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ŒUVRES CHOISIES
DE
N. CHAMFORT
ŒUVRES CHOISIES
N. CHAMFORT
PUBLIÉES
AVEC PRÉFACE, NOTES ET TABLES
PAR
M. DE LESCURE
TOME SECOND
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
E. FLAMMARION SUCCESSEUR
Rue Racine, 26, près de TOdéon
M DCCC XCII
S4^
US
V. J
PORTRAITS ET CARACTERES
ANECDOTES ET BONS MOTS'
M. de Voltaire, passant par Soîssons, reçut la
viïiie des députés de i'Académie de Soissons, qui
disoient que cette académie étoit la lille aînée de
l'Académie françoise. a Oui, Messieurs, répondit-
il, la fille aînée, fille sage, fille honnête, qui n'a
jamais faii parler d'elle. »
On disoit à M... académicien : « Vous vous
marierez quelque jour. » Il répondit : a J'ai tant
plaisanté l'Académie, et j'en suis; j'ai toujours
peur qu'il ne m'arrive la même chose pour le ma-
I . L'asiérïsquc indique les morceaux ioédiis.
2 PORTRAITS ET CARACTERES
On parloit de la dispute sur la préférence qu'on
devoit donner, pour les inscriptions, à la langue
latine ou à la langue Françoise. « Comment peut-il
y avoir une dispute sur cela dit M. B...? — Vous
avez bien raison, dit M. T... — Sans doute, re-
prit M. B...3 c'est la langue latine, n'est-il pas
vrai ? — Point du tout, dit M. T. . . , c'est la langue
Françoise. »
« J'appelle un honnête homme celui à qui le
récit d'une bonne action rafraîchit le sang, et un
malhonnête celui qui cherche chicane à une bonne
action. » C'est un mot de M. de Mairan.
Un certain Marchand, avocat, homme d'esprit,
disoit : « On court les risques du dégoût en voyant
comment Tadministration, la justice et la cuisine se
préparent. »
Un homme dé lettres menoit de front un poème
et une affaire d'où dépendoit sa fortune. On lui
demandoit comment alloit son poëme. « Deman-
dez-moi plutôt, dit-il, comment va mon affaire. Je
ne ressemble pas mal à ce gentilhomme qui, ayant
une affaire criminelle, laissoit croître sa barbe, ne
voulant pas, disoit-il, la faire faire avant de savoir
si sa tête lui appartiendroit. Avant d^être immor-
tel, je veux savoir si je vivrai »
ANECDOTES ET BONS MOTS S
Une femme parloit emphatiquement de sa vertu,
et ne vouloit plus, disoit-elle, entendre parler
d'amour. Un homme d"*esprit dit là-dessus : « A
quoi bon cette forfanterie ? Ne peut-on pas trouver
un amant sans dire tout cela? »
M. le chancelier d'Aguesseau ne donna jamais de
privilège pour l'impression d'aucun roman nou-
veau, et n'accordoit même de permission tacite
que sous des conditions expresses. Il ne donna à
l'abbé Prévost la permission d'imprimer les pre-
miers volumes de Cléveland que sous la condition
que Cléveland se feroit catholique au dernier vo-
lume.
M. d'Alembert eut occasion de voir madame
Denis le lendemain de son mariage avec M. du
Vivier. On lui demanda si elle avoit l'air d'être
heureuse. « Heureuse! dit-il, je vous en réponds;
heureuse à faire mal au cœur. »
« Comment trouvez-vous M. de...? — Je le
trouve très-aimable; je ne l'aime point du tout. »
L'accent dont le dernier mot fut dit marquoit très-
bien la différence de l'homme aimable et de l'homme
digne d'être aimé.
La jeune madame de M..., étant quittée par le
4 PORTRAITS ET CARACTERES
vicomte de Noailles, étoit au désespoir, et disoit :
« J'aurai vraisemblablement beaucoup d'amans;
mais je n'en aimerai aucun autant que j'aime le vi-
comte de Noailles. »
Le marquis de Villequier étoit des amis du grand
Condé. Au moment où ce prince fut arrêté par
ordre de la cour, le marquis de Villequier, capi-
taine des gardes, étoit chez madame de Motte-
ville lorsqu'on annonça cette nouvelle. « Ah! mon
Dieu! s'écria le marquis, je suis perdu! » Madame
de Motteville, surprise de cette exclamation, lui
dit : « Je savois bien que vous étiez des amis de
M. le prince; mais j'ignorois que vous fussiez son
ami à ce point. — Comment! dit le marquis de
Villequier, ne voyez-vous pas que cette exécution
me regardoit; et, puisqu'on ne m'a point employé,
n'est-il pas clair qu'on n*a nulle confiance en moi? »
Madame de Motteville, indignée, lui répondit :
a II me semble que, n'ayant point donné lieu à la
cour de soupçonner votre fidélité, vous devriez
n'avoir point celte inquiétude, et jouir tranquille-
ment du plaisir de n'avoir point mis votre ami en
prison. » Villequier fut honteux du premier mou-
vement, qui avoit trahi la bassesse de son âme.
M. de La Popehnière se déchaussoit un soir de-
vant ses complaisans, et se chauffoit les pieds; un
ANECDOTES ET BONS MOTS 3
petit chien les lui léchoit. Pendant ce temps-là, la
société parloit d'amitié, d'amis : « Un ami, dit
M. de La Popelinière montrant son chien, le
voilà. »
M. de B. et M. de C. sont intimes amis au
point d'être cités pour modèles. M. de B. disoit
un jour à M. de C. : « Ne t'est-il point arrivé de
trouver, parmi les femmes que tu as eues, quelque
étourdie qui t'ait demandé si tu renoncerois à moi
pour elle, si tu m'aimois mieux qu'elle? — Oui,
répondit celui-ci. — Qui donc? — Madame de
M... » Ç'étoit la maîtresse de son ami.
M . de B. . . voyoit madame de L. . . tous les jours ;
le bruit courut qu'il alloit l'épouser. Sur quoi, il
dit à l'un de ses amis : « Il y a peu d'hommes
qu'elle n'épousât pas plus volontiers que moi, et
réciproquement : il seroit bien étrange que, dans
quinze ans d'amitié, nous n'eussions pas vu com-
bien nous sommes antipathiques l'un à l'autre. »
« Je repousse, disoit M..., les bienfaits de la
protection. Je pourrois peut-être recevoir et ho-
norer ceux de l'estime; mais je ne chéris que ceux
de l'amitié. »
La nature, en nous accablant de tant de misères,
6 PORTRAITS ET CARACTÈRES
et en nous donnant un attachement invincible pour
la vie, semble en avoir agi avec l'homme comme
un incendiaire qui mettroit le feu à notre maison
après avoir posé des sentinelles à notre porte. Il
faut que le danger soit bien grand pour nous obli-
ger à sauter par la fenêtre.
Le jour de la mort de madame de Châteauroux,
Louis XV paroissoit accablé de chagrin; mais ce
qui est extraordinaire, c'est le mot par lequel il le
témoigna : Etre malheureux pendant quatre-vingt-
dix ans ! car je suis sûr que je vivrai jusque-là. Je
l'ai ouï raconter par madame de Luxembourg , qui
l'entendit elle-même, et elle ajoutoit : « Je n'ai
raconté ce trait que depuis la mort de Louis XV. »
Ce trait méritoit pourtant d'être su, pour le sin-
gulier mélange qu'il contient d'amour et d'égoïsme.
M. de L... me disoit, relativement au plaisir de&
femmes, que, lorsqu'on cesse de pouvoir être pro'
digue, il faut devenir avare, et qu'en ce genre,
celui qui cesse d'être riche commence à être pauvre,
a Pour moi, dit-il, aussitôt que j'ai été obligé de
distinguer entre la lettre de change payable à vue
et la lettre payable à échéance, j'ai quitté la
banque. »
M..., à qui on offroit une place dont quelques
ANECDOTES ET BONS MOTS 7
fonctions blessoient sa délicatesse, répondit : «Cette
place ne convient ni à l'amour-propre que je me
permets ni à celui que je me commande. »
a L'homme, disoit M..., est un sot animal, si
j'en juge par moi. »
Voltaire disoit, à propos de V Anti-Machiavel du
roi de Prusse : « Il crache au plat pour en dégoû-
ter les autres. »
Un homme disoit à table : « J'ai beau manger,
je n'ai plus faim. »
Une femme d'esprit, voyant à l'Opéra une Ar-
mide difforme et un Renaud fort laid, dit : « Voilà
des amans qui ne paroissent pas s'être choisis, mais
s'être restés quand tout le monde a fait un choix. »
M. d'Argenson, apprenant, à la bataille de Rau-
coux, qu'un valet d'armée avoit été blessé d'un
coup de canon derrière l'endroit où il étoit lui-
même avec le roi, disoit : « Ce drôle-là ne nous
fera pas l'honneur d'en mourir. »
On offroit à M... une place lucrative qui ne lui
convenoit pas. Il répondit : « Je sais qu'on vit
"^a
8 PORTRAITS ET CARACTERES
avec de Targent ; mais je sais aussi qu'il ne faut pas
vivre pour de l'argent. »
M. d'Argenson disoit à M. le comte de Sé-
bourg, qui étoit l'amant de sa femme : « Il y a
deux places qui vous conviendroient également : le
gouvernement de la Bastille et celui des Invalides.
Si je vous donne la Bastille, tout le monde dira
que je vous y ai envoyé; si je vous donne les In-
valides, on croira que c'est ma femme. »
* Le petit père André, s'étant avisé de pro-
mettre au prince de Condé de prêcher impromptu
sur tel sujet qu'on lui donneroit sur-le-champ, le
prince, le lendemain, lui envoya un Priape pour
texte de son sermon. Le prédicateur reçut ce beau
sujet étant dans sa sacristie, et, montant en chaire,
il commença ainsi: « Un grand vit dans l'opulence,
et les pauvres, les frères de Jésus-Christ , expirent
de misère, etc.. »
M... disoit qu'il y avoit tels ou tels principes
excellens pour tel ou tel caractère ferme et vigou-
reux, et qui ne vaudroient rien pour des caractères
d'un ordre inférieur. Ce sont les armes d'Achille
qui ne peuvent convenir qu'à lui, et sous lesquelles
Patrocle lui-même est opprimé.
ANECDOTES ET BONS MOTS 9
L'abbé Arnaud avoi^ tenu autrefois sur ses ge-
noux une petite fille, devenue depuis madame du
Barry. Un jour, elle lui dit qu'elle vouloit lui faire
du bien; elle ajouta : « Donnez-moi un mémoire.
- — Un mémoire? lui dit-il; il est tout fait ! le voici :
je suis l'abbé Arnaud. »
J'ai entendu un dévot, parlant contre des gens
qui discutoient des articles de foi, dire naïvement :
« Messieurs, un vrai chrétien n'examine point ce
qu'on lui ordonne de croire. Tenez, il en est de
cela comme d'une pilule amère : si vous la mâchez,
jamais vous ne pourrez l'avaler. »
« Les athées sont meilleure compagnie pour moi,
disoit M. D..., que ceux qui croient en Dieu. A
la vue d'un athée, toutes les demi-preuves de l'exis-
tence de Dieu me viennent à l'esprit; et, à la vue
d'un croyant, toutes les demi-preuves contre son
existence se présentent à moi en foule. »
* Un Anglois alla consulter un avocat pour sa-
voir comment il pourroit être à couvert de la loi
en enlevant une riche héritière. L'avocat lui de-
manda si elle était consentante. « Oui. — Eh bien !
dit-il, prenez un cheval, qu'elle monte dessus,
vous en croupe, et en passant criez par le premier
village : « Mademoiselle X... m'enlève! » La chose
J
lO PORTRAITS ET CARACTERES
fut ainsi exécutée, et au dénouement il se trouva
que c'étoit la fille de l'avocat qui avoit été en-
levée.
* Un Anglois condamné à être pendu reçut la
grâce du roi. « La loi est pour moi, dit-il : qu'on
me pende. »
M. de L..., pour détourner madame de B...,
veuve depuis quelque temps, de l'idée du mariage,
lui dit : « Savez-vous que c'est une bien belle
chose de porter le nom d'un homme qui ne peut
plus faire de sottises! »
M... avoit, pour exprimer le mépris, une for-
mule favorite : a C'est Tavant-dernier des hommes.
— Pourquoi l'avant-dernier? lui demandoit-on. —
Pour ne décourager personne : car il y a presse. »
On demandoit à madame de Rochefort si elle
auroit envie de connoître l'avenir : « Non, dit-
elle : il ressemble trop au passé. »
Madame d'Esparbès couchant une nuit avec
Louis XV, le roi lui dit : « Tu as couché avec tous
mes sujets. — Ah! Sire ! — Tu as eu le duc de
Choiseul. — Il est si puissant! — Le maréchal de
Richelieu. — Il a tant d'esprit! — Manville. —
ANECDOTES ET BONS MOTS II
Il a une si belle jambe! — A la bonne heure;
mais le duc d'Aumont, qui n*a rien de tout cela?
— Ah! Sire, il est si attaché à Votre Majesté! »
Un vieillard, me trouvant trop sensible à je ne
sais quelle injustice, me dit : « Mon cher enfant,
il faut apprendre de la vie à souffrir la vie. »
On accusoit un jeune homme de la cour d'aiiper
les filles avec fureur. Il y avoit là plusieurs femmes
honnêtes et considérables, avec qui cela pouvoit le
brouiller. Un de ses amis, qui étoit présent, ré-
pondit : « Exagération ! méchanceté ! il a aussi des
femmes. »
Louis XV demandoit au duc d'Ayen ( depuis
maréchal de Noailles) s'il avoit envoyé sa vaisselle
à la Monnaie. Le duc répondit que non. « Moi,
dit le roi, j'ai envoyé la mienne. — Ah! Sire, dit
M. d'Ayen, quand Jésus-Christ mourut le ven-
dredi saint, il savoit bien qu'il ressusciteroit le di-
manche. »
* Madame du Deffand disoit à l'abbé d'Aydie :
«Avouez que je suis maintenant la femme qye vous
aimez le plus. » L'abbé, ayant réfléchi un moment,
lui dit : « Je vous dirois bien cela si vous n'alliez
pas en conclure que je n'aime rien, »
12 PORTRAITS ET CARACTERES
Madame de... disoit de M. B... : « Il est hon-
nête, mais médiocre et d'un caractère épineux :
c'est comme la perche, blanche, saine, mais insi-
pide et pleine d'arêtes. »
M. de L... parloit à son ami M. de B...,
homme très-respectable, et cependant très-peu
ménagé par le public; il lui avouoit les bruits et
les faux jugemens qui couroient sur son compte.
Celui-ci répondit froidement : « C'est bien à une
bête et à un coquin comme le public actuel à ju-
ger un caractère de ma trempe 1 »
M..., jeune homme, me demandoit pourquoi
madame de B... avoit refusé son hommage, qu'il
lui offroit, pour courir après celui de M. de L...,
qui sembloit se refuser à ses avances. Je lui dis :
(( Mon cher ami, Gênes, riche et puissante, a offert
sa souveraineté à plusieurs rois, qui l'ont refusée;
et on a fait la guerre pour la Corse, qui ne pro-
duit que des châtaignes, mais qui étoit fière et in-
dépendante. »
Un plaisant, ayant vu exécuter en ballet, à
l'Opéra, le fameux Qu*il mourût de Corneille,
pria Noverre de faire danser les Maximes de La
Rochefoucauld.
ANECDOTES ET BONS MOTb ij
Le marquis de Villette appeloit la banqueroute
de M. de Guéménée la Sérénissime Banqueroute.
On compte cinquante-six violations de la foi
publique, depuis Henri IV jusqu'au ministère du
cardinal de Loménie inclusivement. M. D... ap-
pliquoit aux fréquentes banqueroutes de nos rois
ces deux vers de Racine :
Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée
Que sur la foi promise et rarement gardée.
M. de Malesherbes disoit à M. de Maurepas
qu'il falloit engager le roi à aller voir la Bastille,
a II faut bien s^en garder, lui répondit M. de
Maurepas : il ne voudroit plus y faire mettre per-
sonne. »
Un homme très-pauvre, qui avoit fait un livre
contre le gouvernement, disoit : « Morbleu! la ,
Bastille n'arrive point; et voilà qu'il faut tout à
l'heure payer mon terme 1 »
M. Helvétius dans sa jeunesse étoit beau comme
l'Amour. Un soir qu'il étoit assis dans le foyer et
fort tranquille, quoique auprès de mademoiselle
Gaussin, un célèbre financier vint dire à l'oreille
de cette actrice, assez haut pour que Helvétius
l'entendît : « Mademoiselle, vous seroit-il agréable
14 PORTRAITS ET CARACTERES
d'accepter six cents louis en échange de quelques
complaisances? — Monsieur, répondit-elle assez
haut pour être entendue aussi, et en montrant
Helvétius, je vous en donnerai deux cents si vous
voulez venir demain matin chez moi avec cette fi-
gure-là. »
Je demandois à M... s'il se marieroit. Il me
répondit : « Pourquoi faire ? pour payer au roi de
France la capitation et les trois vingtièmes après
ma mort? »
M. de Th..., pour exprimer l'insipidité des ber-
geries de M. de Florian, disoit : « Je les aimerois
* assez s'il y mettoit des loups. »
Le curé de Saint-Sulpice étant allé voir madame
de Mazarin pendant sa dernière maladie pour lui
faire quelques petites exhortations, elle lui dit en
l'apercevant : « Ah ! monsieur le curé, je suis en-
chantée de vous voir; j'ai à vous dire que le beurre
de l'Enfant-Jésus n'est plus à beaucoup près si
bon : c'est à vous d'y mettre ordre, puisque l'En-
fant-Jésus est une dépendance de votre église. »
On disoit à un homme que M..., autrefois son
bienfaiteur, le haïssoit. « Je demande, répondit-il,
la permission d'avoir un peu d'incrédulité à cet
ANECDOTES ET BONS MOTS l5
égard. J'espère qu'il ne me forcera pas à changer
en respect pour moi le seul sentiment que j'aie be-
soin de lui conserver. »
Après le crime et le mal faits à dessein , il faut
mettre les mauvais effets des bonnes intentions, les
bonnes actions nuisibles à la société publique ,
comme le bien fait aux méchans, les sottises de la
bonhomie, les abus de la philosophie appliquée
mal à propos, la maladresse en servant ses amis,
les fausses applications des maximes utiles ou hon-
nêtes, etc.
Le maréchal de Biron eut une maladie très-dan-
gereuse; il voulut se confesser, et dit devant plu-
sieurs de ses amis : « Ce que je dois à Dieu , ce
que je dois au roi, ce que je dois à l'Etat... » Un
de ses amis l'interrompit : « Tais-toi, dit-il, tu
mourras insolvable. »
Le lord Bolingbroke donna à Louis XIV mille
preuves de sensibilité pendant une maladie très-
dangereuse. Le roi, étonné, lui dit : a J'en suis
d'autant plus touché que, vous autres Anglois,
vous n'aimez pas les rois. — Sire, dit Bolingbroke,
nous ressemblons aux maris qui, n'aimant pas leurs
femmes, n'en sont que plus empressés à plaire à
celles de leurs voisins. »
l6 PORTRAITS ET CARACTERES
M... disoit qu'il falloit qu'un philosophe com-
mençât par avoir le bonheur des morts, celui de
ne pas souffrir et d'être tranquille; puis celui des
vivans, de penser, sentir et s'amuser.
J'ai connu un misanthrope qui avoît des instans
de bonhomie, dans lesquels il disoit : « Je ne se-
rois pas étonné qu'il y eût quelque honnête homme
caché dans quelque coin et que personne ne con-
noisse. »
C'est un fait avéré que Madame, fille du roi,
jouant avec une de ses bonnes, regarda à sa main,
et, après avoir compté ses doigts : « Comment!
dit l'enfant avec surprise, vous avez cinq doigts
aussi, comme moi? » Et elle recompta pour s'en
assurer.
M. de Calonne, au moment où il fut renvoyé,
apprit qu'on offroit sa place à M. de Fourqueux,
mais que celui-ci balançoit à l'accepter, a Je vou-
drois qu'il la prît, dit l'ex-ministre : il étoit ami de
M. de Turgot, il entreroit dans mes plans. —
Cela est vrai, » dit Dupont, lequel étoit fort ami
de M. de Fourqueux, et il s'offrit pour aller l'en-
gager à accepter la place. M. de Calonne l'y en-
voie. Dupont revient une heure après, criant :
ANECDOTES ET BONS MOTS I7
« Victoire! victoire! nous le tenons, il accepte. »
M. de Calonne pensa crever de rire.
«Aujourd'hui, i5 mars 1782, j'ai fait, disoit
M. de..., une bonne œuvre d'une espèce assez
rare : j'ai consolé un homme honnête, plein de
vertus, riche de cent mille livres de rente, d'un
très-grand nom, de beaucoup d'esprit , d'une très-
bonne santé, etc. ; et moi, je suis pauvre, obscur
et malade. »
»
Un homme d'une fortune médiocre se chargea
de secourir un malheureux qui avoit été inutile-
ment recommandé à la bienfaisance d'un grand
seigneur et d'un fermier général. Je lui appris ces
deux circonstances, chargées de détails qui aggra-
voient la faute de ces derniers. Il me répondit
tranquillement : « Comment voudriez-vous que le
monde subsistât si les pauvres n'étoient pas con-
tinuellement occupés à faire le bien que les riches
négligent de faire, ou à réparer le mal qu'ils font? »
Un prédicateur disoit : « Quand le père Bour-
daloue prêchoit à Rouen, il y causoit bien du dés-
ordre : les artisans quittoient leurs boutiques, les
médecins leurs malades, etc. J'y prêchai l'année
d'après, j'y remis tout dans l'ordre. »
Chamfort. II. 3
l8 PORTRAITS ET CARACTÈRES
Vous rencontrez le baron de Breteuil; il vous
entretient de ses bonnes fortunes, de ses amours
grossières, etc. ; il finit par vous montrer le por-
trait de la reine au milieu d'une rose garnie de dia-
mans.
Un sot fier de quelques cordons me paroît au-
dessous de cet homme ridicule qui, dans ses plai-
sirs, se faisoit mettre des plumes de paon au derrière
par ses maîtresses. Au moins il y gagnoit le plai-
sir de... Mais l'autre !... Le baron de Breteuil est
fort au-dessous de Peixoto.
On voit, par l'exemple de Breteuil, qu'on peut
ballotter dans ses poches les portraits en diamans
de douze ou quinze souverains et n'être qu'un
sot.
C'est un sot, c'est un sot, c'est bientôt dit :
voilà comme vous êtes extrême en tout. A quoi
cela se réduit-il? Il prend sa place pour sa per-
sonne, son importance pour du mérite, et son
crédit pour une vertu. Tout le monde n'est-il pas
comme cela? Y a-t-il là de quoi tant crier?
Madame de Créqui me disoit du baron de Bre-
teuil : « Ce n'est, morbleu! pas une bête que le
baron : c'est un sot. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 19
M. de Broglie, qui n'admire que le mérite mili-
taire, disoit un jour : « Ce Voltaire qu'on vante
tant, et dont je fais peu de cas, il a pourtant fait
un beau vers :
Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.
* Madame la duchesse de B... protégeoit au-
près du baron de Breteuil, ministre, Tabbé de C...
pour qui elle venoit d'obtenir une place qui de-
mande des talens. Elle apprend que le public a
du regret que cette place n'ait pas été donnée à
M. L... B..., homme d'un mérite supérieur. «Eh
bien! dit-elle, tant mieux que mon protégé ait
eu la place sans mérite; on en verra mieux quelle
est l'étendue de mon crédit. »
* M. Baujon, porté par ses gens dans son salon,
où étoient un grand nombre de belles dames qu'on
appelle ses berceuses, leur dit en balbutiant :
« Mesdames, réjouissez-vous: ce n'est point une
apoplexie que j'ai eue, c'est une paralysie. »
* Le roi, après avoir reçu le serment de fidélité
des États de Béarn, fait le serment de fidélité aux
États, et promet de conserver leurs droits et leurs
privilèges. Voilà des Gascons qui ont bien su faire
leur marché, et il est inconcevable qu'ils soient les
20 PORTRAITS ET CARACTERES
seuls peuples parmi tant de provinces qui aient eu
cet esprit-là.
Trois choses, disoit N..., m'importunent, tant
au moral qu'au physique, au sens figuré comme au
sens propre : le bruit, le vent et la fumée.
Madame.,.., tenant un bureau d'esprit, disoit de
L... : « Je n'en fais pas grand cas; il ne vient pas
chez moi. »
On disoit de M..., qui se créoit des chimères
tristes et qui voyoit tout en noir : a II fait des ca
chots en Espagne. »
Un catholique de Breslau vola, dans une église
de sa communion , des petits cœurs d'or et autres
offrandes. Traduit en justice, il dit qu'il les tient
de la Vierge. On le condamne. La sentence est
envoyée au roi de Prusse pour la signer, suivant
l'usage. Le roi ordonne une assemblée de théolo-
giens pour décider s'il est rigoureusement impos-
sible que la Vierge fasse à un dévot catholique de
petits présens. Les théologiens de cette commu-
nion, bien embarrassés, décident que la chose n'est
pas rigoureusement impossible. Alors le roi écrit
au bas de la sentence du coupable : » Je fais grâce
au nommé N..., mais je lui défends, sous peine de
ANECDOTES ET BONS MOTS 21
la vie, de recevoir désormais aucune espèce de
cadeau de la Vierge ni des saints. »
Un homme disoit à M. de Voltaire qu'il abusoit
du travail et du café, et qu'il se tuoit. « Je suis né
tué, » répondit-il.
Le marquis de Choiseul-la-Baume , neveu de
Tévêque de Châlons, dévot et grand janséniste,
étant très-jeune, devint triste tout à coup. Son
oncle, Tévêque, lui en demanda la raison. Il lui
dit qu'il avoit vu une cafetière qu'il voudroit bien
avoir, mais qu'il en désespéroit. « Elle est donc
bien chère? — Oui, mon oncle : vingt-cinq louis. »
L'oncle les donna à condition qu'il verroit cette
cafetière. Quelques jours après, il en demanda des
nouvelles à son neveu : « Je l'ai, mon oncle, et la
journée de demain ne se passera pas sans que vous
l'ayez vue. » Il la lui montra, en effet, au sortir
de la grand'messe. Ce n'étoit point un vase à ver-
ser du café : c'étoit une jolie cafetière, c'est-à-dire
limonadière, connue depuis sous le nom de ma-
dame de Bussi. On conçoit la colère du vieil
évêque janséniste.
Un entrepreneur de spectacles, ayant prié M. de
Villars d'ôter l'entrée gratis aux pages, lui dit :
22 PORTRAITS ET CARACTERES
« Monseigneur, observez que plusieurs pages font
un volume. »
Je proposerois volontiers, disoit M. D..., je
proposerois aux calomniateurs et aux méchans le
traité que voici. Je dirois aux premiers : a Je veux
bien que Ton me calomnie, pourvu que par une
action ou indifférente ou même louable j*aie fourni
le fond de la calomnie, pourvu que son travail
ne soit que la broderie du canevas, pourvu qu'on
n'invente pas les faits en même temps que les cir-
constances, en un mot, pourvu que la calomnie
ne fasse pas les frais à la fois et du fond et de la
forme. » Je dirois aux méchans : a Je trouve simple
qu'on me nuise, pourvu que celui qui me nuit y
ait quelque intérêt personnel; en un mot, qu'on
ne me fasse pas du mal gratuitement, comme il
arrive. »
J'ai bien examiné M..., et son caractère m'a
paru piquant : très-aimable et nulle envie de plaire,
si ce n'est à ses amis ou à ceux qu'il estime; en
récompense, une grande crainte de déplaire. Ce
sentiment est juste, et accorde ce qu'on doit à l'a-
mitié et ce qu'on doit à la société. On peut faire
plus de bien que lui, nul ne fera moins de mal.
On sera plus empressé, jamais moins importun-
ANECDOTES ET BONS MOTS 23
On caressera davantage, on ne choquera jamais
moins.
Ne me vantez point le caractère de N... : c'est
un homme dur, inébranlable, appuyé sur une phi-
losophie froide, comme une statue de bronze sur
du marbre.
Les amis de M... vouloient plier son caractère
à leurs fantaisies, et, le trouvant toujours le même,
disoient qu'il étoit incorrigible. Il leur répondit :
« Si je n'étois pas incorrigible, il y a bien long-
temps que je serois corrompu. »
Madame de Maintenon et madame de Caylus
se promenoient autour de la pièce d'eau de Marly.
L'eau étoit très-transparente, et on y voyoit des
carpes dont les mouvemens étoient lents, et qui
paroissoient aussi tristes qu'elles étoient maigres.
Madame de Caylus le fit remarquer à madame de
Maintenon, qui répondit : « Elles sont comme
moi, elles regrettent leur bourbe. »
Le roi de Prusse a plus d'une fois fait lever des
plans géographiques très-défectueux de tel ou tel
pays. La carte indiquoit tel marais impraticable qui
ne l'étoit point, et que les ennemis croyoient tel
sur la foi du faux plan.
24 PORTRAITS ET CARACTÈRES
Louis XV ayant refusé vingt-cinq mille francs
de sa cassette à Lebel, son valet de chambre, pour
la dépense de ses petits appartemens, et lui disant
de s*adresser au trésor royal, Lebel lui répondit :
« Pourquoi m'exposerois-je aux refus et aux tra-
casseries de ces gens-là, tandis que vous avez là
plusieurs millions ? » Le roi lui répondit : « Je
n*aime point à me dessaisir; il faut toujours avoir
de quoi vivre. » [Anecdote contée par Lebel à
M. Buscher,)
« Au ton qui règne depuis dix ans dans la litté-
rature, disoit M..., la célébrité littéraire me paroît
une espèce de diffamation qui n*a pas encore tout
à fait autant de mauvais effets que le carcan ; mais
cela viendra. »
On attribuoit à la philosophie moderne le tort
d'avoir multiplié le nombre des célibataires; sur
quoi M... dit : « Tant qu'on ne me prouvera
pas que ce sont les philosophes qui se sont cotisés
pour faire les fonds de mademoiselle Bertin et
pour élever sa boutique, je croirai que ce célibat
pourroit bien avoir une autre cause. »
Madame de C... disoit à M. B... : « J'aime en
vous... — Ah! Madame, dit-il avec feu, si vous
cavez quoi, je suis perdu ! »
ANECDOTES ET BONS MOTS 25
Ondisoità M..., qui n'étoit plus jeune : « Vous
êtes plus capable d'aimer. — Je ne Tose plus,
it-il; mais je me dis quelquefois, en voyant une
>lie femme : « Combien je Taimerois si j'étois plus
aimable 1 »
On connoît le proverbe : « On ne passe jamais
ir le pont Neuf sans y voir un moine, un cheval
lanc et une catin. » Deux femmes de la cour,
issant sur le pont Neuf, virent en deux minutes
1 moine et un cheval blanc. Une des deux, pous-
int l'autre du coude, lui dit : « Pour la catin,
)us et moi, nous n'en sommes pas en peine. »
Je demandois à M. R..., homme plein d'esprit
; de talent, pourquoi il ne s'étoit nullement mon-
é dans la révolution de 1789. Il me répondit :
C'est que, depuis trente ans, j'ai trouvé les
jmmes si méchans en particulier et pris un à un
ie je n'ai osé espérer rien de bon d'eux en pu-
ic et pris collectivement. »
Un homme engagé dans un procès criminel qui
îvoit lui faire couper le cou rencontra, après plu-
eurs années, un de ses amis qui dans le commen-
îment du procès avoit entrepris un long voyage.
B premier dit à celui-ci : « Depuis le temps que
>us ne nous sommes vus, ne me trouvez-vous pas
4
20 PORTRAITS ET CARACTERES
changé? — Oui, dit l'autre, je vous trouve grandi
de la tête. »
Il y a une chanson qui roule sur Hercule vain-
queur des cinquante pucelles. Le couplet finit par
ces mots ;
Comme lui je les aurai
Lorsque je les trouverai.
M. Brissard, le père, écrivoit à sa femme :
« Ma chère amie, notre chapelle avance, et nous
pouvons nous flatter d'y être enterrés l'un et l'autre,
si Dieu nous prête vie. »
On demandoit à madame Cramer, de retour de
Genève à Paris après quelques années : « Que
fait madame Tronchin (personne très-laide)? —
Madame Tronchin fait peur, » répondit-elle.
Massillon étoit fort galant. Il devint amoureux
de madame de Simiane, petite-fille de madame de
Sévigné. Cette dame aimoit beaucoup le style
soigné, et ce fut pour lui plaire qu'il mit tant de
soin à composer ses Synodes, un de ses meilleurs
ouvrages. Il logeoit à l'Oratoire et devoit être
rentré à neuf heures; madame de Simiane soupoit
à sept par complaisance pour lui. Ce fut à l'un de
ANECDOTES ET BONS MOTS 27
ces soupers tête à tète qu'il fit une chanson très-
jolie, dont j'ai retenu la moitié d'un couplet :
Aimons-nous tendrement, Elvire :
Ceci n'est qu'une chanson
Pour qui voudroit en médire ;
Mais, pour nous, c*est tout de bon.
M. le comte de Ch^rolois, ayant surpris M. de
Brissac chez sa maîtresse, lui dit : « Sortez ! » M. de
Brissac lui répondit : « Monseigneur, vos ancêtres
auroient dit : « Sortons! »
M. le comte de Charolois avoit été quatre ans
sans payer sa maison , ni même ses premiers offi-
ciers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui
étoient du nombre, lui présentèrent un jour leurs
gens en lui disant : « Si Votre Altesse ne nous paye
pas , qu'elle nous dise du moins comment nous
pourrons satisfaire ces gens-ci ? » Le prince fit ap-
peler son trésorier, et, montrant M. de Laval et
M. de Choiseul, et leur livrée : « Qu'on paye ces
Messieurs, » dit-il.
« Au physique, disoit M..., homme d'une santé
délicate et d'un caractère très-fort, je suis le roseau
qui plie et ne rompt pas; au moral, je suis, au
28 PORTRAITS ET CARACTERE!
contraire, le chêne qui rompt et ne plie point, n
Homo interior totus nervus, dit Van Helmont.
Il est d*usage en Angleterre que les voleurs dé-
tenus en prison, et sûrs d*être condamnés, vendent
tout ce qu'ils possèdent pour en faire bonne chère
avant de mourir. C'est ordinairement leurs chevaux
qu'on est le plus empressé d'acheter, parce qu'ils
sont pour la plupart excellens. Un d'eux, à qui un
lord demandoit le sien, prenant le lord pour quel-
qu'un qui vouloit faire le métier, lui dit : « Je ne
veux pas vous tromper; mon cheval, quoique bon
coureur, a un très-grand défaut : c'est qu'il recule
quand il est auprès de la portière. »
La duchesse de Fronsac, jeune et jolie, n'avoit
point eu d'amans, et l'on s'en étonnoit. Une autre
femme, voulant rappeler qu'elle étoit rousse, et que
cette raison avoit pu contribuer à la maintenir dans
sa tranquille sagesse, dit : « Elle est comme Sam-
son, sa force est dans ses cheveux. »
D'Arnaud, entrant chez M. le comte de Frise,
le vit à sa toilette, ayant les épaules couvertes de
ses beaux cheveux. « Ah! Monsieur, dit-il, voilà
vraiment des cheveux de génie. — Vous trouvez?
ANECDOTES ET BONS MOTS 29
dit le comte. Si vous voulez, je me les ferai couper
pour VOUS en faire une perruque. »
Des députés de Bretagne soupèrent chez M. de
Choiseul. Un d'eux, d'une mine très-grave, ne dit
pas un mot. Le duc de Gramont, qui avoit été
frappé de sa figure, dit au chevalier de Court, co-
lonel des Suisses : a Je voudrois bien savoir de
quelle couleur sont les paroles de cet homme. » Le
chevalier lui adressa la parole. «Monsieur, de quelle
ville êtes-vous? — De Saint -Malo. — De Saint-
Malo ! Par quelle bizarrerie la ville est-elle gardée
par des chiens? — Quelle bizarrerie y a-t-il là?
répondit le grave personnage ; le roi est bien gardé
par des Suisses ! »
Le maréchal de Belle-Isle, voyant que M. de
Choiseul prenoit trop d'ascendant, fit faire contre
lui un mémoire pour le roi par le jésuite Neuville.
Il mourut sans avoir présenté ce mémoire , et le
portefeuille fut porté à M. le duc de Choiseul, qui
y trouva le mémoire fait contre lui. Il fit l'impos-
sible pour reconnoître l'écriture, mais inutilement.
Il n'y songeoit plus, lorsqu'un jésuite considérable
lui fit demander la permission de lui lire l'éloge
qu'on faisoitdelui dans l'oraison funèbre du maré-
chal de Belle-Isle, composée par le père Neuville.
La lecture se fit sur le manuscrit de l'auteur, et
3o PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Choiseul reconnut alors Técriture. La seule
vengeance qu'il en tira, ce fut de faire dire au père
Neuville qu'il réussissoit mieux dans le genre de
l'oraison funèbre que dans celui des mémoires au
roi.
Quand le duc de Choiseul étoit content d'un
maître de poste par lequel il avoit été bien mené ,
ou dont les enfans étoient jolis, il lui disoit :
« Combien paye-t-on ? est-ce poste ou poste et
demie, de votre demeure à tel endroit? — Poste,
Monseigneur. — Eh bien! il y aura désormais poste
et demie. » La fortune du maître de poste étoit
faite.
Le duc de Choiseul avoit grande envie de ravoir
les lettres qu'il avoit écrites à M. de Calonne dans
l'affaire de M. de La Chalotais; mais il étoit dan-
gereux de manifester ce désir. Cela produisit une
scène violente entre lui et M. de Calonne, qui ti-
roit ces lettres d'un portefeuille , bien numérotées,
les parcouroit et disoit à chaque fois : « En voilà
une bonne à brûler », ou telle autre plaisanterie,
M. de Choiseul dissimulant toujours l'importance
qu'il y mettoit, et M. de Calonne se divertissant
de son embarras et lui disant : a Si je ne fais
pas une chose dangereuse pour moi, cela m'ôte
tout le piquant de la scène. » Mais ce qu'il y eut
ANECDOTES ET BONS MOTS 3l
de plus singulier, c'est que M. d'Aiguillon, Payant
su, écrivit à M. de Calonne : « Je sais, Monsieur,
que vous avez brûlé les lettres de M. de Choiseul
relatives à l'affaire de M. de LaChalotais; je vous
prie de garder toutes les miennes. »
Christine, reine de Suède, avoit appelé à sa
cour le célèbre Naudé, qui avoit composé un livre
très-savant sur les différentes danses grecques, et
Meibomius, érudit allemand , auteur du recueil et
de la traduction de sept auteurs grecs qui ont écrit
sur la musique. Bourdelot, son premier médecin,
espèce de favori et plaisant de profession, donna à
la reine l'idée d'engager ces deux savans, l'un à
chanter un air de musique ancienne, et l'autre à le
danser. Elle y réussit, et cette farce couvrit de ri-
dicule les deux savans qui en avoient été les ac-
teurs. Naudé prit la plaisanterie en patience; mais
le savant en us s'emporta et poussa la colère jusqu'à
meurtrir de coups de poing le visage de Bourdelot;
et, après cette équipée, il se sauva de la cour, et
même quitta la Suède.
* On demandoit au valet du comte de Caglios-
tro s'il étoit vrai que son maître eût trois cents
ans. Il répondit qu'il ne pouvoit point satisfaire à
cette question, d'autant plus qu'il n'y avoit que cent
ans qu'il étoit à son service.
02 PORTRAITS ET CARACTERES
* Un charlatan disoit la bonne aventure au peu-
ple. Un petit décrotteur s'avance en haillons,
presque nu, sans souliers, lui donne un sol en
quatre liards. Le charlatan les prend, lui regarde
les mains, fait ses simagrées ordinaires et lui dit :
« Mon cher enfant, vous avez beaucoup d'envieux. »
L'enfant prend un air triste. Le charlatan ajoute :
« Je ne voudrois pas être à votre place. »
* M. le prince de Conti, voyant de la lumière
à la fenêtre d'une petite maison du duc de Lauzun,
y entra et le trouva entre deux géantes de la foire
qu'il y avoit menées. Il resta à souper et écrivit à
madame la duchesse d'Orléans, chez laquelle il
devoit souper : « Je vous sacrifie à deux plus grandes
dames que vous. »
* Le peuple dit quelquefois : « Voilà bien du
kankan », pour dire : « Voilà bien du bruit. » Cette
expression vient de la dispute élevée dans l'Univer-
sité du temps deRamus, dans laquelle il s'agissoit de
savoir s'il falloit prononcer quanquam ou kankan.
Il fallut un arrêt du conseil pour défendre à quel-
ques professeurs de soutenir que cette phrase ego
amat étoit aussi latine que ego amo, (V. Bayle,
article Kamus,)
Fontenelle avoit fait un opéra où il y avoit ua
ANECD.OTES ET BONS MOTS 33
chœur de prêtres qui scandalisa les dévots. L'arche-
vêque de Paris voulut le faire supprimer. « Je ne
me mêle point de son clergé, dit Fontenelle; qu'il
ne se mêle pas du mien. »
La maréchale de Luxembourg, arrivant à l'église
un peu trop tard, demanda où en étoit la messe, et
dans cet instant la sonnette du lever-Dieu sonna.
Le comte de Chabot lui dit en bégayant : « Ma-
dame la maréchale ,
J'entends la petite clochette,
Le petit mouton n'est pas loin. »
Ce sont deux vers d'un opéra-comique.
Le cocher du roi de Prusse l'ayant versé, le roi
entra dans une colère épouvantable. « Eh bien! dit
le cocher, c'est un malheur; et vous, n'avez-vous
jamais perdu une bataille ? »
Le roi de Prusse causant avec d'Alembert, il
entra chez le roi un de ses gens du service domes-
tique, homme de la plus belle figure qu'on pût
voir D'Alembert en parut frappé. « C'est, dit le
roi, le plus bel homme de mes Etats. Il a été
quelque temps mon cocher, et j'ai une tentation
bien violente de l'envoyer ambassadeur en Russie. »
Chamfort. II. 5
34 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Voltaire se trouvant avec madame la du-
chesse de Chaulnes, celle-ci, parmi les éloges qu'elle
lui donna, insista principalement sur l'harmonie de
sa prose. Tout d'un coup voilà M. de Voltaire qui
se jette à ses pieds : « Ah! Madame, je vis avec un
cochon qui n'a pas d'organe , qui ne sait ce que
c'est qu'harmonie, mesure, etc. n Le cochon dont
il parloit, c'étoit madame du Châtelet, son Emilie.
Notre siècle a produit huit grandes comédiennes :
quatre du théâtre et quatre de la société. Les qua-
tre premières sont : mademoiselle d'Angeville ,
mademoiselle Duménil , mademoiselle Clairon et
madame Saint-Huberti ; les quatre autres sont :
madame de Montesson , madame de Genlis, ma-
dame Necker et madame d'Angivilliers.
Luxembourg , le crieur qui appeloit les gens et
les carrosses au sortir de la Comédie , disoit , lors-
qu'elle fut transportée au Carrousel : « La Comédie
sera mal ici, il n'y a pomt d'écho. »
M,.„ me racontoit avec indignation une mal-
versation de vivriers. « Il en coûta , me dit-il , la
vie à cinq mille hommes, qui moururent exacte-
ment de faim . Et voilà. Monsieur y comme le roi est
servi! »
ANECDOTES ET BONS MOTS 35
C'est un fait certain et connu des amis de
M. d'Aiguillon que le roi ne Ta jamais nommé
ministre des affaires étrangères. Ce fut madame du
Barry qui lui dit : « Il faut que tout ceci finisse, et
je veux que vous alliez demain matin remercier le
roi de vous avoir nommé à la place. » Elle dit au
roi : « M. d'Aiguillon ira demain vous remercier
de sa nomination à la place de secrétaire d'État
des affaires étrangères. » Le roi ne dit mot.
M. d'Aiguillon n'osoit pas y aller, madame du
Barry le lui ordonna; il y alla. Le roi ne lui dit
rien , et M. d'Aiguillon entra en fonctions sur-le-
champ. »
C'est un fait connu que la lettre du roi envoyée
à M. de Maurepas avoit été écrite pour M. de
Machault. On sait quel intérêt particulier fit chan-
ger cette disposition ; mais ce qu'on ne sait point,
c'est que M. de Maurepas escamota, pour ainsi
dire, la place qu'on croit qui lui avoit été offerte.
Le roi ne vouloit que causer avec lui. A la fin de la
conversation, M. de Maurepas lui dit : « Je dé-
velopperai mes idées demain au conseil. » On as-
sure aussi que , dans cette même conversation , il
avoit dit au roi : « Votre Majesté me fait donc
premier ministre? — Non, dit le roi, ce n'est
point du tout mon intention. — J'entends, dit
36 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Maurepas, Votre Majesté veut que je lui
apprenne à s'en passer. »
Le chevalier de Montbarey avoit vécu dans je
ne sais quelle ville de province, et, à son retour,
ses amis le plaignoient de la mauvaise société qu'il
avoit eue. a C'est ce qui vous trompe, répondit-il;
la bonne compagnie de cette ville y est comme
partout, et la mauvaise y est excellente. »
Un jeune homme avoit offensé le complaisant
d'un ministre. Un ami, témoin de la scène, lui dit,
après le départ de l'offensé : « Apprenez qu'il
vaudroit mieux avoir offensé le ministre même que
l'homme qui le sert dans sa garde-robe. »
Diderot, âgé de soixante-deux ans et amoureux
de toutes les femmes, disoit à un de ses amis : « Je
me dis souvent à moi-même : « Vieux fou ! vieux
« gueux! quand cesseras- tu donc de t'exposer à
(c l'affront d'un refus ou d'un ridicule ? »
Une fille, étant à confesse, dit : « Je m'accuse
d'avoir estimé un jeune homme. — Estimé ! com-
bien de fois? » demanda le père.
Madame de.,, vivoit avec M. de Senevoi. Un
jour qu'elle avoit son mari à sa toilette, un soldat
ANECDOTES ET BONS MOTS 87
arrive et lui demande sa protection auprès de
M. de Senevoi, son colonel, auquel il demandoit
un congé. Madame de... se fâche contre cet im-
pertinent, dit qu'elle ne connoît M. de Senevoi
que comme tout le monde, en un mot, refuse.
M. de... retient le soldat et lui dit : « Va de-
mander ton congé en mon nom, et, si Senevoi te
le refuse, dis-lui que je lui ferai donner le sien. »
M. de Chaulnes avoit fait peindre sa femme en
Hébé ; il ne savoit comment se faire pemdre pour
faire pendant. Mademoiselle Quinault , à qui il
contoit son embarras , lui dit : « Faites-vous pein-
dre en hébété. »
M. de Turenne, voyant un enfant passer der-
rière un cheval de façon à pouvoir être estropié
par une ruade, l'appela et lui dit : « Mon bel en-
fant, ne passez jamais derrière un cheval sans lais-
ser entre lui et vous l'intervalle nécessaire pour que
vous ne puissiez en être blessé. Je vous promets
que cela ne vous fera pas faire une demi-lieue de
plus dans le cours de votre vie entière ; et souve-
nez-vous que c'est M. de Turenne qui vous l'a dit. »
On disoit à M... : a Vous aimez beaucoup la
considération.» 11 répondit ce mot qui me frappa :
38 PORTRAITS ET CARACTERES
« Non, j'en ai pour moi, ce qui m'attire quelque-^
fois celle des autres. »
M. de Bissi, voulant quitter la présidente d'Ali-
gre, trouva sur sa cheminée une lettre dans la-
quelle elle disoit à un homme avec qui elle étoit
en intrigue qu'elle vouloit ménager M. de Bissi et
s'arranger pour qu'il la quittât le premier. Elle
avoit même laissé cette lettre à dessein. Mais
M. de Bissi ne fit semblant de rien, et la garda six
mois en l'importunant de ses assiduités.
Madame de L... est coquette avec illusion, en
se trompant elle-même. Madame de B... l'est sans
illusion, et il ne faut pas la chercher parmi les dupes
qu'elle fait.
• M de Boulainvilliers, homme sans esprit, très-
vain et fier d'un cordon bleu par charge, disoit à
un homme, en mettant ce cordon, pour lequel il
avoit acheté une place de cinquante mille écus :
« Ne seriez-vous pas bien aise d'avoir un pareil
ornement ? — Non , dit l'autre ; mais je voudrois
avoir ce qu'il vous coûte. »
L'évêque d'Arras, recevant dans sa cathédrale le
corps du maréchal de Lévis, dit en mettant la main
ANECDOTES ET BONS MOTS 3<)
sur le cercueil : « Je le possède enfin, cet homme
vertueux ! »
Le baron de La Houze ayant rendu quelques
services au pape Ganganelli , ce pape lui demanda
s'il pouvoit faire quelque chose qui lui fût agréa-
ble. Le baron de La Houze, rusé Gascon, le pria
de lui faire donner un corps saint. Le pape fut
très-surpris de cette demande de la par!. d*un Fran-
çois. Il lui fit donner ce qu'il demandoil. Le baron,
qui avoit une petite terre dans les Pyrénées , d'un
revenu très-mince, sans débouché pour les denrées,
y fit porter son saint, le fit accréditer. Les chalands
accoururent , les miracles arrivèrent , un village
d'auprès se peupla , les denrées augmentèrent de
prix , et les revenus du baron triplèrent.
La maréchale de Noailles, actuellement vivante
(1780) , est une mystique comme madame Guyon,
à Tesprit près. Sa tête s'étoit montée au point
d'écrire à la Vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc
de Saint-Roch, et la réponse à cette lettre fut faite
par un prêtre de cette paroisse. Ce manège dura
longtemps; le prêtre fut découvert et inquiété,
mais on assoupit cette affaire..
M. de Lassay, homme très-doux, mais qui avoit
une grande connoissance de la société, disoit qu'il
40 PORTRAITS ET CARACTERES
faudroit avaler un crapaud tous les matins pour ne
plus rien trouver de dégoûtant le reste de la journée,
quand on devoit la passer dans le monde.
Le duc de La Vallière, voyant à TOpéra la petite
Lacour sans diamans, s'approche d'elle et lui de-
mande comment cela se fait. « C'est, lui dit-elle»
que les diamans sont la croix de Saint-Louis de
notre état. » Sur ce mot , il devint amoureux fou
d'elle. Il a vécu avec elle longtemps. Elle le sub-
juguoit par les mêmes moyens qui réussirent à ma-
dame du Barry près de Louis XV; elle lui ôtoit
son cordon bleu, le mettoit à terre et lui disoit :
« Mets-toi à genoux là-dessus, vieille ducaille. »
M... disoit d'un sot sur lequel il n'y a pas de
^^/ prise : « C'est une cruche sans anse. »
* Le duc d'York, depuis Jacques II, proposoit
à Charles II, son frère, je ne sais quelle action qui
devoit inquiéter les communes. Le roi lui répondit :
« Mon frère, je suis las de voyager en Europe. Après
moi, vous pourrez vous mettre dans le cas de
voyager tant qu'il vous plaira. » Celui-ci put se
rappeler ce mot de son frère dans le long séjour
qu'il fit à Saint-Germain.
* Jules César, ayant entendu un orateur qui dé-
ANECDOTES ET BONS MOTS 4I
clamoit mal, lui dit : a Si vous avez voulu parler,
vous avez chanté; si vous avez voulu chanter,
vous avez chanté très-mal. »
* Le pape Clément XI disoit, en pleurant d'a-
voir donné la constitution : « Si le P. Le Tellier
ne m'eût pas persuadé du pouvoir absolu du roi,
jamais je n'aurois hasardé cette constitution. Le
P. Le Tellier a dit au roi qu'il y avoit dans le
livre condamné plus de cent propositions censu-
rables ; il n'a pas voulu passer pour un menteur.
On m'a tenu le pied sur la gorge pour en mettre
plus de cent : je n'en ai mis qu'une de plus. »
* Un curé écrivoit à madame de Créqui sur la
mort de M. de Créqui-Canaples , incrédule bi-
zarre : «Je suis bien inquiet du salut de son âme;
mais, comme les jugemens de Dieu sont impéné-
trables et que le défunt avoit l'honneur d'être
de votre maison, etc.. »
Le comte d'Argenson, homme d'esprit, mais
dépravé et se jouant de sa propre honte, disoit ;
« Mes ennemis ont beau faire, ils ne me culbuteront
pas : il n'y a ici personne plus valet que moi.
La Fontaine, entendant plaindre le sort des
damnés au milieu de l'enfer, dit : « Je me flatte
6
42 PORTRAITS ET CARACTÈRES
qu'ils s*y accoutument , et qu'à la fin ils sont là
comme le poisson dans Teau. »
L*abbé de Dangeau, de TAcadémie Françoise,
grand puriste, travailloit à une grammaire et ne par-
loit d'autre chose. Un jour, on se lamentoit devant
lui sur les malheurs de la dernière campagne (c'étoit
pendant les dernières années de Louis XIV). « Tout
cela n'empêche pas, dit-il , que je n'aie dans ma
cassette deux mille verbes françois bien conjugués. »
Madame de Maurepas avoit de l'amitié pour le
comte de Lowendahl(fils du maréchal), et celui-ci,
à son retour de Saint-Domingue , bien fatigué du
voyage, descendit chez elle. « Ah! vous voilà, cher
comte? dit-elle. Vous arrivez bien à propos : il
nous manque un danseur, et vous nous êtes néces-
saire. » Celui-ci n'eut que le temps de faire une
courte toilette et dansa.
Avant que mademoiselle Clairon eût établi le
costume au Théâtre-François, on ne connoissoit
pour le théâtre tragique qu'un seul habit qu'on
appeloit l'habit à la romaine, et avec lequel on
jouoit les pièces grecques, américaines, espa-
gnoles, etc. Lekain fut le premier à se soumettre
au costume, et se fit faire un habit grec pour jouer
Oreste d'Andromaque. Dauberval arriva dans la
ANECDOTES ET BONS MOTS 43
loge de Lekain au moment que le tailleur de la
comédie apportoit Thabit d*Oreste. La nouveauté
de cet habit frappa Dauberval, qui demanda ce que
c'étoii. a Cela s'appelle un habit à la grecque, dit
Lekain. — Ah! qu'il est beau! reprend Dauberval;
le premier habit à la romaine dont j'aurai besoin,
je le ferai faire à la grecque. »
Le duc de..., qui avoit autrefois de l'esprit, qui
recherchoit la conversation des honnêtes gens, s'est
mis, à cinquante ans, à mener la vie d'un courtisan
ordinaire. Ce métier et la vie de Versailles lui con-
viennent dans la décadence de son esprit , comme
le jeu convient aux vieilles femmes.
