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/
F. MARTIN-GINOUVIER
H/
040
PHILANTHROPE MÉCONNU
du XVIII' siècle :
PiARRON DE CHAMOUSSET
Fondateur de la Petite Poste
Précnreenr des Sociétés de Secours Mutuels
PARIS
DUJARRIG ET C^s ÉDITEURS
5o, RUE DES SAINT-PÈRES, 5o
1905
UN PHILANTHROPE MÉCONNU
du XVIII* siècle
DU MÊMB AUTEUR
La Solntion du Prêt Gratuit alimenté par une Dîme sociale volon-
taire et facultative. — Préface de M. Ci^lestin Prêt, arorat h la Coar.
Brochure in-Kî. Franco 60
Le Palais de la Mutualité, Discours prononc(^ an Banquet dtr l'Emigration
Creusoise. — Orné du portrait de M. Prevkt, sénateur {Eptiisé)
Mes Vœux au V» Congrès national des Sociétés de Secours Mutuels,
de Prévoyance et de Retraite, tenu à Saint-Ktienne du t20 Août au
1*' Septembre 1^95. — Orné d'un portrait de M. Leygues, ministre de
rintérieur. Frattco 30
Félix Faure devant l'Histoire, de son Berceau à l'Elysée (1841 à
1895). — Tonie I. Franco 6 »
Mise en valeur de notre Empire colonial par le Soldat laboureur
marié faisant souche. Franco 1 »
Les Principes belliqueux du R.-P. OUivier. — Orné d'un p(»rlrait du
célèbre prédicateur. Franco 60
Genèse du Palais de la Mutualité. — Frérace de M. Pierre Bauuin.
Franco 1 50
SOUS PRESSE :
Félix Faure devant l'Histoire. Trois ans de Présidence (1895 à 1898).
Tome H. Franco 6 »
F. MARTIN-GINOUVIER
UN
PHILANTHROPE MÉCONNl]
du XVIII' siècle :
PiARRON DE CHAMOUSSET
Fondateur de la Petite Poste
Précurseur des Sociétés de Secours Mutuels
PARIS
DUJARRIG ET &«, ÉDITEURS
5o, RUE DES SAINT-PÈRES, 5o
1905
/- 3-/72-3
Il a été imprimé de cet ouvrage cinq exemplaires
Hollande numérotés de 1 à 5
A LA Mémoire de ma Mère
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414056
PRÉFACE (1)
<f Nous connoissons ïohligation de nous secourir
mutuellement : un sentiment naturel Tinspire à la plupart
des hommes : Texemple des bêtes suffit pour confondre
ceux qui oseraient contester ce sentiment.
La différence des rangs, des fortunes et des conditions,
ajoute encore ù cette obligation naturelle. La grandeur y
est engagée par son propre intérêt.
L'hommage des petits est nécessaire au bonheur des
grands : F Être Suprême est le seul qui se suffit à lui-même :
les grands s'assurent des hommages par leurs bienfaits.
Ils ne sont élevés que pour mieux voir les misères du
peuple : et, semblables à des nuées bienfaisantes, ils doivent
répandre une rosée salutaire sur tous les lieux quils
couvrent de leur ombre.
(i) Notre dévoticuse admiration pour PiarrondeChamoiisset nous
fait un devoir de mettre en lôte de cet ouvrage la Préface qu'il
écrivit lui-même pour présenter à ses contemporains la Collection
de SCS Mémoires, sous ce titre : Vues d'un citoyen, parus en 1757.
Ces lignes nous prouvent une fois encore qu'il était un fervent
de FAssociation et un pratiquant de la Mutualité.
F. M.-G.
— VIII —
La reconnaissance que les riches doivent à la Providence
de les avoir fait naître dans cet état daisanee, n exige-
t-elle pas quils viennent au secours de ceux quelle na pas
si favorablement traités.
Si nous sommes dans cet état de médiocrité, récompensé
ordinairement par la vertu, nous saisirons avec encore
plus d'ardeur les moyens que je propose dans cet ouvrage
de soulager nos semblables; ces moyens ne sont que les
lois de ïhumanité mises en exécution dune manière utile et
prudente.
Ainsi, fai lieu de compter sur la protection des grands,
le concours des riches, T empressement de Vémulation de
Tétat mitoyen, et enfin le vœu général du peuple et des
malheureux.
Rendons nos voisins aussi jaloux de nos établissements
quils le sont de nos victoires. Que le règne de Louis XV
soit aussi célèbre par Thumanité quil test par la
valeur ».
INTRODUCTION
C'est aux heures paisibles et agréables de mes recher-
ches à la Bibliothèque Nationale, que je fis, en lisant
Mon Vieux Paris^ d'Edouard Drumont, connaissance
avec cette curieuse physionomie de Piarron de Chamous-
set. J'en témoignai (1) immédiatement toute ma gratitude
à l'excellent écrivain, en le remerciant de m'avoir mis face
à face avec cette noble figure du xvni^ siècle complètement
méconnue aujourd'hui de mes contemporains. Mon
attirance fut telle pour cette grande mémoire oubliée,
que je me promis d'exhumer ses cendres et de faire
connaître ce philanthrope type à mes concitoyens.
(I) Piarron de Cbamousset est né à Paris, en 17 !7, rae Saint- Hyacinthe, 4. A la mort
de f>on père, en 1737, il vint habiter la rde da Mail. C'est à cette époqae qu'il est
nommé maître ordinaire de la Chambre des Comptes de Paris, en remplacement de
son père. En 1758, il qaitle la rue da Mail pour élire domicile au cloilre la Culture-
Sainte-Catherine, puis, enfin, quai Hors-Tonmelles.
n INTRODUCTION
Un tel état d'esprit en faveur d'un tel homme me
poussa vers d'autres investigations, qui amenèrent la
découverte de cette lettre de faire part.
Pièces orig^** vol. 2260 — ClauJe-Humbert Piarron do
23 documents Ciiamousset
P. 19 Pièce 19 imprimée
Vous êtes prié d'assister aux Convoi, Service et enterrement
de Messire Claude-Humbert Piarron de Chamousset, cheva-
lier, ci devant Conseiller du Roi, Mattre ordinaire en sa Cham-
bre des Comptes, décédé en son Hôtel, quai hors Tournelle ;
qui se feront ce jourd^hui Mercredi a8 Avril 1773, à neuf heures
du matin, en Téglise de Saint-Nicolas-du-Chardonneret, sa
paroisse, où il sera inhumé,
UN DE PROFUNDIS.
i
De la part de Monsieur le Comte D'Amf reville, son Oncle,
et Exécuteur Testamentaire
Nanti de cette pièce, je m'en fus trouver le vénérable
M. l'abbé Guéneau, curé de Saint-Nicolas-du-Chardon-
net, qui très obligeamment me permît d'entreprendre
des fouilles dans les caveaux de son église. L'exploration
des caveaux où gisent pitoyablement des milliers de sque*
INTRODUCTION III
lettes, bouleversés par les travaux de rinstallation du
calorifère, commença le 18 octobre 1898 (1). En novem-
bre, l'éminent directeur de la Libre Parole consacrait un
bel article à ce Remueur d'idées du passé Piarron de
Chamousset, article qui m'aida à populariser le précur-
seur de tant de fondations sociales que la grande majo-
rité des Français ignore encore.
« Sans être, dit Edouard Drumont, tout à fait un
grand homme, dans la véritable acception du mot,
sans être ce qu'on appelle un homme de génie, Piarron
de Chamousset, resté pendant près d'un siècle et demi
dans un injuste autant que complet oubli, fut incontesta-
blement une figure originale et curieuse. Il mérite autant
que d'autres le marbre ou le bronze que lui destinent
les Mutualistes qui le revendiquent aujourd'hui comme
un précurseur.
<( A vrai dire, Claude-Humbert Piarron de Chamous-
set, maître de la Chambre des Comptes, médecin, inven-
teur et philanthrope, ne fut pas seulement un précurseur
de la Mutualité. Son esprit, aussi pratique qu'ingénieux,
toucha à toutes les questions de sociologie, les résolut
(t) Voir 1« chapitre déf pro€ét-?erbant dei foaillef .
IV INTRODUCTION
avec une clarté, une simplicité, une précision merveil-
leuse, les amena pour ainsi dire jusqu'à la mise au point
de l'exécution. Parmi les grandes institutions ou fonda-
tions d'utilité publique dont s'enorgueillit notre époque,
il en est certainement peu dont Chamousset n'ait eu, un
bon siècle à l'avance, la conception. »
En quelque mots : Ecce homo, voilà l'homme que je
veux m'efforcer de faire connaître aux générations futu-
res, estimant que Piarron de Chamousset est un type
humanitaire capable d'honorer la France d'hier et celle
de demain.
Mais la France d'aujourd'hui pourrait-elle ignorer
plus longtemps celui qui a droit plus que tout autre
novateur à la reconnaissance de la postérité ?
Ce qui lui appartient bien en propre, ce qu'on ne peut
lui contester, puisque, cette fois, non content de prévoir,
il réalisa, c'est l'idée merveilleuse de la Petite Poste^ dont
pas un être civilisé ne doit une reconnaissance éternelle
à l'auteur de ce mode de correspondance rapide et
facile.
N'est-ce pas son contemporain Voltaire, qui a dit :
« La poste est le bien de toutes les affaires, de toutes les
négociations ; les absents par elle deviennent présents ;
elle est la consolation de la vie ».
A plus forte raison aujourd'hui, où à tous propos nous
INTRODUCTION V
échangeons, avec une rapidité presque vertigineuse, nos
pensées à travers le globe, par la lettre ou la carte pos-
tale.
Que d'admirateurs et de fervents anonymes ce
méconnu de la foule compte dans tous les rangs de la
Société et sous toutes les latitudes 1
Bien peu se doutent que c'est à Chamousset qu'ils
doivent cette facilité et cette rapidité de communication,
et il leur paraîtra bien invraisemblable qu'une idée si
simple et si pratique ait eu toutes les peines du monde
à prendre corps et qu'elle ait même échoué une pre-
mière fois complètement, en 1653, dans ce Paris qui
était déjà le Paris de Louis XIV.
Rien n'est plus exact cependant. Le véritable inven-
teur du timbre poste fut un Maître des requêtes, M. de
Velayer, qui, dit Peligon, « avait obtenu un privilège ou
don du roi pour pouvoir, seul, établir des boëstes dans
divers quartiers de Paris, et avait ensuite établi un
bureau au Palais où l'on vendait, pour un sou pièce,
certains billets imprimez d'une marque qui lui était par-
ticulière... ))
Repoussée par les Parisiens, l'idée de M. de Velayer
alla, comme la plupart de nos inventions, faire un
voyage en Angleterre, où Chamousset la retrouva un
siècle après et d'où il la réimporta en France.
VI INTRODUCTION
Plus heureux que Velayer, il finit par installer la
Petite Poste dans des conditions satisfaisantes, mais ce
ne fut pas sans peine. Il lui fallait lutter pied à pied,
multiplier les « mémoires », réfuter sans relâche les
objections dont la principale était que la Petite Poste
était destinée à jeter le trouble dans la Société en favo-
risant la lettre anonyme i
Certes, ces craintes étaient fondées, puisque, depuis^ la
lettre anonyme inonde les services publics et privés, mais
fallait*-il, à cause de cela, supprimer à jamais l'échange
de ce langage écrit qui abaisse les frontières et prépare
aux peuples les plus divers un avenir meilleur ?
Chaque chose a ses inconvénients, mais, à côté de la
lettre anonyme orduriôre, que de douceurs, de plaisirs,
de bonheur et de satisfaction le facteur ne nous apporte-
t-il pas quotidienpement, de tous les points, de nos
relations aimées ou sympathiques I...
La Petite Poste était en pleine prospérité au bout
d'une année. Elle avait rapporté à M. de Chamousset
50,000 livres tous frais prélevés. « Ses calculs justes,
simples, et mis au plus bas, lui faisaient espérer qu'elle
lui rendrait le double et davantage lorsqu'elle aurait pris
toute la faveur qu'elle méritait. »
Mais l'Etat, qui n'a guère changé depuis, couvait d'un
œil avide ces profits si légitimes, et on vint à bout de
INTRODUOTION VH
persuader au souverain qu'il pouvait se les réserver. Le
roi prit donc la Petite Poste pour son compte, et, à titre
de récompense et d'indemnité, il accorda à Tinventeur
20,000 livres de rentes viagères sur ses produits, avec la
liberté de disposer à sa mort de la moitié de cette rente
« en faveur de telles personnes qu'il jugerait à propos»
pour être par elles également possédée à la vie ».
Ainsi furent brisés les rêves du généreux philanthrope,
qui escomptait déjà les beaux bénéfices futurs de la
Petite Poste pour réformer les hôpitaux et créer la Mai''
son d'Association.
Qu'est-ce que la Maison d'Association^ sinon le schéma
de nos Sociétés de secours mutuels?
C'est par cette Maison d'Association, où la coopération
individuelle fait la multiplication des ressources com*
munes, qui fut le rêve cher de sa vie, que Chamousset se
rattache surtout aux mutualistes, n'en déplaise à ceu:i
qui pensent à leur statue plutôt qu'à celle du vrai pré-
curseur des mutualités modernes (1).
Privé des ressources sur lesquelles il avait compté, il
ne se découragea pas, et, bravement, pour arriver quand
même à ses fins, il employa son arme favorite : le
Mémoire.
<1) Voir à l'appendice Topinion de P.-H. Lebai.
vin INTRODUCTION
Le titre du premier de ces Mémoires, qui explique
suffisamment la pensée du fondateur était le suivant :
« Plan d'une Maison d'Association dans laquelle au moyen
d'une somme très modique versée chaque mois, chaque
associé s'assureraj dans Vétat de maladie^ toutes sortes de
secours que Ton peut désirer ».
Voilà de la mutualité ou je ne m'y connais pas !
Parmi les autres titres de Chamousset à la reconnais-
sance publique, nous ne pouvons qu enumérer les intel-
ligentes réformes qu'il opéra dans les hôpitaux militaires,
lorsque, en 1761, au moment où s'ouvrait la campagne,
le duc de Choiseul le nomma intendant général des
hôpitaux sédentaires" des armées du Roi. Louis XV, en
signant sa nomination, dit à Chamousset, en ce langage
élevé que parlait si bien Louis XIV : Monsieur^ j'ai rare^
ment signé nomination qui me fit plus plaisir, car je n'en
ai jamais signé qui puisse faire autant de bien à mes
troupes.
L'heureuse influence des réformes opérées par Cha-
mousset ne tarda pas à se faire sentir : le Maréchal de
Broglie, toujours empressé à se rendre compte par lui-
même de l'état des soldats, vint inopinément visiter les
hôpitaux de Cassel. Il fut si enchanté de sa visite, qu'il
témoigna hautement sa satisfaction. Se tournant vers
Mïwe la Maréchale, il s'écria, en présence des officiers de
INTRODUCTION IX
sa suite : « Si je suis malade, je me ferai transporter à
l'Hôpital de MM. les officiers ».
Le maréchal de Soubise, après avoir visité, sans en
avoir prévenu personne, l'hôpital de Dusseldorf, jpro-
nonça ces paroles, si flatteuses pour celui qu'elles
visaient : « Voici la première fois que j'ai le bonheur de
visiter un hôpital sans entendre de plaintes ».
Sa sollicitude pour l'armée ne s'arrête pas là. Il eut
l'idée de créer les ambulances militaires, projet que
reprit, en 1792, Larrey ; c'eSt lui qui inspire encore à
Cadet de Vaux l'innovation qui consiste à créer un poste
de secours pour les blessés ramassés sur la voie
publique.
Il faut encore citer son Règlement pour la réforme de
IHôtel'Dieu, le Plan général pour l administration des
hôpitaux du royaume, les nombreux Mémoires relatifs
aux Enfants trouvés, aux Refuges de vieillards, sur
un Établissement pour procurer de Veau pure à Paris,
sur un Établissement en faveur des servantes malades
et hors de condition, les filles de boutique et les
ouvrières, sur les Voitures publiques, sur les Compagnies
d assurances contre T incendie; enfin, un Mémoire sur un
Magasin général ou Dépôt public, où ce remueur d'idées
bienfaisantes, à l'imagination toujours éveillée et au cœur
sans cesse pitoyable, esquissait le plan d'une sorte de
X INTRODUCTION
Mont''de''Piété idéal qui n'eût pas prêté d'argent, maia
fiîmpjlement son nom et son crédit, c est^à-dire qui eût
donné du papier payable dans le temps convenu avec
l'emprunteur, et cela sans prendre un centime d'intérêt.
Ennemi de la mendicité, n'a-t-il pas préconisé la fon-
dation d'un Bureau central des Œuvres charitables (1),
mettant à Vindex ceux qui vivent de mendicité.
Il me suffira de faire remal^quer que, dans ces pages
si claires, si lumineuses, se reflète exactement, comme en
un miroir de pure vérité, l'âme candide, bonne et fière de
leur auteur. Chamousset fut un sociologue essentielle-*
ment simple et spontané.
C'est en une telle disposition d'esprit, en une telle
atmosphère de paix, de recueillement et de dignité, que
furent émis tous ses projets.
Voilà le novateur puissant et hardi, que je me suis
promis de faire connaître et aimer, puisqu'il a poussé à
la marché en avant de notre humanité souffrante. N'a-t-il
pas, dans sa vie relativement courte, puisqu'il mourut à
cinquante-six ans, le 26 avril 1773, tout fait pour le bien-
être des humbles et l'utilitarisme des âmes simples ?
Est-ce trop dire, lorsqu'on voit tant d'idées hardies,
fécondes, ingénieuses, couvées et mûries, dans le cerveau
(1) Voir à l'appendice l*Él«ge d'AlboB.
INTRODUOTION Xï
de cet homme si merveilleusement doué : que Chamous*
set avait « une âme créée pour la bienfaisance. »
Cela est si Vrai, qu'il ne se reposait même pas dans le
sommeil et que, la nuit, il se réveillait souvent, méditant
quelque œuvre utile, combinant quelque projet nouveau.
« Je ne vois guère, en notre temps, de personnalité, dit
encore EdouardDrumont, qui puisse lui être comparée,
si ce n'est celle, bien oubliée aussi aujourd'hui, de l'auteur
des Questions de mon temps, d'Emile de Girardin, au
nom duquel est également attaché le souvenir d'une
réforme postale. »
Tous les deux, avec une très grande hardiesse dans la
conception, ont la même horreur du vague, tous les
deux présentent volontiers leurs idées sous la forme de
statuts ou de décrets. Ils aiment à voir leurs théories
ayant pris corps en quelque sorte et déjà passées dans
les faits; ils se regardent non point comme des écrivains
développant un thème plus ou moins brillant, mais
comme des organisateurs faisant fonctionner un système
nouveau.
Chamousset l'emporte incontestablement par le côté
moral et philanthropique, par le désintéressement absolu
de ses projets, par l'inépuisable bonté de son cœur.
Cet homme qui se fit médecin pour donner aux pau-
vres des consultations gratuites^ qui renonça à se marier
XII • INTRODUCTION
parce que sa fiancée refusa de s'enterrer avec lui dans ses
terres pour y fonder un hôpital modèle, fut une sorte de
saint laïque égaré dans la société frivole, égoïste et cor-
rompue du xvnie siècle.
Chrétien libéral et pratiquant, de Chamousset fut lié
intimement avec ceux qu'on appelait les philosophes
comme avec ceux qui combattaient les philosophes. Son
caractère foncièrement loyal inspirait à tous, français ou
étrangers, un profond respect.
Voltaire, qui avait une grande sympathie pour Piarron
de Chamousset, et l'on sait qu'il ne prodiguait pas la
sienne, le caractérise dans ces mots : « L'un des meil-
leurs citoyens et des plus attentifs au bien public ».
A cette époque, tout Paris retentissait d'éloges, que cet
homme bienfaisant et chrétien n'avait pas mendiés, et
qui étaient même contraires à ses intentions.
Enfiii J.-J. Rousseau fut un de ses admirateurs et amis;
il lui témoigna même son estime d'une façon emphatique
et solennelle qui est bien dans le caractère de Thomme
et dans le ton de l'époque. Quand M. de Chamousset vint
visiter l'auteur d'Emile, Rousseau était assis ; il ne se leva
point, il ne le salua pas, il ne le reconduisit pas, et lui dit :
« Je vous estime trop pour vous traiter comme les autres
mortels ». II refusa même de toucher au Plan de réforme
de IHôtel-Dieu, que le philanthrope lui avait montré.
INTRODUCTION lU
« Qu'est-il besoin, répondiWl, de correction dans un
ouvrage qu'on ne peut lire sans frissonner d'horreur par
les peintures qu'il présente ? Qu'est-ce que l'art d'écrire
si ce n'est l'art d'intéresser et de convaincre ? »
Voilà le jugement que ses contemporains, et non les
moindres, portaient sur ce grand cœur, cette belle intel-
ligence, que Monselet a même oubliée : Dans ses Oubliés
et Dédaignés du XVI W.
Est-ce à croire, justice de Dieu ?
Et cependant l'armée française lui doit des réformes
indéniables, à tel point que M. Krantz, ministre de la
Guerre, m'écrivait le 29 mai 1899 :
Monsieur, vous avez, au nom du Comité qui s'est organisé
à Paris pour élever, en 1900, un monument à Piarron de Cha-
mousset, ancien intendant général de l'armée de Louis XV,
adressé une demande à mon prédécesseur, en vue d'obtenir
le patronage du chef de l'armée en faveur de cette œuvre.
J'ai l'honneur de vous faire connaître que je serai heureux
de m' associer à l'hommage que vous voulez rendre à la
mémoire de Piarron de Chamousset, qui fut un véritable
philanthrope et qui se ruina pour réformer le régime des
hôpitaux civils et militaires.
J'accorde donc volontiers mon patronage à votre Comité
pour la souscription projetée dans le but d'élever un monu-
ment à Piarron de Chamousset.
UV INTRODUCTION
En juillet 1899, M. le général de Gallifet a contresigné
la lettre de son prédécesseur en ayant soin d*écrii*e (( les
crédits ouverts au budget de la guerre ne me permettent
pas de lui accorder un concours financier ».
Notez, en passant, que M. Krantz, au nom de l'armée
française, reconnaît que Piarron de Chamousset ê'est
ruiné pour réformer le régime des hôpitaux civils et militai^
res. Mais le général de Gallifet est obligé de déclarer qu'il
n'a pas même un vieux canon à fondre pour honorer celui
que l'armée devrait vénérer tous les jours.
Cependant l'Assistance publique lui doit, elle aussi, la
Réforme du régime des hôpitaux^ puisque jusqu'à lui il
était admis de faire coucher trois ou quatre malades dans
le même lit, sans se préoccuper de la classification des
maladies ; trop souvent, hélas I un blessé reposait — sî
repos il y avait à dormir ou à souffrir — entre un vario-
leux et un phtisique.
L'Assistance publique nous a bien montré, à l'Exposi-
tion, un type de ces hts, véritable serre chaude de pesti-
lence, mais elle a oublié de prononcer le nom de celui
qui, le premier, avait demandé et prescrit un lit pour
chaque malade. Réforme urgente, qui s'imposait devant
l'hécatombe efiFroyable, quotidienne, du régime des hôpi-
taux à cette époque.
Pour se convaincre de cet état de choses, qui faisait
INTHODUOTION XV
saigner le cœur compatissant de Chamousset, il faut lire
LHistoire du Socialisme intégral et particulièrement
le chapitre L Assistance Sociale dans les derniers siècles*
Dans ce chapitre, qui mérite d'être lu, Benoît Malon fait
allusion à rimmense agglomération de malades (dans les
hôpitaux; à Bicétre, dit-il, 25 lits pour 200 vénériens,
etc., d où une mortalité de 2/3 des malades. •
Puis, en note, citant les chiffres de Piarron de Cha-
mousset, il constate que sur 251.178 malades entrés à
l'Hôtel-Dieu de Paris de 1737 à 1748, il en était mort
61.091, soit 24 0/0 (1).
De ce lit exposé en 1900 il doit nous rester néanmoins
l'effroyable sensation de la contagion facile de toutes les
maladies, et, en particulier, de la phtisie, fléau horrible
qui ravage aujourd'hui notre société.
Conséquences héréditaires de l'ignorance du corps
médical d'alors, qui repoussait, en haussant les épaules»
toutes les idées de contagiosité de la phtisie, et cepen-
dant ce mode d'hospitalisation était la couveuse par
excellence de ce bacille qui ronge de nos jours les forces
vives de la France.
Rien d'étonnant donc qu'à notre époque surtout de
(1) Voir le tableau saiaitsant que fait d'AIbon, dans ton Ëlogt, aur oat état d«
choses, qu'en hygiéniste clairvoyant, Piarron de Chamoosstt condamne. — Comme
complément, f. G. Bourgeois, Ssode rwiU et tub^euhtê»
XVI INTRODUCTION
surmenage fiévreux, les germes d'hier reparaissent plus
vivaces dans notre ra1:e appauvrie, surtout dans la classe
de ceux qui bûchent ferme pour la bouchée quoti-
dienne.
Elle, toujours; elle, partout!
Certes, chaque époque a ses fléaux. Dès le moyen âge,
c'est la lèpre avec ses hideurs qui passe à l'état endémi-
que; ce sont ces épidémies de peste qui déciment des
contrées entières; jusqu'à la découverte de Jenner, la
petite vérole frappe d'inn ' 'es victimes et laisse
défigurées pour la vie ce!' le tue pas. Nos pères
ont connu l'efiFroi du choléra... A «dies éteintes ou sin-
gulièrement atténuées, presque reléj^uées dans le lointain
du passé. La nôtre, l'affection aujourd'hui meurtrière
entre toutes, c'est la tuberculose.
Ce qui la rend si redoutable, c'est ce caractère éminem-
ment contagieux, que les médecins, obstinés dans leurs
erreurs, ont pendant si longtemps nié et que tous à pré-
sent sont unanimes à proclamer le danger permanent.
Enfin, il est reconnu aujourd'hui, que là où un phti-
sique a vécu, là où sa maladie s'est développée, là, enfin,
où la mort lui a fermé les yeux, tout est souillé, conta-
miné, tout est un agent de propagation : les objets qui
lui ont servi, le lit où il a expiré, le mobilier de la
chambre qu'il habitait, les draps, les tentures, tout enfin.
INTRODUCTION XVn
Passons et jetons un vaste crêpe sur ces douleurs du
passe, en envisageant en face celles du présent (1).
Néanmoins, aussi généreuse que le Ministère de la
guerre, ladministration de TAssistance publique n a pas
trouvé quelques francs pour participer à la souscription
du monument de cet homme de bien.
Enfin la Poste, qui lui doit sa fortune, n a pas même
trouvé un billet bleu à gratter sur un chapitre quelconque
pour honorer celui qui a contribué à sa première orga-
nisation. ,.,
Je vous l'ai dit dé'ji ^^ possédant une jolie for-
tune, ayant un physi( ..^^^i v^awle, beaucoup d esprit, par
surcroît excellent musicien, il resta volontairement céli-
bataire, parce que sa fiancée avait refusé d'épouser ses
idées philanthropiques. Cette franchise en tous cas est
honorable des deux côtés.
Libre, livré à lui-même, de ce jour sa vie fut faite de
dévouement. Il pensait sans cesse au troupeau des âmes
communes — pour le grand siècle de Louis XIV — et
aux majorités livrées à l'imprévoyance du lendemain.
Esprit avide et curieux, empreint d une culture scien-
tifique, il devint logiquement un sociologue novateur —
(1) Pour parer à cet état de choses, j*ai préconisé depuis bien longtemps des
Sanatoria, ainsi que la construction de Ruches Mutualistes.
XVin INTRODUCTION
céda à son destin comme cède à la poussée du vent une
barque désemparée. Du reste, dans la vie, tout se tient et
s*encha!ne.
Dès lors, amoureux d'idéal, enthousiaste des grandes
causes, il rêva de dépenser sa vie sur tous les champs
d'action de la philanthropie.
Cet homme d'action et d'imagination, qui s'était fait
docteur volontaire en quelque sorte, au grand ébahisse-
ment de la jeunesse des écoles, se fit, avant d'organiser
admirablement les hôpitaux de l'armée, le serviteur des
déshérités.
Docteur, ou officier de santé : que sais-je? non seule-
ment il donnait ses consultations gratuites, mais il ajou*
tait gratuitement encore les médicaments.
Ces lignes étaient écrites et publiées déjà, dans plu-
sieurs journaux, lorsque j'eus le plaisir de lire, dans la
Revue Hebdomadaire du 19 novembre 1898, un article
qui soumettait ma conscience de biographe à une dure
épreuve.
Dans cet article, le docteur Cabanes, qui m'avait prêté
son concours au moment des fouilles entreprises à Saint-
Nicolas du-Chardonnet, émettait un doute sur la qualité
de médecin, pour Chamousset.
Le scepticisme de son érudition incontestée m'a mordu
le cœur, puisque je me suis donné la mission de faire
INTRODUCTION XIX
revivre, par la plume et le marbre^ cette originale person-
nalité, toute pétrie de bienfaisance humaine ; dès lors je
me promis d élucider ce point nuageux.
Historiographe scrupuleux, j'ai voulu en avoir la cons-
cience nette, puisque, confiant en ses biographes mes
devanciers, j'allais perpétuer peut-être une erreur histo-
rique, en donnant à priori à Chamousset une qualité
qu'il n a jamais eue.
Pour arriver à affirmer ou à infirmer, la chose parais-
sait difficile, puisque notre École de médecine ne possède
plus de thèse au-delà de la Révolution. Néanmoins je fis
mon enquête auprès du très obligeant M. Pupin, secré-
taire général de l'Ecole de médecine de Paris, ainsi
qu'auprès de l'érudit et du non moins aimable M. Dureau,
bibliothécaire de l'Académie de médecine. Leurs actives
recherches furent vaines, et tous deux furent d'accord
pour me dire que Piarron de Chamousset n'avait jamais
soutenu de thèse devant la Faculté de Paris.
Le docteur Légué, qui connaît admirablei^ent son xvn*
et son xviiie siècle — il nous l'a prouvé du reste, en écrivant
Urbain Grandier, Sœur Jeanne des Anges, Médecins et
Empoisonneurs du XVII^ siècle — n'a rien trouvé non
plus dans sa prodigieuse et intarissable mémoire ; au
contraire, il ma confirmé dans les doutes de son confrère
Cabanes.
XX INTRODUCTION
11 fallait donc chercher ailleurs. Comme Piarron de
Chamousset avait traversé la Manche, je m'étais promis
de diriger mes recherches vers la Faculté de Londres,
afin de voir s'il n'avait pas été gradé dans cette ville.
Entre temps, je faisais des recherches sur sa parenté, et,
par une rencontre fortuite, je mis à jour une pièce manus-
crite signée Morand, docteur. Régent de la Faculté de
Médecine de Paris, qui dénonce à l'Archevêque de Paris
l'entrée du sieur Chamousset, maître des Comptes, et
autres personnes sans titres dans les couvents des reli-
gieuses'(l).
Mon confrère et ami le docteur Cabanes estimera avec
moi que cette trouvaille est heureuse, puisqu'elle éclaire
la discussion et remet les choses au point.
La voici donc in extenso :
« Dans la dernière assemblée du Prima mensis de la
Faculté de Médecine de Paris, plusieurs docteurs se plaigni-
rent que dans différens couvens de filles où ils avaient occa-
sion d'aller, ils rencontraient fréquemment des médecins
non aprouvés ou même inconnus, plusieurs autres médecins
présents déclarèrent que pareil abus reignoit dans la plus
part des couvens de filles, tant à l'égard des médecins, ou
(1) Bibliothèque de l'ArBenal. — Sur l'entrée du Sieur Chamousset, Maître des Compte
et autres personnes sans titres dans les couvents de Religieuses.
Volome 5306. — F* 104, recto — 106 recto et suivants.
INTRODUCrriON XXI
soit disant tels, qu'à l'égard des apothicaires et des empi-
riques.
Il fut décidé, que comme il s'agissait d'un abus, qui n'est
pas seulement contraire à la police de la Médecine, mais
dans lequel la discipline Monastique est gravement intéres-
sée, il était à propos d'en informer Monsieur l'Archevesque de
Paris, comme supérieur temporel et spirituel des Maisons
religieuses, et M. Morand fut commis, pour avoir l'honneur
de voir Sa Grandeur à ce sujet.
L'exactitude respectable de Monsieur l'Archevesque de
Paris, son attachement religieux à la règle, ont parus, à la
faculté des sœurs garans de l'attention que Sa Grandeur dai-
gnera aporter à ces représentations, et M. Morand qui a été
souvent à portée de connoitre par les effets, les vues et les
intentions éclairées de Monsieur l'Archevesque de Paris, se
croit par conséquent dispensé de s'étendre beaucoup en
réflexions.
Dans le fait dont il s'agit, il suffit de partir du principe
incontestable, qu'il n'y a que des raisons de nécessité abso-
lue, qui puissent ouvrir les portes des Maisons Monacales,
aux personnes d'un sexe différent.
Cette vérité restreint naturellement l'entrée des couvens
aux gens de justice dans des cas accidentels et peu ordi-
naires : aux directeurs, aux médecins et aux chirurgiens,
presqu'habituellement.
Quant aux derniers, on apperçoit aisément que dans une
Capitale comme Paris, la simple qualité de médecin ou de
XXn INTRODUCTION
chirurgien, n'est pas un titre à beaucoup près suffisant pour
être reçUy sans autre examen^ dans les maisons sacrées, dont
l'institution éloigne scrupuleusement les moindres sujeU de
peines de conscience et de dissipations de cours.
Paris abonde en tout tems de médecins de tous pays, et
de toutes les Provinces : il est donc important que cette qua-
lité d'homme public, en faveur de laquelle la règle est
obligée de ployer, soit consacrée d'une manière qui assure
la tranquillité et la régularité chrétienne de ces retraites.
Peut-il y en avoir une plus positive et de plus digne de
confiance qu'un titre, qui attache par des lois particulières
et de Religion et de discipline, à un Corps tel que l'Univer*
site de Paris ; aussi dans tous les cas où l'on a besoin de
témoignage de Médecins, n'admet-on que ceux des Docteurs
de la Faculté de Paris qui sont responsables de leur pro-
bité, ainsi que de leur Doctrine, à la Faculté et dont la
conscience est ordinairement à Tabri d'odieuse suggestion.
Les Maisons Monacales ne doivent donc être ouvertes
qu'aux seuls Médecins de la Faculté de Paris, et ensuite à
ceux qu'ils reconnaissent pour leur être associés dans la
prérogative de pratique à Paris.
Dans les collèges de l'Université, où la chose est de bien
moindre conséquence, il est défendu à tout Principal et
Précepteur de prendre pour Médecin ordinaire ou dans des
cas particuliers, d'autres médecins que de la Faculté de
Paris, ou ceux avec lesquels ils consultent. [Decreluyn
univers itatis pridie yionas februar. 1742),
INTRODUCTION XXTII
Le prétexte de faire prendre une Médecine à une Reli-
gieuse ou à une pensionnaire ne sera pas compétent pour
ouvrir l'entrée d'un couvent à un Apothicaire, encore moins
en trouvera-t-il pour y avoir des entrées répétées et suivies
plusieurs jours comme un Médecin y est souvent obligé.
Entre autres personnes que le relâchement presque géné-
ral des Abbaisses, supérieures ou prieures admet abusive*
ment, dans l'intérieur des couvens pour raison de santé, il
est indispensable d'en spécifier une à Monsieur l'Archevesque
de Paris ; on ne sçait depuis quel tems ni de quelle façon le
Sieur de Chamoussety Maître des Comptes, a trouvé
moyen de se procurer ^ à toute sorte d' heures ^ U7ie entrée
libre dans les couvens^ où il traite des malades^ et où
Von déclare affirmativement quHl fait des saignées très à
la légère. Si la Faculté de Médecine ne contredit point
la passion qui emporte le Sieur de Chamousset pour la
médecine charitable^ quoique les pauvres ne manquent
jamais de médecin que lorsqu'ils le veulent bien ; outre les
consultations gratuites qui sont ouvertes tous les samedis
aux Ecoles de Médecine pour les pauvres non allités et les
visites charitables qu'on leur fait aussi chez eux après qu'ils
sont venus une fois à ces assemblées, MM. les curés de
Paris, à cet égard, peuvent rendre des services... honorables
sur les médecins de la Faculté qui sont leurs paroissiens.
Cette tolérance, qui n'est point approfondie, ne lui donne
pas le privilège d'entrer dans des maisons religieuses, sous
le faible prétexte de faire une saignée; la pauvreté n'y
XXIV INTRODUCTION
afflige jamais le moindre domestique, au point de faire
enfreindre ou adoucir une loi qui doit être inviolable et qui
ne peut jamais, sans de grands inconvénients, être inusitée
ou étendue mal à propos : et quand même il serait question
de soigner gratuitement un malade dans un couvent, on ne
présume point que le Sieur de Chamousset se croie seul
charitabley à l'exclusion de tous les médecins et tous les
chinirgiens et, en particulier, de ceux qui sont attachés en
cette qualité à ces maisons.
Il est donc clair que le Sieur de Chamousset et quiconque
est dépourvu du caractère auquel est attaché le privilège
spécial d'entrer dans les couvens encourt de plein droit en
se l'attribuant, une admonition du supérieur ecclésiastique ;
les exceptions qui sont preuves et confirmations de la règle
sont des plus rares, en toutes sortes de matières, et il ne peut
guère y en avoir dans celle dont il s'agit. Encore, comme il
y a du danger à suivre l'exception préférablement à la règle,
il est plus sûr d'être contraire à l'exception et d'en juger
rigoureusement. En un mot, lorsqu'il se montrera le
moindre doute dans les actions morales, on doit suivre la
règle et non l'exception.
Monsieur l'Archevesque de Paris a lui-même donné des
exemples de cette sage conduite dans les cas les plus singu-
liers qui semblaient pouvoir permettre quelque relâche, tels
que des pensionnaires malades et en danger, auxquelles la
vue d'un père offrait une consolation raisonnable ; d'autres,
auxquelles la présence d'une personne unique était de
INTRODUCTION XXV
conséquence pour les arrangements d'affaires de famille ;
bien loin que les cas aient été jugés par Monsieur l'Arche-
vesque de nature à devoir faire plier la règle et Taccominoder
aux circonstances.
Les lumières de Sa Grandeur les lui ont fait redouter
comme capables d'ébranler et d'altérer la rectitude d'une
observance qui maintient dans la ferveur les âmes pieuses
consacrées à Dieu dans le silence, dont la gloire est de
n'aimer pas à être vues et ne vouloir pas voir les hommes.
Sur les simples réflexions qu'on ne fait que présenter, la
Faculté de Médecine de Paris attend de Monsieur TArche-
vesque le rétablissement du bon ordre, dans le point qui
fait l'objet de ce mémoire : la vigilance et la fermeté de
Monsieur l'Archevesque, dans l'exercice de sa puissance,
donnera lieu d'espérer qu'il fera défense à toute Abbaisse,
supérieure ou prieure de Maison de Moniales de laisser
entrer deux fois dans leur couvent un médecin sans s'être
assuré qu'il est docteur de la Faculté de Paris ou ayant
droit de consulter avec eux. >
Cette pièce méritait d'être connue; mais jai peur
maintenant qu'elle est livrée à la malignité publique,
qu'elle ne soit pimentée et commentée, avec sel et esprit,
par tous ceux qui l'auront lue avec le désir d'y lire ce
qu'il n'y a jamais eu.
XXVI INTRODUCTION
Est-ce pour ce motif, que son contemporain, le poète
fécond, Cubières Palmezeaux, disait en chantant la
Petite Poste :
Non, Gbamousset est sage, et la sage Pallas
Le voit avec plaisir suivre partout ses pas ;
Rappelant, quoique vieux, le jeune Télémaqne,
Des viles passions il ne craint point Tattaque.
Piarron de Chamousset a eu assez de détracteur»
durant sa vie, sans voir aujourd'hui sa mémoire entachée
d'une ombre quelconque. Si, après cent trente ans de
silence et d oubli, nous constatons qu'il n'a pas eu ses
grades de docteur, il n'en reste pas moins, grâce à ses
œuvres multiples de haute humanité, une des plus
curieuses figures de son siècle.
Il faut le dire bien haut, cet homme du monde, riche,
puissant, allié aux plus grandes familles de robe et
d'épée, désertait les salons de ses parents : les Cour de
Balleroy, les Dreux, les d'Harcourt, les d'Estouville, les
Matignon, les d'Achey, les de la Rivière, les d'Ampoille,
dont la noblesse remonte à l'an 1463, 1599, 1666, pour
soigner chez lui, à ses frais, les malheureux qui avaient
besoin de ses soins. Quel bel exemple pour la noblesse ;
quel noble usage de la fortune I
INTRODUCTION XXVH
Il connut dès lors le travailleur, il vécut près de lui,
en lui, dans son ambiance, loin de la vie artificielle et
conventionnelle du monde.
Les humbles I II partagea leurs souffrances, leurs
misères, leurs modestes et faciles joies; il observa leur
existence de labeur et de lutte, et c est ainsi qu'il a appris
à les aimer.
Ses yeux s'ouvrirent sur l'univers des douleurs qu'il
n'avait pour ainsi dire jamais vu jusqu'alors. Il dépouilla
les formules apprises, il rejeta tout l'enseignement glacial
des artifices et des conventions.
Comme vous le voyez, cette curieuse physionomie
mérite d'être mise en vedette, car il ne se contentait
point d'être philanthrope en paroles, mais il vivait ses
idées, et sa vie fut par quelques points la vie d'un saint
égaré en ce xvni^ siècle, qui parle tant de la vertu et la
pratique si peu.
Vous le voyez, M. de Chamousset est un des types
d'humanité supérieure que Carlyle appelle si justement
des héros.
Chez lui, on trouve l'âme de la race, de l'individualité
forte et originale. Ses œuvres, qui livrent le fond de sa
pensée, révèlent un esprit de large envergure, une âme
pleine d'enthousiasme et d'indulgence, un cœur tout
chaud de généreuse et vibrante pitié pour les milieux de
XXVin INTRODUCTION
pauvreté et de soufiFrance, que la fatalité écrase sous le
poids d'atroces et poignantes douleurs. Sous sa plume,
nous trouvons le plus divin des sentiments qui fasse
vibrer un cœur d'homme, la Pitié, parce qu'elle était
plutôt dirigée par le cœur que par l'esprit.
Dans la première partie de ses œuvres posthumes, que
nous devons à M. l'abbé Cotton des Houssayes (1), on
trouve tout ce qu'a fait M. de Chamousset pour l'huma-
nité malheureuse en général ; dans la seconde, ce qu*îl a
tenté pour l'humanité malheureuse en particulier; dans
la troisième, ses découvertes en médecine ; enfin, dans la
quatrième, ce qu'il a fait ou ce qu'il eût voulu faire pour
augmenter les agréments de la société.
Ce grand voyant, dont les idées pratiques se sont réa-
lisées, non content d'être un des précurseurs de la
Mutualité, veut en devenir le précepteur vénéré.
(i) CottOD des Houssayes (Jean- Baptiste), né i La Neaville-Chant-d'Oisel, prés
de HoaeD. le 17 DOYembre 1727, docteur et bibliothécaire en Sorbonne, professa
pendant quinze ans la théologie à Rouen. Il est mort à Paris, le 20 août 1783. On a
de lui : 1* Éloge historique de M. Maillet du Boullay, Rouen. 1770. in-8* ; 2* Ètoge
historique de Vabbé de Saqs, 1 775, in-8*, et dans les pièces relatives à VAcodémie de
V Immaculée-Conception de la Sainte- Vierge, fondée à Roum. Ce même recueil contient
plusieurs discours de Cotton des Houssayes
8* Plusieurs articles dans le Journal de Physique^de 1780. Ces articles sont relatifs
à la botanique, science que Cotton aimait beaucoup. Il travaillait à des Éléments
d'histoire littéraire universelle ou Bibliothèque raisonnée, dont on peut voir le plan dans
l'Année littéraire de 1780, et dans le Jouinal des Savants de 17S1. Il avait dessein de
donner l'essai d'un Traité des Universités de France pour servir d'introduction au com»
meniaire sur te chapitre des gradués de M. d'Héricourl. Son manuscrit avait 358 pages
in-4*.
INTRODUCTION XXIX
Sa foi inébranlable et active dans l'amélioration du
genre humain, qui peut nous servir de guide et de sou-
tien, il la traduit en apportant à la Mutualité le viatique
le plus efficace qui puisse agir sur un groupe humain, à
savoir la confiance en sa force et eii ses destinées.
Ce calculateur scrupuleux doublé d'un philanthrope
sans rival, trop oublié, trop dédaigné, selon nous, est digne
de figurer parmi tous ces hommes de bonne volonté,
d'intelligence, de dévouement, qui s'efiForcèrent avant la
Révolution de transformer pacifiquement la vieille société
française. Il eût mérité le nom qu'on donnait à l'abbé de
Saint-Pierre, qu'on appelait le Solliciteur pour le bien
public.
Le spectacle de sa vie est grand. Il commande l'admi-
ration de ses contemporains et du monde entier. La sym-
pathique physionomie de cet altruiste doit commander la
sympathie universelle. Il a fait plus que le nécessaire
pour conquérir l'estime de ses contemporains et de la
postérité.
A travers cette force de caractère exceptionnelle, il
nous apparaît comme un de ces hommes, rares à toutes
les époques et plus rares encore à la nôtre, qui mettent
l'honneur au dessus de la vie, qui font du patriotisme
une religion, apôtres et quelquefois martyrs de leur idéal,
dont le génie est dans le cœur.
XXX INTRODUCTION
Puisse le destin en réserver beaucoup de semblables à
nos sociétés décadentes, à nos civilisations corrompues,
à notre siècle abêti et dégradé par le culte du veau
d'or !
Toutes ses pensées nous donnent la sensation exacte
de cet humanitarisme qui anima de son souffle bienfai-
sant et généreux les précurseurs et les novateurs de notre
grande Révolution, qui fit sortir, non seulement, l'Europe
de sa torpeur morale et physique, mais moralisa ses rois.
Nul ne montra plus d'intelligence pratique unie à plus
de générosité que Piarron de Chamousset, dont tous les
projets, toutes les idées témoignent d'un ardent amour
du prochain. On peut le dire sans exagération aucune,
ce fut un des grands hommes à projets du xvnie siècle,
le type parfait du réformateur pratique, un semeur
d'idées générales qui préparait les esprits à la révolution
des cœurs et des intelligences. Car ce voyant avait le
sentiment de sombres pronostics d'avenir, qu'éveillaient
déjà les redoutables problèmes sociaux, politiques et
économiques dont la solution travaille aujourd'hui notre
continent vieilli et agité par les aspirations solidaristes.
C'est incontestable, Piarron de Chamousset rêva tour
jours que l'humanité fût libre et heureuse, sans exception.
Il voulait, avec toute l'ardeur de sa belle âme, que chaque
être humain pût se développer et vivre le plus heu-
iNTRODUanON XXXI
reusement possible. Et il croyait, avec raison, que cette
liberté et ce bonheur ne peuvent pas être donnés aux
hommes par un homme ou par un parti, mais que tous
les hommes, grâce à lassociation de toutes les forces
humaines, dpivent par eux-mêmes découvrir les condi-
tions de cette liberté et de ce bonheur, et les conquérir.
Il croyait que seulement la plus complète application du
principe de solidarité peut détruire la lutte, l'oppression
et l'exploitation, et que la solidarité ne peut être que le
résultat delà libre entente, que l'harmonisation volontaire
des intérêts.
Cette notice vous paraîtra peut-être imcomplète pour
faire connaître l'homme mort trop jeune, que je désire
faire revivre au milieu de nous.
Cependant pour bien éclairer votre religion, je vous ai
fait connaître l'estime que son roi et ses contemporains
professaient pour sa personne.
Maintenant serons-nous assez ingrats pour lui refuser
l'hommage qui lui est dû?
Notre Démocratie, qui a mis un point dorgueil à faire
revivre les grandes figures du xvme siècle, ne peut se refu-
ser à cette reconnaissance nationale.
Nous avons ouvert les portes du Panthéon à Voltaire
et à Rousseau ; par souscription nationale nous leur avons
élevé des statues.
XXXn INTRODUCTION
Entre ces deux personnages, il manque un grand cœur;
le triptyque du siècle dernier ne sera complet que lors-
que nous aurons élevé une statue à Piarron de Chamous-
set. Nous la lui devons, non seulement parce que son
nom brille d'un vif éclat parmi les philanthropes français
du xviiie siècle, mais parce qu'il est un des précurseurs delà
Mutualité française.
Son « plan d'une maison d'association dans laquelle,
au moyen d'une somme très modique versée chaque mois,
chaque associé s'assurera dans l'état de maladie toutes
sortes de secours, que l'on peut désirer » — n'est-ce pas
là l'esquisse de notre sociologie mutualiste ?
Vous trouverez dans sa combinaison, en dehors de la
cotisation mensuelle, les soins médicaux, la caisse de chô-
mage, la caisse de retraites ; chose curieuse, il prévoit
même la mise en subsistance pour ceux qui voyagent.
Le cas de la Mutualité Maternelle trouve aussi sa place
dans son concept. Cela est incontestable, l'esprit mutua-
liste est vigoureusement mis en relief par de Chamousset.
Ainsi lorsqu'il dit : « Les associés payeront par mois
tant en santé qu'en maladie.
« Il y aura des lieux éloignés et séparés pour les mala-
dies contagieuses, et pour les grossesses ; on exigera seu-
lement des femmes enceintes au moins neuf mois d'asso-
ciation, — voilà de la mutualité féministe — et l'on don-
INTRODUCTION XXXIII
nera la préférence entre elles à celles dont les maris
seront associés.
Les seules maladies exclusives de Tassociation seront
les maladies vénériennes et les maux incurables. »
Ecoutons-le encore :
« L'établissement n'ayant d'autres fonds que le contin-
gent des associés, il ne sera point honteux de recevoir des
secours qu'on aura payés d'avance. On ne devra rien à la
commisération des autres ; car chacun n'aura en vue que
son propre intérêt. Tous concourent en commun à établir
des fonds, parce qu'aucun ne peut être assuré d'une santé
constante, et si ceux qui sont assez heureux pour n'être
pas dans le cas d'y avoir recours fournissent à l'associa-
tion plus qu'elle ne leur rend, ils jouissent de l'avantage
d'envisager un asile qui peut d'un jour à l'autre leur deve-
nir nécessaire : et par là ils sont exempts de bien des
inquiétudes. Si quand je me porte bien, je paie par le
prix modique de mon association, pour celui qui souffre,
il en fait autant pour moi dans le même cas. C'est la loi
générale de Thumanité mise en exécution d une manière
prudente et déterminée ; c'est le bien de la Société civile
étendu à une circonstance encore plus nécessaire que tou-
tes celles auxquelles elle a pourvu jusqu'ici.
En un mot, cette association comme toutes celles dans
lesquelles on se fait honneur d'entrer, est une communauté
tltrr INTRODUCTION
de fonds, établie pour les besoins de tous les membres.
Peut-il donc y avoir une condition pour laquelle il ne soft
pas honnête de jouir des avantages q^ elle se procure elle-
même? »
Ne retrouvez-vous pas dans ces lignes nos théories de
fraternité ? les contours de nos œuvres n y sont^ils pas
nettement dessinés ?
N est-ce pas, que rien n est plus suave que ce cœur
génial injustement oublié maintenant, et dont on ne pro-
nonce pas le nom six fois par an, même parmi les phi-
lanthropes et les mutualistes ?
Oui, à rheure qull est, son nom n est plus qu un sou*^
venir vague; pas même une rue de Paris ne porte son
nom. A peine une ride du vent sur la Seine qui Ta vu
naftre. Ainsi va la gloire.
Aux Mutualistes revient la tâche sacrée de le fkire
revivre dans la reconnaissance de nos contemporains» A
côté de Voltaire et de Rousseau.
Nous lui devons bien cette éclatante réparation, puis*
que à la cause de la mutualité il donnait sans réserve son
nom, son temps, sa fortune, tout ce dont il pouvait dis-
poser.
En lui donc saluons un exemple et un maître, en lu!
saluons un des premiers mutualistes français. Donnons-
le, je vous en conjure, comme modèle aux enfants du
mTRODtJCTÎOK XXXT
xxe siècle et aux étrangers qui viennent visiter notre
belle Capitale.
Car rappelez-vous bien, que cette mutualité, à laquelle
le grand public vient à peine d'être initié et que nul ne
veut ou ne peut plus ignorer, n'est pas sortie toute forgée
du cen^eau du législateur. Elle est née, comme notre
grande Révolution, dune sorte d'înstinct, d un besoin
inné de conservation qui est au fond de tout être humain.
Elle se trouve donc intimement liée à l'histoire même
de la civilisation et du progrès en général. Mais elle est
plus particulièrement une production du génie français,
qui a toujours cherché à associer deux facteurs en appa-
rence inconciliables : la liberté et la loi.
Elle n'est ni une abstraction ni une panacée, mais elle
a affecté dès les premiers temps des formes concrètes.
Elle a pu s'adapter successivement à tous les régimes, et,
éminemment perfectible, répondre à tous les besoins de
justice sociale.
La Mutualité donc synthétise de nos jours, à la fois
l'idée toujours présente de l'épargne, et la vieille idée de
la charité; la fécondité de ces deux nobles mobiles engen-
dre l'accord social de la Mutualité, œuvre d'affection
mutuelle et de sacrifice commun, en vue d'une sécurité
collective, source toujours nouvelle d'actions généreuses.
De cette concorde doit naître rationnellement le
XXXVI INTRODUCTION
remède efficace à employer contre tous les maux sociaux.
D'autant que le principe mutuel est souple et se prête
à bien des formes de réalisation. On peut l'étendre à la
plupart des accidents ordinaires, qui viennent boulever-
ser les conditions économiques de la vie individuelle.
La maladie, la vieillesse, les désastres causés par les élé-
ments, le feu, les orages et les inondations, le chômage
même, sont matière à cette assurance familière qu'on
appelle la Mutualité. Epargner quelque parcelle de cha-
que gain, de manière à couvrir les risques qui guettent
le travailleur le plus avisé et le plus économe, voilà le
moyen et le but très clairement indiqués de cette solida-
rité.
Pour expliquer son développement, pour lui donner
sa physionomie propre, il faut remonter en arrière, la
suivre dans son patient labeur, dans cette gestation de
plus d'un siècle d'où elle est sortie triomphante avec une
charte nouvelle, des cadres élargis, et une organisation
capable de défier toutes les crises politiques et sociales.
Croyez-le, l'imminence du péril a créé plus souvent
chez l'homme la sublime fraternité, qu'il n'a déchaîné
l'égoïsme de l'instinct de la consei'vation.
Donc, l'origine de la Mutualité est vieille comme le
monde; l'association des forces et des idées se confond
dans la nuit des temps avec l'histoire des premiers hom-
INTRODUCTION XXXVH
mes qui eureut à lutter contre les myriades d'infiniment
petits, aussi bien que contre la légion des Mastodontes et
des carnassiers ; faune majestueuse et variée qui faisait
frémir les broussailles de la forêt vierge, comme retentir
la solitude du désert de ses terrifiants rugissements.
Voilà rhomme de Tâge de pierre dans sa caverne, en
face de toutes les difficultés matérielles, vivant sur un
qui vive constant, sous la terreur des cris des animaux
féroces qui venaient rôder autour de sa pauvre hutte.
Les grondements sourds de l'électricité des cieux, dont
il ignore la cause, l'afiblent.
Devant l'imposant spectacle de l'Océan en courroux, il
reste ému et cloué au rivage, pétrifié d'effroi, car il trem-
ble d'être à la merci de cet élément déchaîné, qui, dans
ses sublimes impétuosités, ravage tout sur son passage.
Dès lors, cet homme primitif comprend la nécessité de
l'association mutuelle, de l'efibrt de son semblable.
Il rêve de tribu et d'agglomération, pour chasser le
danger permanent qu'il trouve à chaque pas, parce qu'il
sent bien que, livré seul à lui-même, il ne saurait vivre
plus longtemps isolé sur notre planète, pleine d'embûches
pour ses premières tentatives.
Delà lui vient la notion de l'association et de la nécessité
de la solidarité humaine, et si toutefois ce besoin n'était
pas né dans son cœur inquiet, les plantes faibles se
XXXVni INTRODUCTION
seraient chargées de lui donner l'exemple de la solidarité
en s*entrelaçant ensemble pour déjouer les caresses bru-
tales du vent, et résister avec plus de chances aux déchaî-
nements de louragan.
N allez donc pas chercher ailleurs lorigine de 1 assis-
tance ou soutien, de la prévoyance sociale. Elle est
antique, sous ses différentes formes, comme rhumanité.
Elle est quelque chose comme ces travaux de broderie
que les femmes commencent, auxquels elles travaillent et
qu'elles ne finissent jamais, parce que le goût du jour y
apporte une transformation constante.
Dans son livre. Le passée le présent, Tavenir de la
Mutualité^ M. Eugène Joly nous donne une étude très
intéressante sur la Mutualité dans lantiquité. Il effleure
avec à -propos Thisloire des Kasidéens Juifs, des Hétai-
ries Grecques, des Collèges Romains, voire même des
Ghildes Germaniques.
L'auteur nous montre que celte solidarité, fraternelle,
mutuelle, a pris toutes les formes, et toutes les nuances de
larc-en-ciel, image fidèle de lanibiance morale et sociale
d'une époque, qui se caractérise dans sa conception et
son application. Corporation au moyen-age, compagnon-
nage plus tard, confrérie hier, mutualité aujourd'hui.
Mais si l'origine de la Mutualité se perd dans la nuit
INTRODUCTION XXXIX
des temps comme un haut clocher cache sa flèche dans
la brune, il ne s'ensuit pas qu'elle n'ait pas eu ses nova-
teurs^ ses réformateurs^ ses apôtres, de chaque étape.
J'admets que vous persistiez dans votre refus de consi-
dérer Chamousset comme l'initiateur de la mutualité
laïque et moderne ; mais pouvez-vous plus longtemps lui
refuser l'honneur d'avoir été le premier à parler de
Mutualité internationale 9
Ecoutez Tahbé Cotton des Houssayes : il vous édifiera
sur les intentions de cegrand cœur, qui battait généreuse-
ment à toutes les innovations qui pouvaient alléger le far-
deau des maux du peuple français, mais aussi les misères
physiques de nos voisins.
Son biographe dit :
« M. de Chamousset ne concentre pa^ ses vues bien^
« faisantes dans la capitale; il les étend même aux pro-
« vinces et aux royaumes étrangers, partout il établit des
<( Compagnies d'Assurance de Santé, et il veut que ces
« Compagnies, unies ensemble par la fraternité, puissent
« par ce moyen assurer à leurs différents associés voya-
« géant, les refuges de toutes les villes où leur santé
a recevra quelque atteinte ; il n'aurait été question que
« de présenter un billet de la Compagnie dont ils auraient
« été associés, par lequel elle aurait pris l'engagement
« de payer les journées de son associé, suivant sa classe
XL INTRODUCTION
€r el au prix convenu. Par là, tous les hommes devien-
« ciraient véritablement frères ; et ils ne seraient plus
« qu'une grande famille, surtout dans les moments
« critiques et douloureux où les biens de la nature
i( doivent les resserrer.
« M. de Chamousset consulta sur ce nouveau Mémoire
i( la faculté de Médecine, les six corps de marchands, les
m magistrats, les citoyens les plus éclairés; tous le com-
« blèrent d'éloges, tous convinrent que ce beau plan, en
« déchargeant les hôpitaux, les rendrait plus utiles et
(( moins redoutables; qu'il ouvrait une ressource à ceux
u qui ne voient point de milieu entre le grand humiliant
n d'une maison de charité, et les dépenses excessives que
i( les maladies et les plus simples opérations entraînent
« chez les particuliers. Rien ne i)arut plus judicieuse-
ce ment imaginé, plus humainement senti, que cette asso-
« dation. On convint qu'elle était propre à calmer les
« terreurs de l'imagination qui sont cpielquefois si dange-
« reuses surtout dans lésâmes sensibles et bien nées; qu'il
« était doux de i)enser ([u'on pouvait impunément en
« quelque sorte voir le dérangement de sa santé, par la
« certitude de voir en même temps tous les moyens
« dépendant de l'humanité, se réunir pour la rétablir ; et
« (|u'enfin, calmer les craintes rtelles ou imaginaires sur
« l'avenir, c'est prolonger, c'est doubler, c'est embellir
INTRODUCTION XLI
(( l'existence, c'est remplir le but de la nature et celui des
« gouvernements sages et humains. »
En admettant, pour un instant, que Chamousset ne soit
pas le novateur des Sociétés de Secours Mutuels, il est en
tous cas le patron de ces assurances contre les maux,
contre les maladies, contre l'accident, contre l'infirmité
temporaire, contre l'invalidité provenant de 1 âge, assu-
rance contractée par devant la Société dont chacun des
associés est en même temps l'actionnaire et l'abonné.
Rien qu'à ce point de vue, est-ce que Chamousset n'a pas
des titres impérissables à la reconnaissance des mutua-
listes ?
Admettez encore, pour un instant, une méprise de ma
part. Rougiriez-vous d'avoir pris par erreur Chamousset
pour ancêtre?
Rougiriez-vous d'avoir dressé sa statue sur une place
publique, après celle de Voltaire et de Rousseau, ses
contemporains ?
S'il en était ainsi, vous ne seriez pas dignes d'être les
fils de la Révolution française, car pouvons-nous oublier
que Chamousset fait partie intégrante de ce beau granit
intellectuel, moral et social, qui marque le tournant de
l'Histoire, en préparant non seulement l'évolution des
esprits et des cœurs, mais aussi la sublime revendication
des droits et des devoirs de chaque citoyen 1
XLU INTRODUCTION
Sans amoindrir l'œuvre de Voltaire et de J.-J. Rous-
seau et des encyclopédistes» je prétends que Chamousset
avec ses œuvres sociales, pratiques, immédiates, a fait
plus dans la masse du peuple, pour la Révolution, que
les œuvres de ces grands hommes, dont les livres
nétaient destinés qu'à une certaine élite qui savait lirei
Mais, en revanche, si le peuple ne savait pas lire dans
les livres, il savait lire dans les actes et dans les cceura.
Du reste, la Révolution n est pas le fait d'un ou plu-
sieurs hommes, mais bien l'ascension de tout un peuple»
riche d'idéal et pau\Te de conditions, qui, las de gémir
sous le fouet de ses maîtres, secoue superbement sa
crinière, pour faire tomber les ])arasites, qui le grugent et
sucent sa moelle de lion.
La Mutualité est variable dans ses rouages, dans ses servi-
ces, dans ses modalités ; parce que, comme toutes les œuvres
humaines, elle est susceptible de modifications que les so-
ciétés modernes et les besoins qu'elles ont créés appellent
forcément comme une nouvelle et indispensable évolution.
Et reconnaissons bien vite, que ce qui, dans les ques-
tions sociales, préoccupa le plus les gens, c'est l'explica-
cation d'une théorie d'activité.
Les Sociétés de secours mutuels ne sont pas nécessai-
rement toute la Mutualité, de même que la Mutualité
peut ne pas comprendre le secours mutuel proprement
INTRODUCTION XUII
dit. On s explique, dès lors, que des Associations qui se
réclament de la Mutualité n aient rien de commun avec
les Sociétés de secours mutuels. Quelques-unes, tout en
s*écartant des formes classiques et officielles ont pris,
grâce à des initiatives originales, ou à des combinaisons
ingénieuses, un remarquable développement. Il convient,
sinon de les encourager directement — elles réclament
elles-mêmes une indépendance exclusive des libéralités
de l'Etat — du moins de ne pas méconnaître le rôle
qu'elles ont joué dans l'éducation de la prévoyance, à
moins qu'elles n'aient été détournées de leur but dans
un intérêt financier ou qu'elles n aient fait naitre de chi-
mériques espoirs.
Si cette distinction n'était pas maiutenue, la Mutualité
risquerait d'être figée un jour ou l'autre dans un système
d'assurance légal, tandis qu aucune limite n'est présente-
ment assignée à son action sociale, laquelle s'inspire
constamment des besoins et des mœurs du pays.
On l'a dit avec infiniment de raison : le secours mutuel
est une sorte de génération spontanée. De tout temps, les
hommes se sont rapprochés pour s entr'aider les uns les
autres. Aussi, le secours mutuel, nous l'avons vu, a*-t4l
ses racines dans la plus haute antiquité et le groupement
familial peut-il être considéré comme sa première mani-
festation.
XLIV INTRODUCTION
Si l'on en croit la légende, les premiers compagnons,
dont les descendants fondèrent les Mutualités du moyen
âge, étaient les ouvriers du temple de Salomon. Quoi
qu'il en soit, les éranies en Grèce, les sodalités et les col-
lèges à Rome et dans la Gaule, les ghildes (banquets à
frais communs) dans les pays Scandinaves, étaient de
véritables institutions de prévoyance qui ne se conten-
taient pas d'honorer leur dieu ou leur héros clans des
fêtes appropriées, mais donnaient des secours en cas de
maladie et pourvoyaient aux funérailles de leurs mem-
bres décédés.
Le culte des morts est donc à l'origine des sociétés. Il a
persisté à travers les siècles et, aujourd'hui encore, il n*esl
aucun mutualiste qui ne soit accompagné au champ de
repos par le cortège de ceux auxquels il était associé de
son vivant.
Au moyen âge, le but des Sociétés se précise ; elles
donnent à leurs malades des secours en nature et même
en argent en échange d'une cotisation fixe. Mais leur his-
toire se confond avec celle du compagnonnage et des
confréries religieuses. Longtemps, elles devaient conserver
leurs vocables de saints et la tradition en avait même été
reprise au commencement du dix-neuviéme siècle pour se
perpétuer jusqu'à ces dernières années.
La Révolution brisa les corporations, dont la tyrannie
INTRODUCTION XLV
était devenue insupportable, mais les compagnonnages et
les confréries sui-vécurent et tout TefiFort des générations
qui suivirent devait tendre à renouer ces liens de solidarité
qui avaient soutenu leurs devancières.
Ce sont, comme le disait un jour à l'Association
fraternelle des Employés de Chemins de fer, un grand
disparu, M. Waldeck-Rousseau, « ces humbles sociétés,
qui ont été les initiatrices du grand mouvement qui a
transformé l'épargne individuelle en un agent d'assistance
mutuelle, d'aide réciproque et de prévoyance com-
mune )).
Malgré les restrictions du Code pénal, le rigorisme de
la Restauration et l'insuffisante tolérance du gouverne-
ment de juillet, le nombre des sociétés augmenta rapide-
ment, si bien que le Second Empire dut leur accorder la
personnalité civile et les admit, sous certaines conditions,
à servir des retraites. En même temps, il inaugurait l'ère
des subventions de l'Etat et constituait la première dota-
tion, en prélevant 10 millions sur le produit de la vente
des biens de la famille d'Orléans.
Ce fut la seconde étape des Sociétés de secours
mutuels. Elles ne pouvaient se fonder sans l'intervention
du maire et du curé et les présidents étaient nommés par
le chef de l'État.
Pendant quarante-six ans, elles étouflfèrent plus qu'elles
XLVI tNTRODUCTîON
ne vécurent sous le régime de compression des décrets de
1852 et de 185(î.
Mais, dès l*avèncment de la République, radministra»
tion se fit plus humaine et plus douce. Des Chambres
consultatives, des Syndicats de sociétés, précurseurs de
nos unions actuelles, bien que n'ayant pas d'existence
légale, se constituèrent et les Sociétés commencèrent à
formuler leurs revendications.
Cest ici que se place Tcruvre si féconde des Congrès
triennaux de la Mutualité, dont le premier se tînt à Lyon
en 1883. Le travail du législateur fut déblayé et la loi dn
l*' avril 1898, charte de liberté et d'émancipation, se
borna h consacrer la plupart des décisions de ces assem-
blées.
Du reste, cette loi, attendue depuis longtemps, ne fut pas
votée sans de nombreux voyages entre la Chambre et le
Sénat.
Je dois rendre ici hommage aux hommes qui ont le plus
contribué à son adoption. J'ai nommé MM. Maze, Audif-
frcd, Siegfried, Lourties, Prévet. (1)
Le projet de loi sur les sociétés de secours mutuels fut
présenté pendant la deuxième législature, le 1^^ janvier
1881, par MM. Hippolyle Mazc et Guyot (Rhône). Ce
(t) Lire dans la Genèse du Palais de la Mutualité le discours qa*a proMocé
M. Bartbou, Ministre de l'Intérienr, an premier Dîner de% Mutualistes.
INTRODUCTION XLVn
projet, accepté par la Commission de la Caisse des
Retraites de la vieillesse, fit l'objet dun rapport de
M. Martin-Nadaud.
Au début de la législature suivante, le 19 novembre
1881, la Chambre fut saisie par MM. Hippolyte Maze,
Guyot et Audiffred dune nouvelle proposition relative
aux Sociétés de Secours Mutuels considérées en elles-
mêmes et dans leurs rapports avec les Caisses Nationales
de Retraites pour la vieillesse.
