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Full text of "Une voix du Pacifique; principes républicains .."

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[JSK   \'UiX  i^u    i^VL^iKiQUE 


PRINCIPES 


REPUBLICAINS 


I.  DiKi       kp:ligion 

.  \  KKrrnrrorF  kt  u.  -rKKiî.\(;K  rxrvKRSKL 

III      (  UN^TiTUTJON  l'OLITlQUK 


I  I     \  KRITE. 


v\N    l'KANCLSCO 
il  I-  <i!;K(;oiRK  k  CiE.,  Libraires-Éditeui;.- 
1H70 


UNE  VOIX  DU  PACIFIQUE 


PRINCIPES 


REPUBLICAINS 


I.  DIEU  —  RELIGION 

II.    LA  RÉPUBLIQUE  ET  LE  SUFFRAGE  UNIVERSEL 

m.     CONSTITUTION  POLITIQUE 


^    ^  JUSTICE    ET    VÉRITÉ. 


''La  Place.'''' 


SAN  FRANCISCO 

Louis  Grégoire  &  Cie.,  Libraires-Éditeurs 
T879 


3^. 


1- 


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Les  quelques  pages  qui  suivent  ont  été  écrites  à  la  suite 
des  événements  de  1870. 

Confiées  pour  publication  à  différentes  personnes,  et 
même  envoyées  à  un  journal  de  Paris  dont  le  titre  provoque 
au  ralliement,  il  en  coûte  peu  à  notre  amour-propre  de  décla- 
rer que  nous  sommes  encore,  après  six  ou  sept  ans  écoulés,  à 
en  recevoir  les  premières  nouvelles. 

Bien  que  cette  circonstance  ne  soit  pas  une  recommanda- 
tion auprès  du  public,  nous  avons  enfin  pris  le  parti  de  faire 
imprimer  nous-même  cet  opuscule,  croyant  encore  à  son 
utilité  et  à  son  à-propos,  sur  quelques  points,  pour  le  résul- 
tat de  la  campagne  de  1880. 

Ayant  quitté  la  France  depuis  fort  longtemps  et  sans 
doute  pour  toujours,  nous  nous  intéressons  néanmoins  à  ses 
destinées,  qui,  à  nos  yeux,  sont  celles  du  genre  humain  tout 
entier. 

La  France  seule,  de  tant  de  nations,  résoudra  rationnel- 
lement la  question  religieuse,  politique  et  sociale,  car 
seule,  selon  nous,  elle  est  douée  d'un  tempérament  philoso- 
phique.- 

Les  Etats-Unis  de  l'Amérique  du  Nord  se  sont  trouvés 
en  face  de  la  question  de  l'esclavage.  Ils  l'ont  résolue  à 
l'aide  du  fusil,  en  violant  le  principe  même  qui  faisait  la 
base  de  leur  confédération.  Ils  sont  aux  prises  maintenant 
avec  la  question  du  travail  libre,  et  ilb  s'apprêtent  à  le 
résoudre  avec  la  même  brutalité. 

Le  jésuitisme  a  creusé  aux  Etats-Unis  les  plus  belles 
taupinières.  Son  succès  y  est  tel  que  les  Américains  se  rassu- 
rent en  tenant  le  danger  en  un  profond  mépris.  Le  fameux 
journaliste  réformateur  Greeley   en  se   berçant  de   l'espoir 


enfantin  que  son  ''Sauveur"  vivait;  et  Bennett,  le  non 
moins  fameux  journaliste  ecclectique  en  apparence,  a  rendu 
le  dernier  soupir  en  serrant  une  médaille  ultramontaine 
dans  sa  main. 

Il  n'y  a  rien  à  attendre  d'une  aggrégation  d'hommes 
névralgiques  dirigés  par  des  journalistes  félons  ou  bornés, 
influencés  par  des  femmes  hystériques,  prêches  par  des  mi- 
nistres aux  abois,  placés  qu'ils  sont  entre  le  Papisme  et  le 
(Spiritisme,  qui  se  sont  peut-être  entendus  pour  désagréger 
le  Protestantisme,  lequel  n'avait  déjà  pas  trop  de  cohésion. 

C'est  donc  à  la  France  des  Turgot,  des  La  Place,  des 
Dupuis  (*),  des  Charles  Fourier  qu'il  faut  donner  notre 
sympathie,  nos  encouragements,  notre  appui;  car  elle  est  la 
servante  dévouée  de  l'Idéal,  l'amante  éprouvée  du  Bon,  du 
Beau,  du  Vrai. 

Papebte,  septembre  1878. 

(*)  L'obscurantisme  est  parvenu  à  faire  mésestimer  le  lumineux  Dupuis,  et  cependant  toute 
les  découvertes  archéolog-iques  modernes  confirment  son  grand  ouvrage  sur  I'Origine  de 
TOUS  LES  Cultes,  qui,  en  bonne  logique,  devrait  remplacer  dans  tous  les  collèges  l'absurde  My- 
thologie qu'on  y  enseigne  sur  l'autorité  de  l'imagination  des  poètes. 


I. 
DIEU  -  RELIGION. 


Si  quelqu'un  vous  parle  de  justice  dans  un 
autre  monde;  examinez  s'il  n'a  pas  intérêt  à  vous 
faire  tolérer,  accepter  ou  souffrir  quelque  injus- 
tice dans  celui-ci. 


Une  grande  clameur  domine  tous  les  bruits  :  le  mora- 
liste le  plus  imberbe  se  félicite  d'avoir  trouvé  le  remède  à 
tous  nos  maux  en  s' écriant,  tout  chaud  encore  d'un  viol 
quelconque  du  Décalotrue  :  -'Il  faut  de  la  religion,  il  faut 
croire  en  Dieu  !  "  Un  général  breton  qui  s'était  acquis  une 
certaine  réputation  en  maniant  la  plume,  et  qui  depuis  s'est 
rendu  fameux  })Our  n'avoir  pas  su  taire  sortir  du  fourreau 
la  flamboyante  épée  de  Paris,  a  même  demandé,  avant 
d'accepter  sa  part  de  responsabilité  dans  un  gouvernement 
de  circonstance,  de  lui  garantir  Dieu,  en  compagnie  de  deux 
ou  trois  autres  commodités  sociales. 

Mais  si  chacun  est  d'accord  sur  la  nécessité  d'une  religion 
et  la  croyance  en  un  Dieu,  la  dis})ute  commence  aussitôt 
qu'on  veut  aller  au  fond  des  choses.  Quel  Dieu  faut-il 
adorer  V  Est-ce  Jupiter,  le  .Dieu  de  toutes  les  intempéran- 
ces? Est-ce  Jehovah,  le  Dieu  de  toutes  les  fureurs?  Quelle 
religion  faut-il  pratiquer?  Est-ce  la  juive,  la  musulmane? 
Est-ce  la  chrétienne?  Cette  dernière  l'emporte  en  effet  dans 
tout  le  monde  occidental.  Voyons  donc  sous  quelle  forme 
elle  se  présente  à  notre  esprit  dans  son  aspect  le  plus  saisis- 
sable,  la  doctrine  catholique. 

Soyons  bref.  Comme  dogmes  fondamentaux,  cette  reli- 
gion nous  oflre  la  Chute  de  la  Rédemption;  comme  témoi- 
gnages de  sa  mission  divine,    les  miracles;  comme  sanction 


6  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

de  sa  morale,  le  Paradis  et  l'Enfer.  Or,  ces  dogmes,  ces 
témoignages,  cette  sanction  sont  pour  nous  des  sujets  de 
division  par  excellence  et  non  de  religion.  Les  dogmes  sont 
absurdes,  les  témoignages  douteux  ou  n'ayant  pas  la  portée 
qu'on  leur  attribue  communément;  quant  A  la  sanction,  elle 
est  enfantine  ou  abominable. 

Les  Dogmes  sont  Absurdes. —  Nous  écartons  de  la  discus- 
sion la  partie,  pour  ainsi  dire,  matérielle  de  la  Création,  telle 
qu'elle  est  narrée  dans  la  Bible  (par  exemple,  le  soleil  formé 
après  la  terre,  le  père  apparaissant  après  sa  tille,  etc.);  nous 
n'envisageons  ici  que  la  chute  de  l'homme  et  la  doctrine 
qui  en  découle.  Dieu  donc  crée  l'homme  d'une  faron  assez 
grossière  et  forme  la  femme,  son  chef-d'œuvre,  d'une  ma- 
nière passablement  cruelle.  Puis  il  les  place  dans  un  lieu 
de  délices.  Il  leur  permet  d'user  de  tout,  excepté  de  man- 
o'er  d'un  seul  fruit.  La  désobéissance  devait  entraîner  la 
mort:  et  la  défense,  bien  entendu,  provoque  la  transgres- 
sion. Donc  l'homme  ionihe  fatalement,  mais  Dieu  l'épar- 
gne, grâce  à  l'intervention  d'une  deuxlc nie  personne  divine, 
son  Fils  unique,  qui  s'olFre  généreusement  comme  victime 
expiatoire.  Dieu  le  Père  accepte  la  transaction  ;  néan- 
moins il  condamne  provisoirement  Adam  et  toute  sa  race 
aux  souffrances,  à  la  maladie,   à  la  mort. 

Le  genre  humain,  ainsi  dégradé,  se  pervertît  de  plus  en 
plus  en  se  multipliant,  et  enfin.  Dieu,  fatigué  et  irrité, 
envoie  un  déluge  universel  qui  anéantit  du  coup  tous  les 
habitants  de  la  terre,  sauf  une  seule  famille.  Que  devient, 
dans  cette  conjoncture,  Dieu  le  Fils?  C'était  là  })Ourtant 
une  occasion  légitime  d'intervenir,  de  rappeler  le  Père  à  sa 
promesse.     Mais,  passons  : 

A  la  suite  de  cette  immense  catastrophe.  Dieu,  malgré 
son  mécompte  avec  l'unique  couple  issu  directement  de  ses 
mains,  se  choisit  un  peuple  favori  par  l'intermédiaire  duquel 
toutes  les  merveilles  doivent  se  manifester.  Mais  on  peut 
dire  que  ce  peuple  n'a  été  choisi  que  pour  souffrir.  Ces 
souffrances  sont  telles  que,  comme  tous  les  malheureux,  il 


DIEU-RELIGION.  7 

espère  un  Sauveur.  Puis,  lorsque  ce  Sauveur  arriva,  il  le 
méconnaît.  On  pouvait  s'y  méprendre.  Le  peuple  juif 
comptait  sur  un  conquérant  pour  le  venger  de  toutes  les 
humiliations  qui  avaient  été  son  lot  pendant  une  longue 
suite  de  siècles.  Il  ne  pouvait  le  reconnaître  dans  un  paci- 
fique ouvrier  charpentier,  fils  de  charpentier,  et  qui,  entre 
autres  choses,  s'en  allait  répétant  dans  les  villes  et  bourgades 
de  la  Judée  que  son  royaume  n'était  pas  de  ce  monde.  Il 
n'était  pas,  en  efi'et,  le  saveur  national  espéré,  mais  bien  ce 
Rédempteur  qu'un  verset  équivoque  de  la  Genèse  annonce 
comme  devant  écraser  avec  son  talon  la  tête  du  serpent. 
En  un  mot,  c'était  Dieu  le  Fils,  incarné  dans  le  sein  d'une 
Vierge  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  la  tvoidème  personne 
divine,  et  qu'on  a  vu  jadis  s'offinr  à  son  Père  pour  racheter 
rilumanitè  du  péché  originel  et  nous  replacer  dans  notre 
état  primitif  de  bonheur  et  d'innocence. 

Admirez,  la  logique  du  procédé!  Adam  viole  inconsidé- 
rément, en  cédant  -a  l'invitation  d'une  compagne  à  laquelle 
l'homme  ne  peut  ou  ne  doit  rien  i  efuser,  ce  que  nous 
api)ellerons  un  règlement  de  police,  et  Dieu  le  Père  veut 
l'exterminer;  mais  ses  descendants,  délibérément,  et  en  en 
revendiquant  insolemment  la  responsabilité,  égorgent  son 
propre  fils.  Dieu  comme  lui,  et  voih\  qu'il  les  reçoit  en 
faveur  et  les  admet  à  merci  ! 

Mais  examinons  si,  même  en  ce  sens,  le  sacrifice  a  eu  de 
l'efiicacité  :  Adam,  en  péchant,  a  entraîné  dans  sa  chute 
toute  sa  progéniture;  le  Paradis  a  disparu  comme  par 
enchantement,  pour  faire  place  aux  ronces  et  aux  épines. 
Un  Dieu  se  présente  pour  expier  la  faute.  Sans  compter 
les  soufi'rances  sans  nombre  endurées  déjà  par  l'Humanité 
elle-même,  on  épuise  sur  Jésus  toutes  les  atrocités  du  cruci- 
tîement.  La  singulière  justice  de  Dieu  le  Père  avait,  ce  nous 
semble,  tout  lieu  d'être  satisfaite. 