On faisoit la guerre à M... sur son goût pour
la solitude. Il répondit : « C'est que je suis plus
accoutumé à mes défauts qu'à ceux d'autrui. »
Madame du Deffand, étant petite fille et au
couvent, y prêchoit l'irréligion à ses petites cama-
rades. L'abbé fit venir Massillon, à qui la petite
exposa ses raisons. Massillon se retira en disant :
« Elle est charmante. » L'abbesse, qui mettoit de
l'importance à tout cela, demanda à l'évêque quel
livre il falloit faire lire à cette enfant. Il réfléchit une
minute , et il répondit : « Un catéchisme de cinq
sous. B On ne put en tirer autre chose.
44 PORTRAITS ET CARACTERES
M... disoit : « Je ne me soucierois pas d'être
chrétien, mais je ne serois pas fâché de croire en
Dieu. »
Quelqu'un, ayant entendu la traduction des Géor-
giques de Tabbé Delille, lui dit : « Cela est excel-
lent ; je ne doute pas que vous n'ayez le premier
bénéfice qui sera à la nomination de Virgile. »
M. de Maurepas et M. de Saint-Florentin, tous
deux ministres dans le temps de madame de Pom-
padour, firent un jour, par plaisanterie, la répéti-
tion du compliment de renvoi qu'ils prévoyoient
que l'un feroit un jour à l'autre. Quinze jours
après cette facétie, M. de Maurepas entre un jour
chez M. de Saint-Florentin, prend un air triste et
grave, et vient lui demander sa démission. M. de
Saint-Florentin paroissoit en être la dupe, lorsqu'il
fut rassuré par un éclat de rire de M. de Maurepas.
Trois semaines après arriva le tour de celui-ci, mais
sérieusement. M. de Saint-Florentin entre chez
lui, et, se rappelant le commencement de la haran-
gue de M. de Maurepas, le jour de sa facétie, il
répéta ses propres mots. M. de Maurepas crut
d'abord que c'étoit une plaisanterie ; mais, voyant
que l'autre parloit tout de bon : « Allons, dit-il, je
vois bien que vous ne me persiflez pas ; vous êtes
ANECDOTES ET BONS MOTS 45
un honnête homme : je vais vous donner ma dé-
mission. »
Une jeune personne dont la mère, à qui les
treize ans de sa fille déplaisoient infiniment, étoit
jalouse, me disoit un jour : « J'ai toujours envie
de lui demander pardon d'être née. »
On faisoit compliment à madame Denis de la
façon dont elle venoit de jouer Zaïre. « Il fau-
droit, dit-elle, être belle et jeune. — Ah ! Madame,
reprit le complimenteur naïvement, vous êtes bien
la preuve du contraire. »
Un avare souffroit beaucoup d'un mal de dent ;
on lui conseilloit de la faire arracher : « Ah ! dit-il,
je vois bien qu'il faudra que j'en fasse la dépense ! »
Madame Brisard , célèbre par ses galanteries ,
étant à Plombières, plusieurs femmes de la cour ne
vouloient point la voir. La duchesse de Gisors étoit
du nombre, et , comme elle étoit dévote, les amis
de madame Brisard comprirent que, si madame de
Gisors la recevoit , les autres n'en feroient aucune
difficulté. Ils entreprirent cette négociation et réus-
sirent. Comme madame Brisard étoit aimable, elle
plut bientôt à la dévote, et elles en vinrent à l'in-
timité. Un jour, madame de Gisors lui fit entendre
46 PORTRAITS ET CARACTERES
que, tout en concevant très-bien qu'on eût une
foiblesse, elle ne comprenoit pas qu'une femme
vînt à multiplier à un certain point le nombre de
ses amans. « Hélas! lui dit madame Brisard, c'est
qu'à chaque fois j'ai cru que celui-là seroit le
dernier. »
Madame de H... me racontoit la mort de M. le
duc d'Aumont. «Cela a tourné bien court! disoit-
elle. Deux jours auparavant, M. Bouvard lui avoit
permis de manger, et, le jour même de sa mort,
deux heures avant la récidive de sa paralysie, il
étoit comme à trente ans, comme il avoit été toute
sa vie; il avoit demandé son perroquet, avoit dit :
« Brossez ce fauteuil... Voyons mes deux brode-
« ries nouvelles... » ; enfin toute sa tête, ses idées
comme à l'ordinaire. »
« Je hais si fort le despotisme, disoit M...,
que je ne puis souffrir le mot ordonnance du mé-
decin. »
M. de Saint-Julien, le père, ayant ordonné à
son fils de lui donner la liste de ses dettes, celui-ci
mit à la tête de son bilan soixante mille livres pour
une charge de conseiller au Parlement de Bordeaux.
Le père, indigné, crut que c'étoit une raillerie, et lui
en fit des reproches amers. Le fils soutint qu'il avoit
ANECDOTES ET BONS MOTS 47
payé cette charge. « C'étoit, dit-il, lorsque je fis
connoissance avec madame Tilaurier. Elle souhai-
toit d'avoir une charge de conseiller au Parlement
de Bordeaux pour son mari, et jamais, sans cela,
elle n*auroit eu d'amitié pour moi. J'ai payé la
place, et vous voyez, mon père, qu'il n'y a pas de
quoi être en colère contre moi, et que je ne suis
pas un mauvais plaisant. »
On disputoit chez madame de Luxembourg sur
ce vers de l'abbé Delille :
Et ces deux grands débris se consoloient entre eux !
On annonce le bailli de Breteuil et madame de La
Reynière. « Le vers est bon, » dit la maréchale.
Diderot étoit lié avec un mauvais sujet qui, par
je ne sais quelle mauvaise action récente, venoit
de perdre l'amitié d'un oncle , riche chanoine , qui
vouloit le priver de sa succession. Diderot va voir
l'oncle, prend un air grave et philosophique, prê-
che en faveur du neveu et essaye de remuer la
passion et de prendre le ton pathétique. L'oncle
prend la parole et lui conte deux ou trois indigni-
tés de son neveu. « Il a fait pis que tout cela, re-
prend Diderot. — Et quoi ? dit l'oncle. — Il a
voulu vous assassiner un jour dans la sacristie , au
48 PORTRAITS ET CARACTÈRES
sortir de votre messe , et c'est Tarrivée de deux ou
trois personnes qui l'en a empêché. — Cela n'est
pas vrai ! s'écria l'oncle ; c'est une calomnie. —
Soit, dit Diderot; mais, quand cela seroit vrai, il
faudroit encore pardonner à la vérité de son re-
pentir, à sa position et aux malheurs qui l'attendent
si vous l'abandonnez. »
D..., misanthrope plaisant, me disoit, à propos
de la méchanceté des hommes : « H n'y a que
J l'inutilité du premier déluge qui empêche Dieu
d'en envoyer un second. »
M. de Brissac, ivre de gentilhommerie, désigne
souvent Dieu par cette phrase : « Le gentilhomme
d'en haut. »
Louis XIV, après la bataille de Ramillies , dont
il venoit d'apprendre le détail, dit : « Dieu a donc
oublié tout ce que j'ai fait pour lui?» [Anecdote
contée à M, de Voltaire par un vieux duc de
Brancas.)
Le roi de Pologne Stanislas avançoit tous les
jours l'heure de son dîner, M. de La Galaisière
lui dit à ce sujet : « Sire, si vous continuez, vous
finirez par dîner la veille. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 49
M..., qui avoit une collection des discours de
réception à TAcadémie françoise , me disoit :
« Lorsque j'y jette les yeux, il me semble voir des
carcasses de feu d'artifice après la Saint-Jean. »
Un jour que Ton ne s'entendoit pas dans une
dispute à l'Académie, M. de Mairan dit : « Mes-
sieurs, si nous ne parlions que quatre à la fois ! »
Un poëte consultoit C... sur un distique, (f Ex-
cellent, répondit-il, sauf les longueurs. »
Quinze jours avant l'attentat de Damiens, un
négociant provençal, passant dans une petite ville
à six lieues de Lyon et étant à l'auberge, entendit
dire dans une chambre qui n'étoit séparée de la
sienne que par une cloison qu'un nommé Damiens
devoit assassiner le roi. Ce négociant venoit à
Paris; il alla se présenter chez M. Berryer, ne le
trouva point, lui écrivit ce qu'il avoit entendu, re-
tourna voir M. Berryer, et lui dit qui il étoit. Il
repartit pour sa province. Comme il étoit en route,
arriva l'attentat de Damiens. M. Berryer, qui
comprit que ce négociant conteroit son histoire
et que cette négligence le perdroit , lui Berryer,
envoie un exempt de police et des gardes sur la
route de Lyon. On saisit l'homme, on le bâillonne,
on l'amène à Paris , on le met à la Bastille , où il
Chamfort, II. 7
y
5o PORTRAITS ET CARACTÈRES
est resté pendant dix-huit ans. M. de Malesherbes,
qui en délivra plusieurs prisonniers en lyyS, conta
cette histoire dans le premier moment de son in-
dignation.
* Néricault Destouches vivoit dans sa terre et y
faisoit ses pièces. Il les apportoit à Paris, et s'en
alloit la veille de la première représentation.
* Un ordre de choses où le supérieur est vil et
rinférieur avili.
La devise de Marie Sluart étoit une branche de
réglisse avec ces mots : Dulcedo in terra, par allu-
sion à François TI, mort dès sa jeunesse.
* Diderot, ayant vu en Russie une classe de
paysans esclaves appelés mougiks, qui sont d'une
pauvreté affreuse, rongés de vermine, etc., en fit
une peinture horrible à l'impératrice, qui lui dit :
(c Comment voulez-vous qu'ils aient soin de la mai-
son, ils n'en sont que locataires? » L'esclave russe^
en effet, n'est point propriétaire de sa personne.
On agitoit dans une société la question : « Le-
quel étoit plus agréable, de donner ou de recevoir? »
Les uns prétendoient que c'étoit de donner; d'au-
tres, que, quand l'amitié étoit parfaite, le plaisir
ANECDOTES ET BONS MOTS 5l
de recevoir étoit peut-être aussi délicat et plus vif.
Un homme d'esprit , à qui on demanda son avis,
dit : « Je ne demanderai pas lequel des deux plai-
sirs est le plus vif, mais je préférerois celui de don-
ner. Il m*a semblé qu'au moins il étoit le plus du-
rable, et j'ai toujours vu que c'étoit celui des deux
dont on se souvenoit plus longtemps. »
Une forte preuve de l'existence de Dieu , selon
Dorilas, c'est l'existence de l'homme, de l'homme
par excellence , dans le sens le moins susceptible
d'équivoque, dans le sens le plus exact, et, par
conséquent, un peu circonscrit; en un mot, de
l'homme de qualité. C'est le chef-d'œuvre de la
Providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de
ses mains. Mais on prétend, on assure qu'il existe
des êtres d'une ressemblance parfaite avec cet être
privilégié. Dorilas a dit : « Est-il vrai? Quoi ! même
figure, même conformation extérieure?» Eh bien!
l'existence de ces individus, de ces hommes, puis-
qu'on les appelle ainsi, qu'il a niée autrefois, qu'il
a vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs
de ses égaux; que par cette raison seule il ne nie
plus formellement, sur laquelle il n'a plus que des
nuages, des doutes bien pardonnables , tout à fait
involontaires ; contre laquelle il se contente de
protester simplement par des hauteurs, par l'oubli
des bienséances ou par des bontés dédaigneuses ;
52 PORTRAITS ET CARACTÈRES
Texistence de tous ces êtres, sans doute mal défi-
nis, qu'en fera-t-il? comment Texpliquera-t-il?
Comment accorder ce phénomène avec sa théorie?
dans quel système physique, métaphysique, ou,
s'il le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solu-
tion de ce problème? Il réfléchit, il rêve, il est de
bonne foi; l'objection est spécieuse, il en est
ébranlé. Il a de l'esprit, des connoissances; il va
trouver le mot de l'énigme ; il Ta trouvé, il le tient,
la joie brille dans ses yeux. Silence. On connoît
dans la théologie persane la doctrine des deux
principes, celui du bien et celui du mal. Eh quoi!
vous ne saisissez pas? Rien de plus simple. Le gé-
nie, les talens, les vertus, sont des inventions du
mauvais principe , d'Orimane , du diable , pour
mettre en évidence, pour produire au grand jour
certains misérables, plébéiens reconnus, vrais rotu-
riers ou à peine gentilshommes.
Une femme venoit de perdre son mari. Son con-
fesseur ad honores vint la voir le lendemain et la
trouva jouant avec un jeune homme très-bien mis.
Kl Monsieur, lui dit-elle, le voyant confondu, si
vous étiez venu une demi -heure plus tôt, vous
m'auriez trouvée les yeux baignés de larmes; mais
j'ai joué ma douleur contre Monsieur, et je l'ai
perdue. »
*Un homme, devant un grand dîner, ne distin*
ANECDOTES ET BONS MOTS 53
guant point les plats, disoit qu'il ressembloit à cet
homme que les maisons empêchoient de voir la
ville.
* Un militaire qui s'étoit souvent battu en duel,
se trouvant à Paris, fit accepter à un vieux lieute-
nant général une épée qu'il lui vantoit beaucoup.
Quelques jours après, il alla le voir, et lui dit :
« Eh bien! mon général, comment vous trouvez-
vous de cette épée? » Il supposoit que celui-ci en
avoit déjà fait usage en quelques rencontres.
Madame du Barry, étant à Luciennes,eut la fan-
taisie de voir le Val, maison de M. de Beauvau.
Elle fit demander à celui-ci si cela ne déplairoit pas
à madame de Beauvau. Madame de Beauvau crut
plaisant de s'y trouver et d'en faire les honneurs.
On parla de ce qui s'étoit passé sous Louis XV.
Madame du Barry se plaignit de différentes choses
qui sembloient faii'e voir qu'on haïssoit sa personne.
« Point du tout, dit madame de Beauvau, nous
n'en voulions qu'à votre place. » Après cet aveu
naïf, on demanda à madame du Barry si Louis XV
ne disoit pas beaucoup de mal d'elle (madame de
Beauvau) et de madame de Grammont. « Oh !
beaucoup. — Eh bien ! quel mal de moi , par
exemple ? — De vous , Madame , que vous étiez
hautaine, intrigante; que vous meniez votre mari
54 PORTRAITS ET CARACTERES
par le nez. » M. de Beauvau étoit présent : on se
hâta de changer de conversation.
M. Dubreuil , pendant la maladie dont il mou-
rut, disoit à son ami M. Pechméja: « Mon ami,
pourquoi tant de monde dans ma chambre? Il
ne devroit y avoir que toi : ma maladieest conta-
gieuse. »
M. Du Bucq disoit que les femmes sont si décriées
-^ qu'il n*y a même plus d*hommes à bonnes fortunes.
La Gabrielli, célèbre chanteuse, ayant demandé
cinq mille ducats à l'impératrice pour chanter
deux mois à Pétersbourg, l'impératrice répondit:
« Je ne paye sur ce pied-là aucun de mes feld-
maréchaux. — En ce cas, dit la Gabrielli, Votre
Majesté n'a qu'à faire chanter ses feld-maréchaux. »
L'impératrice paya les cinq mille ducats.
Duclos, qui disoit sans cesse des injures à l'abbé
d'Olivet, disoit de lui : « C'est un si grand coquin
que, malgré les duretés dont je l'accable, il ne me
J hait pas plus qu'un autre. »
Duclos disoit à un homme ennuyé d'un sermon
prêché à Versailles : « Pourquoi avez-vous entendu
ce sermon jusqu'au bout? — J'ai craint de déranger
ANECDOTES ET BONS MOTS 55
l'auditoire et de le scandaliser. — Ma foi, reprit
Duclos, plutôt que d'entendre ce sermon, je me
serois converti au premier point. »
Mademoiselle Duthé , ayant perdu un de ses
amans , et cette aventure ayant fait du bruit , un
homme qui alla la voir la trouva jouant de la
harpe, et lui dit avec surprise : « Eh! mon Dieu!
je m'attendois à vous trouver dans la désolation.
— Ah ! dit-elle d*un ton pathétique , c'est hier
qu'il falloit me voir ! »
a Je joue aux échecs à vingt-quatre sous dans
un salon où le passe-dix est à cent louis, » disoit
un général employé dans une guerre difficile et
ingrate, tandis que d'autres faisoient des cam-
pagnes faciles et brillantes.
M. de B... est un de ces sots qui regardent de
bonne foi l'échelle des conditions comme celle
du mérite ; qui le plus naïvement du monde ne
conçoit pas qu'un honnête homme non décoré ou
au-dessous de lui soit plus estimé que lui. Le ren-
contre-t-il dans une de ces maisons où l'on sait
encore honorer le mérite, M. de B... ouvre de
grands yeux, montre un étonnement stupide ; il
croit que cet homme vient de gagner un quaternc
h. la loterie : il l'appelle mon cher un tel , quand
56 PORTRAITS ET CARACTERES
la société vient de le traiter avec la plus grande
considération. J'ai vu plusieurs de ces scènes dignes
du pinceau de La Bruyère.
M..., qui venoit de publier un ouvrage qui
avoit beaucoup réussi, étoit sollicité d'en publier
un second dont ses amis faisoient grand cas.
« Non , dit-il , il faut laisser à l'envie le temps
d'essuyer son écume. »
Le comte de... et le marquis de... me deman-
dant quelle différence je faisois entre eux en fait
de principes, je répondis : « La différence qu'il y
a entre vous est que l'un lécheroit l'écumoire, et
que l'autre l'avaleroit. »
On disoit à Louis XV qu'un de ses gardes, qu'on
lui nommoit, alloit mourir sur-le-champ pour avoir
fait la mauvaise plaisanterie d'avaler un écu de six
livres. « Ah ! bon Dieu ! dit le roi, qu'on aille cher-
cher Andouillet, Lamartinière, Lassone! — Sire,
dit le duc de Noailles, ce ne sont point là les gens
qu'il faut. — Et qui donc? — Sire, c'est l'abbé
Terray. — L'abbé Terray! Comment? — Il arri-
vera, il mettra sur ce gros écu un premier dixième,
un second dixième, un premier vingtième, un se-
cond vingtième; le gros écu sera réduit à trente-
six sous, comme les nôtres; il s'en ira par les voies
ANECDOTES ET BONS MOTS 5j
ordinaires, et voilà le malade guéri. » Cette plai-
santerie fut la seule qui ait fait de la peine à Tabbé
Terray ; c*est la seule dont il eût conservé le sou-
venir : il le dit lui-même au marquis de Sesmai-
sons.
On parloit à Tabbé Terrasson d'une certaine
édition de la Bible; on la vantoit beaucoup. « Oui,
dit-il, le scandale du texte y est conservé dans
toute sa pureté. »
On annonça, dans une maison où soupoit ma-
dame d'Egmont, un homme qui s'appeloitdu Gues-
clin. A ce nom, son imagination s'allume ; elle fait
mettre cet homme à table à côté d'elle, lui fait
mille politesses, et enfin lui offre du plat qu'elle a
devant elle (c'étoient des truffes). « Madame,
répond le sot, il n'en faut pas à côté de vous. » —
a A ce ton, dit-elle en contant cette histoire, j'eus
grand regret à mes honnêtetés. Je fis comme ce
dauphin qui , dans le naufrage d'un vaisseau , crut
sauver un homme, et le rejeta à la mer en voyant
que c'étolt un singe. »
La comtesse d'Egmont, ayant trouvé un homme
du premier mérite à mettre à la tête de l'éducation
de M. de Chinon, son neveu, n'osa pas le présen-
ter en son nom. Elle étoit pour M. de Fronsac,
8
58 PORTRAITS ET CARACTÈRES
son frère, un personnage trop grave. Elle pria le
poëte Bernard de passer chez elle. Il y alla, elle
le mit au fait. Bernard lui dit : a Madame, l'auteur
de VAri d'aimer n*est pas un personnage bien im-
posant; mais je le suis encore un peu trop pour
cette occasion : je pourrois vous dire que made-
moiselle Arnould seroit un passe-port beaucoup
meilleur auprès de monsieur votre frère... — Eh
bien! dit madame d'Egmont en riant, arrangez le
souper chez mademoiselle Arnould. » Le souper
s'arrangea. Bernard y proposa Tabbé Lapdant pour
précepteur; il fut agréé. C'est celui qui a depuis
achevé l'éducation du duc d'Enghien.
Une mère, après un trait d'entêtement de son
fils, disoit que les enfans étoient très-égoïstes.
« Oui, dit M..., en attendant qu'ils soient polis. »
Quelqu'un disoit que la goutte est la seule ma-
ladie qui donne de la considération dans le monde.
« Je le crois bien, répondit M..., c'est la croix de
Saint-Louis de la galanterie. »
Le lord Rochester avoit fait dans une pièce de
vers l'éloge de la poltronnerie. Il étoit dans un
café. Arrive un homme qui avoit reçu des coups
de bâton sans se plaindre; milord Rochester, après
beaucoup de complimens, lui dit : « Monsieur, si
ANECDOTES ET BONS MOTS 59
VOUS étiez homme à recevoir des coups de bâton
si patiemment, que ne le disiez-vous? Je vous les
aurois donnés, moi, pour me remettre en crédit. »
Le roi de Prusse, qui ne laisse pas d'avoir em-
ployé son temps, dit qu'il n'y a peut-être pas
d*homme qui ait fait la moitié de ce qu'il auroit pu
faire.
« Mes ennemis ne peuvent rien contre moi, di-
soit M..., car ils ne peuvent m'ôter la faculté de
bien penser, ni celle de bien faire. »
« Vous bâillez ! disoit une femme à son mari. —
Ma chère amie, lui dit celui-ci, le mari et la femme \j
ne sont qu'un, et, quand je suis seul, je m'ennuie. »
Mademoiselle d'Entragues, piquée de la façon
dont Bassompierre refusoit de l'épouser, lui dit :
« Vous êtes le plus sot homme de la cour. — Vous
voyez bien le contraire, » répondit-il.
a La manière dont je vois distribuer l'éloge et
le blâme, disoit M. de B..., donneroit au plus
honnête homme l'envie d'être diffamé. »
M. de R... venoit de lire dans une société trois
ou quatre épigrammes sur autant de personnes
6o PORTRAITS ET CARACTÈRES
dont aucune n*étoit vivante. On se tourna vers
M. de..., comme pour lui demander s'il n'en avoit
pas quelques-unes dont il pût régaler rassemblée,
« Moi! dit-il naïvement, tout mon monde vit : je
ne puis vous rien dire. »
On faisoit une procession avec la châsse de sainte
Geneviève pour obtenir de la sécheresse. A peine
la procession fut-elle en route qu'il commença à
pleuvoir. Sur quoi Tévêque de Castres dit plaisam-
ment : « La sainte se trompe; elle croit qu'on lui
demande de la pluie. »
Mylord Tyrauley disoit qu'après avoir ôté à un
Espagnol ce qu'il avoit de bon, ce qu'il en restoit
étoit un Portugais. Il disoit cela étant ambassadeur
en Portugal.
Je me promenois un jour avec un de mes anàis^
qui fut salué par un homme d'assez mauvaise mine.
Je lui demandai ce que c'étoit que cet homme; il
me répondit que c'étoit un homme qui faisoit pour
sa patrie ce que Brutus n'auroit pas fait pour la
sienne. Je le priai de mettre cette grande idée à
mon niveau. J'appris que son homme étoit un es-
pion de police.
Il a plu un moment à madame la duchesse de
ANECDOTES ET BONS MOTS bl
Grammont de dire que M. de Liancourt avoit au-
tant d'esprit que M. de Lauzun. M. de Créqui
rencontre celui-ci et lui dit : « Tu dînes aujour-
d'hui chez moi. — Mon ami, cela m*est impos-
sible. — Il le faut, et d'ailleurs tu y es intéressé.
— Comment? — Liancourt y dîne : on lui donne
ton esprit; il ne s'en sert point, il te le rendra. »
Quelqu'un ayant lu une lettre très-sotte de
M. Blanchard sur le ballon dans le Journal de Pa-
ris : « Avec cet esprit-là, dit-il, ce M. Blanchard
doit bien s'ennuyer en l'air! »
On condamna en même temps le livre De /'Espnf
et le poëme de la Pucelle. Ils furent, tous deux dé-
fendus en Suisse. Un magistrat de Berne, après
une grande recherche de ces deux ouvrages, écri-
vit au sénat : « Nous n'avons trouvé, dans tout le
canton, ni Esprit ni Pucelle. »
Quand M. le comte d'Estaing, après sa cam-
pagne de la Grenade, vint faire sa cour à la reine
pour la première fois, il arriva porté sur ses bé-
quilles et accompagné de plusieurs officiers bles-
sés comme lui. La reine ne sut lui dire autre chose
sinon : « Monsieur le comte, avez-vous été content
du petit Laborde? »
« J'estime le plus que je puis, disoit M..., et
t>2 PORTRAITS ET CARACTERES
cependant j'estime peu; je ne sais comment cela
se fait. »
« C'est bien mal fait, disoit M..., d'avoir laisse
tomber le cocuage, c'est-à-dire de s'être arrangé
pour que ce ne soit plus rien. Autrefois c'étoit un
état dans le monde, comme de nos jours celui de
jouer. A présent ce n'est plus rien du tout. »
Le duc de Choiseul, à qui Ton parloit de son
étoile, que l'on regardait comme sans exemple,
répondit : <c Elle l'est pour le mal autant que pour
le bien. — Comment? — Le voici. J'ai toujours
très-bien traité les filles : il y en a une que je né-
glige, elle devient reine de France, ou à peu près.
J'ai traité à merveille tous les inspecteurs, je leur
ai prodigué l'or et les honneurs : il y en a un ex-
trêmement méprisé que je traite légèrement, il
devient ministre de la guerre : c'est M. de Mon-
teynard. Les ambassadeurs, on sail ce que j'ai fait
pour eux sans exception, hormis un seul; mais il
y en a un qui a le travail lent et lourd, que tous
les autres méprisent, qu'ils ne veulent plus voir à
cause d'un ridicule mariage : c'est M. de Ver-
gennes, et il devient ministre des affaires étran-
gères. Convenez que j'ai des raisons de dire que
pion étoile est aussi extraordinaire en mal qu'en
bien. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 63
M. de Castries, dans le temps de la querelle de
Diderot et de Rousseau, dit avec impatience à
M. de R..., qui me Ta répété : « Cela est in-
croyable; on ne parle que de ces gens-là, gens
sans état, qui n'ont point de maison, logés dans
un grenier : on ne s'accout»me point à cela. »
Un pape causant avec un étranger de toutes les
merveilles de Tltalie, celui-ci dit gauchement :
« J'ai tout vu, hors un conclave, que je voudrois
bien voir. »
On sait le discours fanatique que Tévêque de
Dol a tenu au roi au sujet du rappel des protes-
tans. Il parla au nom du clergé. L'évêque de Saint-
Pol lui ayant demandé pourquoi il avoit parlé au
nom de ses confrères sans les consulter : « J'ai
consulté, dit-il, mon crucifix. — En ce cas, ré^.
pliqua Tévêque de Saint-Pol, il falloit répéter
exactement ce que votre crucifix vous avoit ré-
pondu. »
Dudos avoit l'habitude de prononcer sans cesse,
en pleine Académie, des f... , des b... L'abbé du
Resnel , qui, à cause de sa longue figure, étoit
appelé un grand serpent sans venin, lui dit : « Mon-
sieur, sachez qu'on ne doit prononcer dans l'Aca-
démie que des mots qui se trouvent dans le Dic-
tionnaire. y>
64 PORTRAITS ET CARACTERES
On demandoit à un ministre pourquoi les gou-
verneurs de province avoient plus de faste que le
roi. « C'est, dit-il, que les comédiens de cam-
pagne chargent plus que ceux de Paris. »
M... me disoit, à j^opos des fautes de régime
qu'il commet sans cesse, des plaisirs qu'il se per-
met et qui l'empêchent seuls de recouvrer la santé :
(( Sans moi, je ine porterois à merveille. »
Madame de Créqui, parlant à la duchesse de
Chaulnes de son mariage avec M. de Giac, après
les suites désagréables qu'il a eues, lui dit qu'elle
auroit dû les prévoir, et insista sur la distance des
âges. « Madame, lui dit madame de Giac, apprenez
qu'une femme de la cour n'est jamais vieille, et
qu'un homme de robe est toujours vieux. »
Le feu roi étoit, comme on sait, en correspon-
dance secrète avec le comte de Broglie. Il s'agis-
soit de nommer un ambassadeur en Suède. Le
comte de Broglie proposa M. de Vergennes, alors
retiré dans ses terres, à son retour de Constanti-
nople. Le roi ne vouloit pas; le comte insistoit. Il
étoit dans l'usage d'écrire au roi à mi-marge, et
le roi meltoit la réponse à côté. Sur la dernière
lettre le roi écrivit : « Je n'approuve point le choix
de M. de Vergennes. C'est vous qui m'y forcez :
ANECDOTES ET BONS MOTS 65
soit, qu'il parte; mais je défends qu'il amène sa
vilaine femme avec lui. » [Anecdote contée par
Favier, qui avoit vu la réponse du roi dans les mains
du comte de Broglie.)
Je demandois à M. de... s'il se marieroit. « Je
ne le crois pas, » me disoit-il. Et il ajouta en riant :
« La femme qu'il me faudroit, je ne la cherche
point; je ne l'évite même pas. »
M... disoit : « Les femmes n'ont de bon que
ce qu'elles ont de meilleur. »
M..., connu par son usage du monde, me di-
soit que ce qui l'avoit le plus formé, c'étoit d'a-
voir su coucher, dans l'occasion, avec des femmes
de quarante ans, et écouter des vieillards de quatre-
vingts.
Madame de Brionne rompit avec le cardinal de
Rohan à l'occasion du duc de Choiseul, que le
cardinal vouloit faire renvoyer. Il y eut entre eux
une scène violente, que madame de Brionne ter-
mina en menaçant de le faire jeter par la fenêtre.
« Je puis bien descendre, dit-il, par où je suis
monté si souvent. »
N... disoit qu'il s'étonnoit toujours de ces fes-
Chamfort. — II. 9
66 PORTRAITS ET CARACTERES
tins meurtriers qu'on se donne dans le monde.
Cela se concevroit entre parens qui héritent les
uns des autres; mais, entre amis qui n'héritent pas,
quel peut en être l'objet?
a J'ai vu, disoit M..., peu de fiertés dont j'aie
été content. Ce que je connois de mieux en ce
genre, c'est celle de Satan dans le Paradis perdu, )>
M. de..., qui avoit vécu avec des princesses
d'Allemagne, me disoit : « Croyez- vous que
M. de L... ait madame de S...? » Je lui répon-
dis : « Il n'en a pas même la prétention; il se
donne pour ce qu'il est, pour un libertin, un homme
qui aime les filles par-dessus tout. — Jeune homme,
me répondit-il, n'en soyez pas la dupe : c'est avec
cela qu'on a des reines. »
M. de..., que des chagrins amers empêchoient
de reprendre sa santé, me disoit ; « Qu'on me
montre le fleuve d'Oubli, et je trouverai la fon-
taine de Jouvence. »
On faisoit une quête à l'Académie Françoise; il
manquoit un écu de six francs ou un louis d'or.
Un des membres, connu par son avarice, fut soup-
çonné de n'avoir pas contribué; il soutint qu'il
avoit mis; celui qui faisoit la collecte dit . « Je ne
l'ai pas vu, mais je le crois. » M. de Fontenelle
ANECDOTES ET BONS MOTS 67
termina la discussion en disant : « Je l*ai vu, moi,
mais je ne le crois pas. »
Fontenelle, âgé de quatre-vingts ans, s'em*
pressa de relever Téventail d'une femme jeune et
belle, mais mal élevée , qui reçut sa politesse dé-
daigneusement. « Ah! Madame, lui dit-il, vous
prodiguez bien vos rigueurs! »
Autrefois on tiroit le gâteau des Rois avant le
repas. M. de Fontenelle fut roi, et, comme il né-
gligeoit de servir d'un excellent plat qu'il avoit
devant lui, on lui* dit : a Le roi oublie ses sujets. »
A quoi il répondit : « Voilà comme nous sommes,
nous autres! »
On demandoit à M. de Fontenelle mourant :
« Comment cela va-t-il? — Cela ne va pas, dit-il;
cela s'en va. »
Une femme âgée de quatre-vingt-dix ans di-
soit à M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-
quinze : « La mort nous a oubliés. — Chut! » lui
répondit M. de Fontenelle en mettant le doigt sur
sa bouche.
M. de... demandoit à l'évêque de... une mai-
sonde campagne où il n'alloit jamais. Celui-ci lui
'.
68 PORTRAITS ET CARACTÈRES
lépondit : « Ne savez-vous pas qu'il faut toujours
avoir un endroit où Ton n'aille point, et où Tod
croie que Ton seroit heureux si on y alloit? »
M. de..., après un instant de silence, répondit :
tt Cela est vrai, et c'est ce qui a fait la fortune du
paradis. »
« Ce n'est pas, me disoit M. de M..., un
homme très-vulgaire que .celui qui dit à la For-
tune : « Je ne veux de toi qu'à telle condition;
« tu subiras le joug que je veux t'imposer », et
qui dit à la Gloire : « Tu n'es qu'une fille à qui
« je veux bien faire quelques caresses, mais que je
(( repousserai si tu en risques avec moi de trop
« familières et qui ne me conviennent pas. »
C'étoit lui-même qu'il peignoit, et tel est en effet
son caractère.
M... disoit, à propos de madame de... : « J^ai
cru qu'elle me demandoit un fou, et j'étois près
de le lui donner; mais elle me demandoit un sot,
et je le lui ai refusé net. »
M. de Barbançon, qui avoit été très-beau, pos-
sédoit un très-joli jardin que madame la duchesse
de La Vallière alla voir. Le propriétaire, alors très-
vieux et très-goutteux, lui dit qu'il avoit été amou-
reux d'elle à la folie. Madame de La Vallière lui
ANECDOTES ET BONS MOTS 69
répondit : « Hélas! mon Dieu, que ne parliez-
vous ? vous m'auriez eue comme les autres. »
« Ce qui rend le monde désagréable, me disoit
M. de L..., ce sont les fripons, et puis les hon-
nêtes gens : de sorte que, pourque tout fût passable,
il faudroit anéantir les^ uns et corriger les autres.
Il faudroit détruire l'enfer et recomposer le para-
dis. »
* J'ai entendu parler d'un fou de cour appa-
remment très-sage, et qui disoit : « Je ne sais
comment cela se fait, mais il ne me vient jamais
de bons mots que contre les gens disgraciés. »
* Charles le Téméraire, duc de Bourgogne,
avoit pris pour son modèle dans la guerre An-
nibal, qu'il citoit sans cesse. Après la bataille de
Morat, où ce prince fut battu, le fou de cour qui
l'accompagnoit dans sa fuite disoit de temps en
temps : « Nous voilà bien annibalés ! »
* Le roi de Prusse combloit un officier de bontés,
et l'oublia toutefois dans une promotion d'infan-
terie. Cet officier se plaignit, et ses plaintes furent
rendues au roi par un délateur, auquel le roi ré-
pondit : « Il a raison de se plaindre, mais il ne
sait pas ce que je veux faire pour lui. Allez lui
yo PORTRAITS ET CARACTÈRES
dire que je sais tout, que je lui pardonne, mais
que je ne lui ordonne pas de vous pardonner. » En
effet, cette histoire fut sue de l'officier intéressé,
ce qui occasionna un duel au pistolet où le déla-
teur fut tué. Le roi donna ensuite un régiment à
Tofficier oublié dans la précédente promotion.
* Le roi de Prusse trouva, à la prise de Dresde,
beaucoup de bottes et de perruques chez le comte
de Brûhl. « Voilà bien des bottes, dit-il, pour un
homme qui n'alloit jamais à cheval, et bien des
perruques pour un homme qui n'avoit point de
tête! »
* Les habitans de Berlin ayant fait trois arcs de
triomphe pour leur roi à son retour de la dernière
campagne de la guerre de Sept ans, il publia sous
le premier arc l'abolition d'un impôt, sous le
deuxième l'abolition d'un second impôt, enfin
sous le troisième l'abolition de tous les impôts.
* Le roi de Prusse, ayant fait faire de la fausse
monnoie par des juifs, leur paya la somme
convenue avec la monnoie qu'ils venoient de fa-
briquer.
Le roi de Prusse avoit fait élever des casernes
qui bouchent le jour à une église catholique. Oa
ANECDOTES ET BONS MOTS 7I
lui fit des représentations sur cela. Il renvoya la
requête, avec ces paroles au bas :
Beati qui non piderunt et crediderunt,
Milord Hamilton, personnage très- singulier,
étant ivre dans une hôtellerie d'Angleterre, avoit
tué un garçon d'auberge et étoit rentré sans savoir
ce qu'il avoit fait. L'aubergiste arrive tout effrayé
et lui dit : « Milord, savez-vous que vous avez
tué ce garçon? » Le lord lui répondit en balbu-
tiant : « Mettez-le sur la carte. »
* La gabelle n'est connue que de nom en basse
Bretagne, mais très-redoutée des paysans. Un sei-
gneur fit présent à un curé de village d'une pen-
dule. Les paysans ne savoient ce que c'étoit. Un
d'eux s'avisa de dire que c'étoit la gabelle. Ils ra-
massoient déjà des pierres pour la détruire, lorsque
le curé survint et leur dit que ce n'étoit pas la
gabelle, mais le jubilé que le pape lui envoyoit.
Ils s'apaisèrent sur-le-champ.
* Un grand seigneur russe prit pour instituteur
de ses enfans un Gascon, qui n'apprit à ses élèves
que le basque, la seule langue qu'il possédât. Cela
fit une scène plaisante la première fois qu'ils se
trouvèrent avec des François.
^2 PORTRAITS ET CARACTERES
* Un Gascon, ayant à la cour je ne sais quelle
place subalterne, promit sa protection à un vieux
militaire, son compatriote. Il le fit trouver sur le
chemin du roi, et, le lui présentant, dit au roi que
son compatriote et lui avoient servi Sa Majesté qua-
rante-six ans. « Comment! quarante-six ans? dit le
roi. — Oui, Sire, lui quarante-cinq ans, et moi un
an... Cela fait bien quarante-six ans complets. i>
* Mademoiselle, étant à Toulouse, disoit à un
homme de distinction de la même ville : « Je
m'étonne que, Toulouse étant entre la Provence
et la Gascogne, vous soyez d'aussi bonnes gens
que vous êtes. — Votre Altesse, répondit le Tou-
lousain, ne nous a pas encore creusés. En nous
creusant bien, elle trouveroit que nous valons à
peu près les Provençaux et les Gascons ensemble. »
* Un ivrogne, buvant un verre de vin au com-
mencement d'un repas , lui dit : « Arrange-toi
bien, tu seras foulé. »
* Un ivrogne, tenant son camarade sous le bras,
la nuit, dans l'obscurité, disoit : « Voyez comme
la police est faite ici ! On nous fait payer les boues
et lanternes... Les boues, oh! il y en a, il n'y a rien
à dire ; mais les lanternes, où sont-elles? Quelle
friponnerie ! »
ANECDOTES ET BONS MOTS yî
Un gazetier mit dans sa gazette : « Les uns di-
sent le cardinal Mazarin mort, les autres vivant;
moi, je ne crois ni l'un ni l'autre. »
Le vicomte de Saint-Priest, intendant de Lan-
guedoc pendant quelque temps, voulut se retirer,
et demanda à M. de Galonné une pension de dix
mille livres. « Que voulez-vous faire de dix mille
livres? » dit celui-ci, et il fit porter la pension à
vingt mille. Elle est du petit nombre de celles
qui ont été respectées à l'époque du retranche-
ment des pensions par l'archevêque de Toulouse,
qui avoit fait plusieurs parties de filles avec le vi-
comte de Saint-Priest.
Le comte d'Artois, le jour de ses noces, prêt à
se mettre à table et environné de tous ses grands
officiers et de ceux de madame la comtesse d'Artois,
dit à sa femme, de façon que plusieurs personnes
l'entendirent : « Tout ce monde que vous voyez,
ce sont nos gens. » Ce mot a couru, mais c'est le
millième, et cent mille autres pareils n'empêche-
ront jamais la noblesse françoise de briguer en
foule des emplois où l'on fait exactement la fonction
de valet.
On faisoit entendre à un homme d'esprit qu'il
ne connoissoit pas bien la cour. Il répondit : « On
lO
^4 PORTRAITS ET CARACTERES
peut être très-bon géographe sans être sorti de
chez soi : d*Anville n'avoit jamais quité sa cham-
bre. »
« Dans ma jeunesse même, me disoit M...,
j'aimois à intéresser, j*aimois assez peu à séduire,
et j*ai toujours détesté de corrompre. »
M... disoit que la goutte ressembloit aux bâtards
des princes, qu'on baptise le plus tard qu'on peut.
Le roi nomma M. de Navailles gouverneur de
M. le duc de Chartres, depuis régent : M. de
Navailles mourut au bout de huit jours; le roi
nomma M. d'Estrades pour lui succéder : il mou-
rut au bout du même terme. Sur quoi Benserade
dit : « On ne peut pas élever un gouverneur pour
M. le duc de Chartres. »
M... me disoit que madame de C..., qui
tâche d'être dévote, n'y parviendroit jamais, parce
que, outre la sottise de croire, il falloit, pour faire
son salut, un fonds de bêtise quotidienne qui lui
manqueroit trop souvent, a Et c'est ce fonds, ajou-
toit-il, qu'on appelle la grâce. »
M. de..., qui voyoit la source de la dégrada-
tion de l'espèce humaine dans l'établissement de
ANECDOTES ET BONS MOTS yS
la secte nazaréenne et dans la féodalité, disoit
que, pour valoir quelque chose, il falloit se dé-
franciser et se débaptiser, et redevenir Grec ou
Romain par Tâme.
Ce fut le comte de Grammont lui-même qui vendit
quinze cents livres le manuscrit des mémoires où
il est si clairement traité de fripon. Fontenelle,
censeur de Touvrage, refusoit de l'approuver, par
égard pour le comte. Celui-ci s'en plaignit au ^
chancelier, à qui Fontenelle dit les raisons de son
refus. Le comte, ne voulant pas perdre les quinze
cents livres, força Fontenelle d'approuver le livre
d'Hamilton.
On disoit de l'avant-dernier évêque d'Autun,
monstrueusement gros, qu'il avoit été créé et mis
au monde pour faire voir jusqu'où peut aller la
peau humaine.
« Madame de G..., disoit M..., a trop d'esprit
«tjd'habileté pour être jamais méprisée autant que
beaucoup de femmes moins méprisables. »
On demandoit à La Calprenède quelle étoit
l'étoffe de ce bel habit qu'il portoit. « C'est du
Sylvandre, » dit-il (un de ses romans qui avoit
réussi).
y6 PORTRAITS ET CARACTERES
Un homme alloit, depuis trente ans, passer toutes
ses soirées chez madame de... Il perdit sa femme;
/ on crut qu'il épouseroit Tautre, et on Vy encoura-
geoit. Il refusa. « Je ne saurois plus, dit-il, où
aller passer mes soirées. »
Un jour que quelques conseillers parloient un
peu trop haut à Taudience, M. de Harlay, premier
président, dit : « Si ces messieurs qui causent ne
» faisoient pas plus de bruit que ces messieurs qui
dorment, cela accommoderoit fort ces messieurs
qui écoutent. »
M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-dix-
sept ans, venant de dire à madame Helvétius,
jeune, belle et nouvellement mariée, mille choses
aimables et galantes, passa devant elle pour se
mettre à table, ne l'ayant pas aperçue. « Voyez,
lui dit madame Helvétius, le cas que je dois faire
de vos galanteries : vous passez devant moi sans
me regarder. — Madame, dit le vieillard, si je
vous eusse regardée, je n'aurois pas passé, n
L'abbé Raynal, dînant à Neuchâtel avec le
prince Henri, s'empara de la conversation et ne
laissa point au prince le moment de placer un mot.
Celui-ci, pour obtenir audience, fit semblant de
ANECDOTES ET BONS MOTS 77
croire que quelque chose tomboit du plancher, et
profita du silence pour parler à son tour.
a Henri IV fut un grand roi; Louis XIV fut le
roi d'un beau règne. » Ce mot de Voisenon passe
la portée ordinaire.
M..., ayant lu la lettre de saint Jérôme où il
peint avec la plus grande énergie la violence de
ses passions, disoit : « La force de ses tentations
me fait plus d'envie que sa pénitence ne me fait
peur. »
On disoit de J. J. Rousseau : « C'est un hibou.
— Oui, dit quelqu'un, mais c'est celui de Minerve,
et, quand je sors du Devin du V///age, j'ajoute rois :
déniché par les Grâces. »
Duclos disoit un jour à madame de Rochefort
et à madame de Mirepoix que les courtisanes de-
venoient bégueules et ne vouloient plus entendre
le moindre conte un peu trop vif. Elles étoient,
disoit-il, plus timorées que les femmes honnêtes.
Et là-dessus il enfile une histoire fort gaie, puis
une autre encore plus forte ; enfin, à une troisième
qui commençoit encore plus vivement, madame de
Rochefort l'arrête et lui dit : « Prenez donc garde,
yS PORTRAITS ET CARACTÈRES
Duclos : VOUS nous croyez aussi par trop honnêtes
femmes. »
C*étoit l'usage, chez madame de Luchet, que
Ton achetât une bonne histoire à celui qui la fai-
soit... « Combien en voulez-vous? — Tant. » Il
arriva que, madame de Luchet demandant à sa
femme de chambre l'emploi de cent écus, celle-ci
parvint à rendre ce compte, à l'exception de
trente-six livres, lorsque tout à coup elle s'écria :
« Ah ! Madame, et cette histoire pour laquelle vous
m'avez sonnée, que vous avez achetée à M. Co-
queley, et que j'ai payée trente-six livres! »
Un homme de lettres à qui un grand seigneur
faisoit sentir la supériorité de son rang lui dit :
« Monsieur le duc, je n'ignore pas ce que je dois
savoir; mais je sais aussi qu'il est plus aisé d'être
au-dessus de moi qu'à côté. »
Madame du D... disoit de M... qu'il étoit aux
petits soins pour déplaire.
On dit d'un homme tout à fait malheureux :
a II tombe sur le dos et se casse le nez. »
a Ce jour-là, je fus très-aimable, point bru-
ANECDOTES ET BOl4S MOTS 79
tal, » me disoit M. S..., qui étoit en effet Tun et
l'autre.
M. de..., homme violent, à qui on reprochoit
quelques torts, entra en fureur et dit qu'il iroit
vivre dans une chaumière. Un de ses amis lui ré-
pondit tranquillement : « Je vois que vous aimez
mieux garder vos défauts que vos amis. »
Le maréchal de Noailles disoit beaucoup de
mal d'une tragédie nouvelle. On lui dit : « Mais
M. d'Aumont, dans la loge duquel vous l'avez
entendue, prétend qu'elle vous a fait pleurer. —
Moi! dit le maréchal, point du tout; mais, comme
il pleuroit lui-même dès la première scène, j'ai
cru qu'il étoit honnête de prendre part à sa dou-
leur. »
M. de Buffon s'environne de flatteurs et de sots
qui le louent sans pudeur. Un homme avoit dîné
chez lui avec l'abbé Leblanc, M. de Juvigny et
deux autres hommes de cette force. Le soir, il dit
à souper qu'il avoit vu dans le cœur de Paris
quatre huîtres attachées à un rocher. On chercha
longtemps le sens de cette énigme, dont il donna
enfia le mot.
Un sot disoit, au milieu d'une conversation : « Il
7
8o PORTRAITS ET CARACTERES
1 me vient une idée. » Un plaisant dit : « J'en suis
bien surpris. »
Un malade qui ne vouloit pas recevoir les sa-
cremens disoit à son ami : « Je vais faire sem-
blant de ne pas mourir. »
Le chevalier de Narbonne, accosté par un im-
portant dont la familiarité lui déplaisoit, et qui lui
dit en l'abordant : « Bonjour, mon ami! Comment
te portes-tu? » répondit : « Bonjour, mon ami!
Comment t'appelles-tu? »
Feu madame la duchesse d'Orléans étoit fort
éprise de son mari dans les commencemens de son
mariage; il y avoit peu de réduits dans le Palais-
Royal qui n'en eussent été témoins. Un jour, les
deux époux allèrent faire visite à la duchesse douai-
rière, qui étoit malade. Pendant la conversation,
elle s'endormit, et le duc et la jeune duchesse
trouvèrent plaisant de se divertir sur le pied du lit
de la malade. Elle s'en aperçut, et dit à sa belle-
fille : « Il vous étoit réservé. Madame, de faire
rougir du mariage ! »
Il est temps, disoit M..., que la philosophie ait
aussi son index, comme l'inquisition de Rome et
de Madrid. Il faut qu'elle fasse une liste des livres
ANECDOTES ET BONS MOTS 8l
elle proscrit, et cette proscription sera plus con-
irable que celle de sa rivale. Dans les livres
nés qu'elle approuve en général, combien d'i-
s particulières ne condamneroit-elle pas comme
traires à la morale et même au bon sens.'
VI. de R... étoit autrefois moins dur et moins
ligrant qu'aujourd'hui; il a usé toute son indul-
ice, et le peu qui lui en reste, il le garde pour
4. de Ségur ayant publié une ordonnance qui
igeoit à ne recevoir dans le corps de l'artillerie
des gentilshommes, et, d'une autre part, cette
ction n'admettant que des gens instruits, il ar-
une chose plaisante : c'est que l'abbé Bossut,
minateur des élèves, ne donna d'attestations
ï des roturiers, et Chérin qu'à des gentils-
imes. Sur une centaine d'élèves, il n'y en eut
: quatre ou cinq qui remplirent les deux con-
ons.
/abbé Beaudeau disoit de M. Turgot que c'é-
un instrument d'une trempe excellente, mais
n'avoit pas de manche.
Jn Américain, ayant vu six Anglois séparés de
troupe, eut l'audace inconcevable de leur cou-
Chamfort. — II. 1 1
82 PORTRAITS ET CARACTERES
rir sus, d*en blesser deux, de désarmer les autres' et
de les amener au général Washington. Le général
lui demanda comment il avoit pu faire pour se
rendre maître de six hommes : a Aussitôt que je
les ai vus, dit-il, j'ai couru sur eux et je les ai
environnés. »
M. de... disoit qu'il ne falloit rien dire, dans
les séances publiques de l'Académie françoise , par
delà ce qui est imposé par les statuts; et il moti-
voit son avis en disant : « En fait d'inutilités, il ne
faut que le nécessaire. »
M... me disoit : « J'ai vu des femmes de tous
les pays : l'Italienne ne croit être aimée de son
amant que quand il est capable de commettre un
crime pour elle ; l'Angloise, une folie, et la Fran-
çoise, une sottise. »
Duclos disoit, pour ne pas profaner le nom de
Romain, en parlant des Romains modernes : Un.
Italien de Kome.
* La plupart des règlements de police, arrêts du
Conseil portant défense, et même de lois plus im-
portantes, ne sont guère que des spéculations de
finance qui ont pour objet d'avoir de l'argent
en vendant la permission d'enfreindre les lois.
ANECDOTES ET BONS MOTS 83
* C'est une source de comique neuf qu'un mot
dit pour faire un effet et qui en produit un autre.
C'est surtout à la cour et dans le grand monde
qu'on voit cet effet se produire fréquemment.
* Deux jeunes gens viennent à Paris dans une
voiture publique L'un raconte qu'il vient pour
épouser la fille de M. de..., dit ses liaisons, l'état
de son père, etc. Ils vont coucher à la même
auberge. Le lendemain, Tépouseur meurt à sept
heures du matin, avantd'avoirfait sa visite. L'autre,
qui étoit un plaisant de profession, s'en va chez le
beau-père futur, se donne pour le gendre, se
conduit en homme d'esprit et charme toute la
famille, jusqu'au moment de son départ, qu'il
précipitoit, disoit-il, parce qu'il avoit rendez-vous
à six heures pour se faire enterrer. C'étoit en
effet l'heure où le jeune homme mort le matin
devoit être'enterré. Le domestique qui alla à l'au-
berge du prétendu gendre étonna beaucoup le
beau-père et la famille, qui crut avoir vu l'àme du
revenant.
* Dans le temps des farces de la foîre Saint-
Laurent, il parut sur le théâtre un Polichinelle bossu
par devant et par derrière. On lui demandoit ce
qu'il y avoit dans sa bosse de devant . « Des ordres,
dit-il. — El dans ta bosse de derrière? — Des contre-
84 PORTRAITS ET CARACTÈRES
ordres. »' C'étoit le temps où Tadministration étoit la
plus folle ou la plus sotte. Cette plaisanterie, très-
bonne en elle-même, fit envoyer le plaisant à Bicêtre.
* M. de la Briffe, avocat général au grand
Conseil, étant mort le lundi gras, fut enterré le
mardi, et, le corbillard ayant passé au milieu des
masques, il fut pris pour une mascarade. Plus on
vouloit expliquer tout cet appareil à la populace,
plus elle crioit : A la chienlit!
Le roi Jacques, retiré à Saint-Germain, et vivant
des libéralités de Louis XIV, venoit à Paris pour
guérir les écrouelles, qu'il ne touchoit qu'en qua-
lité de roi de France.
M. de..., ayant aperçu que M. Barthe étoit ja-
loux (de sa femme), lui dit : « Vous, jaloux!
Mais savez -vous bien que c'est une prétention?
C'est bien de l'honneur que vous vous faites. Je
m'explique. N'est pas cocu qui veut : savez-vous
que, pour l'être, il faut savoir tenir une -maison,
être poli, sociable, honnête? Commencez par ac-
quérir toutes ces qualités, et puis les honnêtes gens
verront ce qu'ils auront à faire pour vous. Tel que
vous êtes, qui pourroit vous faire cocu? Une es-
pèce ! Quand il sera temps de vous effrayer, je vous
en ferai mon compliment. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 85
Le marquis de Chastellux, amoureux comme à
vingt ans, a^ant vu sa femme occupée pendant
tout un dîner d*un étranger jeune et beau, l'a-
borda au sortir de table et lui adressa d^humbles re-
proches. Le marquis de Genlis lui dit : « Passez,
passez, bonhomme; on vous a donné. »
Le maréchal de Villars fut adonné au vin, même
dans sa vieillesse. Allant en Italie pour se mettre
à la tête de Tarmée dans la guerre de 1784, il alla
faire sa cour au roi de Sardaigne tellement pris de
vin qu'il ne pouvoit se soutenir et qu'il tomba à
terre. Dans cet état, il n'avoit pourtant pas perdu
la tête, et il dit au roi : « Me voilà porté tout na-
turellement aux pieds de Votre Majesté. »
M. le duc de Choiseul étoit du jeu de Louis XV,
quand il fut exilé. M. de Chauvelin, qui en étoit
aussi , dit au roi qu'il ne pouvoit le continuer,
parce que le duc en étoit de moitié. Le roi dit à
M. de Chauvelin : « Demandez-lui s'il veut con-
tinuer. » M. de Chauvelin écrivit à Chanteloup ;
M. de Choiseul accepta. Au bout du mois, le roi
demanda si le partage des gains étoit fait : « Oui,
dit M. de Chauvelin : M. de Choiseul gagne trois
mille louis. — Ah! j'en suis bien aise, dit le roi;
mandez-le-lui bien vite. »
* Louis XV avoit joué avec le maréchal d'Es-
86 PORTRAITS ET CARACTERES
trées, qui, ayant beaucoup perdu, se retiroii. Le roi
lui dit : « Est-ce que vous n'avez pas une terre ? »
* Fox, célèbre joueur, disoit : « Il y a deux
grands plaisirs dans le jeu : celui de gagner et
celui de perdre. »
* Un joueur vouloit sous-louer un reste de bail.