Cette proposition fut suivie du dépôt effectué, le 18 mars
1882, par MM. René Goblet, ministre de Flntérieur, et
Léon Say, Ministre des Finances, d'un projet de loi sur
les Sociétés de Secours Mutuels.
Cette Commission, dont M. H. Ma«e était le rapporteur,
soumit, le 25 novembre 1882 à la Chambre, une proposi-
tion qui iut votée le 12 novembre 1883 et transmise au
Sénat le 21 janvier 1884.
Sur le rapport de M. Léon Say, le Sénat en vota le
texte modifié, le 24 juin 1886, en seconde lecture.
Le projet revint à la Chambre, qui le remania à son
tour et l'adopta en seconde lecture le 14 juin 1889.
Ce texte, transmis au Sénat le 20 février 1890, fit lob-
jet, le 15 novembre 1890 (1), d'un rapport de M. Maze,
(1) Oq trouvera les divers textn qai Tiennent d'are énumérét, reprodaiti en
annexes de ce rapport. {Joumai Offéti, p. 321).
INTRODUCTION
devenu sénateur. La mort du rapporteur ajourna la dis-
cussion. — Un rapport supplémentaire fut présenté le 3
juin 1892 (1), par M. Cuvinot, et le Sénat, après deux
nouvelles délibérations, les 14 et 23 juin 1892 (2), vota
un texte qui fut transmis à la Chambre le 12 novembre
de la même année (3). Le rapporteur de la Commission
de la Chambre, M. Audiffred, déposa, le 23 mars 1893,
un rapport (4), qui tend à l'adoption du texte voté par le
Sénat.
La fin de la législature ne permit pas à la Cham-
bre de discuter ce projet.
Au début de la cinq- législature, M. Audiffred
le reprit le 2 décembre 18j3 (5).
Renvoyé à la Coimnission d'assurance et de Pré-
voyance sociale, il fit l'objet d'un nouveau rapport, daté
du 22 novembre 1894 (6).
Le 28 janvier 1896, la discussion du projet de loi vint
devant le Parlement (7).
Dans les séances des 7 et 30 mars, et l®"" juin 1896, le
texte suivant fut discuté en première lecture :
I
(1) Oocoment parlementaire n* 130, Journal Ofliciel^ p. 353.
' (2) Débats parlementaires. Journal Officiel^ page 569 et 639.
(3) Document parlementaire n* 2413. Journal Officiel^ p. 2*274.
(4) Document parlementaire n* 2261, Journal Officiel, p. 358.
(5) Document parlementaire n* 80, Journal Officiel, p. 221.
(6) Document parlementaire n* 1010, Journal Officiel, p. 167.
(7) Document parlementaire n* 1754, Journal Officiel^ p. 26.
Eloge de M. de Chamousset, contenant
une analyse de ses ouvrages ^^^
Je vais donc enfin écrire l'histoire de la Bienfaisance
éclairée, perfectiohnée par la ;ion !
C'est à la confiance et^à ' *'é que j'en dois le plaisir :
je n'ai point examiné si j'â^S^ai'^.^es talents nécessaires pour
m'acquitter dignement de cette utile et honorable fonction.
Qu'ai-je besoin de talent? Pour écrire l'histoire du cœur,
ne suffit-il pas d'en ^voir reçu un de la nature ; et s'il n'est
pas donné à tous les hommes d'embellir la vérité, tous
n'ont-ils pas le pouvoir de l'aimer et de la montrer.
Je vais donc écrire la vie de M. de Chamousset, ou plutôt
son éloge; car une vie qui n'a été qu'une suite d'actes
d'humanité et de * bienfaisance peut-elle^ être autre chose
qu'un éloge? Que fut, en effet, M. de Ghamousset? Fut-il un
de ces hommes nés pour le malheur de leurs semblables^
(t) Eloge de M. de Ghamousset publié dans le premier folume de ses Œufres
complètes, par feu l'Abbé Cotton ^ Houssayes (1787).
I
2 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
qui employa ses jours à combiner les moyens de détruire
ceux ^es autres, pour acquérir le nom de héros et de
conquérants. Non, c'est un Ami, c'est un protecteur de
l'humanité sôuiîrante et malheureuse, qui consacra son
existence physique et morale, ses talents, sa fortune, sa vie
à faire le bonheur des hommed^ et qui n'eût d'ennemis que
ceux de l'humanité et du bien public.
Dans les éloges ou les vies ordinaires, souvent on distingue
l'homme de l'écrivain, et cette distinction n'est que trop
nécessaire. Dans M. de Chamousset, les actions et les écrits
eurent le même principe, le môme caractère de bienfaisance.
Jamais il n'écrivit pour lui-môme, ce fut toujours pouf
rhuqnanilé. Partout, c'est l'homme sensible, c'est le citoyen,
pénétré d'amour pour sa patrie qui se montrent en traits de
feu. Le seul ordre que nous ayons à suivre est donc celui
des temps, associé néanmoins à celui des matières. A côté
d'un acte de bienfaisance, je placerai souvent l'analyse d'un
écrit qui la montre : ce sera joindre la pratique à la théorie,
l'exemple au précepte ; et j'ose le dire, ce tableau chrono-
logique, malgré la faiblesse du pinceau qui le tracera, sera
plus utile, plus intéressant que celui d'une suite de maîtres
du monde, qui ont fait gémir l'humanité, en faisant le mal,
ou en le permettant.
Je présenterai d'abord tout ce qu'a fait et écrit M. de
Chamousset pour l'humanité souffrante, pauvre et malheu-
reuse, en général.
Je montrerai ensuite ses efforts et ses écrits pour soulager
UN PHILANTHROPE MECONNU 3
les malades, et les pauvres, en particulier, dans les diflérents
états, dans les militaires, dans les domestiques ou autres.
Un troisième point de vue le fera voir s' occupant toujours
de la bienfaisance, et procurant à sa patrie des aliments sains,
une boisson salutaire, des préservatifs contre la maladie,
toujours plus sûrs que les remèdes.
Enfin, nous le verrons payer sa dette au corps social, en
lui procurant toutes les commodités qui peuvent ajouter aux
douceurs de la vie, en embellissant ce lien de la nature, cet
amour de la Société qui serait le charme des âmes sensibles,
si les méchants ne venaient empoisonner cette source du
bonheur.
PREMIÈRE PARTIE
Naissance. — Éducation. — Caractère de M. de
Chamousset : Ses Actions et ses Écrits pour
THumanitô souffrante, pauvre et mallieureuse,
en général
Claude-Humbert Piarron de Chamousset, chevalier,
ci-devant maître ordinaire de la Chambre des Comptes de
Paris, naquit dans cette capitale en 1717, d'une famille
noble et distinguée par ses alliances. Il était fils de messire
Martial Piarron de Chamousset^ conseiller au Parlement de
Paris, et de dame Claude Berthelot de Belloy, dont le père
était greffier en chef au même Parlement. M. de Cha-
mousset eut pu se passer de la noblesse de ses ancêtres,
celle de son cœur pouvait lui suffire ; peut-être même n'a-t-il
jamais pensé à cet avantage qu'aiment à faire valoir ceux
qui n'en ont pas d'autres ; et si on lui eût demandé ce qu'il
était, sans doute, il eut répondu : je suis homme. C'est
la qualité qu'il s'est donnée à la tête des Vues d'un Citoyen^
et c'est celle que nous aimons à lui donner. Originaire de
6 UN PHILANTHROPE MECONNU
Beaujolais, il est probable qu'il descendait de la maison de
Pierrevive, dont il portait les armes. Il était allié, du côté
paternel, aux familles de Gondy, de Damas et autres ; du
côté maternel à celle de Matignon ; mais tous ces avantages
ne seraient rien, si M. de Chamousset n'y eût ajouté la
gloire personnelle d'en être digne.
Le premier spectacle qui s'offrit à cet homme né pour le
bonheur des autres, fut celui des vertus chrétiennes et mo-
rales, et son âme crée pour la bienfaisance et le bonheur de
l'humanité, se confirma dans ses inclinations par l'heureuse
habitude de l'imitation. Il n'eut point à lutter, comme il n'ar-
rive que trop souvent, contre les forces toujours trop
puissantes du mauvais exemple de la part de ceux que la
nature nous apprend à respecter et à imiter. Né de parents
vertueux, tout conspira à imprimer dans son âme ce noble
enthousiasme de l'humanité et de la bienfaisance, qui, pendant
toute sa vie, a fait son caractère distinctif. Sous eux, et à leur
exemple, il apprit le grand art de rendre les hommes heureux,
ou du moins de ne jamais en perdre le désir. Ses yeux
à peine ouverts à la lumière voyaient dans son père un magis-
trat intègre, assidu, zélé, laborieux ; dans sa mère, une femme
chrétienne, occupée de ses devoirs, et répandant le bonheur
à ses côtés ; dans son aïeule maternelle. Madame de Belloy,
une vraie mère des pauvres, leur distribuant à tous les
secours spirituels et temporels dont ils avaient besoin, ayant
pour eux une pharmacie toujours ouverte, où Ton distinguait
particulièrement un baume efficace pour les blessures, qui a
UN PHILANTHROPE MECONNU 7
retenu son nom^ et qui le fera bénir par nos descendants.
L'éducation du cœur, cette éducation si souvent négligée,
et cependant si précieuse et si nécessaire, cette éducation
qu'on peut regarder comme le fruit des inclinations person*
nelles combinées avec l'exemple, cette éducation, dont l'effet
tient plus au sentiment qu'aux idées, fut la plus heureuse et
la plus efûcace pour M. de Chamousset. Il ne pensait pa^
encore, que déjà, marchant sur les traces de ses parent^, il
distribuait dans le secret aux malheureux, l'argent qu'on lui
abandonnait pour ses plaisirs et les jeux de l'enfance.
Il faut en convenir, l'éducation de l'esprit, cette éducation *
que l'habitude ou la vanité font préférer à tout, ne fut pas
aussi heureuse ^t aussi rapide pour M. de Chamousset que
l'avait été celle du cœur. Son esprit plein de feu et son âme
sensiblone triomphèrent mêmejamais entièrement de sa répu-
gnance pour l'étude d'une langue, par laquelle le despotisme
de l'habitude veut qu'on commence à tourmenter la tendre
enfance : et au fond, qu'eût servi à M. de Chamousset, destiné
à parler aux malheureux, à les soulager, l'intelligence plus
parfaite d'une langue qu'ils ne peuvent et ne doivent pas
comprendre? Je m'imagine entendre la voix douce et impé-
rieuse de la Bienfaisance, dire au jeune Chamousset : (a Vous
« êtes mon enfant chéri, c'est pour moi que le Créateur vous
c forma ; cette langue que parlèrent les oppresseurs de
a l'Univers, ces sciences, ces arts agréables, fruits de loisirs
€ et quelquefois instruments de la vanité, auront peu de
« droits sur votre âme ; vous apprendrez, vous exercerez ces
8 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
/
« arts utiles que je fis naître, vous partagerez mes plaisirs et
c mes peines ; vous travaillerez au bonheur des hommes, ce
c sera le vôtre, et vous le ferez même malgré eux, voilà
« la peine qui vous attend et cette peine n'est pas sans plai-
« sirs : l'Auteur de la nature vous créa surtout pour exercer
c l'ai^t précieux et difficile de vaincre la mort et prolonger la
« vie. Il mit en vous cette heureuse sensibilité, ce goût impé*
« rieux, ce coup d'œil également juste, rapide et attentif, cette
« estime profonde de la vie des hommes, cette forme héroï-
« que pour triompher du spectacle hideux et dégoûtant des
« misères humaines, vous serez Médecin et vous le serez de
« ceux qui n'en ont point, et de ceux à qui la misère refuse
« tout, jusqu'à la consolation d'être plaints. >
Tel fut, ou du moins telle dût être pour M. de Ghamousset
l'oracle de la Bienfaisance, surtout dans ce moment critique
et décisif à jamais où il s'agit du choix d'un état. Ce fut alors
que tandis que la Bienfaisance parlait à son cœur, le Préjugé,
fils de l'Opinion, cette Reine despotique de l'Univers,
fit retentir à ses oreilles ces paroles désavouées par la Raison :
c II n'est dans le monde que deux états pour la Noblesse^
l'état Militaire ou la Magistrature : il faut ou détruire et sou-
« mettre les hommes, ou les juger et les enchaîner. Laissez
« à ces citoyens d'une condition ordinaire ou inférieure, le
« soin de s'élever par leurs talents, celui de se faire un sort
c en soulageant leurs semblables, ou en les défendant ; le
c vôtre est fait, vous êtes né riche, marchez sur les traces de
« vos pères. > •
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 9
M. de Ghamousset était dans cet âge où l'inexpérience, la
timidité, le respect pour la volonté de parents qu'on chérit,
font quelquefois confondre la voix du Préjugé avec celle de la
Nature, ou mépriser celle-ci pour suivre la première. Il ne
s'y trompa pas entièrement, il tâcha d'accorder la Nature et
le Préjugé. Il fut Magistrat par décence ; son goût et l'amour
de la Bienfaisance le firent Médecin. Aine de sa famille,
il avait à opter entre une charge de Conseiller au Parlement
de Paris, vacante par la mort prématurée d'un père qu'il ché-
rissait, et une charge de Maître des Comptes de la même ville
qu'avait possédée son aïeul. Il se détermina pour cette der-
nière. Il crut, ayant moins de rapports et des rapports moins
directs avec les affaires publiques, lui enlèverait peut-être une
moindre quantité de son temps, qui est la seule richesse des
pauvres, que les riches méprisent et prodiguent de peur d'en
être accablés, et qui était si précieuse pour lui par l'emploi
qu'il se proposait d'en faire pour le soulagement des malheu-
reux.
Qu'on se Ggure un magistrat, jeune, riche, aimable, plein
de saillies douces et ingénieuses, né pour la société dont il
faisait les délices quand il s'y prêtait ; consacrant aux ten-
dres soins de la bienfaisance tout le temps que son état
n'exigeait pas essentiellement; et l'on aura une faible idée
de M. de Chamousset et de sa vie. Sa bibliothèque ,et ses
études étaient celles d'un médecin : tous les livres qui ont
rapport aux différentes parties de cette science qui soulage
les hommes, ou du moins qui les console par la douce espé-
10 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
rance, avaient des droits sur lui ; il les étudiait avec soin,
avec ordre, avec intelligence ; et lié avec les médecins les
plus distingués, il se faisait guider par eux et suivait leurs
avis. Il acquit dans toutes les parties de l'art de guérir, dans
la botanique, dans la chimie, dans la pharmacie, dans la
chirurgie, dans la médecine proprement dite, les connais-
sances les plus profondes, les plus variées, les mieux
dirigées : mais ces connaissances si attrayantes en théorie
pour le philosophe qui aime à s'étudier, si dégoûtantes pour
les âmes trop sensibles, ne furent pas stériles dans M. de
Ghamousset ; il n'avait pas étudié pour satisfaire une vaine
curiosité, il avait étudié pour soulager ses semblables. Bien*
tôt sa maison fut un véritable hôpital, où chaque jour des
malades de tout âge, de tout sexe, de toute espèce, abon-
daient de tous côtés. Après avoir consacré à l'étude ou aux
affaires les premières heures de la matinée qu'il savait rendre
très longues par le peu de sommeil qu'il accordait à la
nature, il en consacrait les dernières au traitement des
malades. Chaque jour une centaine, et quelquefois dans les
temps fâcheux, jusqu'à deux cents, recevaient chez lui tous
les secours qu'ils auraient pu espérer des hôpitaux les plus
riches et les mieux administrés, et très souvent même l'in-
demnité du produit des travaux auxquels leur maladie les
empêchait de vaquer. Son activité et sa bienfaisance suffi-
saient à tout : tous ces malades trouvaient en lui un Guide
qui leur montrait la route du bien ; un Père qui soulageait
abondamment leurs besoins ; un Médecin qui leur donnait
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 11
des ordonnances indiquées par leur état ; un Pharmacien
habile qui leur fournisait les remèdes les mieux préparés et
les plus sûrs ; un chirurgien adroit et exercé qui opérait avec
le plus grand succès. On eut dit en le voyant remplir les
différentes fonctions qui dépendent de Tart de guérir, que
chacune d'elles eût été son unique possession. Il saignait,
surtout, avec une adresse et une dextérité qui lui attirèrent
la réputation d'un des meilleurs phlébotomistes de Paris ;
et quoi qu'il eût avec lui plusieurs Chirurgiens, lui seul
soignait ses malades. Semblable au premier inventeur de cet
art utile, dont le préjugé ou l'ignorance abusent quelquefois,
ce fut presque uniquement à l'école de la Nature qu'il en fit
l'apprentissage, et les jeux de son enfance furent pour ainsi
dire, des chefs-d'œuvre de ce genre. A l'âge de douze ans,
sans autres principes que ceux d'une imitation machinale,
sans lancette, avec une épingle de toilette, il saigna la femme
de chambre' de sa mère, qui eut la complaisance imprudente
de livrer son bras à ce chirurgien de pur instinct, dans l'es-
pérance de se soulager des violents maux de tête qu'elle
endurait. Dans la suite, l'Art vint fortifier, guider, éclairer
la Nature ; et l'on vit, ce qu'on n'a peut-être vu qu'une fois,
un jeune magistrat ne pas dédaigner, par amour de la bien»
faisance, de venir se confondre avec les élèves en chirurgie,
en pharmacie, en médecine.
Il est des hommes dans lesquels la bienfaisance est un
devoir. Disciples et Ministres du Législateur sacré, qui a
passé en faisant le bien, ils trouvent dès ici-bas leurs plaisirs
12 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
et leurs récompenses, dans leurs peines et leurs travaux. Il
en est d'autres dans lesquels cette vertu est un doux pen-
chant de Tâme; qu'ils remercient la Providence; ils naquirent
pour le vrai bonheur. Dans plusieurs, c'est une pure osten-
tation ; c'est un hommage forcé que la vanité rend à la
nature et à la vertu : dans M. de Ghamousset, j'ose dire que
la bienfaisance générale était une passion également douce
et forte, à laquelle il ne lui eût pas été possible de résister ;
et j'ose le dire encore, tout ce que sa fortune put lui per-
mettre pour satisfaire cette passion noble, il le tenta.
11 n'y a point eu d'année où il n'ait au moins dépensé pour
guérir gratuitement les pauvres, ce qu'un médecin célèbre
et honnête gagne à Paris en soignant les riches. Il se faisait
seconder par un médecin en titre, par un chirurgien et un
élève en chirurgie ; il entretenait chez lui une apothicairerie
au profit des pauvres ; deux chimistes célèbres étaient à la
tête de ce laboratoire consacré à' l'humanité. Des soins mul-
tipliés qu'exigeait cet hôpital domestique, ne l'empêchaient
pas d'aller régulièrement deux fois par semaine visiter les
prisonniers, d'aller tous les jours secourir la pauvreté souf-
frante dans ses obscures retraites. La misère, la malpro-
preté de ces réduits, la grossièreté de ceux qui les habitent,
rien ne le rebutait ; et il rentrait chez lui, ou se mêlait à la
société plus satisfait d'un acte de bienfaisance ignoré qu'un
conquérant ne l'est de l'éclat de ses triomphes meurtrier.
Le temps semblait se doubler pour M. de Ghamousset par
l'usage qu'il savait en faire. Né avec une activité d'âme et de
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 13
corps presque- inconcevable, il n'accordait à la nature que ce
qu'il ne pouvait lui refuser : tout pour les autres^ telle sem-
blait être sa devise. Aussi, M. de Chamousset, comme ces
hommes laborieux qui se récréent en passant d'un travail à
un autre, ne se délassait-il qu'en variant sans cesse les actes
de sa bienfaisance. Le seul plaisir adopté par la société ordi-
naire, qu'il voulut se permettre quelquefois, était la musique
vocale et instrumentale.
.Lorsqu'il se sentait épuisé, quelques airs de clavecin, qu'il
touchait avec grâce en s'accompagnant, venaient rappeler
dans son âme cette joie douce, principe de la santé et du bon-
heur; il trouvait alors les eiïets magiques que produit cet art
enchanteur sur le corps humain, et qui ont fait l'objet des
recherches et des observations des plus habiles médecins.
La Société, et surtout celle des femmes honnêtes et estima-
bles, lui fournissait encore un délassement analogue à ses
goûts. Ce magistrat, que le matin ou dans le cou^s de la jour-
née, on avait va entouré d'une troupe de pauvres malades ;
Ice magistrat, ttiédecin et chirurgien, père et protecteur des
. malheureux * de toute espèce, n'étaient plus le soir qu'un
homme aimable, gai, complaisant, qui répandait dans les cer-
cles un sel et un enjouement d'autant plus intéressants, qu'ils
étaient toujours accompagnés de cette douce candeur qui fai-
sait son caractère principal. ^
Ces qualités aimables, jointes à son état et à sa fortune, le
firent rechercher par ce sexe sensible, qui par la délicatesse
de son cœur et de son esprit, apprécie si bien le nôtre.
14 UN PHI^^ANTHROPE MÉCONNU
M. de Chamousset, né avec une figure intéressante, pleine
de douceur, de vivacité, et d'énergie et d'expression, avec de
la naissance, avec de la fortune, ne tarda pas à plaire au sexe
destiné à consoler l'homme dans ses malheurs, et que les
erreurs des passions factices et subalternes rendent souvent
la source de nos ennuis ou de nos peines. On pensa à l'enga-
ger dans les liens du mariage ; il y pensa lui-même. Son choix
se fixa sur une jeune demoiselle de ses parentes ; elle réunis-
sait tout ce qu'on aime, tout ce qu'on estime dans le monde,
beauté, naissance, fortune, esprit, talents : ce n'était encore
rien pour M. de Chamousset : il lui fallait une compagne qui
partageât sa tendre sensibilité pour les malheureux. Le
mariage était arrêté^ lorsqu'il la pressentit un jour sur ses
goûts à cet égard :
« S'il est doux, lui dit-il, d'exister pour ce qu'on aime, il
< l'est presque autant de consacrer une partie de son exis-
« tence à ce qu'on plaint. Le bonheur, qui ôe concentre dans
€ un seul objet, n'est plus un bonheur, il faut l'étendre pour
€ qu'il soit réel : il faut imiter le Créateur, qui, pOuvaift
« jouir d'un repos éternel n'en est sorti que pour rendre heu-
€ reux ce qu'il a créé. Quel plaisir d'être les ministres de sa
« bonté, et qu'il est grand, ce plaisir, qu'on partage avec TÊtre
« souverainement heureux ! Mo7i plan est de me retirer dans
« ma terre et d'y fonder un hôpital. Qu'il me sera doux
« de voir mes bienfaits embellis par les vôtres, et qu'elle sera
« ma joie lorsque j'entendrai nos vassaux louer votre bien-
€ faisance, et vous bénir comme un ange descendu du Ciel ! »
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 15
La demoiselle était sensible ; elle était dans Tâge des
erreurs, dans cet âge où Ton se trompe presque toujours sur
la vraie source du bonheur ; elle craignit de ne pouvoir sup-
porter le spectacle continuel de la misère : en un mot, ses
goûts se trouvèrent différents de ceux de M. de Ghamousset.
Dés lors il triompha, et il triompha pour le reste de ses
jours, de cette passion générale, si douce ou si féroce, sui-
vant la nature des âmes qui la reçoivent ; de cette passion,
la première de l'humanité après celle de sa propre conserva-
tion, parce que par elle le Créateur voulut accomplir ses
desseins, et perpétuer son ouvrage. Dès lors, M. de Gha-
mousset se dit à lui-même : € L'éducation molle et toute
a extérieure que la société donne au sexe fait pour le nôtre,
€ ne me laisse pas lieu d'espérer de trouver une femme sui-
€ vant mes goûts ; il en existe sans doute ; la nature triom-
« phe quelquefois de l'éducation ; mais puis-je croire que
€ cette heureuse exception se présentera à moi ? G'en est
€ fait, je renoice à la douce espérance de me voir renaître
c dans des enfants chéris : l'humanité entière va prendre
f leur place ; c'est à elle que je consacre ma vie ; c'est pour
c la Bienfaisance que je veux respirer, et înon dernier sou-
c pir sera pour elle >.
La nature s'écarta de sa loi ordinaire : elle applaudit à
rhérolque résolution de M. de Ghamousset, né avec un tem-
pérament de feu. La Bienfaisance et la Religion, qu'il ne
distingua jamais, le récompenseront amplement du sacrifice
qu'il faisait : la sensibilité générale, jointe à un travail assidu,
r •
I
16 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
détruisit la sensibilité particulière ; il passa toute sa vie avec
la retenue que n'ont pas toujours ceux qui se sont voués au
célibat ; et au lieu de quelques enfants qu'il eût pu donner à
la Patrie, il lui en conserva des milliers.
Je n'ignore point, pour le dire en passant, qu'un Arétin (1)
de nos jours a élevé des nuages sur les mœurs de M. de Cha-
mousset : mais quelle foi peut mériter un ouvrage de ténè-
bres et de calomnies, et qui n'est digne que du mépris des
gens honnêtes ! Il est certain que les mœurs de M. de Cha-
mousset furent aussi pures que l'ordonne la Religion, qu'il
aima et qu'il pratiqua toute sa vie. Jamais il n'abusa des
avantages extérieurs qu'il avait reçus de la Nature ; il garda
constamment le pacte qu'il avait vec son cœur en renon-
çant au mariage. Je pourrais en i ^r mille preuves connues
de ceux qui ont vécu avec lui ; je iae borne à une seule. Un
jour, il se vit abordé par une jeui. ]. Beauté qui réclamait sa
protection : Son air simple et ingénu annonçait son inno-
cence ; la candeur et la vérité semblaient sortir de son cœur
et siéger sur ses lèvres. Mademoiselle,** lui répondit-il assez
brusquement, p'our vous mettre à l'abri des dangers auxquels
vous exposent lei rigueurs de la Fortune et les dons de la
Nature, commencez par entrer dans un coàvent, j'y paierai
votre pension ; mais comme je ne dois et ne veux aider que
la vertu, je m'assurerai de vos mœurs. Les témoignages se
(1) Gazetier Coirasié.
INTRODUCTION LIX
Dégagées de toute tutelle sinon de toute surveillance,
bénéficiant de subventions et d'immunités fiscales, usant
surtout de la faculté de se constituer en unions et en fédé-
rations pour le perfectionnement et le prolongement de
de leurs services, protégées par une administration bien-
veillante qui faisait cause commune avec elles en deve-
nant l'instrument le plus actif de leur propagande, dotées
dune représentation élective, les Sociétés de secours
mutuels prenaient un merveilleux essor et, en six ans,
doublaient leur effectif (1).
(t) Du rapport, que fieut r "tr le président du Conseil an président de
la République, il résulte que le nu,, . des (Sociétés et de leurs adhérents a doublé
depuis fingt ans au 31 décembre 19o Le nombre des Sociétés de secours mutuels —
sociétés reconnues coomie ctablistaérnents d'utilité publique, sociétés approuTées et
sociétés libres — atteignait 14.872, ^voir : 9.141 sociétés composées exclusiTement
d'honmies, 3.473 sociétés mixtes, 50o sociétés de femmes et 1.758 sociétés scolaires.
Les 14.186 associations ayant transmis à l'administration leur état statistique de
i901 comptaient au 31 décembre de cette année 2.718.002 mutualistes, se divisant
en 858.189 membres honoraires et 2.359.813 membres participants (1.49:i.794 hom-
mes. 332.818 femmes et 328.201 enfants).
Les 12.589 Sociétés d*adultes ayant fourni le compte rendu «le leur situation au 31
décembre 1901 avaient, à cette date, 290.993 membres participants Agés de plus de
55 ans (15.89 0/0 du nombre total des sociétaires).
28.830 cas de décès ont été enregistrés dans le courant de Tannée 1901 parmi les
membres participants ; la moyenne des décès, par rapport à l'eûectif total des mutua-
listes, a donc été de 1.22 0/0.
Le nombre des membres secourus par les Sociétés de secours mutuels à divers
titres (frais de maladie, indemnités au décès, allocations aux yeuves, aux orphelins,
aux vieillards et aux infirmes), s'est élevé, en 1901, à 576.284, c'est-à-dire 24.42 0/0
du chiffre total des sociétaires participants : quant au nombre des pensionnaires, il
atteignait, à la même date« 106.989.
L'excédent des recettes sur les dépenses est monté en 1901 dans les Sociétés de
•cconn mutuels à 11 miUioni 260.796 Ir. 48.
Peu à peu et sans rejeter les données de leur expé-
rience, elles slmprégnaient des méthodes scientifiques
et, se basant sur la loi des grands nombres, elles abordaient
les services supérieurs tels que la retraite et l'assurance
au décès, Exiles devenaient, aux mains d'une démocratie
laborieuse, l'instrument par excellence de la prévoyance
libre*
Un moment, elles faillirent se trouver en antagonisme
avec les lois sociales en préparation au Parlement. Il
n'est pas sans intérêt de noter les péripéties de cette
crise.
Le 9 mars 1900, fut déposé par M. Guieysse à la
Chambre des députés le projet de loi sur les retraites
ouvrières. Les Sociétés de secours mutuels n'étaient
même pas nommées dans le projet. L'émotion fut dea
plus vives.
Les mutualistes ne contestaient pas la nécessité de
La recette générale moyenne ajaQi aUelnt '-Û (t. 95 |i«r membre purtieipvit H U
4^|teQie pe »*é|aQt élevé« qu'à 16 ff. 19. l'acédent ge trouve 4qdc fix^ 4 i lr^77 par
soçiétMre.
L'avoir total des Sociétés de secours mutuels atteigaait, ao 9t. déc^oibr^ tSOI«
a9Q.tS8.3^^ fr, 54. non comprii aat «omme d« t^^H.sat fr. repr48«m««t le tpui
dei Tericmentu effi^çtqéi jusqu'à U fln de Tanuée t901 p«r les Sociétés icolaire* •«?
las livrets individuel» de retraitei de leurs membre^,
Cet «voir de 33b.8Sl.355 fr. 54 comprenait l8Q.842.9i9 (r« 90 de (onde diap^iblei
(capitaux placés soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit «ui^ çaiitM
d'ép«r«pe qu âéteuui par les vréioriers) et 4^3.098.435 tr. Q4 «u toAdi voquutw des
retraites.
tKTRODtJCTïbK LI
constituer au plus tôt des retraites pour les travailleurs
frappés par Tâge ou les Infirmltéd, et ils n'avaient pûH là
prétention de résoudre à eux tout seuls ce problême si
complexe. Habitués depuis longtemps à pratiquer le
devoir social, ils opposaient volontiers la dette morale à
la dette légale. Ils se demandaient ce qu'allaient devenir
les Sociétés de secours mutuels et si leur recrutement ne
serait pas définitivement compromis.
La Mutualité était également exclue de la grande
enquête décidée par le Parlement le 2 juillet 1901 et
dont Texécution fut confiée à M. Millerand, alors minis-
tre du commerce.
La Mutualité fit entendre sa voix et elle obtint dans la
rédaction du 31 janvier 1902 et dans toutes celle» qui
suivirent d'importantes satisfactions.
C'est à ce moment qu'elle sentit le besoin de concen-
trer ses forces, d avoir une organisation homogène qui,
partant de la simple Société, passant par les Unions
départementales et régionales, aboutiraient à un vaste
groupement, terme de son évolution, lui donnerait de
puiiMiûnts moyens de délense et légitimerait toutes ses
ambitions.
La Fédération nationale était fondée. C'était en novem-
bre 1902.
Dès lors, un champ immense s'ouvrait & l'activité deS
lAl INTRODUCTION
mutualistes. Partout, sous l'impulsion de conférenciers
éminents, se créaient des Unions de Sociétés.
Des progrès étaient introduits dans radministration
des Sociétés. Dans le service de la maladie, la préventîoa
commençait à se substituer à la médication. Les mutua-
listes, de plus en plus ardents, poursuivaient les ennemis
nés de la prévoyance, l'alcool, le taudis, la tuberculose et
fondaient ainsi, au sein de la nation, l'armée des volon-
taires de la Paix Sociale^ en marche vers un idéal social
meilleur.
En même temps, les Sociétés scolaires englobaient la
plupart des écoles de France. Des soins étaient donnés à
la mère et aux enfants. Et, grâce à l'heureuse initiative du
ministre de la guerre, la Mutualité pénétrait au régiment
et devenait la base même de l'éducation sociale du soldat.
Ainsi, la Mutualité prend ITiomme au berceau et le
conduit sans l'abandonner un seul jour jusqu'à sa tombe-
On chercherait vainement à opposer le mouvement
mutualiste à l'Etat. Ceux qui doutaient de son efficacité
se sont ravisés.
M. Millerand au Congrès d'hygiène sociale, tenu à
Arras en juillet dernier, saluait « avec respect et confiance
ces milliers de mutualités comme les pionniers d'hier,
comme les maîtresses et les collaboratrices d'aujourd'hui
et de demain ».
INTRODUCTION LHI
« Il ne faut pas, écrivait de son côté tout récemment
M. Guieysse, que la loi sur les retraites ouvrières fasse
subir aux Sociétés de secours mutuels un contre-coup
qui pourrait leur être funeste. »
Est-ce à dire que l'ère des difficultés soit définitive-
ment close? On ne saurait l'affirmer et plus que jamais les
Sociétés doivent redoubler de vigilance.
Préservée de toute contamination par la clause placée
en tête des statuts et qui lui interdit toute discussion
politique ou religieuse ou étrangère à son propre but,
ayant réalisé la fusion des classes par l'adjonction des
membres honoraires, forte de ses trois millions et
demi d'adhérents et englobant plus de sept millions de
personnes, la Mutualité a les faveurs du gouvernement
et la confiance du Parlement.
Elle a à la Chambre et au Sénat des groupes où se
font entendre des hommes venus de tous les points de
l'horizon politique. Elle est devenue, en un mot, une
institution nationale et la presse lui ouvre ses portes
toutes grandes.
Comment s'étonner que tant de Français, désireux de
voir s'apaiser de douloureux conflits sociaux, tournent
leurs regards de son côté et mettent en elle toutes leurs
espérances?
Dans un discours récent M. Paul Deschanel disait :
LIT INTRODUCTION
K A l'intérieur^ le principe d'association emporte la démo-
cratie française sous des destinées plus hautes ; un grand
mouvement de solidarité s'est emparé des niasses pro^
fondes de notre peuple et substitue peu à peU| dans les
relations du capital et du travail, au règne de la force
celui de la Justice )>i
Maintenant, Mutualistes, ne niez plus que toutes vos
variétés d'associations mutuelles portent l'empreinte
du cerveau puissamment organisateur de Piarron de
Chamousset. Ne niez pas non plus que ses yeux de pro-^
phète et de voyant, avaient entrevu dans l'association
quelque chose de grand qui se préparait à naître pour
les âges futurs* Confiant dans l'avenir, il a vécu dans
son moi intime ses espérances, qu'il a senti devenir pour
les générations successives des certitudes.
Son inspiration, que l'on croyait jadis impénétrable,
frappe maintenant par sa simplicité. Ce mode d'asaocia*^
tion trop révolutionnaire jadis pour qu'on pût en saisir
le sens sur-le-*champ, est devenu aujourd'hui» dans notre
siècle de mutualité, une chose rationnelle.
Mutualistes, ne vous obstinez pas a le dédaigner ou à
le dénigrer.
Son nom, illustré par le splendide labeur d'une vie tôt
brisée, mérite mieux.
S'il a rencontré durant sa vie indifférence, raillerie e
INTRODUCTION LV
hostilité, au moins que chei nous, après bientôt un siè-
cle et demi d'oubli, il trouve affection et respect.
Faisons cesser notre ingratitude à l'égard de ce grand
oublié, de cet illustre méconnu de l'Histoire de la Phi-
lanthropie de France.
Il a tant de titres à notre gratitude et à notre admira*
tion, que nous ne pouvons plus hésiter.
Il s'agit ici d'un bel acte de justice, de réparation à
accomplir, d'une pure gloire à réhabiliter, qui va croître
sans cesse et dont rien ne peut ternir jamais le prodigieux
éclat.
Certes, nous ne demandons pas pour lui le Panthéon,
quoique sa place soit marquée entre ses deux admira-
teurs. Voltaire et Rousseau — au contraire, nous voulons
qu'il continue à reposer dans la sépulture qu'il s'est choi-
sie.
C'est, croyons-nous, respecter sa volonté formelle que
de l'y laisser reposer en paix.
Maia 11 nous est permis aussi de réclamer simplement,
è défaut dun monument, qu'une plaque soit placée,
soit sur la maison où il est né, soit à TEglise où ses cen-
drea reposent.
Et là nous pourrons faire venir la foule le vénérer
davantage. Ce sera la juste récompense de ses hautes
vwtus héroïques, de sa large et profonde humanité.
LVI INTRODUCTION
Faisons cela, en nous souvenant que, s'il est l'exemple
offert à chacun, il est également l'exception dont nul ne
se rapproche.
Sévère pour lui, tolérant, indulgent pour les autres
— c'est ce qui contribue à faire de lui une figure très
exceptionnelle — ne prêta pas la moindre attention aux
ofi'enses qu'on lui prodigua et n'en souffrit jamais.
Indulgent même pour l'incommensurable bêtise qui
lui barrait la route à chaque instant.
Il ne s'affligeait pas de jouer un rôle plus qu'effacé, en
apparence, car le résultat seul lui importait ; il prévo-
yait déjà malgré son extraordinaire et déconcer-
tante modestie, la place qu'il tiendrait un jour dans la
sociologie de l'avenir et celle qu'il tenait dès lors dans les
préoccupations et l'admiration de certains de ses illustres
contemporains.
Cela lui suffisait amplement, et, quand après avoir
achevé une tâche pénible, il abandonnait son bis-»
touri ou sa plume avec un sourire qui révélait des allé-
gresses, il allait vers son cher clavecin, et là il se laissait
bercer et emporter par l'étincelante somptuosité des sym-
phonies. Grave, pensif, absorbé dans ses rêves sublimes
d'humanitarisme, il improvisait longuement, et, sous ses
': doigts nerveux, obéissant à sa volonté, l'instrument s'at-
^; tendrissait, chantait le pardon des injures, l'oubli des
INTRODUCTION LVH
iniquités, là douceur des minutes présentes, la splendeur
de lavenir.
Ainsi» il oubliait que, riche des biens de ce monde,
aristocrate dans ses goûts et dans ses idées, amant de la
belle musique, il avait déserté volontairement les salons
et le beau sexe (1), la symphonie du génie et les presti-
^eux chants d'église, pour aller vers le peuple, pour
vivre de sa vie de douleur dans les hôpitaux.
Cerveau de génie charitable, semeur d'idées humani^
taires, éveilleur d'âmes vers les douleurs poignantes, il va
son chemin, le ciel radieux sur sa tête, vivant son para**
dis d'apôtre, la bienfaisance féconde au cœur, l'amour
fraternel sur les lèvres, vers tous ceux qui souffrent, qui
peinent sous le poids du jour.
Ce noble, de vieille souche, avait su apprécier l'âme
du prolétaire et en connaître tous les besoins moraux et
sociaux; aussi était-il heureux de se trouver toujours au
milieu de ces masses ignorantes et misérables, au sein
desquelles fermentaient continuellement les convoitises
ardentes, afin de mieux maîtriser et calmer autant que
possible leurs haines implacables, leurs passions aveu-
gles, qui, dans une heure d'oubli, perdent le fruit d'un
kdbeur de vingt-cinq ans I
(I) Notons que U fociété de cette époqne était an petit monde fri? oie, élégant, ner«
KpMtat MT te btMf cêiTt&UonBeUtt, Titant par la fnBmt al poar la feoni.
LVIII INTRODUCTION
Avec chaleur et éloquence même, il prêchait la frater-
nité, et ne cessait de répéter à ces impatients les vers de
son contemporain Florian :
Aidons-nous mutuellement
La charge des malheurs en sera plus légère.
A ses yeux, il n'y avait que l'œuvre sociale engendrée
qui dut compter, le reste ne signifiait rien. Il fut donc
heureux à sa manière, heureux d'une façon qui eût tué
de rage et de désespoir tout autre que lui.
S'il est vrai de dire que Piarron de Chamousset faisait
partie de cette aristocratie antique, qui fit longtemps le
plus bel ornement de l'esprit français et la renommée de
notre France royaliste, il nous faut ajouter que ce penseur
éminenl, sociologue accompli, avait prévu ces bouillon-
nements sociaux qui annonçaient l'orage qui allait bou-
leverser l'état des choses établi. Son cœur, ouvert à toutes
les vibrations humaines, avait pressenti ces éruptions
partielles qui précédèrent la grande explosion, que Taine
appelle plus tard (( l'anarchie spontanée ». Son esprit vif,
son universelle compréhension, son inextinguible curio-
sité, l'avaient déjà constitué le défenseur de l'opprimé,
de la Liberté, de la Raison et de la Justice.
En terminant ce travail, j'éprouve la satisfaction de
l'historien qui a rédigé un plaidoyer impartialement, non
avec son imagination fertile et riche en fioritures, mais
INTRODUCTION LIX
avec des documents probants, écrits sur le vif par des
témoins auriculaires, qui ont connu cette vie légendaire et
de désintéressement. Piarron de Chamousset est certaine-
ment la plus belle et la plus gi'ande âme humanitaire
d'un âge, et sa vie, toute de pureté, de bonté et de beauté
morale, est admirable comme la vie d'un héros ou d'un
saint, que notre fierté patriotique nous contraint d'ofiFrir
en exemple aux générations futures.
Maintenant, en déposant ma plume, qu'il me soit per-
mis de dire que j'aime mieux n'être loué par personne et
agir librement d'après mes élans et exécuter mes volontés
comme je le dois.
Ce qui équivaut à dire, que je n'ai cure ni souci de ce
que l'on pense de moi. Je fais toujours mon devoir pour
l'unique satisfaction de mon moi conscient, estimant avec
notre poète national Victor Hugo, — que :
Le bien qu'on fait parfume Tâme
On s'en souvient toujours un peu.
Cette noble pensée de notre grand poète, qui aurait pu
servir de devise à Chamousset, rend bien la psychologie
de cet homme incroyable, doué d'une activité infatigable
et d'une volonté tenace, puisqu'il faisait merveille par la
seule magie de sa volonté.
UL INTRODUCTION
Le dirai-je, j'ai la conviction d'avoir fiait une belle et
bonne action envers nos concitoyens, en tirant de
l'ombre de la mort, de la poussière du temps, de l'oubli
ou de l'ingratitude, cette auguste mémoire de philan-
thrope vieux style.
En mettant en relief ce citoyen dont le tempérament
curieux était pétri de bienfaisance persévérante et inlas-
sable, j'ai voulu simplement indiquer comme exemple
la vie de ce Maître des Comptes devenu Médecin, sans
grade; ce Médecin devenu Écrivain, non sans cœur et
sans talent : pour lé Dien Public^ comme on s'exprimait
sous Louis XV,
Oui, sa vie doit rester un exemple, surtout pour ceux
qui s'intéressent à l'histoire des idées, à leurs voyages,
aux luttes qu'elles soutiennent, aux transformations
qu'elles subissent, aux perfectionnements qu'elles
reçoivent par les obstacles mêmes. Car il est curieux de
constater que, depuis que l'humanité égrène son long
rosaire de misères, elle ne cesse avec persévérance
d'épeler l'alphabet d'un idéal social, qui tarde à venir
— mais qui viendra sûrement un jour.
Aussi, c'est avec une fierté émue que je salue la
mémoire de Chamousset, dont le cœur n a jamais £Edbli dans
l'amour des humbles et qui trouvait simplement sa gloire
et son renom à s'appeler lui-même a l'ami du Peuple ».
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 17
trouvèrent'favorables^ et il maria la belle malheureuse après
ravoir dotée avantageusement.
Si M. de Chamousset renonça aux douceurs d'une union
légitime pour lesquelles il semblait être né, ce ne fut donc
pas pour se jeter dans les bras de la licence ; elle n'était pas
digne d'un cœur aussi noble et aussi sensible ; ce fut pour
consacrer sans partage son existence au soulagement des
malheureux.
Après cette résolution, aussi bon parent que bon citoyen,
il se dépouilla de son bien en faveur de son frère cadet, dans
la vue de lui procurer un mariage avantageux. Il lui fit ache-
ter une charge de Maitre des Requêtes. Mais malheureuse-
ment pour les deux frères, celui-ci ne la posséda pas long-
temps. La *mort vint l'arrêter au milieu d'une carrière qui,
sans doute,^ eût été brillante et heureuse, si les talents et la
probité conduisaient toujours aux honneurs et à la fortune.
Doué d'un esprit vaste, orné, plein de vue et de sagacité, il a
laissé des manuscrits bien pensés^ bien raisonnes, bien écrits,
sur des matières intéressantes, relatives au bien de l'Etat et
du Commerce (1). Il avait épousé en 1753, mademoiselle de
(t) Oo De sera pas lâché detroufer ici la notice des mauuscrits de M. de Cha-
moasset le Cadet ; la voici telle qu'elle nous a été fournie :
1 . Moyen de trouver des fonds pour remonter notr« marine.
2. Projet pour Taiçfandissement du Havre.
3. Projet pour établir en France le cabotage sur le même pied qu'il est en Hol-
lande.
4. Nécessité de la gneire avec la Hollande.
R. Moyen d'empêcher le commence que font les Anglais .et les Hollandais dans nos
colanief d'Am^que.
18 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
la Cour de Balleroy, fille d'un lieutenant-général des armées
de S. M., et il mourut la même année de la petite vérole.
Ainsi s'est éteint cette famille, qui ne subsiste plus que dans
des collatéraux dignes de lui appartenir.
Malheur à ceux pour qui le spectacle d'une àme vertueuse
et dévouée au bonheur de l'humanité ne serait pas le plus
doux de tous ceux que l'univers puisse présenter ! C'est le
seul qui puisse fixer les regards et la complaisance de la
divinité. Je ne dois donc pas craindre de m'arrêter trop long-
temps sur celui de l'âme de M. de Chamousset ; mais pour
en avoir une idée juste, il faut la contempler dans les diffé-
rents mémoires qu'il a 'publiés relativement à ses projets.
Tons portenirenipreinte de son àme noble, grande, sublime;
partout on y voit un cœur embrasé d'amour pouri'humanité
ut le bien public ; on y voit un esprit attentil à tirer parti des
petites circonstances en fa\eur des pauvres, à prévenir les
plus légers abus. Je vais présenter l'analyse de ces projets,
de ces mémoires ; heureux si je pouvais faire passer dans
l'àme de mes lecteurs la chaleur du zèle qui anima l'auteur !
La Maison d' Association esl le plus anciens des projets de
6. Mi', noire pour permettre le commerce de la Nouvelle Angleterre i?ec les colo-
Dies tran^:aise de l'AnK^rique.
7. Sur le coiiuiierce du Nord.
8. Commerce en Hussio proposé aux négociants Trançais
\K Influeiire de noire marine royale sur notre marine marchande.
10. Mémoire sur le Tabac.
M . Sur le Billonnage.
12. Sur les Mines de France.
N PHILANTHROPE MÉCONNU 19
M. de Gbamousset ; c'est aussi celui qui a paru raffecter le
plus longtemps et le plus vivement. Il travailla beaucoup
pour le perfectionner. A mesure qu'on le critiquait, si la
critique était jusle, il réformait ; si elle n'était que spécieuse,
il répondait ; si elle était fausse ou injuste, il la mépri-
sait (1).
(1) irsera peat-étre agréable aux bibliographes de troiiYer ici rassemblés les diflé-
renls titres des ouvrages de M. de CbaiDons«el sur la Maison d'Association, av^ quel-
ques notes et l'indication des journaux qui en ont parlé :
1. En 1754, il donna en in-4 de 15 pages, intitulé: Plan d'une maison d'Association,
dans laquelle, au moyen d'une somme très modique, chaque associé s'assurera dans
Tétat de maladie toutes les sortes de secours qu'on peut désirer.
C est le premier ouvrage que M. de Chamousset ait publié sur cet objet qui i*a
occupé tonte sa vie, et qui paraissait identilié avec son ùmv.. Il disait un jour à
Madame la Comtesse de B..., son amie, qu'il consentirait volontiers à mourir si sa
Maison d'Association était établie ; et sur quelques représentations qu'on lui fit a cet
égard, il ajouta : o Je le dis comme je le pense, comme je le sens ; je mourrais du
moins avec la certitude d'avoir servi l'humanité et de n'avoir pas été un fardeau inu-
tile à la terre. •
On tronve an tome II] de VAnnée Littéraire, année 1754, un court extrait et un
grand éloge de ce Plan, pages 348-354. Voy. aussi Journal des Savants, année 1754,
juillet, page 510, édition in -4, et le m^me journal, mars 1758, page 157 et suiv. Voyez
Journal di Trévoux, fév. 1758,,pag. 390 et suiv.
Ce mémoire a été imprimé dans le Journal Economique, juin 1754, pag. 84-102.
Et dans les Vues d'un Citoyen, pages 36-77. Ce recueil imprimé en 1757, in -12, est la
collectloa des Mémoires d'Humanité et de Bienfaisance que M. de Chamousset avait
publiés jusqu'alors ; jamais ouvrage ne mérita mieux ce titre, soit en lui-même, soit
par son auteur.
2. Quelque temps après et dans la même année 1754, il publia un second mémoire
ayant pour titre : Addition et éclaircissement au plan £une Maison d'Association, in-4,
12 pages, il est réimprimé dans les Vurx d'un Citoyen, pag. 80-113. On en trouve
l'extrait dans VAnnée Littéraire, tome V de 1754, pages 36-43. Voy. aussi Journal des
Savants, année 1754, p. 573, édition in -4.
3. A peu prés dans ce même temps parut une lettre critique contre le Plan de la
Maison d'Association, M. de Chamousset qui n'aimait et recherchait que la vérité avait
réim^mer cettre lettre dans les Vuen d'un Citoyen.
AJi ne tarda pas h répondre à cette critique, et il le lit avec cette force qui
a^J UN PHILAXTHHOPE 3ŒC0XNX
OccupoDs-noas quelques iostants de l'analyse d'un projet
qui fut reçu avec un espèce d'enthousiasme, la reli^pon,
rhumaniléy la politique, l'intérêt général et particulier, la
plus saine philosophie, tout semblait devoir concourir au
succès de son établissement. Aussi fut-il accueilli par le
Ministère ; c'est ce que prouvèrent les souscriptions Me quel-
ques-uns des membres qui le composaient alors. C'est encore
ce que prouva la concession de l'hôtel de Gonty, faite à
M. d^ Chamousset pour l'emplacement de cette maison. II
fut approuvé par les grands, généralement applaudi par la
est la siiile de la conviction, avec celle douceur, cette arbaoité dont ne f'écarte jamais
celui qui regarde loua les hommes comme frères, même lorsqu'ils se trompent.
5. Mémoire% sur l'^'tablunem^nl de campugnies qui a^surfront m cas de maladiet la
tecmir% h 8 flu» abondanli el Itt plu* eflicacet à tous ceux qui en santé leur paieront une
1res prltle somme par an en nième par mois, in -4. 16 p.. imprimé en 1770, chez
d'Iloury. ^
C'est une nouvelle forme que M. de Chamousset donna à son PUn dé la Maison
d'Â*fiH:iation On en trouve Textrait dans ]e Journal des Savants, déc 1770, page S7i-
873 de rêdition in 4 ; et dans l'Année Littéraire, 1770. tome V, p. 26^-'/73. *
ft. Projti de réylemtnf pour la Maùèn d*Associalion en 35 articles. Ce projet que
nous pnblious pour la première fois est l'application 4es principes exposés dans les
mémoires précédents.
7 Nous avons fait réimprimer la Lettre critique contre le Plan de la Maison d'Asso-
ciation. Après avoir montré ce qui peut le comhatire, Timpariialité semblait exiger
qu'on présentai aussi ce qui peut lui être favorable, et qu'on l'étayât de l'autorité des
médeci) s les plus célèbres. C'est ce qui nous a engagés à réimprimer les lettres de
MM. Uertrnnd, Lorry et A Petit, médecins de la faculté de Paris, et celle de M. le
comte Gollowkin, où l'on trouve le sentiment de M. Tissot sur cet établissement Ces
lettres out déjà été imprimée dans V Année Liiléraire, en 1770, les trois premières, tome
V, p 348-3r)1 ; la quatrième, tome VII, p 195 et s
Tous ces mémoires de M. de Chamousset se distribuaient gratuitemenL C'est ainsi
qu'ils étaient annoncés dans quelques uns des journaux que nous avons cités Tous
les étrangers les demandaient avec empressement, el le célèbre cardinal Passionnel en
demanda trois fois le recueil à M. Guérin, imprimeur et libraire de Paris, digne suc-
cesseur des Kstienaes, par la beauté de ses caractères. (Lettre du 18 mai 1756).
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 21
portion du public destinée à éclairer l'autre. Cependant,
malgré les vœux de la nation on s'en est tenu à une admira-
tion stérile.
Peut-être un jour la postérité ou même nos voisins (1) en
exécutant ce beau plan de bienfaifance, apaiseront les mânes
de rhomme sensible et du vrai citoyen qui Tinventa, et qui
lui sacrîQa une partie de sa fortune et de son existence.
Il serait impossible d'entrer dans le détail de toutes les
peines que prit M. de Chamousset, de tous les mouvements
qu'il se donna, de toutes les démarches qu'il fit pour venir à
bout d'établir la Maison d'Association.
Plusieurs fois l'exécution de ce plan a paru très prochaine ;
mais on dirait que le hasard se ligue souvent avec les pas-
sions des hommes, pour empêcher le bien général ; toujours
cette heureuse exécution a été traversée par des circonstan-
ces qu'on ne pouvait prévoir. Tantôt nous voyons M. de
Chamousset près d'obtenir la maison de la Couture de Sainte-
Catherine en échange d'un terrain de moindre valeur, mais
(I) Oo a des preoves que les étrangers prenaient le plus grand intérêt à l'exéca-
lion da Plan de la Maison d'Association. Uo politique Anglais après avoir la ce qae
M. de Chamousset a écrit sur la Maiton d'As»ociation, disait à propos de la Hollande :
« Dans ce pays, comme dans beanconp d'antres, il y a nombre d'établissements pour
les paoTres ; mais- dans aucun il n'y a d'établissement pour les classes exactement
a an -dessus de la pauvreté, qui sont cependant celles que les gouvernements devraient
« le plus protéger, parce que ce sont elles qni contribuent le plus, par leurs travaux,
« à la richesse des états. Le plan de M. Chamousset, regardant principalement ces
(r clatsef, et n'ayant pas le vice des hôpitaux qni Tavorisent la paresse et la débiiuche,
a je ne doute pas que beaucoup de gouvernements ne l'adoptent. Lorsque les Maisons
« d'Association seront montées elles ne manqueront jamais de malades... Il ne s'agit
« qne de répandre et de faire bien connaître ce plan ».
22 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
plus propre au but auquel on destinait alors cette maison ;
et cet arrangement manque par la retraite imprévue d'un
Ministre. Tantôt il demande le monastère supprimé des Cèles-
tins de Paris, et se soumet d'en conserver Téglise, d*y faire
célébrer Tofflce les dimanches et les fêtes et d'y faire acquit-
ter les fondations. Ici de concert avec un ecclésiastique
connu par ses vertus et par ses talents, et qui a eu l'honneur
d'être employé dans l'éducation du Père de la France, il
forme un acte de Société et le fait signer par un très grand
nombre de personnes de qualité et de mérite. Là sous les yeux
et par les avis du magistrat de police et d'un président du
Parlement, il rédige le projet de Lettres-Patentes, et les
règlements de cette maison. Dans une autre occasion il pro-
jette, et est au moment de consommer le marché d'un terrain
considérable. 11 va jusqu'à faire des efforts pour intéresser
Sa Majesté Danoise à cet établissement, par la considération
du lien sacré qui uni tous les hommes, par celle de l'intérêt
de ses sujets résidant en France. En un mot, presque point
de démarches qu'il n'ait tentées, et point de démarches qui
lui aient réussi par cette fatalité réunie des circonstances et
des passions particulières.
M. de Chamousset, en formant ce plan dicté par l'amour
de l'humanité le plus actif et le mieux raisonné, n'avait pas
précisément en vue les malades vraiment pauvres et connus
pour tels. Quels que soient les asiles publics ouverts à la
misère, il en existe ; mais combien de citoyensqui n'étant ni
assez riches pour se procurer chez eux des secours suffisants
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 23
ni assez évidemment pauvres pour se faire transporter dans
une maison de charité, périssent victimes de la décence de
leur état, et souvent de la crainte souvent trop bien fondée
de se voir négligés dans un hôpital. Il avait en vue les mala-
des de toutes les conditions, de tous les états ; et surtout cette
foule d'étrangers, de céUbataires, de gens de lettres, de mili-
taires, de plaideurs, d'artistes, d'artisants, de domestiques,
en un mot, de gens isolés, qui dans leurs maladies, meurent
souvent faute de secours, ou qui se trouvent livrés à des
inconnus, à des mercenaires, à des âmes viles, cruelles, atro-
ces, qui pour profiter de quelques dépouilles, hâtent la mort
de ceux qui leur ont confié leur vie. Il avait en vue ces arti-
sans industrieux, ces marchands dont le commerce est borné
en général, tous ces hommes précieux à l'Etat, qui vivent
journellement du fruit de leur travail, qui par cette raison
même n'ont recours au repos et aux remèdes que le plus
tard qu'il leur est possible, qui voient bientôt leurs faibles
ressources épuisées, et qui, combattant d'abord contre la
honte de passer pour pauvres, ou contre la crainte d'une
négUgence criminelle que l'habitude ne rend que trop ordi-
naire, ou périssent malheureusement, ou ne triomphent de
leur répugnance, suite naturelle du triste état des choses,
que lorsqu'il n'est plus temps, lorsqu'il ne leur reste plus
qu'à mourir.
Il est aisé des voir que cette Maison d'Association n'avait
rien de commun avec les hôpitaux ; elle intéressait les
citoyens les plus opulents, comme ceux de la classe moyenne.
34 r% PH2-i?KTE2?:-?T nÎjyysKZ
QoelqQe ri^h^ ttk Toci <•:•«&. pe«it-<«A se flatter d'avoir à s«s
ordresy^â toales les hemm ém ymr ci 4e la nuil^ des médî-
caments, des oKtiecijis kaiiiks. des cldmrpeiis expérimeD-
lés. des refloêde;» préférés f^r b probité réunie aux lumières
des remèdes administrés par la pmdenoe, des dcMneatiques
éprouTés par le temipts ?
L^tablissement adminble de )L de Chamoasset, onTert à
tous, eût été proportionné à tuas : les pins riches y eossent
été re\'us d^une manière qui n'eut rien laissé à désirar à leur
délicatesse : le traitement dans la maladie eot été le même
pour tous les malades : c'^est le vœa de la religion, de llia-
mauité et de la raison : Is seule différence n'eot consisté que
dans le K^ment. De cette parité de traitement exigée par la
nature, de cette disparité de logement et d'amenblement
aoconltH" à la condition^ devait résulter une disparité dans
la mise pro(H>rtionnée aux facultés de chacun. Aussi, Pau-
tour do ce Temple destiné à l'humanité, avait-il distribué les
atisooios en cinq classes, savoir : ceux qui auraient un appar-
toniont, ceux qui auraient une chambre à un lit, ceux qui
Huraiont été placés dans une chambre à trois lits : ceux des
nalloH à douie lits, ceux des salles à trente lits. Chacune de
00» cinq classes était divisée en six pour les prix, depuis
qnin/o ans jusqu'à soixante : mais, les malades, en tout état,
ouMHont toi\|ours été seuls dans leur lit, et chacun de ces lits
oui olô ronlormé dans une espèce d*alcôve^qui eût formé
oonuno une chambre séparée,
ISmr comprendre tous les avantages de cet établissement,
I
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 25
il faut en lire le projet en entier. L'amour du bien public
l'avait dicté : le zèle et la bonne foi auraient été la base de
son exécution. Quvrage de la sagesse et de la prudence, tous
les moyeils étaient assurés, tous les inconvénients prévus,
tous les obstacles levés, toutes les précautions prises ; on
avait eu soin, surtout, d'empêcher que Tamour-propre qui
n'a que la faculté de sentir, et presque jamais celle de rai-
sonner ne s'effarouchât sans motif : on faisait voir que cette
Maison ne serait point un Hôpital, que les conditions y
seraient distingués, les égards dûs au rang et au caractère
observés ; que les associés étant propriétaires, seraient vrai-
ment chez eux ; ^qu'ils ne' pourraient craindre ni procédés
d'intérêt, ni préférence, ni mauvaises manières ; que contri-
buant chacun d'une façon >proportionnelle, ils ne devaient
pas avoir la moindre délicatesse sur l'asile choisis par eux
dans leurs miiladies.
Ce projet, triomphe de l'humanité, combiné elt calculé
avec la plus grande intelligence et la plus grande précision,
concilié avec nos inconséquences et notre vanité, semblait
devoir être au-dessus de toutes les objections de l'esprit ou
du cœur; il en éprouva, cependant (1). On prétendit, par
exemple, qu'il ne pouvait convenir à des Français, peuple
léger, indifférent au bien public, qui ne sût jamais prévoir
l'avenir ; comme si les défauts de quelques particuliers pou-
Ci) Voyez sur la solatioo de ces objections, Additions et éclaircissements, Réponst
à la Lettre Critiqoe, et Le Journal det Savants, Mars ilftH^ éd*' 4* page, f67 et soiv.
où cea objections se troufent réduites sons différents chefs.
26 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
valent jamais former le caractère de la nation ; comme si on
pouvait corriger les hommes en les humiliant, ou en les
calomniant ; comme si le meilleur moyen de les rendre bons
n'était pas souvent de paraître croire qu'ils le sont ; comme
si l'exemple de l'auteur de ce projet, et de tant d'autres fran-
çais généreux et bienfaisants ne démentait pas une assertion
aussi contraire à la vérité qu'à l'honnêteté.
On prétendit que l'intérêt, ce grand ressort de toutes les
entreprises, manquait à celle-ci ; que l'attrait des jouissances
actuelles, la pente du cœur qui se livre si facilement aux illu-
sions de l'espérance, enfin les diversions à toute réflexion triste
diminueraient nécessairement l'impression ae la crainte que
la probabilité d'un mal à venir devait naturellement produire.
On prétendit que les ' engagements, comparés avec la
médiocrité de la rétribution de chaque associé, avait trop
d'étendue.
Différents maîtres oubliant que les biens des hôpitaux
appartiennent aux véritables indigènes, refusèrent de sous-
crire pour leurs domestiques, en répondant qu'ils avaient la
ressource de la maison de Charité.
Quelques personnes, rassurées sur le présent par le zèle du
vertueux auteur du projet, parurent avoir des alarmes pour
l'avenir. On prétendit qu'après lui, l'intérêt particulier ne
tarderait pas à l'emporter sur le bien général.
En un mot, que ne prétendit-on pas ? Car il n'y a que les
objets qui n'ont rien à démêler avec le cœur humain contre
lesquels l'esprit ne fasse pas d'objections.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 27
M. de Chamousset répondit à tout, et pour me servir ici de
l'expression d'un juste appréciateur du mérite et des
talents (1), il défendit en philosophe le projet qu'il avait
conçu en citoyen ; c'est dans son cœur qu'il puisa ces argu-
ments simples, aisés et lumineux, qui persuadent et entraî-
nent sans efiort.
Il avait pour lui la vérité ; mais qu'est-ce que la vérité, si
elle n'est pas agréable à nos passions? Ce citoyen vertueux,
plein de force et de courage pour le bien public, qui s'enflam-
mait par son idée comme le commun des hommes par celle
du bien particulier, ne se rebuta point par les objections, les
obstacles et les contradictions. Il revint plusieurs fois à son
plan. De toutds ses idées patriotiques, c'est celle qui ait le
plus flatté son cœur, parce qu'elle tendait plus directement à
la conservation des hommes.
M.. de Chamoiisset ne se contenta pas d'une vaine théorie ;
il consacra une partie de son patrimoine, pour y joindre la
pratique. Il voulut faire, au moins en petit, Tessai de son
plan, et loua à la barrière de Sève, où de tous temps les
plus grands médecins ont reconnu que l'air est très-salubre,
une maison commode avec un jardin pour les plantes usuel-
les. Il y offrit au public deux appartements, quatre chambres
à un lit, quatre chambres à deux lits, et une salle de six lits :
le surplus de la maison était occupé par le service. Suivant
ses calculs, avec ce nombre de lits, il aurait été en état de
(t) Jûttmul dês Savants, Mars. 1753. p. 173, iii-4«.
28 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
recevoir 1.000 associés malades. Les médecins et les chirur-
giens les plus habiles devaient donner leurs soins à cet essai
d'établissement, qui, en attendant qu'il eût obtenu des Lettres-
Patentes, devait être régi par douze associés (1). Je ne puis
me tromper sur le succès qu'aurait dû avoir cette Maison de
Santé ; mais j'ignore celui qu'elle eut réellement. 11 parait
certain qu'elle ne se soutint pas aussi longtemps qu'il l'aurait
désiré, et que peu secondé par le public, qui souvent est
indifférent sur ses vrais intérêts, sa fortune ne lui permit pas
de suivre cette œuvre de bienfaisance : mais dans la suite,
toujours rempli de la douce espérance de pouvoir enfin
fonder ce consolant asile, il s'en occupa encore après seize
ans. En 1770, il présenta son plan sous un«nouveau point
de vue. 11 donna au public son Mémoire but les Compagnies
d'Assurances pour la Santé. * t
La clarté, la simplicité, la précision de tes mémoires, le
rendent peu susceptible d'un extrait. N'oublions pas cepen-
dant une remarque importante de l'auteur; c'est que les
compagnies d'assurances pour les vaisseaux n'intéressaient
que les commerçants, et que celles qui assurent les maisons
ne sont avantageuses qu'aux propriétaires ; tandis que celles
de la santéy dont il s'agissait, intéressent particulièrement
tous les citoyens. 11 en aurait peu coûté à chacun pour s'as-
surer le premier des biens ; et ce plan, en faisant l'avantage
(1). Voyez un Avis au public de 4 pages in-4o, imprime en 1 7.^ 6, presque eiitière-
ment copié. (Année liU'\ T. III, 1* 24 i 3t).
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 29
général» aurait produit à ces compagnies, un profit immense,
qui les eût intéressés à prodiguei* les secours, parce que mieu^i:
on aurait été traité dans les établissements qu'elles auraient
formés, plus elles aui^aient eu d'abonnés.
M. de Cbamousset, quoique le plus désintéressé des hom-
mes, n'ignorait pas que l'intérêt et l'espoir du gain détermi-
nent trop souvent. (I saisit ce moyen pour engager les citoyens
du temps à souscrire à son établissement, pour les forcer en
quelque sorte à assurer leur santé.
11 leur offrit l'amorce d'une lolerie, dont les billets au
nombre de trente mille, à raison d'un billet pour chaque
place d'associé, donneraient n^^f cents lots, dont les plus
forts de six cents livres et les moindres de dix livres, seraient
pris sur les profits, jusqu'à la concurrence de 27.630 livres.
Ces lots pouvaient déterminer, par l'espoir du gain, ceux qui
ne voyant la ^maladie que dans Téloignement, trouveraient
onéreuse une contribution modi(^e à la vérité, mais tou-
jours trop forte pour celui qui croit n'en avoir pas besoin.
Notre vertueux auteur répéta dans ce Mémoire tout le
principe de son système, principe démontré par l'expérience
et par l'observation des plus célèbres médecins, en particu-
lier, de MM. Bertrand, A. Petit et Lorry, savoir que sur cent
personnes, il n'y aura jamais, dans le courant de l'année,
douze maladies d'un mois ; ou vingt-quatre de quinze jours ;
et qu'ainsi un seul lit, pendant le cours d'une année compo-
sée de douze mois, doit faire face à l'engagement pris vis-à-
vis de cent personnes.
UN PHILANTHROPE MECON'NU
M. de Chamousset ne concentre pas ses vues bienfaisantes
dans la capitale : il les étend même aux provinces et aux
royaumes étrangers, partout il établi des Compagnies d'As-
surance de Santé, et il veut que ces Compagnies, unies
ensemble par la fraternité, puissent par ce moyen assurer à
leurs différenis associés voyageant, les refuges de toutes les
villes ou leur santé recevra quelque atteinte : il n'aurait été
question que de présenter un billet de la Compagnie dont ils
auraient été associés, par lequel elle aurait pris l'engagement
de payer les journées de son associé, suivant sa classe et au
prix convenu, l^ar là, tous les hommes deviendraient vérita-
blement frères ; et ils ne seraient plus qu'une grande famille,
surtout dans les moments critiques et douloureux où les biens
de la nature doivent les refuser.
