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Full text of "œuvres choisies de N. Chamfort;"

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ŒUVRES CHOISIES 



DE 



N. CHAMFORT 



ŒUVRES CHOISIES 



N. CHAMFORT 

PUBLIÉES 
AVEC PRÉFACE, NOTES ET TABLES 

PAR 

M. DE LESCURE 



TOME SECOND 




PARIS 

LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES 

E. FLAMMARION SUCCESSEUR 

Rue Racine, 26, près de TOdéon 

M DCCC XCII 



S4^ 

US 
V. J 




PORTRAITS ET CARACTERES 

ANECDOTES ET BONS MOTS' 



M. de Voltaire, passant par Soîssons, reçut la 
viïiie des députés de i'Académie de Soissons, qui 
disoient que cette académie étoit la lille aînée de 
l'Académie françoise. a Oui, Messieurs, répondit- 
il, la fille aînée, fille sage, fille honnête, qui n'a 
jamais faii parler d'elle. » 

On disoit à M... académicien : « Vous vous 
marierez quelque jour. » Il répondit : a J'ai tant 
plaisanté l'Académie, et j'en suis; j'ai toujours 
peur qu'il ne m'arrive la même chose pour le ma- 

I . L'asiérïsquc indique les morceaux ioédiis. 



2 PORTRAITS ET CARACTERES 

On parloit de la dispute sur la préférence qu'on 
devoit donner, pour les inscriptions, à la langue 
latine ou à la langue Françoise. « Comment peut-il 
y avoir une dispute sur cela dit M. B...? — Vous 
avez bien raison, dit M. T... — Sans doute, re- 
prit M. B...3 c'est la langue latine, n'est-il pas 
vrai ? — Point du tout, dit M. T. . . , c'est la langue 
Françoise. » 

« J'appelle un honnête homme celui à qui le 
récit d'une bonne action rafraîchit le sang, et un 
malhonnête celui qui cherche chicane à une bonne 
action. » C'est un mot de M. de Mairan. 

Un certain Marchand, avocat, homme d'esprit, 
disoit : « On court les risques du dégoût en voyant 
comment Tadministration, la justice et la cuisine se 
préparent. » 

Un homme dé lettres menoit de front un poème 
et une affaire d'où dépendoit sa fortune. On lui 
demandoit comment alloit son poëme. « Deman- 
dez-moi plutôt, dit-il, comment va mon affaire. Je 
ne ressemble pas mal à ce gentilhomme qui, ayant 
une affaire criminelle, laissoit croître sa barbe, ne 
voulant pas, disoit-il, la faire faire avant de savoir 
si sa tête lui appartiendroit. Avant d^être immor- 
tel, je veux savoir si je vivrai » 



ANECDOTES ET BONS MOTS S 

Une femme parloit emphatiquement de sa vertu, 
et ne vouloit plus, disoit-elle, entendre parler 
d'amour. Un homme d"*esprit dit là-dessus : « A 
quoi bon cette forfanterie ? Ne peut-on pas trouver 
un amant sans dire tout cela? » 

M. le chancelier d'Aguesseau ne donna jamais de 
privilège pour l'impression d'aucun roman nou- 
veau, et n'accordoit même de permission tacite 
que sous des conditions expresses. Il ne donna à 
l'abbé Prévost la permission d'imprimer les pre- 
miers volumes de Cléveland que sous la condition 
que Cléveland se feroit catholique au dernier vo- 
lume. 

M. d'Alembert eut occasion de voir madame 
Denis le lendemain de son mariage avec M. du 
Vivier. On lui demanda si elle avoit l'air d'être 
heureuse. « Heureuse! dit-il, je vous en réponds; 
heureuse à faire mal au cœur. » 

« Comment trouvez-vous M. de...? — Je le 
trouve très-aimable; je ne l'aime point du tout. » 
L'accent dont le dernier mot fut dit marquoit très- 
bien la différence de l'homme aimable et de l'homme 
digne d'être aimé. 

La jeune madame de M..., étant quittée par le 



4 PORTRAITS ET CARACTERES 

vicomte de Noailles, étoit au désespoir, et disoit : 
« J'aurai vraisemblablement beaucoup d'amans; 
mais je n'en aimerai aucun autant que j'aime le vi- 
comte de Noailles. » 

Le marquis de Villequier étoit des amis du grand 
Condé. Au moment où ce prince fut arrêté par 
ordre de la cour, le marquis de Villequier, capi- 
taine des gardes, étoit chez madame de Motte- 
ville lorsqu'on annonça cette nouvelle. « Ah! mon 
Dieu! s'écria le marquis, je suis perdu! » Madame 
de Motteville, surprise de cette exclamation, lui 
dit : « Je savois bien que vous étiez des amis de 
M. le prince; mais j'ignorois que vous fussiez son 
ami à ce point. — Comment! dit le marquis de 
Villequier, ne voyez-vous pas que cette exécution 
me regardoit; et, puisqu'on ne m'a point employé, 
n'est-il pas clair qu'on n*a nulle confiance en moi? » 
Madame de Motteville, indignée, lui répondit : 
a II me semble que, n'ayant point donné lieu à la 
cour de soupçonner votre fidélité, vous devriez 
n'avoir point celte inquiétude, et jouir tranquille- 
ment du plaisir de n'avoir point mis votre ami en 
prison. » Villequier fut honteux du premier mou- 
vement, qui avoit trahi la bassesse de son âme. 

M. de La Popehnière se déchaussoit un soir de- 
vant ses complaisans, et se chauffoit les pieds; un 



ANECDOTES ET BONS MOTS 3 

petit chien les lui léchoit. Pendant ce temps-là, la 
société parloit d'amitié, d'amis : « Un ami, dit 
M. de La Popelinière montrant son chien, le 
voilà. » 

M. de B. et M. de C. sont intimes amis au 
point d'être cités pour modèles. M. de B. disoit 
un jour à M. de C. : « Ne t'est-il point arrivé de 
trouver, parmi les femmes que tu as eues, quelque 
étourdie qui t'ait demandé si tu renoncerois à moi 
pour elle, si tu m'aimois mieux qu'elle? — Oui, 
répondit celui-ci. — Qui donc? — Madame de 
M... » Ç'étoit la maîtresse de son ami. 

M . de B. . . voyoit madame de L. . . tous les jours ; 
le bruit courut qu'il alloit l'épouser. Sur quoi, il 
dit à l'un de ses amis : « Il y a peu d'hommes 
qu'elle n'épousât pas plus volontiers que moi, et 
réciproquement : il seroit bien étrange que, dans 
quinze ans d'amitié, nous n'eussions pas vu com- 
bien nous sommes antipathiques l'un à l'autre. » 

« Je repousse, disoit M..., les bienfaits de la 
protection. Je pourrois peut-être recevoir et ho- 
norer ceux de l'estime; mais je ne chéris que ceux 
de l'amitié. » 

La nature, en nous accablant de tant de misères, 



6 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

et en nous donnant un attachement invincible pour 
la vie, semble en avoir agi avec l'homme comme 
un incendiaire qui mettroit le feu à notre maison 
après avoir posé des sentinelles à notre porte. Il 
faut que le danger soit bien grand pour nous obli- 
ger à sauter par la fenêtre. 

Le jour de la mort de madame de Châteauroux, 
Louis XV paroissoit accablé de chagrin; mais ce 
qui est extraordinaire, c'est le mot par lequel il le 
témoigna : Etre malheureux pendant quatre-vingt- 
dix ans ! car je suis sûr que je vivrai jusque-là. Je 
l'ai ouï raconter par madame de Luxembourg , qui 
l'entendit elle-même, et elle ajoutoit : « Je n'ai 
raconté ce trait que depuis la mort de Louis XV. » 
Ce trait méritoit pourtant d'être su, pour le sin- 
gulier mélange qu'il contient d'amour et d'égoïsme. 

M. de L... me disoit, relativement au plaisir de& 
femmes, que, lorsqu'on cesse de pouvoir être pro' 
digue, il faut devenir avare, et qu'en ce genre, 
celui qui cesse d'être riche commence à être pauvre, 
a Pour moi, dit-il, aussitôt que j'ai été obligé de 
distinguer entre la lettre de change payable à vue 
et la lettre payable à échéance, j'ai quitté la 
banque. » 

M..., à qui on offroit une place dont quelques 



ANECDOTES ET BONS MOTS 7 

fonctions blessoient sa délicatesse, répondit : «Cette 
place ne convient ni à l'amour-propre que je me 
permets ni à celui que je me commande. » 

a L'homme, disoit M..., est un sot animal, si 
j'en juge par moi. » 

Voltaire disoit, à propos de V Anti-Machiavel du 
roi de Prusse : « Il crache au plat pour en dégoû- 
ter les autres. » 

Un homme disoit à table : « J'ai beau manger, 
je n'ai plus faim. » 

Une femme d'esprit, voyant à l'Opéra une Ar- 
mide difforme et un Renaud fort laid, dit : « Voilà 
des amans qui ne paroissent pas s'être choisis, mais 
s'être restés quand tout le monde a fait un choix. » 

M. d'Argenson, apprenant, à la bataille de Rau- 
coux, qu'un valet d'armée avoit été blessé d'un 
coup de canon derrière l'endroit où il étoit lui- 
même avec le roi, disoit : « Ce drôle-là ne nous 
fera pas l'honneur d'en mourir. » 

On offroit à M... une place lucrative qui ne lui 
convenoit pas. Il répondit : « Je sais qu'on vit 



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8 PORTRAITS ET CARACTERES 

avec de Targent ; mais je sais aussi qu'il ne faut pas 
vivre pour de l'argent. » 

M. d'Argenson disoit à M. le comte de Sé- 
bourg, qui étoit l'amant de sa femme : « Il y a 
deux places qui vous conviendroient également : le 
gouvernement de la Bastille et celui des Invalides. 
Si je vous donne la Bastille, tout le monde dira 
que je vous y ai envoyé; si je vous donne les In- 
valides, on croira que c'est ma femme. » 

* Le petit père André, s'étant avisé de pro- 
mettre au prince de Condé de prêcher impromptu 
sur tel sujet qu'on lui donneroit sur-le-champ, le 
prince, le lendemain, lui envoya un Priape pour 
texte de son sermon. Le prédicateur reçut ce beau 
sujet étant dans sa sacristie, et, montant en chaire, 
il commença ainsi: « Un grand vit dans l'opulence, 
et les pauvres, les frères de Jésus-Christ , expirent 
de misère, etc.. » 

M... disoit qu'il y avoit tels ou tels principes 
excellens pour tel ou tel caractère ferme et vigou- 
reux, et qui ne vaudroient rien pour des caractères 
d'un ordre inférieur. Ce sont les armes d'Achille 
qui ne peuvent convenir qu'à lui, et sous lesquelles 
Patrocle lui-même est opprimé. 



ANECDOTES ET BONS MOTS 9 

L'abbé Arnaud avoi^ tenu autrefois sur ses ge- 
noux une petite fille, devenue depuis madame du 
Barry. Un jour, elle lui dit qu'elle vouloit lui faire 
du bien; elle ajouta : « Donnez-moi un mémoire. 
- — Un mémoire? lui dit-il; il est tout fait ! le voici : 
je suis l'abbé Arnaud. » 

J'ai entendu un dévot, parlant contre des gens 
qui discutoient des articles de foi, dire naïvement : 
« Messieurs, un vrai chrétien n'examine point ce 
qu'on lui ordonne de croire. Tenez, il en est de 
cela comme d'une pilule amère : si vous la mâchez, 
jamais vous ne pourrez l'avaler. » 

« Les athées sont meilleure compagnie pour moi, 
disoit M. D..., que ceux qui croient en Dieu. A 
la vue d'un athée, toutes les demi-preuves de l'exis- 
tence de Dieu me viennent à l'esprit; et, à la vue 
d'un croyant, toutes les demi-preuves contre son 
existence se présentent à moi en foule. » 

* Un Anglois alla consulter un avocat pour sa- 
voir comment il pourroit être à couvert de la loi 
en enlevant une riche héritière. L'avocat lui de- 
manda si elle était consentante. « Oui. — Eh bien ! 
dit-il, prenez un cheval, qu'elle monte dessus, 
vous en croupe, et en passant criez par le premier 
village : « Mademoiselle X... m'enlève! » La chose 



J 



lO PORTRAITS ET CARACTERES 

fut ainsi exécutée, et au dénouement il se trouva 
que c'étoit la fille de l'avocat qui avoit été en- 
levée. 

* Un Anglois condamné à être pendu reçut la 
grâce du roi. « La loi est pour moi, dit-il : qu'on 
me pende. » 

M. de L..., pour détourner madame de B..., 
veuve depuis quelque temps, de l'idée du mariage, 
lui dit : « Savez-vous que c'est une bien belle 
chose de porter le nom d'un homme qui ne peut 
plus faire de sottises! » 

M... avoit, pour exprimer le mépris, une for- 
mule favorite : a C'est Tavant-dernier des hommes. 
— Pourquoi l'avant-dernier? lui demandoit-on. — 
Pour ne décourager personne : car il y a presse. » 

On demandoit à madame de Rochefort si elle 
auroit envie de connoître l'avenir : « Non, dit- 
elle : il ressemble trop au passé. » 

Madame d'Esparbès couchant une nuit avec 
Louis XV, le roi lui dit : « Tu as couché avec tous 
mes sujets. — Ah! Sire ! — Tu as eu le duc de 
Choiseul. — Il est si puissant! — Le maréchal de 
Richelieu. — Il a tant d'esprit! — Manville. — 



ANECDOTES ET BONS MOTS II 

Il a une si belle jambe! — A la bonne heure; 
mais le duc d'Aumont, qui n*a rien de tout cela? 
— Ah! Sire, il est si attaché à Votre Majesté! » 

Un vieillard, me trouvant trop sensible à je ne 
sais quelle injustice, me dit : « Mon cher enfant, 
il faut apprendre de la vie à souffrir la vie. » 

On accusoit un jeune homme de la cour d'aiiper 
les filles avec fureur. Il y avoit là plusieurs femmes 
honnêtes et considérables, avec qui cela pouvoit le 
brouiller. Un de ses amis, qui étoit présent, ré- 
pondit : « Exagération ! méchanceté ! il a aussi des 
femmes. » 

Louis XV demandoit au duc d'Ayen ( depuis 
maréchal de Noailles) s'il avoit envoyé sa vaisselle 
à la Monnaie. Le duc répondit que non. « Moi, 
dit le roi, j'ai envoyé la mienne. — Ah! Sire, dit 
M. d'Ayen, quand Jésus-Christ mourut le ven- 
dredi saint, il savoit bien qu'il ressusciteroit le di- 
manche. » 

* Madame du Deffand disoit à l'abbé d'Aydie : 
«Avouez que je suis maintenant la femme qye vous 
aimez le plus. » L'abbé, ayant réfléchi un moment, 
lui dit : « Je vous dirois bien cela si vous n'alliez 
pas en conclure que je n'aime rien, » 



12 PORTRAITS ET CARACTERES 

Madame de... disoit de M. B... : « Il est hon- 
nête, mais médiocre et d'un caractère épineux : 
c'est comme la perche, blanche, saine, mais insi- 
pide et pleine d'arêtes. » 

M. de L... parloit à son ami M. de B..., 
homme très-respectable, et cependant très-peu 
ménagé par le public; il lui avouoit les bruits et 
les faux jugemens qui couroient sur son compte. 
Celui-ci répondit froidement : « C'est bien à une 
bête et à un coquin comme le public actuel à ju- 
ger un caractère de ma trempe 1 » 

M..., jeune homme, me demandoit pourquoi 
madame de B... avoit refusé son hommage, qu'il 
lui offroit, pour courir après celui de M. de L..., 
qui sembloit se refuser à ses avances. Je lui dis : 
(( Mon cher ami, Gênes, riche et puissante, a offert 
sa souveraineté à plusieurs rois, qui l'ont refusée; 
et on a fait la guerre pour la Corse, qui ne pro- 
duit que des châtaignes, mais qui étoit fière et in- 
dépendante. » 

Un plaisant, ayant vu exécuter en ballet, à 
l'Opéra, le fameux Qu*il mourût de Corneille, 
pria Noverre de faire danser les Maximes de La 
Rochefoucauld. 



ANECDOTES ET BONS MOTb ij 

Le marquis de Villette appeloit la banqueroute 
de M. de Guéménée la Sérénissime Banqueroute. 

On compte cinquante-six violations de la foi 
publique, depuis Henri IV jusqu'au ministère du 
cardinal de Loménie inclusivement. M. D... ap- 
pliquoit aux fréquentes banqueroutes de nos rois 
ces deux vers de Racine : 

Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée 
Que sur la foi promise et rarement gardée. 

M. de Malesherbes disoit à M. de Maurepas 
qu'il falloit engager le roi à aller voir la Bastille, 
a II faut bien s^en garder, lui répondit M. de 
Maurepas : il ne voudroit plus y faire mettre per- 
sonne. » 

Un homme très-pauvre, qui avoit fait un livre 
contre le gouvernement, disoit : « Morbleu! la , 
Bastille n'arrive point; et voilà qu'il faut tout à 
l'heure payer mon terme 1 » 

M. Helvétius dans sa jeunesse étoit beau comme 
l'Amour. Un soir qu'il étoit assis dans le foyer et 
fort tranquille, quoique auprès de mademoiselle 
Gaussin, un célèbre financier vint dire à l'oreille 
de cette actrice, assez haut pour que Helvétius 
l'entendît : « Mademoiselle, vous seroit-il agréable 



14 PORTRAITS ET CARACTERES 

d'accepter six cents louis en échange de quelques 
complaisances? — Monsieur, répondit-elle assez 
haut pour être entendue aussi, et en montrant 
Helvétius, je vous en donnerai deux cents si vous 
voulez venir demain matin chez moi avec cette fi- 
gure-là. » 

Je demandois à M... s'il se marieroit. Il me 
répondit : « Pourquoi faire ? pour payer au roi de 
France la capitation et les trois vingtièmes après 
ma mort? » 

M. de Th..., pour exprimer l'insipidité des ber- 
geries de M. de Florian, disoit : « Je les aimerois 
* assez s'il y mettoit des loups. » 

Le curé de Saint-Sulpice étant allé voir madame 
de Mazarin pendant sa dernière maladie pour lui 
faire quelques petites exhortations, elle lui dit en 
l'apercevant : « Ah ! monsieur le curé, je suis en- 
chantée de vous voir; j'ai à vous dire que le beurre 
de l'Enfant-Jésus n'est plus à beaucoup près si 
bon : c'est à vous d'y mettre ordre, puisque l'En- 
fant-Jésus est une dépendance de votre église. » 

On disoit à un homme que M..., autrefois son 
bienfaiteur, le haïssoit. « Je demande, répondit-il, 
la permission d'avoir un peu d'incrédulité à cet 



ANECDOTES ET BONS MOTS l5 

égard. J'espère qu'il ne me forcera pas à changer 
en respect pour moi le seul sentiment que j'aie be- 
soin de lui conserver. » 

Après le crime et le mal faits à dessein , il faut 
mettre les mauvais effets des bonnes intentions, les 
bonnes actions nuisibles à la société publique , 
comme le bien fait aux méchans, les sottises de la 
bonhomie, les abus de la philosophie appliquée 
mal à propos, la maladresse en servant ses amis, 
les fausses applications des maximes utiles ou hon- 
nêtes, etc. 

Le maréchal de Biron eut une maladie très-dan- 
gereuse; il voulut se confesser, et dit devant plu- 
sieurs de ses amis : « Ce que je dois à Dieu , ce 
que je dois au roi, ce que je dois à l'Etat... » Un 
de ses amis l'interrompit : « Tais-toi, dit-il, tu 
mourras insolvable. » 

Le lord Bolingbroke donna à Louis XIV mille 
preuves de sensibilité pendant une maladie très- 
dangereuse. Le roi, étonné, lui dit : a J'en suis 
d'autant plus touché que, vous autres Anglois, 
vous n'aimez pas les rois. — Sire, dit Bolingbroke, 
nous ressemblons aux maris qui, n'aimant pas leurs 
femmes, n'en sont que plus empressés à plaire à 
celles de leurs voisins. » 



l6 PORTRAITS ET CARACTERES 

M... disoit qu'il falloit qu'un philosophe com- 
mençât par avoir le bonheur des morts, celui de 
ne pas souffrir et d'être tranquille; puis celui des 
vivans, de penser, sentir et s'amuser. 

J'ai connu un misanthrope qui avoît des instans 
de bonhomie, dans lesquels il disoit : « Je ne se- 
rois pas étonné qu'il y eût quelque honnête homme 
caché dans quelque coin et que personne ne con- 
noisse. » 



C'est un fait avéré que Madame, fille du roi, 
jouant avec une de ses bonnes, regarda à sa main, 
et, après avoir compté ses doigts : « Comment! 
dit l'enfant avec surprise, vous avez cinq doigts 
aussi, comme moi? » Et elle recompta pour s'en 
assurer. 

M. de Calonne, au moment où il fut renvoyé, 
apprit qu'on offroit sa place à M. de Fourqueux, 
mais que celui-ci balançoit à l'accepter, a Je vou- 
drois qu'il la prît, dit l'ex-ministre : il étoit ami de 
M. de Turgot, il entreroit dans mes plans. — 
Cela est vrai, » dit Dupont, lequel étoit fort ami 
de M. de Fourqueux, et il s'offrit pour aller l'en- 
gager à accepter la place. M. de Calonne l'y en- 
voie. Dupont revient une heure après, criant : 



ANECDOTES ET BONS MOTS I7 

« Victoire! victoire! nous le tenons, il accepte. » 
M. de Calonne pensa crever de rire. 

«Aujourd'hui, i5 mars 1782, j'ai fait, disoit 
M. de..., une bonne œuvre d'une espèce assez 
rare : j'ai consolé un homme honnête, plein de 
vertus, riche de cent mille livres de rente, d'un 
très-grand nom, de beaucoup d'esprit , d'une très- 
bonne santé, etc. ; et moi, je suis pauvre, obscur 
et malade. » 

» 

Un homme d'une fortune médiocre se chargea 
de secourir un malheureux qui avoit été inutile- 
ment recommandé à la bienfaisance d'un grand 
seigneur et d'un fermier général. Je lui appris ces 
deux circonstances, chargées de détails qui aggra- 
voient la faute de ces derniers. Il me répondit 
tranquillement : « Comment voudriez-vous que le 
monde subsistât si les pauvres n'étoient pas con- 
tinuellement occupés à faire le bien que les riches 
négligent de faire, ou à réparer le mal qu'ils font? » 

Un prédicateur disoit : « Quand le père Bour- 
daloue prêchoit à Rouen, il y causoit bien du dés- 
ordre : les artisans quittoient leurs boutiques, les 
médecins leurs malades, etc. J'y prêchai l'année 
d'après, j'y remis tout dans l'ordre. » 

Chamfort. II. 3 



l8 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

Vous rencontrez le baron de Breteuil; il vous 
entretient de ses bonnes fortunes, de ses amours 
grossières, etc. ; il finit par vous montrer le por- 
trait de la reine au milieu d'une rose garnie de dia- 
mans. 

Un sot fier de quelques cordons me paroît au- 
dessous de cet homme ridicule qui, dans ses plai- 
sirs, se faisoit mettre des plumes de paon au derrière 
par ses maîtresses. Au moins il y gagnoit le plai- 
sir de... Mais l'autre !... Le baron de Breteuil est 
fort au-dessous de Peixoto. 

On voit, par l'exemple de Breteuil, qu'on peut 
ballotter dans ses poches les portraits en diamans 
de douze ou quinze souverains et n'être qu'un 
sot. 

C'est un sot, c'est un sot, c'est bientôt dit : 
voilà comme vous êtes extrême en tout. A quoi 
cela se réduit-il? Il prend sa place pour sa per- 
sonne, son importance pour du mérite, et son 
crédit pour une vertu. Tout le monde n'est-il pas 
comme cela? Y a-t-il là de quoi tant crier? 

Madame de Créqui me disoit du baron de Bre- 
teuil : « Ce n'est, morbleu! pas une bête que le 
baron : c'est un sot. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 19 

M. de Broglie, qui n'admire que le mérite mili- 
taire, disoit un jour : « Ce Voltaire qu'on vante 
tant, et dont je fais peu de cas, il a pourtant fait 
un beau vers : 

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux. 

* Madame la duchesse de B... protégeoit au- 
près du baron de Breteuil, ministre, Tabbé de C... 
pour qui elle venoit d'obtenir une place qui de- 
mande des talens. Elle apprend que le public a 
du regret que cette place n'ait pas été donnée à 
M. L... B..., homme d'un mérite supérieur. «Eh 
bien! dit-elle, tant mieux que mon protégé ait 
eu la place sans mérite; on en verra mieux quelle 
est l'étendue de mon crédit. » 

* M. Baujon, porté par ses gens dans son salon, 
où étoient un grand nombre de belles dames qu'on 
appelle ses berceuses, leur dit en balbutiant : 
« Mesdames, réjouissez-vous: ce n'est point une 
apoplexie que j'ai eue, c'est une paralysie. » 

* Le roi, après avoir reçu le serment de fidélité 
des États de Béarn, fait le serment de fidélité aux 
États, et promet de conserver leurs droits et leurs 
privilèges. Voilà des Gascons qui ont bien su faire 
leur marché, et il est inconcevable qu'ils soient les 



20 PORTRAITS ET CARACTERES 

seuls peuples parmi tant de provinces qui aient eu 
cet esprit-là. 

Trois choses, disoit N..., m'importunent, tant 
au moral qu'au physique, au sens figuré comme au 
sens propre : le bruit, le vent et la fumée. 

Madame.,.., tenant un bureau d'esprit, disoit de 
L... : « Je n'en fais pas grand cas; il ne vient pas 
chez moi. » 

On disoit de M..., qui se créoit des chimères 
tristes et qui voyoit tout en noir : a II fait des ca 
chots en Espagne. » 

Un catholique de Breslau vola, dans une église 
de sa communion , des petits cœurs d'or et autres 
offrandes. Traduit en justice, il dit qu'il les tient 
de la Vierge. On le condamne. La sentence est 
envoyée au roi de Prusse pour la signer, suivant 
l'usage. Le roi ordonne une assemblée de théolo- 
giens pour décider s'il est rigoureusement impos- 
sible que la Vierge fasse à un dévot catholique de 
petits présens. Les théologiens de cette commu- 
nion, bien embarrassés, décident que la chose n'est 
pas rigoureusement impossible. Alors le roi écrit 
au bas de la sentence du coupable : » Je fais grâce 
au nommé N..., mais je lui défends, sous peine de 



ANECDOTES ET BONS MOTS 21 

la vie, de recevoir désormais aucune espèce de 
cadeau de la Vierge ni des saints. » 

Un homme disoit à M. de Voltaire qu'il abusoit 
du travail et du café, et qu'il se tuoit. « Je suis né 
tué, » répondit-il. 

Le marquis de Choiseul-la-Baume , neveu de 
Tévêque de Châlons, dévot et grand janséniste, 
étant très-jeune, devint triste tout à coup. Son 
oncle, Tévêque, lui en demanda la raison. Il lui 
dit qu'il avoit vu une cafetière qu'il voudroit bien 
avoir, mais qu'il en désespéroit. « Elle est donc 
bien chère? — Oui, mon oncle : vingt-cinq louis. » 
L'oncle les donna à condition qu'il verroit cette 
cafetière. Quelques jours après, il en demanda des 
nouvelles à son neveu : « Je l'ai, mon oncle, et la 
journée de demain ne se passera pas sans que vous 
l'ayez vue. » Il la lui montra, en effet, au sortir 
de la grand'messe. Ce n'étoit point un vase à ver- 
ser du café : c'étoit une jolie cafetière, c'est-à-dire 
limonadière, connue depuis sous le nom de ma- 
dame de Bussi. On conçoit la colère du vieil 
évêque janséniste. 

Un entrepreneur de spectacles, ayant prié M. de 
Villars d'ôter l'entrée gratis aux pages, lui dit : 



22 PORTRAITS ET CARACTERES 

« Monseigneur, observez que plusieurs pages font 
un volume. » 



Je proposerois volontiers, disoit M. D..., je 
proposerois aux calomniateurs et aux méchans le 
traité que voici. Je dirois aux premiers : a Je veux 
bien que Ton me calomnie, pourvu que par une 
action ou indifférente ou même louable j*aie fourni 
le fond de la calomnie, pourvu que son travail 
ne soit que la broderie du canevas, pourvu qu'on 
n'invente pas les faits en même temps que les cir- 
constances, en un mot, pourvu que la calomnie 
ne fasse pas les frais à la fois et du fond et de la 
forme. » Je dirois aux méchans : a Je trouve simple 
qu'on me nuise, pourvu que celui qui me nuit y 
ait quelque intérêt personnel; en un mot, qu'on 
ne me fasse pas du mal gratuitement, comme il 
arrive. » 

J'ai bien examiné M..., et son caractère m'a 
paru piquant : très-aimable et nulle envie de plaire, 
si ce n'est à ses amis ou à ceux qu'il estime; en 
récompense, une grande crainte de déplaire. Ce 
sentiment est juste, et accorde ce qu'on doit à l'a- 
mitié et ce qu'on doit à la société. On peut faire 
plus de bien que lui, nul ne fera moins de mal. 
On sera plus empressé, jamais moins importun- 



ANECDOTES ET BONS MOTS 23 

On caressera davantage, on ne choquera jamais 
moins. 

Ne me vantez point le caractère de N... : c'est 
un homme dur, inébranlable, appuyé sur une phi- 
losophie froide, comme une statue de bronze sur 
du marbre. 

Les amis de M... vouloient plier son caractère 
à leurs fantaisies, et, le trouvant toujours le même, 
disoient qu'il étoit incorrigible. Il leur répondit : 
« Si je n'étois pas incorrigible, il y a bien long- 
temps que je serois corrompu. » 

Madame de Maintenon et madame de Caylus 
se promenoient autour de la pièce d'eau de Marly. 
L'eau étoit très-transparente, et on y voyoit des 
carpes dont les mouvemens étoient lents, et qui 
paroissoient aussi tristes qu'elles étoient maigres. 
Madame de Caylus le fit remarquer à madame de 
Maintenon, qui répondit : « Elles sont comme 
moi, elles regrettent leur bourbe. » 

Le roi de Prusse a plus d'une fois fait lever des 
plans géographiques très-défectueux de tel ou tel 
pays. La carte indiquoit tel marais impraticable qui 
ne l'étoit point, et que les ennemis croyoient tel 
sur la foi du faux plan. 



24 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

Louis XV ayant refusé vingt-cinq mille francs 
de sa cassette à Lebel, son valet de chambre, pour 
la dépense de ses petits appartemens, et lui disant 
de s*adresser au trésor royal, Lebel lui répondit : 
« Pourquoi m'exposerois-je aux refus et aux tra- 
casseries de ces gens-là, tandis que vous avez là 
plusieurs millions ? » Le roi lui répondit : « Je 
n*aime point à me dessaisir; il faut toujours avoir 
de quoi vivre. » [Anecdote contée par Lebel à 
M. Buscher,) 

« Au ton qui règne depuis dix ans dans la litté- 
rature, disoit M..., la célébrité littéraire me paroît 
une espèce de diffamation qui n*a pas encore tout 
à fait autant de mauvais effets que le carcan ; mais 
cela viendra. » 

On attribuoit à la philosophie moderne le tort 
d'avoir multiplié le nombre des célibataires; sur 
quoi M... dit : « Tant qu'on ne me prouvera 
pas que ce sont les philosophes qui se sont cotisés 
pour faire les fonds de mademoiselle Bertin et 
pour élever sa boutique, je croirai que ce célibat 
pourroit bien avoir une autre cause. » 

Madame de C... disoit à M. B... : « J'aime en 
vous... — Ah! Madame, dit-il avec feu, si vous 
cavez quoi, je suis perdu ! » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 25 

Ondisoità M..., qui n'étoit plus jeune : « Vous 
êtes plus capable d'aimer. — Je ne Tose plus, 
it-il; mais je me dis quelquefois, en voyant une 
>lie femme : « Combien je Taimerois si j'étois plus 

aimable 1 » 

On connoît le proverbe : « On ne passe jamais 
ir le pont Neuf sans y voir un moine, un cheval 
lanc et une catin. » Deux femmes de la cour, 
issant sur le pont Neuf, virent en deux minutes 
1 moine et un cheval blanc. Une des deux, pous- 
int l'autre du coude, lui dit : « Pour la catin, 
)us et moi, nous n'en sommes pas en peine. » 

Je demandois à M. R..., homme plein d'esprit 
; de talent, pourquoi il ne s'étoit nullement mon- 
é dans la révolution de 1789. Il me répondit : 
C'est que, depuis trente ans, j'ai trouvé les 
jmmes si méchans en particulier et pris un à un 
ie je n'ai osé espérer rien de bon d'eux en pu- 
ic et pris collectivement. » 

Un homme engagé dans un procès criminel qui 
îvoit lui faire couper le cou rencontra, après plu- 
eurs années, un de ses amis qui dans le commen- 
îment du procès avoit entrepris un long voyage. 
B premier dit à celui-ci : « Depuis le temps que 
>us ne nous sommes vus, ne me trouvez-vous pas 

4 



20 PORTRAITS ET CARACTERES 

changé? — Oui, dit l'autre, je vous trouve grandi 
de la tête. » 



Il y a une chanson qui roule sur Hercule vain- 
queur des cinquante pucelles. Le couplet finit par 
ces mots ; 

Comme lui je les aurai 
Lorsque je les trouverai. 

M. Brissard, le père, écrivoit à sa femme : 
« Ma chère amie, notre chapelle avance, et nous 
pouvons nous flatter d'y être enterrés l'un et l'autre, 
si Dieu nous prête vie. » 

On demandoit à madame Cramer, de retour de 
Genève à Paris après quelques années : « Que 
fait madame Tronchin (personne très-laide)? — 
Madame Tronchin fait peur, » répondit-elle. 

Massillon étoit fort galant. Il devint amoureux 
de madame de Simiane, petite-fille de madame de 
Sévigné. Cette dame aimoit beaucoup le style 
soigné, et ce fut pour lui plaire qu'il mit tant de 
soin à composer ses Synodes, un de ses meilleurs 
ouvrages. Il logeoit à l'Oratoire et devoit être 
rentré à neuf heures; madame de Simiane soupoit 
à sept par complaisance pour lui. Ce fut à l'un de 



ANECDOTES ET BONS MOTS 27 

ces soupers tête à tète qu'il fit une chanson très- 
jolie, dont j'ai retenu la moitié d'un couplet : 



Aimons-nous tendrement, Elvire : 
Ceci n'est qu'une chanson 
Pour qui voudroit en médire ; 
Mais, pour nous, c*est tout de bon. 



M. le comte de Ch^rolois, ayant surpris M. de 
Brissac chez sa maîtresse, lui dit : « Sortez ! » M. de 
Brissac lui répondit : « Monseigneur, vos ancêtres 
auroient dit : « Sortons! » 

M. le comte de Charolois avoit été quatre ans 
sans payer sa maison , ni même ses premiers offi- 
ciers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui 
étoient du nombre, lui présentèrent un jour leurs 
gens en lui disant : « Si Votre Altesse ne nous paye 
pas , qu'elle nous dise du moins comment nous 
pourrons satisfaire ces gens-ci ? » Le prince fit ap- 
peler son trésorier, et, montrant M. de Laval et 
M. de Choiseul, et leur livrée : « Qu'on paye ces 
Messieurs, » dit-il. 

« Au physique, disoit M..., homme d'une santé 
délicate et d'un caractère très-fort, je suis le roseau 
qui plie et ne rompt pas; au moral, je suis, au 



28 PORTRAITS ET CARACTERE! 

contraire, le chêne qui rompt et ne plie point, n 
Homo interior totus nervus, dit Van Helmont. 



Il est d*usage en Angleterre que les voleurs dé- 
tenus en prison, et sûrs d*être condamnés, vendent 
tout ce qu'ils possèdent pour en faire bonne chère 
avant de mourir. C'est ordinairement leurs chevaux 
qu'on est le plus empressé d'acheter, parce qu'ils 
sont pour la plupart excellens. Un d'eux, à qui un 
lord demandoit le sien, prenant le lord pour quel- 
qu'un qui vouloit faire le métier, lui dit : « Je ne 
veux pas vous tromper; mon cheval, quoique bon 
coureur, a un très-grand défaut : c'est qu'il recule 
quand il est auprès de la portière. » 

La duchesse de Fronsac, jeune et jolie, n'avoit 
point eu d'amans, et l'on s'en étonnoit. Une autre 
femme, voulant rappeler qu'elle étoit rousse, et que 
cette raison avoit pu contribuer à la maintenir dans 
sa tranquille sagesse, dit : « Elle est comme Sam- 
son, sa force est dans ses cheveux. » 



D'Arnaud, entrant chez M. le comte de Frise, 
le vit à sa toilette, ayant les épaules couvertes de 
ses beaux cheveux. « Ah! Monsieur, dit-il, voilà 
vraiment des cheveux de génie. — Vous trouvez? 



