman-
tique sur les mœurs et surtout les édifices du moyen-âge.
Mais l'alarme fut sonnée à temps par un vieux philosophe
dont les coups vigoureux firent déguerpir des clochers
gothiques cette bande de corbeaux aux croassements
sinistres. La jeunesse allemande, plus fortunée que la
vôtre, s'aperçut à temps qu'on voulait la piper, pour nous
servir du mot si juste de Henri Heine ; et elle échappa
ainsi à l'énervement qui suit la mauvaise nourriture intel-
lectuelle.
Kous ne voulons pas abuser des circonstances présentes
pour établir une comparaison ; mais si jamais la différence
d'éducation entre deux peuples s'est manifestée au grand
jour, c'est bien dans les événements foudroyants dont la
France a été le théâtre et la victime en 1870-71. La nation
a trop longtemps subi la conscription qui émasculine et les
Ignorantins qui crétinisent : on en a vu les effets. Ceux
20 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
qui avaient pour mission de veiller à l'enseignement public
ont manqué à leur devoir par égoïsme ou duplicité. Ils ont
eu peur de la science, laquelle assurément ne leur eût
demandé que le sacrifice de quelques préjugés. Ils ont
cherché le salut dans la foi. dont les ministres portaient la
condescendance envers les riches jusqu'à transformer le
fameux chameau du trou de l'aiguille en un câble com-
plaisant. L'Université, se manquant à elle-même, n'enseigna
plus que des demi-vérités, baffouées encore par la doctrine
triomphante, qui allait toujours en s' enhardissant à mesure
qu'on faiblissait devant elle. On donna aux instituteurs
primaires civils à peine de quoi vivre dans la plus abjecte
misère, afin de favoriser l'établissement des congrégations
religieuses enseignantes, dont l'œuvre est forcément anti-
philosophique. La société civile paie un clergé qui lui fait
des ennemis, qui la méprise, qui l'insulte ; elle se montre
parcimonieuse envers les seuls hommes qui pourraient lui
donner des citoyens.
Kous nous rappelons les rebuffades que nous avons
essuyées alors qu'étant jeune, et passant outre à la consigne,
nous voulions soulever soit la question politique, soit la
question rehgieuse. C'était partout la même recommanda-
tion : " Ne parlons pas religion ! ne parlons pas politique ! "
Et chacun de se lever et de fuir l'importun. Il fallait se
cacher pour s'occuper des deux seules choses dignes
d'entretien. Mais comment donci Les hommes les plus
sérieux de France, les francs-maçons, s'engagent à ne pas
touchera la politique. De quoi s'occupent-ils donc? Des
modes, sans doute.
Où cette restriction condamnable a-t-elle conduit la
nbtion ? En politique, à l'avortement de Février, au Coup-
d'État de Décembre, au vote et à la confirmation de
l'Empire. Elle peut la conduire à pis encore, si possible,
puisqu'on ignore à ce point les principes qu'on veut faire
sortir la monarchie de l'exercice même de la souveraineté
du peuple qui en est la négation absolue. En religion, cette
DIEU-KELIGION. 21
restriction a mené à des pratiques réprouvées par le senti-
ment comme par la raison, par Jésus comme par Voltaire.
Rappelez-vous, entre autres abaissements du caractère
eligieux, l'Impératrice Eugénie allant en grande pompe,
Bntourée de ses dames d'honueur, l'élite de l'esprit et de la
beauté, déposer une veilleuse de bonne femme sous le nez
sans flair de l'idole de Notre-Dame des Victoires, pour
ippeler son intervention en faveur de la fameuse campagne
pi débutait si ridiculement par la prise de Saarbriick.
Elle fit pareille chose, dit-on, pour les campagnes de Crimée
t d'Italie, et le succès relatif des guerres que ces noms
rappellent, l'avait, paraît-il, fortifiée dans sa superstition.
Bi une Impératrice, qui devait résumer toute l'intelligence
de son sexe, en était arrivée à agir ainsi, que pouvaient faire
les femmes, ses sujettes? Tout... sauf peut-être des
hommes.
Et, Français, ce sont des hommes qu'il faut pour soutenir
l'éclat d'un nom et continuer un grand peuple. La leçon
terrible infiigée récemment ne semble pas avoir porte tous
ses fruits. Vous croyez que c'est l'armée qui vous a
manqué, tandis que ce sont simplement les convictions. Et
comment en avoir ? Vos instituteurs cléricaux ne peuvent
plus se dispenser de vous enseigner que la terre tourne,
mais ils le font de manière à vous laisser des doutes même
sur ce point. Ils comptaient jadis sur Euler pour démontrer
le contraire. On n'a de vertu, c'est-à-dire de force, qu'alors
qu'on est le champion d'une idée. Vous battre contre les
Allemands, pourquoi dans ce passé récent? Pour une
influence factice, un équilibre impossible, des frontières
dont, à part le mot vague du Rhin, vous ignorez au juste la
démarcation. Pourquoi dans l'avenir? Pour une re-
vanche...