M. de Chamousset consulta sur ce nouveau Mémoire la
faculté de Médecine, les six corps de marchands, les magis-
trats, 1(5S citoyens les plus éclairés ; tous le oomblèrent d'élo-
ges, tous convinrent que ce beau plan, en déchargeant les
hôpitaux, les rendrait plus utiles et moins redoutables ; qu'il
ouvrait une ressource à ceux qui ne voient point de milieu
entre le grand humiliant d'une maison de charité, et les
dépenses excessives que les maladies et les plus simples opé-
rations entraînent chez les particuliers. Rien ne parut plus
judicieusement imaginé, plus humainement senti, que cette
Association. On convint qu'elle était propre à calmer les
terreurs de l'imagination qui sont quelquefois si dangereuses
surtout dans les anies sensibles et bien nées ; qu'il était doux
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 31
de penser qu'on pouvait impunément en quelque sorte voir
le dérangement de sa santé, par la certitude de voir en même
temps tous les moyens dépendant de Thumânité, se réunir
pour la rétablir ; et qu'enfin, 'calmer les craintes réelles ou
imaginaires sur l'avenir, c'est prolonger, c'est doubler, c'est
embellir l'existence, c'est remplir 16 but de la nature et celui
des gouvernements sages et humains. On convint que ce
plan devait concourir à la perfection de la médecine, de la
chirurgie, de la pharmacie ; qu'il devait influer sur la réforme
si nécessaire dans tous les étabiissemenls charitables; on
convint de mille autres avantages, surtout dans la dernière
forme sous laquelle M. de Chamousset l'avait présenté, mais
ses nouveaux efTorls ponr l'exécution ne furent pas plus heu-
reux que les anciens ; on refusa de prendre part à un projet
qui intéresait rhumanité entière, qui présentait les profits les
plus honnêtes et les plus sûrs, dont l'auteur annonçait et
prouvait la plus grande noblesse, le désintéressement le plus
marqué. 11 avait proposé trois mille actions de 200 livres
chacune ; il s'était exclus lui-même des actionaaires. 11 offrait
de recevoir tous les avis, d'en profiter, de changer, de réfor-
mer son projet, à mesure que de nouvelles idées pourraient
l'améliorer. Pureté de zèle, amour de l'humanité, désintéres-
sement modeste, tels furent en général les caractères qu'on
reconnut dans ce projet comme dans son auteur. Il avait eu
soin d'indiquer un grand nombre de notaires chez lesquels
on pourrait faire sa soumission ; il avait eu la précaution
d'annoncer qu'on ne déposerait le montant des actions qu'au
32 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
moment où elles seraient toutes remplies. Elles ne le furent
point; et M. de Chamousset est mort avec la douleur de
n'avoir pu exécuter un plan qui, l'a occupé toute sa vie, et
qui eût sauvé des milliers ^'hommes.
Le projet de la Maison d'Association n'épuisa pas toutes
les vues de M. de Chamousset^ pçurle soulagement des maux
dans Tétat de maladie, qui a toujours été l'objet principal de
ses travaux ; il exerça» encore sa philosophie bienfaisante et
chrétienne, sur d'autres objets qui ont un rapport au moins
indirect à son premier plan" Il jeta d'abprd les yeux sur l'Hô-
pital-Dieu de Paris, et ce coup d'œil de compassion active
nous procura un nouvel ouvrage qb'il 'V.'la : Eooposition (1)
d'un plan proposé pour les malade^ ^'Hôtel-Dieu (2).
Cet ouvrage commence par une pein *e énergique, tou-
chante, et malheureusemenl trop vraievu^ l'état où étaient
les malades de l'Hôtel-Dieu de Paris/ C-est la nécessité du
remède, remarque notre sensible et véridique auteur, qui
force à faire connaître l'étendue du' mal. Tel est le principe
de ce tableau effrayant, trapé par les administrtiteurs eux-
mêmes dès le siècle dernier, et qu'on peut d'ailleurs, à
chaque instant de la journée contempler dans l'amertume
et le déchirement du cœur.
Des malades de toute espèce rassemblés dans une salle où
règne un air infect; plusieurs, jusqu'au nombre de six
couchés souvent dans le même lit, qui suffirait à peine pour
(1) firochare iD-12, 1756; réimprimée dans les Vues d'un Citoyen, 1757.
(2) Imprimé Tome 1 (135-170) de cette édition.
tJN PHILANTHROPE MÉCONNU 33
deux ; tous dans ces lieux resserrés, formant par leurs
haleines de mille maux différents une épidémie générale qui
rend incurable chaque maladie particulière ; ces malheureux'
s'effrayant mutuellement par les cris de la douleur, par le
délire, par la vue de leurs plaies, de leur agonie, de leur mort ;
quelle impression un tel spectacle dont la sensibilité me force
de détourner les yeux, ne doit-il pas faire sur un èorps déjà
affaiblis par les maux ! Les mourants à côté des convales-
cents, les vivants à côté des morts et les touchant, le tombeau
s'ouvrant à chaque instant, qu'elle espérance peut rester à
une imagination frappée ? Dans ce trouble éternel,iquel effet
les remèdes peuv.:» ô produire ? Dans cette confusion
comment éviter Igl» éprises, quand même on supposerait
la plus grande atte on ? Gomment soigner convenablement
des malades enla^^n • les uns sur les autres.
C'est cet entasbement que M. Chamous^t regardait
comme une des causes principales de la mort des malades
à l'Hôtel-Dieu, de la lenteur des convalescences, de mille
maux que l'épidémie rend communs, non seulement aux
malades même, mais encore à ceux qui les servent ou qui
fréquentent ces malheureux asiles ; ces asiles si redoutées,
que les indigents pour lesquels ils ont été fondés regardent
comme le comble du malheur d'être obligés d^y avoir recours ;
ces asiles si redoutables en effet que, de l'avis des plus célè-
bres médecins (1) il vaudrait mieux abandonner les hommes,
(1) Voyez la lettre de M. Antoine PeUt. Tome !•', 1r 120«
84 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
dans un coin comme les animaux, aux soins de la nature, au
repos, à Teau simple, à la compassion des spectateurs.
Aussi résulte-t-il des états levés avec la plus grande exac-
titude, et que M. de Chamousset met ici sous les yeux, qu'il
meurt à THôtel-Dieu, un quart des malades qu'on y trans-
porte ; que les rechutes y sont communes, et souvent
mortelles ; tandis que dans la même ville, l'hôpital de la
Charité, où les malades sont séparés en bon ordre, ne perd
qu'un huitième de ceux qui y sont soignés, et qu'il n'y a
presque point de rechutes ; tandis que dans les hôpitaux des
pauvres de Versailles et des environs, il ne meurt à peu près
qu'.un neuvième des malades qu'on y transporte ; tandis qu'à
riIôtel-Dieu de Lyon, qui dans l'Europe jouit à juste titre
de la plus grande réputation, on en perd au plus le quator-
zième.
Si on vient maintenant à comparer les dépenses, on verra
d'après les preuves détaillées de notre auteur, qu'à Thôpital
de la Charité où Ton ne perd que le huitième des malades,
chacun d'eux ne coûte que 29 livres, au lieu qu'à l'Hôtel-
Dieu la dépense pour chaque malade monte à 50 livres.
Quelle disproportion ! et comment arrive-t-il qu'en dépensant
près du double pour guérir ses malades l'Hôtel-Dieu en
perd la moitié plus que T Hôpital de la Charité ?
Ce vice prend sa source dans deux causes principales ; le
mauvais air des salles, et la méprise dans l'administration
des remèdes. Ces exhalaisons putrides et pestilentielles que
donne un trop grand nombre de personnes malades et mal
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 35
propres renfermées dans un espace trop étroit, hâtent la mort,
arrêtent la convalescence, usent en peu de temps les forces
de ceux qui se dévouent au service de ces pauvres. Les idées
des médecins se croisent par la diversité des maladies, les
ministres subalternes sont trop occupés et trop distraits pour
prendre toutes les précautions nécessaires ; ainsi dans ces
réduits funestes, la mort ne cesse de frapper ses coups, et
elle s'immole des victimes, même par les mains de ceux qui
ont l'intention de la combattre.
Quel remède à tant de maux qui font gémir l'humanité ?
M. de Chamousset les rapporte à trois : le premier serait de
décharger l'Administration, du soin des malades, et de la
borner au gouvernement des biens, à l'inspection générale
de tout ce qui se passera dans la maison relativement à la
police, au bon ordre, aux intérêts des pauvres. Le second
consisterait à confier tout ce qui regarde le traitement, la
nourriture, le service des maladies curables, à une société de
citoyens dont l'intérêt personnel se trouverait nécessairement
identifié avec l'intérêt public ; puisque l'Administration lui
passerait une somme de 50 livres pour chacun des malades
guéris, et rien pour ceux qui mourraient. C'est la somme que
coûte aujourd'hui chaque malade de l'Hôtel-Dieu, soit qu'il
guérisse, soit qu'il meure ; ainsi l'Administration aurait pro-
fité de tous les morts, qui malheureusement forment aujour-
d'hui le quart des malades qui entrent dans ce temple d'hor-
reur et de désolation. Cette société n'étant payée qu'à raison
des malades guéris, aurait eu un intérêt toujours présent à
36 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
ne rien négliger pour la guérison des malades ; cet intérêt
l'aurait rendue singulièrement attentive au choix des minis-
tres et des moyens de la santé ; et par conséquent, l'Etat qui
sur 21.000 pauvres qui entrent par an à l'Hôtel-Dieu, en
perd environ 5.000, aurait conservé un grand nombre de
citoyen utiles.
M. de Ghamousset à qui rien n'échappait de ce qui intéres-
sait l'humanité souffrante, exigeait encore, pour ôter toute
ressource à la cupidité, que si le malade faisait une rechute
pendant les huit premiers jours après sa sortie, qu'elle qu'en
fut la cause, elle serait aux frais de la Compagnie. Elle aurait
établi ses convalescents, et même quelques inalades dans cer-
taines maisons situées en bon air, telle que l'Hôpital Saint-
Louis, celui de la Santé et autres. Partout les malades
auraient été distribués en différentes salles, selon le genre
particulier des maladies. Ils auraient été couchés séparément
ou tout au plus deux à deux dans des cas de nécessité. Ainsi
Ton n'eut point eu à craindre les inconvénients de l'entasse-
ment de ces infortunés. Ainsi cette nouvelle société formée
par l'humanité et la saine politique, n'eût en de bénéfice à
espérer qu'en conservant des hommes à l'état ;.et si elle eût
gagné, le public eût encore gagné d'avantage. On ose le dire,
le cœur de M. de Ghamousset avait trouvé ce qui se refuse
presque toujours aux recherches des plus profonds politi-
ques, cette pierre philosophale de la science du Gouverne-
ment, le concours et l'identité de l'intérêt particulier avec
l'intérêt général.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 37
Enfin pour troisième remède aux maux de THôtel-Dieu,
notre auteur ne perdant jamais sa Maison d'Association,
propose comme une conséquence nécessaire de ses principes
de réforme, la nécessité d'établir un milieu entre le gratuit
humiliant d'un hôpital, et les dépenses excessives que les
maladies entraînent chez les particuliers.
Tel est le plan de réforme (1) que proposa M. de Ghamous-
set pour THôtel-Dieu ; nous n'avons fait que l'effleurer ; il
contient beaucoup de détails plus intéressants les uns que
les autres. Puisse le peu que nous en avons dit, inspirer le
désir de le lire et de le méditer ! Puisse-t-il surtout inspirer
le courage de triompher des intérêts subialternes d'écouter
l'humanité et d'exécuter des idées qu'elle seule à dictées !
Cet ouvrage a été suivi en différents temps de quelques
Mémoires plus ou moins abrégés sur la même matière. Ils
contiennent à peu près les mêmes idées , les mêmes faits, les
mêmes principes ; mais nous n'avons pas cru devoir en
priver le public qui y trouvera un nouvel intérêt, au moins
par les différentes formes que savait prendre la bienfaisance
de M. de Chamousset.
On trouve d'abord des Réponses aux Objections sur l'expo-
sition du plan de réforme de l'Hôtel-Dieu (1). On réduit ces
objections à trois.
II faut respecter un établissement et des usages anciens.
(1) Imprimé en 1756, in-12, réimprimé en 1757 dans les Vues fTun Citoyen,
(i) Tome I", pag. 170-172.
(2) Imprimée. Tçiye I", pag. 173-180.
38 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Les commodités trop multipliées dans cet Hôpital pourraient
y attirer trop de malades et rendre ses revenus insuffisants.
Il faut craindre d'altérer la confiance, de tarir la source
des aumônes, et d'indisposer les personnes nécessaires au
bien de cette maison.
Quel langage ! Respecter un arrangement qui fait gémir
l'humanité, le seul dans ce genre qui étende autant l'empire
de la mort !
L'intention des fondateurs n'a-t-elle pas été que tous les
pauvres y fussent admis, et n'est-il pas démontré que les
Maisons d'Association en diminueraient le nombre ?
Enfin ne paraît-il pas évident que ce plan de réforme
augmenterait la confiance et les aumônes bien loin de les
diminuer, et que le seul intérêt particulier pourrait faire des
mécontents !
En 1763, M. de Ghamousset toujours occupé de son plan
de Réforme, parce qu'il était toujours persuadé de sa néces-
sité, présenta une Soumission contenant les différentes
conditions auxquelles la Compagnie dont il parle dans son
premier Mémoire se serait chargée du traitement des malades.
Les 10 articles qui composent cette Sotimission tendent tous
au bien général, et sont appuyés sur les principes qu'on a
déjà exposés.
Il faut en dire autant du Règlement qui suivit cette
Soumission (1). C'est un des meilleurs ouvrages de M. de
(1)0n le trouve imprimé. Tome I" de cette édition, pag. 180-204,
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 39
GbamouBset, par la netteté, la clarté, les vues saines et utiles
qui en sont le caractère distinctif. Si jamais il plait au
Prince humain qui nous gouverne de revêtir ce Règlement
de son autorité sacrée, l'homme sensible n'aura plus qu'à se
dire : Qui pourrait m'arrêter ici-bas ? J'ai entendu la voix
bienfaisante de la Divinité arracher à la mort des milliers des
victimes ! Que peut-il manquer au bonheur des Français ?
Le Prince qui joint à tant d'autres qualités une estime active
et réfléchie de la vie des hommes, n'est-il pas le meilleur des
Rois ?
Il a manqué à la félicité de M. de Chamousset d'entendre
cette voix douce et paternelle. C'est à nous que la Providence
réservait cette consolation. Déjà elle s'est fait entendre malgré
le tumulte des armes, malgré les horreurs et les dépenses de
la guerre (1). Déjà 2.500 malades seront couchés seuls dans
un lit, et 500 deux à deux, dans un grand lit séparé dans sa
longueur par une cloison ; il y aura des promenades et des
salles particulières pour les convalescents ; des infirmeries
seront établies dans les Hôpitaux destinés aux malades, des
hospices assignés à certaines paroisses, les comptes de l'ad-
ministration de rilôtel-Dieu rendus pubhcs, etc. ; tout ceci
sans doute n'est que l'heureux prélude de ce que les Français
peuvent attendre de leur père commun, lorsqu'il aura obtenu
l'objet de ses vœux, la justice et la paix.
Nous pouvons le dire, si l'excès du plaisir comme de la
(1) Lettres patentes du 22 aTril 1781.
40 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
peine, du bonheur comme du malheur, peut altérer ou
détruire même subitement les ressorts de la vie, peut-être
M. de Chamousset serait-il mort de joie à la nouvelle de cette
loi d'humanité ; ce qu'il y a de constant, c'est qu*il n'a
jamais cessé de faire entendre sa voix en faveur des infortunés.
Il profita du malheur arrivé à l'Hôtel-Dieu, pour parler
encore de sa réforme. 11 proposa de le diviser, d'en mettre
une partie à l'hôpital Saint-Louis, et une autre au couvent
des Cordelières du faubourg Saint-Marceau. Il renouvela
Toffre qu'il avait faite plusieurs fois. 11 est intéressant de lire
les détails de ce nouveau projet, où plutôt de ce projet ancien
accommodé aux circonstances et qui aurait épargné la
reconstruction des bâtiments brûlés. Tel est l'objet d'une
lettre importante qui date du commencement de 1773. Cette
lettre (1) contient une comparaison qui pourrait enfin être
utile, du nombre des malades et des morts de l'Hôtel-Dieu
avec ceux de la Charité de Paris, pendant douze années,
depuis 1737 jusqu'en 1748.
Enfin le dernier ouvrage de M. de Chamousset fut l'Hôtel-
Dieu dont nous ayons à parler, sont des observations abrégées
sur son état et sur la manière de diminuer ses charges (2).
C'est à peu près le mâme fond d'idées avec quelques additions.
Ici, par exemple, on propose de placer à la Saussaye ^rès
Villejuif tous ceux qui sont attaqués de maladies chroniques.
On sait que ces maladies, dont on a dit avec raison qu'elles
(1) Imprimée. Tome !•', page 204-217.
(2) Imprimée. Tome I", page 217-222.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 41
étaient le déshonneur du médecin^ et le fléau des malades, ou
ne se guérissent point, ou se guérissent moins par les remèdes,
que par lei soins, Tair pur et la promenade.
Dans ces différents Mémoires, il est toujours question des
Maisons d'Association comme propres à décharger les Hôpi-
taux. Tous IcJ^ projets de M. de Chamousset, même sans en
excepter. Ceux qui paraissaient n'avoir d'autre objet que la
finance, avaient pour fin dernière l'établissement de sa
Maison d'Association. Les richesses n'étaient rien pour lui,
elles étaient tout pour cette maison si chère à son cœur. Cet
établissement, et la nécessité de réformer les Hôpitaux
reviennent à chaque instant dans ses écrits, comme ils
revenaient dans sa conversation.
M. de Chamousset avait commencé à démembrer son
patrimoine pour sa Maison de Santé de la barrière de Sève.
Il avait vendu une partie de ses terres pour fournir aux
dépenses de cette œuvre de bienfaisance, utile en elle-même,
respectable aux yeux de l'humanité et de la religion, mais
perdue pour l'exemple qu'il voulait donner.
Il vendit sa charge de Maitre des Comptes pour former son
Hospice des enfants abandonnés. Il commença par donner au
public son Mémoire politique sur les enfants, qui contient
deux parties (1). Il y parle d'abord de. la conservation de
(1) Imprimé tBO 1756, i]i-12,a?ec le Hémoire sur ie^ biens de i'HôpUal Saint- Jac^iues,
1008 le titre Mimevre sur la Conservation des EnfanU, et une destination avantageuse des
Enfanu Trmués ; en 1757, fréimprimé dans \ts IVues d'un Citoyen, sous celui de
Mémoire fJlUiqui sur lit enfants.
42 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
tous les enfants en général ; il propose ensuite une destina-
tion pour les enfants trouvés, et il indique les moyens de les
rendre utiles à i*Etat.
En remédiant au mal dans sa source, il servait à la fois
l'Humanité et la Patrie. Personne n'ignore et ne conteste
l'importance de la conservation des enfants ; mais l'on ignore
ou l'on néglige les moyens qui doivent conduire à cette fin
précieuse. Le plus sûr serait sans doute que les mères
allaitassent elles-mêmes leurs enfants ; mai^ il y en a si peu
qui remplissent à cet égard le yœu de la nature !
Le luxe, l'amour de la dissipation et du plaisir, sont pres-
que toujours les véritables causes qui empêchent les femmes
d'être mères au moment qu'elles le deviennent (1) ; et tandis
que les animaux les plus féroces allaitent leurs petits, ces
mères inhumaines outragent à la fois la Nature et l'Amour
maternel, et appellent sur elles les douleurs et la mort même.
Elles ne rougissent pas, elles ne craignent pas de confier les
fruits d'une union chérie à des mains inconnues, mercenai-
res, qui quelquefois forcées par la nécessité, plus souvent
peut-être par un vil intérêt, ont pu se résoudre à vendre le
lait qui appartient à l'enfant que leur donna la Nature ! Cona-
ment compter sur les soins de cette nourrice vénale, de cette
nourrice qui ne peut qu'aux dépens de son propre enfant
sustenter celui d'une femme étrangère ?
(1) Je Dc pari", ici que de ce qui arrive ordinairement. Il y a des exceptions indiquéei
par la nature même, et j'ai tu des femmes honnêtes regretter sincèrement dvns Tamer-
tume de leur cœur d'ëire condamnées à ne pouvoir aliailer leurs enfanta. ^
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 43
Voilà donc deux enfants à la fois qui courent les plus grands.
dangers ; celui de la femme riche ou faible qui ne veut ou ne
peut nourrir, et celui de la nourrice mercenaire. Les enfants
trouvés, ces enfants de TEtat et qui peuvent lui être d'une
si grande ressource, ces plantes si délicates que le liberti-
nage ou la misère arrachent en naissant au sein qui les forma,'
comment sont-ils soignés par les nourrices qui s'en char-
gent? Il semble que le vil prix auquel on les leur confie,
autorise le peu de soin quelles en prennent.
Gomment remédier à ces maux qui étouffent les généra-
tions dans leur berceau t M. de Ghamousset en trouva les
moyens dans l'exemple des peuples du Nord, plus forts, plus
vigoureux que nous. Il proposa de substituer le lait des ani-
maux à celui des nourrices, en le coupant dans les premiers
mois avec des infusions ou des décoctions qui l'approprieront
à l'âge et à l'état de l'enfant. Il fit voir combien cet usage
serait facile, salutaire, peu coûteux, préférable à tous égards
aux soins prétendus des nourrices mercenaires. Tout est ici,
bien vu, bien pensé, l'intérêt particulier se réunit avec l'inté-
rêt général ; les enfants en seraient mieux nourris, plus sains,
plus vigoureux ; les nourrices demeureraient moins longtemps
stériles, la population deviendrait plus nombreuse, et il y
aurait beaucoup d'économie. Cette économie diminuerait
nécessairement le nombre des enfants trouvés, dont plusieurs
sont légitimes, et que leurs père et mère n'exposent que parce
qu'ils sont hors d'état de payer les mois de nourrice, tels
qu'on les exige aujourd'hui. Une nourrice ne peut ou ne doit
44 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
se charger que d'un enfant ; dans le système de la nourrice
par le lait des animaux, deux femmes peuvent en soigner
douze. La nourriture de Tenfant étant totalement étrangère
à la femme, le choix sera plus facile et plus sûr ; il n'y aura
plus lieu de craindre ce qu'on a vu arriver quelquefois, l'in-
fection d'une famille ou même d'un village entier par uA seul
nourrisson malsain.
M. de Chamousset joignit encore ici la pratique à la théo-
rie. Il combattit par l'expérience les usages et les préjugés.
Il obtint du gouvernement la permission de faire ses essais
de la nourriture des enfants par le lait des animaux sous
les yeux ■ même des habitants de la capitale. Il en obtint
même quelques secours pécuniaires. Ces essais à la porte de
Paris devaient être suivis d'établissements semblables dans
les villages voisins des rivières navigables, pour la facilité
du transport des enfants, et dans des lieux où les pâturages
sont abondants, pour diminuer la dépense.
M. de Chamousset avait découvert en Bourgogne une pay-
sanne, qui par cette méthode élevait tous les enfants de son
canton qui dépérissaient entre les mains des nourrices et
même des mères. Souvent on les lui apportait mourants^ et
en peu de mois elle les rétablissait par le lait de ses vaches
qu'elle savait leur donner avec les mélanges convenables ;
elle n'en perdait presque point, quoi qu'on ne lui apportât
que ceux qu'on ne pouvait élever.
M. de Chamousset fit venir cette femme précieuse pour la
mettre à la tête de son établissement. Les autres femmes qu'il
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 45
lui associa, lui furent données par la Supérieure des Enfants-
Trouvés, qu'une expérience longue et réfléchie avait instruite
dans Tart précieux de la conservation des enfants. En un mot,
il n'omit aucune des précautions qui devaient le faire réussir.
Il loua la ferme de Grenelle, près l'École Militaire. Il y reçut
un certain nombre d'enfants que leurs mères ne pouvaient
pas nourrir,* et dont les pères n'étaient point en état de payer
les mois de nourrice. Deux fois par semaine, des médecins et
des chirurgiens habiles s'assemblaient pour l'objet important
de cet établissement. Tout réusissait au gré de ses vœux. Les
soins attentifs qu'i^ prodiguait à ces jeunes plantes, à cette
espérance de TÉtat et de leurs parents, étaient récompensés
par le succès le plus heureux.
Il jouissait en paix du fruit de ses soins bienfaisants, lors-
qu'un événement malheureux, dont on ne saura jamais la
véritable cause, vint alarmer son cœur, effrayer les mères
sensibles et craintives, réjouir l'envie, diminuer la confiance.
Six enfants, dont cinq en très bon état, étaient nourris à Gre-
nelle par le lait de vache. Le jour même de l'horrible accident,
ils avaient été vus par une multitude de personnes diflërentes
et en particulier par M. Barbe, fréquemment consulté pour
les maladies des enfants, et qui trouva ceux-ci en bon état. Il
ne sortit de la salle où ils étaient que sur les 7 ou 8 heures
du soir. C'était un jour de l'Ascension. Dans la nuit suivante,
les six enfants furent attaqués de vomissements, de douleurs
d'entrailles, et d'un dévoiment violent. Ils jetaient des cris
perçant et continuels. Danj la nuit du vendredi au samedi,
4(> UN PHILANTHROPE MÉCONNU
le samedi matin et le dimanche, quatre moururent et les deux
autres ne résistèrent sans doute que parce qu'ils avaient bu
pendant la nuit une moindre quantité de mélange d'eau
d'orge et de lait qui faisait depuis quelques jours leur
nourriture.
Cette mixion de l'eau d'orge et de lait se faisait trois fois
par jour, sur un fourneau portatif, dans la salle près de la
porte d'entrée et était portée ensuite sur la croisée. Cette par-
tie de la salle, du côté de l'entrée, fut remplie pendant tout le
cours de l'après-midi par une multitude prodigieuse de per-
sonnes inconnues. Le mélange de l'eau d'orge et de lait fut fait
comme à l'ordinaire, vers les six heures du soir, et porté sur
la croisée, Une jeune personne de dix ans, d'un très bon tem-
pérament, était venue avec Madame sa mère, épouse
d'un Conseiller de Grand'chambre, voir ces enfants. Elle but
une cuillerée de ce mélange, qui lui procura pendant deux
jours un dévoiment, accompagné de glaires ensanglantées.
Trois de ces enfants morts furents ouverts le dimanche matin
par un chirurgien, en présence de M. Grandelas, docteur en
médecine. On trouva l'estomac gangrené dans l'un, enflammé
dans les deux autres, dans tous les trois, une masse considé-
rable de lait caillé, d'un blanc jaunâtre et ayant la solidité du
fromage.
J'ai raconté le fait (1) avec simplicité, et je regarde toutes
(1) Tel qu'il se troave exposé dans la Lettre de M. de Chamoasset. imprimée aa
Supplément, tome II, pages 815 à 326 : tel que me l'a raconté M. Grandelas lui-même,
qui en été le témoin oculaire.
I.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 47
réflexions comme également inutiles et déplacées. Pourquoi
chercher des crimes secrets qui déshonorent THumanité ?
N'en est-il pas assez de publics ? J'aimerais à me persuader,
s'il était possible, que le mélange des haleines et de la trans-
piration d'une multitude de personnes des deux sexes avait
infecté la mixion qui a causé la mort de ces innocentes
victimes. Quoi qu'il en soit, depuis ce jour malheureux, la
porte de la salle fut exactement fermée aux inconnus, et il
n'arriva rien de semblable. La nourriture des enfants par le
lait des animaux réussit autant qu'il était possible ; et chaque
jour, elle acquiert une faveur juste et méritée. Les établisse-
ments se multiplient, les médecins les plus habiles s'en
occupent (1) et enrichissent l'humanité d'ouvrages utiles en
ce genre, les Bureaux des villes et les administrations en font
un objet de leurs soins. J'aime à le prévoir ; encore quelque
temps, et ce système qui supplée si avantageusement à celui
de la nature, qui lui tient de si près, sera universellement
adopté (2).
Nous l'avons déjà remarqué, le Mémoire politique f^ur
les enfants contient deux parties : nous avons présenté la
théorie et la pratique de la première ; il nous reste à mon-
trer rapidement le sujet de la seconde : il y est question des
(1) Voyez en particulier : Séance publique de la Faculté de Médecine de Paris, du
y décembre 1779, page 51-93. iii-4. imprimé en 1780.
(d) Je ue résisterai pas au plaisir de répéter ce que tout le monde suit : cVf t qu'il
existe en France une personne que les rirbrsses et inèm«; les grandeurs n'ont point
séduite, qoi a inéoie eu le courage de sat-riiicr des ^oùts rhers à son esfirit pour adoucir
le sort des malheureux, Tonder, soigner des Hospices de (Charité, Taire nourrir des enlauts
par le lait dea animaux, etc.
48 UN PHILANTHROPE MÉœNNU
moyens de rendre les enfants trouvés utiles à l'Etat. Ces
enfants sont le bien de la patrie; on fait pour eux des
dépenses considérables , et Ton en tire très peu de proBt : la
moitié, au moins, périt chez les nourrices ; et la dépopulation
est si prodigieuse, qu'à l'âge de vingt ans à peine en reste4-il
un dixième. Mais que devient ce malheureux et faible resté ?
Il en est très peu qui apprennent des métiers ; la plupart se
font mendiants et vagabonds, quelques-uns passent à
Bicëtre avec un billet de bon pauvre ; c'est ainsi que l'Etat
perd la plus réelle des richesses, l'emploi des ^hommes. Ces
enfants lui appartiennent ; ils doivent donc être employés de
la manière qui lui sera la plus utile.'
L'auteur en propose trois, dont il discute les avantages
réciproques, en laissant la décision a ceux qui ont le droit
d'en juger. On peut faire servir ces enfants à former des
matelots, à suppléer les milices, à peupler les colonies.
Peut-être la réunion de ces trois moyens, suivant les goûts
et les dispositions que robser\'ation présenterait dans les
différents sujets, serait-elle ce qu'il y aurait de plus avanta-
geux à l'Etat et au bonheur des particuliers, dans lesquels
l'amour de la liberté ne peut jamais s'éteindre entièrement.'
L'exposition de ces trois destinations forme l'ouvrage qui
nous occupe. L'auteur s'étend particulièrement sur la
troisième, et il propose de former une colonie à la Loui-
siane (1]. 11 fait connaître ce pays, vaste, fertile, également
(I) Ce protêt a été imprimé tm 17%
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 49
propre aux productions de l'Europe et à celle de TAmérique :
11 eu expose les différentes productions ; il détaille les occu-
pations qu'on pourrait y donner aux enfants, il assure
qu'il serait possible d'y en faire passer neuf mille chaque
année. Tout cet article est utile, curieux, intéressant; il
est difficile de prévoir et de calculer plus de choses qu'on
en trouve ici ; et on ne peut nier, même en supposant
beaucoup de non-valeurs, que l'Etat n'en retirât de
grands avantages, s'il était seulement exécuté dans sa
dixième partie. Il y a dans ce Mémoire un chapitre
sur la destination des filles, également conforme aux
mœurs et à la politique, qu'il ne faut jamais séparer,
si l'on veut réussir. L'auteur propose de destiner une
partie des filles des Enfants-Trouvés à être domestiques ;
et, pour cet effet, de les former au service dans les
hôpitaux, où les maîtres viendraient les prendre avec
confiance. La misère ne les exposerait plus au danger du
libertinage; les filles de la campagne resteraient dans les
villages sous les yeux de leurs ùières, où elles formeraient
des établissements qui augmenteraient la population, et
feraient leur bonheur ; au lieu que l'espoir du gain les attire
à Paris, où elles perdent à la fois le goût de la vertu et la
facilité de se marier.
Ici se présente à nous un ouvrage de M. de Ghamousset,
qui peut également intéresser l'historien, le canoniste,
l'homme bienfaisant. Il est intitulé : Mémoire sur les
revenus de r Hôpital Saint-Jacques et sur leur vèHtdble
4
50 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
destination (1). Son but est d'examiner quelle est la nature
des biens de cet hôpital, et quel est l'usage qu'on en pourrait
faire. M. l'Archevêque de Paris, marchant sur les traces de
ses prédécesseurs, désirait d'appliquer ces biens à des
fondations ecclésiastiques. M. de Chamousset défend ici la
cause de l'hospitalité ; il fait une histoire abrégée de cet
hôpital, fondé par des Bourgeois de Paris vers la fin du
douzième siècle.
11 présente le tableau des différentes contestations occa-
sionnées par l'emploi de ses revenus, et en particulier du
temps de M. le Cardinal de Noailles et de M. de Vintimille.
11 en conclut que ces bien sont laïques, qu'ils appartiennent
à l'hospitalité dans la personne des habitants de Paris qui
représentent les fondateurs : il expose l'état de ces biens,
dont le revenu ne montait alors qu'à 25.000 livres : il indique
les moyens les plus efficaces pour les augmenter ; et tou-
jours occupé de sa maison d'Association, il assure que ce ne
serait point changer la destination des revenus de cet Hôpi-
tal que de les unir à cette Maison : il fait voir que le Roi le
le peut ; que par là il rempHrait à la lettre l'intention des
fondateurs, et qu'il ferait exécuter tout ce qui a été réglé par
les déclarations et arrêts rendus à ce sujet ; il montre qu'au
moyen de cette union, il serait possible d'établir en faveur
des pauvres artisans associés des places pour les caducs et
(1) Imprimé en 1756, in-12; réimprimé dans les Vues d*un Citoyen ea 1757.
Voyez Année liUéraire, 1756, lome VHl.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 51
les incurables ; mais M. de Ghamousset persuadé que la
vraie bienfaisance ne peut jamais être séparée de la vraie
religion, consentait à la conservation d'un certain nombre
de chapelains, dont une partie serait employée aux besoins
spirituel, des malades, des convalescents, des caducs et des
incurables, tandis que l'autre célébrerait un office canonial ;
par là, il croyait remplir toutes les vues du Prélat. Il
termine son ouvrage en exposant l'encouragement et la
faveur que prendrait la Maison d'Association, si les fonds
dont il s'agit lui étaient adjugés (1).
Ce dernier moyen ne réussit pas plus à M. de Ghamousset
que tous ceux qu'il avait employés : peut-être même, se fut-il
abstenu de le tenter, s'il eut pensé que l'Occasion est un
être capricieux et léger qui s'accorde assez rarement avec la
Raison, et qu'on appelle presque toujours en vain ; mais, on
on peut le répéter, chez lui la bienfaisance était une passion
impérieuse, et les passions raisonnent peu, elles ne voient
que leur but, elles sont presque toujours aveugles sur les
moyens, sur les résistances.
Le Gouvernement vient enfin de remplir la destination
des biens de l'Hôpital Saint-Jacques. Des lettres-patentes du
mois de mai 1781, ont uni ces biens à ceux des enfants
Trouvés, et ont permis aux administrateurs de cette maison
d'acquérir un terrain et un bâtiment, afin de recevoir les
enfants nouveaux- nés atteints de maladies communicables,
fl) Voyez humai des avants, mars 1757, pag. 179-182, in-4*, et Année LiUéraire,
1770, lome VUl, pag. 298-SO'i.
52 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
pour y être élevés et nourris sans nourrices et avec du lait.
Ce nouveau monument digne du cœur et de la sagesse
d'un Roi, homme et patriote, n'eût pas manqué d'être béni
de M. de Chamoussel; lui, dont la bienfaisance n'avait pas
le défaut d'être exclusive ; lui qui avait tant parlé en faveur
de ces malheureux enfants de l'Etat, lui enfin, dont toutes
les démarches ne tendaient qu'au bien général, sans affec-
tion particulière, sans ce retour personnel qui est si commun
et quelquefois si dangereux.
Tous les projets de M. de Chamousset ont entre eux des
rapports plus ou moins immédiats ; ils se tiennent tous, et
vont se lier à son Plan général pour l'Administration des
Hôpitaux du Royaume, et pour le bannissement de la Men-
dicité (1). C'est ici le but universel où tendent toutes les
vues de l'auteur : C'est pour ainsi dire, le complément de
tous les autres projets de bienfaisance qui l'ont précédé. La
Maison d'Association, la Réforme de l'Hôtel-Dieu, la Nou-
velle méthode d'allaiter les enfants, la destination nouvelle
des enfants trouvés, l'emploi plus avantageux des revenus
de l'Hôpital-Saint-Jacques, n'étaient que des préliminaires
au grand ouvrage dont il s'agit maintenant. Ecoutons M. de
Chamousset lui-même nous en fournit la preuve en termes
équivalent (2). c L'établissement de la Maison d'Association,
(1) Ce projet de 151 piges in- 1*2, est imprimé dans les Vues d'un Citoyen, ei en est
la deroiére pièce. Il est composé d'an discours préliminaire et de 21 chapitres.
(2) Discours préliminaire et Chapitre VI. On ne s'est rien permis sur le fond des
choses, très pen même sur l'ordre et sur les expressions.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 53
c prévient, dit-il, la ruine d'une infinité de familles, en pro-
€ curant une prompte guérison à leurs chefs, en les conser-
€ vaut dans l'exercice de leur profession ; il les empêche de
€ venir se réfugier dans les hôpitaux, et par conséquent il
c décharge l'Hôtel-Dieu de ceux qui lui occasionnent le plus
c de dépenses, parce qu'une décence qu'on ne peut blâmer
c inspire à ces hommes précieux par leurs talents, de n'y
c avoir recours que quand ils ne peuvent plus faire autre-
€ ment, lorsque par un délai funeste leurs maladies sont
c devenues dangereuses et difficiles à guérir.
€ Le plan de réforme proposée pourTHôtelDieu, en déchar-
c géant l'administration du soin des malades, la rend plus utile
c à la gestion des biens ; et en confiant tous les détails du trai-
c tement à une société qui ne serait payée que pour les mala-
c des guéris, et qui ne demande à chacun d'eux que ce qu'il
c en coûte à l'administration par chaque malade, soitqu'il gué-
c risse, soit qu'il meure, l'intérêt particulier se trouve par
c une heureuse combinaison être l'intérêt du public ; et ce
c plan, très simple, réunit le double avantage de conserver
c un grand nombre de citoyens à l'Etat et de diminuer beau-
c coup les dépenses de l'Hôtel-Dieu.
c Le système sur la nutrition des enfants par le lait des
c animaux et sur la destination des enfants trouvés, présente
c une économie dans la dépense, une augmentation dans le
€ nombre des enfants conservés à la Patrie. Il prouve que,
« par des emplois utiles, elle peut retirer avec usure les avan-
« ces qu'elle fait pour l'éducation de ces enfants jetés entre
54 UN PHILANTHROPE BIÉGONNU
c ses bras dès le moment de leur naissance, et qui ne con-
« naissent d'autre mère qu'elle. L'exportation de ces enfants
c à la Louisiane couperait une de^ branches à la mendicité,
c et diminuant le nombre des pauvres, diminuerait par une
( conséquence nécessaire les charges des hôpitaux.
« Le mémoire sur les revenus de l'hôpital Saint-Jacques,
c fournit un moyen également simple et juste pour le pre-
c mier établissement de la maison d'Association, qui tend
c évidemment à décharger les maisons de charité.
€ Il résulte de ces différents projets une diminution dans
€ la dépense des hôpitaux et dans le nombre des pauvres.
€ Cette double diminution doit nécessairement mettre enmai-
« sons de Charité dans l'heureuse situation de donner des
c secours plus abondants aux malheureux, que toutes ces pré-
€ cautions n'auront pu garantir de la pauvreté. C'est ce qu'il
€ était nécessaire de faire voir avant que de proposer le ban-
€ nissement de la mendicité, le point essentiel du plan géné-
« rai qui va nous occuper. »
Telle est la chaîne dont l'auteur a lié les différents projets
qu'il a proposés jusqu'à présent, et cette chaîne ne doit point
échapper à ses lecteurs. Tous ces projets consultés séparé-
ment, ne produiraient qu'une utilité particulière ; mais leur
réunion rend leur utilité générale presque immense, et elle
achève le grand ouvrage de l'extirpation de la mendicité, que
chacun d'eux n'avait fait que préparer. C'est à une adminis-
tration unique et universelle de tous les hôpitaux du royaume,
que notre auteur réserve la guérison complète de cette plaie
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 55
du corps politique ; il propose donc d'établir un centre d'union
entre tous les hôpitaux ; et ce centre serait un bureau géné-
ral formé sur le modèle de celui du commerce.
Avant de développer son plan, M. de Chamousset se livre
à quelques spéculations philosophiques et politiques sur le
nombre des hommes, sur leur conservation, sur la fondation
des hôpitaux sur les abus qui se sont glissés dans ces établis-
sements.
Le nombre des habitants fait la force d'un Etat, leurs tra-
vaux en font la richesse. La conservation et l'augmentation
du nombre des sujets doivent donc être le principal objet des
soins d'un sage gouvernement, tous les autres objets sont
même relatifs à celui-ci, et le supposent nécessairement. M.
de Chamousset ne parle point directement de l'augmentation
des hommes, il ne fait qu'exposer ses idées relatives à leur
conservation. L'intérêt et l'équité concourent à rendre cet
objet précieux pour l'Etat; les pauvres, dit-il, ne sont pauvres
que pour eux-mêmes, ils font, par leur travail, la richesse
d'un pays. On ne peut donc les abandonner sans joindre la
folie à l'injustice, sans s'appauvrir soi-même, et sans être
ingrat. Sous ce point de vue, les hôpitaux peuvent être regar-
dés comme les arsenaux où se réparent les armes dont la
République à besoin, et ils sont autant l'ouvrage de la politi-
que que la Charité.
Des hommes généreux et sensibles, animés par ces motifs
nobles et sages, fondèrent ces asiles de l'infirmité et de la
caducité : ils firent ce que l'État eut fait lui-même, s'ils ne
56 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
l'eussent fait pour acquitter sa dette : mais ces tristes asiles,
devenus trop étroits pour contenir tous ceux que leurs besoins
y attiraient, une foule de malheureux promena ses misères,
en présenta le spectacle hideux et dégoûtant, mendia les
aumônes des âmes sensibles. La pitié, ce sentiment si naturel
à rhomme, alla bientôt éveiller la sensibilité ; bientôt, Tétat
de mendiant devint un état d'aisance ; il ne tarda pas à tenter
la cupidité d'une foule de mauvais citoyens, ennemis du tra-
vail, et par conséquent de la patrie ; ils préférèrent une oisi-
veté lucrative à une activité fatigante, et qui souvent procure
à peine le nécessaire.
Leur état ne fut que fourberie et mensonges ; ils étudiè-
rent toutes les routes qui pouvaient les conduire au cœur, ils
abusèrent de ce don précieux que Dieu accorda à tous les
hommes, ils surprirent la compassion ; et par l'histoire fabu-
leuse ou le spectacle trompeur d'une misère apparente, ils
arrachèrent des aumônes qui ne leur étaient pas dues.. Telle
est l'origine de la mendicité innocente ou coupable.
On ne tarda pas à s'apercevoir de cette gangrène du corps
politique : on fit arrêter tous les mendiants ; mais au lieu de
les renfermer dans des maisons particulières où ils auraient
été forcés au travail, qu'on ne peut éviter sans tromper sa
destination, on les confondit dans les hôpitaux avec les véri-
tables pauvres, qui seuls pouvaient avoir des droits aux
secours assurés par ces maisons. De cette méthode naquit
une foule d'inconvénients ; il fallut ou relâcher au bout de
quelque temps ces ennemis de la société, ou continuer de les
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 57
tenir renfermés. Dans le premier cas, c'était lancer dans un
troupeau paisible et utile une troupe d'animaux furieux ou
perfides, c'était les engager à continuer à se livrer à la men-
dicitéy au libertinage, à la prostitution^ c'était les conduire à
une mort honteuse. D'un autre côté, en les tenant renfermés^
quelle douleur, quelle humiliation pour les pauvres honnêtes
qui ont servi la société tant qu'ils l'ont pu, de se voir con-
fondus avec des scélérats, d'y recevoir les mêmes traitements^
d'y partager avec eux la subsistance qui leur appartient à
juste titre !
La justice et la vraie politique exigent donc qu'on mette
une différence entre le véritable pauvre, qui est l'invalide de
l'Etat, et le mendiant de profession, qui en est le fléau ; et
c'est la conclusion de M. de Ghamousset. Il propose de subdi-
viser les hôpitaux qui ne sont point destinés au soulagement
des malades, en retraites pour les caducs et les incurables,
et en maisons de punition pour les mendiants de profession,
qu'on accoutumerait à trouver leur subsistance dans un
travail forcé. Le vrai politique, l'ami de l'ordre, l'homme
sensible, seront également satisfaits des détails intéressants
dans lesquels entre ici M. de Ghamousset sur la manière de trai-
ter et d'occuper les pauvres honnêtes et les mendiants valides.
Il observe ensuite que si les fondateurs des hôpitaux sont
entrés dans les vues des législateurs, les législateurs à leur
tour doivent perfectionner l'ouvrage des fondateurs en le
généralisant. Il envisage cette multitude immense d'hommes
pauvres et malheureux comme une vaste et nombreuse
58 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
famille qui a été utile à Tétat, et que l'Etat, par un juste
retour, doit secourir dans la maladie et la vieillesse. Il envisage
aussi la totalité] des établissements d'humanité et de bienfai-
sance^ répandus dans les différentes provinces comme un
trésor commun destiné à l'entretien de cette famille immense :
il fait voir que ce point de vue ne peut être contraire à
l'intention des fondateurs ; et du développement de ces prin-
cipes, il conclut la légitimité de l'arrangement qu'il propose.
Cet arrangement consisterait à former à Paris un Bureau
général d'administration qui, s'étendant sur tous les hôpitaux
du royaume, établirait entre eux une correspondance exacte
et une communication facile de secours mutuels : par là, ils
pourraient se soutenir réciproquement en faisant servir le
superflu d'un hôpital au soulagement d'un autre. M. de Cha-
moussel cite l'exemple d'une semblable communication de
secours annuels, établie en Flandres, par M. de Sécbelles
dans le temps qu'il était intendant de cette province. Ce
Bureau général des hôpitaux serait composé de l'Intendant
des finances et de quatre Intendants semblables aux Inten-
dants du commerce ; ils seraient perpétuels. On leur asso-
cierait un nombre de personnes choisies, tant dans les cours
souveraines que dans les différentes classes de la Société, et
dont l'administration ne durerait que deux ans à moins qu'on
ne jugeât à propos de les continuer, ou qu'ils ne consentis-
sent eux-mêmes à rester en place. Ces quatre Intendants
n'auraient point de juridiction contentieuse ; ainsi, le droit
qu'ont les Parlements de veiller à l'administration des hôpi-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 59
taux, ne recevraieul aucune atteinte. Ils se partageraient
entre eux les différentes provinces du royaume, comme font
les Intendants du Commerce ; et tous les cinq ans ils pour-
raient changer de département, afin que chacun d'eux connût
la totalité du royaume, et fut plus en état de statuer sur les
besoins de chaque hôpital. Ils feraient le rapport, dans les
assemblées générales, de tous les objets qu'on leur aurait
présentés, et qui tendraient à réprimer la mendicité, à préve-
nir la misère, à secouvrir les malheureux, h, procurer
l'abondance. Ils auraient dans chaque province des subdélé-
gués ou inspecteurs qui visiteraient au moins une fois chaque
année tous les hôpitaux de leur district, et en rendaient
compte la bureau général. Le premier soin de ce bureau,
serait de séparer dans les maisons différentes, les véritables
pauvres d'avec les mendiants de profession. Ces subdélégués
et ces Inspecteurs pourraient être multipliés par les Inten-
dants autant qu'ils le jugeraient convenable ; ils pourraient
en placer jusque dans les plus petits villages. Ce serait là une
grande machine, peut-être même serait-elle un peu compli-
quée, mais elle ne coûterait rien ou presque rien à monter.
Les curés, les juges, les baillis, et même les seigneurs, en se
distribuant les soins nécessaires, les rendraient plus légers :
ils instruiraient les inspecteurs qui à leur tour, communique-
raient le tout aux subdélégués. Ceux-ci, après avoir pris
l'avis de l'administration de Thôpital de leur province ou do
leur ville, feraient passer des états arrotés et vérifiés aux
Intendants, qui les rapporteraient au Bureau général.
60 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Il ne serait pas aussi facile qu'il serait utile et agréable de
suivre ici notre auteur, dans tous les détails auxquels il se
livre sur les fonctions des différents employés, sur les arran-
gements particuliers, qu'il subordonne à son plan général et
qu'il fait entrer dans son exécution, sur les avantages qui
résulteraient de cet établissement. Il ne les borne pas à la
distribution plus abondante et mieux entendue des secours.
Il prouve que l'influence du nouveau plan agirait d'une
manière sensible sur la culture des terres, sur le commerce,
sur le progrès des arts, en fournissant de l'occupation aux pau*
vres en faisant les avances nécessaires, pour les engrais des
terres, pour les bestiaux, pour les outils nécessaires ; en sou-
tenant les artisants et en leur avançant les matières premières ;
enétablissantune pharmacie générale qui seraitun objet d'éco-
nomie pour les hôpitaux mêmes,etc. On ne tarderait pas à acqué-
rir des connaissances particulières sur le produit et la con-
sommation de chaque village, qui mettrait à portée de fournir
des cultivateurs aux terrains incultes, en s'arrangeant avec
ceux auxquels ils appartiendraient, au moyen de redevances
dont on conviendrait : on réserverait les mendiants pour les
corvées et les travaux publics. Point de loi parfaite ni même
possible dans re;cécution, sans la double sanction de la
récompense pour les bons, de la peine pour les méchants,
on récompenserait le travail, on punirait l'oisiveté opiniâtre.
En excitant ainsi le travail et l'industrie, il resterait moins
de pauvres à la charge des hôpitaux, et nul prétexte à la
mendicité. S'il restait des mendiants on les forcerait au tra-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 61
vail ; et l'État pourrait trouver dans eux différentes ressour-
ces. M. de Ghamousset en cite un assez grand nombre ; je me
borne à une seule qui prouve quedès Tannée 1757, notre auteur
avait eu l'idée de fournir à Paris de Teau de Seine clarifiée. On
pourrait, dit-il, décharger l'hôpital de Bicêtre des vagabonds,
libertins ou mendiants qui y sont renfermés pour le reste de
leurs jours ; on les emploierait à faire aller une machine
hydraulique, qui, placée sur la Seine, au-dessus de Paris, et
par conséquent au-dessus des immondices que les égouts y
entraînent, porterait l'eau sur le terrain le plus élevé de cette
capitale et la conduirait dans un réservoir, d'où cette eau
pure et salubre pourrait être distribuée par des tuyaux dans
les différents quartiers de la ville (1). Ce plan général pour
l'administration des hôpitaux contient une multitude d'autres
idées utiles, qui toutes concourent à assurer à son auteur le
titre précieux d'ami de l'humanité, de bienfaieur de sa
patrie. Ce projet méritait sans doute l'attention du gouverne-
ment ; il est vaste, mais il n'exige pas de grande efforts du côté
de la finance^ dit un auteur qui en a parlé avec éloge (1). La
masse des fonds de tous les hôpitaux du royaume serait sans
doute plus que suffisant. 11 n'exige que de l'ordre, de la pro-
(1) M. Laareot, célèbre machiniste, a proposé depuis ane machine semblable,
CD fabslîluant Tactioa de l'eau à la force des bras. 11 offrait au bureau de l'Hôtel de
Ville de procurer 100.000 muids d*eau par jour à cette capitale; il se serait remboursé
de set avances par la Tente de ces eaux. Sa proposition resta sans réponse ; et la plus
grande partie de Paris avale tous les jours la maladie ou môme la mort avec Teau
intecte qaî l'abreuve T
(t) Nécrologe de 1774, page 60.
63 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
bitéy du zèle et de lumières. Mais où trouver ces qualités
réunies ?
Convenons-en ; tous les portraits de M. de Ghamousset
portent l'empreinte de son cœur, ils supposent les hommes
tels qu'ils devraient être, tel qu'il était lui-même.
Il vivait dans Paris, et il le connaissait à peine. Ses expé-
riences personnelles étaient perdues pour lui : avec mille
raisons de ne plus croire à la vertu de celte nouvelle Capoue,
détériorée par le luxe amollie par le plaisir, avilie par
l'ambition, il n'a jamais cessé d'y croire: et il conserva toute
sa vie cette simplicité d'une âme neuve, qui pense qu*il suffit
de présenter le bien pour le faire adopter (1).
(1) Un mémoire manuscrit sur un Hospice bourgeois el sur ane manière avantageuse
d'administrer les biens de rHôtei-Dicu, que nous avons recouvré aa momenC
où l'édition allait être achevée, nous a paru contenir quelques idées neuves et utiles,
et nous avons cru devoir le faire imprimer. C'est un acheminement à la maisoi»
d'Association et à la réforme de l'Hôtel Dieu ; ou si l'on veut encore c'est ane suite,
une dépendance de. ces deux projets. On le trouvera au supplément, tome U, pègt0
3iï2-315.
SECOiNDE PARTIE
Soulagement de rHumanité pauvre et souffrante
en particulier
Jusqu'ici nous nous sommes occupés des projets et des
actions de bienfaisance de M. de Cbamousset, qui regardent
en général rhumanité souffrante et malheureuse : nous allons
maintenant le considérer sous ce même rapport, non plus en
général, mais dans les différents états particuliers, dans les
militaires, dans les domestiques, dans les servantes, etc. Car
rien ne semblait pouvoir écbapper à l'activité bienfaisante de
ce vertueux citoyen qui n'a vécu que pour le bonheur de ses
semblables.
La juste réputation qu'il s'était acquise par ses différents
projets d'humanité avaient fait connaître la bonté de son
^œur, la sagesse, la justice et la profondeur de ses desseins.
Tout Paris retentissait d'éloges que cet homme bienfaisant
ît chrétien n'avait pas mendiés, et qui étaient même con-
64 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
traires à ses intentions. M. le dac de Ghoiseul à son avène-
ment au ministère de la Guerre, écouta la voix du public,
il nomma M. de Chamousset, Intendant général des hôpitaux
sédentaires de l'armée du Roi (1).
M. de Chamousset fit ses représentations au Ministre ; il
lui remontra qu'il ne connaissait les hôpitaux militaires, que
par le rapport qu'ils peuvent avoir à l'humanité en général,
qu'il ignorait toutes les formes auxquelles les ordonnances
les assujettissent ; qu'il savait que le plus dangereux de tous
les titres, est celui de réformateur ; et qu'obligé de combattre
les passions, il ne lui dissimulait pas qu'il craignait d'en être
la victime. M. le duc de Ghoiseul insista ; il fit venir M. de
Ghamousset à Versailles ; il le reçut avec toutes les grâces
qu'on lui connaît ; il lui promit argent, secours, protection,
autorité ; il n'ignorait pas son faible, son amour, son enthou-
siasme même pour l'humanité ; il saisit cette voie sûre pour
arriver à son cœur, persuadé que le cœur intéressé entraî-
nerait bientôt le consentement de la raison : il ne se trompait
pas, et il obtint de M. de Ghamousset le consentement qu'il
lui demandait.
L'état des hôpitaux de l'armée de France était si déplora-
ble, que le service en était presque abandonné. Une compa-
gnie riche venait d*y perdre une partie de sa fortune, et peut-
être même son honneur. Une multitude immense d'hommes
précieux à la patrie dont ils sont les défenseurs, semblait
(1) ht Brevet qui lai fat expédié eft du 8 février 1761.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 65
demander à M. de Ghamousset qu'il se sacrifiât pour eux ;
la \oix de rhumanité parle plus fortement que jamais à son
cœur sensible : il partit pour l'Allemagne.
M. de Ghamousset fut chargé des Hôpitaux militaires à la
Gn de mars 1761, et au premier juin suivant, il en commença
le service avec des approvisionnements qu'il avait tirés de
France. Il voulait que le pays qui payait les frais de la guerre,
put en retirer quelques fruits. Ges hôpitaux étaient au nom-
bre de soixante et plus. Il se proposa deux objets dans son
Intendance ; le premier de sauver plus de monde, le second
de dépenser moins d'argent qu'on avait fait jusqu'alors. Il
réussit dans le premier, presque au-delà de son attente. Son
activité, ses soins, ses attentions délicates lui en fournirent
les heureux moyens : ici il n'avait que la nature à combattre,
disons mieux, à aider, et ses succès ne semblaient dépendre
que de ses connaissances et de ses travaux. Mais lorsqu'il fut
question d'économie, lorsqu'il fut question de servir le Roi
avec fidélité, les passions factices et subalternes, ce triste fruit
du dépérissement des mœurs qui rapporte tout à soi, et qui
ne dit jamais c'est assez, ces passions honteuses qui ne mar-
chent qu'à la faveur des ténèbres, firent jouer tous leurs res-
sorts souterrains, pour le faire échouer. Rien de plus facile
pour nous que de dévoifer les démarches de ses ennemis, ou
plutôt de ceux du bien public, mais ayant à peindre le plus
bienfaisant des honunes, gardons-nous d'associer à un nom qui
ne peut inspirer que le plus tendre respect, des noms vils, mé-
prisables, ceux de la perfidie, de la concussion et de l'avarice.
66 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
M. de Cliamousset avait profité de la liberté que lui don-
nait son brevet, de se faire accompagner par un médecin et
un apothicaire de son choix, il prit avec lui deux hommes
déjà très connus par leur savoir, ceux même qui traitaient
les malades chez lui, et bien dignes, Tun et l'autre de la con-
fiance entière qu'il leur accordait. L'un était M. Grandelas,
docteur en niéderine de la faculté de Paris : l'autre était
M. Cadet, apothicaire, et maintenant de l'Académie Royale
des sciences : le premier avec le titre de premier Médecin et
In>pecteur (les Hôpitaux sédentaires, le second avec le titre
de Ai)olhicaire-Major et inspecteur des Pharmacies des
mêmes Ilnpitaux (P.
Sous M. de Cliamousset, toutes les places de chirurgiens
lurent donnéiîs au concours, rien à la faveur, tout au mérite;
telle était sa maxime pratique (I).
(1/ M. Cailci. Apothicaire, l'un de dos plus hiiliiles chimisies, est l'un des ireiie
enlanis «le M i'.iuU'i, Maître en rbiriirpie La mort pn-nislurée de ce ch*riirgten esli-
niiiiile laissa une \tMi\ft (!iiHr^(^f d'enf^' ts, sans biens, sans appui. Ils trouvéreni no
|i(T«r dans M de Laiiit- Laurent, aucirn tréi»(»riergéniTal des colonies ; M. de Chamoas-
set s'ashoriii a (t'ile belle (iu\re, en allacbani le jeune Cadet à son laboratoire : il y
puiba les pn-initis élenjenls de sa profission, et au liout de trois ans, MM. GeolTrot
fHrre et lils. lui ronlièrent la ronduile de leurs opérations et de b-nr commerce. M. de
(^bamoussev noiiiHié à rinlendance des Hôpitaux militaires, le demanda an Ministre
cuninie un des ciiimistes le» plus capables de seconder ses vues de réforme, et quel'
«pies années a|>re«, l'Académie <les sciences se l'associa.
■ 1 l ne hanie de la Cour, non moins distinguée par son rang que par ses char"
mt's. \iiit un jnnr lui drniander pour un sujit d'une capacité équivoque une des places
dont il disposait Madanxv lui repondit il avec autant de délicatesse que de justice ^
Si j'étais l'àris, la pouime serait â \ous, mais je suis le protecteur et le pér« de Phums'
nilé soullranii'. ei ce doulile litre ne me permet pas de vous accorder ce que vous in^
demandez La Dame, llatlée que Tami de la vertu eut reconnu l'empire qui lui plaisait
e plus, se retira contente quoique trompée dans son espérance.
UN PUILANTHKOPE MÉCONNU 67
Tant de précautions, tant de fermelc^ tant de connaissances
réunies, devaient nécessairement produire dans les hnpitaux
militaires le changement le plus prompt et le plus avanta-
geuxy et on ne tarda pas à le remarquer. Bientôt, les soldats
malades et blessés se demandèrent dans Tcnthousiasme de
leur reconnaissance, quel est donc Tange que le ciel envoie
à notre secours. Les officiers regardaient son administration
comme un enchaînement de prodiges. La renommée ne
tarda pas à faire retentir aux oreilles de M. le Maréchal de
Broglie la nouvelle de cet heureux changement; il voulut
s'assurer par lui-môme si elle n'exagérait pas, comme à son
ordinaire ; il vint dans les hôpitaux de Cassel au moment où
on s'y attendait le moins (1). Peut-être croyait-il surprendre
mais il fut lui-même très étonné du l'ordre, de la propreté
qui y régnaient, ainsi que du contentement général des
malades sur la manière dont ils étaient traités. Alors, se
tournant vers Madame la Maréchale, il lui dit, en présence
des Officiers généraux qui l'accompagnaient:
Si je suis malade, je me ferai transporter à l'Hôpital de
MM. les Officiers.
M. le Maréchal de Soubise après avoir visité l'hùpital de
Dusseldorf, oii il était arrivé sans avoir été attendu, s'écria
en sortant avec une espèce de transport : Voici la première
fois que j'ai le bonheur de visiter un hôpital sans entendre
de plainte.
(l)àL€ttre do 30 Août 1761.
68 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Une comparaison entre le nombre des morts de l'Hôtel -
Dieu de Paris et celui des Hôpitaux dirigés par M. de Cha-
mousset acheva son éloge à cet égard. On sait par les nécro-
loges de cet Hôtel-Dieu^ qu'il y meurt un quart de malades,
tandis que dans les hôpitaux de TArmée il n'en mourut que
le vingt-et-unième environ, pendant le cours de la campagne
de 1761 (1).
Tels furent les succès de M. de Chamousset dans la partie
qui ne dépendait que de la nature et de lui ; il la connaissait^
et savait la servir suivant ses besoins ; mais il ne connaissait
pas de même toutes les ressources de l'envie, de l'intrigue et
de l'intérêt ; il n'avait pour lui que sa probité, sa réputation
et l'estime du Ministre : Pouvait-il résister à la jalousie, à
Tavidité ? et ne doit-on pas être surpris que cet ami du bieu
public ait pu lutter pendant onze mois (2) contre ceux qui
en étaient les ennemis déclarés ou secrets (3) ? Son malheur
dans cette occasion comme dans plusieurs autres, disons
(1) En celle année 1761, il enlra aux Hôpilaux militaires* 101.090 malades, et on eo
gaérit quatre-vingt seize mille trois cents : il en mourut 4.700. A THôtel-Dieu ce Paris,
suivant le cours ordinaire, il en serait mort environ âfi.COO.
(2) Il commença le service le premier juin 1761, et le quitta le dernier ayril I7€2.
(3) Un ecclésiastique bonnéte et savant, consacré à l'éducation de M. le duc
d'Ângouléme, m*a raconté que se promenant un jour sur les quais de Paris, il
entendit deux tiommes qui complotaient la mort de M. de ChamousseL
Ce trait dont la probité du témoin ne me permet pas de douter, justifie la réponse
que (it un jour le Ministre à ce généreux citoyen : «^ Permettez, lui dit M. de
Chamousset, que je démasque juridiquement les vols et les rapines de M.... Gardez-
vous en bien, lui répondit le Minisire, vous risqueriez d'être empoisonné. Taime mienx,
dit ce béros de Tamour patriotique, mourir par le poison, que de vivre poor voir la
France en proie à des (ripons. »
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 69
mieux, celui de rhumanité, fut cette ardeur, ce penchant
irrésistible à faire le bien général qui semblait le dévorer, et
qui ne connaissait ni retardements ni ménagements quelcon-
ques. Jamais il ne put prendre sur lui de marquer certains
égards à des hommes riches qu'il n'estimait pas. M. de
Chamoussety frappé de la beauté de la vertu, n'a jamais pensé
qu'elle n'est rien pour les méchants^ pour les âmes viles et
intéressées. Il a toujours oublié que l'art de faire le bien est*
le plus difficile de tous, qu'il exige la plus grande précaution,
la plus grande adresse ; même dans les souverains, et qu'il
faut, pour ainsi dire tromper les hommes pour leur être utiles.
Le premier spectacle qui révolta son âme, furent des usages '
dangereux, des abus criants, des déprédations cruelles ; il
courut au remède, mais il y courut peut-être trop rapidement ;
il ne disposa point ce corps malade et presque désespéré à en
recevoir l'heureuse influence ; les usages trouvèrent des
défenseurs bornés, les abus des partisans intéressés, les
déprédations des protecteurs aveugles ou coupables ; les
premiers crièrent à la nouveauté, les autres intriguèrent, tous
ensemble formèrent ce volcan dont l'explosion devait
renverser le temple utile et respectable que M. de Chamousset
élevait à la conservation de l'humanité sur le théâtre même
de sa destruction.
Avec moins de probité, il fut devenu le complice de ses
ennemis : il choisit d'être leur victime. Au désespoir de
n'avoir pu rendre son administratien suspecte, ils vinrent à
bout, après avoir fait avorter par mille moyens odieux ses
70 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
spéculations et ses opérations les mieux concertées, de lu
donner l'apparence du défaut d'expérience, d'intelligence,
d'économie : ils vinrent à bout de faire abréger une adminis-
tration, dont leur avarice craignait les suites, si elle eut duré
plus longtemps. M. de Chamousset quitta donc l'intendance
des Hôpitaux militaires, mais il la quitta plus pauvre qu'il
n'y était entré, tandis que tous ses ennemis s'y sont enrichis^
et qu'on en a vu insulter au public par l'étalage également
cruel et indécent de cent mille livres de rentes gagnées sur la
vie du soldat français. Et dans quel temps l'obligera-t-on de
la quitter ? Dans le moment môme où l'Etat et le malheureux
allaient recueillir tout le fruit de ses travaux ! Il ne
regretta que l'occasion de servir l'humanité et la patrie. Les
Mémoires apologétiques qu'il présenta au gouvernement en
différents temps, respirent partout ces sentiments nobles et
généreux qui tenaient au fond de son âme ; il sollicita une
commission pour vérifier son administration, pour la com-
parer avec celle de ses successeurs.
D'après la vérification des commissaires, il fut démontré
que, malgré l'état horrible où il avait trouvé les hôpitaux
militaires, malgré les premières dépenses nécessaires pour les
remonter et dont profitèrent ceux qui lui succédèrent ; malgré
les approvisionnements réellement avariés ou déclarés tels ;
malgré ceux qu'il avait faits avant qu'il fut remercié, et que
sans cause on parut faire revendre à vil prix, malgré les
abonnements conseillés, suggérés par ses ennemis ; malgré
les abus et les déprédations qu'il n'avait pu retrancher
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 71
d'abord, et qu'il aurait retranchés dans la suite ; malgré tous
ces différents obstacles physiques ou moraux, on reconnut
que sa régie avait été plus économique, que les journées des
malades avaient moins coûté de son temps que de celui qui
suivit, quoiqu'on eut profité de toutes sos avances, qui
étaient fort considérables. Cette vérité, si chère à M. de
Chamousset fut constatée par deux arrêts du Conseil des
l** février et 29 décembre 1763. On rendit hommage à la
pureté et à la sagesse des vues de l'ancien Intendant ; mais,
suivant l'usage et la maxime du Poète ancien, la vertu eut
les éloges, l'ennemi de la vertu eut les laveurs (1).
S'il était nécessaire de rien ajouter à la justification authen-
tique et légale de la conduite de M. de Chamousset, si Ton
désirait une nouvelle preuve de sa capacité naturelle et acquise
dans la partie dont il avait été chargé, il suffirait de mettre
sous les yeux son Mémoire (1) sur les ITôpitaux, et les
Tablemix qui en sont la suite. L'esprit d'ordre et de détail
s'y réunit avec les grandes vues d'utilité générale, avec celle
de la récompense due aux défenseurs de la Patrie. D'un côté,
on assure au soldat malade ou blessé le meilleur traitement,
(I) Le 16 juillet 1764, M. le Duc de Clioiseiil écrivit à M. de CbaDioiisset : « Je me
A sais fait rendre compte, M , de la lU'>f!ie des hôpitaux qui avait èlê oonli«>e à vos
« soins en ^61, et je vois avec plaisir que les articles de dépeuses que vous avez
Il traités par vous-mûme ont été faits avec économie, mais que la majeure partie des
« employés qui ont été attaches â ce service ont ahusé de vitiie eonliauce ». (!e n'était
pis M. de Chamousset qui avait choisi ces employés, il les tenait des mains de l'intérêt
caché sous le manteau de l'amitié.
(0 Imprimé. Tome II, pages 1-24 et les tableaux â la (in du même tome.
72 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
le médicament le plus sûr, la nourriture la plus saine ; de l'au-
tre^ on montre au souverain la moindre dépense possible : ce
sont, tout à la fois, les secours les plus abondants, les plus
sûrs et les moins onéreux. On y abrège la comptabilité, on la
rend claire, facile, et on la met à couvert de loute fraude ;
c'était un crime aux yeux de la cupidité. Ge travail important
date du temps de l'intendance de M. de Ghamousset,
et la remarque de cette époque n'est pas inutile ; déjà, il
commençait à mettre en pratique ces vues d'économie et de
patriotisme, lorsqu'il fut remercié ; et il est plus que probable
que la cause qui aurait dû le soutenir fut précisément celle quî
hâta sa ruine.