On lui demanda s'il faisoit bien clair dans son
appartement. « Hélas! dit-il, je n'en sais rien : je
sors si matin, et je rentre si tard ! d
«Que peuvent pour moi, disoit M..., les grands
et les princes? Peuvent-ils me rendre ma jeunesse
ou m'ôter ma pensée, dont l'usage me console de
tout? »
M... me disoit que ceux qui entrent par écrit
dans de longues justifications devant le public lui
paroissoient ressembler aux chiens qui courent et
jappent après une chaise de poste.
Le comte de Mirabeau, très-laid de figure, mais
plein d'esprit, ayant été mis en cause pour un pré-
tendu rapt de séduction, fut lui-même son avocat.
« Messieurs, dit-il, je suis accusé de séduction :
pour toute réponse et pour toute défense, je de-
mande que mon portrait soit mis au greffe. » Le
ANECDOTES ET BONS* MOTS 87
commissaire n'entendoit pas : « Bêle, dit le juge,
regarde donc la figure de Monsieur! »
Un joueur fameux , nommé Sablière , venoit
d'être arrêté. Il étoit au désespoir, et disoit à Beau-
marchais , <]ui vouloit l'empêcher de se tuer :
a Moi, arrêté pour deux cents louis! abandonné
par tous mes amis! Cest moi qui les ai formés,
qui leur ai appris à friponner. Sans moi, que se-
Toient B...., D..., N...? Ils vivent tous. Enfin,
Monsieur, jugez de Texcès de mon avilissement :
pour vivre, je suis espion de police! »
Le duc de Lauzun disoit : « J'ai souvent de
vives disputes avec M. de Calonne ; mais, comme
ni l'un ni l'autre nous n'avons de caractère, c'est à
<jui se dépêchera de céder, et celui de nous deux
■qui trouve la plus jolie tournure pour battre en re-
traite est celui qui se retire le premier. »
Pendant la guerre de 1745, l'empereur Fran-
çois I^"^ ayant été couronné à Francfort, une partie
du peuple, vouée à la faction autrichienne, s'avisa
d'aller sous les fenêtres des ambassadeurs de France
^t d'Espagne, alors ennemies de l'Autriche, témoi-
gnant sa joie par des cris de : Vive rernpereur ! L'am-
bassadeur de France jeta de l'argent à cette popu-
lace, qui cria : Vive la France! et se retira. Mais il
88 PORTRAITS ET CARACTERES
en fut autrement devant le palais du cardinal
Aquaviva, protecteur d'Espagne. Celui-ci, se croyant
bravé, ouvre sa fenêtre, et vingt coups de fusil
partis à la fois jettent à terre autant de morts ou
de blessés. Le peuple veut incendier le palais, et y
brûler Aquaviva; mais celui-ci s'étoit assuré de
plus de mille braves dont il couvrit la place. Qua-
tre pièces de canon chargées à cartouches en
imposent au peuple. Qui croiroit que le pape^
avec l'autorité absolue et un corps de troupes,
n'ait jamais songé à faire au peuple quelque justice
du cardinal ? Voilà de terribles effets de la prepa^
tenza. Ce n'est pas tout : ce cardinal Aquaviva
eut, dans les derniers jours de sa vie, tant de re-
mords de ses violences, qu'il voulut en faire publi-
quement amende honorable : on en a fait à moins ;
mais le sacré-coUége ne voulut jamais le permettre,
pour l'honneur de la pourpre. Ainsi, dans la capi-
tale du monde chrétien, l'expression du remords,
cette vertu du pécheur et sa seule ressource, fut
interdite à un prêtre trop peu châtié par ses re-
mords, et ce triomphe de l'orgueil sur une reli*^
gion d'humilité fut l'ouvrage de ceux qui se por-
tent pour successeurs de ses premiers apôtres. La
religion durera sans doute, mais la prcpoUnza ne
peut pas durer.
M. de..., fort adonné au jeu, perdit en un seul
ANECDOTES ET BONS MOTS 8^
coup de dés son revenu d*une année : c'étoit mille
écus. Il les envoya demander à M..., son ami, qui
connoissoit sa passion pour le jeu, et qui vouloit
l'en guérir. Il lui envoya la lettre de change sui-
vante : a Je prie M..., banquier, de donner à
M... ce qu'il lui demandera, à la concurrence de
ma fortune. » Cette leçon terrible et généreuse
produisit son effet.
Un ambassadeur anglois à Naples avoit donné
une fête charmante, mais qui n'avoit pas coûté
bien cher. On le sut, et on partit de là pour déni-
grer sa fête, qui avoit d'abord beaucoup réussi. Il
s'en vengea en véritable Anglois et en homme à
qui les guinées ne coûtoient pas grand'chose. Il
annonça une autre fête. On crut que c'étoit pour
prendre sa revanche, et que la fête seroit superbe.
On accourt; grande affluence. Point d'apprêts.
Enfin, on apporte un réchaud à Tesprit-de-vin.
On s'attendoit à quelque miracle. « Messieurs,
dit-il, ce sont les dépenses, et non l'agrément
d'une fête que vous cherchez : regardez bien (et
il entr'ouvre son habit, dont il montre la doublure),
c'est un tableau du Dominiquin qui vaut cinq mille
guinées; mais ce n'est pas tout : voyez ces dix
billets, ils sont de mille guinées chacun, payables
à vue sur la banque d'Amsterdam. » Il en fait un
rouleau et les met sur le réchaud allumé. « Je ne
12
^O PORTRAITS ET CARACTÈRES
doute pas, Messieurs, que cette fête ne vous satis-
fasse et que vous ne vous retiriez tous contens de
moi. Adieu, Messieurs, la fête est finie. »
On disoît à un jeune homme de redemander ses
lettres à une femme d'environ quarante ans dont
il avoit été fort amoureux, u Vraisemblablement
elle ne les a plus, dit-il. — Si fait, lui répondit
quelqu'un : les femmes commencent vers trente
ans à garder les lettres d'amour. »
On appela à la cour le célèbre Levret, pour accou-
cher la feue dauphine. M. le dauphin lui dit :
a Vous êtes bien content, monsieur Levret, d'ac-
coucher madame la dauphine; cela va vous faire
de la réputation. — Si ma réputation n'étoit pas
faite, dit tranquillement l'accoucheur, je ne serois
pas ici. »
N... disoit qu'il falloit toujours examiner si la
liaison d'une femme et d'un homme est d'âme à
âme, ou de corps à corps; si celle d'un particulier
et d'un homme en place ou d'un homme de la
cour est de sentiment à sentiment, ou de position
à position, etc.
M... disoit à un jeune homme qui ne s'aperce-
voit pas qu'il étoii aimé d'une femme : « Vous
ANECDOTES ET BONS MOTS 9I
êtes encore bien jeune, vous ne savez lire que les
gros caractères. »
M..., qu'on vouloit faire parler sur différens
abus publics ou particuliers, répondit froidement :
(( Tous les jours j'accrois la liste des choses dont
je ne parle plus. Le plus philosophe est celui dont
la liste est la plus longue. »
M. d'Ormesson, étant contrôleur général, disoit
devant vingt personnes qu'il avoit longtemps cher-
ché à quoi pouvoient avoir été utiles des gens comme
Corneille, Boileau, La Fontaine, et qu'il ne l'avoit
jamais pu trouver. Cela passoit, car, quand on est
contrôleur général, tout passe. M. Pelletier de
Morfontaine, son beau-père, lui dit avec douceur :
a Je sais que c'est votre façon de penser; mais
ayez pour moi le ménagement de ne pas le dire.
Je voudrois bien obtenir que vous ne vous vantas-
siez point de ce qui vous manque. Vous occupez
la place d'un homme qui s'enfermoit souvent avec
Racine et Boileau, qui les menoit souvent à sa
maison de campagne, et disoit, en apprenant l'ar-
rivée de plusieurs évêques : « Qu'on leur montre
le château, les jardins, tout, excepté moi^ »
On faisoit l'éloge de Louis XIV devant le roi
de Prusse. Il lui contestoit toutes ses vertus et ses
92 PORTRAITS ET CARACTÈRES
talens. « Au moins Votre Majesté accordera qu'il
faisoit bien le roi. — Pas si bien que Baron, » dit
le roi de Prusse avec humeur.
Louis XIV, voulant envoyer en Espagne un
portrait du duc de Bourgogne, le fit faire par
Coypel, et, voulant en retenir un pour lui-même,
chargea Coypel d'en faire faire une copie. Les
deux tableaux furent exposés en même temps dans
la galerie : il étoit impossible de les distinguer.
Louis XIV, prévoyant qu'il alloil se trouver dans
cet embarras, prit Coypel à part et lui dit : <c II
n'est pas décent que je me trompe en cette occa-»-
sion : dites-moi de quel côté est le tableau origi-
nal. » Coypel le lui indiqua, et Louis XIV, repas^
sant, dit : « La copie et l'original sont si semblables,
qu'on pourroit s'y méprendre; cependant, on peut
voir avec un peu d'attention que celui-ci est l'ori-
ginal. »
L'abbé de Canaye disoit que Louis XV auroit
dû faire une pension à Cahusac. « Et pourquoi?
— C'est que Cahusac l'empêche d'être l'homme
de son royaume le plus méprisé. »
Le roi, quelque temps après la mort de Louis XV,
fit terminer avant le temps ordinaire un concert
qui l'ennuyoit, et dit : « Voilà assez de musique. »
ANECDOTES Et BONS MOTS 98
Les concertans le surent, et l'un d'eux dit à l'au-
tre : a Mon ami, quel règne se prépare ! »
Pendant la dernière maladie de Louis XV, qui
dès les premiers jours se présenta comme mortelle,
Lorfy, qui fut mandé avec Bordeu, employa, dans
le détail des conseils qu'il donnoit, le mot : // faut.
Le roi, choqué de ce mot, répétoit tout bas et
d'une voix mourante : // faut! il faut!
M... disoit à M. de Vaudreuil, dont l'esprit est
droit et juste, mais encore livré à quelques illu-
sions : « Vous n'avez pas de taie dans l'œil , mais
il y a un peu de poussière sur votre lunette. »
Le maréchal de Richelieu ayant proposé pour
maîtresse à Louis XV une grande dame (j'ai oublié
laquelle), le roi n'en voulut pas, disant qu'elle
coûteroit trop cher à renvoyer.
Un bon trait de prêtre de cour, c'est la ruse
dont s'avisa l'évêque d'Autun, Montazet, depuis
archevêque de Lyon. Sachant bien qu'il y avoit de
bonnes frasques à lui reprocher, et qu'il étoit facile
de le perdre auprès de l'évêque de Mirepoix* le
théatin Boyer, il écrivit contre lui-même une lettre
anonyme pleine de calomnies et facile à convaincre
d'absurdité. Il l'adressa à l'évêque de Narbonne;
94 PORTRAITS ET CARACTERES
il entra ensuite en explication avec lui, et fit voir
l'atrocité de ses ennemis prétendus. Arrivèrent en-
suite les lettres anonymes écrites en effet par eux,
et contenant les inculpations réelles; ces lettres
furent méprisées. Le résultat des premières avoit
mené le théatin à l'incrédulité sur les secondes.
M. de F..., qui avoit vu à sa femme plusieurs
amans, et qui avoit toujours joui de temps en
temps de ses droits d'époux , s'avisa un soir de
vouloir en profiter. Sa femme s'y refuse, a Eh
quoi! lui dit-elle, ne savez-vous pas que je suis en
affaire avec M...? — Belle raison, dit-il, ne m'a-
vez-vous pas laissé mes droits quand vous aviez
I , S..., N..., B .., T...? — Ohl quelle diffé-
rence! étoit-ce de famour que j'avois pour eux?
Rien, pures fantaisies; mais avec M..., c'est un
sentiment : c'est à la vie et à la mort. — Ah! je
ne savois pas cela : n'en parlons plus. » Et, en ef-
fet, tout fut dit. M. de R..., qui entendoit conter
cette histoire, s'écria : « Mon Dieu ! que je vous
remercie d'avoir amené le mariage à produire de
pareilles gentillesses ! ;>
On dit à la duchesse de Chaulnes, mourante et
séparée de son mari : « Les sacremens sont là. —
Un petit moment... — M. le duc de Chaulnes
ANECDOTES ET BONS MOTS 9S
voudroit vous revoir. — Est-il là? — Oui. —
Qu'il attende : il entrera avec les sacremens. »
M... disoit de mademoiselle..., qui n*étoit point
vénale, n*écoutoit que son cœur et restoit fidèle à
Tobjet de son choix : « C'est une personne char-»*
mante , et qui vit le plus honnêtement qu'il est
possible hors du mariage et du célibat. »
M. de L... disoit qu'on auroit dû appliquer au
mariage la police relative aux maisons , qu'on loue
par un bail pour trois, six et neuf ans, avec pou-
voir d'acheter la maison, si elle vous convient.
Madame de B..., ne pouvant, malgré son grand
crédit, rien faire pour M. de D..., son amant,
homme par trop médiocre. Ta épousé. En fait
d'amans, il n'est pas de ceux que Ton montre; en
fait de maris, on montre tout.
Un mari disoit à sa femme : « Madame, cet
homme a des droits sur vous; il vous a manqué
devant moi. Je ne le souffrirai pas. Qu'il vous mal-
traite quand vous êtes seule; mais, en ma pré-
sence, c'est me manquer à moi-même. »
C'est M. de Maugiron qui a commis cette ac-
tion horrible , que j'ai entendu conter et qui me
^b PORTRAITS ET CARACTÈRES
p.arut une fable. Étant à Tarmée , son cuisinier fut
pris comme maraudeur; on vint le lui dire : a Je
suis très-content de mon cuisinier, répondit-il;
mais j'ai un mauvais marmiton. » Il fait venir ce
dernier, lui donne une lettre pour le grand prévôt.
Le malheureux y va, est saisi, proteste de son in-
nocence, et est pendu.
Marmontel, dans sa jeunesse, recherchoit beau-
coup le vieux Boindin, célèbre par son esprit et
son incrédulité. Le vieillard lui dit : « Trouvez-
vûus au café Procope. — Mais nous ne pourrons
pas parler de matières philosophiques. — Si fait,
en convenant d'une langue particulière, d'un ar-
got. » Alors ils firent leur dictionnaire. L'âme
s'appeloit Margot, la religion Javotte, la liberté
Jeanneton, et le Père éternel M. de VEtrc, Les
voilà disputant et s'entendant très-bien. Un homme
en habit noir, avec une mauvaise mine, se mêlant
à la conversation , dit à Boindin : « Monsieur,
oserois-je vous demander ce que c*étoit que ce
M. de l'Etre qui s'est si souvent mal conduit, et
dont vous êtes si mécontent? — Monsieur, reprit
Boindin, c'étoit un espion de police. » On peut
juger de l'éclat de rire, cet homme étant lui-même
du métier.
M. de Marville disoit qu'il ne pouvoit y avoir
ANECDOTES ET BONS MOTS 97
d'honnête homme à la police que le lieutenant de
police tout au plus.
Il paroît certain que l'homme au masque de fer
est un frère de Louis XIV : sans cette explication,
c'est un mystère absurde. Il paroît certain, non
seulement que Mazarin eut la reine, mais, ce qui
est plus inconcevable , qu'il étoit marié avec elle :
sans cela , comment expliquer la lettre qu'il lui
écrivit de Cologne lorsque, apprenant qu'elle
avoit pris parti sur une grande affaire, il lui mande :
« Il vous convient bien. Madame, etc. »? Les
vieux courtisans racontent, d'ailleurs, que, quelques
jours avant la mort de la reine , il y eut une scène
de tendresse, de larmes, d'explications entre la
reine et son fils; et l'on est fondé à croire que
c'est dans cette scène que fut faite la confidence
de la mère au fils.
« La différence qu'il y a de vous à moi, me di-
soit M..., c'est que vous avez dit à tous les mas-
ques : a Je vous connois », et moi je leur ai laissé
l'espérance de me tromper. Voilà pourquoi le
monde m'est plus favorable qu'à vous. C^est un
bal dont vous avez détruit Tintérét pour les autres
et l'amusement pour vous-même, »
L'abbé Maury tâchant de faire conter à Tabbé
Chamfort, — II. 1 3
98 PORTRAITS ET CARACTERES
de Beaumont, vieux et paralytique, les détails de
sa jeunesse et de sa vie : « L'abbé, lui dit celui-ci,
vous me prenez mesure! » indiquant qu'il cher-
choit des matériaux pour son éloge à l'Académie.
Il existe une médaille que M. le prince de
Condé m'a dit avoir possédée et que je lui ai vu
regretter. Cette médaille représente d'un côté
Louis XIII, avec les mots ordinaires : Kex Franc,
et Nav., et de l'autre le cardinal de Richelieu^
avec ces mots à l'entour : Nil sine consilio.
Un médecin de village alloit visiter un malade
au village prochain. Il prit avec lui un fusil pour
chasser en chemin et se désennuyer. Un paysan le
rencontra, et lui demanda où il alloit. « Voir ua
malade. — Avez-vous peur de le manquer? »
M. Lorry, médecin, racontoit que madame de
Sully, étant indisposée, l'avoit appelé et lui avoit
conté une insolence de Bordeu, lequel lui avoit
dit : « Votre maladie vient de vos besoins. Voilà
un homme » ; et en même temps il se présenta
dans un état peu décent. Lorry excusa son confrère,
et dit à madame de Sully force galanteries respec-
tueuses. Il ajoutoit : « Je ne sais ce qui est arrivé
depuis; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'après
m'avoir rappelé une fois, elle reprit Bordeu. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 99
M. de Tressan avoit fait, en lySS, des couplets
contre M. le duc de Nivernois, et sollicita l'Aca-
démie en 1780. Il alla chez M. de Nivernois, qui
le reçut à merveille, lui parla du succès de ses der-
niers ouvrages, et le renvojoit comblé d'espé-
rances, lorsque, voyant M. de Tressan prêt à
remonter en voiture, il lui dit : « Adieu, monsieur
le comte; je vous félicite de n'avoir pas plus de
mémoire. »
Madame de Nesle avoit M. de Soubise. M. de
Nesle, qui méprisoit sa femme, eut un jour une
dispute avec elle en présence de son amant; il lui
dit : « Madame, on sait bien que je vous passe
tout; je dois pourtant vous dire que vous avez des
fantaisies trop dégradantes et que je ne vous pas-
serai pas : telle est celle que vous avez pour le
perruquier de mes gens, avec lequel je vous ai vue
sortir et rentrer chez vous. » Après quelques me-
naces, il sortit, et la laissa avec M. de Soubise,
qui la soufHeta, quoi qu'elle pût dire. Le mari alla
ensuite conter cet exploit, ajoutant que l'histoire
du perruquier étoit fausse, se moquant de M, de
Soubise, qui l'avoit crue, et de sa femme, qui avoit
été souffletée.
«Je me refuse, disoit M..., aux avances de
M. de B..., parce que j'estime assez peu les qua-
i ^ r^.:y
* i
•* . >'
lOO PORTRAITS ET CARACTERES
lités pour lesquelles il me recherche, et que, s'il
savoit les qualités pour lesquelles je m'estime, il
me fermeroit sa porte. »
Milord Hervey, voyageant en Italie et se trou-
vant non loin de la mer, traversa une lagune dans
l'eau de laquelle il trempa son doigt : a Ahl ah!
dit-il, Teau est salée; ceci est à nous. »
« Je crois, disoit M.,, sur le duc de..., que
son nom est son plus grands mérite, et qu'il a toutes
les vertus qui se font dans une parcheminerie. »
L'abbé Maury, étant pauvre, avoit enseigné le
latin à un vieux conseiller de grand'chambre qui
vouloit entendre les Institutes de Justinfen. Quel-
ques années se passent, et il rencontre ce conseil-
ler, étonné de le voir dans une maison honnête.
« Ah' l'abbé, vous voilà! luî dit-il lestement; par
quel hasard vous trouvez-vous dans cette maison-
ci? — Je m'y trouve comme vous vous y trouvez.
^— Oh! ce n'est pas la même chose. Vous êtes
donc mieux dans vos affaires? Avez-vous fait quel-
que chose dans votre métier de prêtre? — Je suis
grand vicaire de M. de Lombez. — Diable! c'est
quelque chose! Et combien cela vaut-il? — Mille
francs. — C'est bien peu I » Et il reprend le ton
leste et léger : » Mais j'ai un prieuré de mille
ëcus. — Mille écusl bonne affaire {avec l'air de la
ANECDOTES ET BONS MOTS lOI
considération). — Et j'ai fait la rencontre du maî-
tre de cette maison-ci chez M. le cardinal de
Rohan. — Peste! vous allez chez le cardinal de
Rohan? — Oui, il m'a fait avoir une abbaye. —
Une abbaye! Ah! cela posé, monsieur Tabbé,
faites-moi l'honneur de venir dîner chez moi. »
L'abbé Raynal , jeune et pauvre, accepta une
messe à dire tous les jours pour vingt sous; quand
il fut plus riche, il la céda à l'abbé de La Porte,
en retenant huit sous dessus; celui-ci, devenu
moins gueux, la sous-loua à l'abbé Dinouart, en
retenant quatre sous dessus, outre la portion de
l'abbé Raynal ; si bien que cette pauvre messe,
grevée de deux pensions, ne valoit que huit sous
à l'abbé Dinouart.
Milton, après le rétablissement de Charles II,
étoit dans le cas de reprendre une place très-lucra-
tîve qu'il avoit perdue; sa femme l'y exhortoit; il
lui répondit : « Vous êtes femme, et vous voulez
avoir un carrosse ; moi. Je veux vivre et mourir en
honnête homme. »
Les ministres en place s'avisent quelquefois,
lorsque, par hasard, ils ont de l'esprit, de parler du
temps où ils ne seront plus rien. On en est com-
munément la dupe, et l'on s'imagine qu'ils croient
102 PORTRAITS ET CARACTERES
ce qu'ils disent. Ce n'est de leur part qu'un trait
d'esprit. Ils sont comme les malades, qui parlent
souvent de leur mort et qui n'y croient pas,
comme on peut le voir par d'autres mots qui leur
échappent.
Henri IV s'y prit singulièrement pour faire con-
noitre à un ambassadeur d'Espagne le caractère
de ses trois ministres, Villeroi, le président Jean-
nin et Sully. Il fit appeler d'abord Villeroi :
« Voyez-vous cette poutre qui menace ruine?
— Sans doute, dit Villeroi sans lever la tête; il faut
la faire raccommoder, je vais donner des ordres. »
Il appela ensuite le président Jeannin : « Il faudra
s'en assurer, » dit celui-ci. On fait venir Sully, qui
regarde la poutre. « Eh ! Sire, y pensez-vous ?
dit-il; cette poutre durera plus que vous et moi. »
Dans le temps où parut le livre de Mirabeau
sur l'agiotage, dans lequel M. de Calonne est
très-maltraité , on disoit pourtant, à cause d'un
passage contre M. Necker, que le livre étoit payé
par M. de Calonne, et que le mal qu'on disoit de
lui n'avoit d'autre objet que de masquer la collu-
sion.
On sait que M. de Luynes, ayant quitté le service
pour un soufflet qu'il avoit reçu sans en tirer ven-
ANECDOTES ET BONS MOTS Io3
jeance, fut fait bientôt après archevêque de Sens.
Jn jour qu'il avoit officié pontificalement, un /
mauvais plaisant prit sa mitre, et, Técartant des
leux côtés r « C'est singulier, dit-il, comme cette
aitre ressemble à un soufflet. » ,
M..., à propos des six mille ans de Moïse, di-
oit, en considérant la lenteur des progrès des
rts et l'état actuel de la civilisation : « Queveut-
qu'on fasse de ses six mille ans? Il en a fallu
lus que cela pour savoir battre le briquet et pour
aventer les allumettes. »
C'est une chose remarquable que Molière, qui
'épargnoit rien, n'a pas lancé un seul trait contre
îs gens de finance. On dit que Molière et les
uteurs comiques du temps eurent là-dessus des
•rdres de Colbert.
L'abbé de Molière étoit un homme simple et
auvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le
ystème de Descartes; il n'avoit point de valet, et
ravailloit dans son lit, faute de bois, sa culotte sur
1 tête par-dessus son bonnet, les deux côtés pen-
ant à droite et à gauche. Un matin, il entend
rapper à sa porte : « Qui va là? — Ouvrez.. »
l tire un cordon et la porte s'ouvre. L'abbé de
Molière, ne regardant point : « Qui êtes-vousr
I04 PORTRAITS ET CARACTERES
— Donnez-moi de l'argent. — De l'argent? —
Oui, de l'argent. — Ah! j'entends, vous êtes un
voleur? — Voleur ou non, il me faut de l'argent.
— Vraiment, oui, il vous en faut? Eh bien!
cherchez là-dedans... » Il tend le cou, et pré-
sente un des côtés de sa culotte; le voleur fouille.
« Eh bien ! il n'y a point d'argent. — Vraiment,
non; mais il y a ma clef. — Eh bien! cette clef...?
— Cette clef, prenez-la. — Je la tiens. — Allez-
vous-en à ce secrétaire; ouvrez... » Le voleur met
la clef à un tiroir. « Pas celui-là, dit l'abbé, ce
sont mes papiers... Ventrebleu! finirez-vous? ce
sont mes papiers ! A l'autre tiroir, vous trouverez
de l'argent. — Le voilà. — Eh bien! prenez...
Fermez donc le tiroir... » Le voleur s'enfuit.
« Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Mor-
bleu! il laisse la porte ouverte!... Quel chien de
voleur! il faut que je me lève par le froid qu'il
fait! maudit voleur! » L'abbé saute en pied, va
fermer la porte, et revient se remettre à son tra-
vail.
Quand l'archevêque de Lyon, Montazet, alla
prendre possession de son siège, une vieille cha-
noinesse de..., sœur du cardinal de Tencin, lui
fit compliment de ses succès auprès des femmes,
et entre autres de l'enfant qu'il avoit eu de ma-
dame de Mazarin Le prélat nia tout et ajouta :
ANECDOTES ET BONS MOTS Io5
Madame, vous savez que la calomnie ne vous a
as ménagée vous-même; mon histoire avec ma-
ame de Mazarin n'est pas plus vraie que celle
u'on vous prête avec monsieur le cardinal. — En
; cas, dit la chanoinesse tranquillement, Tenfant
st de vous. »
Le chanoine Recupero, célèbre physicien, ayant
ublié une savante dissertation sur le mont Etna,
Il il prouvoit, d'après les dates des éruptions et
. nature de leurs laves, que le monde ne pouvoit
as avoir moins de quatorze mille ans, la cour lui
t dire de se taire, et que Tarche sainte avoit aussi
;s éruptions. Il se le tint pour dit. C'est lui-même
ni a conté cette anecdote au chevalier de la Trem-
laye.
Madame de Montmorin di^oit à son fils : « Vous
ntrez dans le monde; je n'ai qu'un conseil à vous
onner : c'est d'être amoureux de toutes les fem-
les. »
J. J. Rousseau passe pour avoir eu madame la
Dmtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe
2 terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna
eaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour,
n disoit devant eux que l'amour du genre humain
teignoit l'amour de la patrie. « Pour moi, dit-
lo6 PORTRAITS ET CARACTÈRES
elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela
n*est pas vrai : je suis très-bonne Françoise, et je
ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les
peuples. — Oui, je vous entends, dit Rousseau ,
vous êtes Françoise par votre buste , et cosmopo-
lite du reste de votre personne. »
Il y a une farce italienne où Arlequin dit, à
propos des travers de chaque sexe, que nous serions
tous parfaits si nous n'étions ni hommes ni fem-
mes.
Fox avoit emprunté des sommes immenses à
différens juifs, et se flattoit que la succession d'un
de ses oncles payeroit toutes ses dettes. Cet oncle
se maria et eut un fils. A la naissance de l'enfant,
Fox dit : « C'est le Messie que cet enfant : il vient
au monde pour la destruction des juifs. »
Louis XV se fit peindre par Latour. Le peintre,
tout en travaillant, causoit avec le roi, qui parois-
soit le trouver bon. Latour, encouragé, et naturel-
lement indiscret, poussa la témérité jusqu'à lui
dire : « Au fait, Sire, vous n'avez point de ma-
rine. » Le roi répondit sèchement : « Que dites-
vous là? Et Vernet, donc! »
Louis XIV se plaignant chez madame de Main-
ANECDOTES ET BONS MOTS I07
tenon du chagrin que lui causoit la division des
évêques : « Si l'on pouvoit, disoit-il, ramener les
neuf opposans, on éviteroit un schisme; mais cela
ne sera pas facile. — Eh bien! Sire, dit en riant
madame la duchesse, que ne dites-vous aux qua-
rante de revenir à Tavis des neuf? Ils ne vous refu-
seront pas. »
L'abbé de la Galaisière étoit fort lié avec
M. Orry, avant qu'il fût contrôleur général. Quand
il fut nommé à cette place, son portier, devenu
suisse, sembloit ne pas le reconnoître. « Mon ami,
lui dit l'abbé de la Galaisière, vous êtes insolent beau-
coup trop tôt, votre maître ne Fest pas encore. »
« Pourquoi donc, disoit mademoiselle de...,
âgée de douze ans, pourquoi cette phrase : « Ap-
tt prendre à mourir »? Je vois qu'on y réussit très-
bien dès la première fois. »
Je ne vois jamais jouer les pièces de..., et le
peu de monde qu'il y a, sans me rappeler le mot
d'un major de place qui avoit indiqué l'exercice pour
telle heure. Il arrive, il ne voit qu'un trompette :
« Parlez donc, messieurs les b... ! d'où vient donc
est-ce que vous' n'êtes qu'un? »
Madame de Prie, maîtresse du régent, dirigée
Io8 PORTRAITS ET CARACTÈRES
par son père, un traitant nommé, je crois, Pléneuf,
avoit fait un accaparement de blé qui avoit mis le
peuple au désespoir, et enfin causé un soulèvement.
Une compagnie de mousquetaires reçut Tordre
d*aller apaiser le tumulte, et leur chef, M. d*A-
vejan, avoit ordre, dans ses instructions, de tirer sur
la canaille : c'est ainsi qu'on désignoit le peuple en
France. Cet honnête homme se fit une peine de
faire feu sur ses concitoyens, et voici comme il s'y
prit pour remplir sa commission. Il fit faire tous
les apprêts d'une salve de mousqueterie, et, avant
de dire : Tirez! il s'avança vers la foule, tenant
d'une main son chapeau et de l'autre l'ordre de
la cour : « Messieurs, dit-il, mes ordres portent
de tirer sur la canaille; je prie tous les honnêtes
gens de se retirer avant que j'ordonne de faire
feu. » Tout s'enfuit et disparut.
On avisoit dans une société aux moyens de dé-
placer un mauvais ministre, déshonoré par vingt
turpitudes. Un de ses ennemis connus dit tout à
coup : « Ne pourroit-on pas lui faire faire quel-
que opération raisonnable, quelque chose d'hon-
nête, pour le faire chasser? »
N... disoit à M. Barthe : « Depuis dix ans que
je vous connois, j'ai toujours cru qu'il étoit impos-
sible d'être votre ami; mais je me suis trompé; il
ANECDOTES ET BONS MOTS 109
y auroit un moyen. — Et lequel? — Celui de
faire une parfaite abnégation de soi et d'adorer
sans cesse votre égoïsme. »
Le fameux Ben-Johnson disoit que tous ceux qui
avoient pris les Muses pour femmes étaient morts
de faim, et que ceux qui les avoient prises pour
maîtresses s'en étoient fort bien trouvés. Cela re-
vient assez bien à ce que j'ai ouï dire à Diderot,
qu'un homme de lettres sensé pouvoit être l'amant
d'une femme qui fait un livre, mais ne devoit être
le mari que de celle qui sait faire une chemise. Il
y a mieux que tout cela : c'est de n'être ni l'amant
de celle qui fait un livre, ni le mari d'aucune.
L'abbé Delille devoit lire des vers à l'Académie
pour la réception d'un de ses amis. Sur quoi il di-
soit : a Je voudrois bien qu'on ne le sût pas d'a-
vance, mais je crains bien de le dire à tout le
monde. »
* Discours d'un homme condamné à la hâte par
la Cour des monnoics (Paris, lyyS ou 1776) à
être pendu : « Messieurs, je vous remercie. En
vous dépêchant de me faire pendre pour exercer
votre juridiction, vous me servez et m'obligez infi-
niment. J'ai commis vingt vols, quatre assassinats.
I lO PORTRAITS ET CARACTERES
Je méritois pis que ce qui m'arrive. Je suis inno-
cent, mais je vous remercie. »
* Le maréchal de Luxembourg, retenu deux ans
à la Bastille, sous le prétexte d'une accusation de
magie, en sortit pour aller commander les armées.
« On a encore besoin de magie, » dil-il en plai-
santant.
*M. de..., menteur connu, venoitde raconter je
ne sais quel fait peu croyable. — Monsieur, lui
dit quelqu'un, je vous crois; mais convenez que la
vérité a bien tort de ne pas daigner se rendre plus
vraisemblable.
* Un abbé demandoit une abbaye au régent.
« Allez vous faire f ! répondit le prince sans
détourner la tête. — Encore faut-il de l'argent
pour cela, dit l'abbé, et Votre Altesse en con-
viendra si elle daigne me regarder. » Il étoit fort
laid. Le prince éclata de rire et donna l'abbaye.
* Un Hollandois, sachant mal le françois, étoit
en usage de conjuguer tout bas les verbes qui
échappoient à ceux qui causoient avec lui. Un
homme grossier lui dit : « Mais vous vous moquez
de moi! » Il se mit à conjuguer ce verbe. » Sor-
tons! dit l'autre. — Je sors, tu sors, etc. —
ANECDOTES ET BONS MOTS lii
Mettez-vous en garde! — Je me mets en garde. »
Ils se battent. « Vous en tenez. — J*en tiens, tu
en tiens, il en tient, etc. »
* Un homme qui parloit mal, entendant conter
cette histoire, dit au conteur : « Monsieur, je vous
la prends, et je la conterai plus d'une fois. —
Volontiers, dit Tautre; je vous la cède, mais à
condition que vous changerez souvent les verbes,
afin que cela vous apprenne à conjuguer.
* Un homme, ayant été voir jouer Pfièc/re par de
mauvais acteurs, disoit, pour s'excuser, qu'il avoit
été à la Comédie pour s'épargner la peine de lire et
ménager ses yeux. « Eh! Monsieur, lui dit quel-
qu'un, voir jouer Racine par ces drôles-là, c'est lire
Pradon! »
* M. le maréchal de Saxe disoit: « Je sais que
tel bon bourgeois de Paris, logé entre son bou-
langer et son rôtisseur, s'étonne que je ne fasse
pas faire dix lieues par jour à mon armée. »
* Mademoiselle Pitt disoit à quelqu'un dont la
figure l'intéressoit : « Monsieur, je vous connois
depuis trois jours; mais je vous donne trois ans de
connoissance. »
112 PORTRAITS ET CARACTERES
* Un curé d'Hémon, paroisse d'une terre du
marquis de Créqui, dit à ses paroissiens : a Mes-
sieurs, priez Dieu pour le marquis de Créqui, qui
a perdu au service du roi son corps et son âme. »
* Histoire de M. de Villars, qui, le jour de
Noël, entend trois messes, et se persuade que les
deux dernières sont pour lui. Il envoie trois louis
au prêtre, qui répond : « Je dis la messe pour
mon plaisir. »
* Un soldat qui ne se souvenoit plus de quelle
religion il étoit, se trouvant blessé à mort dans une
armée composée de catholiques, calvinistes et
luthériens, demanda à un de ses camarades quelle
étoit la meilleure religion. Celui-ci, qui ne s'en
étoit pas plus occupé, dit qu'il n'en savoit rien,
et qu'il falloit consulter le capitaine. Celui-ci,
consulté, répondit qu'il donneroit bien cent écus
pour le savoir.
* On vola à un soldat son cheval. Il attroupe
ses camarades, et déclare que, si on ne le lui rend
pas d'ici à deux heures, il prendra le parti que prit
son père en pareil cas. L'air menaçant dont il
parloit effraya le voleur, qui lâcha sa prise. Le
cheval revient à son maître. On le félicite ; on lui
demande ce qu'il auroit fait et ce que fît son
ANECDOTES ET BONS MOTS Il3
père. « Mon père, dit-il, ayant perdu son cheval,
\e fit crier et chercher partout. Il ne se retrouva
point. Alors il prend sa selle, la charge sur son
dos, prend son fouet, met ses bottes, ses éperons,
et dit tout haut à ses camarades : « Vous voyez,
je suis venu à cheval, et je m'en retourne à pied. »
* Mussonet Rousseau, deux bouffons de société,
ayant été invités à dîner dans une maison considé-
rable, buvoient, mangeoient à Tenvi l'un de
l'autre, sans s'occuper des convives. On commen-
^oit à le trouver mauvais, lorsque Rousseau dit à
Musson : a Ah çà, mon ami, il est temps de com-
mencer à faire notre état. » Ce mot répara tout,
mais valut mieux que tout ce qu'ils dirent ensuite.
* Un chef de sauvages aux ordres de M. de
Montcalm, ayant avec lui un entretien dans lequel
le général se fâcha, lui dit d'un grand sang-froid :
« Tu commandes, et tu te fâches?
*M. de Mesmes, ayant acheté l'hôtel de Mont
morency, y fit mettre : Hôtel de Mesmes, On
écrivit au-dessous : Pas de même,
* Un vieillard que j'ai connu dans ma jeunesse
me disoit, à propos de la fortune de M. le duc
de... : a J*ai presque toujours vu le bonheur des
Chamfort, — II. i 5
114 PORTRAITS ET CARACTERES
ministres et des favoris se terminer de façon à leur
faire porter envie à leurs commis ou à leurs secré-
taires. 1i
* Madame la duchesse du Maine, ayant un jour
besoin de Tabbé de Vaubrun, ordonna à un de ses
valets de chambre de le trouver, quelque part qu'il
fût. Cet homme va et apprend, à sa grande surprise,
que l'abbé de Vaubrun dit la messe dans telle
église. Il prend l'abbé descendant de l'autel et lui
dit sa commission, après lui avoir témoigné sa sur-*
prise de le voir dire la messe. Celui-ci, qui étoit
fort libertin, lui dit : « Je vous supplie de ne pas
dire à la princesse l'état dans lequel vous m'avez,
trouvé. »
* Il y avoit à la cour une intrigue pour marier
Louis XV, qui dépérissoit par une suite de rona-
nisme. Pendant ce temps, le cardinal de Fleury se
déterminoit en faveur de la fille du roi de Pologne;
mais le cas étoit urgent: chacun intriguoit pour
faire marier le roi le plus vite qu'il étoit possible.
Ceux qui vouloient écarter mademoiselle de Beau-
mont les Tours gagnèrent les médecins, qui dirent
qu'il falloit au roi une femme d'un âge fait pour
réparer le mal que lui avoit fait l'onanisme et pour
donner des enfants. Pendant ce temps-là, toutes
les puissances se remuèrent, et il y eut peu deprin-
ANECDOTES ET BONS MOTS Il5
ses dont les chauffoirs n'aient été envoyés au
dinal. On avoit envoyé à la reine une espèce
traité qu'on lui faisoit signer de ne jamais
rler au roi d'affaires d'Etat, etc.
* Scène de l'abbé Maury et du cardinal de La
)che-Aymon, qui lui fait faire son discours pour le
triage de Madame Clotilde, tout en le grondant :
>urtout n'allez pas me faire ici des phrases; je ne
s pas un bel esprit. II m'en faut trois tout au plus,
non âge... etc. — Monseigneur, mais ne fau-
oit-il pas...? — Ne faudroit-il pas... Qu'est-ce
e c'est que cette question? Prétendez-vous me
re faire mon discours? — Monseigneur, je de-
indes'il ne faut pas parler de Louis XV. — Belle
mande ! » Et là-dessus le cardinal enfile l'éloge
1 roi, puis celui de la reine. « Monseigneur, ne
roit-il pas à propos d'y joindre celui de M. le
uphin? — Quelle question! Me prenez- vous
>ur un philosophe qui refuse de rendre aux rois
aux enfants des rois ce qui leur est dû? — Mes-
mes? ^ Nouvelle colère du cardinal et des propos
I valet. Enfin l'abbé prend la plume et écrit trois
i quatre phrases. Le secrétaire du cardinal arrive.
Voilà l'abbé, dit le cardinal, qui vouloit me
ire faire de l'esprit, des phrases, etc. Je viens
! lui dicter ceci, qui vaut mieux que toute la
étorique de l'Académie. Adieu, l'abbé; au re-
Ilb PORTRAITS ET CARACTERES
voir. Une autre fois, soyez moins phrasier et moins
verbeux. »
* Le cardinal disoit à un vieil évêque : « Je trai-
terai votre neveu comme le mien, au cas que vous
veniez à mourir. » L'évêque, encore moins vieux
que le cardinal, lui dit : « £h bien. Monseigneur,
je le recommande à Votre Eternité. »
* On contoit un jour des histoires incroyables
devant Louis XV. Le duc d'Ayen se mit à conter
celle d'un certain prieur de capucins qui tous les
jours tuoit d'un coup de fusil un capucin au
sortir de matines, en attendant son homme à un
certain passage. Le bruit s'en répand; le provin-
cial vient au couvent. Par bonheur, il se trouva
qu'en faisant le dénombrement des capucins, il
trouva qu'il n'en manquoit pas un seul.
* Mademoiselle de..., petite fille de neuf ans,
disoit à sa mère, désolée d'avoir perdu une place
à la cour : « Maman, quel plaisir trouvez-vous
donc à mourir d'ennui? »
* Un petit garçon demandoit des confitures à sa
mère. « Donne-m'en trop, » lui dit-iL
* Un homme devoit à un fossoyeur quelque
ANECDOTES ET BONS MOTS II7
argent pour avoir enterré sa fille. Il le rencontre,
il veut le payer Celui-ci lui dit : «t Bon, Mon-
sieur, cela se trouvera avec autre chose. Vous avez
une servante malade, et votre femme ne se porte
pas trop bien. »
* Un soldat irlandois prétendoit dans un
combat tenir un prisonnier. « Il ne veut pas me
suivre ! disoit-il en appelant un de ses camarades.
— Eh bien ! lui dit celui-ci, laisse-le, si tu ne peux
l'emmener. — Mais, reprit l'autre, il ne veut pas
me lâcher. »
* Le marquis de C..., voulant passer et faire
passer ses amis dans une maison royale gardée par
un suisse, range la foule, et, les prenant pour té-
moins, dit au suisse : « Rangez-vous. Ces messieurs
sont de ma compagnie; je vous avertis que les
autres n'en sont pas. » Le suisse se range et laisse
passer; mais quelqu'un vit les trois jeunes gens rire
et se moquer du suisse. On l'avertit; il court à eux,
demande au marquis : « Monsieur, votre billet? —
As-tu un crayon ? — Non, Monsieur. — En voici
un, » dit un des jeunes gens. Le marquis écrit, et,
tout en écrivant, dit au suisse : « J'aime qu'on
fasse son devoir et qu'on garde sa consigne. » En
même temps, il lui remet le billet, où étoit écrit:
Laissez passer le marquis de C... et sa compagnie.
Il8 PORTRAITS ET CARACTÈRES
Le suisse prend le billet , et , tout triomphant , dit
à teux qui Tavoient averti : « J*ai le billet! »
* Un juge disoit naïvement à quelques-uns de
ses amis : « Nous avons aujourd'hui condamné
trois hommes à mort; il y en avoit deux qui le
méritoient bien ! »
* Un homme disoit un mal horrible de Dieu.
Un de ses amis lui dit : « Tu dis toujours du mal
du tiers et du quart. »
*M..., à qui je disois : « Votre gouvernante est
bien jeune et bien jolie », me répondit naïvement:
« Les rapports d*âge ne sont pas nécessaires; celui
des caractères suffit. »
* Un docteur de Sorbonne, furieux contre le
Système de la Nature, disoit : « C'est un livre exé-
crable, abominable! C'est l'athéisme démontré! »
* Il y a une chanson qui roule sur Hercule,
vainqueur de cinquante pucelles. Le couplet finit
par ces mots :
Comme lui je les aurai
Lorsque je les trouverai.
* On demandoit à un enfant : « Dieu le père
ANECDOTES ET BONS MOTS II9
€st-il Dieu? — Oui. — Dieu le fils est-il Dieu?
— Pas encore, que je sache; mais, à la mort de sgn
père, cela ne sauroit lui manquer. »
* Une petite fille disoit à M..., auteur d*un livre
sur ritalie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur
l'Italie? — Oui, Mademoiselle. — Y avez-vous
été ? — Certainement. — Est-ce avant ou après
votre voyage que vous avez fait votre livre ? »
* M. le dauphin avoit défini le prince Louis de
Rohan un prince affable, un prélat aimable et un
grand drôle bien découplé. Un M. de Nadaillac,
personnage très-ridicule, avoit été présent à ce
propos, qu'on répétoit devant une femme qui vi-
voit avec le prince Louis. Inquiète de ce qu'on en
disoit, elle demanda ce que le dauphin avoit dit.
M. de Nadaillac lui dit : « Madame, cela vous
intéresse, et vous en serez enchantée. » Il répéta le
propos de M. le dauphin en substituant à la fin
le mot d*accouplé à celui de découplé.
L'abbé de Fleury avoit été amoureux de ma-
dame la maréchale de Noailles, qui le traita avec
mépris. Il devint premier ministre; elle eut besoin
de lui, et il lui rappela ses rigueurs « Ah ! Mon-
seigneur, lui dit naïvement la maréchale, qui Tau-
roit pu prévoir? »
I20 PORTRAITS ET CARACTERES
Une petite fille de six ans disoit à sa mère : « Il
y a deux choses qui m'ont fait bien de la peine.
— Lesquelles, mon enfant? — Ce pauvre Abel
tué par son frère, lui qui étoit si beau et si bon! Je
crois le voir encore dans cette estampe de la grande
Bible. — Oh! oui, cela est bien fâcheux. Mais
quelle est la seconde chose qui t'a affligée ? —
C'est dans Fanfan et Colas, quand Fanfan refuse à
Colas une portion de sa tarte. Dis-moi, maman ^
la tarte étoit-elle véritable?»
« Quand j'ai une tentation, disoit M..., savez-
vous ce que j'en fais? — Non. — Je la garde. »
On louoit je ne sais quel président d'avoir une
bonne caboche. Quelqu'un répondit : « C'est le
terme que j'ai entendu employer cent fois, mais
jamais personne n'a osé dire qu'il avoit une bonne
tête. »
M. Poissonnier, le médecin, après son retour
de Russie, alla à Ferney, et, comme il parloit à
M. de Voltaire de tout ce qu'il avoit dit de faux
et d'exagéré sur ce pays-là : « Mon ami, répondit
naïvement Voltaire, au lieu de s'amuser à contre-
dire, ils m'ont donné de bonnes pelisses, et ;e suis
très-frileux. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 121
Pendant la guerre d'Amérique, un Écossois di-
soit à un François en lui montrant quelques pri-
sonniers américains . « Vous vous êtes battu pour
votre maître; moi, pour le mien; mais ces gens^ci,
pour qui se battent-ils? » Ce trait vaut bien celui
du roi de Pégu, qui pensa mourir de rire en appre-
nant que les Vénitiens n'avoient pas de roi.
Je venois de raconter une histoire galante de
madame la présidente de..., et je ne Tavois pas
nommée. M... reprit naïvement : « Cette prési-
dente de Bernières dont vous venez de parler... »
Toute la société partit d'un éclat de rire.
Un jeune homme sensible, et portant l'honnê-
teté dans l'amour, étoit bafoué par des libertins
qui se moquoient de sa tournure sentimentale. Il
leur répondit avec naïveté : « Est-ce ma faute, à
moi, si j'aime mieux les femmes que j'aime que les
femmes que je n'aime pas? »
On disoit que M .. étoit peu sociable . « Oui,
dit un de ses amis , il est choqué de plusieurs
choses qui, dans la société, choquent la nature. »
M..., faisant sa cour au prince Henri, à Neu-
châtel, lui dit que les Neuchâtelois adoroient le roi
de Prusse « Il est fort simple, dit le prince, que
16
sy'
122 PORTRAITS ET CARACTÈRES
les sujets aiment un maître qui est à trois cents
lieues d'eux. »
Le duc de Chartres, apprenant Tinsulte faite à
madame la duchesse de Bourbon, sa sœur, par
M. le comte d'Artois, dit : « On est bien heureux
de n'être ni père ni mari. »
Au Pérou, il n'étoit permis qu'aux nobles d'étu-
dier. Les nôtres pensent différemment.
On avoit dit à un roi de Sardaigne que la no-
blesse de Savoie étoit très-pauvre. Un jour, plu-
sieurs gentilshommes, apprenant que le roi passoit
par Je ne sais quelle ville, vinrent lui faire leur
cour en habits de gala magnifiques. Le roi leur fit
entendre qu'ils n'étoient pas aussi pauvres qu'on
le disoit. « Sire, répondirent-ils, nous avons appris
l'arrivée de Votre Majesté ; nous avons fait tout
ce que nous devions, mais nous devons tout ce que
nous avons fait. »
* M. de Lauraguais écrivoit à M. le marquis de
Villette : « Je ne méprise point du tout la bour-
geoisie, monsieur le marquis; je n'ai point ce tra-
vers, et vous êtes bien sûr, etc. »
* On venoit de dire que M. de... étoit chicané
ANECDOTES ET BONS MOTS 123
sur ses preuves de noblesse, qui dévoient venir de
la Martinique et qui n'arrivoient point, ce qui
pouvoit bien lui faire perdre la place qu'il a à la
cour. On lut ensuite une pièce de vers de sa com-
position, et les huit premiers vers se trouvèrent
très-mauvais. M. de T... dit tout haut : « Les
preuves arriveront, ces vers ne valent rien. »
* M... disoit que, quand il voyoit un homme de
qualité faire une lâcheté, il étoit toujours tenté
de crier, comme le cardinal de Retz à l'homme
qui le couchoit en joue : « Malheureux! ton père
te regarde!... Mais, ajoutoit-il, il faudroit crier :
« Tes pères te regardent », car souvent le père ne
vaut pas mieux. »
* Laval, le maître de ballet, étoit sur le théâtre
à une répétition d'opéra L'auteur, ou quelqu'un
de ses amis, lui crîa à deux fois « Monsieur de
Laval, monsieur de Laval! » Laval, s'avançant,
lui dit : « Monsieur, voilà deux fois que vous
m'appelez M. de Laval. La première fois, je n'ai
rien dit, maïs cela est trop fort. Me prenez-vous
pour un de ces deux ou trois MM de Laval qui
ne savent pas faire un pas de menuet ? »
* M. le comte de Charolois avoit été quatre
ans sans payer sa maison, même ses premiers offi-
124 PORTRAITS ET CARACTÈRES
ciers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui
étoient du nombre, lui présentèrent un jour leurs
gens en lui disant : « Monseigneur, si Votre
Altesse ne nous paye point, qu'elle nous dise au
moins comment nous pourrons satisfaire ces gens-
ci. » Le prince fit appeler son trésorier, et, montrant
M. de Laval et M. de Choiseul et leur livrée ;
« Qu'on paye ces messieurs! « dit-il.
Quelqu'un disoit d'un homme très-personnel :
« Il brûleroit votre maison pour se faire cuire deux
œufs. »
Madame Geoffrin disoit de Madame de la Ferté-
Imbault, sa fille : « Quand je la considère, je suis
étonnée comme une poule qui a couvé un œuf de
cane. »
Le prince de Conti actuel s'affligeoit de ce que
le comte d'Artois venoit d'acquérir une terre au-
près de ses cantons de chasse. On lui fit entendre
que les limites étoient bien marquées, qu'il n'y
avoit rien à craindre pour lui, etc. Le prince de
Conti interrompt le harangueur en lui disant •
« Vous ne savez pas ce que c'est que les princes ! »
M..., voyant, dans ces derniers temps, jusqu'à
quel point l'opinion publique înfluoit sur les gran-
ANECDOTES ZT BONS MOTS 125
des affaires, sur les places, sur le choix des minis-
tres, disoit à M. de L..., en faveur d'un homme
qu'il vouloit voir arriver : « Faites-nous en sa fa-
veur un peu d'opinion publique. »
Un philosophe me disoit qu'après avoir examiné
Tordre civil et politique des sociétés, il n'étudioît
plus que les sauvages dans les livres des voyageurs,
et les enfans dans la vie ordinaire.
M... aime qu'on dise qu'il est méchant, à peu
près comme les jésuites n'étoient pas fâchés qu'on
dît qu'ils assassinoient les rois. C'est l'orgueil qui
veut régner par la crainte sur la foiblesse.
