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Full text of "Un philanthrope méconnu du XVIIIe siècle: Piarron de Chamousset, fondateur de la Petite poste ..."

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F. MARTIN-GINOUVIER 



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040 



PHILANTHROPE MÉCONNU 

du XVIII' siècle : 

PiARRON DE CHAMOUSSET 

Fondateur de la Petite Poste 
Précnreenr des Sociétés de Secours Mutuels 




PARIS 
DUJARRIG ET C^s ÉDITEURS 

5o, RUE DES SAINT-PÈRES, 5o 
1905 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

du XVIII* siècle 



DU MÊMB AUTEUR 



La Solntion du Prêt Gratuit alimenté par une Dîme sociale volon- 
taire et facultative. — Préface de M. Ci^lestin Prêt, arorat h la Coar. 
Brochure in-Kî. Franco 60 

Le Palais de la Mutualité, Discours prononc(^ an Banquet dtr l'Emigration 
Creusoise. — Orné du portrait de M. Prevkt, sénateur {Eptiisé) 

Mes Vœux au V» Congrès national des Sociétés de Secours Mutuels, 
de Prévoyance et de Retraite, tenu à Saint-Ktienne du t20 Août au 
1*' Septembre 1^95. — Orné d'un portrait de M. Leygues, ministre de 
rintérieur. Frattco 30 

Félix Faure devant l'Histoire, de son Berceau à l'Elysée (1841 à 
1895). — Tonie I. Franco 6 » 

Mise en valeur de notre Empire colonial par le Soldat laboureur 
marié faisant souche. Franco 1 » 

Les Principes belliqueux du R.-P. OUivier. — Orné d'un p(»rlrait du 
célèbre prédicateur. Franco 60 

Genèse du Palais de la Mutualité. — Frérace de M. Pierre Bauuin. 

Franco 1 50 

SOUS PRESSE : 

Félix Faure devant l'Histoire. Trois ans de Présidence (1895 à 1898). 
Tome H. Franco 6 » 



F. MARTIN-GINOUVIER 



UN 



PHILANTHROPE MÉCONNl] 

du XVIII' siècle : 

PiARRON DE CHAMOUSSET 

Fondateur de la Petite Poste 
Précurseur des Sociétés de Secours Mutuels 




PARIS 
DUJARRIG ET &«, ÉDITEURS 

5o, RUE DES SAINT-PÈRES, 5o 
1905 



/- 3-/72-3 



Il a été imprimé de cet ouvrage cinq exemplaires 
Hollande numérotés de 1 à 5 



A LA Mémoire de ma Mère 



■ . r 

\ 

414056 



PRÉFACE (1) 

<f Nous connoissons ïohligation de nous secourir 
mutuellement : un sentiment naturel Tinspire à la plupart 
des hommes : Texemple des bêtes suffit pour confondre 
ceux qui oseraient contester ce sentiment. 

La différence des rangs, des fortunes et des conditions, 
ajoute encore ù cette obligation naturelle. La grandeur y 
est engagée par son propre intérêt. 

L'hommage des petits est nécessaire au bonheur des 
grands : F Être Suprême est le seul qui se suffit à lui-même : 
les grands s'assurent des hommages par leurs bienfaits. 
Ils ne sont élevés que pour mieux voir les misères du 
peuple : et, semblables à des nuées bienfaisantes, ils doivent 
répandre une rosée salutaire sur tous les lieux quils 
couvrent de leur ombre. 



(i) Notre dévoticuse admiration pour PiarrondeChamoiisset nous 
fait un devoir de mettre en lôte de cet ouvrage la Préface qu'il 
écrivit lui-même pour présenter à ses contemporains la Collection 
de SCS Mémoires, sous ce titre : Vues d'un citoyen, parus en 1757. 

Ces lignes nous prouvent une fois encore qu'il était un fervent 
de FAssociation et un pratiquant de la Mutualité. 

F. M.-G. 



— VIII — 

La reconnaissance que les riches doivent à la Providence 
de les avoir fait naître dans cet état daisanee, n exige- 
t-elle pas quils viennent au secours de ceux quelle na pas 
si favorablement traités. 

Si nous sommes dans cet état de médiocrité, récompensé 
ordinairement par la vertu, nous saisirons avec encore 
plus d'ardeur les moyens que je propose dans cet ouvrage 
de soulager nos semblables; ces moyens ne sont que les 
lois de ïhumanité mises en exécution dune manière utile et 
prudente. 

Ainsi, fai lieu de compter sur la protection des grands, 
le concours des riches, T empressement de Vémulation de 
Tétat mitoyen, et enfin le vœu général du peuple et des 
malheureux. 

Rendons nos voisins aussi jaloux de nos établissements 
quils le sont de nos victoires. Que le règne de Louis XV 
soit aussi célèbre par Thumanité quil test par la 
valeur ». 



INTRODUCTION 



C'est aux heures paisibles et agréables de mes recher- 
ches à la Bibliothèque Nationale, que je fis, en lisant 
Mon Vieux Paris^ d'Edouard Drumont, connaissance 
avec cette curieuse physionomie de Piarron de Chamous- 
set. J'en témoignai (1) immédiatement toute ma gratitude 
à l'excellent écrivain, en le remerciant de m'avoir mis face 
à face avec cette noble figure du xvni^ siècle complètement 
méconnue aujourd'hui de mes contemporains. Mon 
attirance fut telle pour cette grande mémoire oubliée, 
que je me promis d'exhumer ses cendres et de faire 
connaître ce philanthrope type à mes concitoyens. 



(I) Piarron de Cbamousset est né à Paris, en 17 !7, rae Saint- Hyacinthe, 4. A la mort 
de f>on père, en 1737, il vint habiter la rde da Mail. C'est à cette époqae qu'il est 
nommé maître ordinaire de la Chambre des Comptes de Paris, en remplacement de 
son père. En 1758, il qaitle la rue da Mail pour élire domicile au cloilre la Culture- 
Sainte-Catherine, puis, enfin, quai Hors-Tonmelles. 



n INTRODUCTION 

Un tel état d'esprit en faveur d'un tel homme me 
poussa vers d'autres investigations, qui amenèrent la 
découverte de cette lettre de faire part. 

Pièces orig^** vol. 2260 — ClauJe-Humbert Piarron do 
23 documents Ciiamousset 



P. 19 Pièce 19 imprimée 

Vous êtes prié d'assister aux Convoi, Service et enterrement 
de Messire Claude-Humbert Piarron de Chamousset, cheva- 
lier, ci devant Conseiller du Roi, Mattre ordinaire en sa Cham- 
bre des Comptes, décédé en son Hôtel, quai hors Tournelle ; 
qui se feront ce jourd^hui Mercredi a8 Avril 1773, à neuf heures 
du matin, en Téglise de Saint-Nicolas-du-Chardonneret, sa 
paroisse, où il sera inhumé, 

UN DE PROFUNDIS. 

i 
De la part de Monsieur le Comte D'Amf reville, son Oncle, 

et Exécuteur Testamentaire 



Nanti de cette pièce, je m'en fus trouver le vénérable 
M. l'abbé Guéneau, curé de Saint-Nicolas-du-Chardon- 
net, qui très obligeamment me permît d'entreprendre 
des fouilles dans les caveaux de son église. L'exploration 
des caveaux où gisent pitoyablement des milliers de sque* 



INTRODUCTION III 

lettes, bouleversés par les travaux de rinstallation du 
calorifère, commença le 18 octobre 1898 (1). En novem- 
bre, l'éminent directeur de la Libre Parole consacrait un 
bel article à ce Remueur d'idées du passé Piarron de 
Chamousset, article qui m'aida à populariser le précur- 
seur de tant de fondations sociales que la grande majo- 
rité des Français ignore encore. 

« Sans être, dit Edouard Drumont, tout à fait un 
grand homme, dans la véritable acception du mot, 
sans être ce qu'on appelle un homme de génie, Piarron 
de Chamousset, resté pendant près d'un siècle et demi 
dans un injuste autant que complet oubli, fut incontesta- 
blement une figure originale et curieuse. Il mérite autant 
que d'autres le marbre ou le bronze que lui destinent 
les Mutualistes qui le revendiquent aujourd'hui comme 
un précurseur. 

<( A vrai dire, Claude-Humbert Piarron de Chamous- 
set, maître de la Chambre des Comptes, médecin, inven- 
teur et philanthrope, ne fut pas seulement un précurseur 
de la Mutualité. Son esprit, aussi pratique qu'ingénieux, 
toucha à toutes les questions de sociologie, les résolut 

(t) Voir 1« chapitre déf pro€ét-?erbant dei foaillef . 



IV INTRODUCTION 

avec une clarté, une simplicité, une précision merveil- 
leuse, les amena pour ainsi dire jusqu'à la mise au point 
de l'exécution. Parmi les grandes institutions ou fonda- 
tions d'utilité publique dont s'enorgueillit notre époque, 
il en est certainement peu dont Chamousset n'ait eu, un 
bon siècle à l'avance, la conception. » 

En quelque mots : Ecce homo, voilà l'homme que je 
veux m'efforcer de faire connaître aux générations futu- 
res, estimant que Piarron de Chamousset est un type 
humanitaire capable d'honorer la France d'hier et celle 
de demain. 

Mais la France d'aujourd'hui pourrait-elle ignorer 
plus longtemps celui qui a droit plus que tout autre 
novateur à la reconnaissance de la postérité ? 

Ce qui lui appartient bien en propre, ce qu'on ne peut 
lui contester, puisque, cette fois, non content de prévoir, 
il réalisa, c'est l'idée merveilleuse de la Petite Poste^ dont 
pas un être civilisé ne doit une reconnaissance éternelle 
à l'auteur de ce mode de correspondance rapide et 
facile. 

N'est-ce pas son contemporain Voltaire, qui a dit : 
« La poste est le bien de toutes les affaires, de toutes les 
négociations ; les absents par elle deviennent présents ; 
elle est la consolation de la vie ». 

A plus forte raison aujourd'hui, où à tous propos nous 



INTRODUCTION V 

échangeons, avec une rapidité presque vertigineuse, nos 
pensées à travers le globe, par la lettre ou la carte pos- 
tale. 

Que d'admirateurs et de fervents anonymes ce 
méconnu de la foule compte dans tous les rangs de la 
Société et sous toutes les latitudes 1 

Bien peu se doutent que c'est à Chamousset qu'ils 
doivent cette facilité et cette rapidité de communication, 
et il leur paraîtra bien invraisemblable qu'une idée si 
simple et si pratique ait eu toutes les peines du monde 
à prendre corps et qu'elle ait même échoué une pre- 
mière fois complètement, en 1653, dans ce Paris qui 
était déjà le Paris de Louis XIV. 

Rien n'est plus exact cependant. Le véritable inven- 
teur du timbre poste fut un Maître des requêtes, M. de 
Velayer, qui, dit Peligon, « avait obtenu un privilège ou 
don du roi pour pouvoir, seul, établir des boëstes dans 
divers quartiers de Paris, et avait ensuite établi un 
bureau au Palais où l'on vendait, pour un sou pièce, 
certains billets imprimez d'une marque qui lui était par- 
ticulière... )) 

Repoussée par les Parisiens, l'idée de M. de Velayer 
alla, comme la plupart de nos inventions, faire un 
voyage en Angleterre, où Chamousset la retrouva un 
siècle après et d'où il la réimporta en France. 



VI INTRODUCTION 

Plus heureux que Velayer, il finit par installer la 
Petite Poste dans des conditions satisfaisantes, mais ce 
ne fut pas sans peine. Il lui fallait lutter pied à pied, 
multiplier les « mémoires », réfuter sans relâche les 
objections dont la principale était que la Petite Poste 
était destinée à jeter le trouble dans la Société en favo- 
risant la lettre anonyme i 

Certes, ces craintes étaient fondées, puisque, depuis^ la 
lettre anonyme inonde les services publics et privés, mais 
fallait*-il, à cause de cela, supprimer à jamais l'échange 
de ce langage écrit qui abaisse les frontières et prépare 
aux peuples les plus divers un avenir meilleur ? 

Chaque chose a ses inconvénients, mais, à côté de la 
lettre anonyme orduriôre, que de douceurs, de plaisirs, 
de bonheur et de satisfaction le facteur ne nous apporte- 
t-il pas quotidienpement, de tous les points, de nos 
relations aimées ou sympathiques I... 

La Petite Poste était en pleine prospérité au bout 
d'une année. Elle avait rapporté à M. de Chamousset 
50,000 livres tous frais prélevés. « Ses calculs justes, 
simples, et mis au plus bas, lui faisaient espérer qu'elle 
lui rendrait le double et davantage lorsqu'elle aurait pris 
toute la faveur qu'elle méritait. » 

Mais l'Etat, qui n'a guère changé depuis, couvait d'un 
œil avide ces profits si légitimes, et on vint à bout de 



INTRODUOTION VH 

persuader au souverain qu'il pouvait se les réserver. Le 
roi prit donc la Petite Poste pour son compte, et, à titre 
de récompense et d'indemnité, il accorda à Tinventeur 
20,000 livres de rentes viagères sur ses produits, avec la 
liberté de disposer à sa mort de la moitié de cette rente 
« en faveur de telles personnes qu'il jugerait à propos» 
pour être par elles également possédée à la vie ». 

Ainsi furent brisés les rêves du généreux philanthrope, 
qui escomptait déjà les beaux bénéfices futurs de la 
Petite Poste pour réformer les hôpitaux et créer la Mai'' 
son d'Association. 

Qu'est-ce que la Maison d'Association^ sinon le schéma 
de nos Sociétés de secours mutuels? 

C'est par cette Maison d'Association, où la coopération 
individuelle fait la multiplication des ressources com* 
munes, qui fut le rêve cher de sa vie, que Chamousset se 
rattache surtout aux mutualistes, n'en déplaise à ceu:i 
qui pensent à leur statue plutôt qu'à celle du vrai pré- 
curseur des mutualités modernes (1). 

Privé des ressources sur lesquelles il avait compté, il 
ne se découragea pas, et, bravement, pour arriver quand 
même à ses fins, il employa son arme favorite : le 
Mémoire. 

<1) Voir à l'appendice Topinion de P.-H. Lebai. 



vin INTRODUCTION 

Le titre du premier de ces Mémoires, qui explique 
suffisamment la pensée du fondateur était le suivant : 
« Plan d'une Maison d'Association dans laquelle au moyen 
d'une somme très modique versée chaque mois, chaque 
associé s'assureraj dans Vétat de maladie^ toutes sortes de 
secours que Ton peut désirer ». 

Voilà de la mutualité ou je ne m'y connais pas ! 

Parmi les autres titres de Chamousset à la reconnais- 
sance publique, nous ne pouvons qu enumérer les intel- 
ligentes réformes qu'il opéra dans les hôpitaux militaires, 
lorsque, en 1761, au moment où s'ouvrait la campagne, 
le duc de Choiseul le nomma intendant général des 
hôpitaux sédentaires" des armées du Roi. Louis XV, en 
signant sa nomination, dit à Chamousset, en ce langage 
élevé que parlait si bien Louis XIV : Monsieur^ j'ai rare^ 
ment signé nomination qui me fit plus plaisir, car je n'en 
ai jamais signé qui puisse faire autant de bien à mes 
troupes. 

L'heureuse influence des réformes opérées par Cha- 
mousset ne tarda pas à se faire sentir : le Maréchal de 
Broglie, toujours empressé à se rendre compte par lui- 
même de l'état des soldats, vint inopinément visiter les 
hôpitaux de Cassel. Il fut si enchanté de sa visite, qu'il 
témoigna hautement sa satisfaction. Se tournant vers 
Mïwe la Maréchale, il s'écria, en présence des officiers de 



INTRODUCTION IX 

sa suite : « Si je suis malade, je me ferai transporter à 
l'Hôpital de MM. les officiers ». 

Le maréchal de Soubise, après avoir visité, sans en 
avoir prévenu personne, l'hôpital de Dusseldorf, jpro- 
nonça ces paroles, si flatteuses pour celui qu'elles 
visaient : « Voici la première fois que j'ai le bonheur de 
visiter un hôpital sans entendre de plaintes ». 

Sa sollicitude pour l'armée ne s'arrête pas là. Il eut 
l'idée de créer les ambulances militaires, projet que 
reprit, en 1792, Larrey ; c'eSt lui qui inspire encore à 
Cadet de Vaux l'innovation qui consiste à créer un poste 
de secours pour les blessés ramassés sur la voie 
publique. 

Il faut encore citer son Règlement pour la réforme de 
IHôtel'Dieu, le Plan général pour l administration des 
hôpitaux du royaume, les nombreux Mémoires relatifs 
aux Enfants trouvés, aux Refuges de vieillards, sur 
un Établissement pour procurer de Veau pure à Paris, 
sur un Établissement en faveur des servantes malades 
et hors de condition, les filles de boutique et les 
ouvrières, sur les Voitures publiques, sur les Compagnies 
d assurances contre T incendie; enfin, un Mémoire sur un 
Magasin général ou Dépôt public, où ce remueur d'idées 
bienfaisantes, à l'imagination toujours éveillée et au cœur 
sans cesse pitoyable, esquissait le plan d'une sorte de 



X INTRODUCTION 

Mont''de''Piété idéal qui n'eût pas prêté d'argent, maia 
fiîmpjlement son nom et son crédit, c est^à-dire qui eût 
donné du papier payable dans le temps convenu avec 
l'emprunteur, et cela sans prendre un centime d'intérêt. 

Ennemi de la mendicité, n'a-t-il pas préconisé la fon- 
dation d'un Bureau central des Œuvres charitables (1), 
mettant à Vindex ceux qui vivent de mendicité. 

Il me suffira de faire remal^quer que, dans ces pages 
si claires, si lumineuses, se reflète exactement, comme en 
un miroir de pure vérité, l'âme candide, bonne et fière de 
leur auteur. Chamousset fut un sociologue essentielle-* 
ment simple et spontané. 

C'est en une telle disposition d'esprit, en une telle 
atmosphère de paix, de recueillement et de dignité, que 
furent émis tous ses projets. 

Voilà le novateur puissant et hardi, que je me suis 
promis de faire connaître et aimer, puisqu'il a poussé à 
la marché en avant de notre humanité souffrante. N'a-t-il 
pas, dans sa vie relativement courte, puisqu'il mourut à 
cinquante-six ans, le 26 avril 1773, tout fait pour le bien- 
être des humbles et l'utilitarisme des âmes simples ? 

Est-ce trop dire, lorsqu'on voit tant d'idées hardies, 
fécondes, ingénieuses, couvées et mûries, dans le cerveau 

(1) Voir à l'appendice l*Él«ge d'AlboB. 



INTRODUOTION Xï 

de cet homme si merveilleusement doué : que Chamous* 
set avait « une âme créée pour la bienfaisance. » 

Cela est si Vrai, qu'il ne se reposait même pas dans le 
sommeil et que, la nuit, il se réveillait souvent, méditant 
quelque œuvre utile, combinant quelque projet nouveau. 

« Je ne vois guère, en notre temps, de personnalité, dit 
encore EdouardDrumont, qui puisse lui être comparée, 
si ce n'est celle, bien oubliée aussi aujourd'hui, de l'auteur 
des Questions de mon temps, d'Emile de Girardin, au 
nom duquel est également attaché le souvenir d'une 
réforme postale. » 

Tous les deux, avec une très grande hardiesse dans la 
conception, ont la même horreur du vague, tous les 
deux présentent volontiers leurs idées sous la forme de 
statuts ou de décrets. Ils aiment à voir leurs théories 
ayant pris corps en quelque sorte et déjà passées dans 
les faits; ils se regardent non point comme des écrivains 
développant un thème plus ou moins brillant, mais 
comme des organisateurs faisant fonctionner un système 
nouveau. 

Chamousset l'emporte incontestablement par le côté 
moral et philanthropique, par le désintéressement absolu 
de ses projets, par l'inépuisable bonté de son cœur. 

Cet homme qui se fit médecin pour donner aux pau- 
vres des consultations gratuites^ qui renonça à se marier 



XII • INTRODUCTION 

parce que sa fiancée refusa de s'enterrer avec lui dans ses 
terres pour y fonder un hôpital modèle, fut une sorte de 
saint laïque égaré dans la société frivole, égoïste et cor- 
rompue du xvnie siècle. 

Chrétien libéral et pratiquant, de Chamousset fut lié 
intimement avec ceux qu'on appelait les philosophes 
comme avec ceux qui combattaient les philosophes. Son 
caractère foncièrement loyal inspirait à tous, français ou 
étrangers, un profond respect. 

Voltaire, qui avait une grande sympathie pour Piarron 
de Chamousset, et l'on sait qu'il ne prodiguait pas la 
sienne, le caractérise dans ces mots : « L'un des meil- 
leurs citoyens et des plus attentifs au bien public ». 

A cette époque, tout Paris retentissait d'éloges, que cet 
homme bienfaisant et chrétien n'avait pas mendiés, et 
qui étaient même contraires à ses intentions. 

Enfiii J.-J. Rousseau fut un de ses admirateurs et amis; 
il lui témoigna même son estime d'une façon emphatique 
et solennelle qui est bien dans le caractère de Thomme 
et dans le ton de l'époque. Quand M. de Chamousset vint 
visiter l'auteur d'Emile, Rousseau était assis ; il ne se leva 
point, il ne le salua pas, il ne le reconduisit pas, et lui dit : 
« Je vous estime trop pour vous traiter comme les autres 
mortels ». II refusa même de toucher au Plan de réforme 
de IHôtel-Dieu, que le philanthrope lui avait montré. 



INTRODUCTION lU 

« Qu'est-il besoin, répondiWl, de correction dans un 
ouvrage qu'on ne peut lire sans frissonner d'horreur par 
les peintures qu'il présente ? Qu'est-ce que l'art d'écrire 
si ce n'est l'art d'intéresser et de convaincre ? » 

Voilà le jugement que ses contemporains, et non les 
moindres, portaient sur ce grand cœur, cette belle intel- 
ligence, que Monselet a même oubliée : Dans ses Oubliés 
et Dédaignés du XVI W. 

Est-ce à croire, justice de Dieu ? 

Et cependant l'armée française lui doit des réformes 
indéniables, à tel point que M. Krantz, ministre de la 
Guerre, m'écrivait le 29 mai 1899 : 

Monsieur, vous avez, au nom du Comité qui s'est organisé 
à Paris pour élever, en 1900, un monument à Piarron de Cha- 
mousset, ancien intendant général de l'armée de Louis XV, 
adressé une demande à mon prédécesseur, en vue d'obtenir 
le patronage du chef de l'armée en faveur de cette œuvre. 

J'ai l'honneur de vous faire connaître que je serai heureux 
de m' associer à l'hommage que vous voulez rendre à la 
mémoire de Piarron de Chamousset, qui fut un véritable 
philanthrope et qui se ruina pour réformer le régime des 
hôpitaux civils et militaires. 

J'accorde donc volontiers mon patronage à votre Comité 
pour la souscription projetée dans le but d'élever un monu- 
ment à Piarron de Chamousset. 



UV INTRODUCTION 

En juillet 1899, M. le général de Gallifet a contresigné 
la lettre de son prédécesseur en ayant soin d*écrii*e (( les 
crédits ouverts au budget de la guerre ne me permettent 
pas de lui accorder un concours financier ». 

Notez, en passant, que M. Krantz, au nom de l'armée 
française, reconnaît que Piarron de Chamousset ê'est 
ruiné pour réformer le régime des hôpitaux civils et militai^ 
res. Mais le général de Gallifet est obligé de déclarer qu'il 
n'a pas même un vieux canon à fondre pour honorer celui 
que l'armée devrait vénérer tous les jours. 

Cependant l'Assistance publique lui doit, elle aussi, la 
Réforme du régime des hôpitaux^ puisque jusqu'à lui il 
était admis de faire coucher trois ou quatre malades dans 
le même lit, sans se préoccuper de la classification des 
maladies ; trop souvent, hélas I un blessé reposait — sî 
repos il y avait à dormir ou à souffrir — entre un vario- 
leux et un phtisique. 

L'Assistance publique nous a bien montré, à l'Exposi- 
tion, un type de ces hts, véritable serre chaude de pesti- 
lence, mais elle a oublié de prononcer le nom de celui 
qui, le premier, avait demandé et prescrit un lit pour 
chaque malade. Réforme urgente, qui s'imposait devant 
l'hécatombe efiFroyable, quotidienne, du régime des hôpi- 
taux à cette époque. 

Pour se convaincre de cet état de choses, qui faisait 



INTHODUOTION XV 

saigner le cœur compatissant de Chamousset, il faut lire 
LHistoire du Socialisme intégral et particulièrement 
le chapitre L Assistance Sociale dans les derniers siècles* 
Dans ce chapitre, qui mérite d'être lu, Benoît Malon fait 
allusion à rimmense agglomération de malades (dans les 
hôpitaux; à Bicétre, dit-il, 25 lits pour 200 vénériens, 
etc., d où une mortalité de 2/3 des malades. • 

Puis, en note, citant les chiffres de Piarron de Cha- 
mousset, il constate que sur 251.178 malades entrés à 
l'Hôtel-Dieu de Paris de 1737 à 1748, il en était mort 
61.091, soit 24 0/0 (1). 

De ce lit exposé en 1900 il doit nous rester néanmoins 
l'effroyable sensation de la contagion facile de toutes les 
maladies, et, en particulier, de la phtisie, fléau horrible 
qui ravage aujourd'hui notre société. 

Conséquences héréditaires de l'ignorance du corps 
médical d'alors, qui repoussait, en haussant les épaules» 
toutes les idées de contagiosité de la phtisie, et cepen- 
dant ce mode d'hospitalisation était la couveuse par 
excellence de ce bacille qui ronge de nos jours les forces 
vives de la France. 

Rien d'étonnant donc qu'à notre époque surtout de 



(1) Voir le tableau saiaitsant que fait d'AIbon, dans ton Ëlogt, aur oat état d« 
choses, qu'en hygiéniste clairvoyant, Piarron de Chamoosstt condamne. — Comme 
complément, f. G. Bourgeois, Ssode rwiU et tub^euhtê» 



XVI INTRODUCTION 

surmenage fiévreux, les germes d'hier reparaissent plus 
vivaces dans notre ra1:e appauvrie, surtout dans la classe 
de ceux qui bûchent ferme pour la bouchée quoti- 
dienne. 

Elle, toujours; elle, partout! 

Certes, chaque époque a ses fléaux. Dès le moyen âge, 
c'est la lèpre avec ses hideurs qui passe à l'état endémi- 
que; ce sont ces épidémies de peste qui déciment des 
contrées entières; jusqu'à la découverte de Jenner, la 
petite vérole frappe d'inn ' 'es victimes et laisse 

défigurées pour la vie ce!' le tue pas. Nos pères 

ont connu l'efiFroi du choléra... A «dies éteintes ou sin- 
gulièrement atténuées, presque reléj^uées dans le lointain 
du passé. La nôtre, l'affection aujourd'hui meurtrière 
entre toutes, c'est la tuberculose. 

Ce qui la rend si redoutable, c'est ce caractère éminem- 
ment contagieux, que les médecins, obstinés dans leurs 
erreurs, ont pendant si longtemps nié et que tous à pré- 
sent sont unanimes à proclamer le danger permanent. 

Enfin, il est reconnu aujourd'hui, que là où un phti- 
sique a vécu, là où sa maladie s'est développée, là, enfin, 
où la mort lui a fermé les yeux, tout est souillé, conta- 
miné, tout est un agent de propagation : les objets qui 
lui ont servi, le lit où il a expiré, le mobilier de la 
chambre qu'il habitait, les draps, les tentures, tout enfin. 



INTRODUCTION XVn 

Passons et jetons un vaste crêpe sur ces douleurs du 
passe, en envisageant en face celles du présent (1). 

Néanmoins, aussi généreuse que le Ministère de la 
guerre, ladministration de TAssistance publique n a pas 
trouvé quelques francs pour participer à la souscription 
du monument de cet homme de bien. 

Enfin la Poste, qui lui doit sa fortune, n a pas même 
trouvé un billet bleu à gratter sur un chapitre quelconque 
pour honorer celui qui a contribué à sa première orga- 
nisation. ,., 

Je vous l'ai dit dé'ji ^^ possédant une jolie for- 

tune, ayant un physi( ..^^^i v^awle, beaucoup d esprit, par 
surcroît excellent musicien, il resta volontairement céli- 
bataire, parce que sa fiancée avait refusé d'épouser ses 
idées philanthropiques. Cette franchise en tous cas est 
honorable des deux côtés. 

Libre, livré à lui-même, de ce jour sa vie fut faite de 
dévouement. Il pensait sans cesse au troupeau des âmes 
communes — pour le grand siècle de Louis XIV — et 
aux majorités livrées à l'imprévoyance du lendemain. 

Esprit avide et curieux, empreint d une culture scien- 
tifique, il devint logiquement un sociologue novateur — 



(1) Pour parer à cet état de choses, j*ai préconisé depuis bien longtemps des 
Sanatoria, ainsi que la construction de Ruches Mutualistes. 



XVin INTRODUCTION 

céda à son destin comme cède à la poussée du vent une 
barque désemparée. Du reste, dans la vie, tout se tient et 
s*encha!ne. 

Dès lors, amoureux d'idéal, enthousiaste des grandes 
causes, il rêva de dépenser sa vie sur tous les champs 
d'action de la philanthropie. 

Cet homme d'action et d'imagination, qui s'était fait 
docteur volontaire en quelque sorte, au grand ébahisse- 
ment de la jeunesse des écoles, se fit, avant d'organiser 
admirablement les hôpitaux de l'armée, le serviteur des 
déshérités. 

Docteur, ou officier de santé : que sais-je? non seule- 
ment il donnait ses consultations gratuites, mais il ajou* 
tait gratuitement encore les médicaments. 

Ces lignes étaient écrites et publiées déjà, dans plu- 
sieurs journaux, lorsque j'eus le plaisir de lire, dans la 
Revue Hebdomadaire du 19 novembre 1898, un article 
qui soumettait ma conscience de biographe à une dure 
épreuve. 

Dans cet article, le docteur Cabanes, qui m'avait prêté 
son concours au moment des fouilles entreprises à Saint- 
Nicolas du-Chardonnet, émettait un doute sur la qualité 
de médecin, pour Chamousset. 

Le scepticisme de son érudition incontestée m'a mordu 
le cœur, puisque je me suis donné la mission de faire 



INTRODUCTION XIX 

revivre, par la plume et le marbre^ cette originale person- 
nalité, toute pétrie de bienfaisance humaine ; dès lors je 
me promis d élucider ce point nuageux. 

Historiographe scrupuleux, j'ai voulu en avoir la cons- 
cience nette, puisque, confiant en ses biographes mes 
devanciers, j'allais perpétuer peut-être une erreur histo- 
rique, en donnant à priori à Chamousset une qualité 
qu'il n a jamais eue. 

Pour arriver à affirmer ou à infirmer, la chose parais- 
sait difficile, puisque notre École de médecine ne possède 
plus de thèse au-delà de la Révolution. Néanmoins je fis 
mon enquête auprès du très obligeant M. Pupin, secré- 
taire général de l'Ecole de médecine de Paris, ainsi 
qu'auprès de l'érudit et du non moins aimable M. Dureau, 
bibliothécaire de l'Académie de médecine. Leurs actives 
recherches furent vaines, et tous deux furent d'accord 
pour me dire que Piarron de Chamousset n'avait jamais 
soutenu de thèse devant la Faculté de Paris. 

Le docteur Légué, qui connaît admirablei^ent son xvn* 
et son xviiie siècle — il nous l'a prouvé du reste, en écrivant 
Urbain Grandier, Sœur Jeanne des Anges, Médecins et 
Empoisonneurs du XVII^ siècle — n'a rien trouvé non 
plus dans sa prodigieuse et intarissable mémoire ; au 
contraire, il ma confirmé dans les doutes de son confrère 
Cabanes. 



XX INTRODUCTION 

11 fallait donc chercher ailleurs. Comme Piarron de 
Chamousset avait traversé la Manche, je m'étais promis 
de diriger mes recherches vers la Faculté de Londres, 
afin de voir s'il n'avait pas été gradé dans cette ville. 
Entre temps, je faisais des recherches sur sa parenté, et, 
par une rencontre fortuite, je mis à jour une pièce manus- 
crite signée Morand, docteur. Régent de la Faculté de 
Médecine de Paris, qui dénonce à l'Archevêque de Paris 
l'entrée du sieur Chamousset, maître des Comptes, et 
autres personnes sans titres dans les couvents des reli- 

gieuses'(l). 

Mon confrère et ami le docteur Cabanes estimera avec 
moi que cette trouvaille est heureuse, puisqu'elle éclaire 
la discussion et remet les choses au point. 

La voici donc in extenso : 

« Dans la dernière assemblée du Prima mensis de la 
Faculté de Médecine de Paris, plusieurs docteurs se plaigni- 
rent que dans différens couvens de filles où ils avaient occa- 
sion d'aller, ils rencontraient fréquemment des médecins 
non aprouvés ou même inconnus, plusieurs autres médecins 
présents déclarèrent que pareil abus reignoit dans la plus 
part des couvens de filles, tant à l'égard des médecins, ou 



(1) Bibliothèque de l'ArBenal. — Sur l'entrée du Sieur Chamousset, Maître des Compte 
et autres personnes sans titres dans les couvents de Religieuses. 
Volome 5306. — F* 104, recto — 106 recto et suivants. 



INTRODUCrriON XXI 

soit disant tels, qu'à l'égard des apothicaires et des empi- 
riques. 

Il fut décidé, que comme il s'agissait d'un abus, qui n'est 
pas seulement contraire à la police de la Médecine, mais 
dans lequel la discipline Monastique est gravement intéres- 
sée, il était à propos d'en informer Monsieur l'Archevesque de 
Paris, comme supérieur temporel et spirituel des Maisons 
religieuses, et M. Morand fut commis, pour avoir l'honneur 
de voir Sa Grandeur à ce sujet. 

L'exactitude respectable de Monsieur l'Archevesque de 
Paris, son attachement religieux à la règle, ont parus, à la 
faculté des sœurs garans de l'attention que Sa Grandeur dai- 
gnera aporter à ces représentations, et M. Morand qui a été 
souvent à portée de connoitre par les effets, les vues et les 
intentions éclairées de Monsieur l'Archevesque de Paris, se 
croit par conséquent dispensé de s'étendre beaucoup en 
réflexions. 

Dans le fait dont il s'agit, il suffit de partir du principe 
incontestable, qu'il n'y a que des raisons de nécessité abso- 
lue, qui puissent ouvrir les portes des Maisons Monacales, 
aux personnes d'un sexe différent. 

Cette vérité restreint naturellement l'entrée des couvens 
aux gens de justice dans des cas accidentels et peu ordi- 
naires : aux directeurs, aux médecins et aux chirurgiens, 
presqu'habituellement. 

Quant aux derniers, on apperçoit aisément que dans une 
Capitale comme Paris, la simple qualité de médecin ou de 



XXn INTRODUCTION 

chirurgien, n'est pas un titre à beaucoup près suffisant pour 
être reçUy sans autre examen^ dans les maisons sacrées, dont 
l'institution éloigne scrupuleusement les moindres sujeU de 
peines de conscience et de dissipations de cours. 

Paris abonde en tout tems de médecins de tous pays, et 
de toutes les Provinces : il est donc important que cette qua- 
lité d'homme public, en faveur de laquelle la règle est 
obligée de ployer, soit consacrée d'une manière qui assure 
la tranquillité et la régularité chrétienne de ces retraites. 
Peut-il y en avoir une plus positive et de plus digne de 
confiance qu'un titre, qui attache par des lois particulières 
et de Religion et de discipline, à un Corps tel que l'Univer* 
site de Paris ; aussi dans tous les cas où l'on a besoin de 
témoignage de Médecins, n'admet-on que ceux des Docteurs 
de la Faculté de Paris qui sont responsables de leur pro- 
bité, ainsi que de leur Doctrine, à la Faculté et dont la 
conscience est ordinairement à Tabri d'odieuse suggestion. 

Les Maisons Monacales ne doivent donc être ouvertes 
qu'aux seuls Médecins de la Faculté de Paris, et ensuite à 
ceux qu'ils reconnaissent pour leur être associés dans la 
prérogative de pratique à Paris. 

Dans les collèges de l'Université, où la chose est de bien 
moindre conséquence, il est défendu à tout Principal et 
Précepteur de prendre pour Médecin ordinaire ou dans des 
cas particuliers, d'autres médecins que de la Faculté de 
Paris, ou ceux avec lesquels ils consultent. [Decreluyn 
univers itatis pridie yionas februar. 1742), 



INTRODUCTION XXTII 

Le prétexte de faire prendre une Médecine à une Reli- 
gieuse ou à une pensionnaire ne sera pas compétent pour 
ouvrir l'entrée d'un couvent à un Apothicaire, encore moins 
en trouvera-t-il pour y avoir des entrées répétées et suivies 
plusieurs jours comme un Médecin y est souvent obligé. 

Entre autres personnes que le relâchement presque géné- 
ral des Abbaisses, supérieures ou prieures admet abusive* 
ment, dans l'intérieur des couvens pour raison de santé, il 
est indispensable d'en spécifier une à Monsieur l'Archevesque 
de Paris ; on ne sçait depuis quel tems ni de quelle façon le 
Sieur de Chamoussety Maître des Comptes, a trouvé 
moyen de se procurer ^ à toute sorte d' heures ^ U7ie entrée 
libre dans les couvens^ où il traite des malades^ et où 
Von déclare affirmativement quHl fait des saignées très à 
la légère. Si la Faculté de Médecine ne contredit point 
la passion qui emporte le Sieur de Chamousset pour la 
médecine charitable^ quoique les pauvres ne manquent 
jamais de médecin que lorsqu'ils le veulent bien ; outre les 
consultations gratuites qui sont ouvertes tous les samedis 
aux Ecoles de Médecine pour les pauvres non allités et les 
visites charitables qu'on leur fait aussi chez eux après qu'ils 
sont venus une fois à ces assemblées, MM. les curés de 
Paris, à cet égard, peuvent rendre des services... honorables 
sur les médecins de la Faculté qui sont leurs paroissiens. 
Cette tolérance, qui n'est point approfondie, ne lui donne 
pas le privilège d'entrer dans des maisons religieuses, sous 
le faible prétexte de faire une saignée; la pauvreté n'y 



XXIV INTRODUCTION 

afflige jamais le moindre domestique, au point de faire 
enfreindre ou adoucir une loi qui doit être inviolable et qui 
ne peut jamais, sans de grands inconvénients, être inusitée 
ou étendue mal à propos : et quand même il serait question 
de soigner gratuitement un malade dans un couvent, on ne 
présume point que le Sieur de Chamousset se croie seul 
charitabley à l'exclusion de tous les médecins et tous les 
chinirgiens et, en particulier, de ceux qui sont attachés en 
cette qualité à ces maisons. 

Il est donc clair que le Sieur de Chamousset et quiconque 
est dépourvu du caractère auquel est attaché le privilège 
spécial d'entrer dans les couvens encourt de plein droit en 
se l'attribuant, une admonition du supérieur ecclésiastique ; 
les exceptions qui sont preuves et confirmations de la règle 
sont des plus rares, en toutes sortes de matières, et il ne peut 
guère y en avoir dans celle dont il s'agit. Encore, comme il 
y a du danger à suivre l'exception préférablement à la règle, 
il est plus sûr d'être contraire à l'exception et d'en juger 
rigoureusement. En un mot, lorsqu'il se montrera le 
moindre doute dans les actions morales, on doit suivre la 
règle et non l'exception. 

Monsieur l'Archevesque de Paris a lui-même donné des 
exemples de cette sage conduite dans les cas les plus singu- 
liers qui semblaient pouvoir permettre quelque relâche, tels 
que des pensionnaires malades et en danger, auxquelles la 
vue d'un père offrait une consolation raisonnable ; d'autres, 
auxquelles la présence d'une personne unique était de 



INTRODUCTION XXV 

conséquence pour les arrangements d'affaires de famille ; 
bien loin que les cas aient été jugés par Monsieur l'Arche- 
vesque de nature à devoir faire plier la règle et Taccominoder 
aux circonstances. 

Les lumières de Sa Grandeur les lui ont fait redouter 
comme capables d'ébranler et d'altérer la rectitude d'une 
observance qui maintient dans la ferveur les âmes pieuses 
consacrées à Dieu dans le silence, dont la gloire est de 
n'aimer pas à être vues et ne vouloir pas voir les hommes. 

Sur les simples réflexions qu'on ne fait que présenter, la 
Faculté de Médecine de Paris attend de Monsieur TArche- 
vesque le rétablissement du bon ordre, dans le point qui 
fait l'objet de ce mémoire : la vigilance et la fermeté de 
Monsieur l'Archevesque, dans l'exercice de sa puissance, 
donnera lieu d'espérer qu'il fera défense à toute Abbaisse, 
supérieure ou prieure de Maison de Moniales de laisser 
entrer deux fois dans leur couvent un médecin sans s'être 
assuré qu'il est docteur de la Faculté de Paris ou ayant 
droit de consulter avec eux. > 



Cette pièce méritait d'être connue; mais jai peur 
maintenant qu'elle est livrée à la malignité publique, 
qu'elle ne soit pimentée et commentée, avec sel et esprit, 
par tous ceux qui l'auront lue avec le désir d'y lire ce 
qu'il n'y a jamais eu. 



XXVI INTRODUCTION 

Est-ce pour ce motif, que son contemporain, le poète 
fécond, Cubières Palmezeaux, disait en chantant la 
Petite Poste : 

Non, Gbamousset est sage, et la sage Pallas 
Le voit avec plaisir suivre partout ses pas ; 
Rappelant, quoique vieux, le jeune Télémaqne, 
Des viles passions il ne craint point Tattaque. 

Piarron de Chamousset a eu assez de détracteur» 
durant sa vie, sans voir aujourd'hui sa mémoire entachée 
d'une ombre quelconque. Si, après cent trente ans de 
silence et d oubli, nous constatons qu'il n'a pas eu ses 
grades de docteur, il n'en reste pas moins, grâce à ses 
œuvres multiples de haute humanité, une des plus 
curieuses figures de son siècle. 

Il faut le dire bien haut, cet homme du monde, riche, 
puissant, allié aux plus grandes familles de robe et 
d'épée, désertait les salons de ses parents : les Cour de 
Balleroy, les Dreux, les d'Harcourt, les d'Estouville, les 
Matignon, les d'Achey, les de la Rivière, les d'Ampoille, 
dont la noblesse remonte à l'an 1463, 1599, 1666, pour 
soigner chez lui, à ses frais, les malheureux qui avaient 
besoin de ses soins. Quel bel exemple pour la noblesse ; 
quel noble usage de la fortune I 



INTRODUCTION XXVH 

Il connut dès lors le travailleur, il vécut près de lui, 
en lui, dans son ambiance, loin de la vie artificielle et 
conventionnelle du monde. 

Les humbles I II partagea leurs souffrances, leurs 
misères, leurs modestes et faciles joies; il observa leur 
existence de labeur et de lutte, et c est ainsi qu'il a appris 
à les aimer. 

Ses yeux s'ouvrirent sur l'univers des douleurs qu'il 
n'avait pour ainsi dire jamais vu jusqu'alors. Il dépouilla 
les formules apprises, il rejeta tout l'enseignement glacial 
des artifices et des conventions. 

Comme vous le voyez, cette curieuse physionomie 
mérite d'être mise en vedette, car il ne se contentait 
point d'être philanthrope en paroles, mais il vivait ses 
idées, et sa vie fut par quelques points la vie d'un saint 
égaré en ce xvni^ siècle, qui parle tant de la vertu et la 
pratique si peu. 

Vous le voyez, M. de Chamousset est un des types 
d'humanité supérieure que Carlyle appelle si justement 
des héros. 

Chez lui, on trouve l'âme de la race, de l'individualité 
forte et originale. Ses œuvres, qui livrent le fond de sa 
pensée, révèlent un esprit de large envergure, une âme 
pleine d'enthousiasme et d'indulgence, un cœur tout 
chaud de généreuse et vibrante pitié pour les milieux de 



XXVin INTRODUCTION 

pauvreté et de soufiFrance, que la fatalité écrase sous le 
poids d'atroces et poignantes douleurs. Sous sa plume, 
nous trouvons le plus divin des sentiments qui fasse 
vibrer un cœur d'homme, la Pitié, parce qu'elle était 
plutôt dirigée par le cœur que par l'esprit. 

Dans la première partie de ses œuvres posthumes, que 
nous devons à M. l'abbé Cotton des Houssayes (1), on 
trouve tout ce qu'a fait M. de Chamousset pour l'huma- 
nité malheureuse en général ; dans la seconde, ce qu*îl a 
tenté pour l'humanité malheureuse en particulier; dans 
la troisième, ses découvertes en médecine ; enfin, dans la 
quatrième, ce qu'il a fait ou ce qu'il eût voulu faire pour 
augmenter les agréments de la société. 

Ce grand voyant, dont les idées pratiques se sont réa- 
lisées, non content d'être un des précurseurs de la 
Mutualité, veut en devenir le précepteur vénéré. 

(i) CottOD des Houssayes (Jean- Baptiste), né i La Neaville-Chant-d'Oisel, prés 
de HoaeD. le 17 DOYembre 1727, docteur et bibliothécaire en Sorbonne, professa 
pendant quinze ans la théologie à Rouen. Il est mort à Paris, le 20 août 1783. On a 
de lui : 1* Éloge historique de M. Maillet du Boullay, Rouen. 1770. in-8* ; 2* Ètoge 
historique de Vabbé de Saqs, 1 775, in-8*, et dans les pièces relatives à VAcodémie de 
V Immaculée-Conception de la Sainte- Vierge, fondée à Roum. Ce même recueil contient 
plusieurs discours de Cotton des Houssayes 

8* Plusieurs articles dans le Journal de Physique^de 1780. Ces articles sont relatifs 
à la botanique, science que Cotton aimait beaucoup. Il travaillait à des Éléments 
d'histoire littéraire universelle ou Bibliothèque raisonnée, dont on peut voir le plan dans 
l'Année littéraire de 1780, et dans le Jouinal des Savants de 17S1. Il avait dessein de 
donner l'essai d'un Traité des Universités de France pour servir d'introduction au com» 
meniaire sur te chapitre des gradués de M. d'Héricourl. Son manuscrit avait 358 pages 
in-4*. 



INTRODUCTION XXIX 

Sa foi inébranlable et active dans l'amélioration du 
genre humain, qui peut nous servir de guide et de sou- 
tien, il la traduit en apportant à la Mutualité le viatique 
le plus efficace qui puisse agir sur un groupe humain, à 
savoir la confiance en sa force et eii ses destinées. 

Ce calculateur scrupuleux doublé d'un philanthrope 
sans rival, trop oublié, trop dédaigné, selon nous, est digne 
de figurer parmi tous ces hommes de bonne volonté, 
d'intelligence, de dévouement, qui s'efiForcèrent avant la 
Révolution de transformer pacifiquement la vieille société 
française. Il eût mérité le nom qu'on donnait à l'abbé de 
Saint-Pierre, qu'on appelait le Solliciteur pour le bien 
public. 

Le spectacle de sa vie est grand. Il commande l'admi- 
ration de ses contemporains et du monde entier. La sym- 
pathique physionomie de cet altruiste doit commander la 
sympathie universelle. Il a fait plus que le nécessaire 
pour conquérir l'estime de ses contemporains et de la 
postérité. 

A travers cette force de caractère exceptionnelle, il 
nous apparaît comme un de ces hommes, rares à toutes 
les époques et plus rares encore à la nôtre, qui mettent 
l'honneur au dessus de la vie, qui font du patriotisme 
une religion, apôtres et quelquefois martyrs de leur idéal, 
dont le génie est dans le cœur. 



XXX INTRODUCTION 

Puisse le destin en réserver beaucoup de semblables à 
nos sociétés décadentes, à nos civilisations corrompues, 
à notre siècle abêti et dégradé par le culte du veau 
d'or ! 

Toutes ses pensées nous donnent la sensation exacte 
de cet humanitarisme qui anima de son souffle bienfai- 
sant et généreux les précurseurs et les novateurs de notre 
grande Révolution, qui fit sortir, non seulement, l'Europe 
de sa torpeur morale et physique, mais moralisa ses rois. 

Nul ne montra plus d'intelligence pratique unie à plus 
de générosité que Piarron de Chamousset, dont tous les 
projets, toutes les idées témoignent d'un ardent amour 
du prochain. On peut le dire sans exagération aucune, 
ce fut un des grands hommes à projets du xvnie siècle, 
le type parfait du réformateur pratique, un semeur 
d'idées générales qui préparait les esprits à la révolution 
des cœurs et des intelligences. Car ce voyant avait le 
sentiment de sombres pronostics d'avenir, qu'éveillaient 
déjà les redoutables problèmes sociaux, politiques et 
économiques dont la solution travaille aujourd'hui notre 
continent vieilli et agité par les aspirations solidaristes. 

C'est incontestable, Piarron de Chamousset rêva tour 
jours que l'humanité fût libre et heureuse, sans exception. 
Il voulait, avec toute l'ardeur de sa belle âme, que chaque 
être humain pût se développer et vivre le plus heu- 



iNTRODUanON XXXI 

reusement possible. Et il croyait, avec raison, que cette 
liberté et ce bonheur ne peuvent pas être donnés aux 
hommes par un homme ou par un parti, mais que tous 
les hommes, grâce à lassociation de toutes les forces 
humaines, dpivent par eux-mêmes découvrir les condi- 
tions de cette liberté et de ce bonheur, et les conquérir. 
Il croyait que seulement la plus complète application du 
principe de solidarité peut détruire la lutte, l'oppression 
et l'exploitation, et que la solidarité ne peut être que le 
résultat delà libre entente, que l'harmonisation volontaire 
des intérêts. 

Cette notice vous paraîtra peut-être imcomplète pour 
faire connaître l'homme mort trop jeune, que je désire 
faire revivre au milieu de nous. 

Cependant pour bien éclairer votre religion, je vous ai 
fait connaître l'estime que son roi et ses contemporains 
professaient pour sa personne. 

Maintenant serons-nous assez ingrats pour lui refuser 
l'hommage qui lui est dû? 

Notre Démocratie, qui a mis un point dorgueil à faire 
revivre les grandes figures du xvme siècle, ne peut se refu- 
ser à cette reconnaissance nationale. 

Nous avons ouvert les portes du Panthéon à Voltaire 
et à Rousseau ; par souscription nationale nous leur avons 
élevé des statues. 



XXXn INTRODUCTION 

Entre ces deux personnages, il manque un grand cœur; 
le triptyque du siècle dernier ne sera complet que lors- 
que nous aurons élevé une statue à Piarron de Chamous- 
set. Nous la lui devons, non seulement parce que son 
nom brille d'un vif éclat parmi les philanthropes français 
du xviiie siècle, mais parce qu'il est un des précurseurs delà 
Mutualité française. 

Son « plan d'une maison d'association dans laquelle, 
au moyen d'une somme très modique versée chaque mois, 
chaque associé s'assurera dans l'état de maladie toutes 
sortes de secours, que l'on peut désirer » — n'est-ce pas 
là l'esquisse de notre sociologie mutualiste ? 

Vous trouverez dans sa combinaison, en dehors de la 
cotisation mensuelle, les soins médicaux, la caisse de chô- 
mage, la caisse de retraites ; chose curieuse, il prévoit 
même la mise en subsistance pour ceux qui voyagent. 

Le cas de la Mutualité Maternelle trouve aussi sa place 
dans son concept. Cela est incontestable, l'esprit mutua- 
liste est vigoureusement mis en relief par de Chamousset. 

Ainsi lorsqu'il dit : « Les associés payeront par mois 
tant en santé qu'en maladie. 

« Il y aura des lieux éloignés et séparés pour les mala- 
dies contagieuses, et pour les grossesses ; on exigera seu- 
lement des femmes enceintes au moins neuf mois d'asso- 
ciation, — voilà de la mutualité féministe — et l'on don- 



INTRODUCTION XXXIII 

nera la préférence entre elles à celles dont les maris 
seront associés. 

Les seules maladies exclusives de Tassociation seront 
les maladies vénériennes et les maux incurables. » 

Ecoutons-le encore : 

« L'établissement n'ayant d'autres fonds que le contin- 
gent des associés, il ne sera point honteux de recevoir des 
secours qu'on aura payés d'avance. On ne devra rien à la 
commisération des autres ; car chacun n'aura en vue que 
son propre intérêt. Tous concourent en commun à établir 
des fonds, parce qu'aucun ne peut être assuré d'une santé 
constante, et si ceux qui sont assez heureux pour n'être 
pas dans le cas d'y avoir recours fournissent à l'associa- 
tion plus qu'elle ne leur rend, ils jouissent de l'avantage 
d'envisager un asile qui peut d'un jour à l'autre leur deve- 
nir nécessaire : et par là ils sont exempts de bien des 
inquiétudes. Si quand je me porte bien, je paie par le 
prix modique de mon association, pour celui qui souffre, 
il en fait autant pour moi dans le même cas. C'est la loi 
générale de Thumanité mise en exécution d une manière 
prudente et déterminée ; c'est le bien de la Société civile 
étendu à une circonstance encore plus nécessaire que tou- 
tes celles auxquelles elle a pourvu jusqu'ici. 

En un mot, cette association comme toutes celles dans 
lesquelles on se fait honneur d'entrer, est une communauté 



tltrr INTRODUCTION 

de fonds, établie pour les besoins de tous les membres. 
Peut-il donc y avoir une condition pour laquelle il ne soft 
pas honnête de jouir des avantages q^ elle se procure elle- 
même? » 

Ne retrouvez-vous pas dans ces lignes nos théories de 
fraternité ? les contours de nos œuvres n y sont^ils pas 
nettement dessinés ? 

N est-ce pas, que rien n est plus suave que ce cœur 
génial injustement oublié maintenant, et dont on ne pro- 
nonce pas le nom six fois par an, même parmi les phi- 
lanthropes et les mutualistes ? 

Oui, à rheure qull est, son nom n est plus qu un sou*^ 
venir vague; pas même une rue de Paris ne porte son 
nom. A peine une ride du vent sur la Seine qui Ta vu 
naftre. Ainsi va la gloire. 

Aux Mutualistes revient la tâche sacrée de le fkire 
revivre dans la reconnaissance de nos contemporains» A 
côté de Voltaire et de Rousseau. 

Nous lui devons bien cette éclatante réparation, puis* 
que à la cause de la mutualité il donnait sans réserve son 
nom, son temps, sa fortune, tout ce dont il pouvait dis- 
poser. 

En lui donc saluons un exemple et un maître, en lu! 
saluons un des premiers mutualistes français. Donnons- 
le, je vous en conjure, comme modèle aux enfants du 



mTRODtJCTÎOK XXXT 

xxe siècle et aux étrangers qui viennent visiter notre 
belle Capitale. 

Car rappelez-vous bien, que cette mutualité, à laquelle 
le grand public vient à peine d'être initié et que nul ne 
veut ou ne peut plus ignorer, n'est pas sortie toute forgée 
du cen^eau du législateur. Elle est née, comme notre 
grande Révolution, dune sorte d'înstinct, d un besoin 
inné de conservation qui est au fond de tout être humain. 
Elle se trouve donc intimement liée à l'histoire même 
de la civilisation et du progrès en général. Mais elle est 
plus particulièrement une production du génie français, 
qui a toujours cherché à associer deux facteurs en appa- 
rence inconciliables : la liberté et la loi. 

Elle n'est ni une abstraction ni une panacée, mais elle 
a affecté dès les premiers temps des formes concrètes. 
Elle a pu s'adapter successivement à tous les régimes, et, 
éminemment perfectible, répondre à tous les besoins de 
justice sociale. 

La Mutualité donc synthétise de nos jours, à la fois 
l'idée toujours présente de l'épargne, et la vieille idée de 
la charité; la fécondité de ces deux nobles mobiles engen- 
dre l'accord social de la Mutualité, œuvre d'affection 
mutuelle et de sacrifice commun, en vue d'une sécurité 
collective, source toujours nouvelle d'actions généreuses. 

De cette concorde doit naître rationnellement le 



XXXVI INTRODUCTION 

remède efficace à employer contre tous les maux sociaux. 

D'autant que le principe mutuel est souple et se prête 
à bien des formes de réalisation. On peut l'étendre à la 
plupart des accidents ordinaires, qui viennent boulever- 
ser les conditions économiques de la vie individuelle. 
La maladie, la vieillesse, les désastres causés par les élé- 
ments, le feu, les orages et les inondations, le chômage 
même, sont matière à cette assurance familière qu'on 
appelle la Mutualité. Epargner quelque parcelle de cha- 
que gain, de manière à couvrir les risques qui guettent 
le travailleur le plus avisé et le plus économe, voilà le 
moyen et le but très clairement indiqués de cette solida- 
rité. 

Pour expliquer son développement, pour lui donner 
sa physionomie propre, il faut remonter en arrière, la 
suivre dans son patient labeur, dans cette gestation de 
plus d'un siècle d'où elle est sortie triomphante avec une 
charte nouvelle, des cadres élargis, et une organisation 
capable de défier toutes les crises politiques et sociales. 

Croyez-le, l'imminence du péril a créé plus souvent 
chez l'homme la sublime fraternité, qu'il n'a déchaîné 
l'égoïsme de l'instinct de la consei'vation. 

Donc, l'origine de la Mutualité est vieille comme le 
monde; l'association des forces et des idées se confond 
dans la nuit des temps avec l'histoire des premiers hom- 



INTRODUCTION XXXVH 

mes qui eureut à lutter contre les myriades d'infiniment 
petits, aussi bien que contre la légion des Mastodontes et 
des carnassiers ; faune majestueuse et variée qui faisait 
frémir les broussailles de la forêt vierge, comme retentir 
la solitude du désert de ses terrifiants rugissements. 

Voilà rhomme de Tâge de pierre dans sa caverne, en 
face de toutes les difficultés matérielles, vivant sur un 
qui vive constant, sous la terreur des cris des animaux 
féroces qui venaient rôder autour de sa pauvre hutte. 

Les grondements sourds de l'électricité des cieux, dont 
il ignore la cause, l'afiblent. 

Devant l'imposant spectacle de l'Océan en courroux, il 
reste ému et cloué au rivage, pétrifié d'effroi, car il trem- 
ble d'être à la merci de cet élément déchaîné, qui, dans 
ses sublimes impétuosités, ravage tout sur son passage. 

Dès lors, cet homme primitif comprend la nécessité de 
l'association mutuelle, de l'efibrt de son semblable. 

Il rêve de tribu et d'agglomération, pour chasser le 
danger permanent qu'il trouve à chaque pas, parce qu'il 
sent bien que, livré seul à lui-même, il ne saurait vivre 
plus longtemps isolé sur notre planète, pleine d'embûches 
pour ses premières tentatives. 

Delà lui vient la notion de l'association et de la nécessité 
de la solidarité humaine, et si toutefois ce besoin n'était 
pas né dans son cœur inquiet, les plantes faibles se 



XXXVni INTRODUCTION 

seraient chargées de lui donner l'exemple de la solidarité 
en s*entrelaçant ensemble pour déjouer les caresses bru- 
tales du vent, et résister avec plus de chances aux déchaî- 
nements de louragan. 

N allez donc pas chercher ailleurs lorigine de 1 assis- 
tance ou soutien, de la prévoyance sociale. Elle est 
antique, sous ses différentes formes, comme rhumanité. 
Elle est quelque chose comme ces travaux de broderie 
que les femmes commencent, auxquels elles travaillent et 
qu'elles ne finissent jamais, parce que le goût du jour y 
apporte une transformation constante. 

Dans son livre. Le passée le présent, Tavenir de la 
Mutualité^ M. Eugène Joly nous donne une étude très 
intéressante sur la Mutualité dans lantiquité. Il effleure 
avec à -propos Thisloire des Kasidéens Juifs, des Hétai- 
ries Grecques, des Collèges Romains, voire même des 
Ghildes Germaniques. 

L'auteur nous montre que celte solidarité, fraternelle, 
mutuelle, a pris toutes les formes, et toutes les nuances de 
larc-en-ciel, image fidèle de lanibiance morale et sociale 
d'une époque, qui se caractérise dans sa conception et 
son application. Corporation au moyen-age, compagnon- 
nage plus tard, confrérie hier, mutualité aujourd'hui. 

Mais si l'origine de la Mutualité se perd dans la nuit 



INTRODUCTION XXXIX 

des temps comme un haut clocher cache sa flèche dans 
la brune, il ne s'ensuit pas qu'elle n'ait pas eu ses nova- 
teurs^ ses réformateurs^ ses apôtres, de chaque étape. 

J'admets que vous persistiez dans votre refus de consi- 
dérer Chamousset comme l'initiateur de la mutualité 
laïque et moderne ; mais pouvez-vous plus longtemps lui 
refuser l'honneur d'avoir été le premier à parler de 
Mutualité internationale 9 

Ecoutez Tahbé Cotton des Houssayes : il vous édifiera 
sur les intentions de cegrand cœur, qui battait généreuse- 
ment à toutes les innovations qui pouvaient alléger le far- 
deau des maux du peuple français, mais aussi les misères 
physiques de nos voisins. 

Son biographe dit : 

« M. de Chamousset ne concentre pa^ ses vues bien^ 
« faisantes dans la capitale; il les étend même aux pro- 
« vinces et aux royaumes étrangers, partout il établit des 
<( Compagnies d'Assurance de Santé, et il veut que ces 
« Compagnies, unies ensemble par la fraternité, puissent 
« par ce moyen assurer à leurs différents associés voya- 
« géant, les refuges de toutes les villes où leur santé 
a recevra quelque atteinte ; il n'aurait été question que 
« de présenter un billet de la Compagnie dont ils auraient 
« été associés, par lequel elle aurait pris l'engagement 
« de payer les journées de son associé, suivant sa classe 



XL INTRODUCTION 

€r el au prix convenu. Par là, tous les hommes devien- 
« ciraient véritablement frères ; et ils ne seraient plus 
« qu'une grande famille, surtout dans les moments 
« critiques et douloureux où les biens de la nature 
i( doivent les resserrer. 

« M. de Chamousset consulta sur ce nouveau Mémoire 
i( la faculté de Médecine, les six corps de marchands, les 
m magistrats, les citoyens les plus éclairés; tous le com- 
« blèrent d'éloges, tous convinrent que ce beau plan, en 
« déchargeant les hôpitaux, les rendrait plus utiles et 
(( moins redoutables; qu'il ouvrait une ressource à ceux 
u qui ne voient point de milieu entre le grand humiliant 
n d'une maison de charité, et les dépenses excessives que 
i( les maladies et les plus simples opérations entraînent 
« chez les particuliers. Rien ne i)arut plus judicieuse- 
ce ment imaginé, plus humainement senti, que cette asso- 
« dation. On convint qu'elle était propre à calmer les 
« terreurs de l'imagination qui sont cpielquefois si dange- 
« reuses surtout dans lésâmes sensibles et bien nées; qu'il 
« était doux de i)enser ([u'on pouvait impunément en 
« quelque sorte voir le dérangement de sa santé, par la 
« certitude de voir en même temps tous les moyens 
« dépendant de l'humanité, se réunir pour la rétablir ; et 
« (|u'enfin, calmer les craintes rtelles ou imaginaires sur 
« l'avenir, c'est prolonger, c'est doubler, c'est embellir 



INTRODUCTION XLI 

(( l'existence, c'est remplir le but de la nature et celui des 
« gouvernements sages et humains. » 

En admettant, pour un instant, que Chamousset ne soit 
pas le novateur des Sociétés de Secours Mutuels, il est en 
tous cas le patron de ces assurances contre les maux, 
contre les maladies, contre l'accident, contre l'infirmité 
temporaire, contre l'invalidité provenant de 1 âge, assu- 
rance contractée par devant la Société dont chacun des 
associés est en même temps l'actionnaire et l'abonné. 
Rien qu'à ce point de vue, est-ce que Chamousset n'a pas 
des titres impérissables à la reconnaissance des mutua- 
listes ? 

Admettez encore, pour un instant, une méprise de ma 
part. Rougiriez-vous d'avoir pris par erreur Chamousset 
pour ancêtre? 

Rougiriez-vous d'avoir dressé sa statue sur une place 
publique, après celle de Voltaire et de Rousseau, ses 
contemporains ? 

S'il en était ainsi, vous ne seriez pas dignes d'être les 
fils de la Révolution française, car pouvons-nous oublier 
que Chamousset fait partie intégrante de ce beau granit 
intellectuel, moral et social, qui marque le tournant de 
l'Histoire, en préparant non seulement l'évolution des 
esprits et des cœurs, mais aussi la sublime revendication 
des droits et des devoirs de chaque citoyen 1 



XLU INTRODUCTION 

Sans amoindrir l'œuvre de Voltaire et de J.-J. Rous- 
seau et des encyclopédistes» je prétends que Chamousset 
avec ses œuvres sociales, pratiques, immédiates, a fait 
plus dans la masse du peuple, pour la Révolution, que 
les œuvres de ces grands hommes, dont les livres 
nétaient destinés qu'à une certaine élite qui savait lirei 

Mais, en revanche, si le peuple ne savait pas lire dans 
les livres, il savait lire dans les actes et dans les cceura. 

Du reste, la Révolution n est pas le fait d'un ou plu- 
sieurs hommes, mais bien l'ascension de tout un peuple» 
riche d'idéal et pau\Te de conditions, qui, las de gémir 
sous le fouet de ses maîtres, secoue superbement sa 
crinière, pour faire tomber les ])arasites, qui le grugent et 
sucent sa moelle de lion. 

La Mutualité est variable dans ses rouages, dans ses servi- 
ces, dans ses modalités ; parce que, comme toutes les œuvres 
humaines, elle est susceptible de modifications que les so- 
ciétés modernes et les besoins qu'elles ont créés appellent 
forcément comme une nouvelle et indispensable évolution. 

Et reconnaissons bien vite, que ce qui, dans les ques- 
tions sociales, préoccupa le plus les gens, c'est l'explica- 
cation d'une théorie d'activité. 

Les Sociétés de secours mutuels ne sont pas nécessai- 
rement toute la Mutualité, de même que la Mutualité 
peut ne pas comprendre le secours mutuel proprement 



INTRODUCTION XUII 

dit. On s explique, dès lors, que des Associations qui se 
réclament de la Mutualité n aient rien de commun avec 
les Sociétés de secours mutuels. Quelques-unes, tout en 
s*écartant des formes classiques et officielles ont pris, 
grâce à des initiatives originales, ou à des combinaisons 
ingénieuses, un remarquable développement. Il convient, 
sinon de les encourager directement — elles réclament 
elles-mêmes une indépendance exclusive des libéralités 
de l'Etat — du moins de ne pas méconnaître le rôle 
qu'elles ont joué dans l'éducation de la prévoyance, à 
moins qu'elles n'aient été détournées de leur but dans 
un intérêt financier ou qu'elles n aient fait naitre de chi- 
mériques espoirs. 

Si cette distinction n'était pas maiutenue, la Mutualité 
risquerait d'être figée un jour ou l'autre dans un système 
d'assurance légal, tandis qu aucune limite n'est présente- 
ment assignée à son action sociale, laquelle s'inspire 
constamment des besoins et des mœurs du pays. 

On l'a dit avec infiniment de raison : le secours mutuel 
est une sorte de génération spontanée. De tout temps, les 
hommes se sont rapprochés pour s entr'aider les uns les 
autres. Aussi, le secours mutuel, nous l'avons vu, a*-t4l 
ses racines dans la plus haute antiquité et le groupement 
familial peut-il être considéré comme sa première mani- 
festation. 



XLIV INTRODUCTION 

Si l'on en croit la légende, les premiers compagnons, 
dont les descendants fondèrent les Mutualités du moyen 
âge, étaient les ouvriers du temple de Salomon. Quoi 
qu'il en soit, les éranies en Grèce, les sodalités et les col- 
lèges à Rome et dans la Gaule, les ghildes (banquets à 
frais communs) dans les pays Scandinaves, étaient de 
véritables institutions de prévoyance qui ne se conten- 
taient pas d'honorer leur dieu ou leur héros clans des 
fêtes appropriées, mais donnaient des secours en cas de 
maladie et pourvoyaient aux funérailles de leurs mem- 
bres décédés. 

Le culte des morts est donc à l'origine des sociétés. Il a 
persisté à travers les siècles et, aujourd'hui encore, il n*esl 
aucun mutualiste qui ne soit accompagné au champ de 
repos par le cortège de ceux auxquels il était associé de 
son vivant. 

Au moyen âge, le but des Sociétés se précise ; elles 
donnent à leurs malades des secours en nature et même 
en argent en échange d'une cotisation fixe. Mais leur his- 
toire se confond avec celle du compagnonnage et des 
confréries religieuses. Longtemps, elles devaient conserver 
leurs vocables de saints et la tradition en avait même été 
reprise au commencement du dix-neuviéme siècle pour se 
perpétuer jusqu'à ces dernières années. 

La Révolution brisa les corporations, dont la tyrannie 



INTRODUCTION XLV 

était devenue insupportable, mais les compagnonnages et 
les confréries sui-vécurent et tout TefiFort des générations 
qui suivirent devait tendre à renouer ces liens de solidarité 
qui avaient soutenu leurs devancières. 

Ce sont, comme le disait un jour à l'Association 
fraternelle des Employés de Chemins de fer, un grand 
disparu, M. Waldeck-Rousseau, « ces humbles sociétés, 
qui ont été les initiatrices du grand mouvement qui a 
transformé l'épargne individuelle en un agent d'assistance 
mutuelle, d'aide réciproque et de prévoyance com- 
mune )). 

Malgré les restrictions du Code pénal, le rigorisme de 
la Restauration et l'insuffisante tolérance du gouverne- 
ment de juillet, le nombre des sociétés augmenta rapide- 
ment, si bien que le Second Empire dut leur accorder la 
personnalité civile et les admit, sous certaines conditions, 
à servir des retraites. En même temps, il inaugurait l'ère 
des subventions de l'Etat et constituait la première dota- 
tion, en prélevant 10 millions sur le produit de la vente 
des biens de la famille d'Orléans. 

Ce fut la seconde étape des Sociétés de secours 
mutuels. Elles ne pouvaient se fonder sans l'intervention 
du maire et du curé et les présidents étaient nommés par 
le chef de l'État. 

Pendant quarante-six ans, elles étouflfèrent plus qu'elles 



XLVI tNTRODUCTîON 

ne vécurent sous le régime de compression des décrets de 
1852 et de 185(î. 

Mais, dès l*avèncment de la République, radministra» 
tion se fit plus humaine et plus douce. Des Chambres 
consultatives, des Syndicats de sociétés, précurseurs de 
nos unions actuelles, bien que n'ayant pas d'existence 
légale, se constituèrent et les Sociétés commencèrent à 
formuler leurs revendications. 

Cest ici que se place Tcruvre si féconde des Congrès 
triennaux de la Mutualité, dont le premier se tînt à Lyon 
en 1883. Le travail du législateur fut déblayé et la loi dn 
l*' avril 1898, charte de liberté et d'émancipation, se 
borna h consacrer la plupart des décisions de ces assem- 
blées. 

Du reste, cette loi, attendue depuis longtemps, ne fut pas 
votée sans de nombreux voyages entre la Chambre et le 
Sénat. 

Je dois rendre ici hommage aux hommes qui ont le plus 
contribué à son adoption. J'ai nommé MM. Maze, Audif- 
frcd, Siegfried, Lourties, Prévet. (1) 

Le projet de loi sur les sociétés de secours mutuels fut 
présenté pendant la deuxième législature, le 1^^ janvier 
1881, par MM. Hippolyle Mazc et Guyot (Rhône). Ce 

(t) Lire dans la Genèse du Palais de la Mutualité le discours qa*a proMocé 
M. Bartbou, Ministre de l'Intérienr, an premier Dîner de% Mutualistes. 