Quoiqu'il en soit, on voit dans ce . noire, dont on proO-
tera peut-être quelque jour, trois pa^l, > presque également
intéressantes, l'aliment, le service, la comptabilité.
Pour l'aliment, on démontre que la manière la plus avan-
tageuse de fournir le meilleur, et avec la plus grande écono-
mie possible, serait de faire pour les différentes parties qui le
composent des adjudications au rabais, en prenant différentes
précautions qu'on indique. Ce concours assurerait nécessai-
rement la qualité et le prix juste.
Quant au service et au traitement, on aperçoit dans
l'ouvrage les idées les plus heureuses, les détails les plus
intéressants, les attentions les plus délicates. On doit surtout
remarquer ce qui concerne le service des infirmiers. L'auteur
propose de former des corps pour les infirmiers servants et
domestiques, qui, arrôtês par le lien de leur engagement,
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 73
seraient tenus par la crainte de la punition, s'ils étaient tentés
de faire quelques actions désavouées par l'honneur. Toutes
les places de Médecins, de Chirurgiens et d'Apothicaires
seraient données au Concours : les drogues simples seraient
tirées en droiture des lieux où elles croissent ; les drogues
composées seraient préparées avec les précautions que pren-
nent toujours les artistes soigneux de leur réputation et qui
savent estimer la vie des hommes.
Si on prend la peine de lire attentivement les quatre
tableaux que M. de Chamousset joignit à ce Mémoire, on
verra qu'ils rendent la comptabilité également simple et claire.
On sent que ce genre d'ouvrage n'est point susceptible
d'analyse, mais nous . .ons remarquer que la comptabilité
devenue moins compi ^us^é et plus facile, toutes les places qui
la concernent pourraient être remplies par des sergents, par
des maréchaux-des-logiSy ou même par des soldats dont
l'intelligence et la probité seraient également reconnues. De
là, l'émulation, l'âme du succès : de là, l'économie, principe
de la richesse. On verra dans le Mémoire même mille détails
qui le rendent utile et intéressant : c'est assez d'en avoir
présenté l'abrégé, et je n'ajoute qu'une seule observation,
c'est qu'on y parle encore de difiTérents avantages qui résulte-
raient de /' Union des H&pitaicx Militaires de Vintérieur du
royaume à ceux de la suite des armées. Cette réunion fait la
partie d'un Mémoire (2) particulier, qu'on peut regarder
('3) Imprimé Tome II, page 24 29. Ce projet fut présenté au Ministre en Octobre
1761, par M. le Prince de Sonbise.
74 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
comme une suite de celui des hôpitaux militaires, et qu'il
composa à peu près dans le même temps. Ce projet, comme
tous ceux que M. de Chamousset donna sur la même matière,
roule sur deux points généraux, le bien-être des malades, la
diminution de la dépense pour TÉtat: partout le même
esprit, la même humanité, le même patriotisme.
Cet esprit règne encore dans le plan des fonctions que
M. de Chamousset s'était proposé comme Intendant des
Hôpitaux militaires. C'est le serment de la probité' et du patrio-
tisme. Je m'imagine entendre quelque ancien philosophe se
dévouant pour la vertu de la patrie. Et au fond, toute la vie
de M. de Chamousset n*a été qu'un dévouement perpétuel.
(Cet écrit, retrrmvé parmi les papiers qui m'ont été commu-
niqués postérieurement à l'édition achevée, est imprimé au
supplément, tome II, pages 333-340).
Tous les projets de M. de Chamousset tendaient au soula-
gement de l'humanité souffrante et malheureuse, même lors-
qu'ils paraissaient n'avoir que la finance pour objet.
Il y en a un qu'il a intitulé : Moyen de trouver des fonds
pour les Hôpitaux. Ce moyen simple, fécond et utile à tout
le monde, consisterait à réunir sous une même administration,
le roulage du royaume, les messageries et la poste aux che-
vaux, pour appliquer le revenu de l'exécution de ce projet
aux maisons de charité.
Nous en parlerons, en exposant ceux que M. de Chamous-
set a faits pour augmenter les commodités et les douceurs de
la société. Le fond du Mémoire est ici différent de son but ;
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 75
il en est de même à peu près de celui qui concerne les écono-
mats (1). 11 ne s'agit pas de porter dans cette partie, la
réforme : il s'agit d'en tirer parti pour les Hôpitaux militai-
res, et môme pour les Enfants-Trouvés. On parle d'abord des
oblats et l'on fait voir que l'application d'une partie des
bénéfices simples, à nomination royale aux hôpitaux mili-
taires, remplirait cette destination primitive, qui consistait
à recevoir dans les monastères un ou plusieurs soldats vété-
rans : mais notre auteur ignorait peut-ôtre que la grande
fondation dos Invalides a réuni toutes ces fondations parti-
culières. Quoi qu'il en soit, ce n'est point sur les bénéfices
mêmes, c'est sur les économats que M. de Chamousset pro-
pose de prendre les fonds nécessaires. 11 donne les moyens
d'en augmenter les revenus, en diminuant la dépense de l'ad-
ministration, qu'on pourrait réunir à celle des Invalides ; en
augmentant, s'il est nécessaire le nombre des bénéfices qu'on
y met; en y tenant un an tous les bénéfices qui vaqueront ;
en grevant tous ces différents bénéfices d'une portion (jucl-
conque, telle que le dixième. Le revenu total de ces bénéfices
monte, suivant l'auteur de ce mémoire, à trente-six millions,
dont le dixième formerait trois millions six cent mille livres :
etil en applique un million deux cent mille livres aux Enfants
trouvés, et deux millions quatre cent mille livres aux hôpi-
taux militaires, ou autres objets semblables, tels que des
chapitres destinés à des veuves ou orphelins d'officiers.
(1) Imprimé tome % page 30-43.
76 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Rien de plus louable que ces vues de IML de Ghamousset :
rhumanité et la religion y applaudissent de concert. Obser-
vons cependant qu'il ne parait pas avoir connu la manière
dont les Chambres ecclésiastiques travaillent en finance. Les
bénéfices qu'il veut imposer au dixième paient ordinairement
le quart et quelquefois le tiers de leur revenu pour les déci-
mes, qui, comme on voit, n'en ont que le nom. Si tous les
décimes perçus sur les bénéfices de France étaient employés
au soulagement des pauvres et des malheureux, peut-être
n'y en aurait-il plus. Au reste, rendons justice aux intentions
bienfaisantes de M. de Chamousset, et passons à deux autres
idées, qui sans doute étaient nées de ses observations pendant
le cours de son intendance.
La première est présentée sous le titré de Mémoire sur une
économie dans le service des armées (1). Cette économie
consisterait à faire faire une partie du roulage par les bœufs
destinés à nourrir les troupes. Cette idée paraît assez heu-
reuse : mais serait-elle bien praticable, dans tous les cas ?
Peut-être l'expérience seule peut ici, comme dans bien d'au-
tres circonstances, lever les doutes, et M. de Chamousset
était bien en état de faire ces expériences avec certitude, s'il
eût gardé plus longtemps la place dlntendant des Hôpitaux
militaires.
(1) Tome II, pages 29-34. Cet écrit, retmavé parmi tes papiers qai m'ont été corn
maniqaés postérieurement à l'édition achevée, est imprimé an supplément, tome II,
pages a35-349.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 77
Les Observations sur les fourrages (1) étaient destinées à
remplir sa vocation, à déraciner les abus, à ménager sur les
dépenses du Roi. Ce Mémoire, fait pour éclairer le Ministère,
doit être lu par ceux qu'il doit intéresser. Nous observerons
seulement que, pour remédier au mal qu'il découvre, M. de
Chamousset propose d'établir un contrôleur à chaque maga-
sin et qu'il donne le détail de ses devoirs et de ses opérations.
Il avait préludé à ces observations par quelques remarques
qui pourraient être utiles sur les dififérents employés dans le
service des armées (2), et sur leurs fortunes scandaleuses
peut-être par leur nature et leur rapidité.
Un dernier Mémoire qui date du temps de son intendance,
et qui est encore à la suite de ses observations patriotiques,
c'est une nouvelle manière de rendre les Commissaires des
guerres plus utiles (3). Après avoir peint en peu de mots
l'état des officiers, la manière dont s'acquièrent ces charges,
infectées comme les autres par la maladie de la vénalité^ ces
charges qu'on a regardées comme si importantes que le titu-
laire n'en a l'exercice qu'autant qu'il lui est confié par le
Ministre, M. de Chamousset propose un arrangement qui
serait très utile, et qui paraîtrait facile, sans le jeu des pas-
sions. Il s'agirait de choisir dans chaque armée un très petit
nombre de commissaires des guerres, auxquels on donnerait
(I) Imprimé, tome 11, pag. 34 à sa.
(3) Ici Tient sa présenter le trait des Mémoires da Maréchal de Yiiiars, que per-
■oiine n'ignore.
(9) Imprimé, tome II, pag. 43-46.
78 UN HILANTHKOPE MÉCONNU
(les seconds. Sous ces premiers et ces seconds seraient les
nouveaux reçus, et quelques aspirants qui ne pourraient
acheter des charges ([u'après un certain nombre d'années de
service en cette qualité, et sur les témoignages de ceux sous
lesquels ils auraient servi. On retrouverait dans la diminution
des appointements des deux dernières classes, l'augmentation
de ceux des deux premières ; et d'ailleurs, ce corps de
Commissaires des tîuerres ainsi monté, le Roi pourrait régir
par eux, cl diminuer par conséquent la dépense des services
de l'armée. M. de Clianiousset olîrait de faire l'essai de son
système pour les hôpitaux militaires, et il répondait du
succès : il avait raison, mais il oubliait qu'il anéantissait
prescjue entièrement le plaisir de protéger ce droit, de faire
sortir de terre un homme lout instruit, comme Pallas sortit
toute armée du cerveau de Jupiter. »
Après la retraite de M. le duc de Choiseul (en 1771),
M. de Chamousset fit quelques tentatives. L'expérience est un
des biens les plus précieux, et il ne voulait pas que la sienne
fut perdu(i pour Thumanité. Il présenta au nouveau Ministre
son Mémoire sur les Hôpitaux militaires ; et il en proposa la
léunion aux Invalides (1) ; il ofl'rit de leur céder le privilège
(t) Otie rt^nnion fait l'objet d'un Mémoire particulier imprimt* au tome l\ (supplé-
ment) pag. 840 3ii, sous le titre de Hcllexion sur le projet de réunion des Invalides
aux Hôpitaux Miiitainis. On trouve dans ces réflexions 'lue exposition plus détaillée
que dans le Méniuire sur \o.s Hôpitaux Militaires des diflérents avantages de cette
réunion. On y trouve encore une idée à IVxécution de laquelle rbumanité et la religiou
applaudiraient, c'est l'établissement d'une Ordre d'Infirmier, semblable à celui de«
frères de Saint Alexis en Allemagne.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 79
qu'il venait d'obtenir pour établir deux ponts volants, un à
chaque extrémité de Paris, et celui pour la composition de
sirops, pâtes d'orge et robs de bière. Il sollicita sa réhabili-
tation dans la place que la cupidité et Tintrigue lui avaient
enlevée, et il la sollicita uniquement par cette ambition noble,
qui sent qu'avec le désir et le pouvoir de faire le bonheur
public, il est cruel de se borner au bonheur particulier. Pour
le commim des hommes, les faits sont des raisons : M. de
Chamousset ne réussit point : il ne fut ])lus question de ces
hôpitaux mihtaires sur Tétat des(|uels Tliumanité et la bienfai-
sance allèrent gémir en secret ; et M. de Chamousset, qui
leur avait consacré sa vie, pensa à les servir d'une autre
manière.
Deux objets importants pour l'humanité, la religion, les
mœurs et la patrie l'avaient occupé avant cette époque : je
veux dire, les servantes malades ou hors de condition, et les
domestiques. Il en avait fait le sujet de deux Mémoires dont
nous allons parler en commençant par celui des ser-
vantes (1).
L'appât du gain attire des campagnes dans les villes une
multitude de iilles, acquises par là au luxe, souvent au liber-
tinage, perdues pour l'agriculture et la population. Ces
malheureuses, hors de condition, ne sav<'nt souvent où se
réfugier : Tllôpital de Sainte-Catherine ne leur est ouvert
que pour trois jours. Bientôt, leurs faibles économies, si elles
(1) Tome II, pag. 53-tfl.
80 HILANTHROPE MÉCONNU
en ont fait, sont épuisées : que faire ? Faibles, sans ressource,
abandonnées à elles-mêmes, séduites quelquefois par des
apparences de la vertu, est-il surprenant qu'elles succom-
bent ? Le projet de M. de Chamousset remédie à ces maux
dont gémissent la religion et la politique; il assure une
retraite à ces filles infortunées, soit pour le temps de la mala-
die, soit pour celui où elles sont hors de condition (1). De
plus, il assure aux maîtres une continuité de service pendant
la maladie de leurs servantes, l'établissement s'obligeant à
leur fournir une autre pendant tout le temps que durera 1à
maladie de la première ; il assure encore à toutes celles qui
seront d'une bonne conduite la certitude de n'être pas long-
temps sans condition, puisque celui oui sera directeur de
l'établissement suivra exactement U.cond îtodes filles qui
seront enregistrées, et qu'il pt^ui^a 4u instruire les maîtres
auxquels la prudence dictera de s'adresser à lui : il pourra
même éclairer la vigilance des magistrats chargés de veiller à
la police. Les avantages de ce projet ne se bornent pas à ceux
qu'on vient d'exposer.
M. de Chamousset y ajoute celui d'employer le dixième du
produit de cet établissement à former des récompenses, qui
seront distribuées par le sort en forme de loterie, entre celles
qui se seront bien conduites pendant un certain nombre d'an-
nées. Dans les projets de M. de Chamousset, toujours comme
(1) Moyennant 12 livres par an pour cbacane, dont 6 liyres k la charge du maitre
et 6 livres à celle de la serrante.
UN PHILANTHROPK MÉCONNU 81
on le voit, même respect pour rhumanité, les mœurs, la
religion^ Tintérôt de l'état.
Celui qui concerne les ouvriers et les domestiqiies (2),
tend à peu près au même but. Personne n'ignore qu'un Etat
est d'autant plus puissant qu'on retient plus d'hommes dans la
classe productive, et qu'on y donne plus de considération,
aux hommes vraiment utiles. Qu'on en juge par l'Angleterre,
comparée avec ses voisins. En France la désertion des cam-
pagnes est une des principales sources de la diminution de
ses revenus. On en convient, mais on a peu pensé à remé-
dier à ce mal. 11 s'agirait de gêner par quelque taxe, par
quelques lois, l'abandon des campagnes : ce ne serait pas
blesser la Hberté, ce serait arrêter la licence qui fait quitter
arbitrairement e' sans rr 'sons suffisantes une profession utile,
honnête, nécessaire, v ^m^ .ait de donner un signalement
à tout homme venant à Paris pour être domestique ou
ouvrier : ce signalement arrêterait sûrement bien des crimes.
Combien d*hommes ne s'y abandonnent que par l'espérance
presque certaine d'être inconnus ! Ces signalements seraient
portés sur des registres qui, présentés chaque mois aux
Magistrats, les mettrait en état de renvoyer dans les campa-
gnes ceux qu'ils jugeraient à propos : la crainte de ce renvoi
en empêcherait plusieurs de tenter un voyage peut-être inu-
tile. M. de Chamousset remarque que son idée est conforme
en grande partie à une déclaration de 1040, qui n'est point
(2) Imprimé Tom. H. pag. 46 i 53.
82 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
exécutée. Tous les détails de ce projet (1) sont intéressants
préviennent le mal, assurent le bien : il eut été certainement
très utile ; mais il resta sans exécution, il n'intéressait que
la sûreté de la société et de la vie des citoyens, il n'était pas
question d'amusement.
Quant à celui des servantes, il parait que M. de Chamous-
set en prit sur lui les premiers frais, et qu'il en établit le
centre de la maison de la petite Poste de Paris : mais on ne
voit pas que cet établissement ait continué, si même il a eu
lieu. ,
. En voici encore un autre fort utile en lui-même, et qui,
à quelques égards, est la maison d'Association restreinte à
un objet particulier : il est intitulé : Etablissement pour
les femmes eïtceintes (2). On voit d'abord qu'il intéresse ce
que l'état a do plus précieux, les mères et les enfants. Après
un coup d'ceil jelé rapidement sur les différentes maisons
d'humanité, de bienfaisance et de charité établies à Paris,
dont l'histoire a fait dans ces derniers temps l'objet d*un
(1) Tom. II. Pjiiî. 61 -H4.
(tî) Les cun'gisii-i'ments auraiont élë grattits, mais les certificaU auraient coûté
qiieli|iio rl)os(> : ceux pour les ouvriers, 2 sols ; ceux pour les domeitiqaes, 4 sols ;
ciiaque reiisci^'niMiicul deiiiaiidé [lar les maîtres, 6 sols. - Cbaque semaine on aurai
présentés des bordereaux i\v ces signalements nux Magistrats. — Les oavriers et les
domestirpies auraient été obligés de venir a cbaque mutation se présenter au bureau.
SuccessiVeiiirnt on aurait Tait des élabiisseinents semblables dans les diOérentes villes
df jiroviiKM* qui auraient enlreknu correspondanre avec celui de Paris. Chaque men-
diant, cbaque inconnu voyageant aurait été tenu île montrer un billet de quelqu'un
de ces bureaux, sans quoi il aurait pu être arrête par la Maréchaussée, etc.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 83
ouvrage utile qui pourrait être perfectionné (1), M. de Cha-
moussel expose son plan ; il ne s'agit pas d'une institution
gratuite. L'Hôtel-Dieu offre un secours toujours subsistant
aux mères pour lesquelles le gratuit d'un hôpital n'est pas trop
humiliant : il s'agit d'un établissement qui n'humilierait per-
sonne, puisqu'on y serait à ses dépens. Il serait également
ouvert aux mères légitimes et à celles que la faiblesse con-
duisit au crime et que l'honneur pourrait conduire à un
second. M. de Chamoussel expose toutes les précautions
qu'il faudrait prendre pour l^ur assurer le plus grand secret ;
il fait le détail des avantages qu'on trouverait dans cet éta-
blissement. Outre les médecins, les chirurgiens et les sages-
femmes ordinaires, on y attacherait à titre de consultants les
hommes les plus célèbres dans l'art des accouchements, pour
avoir leurs avis dans les cas embarussants. Ainsi que dans la
Maison d'Association^ les dillerenles prix seraient propor-
tionnés à la diflérences des logements ; mais ici on paierait
par jour et non par abonnement.
J'avoue que je n'ai pu lire ces ditïérents projets d'huma-
nité et de bienfaisance sans sentir au fond de l'àme une douce
émotion, mêlée d'admiration et de respect pour leur auteur.
Toute sa vie fut occupée par le désir de faire le bien et
d'arrêter le mal.
(1; Tabletiii de riiiimuDité «t de la ineiifaisanre, ou Précis historique des charités
qui se font dans Paris, contenant les divers étahlisseuiiails en faveur des pauvres
«t de toutes les personnes qui ont besoin de secours. Paris, Musier lils, L7t)l<), in- 12,
H 10 pogef. ^
TROISIÈME partie:
BoissoTi salutaire. Aliments sains, Préservatite
contre la maladie dus à M. de Chamousset
Nous allons acquérir une nouvelle preuve des vues bien-
faisantes de M. de Chamousset, en le voyant faire usage de
ses connaissance physiques, chimiques et médicales, pour
procurer à sa patrie une boisson salutaire, des préservatifs
presque sûrs, des remèdes simples, dans lesquels la nature
se plaît à déployer toute son énergie ; je veux parler des eaux
de la Seine épurées, des sirops et pâtes d'orge.
Dès 1757, M. de Chamousset avait pensé procurer à celle
capitale une eau salubre (1). Il s'en occupa plus essentiellement
(1) Voyez Plan générzl pour C administration des hôpitaux du royaume.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 85
encore en 1768 ; et ce fut un nouveau rapport sous lequel il
voulut être le bienfaiteur de sa patrie. Il avait consacré ses
travaux, ses veilles, sa fortune au soulagement de Thumanité
pauvre et souffrante en général ou en particulier ; il s'appli-
qua à prévenir les maladies de ses concitoyens. Il savait que
si les différentes parties de la médecine ne sont que proba-
bles (1), rhygiène, la bienfaisante hygiène est certaine dans
ses effets, qu'elle seule procure sûrement la santé (2) ; il
savait que si le régime est nécessaire à tous les hommes, la
situation, les occupations, la vie sédentaire des habitants de
Paris le leur rendent plus nécessaire encore (3) ; il savait
que si Teau est la plus salubre de toutes les boissons, comme
on n'en peut douter (4), si ceux qui en usent, tout égal
d'ailleurs, sont sujets à moins de maladies (5), si elle peut
en prévenir un grand nombre, soit de Tame (6), l'eau de la
Seine l'emporte sur toute autre par sa salubrité (7) et que
(i) L'bygiéne« aatrement la diète ou le régime qai peut varier presque autant que
les personnes, eét cette partie de la médecine qui enseigne à user largement des cho-
ses nécessaires au rétablissement ou à la conservation de la santé, autres que les
remèdes proprement dits.
(2) Sanitatit optimum praesidium dixta. Asola dixta Valetudo, Thèse de la faculté de
médecine de Paris, en 1587, 1599, 1606. etc.
(3) Pixta omnihus neeessoria, magistamen Pansiorum incolis. Thèse de la même
facalté en t765.
(4) Aquae polus omnium saluberinum. Thèse soutenue en la Faculté de Médecine en
1789, 1747 et 176ÎP.
(5) Hydropota minus morbis obnoxu, ibid, 1668.
(6) Praecûvendis Ivm corporis, lum animi molis, aquae polus, ibid. 1686.
(7) Salubrior Sequana. Thèse soutenue à la Facalté de Médecine de Paris en 1743 et
17à9.
86 UN PHILANTHROPE MECONNU
seule elle peut suffire aux habitants de Paris (1). Il avait
puisé cette doctrine dans celle de la Faculté de Médecine de
Paris ; ou plutôt, la nature et l'expérience avaient été son
oracle, comme elles ont toujours été celui de ce corps célè-
bre ; mais en même temps, il avait appris que Teau qu'un
philosophe ancien regardait comme le principe universel, ne
produit pas toujours les heureux effets qu'on doit en atten-
dre, et que souvent môme elle en produit de funestes. Il n'y
a que l'eau pure qui ait le privilège de porter avec elle la
santé et la vie ; mais qu'il est rare qu'elle le soit entière-
ment ! Mille corps étrangers, plus ou moins dangereux s'y
mêlent en différentes proportions. Tantôt c'est un sable dur
et iin qui ne change pas le goût, qui ne trouble pas même la
transparence de cet élément. Tantôt c'est un limon épais,
gras, de mauvaise odeur, qui porte dans le cours de la cir-
culation une matière putride. Quelquefois ce sont des métaux
nuisibles, des débris de plantes, des bois pourris tenus en
dissolution. Que sais-je ? L'eau peut-être viciée de mille
manières, et il n'y en a qu'une pour la rendre salubre ; il
faut qu'elle soit exempte de tout mélange étranger.
Parmi les différentes causes qui altèrent la santé des habi-
tants de Paris, on ne peut nier qu'une des causes principa-
les, ne soit l'impureté que l'eau de la Seine naturellement
salubre, contracte en traversant cette ville immense par les
{\) Alioêà Sequanku aquae Parûiensibus ad potum non iund deiidiranda, ihid, 5 mars
1767.
UN PIIILANTHHOPE MÉCONNU 87
égoùts si nombreux el si variés qui so dégorgent dans la
rivière, par les ruisseaux infectes qui y aboutissent, par les
immondices de toutes espèces qu'on y jette à chaque ins-
tant.
Ces immondices croupissent sur les bords» où le courant
les repousse sans cesse ; elles communiquent à l'eau une
corruption telle, qu'on a observé qu'il croit quelquefois sur
les bords de la Seine des. plantes pestilentielles dans les gran-
des chaleurs. Il est donc constant que Teau des rivières ne
peut-ôtro bien pure que dans leurs courants, et non sur les
bords. La (iltration de l'eau dans les fontaines sablées ou
autres semblables, peut bien la rendre plus limpide mais non
plus pure, plus salubre. Cette Hmpidité n^est qu'imposante,
parce que les filtres les plus répétés et les plus lins, peuvent
altérer la nature de Teau, sans la débarrasser des sels plus
ou moins dangereux dont elle s'est imprégnée par le séjour
des corps étrangers et putrides. 11 faut donc bien distinguer
ici la hmpidité et la pureté. C'est ce qu'il n'est pas aisé de
persuader au commun des hommes ; et c'est ce que démon-
tre* cette science utile, qui de nos jours a pris à juste titre
une si grande faveur, cette science qui décompose et sépare
les corps comme par enchantement.
Ce fut d'après ces principes fondés sur la raison, l'expé-
rience et le consentement des physiciens el des médecins,
que M. de Chamousset se proposa de procurer à ses conci-
toyens une eau pure, exempte de tout mélange dangereux,
et non altérée par le filtre. Pour cet clfet, il faisait prendre
W U\ PHILANTHROPE MÉCONNU
Teau dans le milieu du courant de la Seine, au-dessus de Thô-
pital général et de rembouchurc de la Marne. Des bateaux
moyens neufs, qui n'avaient point été goudronnés, et aux-
quels on faisait perdre le goût du bois, en la faisant tremper
quelque temps au fond de la rivière, perforés dans leurs flancs
de trous faciles à ouvrir et à fermer, allaient prendre celte eau
au milieu du courant, et six pouces au-dessous de la surface de
la rivière, pour distribuer aux dilTérefits quartier de Paris, au
même prix que celui qu'on donne aux porteurs d'eau. Il avait
pris toutes les précautions que la prudence exige pour assurer
l'exactitude et la fidélité du service ; mais ces précautions,
ces peines furent perdues pour les Parisiens qu'on séduit tou-
jours par les sens. Il se forma une compagnie qui proposa
avec une sorte d'emphase de leur fournir des eaux filtrées.
Alors M. de Chamousset changea son plan, et toujours per-
suadé de rinconvénient de la filtration de l'eau, il proposa
d*en fournir une qui serait aussi pure, aussi saine, et aussi
limpiile que celle de Sainte-Heine, de Bristol et de ville
d'Avray, sans employer le secours du liltre qui peut être nui-
sible, soit par un trop long séjour de l'eau dans différents
vases, soit par son passage à travers différentes matières. Il
n'était question que de déposer et laisser reposer Teau de la
Seine prise comme on Ta dit, au dessous de l'hôpital et de
remboucluire delà Marne, dans ses réservoirs de grès ; ces
réservoirs devaiont-ôlre établis en différents lieux et en parti-
culier à l'éperon du Pont-Neuf, à coté de la statue de Henri IV
Où pouvait-on mieux placer la source de la santé du peuple.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 89
qu'à côté de la Statue d'un Roi qui en tut le père (1)?
Un de ces réservoirs commença à être établi à grands frais à
la porte St-Bernard. Les applaudissements de la Faculté de
Médecine de Paris, et de quelques particuliers instruits,
encouragèrent M. de Ghamousset. Il fit des avances, il offrit
d'appliquer aux enfants trouvés le quart du produit de son
établissement. Tout Paris aurait dû naturellement concourir à
son entreprise, mais dans'le fait quelques deniers de plus que
devait nécessairement coûter la voie d'eau firent avorter
son projet. M. de Ghamousset n*'. fut sensible qu'à la funeste
indifférence qu'on témoigna sur les mauvaises qualités de
l'eau qu'on boit tous les jours, et qui produisent des maladies
plus ou moins dangereuses, souvent inconnues aux plus
grands médecins (2), et dont ils cherchent en vain la cause.
Rien ne pouvait décourager M. de Ghamousset, et le zèle
pour le bien public qui dévorait son âme, ne devait s'éteindre
qu'avec lui. Il publia en 1770, une découverte utile qui était
le fruit de ses connaissances et de ses travaux en chimie :
(1) Le lecteur se rapellera ici ces vers si connus :
Vitales inler suecos plantasqae salobres
Quans béne stat populi vita salasqje soi 1
(3) Dans an siècle ou les idées semblent se tourner vers le véritable usage de la
physique et des sciences naturelles, il n'est pas étonnant qu'on se soit beaucoup occu-
pé de projets semblables à celui dont on vient de parler. Celui de M. de Parcieux^ de
TAcudémie des sciences, et nn des principaux ; il consistait i amener i Paris les eaux
de l'Yvette. On connaît l'entreprise de MM. Perrier frères et ses suite. Combien de cho-
ses à dire à cet égard, un ouvrage vraiment utile serait celui où l'on rassemblerait tout
ce qui peut mettre à la portée du peuple la connaissance des eaux et de leur influence
sur la santé.
90 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
elle réunit le double avantage de procurer tout à la fois un
aliment salutaire et un remède efficace.
C'est le dernier vœu de la médecine, et elle ne peut rien
désirer de plus. On voit qu'il s'agit ici de sirops, pâtes et
tablettes d'orge et de bière ; ce sont différents extraits qui
ne diffèrent les uns des autres que par leurs différents degrés
de consistance. Une des obligations que la médecine ait à la
chimie, c'est de lui fournir des médicaments réduits en
moindre volume, sans que leur vertu en soit altérée, souvent
môme en augmentant cette efficacité, et toujours en rendant
l'usage du remède plus facile et plus commode.
La nature semble avoir imprimé sur les différentes familles
des plantes certains caractères utiles ou dangereux dont la
connaissance résulte particulièremenl de l'expérience, mais à
laquelle on peut aussi être conduit par les ressemblances et
les analogies. Il est certain que dans le règne végétal, sou-
vent les rapports intérieurs sont dans la même raison que
les rapports extérieurs. La famille des graminées à laquelle
l'orge appartient, est peut-être une des plus utiles que nous
devions au créateur ; ses feuilles nourrissent les animaux de
différentes espèces ; on voit les oiseaux vivre des petites
semences et les plus grosses servent d'alimentation à
l'homme. Cette famille contient les blés, les avoines, les
orges. Ce dernier genre est de la plus grande utilité pour la
nourriture, et surtout pour la médecine. On sait le parti
qu'elle en tire et qu'elle en a toujours tiré, quand il s'agit
de rafraîchir, de nourrir, d'amollir ; et on connaît la fameuse
UN PHILANTHROPE MÉGONND 91
tisanne d'Hypocrate, dont l'orge faisait la base ; on sait
d'ailleurs les avantages du régime des végétaux sur celui que
fournissent les animaux dans l'état de maladie^ et môme
dans la plus parfaite santé (1).
Ces différentes considérations engagèrent M. de Chamous^-
set à réunir ses efforts pour tirer des semences de Torge,
tout le parti possible. Il vint à bout d'en extraire tout ce qu'elle
a de nourrissant, de réduire son extrait au plus petit volume,
de le rendre d'une digestion facile, soluble dans l'eau comme
dans toute autre liqueur, et susceptible de fermentation. Ces
sirops, ces pâtes, robs ou tablettes sont de deux espèces. La
première est simple, ou assaisonnée avec quelques aromates.
Fondue dans l'eau ou dans quelque tisane appropriée à l'état
du malade, on fait une boisson rafraîchissante et nutritive,
qui doit l'emporter sur les bouillons des substances animales
toujours plus ou moins pernicieux dans les maladies aiguës
et inflammatoires, et que peut-être le seul despotisme de
l'habitude peut encore faire employer, malgré l'avis des plus
célèbres médecins, malgré la voix de la nature qui se fait
entendre par la répugnance qu'éprouvent les malades lors-
qu'on leur présente cette espèce de nourriture. Plus sage que
la routine, elle a horreur d'un aliment qui entretient, qui
augmente la putréfaction des humeurs et la disposition
inflammatoire du sang. Les décoctions d'orge si recomman-
{\)Proprium hominis alimentum vegetabilia. Thèse solide et bien écrite, soutenae à
la Faeallé de Médecine de Paris^ le premier février 1771.
92 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
dées par les médecins les plus habiles, ne sont presque rien
en comparaison de celles qu'on fait avec ces pâtes ou sirops.
La farine de Torge en décoction ordinaire est fade et pesante,
même pour ceux qui se portent le mieux, à plus forte raison
pour les malades. C'est la ditlérencedu pain fermenté, à celui
qui ne Test pas. Ces pâtes sucrées et agréables au goût, peu-
vent être le véhicule d'un grand nombre de remèdes, soit en
consistance de sirops, soit fondues dans l'eau ; elles ne
demandent ni feu ni travail, il ne faut que les laisser fondre
dans Teau simple, ou bien dans les infusions ou décoctions
appropriées à l'état des malades. C'est la tisane d'Hypocrate
perfectionnée. Ce n'est pas tout, ces pâtes ou tablettes, outre
l'avantage d'être agréables au goût, salutaires, portatives,
ont encore celui d'être très économiques ; deux ou trois onces
de pâtes peuvent soutenir un malade pendant vingt-quatre
heures. Il y a plus, on n'a réduit en pâte la partie substan-
tielle et alimentaire de Torge, que pour la rendre d'un trans-
port plus facile dans les pays pays lointains ; mais pour les
consommations des lieux voisins de la fabrication, on peut
employer ces orges en sirops, ce qui diminue à peu près de
la moitié le prix de l'aliment de chaque malade. Quelle épar-
gne, quelle facilité, quelles ressources pour les vaisseaux,
pour les colonies, pour les hôpitaux, surtout pour les hôpi*
taux ambulants des armées.
La seconde espèce de pâtes d'orge, qui ne diffère pas essen-
tiellement de la première,' peut fournir à tous les habitants
des pays chauds qui semblent destinés à respirer le feu plutôt
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 93
que l'air, une boisson fraîche et nourrissaiile, qui, réparant
les pertes d'une transpiration trop abondante et trop conti-
nuelle, sert à les préserver des maladies que produit une
chaleur excessive (1).
On croira aisément que l'auteur de cette utile découverte
ne parvint pas d'abord à la rendre aussi parfaite que possi-
ble. Il s'en occupa longtefïnps ; et dès 17(>6, il présenta un
mémoire à l'Académie des sciences de Paris. Le rapport des
commissaires qu'elle nomma fut aussi favorable qu'il était
naturel de l'espérer ; ils parurent seulement douter que ce
rob de bière put soutenir les épreuves d'un long voyage :
M. de Chamousset a éclairé les doutes à cet égard d'une façon
authentique, et il ne peut plus rien en rester (2).
(1) Pour laire de ceite seconde espèce de pAte d*orge une bière aussi bonne et
aussi fraîche que celle qui sort de chez le meilleur brasseur, on prend ces pâtes,
tablettes on robs que, sons quelque nom qu'on les désigne, dv. sont que des sucs plus
ou moins épaissis. Lorsqu'on les destine à taire de la bière, on y mêle du houblon
dans one quantité déterminée. On les fait bouillir dans une quantité d'eau quelconque.
Il est d'expérience que leur fermentation purifie la plus mauvaise. Cette quantité d'eiin
est proportionnée au désir qu'on a de rendre la bière plus ou moins forte. En retirant
la décoction de dessus le feu, on la rafraîchit promptement par des infusions on décoc-
tions froides de houblon ou d'autres plantes agréables au goût ; la fermentation
qu'eicite le levain qu'on y ajoute, à la manière des brasseurs, conserve les liqueurs, les
rend forliflantes, sans leur faire perdre leur qualité nourrisante et rafraîchissante. Il
serait trop long de s'étendre sur les avantages de ce rob de bière pour les colonies ; il
lullira de rappeler ici en général ce que M. de Chamousset a prouvé en détail, c'est
qu'il serait i la fois pins utile, plus agréable, plus salutaire, plus économique que ne
le sont les bières d'Angleterre, ou les boissons acides que les habitants des colonies
Sont obligés d'employer.
(2) On a trouvé dans les papiers de M. de Ch»moussel, une lettre de M. Fauveau,
tncien commandant en second à Saint-Domingue, qui en fournit la preuve ; et ce n'est
94 CN PHIIANTHROPE MÉCONNU
En 1770, il s'adressa à la Faculté de Médecine de Paris
pour Texamen de ses sirops et pâtes d'orge. Elle nomma des
commissaires ([ui regardèrent cette découverte comme pré-
cieuse à l'humanité.
Le décret de la Faculté confirma leur jugement (1).
Fort de l'approbation de deux corps savants et utiles,
M. de Chamousset s'adressa au gouvernement. Il demanda
un privilège exclusif ou l'établissement d'une régie de pâtes
d'orge pour le compte du roi : tout lui était égal, pourvu
que l'humanité profitât de ses travaux et de sa découverte.
11 obtint un privilège exclusif (2).
(1) Ce (iécrci est du 81 mars i770. L» racalté «le médecioe y déclare que l'usage
de ses sirops et pâles d'orbe peut être 1res avanlagcux dans toules les maladies en
grnéral. et en [laiticiilier dans les maladies aiguils dans lesiiuelles il est esstntiel de ne
donner aux malades que dt^s boissons adoncissanles, rarraîrhissantes, antiputrides, des
aliinonts It^Ker*;, irxem|»ts de toute chaleur et de toute acrimonie. Elle assure que ces
qualités se trouvent réunies dans ces sirops et dans ces pâtes, et que par leur moyen
on peut composer à peu de frais et sur-le champ une boisson agréable, médicamenteuse,
et plus ou moins nourrissante, selon l'état du malade. Elle ajoute qn'it serait à souhai
ter qu'on la substituât aux bouillons de viandes, toujours trop chargés de parties salines
et sulfureuses, qui nugmt'utent nécessairement Pardeur de la tiéfre et rflereté des
humeurs ; qu'alors cette boisson tiendrait lien de la fameuse tisane d'orge si recom-
mandée par les anciens, et que. mAme elle lui serait [iréférable, parce qu'elle n'en a pas
la viscosité La Taculté conclut que celte découre-rte peut devenir très utile à Thuma-
nité, particuîioremeut dans bfs hôpitaux, dans les années, dans les pays chauds oii
l'ardeur du climat exige des a>imeuts et des remèdes rafraîchissants et antipntrides,
tirés de I» classe des végétaux, parmi lesquels l'orge tient la première place.
(*i) Ce privilège du iH novembre 1771, restreint la grâce aux Colonies françaises. ,
Le Koi accordH a M. de (Chamousset, la permission de composer, vendre et débiter
pendant Tespace de l'i ans, dans les colonies françaises, les sirops et pAtes d'orge de
son invention, aux prix dunt il conviendra avec les acheteurs, et de s'associer audi
privilège, soit par pacte de société, ou par formation d'actions, telles personnes qu'il
jugera à pnq»os. Le roi étendit à ces pûtes l'exemption des droits accordés aux mar-
chandises envoyées aux colonies.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 95
II obtint aussi Tapprobation de la conimission royale de
médecine. Il serait diiUcile d'exprimer et de peindre tous les
mouvements que se donna M. de Chamousset potir étendre
1g bienfait de sa découverte jusqu'au bout de l'univers.
Voyant qu'elle ne prospérait ])as autant qu'il était naturel de
l'espérer, que la société nécessaire pour l'exécution du privi-
lège du 28 novembre 1771 ne se formait pas assi prompte-
mont que son zèle l'aurait voulu, il oil'rit l'aliénation, de la
moitié des vingt mille livres de rente viagère que le Roi lui
avait laissés sur la petite Poste. Il voulut louer à bail
empbiteotique un domaine à Villeneuvo-Saint-Georges,
appartenant à l'Abbaye de Sainl-Gcrmain-des-Prés. Il voulut
acheter à Ablon un bien qui était propre à remplir son objet.
II demanda la permission de luire les démarches nécessaires
pour vendre son secret à nos voisins, ou pour obtenir des
Princes étrangers des privilèges semblables à celui qu'il
avait obteu en France pour les colonies. 11 présenta différents
mémoires, différentes requêtes pour demander l'extension
du privilège exclusif de ses sirops et pâtes d'orge à riiilérieur
du royaume. On lui conseilla dans celte occasion, l'emploi
de moyens qui ne réuissirent que trop auprès de ces honjmes
petits et faibles qui laissent les sources de leurs plaisirs
empiéter sur celles de leurs devoirs ; mais son cœur noble
et vertueux refusa toujours de se prêter à cet avis. Tout
aurait dû lui réussir ; et il n'emporta au tombeau «juc l'espé-
i^nce du succès. Ce n'est qu'après sa mort que madame la
Comtesse d'Amfreville, sa tante et son héritière, sur une
î)6 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
nouvelle approbation de la commission royale de médecine
qui subsistait alors, obtint le 8 février 1774, un arrêt du
Conseil qui l'autorisa à composer, vendre, faire vendre et
débiter, dans toute Tétenduc du royaume, les pâtes d'orge de
M. de Ghamousset, pour trois ans seulement (1).
C'est ainsi que ses parents se sont montrés les dignes
héritiers de ses vertus ; c'est ainsi qu'ils ont rempli, autant
qu'il a été possible, jusqu'à présent, les vues de cet homme
vraiment sensible et humain, dont l'active bienfaisance, aux
yeux de la froide insensibilité pouvait facilement avoir l'air
de la passion.
Il nous reste à le considérer sous un dernier rapport. Nous
allons le voir, procurant ou tachant de procurer à la société
tous les agréments qui en rendent les liens plus doux, mais
subordonnant toujours ces différentes vues au soulagement
de l'humanité malheureuse.
(I) Notre aaleur publia en 1772, une brochure in-8 de 32 pages. C'est un recueil
lie diflerentes pièces sur les sirops et pâtes d'orge. On y trouve différentes lettres des
plus habiles médecins sur les avantages de cette découverte, des observations faites eo
Angleterre, l'avis des Commissaires et le décret de la Faculté de Médecine du 31 mars
1770, l'approbation de l'Académie des Sciences du 1" juillet I7H6. le privilège du
"26 novembre 1771, et quelques lettres de M. de Ghamousset. On a fait réimprimer ces
diflerentes pièces et on y eu a ajouté quelques autres sur la même matière : à ce
moyen on aura la suite de ce qui a été fait d'intéressant sur cette découverte. Les
parents de M. de Ghamousset sont disposés à communiquer le secret au gouvernement,
s'il la désiie.
QUATRIÈME PARTIE
Projets et actions de M. de Chamousset
pour augmenter les agréments de la Société
11 n'y a presque point d'homme dont la vie bien examinée
ne présente quelque trait marqué, qui peut servir à reculer
les bornes de la science du cœur humain. 11 en est un dans
celle de M. de CL »usset qui n'échappera pas aux per-
sonnes attentives occupent de celte étude importante ;
c'est que ses projeta x utiles au bien public, tous combinés
avec intelligence, unissant presque tous l'intérêt général avec
l'intérêt particulier, n'ont point réussi et ont été ruineux
pour lui. 11 faut en excepter un seul h l'invention duquel il
eût moins de part qu'à tout autre, et qui, à quelques égards,
est peut-être le moins utile : je veux parler de la Poste de
Paris, qui a fait former des établissements semblables dans
différentes villes de commerce, en particulier à Bordeaux, à
Lyon et à Rouen.
3
98 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Dans le siècle dernier, les Anglais nous avaient devancé
dans cette idée. Un néf»ociant de Londres avait établi ea 1780
une poste dans celle capitale de l'Angleterre ; mais il négligea
de se faire autoriser par le gouvernement, et cette négligence
lui causa la perte des fruils de son invention (1).
M. de Chamoussel voulut procurer à la capitale où il était
né, et où il habitait, l'avantage dont la ville de Londres jouis-
sait depuis longtemps ; il eut la satisfaction de faire adopter
son projet dans toute son étendue ; mais ce succès, qui devait
être utile à l'Etat et aux particuliers lui coûta des peines
iniinies. Lorsqu'il proposa son plan, M. de Silhouette était
nouvelleiiient contrôleur général. Ce ministre qui réunissait
tout à la fois la connaissance des hommes, Tesprit des lettres
et celui des aifaires, venait de nommer M. de Chamousset
commissaire du Itoi aux Postes, conjointement avec deux
maîtres des Requêtes. Cette commission fut aussi courte que
celle du ministère de l'homme de mérite auquel il la devait,
produisit du moins quelques heureux effets : elle fournit à
M. de Chamousset, l'occasion de travailler à un mémoire
sur la poste aux chevaux et sur les messageries. Elle lui
procura encore l'avantage d'obtenir assez aisément des lettres-
patentes pour rétablissement de la petite Poste ; mais leur
enregistrement ne fut pas aussi facile : il fut obligé de faire
(1) On Tait muiiter les profils de la petite Poste de Londres, tous frais déduits à
12(.i mille livres, argent de Frauc». .Nou> avons trouvé dans les papiers de M. de Chi-
mousset, un UKMiiuire sur celte petite poste anglaise ; nous avons cru quo le public le
lirai avec plaisir.
UN PHILANTHROPE MECONNU 99
un mémoire ; il y répondit aux objections répandues par
quelques particuliers contre cet établissement désiré depuis
longtemps. Parmi ces objections, il en est une à laquelle
nous devons peut-être nous arrêter un instant, parce que la
réponse qu'il y fît prouve que sa sensibilité pour les pauvres
n'était pas une sensibilité aveugle sans principes.
On disait à M. de Chamousset : Vous aimez les pauvres,
vous en êtes le protecteur et le père ; comment ne voyez-
vous pas que votre projet enlève la subsistance d'une
multitude de domestiques public ? 11 répondait : ces com-
missionnaires sont presque tous des étrangers, qui ne
consommant rien, ou presque rien dans Paris, en emportent
tous les ans des sommes assez considérables qui ne rentrent
jamais dans le royaume. Ceux qui viennent de nos Provinces,
y quittent presque tous des travaux utiles pour venir mener
dans cette Capitale une vie oisive, souvent criminelle, tou-
jours infructueuse pour TEtat. C'est au coin des rues de
Paris que s'est formée la bande des Raffiat. Que ces com-
missionnaires, qui presque tous sont jeunes, restent à
cultiver la terre ; qu'ils apprennent des métiers ; qu'ils se
répandent sur nos ports; qu'ils y soint mousses, ensuite
matelots ; qu'ils épargnent à l'Etat la triste nécessité d'en-
lever au commerce intérieur du royaume les mariniers de
rivière ; qu'on les force d'être utiles de quelque manière que
ce soit, et ils le seront : car l'impérieux besoin ne connaît
point de résistance.
Ces raisons et plusieurs autres, exposées dans ce Mémoire
100 UN PHILANTHROPE MÉGONED
que nous joignons aux autres ouvrages de M. de Cha-
mousset(l), parurent convaincantes au Parlement, qui enre-
gistra les lettres-patentes du 5 mars 1758. Ce fut à la fin de
cette année que la petite Poste fut entièrement établie aux
frais de son auteur. Le Roi lui en accorda les fruits pour
trente années; mais dès 1760, il n'en jouissait plus. On
couvait d'un œil avide ces profits si légitimes, et on vint à
bout de persuader au souverain qu'il pouvait et devait se les
réserver. Le Roi prit donc cet établissement sur son compte;
et à titre de récompense et d'indemnité, il accorda à l'inven-
teur vingt mille livres de rente viagère sur les produits, avec
la liberté de disposer à sa mort de la moitié de cette rente
en faveur de telles personnes qu'il jugerait à propos, pour
être par elles également possédée à vie. Dès la première
année, la petite poste avait rendu à M. de Ghamoussct cin-
quante mille livres, tous frais prélevés. Ses calculs justes,
simples et mis au plus bas, lui faisaient espérer qu'elle lui
rendrait le double et davantage, lorsqu'elle aurait pris toute
la faveur qu'elle méritait. Avec ce produit, il comptait exé-
cuter de lui-même son projet favori, monter sa Maison
d'Association, exécuter même une partie de ses autres pro-
jes d'humanité : mais que la bienfaisance générale est
faible, lorsqu'elle est combattue par l'intérêt particulier (2)!
(1) Tome 2, pag. 150-156.
(2) Dans ce siècle d'Almanachs, on en a fait un pour la petite Poste de Paris» plus
utile que bitn d*aulres. On pourra y voir tout le détail de cette machine. Elle est un pea
différente de ce qu'elle était dans son origne. Le Plan d'administration pour la Poste
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 101
C'est ici que nous devons faire mention d'un projet de
M. de Chamousset, qu'on peut regarder comme une suite de
l'établissement de la petite Poste de Paris ; il est contenu dans
un Mémoire concernanl la Poste de Paris à Versailles et de
Versailles à Paris (1). On y fait voir que la petite Poste de
Paris mérite la préférence, et que les Administrateurs des
Postes ne pourraient s'y opposer. Suivant ce plan, les lettres
et les paquets qui n'excéderaient pas deux onces seraient
portés quatre fois par jour de Paris à Versailles et de Ver-
sailles à Paris. On sent combien Texécution d'un tel projet
serait utile pour les deux villes, dont les relations essen-
tielles semblent n'en faire qu'une; mais jusqu'à présent cette
idée heureuse n'a pas eu lieu : peut-être le moment en vien-
dra-t-il, et ce nouveau bienfait sera dû encore aux vues
patriotiques de M. de Chamousset. Alors plusieurs fois par
jour il pourra y avoir communication entre la ville et la
Cour; tandis que dans l'état actuel, il faut attendre le
troisième jour avant de recevoir la réponse d'une lettre
confiée à la poste.
M. de Chamousset ofTrit encore de se charger de la poste
aux chevaux de deux lieues aux environs de Paris ; et il offrit,
ou le fit offrir, par une compagnie à des conditions avantap-
de Paris, réimprimé aa tome H. pag. 137-187, peut en fournir la preuve. Aux trois
pièces sur la Poste de Paris, dont nous avons déjà parlé, nous avons joint dans l'édi-
lion des Lsllres- Patentes du 5 mars 1758 (tom. II, pag. 148 à 150), et une pièce qui
noos a para contenir d'excellente réflexions sur les lettres anonymes !(tome II, pag,
182-185).
(1) Imprimé tome II, fêg, 187-189.
102 UN PHILANTHROPE MÉCON'NU
geuses (1) pour le voyageur, pour l'agriculteur, pour la sûreté
du Gouvernement.
M. de Chamousset passa du particulier au général. Après
avoir fait adopter son plan de la petite Poste de Paris, après
avoir proposé inutilement celui de la poste des environs de
cette capitale, il en proposa un autre sur la poste aux che-
vaux, sur les messageries, sur le roulage.
Ce plan, unique dans son principe, a plusieurs parties qui
pourraient être regardées comme autant de mémoires diffé-
rents : tâchons d'en donner une idée nette, quoique abrégée,
et voyons-y ce que l'auteur a voulu y mettre ; commodité
pour le public, soulagement de l'agriculteur, progrès du
commerce, augmentation dans les revenus du roi et dans
ceux de la nation, connaissance exacte des ressources et
des besoins des différentes parties du royaume, avantages
des entrepreneurs ; partout, l'intérêt public réuni avec l'inté-
rêt particulier : tels sont les avantages de ce projet. En voici
les différentes parties. La poste aux chevaux réunie aux mes-
sageries, et donnée à des Compagnies toujours plus sûres
que les particuliers ; les maîtres de postes actuels préférés
pour composer ces compagnies, ou pour en diriger les opé-
rations ; leurs commis ne jouissant d'aucunes exemptions, et
par conséquent ne faisant aucun tort aux agriculteurs, ce
qu'on ne peut pas dire des maîtres de poste actuel ; des relais
(I^Ntns avons retrouvé an exposé de ces conditions, et nons en avons fait on article
du Supplément, tome II, pages 345-347.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 103
établis de quatre lieues en quatre lieues, avec de bons che-
vaux qui ne feraient pas attendre les voyageurs, comme il
n'arrive aujourd'hui que trop souvent; des diligences légères,
des chariots couverts et autres voitures commodes qui chan-
geraient de chevaux à chaque relais; ces chevaux, soignés
à leur arrivée dans chaque relais, et n'étant jamais renvoyés
au lieu de leur destination qu'après repos suffisant, et souvent
avec avantage pour les compagnies, en les attelant à des voi-
tures légères portant des marchandises et qu'ils conduiraient
au pas ; ce sont les points de vue généraux de ce projet des
postes. Il y a quelques détails particuliers qu'on ne peut
bien connaître qu'on lisant les différents mémoires qui en
sont le développement.
Cette poste aux chevaux ferait non-seulement le service
des messageries, mais encore celui du transport des lettres,
qui jusqu'à présent, paraît avoir été l'objet principal des fer-
miers, auxquels cet arrangement utile ne ferait aucun tort,
ne pourraient donc y apporter d'obstacles. Il y a dans ces
Mémoires une combinaison du mouvement des chevaux, qui
prouve évidemment qu'aucune partie de ce projet n'est
échappée à son auteur, et qu'il en a combiné tous les détails,
tous les ressorts, tout l'engrenage.
M. de Ghamousset parle encore de mettre sous l'inspection
de ces compagnies une Caisse générale de prêts, qui favorise
rait le commerce des bestiaux.
Quant au roulage, suite naturelle de ce qui concerne les pos-
tes et les messageries, M. de Ghamousset nous donne d'abord
104 UN PHILANTHROPE. MÉCONNU
un moyen de le faciliter, et de rendre le transport des marchan-
dises plus sûr et plus aisé pour la ville de Paris : c'est une
espèce d'introduction au système général sur cette partie. II
s'agirait de faire tenir deux registres au bureau de la Petite
Poste qui est dans le centre de Paris ; dans Tun, seraient ins-
crits tous .les envois que les habitants de cette capitale veu-
lent faire, soitdans les provinces, soit dans les pays étrangers ;
sur le second^ se trouveraient les noms des routiers qui ont
coutume de venir à Paris, les jours où ils doivent arriver, les
notes avantageuses ou désavantageuses qui les concernent,
les prix des envois pour les différents pays, proposés par eux
ou par les marchands.
La seule exposition de cette idée en fait voir l'utilité. Le
monopole retranché, la circulation des marchandises rendue
plus aisée, plus sûre, moins coûteuse; tels sont les avantages
les plus frappants de ce projet qui n'est qu'un préliminaire.
Il s'agit d'en étendre l'exécution à tout le royaume, et c'estle
sujet d'un autre Mémoire.
Un droit très modique d'un sol par millier pesant par cha-
que lieue serait toute la dépense qu'exigerait cet établisse-
ment. A ce moyen, les routiers n'attendraient plus pour le
chargement, les marchands ne seraient plus rançonnés par
les commissionnaires, proscrits par différents arrêts du Con-
seil et toujours subsistants. Les routiers seraient inspectés
par les maréchaussées, et l'on serait moins exposé à leur
grossière insolence. Un calcul simple prouve que ce droit de
roulage, tout léger qu'il parait, donnerait par an deux mil-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 105
lions cinq cent mille livres au moins, sur quoi on pourrait
prélever ce qui est nécessaire pour l'entretien des chemins.
On sait que cet entretien est aujourd'hui à la charge des
malheureux habitants de campagnes, qui en profitent très
peu, tandis que les premiers principes de la justice exigent
que le dommage soit réparé par ceux qui le causent.
Un autre mémoire présente l'exécution de ce plan. Elle con-
sisterait particulièrement à établir dans chaque ville com-
merçante un bureau de roulage, dans lequel tous les rouliers
de la ville et des environs se feraient inscrire, et prendraient
un numéro, qu'ils feraient mettre sur leurs voitures et aux
colliers de leurs chevaux.
On sent la commodité, l'utilité, la nécessité même de l'exé-
cution de ces différentes vues pour le progrès du commerce
et la facilité des voyages. Il en est des corps politiques,
comme du corps humain ; c'est la circulation libre et facile
qui en fait la force et la santé.
Nous avons déjà parlé d'un mémoire que M. de Chamous-
set a intitulé^ Moyen de trouver des fond."; pour les Hôpi-
taux ; et nous avons dit qu'ici le but est différent de l'objet.
Le titre exprime le but : l'objet est le même que celui dont
nous venons de nous occuper ; il est encore question de la
poste aux chevaux, des messageries et du roulage. Le moyen,
dit notre auteur, de trouver des fonds pour les hôpitaux est
simple, abondant, utile à tout le monde : il ne s'agit que de
réunir sous une même administration le roulage de royaume,
les messageries et la poste aux chevaux.
106 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Il présente ensuite d'une manière abrégée les idées qui
sont l'objet des mémoires précédents, en commençant par
celles qui concernent le roulage. Les seuls commissionnaires
pourraient se plaindre de leur exécution ; mais proscrits tant
de fois, leurs plaintes mêmes seraient une preuve de leurs
prévarications, et de la nécessité de leur destruction
absolue.
La réunion de la poste aux chevaux et des messageries se
présente ensuite : c'est encore un abrégé des mémoires pré-
cédents ; ce sont des compagnies à établir, qui seraient tout
ce que sont les postes et les messageries actuelles, et beau-
coup plus.
M. de Chamousset fit part de ce projet des postes à MM. les
Intendants ; et ils furent consultés par le Ministre ; on ignore
leurs différentes réponses. Ils louèrent l'auteur du projet ;
mais le projet n'eut pas lieu alors. M. Turgot dont on a
connu le zèle actif, en a exécuté une partie, mais il n'a pas
tout fait parce qu'il n'a pas pu tout faire.
Le mémoire sur l'abolition des corvées, et la manière d'en-
tretenir les grands chemins sans que l'agriculture et les pau-
vres en souffrent, est encore une heureuse application des
vues de M. de Chamousset sur le roulage et les postes. Il
fait voir que leur exécution abolirait les corvées qui, si l'on
peut s'en passer, sont également contraires au respect dû
aux malheureux, à la saine politique, au progrès de l'agri-
culture. Les compagnies des postes et des messageries,
chargées, non de la construction, mais du simple entretien
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 107
des chemins cailloutés, le droit de roulage dont il a été ques-
tion, bien moins onéreux sans doute que les commission-
naires actuels, sont le double moyen que propose M. de Cha-
mousset pour l'abolition des corvées. Ici se trouvent quelques
instructions nouvelles, quelques détails particuliers sur la
manière la plus simple de réparer les ornières ou cavités des
chemins : du reste, c'est à peu-près le même fonds d'idées
que dans les mémoires précédents ; mais si nous voulons
être justes, gardons-nous de faire à M. de Chamousset un
reproche de ces répétitions (1). Il savait que la bienfaisance
si elle veut réussir, doit prendre différentes formes : l'art de
faire le bien est le plus difficile de tous, surtout dans un
pays où le luxe a multiplié -les besoins factices que rien ne
peut satisfaire.
La ville de Paris est un abrégé de l'univers, et les fonc-
tions de Lieutenant de Police, si bien décrites par l'élégant
historien de l'Académie des Sciences, prouvent la difficulté
de gouverner cette capitale. Ce qui concerne les voitures de
places n'est pas sans doute un des objets qui mérite le moins
d'attention : la grossièreté, l'insolence, la débauche de ceux
(1) Ce sont ces répélitions qui nous ont engagé à élaguer an peu les différents
mémoires dont nous venons de parler, et à les réduire à quatre qui contiennent toutes
les idées, et presque toujours les propres expressions de M. de Chamousset. C'est en
c«t état qae nons les avons fait imprimer au tome II, page 189 à 220 sous les titres
saiTants.
1. Mémoire sur la Poste avx chevaux et les Messageries, pag. 189-2*20.
3. Moyen de faciliter le Roulage et le transport des marchandises, pag. 220-222.
3. Mémoire sur le roulage, pag. '222-227.
4. ExéetUion du plan sur le roulage^ pag. 227-228.
108 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
qui les conduisent, exposent à mille dangers les personnes
qui s'y confient. M. de Ghamousset s'est encore occupé de la
manière de rendre ces voitures plus utiles, plus agréables,
plus sûres pour ceux qui s'en servent, et en même temps
plus avantageuses aux propriétaires. Ce moyen est simple : il
ne s'agit que d'établir sur chaque place un commis et un
aide, qui veillent à la sûreté du public et à l'avantage des pro-
priétaires. Les détails de ce Mémoire me pat*aissent de nature
à devoir produire les meilleurs effets et son exécution ferait
cesser un grand nombre de plaintes qui ne sont que trop fon-
dées. Par là, la première ville du royaume, celle qui attire le
plus d'étrangers, cesserait d'être celle où les voitures sont
le plus mal servies (1).
Un autre projet de M. de Ghamousset destiné encore à
augmenter le bon ordre de cette capitale, et en même temps
à faciliter un commerce très étendu et très nécessaire, qui
tient à différentes branches, est un plan pour un établisse-
ment d'écuries proche le marché aux chevaux, qui auraient
été inspectées par un officier public. Il le présenta au Magis-
trat qui gouvernait alors la Police de Paris, et qui venait de
faire mettre ce marché dans l'état où nous le voyons. Moins
d'embarras dans Paris déjà si dangereux par ceux qui y exis-
tent nécessairement ; commodité et diminution de dépense
pour les acheteurs et les vendeurs ; confiance juste et méritée
par les précautions qu'on doit prendre : tels sont en abrégé
(1) Tome II, pag. 228 et 232.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 109
les principaux avantages de ceprojet, qui ne parait pas avoir
eu lieu (1).
Quoi qu'il en soit, après s'être occupé des voitures de
terre, M. de Chamoussot s'occupa de celles de rivière, et
toujours dans la vue de favoriser Tagriculture et le com-
merce, qui sont le nerf et la force d'un Etat. Il imagina '^ en
1764 le tirage des bateaux par les bœufs (2) ; le Mémoire qu'il
donna sur ce sujet est clair, net, plein d'idées et de vues
utiles, et l'on peut dire que c'est encore un de ses meilleurs
ouvrages.
Dès le temps de son intendance des hôpitaux militaires, il
avait proposé de faire faire les tirages des derrières des
armées par les mêmes bœufs destinés à la boucherie des sol-
dats et qui, presque tous, achetés à la charrue sont dans
l'exercice du tirage. 11 avait pour lui la raison et l'autorité
du Maréchal de Saxe, dont les Rêveries sont si sages et si
savantes. M. de Chamousset revient sur cette idée ; et selon
lai, la compagnie qu'il propose pour établir le tirage des
bateaux serait plus propre que tout autre à remplir cette vue
d'utilité avec économie pour l'Etat, avec avantage pour elle-
même : mais ce n'est ici qu'un accessoire, et le tirage des
bateaux est l'objet principal.
Tout le monde sait que le bœuf a plus de force que le che-
val pour le tirage des fardeaux, qu'il est plus frugal, moins
(!) Ce mémoire se troafe «u supplément Tome H, pag. 347-349.
(2) Tome H, pag. 231-350.
110 UN PHILANTHROPE MÉGOl^NU
délicat dans sa nourriture, qu'il coûte à peu près la moitié
moins à force égale, qu'on peut tirer parti de sa chair, de son
cuir, au lieu que le cheval (1), animal plus délicat ne présente
aucune ressource, s'il s'estropie ou s'il meurt. Il est donc clair
que sous ces diflerents rapports, le tirage des bateaux est
avantageux par les bœufs que par les chevaux. Ce n'est pas
tout ; la seule objection plausible contre le pas lent et tardif
du bœuf, se tourne en preuve pour la bonté du projet ; puis-
que Texpérience a démontré qu'au tirage des bateaux, les
bœufs vont plus vile que les chevaux. Notre auteur avait
encore pour lui l'usage de la province du Dauphiné, où le
tirage par les bœufs se fait à souhait sur les bords de
l'Isère.
Tels étaianten général les principes du projet de M. de Cha-
mousset. En conséquence, il avait commencé à former une
société composée d'actionnaires : chaque action était de mille
livres, il y en avait trois cents : la possession de dix actions
donnait voix dans les assemblées de la compagnie ; et les
comptes généraux devaient se rendre chaque année.
Il avait loué des fermes de distance en distance, à proxi-
mité des rivières où le tirage devait se faire. Ces fermes
seraient autant de relais : le service des bateaux se faisait sans
interruption^ au lieu que dans l'état actuel on est obligé
d'attendre tout le temps que les chevaux passent à l'écurie.
On sent encore que ces animaux fatigués d'une longue route
(1) Chamoassel n'aTait pas prévu les boacheries hippophagiques.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 111
sont bien moins vigoureux que des bœufs ne travaillant que
par relais, et par conséquent toujours frais. L'exploitation de
ces fermes assurait des nourritures plus saines et moins
dispendieuses pour les bœufs : elle leur fournissait une occu-
pation utile pour le temps où ils ne seraient pas occupés au
tirage des bateaux ; elle procurait à la compagnie mille profits
champêtres qui, se multipliant, pour ainsi dire, à Tinfini,
devaient donner des sommes très considérables. Dans
les moments où la navigation est interrompue par les glaces
ou rabaissement des eaux, on devait occuper une partie de
ces bœufs et leurs conducteurs, à tirer les bois des ventes, et
à les amener sur les ports. Thiver dans la forêt de Gompiègne,
Tété, dans celle de Villers-Gotterets. Enfin, au moyen de ces
fermes^ le long des rivières dont on entreprenait le tirage, on
s'assurait un commerce suivi et avantageux, en envoyant eu
marché de Poissy les bœufs qui ne réussiraient pas au tirage,
ou ceux qu'on aurait engraissés^ en les y envoyant dans les
jours où il y en aurait moins. On ne devait jamais s'arrêter
dans les auberges, qu'on doit regarder comme des impôts
plus ou moins onéreux. Des bateaux particuliers, appelés
bateaux d'incurie, devaient porter les provisions nécessaires
pour les hommes et les bœufs ; et ces provisions devaient se
prendre dans les différentes fermes de la compaqnie. Il y a
plus : ces bateaux devaient porter des bœufs en nombre
suffisant pour relayer ceux qui auraient travaillé le temps
proportionné à leurs forces, et par ce moyen, les bateaux
auraient pu marcher jour et nuit.
112 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Tels sont les principaux articles, comme les principaux
avantages de ce système économique, combiné avec tant
d'intelligence et de sagesse, qu'un auteur qui, dans le temps
en fit la critique, convint (1) que les bénéfices devaient être
immenses. Pourquoi donc ne réussit-elle pas ; c'est ce qu'il
ne serait peut-être pas facile d'expliquer. Il n'y a pas d'appa-
rence que la raison principale du critique contre le tirage des
bateaux par les bœufs, ait eu une grande influence sur
ce défaut de succès. Il prétend que ce tirage est contraire au
bien public, parce que le pas des bœufs, lourd, pesant, for-
mant des sillons, rend les chemins impraticables pour les
hommes et les chevaux. La vraie cause du défaut de succès
ne serait-elle pas que dans cette occasion, comme dans plu-
sieurs autres, M. deChamousset compta trop sur les hommes?
Il oublia que l'œil des iriil. îs ne peut s'étendre à tout,
et qu'il n'y a que l'œ»! ' y maîtres qui puisse vivifier une
exploitation quelconque ; à plus forte raison des exploitations
presque immenses (2).
A ce propos du tirage des bateaux par les bœufs, joignons
celui d'un établissement de voitures deau du Pecq à Corn-
(1) (I Observalions générales sur le tirage des baletox, en remontant la rivière ;
« où l'on examine : 1* SMl est plus à propos pour que ce tirage se fasse avec des bœnfi
a qu'avec des chevaux ; 2* S'il est plus avantageux à TËtat que de qoelque manière
« que se fasse ce tirage, il soit confié par entreprises è des compagnies prévilégiées,
a au lien d'être exécuté, en toute liberté, par tout particulier qui voudrait s'an charger
a comme il s'est pratiqué jusqu'ici. In 12, petit format, 46 pages ».
(t2) Il y a eu deux actes de Société pour cette entreprise du tirage des bateaux par
les bœufs ; l'nn du 12 Mars 1764, l'autre du 1*' juin 1765, passés chez M* Baron^ jeu-
ne. Notaire. Le second est un peu difiérent du premier.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 113
piègney et de Compiègne au Pecq, pendant le voyage du
JRoi (1). Ce projet particulièrement avantageux aux différen-
tes personnes employées dans la maison du Roi ; et cette
utilité est beaucoup plus étendue qu'on ne pourrait croire
d'abord. Il n'a pas eu lieu ; mais pour Thomme qui connaît
la marche des choses humaines, le défaut d'exécution ne
peut faire tort au fond d'utilité réelle d'un plan. Celui dont il
s'agit est tout en détail, et Ton ne peHt en prendre une idée
nette, qu'en le lisant avec attention. C'est donc à l'ouvrage
même qu'il faut recourir.
Nous allons nous occuper de deux Mémoires importants,
dont le but est encore de favoriser le commerce, et de pro-
curer du soulagement à la portion laborieuse ou affligée de
l'humanité ; ce sont ceux qui concernent un nouvea» Mont-
de-Piété et une nouvelle form<>ià'(^^îiner à la caisse de Poissy.