ANECDOTES ET BONS MOTS 29 

dit le comte. Si vous voulez, je me les ferai couper 
pour VOUS en faire une perruque. » 

Des députés de Bretagne soupèrent chez M. de 
Choiseul. Un d'eux, d'une mine très-grave, ne dit 
pas un mot. Le duc de Gramont, qui avoit été 
frappé de sa figure, dit au chevalier de Court, co- 
lonel des Suisses : a Je voudrois bien savoir de 
quelle couleur sont les paroles de cet homme. » Le 
chevalier lui adressa la parole. «Monsieur, de quelle 
ville êtes-vous? — De Saint -Malo. — De Saint- 
Malo ! Par quelle bizarrerie la ville est-elle gardée 
par des chiens? — Quelle bizarrerie y a-t-il là? 
répondit le grave personnage ; le roi est bien gardé 
par des Suisses ! » 

Le maréchal de Belle-Isle, voyant que M. de 
Choiseul prenoit trop d'ascendant, fit faire contre 
lui un mémoire pour le roi par le jésuite Neuville. 
Il mourut sans avoir présenté ce mémoire , et le 
portefeuille fut porté à M. le duc de Choiseul, qui 
y trouva le mémoire fait contre lui. Il fit l'impos- 
sible pour reconnoître l'écriture, mais inutilement. 
Il n'y songeoit plus, lorsqu'un jésuite considérable 
lui fit demander la permission de lui lire l'éloge 
qu'on faisoitdelui dans l'oraison funèbre du maré- 
chal de Belle-Isle, composée par le père Neuville. 
La lecture se fit sur le manuscrit de l'auteur, et 



3o PORTRAITS ET CARACTERES 

M. de Choiseul reconnut alors Técriture. La seule 
vengeance qu'il en tira, ce fut de faire dire au père 
Neuville qu'il réussissoit mieux dans le genre de 
l'oraison funèbre que dans celui des mémoires au 
roi. 

Quand le duc de Choiseul étoit content d'un 
maître de poste par lequel il avoit été bien mené , 
ou dont les enfans étoient jolis, il lui disoit : 
« Combien paye-t-on ? est-ce poste ou poste et 
demie, de votre demeure à tel endroit? — Poste, 
Monseigneur. — Eh bien! il y aura désormais poste 
et demie. » La fortune du maître de poste étoit 
faite. 

Le duc de Choiseul avoit grande envie de ravoir 
les lettres qu'il avoit écrites à M. de Calonne dans 
l'affaire de M. de La Chalotais; mais il étoit dan- 
gereux de manifester ce désir. Cela produisit une 
scène violente entre lui et M. de Calonne, qui ti- 
roit ces lettres d'un portefeuille , bien numérotées, 
les parcouroit et disoit à chaque fois : « En voilà 
une bonne à brûler », ou telle autre plaisanterie, 
M. de Choiseul dissimulant toujours l'importance 
qu'il y mettoit, et M. de Calonne se divertissant 
de son embarras et lui disant : a Si je ne fais 
pas une chose dangereuse pour moi, cela m'ôte 
tout le piquant de la scène. » Mais ce qu'il y eut 



ANECDOTES ET BONS MOTS 3l 

de plus singulier, c'est que M. d'Aiguillon, Payant 
su, écrivit à M. de Calonne : « Je sais, Monsieur, 
que vous avez brûlé les lettres de M. de Choiseul 
relatives à l'affaire de M. de LaChalotais; je vous 
prie de garder toutes les miennes. » 

Christine, reine de Suède, avoit appelé à sa 
cour le célèbre Naudé, qui avoit composé un livre 
très-savant sur les différentes danses grecques, et 
Meibomius, érudit allemand , auteur du recueil et 
de la traduction de sept auteurs grecs qui ont écrit 
sur la musique. Bourdelot, son premier médecin, 
espèce de favori et plaisant de profession, donna à 
la reine l'idée d'engager ces deux savans, l'un à 
chanter un air de musique ancienne, et l'autre à le 
danser. Elle y réussit, et cette farce couvrit de ri- 
dicule les deux savans qui en avoient été les ac- 
teurs. Naudé prit la plaisanterie en patience; mais 
le savant en us s'emporta et poussa la colère jusqu'à 
meurtrir de coups de poing le visage de Bourdelot; 
et, après cette équipée, il se sauva de la cour, et 
même quitta la Suède. 

* On demandoit au valet du comte de Caglios- 
tro s'il étoit vrai que son maître eût trois cents 
ans. Il répondit qu'il ne pouvoit point satisfaire à 
cette question, d'autant plus qu'il n'y avoit que cent 
ans qu'il étoit à son service. 



02 PORTRAITS ET CARACTERES 

* Un charlatan disoit la bonne aventure au peu- 
ple. Un petit décrotteur s'avance en haillons, 
presque nu, sans souliers, lui donne un sol en 
quatre liards. Le charlatan les prend, lui regarde 
les mains, fait ses simagrées ordinaires et lui dit : 
« Mon cher enfant, vous avez beaucoup d'envieux. » 
L'enfant prend un air triste. Le charlatan ajoute : 
« Je ne voudrois pas être à votre place. » 

* M. le prince de Conti, voyant de la lumière 
à la fenêtre d'une petite maison du duc de Lauzun, 
y entra et le trouva entre deux géantes de la foire 
qu'il y avoit menées. Il resta à souper et écrivit à 
madame la duchesse d'Orléans, chez laquelle il 
devoit souper : « Je vous sacrifie à deux plus grandes 
dames que vous. » 

* Le peuple dit quelquefois : « Voilà bien du 
kankan », pour dire : « Voilà bien du bruit. » Cette 
expression vient de la dispute élevée dans l'Univer- 
sité du temps deRamus, dans laquelle il s'agissoit de 
savoir s'il falloit prononcer quanquam ou kankan. 
Il fallut un arrêt du conseil pour défendre à quel- 
ques professeurs de soutenir que cette phrase ego 
amat étoit aussi latine que ego amo, (V. Bayle, 
article Kamus,) 

Fontenelle avoit fait un opéra où il y avoit ua 



ANECD.OTES ET BONS MOTS 33 

chœur de prêtres qui scandalisa les dévots. L'arche- 
vêque de Paris voulut le faire supprimer. « Je ne 
me mêle point de son clergé, dit Fontenelle; qu'il 
ne se mêle pas du mien. » 

La maréchale de Luxembourg, arrivant à l'église 
un peu trop tard, demanda où en étoit la messe, et 
dans cet instant la sonnette du lever-Dieu sonna. 
Le comte de Chabot lui dit en bégayant : « Ma- 
dame la maréchale , 

J'entends la petite clochette, 

Le petit mouton n'est pas loin. » 

Ce sont deux vers d'un opéra-comique. 

Le cocher du roi de Prusse l'ayant versé, le roi 
entra dans une colère épouvantable. « Eh bien! dit 
le cocher, c'est un malheur; et vous, n'avez-vous 
jamais perdu une bataille ? » 

Le roi de Prusse causant avec d'Alembert, il 
entra chez le roi un de ses gens du service domes- 
tique, homme de la plus belle figure qu'on pût 
voir D'Alembert en parut frappé. « C'est, dit le 
roi, le plus bel homme de mes Etats. Il a été 
quelque temps mon cocher, et j'ai une tentation 
bien violente de l'envoyer ambassadeur en Russie. » 

Chamfort. II. 5 



34 PORTRAITS ET CARACTERES 

M. de Voltaire se trouvant avec madame la du- 
chesse de Chaulnes, celle-ci, parmi les éloges qu'elle 
lui donna, insista principalement sur l'harmonie de 
sa prose. Tout d'un coup voilà M. de Voltaire qui 
se jette à ses pieds : « Ah! Madame, je vis avec un 
cochon qui n'a pas d'organe , qui ne sait ce que 
c'est qu'harmonie, mesure, etc. n Le cochon dont 
il parloit, c'étoit madame du Châtelet, son Emilie. 

Notre siècle a produit huit grandes comédiennes : 
quatre du théâtre et quatre de la société. Les qua- 
tre premières sont : mademoiselle d'Angeville , 
mademoiselle Duménil , mademoiselle Clairon et 
madame Saint-Huberti ; les quatre autres sont : 
madame de Montesson , madame de Genlis, ma- 
dame Necker et madame d'Angivilliers. 

Luxembourg , le crieur qui appeloit les gens et 
les carrosses au sortir de la Comédie , disoit , lors- 
qu'elle fut transportée au Carrousel : « La Comédie 
sera mal ici, il n'y a pomt d'écho. » 

M,.„ me racontoit avec indignation une mal- 
versation de vivriers. « Il en coûta , me dit-il , la 
vie à cinq mille hommes, qui moururent exacte- 
ment de faim . Et voilà. Monsieur y comme le roi est 
servi! » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 35 

C'est un fait certain et connu des amis de 
M. d'Aiguillon que le roi ne Ta jamais nommé 
ministre des affaires étrangères. Ce fut madame du 
Barry qui lui dit : « Il faut que tout ceci finisse, et 
je veux que vous alliez demain matin remercier le 
roi de vous avoir nommé à la place. » Elle dit au 
roi : « M. d'Aiguillon ira demain vous remercier 
de sa nomination à la place de secrétaire d'État 
des affaires étrangères. » Le roi ne dit mot. 
M. d'Aiguillon n'osoit pas y aller, madame du 
Barry le lui ordonna; il y alla. Le roi ne lui dit 
rien , et M. d'Aiguillon entra en fonctions sur-le- 
champ. » 



C'est un fait connu que la lettre du roi envoyée 
à M. de Maurepas avoit été écrite pour M. de 
Machault. On sait quel intérêt particulier fit chan- 
ger cette disposition ; mais ce qu'on ne sait point, 
c'est que M. de Maurepas escamota, pour ainsi 
dire, la place qu'on croit qui lui avoit été offerte. 
Le roi ne vouloit que causer avec lui. A la fin de la 
conversation, M. de Maurepas lui dit : « Je dé- 
velopperai mes idées demain au conseil. » On as- 
sure aussi que , dans cette même conversation , il 
avoit dit au roi : « Votre Majesté me fait donc 
premier ministre? — Non, dit le roi, ce n'est 
point du tout mon intention. — J'entends, dit 



36 PORTRAITS ET CARACTERES 

M. de Maurepas, Votre Majesté veut que je lui 
apprenne à s'en passer. » 

Le chevalier de Montbarey avoit vécu dans je 
ne sais quelle ville de province, et, à son retour, 
ses amis le plaignoient de la mauvaise société qu'il 
avoit eue. a C'est ce qui vous trompe, répondit-il; 
la bonne compagnie de cette ville y est comme 
partout, et la mauvaise y est excellente. » 

Un jeune homme avoit offensé le complaisant 
d'un ministre. Un ami, témoin de la scène, lui dit, 
après le départ de l'offensé : « Apprenez qu'il 
vaudroit mieux avoir offensé le ministre même que 
l'homme qui le sert dans sa garde-robe. » 

Diderot, âgé de soixante-deux ans et amoureux 
de toutes les femmes, disoit à un de ses amis : « Je 
me dis souvent à moi-même : « Vieux fou ! vieux 
« gueux! quand cesseras- tu donc de t'exposer à 
(c l'affront d'un refus ou d'un ridicule ? » 

Une fille, étant à confesse, dit : « Je m'accuse 
d'avoir estimé un jeune homme. — Estimé ! com- 
bien de fois? » demanda le père. 

Madame de.,, vivoit avec M. de Senevoi. Un 
jour qu'elle avoit son mari à sa toilette, un soldat 



ANECDOTES ET BONS MOTS 87 

arrive et lui demande sa protection auprès de 
M. de Senevoi, son colonel, auquel il demandoit 
un congé. Madame de... se fâche contre cet im- 
pertinent, dit qu'elle ne connoît M. de Senevoi 
que comme tout le monde, en un mot, refuse. 
M. de... retient le soldat et lui dit : « Va de- 
mander ton congé en mon nom, et, si Senevoi te 
le refuse, dis-lui que je lui ferai donner le sien. » 

M. de Chaulnes avoit fait peindre sa femme en 
Hébé ; il ne savoit comment se faire pemdre pour 
faire pendant. Mademoiselle Quinault , à qui il 
contoit son embarras , lui dit : « Faites-vous pein- 
dre en hébété. » 

M. de Turenne, voyant un enfant passer der- 
rière un cheval de façon à pouvoir être estropié 
par une ruade, l'appela et lui dit : « Mon bel en- 
fant, ne passez jamais derrière un cheval sans lais- 
ser entre lui et vous l'intervalle nécessaire pour que 
vous ne puissiez en être blessé. Je vous promets 
que cela ne vous fera pas faire une demi-lieue de 
plus dans le cours de votre vie entière ; et souve- 
nez-vous que c'est M. de Turenne qui vous l'a dit. » 

On disoit à M... : a Vous aimez beaucoup la 
considération.» 11 répondit ce mot qui me frappa : 



38 PORTRAITS ET CARACTERES 

« Non, j'en ai pour moi, ce qui m'attire quelque-^ 
fois celle des autres. » 



M. de Bissi, voulant quitter la présidente d'Ali- 
gre, trouva sur sa cheminée une lettre dans la- 
quelle elle disoit à un homme avec qui elle étoit 
en intrigue qu'elle vouloit ménager M. de Bissi et 
s'arranger pour qu'il la quittât le premier. Elle 
avoit même laissé cette lettre à dessein. Mais 
M. de Bissi ne fit semblant de rien, et la garda six 
mois en l'importunant de ses assiduités. 

Madame de L... est coquette avec illusion, en 
se trompant elle-même. Madame de B... l'est sans 
illusion, et il ne faut pas la chercher parmi les dupes 
qu'elle fait. 

• M de Boulainvilliers, homme sans esprit, très- 
vain et fier d'un cordon bleu par charge, disoit à 
un homme, en mettant ce cordon, pour lequel il 
avoit acheté une place de cinquante mille écus : 
« Ne seriez-vous pas bien aise d'avoir un pareil 
ornement ? — Non , dit l'autre ; mais je voudrois 
avoir ce qu'il vous coûte. » 

L'évêque d'Arras, recevant dans sa cathédrale le 
corps du maréchal de Lévis, dit en mettant la main 



ANECDOTES ET BONS MOTS 3<) 

sur le cercueil : « Je le possède enfin, cet homme 
vertueux ! » 

Le baron de La Houze ayant rendu quelques 
services au pape Ganganelli , ce pape lui demanda 
s'il pouvoit faire quelque chose qui lui fût agréa- 
ble. Le baron de La Houze, rusé Gascon, le pria 
de lui faire donner un corps saint. Le pape fut 
très-surpris de cette demande de la par!. d*un Fran- 
çois. Il lui fit donner ce qu'il demandoil. Le baron, 
qui avoit une petite terre dans les Pyrénées , d'un 
revenu très-mince, sans débouché pour les denrées, 
y fit porter son saint, le fit accréditer. Les chalands 
accoururent , les miracles arrivèrent , un village 
d'auprès se peupla , les denrées augmentèrent de 
prix , et les revenus du baron triplèrent. 

La maréchale de Noailles, actuellement vivante 
(1780) , est une mystique comme madame Guyon, 
à Tesprit près. Sa tête s'étoit montée au point 
d'écrire à la Vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc 
de Saint-Roch, et la réponse à cette lettre fut faite 
par un prêtre de cette paroisse. Ce manège dura 
longtemps; le prêtre fut découvert et inquiété, 
mais on assoupit cette affaire.. 

M. de Lassay, homme très-doux, mais qui avoit 
une grande connoissance de la société, disoit qu'il 



40 PORTRAITS ET CARACTERES 

faudroit avaler un crapaud tous les matins pour ne 
plus rien trouver de dégoûtant le reste de la journée, 
quand on devoit la passer dans le monde. 

Le duc de La Vallière, voyant à TOpéra la petite 
Lacour sans diamans, s'approche d'elle et lui de- 
mande comment cela se fait. « C'est, lui dit-elle» 
que les diamans sont la croix de Saint-Louis de 
notre état. » Sur ce mot , il devint amoureux fou 
d'elle. Il a vécu avec elle longtemps. Elle le sub- 
juguoit par les mêmes moyens qui réussirent à ma- 
dame du Barry près de Louis XV; elle lui ôtoit 
son cordon bleu, le mettoit à terre et lui disoit : 
« Mets-toi à genoux là-dessus, vieille ducaille. » 

M... disoit d'un sot sur lequel il n'y a pas de 
^^/ prise : « C'est une cruche sans anse. » 

* Le duc d'York, depuis Jacques II, proposoit 
à Charles II, son frère, je ne sais quelle action qui 
devoit inquiéter les communes. Le roi lui répondit : 
« Mon frère, je suis las de voyager en Europe. Après 
moi, vous pourrez vous mettre dans le cas de 
voyager tant qu'il vous plaira. » Celui-ci put se 
rappeler ce mot de son frère dans le long séjour 
qu'il fit à Saint-Germain. 

* Jules César, ayant entendu un orateur qui dé- 



ANECDOTES ET BONS MOTS 4I 

clamoit mal, lui dit : a Si vous avez voulu parler, 
vous avez chanté; si vous avez voulu chanter, 
vous avez chanté très-mal. » 

* Le pape Clément XI disoit, en pleurant d'a- 
voir donné la constitution : « Si le P. Le Tellier 
ne m'eût pas persuadé du pouvoir absolu du roi, 
jamais je n'aurois hasardé cette constitution. Le 
P. Le Tellier a dit au roi qu'il y avoit dans le 
livre condamné plus de cent propositions censu- 
rables ; il n'a pas voulu passer pour un menteur. 
On m'a tenu le pied sur la gorge pour en mettre 
plus de cent : je n'en ai mis qu'une de plus. » 

* Un curé écrivoit à madame de Créqui sur la 
mort de M. de Créqui-Canaples , incrédule bi- 
zarre : «Je suis bien inquiet du salut de son âme; 
mais, comme les jugemens de Dieu sont impéné- 
trables et que le défunt avoit l'honneur d'être 
de votre maison, etc.. » 

Le comte d'Argenson, homme d'esprit, mais 
dépravé et se jouant de sa propre honte, disoit ; 
« Mes ennemis ont beau faire, ils ne me culbuteront 
pas : il n'y a ici personne plus valet que moi. 

La Fontaine, entendant plaindre le sort des 
damnés au milieu de l'enfer, dit : « Je me flatte 

6 



42 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

qu'ils s*y accoutument , et qu'à la fin ils sont là 
comme le poisson dans Teau. » 

L*abbé de Dangeau, de TAcadémie Françoise, 
grand puriste, travailloit à une grammaire et ne par- 
loit d'autre chose. Un jour, on se lamentoit devant 
lui sur les malheurs de la dernière campagne (c'étoit 
pendant les dernières années de Louis XIV). « Tout 
cela n'empêche pas, dit-il , que je n'aie dans ma 
cassette deux mille verbes françois bien conjugués. » 

Madame de Maurepas avoit de l'amitié pour le 
comte de Lowendahl(fils du maréchal), et celui-ci, 
à son retour de Saint-Domingue , bien fatigué du 
voyage, descendit chez elle. « Ah! vous voilà, cher 
comte? dit-elle. Vous arrivez bien à propos : il 
nous manque un danseur, et vous nous êtes néces- 
saire. » Celui-ci n'eut que le temps de faire une 
courte toilette et dansa. 

Avant que mademoiselle Clairon eût établi le 
costume au Théâtre-François, on ne connoissoit 
pour le théâtre tragique qu'un seul habit qu'on 
appeloit l'habit à la romaine, et avec lequel on 
jouoit les pièces grecques, américaines, espa- 
gnoles, etc. Lekain fut le premier à se soumettre 
au costume, et se fit faire un habit grec pour jouer 
Oreste d'Andromaque. Dauberval arriva dans la 



ANECDOTES ET BONS MOTS 43 

loge de Lekain au moment que le tailleur de la 
comédie apportoit Thabit d*Oreste. La nouveauté 
de cet habit frappa Dauberval, qui demanda ce que 
c'étoii. a Cela s'appelle un habit à la grecque, dit 
Lekain. — Ah! qu'il est beau! reprend Dauberval; 
le premier habit à la romaine dont j'aurai besoin, 
je le ferai faire à la grecque. » 

Le duc de..., qui avoit autrefois de l'esprit, qui 
recherchoit la conversation des honnêtes gens, s'est 
mis, à cinquante ans, à mener la vie d'un courtisan 
ordinaire. Ce métier et la vie de Versailles lui con- 
viennent dans la décadence de son esprit , comme 
le jeu convient aux vieilles femmes. 

On faisoit la guerre à M... sur son goût pour 
la solitude. Il répondit : « C'est que je suis plus 
accoutumé à mes défauts qu'à ceux d'autrui. » 

Madame du Deffand, étant petite fille et au 
couvent, y prêchoit l'irréligion à ses petites cama- 
rades. L'abbé fit venir Massillon, à qui la petite 
exposa ses raisons. Massillon se retira en disant : 
« Elle est charmante. » L'abbesse, qui mettoit de 
l'importance à tout cela, demanda à l'évêque quel 
livre il falloit faire lire à cette enfant. Il réfléchit une 
minute , et il répondit : « Un catéchisme de cinq 
sous. B On ne put en tirer autre chose. 



44 PORTRAITS ET CARACTERES 

M... disoit : « Je ne me soucierois pas d'être 
chrétien, mais je ne serois pas fâché de croire en 
Dieu. » 

Quelqu'un, ayant entendu la traduction des Géor- 
giques de Tabbé Delille, lui dit : « Cela est excel- 
lent ; je ne doute pas que vous n'ayez le premier 
bénéfice qui sera à la nomination de Virgile. » 

M. de Maurepas et M. de Saint-Florentin, tous 
deux ministres dans le temps de madame de Pom- 
padour, firent un jour, par plaisanterie, la répéti- 
tion du compliment de renvoi qu'ils prévoyoient 
que l'un feroit un jour à l'autre. Quinze jours 
après cette facétie, M. de Maurepas entre un jour 
chez M. de Saint-Florentin, prend un air triste et 
grave, et vient lui demander sa démission. M. de 
Saint-Florentin paroissoit en être la dupe, lorsqu'il 
fut rassuré par un éclat de rire de M. de Maurepas. 
Trois semaines après arriva le tour de celui-ci, mais 
sérieusement. M. de Saint-Florentin entre chez 
lui, et, se rappelant le commencement de la haran- 
gue de M. de Maurepas, le jour de sa facétie, il 
répéta ses propres mots. M. de Maurepas crut 
d'abord que c'étoit une plaisanterie ; mais, voyant 
que l'autre parloit tout de bon : « Allons, dit-il, je 
vois bien que vous ne me persiflez pas ; vous êtes 



ANECDOTES ET BONS MOTS 45 

un honnête homme : je vais vous donner ma dé- 



mission. » 



Une jeune personne dont la mère, à qui les 
treize ans de sa fille déplaisoient infiniment, étoit 
jalouse, me disoit un jour : « J'ai toujours envie 
de lui demander pardon d'être née. » 

On faisoit compliment à madame Denis de la 
façon dont elle venoit de jouer Zaïre. « Il fau- 
droit, dit-elle, être belle et jeune. — Ah ! Madame, 
reprit le complimenteur naïvement, vous êtes bien 
la preuve du contraire. » 

Un avare souffroit beaucoup d'un mal de dent ; 
on lui conseilloit de la faire arracher : « Ah ! dit-il, 
je vois bien qu'il faudra que j'en fasse la dépense ! » 

Madame Brisard , célèbre par ses galanteries , 
étant à Plombières, plusieurs femmes de la cour ne 
vouloient point la voir. La duchesse de Gisors étoit 
du nombre, et , comme elle étoit dévote, les amis 
de madame Brisard comprirent que, si madame de 
Gisors la recevoit , les autres n'en feroient aucune 
difficulté. Ils entreprirent cette négociation et réus- 
sirent. Comme madame Brisard étoit aimable, elle 
plut bientôt à la dévote, et elles en vinrent à l'in- 
timité. Un jour, madame de Gisors lui fit entendre 



46 PORTRAITS ET CARACTERES 

que, tout en concevant très-bien qu'on eût une 
foiblesse, elle ne comprenoit pas qu'une femme 
vînt à multiplier à un certain point le nombre de 
ses amans. « Hélas! lui dit madame Brisard, c'est 
qu'à chaque fois j'ai cru que celui-là seroit le 
dernier. » 

Madame de H... me racontoit la mort de M. le 
duc d'Aumont. «Cela a tourné bien court! disoit- 
elle. Deux jours auparavant, M. Bouvard lui avoit 
permis de manger, et, le jour même de sa mort, 
deux heures avant la récidive de sa paralysie, il 
étoit comme à trente ans, comme il avoit été toute 
sa vie; il avoit demandé son perroquet, avoit dit : 
« Brossez ce fauteuil... Voyons mes deux brode- 
« ries nouvelles... » ; enfin toute sa tête, ses idées 
comme à l'ordinaire. » 

« Je hais si fort le despotisme, disoit M..., 
que je ne puis souffrir le mot ordonnance du mé- 
decin. » 

M. de Saint-Julien, le père, ayant ordonné à 
son fils de lui donner la liste de ses dettes, celui-ci 
mit à la tête de son bilan soixante mille livres pour 
une charge de conseiller au Parlement de Bordeaux. 
Le père, indigné, crut que c'étoit une raillerie, et lui 
en fit des reproches amers. Le fils soutint qu'il avoit 



ANECDOTES ET BONS MOTS 47 

payé cette charge. « C'étoit, dit-il, lorsque je fis 
connoissance avec madame Tilaurier. Elle souhai- 
toit d'avoir une charge de conseiller au Parlement 
de Bordeaux pour son mari, et jamais, sans cela, 
elle n*auroit eu d'amitié pour moi. J'ai payé la 
place, et vous voyez, mon père, qu'il n'y a pas de 
quoi être en colère contre moi, et que je ne suis 
pas un mauvais plaisant. » 

On disputoit chez madame de Luxembourg sur 
ce vers de l'abbé Delille : 

Et ces deux grands débris se consoloient entre eux ! 

On annonce le bailli de Breteuil et madame de La 
Reynière. « Le vers est bon, » dit la maréchale. 

Diderot étoit lié avec un mauvais sujet qui, par 
je ne sais quelle mauvaise action récente, venoit 
de perdre l'amitié d'un oncle , riche chanoine , qui 
vouloit le priver de sa succession. Diderot va voir 
l'oncle, prend un air grave et philosophique, prê- 
che en faveur du neveu et essaye de remuer la 
passion et de prendre le ton pathétique. L'oncle 
prend la parole et lui conte deux ou trois indigni- 
tés de son neveu. « Il a fait pis que tout cela, re- 
prend Diderot. — Et quoi ? dit l'oncle. — Il a 
voulu vous assassiner un jour dans la sacristie , au 



48 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

sortir de votre messe , et c'est Tarrivée de deux ou 
trois personnes qui l'en a empêché. — Cela n'est 
pas vrai ! s'écria l'oncle ; c'est une calomnie. — 
Soit, dit Diderot; mais, quand cela seroit vrai, il 
faudroit encore pardonner à la vérité de son re- 
pentir, à sa position et aux malheurs qui l'attendent 
si vous l'abandonnez. » 

D..., misanthrope plaisant, me disoit, à propos 
de la méchanceté des hommes : « H n'y a que 
J l'inutilité du premier déluge qui empêche Dieu 

d'en envoyer un second. » 

M. de Brissac, ivre de gentilhommerie, désigne 
souvent Dieu par cette phrase : « Le gentilhomme 
d'en haut. » 

Louis XIV, après la bataille de Ramillies , dont 
il venoit d'apprendre le détail, dit : « Dieu a donc 
oublié tout ce que j'ai fait pour lui?» [Anecdote 
contée à M, de Voltaire par un vieux duc de 
Brancas.) 



Le roi de Pologne Stanislas avançoit tous les 
jours l'heure de son dîner, M. de La Galaisière 
lui dit à ce sujet : « Sire, si vous continuez, vous 
finirez par dîner la veille. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 49 

M..., qui avoit une collection des discours de 
réception à TAcadémie françoise , me disoit : 
« Lorsque j'y jette les yeux, il me semble voir des 
carcasses de feu d'artifice après la Saint-Jean. » 

Un jour que Ton ne s'entendoit pas dans une 
dispute à l'Académie, M. de Mairan dit : « Mes- 
sieurs, si nous ne parlions que quatre à la fois ! » 

Un poëte consultoit C... sur un distique, (f Ex- 
cellent, répondit-il, sauf les longueurs. » 

Quinze jours avant l'attentat de Damiens, un 
négociant provençal, passant dans une petite ville 
à six lieues de Lyon et étant à l'auberge, entendit 
dire dans une chambre qui n'étoit séparée de la 
sienne que par une cloison qu'un nommé Damiens 
devoit assassiner le roi. Ce négociant venoit à 
Paris; il alla se présenter chez M. Berryer, ne le 
trouva point, lui écrivit ce qu'il avoit entendu, re- 
tourna voir M. Berryer, et lui dit qui il étoit. Il 
repartit pour sa province. Comme il étoit en route, 
arriva l'attentat de Damiens. M. Berryer, qui 
comprit que ce négociant conteroit son histoire 
et que cette négligence le perdroit , lui Berryer, 
envoie un exempt de police et des gardes sur la 
route de Lyon. On saisit l'homme, on le bâillonne, 
on l'amène à Paris , on le met à la Bastille , où il 
Chamfort, II. 7 



y 



5o PORTRAITS ET CARACTÈRES 

est resté pendant dix-huit ans. M. de Malesherbes, 
qui en délivra plusieurs prisonniers en lyyS, conta 
cette histoire dans le premier moment de son in- 
dignation. 

* Néricault Destouches vivoit dans sa terre et y 
faisoit ses pièces. Il les apportoit à Paris, et s'en 
alloit la veille de la première représentation. 

* Un ordre de choses où le supérieur est vil et 
rinférieur avili. 

La devise de Marie Sluart étoit une branche de 
réglisse avec ces mots : Dulcedo in terra, par allu- 
sion à François TI, mort dès sa jeunesse. 

* Diderot, ayant vu en Russie une classe de 
paysans esclaves appelés mougiks, qui sont d'une 
pauvreté affreuse, rongés de vermine, etc., en fit 
une peinture horrible à l'impératrice, qui lui dit : 
(c Comment voulez-vous qu'ils aient soin de la mai- 
son, ils n'en sont que locataires? » L'esclave russe^ 
en effet, n'est point propriétaire de sa personne. 

On agitoit dans une société la question : « Le- 
quel étoit plus agréable, de donner ou de recevoir? » 
Les uns prétendoient que c'étoit de donner; d'au- 
tres, que, quand l'amitié étoit parfaite, le plaisir 



ANECDOTES ET BONS MOTS 5l 

de recevoir étoit peut-être aussi délicat et plus vif. 
Un homme d'esprit , à qui on demanda son avis, 
dit : « Je ne demanderai pas lequel des deux plai- 
sirs est le plus vif, mais je préférerois celui de don- 
ner. Il m*a semblé qu'au moins il étoit le plus du- 
rable, et j'ai toujours vu que c'étoit celui des deux 
dont on se souvenoit plus longtemps. » 

Une forte preuve de l'existence de Dieu , selon 
Dorilas, c'est l'existence de l'homme, de l'homme 
par excellence , dans le sens le moins susceptible 
d'équivoque, dans le sens le plus exact, et, par 
conséquent, un peu circonscrit; en un mot, de 
l'homme de qualité. C'est le chef-d'œuvre de la 
Providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de 
ses mains. Mais on prétend, on assure qu'il existe 
des êtres d'une ressemblance parfaite avec cet être 
privilégié. Dorilas a dit : « Est-il vrai? Quoi ! même 
figure, même conformation extérieure?» Eh bien! 
l'existence de ces individus, de ces hommes, puis- 
qu'on les appelle ainsi, qu'il a niée autrefois, qu'il 
a vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs 
de ses égaux; que par cette raison seule il ne nie 
plus formellement, sur laquelle il n'a plus que des 
nuages, des doutes bien pardonnables , tout à fait 
involontaires ; contre laquelle il se contente de 
protester simplement par des hauteurs, par l'oubli 
des bienséances ou par des bontés dédaigneuses ; 



52 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

Texistence de tous ces êtres, sans doute mal défi- 
nis, qu'en fera-t-il? comment Texpliquera-t-il? 
Comment accorder ce phénomène avec sa théorie? 
dans quel système physique, métaphysique, ou, 
s'il le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solu- 
tion de ce problème? Il réfléchit, il rêve, il est de 
bonne foi; l'objection est spécieuse, il en est 
ébranlé. Il a de l'esprit, des connoissances; il va 
trouver le mot de l'énigme ; il Ta trouvé, il le tient, 
la joie brille dans ses yeux. Silence. On connoît 
dans la théologie persane la doctrine des deux 
principes, celui du bien et celui du mal. Eh quoi! 
vous ne saisissez pas? Rien de plus simple. Le gé- 
nie, les talens, les vertus, sont des inventions du 
mauvais principe , d'Orimane , du diable , pour 
mettre en évidence, pour produire au grand jour 
certains misérables, plébéiens reconnus, vrais rotu- 
riers ou à peine gentilshommes. 

Une femme venoit de perdre son mari. Son con- 
fesseur ad honores vint la voir le lendemain et la 
trouva jouant avec un jeune homme très-bien mis. 
Kl Monsieur, lui dit-elle, le voyant confondu, si 
vous étiez venu une demi -heure plus tôt, vous 
m'auriez trouvée les yeux baignés de larmes; mais 
j'ai joué ma douleur contre Monsieur, et je l'ai 
perdue. » 

*Un homme, devant un grand dîner, ne distin* 



ANECDOTES ET BONS MOTS 53 

guant point les plats, disoit qu'il ressembloit à cet 
homme que les maisons empêchoient de voir la 
ville. 

* Un militaire qui s'étoit souvent battu en duel, 
se trouvant à Paris, fit accepter à un vieux lieute- 
nant général une épée qu'il lui vantoit beaucoup. 
Quelques jours après, il alla le voir, et lui dit : 
« Eh bien! mon général, comment vous trouvez- 
vous de cette épée? » Il supposoit que celui-ci en 
avoit déjà fait usage en quelques rencontres. 

Madame du Barry, étant à Luciennes,eut la fan- 
taisie de voir le Val, maison de M. de Beauvau. 
Elle fit demander à celui-ci si cela ne déplairoit pas 
à madame de Beauvau. Madame de Beauvau crut 
plaisant de s'y trouver et d'en faire les honneurs. 
On parla de ce qui s'étoit passé sous Louis XV. 
Madame du Barry se plaignit de différentes choses 
qui sembloient faii'e voir qu'on haïssoit sa personne. 
« Point du tout, dit madame de Beauvau, nous 
n'en voulions qu'à votre place. » Après cet aveu 
naïf, on demanda à madame du Barry si Louis XV 
ne disoit pas beaucoup de mal d'elle (madame de 
Beauvau) et de madame de Grammont. « Oh ! 
beaucoup. — Eh bien ! quel mal de moi , par 
exemple ? — De vous , Madame , que vous étiez 
hautaine, intrigante; que vous meniez votre mari 



54 PORTRAITS ET CARACTERES 

par le nez. » M. de Beauvau étoit présent : on se 
hâta de changer de conversation. 

M. Dubreuil , pendant la maladie dont il mou- 
rut, disoit à son ami M. Pechméja: « Mon ami, 
pourquoi tant de monde dans ma chambre? Il 
ne devroit y avoir que toi : ma maladieest conta- 
gieuse. » 

M. Du Bucq disoit que les femmes sont si décriées 
-^ qu'il n*y a même plus d*hommes à bonnes fortunes. 

La Gabrielli, célèbre chanteuse, ayant demandé 
cinq mille ducats à l'impératrice pour chanter 
deux mois à Pétersbourg, l'impératrice répondit: 
« Je ne paye sur ce pied-là aucun de mes feld- 
maréchaux. — En ce cas, dit la Gabrielli, Votre 
Majesté n'a qu'à faire chanter ses feld-maréchaux. » 
L'impératrice paya les cinq mille ducats. 

Duclos, qui disoit sans cesse des injures à l'abbé 
d'Olivet, disoit de lui : « C'est un si grand coquin 
que, malgré les duretés dont je l'accable, il ne me 
J hait pas plus qu'un autre. » 

Duclos disoit à un homme ennuyé d'un sermon 
prêché à Versailles : « Pourquoi avez-vous entendu 
ce sermon jusqu'au bout? — J'ai craint de déranger 



ANECDOTES ET BONS MOTS 55 

l'auditoire et de le scandaliser. — Ma foi, reprit 
Duclos, plutôt que d'entendre ce sermon, je me 
serois converti au premier point. » 

Mademoiselle Duthé , ayant perdu un de ses 
amans , et cette aventure ayant fait du bruit , un 
homme qui alla la voir la trouva jouant de la 
harpe, et lui dit avec surprise : « Eh! mon Dieu! 
je m'attendois à vous trouver dans la désolation. 
— Ah ! dit-elle d*un ton pathétique , c'est hier 
qu'il falloit me voir ! » 

a Je joue aux échecs à vingt-quatre sous dans 
un salon où le passe-dix est à cent louis, » disoit 
un général employé dans une guerre difficile et 
ingrate, tandis que d'autres faisoient des cam- 
pagnes faciles et brillantes. 

M. de B... est un de ces sots qui regardent de 
bonne foi l'échelle des conditions comme celle 
du mérite ; qui le plus naïvement du monde ne 
conçoit pas qu'un honnête homme non décoré ou 
au-dessous de lui soit plus estimé que lui. Le ren- 
contre-t-il dans une de ces maisons où l'on sait 
encore honorer le mérite, M. de B... ouvre de 
grands yeux, montre un étonnement stupide ; il 
croit que cet homme vient de gagner un quaternc 
h. la loterie : il l'appelle mon cher un tel , quand 



56 PORTRAITS ET CARACTERES 

la société vient de le traiter avec la plus grande 
considération. J'ai vu plusieurs de ces scènes dignes 
du pinceau de La Bruyère. 