Tenez, Français, croyez-nous, au lieu de suivre des
errements désastreux et inhumains, au lieu de continuer à
prendre vos enfants pour en faire des soldats, au lieu de
persister à démoraliser méthodiquement la fleur de votre
22 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
jeunesse dans les casernes ou sur les navires, et d'y nourrir
leur loisir de haine et de rancune, laissez-les à leurs occupa-
tions naturelles et productives ; faites de chaque officier
capable un instituteur ; faites enseigner non à quelques-uns,
mais à tous, ce que chacun peut apprendre ; faites la guerre
partout, chez vous, à l'ignorance des esprits, à la misère des
corps ; pratiquez enfin la vraie justice. Et si dans dix
années la génération issue de cette éducation et de ce traite-
ment veut encore se venger, eh bien ! elle sera à elle-même
sa propre armée... Seulement elle offrira aux nations
rassurées un spectacle tellement noble et attrayant, qu'au
lieu d'en redouter une attaque il n'est aucune d'elles qui ne
sollicite l'honneur de son alliance. Si la France a encore
un avenir — et l'Humanité serait sans futur si elle n'en
avait pas — c'est dans cette voie et par nulle autre.
Napoléon, le Grand, à bout de prodiges et rencontrant la
défaite, reconnut que la victoire, en définitive, était pour
les gros bataillons. Pourquoi donc engager une lutte où le
nombre sera toujours contre vous. Il vous reste une carrière
à parcourir, c'est celle de la paix. Elle est ilhmitée et
n'aboutit à aucun désastre. Qui sait? si vous avez été
vaincus, c'est que sans doute vous aviez mieux à faire qu'à
aller en guerre. Vous battus — vous la valeur même — la
guerre a fait son temps ; elle ne prouve plus rien, si jamais
elle a prouvé quelque chose. Ses victoires ne font pas croire
en Allemagne : elles ne lui ont conféré aucune vertu attrac-
tive. Les peuples vous ont conservé leur coeur; ils vous
sont restés fidèles ; ils espèrent toujours en vous — vous, le
champion séculaire et désintéressé de l'Idéal — pour établir
la Fraternité sur la terre. Car la Force, ce n'est pas le
Droit, ce n'est pas la Religion — ce n'est pas Dieu. Le
catholique peut l'invoquer ; le chrétien, en tant que type de
l'homme civilisé, jamais.
Si un membre éminent de l'épiscopat français n'a pas
craint de déclarer, du haut de la tribune nationale, que " les
*' guerres entreprises pour appuyer les protestations solen-
DIEU-RELIGION. 23
" nelles de la conscience sont nécessaires^'" qu'on permette
à un humble laïque de rappeler au belliqueux prélat que
Jésus, à-propos de Pierre lui-même, qui cependant faisait
acte de légitime défense autant que de sentiment, a dit ces
propres paroles : " Celui qui se sert de l'épée périra par
l'épée."
Les prédications et les discours de nos prêtres du jour,
qui seraient moins patriotes et moins animés contre le roi de
Prusse, quoique Protestant, s'il avait voulu prendre en
croupe le comte de Chambord pour en faire un Roy de
France, ne font guère écho à cette sage maxime, vérifiée
dans tous les conquérants célèbres ; mais elle vient à point
pour terminer cette épître, et constater une fois de plus le
désaccord qui existe entre le Maître et ses prétendus
disciples, entre la rehgion de Jésus et celle des prêtres,
entre le Dieu de la raison et le Dieu de la folie.
Octobre 1871.
n.
LA REPUBLIQUE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL
La République est toujours
de droit, lors même qu'elle
n'existe pas de fait.
Un bien grand fardeau a été jeté sur les épaules de
l'homme : c'est celui de la responsabilité.
Qu'il ne s'en plaigne pas.
C'est avec ce fait très-simple, mais aussi d'une incontes-
table évidence, qu'il peut revendiquer tous les droits.
L'homme, en effet, ne peut être responsable que s'il est
libre, c'est-à-dire souverain.
L'option suppose le jugement, comme celui-ci implique
la Raison — cette résultante rigoureuse de tous les phéno-
mènes de la conscience et qui trône au sommet du monde
intellectuel et moral comme le soleil au centre du système
planétaire.
Si l'homme vivait solitaire, ce serait peut-être une
question de savoir s'il a des devoirs envers lui-même.
Vivant en société, il en a assurément envers ses sem-
blables.
Il est facile de définir ces devoirs.
Ils consistent tout simplement à accorder à autrui ce
qu'on revendique pour soi-même. La réciprocité des
rapports est un sûr garant de leur moralité. Les relations
civiles et politiques ne sauraient s'établir et se perpétuer
sans cette reconnaissance fondamentale ; et c'est ici que
l'immortelle devise de la Révolution Française surgit d'une
manière lumineuse du fond même de la question.