Au  moment  donc  oii  l'inoflensive  victime  du  Golgotha 
baissait  la  tête  et  s'écriait  :  "Tout  est  consomme  !"   le  Dieu 


8  PRINCIPES    REPUBLICAINS. 

de  la  Bible,  celui  qui  a  dit  :  "  Que  la  lumière  soit  !"  et  la 
lumière  fut,  devait  en  un  clin  d'oeil  renouveler  la  terre.  Il 
devait  précipiter  le  Tentateur,  le  rusé  serpent,  le  Diable 
enfin,  puisqu'il  faut  l'appeler  par  son  nom,  au  fond  de 
l'abîme,  et  sceller  à  tout  jamais  l'ouverture  du  gouffre;  les 
ronces,  les  épines,  les  lieux  désolés  devaient  disparaître  pour 
faire  place  au  paradis  restauré;  enfin  l'homme,  rentré  en 
grâce,  devait  être  exempt  de  la  maladie,  affranchi  de  la 
mort  par  le  pur  effet  et  comme  conséquence  obligée  de 
l'acte  de  rédemption  qui  venait  de  s'accomplir  d'une  manière 
aussi  solennelle.  Adam  avait  perdu  le  monde  au  moral 
comme  au  physique;  Jésus  devait  restaurer  toutes  choses 
dans  leur  état  primitif. 

Eh  bien  !  qu'on  lise  l'histoire  à  partir  de  notre  ère;  qu'on 
relise  l'histoire  de  celle  qui  lui  est  antérieure  ;  qu'on  balance 
les  calamités  de  la  nature,  les  forfaits  et  les  cruautés  des 
hommes  d'avant  et  d'après,  et  que  l'on  détermine  de  quel 
côté  le  plateau  penche,  et  si  Dieu  le  Père  a  observé  les 
termes  du  contrat.  Si  la  Chute  est  réelle,  la  Rédemption  ne 
l'est  pas,  du  moins  par  Jésus,  qui  est  mort  en  vain, 

Nous  esquissons  ici  à  grands  traits  ces  dogmes  étonnants. 
Il  faudrait  des  volumes  pour  exposer  d'abord  et  réfuter 
ensuite  toutes  les  billevesées  que  certains  hommes  doués 
souvent  d'un  très-grand  talent  et  d'une  haute  vertu  ont 
débitées  sur  ce  thème  brahmanique  greffé  sur  l'hallucination 
juive  par  l'imagination  grecque. 

Mais  ce  qui  ajoute  encore  à  la  confusion,  c'est  que  l'Eglise 
romaine  ne  craint  pas  d'aller  directement  à  l' encontre  de 
certaines  affirmations  catégoriques  des  livres  prétendus 
saints.  Prenons  comme  exemple  le  cas  de  la  Vierge  Marie. 
On  lit  dans  Matthieu,  I,  24-25  :  ^'11  (Joseph)  prit  sa  femme 
(Marie),  mais  il  ne  la  connut  point  jusquà  ce  qu'elle  eut 
enfanté  son  premier -né  Jésus."  Donc,  pour  nous  servir  de 
l'expression  consacrée,  il  la  connut  après,  et  \q  premier -né  en 
suppose  un   second,    sinon   un   troisième.     C'est  déjà  bien 


DIEU-RELIGION.  9 

concluant,  mais  c'est  encore  corroboré  par  ce  passage,  entre 
beaucoup  d'autres  (Matthieu,  XII,  46-47):  "Comme  Jésus 
''pariait  encore  au  peuple,  sa  Mère  et  ?>es  frères,  qui  étaient 
"dehors,  demandèrent  à  lui  parler,  et  quelqu'un  lui  dit  ; 
"  Voilà,  TA  m.ère  et  tes  frères  sont  là  dehors  qui  demandent 
"  à  te  parler."  Le  texte  est  formel,  mais  on  u  prétendu  que 
frère  ici  veut  dire  cousin.  S'il  en  était  ainsi,  mère,  alors, 
dans  le  même  passage,  voudrait  dire  tante.  La  science, 
sortant  enfin  de  sa  complaisance  habituelle,  a  prononcé. 
Elle  a  déclaré  par  un  organe  autorisé  que  le  mot  employé 
dans  le  texte  original  pour  frère  signifiait  tout  simplement 
frère.  Le  Saint-Esprit  a  donc  eu  un  compère  dans  l'humble, 
mais  heureux  saint  Joseph.  Néanmoins  Marie,  selon 
l'Eglise  romaine,  est  Vierge,  toujours  Vierge.  Hélas  I  ne 
pas  l'être  est  donc  un  crime,  et  voilà  toute  l'Humanité 
flétrie  !  Notre  siècle  a  eu  le  privilège  d'assister  à  la  confir- 
mation de  cette  insulte;  elle  lui  a  été  lancée  à  la  face  par 
un  corps  de  célibataires  décrépits  qui  n'a  pas  reculé  devant 
l'impudeur  de  proclamer  le  dogme  de  I'Immaculbe  Concep- 
tion. Toutes  les  autres  conceptions,  celles  auxquelles  le 
genre  humain  doit  de  se  perpétuer,  sont  donc  souillées  !  Et 
ce  sont  les  femmes  qui,  en  général,  font  la  fortune  de  cette 
religion,  laquelle  en  rendant  à  une  mère  exceptionnelle  un 
culte  idolâtrique,  outrage  du  même  coup  toutes  les  autres 
mères,  qui  n'ont  pas  eu  la  faveur  des  visites  du  Saint-Esprit, 
la  troisième  personne  de  la  Trinité  I 

Eh  bien  !  on  le  demande,  le  bon  sens  humain  est-il  assez 
éprouvé?  Peut-on  imaginer,  pour  expliquer  la  présence  du 
mal  physique  et  moral  sur  la  terre  quelque  chose  de  plus 
absurde,  de  plus  humiliant  et  à  la  fois  de  plus  audacieux  ? 
Malgré  un  endoctrinement  dix-huit  fois  séculaire,  malgré 
les  obstacles  de  tous  genres  suscités  par  les  pouvoirs  tempo- 
rel et  spirituel,  l'esprit  humain  a  toujours  protesté  et  pro- 
testera toujours  contre  cette  religion  qui  ment  à  son  nom  et 
n'a  jamais  été  qu'une  source  de  division.  Hostile  à  la  raison, 
ennemie  de  la  science,  ce  n'est  qu'une  monstrueuse  erreur 


10  PRINCIPES   EÉPtJBLICAINS. 

destinée,  il  faut  le  croire,  dans  le  plan  providentiel,  à  nous 
exciter  à  découvrir  toutes  les  vérités  par  les  obstacles  qu'elle 
sème  sur  la  voie  du  progrès.  C'est  le  seul  bieufait  qu'on 
lui  doive;  nous  admettons  volontiers  qu'il  est  immense. 

"  Mais,  objectent  ses  partisans  poussés  à  bout,  nous  ne 
donnons  pas  notre  religion  comme  étant  conforme  à  la  rai- 
son, nous  la  prêchons  comme  un  fait  prouvé  par  des  témoi- 
gnages. 

Témoignages  douteux. —  Les  miracles  sont  revendiqués, 
supposés  même  par  toutes  les  croyances  de  l'espèce,  mais 
étant  d'ordre  purement  subjectif,  ils  échappent  à  la  preuve 
et  fuient  la  lumière.  Ils  n'entraînent  la  conviction  que 
chez  ceux  qui  sont  déjà  convaincus.  Au  reste,  depuis  les 
phénomènes  constatés  du  Spiritisme,  ils  ne  prouvent  plus  la 
divinité  absolue  et  exclusive  d'une  doctrine.  Ce  sont  des 
faits  rares,  il  est  vrai,  mais  qui  se  produisent  quand  certai- 
nes conditions  sont  réahsées.  Leur  accomplissement  n'im- 
plique pas  l'intervention  d'une  volonté  divine  personnelle  et 
actuelle.  Un  thaumaturge  peut  se  former,  la  constitution 
du  sujet  aidant,  absolument  comme  un  boxeur,  par  voie 
d'entraînement;  et  Jésus  lui-même  en  a  donné  la  recette. 
(Marc,  IX,  29.)  Les  éléments  de  la  puissance  morale 
rayonnent  du  foyer  central  qui  les  engendre  à  travers  l'Uni- 
vers comme  les  éléments  de  la  force  physique  :  il  s'agit  de 
absorber  et  de  se  les  assimiler  par  l'exercice. 

Les  imperfections  reconnues  des  livres  dits  saints  indi- 
quent assez  qu'ils  ne  sont  pas  l'œuvre  directe  de  la  sagesse 
divine.  En  général,  l'interprétation  qui  en  est  faite  pour 
en  extraire  la  donnée  cathoUque  est  vaine,  forcée,  subtile 
et  contre  le  sens  littéral  et  ambiant.  Donc,  comme  tout 
produit  de  l'esjDrit  humain,  ils  peuvent  contenir  et  contien- 
nent en  effet  des  vérités  de  tout  ordre  comme  aussi  des 
erreurs  de  tout  genre.  La  critique  judicieuse  ne  peut 
accepter  certaines  circonstances  des  faits  qu'ils  relatent.  Il 
se  peut  que  Moïse  ait  traversé  la  mer  à  pied  sec,  sans  ad- 


DIEU-RELIGION.  11 

mettre  que  les  flots^se  soient  écartés  à  son  commandement; 
il  se  peut  que  le  pharaon  d'Egypte  ait  été  englouti  avec 
toute  son  armée,  sans  croire  que  les  flots  se  soient  repliés 
sur  l'injonction  d'un  homme.  Et  ainsi  de  tous  les  événements 
de  cette  classe.  Quant  à  Lazare  ressuscité,  où  est-il?  Jésus, 
qui  était  son  ami,  n'a  pu  le  tirer  du  sépulcre  pour  l'y  laisser 
retomber  une  deuxième  fois.  On  ne  dit  pas  qu'il  soit 
monté  au  ciel  avec  lui.  S'il  avait  été  ressuscité,  il  existerait 
encore  aujourd'hui  pour  porter  témoignage  de  la  puissance 
du  Verbe  fait  Homme. 

Lorsqu'un  fait  est  historique,  les  auteurs  des  Hvres  hé- 
breux ont  pu  en  avoir  connaissance  tout  comme  les  écri- 
vains appelés  profanes;  mais  alors  il  faut  que  la  relation  qu'ils 
en  font  soit  conforme  aux  lois  immuables  qui  régissent  l'uni- 
vers. Si  leur  récit,  au  contraire,  est  légendaire,  c'est-à-dire 
ornementé,  ampHfié,  merveilleux,  nous  soutenons  que  la 
raison  est  dans  son  droit  de  ne  pas  reconnaître  l'autorité 
d'une  doctrine  qui  les  invoque  pour  réclamer  et  légitimer 
notre  obéissance. 

Cependant,  qui  admet  comme  authentiques  ces  témoigna- 
ges improbables  et  croit  aux  dogmes  outrageants  de  la  Chute 
et  de  la  Rédemption,  gagne  le  Paradis;  celui  qui  les  conteste 
ou  nie,    a  l'Enfer  en  partage. 

Sanction  Enfantine  ou  Abomu^able.  —  Gouverner  les 
hommes  par  l'appât  ou  la  crainte;  faire  des  égoïstes  et  des 
êtres  vivant  de  vertus  négatives,  ou  des  peureux  et  des 
hypocrites,  tel  est  le  caractère  principal  d'une  croyance  qui 
ajourne  la  justice  à  un  autre  monde.  Elle  a  été  la  pierre 
d'achoppement  des  sociétés  du  passé.  Par  le  fait  que  les 
hommes  de  sentiment,  toujours  les  mieux  doués,  se  sont 
abandonnés  à  la  contemplation  ou  résignés  à  vivre  d'abné- 
gations, le  monde  a  été  Uvré  sans  contrepoids  aux  hommes 
de  sensation  et  de  connaissance.  Or,  les  uns  ne  redoutaient 
guère  qu'à  l'heure  de  leur  mort  le  châtiment  évoqué  de 
l'enfer;  quant  aux  autres,  ils  devaient  être  peu  sensibles  à 


12  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

la  jubilation  oisive  du  paradis.  La  soumission  à  la  loi  reli- 
gieuse révélée  n'était  donc  que  partielle  ou  factice,  et 
malgré  les  signes  extérieurs,  le  cœur  de  l'homme  était  resté 
cruel. 