M..., qui venoit de publier un ouvrage qui 
avoit beaucoup réussi, étoit sollicité d'en publier 
un second dont ses amis faisoient grand cas. 
« Non , dit-il , il faut laisser à l'envie le temps 
d'essuyer son écume. » 

Le comte de... et le marquis de... me deman- 
dant quelle différence je faisois entre eux en fait 
de principes, je répondis : « La différence qu'il y 
a entre vous est que l'un lécheroit l'écumoire, et 
que l'autre l'avaleroit. » 

On disoit à Louis XV qu'un de ses gardes, qu'on 
lui nommoit, alloit mourir sur-le-champ pour avoir 
fait la mauvaise plaisanterie d'avaler un écu de six 
livres. « Ah ! bon Dieu ! dit le roi, qu'on aille cher- 
cher Andouillet, Lamartinière, Lassone! — Sire, 
dit le duc de Noailles, ce ne sont point là les gens 
qu'il faut. — Et qui donc? — Sire, c'est l'abbé 
Terray. — L'abbé Terray! Comment? — Il arri- 
vera, il mettra sur ce gros écu un premier dixième, 
un second dixième, un premier vingtième, un se- 
cond vingtième; le gros écu sera réduit à trente- 
six sous, comme les nôtres; il s'en ira par les voies 



ANECDOTES ET BONS MOTS 5j 

ordinaires, et voilà le malade guéri. » Cette plai- 
santerie fut la seule qui ait fait de la peine à Tabbé 
Terray ; c*est la seule dont il eût conservé le sou- 
venir : il le dit lui-même au marquis de Sesmai- 
sons. 

On parloit à Tabbé Terrasson d'une certaine 
édition de la Bible; on la vantoit beaucoup. « Oui, 
dit-il, le scandale du texte y est conservé dans 
toute sa pureté. » 

On annonça, dans une maison où soupoit ma- 
dame d'Egmont, un homme qui s'appeloitdu Gues- 
clin. A ce nom, son imagination s'allume ; elle fait 
mettre cet homme à table à côté d'elle, lui fait 
mille politesses, et enfin lui offre du plat qu'elle a 
devant elle (c'étoient des truffes). « Madame, 
répond le sot, il n'en faut pas à côté de vous. » — 
a A ce ton, dit-elle en contant cette histoire, j'eus 
grand regret à mes honnêtetés. Je fis comme ce 
dauphin qui , dans le naufrage d'un vaisseau , crut 
sauver un homme, et le rejeta à la mer en voyant 
que c'étolt un singe. » 

La comtesse d'Egmont, ayant trouvé un homme 
du premier mérite à mettre à la tête de l'éducation 
de M. de Chinon, son neveu, n'osa pas le présen- 
ter en son nom. Elle étoit pour M. de Fronsac, 

8 



58 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

son frère, un personnage trop grave. Elle pria le 
poëte Bernard de passer chez elle. Il y alla, elle 
le mit au fait. Bernard lui dit : a Madame, l'auteur 
de VAri d'aimer n*est pas un personnage bien im- 
posant; mais je le suis encore un peu trop pour 
cette occasion : je pourrois vous dire que made- 
moiselle Arnould seroit un passe-port beaucoup 
meilleur auprès de monsieur votre frère... — Eh 
bien! dit madame d'Egmont en riant, arrangez le 
souper chez mademoiselle Arnould. » Le souper 
s'arrangea. Bernard y proposa Tabbé Lapdant pour 
précepteur; il fut agréé. C'est celui qui a depuis 
achevé l'éducation du duc d'Enghien. 

Une mère, après un trait d'entêtement de son 
fils, disoit que les enfans étoient très-égoïstes. 
« Oui, dit M..., en attendant qu'ils soient polis. » 

Quelqu'un disoit que la goutte est la seule ma- 
ladie qui donne de la considération dans le monde. 
« Je le crois bien, répondit M..., c'est la croix de 
Saint-Louis de la galanterie. » 

Le lord Rochester avoit fait dans une pièce de 
vers l'éloge de la poltronnerie. Il étoit dans un 
café. Arrive un homme qui avoit reçu des coups 
de bâton sans se plaindre; milord Rochester, après 
beaucoup de complimens, lui dit : « Monsieur, si 



ANECDOTES ET BONS MOTS 59 

VOUS étiez homme à recevoir des coups de bâton 
si patiemment, que ne le disiez-vous? Je vous les 
aurois donnés, moi, pour me remettre en crédit. » 

Le roi de Prusse, qui ne laisse pas d'avoir em- 
ployé son temps, dit qu'il n'y a peut-être pas 
d*homme qui ait fait la moitié de ce qu'il auroit pu 
faire. 

« Mes ennemis ne peuvent rien contre moi, di- 
soit M..., car ils ne peuvent m'ôter la faculté de 
bien penser, ni celle de bien faire. » 

« Vous bâillez ! disoit une femme à son mari. — 
Ma chère amie, lui dit celui-ci, le mari et la femme \j 
ne sont qu'un, et, quand je suis seul, je m'ennuie. » 

Mademoiselle d'Entragues, piquée de la façon 
dont Bassompierre refusoit de l'épouser, lui dit : 
« Vous êtes le plus sot homme de la cour. — Vous 
voyez bien le contraire, » répondit-il. 

a La manière dont je vois distribuer l'éloge et 
le blâme, disoit M. de B..., donneroit au plus 
honnête homme l'envie d'être diffamé. » 

M. de R... venoit de lire dans une société trois 
ou quatre épigrammes sur autant de personnes 



6o PORTRAITS ET CARACTÈRES 

dont aucune n*étoit vivante. On se tourna vers 
M. de..., comme pour lui demander s'il n'en avoit 
pas quelques-unes dont il pût régaler rassemblée, 
« Moi! dit-il naïvement, tout mon monde vit : je 
ne puis vous rien dire. » 

On faisoit une procession avec la châsse de sainte 
Geneviève pour obtenir de la sécheresse. A peine 
la procession fut-elle en route qu'il commença à 
pleuvoir. Sur quoi Tévêque de Castres dit plaisam- 
ment : « La sainte se trompe; elle croit qu'on lui 
demande de la pluie. » 

Mylord Tyrauley disoit qu'après avoir ôté à un 
Espagnol ce qu'il avoit de bon, ce qu'il en restoit 
étoit un Portugais. Il disoit cela étant ambassadeur 
en Portugal. 

Je me promenois un jour avec un de mes anàis^ 
qui fut salué par un homme d'assez mauvaise mine. 
Je lui demandai ce que c'étoit que cet homme; il 
me répondit que c'étoit un homme qui faisoit pour 
sa patrie ce que Brutus n'auroit pas fait pour la 
sienne. Je le priai de mettre cette grande idée à 
mon niveau. J'appris que son homme étoit un es- 
pion de police. 

Il a plu un moment à madame la duchesse de 



ANECDOTES ET BONS MOTS bl 

Grammont de dire que M. de Liancourt avoit au- 
tant d'esprit que M. de Lauzun. M. de Créqui 
rencontre celui-ci et lui dit : « Tu dînes aujour- 
d'hui chez moi. — Mon ami, cela m*est impos- 
sible. — Il le faut, et d'ailleurs tu y es intéressé. 
— Comment? — Liancourt y dîne : on lui donne 
ton esprit; il ne s'en sert point, il te le rendra. » 

Quelqu'un ayant lu une lettre très-sotte de 
M. Blanchard sur le ballon dans le Journal de Pa- 
ris : « Avec cet esprit-là, dit-il, ce M. Blanchard 
doit bien s'ennuyer en l'air! » 

On condamna en même temps le livre De /'Espnf 
et le poëme de la Pucelle. Ils furent, tous deux dé- 
fendus en Suisse. Un magistrat de Berne, après 
une grande recherche de ces deux ouvrages, écri- 
vit au sénat : « Nous n'avons trouvé, dans tout le 
canton, ni Esprit ni Pucelle. » 

Quand M. le comte d'Estaing, après sa cam- 
pagne de la Grenade, vint faire sa cour à la reine 
pour la première fois, il arriva porté sur ses bé- 
quilles et accompagné de plusieurs officiers bles- 
sés comme lui. La reine ne sut lui dire autre chose 
sinon : « Monsieur le comte, avez-vous été content 
du petit Laborde? » 

« J'estime le plus que je puis, disoit M..., et 



t>2 PORTRAITS ET CARACTERES 

cependant j'estime peu; je ne sais comment cela 
se fait. » 



« C'est bien mal fait, disoit M..., d'avoir laisse 
tomber le cocuage, c'est-à-dire de s'être arrangé 
pour que ce ne soit plus rien. Autrefois c'étoit un 
état dans le monde, comme de nos jours celui de 
jouer. A présent ce n'est plus rien du tout. » 

Le duc de Choiseul, à qui Ton parloit de son 
étoile, que l'on regardait comme sans exemple, 
répondit : <c Elle l'est pour le mal autant que pour 
le bien. — Comment? — Le voici. J'ai toujours 
très-bien traité les filles : il y en a une que je né- 
glige, elle devient reine de France, ou à peu près. 
J'ai traité à merveille tous les inspecteurs, je leur 
ai prodigué l'or et les honneurs : il y en a un ex- 
trêmement méprisé que je traite légèrement, il 
devient ministre de la guerre : c'est M. de Mon- 
teynard. Les ambassadeurs, on sail ce que j'ai fait 
pour eux sans exception, hormis un seul; mais il 
y en a un qui a le travail lent et lourd, que tous 
les autres méprisent, qu'ils ne veulent plus voir à 
cause d'un ridicule mariage : c'est M. de Ver- 
gennes, et il devient ministre des affaires étran- 
gères. Convenez que j'ai des raisons de dire que 
pion étoile est aussi extraordinaire en mal qu'en 
bien. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 63 

M. de Castries, dans le temps de la querelle de 
Diderot et de Rousseau, dit avec impatience à 
M. de R..., qui me Ta répété : « Cela est in- 
croyable; on ne parle que de ces gens-là, gens 
sans état, qui n'ont point de maison, logés dans 
un grenier : on ne s'accout»me point à cela. » 

Un pape causant avec un étranger de toutes les 
merveilles de Tltalie, celui-ci dit gauchement : 
« J'ai tout vu, hors un conclave, que je voudrois 
bien voir. » 

On sait le discours fanatique que Tévêque de 
Dol a tenu au roi au sujet du rappel des protes- 
tans. Il parla au nom du clergé. L'évêque de Saint- 
Pol lui ayant demandé pourquoi il avoit parlé au 
nom de ses confrères sans les consulter : « J'ai 
consulté, dit-il, mon crucifix. — En ce cas, ré^. 
pliqua Tévêque de Saint-Pol, il falloit répéter 
exactement ce que votre crucifix vous avoit ré- 
pondu. » 

Dudos avoit l'habitude de prononcer sans cesse, 
en pleine Académie, des f... , des b... L'abbé du 
Resnel , qui, à cause de sa longue figure, étoit 
appelé un grand serpent sans venin, lui dit : « Mon- 
sieur, sachez qu'on ne doit prononcer dans l'Aca- 
démie que des mots qui se trouvent dans le Dic- 
tionnaire. y> 



64 PORTRAITS ET CARACTERES 

On demandoit à un ministre pourquoi les gou- 
verneurs de province avoient plus de faste que le 
roi. « C'est, dit-il, que les comédiens de cam- 
pagne chargent plus que ceux de Paris. » 

M... me disoit, à j^opos des fautes de régime 
qu'il commet sans cesse, des plaisirs qu'il se per- 
met et qui l'empêchent seuls de recouvrer la santé : 
(( Sans moi, je ine porterois à merveille. » 

Madame de Créqui, parlant à la duchesse de 
Chaulnes de son mariage avec M. de Giac, après 
les suites désagréables qu'il a eues, lui dit qu'elle 
auroit dû les prévoir, et insista sur la distance des 
âges. « Madame, lui dit madame de Giac, apprenez 
qu'une femme de la cour n'est jamais vieille, et 
qu'un homme de robe est toujours vieux. » 

Le feu roi étoit, comme on sait, en correspon- 
dance secrète avec le comte de Broglie. Il s'agis- 
soit de nommer un ambassadeur en Suède. Le 
comte de Broglie proposa M. de Vergennes, alors 
retiré dans ses terres, à son retour de Constanti- 
nople. Le roi ne vouloit pas; le comte insistoit. Il 
étoit dans l'usage d'écrire au roi à mi-marge, et 
le roi meltoit la réponse à côté. Sur la dernière 
lettre le roi écrivit : « Je n'approuve point le choix 
de M. de Vergennes. C'est vous qui m'y forcez : 



ANECDOTES ET BONS MOTS 65 

soit, qu'il parte; mais je défends qu'il amène sa 
vilaine femme avec lui. » [Anecdote contée par 
Favier, qui avoit vu la réponse du roi dans les mains 
du comte de Broglie.) 

Je demandois à M. de... s'il se marieroit. « Je 
ne le crois pas, » me disoit-il. Et il ajouta en riant : 
« La femme qu'il me faudroit, je ne la cherche 
point; je ne l'évite même pas. » 

M... disoit : « Les femmes n'ont de bon que 
ce qu'elles ont de meilleur. » 

M..., connu par son usage du monde, me di- 
soit que ce qui l'avoit le plus formé, c'étoit d'a- 
voir su coucher, dans l'occasion, avec des femmes 
de quarante ans, et écouter des vieillards de quatre- 
vingts. 

Madame de Brionne rompit avec le cardinal de 
Rohan à l'occasion du duc de Choiseul, que le 
cardinal vouloit faire renvoyer. Il y eut entre eux 
une scène violente, que madame de Brionne ter- 
mina en menaçant de le faire jeter par la fenêtre. 
« Je puis bien descendre, dit-il, par où je suis 
monté si souvent. » 

N... disoit qu'il s'étonnoit toujours de ces fes- 

Chamfort. — II. 9 



66 PORTRAITS ET CARACTERES 

tins meurtriers qu'on se donne dans le monde. 
Cela se concevroit entre parens qui héritent les 
uns des autres; mais, entre amis qui n'héritent pas, 
quel peut en être l'objet? 

a J'ai vu, disoit M..., peu de fiertés dont j'aie 
été content. Ce que je connois de mieux en ce 
genre, c'est celle de Satan dans le Paradis perdu, )> 

M. de..., qui avoit vécu avec des princesses 
d'Allemagne, me disoit : « Croyez- vous que 
M. de L... ait madame de S...? » Je lui répon- 
dis : « Il n'en a pas même la prétention; il se 
donne pour ce qu'il est, pour un libertin, un homme 
qui aime les filles par-dessus tout. — Jeune homme, 
me répondit-il, n'en soyez pas la dupe : c'est avec 
cela qu'on a des reines. » 

M. de..., que des chagrins amers empêchoient 
de reprendre sa santé, me disoit ; « Qu'on me 
montre le fleuve d'Oubli, et je trouverai la fon- 
taine de Jouvence. » 

On faisoit une quête à l'Académie Françoise; il 
manquoit un écu de six francs ou un louis d'or. 
Un des membres, connu par son avarice, fut soup- 
çonné de n'avoir pas contribué; il soutint qu'il 
avoit mis; celui qui faisoit la collecte dit . « Je ne 
l'ai pas vu, mais je le crois. » M. de Fontenelle 



ANECDOTES ET BONS MOTS 67 

termina la discussion en disant : « Je l*ai vu, moi, 
mais je ne le crois pas. » 

Fontenelle, âgé de quatre-vingts ans, s'em* 
pressa de relever Téventail d'une femme jeune et 
belle, mais mal élevée , qui reçut sa politesse dé- 
daigneusement. « Ah! Madame, lui dit-il, vous 
prodiguez bien vos rigueurs! » 

Autrefois on tiroit le gâteau des Rois avant le 
repas. M. de Fontenelle fut roi, et, comme il né- 
gligeoit de servir d'un excellent plat qu'il avoit 
devant lui, on lui* dit : a Le roi oublie ses sujets. » 
A quoi il répondit : « Voilà comme nous sommes, 
nous autres! » 

On demandoit à M. de Fontenelle mourant : 
« Comment cela va-t-il? — Cela ne va pas, dit-il; 
cela s'en va. » 

Une femme âgée de quatre-vingt-dix ans di- 
soit à M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt- 
quinze : « La mort nous a oubliés. — Chut! » lui 
répondit M. de Fontenelle en mettant le doigt sur 
sa bouche. 

M. de... demandoit à l'évêque de... une mai- 
sonde campagne où il n'alloit jamais. Celui-ci lui 



'. 



68 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

lépondit : « Ne savez-vous pas qu'il faut toujours 
avoir un endroit où Ton n'aille point, et où Tod 
croie que Ton seroit heureux si on y alloit? » 
M. de..., après un instant de silence, répondit : 
tt Cela est vrai, et c'est ce qui a fait la fortune du 
paradis. » 

« Ce n'est pas, me disoit M. de M..., un 
homme très-vulgaire que .celui qui dit à la For- 
tune : « Je ne veux de toi qu'à telle condition; 
« tu subiras le joug que je veux t'imposer », et 
qui dit à la Gloire : « Tu n'es qu'une fille à qui 
« je veux bien faire quelques caresses, mais que je 
(( repousserai si tu en risques avec moi de trop 
« familières et qui ne me conviennent pas. » 
C'étoit lui-même qu'il peignoit, et tel est en effet 
son caractère. 

M... disoit, à propos de madame de... : « J^ai 
cru qu'elle me demandoit un fou, et j'étois près 
de le lui donner; mais elle me demandoit un sot, 
et je le lui ai refusé net. » 

M. de Barbançon, qui avoit été très-beau, pos- 
sédoit un très-joli jardin que madame la duchesse 
de La Vallière alla voir. Le propriétaire, alors très- 
vieux et très-goutteux, lui dit qu'il avoit été amou- 
reux d'elle à la folie. Madame de La Vallière lui 



ANECDOTES ET BONS MOTS 69 

répondit : « Hélas! mon Dieu, que ne parliez- 
vous ? vous m'auriez eue comme les autres. » 

« Ce qui rend le monde désagréable, me disoit 
M. de L..., ce sont les fripons, et puis les hon- 
nêtes gens : de sorte que, pourque tout fût passable, 
il faudroit anéantir les^ uns et corriger les autres. 
Il faudroit détruire l'enfer et recomposer le para- 
dis. » 

* J'ai entendu parler d'un fou de cour appa- 
remment très-sage, et qui disoit : « Je ne sais 
comment cela se fait, mais il ne me vient jamais 
de bons mots que contre les gens disgraciés. » 

* Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, 
avoit pris pour son modèle dans la guerre An- 
nibal, qu'il citoit sans cesse. Après la bataille de 
Morat, où ce prince fut battu, le fou de cour qui 
l'accompagnoit dans sa fuite disoit de temps en 
temps : « Nous voilà bien annibalés ! » 

* Le roi de Prusse combloit un officier de bontés, 
et l'oublia toutefois dans une promotion d'infan- 
terie. Cet officier se plaignit, et ses plaintes furent 
rendues au roi par un délateur, auquel le roi ré- 
pondit : « Il a raison de se plaindre, mais il ne 
sait pas ce que je veux faire pour lui. Allez lui 



yo PORTRAITS ET CARACTÈRES 

dire que je sais tout, que je lui pardonne, mais 
que je ne lui ordonne pas de vous pardonner. » En 
effet, cette histoire fut sue de l'officier intéressé, 
ce qui occasionna un duel au pistolet où le déla- 
teur fut tué. Le roi donna ensuite un régiment à 
Tofficier oublié dans la précédente promotion. 

* Le roi de Prusse trouva, à la prise de Dresde, 
beaucoup de bottes et de perruques chez le comte 
de Brûhl. « Voilà bien des bottes, dit-il, pour un 
homme qui n'alloit jamais à cheval, et bien des 
perruques pour un homme qui n'avoit point de 
tête! » 

* Les habitans de Berlin ayant fait trois arcs de 
triomphe pour leur roi à son retour de la dernière 
campagne de la guerre de Sept ans, il publia sous 
le premier arc l'abolition d'un impôt, sous le 
deuxième l'abolition d'un second impôt, enfin 
sous le troisième l'abolition de tous les impôts. 

* Le roi de Prusse, ayant fait faire de la fausse 
monnoie par des juifs, leur paya la somme 
convenue avec la monnoie qu'ils venoient de fa- 
briquer. 

Le roi de Prusse avoit fait élever des casernes 
qui bouchent le jour à une église catholique. Oa 



ANECDOTES ET BONS MOTS 7I 

lui fit des représentations sur cela. Il renvoya la 
requête, avec ces paroles au bas : 

Beati qui non piderunt et crediderunt, 

Milord Hamilton, personnage très- singulier, 
étant ivre dans une hôtellerie d'Angleterre, avoit 
tué un garçon d'auberge et étoit rentré sans savoir 
ce qu'il avoit fait. L'aubergiste arrive tout effrayé 
et lui dit : « Milord, savez-vous que vous avez 
tué ce garçon? » Le lord lui répondit en balbu- 
tiant : « Mettez-le sur la carte. » 

* La gabelle n'est connue que de nom en basse 
Bretagne, mais très-redoutée des paysans. Un sei- 
gneur fit présent à un curé de village d'une pen- 
dule. Les paysans ne savoient ce que c'étoit. Un 
d'eux s'avisa de dire que c'étoit la gabelle. Ils ra- 
massoient déjà des pierres pour la détruire, lorsque 
le curé survint et leur dit que ce n'étoit pas la 
gabelle, mais le jubilé que le pape lui envoyoit. 
Ils s'apaisèrent sur-le-champ. 

* Un grand seigneur russe prit pour instituteur 
de ses enfans un Gascon, qui n'apprit à ses élèves 
que le basque, la seule langue qu'il possédât. Cela 
fit une scène plaisante la première fois qu'ils se 
trouvèrent avec des François. 



^2 PORTRAITS ET CARACTERES 

* Un Gascon, ayant à la cour je ne sais quelle 
place subalterne, promit sa protection à un vieux 
militaire, son compatriote. Il le fit trouver sur le 
chemin du roi, et, le lui présentant, dit au roi que 
son compatriote et lui avoient servi Sa Majesté qua- 
rante-six ans. « Comment! quarante-six ans? dit le 
roi. — Oui, Sire, lui quarante-cinq ans, et moi un 
an... Cela fait bien quarante-six ans complets. i> 

* Mademoiselle, étant à Toulouse, disoit à un 
homme de distinction de la même ville : « Je 
m'étonne que, Toulouse étant entre la Provence 
et la Gascogne, vous soyez d'aussi bonnes gens 
que vous êtes. — Votre Altesse, répondit le Tou- 
lousain, ne nous a pas encore creusés. En nous 
creusant bien, elle trouveroit que nous valons à 
peu près les Provençaux et les Gascons ensemble. » 

* Un ivrogne, buvant un verre de vin au com- 
mencement d'un repas , lui dit : « Arrange-toi 
bien, tu seras foulé. » 

* Un ivrogne, tenant son camarade sous le bras, 
la nuit, dans l'obscurité, disoit : « Voyez comme 
la police est faite ici ! On nous fait payer les boues 
et lanternes... Les boues, oh! il y en a, il n'y a rien 
à dire ; mais les lanternes, où sont-elles? Quelle 
friponnerie ! » 



ANECDOTES ET BONS MOTS yî 

Un gazetier mit dans sa gazette : « Les uns di- 
sent le cardinal Mazarin mort, les autres vivant; 
moi, je ne crois ni l'un ni l'autre. » 

Le vicomte de Saint-Priest, intendant de Lan- 
guedoc pendant quelque temps, voulut se retirer, 
et demanda à M. de Galonné une pension de dix 
mille livres. « Que voulez-vous faire de dix mille 
livres? » dit celui-ci, et il fit porter la pension à 
vingt mille. Elle est du petit nombre de celles 
qui ont été respectées à l'époque du retranche- 
ment des pensions par l'archevêque de Toulouse, 
qui avoit fait plusieurs parties de filles avec le vi- 
comte de Saint-Priest. 

Le comte d'Artois, le jour de ses noces, prêt à 
se mettre à table et environné de tous ses grands 
officiers et de ceux de madame la comtesse d'Artois, 
dit à sa femme, de façon que plusieurs personnes 
l'entendirent : « Tout ce monde que vous voyez, 
ce sont nos gens. » Ce mot a couru, mais c'est le 
millième, et cent mille autres pareils n'empêche- 
ront jamais la noblesse françoise de briguer en 
foule des emplois où l'on fait exactement la fonction 
de valet. 

On faisoit entendre à un homme d'esprit qu'il 
ne connoissoit pas bien la cour. Il répondit : « On 

lO 



^4 PORTRAITS ET CARACTERES 

peut être très-bon géographe sans être sorti de 
chez soi : d*Anville n'avoit jamais quité sa cham- 
bre. » 

« Dans ma jeunesse même, me disoit M..., 
j'aimois à intéresser, j*aimois assez peu à séduire, 
et j*ai toujours détesté de corrompre. » 

M... disoit que la goutte ressembloit aux bâtards 
des princes, qu'on baptise le plus tard qu'on peut. 

Le roi nomma M. de Navailles gouverneur de 
M. le duc de Chartres, depuis régent : M. de 
Navailles mourut au bout de huit jours; le roi 
nomma M. d'Estrades pour lui succéder : il mou- 
rut au bout du même terme. Sur quoi Benserade 
dit : « On ne peut pas élever un gouverneur pour 
M. le duc de Chartres. » 

M... me disoit que madame de C..., qui 
tâche d'être dévote, n'y parviendroit jamais, parce 
que, outre la sottise de croire, il falloit, pour faire 
son salut, un fonds de bêtise quotidienne qui lui 
manqueroit trop souvent, a Et c'est ce fonds, ajou- 
toit-il, qu'on appelle la grâce. » 

M. de..., qui voyoit la source de la dégrada- 
tion de l'espèce humaine dans l'établissement de 



ANECDOTES ET BONS MOTS yS 

la secte nazaréenne et dans la féodalité, disoit 
que, pour valoir quelque chose, il falloit se dé- 
franciser et se débaptiser, et redevenir Grec ou 
Romain par Tâme. 

Ce fut le comte de Grammont lui-même qui vendit 
quinze cents livres le manuscrit des mémoires où 
il est si clairement traité de fripon. Fontenelle, 
censeur de Touvrage, refusoit de l'approuver, par 
égard pour le comte. Celui-ci s'en plaignit au ^ 
chancelier, à qui Fontenelle dit les raisons de son 
refus. Le comte, ne voulant pas perdre les quinze 
cents livres, força Fontenelle d'approuver le livre 
d'Hamilton. 

On disoit de l'avant-dernier évêque d'Autun, 
monstrueusement gros, qu'il avoit été créé et mis 
au monde pour faire voir jusqu'où peut aller la 
peau humaine. 

« Madame de G..., disoit M..., a trop d'esprit 
«tjd'habileté pour être jamais méprisée autant que 
beaucoup de femmes moins méprisables. » 

On demandoit à La Calprenède quelle étoit 
l'étoffe de ce bel habit qu'il portoit. « C'est du 
Sylvandre, » dit-il (un de ses romans qui avoit 
réussi). 



y6 PORTRAITS ET CARACTERES 

Un homme alloit, depuis trente ans, passer toutes 

ses soirées chez madame de... Il perdit sa femme; 

/ on crut qu'il épouseroit Tautre, et on Vy encoura- 

geoit. Il refusa. « Je ne saurois plus, dit-il, où 

aller passer mes soirées. » 

Un jour que quelques conseillers parloient un 
peu trop haut à Taudience, M. de Harlay, premier 
président, dit : « Si ces messieurs qui causent ne 
» faisoient pas plus de bruit que ces messieurs qui 
dorment, cela accommoderoit fort ces messieurs 
qui écoutent. » 

M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-dix- 
sept ans, venant de dire à madame Helvétius, 
jeune, belle et nouvellement mariée, mille choses 
aimables et galantes, passa devant elle pour se 
mettre à table, ne l'ayant pas aperçue. « Voyez, 
lui dit madame Helvétius, le cas que je dois faire 
de vos galanteries : vous passez devant moi sans 
me regarder. — Madame, dit le vieillard, si je 
vous eusse regardée, je n'aurois pas passé, n 

L'abbé Raynal, dînant à Neuchâtel avec le 
prince Henri, s'empara de la conversation et ne 
laissa point au prince le moment de placer un mot. 
Celui-ci, pour obtenir audience, fit semblant de 



ANECDOTES ET BONS MOTS 77 

croire que quelque chose tomboit du plancher, et 
profita du silence pour parler à son tour. 

a Henri IV fut un grand roi; Louis XIV fut le 
roi d'un beau règne. » Ce mot de Voisenon passe 
la portée ordinaire. 

M..., ayant lu la lettre de saint Jérôme où il 
peint avec la plus grande énergie la violence de 
ses passions, disoit : « La force de ses tentations 
me fait plus d'envie que sa pénitence ne me fait 
peur. » 

On disoit de J. J. Rousseau : « C'est un hibou. 
— Oui, dit quelqu'un, mais c'est celui de Minerve, 
et, quand je sors du Devin du V///age, j'ajoute rois : 
déniché par les Grâces. » 

Duclos disoit un jour à madame de Rochefort 
et à madame de Mirepoix que les courtisanes de- 
venoient bégueules et ne vouloient plus entendre 
le moindre conte un peu trop vif. Elles étoient, 
disoit-il, plus timorées que les femmes honnêtes. 
Et là-dessus il enfile une histoire fort gaie, puis 
une autre encore plus forte ; enfin, à une troisième 
qui commençoit encore plus vivement, madame de 
Rochefort l'arrête et lui dit : « Prenez donc garde, 



yS PORTRAITS ET CARACTÈRES 

Duclos : VOUS nous croyez aussi par trop honnêtes 
femmes. » 

C*étoit l'usage, chez madame de Luchet, que 
Ton achetât une bonne histoire à celui qui la fai- 
soit... « Combien en voulez-vous? — Tant. » Il 
arriva que, madame de Luchet demandant à sa 
femme de chambre l'emploi de cent écus, celle-ci 
parvint à rendre ce compte, à l'exception de 
trente-six livres, lorsque tout à coup elle s'écria : 
« Ah ! Madame, et cette histoire pour laquelle vous 
m'avez sonnée, que vous avez achetée à M. Co- 
queley, et que j'ai payée trente-six livres! » 

Un homme de lettres à qui un grand seigneur 
faisoit sentir la supériorité de son rang lui dit : 
« Monsieur le duc, je n'ignore pas ce que je dois 
savoir; mais je sais aussi qu'il est plus aisé d'être 
au-dessus de moi qu'à côté. » 

Madame du D... disoit de M... qu'il étoit aux 
petits soins pour déplaire. 

On dit d'un homme tout à fait malheureux : 
a II tombe sur le dos et se casse le nez. » 

a Ce jour-là, je fus très-aimable, point bru- 



ANECDOTES ET BOl4S MOTS 79 

tal, » me disoit M. S..., qui étoit en effet Tun et 
l'autre. 

M. de..., homme violent, à qui on reprochoit 
quelques torts, entra en fureur et dit qu'il iroit 
vivre dans une chaumière. Un de ses amis lui ré- 
pondit tranquillement : « Je vois que vous aimez 
mieux garder vos défauts que vos amis. » 

Le maréchal de Noailles disoit beaucoup de 
mal d'une tragédie nouvelle. On lui dit : « Mais 
M. d'Aumont, dans la loge duquel vous l'avez 
entendue, prétend qu'elle vous a fait pleurer. — 
Moi! dit le maréchal, point du tout; mais, comme 
il pleuroit lui-même dès la première scène, j'ai 
cru qu'il étoit honnête de prendre part à sa dou- 
leur. » 

M. de Buffon s'environne de flatteurs et de sots 
qui le louent sans pudeur. Un homme avoit dîné 
chez lui avec l'abbé Leblanc, M. de Juvigny et 
deux autres hommes de cette force. Le soir, il dit 
à souper qu'il avoit vu dans le cœur de Paris 
quatre huîtres attachées à un rocher. On chercha 
longtemps le sens de cette énigme, dont il donna 
enfia le mot. 

Un sot disoit, au milieu d'une conversation : « Il 



7 



8o PORTRAITS ET CARACTERES 

1 me vient une idée. » Un plaisant dit : « J'en suis 
bien surpris. » 

Un malade qui ne vouloit pas recevoir les sa- 
cremens disoit à son ami : « Je vais faire sem- 
blant de ne pas mourir. » 

Le chevalier de Narbonne, accosté par un im- 
portant dont la familiarité lui déplaisoit, et qui lui 
dit en l'abordant : « Bonjour, mon ami! Comment 
te portes-tu? » répondit : « Bonjour, mon ami! 
Comment t'appelles-tu? » 

Feu madame la duchesse d'Orléans étoit fort 
éprise de son mari dans les commencemens de son 
mariage; il y avoit peu de réduits dans le Palais- 
Royal qui n'en eussent été témoins. Un jour, les 
deux époux allèrent faire visite à la duchesse douai- 
rière, qui étoit malade. Pendant la conversation, 
elle s'endormit, et le duc et la jeune duchesse 
trouvèrent plaisant de se divertir sur le pied du lit 
de la malade. Elle s'en aperçut, et dit à sa belle- 
fille : « Il vous étoit réservé. Madame, de faire 
rougir du mariage ! » 

Il est temps, disoit M..., que la philosophie ait 
aussi son index, comme l'inquisition de Rome et 
de Madrid. Il faut qu'elle fasse une liste des livres 



ANECDOTES ET BONS MOTS 8l 

elle proscrit, et cette proscription sera plus con- 
irable que celle de sa rivale. Dans les livres 
nés qu'elle approuve en général, combien d'i- 
s particulières ne condamneroit-elle pas comme 
traires à la morale et même au bon sens.' 

VI. de R... étoit autrefois moins dur et moins 
ligrant qu'aujourd'hui; il a usé toute son indul- 
ice, et le peu qui lui en reste, il le garde pour 



4. de Ségur ayant publié une ordonnance qui 
igeoit à ne recevoir dans le corps de l'artillerie 

des gentilshommes, et, d'une autre part, cette 
ction n'admettant que des gens instruits, il ar- 

une chose plaisante : c'est que l'abbé Bossut, 
minateur des élèves, ne donna d'attestations 
ï des roturiers, et Chérin qu'à des gentils- 
imes. Sur une centaine d'élèves, il n'y en eut 
: quatre ou cinq qui remplirent les deux con- 
ons. 

/abbé Beaudeau disoit de M. Turgot que c'é- 
un instrument d'une trempe excellente, mais 
n'avoit pas de manche. 

Jn Américain, ayant vu six Anglois séparés de 
troupe, eut l'audace inconcevable de leur cou- 
Chamfort. — II. 1 1 



82 PORTRAITS ET CARACTERES 

rir sus, d*en blesser deux, de désarmer les autres' et 
de les amener au général Washington. Le général 
lui demanda comment il avoit pu faire pour se 
rendre maître de six hommes : a Aussitôt que je 
les ai vus, dit-il, j'ai couru sur eux et je les ai 
environnés. » 

M. de... disoit qu'il ne falloit rien dire, dans 
les séances publiques de l'Académie françoise , par 
delà ce qui est imposé par les statuts; et il moti- 
voit son avis en disant : « En fait d'inutilités, il ne 
faut que le nécessaire. » 

M... me disoit : « J'ai vu des femmes de tous 
les pays : l'Italienne ne croit être aimée de son 
amant que quand il est capable de commettre un 
crime pour elle ; l'Angloise, une folie, et la Fran- 
çoise, une sottise. » 

Duclos disoit, pour ne pas profaner le nom de 
Romain, en parlant des Romains modernes : Un. 
Italien de Kome. 

* La plupart des règlements de police, arrêts du 
Conseil portant défense, et même de lois plus im- 
portantes, ne sont guère que des spéculations de 
finance qui ont pour objet d'avoir de l'argent 
en vendant la permission d'enfreindre les lois. 



ANECDOTES ET BONS MOTS 83 

* C'est une source de comique neuf qu'un mot 
dit pour faire un effet et qui en produit un autre. 
C'est surtout à la cour et dans le grand monde 
qu'on voit cet effet se produire fréquemment. 

* Deux jeunes gens viennent à Paris dans une 
voiture publique L'un raconte qu'il vient pour 
épouser la fille de M. de..., dit ses liaisons, l'état 
de son père, etc. Ils vont coucher à la même 
auberge. Le lendemain, Tépouseur meurt à sept 
heures du matin, avantd'avoirfait sa visite. L'autre, 
qui étoit un plaisant de profession, s'en va chez le 
beau-père futur, se donne pour le gendre, se 
conduit en homme d'esprit et charme toute la 
famille, jusqu'au moment de son départ, qu'il 
précipitoit, disoit-il, parce qu'il avoit rendez-vous 
à six heures pour se faire enterrer. C'étoit en 
effet l'heure où le jeune homme mort le matin 
devoit être'enterré. Le domestique qui alla à l'au- 
berge du prétendu gendre étonna beaucoup le 
beau-père et la famille, qui crut avoir vu l'àme du 
revenant. 

* Dans le temps des farces de la foîre Saint- 
Laurent, il parut sur le théâtre un Polichinelle bossu 
par devant et par derrière. On lui demandoit ce 
qu'il y avoit dans sa bosse de devant . « Des ordres, 
dit-il. — El dans ta bosse de derrière? — Des contre- 



84 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

ordres. »' C'étoit le temps où Tadministration étoit la 
plus folle ou la plus sotte. Cette plaisanterie, très- 
bonne en elle-même, fit envoyer le plaisant à Bicêtre. 

* M. de la Briffe, avocat général au grand 
Conseil, étant mort le lundi gras, fut enterré le 
mardi, et, le corbillard ayant passé au milieu des 
masques, il fut pris pour une mascarade. Plus on 
vouloit expliquer tout cet appareil à la populace, 
plus elle crioit : A la chienlit! 

Le roi Jacques, retiré à Saint-Germain, et vivant 
des libéralités de Louis XIV, venoit à Paris pour 
guérir les écrouelles, qu'il ne touchoit qu'en qua- 
lité de roi de France. 