INTRODUCTION XLVn 

projet, accepté par la Commission de la Caisse des 
Retraites de la vieillesse, fit l'objet dun rapport de 
M. Martin-Nadaud. 
Au début de la législature suivante, le 19 novembre 

1881, la Chambre fut saisie par MM. Hippolyte Maze, 
Guyot et Audiffred dune nouvelle proposition relative 
aux Sociétés de Secours Mutuels considérées en elles- 
mêmes et dans leurs rapports avec les Caisses Nationales 
de Retraites pour la vieillesse. 

Cette proposition fut suivie du dépôt effectué, le 18 mars 

1882, par MM. René Goblet, ministre de Flntérieur, et 
Léon Say, Ministre des Finances, d'un projet de loi sur 
les Sociétés de Secours Mutuels. 

Cette Commission, dont M. H. Ma«e était le rapporteur, 
soumit, le 25 novembre 1882 à la Chambre, une proposi- 
tion qui iut votée le 12 novembre 1883 et transmise au 
Sénat le 21 janvier 1884. 

Sur le rapport de M. Léon Say, le Sénat en vota le 
texte modifié, le 24 juin 1886, en seconde lecture. 

Le projet revint à la Chambre, qui le remania à son 
tour et l'adopta en seconde lecture le 14 juin 1889. 

Ce texte, transmis au Sénat le 20 février 1890, fit lob- 
jet, le 15 novembre 1890 (1), d'un rapport de M. Maze, 

(1) Oq trouvera les divers textn qai Tiennent d'are énumérét, reprodaiti en 
annexes de ce rapport. {Joumai Offéti, p. 321). 



INTRODUCTION 

devenu sénateur. La mort du rapporteur ajourna la dis- 
cussion. — Un rapport supplémentaire fut présenté le 3 
juin 1892 (1), par M. Cuvinot, et le Sénat, après deux 
nouvelles délibérations, les 14 et 23 juin 1892 (2), vota 
un texte qui fut transmis à la Chambre le 12 novembre 
de la même année (3). Le rapporteur de la Commission 
de la Chambre, M. Audiffred, déposa, le 23 mars 1893, 
un rapport (4), qui tend à l'adoption du texte voté par le 
Sénat. 

La fin de la législature ne permit pas à la Cham- 
bre de discuter ce projet. 

Au début de la cinq- législature, M. Audiffred 

le reprit le 2 décembre 18j3 (5). 

Renvoyé à la Coimnission d'assurance et de Pré- 
voyance sociale, il fit l'objet d'un nouveau rapport, daté 
du 22 novembre 1894 (6). 

Le 28 janvier 1896, la discussion du projet de loi vint 
devant le Parlement (7). 

Dans les séances des 7 et 30 mars, et l®"" juin 1896, le 

texte suivant fut discuté en première lecture : 

I 

(1) Oocoment parlementaire n* 130, Journal Ofliciel^ p. 353. 
' (2) Débats parlementaires. Journal Officiel^ page 569 et 639. 

(3) Document parlementaire n* 2413. Journal Officiel^ p. 2*274. 

(4) Document parlementaire n* 2261, Journal Officiel, p. 358. 

(5) Document parlementaire n* 80, Journal Officiel, p. 221. 

(6) Document parlementaire n* 1010, Journal Officiel, p. 167. 

(7) Document parlementaire n* 1754, Journal Officiel^ p. 26. 



Eloge de M. de Chamousset, contenant 
une analyse de ses ouvrages ^^^ 



Je vais donc enfin écrire l'histoire de la Bienfaisance 
éclairée, perfectiohnée par la ;ion ! 

C'est à la confiance et^à ' *'é que j'en dois le plaisir : 
je n'ai point examiné si j'â^S^ai'^.^es talents nécessaires pour 
m'acquitter dignement de cette utile et honorable fonction. 
Qu'ai-je besoin de talent? Pour écrire l'histoire du cœur, 
ne suffit-il pas d'en ^voir reçu un de la nature ; et s'il n'est 
pas donné à tous les hommes d'embellir la vérité, tous 
n'ont-ils pas le pouvoir de l'aimer et de la montrer. 

Je vais donc écrire la vie de M. de Chamousset, ou plutôt 
son éloge; car une vie qui n'a été qu'une suite d'actes 
d'humanité et de * bienfaisance peut-elle^ être autre chose 
qu'un éloge? Que fut, en effet, M. de Ghamousset? Fut-il un 
de ces hommes nés pour le malheur de leurs semblables^ 



(t) Eloge de M. de Ghamousset publié dans le premier folume de ses Œufres 
complètes, par feu l'Abbé Cotton ^ Houssayes (1787). 

I 



2 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

qui employa ses jours à combiner les moyens de détruire 
ceux ^es autres, pour acquérir le nom de héros et de 
conquérants. Non, c'est un Ami, c'est un protecteur de 
l'humanité sôuiîrante et malheureuse, qui consacra son 
existence physique et morale, ses talents, sa fortune, sa vie 
à faire le bonheur des hommed^ et qui n'eût d'ennemis que 
ceux de l'humanité et du bien public. 

Dans les éloges ou les vies ordinaires, souvent on distingue 
l'homme de l'écrivain, et cette distinction n'est que trop 
nécessaire. Dans M. de Chamousset, les actions et les écrits 
eurent le même principe, le môme caractère de bienfaisance. 
Jamais il n'écrivit pour lui-môme, ce fut toujours pouf 
rhuqnanilé. Partout, c'est l'homme sensible, c'est le citoyen, 
pénétré d'amour pour sa patrie qui se montrent en traits de 
feu. Le seul ordre que nous ayons à suivre est donc celui 
des temps, associé néanmoins à celui des matières. A côté 
d'un acte de bienfaisance, je placerai souvent l'analyse d'un 
écrit qui la montre : ce sera joindre la pratique à la théorie, 
l'exemple au précepte ; et j'ose le dire, ce tableau chrono- 
logique, malgré la faiblesse du pinceau qui le tracera, sera 
plus utile, plus intéressant que celui d'une suite de maîtres 
du monde, qui ont fait gémir l'humanité, en faisant le mal, 
ou en le permettant. 

Je présenterai d'abord tout ce qu'a fait et écrit M. de 
Chamousset pour l'humanité souffrante, pauvre et malheu- 
reuse, en général. 

Je montrerai ensuite ses efforts et ses écrits pour soulager 



UN PHILANTHROPE MECONNU 3 

les malades, et les pauvres, en particulier, dans les diflérents 
états, dans les militaires, dans les domestiques ou autres. 

Un troisième point de vue le fera voir s' occupant toujours 
de la bienfaisance, et procurant à sa patrie des aliments sains, 
une boisson salutaire, des préservatifs contre la maladie, 
toujours plus sûrs que les remèdes. 

Enfin, nous le verrons payer sa dette au corps social, en 
lui procurant toutes les commodités qui peuvent ajouter aux 
douceurs de la vie, en embellissant ce lien de la nature, cet 
amour de la Société qui serait le charme des âmes sensibles, 
si les méchants ne venaient empoisonner cette source du 
bonheur. 



PREMIÈRE PARTIE 



Naissance. — Éducation. — Caractère de M. de 
Chamousset : Ses Actions et ses Écrits pour 
THumanitô souffrante, pauvre et mallieureuse, 
en général 

Claude-Humbert Piarron de Chamousset, chevalier, 
ci-devant maître ordinaire de la Chambre des Comptes de 
Paris, naquit dans cette capitale en 1717, d'une famille 
noble et distinguée par ses alliances. Il était fils de messire 
Martial Piarron de Chamousset^ conseiller au Parlement de 
Paris, et de dame Claude Berthelot de Belloy, dont le père 
était greffier en chef au même Parlement. M. de Cha- 
mousset eut pu se passer de la noblesse de ses ancêtres, 
celle de son cœur pouvait lui suffire ; peut-être même n'a-t-il 
jamais pensé à cet avantage qu'aiment à faire valoir ceux 
qui n'en ont pas d'autres ; et si on lui eût demandé ce qu'il 
était, sans doute, il eut répondu : je suis homme. C'est 
la qualité qu'il s'est donnée à la tête des Vues d'un Citoyen^ 
et c'est celle que nous aimons à lui donner. Originaire de 



6 UN PHILANTHROPE MECONNU 

Beaujolais, il est probable qu'il descendait de la maison de 
Pierrevive, dont il portait les armes. Il était allié, du côté 
paternel, aux familles de Gondy, de Damas et autres ; du 
côté maternel à celle de Matignon ; mais tous ces avantages 
ne seraient rien, si M. de Chamousset n'y eût ajouté la 
gloire personnelle d'en être digne. 

Le premier spectacle qui s'offrit à cet homme né pour le 
bonheur des autres, fut celui des vertus chrétiennes et mo- 
rales, et son âme crée pour la bienfaisance et le bonheur de 
l'humanité, se confirma dans ses inclinations par l'heureuse 
habitude de l'imitation. Il n'eut point à lutter, comme il n'ar- 
rive que trop souvent, contre les forces toujours trop 
puissantes du mauvais exemple de la part de ceux que la 
nature nous apprend à respecter et à imiter. Né de parents 
vertueux, tout conspira à imprimer dans son âme ce noble 
enthousiasme de l'humanité et de la bienfaisance, qui, pendant 
toute sa vie, a fait son caractère distinctif. Sous eux, et à leur 
exemple, il apprit le grand art de rendre les hommes heureux, 
ou du moins de ne jamais en perdre le désir. Ses yeux 
à peine ouverts à la lumière voyaient dans son père un magis- 
trat intègre, assidu, zélé, laborieux ; dans sa mère, une femme 
chrétienne, occupée de ses devoirs, et répandant le bonheur 
à ses côtés ; dans son aïeule maternelle. Madame de Belloy, 
une vraie mère des pauvres, leur distribuant à tous les 
secours spirituels et temporels dont ils avaient besoin, ayant 
pour eux une pharmacie toujours ouverte, où Ton distinguait 
particulièrement un baume efficace pour les blessures, qui a 



UN PHILANTHROPE MECONNU 7 

retenu son nom^ et qui le fera bénir par nos descendants. 

L'éducation du cœur, cette éducation si souvent négligée, 
et cependant si précieuse et si nécessaire, cette éducation 
qu'on peut regarder comme le fruit des inclinations person* 
nelles combinées avec l'exemple, cette éducation, dont l'effet 
tient plus au sentiment qu'aux idées, fut la plus heureuse et 
la plus efûcace pour M. de Chamousset. Il ne pensait pa^ 
encore, que déjà, marchant sur les traces de ses parent^, il 
distribuait dans le secret aux malheureux, l'argent qu'on lui 
abandonnait pour ses plaisirs et les jeux de l'enfance. 

Il faut en convenir, l'éducation de l'esprit, cette éducation * 
que l'habitude ou la vanité font préférer à tout, ne fut pas 
aussi heureuse ^t aussi rapide pour M. de Chamousset que 
l'avait été celle du cœur. Son esprit plein de feu et son âme 
sensiblone triomphèrent mêmejamais entièrement de sa répu- 
gnance pour l'étude d'une langue, par laquelle le despotisme 
de l'habitude veut qu'on commence à tourmenter la tendre 
enfance : et au fond, qu'eût servi à M. de Chamousset, destiné 
à parler aux malheureux, à les soulager, l'intelligence plus 
parfaite d'une langue qu'ils ne peuvent et ne doivent pas 
comprendre? Je m'imagine entendre la voix douce et impé- 
rieuse de la Bienfaisance, dire au jeune Chamousset : (a Vous 
« êtes mon enfant chéri, c'est pour moi que le Créateur vous 
c forma ; cette langue que parlèrent les oppresseurs de 
a l'Univers, ces sciences, ces arts agréables, fruits de loisirs 
€ et quelquefois instruments de la vanité, auront peu de 
« droits sur votre âme ; vous apprendrez, vous exercerez ces 



8 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

/ 

« arts utiles que je fis naître, vous partagerez mes plaisirs et 
c mes peines ; vous travaillerez au bonheur des hommes, ce 
c sera le vôtre, et vous le ferez même malgré eux, voilà 
« la peine qui vous attend et cette peine n'est pas sans plai- 
« sirs : l'Auteur de la nature vous créa surtout pour exercer 
c l'ai^t précieux et difficile de vaincre la mort et prolonger la 
« vie. Il mit en vous cette heureuse sensibilité, ce goût impé* 
« rieux, ce coup d'œil également juste, rapide et attentif, cette 
« estime profonde de la vie des hommes, cette forme héroï- 
« que pour triompher du spectacle hideux et dégoûtant des 
« misères humaines, vous serez Médecin et vous le serez de 
« ceux qui n'en ont point, et de ceux à qui la misère refuse 
« tout, jusqu'à la consolation d'être plaints. > 

Tel fut, ou du moins telle dût être pour M. de Ghamousset 
l'oracle de la Bienfaisance, surtout dans ce moment critique 
et décisif à jamais où il s'agit du choix d'un état. Ce fut alors 
que tandis que la Bienfaisance parlait à son cœur, le Préjugé, 
fils de l'Opinion, cette Reine despotique de l'Univers, 
fit retentir à ses oreilles ces paroles désavouées par la Raison : 
c II n'est dans le monde que deux états pour la Noblesse^ 
l'état Militaire ou la Magistrature : il faut ou détruire et sou- 
« mettre les hommes, ou les juger et les enchaîner. Laissez 
« à ces citoyens d'une condition ordinaire ou inférieure, le 
« soin de s'élever par leurs talents, celui de se faire un sort 
c en soulageant leurs semblables, ou en les défendant ; le 
c vôtre est fait, vous êtes né riche, marchez sur les traces de 
« vos pères. > • 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 9 

M. de Ghamousset était dans cet âge où l'inexpérience, la 
timidité, le respect pour la volonté de parents qu'on chérit, 
font quelquefois confondre la voix du Préjugé avec celle de la 
Nature, ou mépriser celle-ci pour suivre la première. Il ne 
s'y trompa pas entièrement, il tâcha d'accorder la Nature et 
le Préjugé. Il fut Magistrat par décence ; son goût et l'amour 
de la Bienfaisance le firent Médecin. Aine de sa famille, 
il avait à opter entre une charge de Conseiller au Parlement 
de Paris, vacante par la mort prématurée d'un père qu'il ché- 
rissait, et une charge de Maître des Comptes de la même ville 
qu'avait possédée son aïeul. Il se détermina pour cette der- 
nière. Il crut, ayant moins de rapports et des rapports moins 
directs avec les affaires publiques, lui enlèverait peut-être une 
moindre quantité de son temps, qui est la seule richesse des 
pauvres, que les riches méprisent et prodiguent de peur d'en 
être accablés, et qui était si précieuse pour lui par l'emploi 
qu'il se proposait d'en faire pour le soulagement des malheu- 
reux. 

Qu'on se Ggure un magistrat, jeune, riche, aimable, plein 
de saillies douces et ingénieuses, né pour la société dont il 
faisait les délices quand il s'y prêtait ; consacrant aux ten- 
dres soins de la bienfaisance tout le temps que son état 
n'exigeait pas essentiellement; et l'on aura une faible idée 
de M. de Chamousset et de sa vie. Sa bibliothèque ,et ses 
études étaient celles d'un médecin : tous les livres qui ont 
rapport aux différentes parties de cette science qui soulage 
les hommes, ou du moins qui les console par la douce espé- 






10 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

rance, avaient des droits sur lui ; il les étudiait avec soin, 
avec ordre, avec intelligence ; et lié avec les médecins les 
plus distingués, il se faisait guider par eux et suivait leurs 
avis. Il acquit dans toutes les parties de l'art de guérir, dans 
la botanique, dans la chimie, dans la pharmacie, dans la 
chirurgie, dans la médecine proprement dite, les connais- 
sances les plus profondes, les plus variées, les mieux 
dirigées : mais ces connaissances si attrayantes en théorie 
pour le philosophe qui aime à s'étudier, si dégoûtantes pour 
les âmes trop sensibles, ne furent pas stériles dans M. de 
Ghamousset ; il n'avait pas étudié pour satisfaire une vaine 
curiosité, il avait étudié pour soulager ses semblables. Bien* 
tôt sa maison fut un véritable hôpital, où chaque jour des 
malades de tout âge, de tout sexe, de toute espèce, abon- 
daient de tous côtés. Après avoir consacré à l'étude ou aux 
affaires les premières heures de la matinée qu'il savait rendre 
très longues par le peu de sommeil qu'il accordait à la 
nature, il en consacrait les dernières au traitement des 
malades. Chaque jour une centaine, et quelquefois dans les 
temps fâcheux, jusqu'à deux cents, recevaient chez lui tous 
les secours qu'ils auraient pu espérer des hôpitaux les plus 
riches et les mieux administrés, et très souvent même l'in- 
demnité du produit des travaux auxquels leur maladie les 
empêchait de vaquer. Son activité et sa bienfaisance suffi- 
saient à tout : tous ces malades trouvaient en lui un Guide 
qui leur montrait la route du bien ; un Père qui soulageait 
abondamment leurs besoins ; un Médecin qui leur donnait 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 11 

des ordonnances indiquées par leur état ; un Pharmacien 
habile qui leur fournisait les remèdes les mieux préparés et 
les plus sûrs ; un chirurgien adroit et exercé qui opérait avec 
le plus grand succès. On eut dit en le voyant remplir les 
différentes fonctions qui dépendent de Tart de guérir, que 
chacune d'elles eût été son unique possession. Il saignait, 
surtout, avec une adresse et une dextérité qui lui attirèrent 
la réputation d'un des meilleurs phlébotomistes de Paris ; 
et quoi qu'il eût avec lui plusieurs Chirurgiens, lui seul 
soignait ses malades. Semblable au premier inventeur de cet 
art utile, dont le préjugé ou l'ignorance abusent quelquefois, 
ce fut presque uniquement à l'école de la Nature qu'il en fit 
l'apprentissage, et les jeux de son enfance furent pour ainsi 
dire, des chefs-d'œuvre de ce genre. A l'âge de douze ans, 
sans autres principes que ceux d'une imitation machinale, 
sans lancette, avec une épingle de toilette, il saigna la femme 
de chambre' de sa mère, qui eut la complaisance imprudente 
de livrer son bras à ce chirurgien de pur instinct, dans l'es- 
pérance de se soulager des violents maux de tête qu'elle 
endurait. Dans la suite, l'Art vint fortifier, guider, éclairer 
la Nature ; et l'on vit, ce qu'on n'a peut-être vu qu'une fois, 
un jeune magistrat ne pas dédaigner, par amour de la bien» 
faisance, de venir se confondre avec les élèves en chirurgie, 
en pharmacie, en médecine. 

Il est des hommes dans lesquels la bienfaisance est un 
devoir. Disciples et Ministres du Législateur sacré, qui a 
passé en faisant le bien, ils trouvent dès ici-bas leurs plaisirs 



12 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

et leurs récompenses, dans leurs peines et leurs travaux. Il 
en est d'autres dans lesquels cette vertu est un doux pen- 
chant de Tâme; qu'ils remercient la Providence; ils naquirent 
pour le vrai bonheur. Dans plusieurs, c'est une pure osten- 
tation ; c'est un hommage forcé que la vanité rend à la 
nature et à la vertu : dans M. de Ghamousset, j'ose dire que 
la bienfaisance générale était une passion également douce 
et forte, à laquelle il ne lui eût pas été possible de résister ; 
et j'ose le dire encore, tout ce que sa fortune put lui per- 
mettre pour satisfaire cette passion noble, il le tenta. 

11 n'y a point eu d'année où il n'ait au moins dépensé pour 
guérir gratuitement les pauvres, ce qu'un médecin célèbre 
et honnête gagne à Paris en soignant les riches. Il se faisait 
seconder par un médecin en titre, par un chirurgien et un 
élève en chirurgie ; il entretenait chez lui une apothicairerie 
au profit des pauvres ; deux chimistes célèbres étaient à la 
tête de ce laboratoire consacré à' l'humanité. Des soins mul- 
tipliés qu'exigeait cet hôpital domestique, ne l'empêchaient 
pas d'aller régulièrement deux fois par semaine visiter les 
prisonniers, d'aller tous les jours secourir la pauvreté souf- 
frante dans ses obscures retraites. La misère, la malpro- 
preté de ces réduits, la grossièreté de ceux qui les habitent, 
rien ne le rebutait ; et il rentrait chez lui, ou se mêlait à la 
société plus satisfait d'un acte de bienfaisance ignoré qu'un 
conquérant ne l'est de l'éclat de ses triomphes meurtrier. 

Le temps semblait se doubler pour M. de Ghamousset par 
l'usage qu'il savait en faire. Né avec une activité d'âme et de 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 13 

corps presque- inconcevable, il n'accordait à la nature que ce 
qu'il ne pouvait lui refuser : tout pour les autres^ telle sem- 
blait être sa devise. Aussi, M. de Chamousset, comme ces 
hommes laborieux qui se récréent en passant d'un travail à 
un autre, ne se délassait-il qu'en variant sans cesse les actes 
de sa bienfaisance. Le seul plaisir adopté par la société ordi- 
naire, qu'il voulut se permettre quelquefois, était la musique 
vocale et instrumentale. 

.Lorsqu'il se sentait épuisé, quelques airs de clavecin, qu'il 
touchait avec grâce en s'accompagnant, venaient rappeler 
dans son âme cette joie douce, principe de la santé et du bon- 
heur; il trouvait alors les eiïets magiques que produit cet art 
enchanteur sur le corps humain, et qui ont fait l'objet des 
recherches et des observations des plus habiles médecins. 
La Société, et surtout celle des femmes honnêtes et estima- 
bles, lui fournissait encore un délassement analogue à ses 
goûts. Ce magistrat, que le matin ou dans le cou^s de la jour- 
née, on avait va entouré d'une troupe de pauvres malades ; 
Ice magistrat, ttiédecin et chirurgien, père et protecteur des 
. malheureux * de toute espèce, n'étaient plus le soir qu'un 
homme aimable, gai, complaisant, qui répandait dans les cer- 
cles un sel et un enjouement d'autant plus intéressants, qu'ils 
étaient toujours accompagnés de cette douce candeur qui fai- 
sait son caractère principal. ^ 

Ces qualités aimables, jointes à son état et à sa fortune, le 
firent rechercher par ce sexe sensible, qui par la délicatesse 
de son cœur et de son esprit, apprécie si bien le nôtre. 



14 UN PHI^^ANTHROPE MÉCONNU 

M. de Chamousset, né avec une figure intéressante, pleine 
de douceur, de vivacité, et d'énergie et d'expression, avec de 
la naissance, avec de la fortune, ne tarda pas à plaire au sexe 
destiné à consoler l'homme dans ses malheurs, et que les 
erreurs des passions factices et subalternes rendent souvent 
la source de nos ennuis ou de nos peines. On pensa à l'enga- 
ger dans les liens du mariage ; il y pensa lui-même. Son choix 
se fixa sur une jeune demoiselle de ses parentes ; elle réunis- 
sait tout ce qu'on aime, tout ce qu'on estime dans le monde, 
beauté, naissance, fortune, esprit, talents : ce n'était encore 
rien pour M. de Chamousset : il lui fallait une compagne qui 
partageât sa tendre sensibilité pour les malheureux. Le 
mariage était arrêté^ lorsqu'il la pressentit un jour sur ses 
goûts à cet égard : 

« S'il est doux, lui dit-il, d'exister pour ce qu'on aime, il 
< l'est presque autant de consacrer une partie de son exis- 
« tence à ce qu'on plaint. Le bonheur, qui ôe concentre dans 
€ un seul objet, n'est plus un bonheur, il faut l'étendre pour 
€ qu'il soit réel : il faut imiter le Créateur, qui, pOuvaift 
« jouir d'un repos éternel n'en est sorti que pour rendre heu- 
€ reux ce qu'il a créé. Quel plaisir d'être les ministres de sa 
« bonté, et qu'il est grand, ce plaisir, qu'on partage avec TÊtre 
« souverainement heureux ! Mo7i plan est de me retirer dans 
« ma terre et d'y fonder un hôpital. Qu'il me sera doux 
« de voir mes bienfaits embellis par les vôtres, et qu'elle sera 
« ma joie lorsque j'entendrai nos vassaux louer votre bien- 
€ faisance, et vous bénir comme un ange descendu du Ciel ! » 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 15 

La demoiselle était sensible ; elle était dans Tâge des 
erreurs, dans cet âge où Ton se trompe presque toujours sur 
la vraie source du bonheur ; elle craignit de ne pouvoir sup- 
porter le spectacle continuel de la misère : en un mot, ses 
goûts se trouvèrent différents de ceux de M. de Ghamousset. 
Dés lors il triompha, et il triompha pour le reste de ses 
jours, de cette passion générale, si douce ou si féroce, sui- 
vant la nature des âmes qui la reçoivent ; de cette passion, 
la première de l'humanité après celle de sa propre conserva- 
tion, parce que par elle le Créateur voulut accomplir ses 
desseins, et perpétuer son ouvrage. Dès lors, M. de Gha- 
mousset se dit à lui-même : € L'éducation molle et toute 
a extérieure que la société donne au sexe fait pour le nôtre, 
€ ne me laisse pas lieu d'espérer de trouver une femme sui- 
€ vant mes goûts ; il en existe sans doute ; la nature triom- 
« phe quelquefois de l'éducation ; mais puis-je croire que 
€ cette heureuse exception se présentera à moi ? G'en est 
€ fait, je renoice à la douce espérance de me voir renaître 
c dans des enfants chéris : l'humanité entière va prendre 
f leur place ; c'est à elle que je consacre ma vie ; c'est pour 
c la Bienfaisance que je veux respirer, et înon dernier sou- 
c pir sera pour elle >. 

La nature s'écarta de sa loi ordinaire : elle applaudit à 
rhérolque résolution de M. de Ghamousset, né avec un tem- 
pérament de feu. La Bienfaisance et la Religion, qu'il ne 
distingua jamais, le récompenseront amplement du sacrifice 
qu'il faisait : la sensibilité générale, jointe à un travail assidu, 



r • 



I 

16 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

détruisit la sensibilité particulière ; il passa toute sa vie avec 
la retenue que n'ont pas toujours ceux qui se sont voués au 
célibat ; et au lieu de quelques enfants qu'il eût pu donner à 
la Patrie, il lui en conserva des milliers. 

Je n'ignore point, pour le dire en passant, qu'un Arétin (1) 
de nos jours a élevé des nuages sur les mœurs de M. de Cha- 
mousset : mais quelle foi peut mériter un ouvrage de ténè- 
bres et de calomnies, et qui n'est digne que du mépris des 
gens honnêtes ! Il est certain que les mœurs de M. de Cha- 
mousset furent aussi pures que l'ordonne la Religion, qu'il 
aima et qu'il pratiqua toute sa vie. Jamais il n'abusa des 
avantages extérieurs qu'il avait reçus de la Nature ; il garda 
constamment le pacte qu'il avait vec son cœur en renon- 

çant au mariage. Je pourrais en i ^r mille preuves connues 
de ceux qui ont vécu avec lui ; je iae borne à une seule. Un 
jour, il se vit abordé par une jeui. ]. Beauté qui réclamait sa 
protection : Son air simple et ingénu annonçait son inno- 
cence ; la candeur et la vérité semblaient sortir de son cœur 
et siéger sur ses lèvres. Mademoiselle,** lui répondit-il assez 
brusquement, p'our vous mettre à l'abri des dangers auxquels 
vous exposent lei rigueurs de la Fortune et les dons de la 
Nature, commencez par entrer dans un coàvent, j'y paierai 
votre pension ; mais comme je ne dois et ne veux aider que 
la vertu, je m'assurerai de vos mœurs. Les témoignages se 



(1) Gazetier Coirasié. 



INTRODUCTION LIX 

Dégagées de toute tutelle sinon de toute surveillance, 
bénéficiant de subventions et d'immunités fiscales, usant 
surtout de la faculté de se constituer en unions et en fédé- 
rations pour le perfectionnement et le prolongement de 
de leurs services, protégées par une administration bien- 
veillante qui faisait cause commune avec elles en deve- 
nant l'instrument le plus actif de leur propagande, dotées 
dune représentation élective, les Sociétés de secours 
mutuels prenaient un merveilleux essor et, en six ans, 
doublaient leur effectif (1). 



(t) Du rapport, que fieut r "tr le président du Conseil an président de 

la République, il résulte que le nu,, . des (Sociétés et de leurs adhérents a doublé 
depuis fingt ans au 31 décembre 19o Le nombre des Sociétés de secours mutuels — 
sociétés reconnues coomie ctablistaérnents d'utilité publique, sociétés approuTées et 
sociétés libres — atteignait 14.872, ^voir : 9.141 sociétés composées exclusiTement 
d'honmies, 3.473 sociétés mixtes, 50o sociétés de femmes et 1.758 sociétés scolaires. 

Les 14.186 associations ayant transmis à l'administration leur état statistique de 
i901 comptaient au 31 décembre de cette année 2.718.002 mutualistes, se divisant 
en 858.189 membres honoraires et 2.359.813 membres participants (1.49:i.794 hom- 
mes. 332.818 femmes et 328.201 enfants). 

Les 12.589 Sociétés d*adultes ayant fourni le compte rendu «le leur situation au 31 
décembre 1901 avaient, à cette date, 290.993 membres participants Agés de plus de 
55 ans (15.89 0/0 du nombre total des sociétaires). 

28.830 cas de décès ont été enregistrés dans le courant de Tannée 1901 parmi les 
membres participants ; la moyenne des décès, par rapport à l'eûectif total des mutua- 
listes, a donc été de 1.22 0/0. 

Le nombre des membres secourus par les Sociétés de secours mutuels à divers 
titres (frais de maladie, indemnités au décès, allocations aux yeuves, aux orphelins, 
aux vieillards et aux infirmes), s'est élevé, en 1901, à 576.284, c'est-à-dire 24.42 0/0 
du chiffre total des sociétaires participants : quant au nombre des pensionnaires, il 
atteignait, à la même date« 106.989. 

L'excédent des recettes sur les dépenses est monté en 1901 dans les Sociétés de 
•cconn mutuels à 11 miUioni 260.796 Ir. 48. 



Peu à peu et sans rejeter les données de leur expé- 
rience, elles slmprégnaient des méthodes scientifiques 
et, se basant sur la loi des grands nombres, elles abordaient 
les services supérieurs tels que la retraite et l'assurance 
au décès, Exiles devenaient, aux mains d'une démocratie 
laborieuse, l'instrument par excellence de la prévoyance 
libre* 

Un moment, elles faillirent se trouver en antagonisme 
avec les lois sociales en préparation au Parlement. Il 
n'est pas sans intérêt de noter les péripéties de cette 
crise. 

Le 9 mars 1900, fut déposé par M. Guieysse à la 
Chambre des députés le projet de loi sur les retraites 
ouvrières. Les Sociétés de secours mutuels n'étaient 
même pas nommées dans le projet. L'émotion fut dea 
plus vives. 

Les mutualistes ne contestaient pas la nécessité de 



La recette générale moyenne ajaQi aUelnt '-Û (t. 95 |i«r membre purtieipvit H U 
4^|teQie pe »*é|aQt élevé« qu'à 16 ff. 19. l'acédent ge trouve 4qdc fix^ 4 i lr^77 par 
soçiétMre. 

L'avoir total des Sociétés de secours mutuels atteigaait, ao 9t. déc^oibr^ tSOI« 
a9Q.tS8.3^^ fr, 54. non comprii aat «omme d« t^^H.sat fr. repr48«m««t le tpui 
dei Tericmentu effi^çtqéi jusqu'à U fln de Tanuée t901 p«r les Sociétés icolaire* •«? 
las livrets individuel» de retraitei de leurs membre^, 

Cet «voir de 33b.8Sl.355 fr. 54 comprenait l8Q.842.9i9 (r« 90 de (onde diap^iblei 
(capitaux placés soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit «ui^ çaiitM 
d'ép«r«pe qu âéteuui par les vréioriers) et 4^3.098.435 tr. Q4 «u toAdi voquutw des 
retraites. 



tKTRODtJCTïbK LI 

constituer au plus tôt des retraites pour les travailleurs 
frappés par Tâge ou les Infirmltéd, et ils n'avaient pûH là 
prétention de résoudre à eux tout seuls ce problême si 
complexe. Habitués depuis longtemps à pratiquer le 
devoir social, ils opposaient volontiers la dette morale à 
la dette légale. Ils se demandaient ce qu'allaient devenir 
les Sociétés de secours mutuels et si leur recrutement ne 
serait pas définitivement compromis. 

La Mutualité était également exclue de la grande 
enquête décidée par le Parlement le 2 juillet 1901 et 
dont Texécution fut confiée à M. Millerand, alors minis- 
tre du commerce. 

La Mutualité fit entendre sa voix et elle obtint dans la 
rédaction du 31 janvier 1902 et dans toutes celle» qui 
suivirent d'importantes satisfactions. 

C'est à ce moment qu'elle sentit le besoin de concen- 
trer ses forces, d avoir une organisation homogène qui, 
partant de la simple Société, passant par les Unions 
départementales et régionales, aboutiraient à un vaste 
groupement, terme de son évolution, lui donnerait de 
puiiMiûnts moyens de délense et légitimerait toutes ses 
ambitions. 

La Fédération nationale était fondée. C'était en novem- 
bre 1902. 

Dès lors, un champ immense s'ouvrait & l'activité deS 



lAl INTRODUCTION 

mutualistes. Partout, sous l'impulsion de conférenciers 
éminents, se créaient des Unions de Sociétés. 

Des progrès étaient introduits dans radministration 
des Sociétés. Dans le service de la maladie, la préventîoa 
commençait à se substituer à la médication. Les mutua- 
listes, de plus en plus ardents, poursuivaient les ennemis 
nés de la prévoyance, l'alcool, le taudis, la tuberculose et 
fondaient ainsi, au sein de la nation, l'armée des volon- 
taires de la Paix Sociale^ en marche vers un idéal social 
meilleur. 

En même temps, les Sociétés scolaires englobaient la 
plupart des écoles de France. Des soins étaient donnés à 
la mère et aux enfants. Et, grâce à l'heureuse initiative du 
ministre de la guerre, la Mutualité pénétrait au régiment 
et devenait la base même de l'éducation sociale du soldat. 

Ainsi, la Mutualité prend ITiomme au berceau et le 
conduit sans l'abandonner un seul jour jusqu'à sa tombe- 
On chercherait vainement à opposer le mouvement 
mutualiste à l'Etat. Ceux qui doutaient de son efficacité 
se sont ravisés. 

M. Millerand au Congrès d'hygiène sociale, tenu à 
Arras en juillet dernier, saluait « avec respect et confiance 
ces milliers de mutualités comme les pionniers d'hier, 
comme les maîtresses et les collaboratrices d'aujourd'hui 
et de demain ». 



INTRODUCTION LHI 

« Il ne faut pas, écrivait de son côté tout récemment 
M. Guieysse, que la loi sur les retraites ouvrières fasse 
subir aux Sociétés de secours mutuels un contre-coup 
qui pourrait leur être funeste. » 

Est-ce à dire que l'ère des difficultés soit définitive- 
ment close? On ne saurait l'affirmer et plus que jamais les 
Sociétés doivent redoubler de vigilance. 

Préservée de toute contamination par la clause placée 
en tête des statuts et qui lui interdit toute discussion 
politique ou religieuse ou étrangère à son propre but, 
ayant réalisé la fusion des classes par l'adjonction des 
membres honoraires, forte de ses trois millions et 
demi d'adhérents et englobant plus de sept millions de 
personnes, la Mutualité a les faveurs du gouvernement 
et la confiance du Parlement. 

Elle a à la Chambre et au Sénat des groupes où se 
font entendre des hommes venus de tous les points de 
l'horizon politique. Elle est devenue, en un mot, une 
institution nationale et la presse lui ouvre ses portes 
toutes grandes. 

Comment s'étonner que tant de Français, désireux de 
voir s'apaiser de douloureux conflits sociaux, tournent 
leurs regards de son côté et mettent en elle toutes leurs 
espérances? 

Dans un discours récent M. Paul Deschanel disait : 



LIT INTRODUCTION 

K A l'intérieur^ le principe d'association emporte la démo- 
cratie française sous des destinées plus hautes ; un grand 
mouvement de solidarité s'est emparé des niasses pro^ 
fondes de notre peuple et substitue peu à peU| dans les 
relations du capital et du travail, au règne de la force 
celui de la Justice )>i 

Maintenant, Mutualistes, ne niez plus que toutes vos 
variétés d'associations mutuelles portent l'empreinte 
du cerveau puissamment organisateur de Piarron de 
Chamousset. Ne niez pas non plus que ses yeux de pro-^ 
phète et de voyant, avaient entrevu dans l'association 
quelque chose de grand qui se préparait à naître pour 
les âges futurs* Confiant dans l'avenir, il a vécu dans 
son moi intime ses espérances, qu'il a senti devenir pour 
les générations successives des certitudes. 

Son inspiration, que l'on croyait jadis impénétrable, 
frappe maintenant par sa simplicité. Ce mode d'asaocia*^ 
tion trop révolutionnaire jadis pour qu'on pût en saisir 
le sens sur-le-*champ, est devenu aujourd'hui» dans notre 
siècle de mutualité, une chose rationnelle. 

Mutualistes, ne vous obstinez pas a le dédaigner ou à 
le dénigrer. 

Son nom, illustré par le splendide labeur d'une vie tôt 
brisée, mérite mieux. 

S'il a rencontré durant sa vie indifférence, raillerie e 



INTRODUCTION LV 

hostilité, au moins que chei nous, après bientôt un siè- 
cle et demi d'oubli, il trouve affection et respect. 

Faisons cesser notre ingratitude à l'égard de ce grand 
oublié, de cet illustre méconnu de l'Histoire de la Phi- 
lanthropie de France. 

Il a tant de titres à notre gratitude et à notre admira* 
tion, que nous ne pouvons plus hésiter. 

Il s'agit ici d'un bel acte de justice, de réparation à 
accomplir, d'une pure gloire à réhabiliter, qui va croître 
sans cesse et dont rien ne peut ternir jamais le prodigieux 
éclat. 

Certes, nous ne demandons pas pour lui le Panthéon, 
quoique sa place soit marquée entre ses deux admira- 
teurs. Voltaire et Rousseau — au contraire, nous voulons 
qu'il continue à reposer dans la sépulture qu'il s'est choi- 
sie. 

C'est, croyons-nous, respecter sa volonté formelle que 
de l'y laisser reposer en paix. 

Maia 11 nous est permis aussi de réclamer simplement, 
è défaut dun monument, qu'une plaque soit placée, 
soit sur la maison où il est né, soit à TEglise où ses cen- 
drea reposent. 

Et là nous pourrons faire venir la foule le vénérer 
davantage. Ce sera la juste récompense de ses hautes 
vwtus héroïques, de sa large et profonde humanité. 



LVI INTRODUCTION 

Faisons cela, en nous souvenant que, s'il est l'exemple 
offert à chacun, il est également l'exception dont nul ne 
se rapproche. 

Sévère pour lui, tolérant, indulgent pour les autres 
— c'est ce qui contribue à faire de lui une figure très 
exceptionnelle — ne prêta pas la moindre attention aux 
ofi'enses qu'on lui prodigua et n'en souffrit jamais. 

Indulgent même pour l'incommensurable bêtise qui 
lui barrait la route à chaque instant. 

Il ne s'affligeait pas de jouer un rôle plus qu'effacé, en 
apparence, car le résultat seul lui importait ; il prévo- 
yait déjà malgré son extraordinaire et déconcer- 
tante modestie, la place qu'il tiendrait un jour dans la 
sociologie de l'avenir et celle qu'il tenait dès lors dans les 
préoccupations et l'admiration de certains de ses illustres 
contemporains. 

Cela lui suffisait amplement, et, quand après avoir 
achevé une tâche pénible, il abandonnait son bis-» 
touri ou sa plume avec un sourire qui révélait des allé- 
gresses, il allait vers son cher clavecin, et là il se laissait 
bercer et emporter par l'étincelante somptuosité des sym- 
phonies. Grave, pensif, absorbé dans ses rêves sublimes 
d'humanitarisme, il improvisait longuement, et, sous ses 
': doigts nerveux, obéissant à sa volonté, l'instrument s'at- 

^; tendrissait, chantait le pardon des injures, l'oubli des 



INTRODUCTION LVH 

iniquités, là douceur des minutes présentes, la splendeur 
de lavenir. 

Ainsi» il oubliait que, riche des biens de ce monde, 
aristocrate dans ses goûts et dans ses idées, amant de la 
belle musique, il avait déserté volontairement les salons 
et le beau sexe (1), la symphonie du génie et les presti- 
^eux chants d'église, pour aller vers le peuple, pour 
vivre de sa vie de douleur dans les hôpitaux. 

Cerveau de génie charitable, semeur d'idées humani^ 
taires, éveilleur d'âmes vers les douleurs poignantes, il va 
son chemin, le ciel radieux sur sa tête, vivant son para** 
dis d'apôtre, la bienfaisance féconde au cœur, l'amour 
fraternel sur les lèvres, vers tous ceux qui souffrent, qui 
peinent sous le poids du jour. 

Ce noble, de vieille souche, avait su apprécier l'âme 
du prolétaire et en connaître tous les besoins moraux et 
sociaux; aussi était-il heureux de se trouver toujours au 
milieu de ces masses ignorantes et misérables, au sein 
desquelles fermentaient continuellement les convoitises 
ardentes, afin de mieux maîtriser et calmer autant que 
possible leurs haines implacables, leurs passions aveu- 
gles, qui, dans une heure d'oubli, perdent le fruit d'un 
kdbeur de vingt-cinq ans I 



(I) Notons que U fociété de cette époqne était an petit monde fri? oie, élégant, ner« 
KpMtat MT te btMf cêiTt&UonBeUtt, Titant par la fnBmt al poar la feoni. 



LVIII INTRODUCTION 

Avec chaleur et éloquence même, il prêchait la frater- 
nité, et ne cessait de répéter à ces impatients les vers de 
son contemporain Florian : 

Aidons-nous mutuellement 

La charge des malheurs en sera plus légère. 

A ses yeux, il n'y avait que l'œuvre sociale engendrée 
qui dut compter, le reste ne signifiait rien. Il fut donc 
heureux à sa manière, heureux d'une façon qui eût tué 
de rage et de désespoir tout autre que lui. 

S'il est vrai de dire que Piarron de Chamousset faisait 
partie de cette aristocratie antique, qui fit longtemps le 
plus bel ornement de l'esprit français et la renommée de 
notre France royaliste, il nous faut ajouter que ce penseur 
éminenl, sociologue accompli, avait prévu ces bouillon- 
nements sociaux qui annonçaient l'orage qui allait bou- 
leverser l'état des choses établi. Son cœur, ouvert à toutes 
les vibrations humaines, avait pressenti ces éruptions 
partielles qui précédèrent la grande explosion, que Taine 
appelle plus tard (( l'anarchie spontanée ». Son esprit vif, 
son universelle compréhension, son inextinguible curio- 
sité, l'avaient déjà constitué le défenseur de l'opprimé, 
de la Liberté, de la Raison et de la Justice. 

En terminant ce travail, j'éprouve la satisfaction de 
l'historien qui a rédigé un plaidoyer impartialement, non 
avec son imagination fertile et riche en fioritures, mais 



INTRODUCTION LIX 

avec des documents probants, écrits sur le vif par des 
témoins auriculaires, qui ont connu cette vie légendaire et 
de désintéressement. Piarron de Chamousset est certaine- 
ment la plus belle et la plus gi'ande âme humanitaire 
d'un âge, et sa vie, toute de pureté, de bonté et de beauté 
morale, est admirable comme la vie d'un héros ou d'un 
saint, que notre fierté patriotique nous contraint d'ofiFrir 
en exemple aux générations futures. 

Maintenant, en déposant ma plume, qu'il me soit per- 
mis de dire que j'aime mieux n'être loué par personne et 
agir librement d'après mes élans et exécuter mes volontés 
comme je le dois. 

Ce qui équivaut à dire, que je n'ai cure ni souci de ce 
que l'on pense de moi. Je fais toujours mon devoir pour 
l'unique satisfaction de mon moi conscient, estimant avec 
notre poète national Victor Hugo, — que : 



Le bien qu'on fait parfume Tâme 
On s'en souvient toujours un peu. 



Cette noble pensée de notre grand poète, qui aurait pu 
servir de devise à Chamousset, rend bien la psychologie 
de cet homme incroyable, doué d'une activité infatigable 
et d'une volonté tenace, puisqu'il faisait merveille par la 
seule magie de sa volonté. 



UL INTRODUCTION 

Le dirai-je, j'ai la conviction d'avoir fiait une belle et 
bonne action envers nos concitoyens, en tirant de 
l'ombre de la mort, de la poussière du temps, de l'oubli 
ou de l'ingratitude, cette auguste mémoire de philan- 
thrope vieux style. 

En mettant en relief ce citoyen dont le tempérament 
curieux était pétri de bienfaisance persévérante et inlas- 
sable, j'ai voulu simplement indiquer comme exemple 
la vie de ce Maître des Comptes devenu Médecin, sans 
grade; ce Médecin devenu Écrivain, non sans cœur et 
sans talent : pour lé Dien Public^ comme on s'exprimait 
sous Louis XV, 

Oui, sa vie doit rester un exemple, surtout pour ceux 
qui s'intéressent à l'histoire des idées, à leurs voyages, 
aux luttes qu'elles soutiennent, aux transformations 
qu'elles subissent, aux perfectionnements qu'elles 
reçoivent par les obstacles mêmes. Car il est curieux de 
constater que, depuis que l'humanité égrène son long 
rosaire de misères, elle ne cesse avec persévérance 
d'épeler l'alphabet d'un idéal social, qui tarde à venir 
— mais qui viendra sûrement un jour. 

Aussi, c'est avec une fierté émue que je salue la 
mémoire de Chamousset, dont le cœur n a jamais £Edbli dans 
l'amour des humbles et qui trouvait simplement sa gloire 
et son renom à s'appeler lui-même a l'ami du Peuple ». 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 17 

trouvèrent'favorables^ et il maria la belle malheureuse après 
ravoir dotée avantageusement. 

Si M. de Chamousset renonça aux douceurs d'une union 
légitime pour lesquelles il semblait être né, ce ne fut donc 
pas pour se jeter dans les bras de la licence ; elle n'était pas 
digne d'un cœur aussi noble et aussi sensible ; ce fut pour 
consacrer sans partage son existence au soulagement des 
malheureux. 

Après cette résolution, aussi bon parent que bon citoyen, 
il se dépouilla de son bien en faveur de son frère cadet, dans 
la vue de lui procurer un mariage avantageux. Il lui fit ache- 
ter une charge de Maitre des Requêtes. Mais malheureuse- 
ment pour les deux frères, celui-ci ne la posséda pas long- 
temps. La *mort vint l'arrêter au milieu d'une carrière qui, 
sans doute,^ eût été brillante et heureuse, si les talents et la 
probité conduisaient toujours aux honneurs et à la fortune. 
Doué d'un esprit vaste, orné, plein de vue et de sagacité, il a 
laissé des manuscrits bien pensés^ bien raisonnes, bien écrits, 
sur des matières intéressantes, relatives au bien de l'Etat et 
du Commerce (1). Il avait épousé en 1753, mademoiselle de 



(t) Oo De sera pas lâché detroufer ici la notice des mauuscrits de M. de Cha- 
moasset le Cadet ; la voici telle qu'elle nous a été fournie : 

1 . Moyen de trouver des fonds pour remonter notr« marine. 

2. Projet pour Taiçfandissement du Havre. 

3. Projet pour établir en France le cabotage sur le même pied qu'il est en Hol- 
lande. 

4. Nécessité de la gneire avec la Hollande. 

R. Moyen d'empêcher le commence que font les Anglais .et les Hollandais dans nos 
colanief d'Am^que. 



18 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

la Cour de Balleroy, fille d'un lieutenant-général des armées 
de S. M., et il mourut la même année de la petite vérole. 
Ainsi s'est éteint cette famille, qui ne subsiste plus que dans 
des collatéraux dignes de lui appartenir. 

Malheur à ceux pour qui le spectacle d'une àme vertueuse 
et dévouée au bonheur de l'humanité ne serait pas le plus 
doux de tous ceux que l'univers puisse présenter ! C'est le 
seul qui puisse fixer les regards et la complaisance de la 
divinité. Je ne dois donc pas craindre de m'arrêter trop long- 
temps sur celui de l'âme de M. de Chamousset ; mais pour 
en avoir une idée juste, il faut la contempler dans les diffé- 
rents mémoires qu'il a 'publiés relativement à ses projets. 
Tons portenirenipreinte de son àme noble, grande, sublime; 
partout on y voit un cœur embrasé d'amour pouri'humanité 
ut le bien public ; on y voit un esprit attentil à tirer parti des 
petites circonstances en fa\eur des pauvres, à prévenir les 
plus légers abus. Je vais présenter l'analyse de ces projets, 
de ces mémoires ; heureux si je pouvais faire passer dans 
l'àme de mes lecteurs la chaleur du zèle qui anima l'auteur ! 

La Maison d' Association esl le plus anciens des projets de 



6. Mi', noire pour permettre le commerce de la Nouvelle Angleterre i?ec les colo- 
Dies tran^:aise de l'AnK^rique. 

7. Sur le coiiuiierce du Nord. 

8. Commerce en Hussio proposé aux négociants Trançais 

\K Influeiire de noire marine royale sur notre marine marchande. 

10. Mémoire sur le Tabac. 

M . Sur le Billonnage. 

12. Sur les Mines de France. 



N PHILANTHROPE MÉCONNU 19 

M. de Gbamousset ; c'est aussi celui qui a paru raffecter le 
plus longtemps et le plus vivement. Il travailla beaucoup 
pour le perfectionner. A mesure qu'on le critiquait, si la 
critique était jusle, il réformait ; si elle n'était que spécieuse, 
il répondait ; si elle était fausse ou injuste, il la mépri- 
sait (1). 



(1) irsera peat-étre agréable aux bibliographes de troiiYer ici rassemblés les diflé- 
renls titres des ouvrages de M. de CbaiDons«el sur la Maison d'Association, av^ quel- 
ques notes et l'indication des journaux qui en ont parlé : 

1. En 1754, il donna en in-4 de 15 pages, intitulé: Plan d'une maison d'Association, 
dans laquelle, au moyen d'une somme très modique, chaque associé s'assurera dans 
Tétat de maladie toutes les sortes de secours qu'on peut désirer. 

C est le premier ouvrage que M. de Chamousset ait publié sur cet objet qui i*a 
occupé tonte sa vie, et qui paraissait identilié avec son ùmv.. Il disait un jour à 
Madame la Comtesse de B..., son amie, qu'il consentirait volontiers à mourir si sa 
Maison d'Association était établie ; et sur quelques représentations qu'on lui fit a cet 
égard, il ajouta : o Je le dis comme je le pense, comme je le sens ; je mourrais du 
moins avec la certitude d'avoir servi l'humanité et de n'avoir pas été un fardeau inu- 
tile à la terre. • 

On tronve an tome II] de VAnnée Littéraire, année 1754, un court extrait et un 
grand éloge de ce Plan, pages 348-354. Voy. aussi Journal des Savants, année 1754, 
juillet, page 510, édition in -4, et le m^me journal, mars 1758, page 157 et suiv. Voyez 
Journal di Trévoux, fév. 1758,,pag. 390 et suiv. 

Ce mémoire a été imprimé dans le Journal Economique, juin 1754, pag. 84-102. 
Et dans les Vues d'un Citoyen, pages 36-77. Ce recueil imprimé en 1757, in -12, est la 
collectloa des Mémoires d'Humanité et de Bienfaisance que M. de Chamousset avait 
publiés jusqu'alors ; jamais ouvrage ne mérita mieux ce titre, soit en lui-même, soit 
par son auteur. 

2. Quelque temps après et dans la même année 1754, il publia un second mémoire 
ayant pour titre : Addition et éclaircissement au plan £une Maison d'Association, in-4, 
12 pages, il est réimprimé dans les Vurx d'un Citoyen, pag. 80-113. On en trouve 
l'extrait dans VAnnée Littéraire, tome V de 1754, pages 36-43. Voy. aussi Journal des 
Savants, année 1754, p. 573, édition in -4. 

3. A peu prés dans ce même temps parut une lettre critique contre le Plan de la 
Maison d'Association, M. de Chamousset qui n'aimait et recherchait que la vérité avait 
réim^mer cettre lettre dans les Vuen d'un Citoyen. 

AJi ne tarda pas h répondre à cette critique, et il le lit avec cette force qui 



a^J UN PHILAXTHHOPE 3ŒC0XNX 

OccupoDs-noas quelques iostants de l'analyse d'un projet 
qui fut reçu avec un espèce d'enthousiasme, la reli^pon, 
rhumaniléy la politique, l'intérêt général et particulier, la 
plus saine philosophie, tout semblait devoir concourir au 
succès de son établissement. Aussi fut-il accueilli par le 
Ministère ; c'est ce que prouvèrent les souscriptions Me quel- 
ques-uns des membres qui le composaient alors. C'est encore 
ce que prouva la concession de l'hôtel de Gonty, faite à 
M. d^ Chamousset pour l'emplacement de cette maison. II 
fut approuvé par les grands, généralement applaudi par la 



est la siiile de la conviction, avec celle douceur, cette arbaoité dont ne f'écarte jamais 
celui qui regarde loua les hommes comme frères, même lorsqu'ils se trompent. 

5. Mémoire% sur l'^'tablunem^nl de campugnies qui a^surfront m cas de maladiet la 
tecmir% h 8 flu» abondanli el Itt plu* eflicacet à tous ceux qui en santé leur paieront une 
1res prltle somme par an en nième par mois, in -4. 16 p.. imprimé en 1770, chez 
d'Iloury. ^ 

C'est une nouvelle forme que M. de Chamousset donna à son PUn dé la Maison 
d'Â*fiH:iation On en trouve Textrait dans ]e Journal des Savants, déc 1770, page S7i- 
873 de rêdition in 4 ; et dans l'Année Littéraire, 1770. tome V, p. 26^-'/73. * 

ft. Projti de réylemtnf pour la Maùèn d*Associalion en 35 articles. Ce projet que 
nous pnblious pour la première fois est l'application 4es principes exposés dans les 
mémoires précédents. 

7 Nous avons fait réimprimer la Lettre critique contre le Plan de la Maison d'Asso- 
ciation. Après avoir montré ce qui peut le comhatire, Timpariialité semblait exiger 
qu'on présentai aussi ce qui peut lui être favorable, et qu'on l'étayât de l'autorité des 
médeci) s les plus célèbres. C'est ce qui nous a engagés à réimprimer les lettres de 
MM. Uertrnnd, Lorry et A Petit, médecins de la faculté de Paris, et celle de M. le 
comte Gollowkin, où l'on trouve le sentiment de M. Tissot sur cet établissement Ces 
lettres out déjà été imprimée dans V Année Liiléraire, en 1770, les trois premières, tome 
V, p 348-3r)1 ; la quatrième, tome VII, p 195 et s 

Tous ces mémoires de M. de Chamousset se distribuaient gratuitemenL C'est ainsi 
qu'ils étaient annoncés dans quelques uns des journaux que nous avons cités Tous 
les étrangers les demandaient avec empressement, el le célèbre cardinal Passionnel en 
demanda trois fois le recueil à M. Guérin, imprimeur et libraire de Paris, digne suc- 
cesseur des Kstienaes, par la beauté de ses caractères. (Lettre du 18 mai 1756). 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 21 

portion du public destinée à éclairer l'autre. Cependant, 
malgré les vœux de la nation on s'en est tenu à une admira- 
tion stérile. 

Peut-être un jour la postérité ou même nos voisins (1) en 
exécutant ce beau plan de bienfaifance, apaiseront les mânes 
de rhomme sensible et du vrai citoyen qui Tinventa, et qui 
lui sacrîQa une partie de sa fortune et de son existence. 

Il serait impossible d'entrer dans le détail de toutes les 
peines que prit M. de Chamousset, de tous les mouvements 
qu'il se donna, de toutes les démarches qu'il fit pour venir à 
bout d'établir la Maison d'Association. 

Plusieurs fois l'exécution de ce plan a paru très prochaine ; 
mais on dirait que le hasard se ligue souvent avec les pas- 
sions des hommes, pour empêcher le bien général ; toujours 
cette heureuse exécution a été traversée par des circonstan- 
ces qu'on ne pouvait prévoir. Tantôt nous voyons M. de 
Chamousset près d'obtenir la maison de la Couture de Sainte- 
Catherine en échange d'un terrain de moindre valeur, mais 



(I) Oo a des preoves que les étrangers prenaient le plus grand intérêt à l'exéca- 
lion da Plan de la Maison d'Association. Uo politique Anglais après avoir la ce qae 
M. de Chamousset a écrit sur la Maiton d'As»ociation, disait à propos de la Hollande : 
« Dans ce pays, comme dans beanconp d'antres, il y a nombre d'établissements pour 
les paoTres ; mais- dans aucun il n'y a d'établissement pour les classes exactement 
a an -dessus de la pauvreté, qui sont cependant celles que les gouvernements devraient 
« le plus protéger, parce que ce sont elles qni contribuent le plus, par leurs travaux, 
« à la richesse des états. Le plan de M. Chamousset, regardant principalement ces 
(r clatsef, et n'ayant pas le vice des hôpitaux qni Tavorisent la paresse et la débiiuche, 
a je ne doute pas que beaucoup de gouvernements ne l'adoptent. Lorsque les Maisons 
« d'Association seront montées elles ne manqueront jamais de malades... Il ne s'agit 
« qne de répandre et de faire bien connaître ce plan ». 



22 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

plus propre au but auquel on destinait alors cette maison ; 
et cet arrangement manque par la retraite imprévue d'un 
Ministre. Tantôt il demande le monastère supprimé des Cèles- 
tins de Paris, et se soumet d'en conserver Téglise, d*y faire 
célébrer Tofflce les dimanches et les fêtes et d'y faire acquit- 
ter les fondations. Ici de concert avec un ecclésiastique 
connu par ses vertus et par ses talents, et qui a eu l'honneur 
d'être employé dans l'éducation du Père de la France, il 
forme un acte de Société et le fait signer par un très grand 
nombre de personnes de qualité et de mérite. Là sous les yeux 
et par les avis du magistrat de police et d'un président du 
Parlement, il rédige le projet de Lettres-Patentes, et les 
règlements de cette maison. Dans une autre occasion il pro- 
jette, et est au moment de consommer le marché d'un terrain 
considérable. 11 va jusqu'à faire des efforts pour intéresser 
Sa Majesté Danoise à cet établissement, par la considération 
du lien sacré qui uni tous les hommes, par celle de l'intérêt 
de ses sujets résidant en France. En un mot, presque point 
de démarches qu'il n'ait tentées, et point de démarches qui 
lui aient réussi par cette fatalité réunie des circonstances et 
des passions particulières. 

M. de Chamousset, en formant ce plan dicté par l'amour 
de l'humanité le plus actif et le mieux raisonné, n'avait pas 
précisément en vue les malades vraiment pauvres et connus 
pour tels. Quels que soient les asiles publics ouverts à la 
misère, il en existe ; mais combien de citoyensqui n'étant ni 
assez riches pour se procurer chez eux des secours suffisants 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 23 

ni assez évidemment pauvres pour se faire transporter dans 
une maison de charité, périssent victimes de la décence de 
leur état, et souvent de la crainte souvent trop bien fondée 
de se voir négligés dans un hôpital. Il avait en vue les mala- 
des de toutes les conditions, de tous les états ; et surtout cette 
foule d'étrangers, de céUbataires, de gens de lettres, de mili- 
taires, de plaideurs, d'artistes, d'artisants, de domestiques, 
en un mot, de gens isolés, qui dans leurs maladies, meurent 
souvent faute de secours, ou qui se trouvent livrés à des 
inconnus, à des mercenaires, à des âmes viles, cruelles, atro- 
ces, qui pour profiter de quelques dépouilles, hâtent la mort 
de ceux qui leur ont confié leur vie. Il avait en vue ces arti- 
sans industrieux, ces marchands dont le commerce est borné 
en général, tous ces hommes précieux à l'Etat, qui vivent 
journellement du fruit de leur travail, qui par cette raison 
même n'ont recours au repos et aux remèdes que le plus 
tard qu'il leur est possible, qui voient bientôt leurs faibles 
ressources épuisées, et qui, combattant d'abord contre la 
honte de passer pour pauvres, ou contre la crainte d'une 
négUgence criminelle que l'habitude ne rend que trop ordi- 
naire, ou périssent malheureusement, ou ne triomphent de 
leur répugnance, suite naturelle du triste état des choses, 
que lorsqu'il n'est plus temps, lorsqu'il ne leur reste plus 
qu'à mourir. 

Il est aisé des voir que cette Maison d'Association n'avait 
rien de commun avec les hôpitaux ; elle intéressait les 
citoyens les plus opulents, comme ceux de la classe moyenne. 



34 r% PH2-i?KTE2?:-?T nÎjyysKZ 

QoelqQe ri^h^ ttk Toci <•:•«&. pe«it-<«A se flatter d'avoir à s«s 
ordresy^â toales les hemm ém ymr ci 4e la nuil^ des médî- 
caments, des oKtiecijis kaiiiks. des cldmrpeiis expérimeD- 
lés. des refloêde;» préférés f^r b probité réunie aux lumières 
des remèdes administrés par la pmdenoe, des dcMneatiques 
éprouTés par le temipts ? 

L^tablissement adminble de )L de Chamoasset, onTert à 
tous, eût été proportionné à tuas : les pins riches y eossent 
été re\'us d^une manière qui n'eut rien laissé à désirar à leur 
délicatesse : le traitement dans la maladie eot été le même 
pour tous les malades : c'^est le vœa de la religion, de llia- 
mauité et de la raison : Is seule différence n'eot consisté que 
dans le K^ment. De cette parité de traitement exigée par la 
nature, de cette disparité de logement et d'amenblement 
aoconltH" à la condition^ devait résulter une disparité dans 
la mise pro(H>rtionnée aux facultés de chacun. Aussi, Pau- 
tour do ce Temple destiné à l'humanité, avait-il distribué les 
atisooios en cinq classes, savoir : ceux qui auraient un appar- 
toniont, ceux qui auraient une chambre à un lit, ceux qui 
Huraiont été placés dans une chambre à trois lits : ceux des 
nalloH à douie lits, ceux des salles à trente lits. Chacune de 
00» cinq classes était divisée en six pour les prix, depuis 
qnin/o ans jusqu'à soixante : mais, les malades, en tout état, 
ouMHont toi\|ours été seuls dans leur lit, et chacun de ces lits 
oui olô ronlormé dans une espèce d*alcôve^qui eût formé 
oonuno une chambre séparée, 

ISmr comprendre tous les avantages de cet établissement, 



I 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 25 

il faut en lire le projet en entier. L'amour du bien public 
l'avait dicté : le zèle et la bonne foi auraient été la base de 
son exécution. Quvrage de la sagesse et de la prudence, tous 
les moyeils étaient assurés, tous les inconvénients prévus, 
tous les obstacles levés, toutes les précautions prises ; on 
avait eu soin, surtout, d'empêcher que Tamour-propre qui 
n'a que la faculté de sentir, et presque jamais celle de rai- 
sonner ne s'effarouchât sans motif : on faisait voir que cette 
Maison ne serait point un Hôpital, que les conditions y 
seraient distingués, les égards dûs au rang et au caractère 
observés ; que les associés étant propriétaires, seraient vrai- 
ment chez eux ; ^qu'ils ne' pourraient craindre ni procédés 
d'intérêt, ni préférence, ni mauvaises manières ; que contri- 
buant chacun d'une façon >proportionnelle, ils ne devaient 
pas avoir la moindre délicatesse sur l'asile choisis par eux 
dans leurs miiladies. 

Ce projet, triomphe de l'humanité, combiné elt calculé 
avec la plus grande intelligence et la plus grande précision, 
concilié avec nos inconséquences et notre vanité, semblait 
devoir être au-dessus de toutes les objections de l'esprit ou 
du cœur; il en éprouva, cependant (1). On prétendit, par 
exemple, qu'il ne pouvait convenir à des Français, peuple 
léger, indifférent au bien public, qui ne sût jamais prévoir 
l'avenir ; comme si les défauts de quelques particuliers pou- 



Ci) Voyez sur la solatioo de ces objections, Additions et éclaircissements, Réponst 
à la Lettre Critiqoe, et Le Journal det Savants, Mars ilftH^ éd*' 4* page, f67 et soiv. 
où cea objections se troufent réduites sons différents chefs. 



26 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

valent jamais former le caractère de la nation ; comme si on 
pouvait corriger les hommes en les humiliant, ou en les 
calomniant ; comme si le meilleur moyen de les rendre bons 
n'était pas souvent de paraître croire qu'ils le sont ; comme 
si l'exemple de l'auteur de ce projet, et de tant d'autres fran- 
çais généreux et bienfaisants ne démentait pas une assertion 
aussi contraire à la vérité qu'à l'honnêteté. 

On prétendit que l'intérêt, ce grand ressort de toutes les 
entreprises, manquait à celle-ci ; que l'attrait des jouissances 
actuelles, la pente du cœur qui se livre si facilement aux illu- 
sions de l'espérance, enfin les diversions à toute réflexion triste 
diminueraient nécessairement l'impression ae la crainte que 
la probabilité d'un mal à venir devait naturellement produire. 

On prétendit que les ' engagements, comparés avec la 
médiocrité de la rétribution de chaque associé, avait trop 
d'étendue. 

Différents maîtres oubliant que les biens des hôpitaux 
appartiennent aux véritables indigènes, refusèrent de sous- 
crire pour leurs domestiques, en répondant qu'ils avaient la 
ressource de la maison de Charité. 

Quelques personnes, rassurées sur le présent par le zèle du 
vertueux auteur du projet, parurent avoir des alarmes pour 
l'avenir. On prétendit qu'après lui, l'intérêt particulier ne 
tarderait pas à l'emporter sur le bien général. 

En un mot, que ne prétendit-on pas ? Car il n'y a que les 
objets qui n'ont rien à démêler avec le cœur humain contre 
lesquels l'esprit ne fasse pas d'objections. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 27 

M. de Chamousset répondit à tout, et pour me servir ici de 
l'expression d'un juste appréciateur du mérite et des 
talents (1), il défendit en philosophe le projet qu'il avait 
conçu en citoyen ; c'est dans son cœur qu'il puisa ces argu- 
ments simples, aisés et lumineux, qui persuadent et entraî- 
nent sans efiort. 

Il avait pour lui la vérité ; mais qu'est-ce que la vérité, si 
elle n'est pas agréable à nos passions? Ce citoyen vertueux, 
plein de force et de courage pour le bien public, qui s'enflam- 
mait par son idée comme le commun des hommes par celle 
du bien particulier, ne se rebuta point par les objections, les 
obstacles et les contradictions. Il revint plusieurs fois à son 
plan. De toutds ses idées patriotiques, c'est celle qui ait le 
plus flatté son cœur, parce qu'elle tendait plus directement à 
la conservation des hommes. 

M.. de Chamoiisset ne se contenta pas d'une vaine théorie ; 
il consacra une partie de son patrimoine, pour y joindre la 
pratique. Il voulut faire, au moins en petit, Tessai de son 
plan, et loua à la barrière de Sève, où de tous temps les 
plus grands médecins ont reconnu que l'air est très-salubre, 
une maison commode avec un jardin pour les plantes usuel- 
les. Il y offrit au public deux appartements, quatre chambres 
à un lit, quatre chambres à deux lits, et une salle de six lits : 
le surplus de la maison était occupé par le service. Suivant 
ses calculs, avec ce nombre de lits, il aurait été en état de 

(t) Jûttmul dês Savants, Mars. 1753. p. 173, iii-4«. 



28 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

recevoir 1.000 associés malades. Les médecins et les chirur- 
giens les plus habiles devaient donner leurs soins à cet essai 
d'établissement, qui, en attendant qu'il eût obtenu des Lettres- 
Patentes, devait être régi par douze associés (1). Je ne puis 
me tromper sur le succès qu'aurait dû avoir cette Maison de 
Santé ; mais j'ignore celui qu'elle eut réellement. 11 parait 
certain qu'elle ne se soutint pas aussi longtemps qu'il l'aurait 
désiré, et que peu secondé par le public, qui souvent est 
indifférent sur ses vrais intérêts, sa fortune ne lui permit pas 
de suivre cette œuvre de bienfaisance : mais dans la suite, 
toujours rempli de la douce espérance de pouvoir enfin 
fonder ce consolant asile, il s'en occupa encore après seize 
ans. En 1770, il présenta son plan sous un«nouveau point 
de vue. 11 donna au public son Mémoire but les Compagnies 
d'Assurances pour la Santé. * t 

La clarté, la simplicité, la précision de tes mémoires, le 
rendent peu susceptible d'un extrait. N'oublions pas cepen- 
dant une remarque importante de l'auteur; c'est que les 
compagnies d'assurances pour les vaisseaux n'intéressaient 
que les commerçants, et que celles qui assurent les maisons 
ne sont avantageuses qu'aux propriétaires ; tandis que celles 
de la santéy dont il s'agissait, intéressent particulièrement 
tous les citoyens. 11 en aurait peu coûté à chacun pour s'as- 
surer le premier des biens ; et ce plan, en faisant l'avantage 



(1). Voyez un Avis au public de 4 pages in-4o, imprime en 1 7.^ 6, presque eiitière- 
ment copié. (Année liU'\ T. III, 1* 24 i 3t). 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 29 

général» aurait produit à ces compagnies, un profit immense, 
qui les eût intéressés à prodiguei* les secours, parce que mieu^i: 
on aurait été traité dans les établissements qu'elles auraient 
formés, plus elles aui^aient eu d'abonnés. 

M. de Cbamousset, quoique le plus désintéressé des hom- 
mes, n'ignorait pas que l'intérêt et l'espoir du gain détermi- 
nent trop souvent. (I saisit ce moyen pour engager les citoyens 
du temps à souscrire à son établissement, pour les forcer en 
quelque sorte à assurer leur santé. 

11 leur offrit l'amorce d'une lolerie, dont les billets au 
nombre de trente mille, à raison d'un billet pour chaque 
place d'associé, donneraient n^^f cents lots, dont les plus 
forts de six cents livres et les moindres de dix livres, seraient 
pris sur les profits, jusqu'à la concurrence de 27.630 livres. 
Ces lots pouvaient déterminer, par l'espoir du gain, ceux qui 
ne voyant la ^maladie que dans Téloignement, trouveraient 
onéreuse une contribution modi(^e à la vérité, mais tou- 
jours trop forte pour celui qui croit n'en avoir pas besoin. 

Notre vertueux auteur répéta dans ce Mémoire tout le 
principe de son système, principe démontré par l'expérience 
et par l'observation des plus célèbres médecins, en particu- 
lier, de MM. Bertrand, A. Petit et Lorry, savoir que sur cent 
personnes, il n'y aura jamais, dans le courant de l'année, 
douze maladies d'un mois ; ou vingt-quatre de quinze jours ; 
et qu'ainsi un seul lit, pendant le cours d'une année compo- 
sée de douze mois, doit faire face à l'engagement pris vis-à- 
vis de cent personnes. 



UN PHILANTHROPE MECON'NU 

M. de Chamousset ne concentre pas ses vues bienfaisantes 
dans la capitale : il les étend même aux provinces et aux 
royaumes étrangers, partout il établi des Compagnies d'As- 
surance de Santé, et il veut que ces Compagnies, unies 
ensemble par la fraternité, puissent par ce moyen assurer à 
leurs différenis associés voyageant, les refuges de toutes les 
villes ou leur santé recevra quelque atteinte : il n'aurait été 
question que de présenter un billet de la Compagnie dont ils 
auraient été associés, par lequel elle aurait pris l'engagement 
de payer les journées de son associé, suivant sa classe et au 
prix convenu, l^ar là, tous les hommes deviendraient vérita- 
blement frères ; et ils ne seraient plus qu'une grande famille, 
surtout dans les moments critiques et douloureux où les biens 
de la nature doivent les refuser. 