LA RÉPUBLIQUE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL. 25
Après bien des luttes infructueuses et trop souvent
sanglantes, le cri Egalité! fit enfin écho au cri de Liberté!
et les hommes, renonçant à la coupable tentative de vouloir
réciproquement s'asservir, prononcèrent à l'unisson le mot
de Fraternité ! — donnant ainsi iine consécration et une
conséquence logique aux deux autres termes de la devise, et
établissant, par la fusion des libertés ou souverainetés
individuelles, la liberté collective ou la souveraineté du
peuple.
Il ne se trouve donc plus en présence que des hommes
libres et égaux, soumis à une autorité commune, la Raison,
source du droit et du devoir, de laquelle conséquemment
tous leurs actes relèvent.
La grande question est de savoir si cette liberté ou sou-
veraineté peut s'abdiquer ou s'aliéner. La difficulté est
résolue d'emblée par l'impossibilité où. l'homme se trouve
de changer sa nature. On peut concéder qu'en tant qu'in-
dividu l'homme a la faculté d'aliéner et d'abdiquer ses
droits, parce qu'il n'engage que lui-même et que son
existence est limitée dans le temps. Mais il ne saurait en
être de même pour l'être collectif, la Nation, qu'elle agisse
directement ou par ses représentants. Le corps politique
étant permanent et continu ne peut, sans prévariquer, aliéner
ou abdiquer le droit même en vertu duquel il ^existe. La
génération politique en exercice a pour premier devoir de
transmettre intact à la génération politique qui lui succédera
le dépôt qui lui a été confié. Le citoyen du lendemain,
comme celui du jour, doit jouir de la plénitude de ses droits
et avoir la faculté de les exercer. La nature l'a créé souve-
rain ; la volonté aveugle ou intéressée de ses concitoyens ne
peut en faire un sujet.
Il suffit d'énoncer ces principes pour y faire adhérer. Si
maintenant on veut les appliquer à une forme de gouverne-
ment, on reconnaît tout d'abord qu'ils sont réfractaires à la
monarchie. Celle-ci, en eflÈ'et, quoiqu'on dise et quoiqu'on
fasse, a pour origine la force, la nécessité ou le choix, le
26 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
hasard ou la volonté. Sa plus grande légitimité ne lui peut
venir que par une abdication. Elle n'est pas la déduction
logique d'un principe fondé sur un fait. Subie, acceptée ou
votée aujourd'hui par une majorité d'essence temporaire,
elle sera combattue, vaincue demain par une majorité
contraire. Pour la maintenir, il faudra l'intervention de la
force, et alors vous avez le despotisme. Issue des événe-
ments ou de la volonté, la monarchie en éprouve toutes les
variations, toutes les vicissitudes. J'étais mineur lorsqu'il
vous plut de faire un Roi ; je suis majeur maintenant, et je
sens que vous m'avez privé de la garantie la plus précieuse
contre l'arbitraire. Au lieu d'être gouverné sous l'influence
d'un principe universel, je sens partout l'action d'une
volonté capricieuse. Ne me trouvant pas lié par un pacte
usurpateur, je me décide à recommencer la lutte, et c'en
est fait une fois de plus d'une prétendue quiétude.
Telle est la lamentable histoire du passé ; si l'on suit les
mêmes errements, telle sera la lamentable histoire de
l'avenir. Le char de l'Etat a besoin d'un point d'appui
pour rouler sans doute, mais il ne faut pas jeter sous ses
roues un objet oflrant plus que de la résistance. La monar-
chie n'a pas un point d'appui, c'est un obstacle. Son efîet
est de produire l'immobilité si l'on résigne, les catastrophes
si l'on veut passer outre.
Par suite d'une telle institution, il y a dans l'État deux
puissances ayant chacune leur influence inhérente et
opposée. Tandis que la volonté nationale, ayant pour
contrôle la raison, a une tendance invincible à satisfaire aux
intérêts généraux, la volonté royale travaille — nous
pouvons admettre que c'est à son insu — au profit des
privilèges. Les citoyens ne comptent plus sur la justice
seule, qui exige industrie et mérite ; ils espèrent en la
faveur du prince, à qui il suffit de plaire pour l'obtenir.
Sans insister ici sur ce point, disons en passant que c'est là
le fond même de la lutte. On ne soutient pas un roi pour le
seul plaisir du jeu.
LA RÉPUBLIQUE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL. 27
L'accord tant cherché entre les intérêts du passé, du
présent et ceux de l'avenir ne peut être étabU que par l'appli-
cation de principes reconnus et acceptés. La nécessité de la
monarchie peut être un excellent argument, mais cette
nécessité ne fait autorité que pour ceux qui la proclament ou
l'invoquent. Cercle bien vicieux !