M. de..., ayant aperçu que M. Barthe étoit ja- 
loux (de sa femme), lui dit : « Vous, jaloux! 
Mais savez -vous bien que c'est une prétention? 
C'est bien de l'honneur que vous vous faites. Je 
m'explique. N'est pas cocu qui veut : savez-vous 
que, pour l'être, il faut savoir tenir une -maison, 
être poli, sociable, honnête? Commencez par ac- 
quérir toutes ces qualités, et puis les honnêtes gens 
verront ce qu'ils auront à faire pour vous. Tel que 
vous êtes, qui pourroit vous faire cocu? Une es- 
pèce ! Quand il sera temps de vous effrayer, je vous 
en ferai mon compliment. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 85 

Le marquis de Chastellux, amoureux comme à 
vingt ans, a^ant vu sa femme occupée pendant 
tout un dîner d*un étranger jeune et beau, l'a- 
borda au sortir de table et lui adressa d^humbles re- 
proches. Le marquis de Genlis lui dit : « Passez, 
passez, bonhomme; on vous a donné. » 

Le maréchal de Villars fut adonné au vin, même 
dans sa vieillesse. Allant en Italie pour se mettre 
à la tête de Tarmée dans la guerre de 1784, il alla 
faire sa cour au roi de Sardaigne tellement pris de 
vin qu'il ne pouvoit se soutenir et qu'il tomba à 
terre. Dans cet état, il n'avoit pourtant pas perdu 
la tête, et il dit au roi : « Me voilà porté tout na- 
turellement aux pieds de Votre Majesté. » 

M. le duc de Choiseul étoit du jeu de Louis XV, 
quand il fut exilé. M. de Chauvelin, qui en étoit 
aussi , dit au roi qu'il ne pouvoit le continuer, 
parce que le duc en étoit de moitié. Le roi dit à 
M. de Chauvelin : « Demandez-lui s'il veut con- 
tinuer. » M. de Chauvelin écrivit à Chanteloup ; 
M. de Choiseul accepta. Au bout du mois, le roi 
demanda si le partage des gains étoit fait : « Oui, 
dit M. de Chauvelin : M. de Choiseul gagne trois 
mille louis. — Ah! j'en suis bien aise, dit le roi; 
mandez-le-lui bien vite. » 

* Louis XV avoit joué avec le maréchal d'Es- 



86 PORTRAITS ET CARACTERES 

trées, qui, ayant beaucoup perdu, se retiroii. Le roi 
lui dit : « Est-ce que vous n'avez pas une terre ? » 

* Fox, célèbre joueur, disoit : « Il y a deux 
grands plaisirs dans le jeu : celui de gagner et 
celui de perdre. » 

* Un joueur vouloit sous-louer un reste de bail. 
On lui demanda s'il faisoit bien clair dans son 
appartement. « Hélas! dit-il, je n'en sais rien : je 
sors si matin, et je rentre si tard ! d 

«Que peuvent pour moi, disoit M..., les grands 
et les princes? Peuvent-ils me rendre ma jeunesse 
ou m'ôter ma pensée, dont l'usage me console de 
tout? » 

M... me disoit que ceux qui entrent par écrit 
dans de longues justifications devant le public lui 
paroissoient ressembler aux chiens qui courent et 
jappent après une chaise de poste. 

Le comte de Mirabeau, très-laid de figure, mais 
plein d'esprit, ayant été mis en cause pour un pré- 
tendu rapt de séduction, fut lui-même son avocat. 
« Messieurs, dit-il, je suis accusé de séduction : 
pour toute réponse et pour toute défense, je de- 
mande que mon portrait soit mis au greffe. » Le 



ANECDOTES ET BONS* MOTS 87 

commissaire n'entendoit pas : « Bêle, dit le juge, 
regarde donc la figure de Monsieur! » 

Un joueur fameux , nommé Sablière , venoit 
d'être arrêté. Il étoit au désespoir, et disoit à Beau- 
marchais , <]ui vouloit l'empêcher de se tuer : 
a Moi, arrêté pour deux cents louis! abandonné 
par tous mes amis! Cest moi qui les ai formés, 
qui leur ai appris à friponner. Sans moi, que se- 
Toient B...., D..., N...? Ils vivent tous. Enfin, 
Monsieur, jugez de Texcès de mon avilissement : 
pour vivre, je suis espion de police! » 

Le duc de Lauzun disoit : « J'ai souvent de 
vives disputes avec M. de Calonne ; mais, comme 
ni l'un ni l'autre nous n'avons de caractère, c'est à 
<jui se dépêchera de céder, et celui de nous deux 
■qui trouve la plus jolie tournure pour battre en re- 
traite est celui qui se retire le premier. » 

Pendant la guerre de 1745, l'empereur Fran- 
çois I^"^ ayant été couronné à Francfort, une partie 
du peuple, vouée à la faction autrichienne, s'avisa 
d'aller sous les fenêtres des ambassadeurs de France 
^t d'Espagne, alors ennemies de l'Autriche, témoi- 
gnant sa joie par des cris de : Vive rernpereur ! L'am- 
bassadeur de France jeta de l'argent à cette popu- 
lace, qui cria : Vive la France! et se retira. Mais il 



88 PORTRAITS ET CARACTERES 

en fut autrement devant le palais du cardinal 
Aquaviva, protecteur d'Espagne. Celui-ci, se croyant 
bravé, ouvre sa fenêtre, et vingt coups de fusil 
partis à la fois jettent à terre autant de morts ou 
de blessés. Le peuple veut incendier le palais, et y 
brûler Aquaviva; mais celui-ci s'étoit assuré de 
plus de mille braves dont il couvrit la place. Qua- 
tre pièces de canon chargées à cartouches en 
imposent au peuple. Qui croiroit que le pape^ 
avec l'autorité absolue et un corps de troupes, 
n'ait jamais songé à faire au peuple quelque justice 
du cardinal ? Voilà de terribles effets de la prepa^ 
tenza. Ce n'est pas tout : ce cardinal Aquaviva 
eut, dans les derniers jours de sa vie, tant de re- 
mords de ses violences, qu'il voulut en faire publi- 
quement amende honorable : on en a fait à moins ; 
mais le sacré-coUége ne voulut jamais le permettre, 
pour l'honneur de la pourpre. Ainsi, dans la capi- 
tale du monde chrétien, l'expression du remords, 
cette vertu du pécheur et sa seule ressource, fut 
interdite à un prêtre trop peu châtié par ses re- 
mords, et ce triomphe de l'orgueil sur une reli*^ 
gion d'humilité fut l'ouvrage de ceux qui se por- 
tent pour successeurs de ses premiers apôtres. La 
religion durera sans doute, mais la prcpoUnza ne 
peut pas durer. 

M. de..., fort adonné au jeu, perdit en un seul 



ANECDOTES ET BONS MOTS 8^ 

coup de dés son revenu d*une année : c'étoit mille 
écus. Il les envoya demander à M..., son ami, qui 
connoissoit sa passion pour le jeu, et qui vouloit 
l'en guérir. Il lui envoya la lettre de change sui- 
vante : a Je prie M..., banquier, de donner à 
M... ce qu'il lui demandera, à la concurrence de 
ma fortune. » Cette leçon terrible et généreuse 
produisit son effet. 

Un ambassadeur anglois à Naples avoit donné 
une fête charmante, mais qui n'avoit pas coûté 
bien cher. On le sut, et on partit de là pour déni- 
grer sa fête, qui avoit d'abord beaucoup réussi. Il 
s'en vengea en véritable Anglois et en homme à 
qui les guinées ne coûtoient pas grand'chose. Il 
annonça une autre fête. On crut que c'étoit pour 
prendre sa revanche, et que la fête seroit superbe. 
On accourt; grande affluence. Point d'apprêts. 
Enfin, on apporte un réchaud à Tesprit-de-vin. 
On s'attendoit à quelque miracle. « Messieurs, 
dit-il, ce sont les dépenses, et non l'agrément 
d'une fête que vous cherchez : regardez bien (et 
il entr'ouvre son habit, dont il montre la doublure), 
c'est un tableau du Dominiquin qui vaut cinq mille 
guinées; mais ce n'est pas tout : voyez ces dix 
billets, ils sont de mille guinées chacun, payables 
à vue sur la banque d'Amsterdam. » Il en fait un 
rouleau et les met sur le réchaud allumé. « Je ne 

12 



^O PORTRAITS ET CARACTÈRES 

doute pas, Messieurs, que cette fête ne vous satis- 
fasse et que vous ne vous retiriez tous contens de 
moi. Adieu, Messieurs, la fête est finie. » 

On disoît à un jeune homme de redemander ses 
lettres à une femme d'environ quarante ans dont 
il avoit été fort amoureux, u Vraisemblablement 
elle ne les a plus, dit-il. — Si fait, lui répondit 
quelqu'un : les femmes commencent vers trente 
ans à garder les lettres d'amour. » 

On appela à la cour le célèbre Levret, pour accou- 
cher la feue dauphine. M. le dauphin lui dit : 
a Vous êtes bien content, monsieur Levret, d'ac- 
coucher madame la dauphine; cela va vous faire 
de la réputation. — Si ma réputation n'étoit pas 
faite, dit tranquillement l'accoucheur, je ne serois 
pas ici. » 

N... disoit qu'il falloit toujours examiner si la 
liaison d'une femme et d'un homme est d'âme à 
âme, ou de corps à corps; si celle d'un particulier 
et d'un homme en place ou d'un homme de la 
cour est de sentiment à sentiment, ou de position 
à position, etc. 

M... disoit à un jeune homme qui ne s'aperce- 
voit pas qu'il étoii aimé d'une femme : « Vous 



ANECDOTES ET BONS MOTS 9I 

êtes encore bien jeune, vous ne savez lire que les 
gros caractères. » 

M..., qu'on vouloit faire parler sur différens 
abus publics ou particuliers, répondit froidement : 
(( Tous les jours j'accrois la liste des choses dont 
je ne parle plus. Le plus philosophe est celui dont 
la liste est la plus longue. » 

M. d'Ormesson, étant contrôleur général, disoit 
devant vingt personnes qu'il avoit longtemps cher- 
ché à quoi pouvoient avoir été utiles des gens comme 
Corneille, Boileau, La Fontaine, et qu'il ne l'avoit 
jamais pu trouver. Cela passoit, car, quand on est 
contrôleur général, tout passe. M. Pelletier de 
Morfontaine, son beau-père, lui dit avec douceur : 
a Je sais que c'est votre façon de penser; mais 
ayez pour moi le ménagement de ne pas le dire. 
Je voudrois bien obtenir que vous ne vous vantas- 
siez point de ce qui vous manque. Vous occupez 
la place d'un homme qui s'enfermoit souvent avec 
Racine et Boileau, qui les menoit souvent à sa 
maison de campagne, et disoit, en apprenant l'ar- 
rivée de plusieurs évêques : « Qu'on leur montre 
le château, les jardins, tout, excepté moi^ » 

On faisoit l'éloge de Louis XIV devant le roi 
de Prusse. Il lui contestoit toutes ses vertus et ses 



92 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

talens. « Au moins Votre Majesté accordera qu'il 
faisoit bien le roi. — Pas si bien que Baron, » dit 
le roi de Prusse avec humeur. 

Louis XIV, voulant envoyer en Espagne un 
portrait du duc de Bourgogne, le fit faire par 
Coypel, et, voulant en retenir un pour lui-même, 
chargea Coypel d'en faire faire une copie. Les 
deux tableaux furent exposés en même temps dans 
la galerie : il étoit impossible de les distinguer. 
Louis XIV, prévoyant qu'il alloil se trouver dans 
cet embarras, prit Coypel à part et lui dit : <c II 
n'est pas décent que je me trompe en cette occa-»- 
sion : dites-moi de quel côté est le tableau origi- 
nal. » Coypel le lui indiqua, et Louis XIV, repas^ 
sant, dit : « La copie et l'original sont si semblables, 
qu'on pourroit s'y méprendre; cependant, on peut 
voir avec un peu d'attention que celui-ci est l'ori- 
ginal. » 

L'abbé de Canaye disoit que Louis XV auroit 
dû faire une pension à Cahusac. « Et pourquoi? 
— C'est que Cahusac l'empêche d'être l'homme 
de son royaume le plus méprisé. » 

Le roi, quelque temps après la mort de Louis XV, 
fit terminer avant le temps ordinaire un concert 
qui l'ennuyoit, et dit : « Voilà assez de musique. » 



ANECDOTES Et BONS MOTS 98 

Les concertans le surent, et l'un d'eux dit à l'au- 
tre : a Mon ami, quel règne se prépare ! » 

Pendant la dernière maladie de Louis XV, qui 
dès les premiers jours se présenta comme mortelle, 
Lorfy, qui fut mandé avec Bordeu, employa, dans 
le détail des conseils qu'il donnoit, le mot : // faut. 
Le roi, choqué de ce mot, répétoit tout bas et 
d'une voix mourante : // faut! il faut! 

M... disoit à M. de Vaudreuil, dont l'esprit est 
droit et juste, mais encore livré à quelques illu- 
sions : « Vous n'avez pas de taie dans l'œil , mais 
il y a un peu de poussière sur votre lunette. » 

Le maréchal de Richelieu ayant proposé pour 
maîtresse à Louis XV une grande dame (j'ai oublié 
laquelle), le roi n'en voulut pas, disant qu'elle 
coûteroit trop cher à renvoyer. 

Un bon trait de prêtre de cour, c'est la ruse 
dont s'avisa l'évêque d'Autun, Montazet, depuis 
archevêque de Lyon. Sachant bien qu'il y avoit de 
bonnes frasques à lui reprocher, et qu'il étoit facile 
de le perdre auprès de l'évêque de Mirepoix* le 
théatin Boyer, il écrivit contre lui-même une lettre 
anonyme pleine de calomnies et facile à convaincre 
d'absurdité. Il l'adressa à l'évêque de Narbonne; 



94 PORTRAITS ET CARACTERES 

il entra ensuite en explication avec lui, et fit voir 
l'atrocité de ses ennemis prétendus. Arrivèrent en- 
suite les lettres anonymes écrites en effet par eux, 
et contenant les inculpations réelles; ces lettres 
furent méprisées. Le résultat des premières avoit 
mené le théatin à l'incrédulité sur les secondes. 



M. de F..., qui avoit vu à sa femme plusieurs 
amans, et qui avoit toujours joui de temps en 
temps de ses droits d'époux , s'avisa un soir de 
vouloir en profiter. Sa femme s'y refuse, a Eh 
quoi! lui dit-elle, ne savez-vous pas que je suis en 
affaire avec M...? — Belle raison, dit-il, ne m'a- 
vez-vous pas laissé mes droits quand vous aviez 
I , S..., N..., B .., T...? — Ohl quelle diffé- 
rence! étoit-ce de famour que j'avois pour eux? 
Rien, pures fantaisies; mais avec M..., c'est un 
sentiment : c'est à la vie et à la mort. — Ah! je 
ne savois pas cela : n'en parlons plus. » Et, en ef- 
fet, tout fut dit. M. de R..., qui entendoit conter 
cette histoire, s'écria : « Mon Dieu ! que je vous 
remercie d'avoir amené le mariage à produire de 
pareilles gentillesses ! ;> 

On dit à la duchesse de Chaulnes, mourante et 
séparée de son mari : « Les sacremens sont là. — 
Un petit moment... — M. le duc de Chaulnes 



ANECDOTES ET BONS MOTS 9S 

voudroit vous revoir. — Est-il là? — Oui. — 
Qu'il attende : il entrera avec les sacremens. » 

M... disoit de mademoiselle..., qui n*étoit point 
vénale, n*écoutoit que son cœur et restoit fidèle à 
Tobjet de son choix : « C'est une personne char-»* 
mante , et qui vit le plus honnêtement qu'il est 
possible hors du mariage et du célibat. » 

M. de L... disoit qu'on auroit dû appliquer au 
mariage la police relative aux maisons , qu'on loue 
par un bail pour trois, six et neuf ans, avec pou- 
voir d'acheter la maison, si elle vous convient. 

Madame de B..., ne pouvant, malgré son grand 
crédit, rien faire pour M. de D..., son amant, 
homme par trop médiocre. Ta épousé. En fait 
d'amans, il n'est pas de ceux que Ton montre; en 
fait de maris, on montre tout. 

Un mari disoit à sa femme : « Madame, cet 
homme a des droits sur vous; il vous a manqué 
devant moi. Je ne le souffrirai pas. Qu'il vous mal- 
traite quand vous êtes seule; mais, en ma pré- 
sence, c'est me manquer à moi-même. » 

C'est M. de Maugiron qui a commis cette ac- 
tion horrible , que j'ai entendu conter et qui me 



^b PORTRAITS ET CARACTÈRES 

p.arut une fable. Étant à Tarmée , son cuisinier fut 
pris comme maraudeur; on vint le lui dire : a Je 
suis très-content de mon cuisinier, répondit-il; 
mais j'ai un mauvais marmiton. » Il fait venir ce 
dernier, lui donne une lettre pour le grand prévôt. 
Le malheureux y va, est saisi, proteste de son in- 
nocence, et est pendu. 

Marmontel, dans sa jeunesse, recherchoit beau- 
coup le vieux Boindin, célèbre par son esprit et 
son incrédulité. Le vieillard lui dit : « Trouvez- 
vûus au café Procope. — Mais nous ne pourrons 
pas parler de matières philosophiques. — Si fait, 
en convenant d'une langue particulière, d'un ar- 
got. » Alors ils firent leur dictionnaire. L'âme 
s'appeloit Margot, la religion Javotte, la liberté 
Jeanneton, et le Père éternel M. de VEtrc, Les 
voilà disputant et s'entendant très-bien. Un homme 
en habit noir, avec une mauvaise mine, se mêlant 
à la conversation , dit à Boindin : « Monsieur, 
oserois-je vous demander ce que c*étoit que ce 
M. de l'Etre qui s'est si souvent mal conduit, et 
dont vous êtes si mécontent? — Monsieur, reprit 
Boindin, c'étoit un espion de police. » On peut 
juger de l'éclat de rire, cet homme étant lui-même 
du métier. 

M. de Marville disoit qu'il ne pouvoit y avoir 



ANECDOTES ET BONS MOTS 97 

d'honnête homme à la police que le lieutenant de 
police tout au plus. 

Il paroît certain que l'homme au masque de fer 
est un frère de Louis XIV : sans cette explication, 
c'est un mystère absurde. Il paroît certain, non 
seulement que Mazarin eut la reine, mais, ce qui 
est plus inconcevable , qu'il étoit marié avec elle : 
sans cela , comment expliquer la lettre qu'il lui 
écrivit de Cologne lorsque, apprenant qu'elle 
avoit pris parti sur une grande affaire, il lui mande : 
« Il vous convient bien. Madame, etc. »? Les 
vieux courtisans racontent, d'ailleurs, que, quelques 
jours avant la mort de la reine , il y eut une scène 
de tendresse, de larmes, d'explications entre la 
reine et son fils; et l'on est fondé à croire que 
c'est dans cette scène que fut faite la confidence 
de la mère au fils. 

« La différence qu'il y a de vous à moi, me di- 
soit M..., c'est que vous avez dit à tous les mas- 
ques : a Je vous connois », et moi je leur ai laissé 
l'espérance de me tromper. Voilà pourquoi le 
monde m'est plus favorable qu'à vous. C^est un 
bal dont vous avez détruit Tintérét pour les autres 
et l'amusement pour vous-même, » 

L'abbé Maury tâchant de faire conter à Tabbé 
Chamfort, — II. 1 3 



98 PORTRAITS ET CARACTERES 

de Beaumont, vieux et paralytique, les détails de 
sa jeunesse et de sa vie : « L'abbé, lui dit celui-ci, 
vous me prenez mesure! » indiquant qu'il cher- 
choit des matériaux pour son éloge à l'Académie. 

Il existe une médaille que M. le prince de 
Condé m'a dit avoir possédée et que je lui ai vu 
regretter. Cette médaille représente d'un côté 
Louis XIII, avec les mots ordinaires : Kex Franc, 
et Nav., et de l'autre le cardinal de Richelieu^ 
avec ces mots à l'entour : Nil sine consilio. 

Un médecin de village alloit visiter un malade 
au village prochain. Il prit avec lui un fusil pour 
chasser en chemin et se désennuyer. Un paysan le 
rencontra, et lui demanda où il alloit. « Voir ua 
malade. — Avez-vous peur de le manquer? » 

M. Lorry, médecin, racontoit que madame de 
Sully, étant indisposée, l'avoit appelé et lui avoit 
conté une insolence de Bordeu, lequel lui avoit 
dit : « Votre maladie vient de vos besoins. Voilà 
un homme » ; et en même temps il se présenta 
dans un état peu décent. Lorry excusa son confrère, 
et dit à madame de Sully force galanteries respec- 
tueuses. Il ajoutoit : « Je ne sais ce qui est arrivé 
depuis; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'après 
m'avoir rappelé une fois, elle reprit Bordeu. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 99 

M. de Tressan avoit fait, en lySS, des couplets 
contre M. le duc de Nivernois, et sollicita l'Aca- 
démie en 1780. Il alla chez M. de Nivernois, qui 
le reçut à merveille, lui parla du succès de ses der- 
niers ouvrages, et le renvojoit comblé d'espé- 
rances, lorsque, voyant M. de Tressan prêt à 
remonter en voiture, il lui dit : « Adieu, monsieur 
le comte; je vous félicite de n'avoir pas plus de 
mémoire. » 

Madame de Nesle avoit M. de Soubise. M. de 
Nesle, qui méprisoit sa femme, eut un jour une 
dispute avec elle en présence de son amant; il lui 
dit : « Madame, on sait bien que je vous passe 
tout; je dois pourtant vous dire que vous avez des 
fantaisies trop dégradantes et que je ne vous pas- 
serai pas : telle est celle que vous avez pour le 
perruquier de mes gens, avec lequel je vous ai vue 
sortir et rentrer chez vous. » Après quelques me- 
naces, il sortit, et la laissa avec M. de Soubise, 
qui la soufHeta, quoi qu'elle pût dire. Le mari alla 
ensuite conter cet exploit, ajoutant que l'histoire 
du perruquier étoit fausse, se moquant de M, de 
Soubise, qui l'avoit crue, et de sa femme, qui avoit 
été souffletée. 

«Je me refuse, disoit M..., aux avances de 
M. de B..., parce que j'estime assez peu les qua- 



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lOO PORTRAITS ET CARACTERES 

lités pour lesquelles il me recherche, et que, s'il 
savoit les qualités pour lesquelles je m'estime, il 
me fermeroit sa porte. » 

Milord Hervey, voyageant en Italie et se trou- 
vant non loin de la mer, traversa une lagune dans 
l'eau de laquelle il trempa son doigt : a Ahl ah! 
dit-il, Teau est salée; ceci est à nous. » 

« Je crois, disoit M.,, sur le duc de..., que 
son nom est son plus grands mérite, et qu'il a toutes 
les vertus qui se font dans une parcheminerie. » 

L'abbé Maury, étant pauvre, avoit enseigné le 
latin à un vieux conseiller de grand'chambre qui 
vouloit entendre les Institutes de Justinfen. Quel- 
ques années se passent, et il rencontre ce conseil- 
ler, étonné de le voir dans une maison honnête. 
« Ah' l'abbé, vous voilà! luî dit-il lestement; par 
quel hasard vous trouvez-vous dans cette maison- 
ci? — Je m'y trouve comme vous vous y trouvez. 
^— Oh! ce n'est pas la même chose. Vous êtes 
donc mieux dans vos affaires? Avez-vous fait quel- 
que chose dans votre métier de prêtre? — Je suis 
grand vicaire de M. de Lombez. — Diable! c'est 
quelque chose! Et combien cela vaut-il? — Mille 
francs. — C'est bien peu I » Et il reprend le ton 
leste et léger : » Mais j'ai un prieuré de mille 
ëcus. — Mille écusl bonne affaire {avec l'air de la 



ANECDOTES ET BONS MOTS lOI 

considération). — Et j'ai fait la rencontre du maî- 
tre de cette maison-ci chez M. le cardinal de 
Rohan. — Peste! vous allez chez le cardinal de 
Rohan? — Oui, il m'a fait avoir une abbaye. — 
Une abbaye! Ah! cela posé, monsieur Tabbé, 
faites-moi l'honneur de venir dîner chez moi. » 

L'abbé Raynal , jeune et pauvre, accepta une 
messe à dire tous les jours pour vingt sous; quand 
il fut plus riche, il la céda à l'abbé de La Porte, 
en retenant huit sous dessus; celui-ci, devenu 
moins gueux, la sous-loua à l'abbé Dinouart, en 
retenant quatre sous dessus, outre la portion de 
l'abbé Raynal ; si bien que cette pauvre messe, 
grevée de deux pensions, ne valoit que huit sous 
à l'abbé Dinouart. 

Milton, après le rétablissement de Charles II, 
étoit dans le cas de reprendre une place très-lucra- 
tîve qu'il avoit perdue; sa femme l'y exhortoit; il 
lui répondit : « Vous êtes femme, et vous voulez 
avoir un carrosse ; moi. Je veux vivre et mourir en 
honnête homme. » 

Les ministres en place s'avisent quelquefois, 
lorsque, par hasard, ils ont de l'esprit, de parler du 
temps où ils ne seront plus rien. On en est com- 
munément la dupe, et l'on s'imagine qu'ils croient 



102 PORTRAITS ET CARACTERES 

ce qu'ils disent. Ce n'est de leur part qu'un trait 
d'esprit. Ils sont comme les malades, qui parlent 
souvent de leur mort et qui n'y croient pas, 
comme on peut le voir par d'autres mots qui leur 
échappent. 

Henri IV s'y prit singulièrement pour faire con- 
noitre à un ambassadeur d'Espagne le caractère 
de ses trois ministres, Villeroi, le président Jean- 
nin et Sully. Il fit appeler d'abord Villeroi : 
« Voyez-vous cette poutre qui menace ruine? 
— Sans doute, dit Villeroi sans lever la tête; il faut 
la faire raccommoder, je vais donner des ordres. » 
Il appela ensuite le président Jeannin : « Il faudra 
s'en assurer, » dit celui-ci. On fait venir Sully, qui 
regarde la poutre. « Eh ! Sire, y pensez-vous ? 
dit-il; cette poutre durera plus que vous et moi. » 

Dans le temps où parut le livre de Mirabeau 
sur l'agiotage, dans lequel M. de Calonne est 
très-maltraité , on disoit pourtant, à cause d'un 
passage contre M. Necker, que le livre étoit payé 
par M. de Calonne, et que le mal qu'on disoit de 
lui n'avoit d'autre objet que de masquer la collu- 
sion. 

On sait que M. de Luynes, ayant quitté le service 
pour un soufflet qu'il avoit reçu sans en tirer ven- 



ANECDOTES ET BONS MOTS Io3 

jeance, fut fait bientôt après archevêque de Sens. 
Jn jour qu'il avoit officié pontificalement, un / 
mauvais plaisant prit sa mitre, et, Técartant des 
leux côtés r « C'est singulier, dit-il, comme cette 
aitre ressemble à un soufflet. » , 

M..., à propos des six mille ans de Moïse, di- 
oit, en considérant la lenteur des progrès des 
rts et l'état actuel de la civilisation : « Queveut- 

qu'on fasse de ses six mille ans? Il en a fallu 
lus que cela pour savoir battre le briquet et pour 
aventer les allumettes. » 

C'est une chose remarquable que Molière, qui 
'épargnoit rien, n'a pas lancé un seul trait contre 
îs gens de finance. On dit que Molière et les 
uteurs comiques du temps eurent là-dessus des 
•rdres de Colbert. 

L'abbé de Molière étoit un homme simple et 
auvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le 
ystème de Descartes; il n'avoit point de valet, et 
ravailloit dans son lit, faute de bois, sa culotte sur 
1 tête par-dessus son bonnet, les deux côtés pen- 
ant à droite et à gauche. Un matin, il entend 
rapper à sa porte : « Qui va là? — Ouvrez.. » 
l tire un cordon et la porte s'ouvre. L'abbé de 
Molière, ne regardant point : « Qui êtes-vousr 



I04 PORTRAITS ET CARACTERES 

— Donnez-moi de l'argent. — De l'argent? — 
Oui, de l'argent. — Ah! j'entends, vous êtes un 
voleur? — Voleur ou non, il me faut de l'argent. 

— Vraiment, oui, il vous en faut? Eh bien! 
cherchez là-dedans... » Il tend le cou, et pré- 
sente un des côtés de sa culotte; le voleur fouille. 
« Eh bien ! il n'y a point d'argent. — Vraiment, 
non; mais il y a ma clef. — Eh bien! cette clef...? 

— Cette clef, prenez-la. — Je la tiens. — Allez- 
vous-en à ce secrétaire; ouvrez... » Le voleur met 
la clef à un tiroir. « Pas celui-là, dit l'abbé, ce 
sont mes papiers... Ventrebleu! finirez-vous? ce 
sont mes papiers ! A l'autre tiroir, vous trouverez 
de l'argent. — Le voilà. — Eh bien! prenez... 
Fermez donc le tiroir... » Le voleur s'enfuit. 
« Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Mor- 
bleu! il laisse la porte ouverte!... Quel chien de 
voleur! il faut que je me lève par le froid qu'il 
fait! maudit voleur! » L'abbé saute en pied, va 
fermer la porte, et revient se remettre à son tra- 
vail. 

Quand l'archevêque de Lyon, Montazet, alla 
prendre possession de son siège, une vieille cha- 
noinesse de..., sœur du cardinal de Tencin, lui 
fit compliment de ses succès auprès des femmes, 
et entre autres de l'enfant qu'il avoit eu de ma- 
dame de Mazarin Le prélat nia tout et ajouta : 



ANECDOTES ET BONS MOTS Io5 

Madame, vous savez que la calomnie ne vous a 
as ménagée vous-même; mon histoire avec ma- 
ame de Mazarin n'est pas plus vraie que celle 
u'on vous prête avec monsieur le cardinal. — En 
; cas, dit la chanoinesse tranquillement, Tenfant 
st de vous. » 

Le chanoine Recupero, célèbre physicien, ayant 
ublié une savante dissertation sur le mont Etna, 
Il il prouvoit, d'après les dates des éruptions et 
. nature de leurs laves, que le monde ne pouvoit 
as avoir moins de quatorze mille ans, la cour lui 
t dire de se taire, et que Tarche sainte avoit aussi 
;s éruptions. Il se le tint pour dit. C'est lui-même 
ni a conté cette anecdote au chevalier de la Trem- 
laye. 

Madame de Montmorin di^oit à son fils : « Vous 
ntrez dans le monde; je n'ai qu'un conseil à vous 
onner : c'est d'être amoureux de toutes les fem- 
les. » 

J. J. Rousseau passe pour avoir eu madame la 
Dmtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe 
2 terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna 
eaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour, 
n disoit devant eux que l'amour du genre humain 
teignoit l'amour de la patrie. « Pour moi, dit- 



lo6 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela 
n*est pas vrai : je suis très-bonne Françoise, et je 
ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les 
peuples. — Oui, je vous entends, dit Rousseau , 
vous êtes Françoise par votre buste , et cosmopo- 
lite du reste de votre personne. » 

Il y a une farce italienne où Arlequin dit, à 
propos des travers de chaque sexe, que nous serions 
tous parfaits si nous n'étions ni hommes ni fem- 
mes. 

Fox avoit emprunté des sommes immenses à 
différens juifs, et se flattoit que la succession d'un 
de ses oncles payeroit toutes ses dettes. Cet oncle 
se maria et eut un fils. A la naissance de l'enfant, 
Fox dit : « C'est le Messie que cet enfant : il vient 
au monde pour la destruction des juifs. » 

Louis XV se fit peindre par Latour. Le peintre, 
tout en travaillant, causoit avec le roi, qui parois- 
soit le trouver bon. Latour, encouragé, et naturel- 
lement indiscret, poussa la témérité jusqu'à lui 
dire : « Au fait, Sire, vous n'avez point de ma- 
rine. » Le roi répondit sèchement : « Que dites- 
vous là? Et Vernet, donc! » 

Louis XIV se plaignant chez madame de Main- 



ANECDOTES ET BONS MOTS I07 

tenon du chagrin que lui causoit la division des 
évêques : « Si l'on pouvoit, disoit-il, ramener les 
neuf opposans, on éviteroit un schisme; mais cela 
ne sera pas facile. — Eh bien! Sire, dit en riant 
madame la duchesse, que ne dites-vous aux qua- 
rante de revenir à Tavis des neuf? Ils ne vous refu- 
seront pas. » 

L'abbé de la Galaisière étoit fort lié avec 
M. Orry, avant qu'il fût contrôleur général. Quand 
il fut nommé à cette place, son portier, devenu 
suisse, sembloit ne pas le reconnoître. « Mon ami, 
lui dit l'abbé de la Galaisière, vous êtes insolent beau- 
coup trop tôt, votre maître ne Fest pas encore. » 

« Pourquoi donc, disoit mademoiselle de..., 
âgée de douze ans, pourquoi cette phrase : « Ap- 
tt prendre à mourir »? Je vois qu'on y réussit très- 
bien dès la première fois. » 

Je ne vois jamais jouer les pièces de..., et le 
peu de monde qu'il y a, sans me rappeler le mot 
d'un major de place qui avoit indiqué l'exercice pour 
telle heure. Il arrive, il ne voit qu'un trompette : 
« Parlez donc, messieurs les b... ! d'où vient donc 
est-ce que vous' n'êtes qu'un? » 

Madame de Prie, maîtresse du régent, dirigée 



Io8 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

par son père, un traitant nommé, je crois, Pléneuf, 
avoit fait un accaparement de blé qui avoit mis le 
peuple au désespoir, et enfin causé un soulèvement. 
Une compagnie de mousquetaires reçut Tordre 
d*aller apaiser le tumulte, et leur chef, M. d*A- 
vejan, avoit ordre, dans ses instructions, de tirer sur 
la canaille : c'est ainsi qu'on désignoit le peuple en 
France. Cet honnête homme se fit une peine de 
faire feu sur ses concitoyens, et voici comme il s'y 
prit pour remplir sa commission. Il fit faire tous 
les apprêts d'une salve de mousqueterie, et, avant 
de dire : Tirez! il s'avança vers la foule, tenant 
d'une main son chapeau et de l'autre l'ordre de 
la cour : « Messieurs, dit-il, mes ordres portent 
de tirer sur la canaille; je prie tous les honnêtes 
gens de se retirer avant que j'ordonne de faire 
feu. » Tout s'enfuit et disparut. 

On avisoit dans une société aux moyens de dé- 
placer un mauvais ministre, déshonoré par vingt 
turpitudes. Un de ses ennemis connus dit tout à 
coup : « Ne pourroit-on pas lui faire faire quel- 
que opération raisonnable, quelque chose d'hon- 
nête, pour le faire chasser? » 

N... disoit à M. Barthe : « Depuis dix ans que 
je vous connois, j'ai toujours cru qu'il étoit impos- 
sible d'être votre ami; mais je me suis trompé; il 



ANECDOTES ET BONS MOTS 109 

y auroit un moyen. — Et lequel? — Celui de 
faire une parfaite abnégation de soi et d'adorer 
sans cesse votre égoïsme. » 

Le fameux Ben-Johnson disoit que tous ceux qui 
avoient pris les Muses pour femmes étaient morts 
de faim, et que ceux qui les avoient prises pour 
maîtresses s'en étoient fort bien trouvés. Cela re- 
vient assez bien à ce que j'ai ouï dire à Diderot, 
qu'un homme de lettres sensé pouvoit être l'amant 
d'une femme qui fait un livre, mais ne devoit être 
le mari que de celle qui sait faire une chemise. Il 
y a mieux que tout cela : c'est de n'être ni l'amant 
de celle qui fait un livre, ni le mari d'aucune. 

L'abbé Delille devoit lire des vers à l'Académie 
pour la réception d'un de ses amis. Sur quoi il di- 
soit : a Je voudrois bien qu'on ne le sût pas d'a- 
vance, mais je crains bien de le dire à tout le 
monde. » 

* Discours d'un homme condamné à la hâte par 
la Cour des monnoics (Paris, lyyS ou 1776) à 
être pendu : « Messieurs, je vous remercie. En 
vous dépêchant de me faire pendre pour exercer 
votre juridiction, vous me servez et m'obligez infi- 
niment. J'ai commis vingt vols, quatre assassinats. 



I lO PORTRAITS ET CARACTERES 

Je méritois pis que ce qui m'arrive. Je suis inno- 
cent, mais je vous remercie. » 

* Le maréchal de Luxembourg, retenu deux ans 
à la Bastille, sous le prétexte d'une accusation de 
magie, en sortit pour aller commander les armées. 
« On a encore besoin de magie, » dil-il en plai- 
santant. 

*M. de..., menteur connu, venoitde raconter je 
ne sais quel fait peu croyable. — Monsieur, lui 
dit quelqu'un, je vous crois; mais convenez que la 
vérité a bien tort de ne pas daigner se rendre plus 
vraisemblable. 

* Un abbé demandoit une abbaye au régent. 

« Allez vous faire f ! répondit le prince sans 

détourner la tête. — Encore faut-il de l'argent 
pour cela, dit l'abbé, et Votre Altesse en con- 
viendra si elle daigne me regarder. » Il étoit fort 
laid. Le prince éclata de rire et donna l'abbaye. 

* Un Hollandois, sachant mal le françois, étoit 
en usage de conjuguer tout bas les verbes qui 
échappoient à ceux qui causoient avec lui. Un 
homme grossier lui dit : « Mais vous vous moquez 
de moi! » Il se mit à conjuguer ce verbe. » Sor- 
tons! dit l'autre. — Je sors, tu sors, etc. — 



ANECDOTES ET BONS MOTS lii 

Mettez-vous en garde! — Je me mets en garde. » 
Ils se battent. « Vous en tenez. — J*en tiens, tu 
en tiens, il en tient, etc. » 

* Un homme qui parloit mal, entendant conter 
cette histoire, dit au conteur : « Monsieur, je vous 
la prends, et je la conterai plus d'une fois. — 
Volontiers, dit Tautre; je vous la cède, mais à 
condition que vous changerez souvent les verbes, 
afin que cela vous apprenne à conjuguer. 