Les besoins que le luxe multl^ il ,.,çles malheurs et des
revers imprévus et inévitables, Tubure criante qui trop
souvent s'exerce dans Paris, les maux qu'elle entraîne, fai-
saient désirer depuis longtemps un Mont-de-Piété dans cette
capitale. Il y a été établi enfin en 1777 ; mais M. de Cha-
mousset qui en sentait la nécessité, et qui en provoquait les
avantages, voulut dès 1762, procurer encore celte ressource
à ses concitoyens. Il imagina sous le titre de magasin général
ou Dépôt public (2), un établissement où la seule retenue des
(1) Imprimé au sopplémeot, Tome II, pag. 352-355.
(2) Impriméa, Tome II, page 350 el sui?.
114 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
dépenses nécessaires à faire, sans intérêt, assurerait les plus
grands avantages, et les secours les plus abondants. Ce
dépôt général dont on eût soin d'écarter tout ce qui aurait
en Tair d'aumône, aurait invité indistinctement tous les états,
le plus riche comme le plus pauvre, l'homme de naissance
comme le roturier. En y portant des effets on aurait aug-
menté le numéraire de l'Etat, et l'on aurait fait son propre
avantage. Cette réunion précieuse du bien public avec
l'intérêt particulier, fait encore le caractère distinctif de ce
projet, comme de tous ceux qu'on doit à M. de Chamousset ;
et le Français, peuple fier et délicat, n'eut point été. écarté
d'un dépôt qui n'eût en rien que d'honorable.
Ce dépôt public n'aurait point prêté d'argent, mais seule-
ment son nom et son crédit. Il aurait donné son papier payable
dans les temps convenus, avec l'empressement, et pour la
somme dont il aurait cru pouvoir répondre. Cette somme eut
toujours été inférieure à la valeur de l'effet qui eut été
déposé dans les magasins, jusqu'à ce que le montant du
billet du dépôt public eut été rendu, soit par la restitution
volontaire de l'emprunteur, soit par une vente judiciaire.
Dans le premier cas, il n'eut payé qu'un faible droit de six
deniers par livre, pour tout article de mille livres et au-
dessous, de trois deniers par livre, seulement pour tout objet
qui eut passé mille livres à quelque somme qu'il eût pu monter.
Ce droit modique de trois ou de six deniers par livre, suivant la
valeur de l'objet déposé, eut été pour le loyer des emplace-
ments des magasins, pour les frais de bureaux, les appointe-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 115
ments des commis, et généralement pour toutes les dépenses
qu'eût exigé une si grande entreprise. Dans le cas de la vente
judiciaire, au lieu de trois ou de six deniers, on eut prélevé
sur le produit de cette vente, le sol pour livre de la somme
portée pour les frais d'affiche, de justice, etc. Le surplus du
produit de la vente eût été rendu au propriétaire.
Ces billets ne représentant que la moitié de la valeur intrin-
sèque des effets déposés, auraient circulé avec facilité. On
eut eu pour nantissement la certitude d'une valeur double :
par là un grand nombre d'effets qui ne produisent rien entre
les mains du possesseur, eussent pu rentrer dans le cours de
la circulation du commerce. On eut ranimé le mouvement de
certaines matières, que des circonstances particulières rédui-
sent à une inertie funeste pour le possesseur. Tels sont les
bijoux, les étoffes, les parures, les dentelles, les fourrures et
autres marchandises, mortes dans une saison, vivantes dans
une autre ; sans prix, lorsqu'un deuil survient, et rentrant
dans le commerce lorsqu'il cesse.
M. de Chamousset avait pris les plus grandes précautions
pour prévenir les abus, tant au sujet des billets afin qu'ils ne
fussent pas contrefaits, que pour la vente des effets déposés*
Tous ces détails, qui ne peuvent trouver place ici, se lisent
avec plaisir dans le Mémoire. Ces différentes précautions ten-
daient toutes à procurer aux billets le plus grand crédit dans
le commerce et chez l'étranger : on aurait pu les faire diviser
en autant de parties qu'on aurait voulu. Ces billets auraient
augmenté réellement le numéraire de la Nation, puisque le
116 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
double de la valeur des billets eût été dans les magasins du
dépôt, à moins que l'effet déposé n'eut été d'or ou d'argent,
car en ce cas seul, le billet eut été des deux tiers delà valeur.
C'eût donc été un avantage réel pour l'état, que ces billets se
fussent multipliés ; et sans doute ils n'auraient pas tardé à
devenir très nombreux. M. de Chamousset espérait que toutes
les grandes villes du royaume, à l'exemple de la Capitale
formeraient bientôt de semblables établissements ; et il comp-
tait sur un centième des effets de la France portés dans ces
dépôts et mis en mouvement par les billets de Caisse qui lui
auraient représentés. Quelle ressource pour le crédit de la
Nation, pour les revenus du Souverain, pour l'aisance des
particuliers !
On avait prévu toutes les difficultés, on avait levé tous les
doutes, on devait prendre toutes les précautions. On n'aurait
reçu aucun effet qui n'eût été déposé par un homme connu,
ou valablement cautionné. Il y eu trois bureaux, celui où l'on
se serait fait connaître, celui où l'on aurait fait Testimation
des effets, celui où l'on aurait délivré les billets. Outre les
Directeurs particuliers à cet établissement, M. le Lieutenant-
général de Police et le Parlement en auraient été les premiers
Inspecteurs. Du 20 au 30 de chaque mois, il y aurait eu des
ventes publiques d'effets non retirés : ces ventes, bien loin
d'être nuisibles au commerce, lui auraient été avantageuses.
Les marchands de Paris et les forains, les artistes et les arti-
sans que leur réputation, inférieure à leurs talents force de
donner leurs ouvrages à vil prix auraient trouvé dans ces
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 117
ventes périodiques des moyens sûrs et faciles de se défaire d'ef-
flets que le concours des acheteurs aurait fait porter à leur
juste valeur.
L'emprunteur qui eût voulu de l'argent comptant, aurait
porté ces billets à une caisse d'Escompte. M. de Ghamousset
se proposait, lorsqu'il eût été nécessaire, de former une com-
pagnie de banquiers ou d'agent de change choisis^ dont l'ob-
jet principal eût été de convertir les billets en argent, et de
donner les facilités à ceux qui n'aimaient pas être aussi exacts
a retirer leurs effets, qu'ils l'auraient espéré.
11 est certain que l'exécution de ce projet promettait les
plus grands avantages. La nation doublait son numéraire et
son crédit^ et l'usure tombait. Les usuriers qui ne sont que
trop communs dans cette capitale, frémirent du coup qu'on
allait leur porter ; et cet établissement si utile n'eût pas lieu
alors. 11 était réservé à un Roi juste et sensible d'en autori-
ser un semblable (1), et son règne, à cet égard comme à tant
d'autres^ sera celui de l'équité et de la bienfaisance.
A la suite du mémoire sur le dépôt public^ il me semble
que nous devons placer celui qui regarde la caisse de Poissy,
le premier favorise le commerce en général, le second serait
utile, nécessaire même au commerce particulier des bestiaux.
Il n'est personne qui dans ces derniers temps, n'ait entendu
(1) Voyez letUres- patentes portaDt l'établissement d'un Mont-de-Piété. données à
Versailles, le 9 décembre 1777, et enregistrées en Parlement le 12 des mêmes mois
«t ID.
118 UN PHILANTHROPH MÉCONNU
parler de cette caisse fameuse, créée en 1707, renouvelée en
1743, anéantie depuis, et rétablie ensuite avec de nouvelles
modifications. On en trouve Thistoire, les opérations et les
gains dans un mémoire imprimé en 1770 (1). Celui de M. de
Gbamousset dont nous ignorons la date est beaucoup plus
court. Son but est de fournir un moyen de remédier à Tétat
fâcheux où est réduit le commerce des bestiaux dans le
royaume, par une nouvelle forme de la caisse de Poissy (2),
et c'est aussi le titre qu'il porte. Il s'accorde avec l'auteur du
mémoire de 1770, sur le fond des faits. Cette caisse réunit
le droit du prêteur du fermier. Suivant notre tuteur, ce dou-
ble droit monte chaque année à plus de cent pour cent, et
elle ne prête qu'aux bouchers qu'elle ne juge solvables, c'est-
à-dire, à ceux qui n'auraient pas besoin de ses secours.
Il s'agirait, dit M. de Chamousset, de distinguer le prêt du
droit ; le droit doit être également payé par tous ; le prêt ne
doit l'être que par ceux qui en profitent. Ce droit de prêt
ne devrait-être, selon lui, que d'un demi denier pour livre
par semaine. Pour augmenter l'avantage de ce prêt, il pro-
pose d'établir une compagnie de personnes riches et accré-
ditées, qui feraient un fond de 6 millions, dont deux millions
en argent et quatre en billets. Ces billets imprimés, porte-
raient des numéros, des timbres, et généralement tout ce
(t) Mémoire à consulter pour les propriétaires, fermiers, nourrisseurs, marchands
de bétails de la proTince du Limousin, contre le ftnnier de la Caisse de Poissy, 1770,
in- 12, 85 pages.
(2) Imprimé» tome II, p. 27C-274.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 119
qui pourrait en empêcher la contrefaçon. Ils porteraient le
nom de Billets de comestibles, et seraient tous d'un Louis ;
plus facile encore à transporter que Tor, ils ne seraient point
exposés à être volés. Ces avantages et l'exactitude du paie-
ment par la compagnie de la caisse, aussitôt que ces billets
paraîtraient, leur donneraient bientôt le plus grand crédit.
Peut-être pourrait-on en douter, si M. de Chamousset n'assu-
rait que les marchands et les bouchers, regardant la forme
de la caisse de Poissy qui existait alors, comme entièrement
ruineuse pour ce commerce, pensaient que cette nouvelle
forme était propre à le ranimer. Il s'offrait de faire souscrire
sa proposition par les meilleurs juges en- cette matière, par
les marchands et les bouchers les plus riches : un droit con-
senti et même désiré avant que d'être perçu, dit-il en finis-
sant, ne peut jamais être onéreux.
Il serait bien surprenant que M. de Chamousset, ayant
consacré toute sa vie au bonheur de Thumanité, eût négligé
l'agriculture, qui en est la source et le principe, aussi s'en
est-il occupé, et dès 17S9, il avait fait un Mémoire sur le
commerce des grains (1). Cette matière si importante dans
le gouvernement d'un état, si souvent agitée, et qui peut-
être n'est pas encore résolue, était alors beaucoup plus nouvelle
qu'elle n'est aujourd'hui ; elle n'avait pas encore été discu-
tée, comme elle l'a été depuis, et l'on n'avait pas encore vu
des athlètes vigoureux descendre dans l'arène, combattre à.
(1) Imprimé, tome H, p. 277-2&7.
120 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
forces presques égales tous les étendards de la politique et
de Féloquence, et laisser la victoire presque indécise.
M. de Ghamousset se déclare en général pour l'exporta-
tion et l'importation libres de cette denrée de première
nécessité ; il met cependant certaines conditions à cette
liberté, il veut qu'elle puisse être restreinte par la nature
des récoltfes, par la position des provinces. Nul danger pour
l'exportation dans les provinces maritimes ; il n'en est pas
de même pour celles qui sont éloignées de la mer. Il s'élève
contre les compagnies qui s'emparent de ce commerce, et
qui ne servent qu'à consacrer le monopole et à faire aug-
menter le prix du grain au gré de leur cupidité.
Il s'occupa dans la suite d'un autre ouvrage qui vient à
l'appui de celui dont nous venons de parler, il l'intitula :
Réflexions sur Vlmportayice et Vutilitè d'une commission
pour veiller en France à V Agriculture etvau com^merce
des grains (1). Notre auteur trouve très étOi. nt que dans
ce royaume tant de personnes soient occupées à veiller sur
les manufactures et le commerce en général, tAndis que
l'inspection du commerce des grains n'est confiée qu'à un
seul homme. En serait-on venu à croire que le tronc de
l'arbre exige moins de soins que les branches et les feuilles ?
En politique, l'agriculture est le tronc, les manufactures et
le commerce sont les branches. Tant que la sève ne fait que
circuler dans les différents rameaux, l'arbre jouit de la plus
(t) Imprimé, tome H, pag. 277-287.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 121
grande vigueur ; mais si elle s'y porte en trop grande abon-
dance, si elle s'y engage^ les branches et les feuilles dévorent
toute la substance, les racines se dessèchent, le corps de
l'arbre s'exténue, et périt enfin entièrement. L'arbre ne peut-
être conservé vigoureux si on ne cultive les racines avec soin,
si on ne coupe môme les branches qui prendraient trop
d'embonpoint.
Ces idées conduisent M. de Chamousset à proposer l'éta-
blissement d'une commission destinée à suivre le commerce
des grains. Il répète dans ce mémoire les principes établis
dans le précédent sur le danger des compagnies pour le com-
merce des grains ; il décrit quelques-uns des manèges de ces
compagnies pour fixer le prix du blé au gré de leur avidité ;
il restreint la liberté absolue de l'exportation extérieure aux
pays placés sur les bords de la mer, et il fixe les différents
articles dont devrait s'occuper la commission qu'il désirerait
devoir étal par le Gouvernement. Arrêtons-nous un ins-
tant à les considérer :
1* Cette commission devrait encourager le plus grand nom-
bre possible de marchands de grains isolés ; par là, on évite-
rait cette connivence plus ou moins cruelle pous faire passer
les grains de l'endroit où ils sont à bas prix dans celui où ils
sont trop chers ;
2*" Elle empêcherait la formation des grandes compagnies,
dont l'esprit tend au monopole ;
S"" Si des raisons particulières l'engageaient à en permettre
quelqu'une, il faudrait au moins que ses magasins fussent
122 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
connus ; qu'ils fussent toujours ouverts pour la consomma-
tion particulière du pays ; que le prix du grain fut Qxé cha-
que semaine, et affiché à la porte des magasins ;
4"" Enfm, il faudrait fournir aux marchands particuliers
des moyens de transport; et parmi ces moyens, les
meilleurs sont sans doute .ceux qui sont exposés dans
les Mémoires sur la poste aux chevaux, sur les messageries
et le roulage.
M. de Ghamousset voudrait que cette commission fut com-
posée de sujets choisis par le Gouvernement, et de quelques
députés des cours souveraines de la capitale, qui pourraient
tirer des lumières de leurs confrères et leur rendre à leur
tour celles qu'ils devraient à leur expérience.
C'est ici peut-être où nous devons parler des observations
sur rétablissement d'une Compagnie d'assurance contre les
incendies et les ramonages. Ce projet, qu'on a exécuté en
partie, et dont l'exécution même suppose qu'on a senti la
nécessité, présente des idées claires, des calculs simples. La
détail prouve que l'intérêt particulier pourrait se réunir ici,
avec la sûreté publique. On invoque la raison et l'exemple,
pour prouver qu'il serait utile, nécessaire même de ne pas
abandonner cet article à l'entière liberté des citoyens : vues
sages, sans doute ! mais le peuple craint-il d'autre danger
que celui qui le menace prochainement et visiblement ; et le
fruit des malheurs, même des siens propres, n'est-il pas perdu
pour lui ? Il est des pays dans l'univers où les établissements
de luxe et de plaisir réussissent sûrement, tandis que ceux
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 123
qui sont consacrés à l'utilité publique, sont presque néces-
sairement rejetés.
M. de Cbamousset en propose un autre, qui peut intéresser
ceux que Thabitude, ou peut-être le luxe seul des bijoux,
ont accoutumé à l'usage d'une plainte qui, dans Tordre natu-
rel, est à côté de celles qui sont les plus venimeuses ; il s'agit
d'un projet sur le tabac râpé (1). Cette plante, sur laquelle
on a tant écrit, est devenue pour la finance d'un produit
presque immense ; tant est grande la force de l'babitude et
de l'imitation! M. de Cbamousset, toujours occupé de la
santé des citoyens, voudrait rendre les abus dans Tusage du
tabac moins dangereux. Il désirerait que les débitants fussent
obligés de le prendre tout râpé dans un bureau qu'inspecte-
raient la Ferme générale et la police, et qu'il ne leur fut plus
permis de le faire râper chez eux. Â ce moyen, on éviterait
tout danger de mélange funeste : tout le tabac nécessaire à
la consommation serait râpé sous les yeux de personnes fidè-
les, dont les appointements seraient pris sur le bénéfice même.
On en ferait des paquets de différents poids ; les plus gros
seraient enveloppés dans des rouleaux de plomb recouverts
de papiers cachetés : les plus petits seraient mis dans de petits
sacs de papiers pareillement cachetés. Il résulterait de cet
arrangement un bénéfice assez considérable, que M. de
Cbamousset voudrait qu'on partageât entre la Ferme
et des œuvres utiles, telles que la Maison d'association. Ce
(f) Imprimé, tomtU, pag. 297^2.
124 . UN PHILANTHROPE MÉCONNU
n'était pas un moyen infaillible de réussir dans sa
demande, en supposant qu'il l'ait formée, ce qu'on ne
peut affirmer.
Ce qu'on sait positivement, c'est qu'entre les ouvrages dont
jusqu'ici nous avons donné l'analyse et que nous pouvons
présenter au public, il a laissé quelques feuilles informes qui
doivent donner des regrets, sans pouvoir nous assurer
aucune jouissance. Cette esquisse roule sur l'emploi des
hommes. On y trouve quelques-unes de ses idées de l'allai-
tement par le lait «des animaux, sur l'emploi des Enfants-
Trouvés, garçons et filles, sur la préférence due à l'agricul-
ture ; il parle aussi de l'emploi des soldats : il voudrait que
tout soldat retiré ne payât que la moitié des impositions
quelconques, et qu'une partie des invalides retournât dans le
pays qui les a vu naître, avec une pension à peu près égale
à ce qu'ils dépensent à l'Hôtel. Par leurs exemples, par leurs
récits, par leur expérience, ils pourraient porter dans les
provinces ce goût militaire qui épargnerait la triste nécessité
de se servir du sort pour arracher à leurs foyers des hommes,
qui souvent sont l'unique soutien de parents pauvres et
caducs.
On peut voir maintenant s'il en est des projets de M. de
Chamousset comme de ceux du célèbre abbé de Saint- Pierre,
dont on a dit qu'ils étaient les rêves d'un homme de bien.
Tous ces projets pourraient cesser d'être ici des rêves, si l'on
voulait, quand on le peut, enchaîner les passions des hommes,
et les tourner vers le bien général, par le moyen de l'amour-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 125
propre, ce levier universel dans l'ordre moral et politique,
lorsqu'il est employé avec adresse et intelligence.
Quoi qu'il en soit, s'il est des personnes pour lesquelles
faire des projets est une passion dont l'intérêt de celui qui
les forme est toujours l'objet principal, l'utilité publique
toujours le prétexte ; on peut prononcer maintenant sans
crainte d'être démenti, que ceux de M. de Chamousset furent
tous au profit de l'humanité. Nullement attaché à ses idées,
il était encore du plus grand désintéressement. Ce n'était pas
la gloire de faire le bien qu'il cherchait, c'était le plaisir de
le voir fait, de quelque manière que ce fut. Lorsqu'il croyait
ces projets d'une utilité réelle, il en eût volontiers confié
l'exécution à ceux qu'il aurait cru plus en état que lui de la
conduire ; et si tout autre les eût formés, il eut mis peut-
être, à les faire réussir, plus de zèle encore qu'il n'en montrait
pour les siens. La vanité, l'envie, toutes les passions sem-
blaient lui être étrangères, à l'exception de celle du bien
général, pour lequel il s'est toujours oublié. C'est ainsi qu'il
consacra la plus grande partie d'un patrimoine de plus de
cinq cent mille livres, et l'unique regret qu'il eut après ce
sacrifice, fut de n'en avoir plus à faire. Toutes ses dépenses
pour le bien dé l'humanité, et les regardait comme un fond
placé sur ses semblables, et dont eux seuls devaient retirer
rintérêt.
Ce fut encore pour se rendre utile à ses concitoyens qu'il
forma le projet de former deux ponts volants aux deux extré-
mités de Paris, le premier entre les chaussées de l'Hôpital et
126 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
de l'Arsenal, le second entre le pont royal et les Invalides. Il
en solicita la permission, et enfin il l'obtint après différents
obstacles. L'Arrêt du Conseil qui la lui accorde pour quinze
années, est du 10 Mai 1770. Ces ponts n'étaient pas encore
exécutés au moment de sa mort. Il en a légué le privilège
par son testament (1) à Mme la Comtesse d'Harville, sa cou-
sine. Il lui recommande encore expressément sa Maison
d'Association si profondément gravée dans son cœur, et qui
avait été le principe respectable de toutes ses idées, de tou-
tes ses actions, de toutes ses démarches. Il mourut le 27 avril
1773. Toujours occupé des autres, il négligeait, il oubliait
ses propres maux. Ses amis s'apercevaient que depuis quel-
ques jours, il portait les apparences d'une maladie grave ; ils
l'engagèrent à se soigner lui-même, après avoir tant soigné
les autres : il s'excusait toujours sur le temps qui lui man-
quait. Enfin, il fut attaqué d'une fluxion de poitrine qui en
cinq jours le conduisit au tombeau à l'âge de cinquante-six
ans.
Sa mort fut comme sa vie, édifiante et chrétienne. La reli-
gion qu'il aimait et qu'il pratiqua toujours avec fidélité
l'avait soutenu dans les peines inséparables de la condition
humaine qu'avait augmentées son désir ardent de faire le
(I) Oq voit par ce testament passé devant Delattre et Colliville, notaire de Paris,
le 26 avril 1773, que M. de Chamousset avait remis à Madame la Comtesse d'Harville
des Mémoires sur les moyens de monter cei ponts ' jusqa'ici cetttdame n'a profité, ni
d<: ces mémoires, ni du privilège qui lui a été remis par M. le Cte d'Amfreville, exécu-
teur testamentaire.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 127
bien et de s'apposer aux méchants. Elle le soutint encore, et
le consola dans ce moment que la Nature abandonnée à elle-
même n'envisage qu'avec horreur.
Que de motifs d'espérance pour ce fils chéri qui allait se
réunir à un père, et lui présenter une vie consacrée au bon-
heur de ses semblables.
La bienfaisance et la charité furent les principales vertus
de M. de Chamousset, mais elles ne furent pas les seules.
Enfant docile d'une religion donnée aux hommes pour les
rendre heureux, il en adorait les mystères, il en pratiquait
les préceptes. 11 savait que l'homme doit à Dieu l'hommage
de tout ce qu'il est, que son âme et son corps sont également
Touvrage de ses mains, que le corps doit donc participer à
sa manière, à Tadoration intérieure que l'âme doit à son
Créateur. Aussi M. de Chamousset était-il l'exemple de la
paroisse suf laquelle il habitait. 11 y remplissait exactement
tous les devoirs extérieurs de la religion ; il ne leur préférait
que les exercices de la charité parce que sa piété éclairée
savait que Dieu n'a donnée la religion aux hommes que pour
en faire un peuples de pères, de frères et d amis
Son testament porte l'empreinte de son âme bienfaisante.
Il avait vendu pour de bonnes œuvres une partie des dix-
mille livres de rente viagère, dont le Roi lui avait permis de
disposer par l'arrêt de son Conseil du 23 Juillet 1760. Il par-
tagea le reste entre quelques parents qui n'héritaient pas de
lui, et quelques subalternes qui l'avaient servi et secondé
avec zèle et fidélité. Il institua ses légataires universels,
128 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
M. Berthelot de Versigny, ancien conseiller au Parlement de
Paris, son cousin germain. Madame la Comtesse des Essarts,
sa cousine-germaine. Le zèle de cette dame respectable pour
consacrer h la Postérité la mémoire d'un parent qu'elle aima,
qu'elle estima, qu'elle respecta autant qu'il le /méritait, sa
tendre sensibilité, ses attentions délicates, ses recherches
exactes et multipliées, méritaient un éloge, si sa modestie
ne les refusait tous.
La vie de M. de Chamousset n'a été qu'une étude, une
recherche continuelle des biens qu'il pouvait procurer aux
hommes ; mais, disons-le avec vérité, ils ont si souvent
repoussé sa bienfaisance, qu'on ne sait ce qu'on doit le plus
admirer ou son courage ou leur aveuglement. Il a été sou-
vent contredit, mais il fut toujours aimé, estimé, respecté.
Louis XV qui eût toujours fait le bien, s'il eût toujours
suivi son penchant et ses lumières, chargea M. leducdeChoi-
seul de dire à M. de Chamousset lorsqu'il le nomma Inten-
dant des Hôpitaux militaires que jamais il n'avait fait aucune
nomination qui lui eût été aussi agréable parce qu'il n'y en
avait point qui dût être aussi utile à ses troupes.
Stanislas, roi de Pologne, qui méritait tous les titres, parce
qu'il avait toutes les qualités, toutes les vertus, et que nous
aimons à désigner sous celui de Philosophe bienfaisant, qu'on
lui a donné à la tête de la collection de ses œuvres, Stanislas
estima, honora M. de Chamousset. Cet excellent roi voulut
voir cet excellent citoyen. Il conversa familièrement avec lui
sur ses différents projets. Il parut goûter également les
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 129
ouvrages et l'auteur ; et si la Providence eût conservé
plus longtemps les jours de ce souverain, peut-être ces deux
âmes faites Tune pour l'autre, faites Tune et l'autre pour le
bonheur de Thumanité, se seraient-elles réunies pour ne se
séparer jamais ; et la cour de Stanislas fut devenue pour
Gbamousset le temple du bonheur, parce qu'il aurait
pu y exercer la bienfaisance sans obstacles et sans
contradictions. •
Rousseau, cet homme si éloquent parce qu'il fut si sensi
ble, Jean-Jacques était pénétré de respect pour M. de Cha-
mousset. Il le lui marqua un jour d'une iaçon bien extraordi-
naire. Visité par lui, il négligea cette étiquette française qui
pourrait bien être née dans l'empire de la bassesse ou
dans celui de la fausseté : il était assis, il ne se leva
pointy il ne le salua point, il ne le reconduisit point. Je
vous estime trop, lui dit-il, pour vous traiter comme le
reste des hommes.
M. de Gbamousset plus occupé du plaisir de bien faire que
de l'art de bien écrire, modeste, d'ailleurs et respectant le
public, eut recours à l'éloquence du philosophe. Il engagea
un de ses amis à le prier de jeter un coup d'œil sur quelques-
uns de ses ouvrages, et en particulier sur le plan de réforme
de THôtel-Dieu. Qu'est-il besoin de correction, répondit le
philosophe, dans un ouvrage qu'on ne peut lire sans frisson-
ner d'horreur, par les peintures énergiques qu'il présente ?
Et qu'est-ce que l'art d'écrire si ce n'est celui d'intéresser et
de toucher? Il ne fit donc à cet ouvrage que quelques correc-
9
130 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
tiens très légères, et de l*aveu d'un des hommes les plus
éloquents que la nature ait fait naître, M. de Chamousset fut
Toraleur de Thumanité malheureuse. Sans avoir étudié toutes
les finesses de la langue, il la savait aussi exactement qu'on
la parle dans la bonne compagnie. 11 écrivait d'après son
cœur, pouvait-il manquer d'être éloquent !
La chaleur et l'activité de son âme, se communiquaient
souvent à son corps, et quelquefois, c'était en vain que pen-
dant des nuits entières, il appelait le sommeil. Alors, entiè-
rement à lui, il méditait ses projets, les combinait et souvent
il les dictait le matin, lors qu'après avoir servi les pauvres il
s'habillait pour courir à d'autres actes de bienfaisance. Point
de vie plus active que celle de M. Chamousset. On eût dit
qu'il regardait comme perdus tous les moments qu'il ne don-
nait pas aux malheureux ou à la Patrie ; et jamais personne
n'a peut-être mieux prouvé que si l'homme est fait pour pen-
ser, il est surtout né pour agir.
A la nouvelle de sa mort, on vit les pauvres verser des
larmes comme des enfants tendres et reconnaissants pleurant
à la mort de leur père. Ils perdaient un homme qui n'existait
que pour eux, un homme qui semblait n'être né dans ce
siècle que pour réclamer contre l'esprit personnel qui en font
le système et le caractère, un homme qui eût pu dire comme
l'immortel Fénélon : J'aime mieux l'?iumanitè qiêe ma
patrie; ma patrie que mafamilley et ma famille que moi-
même.
Disons-le en un mot, la nature et la religion en avaient
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 131
fait un prodige de bienfaisance (1). A cet amour des hommes
qui semblait le dévorer, son âme sensible, franche, généreuse,
joignit une confiance presque sans bornes qu'ils ne méritaient
pas, et dont quelques-uns ont cruellement abusé. Il n'aurait
pas dépendu de son heureux caractère de soupçonner dans les
autres le vice dont il était incapable, et cette sécurité fut la
source de l'inutilité de ses efforts, comme elle sera toujours
recueil des succès de l'homme honnête.
M. de Ghamousset était un de ces hommes qui, dans
un siècle de fausseté, semblent destinés à être les victimes des
méchants, et qui n'en sont aimés que parce que ceux-ci les
trompent sans peine et sans obstacles. Né avec un esprit gai
et enjoué, parlant avec la plus heureuse facilité, disant
(U Je pourrait ici citer qb grand nombre de traits particuliers de bienfaisance,
s'il n*ent mis à les caeher autant de soin qu'il en mettait à les multiplier. J*en racon-
terai deux qui m'ont été rappelés par une personne qu*il voyait très fréquemment.
Madame la Comtesse de fi. . Un des amis de M. de Ghamousset partait pour Tarmée,
le domestique de cet ami était décidé à le quitter, parce que sa femme malade avait
besoin de s« présence et de ses secours, ijue ferti-wns^ lui dit M. dt Ghamousset, fi
wuM quiilei tfOtre Mailre f V(m$ ne serin d'aucune ressource à votre femme : vous mmirriez
de faim^ et elle périra de misère. Partei, f aurai soin de votre femme. Le domestique part,
M. de Chamouaset tint exactement sa parole ; et au bout de six mois de soins et de
dépenses, toutes sur son compte» il rendit cette femme A la santé, à la patrie, à son
Un four, M. de Ghamousset revenait tard. Il aperçoit que le feu était dans une
maison du côté de la rue de la Ferronnerie. Tout était enseveli dans le soomieil. Il se
fait oavrif, il monte à Tappartement où était le feu, il sauve la femme et les enfants,
pendant que le mari pressé par la frayeur, se précipite par la feuètre. Il se fracasse
le corps et tombe sans connaissance. M. de Ghamousset court i lui, le soigne, va avertir
les Prêtres de la paroisse, pour venir Tadministrer ; et il ne se retire que lorsque tout
fut tranquille, avec ce doux plaisir qu'on éprouve à soulager les malheureux, et la
eomdenee d'ooe bonne action de plus.
132 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
toujours des choses agréables, quand les intérêts de la vertu
et de la vérité le permettaient ; il était ce que le inonde
appelle un homme aimable. A des mœurs douces et
insinuantes, il joignit une probité austère, et cet accord si
rare lui attira quelques ennemis ; mais nous le répétons, ce
furent toujours les ennemis du bien public. Son âme saine et
délicate avait pour les cœurs viciés et corrompus, une anti-
pathie marquée dont il n'était pas le maître. Il ne contenait
pas assez son mépris et son indignation ; delà peut-être encore
son peu de succès. On louait ses vues, on les admirait même,
mais on ne les adoptait pas.
Le désir que M. de Ghamousset avait annoncé de se 7^eti'
rer dans sa te^^re et d'y fonder un hôpital^ lorsqu'il forma
le dessein passager de chercher le bonheur dans l'union
conjugale ; et quelques lettres particulières écrites dans le
sein de la confiance et de l'amitié, sont une preuve convain-
cante du goût qu'il avait pour le séjour de la campagne. Ce
goût est le premier et le dernier de ces âmes simples et sen-
sibles qui n'ont encore écouté que la Nature, ou qui ne veu-
lent plus écouter qu'elle. Ce séjour de l'innocence, si elle
existe encore sur la terre, était sans doute plus faite pour
l'âme vertueuse de M. de Ghamousset, que celui des villes
fondées par les passions, tandis que la campagne est l'ou-
vrage unique du Créateur ; mais ce séjour des villes présen-
tait un théâtre plus grand à son activité bienfaisante, à Tamour
du bonheur des hommes, qui le consumait, et forçait pour
ainsi dire son âme et son corps à un mouvement perpétuel.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 133
M. de Ghamoussety à la plus grande vivacité d'esprit^ à une
imagination singulièrement féconde, joignait des vues égale-
ment sages et étendues. Vaste dans ses projets, les plus petits
détails ne lui échappaient point. C'était un artiste qui n'an-
nonce une machine qu'après avoir calculé l'action et le jeu
de ses ressorts. Quelquefois son courage héroïque et sa trop
grande confiance dans les hommes lui faisaient paraître pos-
sible tout ce qui était nulle ; mais lorsque l'amitié lui faisait
apercevoir des difficultés qu'il n'avait pas prévues, lorsque
l'autorité lui opposait quelque barrière ^ insurmontable, il
n'avait point la vanité de se roidir ; et il cédait avec la can-
deur, la modestie, la simplicité de l'homme vraiment grand,
pour lequel l'aveu de l'erreur n'estquel'aveu qu'il est homme.
M. de Ghamousset a cessé de vivre pour nous ; mais sa
mémoire est celle du juste ; elle sera éternellement chérie et
révérée. Il existe dans ses vues d'humanité, de bienfaisance
et de patriotisme. Puisse le recueil général que nous en pré-
sentons au public lui être agréable ; et sous un Roi Bienfai-
teur par caractère, puissent les efforts de la bienfaisance
cesser d'être inutiles ! Espérons que nos descendants ne se
borneront pas à de stériles éloges : c'est dans cette vue que
nous consacrons ses difiTérents projets à la postérité.
Plan d'une Maison d'Association
Dans laquelle, au moyen d'une somme très modi-
que, chaque associé s'assurera dans l'état de mala-
die toutes les sortes de secours qu'on peut dési-
rer.
L'Etablissement que nous proposons, nous a paru avanta-
geux aux citoyens, et d'une exécution facile. Nous allons en
montrer le besoin, et en exposer le plan avec le plus de clarté
et de simplicité qu'il nous sera possible ; afin que le public
qui en recueillera les fruits, puisse juger de l'intérêt qu'il y
doit prendre.
Les hommes font la plus grande richesse d'un Etat, et la
santé est le bien le plus précieux des hommes. Mais ce n'est
pas assez qu'il ne leur manque rien pour le conserver lors-
qu'ils en jouissent ; un objet pour eux des plus importants,
c'est de pouvoir, en cas de maladie, compter sur tous les
secours nécessaires pour le recouvrer.
136 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Ces secours supposent troi choses principales, dont les
concours n'est pas moins essentiel que rare. De la dépense
de la part des malades, de l'intelligence dans ceux qui les
traitent, du zèle dans ceux qui les soignent. La privation de l'une
de ces trois choses a des suites fâcheuses, dont on est que trop
instruit par l'expérience. Cependant les riches même peu-
vent-ils se flatter de les réunir? Peuvent-ils avoir à leurs
ordres, à toutes les heures du jour et de la nuit, des méde-
cins habiles, des chirurgiens expérimentés ; tous attentifs à
administrer, ou à suspendre à propos un remède^ qui, selon
les circonstances devient, d'un moment à l'autre, salutaire ou
nuisible ? Peuvent-ils toujours ijn r sur l'exactitude et sur
les lumières des personnes jl ^-la préparation des
remèdes ? D'ailleurs que n'ont b? *ndre du zèle peu
éclairé d'une«famille effrayé qui, p^ lement, use de
de précipitation où il faut des délais, ou 401, par une piété
mal entendue, use de remise, où il faut<le la célérité? Je ne
parle point des dangers auxquels ils sont exposés, lorsqu'ils
ne sont servis que par des valets pris au hasard, ou par des
gens qui ne soupirent qu'après leurs dépouilles.
Il est des asiles ouverts à la misère, et c'est une ressource
utile à ceux pour qui il n'est pas humiliant de recevoir des
secours gratuits que la charité leur offre.
Mais entre ces deux extrêmes est la classe de ce grand
nombre de citoyens, qui, n'étant pas assez riches pour se
procurer des secours suffisants chez eux, ni assez indigents
pour se faire transporter dans une maison de charité, lan-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 137
guissenty et souvent périssent misérablement, victimes de la
décence à laquelle ils sont assujettis par leur état. Tels sont
les artisans industrieux, les marchands dont le commerce est
borné ; et en général tous ces hommes précieux qui vivent
journellement du fruit de leur travail, et qui souvent par
cette raison n'ont recours aux remèdes, que quand le mal
est devenu incurable. Les commencements d'une maladie
suffisent pour épuiser toutes ressources ; plus ils sont dignes
de secours, moins ils peuvent se résoudre à profiter des seuls
qui leur restent, et qu'ils trouveraient dans les asiles publics.
L'air leur parait devoir y être corrompu par le nombre des
malades et des mouran* V^ie figurent que les soins y sont
toujours insuffisants- iils sont purement gratuits, et
le spectacle conti*^ ^J>uleurj de l'agonie, et de la mort
dans la salle o^* insporte, souvent dans le lit où on
les met, leur fait c.âvisager dans les hôpitaux des dangers
beaucoup plus effrayants, que ceux auxquels la seule misère
les expose chez eux. Les Gens de lettres qui se rassemblent à
Paris de toutes les parties du royaume ; les militaires qui
viennent solliciter la récompense de leurs services ; les plai-
deurs forcés d'y faire de longs séjours pour soutenir leurs
droits ; et cette foule d'étrangers que la curiosité y amène,
sont dans la situation la plus dangereuse, sitôt qu'ils tombent
malades. Isolés et abandonnés à la discrétion d'inconnus qui
les environnent, que doivent-ils attendre des soins des gens,
pour la plupart avides et intéressés ? Combien peu d'hommes
peuvent donc s'assurer d'avoir dans une maladie tous les
138 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
secours nécessaires ? Mais ceux-là même pourraient-ils n'être
pas touchés de la situation de leurs concitoyens? N'est-il pas
de l'humanité qu'ils s'intéressent au moins à la conservation
de leurs domestiques ? Peuvent-ils se résoudre à abandonner
des malheureux qui.ont perdu leur santé à leur service ? Leur
est-il toujours possible de les faire traiter chez eux ? et quand
ils le peuvent, leurs affaires leur permettent-elles d'y donner
des soins ? Ne sont-ils pas obligés de s'en reposer sur d'au-
tres domestiques, c'est-à-dire sur des hommes que la dureté
ou la jalousie rend presque toujours négligents ?
Il est donc de l'intérêt de tous les citoyens, qu'il se forme
un établissement qui fournisse tous les secours nécessaires
aux malades, et qui pare à tous les inconvénients dont nous
venons de parler. Pour cet effet il faut : l*" Que les
riches y soient reçus d'une manière qui ne laisse rien à dési-
rer même à leur délicatesse ; 2** Que le traitement dans la
maladie soit absolument le même et pour eux et pour ceux
qui sont mal partagés par la fortune ; S** Que la dépense soit
proportionnée aux facultés des moins aisés ; 4^ Enfin, que la
décence n'empêche personne de profiter des secours qui lui
seront offerts. Tel est l'objet principal de rétablissement
qu'on propose au public, et l'on y satisfera par une associa-
tion librCy qui ne durera qu'autant que chaque associé y
trouvera son propre avantage, et par laquelle on acquierrera
en payant par mois la somme la plus modique, le droit de se
procurer ou chez soi ou dans une maison, dont on deviendra
copropriétaire par cette association, généralement tous les
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 139
secours dont on peut avoir besoin dans l'état de la maladie.
On peut ou remplir cet objet dans toute son étendue, ou
tenter d'abord un essai d'établissement, dont le succès puisse
conduire à l'exécution en grand. Dans le premier cas, on
construira en bon air un bâtiment spacieux divisé en loge-
ments propres et commodes, et composé de plusieurs corps
de logis entièrement séparés et distribués selon les conditions
différentes des personnes auxquelles ils sont destinés; les
uns pour les hommes, et les autres pour les femmes. Dans
chacun le service se fera uniquement par des personnes de
même sexe.
On y établira une pharmacie complète, composée des
plus excellentes drogues, et gouvernée par les hommes les
plus intelligents. On y rassemblera des médecins et des chi-
rurgiens en chefs, que Ton choisira avec tout le soin possible,
et qui seront également attirés par l'honneur de remplir de
belles places, et par les appointements qui y seront attachés.
D'autres médecins et chirurgiens en nombre suffisant, et
demeurant aussi dans la maison travailleront avec assiduité,
«t sous les yeux de leurs chefs, à la guérison des malades ;
les uns à faire exécuter les ordonnances, et les autres aux
pansements des personnes qui auront souffert quelque opé-
ration. On recevra un nombre fixe de jeunes médecins logés
et nourris pour une pension modique, qui s'empresseront sans
doute d'y venir s'y former, et qui seront en même temps
^'un grand secours par leunassiduité au chevet des malades,
~f aisant rapport au médecin ordinaire de l'effet et des ordon-
140 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
nances, et d'une infinité d'observations propres à éclairer et à.
rendre le traitement plus certain.
Deux des plus célèbres médecins de Paris viendront régu-
lièrement tous les jours, pour consulter avec ceux qui
demeureront dans l'établissement, et décider conjointement
les cas embarrassants, qui demandent une mûre délibération,
S'il arrive qu'un malade ait de la confiance dans un méde-
cin, ou chirurgien qui ne soit pas de la maison, il sera libre
de l'associer à ses frais aux médecins et chirurgiens de la
maison.
Pour prévenir les méprises et remettre toujours sous les
yeux du médecin l'état des malades, et les indications sur les-
quelles il s'est déterminé, toutes les ordonnances seront écrites,
ainsi que le régime, et placées à côté du lit des malades.
Ce sera de plus un nouveau moyen d'étude et d'observation
pour les jeunes médecins, sans compter que cette manière
de publier les ordonnances ne pourra que rendre les méde-
cins ordinaires encore plus attentifs à les méditer (1).
La chirurgie ne sera pas cultivée avec moins de soin, et
l'on ajoutera de même au nombre de chirurgiens, d'aides et
de garçons admis, et pensionnés dans la maison, d'autres
élèves payant 'aussi une très modique pension pour leur
nourriture et leur logement. Ils se formeront sous les yeux
des maîtres, et seront animés dans leurs travaux par Tezpé-
(1) On publiera chaque mois ud état abrégé do traitement et des remèdes qal auront
le mieux réussi dans les maladies courantes.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 141
rience et le désir de vaincre dans les concours ; seul moyen
par lequel les places s'obtiendront dans cette maison. Joi-
gnez à cela des gardes vigilantes et surveillées, un choix
scrupuleux d'aliments convenables, et toutes les attentions
de propreté qui peuvent prévenir le dégoût et garantir du
mauvais air. Telles sont les principales précautions qui
seront prises pour le traitement de tous les malades en
général.
On voit par ces détails que les riches auront dans cette
maison des secours prompts et continus, qu'ils ne peuvent
pas se flatter de trouver chez eux, quelle que soit leur opu-
lence ; et ces secours étant donnés à tous avec le même zèle
cet établissement contribuera au soulagement des familles,
et à la conservation des citoyens.
Mais il résultera nécessairement de cette police de la mai-
son deux avantages généraux, qui doivent frapper vivement
tout homme qui aime son semblable, et qui s'aime lui-
même.
Le premier est cette attention si nécessaire aux révolutions
momentanées qui surviennent dans l'état d'un malade. Com-
bien de fois n'est-il pas arrivé à la nature de le déclarer,
lorsqu'il n'y avait personne pour l'entendre ? Combien cet
inconvénient seul dont l'opulence même ne garantit pas tou-
jours, n'a-t-il pas fait périr de malades ? Si l'on ne peut en
accuser l'art, en est-il de la manière ordinaire de l'exercer, à
laquelle il est sinon impossible, du moins très difficile d'ob-
vier ?
142 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Le second est le progrès de Tart même de guérir. On con-
viendra que des histoires de maladies faites d'après des
observations continuées, pour ainsi dire, de moment en
moment, depuis le commencement jusqu'au terme heureux
ou malheureux, seront nécessairement plus circonstanciées,
plus exactes, et par conséquent, plus propres à l'avancement
de la médecine et de la chirurgie, que celles qui peuvent
être publiées par des médecins, qui voient d'autant plus de
malades, qu'ils sont réputés plus habiles ; et qui ne peuvent
jamais décrire toutes les maladies qu'ils ont traitées, comme
s'ils n'en avaient suivie qu'une ou deux.
La maison sera gouvernée par une administration élective
de trois ans en trois ans, et suffisamment nombreuse; mais
personne ne pourra être élu sans être associé.
L'intelligence, le zèle et l'intégrité seront les seuls titres
pour être admis, et probablement pour se présenter au goa-
vcrnement d'une maison ou Ton trouvera d'autre avantage
que de se dévouer au soulagement de l'humanité et au ser-
vice de ses concitoyens. Paris renferme un grand nombre
d'habitants éclairés, riches et bienfaisants, qui se tiendront
honorés d'un choix qui portera témoignage de leur probité
et de leur zèle pour le bien public.
On n'aura droit au secours de cette maison, que quand
on se sera fait recevoir parmi les associés; et pour avoir
égard à 'la différence des conditions et des moyens, on éta-
blira cinq classes qui paieront plus ou moins, non pour le
traitement de leurs maladies (car il sera fait dans toutes les
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 143
classes avec le même sein) ; mais pour ces commodités arbi-
traires qui varient selon les états, et qui ne sont nécessaires
qu'à ceux qui ont Thabitude d'en jouir. Au moyen de cet
arrangement, le plus riche et le moins aisé seront admis avec
le même droit sans être ni confondus ni négligés. Chacun se
trouvera logé et servi comme il le serait dans sa propre mai-
son, mais toujours traité avec plus d'intelligence et de soin,
et beaucoup moins de frais, comme on le verra bientôt.
Chaque associé de la première classe occupera un appar-
tement complet, et sera meublé et servi d'une manière
convenable à son logement. Ceux de la seconde classe
auront une chambre séparée; ceux de la troisième seront
des chambres à deux ou trois lits ; la quatrième sera distri-
buée dans les salles à douze lits, et la cinquième dans des
salles de trente lits, dans lesquels les malades ne seront
jamais qu'un à un. Chacun de ces lits sera même renfermé
dans une séparation qui formera comme une petite chambre.
Ainsi tout associé délivré d'inquiétude pour le traitement
des maladies qui peuvent lui survenir, pour les opérations
de chirurgie dont il peut avoir besoin, et même pour sa
subsistance pendant ces temps où son travail est suspendu,
n'aura plus de soin à donner qu'au rétablissement de sa
santé.
Ce qu'il en coûtera pour se faire associer sera suffisant
pour l'établissement en grand du projet qu'on propose, et
n'excédera pas les facultés des citoyens les moins aisés.
C'est une chose méditée de longue maiu, et fondée sur des
144 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
supputations très exactes. On a même lieu d'espérer que les
frais de cet établissement étant une fois faits, on pourra
rendre les conditions des associés encore plus favorable,
attendu qu'on a été obligé d'évaluer la dépense au plus
haut, afin d'être assuré de toutes sortes de cas de pouvoir
tenir les engagements qu'on aura pris avec le public.
Voici la table des différents prix qui paieraient les associés
suivant leurs âges et leurs classes. On voit qu'on ne pourra
commencer à s'associer que depuis quinze ans jusqu'à
soixante', mais le prix de l'association ne changera jamais
pour ceux qui seront exacts à la continuer ; il restera tel
qu'il était quand ils sont ^i -"* leur association n'aura
d'autre terme que celui de leuu ^ Jn propose aux maîtres
qui voudront s'associer pour toute leur maison, un avantage
sur tous les autres associés, celui de ne payer par tète de
tous âges comprise dans leur souscription, que le prix ûxé
pour la classe de quinze à trente-cinq ans.
Les Bssociéi
Sallei
Salles
Chambre
Chambre
Appar-
paieront par moii.
à 30 lits.
àt21it8.
à 3 lits.
à 1 lit.
tements.
de i5 ans à 35 ans.
a51.
.3ol.
40 1.
3 1. »» S.
5 1. »>f S
de 35 ans à 4o ans.
a61.
32 1.
431.
3 1. 4 8.
5 1. 8 S
de 4o ans à 45 ans.
27 1.
341.
461.
31. 8 s.
5 1. 16 S
de 45 ans à 5o ans.
!l81.
36 1.
49 1.
3 1. la s.
61. 4 s
de 5o ans à 55 ans.
^91.
38 1.
5a 1.
3 1. 16 s.
6 1. la S
de 55 ans à 60 ans. 3o 1. ^o 1. 55 1. 4 1* ^^> s. 7 1. )>» s.
Les associés paieront par mois tant en santé qu'en
maladie. Cette manière a paru la plus convenable pour
eux, soit à cause de la plus grande facilité qu'ils trouveront
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 145
à faire leurs paiements^ soit afin qu'ils ne se mettent point
en avance avec l'établissement, ni dans le cas d'avoir
aucune répartition à faire, quelqu'événement qui puisse
arriver.
Pour cela ils porteront de mois en mois leur contingent
chez un des notaires ci-après nommés, où il restera en
dépôt jusqu'à la fin du mois pour lequel il sera donné :
ceux qui trouveraient plus commode de payer une année
d'avance, seront libres de remettre la somme entière aux
notaires qui ne s'en dessaisiront de même que de mois en
mois révolu. Ils en recevront, en payant le premier mois,
un billet d'association da^- if jforme capable de prévenir
toute équivoque et toutW . , j%ie\
Sur ce billet accompagné des autres quittances de mois
en mois, s'il y en a plusieurs d'écoulés depuis la date, ils
seront admis, en cas de maladie, à occuper leur logement
dans la maison.
On propose quelques conditions que la prudence suggère,
et que l'équité doit faire agréer. C'est : !<> qu'il y ait du
moins un mois d'intervalle entre la date du billet d'associa-
tion et le jour qu'on se présente à la maison, pour la
première fois seulement ; 2*» qu'en cas qu'on ait cessé de
fournir son billet et qu'on en reprenne un autre, on paie
le double de sa valeur, la première fois seulement ; 3"" qu'en
pareil cas on subisse l'intervalle du mois prescrit comme si
l'on était nouvellement associé. La valeur du billet d'associa-
tion est si modique, et les autres peines de la négligence,
lO
146 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
sont si justes et si légères ; qu'elles ne doivent rebuter
personne. Si les billets ne s'éteignaient par la négligence à
les nourrir, il serait impossible de connaître et les associa-
tions et les places vacantes.
Les corps ou communautés qui voudront s'associer,
paieront chaque mois, dans quelque classe que ce soit, pour
les maîtres, apprentis, ouvriers, et même leurs domestiques,
cinq sols par \êle de moins que les autres particuliers ; et,
alors, les syndics, ou les députés élus par chaque corps,
feront la recette des associés de la communauté^ et remet-
tront immédiatement au trésorier de rétablissement les
sommes qu'ils auront reçues, et pour la satisfaction com-
mune, un de ces syndics sera, chaque année, admis au
nombre des administrateurs.
II y aura des lieux éloignés et séparés pour les maladies
contagieuses ci pour les grossesses; on exigera seulement
des femmes enceintes au moins neuf mois d'association, et
l'on donnera la préférence entre elles et celles dont les
maris seront associés. Les seules maladies exclusives de
l'association seront les maladies vénériennes et les maux
incurables (1) ; mais en cas d'exclusion pour des maux
(1) On sait qu'il serait impossible dans les première momenls H*an pareH éta-
blissement, de se charger des incurables, dont un seul, sans espoir de gnérison,
priverait de secours plusieurs citoyens qui pourraient roblenir. SuccessÎTement :
ainsi on est obligé de les exclura jusqu'à ce que TempressemeDl du public pi:or
l'association présente, nous engage à lui présenter un projet que nous méditons d'une
maison particulière où on les > ecevrait par la suite.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 147
incurables, et jugés tels par consultation des médecins, on
rendra à l'associé qui en sera attaqué toutes les sommes
qu'il pourrait avoir payées pour son association pendant
tout le temps qu'elle a duré, quand même il aurait déjà
profité des secours de la maison dans les maladies précé-
dentes.
Combien ces secours ne leur auront-ils pas épargné de
dépense ? Car ce n'est pas communément en se déclarant
qu'une maladie parait incurable ; ce n'esl qu'après plusieurs
atteintes qu'elle se fixe dans cet état fâcheux, qui s'adoucira
encore en ceux qui auront le malheur de s'y trouver, par la
restitution entière de tout ce qu'ils pourront avoir déboursé
peu à peu depuis le jour de leur association jusqu'au moment
de leur incurabilité constatée.
Toute maladie, à l'exclusion des cas ci- dessus spécifiés,
qui sera accompagnée de fièvre ou qui exigera une opération,
donnera à Tassocié qui en sera attaqué le droit de se faire
transporter dans la maison, et d'y occuper un lit, une cham-
bre, ou un appartement selon la classe dans laquelle il sera
inscrit; et Ton ne pourra jamais, sous quelque prétexte que
ce puisse être, l'obliger de quitter la maison, qu'il ne soit
parfaitement guéri, ou déclaré incurable : on ne pourra non
plus jamais refuser la maison à un associé sorti de maladie,
et qui y retombera immédiatement, quelque longues et fré-
quentes que soient ses rechutes, soit qu'il y ait de sa faute,
ou non.
On donnera à tous les malades étrangers, ou autres, une
148 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
reconnaissance des effets qu'ils pourront avoir déposés dans
la maison, et ces effets seront portés sur un registre pour
leur être rendus, soit à eux mêmes lorsqu'ils seront guéris,
soit à ceux qui les représenteront dans la supposition con-
traire. Tout le temps qu'un associé restera malade dans la
maison, il sera visité, traité, nourri, médicament, éclairé,
chauffé, blanchi, etc., avec le plus grand soin jusqu'à son
entière guérison, il jouira de toutes les commodités particu-
ières à sa classe, sans aucune exclusion ni préférence pour
qui que ce soit.
S'il a besoin de quelque opération de chirurgie, elle lui
sera faite sur la délibération signée des médecins et chirur-
giens qui le traiteront, sans que pour quelque opération, ou
quelque traitement dont il ait besoin, et quelque durée que
puisse avoir sa maladie, on puisse lui demander au-delà de
son contingent ordinaire d'association, la même seulement
qu'il payait en parfaite santé.
Dans le cas extraordinaire où une épidémie augmentant
brusquement le nombre des malades, la maison ne serait pas
suffisante pour loger tous les associés qui se présenteraient,
elle sera tenue de leur fournir chez eux les mêmes secours
qu'elle leur doit en médecins et chirurgiens, médicaments,
bouillons et nourritures. Mais, dans toutes autres circons-
tances, s'il arrive que les associés malades préfèrent de rester
chez eux, il ne leur sera fourni que les médecins, chirurgiens
et médicaments ; la nourriture restera à leurs frais, à moins
que dans des cas particuliers, l'administration qui ne sera
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 149
animée que par l'amour du bien public, ne juge qu'il soit à
propos de laisser le malade aux soins d'une famille à qui sa
préférence pourrait être nécessaire, soit pour sa propre con-
solation, soit pour la conduite d'un travail qu'il peut diriger
de son lit, soit pour le soutien de sa famille.
Dans les cas pressants, comme aussi dans ceux où le
malade, sans avoir besoin d'occuper un lit dans la maison,
serait cependant hors d'état de s'y transporter pour consulter
les médecins, il lui sera provisoirement fourni par la maison
les remèdes nécessaires. Pour remplir cet engagement la
maison donnera des honoraires à des médecins et à des
chirurgiens en différents quartiers de Paris.
Ceux qui, faisant leur séjour ordinaire dans les provinces,
sentiront tout l'avantage qu'il y aurait à participer aux pri-
vilèges de l'association, dans ces circonstances fâcheuses qui
demandent des secours qu'on ne trouve que dans la capitale,
et qu'on est si souvent obfigé d'y venir chercher, se procu-
reront les conseils des plus célèbres médecins et la main des
chirurgiens les plus habiles, dans la maison même, où ils
seront reçus et traités en cas de maladies chroniques : on
exige seulement qu'ils ne trouvent point mauvais qu'on
prenne avec eux une précaution qu'il est si raisonnable de
prendre indistinctivement avec tous, c'est de s'assurer qu'ils
étaient en santé lorsqu'ils se sont associés. L'éloignement
empêchant ces associés étrangers de tirer un secours de la
maison dans les maladies courantes, ils ne paieront que moi-
tié des associés ordinaires ; mais comme l'établissement ne
150 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
peut s'étendre dans le commencement qu'à un certain nom-
bre d'intéressés, on préférera ceux qui se présenteront les
premiers par les personnes qu'ils commettront auprès des
notaires indiqués chez lesquels on ira prendre date pour eux.
A l'égard des personnes qui étant tombées malades sans
avoir acquis droit à l'association, voudront être reçues dans
la maison, elles ne pourront l'être qu'en qualité d'externes,
et elles paieront par jour et d'avance les prix marqués
ci-après. Mais comme ils n'auront aucun droit à la maison,
on ne les recevra qu'autant qu'il y aura dans la classe qu'ils
auront choisie, des logements au delà du nombre d'associés
qui peuvent se présenter pour les remplir.
On a tant de confiance dans l'efficacité des secours qui
seront procurés à tous, qu'on propose aux externes attaqués
de maladies aiguës, qui n'auront point encore fait de remèdes,
et à ceux qui seront dans le cas d'opérations chirurgicales,
d'entrer dans la maison en donnant cautions pour toute la
durée de leur résidence, à la condition qu'il sera payé le
quart du prix ordinaire en sus, s'ils guérissent, et qu'il ne sera
rien payé du tout s'ils meurent.
Les externes de la première classe paieront par jour. 7 1. s.
— la seconde classe 5 1. s.
— la troisième classe 3 1. 10 s.
— la quatrième classe 2 1. 10 s.
— la cinquième classe 2 1. s.
Dans la suite, lorsque l'établissement aura pris toute la
saveur, et toute la solidité qu'on a lieu d'espérer de son
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 151
importaoce, et de ses avantages, on pourra de diverses manié--
res se procurer le droit aux secours de l'association. Il y aura
des abonnements à vie, des abonnements à temps ; il y aura
encore des tarifs particuliers pour ceux qui avec une légère
addition à leur contingent, voudront s'acquérir dans la mai-
son le droit de retraite perpétuelle en cas de maladie incu-
rable ou de caducité ; ainsi cette maison pourra devenir une
ressource pour ceux mêmes qui auront été exclus de la pre-
mière association.
Aucun citoyen de quelque condition qu'il soit, ne peut
avoir d'éloignement pour un établissement de cette nature ;
car Texposé que nous venons d'en donner, fait voir que la
décence en est la base. L'établissement appartenant en pro-
pre au corps des associés, il n'y aura rien de gratuit dans
Fassistance qu'ils en recevront ; si le besoin les oblige de cher-
cher un asile dans la maison, ils y seront chez eux, les soins
qu'on leur rendra seront une dette qu'ils pourront exiger, le
fond de l'établissement sera le leur.
On n'y recevra ni dons, ni legs, ni fondation : nul ne
pourra donner au delà de son contingent ; toutes récom-
penses reçues par ceux qui environnent les malades, à quel-
que titre et sous quelque prétexte que ce puisse être, seront
traitées d'exactions ; comme elles deviendront le germe d'une
corruption dangereuse, on exigera des associés de n'y donner
aucun lieu ; et pour que leur droit ne puisse jamais soufifrir
la moindre altération, ni leur délicatesse, la moindre inquié-
tude, la maison même n'acceptera rien de qui que ce soit.
152 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
hors sa protection du souverain, qu'il sera supplié d'accorder
par lettres Lettres-Patentes, aussitôt que l'expérience aura
fait connaître les meilleurs constitutions qu'on puisse donner
a l'établissement, afin que l'autorité royale les rende irrévo-
cables et inaltérables.
L'établissement n'ayant d'autre fonds que le contingent des
associés, il nei sera point honteux de recevoir des secours
qu'on aura payés d'avance. On ne deora rien à la commi-
sération des autres ; car chacun n'aura en vue que son
propre i^itérêt. Tous concou7^ent en commun à établir
des fonds f parce qiiaucu7i ne peut être assuré d'une santé
constante ; et si ceux qui so7it a^sez heureux pour n'être
pas dans le ca^ d'y avoir recours^ four^iissent à l'associar-
tio7i plus qu'elle ne leur rend, ils jouissent de l'avantage
d'eiivisager une asile qui peut d'un jour à l'autre devenir*
nécessaii^e : et par là ils sont exempts de bien des inquié-
tudes. Si quand je me porte bie^i^ je paie par le prix
modique de mon associât ion y pour celui qui soufflée y il en
fait autayit pour moi da^is le même cas. C'est la loi
générale de l'humanité mise eyi exécution d'une manière
prxidente et déte^^miyiée ; c'est le bieyi de la société civile
éteyidu à une circonstafice encore plus nécessaire que
toutes celles auxquelles elle a pou7^u jusqu'ici.
En un mot, cette association comme toutes celles dans
lesquelles on se fait honneur d'entrer est une communauié
de fonds établie pour les besoiîts de toUrS les membres. Peut-il
donc y avoir une condition pour laquelle il ne soit pas honnête
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 153
de jouir des avantages qu'elle se procure elle-même ?
Cet établissement n'est pas tout à fait une nouveauté ; il
s'exécute en partie à Lyon, à Châlons-sur-Saône, à Beaune,
à Besançon, etc., mais avec moins de décence par la
réunion de ces établissements, avec les hôpitaux ; ce qui n'a
point empêché des personnes de la première condition de s'y
faire transporter pour y jouir de secours plus continus, plus
sûrs, et plus réunis que ceux que l'opulence leur promettait
dans leur domestique.
Il est évident qu'une entreprise de cette importance ne
peut se commencer sans le secours de ceux à qui la Provi-
dence a donné la richesse accompagné du zèle du bien public :
et nous avertissons avec plaisir qu'il s'est trouvé des âmes
sensibles qui non contentes d'accorder leur protection à notre
projet, sont toutes prêtes à contribuer aux sommes néces-
saires pour en commencer l'exécution.
Il s'agit de jeter les premiers fondements d'un établisse-
ment du goût du public et du nombre des souscripteurs. Les
sommes que des personnes également bien intentionnées
pourront nous offrir, ne seront acceptées qu'à titre de prêt.
Une condition qu'on s'imposera volontiers, c'est de les
mettre en état de juger et de l'emploi de leurs fonds, et du
temps où ils en peuvent espérer la rentrée.
On s'est assuré des maisons propres à recevoir les mala-
des; on les indiquera aussitôt qu'on aura fait un nombre
suffisant de souscriptions. Alors les portes en seront ouvertes,
et tout particulier sera reçu à donner ses avis sur la distri-
154 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
bution d'une maison dont il peut devenir un des proprié-
tairee par l'association.
L'administration jouira au nom des associés, et sous les
yeux des magistrats, du droit qu'ils ont eux-mêmes d'acqué-
rir et d'aliéner suivant l'exigence des cas. Ainsi les épargnes
faites sur la somme que paie chaque associé dans les années
favorables, ou il y aura eu peu de malades, seront placés, soit
pour parvenir promptement à l'exécution en grand, soit
pour servir de ressources dans les années de disgrâce, en
faisant des aliénations jusqu'à concurrence dos besoins. Car
il n'est pas question de former une maison riche, mais de la
rendre capable de remplir en tous temps les engagements
mutuels que les membr^esde V association contractent de
soulager aux dépens de tous, ceujo d'entre eiuic qui tom^
bent malades.
Les associés étant tous propriétaires par indivis des fonds
de l'établissement, il n'y en a point qui ne soit en droit d'en
prendre connaissance. Aussi l'administration se fera-t-elle
un devoir de rendre toits les ans au public un compte
exact des progrès de Va^sociation, de ses dépenses et de
son produit. On verra dans un état imprimé, qui se distri-
buera au commencement de janvier, le nombre des associés
dans chaque classe, la quantité de malades qui, pendant
l'année, seront entrés dans la maison, le nombre de ceux
qui y ont recouvré la santé, les frais qu'il on a coûté, soit
pour les soigner, soit pour les autres dépenses de l'établisse-
ment ; enfin ce qui reste de fonds dans la caisse de l'associa-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 155
tion. Cet icsage sert le fondement de la confiance du
public. On sera peut-être étonné des avantages que nous
nous affectons de procurer par cet établissement. Mais si Ton
réfléchit sur ce que nous avons exposé au commencement
de ce Mémoire, où nous avons fait voir combien il y a peu
de citoyens qui puissent dans le cas de maladie s'assurer tous
les secours qui leur sont nécessaires, on concevra que le
nombre des associés doit devenir considérable^ et que les
sommes qu'ils fourniront ne peuvent manquer d'excéder les
dépenses auxquelles l'établissement sera engagé.
Car on sait panr les observations des médecins, que sur un
nombre donné d'hommes, il a par année, l'une portant
l'autre, tant de malades. Les mêmes (^servations fournis-
sent encore les moyens d'évaluer, on général, la durée des
maladies, et les frais qu'elles entraînent. Ainsi, la possibilité
de l'établissement que nous proposons, porte sur des sup-
positions qui ont leur fondement dans la proportion donnée
par l'expérience entre le nombre des associés, celui des
malades, et les sommes destinées à les secourir.
Il y a des établissements utiles dans leur origine qui
deviennent à charge par lesjabus qui s'y introduisent. Celui-
ci, par sa constitution, est tel, que ne pouvant subsister que
par l'intérêt que le public y prendra, il doit nécessairement
tomber de lui-même dès qu'il cessera d'être avantageux :
totalement volontaire, il ne peut être onéreux à personne ;
et réunissant la décence et la modicité, des frais, il sera
accessible à tous les ordres des citoyens.
156 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Les secours qu'on y trouvera ne s'étendent pas au delà du
temps du véritable besoin, ne pourront entretenir l'oisiveté.
Leur efficacité rendra les maladies plus courtes et en pré-
viendra même de plus dangereuses, parce qu'on ne sera pas
dans la nécessité d'attendre l'extrémité pour avoir recours
aux remèdes, et qu'au contraire, on aura des secours dès
qu'on se sentira indisposé. Par là, les services que chacun
doit à la patrie, seront moins longtemps suspendus ; on ne
verra plus des familles d'artisans se ruiner par la longueur
et les frais excessifs des maladies, et des citoyens qui pour-
raient être les soutiens de l'État, en devenir le fardeau.
Ceux qui en approuveront le projet, et qui seront disposés
à entrer dans l'association, sont priés de s'inscrire chez les
notaires ci-après indiqués, en leur faisant remettre un billet
signé d'eux, dans lequel ils auraient soin de marquer le
nombre des places d'associés qu'ils demandent, et les classes
où ils les choisissent. Les notaires n'exigeront rien pour le
dépôt de ces billets. Quoique ces espèces de souscriptions ne
soient nullement obligatoires, c'est cependant sur le nombre
qu'on en pourra faire que les personnes qui le proposent en
hâteront l'exécution. Les mille premiers souscrivants regar-
dés comme fondateurs, seront dispensés à ce titre de nour-
rir leur association au delà des dix premières années révo-
lues.
A l'égard de la contribution, les associés ne commence-
ront à la payer que quand les maisons se trouvant en état
de recevoir des malades, on pourra distribuer des billets
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 157
d'association qui seront le titre^ en vertu duquel on ysera
reçu. Un essai d'établissement demande qu'on se borne
d'abord à un certain nombre. On préférera, comme il est
juste, les premiers en date, les autres seront remis au temps
du grand établissement.
Il ne nous reste plus qu'à prier les personnes éclairées,
zélées pour le bien public, et animés des mêmes sentiments
qui ont suggéré ce projet, d'examiner avec attention le plan
qu'on vient de remettre sous leurs yeux, et de nous commu-
niquer, soit par la voie des mêmes notaires, soit par les
écrits et papiers qui paraissent périodiquement, les observa-
tions utiles qu'ils pourront faire sur le projet en général, ou
sur quelque partie de son exécution.
Additions
Et Éclaircissements au Plan d'une Maison d'Asso-
ciation, dans laquelle au moyen d'une somme
très modique, chaque associé s'assurera dans
l'état de maladie toutes les sortes de secours qu'on
peut désirer.
L'approbation que le public vient de donner à ce plan
d'association, est l'encouragement le plus flatteur que nous
puissions recevoir. Malgré le reproche que l'on fait aux
Français de leur amour excessif pour la nouveauté, on a vu
dans tous les temps les meilleurs et les plus solides établis-
sements souflrir d'abord des grandes difficultés, quelquefois
même être rejetés, pour la seule raison que c'était des nou-
veautés.
Il ne serait pas difficile à ceux dont l'occupation est de
développer les ressorts de l'esprit humain, de justifier notre
nation sur cette inèonséquence apparente ; en reprochant les
faits, ils feraient voir clairement que cet empressement avide
qu'on lui attribue pour tout ce qui porte le caractère de
nouveauté, ne parait aveugle que sur les choses de pur agré-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 159
menty dont les suites ne sont point dangereuses ; mais que
lorsqu'il s'agit d'un projet sérieux, intéressant, utile, elle
veut en connaître tous les avantages avant que de l'adopter.