On  dit  que  notre  civilisation  est  issue  du  christianisme  : 
oui,  en  s'en  détachant.  Lorsque  cette  croyance  sortit 
triomphante  du  chaos  de  ses  origines,  il  se  fit  une  nuit 
profonde  dans  le  monde  occidental.  Le  progrès  n'était  pas 
d'avancer,  mais  de  reculer.  Le  but,  c'était  le  point  de 
départ,  c'est-à-dire  l'impossible.  Pour  réaliser  l'idéal  en- 
seigné, il  fallait  s'abstenir  de  vivre.  La  perfection,  c'était 
l'annihilation.  L'homme  était  honteux  de  lui-même  :  il  se 
mutilait.  Mariez-vous,  vous  faites  bien;  ne  vous  mariez 
pas,  vous  faites  mieux  î  De  cet  immense  contresens,  de 
cette  universelle  contrainte  devaient  résulter,  et  il  résulta 
en  effet  des  monstruosités  sans  exemj)le.  Et  l'humanité 
fourvoyée  ne  reprit  sa  marche  ascendante  qu'alors  que  le  fil 
philosophique,  romj)U  violemment  par  l'invasion  de  cette 
aberration  fatale,  se  renoua  aux  sources  i-atioimelles  à  l'épo- 
que si  bien  nommée  de  la  Renaissance. 

Cependant,  c'est  sur  de  pareils  dogmes,  sur  la  foi  de  pa- 
reils témoignages,  l'espoird'un  tel  paradis  et  la  crainte  d'un 
d'un  tel  enfer,  que  les  sociétés  modernes,  ou  plutôt  leurs 
gouvernements,  veulent  fonder  leur  conservation.  Ah  ! 
c'est  (jue  nos  adversaires  sont  habiles!  Lorsc^u'ils  ont  vu 
que  les  peuples  allaient  échapi)er  à  leur  abrutissante  domi- 
nation, ils  ont  cherché  et  trouvé  un  moyen  de  retenir  ces 
gouvernements  dans  leur  alliance.  Le  moment  est  solen- 
nei  :  il  s'agit  du  dégagement  d'une  vérité  importante. 
Ecoutez,  vous  allez  avoir  la  clef  des  révolutions  qui  commen- 
cent avec  la  satisfaction  d'un  devoir  accompli,  d'un  droit 
bCCiuis,  et  qui  se  terminent  dans  la  désolation,  au  milieu  des 
ruines  et  des  crimes. 

On  a  souvent  parlé  du  secret  du  jésuitisme.  Il  est 
facile  de  le  surprendre.  La  dangereuse  Compagnie  n'a-t- 
elle  pas  été  fondée  expressément  pour  faire  échec  à  la  libei-té? 


DIEU-RELIGION.  13 

Eh  bien,  voici  ce  secret  formidable  dans  sa  simplicité,  son 
énergie,  son  efficacité,  et  que  chacun  en  fasse  son  profit  : 

Cest  de  compromettre  la  cause  du  progrès  vis-à-vis  des  gouver- 
nements établis  ou  à  établir. 

Républicains,  comprenez-vous  enfin  pourquoi,  au  lende- 
main d'une  victoire,  vous  êtes  entourés,  débordés,  poussés 
lans  l'absurde,  l'impossible,  l'odieux,  enfin  écrasés  si  vous 
•ésistez  et  déshonorés  si  vous  cédez  ?  C'est  que  le  jésuitisme 
est  à  l'œuvre.  Vous  criez  :  Vive  la  .République!  cri  assez 
large  pour  résumer  tous  les  droits,  tous  les  devoirs  de  l'hom- 
me; le  jésuitisme  fait  ajouter  par  ses  instruments  aveugles: 
Démocratique  et  Sociale  !  ce  qui  sème  l'épouvante  et  vous 
fait  courir  sus.  Vos  excès,  c'est-à-dire  les  excès  commis  en 
votre  nom,  font  son  espoir  et  son  succès.  Impuissant  contre 
la  Raison,  (cette  autorité  légitime  et  souveraine  contre  la- 
quelle il  conspire  et  lutte  incessamment,)  il  spécule  sur  toutes 
les  folies  pour  l'empêcher  de  l'emporter  contre  la  Foi,  qui 
n'est,  en  somme,  que  la  science  attardée.  Après  Février, 
vous  aurez  Juin;  après  Septembre,  vous  aurez  la  Commune 
dévoyée.  Le  crime  doit  être  attribué,  non  à  la  République, 
qui  en  souft're,  mais  aux  prétendants  de  toute  couleur,  favo- 
ris du  jésuitisme,  qui  en  profitent  et  cherchent  à  pêcher  une 
couronne  en  eau  trouble. 

N"'imaginez  pas  (pie  nous  donnons  une  importance  de 
fantaisie  au  jésuitisme.  Cet  ordre  est  tout  puissant  par  son 
organisation,  sa  discipline  et  ses  maximes.  Précipité  du 
pouvoir  en  1830,  il  s'est  depuis,  une  fois  revenu  de  sa 
frayeur,  mis  à  courtiser  le  peuple;  il  s'est  insinué  dans  tous 
les  rangs,  dans  toutes  les  professions.  Il  s'est  emparé  de 
l'instruction,  de  l'éducation.  Son  influence  a  été  assez 
grande  pour  taire  fausser  jusqu'à  la  seience.  En  voulez- 
vous  une  preuve  aussi  évidente  que  singulière  ?  C'est  le 
triomphe  même  du  polémiste  Veuillot.  Si  ce  journalis- 
te avait  rencontré  sur  son  chemin  un  seul  homme  au 
courant  de  la  question,  et  qui  eût  étudié  la  soi-disant 
religion    dans     ses    théologiens    et    même    dans   ses   phi- 


14  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

losophes  libéraux,  il  ne  serait  jamais  parvenu  à  l'autorité 
dont  il  jouit.  Ce  fanatique  gouailleur  a  carrément  affirmé 
les  dogmes  catholiques,  poussé  à  bout  leurs  conséquences, 
mettant  audacieusement  à  profit  les  décevants  paradoxes  de 
notre  compatriote  Joseph  de  Maistre;  tandis  que  ses  adver- 
saires, dédaigneux  ou  distraits,  souvent  ignorants  et  quel- 
quefois complices,  se  contentaient  de  tailler  certaines 
branches  qui  repoussaient  toujours,  au  lieu  de  frapper  au 
tronc  dont  la  chute  eût  entraîné  tout  le  reste.  Si  la  science 
absolue  voulait  sortir  de  sa  retraite  ou  de  sa  réserve,  où  en 
serait,  par  exemple,  la  Genèse,  base  de  toute  la  doctrine  ? 
LFne  seule  branche  des  connaissances  humaines,  l'astronomie, 
la  réduirait  à  néant.  Comparez  V hypothèse  de  La  Place, 
admise  par  toutes  les  sommités  scientifiques  modernes,  avec 
la  révélation  de  Moïse.  Vous  n'aurez  pas  besoin  de  chercher 
de  quel  côté  est  la  vérité  :  elle  apparaîtra  toute  seule  avec 
éclat.  Tandis  que  les  faits  confirment  de  plus  eu  plus  la 
justesse  de  la  déduction  de  l'immortel  géomètre,  ils  font, 
comme  conséquence,  toujours  de  plus  eu  plus  ressortir 
l'absurdité  de  la  narration  du  fameux  législateur  hébreux. 

Oui,  Français,  il  faut  un  Dieu,  mais  le  Dieu  qui  ne  se 
contredit  pas,  celui  de  la  Raison;  oui,  sans  doute,  il  faut  une 
religion,  mais  la  religion  qui  ne  divise  pas,  celle  de  la 
science,  démontrable  partout,  et  qui,  seule,  conséquemment, 
peut  devenir  universelle.  Les  faits  et  gestes  du  Dieu  bibli- 
que, malgré  les  élans  d'une  poésie  plus  démesurée  que 
grandiose,  révoltent  ou  épouvantent  la  conscience  humaine 
ce  Dieu  fera  donc  toujours  des  rebelles.  Les  dogmes  de  la 
religion  révélée  répugnent  à  la  raison  humaine  ou  l'outra- 
gent :  cette  religion  ne  produira  donc  jamais  que  des 
dissensions.  La  fable  juive  peut  détruire  d'autres  fables, 
mais,  lorsqu'elle  l'emporte,  c'est  qu'elle  trouve  plus  absurde 
qu'elle-même.  C'est  un  progrès,  mais  qui  s'arrête  là.  Loin 
de  civiliser,  le  catholicisme  est  un  obstacle  à  la  civilisation. 
L'Asie  presqu' entière  nous  est  fermée  par  suite  de  ses 
prédications  insensées.     Le  bonze  et  le  brahme  repoussent 


DIEU-RELIGION.  15 

avec  horreur  le  pivtre  catholique;  c'est  à  bras  ouverts  qu'ils 
accueilleraient  le  savant.  Si  même  les  missioiniaires  font 
quelques  prosélytes  sérieux,  c'est  sous  le  («ouvert  de  la 
science;  mais  s'il  leur  arrive  parfois  d'éclairer,  c'est  toujours 
dans  le  secret  espoir  d'obscurcir  ensuite.  Ne  pouvant  plus 
s'opposer  au  flot  toujours  montant  des  connaissances,  ils 
minent  le  sol  pour  l'attirer  à  le  faire  disparaître  dans  leur 
ténébreux  souterrain. 

Où  ne  portent-ils  pas  le  trouble?  Abusant  de  l'ignorance 
des  masses,  ils  engendrent  partout  des  dangers.  Leur  inso- 
lence et  leurs  outrecuidantes  prétentions  provoquent  leur 
massacre  et  retardent  d'autant  le  développement  des  senti- 
ments fraternels  parmi  les  nations.  En  Europe,  ils  seraient 
des  perturbateurs  de  la  pire  espèce  s'ils  prêchaient  contre 
les  moeurs,  les  lois  et  les  religions  établies;  en  Chine  ou 
ailleurs,  ce  sont  des  martyrs. 

Livrant  bataille  au  monde  dans  ses  passions  naturelles, 
dans  ses  désirs  et  aspirations  légitimes,  ils  font  dévier 
l'Humanité  de  sa  voie.  A  la  jouissance  des  dons  célestes, 
ils  substituent  la  mortification  de  la  chair  et  l'anéantisse- 
ment de  l'esprit.  Ils  proscrivent  l'amour,  le  civilisateur,  le 
paraclet  par  excellence,  et  qui,  seul,  fait  communier  la 
créature  avec  le  Créateur.  Ils  étrangent  le  couple  humain. 
Ces  célibataires  vénèrent  ou  plutôt  adorent  la  Vierge,  mais 
ils  méprisent  la  Femme  :  ils  considèrent  son  contact  comme 
impure,  et  toute  leui;  énergie  est  tournée  à  combattre  l'aima- 
ble féminin.  En  ne  voulant  voir  dans  l'homme  qu'un 
reproducteur  béat  et  dans  la  femme  qu'une  femelle  passive, 
active  seulement  à  voiler  ses  charmes,  à  paralyser  ses  at- 
traits, ils  portent  celui-là  à  se  faire  une  compagne  de  la  pipe 
ou  de  la  bouteille,  ils  obligent  celle-ci  à  se  réfugier  au 
couvent,  où  elle  s'étiole  ou  se  déprave  en  vaines  ardeurs 
pour  un  époux  mystique. 

Leur  culte  est  une  représentation  théâtrale.  Les  pauvres 
choisis  dont  ils  lavent  les  pieds  les  ont  déjà  propres.  Ils 
ne  pratiquent  pas  la  Cène,  ils  la  parodient.  Du  dernier  repas 


16  PRINCIPES    REPUBLICAINS. 

de  Jésus,  ils  ont  fait  une  panolâtrie  sans  nom.  L'homme 
fait  par  Dieu  fait  Dieu  à  son  tour  et  en  quantité  illimitée  : 
il  lui  suffit  pour  cet  objet  d'un  peu  d'eau  et  de  farine, 
quelques  gouttes  de  vin,  force  signes  de  croix,  certaines 
paroles  et  des  génuflexions  à  écœurer  les  anges.  L'Eglise 
n'est  plus  composée  que  de  prêtres  ;•  les  laïques  n'apparais- 
sent que  pour  leur  tirer  la  langue,  afin  d'y  recevoir  une 
hostie  qui,  si  elle  se  colle  au  palais,  doit  en  être  détachée 
avec  cette  même  langue  sans  oser  y  porter  les  doigts.  Puis- 
que les  anciens  augures  en  étaient  arrivés  à  ne  pouvoir  se 
regarder  sans  rire,  le  temps  est  plus  que  venu  pour  les 
prêtres  modernes  de  ne  pouvoir  se  rencontrer  au  pied  des 
autels  sans  rougir. 