Je demandois à M... pourquoi, en se condam-
nant à l'obscurité, il se déroboil au bien qu'on
pouvoit lui faire. « Les hommes, me dit-il, ne
peuvent rien faire pour moi qui vaille leur oubli. »
Duclos parloit un jour du paradis, que chacun
se fait à sa manière. Madame de Rochefort lui dit :
« Pour vous, Duclos, voici de quoi composer le
vôtre : du pain, du vin, du fromage et la première
venue. »
Je pressois M. de L.. d'oublier les torts de
M. de B..., qui l'avoit autrefois obligé; il me ré-
I2b PORTRAITS ET CARACTERES
pondit : « Dieu a recommandé le pardon des in-
jures ; il n'a point recommandé celui des bienfaits. »
Le maréchal de Noailles avoit un procès au par-
lement avec un de ses fermiers. Huit ou neuf con-
seillers se récusèrent, disant tous : « En qualité de
parent de M. de Noailles... » ; et ils Tétoient en
effet au huitantième degré. Un conseiller nommé
M. Hurson, trouvant cette vanité ridicule, se leva,
disant : « Je me récuse aussi. » Le premier prési-
dent lui demanda en quelle qualité. Il répondit :
a Comme parent du fermier. »
Le duc de Choiseul et le duc de Praslin avoîent
eu une dispute pour savoir lequel étoit le plus
bête, du roi ou de M. de la Vrillière. Le duc de
Praslin soutenoit que c'étoit M. de la Vrillière;
Tautre, en fidèle sujet, parioitpour le roi. Un jour,
au conseil, le roi dit une grosse bêtise. « Eh bien!
monsieur de Praslin, dit le duc de Choiseul, qu'en
pensez-vous ? »
Quand Madame de F.., a dit joliment une chose
bien pensée, elle croit avoir tout fait, de façon
que, si une de ses amies faisoit à sa place ce qu'elle
a dit qu'il falloit faire, cela feroit à elles deux une
philosophe. M, de . disoit d'elle : « Quand elle a
ANECDOTES ET BONS MOTS 127
dit une jolie chose sur l'émétîque, elle est toute
surprise de n'être point purgée. »
Un évêque de Saint-Brieuc, dans son oraison
funèbre de Marie-Thérèse, se tira d'affaire fort
simplement sur le partage de la Pologne ; « La
France, dit-il, n'ayant rien dit sur ce partage, je
prendrai le parti de faire comme la France, et de
n'en rien dire non plus. »
Madame la duchesse du Maine, dont la santé alloit
mal, grondoit son médecin et lui disoit : « Étoit-
ce la peine de m'imposer tant de privations et de
me faire vivre en mon particulier ? — Mais Votre
Altesse a maintenant quarante personnes au châ-
teau 1 — Eh bien ! ne savez-vous pas que quarante
ou cinquante personnes sont le particulier d'une
princesse? »
M... étouffe plutôt ses passions qu'il ne sait les
conduire. Il me disoit là-dessus ; « Je ressemble à
un homme qui, étant à cheval et ne sachant pas
gouverner sa bête qui l'emporte, la tue d'un coup
de pistolet et se précipite avec elle. »
On venoit de citer quelques traits de la gour-
mandise de plusieurs souverains. « Que voulez-
vous, dit le bonhomme M. de Bréquigny, que
128 PORTRAITS ET CARACTERES
voulez-vous que fassent ces pauvres rois ? Il faut
bien qu'ils mangent ! »
On demandoit à Pechméja quelle étoit sa for-
tune? « Quinze cents livres de rente. — C'est bien
peu. — Oh! reprit Pechméja, Dubreuil est riche.»
Le cardinal de la Roche-Aymon, malade de la
maladie dont il mourut, se confessa à je ne sais
quel prêtre, sur lequel on lui demanda sa façon de
penser. « J'en suis très-content, dit-il : il parle de
Tenfer comme un ange. »
Une femme disoît à M... qu'elle le soupçonnoit
de n'avoir jamais perdu terre avec les femmes.
« Jamais, lui dit-il, si ce n'est dans le ciel. » En
effet, son amour s'accroissoit toujours par la jouis-
sance, après avoir commencé assez tranquillement.
Un paysan partagea le peu de biens qu'il avoit
entre ses quatre fils, et alla vivre tantôt chez l'un,
tantôt chez l'autre. On lu! dit, à son retour d'un
voyage chez ses enfans : « Eh bien ! comment
vous ont-ils reçu? comment vous ont-ils traité ? —
Ils m*ont traité, dit-il, comme leur enfant. » Ce
mot paroît sublime dans la bouche d'un père tel
que celui-ci.
ANECDOTES ET BONS MOTS I29
Dans le temps de l'assemblée des notables, un
"homme vouloit faire parler le perroquet de madame
de... « Ne vous fatiguez pas, lui dit-elle, il n'ou-
vre jamais le bec. — Comment avez-vous un per-
roquet qui ne dit mot? Ayez-en un qui dise au
moins : Vive le roi! — Dieu m'en préserve, dit-
«11e, un perroquet disant : Vive le roi! je ne l'au-
rois plus : on en auroit fait un notable. »
On engageoit M. de... à quitter une place dont
le titre seul faisoit sa sûreté contre des hommes
puissans. Il répondit : « On peut couper à Samson
sa chevelure, mais il ne faut pas lui conseiller de
prendre perruque. »
Dans une dispute sur le préjugé relatif aux pei-
nes infamantes qui flétrissent la famille du coupa-
ble, M... dit : c( C'est bien assez de voir des hon-
neurs et des récompenses où il n'y a pas de vertu,
sans qu'il faille voir encore un châtiment où il n'y
a pas de crime. »
Une femme avoit un procès au parlement de
Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. le garde des
sceaux (1784) de vouloir bien écrire en sa faveur
un mot qui lui feroit gagner un procès très-juste.
Le garde des sceaux la refusa. La comtesse de Tal-
Jeyrand prenait intérêt à cette femme; elle en parla
Chamfort. — II. 17
l3o PORTRAITS ET CARACTERES
au garde des sceaux : nouveau refus. M'"^ de Tal-
leyrand en fit parler par la reine : autre refus.
M^^ de Talleyrand se souvint que le garde des
sceaux caressoit beaucoup Tabbé de Périgord, son
fils; elle fit écrire par lui : refus très-bien tourné.
Cette femme, désespérée, résolut de faire une ten-
tative et d'aller à Versailles. Le lendemain elle
part ; l'incommodité de la voiture publique l'en-
gage à descendre à Sèvres et à faire le reste de la
route à pied. Un homme lui offre de la mener par
un chemin plus agréable et qui abrège ; elle ac-
cepte, et lui conte son histoire. Cet homme lui
dit : <( Vous aurez demain ce que vous deman-
dez. » Elle le regarde et reste confondue. Elle va
chez le garde des sceaux, est refusée encore, veut
partir. L'homme l'engage à coucher à Versailles»
et, le lendemain matin, lui apporte le papier qu'elle
demandoit. C'étoit le commis d'un commis, nommé
M. Etienne.
On disoit d'un escrimeur adroit, mais poltron,
spirituel et galant auprès des femmes, mais impuis-
sant : « Il manie très-bien le fleuret et la fleurette,
mais le duel lui fait peur. »
La finesse et la mesure sont peut-être les quali>
tés les plus usuelles et qui donnent le plus d'avan-
tages dans le monde ; elles font dire des mots qui
ANECDOTES ET BONS MOTS l3l
valent mieux que des saillies. On louoit excessive-
ment dans une société le ministère de M. Necker;
quelqu'un qui, apparemment, ne Taimoit pas, de-
manda : « Monsieur, combien de temps est-il resté
en place depuis la mort de M. de Pezay ? » Ce
mot, en rappelant que M. Necker étoit Touvrage
de ce dernier, fit tomber à l'instant tout cet en-
thousiasme.
« Je sais me suffire, disoit M..., et, dans l'occa-
sion, je saurai bien me passer de moi », voulant
dire qu'il mourroit sans chagrin.
Un philosophe, retiré du monde, m'écrivoit une
lettre pleine de vertu et de raison. Elle finissoit
par ces mots : « Adieu, mon ami; conservez, si
vous pouvez, les intérêts qui vous attachent à la
société; mais cultivez les sentimens qui vous en
séparent. »
Le czar Pierre 1er, étant à Spithead, voulut sa-
voir ce que c'étoit que le châtiment de la cale
qu'on inflige aux matelots. Il ne se trouva pour
lors aucun coupable; Pierre dit : « Qu'on prenne
un de mes gens. — Prince, lui répondit-on, vos
gens sont en Angleterre, et par conséquent sous
la protection des lois. »
l32 PORTRAITS ET CARACTERES
M. d'Espréménil vivoit depuis longtemps avec
madame Tilaurier. Celle-ci vouloit Tépouser. Elle
se servit de Cagliostro, qui lui faisoit espérer la dé-
couverte de la pierre philosophale. On sait que Ca-
gliostro mêloit le fanatisme et la superstition aux
sottises de Talchimie. D'Espréménil se plaignant de
ce que cette pierre philosophale n'arrivoit pas, et
une certaine formule n'ayant point eu d'effet, Ca-
gliostro lui fit entendre que cela venoit de ce qu'il
vivoit dans un commerce criminel avec madame Ti-
laurier. « Il faut, pour réussir, que vous soyez en
harmonie avec les puissances invisibles et avec leur
chef, TEtre suprême. Epousez ou quittez ma-
dame Tilaurier. » Celle-ci redoubla de coquette-
rie; d'Espréménil épousa, et il n'y eut que sa femme
qui trouva la pierre philosophale.
M. d'Invault, étant contrôleur général, demanda
au roi la permission de se marier. Le roi, instruit
du nom de la demoiselle, lui dit : « Vous n'êtes
pas assez riche. » Celui-ci lui parla de sa place,
comme d'une chose qui suppléoit à la richesse.
« Oh! dit le roi, la place peut s'en aller, et la
femme reste. »
On demandoit à M... : « Qu'est-ce qui rend le
plus aimable dans la société } » Il répondit : a C'est
de plaire. »
ANECDOTES ET BONS MOTS l33
Une femme étoit à une représentation de Mé-
rope, et ne pleuroit point; on en étoit surpris.
« Je pleurerois bien, dit-elle, mais je dois souper
en ville. »
M... disoit, à propos de l'utilité de la retraite
et de la force que Tesprit y acquiert : « Malheur
au poëte qui se fait friser tous les jours ! Pour faire
de bonne besogne, il faut être en bonnet de nuit
et pouvoir faire le tour de sa tête avec sa main. »
M. de Vergennes n'aimoit point les gens de
lettres, et on remarqua qu'aucun écrivain distingué
n'avoit fait des vers sur la paix de lySS; sur quoi
quelqu'un disoit : « Il y en a deux raisons ; il ne
donne rien aux poètes et ne prête pas à la poésie. »
« Il faut que ce qu'on appelle la police soit une
chose bien terrible , disoit plaisamment madame
de..., puisque lesAnglois aiment mieux les voleurs
et les assassins, et que les Turcs aiment mieux la
peste ! »
Un malheureux portier à qui les enfans de son
maître refusèrent de payer un legs de mille livres,
qu'il pouvoit réclamer par justice, me dit : « Vou-
lez-vous, Monsieur, que j'aille plaider contre les
enfans d'un homme que j'ai servi vingt-cinq ans.
l34 PORTRAITS ET CARACTERES
et que je sers eux-mêmes depuis quinze ? » Il se
faisoit de leur injustice même une raison d'être
généreux à leur égard.
M. de Vendôme disoit de madame de Nemours,
qui avait un long nez courbé sur des lèvres ver-
meilles : « Elle a l'air d'un perroquet qui mange
une cerise. »
Un marchand d'estampes vouloit (le 25 juin)
vendre cher le portrait de madame de Lamotte
(fouettée et marquée le 21), et donnoit pour raisoa
que l'estampe étoit avant la lettre.
M... est un homme mobile, dont l'âme est Ou-
verte à toutes les impressions, dépendant de ce
qu'il voit, de ce qu'il entend, ayant une larme
prête pour la belle action qu'on lui raconte, et un
sourire pour le ridicule qu'un sot essaye de jeter
sur elle.
On demandoit à Diderot quel homme étoit
M. d'Epinay. « C'est un homme, dit-il, qui a mangé
deux millions sans dire un bon mot et sans faire une
bonne action. »
C'est une chose curieuse que l'histoire de Port-
Royal écrite par Racine. Il est plaisant de voir
ANECDOTES ET BONS MOTS l35
Tauteur de Phèdre parler des grands desseins de
Dieu sur la mère Agnès.
M. Thomas me disoit un jour : « Je n*ai pas
besoin de mes contemporains, mais j'ai besoin de
la postérité. » Il aimoit beaucoup la gloire. « Beau
résultat de votre philosophie, lui dis-je, de pouvoir
se passer des vivans pour avoir besoin de ceux
qui ne sont pas nés ! »
M. de C..., parlant un jour du gouvernement
d'Angleterre et de ses avantages dans une assem-
blée où se trouvoient quelques évêques, quelques
abbés, un d'eux, nommé l'abbé de Seguerand, lui
dit : « Monsieur, sur le peu que je sais de ce pays-
là, je ne suis nullement tenté d'y vivre, et je sens
que je m'y trouverois très-mal. — Monsieur l'abbé,
lui répondit naïvement M. de C..., c'est parce
que vous y seriez mal que le pays est excellent. »
« Savez-vous pourquoi, me disoit M. de..., on
est plus honnête, en France, dans la jeunesse et
jusqu'à trente ans que passé cet âge ? C'est que ce
n'est qu'après cet âge qu'on s'est détrompé; que,
chez nous, il faut être enclume ou marteau ; que
l'on voit clairement que les maux dont gémit la
nation sont irrémédiables. Jusqu'alors on avoit res-
semblé au chien qui défend le dîner de son maître
l36 PORTRAITS ET CARACTÈRES
contre les autres chiens. Après cette époque, on
fait comme le même chien, qui en prend sa part
avec les autres. »
Je proposois à M. de L... un mariage qui sem-
bloit avantageux. Il me répondit : « Pourquoi me
marierois-je? Le mieux qui puisse m'arriver, en me
mariant, est de n'être pas cocu, ce que j'obtiendrai
encore plus sûrement en ne me mariant pas. »
On reprochoit à M. L..., homme de lettres, de
ne plus rien donner au public. « Que voulez-vous
qu'on imprime, dit-il, dans un pays où VAlmanack
de Liège est défendu de temps en temps? »
On disoit d'un courtisan léger, mais non cor-
rompu : « Il a pris de la poussière dans le tour-
billon; mais il n^a pas pris de tache dans la boue. »
Un prédicateur de la Ligue avoit pris pour texte
de son sermon : Eripe nos. Domine, a luto fxcis,
qu'il traduisoit ainsi : « Seigneur, débourbonnez-
nous! »
Quelque temps avant que Louis XV fût arrangé
avec madame de Pompadour, elle couroit après
lui aux chasses. Le roi eut la complaisance d'en-
voyer à M. d'Etiolés une ramure de cerf. Celui-
ANECDOTES ET BONS MOTS l3j
ci la fit mettre dans sa salle à manger, avec ces
mots : « Présent fait par le roi à M. d'Etiolés, n"
Un célibataire qu'on pressoit de se marier ré-
pondit plaisamment : « Je prie Dieu de me pré-
server des femmes aussi bien que je me préserverai
du mariage. )>
Maupertuîs, étendu dans son fauteuil et bâil-
lant, dit un jour : « Je voudrois, dans ce moment-
ci, résoudre un beau problème qui ne fût pas diffi-
cile. » Ce mot le peint tout entier.
Le roi Stanislas venoit d'accorder des pensions
à plusieurs ex-jésuites. M. de Tressan lui dit :
« Sire, Votre Majesté ne fera-t-elle rien pour la
famille de Damiens, qui est dans la plus profonde
misère? »
Le baron de Breteuil, après son départ du mi--
nistère, en 1788, blâmoit la conduite de l'arche-
vêque de Sens; il le qualifioit de despote, et
disoit : « Moi, je veux que la puissance royale ne
dégénère point en despotisme, et je veux qu'elle
se renferme dans les limites où elle étoit resserrée
sous Louis XIV. » Il croyoit, en tenant ce dis-
cours, faire acte de citoyen et risquer de se per-
dre à la cour.
18
l38 PORTRAITS ET CARACTÈRES
« Pour juger de ce que c'est que la noblesse,
disoit M..., il suffit d'observer que M. le prince
de Turenne, actuellement vivant, est plus noble
que M. de Turenne, et que le marquis de Laval
«st plus noble que le connétable de Montmo-
rency. »
On disoit à Delon, médecin mesmériste : « Eh
bien! M. de B... est mort, malgré la promesse
que vous aviez faite de le guérir. — Vous avez,
répondit-il, été absent; vous n'avez pas suivi les
progrès de la cure : il est mort guéri. »
Du temps de M. de Machault, on présenta au
roi le projet d'une cour plénière, telle qu'on a
voulu l'exécuter depuis. Tout fut réglé entre le
roi, madame de Pompadour et les ministres. On
dicta au roi les réponses qu'il feroit au premier
président; tout fut expliqué dans un mémoire dans •
lequel on disoit : « Ici, le roi prendra un air sé-
vère; ici, le front du roi s'adoucira; ici, le roi fera
tel geste, etc. » Le mémoire existe.
Quand l'abbé de Saint-Pierre approuvoit quel-
que chose, il disoit : a Ceci est bon pour moi,
quant à présent. » Rien ne peint mieux la variété
des jugemens humains et la mobilité du jugement
de chaque homme.
ANECDOTES ET BONS MOTS 189
Un homme parloit du respect que mérite le pu-
lic. « Oui, dit M..,, le respect qu'il obtient de
prudence. Tout le monde méprise les harengères ;
spendant, qui oseroit risquer de les offenser en
a versant la halle? »
On réfutoit je ne sais quelle opinion de M...
ir un ouvrage, en lui parlant du public, qui en
igeoit autrement : « Le public, le public! dit-il;
jmbien faut-il de sots pour faire un public? »
Madame Beauzée couchoit avec un maître de
mgue allemande. M. Beauzée les surprit au re-
)ur de TAcadémie. L'Allemand dit à la femme :
Quand je vous disois qu'il étoit temps que je
l'en aille! » M. Beauzée, toujours puriste, lui
it : « Que je m'en allasse. Monsieur. »
M... disoit du prince de Beauvau, grand pu-
ste : « Quand je le rencontre dans ses prome-
ades du matin et que je passe dans l'ombre de
)n cheval (il se promène souvent à cheval pour
i santé), j'ai remarqué que je ne fais pas une
iule de françois de toute la journée. »
Madame de..., âgée de soixante-cinq ans, aj^ant
pousé M..., âgé de vingt-deux, quelqu'un dit
ue c'étoit le mariage de Pyrame et de Baucis.
140 PORTRAITS ET CARACTERES
On faisoit une question épineuse à M..., qui
répondit : « Ce sont de ces choses que je sais à
merveille quand on ne m'en parle pas, et que
j'oublie quand on me les demande. »
M... disoit : « Je ne sais pourquoi madame de
L... désire tant que j'aille chez elle; car, quand
j'ai été quelque temps sans y aller, je la méprise
moins. » On pourroit dire cela du monde en gé-
néral.
M. . . disoit de madame la princesse de. . . : « C'est
une femme qu'il faut absolument tromper, car elle
n'est pas de la classe de celles qu'on quitte. »
M. de L... me disoit de M. de R... : « C'est
l'entrepôt du venin de toute la société'; il le ras-
semble comme les crapauds et le darde comme
les vipères. »
M. le comte d'Orsay, fils d'un fermier général,
et connu par sa manie d'être homme de qualité,
se trouva avec M. de Choiseul-Gouffier chez le
prévôt des marchands. Celui-ci venoit chez ce ma-
gistrat pour faire diminuer sa capitation, considé-
rablement augmentée ; l'autre y venoit porter ses
plaintes de ce qu'on avoit diminué la sienne, et
ANECDOTES ET BONS MOTS 14I
croyoit que cette diminution supposoit quelque
atteinte portée à ses titres de noblesse.
M... disoit : « On m'adit du mal de M. de...
J'aurois cru cela il y a six mois; mais nous sommes
réconciliés. »
« Une idée qui se montre deux fois dans un
ouvrage, surtout à peu de distance, disoit M...,
me fait l'effet de ces gens qui, après avoir pris
congé, rentrent pour reprendre leur épée ou leur
chapeau. »
Fontenelle avoit été refusé trois fois de l'Aca-
démie, et le racontoit souvent; il ajoutoit : « J*ai
fait cette histoire à tous ceux que j'ai vus s'affliger
d'un refus de l'Académie, et je n'ai consolé per-
sonne. »
Le régent vouloit aller au bal et n'y être pas
reconnu, a J'en sais un moyen, » dit l'abbé Du-
bois; et, dans le bal, il lui donna des coups de
pied dans le derrière. Le régent, qui les trouva
trop forts, lui dit : « L'abbé, tu me déguises trop ! »
Le régent envoya demander au président Daron
la démission de sa place de premier président de
Parlement de Bordeaux. Celui-ci répondit qu'on
142 PORTRAITS ET CARACTERES
ne pouvoit lui ôter sa place sans lui faire son pro-
cès. Le régent , ayant reçu la lettre , mit au bas :
Quà cela ne tienne, et la renvoya pour réponse.
Le président, connoissant le prince auquel il avoit
affaire, envoya sa démission.
A propos des choses de ce bas monde, qui
vont de mal en pis. M... disoit : « J'ai lu quelque
part qu'en politique il n'y avoit rien de si mal-
heureux pour les peuples que les règnes trop longs.
J'entends dire que Dieu est éternel : tout est dit. i>
Je disois à M. B..., misanthrope plaisant, qui
m'avoit présenté un jeune homme de sa connois-
sance : « Votre ami n'a aucun usage du mondey
ne sait rien de rien. — Oui, dit-il, et il est déjà
triste comme s'il savoit tout. »
M. le duc de Chabot ayant fait peindre une
Renommée sur son carrosse, on lui appliqua ces
vers :
Votre prudence est endormie
De loger magnifiquement
Et de traiter superbement
Votre plus cruelle ennemie.
M. le régent avoit promis de faire quelque chose
du jeune Arouet, c'est-à-dire d'en faire un impor-
tant et de le placer. Le jeune poëte attendit le
ANECDOTES ET BONS MOTS 14?
prince au sortir du conseil, au moment où il étoit
suivi de quatre secrétaires d'État. Le prince le vit
et lui dit : « Arouet, je ne t'ai pas oublié, et je te
destine le département des niaiseries. — Monsei-
gneur, dit le jeune Arouet, j'aurois trop de ri-
vaux... En voilà quatre. » Le prince pensa étouffer
de rire.
Lord Marlborough étant à la tranchée avec un
de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon
fît sauter la cervelle à cet ami et en couvrit le vi-
sage du jeune homme, qui recula avec effroi.
Marlborough lui dit intrépidement : « Eh quoi !
Monsieur, vous paroissez étonné? — Oui, dit le
jeune homme en s'essuyant la figure, je le suis
qu'un homme qui a autant de cervelle restât ex-
posé gratuitement à un danger si inutile. »
J'étois à table à côté d'un homme qui me de-
manda si la femme qu'il avoit devant lui n'étoit
pas la femme de celui qui étoit à côté d'elle. J'a-
vois remarqué que celui-ci ne lui avoit pas dit un
mot; c'est ce qui me fît répondre à mon voisin :
<( Monsieur, ou il ne la connoît pas, ou c'est sa
femme. »
Le vicomte de S... aborda un jour M. de Vaines
en lui disant : « Est-il vrai. Monsieur, que, dans
144 PORTRAITS ET CARACTERES
une maison où Ton avoit eu la bonté de me trou-
ver de Tesprit, vous avez dit que je n'en avois pas
du tout ? )) M. de Vaines lui répondit : « Mon-
sieur, il n'y a pas un seul mot de vrai dans tout
cela. Je n'ai jamais été dans une maison où Ton
vous trouvât de l'esprit, et je n'ai jamais dit que
vous n'en aviez pas. »
M. de Sourches, petit fat hideux, le teint noir,
et ressemblant à un hibou, dit un jour, en se re-
tirant : « Voilà la première fois, depuis deux ans,
que je vais coucher chez moi. » L'évêque d'Agde,
se retournant et voyant cette figure , lui dit en le
regardant : « Monsieur perche, apparemment. »
On demandoit à M. de Lauzun ce qu'il répon-
droit à sa femme (qu'il n'avoit pas vue depuis dix
ans) si elle lui écrivoit : « Je viens de découvrir
que je suis grosse. » Il réfléchit, et répondit :
« Je lui écrirois : « Je suis charmé d'apprendre
« que le Ciel ait enfin béni notre union. Soignez
« votre santé; j'irai vous faire ma cour ce soir. »
Le maréchal de Broglie avoit épousé la fille
d'un négociant; il eut deux filles. On lui propo-
soit, en présence de madame de Broglie , de faire
entrer l'une dans un chapitre. « Je me suis fermé.
ANECDOTES ET BONS MOTS 146
dit-il, en épousant madame, l'entrée de tous les
chapitres... — Et de Thôpital, » ajouta-t-elle.
Rulhière disoit un jour à C... : « Je n'ai jamais
fait qu'une méchanceté dans ma vie. — Quand
finira-t-elle ? » demanda C...
L'abbé Delille , entrant dans le cabinet de
M. Turgot, le vit lisant un manuscrit : c'étoit ce-
lui des Mois de M. Roucher. L'abbé Delille s'en
douta, et dit en plaisantant :
a Odeur de vers se sentoit à la ronde.
— Vous êtes trop parfumé, lui dit M. Turgot,
pour sentir les odeurs. »
Le roi de Prusse, voyant un de ses soldats bala-
fré au visage, lui dit : « Dans quel cabaret t'a-t-
on équipé de la sorte? — Dans un cabaret où
vous avez payé l'écot, à Kollin, » dit le sol-
dat. Le roi, qui avoit été battu à Kollin, trouva
cependant le mot excellent.
Un homme étoit en deuil de la tête aux pieds :
grandes pleureuses, perruque noire, figure allon-
gée. Un de ses amis l'aborde tristement : « Eh!
bon Dieu ! qui est-ce donc que vous avez perdu ?
Chamfort, — II, 19
146 PORTRAITS ET CARACTERES
— Moi ! dit-il , je n'ai rien perdu : c'est que je
suis veuf. »
M. Tévêque de L... étant à déjeuner, il lui vint
en visite Tabbé de... L'évêque le prie de déjeuner;
Tabbé refuse. Le prélat insiste. « Monseigneur,
dit Tabbé, j'ai déjeuné deux fois, et d'ailleurs c'est
aujourd'hui jeûne. »
Dans une dispute que les représentans de Genève
eurent avec le chevalier de Bouteville, l'un d'eux
s'échauffant, le chevalier lui dit : « Savez-vous que
je suis le représentant du roi mon maître? — Sa-
vez-vous, lui répondit le Genevois, que je suis le
représentant de mes égaux? »
M... disoit, à son retour d'Allemagne : « Je ne
sache pas de chose à quoi j'eusse été moins propre
qu'à être un Allemand. »
La rareté d'un sentiment vrai fait que je m'ar-
rête quelquefois dans les rues à regarder un chien
ronger un os. « C'est au retour de Versailles ,
Marly, Fontainebleau, disoit M. de..., que je suis
le plus curieux de ce spectacle. »
L'abbé de Vertot changea d'état très-souvent.
On appeloit cela les révolutions de l'abbé de
Vertot.
ANECDOTES ET BONS MOTS 147
Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts qui
portoient sur les riches, un millionnaire, se trou-
vant parmi des gens riches qui se plaignoient du
malheur des temps, dit : « Qui est-ce qui est heu-
reux dans ces temps-ci ? Quelques misérables. »
Colbert disoit, à propos de l'industrie de la na-
tion, que le François changeroit les rochers en or
si on le laissoit faire.
M... me disoit : « Je ne regarde le roi de
France que comme le roi d'environ cent mille
hommes auxquels il partage et sacrifie la sueur, le
sang et les dépouilles de vingt-quatre millions neuf
cent mille hommes, dans des proportions détermi-
nées par les idées féodales, militaires, antimorales
et antipolitiques qui avilissent l'Europe depuis vingt
siècles. »
On sait quelle familiarité le roi de Prusse per-
mettoit à quelques-uns de ceux qui vivoient avec
lui. Le général Quintus Icilius étoit celui qui en
profitoit le plus librement. Le roi de Prusse, avant
la bataille de Rosbach, lui dit que, s'il la perdoit,
il se rendroit à Venise, où il vivroit en exerçant la
médecine. Quintus lui répondit : « Toujours as-
sassin! ))
Le roi de Prusse demandoit à d'Alembert s'il
148 PORTRAITS ET CARACTÈRES
avoit VU le roi de France. « Oui, Sire, dit celui-ci,
en lui présentant mon discours de réception à
TAcadémie Françoise. — Eh bien ! reprit le roi de
Prusse, que vous a-t-il dit? — 11 ne m'a pas parlé,
Sire. — A qui donc parle-t-il.^ » poursuivit Fré-
déric.
Plusieurs officiers françois étant allés à Berlin,
Tun d'eux parut devant le roi sans uniforme et en
bas blancs. Le roi s'approcha de lui et lui demanda
son nom. « Le marquis de Beaucourt. — De quel
régiment? — De Champagne. — Ah ! oui, ce ré-
giment où l'on se f... de l'ordre. » Et il parla en-
suite aux officiers qui étoient en uniforme et en
bottes.
Un banquier anglois, nommé Ser ou Stair, fut
accusé d'avoir fait une conspiration pour enlever
le roi George III et le transporter à Philadelphie.
Amené devant ses juges, il leur dit : a Je sais très-
bien ce qu'un roi peut faire d'un banquier ; mais
j'ignore ce qu'un banquier peut faire d'un roi. »
Dans les malheurs de la fin du règne de LouisXIV,
après la perte des batailles de Turin, d'Oudenarde,
de Malplaquet, de Ramillies, d'Hochstett, les plus
honnêtes gens de la cour disoient : « Au moins,
le roi se porte bien; c'est le principal. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 1 49
Je causois un jour avec M. de V..., qui paroît
vivre sans illusions dans un âge où Ton en est en-
core susceptible. Je lui témoignois la surprise qu'on
avoit de son indifférence. Il me répondit grave-
ment : « On ne peut pas être et avoir été. J'ai été
dans mon temps, tout comme un autre, l'amant
d'une femme galante, le jouet d'une coquette, le
passe-temps d'une femme frivole, l'instrument d'une
intrigante. Que peut-on être de plus? — L'ami
d'une femme sensible. — Ah! nous voilà dans les
romans ! »
M... débitoit souvent des maximes de roué en
fait d'amour; mais, dans le fond, il étoit sensible
et fait pour les passions. Aussi quelqu'un disoit de
lui : « Il fait semblant d'être malhonnête, afin que
les femmes ne le rebutent pas. »
« Dans le monde, disoit M..., vous avez trois
sortes d'amis : vos amis qui vous aiment, vos amis
qui ne se soucient pas de vous et vos amis qui
vous haïssent. »
J. J. Rousseau étant à Fontainebleau, à la re-
présentation de son Devin de village, un courtisan
l'aborda et lui dit poliment : « Monsieur, per-
mettez-vous que je vous fasse mon compliment?
— Oui, Monsieur, dit Rousseau, s'il est bien. »
l5o PORTRAITS ET CARACTERES
Le courtisan s'en alla. On dit à Rousseau : « Mais
y songez-vous ? Quelle réponse vous venez de
faire! — Fort bonne, dit Rousseau; connoissez-
vous rien de pire qu'un compliment mal fait ? »
On disoit à J. J. Rousseau, qui avoit gagné
plusieurs parties d'échecs au prince de Conti, qu'il
ne lui avoit pas fait sa cour, et qu'il falloit lui ea
laisser gagner quelques-unes : « Comment! dit-il,
je lui donne la tour. »
Voltaire disoit du poëte Roy, qui avoit été sou-
vent repris de justice et qui sortoit de Saint-
Lazare : « C'est un homme qui a de l'esprit, mais
ce n'est pas un auteur assez châtié. »
Ce fut l'abbé S... qui administra le viatique à
l'abbé Petiot dans une maladie très-dangereuse, et
il raconte qu'en voyant la manière très-prononcée
dont celui-ci reçut ce que vous savez, il se dit à
lui-même : « S'il en revient, ce sera mon ami. »
M. de Rôquemont, dont la femme étoit très-
galante, couchoit une fois par mois dans la cham-
bre de madame pour prévenir les mauvais propos
si elle devenoit grosse, et s'en alloit en disant :
« Me voilà net; arrive qui plante! »
La marquise de Saint-Pierre étoit dans une so-
ANECDOTES ET BONS MOTS l5l
ciété OÙ Ton disoit que M. de Richelieu avoit eu
beaucoup de femmes sans en avoir jamais aimé
une. « Sans aimer! c'est bientôt dit, reprit-elle;
moi, je sais une femme pour laquelle il est revenu
de trois cents lieues. » Ici elle raconte l'histoire
en troisième personne, et, gagnée par sa narra-
tion : « Il la porte sur le lit avec une violence in-
croyable, et nous y sommes restés trois Jours. »
M. le régent disoit à M'"^ de Parabère, dévoie,
qui, pour lui plaire, tenoit quelques discours peu
chrétiens : « Tu as beau faire, tu seras sauvée. »
M. de Voltaire, voyant la religion tomber tous
les jours, disoit une fois : « Cela est pourtant fâ-
cheux, car de quoi nous moquerons-nous? — Oh! /
lui dit M. Sabatier de Castres, consolez-vous; les
occasions ne vous manqueront pas plus que les
moyens. — Ah ! Monsieur, reprit douloureusement
M. de Voltaire, hors de TÉglise, point de salut. »
D'Alembert, jouissant déjà de la plus grande
réputation, se trouvoit chez madame du Defîand,
où étoient M. le président Hénault et M. de Pont
de Veyle. Arrive un médecin nommé Fournier,
qui, en entrant, dit à madame du Deffand : « Ma-
dame, j'ai bien l'honneur de vous présenter mon
très-humble respect» ; à M. le président Hénault :
l52 PORTRAITS ET CARACTERES
« Monsieur, j*ai bien l'honneur de vous saluer » ;
à M. de Pont de Veyle : « Monsieur, je suis votre
très-humble serviteur » ; et à d*AIembert : a Bon-
jour, Monsieur. »
Pendant un siège, un porteur d*eau crioil dans
la ville : « A six sous la voie d'eau ! » Une bombe
vient et emporte un de ses seaux : « A douze
sous le seau d*eau! » s'écrie le porteur sans s'é-
tonner.
Un homme dont la santé s'étoit rétablie en assez
peu de temps, et à qui on en demandoit la raison,
répondit : « C'est que je compte avec moi, au
lieu qu'auparavant je comptois sur moi. »
J'ai vu M. de Foncemagne jouir dans sa vieillesse
d'une grande considération. Cependant, ayant eu
occasion de soupçonner un moment sa droiture, je
demandai à M. Saurin s'il l'avoit connu particu-
lièrement. Il me répondit qu'oui. J'insistai pour
savoir s'il n'avoit jamais rien eu contre lui. M. Sau-
rin , après un moment de réflexion , me répondit :
« Il y a longtemps qu'il est honnête homme. »
A la bataille de Raucoux ou de Lawfeld, le jeune
M. de Thiange eut son cheval tué sous lui, et
lui-même fut jeté fort loin; cependant il ne fut
ANECDOTES ET BONS MOTS l53
point blessé. Le maréchal de Saxe lui dit : « Petit
Thiange, tu as eu une belle peur? — Oui, mon-
sieur le maréchal, dit celui-ci; j*ai craint que vous
ne fussiez blessé. »
Dans une société où se trouvoit M. de Schwa-
low, ancien amant de l'impératrice Elisabeth, on
vouloit savoir quelques traits relatifs à la Russie.
Le bailli de Chabrillant dit : « M. de Schwalow,
dites-nous cette histoire; vous devez la savoir,
vous qui étiez la Pompadour de ce pays-là. »
M. de C... avoit reçu un bienfait de M. d'A...
Celui-ci avoit recommandé le secret. Il fut gardé.
Plusieurs années après , ils se brouillèrent. Alors
M. de C... révéla le secret du bienfait qu'il avoit
reçu. M. de T..., leur ami commun, instruit, de-
manda à M. de C... la raison de cette apparente
bizarrerie. Celui-ci répondit : « J'ai tu son bien-
fait tant que je l'ai aimé. Je parle, parce que je
ne l'aime plus. C'étoit alors son secret; à présent,
c'est le mien. »
Diderot, voulant faire un ouvrage qui pouvoit
compromettre son repos, confioit son secret à un
ami qui , le connoissant bien, lui dit : « Mais,
vous-même , me garderez-vous bien le secret? »
En effet, ce fut Diderot qui le trahit.
20
l54 PORTRAITS ET CARACTERES
On s"'étonnoit de voir le duc de Choiseul se
soutenir aussi longtemps contre madame du Barry.
Son secret étoit simple : au moment où il parois-
soit le plus chanceler, il se procuroit une audience
ou un travail avec le roi, et lui demandoit ses
ordres relativement à cinq ou six millions d'éco-
nomies qu*il avoit faites dans le département de la
guerre, observant qu'il n'étoit pas convenable de
les envoyer au trésor royal. Le roi entendoit ce
que cela vouloit dire, et lui répondoit : « Parlez à
Bertin; donnez-lui trois millions en tels effets; je
vous fais présent du reste. » Le roi partageoit ainsi
avec le ministre, et, n'étant pas sûr que son suc-
cesseur lui offrît les mêmes facilités, gardoit M. de
Choiseul malgré les intrigues de madame du Barry.
M... avoit montré beaucoup d'insolence et de
vanité après une espèce de succès au théâtre :
c'éioit son premier ouvrage. Un de ses amis lui
dit : « Mon ami, tu sèmes les ronces devant toi;
tu les trouveras en repassant. »
Marivaux disoit que le style a un sexe, et qu'on
reconnoissoit les femmes à une phrase.
M. de Richelieu disoit, au sujet du siège de
Mahon par M. le duc de Grillon : « J'ai pris Ma-
hon par une étourderie, et, dans ce genre, M. de
Grillon paroît en savoir plus que moi. »
ANECDOTES ET BONS MOTS l55
Le prince de Conti pensoit et parloit mal de
M. de Silhouette. Louis XV lui dit un jour: «On
songe pourtant à le faire contrôleur général. —
Je le sais, dit le prince, et, s'il arrive à cette place,
je supplie Votre Majesté de me garder le secret. »
Le roi, quand M. de Silhouette fut nommé, en
apprit la nouvelle au prince, et lui ajouta : « Je
n'oublie point la promesse que je vous ai faite,
d'autant plus que vous avez une affaire qui doit se
rapporter au conseil. » [Anecdote contée par madame
de Bouf fiers. )
L'Écluse , celui qui a été à la tête des Variétés
amusantes, racontoit que, tout jeune et sans for-
tune, il arriva à Lunéville, où il obtint la place de
dentiste du roi Stanislas, précisément le jour où le
roi perdit sa dernière dent.
C'est une chose bien extraordinaire que deux
auteurs pénétrés et panégyristes, l'un en vers,
l'autre en prose, de l'amour immoral et libertin,
Crébillon et Bernard, soient morts épris passionné-
ment de deux filles. Si quelque chose est plus
étonnant, c'est de voir l'amour sentimental pos-
séder madame de Voyer jusqu'au dernier moment,
et la passionner pour le vicomte de Noailles; tan-
dis que, de son côté, M. de Voyer a laissé deux
cassettes pleines de lettres céladoniques copiées
l56 PORTRAITS ET CARACTÈRES
deux fois de sa main. Cela rappelle les poltrons,
qui chantent pour déguiser leur peur.
Sixte-Quint, étant pape, manda à Rome un
jacobin de Milan, et le tança comme mauvais ad-
ministrateur de sa maison, en lui rappelant une
certaine somme d'argent qu'il avoit prêtée quinze
ans auparavant à un certain cordelier. Le coupable
dit : « Cela est vrai , c'étoit un mauvais sujet qui
m'a escroqué. — C'est moi, dit le pape, qui suis
ce cordelier; voilà votre argent, mais n'y retombez
plus, et ne prêtez jamais à des gens de cette robe. »
On accusoit M... d'être misanthrope. « Moi,
dit-il, je ne le suis pas; mais j'ai bien pensé l'être,
et j'ai vraiment bien fait d'y mettre ordre. —
Qu'avez-vous fait pour l'empêcher? — Je me suis
fait solitaire. »
M. de L..., connu pour misanthrope, me disoit
un jour, à propos de son goût pour la solitude :
« Il faut diablementaimer quelqu'un pour le voir. »
Madame la princesse de Conti, fille de Louis XIV,
ayant vu madame la dauphine de Bavière qui
dormoit ou faisoit semblant de dormir, dit, après
l'avoir considérée : « Madame la dauphine est
encore plus laide en dormant que lorsqu'elle veille. »
ANECDOTES ET BONS MOTS ibj
Madame la dauphine, prenant la parole sans faire
le moindre mouvement, lui répondit : « Madame,
tout le monde n'est pas enfant de l'amour. »
On assure que madame de Montpensier, ayant
été quelquefois obligée , pendant Tabsence de ses
dames , de se faire remettre un soulier par quel-
qu'un de ses pages, lui demandoit s'il n'avoit pas
eu quelque tentation. Le page répondoit qu'oui.
La princesse, trop honnête pour profiter de cet
aveu, lui donnoit quelques louis pour le mettre en
état d'aller chez quelque fille perdre la tentation
dont elle étoit la cause.
Des jeunes gens de la cour soupoient chez
M. de Conflans. On débute par une chanson
libre, mais sans excès d'indécence; M. de Fronsac
sur-le-champ se met à chanter des couplets abo-
minables qui étonnèrent même la bande joyeuse.
M. de Conflans interrompit le silence universel en
disant : « Que diable ! Fronsac , il y a dix bou-
teilles de vin de Champagne entre cette chanson
et la première. »
Le maréchal de Duras , mécontent d'un de ses
fils, lui dit : « Misérable! si tu continues, je te
ferai souper avec le roi. » C'est que le jeune
homme avoit soupe deux fois à Marly, où il s'étoit
ennuyé à périr.
l58 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de La Reynière , obligé de choisir entre la
place d'administrateur des postes et celle de fer-
mier général, après avoir possédé ces deux places^
dans lesquelles il avoit été maintenu par le crédit
des grands seigneurs qui soupoient chez lui, se
plaignit à eux de Talternative qu'on lui proposoit
et qui diminuoit de beaucoup son revenu. Un
d'eux lui dit naïvement : « £h ! mon Dieu , cela
ne fait pas une grande différence dans votre for-
tune. C'est un million à mettre à fonds perdus ;
et nous n'en viendrons pas moins souper chez
vous. »
M. de Stainville, lieutenant général, venoit de
faire enfermer sa femme. M. de Vaubecourt, ma-
réchal de camp, sollicitoit un ordre pour faire en-
fermer la sienne. Il venoit d'obtenir l'ordre, et
sortoit de chez le ministre avec un air triomphant.
M. de Stainville, qui crut qu'il venoit d'être nom-
mé lieutenant général, lui dit devant beaucoup de
monde : « Je vous félicite, vous êtes sûrement des
nôtres. »
Le roi de Pologne Stanislas avoit des bontés
pour l'abbé Porquet et n'avoit encore rien fait
pour lui. L'abbé lui en faisoit l'observation. « Mais,
mon cher abbé, dit le roi, il y a beaucoup de votre
faute : vous tenez des discours très-libres; on pré-
ANECDOTES ET BONS MOTS I Sç
tend que vous ne croyez pas en Dieu. Il faut vous
modérer : tâchez d'y croire; je vous donne un an
pour cela. »
Madame de Bassompierre , vivant à la cour du
roi Stanislas, étoit la maîtresse connue de M. de
La Galaisière, chancelier du roi de Pologne. Le
roi alla un jour chez elle, et prit avec elle des li-
bertés qui ne réussirent pas. « Je me tais, dit Sta-
nislas; mon chancelier vous dira le reste. »
M. de B..., âgé de cinquante ans, venoit d'é-
pouser mademoiselle de C..., âgée de treize ans.
On disoit de lui, pendant qu'il sollicitoit ce ma-
riage, qu'il demandoit la survivance de la poupée
de cette demoiselle.
M... disoit de M. de La Reynière, chez qui
tout le monde va pour sa table, et qu'on trouve
très ennuyeux : « On le mange, mais on ne le di-
gère pas. »
Jamais Bossuet ne put apprendre au grand dau-
phin à écrire une lettre. Ce prince étoit très-indo-
lent. On raconte que ses billets à madame la com-
tesse de Roure finissoient tous par ces mots : Le
roi me fait mander pour le conseil. Le jour que cette
comtesse fut exilée, un des courtisans lui demanda
l6o PORTRAITS ET CARACTERES
s'il n'étoit pas bien affligé. « Sans doute, dit le
dauphin; mais cependant me voilà délivré de la
nécessité d'écrire le petit billet. »
Madame de Talmont, voyant M. de Richelieu,
au lieu de s'occuper d'elle, faire sa cour à madame
de Brionne, fort belle femme, mais qui n'avoit pas
la réputation d'avoir beaucoup d'esprit , lui dit :
« Monsieur le maréchal, vous n'êtes point aveugle;
mais je vous crois un peu sourd. »
On reprochoit à M. de... d'être le médecin Tant'
Pis. « Cela vient, répondit-il, de ce que j'ai vu
enterrer tous les malades du médecin Tant-Mieux.
Au moins, si les miens meurent, on n'a point à me
reprocher d'être un sot. »
Le maréchal de Broglie affrontant un danger
inutile et ne voulant pas se retirer, tous ses amis
faisoient de vains efforts pour lui en faire sentir la
nécessité. Enfin l'un d'entre eux, M. de Jaucourt,
s'approcha et lui dit à l'oreille : « Monsieur le ma-
réchal, songez que, si vous êtes tué, c'est M. de
Routhe qui commandera. » C'étoit le plus sot des
lieutenants généraux. M. de Broglie, frappé du
danger que couroit l'armée, se retira.
On ne distingue pas aisément l'intention de
ANECDOTES ET BONS MOTS l6l
Tauteur dans le Temple de Gnide, et il y a même
quelque obscurité dans les détails : c'est pour cela
que madame du Deffand Tappeloit V Apocalypse de
la galanterie»
Madame de Tencin disoit que les gens d'esprit
faisoient beaucoup de fautes en conduite, parce
qu'ils ne croyoient jamais le monde assez bête,
aussi bête qu'il l'est.
Madame de Tencin, avec des manières douces,
étoit une femme sans principes et capable de tout
exactement. Un jour, on louoit sa douceur. « Ouï,
dit l'abbé Trublet, si elle eût eu intérêt de vous
empoisonner, elle eût choisi le poison le plus doux.»
Madame la comtesse de Tessé disoit après la
mort de M. Dubreuil : « Il étoit trop inflexible,
trop inabordable aux présens, et j'avois un accès
de fièvre toutes les fois que je songeois à lui en
faire. — Et moi aussi, lui répondit madame de
Champagne, qui avoit placé trente-six mille livres
sur sa tête: voilà pourquoi j'ai mieux aimé me don-
ner tout de suite une bonne maladie que d'avoir
tous ces petits accès de fièvre dont vous parlez. »
Le vieux d'Arnoncourt avoit fait un contrat de
douze cents livres de rente à une fille pour tout
Chamfort, — II. 21
102 PORTRAITS ET CARACTERES
le temps qu'il en seroit aimé. Elle se sépara de
lui étourdiment, et se lia avec un jeune homme
qui, ayant vu ce contrat, se mit en tête de le faire
revivre. Elle réclama en conséquence les quartiers
échus depuis le dernier payement, en lui faisant
signifier sur papier timbré qu'elle Taimoit toujours.
L'homme arrive novice à chaque âge de la vie,
M..., Provençal qui a des idées plaisantes, me
disoit, à propos de rois et même de ministres, que,
la machine étant bien montée, le choix des uns et
des autres étoit indifférent. « Ce sont, disoit- il,
des chiens dans un tourne-broche ; il suffit qu'ils
remuent les pattes pour que tout aille bien. Que
le chien soit beau, qu'il ait de l'intelligence ou du
nez, ou rien de tout cela, la broche tourne, et le
souper sera toujours à peu près bon. »
On disoit d'un certain homme qui répétoit à
différentes personnes le bien qu'elles disoient Tune
de l'autre, qu'il étoit tracassier en bien.
M. Harris, fameux négociant de Londres, se
trouvant à Paris dans le cours de l'année 1786, à
l'époque de la signature du traité de commerce,
disoit à des François : « Je crois que la France n'y
perdra un million sterling par an que pendant les
ANECDOTES ET BONS MOTS l63
vingt-cinq ou trente premières années, mais qu'en-
suite la balance sera parfaitement égale. »
Un homme d'esprit ayant lu les petits traités de
M. d'Alembert sur l'élocution oratoire, sur la poé-^
sie, sur l'ode, on lui demanda ce qu'il en pensoit.
Il répondit : « Tout le monde ne peut pas être
sec. »
Un François avoit été admis à voir le cabinet
du roi d'Espagne. Arrivé devant son fauteuil et
son bureau: « C'est donc ici, dit -il, que ce
grand roi travaille ? — Comment, travaille ! dit le
conducteur; quelle insolence ! ce grand roi tra--
vailler! Vous venez ici pour insulter Sa Majesté! »
Il s'engagea une querelle où le François eut beau-,
coup de peine à faire entendre à l'Espagnol qu'on
n'avoit pas eu l'intention d'offenser la majesté de
son maître.
Le roi et la reine de Portugal étoient à Belem,
pour aller voir un combat de taureaux, le jour du
tremblement de terre de Lisbonne : c'est ce qui les
sauva; et une chose avérée et qui m'a été garan-
tie par plusieurs François alors en Portugal, c'est
que le roi n'a jamais su l'énormité du désastre. On
lui parla d*abord de quelques maisons tombées,
ensuite de quelques églises, et, n'étant jamais re-
164 PORTRAITS ET CARACTÈRES
venu à Lisbonne, on peut dire qu'il est le seul
homme de TEurope qui ne se soit pas fait une vé-
ritable idée du désastre arrivé à une lieue de lui.
Un homme étoit abandonné des médecins; on
demanda à M. Tronchin s'il falloit lui donner le
viatique. « Cela est bien collant, » répondit-il.
M. de Choiseul-Gouffier voulant faire, à ses
frais, couvrir de tuiles les maisons de ses paysans,
exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa
bonté, et le prièrent de laisser leurs maisons comme
elles étoient, disant que, si leurs maisons étoient
couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdé-
légués augmenteroient leurs tailles.
M. de Turenne dînant chez M. de LamoignoRy
celui-ci lui demanda si son intrépidité n'étoit pas
ébranlée au commencement d'une bataille. « Oui,
dit M. de Turenne, j'éprouve une grande agita-
tion; mais il y a dans l'armée plusieurs officiers
subalternes et un grand nombre de soldats qui
n'en éprouvent aucune. »
M. Turgot , qu'un de ses amis ne voyoit plus de-
puis longtemps, dit à cet ami, en le retrouvant : a De-
puis que je suis ministre, vous m'avez disgracié. »
ANECDOTES ET BONS MOTS l65
La comtesse de Boufflers disoit au prince de
Conti qu'il étoit le meilleur des tyrans.
« Malgré toutes les plaisanteries qu'on rebat
sur le mariage, disoit M. c, je ne vois pas ce qu'on
peut dire contre un homme de soixante ans qui
épouse une femme de cinquante-cinq. »
D'Alembert se trouva chez Voltaire avec un cé-
lèbre professeur de droit à Genève. Celui-ci, ad-
mirant l'universalité de Voltaire, dit à d'Alembert':
« Il n'y a qu'en droit public que je le trouve un
peu foible. — Et moi, dit d'Alembert, je ne le
trouve un peu foible qu'en géométrie. »
M. de Calonne, voulant introduire des femmes
dans son cabinet, trouva que la clef n'entroit point
dans la serrure. Il lâcha un f... d'impatience, et,
sentant sa faute : « Pardon, Mesdames, dit-il; j'ai
bien fait des affaires dans ma vie, et j'ai vu qu'il
n'y a qu'un mot qui serve. » En effet, la clef entra
tout de suite.
Un homme qui avoit refusé d'avoir madame
de S..., disoit : « A quoi sert l'esprit, s'il ne sert
à n'avoir point madame de S...? »
M..., qui aimoit beaucoup les femmes, me di-
l66 PORTRAITS ET CARACTERES
soit que leur commerce lui étoit nécessaire pour
tempérer la sévérité de ses pensées et occuper la
sensibilité de son âme. « J'ai, disoit-il, du Tacite
dans la tête et du Tibulle dans le cœur. »
M... disoit, à propos de sottises ministérielles
et ridicules : « Sans le gouvernement, on ne riroit
plus en France. »
Dans le temps qu'il y avoit des jansénistes, on
les distinguoit à la longueur du collet de leur
manteau. L'archevêque de Lyon avoit fait plu-
sieurs enfans; mais, à chaque équipée de cette
espèce , il avoit soin de faire allonger d'un pouce
le collet de son manteau. Enfin le collet s'allongea
tellement qu'il a passé quelque temps pour jansé-
niste et a été susçect à la cour.
On se souvient encore de la ridicule et excessive
vanité de l'archevêque de Reims, Le Tellier-Lou-
vois, sur son rang et sur sa naissance; on sait
combien, de son temps, elle étoit célèbre dans
toute la France. Voici une des occasions où elle
se montra tout entière le plus puissamment. Le
duc d'A..., absent de la cour depuis plusieurs
années, revenu de son gouvernement de Berry,
alloit à Versailles. Sa voiture versa et se rompit.
Il faisoit un froid très-aigu. On lui dit qu'il falloit
ANECDOTES ET BONS MOTS 167
deux heures pour la remettre en état. Il vit< un
relais et demanda pour qui c'étoit. On lui dit que
c'étoit pour Tarchevêque de Reims, qui alloit à
Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui,
n'en réservant qu'un auquel il recommanda de ne
point paroître sans son ordre. L'archevêque arrive.
Pendant qu'on atteloit, le duc charge un des gens
de l'archevêque de lui demander une place pour
un honnête homme dont la voiture vient de se
briser, et qui est condamné à attendre deux heures
qu'elle soit rétablie. Le domestique va et fait la
commission. « Quel homme est-ce? dit l'arche-
vêque. Est-ce quelqu'un comme il faut? — Je le
crois, Monseigneur; il a un air bien honnête. —
Qu'appelles-tu honnête? Est-il bien mis? — Mon-
seigneur, simplement, mais bien. — A-t-il des
gens? — Monseigneur, je l'imagine. — Va-t'en
le savoir. » Le domestique va et revient. « Mon-
seigneur, il les a envoyés devant à Versailles. —
Ah ! c'est quelque chose, mais ce n'est pas tout.
Demande-lui s'il est gentilhomme. » Le laquais
va et revient. « Oui, Monseigneur, il est gentil-
homme. — A la bonne heure! Qu'il vienne, et
nous verrons ce que c'est. » Le duc arrive, salue.
L'archevêque fait un signe de tête, se range à
peine pour faire une petite place dans sa voiture.
Il voit une croix de Saint-Louis. « Monsieur, dil-
il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre;
l68 PORTRAITS ET CARACTERES
mais je ne pouvois donner une place dans ma voi-
ture à un homme de rien : vous en conviendrez.
Je sais que vous êtes gentilhomme. Vous avez
servi, à ce que je vois? — Oui, Monseigneur. —
Et vous allez à Versailles? — Oui, Monseigneur.