* Un homme, ayant été voir jouer Pfièc/re par de 
mauvais acteurs, disoit, pour s'excuser, qu'il avoit 
été à la Comédie pour s'épargner la peine de lire et 
ménager ses yeux. « Eh! Monsieur, lui dit quel- 
qu'un, voir jouer Racine par ces drôles-là, c'est lire 
Pradon! » 

* M. le maréchal de Saxe disoit: « Je sais que 
tel bon bourgeois de Paris, logé entre son bou- 
langer et son rôtisseur, s'étonne que je ne fasse 
pas faire dix lieues par jour à mon armée. » 

* Mademoiselle Pitt disoit à quelqu'un dont la 
figure l'intéressoit : « Monsieur, je vous connois 
depuis trois jours; mais je vous donne trois ans de 
connoissance. » 



112 PORTRAITS ET CARACTERES 

* Un curé d'Hémon, paroisse d'une terre du 
marquis de Créqui, dit à ses paroissiens : a Mes- 
sieurs, priez Dieu pour le marquis de Créqui, qui 
a perdu au service du roi son corps et son âme. » 

* Histoire de M. de Villars, qui, le jour de 
Noël, entend trois messes, et se persuade que les 
deux dernières sont pour lui. Il envoie trois louis 
au prêtre, qui répond : « Je dis la messe pour 
mon plaisir. » 

* Un soldat qui ne se souvenoit plus de quelle 
religion il étoit, se trouvant blessé à mort dans une 
armée composée de catholiques, calvinistes et 
luthériens, demanda à un de ses camarades quelle 
étoit la meilleure religion. Celui-ci, qui ne s'en 
étoit pas plus occupé, dit qu'il n'en savoit rien, 
et qu'il falloit consulter le capitaine. Celui-ci, 
consulté, répondit qu'il donneroit bien cent écus 
pour le savoir. 

* On vola à un soldat son cheval. Il attroupe 
ses camarades, et déclare que, si on ne le lui rend 
pas d'ici à deux heures, il prendra le parti que prit 
son père en pareil cas. L'air menaçant dont il 
parloit effraya le voleur, qui lâcha sa prise. Le 
cheval revient à son maître. On le félicite ; on lui 
demande ce qu'il auroit fait et ce que fît son 



ANECDOTES ET BONS MOTS Il3 

père. « Mon père, dit-il, ayant perdu son cheval, 
\e fit crier et chercher partout. Il ne se retrouva 
point. Alors il prend sa selle, la charge sur son 
dos, prend son fouet, met ses bottes, ses éperons, 
et dit tout haut à ses camarades : « Vous voyez, 
je suis venu à cheval, et je m'en retourne à pied. » 

* Mussonet Rousseau, deux bouffons de société, 
ayant été invités à dîner dans une maison considé- 
rable, buvoient, mangeoient à Tenvi l'un de 
l'autre, sans s'occuper des convives. On commen- 
^oit à le trouver mauvais, lorsque Rousseau dit à 
Musson : a Ah çà, mon ami, il est temps de com- 
mencer à faire notre état. » Ce mot répara tout, 
mais valut mieux que tout ce qu'ils dirent ensuite. 

* Un chef de sauvages aux ordres de M. de 
Montcalm, ayant avec lui un entretien dans lequel 
le général se fâcha, lui dit d'un grand sang-froid : 
« Tu commandes, et tu te fâches? 

*M. de Mesmes, ayant acheté l'hôtel de Mont 
morency, y fit mettre : Hôtel de Mesmes, On 
écrivit au-dessous : Pas de même, 

* Un vieillard que j'ai connu dans ma jeunesse 
me disoit, à propos de la fortune de M. le duc 
de... : a J*ai presque toujours vu le bonheur des 

Chamfort, — II. i 5 



114 PORTRAITS ET CARACTERES 

ministres et des favoris se terminer de façon à leur 
faire porter envie à leurs commis ou à leurs secré- 
taires. 1i 

* Madame la duchesse du Maine, ayant un jour 
besoin de Tabbé de Vaubrun, ordonna à un de ses 
valets de chambre de le trouver, quelque part qu'il 
fût. Cet homme va et apprend, à sa grande surprise, 
que l'abbé de Vaubrun dit la messe dans telle 
église. Il prend l'abbé descendant de l'autel et lui 
dit sa commission, après lui avoir témoigné sa sur-* 
prise de le voir dire la messe. Celui-ci, qui étoit 
fort libertin, lui dit : « Je vous supplie de ne pas 
dire à la princesse l'état dans lequel vous m'avez, 
trouvé. » 

* Il y avoit à la cour une intrigue pour marier 
Louis XV, qui dépérissoit par une suite de rona- 
nisme. Pendant ce temps, le cardinal de Fleury se 
déterminoit en faveur de la fille du roi de Pologne; 
mais le cas étoit urgent: chacun intriguoit pour 
faire marier le roi le plus vite qu'il étoit possible. 
Ceux qui vouloient écarter mademoiselle de Beau- 
mont les Tours gagnèrent les médecins, qui dirent 
qu'il falloit au roi une femme d'un âge fait pour 
réparer le mal que lui avoit fait l'onanisme et pour 
donner des enfants. Pendant ce temps-là, toutes 
les puissances se remuèrent, et il y eut peu deprin- 



ANECDOTES ET BONS MOTS Il5 

ses dont les chauffoirs n'aient été envoyés au 
dinal. On avoit envoyé à la reine une espèce 
traité qu'on lui faisoit signer de ne jamais 
rler au roi d'affaires d'Etat, etc. 

* Scène de l'abbé Maury et du cardinal de La 
)che-Aymon, qui lui fait faire son discours pour le 
triage de Madame Clotilde, tout en le grondant : 
>urtout n'allez pas me faire ici des phrases; je ne 
s pas un bel esprit. II m'en faut trois tout au plus, 
non âge... etc. — Monseigneur, mais ne fau- 
oit-il pas...? — Ne faudroit-il pas... Qu'est-ce 
e c'est que cette question? Prétendez-vous me 
re faire mon discours? — Monseigneur, je de- 
indes'il ne faut pas parler de Louis XV. — Belle 
mande ! » Et là-dessus le cardinal enfile l'éloge 
1 roi, puis celui de la reine. « Monseigneur, ne 
roit-il pas à propos d'y joindre celui de M. le 
uphin? — Quelle question! Me prenez- vous 
>ur un philosophe qui refuse de rendre aux rois 
aux enfants des rois ce qui leur est dû? — Mes- 
mes? ^ Nouvelle colère du cardinal et des propos 
I valet. Enfin l'abbé prend la plume et écrit trois 
i quatre phrases. Le secrétaire du cardinal arrive. 
Voilà l'abbé, dit le cardinal, qui vouloit me 
ire faire de l'esprit, des phrases, etc. Je viens 
! lui dicter ceci, qui vaut mieux que toute la 
étorique de l'Académie. Adieu, l'abbé; au re- 



Ilb PORTRAITS ET CARACTERES 

voir. Une autre fois, soyez moins phrasier et moins 
verbeux. » 

* Le cardinal disoit à un vieil évêque : « Je trai- 
terai votre neveu comme le mien, au cas que vous 
veniez à mourir. » L'évêque, encore moins vieux 
que le cardinal, lui dit : « £h bien. Monseigneur, 
je le recommande à Votre Eternité. » 

* On contoit un jour des histoires incroyables 
devant Louis XV. Le duc d'Ayen se mit à conter 
celle d'un certain prieur de capucins qui tous les 
jours tuoit d'un coup de fusil un capucin au 
sortir de matines, en attendant son homme à un 
certain passage. Le bruit s'en répand; le provin- 
cial vient au couvent. Par bonheur, il se trouva 
qu'en faisant le dénombrement des capucins, il 
trouva qu'il n'en manquoit pas un seul. 

* Mademoiselle de..., petite fille de neuf ans, 
disoit à sa mère, désolée d'avoir perdu une place 
à la cour : « Maman, quel plaisir trouvez-vous 
donc à mourir d'ennui? » 

* Un petit garçon demandoit des confitures à sa 
mère. « Donne-m'en trop, » lui dit-iL 

* Un homme devoit à un fossoyeur quelque 



ANECDOTES ET BONS MOTS II7 

argent pour avoir enterré sa fille. Il le rencontre, 
il veut le payer Celui-ci lui dit : «t Bon, Mon- 
sieur, cela se trouvera avec autre chose. Vous avez 
une servante malade, et votre femme ne se porte 
pas trop bien. » 

* Un soldat irlandois prétendoit dans un 
combat tenir un prisonnier. « Il ne veut pas me 
suivre ! disoit-il en appelant un de ses camarades. 
— Eh bien ! lui dit celui-ci, laisse-le, si tu ne peux 
l'emmener. — Mais, reprit l'autre, il ne veut pas 
me lâcher. » 

* Le marquis de C..., voulant passer et faire 
passer ses amis dans une maison royale gardée par 
un suisse, range la foule, et, les prenant pour té- 
moins, dit au suisse : « Rangez-vous. Ces messieurs 
sont de ma compagnie; je vous avertis que les 
autres n'en sont pas. » Le suisse se range et laisse 
passer; mais quelqu'un vit les trois jeunes gens rire 
et se moquer du suisse. On l'avertit; il court à eux, 
demande au marquis : « Monsieur, votre billet? — 
As-tu un crayon ? — Non, Monsieur. — En voici 
un, » dit un des jeunes gens. Le marquis écrit, et, 
tout en écrivant, dit au suisse : « J'aime qu'on 
fasse son devoir et qu'on garde sa consigne. » En 
même temps, il lui remet le billet, où étoit écrit: 
Laissez passer le marquis de C... et sa compagnie. 



Il8 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

Le suisse prend le billet , et , tout triomphant , dit 
à teux qui Tavoient averti : « J*ai le billet! » 

* Un juge disoit naïvement à quelques-uns de 
ses amis : « Nous avons aujourd'hui condamné 
trois hommes à mort; il y en avoit deux qui le 
méritoient bien ! » 

* Un homme disoit un mal horrible de Dieu. 
Un de ses amis lui dit : « Tu dis toujours du mal 
du tiers et du quart. » 

*M..., à qui je disois : « Votre gouvernante est 
bien jeune et bien jolie », me répondit naïvement: 
« Les rapports d*âge ne sont pas nécessaires; celui 
des caractères suffit. » 

* Un docteur de Sorbonne, furieux contre le 
Système de la Nature, disoit : « C'est un livre exé- 
crable, abominable! C'est l'athéisme démontré! » 

* Il y a une chanson qui roule sur Hercule, 

vainqueur de cinquante pucelles. Le couplet finit 

par ces mots : 

Comme lui je les aurai 
Lorsque je les trouverai. 

* On demandoit à un enfant : « Dieu le père 



ANECDOTES ET BONS MOTS II9 

€st-il Dieu? — Oui. — Dieu le fils est-il Dieu? 
— Pas encore, que je sache; mais, à la mort de sgn 
père, cela ne sauroit lui manquer. » 

* Une petite fille disoit à M..., auteur d*un livre 
sur ritalie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur 
l'Italie? — Oui, Mademoiselle. — Y avez-vous 
été ? — Certainement. — Est-ce avant ou après 
votre voyage que vous avez fait votre livre ? » 

* M. le dauphin avoit défini le prince Louis de 
Rohan un prince affable, un prélat aimable et un 
grand drôle bien découplé. Un M. de Nadaillac, 
personnage très-ridicule, avoit été présent à ce 
propos, qu'on répétoit devant une femme qui vi- 
voit avec le prince Louis. Inquiète de ce qu'on en 
disoit, elle demanda ce que le dauphin avoit dit. 
M. de Nadaillac lui dit : « Madame, cela vous 
intéresse, et vous en serez enchantée. » Il répéta le 
propos de M. le dauphin en substituant à la fin 
le mot d*accouplé à celui de découplé. 

L'abbé de Fleury avoit été amoureux de ma- 
dame la maréchale de Noailles, qui le traita avec 
mépris. Il devint premier ministre; elle eut besoin 
de lui, et il lui rappela ses rigueurs « Ah ! Mon- 
seigneur, lui dit naïvement la maréchale, qui Tau- 
roit pu prévoir? » 



I20 PORTRAITS ET CARACTERES 

Une petite fille de six ans disoit à sa mère : « Il 
y a deux choses qui m'ont fait bien de la peine. 
— Lesquelles, mon enfant? — Ce pauvre Abel 
tué par son frère, lui qui étoit si beau et si bon! Je 
crois le voir encore dans cette estampe de la grande 
Bible. — Oh! oui, cela est bien fâcheux. Mais 
quelle est la seconde chose qui t'a affligée ? — 
C'est dans Fanfan et Colas, quand Fanfan refuse à 
Colas une portion de sa tarte. Dis-moi, maman ^ 
la tarte étoit-elle véritable?» 



« Quand j'ai une tentation, disoit M..., savez- 
vous ce que j'en fais? — Non. — Je la garde. » 

On louoit je ne sais quel président d'avoir une 
bonne caboche. Quelqu'un répondit : « C'est le 
terme que j'ai entendu employer cent fois, mais 
jamais personne n'a osé dire qu'il avoit une bonne 
tête. » 

M. Poissonnier, le médecin, après son retour 
de Russie, alla à Ferney, et, comme il parloit à 
M. de Voltaire de tout ce qu'il avoit dit de faux 
et d'exagéré sur ce pays-là : « Mon ami, répondit 
naïvement Voltaire, au lieu de s'amuser à contre- 
dire, ils m'ont donné de bonnes pelisses, et ;e suis 
très-frileux. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 121 

Pendant la guerre d'Amérique, un Écossois di- 
soit à un François en lui montrant quelques pri- 
sonniers américains . « Vous vous êtes battu pour 
votre maître; moi, pour le mien; mais ces gens^ci, 
pour qui se battent-ils? » Ce trait vaut bien celui 
du roi de Pégu, qui pensa mourir de rire en appre- 
nant que les Vénitiens n'avoient pas de roi. 

Je venois de raconter une histoire galante de 
madame la présidente de..., et je ne Tavois pas 
nommée. M... reprit naïvement : « Cette prési- 
dente de Bernières dont vous venez de parler... » 
Toute la société partit d'un éclat de rire. 

Un jeune homme sensible, et portant l'honnê- 
teté dans l'amour, étoit bafoué par des libertins 
qui se moquoient de sa tournure sentimentale. Il 
leur répondit avec naïveté : « Est-ce ma faute, à 
moi, si j'aime mieux les femmes que j'aime que les 
femmes que je n'aime pas? » 

On disoit que M .. étoit peu sociable . « Oui, 
dit un de ses amis , il est choqué de plusieurs 
choses qui, dans la société, choquent la nature. » 

M..., faisant sa cour au prince Henri, à Neu- 
châtel, lui dit que les Neuchâtelois adoroient le roi 
de Prusse « Il est fort simple, dit le prince, que 

16 



sy' 



122 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

les sujets aiment un maître qui est à trois cents 
lieues d'eux. » 

Le duc de Chartres, apprenant Tinsulte faite à 
madame la duchesse de Bourbon, sa sœur, par 
M. le comte d'Artois, dit : « On est bien heureux 
de n'être ni père ni mari. » 

Au Pérou, il n'étoit permis qu'aux nobles d'étu- 
dier. Les nôtres pensent différemment. 

On avoit dit à un roi de Sardaigne que la no- 
blesse de Savoie étoit très-pauvre. Un jour, plu- 
sieurs gentilshommes, apprenant que le roi passoit 
par Je ne sais quelle ville, vinrent lui faire leur 
cour en habits de gala magnifiques. Le roi leur fit 
entendre qu'ils n'étoient pas aussi pauvres qu'on 
le disoit. « Sire, répondirent-ils, nous avons appris 
l'arrivée de Votre Majesté ; nous avons fait tout 
ce que nous devions, mais nous devons tout ce que 
nous avons fait. » 

* M. de Lauraguais écrivoit à M. le marquis de 
Villette : « Je ne méprise point du tout la bour- 
geoisie, monsieur le marquis; je n'ai point ce tra- 
vers, et vous êtes bien sûr, etc. » 

* On venoit de dire que M. de... étoit chicané 



ANECDOTES ET BONS MOTS 123 

sur ses preuves de noblesse, qui dévoient venir de 
la Martinique et qui n'arrivoient point, ce qui 
pouvoit bien lui faire perdre la place qu'il a à la 
cour. On lut ensuite une pièce de vers de sa com- 
position, et les huit premiers vers se trouvèrent 
très-mauvais. M. de T... dit tout haut : « Les 
preuves arriveront, ces vers ne valent rien. » 

* M... disoit que, quand il voyoit un homme de 
qualité faire une lâcheté, il étoit toujours tenté 
de crier, comme le cardinal de Retz à l'homme 
qui le couchoit en joue : « Malheureux! ton père 
te regarde!... Mais, ajoutoit-il, il faudroit crier : 
« Tes pères te regardent », car souvent le père ne 
vaut pas mieux. » 

* Laval, le maître de ballet, étoit sur le théâtre 
à une répétition d'opéra L'auteur, ou quelqu'un 
de ses amis, lui crîa à deux fois « Monsieur de 
Laval, monsieur de Laval! » Laval, s'avançant, 
lui dit : « Monsieur, voilà deux fois que vous 
m'appelez M. de Laval. La première fois, je n'ai 
rien dit, maïs cela est trop fort. Me prenez-vous 
pour un de ces deux ou trois MM de Laval qui 
ne savent pas faire un pas de menuet ? » 

* M. le comte de Charolois avoit été quatre 
ans sans payer sa maison, même ses premiers offi- 



124 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

ciers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui 
étoient du nombre, lui présentèrent un jour leurs 
gens en lui disant : « Monseigneur, si Votre 
Altesse ne nous paye point, qu'elle nous dise au 
moins comment nous pourrons satisfaire ces gens- 
ci. » Le prince fit appeler son trésorier, et, montrant 
M. de Laval et M. de Choiseul et leur livrée ; 
« Qu'on paye ces messieurs! « dit-il. 

Quelqu'un disoit d'un homme très-personnel : 
« Il brûleroit votre maison pour se faire cuire deux 
œufs. » 

Madame Geoffrin disoit de Madame de la Ferté- 
Imbault, sa fille : « Quand je la considère, je suis 
étonnée comme une poule qui a couvé un œuf de 
cane. » 

Le prince de Conti actuel s'affligeoit de ce que 
le comte d'Artois venoit d'acquérir une terre au- 
près de ses cantons de chasse. On lui fit entendre 
que les limites étoient bien marquées, qu'il n'y 
avoit rien à craindre pour lui, etc. Le prince de 
Conti interrompt le harangueur en lui disant • 
« Vous ne savez pas ce que c'est que les princes ! » 

M..., voyant, dans ces derniers temps, jusqu'à 
quel point l'opinion publique înfluoit sur les gran- 



ANECDOTES ZT BONS MOTS 125 

des affaires, sur les places, sur le choix des minis- 
tres, disoit à M. de L..., en faveur d'un homme 
qu'il vouloit voir arriver : « Faites-nous en sa fa- 
veur un peu d'opinion publique. » 

Un philosophe me disoit qu'après avoir examiné 
Tordre civil et politique des sociétés, il n'étudioît 
plus que les sauvages dans les livres des voyageurs, 
et les enfans dans la vie ordinaire. 

M... aime qu'on dise qu'il est méchant, à peu 
près comme les jésuites n'étoient pas fâchés qu'on 
dît qu'ils assassinoient les rois. C'est l'orgueil qui 
veut régner par la crainte sur la foiblesse. 

Je demandois à M... pourquoi, en se condam- 
nant à l'obscurité, il se déroboil au bien qu'on 
pouvoit lui faire. « Les hommes, me dit-il, ne 
peuvent rien faire pour moi qui vaille leur oubli. » 

Duclos parloit un jour du paradis, que chacun 
se fait à sa manière. Madame de Rochefort lui dit : 
« Pour vous, Duclos, voici de quoi composer le 
vôtre : du pain, du vin, du fromage et la première 
venue. » 

Je pressois M. de L.. d'oublier les torts de 
M. de B..., qui l'avoit autrefois obligé; il me ré- 



I2b PORTRAITS ET CARACTERES 

pondit : « Dieu a recommandé le pardon des in- 
jures ; il n'a point recommandé celui des bienfaits. » 



Le maréchal de Noailles avoit un procès au par- 
lement avec un de ses fermiers. Huit ou neuf con- 
seillers se récusèrent, disant tous : « En qualité de 
parent de M. de Noailles... » ; et ils Tétoient en 
effet au huitantième degré. Un conseiller nommé 
M. Hurson, trouvant cette vanité ridicule, se leva, 
disant : « Je me récuse aussi. » Le premier prési- 
dent lui demanda en quelle qualité. Il répondit : 
a Comme parent du fermier. » 

Le duc de Choiseul et le duc de Praslin avoîent 
eu une dispute pour savoir lequel étoit le plus 
bête, du roi ou de M. de la Vrillière. Le duc de 
Praslin soutenoit que c'étoit M. de la Vrillière; 
Tautre, en fidèle sujet, parioitpour le roi. Un jour, 
au conseil, le roi dit une grosse bêtise. « Eh bien! 
monsieur de Praslin, dit le duc de Choiseul, qu'en 
pensez-vous ? » 

Quand Madame de F.., a dit joliment une chose 
bien pensée, elle croit avoir tout fait, de façon 
que, si une de ses amies faisoit à sa place ce qu'elle 
a dit qu'il falloit faire, cela feroit à elles deux une 
philosophe. M, de . disoit d'elle : « Quand elle a 



ANECDOTES ET BONS MOTS 127 

dit une jolie chose sur l'émétîque, elle est toute 
surprise de n'être point purgée. » 

Un évêque de Saint-Brieuc, dans son oraison 
funèbre de Marie-Thérèse, se tira d'affaire fort 
simplement sur le partage de la Pologne ; « La 
France, dit-il, n'ayant rien dit sur ce partage, je 
prendrai le parti de faire comme la France, et de 
n'en rien dire non plus. » 

Madame la duchesse du Maine, dont la santé alloit 
mal, grondoit son médecin et lui disoit : « Étoit- 
ce la peine de m'imposer tant de privations et de 
me faire vivre en mon particulier ? — Mais Votre 
Altesse a maintenant quarante personnes au châ- 
teau 1 — Eh bien ! ne savez-vous pas que quarante 
ou cinquante personnes sont le particulier d'une 
princesse? » 

M... étouffe plutôt ses passions qu'il ne sait les 
conduire. Il me disoit là-dessus ; « Je ressemble à 
un homme qui, étant à cheval et ne sachant pas 
gouverner sa bête qui l'emporte, la tue d'un coup 
de pistolet et se précipite avec elle. » 

On venoit de citer quelques traits de la gour- 
mandise de plusieurs souverains. « Que voulez- 
vous, dit le bonhomme M. de Bréquigny, que 



128 PORTRAITS ET CARACTERES 

voulez-vous que fassent ces pauvres rois ? Il faut 
bien qu'ils mangent ! » 

On demandoit à Pechméja quelle étoit sa for- 
tune? « Quinze cents livres de rente. — C'est bien 
peu. — Oh! reprit Pechméja, Dubreuil est riche.» 

Le cardinal de la Roche-Aymon, malade de la 
maladie dont il mourut, se confessa à je ne sais 
quel prêtre, sur lequel on lui demanda sa façon de 
penser. « J'en suis très-content, dit-il : il parle de 
Tenfer comme un ange. » 

Une femme disoît à M... qu'elle le soupçonnoit 
de n'avoir jamais perdu terre avec les femmes. 
« Jamais, lui dit-il, si ce n'est dans le ciel. » En 
effet, son amour s'accroissoit toujours par la jouis- 
sance, après avoir commencé assez tranquillement. 

Un paysan partagea le peu de biens qu'il avoit 
entre ses quatre fils, et alla vivre tantôt chez l'un, 
tantôt chez l'autre. On lu! dit, à son retour d'un 
voyage chez ses enfans : « Eh bien ! comment 
vous ont-ils reçu? comment vous ont-ils traité ? — 
Ils m*ont traité, dit-il, comme leur enfant. » Ce 
mot paroît sublime dans la bouche d'un père tel 
que celui-ci. 



ANECDOTES ET BONS MOTS I29 

Dans le temps de l'assemblée des notables, un 
"homme vouloit faire parler le perroquet de madame 
de... « Ne vous fatiguez pas, lui dit-elle, il n'ou- 
vre jamais le bec. — Comment avez-vous un per- 
roquet qui ne dit mot? Ayez-en un qui dise au 
moins : Vive le roi! — Dieu m'en préserve, dit- 
«11e, un perroquet disant : Vive le roi! je ne l'au- 
rois plus : on en auroit fait un notable. » 

On engageoit M. de... à quitter une place dont 
le titre seul faisoit sa sûreté contre des hommes 
puissans. Il répondit : « On peut couper à Samson 
sa chevelure, mais il ne faut pas lui conseiller de 
prendre perruque. » 

Dans une dispute sur le préjugé relatif aux pei- 
nes infamantes qui flétrissent la famille du coupa- 
ble, M... dit : c( C'est bien assez de voir des hon- 
neurs et des récompenses où il n'y a pas de vertu, 
sans qu'il faille voir encore un châtiment où il n'y 
a pas de crime. » 

Une femme avoit un procès au parlement de 
Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. le garde des 
sceaux (1784) de vouloir bien écrire en sa faveur 
un mot qui lui feroit gagner un procès très-juste. 
Le garde des sceaux la refusa. La comtesse de Tal- 
Jeyrand prenait intérêt à cette femme; elle en parla 

Chamfort. — II. 17 



l3o PORTRAITS ET CARACTERES 

au garde des sceaux : nouveau refus. M'"^ de Tal- 
leyrand en fit parler par la reine : autre refus. 
M^^ de Talleyrand se souvint que le garde des 
sceaux caressoit beaucoup Tabbé de Périgord, son 
fils; elle fit écrire par lui : refus très-bien tourné. 
Cette femme, désespérée, résolut de faire une ten- 
tative et d'aller à Versailles. Le lendemain elle 
part ; l'incommodité de la voiture publique l'en- 
gage à descendre à Sèvres et à faire le reste de la 
route à pied. Un homme lui offre de la mener par 
un chemin plus agréable et qui abrège ; elle ac- 
cepte, et lui conte son histoire. Cet homme lui 
dit : <( Vous aurez demain ce que vous deman- 
dez. » Elle le regarde et reste confondue. Elle va 
chez le garde des sceaux, est refusée encore, veut 
partir. L'homme l'engage à coucher à Versailles» 
et, le lendemain matin, lui apporte le papier qu'elle 
demandoit. C'étoit le commis d'un commis, nommé 
M. Etienne. 

On disoit d'un escrimeur adroit, mais poltron, 
spirituel et galant auprès des femmes, mais impuis- 
sant : « Il manie très-bien le fleuret et la fleurette, 
mais le duel lui fait peur. » 

La finesse et la mesure sont peut-être les quali> 
tés les plus usuelles et qui donnent le plus d'avan- 
tages dans le monde ; elles font dire des mots qui 



ANECDOTES ET BONS MOTS l3l 

valent mieux que des saillies. On louoit excessive- 
ment dans une société le ministère de M. Necker; 
quelqu'un qui, apparemment, ne Taimoit pas, de- 
manda : « Monsieur, combien de temps est-il resté 
en place depuis la mort de M. de Pezay ? » Ce 
mot, en rappelant que M. Necker étoit Touvrage 
de ce dernier, fit tomber à l'instant tout cet en- 
thousiasme. 

« Je sais me suffire, disoit M..., et, dans l'occa- 
sion, je saurai bien me passer de moi », voulant 
dire qu'il mourroit sans chagrin. 

Un philosophe, retiré du monde, m'écrivoit une 
lettre pleine de vertu et de raison. Elle finissoit 
par ces mots : « Adieu, mon ami; conservez, si 
vous pouvez, les intérêts qui vous attachent à la 
société; mais cultivez les sentimens qui vous en 
séparent. » 

Le czar Pierre 1er, étant à Spithead, voulut sa- 
voir ce que c'étoit que le châtiment de la cale 
qu'on inflige aux matelots. Il ne se trouva pour 
lors aucun coupable; Pierre dit : « Qu'on prenne 
un de mes gens. — Prince, lui répondit-on, vos 
gens sont en Angleterre, et par conséquent sous 
la protection des lois. » 



l32 PORTRAITS ET CARACTERES 

M. d'Espréménil vivoit depuis longtemps avec 
madame Tilaurier. Celle-ci vouloit Tépouser. Elle 
se servit de Cagliostro, qui lui faisoit espérer la dé- 
couverte de la pierre philosophale. On sait que Ca- 
gliostro mêloit le fanatisme et la superstition aux 
sottises de Talchimie. D'Espréménil se plaignant de 
ce que cette pierre philosophale n'arrivoit pas, et 
une certaine formule n'ayant point eu d'effet, Ca- 
gliostro lui fit entendre que cela venoit de ce qu'il 
vivoit dans un commerce criminel avec madame Ti- 
laurier. « Il faut, pour réussir, que vous soyez en 
harmonie avec les puissances invisibles et avec leur 
chef, TEtre suprême. Epousez ou quittez ma- 
dame Tilaurier. » Celle-ci redoubla de coquette- 
rie; d'Espréménil épousa, et il n'y eut que sa femme 
qui trouva la pierre philosophale. 

M. d'Invault, étant contrôleur général, demanda 
au roi la permission de se marier. Le roi, instruit 
du nom de la demoiselle, lui dit : « Vous n'êtes 
pas assez riche. » Celui-ci lui parla de sa place, 
comme d'une chose qui suppléoit à la richesse. 
« Oh! dit le roi, la place peut s'en aller, et la 
femme reste. » 

On demandoit à M... : « Qu'est-ce qui rend le 
plus aimable dans la société } » Il répondit : a C'est 
de plaire. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS l33 

Une femme étoit à une représentation de Mé- 
rope, et ne pleuroit point; on en étoit surpris. 
« Je pleurerois bien, dit-elle, mais je dois souper 
en ville. » 

M... disoit, à propos de l'utilité de la retraite 
et de la force que Tesprit y acquiert : « Malheur 
au poëte qui se fait friser tous les jours ! Pour faire 
de bonne besogne, il faut être en bonnet de nuit 
et pouvoir faire le tour de sa tête avec sa main. » 

M. de Vergennes n'aimoit point les gens de 
lettres, et on remarqua qu'aucun écrivain distingué 
n'avoit fait des vers sur la paix de lySS; sur quoi 
quelqu'un disoit : « Il y en a deux raisons ; il ne 
donne rien aux poètes et ne prête pas à la poésie. » 

« Il faut que ce qu'on appelle la police soit une 
chose bien terrible , disoit plaisamment madame 
de..., puisque lesAnglois aiment mieux les voleurs 
et les assassins, et que les Turcs aiment mieux la 
peste ! » 

Un malheureux portier à qui les enfans de son 
maître refusèrent de payer un legs de mille livres, 
qu'il pouvoit réclamer par justice, me dit : « Vou- 
lez-vous, Monsieur, que j'aille plaider contre les 
enfans d'un homme que j'ai servi vingt-cinq ans. 



l34 PORTRAITS ET CARACTERES 

et que je sers eux-mêmes depuis quinze ? » Il se 
faisoit de leur injustice même une raison d'être 
généreux à leur égard. 

M. de Vendôme disoit de madame de Nemours, 
qui avait un long nez courbé sur des lèvres ver- 
meilles : « Elle a l'air d'un perroquet qui mange 
une cerise. » 

Un marchand d'estampes vouloit (le 25 juin) 
vendre cher le portrait de madame de Lamotte 
(fouettée et marquée le 21), et donnoit pour raisoa 
que l'estampe étoit avant la lettre. 

M... est un homme mobile, dont l'âme est Ou- 
verte à toutes les impressions, dépendant de ce 
qu'il voit, de ce qu'il entend, ayant une larme 
prête pour la belle action qu'on lui raconte, et un 
sourire pour le ridicule qu'un sot essaye de jeter 
sur elle. 

On demandoit à Diderot quel homme étoit 
M. d'Epinay. « C'est un homme, dit-il, qui a mangé 
deux millions sans dire un bon mot et sans faire une 
bonne action. » 

C'est une chose curieuse que l'histoire de Port- 
Royal écrite par Racine. Il est plaisant de voir 



ANECDOTES ET BONS MOTS l35 

Tauteur de Phèdre parler des grands desseins de 
Dieu sur la mère Agnès. 

M. Thomas me disoit un jour : « Je n*ai pas 
besoin de mes contemporains, mais j'ai besoin de 
la postérité. » Il aimoit beaucoup la gloire. « Beau 
résultat de votre philosophie, lui dis-je, de pouvoir 
se passer des vivans pour avoir besoin de ceux 
qui ne sont pas nés ! » 

M. de C..., parlant un jour du gouvernement 
d'Angleterre et de ses avantages dans une assem- 
blée où se trouvoient quelques évêques, quelques 
abbés, un d'eux, nommé l'abbé de Seguerand, lui 
dit : « Monsieur, sur le peu que je sais de ce pays- 
là, je ne suis nullement tenté d'y vivre, et je sens 
que je m'y trouverois très-mal. — Monsieur l'abbé, 
lui répondit naïvement M. de C..., c'est parce 
que vous y seriez mal que le pays est excellent. » 

« Savez-vous pourquoi, me disoit M. de..., on 
est plus honnête, en France, dans la jeunesse et 
jusqu'à trente ans que passé cet âge ? C'est que ce 
n'est qu'après cet âge qu'on s'est détrompé; que, 
chez nous, il faut être enclume ou marteau ; que 
l'on voit clairement que les maux dont gémit la 
nation sont irrémédiables. Jusqu'alors on avoit res- 
semblé au chien qui défend le dîner de son maître 



l36 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

contre les autres chiens. Après cette époque, on 
fait comme le même chien, qui en prend sa part 
avec les autres. » 

Je proposois à M. de L... un mariage qui sem- 
bloit avantageux. Il me répondit : « Pourquoi me 
marierois-je? Le mieux qui puisse m'arriver, en me 
mariant, est de n'être pas cocu, ce que j'obtiendrai 
encore plus sûrement en ne me mariant pas. » 

On reprochoit à M. L..., homme de lettres, de 
ne plus rien donner au public. « Que voulez-vous 
qu'on imprime, dit-il, dans un pays où VAlmanack 
de Liège est défendu de temps en temps? » 

On disoit d'un courtisan léger, mais non cor- 
rompu : « Il a pris de la poussière dans le tour- 
billon; mais il n^a pas pris de tache dans la boue. » 

Un prédicateur de la Ligue avoit pris pour texte 
de son sermon : Eripe nos. Domine, a luto fxcis, 
qu'il traduisoit ainsi : « Seigneur, débourbonnez- 
nous! » 

Quelque temps avant que Louis XV fût arrangé 
avec madame de Pompadour, elle couroit après 
lui aux chasses. Le roi eut la complaisance d'en- 
voyer à M. d'Etiolés une ramure de cerf. Celui- 



ANECDOTES ET BONS MOTS l3j 

ci la fit mettre dans sa salle à manger, avec ces 
mots : « Présent fait par le roi à M. d'Etiolés, n" 

Un célibataire qu'on pressoit de se marier ré- 
pondit plaisamment : « Je prie Dieu de me pré- 
server des femmes aussi bien que je me préserverai 
du mariage. )> 

Maupertuîs, étendu dans son fauteuil et bâil- 
lant, dit un jour : « Je voudrois, dans ce moment- 
ci, résoudre un beau problème qui ne fût pas diffi- 
cile. » Ce mot le peint tout entier. 

Le roi Stanislas venoit d'accorder des pensions 
à plusieurs ex-jésuites. M. de Tressan lui dit : 
« Sire, Votre Majesté ne fera-t-elle rien pour la 
famille de Damiens, qui est dans la plus profonde 
misère? » 

Le baron de Breteuil, après son départ du mi-- 
nistère, en 1788, blâmoit la conduite de l'arche- 
vêque de Sens; il le qualifioit de despote, et 
disoit : « Moi, je veux que la puissance royale ne 
dégénère point en despotisme, et je veux qu'elle 
se renferme dans les limites où elle étoit resserrée 
sous Louis XIV. » Il croyoit, en tenant ce dis- 
cours, faire acte de citoyen et risquer de se per- 
dre à la cour. 

18 



l38 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

« Pour juger de ce que c'est que la noblesse, 
disoit M..., il suffit d'observer que M. le prince 
de Turenne, actuellement vivant, est plus noble 
que M. de Turenne, et que le marquis de Laval 
«st plus noble que le connétable de Montmo- 
rency. » 

On disoit à Delon, médecin mesmériste : « Eh 
bien! M. de B... est mort, malgré la promesse 
que vous aviez faite de le guérir. — Vous avez, 
répondit-il, été absent; vous n'avez pas suivi les 
progrès de la cure : il est mort guéri. » 

Du temps de M. de Machault, on présenta au 
roi le projet d'une cour plénière, telle qu'on a 
voulu l'exécuter depuis. Tout fut réglé entre le 
roi, madame de Pompadour et les ministres. On 
dicta au roi les réponses qu'il feroit au premier 
président; tout fut expliqué dans un mémoire dans • 
lequel on disoit : « Ici, le roi prendra un air sé- 
vère; ici, le front du roi s'adoucira; ici, le roi fera 
tel geste, etc. » Le mémoire existe. 

Quand l'abbé de Saint-Pierre approuvoit quel- 
que chose, il disoit : a Ceci est bon pour moi, 
quant à présent. » Rien ne peint mieux la variété 
des jugemens humains et la mobilité du jugement 
de chaque homme. 