Ils  ne  sont  pas  les  disciples  de  Jésus;  ils  sont  simplement 
les  continuateurs  des  pontifes  païens,  dont  ils  ont  pris  la 
défroque.  Le  christianisme,  tel  qu'il  peut  résulter  du  texte 
des  Évangiles,  a  été  dénaturé  du  jour  où  le  prêtre,  son  ennemi 
mortel,  s'en  est  emparé.  Les  oripaux,  les  momeries, 
tout  ce  qui  reposait  sur  la  doctrine  barbare  de  l'expiation, 
remplacèrent  alors  la  religion  du  cœur  et  de  l'esprit  enseignée 
par  le  maître  aimable  auquel  la  philosophie  moderne  a  rendu 
son  vrai  caractère  et  que  ses  prétendus  ministres  étaient 
parvenus  à  faire  haïr.  Qui  serait  étonné  en  entrant  dans 
Saint-Pierre  de  Rome  un  jour  où  le  Pape  officie  ?  C'est 
Jésus.  Sa  surprise  augmenterait,  si  on  lui  disait — il  ne 
pourrait  le  deviner — que  les  cérémonies  qui  s'y  font  sont  sa 
religion  et  que  le  Saint-Père  est  son  représentant.  Il  n'en 
croirait  ni  ses  yeux  ni  ses  oreilles  et  se  retirerait  bien 
confus.  Et  les  soldats  qui  fléchissent  le  genou  et  présentent 
les  armes  au  Pape  se  demanderaient  peut-être,  en  voyant 
passer  le  Sauveur  du  Monde  devant  leurs  rangs  immobiles, 
si  cet  homme  à  robe  rouge,  au  maintien  si  grave  et  en 
même  temps  si  doux,  ne  serait  pas  un  partisan  de  Garibaldi 
sur  lequel  la  police  ferait  bien  d'avoir  l'œil  ouvert. 

Français,  votre  salut  n'est  pas  dans  ce  Dieu  qui  jongle 
avec  ses  lois  et  souff're  le  Diable  comme  auxiliaire  :  il  n'est 


DIEU-RELIGION.  17 

pas  dans  cette  prétendue  religion  qui  provo(|iie  incessam- 
ment et  comme  à  plaisir  l'esprit  humain  à  la  combattre. 
Loin  d'être  votre  salut,  cette  croyance  fait  votre  danger, 
votre  faiblesse,  votre  misère.  Les  hommes  de  prière 
coûtent  cher  —  matériellement,  moralement  et  intellectuel- 
lement. Ils  en  ont  à  votre  bourse  comme  à  votre  cerveau. 
Souffrir  dans  ce  monde  avec  l'espoir  de  jouir  dans  l'autre  ; 
se  livrer  à  la  contemplation  au  lieu  de  travailler  ;  attendre 
d'une  intervention  miraculeuse  de  la  Providence  le  succès 
de  telle  ou  telle  entreprise,  c'est  jeter  la  perturbation  dans 
toutes  les  relations  sociales  et  renoncer  à  exécuter  sa  part 
du  labeur  commun.  L'État  a  pour  devoir  de  se  séparer 
sans  hésiter  d'une  pareille  institution,  non  parce  qu'elle  est 
la  religion,  mais  parce  qu'elle  est  l'erreur,  s'il  ne  veut 
partager  l'aversion  qu'elle  inspire  partout  où  la  raison 
exerce  ses  facultés. 

Les  principes  de  morale  reposent  sur  quelque  chose  de 
plus  compréhensible  que  des  mystères,  de  plus  certain  que 
des  promesses  ou  des  menaces  ultramontaines,  de  plus 
consistant  que  des  contradictions,  de  plus  positif  que  des 
subtilités.  Déduits  de  sensations  observées,  de  sentiments 
éprouvés,  ils  sont  susceptibles  de  la  démonstration  la  plus 
convaincante.  Ils  constituent  l'homme  tout  entier.  S'en 
départir,  c'est  manquer  aux  lois  de  sa  nature  et  de  sa 
destinée,  et  tout  alors  se  transforme  en  résistance  ou  réaction 
pour  vous  y  ramener.  Dieu  a  gravé  sa  loi  non  sur  une 
pierre,  mais  dans  chaque  créature.  L'homme  le  plus 
dépravé  ne  l'ignore  pas,  et  il  lui  rend  le  plus  bel  hommage 
en  se  cachant  pour  la  violer.  Que  sert  donc  de  la  connaître 
s'il  y  manque?  Ah!  c'est  qu'il  est  borné  et  n'apprécie 
qu'imparfaitement  la  portée  de  ses  actes.  Il  voit  une 
satisfaction  immédiate,  et  il  cède,  malgré  la  crainte  du 
Diable  ou  celle  du  gendarme. 

Il  faut  donc  jeter  de  la  lumière  sur  les  effets  et  leurs 
causes.  Eclairez  les  esprits.  AfB.rmez  et  prouvez  que  tout 
tort  fait  à  soi  ou  aux  autres  ne  reste  jamais  impuni  ;  que  le 


18  PRINCIPES    REPUBLICAINS. 

châtiment  est  infligé  dès  cette  vie  même,  malgré  des  appa- 
rences qui  pourraient  faire  croire  le  contraire.  Il  n'est  pas 
de  masque  possible  pour  la  conscience.  L'homme  doit 
aimer  Dieu  —  l'idéal  du  Bien,  du  Beau,  du  Vrai  —  avec 
un  complet  désintéressement  ;  il  doit  honorer  ses  parents, 
respecter  son  semblable  dans  son  existence,  sa  propriété,  ses 
aiFections,  sans  espérer  le  Paradis,  sans  crgîindre  l'Enfer  — 
ces  deux  chimères. 

La  doctrine  catholique,  se  trompant  sur  la  vie,  se  mé- 
prend, par  suite,  sur  la  mort.  Elle  fait  de  celle-ci  un  châti- 
ment et  surtout  un  épouvantail,  alors  qu'elle  n'est  que  la 
condition  nécessaire  et  rigoureuse  du  progrès.  Sans  la 
mort,  la  volonté  de  la  créature  l'emporterait  peut-être  sur 
le  dessein  du  Créateur,  qui  ne  pourrait  plus  arriver  à  ses  fins 
qu'en  violant  la  liberté,  ce  noble  apanage  de  l'homme. 
Avec  la  mort,  les  êtres  ou  imparfaits  ou  rebelles  sont  inces- 
samment replongés  dans  le  creuset  pour  faire  place  à 
d'autres  êtres  plus  sensibles  à  l'influx  divin.  Mort  et  nais- 
sance sont  deux  termes  inséparables.  Dire  que  la  mort  est 
entrée  dans  le  monde  avec  le  péché^  quelle  ineptie  !  Elle 
seule  a  permis  à  la  vie  sinon  d'y  paraître,  au  moins  de  s'y 
prolonger.  Si  la  géologie,  comme  toutes  les  autres  sciences 
au  reste,  avait  la  moindre  pi-ise  sur  ces  fanatiques,  elle  leur 
enseignerait  que  la  mort  date  de  millions  d'années  avant 
l'apparition  de  l'homme  sur  notre  planète.  En  attendant, 
ces  amants  de  l'absurde  et  de  l'horrible  exploitent  les 
terreurs  qu'elle  inspire  aux  individus  affaiblis  par  les  souf- 
frances ou  les  dérèglements  et  dont  ils  ont  faussé  l'éducation 
première  par  des  images  et  des  descriptions  hideuses. 
Voyez  leurs  abominables  Pensez-y  bien.  La  mort  est  leur 
grande  ressource.  Ils  en  jouissent  avec  un  entrain  vrai- 
ment diabolique.  Le  sublime  du  genre  est  la  fin  de 
Voltaire.  Ils  n'ont  rien  trouvé  mieux  que  de  faire  avaler 
au  philosophe  à  l'agonie  ses  propres  excréments.  Ils  ont 
des  inventions  de  ce  goût.  Nous  croyons  qu'ils  ont  eu  l'art 
de  faire  authentiquer  le   fait    par  Tronchin.     Cela  même 


DIEU-RELIGION.  19 

tournerait  contre  ses  persécuteurs.  Cela  prouverait  (pie 
l'illustre  vieillard  était  entièrement  tombé  en  enfance,  et 
conséquemment  était  revenu  à  l'état  d'innocence.  On  sait 
en  effet  que  quelques  jeunes  individus  de  notre  espèce  n'ont 
aucune  répugnance  pour  un  pareil  festin.  La  légende  de  la 
mort  de  Lamennais  est  sans  doute  en  formation.  Elle  sera 
produite  en  temps  et  lieu.  Ils  lui  feront,  à  c(»up  sûr, 
ingurgiter  son  urine.  Sainte-Beuve,  malgré  son  nom, 
n'échappera  pas  à  leur  vengeance.  Avant  d'expirer,  il  se 
sera  certainement  arraché  quelques  grammes  de  chair  et 
dévidé  quelques  centimètres  de  boyau,  à  l'instar  des  moines 
du  Musée  Espagnol  au  Louvre,  pour  se  faire  un  saucisson 
en  commémoration  de  celui  qu'on  l'accuse  d'avoir  mangé 
un  Vendredi-Saint. 

Français,  vous  vous  êtes  bénévolement  laissés  endoctriner. 
Votre  excuse  est  que  vous  n'êtes  arrivés  à  l'ultramontanisme 
que  par  le  plan  incliné  du  néo-catholicisme,  dont  les  docteurs 
démocratiques  trop  écoutés  ont  été  les  Roux,  les  Bûchez,  les 
Cor  bon.  Le  jésuitisme  voulut  aussi  s'emparer  de  l'Alle- 
magne à  la  suite  du  brillant  vernis  jeté  par  l'Ecole  roman- 
tique sur  les  mœurs  et  surtout  les  édifices  du  moyen-âge. 
Mais  l'alarme  fut  sonnée  à  temps  par  un  vieux  philosophe 
dont  les  coups  vigoureux  firent  déguerpir  des  clochers 
gothiques  cette  bande  de  corbeaux  aux  croassements 
sinistres.  La  jeunesse  allemande,  plus  fortunée  que  la 
vôtre,  s'aperçut  à  temps  qu'on  voulait  la  piper,  pour  nous 
servir  du  mot  si  juste  de  Henri  Heine  ;  et  elle  échappa 
ainsi  à  l'énervement  qui  suit  la  mauvaise  nourriture  intel- 
lectuelle. 

Kous  ne  voulons  pas  abuser  des  circonstances  présentes 
pour  établir  une  comparaison  ;  mais  si  jamais  la  différence 
d'éducation  entre  deux  peuples  s'est  manifestée  au  grand 
jour,  c'est  bien  dans  les  événements  foudroyants  dont  la 
France  a  été  le  théâtre  et  la  victime  en  1870-71.  La  nation 
a  trop  longtemps  subi  la  conscription  qui  émasculine  et  les 
Ignorantins  qui  crétinisent  :  on  en  a  vu  les  effets.     Ceux 


20  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 


qui  avaient  pour  mission  de  veiller  à  l'enseignement  public 
ont  manqué  à  leur  devoir  par  égoïsme  ou  duplicité.  Ils  ont 
eu  peur  de  la  science,  laquelle  assurément  ne  leur  eût 
demandé  que  le  sacrifice  de  quelques  préjugés.  Ils  ont 
cherché  le  salut  dans  la  foi.  dont  les  ministres  portaient  la 
condescendance  envers  les  riches  jusqu'à  transformer  le 
fameux  chameau  du  trou  de  l'aiguille  en  un  câble  com- 
plaisant. L'Université,  se  manquant  à  elle-même,  n'enseigna 
plus  que  des  demi-vérités,  baffouées  encore  par  la  doctrine 
triomphante,  qui  allait  toujours  en  s' enhardissant  à  mesure 
qu'on  faiblissait  devant  elle.  On  donna  aux  instituteurs 
primaires  civils  à  peine  de  quoi  vivre  dans  la  plus  abjecte 
misère,  afin  de  favoriser  l'établissement  des  congrégations 
religieuses  enseignantes,  dont  l'œuvre  est  forcément  anti- 
philosophique. La  société  civile  paie  un  clergé  qui  lui  fait 
des  ennemis,  qui  la  méprise,  qui  l'insulte  ;  elle  se  montre 
parcimonieuse  envers  les  seuls  hommes  qui  pourraient  lui 
donner  des  citoyens. 

Kous  nous  rappelons  les  rebuffades  que  nous  avons 
essuyées  alors  qu'étant  jeune,  et  passant  outre  à  la  consigne, 
nous  voulions  soulever  soit  la  question  politique,  soit  la 
question  rehgieuse.  C'était  partout  la  même  recommanda- 
tion :  "  Ne  parlons  pas  religion  !  ne  parlons  pas  politique  !  " 
Et  chacun  de  se  lever  et  de  fuir  l'importun.  Il  fallait  se 
cacher  pour  s'occuper  des  deux  seules  choses  dignes 
d'entretien.  Mais  comment  donci  Les  hommes  les  plus 
sérieux  de  France,  les  francs-maçons,  s'engagent  à  ne  pas 
touchera  la  politique.  De  quoi  s'occupent-ils  donc?  Des 
modes,  sans  doute. 