— Dans les bureaux apparemment? — Non, je
n'ai rien à faire dans les bureaux. Je vais remer-
cier... — Qui? M. de Louvois? — Non, Mon-
seigneur, le roi. — Le roi ! [Ici l'archevêque se re-
cule et fait un peu de place.) Le roi vient donc de
vous faire quelque grâce toute récente ? — Non,
Monseigneur : c'est une longue histoire. — Contez
toujours. — C'est qu'il y a deux ans j'ai marié
ma fille à un homme peu riche... {l'archevêque re-
prend un peu de l'espace qu'il a cédé dans la voiture)
mais d'un très-grand nom. » [L'archevêque recède
la place.) Le duc continue : « Sa Majesié avoit
bien voulu s'intéresser à ce mariage... [l'archevêque
fait beaucoup de place) et avoit même promis à
mon gendre le premier gouvernement qui vaque-
roit. — Comment donc ! Un petit gouvernement^
sans doute ? De quelle ville ? — Ce n'est pas d'une
ville, Monseigneur : c'est d'une province. — D'une
province. Monsieur ! crie l'archevêque en reculant
dans l'angle de sa voiture, d'une province! —
Oui, et il va y en avoir un de vacant. — Lequel
donc? — Le mien, celui de Berry, que je veux
faire passer à mon gendre. — Quoi ! Monsieur...
ANECDOTES ET BONS MOTS 169
VOUS êtes gouverneur du...? Vous êtes donc le
duc de...? » Et il veut descendre de sa voiture.
« Mais, monsieur le duc, que ne parliez -vous?
Mais cela est incroyable ! mais à quoi m'exposez-
vous? Pardon de vous avoir fait attendre... Ce
maraud de laquais qui ne me dit pas... Je suis
bien heureux encore d'avoir cru, sur votre parole,
que vous étiez gentilhomme : tant de gens le
disent sans l'être ! Et puis ce d'Hozier est un fri-
pon. Ah ! monsieur le duc, je suis confus. — Re-
mettez-vous, Monseigneur. Pardonnez à votre
laquais : il s'est contenté de vous dire que j'étois
un honnête homme; pardonnez à d'Hozier, qui
vous exposoit à recevoir dans votre voiture un
vieux militaire non titré; et pardonnez-moi aussi
de n'avoir pas commencé par faire mes preuves
pour monter dans votre carrosse. »
M de Fronsac alla voir une mappemonde que
montroil l'artiste qui l'avoit imaginée. Cet homme,
ne le connoissant pas et lui voyant une croix de
Saint-Louis, ne l'appeloit que M. le chevalier. La
vanité de M. de Fronsac, blessé de ne pas être
appelé duc, lui fit inventer une histoire dont un
des interlocuteurs, un de ses gens, l'appeloit mon-
seigneur. M. de Genlis l'arrête à ce mot, et lui
dit : « Qu'est-ce que tu dis là ? Monseigneur ! On
va te prendre pour un évêque. »
22
lyo PORTRAITS ET CARACTÈRES
Les grands vendent toujours leur société à la
vanité des petits.
On pressoit l'abbé Vatri de solliciter une place
vacante au Collège royal. « Nous verrons cela, »
dit-il. Et il ne sollicita point. La place fut donnée
à un autre. Un ami de Tabbé court chez lui. a Eh
bien 1 voilà comme vous êtes 1 Vous n'avez point
voulu solliciter la place : elle est donnée. — Elle
€St donnée ? reprit-il ; eh bien ! je vais la demander.
— Êtes-vous fou ? — Parbleu ! non ; j'avois cent
concurrens, je n'en ai plus qu'un. » Il demanda la
place et l'obtint.
M. de Vaudreuil se plaignoit à C... de son peu
de confiance en ses amis. « Vous n'êtes point
riche, lui disoit-il, et vous oubliez notre amitié.
— Je vous promets, répondit C..., de vous em-
prunter vingt-cinq louis quand vous aurez payé
vos dettes. »
«
Le feu prince de Conti, ayant été très-maltraité
de paroles de Louis XV, conta cette scène dé-
sagréable à son ami le lord Tirconnel, à qui il
demandoit conseil. Celui-ci, après avoir rêvé, loi
dit naïvement : « Monseigneur, il ne seroit pas
impossible de vous venger, si vous aviez de l'ar-
gent et de la considération. »
ANECDOTES ET BONS MOTS. I7I
Un des parens de M. de Vergennes lui deman-
<loit pourquoi il avoit laissé arriver au ministère de
Paris le baron de Breteuil, qui étoit dans le cas de
lui succéder. « C*est que , dit-il , c'est un homme
qui, ayant toujours vécu dans le pays étranger,
n'est pas connu ici; c'est qu'il a une réputation
usurpée , que quantité de gens le croient digne du
ministère. Il faut les détromper, le mettre en évi-
<lence et faire voir ce que c'est que le baron de
Breteuil. »
Un homme d'esprit définissoit Versailles un
pays où, en descendant, il faut toujours paroître
monter, c'est-à-dire s'honorer de fréquenter ce
qu'on méprise.
M. Lemierre a mieux dit qu'il ne vouloit en di-
sant qu'entre sa Veuve du Malabar , jouée en 1 770,
et sa Veuve du Malabar, jouée en 1781, il y avoit
la différence d'une falourde à une voie de bois.
C'est en effet le bûcher perfectionné qui a fait le
succès de la pièce.
Collé avoit placé une somme d'argent considé*
rable, à fonds perdus et à dix pour cent, chez un
financier qui, à la seconde année, ne lui avoit pas
encore donné un sou. « Monsieur, lui dit Collé
dans une visite qu'il lui fit, quand je place mon
1^2 PORTRAITS ET CARACTERES
argent en viager, c'est pour être payé de mon
vivant. »
Un homme buvoit à table d'excellent vin san$
le louer. Le maître de la maison lui en fît servir
de très-médiocre. « Voilà de bon vin ! » dit le
buveur silencieux. « C'est du vin à dix sous, dit le
maître, et l'autre est un vin des dieux. — Je Iç
sais, reprit le convive ; aussi ne Tai-je pas loué :
c'est celui-ci qui a besoin de recommandation. »
On disoit au satirique anglois Donne : « Tonnez
sur les vices, mais ménagez les vicieux. — Com-
ment! dit-il, condamner les cartes et pardonner
aux escrocs ? »
L'abbé Maury, allant chez le cardinal de La
Roche-Aymon , le rencontra revenant de Tassem*
blée du clergé. Il lui trouva de l'humeur et lui en
demanda les raisons, a J'en ai de bien bonnes, dit
le vieux cardinal; on m'a engagé à présider cette
assemblée du clergé, où tout s'est passé on ne
sauroit plus mal. Il n'y a pas jusqu'à ces jeunes
gens du clergé , cet abbé de La Luzerne , qui ne
veulent pas se payer de mauvaises raisons. »
M... me disoit : « Toutes les fois que je vais
chez quelqu'un, c'est une préférence que je lui
ANECDOTES ET BONS MOTS lyS
donne sur moi ; je ne suis pas assez désœuvré
pour y être conduit par un autre motif. »
Un homme épris des charmes de l'état de prê- /
trise disoit : « Quand je devrois être damné, il
faut que je me fasse prêtre. »
Diderot , s'étant aperçu qu'un homme à qui il
prenoit quelque intérêt avoit le vice de voler et
l'avoit volé lui-même, lui conseilla de quitter ce
pays-ci. L'autre profita du conseil, et Diderot
n'en entendit plus parler pendant dix ans. Après
dix ans, un jour, il entend tirer sa sonnette avec
violence. Il va ouvrir lui-même, reconnoît son
homme, et d'un air étonné il s'écrie : « Ah ! ah !
c'est vous ! » Celui-ci lui répond : « Ma foi, il ne
s'en est guère fallu. » Il avoit démêlé que Diderot
s'étonnoii qu'il ne fût pas pendu.
M. de Voltaire, étant à Potsdam, un soir, après
souper, fit un portrait d'un bon roi en contraste
avec celui d'un tyran, et, s'échauffant par degrés,
il fit une description épouvantable des malheurs
dont l'humanité étoit accablée sous un roi despo-
tique, conquérant, etc. Le roi de Prusse, ému,
laisse tomber quelques larmes. « Voyez ! voyez î
s'écria M. de Voltaire, il pleure, le tigre ! »
iy4 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Vaucanson s'étoit trouvé l'objet principal
des attentions d'un prince étranger, quoique M. de
Voltaire fût présent. Embarrassé et honteux que ce
prince n'eût rien dit à Voltaire, il s'approcha de ce
dernier et lui dit : « Le prince vient de me dire
telle chose » (un compliment très-flatteur poui
Voltaire). Celui-ci vit bien que c'étoit une poli-
tesse de Vaucanson, et lui dit : « Je reconnois
tout votre talent dans la manière dont vous faites
parler le prince. »
M. d'Autrey disoit de M. de Ximenès : « C'est
un homme qui aime mieux la pluie que le beau
temps, et qui, entendant chanter le rossignol, dit ;
« Ah ! la vilaine bête ! »
* L'abbé de Tencin étoit accusé d'un marché si-
moniaque. Aubri, avocat adverse, ayant paru foiblir
dans ses allégations, l'avocat de l'abbé redoubla
ses clameurs. Aubri joua l'embarras. L'abbé, qui
étoit présent, crut faire merveille de saisir ce mo-
ment pour achever de confondre la calomnie,
offrant de s'en purger par serment. Alors Aubri
l'arrêta, dit qu'il n'en étoit pas besoin, et produisit
le marché en original. Huées, clameurs, etc.
L'abbé parvint à s'évader et partit pour l'ambas-
sade de Rome.
ANECDOTES ET BONS MOTS Ijy
*M. de Silhouette, renvoyé, étoit accablé de sa
disgrâce, et surtout des suites qu'elle pouvoit avoir.
Ce qu'il redoutoit le plus, c'étoit les chansons.
Un jour, après dîner (et il n'avoit rien dit à table),
il s'approche tremblant d'une femme en qui il
avoit confiance, et lui dit: «Parlez-moi vrai, n'y
a-t-il pas de chansons ? »
LE
MARCHAND DE SMYRNE
COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE
Représentée pour la première fois
le 26 janvier 1770.
Chamfort. ÎI. 2 3
PERSONNAGES.
HASSAN, Turc habitant de Smyrne.
ZAYDE, femme de Hassan.
DORNAL, Marseillois.
AMÉLIE, promise à Dornal.
KALED, marchand d'esclaves.
NÉBI, Turc
FATMÉ, esclave de Zayde.
ANDRÉ, domestique de Dornal.
Un Espagnol.
Un Italien.
Un Vieillard turc, esclave.
La scène est à Smyrne, dans un jardin commun à Hassan
et à Kaled, dont les deux maisons sont en regard sur U
bord de la mer»
LE MARCHAND
DE SMYRNE
SCÈNE PREMIÈRE.
HASSAN, s™/.
On dit que le mal passé n'est qu'un songe ; c'est
bien mieux : il sert à faire sentir le bonheur pré-
sent. Il j a deux ans que j'étois esclave chez les
chrétiens, à Marseille, et il y a un an aujourd'hui,
jour pour jour, que j'ai épousé la plus jolie fille Je
Stnyrne. Cela lait une différence. Quoique bon
musulman, je n'ai qu'une femme. Mes voisins en
ont deux, quatre, cinq, six, et pourquoi faire? ..
La loi le permet... heureusement elle ne l'ordonne
pas. Les François ont raison de n'en avoir qu'uile;
je ne sais pas s'ils l'aimeni. J'aime beaucoup la
l8o LE MARCHAND DE SMYRNE
mienne, moi. Mais elle tarde bien à venir prendre
le frais. Je ne la gêne pas. Il ne faut pas gêner les
femmes : on m'a dit en France que cela portoit
malheur... La voici.
SCENE II.
HASSAN, ZAYDE.
Hassan.
Vous êtes descendue bien tard, ma chère Zayde?
Zayde.
•le me suis amusée à voir, du haut de mon pa-
villon , les vaisseaux rentrer dans le port. J'ai cru
remarquer plus de tumulte qu'à l'ordinaire. Seroit-
ce que nos corsaires auroient fait quelque prise?
Hassan.
Il y a long-temps qu'ils n'en ont fait, et, en
vérité , je n'en suis pas fâché. Depuis qu'un chré-
tien m'a délivré d'esclavage et m'a rendu à ma
chère Zayde, il m'est impossible de les haïr.
Zayde.
Et pourquoi les haïr? Parce qu'ils ne connoissent
pas notre saint prophète? Ne sont-ils pas assez à
plaindre? D'ailleurs je les aime, moi; il faut que
ce soient de bonnes gens, ils n'ont qu'une femme :
je trouve cela très-bien.
SCÈNE II l8l
Hassan, souriant.
Oui, mais en récompense...
Zayde.
Quoi?
Hassan.
Rien. {A part.) Pourquoi lui dire cela' C'est
détruire une idée agréable. [Tout haut.) J'ai fait
vœu d'en délivrer un tous les ans. Si nos gens
avoient fait quelques esclaves aujourd'hui, qui est
précisément l'anniversaire de mon mariage , je
croirois que le Ciel bénit ma reconnoissance.
Zayde.
Que j'aime votre libérateur sans le connoître!
Je ne le verrai jamais... je ne le souhaite pas au
moins.
Hassan.
Son image est à jamais gravée dans mon cœur.
Quelle âme!... Si vous aviez vu... On rachetoit
quelques-uns de nos compagnons; j'étois couché à
terre ; je songeois à vous , et je soupirois. Un
chrétien s'avance et me demande la cause de mes
larmes. « J'ai été arraché , lui dis-je , à une maî-
tresse que j'adore; j'étois près de l'épouser, et je
mourrai loin d'elle, faute de deux cents sequins. »
A peine eus-je dit ces mots, des pleurs roulèrent
dans ses jeux. « Tu es séparé de ce que tu aimes !
dit-il; tiens, mon ami, voilà deux cents sequins;
retourne chez toi, sois heureux, et ne hais pas les
182 LE MARCHAND DE SMYRNE
chrétiens. » Je me lève avec transport, je retombe
à ses pieds, je les embrasse; je prononce votre
nom avec des sanglots ; je lui demande le sien
pour lui faire remettre son argent à mon retour.
« Mon ami, me dit-il en me prenant par la main ,
j'ignorois que tu pusses me le rendre, j'ai cru faire
une action honnête : permets qu'elle ne dégénère
pas en simple prêt, en échange d'argent. Tu igno-
reras mon nom. )> Je rettai confondu, et il m'ac-
compagna jusqu'à la chaloupe, où nous nous sé-
parâmes les larmes aux yeux.
Zayde.
Puisse le ciel le bénir à jamais ! Il sera heureux,
sans doute, avec une âme si sensible!
Hassan.
Il étoit près d'épouser une jeune personne qu'il
devoit aller chercher à Malte. •
Zayde.
Comme elle doit l'aimer!
SCÈNE IIL
HASSAN, ZAYDE, FATMÉ.
Zayde.
Fatmé, que viens-tu donc nous annoncer? Tu
parois hors d'haleine.
SCÈNE III i83
Fatme.
Il vient d'arriver des esclaves chrétiens. Cet Ar-
ménien dont vous êtes fâché d'être le voisin, et
que vous méprisez tant parce qu'il vend des hom-
mes^ en a acheté une douzaine, et en a déjà vendu
plusieurs.
Hassan.
Voici donc le jour où je vais remplir mon vœu!
J'aurai le plaisir d'être libérateur à mon tour.
Zayde.
Mon cher Hassan , sera-ce une femme que vous
délivrerez?
Hassan, souriant.
Pourquoi? Cela vous inquiète ; vous craignez
que l'exemple...
Zayde.
Non, je suis sans alarmes. J'espère que vous ne
me donnerez jamais un si cruel chagrin. Vous ne
m'entendez pas. Sera-ce un homme?
Hassan.
Sans doute.
Zayde.
Pourquoi pas une femme?
Hassan.
C'est un homme qui m'a délivré.
Zayde.
C'est une femme que vous aimez.
1^4 l£ marchand de smyrne
Hassan.
Oui... Mais, Zayde, un peu de conscience. Un
pauvre homme en esclavage est bien malheureux ;
au lieu qu'une femme, à Smyrne, à Constantinople»
à Tunis, en Alger, n'est jamais à plaindre. La
beauté est toujours dans sa patrie. Allons, ce sera
un homme si vous voulez bien.
Zayde.
Soit, puisqu'il le faut.
Hassan.
Adieu. Je me hâte d'aller chercher ma bourse;
il ne faut pas qu'un bon musulman paroisse devant
un Arménien sans argent comptant, et surtout de-
vant un avare comme celui-là.
SCÈNE IV.
ZAYDE, FATMÊ.
Zayde.
Mon mari a quelque dessein, ma chère Fatmé;
il me prépare une fête. Je fais semblant de ne pas
m'en apercevoir, comme cela se pratique. Je veux
le surprendre aussi, moi. J'entends du bruit : c'est
sûrement Kaled avec ses esclaves. Je ne veux pas
voir ces malheureux : cela m'attendriroit trop. Suis-
moi et exécute fidèlement mes ordres.
SCÈNE V l83
SCÈNE V.
KALED, DORNAL, AMÉLIE, ANDRÉ;
UN ESPAGNOL, UN ITALIEN, enchaînés.
Kaler
Jamais on ne s'est si fort empressé d'acheter ma
marchandise. On voit bien qu'il y a long-temps
qu'on n'avoit fait d'esclaves; il falloit qu'on fût en
paix : cela étoit bien malheureux.
DORNAL.
O désespoir ! la veille d'un mariage , ma chère
Amélie !
Kaled, regardant autour de lui.
Qu'est-ce que c'est ? On dit qu'il y a des pays
où l'on ne connoît point l'esclavage... Mauvais
pays. Aurois-je fait fortune là? J'ai déjà fait de
bonnes affaires aujourd'hui; je me suis débarrassé
de ce vieil esclave qui tiroit de ses poches de
vieilles médailles de cuivre toutes rouillées, qu'il
regardoit attentivement. Ces gens-là sont d'une
dure défaite. J'y ai déjà été pris. Je ne suis pas
fâché non plus d'être délivré de ce médecin fran-
çois. Rentrons. Avancez. Qu'est-ce qui arrive?
24
l86 LE MARCHAND DE SMYRNE
c'est Nébi; il a Tair furieux. Seroit-il mécontent
de son emplette?
SCÈNE VI.
. LES ACTEURS PRÉCÉDENS, NËBI.
NÉBI.
Kaled, je viens vous déclarer qu'il faut vous ré-
soudre à reprendre votre esclave, à me rendre mon
argent, ou à paroître devant le cadi.
Kaled.
Pourquoi donc ? de quel esclave parlez-vous ?
est-ce de cet ouvrier, de ce marchand ? Je consens
à les reprendre.
NÉBI.
Il s'agit bien de cela! Vous faites l'ignorant :
je parle de votre médecin françois. Rendez-moi
mon argent, ou venez chez le cadi.
Kaled.
Comment? Qu'a-t-il donc fait?
NÉBI.
Ce qu'il a fait ? J'ai dans mon sérail une jeune
Espagnole, actuellement ma favorite; elle est in-
commodée. Savez-vous ce qu'il lui a ordonné?
Kaled.
Ma foi, non.
SCÈNE VI 187
NÉBI.
L*air natal. Cela ne m'arrange -t-il pas bien,
moi?
Kaled.
Ehl... l'air natal... Quand je vais dans mon
pays, je me porte bien.
NÉBI.
Quel médecin ! Apparemment que ses malades ne
guérissent qu'à cinq cents lieues de lui! L'igno-
rant! Il a bien fait d'éviter ma colère; il s'est enfui
dans mes jardins : mais mes esclaves le poursuivent
et vont vous l'amener. Mon argent, mon argent!
Kaled.
Votre argent ? Oh ! le marché est bon : il tiendra.
NÉBI.
Il tiendra ! Non , par Mahomet ! J'obtiendrai
justice cette fois-ci. Vous vous êtes prévalu du be-
soin que j'avois d'un médecin. C'est bien malgré
moi que j'ai eu recours à vous; mais je n'en serai
plus la dupe. Vous croyez que cela se passera
comme i'année dernière, quand vous m'avez vendu
ce savant.^
Kaled.
Quel savant?
NÉBI.
Oui, oui, ce savant qui ne savoit pas distinguer
du maïs d'avec du blé , et qui m'a fait perdre six
l88 LE MARCHAND DE SMYRNE
cents sequins pour avoir ensemencé ma terre sui-
vant une nouvelle méthode de son pays.
Kaled.
Eh bien ! est-ce ma faute, à moi? Pourquoi faites-
vous ensemencer vos terres par des savans? Est-ce
qu'ils y entendent rien? N*avez-vous pas des labou-
reurs? Il n*y a qu'à les bien nourrir et les faire
travailler. Regardez-le donc avec ses savansf
Nebi.
Et cet autre que vous m'avez vendu au poids de
l'or, qui disoit toujours : De qui est-il fils^ de qui
est-il fils ? et quel est le père, et le grand-père, et U
bisaïeuU II appeloit cela, je crois, être généalo-
giste. Ne vouloit-il pas me faire descendre, moi^
du grand vizir Ibrahim !
Kaled.
Voyez le grand malheur! Quel tort cela vous
fait-il? Autant vaut descendre d'Ibrahim que d'ua
autre.
NÉBI.
Vraiment, je le sais bien; mais le prix...
Kaled.
Eh bien 1 le prix ! Je vous l'ai vendu cher. Ap-
paremment qu'il m'avoit aussi coûté beaucoup. Il
y a long-temps de cela ; Je n'étois point alors au
fait de mon commerce. Pouvois-je deviner que
ceux qui me coûtent le plus sont les plus inutiles ?
SCÈNE VI 189
NÉBI.
Belîe raison! Cela est -il vraisemblable? est- il
possible qu'il y ait un pays où Ton soit assez
dupe... Excuse de fripon, excuse de fripon. Je ne
m'étonne pas si on fait des fortunes.
Kaled.
Excuse de fripon! des fortunes! Vraiment oui,
des fortunes! Ne croit-il pas que tout est profit?
Et les mauvais marchés qui me ruinent? N'ont-ils
pas cent métiers où l'on ne comprend rien? Et
quand j'ai acheté ce baron allemand dont je n'ai
jamais pu me défaire, et qui est encore là-dedans
à manger mon pain? Et ce riche Anglois qui voya-
geoit pour son spleen, dont j'ai refusé cinq cents
sequins, et qui s'est tué le lendemain à ma vue, et
m'a emporté mon argent? Cela ne fait-il pas sai-
gner le cœur? Et ce docteur, comme on Tappeloit,
croyez-vous qu'on gagne là-dessus? Et, à la dernière
foire de Tunis, n'ai-je pas eu la bêtise d'acheter
un procureur et trois abbés, que je n'ai pas daigné
exposer sur la place, et qui sont encore chez moi
avec le baron allemand?
NÉBI.
Maudit infidèle ! tu crois m'en imposer par des
clameurs; mais le cadi me fera justice.
Kaled.
Je ne vous crains pas; le cadi est un homme
juste, intelligent, qui soutient le commerce, qui
190 LE MARCHAND DE SMYRNE
sait très-bien que celui des esclaves va tomber,
parce que tous ces gens-là valent moins de jour un
jour.
NÉBI.
Ah çà! une fois, deux fois, voulez-vous repren-
dre votre médecin?
Kaled.
Non, ma foi.
NÉBI.
Eh bien! nous allons voir!
Kaled.
A la bonne heure !
SCÈNE VII.
KALED, LES ESCLAVES.
Kaled, aux esclaves.
Eh bien ! vous autres, vous voyez combien on a
de peine à vous vendre. Quel diable d'homme ! il
m'a mis hors de moi. Il n'y a pas d'apparence
qu'il me vienne d'acheteurs aujourd'hui; rentrons.
Qui est-ce que j'entends? Est-ce un chaland?
SCÈNE VIII 191
SCÈNE VIII.
UN VIEILLARD TURC,
LES ACTEURS PRÉCÉDENS.
Kaled.
Bon! ce n'est rien. C'est un esclave d'ici près.
Le Vieillard.
Bonjour, voisin : est-ce là votre reste?
Kaled.
Ne m'arrête pas, tu ne m'achèteras rien.
Le Vieillard.
Je n'achèterai rien? Oh! vous allez voir,
Kaled.
Que veut-il dire?
DoRNAL, à part
Je tremble.
Le Vieillard.
Avez-vous bien des femmes? C'est une femme
que je veux.
Kaled.
Quel gaillard, à son âge!
Le Vieillard.
Eh! il n'y en a qu'une?
Kaled.
Encore n'est-elle pas pour toi.
192 LE MARCHAND DE SMYRNE
Le ViEILLAREt
Pourquoi donc cela?
Kaled.
Je l'ai refusée à de plus riches.
Le Vieillard.
Vous me la vendrez.
Kaled.
Oui ! oui !
DORNAU
Seroit-il pojsible! Quoi! ce misérable...
Le Vieillard,
Combien vaut-elle?
Kaled.
Quatre cents sequins.
Le Vieillard.
Quatre cents sequins ! C'est bien cher.
Kaled.
Oh! dame! c'est une Françoise : cela se vend
bien; tout le monde m'en demande.
Le Vieillard.
Voyons-la.
Kaled.
Oh ! elle est bien.
Le Vieillard,
Elle baisse les yeux, elle pleure, elle me touche.
C'est pourtant une chrétienne : cela est singulier.
Trois cent cinquante!
SCÈNE viir 1^3
Kaled
Pas un de moins.
Le Vieillard.
Les voilà.
Emmenez.
Kaled*
DORNAL.
Arrêtez... O ma chère Amélie!
Kaled.
Ne vas-tu pas m*empêcher de vendre? Vraiment,
je n'aurai pas assez de peine à me défaire de toi !
Vous autres François, les maris de ce pays-ci ne
-vous achètent point. Vous êtes toujours à rôder
autour des sérails, à risquer le tout pour le tout.
DORNAL.
Vieillard , vous ne paroissez pas tout à fait in-
sensible ; laissez-vous toucher. Peut-être avez-vous
une femme, des enfants?
Le Vieillard.
Moi, non.
Dornal.
Par tout ce que vous avez de plus cher, ne
nous séparez pas ! Cest ma femme.
Le Vieillard.
Sa femme? Cela est fort différent; mais, vrai-
ment, Kaled, si c'est sa femme, vous me surfaites.
Dornal.
Pour toute grâce, achetez-moi du moins avec
fille.
Chamfort. II. 2 5
194 le marchand de smyrne
Le Vieillard.
Hélas! mon ami, je le voudrois bien; mais je
n'ai besoin que d'une femme.
DORNAL.
Je vous servirai fidèlement.
Le Vieillard.
Tu me serviras ! Je suis esclave.
Kaled.
Est-ce que tu les écoutes?
André.
Mes pauvres maîtres!
Amélie.
O mon ami, quel sort !
DORNAL.
Ne Tachetez pas. Quelque homme riche nous
achètera peut-être ensemble.
Le Vieillard.
C'est bien ce qui pourroit t'arriver de pis : il
t'en feroit le gardien.
DoRNAL, à Kaled,
Ne pouvez-vous différer de quelques jours?
Kaled.
Différer ! On voit bien que tu n'entends rien au
commerce. Est-ce que je le puis? Je trouve mon
profit, je le prends.
DoRNAL.
O Ciel! se peut-il?... Mais que dirai-je pour
SCENE VIII 1^5
attendrir un pareil homme? Quel métier! quelles
âmes ! Trafiquer de ses semblables !
Kaled.
Que veut-il donc dire? Ne vendez-vous pas des
nègres? Eh bien! moi, je vous vends... N'est-ce
pas la même chose? Il n'y a jamais que la diffé-
rence du blanc au noir.
Le Vieillard.
En vérité, je n'ai pas le courage...
Kaled.
Allons, toi, ne vas-tu pas pleurer aussi? Je garde
ton argent; emmène ta marchandise, si tu veux.
Il se fait tard.
Amélie.
Adieu, mon cher Dornal !
DORNAL.
Chère Amélie !
Amélie.
Je n'y survivrai pas !
Kaled.
Cela ne me regarde plus.
Dornal.
J'en mourrai.
Kaled.
Tout doucement, toi, je t'en prie ; ce n'est pas
là mon compte. [Kepoussant Dornal.) Ne vas-tu
pas faire comme l'Anglois?
196 LE MARCHAND DE SMYRNE
DORNAL.
Ah! Dieu! faut-il que je sois enchaîné!...
André.
O ma chère maîtresse!
SCÈNE IX.
KALED, DORNAL, ANDRÉ, L'ESPAGNOL,
L'ITALIEN.
Kaled.
M'en voilà quitte pourtant; Je suis bien heureux
d'avoir un cœur dur: j'aurois succombé. Ma foi,
sans son argent comptant, il ne l'auroit jamais
emmenée, tant je m'en sentois ému. Diable! si je
m'étois attendri, j'aurois perdu quatre cents se-
quins. {Il compte ses esclaves,) Un, deux... Il n'y
en a plus que quatre. Oh ! je m'en déferai bien.
SCÈNE X.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, HASSAN.
Hassan , à Kaled.
Eh bien ! voisin, comment va le commerce?
SCENE X 197
Kaled.
Fort mal, le temps est dur. [A part.) Il faut
toujours se plaindre.
Hassan.
Voilà donc ces pauvres malheureux ! Je ne puis
les délivrer tous : j'en suis bien fâché. Tâchons au
moins de bien placer notre bonne action. C'est un
devoir que cela, c'est un devoir. [A l'Espagnol.)
De quel pays es-tu, toi? Parle. Tu as Tair bien
haut... Parle donc...
L'Espagnol.
Je suis gentilhomme espagnol.
Hassan.
Espagnols ! braves gens ! un peu fiers, à ce qu'on
m'a dit en France... Ton état?
L'Espagnol.
Je vous l'ai déjà dit : gentilhomme.
Hassan.
Gentilhomme ! je ne sais pas ce que c'est. Que
fais-tu ?
Hassan.
Rien.
Hassan.
Tant pis pour toi, mon ami; tu vas bien t'en-
nuyer. [A Kaled.) Vous n'avez pas fait une trop
bonne empiète.
Kaled.
Ne voilà-t-il pas que je suis encore attrapé ?
-< *
j-j •* - j
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198 LE MARCHAND DE SMYRNE
Gentilhomme, c'est sans doute comme qui diroit
baron allemand. C'est ta faute aussi : pourquoi
vas-tu dire que tu es gentilhomme? Je ne pourrai
jamais me défaire de toi.
Hassan, à Vltalitn.
Et toi , qui es-tu avec ta jaquette noire ? Ton
pays?
L'Italien.
Je suis de Padoue.
Hassan.
Padoue? Je ne connois pas ce pays-là... Ton
métier?
L'Italien.
Homme de loi.
Hassan.
Fort bien. Mais quelle est ta fonction particu-
lière ?
L'Italien.
De me mêler des affaires d'autrui pour de l'ar-
gent, de faire souvent réussir les plus désespérées,
ou du moins de les faire durer dix ans, quinze ans,
vingt ans.
Hassan.
Bon métier! et dis-moi, rends-tu ce beau service
à ceux qui ont tort, à ceux qui ont raison, indiffé-
remment ?
L'Italien.
Sans doute; la justice est pour tout le monde.
SCÈNE X 199
Hassan, riant.
Et on souffre cela à Padoue?
L'Italien.
Assurément.
Hassan.
Le drôle de pays que Padoue ! Il se passera
bien de toi, je m'imagine. {A André.) Et toi, qui
es-tu?
André.
Moins que rien. Je suis un pauvre homme.
Hassan.
Tu es pauvre ? Tu ne fais donc rien ?
André.
Hélas ! je suis fils d'un paysan : je Tai été moi-
même.
Kaled.
Bon ! c'est sur ceux-là que je me sauve.
André.
Je me suis ensuite attaché au service d'un bon
maître, mais qui est plus malheureux que moi.
Hassan.
Cela se peut bien : il ne sait peut-être pas la-
bourer la terre. Mais c'est l'habit françois que tu
as là?
André.
Je le suis aussi.
Hassan.
Tu es François ! Bonnes gens que les François !
200 LE MARCHAND DE SMYRNE
Ils ne haïssent personne. Tu es François, mon ami!
Il suffit, c'est toi qu'il faut que je délivre.
André.
Généreux musulman, si c'est un François que
vous voulez délivrer, choisissez quelque autre que
moi. Je n'ai ni père, ni mère, ni femme, nienfans;
j'ai l'habitude du malheur : ce n'est pas moi qui
suis leplusà plainclre. Délivrez mon pauvre maître.
Hassan.
Ton maître! Qu'est-ce que j'entends? Quelle
générosité! Quoi!... Ces François... Mais est-ce
qu'ils sont tous comme cela?... Et où est-il, toa
maître ?
André , lui montrant Dornal,
Le voilà : il est abîmé dans sa douleur.
Hassan.
Qu'il parle donc! Il se cache, il détourne la vue,
il garde le silence. [Hassan avance, le considère
malgré lui,) Que vois-je! est-il possible! je ne me
trompe pas. C'est lui, c'est lui-même; c'est moa
libérateur! (// l'embrasse avec transport.)
Dornal.
O bonheur! ô rencontre imprévue I
Kaled.
Comme ils s'embrassent ! Il l'aime : bon I il le
payera.
Hassan.
Je n'en reviens point. Mon ami! mon bienfaiteur!
SCENE X 20I
Kaled.
Peste ! un ami, un bienfaiteur ! Cela doit bien se
vendre, cela doit bien se vendre.
Hassan
Mais, dites -moi donc , comment se fait-il?...
par quel bonheur?... Qu'est-ce que je dis? La tête me
tourne. Quoi! c'est envers vous-même que je puis
m'acquitter? J'ai fait vœu de délivrer tous les ans
un esclave chrétien : je venois pour remplir mon
vœu, et c'est vous...
DORNAL.
O mon ami! connoissez tout mon malheur.
Hassan.
Du malheur ! il n'y en a plus pour vous. ( Se
tournant du coté de Kaled.) Kaled , combien vous
dois-je pour l'emmener?
Kaled.
Cinq cents sequins.
Hassan.
Cinq cents sequins... Kaled, je ne marchande
point mon ami; tenez.
DORNAL.
Quelle générosité !
Hassan, à Kaled,
Je vous dois ma fortune, car vous pouviez me
la demander.
Kaled.
Que je suis une grande bête! Bonne leçon.
26
202 le marchand de smyrne
Hassan.
Laissez-nous seulement, je vous prie : que je
jouisse des embrassemens de mon bienfaiteur.
Kaled.
Oh ! cela est juste, cela est juste. Il est bien à
vous. Allons, vous autres, suivez-moi,
André , à DornaL
Adieu, mon cher maître.
DoRNAL.
[A André,) Que dis-tu? peux-tu penser?... [A
Hassan,) Mon cher ami, ce pauvre malheureux,
vous avez vu s'il m'est attaché, s'il est fidèle, s'il a
un cœur sensible !
Hassan.
Sans doute, sans doute ; il faut le racheter.
Kaled.
Quel homme! comme il prodigue l'orl Si je
profitois de cette occasion pour faire délivrer mon
baron allemand... Mais il ne voudra pas.
Hassan.
Tenez, Kaled.
Kaled, regardant les sequîns.
En vérité, voisin, cela ne suffit pasi
Hassan.
Comment ! cent sequins ne sufHsent pas ? Un
domestique...
SCENE X 2o3
Kaled.
Eh! mais.., un domestique... Après tout, c'est
un. homme comme un autre.
Hassan.
Bon ! voilà de la morale à présent
Kaled.
Et puis un valet fidèle , qui a un cœur sensible ,
qui travaille , qui laboure la terre , qui n'est pas
gentilhomme... En conscience...
Hassan, donnant quelques sequins.
Allons, laissez-nous. Qu'attendez-vous? qu'est-
ce que vous voulez?
Kaled.
Voisin, c'est que j'ai chez moi un pauvre malheu-
reux; un brave homme, qui est au pain et à l'eau
depuis trois ans ; cela fend le cœur : cela s'appelle
un baron allemand. Vous qui êtes si bon, vous de-
vriez bien...
Hassan.
Je ne puis pas délivrer tout le monde.
Kaled
A moitié perte.
Hassan.
Cela est impossible.
Kaled.
Quand Je disois que cet homme-là me resteroitf
Oh ! si jamais on m'y rattrape... Allons, homme
204 LE MARCHAND DE SMYRNE
de loi, gentilhomme, rentrez là-dedans; allez vous
coucher, il faut que je soupe.
SCÈNE XI.
HASSAN, DORNAL.
Hassan.
Mon cher ami, que je vous présente à ma femme.
Savez-vous que je suis marié ! C'est à vous que je
le dois. Et vous, cette jeune personne que vous
deviez aller chercher à Malte?
Dornal.
Je Tai perdue.
Hassan.
Que dites-vous?
Dornal.
Je l'emmenois à Marseille pour l'épouser : elle
a été prise avec moi.
Hassan.
Eh bien! est-ce l'Arménien qui Ta achetée?
Dornal.
Oui.
Hassan.
Courons donc vite.
Dornal.
11 n'est plus temps : le barbare l'a vendue.
SCÈNE xr 2o5
Hassan.
A qui?
DORNAL.
Je l'ignore. Un esclave de quelque homme riche
Ta arrachée de mes bras.
Hassan.
Ah ! malheureux ! c'est peut-être pour quelque
pacha. Est-elle belle?
DORNAL.
Si elle est belle !
SCÈNE XII.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, ZAYDE.
Zayde.
Mon ami, vous me laissez bien long- temps seule.
Et votre esclave chrétien ?
Hassan.
Mon esclave ! c'est mon ami , c'est mon libéra-
teur que je vous présente. J'ai eu le bonheur de le
délivrer à mon tour.
Zayde.
Étranger, je vous dois le bonheur de ma vie.
;o6 LE MARCHAND DE SMYRNE
SCÈNE XIII.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, FATMÉ.
pATMé.
Est-il temps? Ferai-je entrer?
Zayde.
Oui, tu peux .
SCÈNE XIV.
ZAYDE, HASSAN, DORNAL.
Hassan.
Quel est ce mystère ?
Zayde.
Mon ami, vous m'avez tantôt soupçonnée de
jalousie; je vais vous prouver ma confiance. Je me
suis servie de vos bienfaits pour acheter une esclave
chrétienne; je vcnois vous la présenter, afin qu'elle
tînt sa liberté de vos mains.
\
SCENE XV ET DERNIERE 20"
SCÈNE XV ET DERNIÈRE.
HASSAN, ZAYDE, DORNAL, FATMÉ,
UNE Esclave chrétienne vêtue en musulmane, avec
un voile sur la tête,
Zayde».
La voici. Voyez le spectacle le plus intéressant:
la beauté dans la douleur.
Hassan s'approche et lève le voile.
Qu'eik est touchante et belle !
Dornal.
Amélie ! Ciel ! ( // vole dans ses bras.)
Amélie , avec joie.
Que vois-je! mon cher Dornal!
Dornal.
Ma chère Amélie, vous êtes libre! je le suis
aussi. Vous êtes auprès de votre bienfaitrice, de
mon libérateur. (// saute au cou de Hassan, et veut
ensuite embrasser Zayde, qui recule avec modestie. )
Hassan, à Dornal.
Embrassez ! embrassez! il est honnête, ce trans-
port-là. [A Zayde, qui reste confuse.) Ma chère
amie, c'est la coutume de France.
2o8 LE MARCHAND DE SMYRNE
Amélie , à Zayde,
Madame, je vous dois tout! Que ne puis-je
vous donner ma vie !
Zayde.
C'est à moi de vous rendre grâces. Vous ne me
devez que votre liberté, et je dois à votre époux
la liberté du mien.
Amélie.
Quoi ! c'est lui !
Hassan.
Oh ! cela est incroyable ! A propos, vous n'êtes
point mariés?
DORNAL.
Vraiment, non : nous ne le serons qu'à notre
retour. Une de ses tantes nous accompagnoit :
elle est morte dans la traversée.
Hassan.
Vite, vite, un cadi, un cadi!... Ah! mais, à pro-
pos, on ne peut pas. . . C'est cet habit qui me trompe.
DoRNAL.
Ma chère petite musulmane, quand serons-nous
en terre chrétienne 1 Ah ! mon Dieu , nos pauvres
compagnons d'infortune !
Hassan.
Si j'étois assez riche. . . Mais, après tout, rhomme
de loi , et cet autre , cela ne doit pas coûter cher,
n'est-ce pas?
SCÈNE XV ET DERNIÈRE 209
DORNAL.
Ah ! mon Dieu , non ! Nous les aurons à bon
marché.
Fatmé.
Ah ! c'est bien vrai. Je viens de rencontrer
l'Arménien; tout ce qu'il demande, c'est de les
vendre au prix coûtant.
DORNAL.
D'ailleurs, moi, je suis riche, et je prétends
bien...
Hassan.
Allons, délivrons-les. (A Fatmé,) Va les cher-
cher. Qu'ils partagent notre joie, qu'ils soient
heureux et qu'ils nous pardonnent de porter un
doliman au lieu d'un justaucorps.
(Fatmé amène V Arménien, suivi des esclaves qui ont
paru dans la pièce et de ceux dont il y est parlé.
Ils forment un ballet et témoignent leur recon^
noissance à Zayde, à Hassan et à DornaL)
Chamfort. II. 27
^:!^^^
LETTRES DIVERSES
LETTRE PREMIÈRE.
A Madame de...
i suis douté. Madame, en rece-
yqu'il m'arrivoii malheur, et c'étoit
■ moi une nouveaulé d'ouvrir un
billet de vous avec chagrin. Je compiois faire ce
soir mon entrée dans mon nouvel établissemeoi
d'Auteuil ; mais, ayant différé de deux jours pour
vous faire ma cour avant mon départ, il faut bien
que je diffère de deux autres pour que les deux
premiers ne soient pas perdus. Je crois ce senti-
ment-là plus honnête que celui qui fait recourir
les joueurs après leur argent; mais, dans le fond,
il esi à peu pies du même genre.
212 LETTRES DIVERSES
Ce sont plusieurs de mes amis qui sont cause
que je viens me cacher quelque temps à la cam-
pagne dans un assez mauvais temps. Croirez-vous
que c'est pour travailler, pour finir ces épîtres de
Ninon ' sur lesquelles on ne cesse de m'im patien-
ter? N*est-il pas ridicule d'aller vivre sagement
pour écrire des folies? Etre fou de sang-froid ou
par réminiscence, cela n'est-il pas bizarre? Voilà
l'inconvénient de dire à ses amis les choses sur les*
quelles on travaille. On ne m'y reprendra plus.
Etre exposé à finir ce que je commence, à mettre de
l'ordre dans mes caprices, cela me paroît un peu
dur, et je n'en serai plus la dupe.
Je ne vous parle plus , Madame , de mon res-
pect ni de ma tendre amitié, qui dureront autant
que moL
LETTRE II.
Voilà donc, mon ami, comme vous vous con-
duisez, vous que jecrojrois la raison, la prudence,
I . Ces épîtres ont été égarées, ainsi que d'autres papien»
à la mort de l'auteur. Celte perte est probablement sans
ressource, car les recherches les plus exactes n'ont pu noat
les procurer. (Note du premier éditeur.)
LETTRES DIVERSES 2l3
la sagesse même! A qui se fier après ce que je
sais de vous, et sur qui compter désormais ? On
vous ordonne la plus grande modération dans
Tusage de la pensée, et madame M... m'a dit
qu'elle avoit reçu de vous une lettre charmante et
pleine d'esprit : ce sont ses termes ; je n'exagère
rien, et je suis bien éloigné de vous chercher des
torts. Vous ne pouvez pas la récuser non plus.
Elle vous aime, elle a de la candeur et est à
mille lieues de toute espèce de médisance, à plus
forte raison de calomnie.
Une lettre charmante et pleine d'esprit! Est-il
possible ? Quoi ! c'est vous qui vous permettez de
pareils excès! On est tranquille sur votre compte,
et tout d'un coup voilà une infraction de régime
qui vient effrayer vos amis. Si madame M... eût
dit simplement une lettre charmante, je dirois :
«Cela peut se passer; peut-être le mal n'est-il pas
si grand qu'on le fait. » Vingt fois j'ai entendu
dire : « C'est un ouvrage charmant », et, à la lec-
ture, j'ai vu que rien n'étoit plus faux; mais pleine
d'esprit ! C'est là ce qui est une faute absolument im-
pardonnable. Je ne vous cache pas que je me crois
obligé d'en faire avertir M. Tronchin,qui ne plai-
sante point dans ces cas-là, et qui saura vous en
dire son avis. De l'esprit! Vous n'ignorez pas com-
bien la pensée est nuisible à l'homme; que, par
cette raison, il n'y a presque point d'homme qui
214 LETTRES DIVERSES
pense la vingtième partie de sa vie; que vous-
même, pour avoir pensé seulement la moitié de la
vôtre, vous vous en trouvez très-mal. Et voilà que
non-seulement vous pensez, mais même vous osez
avoir de Tesprit! Vous savez qu'en pleine santé
même il ne fait pas sûr de se donner cette licence;
que Tesprit entraîne de grands inconvéniens à la
ville, à la cour; et c'est vous... Je n'en reviens
pas. Bon Dieu! à quoi sert la philosophie? Je ne
m'y connois point, mais je soupçonne qu'il y a
entre penser et avoir de l'esprit la même diffé-
rence qu'il y a entre marcher et courir; et, si cela
est vrai, jugez combien vous êtes coupable.
Vous allez me répliquer que vous avez beaucoup
d'amitié pour madame M...; qu'au moment où
vous avez pris la plume pour répondre à sa lettre,
le sentiment a éveillé l'esprit chez vous. Je sais
qu'il y en a des exemples, que ce genre d'esprit est
le meilleur, le plus rare et le plus aimable, et que
vous pouvez être dans ce cas; mais, de bonne
foi, pensez-vous que cette excuse me rassure et
me satisfasse ? D'abord il s'agiroit de savoir si
M.Tronchin vous permet le sentiment. Cela m'é-
tonncroit beaucoup dans un médecin aussi habile
et qui connoît si bien la nature. Je doute très-fort
qu'il vous ait rien prononcé là-dessus, et vous
êtes trop honnête pour le compromettre avec la
Faculté. On sait assez que le sentiment est presque
LETTRES DIVERSES 21$
aussi malsain que Tesprit, et, quoiqu'on soit dans
l'habitude de le contrefaire et de le jouer encore
davantage , parce que la chose est beaucoup plus
facile, vous voyez que, dans le vrai, on se le per-
met assez rarement. Il est donc clair, mon cher
ami, que votre excuse ne seroit qu'une défaite;
€t, au fond, je ne vois pas comment vous vous en
tirerez.
La faute où vous venez de tomber d'une façon
si humiliante m'a fait revenir sur le passé , comme
il arrive en pareil cas, et je me suis rappelé que
les deux dernières fois que j'ai eu le plaisir de vous
voir il s'en falloit bien que vous ne fussiez net ,
et même je me souviens de quelques réflexions un
peu vigoureuses ou piquantes qui doivent néces-
sairement prendre sur la machine. J'ai songé alors
que vous étiez assez mal environné, que mademoi-
selle Thomas, outre son esprit, ayant encore celui
qui naît du sentiment, peut très-fréquemment re-
doubler chez vous les crises de ces deux facultés, ce
qui ne sauroit manquer de vous faire beaucoup de
tort. Il ne faut pas croire que je sois non plus sans
inquiétude sur M. Ducis. Ceux qui ne connoissent
<jue son talent tragique ne savent pas à quel point
il est dangereux pour vous, et de combien de fa-
çons il peut vous nuire par sa conversation forte,
animée et attachante. Vous ne connoissez point,
je crois, madame Helvétius; je sais, du moins, que
2l6 LETTRES DIVERSES
VOUS n'allez point chez elle. J'en suis enchanté
pour vous...
LETTRE III.
20 août 1765.
Je crois assez connoître votre âme, mon cher
ami, pour pouvoir vous donner des conseils utiles
à votre bonheur. Garantissez-vous de tout senti-
ment vif et profond. J'ai remarqué que toutes les
fois que vous êtes vivement affecté de quelque
chose vous tombez dans un chagrin qui n'est point
cette douce mélancolie si délicieuse pour ceux
qui l'éprouvent. De plus, les travaux rendent la
gaieté nécessaire à votre santé. Quand un senti-
ment profond vous rendroit heureux, du moins
est-il certain qu'il ne vous délasseroit pas, et vous
avez besoin d'être délassé. Ne craignez pas de per-
dre par là cette sensibilité nécessaire à l'homme de
lettres; vous en avez reçu une trop grande dose :
rien ne peut l'épuiser. La lecture des excellens
livres l'entretiendra davantage , sans exposer votre
âme à ces secousses violentes qui l'accablent lors-
que des nœuds qui nous étoient chers viennent à
se briser.
Ne donnez jamais à personne aucun droit sur
LETTRES DIVERSES 217
VOUS. La roideur de votre caractère pouvant, par
la suite, vous forcer à cesser de les voir, vous au-
rez l*air de l'ingratitude. Tenez tout le monde
poliment à une grande distance; prosternez-vous
pour refuser. Je crois à l'amitié, je crois à l'amour
(cette idée est nécessaire à mon bonheur); mais je
crois encore plus que la sagesse ordonne de re-
noncer à l'espérance de trouver une maîtresse et
un ami capables de remplir mon cœur. Je sais que
ce que je vous dis fait frémir; mais telle est la dé-
pravation humaine , telles sont les raisons que j'ai
de mépriser les hommes, que je me crois tout à
fait excusable.
Si quelqu'un étoit naturellement ce que je vous
conseille d'être, je le fuirois de tout mon cœur.
Est- on privé de sensibilité, on inspire un senti-
ment qui ressemble à l'aversion ; est-on trop sen-
sible, on est malheureux. Quel parti prendre? Ce-
lui de réduire l'amour au plaisir de satisfaire un
besoin spontané , en se permettant tout au plus
quelque préférence pour tel ou tel objet. Réduire
l'amitié à un sentiment de bienveillance propor-
tionné au mérite de chacun, c'est le parti que prit
Fontenelle, qui avoit toujours les jetons à la main.
Vous êtes né honnête : je suis sûr que vous ne
pousserez pas cette défiance trop loin. Tout ceci
se réduit à dire que votre âme ne doit jamais être
inséparablement attachée à l'âme de personne ,
28
2l8 LETTRES DIVERSE*»
qu'il faut apprécier tout le monde et remplir tous
les devoirs de Thonnête homme, et même de
l'homme vertueux, d'après des idées justes et dé-
terminées, plutôt que d'après des sentimens qui,
quoique plus délicieux, ont toujours quelque chose
d'arbitraire.
C'est par le travail seul que vous échapperez à
l'activité de cette âme qui dévore tout. Le temps
que vous emploierez chez vous sera pris sur celui
que vous perdriez dans le monde, où vous vous
amusez si peu , où vous portez le sentiment tou-
jours pénible de la supériorité de votre âme et de
l'infériorité de votre fortune , où vous trouvez des
raisons de haïr et de mépriser les hommes, c'est-à-
dire de renforcer cette mélancolie à laquelle vous
êtes déjà trop sujet, qui vous met souvent de mau-
vaise humeur et qui vous exposé quelquefois à
vous faire des ennemis. La retraite assurera en
même temps votre repos, c'est-à-dire votre bon-
heur, votre santé , votre gloire , votre fortune et
votre considération ; vous aurez moins d'occasions
de vous permettre ces plaisirs qui, sans détruire la
santé , affoiblissent au moins la vigueur du corps,
donnent une sorte de malaise et détruisent l'équi-
libre des passions.
La considération de l'homme le plus célèbre
tient au soin qu'il a de ne pas se prodiguer. Ayez
toujours cette coquetterie décente qui n'est indi-
LETTRES DIVERSES 219
gue de personne. Votre gloire y gagnera aussi;
l'emploi de votre temps l'augmentera nécessaire-
ment, et, par la même raison^ votre fortune : car,
croyez-moi, ne comptez jamais que sur vous.
Il y a encore une chose que je ne saurois trop
vous recommander, et qui vous est plus difficile
qu'à un autre : c'est l'économie. Je ne vous dis
pas de mettre du prix à l'argent, mais de regarder
l'économie comme un moyen d'être toujours indé-
pendant des hommes , condition plus nécessaire
qu'on ne croit pour conserver son honnêteté.
LETTRE IV.
A Madame S...
Barèges, le i5 septembre.
Quoi ! Madame, vous avez eu la bonté d'aller
voir mon nouveau taudis! Je vous reconnois bien
là. Vous êtes contente de mon logement; mais
moi je ne le suis point : je m'y prends trop tard
pour me loger près de la rue Louis-le-Grand.
Madame de Grammont est partie depuis le
commencement du mois. Il me seroit impossible
de désirer autre chose que ce que j'ai trouvé en
elle, et nous avons fini encore mieux que nous
n'avions commencé. J'ai toutes sortes de raisons
220 LETTRES DIVERSES
d'être enchanté de mon voyage de Barèges. Il sem-
ble qu'il devoit être la fin de toutes les contradic-
tions que j'ai éprouvées, et que toutes les circon-
stances se sont réunies pour dissiper ce fond de
mélancolie qui se reproduisoit trop souvent. Le
retour de ma santé , les bontés que j*ai éprouvées
de tout le monde, ce bonheur si indépendant de
tout mérite, mais si commode et si doux, d'inspi-
rer de l'intérêt à tous ceux dont je me suis occupé;
quelques avantages réels et positifs, les espérances
les mieux fondées et les plus avouées par la raison
la plus sévère, le bonheur public et celui de quel-
ques personnes à qui je ne suis ni inconnu ni in-
différent, le souvenir tendre de mes anciens amis,
le charme d'une amitié nouvelle, mais solide, avec
un des hommes les plus vertueux du royaume,
plein d'esprit, de talent et de simplicité, M. du
Paty, que vous connoissez de réputation ; une au-
tre liaison non moins précieuse avec une femme
aimable que j'ai trouvée ici et qui a pris pour moi
tous les sentimens d'une sœur, des gens dont je
devois le plus souhaiter la connoissance et qui me
montrent la crainte obligeante de perdre la mienne,
enfin la réunion des sentimens les plus chers et
les plus désirables : voilà ce qui fait, depuis trois
mois, mon bonheur; il semble que mon mauvais
génie ait lâché prise, et je vis, depuis trois mois,
sous la baguette de la fée bienfaisante.