Mais une chose profondément illogique, c'est de tenter
d'étabUr une souveraineté individuelle côte à côte avec la
souveraineté collective, et de mettre en balance une dynastie
avec une nation ; une chose dangereuse à tout le moins,
c'est de confier le contrôle et l'exécution de la loi à un
fonctionnaire héréditaire et irresponsable, surtout avec des
conditions et des réserves qui, à un moment donné, font que
la volonté d'un individu est supérieure à la volonté de tous
et que le serviteur devient enfin le maître. Toutes les
précautions prises à cet égard n'ont jamais empêché les
désastres ou les déviations. Les plus grands talents se sont
usés à la défense d'une pareille anomaUe, et depuis le
corruptible Mirabeau jusqu'à l'intègre M. Guizot, ils ont
tous misérablement échoué. Afin qu'une institution soit
légitime, et par là obtienne l'assentiment de la conscience
et la soumission de la volonté, il faut qu'elle soit basée sur
un dogme déduit d'un fait incontestable et d'accord avec la
vérité spéculative, c'est-à-dire absolue. C'est une propriété
qui manque à la monarchie et la rend à jamais vulnérable
Une autre erreur capitale, c'est de présenter le suflrage
universel comme une cause alors qu'il n'est qu'un efi'et.
Alléchés par les succès des plébiscites impériaux, les co7i-
servaieurs veulent faire du sufîrage la source du droit,
tandis qu'il ne fait qu'en découler. Il n'est pas le droit, il
en est l'exercice ; il est le mode par lequel chaque citoyen,
en vertu d'une hberté ou d'une souveraineté qu'on n'ose
plus repousser, participe à la législation qui doit le régir,
soit directement, soit par délégation. Quant au droit lui-
même, il est indépendant du vote et de l'opinion ; il les
domine de toute la hauteur d'un principe. Où en serions-
28 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
nous si le bien et le mal, le vrai et le faux dépendaient du
suffrage? Comment se diriger? Ce serait une nouvelle
forme de la force brutale, et le meilleur refuge pour les
sociétés ainsi tourmentées serait encore, hélas ! le despotisme
d'un seul.
Il n'en est point ainsi heureusement. La République se
présente non comme un acte de la volonté, d'une préférence
de la majorité, mais comme la formule logique et inévitable
d'un principe qu'on ne saurait plus contester, la liberté ou
souveraineté nationale, qui s'incarne ainsi non plus dans un
individu pour s'y altérer ou s'y perdre, mais dans la loi,
laquelle ne peut avoir qu'un but, le bien général, puisqu'elle
émane de la Raison, tout à la fois la source de la justice et
de l'autorité.
Sortir de l'équivoque devient plus que jamais une
nécessité impérieuse. On ne saurait plus longtemps attri-
buer au suffrage universel une faculté qu'il n'a point : celle
de créer le droit ou de le détruire. Il n'est que trop facile
aux partis monarchiques d'abuser de l'ignorance de la foule
pour les laisser davantage se prévaloir de cette erreur
énorme. Il ne faut pas leur permettre de tuer la Kberté
avec les armes mêmes de la liberté. Et voici une pierre de
touche qui, selon nous, démasquerait infailHblement
l'ennemi : Celui qui déclare s'en remettre à la majorité des
suffrages pour décider de la forme gouvernementale est un
homme qui, s'il a des principes, manque de logique, ce qui
n'est pas sans danger, ou, ce qui est plus probable, c'est un
monarchiste n'osant affirmer son opinion et voulant tromper
la bonne foi pubhque. La monarchie est tellement une
institution d'aventure que ses partisans eux-mêmes ont
l'instinct qu'elle ne peut être rétablie en France que parla
surprise. Ne pouvant la faire sortir d'une discussion
rationnelle, ils comptent sur l'aveugle volonté du nombre
pour la restaurer.
Une escarmouche eut lieu à ce sujet au sein de
l'Assemblée Nationale alors qu'elle siégeait à Bordeaux.
LA REPUBLIQUE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL. 29
A la déclaration faite par M. Louis Blanc que la République
était au-dessus du suffrage universel, un membre de la
droite, ne pouvant se contenir, exclama ironiquement ;
"Ah, oui, la Républiqe de droit divin I "
Ce membre de la Droite n'a jamais dit si vrai. ïïélas,
oui, il faut s'y résigner, la République est de droit divin
puisqu'elle est de droit naturel, et toutes les volontés du
monde seront à jamais impuissantes à changer cette conclu-
sion. Certains aveugles réunis peuvent décider que le soleil
est carré : il n'en restera pas moins sphérique pour ceux
qui ont les yeux ouverts, pour quiconque a la moindre no-
tion de la configuration des corps célestes dans l'espace.
Ainsi pour renoncer à la République il faudrait au préa-
lable renoncer à être homme, ou du moins cesser de faire
usage de l'attribut qui nous distingue des espèces pourvues
seulement d'instincts. Si la liberté g'ènQ Messieurs les
royalistes, si elle est un fardeau accablant pour eux, ils
n'ont qu'un droit, c'est de ne pas en user, c'est de s'abstenir.
Leur aversion ou leur faiblesse ne les autorise nullement à
la supprimer ou à lui donner un gardien qui la mette jour-
nellement en péril. Ils peuvent d'autant plus abdiquer
sans danger pour eux que la République, ne pouvant faire
de lois exceptionnelles, ni aucune distinction dans l'applica-
tion de la loi générale, sauvegarderait leurs intérêts civils
mieux qu'ils ne l'ont été jusqu'à ce jour par tous les
expédients fortuits ou combinés du parti conservateur. La
pratique absolue du droit serait une meilleure garantie de
l'ordre social que sa négation ouverte ou déguisée. Les
troubles, les soulèvements ont presque toujours pour cause
déterminante un déni de justice persistant.