Où  cette  restriction  condamnable  a-t-elle  conduit  la 
nbtion  ?  En  politique,  à  l'avortement  de  Février,  au  Coup- 
d'État  de  Décembre,  au  vote  et  à  la  confirmation  de 
l'Empire.  Elle  peut  la  conduire  à  pis  encore,  si  possible, 
puisqu'on  ignore  à  ce  point  les  principes  qu'on  veut  faire 
sortir  la  monarchie  de  l'exercice  même  de  la  souveraineté 
du  peuple  qui  en  est  la  négation  absolue.     En  religion,  cette 


DIEU-KELIGION.  21 

restriction  a  mené  à  des  pratiques  réprouvées  par  le  senti- 
ment comme  par  la  raison,  par  Jésus  comme  par  Voltaire. 
Rappelez-vous,    entre    autres    abaissements    du   caractère 

eligieux,  l'Impératrice  Eugénie  allant  en  grande  pompe, 
Bntourée  de  ses  dames  d'honueur,  l'élite  de  l'esprit  et  de  la 
beauté,  déposer  une  veilleuse  de  bonne  femme  sous  le  nez 
sans  flair  de  l'idole  de  Notre-Dame  des  Victoires,  pour 
ippeler  son  intervention  en  faveur  de  la  fameuse  campagne 
pi  débutait  si  ridiculement  par  la  prise  de  Saarbriick. 
Elle  fit  pareille  chose,  dit-on,  pour  les  campagnes  de  Crimée 

t  d'Italie,  et  le  succès  relatif  des  guerres  que  ces  noms 
rappellent,  l'avait,  paraît-il,  fortifiée  dans  sa  superstition. 
Bi  une  Impératrice,  qui  devait  résumer  toute  l'intelligence 
de  son  sexe,  en  était  arrivée  à  agir  ainsi,  que  pouvaient  faire 
les  femmes,  ses  sujettes?  Tout...  sauf  peut-être  des 
hommes. 

Et,  Français,  ce  sont  des  hommes  qu'il  faut  pour  soutenir 
l'éclat  d'un  nom  et  continuer  un  grand  peuple.  La  leçon 
terrible  infiigée  récemment  ne  semble  pas  avoir  porte  tous 
ses  fruits.  Vous  croyez  que  c'est  l'armée  qui  vous  a 
manqué,  tandis  que  ce  sont  simplement  les  convictions.  Et 
comment  en  avoir  ?  Vos  instituteurs  cléricaux  ne  peuvent 
plus  se  dispenser  de  vous  enseigner  que  la  terre  tourne, 
mais  ils  le  font  de  manière  à  vous  laisser  des  doutes  même 
sur  ce  point.  Ils  comptaient  jadis  sur  Euler  pour  démontrer 
le  contraire.  On  n'a  de  vertu,  c'est-à-dire  de  force,  qu'alors 
qu'on  est  le  champion  d'une  idée.  Vous  battre  contre  les 
Allemands,  pourquoi  dans  ce  passé  récent?  Pour  une 
influence  factice,  un  équilibre  impossible,  des  frontières 
dont,  à  part  le  mot  vague  du  Rhin,  vous  ignorez  au  juste  la 
démarcation.  Pourquoi  dans  l'avenir?  Pour  une  re- 
vanche... 

Tenez,  Français,  croyez-nous,  au  lieu  de  suivre  des 
errements  désastreux  et  inhumains,  au  lieu  de  continuer  à 
prendre  vos  enfants  pour  en  faire  des  soldats,  au  lieu  de 
persister  à  démoraliser  méthodiquement  la  fleur  de    votre 


22  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

jeunesse  dans  les  casernes  ou  sur  les  navires,  et  d'y  nourrir 
leur  loisir  de  haine  et  de  rancune,  laissez-les  à  leurs  occupa- 
tions naturelles  et  productives  ;  faites  de  chaque  officier 
capable  un  instituteur  ;  faites  enseigner  non  à  quelques-uns, 
mais  à  tous,  ce  que  chacun  peut  apprendre  ;  faites  la  guerre 
partout,  chez  vous,  à  l'ignorance  des  esprits,  à  la  misère  des 
corps  ;  pratiquez  enfin  la  vraie  justice.  Et  si  dans  dix 
années  la  génération  issue  de  cette  éducation  et  de  ce  traite- 
ment veut  encore  se  venger,  eh  bien  !  elle  sera  à  elle-même 
sa  propre  armée...  Seulement  elle  offrira  aux  nations 
rassurées  un  spectacle  tellement  noble  et  attrayant,  qu'au 
lieu  d'en  redouter  une  attaque  il  n'est  aucune  d'elles  qui  ne 
sollicite  l'honneur  de  son  alliance.  Si  la  France  a  encore 
un  avenir  —  et  l'Humanité  serait  sans  futur  si  elle  n'en 
avait  pas —  c'est  dans  cette  voie  et  par  nulle  autre. 

Napoléon,  le  Grand,  à  bout  de  prodiges  et  rencontrant  la 
défaite,  reconnut  que  la  victoire,  en  définitive,  était  pour 
les  gros  bataillons.  Pourquoi  donc  engager  une  lutte  où  le 
nombre  sera  toujours  contre  vous.  Il  vous  reste  une  carrière 
à  parcourir,  c'est  celle  de  la  paix.  Elle  est  ilhmitée  et 
n'aboutit  à  aucun  désastre.  Qui  sait?  si  vous  avez  été 
vaincus,  c'est  que  sans  doute  vous  aviez  mieux  à  faire  qu'à 
aller  en  guerre.  Vous  battus  —  vous  la  valeur  même  —  la 
guerre  a  fait  son  temps  ;  elle  ne  prouve  plus  rien,  si  jamais 
elle  a  prouvé  quelque  chose.  Ses  victoires  ne  font  pas  croire 
en  Allemagne  :  elles  ne  lui  ont  conféré  aucune  vertu  attrac- 
tive. Les  peuples  vous  ont  conservé  leur  coeur;  ils  vous 
sont  restés  fidèles  ;  ils  espèrent  toujours  en  vous  —  vous,  le 
champion  séculaire  et  désintéressé  de  l'Idéal  —  pour  établir 
la  Fraternité  sur  la  terre.  Car  la  Force,  ce  n'est  pas  le 
Droit,  ce  n'est  pas  la  Religion  —  ce  n'est  pas  Dieu.  Le 
catholique  peut  l'invoquer  ;  le  chrétien,  en  tant  que  type  de 
l'homme  civilisé,  jamais. 

Si  un  membre  éminent  de  l'épiscopat  français  n'a  pas 
craint  de  déclarer,  du  haut  de  la  tribune  nationale,  que  "  les 
*'  guerres  entreprises  pour  appuyer  les  protestations  solen- 


DIEU-RELIGION.  23 

"  nelles  de  la  conscience  sont  nécessaires^'"  qu'on  permette 
à  un  humble  laïque  de  rappeler  au  belliqueux  prélat  que 
Jésus,  à-propos  de  Pierre  lui-même,  qui  cependant  faisait 
acte  de  légitime  défense  autant  que  de  sentiment,  a  dit  ces 
propres  paroles  :  "  Celui  qui  se  sert  de  l'épée  périra  par 
l'épée." 

Les  prédications  et  les  discours  de  nos  prêtres  du  jour, 
qui  seraient  moins  patriotes  et  moins  animés  contre  le  roi  de 
Prusse,  quoique  Protestant,  s'il  avait  voulu  prendre  en 
croupe  le  comte  de  Chambord  pour  en  faire  un  Roy  de 
France,  ne  font  guère  écho  à  cette  sage  maxime,  vérifiée 
dans  tous  les  conquérants  célèbres  ;  mais  elle  vient  à  point 
pour  terminer  cette  épître,  et  constater  une  fois  de  plus  le 
désaccord  qui  existe  entre  le  Maître  et  ses  prétendus 
disciples,  entre  la  rehgion  de  Jésus  et  celle  des  prêtres, 
entre  le  Dieu  de  la  raison  et  le  Dieu  de  la  folie. 

Octobre  1871. 


n. 
LA  REPUBLIQUE  ET  LE  SUFFRAGE  UNIVERSEL 


La  République  est  toujours 
de  droit,  lors  même  qu'elle 
n'existe  pas  de  fait. 


Un  bien  grand  fardeau  a  été  jeté  sur  les  épaules  de 
l'homme  :  c'est  celui  de  la  responsabilité. 

Qu'il  ne  s'en  plaigne  pas. 

C'est  avec  ce  fait  très-simple,  mais  aussi  d'une  incontes- 
table évidence,  qu'il  peut  revendiquer  tous  les  droits. 

L'homme,  en  effet,  ne  peut  être  responsable  que  s'il  est 
libre,  c'est-à-dire  souverain. 

L'option  suppose  le  jugement,  comme  celui-ci  implique 
la  Raison  —  cette  résultante  rigoureuse  de  tous  les  phéno- 
mènes de  la  conscience  et  qui  trône  au  sommet  du  monde 
intellectuel  et  moral  comme  le  soleil  au  centre  du  système 
planétaire. 

Si  l'homme  vivait  solitaire,  ce  serait  peut-être  une 
question  de  savoir  s'il  a  des  devoirs  envers  lui-même. 
Vivant  en  société,  il  en  a  assurément  envers  ses  sem- 
blables. 

Il  est  facile  de  définir  ces  devoirs. 

Ils  consistent  tout  simplement  à  accorder  à  autrui  ce 
qu'on  revendique  pour  soi-même.  La  réciprocité  des 
rapports  est  un  sûr  garant  de  leur  moralité.  Les  relations 
civiles  et  politiques  ne  sauraient  s'établir  et  se  perpétuer 
sans  cette  reconnaissance  fondamentale  ;  et  c'est  ici  que 
l'immortelle  devise  de  la  Révolution  Française  surgit  d'une 
manière  lumineuse  du  fond  même  de  la  question. 


LA    RÉPUBLIQUE    ET    LE    SUFFRAGE    UNIVERSEL.  25 

Après  bien  des  luttes  infructueuses  et  trop  souvent 
sanglantes,  le  cri  Egalité!  fit  enfin  écho  au  cri  de  Liberté! 
et  les  hommes,  renonçant  à  la  coupable  tentative  de  vouloir 
réciproquement  s'asservir,  prononcèrent  à  l'unisson  le  mot 
de  Fraternité  !  —  donnant  ainsi  iine  consécration  et  une 
conséquence  logique  aux  deux  autres  termes  de  la  devise,  et 
établissant,  par  la  fusion  des  libertés  ou  souverainetés 
individuelles,  la  liberté  collective  ou  la  souveraineté  du 
peuple. 

Il  ne  se  trouve  donc  plus  en  présence  que  des  hommes 
libres  et  égaux,  soumis  à  une  autorité  commune,  la  Raison, 
source  du  droit  et  du  devoir,  de  laquelle  conséquemment 
tous  leurs  actes  relèvent. 

La  grande  question  est  de  savoir  si  cette  liberté  ou  sou- 
veraineté peut  s'abdiquer  ou  s'aliéner.  La  difficulté  est 
résolue  d'emblée  par  l'impossibilité  où.  l'homme  se  trouve 
de  changer  sa  nature.  On  peut  concéder  qu'en  tant  qu'in- 
dividu l'homme  a  la  faculté  d'aliéner  et  d'abdiquer  ses 
droits,  parce  qu'il  n'engage  que  lui-même  et  que  son 
existence  est  limitée  dans  le  temps.  Mais  il  ne  saurait  en 
être  de  même  pour  l'être  collectif,  la  Nation,  qu'elle  agisse 
directement  ou  par  ses  représentants.  Le  corps  politique 
étant  permanent  et  continu  ne  peut,  sans  prévariquer,  aliéner 
ou  abdiquer  le  droit  même  en  vertu  duquel  il  ^existe.  La 
génération  politique  en  exercice  a  pour  premier  devoir  de 
transmettre  intact  à  la  génération  politique  qui  lui  succédera 
le  dépôt  qui  lui  a  été  confié.  Le  citoyen  du  lendemain, 
comme  celui  du  jour,  doit  jouir  de  la  plénitude  de  ses  droits 
et  avoir  la  faculté  de  les  exercer.  La  nature  l'a  créé  souve- 
rain ;  la  volonté  aveugle  ou  intéressée  de  ses  concitoyens  ne 
peut  en  faire  un  sujet. 