LETTRES DIVERSES 221
D'après ce détail, vous croiriez que je vis envi-
ronné de tout ce que j'ai trouvé d'aimable ici ,
sous un beau ciel et dans une société charmante :
non, je vis sous une douche brûlante ou dans une
bouilloire cachée au fond d*un cachot. Tout ce
que je distinguois est parti de Barèges. Il y fait un
temps exécrable, et le brouillard ne laisse point
soupçonner que les Pyrénées soient sur ma tête;
mais je n'en suis pas moins heureux : j'avois be-
soin de revenir sur les sentimens agréables dont
j'ai joui avec trop de précipitation; je les recueille
avec une joie mêlée de surprise. Mes idées sont
faciles et douces, tous les mouvemens de mon cœur
sont des plaisirs : voilà le vrai beau temps, et le
ciel est d'azur.
Le ton de cette lettre est un peu différent de
celles que je vous écrivois, Madame, de la rue de
Richelieu, et même de quelques conversations que
je me souviens d'avoir eues avec vous il y a cinq ou
six mois. Que voulez-vous ? je vous montrois mon
âme alors comme je vous la montre aujour-
d'hui. « L'homme est ondoyant, » dit Montaigne.
J'étois de fer pour repousser le mal, je suis de cire
pour recevoir le bien. Les différentes philosophies
sont bonnes; il ne s'agit que de les placer à pro-
pos. Zenon n'avoit pas tort; Épicure avoit raison.
Le régime d'un malade n'est pas celui d'un conva-
lescent; celui d'un convalescent n'est pas celui d'un
222 LETTRES DIVERSES
athlète. Je me trouve bien de ma manière d'être
actuelle; je reviendrois àTautre s'il le falloit, mais
je tâcherai d'écarter ce qui pourroit la rendre né-
cessaire. Je n'y sais que cela.
Madame de Tessé et M. le duc d'Ayen ont
passé ici quelques jours. J'ai fort à me louer de
leurs bontés; je n'ai cependant point accepté l'of-
fre de madame de Tessé pour Luchon. Je vous
dirai pourquoi.
Je pars d'ici vers la fin de septembre. Je comp-
tois m'en aller en droiture à Paris; je pressentois
le besoin que j'aurois de revoir mes anciens amis,
car je ne veux rien perdre; mais j'ai de nouvelles
raisons de me priver encore de ce plaisir. M. de
B... a trouvé absurde que je négligeasse roccasion
de voir M. de Choiseul; il prétend que ma con-
noissance avec M. de Gr... pourroit finir par
n'être qu'une connoissance des eaux. C'est ce qui
ne peut jamais arriver. Il est actuellement à Chan-
teloup; il peut s'en assurer par lui-même, et, entre
nous, je crois qu'il ne laissera pas d'être un peu
surpris. Quoi qu'il en soit, je défère à son conseil
et à celui de mes amis, qui blâment mon peu d'em-
pressement sur cela. Mais je ne serai à Chanteloup
qu'à la fin d'octobre; j'y resterai le temps qu'il
conviendra. J'étois fort tenté de m'en retourner
par le Languedoc pour voir la Provence , qui est
un fort beau pays.
LETTRES DIVERSES 223
Voulez-vous bien, Madame, présenter mes res-
pects à M. S... ? Je vous adresserois aussi bien
des complimens pour les personnes que vous savez,
si je ne craignois que quelques-unes , s'imaginant
que ma lettre contient quelques bonnes histoires
des eaux, ne s'avisassent de vous la demander, et
je vous prie de vouloir bien ne pas la leur lire.
Conservez, je vous prie, Madame, votre santé,
celle de M. S..., votre bonheur commun, vos
bontés pour moi, et recevez les assurances de mon
respect et de ma tendre amitié.
LETTRE V.
Vous me demandez, mon ami, si ce n*est pas
une espèce de singularité qui me fait voir la litté-
rature sous Taspect où je la vois; s'il est vrai que
je sois dans le cas de jouir d'une fortune un peu
plus considérable que celle de la plupart des gens
de lettres; et enfin vous voulez que je vous con-
fie , sous le sceau de l'amitié , quels sont les
moyens que j'ai employés pour arriver à ce
terme que vous supposez avoir été le but de
mon ambition. Voilà, ce me semble, les divers
objets de votre curiosité, autant que je puis le ré-
224 LETTRES DIVERSES
sumer de votre longue lettre. Mes réponses seront
simples.
Mais je commence par vous dire que je suis
presque offensé de voir que vous me supposiez ud
plan de conduite à cet égard. Mon tour d^esprit,
mon caractère et les circonstances ont tout fait,
sans aucune combinaison de ma part. J'ai toujours
été choqué de la ridicule et insolente opinion , ré-
pandue presque partout, qu'un homme de lettres
qui a quatre ou cinq mille livres de rente est au
périgée de la fortune. Arrivé à peu près à ce
terme, j'ai senti que j'avois assez d'aisance pour
vivre solitaire, et mon goût m'y portoit natu-
rellement; mais, comme le hasard a fait que ma
société est recherchée par plusieurs personnes
d'une fortune beaucoup plus considérable, il est
arrivé que mon aisance est devenue une véri-
table détresse, par une suite des devoirs que
m'imposoit la fréquentation d'un monde que je
n'avois pas recherché. Je me suis trouvé dans la
nécessité absolue ou de faire de la littérature un
métier pour suppléer à ce qui me manquoit du
côté de la fortune, ou de solliciter des grâces, ou
enfin de m'enrichir tout d'un coup par une retraite
subite. Les deux premiers partis ne me convenoient
pas; j'ai pris intrépidement le dernier. On a beau-
coup crié ; on m'a trouvé bizarre , extraordinaire.
Sottises que toutes ces clameurs. Vous savez que
LETTRES DIVERSES 225
j'excelle à traduire la pensée de mon prochain.
Tout ce qu'on a dit à ce sujet vouloit dire :
« Quoi ! n'est-il pas suffisamment payé de ses
peines et de ses cour'ses par l'honneur de nous
fréquenter, par le plaisir de nous amuser, par l'a-
grément d'être traité par nous comme ne Test au-
cun homme de lettres? »
A cela je réponds : J'ai quarante ans. De ces
petits triomphes de vanité dont les gens de lettres
sont si épris, j'en ai par-dessus la tête. Puisque,
de votre aveu, je n'ai presque rien à prétendre,
trouvez bon que je me retire. Si la société ne m'est
bonne à rien , il faut que je commence à être bon
pour moi-même. Il est ridicule de vieillir en qua-
lité d'acteur, dans une troupe où l'on ne peut pas
même prétendre à la demi-part. Ou je vivrai seul,
occupé de moi et de mon bonheur; ou, vivant
parmi vous, j'y jouirai d'une partie de l'aisance
que vous accordez à des gens que vous-mêmes
vous ne vous aviseriez pas de me comparer. Je
m'inscris en faux contre votre manière d'envisager
les hommes de ma classe. Qu'est-ce qu'un homme
<le lettres, selon vous, et, en vérité, selon le fait
établi dans le monde ? C'est ufi homme à qui on
dit : « Tu vivras pauvre et trop heureux de voir ton
nom cité quelquefois; on t'accordera, non quelque
considération réelle, mais quelques égards flatteurs
pour ta vanité, sur laquelle je compte, et non pour
Chamfort. — II. 29
226 LETTRES DIVERSES
Tamour-propre qui convient à un homme de sens.
Tu écriras, tu feras des vers et de la prose pour
lesquels tu recevras quelques éloges, beaucoup
d'injures et quelques écus*, en attendant que tu
puisses attraper quelques pensions de vingt-cinq
louis ou de cinquante, qu'il faudra disputer à tes
rivaux en te roulant dans la fange, comme le fait
la populace aux distributions de monnoîe qu'on lui
jette dans les fêtes publiques. »
J'ai trouvé , mon ami , que cette existence ne
me convenoit pas; et, méprisant à la fois la glo*
riole des grandeurs et la gloriole littéraire, j'ai
immolé l'une et l'autre à l'honneur de mon carac-
tère et à l'intérêt de mon bonheur. J'ai dit tout
haut : a J'ai fait mes preuves de désintéressement,
et je ne solliciterai pas. J'ai très-peu, mais j'ai au-
tant ou plus que quantité de gens de mérite.
Ainsi, je ne demande rien ; mais il faut que vous me
laissiez à moi-même : il n'est pas juste que je porte
en même temps le poids de la pauvreté et le poids
des devoirs attachés à la fortune. J'ai une santé
délicate et la vue basse; je n'ai gagné jusqu'à pré-
sent dans le monde que des boues, des rhumes,
des fluxions et des indigestions , sans compter le
risque d'être écrasé vingt fois par hiver. II est
temps que cela finisse, et, si cela n'est pas terminé
à telle époque, je pars. »
Voilà, mon ami, ce que j'ai dit; et, si vous
LETTRES DIVERSES 227
VOUS étonnez que cela ait pu produire autant d'ef-
fet, il faut savoir qu'une première retraite de six
mois, où j'avois trouvé le bonheur, a prouvé
invinciblement que je n'agissois ni par humeur
ni par amour- propre. Il reste à vous expli-
quer pourquoi on se faisoit une peine de me
voir prendre le parti de la retraite. C'est, mon
ami , ce que je ne puis vous développer, au moins
dans le même détail ; mais je puis vous dire sans
que vous deviez me soupçonner de vanité , je puis
vous dire que mes amis savent que je suis propre
à plusieurs choses hors de la sphère de la littéra-
ture. Plusieurs d'entre eux se sont unis pour me
servir : les uns n'ont écouté que leur sentiment;
d'autres ont fait entrer dans leur sentiment quelque
calcul et quelque intérêt, et, les circonstances étant
favorables, il en est résulté la petite révolution que
vous jugez si heureuse.
LETTRE VI.
A M. Vahhé Koman.
4 mars 1 784.
C'est un vœu que j'ai fait, mon cher ami, de
vous répondre toujours à l'instant où j'aurai reçu
votre lettre , et je n'ai pas besoin d'effort pour le
228 LETTRES DIVERSES
remplir. Il m'en faudroit pour différer, et je ne
veux pas lutter contre moi-même.
Ah ! mon ami, que j'ai été étonné de voir que
je diffère de vous dans la chose par laquelle je
vous ressemble ! Vous convenez que vous avez pris
la meilleure part, et vous ne souhaitez pas que
j'obtiennne un lot pareil; Vous me le dites parce
que vous le sentez. Cette raison est sans doute
très-bonne; mais pourquoi ou plutôt comment le
sentez-vous? Voilà ce qui m'étonne. Quoi! cette
malheureuse manie de célébrité, qui ne fait que
des malheureux , trouve encore un partisan , un
protecteur! Avez-vous oublié qu'elle exige presque
autant de misères, de sottises, de bassesses même
que la fortune? Et quel en est le fruit? Beaucoup
moindre, et surtout plus ridicule. Son effet le
plus certain est de vous apprendre jusqu'où va
la méchanceté humaine en vous rendant l'objet de
la haine la plus violente et des procédés les plus
affreux de la part de ceux qui ne peuvent partager
cette fumée et qui sont jaloux de quelques misé-
rables distinctions, presque toujours ennuyeuses et
fatigantes, surtout pour moi, qui ai tout jugé.
J'ai aimé la gloire, je l'avoue; mais c'étoit dans
un âge où l'expérience ne m'avoit point appris la
vraie valeur des choses, où je croyois qu'elle pour-
voit exister pure et accompagnée de quelque re-
pos , où je pensois qu'elle étoit une source de
LETTRES DIVERSES 229
jouissances chères au cœur, et non une lutte éter-
nelle de vanité; quand je croyois que, sans être
un moyen de fortune, elle n'étoit pas du moins un
titre d'exclusion à cet égard. Le temps et la ré-
flexion m'ont éclairé ; je he suis pas de ceux qui
peuvent se proposer de la poussière et du bruit
pour objet et pour fruit de leurs travaux. Apollon
ne promet qu'un nom et des lauriers : voilà ce que
disoit Boileau avec quinze mille livres de renie des
bienfaits du roi, qui en valoient plus de trente d'à
présent; voilà ce que disoit Racine en rapportant
plus d'une fois de Versailles des bourses de mille
louis. Cela ne laisse pas que de consoler de la ri-
valité et de la haine des Pradon et des Boyer.
Encore ne put-il pas y tenir et laissa-t-il, à trente-
six ans, cette carrière de gloire et d'infamie qui
depuis lui est devenue cent fois plus turbulente et
plus avilissante. Pour moi, qui dès mon premier
succès me suis attiré , sans l'avoir mérité le moins
du monde, la haine d'une foule de sots et de mé-
chans, je regarde ce mal comme un très-grand
bonheur; il me rend à moi-même, il me donne le
droit de m'appartenir exclusivement; et, les amis
les plus puissans ayant plus d'une fois fait d'inutiles
efforts pour me servir, je me suis lassé d'être un
superflu , une espèce de hors-d'œuvre dans la so-
ciété. Je me suis indigné d'avoir si souvent la
preuve que le mérite dénué, né sans or et sans
23o LETTRES DIVERSES
parchemins, n'a rien de commun avec les hommes,
et j'ai su tirer de moi plus que je ne pouvois es-
pérer d'eux. J'ai pris pour la célébrité autant de
haine que j'avois eu d'amour pour la gloire ; j'ai
retiré ma vie tout entière dans moi-même : penser
et sentir a été le dernier terme de mon existence
et de mes projets. Mes amis se sont réunis inuti-
tilement pour ébranler ma fermeté : tout ce que
j'écris comme à mon insu, et pour ainsi dire malgré
moi , ne sera tout au plus que titulus nomenquf
sepulcri.
J'ai ri de bon cœur à l'endroit de votre lettre
où vous me dites que vous m'avez cherché dans les
journaux : vous m'avez paru ressembler à un étran-
ger qui, ayant entendu parler de moi dans Paris,
me chercheroit dans les tabagies et dans les tripots
de jeu. J'en étois là depuis long-temps, lorsque je
fis la rencontre d'un être dont le pareil n'existe
pas dans sa perfection , relative à moi , qu'il m*a
montrée dans le court espace de deux ans que nous
avons passés ensemble. C'étoit une femme, et il
n'y avoit pas d'amour parce qu'il ne pouvoit y
en avoir, puisqu'elle avoit plusieurs années de plus
que moi; mais il y avoit plus et mieux que de l'a-
mour, puisqu'il existoit une réunion complète de
tous les rapports d'idées, de sentimens et de posi-
tions. Je m'arrête ici, parce que je sens que je ne
pourrois finir. Je l'ai perdue après six mois de se-
LETTRES DIVERSES 23l
jour à la campagne, dans la plus profonde et la
plus charmante solitude. Ces six mois, ou plutôt
ces deux ans, ne m'ont paru qu'un instant dans
ma vie; mais le bonheur d'être loin de tout ce que
j'ai vu sur cette scène d'opprobres qu'on appelle
littérature, et sur cette scène de folies et d'iniqui-
tés qu'on appelle le monde, m'auroit suffi et me
suffira toujours, au défaut du charme d'une société
douce et d'une amitié délicieuse. L'indépendance,
la santé , le libre emploi de mon temps , l'usage,
même l'usage fantasque de mes livres : voilà ce
qu'il me faut, si ce n'est point ce qui me suffit.
C'est ce que m'enlèvera nécessairement le succès
que vous avez la cruauté de souhaiter, et qui mal-
heureusement est devenu, depuis ma dernière let-
tre, encore plus vraisemblable". L'âne qui ne veut
point mordre son voisin, ni en être mordu devant
un râtelier vide, sera forcé, s'il est changé en che-
val bien pansé devant un râtelier plein, de faire
quelques courses et de manéger pour gagner son
avoine; et, quand je songe qu'en se déplaçant il
aura plus d'avoine qu'il n'en pourra manger, je
suis bien près de penser qu'il fait un marché de
dupe.
Vous voyez par là, mon ami, combien je suis
i . On proposoit à Chamfort une place de secrétaire des
commandemens à la cour. (Note du premier éditeur.)
232 LETTRES DIVERSES
attaché aux sentimens qui m'appellent à la retraite,
et vous le verriez bien davantage si vous pouviez.
savoir, fortune mise à part, combien ma position
m'offre de côtés agréables, quels combats j'ai à
soutenir contre les amis les plus tendres et les plus
dévoués, quels efforts il me faut pour repousser ou
prévenir les sacrifices qu'ils voudroient faire pour
me retenir. Quelle est donc cette invincible fierté
et même cette dureté de cœur qui me fait rejeter
des bienfaits d'une certaine espèce, quand je con-
viens que je voudrois faire pour eux plus qu'ils ne
peuvent faire pour moi? Cette fierté les afflige et
les offense ; Je crois même qu'ils la trouvent pe-
tite et misérable , comme mettant un trop haut
prix à ce qui devroit en avoir si peu. Mon ami, je
n'ai point, je crois, les idées petites et vulgaires
répandues à cet égard; je ne suis pas non plus un
monstre d'orgueil; mais j'ai été une fois empoi-
sonné avec de l'arsenic sucré, je ne le serai plus :
mancl alla mente repostum. Vous me dites que
vous tenez mon ame dans ma première lettre; il
en est resté quelque chose, je crois, pour la seconde.
J'accepte, mon ami, avec un sentiment bien
vif, l'offre que vous me faites de parcourir avec
moi la Provence pour chercher l'asile qui me con-
vient, et je me fais d'autant plus de plaisir de l'ac-
cepter que je ne vous ferai pas faire un grand
voyage : il faudra que votre pays ait de grands in-
LETTRES DIVERSES 233
convéniens si la retraite la plus proche de vous
n'est pas celle qui me convient le mieux.
Je vous avois promis des nouvelles littéraires ;
mais, par mon mouvement personnel, je suis bien
froid sur cet article, et j'ai besoin, pour vous en
envoyer, de songer que vous y mettez quelque in-
térêt. On joue à présent avec un grand succès,
malgré de grandes huées sur la scène et de gran-
des réclamations et indignations à Paris et à Ver-
sailles, le Mariage de Figaro de Beaumarchais.
C'est un ouvrage plein d'esprit, même de comique
et de talent, mais qui n'en est pas moins mons-
trueux par le mélange de choses du plus mauvais
ton et de trivialités. Les loges sont retenues jus-
qu'à la dixième, et d'autres disent jusqu'à la ving-
tième représentation. Le spectacle, sans petite
pièce, ne dure plus que trois heures un quart, de-
puis les retranchemens qu'on y a faits. Je ne vous
parle point du Jaloux , du mauvais Coriolan de
La Harpe : les journaux se sont chargés de cela. Un
mot sur les Danaïdes, opéra nouveau oii Gluck a
mis la main : c'est un ouvrage de Topinambous, à
jouer devant des cannibales ; on dit pourtant que
cela n'aura qu'une douzaine de représentations.
Parlons de notre Académie. M. de Montesquiou
a eu toutes les voix : c'est qu*on a vu que tout
partage seroit inutile, et il faisoit plaisir en se pré-
sentant à l'Académie ; il écartoit l'abbé Maury , dont
3o
234 LETTRES DIVERSES
plusieurs ne veulent pas entendre parler. Mon
amusement actuel est de voir comment ils feront
pour Tévincer à la première vacance, qui est très-
prochaine, si elle n*est ouverte par la mort de
M. de Pompignan. L'abbé a huit ou dix voix tout
au plus ; mais les autres gens de lettres, ses rivaux,
n'en ont pas à beaucoup près autant. Personne n'y
est appelé d'une manière positive. Prendre encore
un homme de qualité seroit le comble du mauvais
goût et le chef-d'œuvre du ridicule. Comment
s'en tireront-ils? Je me divertirai des intrigues : ce
sont mes seuls jetons; je n'en ai point d'autres. J'y
vais si peu que je n'ai pas fait la moitié d'une
bourse à jetons qu'on m'avoit demandée.
Adieu, mon ami; je n'ai plus que le temps de
vous dire encore un petit mot de moi. Ma mère
se porte à merveille, et n'a d'autre incommodité
que de ne pouvoir faire usage de ses jambes; mais
j'ai bien peur que cette seule incommodité n'a-
brège les jours d'une personne aussi vive et plus
impatiente, à quatre-vingt-quatre ans, que je ne
l'ai jamais été. Il me semble que, si je restois
en place une année, je ne pourrois plus vivre, et
cette idée m'afflige sensiblement sur son état,
quoiqu'on me mande d'ailleurs tout ce qui peut
me rassurer. Adieu encore une fois; je vous aime
et vous embrasse de tout mon cœur. Il me semble
que nous n'avons pas cessé de nous entendre.
LETTRES DIVERSES 235
LETTRE Vil.
Au même,
Paris, 5 octobre.
Que devez-vous penser de moi, mon cher ami,
et d'un si long silence? Vous devez croire que
tous les maux réunis ont fondu sur ma tête. Hé-
las! vous ne vous tromperiez pas beaucoup. Il y
a deux mois et demi que j'ai eu le malheur de
perdre ma mère, et ce n'est pas vous qui vous
étonnerez de l'effet qu'a pu faire sur moi cette
affligeante nouvelle; ce n'est pas vous qui me
direz que quatre-vingt-cinq ans étoient un âge
qui devoit me préparer à ce malheur, et que
quinze ans d'absence dévoient me le faire trou-
ver moins terrible. La raison dit tout cela, et le
sentiment paye son tribut. Je n'en dirai pas da-
vantage, craignant surtout d'avoir déjà trop réveillé
chez vous le sentiment d'une perte qui vous a rendu
si longtemps malheureux et qui ne sera de long-
temps oubliée. Mon second malheur est d'avoir
eu pendant deux mois une fièvre double tierce,
suivie d'une convalescence très-pénible et qui
n'est pas terminée. Je ne sais comment toute ma.
personne étoit devenue un amas de bile, ce qui
236 LETTRES DIVERSES
m*a empêché d'avoir recours au quinquina : c'est
la nature qui m'a guéri, comme elle eût fait avant
la découverte du spécifique. C'est un mois de plus
qu'il m'en a coûté, et un mois de peines et de
souffrances , pendant lequel il m'a été impossible
d'écrire. Vous mander de mes nouvelles par une
main étrangère, c'est ce que je n'ai pas voulu,
dans la crainte que vous ne me crussiez mort; et
d'ailleurs je suis d'une stupidité rare pour dicter.
Je passe, mon ami, à un autre article, dont je
vous ai déjà touché quelque chose : c'est le projet
d'aller vous trouver en Provence. Quand il n'y
auroit eu d'obstacle que ma maladie, il ne pouvoit
s'effectuer et ne le pourroit même encore qu'au
mois de décembre; encore cela ne seroit-il pos-
sible que dans le cas où j'aurois un compagnon
pour aller en chaise de poste : car d'aller par les
voitures publiques dans cette saison, c'est ce qui
me seroit aussi difficile qu'un pèlerinage dans le
Sirius. Mais, mon ami, il y a d'autres obstacles
encore plus grands : ce sont ceux qui naissent de
ma nouvelle position. Vous avez peut-être lu dans
les papiers publics qu'on a obtenu pour moi la
place de secrétaire du cabinet de madame Elisa-
beth, sœur du roi. Cette place vaut deux mille
francs, et, quoiqu'elle ne m'enrichisse pas pour ce
moment-ci, puisque dans la maison du roi les pre-
mières échéances ne se payent qu'à un terme fort
LETTRES DIVERSES 287
reculé, il n'en est pas moins vrai que je suis lié
par la reconnoissance et par rattachement aux
personnes mg^ ont sollicité et obtenu cette place
pour moi, tandis que j'étois cloué dans mon lit de-
puis six semaines; je passerois pour un êtrç sau-
vage et indomptable, un misanthrope désespéré,
et je serois condamné universellement.il faut vous
dire, de plus, qu'indépendamment de ma nouvelle
place, ma liaison avec M. le comte de Vaudreuil est
devenue telle qu'il n'y a plus moyen de penser à
quitter ce pays-ci : c'est l'amitié la plus parfaite et
la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne sau-
rois vous en écrire les détails; mais je pose en fait
que, hors l'Angleterre, où ces choses-là sont sim-
ples, il n'y a presque personne en Europe digne
d'entendre ce qui a pu rapprocher par des liens si
forts un homme de lettres isolé, cherchant à l'être
encore plus, et un homme de la cour jouissant
de la plus grande fortune et même de la plus grande
faveur. Quand je dis des liens si forts, je devrois
dire si tendres et si purs : car on voit souvent des
intérêts combinés produire entre des gens de let-
tres et des gens de la cour des liaisons très-con-
stantes et très-durables; mais il s'agit ici d'amitié, et
ce mot dit tout dans votre langue et dans la mienne.
Voilà, mon ami, quelles sont les raisons qui
m'empêchent d'aller vous chercher, et qui vrai-
semblablement me priveront toujours du plaisir de
238 LETTRES DIVERSES
VOUS voir dans votre retraite de Provence. Il n*en
falloit pas moins, je vous assure : car, quoique,
dans votre dernière lettre , vous eussiez eu la bar-
barie de vouloir me retenir dans la capitale, tou-
jours par votre manie de me voir une plus grande
fortune, il est pourtant certain que j*aurois juré au
mois de mai dernier de ne pas passer l'hiver à Pa-
ris. Les obstacles étoient de nature à pouvoir être
vaincus , et ma fortune a'en étoit pas un. Vous
m'avez mandé qu'il falloit, pour vivre agréable-
ment en Provence, avoir trois mille livres de renie :
au temps où vous me parliez, j'en avois quatre
mille. Je posois la barre à ce terme, et je n'étois
pas mécontent : c'est vous qui avez voulu que j'al-
lasse plus loin. Vous voilà satisfait, et il y a à pa-
rier que d'ici à six mois vous le serez infiniment
davantage. Il restera ensuite à satisfaire votre au-
tre manie, que j'aie de la célébrité. Je ne promets
pas que j'y réussisse également; mais, soit que
cette fantaisie me prenne, soit que je garde ma
répugnance pour cette célébrité, dont vous parois-
sez faire trop de cas, il est sûr que , tranquille sur
mon avenir, je travaillerai beaucoup davantage et
même mieux, et que j'aurai plus de titres à cette
célébrité si je les manifeste : ce que j'ignore, car je
suis bien endurci dans le péché. Je crois que vous
seriez de mon bord si, comme moi, vous veniez
voir de suite et longtemps notre public parisien*
LETTRES DIVERSES 289
Au surplus, alors comme alors : je ne suis pas d'une
pièce ; je suis immuable quand les choses ne chan-
gent pas, mais je suis mobile quand elles changent,
et surtout quand elles changent à mon avantage.
J'apprends que Ton a été très-content de notre
ambassadeur à Marseille, et c'est pour moi une
joie très-vive. J'espère qu'on le sera partout, et
on le seroit bien davantage si on connoissoit l'ha-
bitude de ses sentimens intérieurs. C'est un de ces
êtres qui ont contribué, par leurs vertus et leur
commerce, à me réconcilier avec l'espèce humaine.
Il faut qu'il ait prévu de grandes tribulations dans
son ambassade, puisque la dernière lettre qu'il m'é-
crit finit par ces mots : Ah! mon ami, quand dîne-*
rons-nous ensemble au restaurateur^ J'oublie de vous
dire qu'il est cause que je n'ai pu répondre à votre
avant-dernière lettre, parce que j'ai passé avec lui
exactement les quatre derniers jours de son séjour
à Paris , et c'est l'époque où votre lettre m'arriva.
Adieu, mon ami; je vous aime et vous embrasse
très -tendrement. J'espère que notre correspon-
dance ne sera plus interrompue, et que la suite de
contre -temps qui m'ont mis en arrière n'arrivera
qu'une fois en la vie. Donnez-moi de vos nou-
velles en détail, et ne me parlez que de vous. Je
vous donne un bel exemple à cet égard. Je vous
avertis que je me sais par cœur, et à la fin on se
lasse de soi. Adieu encore. Vale et ama.
240 LETTRES DIVERSES
LETTRE VIII.
A M. de V...
1 3 décembre i 788.
Je vois que vous vous souvenez de la KequeU
des filles sur le renvoi des évêques, et que vous
voudriez donner un frère ou une sœur à cette ba-
gatelle dont vous êtes le parrain; mais je vous as-
sure qu'il me seroit impossible de faire un ouvrage
plaisant sur un sujet aussi sérieux que celui dont il
s'agit. Ce n'est pas le moment de prendre les
crayons de Swift ou de Rabelais, lorsque nous
touchons peut-être à des désastres; et je pense
qu'un écrivain quijetteroit du ridicule sur tous les
partis seroit lapidé à frais communs. Je ne pour-
rois donc faire qu'un ouvrage sérieux, et de quoi
serviroit-il ? S'il n'y en a pas encore qui présente
sous tous les points de vue cette intéressante ques*
tion, il en existe un grand nombre qui, par leur
réunion, l'éclaircissent suffisamment. En effet, de
quoi s'agit-il? d'un procès entre vingt-quatre mil-
lions d'hommes et sept cent mille privilégiés '. J'en-
I. Il n'y en avoit pas cent mille, mais on en croyoit sept
cent mille. [Note du premier éditeur.)
LETTRES DIVERSES 241
tends dire que la haute noblesse forme des ligues,
pousse des cris, etc. : c'est ici, je crois, qu'on peut
accuser la maladresse de la plupart des écrivains
qui ont manié cette question. Que n'ont-ils dit aux
grands privilégiés : « Vous croyez qu*on vous at-
taque personnellement, qu'on veut vous attaquer...
Point du tout : une grande nation peut élever et
voir au-dessus d'elle quelques familles distinguées,
trois cents, quatre cents, plus ou moins; elle peut
rendre cet hommage à d'antiques services, à d'an-
ciens noms, à des souvenirs ; mais, en conscience,
peut-elle porter sept cent mille anoblis qui, quant
à l'impôt, quant à l'argent, sont aux mêmes droits
que les Montmorency et les plus anciens chevaliers
françois? Plaignez-vous de la fatalité qui fait mar-
cher à votre suite cette épouvantable cohue ; mais
ne brûlez pas la maison qui ne peut la loger. Ne
sommes- nous pas accablés, anéantis sous cette
même fatalité qui enfin a mis en péril ce que vous
appelez vos droits et vos privilèges? Ne voyez-
vous pas qu'il faut nécessairement qu'un ordre de
choses aussi monstrueux soit changé, ou que nous
périssions tous également, clergé, noblesse, tiers
état? » Je suis vraiment affligé qu'on n'ait point
dit et répété partout cette observation : elle eût
ramené les esprits prévenus; elle eût désarmé l'a-
mour-propre; elle eût intéressé l'orgueil aux suc-
cès de la raison, et peut-être eût-elle sauvé aux
Chamfort. II. 3i
242 LETTRES DIVERSES
notables Topprobre ineffaçable dont ils viennent
de se couvrir à pure perte. Un autre avantage de
cette réflexion, c'est qu'elle eût sur-le-champ fait
apprécier le moyen terme que quelques-uns pro-
posent ridiculement : celui d'appeler, pour le seul
consentement à l'impôt, le tiers état, à l'égalité
numérique, en ne l'admettant que pour un tiers
seulement à délibérer sur les objets de législation
générale. Qui est-ce qui me fait cette proposi-
tion ? Est-ce un membre de l'ancienne chevalerie?
est-ce un secrétaire du roi, du grand collège, du
petit collège, car tous ont le droit de parler ainsi?
Je réponds à ce dernier... Mais non, je ne réponds
pas : vous sentez que j'aurois trop d'avantage. Per-
mettre à un peuple de défendre son argent et lui
ravir le droit d'influer sur les lois qui doivent dé-
cider de son honneur et de sa vie, c'est une in-
sulte, c'est une dérision. Non, cela ne sera point,
cela ne sauroit être; la nation ne le souffrira pas,
et, si elle le souffre, elle mérite tous les maux dont
cHe est menacée.
Mais on parle des dangers attachés à la trop
grande influence du tiers état; on va même jusqu'à
prononcer le mot de démocratie. La démocratie!
dans un pays où le peuple ne possède pas la plus
petite portion du pouvoir exécutif ! dans un pays
où le plus mince suppôt de l'autorité ne trouve
oartout qu'obéissance et même trop souvent abjec-
LETTRES DIVERSES 248
tion, OÙ la puissance royale ne vient que de ren-
contrer des obstacles de la part des corps (dont
presque tous les membres sont nobles ou anoblis),
où le luxe le plus effréné et la plus monstrueuse
inégalité des richesses laisseront toujours d*homme
à homme un trop grand intervalle ! Quel pays plus
libre que l'Angleterre ? et en est-il un où la supé-
riorité du rang soit plus marquée, plus respectée,
quoique l'inférieur n'y soit pas écrasé impunément?
Que de faux prétextes, que d'ignorance, ou plutôt
que de mauvaise foi ! Pourquoi ne pas dire nette-
ment , comme quelques-uns : « Je ne veux pas
payer » ? Je vous conjure de ne pas juger des au-
tres par vous-même. Je sais que, si vous aviez cinq
ou six cent mille livres de rente en fonds de terre,
vous seriez le premier à vous taxer fidèlement et
rigoureusement; mais vous vous rappelez l'offre
généreuse faite par le clergé pendant la première
assemblée des notables , et l'indigne réclamation
qu'il a faite ensuite en faveur de ses immunités.
Vous voyez le parlement feindre d'abandonner les
siennes, et l'instant d'après se ménager les moyens
de les conserver et même d'accroître son existence.
Enfin, vous savez ce qui vient de se passer, et ce
qui a si- bien mis en évidence le projet formel de
maintenir les privilèges pécuniaires- M. de Chabot
et M. de Castries, ayant consigné dans un mé-
moire leur abandon de ces privilèges pour ne
244 LETTRES DIVERSES
conserver que leurs droits honorifiques, n'ont pu
trouver ni nobles ni anoblis qui voulussent signer
aj^rès eux. Les gentilshommes bretons ne nous di-
sent-ils pas qu'il n'est pas en leur pouvoir de se
dessaisir de leurs privilèges utiles, que c'est l'héri-
tage de leurs enfans, que ces droits seroient ré-
clamés par eux tôt ou tard? Et c'est ainsi qu'ils
intéressent leur conscience à faire de l'oppression
du foible le patrimoine du fort, de l'injustice la
plus révoltante un droit sacré, enfin de la tyrannie
un devoir. Je l'ai entendu... et vous voulez que
j'écrive ! Ah! je n'écrirois que pour consacrer mon
mépris et mon horreur pour de pareilles maximes...
Je craindrois que le sentiment de l'humanité ne
remplît mon âme trop profondément et ne m'in-
spirât une éloquence qui enflammât les esprits déjà
trop échaulfés; je craindrois de faire du mal par
Texcès de l'amour du bien. Je m'effraye de l'ave-
nir : je vois mettre aux plus petits détails une suite
et un intérêt qui m'étonnent moi-même; on fait
des listes de ceux qui ont été pour et de ceux qui
ont été contre le peuple; on prête, on ôte tour à
tour tel ou tel propos, bon ou mauvais, à tel ou
tel homme. Pour mon compte , j'ai nié hardiment
un mot attribué à M. le comte d'Artois. Ce mou-
vement machinal, chez moi, a été l'effet de ma re-
connoissance pour les marques de bonté que vous
m'avez attirées de sa part. On suppose que ce
LETTRES DIVERSES 245
prince a dit à un notable , dont l'avis avoit été fa-
vorable au peuple : Est-ce que vous voulez nous en-
roturer^ Je ne crois point ce mot; mais, s'il a été
dit, le notable pouvoit répondre: « Non, Mon-
seigneur; mais je veux anoblir les François en leur
donnant une patrie. » On ne peut anoblir les
Bourbons, mais on peut encore les illustrer en
leur donnant pour sujets des citoyens, et c'est ce
.qui leur a toujours manqué. C'est bien M. le
comte d'Artois qui y est le plus intéressé ; c'est bien
lui qui peut dire, à la vue de ses enfans : Posteri,
posteri, vestra res agitur. C'est de cette époque que
tout va dépendre. J'ose affirmer que, si les privi-
légiés pouvoient avoir le malheur de gagner leur
procès, la nation, écrasée au dedans, seroit pour
des siècles aussi méprisable au dehors qu'elle est
maintenant méprisée. Elle seroit, à l'égard de ses
voisins réunis, ce que le Portugal est à l'Angle-
terre, une grande ferme, où ils récolteroient, en
lui faisant la loi, ses vins, ses moissons, ses den-
rées, etc. Si, au contraire, il arrive ce qui doit ar-
river et ce qui est presque infaillible, je ne vois que
prospérité pour la nation entière et pour ces pri-
vilégiés si aveugles, si ennemis d'eux-mêmes, qui
n'aperçoivent pas que l'aisance du pauvre fait par-
tie de l'opulence du riche; pour les premiers hom-
mes de l'Etat, qui ne voient pas qu'il n'y a de
liberté et de dignité particulière que sous la sauve-
2/^0 i.i: TIRES DIVERSES
garde de la liberté publique et de l'honneur na-
tional. Eh ! grand Dieu, que peuvent-ils craindre
pour leurs dignités? Est-ce le tiers état qui les leur
enlèvera? est-ce le tiers état qui arrivera aux places
de la cour, aux grands emplois? Craignent-ils pour
leurs fortunes? N'est-ce pas un fait avéré qu'en
Angleterre les grandes fortunes territoriales des
familles illustres ne datent que de la révolution de
1688? Cest le fruit du rehaussement dans la va-
leur des terres, effet de la liberté publique et d'un
accroissement marqué dans l'industrie nationale ,
qui l'un et l'autre tournent toujours, en dernière
analyse, au profit des propriétaires terriens. Je suis
si convaincu de cette double influence que, si on
me demandoit, dans la sincérité de mon cœur, à
quelle classe d'hommes je crois plus profitable la
révolution qui se prépare, je répondrois que cette
révolution, profitable à tous, l'est à chacun dans
la proportion de supériorité déjà existante où son
rang et sa fortune actuels le mettent sur la grande
échelle sociale. J'en excepte le clergé, dont nous
ne sommes pas en peine, ni vous ni moi, et les
ministres (pour le temps, quelquefois très-court,
pendant lequel ils sont ministres) ; mais on ne se
dégoûtera pas du métier; et puis, on ne sauroit
parer à tout.
Telle est ma manière de voir cette unique et in-
concevable crise. J'ai voulu vous faire ma profes-
LETTRES DIVERSES 247
sion de foi, afin que, si par hasard nos opinions se
trouvoient trop différentes, nous ne revinssions plus
sur cette conversation. Nos opinions ont plus d'une
fois été opposées, sans que d'ailleurs nos âmes
aient cessé de s'entendre et de s'aimer : c'est le
principal , ou plutôt c'est tout. Je me souviens,
entre autres, qu'il y a juste deux ans dans ce
moment-ci, nous eûmes une discussion très-animée
sur le parti que prenoit M. de Calonne, sur son
projet de subvention territoriale, infaillible, disiez-
vous, s'il étoit appuyé, comme il l'étoit, de toute
la puissance du roi. Je vous dis que le roi y
échoueroit. Je vous dis, en propres termes, que
Je roi pouYoit faire abattre la forêt la plus im-
mense ; mais qu'on ne faisoit pas quatre cents
lieues, à pied, sur des lianes, des ronces et des
épines. Ce que Ton entreprend aujourd'hui est
bien autrement difficile. Supposez, ce qui paroît
impossible, que la nation soit vaincue aux pro-
chains Etats généraux, je demande ce qui arrivera
en 1791, à l'époque où le troisième vingtième
cessera d'être dû, où les impôts, depuis l'incom-
pétence reconnue des parlemens, exigeront le
consentement national. Croyez - vous que ces
cinquante -cinq millions seront perçus .f^ croyez-
vous même que les autres le soient exactement?
Non, non. Croyez plutôt qu'on ne réduit pas
vingt-trois ou vingt - quatre millions d'hommes
248 LETTRES DIVERSES
dont le mécontentement ne se montre point sous
la forme de révolte, mais sous celle de mauvaise
volonté. Alors, que restera-t-il à ceux qui auront
favorisé de si mauvaises mesures ? Je vous supplie,
au nom de ma tendre amitié, de ne pas prendre
à cet égard une couleur trop marquante. Je connois
le fond de votre âme; mais je sais comme on s'y
prendra pour vous faire pencher du côté antipo-
pulaire. Souffrez que j'en appelle à la noble por-
tion de cette âme que j'aime , à votre sensibilité,
à votre humanité généreuse. Est-il plus noble d'ap-
partenir à une association d'hommes, quelque res-
pectable qu'elle puisse être, qu'à une nation en-
tière, si longtemps avilie, et qui, en s'élevant à la
liberté, consacrera les noms de ceux qui auront
fait des vœux pour elle, mais peut se montrer sé-
vère, même injuste, envers les noms de ceux qui
lui auront été défavorables? Je vous parle du fond
de ma cellule, comme je le ferois du tombeau,
comme l'ami le plus tendrement dévoué, qui n'a ja-
mais aimé en vous que vous-même, étranger à la
crainte et à l'espérance , indifférent à toutes les
distinctions qui séparent les hommes, parce que
leur coup d'œil n'est plus rien pour lui. J'ai cru
remplir le plus noble devoir de l'amitié en vous
parlant avec cette franchise : puissiez-vous la pren-
dre pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour l'expres-
sion et !a preuve du sentiment qui m'attache à tout
LETTRES DIVERSES 249
ce que vous avez d'aimable et d*honnête, et à des
vertus que je voudrois voir apprécier par d'autres
autant qu'elles le sont par moi-même.
LETTRE IX.
A M. P
Je n'ai reçu, Monsieur, votre billet qu'hier ma-
tin, au moment où je sortois pour une affaire in-
téressante qui m'a empêché d'avoir l'honneur d'y
répondre sur-le-champ.
Je vous dois d'abord des remercîmens de la
préférence que vous me donnez, en voulant m'as-
socier à des gens de lettres que j'estime et que
j'honore; mais, après mes remercîmens, je vous
prie d'agréer le véritable regret que j'ai de ne
pouvoir être leur coopérateur. La partie dont je
serois chargé entraîne avec soi des inconvéniens
auxquels ils ne se sont pas exposés. Je vous avoue
franchement que je ne sais pas le moyen de traiter
trois fois par mois avec l'amour-propre des auteurs,
acteurs et actrices des trois théâtres de Paris, et
surtout de la Comédie françoise. Serai-je un cri-
tique juste et sévère, me voilà l'ennemi de tous
les mauvais auteurs; et, malgré leur petit nombre,
32
25o LETTRES DIVERSES
ils ne laissent pas d*ètre très-dangereux; prendrai-je
le parti de la grande indulgence, je déshonore,
je décrédite mon jugement; et, ce qui n'est pas
indifférent pour vous, le nombre des souscripteurs
diminuera, car le public veut de la malignité. Il
faut que Tarticle des spectacles soit attendu, qu'il
inspire de la curiosité, de la crainte, de Tespérance;
en un mot, qu'il remue les passions, comme les
ouvrages de théâtre dont il rend compte. Faut-il
tout vous dire, Monsieur ? gardez-moi le secret :
un journal sans malice est un vaisseau de guerre
démâté, à qui les corsaires même refusent le salut.
On peut insister et prétendre qu'il est possible
d'accorder la plus exacte politesse avec une criti-
que sévère. Outre que je crois cet accord très-
difïicile, Tamour-propre des auteurs sait-il, dans
ses chagrins, vous tenir compte de vos ménage-
mens? On injurie, on insulte, on calomnie le cri-
tique, et, en pareil cas, qui peut répondre de soi?
Le sentiment de l'injustice irrite ; le caractère s'ai-
grit; on devient injuste, absurde soi-même, et on
finit par tomber dans un décri, dans un avilisse-
ment qui équivaut à une flétrissure publique et à-
une véritable diffamation. Nous en avons des exem-
ples déplorables dans la personne de M. F... et
de M. de La H..., qui n'étoient point sans talens
l'un et l'autre, à beaucoup près. Qui sait même
s'ils n'étoient pas nés honnêtes? En vérité, cette
LETTRES DIVERSES 231
destinée fait frémir. Il n'en faut pas courir les ris-
ques; il ne faut pas tenter Dieu.
Telles sont mes raisons, Monsieur; et, en sup-
posant, ce qui seroit peut-être en moi trop d'a-
mour-propre, qu'elles ne vous satisfissent point
comme propriétaire du privilège du Mercure, je
suis bien sûr que vous les approuverez comme
homme, et comme honnête homme.
LETTRE X.
A Madame.....
Voici le moment où je commence à soulever
mon âme, après le coup qui vient de l'accabler.
C'est ce qui m'a empêché, mon aimable amie, de
répondre à votre lettre Un autre sentiment m'a
empêché de courir à vous. J'ai craint, je l'avoue-
rai, j'ai craint votre présence autant que je la dé-
sire; j'ai craint d'être suffoqué en voyant, dans ces
premiers jours, la personne que mon amie aimoit le
plus et dont nous parlions le plus souvent. Le
cœur sait ce qu'il lui faut, et quand il le lui faul.
C'est de vous que j'ai besoin maintenant : j'irai
vous voir au premier jour, mais le matin, vers les
dix heures. Je ne réponds pas du premier mo-
ment ; mais je ne suffoquerai point, parce que mon
252 LETTRES DIVERSES
cœur peut s*épancher auprès de vous. Mais, quand
je songe que ce même jour, et sans doute à cette
même heure où je serai chez vous, elle vous ver-
roit aussi... Je m'arrête, et ne puis plus écrire;
les larmes coulent ; et c'est, depuis qu'elle n'est
plus, le moment le moins malheureux.
LETTRE XI.
A la même.
Paris, juillet i 789.
La veille du jour où j'ai reçu votre lettre, Ma-
dame, j'avois vu M. Marmontel et lui avois parlé
de celle qu'il avoit reçue de vous, avec les pièces
justificatives attestant l'acte de vertu auquel vous
vous intéressez. J'ai pris la liberté d'y joindre un
petit mot de reproche sur son défaut de galante-
rie. Sa réponse m'a prouvé que si, en devenant
vieux, on est exposé à devenir paresseux ou moins
galant, on peut du moins continuer à se tenir en
règle ei à mettre ses papiers en ordre. Il m'a mon-
tré votre paquet, bien étiqueté, entre ceux de vos
rivales, et il m'a dit que sa coutume étoit de ré-
pondre après la décision de l'Académie. Je m'ima-
gine, Madame, qu'il ne manquera pas à ce devoir;
mais, en tout cas, je me ferai, à cet égard, le sup-
LETTRES DIVERSES 253
pléant de M. Marmontel, et je deviendrai pour
vous le secrétaire de notre secrétaire.
Vous ne me paroissez pas bien apitoyée sur le
décès de notre ami feu le Despotisme, et vous
savez que cette mort m'a très-peu surpris. C'est
avec bien du plaisir que je reçois de votre main
mon brevet de prophète. Il vaut mieux que celui
de sorcier, qui m'a été expédié par plusieurs de
mes amis ; mais les femmes sont toujours plus po-
lies, plus aimables que les hommes. Au reste,
comme on ne scie plus les prophètes et qu'on ne
brûle plus les sorciers, je jouis en toute sûreté des
honneurs de ma prévoyance. Mais^ en vérité, il
n'en falloit pas beaucoup : il ne falloit qu'appro-
cher du colosse pour s'apercevoir qu'il étoit creux
et pourri, vernissé en dehors et vermoulu en de-
dans. Sa chute, pour avoir été trop soudaine, nous
mettra dans l'embarras quelque temps; mais nous
nous en tirerons.
Je voulois, ces derniers jours, aller causer avec
vous et récapituler les trente ans que nous venons
de vivre en trois semaines; mais la chaleur acca-
blante d'hier et d'aujourd'hui m'a retenu chez
moi. J'irai me dédommager quand le thermomètre
sera descendu de quelques degrés. Il y en a un
qui ne descendra pas : c'est celui de l'amitié que
je vous ai vouée l'an cinquantième du règne de
Claude-Louis XV. C'est une fort bonne raison de
254 LETTRES DIVERSES
ne pas douter de mon tendre et respectueux atta-
chement sous son successeur.
P. S. Voulez-vous bien vous charger de tous
mes complimens pour M..., et le prier de rendre
le Mercure un peu plus républicain : il n'y a plus
que cela qui prenne, /fem, que h Gazette de Frartcc
soit aussi haussée de plusieurs crans, dans la pro-
portion respectueuse où elle doit être à l'égard du
Mercure. Ajoutez, je vous demande en grâce,
qu'à ce prix je lui pardonne la peur qu'il a voulu
me faire des baïonnettes, auxquelles il avoit une
foi trop peu philosophique.
Mercr Paris, P. R. n. i8.
LETTRE XII.
A la même.
Paris, 1789.
Je suis mal avec moi-même, mon aimable amie,
et j'ai besoin d'espérer que je ne suis pas aussi mal
avec vous. Pour commencer par ce qui me peine
le plus, c'est que je ne puis dîner avec vous, ni
même vous voir aujourd'hui. Je suis forcé d'assis-
ter au dîner de notre société des trente-six, où je
veux présenter deux de mes amis pour notre
LETTRES DIVERSES 255
grand club, avant qu'il soit formé et que le scrutin
soit établi. Je les désobligerois grossièrement et
les exposerois à n'être pas reçus, et, de plus, je dé-
plais beaucoup à la société déjà établie pour n'y
avoir pas dîné depuis plusieurs vendredis, jour qui,
n'étant pas académique, a été demandé en ma fa-
veur par quelques amis particuliers; mais ce n'est
pas cette dernière raison qui me prive de vous
aujourd'hui, voilà pourquoi je n'ai pas tant d'hu-
meur contre elle. Au surplus, je ferois mieux de
garder tout à fait ma chambre : car, sans être ma-
lade, je suis excédé, anéanti, et j'ai grand besoin
de repos. Voilà près de huit jours qu'il m'a été
impossible de me délivrer d'une fantaisie de poète,
vraiment poétique , au moins par son acharne-
nement. Le jour, la nuit, le repas même, tout s'en
est ressenti : je ne croyois pas être si jeune. Rien,
absolument rien, n'a pu faire lâcher prise à cette
lubie. C'est être mordu d'un chien enragé. Le
chien n'étoit pas gros, mais c'est un chien-
loup, ou plutôt un chien-lion, un mélange d'hor-
rible et de ridicule, de raison et de folie, mais où
la raison ordonnoit à la folie de paroître domi-
nante. J'irai vous faire ma cour un de ces matins,
et vous présenter à votre lever mon redoutable
petit Bichon. J'espère que, malgré ses dents, et
non pas malgré lui, il pourra vous amuser. Je ne
me servirois pas de lui pour faire ma paix avec
2d6 lettres oiverses
vous, car je ne la ferois jamais avec moi-même,
si je n'avois pas à vingt reprises écarté, repoussé
cette persévérante folie, souveraine maîtresse de
mon imagination. Si je vous en demandois par-
don, ce seroit vous demander pardon d'avoir eu
quelques accès de fièvre. Fièvre soit, la comparai-
son est juste , et il ne me falloit rien moins qu'une
maladie pour m'empêcher de vous envoyer bien
vite ce que je vous ai promis.
Il est vrai de dire que je me suis bien mis qua-
tre à cinq fois au livre de M. de Saint- Pierre,
dont j'avois mille choses à dire, toutes préparées
dans ma tête, et il n'est pas moins vrai que je n'ai
pu les retrouver, que rien ne venoit; mais à la
place accouroient les idées dont j'étois rempli : la
folle étoit reine dans la maison. Qu'y faire? Céder
pour redevenir le maître. La voilà chassée, tout
à fait chassée, et dès demain je me remets à la sa-
gesse, c'est-à-dire à ce qui peut vous faire plaisir.
Je vous l'enverrai tout de suite, ce qui est bien
généreux : car je ne prétends pas différer le plaisir
de prendre une tasse de chocolat auprès de votre
chevet.
Adieu, mon aimable amie ; vous connoissez mon
respect et mon attachement. Vous chargez-vous
de tous mes complimens et de tous mes regrets
auprès de M...?
LETTRES DIVERSES îS/
LETTRE XIII.
A la même,
Paris, 1 5 juillet 1790.
Bon Dieu! que j'admire votre courage et que
j'aime votre bonté ! Que je vous ai désirée à la
place où j*étois, en face de Tautel, et, tout au-
près, un asile contre les averses! Je sais oîi vous
étiez, et vous étiez bien mal. Dans ce moment,
je vous aurois presque grondée; mais je vous au-
rois aimée davantage , s'il est possible. Comme il
n'y aura plus de fédération, j'espère que vous vous
ménagerez, que vous soignerez ce mieux qui,
Dieu merci, est arrivé bien vite, dont j'irai voir les
progrès au plus tôt, peut-être aujourd'hui même,
et dont je vous remercie.
J'aime bien encore votre nouvelle profession de
foi : nous sommes inébranlables dans notre reli-
gion. J'entends crier à mes oreilles, tandis que je
vous écris : Suppression de toutes les pensions de
France! et je dis : « Supprime tout ce que tu vou-
dras, je ne changerai ni de maximes ni de senti-
mens. » Les hommes marchoient sur leur tête, et ils
marchent sur les pieds; je suis content : ils auront
toujours des défauts, des vices même ; mais ils
Chamfort. — II. 3 3
258 LETTRES DIVERSES
n'auront que ceux de leur nature, et non les dif-
formités monstrueuses qui composoient un gou-
vernement monstrueux.
Adieu, mon aimable amie, conservez-vous pour
vos amis. Faisons durer tout ce qui est bon de
l'ancien temps , qui étoit si mauvais !
LETTRE XIV.
Paris, 17 janvier 1792.
Je n'ai pas répondu, mon ami; à votre dernière
lettre, i® parce que je ne l'ai pas pu; 2® parce
que je savois que sous trois jours les journaux se
chargeroient de répondre à l'un de ses articles
principaux , celui qui nous occupoit alors , les ras**
semblemens des réfugiés brabançons à Lille»
Douay, etc. Il y a des siècles depuis ce moment»
et tout est bien changé. Je vis avec des personnes
(et ce ne sont pas celles que vous connoissez) qui
se trouvent, par une position bizarrement favora-
ble, très au fait des affaires des Pays-Bas. Tou-
jours est-il vrai que depuis un mois ils m'annon-
cent , quatre jours à l'avance , ce qui se trouve
vérifié par l'événement. Ces gens-là soutiennent
que Léopold craint une guerre avec nous plus que
les badauds de Paris ne la craignoient il y a deux
LETTRES DIVERSES 259
ans. Ils prédisent que sa réponse du lo février
prochain sera telle que nous la pourrions désirer
dans le système le plus pacifique; et je conçois
que les mouvemens déjà sensibles dans plusieurs
de ses États, et entre autres dans la Styrie, sont
bien capables de l'inquiéter. Mais, supposons qu'il
veuille agir hostilement dans deux mois, que fe-
rons-nous si, d'ici à ce temps, il parle en allié et
en bon voisin? Lui déclarerons- nous la guerre?
entrerons-nous dans le Brabant, comme un certain
parti nous en sollicite? C'est ce qui paroît impos-
sible, et, dans la supposition même où il lieroit
sa partie avec les princes allemands pour nous
faire au printemps prochain une guerre qu'il rendra
sûrement une guerre d'Empire, comment forcerons-
nous notre pouvoir exécutif, maître des combinai-
sons militaires, à marcher en Brabant plutôt qu'à
Liège, à Trêves, etc.? On rit de pitié lorsqu'on
voit, après deux ans et demi de révolution, le
parti patriote n'ayant pas eu le crédit de chas-
ser un commis de la guerre, M. Bessière, par
exemple, et des commis des affaires étrangères,
tels que Hennin et Rayneval. Contraindra-t-il le
roi à agir sérieusement contre sbn beau-frère, avec
qui se sont concertés des arrangemens déjoués
par le hasard plus que par la pohtique? C'est ce
qui ne pourroit arriver qu'après une crise qui com-
pliqueroit encore notre position et la rendroit
26o LETTRES DIVERSES
peut-être encore plus embarrassante. Mon idée est
toujours que tout ceci est un problème sans solu*
tion, un drame brouillé et confus, dont le dénoû-
ment tombera d'en haut comme celui des pièces
d'Euripide. Ce que je sais seulement, c'est que le
mouvement général entravera tous les mouvemens
partiels et contradictoires dont on cherche à le re-
tarder.