M. de Chamousset consulta sur ce nouveau Mémoire la 
faculté de Médecine, les six corps de marchands, les magis- 
trats, 1(5S citoyens les plus éclairés ; tous le oomblèrent d'élo- 
ges, tous convinrent que ce beau plan, en déchargeant les 
hôpitaux, les rendrait plus utiles et moins redoutables ; qu'il 
ouvrait une ressource à ceux qui ne voient point de milieu 
entre le grand humiliant d'une maison de charité, et les 
dépenses excessives que les maladies et les plus simples opé- 
rations entraînent chez les particuliers. Rien ne parut plus 
judicieusement imaginé, plus humainement senti, que cette 
Association. On convint qu'elle était propre à calmer les 
terreurs de l'imagination qui sont quelquefois si dangereuses 
surtout dans les anies sensibles et bien nées ; qu'il était doux 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 31 

de penser qu'on pouvait impunément en quelque sorte voir 
le dérangement de sa santé, par la certitude de voir en même 
temps tous les moyens dépendant de Thumânité, se réunir 
pour la rétablir ; et qu'enfin, 'calmer les craintes réelles ou 
imaginaires sur l'avenir, c'est prolonger, c'est doubler, c'est 
embellir l'existence, c'est remplir 16 but de la nature et celui 
des gouvernements sages et humains. On convint que ce 
plan devait concourir à la perfection de la médecine, de la 
chirurgie, de la pharmacie ; qu'il devait influer sur la réforme 
si nécessaire dans tous les étabiissemenls charitables; on 
convint de mille autres avantages, surtout dans la dernière 
forme sous laquelle M. de Chamousset l'avait présenté, mais 
ses nouveaux efTorls ponr l'exécution ne furent pas plus heu- 
reux que les anciens ; on refusa de prendre part à un projet 
qui intéresait rhumanité entière, qui présentait les profits les 
plus honnêtes et les plus sûrs, dont l'auteur annonçait et 
prouvait la plus grande noblesse, le désintéressement le plus 
marqué. 11 avait proposé trois mille actions de 200 livres 
chacune ; il s'était exclus lui-même des actionaaires. 11 offrait 
de recevoir tous les avis, d'en profiter, de changer, de réfor- 
mer son projet, à mesure que de nouvelles idées pourraient 
l'améliorer. Pureté de zèle, amour de l'humanité, désintéres- 
sement modeste, tels furent en général les caractères qu'on 
reconnut dans ce projet comme dans son auteur. Il avait eu 
soin d'indiquer un grand nombre de notaires chez lesquels 
on pourrait faire sa soumission ; il avait eu la précaution 
d'annoncer qu'on ne déposerait le montant des actions qu'au 



32 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

moment où elles seraient toutes remplies. Elles ne le furent 
point; et M. de Chamousset est mort avec la douleur de 
n'avoir pu exécuter un plan qui, l'a occupé toute sa vie, et 
qui eût sauvé des milliers ^'hommes. 

Le projet de la Maison d'Association n'épuisa pas toutes 
les vues de M. de Chamousset^ pçurle soulagement des maux 
dans Tétat de maladie, qui a toujours été l'objet principal de 
ses travaux ; il exerça» encore sa philosophie bienfaisante et 
chrétienne, sur d'autres objets qui ont un rapport au moins 
indirect à son premier plan" Il jeta d'abprd les yeux sur l'Hô- 
pital-Dieu de Paris, et ce coup d'œil de compassion active 
nous procura un nouvel ouvrage qb'il 'V.'la : Eooposition (1) 
d'un plan proposé pour les malade^ ^'Hôtel-Dieu (2). 

Cet ouvrage commence par une pein *e énergique, tou- 
chante, et malheureusemenl trop vraievu^ l'état où étaient 
les malades de l'Hôtel-Dieu de Paris/ C-est la nécessité du 
remède, remarque notre sensible et véridique auteur, qui 
force à faire connaître l'étendue du' mal. Tel est le principe 
de ce tableau effrayant, trapé par les administrtiteurs eux- 
mêmes dès le siècle dernier, et qu'on peut d'ailleurs, à 
chaque instant de la journée contempler dans l'amertume 
et le déchirement du cœur. 

Des malades de toute espèce rassemblés dans une salle où 
règne un air infect; plusieurs, jusqu'au nombre de six 
couchés souvent dans le même lit, qui suffirait à peine pour 

(1) firochare iD-12, 1756; réimprimée dans les Vues d'un Citoyen, 1757. 

(2) Imprimé Tome 1 (135-170) de cette édition. 



tJN PHILANTHROPE MÉCONNU 33 

deux ; tous dans ces lieux resserrés, formant par leurs 
haleines de mille maux différents une épidémie générale qui 
rend incurable chaque maladie particulière ; ces malheureux' 
s'effrayant mutuellement par les cris de la douleur, par le 
délire, par la vue de leurs plaies, de leur agonie, de leur mort ; 
quelle impression un tel spectacle dont la sensibilité me force 
de détourner les yeux, ne doit-il pas faire sur un èorps déjà 
affaiblis par les maux ! Les mourants à côté des convales- 
cents, les vivants à côté des morts et les touchant, le tombeau 
s'ouvrant à chaque instant, qu'elle espérance peut rester à 
une imagination frappée ? Dans ce trouble éternel,iquel effet 
les remèdes peuv.:» ô produire ? Dans cette confusion 
comment éviter Igl» éprises, quand même on supposerait 
la plus grande atte on ? Gomment soigner convenablement 
des malades enla^^n • les uns sur les autres. 

C'est cet entasbement que M. Chamous^t regardait 
comme une des causes principales de la mort des malades 
à l'Hôtel-Dieu, de la lenteur des convalescences, de mille 
maux que l'épidémie rend communs, non seulement aux 
malades même, mais encore à ceux qui les servent ou qui 
fréquentent ces malheureux asiles ; ces asiles si redoutées, 
que les indigents pour lesquels ils ont été fondés regardent 
comme le comble du malheur d'être obligés d^y avoir recours ; 
ces asiles si redoutables en effet que, de l'avis des plus célè- 
bres médecins (1) il vaudrait mieux abandonner les hommes, 

(1) Voyez la lettre de M. Antoine PeUt. Tome !•', 1r 120« 



84 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

dans un coin comme les animaux, aux soins de la nature, au 
repos, à Teau simple, à la compassion des spectateurs. 

Aussi résulte-t-il des états levés avec la plus grande exac- 
titude, et que M. de Chamousset met ici sous les yeux, qu'il 
meurt à THôtel-Dieu, un quart des malades qu'on y trans- 
porte ; que les rechutes y sont communes, et souvent 
mortelles ; tandis que dans la même ville, l'hôpital de la 
Charité, où les malades sont séparés en bon ordre, ne perd 
qu'un huitième de ceux qui y sont soignés, et qu'il n'y a 
presque point de rechutes ; tandis que dans les hôpitaux des 
pauvres de Versailles et des environs, il ne meurt à peu près 
qu'.un neuvième des malades qu'on y transporte ; tandis qu'à 
riIôtel-Dieu de Lyon, qui dans l'Europe jouit à juste titre 
de la plus grande réputation, on en perd au plus le quator- 
zième. 

Si on vient maintenant à comparer les dépenses, on verra 
d'après les preuves détaillées de notre auteur, qu'à Thôpital 
de la Charité où Ton ne perd que le huitième des malades, 
chacun d'eux ne coûte que 29 livres, au lieu qu'à l'Hôtel- 
Dieu la dépense pour chaque malade monte à 50 livres. 
Quelle disproportion ! et comment arrive-t-il qu'en dépensant 
près du double pour guérir ses malades l'Hôtel-Dieu en 
perd la moitié plus que T Hôpital de la Charité ? 

Ce vice prend sa source dans deux causes principales ; le 
mauvais air des salles, et la méprise dans l'administration 
des remèdes. Ces exhalaisons putrides et pestilentielles que 
donne un trop grand nombre de personnes malades et mal 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 35 

propres renfermées dans un espace trop étroit, hâtent la mort, 
arrêtent la convalescence, usent en peu de temps les forces 
de ceux qui se dévouent au service de ces pauvres. Les idées 
des médecins se croisent par la diversité des maladies, les 
ministres subalternes sont trop occupés et trop distraits pour 
prendre toutes les précautions nécessaires ; ainsi dans ces 
réduits funestes, la mort ne cesse de frapper ses coups, et 
elle s'immole des victimes, même par les mains de ceux qui 
ont l'intention de la combattre. 

Quel remède à tant de maux qui font gémir l'humanité ? 
M. de Chamousset les rapporte à trois : le premier serait de 
décharger l'Administration, du soin des malades, et de la 
borner au gouvernement des biens, à l'inspection générale 
de tout ce qui se passera dans la maison relativement à la 
police, au bon ordre, aux intérêts des pauvres. Le second 
consisterait à confier tout ce qui regarde le traitement, la 
nourriture, le service des maladies curables, à une société de 
citoyens dont l'intérêt personnel se trouverait nécessairement 
identifié avec l'intérêt public ; puisque l'Administration lui 
passerait une somme de 50 livres pour chacun des malades 
guéris, et rien pour ceux qui mourraient. C'est la somme que 
coûte aujourd'hui chaque malade de l'Hôtel-Dieu, soit qu'il 
guérisse, soit qu'il meure ; ainsi l'Administration aurait pro- 
fité de tous les morts, qui malheureusement forment aujour- 
d'hui le quart des malades qui entrent dans ce temple d'hor- 
reur et de désolation. Cette société n'étant payée qu'à raison 
des malades guéris, aurait eu un intérêt toujours présent à 



36 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

ne rien négliger pour la guérison des malades ; cet intérêt 
l'aurait rendue singulièrement attentive au choix des minis- 
tres et des moyens de la santé ; et par conséquent, l'Etat qui 
sur 21.000 pauvres qui entrent par an à l'Hôtel-Dieu, en 
perd environ 5.000, aurait conservé un grand nombre de 
citoyen utiles. 

M. de Ghamousset à qui rien n'échappait de ce qui intéres- 
sait l'humanité souffrante, exigeait encore, pour ôter toute 
ressource à la cupidité, que si le malade faisait une rechute 
pendant les huit premiers jours après sa sortie, qu'elle qu'en 
fut la cause, elle serait aux frais de la Compagnie. Elle aurait 
établi ses convalescents, et même quelques inalades dans cer- 
taines maisons situées en bon air, telle que l'Hôpital Saint- 
Louis, celui de la Santé et autres. Partout les malades 
auraient été distribués en différentes salles, selon le genre 
particulier des maladies. Ils auraient été couchés séparément 
ou tout au plus deux à deux dans des cas de nécessité. Ainsi 
Ton n'eut point eu à craindre les inconvénients de l'entasse- 
ment de ces infortunés. Ainsi cette nouvelle société formée 
par l'humanité et la saine politique, n'eût en de bénéfice à 
espérer qu'en conservant des hommes à l'état ;.et si elle eût 
gagné, le public eût encore gagné d'avantage. On ose le dire, 
le cœur de M. de Ghamousset avait trouvé ce qui se refuse 
presque toujours aux recherches des plus profonds politi- 
ques, cette pierre philosophale de la science du Gouverne- 
ment, le concours et l'identité de l'intérêt particulier avec 
l'intérêt général. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 37 

Enfin pour troisième remède aux maux de THôtel-Dieu, 
notre auteur ne perdant jamais sa Maison d'Association, 
propose comme une conséquence nécessaire de ses principes 
de réforme, la nécessité d'établir un milieu entre le gratuit 
humiliant d'un hôpital, et les dépenses excessives que les 
maladies entraînent chez les particuliers. 

Tel est le plan de réforme (1) que proposa M. de Ghamous- 
set pour THôtel-Dieu ; nous n'avons fait que l'effleurer ; il 
contient beaucoup de détails plus intéressants les uns que 
les autres. Puisse le peu que nous en avons dit, inspirer le 
désir de le lire et de le méditer ! Puisse-t-il surtout inspirer 
le courage de triompher des intérêts subialternes d'écouter 
l'humanité et d'exécuter des idées qu'elle seule à dictées ! 

Cet ouvrage a été suivi en différents temps de quelques 
Mémoires plus ou moins abrégés sur la même matière. Ils 
contiennent à peu près les mêmes idées , les mêmes faits, les 
mêmes principes ; mais nous n'avons pas cru devoir en 
priver le public qui y trouvera un nouvel intérêt, au moins 
par les différentes formes que savait prendre la bienfaisance 
de M. de Chamousset. 

On trouve d'abord des Réponses aux Objections sur l'expo- 
sition du plan de réforme de l'Hôtel-Dieu (1). On réduit ces 
objections à trois. 

II faut respecter un établissement et des usages anciens. 



(1) Imprimé en 1756, in-12, réimprimé en 1757 dans les Vues fTun Citoyen, 
(i) Tome I", pag. 170-172. 

(2) Imprimée. Tçiye I", pag. 173-180. 



38 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Les commodités trop multipliées dans cet Hôpital pourraient 
y attirer trop de malades et rendre ses revenus insuffisants. 

Il faut craindre d'altérer la confiance, de tarir la source 
des aumônes, et d'indisposer les personnes nécessaires au 
bien de cette maison. 

Quel langage ! Respecter un arrangement qui fait gémir 
l'humanité, le seul dans ce genre qui étende autant l'empire 
de la mort ! 

L'intention des fondateurs n'a-t-elle pas été que tous les 
pauvres y fussent admis, et n'est-il pas démontré que les 
Maisons d'Association en diminueraient le nombre ? 

Enfin ne paraît-il pas évident que ce plan de réforme 
augmenterait la confiance et les aumônes bien loin de les 
diminuer, et que le seul intérêt particulier pourrait faire des 
mécontents ! 

En 1763, M. de Ghamousset toujours occupé de son plan 
de Réforme, parce qu'il était toujours persuadé de sa néces- 
sité, présenta une Soumission contenant les différentes 
conditions auxquelles la Compagnie dont il parle dans son 
premier Mémoire se serait chargée du traitement des malades. 
Les 10 articles qui composent cette Sotimission tendent tous 
au bien général, et sont appuyés sur les principes qu'on a 
déjà exposés. 

Il faut en dire autant du Règlement qui suivit cette 
Soumission (1). C'est un des meilleurs ouvrages de M. de 

(1)0n le trouve imprimé. Tome I" de cette édition, pag. 180-204, 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 39 

GbamouBset, par la netteté, la clarté, les vues saines et utiles 
qui en sont le caractère distinctif. Si jamais il plait au 
Prince humain qui nous gouverne de revêtir ce Règlement 
de son autorité sacrée, l'homme sensible n'aura plus qu'à se 
dire : Qui pourrait m'arrêter ici-bas ? J'ai entendu la voix 
bienfaisante de la Divinité arracher à la mort des milliers des 
victimes ! Que peut-il manquer au bonheur des Français ? 
Le Prince qui joint à tant d'autres qualités une estime active 
et réfléchie de la vie des hommes, n'est-il pas le meilleur des 
Rois ? 

Il a manqué à la félicité de M. de Chamousset d'entendre 
cette voix douce et paternelle. C'est à nous que la Providence 
réservait cette consolation. Déjà elle s'est fait entendre malgré 
le tumulte des armes, malgré les horreurs et les dépenses de 
la guerre (1). Déjà 2.500 malades seront couchés seuls dans 
un lit, et 500 deux à deux, dans un grand lit séparé dans sa 
longueur par une cloison ; il y aura des promenades et des 
salles particulières pour les convalescents ; des infirmeries 
seront établies dans les Hôpitaux destinés aux malades, des 
hospices assignés à certaines paroisses, les comptes de l'ad- 
ministration de rilôtel-Dieu rendus pubhcs, etc. ; tout ceci 
sans doute n'est que l'heureux prélude de ce que les Français 
peuvent attendre de leur père commun, lorsqu'il aura obtenu 
l'objet de ses vœux, la justice et la paix. 

Nous pouvons le dire, si l'excès du plaisir comme de la 

(1) Lettres patentes du 22 aTril 1781. 



40 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

peine, du bonheur comme du malheur, peut altérer ou 
détruire même subitement les ressorts de la vie, peut-être 
M. de Chamousset serait-il mort de joie à la nouvelle de cette 
loi d'humanité ; ce qu'il y a de constant, c'est qu*il n'a 
jamais cessé de faire entendre sa voix en faveur des infortunés. 

Il profita du malheur arrivé à l'Hôtel-Dieu, pour parler 
encore de sa réforme. 11 proposa de le diviser, d'en mettre 
une partie à l'hôpital Saint-Louis, et une autre au couvent 
des Cordelières du faubourg Saint-Marceau. Il renouvela 
Toffre qu'il avait faite plusieurs fois. 11 est intéressant de lire 
les détails de ce nouveau projet, où plutôt de ce projet ancien 
accommodé aux circonstances et qui aurait épargné la 
reconstruction des bâtiments brûlés. Tel est l'objet d'une 
lettre importante qui date du commencement de 1773. Cette 
lettre (1) contient une comparaison qui pourrait enfin être 
utile, du nombre des malades et des morts de l'Hôtel-Dieu 
avec ceux de la Charité de Paris, pendant douze années, 
depuis 1737 jusqu'en 1748. 

Enfin le dernier ouvrage de M. de Chamousset fut l'Hôtel- 
Dieu dont nous ayons à parler, sont des observations abrégées 
sur son état et sur la manière de diminuer ses charges (2). 
C'est à peu près le mâme fond d'idées avec quelques additions. 
Ici, par exemple, on propose de placer à la Saussaye ^rès 
Villejuif tous ceux qui sont attaqués de maladies chroniques. 
On sait que ces maladies, dont on a dit avec raison qu'elles 

(1) Imprimée. Tome !•', page 204-217. 

(2) Imprimée. Tome I", page 217-222. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 41 

étaient le déshonneur du médecin^ et le fléau des malades, ou 
ne se guérissent point, ou se guérissent moins par les remèdes, 
que par lei soins, Tair pur et la promenade. 

Dans ces différents Mémoires, il est toujours question des 
Maisons d'Association comme propres à décharger les Hôpi- 
taux. Tous IcJ^ projets de M. de Chamousset, même sans en 
excepter. Ceux qui paraissaient n'avoir d'autre objet que la 
finance, avaient pour fin dernière l'établissement de sa 
Maison d'Association. Les richesses n'étaient rien pour lui, 
elles étaient tout pour cette maison si chère à son cœur. Cet 
établissement, et la nécessité de réformer les Hôpitaux 
reviennent à chaque instant dans ses écrits, comme ils 
revenaient dans sa conversation. 

M. de Chamousset avait commencé à démembrer son 
patrimoine pour sa Maison de Santé de la barrière de Sève. 
Il avait vendu une partie de ses terres pour fournir aux 
dépenses de cette œuvre de bienfaisance, utile en elle-même, 
respectable aux yeux de l'humanité et de la religion, mais 
perdue pour l'exemple qu'il voulait donner. 

Il vendit sa charge de Maitre des Comptes pour former son 
Hospice des enfants abandonnés. Il commença par donner au 
public son Mémoire politique sur les enfants, qui contient 
deux parties (1). Il y parle d'abord de. la conservation de 



(1) Imprimé tBO 1756, i]i-12,a?ec le Hémoire sur ie^ biens de i'HôpUal Saint- Jac^iues, 
1008 le titre Mimevre sur la Conservation des EnfanU, et une destination avantageuse des 
Enfanu Trmués ; en 1757, fréimprimé dans \ts IVues d'un Citoyen, sous celui de 
Mémoire fJlUiqui sur lit enfants. 



42 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

tous les enfants en général ; il propose ensuite une destina- 
tion pour les enfants trouvés, et il indique les moyens de les 
rendre utiles à i*Etat. 

En remédiant au mal dans sa source, il servait à la fois 
l'Humanité et la Patrie. Personne n'ignore et ne conteste 
l'importance de la conservation des enfants ; mais l'on ignore 
ou l'on néglige les moyens qui doivent conduire à cette fin 
précieuse. Le plus sûr serait sans doute que les mères 
allaitassent elles-mêmes leurs enfants ; mai^ il y en a si peu 
qui remplissent à cet égard le yœu de la nature ! 

Le luxe, l'amour de la dissipation et du plaisir, sont pres- 
que toujours les véritables causes qui empêchent les femmes 
d'être mères au moment qu'elles le deviennent (1) ; et tandis 
que les animaux les plus féroces allaitent leurs petits, ces 
mères inhumaines outragent à la fois la Nature et l'Amour 
maternel, et appellent sur elles les douleurs et la mort même. 
Elles ne rougissent pas, elles ne craignent pas de confier les 
fruits d'une union chérie à des mains inconnues, mercenai- 
res, qui quelquefois forcées par la nécessité, plus souvent 
peut-être par un vil intérêt, ont pu se résoudre à vendre le 
lait qui appartient à l'enfant que leur donna la Nature ! Cona- 
ment compter sur les soins de cette nourrice vénale, de cette 
nourrice qui ne peut qu'aux dépens de son propre enfant 
sustenter celui d'une femme étrangère ? 



(1) Je Dc pari", ici que de ce qui arrive ordinairement. Il y a des exceptions indiquéei 
par la nature même, et j'ai tu des femmes honnêtes regretter sincèrement dvns Tamer- 
tume de leur cœur d'ëire condamnées à ne pouvoir aliailer leurs enfanta. ^ 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 43 

Voilà donc deux enfants à la fois qui courent les plus grands. 
dangers ; celui de la femme riche ou faible qui ne veut ou ne 
peut nourrir, et celui de la nourrice mercenaire. Les enfants 
trouvés, ces enfants de TEtat et qui peuvent lui être d'une 
si grande ressource, ces plantes si délicates que le liberti- 
nage ou la misère arrachent en naissant au sein qui les forma,' 
comment sont-ils soignés par les nourrices qui s'en char- 
gent? Il semble que le vil prix auquel on les leur confie, 
autorise le peu de soin quelles en prennent. 

Gomment remédier à ces maux qui étouffent les généra- 
tions dans leur berceau t M. de Ghamousset en trouva les 
moyens dans l'exemple des peuples du Nord, plus forts, plus 
vigoureux que nous. Il proposa de substituer le lait des ani- 
maux à celui des nourrices, en le coupant dans les premiers 
mois avec des infusions ou des décoctions qui l'approprieront 
à l'âge et à l'état de l'enfant. Il fit voir combien cet usage 
serait facile, salutaire, peu coûteux, préférable à tous égards 
aux soins prétendus des nourrices mercenaires. Tout est ici, 
bien vu, bien pensé, l'intérêt particulier se réunit avec l'inté- 
rêt général ; les enfants en seraient mieux nourris, plus sains, 
plus vigoureux ; les nourrices demeureraient moins longtemps 
stériles, la population deviendrait plus nombreuse, et il y 
aurait beaucoup d'économie. Cette économie diminuerait 
nécessairement le nombre des enfants trouvés, dont plusieurs 
sont légitimes, et que leurs père et mère n'exposent que parce 
qu'ils sont hors d'état de payer les mois de nourrice, tels 
qu'on les exige aujourd'hui. Une nourrice ne peut ou ne doit 



44 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

se charger que d'un enfant ; dans le système de la nourrice 
par le lait des animaux, deux femmes peuvent en soigner 
douze. La nourriture de Tenfant étant totalement étrangère 
à la femme, le choix sera plus facile et plus sûr ; il n'y aura 
plus lieu de craindre ce qu'on a vu arriver quelquefois, l'in- 
fection d'une famille ou même d'un village entier par uA seul 
nourrisson malsain. 

M. de Chamousset joignit encore ici la pratique à la théo- 
rie. Il combattit par l'expérience les usages et les préjugés. 
Il obtint du gouvernement la permission de faire ses essais 
de la nourriture des enfants par le lait des animaux sous 
les yeux ■ même des habitants de la capitale. Il en obtint 
même quelques secours pécuniaires. Ces essais à la porte de 
Paris devaient être suivis d'établissements semblables dans 
les villages voisins des rivières navigables, pour la facilité 
du transport des enfants, et dans des lieux où les pâturages 
sont abondants, pour diminuer la dépense. 

M. de Chamousset avait découvert en Bourgogne une pay- 
sanne, qui par cette méthode élevait tous les enfants de son 
canton qui dépérissaient entre les mains des nourrices et 
même des mères. Souvent on les lui apportait mourants^ et 
en peu de mois elle les rétablissait par le lait de ses vaches 
qu'elle savait leur donner avec les mélanges convenables ; 
elle n'en perdait presque point, quoi qu'on ne lui apportât 
que ceux qu'on ne pouvait élever. 

M. de Chamousset fit venir cette femme précieuse pour la 
mettre à la tête de son établissement. Les autres femmes qu'il 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 45 

lui associa, lui furent données par la Supérieure des Enfants- 
Trouvés, qu'une expérience longue et réfléchie avait instruite 
dans Tart précieux de la conservation des enfants. En un mot, 
il n'omit aucune des précautions qui devaient le faire réussir. 
Il loua la ferme de Grenelle, près l'École Militaire. Il y reçut 
un certain nombre d'enfants que leurs mères ne pouvaient 
pas nourrir,* et dont les pères n'étaient point en état de payer 
les mois de nourrice. Deux fois par semaine, des médecins et 
des chirurgiens habiles s'assemblaient pour l'objet important 
de cet établissement. Tout réusissait au gré de ses vœux. Les 
soins attentifs qu'i^ prodiguait à ces jeunes plantes, à cette 
espérance de TÉtat et de leurs parents, étaient récompensés 
par le succès le plus heureux. 

Il jouissait en paix du fruit de ses soins bienfaisants, lors- 
qu'un événement malheureux, dont on ne saura jamais la 
véritable cause, vint alarmer son cœur, effrayer les mères 
sensibles et craintives, réjouir l'envie, diminuer la confiance. 
Six enfants, dont cinq en très bon état, étaient nourris à Gre- 
nelle par le lait de vache. Le jour même de l'horrible accident, 
ils avaient été vus par une multitude de personnes diflërentes 
et en particulier par M. Barbe, fréquemment consulté pour 
les maladies des enfants, et qui trouva ceux-ci en bon état. Il 
ne sortit de la salle où ils étaient que sur les 7 ou 8 heures 
du soir. C'était un jour de l'Ascension. Dans la nuit suivante, 
les six enfants furent attaqués de vomissements, de douleurs 
d'entrailles, et d'un dévoiment violent. Ils jetaient des cris 
perçant et continuels. Danj la nuit du vendredi au samedi, 



4(> UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

le samedi matin et le dimanche, quatre moururent et les deux 
autres ne résistèrent sans doute que parce qu'ils avaient bu 
pendant la nuit une moindre quantité de mélange d'eau 
d'orge et de lait qui faisait depuis quelques jours leur 
nourriture. 

Cette mixion de l'eau d'orge et de lait se faisait trois fois 
par jour, sur un fourneau portatif, dans la salle près de la 
porte d'entrée et était portée ensuite sur la croisée. Cette par- 
tie de la salle, du côté de l'entrée, fut remplie pendant tout le 
cours de l'après-midi par une multitude prodigieuse de per- 
sonnes inconnues. Le mélange de l'eau d'orge et de lait fut fait 
comme à l'ordinaire, vers les six heures du soir, et porté sur 
la croisée, Une jeune personne de dix ans, d'un très bon tem- 
pérament, était venue avec Madame sa mère, épouse 
d'un Conseiller de Grand'chambre, voir ces enfants. Elle but 
une cuillerée de ce mélange, qui lui procura pendant deux 
jours un dévoiment, accompagné de glaires ensanglantées. 
Trois de ces enfants morts furents ouverts le dimanche matin 
par un chirurgien, en présence de M. Grandelas, docteur en 
médecine. On trouva l'estomac gangrené dans l'un, enflammé 
dans les deux autres, dans tous les trois, une masse considé- 
rable de lait caillé, d'un blanc jaunâtre et ayant la solidité du 
fromage. 
J'ai raconté le fait (1) avec simplicité, et je regarde toutes 



(1) Tel qu'il se troave exposé dans la Lettre de M. de Chamoasset. imprimée aa 
Supplément, tome II, pages 815 à 326 : tel que me l'a raconté M. Grandelas lui-même, 
qui en été le témoin oculaire. 



I. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 47 

réflexions comme également inutiles et déplacées. Pourquoi 
chercher des crimes secrets qui déshonorent THumanité ? 
N'en est-il pas assez de publics ? J'aimerais à me persuader, 
s'il était possible, que le mélange des haleines et de la trans- 
piration d'une multitude de personnes des deux sexes avait 
infecté la mixion qui a causé la mort de ces innocentes 
victimes. Quoi qu'il en soit, depuis ce jour malheureux, la 
porte de la salle fut exactement fermée aux inconnus, et il 
n'arriva rien de semblable. La nourriture des enfants par le 
lait des animaux réussit autant qu'il était possible ; et chaque 
jour, elle acquiert une faveur juste et méritée. Les établisse- 
ments se multiplient, les médecins les plus habiles s'en 
occupent (1) et enrichissent l'humanité d'ouvrages utiles en 
ce genre, les Bureaux des villes et les administrations en font 
un objet de leurs soins. J'aime à le prévoir ; encore quelque 
temps, et ce système qui supplée si avantageusement à celui 
de la nature, qui lui tient de si près, sera universellement 
adopté (2). 

Nous l'avons déjà remarqué, le Mémoire politique f^ur 
les enfants contient deux parties : nous avons présenté la 
théorie et la pratique de la première ; il nous reste à mon- 
trer rapidement le sujet de la seconde : il y est question des 

(1) Voyez en particulier : Séance publique de la Faculté de Médecine de Paris, du 
y décembre 1779, page 51-93. iii-4. imprimé en 1780. 

(d) Je ue résisterai pas au plaisir de répéter ce que tout le monde suit : cVf t qu'il 
existe en France une personne que les rirbrsses et inèm«; les grandeurs n'ont point 
séduite, qoi a inéoie eu le courage de sat-riiicr des ^oùts rhers à son esfirit pour adoucir 
le sort des malheureux, Tonder, soigner des Hospices de (Charité, Taire nourrir des enlauts 
par le lait dea animaux, etc. 



48 UN PHILANTHROPE MÉœNNU 

moyens de rendre les enfants trouvés utiles à l'Etat. Ces 
enfants sont le bien de la patrie; on fait pour eux des 
dépenses considérables , et Ton en tire très peu de proBt : la 
moitié, au moins, périt chez les nourrices ; et la dépopulation 
est si prodigieuse, qu'à l'âge de vingt ans à peine en reste4-il 
un dixième. Mais que devient ce malheureux et faible resté ? 
Il en est très peu qui apprennent des métiers ; la plupart se 
font mendiants et vagabonds, quelques-uns passent à 
Bicëtre avec un billet de bon pauvre ; c'est ainsi que l'Etat 
perd la plus réelle des richesses, l'emploi des ^hommes. Ces 
enfants lui appartiennent ; ils doivent donc être employés de 
la manière qui lui sera la plus utile.' 

L'auteur en propose trois, dont il discute les avantages 
réciproques, en laissant la décision a ceux qui ont le droit 
d'en juger. On peut faire servir ces enfants à former des 
matelots, à suppléer les milices, à peupler les colonies. 
Peut-être la réunion de ces trois moyens, suivant les goûts 
et les dispositions que robser\'ation présenterait dans les 
différents sujets, serait-elle ce qu'il y aurait de plus avanta- 
geux à l'Etat et au bonheur des particuliers, dans lesquels 
l'amour de la liberté ne peut jamais s'éteindre entièrement.' 

L'exposition de ces trois destinations forme l'ouvrage qui 
nous occupe. L'auteur s'étend particulièrement sur la 
troisième, et il propose de former une colonie à la Loui- 
siane (1]. 11 fait connaître ce pays, vaste, fertile, également 

(I) Ce protêt a été imprimé tm 17% 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 49 

propre aux productions de l'Europe et à celle de TAmérique : 
11 eu expose les différentes productions ; il détaille les occu- 
pations qu'on pourrait y donner aux enfants, il assure 
qu'il serait possible d'y en faire passer neuf mille chaque 
année. Tout cet article est utile, curieux, intéressant; il 
est difficile de prévoir et de calculer plus de choses qu'on 
en trouve ici ; et on ne peut nier, même en supposant 
beaucoup de non-valeurs, que l'Etat n'en retirât de 
grands avantages, s'il était seulement exécuté dans sa 
dixième partie. Il y a dans ce Mémoire un chapitre 
sur la destination des filles, également conforme aux 
mœurs et à la politique, qu'il ne faut jamais séparer, 
si l'on veut réussir. L'auteur propose de destiner une 
partie des filles des Enfants-Trouvés à être domestiques ; 
et, pour cet effet, de les former au service dans les 
hôpitaux, où les maîtres viendraient les prendre avec 
confiance. La misère ne les exposerait plus au danger du 
libertinage; les filles de la campagne resteraient dans les 
villages sous les yeux de leurs ùières, où elles formeraient 
des établissements qui augmenteraient la population, et 
feraient leur bonheur ; au lieu que l'espoir du gain les attire 
à Paris, où elles perdent à la fois le goût de la vertu et la 
facilité de se marier. 

Ici se présente à nous un ouvrage de M. de Ghamousset, 
qui peut également intéresser l'historien, le canoniste, 
l'homme bienfaisant. Il est intitulé : Mémoire sur les 
revenus de r Hôpital Saint-Jacques et sur leur vèHtdble 

4 



50 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

destination (1). Son but est d'examiner quelle est la nature 
des biens de cet hôpital, et quel est l'usage qu'on en pourrait 
faire. M. l'Archevêque de Paris, marchant sur les traces de 
ses prédécesseurs, désirait d'appliquer ces biens à des 
fondations ecclésiastiques. M. de Chamousset défend ici la 
cause de l'hospitalité ; il fait une histoire abrégée de cet 
hôpital, fondé par des Bourgeois de Paris vers la fin du 
douzième siècle. 

11 présente le tableau des différentes contestations occa- 
sionnées par l'emploi de ses revenus, et en particulier du 
temps de M. le Cardinal de Noailles et de M. de Vintimille. 
11 en conclut que ces bien sont laïques, qu'ils appartiennent 
à l'hospitalité dans la personne des habitants de Paris qui 
représentent les fondateurs : il expose l'état de ces biens, 
dont le revenu ne montait alors qu'à 25.000 livres : il indique 
les moyens les plus efficaces pour les augmenter ; et tou- 
jours occupé de sa maison d'Association, il assure que ce ne 
serait point changer la destination des revenus de cet Hôpi- 
tal que de les unir à cette Maison : il fait voir que le Roi le 
le peut ; que par là il rempHrait à la lettre l'intention des 
fondateurs, et qu'il ferait exécuter tout ce qui a été réglé par 
les déclarations et arrêts rendus à ce sujet ; il montre qu'au 
moyen de cette union, il serait possible d'établir en faveur 
des pauvres artisans associés des places pour les caducs et 



(1) Imprimé en 1756, in-12; réimprimé dans les Vues d*un Citoyen ea 1757. 
Voyez Année liUéraire, 1756, lome VHl. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 51 

les incurables ; mais M. de Ghamousset persuadé que la 
vraie bienfaisance ne peut jamais être séparée de la vraie 
religion, consentait à la conservation d'un certain nombre 
de chapelains, dont une partie serait employée aux besoins 
spirituel, des malades, des convalescents, des caducs et des 
incurables, tandis que l'autre célébrerait un office canonial ; 
par là, il croyait remplir toutes les vues du Prélat. Il 
termine son ouvrage en exposant l'encouragement et la 
faveur que prendrait la Maison d'Association, si les fonds 
dont il s'agit lui étaient adjugés (1). 

Ce dernier moyen ne réussit pas plus à M. de Ghamousset 
que tous ceux qu'il avait employés : peut-être même, se fut-il 
abstenu de le tenter, s'il eut pensé que l'Occasion est un 
être capricieux et léger qui s'accorde assez rarement avec la 
Raison, et qu'on appelle presque toujours en vain ; mais, on 
on peut le répéter, chez lui la bienfaisance était une passion 
impérieuse, et les passions raisonnent peu, elles ne voient 
que leur but, elles sont presque toujours aveugles sur les 
moyens, sur les résistances. 

Le Gouvernement vient enfin de remplir la destination 
des biens de l'Hôpital Saint-Jacques. Des lettres-patentes du 
mois de mai 1781, ont uni ces biens à ceux des enfants 
Trouvés, et ont permis aux administrateurs de cette maison 
d'acquérir un terrain et un bâtiment, afin de recevoir les 
enfants nouveaux- nés atteints de maladies communicables, 

fl) Voyez humai des avants, mars 1757, pag. 179-182, in-4*, et Année LiUéraire, 
1770, lome VUl, pag. 298-SO'i. 



52 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

pour y être élevés et nourris sans nourrices et avec du lait. 

Ce nouveau monument digne du cœur et de la sagesse 
d'un Roi, homme et patriote, n'eût pas manqué d'être béni 
de M. de Chamoussel; lui, dont la bienfaisance n'avait pas 
le défaut d'être exclusive ; lui qui avait tant parlé en faveur 
de ces malheureux enfants de l'Etat, lui enfin, dont toutes 
les démarches ne tendaient qu'au bien général, sans affec- 
tion particulière, sans ce retour personnel qui est si commun 
et quelquefois si dangereux. 

Tous les projets de M. de Chamousset ont entre eux des 
rapports plus ou moins immédiats ; ils se tiennent tous, et 
vont se lier à son Plan général pour l'Administration des 
Hôpitaux du Royaume, et pour le bannissement de la Men- 
dicité (1). C'est ici le but universel où tendent toutes les 
vues de l'auteur : C'est pour ainsi dire, le complément de 
tous les autres projets de bienfaisance qui l'ont précédé. La 
Maison d'Association, la Réforme de l'Hôtel-Dieu, la Nou- 
velle méthode d'allaiter les enfants, la destination nouvelle 
des enfants trouvés, l'emploi plus avantageux des revenus 
de l'Hôpital-Saint-Jacques, n'étaient que des préliminaires 
au grand ouvrage dont il s'agit maintenant. Ecoutons M. de 
Chamousset lui-même nous en fournit la preuve en termes 
équivalent (2). c L'établissement de la Maison d'Association, 



(1) Ce projet de 151 piges in- 1*2, est imprimé dans les Vues d'un Citoyen, ei en est 
la deroiére pièce. Il est composé d'an discours préliminaire et de 21 chapitres. 

(2) Discours préliminaire et Chapitre VI. On ne s'est rien permis sur le fond des 
choses, très pen même sur l'ordre et sur les expressions. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 53 

c prévient, dit-il, la ruine d'une infinité de familles, en pro- 
€ curant une prompte guérison à leurs chefs, en les conser- 
€ vaut dans l'exercice de leur profession ; il les empêche de 
€ venir se réfugier dans les hôpitaux, et par conséquent il 
c décharge l'Hôtel-Dieu de ceux qui lui occasionnent le plus 
c de dépenses, parce qu'une décence qu'on ne peut blâmer 
c inspire à ces hommes précieux par leurs talents, de n'y 
c avoir recours que quand ils ne peuvent plus faire autre- 
€ ment, lorsque par un délai funeste leurs maladies sont 
c devenues dangereuses et difficiles à guérir. 

€ Le plan de réforme proposée pourTHôtelDieu, en déchar- 
c géant l'administration du soin des malades, la rend plus utile 
c à la gestion des biens ; et en confiant tous les détails du trai- 
c tement à une société qui ne serait payée que pour les mala- 
c des guéris, et qui ne demande à chacun d'eux que ce qu'il 
c en coûte à l'administration par chaque malade, soitqu'il gué- 
c risse, soit qu'il meure, l'intérêt particulier se trouve par 
c une heureuse combinaison être l'intérêt du public ; et ce 
c plan, très simple, réunit le double avantage de conserver 
c un grand nombre de citoyens à l'Etat et de diminuer beau- 
c coup les dépenses de l'Hôtel-Dieu. 

c Le système sur la nutrition des enfants par le lait des 
c animaux et sur la destination des enfants trouvés, présente 
c une économie dans la dépense, une augmentation dans le 
€ nombre des enfants conservés à la Patrie. Il prouve que, 
« par des emplois utiles, elle peut retirer avec usure les avan- 
« ces qu'elle fait pour l'éducation de ces enfants jetés entre 



54 UN PHILANTHROPE BIÉGONNU 

c ses bras dès le moment de leur naissance, et qui ne con- 
« naissent d'autre mère qu'elle. L'exportation de ces enfants 
c à la Louisiane couperait une de^ branches à la mendicité, 
c et diminuant le nombre des pauvres, diminuerait par une 
( conséquence nécessaire les charges des hôpitaux. 

« Le mémoire sur les revenus de l'hôpital Saint-Jacques, 
c fournit un moyen également simple et juste pour le pre- 
c mier établissement de la maison d'Association, qui tend 
c évidemment à décharger les maisons de charité. 

€ Il résulte de ces différents projets une diminution dans 
€ la dépense des hôpitaux et dans le nombre des pauvres. 
€ Cette double diminution doit nécessairement mettre enmai- 
« sons de Charité dans l'heureuse situation de donner des 
c secours plus abondants aux malheureux, que toutes ces pré- 
€ cautions n'auront pu garantir de la pauvreté. C'est ce qu'il 
€ était nécessaire de faire voir avant que de proposer le ban- 
€ nissement de la mendicité, le point essentiel du plan géné- 
« rai qui va nous occuper. » 

Telle est la chaîne dont l'auteur a lié les différents projets 
qu'il a proposés jusqu'à présent, et cette chaîne ne doit point 
échapper à ses lecteurs. Tous ces projets consultés séparé- 
ment, ne produiraient qu'une utilité particulière ; mais leur 
réunion rend leur utilité générale presque immense, et elle 
achève le grand ouvrage de l'extirpation de la mendicité, que 
chacun d'eux n'avait fait que préparer. C'est à une adminis- 
tration unique et universelle de tous les hôpitaux du royaume, 
que notre auteur réserve la guérison complète de cette plaie 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 55 

du corps politique ; il propose donc d'établir un centre d'union 
entre tous les hôpitaux ; et ce centre serait un bureau géné- 
ral formé sur le modèle de celui du commerce. 

Avant de développer son plan, M. de Chamousset se livre 
à quelques spéculations philosophiques et politiques sur le 
nombre des hommes, sur leur conservation, sur la fondation 
des hôpitaux sur les abus qui se sont glissés dans ces établis- 
sements. 

Le nombre des habitants fait la force d'un Etat, leurs tra- 
vaux en font la richesse. La conservation et l'augmentation 
du nombre des sujets doivent donc être le principal objet des 
soins d'un sage gouvernement, tous les autres objets sont 
même relatifs à celui-ci, et le supposent nécessairement. M. 
de Chamousset ne parle point directement de l'augmentation 
des hommes, il ne fait qu'exposer ses idées relatives à leur 
conservation. L'intérêt et l'équité concourent à rendre cet 
objet précieux pour l'Etat; les pauvres, dit-il, ne sont pauvres 
que pour eux-mêmes, ils font, par leur travail, la richesse 
d'un pays. On ne peut donc les abandonner sans joindre la 
folie à l'injustice, sans s'appauvrir soi-même, et sans être 
ingrat. Sous ce point de vue, les hôpitaux peuvent être regar- 
dés comme les arsenaux où se réparent les armes dont la 
République à besoin, et ils sont autant l'ouvrage de la politi- 
que que la Charité. 

Des hommes généreux et sensibles, animés par ces motifs 
nobles et sages, fondèrent ces asiles de l'infirmité et de la 
caducité : ils firent ce que l'État eut fait lui-même, s'ils ne 



56 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

l'eussent fait pour acquitter sa dette : mais ces tristes asiles, 
devenus trop étroits pour contenir tous ceux que leurs besoins 
y attiraient, une foule de malheureux promena ses misères, 
en présenta le spectacle hideux et dégoûtant, mendia les 
aumônes des âmes sensibles. La pitié, ce sentiment si naturel 
à rhomme, alla bientôt éveiller la sensibilité ; bientôt, Tétat 
de mendiant devint un état d'aisance ; il ne tarda pas à tenter 
la cupidité d'une foule de mauvais citoyens, ennemis du tra- 
vail, et par conséquent de la patrie ; ils préférèrent une oisi- 
veté lucrative à une activité fatigante, et qui souvent procure 
à peine le nécessaire. 

Leur état ne fut que fourberie et mensonges ; ils étudiè- 
rent toutes les routes qui pouvaient les conduire au cœur, ils 
abusèrent de ce don précieux que Dieu accorda à tous les 
hommes, ils surprirent la compassion ; et par l'histoire fabu- 
leuse ou le spectacle trompeur d'une misère apparente, ils 
arrachèrent des aumônes qui ne leur étaient pas dues.. Telle 
est l'origine de la mendicité innocente ou coupable. 

On ne tarda pas à s'apercevoir de cette gangrène du corps 
politique : on fit arrêter tous les mendiants ; mais au lieu de 
les renfermer dans des maisons particulières où ils auraient 
été forcés au travail, qu'on ne peut éviter sans tromper sa 
destination, on les confondit dans les hôpitaux avec les véri- 
tables pauvres, qui seuls pouvaient avoir des droits aux 
secours assurés par ces maisons. De cette méthode naquit 
une foule d'inconvénients ; il fallut ou relâcher au bout de 
quelque temps ces ennemis de la société, ou continuer de les 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 57 

tenir renfermés. Dans le premier cas, c'était lancer dans un 
troupeau paisible et utile une troupe d'animaux furieux ou 
perfides, c'était les engager à continuer à se livrer à la men- 
dicitéy au libertinage, à la prostitution^ c'était les conduire à 
une mort honteuse. D'un autre côté, en les tenant renfermés^ 
quelle douleur, quelle humiliation pour les pauvres honnêtes 
qui ont servi la société tant qu'ils l'ont pu, de se voir con- 
fondus avec des scélérats, d'y recevoir les mêmes traitements^ 
d'y partager avec eux la subsistance qui leur appartient à 
juste titre ! 

La justice et la vraie politique exigent donc qu'on mette 
une différence entre le véritable pauvre, qui est l'invalide de 
l'Etat, et le mendiant de profession, qui en est le fléau ; et 
c'est la conclusion de M. de Ghamousset. Il propose de subdi- 
viser les hôpitaux qui ne sont point destinés au soulagement 
des malades, en retraites pour les caducs et les incurables, 
et en maisons de punition pour les mendiants de profession, 
qu'on accoutumerait à trouver leur subsistance dans un 
travail forcé. Le vrai politique, l'ami de l'ordre, l'homme 
sensible, seront également satisfaits des détails intéressants 
dans lesquels entre ici M. de Ghamousset sur la manière de trai- 
ter et d'occuper les pauvres honnêtes et les mendiants valides. 

Il observe ensuite que si les fondateurs des hôpitaux sont 
entrés dans les vues des législateurs, les législateurs à leur 
tour doivent perfectionner l'ouvrage des fondateurs en le 
généralisant. Il envisage cette multitude immense d'hommes 
pauvres et malheureux comme une vaste et nombreuse 



58 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

famille qui a été utile à Tétat, et que l'Etat, par un juste 
retour, doit secourir dans la maladie et la vieillesse. Il envisage 
aussi la totalité] des établissements d'humanité et de bienfai- 
sance^ répandus dans les différentes provinces comme un 
trésor commun destiné à l'entretien de cette famille immense : 
il fait voir que ce point de vue ne peut être contraire à 
l'intention des fondateurs ; et du développement de ces prin- 
cipes, il conclut la légitimité de l'arrangement qu'il propose. 
Cet arrangement consisterait à former à Paris un Bureau 
général d'administration qui, s'étendant sur tous les hôpitaux 
du royaume, établirait entre eux une correspondance exacte 
et une communication facile de secours mutuels : par là, ils 
pourraient se soutenir réciproquement en faisant servir le 
superflu d'un hôpital au soulagement d'un autre. M. de Cha- 
moussel cite l'exemple d'une semblable communication de 
secours annuels, établie en Flandres, par M. de Sécbelles 
dans le temps qu'il était intendant de cette province. Ce 
Bureau général des hôpitaux serait composé de l'Intendant 
des finances et de quatre Intendants semblables aux Inten- 
dants du commerce ; ils seraient perpétuels. On leur asso- 
cierait un nombre de personnes choisies, tant dans les cours 
souveraines que dans les différentes classes de la Société, et 
dont l'administration ne durerait que deux ans à moins qu'on 
ne jugeât à propos de les continuer, ou qu'ils ne consentis- 
sent eux-mêmes à rester en place. Ces quatre Intendants 
n'auraient point de juridiction contentieuse ; ainsi, le droit 
qu'ont les Parlements de veiller à l'administration des hôpi- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 59 

taux, ne recevraieul aucune atteinte. Ils se partageraient 
entre eux les différentes provinces du royaume, comme font 
les Intendants du Commerce ; et tous les cinq ans ils pour- 
raient changer de département, afin que chacun d'eux connût 
la totalité du royaume, et fut plus en état de statuer sur les 
besoins de chaque hôpital. Ils feraient le rapport, dans les 
assemblées générales, de tous les objets qu'on leur aurait 
présentés, et qui tendraient à réprimer la mendicité, à préve- 
nir la misère, à secouvrir les malheureux, h, procurer 
l'abondance. Ils auraient dans chaque province des subdélé- 
gués ou inspecteurs qui visiteraient au moins une fois chaque 
année tous les hôpitaux de leur district, et en rendaient 
compte la bureau général. Le premier soin de ce bureau, 
serait de séparer dans les maisons différentes, les véritables 
pauvres d'avec les mendiants de profession. Ces subdélégués 
et ces Inspecteurs pourraient être multipliés par les Inten- 
dants autant qu'ils le jugeraient convenable ; ils pourraient 
en placer jusque dans les plus petits villages. Ce serait là une 
grande machine, peut-être même serait-elle un peu compli- 
quée, mais elle ne coûterait rien ou presque rien à monter. 
Les curés, les juges, les baillis, et même les seigneurs, en se 
distribuant les soins nécessaires, les rendraient plus légers : 
ils instruiraient les inspecteurs qui à leur tour, communique- 
raient le tout aux subdélégués. Ceux-ci, après avoir pris 
l'avis de l'administration de Thôpital de leur province ou do 
leur ville, feraient passer des états arrotés et vérifiés aux 
Intendants, qui les rapporteraient au Bureau général. 



60 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Il ne serait pas aussi facile qu'il serait utile et agréable de 
suivre ici notre auteur, dans tous les détails auxquels il se 
livre sur les fonctions des différents employés, sur les arran- 
gements particuliers, qu'il subordonne à son plan général et 
qu'il fait entrer dans son exécution, sur les avantages qui 
résulteraient de cet établissement. Il ne les borne pas à la 
distribution plus abondante et mieux entendue des secours. 
Il prouve que l'influence du nouveau plan agirait d'une 
manière sensible sur la culture des terres, sur le commerce, 
sur le progrès des arts, en fournissant de l'occupation aux pau* 
vres en faisant les avances nécessaires, pour les engrais des 
terres, pour les bestiaux, pour les outils nécessaires ; en sou- 
tenant les artisants et en leur avançant les matières premières ; 
enétablissantune pharmacie générale qui seraitun objet d'éco- 
nomie pour les hôpitaux mêmes,etc. On ne tarderait pas à acqué- 
rir des connaissances particulières sur le produit et la con- 
sommation de chaque village, qui mettrait à portée de fournir 
des cultivateurs aux terrains incultes, en s'arrangeant avec 
ceux auxquels ils appartiendraient, au moyen de redevances 
dont on conviendrait : on réserverait les mendiants pour les 
corvées et les travaux publics. Point de loi parfaite ni même 
possible dans re;cécution, sans la double sanction de la 
récompense pour les bons, de la peine pour les méchants, 
on récompenserait le travail, on punirait l'oisiveté opiniâtre. 
En excitant ainsi le travail et l'industrie, il resterait moins 
de pauvres à la charge des hôpitaux, et nul prétexte à la 
mendicité. S'il restait des mendiants on les forcerait au tra- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 61 

vail ; et l'État pourrait trouver dans eux différentes ressour- 
ces. M. de Ghamousset en cite un assez grand nombre ; je me 
borne à une seule qui prouve quedès Tannée 1757, notre auteur 
avait eu l'idée de fournir à Paris de Teau de Seine clarifiée. On 
pourrait, dit-il, décharger l'hôpital de Bicêtre des vagabonds, 
libertins ou mendiants qui y sont renfermés pour le reste de 
leurs jours ; on les emploierait à faire aller une machine 
hydraulique, qui, placée sur la Seine, au-dessus de Paris, et 
par conséquent au-dessus des immondices que les égouts y 
entraînent, porterait l'eau sur le terrain le plus élevé de cette 
capitale et la conduirait dans un réservoir, d'où cette eau 
pure et salubre pourrait être distribuée par des tuyaux dans 
les différents quartiers de la ville (1). Ce plan général pour 
l'administration des hôpitaux contient une multitude d'autres 
idées utiles, qui toutes concourent à assurer à son auteur le 
titre précieux d'ami de l'humanité, de bienfaieur de sa 
patrie. Ce projet méritait sans doute l'attention du gouverne- 
ment ; il est vaste, mais il n'exige pas de grande efforts du côté 
de la finance^ dit un auteur qui en a parlé avec éloge (1). La 
masse des fonds de tous les hôpitaux du royaume serait sans 
doute plus que suffisant. 11 n'exige que de l'ordre, de la pro- 



(1) M. Laareot, célèbre machiniste, a proposé depuis ane machine semblable, 
CD fabslîluant Tactioa de l'eau à la force des bras. 11 offrait au bureau de l'Hôtel de 
Ville de procurer 100.000 muids d*eau par jour à cette capitale; il se serait remboursé 
de set avances par la Tente de ces eaux. Sa proposition resta sans réponse ; et la plus 
grande partie de Paris avale tous les jours la maladie ou môme la mort avec Teau 
intecte qaî l'abreuve T 

(t) Nécrologe de 1774, page 60. 



63 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

bitéy du zèle et de lumières. Mais où trouver ces qualités 
réunies ? 

Convenons-en ; tous les portraits de M. de Ghamousset 
portent l'empreinte de son cœur, ils supposent les hommes 
tels qu'ils devraient être, tel qu'il était lui-même. 

Il vivait dans Paris, et il le connaissait à peine. Ses expé- 
riences personnelles étaient perdues pour lui : avec mille 
raisons de ne plus croire à la vertu de celte nouvelle Capoue, 
détériorée par le luxe amollie par le plaisir, avilie par 
l'ambition, il n'a jamais cessé d'y croire: et il conserva toute 
sa vie cette simplicité d'une âme neuve, qui pense qu*il suffit 
de présenter le bien pour le faire adopter (1). 



(1) Un mémoire manuscrit sur un Hospice bourgeois el sur ane manière avantageuse 
d'administrer les biens de rHôtei-Dicu, que nous avons recouvré aa momenC 
où l'édition allait être achevée, nous a paru contenir quelques idées neuves et utiles, 
et nous avons cru devoir le faire imprimer. C'est un acheminement à la maisoi» 
d'Association et à la réforme de l'Hôtel Dieu ; ou si l'on veut encore c'est ane suite, 
une dépendance de. ces deux projets. On le trouvera au supplément, tome U, pègt0 
3iï2-315. 



SECOiNDE PARTIE 



Soulagement de rHumanité pauvre et souffrante 
en particulier 



Jusqu'ici nous nous sommes occupés des projets et des 
actions de bienfaisance de M. de Cbamousset, qui regardent 
en général rhumanité souffrante et malheureuse : nous allons 
maintenant le considérer sous ce même rapport, non plus en 
général, mais dans les différents états particuliers, dans les 
militaires, dans les domestiques, dans les servantes, etc. Car 
rien ne semblait pouvoir écbapper à l'activité bienfaisante de 
ce vertueux citoyen qui n'a vécu que pour le bonheur de ses 
semblables. 

La juste réputation qu'il s'était acquise par ses différents 
projets d'humanité avaient fait connaître la bonté de son 
^œur, la sagesse, la justice et la profondeur de ses desseins. 
Tout Paris retentissait d'éloges que cet homme bienfaisant 
ît chrétien n'avait pas mendiés, et qui étaient même con- 



64 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

traires à ses intentions. M. le dac de Ghoiseul à son avène- 
ment au ministère de la Guerre, écouta la voix du public, 
il nomma M. de Chamousset, Intendant général des hôpitaux 
sédentaires de l'armée du Roi (1). 

M. de Chamousset fit ses représentations au Ministre ; il 
lui remontra qu'il ne connaissait les hôpitaux militaires, que 
par le rapport qu'ils peuvent avoir à l'humanité en général, 
qu'il ignorait toutes les formes auxquelles les ordonnances 
les assujettissent ; qu'il savait que le plus dangereux de tous 
les titres, est celui de réformateur ; et qu'obligé de combattre 
les passions, il ne lui dissimulait pas qu'il craignait d'en être 
la victime. M. le duc de Ghoiseul insista ; il fit venir M. de 
Ghamousset à Versailles ; il le reçut avec toutes les grâces 
qu'on lui connaît ; il lui promit argent, secours, protection, 
autorité ; il n'ignorait pas son faible, son amour, son enthou- 
siasme même pour l'humanité ; il saisit cette voie sûre pour 
arriver à son cœur, persuadé que le cœur intéressé entraî- 
nerait bientôt le consentement de la raison : il ne se trompait 
pas, et il obtint de M. de Ghamousset le consentement qu'il 
lui demandait. 

L'état des hôpitaux de l'armée de France était si déplora- 
ble, que le service en était presque abandonné. Une compa- 
gnie riche venait d*y perdre une partie de sa fortune, et peut- 
être même son honneur. Une multitude immense d'hommes 
précieux à la patrie dont ils sont les défenseurs, semblait 

(1) ht Brevet qui lai fat expédié eft du 8 février 1761. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 65 

demander à M. de Ghamousset qu'il se sacrifiât pour eux ; 
la \oix de rhumanité parle plus fortement que jamais à son 
cœur sensible : il partit pour l'Allemagne. 

M. de Ghamousset fut chargé des Hôpitaux militaires à la 
Gn de mars 1761, et au premier juin suivant, il en commença 
le service avec des approvisionnements qu'il avait tirés de 
France. Il voulait que le pays qui payait les frais de la guerre, 
put en retirer quelques fruits. Ges hôpitaux étaient au nom- 
bre de soixante et plus. Il se proposa deux objets dans son 
Intendance ; le premier de sauver plus de monde, le second 
de dépenser moins d'argent qu'on avait fait jusqu'alors. Il 
réussit dans le premier, presque au-delà de son attente. Son 
activité, ses soins, ses attentions délicates lui en fournirent 
les heureux moyens : ici il n'avait que la nature à combattre, 
disons mieux, à aider, et ses succès ne semblaient dépendre 
que de ses connaissances et de ses travaux. Mais lorsqu'il fut 
question d'économie, lorsqu'il fut question de servir le Roi 
avec fidélité, les passions factices et subalternes, ce triste fruit 
du dépérissement des mœurs qui rapporte tout à soi, et qui 
ne dit jamais c'est assez, ces passions honteuses qui ne mar- 
chent qu'à la faveur des ténèbres, firent jouer tous leurs res- 
sorts souterrains, pour le faire échouer. Rien de plus facile 
pour nous que de dévoifer les démarches de ses ennemis, ou 
plutôt de ceux du bien public, mais ayant à peindre le plus 
bienfaisant des honunes, gardons-nous d'associer à un nom qui 
ne peut inspirer que le plus tendre respect, des noms vils, mé- 
prisables, ceux de la perfidie, de la concussion et de l'avarice. 



66 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

M. de Cliamousset avait profité de la liberté que lui don- 
nait son brevet, de se faire accompagner par un médecin et 
un apothicaire de son choix, il prit avec lui deux hommes 
déjà très connus par leur savoir, ceux même qui traitaient 
les malades chez lui, et bien dignes, Tun et l'autre de la con- 
fiance entière qu'il leur accordait. L'un était M. Grandelas, 
docteur en niéderine de la faculté de Paris : l'autre était 
M. Cadet, apothicaire, et maintenant de l'Académie Royale 
des sciences : le premier avec le titre de premier Médecin et 
In>pecteur (les Hôpitaux sédentaires, le second avec le titre 
de Ai)olhicaire-Major et inspecteur des Pharmacies des 
mêmes Ilnpitaux (P. 

Sous M. de Cliamousset, toutes les places de chirurgiens 
lurent donnéiîs au concours, rien à la faveur, tout au mérite; 
telle était sa maxime pratique (I). 



(1/ M. Cailci. Apothicaire, l'un de dos plus hiiliiles chimisies, est l'un des ireiie 
enlanis «le M i'.iuU'i, Maître en rbiriirpie La mort pn-nislurée de ce ch*riirgten esli- 
niiiiile laissa une \tMi\ft (!iiHr^(^f d'enf^' ts, sans biens, sans appui. Ils trouvéreni no 
|i(T«r dans M de Laiiit- Laurent, aucirn tréi»(»riergéniTal des colonies ; M. de Chamoas- 
set s'ashoriii a (t'ile belle (iu\re, en allacbani le jeune Cadet à son laboratoire : il y 
puiba les pn-initis élenjenls de sa profission, et au liout de trois ans, MM. GeolTrot 
fHrre et lils. lui ronlièrent la ronduile de leurs opérations et de b-nr commerce. M. de 
(^bamoussev noiiiHié à rinlendance des Hôpitaux militaires, le demanda an Ministre 
cuninie un des ciiimistes le» plus capables de seconder ses vues de réforme, et quel' 
«pies années a|>re«, l'Académie <les sciences se l'associa. 

■ 1 l ne hanie de la Cour, non moins distinguée par son rang que par ses char" 
mt's. \iiit un jnnr lui drniander pour un sujit d'une capacité équivoque une des places 
dont il disposait Madanxv lui repondit il avec autant de délicatesse que de justice ^ 
Si j'étais l'àris, la pouime serait â \ous, mais je suis le protecteur et le pér« de Phums' 
nilé soullranii'. ei ce doulile litre ne me permet pas de vous accorder ce que vous in^ 
demandez La Dame, llatlée que Tami de la vertu eut reconnu l'empire qui lui plaisait 
e plus, se retira contente quoique trompée dans son espérance. 



UN PUILANTHKOPE MÉCONNU 67 

Tant de précautions, tant de fermelc^ tant de connaissances 

réunies, devaient nécessairement produire dans les hnpitaux 

militaires le changement le plus prompt et le plus avanta- 

geuxy et on ne tarda pas à le remarquer. Bientôt, les soldats 

malades et blessés se demandèrent dans Tcnthousiasme de 

leur reconnaissance, quel est donc Tange que le ciel envoie 

à notre secours. Les officiers regardaient son administration 

comme un enchaînement de prodiges. La renommée ne 

tarda pas à faire retentir aux oreilles de M. le Maréchal de 

Broglie la nouvelle de cet heureux changement; il voulut 

s'assurer par lui-môme si elle n'exagérait pas, comme à son 

ordinaire ; il vint dans les hôpitaux de Cassel au moment où 

on s'y attendait le moins (1). Peut-être croyait-il surprendre 

mais il fut lui-même très étonné du l'ordre, de la propreté 

qui y régnaient, ainsi que du contentement général des 

malades sur la manière dont ils étaient traités. Alors, se 

tournant vers Madame la Maréchale, il lui dit, en présence 

des Officiers généraux qui l'accompagnaient: 

Si je suis malade, je me ferai transporter à l'Hôpital de 
MM. les Officiers. 

M. le Maréchal de Soubise après avoir visité l'hùpital de 
Dusseldorf, oii il était arrivé sans avoir été attendu, s'écria 
en sortant avec une espèce de transport : Voici la première 
fois que j'ai le bonheur de visiter un hôpital sans entendre 
de plainte. 

(l)àL€ttre do 30 Août 1761. 



68 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Une comparaison entre le nombre des morts de l'Hôtel - 
Dieu de Paris et celui des Hôpitaux dirigés par M. de Cha- 
mousset acheva son éloge à cet égard. On sait par les nécro- 
loges de cet Hôtel-Dieu^ qu'il y meurt un quart de malades, 
tandis que dans les hôpitaux de TArmée il n'en mourut que 
le vingt-et-unième environ, pendant le cours de la campagne 
de 1761 (1). 

Tels furent les succès de M. de Chamousset dans la partie 
qui ne dépendait que de la nature et de lui ; il la connaissait^ 
et savait la servir suivant ses besoins ; mais il ne connaissait 
pas de même toutes les ressources de l'envie, de l'intrigue et 
de l'intérêt ; il n'avait pour lui que sa probité, sa réputation 
et l'estime du Ministre : Pouvait-il résister à la jalousie, à 
Tavidité ? et ne doit-on pas être surpris que cet ami du bieu 
public ait pu lutter pendant onze mois (2) contre ceux qui 
en étaient les ennemis déclarés ou secrets (3) ? Son malheur 
dans cette occasion comme dans plusieurs autres, disons 



(1) En celle année 1761, il enlra aux Hôpilaux militaires* 101.090 malades, et on eo 
gaérit quatre-vingt seize mille trois cents : il en mourut 4.700. A THôtel-Dieu ce Paris, 
suivant le cours ordinaire, il en serait mort environ âfi.COO. 

(2) Il commença le service le premier juin 1761, et le quitta le dernier ayril I7€2. 

(3) Un ecclésiastique bonnéte et savant, consacré à l'éducation de M. le duc 
d'Ângouléme, m*a raconté que se promenant un jour sur les quais de Paris, il 
entendit deux tiommes qui complotaient la mort de M. de ChamousseL 

Ce trait dont la probité du témoin ne me permet pas de douter, justifie la réponse 
que (it un jour le Ministre à ce généreux citoyen : «^ Permettez, lui dit M. de 
Chamousset, que je démasque juridiquement les vols et les rapines de M.... Gardez- 
vous en bien, lui répondit le Minisire, vous risqueriez d'être empoisonné. Taime mienx, 
dit ce béros de Tamour patriotique, mourir par le poison, que de vivre poor voir la 
France en proie à des (ripons. » 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 69 

mieux, celui de rhumanité, fut cette ardeur, ce penchant 
irrésistible à faire le bien général qui semblait le dévorer, et 
qui ne connaissait ni retardements ni ménagements quelcon- 
ques. Jamais il ne put prendre sur lui de marquer certains 
égards à des hommes riches qu'il n'estimait pas. M. de 
Chamoussety frappé de la beauté de la vertu, n'a jamais pensé 
qu'elle n'est rien pour les méchants^ pour les âmes viles et 
intéressées. Il a toujours oublié que l'art de faire le bien est* 
le plus difficile de tous, qu'il exige la plus grande précaution, 
la plus grande adresse ; même dans les souverains, et qu'il 
faut, pour ainsi dire tromper les hommes pour leur être utiles. 
Le premier spectacle qui révolta son âme, furent des usages ' 
dangereux, des abus criants, des déprédations cruelles ; il 
courut au remède, mais il y courut peut-être trop rapidement ; 
il ne disposa point ce corps malade et presque désespéré à en 
recevoir l'heureuse influence ; les usages trouvèrent des 
défenseurs bornés, les abus des partisans intéressés, les 
déprédations des protecteurs aveugles ou coupables ; les 
premiers crièrent à la nouveauté, les autres intriguèrent, tous 
ensemble formèrent ce volcan dont l'explosion devait 
renverser le temple utile et respectable que M. de Chamousset 
élevait à la conservation de l'humanité sur le théâtre même 
de sa destruction. 

Avec moins de probité, il fut devenu le complice de ses 
ennemis : il choisit d'être leur victime. Au désespoir de 
n'avoir pu rendre son administratien suspecte, ils vinrent à 
bout, après avoir fait avorter par mille moyens odieux ses 



70 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

spéculations et ses opérations les mieux concertées, de lu 
donner l'apparence du défaut d'expérience, d'intelligence, 
d'économie : ils vinrent à bout de faire abréger une adminis- 
tration, dont leur avarice craignait les suites, si elle eut duré 
plus longtemps. M. de Chamousset quitta donc l'intendance 
des Hôpitaux militaires, mais il la quitta plus pauvre qu'il 
n'y était entré, tandis que tous ses ennemis s'y sont enrichis^ 
et qu'on en a vu insulter au public par l'étalage également 
cruel et indécent de cent mille livres de rentes gagnées sur la 
vie du soldat français. Et dans quel temps l'obligera-t-on de 
la quitter ? Dans le moment môme où l'Etat et le malheureux 

allaient recueillir tout le fruit de ses travaux ! Il ne 

regretta que l'occasion de servir l'humanité et la patrie. Les 
Mémoires apologétiques qu'il présenta au gouvernement en 
différents temps, respirent partout ces sentiments nobles et 
généreux qui tenaient au fond de son âme ; il sollicita une 
commission pour vérifier son administration, pour la com- 
parer avec celle de ses successeurs. 

D'après la vérification des commissaires, il fut démontré 
que, malgré l'état horrible où il avait trouvé les hôpitaux 
militaires, malgré les premières dépenses nécessaires pour les 
remonter et dont profitèrent ceux qui lui succédèrent ; malgré 
les approvisionnements réellement avariés ou déclarés tels ; 
malgré ceux qu'il avait faits avant qu'il fut remercié, et que 
sans cause on parut faire revendre à vil prix, malgré les 
abonnements conseillés, suggérés par ses ennemis ; malgré 
les abus et les déprédations qu'il n'avait pu retrancher 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 71 

d'abord, et qu'il aurait retranchés dans la suite ; malgré tous 
ces différents obstacles physiques ou moraux, on reconnut 
que sa régie avait été plus économique, que les journées des 
malades avaient moins coûté de son temps que de celui qui 
suivit, quoiqu'on eut profité de toutes sos avances, qui 
étaient fort considérables. Cette vérité, si chère à M. de 
Chamousset fut constatée par deux arrêts du Conseil des 
l** février et 29 décembre 1763. On rendit hommage à la 
pureté et à la sagesse des vues de l'ancien Intendant ; mais, 
suivant l'usage et la maxime du Poète ancien, la vertu eut 
les éloges, l'ennemi de la vertu eut les laveurs (1). 

S'il était nécessaire de rien ajouter à la justification authen- 
tique et légale de la conduite de M. de Chamousset, si Ton 
désirait une nouvelle preuve de sa capacité naturelle et acquise 
dans la partie dont il avait été chargé, il suffirait de mettre 
sous les yeux son Mémoire (1) sur les ITôpitaux, et les 
Tablemix qui en sont la suite. L'esprit d'ordre et de détail 
s'y réunit avec les grandes vues d'utilité générale, avec celle 
de la récompense due aux défenseurs de la Patrie. D'un côté, 
on assure au soldat malade ou blessé le meilleur traitement, 



(I) Le 16 juillet 1764, M. le Duc de Clioiseiil écrivit à M. de CbaDioiisset : « Je me 
A sais fait rendre compte, M , de la lU'>f!ie des hôpitaux qui avait èlê oonli«>e à vos 
« soins en ^61, et je vois avec plaisir que les articles de dépeuses que vous avez 
Il traités par vous-mûme ont été faits avec économie, mais que la majeure partie des 
« employés qui ont été attaches â ce service ont ahusé de vitiie eonliauce ». (!e n'était 
pis M. de Chamousset qui avait choisi ces employés, il les tenait des mains de l'intérêt 
caché sous le manteau de l'amitié. 

(0 Imprimé. Tome II, pages 1-24 et les tableaux â la (in du même tome. 



72 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

le médicament le plus sûr, la nourriture la plus saine ; de l'au- 
tre^ on montre au souverain la moindre dépense possible : ce 
sont, tout à la fois, les secours les plus abondants, les plus 
sûrs et les moins onéreux. On y abrège la comptabilité, on la 
rend claire, facile, et on la met à couvert de loute fraude ; 
c'était un crime aux yeux de la cupidité. Ge travail important 
date du temps de l'intendance de M. de Ghamousset, 
et la remarque de cette époque n'est pas inutile ; déjà, il 
commençait à mettre en pratique ces vues d'économie et de 
patriotisme, lorsqu'il fut remercié ; et il est plus que probable 
que la cause qui aurait dû le soutenir fut précisément celle quî 
hâta sa ruine. 