On ne trouvera peut-être pas chez les peuples de l'anti-
quité, les plus célèbres par leur sagesse, une conduite plus
conforme à la raison et au bien public. C'est donc pour satis*
faire nos concitoyens sur les précautions légitimes que leur
prudence et leur délicatesse peuvent exiger, que pénétrés de
reconnaissances pour les premières marques de bonté dont
ils honorent notre entreprise, nous croyons leur devoir des
éclaircissements qui n'ont pu trouver place dans le court
espace du premier plan d'association. Nous nous flattons
d'avoir tout prévu ; mais nous étions bien assurés de n'avoir
pas tout dit.
Nous répondrons en môme temps à quelques objections
qui nous sont revenues, en priant instammnnt ceux qui pour-
ront en imaginer de nouvelles, de les faire passer jusqu'à
nous, soit par la voie des journaux, ou de la manière qui
leur conviendra le mieux. La vérité sera tellement notre
guide, que n'ayant aucun intérêt d'éluder les difficultés,
nous souscrirons de bonne foi à celles que nous ne pourrons
résoudre, et que nous profitons en ces occasions des lumières
que Ton voudra bien nous suggérer.
En formant le projet, nous sommes bien éloignés de
penser que dans l'ordre des simples citoyens, un seul puisse
devenir utile à tous. Ce bonheur suprême n'est réservé
qu'aux suites des nations ; aucun particulier ne pourrait y
160 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
prétendre, sans un orgueil chimérique et inseiisé ; <^t si le
public attache honneur à cette entreprise^ chaque associé par
sa souscription en partagera la gloire avec les instituteurs.
Chez tous les peuples, même les moins policés, il s'est
trouvé des hommes sensibles aux maux de Thumanité, qui
ont détaché une portion de leur bien pour le soulagement des
misérables. De là sont nés ces établissements si respectables
et si utiles, mais dont la dénomination révolte ceux auxquels
il reste de leur éducation quelques sentiments d'amour-
propre et de décence, toujours blessés en recevant des
secours, titre de charité. Pour vaincre cette difficulté, et
répandre sur tous les états, les secours d'une nécessité indis-
pensable, dans les temps d'infirmités et de i i^'es, il
fallait chez une nation où l'honneur est aussi cher aue délicat,
que ces secours fussent réciproques et indépendants, c'est de
ce point de vue que nous sommes partis, et qu'à près des
méditations de plusieurs années, nous avons formé le plan
dont nous avons fait part au public.
C'est le premier établissement que la nation se sera donné
à elle-même, puisque c'est du concours de l'intérêt et du
bien de chaque associé que résultera le bien général que
nous proposons. Pour oser mettre au jour un projet qui
demande autant de réflexions pour en saisir toute l'utilité, il
fallait vivre dans un siècle aussi éclairé que celui-ci, et sous
le règne d'un Monarque toujours disposé à accorder sa pro-
tection à ce que les sujets pourront se procurer d'avantageux
pour eux-mêmes, et d'honorables pour la nation.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 161
La jlics forte objection est Vètonnement qui résulte de
Vètendue de nos engagementSy composée avec la médio-
crité de la rétribution de chaque associé. On a peine à
s'imaginer qu'avec si peu on fasse tant de choses. Rien
cependant n'est plus aisé à comprendre.
L'exécution de ce plan est fondée sur deux vérités prou-
vées par une expérience constante et uniforme. La première,
que sur cent personnes prises indifféremment, il n'y en a pas
plus de douze malades dans le cours d'une année.
La seconde, que toutes les maladies l'une dans l'autre, ne
font jamais de plus d'un mois.
La preuve de la première proposition se tire d'un relevé
exact c egistres des administ^^ations de sacrements qui
se conser-lînt dans quelques paroisses. On a trouvé que le
nombre des administrations à Saint-Eustache ne monte,
année commune, qu'à onze à douze cent. Saint-Sulpice n'a
pas un dixième de paroissiens de plus que Saint-Eustache ;
ainsi on ne pourrait se tromper en y comptant treize ou
quatorze cent administrations de Sacrements par an.
Mais augmentons encore ce nombre, et supposons que
dans les deux paroisses de Saint-Eustache et de Saint-SuIpice^
VOD porté les sacrements aux malades trois mille fois par an.
conviendra aisément qu'il y a environ un tiers de mala-
- , de maladies graves qui reçoivent leurs sacrements, ainsi
^ces deux paroisses il y aurailpar an neuf mille malades de
iladies sérieuses, et quand on voudrait qu'il n'y eût que le
quart de ces malades qui reçussent leurs sacrements, il s'en-
II
162 ON PHILANTHROPE MÉCONNU
suivrait toujours que les deux paroisses dont on vient de
parler, ne donneraient par an que douze mille véritables
maladies. Or il n'y a personne qui ne sache que les deux
paroisses de Saint-Eustache et de Saint-Sulpice sont plus du
quart de Paris ; supposons cependant, qu'elles n'en font exac-
tement que le quart. Voilà donc dans tout Paris où Ton
compte 800.000 habitants, 48.000 malades seulement. Or,
48.000 est à 800.000 comme 6 est à 100, et non pas comme 12.
D'où il suit que l'expérience ne nous donne que six malades
sur cent personnes, au lieu que nous en comptons douze.
Il est vrai que nous ne comptons ici que les maladies gra-
ves, et qu'il faut encore ajouter les indispositions pour
lesquelles on n'a pas besoin de s'aliter, mais qui exigent
quelques remèdes. Ces indispositions sont du double plus
nombreuses que les maladies ; ainsi Paris nous donne
48.000 malades par an, il faudra compter sur 96.000 indis-
positions, outre les maladies. Nous ferons voir bientôt que
notre établissement fournit abondamment de quoi procurer
dans ces indispositions tous les secours dont on peut avoir
besoin ; mais ici nous ne parlons que des malades qui exi-
geront un lit dans la maison.
La preuve de la seconde proposition est encore fondée
sur l'expérience ; et, pour s'en convaincre, il ne faut pas
jeter les yeux sur le calcul que l'on a fait des malades qui
sout entrés à la Charité dans le temps que cette maison
n'avait que 160 lits ; on verra qu'avec ces 160 lits, elle en
a reçu dans le cours de douze années vingt-sept mille ; ce
UN PHILANTHROPE BfÉCONNU 163
qui, par année commune, fait 2.250 ; or, il est démontré que
si les maladies eussent été toutes d'un mois entier,
l'une dans l'autre, on n'aurait pu recevoir par an que 1.920
malades ; ce qui prouve que les maladies l'une dans
l'autre, ne sont pas même d'un mois. Et l'on ose se
flatter d'en abréger encore la durée par les soihs et la pré-
sence continuelle de ceux de qui les malades attendent leurs
secours, par la précaution d'employer tous les moyens de
renouveler l'air dans les salles, puisque l'intervalle qui se
trouvera entre chaque lit donnera une colonne d'air suffisant
pour empêcher la communication d'un malade à un autre.
De ces deux vérités appuyées sur l'expérience, il suit que
cent personnes ne donneront jamais plus de douze mois de
maladies, et qu'ainsi un lit doit naturellement suffire à cent
personnes. Inutilement objecterait-on que plusieurs peuvent
être malades à la fois. Plus l'association sera nombreuse, et
moins cet inconvénient sera à craindre. D'ailleurs, c'est
l'affaire de ceux qui président à cet établissement, de fournir
des lits à tous ceux envers lesquels ils se seront engagés.
Ils se proposent pour cela d'en avoir un certain nombre
prêts à placer dans le cas d'une épidémie générale qui
dérangerait cette proportion qui, ordinairement, ne varie
point.
Si un lit suffit pour ceiit personnes, mille personne^,
n'occuperont que dix lits, et dix mille personnes cent lits. Il
n'est pas besoin d'avertir que nous entendons parler ici de
cent lits pleins pendant toute l'année.
164 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Ne supposons maintenant les dix mille associés dont nous
parlons que de la dernière classe, et ne prenons d'eux que
vingt-cinq sols par mois, ils nous donneront douze mille
cinq livres par mois, ce qui fait cinquante mille écus par
an.
Or, nous venons de faire voir que cette somme sera
employée à soigner cent lits, qui étant toujours pleins nous
donnent douze cents malades dans le cours de l'année ; ainsi
chaque lit aura 1500 livres de revenus, chaque malade 125
livres à dépenser par mois, et 4 livres, 3 sols, 6 deniers par
jour.
Le même nombre de mille associés dans la troisième classe
donnera 2.000 livres par mois, 24.000 livres par an, et pour
chaque lit 200 livres par mois, et 6 livres 13 sols par jour.
Les mêmes mille associés dans la quatrième classe pro-
duiront 3.000 livres par mois et 36.000 livres par an ; ce qui
donne à chaque lit 3.600 livres par an, 300 livres par mois et
10 livres par jour.
Enfin la classe des appartements, toujours sur le pied de
mille associés donnerait 60.000 livres par an, 6.000 livres
pour chaque appartement, 500 livres par mois et 16 livres
12 sols par jour. Le nombre des associés pour les apparte-
ments peut n'être pas, à beaucoup près, si grand ; mais la
proportion étant toujours la même, les revenus de chacun
doit aussi être toujours le même.
Nous allons comparer dans la table suivante les produits
et la dépense de notre établissement, en supposant l'associa-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 165
tion composée de dix mille deux cents personnes distribuées
ainsi qu'on va le voir. On y suppose la dépense de chaque
lit qu'à la moitié du revenu dont il jouit, et nous serons en
état de prouver par d'autres tables que nous donnerons dans
la suite, si le public le désire, que cette dépense est plus que
suffisante. Il importe seulement quant à présent de rappeler
deux choses : 1" Qu'à Thôpital de la Charité, dont le public
est content, Ton fonde un lit moyennant 10.000 livres, qui
ne peuvent produire 500 livres de rente, attendu les droits
d'amortissements qu'il faut prélever ; 2** Que les secours et
les soins vraiment utiles étant les mêmes pour toutes les
classes, le fond de la dépense doit être toujours le même, et
qu'ainsi Texcédent que l'on donnera pour les commodités de
simple agrénjent, sera supérieur de beaucoup aux dépenses
que ces commodités occasionneront à la maison (1).
L'hospice fera donc un bénéfice considérable sur les
associés. Ce bénéfice ne peut être incertain que pour ceux
qui ne considèrent pas qu*un gain qui est comme 1, et qui
est perçu dix mille fois, est aussi grand et plus sûr qu'un
gain qui est comme dix mille, et qui n'est perçu qu'une fois.
Nous disons que ce gain est plus sûr, parce que les caprices
du sort peuvent en un instant perdre tout d'un côté et
ruiner le plus magnifique établissement, et qu'ils ne peu-
vent de l'autre que diminuer le* bénéfice de quelques
milièmes parties, diminution incapable d'ébranler un éta-
it) Voyez U Table à la Ad.
166 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
blissement fondé sur des principes tels que ceux que nous
avons posés.
Mais on dit : a Un associé qui a payé pendant un seul mois
1 liv. 10 sols ou 3 liv., etc., suivant la classe qu'il a choisie,
peut se faire transporter dans la maison, et lui coûter 150
liv. pour une seule maladie d'un mois. Il faut bien que
cette dépense vienne d'une autre contribution que la
sienne ». De là naissent dans les esprits, et l'idée de secours
gratuits dont la délicatesse de l'amour-propre est blessée,
et peut-être la répugnance de s'associer : ce qui forme la
seconde objection.
On ne veut pas faire attention que rétablissement pro-
posé est une sorte de loterie dont la chance heureuse est
la santéy sans que la maladie soit une chance humiliante.
Celui qui n'*ayant rien que vingt sols à une loterie^
gagne 10,000 livr^eSy croit n'avoir et n'a réellement
aucune obligation à ceux dont les billets n'ont pas porté,
La comparaison est exacte. Quels que soient les secours
qu'un associé reçoit, de la maison dans l'état de maladie,
quelques dépenses qu'on ait faites pour lui, il n'est pas moins
fondateur, il n'est pas moins propriétaire de l'hospice que
les souscripteurs qui ont été assez heureux pour n'en avoir
pas besoin.
Ces secours étrangers dont l'amour-propre s'alarme si
mal à propos, ces avantages qu'un malade tirera de son
association, et qu'il ne pourrait se procurer cLez soi que par
des dépenses considérables, et fort au dessus de ses facultés
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 167
actuelles, deviennent donc l'éloge le plus complet de notre
projet. Mais si les avantages de la maisoil sont si considé-
rables 'pour les associés, et les bénéfices de l'association si
considérables pour la maison en calculant seulement d'après
un nombre de 10,200 associés, comme nous l'avons déjà
supposé dans l'état de dépense et de recette que nous avons
donné ; que ne deviendront point ces avantages et ces béné-
fices dans la supposition naturelle d'un nombre double ou
triple ? Il est évident que la maison faisant un petit bénéfice
sur chaque associé, plus il y aura d'associés, plus cçs béné-
fices légers seront réitérés ; plus la somme en sera grande,
plus la maison sera riche ; plus l'établissement s'avancera à
sa perfection.
Mais cette considération fait naître une troisième objection,
diamétralement contraire à la première. On craignait d'abord
que la maison ne fut pas assez riche pour se soutenir, et l'on
craint maintenant qu'elle ne le soit de trop. On demande
l'emploi de ce surplus de recettes, et malheur à nous si cette
question nous offensait.
Nous répondrons qu'il sera employé, sous les yeux du
public, et avec l'agrément des associés, en améliorations
nécessaires, jusqu'à ce que la maison ait prit l'état de con-
sistance le plus parfait. Dans la suite, le bénéfice annuel
accumulé^ servira à fournir des secours et à préparer une
retraite à ceux des associés qui tomberont dans Vétat de
caducité et dHncurabilité,
Ainsi les associés, après avoir été fondateurs, auront encore
168 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
le bonheur de devenir bienfaiteurs les uns des autres, tous
restant également propriétaires. Enfin, Ton parviendra à
baisser le prix des associations, pour la plus grande commo-
dité des citoyens, où à former quelqu'autre établissement
utile que Tamour du bien public pourra nous suggérer, après
toutefois que nous aurions pris l'avis de l'association repré-
sentée par des députés et syndics de tous les corps associés
dans l'assemblée générale qui se fera tous les ans.
Quatrième objection. On s'est borné dans le commence-
ment à dix mille associés, et c'est sur ce nombre que sont
fondés tous les calculs qui précèdent; mais s'il ne s'en
présentait pas dix mille, l'établissement n'aurait donc point
son exécution. Nous pouvons répondre avec confiance que
l'accueil du ministère, prouvé par les souscriptions de quel-
ques-uns de ses membres, que l'approbation des grands et de
cette portion de citoyens faits pour éclairer les autres ; en un
mot que le concours et l'empressement du public écartent
bien loin toute crainte à cet égard, et nous font concevoir
au contraire l'espérance d'un nombre infiniment plus grand
que dix mille.
Mais quand, par impossible, ce nombre ne se remplirait
pas ; si l'établissement est de sa nature avantageux pour ce
nombre, il doit l'être pour la moitié dans une proportion
égale; la difl'érence ne peut tomber sur les avantages de l'as-
sociation ; elle frapperait uniquement sur l'excédent de recette
de la maison.
Les malades seront toujours également bien traités, mais
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 169
la maison bénéficiant d'une moindre somme, relativement à
ses vues d'extension, l'exécution de ses dernières vues seraient
renvoyée à un temps plus éloigné. Par exemple, le prix des
associations qu'on aurait pu baisser très promptement si le
nombre des associés eût été considérable, se soutiendrait
plus longtemps sur le même pied.
€ Ces intentions, répliquent quelques personnes, sont infi-
ce niment louables. Mais qui nous assurera qu'elles auront
€ lieu? "p
Nous répondrons à ce doute, en adressant la parole à celui
qui nous le propose, et nous lui disons : « Est-ce à vous,
« souscripteur, à avoir une pareille crainte? oubliez-vous
« que rien ne vous attache à la maison que votre intérêt ?
« que vous n'y tenez qu'autant que l'administration vous
« convient? les choses dégénèrent-elles! vous paraissent-elles
« contraires à la pureté des vues des premiers instituteurs?
« séparez-vous, rompez votre lien. Le seul temps pour lequel
€ vous vous engagez, et le mois pour lequel vous allez sous-
« crire; passé ce temps, vous ne devez rien à la maison,
« ni la maison à vous. Vous êtes libre de ne vous plus
« représenter, et votre association se disjoint d'elle-même ».
Les promesses que nous faisons aux associés étant fondées
sur leur propre volonté, il est très évident que nous ne
hasardons rien, en assurant de deux choses Tune, ou que
l'établissement ira nécessairement en s'améhorant, ou qu'il
se dissoudra de lui-même. Mais qu'il tombe, ou qu'il se sou-
tienne, comme il ne s'éteindra qu'au moment où il cessera
170 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
d'être utile, on aura trouvé son avantage à nourrir son asso-
ciation, tant qu'il aura duré.
Une conséquence qui découle immédiatement de l'esprit
dans lequel l'établissement est formé, c'est que chaque asso-
cié étant propriétaire, l'administration représentant le corps
des associés, toute proposition faite par un associé doit être
pesée et répondue publiquement, soit qu'on l'accepte, soit
qu'on la réfute.
C'est pour nous conformer dès à présent à cette loi inva-
riable que nous demandons ici aux personnes qui se présen-
tent, ayant apparemment dessein d'entrer dans l'association
pour acquérir la nomination à un ou plusieurs lits, ce
qu'elles entendent par cette nomination. Est-ce un lit dont
elles voudrait disposer et qu'elles rempliraient à leur volonté
toutes les fois qu'il serait vacant? N'est-ce que le droit de
faire traiter tous les ans quelques malades priviligiés?
Si c'est un lit dont ces personnes veulent disposer, elles
n'ont pas sans doute compris l'esprit de l'association ; il est
totalement contraire à leur proposition, et elle serait égale-
ment opposée à l'intérêt même de ses fondateurs.
1° A V esprit de la Maison ; on aimerait mieux renoncer
au projet de l'établissement, que d'avoir à se reprocher d'y
employer des fonds qui ne doivent point être soustraits à la
société. Il est à craindre que toute administration qui a des
fonds ne se détériore, et le premier fondement de la nôtre
est qu'elle soit dépendance à jamais du goût et de Tinspec-
tion du public ;
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 171
2** A Vintêrêt des fondateurs. En effet, est-ce pour sa
maison particulière 7 Est-ce pour le bien de rhumanité en
général, qu'on veut acquérir la nomination d'un lit ? Dans
le premier cas, nous ferons observer à un maître qui a dix
domestiques, que l'emploi de dix mille francs qu'il sacrifie-
rait à sa fondation, lui ôterait 500 livres de rentes, et en lui
donnerait qu'une place ; au lieu qu'avec 150 livres, il en
aurait dix par la voie de l'association. Ajoutez à ces obser-
vations que la nomination des lits fondés, ne coûtant plus
rien aux héritiers des fondateurs, ils pourraient se remplir
par la suite de gens dont le soulagement doit être l'objet
propre des charités publiques, des hôpitaux et des paroisses.
Si l'on attache d'autres idées à la nomination d'un lit, et
qu'il ne soit question que du droit de placer dans la maison,
un certain nombre de malades par an, l'évaluation de ce
droit suppose des combinaisons que nous n'avons point
encore faites ; mais ceux qui se proposent de l'acquérir, doi-
vent être assurés de l'empressement avec lequel l'adminis-
tration se portera à seconder leurs vues. Elle ne s'occupe
sans cesse que des moyens d'étendre et de généraliser les
siennes ; et c'est en conséquence de quelques observations,
et sur les remontrances de plusieurs personnes bien inten-
tionnées, qu'elle offre aujourd'hui des souscriptions aux per-
sonnes même de l'âge de 60 ans et au delà, pourvu qu'elles
se présentent dans les premières années de l'établissement.
Au défaut de tarif qui fixe la valeur de ces associations, on
laissera chaque particulier équitable et éclairé, juger lui-
172 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
même des augmentations qu'on lui demandera. Cette offre
nous a paru nécessaire pour remplir totalement Tidée de
l'établissement et le rendre accessible à tout le monde. Si
cependant le public parait désirer des tarifs, on les donnera
dans récrit par lequel nous allons incessamment indiquer
le lieu où commencera cet établissement, et les personnes
qui doivent en composer l'administration.
L'offre de souscription pour les personnes de 60 ans et
au dessus, ne s'étend qu'aux premières années, parce que,
passé ce terme, l'établissement sera assez universellement
connu, pour que l'on ne puisse nous reprocher d'en avoir
exclu personne.
Nos désirs à cet égard, sont si étendus, que respectant la
noblesse du sentiment qui porte une famille à se séparer
d*enfants chéris qui sont souvent toute son espérance, afin
de leur procurer une éducation qui en fasse un jour des
citoyens dignes de leur partie, nous offrons à .tous ceux
qu'on enverra dans la première école du monde, quelque
âge qu'ils aient, d'être reçus sous le certificat des supérieurs
des collèges ou des maîtres, dans un asile où ils trouveront
les soins les plus intelligents et l'attention des parents les
plus tendres.
Au reste, nous n'ignorons pas qu'il est des particuliers
qui s'imaginent avoir un intérêt personnel à désapprouver
nos desseins, et que leurs propos vagues sont répétés de
bonne foi par d'autres qui n'en pénètrent pas les motifs.
Il suffit d'inviter ces derniers à examiner notre projet par
UN PHILANTHROPE MECONNU
173
eux-mêmes et à se tenir en garde contre les préventions. Si
un projet peut nuire à quelques particuliers, ce n'est sou-
vent que par la raison même qu'il est avantageux au total
de la société.
Gela est si vrai dans le projet dont il s'agit que l'on aban-
donne pour toujours ce qui ne pourrait être avantageux
qu'à la maison, comme d'y gagner des maîtrises, etc. D'ail-
leurs, nous sentons qu'avec le zèle et l'amour du bien public,
il faut encore du courage.
Cent Associés ne peuvent
donner plus [de V2 malades
dans le cours d'une année, et
chaque maladie Tune dans
Tautre ne peut être de plus
d'un mois ainsi.
Les Asso-
ciés produi-
sent chacun
à raison de
5 livres par
mois dans la
première
classe; 3 li-
vres dans la
seconde ; 2
livres dans
troisième; 1
livre 10 f.
dans la qua-
trième; et 1
livre 5 f.
dans la cin-
quième.
Les mala-
des de l'As-
sociation dé-
pensent à
raison de
250 livres
poar la pre-
mière classe;
150 livres
pour la se-
conde; 100
livres pour
la troisième;
75 livres
pour la qua-
trième; 62
livres 10 f.
pour la cin-
quième. Le
tout par
mois.
BénéHce
9
Associés
Malades
par
mois
Malades
par
an
Livres
Livres
Livres
Appartements
Chambres à 1 lit
Chambres
à 2 ou 3 lits
Petites salles
Salles
pins grandes
200
800
2.000
3.090
4.000
2
8
32
40
24
96
240
384
480
12.000
28.800
48.000
57.600
60.000
6.000
14.400
24.000
28.800
30.000
6.000
14.400
24.000
28.800
30.000
Totaux
10.000
102
1.224
206.400
103.200
103.200
174 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Sur les dix mille deux cents associés, en supposant qu'il
y en eût cinq mille des corps et communautés qui paient
5 sols par mois, 3 livres par an de moins que les autres, il
faudrait défalquer 15.000 livres qui, joint à la|dépense des
médecins et chirurgiens de quartier nécessaires pour porter
des secours prompts et gratuits aux associés dans le cas où
ils demandent d'être secourus dans l'instant, comme aussi
dans ceux d'indisposition où le malade n'étant point alité ne
peut occuper un lit dans la maison, mais il peut exiger tous
les secours nécessaires à son état : toutes ces sommes, comme
on va le voir, se montent à celle de 37.200 livres; ainsi le
bénéfice se trouve réduit à 66.000 livres.
Honoraires de douze médecins correspondants à 600 livres
chacun 7.200 livres
Ceux de douze autres suppléants, à 300
livres chacun 3.600 —
Douze chirurgiens correspondants, à 300
livres chacun 3.600 —
Douze chirurgiens suppléans, à 150 livres
chacun 1.800 —
Frais de pharmacie pour les associés qui
ne seraient pas dans la maison 6.000 —
Diminution de 3 livres par an qu'il faut faire
sur les cinq mille associés qu'on a supposés
être des communautés 15.000 —
Total. . . . 37.200 livres
UN PHILANTHROPE MÉCONNU ' 175
Laquelle somme diminuée de celle de 103.200 livres, il
reste celle de 66.000 livres de bénéfice net et clair que l'éta-
blissement ferait tous les ans sur les dix mille deux cents
associés. Ce bénéfice au reste appartiendra au corps de
l'association, et ne sera employé qu'à sa plus grande utilité.
Ainsi, outre les secours que chaque particulier tirera de la
maison, il ne deviendra propriétaire de sa cote part d'un
bénéfice qui (l'établissement subsistant), lui procurera des
avantages, dont il ne jouirait pas sans cette association.
Copie de la Délibération des 6 corps des Marchands
en date du 13 Juillet 1754
Monsieur de Chamousset, Maître des Comptes, ayant pré-
senté dans les bureaux des six corps deux écrits imprimés
dont l'un est intitulé : Plan d\une Maison d'association,
da7is laquelle au moyen d'une somme très modique par
mois y chaque associé s* assurera dans Vétat de maladie
toutes les sor^tes de secours que Von peut désirer; Vautre
contient des additions et éclaircissements audit plan.
Les gardes de chaque corps, après avoir examiné ces écrits
en particulier, se sont assemblés ce jour au bureau des Six
Corps pour recevoir les avis de la compagnie en général, et
ont observé qu'il leur parait que l'auteur, dans son plan, a
fait une omission concernant la pharmacie qui est une des
trois parties essentielles de la médecine, pour le gouverne-
ment de laquelle ik requièrent qu'il soit choisi parmi les
176 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
maîtres apothicaires de Paris sujets suffisants pour y prési-
der ; demande trop bien fondée pour qu'elle ne leur soit pas
accordée.
Cette observation admise, ils ont délibéré unanimement
qu'on ne pouvait rien imaginer de plus utile, de plus avanta-
geux à la société, et de plus louable pour son auteur ; et que
sur l'exposé desdits plans et additions ils en désirent l'exé-
cution, après laquelle ils ne doutent pas qu'un grand nombre
de leurs membres ne souscrive à ladite association.
Verron, Havart, Hatry, Vassal, de Camp l'aîné, Sauvage,
Chapelet, Fets Jacquin, Lepine, Santussan*-
LETTRE CRITIQUE
A l'auteur d'une brochure intitulée : Plan d'une
Maison d'Association, dans laquelle au moyen
d'une somme très modique, chaque Associé
s'assurera dans Tétat de maladie toutes les sor-
tes de secours qu'on peut désirer.
Sans doute, Monsieur, vous avez lieu d'être bien content.
Votre plan a été reçu du public, on ne peut pas mieux. Tous
vos amis vous ont donné à ce sujet les éloges les plus vifs,
et les Français amateurs outrés de tout ce qui est nouveau,
en admirant l'idée merveilleuse d'un établissement aussi
utile, se seront, je pense, disputés à qui souscriraient les
premiers.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 177
Tous les cercles ont retenti d'éloges extatiques : et rassuré
sur votre modestie, je vous avouerai même qu'après avoir
patiemment joué pendant un mois le rôle silencieux de spec-
tateur, je vous ai vu partout élever au dessus du sixième et
du septième ciel.
Mais, en vérité, je n'y tiens plus, le secret me pèse trop,
et permettez-moi de vous dire naturellement tout ce que j'ai
sur le cœur.
J'ai pesé les termes de votre mémoire ; j'ai cherché à per-
cer le voile de vos intentions, et quoique toutes à l'abri des
censures, quand à l'objet que vou6 vous êtes proposé, elles
ne se trouvent ssi judicieuses que bonnes, quant aux
moyens que vu. r /. imaginés pour les faire éclore.
Entre tous les défauts que je remarque dans le plan de
votre 'établissement, il a essentiellement celui de n'être pas
fait pour la nation à qui vous le présentez. Il n'est bon qu'en
songe, parce qu'alors on dispose de son sujet à discrétion.
Sur-le-champ on crée les personnes pour les personnages.
Mais hors du sommeil, quelle énorme différence ! hors du
sommeil, il faut, Monsieur, prendre les hommes comme ils
sont, étudier leurs caractères, leurs mœurs, et partir de là.
Vous avez la bonté ^ de supposer un sens tranquille, de la
prudence dans ^le Français ; c'est rêver hors du sommeil ;
passez-moi le terme. Vous imaginez qu'ils sont ou peuvent
devenir assez réfléchis, pour prévenir en santé l'état de mala-
die, eux qui ne prévoient rien, eux qui rougiraient d'avoir
deux idées de suite !
178 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Vous leur faites certainement beaucoup d'honneur, mais
rendez-leur un peu plus de justice ! Je me trompe bien, ou
d'après notre génie, on peut assurer que le projet de former
cet établissement est aussi inexcusable, que celui de réfor-
mer la tournure de nos esprits.
Oui, Monsieur, nos voisins redoubleront de jalousie contre
nous, si votre plan s'accrédite en France. Dès ce moment la
prééminence des nations nous serait légitimement acquise.
En Prusse, en Angleterre, on dira qu'enfin nous devenons
hommes. Mais qu'ils soient tranquilles ; cette maison n'est
nullement assortie à nos caractèreSy et ils peuvent au
moins pour quelques siècles, se rassurer contre notre prè-
coce maturité. On prétend même que chez l'étranger, il y a
des paris considérables que vous ne réussirez point.
Vos idées tout au plus seraient agréées par des Lycur-
gues, ou auraient pu figurer parmi celles de Platon. Gela est
fâcheux pour vous, plus fâcheux pour nous : mais enfin pour-
quoi venez-vous ou trop tôt ou trop tard ?
Comment voulez-vous. Monsieur, qu'un artisan fort et
vigoureux, se détermine à consacrer une petite somme
qu'il a coutume d'employer à son aisance ou à ses plai-
sirs? Vous ne connaissez donc point la force de l'habitude?
Cet homme ne soutient le travail de la semaine, que par l'es-
pérance de s'amuser la fête et le dimanche avec ses amis ; il
faudrait donc qu'il sacrifiât les goûts à sa raison, qu'il
renonçât à une satisfaction présente, pour s'assurer par la
suite des secours dont il peut n'avoir jamais besoin, ou qu'il
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 179
n'envisagera toujours dans un terme fort éloigné. Or, je
demande si un Français est capable de sacrifier le présent à
l'avenir. C'est là le fruit de la prudence la plus consommée,
Eh, Monsieur, où l'allez-vous loger? tout devient phéno-
mène dans votre imagination.
Je conclus donc avec regret que votre établissement chez
nous est m\e chimère. Le public plus judicieux en gros
qu'en détail, admire sincèrement votre projet;» qu'y a-tril de
plus merveilleux? il en souhaite l'exécution; qu'y a-t-il de
de plus avantageux ? mais la soutiendra-t-il ? qu'y a-t-il de
plus équivoque? il souscrit sans réflexion, il s'associe par
curiosité; il se y^etirera par légèreté. Nous ne sommes pas
capables de contracter dé si beaux nœuds.
Votre association, le chef-d'œuvre d'un esprit qui pense,
eût pris de solides fondements dans Tftge d'or, où chacun se
faisait un devoir et un plaisir d'aimer la société, de chérir
son semblable, de Taider, de prévenir ses besoins, d'être
compatissant, humain, tendre, serviable. Nos mœurs, au
contraire, tiennent du siècle de fer ; nous n'avons que les
dehors gracieux, et je doute que jamais vous ayez le bon-
heur de faire goûter votre morale ; mais fut tout d'engager à
l'effrayer et à la mettre en pratique.
c Les associés concourent, dites-vous, à établir en com-
« mun des fonds, parce qu'aucun ne peut être assuré d'une
c santé confiante ; et si ceux qui sont assez heureux pour
€ n'être pas dans le cas d'y avoir recours, fournissent à
€ l'association plus qu'elle ne leur rend, ils jouissent de
180 UN PHILAXTHBOPE MÉCONNU
€ Tavantage d'eiiTisager ua asile qui peut d'un jour à Tau-
« ire leur devenir nécessaire et par là, ils sont exempts de bien
a des inquiétudes >. Quelle sagesse! quelle prudence ! que i*on
trouverait d'avantages dans votre philosophie ! c Si quand
€ je me porte bien, continuez-vous, je paie par le prix modi-
c que de mon association pour celui qui souffre, il en fait
< autant pour moi dans le même cas. C'est la loi générale de
€ de l'humanité, mise en exécution d'une manière prudente
€ et déterminée ; c'est le lien de la Société civile, étendue à
< une circonstance encore plus nécessaire que toutes celles
€ auxquelles elle a pourvu jusqu'ici. >
Où croyez-vous donc, Monsieur, trouver tantde géné-
rosité, tant de vertu, une si noble façon de penser? 11 fau-
drait peser de tels hommes ; car on ne les compte point, et
voilà en trois mots un argument victorieux contre vous ;
mais bien humiliant pour nous.
// est vrai que je sais de M. le Commissaire de la halley
que les bandes des forts se cotise^it de cinq sols par
semaine chacun ^ pour procurer des soulagements à ceux
d'entre eux qui tombetit malades^ et sont réduits à les
faire transporter à rHôtel-Dieu, je sais de même qu'à la
Verrerie de Hève^ les ouvriers^ voituriers et autres de
bonne volontéy moyeymant dix sols par mois se sont formé
sous les yeux des directeu7's, une infir^nerie commune,
où ils sont assez bien traités tout le temps de leurs malon
dies. ^
Voilà donc deux traits que vous me citerez dans ce
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 181
siècle^ ou des français ont pense sensément. Mais faible
exemple pour nous ! c*est la lie de la 7iation ; nous siérait-il
d'imiter de pareils gens ? Ils nous ont prévenus dans un éta-
blissement si singulier, notre amour-propre en est blessé,
nous sommes obligés en honneur de n'y plus xlonner les
mains.
D'ailleurs, Monsieur, ce grand ton de décence toujours
dans votre bouche, se soutiendra-t-il dans une maison où tous
les états seront rassemblés et confondus, où il n'y aura d'au-
tre distinction que celle de l'argent ?
La bonne compagnie se mesure-t-elle à ce prix? La plai-
sante idée d'imposer une taxe à la décence ! Décence à vingt
sols ! Décence à quarante sols ! Décence à un écu, quatre
francs, cent sols ! ô la merveille sans pareille !
Si cet établissement méritait d'être combattu par d'autres
armes, il y en aurait de triomphantes contre lui. Je vais
encore vous en donner un petit échantillon.
Vous avez l'âme si belle, vous êtes si désintéressé, que
sans doute vous ignorez que Vintèrêt soit le grafid mobile
des hommes. Mais du moins vous ne disconviendrez pas
avec moi que l'émulation trouve de puissants motifs dans
V intérêt f s'entr'aidant tour à tour, le succès n'est jamais
médiocre.
L'intérêt donne de l'esprit, soutient les forces, anime le
courage, inspire les ressources. On se fait un plaisir d'un devoir
lucratif, et la société son avantage dans dette complaisance
pour Targent. Chacun fait de son mieux ; et n'est-il pas heu-
182 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
reux qu'un si petit ressort remue une si vaste machine?
Quoi, la connaissance de cette mécanique vous aurait été
refusée ! Au moins faut-il en avoir la théorie.
Jaloux du bien public, comment avez-vous pu bannir
rintérèt de votre maison? Plus d'intérêt, plus d'émulation;
el par un contre-coup que vous auriez dû prévoir, vous sap-
pez les fondements de votre établissement. Le moyen le plus
beau en apparence pour lui donner de la solidité, est celui
qui le fera nécessairement crouler.
Vous mettez tous les malades de Paris entre les mains de
médecins et chirurgiens qui n'auront nul intérêt à les gué-
rir. Ah ! que l'appât du gain, d'un honoraire bien pécunieux
serait capable de les rendre actifs, vigilants, assidus, indus-
trieux ! Le capital des vôtres sera de plaire à l'administra-
tion qui les a nommés : leur attention pour vos associés,
dépourvue d'un aiguillon d'or si propre à la réveiller, ne
sera jamais que très superficielle, vague et toujours incer-
taine. Il est vrai que vous pourrez dire qu'ils n'auront pas
chez nous, comme à présent, des motifs pour prolonger les
maladies ; mais peut-être doit-on craindre qu'ils ne les abrè-
gent par leur négligence. Lequel vaut mieux ?
Enfin, Monsieur, je ne saurais vous cacher, que vous
allez faire un tort infini à la patrie. Votre zèle est une espèce
d'enthousiasme qui fait disparaître à vos yeux, les consé-
quences qui résultent de votre association.
Il faudrait non seulement réformer les hommes; mais ce
qui est plus difficile, refondre les médecins : le prétendez-
UN* PHILANTHROPE MÉCONNU 183
VOUS, oseriez-vouB l'espérer? laissez, Monsieur, laissez aller
les choses comme elles ont toujours été. Nos médecins
aiment l'argent, je vous demande grâce pour eux, souflrez
qu'ils continuent d'en amasser. Le public ne s'en plaint
point. N'y trouvez plus à redire.
L'intérêt sollicite leur émulation, et cette émulation les
rend habiles. L'homme en qui un malade prend confiance,
fait tous ses efforts pour le tirer d'affaire ; car un malade
guéri sait avoir une multitude de pratiques, il devient le
panégyriste de son libérateur, et invoque pour lui la
fortune.
Je trouve une raison encore meilleure. Si, dans le trai-
tement d'une maladie, le malade a quelques inquiétudes, il
assemble des médecins. Il est vrai qu'ils ne sont guère
d'accord ; mais qui ne sait que du choc des idées, naît la
lumière ?
Rien donc n'est plus avantageux pour le malade, que
cette diversité de sentiments, de la discussion desquels
résulte la vérité, et souvent les moyens les plus sûrs de
guérir.
Finissons par l'endroit du Mémoire sur lequel vous
insistez beaucoup, c'est la perfection de la médecine. Votre
confiance, sur ce point, est aussi imaginaire que les autres
avantages que vous nous promettez. Vous dites que ce sont
les observations qui forment le plus le médeciri. Y a-t-il
lieu au monde de plus propre à suivre ce genre d'étude
que l'Hôtel-Dieu? Quelle comparaison entre la multitude
184 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
immense et la variété des maladies renfermées dans cet
hôpital, et la petite poignée de gens qui iront chercher leur
salut dans cette maison? Soutiendrez-vous ce parallèle?
Voilà peut-être, Monsieur, trop de vérités désagréables ;
mais un homme essentiel mérite qu'on lui parle avec sincé-
rité ; c'est même un témoignage de l'estime qu'on lui doit.
Mais conune vous êtes, vraisemblablement, très occupé
pour vous épargner le soin de la récompense, je conserverai
l'incognito.
LETTRE
à l'Auteur de la Griticiue du Plan d'une Maison
d'Association
Une critique du Plan dP Association \ Devait-on s'y
attendre? N'est-ce pas déjà un mal dans l'Etat qu'il se trouve
peu d'hommes assez généreux pour former de pareils des-
seins, sans qu'il s'en trouve encore d'assez mal intentionnés
pour les traverser? Qu'on se contentât de proposer des
avis, des observations, pour perfectionner le Plan^ ou pour
s'assurer ; à la bonne heure, ce serait entrer dans les vues
de l'auteur, construire de concert avec lui, ou lui fournir
au moins des matériaux. Mais donner des réflexions, sous le
titre et la couleur d'une critique contre un projet qui fait
tant d'honneur à l'humanité, c'est un rôle dont je suis
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 185
étonné, Monsieur, que vous vous soyez chargé. Moi, j'en
prends un tout opposé ; et je vais répondre non seulement
à vos objections, mais à toutes celles qui sont parvenues à
ma connaissance. Je n'ai point de part au projet; mais je
vous avoue que je l'admire, et je vous promets de Je
défendre.
Un pareil établissement ^ dites-vouSy Monsieur^ ne peut
pas réussir chez un peuple atcssi léger et ai^ssi indiffé-
rent au bien public que les Français.
Je vous le passe pour un moment : il réussirait donc au
moins chez un peuple qui ne serait si léger, ni indifférent au
bien public ; et c'est déjà en faire un éloge.
Cependant j'aimerais mieux qu'on ne fit pas de ces
annonces désespérantes, qui jettent dans les esprits le doute
et le découragement. Il faut un peu de foi pour les grandes
entreprises ; et souvent tel projet aurait réussi, si l'on eût
plus compté sur le succès, qui manque, parce que, prévenu
qu'il devait manquer, ou l'on a traversé l'entrepreneur, ou
Ton ne l'a fécondé que mollement.
Mais à présent je quitte la supposition, et je dis que cette
légèreté et cette indifférence pour le bien public qu'on pré-
tend être naturelles aux Français, ne le sont pas tant
qu'on se l'imagine.
La preuve en est que ces mêmes Français ont très bien
accueilli le Projet d'Association; qu'il a bon nombre de
souscripteurs, de partisans et de protecteurs.
A quoi servent ces apostrophes générales à toute une
186 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
nation? Prédire que les Français ne goûteront pas un éta*
blissement, c'est presque les conseiller de ne le pas goûter.
Si j'étais persuadé comme vous, Monsieur, que les Français
ne sont pas disposés à ôtre affectés d'un projet que je
croirais ()on, je me garderais bien de le dire tout haut ; pour
les tirer de leur froideur, je feindrais qu'ils sont tout de feu;
et comme on faisait, dit-on, aux rois d'Egypte pour les
former à la vertu, je louerais toute la solidité de leur
jugement, la bonté de leur cœur, l'étendue de leurs vues,
que piqués d'honneur, et honteux de ne pas mériter mes
éloges, ils deviendraient peut-être raisonnables, généreux et
bienfaisants, ou s'efforceraient au moins de le paraître.
Débiter qu'un vice ou un travers est général, c'est quel-
quefois le propager encore davantage, parce qu'on rougit
plus d'être singulier que vicieux. Ayons meilleure idée des
hommes, et nous les rendrons par là meilleurs ; au moins
ne les rendrons-nous pas pires.
Faisons mieux : donnons l'exemple des vertus que nous
croyons les plus rares ; et dès là même que nous les prati-
querons, elles en seront moins rares. Et pour appliquer ma
maxime au sujet présent, au lieu de dire comme font quel-
ques-uns, que le Projet d'Association est beaUy mais qu'il
ne réussira pas ; et que jusqu'à ce qu^on soit sûr du
succès, ce n'est pas la peine de souscrire, souscrivons, au
contraire, pour en assurer le succès. Car si chacun, par le
même principe de méfiance, n'avait voulu souscrire que
le millième, effectivement l'établissement aurait pu n'avoir
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 187
pas lieu, puisqu'il ne peut exister que par la contribution
des souscripteurs, et qu'il ne pouvait pas y avoir des
souscripteurs; s'il ne se trouvait personne qui voulût
en commencer la liste. Je ne suis pas gagé pour en quêter ;
le projet n'en manquera pas, puisqu'actuellement qu'il ne
fait que d'éclore, il en a déjà abondamment ; mais c'est que
j'ai honte pour l'humanité de voir encore des hommes
tièdes et indifférents, résister à l'attrait qu'il doit avoir pour
de belles âmes ; gens incapables de se résoudre par choix,
et qui, apparemment, ne seront bienfaisants et humains que
quand tout l'univers le sera.
Le projet est beaul II est bien question de cette froide
louange, il ne s'agit pas ici d'une démonstration sur la qua-
drature du cercle à quoi on vous invite d'applaudir. Si le
projet vous parait beau, louez-le comme on loue un festin,
en y prenant part. S'il est beau, vous y avez intérêt ; car il
n'est beau que parce qu'il est utile ai ceux qui y entre-
ront.
Vous vouliez déterminément que d'autres eussent souscrit
avant vous. Eh bien, souscrivez. Eh bien, souscrivez-donc
dès à présent : car ce que vous vouliez qui fût est déjà. Des
hommes distingués dans les divers ordres de l'État vous ont
donné l'exemple, et vous ôtent le prétexte dont vous vous
autorisez contre vos propres intérêts. Vous n'avez pas osé
vous frayer vous-même un chemin : le voilà battu ; osez du
moins y marcher. Tout le temps que vous avez tardé à con-
tribuer à un établissement utile, est un temps perdu pour
188 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
VOUS et pour la patrie. Regrettez-en sincèrement la perte, et
hâtez-vous de la réparer.
Vous ne croyez pas sans doute, ou du moins vous ne
devez pas croire qu'il puisse y avoir du risque ou de la honte
à prendre rang parmi les souscripteurs. Point de risque,
puisque vous ne fournirez pas de fonds que le nombre des
inscrits ne soit assez grand pour former l'établissement.
Point de honte, puisque dans le cas même où l'établissement
n'aurait pas lieu, on ne s'en prendrait point à nous. Vous
ne faites, en souscrivant, que promettre que, si l'établisse-
ment se réalise, vous y contribuerez de votre part. Que
hasardez-vous par un pareil engagement? Serait-il honteux
d'avoir donné un exemple bon à suivre, parce qu'il n'aurait
pas été suivi?
A votre premier argument tiré du caractère du Français,
vous en ajoutez un autre, tiré, dites-vous, du génie commun
à tous les hommes en général, que vous supposez indistinc-
tement intéressés et avides d'argent. Vous n'imaginez pas
comment des administrateurs qui n'auront point de profit
à espérer et des médecins qui n'auront pour, perspective que
des salaires bornés, rempliront leurs fonctions avec zèle.
C'est qu'apparemment, en leurs places, vous ne rempliriez
pas les vôtres. Mais ce que vous feriez ou ne feriez pas, ne
peut persuader à personne que l'argent soit le principe
unique des actions des hommes. Ils sont susceptibles de
bien d'autres motifs, tous plus puissants que ce honteux
amour du gain, qui, s'il les fait quelquefois agir, ne met au
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 189
moins jamais dans leurs actions ni noblesse, ni grâce,
ni zèle. L'homme qui a enfanté ce projet, suffira pour
le maintenir. Un militaire sacrifie bien sa vie à Tlionneur :
un administrateur à plus forte raison, pourra 'donc y sacri-
fier quelques quarts-d'heure de son temps, sans espoir de
gains. Croyez-vous que le zèle des hommes en place croisse
en raison de leurs revenus ?
Ne craignez donc pas. Monsieur, que les futurs adminis-
trateurs soient inattentifs ou négligents parce que l'adminis-
tration leur sera infructueuse.
Premièrement, elle ne le sera pas dans toute la rigueur du.
terme, puisqu'étant eux-mêmes associés, ce sera leur propre
affaire qu'ils feront en faisant celle de l'association. En
second lieu, ils se piqueront de gérer^avec zèle, parce qu'il
y aura de l'honneur à le faire.
Tel qui serait négligent par rapport aux affaires de sa
propre maison, ne le sera pas pour celles de l'association,
parce qu'on a toute sa vie ses affaires à conduire, et qu'on
n'aura celles de l'association que pendant trois ans si l'on
veut. Dans une gestion à vie, la paresse peut prendre et le
courage manquer ; mais on fournit plus également une car-
rière de trois années. Joignez à cela l'aiguillon de l'émula-
tion qui soutient les membres d'une compagnie et que n'a
pas celui qui n'est l'économe que de son bien.
Ne craignez pas non plus que les médecins de l'association
abrègent les maladies dans le sens où vous insinuez mali-
gnement qu'ils pourront le faire. Quel intérêt auraient -ils à
190 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
occasionner des plaintes ou des morts ? Leur réputation en
souffrirait, et la réputation d'un médecin est la fortune. La
maison en aurait tout aussi peu à se servir de médecins qui
brusquassent les maladies ; car les associés brusqués sorti-
raient morts ou mécontents, et l'un et l'autre la décrierait
et lui enlèverait des contribuants. On s'empresserait d'abjurer
l'association et personne ne se présenterait plus pour y entrer.
Je ne pense pas qu'on pratique dans aucun hôpital, cette
méthode inhumaine, de précipiter la fin des maladies par
raison d'économie. Mais, quoi qu'il en soit, vous devez sentir
que quand il serait vrai que pour un hôpital surchargé, la
mort du malade peut paraître un gain ; pour la maison
d'association, ce serait assurément une perte, puisque ce
serait un associé de moins, et que les associés seront la
richesse, et même la richesse unique.
Une armée qui décimerait ses propres soldats pour assu-
rer sa subsistance dans un temps de famine, espérerait-elle
se l'assurer pour longtemps ? C'est cependant là ce que ferait
l'association, si, pour s'épargner des frais, elle abrégeait les
maladies, au risque de faire périr les malades.
Voilà, Monsieur, la réponse à vos deux observations : je
vais à présent prévenir celles que vous pourriez faire encore,
en répondant à celles que d'autres ont faites.
Je pourrais, disent quelques-uns, n'être point malade,
et sans savoir si je le serai ou ne ne le serai pas, qu'ai-je
besoiyi de payer ime rente dont je 7ie profiterai peut-être
jamais ?
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 191
Si VOUS mettez des fonds dans une Loterie, peut-être ne
gagnerez-vous point : qu'avez-vous besoin d'y en mettre ?
Cependant on met des fonds aux loteries. Or, il y a infini-
ment plus de vraisemblance que vous proQterez du bénéfice
de l'association, qu'il n'y en a qu'il vous échoie un lot à une
loterie, puisqu'assurément à peine arrivera-t-il à un homme
seul sur mille de passer toute sa vie sans maladie. Ainsi, au
lieu qu'à une loterie, il y a souvent mille perdants contre un
gagnant, dans l'association, il y aura au moins mille
gagnants contre un perdant, c'est-à-dire, mille hommes qui
jouiront une ou plusieurs fois dans leur vie, du bienfait de
l'association, contre un seul qui n'en usera jamais.
Dans le cas de maladie ^ appelez chez vous un médecin :
une seule de ses visites vous coûtera plus qu'un mois
d'association. Que serorces'il faut qu'il les multiplie? Et
cependant la visite du médecin n'est encore qu'une petite
partie des dépenses qu'il vous faudra faire chaque jour, en
aliments, en remèdes, en pansements, en garde, en chauffage
et en je ne sais combien d'autres détails qu'on devine, sans
que je les spécifie.
Ajoutez qu'avec tous ses frais, qui, en six semaineSy
pou7^7'ont vous absorber cinquante années d'association,
ou davantage, vous serez infiniment moins bien traité, et
courrez beaucoup plus de risques que dans la maison qu'on
vous propose, où les médecins qui vous verront auront fait
preuve d'une capacité avérée, et ne vous épargneront ni leur
soins ni leur assiduité ; où il n'y aura point de domestiques
192 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
négligents, d'héritiers avides, ni de ces femmelettes indiscrètes,
ou de ces gardes imprudentes, qui font prétexte de complai-
sance ou d'amitié, exposent la vie du malade par des recettes
bazardées, ou sans égard pour la diète prescrite, lui don-
nent des aliments contraires, ou l'accablent de nourriture,
changent, altèrent et modifient comme leur plaît les ordon-
nances des médecins, tandis que ceux-ci, contrariés sans le
savoir dans leurs opérations, sont cependant pris à partie
par le public. Mal informé, il arrive que la maladie se ter-
mine par une crise funeste. Il me semble, pour moi, que
c'est un grand gain que d'être à l'abri de tous ces
inconvénients-là : or, on le fera dans , aaison d'asso-
dation.
Mais je veux, pour un moment, que vous soyez un de ces
heureux prédestinés que les maladies respectant, et dont la
fièvre n'ose approcher ; sera-ce une raison pour vous repen-
tir d'être entré dans l'association? Si de pareilles causes
donnaient lieu à des regrets, ce ne pourrait être au plus
qu'après la mort : car tant que vous vivez, la maladie qui ne
vous est pas venue hier, pourra vous arriver demain; et
vous ne serez jamais dans le cas de dire en ce monde: j'ai
eu tort de m'associer. Dans l'incertitude où vous êtes s'il
vous arrivait ou ne vous arrivait pas d'être mèdade, il peut vous
venir et il vous viendra sans doute à l'esprit des inquiétudes
sur les soins qu'on prendra de vous si vous l'êtes jamais.
Associez-vous : vous voilà tranquille sur cet article. Les
attentions et les secours ne pourront vous manquer ; et votre
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 193
maladie sera mortelle ou incurable si l'on ne vient pas à
bout de vous guérir. Pour moi je crois qu'on peut compter
pour quelque chose cette sécurité, et qu'elle n'est pas trop
achetée par la modique cotisation qu'exige le plan d'associa-
tion. Il me semble qu'au bout de vingt ans d'association
passés sans maladie, au lieu de me repentir dem'être associé,
je dirais avec complaisance : Si j'étais tombé malade j'au-
rais regardé comme avantage de jouir du bénéflce de l'asso-
ciation ; c'en est un autre bien plus grand de n'avoir pas
besoin d'en user. J'aurais donné dix fois plus que je n'ai
mis à l'association pour acheter cette continuité de santé
dont le ciel me i fie; et j'ai encore de plus, le plaisir de
voir que ce peu que j'ai donné n'a pas été placé en pure
perte, puisqu'il contribue au rétablissement de ceux de mes
co-associés qui ont été moins heureux que moi.
N'est-ce pps '^n efiet une chose et bien plus facile et bien
plus flatteuse que de se trouver bienfaiteur, sans avoir fait
autre chose pour l'être, que de débourser une somme
modique, qu'on pouvait absorber soi-même en une seule
maladie, et qu'on absorbera peut-être au premier
jour ?
Si cette considération n'a rien qui vous touche, j'ai honte
pour vous de votre dureté ; et bien loin de vous presser
davantage, je ne vous crois pas même digne d'entrer en l'as-
sociation, avec celui dont le but a été d'imaginer un projet
tel, qui put allier les intérêts de chaque associé avec des vues
de bienfaisance à l'égard de tous les autres. Car voici en
i3
194 ÛN PHILANTHROPE MÉCONNU
deux mots le système de Tassociation. Ou l'associé pris indi-
viduellement deviendra malade, ou il ne le deviendra pas.
SHl le devient^ il a Jait des fonds pour lui-même; s'il ne
le devie7it paSy il en a fait pour aut7*ui; et dans le second
cas, c'est pour lui un double plaisir d'être exempt de mala-
die, et de contribuer ainsi au soulagement des malades. De la
manière dont l'association est combinée, la santé dédommage
de la perte des fonds dont on n'use pas : Si ce n'est
pas parler improprement que de supposer qu'on ait
besoin de dédommagement pour avoir obligé ses semblables
dans une circonstance essentielle, et cela sans s'incommoder.
Des âmes bien nées achèteraient ces précieuses occasions,
au lieu de s'en faire payer.
Si vous eussiez coûté à la maison par de longues maladies,
ou par des rechutes multiples, vingt fois plus que le mon-
tant de votre mise, cet excédent eût été pris sur les fonds
de vos co-associés ; et vous auriez regret qu'étant assez heu-
reux pour n'avoir aucune maladie, ceux qui sont moins heu-
reux quevous, profitent de cequi ne vous sert pas aujourd'hui,
en attendant le moment peut-être tout proche, où vous joui-
rez vous-même ?
Les bénéfices d'une société ne vont pas sans charge. Il
faut vous rappeler cette maxime fondamentale de morale :
aimez à faire pour autrui , ce que votes séries bien aise
qu'on fasse pour vous ; et en le faisant, il est infiniment
probable que le gain sera de votre côté.
Un individu tire plies de secou7^s Sun coi^s entier^ que
UK PHILANTHROPE MÉCONNU 195
ce corps ne peut tirer d'un seul de ses membres (1),
De cette maxime je conclus (ce qui a déjà été prouvé dans
le plan d'association et dans l'addition) que chaque souscrip-
teur a plus à profiter qu'à perdre en s'associant.
Vous le voyez, ce qu'on vous propose n'est pas de sacrifier
votre intérêt au bien public ; on n'exige pas de vous, de ces
dévouements héroïques, des Codrus, des Fabius, des Cur-
tius, des Régulus. On vous présente un projet fait pour vous,
dont tout le profit vous regarde, et qui, s'il est utile à
d'autres, n'en rend pas du moins votre condition pire. Qu'on
me permette de le dire, il se fait peu d'établissements de
cette nature. On sait bien en général, que ce qui constitue
dans tous les cas le bien public, et ce qui tourne à l'avan-
(1) Je crois utile de m'appesantir uo pea sar cette finale, ou Chamousset s'efforce
de modeler encore datantage ses inteations matoalistes. N'ergotons plus défaut cette
grande pbjsionomie, effacée peut-être encore aux yeux de la foule, mais qui se survit
à elle- même, par la floraison de toutes ses généreuses inspirations sociales, qui fai-
saient tressaillir son cœur d*ami du peuple.
Certes, rhooune qui conçoit les dé? ouemenls et le sacrifice, trou?e en lui-même la
force de l'accomplir, celui là est un magnifique exemplaire de Thumaaité. C'est le cas
de M. Chamousset, qui trouve en son cœur toujours jeune des inspirations généreuses,
des élans de noble sensibilité qui ont fait comprendre et aimer ce peuple dont tout sem-
blait le séparer, l'éducation comme les habitudes de sa vie.
Afin de ne pas être taxé de partialité, je renvoie mes lecteurs à VEhge de d'Albon,
que j'ai cru utile de donner sons forme d'appendice à la fia de ce volume.
196 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
tage du plus grand nombre des citoyens ; mais, on ne voit
pas dans tous aussi clairement que dans celui-ci la con-
nexion de l'intérêt du corps entier avec celui de chacun des
membres.
Au reste, personne ne conteste la beauté du plan de TAssso-
ciation ni l'utilité de son objet : On doute seulement de
l'exécution . Pour augmenter la confiance, Tauteur qui Ta
conçu va commencer à le réaliser ; et après que quelques
années d'existence auront prouvé que ce bel établissement
peut subsister, il faudra bien qu'il triomphe du préjugé, des
obstacles et du temps.
Dans son mémoire (1) sur les Compagnies qui assure-
ro7it en maladie les secours les plus abondants et les plus
efficaceSy à tous ceux qui, en santé, paieront U7ie très
petite somme par an, ou même par mois, nous trouvons
un tableau intéressant à reproduire, puisqu'il prouve avec
quelle sûreté scientifique d'actuaire pratique, Chamousset avait
soin de documenter ses affirmations réfléchies et calculées.
^1) Ce mémoire a été imprimé en 1770, in-é*.
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LETTRES
de MM. Bertrand, Lorry et Petit, tous trois méde-
cins de la Faculté de Paris, à M. de Ghamousset,
sur son projet d'Etablissement de la Compagnie
d'Assurances pour la santé.
Lettre de M. Bertrand, du 25 Juillet 1770
J'ai lu. Monsieur, avec la plus grande satisfaction, le pro-
jet que vous avez bien voulu me communiquer ; j'en suis
pleinement satisfait ; je n'y trouve rien à corriger. Flatté
de pouvoir contribuer à cet établissement, je vous prie à me
regarder comme un actionnaire pour trois actions ; six cents
livres sont sans doute peu de chose ; mais chacun agit
d'après ses pouvoirs. Je suis de plus très disposé à concou-
rir par mon état à tout ce qui pourra être avantageux à une
maison dont l'institut sera béni à jamais, par tous ceux qui
sçauront être citoyens.
J'ai l'honneur d'être, etc. '
Bertrand,
P. S. — Quant au calcul que vous faites, Monsieur, je n'ai
rien prononcé, parce que, comme il me parait un peu forcé,
il ne fait que rendre encore plus favorable le projet que vous
présente!, puisque les dépenses sont moins fortes que votre
Mémoire ne le fait imaginer.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 199
Lettre de M. Lorry, du 20 juillet 1770
C'est avec* le plus grand plaisir, Monsieur, que j'ai lu et
votre mémoire et votre projet ; mais ce sera avec un bien
plus grand plaisir que je le verrai exécuté. Je crois cepen-
dant que le calcul que vous faites de douze maladies aiguës
d'un mois sur cent hommes est beaucoup trop fort, en pre-
nant ces cent hommes depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse,
qui sont les cas les plus défavorables. C'est un calcul forcé ;
c'est ce que peuvent vous apprendre les hôpitaux militaires,
où cependant tous les hommes sont exténués de fatigues, et
plus exposés que les autres hommes à toutes les causes de
maladies aiguës. Les médecins les plus employés, sur trente
à quarante malades pris dans toutes les classes des hommes,
n'en voient pas quelquefois trois en danger, et sont quelque-
fois des mois^entiers sans en voir un seul qui leur donne de
l'inquiétude, si vous en exceptez le cas des maladies épidé-
miqùes qui sont rarement funestes à Paris. Je vous avouerai
que, dans cette capitale, vous devez faire un très grand bien
pour tous les ouvriers, classe d'hommes importante, mais qui
est souvent ou même toujours sacrifiée à la charlatanerie, à
l'impéritie, ou à la légèreté des médecins les plus savants,
mais qui n'ont aucun aiguillon qui les excite à donner leurs
soins à des gens inconnus et indociles. Les domestiques dont
presque la moitié meurent de fluxions de poitrine à la sortie
des hivers rigoureux, auront chez tous un asile sûr et peu
coûteux. Enfin les opérations de chirurgie sont sans contre-
200 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
dit l'objet le plus important et le plus^nécessaire dans votre
maison d'assurance ; le défaut de linge, de bons onguents,
de gardes sûres, en font périr un bon tiers. D'ailleurs, com-
bien de chirurgiens s'en mêlent, qui ne savent seulement pas
manier un scalpel !
Mais, Monsieur, ne perdez pas de vue l'objet des malades
à tant par jour ; je pourrais vous effrayer si je vous ,comp-
tais le nombre de provinciaux, qui, étant à Paris pour leurs
études ou pour leurs affaires, y tombent malades et périssent
presque sans être réclamés ; je l'ai vu cent fois, toujours
avec douleur, et, en vérité, cet article mériterait une atten-
tion particulière des magistrats. C'est à un bon citoyen
comme vous que la patrie en devra beaucoup d'autres ;
et surtout vous aurez la douce satisfaction de jouir de cette
délicieuse sensation qu'on éprouve en faisant le bien. Je
serai trop heureux en mon nom particulier si vous me
croyez digne d'y contribuer en quelque chose.
J'ai l^honneur d'être, etc.
Lorry.
Lettre de M. Petit, l'Anatomiste, du 20 Juillet 1770
Je pense comme M. Lorry, Monsieur. Votre calcul est trop
fort de moitié. Sur cent personnes de tout âge, il n'y a pas.
Monsieur, chaque année, six personnes qui sont attaquées
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 201
d'une maladie d'un mois, ou douze d'une maladie de quinze
jours ; cependant, j'estime que vous ferez bien de partir de ce
calcul, tout exagéré qu'il est, non seulement parce que la pru-
dence veut qu'en fait de projets à exécuter l'article des char-
ges soit toujours porté le plus haut possible, et même un
peu au-delà du vrai, attendu que le chapitre des accidents
n'est jamais court, mais principalement [encore à cause des
convalescences, qui quelquefois traînent et sont de vraies
maladies. Pour ce qui est du fond de la chose, j'ai peine à
croire qu'on puisse rien imaginer [de plus avantageux ; je
désire bien sincèrement que la patrie, qui vous a déjà tant
d'obligations, vous ait encore celle d'épargner à beaucoup
de malheureux la nécessité d'avoir recours aux hôpitaux. Je
suis sûr que si, quelque beau matin, il plaisait à la Provi-
dence d'éclairer les indigents sur leurs vrais intérêts, et qu'à
la manière des animaux, chaque homme, couché dans son
coin, eût de la belle eau claire et surtout du repos, au total
on conserverait plus d'un quart de ceux qui meurent. Que
l'exécution de votre projet fasse donc ce qu'à cause de nos
péchés, la Providence refuse de faire. J'élèverai un temple &
Jupiter sauveur; le Dieu y sera représenté sous vos traits.
Continuez à brûler du beau feu qui vous dévore ; le
plaisir de bien faire vous paiera mieux que toute autre
récompense; je vous prie cependant d'y joindre les senti-
ments d'estime et de respect avec lesquels je suis, etc.
A. Petit, D. M. P.
202 UN PHILANTHROt>Ei MÉCONNU
PROJET
De Règlement pour la Maison d'Association
Article Premier. — Pour former rétablissement de la Mai-
son d'Association autorisée par lettres-patentes de cejour-»
d'hui, il sera créé trois mille actions, à raison de 200 livres
chacune, qui formeront un fonds de 600.000 livres lequel sera
employé à la construction de ladite maison et dépendances,
et à toutes dépenses qui seront nécessaires pour la mettre en
état de remplir sa destination.
Art, 2, — Les propriétaires de ces actions seront les véri-
tables propriétaires de cette maison, et jouiront en consé*
quence du titre de fondateurs : sera permis à tous les sujets
du Roi, de quelque état et condition qu'ils soient, même à
ceux chargés du maniement des finances de sa Majesté, de
s'y intéresser, sans déroger aux articles de leurs traités qui
leur interdisent toutes autres affaires que celles auxquelles
ils sont attachés. Les étrangers propriétaires de ces actions
jouiront, quant à cet objet, des mêmes droits que les sujets
régnicoles : toutes seront perpétuelles, héréditaires ^t non
saisissables.
Art. 3, — Indépendamment des droits de lits qui seront
ci-après attribués aux actionnaires, ils partageront annuel-
lement comme propriétaires, les bénéBces que pourra faire la
dite maison, au prorata de leurs mises après qu'on en aura
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 203
prélevé toutes les dépenses, et deux cinquièmes du profit net
dont l'un sera déposé dans une caisse pour subvenir aux
dépenses exti^ordinaires^ et l'autre servira à former des lots
d'une loterie gratuite^ qui sera tirée tous les ang en faveur
des associés.
ART. 4, — Le fonds de cette loterie sera partagé en deux
parts égales, une pour les hommes, l'autre pour les femmes:
les associés des salles qui ne paient que 20 livres par mois
y auront le même droit que ceux des chambres particulières
et des appartements qui paient de même par mois 2 livres,
3 livres et S livres. Les moindres lots de celte loterie seront
de 12 livres. Il y en aura de 300 livres, et ils seront plus ou
moins nombreux suivant que les proQts de la maison plus
ou moins grands chaque année, mettront en état de rendre
la masse de ces lots plus ou moins considérables. Les maî-
tres seront libres de faire participer aux bénéfices de cette
loterie, tous leurs domestiques associés, ou d'en exclure cqux
qu'ils jugeront à propos.
Abt. 5. — Ledit établissement ne pourra posséder d'au-
tres biens fonds que les maisons et dépendances qui seront
nécessaires à sa manutention : il ne pourra sous quelque
prétexte que ce soit, m^mede reconnaissance, recevoir aucune
fondation, legs ou présents, sous peine d'être déclarés nuls
et comme non avenus.
Abt, 6* • — La Maison d'Association sçra composée de sal-
les, de chambres à $1 lits, de chambres à un lit et de quel-
ques appartements, indépendamment de tous les bâtio^ent^
204 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
qui seront nécessaires pour la manutention de ladite mai-
son et de son administration.
Art. 7. — Les salles de ladite maison ne pourront conte-
nir plus de 24 lits : non seulement il ne pourra y avoir plus
d'un malade dans chaque lit, mais tous les lits seront séparés
les uns des autres par des cloisons de six pieds de haut sur
six pieds de long, et à six pieds de distance Tune de l'autre,
et par un rideau qui fermera quand le malade le voudra.
L'intervalle d'une cloison à l'autre lui formera une petite
chambre particulière, sans lui rien faire perdre de l'avan-
tage de Tair qui aura libre cours au-dessus des cloisons.
Art. 8. — Les chambres à deux lits seront meublées pro-
prement; elles auront toutes une cheminée et une garde
particulière attachée à chaque chambre; il n'y aura jamais
plus de deux malades dans ces chambres.
Art. 9. — Dans les chambres à un lit on donnera une
garde particulière, si mieux n'aime la personne malade,
prendre avec elle son domestique, pourvu qu'il soit de même
sexe, lequel sera, en ce cas, logé et nourri dans la maison.
Art. 10. — Il y aura dans cette maison quelques apparte-
ments composés d'une chambre à cheminée pour le malade,
une anti-chambre et une chambre de domestiques ; dans
l'une de ces dernières pièces, il y aura une cheminée égale-
ment, pour faire au malade, s'il le désire, un pot-au-feu par-
ticulier que la maison fournira dans cette classe. Le domesti-
que sera nourri, et néanmoins la maison fournira encore une
garde.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 205
Art. 11. — On ne sera reçu dans cette maison pour y être
traité en cas de maladie, ainsi qu'il sera dit ci-après, que
comme actionnaire, comme associé, ou cOmme payant par
jour. Les hommes et les femmes seront également admis
dans cette maison, et aux mêmes conditions ; il y aura des
salles et chambres affectées à chaque sexe.