N*avez-vous pas bien ri du patriotisme qui,
dans la séance du 14 de ce mois, a saisi nos mi-
nistres et les huissiers? J'ai surtout été ravi de
l'enthousiasme de M. de Lessart, quoique celui de
M. Duport ait bien son mérite, M. Duport qui
disoit la surveille : « Tout ceci ne peut pas aller,
et la constitution ne marchera jamais sans une
chambre haute ! »
La plupart de nos députés, quelques meneurs et
quelques intrigans, voient que M. de Lessart tire à
sa fin, et c'est même l'opinion générale. Ce n'est
pas la mienne, et j'ai de fortes raisons de croire
qu'il sera très-difficile de le déraciner. Peut-être
en savez-vous autant que moi , si vous n'en savez
pas plus. Quoi qu'il en soit, je dis à qui veut
l'entendre que je ne compterai sur la sincérité des
Tuileries que lorsque vous aurez ce ministère-là.
Je m'aperçois que je ne réussis pas également au-
près de tout le monde en parlant ainsi : cet ar-
rangement n'est pas celui qui convient à certaines
LETTRES DIVERSES 26 1
gens que vous savez ; mais c*est ce qui m'importe
fort peu. Croiriez-vous qu'il y a eu une plate in-
trigue pour y placer S. L...? L'ancien régime n'é-
toit pas plus impudent. S. L... aux affaires étran-
gères ! lui qui ne sait pas plus la géographie que
M. de Lessart! Vous jugez bien qu'on croyoit
le gouverner jusqu'au moment où Tannée 1793
ouvriroit la porte aux nobles de la minorité, les
seuls hommes vraiment faits pour les places. H est
bien heureux pour les auteurs de cette plate intri-
gue d'avoir été siffles avant le lever de la toile : ils
en auroient été les dupes; il les eût joués tous et
probablement foulés aux pieds. Qu'eût fait S. L...?
Il ne manque pas d'esprit. Il a cette activité que
donne à un ambitieux l'habitude du travail dans
les emplois subalternes; il eût pris la géographie
de Busching, de bonnes cartes, eût parcouru les
cartons et les portefeuilles des affaires étrangères,
se seroit bourré la cervelle de tout ce qui pouvoit
y entrer en quinze jours, leur eût dit qu'il en sa-
voit plus qu'eux en politique, et leur eût du moins
prouvé qu'en intrigue et en audace il étoit leur
maître à tous. Voilà l'homme, et tel est le carac-
tère qu'il a montré depuis qu'il est en place. Vous
savez qu'ils veulent M. Dietrich. Je sais que c'est
un bon citoyen et un homme de mérite; mais
j'ignore s'il a d'ailleurs toutes les connoissances
requises.
2b2 LETTRES DIVERSES
Adieu, mon cher ami; je vous aime et vous em-
brasse de tout mon cœur. Vos fanatiques vous
donnent bien du tracas dans votre département.
Mais le dégoût que m'inspirent ici les intrigans et
les fripons, ci-devant honnêtes, remplit l'âme d'un
sentiment plus mélancolique.
L'hommage de T amitié à votre peureuse amie.
LETTRE XV.
Paris, 12 août 1793.
Je continue, mon ami, de me bien porter; mais
je ne néglige point mon régime. J'ai fait ce ma-
tin le tour de la statue renversée de Louis XV, de
Louis XIV, à la place Vendôme, à la place des
Victoires. C'étoit mon jour de visite aux rois dé-
trônés, et les médecins philosophes disent que c'est
un exercice très-salutaire. Vous serez sûrement de
leur avis. En tous cas, j'ai pris cela sur moi.
De la place Louis XV j'ai poussé jusqu'au
château des Tuileries. C'est un spectacle dont on
rose fait pas l'idée. Le peuple remplissoit le jardin,
comme il eût fait celui du Prato, à Vienne, ou ceuK
de Potsdam ; la foule inondoit les appartemens
teints du sang de ses frères et de ses amis, et percés
LETTRES DIVERSES 263
de coups de canon renvoyés en réponse à ceux
qui les avoient massacrés la surveille. Les conversa-
tions étoient analogues à ces tristes objets. A la
vérité, je n'ai pas entendu prononcer le nom du roi
ni celui delà reine; mais, en revanche, on yparloit
beaucoup de Charles IX et de Catherine de Médicis.
Une vieille femme y racontoit plusieurs traits de
rhistoire de France. Un homme en haillons citoit
l'anecdote de la jatte et des gants de la duchesse
de Marlborough comme ayant été la cause d'une
guerre. Il se trompoit : elle fit faire une campagne
de moins ; mais je me suis bien gardé de rétablir
le texte : j'aurois été pris pour un aristocrate;
d'ailleurs, la méprise étoit si légère, et l'intention
du conteur étoit si bonne!
Voulez-vous savoir de combien de siècles l'opinion
a cheminé depuis deux mois? Rappelez-vous le
symptôme que je vous citois de la passion françoise
pour la royauté, ce que je prouvois par la facilité
avec laquelle les danseurs jacobins, sous mes fenêtres,
passoient de l'air Ça ira à l'air Vive Henri IV! Eh
bien, cet air est proscrit, et au moment où je vous
parle la statue de ce roi est par terre. Rien ne m'a
plus étonné dans ma vie. Je ne vous dirai plus que
ceux qui voudroient la répubHque trouveroient sur
leur chemin la Henriade et le Lodoïx de l'univer-
sité; non, cela n'est plus à craindre, et je suis sûr
même que le Versalicas arces de nos poëmes latins
264 LETTRES DIVERSES
modernes ne protégera pas Versailles. Il ne falloit
rien moins que la cour actuelle pour opérer ce
miracle; mais enfin, elle Ta fait: gloire lui soit
rendue ! Je n'ai plus le moindre doute à cet égard
depuis que j'ai entendu les discours très-peu badauds
des Parisiens autour des statues royales qui ont eu
ce matin ma visite. Pour moi, le peu de badauderie
qu'il me reste m''a engagé à lire quelques mots
écrits sous un pied du cheval de Louis XIV. Que
croyez-vous que j'y ai trouvé? Le nom de Girardon,
qui avoit caché là son immortalité. Cela ne vous
paroît-il pas l'emblème de la protection intéressée
accordée aux beaux-arts par un despote orgueilleux,
et en même temps de la modeste bêtise d'un artiste,
homme de génie, qui se croit honoré de travailler
à la gloire d'un tyran? Plus j'étudie l'homme, plus
je vois que je n'y vois rien. Au reste, il seroit
plaisant que Girardon se fût dit en lui-même : a La
gloire de ce roi ne durera pas; sa statue sera ren-
versée par la postérité indignée de son despotisme,
et son cheval, en levant le pied, parlera de ma
gloire aux regardans. » Cet artiste-là auroit eu une
philosophie qu'on pourroit souhaiter aux Racine et
aux Boileau.
A propos de roi, on m'a dit qu'on parloit de
vous pour l'éducation du prince royal. J'y trouve
une difficulté : comment saurez-vous quel métier il
faut faire apprendre à votre élève, en cas que les
LETTRES DIVERSES 205
François ressemblent aux Parisiens? Prenez-y garde !
cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Vous êtes sûrement bien aise que Grouvelle soit
secrétaire du conseil, et par conséquent qu'un
mauvais génie ne l'ait pas placé il y a sept ou huit
jours, comme le bruit en avoit couru. Il trouvera
ce métier bien doux auprès de celui de président
de section, qu'il a fait pendant la terrible nuit
d'avant-hier. Un président de section étoit, en ce
moment, un composé de commissaire de quartier,
arbitre, juge de paix, lieutenant criminel, et un
peu fossoyeur, vu que les cadavres étoient là qui
attendoient ses ordres, comme il arrive quand le
pouvoir exécutif force la souveraineté à recourir au
pouvoir révolutionnaire. Je suis bien aise aussi que
Lebrun soit aux affaires étrangères, quoique je n'aie
jamais pu, pendant deux mois, obtenir de lui une
épreuve de la Gazette de France tandis qu'il la
faisoit sous mon nom. Je n'ai pas de rancune.
Adieu, mon cher ami; je vous aime et vous em-
brasse très-tendrement : vous voyez que, sans être
gai, je ne suis pas précisément triste. Ce n'est pas
que le calme soit rétabli, et que le peuple n'ait,
encore cette nuit, pourchassé les aristocrates, entre
autres les journalistes de leur bord ; mais il faut
savoir prendre son parti sur les contre-temps de
cette espèce. C'est ce qui doit arriver chez un
peuple neuf qui pendant trois années a parlé sans
34
206 LETTRES DIVERSES
cesse de sa sublime Constitution, mais qui va la
détruire, et, dans le vrai, n'a su organiser encore
que rinsurrection. C'est peu de chose, il est vrai,
mais cela vaut mieux que rien.
Adieu, encore une fois. Je vous espère sous
huitaine, ainsi que notre cher malade. Je ne vous
ai point parlé de lui, parce que je vais lui écrire.
LETTRE XVI.
A la Citoyenne
1 5 frimaire, l'an II de la République.
C'est un besoin pour moi, mon aimable amie, de
vous écrire, et je suppose qu'en ce moment-ci vous
êtes disposée à faire grâce aux défauts de mon
écriture. Je ne croyois pas, lorsque vous déchiriez
votre linge pour mes blessures et pour m'envoyer
de la charpie, que je pourrois sitôt tracer de ma
main les remercîmens que je vous ai adressés du fond
du cœur. Ils seront courts, cette fois-ci, mais ils n'en
seront pas moins vifs : appliquez-leur ce qu'on dit
des prières, ce qui n'empêche pas d'en faire quel-
quefois de longues qui valent bien leur prix.
On me flatte d'obtenir bientôt ma liberté. Je
suis diflîcile en espérance, mais je ne veux pas avoir
LETTRES DIVERSES itj
pour moi-même la cruauté de repousser celie-ci. Je
serois pourtant plus voisin de vous au Luxembourg ;
mais vous ne me souhaitez pas d'être votre voisin
à ce prix.
Adieu, mon aimable amie. Respect et tendresse,
et sensibilité à vos peines que je sais.
DISSERTATION
SUR
L'IMITATION DE LA NATURE
ES OUVRAGES DRAMATIQ.IJE5.
I parle sans cesse de la nécessite
r la nature, sans que personne
igné fixer le vrai sens de ce terme,
L devient presque une abstraction
par le petit nombre d'idées claires' et distinctes
qu'on y attache. Ordinairement la philosophie,
pour mériter ce nom , a besoin de voir en grand;
ici, elle doit descendre dans quelques détails, sous
peine d'être absolument illusoire. Toutefois il est
270 DISSERTATION
nécessaire de remonter d'abord à des vues géné-
rales.
Les grandes et sublimes proportions que la na-
ture a mises dans ses ouvrages échappant à nos
foibles yeux, les arts se sont proposé de créer pour
nous un monde nouveau, plus parfait en apparence
parce que nous embrassons plus aisément les rap-
ports de ses différentes parties. Ils nous placent
dans un ordre de choses d'un choix plus exquis;
ils embellissent notre séjour; ils doivent orner
l'édifice plutôt que d'en élever un semblable.
L'homme, étant ce qu'il y a dans le monde de
plus intéressant pour l'homme^ a été le principal
objet de l'étude des artistes. Ils l'ont considéré
sous toutes les faces, sous les rapports qui le lient
à ses semblables ; ils l'ont observé dans presque
toutes ces circonstances si nombreuses qui oppo-
sent l'homme de la nature à l'homme de la société ,
qui mettent aux prises ses goûts et ses intérêts,
ses passions et ses devoirs; enfin ils l'ont placé
dans les attitudes les plus pénibles , et lui ont fait
subir une espèce de torture pour arracher de son
âme l'expression véritable d'un sentiment pro-
fond.
Quelle a dû être la marche de leur esprit dans
cette opération ? qu'a dû faire le peintre ? qu'a dû
faire le poète ? Ils ont regardé autour d'eux : l'un
a vu que les hommes bien proportionnés étoient
SUR l'imitation de la nature 271
en petit nombre ; l'autre, que la plupart d'entre
eux avoient une âme foible et froide, indigne
et incapable d'intéresser. Le peintre aperçoit uil
homme d'une stature plus haute que celle des
autres : il l'arrête, il lui dit : « Vous serez mon
modèle. » Le poëte, à travers une foule méprisa-
ble, distingue un homme qui mérite son attention;
son âme est à la fois sensible et forte, ardente et
inébranlable : «Voilà, dit le poëte, l'homme que
je veux peindre. »
L'artiste doit m'offrir sans cesse le sentiment de
mon excellence, et ce sentiment, je serai bien loin
de l'éprouver si vous peignez les hommes exacte-
ment comme ils sont dans la nature. Agrandissez-
nous à nos propres yeux : c'est une flatterie indi-
recte et d'autant plus ingénieuse, par laquelle vous
séduirez à coup sûr notre jugement. Corneille a
dit : « L'homme s'admirera en m'écoutant, en me
lisant. Je lui montrerai Rodrigue tuant par hon-
neur le père d'une maîtresse qu'il adore; Auguste
pardonnant à son assassin; César vengeant la mort
de son ennemi. Je peindrai de grands criminels,
et on s'intéressera à leur sort, parce que le crime,
si je le risque sur le théâtre, peut attacher; il n'y
a que la bassesse qui soit tout à fait révoltante :
un vil intrigant qui sacrifie son gendre à de lâches
espérances de grandeur , je lui donnerai des re-
mords qui feront au moins tolérer son caractère. »
272 DISSERTATION
Au reste, il seroit à souhaiter que Corneille eût
pu placer Pauline et Sévère dans l'admirable situa-
tion où il les a mis , sans exposer aux yeux un ca-
ractère aussi vil que celui de Félix. De ce qu'on
n'ose plus en hasarder de semblables, quelques
personnes infèrent la médiocrité des successeurs de
Corneille : lui seul , dit-on , pouvoit mettre un
Félix, un Prusias, sur la scène. Il falloit conclure
au contraire que depuis ce grand homme on a fait
des progrès dans l'art qu'il a créé. On a senti qu'il
falloit des raisons invincibles pour autoriser un
poète à peindre de si vils criminels. L'admirable
rôle de Narcisse, dans Britannicus, contient une
des plus belles leçons qu'on ait jamais données
aux rois, et cependant cette considération n'em-
pêche pas que le parterre ne voie ce personnage
avec peine, et l'on sait que le public donna, aux
premières représentations de ce chef-d'œuvre, des
marques d'un mécontentement peu équivoque.
Plus on sonde ce principe, plus on le trouve
fécond. Il explique d'une manière satisfaisante
l'extrême déplaisir qu'on éprouve à voir des carac-
tères nobles s'avilir et se dégrader. Je sais pour-
quoi mon âme est affectée désagréablement lorsque
le vainqueur des Curiaces enfonce le poignard
dans le sein de sa sœur, dont le seul crime est de
pleurer la mort de son amant. En lisant l'histoire
même , ne sommes-nous pas sensiblement affligés
SUR l'imitation de la nature 273
lorsqu'un des principaux personnages s'avilit par
quelque action qui flétrit une âme à laquelle la nôtre
s'intéressoit? Cette nécessité de maintenir l'énergie
du caractère est si reconnue que les poëtes tragi-
ques ont Tattention de ne jamais laisser entendre
aux héros de leurs poèmes rien d'humiliant pour
eux , même dans la bouche d'un ennemi. Voyez si
les menaces d'Assur, dans Sémiramisj ont rien
d'avilissant pour Arsace 1 Ce secret de l'art qui
consiste à faire tomber l'odieux d'un crime sur un
confident est une des découvertes les plus utiles
à la tragédie. Racine l'a mis le premier en usage
dans Phèdre. L'auteur de Mahomet en a profité ha-
bilement quand il s'est servi d'Omar pour donner
à Mahomet l'idée de faire immoler Zopire par
Séide.
Quoique les anciens aient négligé plus d'une
fois de soutenir les caractères dans toute leur
force , ils ne laissoient pas d'en sentir la nécessité.
Lorsqu'ils étoient obligés d'avilir un héros, un dieu
ou une déesse venoit partager le crime avec lui,
ou même s'en chargeoit entièrement. Les hommes
aimoient mieux qu'on leur montrât un dieu vindi-
catif ou une déesse jalouse qu'un être de leur
espèce vil et dégradé. C'est ainsi que, dans Ho-
mère, Minerve, la déesse de la sagesse, conduit
Ulysse et Diomède aux tentes de Rhésus. Elle ne
se montre ni plus juste ni plus généreuse dans
Chamfort. II. 35
274 DISSERTATION
VAjax furieux, où elle trompe ce malheureux prince
en feignant de le servir, tandis qu'elle sert en effet
son rival. L'usage que les anciens faisoient, à cet
égard , de leurs divinités, paroit plus condamnable
encore que la manière dont ils s'en servoient pour
le dénoûment de leurs pièces.
Il est à peu près reconnu que les modernes sont
très-supérieurs aux anciens dans l'art de tracer les
caractères. Je ne doute pas que ceux-ci n'aient
bien peint les mœurs existantes sous leurs yeux; je
dis seulement que les caractères des bons ouvrages
anciens ne sont pas aussi fortement dessinés que
ceux des bons ouvrages modernes. Je crois pou-
voir en assigner plusieurs raisons. Ce n'est que
depuis la renaissance de la philosophie qu'on a
profondément réfléchi sur la théorie des beaux-
arts. Les Grecs paroissent avoir peu médité sur ce
sujet. Dominés par une âme sensible et une ima-
gination ardente , ils se laissoient entraîner par ces
guides, qui conduisent rapidement celui qui marche
à leur suite , mais qui quelquefois l'égarent. En
effet, le génie ne préserve pas des écarts du génie.
Il a besoin d'être dirigé par des réflexions qu'il ne
fait ordinairement qu'après s'être trompé pins
d'une fois. Plus le goût de la société s'étend, plus
les objets des méditations du philosophe se multi-
plient. Les idées de la vraie grandeur et de la
vraie vertu deviennent plus justes et plus précises.
SUR L*IMITATION DE LA NATURE 276
La corruption des mœurs, qui, selon quelques
sages, est le fruit de ce goût excessif pour la société,
est pour le poëte une raison de plus de multiplier
les caractères vertueux. On a dit que plus les
mœurs s'altèrent, plus on devient délicat sur les
décences. Par cette raison , plus les hommes de-
viennent vicieux , plus ils applaudissent à la pein-»
ture des vertus. Fatigués de voir des âmes com^
munes, des bassesses, des trahisons, leur cœur se
léfugie, pour ainsi dire, dans ces monumens pré-
cieux, où il retrouve quelques traits d'une grandeur
pour laquelle il étoit né.
Mais telle est la foiblesse de la nature humaine,
même dans ses vertus, que, pour nous rendre in-
téressans à nos propres yeux , le poëte a presque
toujours besoin de nous embellir. Quel est le terme
auquel il doit s'arrêter? Je crois qu'il peut nous
agrandir tant qu'il voudra, pourvu que l'illusion
ne disparoisse point, pourvu que nous nous recon-
noissions encore. L'intérêt cesse avec la vraisem-*
blance ; mais ce qui est vraisemblable pour l'un ne
l'est pas pour l'autre. Nous jugeons les hommes
vertueux suivant les moyens que nous avons de les
égaler. La décision de ce procès appartient exclu*
sivement au très-petit nombre d'hommes qui, nés
avec un sens droit et une âme élevée, peuvent
trouver l'appréciation vraie de chaque chose, peu-»
vent dire : « Ce sentiment est juste et noble, celui-
276 DISSERTATION
ci est vrai, celui-là est faux ou exagéré. L'un doit
naître dans un cœur honnête , l'autre n'existe que
dans la tête d'un poète qui s'efforce de créer des
vertus. » Croyons qu'il est des hommes dignes de
porter un tel jugement.
Souvent un seul sentiment faux détruit une illu-
sion délicieuse , et la détruit plus désagréablement
qu'une invraisemblance. Qu'une mère, réduite à
la dernière infortune par l'erreur d'un juge, se
retire dans un cloître avec sa fille; qu'elle passe
pour la gouvernante de son enfant; qu'appelée
ensuite, par un concours de circonstances, dans la
maison de son juge, elle y vienne avec sa fille;
que le fils de ce juge devienne amoureux de la
jeune personne; que la tendre gouvernante se défie
de cet amour, et veille sur sa fille avec toutes les
inquiétudes et toutes les transes de la maternité :
voilà ce qui doit intéresser tous les cœurs. Je veux
bien passer au poète la combinaison d'incîdens
divers dont il doit résulter de si grands meuve»
mens ; mais que cette mère dans l'indigence, sou^
frant dans elle-même et dans sa fille, refuse la
restitution de ses biens, c'est-à-dire ne permette
pas que son juge s'acquitte d'un devoir rigoureux »
alors je vois un être imaginaire, produit par un
auteur qui, dans ce moment, n'avoit pas le senti-
ment juste des convenances véritables.
' Une autre raison pour laquelle un auteur doit
SUR l'imitation de la nature 277
s'attacher à n'exprimer que des sentîmens vrais,
c'est que plusieurs bons esprits, ayant vu dans la
plupart des ouvrages de théâtre une fausse gran-
deur, rient de tout ce vain étalage dramatique
dont rien n'est à leur usage, au lieu qu'un senti-
ment noble et juste passe rapidement dans une
âme bien faite, qui l'adopte avec avidité.
Il faut un sens très-exquis pour s'arrêter, à cet
égard, dans les justes bornes, et ce n'est que de-
puis Racine qu'on les a fixées. Pompée implore le
secours du roi d'Egypte ; il a mis en sûreté la
moitié de lui-même; il n'a plus rien à craindre
que pour sa vie ; il prévoit le traitement qu'on va
lui faire; il s'abandonne à sa destinée sans se
plaindre : voilà un grand homme. Mais il dédaigne
de lever les yeux au ciel ,
De peur que, d'un coup d'œil, contre une telle offense
Il ne semble implorer son aide ou sa vengeance :
voilà un capitan impie. Les princesses de Corneille
me paroissent quelquefois avoir pour la vie un
mépris féroce et peu intéressant. Iphigénie dit
naturellement :
Peut-être assez d'honneurs environnoient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,
Ni qu'en me l'arrachant un sévère destin
Si près de ma naissance en eût marqué la fin.
278 DISSERTATION
Encore plusieurs gens de goût ont-ils blâmé Racine
de n'avoir pas donné à cette jeune princesse une
plus grande frayeur de la mort. Aménaïde avoue
aussi un sentiment semblable :
Je ne me vante point du fastueux effort
De voir, sans m'alarmer, les apprêts de ma mort :
Je regrette la vie; elle doit m'être chère.
Puisque les hommes du plus grand courage ne
doivent mépriser la vie que lorsqu'ils ne peuvent
la conserver qu'en trahissant leur devoir, à plus
forte raison de jeunes princesses innocentes ne
doivent point la quitter sans regret, quoique prêtes
à la sacrifier si leur devoir l'exige.
Mais , s'il est vrai qu'il n'y ait point de grande
action dont l'humanité ne soit capable, il est im-
possible que toutes les vertus se réunissent sur un
seul être. Les poètes tragiques ont su éviter ce
défaut , dans lequel sont tombés plusieurs romanciers
excellens. Ceux-ci ont d'avance affoibli l'intérêt
qu'ils font naître dans la suite. C'est ce qu'a fait
l'auteur de Grandisson en prenant soin d'accumuler
sur son héros toutes les vertus et tous les avan-»-
tages que la nature et la fortune n'ont jamais réunis
dans un seul homme.
Quelques auteurs célèbres, las de voir dans la
plupart des caractères une empreinte romanesque ,
se sont avisés d'avilir tout à coup un personnage
SUR L IMITATION DE LA NATURE 279
qu'ils avoient rendu intéressant par la réunion des
sentimens les plus délicats. Ils se fondent sur ce
que nul n*est parfait dans la nature, et qu'il faut,
en présentant au lecteur de grands écarts ainsi que
de grandes vertus, lui persuader qu'il ne lit point un
roman. On répond que l'art consiste à obtenir cet
effet sans employer de pareils moyens. Un grand
intérêt pris fortement dans nos mœurs véritables,
quelques taches volontairement répandues dans les
caractères principaux, quelques circonstances com-
munes dans les événemens, soutiendront parfaite-
ment l'illusion. Le poète et le romancier doivent
imiter, en ce point, l'artifice de ces menteurs
adroits qui assurent la croyance à leurs récits en
y mêlant des détails frivoles. Au reste, le peu
d'effet qu'ont produit ces ressorts dans des mains
habiles et vigoureuses empêchera, sans doute, que
des mains plus foibles osent jamais essayer de s'en
servir.
Si l'idée de grandeur que nous attachons à notre
nature est une source d'intérêt, le sentiment de
notre foiblesse contre certains coups de la fortune,
le besoin d'appui et de consolation, en ouvrent
une autre non moins abondante, et souvent ces
deux sensations se réunissent. La simple vue d'une
action de générosité nous transporte. En sommes-
nous les objets, elle arrache de nos yeux des
larmes de reconnoissance et d'admiration. Quand
280 DISSERTATION
nous avons le bonheur de la faire nous-mêmes ,
elle excite dans nous un doux tressaillement qui ^
se confondant par dégrés avec le calme d'une joie
pure et concentrée, forme la jouissance la plus
voluptueuse que la nature ait accordée à l'homme.
Oreste et Pylade se disputant l'honneur de mourir
l'un pour l'autre, que de sentimens délicieux
s'élèvent à la fois dans votre âme 1 Vous jouissez
de la générosité de Pylade, il vous semble que
vous rimileriez ; l'infortune d'Oreste vous attache
et vous attendrit. Une identification qui, pour être
rapide , n'en est pas moins réelle , nous transforme
dans l'homme que l'infortune accable , et dans
l'ami généreux qui veut mourir pour lui. Nous
jouissons des deux sentimens qui nous sont les
plus chers : du sentiment de notre grandeur qui
nous flatte , et de celui de notre foiblesse qu'on
soulage.
Ce seroit peut-être ici la place d'examiner pour-
quoi les grands crimes ne sont intéressans au
théâtre que quand ils sont commis par des hommes
à peu près vertueux. Si Œdipe étoit un scélérat,
il ne seroit que révoltant. Qu'un monstre, pour
remplir une vengeance méditée depuis plus de
vingt ans, fasse boire à un malheureux père le
sang de son fils, c'est une horreur qui n'est point
intéressante. On répond que l'intérêt porte sur
Thyeste. J'insiste , et je dis que Thyeste n'inspire
SUR l'imitation de la nature 281
point un intérêt déchirant tel qu'on devoit Fat-
tendre d*une pareille situation si elle eût été
adoucie. On a seulement pour lui cette pitié qu'on
accorde à tous les malheureux. Un écrivain célèbre,
dans une lettre éloquente contre les spectacles,
fait un grand mérite à l'auteur d'Atrée d'avoir in-
téressé tous les spectateurs pour la simple huma-
nité. Ce point de vue, sans doute, est philoso-
phique ; mais qu'on examine s'il en falloit faire un
mérite à l'auteur. Thyeste est jeté par la tempête
dans un port soumis au cruel Atrée. Il faut échap-
per à sa vengeance ; il cache sa qualité de prince :
quoi qu'il fasse , il faut bien qu'il reste homme ; il
ne peut renoncer à ce titre. Il est évident que la
force du sujet a tout fait, et qu'il n'a point un si
grand mérite dans cette disposition, qui d'ailleurs
appartient tout à fait à Sénèque. Mais qu'un amant
sensible et généreux tue sa maîtresse vertueuse, et
qu'il croit infidèle; qu'Oreste, que Ninias, mas-
sacrent leur coupable mère avec le projet de ne
jamais cesser de la respecter : voilà un genre de
tragédie qui aura toujours des droits sur tous les
hommes. L'événement tragique est le même, sans
qu'il soit besoin d'offrir des monstres aux yeux des
spectateurs. L'erreur commet le crime, l'homme
reste vertueux : l'effet théâtral n'y perd rien.
Le dogme de la fatalité , répandu chez les an-
ciens, les amena par degrés à concevoir ainsi la
36
282 DISSERTATION
tragédie. D'abord, le besoin que les hommes ont
d*être ébranlés fortement fit qu'on se contenta
d'une émotion vive, de quelque manière qu'elle fût
produite : Oreste tourmenté par les furies, Promé-
thée attaché sur le Caucase tandis que des vau-
tours lui déchiroient le cœur ; ces affreux spectacles
suffirent. Ensuite on s'efforça de rendre intéressant
le héros du poème : le poète ménagea tellement
son action qu'on ne pouvoit imputer les crimes de
son héros qu'à une fatalité tyrannique; c'est ce qui
rend Œdipe et Phèdre si attachans. Depuis, Cor-
neille, aidé de Guilhem de Castro et de son génie ,
inventa la tragédie fondée sur les passions. Enfin
on est revenu depuis à un genre de tragédie fondé
en même temps sur les passions et sur cette dépen-
dance où nous sommes d'une cause supérieure :
telle est Sémiramis, et telles sont les pièces dont
les sujets sont tirés du théâtre des Grecs. Quelque
admiration que j'aie pour ce genre, dans lequel on
peut offrir aux hommes de grandes leçons et pe
grands tableaux, j'avoue que je lui préfère la tra-
gédie qui fait couler des larmes de pur attendrisse-
ment : telles sont Andromaque, Zaïre, Alzire,
etc.
Les différens peuples policés ont suivi des pro-
cédés différens dans l'imitation de la nature. Les
Grecs ont prodigué les grands traits, mais s'en sont
souvent permis plusieurs qui avilissoient leurs héros.
SUR L*IMITATION DE LA NATURE 283
Ce défaut venoit de ce que, dans ces siècles hé-
roïques et grossiers, on n'avoit point fixé les véri-
tables notions des vertus morales. Les Romains,
nés moins heureusement, mais ayant plus d'idées
sur les décences, tracèrent des caractères moins
forts, mais plus soutenus. Les deux ou trois siè-
cles qui précédèrent la renaissance des lettres doi-
vent être comptés pour rien. Une imitation servile
des anciens, tant Grecs que Romains, tint lieu de
tout mérite dans TEurope littéraire. Les Anglois,
les Italiens et les François prirent des routes diffé-
rentes. Les deux premiers de ces peuples, surtout
les Anglois, se piquèrent d'imiter la nature avec
une vérité souvent grossière et rebutante. La
preuve qu'ils n'étoient point dirigés dans cette
marche par le désir d'opérer une illusion par-
faite, mais seulement par une rusticité qui n'est
point incompatible avec les élans du génie , c'est
qu'en même temps qu'ils copioient la nature com-
mune, ils choquoient toutes les vraisemblances, en
resserrant dans l'espace d'un jour des événemens
qui avoient rempli trente années. Les Italiens imi-
tèrent la nature dans des détails moins odieux ,
mais peu intéressans. Dans la Mérope de Maffei,
le vieillard qui vient chercher le jeune Egiste se
permet de parler beaucoup , et de dire plusieurs
choses inutiles à l'action. Blâmez, en Italie, cette
absurdité, on vous répondra : «Telle est la nature. »
284 DISSERTATION
En France , nous pensons qu*il pourroit exister un
vieillard qui , ayant élevé le fils de son roi , et
l'ayant laissé échapper de ses bras, viendroit le ré-
clamer sans bavardage.
Combien cette imitation servile de la nature est
^eu intéressante ! Dès lors, le goût, ce conducteur
du génie, est banni de l'empire des arts; dès
lors, plus de nécessité de porter du choix dans les
parties, pour en former un ensemble intéressant:
une vérité, souvent désagréable, tiendra lieu de
tout mérite. Plus de ces nuances, de ces adoucis*
semens que la perfection du goût a introduits dans
le langage et dans la peinture des passions, et dont
Racine a le premier donné Tidée. Si vous peignez
les anciens exactement tels qu'ils sont, vous pré-
sentez le tableau de mœurs grossières à des hom-
mes dont les mœurs se sont épurées par le temps ;
vous rappelez à un nouveau noble le souvenir de
sa roture.
Exiger toujours celte froide ressemblance, c'est
refuser d'accéder au traité secret, mais réel, en
vertu duquel l'artiste dit au public : a Admettez
telle et telle supposition , et je m'engage à af-
fecter votre âme de telle et telle manière. » Ces
conventions étant au théâtre en plus grand nombre
que partout ailleurs, vous proscrirez toute repré-
sentation dramatique; la tragédie en musique vous
deviendra tout à fait insupportable; vous n^aurez
SUR l'imitation de la nature ^85
guère plus d'indulgence pour la tragédie parlée ;
vous demanderez pourquoi Pulchérie insulte Phocas
en vers alexandrins, et la perfection même de Tart
va devenir un défaut pour vous. Dans un chef-
d'œuvre où de grands événemens sont représentés
et réunis d'une manière attachante , vous serez en
droit de remarquer que la nature ne place pas ainsi
Tun auprès de l'autre plusieurs événemens extra-
ordinaires. Si vous continuez à vous tenir rigueur,
vous demanderez pourquoi César parle françois;
vous serez le plus cruel ennemi de vos plaisirs :
vous aurez vu Mérope, et n'aurez pas pleuré.
Voulez- vous voir combien la nature a besoin
d'être embellie ? jetez les yeux sur la pastorale. Il
est à croire que les guerres civiles d'Auguste et
d'Antoine, les troubles de l'Italie dans le siècle du
Guarini et du Tasse, l'abrutissement où les paysans
ont toujours été plongés en France , n'ont pas
permis que la patrie des Tityres, des Amyntes, des
Tyrcis, des Céladons, ait été le séjour du parfait
bonheur. Toutefois nous sentons que les habitans
de la campagne , libres des travaux trop pénibles
de leur état , abandonnés à la simplicité de leurs
goûts, seroient plus près du bonheur que nous ne
le sommes dans nos villes, où toutes les passions,
exaltées au plus haut degré, se livrent sans cesse
dans notre âme un combat qui l'accable et qui la
déchire. Le poëte, traçant à nôtre imagination le
286 DISSERTATION
tableau des plaisirs champêtres, fait pour nous les
frais d'une agréable maison de campagne, où nous
pourrons nous retirer quand nous serons fatigués
des plaisirs bruyans de la ville. Qu'il prenne garde
seulement dé détruire le prestige, en donnant à
ses personnages des sentimens ou des idées étran-
gers à leur état; mais qu'il ne craigne pas de me
les montrer plus aimables qu'ils ne le sont en effet.
Ses bergers sont-ils de beaux esprits, je ne suis
point à la campagne, ni Fontenelle non plus; sont-
ils grossiers, je m'y déplais, fût-ce avec Théo-
crite.
Un philosophe a dit que, hors Dieu, rien n'est
beau dans la nature que ce qui n'existe pas. On ne
peut pas condamner plus fortement la représenta-
tion de la nature commune. Parmi nous, quelques
auteurs , prenant pour guide cette philosophie
froide et fausse qui, pour mieux mesurer le champ
des beaux-arts, commence par en arracher les fleurs
et les fruits, ont cru, comme nos voisins, qu'il
falloit réduire les arts à cette vérité rigoureuse qui
fait de la ressemblance la chose même qu'on a
voulu imiter. Si l'artiste qui cherche à la peindie
se propose de tromper tout à fait le spectateur, il
méconnoît l'objet de son art. Il faut donner à
l'âme le plaisir de s'exercer; et les copistes, en
quelque genre que ce soit, ne donnent jamais ce
plaisir. Ce tableau du Poussin me saisit d'admira-
SUR l'imitation de la nature 287
tion ; toutefois l'illusion n'opère pas sur moi au
point de me faire adresser la parole aux êtres qui
paroissent animés sur la toile; ce n'est pas même
ce plaisir que je cherche. Cette statue dont j'ad-
mire la beauté , essayez de la peindre des vérita-
bles couleurs de la nature, que la carnation soit
exactement semblable à celle d'un homme, assurez
l'effet du prestige en la couvrant d'habits sembla-
bles aux nôtres : mon plaisir est évanoui ; une ridi-
cule surprise prend la place de l'admiration; je
vois qu'on a voulu créer un homme, et qu'on n'a
pas réussi. Je me demande pourquoi cette figure
ressemble à un homme, et n'en est point un. Je
souhaite avec Pygmalion que la statue soit animée;
je sens l'insuffisance de l'artiste : elle me rappelle
la mienne ; et c'est cette idée qu'il doit toujours
écarter. Il est à croire que le sentiment de la diffi-
culté vaincue est un charme secret et toujours
agissant, qui se mêle au plaisir que nous éprouvons
à la vue d'une belle imitation de la nature.
• D'après ces considérations, on est en état de
décider si la philosophie peut faire autant de tort
à la poésie que le prétendent la plupart des gens
de lettres. Il est vrai que quelques écrivains en
ont abusé en la faisant dégénérer en une vaine
métaphysique ; mais observez les avantages qu'elle
peut produire en éclairant la marche d'un talent
véritable. Un auteur célèbre a dit que tout ouvrage
288 DISSERTATION
dramatique est une expérience faite sur le cœur
humain. C'est le philosophe qui la dirige; le poète
ne fait que passionner le langage de ses acteurs.
L'un place le modèle, l'autre dessine avec feu. Je
sais que le génie peint à grandes touches et dé*
daigne les nuances;, mais je ne puis croire qu'il
soit toujours emporté par une impulsion violente :
il peut laisser échapper subitement un morceau
plein de sensibilité ; il peut même concevoir un
plan rempli de chaleur; mais il a besoin de la mé-
ditation pour présider à l'ordonnance des parties
et les diriger à un but moral. Il a pu fournir à
Molière l'idée de la cassette; mais il a été secondé
par de profondes réflexions lorsqu'il a compromis
un père avare et usurier avec un fils libertin qui
emprunte à un intérêt ruineux. Je vois le doigt de
la philosophie empreint sur chaque vers du Tartufe
et du Misanthrope. Ne croyons pas que cette ha-
bitude de réfléchir puisse jamais refroidir un poète ;
elle trace au contraire, dans son imagination, l'i-
mage d'un beau idéal qui le dirige à son insu,
même dans la chaleur de sa composition. Un phi-
losophe pourroit donc composer un nouvel Art
poétique, dans lequel il remonteroit aux sources de
l'intérêt et du comique , où il approfondiroit l'art
de tracer les caractères, où il feroit voir les progrès
que cet art a faits, et où il pourroit donner la so-
lution de plusieurs problèmes littéraires. On peut
assurer à celui qui exécuieroit bien cet ouvrage
UQ très'grand succès, dont l'auteur ne seroit jamaU
témoin; mais, s'il se trouvoit un homme digne de
l'entreprendre , il est à croire que cette dernière
réflexion ne seroit pas capable de l'arrêter.
NOTES ET VARIANTES
Page 8, ligne 17. Et U$ pauvres , les frères de Jésus-
Christ, C'est : les membres de Jésus-Christ, qu'il faut
lire.
P. 7$, 1. 5. Ce fut le comte de Grammont lui-même, etc.
Nous avons, dans la Préface de notre édition des Mémoires
du comte de Grammont, par Hamilton, publiés dans cette
collection même, démontré la fausseté absolue de cette as-
sertion, la première édition des Mémoires étant postérieure
de six ans à la mort du héros d'Hamilton.
P. 80, 1. 2 1.7/ vous étoit réservé. Madame, de faire rou-
gir du mariage. D'autres leçons portent : de faire rougir le
mariage, forme encore plus énergique de la même pensée.
P. 147, 1. 19. Le général Quintus Icilius. On peut lire
dans Thiébault , Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin
(édition Didot, t. P"", p. 409), l'histoire du sieur Cuichard,
né à Magdebourg de réfugiés français, et du caprice par
lequel Frédéric II le fît, de professeur, général, et lui donna
officiellement le nom de Quintus Icilius, aide de camp favori
de César.
P. i53, 1. II. M. de C... avoit reçu un bienfait de
M. d*A... Ces initiales cachent, paraît-il, M. de Condorcet
et le duc d'Anville.
P. 154, 1. I. Nous ne pouvons nous empèchei de faire
toutes nos réserves comme historien, à propos de cette anec-
dote. Le secret de M. de Choiseul pour se maintenir en
dépit de M™° du Barry ne saurait avoir résidé dans le par-
292 NOTES ET VARIANTES
tage avec le roi des économies faites sur son département.
Le roi n*avait garde de créer entre ses ministres et lui de ces
honteuses solidarités. Si le fait eût existé', il n*eût jamais
osé renvoyer le duc de Choiseul ; et, si la recette pour se
maintenir en faveur eût été si efficace que cela, M'''^^ du
Barry n'eût jamais pu faire congédier le premier ministre qui
avait eu le courage de la braver. Or c'est le contraire qui
arriva. Donc il ne faut pas croire, parce qu'elle n'est
pas vraie, à l'anecdote que Chamfort a acceptée comme
vraie parce qu'elle était maligne.
P. 170, 1. il. M. de Vaudreuil se plaignait à C... etc.
C'est de Chamfort qu'il est ici question.
P. 219. Lettre IV. Cette lettre est adressée à M"* Sau-
rin , femme de l'auteur de Spartacus, amie dévouée de
Chamfort. D'autres ont dit à tort M™*' Suard : car le ma-
riage de M^^° Panckoucke avec Suard est postérieur à la date
de cette lettre, qui doit être reportée à l'année 1774.
P. 2 2 3. Lettre V, Cette lettre pourrait bien avoir été
écrite à Mirabeau.
P. 227. Lettre VI. Cet abbé Roman, qui fut aussi l'ami
et le correspondant de Rivarol , était un littérateur avigno-
nais, né en 1726, mort en août 1787, sur lequel on troufe
une bonne notice de M. Weiss dans la Biographie umvV"
selle de Michaud, 2^ édition. La Biographie Didot ne le
mentionne pas.
P. 240. Lettre VIII. Cette lettre est adressée au comte
de Vaudreuil.
P. 249. Lettre IX. M- P.... c'est M. Panckoucke, le cé-
lèbre éditeur. La Lettre X et les suivantes sont adressées à ta
femme.
P. 2 58. La Lettre XIV et la suivante paraissent adressées
à Condorcet.
P. 266. Lettre XVI. C'est à M<»o Ginguené que fut adressé
ce billet, un des derniers qui soit sorti de la main de Cham*
fort.
TABLE ANALYTIQUE
DES PORTRAITS ET CARACTÈRES
ET
DES ANECDOTES ET BONS MOTS
Abbé. Singulière excuse d'un abbé à un évêque qui l'in-
vite à déjeuner. 146.
Académie française. Mot de M... sur la collection des
discours de réception à l'Académie. 49. — Comment M. de
Mairan arrête une dispute à l'Académie. 49. — M... di-
sait qu'il ne fallait rien dire, dans les séances publiques,
au delà de ce qui est imposé par les statuts. 82. — Le
triple échec de Fontenelle ne console personne. 141.
Académie de Soissons. Mot de Voltaire sur elle, i .
Aguesseau ( Le chancelier d'). Condition qu'il met à la
permission d'imprimer les premiers volumes de Cléveland,
de l'abbé Prévost. 3,
Aiguillon (Le duc d'). Comment il est fait ministre des
affaires étrangères par M™® du Barry. 3 5.
Aimable. Mot qui peint la différence entre l'homme
aimable et l'homme digne d'être aimé. 3.
Alembert (D'). Son mot le lendemain du mariage de
M™^ Denis avec M. du Vivier. 3. — Mot que lui dit le
roi de Prusse à propos d'un de ses beaux laquais. 3 3. —
Comment il est salué par M. Fournier. i5i. — Critique
294 TABLE ANALYTIQUE
de ses petits traités littéraires. i63. — Ne trouve Voltaire
un peu faible qu'en géométrie. i65.
Aligre iLa présidente d*). Tour que lui joue M. de
Bissi. 38.
Allemagne. Mot de M... à son retour d'Allemagne. 146.
Ambassadeur anglais à Naples. Comment il se venge de
Tinsuccès d'une fête. 89-90.
Amis. Dialogue entre deux amis. 5. — Il y a trois sortes
d'amis. 149.
Amour. Mot de M™^ de C... à M. B..., et réponse de
celui-ci. 24. — Mot d'un homme qui n*ose plus aimer. 25.
— De l'Italienne, de l'Anglaise, de la Française. 82. —
Mot dit à un homme qui ne s'aperçoit pas qu'il est aimé.
91. — Mot d'un jeune homme honnête en amour. 121.
— Mot de M... sur la princesse de... : c'est une femme
qu'il faut absolument tromper. 140. — M... fait semblant
d'être malhonnête pour que les femmes ne le rebutent pas.
149.
André (Le petit Père). Début de son sermon sar un
étrange sujet proposé par le prince de Condé. 8.
Angivilliers (M™^ d'). Est une des quatre grandes co-
médiennes du siècle... à la ville. 84.
Anglais. Refuse sa grâce et veut être pendu. 10.
Anne d'Autriche. Était mariée avec Mazarin. 97.
Anville (m. d*). Fameux géographe; n'avait jtmaa
quitté sa chambre. 74.
Aquaviva (Le cardinal). Est empêché par le sacré-col-
lége de faire amende honorable de ses violences. 87-88.
Argenson (Le comte d'). Son mot à la bataille de Rmu-
coux. 7. — Son mot au comte de Sebourg, amant de sa
femme. 8. — Son mot de courtisan cynique. 41.
Arlequin. Son mot dans une farce italienne. 106.
Arnaud (Baculard d'). Trouve au comte de Frise des
cheveux de génie. Mot de celui-ci à ce propos. 28-29.
Arnaud (L'abbé). Son mémoire à M"*® du Barry. 9.
Arnoncourt (m. d'). Singulier contrat qu'il fait à une
fille. 161-162.
TABLE ANALYTIQUE 296
Arnoult ( Sophie). C'est chez elle qu'est décidé le choix
d'un précepteur pour le comte de Chinon. 58.
Artois (Le comte d*). Son mot le jour de ses noces. 73.
— Mot du duc de Chartres en apprenant son insulte à la
duchesse de Bourbon. 122.
Athées. Mot de M. D... sur les athées. 9. — Mot d'un
athée qui voudrait ne pas l'être. 44.
AuBRY, avocat. Tour qu'il joue à l'abbé de Tencin. 1 74,
AuMONT (Le duc d'). Récit naïf de ses derniers moments.
46.
Auteur. Il faut laisser à l'envie le temps d'essuyer son
•écume. 56. — Réponse d'un auteur à qui on reprochait
de ne plus rien donner au public. i36. — Ce que fait dire
une idée qui se montre deux fois dans un ouvrage à peu de
distance. 141. — Mot dit à un auteur insolent après un
premier succès, i 54.
AuTREY (M. d'). Son mot sur M. de Ximénès. 174.
Avances. Comment M... expliquait son refus des avances
de M™e de ... 68.
Avare. Mot d'un avare qui avait mal aux dents. 45.
AvEjAN (M. d'), officier de mousquetaires. Comment il
évite de tirer sur le peuple dans une sédition. 108.
Avocat. Conseil d'un avocat anglais qui tourne contre
lui. 9.
Aydie (L'abbé d'). Son mot à M™^ du Deffand, qui
prétendait être la femme qu'il aimait le plus. 1 1 .
Ayen (Le duc d'). Sa réponse à Louis XV, qui lui de-
mandait s'il avait envoyé sa vaisselle à la Monnaie. 11. —
Histoire incroyable qu'il conte devant Louis XV. 116.
Banqueroute de M. de Guéménée. M. de Villette
l'appelle sérénissime. i3. — Vers de Racine que M. D...
appliquait aux fréquentes banqueroutes de nos rois. i3.
Barbançon (M. de). Aveu que lui fait la duchesse de La
Vailière. 68.
Barthe (M.). Plaisante semonce que lui adresse M. de ...
sur ce qu'il se permet d'être jaloux. 84. — Mot dit à
M. Barthe. io8c
Barry (La comtesse du). Comment elle fait le duc d'Ai-
\^6
TABLE ANALYTIQUE
guillon ministre des affaires étrangères. 35. — Scène avec
M™* de Beauvau. 53. — Secret du duc de Choiseul pour
se maintenir malgré elle. 154.
Bassompierre (m. de). Sa réponse à M^^^ d'Entragues.
59.
Bassompierre (M™^ de). Maîtresse de M. de la Galai-
sière, chancelier du roi de Pologne. 1 5g.
Bastille. M. de Malesberbes est dissuadé par M. de
Maurepas d'engager le roi à aller voir la Bastille. i3. —
Mot d'un homme très-pauvre qui avait fait un livre contre
le gouvernement, i 3 .
Beaujon (Le financier) et ses berceuses. 19.
Beaumarchais. Ce que lui dit le joueur Sablière, qu*if
veut empêcher de se tuer. 87.
Beaumont (L'abbé de). Son mot à Pabbé Maury, qui est
venu le voir. 98.
Beauvau (Le prince de). Grand puriste. Mot sur lui. iSç.
Beauvau (La princesse de). Ce que lui dit M"® do
Barry pendant une visite au Val. 5 3-54.
Beauzée (m.). Leçon de grammaire qu'il donne à
Tamant de sa femme. 139.
Belle-Isle (Le maréchal de). Fait faire contre le duc de
Choiseul, par le jésuite Neuville, un mémoire au roi. 29.
Ben-Johnson. Dit qu'il faut prendre les Muses pour mat-
tresses, et non pour femmes. 109.
Benserade (m. de). Son mot sur les précepteurs du duc
de Chartres. 74.
Bernard (Le poète). Comment il arrange le choix d'un
précepteur pour le comte de Chinon. 58. — Meurt éprî»
passionnément d'une fille, i 55.
Bernière (La présidente de). Histoire galante sur la pré-
sidente de Bernière. 121.
Berryer (m.). Fait mettre à la Bastille un négociant qui
Va. prévenu des projets de Damiens. 49-50.
Bienfaits. Mot de M... sur les bienfaits. 5. — Diea ne
recommande pas le pardon des bienfaits. 126.
Bienfaiteur. Mot d'un homme à qui on disait que M...^
autrefois son bienfaiteur, le haïssait. i5.
TABLE ANALYTIQUE 297
BiRON (Le maréchal de). Sa confession interrompue par
la boutade d'un ami. i5.
Bissi (M. de). Comment il s'impose à la présidente
d'Aligre, qui veut le quitter. 38.
Blanchard (L'aéronaute). Mot sur une sotte lettre de
lui. 61.
BoiNDiN et Marmontel au café Procope. 96.
BoLiNGBROCKE (Lord). Son mot à Louis XIV sur les rois.
i5.
BoRDEU (M. de), médecin. Soigne Louis XV dans sa
dernière maladie, 93. — Remède étrange qu'il propose à
M°ie de Sully. 98.
BossuET. Ne put jamais apprendre au grand dauphin à
écrire une lettre, i $9.
BouFFLERS (La comtesse de). Mot piquant que lui dit
Rousseau. 106. — Appelle le prince de Conti le meilleur
des tyrans. i65.
BouLAiNviLLiERs (M. de). Mot qui lui est dit à propos
de son cordon bleu par charge. 38.
BouRDALOuE (Le P.). Comment il cause du désordre à
Rouen, i 7.
BouRDELOT. Médecin de Christine, reine de Suède. Lui
persuade de faire danser à Naudé et chanter à Meibomius
une danse grecque. Meibomius s'en venge en le battant. 3 i.
BouTEviLLE (Le chevalier de). Réponse d'un représentant
de Genève au chevalier de Bouteville. 146.
Bréquigny (M. de). Son mot sur la gourmandise des
rois. 128.
Breteuil (Le bailli de). Application d'un vers de Delille
que lui fait la maréchale de Luxembourg. 47.
Breteuil (Le baron de). Montre le portrait de la reine
au milieu dune rose garnie de diamants. 18. — Est fort
au-dessous de Peixoto. 18. — Montre qu'on peut ballotter
dans ses poches des portraits de souverains et n'être qu'un
sot. 18. — Comment il n'est qu'un sot. i8. — Ce qu'en
dit M™° de Créqui. 18. — Veut renfermer l'autorité
royale dans les limites où elle était resserrée sous Louis XIV.
38
298 TABLE ANALYTIQ^UE
iSy. — Pourquoi M. de Vergennes l*a laissé arriver au
ministère. 171.
Brionne (La comtesse de). Rompt avec le cardinal de
Rohan à roccasion de M. de Choiseul; réponse qu'elle
s*attire. 65. — Mot de M™* de Talmont à Richelieu à
propos de la comtesse de Brionne. 160.
Briffe (M. de la). Incidents à ses obsèques. 84.
Brisard ( M™° ). Son mot naïf à la comtesse de Gisors,
qui lui reproche h nombre de ses amants. 46.
Brissac (m. de). Sa réponse au comte de Charolais, qui
Ta surpris chez sa maîtresse. 27. — Comment il appelait
Dieu. 48.
Brissard (m.) le père. Lettre à sa femme sur leur cha-
pelle funèbre. 26.
Broglie (Le comte de). Comment Louis XV traite le
comte de Vergennes dans sa correspondance secrète avec le
comte de Broglie. 64-65.
Broglie (Le maréchal de). N'admire que le mérite mili-
taire. 1 9. — Réponse de sa femme à son regret de s*ètre
mésallié. 145. — Comment on le dissuade de trop s'expo-
ser. 160.
Bucc^(M. du). Son mot sur les femmes. $4.
Buffon (m. de). S'environne de flatteurs et de sots qui
le louent sans pudeur. 79.
Bureau d'esprit. Mol de M"*« X... tenant un bureau
d'esprit. 20.