Quoiqu'il en soit, on voit dans ce . noire, dont on proO- 
tera peut-être quelque jour, trois pa^l, > presque également 
intéressantes, l'aliment, le service, la comptabilité. 

Pour l'aliment, on démontre que la manière la plus avan- 
tageuse de fournir le meilleur, et avec la plus grande écono- 
mie possible, serait de faire pour les différentes parties qui le 
composent des adjudications au rabais, en prenant différentes 
précautions qu'on indique. Ce concours assurerait nécessai- 
rement la qualité et le prix juste. 

Quant au service et au traitement, on aperçoit dans 
l'ouvrage les idées les plus heureuses, les détails les plus 
intéressants, les attentions les plus délicates. On doit surtout 
remarquer ce qui concerne le service des infirmiers. L'auteur 
propose de former des corps pour les infirmiers servants et 
domestiques, qui, arrôtês par le lien de leur engagement, 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 73 

seraient tenus par la crainte de la punition, s'ils étaient tentés 
de faire quelques actions désavouées par l'honneur. Toutes 
les places de Médecins, de Chirurgiens et d'Apothicaires 
seraient données au Concours : les drogues simples seraient 
tirées en droiture des lieux où elles croissent ; les drogues 
composées seraient préparées avec les précautions que pren- 
nent toujours les artistes soigneux de leur réputation et qui 
savent estimer la vie des hommes. 

Si on prend la peine de lire attentivement les quatre 
tableaux que M. de Chamousset joignit à ce Mémoire, on 
verra qu'ils rendent la comptabilité également simple et claire. 
On sent que ce genre d'ouvrage n'est point susceptible 
d'analyse, mais nous . .ons remarquer que la comptabilité 
devenue moins compi ^us^é et plus facile, toutes les places qui 
la concernent pourraient être remplies par des sergents, par 
des maréchaux-des-logiSy ou même par des soldats dont 
l'intelligence et la probité seraient également reconnues. De 
là, l'émulation, l'âme du succès : de là, l'économie, principe 
de la richesse. On verra dans le Mémoire même mille détails 
qui le rendent utile et intéressant : c'est assez d'en avoir 
présenté l'abrégé, et je n'ajoute qu'une seule observation, 
c'est qu'on y parle encore de difiTérents avantages qui résulte- 
raient de /' Union des H&pitaicx Militaires de Vintérieur du 
royaume à ceux de la suite des armées. Cette réunion fait la 
partie d'un Mémoire (2) particulier, qu'on peut regarder 

('3) Imprimé Tome II, page 24 29. Ce projet fut présenté au Ministre en Octobre 
1761, par M. le Prince de Sonbise. 



74 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

comme une suite de celui des hôpitaux militaires, et qu'il 
composa à peu près dans le même temps. Ce projet, comme 
tous ceux que M. de Chamousset donna sur la même matière, 
roule sur deux points généraux, le bien-être des malades, la 
diminution de la dépense pour TÉtat: partout le même 
esprit, la même humanité, le même patriotisme. 

Cet esprit règne encore dans le plan des fonctions que 
M. de Chamousset s'était proposé comme Intendant des 
Hôpitaux militaires. C'est le serment de la probité' et du patrio- 
tisme. Je m'imagine entendre quelque ancien philosophe se 
dévouant pour la vertu de la patrie. Et au fond, toute la vie 
de M. de Chamousset n*a été qu'un dévouement perpétuel. 

(Cet écrit, retrrmvé parmi les papiers qui m'ont été commu- 
niqués postérieurement à l'édition achevée, est imprimé au 
supplément, tome II, pages 333-340). 

Tous les projets de M. de Chamousset tendaient au soula- 
gement de l'humanité souffrante et malheureuse, même lors- 
qu'ils paraissaient n'avoir que la finance pour objet. 

Il y en a un qu'il a intitulé : Moyen de trouver des fonds 
pour les Hôpitaux. Ce moyen simple, fécond et utile à tout 
le monde, consisterait à réunir sous une même administration, 
le roulage du royaume, les messageries et la poste aux che- 
vaux, pour appliquer le revenu de l'exécution de ce projet 
aux maisons de charité. 

Nous en parlerons, en exposant ceux que M. de Chamous- 
set a faits pour augmenter les commodités et les douceurs de 
la société. Le fond du Mémoire est ici différent de son but ; 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 75 

il en est de même à peu près de celui qui concerne les écono- 
mats (1). 11 ne s'agit pas de porter dans cette partie, la 
réforme : il s'agit d'en tirer parti pour les Hôpitaux militai- 
res, et môme pour les Enfants-Trouvés. On parle d'abord des 
oblats et l'on fait voir que l'application d'une partie des 
bénéfices simples, à nomination royale aux hôpitaux mili- 
taires, remplirait cette destination primitive, qui consistait 
à recevoir dans les monastères un ou plusieurs soldats vété- 
rans : mais notre auteur ignorait peut-ôtre que la grande 
fondation dos Invalides a réuni toutes ces fondations parti- 
culières. Quoi qu'il en soit, ce n'est point sur les bénéfices 
mêmes, c'est sur les économats que M. de Chamousset pro- 
pose de prendre les fonds nécessaires. 11 donne les moyens 
d'en augmenter les revenus, en diminuant la dépense de l'ad- 
ministration, qu'on pourrait réunir à celle des Invalides ; en 
augmentant, s'il est nécessaire le nombre des bénéfices qu'on 
y met; en y tenant un an tous les bénéfices qui vaqueront ; 
en grevant tous ces différents bénéfices d'une portion (jucl- 
conque, telle que le dixième. Le revenu total de ces bénéfices 
monte, suivant l'auteur de ce mémoire, à trente-six millions, 
dont le dixième formerait trois millions six cent mille livres : 
etil en applique un million deux cent mille livres aux Enfants 
trouvés, et deux millions quatre cent mille livres aux hôpi- 
taux militaires, ou autres objets semblables, tels que des 
chapitres destinés à des veuves ou orphelins d'officiers. 

(1) Imprimé tome % page 30-43. 



76 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Rien de plus louable que ces vues de IML de Ghamousset : 
rhumanité et la religion y applaudissent de concert. Obser- 
vons cependant qu'il ne parait pas avoir connu la manière 
dont les Chambres ecclésiastiques travaillent en finance. Les 
bénéfices qu'il veut imposer au dixième paient ordinairement 
le quart et quelquefois le tiers de leur revenu pour les déci- 
mes, qui, comme on voit, n'en ont que le nom. Si tous les 
décimes perçus sur les bénéfices de France étaient employés 
au soulagement des pauvres et des malheureux, peut-être 
n'y en aurait-il plus. Au reste, rendons justice aux intentions 
bienfaisantes de M. de Chamousset, et passons à deux autres 
idées, qui sans doute étaient nées de ses observations pendant 
le cours de son intendance. 

La première est présentée sous le titré de Mémoire sur une 
économie dans le service des armées (1). Cette économie 
consisterait à faire faire une partie du roulage par les bœufs 
destinés à nourrir les troupes. Cette idée paraît assez heu- 
reuse : mais serait-elle bien praticable, dans tous les cas ? 
Peut-être l'expérience seule peut ici, comme dans bien d'au- 
tres circonstances, lever les doutes, et M. de Chamousset 
était bien en état de faire ces expériences avec certitude, s'il 
eût gardé plus longtemps la place dlntendant des Hôpitaux 
militaires. 



(1) Tome II, pages 29-34. Cet écrit, retmavé parmi tes papiers qai m'ont été corn 
maniqaés postérieurement à l'édition achevée, est imprimé an supplément, tome II, 
pages a35-349. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 77 

Les Observations sur les fourrages (1) étaient destinées à 
remplir sa vocation, à déraciner les abus, à ménager sur les 
dépenses du Roi. Ce Mémoire, fait pour éclairer le Ministère, 
doit être lu par ceux qu'il doit intéresser. Nous observerons 
seulement que, pour remédier au mal qu'il découvre, M. de 
Chamousset propose d'établir un contrôleur à chaque maga- 
sin et qu'il donne le détail de ses devoirs et de ses opérations. 
Il avait préludé à ces observations par quelques remarques 
qui pourraient être utiles sur les dififérents employés dans le 
service des armées (2), et sur leurs fortunes scandaleuses 
peut-être par leur nature et leur rapidité. 

Un dernier Mémoire qui date du temps de son intendance, 
et qui est encore à la suite de ses observations patriotiques, 
c'est une nouvelle manière de rendre les Commissaires des 
guerres plus utiles (3). Après avoir peint en peu de mots 
l'état des officiers, la manière dont s'acquièrent ces charges, 
infectées comme les autres par la maladie de la vénalité^ ces 
charges qu'on a regardées comme si importantes que le titu- 
laire n'en a l'exercice qu'autant qu'il lui est confié par le 
Ministre, M. de Chamousset propose un arrangement qui 
serait très utile, et qui paraîtrait facile, sans le jeu des pas- 
sions. Il s'agirait de choisir dans chaque armée un très petit 
nombre de commissaires des guerres, auxquels on donnerait 



(I) Imprimé, tome 11, pag. 34 à sa. 

(3) Ici Tient sa présenter le trait des Mémoires da Maréchal de Yiiiars, que per- 
■oiine n'ignore. 

(9) Imprimé, tome II, pag. 43-46. 



78 UN HILANTHKOPE MÉCONNU 

(les seconds. Sous ces premiers et ces seconds seraient les 
nouveaux reçus, et quelques aspirants qui ne pourraient 
acheter des charges ([u'après un certain nombre d'années de 
service en cette qualité, et sur les témoignages de ceux sous 
lesquels ils auraient servi. On retrouverait dans la diminution 
des appointements des deux dernières classes, l'augmentation 
de ceux des deux premières ; et d'ailleurs, ce corps de 
Commissaires des tîuerres ainsi monté, le Roi pourrait régir 
par eux, cl diminuer par conséquent la dépense des services 
de l'armée. M. de Clianiousset olîrait de faire l'essai de son 
système pour les hôpitaux militaires, et il répondait du 
succès : il avait raison, mais il oubliait qu'il anéantissait 
prescjue entièrement le plaisir de protéger ce droit, de faire 
sortir de terre un homme lout instruit, comme Pallas sortit 
toute armée du cerveau de Jupiter. » 

Après la retraite de M. le duc de Choiseul (en 1771), 
M. de Chamousset fit quelques tentatives. L'expérience est un 
des biens les plus précieux, et il ne voulait pas que la sienne 
fut perdu(i pour Thumanité. Il présenta au nouveau Ministre 
son Mémoire sur les Hôpitaux militaires ; et il en proposa la 
léunion aux Invalides (1) ; il ofl'rit de leur céder le privilège 



(t) Otie rt^nnion fait l'objet d'un Mémoire particulier imprimt* au tome l\ (supplé- 
ment) pag. 840 3ii, sous le titre de Hcllexion sur le projet de réunion des Invalides 
aux Hôpitaux Miiitainis. On trouve dans ces réflexions 'lue exposition plus détaillée 
que dans le Méniuire sur \o.s Hôpitaux Militaires des diflérents avantages de cette 
réunion. On y trouve encore une idée à IVxécution de laquelle rbumanité et la religiou 
applaudiraient, c'est l'établissement d'une Ordre d'Infirmier, semblable à celui de« 
frères de Saint Alexis en Allemagne. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 79 

qu'il venait d'obtenir pour établir deux ponts volants, un à 
chaque extrémité de Paris, et celui pour la composition de 
sirops, pâtes d'orge et robs de bière. Il sollicita sa réhabili- 
tation dans la place que la cupidité et Tintrigue lui avaient 
enlevée, et il la sollicita uniquement par cette ambition noble, 
qui sent qu'avec le désir et le pouvoir de faire le bonheur 
public, il est cruel de se borner au bonheur particulier. Pour 
le commim des hommes, les faits sont des raisons : M. de 
Chamousset ne réussit point : il ne fut ])lus question de ces 
hôpitaux mihtaires sur Tétat des(|uels Tliumanité et la bienfai- 
sance allèrent gémir en secret ; et M. de Chamousset, qui 
leur avait consacré sa vie, pensa à les servir d'une autre 
manière. 

Deux objets importants pour l'humanité, la religion, les 
mœurs et la patrie l'avaient occupé avant cette époque : je 
veux dire, les servantes malades ou hors de condition, et les 
domestiques. Il en avait fait le sujet de deux Mémoires dont 
nous allons parler en commençant par celui des ser- 
vantes (1). 

L'appât du gain attire des campagnes dans les villes une 
multitude de iilles, acquises par là au luxe, souvent au liber- 
tinage, perdues pour l'agriculture et la population. Ces 
malheureuses, hors de condition, ne sav<'nt souvent où se 
réfugier : Tllôpital de Sainte-Catherine ne leur est ouvert 
que pour trois jours. Bientôt, leurs faibles économies, si elles 

(1) Tome II, pag. 53-tfl. 



80 HILANTHROPE MÉCONNU 

en ont fait, sont épuisées : que faire ? Faibles, sans ressource, 
abandonnées à elles-mêmes, séduites quelquefois par des 
apparences de la vertu, est-il surprenant qu'elles succom- 
bent ? Le projet de M. de Chamousset remédie à ces maux 
dont gémissent la religion et la politique; il assure une 
retraite à ces filles infortunées, soit pour le temps de la mala- 
die, soit pour celui où elles sont hors de condition (1). De 
plus, il assure aux maîtres une continuité de service pendant 
la maladie de leurs servantes, l'établissement s'obligeant à 
leur fournir une autre pendant tout le temps que durera 1à 
maladie de la première ; il assure encore à toutes celles qui 
seront d'une bonne conduite la certitude de n'être pas long- 
temps sans condition, puisque celui oui sera directeur de 
l'établissement suivra exactement U.cond îtodes filles qui 
seront enregistrées, et qu'il pt^ui^a 4u instruire les maîtres 
auxquels la prudence dictera de s'adresser à lui : il pourra 
même éclairer la vigilance des magistrats chargés de veiller à 
la police. Les avantages de ce projet ne se bornent pas à ceux 
qu'on vient d'exposer. 

M. de Chamousset y ajoute celui d'employer le dixième du 
produit de cet établissement à former des récompenses, qui 
seront distribuées par le sort en forme de loterie, entre celles 
qui se seront bien conduites pendant un certain nombre d'an- 
nées. Dans les projets de M. de Chamousset, toujours comme 



(1) Moyennant 12 livres par an pour cbacane, dont 6 liyres k la charge du maitre 
et 6 livres à celle de la serrante. 



UN PHILANTHROPK MÉCONNU 81 

on le voit, même respect pour rhumanité, les mœurs, la 
religion^ Tintérôt de l'état. 

Celui qui concerne les ouvriers et les domestiqiies (2), 
tend à peu près au même but. Personne n'ignore qu'un Etat 
est d'autant plus puissant qu'on retient plus d'hommes dans la 
classe productive, et qu'on y donne plus de considération, 
aux hommes vraiment utiles. Qu'on en juge par l'Angleterre, 
comparée avec ses voisins. En France la désertion des cam- 
pagnes est une des principales sources de la diminution de 
ses revenus. On en convient, mais on a peu pensé à remé- 
dier à ce mal. 11 s'agirait de gêner par quelque taxe, par 
quelques lois, l'abandon des campagnes : ce ne serait pas 
blesser la Hberté, ce serait arrêter la licence qui fait quitter 
arbitrairement e' sans rr 'sons suffisantes une profession utile, 
honnête, nécessaire, v ^m^ .ait de donner un signalement 
à tout homme venant à Paris pour être domestique ou 
ouvrier : ce signalement arrêterait sûrement bien des crimes. 
Combien d*hommes ne s'y abandonnent que par l'espérance 
presque certaine d'être inconnus ! Ces signalements seraient 
portés sur des registres qui, présentés chaque mois aux 
Magistrats, les mettrait en état de renvoyer dans les campa- 
gnes ceux qu'ils jugeraient à propos : la crainte de ce renvoi 
en empêcherait plusieurs de tenter un voyage peut-être inu- 
tile. M. de Chamousset remarque que son idée est conforme 
en grande partie à une déclaration de 1040, qui n'est point 

(2) Imprimé Tom. H. pag. 46 i 53. 



82 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

exécutée. Tous les détails de ce projet (1) sont intéressants 
préviennent le mal, assurent le bien : il eut été certainement 
très utile ; mais il resta sans exécution, il n'intéressait que 
la sûreté de la société et de la vie des citoyens, il n'était pas 
question d'amusement. 

Quant à celui des servantes, il parait que M. de Chamous- 
set en prit sur lui les premiers frais, et qu'il en établit le 
centre de la maison de la petite Poste de Paris : mais on ne 
voit pas que cet établissement ait continué, si même il a eu 
lieu. , 

. En voici encore un autre fort utile en lui-même, et qui, 
à quelques égards, est la maison d'Association restreinte à 
un objet particulier : il est intitulé : Etablissement pour 
les femmes eïtceintes (2). On voit d'abord qu'il intéresse ce 
que l'état a do plus précieux, les mères et les enfants. Après 
un coup d'ceil jelé rapidement sur les différentes maisons 
d'humanité, de bienfaisance et de charité établies à Paris, 
dont l'histoire a fait dans ces derniers temps l'objet d*un 



(1) Tom. II. Pjiiî. 61 -H4. 

(tî) Les cun'gisii-i'ments auraiont élë grattits, mais les certificaU auraient coûté 
qiieli|iio rl)os(> : ceux pour les ouvriers, 2 sols ; ceux pour les domeitiqaes, 4 sols ; 
ciiaque reiisci^'niMiicul deiiiaiidé [lar les maîtres, 6 sols. - Cbaque semaine on aurai 
présentés des bordereaux i\v ces signalements nux Magistrats. — Les oavriers et les 
domestirpies auraient été obligés de venir a cbaque mutation se présenter au bureau. 
SuccessiVeiiirnt on aurait Tait des élabiisseinents semblables dans les diOérentes villes 
df jiroviiKM* qui auraient enlreknu correspondanre avec celui de Paris. Chaque men- 
diant, cbaque inconnu voyageant aurait été tenu île montrer un billet de quelqu'un 
de ces bureaux, sans quoi il aurait pu être arrête par la Maréchaussée, etc. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 83 

ouvrage utile qui pourrait être perfectionné (1), M. de Cha- 
moussel expose son plan ; il ne s'agit pas d'une institution 
gratuite. L'Hôtel-Dieu offre un secours toujours subsistant 
aux mères pour lesquelles le gratuit d'un hôpital n'est pas trop 
humiliant : il s'agit d'un établissement qui n'humilierait per- 
sonne, puisqu'on y serait à ses dépens. Il serait également 
ouvert aux mères légitimes et à celles que la faiblesse con- 
duisit au crime et que l'honneur pourrait conduire à un 
second. M. de Chamoussel expose toutes les précautions 
qu'il faudrait prendre pour l^ur assurer le plus grand secret ; 
il fait le détail des avantages qu'on trouverait dans cet éta- 
blissement. Outre les médecins, les chirurgiens et les sages- 
femmes ordinaires, on y attacherait à titre de consultants les 
hommes les plus célèbres dans l'art des accouchements, pour 
avoir leurs avis dans les cas embarussants. Ainsi que dans la 
Maison d'Association^ les dillerenles prix seraient propor- 
tionnés à la diflérences des logements ; mais ici on paierait 
par jour et non par abonnement. 

J'avoue que je n'ai pu lire ces ditïérents projets d'huma- 
nité et de bienfaisance sans sentir au fond de l'àme une douce 
émotion, mêlée d'admiration et de respect pour leur auteur. 
Toute sa vie fut occupée par le désir de faire le bien et 
d'arrêter le mal. 



(1; Tabletiii de riiiimuDité «t de la ineiifaisanre, ou Précis historique des charités 
qui se font dans Paris, contenant les divers étahlisseuiiails en faveur des pauvres 
«t de toutes les personnes qui ont besoin de secours. Paris, Musier lils, L7t)l<), in- 12, 
H 10 pogef. ^ 



TROISIÈME partie: 



BoissoTi salutaire. Aliments sains, Préservatite 
contre la maladie dus à M. de Chamousset 



Nous allons acquérir une nouvelle preuve des vues bien- 
faisantes de M. de Chamousset, en le voyant faire usage de 
ses connaissance physiques, chimiques et médicales, pour 
procurer à sa patrie une boisson salutaire, des préservatifs 
presque sûrs, des remèdes simples, dans lesquels la nature 
se plaît à déployer toute son énergie ; je veux parler des eaux 
de la Seine épurées, des sirops et pâtes d'orge. 

Dès 1757, M. de Chamousset avait pensé procurer à celle 
capitale une eau salubre (1). Il s'en occupa plus essentiellement 



(1) Voyez Plan générzl pour C administration des hôpitaux du royaume. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 85 

encore en 1768 ; et ce fut un nouveau rapport sous lequel il 
voulut être le bienfaiteur de sa patrie. Il avait consacré ses 
travaux, ses veilles, sa fortune au soulagement de Thumanité 
pauvre et souffrante en général ou en particulier ; il s'appli- 
qua à prévenir les maladies de ses concitoyens. Il savait que 
si les différentes parties de la médecine ne sont que proba- 
bles (1), rhygiène, la bienfaisante hygiène est certaine dans 
ses effets, qu'elle seule procure sûrement la santé (2) ; il 
savait que si le régime est nécessaire à tous les hommes, la 
situation, les occupations, la vie sédentaire des habitants de 
Paris le leur rendent plus nécessaire encore (3) ; il savait 
que si Teau est la plus salubre de toutes les boissons, comme 
on n'en peut douter (4), si ceux qui en usent, tout égal 
d'ailleurs, sont sujets à moins de maladies (5), si elle peut 
en prévenir un grand nombre, soit de Tame (6), l'eau de la 
Seine l'emporte sur toute autre par sa salubrité (7) et que 



(i) L'bygiéne« aatrement la diète ou le régime qai peut varier presque autant que 
les personnes, eét cette partie de la médecine qui enseigne à user largement des cho- 
ses nécessaires au rétablissement ou à la conservation de la santé, autres que les 
remèdes proprement dits. 

(2) Sanitatit optimum praesidium dixta. Asola dixta Valetudo, Thèse de la faculté de 
médecine de Paris, en 1587, 1599, 1606. etc. 

(3) Pixta omnihus neeessoria, magistamen Pansiorum incolis. Thèse de la même 
facalté en t765. 

(4) Aquae polus omnium saluberinum. Thèse soutenue en la Faculté de Médecine en 
1789, 1747 et 176ÎP. 

(5) Hydropota minus morbis obnoxu, ibid, 1668. 

(6) Praecûvendis Ivm corporis, lum animi molis, aquae polus, ibid. 1686. 

(7) Salubrior Sequana. Thèse soutenue à la Facalté de Médecine de Paris en 1743 et 
17à9. 



86 UN PHILANTHROPE MECONNU 

seule elle peut suffire aux habitants de Paris (1). Il avait 
puisé cette doctrine dans celle de la Faculté de Médecine de 
Paris ; ou plutôt, la nature et l'expérience avaient été son 
oracle, comme elles ont toujours été celui de ce corps célè- 
bre ; mais en même temps, il avait appris que Teau qu'un 
philosophe ancien regardait comme le principe universel, ne 
produit pas toujours les heureux effets qu'on doit en atten- 
dre, et que souvent môme elle en produit de funestes. Il n'y 
a que l'eau pure qui ait le privilège de porter avec elle la 
santé et la vie ; mais qu'il est rare qu'elle le soit entière- 
ment ! Mille corps étrangers, plus ou moins dangereux s'y 
mêlent en différentes proportions. Tantôt c'est un sable dur 
et iin qui ne change pas le goût, qui ne trouble pas même la 
transparence de cet élément. Tantôt c'est un limon épais, 
gras, de mauvaise odeur, qui porte dans le cours de la cir- 
culation une matière putride. Quelquefois ce sont des métaux 
nuisibles, des débris de plantes, des bois pourris tenus en 
dissolution. Que sais-je ? L'eau peut-être viciée de mille 
manières, et il n'y en a qu'une pour la rendre salubre ; il 
faut qu'elle soit exempte de tout mélange étranger. 

Parmi les différentes causes qui altèrent la santé des habi- 
tants de Paris, on ne peut nier qu'une des causes principa- 
les, ne soit l'impureté que l'eau de la Seine naturellement 
salubre, contracte en traversant cette ville immense par les 



{\) Alioêà Sequanku aquae Parûiensibus ad potum non iund deiidiranda, ihid, 5 mars 
1767. 



UN PIIILANTHHOPE MÉCONNU 87 

égoùts si nombreux el si variés qui so dégorgent dans la 
rivière, par les ruisseaux infectes qui y aboutissent, par les 
immondices de toutes espèces qu'on y jette à chaque ins- 
tant. 

Ces immondices croupissent sur les bords» où le courant 
les repousse sans cesse ; elles communiquent à l'eau une 
corruption telle, qu'on a observé qu'il croit quelquefois sur 
les bords de la Seine des. plantes pestilentielles dans les gran- 
des chaleurs. Il est donc constant que Teau des rivières ne 
peut-ôtro bien pure que dans leurs courants, et non sur les 
bords. La (iltration de l'eau dans les fontaines sablées ou 
autres semblables, peut bien la rendre plus limpide mais non 
plus pure, plus salubre. Cette Hmpidité n^est qu'imposante, 
parce que les filtres les plus répétés et les plus lins, peuvent 
altérer la nature de Teau, sans la débarrasser des sels plus 
ou moins dangereux dont elle s'est imprégnée par le séjour 
des corps étrangers et putrides. 11 faut donc bien distinguer 
ici la hmpidité et la pureté. C'est ce qu'il n'est pas aisé de 
persuader au commun des hommes ; et c'est ce que démon- 
tre* cette science utile, qui de nos jours a pris à juste titre 
une si grande faveur, cette science qui décompose et sépare 
les corps comme par enchantement. 

Ce fut d'après ces principes fondés sur la raison, l'expé- 
rience et le consentement des physiciens el des médecins, 
que M. de Chamousset se proposa de procurer à ses conci- 
toyens une eau pure, exempte de tout mélange dangereux, 
et non altérée par le filtre. Pour cet clfet, il faisait prendre 



W U\ PHILANTHROPE MÉCONNU 

Teau dans le milieu du courant de la Seine, au-dessus de Thô- 
pital général et de rembouchurc de la Marne. Des bateaux 
moyens neufs, qui n'avaient point été goudronnés, et aux- 
quels on faisait perdre le goût du bois, en la faisant tremper 
quelque temps au fond de la rivière, perforés dans leurs flancs 
de trous faciles à ouvrir et à fermer, allaient prendre celte eau 
au milieu du courant, et six pouces au-dessous de la surface de 
la rivière, pour distribuer aux dilTérefits quartier de Paris, au 
même prix que celui qu'on donne aux porteurs d'eau. Il avait 
pris toutes les précautions que la prudence exige pour assurer 
l'exactitude et la fidélité du service ; mais ces précautions, 
ces peines furent perdues pour les Parisiens qu'on séduit tou- 
jours par les sens. Il se forma une compagnie qui proposa 
avec une sorte d'emphase de leur fournir des eaux filtrées. 
Alors M. de Chamousset changea son plan, et toujours per- 
suadé de rinconvénient de la filtration de l'eau, il proposa 
d*en fournir une qui serait aussi pure, aussi saine, et aussi 
limpiile que celle de Sainte-Heine, de Bristol et de ville 
d'Avray, sans employer le secours du liltre qui peut être nui- 
sible, soit par un trop long séjour de l'eau dans différents 
vases, soit par son passage à travers différentes matières. Il 
n'était question que de déposer et laisser reposer Teau de la 
Seine prise comme on Ta dit, au dessous de l'hôpital et de 
remboucluire delà Marne, dans ses réservoirs de grès ; ces 
réservoirs devaiont-ôlre établis en différents lieux et en parti- 
culier à l'éperon du Pont-Neuf, à coté de la statue de Henri IV 
Où pouvait-on mieux placer la source de la santé du peuple. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 89 

qu'à côté de la Statue d'un Roi qui en tut le père (1)? 
Un de ces réservoirs commença à être établi à grands frais à 
la porte St-Bernard. Les applaudissements de la Faculté de 
Médecine de Paris, et de quelques particuliers instruits, 
encouragèrent M. de Ghamousset. Il fit des avances, il offrit 
d'appliquer aux enfants trouvés le quart du produit de son 
établissement. Tout Paris aurait dû naturellement concourir à 
son entreprise, mais dans'le fait quelques deniers de plus que 
devait nécessairement coûter la voie d'eau firent avorter 
son projet. M. de Ghamousset n*'. fut sensible qu'à la funeste 
indifférence qu'on témoigna sur les mauvaises qualités de 
l'eau qu'on boit tous les jours, et qui produisent des maladies 
plus ou moins dangereuses, souvent inconnues aux plus 
grands médecins (2), et dont ils cherchent en vain la cause. 
Rien ne pouvait décourager M. de Ghamousset, et le zèle 
pour le bien public qui dévorait son âme, ne devait s'éteindre 
qu'avec lui. Il publia en 1770, une découverte utile qui était 
le fruit de ses connaissances et de ses travaux en chimie : 



(1) Le lecteur se rapellera ici ces vers si connus : 
Vitales inler suecos plantasqae salobres 
Quans béne stat populi vita salasqje soi 1 

(3) Dans an siècle ou les idées semblent se tourner vers le véritable usage de la 
physique et des sciences naturelles, il n'est pas étonnant qu'on se soit beaucoup occu- 
pé de projets semblables à celui dont on vient de parler. Celui de M. de Parcieux^ de 
TAcudémie des sciences, et nn des principaux ; il consistait i amener i Paris les eaux 
de l'Yvette. On connaît l'entreprise de MM. Perrier frères et ses suite. Combien de cho- 
ses à dire à cet égard, un ouvrage vraiment utile serait celui où l'on rassemblerait tout 
ce qui peut mettre à la portée du peuple la connaissance des eaux et de leur influence 
sur la santé. 



90 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

elle réunit le double avantage de procurer tout à la fois un 
aliment salutaire et un remède efficace. 

C'est le dernier vœu de la médecine, et elle ne peut rien 
désirer de plus. On voit qu'il s'agit ici de sirops, pâtes et 
tablettes d'orge et de bière ; ce sont différents extraits qui 
ne diffèrent les uns des autres que par leurs différents degrés 
de consistance. Une des obligations que la médecine ait à la 
chimie, c'est de lui fournir des médicaments réduits en 
moindre volume, sans que leur vertu en soit altérée, souvent 
môme en augmentant cette efficacité, et toujours en rendant 
l'usage du remède plus facile et plus commode. 

La nature semble avoir imprimé sur les différentes familles 
des plantes certains caractères utiles ou dangereux dont la 
connaissance résulte particulièremenl de l'expérience, mais à 
laquelle on peut aussi être conduit par les ressemblances et 
les analogies. Il est certain que dans le règne végétal, sou- 
vent les rapports intérieurs sont dans la même raison que 
les rapports extérieurs. La famille des graminées à laquelle 
l'orge appartient, est peut-être une des plus utiles que nous 
devions au créateur ; ses feuilles nourrissent les animaux de 
différentes espèces ; on voit les oiseaux vivre des petites 
semences et les plus grosses servent d'alimentation à 
l'homme. Cette famille contient les blés, les avoines, les 
orges. Ce dernier genre est de la plus grande utilité pour la 
nourriture, et surtout pour la médecine. On sait le parti 
qu'elle en tire et qu'elle en a toujours tiré, quand il s'agit 
de rafraîchir, de nourrir, d'amollir ; et on connaît la fameuse 



UN PHILANTHROPE MÉGONND 91 

tisanne d'Hypocrate, dont l'orge faisait la base ; on sait 
d'ailleurs les avantages du régime des végétaux sur celui que 
fournissent les animaux dans l'état de maladie^ et môme 
dans la plus parfaite santé (1). 

Ces différentes considérations engagèrent M. de Chamous^- 
set à réunir ses efforts pour tirer des semences de Torge, 
tout le parti possible. Il vint à bout d'en extraire tout ce qu'elle 
a de nourrissant, de réduire son extrait au plus petit volume, 
de le rendre d'une digestion facile, soluble dans l'eau comme 
dans toute autre liqueur, et susceptible de fermentation. Ces 
sirops, ces pâtes, robs ou tablettes sont de deux espèces. La 
première est simple, ou assaisonnée avec quelques aromates. 
Fondue dans l'eau ou dans quelque tisane appropriée à l'état 
du malade, on fait une boisson rafraîchissante et nutritive, 
qui doit l'emporter sur les bouillons des substances animales 
toujours plus ou moins pernicieux dans les maladies aiguës 
et inflammatoires, et que peut-être le seul despotisme de 
l'habitude peut encore faire employer, malgré l'avis des plus 
célèbres médecins, malgré la voix de la nature qui se fait 
entendre par la répugnance qu'éprouvent les malades lors- 
qu'on leur présente cette espèce de nourriture. Plus sage que 
la routine, elle a horreur d'un aliment qui entretient, qui 
augmente la putréfaction des humeurs et la disposition 
inflammatoire du sang. Les décoctions d'orge si recomman- 



{\)Proprium hominis alimentum vegetabilia. Thèse solide et bien écrite, soutenae à 
la Faeallé de Médecine de Paris^ le premier février 1771. 



92 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

dées par les médecins les plus habiles, ne sont presque rien 
en comparaison de celles qu'on fait avec ces pâtes ou sirops. 
La farine de Torge en décoction ordinaire est fade et pesante, 
même pour ceux qui se portent le mieux, à plus forte raison 
pour les malades. C'est la ditlérencedu pain fermenté, à celui 
qui ne Test pas. Ces pâtes sucrées et agréables au goût, peu- 
vent être le véhicule d'un grand nombre de remèdes, soit en 
consistance de sirops, soit fondues dans l'eau ; elles ne 
demandent ni feu ni travail, il ne faut que les laisser fondre 
dans Teau simple, ou bien dans les infusions ou décoctions 
appropriées à l'état des malades. C'est la tisane d'Hypocrate 
perfectionnée. Ce n'est pas tout, ces pâtes ou tablettes, outre 
l'avantage d'être agréables au goût, salutaires, portatives, 
ont encore celui d'être très économiques ; deux ou trois onces 
de pâtes peuvent soutenir un malade pendant vingt-quatre 
heures. Il y a plus, on n'a réduit en pâte la partie substan- 
tielle et alimentaire de Torge, que pour la rendre d'un trans- 
port plus facile dans les pays pays lointains ; mais pour les 
consommations des lieux voisins de la fabrication, on peut 
employer ces orges en sirops, ce qui diminue à peu près de 
la moitié le prix de l'aliment de chaque malade. Quelle épar- 
gne, quelle facilité, quelles ressources pour les vaisseaux, 
pour les colonies, pour les hôpitaux, surtout pour les hôpi* 
taux ambulants des armées. 

La seconde espèce de pâtes d'orge, qui ne diffère pas essen- 
tiellement de la première,' peut fournir à tous les habitants 
des pays chauds qui semblent destinés à respirer le feu plutôt 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 93 

que l'air, une boisson fraîche et nourrissaiile, qui, réparant 
les pertes d'une transpiration trop abondante et trop conti- 
nuelle, sert à les préserver des maladies que produit une 
chaleur excessive (1). 

On croira aisément que l'auteur de cette utile découverte 
ne parvint pas d'abord à la rendre aussi parfaite que possi- 
ble. Il s'en occupa longtefïnps ; et dès 17(>6, il présenta un 
mémoire à l'Académie des sciences de Paris. Le rapport des 
commissaires qu'elle nomma fut aussi favorable qu'il était 
naturel de l'espérer ; ils parurent seulement douter que ce 
rob de bière put soutenir les épreuves d'un long voyage : 
M. de Chamousset a éclairé les doutes à cet égard d'une façon 
authentique, et il ne peut plus rien en rester (2). 



(1) Pour laire de ceite seconde espèce de pAte d*orge une bière aussi bonne et 
aussi fraîche que celle qui sort de chez le meilleur brasseur, on prend ces pâtes, 
tablettes on robs que, sons quelque nom qu'on les désigne, dv. sont que des sucs plus 
ou moins épaissis. Lorsqu'on les destine à taire de la bière, on y mêle du houblon 
dans one quantité déterminée. On les fait bouillir dans une quantité d'eau quelconque. 
Il est d'expérience que leur fermentation purifie la plus mauvaise. Cette quantité d'eiin 
est proportionnée au désir qu'on a de rendre la bière plus ou moins forte. En retirant 
la décoction de dessus le feu, on la rafraîchit promptement par des infusions on décoc- 
tions froides de houblon ou d'autres plantes agréables au goût ; la fermentation 
qu'eicite le levain qu'on y ajoute, à la manière des brasseurs, conserve les liqueurs, les 
rend forliflantes, sans leur faire perdre leur qualité nourrisante et rafraîchissante. Il 
serait trop long de s'étendre sur les avantages de ce rob de bière pour les colonies ; il 
lullira de rappeler ici en général ce que M. de Chamousset a prouvé en détail, c'est 
qu'il serait i la fois pins utile, plus agréable, plus salutaire, plus économique que ne 
le sont les bières d'Angleterre, ou les boissons acides que les habitants des colonies 
Sont obligés d'employer. 

(2) On a trouvé dans les papiers de M. de Ch»moussel, une lettre de M. Fauveau, 
tncien commandant en second à Saint-Domingue, qui en fournit la preuve ; et ce n'est 



94 CN PHIIANTHROPE MÉCONNU 

En 1770, il s'adressa à la Faculté de Médecine de Paris 
pour Texamen de ses sirops et pâtes d'orge. Elle nomma des 
commissaires ([ui regardèrent cette découverte comme pré- 
cieuse à l'humanité. 

Le décret de la Faculté confirma leur jugement (1). 

Fort de l'approbation de deux corps savants et utiles, 
M. de Chamousset s'adressa au gouvernement. Il demanda 
un privilège exclusif ou l'établissement d'une régie de pâtes 
d'orge pour le compte du roi : tout lui était égal, pourvu 
que l'humanité profitât de ses travaux et de sa découverte. 
11 obtint un privilège exclusif (2). 



(1) Ce (iécrci est du 81 mars i770. L» racalté «le médecioe y déclare que l'usage 
de ses sirops et pâles d'orbe peut être 1res avanlagcux dans toules les maladies en 
grnéral. et en [laiticiilier dans les maladies aiguils dans lesiiuelles il est esstntiel de ne 
donner aux malades que dt^s boissons adoncissanles, rarraîrhissantes, antiputrides, des 
aliinonts It^Ker*;, irxem|»ts de toute chaleur et de toute acrimonie. Elle assure que ces 
qualités se trouvent réunies dans ces sirops et dans ces pâtes, et que par leur moyen 
on peut composer à peu de frais et sur-le champ une boisson agréable, médicamenteuse, 
et plus ou moins nourrissante, selon l'état du malade. Elle ajoute qn'it serait à souhai 
ter qu'on la substituât aux bouillons de viandes, toujours trop chargés de parties salines 
et sulfureuses, qui nugmt'utent nécessairement Pardeur de la tiéfre et rflereté des 
humeurs ; qu'alors cette boisson tiendrait lien de la fameuse tisane d'orge si recom- 
mandée par les anciens, et que. mAme elle lui serait [iréférable, parce qu'elle n'en a pas 
la viscosité La Taculté conclut que celte découre-rte peut devenir très utile à Thuma- 
nité, particuîioremeut dans bfs hôpitaux, dans les années, dans les pays chauds oii 
l'ardeur du climat exige des a>imeuts et des remèdes rafraîchissants et antipntrides, 
tirés de I» classe des végétaux, parmi lesquels l'orge tient la première place. 

(*i) Ce privilège du iH novembre 1771, restreint la grâce aux Colonies françaises. , 
Le Koi accordH a M. de (Chamousset, la permission de composer, vendre et débiter 
pendant Tespace de l'i ans, dans les colonies françaises, les sirops et pAtes d'orge de 
son invention, aux prix dunt il conviendra avec les acheteurs, et de s'associer audi 
privilège, soit par pacte de société, ou par formation d'actions, telles personnes qu'il 
jugera à pnq»os. Le roi étendit à ces pûtes l'exemption des droits accordés aux mar- 
chandises envoyées aux colonies. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 95 

II obtint aussi Tapprobation de la conimission royale de 
médecine. Il serait diiUcile d'exprimer et de peindre tous les 
mouvements que se donna M. de Chamousset potir étendre 
1g bienfait de sa découverte jusqu'au bout de l'univers. 
Voyant qu'elle ne prospérait ])as autant qu'il était naturel de 
l'espérer, que la société nécessaire pour l'exécution du privi- 
lège du 28 novembre 1771 ne se formait pas assi prompte- 
mont que son zèle l'aurait voulu, il oil'rit l'aliénation, de la 
moitié des vingt mille livres de rente viagère que le Roi lui 
avait laissés sur la petite Poste. Il voulut louer à bail 
empbiteotique un domaine à Villeneuvo-Saint-Georges, 
appartenant à l'Abbaye de Sainl-Gcrmain-des-Prés. Il voulut 
acheter à Ablon un bien qui était propre à remplir son objet. 
II demanda la permission de luire les démarches nécessaires 
pour vendre son secret à nos voisins, ou pour obtenir des 
Princes étrangers des privilèges semblables à celui qu'il 
avait obteu en France pour les colonies. 11 présenta différents 
mémoires, différentes requêtes pour demander l'extension 
du privilège exclusif de ses sirops et pâtes d'orge à riiilérieur 
du royaume. On lui conseilla dans celte occasion, l'emploi 
de moyens qui ne réuissirent que trop auprès de ces honjmes 
petits et faibles qui laissent les sources de leurs plaisirs 
empiéter sur celles de leurs devoirs ; mais son cœur noble 
et vertueux refusa toujours de se prêter à cet avis. Tout 
aurait dû lui réussir ; et il n'emporta au tombeau «juc l'espé- 
i^nce du succès. Ce n'est qu'après sa mort que madame la 
Comtesse d'Amfreville, sa tante et son héritière, sur une 



î)6 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

nouvelle approbation de la commission royale de médecine 
qui subsistait alors, obtint le 8 février 1774, un arrêt du 
Conseil qui l'autorisa à composer, vendre, faire vendre et 
débiter, dans toute Tétenduc du royaume, les pâtes d'orge de 
M. de Ghamousset, pour trois ans seulement (1). 

C'est ainsi que ses parents se sont montrés les dignes 
héritiers de ses vertus ; c'est ainsi qu'ils ont rempli, autant 
qu'il a été possible, jusqu'à présent, les vues de cet homme 
vraiment sensible et humain, dont l'active bienfaisance, aux 
yeux de la froide insensibilité pouvait facilement avoir l'air 
de la passion. 

Il nous reste à le considérer sous un dernier rapport. Nous 
allons le voir, procurant ou tachant de procurer à la société 
tous les agréments qui en rendent les liens plus doux, mais 
subordonnant toujours ces différentes vues au soulagement 
de l'humanité malheureuse. 



(I) Notre aaleur publia en 1772, une brochure in-8 de 32 pages. C'est un recueil 
lie diflerentes pièces sur les sirops et pâtes d'orge. On y trouve différentes lettres des 
plus habiles médecins sur les avantages de cette découverte, des observations faites eo 
Angleterre, l'avis des Commissaires et le décret de la Faculté de Médecine du 31 mars 
1770, l'approbation de l'Académie des Sciences du 1" juillet I7H6. le privilège du 
"26 novembre 1771, et quelques lettres de M. de Ghamousset. On a fait réimprimer ces 
diflerentes pièces et on y eu a ajouté quelques autres sur la même matière : à ce 
moyen on aura la suite de ce qui a été fait d'intéressant sur cette découverte. Les 
parents de M. de Ghamousset sont disposés à communiquer le secret au gouvernement, 
s'il la désiie. 



QUATRIÈME PARTIE 



Projets et actions de M. de Chamousset 
pour augmenter les agréments de la Société 



11 n'y a presque point d'homme dont la vie bien examinée 
ne présente quelque trait marqué, qui peut servir à reculer 
les bornes de la science du cœur humain. 11 en est un dans 
celle de M. de CL »usset qui n'échappera pas aux per- 
sonnes attentives occupent de celte étude importante ; 
c'est que ses projeta x utiles au bien public, tous combinés 
avec intelligence, unissant presque tous l'intérêt général avec 
l'intérêt particulier, n'ont point réussi et ont été ruineux 
pour lui. 11 faut en excepter un seul h l'invention duquel il 
eût moins de part qu'à tout autre, et qui, à quelques égards, 
est peut-être le moins utile : je veux parler de la Poste de 
Paris, qui a fait former des établissements semblables dans 
différentes villes de commerce, en particulier à Bordeaux, à 
Lyon et à Rouen. 

3 



98 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Dans le siècle dernier, les Anglais nous avaient devancé 
dans cette idée. Un néf»ociant de Londres avait établi ea 1780 
une poste dans celle capitale de l'Angleterre ; mais il négligea 
de se faire autoriser par le gouvernement, et cette négligence 
lui causa la perte des fruils de son invention (1). 

M. de Chamoussel voulut procurer à la capitale où il était 
né, et où il habitait, l'avantage dont la ville de Londres jouis- 
sait depuis longtemps ; il eut la satisfaction de faire adopter 
son projet dans toute son étendue ; mais ce succès, qui devait 
être utile à l'Etat et aux particuliers lui coûta des peines 
iniinies. Lorsqu'il proposa son plan, M. de Silhouette était 
nouvelleiiient contrôleur général. Ce ministre qui réunissait 
tout à la fois la connaissance des hommes, Tesprit des lettres 
et celui des aifaires, venait de nommer M. de Chamousset 
commissaire du Itoi aux Postes, conjointement avec deux 
maîtres des Requêtes. Cette commission fut aussi courte que 
celle du ministère de l'homme de mérite auquel il la devait, 
produisit du moins quelques heureux effets : elle fournit à 
M. de Chamousset, l'occasion de travailler à un mémoire 
sur la poste aux chevaux et sur les messageries. Elle lui 
procura encore l'avantage d'obtenir assez aisément des lettres- 
patentes pour rétablissement de la petite Poste ; mais leur 
enregistrement ne fut pas aussi facile : il fut obligé de faire 



(1) On Tait muiiter les profils de la petite Poste de Londres, tous frais déduits à 
12(.i mille livres, argent de Frauc». .Nou> avons trouvé dans les papiers de M. de Chi- 
mousset, un UKMiiuire sur celte petite poste anglaise ; nous avons cru quo le public le 
lirai avec plaisir. 



UN PHILANTHROPE MECONNU 99 

un mémoire ; il y répondit aux objections répandues par 
quelques particuliers contre cet établissement désiré depuis 
longtemps. Parmi ces objections, il en est une à laquelle 
nous devons peut-être nous arrêter un instant, parce que la 
réponse qu'il y fît prouve que sa sensibilité pour les pauvres 
n'était pas une sensibilité aveugle sans principes. 

On disait à M. de Chamousset : Vous aimez les pauvres, 
vous en êtes le protecteur et le père ; comment ne voyez- 
vous pas que votre projet enlève la subsistance d'une 
multitude de domestiques public ? 11 répondait : ces com- 
missionnaires sont presque tous des étrangers, qui ne 
consommant rien, ou presque rien dans Paris, en emportent 
tous les ans des sommes assez considérables qui ne rentrent 
jamais dans le royaume. Ceux qui viennent de nos Provinces, 
y quittent presque tous des travaux utiles pour venir mener 
dans cette Capitale une vie oisive, souvent criminelle, tou- 
jours infructueuse pour TEtat. C'est au coin des rues de 
Paris que s'est formée la bande des Raffiat. Que ces com- 
missionnaires, qui presque tous sont jeunes, restent à 
cultiver la terre ; qu'ils apprennent des métiers ; qu'ils se 
répandent sur nos ports; qu'ils y soint mousses, ensuite 
matelots ; qu'ils épargnent à l'Etat la triste nécessité d'en- 
lever au commerce intérieur du royaume les mariniers de 
rivière ; qu'on les force d'être utiles de quelque manière que 
ce soit, et ils le seront : car l'impérieux besoin ne connaît 
point de résistance. 

Ces raisons et plusieurs autres, exposées dans ce Mémoire 



100 UN PHILANTHROPE MÉGONED 

que nous joignons aux autres ouvrages de M. de Cha- 
mousset(l), parurent convaincantes au Parlement, qui enre- 
gistra les lettres-patentes du 5 mars 1758. Ce fut à la fin de 
cette année que la petite Poste fut entièrement établie aux 
frais de son auteur. Le Roi lui en accorda les fruits pour 
trente années; mais dès 1760, il n'en jouissait plus. On 
couvait d'un œil avide ces profits si légitimes, et on vint à 
bout de persuader au souverain qu'il pouvait et devait se les 
réserver. Le Roi prit donc cet établissement sur son compte; 
et à titre de récompense et d'indemnité, il accorda à l'inven- 
teur vingt mille livres de rente viagère sur les produits, avec 
la liberté de disposer à sa mort de la moitié de cette rente 
en faveur de telles personnes qu'il jugerait à propos, pour 
être par elles également possédée à vie. Dès la première 
année, la petite poste avait rendu à M. de Ghamoussct cin- 
quante mille livres, tous frais prélevés. Ses calculs justes, 
simples et mis au plus bas, lui faisaient espérer qu'elle lui 
rendrait le double et davantage, lorsqu'elle aurait pris toute 
la faveur qu'elle méritait. Avec ce produit, il comptait exé- 
cuter de lui-même son projet favori, monter sa Maison 
d'Association, exécuter même une partie de ses autres pro- 
jes d'humanité : mais que la bienfaisance générale est 
faible, lorsqu'elle est combattue par l'intérêt particulier (2)! 



(1) Tome 2, pag. 150-156. 

(2) Dans ce siècle d'Almanachs, on en a fait un pour la petite Poste de Paris» plus 
utile que bitn d*aulres. On pourra y voir tout le détail de cette machine. Elle est un pea 
différente de ce qu'elle était dans son origne. Le Plan d'administration pour la Poste 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 101 

C'est ici que nous devons faire mention d'un projet de 
M. de Chamousset, qu'on peut regarder comme une suite de 
l'établissement de la petite Poste de Paris ; il est contenu dans 
un Mémoire concernanl la Poste de Paris à Versailles et de 
Versailles à Paris (1). On y fait voir que la petite Poste de 
Paris mérite la préférence, et que les Administrateurs des 
Postes ne pourraient s'y opposer. Suivant ce plan, les lettres 
et les paquets qui n'excéderaient pas deux onces seraient 
portés quatre fois par jour de Paris à Versailles et de Ver- 
sailles à Paris. On sent combien Texécution d'un tel projet 
serait utile pour les deux villes, dont les relations essen- 
tielles semblent n'en faire qu'une; mais jusqu'à présent cette 
idée heureuse n'a pas eu lieu : peut-être le moment en vien- 
dra-t-il, et ce nouveau bienfait sera dû encore aux vues 
patriotiques de M. de Chamousset. Alors plusieurs fois par 
jour il pourra y avoir communication entre la ville et la 
Cour; tandis que dans l'état actuel, il faut attendre le 
troisième jour avant de recevoir la réponse d'une lettre 
confiée à la poste. 

M. de Chamousset ofTrit encore de se charger de la poste 
aux chevaux de deux lieues aux environs de Paris ; et il offrit, 
ou le fit offrir, par une compagnie à des conditions avantap- 



de Paris, réimprimé aa tome H. pag. 137-187, peut en fournir la preuve. Aux trois 
pièces sur la Poste de Paris, dont nous avons déjà parlé, nous avons joint dans l'édi- 
lion des Lsllres- Patentes du 5 mars 1758 (tom. II, pag. 148 à 150), et une pièce qui 
noos a para contenir d'excellente réflexions sur les lettres anonymes !(tome II, pag, 
182-185). 

(1) Imprimé tome II, fêg, 187-189. 



102 UN PHILANTHROPE MÉCON'NU 

geuses (1) pour le voyageur, pour l'agriculteur, pour la sûreté 
du Gouvernement. 

M. de Chamousset passa du particulier au général. Après 
avoir fait adopter son plan de la petite Poste de Paris, après 
avoir proposé inutilement celui de la poste des environs de 
cette capitale, il en proposa un autre sur la poste aux che- 
vaux, sur les messageries, sur le roulage. 

Ce plan, unique dans son principe, a plusieurs parties qui 
pourraient être regardées comme autant de mémoires diffé- 
rents : tâchons d'en donner une idée nette, quoique abrégée, 
et voyons-y ce que l'auteur a voulu y mettre ; commodité 
pour le public, soulagement de l'agriculteur, progrès du 
commerce, augmentation dans les revenus du roi et dans 
ceux de la nation, connaissance exacte des ressources et 
des besoins des différentes parties du royaume, avantages 
des entrepreneurs ; partout, l'intérêt public réuni avec l'inté- 
rêt particulier : tels sont les avantages de ce projet. En voici 
les différentes parties. La poste aux chevaux réunie aux mes- 
sageries, et donnée à des Compagnies toujours plus sûres 
que les particuliers ; les maîtres de postes actuels préférés 
pour composer ces compagnies, ou pour en diriger les opé- 
rations ; leurs commis ne jouissant d'aucunes exemptions, et 
par conséquent ne faisant aucun tort aux agriculteurs, ce 
qu'on ne peut pas dire des maîtres de poste actuel ; des relais 



(I^Ntns avons retrouvé an exposé de ces conditions, et nons en avons fait on article 
du Supplément, tome II, pages 345-347. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 103 

établis de quatre lieues en quatre lieues, avec de bons che- 
vaux qui ne feraient pas attendre les voyageurs, comme il 
n'arrive aujourd'hui que trop souvent; des diligences légères, 
des chariots couverts et autres voitures commodes qui chan- 
geraient de chevaux à chaque relais; ces chevaux, soignés 
à leur arrivée dans chaque relais, et n'étant jamais renvoyés 
au lieu de leur destination qu'après repos suffisant, et souvent 
avec avantage pour les compagnies, en les attelant à des voi- 
tures légères portant des marchandises et qu'ils conduiraient 
au pas ; ce sont les points de vue généraux de ce projet des 
postes. Il y a quelques détails particuliers qu'on ne peut 
bien connaître qu'on lisant les différents mémoires qui en 
sont le développement. 

Cette poste aux chevaux ferait non-seulement le service 
des messageries, mais encore celui du transport des lettres, 
qui jusqu'à présent, paraît avoir été l'objet principal des fer- 
miers, auxquels cet arrangement utile ne ferait aucun tort, 
ne pourraient donc y apporter d'obstacles. Il y a dans ces 
Mémoires une combinaison du mouvement des chevaux, qui 
prouve évidemment qu'aucune partie de ce projet n'est 
échappée à son auteur, et qu'il en a combiné tous les détails, 
tous les ressorts, tout l'engrenage. 

M. de Ghamousset parle encore de mettre sous l'inspection 
de ces compagnies une Caisse générale de prêts, qui favorise 
rait le commerce des bestiaux. 

Quant au roulage, suite naturelle de ce qui concerne les pos- 
tes et les messageries, M. de Ghamousset nous donne d'abord 



104 UN PHILANTHROPE. MÉCONNU 

un moyen de le faciliter, et de rendre le transport des marchan- 
dises plus sûr et plus aisé pour la ville de Paris : c'est une 
espèce d'introduction au système général sur cette partie. II 
s'agirait de faire tenir deux registres au bureau de la Petite 
Poste qui est dans le centre de Paris ; dans Tun, seraient ins- 
crits tous .les envois que les habitants de cette capitale veu- 
lent faire, soitdans les provinces, soit dans les pays étrangers ; 
sur le second^ se trouveraient les noms des routiers qui ont 
coutume de venir à Paris, les jours où ils doivent arriver, les 
notes avantageuses ou désavantageuses qui les concernent, 
les prix des envois pour les différents pays, proposés par eux 
ou par les marchands. 

La seule exposition de cette idée en fait voir l'utilité. Le 
monopole retranché, la circulation des marchandises rendue 
plus aisée, plus sûre, moins coûteuse; tels sont les avantages 
les plus frappants de ce projet qui n'est qu'un préliminaire. 
Il s'agit d'en étendre l'exécution à tout le royaume, et c'estle 
sujet d'un autre Mémoire. 

Un droit très modique d'un sol par millier pesant par cha- 
que lieue serait toute la dépense qu'exigerait cet établisse- 
ment. A ce moyen, les routiers n'attendraient plus pour le 
chargement, les marchands ne seraient plus rançonnés par 
les commissionnaires, proscrits par différents arrêts du Con- 
seil et toujours subsistants. Les routiers seraient inspectés 
par les maréchaussées, et l'on serait moins exposé à leur 
grossière insolence. Un calcul simple prouve que ce droit de 
roulage, tout léger qu'il parait, donnerait par an deux mil- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 105 

lions cinq cent mille livres au moins, sur quoi on pourrait 
prélever ce qui est nécessaire pour l'entretien des chemins. 
On sait que cet entretien est aujourd'hui à la charge des 
malheureux habitants de campagnes, qui en profitent très 
peu, tandis que les premiers principes de la justice exigent 
que le dommage soit réparé par ceux qui le causent. 

Un autre mémoire présente l'exécution de ce plan. Elle con- 
sisterait particulièrement à établir dans chaque ville com- 
merçante un bureau de roulage, dans lequel tous les rouliers 
de la ville et des environs se feraient inscrire, et prendraient 
un numéro, qu'ils feraient mettre sur leurs voitures et aux 
colliers de leurs chevaux. 

On sent la commodité, l'utilité, la nécessité même de l'exé- 
cution de ces différentes vues pour le progrès du commerce 
et la facilité des voyages. Il en est des corps politiques, 
comme du corps humain ; c'est la circulation libre et facile 
qui en fait la force et la santé. 

Nous avons déjà parlé d'un mémoire que M. de Chamous- 
set a intitulé^ Moyen de trouver des fond."; pour les Hôpi- 
taux ; et nous avons dit qu'ici le but est différent de l'objet. 
Le titre exprime le but : l'objet est le même que celui dont 
nous venons de nous occuper ; il est encore question de la 
poste aux chevaux, des messageries et du roulage. Le moyen, 
dit notre auteur, de trouver des fonds pour les hôpitaux est 
simple, abondant, utile à tout le monde : il ne s'agit que de 
réunir sous une même administration le roulage de royaume, 
les messageries et la poste aux chevaux. 



106 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Il présente ensuite d'une manière abrégée les idées qui 
sont l'objet des mémoires précédents, en commençant par 
celles qui concernent le roulage. Les seuls commissionnaires 
pourraient se plaindre de leur exécution ; mais proscrits tant 
de fois, leurs plaintes mêmes seraient une preuve de leurs 
prévarications, et de la nécessité de leur destruction 
absolue. 

La réunion de la poste aux chevaux et des messageries se 
présente ensuite : c'est encore un abrégé des mémoires pré- 
cédents ; ce sont des compagnies à établir, qui seraient tout 
ce que sont les postes et les messageries actuelles, et beau- 
coup plus. 

M. de Chamousset fit part de ce projet des postes à MM. les 
Intendants ; et ils furent consultés par le Ministre ; on ignore 
leurs différentes réponses. Ils louèrent l'auteur du projet ; 
mais le projet n'eut pas lieu alors. M. Turgot dont on a 
connu le zèle actif, en a exécuté une partie, mais il n'a pas 
tout fait parce qu'il n'a pas pu tout faire. 

Le mémoire sur l'abolition des corvées, et la manière d'en- 
tretenir les grands chemins sans que l'agriculture et les pau- 
vres en souffrent, est encore une heureuse application des 
vues de M. de Chamousset sur le roulage et les postes. Il 
fait voir que leur exécution abolirait les corvées qui, si l'on 
peut s'en passer, sont également contraires au respect dû 
aux malheureux, à la saine politique, au progrès de l'agri- 
culture. Les compagnies des postes et des messageries, 
chargées, non de la construction, mais du simple entretien 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 107 

des chemins cailloutés, le droit de roulage dont il a été ques- 
tion, bien moins onéreux sans doute que les commission- 
naires actuels, sont le double moyen que propose M. de Cha- 
mousset pour l'abolition des corvées. Ici se trouvent quelques 
instructions nouvelles, quelques détails particuliers sur la 
manière la plus simple de réparer les ornières ou cavités des 
chemins : du reste, c'est à peu-près le même fonds d'idées 
que dans les mémoires précédents ; mais si nous voulons 
être justes, gardons-nous de faire à M. de Chamousset un 
reproche de ces répétitions (1). Il savait que la bienfaisance 
si elle veut réussir, doit prendre différentes formes : l'art de 
faire le bien est le plus difficile de tous, surtout dans un 
pays où le luxe a multiplié -les besoins factices que rien ne 
peut satisfaire. 

La ville de Paris est un abrégé de l'univers, et les fonc- 
tions de Lieutenant de Police, si bien décrites par l'élégant 
historien de l'Académie des Sciences, prouvent la difficulté 
de gouverner cette capitale. Ce qui concerne les voitures de 
places n'est pas sans doute un des objets qui mérite le moins 
d'attention : la grossièreté, l'insolence, la débauche de ceux 



(1) Ce sont ces répélitions qui nous ont engagé à élaguer an peu les différents 
mémoires dont nous venons de parler, et à les réduire à quatre qui contiennent toutes 
les idées, et presque toujours les propres expressions de M. de Chamousset. C'est en 
c«t état qae nons les avons fait imprimer au tome II, page 189 à 220 sous les titres 
saiTants. 

1. Mémoire sur la Poste avx chevaux et les Messageries, pag. 189-2*20. 

3. Moyen de faciliter le Roulage et le transport des marchandises, pag. 220-222. 

3. Mémoire sur le roulage, pag. '222-227. 

4. ExéetUion du plan sur le roulage^ pag. 227-228. 



108 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

qui les conduisent, exposent à mille dangers les personnes 
qui s'y confient. M. de Ghamousset s'est encore occupé de la 
manière de rendre ces voitures plus utiles, plus agréables, 
plus sûres pour ceux qui s'en servent, et en même temps 
plus avantageuses aux propriétaires. Ce moyen est simple : il 
ne s'agit que d'établir sur chaque place un commis et un 
aide, qui veillent à la sûreté du public et à l'avantage des pro- 
priétaires. Les détails de ce Mémoire me pat*aissent de nature 
à devoir produire les meilleurs effets et son exécution ferait 
cesser un grand nombre de plaintes qui ne sont que trop fon- 
dées. Par là, la première ville du royaume, celle qui attire le 
plus d'étrangers, cesserait d'être celle où les voitures sont 
le plus mal servies (1). 

Un autre projet de M. de Ghamousset destiné encore à 
augmenter le bon ordre de cette capitale, et en même temps 
à faciliter un commerce très étendu et très nécessaire, qui 
tient à différentes branches, est un plan pour un établisse- 
ment d'écuries proche le marché aux chevaux, qui auraient 
été inspectées par un officier public. Il le présenta au Magis- 
trat qui gouvernait alors la Police de Paris, et qui venait de 
faire mettre ce marché dans l'état où nous le voyons. Moins 
d'embarras dans Paris déjà si dangereux par ceux qui y exis- 
tent nécessairement ; commodité et diminution de dépense 
pour les acheteurs et les vendeurs ; confiance juste et méritée 
par les précautions qu'on doit prendre : tels sont en abrégé 

(1) Tome II, pag. 228 et 232. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 109 

les principaux avantages de ceprojet, qui ne parait pas avoir 
eu lieu (1). 

Quoi qu'il en soit, après s'être occupé des voitures de 
terre, M. de Chamoussot s'occupa de celles de rivière, et 
toujours dans la vue de favoriser Tagriculture et le com- 
merce, qui sont le nerf et la force d'un Etat. Il imagina '^ en 
1764 le tirage des bateaux par les bœufs (2) ; le Mémoire qu'il 
donna sur ce sujet est clair, net, plein d'idées et de vues 
utiles, et l'on peut dire que c'est encore un de ses meilleurs 
ouvrages. 

Dès le temps de son intendance des hôpitaux militaires, il 
avait proposé de faire faire les tirages des derrières des 
armées par les mêmes bœufs destinés à la boucherie des sol- 
dats et qui, presque tous, achetés à la charrue sont dans 
l'exercice du tirage. 11 avait pour lui la raison et l'autorité 
du Maréchal de Saxe, dont les Rêveries sont si sages et si 
savantes. M. de Chamousset revient sur cette idée ; et selon 
lai, la compagnie qu'il propose pour établir le tirage des 
bateaux serait plus propre que tout autre à remplir cette vue 
d'utilité avec économie pour l'Etat, avec avantage pour elle- 
même : mais ce n'est ici qu'un accessoire, et le tirage des 
bateaux est l'objet principal. 

Tout le monde sait que le bœuf a plus de force que le che- 
val pour le tirage des fardeaux, qu'il est plus frugal, moins 



(!) Ce mémoire se troafe «u supplément Tome H, pag. 347-349. 
(2) Tome H, pag. 231-350. 



110 UN PHILANTHROPE MÉGOl^NU 

délicat dans sa nourriture, qu'il coûte à peu près la moitié 
moins à force égale, qu'on peut tirer parti de sa chair, de son 
cuir, au lieu que le cheval (1), animal plus délicat ne présente 
aucune ressource, s'il s'estropie ou s'il meurt. Il est donc clair 
que sous ces diflerents rapports, le tirage des bateaux est 
avantageux par les bœufs que par les chevaux. Ce n'est pas 
tout ; la seule objection plausible contre le pas lent et tardif 
du bœuf, se tourne en preuve pour la bonté du projet ; puis- 
que Texpérience a démontré qu'au tirage des bateaux, les 
bœufs vont plus vile que les chevaux. Notre auteur avait 
encore pour lui l'usage de la province du Dauphiné, où le 
tirage par les bœufs se fait à souhait sur les bords de 
l'Isère. 

Tels étaianten général les principes du projet de M. de Cha- 
mousset. En conséquence, il avait commencé à former une 
société composée d'actionnaires : chaque action était de mille 
livres, il y en avait trois cents : la possession de dix actions 
donnait voix dans les assemblées de la compagnie ; et les 
comptes généraux devaient se rendre chaque année. 
Il avait loué des fermes de distance en distance, à proxi- 
mité des rivières où le tirage devait se faire. Ces fermes 
seraient autant de relais : le service des bateaux se faisait sans 
interruption^ au lieu que dans l'état actuel on est obligé 
d'attendre tout le temps que les chevaux passent à l'écurie. 
On sent encore que ces animaux fatigués d'une longue route 

(1) Chamoassel n'aTait pas prévu les boacheries hippophagiques. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 111 

sont bien moins vigoureux que des bœufs ne travaillant que 
par relais, et par conséquent toujours frais. L'exploitation de 
ces fermes assurait des nourritures plus saines et moins 
dispendieuses pour les bœufs : elle leur fournissait une occu- 
pation utile pour le temps où ils ne seraient pas occupés au 
tirage des bateaux ; elle procurait à la compagnie mille profits 
champêtres qui, se multipliant, pour ainsi dire, à Tinfini, 
devaient donner des sommes très considérables. Dans 
les moments où la navigation est interrompue par les glaces 
ou rabaissement des eaux, on devait occuper une partie de 
ces bœufs et leurs conducteurs, à tirer les bois des ventes, et 
à les amener sur les ports. Thiver dans la forêt de Gompiègne, 
Tété, dans celle de Villers-Gotterets. Enfin, au moyen de ces 
fermes^ le long des rivières dont on entreprenait le tirage, on 
s'assurait un commerce suivi et avantageux, en envoyant eu 
marché de Poissy les bœufs qui ne réussiraient pas au tirage, 
ou ceux qu'on aurait engraissés^ en les y envoyant dans les 
jours où il y en aurait moins. On ne devait jamais s'arrêter 
dans les auberges, qu'on doit regarder comme des impôts 
plus ou moins onéreux. Des bateaux particuliers, appelés 
bateaux d'incurie, devaient porter les provisions nécessaires 
pour les hommes et les bœufs ; et ces provisions devaient se 
prendre dans les différentes fermes de la compaqnie. Il y a 
plus : ces bateaux devaient porter des bœufs en nombre 
suffisant pour relayer ceux qui auraient travaillé le temps 
proportionné à leurs forces, et par ce moyen, les bateaux 
auraient pu marcher jour et nuit. 



112 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Tels sont les principaux articles, comme les principaux 
avantages de ce système économique, combiné avec tant 
d'intelligence et de sagesse, qu'un auteur qui, dans le temps 
en fit la critique, convint (1) que les bénéfices devaient être 
immenses. Pourquoi donc ne réussit-elle pas ; c'est ce qu'il 
ne serait peut-être pas facile d'expliquer. Il n'y a pas d'appa- 
rence que la raison principale du critique contre le tirage des 
bateaux par les bœufs, ait eu une grande influence sur 
ce défaut de succès. Il prétend que ce tirage est contraire au 
bien public, parce que le pas des bœufs, lourd, pesant, for- 
mant des sillons, rend les chemins impraticables pour les 
hommes et les chevaux. La vraie cause du défaut de succès 
ne serait-elle pas que dans cette occasion, comme dans plu- 
sieurs autres, M. deChamousset compta trop sur les hommes? 
Il oublia que l'œil des iriil. îs ne peut s'étendre à tout, 
et qu'il n'y a que l'œ»! ' y maîtres qui puisse vivifier une 
exploitation quelconque ; à plus forte raison des exploitations 
presque immenses (2). 

A ce propos du tirage des bateaux par les bœufs, joignons 
celui d'un établissement de voitures deau du Pecq à Corn- 



(1) (I Observalions générales sur le tirage des baletox, en remontant la rivière ; 
« où l'on examine : 1* SMl est plus à propos pour que ce tirage se fasse avec des bœnfi 
a qu'avec des chevaux ; 2* S'il est plus avantageux à TËtat que de qoelque manière 
« que se fasse ce tirage, il soit confié par entreprises è des compagnies prévilégiées, 
a au lien d'être exécuté, en toute liberté, par tout particulier qui voudrait s'an charger 
a comme il s'est pratiqué jusqu'ici. In 12, petit format, 46 pages ». 

(t2) Il y a eu deux actes de Société pour cette entreprise du tirage des bateaux par 
les bœufs ; l'nn du 12 Mars 1764, l'autre du 1*' juin 1765, passés chez M* Baron^ jeu- 
ne. Notaire. Le second est un peu difiérent du premier. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 113 

piègney et de Compiègne au Pecq, pendant le voyage du 
JRoi (1). Ce projet particulièrement avantageux aux différen- 
tes personnes employées dans la maison du Roi ; et cette 
utilité est beaucoup plus étendue qu'on ne pourrait croire 
d'abord. Il n'a pas eu lieu ; mais pour Thomme qui connaît 
la marche des choses humaines, le défaut d'exécution ne 
peut faire tort au fond d'utilité réelle d'un plan. Celui dont il 
s'agit est tout en détail, et Ton ne peHt en prendre une idée 
nette, qu'en le lisant avec attention. C'est donc à l'ouvrage 
même qu'il faut recourir. 

Nous allons nous occuper de deux Mémoires importants, 
dont le but est encore de favoriser le commerce, et de pro- 
curer du soulagement à la portion laborieuse ou affligée de 
l'humanité ; ce sont ceux qui concernent un nouvea» Mont- 
de-Piété et une nouvelle form<>ià'(^^îiner à la caisse de Poissy. 