E'ous sommes donc naturellement conduit^à^proclamer la
République non plus comme l'émanation de la volonté ou
comme l'effet de la préférence d'une majorité, ce qui la
rendrait aussi précaire que sa rivale, mais comme la
déduction logique d'un principe rationnel, la forme gouver-
30 ' PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
nementale inévitable d'un droit imprescriptible. Elle a
ainsi, en outre d'un caractère de légitimité qui lui assure
l'autorité et commande le respect, l'immense avantage de
donner satisfaction à l'esprit d'analyse et de critique, si
redoutable à l'erreur. Jetez-la dans n'importe quel creuset,
elle en sortira intacte. Triomphante au point de vue de la
théorie, ses imperfections pratiques sont constamment
réformables. Basée sur la Raison, organe même de la
liberté, elle a tout à gagner et rien à craindre du développe-
ment des idées. Ayant pour elle la vérité éternelle, elle est
douée d'une vertu féconde et d'une force invincible.
Octobre 1872.
III.
CONSTITUTION POLITIQUE.
Une " évolution " dans l'ordre est
toujours un progrès. Il faut beau-
coup de temps à une " révolution "
pour perdre le caractère d'une
catastrophe.
Les partis représentatifs français sont en présence et
s'observent. Ils montrent de l'hésitation à se prononcer sur
la grande question d'organisation politique. C'est un motif
pour chacun de contribuer à une solution en apportant son
idée. Sans plus de préambule, voici la nôtre.
Il faudrait enfin renoncer aux fictions traditionnelles et
accepter la vie avec ses conditions sérieuses, ses règles
sévères. Ce qui fait vivre, c'est le travail ; ce qui fait
prospérer, c'est l'ordre ; ce qui fait le caractère, c'est la
moralité, c'est-à-dire le respect d'autrui et surtout de soi.
Voilà les devoirs nécessaires de la vie civile et politique, de
la carrière individuelle et nationale.
Il est une vérité qui peut encore exciter de l'aversion,
mais qu'on ne conteste plus, c'est que tous les hommes sont
égaux en droit. Par suite, il incombe à chacun de participer
au gouvernement de la chose publique. La grande
difficulté est de trouver la formule pratique d'un principe
accepté.
Presque toutes les constitutions modernes supposent la
reconnaissance de ce principe, mais elles ont toutes plus ou
moins échoué dans son application, parce qu'après avoir
dégagé et reconnu les principes généraux, elles ont encore
82 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
voulu prévoir, réglementer, gérer des faits en dehors des
milieux et du temps de leur production. Une constitution
politique n'a trop souvent été qu'un lit de Procuste, un acte
barbare ou inintelligent.
On se plaint, d'aucun se félicitent de l'indifférence du
peuple en matière politique. Tout effet a une cause. La
politique des parlements ou des journaux a peu d'attrait
pour les masses. Des hommes sont d'abord désignés au
choix des électeurs par des partisans qui ne sont pas toujours
désintéressés; de leur côté, les candidats n'offrent le plus
souvent pour garantie de leur conduite parlementaire que
des programmes dont le style brillant supplée à l'idée
absente. Une fois élus, ils se réunissent pour discuter des
questions sans issue, ou se livrer à des récriminations qui ne
servent jamais l'intérêt public dont elles sont le prétexte.
Le talent oratoire développé dans ces luttes peut provoquer
l'admiration parmi les gens d'une certaine culture intellec-
tuelle, et qui ont des loisirs pour en jouir, mais les paysans,
mais les ouvriers, qui ne sont cependant pas indifférents à la
grande éloquence, se détournent après un moment d'atten-
tion, pensant que tous ces beaux discours ne touchent en
rien à leurs fardeaux et à leurs besoins ; que très souvent
même ils aggravent les uns et compromettent les autres.
La solution désirée se trouverait donc dans un système
d'organisation politique qui reconnaîtrait et assurerait les
droits de chacun, mais encore et surtout intéresserait à leur
exercice tous les citoyens sans amener leur lassitude ou leur
indifférence, en les faisant passer rationnellement du connu
à l'inconnu. Nous croyons que le système suivant répon-
drait à l'exigence signalée.
ÎTous partons de cette donnée que la commune est partout
constituée en France. Pour la démonstration en vue, nous
choisissons une locahté où règne la plus grande indifférence
poUtique. I^ous sommes à un jour d'élections. Les
citoyens sont convoqués pour envoyer un député
CONSTITUTION POLITIQUE. 33
l'Assemblée Nationale. Aucun paysan, aucun travailleur
ne se présente au vote. Il a été également résisté aux
sollicitations du curé de droite, de l'instituteur de gauche et
du garde-champétre qui tient le milieu. Ces braves gens
comptent sur autrui pour remplir leurs devoirs civiques :
le résultat est tellement incertain ou lointain, le candidat
tellement inconnu qu'ils ne peuvent ou veulent sacrifier à
cette intention même le loisir que leur fait un dimanche.