Il  suffit  d'énoncer  ces  principes  pour  y  faire  adhérer.  Si 
maintenant  on  veut  les  appliquer  à  une  forme  de  gouverne- 
ment, on  reconnaît  tout  d'abord  qu'ils  sont  réfractaires  à  la 
monarchie.  Celle-ci,  en  eflÈ'et,  quoiqu'on  dise  et  quoiqu'on 
fasse,  a  pour  origine  la  force,  la  nécessité  ou  le  choix,  le 


26  PRINCIPES   RÉPUBLICAINS. 

hasard  ou  la  volonté.  Sa  plus  grande  légitimité  ne  lui  peut 
venir  que  par  une  abdication.  Elle  n'est  pas  la  déduction 
logique  d'un  principe  fondé  sur  un  fait.  Subie,  acceptée  ou 
votée  aujourd'hui  par  une  majorité  d'essence  temporaire, 
elle  sera  combattue,  vaincue  demain  par  une  majorité 
contraire.  Pour  la  maintenir,  il  faudra  l'intervention  de  la 
force,  et  alors  vous  avez  le  despotisme.  Issue  des  événe- 
ments ou  de  la  volonté,  la  monarchie  en  éprouve  toutes  les 
variations,  toutes  les  vicissitudes.  J'étais  mineur  lorsqu'il 
vous  plut  de  faire  un  Roi  ;  je  suis  majeur  maintenant,  et  je 
sens  que  vous  m'avez  privé  de  la  garantie  la  plus  précieuse 
contre  l'arbitraire.  Au  lieu  d'être  gouverné  sous  l'influence 
d'un  principe  universel,  je  sens  partout  l'action  d'une 
volonté  capricieuse.  Ne  me  trouvant  pas  lié  par  un  pacte 
usurpateur,  je  me  décide  à  recommencer  la  lutte,  et  c'en 
est  fait  une  fois  de  plus  d'une  prétendue  quiétude. 

Telle  est  la  lamentable  histoire  du  passé  ;  si  l'on  suit  les 
mêmes  errements,  telle  sera  la  lamentable  histoire  de 
l'avenir.  Le  char  de  l'Etat  a  besoin  d'un  point  d'appui 
pour  rouler  sans  doute,  mais  il  ne  faut  pas  jeter  sous  ses 
roues  un  objet  oflrant  plus  que  de  la  résistance.  La  monar- 
chie n'a  pas  un  point  d'appui,  c'est  un  obstacle.  Son  efîet 
est  de  produire  l'immobilité  si  l'on  résigne,  les  catastrophes 
si  l'on  veut  passer  outre. 

Par  suite  d'une  telle  institution,  il  y  a  dans  l'État  deux 
puissances  ayant  chacune  leur  influence  inhérente  et 
opposée.  Tandis  que  la  volonté  nationale,  ayant  pour 
contrôle  la  raison,  a  une  tendance  invincible  à  satisfaire  aux 
intérêts  généraux,  la  volonté  royale  travaille  —  nous 
pouvons  admettre  que  c'est  à  son  insu  —  au  profit  des 
privilèges.  Les  citoyens  ne  comptent  plus  sur  la  justice 
seule,  qui  exige  industrie  et  mérite  ;  ils  espèrent  en  la 
faveur  du  prince,  à  qui  il  suffit  de  plaire  pour  l'obtenir. 
Sans  insister  ici  sur  ce  point,  disons  en  passant  que  c'est  là 
le  fond  même  de  la  lutte.  On  ne  soutient  pas  un  roi  pour  le 
seul  plaisir  du  jeu. 


LA   RÉPUBLIQUE    ET    LE    SUFFRAGE    UNIVERSEL.  27 

L'accord  tant  cherché  entre  les  intérêts  du  passé,  du 
présent  et  ceux  de  l'avenir  ne  peut  être  étabU  que  par  l'appli- 
cation de  principes  reconnus  et  acceptés.  La  nécessité  de  la 
monarchie  peut  être  un  excellent  argument,  mais  cette 
nécessité  ne  fait  autorité  que  pour  ceux  qui  la  proclament  ou 
l'invoquent.     Cercle  bien  vicieux  ! 

Mais   une  chose  profondément  illogique,  c'est  de  tenter 
d'étabUr  une  souveraineté  individuelle  côte  à  côte  avec  la 
souveraineté  collective,  et  de  mettre  en  balance  une  dynastie 
avec  une  nation  ;  une  chose   dangereuse  à  tout  le  moins, 
c'est   de  confier  le  contrôle  et  l'exécution  de  la  loi  à  un 
fonctionnaire  héréditaire  et  irresponsable,   surtout  avec  des 
conditions  et  des  réserves  qui,  à  un  moment  donné,  font  que 
la  volonté  d'un  individu   est  supérieure  à  la  volonté  de  tous 
et   que   le   serviteur  devient  enfin  le   maître.     Toutes  les 
précautions   prises   à  cet  égard  n'ont  jamais    empêché   les 
désastres  ou  les  déviations.     Les  plus  grands  talents  se  sont 
usés   à  la   défense    d'une   pareille   anomaUe,    et  depuis  le 
corruptible  Mirabeau  jusqu'à  l'intègre  M.  Guizot,   ils  ont 
tous  misérablement   échoué.     Afin  qu'une   institution    soit 
légitime,  et  par  là  obtienne  l'assentiment  de  la  conscience 
et  la  soumission  de  la  volonté,  il  faut  qu'elle   soit  basée  sur 
un  dogme  déduit  d'un  fait  incontestable  et  d'accord  avec  la 
vérité  spéculative,  c'est-à-dire  absolue.     C'est  une  propriété 
qui  manque  à  la  monarchie  et  la  rend  à  jamais  vulnérable 
Une  autre  erreur  capitale,  c'est  de  présenter  le  suflrage 
universel  comme   une   cause  alors  qu'il  n'est  qu'un  efi'et. 
Alléchés  par  les  succès  des  plébiscites  impériaux,  les  co7i- 
servaieurs   veulent   faire   du   sufîrage    la   source  du   droit, 
tandis  qu'il  ne  fait  qu'en  découler.     Il  n'est  pas  le  droit,  il 
en  est  l'exercice  ;  il  est  le  mode  par  lequel  chaque  citoyen, 
en  vertu  d'une   hberté  ou  d'une  souveraineté  qu'on  n'ose 
plus  repousser,  participe  à  la  législation  qui  doit  le  régir, 
soit  directement,   soit  par  délégation.     Quant  au  droit  lui- 
même,   il  est  indépendant  du  vote  et  de  l'opinion  ;  il  les 
domine  de  toute  la  hauteur  d'un  principe.     Où  en  serions- 


28  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

nous  si  le  bien  et  le  mal,  le  vrai  et  le  faux  dépendaient  du 
suffrage?  Comment  se  diriger?  Ce  serait  une  nouvelle 
forme  de  la  force  brutale,  et  le  meilleur  refuge  pour  les 
sociétés  ainsi  tourmentées  serait  encore,  hélas  !  le  despotisme 
d'un  seul. 

Il  n'en  est  point  ainsi  heureusement.  La  République  se 
présente  non  comme  un  acte  de  la  volonté,  d'une  préférence 
de  la  majorité,  mais  comme  la  formule  logique  et  inévitable 
d'un  principe  qu'on  ne  saurait  plus  contester,  la  liberté  ou 
souveraineté  nationale,  qui  s'incarne  ainsi  non  plus  dans  un 
individu  pour  s'y  altérer  ou  s'y  perdre,  mais  dans  la  loi, 
laquelle  ne  peut  avoir  qu'un  but,  le  bien  général,  puisqu'elle 
émane  de  la  Raison,  tout  à  la  fois  la  source  de  la  justice  et 
de  l'autorité. 

Sortir  de  l'équivoque  devient  plus  que  jamais  une 
nécessité  impérieuse.  On  ne  saurait  plus  longtemps  attri- 
buer au  suffrage  universel  une  faculté  qu'il  n'a  point  :  celle 
de  créer  le  droit  ou  de  le  détruire.  Il  n'est  que  trop  facile 
aux  partis  monarchiques  d'abuser  de  l'ignorance  de  la  foule 
pour  les  laisser  davantage  se  prévaloir  de  cette  erreur 
énorme.  Il  ne  faut  pas  leur  permettre  de  tuer  la  Kberté 
avec  les  armes  mêmes  de  la  liberté.  Et  voici  une  pierre  de 
touche  qui,  selon  nous,  démasquerait  infailHblement 
l'ennemi  :  Celui  qui  déclare  s'en  remettre  à  la  majorité  des 
suffrages  pour  décider  de  la  forme  gouvernementale  est  un 
homme  qui,  s'il  a  des  principes,  manque  de  logique,  ce  qui 
n'est  pas  sans  danger,  ou,  ce  qui  est  plus  probable,  c'est  un 
monarchiste  n'osant  affirmer  son  opinion  et  voulant  tromper 
la  bonne  foi  pubhque.  La  monarchie  est  tellement  une 
institution  d'aventure  que  ses  partisans  eux-mêmes  ont 
l'instinct  qu'elle  ne  peut  être  rétablie  en  France  que  parla 
surprise.  Ne  pouvant  la  faire  sortir  d'une  discussion 
rationnelle,  ils  comptent  sur  l'aveugle  volonté  du  nombre 
pour  la  restaurer. 

Une  escarmouche  eut  lieu  à  ce  sujet  au  sein  de 
l'Assemblée    Nationale  alors  qu'elle  siégeait  à  Bordeaux. 


LA    REPUBLIQUE   ET    LE    SUFFRAGE    UNIVERSEL.  29 

A  la  déclaration  faite  par  M.  Louis  Blanc  que  la  République 
était  au-dessus  du  suffrage  universel,  un  membre  de  la 
droite,  ne  pouvant  se  contenir,  exclama  ironiquement  ; 

"Ah,  oui,  la  Républiqe  de  droit  divin  I  " 

Ce  membre  de  la  Droite  n'a  jamais  dit  si  vrai.  ïïélas, 
oui,  il  faut  s'y  résigner,  la  République  est  de  droit  divin 
puisqu'elle  est  de  droit  naturel,  et  toutes  les  volontés  du 
monde  seront  à  jamais  impuissantes  à  changer  cette  conclu- 
sion. Certains  aveugles  réunis  peuvent  décider  que  le  soleil 
est  carré  :  il  n'en  restera  pas  moins  sphérique  pour  ceux 
qui  ont  les  yeux  ouverts,  pour  quiconque  a  la  moindre  no- 
tion de  la  configuration  des  corps  célestes  dans  l'espace. 

Ainsi  pour  renoncer  à  la  République  il  faudrait  au  préa- 
lable renoncer  à  être  homme,  ou  du  moins  cesser  de  faire 
usage  de  l'attribut  qui  nous  distingue  des  espèces  pourvues 
seulement  d'instincts.  Si  la  liberté  g'ènQ  Messieurs  les 
royalistes,  si  elle  est  un  fardeau  accablant  pour  eux,  ils 
n'ont  qu'un  droit,  c'est  de  ne  pas  en  user,  c'est  de  s'abstenir. 
Leur  aversion  ou  leur  faiblesse  ne  les  autorise  nullement  à 
la  supprimer  ou  à  lui  donner  un  gardien  qui  la  mette  jour- 
nellement en  péril.  Ils  peuvent  d'autant  plus  abdiquer 
sans  danger  pour  eux  que  la  République,  ne  pouvant  faire 
de  lois  exceptionnelles,  ni  aucune  distinction  dans  l'applica- 
tion de  la  loi  générale,  sauvegarderait  leurs  intérêts  civils 
mieux  qu'ils  ne  l'ont  été  jusqu'à  ce  jour  par  tous  les 
expédients  fortuits  ou  combinés  du  parti  conservateur.  La 
pratique  absolue  du  droit  serait  une  meilleure  garantie  de 
l'ordre  social  que  sa  négation  ouverte  ou  déguisée.  Les 
troubles,  les  soulèvements  ont  presque  toujours  pour  cause 
déterminante  un  déni  de  justice  persistant. 

E'ous  sommes  donc  naturellement  conduit^à^proclamer  la 
République  non  plus  comme  l'émanation  de  la  volonté  ou 
comme  l'effet  de  la  préférence  d'une  majorité,  ce  qui  la 
rendrait  aussi  précaire  que  sa  rivale,  mais  comme  la 
déduction  logique  d'un  principe  rationnel,  la  forme  gouver- 


30         '  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

nementale  inévitable  d'un  droit  imprescriptible.  Elle  a 
ainsi,  en  outre  d'un  caractère  de  légitimité  qui  lui  assure 
l'autorité  et  commande  le  respect,  l'immense  avantage  de 
donner  satisfaction  à  l'esprit  d'analyse  et  de  critique,  si 
redoutable  à  l'erreur.  Jetez-la  dans  n'importe  quel  creuset, 
elle  en  sortira  intacte.  Triomphante  au  point  de  vue  de  la 
théorie,  ses  imperfections  pratiques  sont  constamment 
réformables.  Basée  sur  la  Raison,  organe  même  de  la 
liberté,  elle  a  tout  à  gagner  et  rien  à  craindre  du  développe- 
ment des  idées.  Ayant  pour  elle  la  vérité  éternelle,  elle  est 
douée  d'une  vertu  féconde  et  d'une  force  invincible. 

Octobre  1872. 