Les besoins que le luxe multl^ il ,.,çles malheurs et des 
revers imprévus et inévitables, Tubure criante qui trop 
souvent s'exerce dans Paris, les maux qu'elle entraîne, fai- 
saient désirer depuis longtemps un Mont-de-Piété dans cette 
capitale. Il y a été établi enfin en 1777 ; mais M. de Cha- 
mousset qui en sentait la nécessité, et qui en provoquait les 
avantages, voulut dès 1762, procurer encore celte ressource 
à ses concitoyens. Il imagina sous le titre de magasin général 
ou Dépôt public (2), un établissement où la seule retenue des 



(1) Imprimé au sopplémeot, Tome II, pag. 352-355. 

(2) Impriméa, Tome II, page 350 el sui?. 



114 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

dépenses nécessaires à faire, sans intérêt, assurerait les plus 
grands avantages, et les secours les plus abondants. Ce 
dépôt général dont on eût soin d'écarter tout ce qui aurait 
en Tair d'aumône, aurait invité indistinctement tous les états, 
le plus riche comme le plus pauvre, l'homme de naissance 
comme le roturier. En y portant des effets on aurait aug- 
menté le numéraire de l'Etat, et l'on aurait fait son propre 
avantage. Cette réunion précieuse du bien public avec 
l'intérêt particulier, fait encore le caractère distinctif de ce 
projet, comme de tous ceux qu'on doit à M. de Chamousset ; 
et le Français, peuple fier et délicat, n'eut point été. écarté 
d'un dépôt qui n'eût en rien que d'honorable. 

Ce dépôt public n'aurait point prêté d'argent, mais seule- 
ment son nom et son crédit. Il aurait donné son papier payable 
dans les temps convenus, avec l'empressement, et pour la 
somme dont il aurait cru pouvoir répondre. Cette somme eut 
toujours été inférieure à la valeur de l'effet qui eut été 
déposé dans les magasins, jusqu'à ce que le montant du 
billet du dépôt public eut été rendu, soit par la restitution 
volontaire de l'emprunteur, soit par une vente judiciaire. 
Dans le premier cas, il n'eut payé qu'un faible droit de six 
deniers par livre, pour tout article de mille livres et au- 
dessous, de trois deniers par livre, seulement pour tout objet 
qui eut passé mille livres à quelque somme qu'il eût pu monter. 
Ce droit modique de trois ou de six deniers par livre, suivant la 
valeur de l'objet déposé, eut été pour le loyer des emplace- 
ments des magasins, pour les frais de bureaux, les appointe- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 115 

ments des commis, et généralement pour toutes les dépenses 
qu'eût exigé une si grande entreprise. Dans le cas de la vente 
judiciaire, au lieu de trois ou de six deniers, on eut prélevé 
sur le produit de cette vente, le sol pour livre de la somme 
portée pour les frais d'affiche, de justice, etc. Le surplus du 
produit de la vente eût été rendu au propriétaire. 

Ces billets ne représentant que la moitié de la valeur intrin- 
sèque des effets déposés, auraient circulé avec facilité. On 
eut eu pour nantissement la certitude d'une valeur double : 
par là un grand nombre d'effets qui ne produisent rien entre 
les mains du possesseur, eussent pu rentrer dans le cours de 
la circulation du commerce. On eut ranimé le mouvement de 
certaines matières, que des circonstances particulières rédui- 
sent à une inertie funeste pour le possesseur. Tels sont les 
bijoux, les étoffes, les parures, les dentelles, les fourrures et 
autres marchandises, mortes dans une saison, vivantes dans 
une autre ; sans prix, lorsqu'un deuil survient, et rentrant 
dans le commerce lorsqu'il cesse. 

M. de Chamousset avait pris les plus grandes précautions 
pour prévenir les abus, tant au sujet des billets afin qu'ils ne 
fussent pas contrefaits, que pour la vente des effets déposés* 
Tous ces détails, qui ne peuvent trouver place ici, se lisent 
avec plaisir dans le Mémoire. Ces différentes précautions ten- 
daient toutes à procurer aux billets le plus grand crédit dans 
le commerce et chez l'étranger : on aurait pu les faire diviser 
en autant de parties qu'on aurait voulu. Ces billets auraient 
augmenté réellement le numéraire de la Nation, puisque le 



116 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

double de la valeur des billets eût été dans les magasins du 
dépôt, à moins que l'effet déposé n'eut été d'or ou d'argent, 
car en ce cas seul, le billet eut été des deux tiers delà valeur. 
C'eût donc été un avantage réel pour l'état, que ces billets se 
fussent multipliés ; et sans doute ils n'auraient pas tardé à 
devenir très nombreux. M. de Chamousset espérait que toutes 
les grandes villes du royaume, à l'exemple de la Capitale 
formeraient bientôt de semblables établissements ; et il comp- 
tait sur un centième des effets de la France portés dans ces 
dépôts et mis en mouvement par les billets de Caisse qui lui 
auraient représentés. Quelle ressource pour le crédit de la 
Nation, pour les revenus du Souverain, pour l'aisance des 
particuliers ! 

On avait prévu toutes les difficultés, on avait levé tous les 
doutes, on devait prendre toutes les précautions. On n'aurait 
reçu aucun effet qui n'eût été déposé par un homme connu, 
ou valablement cautionné. Il y eu trois bureaux, celui où l'on 
se serait fait connaître, celui où l'on aurait fait Testimation 
des effets, celui où l'on aurait délivré les billets. Outre les 
Directeurs particuliers à cet établissement, M. le Lieutenant- 
général de Police et le Parlement en auraient été les premiers 
Inspecteurs. Du 20 au 30 de chaque mois, il y aurait eu des 
ventes publiques d'effets non retirés : ces ventes, bien loin 
d'être nuisibles au commerce, lui auraient été avantageuses. 
Les marchands de Paris et les forains, les artistes et les arti- 
sans que leur réputation, inférieure à leurs talents force de 
donner leurs ouvrages à vil prix auraient trouvé dans ces 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 117 

ventes périodiques des moyens sûrs et faciles de se défaire d'ef- 
flets que le concours des acheteurs aurait fait porter à leur 
juste valeur. 

L'emprunteur qui eût voulu de l'argent comptant, aurait 
porté ces billets à une caisse d'Escompte. M. de Ghamousset 
se proposait, lorsqu'il eût été nécessaire, de former une com- 
pagnie de banquiers ou d'agent de change choisis^ dont l'ob- 
jet principal eût été de convertir les billets en argent, et de 
donner les facilités à ceux qui n'aimaient pas être aussi exacts 
a retirer leurs effets, qu'ils l'auraient espéré. 

11 est certain que l'exécution de ce projet promettait les 
plus grands avantages. La nation doublait son numéraire et 
son crédit^ et l'usure tombait. Les usuriers qui ne sont que 
trop communs dans cette capitale, frémirent du coup qu'on 
allait leur porter ; et cet établissement si utile n'eût pas lieu 
alors. 11 était réservé à un Roi juste et sensible d'en autori- 
ser un semblable (1), et son règne, à cet égard comme à tant 
d'autres^ sera celui de l'équité et de la bienfaisance. 

A la suite du mémoire sur le dépôt public^ il me semble 
que nous devons placer celui qui regarde la caisse de Poissy, 
le premier favorise le commerce en général, le second serait 
utile, nécessaire même au commerce particulier des bestiaux. 

Il n'est personne qui dans ces derniers temps, n'ait entendu 



(1) Voyez letUres- patentes portaDt l'établissement d'un Mont-de-Piété. données à 
Versailles, le 9 décembre 1777, et enregistrées en Parlement le 12 des mêmes mois 

«t ID. 



118 UN PHILANTHROPH MÉCONNU 

parler de cette caisse fameuse, créée en 1707, renouvelée en 
1743, anéantie depuis, et rétablie ensuite avec de nouvelles 
modifications. On en trouve Thistoire, les opérations et les 
gains dans un mémoire imprimé en 1770 (1). Celui de M. de 
Gbamousset dont nous ignorons la date est beaucoup plus 
court. Son but est de fournir un moyen de remédier à Tétat 
fâcheux où est réduit le commerce des bestiaux dans le 
royaume, par une nouvelle forme de la caisse de Poissy (2), 
et c'est aussi le titre qu'il porte. Il s'accorde avec l'auteur du 
mémoire de 1770, sur le fond des faits. Cette caisse réunit 
le droit du prêteur du fermier. Suivant notre tuteur, ce dou- 
ble droit monte chaque année à plus de cent pour cent, et 
elle ne prête qu'aux bouchers qu'elle ne juge solvables, c'est- 
à-dire, à ceux qui n'auraient pas besoin de ses secours. 

Il s'agirait, dit M. de Chamousset, de distinguer le prêt du 
droit ; le droit doit être également payé par tous ; le prêt ne 
doit l'être que par ceux qui en profitent. Ce droit de prêt 
ne devrait-être, selon lui, que d'un demi denier pour livre 
par semaine. Pour augmenter l'avantage de ce prêt, il pro- 
pose d'établir une compagnie de personnes riches et accré- 
ditées, qui feraient un fond de 6 millions, dont deux millions 
en argent et quatre en billets. Ces billets imprimés, porte- 
raient des numéros, des timbres, et généralement tout ce 



(t) Mémoire à consulter pour les propriétaires, fermiers, nourrisseurs, marchands 
de bétails de la proTince du Limousin, contre le ftnnier de la Caisse de Poissy, 1770, 
in- 12, 85 pages. 

(2) Imprimé» tome II, p. 27C-274. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 119 

qui pourrait en empêcher la contrefaçon. Ils porteraient le 
nom de Billets de comestibles, et seraient tous d'un Louis ; 
plus facile encore à transporter que Tor, ils ne seraient point 
exposés à être volés. Ces avantages et l'exactitude du paie- 
ment par la compagnie de la caisse, aussitôt que ces billets 
paraîtraient, leur donneraient bientôt le plus grand crédit. 
Peut-être pourrait-on en douter, si M. de Chamousset n'assu- 
rait que les marchands et les bouchers, regardant la forme 
de la caisse de Poissy qui existait alors, comme entièrement 
ruineuse pour ce commerce, pensaient que cette nouvelle 
forme était propre à le ranimer. Il s'offrait de faire souscrire 
sa proposition par les meilleurs juges en- cette matière, par 
les marchands et les bouchers les plus riches : un droit con- 
senti et même désiré avant que d'être perçu, dit-il en finis- 
sant, ne peut jamais être onéreux. 

Il serait bien surprenant que M. de Chamousset, ayant 
consacré toute sa vie au bonheur de Thumanité, eût négligé 
l'agriculture, qui en est la source et le principe, aussi s'en 
est-il occupé, et dès 17S9, il avait fait un Mémoire sur le 
commerce des grains (1). Cette matière si importante dans 
le gouvernement d'un état, si souvent agitée, et qui peut- 
être n'est pas encore résolue, était alors beaucoup plus nouvelle 
qu'elle n'est aujourd'hui ; elle n'avait pas encore été discu- 
tée, comme elle l'a été depuis, et l'on n'avait pas encore vu 
des athlètes vigoureux descendre dans l'arène, combattre à. 

(1) Imprimé, tome H, p. 277-2&7. 



120 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

forces presques égales tous les étendards de la politique et 
de Féloquence, et laisser la victoire presque indécise. 

M. de Ghamousset se déclare en général pour l'exporta- 
tion et l'importation libres de cette denrée de première 
nécessité ; il met cependant certaines conditions à cette 
liberté, il veut qu'elle puisse être restreinte par la nature 
des récoltfes, par la position des provinces. Nul danger pour 
l'exportation dans les provinces maritimes ; il n'en est pas 
de même pour celles qui sont éloignées de la mer. Il s'élève 
contre les compagnies qui s'emparent de ce commerce, et 
qui ne servent qu'à consacrer le monopole et à faire aug- 
menter le prix du grain au gré de leur cupidité. 

Il s'occupa dans la suite d'un autre ouvrage qui vient à 
l'appui de celui dont nous venons de parler, il l'intitula : 
Réflexions sur Vlmportayice et Vutilitè d'une commission 
pour veiller en France à V Agriculture etvau com^merce 
des grains (1). Notre auteur trouve très étOi. nt que dans 
ce royaume tant de personnes soient occupées à veiller sur 
les manufactures et le commerce en général, tAndis que 
l'inspection du commerce des grains n'est confiée qu'à un 
seul homme. En serait-on venu à croire que le tronc de 
l'arbre exige moins de soins que les branches et les feuilles ? 
En politique, l'agriculture est le tronc, les manufactures et 
le commerce sont les branches. Tant que la sève ne fait que 
circuler dans les différents rameaux, l'arbre jouit de la plus 

(t) Imprimé, tome H, pag. 277-287. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 121 

grande vigueur ; mais si elle s'y porte en trop grande abon- 
dance, si elle s'y engage^ les branches et les feuilles dévorent 
toute la substance, les racines se dessèchent, le corps de 
l'arbre s'exténue, et périt enfin entièrement. L'arbre ne peut- 
être conservé vigoureux si on ne cultive les racines avec soin, 
si on ne coupe môme les branches qui prendraient trop 
d'embonpoint. 

Ces idées conduisent M. de Chamousset à proposer l'éta- 
blissement d'une commission destinée à suivre le commerce 
des grains. Il répète dans ce mémoire les principes établis 
dans le précédent sur le danger des compagnies pour le com- 
merce des grains ; il décrit quelques-uns des manèges de ces 
compagnies pour fixer le prix du blé au gré de leur avidité ; 
il restreint la liberté absolue de l'exportation extérieure aux 
pays placés sur les bords de la mer, et il fixe les différents 
articles dont devrait s'occuper la commission qu'il désirerait 
devoir étal par le Gouvernement. Arrêtons-nous un ins- 
tant à les considérer : 

1* Cette commission devrait encourager le plus grand nom- 
bre possible de marchands de grains isolés ; par là, on évite- 
rait cette connivence plus ou moins cruelle pous faire passer 
les grains de l'endroit où ils sont à bas prix dans celui où ils 
sont trop chers ; 

2*" Elle empêcherait la formation des grandes compagnies, 
dont l'esprit tend au monopole ; 

S"" Si des raisons particulières l'engageaient à en permettre 
quelqu'une, il faudrait au moins que ses magasins fussent 



122 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

connus ; qu'ils fussent toujours ouverts pour la consomma- 
tion particulière du pays ; que le prix du grain fut Qxé cha- 
que semaine, et affiché à la porte des magasins ; 

4"" Enfm, il faudrait fournir aux marchands particuliers 
des moyens de transport; et parmi ces moyens, les 
meilleurs sont sans doute .ceux qui sont exposés dans 
les Mémoires sur la poste aux chevaux, sur les messageries 
et le roulage. 

M. de Ghamousset voudrait que cette commission fut com- 
posée de sujets choisis par le Gouvernement, et de quelques 
députés des cours souveraines de la capitale, qui pourraient 
tirer des lumières de leurs confrères et leur rendre à leur 
tour celles qu'ils devraient à leur expérience. 

C'est ici peut-être où nous devons parler des observations 
sur rétablissement d'une Compagnie d'assurance contre les 
incendies et les ramonages. Ce projet, qu'on a exécuté en 
partie, et dont l'exécution même suppose qu'on a senti la 
nécessité, présente des idées claires, des calculs simples. La 
détail prouve que l'intérêt particulier pourrait se réunir ici, 
avec la sûreté publique. On invoque la raison et l'exemple, 
pour prouver qu'il serait utile, nécessaire même de ne pas 
abandonner cet article à l'entière liberté des citoyens : vues 
sages, sans doute ! mais le peuple craint-il d'autre danger 
que celui qui le menace prochainement et visiblement ; et le 
fruit des malheurs, même des siens propres, n'est-il pas perdu 
pour lui ? Il est des pays dans l'univers où les établissements 
de luxe et de plaisir réussissent sûrement, tandis que ceux 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 123 

qui sont consacrés à l'utilité publique, sont presque néces- 
sairement rejetés. 

M. de Cbamousset en propose un autre, qui peut intéresser 
ceux que Thabitude, ou peut-être le luxe seul des bijoux, 
ont accoutumé à l'usage d'une plainte qui, dans Tordre natu- 
rel, est à côté de celles qui sont les plus venimeuses ; il s'agit 
d'un projet sur le tabac râpé (1). Cette plante, sur laquelle 
on a tant écrit, est devenue pour la finance d'un produit 
presque immense ; tant est grande la force de l'babitude et 
de l'imitation! M. de Cbamousset, toujours occupé de la 
santé des citoyens, voudrait rendre les abus dans Tusage du 
tabac moins dangereux. Il désirerait que les débitants fussent 
obligés de le prendre tout râpé dans un bureau qu'inspecte- 
raient la Ferme générale et la police, et qu'il ne leur fut plus 
permis de le faire râper chez eux. Â ce moyen, on éviterait 
tout danger de mélange funeste : tout le tabac nécessaire à 
la consommation serait râpé sous les yeux de personnes fidè- 
les, dont les appointements seraient pris sur le bénéfice même. 
On en ferait des paquets de différents poids ; les plus gros 
seraient enveloppés dans des rouleaux de plomb recouverts 
de papiers cachetés : les plus petits seraient mis dans de petits 
sacs de papiers pareillement cachetés. Il résulterait de cet 
arrangement un bénéfice assez considérable, que M. de 
Cbamousset voudrait qu'on partageât entre la Ferme 
et des œuvres utiles, telles que la Maison d'association. Ce 

(f) Imprimé, tomtU, pag. 297^2. 



124 . UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

n'était pas un moyen infaillible de réussir dans sa 
demande, en supposant qu'il l'ait formée, ce qu'on ne 
peut affirmer. 

Ce qu'on sait positivement, c'est qu'entre les ouvrages dont 
jusqu'ici nous avons donné l'analyse et que nous pouvons 
présenter au public, il a laissé quelques feuilles informes qui 
doivent donner des regrets, sans pouvoir nous assurer 
aucune jouissance. Cette esquisse roule sur l'emploi des 
hommes. On y trouve quelques-unes de ses idées de l'allai- 
tement par le lait «des animaux, sur l'emploi des Enfants- 
Trouvés, garçons et filles, sur la préférence due à l'agricul- 
ture ; il parle aussi de l'emploi des soldats : il voudrait que 
tout soldat retiré ne payât que la moitié des impositions 
quelconques, et qu'une partie des invalides retournât dans le 
pays qui les a vu naître, avec une pension à peu près égale 
à ce qu'ils dépensent à l'Hôtel. Par leurs exemples, par leurs 
récits, par leur expérience, ils pourraient porter dans les 
provinces ce goût militaire qui épargnerait la triste nécessité 
de se servir du sort pour arracher à leurs foyers des hommes, 
qui souvent sont l'unique soutien de parents pauvres et 
caducs. 

On peut voir maintenant s'il en est des projets de M. de 
Chamousset comme de ceux du célèbre abbé de Saint- Pierre, 
dont on a dit qu'ils étaient les rêves d'un homme de bien. 
Tous ces projets pourraient cesser d'être ici des rêves, si l'on 
voulait, quand on le peut, enchaîner les passions des hommes, 
et les tourner vers le bien général, par le moyen de l'amour- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 125 

propre, ce levier universel dans l'ordre moral et politique, 
lorsqu'il est employé avec adresse et intelligence. 

Quoi qu'il en soit, s'il est des personnes pour lesquelles 
faire des projets est une passion dont l'intérêt de celui qui 
les forme est toujours l'objet principal, l'utilité publique 
toujours le prétexte ; on peut prononcer maintenant sans 
crainte d'être démenti, que ceux de M. de Chamousset furent 
tous au profit de l'humanité. Nullement attaché à ses idées, 
il était encore du plus grand désintéressement. Ce n'était pas 
la gloire de faire le bien qu'il cherchait, c'était le plaisir de 
le voir fait, de quelque manière que ce fut. Lorsqu'il croyait 
ces projets d'une utilité réelle, il en eût volontiers confié 
l'exécution à ceux qu'il aurait cru plus en état que lui de la 
conduire ; et si tout autre les eût formés, il eut mis peut- 
être, à les faire réussir, plus de zèle encore qu'il n'en montrait 
pour les siens. La vanité, l'envie, toutes les passions sem- 
blaient lui être étrangères, à l'exception de celle du bien 
général, pour lequel il s'est toujours oublié. C'est ainsi qu'il 
consacra la plus grande partie d'un patrimoine de plus de 
cinq cent mille livres, et l'unique regret qu'il eut après ce 
sacrifice, fut de n'en avoir plus à faire. Toutes ses dépenses 
pour le bien dé l'humanité, et les regardait comme un fond 
placé sur ses semblables, et dont eux seuls devaient retirer 
rintérêt. 

Ce fut encore pour se rendre utile à ses concitoyens qu'il 
forma le projet de former deux ponts volants aux deux extré- 
mités de Paris, le premier entre les chaussées de l'Hôpital et 



126 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

de l'Arsenal, le second entre le pont royal et les Invalides. Il 
en solicita la permission, et enfin il l'obtint après différents 
obstacles. L'Arrêt du Conseil qui la lui accorde pour quinze 
années, est du 10 Mai 1770. Ces ponts n'étaient pas encore 
exécutés au moment de sa mort. Il en a légué le privilège 
par son testament (1) à Mme la Comtesse d'Harville, sa cou- 
sine. Il lui recommande encore expressément sa Maison 
d'Association si profondément gravée dans son cœur, et qui 
avait été le principe respectable de toutes ses idées, de tou- 
tes ses actions, de toutes ses démarches. Il mourut le 27 avril 
1773. Toujours occupé des autres, il négligeait, il oubliait 
ses propres maux. Ses amis s'apercevaient que depuis quel- 
ques jours, il portait les apparences d'une maladie grave ; ils 
l'engagèrent à se soigner lui-même, après avoir tant soigné 
les autres : il s'excusait toujours sur le temps qui lui man- 
quait. Enfin, il fut attaqué d'une fluxion de poitrine qui en 
cinq jours le conduisit au tombeau à l'âge de cinquante-six 
ans. 

Sa mort fut comme sa vie, édifiante et chrétienne. La reli- 
gion qu'il aimait et qu'il pratiqua toujours avec fidélité 
l'avait soutenu dans les peines inséparables de la condition 
humaine qu'avait augmentées son désir ardent de faire le 



(I) Oq voit par ce testament passé devant Delattre et Colliville, notaire de Paris, 
le 26 avril 1773, que M. de Chamousset avait remis à Madame la Comtesse d'Harville 
des Mémoires sur les moyens de monter cei ponts ' jusqa'ici cetttdame n'a profité, ni 
d<: ces mémoires, ni du privilège qui lui a été remis par M. le Cte d'Amfreville, exécu- 
teur testamentaire. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 127 

bien et de s'apposer aux méchants. Elle le soutint encore, et 
le consola dans ce moment que la Nature abandonnée à elle- 
même n'envisage qu'avec horreur. 

Que de motifs d'espérance pour ce fils chéri qui allait se 
réunir à un père, et lui présenter une vie consacrée au bon- 
heur de ses semblables. 

La bienfaisance et la charité furent les principales vertus 
de M. de Chamousset, mais elles ne furent pas les seules. 
Enfant docile d'une religion donnée aux hommes pour les 
rendre heureux, il en adorait les mystères, il en pratiquait 
les préceptes. 11 savait que l'homme doit à Dieu l'hommage 
de tout ce qu'il est, que son âme et son corps sont également 
Touvrage de ses mains, que le corps doit donc participer à 
sa manière, à Tadoration intérieure que l'âme doit à son 
Créateur. Aussi M. de Chamousset était-il l'exemple de la 
paroisse suf laquelle il habitait. 11 y remplissait exactement 
tous les devoirs extérieurs de la religion ; il ne leur préférait 
que les exercices de la charité parce que sa piété éclairée 
savait que Dieu n'a donnée la religion aux hommes que pour 
en faire un peuples de pères, de frères et d amis 

Son testament porte l'empreinte de son âme bienfaisante. 
Il avait vendu pour de bonnes œuvres une partie des dix- 
mille livres de rente viagère, dont le Roi lui avait permis de 
disposer par l'arrêt de son Conseil du 23 Juillet 1760. Il par- 
tagea le reste entre quelques parents qui n'héritaient pas de 
lui, et quelques subalternes qui l'avaient servi et secondé 
avec zèle et fidélité. Il institua ses légataires universels, 



128 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

M. Berthelot de Versigny, ancien conseiller au Parlement de 
Paris, son cousin germain. Madame la Comtesse des Essarts, 
sa cousine-germaine. Le zèle de cette dame respectable pour 
consacrer h la Postérité la mémoire d'un parent qu'elle aima, 
qu'elle estima, qu'elle respecta autant qu'il le /méritait, sa 
tendre sensibilité, ses attentions délicates, ses recherches 
exactes et multipliées, méritaient un éloge, si sa modestie 
ne les refusait tous. 

La vie de M. de Chamousset n'a été qu'une étude, une 
recherche continuelle des biens qu'il pouvait procurer aux 
hommes ; mais, disons-le avec vérité, ils ont si souvent 
repoussé sa bienfaisance, qu'on ne sait ce qu'on doit le plus 
admirer ou son courage ou leur aveuglement. Il a été sou- 
vent contredit, mais il fut toujours aimé, estimé, respecté. 

Louis XV qui eût toujours fait le bien, s'il eût toujours 
suivi son penchant et ses lumières, chargea M. leducdeChoi- 
seul de dire à M. de Chamousset lorsqu'il le nomma Inten- 
dant des Hôpitaux militaires que jamais il n'avait fait aucune 
nomination qui lui eût été aussi agréable parce qu'il n'y en 
avait point qui dût être aussi utile à ses troupes. 

Stanislas, roi de Pologne, qui méritait tous les titres, parce 
qu'il avait toutes les qualités, toutes les vertus, et que nous 
aimons à désigner sous celui de Philosophe bienfaisant, qu'on 
lui a donné à la tête de la collection de ses œuvres, Stanislas 
estima, honora M. de Chamousset. Cet excellent roi voulut 
voir cet excellent citoyen. Il conversa familièrement avec lui 
sur ses différents projets. Il parut goûter également les 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 129 

ouvrages et l'auteur ; et si la Providence eût conservé 
plus longtemps les jours de ce souverain, peut-être ces deux 
âmes faites Tune pour l'autre, faites Tune et l'autre pour le 
bonheur de Thumanité, se seraient-elles réunies pour ne se 
séparer jamais ; et la cour de Stanislas fut devenue pour 
Gbamousset le temple du bonheur, parce qu'il aurait 
pu y exercer la bienfaisance sans obstacles et sans 
contradictions. • 

Rousseau, cet homme si éloquent parce qu'il fut si sensi 
ble, Jean-Jacques était pénétré de respect pour M. de Cha- 
mousset. Il le lui marqua un jour d'une iaçon bien extraordi- 
naire. Visité par lui, il négligea cette étiquette française qui 
pourrait bien être née dans l'empire de la bassesse ou 
dans celui de la fausseté : il était assis, il ne se leva 
pointy il ne le salua point, il ne le reconduisit point. Je 
vous estime trop, lui dit-il, pour vous traiter comme le 
reste des hommes. 

M. de Gbamousset plus occupé du plaisir de bien faire que 
de l'art de bien écrire, modeste, d'ailleurs et respectant le 
public, eut recours à l'éloquence du philosophe. Il engagea 
un de ses amis à le prier de jeter un coup d'œil sur quelques- 
uns de ses ouvrages, et en particulier sur le plan de réforme 
de THôtel-Dieu. Qu'est-il besoin de correction, répondit le 
philosophe, dans un ouvrage qu'on ne peut lire sans frisson- 
ner d'horreur, par les peintures énergiques qu'il présente ? 
Et qu'est-ce que l'art d'écrire si ce n'est celui d'intéresser et 
de toucher? Il ne fit donc à cet ouvrage que quelques correc- 

9 



130 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

tiens très légères, et de l*aveu d'un des hommes les plus 
éloquents que la nature ait fait naître, M. de Chamousset fut 
Toraleur de Thumanité malheureuse. Sans avoir étudié toutes 
les finesses de la langue, il la savait aussi exactement qu'on 
la parle dans la bonne compagnie. 11 écrivait d'après son 
cœur, pouvait-il manquer d'être éloquent ! 

La chaleur et l'activité de son âme, se communiquaient 
souvent à son corps, et quelquefois, c'était en vain que pen- 
dant des nuits entières, il appelait le sommeil. Alors, entiè- 
rement à lui, il méditait ses projets, les combinait et souvent 
il les dictait le matin, lors qu'après avoir servi les pauvres il 
s'habillait pour courir à d'autres actes de bienfaisance. Point 
de vie plus active que celle de M. Chamousset. On eût dit 
qu'il regardait comme perdus tous les moments qu'il ne don- 
nait pas aux malheureux ou à la Patrie ; et jamais personne 
n'a peut-être mieux prouvé que si l'homme est fait pour pen- 
ser, il est surtout né pour agir. 

A la nouvelle de sa mort, on vit les pauvres verser des 
larmes comme des enfants tendres et reconnaissants pleurant 
à la mort de leur père. Ils perdaient un homme qui n'existait 
que pour eux, un homme qui semblait n'être né dans ce 
siècle que pour réclamer contre l'esprit personnel qui en font 
le système et le caractère, un homme qui eût pu dire comme 
l'immortel Fénélon : J'aime mieux l'?iumanitè qiêe ma 
patrie; ma patrie que mafamilley et ma famille que moi- 
même. 

Disons-le en un mot, la nature et la religion en avaient 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 131 

fait un prodige de bienfaisance (1). A cet amour des hommes 
qui semblait le dévorer, son âme sensible, franche, généreuse, 
joignit une confiance presque sans bornes qu'ils ne méritaient 
pas, et dont quelques-uns ont cruellement abusé. Il n'aurait 
pas dépendu de son heureux caractère de soupçonner dans les 
autres le vice dont il était incapable, et cette sécurité fut la 
source de l'inutilité de ses efforts, comme elle sera toujours 
recueil des succès de l'homme honnête. 

M. de Ghamousset était un de ces hommes qui, dans 
un siècle de fausseté, semblent destinés à être les victimes des 
méchants, et qui n'en sont aimés que parce que ceux-ci les 
trompent sans peine et sans obstacles. Né avec un esprit gai 
et enjoué, parlant avec la plus heureuse facilité, disant 



(U Je pourrait ici citer qb grand nombre de traits particuliers de bienfaisance, 
s'il n*ent mis à les caeher autant de soin qu'il en mettait à les multiplier. J*en racon- 
terai deux qui m'ont été rappelés par une personne qu*il voyait très fréquemment. 
Madame la Comtesse de fi. . Un des amis de M. de Ghamousset partait pour Tarmée, 
le domestique de cet ami était décidé à le quitter, parce que sa femme malade avait 
besoin de s« présence et de ses secours, ijue ferti-wns^ lui dit M. dt Ghamousset, fi 
wuM quiilei tfOtre Mailre f V(m$ ne serin d'aucune ressource à votre femme : vous mmirriez 
de faim^ et elle périra de misère. Partei, f aurai soin de votre femme. Le domestique part, 
M. de Chamouaset tint exactement sa parole ; et au bout de six mois de soins et de 
dépenses, toutes sur son compte» il rendit cette femme A la santé, à la patrie, à son 



Un four, M. de Ghamousset revenait tard. Il aperçoit que le feu était dans une 
maison du côté de la rue de la Ferronnerie. Tout était enseveli dans le soomieil. Il se 
fait oavrif, il monte à Tappartement où était le feu, il sauve la femme et les enfants, 
pendant que le mari pressé par la frayeur, se précipite par la feuètre. Il se fracasse 
le corps et tombe sans connaissance. M. de Ghamousset court i lui, le soigne, va avertir 
les Prêtres de la paroisse, pour venir Tadministrer ; et il ne se retire que lorsque tout 
fut tranquille, avec ce doux plaisir qu'on éprouve à soulager les malheureux, et la 
eomdenee d'ooe bonne action de plus. 



132 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

toujours des choses agréables, quand les intérêts de la vertu 
et de la vérité le permettaient ; il était ce que le inonde 
appelle un homme aimable. A des mœurs douces et 
insinuantes, il joignit une probité austère, et cet accord si 
rare lui attira quelques ennemis ; mais nous le répétons, ce 
furent toujours les ennemis du bien public. Son âme saine et 
délicate avait pour les cœurs viciés et corrompus, une anti- 
pathie marquée dont il n'était pas le maître. Il ne contenait 
pas assez son mépris et son indignation ; delà peut-être encore 
son peu de succès. On louait ses vues, on les admirait même, 
mais on ne les adoptait pas. 

Le désir que M. de Ghamousset avait annoncé de se 7^eti' 
rer dans sa te^^re et d'y fonder un hôpital^ lorsqu'il forma 
le dessein passager de chercher le bonheur dans l'union 
conjugale ; et quelques lettres particulières écrites dans le 
sein de la confiance et de l'amitié, sont une preuve convain- 
cante du goût qu'il avait pour le séjour de la campagne. Ce 
goût est le premier et le dernier de ces âmes simples et sen- 
sibles qui n'ont encore écouté que la Nature, ou qui ne veu- 
lent plus écouter qu'elle. Ce séjour de l'innocence, si elle 
existe encore sur la terre, était sans doute plus faite pour 
l'âme vertueuse de M. de Ghamousset, que celui des villes 
fondées par les passions, tandis que la campagne est l'ou- 
vrage unique du Créateur ; mais ce séjour des villes présen- 
tait un théâtre plus grand à son activité bienfaisante, à Tamour 
du bonheur des hommes, qui le consumait, et forçait pour 
ainsi dire son âme et son corps à un mouvement perpétuel. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 133 

M. de Ghamoussety à la plus grande vivacité d'esprit^ à une 
imagination singulièrement féconde, joignait des vues égale- 
ment sages et étendues. Vaste dans ses projets, les plus petits 
détails ne lui échappaient point. C'était un artiste qui n'an- 
nonce une machine qu'après avoir calculé l'action et le jeu 
de ses ressorts. Quelquefois son courage héroïque et sa trop 
grande confiance dans les hommes lui faisaient paraître pos- 
sible tout ce qui était nulle ; mais lorsque l'amitié lui faisait 
apercevoir des difficultés qu'il n'avait pas prévues, lorsque 
l'autorité lui opposait quelque barrière ^ insurmontable, il 
n'avait point la vanité de se roidir ; et il cédait avec la can- 
deur, la modestie, la simplicité de l'homme vraiment grand, 
pour lequel l'aveu de l'erreur n'estquel'aveu qu'il est homme. 

M. de Ghamousset a cessé de vivre pour nous ; mais sa 
mémoire est celle du juste ; elle sera éternellement chérie et 
révérée. Il existe dans ses vues d'humanité, de bienfaisance 
et de patriotisme. Puisse le recueil général que nous en pré- 
sentons au public lui être agréable ; et sous un Roi Bienfai- 
teur par caractère, puissent les efforts de la bienfaisance 
cesser d'être inutiles ! Espérons que nos descendants ne se 
borneront pas à de stériles éloges : c'est dans cette vue que 
nous consacrons ses difiTérents projets à la postérité. 



Plan d'une Maison d'Association 



Dans laquelle, au moyen d'une somme très modi- 
que, chaque associé s'assurera dans l'état de mala- 
die toutes les sortes de secours qu'on peut dési- 
rer. 



L'Etablissement que nous proposons, nous a paru avanta- 
geux aux citoyens, et d'une exécution facile. Nous allons en 
montrer le besoin, et en exposer le plan avec le plus de clarté 
et de simplicité qu'il nous sera possible ; afin que le public 
qui en recueillera les fruits, puisse juger de l'intérêt qu'il y 
doit prendre. 

Les hommes font la plus grande richesse d'un Etat, et la 
santé est le bien le plus précieux des hommes. Mais ce n'est 
pas assez qu'il ne leur manque rien pour le conserver lors- 
qu'ils en jouissent ; un objet pour eux des plus importants, 
c'est de pouvoir, en cas de maladie, compter sur tous les 
secours nécessaires pour le recouvrer. 



136 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Ces secours supposent troi choses principales, dont les 
concours n'est pas moins essentiel que rare. De la dépense 
de la part des malades, de l'intelligence dans ceux qui les 
traitent, du zèle dans ceux qui les soignent. La privation de l'une 
de ces trois choses a des suites fâcheuses, dont on est que trop 
instruit par l'expérience. Cependant les riches même peu- 
vent-ils se flatter de les réunir? Peuvent-ils avoir à leurs 
ordres, à toutes les heures du jour et de la nuit, des méde- 
cins habiles, des chirurgiens expérimentés ; tous attentifs à 
administrer, ou à suspendre à propos un remède^ qui, selon 
les circonstances devient, d'un moment à l'autre, salutaire ou 
nuisible ? Peuvent-ils toujours ijn r sur l'exactitude et sur 
les lumières des personnes jl ^-la préparation des 

remèdes ? D'ailleurs que n'ont b? *ndre du zèle peu 

éclairé d'une«famille effrayé qui, p^ lement, use de 

de précipitation où il faut des délais, ou 401, par une piété 
mal entendue, use de remise, où il faut<le la célérité? Je ne 
parle point des dangers auxquels ils sont exposés, lorsqu'ils 
ne sont servis que par des valets pris au hasard, ou par des 
gens qui ne soupirent qu'après leurs dépouilles. 

Il est des asiles ouverts à la misère, et c'est une ressource 
utile à ceux pour qui il n'est pas humiliant de recevoir des 
secours gratuits que la charité leur offre. 

Mais entre ces deux extrêmes est la classe de ce grand 
nombre de citoyens, qui, n'étant pas assez riches pour se 
procurer des secours suffisants chez eux, ni assez indigents 
pour se faire transporter dans une maison de charité, lan- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 137 

guissenty et souvent périssent misérablement, victimes de la 
décence à laquelle ils sont assujettis par leur état. Tels sont 
les artisans industrieux, les marchands dont le commerce est 
borné ; et en général tous ces hommes précieux qui vivent 
journellement du fruit de leur travail, et qui souvent par 
cette raison n'ont recours aux remèdes, que quand le mal 
est devenu incurable. Les commencements d'une maladie 
suffisent pour épuiser toutes ressources ; plus ils sont dignes 
de secours, moins ils peuvent se résoudre à profiter des seuls 
qui leur restent, et qu'ils trouveraient dans les asiles publics. 
L'air leur parait devoir y être corrompu par le nombre des 
malades et des mouran* V^ie figurent que les soins y sont 
toujours insuffisants- iils sont purement gratuits, et 

le spectacle conti*^ ^J>uleurj de l'agonie, et de la mort 

dans la salle o^* insporte, souvent dans le lit où on 

les met, leur fait c.âvisager dans les hôpitaux des dangers 
beaucoup plus effrayants, que ceux auxquels la seule misère 
les expose chez eux. Les Gens de lettres qui se rassemblent à 
Paris de toutes les parties du royaume ; les militaires qui 
viennent solliciter la récompense de leurs services ; les plai- 
deurs forcés d'y faire de longs séjours pour soutenir leurs 
droits ; et cette foule d'étrangers que la curiosité y amène, 
sont dans la situation la plus dangereuse, sitôt qu'ils tombent 
malades. Isolés et abandonnés à la discrétion d'inconnus qui 
les environnent, que doivent-ils attendre des soins des gens, 
pour la plupart avides et intéressés ? Combien peu d'hommes 
peuvent donc s'assurer d'avoir dans une maladie tous les 



138 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

secours nécessaires ? Mais ceux-là même pourraient-ils n'être 
pas touchés de la situation de leurs concitoyens? N'est-il pas 
de l'humanité qu'ils s'intéressent au moins à la conservation 
de leurs domestiques ? Peuvent-ils se résoudre à abandonner 
des malheureux qui.ont perdu leur santé à leur service ? Leur 
est-il toujours possible de les faire traiter chez eux ? et quand 
ils le peuvent, leurs affaires leur permettent-elles d'y donner 
des soins ? Ne sont-ils pas obligés de s'en reposer sur d'au- 
tres domestiques, c'est-à-dire sur des hommes que la dureté 
ou la jalousie rend presque toujours négligents ? 

Il est donc de l'intérêt de tous les citoyens, qu'il se forme 
un établissement qui fournisse tous les secours nécessaires 
aux malades, et qui pare à tous les inconvénients dont nous 
venons de parler. Pour cet effet il faut : l*" Que les 
riches y soient reçus d'une manière qui ne laisse rien à dési- 
rer même à leur délicatesse ; 2** Que le traitement dans la 
maladie soit absolument le même et pour eux et pour ceux 
qui sont mal partagés par la fortune ; S** Que la dépense soit 
proportionnée aux facultés des moins aisés ; 4^ Enfin, que la 
décence n'empêche personne de profiter des secours qui lui 
seront offerts. Tel est l'objet principal de rétablissement 
qu'on propose au public, et l'on y satisfera par une associa- 
tion librCy qui ne durera qu'autant que chaque associé y 
trouvera son propre avantage, et par laquelle on acquierrera 
en payant par mois la somme la plus modique, le droit de se 
procurer ou chez soi ou dans une maison, dont on deviendra 
copropriétaire par cette association, généralement tous les 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 139 

secours dont on peut avoir besoin dans l'état de la maladie. 
On peut ou remplir cet objet dans toute son étendue, ou 
tenter d'abord un essai d'établissement, dont le succès puisse 
conduire à l'exécution en grand. Dans le premier cas, on 
construira en bon air un bâtiment spacieux divisé en loge- 
ments propres et commodes, et composé de plusieurs corps 
de logis entièrement séparés et distribués selon les conditions 
différentes des personnes auxquelles ils sont destinés; les 
uns pour les hommes, et les autres pour les femmes. Dans 
chacun le service se fera uniquement par des personnes de 
même sexe. 

On y établira une pharmacie complète, composée des 
plus excellentes drogues, et gouvernée par les hommes les 
plus intelligents. On y rassemblera des médecins et des chi- 
rurgiens en chefs, que Ton choisira avec tout le soin possible, 
et qui seront également attirés par l'honneur de remplir de 
belles places, et par les appointements qui y seront attachés. 
D'autres médecins et chirurgiens en nombre suffisant, et 
demeurant aussi dans la maison travailleront avec assiduité, 
«t sous les yeux de leurs chefs, à la guérison des malades ; 
les uns à faire exécuter les ordonnances, et les autres aux 
pansements des personnes qui auront souffert quelque opé- 
ration. On recevra un nombre fixe de jeunes médecins logés 
et nourris pour une pension modique, qui s'empresseront sans 
doute d'y venir s'y former, et qui seront en même temps 
^'un grand secours par leunassiduité au chevet des malades, 
~f aisant rapport au médecin ordinaire de l'effet et des ordon- 



140 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

nances, et d'une infinité d'observations propres à éclairer et à. 
rendre le traitement plus certain. 

Deux des plus célèbres médecins de Paris viendront régu- 
lièrement tous les jours, pour consulter avec ceux qui 
demeureront dans l'établissement, et décider conjointement 
les cas embarrassants, qui demandent une mûre délibération, 
S'il arrive qu'un malade ait de la confiance dans un méde- 
cin, ou chirurgien qui ne soit pas de la maison, il sera libre 
de l'associer à ses frais aux médecins et chirurgiens de la 
maison. 

Pour prévenir les méprises et remettre toujours sous les 
yeux du médecin l'état des malades, et les indications sur les- 
quelles il s'est déterminé, toutes les ordonnances seront écrites, 
ainsi que le régime, et placées à côté du lit des malades. 
Ce sera de plus un nouveau moyen d'étude et d'observation 
pour les jeunes médecins, sans compter que cette manière 
de publier les ordonnances ne pourra que rendre les méde- 
cins ordinaires encore plus attentifs à les méditer (1). 

La chirurgie ne sera pas cultivée avec moins de soin, et 
l'on ajoutera de même au nombre de chirurgiens, d'aides et 
de garçons admis, et pensionnés dans la maison, d'autres 
élèves payant 'aussi une très modique pension pour leur 
nourriture et leur logement. Ils se formeront sous les yeux 
des maîtres, et seront animés dans leurs travaux par Tezpé- 



(1) On publiera chaque mois ud état abrégé do traitement et des remèdes qal auront 
le mieux réussi dans les maladies courantes. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 141 

rience et le désir de vaincre dans les concours ; seul moyen 
par lequel les places s'obtiendront dans cette maison. Joi- 
gnez à cela des gardes vigilantes et surveillées, un choix 
scrupuleux d'aliments convenables, et toutes les attentions 
de propreté qui peuvent prévenir le dégoût et garantir du 
mauvais air. Telles sont les principales précautions qui 
seront prises pour le traitement de tous les malades en 
général. 

On voit par ces détails que les riches auront dans cette 
maison des secours prompts et continus, qu'ils ne peuvent 
pas se flatter de trouver chez eux, quelle que soit leur opu- 
lence ; et ces secours étant donnés à tous avec le même zèle 
cet établissement contribuera au soulagement des familles, 
et à la conservation des citoyens. 

Mais il résultera nécessairement de cette police de la mai- 
son deux avantages généraux, qui doivent frapper vivement 
tout homme qui aime son semblable, et qui s'aime lui- 
même. 

Le premier est cette attention si nécessaire aux révolutions 
momentanées qui surviennent dans l'état d'un malade. Com- 
bien de fois n'est-il pas arrivé à la nature de le déclarer, 
lorsqu'il n'y avait personne pour l'entendre ? Combien cet 
inconvénient seul dont l'opulence même ne garantit pas tou- 
jours, n'a-t-il pas fait périr de malades ? Si l'on ne peut en 
accuser l'art, en est-il de la manière ordinaire de l'exercer, à 
laquelle il est sinon impossible, du moins très difficile d'ob- 
vier ? 



142 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Le second est le progrès de Tart même de guérir. On con- 
viendra que des histoires de maladies faites d'après des 
observations continuées, pour ainsi dire, de moment en 
moment, depuis le commencement jusqu'au terme heureux 
ou malheureux, seront nécessairement plus circonstanciées, 
plus exactes, et par conséquent, plus propres à l'avancement 
de la médecine et de la chirurgie, que celles qui peuvent 
être publiées par des médecins, qui voient d'autant plus de 
malades, qu'ils sont réputés plus habiles ; et qui ne peuvent 
jamais décrire toutes les maladies qu'ils ont traitées, comme 
s'ils n'en avaient suivie qu'une ou deux. 

La maison sera gouvernée par une administration élective 
de trois ans en trois ans, et suffisamment nombreuse; mais 
personne ne pourra être élu sans être associé. 

L'intelligence, le zèle et l'intégrité seront les seuls titres 
pour être admis, et probablement pour se présenter au goa- 
vcrnement d'une maison ou Ton trouvera d'autre avantage 
que de se dévouer au soulagement de l'humanité et au ser- 
vice de ses concitoyens. Paris renferme un grand nombre 
d'habitants éclairés, riches et bienfaisants, qui se tiendront 
honorés d'un choix qui portera témoignage de leur probité 
et de leur zèle pour le bien public. 

On n'aura droit au secours de cette maison, que quand 
on se sera fait recevoir parmi les associés; et pour avoir 
égard à 'la différence des conditions et des moyens, on éta- 
blira cinq classes qui paieront plus ou moins, non pour le 
traitement de leurs maladies (car il sera fait dans toutes les 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 143 

classes avec le même sein) ; mais pour ces commodités arbi- 
traires qui varient selon les états, et qui ne sont nécessaires 
qu'à ceux qui ont Thabitude d'en jouir. Au moyen de cet 
arrangement, le plus riche et le moins aisé seront admis avec 
le même droit sans être ni confondus ni négligés. Chacun se 
trouvera logé et servi comme il le serait dans sa propre mai- 
son, mais toujours traité avec plus d'intelligence et de soin, 
et beaucoup moins de frais, comme on le verra bientôt. 

Chaque associé de la première classe occupera un appar- 
tement complet, et sera meublé et servi d'une manière 
convenable à son logement. Ceux de la seconde classe 
auront une chambre séparée; ceux de la troisième seront 
des chambres à deux ou trois lits ; la quatrième sera distri- 
buée dans les salles à douze lits, et la cinquième dans des 
salles de trente lits, dans lesquels les malades ne seront 
jamais qu'un à un. Chacun de ces lits sera même renfermé 
dans une séparation qui formera comme une petite chambre. 

Ainsi tout associé délivré d'inquiétude pour le traitement 
des maladies qui peuvent lui survenir, pour les opérations 
de chirurgie dont il peut avoir besoin, et même pour sa 
subsistance pendant ces temps où son travail est suspendu, 
n'aura plus de soin à donner qu'au rétablissement de sa 
santé. 

Ce qu'il en coûtera pour se faire associer sera suffisant 
pour l'établissement en grand du projet qu'on propose, et 
n'excédera pas les facultés des citoyens les moins aisés. 
C'est une chose méditée de longue maiu, et fondée sur des 



144 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

supputations très exactes. On a même lieu d'espérer que les 
frais de cet établissement étant une fois faits, on pourra 
rendre les conditions des associés encore plus favorable, 
attendu qu'on a été obligé d'évaluer la dépense au plus 
haut, afin d'être assuré de toutes sortes de cas de pouvoir 
tenir les engagements qu'on aura pris avec le public. 

Voici la table des différents prix qui paieraient les associés 
suivant leurs âges et leurs classes. On voit qu'on ne pourra 
commencer à s'associer que depuis quinze ans jusqu'à 
soixante', mais le prix de l'association ne changera jamais 
pour ceux qui seront exacts à la continuer ; il restera tel 
qu'il était quand ils sont ^i -"* leur association n'aura 
d'autre terme que celui de leuu ^ Jn propose aux maîtres 
qui voudront s'associer pour toute leur maison, un avantage 
sur tous les autres associés, celui de ne payer par tète de 
tous âges comprise dans leur souscription, que le prix ûxé 
pour la classe de quinze à trente-cinq ans. 



Les Bssociéi 


Sallei 


Salles 


Chambre 


Chambre 


Appar- 


paieront par moii. 


à 30 lits. 


àt21it8. 


à 3 lits. 


à 1 lit. 


tements. 


de i5 ans à 35 ans. 


a51. 


.3ol. 


40 1. 


3 1. »» S. 


5 1. »>f S 


de 35 ans à 4o ans. 


a61. 


32 1. 


431. 


3 1. 4 8. 


5 1. 8 S 


de 4o ans à 45 ans. 


27 1. 


341. 


461. 


31. 8 s. 


5 1. 16 S 


de 45 ans à 5o ans. 


!l81. 


36 1. 


49 1. 


3 1. la s. 


61. 4 s 


de 5o ans à 55 ans. 


^91. 


38 1. 


5a 1. 


3 1. 16 s. 


6 1. la S 



de 55 ans à 60 ans. 3o 1. ^o 1. 55 1. 4 1* ^^> s. 7 1. )>» s. 

Les associés paieront par mois tant en santé qu'en 

maladie. Cette manière a paru la plus convenable pour 

eux, soit à cause de la plus grande facilité qu'ils trouveront 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 145 

à faire leurs paiements^ soit afin qu'ils ne se mettent point 
en avance avec l'établissement, ni dans le cas d'avoir 
aucune répartition à faire, quelqu'événement qui puisse 
arriver. 

Pour cela ils porteront de mois en mois leur contingent 
chez un des notaires ci-après nommés, où il restera en 
dépôt jusqu'à la fin du mois pour lequel il sera donné : 
ceux qui trouveraient plus commode de payer une année 
d'avance, seront libres de remettre la somme entière aux 
notaires qui ne s'en dessaisiront de même que de mois en 
mois révolu. Ils en recevront, en payant le premier mois, 
un billet d'association da^- if jforme capable de prévenir 
toute équivoque et toutW . , j%ie\ 

Sur ce billet accompagné des autres quittances de mois 
en mois, s'il y en a plusieurs d'écoulés depuis la date, ils 
seront admis, en cas de maladie, à occuper leur logement 
dans la maison. 

On propose quelques conditions que la prudence suggère, 
et que l'équité doit faire agréer. C'est : !<> qu'il y ait du 
moins un mois d'intervalle entre la date du billet d'associa- 
tion et le jour qu'on se présente à la maison, pour la 
première fois seulement ; 2*» qu'en cas qu'on ait cessé de 
fournir son billet et qu'on en reprenne un autre, on paie 
le double de sa valeur, la première fois seulement ; 3"" qu'en 
pareil cas on subisse l'intervalle du mois prescrit comme si 
l'on était nouvellement associé. La valeur du billet d'associa- 
tion est si modique, et les autres peines de la négligence, 

lO 



146 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

sont si justes et si légères ; qu'elles ne doivent rebuter 
personne. Si les billets ne s'éteignaient par la négligence à 
les nourrir, il serait impossible de connaître et les associa- 
tions et les places vacantes. 

Les corps ou communautés qui voudront s'associer, 
paieront chaque mois, dans quelque classe que ce soit, pour 
les maîtres, apprentis, ouvriers, et même leurs domestiques, 
cinq sols par \êle de moins que les autres particuliers ; et, 
alors, les syndics, ou les députés élus par chaque corps, 
feront la recette des associés de la communauté^ et remet- 
tront immédiatement au trésorier de rétablissement les 
sommes qu'ils auront reçues, et pour la satisfaction com- 
mune, un de ces syndics sera, chaque année, admis au 
nombre des administrateurs. 

II y aura des lieux éloignés et séparés pour les maladies 
contagieuses ci pour les grossesses; on exigera seulement 
des femmes enceintes au moins neuf mois d'association, et 
l'on donnera la préférence entre elles et celles dont les 
maris seront associés. Les seules maladies exclusives de 
l'association seront les maladies vénériennes et les maux 
incurables (1) ; mais en cas d'exclusion pour des maux 



(1) On sait qu'il serait impossible dans les première momenls H*an pareH éta- 
blissement, de se charger des incurables, dont un seul, sans espoir de gnérison, 
priverait de secours plusieurs citoyens qui pourraient roblenir. SuccessÎTement : 
ainsi on est obligé de les exclura jusqu'à ce que TempressemeDl du public pi:or 
l'association présente, nous engage à lui présenter un projet que nous méditons d'une 
maison particulière où on les > ecevrait par la suite. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 147 

incurables, et jugés tels par consultation des médecins, on 
rendra à l'associé qui en sera attaqué toutes les sommes 
qu'il pourrait avoir payées pour son association pendant 
tout le temps qu'elle a duré, quand même il aurait déjà 
profité des secours de la maison dans les maladies précé- 
dentes. 

Combien ces secours ne leur auront-ils pas épargné de 
dépense ? Car ce n'est pas communément en se déclarant 
qu'une maladie parait incurable ; ce n'esl qu'après plusieurs 
atteintes qu'elle se fixe dans cet état fâcheux, qui s'adoucira 
encore en ceux qui auront le malheur de s'y trouver, par la 
restitution entière de tout ce qu'ils pourront avoir déboursé 
peu à peu depuis le jour de leur association jusqu'au moment 
de leur incurabilité constatée. 

Toute maladie, à l'exclusion des cas ci- dessus spécifiés, 
qui sera accompagnée de fièvre ou qui exigera une opération, 
donnera à Tassocié qui en sera attaqué le droit de se faire 
transporter dans la maison, et d'y occuper un lit, une cham- 
bre, ou un appartement selon la classe dans laquelle il sera 
inscrit; et Ton ne pourra jamais, sous quelque prétexte que 
ce puisse être, l'obliger de quitter la maison, qu'il ne soit 
parfaitement guéri, ou déclaré incurable : on ne pourra non 
plus jamais refuser la maison à un associé sorti de maladie, 
et qui y retombera immédiatement, quelque longues et fré- 
quentes que soient ses rechutes, soit qu'il y ait de sa faute, 
ou non. 

On donnera à tous les malades étrangers, ou autres, une 



148 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

reconnaissance des effets qu'ils pourront avoir déposés dans 
la maison, et ces effets seront portés sur un registre pour 
leur être rendus, soit à eux mêmes lorsqu'ils seront guéris, 
soit à ceux qui les représenteront dans la supposition con- 
traire. Tout le temps qu'un associé restera malade dans la 
maison, il sera visité, traité, nourri, médicament, éclairé, 
chauffé, blanchi, etc., avec le plus grand soin jusqu'à son 
entière guérison, il jouira de toutes les commodités particu- 
ières à sa classe, sans aucune exclusion ni préférence pour 
qui que ce soit. 

S'il a besoin de quelque opération de chirurgie, elle lui 
sera faite sur la délibération signée des médecins et chirur- 
giens qui le traiteront, sans que pour quelque opération, ou 
quelque traitement dont il ait besoin, et quelque durée que 
puisse avoir sa maladie, on puisse lui demander au-delà de 
son contingent ordinaire d'association, la même seulement 
qu'il payait en parfaite santé. 

Dans le cas extraordinaire où une épidémie augmentant 
brusquement le nombre des malades, la maison ne serait pas 
suffisante pour loger tous les associés qui se présenteraient, 
elle sera tenue de leur fournir chez eux les mêmes secours 
qu'elle leur doit en médecins et chirurgiens, médicaments, 
bouillons et nourritures. Mais, dans toutes autres circons- 
tances, s'il arrive que les associés malades préfèrent de rester 
chez eux, il ne leur sera fourni que les médecins, chirurgiens 
et médicaments ; la nourriture restera à leurs frais, à moins 
que dans des cas particuliers, l'administration qui ne sera 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 149 

animée que par l'amour du bien public, ne juge qu'il soit à 
propos de laisser le malade aux soins d'une famille à qui sa 
préférence pourrait être nécessaire, soit pour sa propre con- 
solation, soit pour la conduite d'un travail qu'il peut diriger 
de son lit, soit pour le soutien de sa famille. 

Dans les cas pressants, comme aussi dans ceux où le 
malade, sans avoir besoin d'occuper un lit dans la maison, 
serait cependant hors d'état de s'y transporter pour consulter 
les médecins, il lui sera provisoirement fourni par la maison 
les remèdes nécessaires. Pour remplir cet engagement la 
maison donnera des honoraires à des médecins et à des 
chirurgiens en différents quartiers de Paris. 

Ceux qui, faisant leur séjour ordinaire dans les provinces, 
sentiront tout l'avantage qu'il y aurait à participer aux pri- 
vilèges de l'association, dans ces circonstances fâcheuses qui 
demandent des secours qu'on ne trouve que dans la capitale, 
et qu'on est si souvent obfigé d'y venir chercher, se procu- 
reront les conseils des plus célèbres médecins et la main des 
chirurgiens les plus habiles, dans la maison même, où ils 
seront reçus et traités en cas de maladies chroniques : on 
exige seulement qu'ils ne trouvent point mauvais qu'on 
prenne avec eux une précaution qu'il est si raisonnable de 
prendre indistinctivement avec tous, c'est de s'assurer qu'ils 
étaient en santé lorsqu'ils se sont associés. L'éloignement 
empêchant ces associés étrangers de tirer un secours de la 
maison dans les maladies courantes, ils ne paieront que moi- 
tié des associés ordinaires ; mais comme l'établissement ne 



150 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

peut s'étendre dans le commencement qu'à un certain nom- 
bre d'intéressés, on préférera ceux qui se présenteront les 
premiers par les personnes qu'ils commettront auprès des 
notaires indiqués chez lesquels on ira prendre date pour eux. 

A l'égard des personnes qui étant tombées malades sans 
avoir acquis droit à l'association, voudront être reçues dans 
la maison, elles ne pourront l'être qu'en qualité d'externes, 
et elles paieront par jour et d'avance les prix marqués 
ci-après. Mais comme ils n'auront aucun droit à la maison, 
on ne les recevra qu'autant qu'il y aura dans la classe qu'ils 
auront choisie, des logements au delà du nombre d'associés 
qui peuvent se présenter pour les remplir. 

On a tant de confiance dans l'efficacité des secours qui 
seront procurés à tous, qu'on propose aux externes attaqués 
de maladies aiguës, qui n'auront point encore fait de remèdes, 
et à ceux qui seront dans le cas d'opérations chirurgicales, 
d'entrer dans la maison en donnant cautions pour toute la 
durée de leur résidence, à la condition qu'il sera payé le 
quart du prix ordinaire en sus, s'ils guérissent, et qu'il ne sera 
rien payé du tout s'ils meurent. 
Les externes de la première classe paieront par jour. 7 1. s. 

— la seconde classe 5 1. s. 

— la troisième classe 3 1. 10 s. 

— la quatrième classe 2 1. 10 s. 

— la cinquième classe 2 1. s. 

Dans la suite, lorsque l'établissement aura pris toute la 

saveur, et toute la solidité qu'on a lieu d'espérer de son 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 151 

importaoce, et de ses avantages, on pourra de diverses manié-- 
res se procurer le droit aux secours de l'association. Il y aura 
des abonnements à vie, des abonnements à temps ; il y aura 
encore des tarifs particuliers pour ceux qui avec une légère 
addition à leur contingent, voudront s'acquérir dans la mai- 
son le droit de retraite perpétuelle en cas de maladie incu- 
rable ou de caducité ; ainsi cette maison pourra devenir une 
ressource pour ceux mêmes qui auront été exclus de la pre- 
mière association. 

Aucun citoyen de quelque condition qu'il soit, ne peut 
avoir d'éloignement pour un établissement de cette nature ; 
car Texposé que nous venons d'en donner, fait voir que la 
décence en est la base. L'établissement appartenant en pro- 
pre au corps des associés, il n'y aura rien de gratuit dans 
Fassistance qu'ils en recevront ; si le besoin les oblige de cher- 
cher un asile dans la maison, ils y seront chez eux, les soins 
qu'on leur rendra seront une dette qu'ils pourront exiger, le 
fond de l'établissement sera le leur. 

On n'y recevra ni dons, ni legs, ni fondation : nul ne 
pourra donner au delà de son contingent ; toutes récom- 
penses reçues par ceux qui environnent les malades, à quel- 
que titre et sous quelque prétexte que ce puisse être, seront 
traitées d'exactions ; comme elles deviendront le germe d'une 
corruption dangereuse, on exigera des associés de n'y donner 
aucun lieu ; et pour que leur droit ne puisse jamais soufifrir 
la moindre altération, ni leur délicatesse, la moindre inquié- 
tude, la maison même n'acceptera rien de qui que ce soit. 



152 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

hors sa protection du souverain, qu'il sera supplié d'accorder 
par lettres Lettres-Patentes, aussitôt que l'expérience aura 
fait connaître les meilleurs constitutions qu'on puisse donner 
a l'établissement, afin que l'autorité royale les rende irrévo- 
cables et inaltérables. 

L'établissement n'ayant d'autre fonds que le contingent des 
associés, il nei sera point honteux de recevoir des secours 
qu'on aura payés d'avance. On ne deora rien à la commi- 
sération des autres ; car chacun n'aura en vue que son 
propre i^itérêt. Tous concou7^ent en commun à établir 
des fonds f parce qiiaucu7i ne peut être assuré d'une santé 
constante ; et si ceux qui so7it a^sez heureux pour n'être 
pas dans le ca^ d'y avoir recours^ four^iissent à l'associar- 
tio7i plus qu'elle ne leur rend, ils jouissent de l'avantage 
d'eiivisager une asile qui peut d'un jour à l'autre devenir* 
nécessaii^e : et par là ils sont exempts de bien des inquié- 
tudes. Si quand je me porte bie^i^ je paie par le prix 
modique de mon associât ion y pour celui qui soufflée y il en 
fait autayit pour moi da^is le même cas. C'est la loi 
générale de l'humanité mise eyi exécution d'une manière 
prxidente et déte^^miyiée ; c'est le bieyi de la société civile 
éteyidu à une circonstafice encore plus nécessaire que 
toutes celles auxquelles elle a pou7^u jusqu'ici. 

En un mot, cette association comme toutes celles dans 
lesquelles on se fait honneur d'entrer est une communauié 
de fonds établie pour les besoiîts de toUrS les membres. Peut-il 
donc y avoir une condition pour laquelle il ne soit pas honnête 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 153 

de jouir des avantages qu'elle se procure elle-même ? 

Cet établissement n'est pas tout à fait une nouveauté ; il 
s'exécute en partie à Lyon, à Châlons-sur-Saône, à Beaune, 
à Besançon, etc., mais avec moins de décence par la 
réunion de ces établissements, avec les hôpitaux ; ce qui n'a 
point empêché des personnes de la première condition de s'y 
faire transporter pour y jouir de secours plus continus, plus 
sûrs, et plus réunis que ceux que l'opulence leur promettait 
dans leur domestique. 

Il est évident qu'une entreprise de cette importance ne 
peut se commencer sans le secours de ceux à qui la Provi- 
dence a donné la richesse accompagné du zèle du bien public : 
et nous avertissons avec plaisir qu'il s'est trouvé des âmes 
sensibles qui non contentes d'accorder leur protection à notre 
projet, sont toutes prêtes à contribuer aux sommes néces- 
saires pour en commencer l'exécution. 

Il s'agit de jeter les premiers fondements d'un établisse- 
ment du goût du public et du nombre des souscripteurs. Les 
sommes que des personnes également bien intentionnées 
pourront nous offrir, ne seront acceptées qu'à titre de prêt. 

Une condition qu'on s'imposera volontiers, c'est de les 
mettre en état de juger et de l'emploi de leurs fonds, et du 
temps où ils en peuvent espérer la rentrée. 

On s'est assuré des maisons propres à recevoir les mala- 
des; on les indiquera aussitôt qu'on aura fait un nombre 
suffisant de souscriptions. Alors les portes en seront ouvertes, 
et tout particulier sera reçu à donner ses avis sur la distri- 



154 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

bution d'une maison dont il peut devenir un des proprié- 
tairee par l'association. 

L'administration jouira au nom des associés, et sous les 
yeux des magistrats, du droit qu'ils ont eux-mêmes d'acqué- 
rir et d'aliéner suivant l'exigence des cas. Ainsi les épargnes 
faites sur la somme que paie chaque associé dans les années 
favorables, ou il y aura eu peu de malades, seront placés, soit 
pour parvenir promptement à l'exécution en grand, soit 
pour servir de ressources dans les années de disgrâce, en 
faisant des aliénations jusqu'à concurrence dos besoins. Car 
il n'est pas question de former une maison riche, mais de la 
rendre capable de remplir en tous temps les engagements 
mutuels que les membr^esde V association contractent de 
soulager aux dépens de tous, ceujo d'entre eiuic qui tom^ 
bent malades. 

Les associés étant tous propriétaires par indivis des fonds 
de l'établissement, il n'y en a point qui ne soit en droit d'en 
prendre connaissance. Aussi l'administration se fera-t-elle 
un devoir de rendre toits les ans au public un compte 
exact des progrès de Va^sociation, de ses dépenses et de 
son produit. On verra dans un état imprimé, qui se distri- 
buera au commencement de janvier, le nombre des associés 
dans chaque classe, la quantité de malades qui, pendant 
l'année, seront entrés dans la maison, le nombre de ceux 
qui y ont recouvré la santé, les frais qu'il on a coûté, soit 
pour les soigner, soit pour les autres dépenses de l'établisse- 
ment ; enfin ce qui reste de fonds dans la caisse de l'associa- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 155 

tion. Cet icsage sert le fondement de la confiance du 
public. On sera peut-être étonné des avantages que nous 
nous affectons de procurer par cet établissement. Mais si Ton 
réfléchit sur ce que nous avons exposé au commencement 
de ce Mémoire, où nous avons fait voir combien il y a peu 
de citoyens qui puissent dans le cas de maladie s'assurer tous 
les secours qui leur sont nécessaires, on concevra que le 
nombre des associés doit devenir considérable^ et que les 
sommes qu'ils fourniront ne peuvent manquer d'excéder les 
dépenses auxquelles l'établissement sera engagé. 

Car on sait panr les observations des médecins, que sur un 
nombre donné d'hommes, il a par année, l'une portant 
l'autre, tant de malades. Les mêmes (^servations fournis- 
sent encore les moyens d'évaluer, on général, la durée des 
maladies, et les frais qu'elles entraînent. Ainsi, la possibilité 
de l'établissement que nous proposons, porte sur des sup- 
positions qui ont leur fondement dans la proportion donnée 
par l'expérience entre le nombre des associés, celui des 
malades, et les sommes destinées à les secourir. 

Il y a des établissements utiles dans leur origine qui 
deviennent à charge par lesjabus qui s'y introduisent. Celui- 
ci, par sa constitution, est tel, que ne pouvant subsister que 
par l'intérêt que le public y prendra, il doit nécessairement 
tomber de lui-même dès qu'il cessera d'être avantageux : 
totalement volontaire, il ne peut être onéreux à personne ; 
et réunissant la décence et la modicité, des frais, il sera 
accessible à tous les ordres des citoyens. 



156 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Les secours qu'on y trouvera ne s'étendent pas au delà du 
temps du véritable besoin, ne pourront entretenir l'oisiveté. 
Leur efficacité rendra les maladies plus courtes et en pré- 
viendra même de plus dangereuses, parce qu'on ne sera pas 
dans la nécessité d'attendre l'extrémité pour avoir recours 
aux remèdes, et qu'au contraire, on aura des secours dès 
qu'on se sentira indisposé. Par là, les services que chacun 
doit à la patrie, seront moins longtemps suspendus ; on ne 
verra plus des familles d'artisans se ruiner par la longueur 
et les frais excessifs des maladies, et des citoyens qui pour- 
raient être les soutiens de l'État, en devenir le fardeau. 

Ceux qui en approuveront le projet, et qui seront disposés 
à entrer dans l'association, sont priés de s'inscrire chez les 
notaires ci-après indiqués, en leur faisant remettre un billet 
signé d'eux, dans lequel ils auraient soin de marquer le 
nombre des places d'associés qu'ils demandent, et les classes 
où ils les choisissent. Les notaires n'exigeront rien pour le 
dépôt de ces billets. Quoique ces espèces de souscriptions ne 
soient nullement obligatoires, c'est cependant sur le nombre 
qu'on en pourra faire que les personnes qui le proposent en 
hâteront l'exécution. Les mille premiers souscrivants regar- 
dés comme fondateurs, seront dispensés à ce titre de nour- 
rir leur association au delà des dix premières années révo- 
lues. 

A l'égard de la contribution, les associés ne commence- 
ront à la payer que quand les maisons se trouvant en état 
de recevoir des malades, on pourra distribuer des billets 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 157 

d'association qui seront le titre^ en vertu duquel on ysera 
reçu. Un essai d'établissement demande qu'on se borne 
d'abord à un certain nombre. On préférera, comme il est 
juste, les premiers en date, les autres seront remis au temps 
du grand établissement. 

Il ne nous reste plus qu'à prier les personnes éclairées, 
zélées pour le bien public, et animés des mêmes sentiments 
qui ont suggéré ce projet, d'examiner avec attention le plan 
qu'on vient de remettre sous leurs yeux, et de nous commu- 
niquer, soit par la voie des mêmes notaires, soit par les 
écrits et papiers qui paraissent périodiquement, les observa- 
tions utiles qu'ils pourront faire sur le projet en général, ou 
sur quelque partie de son exécution. 



Additions 

Et Éclaircissements au Plan d'une Maison d'Asso- 
ciation, dans laquelle au moyen d'une somme 
très modique, chaque associé s'assurera dans 
l'état de maladie toutes les sortes de secours qu'on 
peut désirer. 



L'approbation que le public vient de donner à ce plan 
d'association, est l'encouragement le plus flatteur que nous 
puissions recevoir. Malgré le reproche que l'on fait aux 
Français de leur amour excessif pour la nouveauté, on a vu 
dans tous les temps les meilleurs et les plus solides établis- 
sements souflrir d'abord des grandes difficultés, quelquefois 
même être rejetés, pour la seule raison que c'était des nou- 
veautés. 

Il ne serait pas difficile à ceux dont l'occupation est de 
développer les ressorts de l'esprit humain, de justifier notre 
nation sur cette inèonséquence apparente ; en reprochant les 
faits, ils feraient voir clairement que cet empressement avide 
qu'on lui attribue pour tout ce qui porte le caractère de 
nouveauté, ne parait aveugle que sur les choses de pur agré- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 159 

menty dont les suites ne sont point dangereuses ; mais que 
lorsqu'il s'agit d'un projet sérieux, intéressant, utile, elle 
veut en connaître tous les avantages avant que de l'adopter. 