ANECDOTES ET BONS MOTS 189 

Un homme parloit du respect que mérite le pu- 
lic. « Oui, dit M..,, le respect qu'il obtient de 

prudence. Tout le monde méprise les harengères ; 
spendant, qui oseroit risquer de les offenser en 
a versant la halle? » 

On réfutoit je ne sais quelle opinion de M... 
ir un ouvrage, en lui parlant du public, qui en 
igeoit autrement : « Le public, le public! dit-il; 
jmbien faut-il de sots pour faire un public? » 

Madame Beauzée couchoit avec un maître de 
mgue allemande. M. Beauzée les surprit au re- 
)ur de TAcadémie. L'Allemand dit à la femme : 
Quand je vous disois qu'il étoit temps que je 
l'en aille! » M. Beauzée, toujours puriste, lui 
it : « Que je m'en allasse. Monsieur. » 

M... disoit du prince de Beauvau, grand pu- 
ste : « Quand je le rencontre dans ses prome- 
ades du matin et que je passe dans l'ombre de 
)n cheval (il se promène souvent à cheval pour 
i santé), j'ai remarqué que je ne fais pas une 
iule de françois de toute la journée. » 

Madame de..., âgée de soixante-cinq ans, aj^ant 
pousé M..., âgé de vingt-deux, quelqu'un dit 
ue c'étoit le mariage de Pyrame et de Baucis. 



140 PORTRAITS ET CARACTERES 

On faisoit une question épineuse à M..., qui 
répondit : « Ce sont de ces choses que je sais à 
merveille quand on ne m'en parle pas, et que 
j'oublie quand on me les demande. » 

M... disoit : « Je ne sais pourquoi madame de 
L... désire tant que j'aille chez elle; car, quand 
j'ai été quelque temps sans y aller, je la méprise 
moins. » On pourroit dire cela du monde en gé- 
néral. 

M. . . disoit de madame la princesse de. . . : « C'est 
une femme qu'il faut absolument tromper, car elle 
n'est pas de la classe de celles qu'on quitte. » 

M. de L... me disoit de M. de R... : « C'est 
l'entrepôt du venin de toute la société'; il le ras- 
semble comme les crapauds et le darde comme 
les vipères. » 

M. le comte d'Orsay, fils d'un fermier général, 
et connu par sa manie d'être homme de qualité, 
se trouva avec M. de Choiseul-Gouffier chez le 
prévôt des marchands. Celui-ci venoit chez ce ma- 
gistrat pour faire diminuer sa capitation, considé- 
rablement augmentée ; l'autre y venoit porter ses 
plaintes de ce qu'on avoit diminué la sienne, et 



ANECDOTES ET BONS MOTS 14I 

croyoit que cette diminution supposoit quelque 
atteinte portée à ses titres de noblesse. 

M... disoit : « On m'adit du mal de M. de... 
J'aurois cru cela il y a six mois; mais nous sommes 
réconciliés. » 

« Une idée qui se montre deux fois dans un 
ouvrage, surtout à peu de distance, disoit M..., 
me fait l'effet de ces gens qui, après avoir pris 
congé, rentrent pour reprendre leur épée ou leur 
chapeau. » 

Fontenelle avoit été refusé trois fois de l'Aca- 
démie, et le racontoit souvent; il ajoutoit : « J*ai 
fait cette histoire à tous ceux que j'ai vus s'affliger 
d'un refus de l'Académie, et je n'ai consolé per- 
sonne. » 

Le régent vouloit aller au bal et n'y être pas 
reconnu, a J'en sais un moyen, » dit l'abbé Du- 
bois; et, dans le bal, il lui donna des coups de 
pied dans le derrière. Le régent, qui les trouva 
trop forts, lui dit : « L'abbé, tu me déguises trop ! » 

Le régent envoya demander au président Daron 
la démission de sa place de premier président de 
Parlement de Bordeaux. Celui-ci répondit qu'on 



142 PORTRAITS ET CARACTERES 

ne pouvoit lui ôter sa place sans lui faire son pro- 
cès. Le régent , ayant reçu la lettre , mit au bas : 
Quà cela ne tienne, et la renvoya pour réponse. 
Le président, connoissant le prince auquel il avoit 
affaire, envoya sa démission. 

A propos des choses de ce bas monde, qui 
vont de mal en pis. M... disoit : « J'ai lu quelque 
part qu'en politique il n'y avoit rien de si mal- 
heureux pour les peuples que les règnes trop longs. 
J'entends dire que Dieu est éternel : tout est dit. i> 

Je disois à M. B..., misanthrope plaisant, qui 
m'avoit présenté un jeune homme de sa connois- 
sance : « Votre ami n'a aucun usage du mondey 
ne sait rien de rien. — Oui, dit-il, et il est déjà 
triste comme s'il savoit tout. » 

M. le duc de Chabot ayant fait peindre une 
Renommée sur son carrosse, on lui appliqua ces 
vers : 

Votre prudence est endormie 
De loger magnifiquement 
Et de traiter superbement 
Votre plus cruelle ennemie. 

M. le régent avoit promis de faire quelque chose 
du jeune Arouet, c'est-à-dire d'en faire un impor- 
tant et de le placer. Le jeune poëte attendit le 



ANECDOTES ET BONS MOTS 14? 

prince au sortir du conseil, au moment où il étoit 
suivi de quatre secrétaires d'État. Le prince le vit 
et lui dit : « Arouet, je ne t'ai pas oublié, et je te 
destine le département des niaiseries. — Monsei- 
gneur, dit le jeune Arouet, j'aurois trop de ri- 
vaux... En voilà quatre. » Le prince pensa étouffer 
de rire. 

Lord Marlborough étant à la tranchée avec un 
de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon 
fît sauter la cervelle à cet ami et en couvrit le vi- 
sage du jeune homme, qui recula avec effroi. 
Marlborough lui dit intrépidement : « Eh quoi ! 
Monsieur, vous paroissez étonné? — Oui, dit le 
jeune homme en s'essuyant la figure, je le suis 
qu'un homme qui a autant de cervelle restât ex- 
posé gratuitement à un danger si inutile. » 

J'étois à table à côté d'un homme qui me de- 
manda si la femme qu'il avoit devant lui n'étoit 
pas la femme de celui qui étoit à côté d'elle. J'a- 
vois remarqué que celui-ci ne lui avoit pas dit un 
mot; c'est ce qui me fît répondre à mon voisin : 
<( Monsieur, ou il ne la connoît pas, ou c'est sa 
femme. » 

Le vicomte de S... aborda un jour M. de Vaines 
en lui disant : « Est-il vrai. Monsieur, que, dans 



144 PORTRAITS ET CARACTERES 

une maison où Ton avoit eu la bonté de me trou- 
ver de Tesprit, vous avez dit que je n'en avois pas 
du tout ? )) M. de Vaines lui répondit : « Mon- 
sieur, il n'y a pas un seul mot de vrai dans tout 
cela. Je n'ai jamais été dans une maison où Ton 
vous trouvât de l'esprit, et je n'ai jamais dit que 
vous n'en aviez pas. » 

M. de Sourches, petit fat hideux, le teint noir, 
et ressemblant à un hibou, dit un jour, en se re- 
tirant : « Voilà la première fois, depuis deux ans, 
que je vais coucher chez moi. » L'évêque d'Agde, 
se retournant et voyant cette figure , lui dit en le 
regardant : « Monsieur perche, apparemment. » 

On demandoit à M. de Lauzun ce qu'il répon- 
droit à sa femme (qu'il n'avoit pas vue depuis dix 
ans) si elle lui écrivoit : « Je viens de découvrir 
que je suis grosse. » Il réfléchit, et répondit : 
« Je lui écrirois : « Je suis charmé d'apprendre 
« que le Ciel ait enfin béni notre union. Soignez 
« votre santé; j'irai vous faire ma cour ce soir. » 

Le maréchal de Broglie avoit épousé la fille 
d'un négociant; il eut deux filles. On lui propo- 
soit, en présence de madame de Broglie , de faire 
entrer l'une dans un chapitre. « Je me suis fermé. 



ANECDOTES ET BONS MOTS 146 

dit-il, en épousant madame, l'entrée de tous les 
chapitres... — Et de Thôpital, » ajouta-t-elle. 

Rulhière disoit un jour à C... : « Je n'ai jamais 
fait qu'une méchanceté dans ma vie. — Quand 
finira-t-elle ? » demanda C... 

L'abbé Delille , entrant dans le cabinet de 
M. Turgot, le vit lisant un manuscrit : c'étoit ce- 
lui des Mois de M. Roucher. L'abbé Delille s'en 
douta, et dit en plaisantant : 

a Odeur de vers se sentoit à la ronde. 

— Vous êtes trop parfumé, lui dit M. Turgot, 
pour sentir les odeurs. » 

Le roi de Prusse, voyant un de ses soldats bala- 
fré au visage, lui dit : « Dans quel cabaret t'a-t- 
on équipé de la sorte? — Dans un cabaret où 
vous avez payé l'écot, à Kollin, » dit le sol- 
dat. Le roi, qui avoit été battu à Kollin, trouva 
cependant le mot excellent. 

Un homme étoit en deuil de la tête aux pieds : 
grandes pleureuses, perruque noire, figure allon- 
gée. Un de ses amis l'aborde tristement : « Eh! 
bon Dieu ! qui est-ce donc que vous avez perdu ? 
Chamfort, — II, 19 



146 PORTRAITS ET CARACTERES 

— Moi ! dit-il , je n'ai rien perdu : c'est que je 
suis veuf. » 

M. Tévêque de L... étant à déjeuner, il lui vint 
en visite Tabbé de... L'évêque le prie de déjeuner; 
Tabbé refuse. Le prélat insiste. « Monseigneur, 
dit Tabbé, j'ai déjeuné deux fois, et d'ailleurs c'est 
aujourd'hui jeûne. » 

Dans une dispute que les représentans de Genève 
eurent avec le chevalier de Bouteville, l'un d'eux 
s'échauffant, le chevalier lui dit : « Savez-vous que 
je suis le représentant du roi mon maître? — Sa- 
vez-vous, lui répondit le Genevois, que je suis le 
représentant de mes égaux? » 

M... disoit, à son retour d'Allemagne : « Je ne 
sache pas de chose à quoi j'eusse été moins propre 
qu'à être un Allemand. » 

La rareté d'un sentiment vrai fait que je m'ar- 
rête quelquefois dans les rues à regarder un chien 
ronger un os. « C'est au retour de Versailles , 
Marly, Fontainebleau, disoit M. de..., que je suis 
le plus curieux de ce spectacle. » 

L'abbé de Vertot changea d'état très-souvent. 
On appeloit cela les révolutions de l'abbé de 
Vertot. 



ANECDOTES ET BONS MOTS 147 

Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts qui 
portoient sur les riches, un millionnaire, se trou- 
vant parmi des gens riches qui se plaignoient du 
malheur des temps, dit : « Qui est-ce qui est heu- 
reux dans ces temps-ci ? Quelques misérables. » 

Colbert disoit, à propos de l'industrie de la na- 
tion, que le François changeroit les rochers en or 
si on le laissoit faire. 

M... me disoit : « Je ne regarde le roi de 
France que comme le roi d'environ cent mille 
hommes auxquels il partage et sacrifie la sueur, le 
sang et les dépouilles de vingt-quatre millions neuf 
cent mille hommes, dans des proportions détermi- 
nées par les idées féodales, militaires, antimorales 
et antipolitiques qui avilissent l'Europe depuis vingt 
siècles. » 

On sait quelle familiarité le roi de Prusse per- 
mettoit à quelques-uns de ceux qui vivoient avec 
lui. Le général Quintus Icilius étoit celui qui en 
profitoit le plus librement. Le roi de Prusse, avant 
la bataille de Rosbach, lui dit que, s'il la perdoit, 
il se rendroit à Venise, où il vivroit en exerçant la 
médecine. Quintus lui répondit : « Toujours as- 
sassin! )) 

Le roi de Prusse demandoit à d'Alembert s'il 



148 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

avoit VU le roi de France. « Oui, Sire, dit celui-ci, 
en lui présentant mon discours de réception à 
TAcadémie Françoise. — Eh bien ! reprit le roi de 
Prusse, que vous a-t-il dit? — 11 ne m'a pas parlé, 
Sire. — A qui donc parle-t-il.^ » poursuivit Fré- 
déric. 

Plusieurs officiers françois étant allés à Berlin, 
Tun d'eux parut devant le roi sans uniforme et en 
bas blancs. Le roi s'approcha de lui et lui demanda 
son nom. « Le marquis de Beaucourt. — De quel 
régiment? — De Champagne. — Ah ! oui, ce ré- 
giment où l'on se f... de l'ordre. » Et il parla en- 
suite aux officiers qui étoient en uniforme et en 
bottes. 

Un banquier anglois, nommé Ser ou Stair, fut 
accusé d'avoir fait une conspiration pour enlever 
le roi George III et le transporter à Philadelphie. 
Amené devant ses juges, il leur dit : a Je sais très- 
bien ce qu'un roi peut faire d'un banquier ; mais 
j'ignore ce qu'un banquier peut faire d'un roi. » 

Dans les malheurs de la fin du règne de LouisXIV, 
après la perte des batailles de Turin, d'Oudenarde, 
de Malplaquet, de Ramillies, d'Hochstett, les plus 
honnêtes gens de la cour disoient : « Au moins, 
le roi se porte bien; c'est le principal. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS 1 49 

Je causois un jour avec M. de V..., qui paroît 
vivre sans illusions dans un âge où Ton en est en- 
core susceptible. Je lui témoignois la surprise qu'on 
avoit de son indifférence. Il me répondit grave- 
ment : « On ne peut pas être et avoir été. J'ai été 
dans mon temps, tout comme un autre, l'amant 
d'une femme galante, le jouet d'une coquette, le 
passe-temps d'une femme frivole, l'instrument d'une 
intrigante. Que peut-on être de plus? — L'ami 
d'une femme sensible. — Ah! nous voilà dans les 
romans ! » 

M... débitoit souvent des maximes de roué en 
fait d'amour; mais, dans le fond, il étoit sensible 
et fait pour les passions. Aussi quelqu'un disoit de 
lui : « Il fait semblant d'être malhonnête, afin que 
les femmes ne le rebutent pas. » 

« Dans le monde, disoit M..., vous avez trois 
sortes d'amis : vos amis qui vous aiment, vos amis 
qui ne se soucient pas de vous et vos amis qui 
vous haïssent. » 

J. J. Rousseau étant à Fontainebleau, à la re- 
présentation de son Devin de village, un courtisan 
l'aborda et lui dit poliment : « Monsieur, per- 
mettez-vous que je vous fasse mon compliment? 
— Oui, Monsieur, dit Rousseau, s'il est bien. » 



l5o PORTRAITS ET CARACTERES 

Le courtisan s'en alla. On dit à Rousseau : « Mais 
y songez-vous ? Quelle réponse vous venez de 
faire! — Fort bonne, dit Rousseau; connoissez- 
vous rien de pire qu'un compliment mal fait ? » 

On disoit à J. J. Rousseau, qui avoit gagné 
plusieurs parties d'échecs au prince de Conti, qu'il 
ne lui avoit pas fait sa cour, et qu'il falloit lui ea 
laisser gagner quelques-unes : « Comment! dit-il, 
je lui donne la tour. » 

Voltaire disoit du poëte Roy, qui avoit été sou- 
vent repris de justice et qui sortoit de Saint- 
Lazare : « C'est un homme qui a de l'esprit, mais 
ce n'est pas un auteur assez châtié. » 

Ce fut l'abbé S... qui administra le viatique à 
l'abbé Petiot dans une maladie très-dangereuse, et 
il raconte qu'en voyant la manière très-prononcée 
dont celui-ci reçut ce que vous savez, il se dit à 
lui-même : « S'il en revient, ce sera mon ami. » 

M. de Rôquemont, dont la femme étoit très- 
galante, couchoit une fois par mois dans la cham- 
bre de madame pour prévenir les mauvais propos 
si elle devenoit grosse, et s'en alloit en disant : 
« Me voilà net; arrive qui plante! » 

La marquise de Saint-Pierre étoit dans une so- 



ANECDOTES ET BONS MOTS l5l 

ciété OÙ Ton disoit que M. de Richelieu avoit eu 
beaucoup de femmes sans en avoir jamais aimé 
une. « Sans aimer! c'est bientôt dit, reprit-elle; 
moi, je sais une femme pour laquelle il est revenu 
de trois cents lieues. » Ici elle raconte l'histoire 
en troisième personne, et, gagnée par sa narra- 
tion : « Il la porte sur le lit avec une violence in- 
croyable, et nous y sommes restés trois Jours. » 

M. le régent disoit à M'"^ de Parabère, dévoie, 
qui, pour lui plaire, tenoit quelques discours peu 
chrétiens : « Tu as beau faire, tu seras sauvée. » 

M. de Voltaire, voyant la religion tomber tous 
les jours, disoit une fois : « Cela est pourtant fâ- 
cheux, car de quoi nous moquerons-nous? — Oh! / 
lui dit M. Sabatier de Castres, consolez-vous; les 
occasions ne vous manqueront pas plus que les 
moyens. — Ah ! Monsieur, reprit douloureusement 
M. de Voltaire, hors de TÉglise, point de salut. » 

D'Alembert, jouissant déjà de la plus grande 
réputation, se trouvoit chez madame du Defîand, 
où étoient M. le président Hénault et M. de Pont 
de Veyle. Arrive un médecin nommé Fournier, 
qui, en entrant, dit à madame du Deffand : « Ma- 
dame, j'ai bien l'honneur de vous présenter mon 
très-humble respect» ; à M. le président Hénault : 



l52 PORTRAITS ET CARACTERES 

« Monsieur, j*ai bien l'honneur de vous saluer » ; 
à M. de Pont de Veyle : « Monsieur, je suis votre 
très-humble serviteur » ; et à d*AIembert : a Bon- 
jour, Monsieur. » 

Pendant un siège, un porteur d*eau crioil dans 
la ville : « A six sous la voie d'eau ! » Une bombe 
vient et emporte un de ses seaux : « A douze 
sous le seau d*eau! » s'écrie le porteur sans s'é- 
tonner. 

Un homme dont la santé s'étoit rétablie en assez 
peu de temps, et à qui on en demandoit la raison, 
répondit : « C'est que je compte avec moi, au 
lieu qu'auparavant je comptois sur moi. » 

J'ai vu M. de Foncemagne jouir dans sa vieillesse 
d'une grande considération. Cependant, ayant eu 
occasion de soupçonner un moment sa droiture, je 
demandai à M. Saurin s'il l'avoit connu particu- 
lièrement. Il me répondit qu'oui. J'insistai pour 
savoir s'il n'avoit jamais rien eu contre lui. M. Sau- 
rin , après un moment de réflexion , me répondit : 
« Il y a longtemps qu'il est honnête homme. » 

A la bataille de Raucoux ou de Lawfeld, le jeune 
M. de Thiange eut son cheval tué sous lui, et 
lui-même fut jeté fort loin; cependant il ne fut 



ANECDOTES ET BONS MOTS l53 

point blessé. Le maréchal de Saxe lui dit : « Petit 
Thiange, tu as eu une belle peur? — Oui, mon- 
sieur le maréchal, dit celui-ci; j*ai craint que vous 
ne fussiez blessé. » 

Dans une société où se trouvoit M. de Schwa- 
low, ancien amant de l'impératrice Elisabeth, on 
vouloit savoir quelques traits relatifs à la Russie. 
Le bailli de Chabrillant dit : « M. de Schwalow, 
dites-nous cette histoire; vous devez la savoir, 
vous qui étiez la Pompadour de ce pays-là. » 

M. de C... avoit reçu un bienfait de M. d'A... 
Celui-ci avoit recommandé le secret. Il fut gardé. 
Plusieurs années après , ils se brouillèrent. Alors 
M. de C... révéla le secret du bienfait qu'il avoit 
reçu. M. de T..., leur ami commun, instruit, de- 
manda à M. de C... la raison de cette apparente 
bizarrerie. Celui-ci répondit : « J'ai tu son bien- 
fait tant que je l'ai aimé. Je parle, parce que je 
ne l'aime plus. C'étoit alors son secret; à présent, 
c'est le mien. » 

Diderot, voulant faire un ouvrage qui pouvoit 
compromettre son repos, confioit son secret à un 
ami qui , le connoissant bien, lui dit : « Mais, 
vous-même , me garderez-vous bien le secret? » 
En effet, ce fut Diderot qui le trahit. 

20 



l54 PORTRAITS ET CARACTERES 

On s"'étonnoit de voir le duc de Choiseul se 
soutenir aussi longtemps contre madame du Barry. 
Son secret étoit simple : au moment où il parois- 
soit le plus chanceler, il se procuroit une audience 
ou un travail avec le roi, et lui demandoit ses 
ordres relativement à cinq ou six millions d'éco- 
nomies qu*il avoit faites dans le département de la 
guerre, observant qu'il n'étoit pas convenable de 
les envoyer au trésor royal. Le roi entendoit ce 
que cela vouloit dire, et lui répondoit : « Parlez à 
Bertin; donnez-lui trois millions en tels effets; je 
vous fais présent du reste. » Le roi partageoit ainsi 
avec le ministre, et, n'étant pas sûr que son suc- 
cesseur lui offrît les mêmes facilités, gardoit M. de 
Choiseul malgré les intrigues de madame du Barry. 

M... avoit montré beaucoup d'insolence et de 
vanité après une espèce de succès au théâtre : 
c'éioit son premier ouvrage. Un de ses amis lui 
dit : « Mon ami, tu sèmes les ronces devant toi; 
tu les trouveras en repassant. » 

Marivaux disoit que le style a un sexe, et qu'on 
reconnoissoit les femmes à une phrase. 

M. de Richelieu disoit, au sujet du siège de 
Mahon par M. le duc de Grillon : « J'ai pris Ma- 
hon par une étourderie, et, dans ce genre, M. de 
Grillon paroît en savoir plus que moi. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS l55 

Le prince de Conti pensoit et parloit mal de 
M. de Silhouette. Louis XV lui dit un jour: «On 
songe pourtant à le faire contrôleur général. — 
Je le sais, dit le prince, et, s'il arrive à cette place, 
je supplie Votre Majesté de me garder le secret. » 
Le roi, quand M. de Silhouette fut nommé, en 
apprit la nouvelle au prince, et lui ajouta : « Je 
n'oublie point la promesse que je vous ai faite, 
d'autant plus que vous avez une affaire qui doit se 
rapporter au conseil. » [Anecdote contée par madame 
de Bouf fiers. ) 

L'Écluse , celui qui a été à la tête des Variétés 
amusantes, racontoit que, tout jeune et sans for- 
tune, il arriva à Lunéville, où il obtint la place de 
dentiste du roi Stanislas, précisément le jour où le 
roi perdit sa dernière dent. 

C'est une chose bien extraordinaire que deux 
auteurs pénétrés et panégyristes, l'un en vers, 
l'autre en prose, de l'amour immoral et libertin, 
Crébillon et Bernard, soient morts épris passionné- 
ment de deux filles. Si quelque chose est plus 
étonnant, c'est de voir l'amour sentimental pos- 
séder madame de Voyer jusqu'au dernier moment, 
et la passionner pour le vicomte de Noailles; tan- 
dis que, de son côté, M. de Voyer a laissé deux 
cassettes pleines de lettres céladoniques copiées 



l56 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

deux fois de sa main. Cela rappelle les poltrons, 
qui chantent pour déguiser leur peur. 

Sixte-Quint, étant pape, manda à Rome un 
jacobin de Milan, et le tança comme mauvais ad- 
ministrateur de sa maison, en lui rappelant une 
certaine somme d'argent qu'il avoit prêtée quinze 
ans auparavant à un certain cordelier. Le coupable 
dit : « Cela est vrai , c'étoit un mauvais sujet qui 
m'a escroqué. — C'est moi, dit le pape, qui suis 
ce cordelier; voilà votre argent, mais n'y retombez 
plus, et ne prêtez jamais à des gens de cette robe. » 

On accusoit M... d'être misanthrope. « Moi, 
dit-il, je ne le suis pas; mais j'ai bien pensé l'être, 
et j'ai vraiment bien fait d'y mettre ordre. — 
Qu'avez-vous fait pour l'empêcher? — Je me suis 
fait solitaire. » 

M. de L..., connu pour misanthrope, me disoit 
un jour, à propos de son goût pour la solitude : 
« Il faut diablementaimer quelqu'un pour le voir. » 

Madame la princesse de Conti, fille de Louis XIV, 
ayant vu madame la dauphine de Bavière qui 
dormoit ou faisoit semblant de dormir, dit, après 
l'avoir considérée : « Madame la dauphine est 
encore plus laide en dormant que lorsqu'elle veille. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS ibj 

Madame la dauphine, prenant la parole sans faire 
le moindre mouvement, lui répondit : « Madame, 
tout le monde n'est pas enfant de l'amour. » 

On assure que madame de Montpensier, ayant 
été quelquefois obligée , pendant Tabsence de ses 
dames , de se faire remettre un soulier par quel- 
qu'un de ses pages, lui demandoit s'il n'avoit pas 
eu quelque tentation. Le page répondoit qu'oui. 
La princesse, trop honnête pour profiter de cet 
aveu, lui donnoit quelques louis pour le mettre en 
état d'aller chez quelque fille perdre la tentation 
dont elle étoit la cause. 

Des jeunes gens de la cour soupoient chez 
M. de Conflans. On débute par une chanson 
libre, mais sans excès d'indécence; M. de Fronsac 
sur-le-champ se met à chanter des couplets abo- 
minables qui étonnèrent même la bande joyeuse. 
M. de Conflans interrompit le silence universel en 
disant : « Que diable ! Fronsac , il y a dix bou- 
teilles de vin de Champagne entre cette chanson 
et la première. » 

Le maréchal de Duras , mécontent d'un de ses 
fils, lui dit : « Misérable! si tu continues, je te 
ferai souper avec le roi. » C'est que le jeune 
homme avoit soupe deux fois à Marly, où il s'étoit 
ennuyé à périr. 



l58 PORTRAITS ET CARACTERES 

M. de La Reynière , obligé de choisir entre la 
place d'administrateur des postes et celle de fer- 
mier général, après avoir possédé ces deux places^ 
dans lesquelles il avoit été maintenu par le crédit 
des grands seigneurs qui soupoient chez lui, se 
plaignit à eux de Talternative qu'on lui proposoit 
et qui diminuoit de beaucoup son revenu. Un 
d'eux lui dit naïvement : « £h ! mon Dieu , cela 
ne fait pas une grande différence dans votre for- 
tune. C'est un million à mettre à fonds perdus ; 
et nous n'en viendrons pas moins souper chez 
vous. » 

M. de Stainville, lieutenant général, venoit de 
faire enfermer sa femme. M. de Vaubecourt, ma- 
réchal de camp, sollicitoit un ordre pour faire en- 
fermer la sienne. Il venoit d'obtenir l'ordre, et 
sortoit de chez le ministre avec un air triomphant. 
M. de Stainville, qui crut qu'il venoit d'être nom- 
mé lieutenant général, lui dit devant beaucoup de 
monde : « Je vous félicite, vous êtes sûrement des 
nôtres. » 

Le roi de Pologne Stanislas avoit des bontés 
pour l'abbé Porquet et n'avoit encore rien fait 
pour lui. L'abbé lui en faisoit l'observation. « Mais, 
mon cher abbé, dit le roi, il y a beaucoup de votre 
faute : vous tenez des discours très-libres; on pré- 



ANECDOTES ET BONS MOTS I Sç 

tend que vous ne croyez pas en Dieu. Il faut vous 
modérer : tâchez d'y croire; je vous donne un an 
pour cela. » 

Madame de Bassompierre , vivant à la cour du 
roi Stanislas, étoit la maîtresse connue de M. de 
La Galaisière, chancelier du roi de Pologne. Le 
roi alla un jour chez elle, et prit avec elle des li- 
bertés qui ne réussirent pas. « Je me tais, dit Sta- 
nislas; mon chancelier vous dira le reste. » 

M. de B..., âgé de cinquante ans, venoit d'é- 
pouser mademoiselle de C..., âgée de treize ans. 
On disoit de lui, pendant qu'il sollicitoit ce ma- 
riage, qu'il demandoit la survivance de la poupée 
de cette demoiselle. 

M... disoit de M. de La Reynière, chez qui 
tout le monde va pour sa table, et qu'on trouve 
très ennuyeux : « On le mange, mais on ne le di- 
gère pas. » 

Jamais Bossuet ne put apprendre au grand dau- 
phin à écrire une lettre. Ce prince étoit très-indo- 
lent. On raconte que ses billets à madame la com- 
tesse de Roure finissoient tous par ces mots : Le 
roi me fait mander pour le conseil. Le jour que cette 
comtesse fut exilée, un des courtisans lui demanda 



l6o PORTRAITS ET CARACTERES 

s'il n'étoit pas bien affligé. « Sans doute, dit le 
dauphin; mais cependant me voilà délivré de la 
nécessité d'écrire le petit billet. » 

Madame de Talmont, voyant M. de Richelieu, 
au lieu de s'occuper d'elle, faire sa cour à madame 
de Brionne, fort belle femme, mais qui n'avoit pas 
la réputation d'avoir beaucoup d'esprit , lui dit : 
« Monsieur le maréchal, vous n'êtes point aveugle; 
mais je vous crois un peu sourd. » 

On reprochoit à M. de... d'être le médecin Tant' 
Pis. « Cela vient, répondit-il, de ce que j'ai vu 
enterrer tous les malades du médecin Tant-Mieux. 
Au moins, si les miens meurent, on n'a point à me 
reprocher d'être un sot. » 

Le maréchal de Broglie affrontant un danger 
inutile et ne voulant pas se retirer, tous ses amis 
faisoient de vains efforts pour lui en faire sentir la 
nécessité. Enfin l'un d'entre eux, M. de Jaucourt, 
s'approcha et lui dit à l'oreille : « Monsieur le ma- 
réchal, songez que, si vous êtes tué, c'est M. de 
Routhe qui commandera. » C'étoit le plus sot des 
lieutenants généraux. M. de Broglie, frappé du 
danger que couroit l'armée, se retira. 

On ne distingue pas aisément l'intention de 



ANECDOTES ET BONS MOTS l6l 

Tauteur dans le Temple de Gnide, et il y a même 
quelque obscurité dans les détails : c'est pour cela 
que madame du Deffand Tappeloit V Apocalypse de 
la galanterie» 

Madame de Tencin disoit que les gens d'esprit 
faisoient beaucoup de fautes en conduite, parce 
qu'ils ne croyoient jamais le monde assez bête, 
aussi bête qu'il l'est. 

Madame de Tencin, avec des manières douces, 
étoit une femme sans principes et capable de tout 
exactement. Un jour, on louoit sa douceur. « Ouï, 
dit l'abbé Trublet, si elle eût eu intérêt de vous 
empoisonner, elle eût choisi le poison le plus doux.» 

Madame la comtesse de Tessé disoit après la 
mort de M. Dubreuil : « Il étoit trop inflexible, 
trop inabordable aux présens, et j'avois un accès 
de fièvre toutes les fois que je songeois à lui en 
faire. — Et moi aussi, lui répondit madame de 
Champagne, qui avoit placé trente-six mille livres 
sur sa tête: voilà pourquoi j'ai mieux aimé me don- 
ner tout de suite une bonne maladie que d'avoir 
tous ces petits accès de fièvre dont vous parlez. » 

Le vieux d'Arnoncourt avoit fait un contrat de 
douze cents livres de rente à une fille pour tout 

Chamfort, — II. 21 



102 PORTRAITS ET CARACTERES 

le temps qu'il en seroit aimé. Elle se sépara de 
lui étourdiment, et se lia avec un jeune homme 
qui, ayant vu ce contrat, se mit en tête de le faire 
revivre. Elle réclama en conséquence les quartiers 
échus depuis le dernier payement, en lui faisant 
signifier sur papier timbré qu'elle Taimoit toujours. 

L'homme arrive novice à chaque âge de la vie, 

M..., Provençal qui a des idées plaisantes, me 
disoit, à propos de rois et même de ministres, que, 
la machine étant bien montée, le choix des uns et 
des autres étoit indifférent. « Ce sont, disoit- il, 
des chiens dans un tourne-broche ; il suffit qu'ils 
remuent les pattes pour que tout aille bien. Que 
le chien soit beau, qu'il ait de l'intelligence ou du 
nez, ou rien de tout cela, la broche tourne, et le 
souper sera toujours à peu près bon. » 

On disoit d'un certain homme qui répétoit à 
différentes personnes le bien qu'elles disoient Tune 
de l'autre, qu'il étoit tracassier en bien. 

M. Harris, fameux négociant de Londres, se 
trouvant à Paris dans le cours de l'année 1786, à 
l'époque de la signature du traité de commerce, 
disoit à des François : « Je crois que la France n'y 
perdra un million sterling par an que pendant les 



ANECDOTES ET BONS MOTS l63 

vingt-cinq ou trente premières années, mais qu'en- 
suite la balance sera parfaitement égale. » 

Un homme d'esprit ayant lu les petits traités de 
M. d'Alembert sur l'élocution oratoire, sur la poé-^ 
sie, sur l'ode, on lui demanda ce qu'il en pensoit. 
Il répondit : « Tout le monde ne peut pas être 
sec. » 

Un François avoit été admis à voir le cabinet 
du roi d'Espagne. Arrivé devant son fauteuil et 
son bureau: « C'est donc ici, dit -il, que ce 
grand roi travaille ? — Comment, travaille ! dit le 
conducteur; quelle insolence ! ce grand roi tra-- 
vailler! Vous venez ici pour insulter Sa Majesté! » 
Il s'engagea une querelle où le François eut beau-, 
coup de peine à faire entendre à l'Espagnol qu'on 
n'avoit pas eu l'intention d'offenser la majesté de 
son maître. 

Le roi et la reine de Portugal étoient à Belem, 
pour aller voir un combat de taureaux, le jour du 
tremblement de terre de Lisbonne : c'est ce qui les 
sauva; et une chose avérée et qui m'a été garan- 
tie par plusieurs François alors en Portugal, c'est 
que le roi n'a jamais su l'énormité du désastre. On 
lui parla d*abord de quelques maisons tombées, 
ensuite de quelques églises, et, n'étant jamais re- 



164 PORTRAITS ET CARACTÈRES 

venu à Lisbonne, on peut dire qu'il est le seul 
homme de TEurope qui ne se soit pas fait une vé- 
ritable idée du désastre arrivé à une lieue de lui. 

Un homme étoit abandonné des médecins; on 
demanda à M. Tronchin s'il falloit lui donner le 
viatique. « Cela est bien collant, » répondit-il. 

M. de Choiseul-Gouffier voulant faire, à ses 
frais, couvrir de tuiles les maisons de ses paysans, 
exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa 
bonté, et le prièrent de laisser leurs maisons comme 
elles étoient, disant que, si leurs maisons étoient 
couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdé- 
légués augmenteroient leurs tailles. 

M. de Turenne dînant chez M. de LamoignoRy 
celui-ci lui demanda si son intrépidité n'étoit pas 
ébranlée au commencement d'une bataille. « Oui, 
dit M. de Turenne, j'éprouve une grande agita- 
tion; mais il y a dans l'armée plusieurs officiers 
subalternes et un grand nombre de soldats qui 
n'en éprouvent aucune. » 

M. Turgot , qu'un de ses amis ne voyoit plus de- 
puis longtemps, dit à cet ami, en le retrouvant : a De- 
puis que je suis ministre, vous m'avez disgracié. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS l65 

La comtesse de Boufflers disoit au prince de 
Conti qu'il étoit le meilleur des tyrans. 

« Malgré toutes les plaisanteries qu'on rebat 
sur le mariage, disoit M. c, je ne vois pas ce qu'on 
peut dire contre un homme de soixante ans qui 
épouse une femme de cinquante-cinq. » 

D'Alembert se trouva chez Voltaire avec un cé- 
lèbre professeur de droit à Genève. Celui-ci, ad- 
mirant l'universalité de Voltaire, dit à d'Alembert': 
« Il n'y a qu'en droit public que je le trouve un 
peu foible. — Et moi, dit d'Alembert, je ne le 
trouve un peu foible qu'en géométrie. » 

M. de Calonne, voulant introduire des femmes 
dans son cabinet, trouva que la clef n'entroit point 
dans la serrure. Il lâcha un f... d'impatience, et, 
sentant sa faute : « Pardon, Mesdames, dit-il; j'ai 
bien fait des affaires dans ma vie, et j'ai vu qu'il 
n'y a qu'un mot qui serve. » En effet, la clef entra 
tout de suite. 

Un homme qui avoit refusé d'avoir madame 
de S..., disoit : « A quoi sert l'esprit, s'il ne sert 
à n'avoir point madame de S...? » 

M..., qui aimoit beaucoup les femmes, me di- 



l66 PORTRAITS ET CARACTERES 

soit que leur commerce lui étoit nécessaire pour 
tempérer la sévérité de ses pensées et occuper la 
sensibilité de son âme. « J'ai, disoit-il, du Tacite 
dans la tête et du Tibulle dans le cœur. » 

M... disoit, à propos de sottises ministérielles 
et ridicules : « Sans le gouvernement, on ne riroit 
plus en France. » 

Dans le temps qu'il y avoit des jansénistes, on 
les distinguoit à la longueur du collet de leur 
manteau. L'archevêque de Lyon avoit fait plu- 
sieurs enfans; mais, à chaque équipée de cette 
espèce , il avoit soin de faire allonger d'un pouce 
le collet de son manteau. Enfin le collet s'allongea 
tellement qu'il a passé quelque temps pour jansé- 
niste et a été susçect à la cour. 