III. 
CONSTITUTION  POLITIQUE. 


Une  "  évolution  "  dans  l'ordre  est 
toujours  un  progrès.  Il  faut  beau- 
coup de  temps  à  une  "  révolution  " 
pour  perdre  le  caractère  d'une 
catastrophe. 


Les  partis  représentatifs  français  sont  en  présence  et 
s'observent.  Ils  montrent  de  l'hésitation  à  se  prononcer  sur 
la  grande  question  d'organisation  politique.  C'est  un  motif 
pour  chacun  de  contribuer  à  une  solution  en  apportant  son 
idée.     Sans  plus  de  préambule,  voici  la  nôtre. 

Il  faudrait  enfin  renoncer  aux  fictions  traditionnelles  et 
accepter  la  vie  avec  ses  conditions  sérieuses,  ses  règles 
sévères.  Ce  qui  fait  vivre,  c'est  le  travail  ;  ce  qui  fait 
prospérer,  c'est  l'ordre  ;  ce  qui  fait  le  caractère,  c'est  la 
moralité,  c'est-à-dire  le  respect  d'autrui  et  surtout  de  soi. 
Voilà  les  devoirs  nécessaires  de  la  vie  civile  et  politique,  de 
la  carrière  individuelle  et  nationale. 

Il  est  une  vérité  qui  peut  encore  exciter  de  l'aversion, 
mais  qu'on  ne  conteste  plus,  c'est  que  tous  les  hommes  sont 
égaux  en  droit.  Par  suite,  il  incombe  à  chacun  de  participer 
au  gouvernement  de  la  chose  publique.  La  grande 
difficulté  est  de  trouver  la  formule  pratique  d'un  principe 
accepté. 

Presque  toutes  les  constitutions  modernes  supposent  la 
reconnaissance  de  ce  principe,  mais  elles  ont  toutes  plus  ou 
moins  échoué  dans  son  application,  parce  qu'après  avoir 
dégagé  et  reconnu  les  principes  généraux,  elles  ont  encore 


82  PRINCIPES   RÉPUBLICAINS. 

voulu  prévoir,  réglementer,  gérer  des  faits  en  dehors  des 
milieux  et  du  temps  de  leur  production.  Une  constitution 
politique  n'a  trop  souvent  été  qu'un  lit  de  Procuste,  un  acte 
barbare  ou  inintelligent. 

On  se  plaint,  d'aucun  se  félicitent  de  l'indifférence  du 
peuple  en  matière  politique.  Tout  effet  a  une  cause.  La 
politique  des  parlements  ou  des  journaux  a  peu  d'attrait 
pour  les  masses.  Des  hommes  sont  d'abord  désignés  au 
choix  des  électeurs  par  des  partisans  qui  ne  sont  pas  toujours 
désintéressés;  de  leur  côté,  les  candidats  n'offrent  le  plus 
souvent  pour  garantie  de  leur  conduite  parlementaire  que 
des  programmes  dont  le  style  brillant  supplée  à  l'idée 
absente.  Une  fois  élus,  ils  se  réunissent  pour  discuter  des 
questions  sans  issue,  ou  se  livrer  à  des  récriminations  qui  ne 
servent  jamais  l'intérêt  public  dont  elles  sont  le  prétexte. 
Le  talent  oratoire  développé  dans  ces  luttes  peut  provoquer 
l'admiration  parmi  les  gens  d'une  certaine  culture  intellec- 
tuelle, et  qui  ont  des  loisirs  pour  en  jouir,  mais  les  paysans, 
mais  les  ouvriers,  qui  ne  sont  cependant  pas  indifférents  à  la 
grande  éloquence,  se  détournent  après  un  moment  d'atten- 
tion, pensant  que  tous  ces  beaux  discours  ne  touchent  en 
rien  à  leurs  fardeaux  et  à  leurs  besoins  ;  que  très  souvent 
même  ils  aggravent  les  uns  et  compromettent  les  autres. 

La  solution  désirée  se  trouverait  donc  dans  un  système 
d'organisation  politique  qui  reconnaîtrait  et  assurerait  les 
droits  de  chacun,  mais  encore  et  surtout  intéresserait  à  leur 
exercice  tous  les  citoyens  sans  amener  leur  lassitude  ou  leur 
indifférence,  en  les  faisant  passer  rationnellement  du  connu 
à  l'inconnu.  Nous  croyons  que  le  système  suivant  répon- 
drait à  l'exigence  signalée. 

ÎTous  partons  de  cette  donnée  que  la  commune  est  partout 
constituée  en  France.  Pour  la  démonstration  en  vue,  nous 
choisissons  une  locahté  où  règne  la  plus  grande  indifférence 
poUtique.  I^ous  sommes  à  un  jour  d'élections.  Les 
citoyens    sont     convoqués    pour     envoyer    un     député 


CONSTITUTION    POLITIQUE.  33 

l'Assemblée  Nationale.  Aucun  paysan,  aucun  travailleur 
ne  se  présente  au  vote.  Il  a  été  également  résisté  aux 
sollicitations  du  curé  de  droite,  de  l'instituteur  de  gauche  et 
du  garde-champétre  qui  tient  le  milieu.  Ces  braves  gens 
comptent  sur  autrui  pour  remplir  leurs  devoirs  civiques  : 
le  résultat  est  tellement  incertain  ou  lointain,  le  candidat 
tellement  inconnu  qu'ils  ne  peuvent  ou  veulent  sacrifier  à 
cette  intention  même  le  loisir  que  leur  fait  un  dimanche. 

Mais  ces  mêmes  hommes  que  vous  voyez  si  apathiques  en 
présence  d'un  acte  de  la  vie  politique  à  distance  vont 
devenir  singulièrement  remuants  lorsqu'ils  auront  à  se 
prononcer  sur  un  acte  de  la  vie  municipale.  Ici  leurs 
intérêts  les  plus  chers,  les  plus  proches,  les  plus  patents  sont 
en  jeu.  Ils  se  trouvent  en  face  d'une  situation  qui  leur  est 
sensible.  "Un  maire,  un  conseiller  à  élire  !  mais  je  puis 
occuper  ce  poste  ou  mon  voisin  ;  tel  et  tel  ne  me  plairaient 
pas.  Il  s'agit  de  parer  à  la  sécheresse  ou  aux  inondations  ; 
il  s'agit  d'un  moulin,  d'un  four,  d'un  chemin  qui  doit  passer 
ici  ou  là  ;  il  s'agit  d'une  maison  d'école,  d'un  instituteur, 
d'une  bibliothèque;  il  s'agit  de  secours  à  accorder  à  des 
veuves,  des  orphelins,  des  infirmes  ;  il  s'agit  de  fonder 
enfin  une  caisse  d'émigration  pour  les  ouvriers  sans  emploi, 
les  habitants  sans  profession  ni  ressources.  Nous  ne  voulons 
pas  que  le  vagabondage  et  la  misère  prennent  pied  chez 
nous.  Vite,  vite,  allons  causer  un  peu  de  tout  cela."  La 
passion  est  éveillée,  la  lutte  commence.  Voilà  enfin  un 
citoyen.  S'il  triomphe  dans  son  choix  ou  dans  son  opinion, 
il  y  prendra  goiit  ;  s'il  est  battu,  cela  sera  bien  pis  ou  plutôt 
mieux  :  il  rêvera  d'une  revanche. 

Nous  avons  atteint  un  premier  résultat.  Le  suffrage 
universel  et  direct  nous  a  donné  le  conseil  municipal.  Ses 
membres,  en  tant  que  citoyens  de  la  commune,  pouvaient 
ne  rien  voir  de  plus.  Mais  ils  n'ont  pas  fait  deux  pas  dans 
leur  mission  qu'ils  sentent  au  delà  des  êtres  collectifs  tout 
semblables  avec  lesquels  il  faut  entrer  en  relations  pour 
régler  une  foule  d'affaires.     Dans  ce  but,  ira-t-on  déranger 


34  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

encore  une  fois  des  gens  se  complaisant  à  ignorer  ce  qm 
s'accomplit  en  dehors  de  leurs  limites  ?  Cela  ne  serait  pas 
logique,  et  ce  qui  n'est  pas  logique  n'a  aucune  raison  d'être. 
J^ous  ferons  donc  élire  par  les  conseillers  municipaux,  pour 
satisfaire  à  ces  besoins  inévitables  créés  par  le  voisinage, 
celui  d'entre  eux-mêmes  qu'ils  croient  le  plus  apte  à  repré- 
senter la  commune  dans  le  conseil  de  canton. 

Arrivé  à  ce  point,  l'horizon  est  déjà  un  peu  plus  large, 
les  intérêts  moins  simples.  Mais  de  même  qu'à  la  suite  de 
certaines  questions,  on  est  forcément  sorti  de  la  commune 
pour  entrer  dans  le  canton,  voilà  que  maintenant,  toujours 
entraîné  par  les  circonstances,  il  faut  sortir  du  canton  pour 
entrer  dans  l'arrondissement.  Or  quels  seront  les  citoyens 
les  mieux  postés  pour  discuter  magistralement  ces  nouveaux 
intérêts  ?  Sera-ce  le  votant  éloigné  ou  indifférent  de  la 
commune,  ou  l'élu  d'abord  conseiller  municipal,  puis 
conseiller  de  canton  ?  Pour  nous,  il  n'y  a  pas  à  hésiter,  ce 
sera  celui-ci.  Et  par  qui  le  ferons-nous  élire  ?  Par  ceux 
encore  qui  ont  pu  l'apprécier,  par  les  membres  mêmes  du 
conseil  de  canton. 

Ici  la  commune  initiale  est  déjà  à  une  certaine  distance. 
Notre  élu  devient  grave,  préoccupé.  Parti  d'un  village,  le 
voilà  dans  une  .ville.  Mais  il  y  est  venu  sollicité  par  des 
prévisions,  poussé  par  des  besoins.  Il  saura  donc  apprécier 
l'importance  de  sa  fonction.  Il  tiendra  sa  place.  Ses  deux 
stations  à  la  commune  et  au  canton  lui  ont  profité.  Il 
déjà  beaucoup  d'expérience,  mais  il  comprend  qu'il  faut 
encore  en  acquérir,  car  il  voit  surgir  à  l'horizon  une  per- 
sonnalité supérieure,  le  département,  dans  le  conseil  duquel 
il  arrive,  toujours  porté  en  avant  par  le  suffrage  motivé  de 
ses  collègues. 

Jusqu'à  présent  la  gérance  des  intérêts  administratifs  ou 
civils  a  été,  pour  ainsi  dire,  sa  seule  préoccupation.  Le 
département,  lui,  est  un  Etat  dans  l'Etat.  La  politique  y 
joue  un  rôle,   la  politique  intérieure  s'entend.     Notre  con- 


CONSTITUTION    POLITIQUE.  35 

seiller  s'y  livre,  mais  avec  le  tact  et  la  mesure  (l'un  homme 
qui  a  passé  par  la  pratique  des  choses.  Ses  facultés  se 
développent,  sa  personnalité  s'accentue.  Le  conseil  de 
département  se  reconnaît  avec  orgueil  dans  ses  nobles  traits, 
et  le  délègue  enfin  pour  le  représenter  au  Conseil  National, 
où,  plein  de  sagesse  et  de  magnanimité,  il  préside  avec  des 
collègues  dignes  de  lui  aux  destinées  de  la  Képubhque. 
Quelle  Assemblée  !  L'Univers  entier  se  recueillerait  pour 
l'admirer,  l'acclamer  et  l'imiter. 

Résumons  : 

Conseillers  municipaux  élus  directement  par  tous  les 
habitants  de  la  commune  ; 

Conseillers  de  canton  élus  par  et  parmi  les  conseillers 
municipaux  ; 

Conseillers  d'arrondissement  élus  par  et  parmi  les  co  n 
seillers  de  canton  ; 

Conseillers  de  département  élus  par  et  parmi  les  con- 
seillers d'arrondissement  ; 

Députés  à  l'Assemblée  Nationale  élus  par  et  parmi  les 
conseillers  de  département  ; 

Chaque  conseil  ayant  en  propre  les  attributions  de  sa 
dénomination,  — 

Voilà,  selon  nous,  le  système  qui  donnerait  une  représenta- 
tion réelle,  fructueuse,  intéressante  pour  les  électeurs 
attrayante  pour  les  élus  ;  un  système  qui  mettrait  d'accord 
la  liberté  avec  le  bon  ordre  ;  un  système  qui  ne  tournerait 
pas  dans  le  vide,  pour  broyer  de  temps  à  autre  les  impru- 
dents s'aventurant  à  le  mettre  en  motion,  mais  produirait 
tous  les  résultats  que  l'Humanité  serait  en  droit  d'attendre 
d'une  institution  qui  aurait  pour  fondement  la  réalité  des 
besoins,  la  vérité  des  faits. 

Monotonie  !  va-t-on  s'écrier.  Eh  !  sans  doute.  Le  système 
solaire  aussi  est  d'une  singulière  monotonie.  Toutes  les 
planètes  tournent  dans  le  même  sens  et  presque  dans  le 
même  plan  ;  et  cependant,  quelle  fécondité! 