On ne trouvera peut-être pas chez les peuples de l'anti- 
quité, les plus célèbres par leur sagesse, une conduite plus 
conforme à la raison et au bien public. C'est donc pour satis* 
faire nos concitoyens sur les précautions légitimes que leur 
prudence et leur délicatesse peuvent exiger, que pénétrés de 
reconnaissances pour les premières marques de bonté dont 
ils honorent notre entreprise, nous croyons leur devoir des 
éclaircissements qui n'ont pu trouver place dans le court 
espace du premier plan d'association. Nous nous flattons 
d'avoir tout prévu ; mais nous étions bien assurés de n'avoir 
pas tout dit. 

Nous répondrons en môme temps à quelques objections 
qui nous sont revenues, en priant instammnnt ceux qui pour- 
ront en imaginer de nouvelles, de les faire passer jusqu'à 
nous, soit par la voie des journaux, ou de la manière qui 
leur conviendra le mieux. La vérité sera tellement notre 
guide, que n'ayant aucun intérêt d'éluder les difficultés, 
nous souscrirons de bonne foi à celles que nous ne pourrons 
résoudre, et que nous profitons en ces occasions des lumières 
que Ton voudra bien nous suggérer. 

En formant le projet, nous sommes bien éloignés de 
penser que dans l'ordre des simples citoyens, un seul puisse 
devenir utile à tous. Ce bonheur suprême n'est réservé 
qu'aux suites des nations ; aucun particulier ne pourrait y 



160 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

prétendre, sans un orgueil chimérique et inseiisé ; <^t si le 
public attache honneur à cette entreprise^ chaque associé par 
sa souscription en partagera la gloire avec les instituteurs. 

Chez tous les peuples, même les moins policés, il s'est 
trouvé des hommes sensibles aux maux de Thumanité, qui 
ont détaché une portion de leur bien pour le soulagement des 
misérables. De là sont nés ces établissements si respectables 
et si utiles, mais dont la dénomination révolte ceux auxquels 
il reste de leur éducation quelques sentiments d'amour- 
propre et de décence, toujours blessés en recevant des 
secours, titre de charité. Pour vaincre cette difficulté, et 
répandre sur tous les états, les secours d'une nécessité indis- 
pensable, dans les temps d'infirmités et de i i^'es, il 
fallait chez une nation où l'honneur est aussi cher aue délicat, 
que ces secours fussent réciproques et indépendants, c'est de 
ce point de vue que nous sommes partis, et qu'à près des 
méditations de plusieurs années, nous avons formé le plan 
dont nous avons fait part au public. 

C'est le premier établissement que la nation se sera donné 
à elle-même, puisque c'est du concours de l'intérêt et du 
bien de chaque associé que résultera le bien général que 
nous proposons. Pour oser mettre au jour un projet qui 
demande autant de réflexions pour en saisir toute l'utilité, il 
fallait vivre dans un siècle aussi éclairé que celui-ci, et sous 
le règne d'un Monarque toujours disposé à accorder sa pro- 
tection à ce que les sujets pourront se procurer d'avantageux 
pour eux-mêmes, et d'honorables pour la nation. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 161 

La jlics forte objection est Vètonnement qui résulte de 
Vètendue de nos engagementSy composée avec la médio- 
crité de la rétribution de chaque associé. On a peine à 
s'imaginer qu'avec si peu on fasse tant de choses. Rien 
cependant n'est plus aisé à comprendre. 

L'exécution de ce plan est fondée sur deux vérités prou- 
vées par une expérience constante et uniforme. La première, 
que sur cent personnes prises indifféremment, il n'y en a pas 
plus de douze malades dans le cours d'une année. 

La seconde, que toutes les maladies l'une dans l'autre, ne 
font jamais de plus d'un mois. 

La preuve de la première proposition se tire d'un relevé 
exact c egistres des administ^^ations de sacrements qui 
se conser-lînt dans quelques paroisses. On a trouvé que le 
nombre des administrations à Saint-Eustache ne monte, 
année commune, qu'à onze à douze cent. Saint-Sulpice n'a 
pas un dixième de paroissiens de plus que Saint-Eustache ; 
ainsi on ne pourrait se tromper en y comptant treize ou 
quatorze cent administrations de Sacrements par an. 

Mais augmentons encore ce nombre, et supposons que 

dans les deux paroisses de Saint-Eustache et de Saint-SuIpice^ 

VOD porté les sacrements aux malades trois mille fois par an. 

conviendra aisément qu'il y a environ un tiers de mala- 

- , de maladies graves qui reçoivent leurs sacrements, ainsi 
^ces deux paroisses il y aurailpar an neuf mille malades de 

iladies sérieuses, et quand on voudrait qu'il n'y eût que le 

quart de ces malades qui reçussent leurs sacrements, il s'en- 

II 



162 ON PHILANTHROPE MÉCONNU 

suivrait toujours que les deux paroisses dont on vient de 
parler, ne donneraient par an que douze mille véritables 
maladies. Or il n'y a personne qui ne sache que les deux 
paroisses de Saint-Eustache et de Saint-Sulpice sont plus du 
quart de Paris ; supposons cependant, qu'elles n'en font exac- 
tement que le quart. Voilà donc dans tout Paris où Ton 
compte 800.000 habitants, 48.000 malades seulement. Or, 
48.000 est à 800.000 comme 6 est à 100, et non pas comme 12. 
D'où il suit que l'expérience ne nous donne que six malades 
sur cent personnes, au lieu que nous en comptons douze. 

Il est vrai que nous ne comptons ici que les maladies gra- 
ves, et qu'il faut encore ajouter les indispositions pour 
lesquelles on n'a pas besoin de s'aliter, mais qui exigent 
quelques remèdes. Ces indispositions sont du double plus 
nombreuses que les maladies ; ainsi Paris nous donne 
48.000 malades par an, il faudra compter sur 96.000 indis- 
positions, outre les maladies. Nous ferons voir bientôt que 
notre établissement fournit abondamment de quoi procurer 
dans ces indispositions tous les secours dont on peut avoir 
besoin ; mais ici nous ne parlons que des malades qui exi- 
geront un lit dans la maison. 

La preuve de la seconde proposition est encore fondée 
sur l'expérience ; et, pour s'en convaincre, il ne faut pas 
jeter les yeux sur le calcul que l'on a fait des malades qui 
sout entrés à la Charité dans le temps que cette maison 
n'avait que 160 lits ; on verra qu'avec ces 160 lits, elle en 
a reçu dans le cours de douze années vingt-sept mille ; ce 



UN PHILANTHROPE BfÉCONNU 163 

qui, par année commune, fait 2.250 ; or, il est démontré que 
si les maladies eussent été toutes d'un mois entier, 
l'une dans l'autre, on n'aurait pu recevoir par an que 1.920 
malades ; ce qui prouve que les maladies l'une dans 
l'autre, ne sont pas même d'un mois. Et l'on ose se 
flatter d'en abréger encore la durée par les soihs et la pré- 
sence continuelle de ceux de qui les malades attendent leurs 
secours, par la précaution d'employer tous les moyens de 
renouveler l'air dans les salles, puisque l'intervalle qui se 
trouvera entre chaque lit donnera une colonne d'air suffisant 
pour empêcher la communication d'un malade à un autre. 
De ces deux vérités appuyées sur l'expérience, il suit que 
cent personnes ne donneront jamais plus de douze mois de 
maladies, et qu'ainsi un lit doit naturellement suffire à cent 
personnes. Inutilement objecterait-on que plusieurs peuvent 
être malades à la fois. Plus l'association sera nombreuse, et 
moins cet inconvénient sera à craindre. D'ailleurs, c'est 
l'affaire de ceux qui président à cet établissement, de fournir 
des lits à tous ceux envers lesquels ils se seront engagés. 
Ils se proposent pour cela d'en avoir un certain nombre 
prêts à placer dans le cas d'une épidémie générale qui 
dérangerait cette proportion qui, ordinairement, ne varie 
point. 

Si un lit suffit pour ceiit personnes, mille personne^, 
n'occuperont que dix lits, et dix mille personnes cent lits. Il 
n'est pas besoin d'avertir que nous entendons parler ici de 
cent lits pleins pendant toute l'année. 



164 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Ne supposons maintenant les dix mille associés dont nous 
parlons que de la dernière classe, et ne prenons d'eux que 
vingt-cinq sols par mois, ils nous donneront douze mille 
cinq livres par mois, ce qui fait cinquante mille écus par 
an. 

Or, nous venons de faire voir que cette somme sera 
employée à soigner cent lits, qui étant toujours pleins nous 
donnent douze cents malades dans le cours de l'année ; ainsi 
chaque lit aura 1500 livres de revenus, chaque malade 125 
livres à dépenser par mois, et 4 livres, 3 sols, 6 deniers par 
jour. 

Le même nombre de mille associés dans la troisième classe 
donnera 2.000 livres par mois, 24.000 livres par an, et pour 
chaque lit 200 livres par mois, et 6 livres 13 sols par jour. 

Les mêmes mille associés dans la quatrième classe pro- 
duiront 3.000 livres par mois et 36.000 livres par an ; ce qui 
donne à chaque lit 3.600 livres par an, 300 livres par mois et 
10 livres par jour. 

Enfin la classe des appartements, toujours sur le pied de 
mille associés donnerait 60.000 livres par an, 6.000 livres 
pour chaque appartement, 500 livres par mois et 16 livres 
12 sols par jour. Le nombre des associés pour les apparte- 
ments peut n'être pas, à beaucoup près, si grand ; mais la 
proportion étant toujours la même, les revenus de chacun 
doit aussi être toujours le même. 

Nous allons comparer dans la table suivante les produits 
et la dépense de notre établissement, en supposant l'associa- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 165 

tion composée de dix mille deux cents personnes distribuées 
ainsi qu'on va le voir. On y suppose la dépense de chaque 
lit qu'à la moitié du revenu dont il jouit, et nous serons en 
état de prouver par d'autres tables que nous donnerons dans 
la suite, si le public le désire, que cette dépense est plus que 
suffisante. Il importe seulement quant à présent de rappeler 
deux choses : 1" Qu'à Thôpital de la Charité, dont le public 
est content, Ton fonde un lit moyennant 10.000 livres, qui 
ne peuvent produire 500 livres de rente, attendu les droits 
d'amortissements qu'il faut prélever ; 2** Que les secours et 
les soins vraiment utiles étant les mêmes pour toutes les 
classes, le fond de la dépense doit être toujours le même, et 
qu'ainsi Texcédent que l'on donnera pour les commodités de 
simple agrénjent, sera supérieur de beaucoup aux dépenses 
que ces commodités occasionneront à la maison (1). 

L'hospice fera donc un bénéfice considérable sur les 
associés. Ce bénéfice ne peut être incertain que pour ceux 
qui ne considèrent pas qu*un gain qui est comme 1, et qui 
est perçu dix mille fois, est aussi grand et plus sûr qu'un 
gain qui est comme dix mille, et qui n'est perçu qu'une fois. 
Nous disons que ce gain est plus sûr, parce que les caprices 
du sort peuvent en un instant perdre tout d'un côté et 
ruiner le plus magnifique établissement, et qu'ils ne peu- 
vent de l'autre que diminuer le* bénéfice de quelques 
milièmes parties, diminution incapable d'ébranler un éta- 
it) Voyez U Table à la Ad. 



166 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

blissement fondé sur des principes tels que ceux que nous 
avons posés. 

Mais on dit : a Un associé qui a payé pendant un seul mois 
1 liv. 10 sols ou 3 liv., etc., suivant la classe qu'il a choisie, 
peut se faire transporter dans la maison, et lui coûter 150 
liv. pour une seule maladie d'un mois. Il faut bien que 
cette dépense vienne d'une autre contribution que la 
sienne ». De là naissent dans les esprits, et l'idée de secours 
gratuits dont la délicatesse de l'amour-propre est blessée, 
et peut-être la répugnance de s'associer : ce qui forme la 
seconde objection. 

On ne veut pas faire attention que rétablissement pro- 
posé est une sorte de loterie dont la chance heureuse est 
la santéy sans que la maladie soit une chance humiliante. 
Celui qui n'*ayant rien que vingt sols à une loterie^ 
gagne 10,000 livr^eSy croit n'avoir et n'a réellement 
aucune obligation à ceux dont les billets n'ont pas porté, 

La comparaison est exacte. Quels que soient les secours 
qu'un associé reçoit, de la maison dans l'état de maladie, 
quelques dépenses qu'on ait faites pour lui, il n'est pas moins 
fondateur, il n'est pas moins propriétaire de l'hospice que 
les souscripteurs qui ont été assez heureux pour n'en avoir 
pas besoin. 

Ces secours étrangers dont l'amour-propre s'alarme si 
mal à propos, ces avantages qu'un malade tirera de son 
association, et qu'il ne pourrait se procurer cLez soi que par 
des dépenses considérables, et fort au dessus de ses facultés 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 167 

actuelles, deviennent donc l'éloge le plus complet de notre 
projet. Mais si les avantages de la maisoil sont si considé- 
rables 'pour les associés, et les bénéfices de l'association si 
considérables pour la maison en calculant seulement d'après 
un nombre de 10,200 associés, comme nous l'avons déjà 
supposé dans l'état de dépense et de recette que nous avons 
donné ; que ne deviendront point ces avantages et ces béné- 
fices dans la supposition naturelle d'un nombre double ou 
triple ? Il est évident que la maison faisant un petit bénéfice 
sur chaque associé, plus il y aura d'associés, plus cçs béné- 
fices légers seront réitérés ; plus la somme en sera grande, 
plus la maison sera riche ; plus l'établissement s'avancera à 
sa perfection. 

Mais cette considération fait naître une troisième objection, 
diamétralement contraire à la première. On craignait d'abord 
que la maison ne fut pas assez riche pour se soutenir, et l'on 
craint maintenant qu'elle ne le soit de trop. On demande 
l'emploi de ce surplus de recettes, et malheur à nous si cette 
question nous offensait. 

Nous répondrons qu'il sera employé, sous les yeux du 
public, et avec l'agrément des associés, en améliorations 
nécessaires, jusqu'à ce que la maison ait prit l'état de con- 
sistance le plus parfait. Dans la suite, le bénéfice annuel 
accumulé^ servira à fournir des secours et à préparer une 
retraite à ceux des associés qui tomberont dans Vétat de 
caducité et dHncurabilité, 

Ainsi les associés, après avoir été fondateurs, auront encore 



168 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

le bonheur de devenir bienfaiteurs les uns des autres, tous 
restant également propriétaires. Enfin, Ton parviendra à 
baisser le prix des associations, pour la plus grande commo- 
dité des citoyens, où à former quelqu'autre établissement 
utile que Tamour du bien public pourra nous suggérer, après 
toutefois que nous aurions pris l'avis de l'association repré- 
sentée par des députés et syndics de tous les corps associés 
dans l'assemblée générale qui se fera tous les ans. 

Quatrième objection. On s'est borné dans le commence- 
ment à dix mille associés, et c'est sur ce nombre que sont 
fondés tous les calculs qui précèdent; mais s'il ne s'en 
présentait pas dix mille, l'établissement n'aurait donc point 
son exécution. Nous pouvons répondre avec confiance que 
l'accueil du ministère, prouvé par les souscriptions de quel- 
ques-uns de ses membres, que l'approbation des grands et de 
cette portion de citoyens faits pour éclairer les autres ; en un 
mot que le concours et l'empressement du public écartent 
bien loin toute crainte à cet égard, et nous font concevoir 
au contraire l'espérance d'un nombre infiniment plus grand 
que dix mille. 

Mais quand, par impossible, ce nombre ne se remplirait 
pas ; si l'établissement est de sa nature avantageux pour ce 
nombre, il doit l'être pour la moitié dans une proportion 
égale; la difl'érence ne peut tomber sur les avantages de l'as- 
sociation ; elle frapperait uniquement sur l'excédent de recette 
de la maison. 

Les malades seront toujours également bien traités, mais 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 169 

la maison bénéficiant d'une moindre somme, relativement à 
ses vues d'extension, l'exécution de ses dernières vues seraient 
renvoyée à un temps plus éloigné. Par exemple, le prix des 
associations qu'on aurait pu baisser très promptement si le 
nombre des associés eût été considérable, se soutiendrait 
plus longtemps sur le même pied. 

€ Ces intentions, répliquent quelques personnes, sont infi- 
ce niment louables. Mais qui nous assurera qu'elles auront 
€ lieu? "p 

Nous répondrons à ce doute, en adressant la parole à celui 
qui nous le propose, et nous lui disons : « Est-ce à vous, 
« souscripteur, à avoir une pareille crainte? oubliez-vous 
« que rien ne vous attache à la maison que votre intérêt ? 
« que vous n'y tenez qu'autant que l'administration vous 
« convient? les choses dégénèrent-elles! vous paraissent-elles 
« contraires à la pureté des vues des premiers instituteurs? 
« séparez-vous, rompez votre lien. Le seul temps pour lequel 
€ vous vous engagez, et le mois pour lequel vous allez sous- 
« crire; passé ce temps, vous ne devez rien à la maison, 
« ni la maison à vous. Vous êtes libre de ne vous plus 
« représenter, et votre association se disjoint d'elle-même ». 

Les promesses que nous faisons aux associés étant fondées 
sur leur propre volonté, il est très évident que nous ne 
hasardons rien, en assurant de deux choses Tune, ou que 
l'établissement ira nécessairement en s'améhorant, ou qu'il 
se dissoudra de lui-même. Mais qu'il tombe, ou qu'il se sou- 
tienne, comme il ne s'éteindra qu'au moment où il cessera 



170 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

d'être utile, on aura trouvé son avantage à nourrir son asso- 
ciation, tant qu'il aura duré. 

Une conséquence qui découle immédiatement de l'esprit 
dans lequel l'établissement est formé, c'est que chaque asso- 
cié étant propriétaire, l'administration représentant le corps 
des associés, toute proposition faite par un associé doit être 
pesée et répondue publiquement, soit qu'on l'accepte, soit 
qu'on la réfute. 

C'est pour nous conformer dès à présent à cette loi inva- 
riable que nous demandons ici aux personnes qui se présen- 
tent, ayant apparemment dessein d'entrer dans l'association 
pour acquérir la nomination à un ou plusieurs lits, ce 
qu'elles entendent par cette nomination. Est-ce un lit dont 
elles voudrait disposer et qu'elles rempliraient à leur volonté 
toutes les fois qu'il serait vacant? N'est-ce que le droit de 
faire traiter tous les ans quelques malades priviligiés? 

Si c'est un lit dont ces personnes veulent disposer, elles 
n'ont pas sans doute compris l'esprit de l'association ; il est 
totalement contraire à leur proposition, et elle serait égale- 
ment opposée à l'intérêt même de ses fondateurs. 

1° A V esprit de la Maison ; on aimerait mieux renoncer 
au projet de l'établissement, que d'avoir à se reprocher d'y 
employer des fonds qui ne doivent point être soustraits à la 
société. Il est à craindre que toute administration qui a des 
fonds ne se détériore, et le premier fondement de la nôtre 
est qu'elle soit dépendance à jamais du goût et de Tinspec- 
tion du public ; 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 171 

2** A Vintêrêt des fondateurs. En effet, est-ce pour sa 
maison particulière 7 Est-ce pour le bien de rhumanité en 
général, qu'on veut acquérir la nomination d'un lit ? Dans 
le premier cas, nous ferons observer à un maître qui a dix 
domestiques, que l'emploi de dix mille francs qu'il sacrifie- 
rait à sa fondation, lui ôterait 500 livres de rentes, et en lui 
donnerait qu'une place ; au lieu qu'avec 150 livres, il en 
aurait dix par la voie de l'association. Ajoutez à ces obser- 
vations que la nomination des lits fondés, ne coûtant plus 
rien aux héritiers des fondateurs, ils pourraient se remplir 
par la suite de gens dont le soulagement doit être l'objet 
propre des charités publiques, des hôpitaux et des paroisses. 

Si l'on attache d'autres idées à la nomination d'un lit, et 
qu'il ne soit question que du droit de placer dans la maison, 
un certain nombre de malades par an, l'évaluation de ce 
droit suppose des combinaisons que nous n'avons point 
encore faites ; mais ceux qui se proposent de l'acquérir, doi- 
vent être assurés de l'empressement avec lequel l'adminis- 
tration se portera à seconder leurs vues. Elle ne s'occupe 
sans cesse que des moyens d'étendre et de généraliser les 
siennes ; et c'est en conséquence de quelques observations, 
et sur les remontrances de plusieurs personnes bien inten- 
tionnées, qu'elle offre aujourd'hui des souscriptions aux per- 
sonnes même de l'âge de 60 ans et au delà, pourvu qu'elles 
se présentent dans les premières années de l'établissement. 
Au défaut de tarif qui fixe la valeur de ces associations, on 
laissera chaque particulier équitable et éclairé, juger lui- 



172 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

même des augmentations qu'on lui demandera. Cette offre 
nous a paru nécessaire pour remplir totalement Tidée de 
l'établissement et le rendre accessible à tout le monde. Si 
cependant le public parait désirer des tarifs, on les donnera 
dans récrit par lequel nous allons incessamment indiquer 
le lieu où commencera cet établissement, et les personnes 
qui doivent en composer l'administration. 

L'offre de souscription pour les personnes de 60 ans et 
au dessus, ne s'étend qu'aux premières années, parce que, 
passé ce terme, l'établissement sera assez universellement 
connu, pour que l'on ne puisse nous reprocher d'en avoir 
exclu personne. 

Nos désirs à cet égard, sont si étendus, que respectant la 
noblesse du sentiment qui porte une famille à se séparer 
d*enfants chéris qui sont souvent toute son espérance, afin 
de leur procurer une éducation qui en fasse un jour des 
citoyens dignes de leur partie, nous offrons à .tous ceux 
qu'on enverra dans la première école du monde, quelque 
âge qu'ils aient, d'être reçus sous le certificat des supérieurs 
des collèges ou des maîtres, dans un asile où ils trouveront 
les soins les plus intelligents et l'attention des parents les 
plus tendres. 

Au reste, nous n'ignorons pas qu'il est des particuliers 
qui s'imaginent avoir un intérêt personnel à désapprouver 
nos desseins, et que leurs propos vagues sont répétés de 
bonne foi par d'autres qui n'en pénètrent pas les motifs. 

Il suffit d'inviter ces derniers à examiner notre projet par 



UN PHILANTHROPE MECONNU 



173 



eux-mêmes et à se tenir en garde contre les préventions. Si 
un projet peut nuire à quelques particuliers, ce n'est sou- 
vent que par la raison même qu'il est avantageux au total 
de la société. 

Gela est si vrai dans le projet dont il s'agit que l'on aban- 
donne pour toujours ce qui ne pourrait être avantageux 
qu'à la maison, comme d'y gagner des maîtrises, etc. D'ail- 
leurs, nous sentons qu'avec le zèle et l'amour du bien public, 
il faut encore du courage. 





Cent Associés ne peuvent 
donner plus [de V2 malades 
dans le cours d'une année, et 
chaque maladie Tune dans 
Tautre ne peut être de plus 
d'un mois ainsi. 


Les Asso- 
ciés produi- 
sent chacun 
à raison de 
5 livres par 
mois dans la 

première 
classe; 3 li- 
vres dans la 
seconde ; 2 

livres dans 
troisième; 1 

livre 10 f. 
dans la qua- 
trième; et 1 

livre 5 f. 
dans la cin- 
quième. 


Les mala- 
des de l'As- 
sociation dé- 
pensent à 
raison de 
250 livres 
poar la pre- 
mière classe; 
150 livres 
pour la se- 
conde; 100 
livres pour 
la troisième; 

75 livres 
pour la qua- 
trième; 62 
livres 10 f. 
pour la cin- 
quième. Le 
tout par 
mois. 


BénéHce 

9 




Associés 


Malades 
par 
mois 


Malades 
par 
an 


Livres 


Livres 


Livres 


Appartements 
Chambres à 1 lit 

Chambres 
à 2 ou 3 lits 
Petites salles 

Salles 
pins grandes 


200 
800 

2.000 
3.090 

4.000 


2 

8 

32 

40 


24 
96 

240 
384 

480 


12.000 
28.800 

48.000 
57.600 

60.000 


6.000 
14.400 

24.000 
28.800 

30.000 


6.000 
14.400 

24.000 
28.800 

30.000 


Totaux 


10.000 


102 


1.224 


206.400 


103.200 


103.200 



174 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Sur les dix mille deux cents associés, en supposant qu'il 
y en eût cinq mille des corps et communautés qui paient 
5 sols par mois, 3 livres par an de moins que les autres, il 
faudrait défalquer 15.000 livres qui, joint à la|dépense des 
médecins et chirurgiens de quartier nécessaires pour porter 
des secours prompts et gratuits aux associés dans le cas où 
ils demandent d'être secourus dans l'instant, comme aussi 
dans ceux d'indisposition où le malade n'étant point alité ne 
peut occuper un lit dans la maison, mais il peut exiger tous 
les secours nécessaires à son état : toutes ces sommes, comme 
on va le voir, se montent à celle de 37.200 livres; ainsi le 
bénéfice se trouve réduit à 66.000 livres. 

Honoraires de douze médecins correspondants à 600 livres 
chacun 7.200 livres 

Ceux de douze autres suppléants, à 300 
livres chacun 3.600 — 

Douze chirurgiens correspondants, à 300 
livres chacun 3.600 — 

Douze chirurgiens suppléans, à 150 livres 
chacun 1.800 — 

Frais de pharmacie pour les associés qui 
ne seraient pas dans la maison 6.000 — 

Diminution de 3 livres par an qu'il faut faire 
sur les cinq mille associés qu'on a supposés 
être des communautés 15.000 — 

Total. . . . 37.200 livres 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU ' 175 

Laquelle somme diminuée de celle de 103.200 livres, il 
reste celle de 66.000 livres de bénéfice net et clair que l'éta- 
blissement ferait tous les ans sur les dix mille deux cents 
associés. Ce bénéfice au reste appartiendra au corps de 
l'association, et ne sera employé qu'à sa plus grande utilité. 
Ainsi, outre les secours que chaque particulier tirera de la 
maison, il ne deviendra propriétaire de sa cote part d'un 
bénéfice qui (l'établissement subsistant), lui procurera des 
avantages, dont il ne jouirait pas sans cette association. 



Copie de la Délibération des 6 corps des Marchands 
en date du 13 Juillet 1754 

Monsieur de Chamousset, Maître des Comptes, ayant pré- 
senté dans les bureaux des six corps deux écrits imprimés 
dont l'un est intitulé : Plan d\une Maison d'association, 
da7is laquelle au moyen d'une somme très modique par 
mois y chaque associé s* assurera dans Vétat de maladie 
toutes les sor^tes de secours que Von peut désirer; Vautre 
contient des additions et éclaircissements audit plan. 

Les gardes de chaque corps, après avoir examiné ces écrits 
en particulier, se sont assemblés ce jour au bureau des Six 
Corps pour recevoir les avis de la compagnie en général, et 
ont observé qu'il leur parait que l'auteur, dans son plan, a 
fait une omission concernant la pharmacie qui est une des 
trois parties essentielles de la médecine, pour le gouverne- 
ment de laquelle ik requièrent qu'il soit choisi parmi les 



176 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

maîtres apothicaires de Paris sujets suffisants pour y prési- 
der ; demande trop bien fondée pour qu'elle ne leur soit pas 
accordée. 

Cette observation admise, ils ont délibéré unanimement 
qu'on ne pouvait rien imaginer de plus utile, de plus avanta- 
geux à la société, et de plus louable pour son auteur ; et que 
sur l'exposé desdits plans et additions ils en désirent l'exé- 
cution, après laquelle ils ne doutent pas qu'un grand nombre 
de leurs membres ne souscrive à ladite association. 

Verron, Havart, Hatry, Vassal, de Camp l'aîné, Sauvage, 
Chapelet, Fets Jacquin, Lepine, Santussan*- 



LETTRE CRITIQUE 

A l'auteur d'une brochure intitulée : Plan d'une 
Maison d'Association, dans laquelle au moyen 
d'une somme très modique, chaque Associé 
s'assurera dans Tétat de maladie toutes les sor- 
tes de secours qu'on peut désirer. 

Sans doute, Monsieur, vous avez lieu d'être bien content. 
Votre plan a été reçu du public, on ne peut pas mieux. Tous 
vos amis vous ont donné à ce sujet les éloges les plus vifs, 
et les Français amateurs outrés de tout ce qui est nouveau, 
en admirant l'idée merveilleuse d'un établissement aussi 
utile, se seront, je pense, disputés à qui souscriraient les 
premiers. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 177 

Tous les cercles ont retenti d'éloges extatiques : et rassuré 
sur votre modestie, je vous avouerai même qu'après avoir 
patiemment joué pendant un mois le rôle silencieux de spec- 
tateur, je vous ai vu partout élever au dessus du sixième et 
du septième ciel. 

Mais, en vérité, je n'y tiens plus, le secret me pèse trop, 
et permettez-moi de vous dire naturellement tout ce que j'ai 
sur le cœur. 

J'ai pesé les termes de votre mémoire ; j'ai cherché à per- 
cer le voile de vos intentions, et quoique toutes à l'abri des 
censures, quand à l'objet que vou6 vous êtes proposé, elles 
ne se trouvent ssi judicieuses que bonnes, quant aux 

moyens que vu. r /. imaginés pour les faire éclore. 

Entre tous les défauts que je remarque dans le plan de 
votre 'établissement, il a essentiellement celui de n'être pas 
fait pour la nation à qui vous le présentez. Il n'est bon qu'en 
songe, parce qu'alors on dispose de son sujet à discrétion. 
Sur-le-champ on crée les personnes pour les personnages. 
Mais hors du sommeil, quelle énorme différence ! hors du 
sommeil, il faut, Monsieur, prendre les hommes comme ils 
sont, étudier leurs caractères, leurs mœurs, et partir de là. 

Vous avez la bonté ^ de supposer un sens tranquille, de la 
prudence dans ^le Français ; c'est rêver hors du sommeil ; 
passez-moi le terme. Vous imaginez qu'ils sont ou peuvent 
devenir assez réfléchis, pour prévenir en santé l'état de mala- 
die, eux qui ne prévoient rien, eux qui rougiraient d'avoir 
deux idées de suite ! 



178 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Vous leur faites certainement beaucoup d'honneur, mais 
rendez-leur un peu plus de justice ! Je me trompe bien, ou 
d'après notre génie, on peut assurer que le projet de former 
cet établissement est aussi inexcusable, que celui de réfor- 
mer la tournure de nos esprits. 

Oui, Monsieur, nos voisins redoubleront de jalousie contre 
nous, si votre plan s'accrédite en France. Dès ce moment la 
prééminence des nations nous serait légitimement acquise. 
En Prusse, en Angleterre, on dira qu'enfin nous devenons 
hommes. Mais qu'ils soient tranquilles ; cette maison n'est 
nullement assortie à nos caractèreSy et ils peuvent au 
moins pour quelques siècles, se rassurer contre notre prè- 
coce maturité. On prétend même que chez l'étranger, il y a 
des paris considérables que vous ne réussirez point. 

Vos idées tout au plus seraient agréées par des Lycur- 
gues, ou auraient pu figurer parmi celles de Platon. Gela est 
fâcheux pour vous, plus fâcheux pour nous : mais enfin pour- 
quoi venez-vous ou trop tôt ou trop tard ? 

Comment voulez-vous. Monsieur, qu'un artisan fort et 
vigoureux, se détermine à consacrer une petite somme 
qu'il a coutume d'employer à son aisance ou à ses plai- 
sirs? Vous ne connaissez donc point la force de l'habitude? 
Cet homme ne soutient le travail de la semaine, que par l'es- 
pérance de s'amuser la fête et le dimanche avec ses amis ; il 
faudrait donc qu'il sacrifiât les goûts à sa raison, qu'il 
renonçât à une satisfaction présente, pour s'assurer par la 
suite des secours dont il peut n'avoir jamais besoin, ou qu'il 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 179 

n'envisagera toujours dans un terme fort éloigné. Or, je 
demande si un Français est capable de sacrifier le présent à 
l'avenir. C'est là le fruit de la prudence la plus consommée, 
Eh, Monsieur, où l'allez-vous loger? tout devient phéno- 
mène dans votre imagination. 

Je conclus donc avec regret que votre établissement chez 
nous est m\e chimère. Le public plus judicieux en gros 
qu'en détail, admire sincèrement votre projet;» qu'y a-tril de 
plus merveilleux? il en souhaite l'exécution; qu'y a-t-il de 
de plus avantageux ? mais la soutiendra-t-il ? qu'y a-t-il de 
plus équivoque? il souscrit sans réflexion, il s'associe par 
curiosité; il se y^etirera par légèreté. Nous ne sommes pas 
capables de contracter dé si beaux nœuds. 

Votre association, le chef-d'œuvre d'un esprit qui pense, 
eût pris de solides fondements dans Tftge d'or, où chacun se 
faisait un devoir et un plaisir d'aimer la société, de chérir 
son semblable, de Taider, de prévenir ses besoins, d'être 
compatissant, humain, tendre, serviable. Nos mœurs, au 
contraire, tiennent du siècle de fer ; nous n'avons que les 
dehors gracieux, et je doute que jamais vous ayez le bon- 
heur de faire goûter votre morale ; mais fut tout d'engager à 
l'effrayer et à la mettre en pratique. 

c Les associés concourent, dites-vous, à établir en com- 
« mun des fonds, parce qu'aucun ne peut être assuré d'une 
c santé confiante ; et si ceux qui sont assez heureux pour 
€ n'être pas dans le cas d'y avoir recours, fournissent à 
€ l'association plus qu'elle ne leur rend, ils jouissent de 



180 UN PHILAXTHBOPE MÉCONNU 

€ Tavantage d'eiiTisager ua asile qui peut d'un jour à Tau- 
« ire leur devenir nécessaire et par là, ils sont exempts de bien 
a des inquiétudes >. Quelle sagesse! quelle prudence ! que i*on 
trouverait d'avantages dans votre philosophie ! c Si quand 
€ je me porte bien, continuez-vous, je paie par le prix modi- 
c que de mon association pour celui qui souffre, il en fait 

< autant pour moi dans le même cas. C'est la loi générale de 
€ de l'humanité, mise en exécution d'une manière prudente 
€ et déterminée ; c'est le lien de la Société civile, étendue à 

< une circonstance encore plus nécessaire que toutes celles 
€ auxquelles elle a pourvu jusqu'ici. > 

Où croyez-vous donc, Monsieur, trouver tantde géné- 
rosité, tant de vertu, une si noble façon de penser? 11 fau- 
drait peser de tels hommes ; car on ne les compte point, et 
voilà en trois mots un argument victorieux contre vous ; 
mais bien humiliant pour nous. 

// est vrai que je sais de M. le Commissaire de la halley 
que les bandes des forts se cotise^it de cinq sols par 
semaine chacun ^ pour procurer des soulagements à ceux 
d'entre eux qui tombetit malades^ et sont réduits à les 
faire transporter à rHôtel-Dieu, je sais de même qu'à la 
Verrerie de Hève^ les ouvriers^ voituriers et autres de 
bonne volontéy moyeymant dix sols par mois se sont formé 
sous les yeux des directeu7's, une infir^nerie commune, 
où ils sont assez bien traités tout le temps de leurs malon 
dies. ^ 

Voilà donc deux traits que vous me citerez dans ce 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 181 

siècle^ ou des français ont pense sensément. Mais faible 
exemple pour nous ! c*est la lie de la 7iation ; nous siérait-il 
d'imiter de pareils gens ? Ils nous ont prévenus dans un éta- 
blissement si singulier, notre amour-propre en est blessé, 
nous sommes obligés en honneur de n'y plus xlonner les 
mains. 

D'ailleurs, Monsieur, ce grand ton de décence toujours 
dans votre bouche, se soutiendra-t-il dans une maison où tous 
les états seront rassemblés et confondus, où il n'y aura d'au- 
tre distinction que celle de l'argent ? 

La bonne compagnie se mesure-t-elle à ce prix? La plai- 
sante idée d'imposer une taxe à la décence ! Décence à vingt 
sols ! Décence à quarante sols ! Décence à un écu, quatre 
francs, cent sols ! ô la merveille sans pareille ! 

Si cet établissement méritait d'être combattu par d'autres 
armes, il y en aurait de triomphantes contre lui. Je vais 
encore vous en donner un petit échantillon. 

Vous avez l'âme si belle, vous êtes si désintéressé, que 
sans doute vous ignorez que Vintèrêt soit le grafid mobile 
des hommes. Mais du moins vous ne disconviendrez pas 
avec moi que l'émulation trouve de puissants motifs dans 
V intérêt f s'entr'aidant tour à tour, le succès n'est jamais 
médiocre. 

L'intérêt donne de l'esprit, soutient les forces, anime le 
courage, inspire les ressources. On se fait un plaisir d'un devoir 
lucratif, et la société son avantage dans dette complaisance 
pour Targent. Chacun fait de son mieux ; et n'est-il pas heu- 



182 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

reux qu'un si petit ressort remue une si vaste machine? 
Quoi, la connaissance de cette mécanique vous aurait été 
refusée ! Au moins faut-il en avoir la théorie. 

Jaloux du bien public, comment avez-vous pu bannir 
rintérèt de votre maison? Plus d'intérêt, plus d'émulation; 
el par un contre-coup que vous auriez dû prévoir, vous sap- 
pez les fondements de votre établissement. Le moyen le plus 
beau en apparence pour lui donner de la solidité, est celui 
qui le fera nécessairement crouler. 

Vous mettez tous les malades de Paris entre les mains de 
médecins et chirurgiens qui n'auront nul intérêt à les gué- 
rir. Ah ! que l'appât du gain, d'un honoraire bien pécunieux 
serait capable de les rendre actifs, vigilants, assidus, indus- 
trieux ! Le capital des vôtres sera de plaire à l'administra- 
tion qui les a nommés : leur attention pour vos associés, 
dépourvue d'un aiguillon d'or si propre à la réveiller, ne 
sera jamais que très superficielle, vague et toujours incer- 
taine. Il est vrai que vous pourrez dire qu'ils n'auront pas 
chez nous, comme à présent, des motifs pour prolonger les 
maladies ; mais peut-être doit-on craindre qu'ils ne les abrè- 
gent par leur négligence. Lequel vaut mieux ? 

Enfin, Monsieur, je ne saurais vous cacher, que vous 
allez faire un tort infini à la patrie. Votre zèle est une espèce 
d'enthousiasme qui fait disparaître à vos yeux, les consé- 
quences qui résultent de votre association. 

Il faudrait non seulement réformer les hommes; mais ce 
qui est plus difficile, refondre les médecins : le prétendez- 



UN* PHILANTHROPE MÉCONNU 183 

VOUS, oseriez-vouB l'espérer? laissez, Monsieur, laissez aller 
les choses comme elles ont toujours été. Nos médecins 
aiment l'argent, je vous demande grâce pour eux, souflrez 
qu'ils continuent d'en amasser. Le public ne s'en plaint 
point. N'y trouvez plus à redire. 

L'intérêt sollicite leur émulation, et cette émulation les 
rend habiles. L'homme en qui un malade prend confiance, 
fait tous ses efforts pour le tirer d'affaire ; car un malade 
guéri sait avoir une multitude de pratiques, il devient le 
panégyriste de son libérateur, et invoque pour lui la 
fortune. 

Je trouve une raison encore meilleure. Si, dans le trai- 
tement d'une maladie, le malade a quelques inquiétudes, il 
assemble des médecins. Il est vrai qu'ils ne sont guère 
d'accord ; mais qui ne sait que du choc des idées, naît la 
lumière ? 

Rien donc n'est plus avantageux pour le malade, que 
cette diversité de sentiments, de la discussion desquels 
résulte la vérité, et souvent les moyens les plus sûrs de 
guérir. 

Finissons par l'endroit du Mémoire sur lequel vous 
insistez beaucoup, c'est la perfection de la médecine. Votre 
confiance, sur ce point, est aussi imaginaire que les autres 
avantages que vous nous promettez. Vous dites que ce sont 
les observations qui forment le plus le médeciri. Y a-t-il 
lieu au monde de plus propre à suivre ce genre d'étude 
que l'Hôtel-Dieu? Quelle comparaison entre la multitude 



184 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

immense et la variété des maladies renfermées dans cet 
hôpital, et la petite poignée de gens qui iront chercher leur 
salut dans cette maison? Soutiendrez-vous ce parallèle? 

Voilà peut-être, Monsieur, trop de vérités désagréables ; 
mais un homme essentiel mérite qu'on lui parle avec sincé- 
rité ; c'est même un témoignage de l'estime qu'on lui doit. 
Mais conune vous êtes, vraisemblablement, très occupé 
pour vous épargner le soin de la récompense, je conserverai 
l'incognito. 



LETTRE 

à l'Auteur de la Griticiue du Plan d'une Maison 
d'Association 

Une critique du Plan dP Association \ Devait-on s'y 
attendre? N'est-ce pas déjà un mal dans l'Etat qu'il se trouve 
peu d'hommes assez généreux pour former de pareils des- 
seins, sans qu'il s'en trouve encore d'assez mal intentionnés 
pour les traverser? Qu'on se contentât de proposer des 
avis, des observations, pour perfectionner le Plan^ ou pour 
s'assurer ; à la bonne heure, ce serait entrer dans les vues 
de l'auteur, construire de concert avec lui, ou lui fournir 
au moins des matériaux. Mais donner des réflexions, sous le 
titre et la couleur d'une critique contre un projet qui fait 
tant d'honneur à l'humanité, c'est un rôle dont je suis 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 185 

étonné, Monsieur, que vous vous soyez chargé. Moi, j'en 
prends un tout opposé ; et je vais répondre non seulement 
à vos objections, mais à toutes celles qui sont parvenues à 
ma connaissance. Je n'ai point de part au projet; mais je 
vous avoue que je l'admire, et je vous promets de Je 
défendre. 

Un pareil établissement ^ dites-vouSy Monsieur^ ne peut 
pas réussir chez un peuple atcssi léger et ai^ssi indiffé- 
rent au bien public que les Français. 

Je vous le passe pour un moment : il réussirait donc au 
moins chez un peuple qui ne serait si léger, ni indifférent au 
bien public ; et c'est déjà en faire un éloge. 

Cependant j'aimerais mieux qu'on ne fit pas de ces 
annonces désespérantes, qui jettent dans les esprits le doute 
et le découragement. Il faut un peu de foi pour les grandes 
entreprises ; et souvent tel projet aurait réussi, si l'on eût 
plus compté sur le succès, qui manque, parce que, prévenu 
qu'il devait manquer, ou l'on a traversé l'entrepreneur, ou 
Ton ne l'a fécondé que mollement. 

Mais à présent je quitte la supposition, et je dis que cette 
légèreté et cette indifférence pour le bien public qu'on pré- 
tend être naturelles aux Français, ne le sont pas tant 
qu'on se l'imagine. 

La preuve en est que ces mêmes Français ont très bien 
accueilli le Projet d'Association; qu'il a bon nombre de 
souscripteurs, de partisans et de protecteurs. 

A quoi servent ces apostrophes générales à toute une 



186 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

nation? Prédire que les Français ne goûteront pas un éta* 
blissement, c'est presque les conseiller de ne le pas goûter. 
Si j'étais persuadé comme vous, Monsieur, que les Français 
ne sont pas disposés à ôtre affectés d'un projet que je 
croirais ()on, je me garderais bien de le dire tout haut ; pour 
les tirer de leur froideur, je feindrais qu'ils sont tout de feu; 
et comme on faisait, dit-on, aux rois d'Egypte pour les 
former à la vertu, je louerais toute la solidité de leur 
jugement, la bonté de leur cœur, l'étendue de leurs vues, 
que piqués d'honneur, et honteux de ne pas mériter mes 
éloges, ils deviendraient peut-être raisonnables, généreux et 
bienfaisants, ou s'efforceraient au moins de le paraître. 

Débiter qu'un vice ou un travers est général, c'est quel- 
quefois le propager encore davantage, parce qu'on rougit 
plus d'être singulier que vicieux. Ayons meilleure idée des 
hommes, et nous les rendrons par là meilleurs ; au moins 
ne les rendrons-nous pas pires. 

Faisons mieux : donnons l'exemple des vertus que nous 
croyons les plus rares ; et dès là même que nous les prati- 
querons, elles en seront moins rares. Et pour appliquer ma 
maxime au sujet présent, au lieu de dire comme font quel- 
ques-uns, que le Projet d'Association est beaUy mais qu'il 
ne réussira pas ; et que jusqu'à ce qu^on soit sûr du 
succès, ce n'est pas la peine de souscrire, souscrivons, au 
contraire, pour en assurer le succès. Car si chacun, par le 
même principe de méfiance, n'avait voulu souscrire que 
le millième, effectivement l'établissement aurait pu n'avoir 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 187 

pas lieu, puisqu'il ne peut exister que par la contribution 
des souscripteurs, et qu'il ne pouvait pas y avoir des 
souscripteurs; s'il ne se trouvait personne qui voulût 
en commencer la liste. Je ne suis pas gagé pour en quêter ; 
le projet n'en manquera pas, puisqu'actuellement qu'il ne 
fait que d'éclore, il en a déjà abondamment ; mais c'est que 
j'ai honte pour l'humanité de voir encore des hommes 
tièdes et indifférents, résister à l'attrait qu'il doit avoir pour 
de belles âmes ; gens incapables de se résoudre par choix, 
et qui, apparemment, ne seront bienfaisants et humains que 
quand tout l'univers le sera. 

Le projet est beaul II est bien question de cette froide 
louange, il ne s'agit pas ici d'une démonstration sur la qua- 
drature du cercle à quoi on vous invite d'applaudir. Si le 
projet vous parait beau, louez-le comme on loue un festin, 
en y prenant part. S'il est beau, vous y avez intérêt ; car il 
n'est beau que parce qu'il est utile ai ceux qui y entre- 
ront. 

Vous vouliez déterminément que d'autres eussent souscrit 
avant vous. Eh bien, souscrivez. Eh bien, souscrivez-donc 
dès à présent : car ce que vous vouliez qui fût est déjà. Des 
hommes distingués dans les divers ordres de l'État vous ont 
donné l'exemple, et vous ôtent le prétexte dont vous vous 
autorisez contre vos propres intérêts. Vous n'avez pas osé 
vous frayer vous-même un chemin : le voilà battu ; osez du 
moins y marcher. Tout le temps que vous avez tardé à con- 
tribuer à un établissement utile, est un temps perdu pour 



188 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

VOUS et pour la patrie. Regrettez-en sincèrement la perte, et 
hâtez-vous de la réparer. 

Vous ne croyez pas sans doute, ou du moins vous ne 
devez pas croire qu'il puisse y avoir du risque ou de la honte 
à prendre rang parmi les souscripteurs. Point de risque, 
puisque vous ne fournirez pas de fonds que le nombre des 
inscrits ne soit assez grand pour former l'établissement. 
Point de honte, puisque dans le cas même où l'établissement 
n'aurait pas lieu, on ne s'en prendrait point à nous. Vous 
ne faites, en souscrivant, que promettre que, si l'établisse- 
ment se réalise, vous y contribuerez de votre part. Que 
hasardez-vous par un pareil engagement? Serait-il honteux 
d'avoir donné un exemple bon à suivre, parce qu'il n'aurait 
pas été suivi? 

A votre premier argument tiré du caractère du Français, 
vous en ajoutez un autre, tiré, dites-vous, du génie commun 
à tous les hommes en général, que vous supposez indistinc- 
tement intéressés et avides d'argent. Vous n'imaginez pas 
comment des administrateurs qui n'auront point de profit 
à espérer et des médecins qui n'auront pour, perspective que 
des salaires bornés, rempliront leurs fonctions avec zèle. 
C'est qu'apparemment, en leurs places, vous ne rempliriez 
pas les vôtres. Mais ce que vous feriez ou ne feriez pas, ne 
peut persuader à personne que l'argent soit le principe 
unique des actions des hommes. Ils sont susceptibles de 
bien d'autres motifs, tous plus puissants que ce honteux 
amour du gain, qui, s'il les fait quelquefois agir, ne met au 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 189 

moins jamais dans leurs actions ni noblesse, ni grâce, 
ni zèle. L'homme qui a enfanté ce projet, suffira pour 
le maintenir. Un militaire sacrifie bien sa vie à Tlionneur : 
un administrateur à plus forte raison, pourra 'donc y sacri- 
fier quelques quarts-d'heure de son temps, sans espoir de 
gains. Croyez-vous que le zèle des hommes en place croisse 
en raison de leurs revenus ? 

Ne craignez donc pas. Monsieur, que les futurs adminis- 
trateurs soient inattentifs ou négligents parce que l'adminis- 
tration leur sera infructueuse. 

Premièrement, elle ne le sera pas dans toute la rigueur du. 
terme, puisqu'étant eux-mêmes associés, ce sera leur propre 
affaire qu'ils feront en faisant celle de l'association. En 
second lieu, ils se piqueront de gérer^avec zèle, parce qu'il 
y aura de l'honneur à le faire. 

Tel qui serait négligent par rapport aux affaires de sa 
propre maison, ne le sera pas pour celles de l'association, 
parce qu'on a toute sa vie ses affaires à conduire, et qu'on 
n'aura celles de l'association que pendant trois ans si l'on 
veut. Dans une gestion à vie, la paresse peut prendre et le 
courage manquer ; mais on fournit plus également une car- 
rière de trois années. Joignez à cela l'aiguillon de l'émula- 
tion qui soutient les membres d'une compagnie et que n'a 
pas celui qui n'est l'économe que de son bien. 

Ne craignez pas non plus que les médecins de l'association 
abrègent les maladies dans le sens où vous insinuez mali- 
gnement qu'ils pourront le faire. Quel intérêt auraient -ils à 



190 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

occasionner des plaintes ou des morts ? Leur réputation en 
souffrirait, et la réputation d'un médecin est la fortune. La 
maison en aurait tout aussi peu à se servir de médecins qui 
brusquassent les maladies ; car les associés brusqués sorti- 
raient morts ou mécontents, et l'un et l'autre la décrierait 
et lui enlèverait des contribuants. On s'empresserait d'abjurer 
l'association et personne ne se présenterait plus pour y entrer. 

Je ne pense pas qu'on pratique dans aucun hôpital, cette 
méthode inhumaine, de précipiter la fin des maladies par 
raison d'économie. Mais, quoi qu'il en soit, vous devez sentir 
que quand il serait vrai que pour un hôpital surchargé, la 
mort du malade peut paraître un gain ; pour la maison 
d'association, ce serait assurément une perte, puisque ce 
serait un associé de moins, et que les associés seront la 
richesse, et même la richesse unique. 

Une armée qui décimerait ses propres soldats pour assu- 
rer sa subsistance dans un temps de famine, espérerait-elle 
se l'assurer pour longtemps ? C'est cependant là ce que ferait 
l'association, si, pour s'épargner des frais, elle abrégeait les 
maladies, au risque de faire périr les malades. 

Voilà, Monsieur, la réponse à vos deux observations : je 
vais à présent prévenir celles que vous pourriez faire encore, 
en répondant à celles que d'autres ont faites. 

Je pourrais, disent quelques-uns, n'être point malade, 
et sans savoir si je le serai ou ne ne le serai pas, qu'ai-je 
besoiyi de payer ime rente dont je 7ie profiterai peut-être 
jamais ? 




UN PHILANTHROPE MÉCONNU 191 

Si VOUS mettez des fonds dans une Loterie, peut-être ne 
gagnerez-vous point : qu'avez-vous besoin d'y en mettre ? 
Cependant on met des fonds aux loteries. Or, il y a infini- 
ment plus de vraisemblance que vous proQterez du bénéfice 
de l'association, qu'il n'y en a qu'il vous échoie un lot à une 
loterie, puisqu'assurément à peine arrivera-t-il à un homme 
seul sur mille de passer toute sa vie sans maladie. Ainsi, au 
lieu qu'à une loterie, il y a souvent mille perdants contre un 
gagnant, dans l'association, il y aura au moins mille 
gagnants contre un perdant, c'est-à-dire, mille hommes qui 
jouiront une ou plusieurs fois dans leur vie, du bienfait de 
l'association, contre un seul qui n'en usera jamais. 

Dans le cas de maladie ^ appelez chez vous un médecin : 
une seule de ses visites vous coûtera plus qu'un mois 
d'association. Que serorces'il faut qu'il les multiplie? Et 
cependant la visite du médecin n'est encore qu'une petite 
partie des dépenses qu'il vous faudra faire chaque jour, en 
aliments, en remèdes, en pansements, en garde, en chauffage 
et en je ne sais combien d'autres détails qu'on devine, sans 
que je les spécifie. 

Ajoutez qu'avec tous ses frais, qui, en six semaineSy 
pou7^7'ont vous absorber cinquante années d'association, 
ou davantage, vous serez infiniment moins bien traité, et 
courrez beaucoup plus de risques que dans la maison qu'on 
vous propose, où les médecins qui vous verront auront fait 
preuve d'une capacité avérée, et ne vous épargneront ni leur 
soins ni leur assiduité ; où il n'y aura point de domestiques 



192 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

négligents, d'héritiers avides, ni de ces femmelettes indiscrètes, 
ou de ces gardes imprudentes, qui font prétexte de complai- 
sance ou d'amitié, exposent la vie du malade par des recettes 
bazardées, ou sans égard pour la diète prescrite, lui don- 
nent des aliments contraires, ou l'accablent de nourriture, 
changent, altèrent et modifient comme leur plaît les ordon- 
nances des médecins, tandis que ceux-ci, contrariés sans le 
savoir dans leurs opérations, sont cependant pris à partie 
par le public. Mal informé, il arrive que la maladie se ter- 
mine par une crise funeste. Il me semble, pour moi, que 
c'est un grand gain que d'être à l'abri de tous ces 
inconvénients-là : or, on le fera dans , aaison d'asso- 
dation. 

Mais je veux, pour un moment, que vous soyez un de ces 
heureux prédestinés que les maladies respectant, et dont la 
fièvre n'ose approcher ; sera-ce une raison pour vous repen- 
tir d'être entré dans l'association? Si de pareilles causes 
donnaient lieu à des regrets, ce ne pourrait être au plus 
qu'après la mort : car tant que vous vivez, la maladie qui ne 
vous est pas venue hier, pourra vous arriver demain; et 
vous ne serez jamais dans le cas de dire en ce monde: j'ai 
eu tort de m'associer. Dans l'incertitude où vous êtes s'il 
vous arrivait ou ne vous arrivait pas d'être mèdade, il peut vous 
venir et il vous viendra sans doute à l'esprit des inquiétudes 
sur les soins qu'on prendra de vous si vous l'êtes jamais. 
Associez-vous : vous voilà tranquille sur cet article. Les 
attentions et les secours ne pourront vous manquer ; et votre 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 193 

maladie sera mortelle ou incurable si l'on ne vient pas à 
bout de vous guérir. Pour moi je crois qu'on peut compter 
pour quelque chose cette sécurité, et qu'elle n'est pas trop 
achetée par la modique cotisation qu'exige le plan d'associa- 
tion. Il me semble qu'au bout de vingt ans d'association 
passés sans maladie, au lieu de me repentir dem'être associé, 
je dirais avec complaisance : Si j'étais tombé malade j'au- 
rais regardé comme avantage de jouir du bénéflce de l'asso- 
ciation ; c'en est un autre bien plus grand de n'avoir pas 
besoin d'en user. J'aurais donné dix fois plus que je n'ai 
mis à l'association pour acheter cette continuité de santé 
dont le ciel me i fie; et j'ai encore de plus, le plaisir de 
voir que ce peu que j'ai donné n'a pas été placé en pure 
perte, puisqu'il contribue au rétablissement de ceux de mes 
co-associés qui ont été moins heureux que moi. 

N'est-ce pps '^n efiet une chose et bien plus facile et bien 
plus flatteuse que de se trouver bienfaiteur, sans avoir fait 
autre chose pour l'être, que de débourser une somme 
modique, qu'on pouvait absorber soi-même en une seule 
maladie, et qu'on absorbera peut-être au premier 
jour ? 

Si cette considération n'a rien qui vous touche, j'ai honte 
pour vous de votre dureté ; et bien loin de vous presser 
davantage, je ne vous crois pas même digne d'entrer en l'as- 
sociation, avec celui dont le but a été d'imaginer un projet 
tel, qui put allier les intérêts de chaque associé avec des vues 

de bienfaisance à l'égard de tous les autres. Car voici en 

i3 



194 ÛN PHILANTHROPE MÉCONNU 

deux mots le système de Tassociation. Ou l'associé pris indi- 
viduellement deviendra malade, ou il ne le deviendra pas. 
SHl le devient^ il a Jait des fonds pour lui-même; s'il ne 
le devie7it paSy il en a fait pour aut7*ui; et dans le second 
cas, c'est pour lui un double plaisir d'être exempt de mala- 
die, et de contribuer ainsi au soulagement des malades. De la 
manière dont l'association est combinée, la santé dédommage 
de la perte des fonds dont on n'use pas : Si ce n'est 
pas parler improprement que de supposer qu'on ait 
besoin de dédommagement pour avoir obligé ses semblables 
dans une circonstance essentielle, et cela sans s'incommoder. 
Des âmes bien nées achèteraient ces précieuses occasions, 
au lieu de s'en faire payer. 

Si vous eussiez coûté à la maison par de longues maladies, 
ou par des rechutes multiples, vingt fois plus que le mon- 
tant de votre mise, cet excédent eût été pris sur les fonds 
de vos co-associés ; et vous auriez regret qu'étant assez heu- 
reux pour n'avoir aucune maladie, ceux qui sont moins heu- 
reux quevous, profitent de cequi ne vous sert pas aujourd'hui, 
en attendant le moment peut-être tout proche, où vous joui- 
rez vous-même ? 

Les bénéfices d'une société ne vont pas sans charge. Il 
faut vous rappeler cette maxime fondamentale de morale : 
aimez à faire pour autrui , ce que votes séries bien aise 
qu'on fasse pour vous ; et en le faisant, il est infiniment 
probable que le gain sera de votre côté. 

Un individu tire plies de secou7^s Sun coi^s entier^ que 



UK PHILANTHROPE MÉCONNU 195 

ce corps ne peut tirer d'un seul de ses membres (1), 
De cette maxime je conclus (ce qui a déjà été prouvé dans 
le plan d'association et dans l'addition) que chaque souscrip- 
teur a plus à profiter qu'à perdre en s'associant. 



Vous le voyez, ce qu'on vous propose n'est pas de sacrifier 
votre intérêt au bien public ; on n'exige pas de vous, de ces 
dévouements héroïques, des Codrus, des Fabius, des Cur- 
tius, des Régulus. On vous présente un projet fait pour vous, 
dont tout le profit vous regarde, et qui, s'il est utile à 
d'autres, n'en rend pas du moins votre condition pire. Qu'on 
me permette de le dire, il se fait peu d'établissements de 
cette nature. On sait bien en général, que ce qui constitue 
dans tous les cas le bien public, et ce qui tourne à l'avan- 



(1) Je crois utile de m'appesantir uo pea sar cette finale, ou Chamousset s'efforce 
de modeler encore datantage ses inteations matoalistes. N'ergotons plus défaut cette 
grande pbjsionomie, effacée peut-être encore aux yeux de la foule, mais qui se survit 
à elle- même, par la floraison de toutes ses généreuses inspirations sociales, qui fai- 
saient tressaillir son cœur d*ami du peuple. 

Certes, rhooune qui conçoit les dé? ouemenls et le sacrifice, trou?e en lui-même la 
force de l'accomplir, celui là est un magnifique exemplaire de Thumaaité. C'est le cas 
de M. Chamousset, qui trouve en son cœur toujours jeune des inspirations généreuses, 
des élans de noble sensibilité qui ont fait comprendre et aimer ce peuple dont tout sem- 
blait le séparer, l'éducation comme les habitudes de sa vie. 

Afin de ne pas être taxé de partialité, je renvoie mes lecteurs à VEhge de d'Albon, 
que j'ai cru utile de donner sons forme d'appendice à la fia de ce volume. 



196 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

tage du plus grand nombre des citoyens ; mais, on ne voit 
pas dans tous aussi clairement que dans celui-ci la con- 
nexion de l'intérêt du corps entier avec celui de chacun des 
membres. 

Au reste, personne ne conteste la beauté du plan de TAssso- 
ciation ni l'utilité de son objet : On doute seulement de 
l'exécution . Pour augmenter la confiance, Tauteur qui Ta 
conçu va commencer à le réaliser ; et après que quelques 
années d'existence auront prouvé que ce bel établissement 
peut subsister, il faudra bien qu'il triomphe du préjugé, des 
obstacles et du temps. 



Dans son mémoire (1) sur les Compagnies qui assure- 
ro7it en maladie les secours les plus abondants et les plus 
efficaceSy à tous ceux qui, en santé, paieront U7ie très 
petite somme par an, ou même par mois, nous trouvons 
un tableau intéressant à reproduire, puisqu'il prouve avec 
quelle sûreté scientifique d'actuaire pratique, Chamousset avait 
soin de documenter ses affirmations réfléchies et calculées. 



^1) Ce mémoire a été imprimé en 1770, in-é*. 







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LETTRES 

de MM. Bertrand, Lorry et Petit, tous trois méde- 
cins de la Faculté de Paris, à M. de Ghamousset, 
sur son projet d'Etablissement de la Compagnie 
d'Assurances pour la santé. 

Lettre de M. Bertrand, du 25 Juillet 1770 

J'ai lu. Monsieur, avec la plus grande satisfaction, le pro- 
jet que vous avez bien voulu me communiquer ; j'en suis 
pleinement satisfait ; je n'y trouve rien à corriger. Flatté 
de pouvoir contribuer à cet établissement, je vous prie à me 
regarder comme un actionnaire pour trois actions ; six cents 
livres sont sans doute peu de chose ; mais chacun agit 
d'après ses pouvoirs. Je suis de plus très disposé à concou- 
rir par mon état à tout ce qui pourra être avantageux à une 
maison dont l'institut sera béni à jamais, par tous ceux qui 
sçauront être citoyens. 

J'ai l'honneur d'être, etc. ' 

Bertrand, 

P. S. — Quant au calcul que vous faites, Monsieur, je n'ai 

rien prononcé, parce que, comme il me parait un peu forcé, 

il ne fait que rendre encore plus favorable le projet que vous 

présente!, puisque les dépenses sont moins fortes que votre 

Mémoire ne le fait imaginer. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 199 

Lettre de M. Lorry, du 20 juillet 1770 

C'est avec* le plus grand plaisir, Monsieur, que j'ai lu et 
votre mémoire et votre projet ; mais ce sera avec un bien 
plus grand plaisir que je le verrai exécuté. Je crois cepen- 
dant que le calcul que vous faites de douze maladies aiguës 
d'un mois sur cent hommes est beaucoup trop fort, en pre- 
nant ces cent hommes depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, 
qui sont les cas les plus défavorables. C'est un calcul forcé ; 
c'est ce que peuvent vous apprendre les hôpitaux militaires, 
où cependant tous les hommes sont exténués de fatigues, et 
plus exposés que les autres hommes à toutes les causes de 
maladies aiguës. Les médecins les plus employés, sur trente 
à quarante malades pris dans toutes les classes des hommes, 
n'en voient pas quelquefois trois en danger, et sont quelque- 
fois des mois^entiers sans en voir un seul qui leur donne de 
l'inquiétude, si vous en exceptez le cas des maladies épidé- 
miqùes qui sont rarement funestes à Paris. Je vous avouerai 
que, dans cette capitale, vous devez faire un très grand bien 
pour tous les ouvriers, classe d'hommes importante, mais qui 
est souvent ou même toujours sacrifiée à la charlatanerie, à 
l'impéritie, ou à la légèreté des médecins les plus savants, 
mais qui n'ont aucun aiguillon qui les excite à donner leurs 
soins à des gens inconnus et indociles. Les domestiques dont 
presque la moitié meurent de fluxions de poitrine à la sortie 
des hivers rigoureux, auront chez tous un asile sûr et peu 
coûteux. Enfin les opérations de chirurgie sont sans contre- 



200 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

dit l'objet le plus important et le plus^nécessaire dans votre 
maison d'assurance ; le défaut de linge, de bons onguents, 
de gardes sûres, en font périr un bon tiers. D'ailleurs, com- 
bien de chirurgiens s'en mêlent, qui ne savent seulement pas 
manier un scalpel ! 

Mais, Monsieur, ne perdez pas de vue l'objet des malades 
à tant par jour ; je pourrais vous effrayer si je vous ,comp- 
tais le nombre de provinciaux, qui, étant à Paris pour leurs 
études ou pour leurs affaires, y tombent malades et périssent 
presque sans être réclamés ; je l'ai vu cent fois, toujours 
avec douleur, et, en vérité, cet article mériterait une atten- 
tion particulière des magistrats. C'est à un bon citoyen 
comme vous que la patrie en devra beaucoup d'autres ; 
et surtout vous aurez la douce satisfaction de jouir de cette 
délicieuse sensation qu'on éprouve en faisant le bien. Je 
serai trop heureux en mon nom particulier si vous me 
croyez digne d'y contribuer en quelque chose. 

J'ai l^honneur d'être, etc. 

Lorry. 



Lettre de M. Petit, l'Anatomiste, du 20 Juillet 1770 

Je pense comme M. Lorry, Monsieur. Votre calcul est trop 
fort de moitié. Sur cent personnes de tout âge, il n'y a pas. 
Monsieur, chaque année, six personnes qui sont attaquées 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 201 

d'une maladie d'un mois, ou douze d'une maladie de quinze 
jours ; cependant, j'estime que vous ferez bien de partir de ce 
calcul, tout exagéré qu'il est, non seulement parce que la pru- 
dence veut qu'en fait de projets à exécuter l'article des char- 
ges soit toujours porté le plus haut possible, et même un 
peu au-delà du vrai, attendu que le chapitre des accidents 
n'est jamais court, mais principalement [encore à cause des 
convalescences, qui quelquefois traînent et sont de vraies 
maladies. Pour ce qui est du fond de la chose, j'ai peine à 
croire qu'on puisse rien imaginer [de plus avantageux ; je 
désire bien sincèrement que la patrie, qui vous a déjà tant 
d'obligations, vous ait encore celle d'épargner à beaucoup 
de malheureux la nécessité d'avoir recours aux hôpitaux. Je 
suis sûr que si, quelque beau matin, il plaisait à la Provi- 
dence d'éclairer les indigents sur leurs vrais intérêts, et qu'à 
la manière des animaux, chaque homme, couché dans son 
coin, eût de la belle eau claire et surtout du repos, au total 
on conserverait plus d'un quart de ceux qui meurent. Que 
l'exécution de votre projet fasse donc ce qu'à cause de nos 
péchés, la Providence refuse de faire. J'élèverai un temple & 
Jupiter sauveur; le Dieu y sera représenté sous vos traits. 

Continuez à brûler du beau feu qui vous dévore ; le 
plaisir de bien faire vous paiera mieux que toute autre 
récompense; je vous prie cependant d'y joindre les senti- 
ments d'estime et de respect avec lesquels je suis, etc. 

A. Petit, D. M. P. 



202 UN PHILANTHROt>Ei MÉCONNU 

PROJET 
De Règlement pour la Maison d'Association 

Article Premier. — Pour former rétablissement de la Mai- 
son d'Association autorisée par lettres-patentes de cejour-» 
d'hui, il sera créé trois mille actions, à raison de 200 livres 
chacune, qui formeront un fonds de 600.000 livres lequel sera 
employé à la construction de ladite maison et dépendances, 
et à toutes dépenses qui seront nécessaires pour la mettre en 
état de remplir sa destination. 

Art, 2, — Les propriétaires de ces actions seront les véri- 
tables propriétaires de cette maison, et jouiront en consé* 
quence du titre de fondateurs : sera permis à tous les sujets 
du Roi, de quelque état et condition qu'ils soient, même à 
ceux chargés du maniement des finances de sa Majesté, de 
s'y intéresser, sans déroger aux articles de leurs traités qui 
leur interdisent toutes autres affaires que celles auxquelles 
ils sont attachés. Les étrangers propriétaires de ces actions 
jouiront, quant à cet objet, des mêmes droits que les sujets 
régnicoles : toutes seront perpétuelles, héréditaires ^t non 
saisissables. 

Art. 3, — Indépendamment des droits de lits qui seront 
ci-après attribués aux actionnaires, ils partageront annuel- 
lement comme propriétaires, les bénéBces que pourra faire la 
dite maison, au prorata de leurs mises après qu'on en aura 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 203 

prélevé toutes les dépenses, et deux cinquièmes du profit net 
dont l'un sera déposé dans une caisse pour subvenir aux 
dépenses exti^ordinaires^ et l'autre servira à former des lots 
d'une loterie gratuite^ qui sera tirée tous les ang en faveur 
des associés. 

ART. 4, — Le fonds de cette loterie sera partagé en deux 
parts égales, une pour les hommes, l'autre pour les femmes: 
les associés des salles qui ne paient que 20 livres par mois 
y auront le même droit que ceux des chambres particulières 
et des appartements qui paient de même par mois 2 livres, 
3 livres et S livres. Les moindres lots de celte loterie seront 
de 12 livres. Il y en aura de 300 livres, et ils seront plus ou 
moins nombreux suivant que les proQts de la maison plus 
ou moins grands chaque année, mettront en état de rendre 
la masse de ces lots plus ou moins considérables. Les maî- 
tres seront libres de faire participer aux bénéfices de cette 
loterie, tous leurs domestiques associés, ou d'en exclure cqux 
qu'ils jugeront à propos. 

Abt. 5. — Ledit établissement ne pourra posséder d'au- 
tres biens fonds que les maisons et dépendances qui seront 
nécessaires à sa manutention : il ne pourra sous quelque 
prétexte que ce soit, m^mede reconnaissance, recevoir aucune 
fondation, legs ou présents, sous peine d'être déclarés nuls 
et comme non avenus. 

Abt, 6* • — La Maison d'Association sçra composée de sal- 
les, de chambres à $1 lits, de chambres à un lit et de quel- 
ques appartements, indépendamment de tous les bâtio^ent^ 



204 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

qui seront nécessaires pour la manutention de ladite mai- 
son et de son administration. 

Art. 7. — Les salles de ladite maison ne pourront conte- 
nir plus de 24 lits : non seulement il ne pourra y avoir plus 
d'un malade dans chaque lit, mais tous les lits seront séparés 
les uns des autres par des cloisons de six pieds de haut sur 
six pieds de long, et à six pieds de distance Tune de l'autre, 
et par un rideau qui fermera quand le malade le voudra. 

L'intervalle d'une cloison à l'autre lui formera une petite 
chambre particulière, sans lui rien faire perdre de l'avan- 
tage de Tair qui aura libre cours au-dessus des cloisons. 

Art. 8. — Les chambres à deux lits seront meublées pro- 
prement; elles auront toutes une cheminée et une garde 
particulière attachée à chaque chambre; il n'y aura jamais 
plus de deux malades dans ces chambres. 

Art. 9. — Dans les chambres à un lit on donnera une 
garde particulière, si mieux n'aime la personne malade, 
prendre avec elle son domestique, pourvu qu'il soit de même 
sexe, lequel sera, en ce cas, logé et nourri dans la maison. 

Art. 10. — Il y aura dans cette maison quelques apparte- 
ments composés d'une chambre à cheminée pour le malade, 
une anti-chambre et une chambre de domestiques ; dans 
l'une de ces dernières pièces, il y aura une cheminée égale- 
ment, pour faire au malade, s'il le désire, un pot-au-feu par- 
ticulier que la maison fournira dans cette classe. Le domesti- 
que sera nourri, et néanmoins la maison fournira encore une 
garde. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 205 

Art. 11. — On ne sera reçu dans cette maison pour y être 
traité en cas de maladie, ainsi qu'il sera dit ci-après, que 
comme actionnaire, comme associé, ou cOmme payant par 
jour. Les hommes et les femmes seront également admis 
dans cette maison, et aux mêmes conditions ; il y aura des 
salles et chambres affectées à chaque sexe. 