Art. 12. — Une seule action donnera le droit à l'actionnaire
de jouir sans autre paiement dans toutes les maladies cura-
bles qui pourront lui survenir et qui l'obligeront à s'aliter, d'un
lit dans les salles. Le propriétaire de deux actions réunies
aura le môme droit à un lit des chambres à deux lits. Le pro-
priétaire de trois actions réunies à celui des chambres à un
lit ; et enfin le propriétaire de cinq actions réunies à celui des
appartements. Les uns et les autres aurontaussi le droit dans
le cas d'indisposition, ou des maladies ci-devant exprimées,
qui ne lesobligeront pointde s'aliter, aux conseils des officiers
de santé de cette maison, ainsi qu'aux drogues des a phar-
marcie sur les ordonnances desdits officiers.
Art. 13. — Les maladiesqui, par leur nature, seront jugées
incurables, ne seront point comprises dans l'engagement que
la maison d'association prend avec le public; mais aucun
associé ne pourra être refusé pour raison d'incurabilité, qu'en
lui rendant tout ce qu'il aura payé à la maison, depuis qu'il
est associé, et sans aucune retenue pour la dépense des mala-
dies qui auront précédé son incurabilitè et dont il aurait
été traité et guéri dans la maison. A l'égard de l'actionnaire
devenu incuçable, on ne pourra le refuser sans lui offrir le
206 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
remboursement du prix principal de ses actions, et sans
diminution pour raison du secours qu'il aurait tiré de ladite
maison, ni du bénéfice qu'il en aurait partagé.
Art. 14. — Cette maison n'ayant d'autre soutien que celui
des contributions, volontaires et continuelles, payées par un
nombre d'associés qui jouissent de la santé, pour servir au
soulagement de ceux d'entre eux qui auraient le malheur
d'en être privés, il serait injuste d'employer une partie de ces
ressources au traitement de ces maladies dont la nature ne
nous afflige presque jamais sans notre consenteqient ; ainsi,
les maladies vénériennes ne feront point «partie du traitement
auquel la maison d'association s'engagera vis-à-vis de tous
ses associés, et elles seront exclues, jusqu'à ce qu'au premier
établissement on ait pu en joindre un second, dans lequel
ces maladies et les accouchements seront reçus, en payant
par les associés une somme très modique par jour, et qui ne
sera au plus que la moitié de ce que paieraient dans le même
établissement ceux qui ne seraient point associés.
Art. 15. — Les actionnaires seront tenus de se faire enre-
gistrer aux bureaux de cette maison, et d'y déclarer s'ils
entendent jouir par eux-mêmes des droits qui leur sont
accordés par l'article précédent, ou de nommer ceux qu'ils
veulent en faire jouir ; duquel enregistrement il leur sera
délivré une reconnaissance pour leur servir lorsqu'ils se
présenteront pour être reçus dans ladite maison. Les
nouveaux acquéreurs d'actions seront tenus d'observer la
même formalité à chaque mutation.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 207
Art. 16. — Les associés jouiront dansMeurs maladies des
mêmes traitements et droits que les actionnaires, en payant,
savoir, 20 sols par mois pour avoir droit aux lits des salles ;
40 sols par mois pour les lits des chambres à deux lits ; 3
livres par mois pour les chambres à 1 lit, et enfin 5 livres par
mois pour les appartements : on paiera trois mois d'avance •
Art. 17. — Les actionnaires et les associés qui voudront
faire jouir leurs enfants, domestiques, ou toute autre
personne en leur place, du droit d'être reçus et traités en cas
de maladie dans ladite maison, seront tenus d'en faire leur
déclaration au bureau de la dite maison, ainsi qu'il a été dit,
pour qu'il en soit fait mention sur le registre, et qu'il en soit
délivré une reconnaissance aux personnes nommées, pour
leur servir lorsqu'elles se présenteront à l'effet d'être reçues
dans ladite maison : cette formalité sera renouvelée toutes
les fois que les actionnaires ou les associés voudront subs-
tituer une personne à celle qu'ils auront nommée précé-
demment.
Art. 18. — Les maîtres qui abonneront la totalité de leurs
maisons ne seront point tenus à cette désignation ; mais
seront tenus lesdits maîtres de donner en s'associant un
certificat qui attestera qu'ils mettent à l'association la totalité
de leur maison, sans en excepter personne, et dans lequel
certificat ils se soumettront de n'envoyer jamais de malades
à la maison d'association que du nombre des associés, et
avec un billet imprimé dont les blancs leur seront remis en
s'associant ; ils n'auront qu'à le remplir et le signer eux-mêmes
208 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
OU le faire signer par celui qui sera à la tète de leur maison,
chaque fois qu'ils auront un malade à envoyer. Ce billet
désignera le malade et engagera le maître dans le cas où par
une fausse charité ou autre raison que ce puisse être, il aurait
abusé de son droit en envoyant sur ce billet un autre qu'un
associé, de payer pour chacun des jours que ce malade
aurait passé dans la maison, le double de ce qu'il en coûte
dans chaque classe aux payants par jour.
Art. 19. — Les personnes qui seront reçues dans ladite
maison, conformément aux dispositions portées aux articles
précédents, seront traitées, médicamentées, pansées, nourries,
chauffées, éclairées, blanchies et soignées pendant tout''ic
cours de leurs maladies avec tout le soin et l'attention
possibles : la maison fournira tout le linge dont les malades
auront besoin, à l'exception cependant de celui de corps
qu'elle ne fournira que dans les salles.
Art. 20. — L'entrée à l'association ne sera ouverte que
depuis dix jusqu'à cinquante ans, et pour la première année
de l'établissement, seulement, jusqu'à soixante ; mais ceux
qui seront une fois admis, et qui seront parvenus sans
interruption jusqu'à l'âge ci-dessus fixé, ne pourront plus
être exclus sous prétexte qu'ils ont passé ledit âge. Les
mêmes dispositions auront lieu pour les personnes nommées
par les actionnaires et les associés, ainsi que pour les
nouveaux acquéreursd'actions.
Art. 21. — Aucun nouvel actionnaire, associé ou repré-
sentant l'actionnaire ou l'associé, ne sera reçu dans ladite
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 209
maison, que son association n'ait au moins un mois de date.
Sera néanmoins libre aux administrateurs de les recevoir
dans le cas où le mois ne serait point expiré, en payant par
eux, pour chacun des jours qui manqueront au mois, la
moitié de ce que doivent payer dans les différentes classes,
les externes dont il sera ci-après parlé.
Art. 22. — L'actionnaire qui aura été traité et guéri dans
ladite maison ne pourra vendre son action dans Tannée, à
compter du jour de sa sortie de ladite maison ; et s'il la ven-
dait pendant ledit espace, le nouvel actionnaire ne jouira du
droit d'être reçu en cas de maladie dans ladite maison
4a'après que ladite année sera expirée.
Art. 23. — Les associés qui, après avoir été traités et gué-
ris dans ladite maison, se retireront de l'association dans les
six mois, à compter du jour de leur sortie de la maison,
seront tenus de payer l'année entière de leur cotisation. La
même disposition aura lieu dans le cas où la personne nom-
mée par l'actionnaire ou l'associé serait changée dans les six
mois de sa convalescence.
Art. 24. — Lorsque l'actionnaire, l'associé ou le repré-
sentant de l'un ou de l'autre se transportera à ladite maison
pour y être reçu en qualité de malade, il sera tenu d'exhiber,
non seulement la reconnaissance ou le billet qui justifiera son
droit, mais encore la dernière quittance du paiement, il ne
pourra être reçu qu'en payant par l'associé les mois de retard
et six autres mois d'avance, et si le retard était de plus de
trois mois, il sera exclu totalement.
i4
210 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Art. 25* — Les personnes qui ne seront ni actionnaires,
ni associées, ni aux droits des uns et des autres pourront
cependant être reçues dans cette maison pour y être traitées
dans le cas où il y aurait des lits vacants, en payant par les
externes 40 sols par jour pour les salles, 4 livres pour les
chambres à 2 lits, 6 livres pour les chambres à un lit, et 9
livres pour les appartements. Aucun de ces externes ne sera
reçu qu'en déposant entre les mains du caissier de la maison
un mois d'avance sur le pied de la Classe qu'il aura choisie :
en sortant de la maison, on lui remettra ce qu'il pourrait
avoir payé de trop.
Art. 26. — Les effets appartenant aux malades qui seront
reçus dans cette maison, seront déposés lors de leur entrée
dans un magasin, portés et désignés sur les registres de ces
magasins ; ils seront rendus aux convalescents ou à ceux ou
à la famille de ceux que les soins ne pourront rappeler à la
vie, en payant par ladite famille ce que le défunt pourrait
redevoir à ladite maison et les frais funéraires.
Art. 27. — Il sera établi un bureau d'administration
composé du Sieur Lieutenant-Général de Police, de ceux qui
ont signé la requête comme instituteurs, d'un directeur, de
quatre curés de Paris, du nombre desquels sera celui de la
paroisse sur laquelle sera située ladite maison et de six
autres administrateurs pris parmi les actionnaires, tous
lesquels auront voix délibérative. Le directeur, les trois
curés, et les six autres administrateurs, seront nommés pour
la première fois par le Roi, et aussitôt qu'ils auront été
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 211.
nommés pour la première fois par le Roi, le bureau choisira
un secrétaire, un caissier, ainsi que toutes les autres person-
nes qui seront employées dans ladite maison.
Art. 28. — Il sera tenu à la fin de chaque année, une
assemblée générale composée des personnes qui formeront le
bureau, à laquelle seront admis les propriétaires de 10 actions,
et les porteurs de cinquante ; dans cette assemblée, il sera
rendu par le directeur et le caissier et en présence des admi-
nistrateurs, un compte général des produits et dépenses de
ladite maison pendant l'année précédente.
Art. 29. — Il sera fait choix tous les ans dans ladite assem-
blée générale, à la pluralité des voix de deux nouveaux admi-
nistrateurs, pour remplacer les deux qui sortiront après trois
années d'exercice, lesquels ne pourront Être continués, mais
élus de nouveau après deux années de sortie d'exercice seule-
ment. Si dans le courant d'une année l'une des places d'admi-
nistrateur venait à vaquer, il y serait pourvu provisoirement
par le bureau d'administration jusqu'au moment del'éltction.
Art. 30. — Et attendu la nomination qui sera faite d'abord
par le Roi, de six administrateurs amovibles, la première
élection n'aura lieu qu'à la tin de la troisième année, et les
deux nouveaux administrateurs élus, remplaceront ceux des
administrateurs nommés par le Roi, qui désireront se retirer,
et ainsi l'année suivante.
Art. 31. — Le bureau fera choix de deux médecins de la
faculté à titre de consultants, d'un autre médecin demeurant
dans la maison en qualité de médecin ordinaire ; et de deux
212 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
jeunes médecins pour veiller à l'exécution et à l'effet des
ordonnances, et rendre compte des symptômes qui auront
paru, ou des accidents qui seront arrivés dans l'intervalle
d'une visite à l'autre : il y aura un chirurgien en chef choisi
parmi les maîtres, et un premier chirurgien demeurant dans
la maison, deux aides et quatre élèves ; ces sept dernières
places seront données au concours, mais le bureau pourra
refuser d'y admettre ceux contre lesquels il y aurait quelques
raisons particulières d'exclusion. 11 sera aussi tenu de mettre
la pharmacie sous l'inspection et la direction d'un des
maîtres apothicaires de Paris qu'il choisira, et ensuite les
deux hommes qui seront attachés à la pharmacie, et qui en
conséquence demeureront dans la maison, pour que jour et
nuit les malades puissent être secourus par une prompte
exécution des ordonnances des officiers de santé.
Art. 32. — Un des médecins consultants sera obligé de
venir tous les jours à la maison pour consulter avec le méde-
cin ordinaire, et tous les deux seront appelés par lui toutes
les fois qu'il se rencontrera des cas embarassants et qu'il le
croira utile. Il ne sera point fait de grandes opérations dans
ladite maison, qu'après une consultation qui en aura décidé, et
qui sera signée du chirurgien en chef, du chirurgien ordinaire,
des deux médecins consultants, et du médecin ordinaire.
AiiT. 33. — Les curés qui feront partie du bureau d'admi-
nistration, seront spécialement chargés du spirituel de cette
maison et de tout ce qui concerne l'administrationd es sacre-
ments et les droits de l'église ; ils choisiront les ecclésias-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU
213
tiques qui seront résidents dans la maison pour procurer aux
malades, la nuit comme le jour, les secours spirituels ; ils
présenteront lesdits ecclésiastiques au bureau, par qui ils
seront agréés, s'ils sont approuvés par l'Ordinaire.
Art. 34. — Tous les curés et les notaires ou autres T)er-
sonnes dont la place donne beaucoup de relation avec le
public et en exige la confiance sont autorisées à recevoir son
vœu pour cet établissement : et pour faciliter cette opéra-
lion, il sera remis à chacun de ceux qui voudront bien s'en
charger, des soumissions imprimées, cotées et paraphées,
qui, dans des colonnes séparées pour placer les noms de
ceux qui voudront être actionnaires, associés ou payant par
jour leur présenteront les différentes classes de l'association
suivant le modèle ci-joint :
No V
Je soussigné déclare avoir lu attentivement les lettres patente et règle-
ments de la maison d'association, et en conséquence, je m oblige et engage
de remplir exactement les conditions qui m'y sont imposées en ma qualité
ci-après désignée, et de payer dans les temps prescrits la cotisation des
classes que j ai choisies, et pour le nombre de personnes que j'y fais entrer:
Actionnaires
fondateurs
Nombre
d'actions
Différentes
classes
Associés
Nombre
de places
Payants
par jour
Demeures
des dits
Salles
de 24 lits
Chambres
à 2 lits
Chambres
àlUt
Appartements
L'an , le à ||
314 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Chacun de ceux qui se rendront chez les personnes ci-dessus
indiquées, mettront leur nom dans la colonne qui désigne la
qualité qu'ils ont choisie, et auront soin de marquer sur les
lignes des différentes classes, le nombre de places qu'ils veulent
dan%cbacune, signeront ensuite au bas de ladite soumission,
et feront remplir la colonne des demeures de leur paroisse,
rues, et même du nom de leur propriétaire ou principal loca-
taire, pour ceux qui ne seraient pas suffisamment connus.
Art. 35. — Il ne sera rien payé lors de ces soumissions, et
lorsqu'elles seront ainsi remplies et signées, celles de la veille
seront envoyées les matins par la petite poste au sieurde Cha-
mousset, qui en fera *enir registre, et en fera passer un relevé
tous les soirs, au Lieutenant général de Police ; et lorsque le
nombre en sera suffisant pour assurer le succès de cet établis-
sement, le bureau sera créé comme il est dit à l'article 27, et le
directeur et caissier nommés pour recevoir le montant des ac-
tions et délivrer aux actionnaires des actions numérotées et
signées du directeur, du caissier, et au moins de quatre des
syndics ; les numéros de ces actions, lors de leur délivrance,
seront portés sur les registres de la maison, et à côté, le nom du
propriétaire avec le titre de fondateur. Ledit bureau délivrera
aux associés les billets d'association, numérotés différemment
des actions, mais de même signés du directeur et du caissier,
et au moins de deux des syndics; les numéros de ces billets
seront également portés sur les registres de la maison, et les
noms des associés, rangés par ordre alphabétique, sur lesdils
registres : cnrecevantlcs billets, on fera le premier paiement.
Correspondance de Voltaire
Tom. 60. F" 266 et 267.
N» 3588.
A Monsieur de Cideville,
aux Délices, le 24 mai 1762.
Mon cher et ancien ami,
... Au reste, je suis bien sûr que vous ne pensez pas que
mon Commentaire soit à la Dacier. Je critique avec sévérité
et je loue avec transport. Je crois que l'ouvrage sera utile,
parce que je ne cherche jamais que la vérité.
Mademoiselle Corneille n'entendra point mon Commen-
taire : elle récite assez joliment des vers ; nous en avons fait
une actrice ; mais il se passera encore bien du temps avant
qu'elle puisse lire son oncle.
2l6 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Voilà son père réformé avec M. de Chamousset (1), son
protecteur.
Voltaire. — Dictionnaire philosophique. — Tome XX VIII,
publié avec notes par Beuchot, 1829. Inv. Z. 27097.
F^ 17 et suivants L'Hôtel-Dieu, par exemple, était très
bien placé autrefois dans le milieu de la ville auprès de
TEvêché. Il Test très mal quand la ville est trop grande,
quand quatre ou cinq malades sont entassés dans chaque lit,
quand un malheureux donne le scorbut à son voisin dont il
reçoit la vérole, et qu'une atmosphère empestée répand les
maladies incurables et la mort, non-seulement dans cet hos-
pice destiné pour rendre les hommes à la vie, mais dans une
grande partie de la ville à la ronde.
L'inutilité, le danger même de la médecine en ce cas sont
démontrés. S'il est si difficile qu'une médecine connaisse et
guérisse une maladie d'un citoyen bien soigné dans sa mai-
son, que sera-ce que cette multitude de maux compliqués,
accumulés les uns sur les autres dans un lieu pestiféré ?
En tout genre souvent, plus le nombre est grand, plus mal
on est.
M. de Chamousset, l'un des meilleurs citoyens et des plus
(1) Cbamoasset (Charlcs-Humberl-Pianron de), né à Pari» en 1717, mort le 27 afril
1773 ; ingéoieur, généreux et zélé phllanlrope, fondateur à Paris de la petite poste.
Ce fut à grand'peine et à grands frais qu'il avait formé cet éUblissement à la fin de
1758. Ces lettres-patentes lui en accordaient les produits pour trente ans. La première
année il réalisa 50.000 livres de bénéfices et ces bénéfices que de Chamousset espéraK
doubler éuient destinés à des œuvres de bienfaisance. Dès 1760 il fut dépossédé. On lui
accorda toutefois une peqsion viagère de 20.000 Uv. — (Bkuchot).
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 217
attentifs au bien public, a calculé, par des relevés fidèles,
qu'il meurt un quart des malades à THôtel-Dieu, un
huitième à l'hôpital de la Charité, un neuvième dans
les hôpitaux de Londres, un trentième dans ceux de Ver-
sailles.
Dans le grand et célèbre hôpital de Lyon, qui a été long-
temps un des mieux administrés de l'Europe, il ne mourait
qu'un quinzième des malades, année commune.
On a proposé souvent de partager THôtel-Dieu de Paris
en plusieurs hospices mieux situés, plus aérés, plus salu-
taires ; l'argent a manqué pour cette entreprise.
(( Curtœ nescio quid semper ah est reL »
Horace, liv. III, od. XXIV.
On eil trouve toujours quand il s'agit d'aller faire tuer des
hommes sur la frontière ; il n'y en a plus quand il faut les
sauver. Cependant l'Hôtel-Dieu de Paris possède plus d'un
million de revenu qui augmente chaque année, et les Pari-
siens l'ont doté à l'envi.
On ne peut s'empêcher de remarquer ici que Germain
Brice, dans sa Description de Paris^ en parlant de quelques
legs faits par le premier président de Bellièvre, à la salle de
l'Hôtel-Dieu nommée Saint-Charles, dit « qu'il faut lire cette
€ belle inscription gravée en lettres d'or dans une grande
€ table de marbre, de la composition d'Olivier Patru del'Aca-
218 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
c demie française, un des plus beaux esprits de son temps,
« dont on a des plaidoyers fort estimés. >
« Qui que tu sois qui entres dans ce saint lieu, tu n'y ver-
c ras presque partout que des fruits de la charité du grand
c Pomponne. Les brocards d'or et d'argent et les beaux
c meubles qui paraient autrefois sa chambre, par une heu-
a reuse métamorphose, servent maintenant aux nécessités
« des malades. Cet homme divin qui fut l'ornement et les
c délices de son siècle, dans le combat même de la mort, a
« pensé au soulagement des affligés. Le sang de Bellièvre
€ s'est montré dans toutes les actions de sa.vie. La Gloire
« de ses ambassades n'est que trop connue, etc. »
L'utile Chamousset fit mieux que Germain Brice et Olivier
Patru, l'un des plus beaux esprits du temps ; voici le plan
dont il proposa de se charger à ses frais, avec une compagnie
solvable.
Les administrateurs de l'Hôtel-Dieu portaient en compte la
valeur de 50 livres pour chaque malade, ou mort, ou guéri.
M. de Chamousset et sa compagnie offraient de guérir pour
cinquante livres seulement par guérison. Les morts allaient
par dessus le marché et étaient à sa charge.
La proposition était si belle qu'elle ne fut pas acceptée. On
craignit qu'il ne pût la remplir. Tout abus qu'on veut réfor-
mer est le patrimoine de ceux qui ont plus de crédit que les
réformateurs.
Une chose non moins singulière, est que THôtel-Dieu a seul
le privilège de vendre la chair en Carême à son profit, et il y
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 319
perd. M. de Chamousset offrit de faire un marché où THôtel-
Dieu gagnerait : on le refusa, et on chassa le boucher qu'on
soupçonna de lui avoir donné Tavis (1).
Ainsi chez les humains, par un abus fatal,
Le bien le plus parfait est la source du mal.
Henriade, chant Y, 43-44-
Bibliothèque Nationale
57* Fol. des Œuvres de Voltaire^ par Beuchot. F"* 403. —
Z. 27.126. — Sa Correspondance :
N» 2581. A Monsieur Darcet y
10 Décembre 1757.
Mon cher et ancien ami, j'ai lu le projet de l'hôpital ; il
en faudrait un bien grand pour y mettre nos pauvres soldats
de l'armée de Soubise, qui ont manqué bien longtemps de
pain. Heureusement^ les Autrichiens nous vengent ; ils
gagnent une bataille longue et meurtrière sous les murs de
(i) En 1775, soas l'administration de M. Turgot, co privilège ridicule de l'Hôlel-
Dieu fat détruit et remplacé par un impôt sur la TJande. Le peuple de Paris était
réduit auparavant à n'avoir pendant tout le carême qu'une nourriture malsaine et très
<bëre. Cependant quelques hommes ont osé regretter cet ancien nsage. non qu'ils le
crussent utUe. mais parce qu'il était un monument du pouvoir que le clergé avait eu
trop longtemps sur l'ordre public et que sa destruction avançait la décadence de ce
pouvoir. En 1629, on tuait six bœufs à l'Hotei-Dieu pendant le Carême, deux cents en
1665. cinq cents en 170H, quinze cents en 1750 ; on en consomme prés de neuf
mille (K.).
220 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Breslau, Us prennent le prince Bevern prisonnier, ils
sont dans Breslau. L'Impératrice reprend sa chère Silésie,
excepté Neis, et la Barbarini, qu'elle n'a pas encore, mais
qu'elle aura sûrement à moins d'un miracle, et Dieu n'en fait
point pour notre mécréant. Je lui donne des conseils de
Cineas, et j'ai peur qu'il ne finisse bientôt comme Pyrrhus.
Vous souvenez-vous de quel air je prenais la liberté de cor-
riger sa prose et ses vers ? Je lui parle de même sur son état.
C'est la seule vengeance que je puisse prendre et elle est fort
honnête. Sa gloire est en sûreté : après nous avoir bien
battus, et nous avoir accablés de bons mots et de caresses,
il ne devrait plus songer qu'à vivre tranquille ; à ne pas
s'exposer à la cérémonie du ban de l'Empire, et à devenir
philosophe. Il devrait aussi quelque honnêteté à ma nièce,
mais il n'est pas galant.
Je me flatte que M. de Richelieu fera décimer les Hano-
vriens. Je ne sais comment les sujets du roi d'Angleterre se
sont mis à mériter la hart sur terre et sur mer.
Je reviens à l'Hôpital dont j'étais parti : il est clair que cette
maison ne sera pas sitôt fondée ; mais je vous prie d'assurer
M. de Ghamousset de ma sincère et stérile estime ; je vou-
drais qu'on le fit prévôt des marchands. Il est honteux qu'un
homme qui a des intentions si nobles, et qui parait si exact
et SI laborieux, ne soit pas en place : c'est un malheur public
qu'il ne soit pas employé.
Mais vous ! quand le serez-vous ? Vous êtes une preuve que
les talents ne sont pas tous mis en œuvre. Je bénis Dieu que
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 221
VOUS ayez quitté Berlin, mais je suis fâché que vous n'ayez
pas trouvé mieux à Paris, où vous deviez trouver tout.
Mes compliments, je vous prie au laborieux mortel à qui
je dois de belles tulipes.
Bibliothèque Nationale
Départ* des imprdiés
Mémoires secrets de de Bachaumont. 8'Z. 16.821
P 8. 11 octobre 1771. — Depuis plusieurs années, un
citoyen renommé pour ses vues utiles à l'humanité, avait
répandu le prospectus d'une maison d'association, où les
malades pourraient se rendre et être traités à beaucoup
moins de frais que chez eux. Tout le monde avait applaudi à
cette imagination, que personne n'avait voulu contribuer à
réaliser.
Un chirurgien hardi, depuis quelques mois a tenté en.
petit une entreprise, qui demanderait beaucoup de fonds
pour être portée au point de perfection où M. de Cbamousset
voulait la monter. Il a loué une maison dans le faubourg
Saint-Germain, en bon air, avec un jardin et tous les entours
nécessaires, dans laquelle il reçoit ses malades sous deux
classes, celle des làaltres et celle des domestiques. Les
derniers sont plusieurs dans la même chambre, et pour
222 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
4 liv. par jour reçoivent tous les secours, de quelque nature
que ce soit, dont ils auraient besoin. Il en coûte 6 liv. par
jour pour chaque maître, qui a sa chambre séparée et du
reste les mêmes ressources à proportion. M. de Sartines a
vu avec satisfaction la tentative du Sr. Silvie qui lui a rendu
compte de son plan. Ce Magistrat lui a promis sa protection
et le favorise en tout ce qui dépend de lui. 11 est à souhaiter,
surtout pour les étrangers, que ce chirurgien ait le courage
de continuer ce projet et de l'étendre de plus en plus.
Même provenance et même année
F' 363. — 23 avril 1773. — M. de Chamousset vient de
mourir. C'était un citoyen qui avait rêvé toute sa vie au
bien public. On dit rêvé, parce que peu de ses projets
s'étaient réalisés. Le seul, de la Petite Poste a réussi et sub-
sisté. Comme tous les faiseurs de spéculation, il avait mangé
à ce métier une partie de son bien. 11 laisse encore beaucoup
de papier à mettre en ordre, et peut-être y trouvera-t-on
quelques idées plus heureuses.
Procès-verbaux des fouilles à St-NIcoias du Chardonnet
Semaine religieuse de Paris
Samedi 22 Octobre 1898
Recherches intéressantes dans les caveaux
de Saint-Nicolas du Chardonnet
La découverte récente d'une lettre de faire part des funérailles
de Piarron de Chamousset, fondateur de la Petite Poste ^
dans laquelle l'église de Saint-Nicolas était nommée comme
le lieu de sa sépulture, donna Tidée. à M. Martin-Ginouvier,
historiographe du fondateur de la Petite Poste, de demander
à M. l'abbé Guéneau de l'autoriser à faire des recherches,
dans les caveaux de l'église afin de retrouver les restes de
Chamousset, inhumé le 28 avril 1773.
Ces recherches ont lieu eu mardi dernier, 18 octobre.
Voici le procès- verbal qui a été dressa à cette occusion :
€ L'an mil huit cent quatre-vingt-dix-huit^ le dix^huit
octobre, sur la demande de M. Martin-Ginouvier et sous la
présidence de M. l'abbé Guéneau, euré de Saint-Nicolas de
Chardonnet ; M. Prevert, membre du conseil de fabrique ;
MM. Lapeyrade, premier vicaire, Lescure,Delaunay, vicaires;
224 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
MM. les docteurs Légué, Cabanes, MM. de Malarce, Louis
Guédy, Charles Sellier, représentant du musée Carnavalet ;
Maréchal, Martin-Ginouvier, Dumont et plusieurs représen-
tants de la presse ont procédé à des fouilles dans le caveau
de la chapelle de Sainte-Catherine, à l'effet de rechercher les
restes de Piarron de Chamousset, inhumé dans cette église,
le 28 avril 1773 ;
c Ils ont trouvé dans un sac de laine noire :
l"" Un parchemin contenant ces mots : Ci-gist messire
Claude-Humbert de Chamousset (Piarron de) ;
« 2o Un brevet sur parchemin de lieutenant-colonel délivré
par M. le marquis de Béthune, maréchal de Camp, au sieur
de Bézac, le 20 août 1749 ;
« 3o Un soulier et un fragment de soulier, avec un morceau
de cuir de ceinture, lequel était renfermé dans le petit sac. >
Semaine Religieuse de Paris
Samedi 12 Novembre 1898
Procès-verbal des nouvelles découvertes
dans les caveaux de Saint- Nicolas du Chardonnet
L'an mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, le vingt-six octo-
bre (mercredi), sur la demande de M. Martin-Ginouvier,
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 225
SOUS la présidence de M. Tabbé Guéneau, curé delà paroisse,
en la présence de M. Pré vert, représentant de la Fabrique,
de MM. les abbés Daix, archiviste du diocèse de Paris; Lapey-
rade, premier vicaire; Lescure et D^launay, vicaires de
Saint-Nicolas du Chardonnet ; MM. les docteurs Cabanes et
Maurice de Thierry; MM. Charles Sellier, représentant du Musée
Carnavalet ; Marlin-Ginouvier ; Bureau, bibliothécaire à
l'Académie de Médecine^ et plusieurs représentants de la
presse, de nouvelles fouilles ont été faites dans les caveaux de
Téghse et ont été faites les découvertes suivantes :
1* Dans les caveaux des chapelles des fonts baptismaux et
des âmes du purgatoires, de nombreux ossements ;
2"" Dans le caveau de la chapelle Sainte-Catherine, où Ton
avait déjà trouvé les restes et documents mentionnés dans le
procès-verbal du dix-huit octobre, une caisse ouverte renfer-
fermant des ossements humains, savoir : Une colonne verté-
brale composée de dix-huit vertèbres, trois côtes y insérées,
un fragment de bassin adhérent à ces vertèbres, avec un os
iliaque gauche et une partie du sacrum ; un fémur gauche
complet long de cinquante-cinq centimètres, le tibia, le
péroné et le pied gauche complet, recouvert de chair momi-
fiée — le tibia et le péroné droits recouverts de leurs chairs
également momifiées — (la colonne vertébrale a une légère
déviation à gauche). Cachant ces ossements, se trouvaient
des parties de tissus cellulaires momifiés.
Selon toute probabilité, ces restes seraient ceux du marquis
de Chamousset, attendu qu'ils répondent aux données four^
i5
226 UN PHILA1NTHR0PE MÉCONNU
nies par M. Martin-Ginouvier, et qu'ils ont été trouvés dans
le caveau même où les documents avaient été découverts.
MM. les docteurs Bureau, de Thierry et Cabanes ont été
chargés de l'examen anatomique des restes.
La Commission a encore trouvé, sous la chapelle du Cœur
sacré de Marie, dite chapelle de Santeuil, un cercueil doublé
de chêne et de sapin recouvert d'une double enveloppe de
plomb.
Bulletin municipal officiel
du Dimanche 4 Décembre Î898
Messieurs,
Un Historiographe du philanthrope Chamousset, M. Mar*
tin-Ginouvier, a récemment découvert à la Bibliothèque
Nationale cette curieuse lettre de faire part :
« Vous êtes prié d'assister aux convoi, service et enterre-
ment de messire Claude-Humbert Piarron de Chamousset,
chevalier, ci-devant conseiller du Roi, maître ordinaire en
la chambre des Comptes, décédé en son hôtel, quai hors
Tournelle, qui se feront cejourd'hui mercredi 28 Avril 1773,
à neuf heures du matin, en l'église Saint-*Nicolas-du-Char-
donneret, sa paroisse, où il sera inhumé, etc., etc.
€ De la part de M. le Comte d'Amfreville, son oncle et exé-
teur testamentaire. »
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 237
Le nom de Ghamousset paraissait jusqu'à présent oublié,
et, cependant il eut son temps de juste célébrité. C'est à lui
que Paris doit pour l'échange régulier de sa correspondance
urbaine, l'établissement de la petite poste. C'est à lui, dont
la tête, dit l'abbé Voisenon, était toujours en effervescence
pour le bien de l'humanité, que l'on doit la réforme du régi-
me des hôpitaux. Il créa en effet, à ses frais, un hôpital
modèle, où chaque malade eut son lit, et fit tomber ainsi la
funeste coutume de mettre plusieurs malades dans un même
lit» Il eut la première idée des assurances contre l'incendie
et des associations de secours mutuels pour les cas de mala-
die : c'est à ce dernier titre que les mutualistes le récla-
ment pour leur précurseur et projettent de lui ériger une
statue.
La découverte de la lettre de faire part de l'enterrement
de Ghamousset donna enfin à M. Martin-Ginouvier l'idée de
rechercher ses ossements avec son lieu de sépulture.
Avec l'autorisation du curé de Saint-Nicolas-du-Chardon-
net des fouilles firent commencées à cet effet dans cette
église, le 18 octobre dernier. D'après le procès-verbal dressé
à l'issue de cette première opération, on trouva renfermés
dans un petit sac de laine noire : l*' un parchemin contenant
ces mots : Ci^gist Messire Glaude-Humbert de Ghamousset
(Piarron de) ; 2** un brevet, sur parchemin de lieutenant-colo-
nel, délivré par le marquis de Béthune, maréchal de camp,
au sieur de Bézac, le 20 août 1749, un soulier et un frag-
ment de soulier, avec un morceau de ceinture en cuir, lequel
228 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
était renfermé dans le petit sac. Ces objets furent découverts
dans le caveau contigu à celui de la chapelle Sainte-Cathe-
rine et situé sous la nef du bas côté occidental.
Des recherches furent continuées huit jours après. On
commença, cette fois, par l'exploration de la chapelle dies
fonts baptismaux. Là, on constata seulement la présence
d*un entassement d'ossements humains mêlés à des gravois
et des balayures. Puis on ouvrit de nouveau le caveau de la
chapelle Sainte-Catherine où Ton ne rencontra encore que
des ossements de même nature, sans aucun indice d'identité,
mêlés aussi à des balayures. On visita ensuite le caveau con-
tigu, c'est-à-dire celui où Ton avait fait, la semaine précéden-
te, les trouvailles que nous venons de mentionner. Ce caveau
était vide, sauf dans un coin, là, au fond d'une boite en bois
qui ne semblait pas avoir été destinée à l'usage où nous la
vîmes, gisaient des débris humains provenant de corps diffé-
rents, et dont une grande partie des chairs subsistaient à
l'état de momification. Rien, néanmoins, ne pouvait indiquer
s'il y avait bien là les restes de Chamousset.
En présence de choses si. dépourvues d'authenticité, on
résolut de poursuivre les recherches par la visite d'autres
caveaux. On descendit dans celui situé sous la chapelle Sainte-
Anne, où une inscription, qui n'est autre que l'épitaphe du
poète Santeuil composée par RoUin, rappelle la mémoire de
celui qui. sous Louis XIV, illustra nos monuments publics
de ses vers latins. Nous ne vîmes dans ce caveau qu'un cer-
cueil de plomb éventré, laissant apercevoir un squelette assez
UN PHILAJ^THROPE MÉCONNU 229
bouleversé. Mais, vu Fheure avancée de la journée, on remit
à huitaine la continuation des fouilles.
Enfin, hier mercredi, ces fouilles furent reprises avec une
nouvelle ardeur. On commença par le caveau de la chapelle
Saint-Charles-Borrome, pensant y retrouver les sépultures du
peintre Charles Lebrun et de sa mère ; mais le caveau était
vide ; quelques ossements épars sur le sol parmi des ordures
et des décombres s'offrirent seuls aux regards des visiteurs.
Que sont donc devenus les restes de Lebrun ?
Sur cette déconvenue, on fit de nouveau rouvrir le caveau
de la chapelle Sainte-Anne ; puis, à Taide d'une hachette on
parvint à ouvrir le cercueil de plomb qu'on avait déjà remar-
qué à la visite précédente. Peut-être contenait-il les restes de
Chamousset ? Ce cercueil consistait en une double enveloppe
de plomb. En soulevant la première enveloppe on aperçut,
sur la deuxième, ces mots gravés au burin en lettres capi-
tales : Jean-Baptiste Santeuil. Le squelette entrevu précédem-
ment fut enfin mis à découvert ; il était entier mais brisé.
On était bien en présence des restes de Santeuil ; procès-
verbal fut dressé sur le champ. M. Jules Périn, qui assistait
à ces opérations, s'empressa de rappeler aux personnes pré-
sentes que l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet ne reçut que
la dépouille de Santeuil que le 16 février 1818. Ce chanoine,
mort à Dijon en 1697, avait été transporté à l'abbaye de Saint-
Victor de Paris, dont il était religieux et où ses restes ont
reposé jusqu'au moment où l'entrepôt des vins fut construit.
Déposé provisoirement dans l'église Saint-Paul-Saint-Louis,
230 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
le corps de Santeuil fut définitivement placé à Saint-Nicolas
du Ghardonnet avec Tépitaphe tracée par l'élégante plume
de Rollin.
Il est peut*6tre bon de rappeler aussi que, contrairement
à une calomnieuse légende, Santeuil n'est pas mort empoi-
sonné pour avoir bu un verre de vin dans lequel on aurait
jeté du tabac d'Espagne; selon Saint-Simon, c'est M. le
prince de Bourbon qui, par plaisanterie, y aurait versé sa
tabatière. Il a été prouvé par M. de Lescure que le prince
était à ce moment loin du lieu où mourut Santeuil ; et Ton
sait par le président Bouhier qui voyait le poète tous les
jours et à toute heure, que sa mort eut une cause toute natu-
relle.
Il faut avouer que, pour un instant, le souvenir de Char
mousset pâlit quelque peu en présence des restes de Santeuil.
En revanche, pour honorer Tun, ne venait-on pas d'achever
de détruire là sépulture de l'autre ? On convint néanmoins de
ne pas s'en tenir là et d'ajourner à la semaine suivante la
continuation des recherches entreprises.
Mais est-il bien nécessaire de poursuivre de semblables
investigations ? Quels qu'en soient le modèle et le résultat,
est-il vraiment de bon goût de troubler ainsi la paix des
tombeaux ? En vertu de quel droit autorise-t-on ces profana-
tions ?
Nous ne saurions non plus terminer ce compte rendu sans
insister sur l'état d'abandon et de malpropreté dans lequel se
trouvent les caveaux de Saint-Nicolas-du-Gbardonnet, sans
UN PHILANTHROPB MÉGONNU 281
demander i la Commission du vieux Paris de vouloir bien
appeler Tattention de l'Administration sur cette situation
déplorable, au nom de Thygiène publique aussi bien que des
convenances.
Signé : Charles Selusr.
M. le Président appuie les conclusions du rapport de
M. Ch. Sellier, (1) et pense qu'il faut appeler l'attention de
l'Administration sur les faits qu'il signale.
M. J. Périn dit que le curé a l'intention de réunir les
ossements dans un petit charnier. Il propose la nomination
d'une Commission qui serait chargée d'étudier la question.
M. le Président répond que c'est à l'Administration de
faire le nécessaire.
M. Jules Périn ajoute à la communication de M. Ch.
Sellier, qu'il a été convié d'assister aux explorations des
caveaux de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
A propos des restes de Jean de Santeuil, chanoine régu-
lier de l'abbaye Saint-Victor, célèbre poète latin (hymnes
sacrées de la liturgie parisienne), M. Périn fait connaître
qu'il mourut à Dijon le 15 août 1697, à l'ftge de 61 ans (2) ;
(1) Noire impartialité d'biatoriaa fidèle noas a fait reproduire ce rapport, mais
notre loyauté nous oblige de dire que M. Sellier a été présent à toutes nos recherches,
et qD*il a pu ainsi de Tisu conaiater la décence de nos mTestigations, qui n'a?aient
qa*nn but éclairer l'histoire : j'en conclus donc que les écarts de sa plume, ont dépassé
de beaucoup sa pensée.
(2) L'empoisonnement de Santeuil par un Terre de Tin, où le doc de Bourbon
aurait, en matière de plaisanterie, vidé sa tabatière, se trouve absolument démenti
par les mémoires du président Bouhier.
232 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
qu'on l'enterre avec beaucoup de magnificence dans l'abbaye
de Saint-Etienne de cette ville, et que la ville de Dijon,
reconnaissante des témoignages d'affection singulière qu'il
lui avait donnés par divers beaux ouvrages, fit les frais de
ses obsèques magnifiques.
Mais l'abbaye de Saint- Victor, jalouse de conserver les
cendres d'un homme qui avait été l'ornement de son siècle
et d'elle-même en particulier, voulut les recouvrer. La ville
de Dijon les lui disputa quelque temps, et ce ne fut pas sans
peine qu'elle sacrifia ce précieux dépôt aux ordres et à l'obéis-
sance qu'elle devait à M. le prince de Condé qui les fit trans-
porter à Paris, à ses frais, dans l'abbaye dans Saint-Victor.
(La vie et les bons mots de M. de Santeuil ; Amsterdam,
1752, p. 22-23).
C'est en 1818 que les restes du poète Santeuil, avec l'épi-
taphe composée par RoUin, ont été placés dans l'église Saint-
Nicolas-du-Chardonnet.
M. Charles Lucas dit que l'on peut remarquer dans la
chapelle Sainte-Catherine de cette église un tableau de Res-
tout représentant le baptême du Christ. Ce tableau, qui a été
examiné par quelques personnes, et à la suite d'une extra-
ordinaire aberration, attribué à Corot, est coupé en deux dans
toute la longueur de la toile. Il demande à la Commission si
des démarches ne pourraient pas être faites pour sa restaura-
tion.
M. Brown répond que, le tableau étant la propriété de la
fabrique, la Ville n'a pas à intervenir.
/
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 233
M. le Président répond que la Commission du Vieux
Paris peut toujours signaler le cas à T Administration compé-
tente.
M. Charles Lucas pense que l'on pourrait faire une démar-
che auprès de la fabrique.
M. Brown répond qu'elle refusera probablement de faire la
restauration.
M. André Laugier estime que la fabrique devrait alors
donner le tableau à la Ville, qui se chargerait de le restaurer.
La Commission décide que M. le chef du service des Beaux-
Arts de la Ville sera prié de signaler à qui de droit le mau-
vais état de l'œuvre de Restout.
Notice sur l'Eglise de Saint-Nicolas du Chardonnet ^^^
Au XIII* siècle, Tan 1820, Tévèque de Paris, Guillaume III
dit d'Auvergne, pour faciliter aux bateliers et autres com-
merçants que leurs affaires attiraient de ce côté de la Seine,
les moyens d'accomplir leurs devoirs religieux, permit de
construire une chapelle sous le vocable de Saint-Nicolas, sur
un terrain dépendant do l'abbaye de Saint- Victor ; un prêtre
séculier fut chargé de desservir cette nouvelle chapelle.
Peu d'années après, lesAugustins vinrent s'établir à Paris;
d'abord à Montmartre dans l'église de Sainte-Marie-Egyp-
tienne et ensuite dans la rue des Bernardins, là, où, disent
certains auteurs, se voit à présent l'Eglise de Saint-Nicolas
du Chardonnet.
Ces religieux Augustins y demeurèrent peu de temps,
puisque vers 1293 ils se réunirent aux Frères de la Pénitence
dits Frères Sachets, établis au faubourg Saint-Germain sur
les bords de la Seine par le roi Saint-Louis.
Les terrains de la première chapelle et du premier cime-
tière avaient été acquis par l'évèque de Paris des religieux
de Tabbaye de Saint-Victor, cédant le cens et autres droits
sur une pièce de terre sise au Chai^donnet près du ponceau
de Bièvrey en face le clos Mauvoisin et contenayit cinq
quartiers. Les religieux Augustins avaient également acheté
du chapitre de Notre-Dame et de l'abbé de Saint- Victor, ^io?
arpents de terre, plantés de vigne pour y fonder leur
couvent.
(1) 11 est bon de noter, que la lettre de faire- part de Cbamousset, trouvée à la
Bibliothèque Nalùmale porte le nom de Saint-Nicolas du Chardonneret.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 235
Dès 1243, la chapelle primitive était devenue complètement
insuffisante tant s'était accrue la population dans le court
espace de treize ans. Il fallut songer à la remplacer ou à
l'agrandir.
Entre Guillaume III et Raoul, abbé de Saint- Victor, il se
fit un nouveau contrat : les religieux de la célèbre abbaye
vendirent le terrain nécessaire à la construction d'une église
paroissiale, contenant vingt-quatre toises en longueur et dix-
huit en largeur et, de son côté, l'évêque de Paris abandon-
nait à l'abbaye toute la terre qu'il possédait au Chardonnet
à perpétuité, ne se réservant expressément que le cimetière
situé entre l'église et la Seipe.
La rue des Bernardins en occupe une partie et, lors de son
établissement, elle fut tracée au milieu et ce fut sur cette
partie du cimetière que l'église actuelle fut bâtie.
L'église de Saint-Nicolas fut donc construite le long du lit de
la Bièvre, longeant alors dans toute sa longueur la rue Saint-
Victor. Il fut convenu entre l'évêque de Paris et les religieux
de Saint- Victor qu'un chemin tracé devant le portail de l'église
et se dirigeant vers la Seine, ^honïïTdM au petit hras^ en face
de la pointe de Vile appelé alors le terrain du Terrait
formé avec les débris de toutes sortes provenant de la
construction de Notre-Dame dont les travaux étaient en
cours d'exécution^ et des immondices même du cloître et
de Vévêché.
La nouvelle église fut donc bâtie dans la direction de l'Est
à l'Ouest ; le portail faisant face à la rue des Bernardins. La
tour qui se voit encore, se trouvait alors à la gauche de
l'ancien portail, et de cette première église de style ogival
de Saint-Nicolas il reste encore une fenêtre à meneau assez
bien conservée dans la partie inachevée de l'église actuelle.
Quels étaient l'aménagement et la disposition de cette
église paroissiale ? Nul plan, nulle description. On ne connaît
236 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
que son orientation et son emplacement. Son chevet ne devait
pas cependant se prolonger au delà de l'emplacement où
. depuis l'abbé de Charles eut sa demeure et ses jardins qu'il
céda aux prêtres habitués de la paroisse et, où peu de temps
après, ils élevèrent une partie des bâtiments du séminaire de
Saint-Nicolas.
En 1415 cette église était encore debout, mais dans un tel
délabrement que le lieutenant de la police songeait à en
interdire l'accès quand le curé et lés marguilliers décidèrent
la reconstruction au moins partielle.
Le 13 mars 1426 la nouvelle église fut bénie pendant l'épis-
copat de Mgr Jean de Nanto.
En 1545 l'église fut agrandie et Ton érigea la chapelle de
Saint-Jacques et Saint-Honoré.
En 1650 l'église menaçait ruine, il fallait songer à l'évacuer
et à la démolir. 11 ne faut pas s'étonner autrement de ces déla-
brements successifs. Cette église était bâtie en plein marais
sur un terrain longeant une rivière dont les eaux l'envahirent
longtemps. Cependantles ruines de cet édifice ne devaient pas
être aussi profondes que les précédentes, car le cours de la
Bièvre avait été intercepté par les fossés profonds qui, sous
le règne de Charles V, furent creusés autour des fortifications
de Philippe-Auguste sur les conseils d'Eiienne Marcel, au
moment de la captivité du roi Jean ; depuis lors, la Bièvre
ne coulait plus sous les murs de l'église.
En 1656 on commença la construction de l'édifice actuel
sur les plans et dessins de Charles Lebrun, premier peintre
du roi et paroissien de Saint-Nicolas, le long de la rue des
Bernardins dans le cimetière et dans la direction du Nord
au Sud, perpendiculairement à l'ancienne église. Le portail
devait ouvrir sur la rue Saint- Victor et l'ancien cours de la
Bièvre, alors complètement couvert, comblé ou converti en
égoût.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 237
Le chancelier de Paris, Martin, en posa la première pierre,
au mois de Juillet. Elle fut bénie par M. Compaing, vicaire
de la paroisse, et prêtre de la communauté en présence des
autorités constituées. M. Féret, ancien vicaire général d'Alet,*
étant alors curé de Saint-Nicolas.
Lorsqu'une partie de Tédifice fut en état d'être livrée au
culte, monseigneur de Péréfixe, archevêque de Paris, en fit
la bénédiction solennelle.
Madame de Miramion donna plus de 50.000 francs pour
cette nouvelle église ; 6.000 francs plus tard et se portant
caution de.12.000 francs sans compter les ornements d'or et
d'argent, de velours et de damas, de chandeliers, le soleil et
le dais pour le Saint-Sacrement.
Vers Fan 1688 on commença à construire le bras de la
croix et le portail de la rue des Bernardins. La famille
d'Argenson qui possédait une chapelle .mortuaire fit conti-
nuer les travaux après la mort de Lebrun, en 1690.
Vers 1706, Madame de Nesmond, née de Miramion, obtint
l'autorisation de fonder une loterie pour l'achèvement de son
Eglise paroissiale.
Cette loterie fut tirée dans l'hôtel de Bourgogne, situé près
le Collège du cardinal Lemoine, le 20 juillet 1709. Si minime
qu'en fut le produit, on put cependant reprendre les travaux
et les conduire au point où ils sont restés depuis.
Dans le courant du xviii« siècle, le curé et les marguilliers
firent à diverses reprisés de vives mais infructueuses instan-
ces auprès des pouvoirs publics pour la continuation des
travaux et la construction du portail principal sur la rue
Saint-Victor.
En 1793, l'Eglise de Saint-Nicolas subit le même sort que
la plupart des édifices religieux. Elle fut dépouillée de ses
monuments, de ses sculptures et de ses tableaux.
En 1792, elle avait été déclarée propriété nationale et mise
238 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
à la| disposition du gouvernement qui la vendit le 3 vendé-
miaire, 25 septembre 1799.
L'acquéreur, pour tirer parti de l'emplacement et des maté-
riaux, voulait la démolir ; mais il en fut empêché à temps :
Le contrat fut résilié par l'inobservation d'une de ses clauses
et les événements ayant changé, Tédiflce fut remis à l'arche-
vêché de Paris, le 23 fructidor, an 10 de la République —
10 septembre 1802 — et redevint comme avant la Révolu-
tion l'Eglise paroissiale de Saint-Nicolas du Chardonnet.
Successivement le gouvernement français rendit à la
paroisse les célèbres tombeaux de Lebrun et de sa mère,
celui de Jérôme Bignon, conseiller d'État, plusieurs statues
et tableaux. Mais, hélas, le fameux maître autel de Lebrun,
dont nous ne possédons qu'une description imparfaite, un
manuscrit sur la vie de Lebrun à la bibliothèque nationale,
avait été détruit ; le fameux tableau de Yerdier (élève de
Lebrun), qui le surmontait : la Résurrection, a également
disparu sans laisser de trace et, enfin, perdu à tout jamais
le magnifique Jubé à l'entrée du chœur, sculpté par Poultier
sur les dessins de Lebrun et qui se composait d'un christ,
d'une mater dolorosa et d'un Saint-Jean que supportaient de
belles colonnes.de marbre et des ornements de bronze fine-
ment ciselés.
Près d'une de ces colonnes se voyait la plaque funéraire
d'un membre de la branche catholique des de Selves.
L'autel qui existe aujourd'hui a été construit en 1814 par
les soins de M. Phihbert de Bruyare, curé de Saint-Nicolas,
mort évêque de Grenoble en 1826, son cœur repose dans la
chapelle du Sacré-Cœur, près de la sacristie.
En 1856 eut lieu la bénédiction de quatre cloches qui com-
posent la sonnerie actuelle par Mgr Sibour, archevêque de
Paris. L'Empereur Napoléon III et l'Impératrice Eugénie
furent les parrain et marraine. Us donnèrent, à cette occasiony
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 289
un magnifique ornement en drap d'or des manufactures de
Lyon. Il avait figuré à l'exposition universelle de Paris en
1855.
Bâtie au pied même de la montagne Sainte-Geneviève,
l'Eglise Saint-Nicolas du Chardonnet possède une chapelle
dédiée à la douce patronne de Paris et son histoire est particu-
lièrement suggestive.
.Là, pendant plus de trente ans» Madame de Miramion, et
jusqu'à l'année 1793, ses filles de Sainte-Geneviève, dites
MiramionneSf prièrent et dans la prière trouvèrent le secret
des plus sublimes dévouements.
Mademoiselle Legras, Madame de Miramion, Mademoiselle
Blosset, la duchesse d'Aiguillon, la présidente de Nesmond,
Mademoiselle de Lamoignon, Mesdames de Farinvilliers et
de Traversay, Madame de Harlay, la princesse de Conti... du
cœur de ces pieuses femmes, plus mystérieusement que du
symbolique coffret de Pandore ou de Psyché, cœur tout
embaumé des vertus chrétiennes, de charité divine et humaine,
mille fondations s'élancèrent vigoureuses pour aller instruwe,
moraliser et soulager le peuple au xvii* siècle.
Et quels hommes pour les diriger et tous plus ou moins
mêlés à la vie paroissiale de Saint-Nicolas, grands admira-
teurs et grands amis des prêtres et des fidèles : Saint-Yincent
de Paul, les abbés Bourdoise, Festel, Ferret, Jolly, Froget,
Saint-François de Salles, Bossuet, Fléchier évangelisant ce
bon peuple du quartier Saint- Victor. Qu'on s'étonne après
ça de voir surgir comme par enchantement de cette chapelle
de Sainte^Geneviève et de l'Hôtel de Nesmond au quai de la
Tournelle, orphelinats, ouvroirs, patronages, chambres de
travail, fourneaux économiques, écoles enfantines pour la
ville et la campagne, asile de la piété pour les maladies
physiques, refuge de Sainte-Pélagie pour les maladies
morales que pouvait guérir le repentir, asiles de charité,
240 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
dames de charité, maison de retraites pour les grandes dames
et les femmes clu peuple, Tœuvre des missions des campagnes,
des missions de Chine et du Japon et leurs premiers évêques,
la bourse cléricale pour les vocations sacerdotales, les
quarante heures avant le Carême et le culte de l'Eucharistie
entouré de pompes magnifiques... Et Madame de Miramion
succédant comme Dame de Charité à Madame la Présidente
de Nesmond sur Tordre de M. l'abbé Ferret, est là, toujours
là providence de tout et de tous, la grande aumônière du
XVII* siècle et qui disait si bien : « tout ce qui est fait pour
Dieu est grand ». Son or en grande partie permit la cons-
truction de l'église actuelle, soutint les œuvres sus-indiquées.
Son corps reposa au cimetière de Saint-Nicolas et son cœur
dans la chapelle de Sainte-Geneviève jusqu'en 1793.
On le voit, la vie paroissiale était intense dans le quartier
Saint- Victor, on y comprenait théoriquement et pratique-
ment la question sociale et les grands savaient aller au peuple
l'évangile et la croix en main.
Ils avaient vraiment l'intelligence du pauvre : ils le ser-
vaient et ne s'en servaient point, sachant s'abaisser charita-
blement jusqu'à lui pour l'élever jusqu'à Dieu.
Rien d'étonnant donc que Piarron de Chamousset ne vint se
fixer à deux pas de son cher Hôtel-Dieu, dans le rayonnement
de cette paroisse, si célèbre parmi les écoliers du moyen âge,
si humaine dans l'application des principes charitables.
Bien que l'indication précise de la dernière sépulture de
M. l'abbé Bourdoise soit conservée après son transfert du
cimetière Saint-Nicolas dans le caveau des curés de la
paroisse, durant les récents travaux de restauration de l'inté-
rieur de l'église, il a été impossible de retrouver l'entrée de ce
caveau curial et, par conséquent, des restes de M. Bourdoise.
Hors de la construction de la chapelle de la Sainte- Vierge,
en 1862, au moment du percement du boulevard Saint-Ger-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 241
main, à la place même des tombeaux de la famille d'Argen-
soiiy toutes traces de ces tombeaux et de nombreuses plaques
funéraires ont disparu.
Lorsqu'on creusa également les conduits du calorifère bien
des tombes disparurent et, sans aucune note et sans aucun
ordre, une multitude d'ossements furent déposés aux cata-
combes ou dans les caveaux des chapelles qui entourent toute
l'église (1).
Ce désordre, à tous les points de vue, est à jamais regret-
table et, pour l'histoire, il y a des pertes de documents exces-
sivement importants et pertes irréparables.
Les corps de Lebrun et de sa mère ne sont plus en leur
chapelle, mais, du célèbre peintre, on y voit des anges au pla-
fond et sur l'autel, ainsi que son fameux tableau de Saint
Charries Boromée.
Dans une chapelle voisine se lit Tépitaphe que Rollin com-
posa en l'honneur du grand chanoine de Saint- Victor. Le
poète admirable Bauteuil, que les compositeurs religieux ne
peuvent méconanître, repose dans cette chapelle, depuis Tan
1818, époque du transfert de son corps* dans ce caveau.
Parmi les œuvres vraiment remarquables, qui constituent
le trésor vraiment artistique de cette église, il faut citer le
célèbre tableau du Baptême de Jèsus^ de Corot, et celui de
Jean Restoux. Jésus guérissant les Aveugles^ de DesgofTes.
Le bon Samaritain, de JoUain. La résurrection de la fille
de J aire y de Desbrosses.
Les Disciples d^Emmaiis de Frère André, dominicain, du
couvent de Saint-Jacques et élève de Lebrun.
Le Jésus au Jardin des Oliviers, de Destouches. Le
Sacrifice de Melchisedeky et la Manne au Désert, de
Coypel. Le Martyr de Sainte-Juliette et de Saint-Cyr,
(1) Décidément à quelles a?entares désagréables sont soumis les restes de nos
grands hommes.
i6
249 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
ainsi que la Mort de Saint François de Sales, de Dura-
meaUytrois œuvres qui proviennent de la Chapelle de Saint-Cyr.
La Vierge et V Enfant Jésus, de Debay,
Un Ecce homo, de Cortot.
La Vierge et V Enfant Jésus, statue-marbre, de Seurre.
Tout récemment, c'est-à-dire en 1903, M. l'abbé Guéneau
faisait inaugurer en son église une statue de Saint-Nicolas
avec une gloire à La Bernin, belle et grande terre cuite, de
la maison Moreau-Laugier, et exécutée par Boutron.
C'est dire, pour être complet, que le pasteur de cette
paroisse depuis dix-huit ans, fait tout pour restaurer avec
bon goût son église.
Il a du reste trouvé, en son vicaire, M. l'abbé Jules
Delaunay, un prêtre artiste dans Tàme, qui a su prendre la
direction de cet embellissement heureux.
Je dois avouer, n'aimantpas à me parer de plumes d'autrai,
que ces notes sont dues à l'obligeant et aimable artiste
qu'est M. l'abbé Delaunay. Nul mieux que lui ne pouvait
satisfaire ma curiosité, puisque, depuis, de longues années,
il compile avec une science dévotieuse tous les documents
qui se rapportent à son église. Grâce à cette documentation,
riche en curiosité historique, on pourra, peut-être un jour,
faire parler bien des ossements muets qui attendent le
jugement dernier de l'Histoire.
Je suis convaincu qu'il y mettra toute l'activité dont il est
capable, cela le consolera un peu d'avoir abandonné sa
palette, puisque son amour du bien et du beau a été assez
puissant pour l'enrôler au service des autels.
Mais aux heures de loisir, son âme s'exhale encore en des
toiles qui charment. Le peintre fait honneur à la Société des
Aî'tistes français, dont il est membre, on sent que l'artiste
a l'exécution hardie et puissante, et une science profonde,
qui dénote des audaces continues, savantes et raisonnées.
APPENDICE
B$PU0 d'Hiêtoire Littéraire de la Frann$
(5« année vfi 3)
15 Juillet 1898
Les Mémoires raisonnes de Lefèvre de Bouvray f^' 3o3-4o4...
L*honnéte Lemierre mettait an point les discours de Séçnier ;
et Tayocat Gervaise qni s'était rendu tristement célèbre par son
Portier des Chartreux, écrÎTaît pour le président d'Aligre.
Enfin la rumeur publique attribuait à Poisson de la Gabouère^
un administrateur des hôpitaux, âgé de soixante-seize ans, la
plupart des mémoires signés par son ami, le philanthrope
Ghamousset. Une figure bien attachante que celle de ce
Chamousset, intrépide bienfaiteur de l'humanité, à qui les
Parisiens devaient déjà le service de la petite poste et des
premiers secours aux noyés ! Il était mort au champ d'honneur
en essayant sur lui un de ces nombreux médicaments qu'il
distribuait gratuitement aux pauvres.
Paul D'Esniix»
P. H. Lkbas. -^ Dictionnaire Encyclopédique de la France
(Tome IV). Paris, i84i, 8» L* lo.
F^ 439- -^ Ghamousset (Glaude-Humbert Piarron de), maître
cwdinaire de la Ghamhre des comptes de Paris, né daiis eette
244 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
ville en 171 7, mort le 27 avril 1778, consacra, pendant sa vie
entière, tous les moyens que sa position sociale et sa fortune
privée mettaient à sa disposition, pour améliorer le sort des
ouvners et soulager les inQrmes, les malades et les pauvres. Né
dans une classe distinguée, il manifesta dès son enfance les
dispositions qui devaient en faire un jour Tun des philan-
thropes les plus actifs et les plus dévoués qui aient jamais
existé.
Aussitôt qu'il fut maître de sa fortune, il transforma sa
maison en un hôpital, où étaient accueillis et comblés de soins
les malades de tout âge et de tout sexe appartenant à la classe
indigente. Là, ces malades recevaient gratuitement les secours
de la médecine, et à leur sortie, il leur était alloué une somme
qui les indemnisait du temps que leur maladie leur avait fait
perdre.
L'entassement dans les hôpitaux publics, de malades couchés
plusieurs dans le même lit, où ils s'efTrayaienl mutuellement
par le spectacle de leurs plaies, de leur délire et de leur agonie,
révolta son âme charitable, et il résolut d'oifrir un exemple qui
amenât Tadministration publique à mettre fin à de tels abus.
Il loua à la barrière de Sèvres, une maison commode, et il
en fit un hôpital modèle, où chaque malade eût son lit séparé,
et où les bons soins, accompagnés de la propreté, eurent pour
résultat un grand nombre de guérisons. Il eut la satisfaction de
voir son enseignement produire des fruits, et Tadministration
introduire dans les hôpitaux publics le régime auquel il avait
soumis sa maison de santé.
Chamousset eut la première idée de ces associations de
Secours mutuels si nombreuses aujourd'hui, parmi les classes
ouvrières, associations où chaque souscripteur, moyennant une
cotisation hebdomadaire de peu d'importance, s'assure, en cas
de maladie, les secours de la science, une indemnité en nature
ou en argent, et des funérailles modestes mais décentes en cas
de décès.
Nommé intendant général des hôpitaux militaires, Chamous-
set, malgré les devoirs que lui imposa cet emploi, ne disconti-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 245
nna point ses observations sur les différentes parties de Téco-
nomie publique, et il est peu d'établissements créés depuis qu'il
n'ait indiqués ou dont il n'ait sollicité la fondation avec ardeur.
Jl proposa l'institution d'une maison de prêt offrant tous les
avantages des Lombards et des monts-de-piété sans en avoir les
inconvénients. C'est sur ses instances et d'après ses plans,
que fut créée la Petite Poste de Paris ; et on lui doit la première
idée d'assurance contre l'incendie.
Il publia en outre un grand nombre de mémoires remplis de
vues utiles sur les hôpitaux militaires, les enfants abandonnés,
l'extinction de la mendicité, la police des ouvriers et domesti-
ques, le commerce des grains, etc., etc.
Opinion de Grinun
Piarron de Gbamousset fut par excellence au xviii" siècle le
type du philanthrope (i). On se moqua de lui, on railla ses pro
jets et son obstination à ne pas se décourager. En réalité, il
semble que ce fut un grand homme de bien etGrimm lui-même,
qui fut souvent peu respectueux à son égard, parie avec quelque
émotion de sa mort.
De tous les établissements qu'il préconisa, le seul intéressant
pour nous est sa maison d'Association : d'ailleurs, presque tous
ses projets l'avaient pour fin dernière. Il s'occupa activement
de la réaliser et en fit à ses frais un essai en petit.
Grimm écrivait de lui : « Il y a plusieurs genres de folie. Le
sien est d'être citoyen ». (Correspondance, t. III, p. 4ii).
« Le 27 avril, dit-il, nous a enlevé presque subitement
M. Claude-Humbert Piarron de Chamousset, ci-devant conseil-
ler du roi, maître ordinaire en sa Chambre des Comptes, citoyen
(1). 11 est cité partout en cette qualité : Voltaire, œuvres, t. XVIII, p. 136
Mémoires de Lnynes, t. XV, p. 58 ; Nougaret. Les historiettes du Jour, Loodres, 1787
iii-1'2, t. I, p. 267, sq , etc.
246 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Tertueux et célèbre par son amour pour le bien publie. Per-
sonne n*en a parlé, ni ne pense à le regretter. O I Athénien !
nn citoyen zélé et vertueux et cependant bien aussi rare qu un
acteur... La mémoire de celui-ci doit se conserver dans toute
Ame honnête et sensible au bonheur de l'humanité ». (Corres-
pondance, t. X, p. 269 sq.). Il poussa Tamour du bien public
jusqu'à compromettre sa fortune, et peut-être plus encore, s'il
est vrai, comme le dit Grimm, qu'il mourut en faisant sur lui-
même l'essai de médicaments qu'il préparait pour les pauvres.
Eloge de Piarron de Chamousdet,
par d'AIbon.
Claude-Humbert-Piarron de Chamousset, chevalier, ci-
devant paître ordinaire de la Chambre des Comptes de Paris,
né dans cette capitale en 1717, d*une famille distinguée dans
Tépée et dans la magistrature (i), est mort le 37 avril 1773.
Dans les monuments que la flatterie consacre à la célébrité,
rien n'est plus commun aujourd'hui que Téloge de la bienfai-
sance ; mais si Ton demande au Panégyriste les titres sur les-
quels il a fondé ses louanges, il se hâte de tirer le voile sur
l'idole, et de prêter à la curiosité d*un auteur philosophe, les
motifs injustes de Tenvieux. Nous ne craignons pas d*être
démentis, en assurant que personne n*a porté plus loin que
M. de Chamousset Famour de l'humanité, le zèle du bien public,
la sensibilité pour les malheurs d autrui, et le désir de préve-
nir et de soulager l'infortune. Il n'a vécu que pour ses sembla-
bles ; de cinquante-six ans qui ont rempli l'intervalle de sa vie
à sa mort, pluside quarante ont été employés à la combinaison
des projets les plus utiles ; à en démontrer les avantages ; à
repousser les contradictions toujours renaissantes du préjugé
que l'habitude rend insensible aux maux invétérés qui refuse
de croire au bien qu'on lui propose, parce que l'idée de réforme
qui suppose l'erreur l'humilie .
M. de Chamousset a sacrifié, au seul désir d'être utile aux
hommes, un patrimoine de plus de cinq cents mille livres ; et
loin de se plaindre de la perte de sa fortune, il regardait cette
perte comme le plus digne prix de sa générosité.
Quand l'envie ou l'ignorance empêchait le succès de ses pro-
(1) Il était fils de Mcssire Martial Piarron de Chamoasset, conseiller au Parlement
de Paris, et de Dame Claude de Berthelot de Belloy.
(Bibliothèque Nationale. Dép. des Imprimés Le Nécrologe. Paris, 1774-1775, 8*
Lne 19. Aibon (Claude-Camille- François d').
248 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
jets, il n'en était affligé que pour les infortunés qui en étaient
l'objet. La vanité confondue se décourage aisément : un échec
n'était pour M. 4e Ghamousset qu'un motif de plus» de tenter
de nouveaux efforts ; et comme ce géant dont parle la fable, sa
force semblait se ranimer par ses chutes . Aussi quelques per-
sonnes moins frappées de sa générosité, qu'étonnées de sa con-
fiance, lui ont-elles fait un reproche de la multiplicité de ses
vues, de son empressement pour le succès et de la fécondité de
son imagination, comme si le zèle du bien public pouvait avoir
les mêmes bornes que les motifs intéressés de la plupart des
hommes. Dans les uns, la bienfaisance est un devoir ; dans
les autres, c^est un doux penchant de Tâme ; dans plusieurs, ce
n'est qu'ostentation ; dans M . de Ghamousset, c'était une pas-
sion à laquelle il ne lui eût pas été possible de résister. Tout
ce que sa fortune pouvait lui permettre, il le tentait. Il avait
fait de sa maison un hôpital, où tous les jours une centaine de
malades de tout sexe et de tout âge, recevaient non seulement
tous les secours qu'ils auraient pu espérer des hôpitaux les
plus riches et les mieux administrés, mais encore une indem-
nité du produit des travaux, auxquels leurs maladies les empê-
chait de vaquer. On a vu dans les temps fâcheux, le nombre
de ces malades, aller jusqu'à deux cents. Il était leur chirurgien
et leur médecin . Ges deux professions lui étaient également
familière, soit pour la théorie, soit pour la pratique. Dans la
première, il opérait avec une prudence et une légèreté qui
étonnaient les maîtres de l'art : il l'emportait sur les plus habi-
les phlébotomistes ; et quoiqu'il eût avec lui plusieurs chirur-
giens, il n'y avait que lui qui soignait ses malades. Il avait
acquis les connaissances les plus rares dans toutes les parties
de la médecine. Il entretenait chez lui une apothicairerie au
sujet des pauvres.