On se souvient encore de la ridicule et excessive 
vanité de l'archevêque de Reims, Le Tellier-Lou- 
vois, sur son rang et sur sa naissance; on sait 
combien, de son temps, elle étoit célèbre dans 
toute la France. Voici une des occasions où elle 
se montra tout entière le plus puissamment. Le 
duc d'A..., absent de la cour depuis plusieurs 
années, revenu de son gouvernement de Berry, 
alloit à Versailles. Sa voiture versa et se rompit. 
Il faisoit un froid très-aigu. On lui dit qu'il falloit 



ANECDOTES ET BONS MOTS 167 

deux heures pour la remettre en état. Il vit< un 
relais et demanda pour qui c'étoit. On lui dit que 
c'étoit pour Tarchevêque de Reims, qui alloit à 
Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui, 
n'en réservant qu'un auquel il recommanda de ne 
point paroître sans son ordre. L'archevêque arrive. 
Pendant qu'on atteloit, le duc charge un des gens 
de l'archevêque de lui demander une place pour 
un honnête homme dont la voiture vient de se 
briser, et qui est condamné à attendre deux heures 
qu'elle soit rétablie. Le domestique va et fait la 
commission. « Quel homme est-ce? dit l'arche- 
vêque. Est-ce quelqu'un comme il faut? — Je le 
crois, Monseigneur; il a un air bien honnête. — 
Qu'appelles-tu honnête? Est-il bien mis? — Mon- 
seigneur, simplement, mais bien. — A-t-il des 
gens? — Monseigneur, je l'imagine. — Va-t'en 
le savoir. » Le domestique va et revient. « Mon- 
seigneur, il les a envoyés devant à Versailles. — 
Ah ! c'est quelque chose, mais ce n'est pas tout. 
Demande-lui s'il est gentilhomme. » Le laquais 
va et revient. « Oui, Monseigneur, il est gentil- 
homme. — A la bonne heure! Qu'il vienne, et 
nous verrons ce que c'est. » Le duc arrive, salue. 
L'archevêque fait un signe de tête, se range à 
peine pour faire une petite place dans sa voiture. 
Il voit une croix de Saint-Louis. « Monsieur, dil- 
il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre; 



l68 PORTRAITS ET CARACTERES 

mais je ne pouvois donner une place dans ma voi- 
ture à un homme de rien : vous en conviendrez. 
Je sais que vous êtes gentilhomme. Vous avez 
servi, à ce que je vois? — Oui, Monseigneur. — 
Et vous allez à Versailles? — Oui, Monseigneur. 
— Dans les bureaux apparemment? — Non, je 
n'ai rien à faire dans les bureaux. Je vais remer- 
cier... — Qui? M. de Louvois? — Non, Mon- 
seigneur, le roi. — Le roi ! [Ici l'archevêque se re- 
cule et fait un peu de place.) Le roi vient donc de 
vous faire quelque grâce toute récente ? — Non, 
Monseigneur : c'est une longue histoire. — Contez 
toujours. — C'est qu'il y a deux ans j'ai marié 
ma fille à un homme peu riche... {l'archevêque re- 
prend un peu de l'espace qu'il a cédé dans la voiture) 
mais d'un très-grand nom. » [L'archevêque recède 
la place.) Le duc continue : « Sa Majesié avoit 
bien voulu s'intéresser à ce mariage... [l'archevêque 
fait beaucoup de place) et avoit même promis à 
mon gendre le premier gouvernement qui vaque- 
roit. — Comment donc ! Un petit gouvernement^ 
sans doute ? De quelle ville ? — Ce n'est pas d'une 
ville, Monseigneur : c'est d'une province. — D'une 
province. Monsieur ! crie l'archevêque en reculant 
dans l'angle de sa voiture, d'une province! — 
Oui, et il va y en avoir un de vacant. — Lequel 
donc? — Le mien, celui de Berry, que je veux 
faire passer à mon gendre. — Quoi ! Monsieur... 



ANECDOTES ET BONS MOTS 169 

VOUS êtes gouverneur du...? Vous êtes donc le 
duc de...? » Et il veut descendre de sa voiture. 
« Mais, monsieur le duc, que ne parliez -vous? 
Mais cela est incroyable ! mais à quoi m'exposez- 
vous? Pardon de vous avoir fait attendre... Ce 
maraud de laquais qui ne me dit pas... Je suis 
bien heureux encore d'avoir cru, sur votre parole, 
que vous étiez gentilhomme : tant de gens le 
disent sans l'être ! Et puis ce d'Hozier est un fri- 
pon. Ah ! monsieur le duc, je suis confus. — Re- 
mettez-vous, Monseigneur. Pardonnez à votre 
laquais : il s'est contenté de vous dire que j'étois 
un honnête homme; pardonnez à d'Hozier, qui 
vous exposoit à recevoir dans votre voiture un 
vieux militaire non titré; et pardonnez-moi aussi 
de n'avoir pas commencé par faire mes preuves 
pour monter dans votre carrosse. » 

M de Fronsac alla voir une mappemonde que 
montroil l'artiste qui l'avoit imaginée. Cet homme, 
ne le connoissant pas et lui voyant une croix de 
Saint-Louis, ne l'appeloit que M. le chevalier. La 
vanité de M. de Fronsac, blessé de ne pas être 
appelé duc, lui fit inventer une histoire dont un 
des interlocuteurs, un de ses gens, l'appeloit mon- 
seigneur. M. de Genlis l'arrête à ce mot, et lui 
dit : « Qu'est-ce que tu dis là ? Monseigneur ! On 
va te prendre pour un évêque. » 

22 



lyo PORTRAITS ET CARACTÈRES 

Les grands vendent toujours leur société à la 
vanité des petits. 

On pressoit l'abbé Vatri de solliciter une place 
vacante au Collège royal. « Nous verrons cela, » 
dit-il. Et il ne sollicita point. La place fut donnée 
à un autre. Un ami de Tabbé court chez lui. a Eh 
bien 1 voilà comme vous êtes 1 Vous n'avez point 
voulu solliciter la place : elle est donnée. — Elle 
€St donnée ? reprit-il ; eh bien ! je vais la demander. 

— Êtes-vous fou ? — Parbleu ! non ; j'avois cent 
concurrens, je n'en ai plus qu'un. » Il demanda la 
place et l'obtint. 

M. de Vaudreuil se plaignoit à C... de son peu 
de confiance en ses amis. « Vous n'êtes point 
riche, lui disoit-il, et vous oubliez notre amitié. 

— Je vous promets, répondit C..., de vous em- 
prunter vingt-cinq louis quand vous aurez payé 
vos dettes. » 

« 

Le feu prince de Conti, ayant été très-maltraité 
de paroles de Louis XV, conta cette scène dé- 
sagréable à son ami le lord Tirconnel, à qui il 
demandoit conseil. Celui-ci, après avoir rêvé, loi 
dit naïvement : « Monseigneur, il ne seroit pas 
impossible de vous venger, si vous aviez de l'ar- 
gent et de la considération. » 



ANECDOTES ET BONS MOTS. I7I 

Un des parens de M. de Vergennes lui deman- 
<loit pourquoi il avoit laissé arriver au ministère de 
Paris le baron de Breteuil, qui étoit dans le cas de 
lui succéder. « C*est que , dit-il , c'est un homme 
qui, ayant toujours vécu dans le pays étranger, 
n'est pas connu ici; c'est qu'il a une réputation 
usurpée , que quantité de gens le croient digne du 
ministère. Il faut les détromper, le mettre en évi- 
<lence et faire voir ce que c'est que le baron de 
Breteuil. » 

Un homme d'esprit définissoit Versailles un 
pays où, en descendant, il faut toujours paroître 
monter, c'est-à-dire s'honorer de fréquenter ce 
qu'on méprise. 

M. Lemierre a mieux dit qu'il ne vouloit en di- 
sant qu'entre sa Veuve du Malabar , jouée en 1 770, 
et sa Veuve du Malabar, jouée en 1781, il y avoit 
la différence d'une falourde à une voie de bois. 
C'est en effet le bûcher perfectionné qui a fait le 
succès de la pièce. 

Collé avoit placé une somme d'argent considé* 
rable, à fonds perdus et à dix pour cent, chez un 
financier qui, à la seconde année, ne lui avoit pas 
encore donné un sou. « Monsieur, lui dit Collé 
dans une visite qu'il lui fit, quand je place mon 



1^2 PORTRAITS ET CARACTERES 

argent en viager, c'est pour être payé de mon 
vivant. » 

Un homme buvoit à table d'excellent vin san$ 
le louer. Le maître de la maison lui en fît servir 
de très-médiocre. « Voilà de bon vin ! » dit le 
buveur silencieux. « C'est du vin à dix sous, dit le 
maître, et l'autre est un vin des dieux. — Je Iç 
sais, reprit le convive ; aussi ne Tai-je pas loué : 
c'est celui-ci qui a besoin de recommandation. » 

On disoit au satirique anglois Donne : « Tonnez 
sur les vices, mais ménagez les vicieux. — Com- 
ment! dit-il, condamner les cartes et pardonner 
aux escrocs ? » 

L'abbé Maury, allant chez le cardinal de La 
Roche-Aymon , le rencontra revenant de Tassem* 
blée du clergé. Il lui trouva de l'humeur et lui en 
demanda les raisons, a J'en ai de bien bonnes, dit 
le vieux cardinal; on m'a engagé à présider cette 
assemblée du clergé, où tout s'est passé on ne 
sauroit plus mal. Il n'y a pas jusqu'à ces jeunes 
gens du clergé , cet abbé de La Luzerne , qui ne 
veulent pas se payer de mauvaises raisons. » 

M... me disoit : « Toutes les fois que je vais 
chez quelqu'un, c'est une préférence que je lui 



ANECDOTES ET BONS MOTS lyS 

donne sur moi ; je ne suis pas assez désœuvré 
pour y être conduit par un autre motif. » 

Un homme épris des charmes de l'état de prê- / 
trise disoit : « Quand je devrois être damné, il 
faut que je me fasse prêtre. » 

Diderot , s'étant aperçu qu'un homme à qui il 
prenoit quelque intérêt avoit le vice de voler et 
l'avoit volé lui-même, lui conseilla de quitter ce 
pays-ci. L'autre profita du conseil, et Diderot 
n'en entendit plus parler pendant dix ans. Après 
dix ans, un jour, il entend tirer sa sonnette avec 
violence. Il va ouvrir lui-même, reconnoît son 
homme, et d'un air étonné il s'écrie : « Ah ! ah ! 
c'est vous ! » Celui-ci lui répond : « Ma foi, il ne 
s'en est guère fallu. » Il avoit démêlé que Diderot 
s'étonnoii qu'il ne fût pas pendu. 

M. de Voltaire, étant à Potsdam, un soir, après 
souper, fit un portrait d'un bon roi en contraste 
avec celui d'un tyran, et, s'échauffant par degrés, 
il fit une description épouvantable des malheurs 
dont l'humanité étoit accablée sous un roi despo- 
tique, conquérant, etc. Le roi de Prusse, ému, 
laisse tomber quelques larmes. « Voyez ! voyez î 
s'écria M. de Voltaire, il pleure, le tigre ! » 



iy4 PORTRAITS ET CARACTERES 

M. de Vaucanson s'étoit trouvé l'objet principal 
des attentions d'un prince étranger, quoique M. de 
Voltaire fût présent. Embarrassé et honteux que ce 
prince n'eût rien dit à Voltaire, il s'approcha de ce 
dernier et lui dit : « Le prince vient de me dire 
telle chose » (un compliment très-flatteur poui 
Voltaire). Celui-ci vit bien que c'étoit une poli- 
tesse de Vaucanson, et lui dit : « Je reconnois 
tout votre talent dans la manière dont vous faites 
parler le prince. » 

M. d'Autrey disoit de M. de Ximenès : « C'est 
un homme qui aime mieux la pluie que le beau 
temps, et qui, entendant chanter le rossignol, dit ; 
« Ah ! la vilaine bête ! » 



* L'abbé de Tencin étoit accusé d'un marché si- 
moniaque. Aubri, avocat adverse, ayant paru foiblir 
dans ses allégations, l'avocat de l'abbé redoubla 
ses clameurs. Aubri joua l'embarras. L'abbé, qui 
étoit présent, crut faire merveille de saisir ce mo- 
ment pour achever de confondre la calomnie, 
offrant de s'en purger par serment. Alors Aubri 
l'arrêta, dit qu'il n'en étoit pas besoin, et produisit 
le marché en original. Huées, clameurs, etc. 
L'abbé parvint à s'évader et partit pour l'ambas- 
sade de Rome. 



ANECDOTES ET BONS MOTS Ijy 

*M. de Silhouette, renvoyé, étoit accablé de sa 
disgrâce, et surtout des suites qu'elle pouvoit avoir. 
Ce qu'il redoutoit le plus, c'étoit les chansons. 
Un jour, après dîner (et il n'avoit rien dit à table), 
il s'approche tremblant d'une femme en qui il 
avoit confiance, et lui dit: «Parlez-moi vrai, n'y 
a-t-il pas de chansons ? » 




LE 

MARCHAND DE SMYRNE 

COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE 

Représentée pour la première fois 
le 26 janvier 1770. 



Chamfort. ÎI. 2 3 



PERSONNAGES. 

HASSAN, Turc habitant de Smyrne. 

ZAYDE, femme de Hassan. 

DORNAL, Marseillois. 

AMÉLIE, promise à Dornal. 

KALED, marchand d'esclaves. 

NÉBI, Turc 

FATMÉ, esclave de Zayde. 

ANDRÉ, domestique de Dornal. 

Un Espagnol. 

Un Italien. 

Un Vieillard turc, esclave. 

La scène est à Smyrne, dans un jardin commun à Hassan 
et à Kaled, dont les deux maisons sont en regard sur U 
bord de la mer» 




LE MARCHAND 

DE SMYRNE 



SCÈNE PREMIÈRE. 

HASSAN, s™/. 

On dit que le mal passé n'est qu'un songe ; c'est 
bien mieux : il sert à faire sentir le bonheur pré- 
sent. Il j a deux ans que j'étois esclave chez les 
chrétiens, à Marseille, et il y a un an aujourd'hui, 
jour pour jour, que j'ai épousé la plus jolie fille Je 
Stnyrne. Cela lait une différence. Quoique bon 
musulman, je n'ai qu'une femme. Mes voisins en 
ont deux, quatre, cinq, six, et pourquoi faire? .. 
La loi le permet... heureusement elle ne l'ordonne 
pas. Les François ont raison de n'en avoir qu'uile; 
je ne sais pas s'ils l'aimeni. J'aime beaucoup la 



l8o LE MARCHAND DE SMYRNE 

mienne, moi. Mais elle tarde bien à venir prendre 
le frais. Je ne la gêne pas. Il ne faut pas gêner les 
femmes : on m'a dit en France que cela portoit 
malheur... La voici. 



SCENE II. 

HASSAN, ZAYDE. 

Hassan. 

Vous êtes descendue bien tard, ma chère Zayde? 

Zayde. 

•le me suis amusée à voir, du haut de mon pa- 
villon , les vaisseaux rentrer dans le port. J'ai cru 
remarquer plus de tumulte qu'à l'ordinaire. Seroit- 
ce que nos corsaires auroient fait quelque prise? 

Hassan. 

Il y a long-temps qu'ils n'en ont fait, et, en 
vérité , je n'en suis pas fâché. Depuis qu'un chré- 
tien m'a délivré d'esclavage et m'a rendu à ma 
chère Zayde, il m'est impossible de les haïr. 

Zayde. 

Et pourquoi les haïr? Parce qu'ils ne connoissent 
pas notre saint prophète? Ne sont-ils pas assez à 
plaindre? D'ailleurs je les aime, moi; il faut que 
ce soient de bonnes gens, ils n'ont qu'une femme : 
je trouve cela très-bien. 



SCÈNE II l8l 

Hassan, souriant. 

Oui, mais en récompense... 

Zayde. 

Quoi? 

Hassan. 

Rien. {A part.) Pourquoi lui dire cela' C'est 
détruire une idée agréable. [Tout haut.) J'ai fait 
vœu d'en délivrer un tous les ans. Si nos gens 
avoient fait quelques esclaves aujourd'hui, qui est 
précisément l'anniversaire de mon mariage , je 
croirois que le Ciel bénit ma reconnoissance. 

Zayde. 

Que j'aime votre libérateur sans le connoître! 
Je ne le verrai jamais... je ne le souhaite pas au 
moins. 

Hassan. 

Son image est à jamais gravée dans mon cœur. 
Quelle âme!... Si vous aviez vu... On rachetoit 
quelques-uns de nos compagnons; j'étois couché à 
terre ; je songeois à vous , et je soupirois. Un 
chrétien s'avance et me demande la cause de mes 
larmes. « J'ai été arraché , lui dis-je , à une maî- 
tresse que j'adore; j'étois près de l'épouser, et je 
mourrai loin d'elle, faute de deux cents sequins. » 
A peine eus-je dit ces mots, des pleurs roulèrent 
dans ses jeux. « Tu es séparé de ce que tu aimes ! 
dit-il; tiens, mon ami, voilà deux cents sequins; 
retourne chez toi, sois heureux, et ne hais pas les 



182 LE MARCHAND DE SMYRNE 

chrétiens. » Je me lève avec transport, je retombe 
à ses pieds, je les embrasse; je prononce votre 
nom avec des sanglots ; je lui demande le sien 
pour lui faire remettre son argent à mon retour. 
« Mon ami, me dit-il en me prenant par la main , 
j'ignorois que tu pusses me le rendre, j'ai cru faire 
une action honnête : permets qu'elle ne dégénère 
pas en simple prêt, en échange d'argent. Tu igno- 
reras mon nom. )> Je rettai confondu, et il m'ac- 
compagna jusqu'à la chaloupe, où nous nous sé- 
parâmes les larmes aux yeux. 

Zayde. 

Puisse le ciel le bénir à jamais ! Il sera heureux, 
sans doute, avec une âme si sensible! 

Hassan. 

Il étoit près d'épouser une jeune personne qu'il 
devoit aller chercher à Malte. • 

Zayde. 

Comme elle doit l'aimer! 



SCÈNE IIL 

HASSAN, ZAYDE, FATMÉ. 

Zayde. 
Fatmé, que viens-tu donc nous annoncer? Tu 
parois hors d'haleine. 



SCÈNE III i83 

Fatme. 
Il vient d'arriver des esclaves chrétiens. Cet Ar- 
ménien dont vous êtes fâché d'être le voisin, et 
que vous méprisez tant parce qu'il vend des hom- 
mes^ en a acheté une douzaine, et en a déjà vendu 
plusieurs. 

Hassan. 

Voici donc le jour où je vais remplir mon vœu! 
J'aurai le plaisir d'être libérateur à mon tour. 

Zayde. 

Mon cher Hassan , sera-ce une femme que vous 
délivrerez? 

Hassan, souriant. 

Pourquoi? Cela vous inquiète ; vous craignez 
que l'exemple... 

Zayde. 

Non, je suis sans alarmes. J'espère que vous ne 
me donnerez jamais un si cruel chagrin. Vous ne 
m'entendez pas. Sera-ce un homme? 

Hassan. 
Sans doute. 

Zayde. 
Pourquoi pas une femme? 

Hassan. 
C'est un homme qui m'a délivré. 

Zayde. 
C'est une femme que vous aimez. 



1^4 l£ marchand de smyrne 

Hassan. 
Oui... Mais, Zayde, un peu de conscience. Un 
pauvre homme en esclavage est bien malheureux ; 
au lieu qu'une femme, à Smyrne, à Constantinople» 
à Tunis, en Alger, n'est jamais à plaindre. La 
beauté est toujours dans sa patrie. Allons, ce sera 
un homme si vous voulez bien. 

Zayde. 
Soit, puisqu'il le faut. 

Hassan. 
Adieu. Je me hâte d'aller chercher ma bourse; 
il ne faut pas qu'un bon musulman paroisse devant 
un Arménien sans argent comptant, et surtout de- 
vant un avare comme celui-là. 



SCÈNE IV. 

ZAYDE, FATMÊ. 

Zayde. 
Mon mari a quelque dessein, ma chère Fatmé; 
il me prépare une fête. Je fais semblant de ne pas 
m'en apercevoir, comme cela se pratique. Je veux 
le surprendre aussi, moi. J'entends du bruit : c'est 
sûrement Kaled avec ses esclaves. Je ne veux pas 
voir ces malheureux : cela m'attendriroit trop. Suis- 
moi et exécute fidèlement mes ordres. 



SCÈNE V l83 



SCÈNE V. 

KALED, DORNAL, AMÉLIE, ANDRÉ; 
UN ESPAGNOL, UN ITALIEN, enchaînés. 

Kaler 

Jamais on ne s'est si fort empressé d'acheter ma 
marchandise. On voit bien qu'il y a long-temps 
qu'on n'avoit fait d'esclaves; il falloit qu'on fût en 
paix : cela étoit bien malheureux. 

DORNAL. 

O désespoir ! la veille d'un mariage , ma chère 
Amélie ! 

Kaled, regardant autour de lui. 

Qu'est-ce que c'est ? On dit qu'il y a des pays 
où l'on ne connoît point l'esclavage... Mauvais 
pays. Aurois-je fait fortune là? J'ai déjà fait de 
bonnes affaires aujourd'hui; je me suis débarrassé 
de ce vieil esclave qui tiroit de ses poches de 
vieilles médailles de cuivre toutes rouillées, qu'il 
regardoit attentivement. Ces gens-là sont d'une 
dure défaite. J'y ai déjà été pris. Je ne suis pas 
fâché non plus d'être délivré de ce médecin fran- 
çois. Rentrons. Avancez. Qu'est-ce qui arrive? 

24 



l86 LE MARCHAND DE SMYRNE 

c'est Nébi; il a Tair furieux. Seroit-il mécontent 
de son emplette? 

SCÈNE VI. 

. LES ACTEURS PRÉCÉDENS, NËBI. 

NÉBI. 

Kaled, je viens vous déclarer qu'il faut vous ré- 
soudre à reprendre votre esclave, à me rendre mon 
argent, ou à paroître devant le cadi. 

Kaled. 

Pourquoi donc ? de quel esclave parlez-vous ? 
est-ce de cet ouvrier, de ce marchand ? Je consens 
à les reprendre. 

NÉBI. 

Il s'agit bien de cela! Vous faites l'ignorant : 
je parle de votre médecin françois. Rendez-moi 
mon argent, ou venez chez le cadi. 

Kaled. 

Comment? Qu'a-t-il donc fait? 

NÉBI. 

Ce qu'il a fait ? J'ai dans mon sérail une jeune 
Espagnole, actuellement ma favorite; elle est in- 
commodée. Savez-vous ce qu'il lui a ordonné? 

Kaled. 

Ma foi, non. 



SCÈNE VI 187 

NÉBI. 

L*air natal. Cela ne m'arrange -t-il pas bien, 
moi? 

Kaled. 

Ehl... l'air natal... Quand je vais dans mon 
pays, je me porte bien. 

NÉBI. 

Quel médecin ! Apparemment que ses malades ne 
guérissent qu'à cinq cents lieues de lui! L'igno- 
rant! Il a bien fait d'éviter ma colère; il s'est enfui 
dans mes jardins : mais mes esclaves le poursuivent 
et vont vous l'amener. Mon argent, mon argent! 

Kaled. 
Votre argent ? Oh ! le marché est bon : il tiendra. 

NÉBI. 

Il tiendra ! Non , par Mahomet ! J'obtiendrai 
justice cette fois-ci. Vous vous êtes prévalu du be- 
soin que j'avois d'un médecin. C'est bien malgré 
moi que j'ai eu recours à vous; mais je n'en serai 
plus la dupe. Vous croyez que cela se passera 
comme i'année dernière, quand vous m'avez vendu 
ce savant.^ 

Kaled. 

Quel savant? 

NÉBI. 

Oui, oui, ce savant qui ne savoit pas distinguer 
du maïs d'avec du blé , et qui m'a fait perdre six 



l88 LE MARCHAND DE SMYRNE 

cents sequins pour avoir ensemencé ma terre sui- 
vant une nouvelle méthode de son pays. 

Kaled. 

Eh bien ! est-ce ma faute, à moi? Pourquoi faites- 
vous ensemencer vos terres par des savans? Est-ce 
qu'ils y entendent rien? N*avez-vous pas des labou- 
reurs? Il n*y a qu'à les bien nourrir et les faire 
travailler. Regardez-le donc avec ses savansf 

Nebi. 

Et cet autre que vous m'avez vendu au poids de 
l'or, qui disoit toujours : De qui est-il fils^ de qui 
est-il fils ? et quel est le père, et le grand-père, et U 
bisaïeuU II appeloit cela, je crois, être généalo- 
giste. Ne vouloit-il pas me faire descendre, moi^ 
du grand vizir Ibrahim ! 

Kaled. 
Voyez le grand malheur! Quel tort cela vous 
fait-il? Autant vaut descendre d'Ibrahim que d'ua 
autre. 

NÉBI. 

Vraiment, je le sais bien; mais le prix... 

Kaled. 

Eh bien 1 le prix ! Je vous l'ai vendu cher. Ap- 
paremment qu'il m'avoit aussi coûté beaucoup. Il 
y a long-temps de cela ; Je n'étois point alors au 
fait de mon commerce. Pouvois-je deviner que 
ceux qui me coûtent le plus sont les plus inutiles ? 



SCÈNE VI 189 

NÉBI. 

Belîe raison! Cela est -il vraisemblable? est- il 
possible qu'il y ait un pays où Ton soit assez 
dupe... Excuse de fripon, excuse de fripon. Je ne 
m'étonne pas si on fait des fortunes. 

Kaled. 

Excuse de fripon! des fortunes! Vraiment oui, 
des fortunes! Ne croit-il pas que tout est profit? 
Et les mauvais marchés qui me ruinent? N'ont-ils 
pas cent métiers où l'on ne comprend rien? Et 
quand j'ai acheté ce baron allemand dont je n'ai 
jamais pu me défaire, et qui est encore là-dedans 
à manger mon pain? Et ce riche Anglois qui voya- 
geoit pour son spleen, dont j'ai refusé cinq cents 
sequins, et qui s'est tué le lendemain à ma vue, et 
m'a emporté mon argent? Cela ne fait-il pas sai- 
gner le cœur? Et ce docteur, comme on Tappeloit, 
croyez-vous qu'on gagne là-dessus? Et, à la dernière 
foire de Tunis, n'ai-je pas eu la bêtise d'acheter 
un procureur et trois abbés, que je n'ai pas daigné 
exposer sur la place, et qui sont encore chez moi 
avec le baron allemand? 

NÉBI. 

Maudit infidèle ! tu crois m'en imposer par des 
clameurs; mais le cadi me fera justice. 

Kaled. 

Je ne vous crains pas; le cadi est un homme 
juste, intelligent, qui soutient le commerce, qui 



190 LE MARCHAND DE SMYRNE 

sait très-bien que celui des esclaves va tomber, 
parce que tous ces gens-là valent moins de jour un 
jour. 

NÉBI. 

Ah çà! une fois, deux fois, voulez-vous repren- 
dre votre médecin? 

Kaled. 
Non, ma foi. 

NÉBI. 

Eh bien! nous allons voir! 

Kaled. 
A la bonne heure ! 



SCÈNE VII. 
KALED, LES ESCLAVES. 

Kaled, aux esclaves. 

Eh bien ! vous autres, vous voyez combien on a 
de peine à vous vendre. Quel diable d'homme ! il 
m'a mis hors de moi. Il n'y a pas d'apparence 
qu'il me vienne d'acheteurs aujourd'hui; rentrons. 
Qui est-ce que j'entends? Est-ce un chaland? 



SCÈNE VIII 191 



SCÈNE VIII. 

UN VIEILLARD TURC, 
LES ACTEURS PRÉCÉDENS. 

Kaled. 
Bon! ce n'est rien. C'est un esclave d'ici près. 

Le Vieillard. 
Bonjour, voisin : est-ce là votre reste? 

Kaled. 
Ne m'arrête pas, tu ne m'achèteras rien. 

Le Vieillard. 
Je n'achèterai rien? Oh! vous allez voir, 

Kaled. 
Que veut-il dire? 

DoRNAL, à part 
Je tremble. 

Le Vieillard. 
Avez-vous bien des femmes? C'est une femme 
que je veux. 

Kaled. 
Quel gaillard, à son âge! 

Le Vieillard. 
Eh! il n'y en a qu'une? 

Kaled. 
Encore n'est-elle pas pour toi. 



192 LE MARCHAND DE SMYRNE 

Le ViEILLAREt 

Pourquoi donc cela? 

Kaled. 
Je l'ai refusée à de plus riches. 

Le Vieillard. 
Vous me la vendrez. 

Kaled. 
Oui ! oui ! 

DORNAU 

Seroit-il pojsible! Quoi! ce misérable... 

Le Vieillard, 
Combien vaut-elle? 

Kaled. 
Quatre cents sequins. 

Le Vieillard. 
Quatre cents sequins ! C'est bien cher. 

Kaled. 
Oh! dame! c'est une Françoise : cela se vend 
bien; tout le monde m'en demande. 

Le Vieillard. 
Voyons-la. 

Kaled. 
Oh ! elle est bien. 

Le Vieillard, 
Elle baisse les yeux, elle pleure, elle me touche. 
C'est pourtant une chrétienne : cela est singulier. 
Trois cent cinquante! 



SCÈNE viir 1^3 

Kaled 



Pas un de moins. 

Le Vieillard. 
Les voilà. 

Emmenez. 



Kaled* 



DORNAL. 

Arrêtez... O ma chère Amélie! 

Kaled. 

Ne vas-tu pas m*empêcher de vendre? Vraiment, 
je n'aurai pas assez de peine à me défaire de toi ! 
Vous autres François, les maris de ce pays-ci ne 
-vous achètent point. Vous êtes toujours à rôder 
autour des sérails, à risquer le tout pour le tout. 

DORNAL. 

Vieillard , vous ne paroissez pas tout à fait in- 
sensible ; laissez-vous toucher. Peut-être avez-vous 
une femme, des enfants? 

Le Vieillard. 
Moi, non. 

Dornal. 

Par tout ce que vous avez de plus cher, ne 
nous séparez pas ! Cest ma femme. 

Le Vieillard. 
Sa femme? Cela est fort différent; mais, vrai- 
ment, Kaled, si c'est sa femme, vous me surfaites. 

Dornal. 
Pour toute grâce, achetez-moi du moins avec 
fille. 

Chamfort. II. 2 5 



194 le marchand de smyrne 

Le Vieillard. 
Hélas! mon ami, je le voudrois bien; mais je 
n'ai besoin que d'une femme. 

DORNAL. 

Je vous servirai fidèlement. 

Le Vieillard. 
Tu me serviras ! Je suis esclave. 

Kaled. 
Est-ce que tu les écoutes? 

André. 
Mes pauvres maîtres! 

Amélie. 
O mon ami, quel sort ! 

DORNAL. 

Ne Tachetez pas. Quelque homme riche nous 
achètera peut-être ensemble. 

Le Vieillard. 
C'est bien ce qui pourroit t'arriver de pis : il 
t'en feroit le gardien. 

DoRNAL, à Kaled, 
Ne pouvez-vous différer de quelques jours? 

Kaled. 
Différer ! On voit bien que tu n'entends rien au 
commerce. Est-ce que je le puis? Je trouve mon 
profit, je le prends. 

DoRNAL. 

O Ciel! se peut-il?... Mais que dirai-je pour 



SCENE VIII 1^5 

attendrir un pareil homme? Quel métier! quelles 
âmes ! Trafiquer de ses semblables ! 

Kaled. 

Que veut-il donc dire? Ne vendez-vous pas des 
nègres? Eh bien! moi, je vous vends... N'est-ce 
pas la même chose? Il n'y a jamais que la diffé- 
rence du blanc au noir. 

Le Vieillard. 
En vérité, je n'ai pas le courage... 

Kaled. 
Allons, toi, ne vas-tu pas pleurer aussi? Je garde 
ton argent; emmène ta marchandise, si tu veux. 
Il se fait tard. 

Amélie. 
Adieu, mon cher Dornal ! 

DORNAL. 

Chère Amélie ! 

Amélie. 
Je n'y survivrai pas ! 

Kaled. 
Cela ne me regarde plus. 

Dornal. 
J'en mourrai. 

Kaled. 
Tout doucement, toi, je t'en prie ; ce n'est pas 
là mon compte. [Kepoussant Dornal.) Ne vas-tu 
pas faire comme l'Anglois? 



196 LE MARCHAND DE SMYRNE 

DORNAL. 

Ah! Dieu! faut-il que je sois enchaîné!... 

André. 
O ma chère maîtresse! 



SCÈNE IX. 

KALED, DORNAL, ANDRÉ, L'ESPAGNOL, 

L'ITALIEN. 

Kaled. 

M'en voilà quitte pourtant; Je suis bien heureux 
d'avoir un cœur dur: j'aurois succombé. Ma foi, 
sans son argent comptant, il ne l'auroit jamais 
emmenée, tant je m'en sentois ému. Diable! si je 
m'étois attendri, j'aurois perdu quatre cents se- 
quins. {Il compte ses esclaves,) Un, deux... Il n'y 
en a plus que quatre. Oh ! je m'en déferai bien. 



SCÈNE X. 

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, HASSAN. 

Hassan , à Kaled. 
Eh bien ! voisin, comment va le commerce? 



SCENE X 197 

Kaled. 

Fort mal, le temps est dur. [A part.) Il faut 

toujours se plaindre. 

Hassan. 

Voilà donc ces pauvres malheureux ! Je ne puis 

les délivrer tous : j'en suis bien fâché. Tâchons au 

moins de bien placer notre bonne action. C'est un 

devoir que cela, c'est un devoir. [A l'Espagnol.) 

De quel pays es-tu, toi? Parle. Tu as Tair bien 

haut... Parle donc... 

L'Espagnol. 

Je suis gentilhomme espagnol. 

Hassan. 

Espagnols ! braves gens ! un peu fiers, à ce qu'on 

m'a dit en France... Ton état? 

L'Espagnol. 

Je vous l'ai déjà dit : gentilhomme. 

Hassan. 

Gentilhomme ! je ne sais pas ce que c'est. Que 

fais-tu ? 

Hassan. 

Rien. 

Hassan. 

Tant pis pour toi, mon ami; tu vas bien t'en- 

nuyer. [A Kaled.) Vous n'avez pas fait une trop 

bonne empiète. 

Kaled. 

Ne voilà-t-il pas que je suis encore attrapé ? 



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198 LE MARCHAND DE SMYRNE 

Gentilhomme, c'est sans doute comme qui diroit 
baron allemand. C'est ta faute aussi : pourquoi 
vas-tu dire que tu es gentilhomme? Je ne pourrai 
jamais me défaire de toi. 

Hassan, à Vltalitn. 

Et toi , qui es-tu avec ta jaquette noire ? Ton 

pays? 

L'Italien. 

Je suis de Padoue. 

Hassan. 

Padoue? Je ne connois pas ce pays-là... Ton 

métier? 

L'Italien. 

Homme de loi. 

Hassan. 

Fort bien. Mais quelle est ta fonction particu- 
lière ? 

L'Italien. 

De me mêler des affaires d'autrui pour de l'ar- 
gent, de faire souvent réussir les plus désespérées, 
ou du moins de les faire durer dix ans, quinze ans, 

vingt ans. 

Hassan. 

Bon métier! et dis-moi, rends-tu ce beau service 
à ceux qui ont tort, à ceux qui ont raison, indiffé- 
remment ? 

L'Italien. 

Sans doute; la justice est pour tout le monde. 



SCÈNE X 199 

Hassan, riant. 
Et on souffre cela à Padoue? 

L'Italien. 
Assurément. 

Hassan. 
Le drôle de pays que Padoue ! Il se passera 
bien de toi, je m'imagine. {A André.) Et toi, qui 
es-tu? 

André. 
Moins que rien. Je suis un pauvre homme. 

Hassan. 
Tu es pauvre ? Tu ne fais donc rien ? 

André. 
Hélas ! je suis fils d'un paysan : je Tai été moi- 
même. 

Kaled. 
Bon ! c'est sur ceux-là que je me sauve. 

André. 
Je me suis ensuite attaché au service d'un bon 
maître, mais qui est plus malheureux que moi. 

Hassan. 
Cela se peut bien : il ne sait peut-être pas la- 
bourer la terre. Mais c'est l'habit françois que tu 
as là? 

André. 
Je le suis aussi. 

Hassan. 
Tu es François ! Bonnes gens que les François ! 



200 LE MARCHAND DE SMYRNE 

Ils ne haïssent personne. Tu es François, mon ami! 
Il suffit, c'est toi qu'il faut que je délivre. 

André. 
Généreux musulman, si c'est un François que 
vous voulez délivrer, choisissez quelque autre que 
moi. Je n'ai ni père, ni mère, ni femme, nienfans; 
j'ai l'habitude du malheur : ce n'est pas moi qui 
suis leplusà plainclre. Délivrez mon pauvre maître. 

Hassan. 
Ton maître! Qu'est-ce que j'entends? Quelle 
générosité! Quoi!... Ces François... Mais est-ce 
qu'ils sont tous comme cela?... Et où est-il, toa 
maître ? 

André , lui montrant Dornal, 
Le voilà : il est abîmé dans sa douleur. 

Hassan. 
Qu'il parle donc! Il se cache, il détourne la vue, 
il garde le silence. [Hassan avance, le considère 
malgré lui,) Que vois-je! est-il possible! je ne me 
trompe pas. C'est lui, c'est lui-même; c'est moa 
libérateur! (// l'embrasse avec transport.) 

Dornal. 
O bonheur! ô rencontre imprévue I 

Kaled. 
Comme ils s'embrassent ! Il l'aime : bon I il le 
payera. 

Hassan. 
Je n'en reviens point. Mon ami! mon bienfaiteur! 



SCENE X 20I 

Kaled. 

Peste ! un ami, un bienfaiteur ! Cela doit bien se 
vendre, cela doit bien se vendre. 

Hassan 

Mais, dites -moi donc , comment se fait-il?... 
par quel bonheur?... Qu'est-ce que je dis? La tête me 
tourne. Quoi! c'est envers vous-même que je puis 
m'acquitter? J'ai fait vœu de délivrer tous les ans 
un esclave chrétien : je venois pour remplir mon 
vœu, et c'est vous... 