Art. 12. — Une seule action donnera le droit à l'actionnaire 
de jouir sans autre paiement dans toutes les maladies cura- 
bles qui pourront lui survenir et qui l'obligeront à s'aliter, d'un 
lit dans les salles. Le propriétaire de deux actions réunies 
aura le môme droit à un lit des chambres à deux lits. Le pro- 
priétaire de trois actions réunies à celui des chambres à un 
lit ; et enfin le propriétaire de cinq actions réunies à celui des 
appartements. Les uns et les autres aurontaussi le droit dans 
le cas d'indisposition, ou des maladies ci-devant exprimées, 
qui ne lesobligeront pointde s'aliter, aux conseils des officiers 
de santé de cette maison, ainsi qu'aux drogues des a phar- 
marcie sur les ordonnances desdits officiers. 

Art. 13. — Les maladiesqui, par leur nature, seront jugées 
incurables, ne seront point comprises dans l'engagement que 
la maison d'association prend avec le public; mais aucun 
associé ne pourra être refusé pour raison d'incurabilité, qu'en 
lui rendant tout ce qu'il aura payé à la maison, depuis qu'il 
est associé, et sans aucune retenue pour la dépense des mala- 
dies qui auront précédé son incurabilitè et dont il aurait 
été traité et guéri dans la maison. A l'égard de l'actionnaire 
devenu incuçable, on ne pourra le refuser sans lui offrir le 



206 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

remboursement du prix principal de ses actions, et sans 
diminution pour raison du secours qu'il aurait tiré de ladite 
maison, ni du bénéfice qu'il en aurait partagé. 

Art. 14. — Cette maison n'ayant d'autre soutien que celui 
des contributions, volontaires et continuelles, payées par un 
nombre d'associés qui jouissent de la santé, pour servir au 
soulagement de ceux d'entre eux qui auraient le malheur 
d'en être privés, il serait injuste d'employer une partie de ces 
ressources au traitement de ces maladies dont la nature ne 
nous afflige presque jamais sans notre consenteqient ; ainsi, 
les maladies vénériennes ne feront point «partie du traitement 
auquel la maison d'association s'engagera vis-à-vis de tous 
ses associés, et elles seront exclues, jusqu'à ce qu'au premier 
établissement on ait pu en joindre un second, dans lequel 
ces maladies et les accouchements seront reçus, en payant 
par les associés une somme très modique par jour, et qui ne 
sera au plus que la moitié de ce que paieraient dans le même 
établissement ceux qui ne seraient point associés. 

Art. 15. — Les actionnaires seront tenus de se faire enre- 
gistrer aux bureaux de cette maison, et d'y déclarer s'ils 
entendent jouir par eux-mêmes des droits qui leur sont 
accordés par l'article précédent, ou de nommer ceux qu'ils 
veulent en faire jouir ; duquel enregistrement il leur sera 
délivré une reconnaissance pour leur servir lorsqu'ils se 
présenteront pour être reçus dans ladite maison. Les 
nouveaux acquéreurs d'actions seront tenus d'observer la 
même formalité à chaque mutation. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 207 

Art. 16. — Les associés jouiront dansMeurs maladies des 
mêmes traitements et droits que les actionnaires, en payant, 
savoir, 20 sols par mois pour avoir droit aux lits des salles ; 
40 sols par mois pour les lits des chambres à deux lits ; 3 
livres par mois pour les chambres à 1 lit, et enfin 5 livres par 
mois pour les appartements : on paiera trois mois d'avance • 

Art. 17. — Les actionnaires et les associés qui voudront 
faire jouir leurs enfants, domestiques, ou toute autre 
personne en leur place, du droit d'être reçus et traités en cas 
de maladie dans ladite maison, seront tenus d'en faire leur 
déclaration au bureau de la dite maison, ainsi qu'il a été dit, 
pour qu'il en soit fait mention sur le registre, et qu'il en soit 
délivré une reconnaissance aux personnes nommées, pour 
leur servir lorsqu'elles se présenteront à l'effet d'être reçues 
dans ladite maison : cette formalité sera renouvelée toutes 
les fois que les actionnaires ou les associés voudront subs- 
tituer une personne à celle qu'ils auront nommée précé- 
demment. 

Art. 18. — Les maîtres qui abonneront la totalité de leurs 
maisons ne seront point tenus à cette désignation ; mais 
seront tenus lesdits maîtres de donner en s'associant un 
certificat qui attestera qu'ils mettent à l'association la totalité 
de leur maison, sans en excepter personne, et dans lequel 
certificat ils se soumettront de n'envoyer jamais de malades 
à la maison d'association que du nombre des associés, et 
avec un billet imprimé dont les blancs leur seront remis en 
s'associant ; ils n'auront qu'à le remplir et le signer eux-mêmes 



208 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

OU le faire signer par celui qui sera à la tète de leur maison, 
chaque fois qu'ils auront un malade à envoyer. Ce billet 
désignera le malade et engagera le maître dans le cas où par 
une fausse charité ou autre raison que ce puisse être, il aurait 
abusé de son droit en envoyant sur ce billet un autre qu'un 
associé, de payer pour chacun des jours que ce malade 
aurait passé dans la maison, le double de ce qu'il en coûte 
dans chaque classe aux payants par jour. 

Art. 19. — Les personnes qui seront reçues dans ladite 
maison, conformément aux dispositions portées aux articles 
précédents, seront traitées, médicamentées, pansées, nourries, 
chauffées, éclairées, blanchies et soignées pendant tout''ic 
cours de leurs maladies avec tout le soin et l'attention 
possibles : la maison fournira tout le linge dont les malades 
auront besoin, à l'exception cependant de celui de corps 
qu'elle ne fournira que dans les salles. 

Art. 20. — L'entrée à l'association ne sera ouverte que 
depuis dix jusqu'à cinquante ans, et pour la première année 
de l'établissement, seulement, jusqu'à soixante ; mais ceux 
qui seront une fois admis, et qui seront parvenus sans 
interruption jusqu'à l'âge ci-dessus fixé, ne pourront plus 
être exclus sous prétexte qu'ils ont passé ledit âge. Les 
mêmes dispositions auront lieu pour les personnes nommées 
par les actionnaires et les associés, ainsi que pour les 
nouveaux acquéreursd'actions. 

Art. 21. — Aucun nouvel actionnaire, associé ou repré- 
sentant l'actionnaire ou l'associé, ne sera reçu dans ladite 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 209 

maison, que son association n'ait au moins un mois de date. 
Sera néanmoins libre aux administrateurs de les recevoir 
dans le cas où le mois ne serait point expiré, en payant par 
eux, pour chacun des jours qui manqueront au mois, la 
moitié de ce que doivent payer dans les différentes classes, 
les externes dont il sera ci-après parlé. 

Art. 22. — L'actionnaire qui aura été traité et guéri dans 
ladite maison ne pourra vendre son action dans Tannée, à 
compter du jour de sa sortie de ladite maison ; et s'il la ven- 
dait pendant ledit espace, le nouvel actionnaire ne jouira du 
droit d'être reçu en cas de maladie dans ladite maison 
4a'après que ladite année sera expirée. 

Art. 23. — Les associés qui, après avoir été traités et gué- 
ris dans ladite maison, se retireront de l'association dans les 
six mois, à compter du jour de leur sortie de la maison, 
seront tenus de payer l'année entière de leur cotisation. La 
même disposition aura lieu dans le cas où la personne nom- 
mée par l'actionnaire ou l'associé serait changée dans les six 
mois de sa convalescence. 

Art. 24. — Lorsque l'actionnaire, l'associé ou le repré- 
sentant de l'un ou de l'autre se transportera à ladite maison 
pour y être reçu en qualité de malade, il sera tenu d'exhiber, 
non seulement la reconnaissance ou le billet qui justifiera son 
droit, mais encore la dernière quittance du paiement, il ne 
pourra être reçu qu'en payant par l'associé les mois de retard 
et six autres mois d'avance, et si le retard était de plus de 
trois mois, il sera exclu totalement. 

i4 



210 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Art. 25* — Les personnes qui ne seront ni actionnaires, 
ni associées, ni aux droits des uns et des autres pourront 
cependant être reçues dans cette maison pour y être traitées 
dans le cas où il y aurait des lits vacants, en payant par les 
externes 40 sols par jour pour les salles, 4 livres pour les 
chambres à 2 lits, 6 livres pour les chambres à un lit, et 9 
livres pour les appartements. Aucun de ces externes ne sera 
reçu qu'en déposant entre les mains du caissier de la maison 
un mois d'avance sur le pied de la Classe qu'il aura choisie : 
en sortant de la maison, on lui remettra ce qu'il pourrait 
avoir payé de trop. 

Art. 26. — Les effets appartenant aux malades qui seront 
reçus dans cette maison, seront déposés lors de leur entrée 
dans un magasin, portés et désignés sur les registres de ces 
magasins ; ils seront rendus aux convalescents ou à ceux ou 
à la famille de ceux que les soins ne pourront rappeler à la 
vie, en payant par ladite famille ce que le défunt pourrait 
redevoir à ladite maison et les frais funéraires. 

Art. 27. — Il sera établi un bureau d'administration 
composé du Sieur Lieutenant-Général de Police, de ceux qui 
ont signé la requête comme instituteurs, d'un directeur, de 
quatre curés de Paris, du nombre desquels sera celui de la 
paroisse sur laquelle sera située ladite maison et de six 
autres administrateurs pris parmi les actionnaires, tous 
lesquels auront voix délibérative. Le directeur, les trois 
curés, et les six autres administrateurs, seront nommés pour 
la première fois par le Roi, et aussitôt qu'ils auront été 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 211. 

nommés pour la première fois par le Roi, le bureau choisira 
un secrétaire, un caissier, ainsi que toutes les autres person- 
nes qui seront employées dans ladite maison. 

Art. 28. — Il sera tenu à la fin de chaque année, une 
assemblée générale composée des personnes qui formeront le 
bureau, à laquelle seront admis les propriétaires de 10 actions, 
et les porteurs de cinquante ; dans cette assemblée, il sera 
rendu par le directeur et le caissier et en présence des admi- 
nistrateurs, un compte général des produits et dépenses de 
ladite maison pendant l'année précédente. 

Art. 29. — Il sera fait choix tous les ans dans ladite assem- 
blée générale, à la pluralité des voix de deux nouveaux admi- 
nistrateurs, pour remplacer les deux qui sortiront après trois 
années d'exercice, lesquels ne pourront Être continués, mais 
élus de nouveau après deux années de sortie d'exercice seule- 
ment. Si dans le courant d'une année l'une des places d'admi- 
nistrateur venait à vaquer, il y serait pourvu provisoirement 
par le bureau d'administration jusqu'au moment del'éltction. 

Art. 30. — Et attendu la nomination qui sera faite d'abord 
par le Roi, de six administrateurs amovibles, la première 
élection n'aura lieu qu'à la tin de la troisième année, et les 
deux nouveaux administrateurs élus, remplaceront ceux des 
administrateurs nommés par le Roi, qui désireront se retirer, 
et ainsi l'année suivante. 

Art. 31. — Le bureau fera choix de deux médecins de la 
faculté à titre de consultants, d'un autre médecin demeurant 
dans la maison en qualité de médecin ordinaire ; et de deux 



212 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

jeunes médecins pour veiller à l'exécution et à l'effet des 
ordonnances, et rendre compte des symptômes qui auront 
paru, ou des accidents qui seront arrivés dans l'intervalle 
d'une visite à l'autre : il y aura un chirurgien en chef choisi 
parmi les maîtres, et un premier chirurgien demeurant dans 
la maison, deux aides et quatre élèves ; ces sept dernières 
places seront données au concours, mais le bureau pourra 
refuser d'y admettre ceux contre lesquels il y aurait quelques 
raisons particulières d'exclusion. 11 sera aussi tenu de mettre 
la pharmacie sous l'inspection et la direction d'un des 
maîtres apothicaires de Paris qu'il choisira, et ensuite les 
deux hommes qui seront attachés à la pharmacie, et qui en 
conséquence demeureront dans la maison, pour que jour et 
nuit les malades puissent être secourus par une prompte 
exécution des ordonnances des officiers de santé. 

Art. 32. — Un des médecins consultants sera obligé de 
venir tous les jours à la maison pour consulter avec le méde- 
cin ordinaire, et tous les deux seront appelés par lui toutes 
les fois qu'il se rencontrera des cas embarassants et qu'il le 
croira utile. Il ne sera point fait de grandes opérations dans 
ladite maison, qu'après une consultation qui en aura décidé, et 
qui sera signée du chirurgien en chef, du chirurgien ordinaire, 
des deux médecins consultants, et du médecin ordinaire. 

AiiT. 33. — Les curés qui feront partie du bureau d'admi- 
nistration, seront spécialement chargés du spirituel de cette 
maison et de tout ce qui concerne l'administrationd es sacre- 
ments et les droits de l'église ; ils choisiront les ecclésias- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 



213 



tiques qui seront résidents dans la maison pour procurer aux 
malades, la nuit comme le jour, les secours spirituels ; ils 
présenteront lesdits ecclésiastiques au bureau, par qui ils 
seront agréés, s'ils sont approuvés par l'Ordinaire. 

Art. 34. — Tous les curés et les notaires ou autres T)er- 
sonnes dont la place donne beaucoup de relation avec le 
public et en exige la confiance sont autorisées à recevoir son 
vœu pour cet établissement : et pour faciliter cette opéra- 
lion, il sera remis à chacun de ceux qui voudront bien s'en 
charger, des soumissions imprimées, cotées et paraphées, 
qui, dans des colonnes séparées pour placer les noms de 
ceux qui voudront être actionnaires, associés ou payant par 
jour leur présenteront les différentes classes de l'association 
suivant le modèle ci-joint : 



No V 

Je soussigné déclare avoir lu attentivement les lettres patente et règle- 
ments de la maison d'association, et en conséquence, je m oblige et engage 
de remplir exactement les conditions qui m'y sont imposées en ma qualité 
ci-après désignée, et de payer dans les temps prescrits la cotisation des 
classes que j ai choisies, et pour le nombre de personnes que j'y fais entrer: 


Actionnaires 
fondateurs 


Nombre 
d'actions 


Différentes 
classes 


Associés 


Nombre 
de places 


Payants 
par jour 


Demeures 
des dits 






Salles 
de 24 lits 










Chambres 
à 2 lits 


Chambres 
àlUt 


Appartements 


L'an , le à || 



314 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Chacun de ceux qui se rendront chez les personnes ci-dessus 
indiquées, mettront leur nom dans la colonne qui désigne la 
qualité qu'ils ont choisie, et auront soin de marquer sur les 
lignes des différentes classes, le nombre de places qu'ils veulent 
dan%cbacune, signeront ensuite au bas de ladite soumission, 
et feront remplir la colonne des demeures de leur paroisse, 
rues, et même du nom de leur propriétaire ou principal loca- 
taire, pour ceux qui ne seraient pas suffisamment connus. 

Art. 35. — Il ne sera rien payé lors de ces soumissions, et 
lorsqu'elles seront ainsi remplies et signées, celles de la veille 
seront envoyées les matins par la petite poste au sieurde Cha- 
mousset, qui en fera *enir registre, et en fera passer un relevé 
tous les soirs, au Lieutenant général de Police ; et lorsque le 
nombre en sera suffisant pour assurer le succès de cet établis- 
sement, le bureau sera créé comme il est dit à l'article 27, et le 
directeur et caissier nommés pour recevoir le montant des ac- 
tions et délivrer aux actionnaires des actions numérotées et 
signées du directeur, du caissier, et au moins de quatre des 
syndics ; les numéros de ces actions, lors de leur délivrance, 
seront portés sur les registres de la maison, et à côté, le nom du 
propriétaire avec le titre de fondateur. Ledit bureau délivrera 
aux associés les billets d'association, numérotés différemment 
des actions, mais de même signés du directeur et du caissier, 
et au moins de deux des syndics; les numéros de ces billets 
seront également portés sur les registres de la maison, et les 
noms des associés, rangés par ordre alphabétique, sur lesdils 
registres : cnrecevantlcs billets, on fera le premier paiement. 



Correspondance de Voltaire 



Tom. 60. F" 266 et 267. 
N» 3588. 
A Monsieur de Cideville, 

aux Délices, le 24 mai 1762. 

Mon cher et ancien ami, 

... Au reste, je suis bien sûr que vous ne pensez pas que 
mon Commentaire soit à la Dacier. Je critique avec sévérité 
et je loue avec transport. Je crois que l'ouvrage sera utile, 
parce que je ne cherche jamais que la vérité. 

Mademoiselle Corneille n'entendra point mon Commen- 
taire : elle récite assez joliment des vers ; nous en avons fait 
une actrice ; mais il se passera encore bien du temps avant 
qu'elle puisse lire son oncle. 



2l6 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Voilà son père réformé avec M. de Chamousset (1), son 
protecteur. 

Voltaire. — Dictionnaire philosophique. — Tome XX VIII, 
publié avec notes par Beuchot, 1829. Inv. Z. 27097. 

F^ 17 et suivants L'Hôtel-Dieu, par exemple, était très 

bien placé autrefois dans le milieu de la ville auprès de 
TEvêché. Il Test très mal quand la ville est trop grande, 
quand quatre ou cinq malades sont entassés dans chaque lit, 
quand un malheureux donne le scorbut à son voisin dont il 
reçoit la vérole, et qu'une atmosphère empestée répand les 
maladies incurables et la mort, non-seulement dans cet hos- 
pice destiné pour rendre les hommes à la vie, mais dans une 
grande partie de la ville à la ronde. 

L'inutilité, le danger même de la médecine en ce cas sont 
démontrés. S'il est si difficile qu'une médecine connaisse et 
guérisse une maladie d'un citoyen bien soigné dans sa mai- 
son, que sera-ce que cette multitude de maux compliqués, 
accumulés les uns sur les autres dans un lieu pestiféré ? 

En tout genre souvent, plus le nombre est grand, plus mal 
on est. 

M. de Chamousset, l'un des meilleurs citoyens et des plus 



(1) Cbamoasset (Charlcs-Humberl-Pianron de), né à Pari» en 1717, mort le 27 afril 
1773 ; ingéoieur, généreux et zélé phllanlrope, fondateur à Paris de la petite poste. 
Ce fut à grand'peine et à grands frais qu'il avait formé cet éUblissement à la fin de 
1758. Ces lettres-patentes lui en accordaient les produits pour trente ans. La première 
année il réalisa 50.000 livres de bénéfices et ces bénéfices que de Chamousset espéraK 
doubler éuient destinés à des œuvres de bienfaisance. Dès 1760 il fut dépossédé. On lui 
accorda toutefois une peqsion viagère de 20.000 Uv. — (Bkuchot). 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 217 

attentifs au bien public, a calculé, par des relevés fidèles, 
qu'il meurt un quart des malades à THôtel-Dieu, un 
huitième à l'hôpital de la Charité, un neuvième dans 
les hôpitaux de Londres, un trentième dans ceux de Ver- 
sailles. 

Dans le grand et célèbre hôpital de Lyon, qui a été long- 
temps un des mieux administrés de l'Europe, il ne mourait 
qu'un quinzième des malades, année commune. 

On a proposé souvent de partager THôtel-Dieu de Paris 
en plusieurs hospices mieux situés, plus aérés, plus salu- 
taires ; l'argent a manqué pour cette entreprise. 

(( Curtœ nescio quid semper ah est reL » 

Horace, liv. III, od. XXIV. 



On eil trouve toujours quand il s'agit d'aller faire tuer des 
hommes sur la frontière ; il n'y en a plus quand il faut les 
sauver. Cependant l'Hôtel-Dieu de Paris possède plus d'un 
million de revenu qui augmente chaque année, et les Pari- 
siens l'ont doté à l'envi. 

On ne peut s'empêcher de remarquer ici que Germain 
Brice, dans sa Description de Paris^ en parlant de quelques 
legs faits par le premier président de Bellièvre, à la salle de 
l'Hôtel-Dieu nommée Saint-Charles, dit « qu'il faut lire cette 
€ belle inscription gravée en lettres d'or dans une grande 
€ table de marbre, de la composition d'Olivier Patru del'Aca- 



218 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

c demie française, un des plus beaux esprits de son temps, 
« dont on a des plaidoyers fort estimés. > 

« Qui que tu sois qui entres dans ce saint lieu, tu n'y ver- 
c ras presque partout que des fruits de la charité du grand 
c Pomponne. Les brocards d'or et d'argent et les beaux 
c meubles qui paraient autrefois sa chambre, par une heu- 
a reuse métamorphose, servent maintenant aux nécessités 
« des malades. Cet homme divin qui fut l'ornement et les 
c délices de son siècle, dans le combat même de la mort, a 
« pensé au soulagement des affligés. Le sang de Bellièvre 
€ s'est montré dans toutes les actions de sa.vie. La Gloire 
« de ses ambassades n'est que trop connue, etc. » 

L'utile Chamousset fit mieux que Germain Brice et Olivier 
Patru, l'un des plus beaux esprits du temps ; voici le plan 
dont il proposa de se charger à ses frais, avec une compagnie 
solvable. 

Les administrateurs de l'Hôtel-Dieu portaient en compte la 
valeur de 50 livres pour chaque malade, ou mort, ou guéri. 
M. de Chamousset et sa compagnie offraient de guérir pour 
cinquante livres seulement par guérison. Les morts allaient 
par dessus le marché et étaient à sa charge. 

La proposition était si belle qu'elle ne fut pas acceptée. On 
craignit qu'il ne pût la remplir. Tout abus qu'on veut réfor- 
mer est le patrimoine de ceux qui ont plus de crédit que les 
réformateurs. 

Une chose non moins singulière, est que THôtel-Dieu a seul 
le privilège de vendre la chair en Carême à son profit, et il y 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 319 

perd. M. de Chamousset offrit de faire un marché où THôtel- 
Dieu gagnerait : on le refusa, et on chassa le boucher qu'on 
soupçonna de lui avoir donné Tavis (1). 

Ainsi chez les humains, par un abus fatal, 
Le bien le plus parfait est la source du mal. 
Henriade, chant Y, 43-44- 



Bibliothèque Nationale 

57* Fol. des Œuvres de Voltaire^ par Beuchot. F"* 403. — 
Z. 27.126. — Sa Correspondance : 

N» 2581. A Monsieur Darcet y 

10 Décembre 1757. 

Mon cher et ancien ami, j'ai lu le projet de l'hôpital ; il 
en faudrait un bien grand pour y mettre nos pauvres soldats 
de l'armée de Soubise, qui ont manqué bien longtemps de 
pain. Heureusement^ les Autrichiens nous vengent ; ils 
gagnent une bataille longue et meurtrière sous les murs de 

(i) En 1775, soas l'administration de M. Turgot, co privilège ridicule de l'Hôlel- 
Dieu fat détruit et remplacé par un impôt sur la TJande. Le peuple de Paris était 
réduit auparavant à n'avoir pendant tout le carême qu'une nourriture malsaine et très 
<bëre. Cependant quelques hommes ont osé regretter cet ancien nsage. non qu'ils le 
crussent utUe. mais parce qu'il était un monument du pouvoir que le clergé avait eu 
trop longtemps sur l'ordre public et que sa destruction avançait la décadence de ce 
pouvoir. En 1629, on tuait six bœufs à l'Hotei-Dieu pendant le Carême, deux cents en 
1665. cinq cents en 170H, quinze cents en 1750 ; on en consomme prés de neuf 
mille (K.). 



220 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Breslau, Us prennent le prince Bevern prisonnier, ils 
sont dans Breslau. L'Impératrice reprend sa chère Silésie, 
excepté Neis, et la Barbarini, qu'elle n'a pas encore, mais 
qu'elle aura sûrement à moins d'un miracle, et Dieu n'en fait 
point pour notre mécréant. Je lui donne des conseils de 
Cineas, et j'ai peur qu'il ne finisse bientôt comme Pyrrhus. 
Vous souvenez-vous de quel air je prenais la liberté de cor- 
riger sa prose et ses vers ? Je lui parle de même sur son état. 
C'est la seule vengeance que je puisse prendre et elle est fort 
honnête. Sa gloire est en sûreté : après nous avoir bien 
battus, et nous avoir accablés de bons mots et de caresses, 
il ne devrait plus songer qu'à vivre tranquille ; à ne pas 
s'exposer à la cérémonie du ban de l'Empire, et à devenir 
philosophe. Il devrait aussi quelque honnêteté à ma nièce, 
mais il n'est pas galant. 

Je me flatte que M. de Richelieu fera décimer les Hano- 
vriens. Je ne sais comment les sujets du roi d'Angleterre se 
sont mis à mériter la hart sur terre et sur mer. 

Je reviens à l'Hôpital dont j'étais parti : il est clair que cette 
maison ne sera pas sitôt fondée ; mais je vous prie d'assurer 
M. de Ghamousset de ma sincère et stérile estime ; je vou- 
drais qu'on le fit prévôt des marchands. Il est honteux qu'un 
homme qui a des intentions si nobles, et qui parait si exact 
et SI laborieux, ne soit pas en place : c'est un malheur public 
qu'il ne soit pas employé. 

Mais vous ! quand le serez-vous ? Vous êtes une preuve que 
les talents ne sont pas tous mis en œuvre. Je bénis Dieu que 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 221 

VOUS ayez quitté Berlin, mais je suis fâché que vous n'ayez 
pas trouvé mieux à Paris, où vous deviez trouver tout. 

Mes compliments, je vous prie au laborieux mortel à qui 
je dois de belles tulipes. 



Bibliothèque Nationale 

Départ* des imprdiés 
Mémoires secrets de de Bachaumont. 8'Z. 16.821 



P 8. 11 octobre 1771. — Depuis plusieurs années, un 
citoyen renommé pour ses vues utiles à l'humanité, avait 
répandu le prospectus d'une maison d'association, où les 
malades pourraient se rendre et être traités à beaucoup 
moins de frais que chez eux. Tout le monde avait applaudi à 
cette imagination, que personne n'avait voulu contribuer à 
réaliser. 

Un chirurgien hardi, depuis quelques mois a tenté en. 
petit une entreprise, qui demanderait beaucoup de fonds 
pour être portée au point de perfection où M. de Cbamousset 
voulait la monter. Il a loué une maison dans le faubourg 
Saint-Germain, en bon air, avec un jardin et tous les entours 
nécessaires, dans laquelle il reçoit ses malades sous deux 
classes, celle des làaltres et celle des domestiques. Les 
derniers sont plusieurs dans la même chambre, et pour 



222 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

4 liv. par jour reçoivent tous les secours, de quelque nature 
que ce soit, dont ils auraient besoin. Il en coûte 6 liv. par 
jour pour chaque maître, qui a sa chambre séparée et du 
reste les mêmes ressources à proportion. M. de Sartines a 
vu avec satisfaction la tentative du Sr. Silvie qui lui a rendu 
compte de son plan. Ce Magistrat lui a promis sa protection 
et le favorise en tout ce qui dépend de lui. 11 est à souhaiter, 
surtout pour les étrangers, que ce chirurgien ait le courage 
de continuer ce projet et de l'étendre de plus en plus. 



Même provenance et même année 



F' 363. — 23 avril 1773. — M. de Chamousset vient de 
mourir. C'était un citoyen qui avait rêvé toute sa vie au 
bien public. On dit rêvé, parce que peu de ses projets 
s'étaient réalisés. Le seul, de la Petite Poste a réussi et sub- 
sisté. Comme tous les faiseurs de spéculation, il avait mangé 
à ce métier une partie de son bien. 11 laisse encore beaucoup 
de papier à mettre en ordre, et peut-être y trouvera-t-on 
quelques idées plus heureuses. 



Procès-verbaux des fouilles à St-NIcoias du Chardonnet 



Semaine religieuse de Paris 

Samedi 22 Octobre 1898 



Recherches intéressantes dans les caveaux 
de Saint-Nicolas du Chardonnet 



La découverte récente d'une lettre de faire part des funérailles 
de Piarron de Chamousset, fondateur de la Petite Poste ^ 
dans laquelle l'église de Saint-Nicolas était nommée comme 
le lieu de sa sépulture, donna Tidée. à M. Martin-Ginouvier, 
historiographe du fondateur de la Petite Poste, de demander 
à M. l'abbé Guéneau de l'autoriser à faire des recherches, 
dans les caveaux de l'église afin de retrouver les restes de 
Chamousset, inhumé le 28 avril 1773. 

Ces recherches ont lieu eu mardi dernier, 18 octobre. 

Voici le procès- verbal qui a été dressa à cette occusion : 

€ L'an mil huit cent quatre-vingt-dix-huit^ le dix^huit 
octobre, sur la demande de M. Martin-Ginouvier et sous la 
présidence de M. l'abbé Guéneau, euré de Saint-Nicolas de 
Chardonnet ; M. Prevert, membre du conseil de fabrique ; 
MM. Lapeyrade, premier vicaire, Lescure,Delaunay, vicaires; 



224 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

MM. les docteurs Légué, Cabanes, MM. de Malarce, Louis 
Guédy, Charles Sellier, représentant du musée Carnavalet ; 
Maréchal, Martin-Ginouvier, Dumont et plusieurs représen- 
tants de la presse ont procédé à des fouilles dans le caveau 
de la chapelle de Sainte-Catherine, à l'effet de rechercher les 
restes de Piarron de Chamousset, inhumé dans cette église, 
le 28 avril 1773 ; 

c Ils ont trouvé dans un sac de laine noire : 

l"" Un parchemin contenant ces mots : Ci-gist messire 
Claude-Humbert de Chamousset (Piarron de) ; 

« 2o Un brevet sur parchemin de lieutenant-colonel délivré 
par M. le marquis de Béthune, maréchal de Camp, au sieur 
de Bézac, le 20 août 1749 ; 

« 3o Un soulier et un fragment de soulier, avec un morceau 
de cuir de ceinture, lequel était renfermé dans le petit sac. > 

Semaine Religieuse de Paris 



Samedi 12 Novembre 1898 



Procès-verbal des nouvelles découvertes 
dans les caveaux de Saint- Nicolas du Chardonnet 



L'an mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, le vingt-six octo- 
bre (mercredi), sur la demande de M. Martin-Ginouvier, 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 225 

SOUS la présidence de M. Tabbé Guéneau, curé delà paroisse, 
en la présence de M. Pré vert, représentant de la Fabrique, 
de MM. les abbés Daix, archiviste du diocèse de Paris; Lapey- 
rade, premier vicaire; Lescure et D^launay, vicaires de 
Saint-Nicolas du Chardonnet ; MM. les docteurs Cabanes et 
Maurice de Thierry; MM. Charles Sellier, représentant du Musée 
Carnavalet ; Marlin-Ginouvier ; Bureau, bibliothécaire à 
l'Académie de Médecine^ et plusieurs représentants de la 
presse, de nouvelles fouilles ont été faites dans les caveaux de 
Téghse et ont été faites les découvertes suivantes : 

1* Dans les caveaux des chapelles des fonts baptismaux et 
des âmes du purgatoires, de nombreux ossements ; 

2"" Dans le caveau de la chapelle Sainte-Catherine, où Ton 
avait déjà trouvé les restes et documents mentionnés dans le 
procès-verbal du dix-huit octobre, une caisse ouverte renfer- 
fermant des ossements humains, savoir : Une colonne verté- 
brale composée de dix-huit vertèbres, trois côtes y insérées, 
un fragment de bassin adhérent à ces vertèbres, avec un os 
iliaque gauche et une partie du sacrum ; un fémur gauche 
complet long de cinquante-cinq centimètres, le tibia, le 
péroné et le pied gauche complet, recouvert de chair momi- 
fiée — le tibia et le péroné droits recouverts de leurs chairs 
également momifiées — (la colonne vertébrale a une légère 
déviation à gauche). Cachant ces ossements, se trouvaient 
des parties de tissus cellulaires momifiés. 

Selon toute probabilité, ces restes seraient ceux du marquis 

de Chamousset, attendu qu'ils répondent aux données four^ 

i5 



226 UN PHILA1NTHR0PE MÉCONNU 

nies par M. Martin-Ginouvier, et qu'ils ont été trouvés dans 
le caveau même où les documents avaient été découverts. 

MM. les docteurs Bureau, de Thierry et Cabanes ont été 
chargés de l'examen anatomique des restes. 

La Commission a encore trouvé, sous la chapelle du Cœur 
sacré de Marie, dite chapelle de Santeuil, un cercueil doublé 
de chêne et de sapin recouvert d'une double enveloppe de 
plomb. 



Bulletin municipal officiel 

du Dimanche 4 Décembre Î898 

Messieurs, 

Un Historiographe du philanthrope Chamousset, M. Mar* 
tin-Ginouvier, a récemment découvert à la Bibliothèque 
Nationale cette curieuse lettre de faire part : 

« Vous êtes prié d'assister aux convoi, service et enterre- 
ment de messire Claude-Humbert Piarron de Chamousset, 
chevalier, ci-devant conseiller du Roi, maître ordinaire en 
la chambre des Comptes, décédé en son hôtel, quai hors 
Tournelle, qui se feront cejourd'hui mercredi 28 Avril 1773, 
à neuf heures du matin, en l'église Saint-*Nicolas-du-Char- 
donneret, sa paroisse, où il sera inhumé, etc., etc. 

€ De la part de M. le Comte d'Amfreville, son oncle et exé- 
teur testamentaire. » 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 237 

Le nom de Ghamousset paraissait jusqu'à présent oublié, 
et, cependant il eut son temps de juste célébrité. C'est à lui 
que Paris doit pour l'échange régulier de sa correspondance 
urbaine, l'établissement de la petite poste. C'est à lui, dont 
la tête, dit l'abbé Voisenon, était toujours en effervescence 
pour le bien de l'humanité, que l'on doit la réforme du régi- 
me des hôpitaux. Il créa en effet, à ses frais, un hôpital 
modèle, où chaque malade eut son lit, et fit tomber ainsi la 
funeste coutume de mettre plusieurs malades dans un même 
lit» Il eut la première idée des assurances contre l'incendie 
et des associations de secours mutuels pour les cas de mala- 
die : c'est à ce dernier titre que les mutualistes le récla- 
ment pour leur précurseur et projettent de lui ériger une 
statue. 

La découverte de la lettre de faire part de l'enterrement 
de Ghamousset donna enfin à M. Martin-Ginouvier l'idée de 
rechercher ses ossements avec son lieu de sépulture. 

Avec l'autorisation du curé de Saint-Nicolas-du-Chardon- 
net des fouilles firent commencées à cet effet dans cette 
église, le 18 octobre dernier. D'après le procès-verbal dressé 
à l'issue de cette première opération, on trouva renfermés 
dans un petit sac de laine noire : l*' un parchemin contenant 
ces mots : Ci^gist Messire Glaude-Humbert de Ghamousset 
(Piarron de) ; 2** un brevet, sur parchemin de lieutenant-colo- 
nel, délivré par le marquis de Béthune, maréchal de camp, 
au sieur de Bézac, le 20 août 1749, un soulier et un frag- 
ment de soulier, avec un morceau de ceinture en cuir, lequel 



228 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

était renfermé dans le petit sac. Ces objets furent découverts 
dans le caveau contigu à celui de la chapelle Sainte-Cathe- 
rine et situé sous la nef du bas côté occidental. 

Des recherches furent continuées huit jours après. On 
commença, cette fois, par l'exploration de la chapelle dies 
fonts baptismaux. Là, on constata seulement la présence 
d*un entassement d'ossements humains mêlés à des gravois 
et des balayures. Puis on ouvrit de nouveau le caveau de la 
chapelle Sainte-Catherine où Ton ne rencontra encore que 
des ossements de même nature, sans aucun indice d'identité, 
mêlés aussi à des balayures. On visita ensuite le caveau con- 
tigu, c'est-à-dire celui où Ton avait fait, la semaine précéden- 
te, les trouvailles que nous venons de mentionner. Ce caveau 
était vide, sauf dans un coin, là, au fond d'une boite en bois 
qui ne semblait pas avoir été destinée à l'usage où nous la 
vîmes, gisaient des débris humains provenant de corps diffé- 
rents, et dont une grande partie des chairs subsistaient à 
l'état de momification. Rien, néanmoins, ne pouvait indiquer 
s'il y avait bien là les restes de Chamousset. 

En présence de choses si. dépourvues d'authenticité, on 
résolut de poursuivre les recherches par la visite d'autres 
caveaux. On descendit dans celui situé sous la chapelle Sainte- 
Anne, où une inscription, qui n'est autre que l'épitaphe du 
poète Santeuil composée par RoUin, rappelle la mémoire de 
celui qui. sous Louis XIV, illustra nos monuments publics 
de ses vers latins. Nous ne vîmes dans ce caveau qu'un cer- 
cueil de plomb éventré, laissant apercevoir un squelette assez 



UN PHILAJ^THROPE MÉCONNU 229 

bouleversé. Mais, vu Fheure avancée de la journée, on remit 
à huitaine la continuation des fouilles. 

Enfin, hier mercredi, ces fouilles furent reprises avec une 
nouvelle ardeur. On commença par le caveau de la chapelle 
Saint-Charles-Borrome, pensant y retrouver les sépultures du 
peintre Charles Lebrun et de sa mère ; mais le caveau était 
vide ; quelques ossements épars sur le sol parmi des ordures 
et des décombres s'offrirent seuls aux regards des visiteurs. 
Que sont donc devenus les restes de Lebrun ? 

Sur cette déconvenue, on fit de nouveau rouvrir le caveau 
de la chapelle Sainte-Anne ; puis, à Taide d'une hachette on 
parvint à ouvrir le cercueil de plomb qu'on avait déjà remar- 
qué à la visite précédente. Peut-être contenait-il les restes de 
Chamousset ? Ce cercueil consistait en une double enveloppe 
de plomb. En soulevant la première enveloppe on aperçut, 
sur la deuxième, ces mots gravés au burin en lettres capi- 
tales : Jean-Baptiste Santeuil. Le squelette entrevu précédem- 
ment fut enfin mis à découvert ; il était entier mais brisé. 
On était bien en présence des restes de Santeuil ; procès- 
verbal fut dressé sur le champ. M. Jules Périn, qui assistait 
à ces opérations, s'empressa de rappeler aux personnes pré- 
sentes que l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet ne reçut que 
la dépouille de Santeuil que le 16 février 1818. Ce chanoine, 
mort à Dijon en 1697, avait été transporté à l'abbaye de Saint- 
Victor de Paris, dont il était religieux et où ses restes ont 
reposé jusqu'au moment où l'entrepôt des vins fut construit. 
Déposé provisoirement dans l'église Saint-Paul-Saint-Louis, 



230 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

le corps de Santeuil fut définitivement placé à Saint-Nicolas 
du Ghardonnet avec Tépitaphe tracée par l'élégante plume 
de Rollin. 

Il est peut*6tre bon de rappeler aussi que, contrairement 
à une calomnieuse légende, Santeuil n'est pas mort empoi- 
sonné pour avoir bu un verre de vin dans lequel on aurait 
jeté du tabac d'Espagne; selon Saint-Simon, c'est M. le 
prince de Bourbon qui, par plaisanterie, y aurait versé sa 
tabatière. Il a été prouvé par M. de Lescure que le prince 
était à ce moment loin du lieu où mourut Santeuil ; et Ton 
sait par le président Bouhier qui voyait le poète tous les 
jours et à toute heure, que sa mort eut une cause toute natu- 
relle. 

Il faut avouer que, pour un instant, le souvenir de Char 
mousset pâlit quelque peu en présence des restes de Santeuil. 
En revanche, pour honorer Tun, ne venait-on pas d'achever 
de détruire là sépulture de l'autre ? On convint néanmoins de 
ne pas s'en tenir là et d'ajourner à la semaine suivante la 
continuation des recherches entreprises. 

Mais est-il bien nécessaire de poursuivre de semblables 
investigations ? Quels qu'en soient le modèle et le résultat, 
est-il vraiment de bon goût de troubler ainsi la paix des 
tombeaux ? En vertu de quel droit autorise-t-on ces profana- 
tions ? 

Nous ne saurions non plus terminer ce compte rendu sans 
insister sur l'état d'abandon et de malpropreté dans lequel se 
trouvent les caveaux de Saint-Nicolas-du-Gbardonnet, sans 



UN PHILANTHROPB MÉGONNU 281 

demander i la Commission du vieux Paris de vouloir bien 
appeler Tattention de l'Administration sur cette situation 
déplorable, au nom de Thygiène publique aussi bien que des 
convenances. 

Signé : Charles Selusr. 

M. le Président appuie les conclusions du rapport de 
M. Ch. Sellier, (1) et pense qu'il faut appeler l'attention de 
l'Administration sur les faits qu'il signale. 

M. J. Périn dit que le curé a l'intention de réunir les 
ossements dans un petit charnier. Il propose la nomination 
d'une Commission qui serait chargée d'étudier la question. 

M. le Président répond que c'est à l'Administration de 
faire le nécessaire. 

M. Jules Périn ajoute à la communication de M. Ch. 
Sellier, qu'il a été convié d'assister aux explorations des 
caveaux de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet. 

A propos des restes de Jean de Santeuil, chanoine régu- 
lier de l'abbaye Saint-Victor, célèbre poète latin (hymnes 
sacrées de la liturgie parisienne), M. Périn fait connaître 
qu'il mourut à Dijon le 15 août 1697, à l'ftge de 61 ans (2) ; 

(1) Noire impartialité d'biatoriaa fidèle noas a fait reproduire ce rapport, mais 
notre loyauté nous oblige de dire que M. Sellier a été présent à toutes nos recherches, 
et qD*il a pu ainsi de Tisu conaiater la décence de nos mTestigations, qui n'a?aient 
qa*nn but éclairer l'histoire : j'en conclus donc que les écarts de sa plume, ont dépassé 
de beaucoup sa pensée. 

(2) L'empoisonnement de Santeuil par un Terre de Tin, où le doc de Bourbon 
aurait, en matière de plaisanterie, vidé sa tabatière, se trouve absolument démenti 
par les mémoires du président Bouhier. 



232 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

qu'on l'enterre avec beaucoup de magnificence dans l'abbaye 
de Saint-Etienne de cette ville, et que la ville de Dijon, 
reconnaissante des témoignages d'affection singulière qu'il 
lui avait donnés par divers beaux ouvrages, fit les frais de 
ses obsèques magnifiques. 

Mais l'abbaye de Saint- Victor, jalouse de conserver les 
cendres d'un homme qui avait été l'ornement de son siècle 
et d'elle-même en particulier, voulut les recouvrer. La ville 
de Dijon les lui disputa quelque temps, et ce ne fut pas sans 
peine qu'elle sacrifia ce précieux dépôt aux ordres et à l'obéis- 
sance qu'elle devait à M. le prince de Condé qui les fit trans- 
porter à Paris, à ses frais, dans l'abbaye dans Saint-Victor. 
(La vie et les bons mots de M. de Santeuil ; Amsterdam, 
1752, p. 22-23). 

C'est en 1818 que les restes du poète Santeuil, avec l'épi- 
taphe composée par RoUin, ont été placés dans l'église Saint- 
Nicolas-du-Chardonnet. 

M. Charles Lucas dit que l'on peut remarquer dans la 
chapelle Sainte-Catherine de cette église un tableau de Res- 
tout représentant le baptême du Christ. Ce tableau, qui a été 
examiné par quelques personnes, et à la suite d'une extra- 
ordinaire aberration, attribué à Corot, est coupé en deux dans 
toute la longueur de la toile. Il demande à la Commission si 
des démarches ne pourraient pas être faites pour sa restaura- 
tion. 

M. Brown répond que, le tableau étant la propriété de la 
fabrique, la Ville n'a pas à intervenir. 

/ 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 233 

M. le Président répond que la Commission du Vieux 
Paris peut toujours signaler le cas à T Administration compé- 
tente. 

M. Charles Lucas pense que l'on pourrait faire une démar- 
che auprès de la fabrique. 

M. Brown répond qu'elle refusera probablement de faire la 
restauration. 

M. André Laugier estime que la fabrique devrait alors 
donner le tableau à la Ville, qui se chargerait de le restaurer. 

La Commission décide que M. le chef du service des Beaux- 
Arts de la Ville sera prié de signaler à qui de droit le mau- 
vais état de l'œuvre de Restout. 



Notice sur l'Eglise de Saint-Nicolas du Chardonnet ^^^ 



Au XIII* siècle, Tan 1820, Tévèque de Paris, Guillaume III 
dit d'Auvergne, pour faciliter aux bateliers et autres com- 
merçants que leurs affaires attiraient de ce côté de la Seine, 
les moyens d'accomplir leurs devoirs religieux, permit de 
construire une chapelle sous le vocable de Saint-Nicolas, sur 
un terrain dépendant do l'abbaye de Saint- Victor ; un prêtre 
séculier fut chargé de desservir cette nouvelle chapelle. 

Peu d'années après, lesAugustins vinrent s'établir à Paris; 
d'abord à Montmartre dans l'église de Sainte-Marie-Egyp- 
tienne et ensuite dans la rue des Bernardins, là, où, disent 
certains auteurs, se voit à présent l'Eglise de Saint-Nicolas 
du Chardonnet. 

Ces religieux Augustins y demeurèrent peu de temps, 
puisque vers 1293 ils se réunirent aux Frères de la Pénitence 
dits Frères Sachets, établis au faubourg Saint-Germain sur 
les bords de la Seine par le roi Saint-Louis. 

Les terrains de la première chapelle et du premier cime- 
tière avaient été acquis par l'évèque de Paris des religieux 
de Tabbaye de Saint-Victor, cédant le cens et autres droits 
sur une pièce de terre sise au Chai^donnet près du ponceau 
de Bièvrey en face le clos Mauvoisin et contenayit cinq 
quartiers. Les religieux Augustins avaient également acheté 
du chapitre de Notre-Dame et de l'abbé de Saint- Victor, ^io? 
arpents de terre, plantés de vigne pour y fonder leur 
couvent. 

(1) 11 est bon de noter, que la lettre de faire- part de Cbamousset, trouvée à la 
Bibliothèque Nalùmale porte le nom de Saint-Nicolas du Chardonneret. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 235 

Dès 1243, la chapelle primitive était devenue complètement 
insuffisante tant s'était accrue la population dans le court 
espace de treize ans. Il fallut songer à la remplacer ou à 
l'agrandir. 

Entre Guillaume III et Raoul, abbé de Saint- Victor, il se 
fit un nouveau contrat : les religieux de la célèbre abbaye 
vendirent le terrain nécessaire à la construction d'une église 
paroissiale, contenant vingt-quatre toises en longueur et dix- 
huit en largeur et, de son côté, l'évêque de Paris abandon- 
nait à l'abbaye toute la terre qu'il possédait au Chardonnet 
à perpétuité, ne se réservant expressément que le cimetière 
situé entre l'église et la Seipe. 

La rue des Bernardins en occupe une partie et, lors de son 
établissement, elle fut tracée au milieu et ce fut sur cette 
partie du cimetière que l'église actuelle fut bâtie. 

L'église de Saint-Nicolas fut donc construite le long du lit de 
la Bièvre, longeant alors dans toute sa longueur la rue Saint- 
Victor. Il fut convenu entre l'évêque de Paris et les religieux 
de Saint- Victor qu'un chemin tracé devant le portail de l'église 
et se dirigeant vers la Seine, ^honïïTdM au petit hras^ en face 
de la pointe de Vile appelé alors le terrain du Terrait 
formé avec les débris de toutes sortes provenant de la 
construction de Notre-Dame dont les travaux étaient en 
cours d'exécution^ et des immondices même du cloître et 
de Vévêché. 

La nouvelle église fut donc bâtie dans la direction de l'Est 
à l'Ouest ; le portail faisant face à la rue des Bernardins. La 
tour qui se voit encore, se trouvait alors à la gauche de 
l'ancien portail, et de cette première église de style ogival 
de Saint-Nicolas il reste encore une fenêtre à meneau assez 
bien conservée dans la partie inachevée de l'église actuelle. 

Quels étaient l'aménagement et la disposition de cette 
église paroissiale ? Nul plan, nulle description. On ne connaît 



236 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

que son orientation et son emplacement. Son chevet ne devait 
pas cependant se prolonger au delà de l'emplacement où 
. depuis l'abbé de Charles eut sa demeure et ses jardins qu'il 
céda aux prêtres habitués de la paroisse et, où peu de temps 
après, ils élevèrent une partie des bâtiments du séminaire de 
Saint-Nicolas. 

En 1415 cette église était encore debout, mais dans un tel 
délabrement que le lieutenant de la police songeait à en 
interdire l'accès quand le curé et lés marguilliers décidèrent 
la reconstruction au moins partielle. 

Le 13 mars 1426 la nouvelle église fut bénie pendant l'épis- 
copat de Mgr Jean de Nanto. 

En 1545 l'église fut agrandie et Ton érigea la chapelle de 
Saint-Jacques et Saint-Honoré. 

En 1650 l'église menaçait ruine, il fallait songer à l'évacuer 
et à la démolir. 11 ne faut pas s'étonner autrement de ces déla- 
brements successifs. Cette église était bâtie en plein marais 
sur un terrain longeant une rivière dont les eaux l'envahirent 
longtemps. Cependantles ruines de cet édifice ne devaient pas 
être aussi profondes que les précédentes, car le cours de la 
Bièvre avait été intercepté par les fossés profonds qui, sous 
le règne de Charles V, furent creusés autour des fortifications 
de Philippe-Auguste sur les conseils d'Eiienne Marcel, au 
moment de la captivité du roi Jean ; depuis lors, la Bièvre 
ne coulait plus sous les murs de l'église. 

En 1656 on commença la construction de l'édifice actuel 
sur les plans et dessins de Charles Lebrun, premier peintre 
du roi et paroissien de Saint-Nicolas, le long de la rue des 
Bernardins dans le cimetière et dans la direction du Nord 
au Sud, perpendiculairement à l'ancienne église. Le portail 
devait ouvrir sur la rue Saint- Victor et l'ancien cours de la 
Bièvre, alors complètement couvert, comblé ou converti en 
égoût. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 237 

Le chancelier de Paris, Martin, en posa la première pierre, 
au mois de Juillet. Elle fut bénie par M. Compaing, vicaire 
de la paroisse, et prêtre de la communauté en présence des 
autorités constituées. M. Féret, ancien vicaire général d'Alet,* 
étant alors curé de Saint-Nicolas. 

Lorsqu'une partie de Tédifice fut en état d'être livrée au 
culte, monseigneur de Péréfixe, archevêque de Paris, en fit 
la bénédiction solennelle. 

Madame de Miramion donna plus de 50.000 francs pour 
cette nouvelle église ; 6.000 francs plus tard et se portant 
caution de.12.000 francs sans compter les ornements d'or et 
d'argent, de velours et de damas, de chandeliers, le soleil et 
le dais pour le Saint-Sacrement. 

Vers Fan 1688 on commença à construire le bras de la 
croix et le portail de la rue des Bernardins. La famille 
d'Argenson qui possédait une chapelle .mortuaire fit conti- 
nuer les travaux après la mort de Lebrun, en 1690. 

Vers 1706, Madame de Nesmond, née de Miramion, obtint 
l'autorisation de fonder une loterie pour l'achèvement de son 
Eglise paroissiale. 

Cette loterie fut tirée dans l'hôtel de Bourgogne, situé près 
le Collège du cardinal Lemoine, le 20 juillet 1709. Si minime 
qu'en fut le produit, on put cependant reprendre les travaux 
et les conduire au point où ils sont restés depuis. 

Dans le courant du xviii« siècle, le curé et les marguilliers 
firent à diverses reprisés de vives mais infructueuses instan- 
ces auprès des pouvoirs publics pour la continuation des 
travaux et la construction du portail principal sur la rue 
Saint-Victor. 

En 1793, l'Eglise de Saint-Nicolas subit le même sort que 
la plupart des édifices religieux. Elle fut dépouillée de ses 
monuments, de ses sculptures et de ses tableaux. 

En 1792, elle avait été déclarée propriété nationale et mise 



238 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

à la| disposition du gouvernement qui la vendit le 3 vendé- 
miaire, 25 septembre 1799. 

L'acquéreur, pour tirer parti de l'emplacement et des maté- 
riaux, voulait la démolir ; mais il en fut empêché à temps : 
Le contrat fut résilié par l'inobservation d'une de ses clauses 
et les événements ayant changé, Tédiflce fut remis à l'arche- 
vêché de Paris, le 23 fructidor, an 10 de la République — 
10 septembre 1802 — et redevint comme avant la Révolu- 
tion l'Eglise paroissiale de Saint-Nicolas du Chardonnet. 

Successivement le gouvernement français rendit à la 
paroisse les célèbres tombeaux de Lebrun et de sa mère, 
celui de Jérôme Bignon, conseiller d'État, plusieurs statues 
et tableaux. Mais, hélas, le fameux maître autel de Lebrun, 
dont nous ne possédons qu'une description imparfaite, un 
manuscrit sur la vie de Lebrun à la bibliothèque nationale, 
avait été détruit ; le fameux tableau de Yerdier (élève de 
Lebrun), qui le surmontait : la Résurrection, a également 
disparu sans laisser de trace et, enfin, perdu à tout jamais 
le magnifique Jubé à l'entrée du chœur, sculpté par Poultier 
sur les dessins de Lebrun et qui se composait d'un christ, 
d'une mater dolorosa et d'un Saint-Jean que supportaient de 
belles colonnes.de marbre et des ornements de bronze fine- 
ment ciselés. 

Près d'une de ces colonnes se voyait la plaque funéraire 
d'un membre de la branche catholique des de Selves. 

L'autel qui existe aujourd'hui a été construit en 1814 par 
les soins de M. Phihbert de Bruyare, curé de Saint-Nicolas, 
mort évêque de Grenoble en 1826, son cœur repose dans la 
chapelle du Sacré-Cœur, près de la sacristie. 

En 1856 eut lieu la bénédiction de quatre cloches qui com- 
posent la sonnerie actuelle par Mgr Sibour, archevêque de 
Paris. L'Empereur Napoléon III et l'Impératrice Eugénie 
furent les parrain et marraine. Us donnèrent, à cette occasiony 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 289 

un magnifique ornement en drap d'or des manufactures de 
Lyon. Il avait figuré à l'exposition universelle de Paris en 
1855. 

Bâtie au pied même de la montagne Sainte-Geneviève, 
l'Eglise Saint-Nicolas du Chardonnet possède une chapelle 
dédiée à la douce patronne de Paris et son histoire est particu- 
lièrement suggestive. 

.Là, pendant plus de trente ans» Madame de Miramion, et 
jusqu'à l'année 1793, ses filles de Sainte-Geneviève, dites 
MiramionneSf prièrent et dans la prière trouvèrent le secret 
des plus sublimes dévouements. 

Mademoiselle Legras, Madame de Miramion, Mademoiselle 
Blosset, la duchesse d'Aiguillon, la présidente de Nesmond, 
Mademoiselle de Lamoignon, Mesdames de Farinvilliers et 
de Traversay, Madame de Harlay, la princesse de Conti... du 
cœur de ces pieuses femmes, plus mystérieusement que du 
symbolique coffret de Pandore ou de Psyché, cœur tout 
embaumé des vertus chrétiennes, de charité divine et humaine, 
mille fondations s'élancèrent vigoureuses pour aller instruwe, 
moraliser et soulager le peuple au xvii* siècle. 

Et quels hommes pour les diriger et tous plus ou moins 
mêlés à la vie paroissiale de Saint-Nicolas, grands admira- 
teurs et grands amis des prêtres et des fidèles : Saint-Yincent 
de Paul, les abbés Bourdoise, Festel, Ferret, Jolly, Froget, 
Saint-François de Salles, Bossuet, Fléchier évangelisant ce 
bon peuple du quartier Saint- Victor. Qu'on s'étonne après 
ça de voir surgir comme par enchantement de cette chapelle 
de Sainte^Geneviève et de l'Hôtel de Nesmond au quai de la 
Tournelle, orphelinats, ouvroirs, patronages, chambres de 
travail, fourneaux économiques, écoles enfantines pour la 
ville et la campagne, asile de la piété pour les maladies 
physiques, refuge de Sainte-Pélagie pour les maladies 
morales que pouvait guérir le repentir, asiles de charité, 



240 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

dames de charité, maison de retraites pour les grandes dames 
et les femmes clu peuple, Tœuvre des missions des campagnes, 
des missions de Chine et du Japon et leurs premiers évêques, 
la bourse cléricale pour les vocations sacerdotales, les 
quarante heures avant le Carême et le culte de l'Eucharistie 
entouré de pompes magnifiques... Et Madame de Miramion 
succédant comme Dame de Charité à Madame la Présidente 
de Nesmond sur Tordre de M. l'abbé Ferret, est là, toujours 
là providence de tout et de tous, la grande aumônière du 
XVII* siècle et qui disait si bien : « tout ce qui est fait pour 
Dieu est grand ». Son or en grande partie permit la cons- 
truction de l'église actuelle, soutint les œuvres sus-indiquées. 
Son corps reposa au cimetière de Saint-Nicolas et son cœur 
dans la chapelle de Sainte-Geneviève jusqu'en 1793. 

On le voit, la vie paroissiale était intense dans le quartier 
Saint- Victor, on y comprenait théoriquement et pratique- 
ment la question sociale et les grands savaient aller au peuple 
l'évangile et la croix en main. 

Ils avaient vraiment l'intelligence du pauvre : ils le ser- 
vaient et ne s'en servaient point, sachant s'abaisser charita- 
blement jusqu'à lui pour l'élever jusqu'à Dieu. 

Rien d'étonnant donc que Piarron de Chamousset ne vint se 
fixer à deux pas de son cher Hôtel-Dieu, dans le rayonnement 
de cette paroisse, si célèbre parmi les écoliers du moyen âge, 
si humaine dans l'application des principes charitables. 

Bien que l'indication précise de la dernière sépulture de 
M. l'abbé Bourdoise soit conservée après son transfert du 
cimetière Saint-Nicolas dans le caveau des curés de la 
paroisse, durant les récents travaux de restauration de l'inté- 
rieur de l'église, il a été impossible de retrouver l'entrée de ce 
caveau curial et, par conséquent, des restes de M. Bourdoise. 

Hors de la construction de la chapelle de la Sainte- Vierge, 
en 1862, au moment du percement du boulevard Saint-Ger- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 241 

main, à la place même des tombeaux de la famille d'Argen- 
soiiy toutes traces de ces tombeaux et de nombreuses plaques 
funéraires ont disparu. 

Lorsqu'on creusa également les conduits du calorifère bien 
des tombes disparurent et, sans aucune note et sans aucun 
ordre, une multitude d'ossements furent déposés aux cata- 
combes ou dans les caveaux des chapelles qui entourent toute 
l'église (1). 

Ce désordre, à tous les points de vue, est à jamais regret- 
table et, pour l'histoire, il y a des pertes de documents exces- 
sivement importants et pertes irréparables. 

Les corps de Lebrun et de sa mère ne sont plus en leur 
chapelle, mais, du célèbre peintre, on y voit des anges au pla- 
fond et sur l'autel, ainsi que son fameux tableau de Saint 
Charries Boromée. 

Dans une chapelle voisine se lit Tépitaphe que Rollin com- 
posa en l'honneur du grand chanoine de Saint- Victor. Le 
poète admirable Bauteuil, que les compositeurs religieux ne 
peuvent méconanître, repose dans cette chapelle, depuis Tan 
1818, époque du transfert de son corps* dans ce caveau. 

Parmi les œuvres vraiment remarquables, qui constituent 
le trésor vraiment artistique de cette église, il faut citer le 
célèbre tableau du Baptême de Jèsus^ de Corot, et celui de 
Jean Restoux. Jésus guérissant les Aveugles^ de DesgofTes. 
Le bon Samaritain, de JoUain. La résurrection de la fille 
de J aire y de Desbrosses. 

Les Disciples d^Emmaiis de Frère André, dominicain, du 
couvent de Saint-Jacques et élève de Lebrun. 

Le Jésus au Jardin des Oliviers, de Destouches. Le 
Sacrifice de Melchisedeky et la Manne au Désert, de 
Coypel. Le Martyr de Sainte-Juliette et de Saint-Cyr, 

(1) Décidément à quelles a?entares désagréables sont soumis les restes de nos 
grands hommes. 

i6 



249 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

ainsi que la Mort de Saint François de Sales, de Dura- 
meaUytrois œuvres qui proviennent de la Chapelle de Saint-Cyr. 

La Vierge et V Enfant Jésus, de Debay, 

Un Ecce homo, de Cortot. 

La Vierge et V Enfant Jésus, statue-marbre, de Seurre. 

Tout récemment, c'est-à-dire en 1903, M. l'abbé Guéneau 
faisait inaugurer en son église une statue de Saint-Nicolas 
avec une gloire à La Bernin, belle et grande terre cuite, de 
la maison Moreau-Laugier, et exécutée par Boutron. 

C'est dire, pour être complet, que le pasteur de cette 
paroisse depuis dix-huit ans, fait tout pour restaurer avec 
bon goût son église. 

Il a du reste trouvé, en son vicaire, M. l'abbé Jules 
Delaunay, un prêtre artiste dans Tàme, qui a su prendre la 
direction de cet embellissement heureux. 

Je dois avouer, n'aimantpas à me parer de plumes d'autrai, 
que ces notes sont dues à l'obligeant et aimable artiste 
qu'est M. l'abbé Delaunay. Nul mieux que lui ne pouvait 
satisfaire ma curiosité, puisque, depuis, de longues années, 
il compile avec une science dévotieuse tous les documents 
qui se rapportent à son église. Grâce à cette documentation, 
riche en curiosité historique, on pourra, peut-être un jour, 
faire parler bien des ossements muets qui attendent le 
jugement dernier de l'Histoire. 

Je suis convaincu qu'il y mettra toute l'activité dont il est 
capable, cela le consolera un peu d'avoir abandonné sa 
palette, puisque son amour du bien et du beau a été assez 
puissant pour l'enrôler au service des autels. 

Mais aux heures de loisir, son âme s'exhale encore en des 
toiles qui charment. Le peintre fait honneur à la Société des 
Aî'tistes français, dont il est membre, on sent que l'artiste 
a l'exécution hardie et puissante, et une science profonde, 
qui dénote des audaces continues, savantes et raisonnées. 



APPENDICE 



B$PU0 d'Hiêtoire Littéraire de la Frann$ 
(5« année vfi 3) 

15 Juillet 1898 

Les Mémoires raisonnes de Lefèvre de Bouvray f^' 3o3-4o4... 
L*honnéte Lemierre mettait an point les discours de Séçnier ; 
et Tayocat Gervaise qni s'était rendu tristement célèbre par son 
Portier des Chartreux, écrÎTaît pour le président d'Aligre. 

Enfin la rumeur publique attribuait à Poisson de la Gabouère^ 
un administrateur des hôpitaux, âgé de soixante-seize ans, la 
plupart des mémoires signés par son ami, le philanthrope 
Ghamousset. Une figure bien attachante que celle de ce 
Chamousset, intrépide bienfaiteur de l'humanité, à qui les 
Parisiens devaient déjà le service de la petite poste et des 
premiers secours aux noyés ! Il était mort au champ d'honneur 
en essayant sur lui un de ces nombreux médicaments qu'il 
distribuait gratuitement aux pauvres. 

Paul D'Esniix» 



P. H. Lkbas. -^ Dictionnaire Encyclopédique de la France 
(Tome IV). Paris, i84i, 8» L* lo. 

F^ 439- -^ Ghamousset (Glaude-Humbert Piarron de), maître 
cwdinaire de la Ghamhre des comptes de Paris, né daiis eette 



244 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

ville en 171 7, mort le 27 avril 1778, consacra, pendant sa vie 
entière, tous les moyens que sa position sociale et sa fortune 
privée mettaient à sa disposition, pour améliorer le sort des 
ouvners et soulager les inQrmes, les malades et les pauvres. Né 
dans une classe distinguée, il manifesta dès son enfance les 
dispositions qui devaient en faire un jour Tun des philan- 
thropes les plus actifs et les plus dévoués qui aient jamais 
existé. 

Aussitôt qu'il fut maître de sa fortune, il transforma sa 
maison en un hôpital, où étaient accueillis et comblés de soins 
les malades de tout âge et de tout sexe appartenant à la classe 
indigente. Là, ces malades recevaient gratuitement les secours 
de la médecine, et à leur sortie, il leur était alloué une somme 
qui les indemnisait du temps que leur maladie leur avait fait 
perdre. 

L'entassement dans les hôpitaux publics, de malades couchés 
plusieurs dans le même lit, où ils s'efTrayaienl mutuellement 
par le spectacle de leurs plaies, de leur délire et de leur agonie, 
révolta son âme charitable, et il résolut d'oifrir un exemple qui 
amenât Tadministration publique à mettre fin à de tels abus. 

Il loua à la barrière de Sèvres, une maison commode, et il 
en fit un hôpital modèle, où chaque malade eût son lit séparé, 
et où les bons soins, accompagnés de la propreté, eurent pour 
résultat un grand nombre de guérisons. Il eut la satisfaction de 
voir son enseignement produire des fruits, et Tadministration 
introduire dans les hôpitaux publics le régime auquel il avait 
soumis sa maison de santé. 

Chamousset eut la première idée de ces associations de 
Secours mutuels si nombreuses aujourd'hui, parmi les classes 
ouvrières, associations où chaque souscripteur, moyennant une 
cotisation hebdomadaire de peu d'importance, s'assure, en cas 
de maladie, les secours de la science, une indemnité en nature 
ou en argent, et des funérailles modestes mais décentes en cas 
de décès. 

Nommé intendant général des hôpitaux militaires, Chamous- 
set, malgré les devoirs que lui imposa cet emploi, ne disconti- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 245 

nna point ses observations sur les différentes parties de Téco- 
nomie publique, et il est peu d'établissements créés depuis qu'il 
n'ait indiqués ou dont il n'ait sollicité la fondation avec ardeur. 
Jl proposa l'institution d'une maison de prêt offrant tous les 
avantages des Lombards et des monts-de-piété sans en avoir les 
inconvénients. C'est sur ses instances et d'après ses plans, 
que fut créée la Petite Poste de Paris ; et on lui doit la première 
idée d'assurance contre l'incendie. 

Il publia en outre un grand nombre de mémoires remplis de 
vues utiles sur les hôpitaux militaires, les enfants abandonnés, 
l'extinction de la mendicité, la police des ouvriers et domesti- 
ques, le commerce des grains, etc., etc. 



Opinion de Grinun 



Piarron de Gbamousset fut par excellence au xviii" siècle le 
type du philanthrope (i). On se moqua de lui, on railla ses pro 
jets et son obstination à ne pas se décourager. En réalité, il 
semble que ce fut un grand homme de bien etGrimm lui-même, 
qui fut souvent peu respectueux à son égard, parie avec quelque 
émotion de sa mort. 

De tous les établissements qu'il préconisa, le seul intéressant 
pour nous est sa maison d'Association : d'ailleurs, presque tous 
ses projets l'avaient pour fin dernière. Il s'occupa activement 
de la réaliser et en fit à ses frais un essai en petit. 

Grimm écrivait de lui : « Il y a plusieurs genres de folie. Le 
sien est d'être citoyen ». (Correspondance, t. III, p. 4ii). 

« Le 27 avril, dit-il, nous a enlevé presque subitement 
M. Claude-Humbert Piarron de Chamousset, ci-devant conseil- 
ler du roi, maître ordinaire en sa Chambre des Comptes, citoyen 

(1). 11 est cité partout en cette qualité : Voltaire, œuvres, t. XVIII, p. 136 
Mémoires de Lnynes, t. XV, p. 58 ; Nougaret. Les historiettes du Jour, Loodres, 1787 
iii-1'2, t. I, p. 267, sq , etc. 



246 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Tertueux et célèbre par son amour pour le bien publie. Per- 
sonne n*en a parlé, ni ne pense à le regretter. O I Athénien ! 
nn citoyen zélé et vertueux et cependant bien aussi rare qu un 
acteur... La mémoire de celui-ci doit se conserver dans toute 
Ame honnête et sensible au bonheur de l'humanité ». (Corres- 
pondance, t. X, p. 269 sq.). Il poussa Tamour du bien public 
jusqu'à compromettre sa fortune, et peut-être plus encore, s'il 
est vrai, comme le dit Grimm, qu'il mourut en faisant sur lui- 
même l'essai de médicaments qu'il préparait pour les pauvres. 



Eloge de Piarron de Chamousdet, 
par d'AIbon. 



Claude-Humbert-Piarron de Chamousset, chevalier, ci- 
devant paître ordinaire de la Chambre des Comptes de Paris, 
né dans cette capitale en 1717, d*une famille distinguée dans 
Tépée et dans la magistrature (i), est mort le 37 avril 1773. 

Dans les monuments que la flatterie consacre à la célébrité, 
rien n'est plus commun aujourd'hui que Téloge de la bienfai- 
sance ; mais si Ton demande au Panégyriste les titres sur les- 
quels il a fondé ses louanges, il se hâte de tirer le voile sur 
l'idole, et de prêter à la curiosité d*un auteur philosophe, les 
motifs injustes de Tenvieux. Nous ne craignons pas d*être 
démentis, en assurant que personne n*a porté plus loin que 
M. de Chamousset Famour de l'humanité, le zèle du bien public, 
la sensibilité pour les malheurs d autrui, et le désir de préve- 
nir et de soulager l'infortune. Il n'a vécu que pour ses sembla- 
bles ; de cinquante-six ans qui ont rempli l'intervalle de sa vie 
à sa mort, pluside quarante ont été employés à la combinaison 
des projets les plus utiles ; à en démontrer les avantages ; à 
repousser les contradictions toujours renaissantes du préjugé 
que l'habitude rend insensible aux maux invétérés qui refuse 
de croire au bien qu'on lui propose, parce que l'idée de réforme 
qui suppose l'erreur l'humilie . 

M. de Chamousset a sacrifié, au seul désir d'être utile aux 
hommes, un patrimoine de plus de cinq cents mille livres ; et 
loin de se plaindre de la perte de sa fortune, il regardait cette 
perte comme le plus digne prix de sa générosité. 

Quand l'envie ou l'ignorance empêchait le succès de ses pro- 

(1) Il était fils de Mcssire Martial Piarron de Chamoasset, conseiller au Parlement 
de Paris, et de Dame Claude de Berthelot de Belloy. 

(Bibliothèque Nationale. Dép. des Imprimés Le Nécrologe. Paris, 1774-1775, 8* 
Lne 19. Aibon (Claude-Camille- François d'). 



248 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

jets, il n'en était affligé que pour les infortunés qui en étaient 
l'objet. La vanité confondue se décourage aisément : un échec 
n'était pour M. 4e Ghamousset qu'un motif de plus» de tenter 
de nouveaux efforts ; et comme ce géant dont parle la fable, sa 
force semblait se ranimer par ses chutes . Aussi quelques per- 
sonnes moins frappées de sa générosité, qu'étonnées de sa con- 
fiance, lui ont-elles fait un reproche de la multiplicité de ses 
vues, de son empressement pour le succès et de la fécondité de 
son imagination, comme si le zèle du bien public pouvait avoir 
les mêmes bornes que les motifs intéressés de la plupart des 
hommes. Dans les uns, la bienfaisance est un devoir ; dans 
les autres, c^est un doux penchant de Tâme ; dans plusieurs, ce 
n'est qu'ostentation ; dans M . de Ghamousset, c'était une pas- 
sion à laquelle il ne lui eût pas été possible de résister. Tout 
ce que sa fortune pouvait lui permettre, il le tentait. Il avait 
fait de sa maison un hôpital, où tous les jours une centaine de 
malades de tout sexe et de tout âge, recevaient non seulement 
tous les secours qu'ils auraient pu espérer des hôpitaux les 
plus riches et les mieux administrés, mais encore une indem- 
nité du produit des travaux, auxquels leurs maladies les empê- 
chait de vaquer. On a vu dans les temps fâcheux, le nombre 
de ces malades, aller jusqu'à deux cents. Il était leur chirurgien 
et leur médecin . Ges deux professions lui étaient également 
familière, soit pour la théorie, soit pour la pratique. Dans la 
première, il opérait avec une prudence et une légèreté qui 
étonnaient les maîtres de l'art : il l'emportait sur les plus habi- 
les phlébotomistes ; et quoiqu'il eût avec lui plusieurs chirur- 
giens, il n'y avait que lui qui soignait ses malades. Il avait 
acquis les connaissances les plus rares dans toutes les parties 
de la médecine. Il entretenait chez lui une apothicairerie au 
sujet des pauvres. 
Deux chimistes célèbres (i) étaient à la tête de sa pharmacie 

(1) Un de ces chimistes était M. Grignon, maître des Torges de Saint Dizier et 
correspondant de l'Académie royale des sciences de Paris, et de l'Académie royale des 
inscriptions et belles-lettres. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 249 

et de son laboratoire ; et quoique né dans Topulence, la déli- 
catesse de sa table était la moindre occupation de ses cuisi- 
niers ; le bouillon des pauvres passait avant tout. 