Mais ces mêmes hommes que vous voyez si apathiques en
présence d'un acte de la vie politique à distance vont
devenir singulièrement remuants lorsqu'ils auront à se
prononcer sur un acte de la vie municipale. Ici leurs
intérêts les plus chers, les plus proches, les plus patents sont
en jeu. Ils se trouvent en face d'une situation qui leur est
sensible. "Un maire, un conseiller à élire ! mais je puis
occuper ce poste ou mon voisin ; tel et tel ne me plairaient
pas. Il s'agit de parer à la sécheresse ou aux inondations ;
il s'agit d'un moulin, d'un four, d'un chemin qui doit passer
ici ou là ; il s'agit d'une maison d'école, d'un instituteur,
d'une bibliothèque; il s'agit de secours à accorder à des
veuves, des orphelins, des infirmes ; il s'agit de fonder
enfin une caisse d'émigration pour les ouvriers sans emploi,
les habitants sans profession ni ressources. Nous ne voulons
pas que le vagabondage et la misère prennent pied chez
nous. Vite, vite, allons causer un peu de tout cela." La
passion est éveillée, la lutte commence. Voilà enfin un
citoyen. S'il triomphe dans son choix ou dans son opinion,
il y prendra goiit ; s'il est battu, cela sera bien pis ou plutôt
mieux : il rêvera d'une revanche.
Nous avons atteint un premier résultat. Le suffrage
universel et direct nous a donné le conseil municipal. Ses
membres, en tant que citoyens de la commune, pouvaient
ne rien voir de plus. Mais ils n'ont pas fait deux pas dans
leur mission qu'ils sentent au delà des êtres collectifs tout
semblables avec lesquels il faut entrer en relations pour
régler une foule d'affaires. Dans ce but, ira-t-on déranger
34 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
encore une fois des gens se complaisant à ignorer ce qm
s'accomplit en dehors de leurs limites ? Cela ne serait pas
logique, et ce qui n'est pas logique n'a aucune raison d'être.
J^ous ferons donc élire par les conseillers municipaux, pour
satisfaire à ces besoins inévitables créés par le voisinage,
celui d'entre eux-mêmes qu'ils croient le plus apte à repré-
senter la commune dans le conseil de canton.
Arrivé à ce point, l'horizon est déjà un peu plus large,
les intérêts moins simples. Mais de même qu'à la suite de
certaines questions, on est forcément sorti de la commune
pour entrer dans le canton, voilà que maintenant, toujours
entraîné par les circonstances, il faut sortir du canton pour
entrer dans l'arrondissement. Or quels seront les citoyens
les mieux postés pour discuter magistralement ces nouveaux
intérêts ? Sera-ce le votant éloigné ou indifférent de la
commune, ou l'élu d'abord conseiller municipal, puis
conseiller de canton ? Pour nous, il n'y a pas à hésiter, ce
sera celui-ci. Et par qui le ferons-nous élire ? Par ceux
encore qui ont pu l'apprécier, par les membres mêmes du
conseil de canton.
Ici la commune initiale est déjà à une certaine distance.
Notre élu devient grave, préoccupé. Parti d'un village, le
voilà dans une .ville. Mais il y est venu sollicité par des
prévisions, poussé par des besoins. Il saura donc apprécier
l'importance de sa fonction. Il tiendra sa place. Ses deux
stations à la commune et au canton lui ont profité. Il
déjà beaucoup d'expérience, mais il comprend qu'il faut
encore en acquérir, car il voit surgir à l'horizon une per-
sonnalité supérieure, le département, dans le conseil duquel
il arrive, toujours porté en avant par le suffrage motivé de
ses collègues.
Jusqu'à présent la gérance des intérêts administratifs ou
civils a été, pour ainsi dire, sa seule préoccupation. Le
département, lui, est un Etat dans l'Etat. La politique y
joue un rôle, la politique intérieure s'entend. Notre con-
CONSTITUTION POLITIQUE. 35
seiller s'y livre, mais avec le tact et la mesure (l'un homme
qui a passé par la pratique des choses. Ses facultés se
développent, sa personnalité s'accentue. Le conseil de
département se reconnaît avec orgueil dans ses nobles traits,
et le délègue enfin pour le représenter au Conseil National,
où, plein de sagesse et de magnanimité, il préside avec des
collègues dignes de lui aux destinées de la Képubhque.
Quelle Assemblée ! L'Univers entier se recueillerait pour
l'admirer, l'acclamer et l'imiter.