Cachots en Espagne. M... se fait des cachots en Es-
pagne. 20.
Cagliostro (Le comte de). Hâblerie de son valet. Si.
— Comment il fait épouser par M. d'Espréménil M"« Ti-
laurier. 182.
Calomniateurs. Traité que leur proposerait volontien
M. D... 22.
Calonne (m. de). Veut se faire remplacer par M. de
Fourqueux. Manière dont Dupont de Nemours se charge
de la négociation. 16-17. — Scène entre lui et M. de
Choiseul. 3o-3i. — Pension qu'il fait avoir à M. de
Saint-Priest. 73. — Ce que M. de Lauzun dit de leur»
TABLE ANALYTIQ^UE 299
disputes. 87. — Est maltraité dans le livre de Mirabeau
sur l'agiotage. 102. — Dit qu'il n*y a qu'un mot qui
serve. i65.
Calprenède (m. de la). Donne le nom de son roman à
succès à l'étofFe de son habit. 75.
Canaye (L'abbé de). Son mot sur Louis XV et Cahusac.
92.
Caractère piquant de M. N... C'est une statue de bronze
sur du marbre. 23. — Mot de M... sur son caractère. 23.
— Très-fort uni à une santé délicate, comparé au chêne et
au roseau. 27-28. — Caractère non vulgaire; ce que dit
■celui qui le possède à la Gloire et à la Fortune. 68.
Castries (m. de). Son mot à propos de la querelle de
Diderot et de Rousseau. 63.
Catherine II. Son mot à Diderot sur la malpropreté des
paysans russes. 5o. — Mot hardi que lui dit la Gabrielli.
54- , ,
CÉLÉBRITÉ littéraire. Est une espèce de diffamation. 24.
Célibataires. On accuse la philosophie moderne d'en
avoir multiplié le nombre; mot de M... à ce sujet, 24.
César. Son mot à un mauvais orateur. 40-41.
Chabot (Le comte de). Comment il indique à la maré-
chale de Luxembourg à quel endroit de la messe on en
€st. 3 3.
Chabot (Le duc de). Épigramme à propos de la Renom-
mée peinte sur sa voiture. 142.
Chabrillan ( Le bailli de). Son mot au comte Schwalow.
i53.
Chamfort. Comment il élude l'offre de services que lui
fait M. de Vaudreuil. 170.
Charlatan. Dit la bonne aventure à un petit décrotteur.
32.
Charles II. Son mot à son frère, le duc d'York, qui lui
donnait un conseil imprudent. 40.
Charles le Téméraire. Mot de son fou , après Morat.
69.
Charolais (Le comte de). Réponse qu'il s'attire de
M. de Brissac. 27. — Sa manière de payer sa maison. 27.
3oO TABLE ANALYTIQ^UE
Chartres (Duc de). Son mot sur l'insulte faite par le
comte d'Artois à sa sœur, la duchesse de Bourbon. 12a.
Chatelet (La marquise du). Dans quels termes Voltaire
se plaint à la duchesse de Cbaulnes de ce qu'elle n'aime
pas Pharmonie. 34.
Chatelux (Le marquis de). Amoureux de sa femme, est
persiflé par M. de Genlis. 85.
Chaulnes (La duchesse de). Dans quels termes Voltaire
se plaint à elle du peu de goût de M™° du Chfttelet pour
l'harmonie. 34. — Son mari l'a fait peindre en Hébé; mot
de M*^® Quinault à ce sujet. 37. — Ce qu'elle dit à
M™® de Créqui sur son mariage avec M. de Giac. 64. —
Ses derniers moments. 94-9$.
Choiseul (Le duc de). Bon mot d'un député de Bre-
tagne soupant chez lui. 29. — Comment il se venge d'un
Mémoire contre lui rédigé par le jésuite Neuville. 29-30.
— Comment il récompense les maîtres de poste dont il est
content. 3o. — Scène entre lui et M. de Calonne à propos
des lettres qu'il lui a écrites dans l'affaire La Chalotais. 3o-
3 I . — Comment il prouve qu'il a une étoile pour le mal
autant que pour le bien. 62. — Est la cause de la rupture
du cardinal de Rohan avec M™° de Brionne. 65. — Con-
tinue après son exil à être intéressé au jeu du roi. 85. —
Sa dispute avec M. de Praslin sur la question de savoir qui
est le plus bête du roi ou de M. de la Vrillière. 126. —
Son secret pour se maintenir malgré M™° du Barry. i 54.
Choiseul-Gouffier (M. de). Les paysans refusent ta
proposition de faire couvrir leurs toits de tuiles. 164.
Choiseul-La Baume. (Le marquis de). Comment il se fait
payer une cafetière par un oncle évêque. 21.
Christine, reine de Suède. Fait chanter à Meibomius et
danser à Naudé une danse grecque par le conseil de Bour-
delot. 3i.
Clairon (M^'®). Est une des quatre grandes comédiennes
du siècle. 34. — Établit au théâtre la vérité du costume.
42.
Clément XI (Le pape). Accuse en pleurant le P. Le
Tellier de l'avoir forcé à donner la Constitution. 41.
TABLE ANALYTIQ^UE 3oi
CoLBERT. S'oppose à ce que Molière attaque les gens de
finance. io3. — Ce quMl dit de l'industrie française. 147.
Collé. Son mot à un financier. 171.
Comédiennes. Liste des huit grandes comédiennes du
siècle. 34.
Comique. Une source de comique. 83.
Conclave. Mot d'un sot à propos d'un conclave. 63.
CoNDÉ (Le prince de). Étrange sujet de sermon qu'il
donne au petit Père André. 8.
CoNDORCET (M. de). Divulgue le bienfait d'un ami qu'il
n'aime plus, i 5 3.
Confesseur. Mot d'un confesseur à une jeune fille. 36.
CoNFLANs (Le marquis de). Son mot à M. de Fronsac.
157.
CoNTi ( La princesse de), fille de Louis XIV. Mot
qu'elle s'attire de la dauphine. 1 56-157.
CoNTi (Le prince de). Dans quels termes il s'excuse en-
vers la duchesse d'Orléans de ne pouvoir souper chez elle.
32. — Son mot sur les princes. 124. — Demande au roi
le secret d'une épigramme contre M. de Silhouette. i5 5. —
Ce que lui dit lord Tyrconnel en réponse à ses plaintes
contre Louis XV. 170.
Considération. Comment on l'acquiert. 38.
Coquette. Avec ou sans illusion. 38.
Cour. Mot d'un homme à qui on reprochait de ne pas
connaître la cour. 74.
Courtisan. Le métier de courtisan convient à la déca-
-dence de l'esprit, comme le jeu aux vieilles femmes. 43. —
Mot sur un courtisan léger, mais non corrompu. i36.
Courtisane. Définition d'une courtisane non vénale. 95.
Coypel, peintre. Fournit à Louis XIV le moyen de pa-
raître un connaisseur. 92.
Cramer (M™®). Son mot sur M™® Tronchin. 26.
Crébillon fils. Mort épris passionnément d'une fille. i55.
Créqui (Le marquis de). Son mot à M. de Lauzun a
propos de M. de Liancourt. 61.
Créqui- HÉMON (Le marquis de). Manière dont un curé
annonce sa mort, i 1 2.
302 TABLE ANALYTIQUE
Créqui (La marquise de). Son mot sur le baron de Bre*
teuil. i8. — Lettre que lui écrit un curé. 41. — Mot
que lui dit M™*' de Chaulnes. 64.
Grillon (Le duc de). Mot de Richelieu à son sujet. 154.
Crime. Ce qu'il faut mettre après le crime et le mal faits
à dessein, i 5.
Damiens. Un négociant, informé des projets de Damiens,
prévient M. Berryer, qui le fait mettre à la Bastille. 49.
Dangeau (L'abbé de). Se console des malheurs de la
guerre en constatant qu'il a dans sa cassette deux mille verbes
français bien conjugués. 42.
Dangeville (M^^^). Est une des quatre grandes comé-
diennes du siècle. 34.
Daron (Le président). Le régent exige sa démission de
la charge de premier président à Bordeaux. 142.
Dauberval. Déclare à Lekain qu'il fera faire à la grecque
le premier habit à la romaine dont il aura besoin. 43.
Dauphin (Le), fils de Louis XIV. Est consolé de Texil de
M°^° du Roure par le plaisir de n'avoir plus à lui écrire.
159-160.
Deffand (La marquise du). Mot que lui dit l'abbé
d'Aydie. 11. — Massillon lui ordonne le remède du caté-
chisme de cinq sous. 43. — Dit de M... qu'il est aux pe-
tits soins pour déplaire. 78. — Comment dans ion salon le
médecin Fournier salue les gens. 1 5 1 . — Comment elle
appelait le Temple de Gnide. 161.
Delille (L'abbé). Quelqu'un lui promet le premier bé-
néfice à la nomination de Virgile. 44. — Ne sait pas gar-
der le secret de ses vers. 109. — Mot de Turgot à l'abbé
Delille. 145.
Delon, médecin mesmériste. Son mot sur un malade
mort. i38.
Denis (M™°), nièce de Voltaire. Compliment naïf qu*el le
reçoit après avoir joué Zaïre, 45.
Despotisme. Définition d'un certain despotisme. 5o.
DÉVOT. Mot d'un dévot sur la foi. 9,
Diderot. Comment il se reproche, à soixante-deux ans,
d'être amoureux de toutes les femmes. 36. — Fiction dont
TABLE ANALYTIQUE 3o3
il use pour réconcilier un oncle avec son neveu. 47. —
Mot que lui dit Catherine II sur la malpropreté des paysans
russes. 5o. — Son portrait de M. d'Épinay. 134. — Trahit
lui-même son secret. i5 3. -^ Son mot à un aventurier.
I 73.
Dieu. Preuve de l'existence de Dieu, suivant Dorilas. 5i-
52. — Mot d'un incrédule au sujet de l'éternité de Dieu.
142.
Différence entre les principes de deux hommes de cour.
56.
Dîner. Mot d'un homme qui, à un grand dîner, ne dis-
tingue pas les plats. 53. — Festins meurtriers qu'on se
donne dans le monde. 66.
Discours de remerciement d'un homme condamné à être
pendu. 109.
Distique. Mot sur un distique. 49.
Donne. Satirique anglais. Ne veut pas tonner sur les
vices sans attaquer les vicieux. 172.
Donner. Lequel est le plus agréable, de donner ou de
recevoir. 5o-5i.
Dubois (L'abbé). Mot que lui dit le régent au bal de
l'Opéra. 141.
Dubreuil (m.). Son mot touchant à son ami Pechméja.
54. — Dialogue à son sujet entre M™* de Tessé et M™° de
Champagne. 161.
DucLos. Sa définition de l'abbé d'OIivet. 54. — Son
mot sur un sermon. 54-55. — Grondé par l'abbé de
Resnel sur ce qu'il jure en pleine Académie. 63. — Con-
versation avec M™" de Mirepoix et M™° de Rocheforl. 77.
— Comment il nomme les Romains modernes. 8a. — Son
paradis d'après M™*^ de Rochefort. i2 5.
Duel. Mot d'un duelliste. 53.
Duménil (M^^°). Est une des quatre grandes comédiennes
du siècle. 84.
Dupont de Nemours. Se charge d'aller négocier le rem-
placement de M. de Calonne par M. de Fourqueux. 16-17.
Duras (Le maréchal de). Punition dont il menace son
fils, i 57.
3o4 TABLE ANALYTIQUE
DuTHÉ(M^^^]. Combien de tempselle pleure un amant. 55.
Écossais. Mot d*un Écossais à propos des Américains. 121.
Egmont (La comtesse d*). Déception que lui fait éprouver
un descendant de du Guesclin. 5 7. — Comment elle ar-
range le choix d'un précepteur pour son neveu. 57-58.
Egoïste. Définition d'un égoïste. 124.
Éloges. La manière dont on les distribue donnerait envie
d'être diffamé. 59.
Embonpoint. Ce qu'on dit de celui de Tavant-deraier
évèque d'Autun, monstrueusement gros. 75.
Enfants. Égoïsme des enfants. 58.
Ennemis. Comment ils ne peuvent rien sur M... 59.
Entragues (M*^° d'). Réponse qu'elle s'attire de Bassom-
pierie. $9.
Épigrammes. Mot d'un faiseur d'épigrammes. 59-60.
Épinay (M. d'). Son portrait par Diderot. 134.
EsPARBÈs (M™° d'). Dialogue nocturne entre elle et le
roi Louis XV. lo-i 1.
Espion de police. Définition d'un espion de police. 60.
EspRÉMÉNiL (M. d'). Comment Cagliostro lui fait épouser
M"'® Tilaurier. i 32.
Esprit. Sert à M™^ de G... k être moins méprisée que
beaucoup de femmes moins méprisables. 75.
Estaing (Le comte d'). Ce que lui dit la reine à son re-
tour de la campagne de la Grenade. 61.
Estime. Mot d'un homme qui estime autant qu'il le
peut. 6a.
EsTRÉES (Le maréchal d'). Mot de joueur que lui dit
Louis XV. 86.
États de Béarn. Serment de fidélité du roi aux États de
Béarn. 19.
Étioles (Le Normand d*). Mari de M™« de Pompadour.
Ce qu'il fait d'un présent cynégétique de Louis XV. i36.
ÉvÊQUE de Dol. Prononce un discours fanatique tn
sujet du rappel des protestants. 63. — Réplique qu'il t'attire
de l'évêque de Saint-Pol. 63.
Faim. Mot d'un homme sans appétit. 7.
TABLE ANALYTIQ^UE 3o5
Femmes. Mot de M... sur les femmes. 65. — En quoi
leur commerce est nécessaire à M... i66.
Fierté. Ce qu'il y a de mieux en ce genre. 66.
Filles. Mot dit pour excuser un jeune homme d'aimer
trop les filles, ii. — Mot de M. de L... sur un jeune
homme dont on disait qu'il n'aimait que les filles. 66.
Fleury (L'abbé, puis cardinal de). Aveu que lui fait la
maréchale de Noailles. 120.
Florian (m. de), m. de Th... regrette qu'il n'y ait pas
de loups dans ses bergeries. 14.
Foncemagne (m. de). Mot de M. Saurin sur son honnê-
teté. l5 2.
Fontaine de Jouvence. C'est l'oubli. 66.
Fontenelle (m. de). Son mot dans sa querelle avec
l'archevêque de Paris à propos d'un chœur de prêtres dans
un opéra. 3 3. — Son mot à propos d'une quête à l'Acadé-
mie française. 66. — Son reproche à une femme qui l'avait
dédaigné. 67. — Son mot à un repas de gâteau des rois.
67. — Sa réponse à la question : Comment cela va-t-Wi
67. — A une femme qui lui disait : « La mort nous a ou-
bliés. » 67. — Le comte de Grammont l'oblige d'approu-
ver le manuscrit des Mémoires. 7$. — Son compliment à
M™® Helvétius. 76. — Avait été refusé trois fois à l'Acadé-
mie. 141 .
Fou. Mot d'un fou de cour très-sage. 69. — Mot du
fou de Charles le Téméraire. 69.
F0URNIER, médecin. Ses formules diverses de salutation
chez M™« du Deffand. i 5 1 .
Fox (M.). Trouve deux grands plaisirs au jeu. 86. —
Son mot à la naissance d'un enfant qui le déshérite. 106.
Frédéric II, roi de Prusse, Fait grâce à un homme de
Breslau qui a volé dans une église. 20-21. — Fait ré-
pandre de faux plans topographiques. 2 3. — Mot de son
cocher, qui l'a versé. 33. — Son mot à d'Alembert sur un
beau laquais à son service. 3 3. — Dit qu'il n'y a pas
d'homme qui ait fait la moitié de ce qu'il aurait pu faire. $9.
— Sa rigueur contre un délateur. 69. — Son mot sur
le butin fait à Dresde chez le comte de Briihl. 70. —
Chamfort, II, 39
3o6 TABLE ANALYTIQ^UE
Comment il récompense les habitants de Berlin de leur ac-
cueil triomphal à la fin de la guerre de Sept ans. 70. —
Tour qu'il joue à des juifs faux-monnayeurs. 70. — Sa
réponse à une requête. 71. — Son mot sur Louis XIV. 92'.
— Mot de son frère le prince Henri sur sa popularité à
Neuchâtel. 121. — Réponse d'un soldat à qui il demande
l'origine d'une balafre. 145. — Son mot à d'Alembert sur
ce que le roi ne lui a pas parlé. 148. — Sa définition du
régiment de Champagne. 148. — Ce que dit Voltaire en le
voyant pleurer. 173.
Frise (Le comte de). Son mot à d'Arnaud qui lui trouve
des cheveux de génie. 28.
Fronsac (Le duc de). M"o Arnoult est chargée de lui
indiquer un précepteur pour son fils. 58. — Ses chansons
à un souper chez M. de Conflans. 157. — Manque d'être
pris pour un évêque. 169. — Fronsac (La duchesse de).
Comment sa force est dans ses cheveux. 28.
Gabelle. Trait de l'horreur des paysans bas bretons pour
la gabelle. 71 .
Gabrielli (La). Célèbre chanteuse. Son mot hardi à
Catherine II. 54.
Galaisière (L'abbé de la). Son mot au portier dt
M. Orry. 107.
Galaisière (M . de la). Son mot au roi Stanislas sur les
changements d'heure de son diner. 48. — Mot de Stanislas
à sa maîtresse- i 59.
Gascon. Instituteur des enfants d'un seigneur russe, ne
leur apprend que le basque. 71. — Mot d'un Gascon au
roi. 72.
Gaussin (M^^*)). Sa réponse à un financier entrepre-
nant. i3.
Gazetier. Comment il évite de se prononcer sur la mort
du cardinal Mazarin. 7}.
GÉNÉRAL. Mot d'un général employé dans une guerre
difficile et ingrate. 55.
Genève. Belle réponse d'un député de Genève au che-
valier de Bouteville. 146.
TABLE ANALYTIQ^UE 3oj
Genlis (m™® de). Est une des quatre grandes comé-
diennes du siècle... à la ville. 34.
Genlis (Le marquis de). Son mot au marquis de Cha-
telux. 85 . — Se moque de la vanité de M. de Fronsac. 1 69.
Geoffrin (M™°). Son mot sur sa fille. 124.
Goutte, Croix de Saint-Louis de la galanterie. 58. —
Ressemble aux bâtards des princes. 74.
Gouvernement d'Angleterre. Pourquoi il est excellent. i35.
Gouvernement en France. On ne rirait plus sans le gou-
vernement. 166.
Gouverneurs de province. Mot d*un ministre sur les
gouverneurs de province. 64.
Grâce. Ce qu'on appelle la grâce suivant M... 74.
Grandir. Comment on peut grandir de la tête. 2 5.
Grammont (Le comte de). Vend i,5oo livres le manu-
scrit des mémoires où il est si clairement traité de fripon, et
oblige Fontenelle de l'approuver. 75.
GuÉMÉNÉE ( Le prince de). Comment le marquis de Villette
appelait sa banqueroute, i 3 .
Guesclin (du). Déception qu'un de ses descendants fait
éprouver à M""*^ d'Egmont. 57.
Hamilton. Le comte de Grammont oblige Fontenelle d'ap-
prouver les Mémoires. 75.
Hamilton ( Lord). Fait porter sur la carte un garçon qu'il
a tué dans une auberge. 71.
Harlay (M. de). Premier président. Sa façon d'imposer
silence à l'audience. 76.
Harris (m.). Ce qu'il dit du traité de commerce de
1786 avec l'Angleterre. 162.
Helvétius. Dans sa jeunesse était beau comme l'Amour.
Mot de M^'° Gaussin à ce propos. 13-14.
Helvétius (M™°). Compliment que lui fait FontenellCo
76-
Henri IV. Jugé par l'abbé de Voisenon. 77. — Com-
ment il s'y prend pour faire connaître à un ambassadeur
d'Espagne le caractère de ses trois ministres. 102.
Henri (Le prince) de Prusse, frère de Frédéric. Comment,
dans une conversation avec l'abbé Raynal, il trouve moyen
3o8 TABLE ANALYTIQ^UE
de placer son mot. 77. — Son mot sur la popularité de
son frère à Neuchâtel. 121.
Hercule. Chanson sur Hercule, vainqueur des cinquante
pucelles. 26.
Hervey (Lord). Son mot en traversant une lagune. 100.
Hollandais. Aventure d'un Hollandais qui sait mat te
français . 1 1 o- 1 1 1 .
Hommages. Pourquoi certaines femmes refusent-elles tes
hommages offerts pour courir après ceux qu'on leur refuse.
I 2.
Homme. Sa définition par M.... 7.
Homme de lettres. Mot d'un homme de lettres en ré-
ponse à quelqu'un qui lui demandait des nouvelles de son
poëme. 2. — Mot d'un homme à qui un grand seigneur
faisait sentir la supériorité de son rang. 78.
Honnête. Pourquoi on est plus honnête en France avant
trente ans que passé cet âge. i3 5.
Houze (Le baron de la). Rusé Gascon. Parti qu'il tire
d'une relique. 39.
HuRSON (M.). Conseiller au parlement. Comment il se
récuse dans un procès du maréchal de Noailles. 126.
Idéal de M. de.... Se défranciser et se débaptiser. 75.
Illusions. Mot d'un homme sans illusions. 149.
Importunité. Trois choses qui importunent M. N., au
sens figuré comme au sens propre. 20.
Index. La philosophie, disait M... , doit avoir aussi son
index. 80.
Injustice. Conseil d'un vieillard à un homme trop sen-
sible à l'injustice. 1 1 .
Inscriptions. Dispute sur la préférence qu'il conTÎeiit de
donner à la langue latine ou à la langue française. 9.
Ivrogne. Mot d'un ivrogne. 72.
Invault (M. d'). Contrôleur général. Le roi lai réfute
la permission de se marier. i32.
Jacques II. Comment Charles II repousse un conseil da
duc d'York, futur Jacques II. ^o. — Touche tes écrouellet
en qualité de roi de France. 84.
TABLE ANALYTIQ^UE 809
Jalousie. Mot d'une jeune fille dont la mère est jalouse.
45.
Jansénistes. Contiment l'archevêque de Lyon passe pour
être janséniste. 166. .
Jaucourt (m. de). Comment il dissuade le maréchal de
Brogiie de trop s'exposer. 160.
Jérôme (Saint). Ce que M... dit de la lettre où il peint
sa lutte contre ses passions. 77,
JÉSUITES. N'étaient pas fâchés qu'on dise qu'ils assassi-
naient les rois, i 2 5.
Joueur. Mot d'un joueur. 86. — Leçon donnée à un
joueur par un de ses amis. 89.
Kankan. Locution populaire pour bruit. D'où vient cette
expression. 3 2.
Lacour (M'^°), de l'Opéra. Son mot au duc de la Vai-
lière qui ie subjugue à jamais. 40.
La Fontaine. Se flatte que les damnés s'accoutument à
l'enfer. 41.
Lapdant (L'abbé). Comment il devient le précepteur du
comte de Chinon. 58.
La Roche-Aymon (Le cardinal de). Scène entre lui et
l'abbé Maury. 1 1 5. — Son mot sur son confesseur. 128,
— Ses plaintes à l'abbé Maury sur l'abbé de la Luzerne. 172,
Lassay (Le marquis de). Son mot sur le crapaud à avaler
tous les matins à la cour. 40.
Latour (de), le peintre. Réplique qu'il s'attire de
Louis XV. 106.
Lauraguais (m. de). Sa lettre au marquis de Villette.
I 22.
Lauzun (Le duc de). Soupe avec deux géantes de la foire.
3 2. — Mot que lui dit M. de Créqui à propos de M. de
Liancourt. 61. — Ses disputes avec M. de Calonne. 87.
— Ce qu'il feroit en cas de grossesse de sa femme. 144.
Laval, maître de ballet. Offensé d'être pris pour un des
messieurs de Laval. i2 3.
Lekain. Est le premier à se soumettre à la vérité du cos-
tume au théâtre. 42.
3lO TABLE ANALYTIQ^UE
Lemierre (m.). Différence qu*il trouve entre sa pièce de
la Veuve du Malabar , en 1 770 et en i 781. 171.
Le Tellier (Le P.). Accusé par le pape Clément XII
d'être l'auteur de la Constitution. 41.
Le Tellier-Louvois. Archevêque de Reims. Infatué de
son rang et de sa naissance Aventure qui lui arrive. 166-
168.
Lettres d'amour. Les femmes commencent à les garder
vers trente ans. 90.
LÉvis ( Le maréchal de). Mot de l'évêque d'Arras en re-
cevant le corps du maréchal de Lévis. 38-39.
Levret (m.), célèbre accoucheur. Sa réponse au dau-
phin. 90.
LiANCOuRT (Le duc de). Mot de M. de Créqui sur lui.
61.
Lorry, médecin. Louis XV mourant l'entend avec dépit
dire : Il faut. 98. — Comment il expliquait sa disgrâce
auprès de M™o de Sully. 98.
Louis XIV. Réponse que lui fait Bolingbrocke, à qui il
disoit que les Anglais n'aiment pas les rois. i5. — Re-
proche à Dieu ce qu'il a fait pour lui. 48, — Jugé par
l'abbé de Voisenon. 77. — Frédéric II en est jaloux. 9a.
— Subterfuge dont il use pour paraître connaisseur. 92. —
Se plaint chez M°^° de Maintcnon de la division des évéques.
Mot de M"'" de Caylus à ce sujet. 107. — Sa santé con-
sole la cour des plus grands malheurs. 148.
Louis XV. Son mot à la mort de M""^ de Châteauroux.
6. — A un trésor particulier. 24. — Comment il prend
le duc d'Aiguillon pour ministre des affaires étrangères. 35.
- — N'aime pas M. de Vergennes. 64. — Permet que le duc
de Choiseul, exilée demeure intéressé à son jeu. 85. — Son
mot de joueur au maréchal d'Estrées. 86. — Choqué de ce
que SCS médecins disent : // faut. 93. — Refuse une mal-
tresse parce qu'elle coûterait trop cher à renvoyer. 93, —
Son mot au peintre La Tour. 106. — Intrigues pour son
mariage. 114. — Histoire incroyable contée devant lui par
le duc d'Aycn. 116. — Refuse à M. d'Invault la permis-
sion de se marier. i32. — Envoie à M. d'Étiolés une ri-
TABLE ANALYTIQUE 3ll
inure de cerf. 1 36. — On lui présente le projet d'une cour
plénièie. Singulier mémoire à ce sujet. i38. — Garde au
prince de Condé le secret de ses épigrammes contre M. de
Silhouette, i 5 5.
Louis XVI. Comment il paraît terrible aux musiciens. 93.
LowENDAHL (Le comtc de), fils du maréchal. M™° de
Maurepas le fait danser le jour de son retour de Saint-Do-
mingue. 42.
LucHET (M°^° de). Compte que lui fait sa femme de
chambre. 78.
Luxembourg ( Le maréchal de) . Son mot plaisant au sor-
tir de la Bastille, i 10.
Luxembourg, crieur de la Comédie française. Regrette
qu'elle soit transportée au Carrousel. 34.
Luxembourg (La maréchale de). Comment le comte de
Chabot lui indique le moment de la messe oii elle arrive.
3 3. — Vers de Delille dont elle fait l'application plaisante.
47-
LuYNES (M. de). Quitte le service pour un soufflet non
rendu, et devient archevêque de Sens. io2-io3.
Luzerne (L'abbé de la). Donne de l'humeur au cardinal
de La Roche-Aymon. 172.
Machault (M. de). Comment M. de Maurepas devient
premier ministre à sa place, 3 5 — Projet d'une cour plé-
nière présenté au roi. i38.
Madame, fille du roi Louis XV. Son étonnement en
voyant que sa bonne a cinq doigts comme elle. 16.
Magistrat de Berne . Mot d'un magistrat de Berne sur
le livre de l'Esprit et le poëme de la Pucelle. 61.
Maine ( La duchesse du). Ce qu'elle appelle « son parti-
culier ». 127.
Maintenon (M°^® de). Se compare aux carpes de la pièce
d'eau de Marly. 2 3 .
Mairan (m. de). Sa définition de l'honnête et du mal-
honnête homme. 2. — Comment il obtient le silence à
l'Académie. 49.
Major de place. Mot de lui que rappellent les représen-
tations de certaines pièces. 107.
3l2 TABLE ANALYTIQUE
Malesherbes. m. de Maurepas le dissuade d'engager le
roi à aller visiter la Bastille. i3. — Conte l'histoire d'un
négociant mis à la Bastille par M. Berryer. 5o.
Malheur. Ce qu'on dit d'un homme tout à fait malheu-
reux. 78.
Marchand, avocat. Son mot sur l'administration , la jus-
tice et la cuisine. 2.
Mariage. Mot d'un académicien sur le mariage, i. —
Mot de M. de B... à propos du bruit qu'il allait épouser
son amie intime. 5. — Réponse de M... à la question s'il
se marierait. 14. — Mot d'un mari qui bâille. Sç. —
Mot de M... sur la femme qu'il lui faudrait. 65. — His-
toire d'un homme qui refuse d'épouser sa maîtresse parce
qu'il ne saurait où aller passer ses soirées. 76. — Exemple des
gentillesses que le mariage peut produire. 94. — M...YOudrait
qu'on pût le faire à bail. 95. — M™° de B..., ne pouvant
rien faire de son amant, l'épouse. 95. — Mot d'un mari à
sa femme. 95. — En quels termes M. de L... refuse de se
marier. i36. — Mot d'un célibataire qu'on pressait de se
marier. 137. — Mot sur le mariage d'un homme de vingt
deux ans avec une femme de soixante-cinq ans. 39. —
Manière de reconnaître à table deux personnes mariées. 143.
— Mariage d'un homme de cmquante ans avecune fille de
treize ans. 159.
Marie-Antoinette. Ce qu'elle dit au comte d'Estaing i
son retour. 61.
Marie-Stuart. Sa devise. 5o,
Marie-Thérèse. Comment Tévèque de Saint-Brieuc, dans
son oraison funèbre, se tire d'affaire sur sa participation i
la mutilation de la Pologne. 127.
Marivaux (M. de). Disait que le style a un sexe. 154.
Marlborouch (Lord). Mot qui lui est dit à la tran-
chée. 143.
Marmontel et Boindin au café Procope. 96.
Marville (m. de). Dit qu'il ne peut y avoir d'honnête
homme à la police. 96.
Masque de fer (L'homme au). Est un frère de Louis XIV»
97-
TABLE ANALYTIQUE 3l3
Massillon. Vers galants adressés par lui à M"^® de Si-
miane. 26. — Ne trouve de remède à l'incrédulité précoce
de M^^^ de Vichy-Chamrond qu'un catéchisme de cinq
sous. 43.
Maugiron (m. de). Action horrible commise par lui. 96.
Maupertuis. Mot qui le peint tout entier. iSy.
Maurepas (m. de). Comment il reçoit une lettre du roi
destinée à M. de Machault et devient premier ministre. 35.
— Fait par badinage avec M, de Saint-Florentin la répéti-
tion du compliment de renvoi. 44.
Maurepas (M°^° de). Fait danser le comte de Lowendal
le jour de son retour de Saint-Domingue. 42.
Maury (Abbé). Sa visite intéressée à l'abbé de Beau-
mont. 98. — Scène plaisante entre lui et un vieux con-
seiller. 1 00-101, — Scène entre lui et le cardinal de la
Roche-Aymon. 11 5. — Ce que lui dit le cardinal en re-
venant de l'assemblée du clergé, 172.
Mazarin. Étoit marié avec Anne d'Autriche. 97,
Mazarin (La duchesse de). Sa réponse aux exhortations
suprêmes du curé de Saint-Sulpice. 14.
MÉDECIN. M... hait si fort le despotisme qu'il ne peut souf-
frir le mot « ordonnance de médecin ». 46. — Mot dit à un
médecin. 98. — Réponse d'un médecin à qui on reproche
d'être le médecin Tant pis. 160.
Meibomius. Érudit allemand. Comment il se venge de
Bourdelot, qui a persuadé à la reine Christine de lui faire
chanter un air grec. 3i.
Menteur. Mot dit à un menteur, iio.
Mépris. Formule de M... pour exprimer le mépris. 10.
MÉROPE. Pourquoi une femme ne pleure pas à une re-
présentation de Mérope. i33.
Mesmes(M. de). Épigramme inscrite sur son hôtel. 11 3.
Millionnaire. Mot d'un millionnaire. 147.
MiLTON. Son désintéressement. loi.
Ministre. Il est moins dangereux d'offenser le ministre
que l'homme qui le sert dans la garde-robe. 36. — Les
ministres en place parlent de leur retraite comme les ma-
lades de leur mort, sans y croire. 102. — Moyen original
4^
3l4 TABLE ANALYTIQUE
de faire chasser un ministre. io8. — Les ministres finissent
souvent par porter envie à leurs commis. 114.
Mirabeau (Le comte de). Comment il se défend d'une
accusation de rapt et de séduction. 86. — Son livre sur
Tagiotage (où M. de Calonne est maltraité) n'en a pas
moins, dit-on, été payé par lui. 102.
Misanthrope. Mot d'un misanthrope. 16. — Autre
mot sur la méchanceté des femmes. 48. — Mot d'un mi-
santhrope plaisant. 142. — Moyen de ne pas devenir mi-
santhrope. i56. — Autre mot d'un misanthrope. i56.
Moïse. Mot de M.... à propos des six mille ans de Moïse.
io3.
Molière. N'a jamais attaqué les gens de finance. io3.
Molière (L'abbé de). Scène entre lui et un voleur.
10Î-104.
Montbarey (Le chevalier de). Son mot sur la société de
province. 36.
Monde. Ce qui le rend désagréable. 69. — Il faut dire
aux masques : Je vous connaiSy ou leur laisser l'espérance
de vous tromper. 97. — Application au monde d'un mot
de M... 140.
Montazet (m. de). Archevêque de Lyon. Sa ruse pour
éviter l'effet d'une dénonjciation. 93. — Scène entre lui et
une chanoinesse sœur de M°^° de Tencin. 104-105.
MoNTESSON (M'""^ de). Est une des quatre grandes comé-
diennes du siècle... à la ville. 34.
MoNTEYNARD (M. de). Opinion du duc de Choiseul sur lui.
62.
MoNTCALM (Le marquis de). Mot que lui dît un chef de
sauvages, i i 3.
MoNTMORiN (M™° de). Son conseil à son fils entrant
dans le monde. io5.
MoNTPENSiER (La duchesse de). Donne à ses pages de
quoi perdre les tentations dont elle est cause. iSy.
Mot sublime d'un paysan à propos de ses enfants, i 98.
Motte (M™® de la). Son supplice fait renchérir son
portrait. 134.
Mourir. Il est inutile d'apprendre à mourir. 107.
TABLE ANALYTIQ.UE 3î5
MussoN et Rousseau, bouffons de société. Mot de Tun à
l'autre, i i 3.
Mystification. Exemple d'une mystification. 83.
Nadaillac (m. de). Dénature un mot du dauphin relatif
au prince cardinal de Rohan. 119.
Naïveté d'enfant. 116. — D'une petite fille. 116. —
D'un fossoyeur. 11 6- 11 7. — D'un soldat irlandais. 117.
— D'un Suisse du roi. 117-118. — D'un juge. 118. —
D'un docteur en Sorbonne. 118. — Traits divers. 1 19.
Narbonne (Le chevalier de). Comment il persifle la fa-
ffiiliarité d'un inconnu, 80.
Nature. Comment elle a agi en nous accablant de mi-
sères et en nous donnant un attachement invincible pour la
vie. 6.
Naudé. Danse devant Christine de Suède une danse grec-
que. 3 1 .
Necker (m.). Observation qui fait tomber en un instant
l'enthousiasme qu'il inspire. i3i.
Necker (M'"'^). Est une des quatre grandes comédiennes
du siècle... à la ville. 34.
Nemours (M"^** de). Portrait qu'en fait M. de Ven-
dôme. I 34.
Néricault-Destouches. Quitte Paris la veille de la pre-
mière représentation de ses pièces. 5o.
Nesle (Le comte de). Fait battre sa femme par M. de
Soubise. 99.
Nesle (La comtesse de). Est battue par son amant sur un
conte de son mari. 99.
Neuville (Le P.). Jésuite. Comment le duc de Choiseul
découvre qu'il est l'auteur d'un mémoire contre lui, et s'en
venge. 29-30.
NivERNois (Le duc de). Rappelle à M. de Tressan des
couplets faits contre lui. 99.
NoAiLLEs (Le vicomte de). Mot d'une dame quittée par
lui. 4. — Est passionnément aimé par M°^®deVoyer. i55.
N0AILLES (Le maréchal de). Pleure à la tragédie par hon-
nêteté. 79.
3l6 TABLE ANALYTIQUE
NoAiLLES (La maréchale de). Écrit à la Vierge. 39. -~
Son aveu au cardinal de Fleury. 119.
NoAiLLES ( Le duc de). Sa consultation sur le cas d*un des
gardes du roi devenu malade. 56.
Noblesse. Ce que M... est tenté de dire quand il voit
un homme de qualité faire une lâcheté. i2 3. — Preuves
de noblesse annoncées par de mauvais vers. |2 3. — Ob-
servation sur la noblesse. i38.
Nobles. Au Pérou peuvent seuls étudfer. 122.
Nobles de Savoie. Mot de quelques nobles de Savoie au
roi de Sardaigne. 122.
Notables (Assemblée des). Plaisanterie sur l'Assemblée
des Notables, i 29.
Olivet (L'abbé d*). Sa définition par Duclos. 54.
Opéra. Mot d'une femme d'esprit à une représentation
d'Armide. 7. — Mot d'un plaisant qui voit exécuter en
ballet le : QuUl mourût! de Corneille. 12.
Opinion publique. Mot de M... sur l'opinion publique.
124-1 25.
Œuvre. Une bonne œuvre de M.... 17.
Orléans (La duchesse d'). Remontrance qu'elle s'attire
de sa belle-mère. 80.
Ormesson (m, d'). Remontrance quMl s'attire de M. Pel-
letier de Morfontaine, son beau-père. 91.
Orsay (Le comte d'). Se plaint par vanité de ce qu'on
a diminué la capitation. 140.
Parabère (La comtesse de). Mot que lui dit le régent.
i5i.
Paradis. Ce qui a fait la fortune du paradis. 68.
Passions. Manière dont M... étouffe ses passions. 127.
Pechméja (m.). Mot touchant que lui dit son ami Du-
breuil mourant. 54.
Pelletier de Morfontaine (M.). Sa semonce à ton
gendre M. d'Ormesson, contrôleur général. 91.
Perche, poisson. Comparaison de' M. B... avec une
perche. 12.
Phèdre. Mot dit à un homme qui avait vu jouer Phèdrt
par de mauvais acteurs. 1 i i .
i
TABLE ANALYTIQUE 3lJ
Philosophe. Accroît tous les jours la liste des choses dont
il ne parle plus. 91. — Doit commencer par avoir le bon*
heur des morts, puis celui des vivants. 16. — Mot d'un
philosophe sur les sauvages et les enfants. 12 5. — Lettre
d'un philosophe. i3i.
Pierre P^* (Le czar). Comment il cherche à savoir ce
que c'est que le supplice de la cale. 1 3 1 .
PiTT (M^^^). Son mot à un homme qui rintéresse. 1 1 1«
Place. Mot de M... en refusant une place. 7. — Autre
mot sur le même sujet. 8. — En quels termes M... refuse
de quitter une place. 129.
Poissonnier (M.), médecin. Mot de Voltaire à Poisson^
nier. 120.
Police. La plupart des règlements de police ne sont guère
que des spéculations de finances. 82. —Mot sur la police.
133.
Polichinelle. Est envoyé à Bicétre. 84.
PoMPADOUR ( M™*' DE ). Court après Louis XV aux chasses,
n'étant encore que M"*® d'Etiolles. i36, — Fait présenter
au roi le projet d'une cour plénière. Curieux mémoire à ce
sujet. i38.
Popeûnière (m. de la). Son mot sur son chien. 5.
PoRQUET (L'abbé). Réponse du roi Stanislas à ses plaintes
de n'avoir point de bénéfice. 1 58.
Portier. Mot sublime d'un portier, i3 3.
Portugais. Définition du Portugais par lord Tyrauley. 60.
Prédicateur de la Ligue. Texte pris pour ton sermon
par un prédicateur de la Ligue. i36.
Préjugé relatif aux peines infamantes. 1 29.
Prêtrise (État de). Mot d'un homme épris de l'état de
prêtrise. 173.
Prie (La marquise de). Sédition causée par un accapare-
ment de blé fait par elle. 108.
Procession de Sainte-Geneviève. Mot d'un évèqne à ce
sujet. 60.
Protection. Mot de la duchesse de B.... 19.
Provençal. Politique d'un Provençal à idées plaisantes.
162.
3l8 TABLE ANALYTIQUE
Proverbe. Rappelé par deux femmes de la cour passant
sur le pont Neuf. 2 5.
Public. Mot de M. de B..., peu ménagé par le public.
12. — A quoi ressemblent ceux qui se justifient devant 1^
public. 86. — Genre de respect qu'il mérite. 139. — Sa
défînition par M.... 189.
Question épineuse. Réponse de M... à une question
épineuse. 140.
QuiNAULT (M^^^). Sa réponse au duc de Chaulnes, qui lui
demande comment il doit se faire peindre. 3 7.
Racine. Côtés plaisants de son histoire de Port-Royal«
I 34-1 35.
Raynal (L'abbé). Sa conversation en monologue avec le
prince Henri de Prusse. 76. — Messe à vingt sous qu'il
cède à Tabbé de la Porte, qui la cède à l'abbé Dinouart,
chacun retenant une part. 10 1.
RccupERO (Le chanoine). Est tancé par la cour pour
avoir dit que le monde ne peut avoir moins de 14,000 ans.
io5.
RÉGENT (Le duc d'Orléans, plus tard). Difficulté d'élever
un gouverneur pour lui. 74. — Comment il accorde une
abbaye d'abord refusée. 110. — Son mot à Tabbé Dubois,
au bal de l'Opéra. 141. — Sa réponse au président Daron.
141. — Réponse plaisante que lui fait Voltaire, 143. —
Son mot à M"^® de Parabère. i 5 1 .
RÉGIMENT de Champagne. Ce qu'en dit le roi de Prusse.
148.
Religion. Réponse faite à un soldat qui demande quelle
est la meilleure religion. 112.
Resnel (L'abbé du). Sa remontrance à Duclos, qui jure
en pleine Académie. 63.
Retraite. Utilité de la retraite pour la force de l'esprit.
i33.
Retz (Le cardinal de). Son mot à un homme qui le
couchait en joue. i2 3.
RÉVOLUTION de 1789, Pourquoi M. R... ne s'y est nul-
lement montré. 2 5.
TABLE ANALYTIQUE S l()
Reynière (m. d-e la). Moi que lui dit un grand seigneur
qui soupait chez lui. i58. — Ce que dit de lui un de ses
convives. iSç. — Reynière (M™® de la). La maréchale
de Luxembourg lui applique un vers de Delille. 47.
Richelieu (Le cardinal de). Médaille où il figure avec
Louis XIII. 98.
Richelieu (Le maréchal de). Propose à Louis XV une
maîtresse qui est refusée. 93. — Aveu que son souvenir
arraclie à M"'° de Saint-Pierre. i5i. — Son mot au sujet
du siège de Mahon. i5 4. — Mot de M™® de Talmont au
maréchal de Richelieu. 160.
RocHEFORT (La comtesse de). Son mot sur l'avenir. 10.
— Son mot à Duclos. 77. — Son autre mot à Duclos sur
son paradis, i 2 5.
RocHESTER. Son mot à un poltron. SS-Sç.
RoHAN (Le cardinal de). Son mot à M°»« de Brionne.
65. — Mot du dauphin sur lui, dénaturé par M. de Na-
dailhac. 1 i 9.
Roi d'Espagne. Colère d'un chambellan à qui on a dit
que le roi travaillait. i63.
Roi de France. Sa définition par M.... 147.
Roi de Portugal. Était absent de Lisbonne, ainsi que
la reine, le jour du fameux tremblement de terre. A tou-
jours ignoré l'étendue du désastre. i63.
RoQUEMONT (M. de). Sa philosophie conjugale. i5o.
Roucher. Mot que dit Turgot à Delille en lisant son
poëme des Mois. 146.
RouRE (La comtesse de). Billets que lui écrit le grand
dauphin. 159.
RoubSEAu .J .-Jacques). C'est un hibou, mais c'est celui
de Minerve. 77. — Passe pour avoir eu la comtesse de
Boufïlers. io5. — Comment il reçoit un faiseur de com-
pliments. 149-150. — N'est pas courtisan aux échecs. i5o.
RoY. Poc'te. Ce que Voltaire dit de lui. i5o,
Rulhière (M. de). Mot sur lui. 140. — Sur sa méchan-
ceté. 145.
Sablière (M. de). Joueur fameux. Ce qu'il dit à Beau-
marchais, qui veut l'empêcher de se tuer. 87.
320 TABLE ANALYTIQ^UE
Saint-Huberti (M'^o de). Est une des quatre grandes
comédiennes du siècle. 34.
Saint-Florentin (M. de). Fait avec M. de Maurepas,
par plaisanterie, la répétition du compliment de renvoi. 44.
Saint-Malo. Réponse d'un Breton de Saint-Malo à la
question de M. de Court : Pourquoi la ville est-elle gardée
par des chiens? 29,
Saint-Julien (M. de). Compte de ses dettes que lui remet
son fils. 46-47,
Saint-Pierre (L'abbé de). Sa manière d'approuver les
choses. i38.
Saint-Pierre (La duchesse de). Aveu qui lui échappe à
propos ai Richelieu, i5i.
Saint-Priest (Le vicomte de). Comment M. de Calonne
lui fait avoir une pension de 20,000 livres. 73.
Santé. Moyen de rétablir sa santé. i52.
Saurin, Son mot sur l'honnêteté de M. de Foncemagne.
I 52.
Saxe (Le maréchal de). Son mot sur les critiques des
bourgeois de Paris. 1 1 1. — Mot que lui dit M. de Thiange
à Raucoux. i 5 2.
ScHWALOw (Le comte). Mot du bailli de Chabrillan aa
comte de Schwalow. i53.
Secours donné à un malheureux par un autre. 17,
SÉGUR (Le maréchal de). Plaisante conséquence de l'or-
donnance par laquelle il prescrit de n'admettre dans le corps
de l'artillerie que des gentilshommes. 81,
Senevoi (m. de). Comment il est obligé d'accorder un
congé demandé. 36-3 7.
SiécE. Sang-froid d'un porteur d'eau pendant un siège. 1 5i.
Silhouette (M. de). Contrôleur général. Le roi garde aa
prince de Conti le secret d'une épigramme contre lui. i55.
— Redoute les chansons faites contre lui. 175,
SiMiANE (M"o de). Petite-fille de M™« de Sévigné, Est en
commerce de galanterie avec Massillon, 26-27,
Sixte-Quint. Tance un prieur jacobin de Milan pour lui
avoir jadis prêté de l'argent, j 56.
TABLE ANALYTIQ^UE 521
Société. Plusieurs choses y choquent la nature. 121. —
Qu'est-ce qui rend le plus aimable dans la société? i32.
Solitude. Comment M... explique son goût pour la so-
litude. 43.
Solliciteuse. Obtient par le commis d'un commis ce qui
avait été refusé par le ministre. 129-130.
Sot. Cruche sans anse. 40. — Portrait d'un sot. 55. —
Mot d'un sot. 79.
SouBisE (Le prince de). Le mari de sa maîtresse le pousse
à la battre. 99.
SouRCHEs (M. de). Mot que lui attire sa fatuité. 144.
Stair. Banquier anglais accusé de conspiration. Sa ré-
ponse à ses juges. 148.
Stain VILLE (M. de). Son quiproquo avec M. de Vaube-
court. i58.
Stanislas, roi de Pologne. Mot que lui dit M. de la Ga-
laisière sur les changements d'heure de son dîner. 48. —
Ce qu'il dit à l'abbé Porquet. i58. — Son mot à M™® de
Bassompierre. 159.
Subterfuge d'un soldat à qui on a pris son cheval. 1 1 2-
I I 3.
Sully (M™® de). Étrange remède que lui propose Bor-
deu, médecin. 98.
Talmont (La princesse de). Son mot à Richelieu à pro-
pos de M™® de Brionne. 160.
Tencfn (L'abbé de). Tour que lui joue Tavocat Aubry.
174.
Tencin (M™® de). Ce qu'elle dit sur les fautes de con-
duite des gens d'esprit. 161. — Sa douceur, selon l'abbé
Trublet. 161.
Tentations. Ce que M... fait des siennes. 120.
Terrasson (L'abbé). Son avis sur une édition de la Bible.
Terray (Abbé). Est, suivant le duc de Noailles, un
excellent médecin. 56.
Tessé (La comtesse de). Ce que lui dit M"*® de Cham-
pagne à propos de M, Dubreuil. 161.
Thiange (M. deJ. Son mot au maréchal de Saxe. i53,
Chamfort. II. 41
322 TABLE ANALYTIQUE
TiLAURiER (M™®). Portée en compte dans le bilan des
dettes de M. de Saint-Julien le fils. 47. — Comment elle
se fait épouser par M. d*Espréménil. i32.
Thomas (M. ). Mot que lui attire son amour de la gloire.
i35.
Toulousain. Vaut à peu près les Gascons et les Proven-
çaux ensemble. 79.
Tressan (m. de). Sa visite de sollicitation académique k
M. de Nivernois. 99. — Son mot au roi Stanislas à pro-
pos de pensions accordées à plusieurs jésuites. 187.
Tronchin (m.), médecin. Son mot sur le viatique. 164.
Tronchin (m™*). Manière dont M"*« Cramer donne de
ses nouvelles. 26.
Trublet (L'abbé). Ce qu'il dit de la douceur de M™» de
Tencin. i6i,
Turenne (Le maréchal de). Conseil qu'il donne à un
enfant pour éviter les ruades de son cheval. 37. — Avoue
qu'au commencement d'une bataille il éprouve une grande
agitation. 164.
TuRGOT. Son mot à l'abbé Delille. 14 S. — Comment il
est défini par l'abbé Beaudeau. 81. — Son mot à un ami
qui le néglige depuis qu'il est ministre. 164.
Tyrauley (Lord). Ambassadeur en Portugal. Sa défini-
tion du Portugais. 60.
Tyrconnel (Lord). Ce qu'il dit au prince de Conti, qui
Voudrait se venger de Louis XV. 170.
Usage du monde. Comment M... s'était formé à l'usage
du monde. 65.
Vaines (M. de). Sa manière ironique de repousser un
reproche. 144.
Vallière (Le duc de La). Comment il est subjugué par
la petite Lacour. 40.
Vallière (La duchesse de La). Son aveu à M. de Bat*
bançon. 68-69.
Vatry (L'abbé). Comment il obtient une place. 170.
Vaubecourt (m. de). Plaisant quiproquo du comte d%
Stainville à son égard. i58.
Vaubrun (L'abbé de). Mot de lui. 114.
TABLE ANALYTIQ^UE SaS
Vaucanson (m. de). Compliment que lui adresse Vol-
taire. 174.
Vaudreuil (Le comte de). Ce que M... dit de lui. 9}.
— Réponse que lui fait Chamfort, à qui il offre ses ser-
vices. 170.
Vendôme (M. de). Son portrait de M°*® de Nemours.
1 34.
Vertu. Mot dit à une femme qui parlait emphatique-
ment de sa vertu. 3.
Vergennes (Le comte de). Opinion de M. de Choiseul
sur le comte de Vergennes. 62. — Est maltraité dans la
correspondance secrète de Louis XV avec le comte de Bro-
glie. 64-65. — N'aime point les gens de lettres. i33. —
Pourquoi il laisse M. de Breteuil être ministre. 171.
Versailles. Définition de Versailles. 171.
Vertot (L'abbé de). Ses changements d'état. 146.
Veuf. Mot d'un veuf. 146.
Veuve. Mot de M. de L... à une veuve pour la détour-
ner d'un second mariage. 10. — Perd sa douleur au jeu.
52.
ViLLARS (Le maréchal de). Mot que lui dit un entrepre-
neur de spectacles qui veut ôter l'entrée gratis aux pages.
21. — Adonné au vin. 85.
ViLLARS (M. de). Entend trois messes croyant qu'elles
sont pour lui. 112.
ViLLEQuiER (Le marquis de). Comment le premier mou-
vement trahit la bassesse de son âme. 4.
Villette (Le marquis de). Son mot sur la banqueroute
de M. de Guéménée. i3. — Lettre que lui écrit M. de
Lauraguais. 122.
Violence. Comment un homme violent fut arrêté dans
son accès par un mot d'ami. 79.
VivRiERS. Comment M... flétrit une malversation de vi»
vriers. 84.
Voleurs anglais. Condamnés, vendent ce qu'ils possèdent
pour en faire bonne chère avant de mounr. Mot d'un vo-
leur à un lord qui veut lui acheter son cheval. a8.
Voltaire. Son mot sur l'Académie de Soissons. x. ^
324 TABLE ANALYTIQUE
Sur VAnti-Machiapel de Frédéric II. 7. — Sa réponse au
reproche d'abuser du travail et du café. 21. — Ses plaintes
contre M™® du Châtelet. 34, — Son mot cynique à Pois-
sonnier. 120. — Sa réponse plaisante au régent. 143. —
Son mot sur lé poëte Roy. i5o. — Sur la religion. i5i.
— D'Alembert ne le trouve un peu faible qu'en géométrie.
i65, — Fait pleurer le roi de Prusse. 173. — Son mot à
Vaucanson. 174.
VoisENON (Abbé de). Son jugement sur Henri IV et
Louis XIV. 77.
Volupté. Mot de M. de L... expliquant pourquoi il s
renoncé à la volupté. 6.
Vrillière (Le duc de la). M. de Choiseul a disputé
avec M. de Praslin sur la question de savoir qui est le plus
bête, de lui ou du roi. 126.
VoYER (M. de). Laisse deux cassettes pleines de lettres
céladoniques. i55-i56.
VoYER (M™® de). Aime sentimentalement le vicomte de
Noailles. i55.
Washington. Héroïque réponse que lui fait un Améri-
cain qui a fait seul six prisonniers. 82.
XiMÉNÈs (M. de). Mot de M. d'Autray sur de Ximénès.
174.
TABLE
DU TOME SECOND
Pages
Portraits, Caractères, Anecdotes et Bons Mots. . i
Le Marchand de Smtrne , comédie en un acte et en
prose 177
Lettres diverses 211
Dissertation sur l'imitation de la nature, relative-
ment aux caractères dans les ouvrages dramatiques. 269
Notes et Variantes 291
Table analytique des Portraits, Caractères, Anecdotes
et Bons Mots 29$
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