Les soins multipliés de cet hôpital, ne rempêchaient point 
d'aller secourir la pauvreté souffrante dans ses obscures 
retraites : la malpropreté, la misère de ces réduits, rien ne le 
rebutait. Il s'en retournait plus satisfait d'une bienfaisance 
ignorée qu un conquérant ne Test de Téclat de ses triomphes . 

Pour se faire une idée de Tâme de M. de Chamousset, il faut 
Tétudier dans les diflérents mémoires qu'il a publiés au sujet 
deses projets. On voit un esprit attentif à prévenir les plus 
légers abus, à tirer parti des plus petites circonstances en 
faveur des pauvres ; à prévoir tout ce qui peut être avantageux 
on contraire à son objet. 

Je parcourrai rapidement ces mémoires. Heureux si je pou- 
vais faire passer dans cette récapitulation la chaleur du zèle 
qui inspirait leur auteur ! 

Je ne suivrai point Tordre chronologique des projets de 
M. de Chamousset ; car quoique tous soient liés par un rap- 
port général, il yenja dont les rapports sont plus ou moins 
immédiats. L'humanité dans Tétat de maladie a toujours été 
l'objet principal de ses sollicitudes. Le tableau des pauvres 
malades entassés dans les hôpitaux, et couchés plusieurs 
ensemble dans le même lit, respirant un air infecte ; faisant, 
par leur haleine, dans ces lieux resserrés, de mille maux diffé- 
rents, une épidémie générale qui rend incurable chaque mala- 
die particulière ; s'eflVayant mutuellement par les cris de la 
douleur, par le délire, par le spectacle de leurs plaies, de leur 
agonie et de leur mort ; car souvent toutes ces choses se voient 
dans un même lit qui suffirait à peine pour deux malades : ce 
tableau, dis-je, qu'il retrace dans plusieurs endroits de ses 
mémoires, était toujours présent à son cœur. Il regardait cet 
entassement comme une des principales causes de la mortalité 
des pauvres malades, dç la lenteur des convalescences et de 
mille maux que l'épidémie rend communs, non seulement aux 
malades, mais encore à ceux qui les servent, ou qui fréquen- 



250 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

tent ces asiles redoutables. Il ne se contentera pas de Técrire ; 
de le prouver par les raisonnements les pins solides ; par les 
états comparés des morts de THôtel-Dieu, de ceux de la charité 
et de ceux de Ti^ôpital de Versailles (i). 

Il voulut faire voir par Texpérience que le bon air et les 
soins contribuaient plus que les remèdes au rétablissement de 
la santé. Il loua à la barrière de Sèvres, une maison propre et 
commode : il en Ût le modèle, auquel il désirait que tous les 
hôpitaux se conTormassent : il la remplit de pauvres malades 
qu*il fit traitefr à ses dépens, et qui, à la faveur des soins qu*il 
leur donnait et du bon air qu'ils respiraient, recouvrèrent la 
santé en peu de temps. Il n'en perdit presque point : cepen- 
dant il n*avait point choisi ses malades ; c'étaient les mêmes 
qu'on reçoit à l'Hôtel-Dieu. Il concluait de ces expériences et 
de l'avis des plus célèbres médecins, que si les malades étaient 
suflisamment séparés et en bon air, on en guérirait plus, quand 
même on ne leur ferait point de remèdes, qu'il n'est possible 
d'en guérir à l'Hôtel-Dieu avec tous les secours de l'art, sou- 
vent infructueux par l'entassement des malades, et quelque- 
fois Ainestes par les méprises où cette confusion expose les 
ministres subalternes de cet art qui demande une attention si 
scrupuleuse. 

La maison de Sèvres, que la fortune de M. de Chamousset ne 
lui permit pas de soutenir aussi longtemps qu'il l'aurait désiré, 
était destiné à servir de preuves aux principe^ qu'il avait éta- 
blis dans le plan de réformes de l'Hôtel-Dieu de Paris qu'il 
avait publié. Quoique les détails en soient particuliers à cet 
hôpital, le mémoire qu^il donna à ce sujet renferme cependant 
une idée principale, qui peut avoir lieu pour tous les hôpitaux du 
royaume; elle consiste à séparer les soins de l'administration de 



(1) 11 résulte de ces états lefés avec la plas grande exactitude, qae tandis qo*il ne 
menrt à l'iiôpilil des Fëres de la Cbarité, où les malades sont séparés et en bon air, 
qu'un huitième des malades, et qu'il n'y a presque point de rechutes, qu'un neuT'ëme 
à l'hôpital de Versailles : il en meurt un quart à l'Hôtel Dieu et que les rechutes y 
sont communes et souvent mortelles. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 351 

ceux du traitement et des secours des malades. M. de Chamous- 
set propose de laisser à Tadministration» la gestion des biens, 
l'inspection générale de tout ce qui pourra se faire dans la maison, 
la police, le bon ordre, les intérêts des pauTresetde confier tout 
ce qui regarde le traitement, la nourriture, le service des 
malades, à une Compagnie à laquelle elle passera une somme 
cenvenue pour chacun des malades guéris, et rien pour ceux 
qui mourront. Cette Compagnie ou ces Compagnies d'assu- 
rances, car il eût fallu en établir plusieurs, donna lieu à un 
mémoire dont j'aurai occasion de parler encore. Celle qu'il 
proposait à l'administration, aurait été composée d'un certain 
nombre.de citoyens choisis, qui, obligés de recevoir tous les 
malades que l'administration aurait jugé à propos de recevoir, 
n aurait pu exiger pour chaque malade guéri que la même 
somme que cette même administration dépense aujourd'hui 
pour chaque malade, soit qu'il meure, soit qu'il guérisse : ainsi 
l'Hôtel-Dieu profitait de tous les morts. Pour ôter toute res- 
source à la cupidité, M . de Chamoussst exigeait encore, que si 
le malade faisait une rechute pendant les huit premiers jours 
après sa sortie, quelle qu'en fut la cause, elle serait aux frais 
de la Compagnie. Elle aurait établi ses malades dans certaines 
maisons que M. de Chamousset indique, situées en bon air. 
telles que Saint-Louis et quelques autres. Dans ces maisons, 
les malades auraient été distribués dans différentes salles, 
selon le genre particulier des maladies, et couchés séparément, 
ou tout au plus dans les cas de nécessité^ deux à deux : ainsi, 
l'on n'eût point eu à craindre les inconvénients qui résultent 
de l'entassement des malades, et le nombre des domestiques 
eût été considérablement diminué . 

M. de Chamousset démontrait par un calcul évident, que 
THôtel-Dieu, la Compagnie et l'État gagnaient considérable- 
ment par ce plan. Cette Compagnie ne se serait point à la 
vérité, chargée des malades incurables ; mais'on verra dans le 
projet de la maison d'association, que M. de Chamousset avait 
prévu ce cas. - 

Dans son mémoire sur les revenus de Thôpital Saint-Jacques, 



252 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

dont M. l'archevêque de Paris voulait convertir la destination 
en fondations ecclésiastiques, M. de Chamousset prend en 
main la cause de Thospitalisé : il indique les moyens d'aug- 
menter ces revemus, qui ne vont aujourd'hui qu'à vingt-cinq 
mille livres, et de les rendre plus utiles en les appliquant à la 
Maison d'Association, seulement comme fonds d'avance, et 
après le remboursement* enétablissant en faveur des pauvres 
artisans associés, des places pour les caduques et les incu- 
rables. 

Cette Maison d'association est de tous les projets de M. Cha- 
mousset, celui qui a paru Taffecter le plus longtemps et le plus 
vivement ; la religion, Thumanité, la politique, l'intérêt 
général et particulier, la plus saine philosophie, tout sem- 
blait devoir concourir au succès de cet établissement. Le 
projet en fut reçu avec un espèce d'enthousiasme : il n'y eut 
personne qui n'en vit tous les avantages : cependant on s'en 
est tenu jusqu'à présent à une admiration stérile; et nous 
sommes assez peu jaloux de notre gloire, pour abandonner à la 
postérité ou peut-être à nos voisins, l'exécution du plus beau 
plan que la bienfaisance ait pu imaginer en faveur de l'huma- 
niié. M. de Chamousset, en le formant, n'avait pas seulement 
en vue les pauvres malades, mais les malades de toutes les 
conditions et de tous les états, et surtout cette foule d'étrangers, 
de célibataires, de gens de lettre?, de militaires, de plaideurs, 
d'artistes, d'artisans, de domestiques, et en un mot, de gens 
isolés, qui, dans leurs maladies, périssent souvent faute de 
secours, ou qui se trouvent livrés à des inconnus ou à des 
mercenaires : cette quantité plus grande encore de personnes, 
qui, ne vivant que du jour, la journée, et n'ayant que de 
minces facultés, ne se procurent d'abord que des secours 
insuffisants, combattent contre la honte de se faire porter à 
l'Hôtel-Dieu, languissent et meurent, ou, s'ils peuvent enfin 
vaincre leur répugnance, y recourent lorsque leurs maux sont 
désespérés. 

La Maison d'Association, qui n'avait rien de commun avec 
les hôpitaux , était telle, que les plus riches auraient été reçus 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 253 

d*une manière qui n'eût laissé rien à désirer à leur délicatesse ; 
que néanmoins le traitement dans la maladie aurait été le 
même pour les moins aisés comme pour les plus riches (i) que 
la mise eut eu été proportionnée aux facultés de chacun, sans 
qu'il y eut de différence dans le produit ou secours de toute 
espèce ; enfin, que la décence n'eût pu faire rougir personne des 
grands avantages qu'on eût trouvés dans cet établissement. 

Un des plus grands avantages qui résultait de cette associa- 
tion, c'est qu'elle offrait la ressource la plus douce à cette classe 
de citoyens la plus utile et la moins ménagée, les artisans et les 
laboureurs. La plus grande partie, est, sans doute hors d'état 
de payer le contingent de TAssociation ; mais les âmes géné- 
reuses qui épuisent leur fortune pour ces mêmes personnes 
lorsqu'elles sont malades, ou que de légères infirmités les 
mettent au nombre des mendiants, auraient beaucoup gagné, 
ou du moins, auraient pu étendre leurs largesses, sur un plus 
grand nombre, en payant pour eux leur mois d'association. 
Ce secours eût rendu leurs maladies moins longues, et eût ras- 
suré ces infof*tunés sur deux maux qu'ils redoutent moins pour 
eux-mêmes, que pour une famille, que la cessation du travail 
réduit au désespoir. 

M. de Chamousset travailla longtemps à perfectionner son 
projet : à mesure qu'on le critiquait, si la critique était juste, il 
réformait ; si elle n'était que spéciale, il répondait ; si elle était 
fausse ou injuste, il la méprisait. Il fit plusieurs additions à 
son plan ; pour engager les citoyens à y souscrire, il leur offrit 
les amorces d'une loterie, dont les lots pris sur les profits, 
pussent déterminer, par l'espoir du gain, ceux qui ne voyant 
la maladie que dans l'éloignement, trouveraient onéreuse une 
contribution modique à la vérité, mais toujours trop forte pour 
celui qui la croit inutile. 



(1 ) Le projet était de construire en bon air un bâtiment spacieux divisé en loge- 
ments propres et commodes, composé de plusieurs corps de logis entièrement sépa- 
rés et distribués selon les conditions ou classes différentes des associés : oo y eût 
installé une pharmacie complète, gouvernée par les hommes les plus intelligents. 



' 354 UN PHILANTHBOPK MÉCONNU 

Le projet de la maison d'association, fut accueilli par le 
Ministère, souscrit par quelques-uns de ses membres, approu* 
Té par les Grands, et généralement applaudi par cette portion 
du public, destinée à éclairer l'autre ;. mais, malgré les rœux 
de la nation, et les efforts de Fauteur, Fexécution en demeura 
suspendue. M. de Chamousset le présenta sous une nouvelle 
forme, et développa encore mieux ses idées, dans un écrit qu'il 
publia sous le titre de Mémoire sur l* établissement de Compa- 
gnies qui assureront en maladie^ les secours les plus abondants et 
les plus efficaces, à ceux qui^ en santés leur paieront une très 
petite somme par an^ ou même par mois. 

Les Compagnies d'assurance pour les vaisseaux, n'intéres- 
sent que les commerçants ; celles qui assurent les maisons ne 
sont avantageuses qu'aux propriétaires; les Compagnies que 
proposait M. de Chamousset, intéressaient plus particulière- 
ment tous les citoyens : il en coûtait peu à chacun pour s'assu- 
rer un bien inappréciable ; et ce plan produisait à ces compa* 
gnies, un profit immense, qui les eût intéressés à prodiguer les 
secours, parce que, mieux on serait traité dans les établisse- 
ments qu'elles feraient, plus elles guériraient de malades, plus 
elles auraient d'abonnés. 

M. de Chamousset consulta sur ce nousreau Mémoire, la 
Faculté de Médecine, les Six Corps de Marchands, les Magis- 
trats, les Citoyens les plus éclairés ; tous lui donnèrent des 
applaudissements ; tous lui témoignèrent le plus grand désir 
que ce plan s'exécutât ; tous convenaient que sa maison d'asso- 
ciation, celle qu il avait proposée en 1^54, ou telle qu il la pro- 
posait sous le nouveau titre de Compagnies d'Assurance, 
déchargeait considérablement les hôpitaux, en ouvrant une 
ressource honorable à ceux qui ne voient point de milieu entre 
le gratuit humiliant d'un hôpital, et les pensédes excessives 
que des maladies et les plus simples opérations entraînent chez 
les particuliers. Mais, malgré une infinité d'autres avantages, 
soit pour la perfection de la médecine, de la chirurgie et de la 
pharmacie, soit pour la réforme et le plus grand bien possible 
de tous les établissements charitables, ce nouveau projet ne 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 255 

réussit pas mieux que le premier ; tant nous sommes aveugles 
sur nos véritables intérêts, lorsqu'il faut sacrifier le moindre 
bien présent à un bien à venir, dont la certitude n'est pas por- 
tée au dernier degré de l'évidence. ^ 

Quelque occupé que fut M. de Ghamousset, de sa maison 
d'association, il ne se bornait pas à ce seul moyen d*être utile 
à rhumanité, Dans un Mémoire sur les Hôpitaux Militaires, il 
exposa les moyens les plus simples, de leur assurer des secours 
plus abondants et moins onéreux, d'abréger la comptabilité, de 
la rendre claire, facile, et de la mettre à couvert de toute 
fraude : il y entra un détail circonstancié de toute Téconomie 
qu'on peut pratiquer dans les petits hôpitaux, et des avantages 
que Ton doit retirer de la réunion des secours dans les grands. 
D'un côté, il assurait au soldat malade ou blessé, le meilleur 
traitement, les médicaments les plus sûrs, et la nourriture la 
plus saine ; de Taulre, il promettait au Souverain, la moindre 
dépense possible. Ses vues frappèrent le Ministre de la Guerre, 
mais, M. de Ghamousset, content de faire voir les abus, et de 
proposer les moyens d'y remédier, était trop modeste et trop 
désintéressé, pour solliciter la commission dangereuse de faire 
des réformes ; non qu'il ne se sentit la force et le courage de les 
faire ; mais il savait que la probité seule, soutenue de l'autorité 
peut bien combattre l'avarice, la fraude et la cupidité, lesquels 
les se présentent de front ; mais que le zèle le plus pur et le 
plus ardent échoue contre le vice qui se cache, et contre les 
intrigues qull ne peut soupçonner. Après avoir déposé son 
Mémoire, il se reposa du succès sur la prévoyance du Minis- 
tère, et s'attacha à une autre réforme, non moins importante. 

U déplora la perte d'un nombre iniini d'enfants, victimes de 
Tavarice et du peu de soins des nourrices mercenaires auxquel- 
les on les confiait. Gomment serait-il possible, disait-il, qu'une 
mère assez barbare pour donner son fils à une étrangère, dans 
l'espérance de se procurer un nourrisson de la ville, qui lui 
fasse gagner quelques sols au-dessus des mois qu'elle doit 
payer pour son propre fils, fût susceptible de quelque sensibi- 
lité ? Voilà donc deux enfants qui courent les plus grands dan- 



256 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

gers. D'un côté, comment cet ouvrier, ce laboureur, cet arti- 
san, qui gagne à peine de quoi vivre, sera-t-il en état de payer 
des mois de nourrice, si sa femme ne peut pas nourrir elle- 
même I II y a si peu de mères qui nourrissent leurs enfants ! 
Elles prétextent tant de raisons pour se dispenser de ce 
devoir ! Les enfants trouvés qui peuvent être d'une si grande 
ressouroe à TÉtat, sont confiés à de» nourrices qui ne s'en 
chargent à vil prix, que parce qu'elles se proposent d'en avoir 
peu de soin. 

M. de Ghamousset cherche les moyens de suppléer aux nour- 
rices ; il proposa, à l'exemple des peuples du Nord, de substi- 
tuer à leur lait, le lait des animaux : et publia ses vues sous le 
titre de : Mémoire politique sur les enfants, dans lequel il donna 
ses idées sur la destination des enfants exposés ou abandonnés, 
et indiqua le moyen de le rendre utile à TEtat. 

M. de Ghamousset avait à lutter contre de vieux préjugés et 
contre nos usages ; il eut encore recours à l'expérience pour f^a. 
combattre : il obtint du Gouvernement, la permission de faire 
ses essais de la nourriture des enfants, par le lait des animaux, 
sous les yeux même des habitants de la Gapitale. Il avait 
découvert, en Bourgogne, une paysanne qui élevait, suivant 
cette méthode, les enfants de son canton qui dépérissaient 
entre les mains de leurs mères et de leurs nourrices : en peu de 
mois, elle les rétablissait; elle n'en perdait presque point, quoi 
qu'ils fussent débiles et mourants quand on les lui portait. Il 
fit venir cette femme, pour la mettre à la tête de son établisse- 
ment. Il loua une ferme à Grenelle. Il y reçut un certain nom- 
bre d'enfants que leurs mères ne pouvaient nourrir, et dont les 
pères n'étaient point en état de payer les mois de nourrice. 
Ges enfants prospéraient: tout réussissait au gré des vœux de 
M. de Ghamousset, malgré les intrigues de l'envie : non seule- 
ment il prodiguait à ces enfants, les soins les plus attentifs, 
mais les parents qui venaient souvent les voir, ne s'en retour- 
naient jamais sans avoir éprouvé sa bienfaisance. 

Mais tandis qu'il se livrait à sa sollicitude, le ministre de la 
guerre, pénétré de la sagesse des vues que renfeimait le 



UN PHILANTHROPE MECONNU 257 

mémoire sur les hôpitaux militaires, enleva M. de Ghamousset 
à cette famille adoptive, et l'envoya dans nos armées, en Alle- 
magne, avec le titre d'Intendant général des hôpitaux séden- 
taires des armées du roi, pour y faire les réformes dont il avait 
donné Tidée. Il prit avec lui deux hommes déjà très connus par 
leur savoir, en qui il avait la plus grande confiance, et dont il 
crut que les secours lui étaient absolument nécessaires. L'un 
était M. Grand-Glas, docteur en médecine; l'autre était M. Cadet, 
apothicaire de TAcadémie Royale des Sciences (i). 

Le premier, avec le titre confirmé par le ministre, de premier 
médecin et inspecteur des hôpitaux sédentaires ; le second, avec 
le titre d'apothicaire, major et inspecteur des pharmacies de 
ces hôpitaux. M. de Ghamousset y exerça un changement si 
prompt et si avantageux, que les soldats malades et blessés se 
demandaient quel était cet homme extraordinaire, que le ciel 
envoyait à leur secours ; les officiers regardaient son adminis- 
tt^âtîon comme un enchaînement de prodiges. Il se hâta trop. 



(1 ) M. Cadet, apothicaire, rua de nos plas habiles chimistes, commeoça ses pre- 
miers exercices de pharmacie dans l'établissement que M. de Ghamousset avait formé 
chez lui, en 1744, pour les pauvres malades. M. de Saint -Laurent, ancien trésorier 
général des Colonies, que son âme compatissante pour les malheurs de l'humanité, 
avait lié d'amitié et de zèle avec M. de Ghamousset, s'était déclaré le père et le sou- 
tien de treize enTants, la plupart en très bas âge, dont la mort de M. Cadet, maître en 
chirurgie, laissait sa veuve chargée, sans bien et sans appui. Ces orphelins répondi- 
rent à ses soins par leur application et par leur honnêteté. Ils n'ont manqué aucune 
occasion de lui faire hommage de leur succès dans les difiérents états qu'ils remplis- 
sent avec honneur, et qu'ils tiennent de lui. ^. de Saint-Laurent fît connaître M. Cadet, 
dont il est ici question à M. de Ghamousset, qui partagaa les soins et la tendresse de 
cet homme généreux en faveur de son pupille. Il l'attacha à sa pharmacie et à son 
laboratoire : le jeune chimiste y puisa les éléments de sa profession : et au bout de 
trois ans, MM. GeotTroy, père et fils, le trouvèrent en état d'être à la tête de leur labo- 
ratoire. Lorsqu'en 1761, M. de Ghamousset fut nommé intendant général des hôpitaux 
sédentaires des armées, il demanda qu'on lui donnât pour inspecteur des pharmacies. 
M. Cadet, son ancien élève, qu'il regardait alors comme un des chimistes le plus capa- 
ble de seconder ses vues de réforme. Ce fut trois ou quatre ans après cette commission, 
que rAcadémié Royale des Sciences de Paris s'associa M. Cadet en 1761. 

13 



358 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

sans doute de faire le bien : il ne garda pas assez de mënage- 
ments pour ceux qui étaient intéressés à faire le mal : il vit des 
abus criants et funestes ; et il courut au remède. Il ne songeait 
point que si les méchants sont obligés de cacher leurs moyens, 
les honnêtes gens ne parviennent à leur but qu'en usant 
d'adresse et de précaution. Les abus avaient des partisans inté- 
ressés ; les déprédations, des protecteurs aveuglés ; les usages 
établis, des défenseurs fanatiques ; les uns intriguèrent, les 
autres crièrent à la nouveauté ; et tous ensemble fomentèrent 
un feu secret, dont l'explosion devait renverser l'édifice que 
M. de Cliamousset élevait : il vit l'orage, dédaigna de le 
conjurer, et n'en montra que plus de sévérité contre les abus. 
En se prêtant aux vues intéressées de ses ennemis, il n'eût 
tenu qu'à lui d'en faire des complices ; il aima mieux être leur 
victime ; ils parvinrent à faire abréger le temps d'une admi- 
nistration qu'ils étaient au désespoir de n avoir pu rendre 
suspecte. 

Pendant son absence, l'envie et le préjugé se déclarèrent 
ouvertement contre la nourriture des enfants par le lait des 
animaux. On effraya les mères ; on supposa des effets perni- 
cieux ; on imagina des faits ; on les cita ; la méchanceté, par des 
complots obscurs, donna lieu à des accidents que M. de Gha- 
mousset n'eût jamais pu prévoir ; enfin, Tenvie trouva des 
défenseurs dans ceux même, qui par état et devoir, auraient dû 
faire cause commune avec lui pour la combattre. Ses essais 
n'ont produit qu'une espérance que la postérité réalisera sans' 
doute. 

Les besoins que le luxe multiplie ; Tusure criante qui s'exerce 
à Paris ; les maux qu'elle entraîne ; l'espèce de tolérance dont 
on est forcé de la laisser jouir ; font désirer depuis longtemps 
l'établissement d'un Mont-de-Piété ou d*un Lombard. Il serait 
difficile d'assigner la véritable cause qui empêche que ces éta- 
blissements n'aient lieu en France. M. de Chamousset qui en 
sentait la nécessité, et qui en prévoyait les avantages, voulut 
encore procurer cette ressource à ses concitoyens ; mais il crut 
que la modicité de la rétribution que les Monts-de-Piété prélè- 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 259 

rent sur les effets que les particuliers y portent en gage, leur 
4onnait un air d'aumône, qui écarterait de ces dépôts pieux, un 
peuple fier et délicat : il pensa aussi que les intérêts que prélë- 
Teut les Lombards, étant à un taux que les lois du royaume 
proscrivent, quoiqu'il ne soit pas à comparer à celui où Tusuré 
le porte, le gouvernement ne les permettrait jamais. M. de 
Chamousset imagina, sous le titre de Magasin général ou Dépôt 
public, un établissement où la foule retenue des dépenses et, 
frais de magasin, sans autre intérêt, donnerait de plus grands 
avantages et des secours plus abondants, que les Lombards et 
les Monts-de-Piété, sans en avoir les inconvénients. Les Monts- 
de-Piété et les Lombards n'offrent des ressources qu'aux néces- 
siteux : le Dépôt Public inviterait indistinctement tous les états : 
le citoyen le plus riche n'aurait pas eu plus à rougir d'y avoir 
recours, que le plus pauvre ; l'homme de naissance que le rotu- 
rier. 

Le Dépôt Public, ou Magasin général n'aurait point prêté 
d'argent, mais seulement son nom et son crédit. Il aurait donné 
«on papier payable dans des temps convenus avec l'emprunteur, 
pour la somme dont celui-ci aurait pu répondre ; mais toujours 
inférieur à la valeur de l'objet déposé dans les magasins 
de l'établissement, jusqu'à ce que le montant du billet du Dépôt 
public fût rentré, soit par la restitution volontaire de l'emprun- 
teur, soit par une vente judiciaire. Dans le premier cas, 
il n'aurait payé qu'un faible droit de six deniers par livre, pour 
tout article de mille livres, et au-dessous, et pour ceux 
qui auraient été d'une plus grande valeur à quelque somme 
qu'ils eussent pu monter, on n'aurait payé que trois sols pour 
livre. Ce modique intérêt eût été pour le loyer des emplacements 
des magasins, frais de bureaux, appointements des commis, et 
généralement pour toutes les dépenses qu^exige une si grande 
entreprise. Dans le cas de la vente judiciaire, au lieu 
de trois sols et six deniers pour livre, on eût prélevé sur le pro- 
duit de la vente, le sol pour livre de la somme prêtée, pour les 
frais d'affiche, de justice, etc. Le surplus de la vente eût été 
rendu au propriétaire. 



260 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Au moyen de ces billets qui, n'étant que de la moitié de la 
valeur intrinsèque déposée, auraient représenté une valeur 
double, qui aurait servi de nantissement au prêteur et au Dépôt, 
M. de Chamousset donnait une activité de circulation à 
un nombre infini d'effets qui ne produisent rien, entre les mains 
du possesseur. Il eût fait durer le mouvement de certaines 
matières de commerce, qui le perdent par les circonstances: tels 
sont les bijoux, étoffes, parures, dentelles, fourrures et autres 
marchandises, mortes dans une saison et vivcmtes dans Tautre, 
sans prix lorsqu'un deuil survient et rentrent dans le commerce 
quand il cesse. 

M. de Chamousset avait pris toutes les précautions nécessai- 
res pour prévenir les abus, tant au sujet des billets, que de la 
vente : ces précautions même devaient procurer aux billets, le 
plus grand crédit dans le commerce et chez l'étranger. Plus leur 
nombre se serait multiplié, et plus ils auraient accru le 
numéraire de la nation ; numéraire qui n'aurait point été fictif, 
puisque le double de la valeur du billet eût été dans les maga- 
sins du Dépôt et comme il espérait que toutes les grandes 
villes du royaume, à l'exemple de la capitale, auraient formé de 
semblables établissements, il comptait sur un centième des 
efiets du royaume, portés dans ces dépôts et mis en mouvement 
par les billets de caisse qui les auraient représentés. Quelle 
ressource- pour le crédit de la Nation, pour les revenus de 
souverain et pour l'aisance des particuliers ! 

On avait prévu toutes les objections ; on avait levé tous les 
doutes. M. le lieutenant-général de police, le Parlement» 
auraient été les inspecteurs de l'établissement. Du oo au 
3o de chaque mois, il y aurait eu des ventes publiques d'effets 
non retirés. Ces ventes auraient facilité aux marchands de Pa- 
lis et au forains, aux artistes que leur réputation inférieure à 
leurs talents force de donner leur travail à vil prix, le moyen de 
se défaire d'effets que le concours des acheteurs aurait fait porter 
à leur juste valeur. 

L'emprunteur qui eût voulu de l'argent comptant, aurait porté 
les billets à une caisse d'escompte; et dans cette vue. 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 261 

M. de Ghamousset se proposait de former une compagnie de 
Banquiers ou Agents de Change choisis, dont l'objet principal 
eût été de convertir les billets en argent, et de donner des faci- 
lités à ceux qui ji*auraient pu être aussi exacts qu*ils Tauraient 
espéré, à retirer leurs effets. 

Ce projet promettait les plus grands avantciges : la nation 
doublait son numéraire et son crédit; et l'usure tombait. Les 
usuriers, dont Paris abonde, frémirent du coup qu'on allait leur 
porter; mais des circonstances trop favorables à leurs vœux, 
empêchèrent Texécution d'un établissement si utile. 

On a rappelé les projets du célèbre abbé de Saint-Pierre, les 
rêves d'un homme de bien ; parce que tout sages et utiles qu'ils 
étaient, ils supposaient dans tous les hommes une raison supé- 
rieure à leur passion; et que Texécution de ces projets eût 
demandé un concours de circonstances qu'on ne peut pas espé- 
rer. M. de Ghamousset n'en a formé aucun qui ne puisse être 
adopté par un gouvernement sage et éclairé. Il imagina les 
moyens d'acquitter les dettes d'un État quelconque, dont aucune 
personne raisonnable n'eût pu se plaindre, quoique la dette se 
fût éteinte par ce moyen, mais d'une manière si insensible ; et 
ce petit désavantage eût été compensé par de si grands avanta- 
ges, que non seulement on n'aurait point murmuré contre le 
droit payé à chaque mutation, du billel d'Etat ou effet Royal, 
droit qui s'imputait sur le capital, n'eût obligé à aucun déboursé 
mais encore qu'on aurait vu avec satisfaction, que par une aussi 
petite perte, on assurait un papier facile à transporter, et qui 
serait devenu d'un usage commode et d'une grande ressource 
dans le commerce. 

Je ne m'arrêterai point à quelques autres projets dont l'expo- 
sition exigerait de si longs détails : tel est un « Mémoire sur la 
Poste aux chevaux, messageries et roulage ». M. de Ghamousset 
promettait aux voyageurs les plus grandes commodités possi- 
bles ; au commerce, une activité et des facilités inconnues, et 
des profits sûrs et abondants, aux compagnies qui entrepren- 
draient ces routes. Tel est encore un autre mémoire sur la 
caisse établie pour favoriser l'approvisionnement de la viande à 



262 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Paris, dans lequel M. de Ghamousset indiquait les moyens de 
réparer le mal que cette caisse a fait au coromei*ce des bestiaux, 
en procurant cependant au Roi plus de revenu qu'il ne retire de 
la caisse actuelle. 

Faire des projets, est pour certaines personnes, une passion, 
ou, si Ion veut, un ridicule, dont l'intérêt de celui qui les forme 
est toujours l'objet principal; et l'utilité publique en est 
toujours le prétexte ; de là vient que si les avantages qulls pré- 
sentent, sont assez spéciaux pour les faire accepter, l'exécution 
en découvre bientôt le vice ; et si malheureusement ils sont 
assez protégés pour se soutenir quelque temps, ils gênent l'écono- 
mie politique, comme ces pièces parasites qu'un artiste ignorant 
voudrait introduire dans une machine simple et parfaite. 

Les projets de M. de Ghamousset étaient tous au proût de 
l'humanité ; et lorsqu'il les croyait d'une utilité démontrée, il 
eût été le premier à confier leur exécution à celui qu'il aurait 
cru en état plus que lui de la conduire. Il regardait toutes les 
dépenses qu'il faisait pour soumettre ses projets à l'expérience, 
comme un fonds perdu dont la patrie seule devait retirer l'in- 
térêt. 

M. de Ghamousset ne perdait jamais de vue l'humanité pau- 
vre et souffrante. Les différents projets dont elle est l'objet, se 
tiennent tous, et vont se lier à son plan général pour l'admi- 
nistration des hôpitaux du royaume, et pour le bannissement 
de la mendicité. « L'établissement de la Maison d'Association, 
« dit M. de Ghamousset, prévient la ruine d*une infinité de 
« familles, en procurant une prompte guérison à leurs chefs et 
(( les enipôche de venir se réfugier dans les hôpitaux. Il 
tt décharge l'Hôtel-Dieu de ceux qui lui occasionnent le plus de 
« dépenses, parce que leur répugnance à s'y faire transporter, 
« a laissé empirer leurs maux. Le plan de réforme proposé 
« à l'Hôtel-Dieu en déchargeant Tadministration du soin 
a des malades, le rend plus utile à la gestion des biens; et 
m confiant le traitement aux soins d'une Société dont l'intérêt 
« personnel se trouve par une combinaison heureuse, être l'in* 
« térêt du public, ce projet procure un avantage considérable 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 263 

« aux pauvres de THôtel-Dieu. Le système sur la nutrition des 
« enfants, par le lait des animaux, et sur la destination des 
a enfants trouvés ou abandonnés, présente une économie dans 
« la dépense» une augmentation dans le nombre des enfants 
« conservéssà l'État, et prouve que par des emplois utiles» ce 
« même État peut retirer les avances qu'il faut pour l'éducation 
« de ces enfants : il résulte de ces projets, ajoute-Ml, une dimi- 
c( nution dans la dépense des hôpitaux ; diminution qui les 
» mettra à portée de donner des secours plus abondants aux 
« malheureux que toutes ces précautions n'auront pu garantir 
« de la pauvreté ; c'est ce qu'il était nécessaire de faire voir 
tt avant que de proposer le bannissement de la mendicité, le 
« point essentiel du plan général pour l'administration des 
tt Hôpitaux du Royaume. » 

Pour décharger les hôpitaux et déraciner la mendicité, M. de 
Ghamousset propose d'établir un centre d'union entre tous les 
hôpitaux; ce centre serait un bureau général formé sur le modèle 
de celui du commerce: il serait composé de l'intendant des finan- 
ces, de quatre intendants des hôpitaux, qui seraient perpé- 
tuels; on leur associerait un nombre d'hommes choisis, tant 
dans les Cours souveraines, que dans les différentes classes de 
la Société, et dont l'administration ne durerait que deux 
ans, à moins qu'on ne jugeât à propos, ou qu'il ne consentis- 
sent d'être continués. Les Intendants, feraient, dans les assem* 
blées générales, le rapport des objets qu'on leur aurait présen- 
tés et qui tendraient à secourir les malheureux, à réprimer la 
mendicité, à prévenir la misère et à procurer Tabondance. Ceux 
qui composeraient ce bureau, étendraient leurs regards sur 
tous les établissements des différentes provinces. Le premier 
soin du bureau serait de séparer» dans les maisons diftérentes, 
les véritables pauvres d'avec les mendiants de profession. 

Les pauvres, dit M. de Ghamousset, ne sont pauvres que pour 
eux-mêmes : ils font, par leur travail la richesse d'un pays. 
G'est donc vouloir s'appauvrir soi-même que de les abandon- 
ner, et de ne pas leur prodiguer dans les hôpitaux, les secours 
les plus abondants et les plus prompts au rétablissement de 



264 • UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

leurs forces et de leur santé. Sous ce point de vue, ajoute-t41, 
les hôpitaux peuvent être regardés comme les arsenaux, où se 
réparent les armes dont la République a besoin. 

M. de Ghamousset remonte à l'origine de la mendicité. Selon 
lui, les hôpitaux fondés pour les malades, ne suffisant pas pour 
y servir d'asile à la caducité, à Fincurabilité, les vieillards et 
les estropiés se virent contraints d*exposer leur misère aux 
yeux de leurs concitoyens sur les grands chemins et dans les 
rues. La pitié secourable ayant rendu le métier de mendiant 
lucratif, une infinité de misérables qui craignent le travail, pri- 
rent le parti de feindre des maux qu'ils n*avaient point, et 
dévorèrent la substance des véritables pauvres. On les a fait 
arrêter ; mais au lieu de les renfermer dans des maisons parti- 
culières, où ils auraient été forcés à un travail auquel chaque 
homme est obligé, les hôpitaux ont reçu pêle-mêle avec les 
véritables pauvres : ce qui ne paraît point juste, parce que les 
secours que les premiers sont en droit de réclamer, leur sont 
dûs ; et ce serait une ingratitude de les leur refuser, au lieu 
qu'on ne doit rien aux autres, considérés comme membres de 
la Société, à laquelle ils sont à charge, et dont ils se sont séques- 
trés par leur oisiveté et par leur inaction. La dépense que cette 
multitude a occasionnée aux hôpitaux, les a mis hors d'état de 
procurer aux vieillards et aux estropiés, une retraite telle 
qu'ils la lui doivent. Quelle douleur pour ces honnêtes pauvres, 
de se voir confondus avec des vagabonds, et d'y recevoir les 
mêmes traitements. 

M. de Ghamousset conclut de cette injustice, la nécessité de 
subdiviser les hôpitaux qui ne sont point destinés au soulage- 
ment des malades, en retraites, où le caduc et l'incurable trou- 
vassent de véritables ressources, et en maison de punition et 
detravail pour les mendiants de profession qu'on accoutumerait 
à trouver leur subsistance dans le produit de leurs travaux . 
11 indique quelles doivent être ces maisons et les occupations 
qu'on doit donner aux mendiants pour les forcer à gagner leur 
vie. 

Tous les hôpitaux du royaume, sous la dépendance d'un 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU . 265 

Bareau général d'administration, pourraient facilement se com- 
muniquer des secours mutuels, et se soutenir les uns les autres 
en faisant servir le superflu d'un hôpital, qui, dans telle année, 
dans telle province, ayant eu moins de malades, aurait épargné 
sur la dépense, au soulagement d'une autre province qui se 
trouverait épuisée par des pertes ou par des dépenses excessives. 
M. de Ghamousset cite l'exemple d'une semblable communica- 
tion de secours établie en Flandre par M. de Séchelles, dans le 
temps qu'il était intendant de cette province. De cette circu- 
lation, il a résulté que les hôpitaux de cette intendance, ont 
trouvé moyen, par des aumônes distribuées toutes les semai- 
nes à de pauvres familles, dont le travail n*est pas suffisant 
pour subvenir à leur besoin, de les délivrer de la nécessité de 
se réfugier dans les asiles de l'indigence ; et au lieu de la charge 
totale d'une famille entière que l'hôpital aurait à supporter, il 
ne lui en coûte qu'une légère aumône d'un écu par semaine, ou 
cent cinquante livres par an. M. de Ghamousset propose cet 
exemple au bureau général, pour la décharge des hôpitaux et 
pour la conservation des gens utiles à l'État. 

Les soins du bureau s'étendraient sur tout le royaume, par 
les inspecteurs et subdélégués que les quatre intendants des 
hôpitaux auraient dans les provinces et par les suppôts, et 
que ces inspecteurs et subdélégués auraient jusque dans les 
plus petits villages. Cette machine ne coûterait rien à monter. 
MM. les,curés, juges, baillis et même les seigneurs, en se dis- 
tribuant ces soins, les rendraient très légers : ils rendraient 
compte aux inspecteurs qui communiqueraient leurs avis aux 
subdélégués, et ceux-ci, après avoir pris l'avis de l'administra- 
tion de l'hôpital de leur province ou de leur ville, feraient 
passer des états arrêtés ou vérifiés aux intendants qui les rap- 
porteraient au bureau. 

M. de Ghamousset étend ses vues encore plus loin. L'admi- 
nistration particulière de chaque hôpital, connaissant le pro- 
duit et la consommation de chaque village, serait plus en état 
de juger des secours qu'on pourrait donner aux cultivateurs 
des terrains incultes dont elle pourrait s'accommoder avec les 



266 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

seigneurs, au moyen de redevances dont on conviendrait : elle 
aviserait aux défrichements auxquels elle emploierait les 
paysans qui manquent de travail, ou à leur défaut, les men- 
diants, qu'on réserverait, autant que possible, pour les corvées 
et les travaux publics. En excitant ainsi le travail et Tindustrie, 
il resterait peu de pauvres à la charge des hôpitaux, et nul 
prétexte à la mendicité. S*il en restait, on les forcerait au 
travail ; et l'État trouverait en eux des ressources infinies. Je 
n'en citerai qu'une parmi celles qu'indique M. de Chamousset. 
On pourrait, dit-il, décharger l'hôpital de Bicétre des vaga- 
bonds, libertins ou mendiants qui y sont renfermés pour le 
reste de leurs jours. On les emploierait à faire aller une 
machine qui, placée sur la rivière, au-dessus de la ville, et par 
conséquent au-dessus des immondices que les égouts y entraî- 
nent, élèveraient l'eau sur le terrain le plus élevé de Paris, 
d'où cette eau pure et salubre' pourrait être conduite par des 
tuyaux dans toutes les maisons. 

M. de Chamousset propose, au bureau général, plusieurs 
moyens de faire fleurir l'agriculture, le commerce, les arts, en 
fournissant de l'occupation aux pauvres ; en faisant les avances 
nécessaires pour les engrais des terres, pour les bestiaux, pour 
les outils nécessaires ; en soutenant les artisans, et en leur 
avançant les matières premières ; en établissant une pharmacie 
générale, qui serait un objet d'économie pour les hôpitaux 
môme ; le détail des avantages qui doivent résulter du plan de 
M. de Chamousset, pour l'État et pour les particuliers, est 
immense. Ce vaste projet mérite toute l'attention du gouver- 
nement : il ne demande pas de grands eflbrts du côté de la 
finance; la masse des fonds de tous les hôpitaux du royaume, 
serait plus que suffisante ; il n'exige que de l'ordre, de la pro- 
bité, du zèle et des Lumières. 

Si l'on doit de la reconnaissance à M. de Chamousset, consa- 
crant sa fortune et ses veilles à soulager l'humanité pauvre et 
soufirante, que ne lui doit-on pas lorsqu'il met toute son appli- 
cation à prévenir les maladies et la pauvreté des citoyens ? 
Parmi les causes qui altèrent la santé des habitants de la capi- 



ON PHILANTHROPE MÉCONNU 267 

taie, il regardait, comme une des principales, Timpureté que 
Teau de la Seine contractait en traversant Paris, par les égouts' 
de cette ville immense, qui se dégorgent dans la rivière, par 
les ruisseaux infects jqui y aboutissent ; ces immondices crou- 
pissent sur ses bords, où le courant les repousse, et commu- 
niquent à Teau une si grande corruption, que M. de Jussieu a 
observé que les plantes qui croissent sur les rives de la Seine, 
dans rintérieur de Paris, sont pernicieuses. M. de Chamousset 
avait encore observé que la Ultration dans les fontaines sablées, 
à laquelle plusieurs personnes assujettissent Feau, ne fait que 
la rendre plus limpide, et en altère la nature sans la dépouiller 
des sels dont elle s'est imprégnée par le séjour des corps étran- 
gers et putrides. Il se proposa donc de procurer à ses conci- 
toyens, une eau pure, exempte de tout mélange dangereux, et 
sans être altérée par le filtre. Il prenait Teau dans le milieu du 
courant de la Seine, au-dessus de l'hôpital et de Tembouchure 
de la Marne. Des bateaux moyens, neufs, qui n'avaient jamais 
été goudronnés, et auxquels on faisait perdre le goût du bois, 
en les faisant tremper pendant quelque temps au fond de la 
rivière, allaient prendre cette eau pour la porter dans des 
réservoirs et la distribuer dans des tonneaux, au même prix 
que celui qu'on donne aux porteurs d*eau. 

M. de Chamousset qui avait démontré que le filtre attaquait 
la qualité de Tcau, qui s'était engagé de la fournir pure, salu- 
bre, non imprégnée des immondices de la ville, et qui ne s'atta- 
chait point à la limpidité, vit bientôt se former une compagnie 
qui proposa, avec emphase, de fournir aux habitants de Paris, 
sous les mômes conditions, des eaux filtrées, c'est-à-dire clai- 
res. Cette compagnie fit de grands préparatifs à très grands 
frais. M. dti Chamousset changea alors son plan ; et toujours - 
persuadé de l'inconvénient de la filtration, il proposa de four' 
nir une eau pure, saine, et aussi limpide que les eaux de Sainte- 
Reine, de Brissol et de Ville-d'Avray, sans employer le secours 
du filtre, en la laissant seulement reposer dans des réservoirs 
revêtus de graia, où elle devait être transportée comme dans 
son premier plan. Il devait établir ces réservoirs à grands 



268 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

frais, à la porte Saint-Bernard : les opérations devenant plus 
dispendieuses, auraient augmenté le prix de l'eau. 

Les applaudissements de la Faculté de Médecine, la satisfac- 
tion de quelques particuliers : qui connaissaient les consé- 
quences funests, pour la santé, d'une eau impure, encoura- 
gèrent M. de Chamousset; il fit des avances; mais lorsque 
tout Paris aurait dû concourir à son entreprise, quelques 
deniers de plus qu'aurait coûté la voie d'eau, firent avorter son 
projet. Il ne fut sensible qu'à l'indifiérence de ses concitoyens,* 
sur les mauvaises qualités de Teau qu'ils boivent tous les jours, 
et qui cause une quantité de maladies que les médecins ne 
savent souvent à quoi attribuer. 

Le projet de la petite poste de Paris, à l'imitation de celle de 
Londres, si commode et si utile, est rétablissement à l'inven- 
tion duquel il ait eu moins de part, et le seul qu'il ait eu la 
satisfaction de faire adopter dans toute son étendue. Si les 
Anglais nous ont devancé dans cette idée, M. de Chamousset 
a eu la gloire d'en perfectionner l'exécution. Cependant, quel- 
les difficultés n'eut-il pas à surmonter ? Ce ne fut que lorsqu'on 
en eut éprouvé les avantages, qu'on loua son projet. Lorsqu'au 
1760, le roi prit cet établissement sur son compte, il donna à 
l'auteur, à titre de récompense et d'indemnité vingt mille 
livres de rentes viagères sur le produit, et la liberté de dispo- 
ser à sa mort, de dix mille livres de rente en faveur de telle 
personne qu'il jugerait à propos. 

Plusieurs autres projets sont éclos de son zèle que secondait 
admirablement la fertilité de son imagination, mais rindolence 
du public sur ses vrais intérêts s'est toujours opposée à leur 
exécution : telle est l'idée du pont, qu'il allait établir sur la 
Seine, aux deux extrémités de la capitale, lorsque la mort Ta 
surpris, et quelques autres projets dont le public a profité. 

Il a inventé une composition de pâtes, de sirops et de tablet- 
tes d'orge et de bière, propres à la santé et à la nourriture 
des malades, et d'une grande ressource pour le pays où la cha- 
leur empêche l'orge de croître. Tous les médecins accordent à 
ce grain des qualités supérieures, et le premier rang parmi les 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 269 

végétaux; oh sait combien est sain l'usage de la bière. 

En fondant ces pâtes ou tablettes d'orge dans une certaine 
quantité d'eau, on fait une tisane rafraîchissante et nutritive, 
qui supplée au bouillon des malades, et plus propre à leur état 
que tout autre aliment ; et elle fournit à tous les habitants des 
pays chauds, les moyens d'avoir toujours' une boisson fraîche 
et nourrissante, qui, réparant les pertes d'une transpiration 
trop abondante et trop continuelle, sert à les préserver d'une 
maladie que produit une chaleur excessive. Ces pâtes fondent 
d'elles-mêmes dans Teau ; ainsi l'on s'assure de la dose d'ali- 
ments que Ton donne au malade : la préparation imaginée par 
l'auteur» les rend légères, faciles à digérer et sucrées. Pour en 
faire une bière excellente, on les fait bouillir dans ime certaine 
quantité d'eau du pays ; leur fermentation puriQe la plus mau- 
vaise. En retirant la décoction de dessus le feu, on la rafraîchit 
sur-le-champ par des infusions ou décoctions froides de hou- 
blon, ou d'autres plantes agréables au goût : la fermentation 
qu excite le levain qu'on y ajoute, conserve les liqueurs, les 
rend fortifiantes, sans leur faire perdre leur qualité nourris- 
sante et rafraîchissante. Quant aux tisanes, elles ne deman- 
dent ni feu, ni travail ; il ne faut que laisser fondre les pâtes 
dans des décoctions appropriées à l'état des malades. 

Ces pâtes, tablettes et sirops, outre l'avantage d'être très 
agréables au goût, d'être très salutaires et portatives, ont celui 
d'être très économiques. Il n'est point de malades qui en con- 
somment plus de trois onces en 24 heures ; et l'once ne coûtera 
que deux sols. Ainsi l'on peut nourrir un malade avec six sois 
par jour. Quelle ressource pour les hôpitaux, les vaisseaux, les 
colonies, etc. I IL n'a réduit la partie fine et substantielle de 
l'orge en pâte, que pour la rendre plus aisée au transport dans 
les pays lointains ; mais pour la consommation prochaine des 
lieux voisins de la fabrication, il donne l'orge en sirop, et alors 
le prix de l'aliment de chaque malade, ne revient qu'à deux 
sols par jour. M. de Ghamousset publia, en l'j'jfJt, une brochure 
qui contenait ce que lui avaient écrit, sur les avantages de cette 
découverte, les médecins les plus célèbres, des observations 



270 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

faites en Angleterre, diaprés des expériences constatées, et des 
lettres sur ces observations. L'avis favorable des commissaires 
nommés par la Faculté de Médecine, pour lexamen de la com- 
position, du goût et des effets de ces pâtes, rapporté dans cette 
brochure, est que cette découverte précieuse est utile h Thuma- 
nité ; le décret de la Faculté, qui confirme le jugement des 
commissaires, déclare que ces pAtes et sirops sont très avanta- 
geux dans toutes les maladies en général et spécialement dans 
les maladies aiguës ; qu'ils sont rafraîchissants, adoucissants et 
antiputrides, légers, exempts de toute chaleur et de toute acri* 
monie ; que par leur moyen, on peut composer, à peu de frais, et 
sur-le-champ, une boisson agréable, médicamenteuse et plus ou 
moins nourrissante, selon l'état du malade. 

La Faculté désire qu'on puisse la substituer au bouillon de 
viande ; toujours trop chargé de parties salines et sulfureuses, 
qui augmentent nécessairement l'ardeur de la fièvre et Tâcreté 
des humeurs; qu'alors elle tiendrait lieu de la fameuse tisane 
d'orge, tant recommandée par les anciens. M. de Chamousset, 
pour ne rien laisser à désirer, rapporte aussi Texamen et 
l'approbation de l'Académie des sciences, et enfin, le privilège 
exclusif, accordé par le roi, pour la composition, vente et débit 
dans les colonies, pendant l'espace de quinze ans, des pfttes, 
sirops et tablettes d'orge, de l'invention du sieur de Chamous- 
set, aux prix dont il conviendra avec les acheteurs, avec per- 
mission d'associer à la composition et débit, telles personnes 
qu'il jugera à propos, avec l'exemption de tous droits accordés 
aux marchandises envoyées aux colonies. 

La vie de M. de Chamousset n'a été^ qu'une recherche conti- 
nuelle des biens qu'il pouvait procurer aux hommes; mais ils 
ont si souvent repoussé sa générosité qu'on ne sait ce qu'on 
doit le plus admirer, ou de son courage et sa constance, ou leur 
indifférence et leur aveuglement. Il a sacrifié sa fortune à sa 
passion bienfaisante : il a fait à l'humanité de plus grands 
sacrifices encore. 

M. de Chamousset aimait la société des femmes. Aimable, 
enjoué, complaisant, il avait toutes les qualités qu'on peut 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 271 

désirer pour leur plaire. Ce penchant mutuel que la nature a 
mis entre les deux sexes pour le bonheur de Tun et de l'autre, 
se fait sentir à certaines âmes ayec plus d'énergie et d'impé- 
tuosité. Socrate répix)uya; M. deChamousset fut de ce nombre; 
mais au lieu de s'y livrer, lis le dirigèrent vers un plus noble 
but; Tun vers la philosophie, qui n'est que le désir de rendre 
les hommes m:nlleurs, en leur donnant l'exemple du bien et 
de rhonnôteté, et l'autre, vers l'humanité, qui n'est aussi qu'un 
désir de les rendre plus heureux, en faisant tout ce qui dépend 
de nous pour contribuer à leur bonheur; mais l'un et l'autre» 
en changeant l'objet de leurs désirs, en conservèrent toute la 
vivacité. 

Quoique M. de Chamousset fût l'aîné de sa famille, il se 
priva des douceurs du mariage, pour lesquelles il semblait être 
né. Il espéra, par ce sacrifice, de procurer à son frère un 
mariage plus avantageux ; il se dépouilla, dans cette vue, en 
sa faveur de la meilleure partie de son bien. 

Il était du plus grand désintéressement. Il n'attachait d'autre 
prétention à ses desseins que de contribuer à la félicité de ses 
semblables ; et si tout autre les eût formés, il eût mis, à les 
faire réussir, peut-être encore plus de zèle qu'il n'en mettait 
pour les siens. 

Il ne connaissait, ni la vanité, ni l'envie ; il s'oubliait sol- 
même. Les entrepreneurs des eaux filtrées l'attaquèrent dans le 
Prospectus de l'établissement qu'ils proposèrent, en profitant 
des idées, et en empruntant le nom de M. de Chamousset; il ne 
se défendit qu'avec répugnance, et à la dernière extrémité, 
lorsqu'il s'y vit forcé par les murmures du public, qui se plai- 
gnait de ne pas être servi comme le lui avait promis cette 
compagnie parasite, dont les employés faisaient courir le bruit 
qu'il était le chef. 

Le bien public était le seul objet qu'il voyait dans ses entre- 
prises, et qui lui faisait supporter les contradictions et les 
peines que l'avare et l'ambitieux ne souffrent que par intérêt. 
Son âme généreuse et franche, joignait, à cet amour dévorant 
des hommes, une confiance qu'ils ne méritaient pas, et dont 



272 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

quelques-uns ont cruellement abusé ; il ne dépendait point de 
lui de soupçonner dans les autres les vices dont il était inca- 
pable; cette sécurité est presque toujours Técueil des succès de 
riionnête homme. Il pensait que Thumanité était assez malheu- 
reuse par les infirmités, les infortunes, et tant d'autres événe- 
ments auxquelles elle est exposée, pour ne pas se faire un 
supplice de ce qui devrait être sa consolation. 

Les vertus de son âme nous ont fait perdre de vue dans le 
cours de cet éloge, les qualités de son esprit. 

M. de Chamousset avait acquis des connaissances profon- 
des sur toutes les parties de la médecine; il était très bon 
chimiste ; la seule invention des pâtes, sirops et tablettes 
d'orge, suflirait pour lui faire une réputation brillante dans 
cette science. Il connaissait les principes des arts; ses vues 
économiques n'ont été qu'admirées de son siècle : il est à pré- 
sumer que nos descendants ne se borneront point à de stériles 
éloges. Il joignait à une grande vivacité d'esprit, une plus 
grande solidité de jugement ; la sagesse et l'étendue des vues 
à une fécondité singulière d'imagination. Il prévoyait les objec- 
tions et les détruisait d'avance, il voyait de loin les obstacles 
et indiquait les moyens de les surmonter ; si quelquefois son 
courage et la trop bonne opinion qu'il avait des hommes, lui 
faisait paraître possible tout ce qu'il croyait utile, il n'avait 
point la vanité de se roidir contre des dijQicultés insurmon- 
tables qu'il n'avait point prévues, ou que lui opposait l'auto- 
rité. Grand dans ses projets, il en voyait les plus petits 
détails, et soumettait à l'expérience tous ceux qui étaient sus- 
ceptibles d'être éprouvés ; il inventait la machine et il en con- 
naissait les moindres ressorts. M. de Chamousset était un de 
ces génies qui devraient être sans cesse auprès des rois, pour 
leur faire connaître que le ciel ne les a placés au-dessus des 
hommes, qu'afin que de ce degré d'élévation, ils puissent dis- 
cerner plus aisément nos besoins, et porter, avec plus de 
promptitude, des secours abondants où les maux se font le plus 
sentir. 

La mort le surprit au milieu de ses projets ; une fluxion de 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 273 

poitrine termiiia, en cinq jours, le cours d*une si belle vie, à 
Tâge de 56 ans. On n'a recueilli qu'une partie de ses mémoires 
en un volume in- 1:1, sous ce titre de Vues d'un citoyen; les 
autres sont épars sous différents titres, la plupart sont impri- 
més; quelques-uns ne sont que manuscrits ; il serait à désirer 
qu'on en fit un recueil général, a&n que nos descendants, plus 
éclairés que nous sur leurs véritables intérêts puissent pro&ter 
d'un bien que leur père ont dédaigné. 



18 



Plarron de Chamousset 
devant le Conseil Municipal 



L'aimable conseiller municipal du quartier Saint-Germain- 
des-Prés, M. Paul Vivien a déposé, dans la séance du 26 
novembre dernier, la proposition suivante : 

M. Paul Vivien, — Messieurs, un comité constitué sous l'ini- 
tiative de M. Martin-Ginouvieretdontla présidence d'bonneur 
a été acceptée par M. le président de la République se propose 
d^élever un monument à la mémoire de Piarron de Chamousset. 

Ce Parisien, qui fut Tami de Rousseau, est le précurseur des 
œuvres de mutualité qui comptent en France près de quatre 
mille sociétés et plus de deux millions d adhérents. 

C*est à Chamousset que nous devons : la réforme des hôpi- 
taux, les premières crèches, les orphelinats pour les enfants 
abandonnés, les premières machines élévatoires pour Tassainis- 



(1) Candidat aux élections manicipales du 20 novembre 1898, j'ai demandé dana ma 
profession de toi : 

1* L'installa lion du Palais de la Mulualité dans les locaux désertés par l'Académie de 
de Médecine ; 

2* L'érection de la statue de Piarron de Chamousset dans le jardinet qui apparte- 
nait à ladite Académie, et qui fait l'angle de la rue des Saint- Pères .et du Boulevard 
Saint-Germain. 

Et cela pour les quatre motifs suivants : 

1" Parce que la statue du grand philanthrope ne pouvait être mieux placée, qu'au- 
près des institutions, qu'^n devin, Chamousset avait prévues cent-trenle^cinq ans d'avance; 

2** Parce qu'il avait fondé la Maison d'Association, pépinière de la Mutualité, à la porte 
de Sèvres ; 

3* Parce qu'il avait formé le projet de créer un pont volant entre le Pont Royal et 
les invalidis ; 



UN PHILANTHROPE MÉCONNU 275 

tement des eaux de la Seine; Torganisation des sociétés de 
secours mutuels, la Petite Poste, le Mont-de-Piété, etc. 

4* Enfin, parce qae la déponille mortelle repofe à Saint-Nicolas -da-Chardonnet. 
Très entêté dans mes idées, je m'adresse en Décembre 1899 au Président du Con- 
•eil Municipal qui me fit répondre la lettre suivante : 

ADilNISTRATION GÉNÉRALE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 

Dt 

L'ASSISTANCE PUBLIQUE liberté - égalité - fkaternité 



à PARIS 

DIVISION 
du Domaine et Compté 

BUREAU 
du DomoLine 

N* sa 

Au sujet d'une demande d'affectation 

des bâtiments actuellement 

loués à l'Académie de. Médecine 

à Vinstallation 

du Palais de la Mutualité 



Paris, le 20 Janvier 1900. 



(I Monsieur, 

« Monsieur le Président du Conseil Municipal de Paris m'a transmis votre pétition 
en date du 1" Décembre '1899, aux termes de laquelle vous avez sollicité, au nom du 
comité de la Mutualité, la cession du local actuellement occupé par TAcadémie de 
Médecine, 49, rue des Saints Pères, et dépendant du domaine hospitalier en vue de 
l'installation du Palais de la Mutualité. 

« J'aurais été heureux de m'associer dans la mesure du possible à la réalisation 
d'nne œuvre philanthropique qui me parait devoir mériter le plus vir intérêt ; mais il 
ne m'est pas possible de donner suite à votre demande. 

a Les bâtiments dont il s'agit seront, en effet évacués par l'Académie de Médecine 
au plus tôt à la fin de l'année 1900, car Timmeuble en construction rue Bonaparte ne 
pourra pas être terminé avant cette date. 

n D'autie part, le projet de démolition des bâtiments de l'hûpilal de la Charité est 
au nombre de ceux sur lesquels doit délibérer bientôt le Conseil Municipal, enfin, dans 
le cas où ce projet ne serait pas voté, l'Administration de l'Assistance pubUque se pro- 
pose de développer les services trop à l'étroit de l'hôpital de la Charité en annexant 
h cet établissement les locaux actuellement occupés par l'Académie de Médecine. 

(( Dans ces conditions. Monsieur, il m'est absolument impossible d'entrer en négo- 
ciation avec votre comité en vue du projet que vous avez formulé dans votre pétition 
et je vous en exprime tous mes regrets. 

« Agréez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments très distingués. 

Le Directeur de l'Adminislration, 
a DocTEua Napiàs ». 



276 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Le Conseil tiendra sans doute à honorer la mémoire de 
ce grand philanthrope en affectant un emplacement à Térection 
du monument de Piarron de Ghamousset, dont Texécution a été 
confiée à un éminent statuaire M. de Saint-Vidal. 

Le Comité d'organisation se chargeant de totis les (rais, j*ai 
rhonnpur de proposer comme emplacement le petit jardin qui 
se trouve à langle de la rue de FAbbaye et de la place Saint- 
Grermain-des-Prés. Chamousset ayant ouvert sa première mai- 
son d'association sur la limite du VI« arrondissement. 

En conséquence, je prie le Conseil de bien vouloir approu- 
ver ma proposition et prendre la délibération suivante ; - 
« Le Conseil, 

a Considérant qu*un comité a été constitué pour élever un 
monument à la mémoire de Piarron de Chamousset, le précur- 
seur des œuvres de mutualité ; 

a Considérant que ce comité sollicite simplement un empla- 
cement pour ledit monument, et qu'il se charge de tous les frais, 
y compris ceux d'installation ; 
(( Délibère : 
<c L'Administration est autorisée à mettre à la disposition du 
comité chargé d'élever un monument à la mémoire de Piarron 
de Chamousset un emplacement dans le square Saint-Germain 
des-Prés. » 

Signé : Paul Vivien. 
Renvoyée à l'Administration et à la 3^ Commission. 



COMITÉ DU MONUMENT 



DE 



PIARRON DE CHAMOUSSET 



M 

A la suite des recherches érudites de M. F. Martin-Ginouvier 
sur la vie et les œuvres de Piarron de Ghamousset, et grâce aux 
concours pressentis d*une bonne part des onze mille Sociétés 
de Secours mutuels de France, représentant plus de deux mil* 
lions de mutualistes, un monument, premier mémorial de la 
Prévoyance et de la Mutualité en France, sera érigé, en 1900, à 
Paris, à Ghamousset, maître de la Ghambre des Gomptes de 
Paris, organisateur de la Petite Poste, fondateur des Gompa- 
gnies d'Assurances, réformateur des Services hospitaliers, et 
surtout principal précurseur, au xviii« siècle, des nombreux 
hommes d*État, de science et de bien, voués, en notre époque, 
aux applications ingénieuses, pratiques et fécondes de l'aide 
mutuelle : principe de fraternité résumé dans ces^mots, qui sont 
notre devise : Un pour tous,, Tous pour un. 

Le monument élevé à la mémoire de ce grand philanthrope, 
ne sera pas seulement un témoignage de gratitude, mais aussi 
un symbole de la Mutualité, rappelant sans cesse, aux habitants 
et aux visiteurs de Paris, les bienfaits de la Prévoyance ;et de 
rUnion économique et fraternelle. 

Uœuvre artistique du monument a été confiée j à un éminent 
statuaire. M, de Saint- Vidal, dont on a admiré la fontaine 



278 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

monumentale exposée en 1889 entre les grands arceaux de la 
Tour Eiffel, la statue (place Wagram) et le digne et patrio- 
tique tombeau d* Alphonse de Neuville» au cimetière Mont- 
martre. 

L'esquisse de l'œuvre Je M. de Saint-Vidal a été offerte en 
premier hommage, dûment agréé, à M. le Président Félix 
Faure, au palais de TElysée, le 6 février 1899, par M. Marmot- 
tan et M. de Malarce, qui ont présenté à M. le Président de la 
République française une Délégation de Présidents de Sociétés 
de Secours mutuels et autres Société de Prévoyance populaires 
de France. 

Le i5 mars, M. le Président Loubet, recevant la même délé- 
gation, a accepté la Présidence d'honneur de cette œuvre de 
haute moralité sociale, qui sera inaugurée le 3 septembre 1900 
à l'occasion de la 3» session plénière décenale du Congrès per- 
manent international des Institutions de Prévoyance. 

Nous faisons donc appel à votre aide pour donner ou 
irecueillir des souscriptions à cette œuvre populaire et patrio- 
tique. 

Les souscriptions devront être directement adressées à 
M. Paul GAUVIN, Directeur général de la Compagnie d'Assu- 
rance « LE SOLEIL > (Incendie), Trésorier du Comité, 44^ruB 
de Chàteaudun, Paris (i). 



(1) Les noms des[800scripteurs seront publiés dans le « Solldarlste ». LeliTN d*or 
des sottscriptêars sera oftéri à M le Président de la tiépubliqne. 



UN PHnANTHROPB MÉCONNU 279 



Gomité de Patronage 



Le Présideni d'honneur 

M. Emile LOUBET 

Prôaideot de République Française. 

MM. Théophile Roussel, membre de llnstitutetderAcadémie 
de médecine, sénateur. 

Mëzières, de l'Académie française, député. 

Léon Bourgeois, député, ancien président du Conseil des 
ministres. 

PoiNCARÉ, député, ancien ministre. 

Maurice Faure, vice- président de la Chambre des dépu- 
tés. 

Strauss, sénateur, directeur de la Reçue Philanthropique. 

Marmottan, ancien député, maire du xv« arrondissement. 

Georges Berry, député. 

le D^ Napias, directeur de TAssistance publique. 

DE Héredia, ancien ministre. 

le D^ Cadet de Gassigourt, membre de TAcadémie de 
médecine. 

le D'^ DuRBAU, bibliothécaire de TAcadémie de médecine. 

le D^ Légué. 

le D*" Gabanâs, directeur de la Chronique Médicale. 

le D' Maurice de Thierry. 

Sellier, Inspecteur des fouilles archéologique du Musée 
Carnavalet. 

Bouniceau-Gesmon, juge d'instruction. 

Jules Périn, avocat à la Cour d'appel, président de la 
Montagne-Ste-Gcnevière et de ses abords. 



280 UN PHILANTHROPE MÉCONNU 

Comité administration 



Président : 

M. Augustin Chaurand de Malarce, secrétaire perpétuel de 
r Association permanente du Congrès International des 
Institutions de prévoyance. 

Vice-Président : 

M. Le Roy des Barres, directeur général des Compagnies des 
Assurances générales (Incendié). 

Le Secrétaire général : 

M. F. Martin-Ginouvibr, fondateur du Crédit Mutuel à prêts 
gratuits, secrétaire de la 5^ commission du Congrès 
national de Reims, 33y rue Bonaparte. 

Le Secrétaire : 

M. CoMPAND, comptable de la Sécurité des familles, secrétaire 
de la a® commission du Congrès national de Reims. 

Trésorier : 

M . Paul Gauyin, directeur général de la Compagnie d* Assu- 
rances le Soleil (incendie). 

Membres du Comité : 
MM. BiËS, président de la Société de Prévoyance et de Secours 
mutuels des Alsaciens-Lorrains. 

BoNJEAN, président de la Société de Protection des Voya- 
geurs de Commerce. 

Georges Deligne, directeur de la Fraternelle Parisienne^ 
Société d'Assurances mutuelles contre Tincendie. 

Ollier, président des Sociétés de Prévoyance des batteurs 
d'or, secrétaire de la 3^ commission du Congrès national 
de Reims. 

Plez, président de la Chambre consultative des Sociétés 
de Secours mutuels de la Seine. 

FIN 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages 
Préface. 

Introduction. I 

Eloge de M. di: Chamousset contenant une analyse 

DE SES ouvrages I 

Première partik. — Naissance. — Education. — Carac- 
tère de M. de Chamousset : ses actions et ses écrits 
pour l*Humaiiitc soufirante, pauvre et malheureuse 
en général 5 

Seconde partie. — Soulagement de THumanité pauvre 

et soufirante en particulier 63 

Troisième partie. — Boisson salutaire, aliments sains, 
préservatifs contre la maladie, dus à M. de Cha- 
mousset 84 

Quatrième partie. — Projets et actions de M. de Cha- 
mousset pour augmenter les agréments de la Société 97 

Plan d'une Maison d'Association dans laquelle, au 
moyen d'une somme très modique, chaque associé 
s'assurera dans Tétat de maladie toutes les sortes de 
secours qu'on peut désirer i35 

Additions et éclaircissement au Plan d'une Maison 
d'Association, dans laquelle au moyen d'une somme 
très modique, chaque associe s'assurera dans l'état 
de maladie toutes les sortes de secours qu'on peut 

désirer i58 

Copie de la délibération des six Corps des Marchands 

en date du i3 juillet 1754 ijS 

19 



282 TABLE DES MATIÈllES 

Lkttrk critique à l'auteur d'une brochure intitulée : 
Pian d*une Maison d'Association, dans laquelle au 
moyen d'une somme très modique, chaque associé 
s'assurera dans l'état de maladie toutes les sortes de 
secours qu'on peut désirer 176 

Lktthe à l'auteur de la critique d'un Plan d'une Maison 

d'Association (Mémoires sur les Associations) . . 184 

MibioiiŒ sur rétablissement de Compagnies qui assu- 
reront en maladii^ les secours les plus abondants et 
les plus etticaces. à tous ceux qui, en sanlé, paieront 
une très petite somme par an. ou même par mois . ig6 

Lk'itkes de mm. Heutuam), Louuy et Petit, tous trois 
médecins de la Faculté de Paris, à M. de Chamous- 
set. sur son projet d'établissement de la Compagnie 
d'Assurance pour la Santé 

Lettre de M. Bertrand du Î25 juillet i-;?o 198 

Lettre de M. Lorry du 129 juillet i;-;o 199 

Lettre de M. Petit, Tanalomiste, du "Jo juillet i7yO. . 200 

Projet de Règlement pour la Maison d'association . . aoa 

COUUESPONDAXCE DE VoLTAIUE 2l5 

MÉMOIRES SECRETS DE BvCIIAUMONT 221 

Procès-verbaux des fouilles à Saint-Nicolas du Char- 

donnet aaS 

Notice sur l'église de Saint-Nicolas du Chardonnet . . a34 

APPENDICE 

Revue d'Histoire littéraire de la France (Paul d'Estrée). ^45 

Dictionnaire encyclopédique de la France (P. -H. Lebas) a43 

Opinion de Grimm ... * 245 

Eloge de Piai'ron de Chamousset, i)ar d'Albon . . . 247 

PiARRON DE Chamousset devant le Conseil Municipal . 274 

Comité d\: Monument 277