Résumons :
Conseillers municipaux élus directement par tous les
habitants de la commune ;
Conseillers de canton élus par et parmi les conseillers
municipaux ;
Conseillers d'arrondissement élus par et parmi les co n
seillers de canton ;
Conseillers de département élus par et parmi les con-
seillers d'arrondissement ;
Députés à l'Assemblée Nationale élus par et parmi les
conseillers de département ;
Chaque conseil ayant en propre les attributions de sa
dénomination, —
Voilà, selon nous, le système qui donnerait une représenta-
tion réelle, fructueuse, intéressante pour les électeurs
attrayante pour les élus ; un système qui mettrait d'accord
la liberté avec le bon ordre ; un système qui ne tournerait
pas dans le vide, pour broyer de temps à autre les impru-
dents s'aventurant à le mettre en motion, mais produirait
tous les résultats que l'Humanité serait en droit d'attendre
d'une institution qui aurait pour fondement la réalité des
besoins, la vérité des faits.
Monotonie ! va-t-on s'écrier. Eh ! sans doute. Le système
solaire aussi est d'une singulière monotonie. Toutes les
planètes tournent dans le même sens et presque dans le
même plan ; et cependant, quelle fécondité!
36 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
1
Utopie est un autre mot dont nous serons salué d'urgence.
Utopie (*) ! Un homme comme l'abbé de Saint-Pierre
rêve la paix universelle, c'est un utopiste. L'inventeur du
canon rayé et du fusil à aiguille, voilà des hommes
pratiques! Eh bien !J malgré la portée extraordinaire de
ces engins de mort, ils n'atteindront pas à l'avenir, qui
réalisera par contre, ce qu'on caractérise aujourd'hui
d'utopie.
De même pour les systèmes politiques. Les plus com-
pliqués et les moins efficaces sont préconisés comme seuls
possibles. Mais le plus dangereux système, le plus pertur-
bateur est bien celui qui fait élire par des masses
indifférentes ou troublées des députés n'ayant acquis
généralement des droits aux suffrages que par des motifs
entièrement étrangers à l'administration des affaires ou au
gouvernement des hommes. Aussi les Assemblées issues
de ce système se distinguent-elles, malgré le bruit qu'elles
peuvent produire, par une impuissance presque radicale.
Elles mènent presque toujours à des catastrophes au lieu de
conduire à des solutions. Leur existence est légitime, mais
le mode de leur formation manque de méthode. Tout est
hvré au hasard ; et les élus proviennent trop souvent des
passions et répondent trop rarement aux besoins. Le
résultat est la confusion et la déception.
Le système d'élection ici préconisé met également les
masses entières en motion, il est vrai, mais c'est pour
statuer sur leurs besoins rudimentaires, urgents, d'absolue
nécessité ; et l'effet de leur volonté directe ne franchit pas
les limites de la commune où ils se produisent. Votant
sur tout en parfaite connaissance de cause, les intrigues leur
feraient rarement prendre le change. Le résultat les
(*) Utopie! Lecteur, ne vous y trompez pas. Nous mettons ici en note ce
qui devrait être en gros caractères^à la tête de ces pages. Cette utopie, sauf
certaines conséquences amenées forcément par la Révolution de '89, est de
l'homme le plus pratique, le plus éclairé, le plus estimé du XVIIIème siècle.
Elle est de Tuegot.
CONSTITUTION POLITKiUE. 37
touchant de près, elles verraient à no point voter contre le
droit commun, qui ne peut, en définitive, jamais ctre opposé
aux intérêts particuliers.
Après la satisfaction des besoins urgents dont on ne doit
laisser le soin ou le souci à personne, viennent les affaires
de relation, les devoirs envers les êtres collectifs qui com-
])osent une grande nation, et dont il est expédient de confier
la gérance à des délégués. Mais dans notre système à divers
degrés, la délégation ne précède pas le phénomène : elle en
procède, au contraire ; elle y répond : et dans le conseil de
canton comme au sein de l'Assemblée Nationale, elle est
sollicitée à satisfaire aux nécessités de la vie civile et
politique d'une manière régulière et normale. Les con-
seillers à tous les degrés ne sont pas comme des médecins
réunis par la routine et attendant des malades, que ceux-ci
viennent ou ne viennent pas à la consultation : ils ressem-
bleraient plutôt à des médecins appelés à donner leurs soins
à telle ou telle maladie toujours déclarée et toujours décrite,
tout en étant prêts, par leur science, à satisfaire à
l'imprévu.
Lumière chez les électeurs, compétence dans les manda-
taires, mesures opportunes et efficaces, sont la base et le
résultat de ce système. L'engouement pour les personnes
aurait rarement lieu de se manifester. Un article de
journal, un pamphlet, un plaidoyer en cour d'assises ne
suffiraient pas pour envoyer de prime abord du bureau ou
du barreau un écrivain ou un avocat à l'Assemblée suprême.
Avant d'y arriver, il lui faudrait passer par l'utile filière des
conseils communaux, canton naux, d'arrondissement, de
département. Pendant ce stage nécessaire, l'ardent tribun,
le promoteur d'une idée jugée subversive, aura tout le loisir
de devenir un homme pratique. Le torrent né de l'orage
ne peut manquer de se convertir, avec le temps, en un
ruisseau limpide et bienfaisant.