Deux chimistes célèbres (i) étaient à la tête de sa pharmacie
(1) Un de ces chimistes était M. Grignon, maître des Torges de Saint Dizier et
correspondant de l'Académie royale des sciences de Paris, et de l'Académie royale des
inscriptions et belles-lettres.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 249
et de son laboratoire ; et quoique né dans Topulence, la déli-
catesse de sa table était la moindre occupation de ses cuisi-
niers ; le bouillon des pauvres passait avant tout.
Les soins multipliés de cet hôpital, ne rempêchaient point
d'aller secourir la pauvreté souffrante dans ses obscures
retraites : la malpropreté, la misère de ces réduits, rien ne le
rebutait. Il s'en retournait plus satisfait d'une bienfaisance
ignorée qu un conquérant ne Test de Téclat de ses triomphes .
Pour se faire une idée de Tâme de M. de Chamousset, il faut
Tétudier dans les diflérents mémoires qu'il a publiés au sujet
deses projets. On voit un esprit attentif à prévenir les plus
légers abus, à tirer parti des plus petites circonstances en
faveur des pauvres ; à prévoir tout ce qui peut être avantageux
on contraire à son objet.
Je parcourrai rapidement ces mémoires. Heureux si je pou-
vais faire passer dans cette récapitulation la chaleur du zèle
qui inspirait leur auteur !
Je ne suivrai point Tordre chronologique des projets de
M. de Chamousset ; car quoique tous soient liés par un rap-
port général, il yenja dont les rapports sont plus ou moins
immédiats. L'humanité dans Tétat de maladie a toujours été
l'objet principal de ses sollicitudes. Le tableau des pauvres
malades entassés dans les hôpitaux, et couchés plusieurs
ensemble dans le même lit, respirant un air infecte ; faisant,
par leur haleine, dans ces lieux resserrés, de mille maux diffé-
rents, une épidémie générale qui rend incurable chaque mala-
die particulière ; s'eflVayant mutuellement par les cris de la
douleur, par le délire, par le spectacle de leurs plaies, de leur
agonie et de leur mort ; car souvent toutes ces choses se voient
dans un même lit qui suffirait à peine pour deux malades : ce
tableau, dis-je, qu'il retrace dans plusieurs endroits de ses
mémoires, était toujours présent à son cœur. Il regardait cet
entassement comme une des principales causes de la mortalité
des pauvres malades, dç la lenteur des convalescences et de
mille maux que l'épidémie rend communs, non seulement aux
malades, mais encore à ceux qui les servent, ou qui fréquen-
250 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
tent ces asiles redoutables. Il ne se contentera pas de Técrire ;
de le prouver par les raisonnements les pins solides ; par les
états comparés des morts de THôtel-Dieu, de ceux de la charité
et de ceux de Ti^ôpital de Versailles (i).
Il voulut faire voir par Texpérience que le bon air et les
soins contribuaient plus que les remèdes au rétablissement de
la santé. Il loua à la barrière de Sèvres, une maison propre et
commode : il en Ût le modèle, auquel il désirait que tous les
hôpitaux se conTormassent : il la remplit de pauvres malades
qu*il fit traitefr à ses dépens, et qui, à la faveur des soins qu*il
leur donnait et du bon air qu'ils respiraient, recouvrèrent la
santé en peu de temps. Il n'en perdit presque point : cepen-
dant il n*avait point choisi ses malades ; c'étaient les mêmes
qu'on reçoit à l'Hôtel-Dieu. Il concluait de ces expériences et
de l'avis des plus célèbres médecins, que si les malades étaient
suflisamment séparés et en bon air, on en guérirait plus, quand
même on ne leur ferait point de remèdes, qu'il n'est possible
d'en guérir à l'Hôtel-Dieu avec tous les secours de l'art, sou-
vent infructueux par l'entassement des malades, et quelque-
fois Ainestes par les méprises où cette confusion expose les
ministres subalternes de cet art qui demande une attention si
scrupuleuse.
La maison de Sèvres, que la fortune de M. de Chamousset ne
lui permit pas de soutenir aussi longtemps qu'il l'aurait désiré,
était destiné à servir de preuves aux principe^ qu'il avait éta-
blis dans le plan de réformes de l'Hôtel-Dieu de Paris qu'il
avait publié. Quoique les détails en soient particuliers à cet
hôpital, le mémoire qu^il donna à ce sujet renferme cependant
une idée principale, qui peut avoir lieu pour tous les hôpitaux du
royaume; elle consiste à séparer les soins de l'administration de
(1) 11 résulte de ces états lefés avec la plas grande exactitude, qae tandis qo*il ne
menrt à l'iiôpilil des Fëres de la Cbarité, où les malades sont séparés et en bon air,
qu'un huitième des malades, et qu'il n'y a presque point de rechutes, qu'un neuT'ëme
à l'hôpital de Versailles : il en meurt un quart à l'Hôtel Dieu et que les rechutes y
sont communes et souvent mortelles.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 351
ceux du traitement et des secours des malades. M. de Chamous-
set propose de laisser à Tadministration» la gestion des biens,
l'inspection générale de tout ce qui pourra se faire dans la maison,
la police, le bon ordre, les intérêts des pauTresetde confier tout
ce qui regarde le traitement, la nourriture, le service des
malades, à une Compagnie à laquelle elle passera une somme
cenvenue pour chacun des malades guéris, et rien pour ceux
qui mourront. Cette Compagnie ou ces Compagnies d'assu-
rances, car il eût fallu en établir plusieurs, donna lieu à un
mémoire dont j'aurai occasion de parler encore. Celle qu'il
proposait à l'administration, aurait été composée d'un certain
nombre.de citoyens choisis, qui, obligés de recevoir tous les
malades que l'administration aurait jugé à propos de recevoir,
n aurait pu exiger pour chaque malade guéri que la même
somme que cette même administration dépense aujourd'hui
pour chaque malade, soit qu'il meure, soit qu'il guérisse : ainsi
l'Hôtel-Dieu profitait de tous les morts. Pour ôter toute res-
source à la cupidité, M . de Chamoussst exigeait encore, que si
le malade faisait une rechute pendant les huit premiers jours
après sa sortie, quelle qu'en fut la cause, elle serait aux frais
de la Compagnie. Elle aurait établi ses malades dans certaines
maisons que M. de Chamousset indique, situées en bon air.
telles que Saint-Louis et quelques autres. Dans ces maisons,
les malades auraient été distribués dans différentes salles,
selon le genre particulier des maladies, et couchés séparément,
ou tout au plus dans les cas de nécessité^ deux à deux : ainsi,
l'on n'eût point eu à craindre les inconvénients qui résultent
de l'entassement des malades, et le nombre des domestiques
eût été considérablement diminué .
M. de Chamousset démontrait par un calcul évident, que
THôtel-Dieu, la Compagnie et l'État gagnaient considérable-
ment par ce plan. Cette Compagnie ne se serait point à la
vérité, chargée des malades incurables ; mais'on verra dans le
projet de la maison d'association, que M. de Chamousset avait
prévu ce cas. -
Dans son mémoire sur les revenus de Thôpital Saint-Jacques,
252 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
dont M. l'archevêque de Paris voulait convertir la destination
en fondations ecclésiastiques, M. de Chamousset prend en
main la cause de Thospitalisé : il indique les moyens d'aug-
menter ces revemus, qui ne vont aujourd'hui qu'à vingt-cinq
mille livres, et de les rendre plus utiles en les appliquant à la
Maison d'Association, seulement comme fonds d'avance, et
après le remboursement* enétablissant en faveur des pauvres
artisans associés, des places pour les caduques et les incu-
rables.
Cette Maison d'association est de tous les projets de M. Cha-
mousset, celui qui a paru Taffecter le plus longtemps et le plus
vivement ; la religion, Thumanité, la politique, l'intérêt
général et particulier, la plus saine philosophie, tout sem-
blait devoir concourir au succès de cet établissement. Le
projet en fut reçu avec un espèce d'enthousiasme : il n'y eut
personne qui n'en vit tous les avantages : cependant on s'en
est tenu jusqu'à présent à une admiration stérile; et nous
sommes assez peu jaloux de notre gloire, pour abandonner à la
postérité ou peut-être à nos voisins, l'exécution du plus beau
plan que la bienfaisance ait pu imaginer en faveur de l'huma-
niié. M. de Chamousset, en le formant, n'avait pas seulement
en vue les pauvres malades, mais les malades de toutes les
conditions et de tous les états, et surtout cette foule d'étrangers,
de célibataires, de gens de lettre?, de militaires, de plaideurs,
d'artistes, d'artisans, de domestiques, et en un mot, de gens
isolés, qui, dans leurs maladies, périssent souvent faute de
secours, ou qui se trouvent livrés à des inconnus ou à des
mercenaires : cette quantité plus grande encore de personnes,
qui, ne vivant que du jour, la journée, et n'ayant que de
minces facultés, ne se procurent d'abord que des secours
insuffisants, combattent contre la honte de se faire porter à
l'Hôtel-Dieu, languissent et meurent, ou, s'ils peuvent enfin
vaincre leur répugnance, y recourent lorsque leurs maux sont
désespérés.
La Maison d'Association, qui n'avait rien de commun avec
les hôpitaux , était telle, que les plus riches auraient été reçus
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 253
d*une manière qui n'eût laissé rien à désirer à leur délicatesse ;
que néanmoins le traitement dans la maladie aurait été le
même pour les moins aisés comme pour les plus riches (i) que
la mise eut eu été proportionnée aux facultés de chacun, sans
qu'il y eut de différence dans le produit ou secours de toute
espèce ; enfin, que la décence n'eût pu faire rougir personne des
grands avantages qu'on eût trouvés dans cet établissement.
Un des plus grands avantages qui résultait de cette associa-
tion, c'est qu'elle offrait la ressource la plus douce à cette classe
de citoyens la plus utile et la moins ménagée, les artisans et les
laboureurs. La plus grande partie, est, sans doute hors d'état
de payer le contingent de TAssociation ; mais les âmes géné-
reuses qui épuisent leur fortune pour ces mêmes personnes
lorsqu'elles sont malades, ou que de légères infirmités les
mettent au nombre des mendiants, auraient beaucoup gagné,
ou du moins, auraient pu étendre leurs largesses, sur un plus
grand nombre, en payant pour eux leur mois d'association.
Ce secours eût rendu leurs maladies moins longues, et eût ras-
suré ces infof*tunés sur deux maux qu'ils redoutent moins pour
eux-mêmes, que pour une famille, que la cessation du travail
réduit au désespoir.
M. de Chamousset travailla longtemps à perfectionner son
projet : à mesure qu'on le critiquait, si la critique était juste, il
réformait ; si elle n'était que spéciale, il répondait ; si elle était
fausse ou injuste, il la méprisait. Il fit plusieurs additions à
son plan ; pour engager les citoyens à y souscrire, il leur offrit
les amorces d'une loterie, dont les lots pris sur les profits,
pussent déterminer, par l'espoir du gain, ceux qui ne voyant
la maladie que dans l'éloignement, trouveraient onéreuse une
contribution modique à la vérité, mais toujours trop forte pour
celui qui la croit inutile.
(1 ) Le projet était de construire en bon air un bâtiment spacieux divisé en loge-
ments propres et commodes, composé de plusieurs corps de logis entièrement sépa-
rés et distribués selon les conditions ou classes différentes des associés : oo y eût
installé une pharmacie complète, gouvernée par les hommes les plus intelligents.
' 354 UN PHILANTHBOPK MÉCONNU
Le projet de la maison d'association, fut accueilli par le
Ministère, souscrit par quelques-uns de ses membres, approu*
Té par les Grands, et généralement applaudi par cette portion
du public, destinée à éclairer l'autre ;. mais, malgré les rœux
de la nation, et les efforts de Fauteur, Fexécution en demeura
suspendue. M. de Chamousset le présenta sous une nouvelle
forme, et développa encore mieux ses idées, dans un écrit qu'il
publia sous le titre de Mémoire sur l* établissement de Compa-
gnies qui assureront en maladie^ les secours les plus abondants et
les plus efficaces, à ceux qui^ en santés leur paieront une très
petite somme par an^ ou même par mois.
Les Compagnies d'assurance pour les vaisseaux, n'intéres-
sent que les commerçants ; celles qui assurent les maisons ne
sont avantageuses qu'aux propriétaires; les Compagnies que
proposait M. de Chamousset, intéressaient plus particulière-
ment tous les citoyens : il en coûtait peu à chacun pour s'assu-
rer un bien inappréciable ; et ce plan produisait à ces compa*
gnies, un profit immense, qui les eût intéressés à prodiguer les
secours, parce que, mieux on serait traité dans les établisse-
ments qu'elles feraient, plus elles guériraient de malades, plus
elles auraient d'abonnés.
M. de Chamousset consulta sur ce nousreau Mémoire, la
Faculté de Médecine, les Six Corps de Marchands, les Magis-
trats, les Citoyens les plus éclairés ; tous lui donnèrent des
applaudissements ; tous lui témoignèrent le plus grand désir
que ce plan s'exécutât ; tous convenaient que sa maison d'asso-
ciation, celle qu il avait proposée en 1^54, ou telle qu il la pro-
posait sous le nouveau titre de Compagnies d'Assurance,
déchargeait considérablement les hôpitaux, en ouvrant une
ressource honorable à ceux qui ne voient point de milieu entre
le gratuit humiliant d'un hôpital, et les pensédes excessives
que des maladies et les plus simples opérations entraînent chez
les particuliers. Mais, malgré une infinité d'autres avantages,
soit pour la perfection de la médecine, de la chirurgie et de la
pharmacie, soit pour la réforme et le plus grand bien possible
de tous les établissements charitables, ce nouveau projet ne
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 255
réussit pas mieux que le premier ; tant nous sommes aveugles
sur nos véritables intérêts, lorsqu'il faut sacrifier le moindre
bien présent à un bien à venir, dont la certitude n'est pas por-
tée au dernier degré de l'évidence. ^
Quelque occupé que fut M. de Ghamousset, de sa maison
d'association, il ne se bornait pas à ce seul moyen d*être utile
à rhumanité, Dans un Mémoire sur les Hôpitaux Militaires, il
exposa les moyens les plus simples, de leur assurer des secours
plus abondants et moins onéreux, d'abréger la comptabilité, de
la rendre claire, facile, et de la mettre à couvert de toute
fraude : il y entra un détail circonstancié de toute Téconomie
qu'on peut pratiquer dans les petits hôpitaux, et des avantages
que Ton doit retirer de la réunion des secours dans les grands.
D'un côté, il assurait au soldat malade ou blessé, le meilleur
traitement, les médicaments les plus sûrs, et la nourriture la
plus saine ; de Taulre, il promettait au Souverain, la moindre
dépense possible. Ses vues frappèrent le Ministre de la Guerre,
mais, M. de Ghamousset, content de faire voir les abus, et de
proposer les moyens d'y remédier, était trop modeste et trop
désintéressé, pour solliciter la commission dangereuse de faire
des réformes ; non qu'il ne se sentit la force et le courage de les
faire ; mais il savait que la probité seule, soutenue de l'autorité
peut bien combattre l'avarice, la fraude et la cupidité, lesquels
les se présentent de front ; mais que le zèle le plus pur et le
plus ardent échoue contre le vice qui se cache, et contre les
intrigues qull ne peut soupçonner. Après avoir déposé son
Mémoire, il se reposa du succès sur la prévoyance du Minis-
tère, et s'attacha à une autre réforme, non moins importante.
U déplora la perte d'un nombre iniini d'enfants, victimes de
Tavarice et du peu de soins des nourrices mercenaires auxquel-
les on les confiait. Gomment serait-il possible, disait-il, qu'une
mère assez barbare pour donner son fils à une étrangère, dans
l'espérance de se procurer un nourrisson de la ville, qui lui
fasse gagner quelques sols au-dessus des mois qu'elle doit
payer pour son propre fils, fût susceptible de quelque sensibi-
lité ? Voilà donc deux enfants qui courent les plus grands dan-
256 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
gers. D'un côté, comment cet ouvrier, ce laboureur, cet arti-
san, qui gagne à peine de quoi vivre, sera-t-il en état de payer
des mois de nourrice, si sa femme ne peut pas nourrir elle-
même I II y a si peu de mères qui nourrissent leurs enfants !
Elles prétextent tant de raisons pour se dispenser de ce
devoir ! Les enfants trouvés qui peuvent être d'une si grande
ressouroe à TÉtat, sont confiés à de» nourrices qui ne s'en
chargent à vil prix, que parce qu'elles se proposent d'en avoir
peu de soin.
M. de Ghamousset cherche les moyens de suppléer aux nour-
rices ; il proposa, à l'exemple des peuples du Nord, de substi-
tuer à leur lait, le lait des animaux : et publia ses vues sous le
titre de : Mémoire politique sur les enfants, dans lequel il donna
ses idées sur la destination des enfants exposés ou abandonnés,
et indiqua le moyen de le rendre utile à TEtat.
M. de Ghamousset avait à lutter contre de vieux préjugés et
contre nos usages ; il eut encore recours à l'expérience pour f^a.
combattre : il obtint du Gouvernement, la permission de faire
ses essais de la nourriture des enfants, par le lait des animaux,
sous les yeux même des habitants de la Gapitale. Il avait
découvert, en Bourgogne, une paysanne qui élevait, suivant
cette méthode, les enfants de son canton qui dépérissaient
entre les mains de leurs mères et de leurs nourrices : en peu de
mois, elle les rétablissait; elle n'en perdait presque point, quoi
qu'ils fussent débiles et mourants quand on les lui portait. Il
fit venir cette femme, pour la mettre à la tête de son établisse-
ment. Il loua une ferme à Grenelle. Il y reçut un certain nom-
bre d'enfants que leurs mères ne pouvaient nourrir, et dont les
pères n'étaient point en état de payer les mois de nourrice.
Ges enfants prospéraient: tout réussissait au gré des vœux de
M. de Ghamousset, malgré les intrigues de l'envie : non seule-
ment il prodiguait à ces enfants, les soins les plus attentifs,
mais les parents qui venaient souvent les voir, ne s'en retour-
naient jamais sans avoir éprouvé sa bienfaisance.
Mais tandis qu'il se livrait à sa sollicitude, le ministre de la
guerre, pénétré de la sagesse des vues que renfeimait le
UN PHILANTHROPE MECONNU 257
mémoire sur les hôpitaux militaires, enleva M. de Ghamousset
à cette famille adoptive, et l'envoya dans nos armées, en Alle-
magne, avec le titre d'Intendant général des hôpitaux séden-
taires des armées du roi, pour y faire les réformes dont il avait
donné Tidée. Il prit avec lui deux hommes déjà très connus par
leur savoir, en qui il avait la plus grande confiance, et dont il
crut que les secours lui étaient absolument nécessaires. L'un
était M. Grand-Glas, docteur en médecine; l'autre était M. Cadet,
apothicaire de TAcadémie Royale des Sciences (i).
Le premier, avec le titre confirmé par le ministre, de premier
médecin et inspecteur des hôpitaux sédentaires ; le second, avec
le titre d'apothicaire, major et inspecteur des pharmacies de
ces hôpitaux. M. de Ghamousset y exerça un changement si
prompt et si avantageux, que les soldats malades et blessés se
demandaient quel était cet homme extraordinaire, que le ciel
envoyait à leur secours ; les officiers regardaient son adminis-
tt^âtîon comme un enchaînement de prodiges. Il se hâta trop.
(1 ) M. Cadet, apothicaire, rua de nos plas habiles chimistes, commeoça ses pre-
miers exercices de pharmacie dans l'établissement que M. de Ghamousset avait formé
chez lui, en 1744, pour les pauvres malades. M. de Saint -Laurent, ancien trésorier
général des Colonies, que son âme compatissante pour les malheurs de l'humanité,
avait lié d'amitié et de zèle avec M. de Ghamousset, s'était déclaré le père et le sou-
tien de treize enTants, la plupart en très bas âge, dont la mort de M. Cadet, maître en
chirurgie, laissait sa veuve chargée, sans bien et sans appui. Ces orphelins répondi-
rent à ses soins par leur application et par leur honnêteté. Ils n'ont manqué aucune
occasion de lui faire hommage de leur succès dans les difiérents états qu'ils remplis-
sent avec honneur, et qu'ils tiennent de lui. ^. de Saint-Laurent fît connaître M. Cadet,
dont il est ici question à M. de Ghamousset, qui partagaa les soins et la tendresse de
cet homme généreux en faveur de son pupille. Il l'attacha à sa pharmacie et à son
laboratoire : le jeune chimiste y puisa les éléments de sa profession : et au bout de
trois ans, MM. GeotTroy, père et fils, le trouvèrent en état d'être à la tête de leur labo-
ratoire. Lorsqu'en 1761, M. de Ghamousset fut nommé intendant général des hôpitaux
sédentaires des armées, il demanda qu'on lui donnât pour inspecteur des pharmacies.
M. Cadet, son ancien élève, qu'il regardait alors comme un des chimistes le plus capa-
ble de seconder ses vues de réforme. Ce fut trois ou quatre ans après cette commission,
que rAcadémié Royale des Sciences de Paris s'associa M. Cadet en 1761.
13
358 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
sans doute de faire le bien : il ne garda pas assez de mënage-
ments pour ceux qui étaient intéressés à faire le mal : il vit des
abus criants et funestes ; et il courut au remède. Il ne songeait
point que si les méchants sont obligés de cacher leurs moyens,
les honnêtes gens ne parviennent à leur but qu'en usant
d'adresse et de précaution. Les abus avaient des partisans inté-
ressés ; les déprédations, des protecteurs aveuglés ; les usages
établis, des défenseurs fanatiques ; les uns intriguèrent, les
autres crièrent à la nouveauté ; et tous ensemble fomentèrent
un feu secret, dont l'explosion devait renverser l'édifice que
M. de Cliamousset élevait : il vit l'orage, dédaigna de le
conjurer, et n'en montra que plus de sévérité contre les abus.
En se prêtant aux vues intéressées de ses ennemis, il n'eût
tenu qu'à lui d'en faire des complices ; il aima mieux être leur
victime ; ils parvinrent à faire abréger le temps d'une admi-
nistration qu'ils étaient au désespoir de n avoir pu rendre
suspecte.
Pendant son absence, l'envie et le préjugé se déclarèrent
ouvertement contre la nourriture des enfants par le lait des
animaux. On effraya les mères ; on supposa des effets perni-
cieux ; on imagina des faits ; on les cita ; la méchanceté, par des
complots obscurs, donna lieu à des accidents que M. de Gha-
mousset n'eût jamais pu prévoir ; enfin, Tenvie trouva des
défenseurs dans ceux même, qui par état et devoir, auraient dû
faire cause commune avec lui pour la combattre. Ses essais
n'ont produit qu'une espérance que la postérité réalisera sans'
doute.
Les besoins que le luxe multiplie ; Tusure criante qui s'exerce
à Paris ; les maux qu'elle entraîne ; l'espèce de tolérance dont
on est forcé de la laisser jouir ; font désirer depuis longtemps
l'établissement d'un Mont-de-Piété ou d*un Lombard. Il serait
difficile d'assigner la véritable cause qui empêche que ces éta-
blissements n'aient lieu en France. M. de Chamousset qui en
sentait la nécessité, et qui en prévoyait les avantages, voulut
encore procurer cette ressource à ses concitoyens ; mais il crut
que la modicité de la rétribution que les Monts-de-Piété prélè-
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 259
rent sur les effets que les particuliers y portent en gage, leur
4onnait un air d'aumône, qui écarterait de ces dépôts pieux, un
peuple fier et délicat : il pensa aussi que les intérêts que prélë-
Teut les Lombards, étant à un taux que les lois du royaume
proscrivent, quoiqu'il ne soit pas à comparer à celui où Tusuré
le porte, le gouvernement ne les permettrait jamais. M. de
Chamousset imagina, sous le titre de Magasin général ou Dépôt
public, un établissement où la foule retenue des dépenses et,
frais de magasin, sans autre intérêt, donnerait de plus grands
avantages et des secours plus abondants, que les Lombards et
les Monts-de-Piété, sans en avoir les inconvénients. Les Monts-
de-Piété et les Lombards n'offrent des ressources qu'aux néces-
siteux : le Dépôt Public inviterait indistinctement tous les états :
le citoyen le plus riche n'aurait pas eu plus à rougir d'y avoir
recours, que le plus pauvre ; l'homme de naissance que le rotu-
rier.
Le Dépôt Public, ou Magasin général n'aurait point prêté
d'argent, mais seulement son nom et son crédit. Il aurait donné
«on papier payable dans des temps convenus avec l'emprunteur,
pour la somme dont celui-ci aurait pu répondre ; mais toujours
inférieur à la valeur de l'objet déposé dans les magasins
de l'établissement, jusqu'à ce que le montant du billet du Dépôt
public fût rentré, soit par la restitution volontaire de l'emprun-
teur, soit par une vente judiciaire. Dans le premier cas,
il n'aurait payé qu'un faible droit de six deniers par livre, pour
tout article de mille livres, et au-dessous, et pour ceux
qui auraient été d'une plus grande valeur à quelque somme
qu'ils eussent pu monter, on n'aurait payé que trois sols pour
livre. Ce modique intérêt eût été pour le loyer des emplacements
des magasins, frais de bureaux, appointements des commis, et
généralement pour toutes les dépenses qu^exige une si grande
entreprise. Dans le cas de la vente judiciaire, au lieu
de trois sols et six deniers pour livre, on eût prélevé sur le pro-
duit de la vente, le sol pour livre de la somme prêtée, pour les
frais d'affiche, de justice, etc. Le surplus de la vente eût été
rendu au propriétaire.
260 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Au moyen de ces billets qui, n'étant que de la moitié de la
valeur intrinsèque déposée, auraient représenté une valeur
double, qui aurait servi de nantissement au prêteur et au Dépôt,
M. de Chamousset donnait une activité de circulation à
un nombre infini d'effets qui ne produisent rien, entre les mains
du possesseur. Il eût fait durer le mouvement de certaines
matières de commerce, qui le perdent par les circonstances: tels
sont les bijoux, étoffes, parures, dentelles, fourrures et autres
marchandises, mortes dans une saison et vivcmtes dans Tautre,
sans prix lorsqu'un deuil survient et rentrent dans le commerce
quand il cesse.
M. de Chamousset avait pris toutes les précautions nécessai-
res pour prévenir les abus, tant au sujet des billets, que de la
vente : ces précautions même devaient procurer aux billets, le
plus grand crédit dans le commerce et chez l'étranger. Plus leur
nombre se serait multiplié, et plus ils auraient accru le
numéraire de la nation ; numéraire qui n'aurait point été fictif,
puisque le double de la valeur du billet eût été dans les maga-
sins du Dépôt et comme il espérait que toutes les grandes
villes du royaume, à l'exemple de la capitale, auraient formé de
semblables établissements, il comptait sur un centième des
efiets du royaume, portés dans ces dépôts et mis en mouvement
par les billets de caisse qui les auraient représentés. Quelle
ressource- pour le crédit de la Nation, pour les revenus de
souverain et pour l'aisance des particuliers !
On avait prévu toutes les objections ; on avait levé tous les
doutes. M. le lieutenant-général de police, le Parlement»
auraient été les inspecteurs de l'établissement. Du oo au
3o de chaque mois, il y aurait eu des ventes publiques d'effets
non retirés. Ces ventes auraient facilité aux marchands de Pa-
lis et au forains, aux artistes que leur réputation inférieure à
leurs talents force de donner leur travail à vil prix, le moyen de
se défaire d'effets que le concours des acheteurs aurait fait porter
à leur juste valeur.
L'emprunteur qui eût voulu de l'argent comptant, aurait porté
les billets à une caisse d'escompte; et dans cette vue.
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 261
M. de Ghamousset se proposait de former une compagnie de
Banquiers ou Agents de Change choisis, dont l'objet principal
eût été de convertir les billets en argent, et de donner des faci-
lités à ceux qui ji*auraient pu être aussi exacts qu*ils Tauraient
espéré, à retirer leurs effets.
Ce projet promettait les plus grands avantciges : la nation
doublait son numéraire et son crédit; et l'usure tombait. Les
usuriers, dont Paris abonde, frémirent du coup qu'on allait leur
porter; mais des circonstances trop favorables à leurs vœux,
empêchèrent Texécution d'un établissement si utile.
On a rappelé les projets du célèbre abbé de Saint-Pierre, les
rêves d'un homme de bien ; parce que tout sages et utiles qu'ils
étaient, ils supposaient dans tous les hommes une raison supé-
rieure à leur passion; et que Texécution de ces projets eût
demandé un concours de circonstances qu'on ne peut pas espé-
rer. M. de Ghamousset n'en a formé aucun qui ne puisse être
adopté par un gouvernement sage et éclairé. Il imagina les
moyens d'acquitter les dettes d'un État quelconque, dont aucune
personne raisonnable n'eût pu se plaindre, quoique la dette se
fût éteinte par ce moyen, mais d'une manière si insensible ; et
ce petit désavantage eût été compensé par de si grands avanta-
ges, que non seulement on n'aurait point murmuré contre le
droit payé à chaque mutation, du billel d'Etat ou effet Royal,
droit qui s'imputait sur le capital, n'eût obligé à aucun déboursé
mais encore qu'on aurait vu avec satisfaction, que par une aussi
petite perte, on assurait un papier facile à transporter, et qui
serait devenu d'un usage commode et d'une grande ressource
dans le commerce.
Je ne m'arrêterai point à quelques autres projets dont l'expo-
sition exigerait de si longs détails : tel est un « Mémoire sur la
Poste aux chevaux, messageries et roulage ». M. de Ghamousset
promettait aux voyageurs les plus grandes commodités possi-
bles ; au commerce, une activité et des facilités inconnues, et
des profits sûrs et abondants, aux compagnies qui entrepren-
draient ces routes. Tel est encore un autre mémoire sur la
caisse établie pour favoriser l'approvisionnement de la viande à
262 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Paris, dans lequel M. de Ghamousset indiquait les moyens de
réparer le mal que cette caisse a fait au coromei*ce des bestiaux,
en procurant cependant au Roi plus de revenu qu'il ne retire de
la caisse actuelle.
Faire des projets, est pour certaines personnes, une passion,
ou, si Ion veut, un ridicule, dont l'intérêt de celui qui les forme
est toujours l'objet principal; et l'utilité publique en est
toujours le prétexte ; de là vient que si les avantages qulls pré-
sentent, sont assez spéciaux pour les faire accepter, l'exécution
en découvre bientôt le vice ; et si malheureusement ils sont
assez protégés pour se soutenir quelque temps, ils gênent l'écono-
mie politique, comme ces pièces parasites qu'un artiste ignorant
voudrait introduire dans une machine simple et parfaite.
Les projets de M. de Ghamousset étaient tous au proût de
l'humanité ; et lorsqu'il les croyait d'une utilité démontrée, il
eût été le premier à confier leur exécution à celui qu'il aurait
cru en état plus que lui de la conduire. Il regardait toutes les
dépenses qu'il faisait pour soumettre ses projets à l'expérience,
comme un fonds perdu dont la patrie seule devait retirer l'in-
térêt.
M. de Ghamousset ne perdait jamais de vue l'humanité pau-
vre et souffrante. Les différents projets dont elle est l'objet, se
tiennent tous, et vont se lier à son plan général pour l'admi-
nistration des hôpitaux du royaume, et pour le bannissement
de la mendicité. « L'établissement de la Maison d'Association,
« dit M. de Ghamousset, prévient la ruine d*une infinité de
« familles, en procurant une prompte guérison à leurs chefs et
(( les enipôche de venir se réfugier dans les hôpitaux. Il
tt décharge l'Hôtel-Dieu de ceux qui lui occasionnent le plus de
« dépenses, parce que leur répugnance à s'y faire transporter,
« a laissé empirer leurs maux. Le plan de réforme proposé
« à l'Hôtel-Dieu en déchargeant Tadministration du soin
a des malades, le rend plus utile à la gestion des biens; et
m confiant le traitement aux soins d'une Société dont l'intérêt
« personnel se trouve par une combinaison heureuse, être l'in*
« térêt du public, ce projet procure un avantage considérable
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 263
« aux pauvres de THôtel-Dieu. Le système sur la nutrition des
« enfants, par le lait des animaux, et sur la destination des
a enfants trouvés ou abandonnés, présente une économie dans
« la dépense» une augmentation dans le nombre des enfants
« conservéssà l'État, et prouve que par des emplois utiles» ce
« même État peut retirer les avances qu'il faut pour l'éducation
« de ces enfants : il résulte de ces projets, ajoute-Ml, une dimi-
c( nution dans la dépense des hôpitaux ; diminution qui les
» mettra à portée de donner des secours plus abondants aux
« malheureux que toutes ces précautions n'auront pu garantir
« de la pauvreté ; c'est ce qu'il était nécessaire de faire voir
tt avant que de proposer le bannissement de la mendicité, le
« point essentiel du plan général pour l'administration des
tt Hôpitaux du Royaume. »
Pour décharger les hôpitaux et déraciner la mendicité, M. de
Ghamousset propose d'établir un centre d'union entre tous les
hôpitaux; ce centre serait un bureau général formé sur le modèle
de celui du commerce: il serait composé de l'intendant des finan-
ces, de quatre intendants des hôpitaux, qui seraient perpé-
tuels; on leur associerait un nombre d'hommes choisis, tant
dans les Cours souveraines, que dans les différentes classes de
la Société, et dont l'administration ne durerait que deux
ans, à moins qu'on ne jugeât à propos, ou qu'il ne consentis-
sent d'être continués. Les Intendants, feraient, dans les assem*
blées générales, le rapport des objets qu'on leur aurait présen-
tés et qui tendraient à secourir les malheureux, à réprimer la
mendicité, à prévenir la misère et à procurer Tabondance. Ceux
qui composeraient ce bureau, étendraient leurs regards sur
tous les établissements des différentes provinces. Le premier
soin du bureau serait de séparer» dans les maisons diftérentes,
les véritables pauvres d'avec les mendiants de profession.
Les pauvres, dit M. de Ghamousset, ne sont pauvres que pour
eux-mêmes : ils font, par leur travail la richesse d'un pays.
G'est donc vouloir s'appauvrir soi-même que de les abandon-
ner, et de ne pas leur prodiguer dans les hôpitaux, les secours
les plus abondants et les plus prompts au rétablissement de
264 • UN PHILANTHROPE MÉCONNU
leurs forces et de leur santé. Sous ce point de vue, ajoute-t41,
les hôpitaux peuvent être regardés comme les arsenaux, où se
réparent les armes dont la République a besoin.
M. de Ghamousset remonte à l'origine de la mendicité. Selon
lui, les hôpitaux fondés pour les malades, ne suffisant pas pour
y servir d'asile à la caducité, à Fincurabilité, les vieillards et
les estropiés se virent contraints d*exposer leur misère aux
yeux de leurs concitoyens sur les grands chemins et dans les
rues. La pitié secourable ayant rendu le métier de mendiant
lucratif, une infinité de misérables qui craignent le travail, pri-
rent le parti de feindre des maux qu'ils n*avaient point, et
dévorèrent la substance des véritables pauvres. On les a fait
arrêter ; mais au lieu de les renfermer dans des maisons parti-
culières, où ils auraient été forcés à un travail auquel chaque
homme est obligé, les hôpitaux ont reçu pêle-mêle avec les
véritables pauvres : ce qui ne paraît point juste, parce que les
secours que les premiers sont en droit de réclamer, leur sont
dûs ; et ce serait une ingratitude de les leur refuser, au lieu
qu'on ne doit rien aux autres, considérés comme membres de
la Société, à laquelle ils sont à charge, et dont ils se sont séques-
trés par leur oisiveté et par leur inaction. La dépense que cette
multitude a occasionnée aux hôpitaux, les a mis hors d'état de
procurer aux vieillards et aux estropiés, une retraite telle
qu'ils la lui doivent. Quelle douleur pour ces honnêtes pauvres,
de se voir confondus avec des vagabonds, et d'y recevoir les
mêmes traitements.
M. de Ghamousset conclut de cette injustice, la nécessité de
subdiviser les hôpitaux qui ne sont point destinés au soulage-
ment des malades, en retraites, où le caduc et l'incurable trou-
vassent de véritables ressources, et en maison de punition et
detravail pour les mendiants de profession qu'on accoutumerait
à trouver leur subsistance dans le produit de leurs travaux .
11 indique quelles doivent être ces maisons et les occupations
qu'on doit donner aux mendiants pour les forcer à gagner leur
vie.
Tous les hôpitaux du royaume, sous la dépendance d'un
UN PHILANTHROPE MÉCONNU . 265
Bareau général d'administration, pourraient facilement se com-
muniquer des secours mutuels, et se soutenir les uns les autres
en faisant servir le superflu d'un hôpital, qui, dans telle année,
dans telle province, ayant eu moins de malades, aurait épargné
sur la dépense, au soulagement d'une autre province qui se
trouverait épuisée par des pertes ou par des dépenses excessives.
M. de Ghamousset cite l'exemple d'une semblable communica-
tion de secours établie en Flandre par M. de Séchelles, dans le
temps qu'il était intendant de cette province. De cette circu-
lation, il a résulté que les hôpitaux de cette intendance, ont
trouvé moyen, par des aumônes distribuées toutes les semai-
nes à de pauvres familles, dont le travail n*est pas suffisant
pour subvenir à leur besoin, de les délivrer de la nécessité de
se réfugier dans les asiles de l'indigence ; et au lieu de la charge
totale d'une famille entière que l'hôpital aurait à supporter, il
ne lui en coûte qu'une légère aumône d'un écu par semaine, ou
cent cinquante livres par an. M. de Ghamousset propose cet
exemple au bureau général, pour la décharge des hôpitaux et
pour la conservation des gens utiles à l'État.
Les soins du bureau s'étendraient sur tout le royaume, par
les inspecteurs et subdélégués que les quatre intendants des
hôpitaux auraient dans les provinces et par les suppôts, et
que ces inspecteurs et subdélégués auraient jusque dans les
plus petits villages. Cette machine ne coûterait rien à monter.
MM. les,curés, juges, baillis et même les seigneurs, en se dis-
tribuant ces soins, les rendraient très légers : ils rendraient
compte aux inspecteurs qui communiqueraient leurs avis aux
subdélégués, et ceux-ci, après avoir pris l'avis de l'administra-
tion de l'hôpital de leur province ou de leur ville, feraient
passer des états arrêtés ou vérifiés aux intendants qui les rap-
porteraient au bureau.
M. de Ghamousset étend ses vues encore plus loin. L'admi-
nistration particulière de chaque hôpital, connaissant le pro-
duit et la consommation de chaque village, serait plus en état
de juger des secours qu'on pourrait donner aux cultivateurs
des terrains incultes dont elle pourrait s'accommoder avec les
266 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
seigneurs, au moyen de redevances dont on conviendrait : elle
aviserait aux défrichements auxquels elle emploierait les
paysans qui manquent de travail, ou à leur défaut, les men-
diants, qu'on réserverait, autant que possible, pour les corvées
et les travaux publics. En excitant ainsi le travail et Tindustrie,
il resterait peu de pauvres à la charge des hôpitaux, et nul
prétexte à la mendicité. S*il en restait, on les forcerait au
travail ; et l'État trouverait en eux des ressources infinies. Je
n'en citerai qu'une parmi celles qu'indique M. de Chamousset.
On pourrait, dit-il, décharger l'hôpital de Bicétre des vaga-
bonds, libertins ou mendiants qui y sont renfermés pour le
reste de leurs jours. On les emploierait à faire aller une
machine qui, placée sur la rivière, au-dessus de la ville, et par
conséquent au-dessus des immondices que les égouts y entraî-
nent, élèveraient l'eau sur le terrain le plus élevé de Paris,
d'où cette eau pure et salubre' pourrait être conduite par des
tuyaux dans toutes les maisons.
M. de Chamousset propose, au bureau général, plusieurs
moyens de faire fleurir l'agriculture, le commerce, les arts, en
fournissant de l'occupation aux pauvres ; en faisant les avances
nécessaires pour les engrais des terres, pour les bestiaux, pour
les outils nécessaires ; en soutenant les artisans, et en leur
avançant les matières premières ; en établissant une pharmacie
générale, qui serait un objet d'économie pour les hôpitaux
môme ; le détail des avantages qui doivent résulter du plan de
M. de Chamousset, pour l'État et pour les particuliers, est
immense. Ce vaste projet mérite toute l'attention du gouver-
nement : il ne demande pas de grands eflbrts du côté de la
finance; la masse des fonds de tous les hôpitaux du royaume,
serait plus que suffisante ; il n'exige que de l'ordre, de la pro-
bité, du zèle et des Lumières.
Si l'on doit de la reconnaissance à M. de Chamousset, consa-
crant sa fortune et ses veilles à soulager l'humanité pauvre et
soufirante, que ne lui doit-on pas lorsqu'il met toute son appli-
cation à prévenir les maladies et la pauvreté des citoyens ?
Parmi les causes qui altèrent la santé des habitants de la capi-
ON PHILANTHROPE MÉCONNU 267
taie, il regardait, comme une des principales, Timpureté que
Teau de la Seine contractait en traversant Paris, par les égouts'
de cette ville immense, qui se dégorgent dans la rivière, par
les ruisseaux infects jqui y aboutissent ; ces immondices crou-
pissent sur ses bords, où le courant les repousse, et commu-
niquent à Teau une si grande corruption, que M. de Jussieu a
observé que les plantes qui croissent sur les rives de la Seine,
dans rintérieur de Paris, sont pernicieuses. M. de Chamousset
avait encore observé que la Ultration dans les fontaines sablées,
à laquelle plusieurs personnes assujettissent Feau, ne fait que
la rendre plus limpide, et en altère la nature sans la dépouiller
des sels dont elle s'est imprégnée par le séjour des corps étran-
gers et putrides. Il se proposa donc de procurer à ses conci-
toyens, une eau pure, exempte de tout mélange dangereux, et
sans être altérée par le filtre. Il prenait Teau dans le milieu du
courant de la Seine, au-dessus de l'hôpital et de Tembouchure
de la Marne. Des bateaux moyens, neufs, qui n'avaient jamais
été goudronnés, et auxquels on faisait perdre le goût du bois,
en les faisant tremper pendant quelque temps au fond de la
rivière, allaient prendre cette eau pour la porter dans des
réservoirs et la distribuer dans des tonneaux, au même prix
que celui qu'on donne aux porteurs d*eau.
M. de Chamousset qui avait démontré que le filtre attaquait
la qualité de Tcau, qui s'était engagé de la fournir pure, salu-
bre, non imprégnée des immondices de la ville, et qui ne s'atta-
chait point à la limpidité, vit bientôt se former une compagnie
qui proposa, avec emphase, de fournir aux habitants de Paris,
sous les mômes conditions, des eaux filtrées, c'est-à-dire clai-
res. Cette compagnie fit de grands préparatifs à très grands
frais. M. dti Chamousset changea alors son plan ; et toujours -
persuadé de l'inconvénient de la filtration, il proposa de four'
nir une eau pure, saine, et aussi limpide que les eaux de Sainte-
Reine, de Brissol et de Ville-d'Avray, sans employer le secours
du filtre, en la laissant seulement reposer dans des réservoirs
revêtus de graia, où elle devait être transportée comme dans
son premier plan. Il devait établir ces réservoirs à grands
268 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
frais, à la porte Saint-Bernard : les opérations devenant plus
dispendieuses, auraient augmenté le prix de l'eau.
Les applaudissements de la Faculté de Médecine, la satisfac-
tion de quelques particuliers : qui connaissaient les consé-
quences funests, pour la santé, d'une eau impure, encoura-
gèrent M. de Chamousset; il fit des avances; mais lorsque
tout Paris aurait dû concourir à son entreprise, quelques
deniers de plus qu'aurait coûté la voie d'eau, firent avorter son
projet. Il ne fut sensible qu'à l'indifiérence de ses concitoyens,*
sur les mauvaises qualités de Teau qu'ils boivent tous les jours,
et qui cause une quantité de maladies que les médecins ne
savent souvent à quoi attribuer.
Le projet de la petite poste de Paris, à l'imitation de celle de
Londres, si commode et si utile, est rétablissement à l'inven-
tion duquel il ait eu moins de part, et le seul qu'il ait eu la
satisfaction de faire adopter dans toute son étendue. Si les
Anglais nous ont devancé dans cette idée, M. de Chamousset
a eu la gloire d'en perfectionner l'exécution. Cependant, quel-
les difficultés n'eut-il pas à surmonter ? Ce ne fut que lorsqu'on
en eut éprouvé les avantages, qu'on loua son projet. Lorsqu'au
1760, le roi prit cet établissement sur son compte, il donna à
l'auteur, à titre de récompense et d'indemnité vingt mille
livres de rentes viagères sur le produit, et la liberté de dispo-
ser à sa mort, de dix mille livres de rente en faveur de telle
personne qu'il jugerait à propos.
Plusieurs autres projets sont éclos de son zèle que secondait
admirablement la fertilité de son imagination, mais rindolence
du public sur ses vrais intérêts s'est toujours opposée à leur
exécution : telle est l'idée du pont, qu'il allait établir sur la
Seine, aux deux extrémités de la capitale, lorsque la mort Ta
surpris, et quelques autres projets dont le public a profité.
Il a inventé une composition de pâtes, de sirops et de tablet-
tes d'orge et de bière, propres à la santé et à la nourriture
des malades, et d'une grande ressource pour le pays où la cha-
leur empêche l'orge de croître. Tous les médecins accordent à
ce grain des qualités supérieures, et le premier rang parmi les
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 269
végétaux; oh sait combien est sain l'usage de la bière.
En fondant ces pâtes ou tablettes d'orge dans une certaine
quantité d'eau, on fait une tisane rafraîchissante et nutritive,
qui supplée au bouillon des malades, et plus propre à leur état
que tout autre aliment ; et elle fournit à tous les habitants des
pays chauds, les moyens d'avoir toujours' une boisson fraîche
et nourrissante, qui, réparant les pertes d'une transpiration
trop abondante et trop continuelle, sert à les préserver d'une
maladie que produit une chaleur excessive. Ces pâtes fondent
d'elles-mêmes dans Teau ; ainsi l'on s'assure de la dose d'ali-
ments que Ton donne au malade : la préparation imaginée par
l'auteur» les rend légères, faciles à digérer et sucrées. Pour en
faire une bière excellente, on les fait bouillir dans ime certaine
quantité d'eau du pays ; leur fermentation puriQe la plus mau-
vaise. En retirant la décoction de dessus le feu, on la rafraîchit
sur-le-champ par des infusions ou décoctions froides de hou-
blon, ou d'autres plantes agréables au goût : la fermentation
qu excite le levain qu'on y ajoute, conserve les liqueurs, les
rend fortifiantes, sans leur faire perdre leur qualité nourris-
sante et rafraîchissante. Quant aux tisanes, elles ne deman-
dent ni feu, ni travail ; il ne faut que laisser fondre les pâtes
dans des décoctions appropriées à l'état des malades.
Ces pâtes, tablettes et sirops, outre l'avantage d'être très
agréables au goût, d'être très salutaires et portatives, ont celui
d'être très économiques. Il n'est point de malades qui en con-
somment plus de trois onces en 24 heures ; et l'once ne coûtera
que deux sols. Ainsi l'on peut nourrir un malade avec six sois
par jour. Quelle ressource pour les hôpitaux, les vaisseaux, les
colonies, etc. I IL n'a réduit la partie fine et substantielle de
l'orge en pâte, que pour la rendre plus aisée au transport dans
les pays lointains ; mais pour la consommation prochaine des
lieux voisins de la fabrication, il donne l'orge en sirop, et alors
le prix de l'aliment de chaque malade, ne revient qu'à deux
sols par jour. M. de Ghamousset publia, en l'j'jfJt, une brochure
qui contenait ce que lui avaient écrit, sur les avantages de cette
découverte, les médecins les plus célèbres, des observations
270 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
faites en Angleterre, diaprés des expériences constatées, et des
lettres sur ces observations. L'avis favorable des commissaires
nommés par la Faculté de Médecine, pour lexamen de la com-
position, du goût et des effets de ces pâtes, rapporté dans cette
brochure, est que cette découverte précieuse est utile h Thuma-
nité ; le décret de la Faculté, qui confirme le jugement des
commissaires, déclare que ces pAtes et sirops sont très avanta-
geux dans toutes les maladies en général et spécialement dans
les maladies aiguës ; qu'ils sont rafraîchissants, adoucissants et
antiputrides, légers, exempts de toute chaleur et de toute acri*
monie ; que par leur moyen, on peut composer, à peu de frais, et
sur-le-champ, une boisson agréable, médicamenteuse et plus ou
moins nourrissante, selon l'état du malade.
La Faculté désire qu'on puisse la substituer au bouillon de
viande ; toujours trop chargé de parties salines et sulfureuses,
qui augmentent nécessairement l'ardeur de la fièvre et Tâcreté
des humeurs; qu'alors elle tiendrait lieu de la fameuse tisane
d'orge, tant recommandée par les anciens. M. de Chamousset,
pour ne rien laisser à désirer, rapporte aussi Texamen et
l'approbation de l'Académie des sciences, et enfin, le privilège
exclusif, accordé par le roi, pour la composition, vente et débit
dans les colonies, pendant l'espace de quinze ans, des pfttes,
sirops et tablettes d'orge, de l'invention du sieur de Chamous-
set, aux prix dont il conviendra avec les acheteurs, avec per-
mission d'associer à la composition et débit, telles personnes
qu'il jugera à propos, avec l'exemption de tous droits accordés
aux marchandises envoyées aux colonies.
La vie de M. de Chamousset n'a été^ qu'une recherche conti-
nuelle des biens qu'il pouvait procurer aux hommes; mais ils
ont si souvent repoussé sa générosité qu'on ne sait ce qu'on
doit le plus admirer, ou de son courage et sa constance, ou leur
indifférence et leur aveuglement. Il a sacrifié sa fortune à sa
passion bienfaisante : il a fait à l'humanité de plus grands
sacrifices encore.
M. de Chamousset aimait la société des femmes. Aimable,
enjoué, complaisant, il avait toutes les qualités qu'on peut
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 271
désirer pour leur plaire. Ce penchant mutuel que la nature a
mis entre les deux sexes pour le bonheur de Tun et de l'autre,
se fait sentir à certaines âmes ayec plus d'énergie et d'impé-
tuosité. Socrate répix)uya; M. deChamousset fut de ce nombre;
mais au lieu de s'y livrer, lis le dirigèrent vers un plus noble
but; Tun vers la philosophie, qui n'est que le désir de rendre
les hommes m:nlleurs, en leur donnant l'exemple du bien et
de rhonnôteté, et l'autre, vers l'humanité, qui n'est aussi qu'un
désir de les rendre plus heureux, en faisant tout ce qui dépend
de nous pour contribuer à leur bonheur; mais l'un et l'autre»
en changeant l'objet de leurs désirs, en conservèrent toute la
vivacité.
Quoique M. de Chamousset fût l'aîné de sa famille, il se
priva des douceurs du mariage, pour lesquelles il semblait être
né. Il espéra, par ce sacrifice, de procurer à son frère un
mariage plus avantageux ; il se dépouilla, dans cette vue, en
sa faveur de la meilleure partie de son bien.
Il était du plus grand désintéressement. Il n'attachait d'autre
prétention à ses desseins que de contribuer à la félicité de ses
semblables ; et si tout autre les eût formés, il eût mis, à les
faire réussir, peut-être encore plus de zèle qu'il n'en mettait
pour les siens.
Il ne connaissait, ni la vanité, ni l'envie ; il s'oubliait sol-
même. Les entrepreneurs des eaux filtrées l'attaquèrent dans le
Prospectus de l'établissement qu'ils proposèrent, en profitant
des idées, et en empruntant le nom de M. de Chamousset; il ne
se défendit qu'avec répugnance, et à la dernière extrémité,
lorsqu'il s'y vit forcé par les murmures du public, qui se plai-
gnait de ne pas être servi comme le lui avait promis cette
compagnie parasite, dont les employés faisaient courir le bruit
qu'il était le chef.
Le bien public était le seul objet qu'il voyait dans ses entre-
prises, et qui lui faisait supporter les contradictions et les
peines que l'avare et l'ambitieux ne souffrent que par intérêt.
Son âme généreuse et franche, joignait, à cet amour dévorant
des hommes, une confiance qu'ils ne méritaient pas, et dont
272 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
quelques-uns ont cruellement abusé ; il ne dépendait point de
lui de soupçonner dans les autres les vices dont il était inca-
pable; cette sécurité est presque toujours Técueil des succès de
riionnête homme. Il pensait que Thumanité était assez malheu-
reuse par les infirmités, les infortunes, et tant d'autres événe-
ments auxquelles elle est exposée, pour ne pas se faire un
supplice de ce qui devrait être sa consolation.
Les vertus de son âme nous ont fait perdre de vue dans le
cours de cet éloge, les qualités de son esprit.
M. de Chamousset avait acquis des connaissances profon-
des sur toutes les parties de la médecine; il était très bon
chimiste ; la seule invention des pâtes, sirops et tablettes
d'orge, suflirait pour lui faire une réputation brillante dans
cette science. Il connaissait les principes des arts; ses vues
économiques n'ont été qu'admirées de son siècle : il est à pré-
sumer que nos descendants ne se borneront point à de stériles
éloges. Il joignait à une grande vivacité d'esprit, une plus
grande solidité de jugement ; la sagesse et l'étendue des vues
à une fécondité singulière d'imagination. Il prévoyait les objec-
tions et les détruisait d'avance, il voyait de loin les obstacles
et indiquait les moyens de les surmonter ; si quelquefois son
courage et la trop bonne opinion qu'il avait des hommes, lui
faisait paraître possible tout ce qu'il croyait utile, il n'avait
point la vanité de se roidir contre des dijQicultés insurmon-
tables qu'il n'avait point prévues, ou que lui opposait l'auto-
rité. Grand dans ses projets, il en voyait les plus petits
détails, et soumettait à l'expérience tous ceux qui étaient sus-
ceptibles d'être éprouvés ; il inventait la machine et il en con-
naissait les moindres ressorts. M. de Chamousset était un de
ces génies qui devraient être sans cesse auprès des rois, pour
leur faire connaître que le ciel ne les a placés au-dessus des
hommes, qu'afin que de ce degré d'élévation, ils puissent dis-
cerner plus aisément nos besoins, et porter, avec plus de
promptitude, des secours abondants où les maux se font le plus
sentir.
La mort le surprit au milieu de ses projets ; une fluxion de
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 273
poitrine termiiia, en cinq jours, le cours d*une si belle vie, à
Tâge de 56 ans. On n'a recueilli qu'une partie de ses mémoires
en un volume in- 1:1, sous ce titre de Vues d'un citoyen; les
autres sont épars sous différents titres, la plupart sont impri-
més; quelques-uns ne sont que manuscrits ; il serait à désirer
qu'on en fit un recueil général, a&n que nos descendants, plus
éclairés que nous sur leurs véritables intérêts puissent pro&ter
d'un bien que leur père ont dédaigné.
18
Plarron de Chamousset
devant le Conseil Municipal
L'aimable conseiller municipal du quartier Saint-Germain-
des-Prés, M. Paul Vivien a déposé, dans la séance du 26
novembre dernier, la proposition suivante :
M. Paul Vivien, — Messieurs, un comité constitué sous l'ini-
tiative de M. Martin-Ginouvieretdontla présidence d'bonneur
a été acceptée par M. le président de la République se propose
d^élever un monument à la mémoire de Piarron de Chamousset.
Ce Parisien, qui fut Tami de Rousseau, est le précurseur des
œuvres de mutualité qui comptent en France près de quatre
mille sociétés et plus de deux millions d adhérents.
C*est à Chamousset que nous devons : la réforme des hôpi-
taux, les premières crèches, les orphelinats pour les enfants
abandonnés, les premières machines élévatoires pour Tassainis-
(1) Candidat aux élections manicipales du 20 novembre 1898, j'ai demandé dana ma
profession de toi :
1* L'installa lion du Palais de la Mulualité dans les locaux désertés par l'Académie de
de Médecine ;
2* L'érection de la statue de Piarron de Chamousset dans le jardinet qui apparte-
nait à ladite Académie, et qui fait l'angle de la rue des Saint- Pères .et du Boulevard
Saint-Germain.
Et cela pour les quatre motifs suivants :
1" Parce que la statue du grand philanthrope ne pouvait être mieux placée, qu'au-
près des institutions, qu'^n devin, Chamousset avait prévues cent-trenle^cinq ans d'avance;
2** Parce qu'il avait fondé la Maison d'Association, pépinière de la Mutualité, à la porte
de Sèvres ;
3* Parce qu'il avait formé le projet de créer un pont volant entre le Pont Royal et
les invalidis ;
UN PHILANTHROPE MÉCONNU 275
tement des eaux de la Seine; Torganisation des sociétés de
secours mutuels, la Petite Poste, le Mont-de-Piété, etc.
4* Enfin, parce qae la déponille mortelle repofe à Saint-Nicolas -da-Chardonnet.
Très entêté dans mes idées, je m'adresse en Décembre 1899 au Président du Con-
•eil Municipal qui me fit répondre la lettre suivante :
ADilNISTRATION GÉNÉRALE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Dt
L'ASSISTANCE PUBLIQUE liberté - égalité - fkaternité
à PARIS
DIVISION
du Domaine et Compté
BUREAU
du DomoLine
N* sa
Au sujet d'une demande d'affectation
des bâtiments actuellement
loués à l'Académie de. Médecine
à Vinstallation
du Palais de la Mutualité
Paris, le 20 Janvier 1900.
(I Monsieur,
« Monsieur le Président du Conseil Municipal de Paris m'a transmis votre pétition
en date du 1" Décembre '1899, aux termes de laquelle vous avez sollicité, au nom du
comité de la Mutualité, la cession du local actuellement occupé par TAcadémie de
Médecine, 49, rue des Saints Pères, et dépendant du domaine hospitalier en vue de
l'installation du Palais de la Mutualité.
« J'aurais été heureux de m'associer dans la mesure du possible à la réalisation
d'nne œuvre philanthropique qui me parait devoir mériter le plus vir intérêt ; mais il
ne m'est pas possible de donner suite à votre demande.
a Les bâtiments dont il s'agit seront, en effet évacués par l'Académie de Médecine
au plus tôt à la fin de l'année 1900, car Timmeuble en construction rue Bonaparte ne
pourra pas être terminé avant cette date.
n D'autie part, le projet de démolition des bâtiments de l'hûpilal de la Charité est
au nombre de ceux sur lesquels doit délibérer bientôt le Conseil Municipal, enfin, dans
le cas où ce projet ne serait pas voté, l'Administration de l'Assistance pubUque se pro-
pose de développer les services trop à l'étroit de l'hôpital de la Charité en annexant
h cet établissement les locaux actuellement occupés par l'Académie de Médecine.
(( Dans ces conditions. Monsieur, il m'est absolument impossible d'entrer en négo-
ciation avec votre comité en vue du projet que vous avez formulé dans votre pétition
et je vous en exprime tous mes regrets.
« Agréez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments très distingués.
Le Directeur de l'Adminislration,
a DocTEua Napiàs ».
276 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Le Conseil tiendra sans doute à honorer la mémoire de
ce grand philanthrope en affectant un emplacement à Térection
du monument de Piarron de Ghamousset, dont Texécution a été
confiée à un éminent statuaire M. de Saint-Vidal.
Le Comité d'organisation se chargeant de totis les (rais, j*ai
rhonnpur de proposer comme emplacement le petit jardin qui
se trouve à langle de la rue de FAbbaye et de la place Saint-
Grermain-des-Prés. Chamousset ayant ouvert sa première mai-
son d'association sur la limite du VI« arrondissement.
En conséquence, je prie le Conseil de bien vouloir approu-
ver ma proposition et prendre la délibération suivante ; -
« Le Conseil,
a Considérant qu*un comité a été constitué pour élever un
monument à la mémoire de Piarron de Chamousset, le précur-
seur des œuvres de mutualité ;
a Considérant que ce comité sollicite simplement un empla-
cement pour ledit monument, et qu'il se charge de tous les frais,
y compris ceux d'installation ;
(( Délibère :
<c L'Administration est autorisée à mettre à la disposition du
comité chargé d'élever un monument à la mémoire de Piarron
de Chamousset un emplacement dans le square Saint-Germain
des-Prés. »
Signé : Paul Vivien.
Renvoyée à l'Administration et à la 3^ Commission.
COMITÉ DU MONUMENT
DE
PIARRON DE CHAMOUSSET
M
A la suite des recherches érudites de M. F. Martin-Ginouvier
sur la vie et les œuvres de Piarron de Ghamousset, et grâce aux
concours pressentis d*une bonne part des onze mille Sociétés
de Secours mutuels de France, représentant plus de deux mil*
lions de mutualistes, un monument, premier mémorial de la
Prévoyance et de la Mutualité en France, sera érigé, en 1900, à
Paris, à Ghamousset, maître de la Ghambre des Gomptes de
Paris, organisateur de la Petite Poste, fondateur des Gompa-
gnies d'Assurances, réformateur des Services hospitaliers, et
surtout principal précurseur, au xviii« siècle, des nombreux
hommes d*État, de science et de bien, voués, en notre époque,
aux applications ingénieuses, pratiques et fécondes de l'aide
mutuelle : principe de fraternité résumé dans ces^mots, qui sont
notre devise : Un pour tous,, Tous pour un.
Le monument élevé à la mémoire de ce grand philanthrope,
ne sera pas seulement un témoignage de gratitude, mais aussi
un symbole de la Mutualité, rappelant sans cesse, aux habitants
et aux visiteurs de Paris, les bienfaits de la Prévoyance ;et de
rUnion économique et fraternelle.
Uœuvre artistique du monument a été confiée j à un éminent
statuaire. M, de Saint- Vidal, dont on a admiré la fontaine
278 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
monumentale exposée en 1889 entre les grands arceaux de la
Tour Eiffel, la statue (place Wagram) et le digne et patrio-
tique tombeau d* Alphonse de Neuville» au cimetière Mont-
martre.
L'esquisse de l'œuvre Je M. de Saint-Vidal a été offerte en
premier hommage, dûment agréé, à M. le Président Félix
Faure, au palais de TElysée, le 6 février 1899, par M. Marmot-
tan et M. de Malarce, qui ont présenté à M. le Président de la
République française une Délégation de Présidents de Sociétés
de Secours mutuels et autres Société de Prévoyance populaires
de France.
Le i5 mars, M. le Président Loubet, recevant la même délé-
gation, a accepté la Présidence d'honneur de cette œuvre de
haute moralité sociale, qui sera inaugurée le 3 septembre 1900
à l'occasion de la 3» session plénière décenale du Congrès per-
manent international des Institutions de Prévoyance.
Nous faisons donc appel à votre aide pour donner ou
irecueillir des souscriptions à cette œuvre populaire et patrio-
tique.
Les souscriptions devront être directement adressées à
M. Paul GAUVIN, Directeur général de la Compagnie d'Assu-
rance « LE SOLEIL > (Incendie), Trésorier du Comité, 44^ruB
de Chàteaudun, Paris (i).
(1) Les noms des[800scripteurs seront publiés dans le « Solldarlste ». LeliTN d*or
des sottscriptêars sera oftéri à M le Président de la tiépubliqne.
UN PHnANTHROPB MÉCONNU 279
Gomité de Patronage
Le Présideni d'honneur
M. Emile LOUBET
Prôaideot de République Française.
MM. Théophile Roussel, membre de llnstitutetderAcadémie
de médecine, sénateur.
Mëzières, de l'Académie française, député.
Léon Bourgeois, député, ancien président du Conseil des
ministres.
PoiNCARÉ, député, ancien ministre.
Maurice Faure, vice- président de la Chambre des dépu-
tés.
Strauss, sénateur, directeur de la Reçue Philanthropique.
Marmottan, ancien député, maire du xv« arrondissement.
Georges Berry, député.
le D^ Napias, directeur de TAssistance publique.
DE Héredia, ancien ministre.
le D^ Cadet de Gassigourt, membre de TAcadémie de
médecine.
le D'^ DuRBAU, bibliothécaire de TAcadémie de médecine.
le D^ Légué.
le D*" Gabanâs, directeur de la Chronique Médicale.
le D' Maurice de Thierry.
Sellier, Inspecteur des fouilles archéologique du Musée
Carnavalet.
Bouniceau-Gesmon, juge d'instruction.
Jules Périn, avocat à la Cour d'appel, président de la
Montagne-Ste-Gcnevière et de ses abords.
280 UN PHILANTHROPE MÉCONNU
Comité administration
Président :
M. Augustin Chaurand de Malarce, secrétaire perpétuel de
r Association permanente du Congrès International des
Institutions de prévoyance.
Vice-Président :
M. Le Roy des Barres, directeur général des Compagnies des
Assurances générales (Incendié).
Le Secrétaire général :
M. F. Martin-Ginouvibr, fondateur du Crédit Mutuel à prêts
gratuits, secrétaire de la 5^ commission du Congrès
national de Reims, 33y rue Bonaparte.
Le Secrétaire :
M. CoMPAND, comptable de la Sécurité des familles, secrétaire
de la a® commission du Congrès national de Reims.
Trésorier :
M . Paul Gauyin, directeur général de la Compagnie d* Assu-
rances le Soleil (incendie).
Membres du Comité :
MM. BiËS, président de la Société de Prévoyance et de Secours
mutuels des Alsaciens-Lorrains.
BoNJEAN, président de la Société de Protection des Voya-
geurs de Commerce.
Georges Deligne, directeur de la Fraternelle Parisienne^
Société d'Assurances mutuelles contre Tincendie.
Ollier, président des Sociétés de Prévoyance des batteurs
d'or, secrétaire de la 3^ commission du Congrès national
de Reims.
Plez, président de la Chambre consultative des Sociétés
de Secours mutuels de la Seine.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Préface.
Introduction. I
Eloge de M. di: Chamousset contenant une analyse
DE SES ouvrages I
Première partik. — Naissance. — Education. — Carac-
tère de M. de Chamousset : ses actions et ses écrits
pour l*Humaiiitc soufirante, pauvre et malheureuse
en général 5
Seconde partie. — Soulagement de THumanité pauvre
et soufirante en particulier 63
Troisième partie. — Boisson salutaire, aliments sains,
préservatifs contre la maladie, dus à M. de Cha-
mousset 84
Quatrième partie. — Projets et actions de M. de Cha-
mousset pour augmenter les agréments de la Société 97
Plan d'une Maison d'Association dans laquelle, au
moyen d'une somme très modique, chaque associé
s'assurera dans Tétat de maladie toutes les sortes de
secours qu'on peut désirer i35
Additions et éclaircissement au Plan d'une Maison
d'Association, dans laquelle au moyen d'une somme
très modique, chaque associe s'assurera dans l'état
de maladie toutes les sortes de secours qu'on peut
désirer i58
Copie de la délibération des six Corps des Marchands
en date du i3 juillet 1754 ijS
19
282 TABLE DES MATIÈllES
Lkttrk critique à l'auteur d'une brochure intitulée :
Pian d*une Maison d'Association, dans laquelle au
moyen d'une somme très modique, chaque associé
s'assurera dans l'état de maladie toutes les sortes de
secours qu'on peut désirer 176
Lktthe à l'auteur de la critique d'un Plan d'une Maison
d'Association (Mémoires sur les Associations) . . 184
MibioiiŒ sur rétablissement de Compagnies qui assu-
reront en maladii^ les secours les plus abondants et
les plus etticaces. à tous ceux qui, en sanlé, paieront
une très petite somme par an. ou même par mois . ig6
Lk'itkes de mm. Heutuam), Louuy et Petit, tous trois
médecins de la Faculté de Paris, à M. de Chamous-
set. sur son projet d'établissement de la Compagnie
d'Assurance pour la Santé
Lettre de M. Bertrand du Î25 juillet i-;?o 198
Lettre de M. Lorry du 129 juillet i;-;o 199
Lettre de M. Petit, Tanalomiste, du "Jo juillet i7yO. . 200
Projet de Règlement pour la Maison d'association . . aoa
COUUESPONDAXCE DE VoLTAIUE 2l5
MÉMOIRES SECRETS DE BvCIIAUMONT 221
Procès-verbaux des fouilles à Saint-Nicolas du Char-
donnet aaS
Notice sur l'église de Saint-Nicolas du Chardonnet . . a34
APPENDICE
Revue d'Histoire littéraire de la France (Paul d'Estrée). ^45
Dictionnaire encyclopédique de la France (P. -H. Lebas) a43
Opinion de Grimm ... * 245
Eloge de Piai'ron de Chamousset, i)ar d'Albon . . . 247
PiARRON DE Chamousset devant le Conseil Municipal . 274
Comité d\: Monument 277