36  PRINCIPES   RÉPUBLICAINS. 


1 


Utopie  est  un  autre  mot  dont  nous  serons  salué  d'urgence. 
Utopie  (*)  !  Un  homme  comme  l'abbé  de  Saint-Pierre 
rêve  la  paix  universelle,  c'est  un  utopiste.  L'inventeur  du 
canon  rayé  et  du  fusil  à  aiguille,  voilà  des  hommes 
pratiques!  Eh  bien  !J  malgré  la  portée  extraordinaire  de 
ces  engins  de  mort,  ils  n'atteindront  pas  à  l'avenir,  qui 
réalisera  par  contre,  ce  qu'on  caractérise  aujourd'hui 
d'utopie. 

De  même  pour  les  systèmes  politiques.  Les  plus  com- 
pliqués et  les  moins  efficaces  sont  préconisés  comme  seuls 
possibles.  Mais  le  plus  dangereux  système,  le  plus  pertur- 
bateur est  bien  celui  qui  fait  élire  par  des  masses 
indifférentes  ou  troublées  des  députés  n'ayant  acquis 
généralement  des  droits  aux  suffrages  que  par  des  motifs 
entièrement  étrangers  à  l'administration  des  affaires  ou  au 
gouvernement  des  hommes.  Aussi  les  Assemblées  issues 
de  ce  système  se  distinguent-elles,  malgré  le  bruit  qu'elles 
peuvent  produire,  par  une  impuissance  presque  radicale. 
Elles  mènent  presque  toujours  à  des  catastrophes  au  lieu  de 
conduire  à  des  solutions.  Leur  existence  est  légitime,  mais 
le  mode  de  leur  formation  manque  de  méthode.  Tout  est 
hvré  au  hasard  ;  et  les  élus  proviennent  trop  souvent  des 
passions  et  répondent  trop  rarement  aux  besoins.  Le 
résultat  est  la  confusion  et  la  déception. 

Le  système  d'élection  ici  préconisé  met  également  les 
masses  entières  en  motion,  il  est  vrai,  mais  c'est  pour 
statuer  sur  leurs  besoins  rudimentaires,  urgents,  d'absolue 
nécessité  ;  et  l'effet  de  leur  volonté  directe  ne  franchit  pas 
les  limites  de  la  commune  où  ils  se  produisent.  Votant 
sur  tout  en  parfaite  connaissance  de  cause,  les  intrigues  leur 
feraient   rarement    prendre    le     change.     Le    résultat   les 


(*)  Utopie!  Lecteur,  ne  vous  y  trompez  pas.  Nous  mettons  ici  en  note  ce 
qui  devrait  être  en  gros  caractères^à  la  tête  de  ces  pages.  Cette  utopie,  sauf 
certaines  conséquences  amenées  forcément  par  la  Révolution  de  '89,  est  de 
l'homme  le  plus  pratique,  le  plus  éclairé,  le  plus  estimé  du  XVIIIème  siècle. 
Elle  est  de  Tuegot. 


CONSTITUTION    POLITKiUE.  37 

touchant  de  près,  elles  verraient  à  no  point  voter  contre  le 
droit  commun,  qui  ne  peut,  en  définitive,  jamais  ctre  opposé 
aux  intérêts  particuliers. 

Après  la  satisfaction  des  besoins  urgents  dont  on  ne  doit 
laisser  le  soin  ou  le  souci  à  personne,  viennent  les  affaires 
de  relation,  les  devoirs  envers  les  êtres  collectifs  qui  com- 
])osent  une  grande  nation,  et  dont  il  est  expédient  de  confier 
la  gérance  à  des  délégués.  Mais  dans  notre  système  à  divers 
degrés,  la  délégation  ne  précède  pas  le  phénomène  :  elle  en 
procède,  au  contraire  ;  elle  y  répond  :  et  dans  le  conseil  de 
canton  comme  au  sein  de  l'Assemblée  Nationale,  elle  est 
sollicitée  à  satisfaire  aux  nécessités  de  la  vie  civile  et 
politique  d'une  manière  régulière  et  normale.  Les  con- 
seillers à  tous  les  degrés  ne  sont  pas  comme  des  médecins 
réunis  par  la  routine  et  attendant  des  malades,  que  ceux-ci 
viennent  ou  ne  viennent  pas  à  la  consultation  :  ils  ressem- 
bleraient plutôt  à  des  médecins  appelés  à  donner  leurs  soins 
à  telle  ou  telle  maladie  toujours  déclarée  et  toujours  décrite, 
tout  en  étant  prêts,  par  leur  science,  à  satisfaire  à 
l'imprévu. 

Lumière  chez  les  électeurs,  compétence  dans  les  manda- 
taires, mesures  opportunes  et  efficaces,  sont  la  base  et  le 
résultat  de  ce  système.  L'engouement  pour  les  personnes 
aurait  rarement  lieu  de  se  manifester.  Un  article  de 
journal,  un  pamphlet,  un  plaidoyer  en  cour  d'assises  ne 
suffiraient  pas  pour  envoyer  de  prime  abord  du  bureau  ou 
du  barreau  un  écrivain  ou  un  avocat  à  l'Assemblée  suprême. 
Avant  d'y  arriver,  il  lui  faudrait  passer  par  l'utile  filière  des 
conseils  communaux,  canton naux,  d'arrondissement,  de 
département.  Pendant  ce  stage  nécessaire,  l'ardent  tribun, 
le  promoteur  d'une  idée  jugée  subversive,  aura  tout  le  loisir 
de  devenir  un  homme  pratique.  Le  torrent  né  de  l'orage 
ne  peut  manquer  de  se  convertir,  avec  le  temps,  en  un 
ruisseau  limpide  et  bienfaisant. 

Mais  considérez  ce  qui  arrive  encore  dans  les  Assemblées 
formées  dans  la  confusion.     Les    hommes    du  plus  grand 


38  PRINCIPES     RÉPUBLICAINS. 

talent  s'épuisent  à  défendre  leur  conduite,  leurs  actes 
privés.  La  chose  publique  est  délaissée,  ou  ne  reçoit 
qu'une  attention  fatiguée.  Notre  système  mettrait  fin  à  ce 
déplorable  état  de  choses.  Si  la  passion,  si  l'intempérance 
de  langage  pénétraient  dans  le  conseil  communal,  elles  n'en 
sortiraient  que  rarement,  et  viendraient  à  coup  sûr 
s'éteindre  dans  le  conseil  de  département  ;  et  l'élu  de  ce 
dernier  conseil  serait  vraiment  un  homme  représentatif. 
L'Assemblée  Nationale  acquerrait  alors  une  autorité  et  une 
dignité  dont  jusqu'ici  aucune  réunion  d'hommes  n'a  été 
revêtue. 

A  ce  spectacle  grandiose,  l'électeur  primaire  serait 
pleinement  rassuré.  Il  dirait,  en  pensant  à  l'un  de  ces 
conseillers  suprêmes  :  "  Il  nous  connaît  ;  il  est  parti  de  chez 
nous.  Il  a  partagé  nos  joies,  il  a  participé  à  nos  peines.  Il 
sait  nos  sentiments  pour  les  avoir  éprouvés  lui-même. 
Nous  avions  de  son  temps  un  grave  démêlé  avec  la  commune 
voisine.  Par  ses  sages  observations,  ses  explications  conci- 
liantes, il  a  tout  pacifié.  Sur  le  théâtre  agrandi  de  ses 
soins,  je  suis  sûr  qu'il  apportera  le  même  esprit.  Il  a  évité 
un  procès  ruineux  à  la  commune,  il  évitera  la  guerre  à  la 
nation,  et  mon  fils  restera  pour  le  travail  productif,  où  seul 
naît  la  solide  grandeur  des  États. 

Deux  choses  protégeraient  efiicacement  ce  système 
évolutif  contre  la  formation  des  castes  gouvernantes  et  la 
corruption:  des  élections  rapprochées  et  la  liberté  absolue 
de  la  presse.  La  publication  des  procès-verbaux  des  séances 
serait  de  rigueur  pour  les  réunions  à  tous  les  degrés.  La 
commune  ou  du  moins  l'arrondissement  aurait  son  journal 
ofiiciel,  comme  le  département,  comme  la  Nation.  Le 
peuple  connaîtrait  donc  ses  amis  et  ses  ennemis,  et  il  est  à 
croire  qu'il  mettrait  cette  connaissance  à  profit  le  jour 
d'une  nouvelle  élection.  Etant  le  maître  souverain  du  point 
de  départ,  il  conserverait  infailliblement  le  contrôle  de 
l'arrivée.  Après  avoir  fait  acte  d'électeur  initial,  il  rempH- 
rait  les  fonctions  de  juge  définitif. 


CONSTITUTION    POLITIQUE.  '^^i^ 

Un  de  ses  autres  effets  bienfiiisiints  serait  d'assiirer  aux 
conseils  publics  les  services  des  lionimes  les  plus  éniinents 
de  la  Nation.  Comme  personne  ne  pourrait  plus  arriver 
aux  délégations  supérieures  sans  avoir  passé  par  les  i)lus 
humbles,  la  commune,  entre  autres,  ne  serait  i)lus  exposée, 
comme  il  arrive  trop  fréquemment  aujourd'hui,  à  éti'e 
privée  du  concours  du  talent  et  des  connaissances.  Les 
journaux  charivariques  y  perdraient  sans  doute  une  source 
intarrissable  de  plaisanteries,  mais  on  se  consolerait  facile- 
ment de  ce  léger  inconvénient. 

La  Républiqe,  reposant  ainsi  sur  une  base  naturelle 
d'évolutions  procédant  l'une  de  l'autre,  deviendrait  sinon 
inattaquable,  du  moins  inébranlable.  Les  prétentions  les 
plus  extravagantes  auraient  à  passer  par  quatre  épreuves 
avant  de  créer  un  ébranlement  général,  un  danger  pubUc. 
La  N'ation,  rassurée,  satisfaite,  pourrait  alors  vaquer  tran- 
quillement à  ses  occupations  de  tous  ordres,  et  réaliser  dans 
un  avenir  très  prochain  les  grandes  destinées  auxquelles  ses 
incessantes  luttes  dans  le  passé  lui  donnent  le  droit  de 
prétendre.  On  pourrait  enfin  examiner  en  toute  sécurité,  et 
sans  affoler  les  intérêts  acquis,  ces  deux  importantes  ques- 
tions : 

1^  Le  Code  civil  n'aurait-il  pas  commis  une 
grande  méprise  en  étabUssant  l'égahté  des 
enfants  devant  le  domaine  du  père,  sans 
garantir,  ainsi  qu'une  législation  sage  et 
prévoyante  eût  dû  le  faire,  l'égalité  de 
point  de  départ  des  citoyens  dans  l'Etat  ; 
2^  Les  masses  humaines  doivent-elles  con- 
tinuer à  vivre  dans  les  souffrances  et  l'igno- 
rance, et  les  classes  dites  riches  à  trembler 
d'effroi? 


Et  qu'attendoiis-nous  pour  nous  mettre  à  l'œuvre  ?  Sur 
qui  comptons-nous?  sur  Dieu?  Du  jour  où  le  germe  de 
l'idée  rédemptrice  est  sensé,  la  Providence  a  fait  sa  part,  et 


40  PRINCIPES    RÉPUBLICAINS. 

c'est  à  la  créature  qu'il  appartient  désormais  d'agir.  I^e 
comptons  pas  sur  les  miracles  :  il  ne  s'en  fera  pas.  Ne 
comptons  pas  non  plus  sur  les  personnalités  qui  font  la  pluie 
et  le  beau  temps  ;  c'est  un  service  qui  se  paie  trop  cher. 
C'est  à  nous  tous,  c'est  à  nous-mêmes  qu'incombe  la  tâche 
d'a<jcomplir  notre  salut.  Si  nous  le  savons,  si  nous  le  vou- 
lons, dès  demain,  à  notre  réveil,  la  réponse  est  faite. 

Il  n'y  a  pas  de  raisons  aux  attermoiements,  il  n'y  a  que 
des  prétextes.  Les  solutions  de  la  science  ne  peuvent  léser 
aucun  intérêt.  Si  le  sacrifice  de  telle  ou  telle  chose  est 
déclaré  d'utilité  publique,  eh  bien,  il  y  aura  indemnité  :  le 
droit  sera  satisfait.  Le  progrès  rationnel  s'accomplit  sans 
souffrance.  Il  s'avance  le  niveau  fatal  et  la  balance  en 
mains,  il  est  vrai,  mais  aussi  avec  le  sourire  divin  sur  les 
lès^res.  Son  char  n'écrase  personne,  s'il  entraîne  tout  le 
monde. 

DZAN    DE    LA    VeLETTA. 

Juin  1872. 


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