Mais considérez ce qui arrive encore dans les Assemblées
formées dans la confusion. Les hommes du plus grand
38 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
talent s'épuisent à défendre leur conduite, leurs actes
privés. La chose publique est délaissée, ou ne reçoit
qu'une attention fatiguée. Notre système mettrait fin à ce
déplorable état de choses. Si la passion, si l'intempérance
de langage pénétraient dans le conseil communal, elles n'en
sortiraient que rarement, et viendraient à coup sûr
s'éteindre dans le conseil de département ; et l'élu de ce
dernier conseil serait vraiment un homme représentatif.
L'Assemblée Nationale acquerrait alors une autorité et une
dignité dont jusqu'ici aucune réunion d'hommes n'a été
revêtue.
A ce spectacle grandiose, l'électeur primaire serait
pleinement rassuré. Il dirait, en pensant à l'un de ces
conseillers suprêmes : " Il nous connaît ; il est parti de chez
nous. Il a partagé nos joies, il a participé à nos peines. Il
sait nos sentiments pour les avoir éprouvés lui-même.
Nous avions de son temps un grave démêlé avec la commune
voisine. Par ses sages observations, ses explications conci-
liantes, il a tout pacifié. Sur le théâtre agrandi de ses
soins, je suis sûr qu'il apportera le même esprit. Il a évité
un procès ruineux à la commune, il évitera la guerre à la
nation, et mon fils restera pour le travail productif, où seul
naît la solide grandeur des États.
Deux choses protégeraient efiicacement ce système
évolutif contre la formation des castes gouvernantes et la
corruption: des élections rapprochées et la liberté absolue
de la presse. La publication des procès-verbaux des séances
serait de rigueur pour les réunions à tous les degrés. La
commune ou du moins l'arrondissement aurait son journal
ofiiciel, comme le département, comme la Nation. Le
peuple connaîtrait donc ses amis et ses ennemis, et il est à
croire qu'il mettrait cette connaissance à profit le jour
d'une nouvelle élection. Etant le maître souverain du point
de départ, il conserverait infailliblement le contrôle de
l'arrivée. Après avoir fait acte d'électeur initial, il rempH-
rait les fonctions de juge définitif.
CONSTITUTION POLITIQUE. '^^i^
Un de ses autres effets bienfiiisiints serait d'assiirer aux
conseils publics les services des lionimes les plus éniinents
de la Nation. Comme personne ne pourrait plus arriver
aux délégations supérieures sans avoir passé par les i)lus
humbles, la commune, entre autres, ne serait i)lus exposée,
comme il arrive trop fréquemment aujourd'hui, à éti'e
privée du concours du talent et des connaissances. Les
journaux charivariques y perdraient sans doute une source
intarrissable de plaisanteries, mais on se consolerait facile-
ment de ce léger inconvénient.
La Républiqe, reposant ainsi sur une base naturelle
d'évolutions procédant l'une de l'autre, deviendrait sinon
inattaquable, du moins inébranlable. Les prétentions les
plus extravagantes auraient à passer par quatre épreuves
avant de créer un ébranlement général, un danger pubUc.
La N'ation, rassurée, satisfaite, pourrait alors vaquer tran-
quillement à ses occupations de tous ordres, et réaliser dans
un avenir très prochain les grandes destinées auxquelles ses
incessantes luttes dans le passé lui donnent le droit de
prétendre. On pourrait enfin examiner en toute sécurité, et
sans affoler les intérêts acquis, ces deux importantes ques-
tions :
1^ Le Code civil n'aurait-il pas commis une
grande méprise en étabUssant l'égahté des
enfants devant le domaine du père, sans
garantir, ainsi qu'une législation sage et
prévoyante eût dû le faire, l'égalité de
point de départ des citoyens dans l'Etat ;
2^ Les masses humaines doivent-elles con-
tinuer à vivre dans les souffrances et l'igno-
rance, et les classes dites riches à trembler
d'effroi?
Et qu'attendoiis-nous pour nous mettre à l'œuvre ? Sur
qui comptons-nous? sur Dieu? Du jour où le germe de
l'idée rédemptrice est sensé, la Providence a fait sa part, et
40 PRINCIPES RÉPUBLICAINS.
c'est à la créature qu'il appartient désormais d'agir. I^e
comptons pas sur les miracles : il ne s'en fera pas. Ne
comptons pas non plus sur les personnalités qui font la pluie
et le beau temps ; c'est un service qui se paie trop cher.
C'est à nous tous, c'est à nous-mêmes qu'incombe la tâche
d'a<jcomplir notre salut. Si nous le savons, si nous le vou-
lons, dès demain, à notre réveil, la réponse est faite.
Il n'y a pas de raisons aux attermoiements, il n'y a que
des prétextes. Les solutions de la science ne peuvent léser
aucun intérêt. Si le sacrifice de telle ou telle chose est
déclaré d'utilité publique, eh bien, il y aura indemnité : le
droit sera satisfait. Le progrès rationnel s'accomplit sans
souffrance. Il s'avance le niveau fatal et la balance en
mains, il est vrai, mais aussi avec le sourire divin sur les
lès^res. Son char n'écrase personne, s'il entraîne tout le
monde.
DZAN DE LA VeLETTA.
Juin 1872.
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