DORNAL. 

O mon ami! connoissez tout mon malheur. 

Hassan. 
Du malheur ! il n'y en a plus pour vous. ( Se 
tournant du coté de Kaled.) Kaled , combien vous 
dois-je pour l'emmener? 

Kaled. 
Cinq cents sequins. 

Hassan. 
Cinq cents sequins... Kaled, je ne marchande 
point mon ami; tenez. 

DORNAL. 

Quelle générosité ! 

Hassan, à Kaled, 
Je vous dois ma fortune, car vous pouviez me 
la demander. 

Kaled. 
Que je suis une grande bête! Bonne leçon. 

26 



202 le marchand de smyrne 

Hassan. 

Laissez-nous seulement, je vous prie : que je 
jouisse des embrassemens de mon bienfaiteur. 

Kaled. 

Oh ! cela est juste, cela est juste. Il est bien à 
vous. Allons, vous autres, suivez-moi, 

André , à DornaL 

Adieu, mon cher maître. 

DoRNAL. 

[A André,) Que dis-tu? peux-tu penser?... [A 
Hassan,) Mon cher ami, ce pauvre malheureux, 
vous avez vu s'il m'est attaché, s'il est fidèle, s'il a 
un cœur sensible ! 

Hassan. 

Sans doute, sans doute ; il faut le racheter. 

Kaled. 

Quel homme! comme il prodigue l'orl Si je 
profitois de cette occasion pour faire délivrer mon 
baron allemand... Mais il ne voudra pas. 

Hassan. 
Tenez, Kaled. 

Kaled, regardant les sequîns. 

En vérité, voisin, cela ne suffit pasi 

Hassan. 

Comment ! cent sequins ne sufHsent pas ? Un 
domestique... 



SCENE X 2o3 

Kaled. 
Eh! mais.., un domestique... Après tout, c'est 
un. homme comme un autre. 

Hassan. 
Bon ! voilà de la morale à présent 

Kaled. 
Et puis un valet fidèle , qui a un cœur sensible , 
qui travaille , qui laboure la terre , qui n'est pas 
gentilhomme... En conscience... 

Hassan, donnant quelques sequins. 
Allons, laissez-nous. Qu'attendez-vous? qu'est- 
ce que vous voulez? 

Kaled. 
Voisin, c'est que j'ai chez moi un pauvre malheu- 
reux; un brave homme, qui est au pain et à l'eau 
depuis trois ans ; cela fend le cœur : cela s'appelle 
un baron allemand. Vous qui êtes si bon, vous de- 
vriez bien... 

Hassan. 

Je ne puis pas délivrer tout le monde. 

Kaled 
A moitié perte. 

Hassan. 
Cela est impossible. 

Kaled. 
Quand Je disois que cet homme-là me resteroitf 
Oh ! si jamais on m'y rattrape... Allons, homme 



204 LE MARCHAND DE SMYRNE 

de loi, gentilhomme, rentrez là-dedans; allez vous 
coucher, il faut que je soupe. 



SCÈNE XI. 

HASSAN, DORNAL. 

Hassan. 
Mon cher ami, que je vous présente à ma femme. 
Savez-vous que je suis marié ! C'est à vous que je 
le dois. Et vous, cette jeune personne que vous 
deviez aller chercher à Malte? 

Dornal. 
Je Tai perdue. 

Hassan. 
Que dites-vous? 

Dornal. 
Je l'emmenois à Marseille pour l'épouser : elle 
a été prise avec moi. 

Hassan. 
Eh bien! est-ce l'Arménien qui Ta achetée? 

Dornal. 
Oui. 

Hassan. 
Courons donc vite. 

Dornal. 
11 n'est plus temps : le barbare l'a vendue. 



SCÈNE xr 2o5 

Hassan. 

A qui? 

DORNAL. 

Je l'ignore. Un esclave de quelque homme riche 
Ta arrachée de mes bras. 

Hassan. 

Ah ! malheureux ! c'est peut-être pour quelque 
pacha. Est-elle belle? 

DORNAL. 

Si elle est belle ! 



SCÈNE XII. 

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, ZAYDE. 

Zayde. 

Mon ami, vous me laissez bien long- temps seule. 
Et votre esclave chrétien ? 

Hassan. 

Mon esclave ! c'est mon ami , c'est mon libéra- 
teur que je vous présente. J'ai eu le bonheur de le 
délivrer à mon tour. 

Zayde. 

Étranger, je vous dois le bonheur de ma vie. 



;o6 LE MARCHAND DE SMYRNE 



SCÈNE XIII. 

LES ACTEURS PRÉCÉDENS, FATMÉ. 

pATMé. 

Est-il temps? Ferai-je entrer? 

Zayde. 
Oui, tu peux . 



SCÈNE XIV. 

ZAYDE, HASSAN, DORNAL. 

Hassan. 

Quel est ce mystère ? 

Zayde. 
Mon ami, vous m'avez tantôt soupçonnée de 
jalousie; je vais vous prouver ma confiance. Je me 
suis servie de vos bienfaits pour acheter une esclave 
chrétienne; je vcnois vous la présenter, afin qu'elle 
tînt sa liberté de vos mains. 



\ 



SCENE XV ET DERNIERE 20" 



SCÈNE XV ET DERNIÈRE. 

HASSAN, ZAYDE, DORNAL, FATMÉ, 

UNE Esclave chrétienne vêtue en musulmane, avec 

un voile sur la tête, 

Zayde». 

La voici. Voyez le spectacle le plus intéressant: 
la beauté dans la douleur. 

Hassan s'approche et lève le voile. 

Qu'eik est touchante et belle ! 

Dornal. 
Amélie ! Ciel ! ( // vole dans ses bras.) 

Amélie , avec joie. 
Que vois-je! mon cher Dornal! 

Dornal. 
Ma chère Amélie, vous êtes libre! je le suis 
aussi. Vous êtes auprès de votre bienfaitrice, de 
mon libérateur. (// saute au cou de Hassan, et veut 
ensuite embrasser Zayde, qui recule avec modestie. ) 

Hassan, à Dornal. 

Embrassez ! embrassez! il est honnête, ce trans- 
port-là. [A Zayde, qui reste confuse.) Ma chère 
amie, c'est la coutume de France. 



2o8 LE MARCHAND DE SMYRNE 

Amélie , à Zayde, 
Madame, je vous dois tout! Que ne puis-je 
vous donner ma vie ! 

Zayde. 
C'est à moi de vous rendre grâces. Vous ne me 
devez que votre liberté, et je dois à votre époux 
la liberté du mien. 

Amélie. 
Quoi ! c'est lui ! 

Hassan. 
Oh ! cela est incroyable ! A propos, vous n'êtes 
point mariés? 

DORNAL. 

Vraiment, non : nous ne le serons qu'à notre 
retour. Une de ses tantes nous accompagnoit : 
elle est morte dans la traversée. 

Hassan. 
Vite, vite, un cadi, un cadi!... Ah! mais, à pro- 
pos, on ne peut pas. . . C'est cet habit qui me trompe. 

DoRNAL. 

Ma chère petite musulmane, quand serons-nous 
en terre chrétienne 1 Ah ! mon Dieu , nos pauvres 
compagnons d'infortune ! 

Hassan. 
Si j'étois assez riche. . . Mais, après tout, rhomme 
de loi , et cet autre , cela ne doit pas coûter cher, 
n'est-ce pas? 



SCÈNE XV ET DERNIÈRE 209 

DORNAL. 

Ah ! mon Dieu , non ! Nous les aurons à bon 
marché. 

Fatmé. 

Ah ! c'est bien vrai. Je viens de rencontrer 
l'Arménien; tout ce qu'il demande, c'est de les 
vendre au prix coûtant. 

DORNAL. 

D'ailleurs, moi, je suis riche, et je prétends 
bien... 

Hassan. 

Allons, délivrons-les. (A Fatmé,) Va les cher- 
cher. Qu'ils partagent notre joie, qu'ils soient 
heureux et qu'ils nous pardonnent de porter un 
doliman au lieu d'un justaucorps. 

(Fatmé amène V Arménien, suivi des esclaves qui ont 
paru dans la pièce et de ceux dont il y est parlé. 
Ils forment un ballet et témoignent leur recon^ 
noissance à Zayde, à Hassan et à DornaL) 




Chamfort. II. 27 




^:!^^^ 



LETTRES DIVERSES 

LETTRE PREMIÈRE. 

A Madame de... 

i suis douté. Madame, en rece- 

yqu'il m'arrivoii malheur, et c'étoit 
■ moi une nouveaulé d'ouvrir un 
billet de vous avec chagrin. Je compiois faire ce 
soir mon entrée dans mon nouvel établissemeoi 
d'Auteuil ; mais, ayant différé de deux jours pour 
vous faire ma cour avant mon départ, il faut bien 
que je diffère de deux autres pour que les deux 
premiers ne soient pas perdus. Je crois ce senti- 
ment-là plus honnête que celui qui fait recourir 
les joueurs après leur argent; mais, dans le fond, 
il esi à peu pies du même genre. 



212 LETTRES DIVERSES 

Ce sont plusieurs de mes amis qui sont cause 
que je viens me cacher quelque temps à la cam- 
pagne dans un assez mauvais temps. Croirez-vous 
que c'est pour travailler, pour finir ces épîtres de 
Ninon ' sur lesquelles on ne cesse de m'im patien- 
ter? N*est-il pas ridicule d'aller vivre sagement 
pour écrire des folies? Etre fou de sang-froid ou 
par réminiscence, cela n'est-il pas bizarre? Voilà 
l'inconvénient de dire à ses amis les choses sur les* 
quelles on travaille. On ne m'y reprendra plus. 
Etre exposé à finir ce que je commence, à mettre de 
l'ordre dans mes caprices, cela me paroît un peu 
dur, et je n'en serai plus la dupe. 

Je ne vous parle plus , Madame , de mon res- 
pect ni de ma tendre amitié, qui dureront autant 
que moL 



LETTRE II. 



Voilà donc, mon ami, comme vous vous con- 
duisez, vous que jecrojrois la raison, la prudence, 



I . Ces épîtres ont été égarées, ainsi que d'autres papien» 
à la mort de l'auteur. Celte perte est probablement sans 
ressource, car les recherches les plus exactes n'ont pu noat 
les procurer. (Note du premier éditeur.) 



LETTRES DIVERSES 2l3 

la sagesse même! A qui se fier après ce que je 
sais de vous, et sur qui compter désormais ? On 
vous ordonne la plus grande modération dans 
Tusage de la pensée, et madame M... m'a dit 
qu'elle avoit reçu de vous une lettre charmante et 
pleine d'esprit : ce sont ses termes ; je n'exagère 
rien, et je suis bien éloigné de vous chercher des 
torts. Vous ne pouvez pas la récuser non plus. 
Elle vous aime, elle a de la candeur et est à 
mille lieues de toute espèce de médisance, à plus 
forte raison de calomnie. 

Une lettre charmante et pleine d'esprit! Est-il 
possible ? Quoi ! c'est vous qui vous permettez de 
pareils excès! On est tranquille sur votre compte, 
et tout d'un coup voilà une infraction de régime 
qui vient effrayer vos amis. Si madame M... eût 
dit simplement une lettre charmante, je dirois : 
«Cela peut se passer; peut-être le mal n'est-il pas 
si grand qu'on le fait. » Vingt fois j'ai entendu 
dire : « C'est un ouvrage charmant », et, à la lec- 
ture, j'ai vu que rien n'étoit plus faux; mais pleine 
d'esprit ! C'est là ce qui est une faute absolument im- 
pardonnable. Je ne vous cache pas que je me crois 
obligé d'en faire avertir M. Tronchin,qui ne plai- 
sante point dans ces cas-là, et qui saura vous en 
dire son avis. De l'esprit! Vous n'ignorez pas com- 
bien la pensée est nuisible à l'homme; que, par 
cette raison, il n'y a presque point d'homme qui 



214 LETTRES DIVERSES 

pense la vingtième partie de sa vie; que vous- 
même, pour avoir pensé seulement la moitié de la 
vôtre, vous vous en trouvez très-mal. Et voilà que 
non-seulement vous pensez, mais même vous osez 
avoir de Tesprit! Vous savez qu'en pleine santé 
même il ne fait pas sûr de se donner cette licence; 
que Tesprit entraîne de grands inconvéniens à la 
ville, à la cour; et c'est vous... Je n'en reviens 
pas. Bon Dieu! à quoi sert la philosophie? Je ne 
m'y connois point, mais je soupçonne qu'il y a 
entre penser et avoir de l'esprit la même diffé- 
rence qu'il y a entre marcher et courir; et, si cela 
est vrai, jugez combien vous êtes coupable. 

Vous allez me répliquer que vous avez beaucoup 
d'amitié pour madame M...; qu'au moment où 
vous avez pris la plume pour répondre à sa lettre, 
le sentiment a éveillé l'esprit chez vous. Je sais 
qu'il y en a des exemples, que ce genre d'esprit est 
le meilleur, le plus rare et le plus aimable, et que 
vous pouvez être dans ce cas; mais, de bonne 
foi, pensez-vous que cette excuse me rassure et 
me satisfasse ? D'abord il s'agiroit de savoir si 
M.Tronchin vous permet le sentiment. Cela m'é- 
tonncroit beaucoup dans un médecin aussi habile 
et qui connoît si bien la nature. Je doute très-fort 
qu'il vous ait rien prononcé là-dessus, et vous 
êtes trop honnête pour le compromettre avec la 
Faculté. On sait assez que le sentiment est presque 



LETTRES DIVERSES 21$ 

aussi malsain que Tesprit, et, quoiqu'on soit dans 
l'habitude de le contrefaire et de le jouer encore 
davantage , parce que la chose est beaucoup plus 
facile, vous voyez que, dans le vrai, on se le per- 
met assez rarement. Il est donc clair, mon cher 
ami, que votre excuse ne seroit qu'une défaite; 
€t, au fond, je ne vois pas comment vous vous en 
tirerez. 

La faute où vous venez de tomber d'une façon 
si humiliante m'a fait revenir sur le passé , comme 
il arrive en pareil cas, et je me suis rappelé que 
les deux dernières fois que j'ai eu le plaisir de vous 
voir il s'en falloit bien que vous ne fussiez net , 
et même je me souviens de quelques réflexions un 
peu vigoureuses ou piquantes qui doivent néces- 
sairement prendre sur la machine. J'ai songé alors 
que vous étiez assez mal environné, que mademoi- 
selle Thomas, outre son esprit, ayant encore celui 
qui naît du sentiment, peut très-fréquemment re- 
doubler chez vous les crises de ces deux facultés, ce 
qui ne sauroit manquer de vous faire beaucoup de 
tort. Il ne faut pas croire que je sois non plus sans 
inquiétude sur M. Ducis. Ceux qui ne connoissent 
<jue son talent tragique ne savent pas à quel point 
il est dangereux pour vous, et de combien de fa- 
çons il peut vous nuire par sa conversation forte, 
animée et attachante. Vous ne connoissez point, 
je crois, madame Helvétius; je sais, du moins, que 



2l6 LETTRES DIVERSES 

VOUS n'allez point chez elle. J'en suis enchanté 
pour vous... 

LETTRE III. 



20 août 1765. 

Je crois assez connoître votre âme, mon cher 
ami, pour pouvoir vous donner des conseils utiles 
à votre bonheur. Garantissez-vous de tout senti- 
ment vif et profond. J'ai remarqué que toutes les 
fois que vous êtes vivement affecté de quelque 
chose vous tombez dans un chagrin qui n'est point 
cette douce mélancolie si délicieuse pour ceux 
qui l'éprouvent. De plus, les travaux rendent la 
gaieté nécessaire à votre santé. Quand un senti- 
ment profond vous rendroit heureux, du moins 
est-il certain qu'il ne vous délasseroit pas, et vous 
avez besoin d'être délassé. Ne craignez pas de per- 
dre par là cette sensibilité nécessaire à l'homme de 
lettres; vous en avez reçu une trop grande dose : 
rien ne peut l'épuiser. La lecture des excellens 
livres l'entretiendra davantage , sans exposer votre 
âme à ces secousses violentes qui l'accablent lors- 
que des nœuds qui nous étoient chers viennent à 
se briser. 

Ne donnez jamais à personne aucun droit sur 



LETTRES DIVERSES 217 

VOUS. La roideur de votre caractère pouvant, par 
la suite, vous forcer à cesser de les voir, vous au- 
rez l*air de l'ingratitude. Tenez tout le monde 
poliment à une grande distance; prosternez-vous 
pour refuser. Je crois à l'amitié, je crois à l'amour 
(cette idée est nécessaire à mon bonheur); mais je 
crois encore plus que la sagesse ordonne de re- 
noncer à l'espérance de trouver une maîtresse et 
un ami capables de remplir mon cœur. Je sais que 
ce que je vous dis fait frémir; mais telle est la dé- 
pravation humaine , telles sont les raisons que j'ai 
de mépriser les hommes, que je me crois tout à 
fait excusable. 

Si quelqu'un étoit naturellement ce que je vous 
conseille d'être, je le fuirois de tout mon cœur. 
Est- on privé de sensibilité, on inspire un senti- 
ment qui ressemble à l'aversion ; est-on trop sen- 
sible, on est malheureux. Quel parti prendre? Ce- 
lui de réduire l'amour au plaisir de satisfaire un 
besoin spontané , en se permettant tout au plus 
quelque préférence pour tel ou tel objet. Réduire 
l'amitié à un sentiment de bienveillance propor- 
tionné au mérite de chacun, c'est le parti que prit 
Fontenelle, qui avoit toujours les jetons à la main. 
Vous êtes né honnête : je suis sûr que vous ne 
pousserez pas cette défiance trop loin. Tout ceci 
se réduit à dire que votre âme ne doit jamais être 
inséparablement attachée à l'âme de personne , 

28 



2l8 LETTRES DIVERSE*» 

qu'il faut apprécier tout le monde et remplir tous 
les devoirs de Thonnête homme, et même de 
l'homme vertueux, d'après des idées justes et dé- 
terminées, plutôt que d'après des sentimens qui, 
quoique plus délicieux, ont toujours quelque chose 
d'arbitraire. 

C'est par le travail seul que vous échapperez à 
l'activité de cette âme qui dévore tout. Le temps 
que vous emploierez chez vous sera pris sur celui 
que vous perdriez dans le monde, où vous vous 
amusez si peu , où vous portez le sentiment tou- 
jours pénible de la supériorité de votre âme et de 
l'infériorité de votre fortune , où vous trouvez des 
raisons de haïr et de mépriser les hommes, c'est-à- 
dire de renforcer cette mélancolie à laquelle vous 
êtes déjà trop sujet, qui vous met souvent de mau- 
vaise humeur et qui vous exposé quelquefois à 
vous faire des ennemis. La retraite assurera en 
même temps votre repos, c'est-à-dire votre bon- 
heur, votre santé , votre gloire , votre fortune et 
votre considération ; vous aurez moins d'occasions 
de vous permettre ces plaisirs qui, sans détruire la 
santé , affoiblissent au moins la vigueur du corps, 
donnent une sorte de malaise et détruisent l'équi- 
libre des passions. 

La considération de l'homme le plus célèbre 
tient au soin qu'il a de ne pas se prodiguer. Ayez 
toujours cette coquetterie décente qui n'est indi- 



LETTRES DIVERSES 219 

gue de personne. Votre gloire y gagnera aussi; 
l'emploi de votre temps l'augmentera nécessaire- 
ment, et, par la même raison^ votre fortune : car, 
croyez-moi, ne comptez jamais que sur vous. 

Il y a encore une chose que je ne saurois trop 
vous recommander, et qui vous est plus difficile 
qu'à un autre : c'est l'économie. Je ne vous dis 
pas de mettre du prix à l'argent, mais de regarder 
l'économie comme un moyen d'être toujours indé- 
pendant des hommes , condition plus nécessaire 
qu'on ne croit pour conserver son honnêteté. 



LETTRE IV. 

A Madame S... 

Barèges, le i5 septembre. 

Quoi ! Madame, vous avez eu la bonté d'aller 
voir mon nouveau taudis! Je vous reconnois bien 
là. Vous êtes contente de mon logement; mais 
moi je ne le suis point : je m'y prends trop tard 
pour me loger près de la rue Louis-le-Grand. 

Madame de Grammont est partie depuis le 
commencement du mois. Il me seroit impossible 
de désirer autre chose que ce que j'ai trouvé en 
elle, et nous avons fini encore mieux que nous 
n'avions commencé. J'ai toutes sortes de raisons 



220 LETTRES DIVERSES 

d'être enchanté de mon voyage de Barèges. Il sem- 
ble qu'il devoit être la fin de toutes les contradic- 
tions que j'ai éprouvées, et que toutes les circon- 
stances se sont réunies pour dissiper ce fond de 
mélancolie qui se reproduisoit trop souvent. Le 
retour de ma santé , les bontés que j*ai éprouvées 
de tout le monde, ce bonheur si indépendant de 
tout mérite, mais si commode et si doux, d'inspi- 
rer de l'intérêt à tous ceux dont je me suis occupé; 
quelques avantages réels et positifs, les espérances 
les mieux fondées et les plus avouées par la raison 
la plus sévère, le bonheur public et celui de quel- 
ques personnes à qui je ne suis ni inconnu ni in- 
différent, le souvenir tendre de mes anciens amis, 
le charme d'une amitié nouvelle, mais solide, avec 
un des hommes les plus vertueux du royaume, 
plein d'esprit, de talent et de simplicité, M. du 
Paty, que vous connoissez de réputation ; une au- 
tre liaison non moins précieuse avec une femme 
aimable que j'ai trouvée ici et qui a pris pour moi 
tous les sentimens d'une sœur, des gens dont je 
devois le plus souhaiter la connoissance et qui me 
montrent la crainte obligeante de perdre la mienne, 
enfin la réunion des sentimens les plus chers et 
les plus désirables : voilà ce qui fait, depuis trois 
mois, mon bonheur; il semble que mon mauvais 
génie ait lâché prise, et je vis, depuis trois mois, 
sous la baguette de la fée bienfaisante. 



LETTRES DIVERSES 221 

D'après ce détail, vous croiriez que je vis envi- 
ronné de tout ce que j'ai trouvé d'aimable ici , 
sous un beau ciel et dans une société charmante : 
non, je vis sous une douche brûlante ou dans une 
bouilloire cachée au fond d*un cachot. Tout ce 
que je distinguois est parti de Barèges. Il y fait un 
temps exécrable, et le brouillard ne laisse point 
soupçonner que les Pyrénées soient sur ma tête; 
mais je n'en suis pas moins heureux : j'avois be- 
soin de revenir sur les sentimens agréables dont 
j'ai joui avec trop de précipitation; je les recueille 
avec une joie mêlée de surprise. Mes idées sont 
faciles et douces, tous les mouvemens de mon cœur 
sont des plaisirs : voilà le vrai beau temps, et le 
ciel est d'azur. 

Le ton de cette lettre est un peu différent de 
celles que je vous écrivois, Madame, de la rue de 
Richelieu, et même de quelques conversations que 
je me souviens d'avoir eues avec vous il y a cinq ou 
six mois. Que voulez-vous ? je vous montrois mon 
âme alors comme je vous la montre aujour- 
d'hui. « L'homme est ondoyant, » dit Montaigne. 
J'étois de fer pour repousser le mal, je suis de cire 
pour recevoir le bien. Les différentes philosophies 
sont bonnes; il ne s'agit que de les placer à pro- 
pos. Zenon n'avoit pas tort; Épicure avoit raison. 
Le régime d'un malade n'est pas celui d'un conva- 
lescent; celui d'un convalescent n'est pas celui d'un 



222 LETTRES DIVERSES 

athlète. Je me trouve bien de ma manière d'être 
actuelle; je reviendrois àTautre s'il le falloit, mais 
je tâcherai d'écarter ce qui pourroit la rendre né- 
cessaire. Je n'y sais que cela. 

Madame de Tessé et M. le duc d'Ayen ont 
passé ici quelques jours. J'ai fort à me louer de 
leurs bontés; je n'ai cependant point accepté l'of- 
fre de madame de Tessé pour Luchon. Je vous 
dirai pourquoi. 

Je pars d'ici vers la fin de septembre. Je comp- 
tois m'en aller en droiture à Paris; je pressentois 
le besoin que j'aurois de revoir mes anciens amis, 
car je ne veux rien perdre; mais j'ai de nouvelles 
raisons de me priver encore de ce plaisir. M. de 
B... a trouvé absurde que je négligeasse roccasion 
de voir M. de Choiseul; il prétend que ma con- 
noissance avec M. de Gr... pourroit finir par 
n'être qu'une connoissance des eaux. C'est ce qui 
ne peut jamais arriver. Il est actuellement à Chan- 
teloup; il peut s'en assurer par lui-même, et, entre 
nous, je crois qu'il ne laissera pas d'être un peu 
surpris. Quoi qu'il en soit, je défère à son conseil 
et à celui de mes amis, qui blâment mon peu d'em- 
pressement sur cela. Mais je ne serai à Chanteloup 
qu'à la fin d'octobre; j'y resterai le temps qu'il 
conviendra. J'étois fort tenté de m'en retourner 
par le Languedoc pour voir la Provence , qui est 
un fort beau pays. 



LETTRES DIVERSES 223 

Voulez-vous bien, Madame, présenter mes res- 
pects à M. S... ? Je vous adresserois aussi bien 
des complimens pour les personnes que vous savez, 
si je ne craignois que quelques-unes , s'imaginant 
que ma lettre contient quelques bonnes histoires 
des eaux, ne s'avisassent de vous la demander, et 
je vous prie de vouloir bien ne pas la leur lire. 

Conservez, je vous prie, Madame, votre santé, 
celle de M. S..., votre bonheur commun, vos 
bontés pour moi, et recevez les assurances de mon 
respect et de ma tendre amitié. 



LETTRE V. 



Vous me demandez, mon ami, si ce n*est pas 
une espèce de singularité qui me fait voir la litté- 
rature sous Taspect où je la vois; s'il est vrai que 
je sois dans le cas de jouir d'une fortune un peu 
plus considérable que celle de la plupart des gens 
de lettres; et enfin vous voulez que je vous con- 
fie , sous le sceau de l'amitié , quels sont les 
moyens que j'ai employés pour arriver à ce 
terme que vous supposez avoir été le but de 
mon ambition. Voilà, ce me semble, les divers 
objets de votre curiosité, autant que je puis le ré- 



224 LETTRES DIVERSES 

sumer de votre longue lettre. Mes réponses seront 
simples. 

Mais je commence par vous dire que je suis 
presque offensé de voir que vous me supposiez ud 
plan de conduite à cet égard. Mon tour d^esprit, 
mon caractère et les circonstances ont tout fait, 
sans aucune combinaison de ma part. J'ai toujours 
été choqué de la ridicule et insolente opinion , ré- 
pandue presque partout, qu'un homme de lettres 
qui a quatre ou cinq mille livres de rente est au 
périgée de la fortune. Arrivé à peu près à ce 
terme, j'ai senti que j'avois assez d'aisance pour 
vivre solitaire, et mon goût m'y portoit natu- 
rellement; mais, comme le hasard a fait que ma 
société est recherchée par plusieurs personnes 
d'une fortune beaucoup plus considérable, il est 
arrivé que mon aisance est devenue une véri- 
table détresse, par une suite des devoirs que 
m'imposoit la fréquentation d'un monde que je 
n'avois pas recherché. Je me suis trouvé dans la 
nécessité absolue ou de faire de la littérature un 
métier pour suppléer à ce qui me manquoit du 
côté de la fortune, ou de solliciter des grâces, ou 
enfin de m'enrichir tout d'un coup par une retraite 
subite. Les deux premiers partis ne me convenoient 
pas; j'ai pris intrépidement le dernier. On a beau- 
coup crié ; on m'a trouvé bizarre , extraordinaire. 
Sottises que toutes ces clameurs. Vous savez que 



LETTRES DIVERSES 225 

j'excelle à traduire la pensée de mon prochain. 
Tout ce qu'on a dit à ce sujet vouloit dire : 
« Quoi ! n'est-il pas suffisamment payé de ses 
peines et de ses cour'ses par l'honneur de nous 
fréquenter, par le plaisir de nous amuser, par l'a- 
grément d'être traité par nous comme ne Test au- 
cun homme de lettres? » 

A cela je réponds : J'ai quarante ans. De ces 
petits triomphes de vanité dont les gens de lettres 
sont si épris, j'en ai par-dessus la tête. Puisque, 
de votre aveu, je n'ai presque rien à prétendre, 
trouvez bon que je me retire. Si la société ne m'est 
bonne à rien , il faut que je commence à être bon 
pour moi-même. Il est ridicule de vieillir en qua- 
lité d'acteur, dans une troupe où l'on ne peut pas 
même prétendre à la demi-part. Ou je vivrai seul, 
occupé de moi et de mon bonheur; ou, vivant 
parmi vous, j'y jouirai d'une partie de l'aisance 
que vous accordez à des gens que vous-mêmes 
vous ne vous aviseriez pas de me comparer. Je 
m'inscris en faux contre votre manière d'envisager 
les hommes de ma classe. Qu'est-ce qu'un homme 
<le lettres, selon vous, et, en vérité, selon le fait 
établi dans le monde ? C'est ufi homme à qui on 
dit : « Tu vivras pauvre et trop heureux de voir ton 
nom cité quelquefois; on t'accordera, non quelque 
considération réelle, mais quelques égards flatteurs 
pour ta vanité, sur laquelle je compte, et non pour 
Chamfort. — II. 29 



226 LETTRES DIVERSES 

Tamour-propre qui convient à un homme de sens. 
Tu écriras, tu feras des vers et de la prose pour 
lesquels tu recevras quelques éloges, beaucoup 
d'injures et quelques écus*, en attendant que tu 
puisses attraper quelques pensions de vingt-cinq 
louis ou de cinquante, qu'il faudra disputer à tes 
rivaux en te roulant dans la fange, comme le fait 
la populace aux distributions de monnoîe qu'on lui 
jette dans les fêtes publiques. » 

J'ai trouvé , mon ami , que cette existence ne 
me convenoit pas; et, méprisant à la fois la glo* 
riole des grandeurs et la gloriole littéraire, j'ai 
immolé l'une et l'autre à l'honneur de mon carac- 
tère et à l'intérêt de mon bonheur. J'ai dit tout 
haut : a J'ai fait mes preuves de désintéressement, 
et je ne solliciterai pas. J'ai très-peu, mais j'ai au- 
tant ou plus que quantité de gens de mérite. 
Ainsi, je ne demande rien ; mais il faut que vous me 
laissiez à moi-même : il n'est pas juste que je porte 
en même temps le poids de la pauvreté et le poids 
des devoirs attachés à la fortune. J'ai une santé 
délicate et la vue basse; je n'ai gagné jusqu'à pré- 
sent dans le monde que des boues, des rhumes, 
des fluxions et des indigestions , sans compter le 
risque d'être écrasé vingt fois par hiver. II est 
temps que cela finisse, et, si cela n'est pas terminé 
à telle époque, je pars. » 

Voilà, mon ami, ce que j'ai dit; et, si vous 



LETTRES DIVERSES 227 

VOUS étonnez que cela ait pu produire autant d'ef- 
fet, il faut savoir qu'une première retraite de six 
mois, où j'avois trouvé le bonheur, a prouvé 
invinciblement que je n'agissois ni par humeur 
ni par amour- propre. Il reste à vous expli- 
quer pourquoi on se faisoit une peine de me 
voir prendre le parti de la retraite. C'est, mon 
ami , ce que je ne puis vous développer, au moins 
dans le même détail ; mais je puis vous dire sans 
que vous deviez me soupçonner de vanité , je puis 
vous dire que mes amis savent que je suis propre 
à plusieurs choses hors de la sphère de la littéra- 
ture. Plusieurs d'entre eux se sont unis pour me 
servir : les uns n'ont écouté que leur sentiment; 
d'autres ont fait entrer dans leur sentiment quelque 
calcul et quelque intérêt, et, les circonstances étant 
favorables, il en est résulté la petite révolution que 
vous jugez si heureuse. 



LETTRE VI. 

A M. Vahhé Koman. 

4 mars 1 784. 

C'est un vœu que j'ai fait, mon cher ami, de 
vous répondre toujours à l'instant où j'aurai reçu 
votre lettre , et je n'ai pas besoin d'effort pour le 



228 LETTRES DIVERSES 

remplir. Il m'en faudroit pour différer, et je ne 
veux pas lutter contre moi-même. 

Ah ! mon ami, que j'ai été étonné de voir que 
je diffère de vous dans la chose par laquelle je 
vous ressemble ! Vous convenez que vous avez pris 
la meilleure part, et vous ne souhaitez pas que 
j'obtiennne un lot pareil; Vous me le dites parce 
que vous le sentez. Cette raison est sans doute 
très-bonne; mais pourquoi ou plutôt comment le 
sentez-vous? Voilà ce qui m'étonne. Quoi! cette 
malheureuse manie de célébrité, qui ne fait que 
des malheureux , trouve encore un partisan , un 
protecteur! Avez-vous oublié qu'elle exige presque 
autant de misères, de sottises, de bassesses même 
que la fortune? Et quel en est le fruit? Beaucoup 
moindre, et surtout plus ridicule. Son effet le 
plus certain est de vous apprendre jusqu'où va 
la méchanceté humaine en vous rendant l'objet de 
la haine la plus violente et des procédés les plus 
affreux de la part de ceux qui ne peuvent partager 
cette fumée et qui sont jaloux de quelques misé- 
rables distinctions, presque toujours ennuyeuses et 
fatigantes, surtout pour moi, qui ai tout jugé. 

J'ai aimé la gloire, je l'avoue; mais c'étoit dans 
un âge où l'expérience ne m'avoit point appris la 
vraie valeur des choses, où je croyois qu'elle pour- 
voit exister pure et accompagnée de quelque re- 
pos , où je pensois qu'elle étoit une source de 



LETTRES DIVERSES 229 

jouissances chères au cœur, et non une lutte éter- 
nelle de vanité; quand je croyois que, sans être 
un moyen de fortune, elle n'étoit pas du moins un 
titre d'exclusion à cet égard. Le temps et la ré- 
flexion m'ont éclairé ; je he suis pas de ceux qui 
peuvent se proposer de la poussière et du bruit 
pour objet et pour fruit de leurs travaux. Apollon 
ne promet qu'un nom et des lauriers : voilà ce que 
disoit Boileau avec quinze mille livres de renie des 
bienfaits du roi, qui en valoient plus de trente d'à 
présent; voilà ce que disoit Racine en rapportant 
plus d'une fois de Versailles des bourses de mille 
louis. Cela ne laisse pas que de consoler de la ri- 
valité et de la haine des Pradon et des Boyer. 
Encore ne put-il pas y tenir et laissa-t-il, à trente- 
six ans, cette carrière de gloire et d'infamie qui 
depuis lui est devenue cent fois plus turbulente et 
plus avilissante. Pour moi, qui dès mon premier 
succès me suis attiré , sans l'avoir mérité le moins 
du monde, la haine d'une foule de sots et de mé- 
chans, je regarde ce mal comme un très-grand 
bonheur; il me rend à moi-même, il me donne le 
droit de m'appartenir exclusivement; et, les amis 
les plus puissans ayant plus d'une fois fait d'inutiles 
efforts pour me servir, je me suis lassé d'être un 
superflu , une espèce de hors-d'œuvre dans la so- 
ciété. Je me suis indigné d'avoir si souvent la 
preuve que le mérite dénué, né sans or et sans 



23o LETTRES DIVERSES 

parchemins, n'a rien de commun avec les hommes, 
et j'ai su tirer de moi plus que je ne pouvois es- 
pérer d'eux. J'ai pris pour la célébrité autant de 
haine que j'avois eu d'amour pour la gloire ; j'ai 
retiré ma vie tout entière dans moi-même : penser 
et sentir a été le dernier terme de mon existence 
et de mes projets. Mes amis se sont réunis inuti- 
tilement pour ébranler ma fermeté : tout ce que 
j'écris comme à mon insu, et pour ainsi dire malgré 
moi , ne sera tout au plus que titulus nomenquf 
sepulcri. 

J'ai ri de bon cœur à l'endroit de votre lettre 
où vous me dites que vous m'avez cherché dans les 
journaux : vous m'avez paru ressembler à un étran- 
ger qui, ayant entendu parler de moi dans Paris, 
me chercheroit dans les tabagies et dans les tripots 
de jeu. J'en étois là depuis long-temps, lorsque je 
fis la rencontre d'un être dont le pareil n'existe 
pas dans sa perfection , relative à moi , qu'il m*a 
montrée dans le court espace de deux ans que nous 
avons passés ensemble. C'étoit une femme, et il 
n'y avoit pas d'amour parce qu'il ne pouvoit y 
en avoir, puisqu'elle avoit plusieurs années de plus 
que moi; mais il y avoit plus et mieux que de l'a- 
mour, puisqu'il existoit une réunion complète de 
tous les rapports d'idées, de sentimens et de posi- 
tions. Je m'arrête ici, parce que je sens que je ne 
pourrois finir. Je l'ai perdue après six mois de se- 



LETTRES DIVERSES 23l 

jour à la campagne, dans la plus profonde et la 
plus charmante solitude. Ces six mois, ou plutôt 
ces deux ans, ne m'ont paru qu'un instant dans 
ma vie; mais le bonheur d'être loin de tout ce que 
j'ai vu sur cette scène d'opprobres qu'on appelle 
littérature, et sur cette scène de folies et d'iniqui- 
tés qu'on appelle le monde, m'auroit suffi et me 
suffira toujours, au défaut du charme d'une société 
douce et d'une amitié délicieuse. L'indépendance, 
la santé , le libre emploi de mon temps , l'usage, 
même l'usage fantasque de mes livres : voilà ce 
qu'il me faut, si ce n'est point ce qui me suffit. 
C'est ce que m'enlèvera nécessairement le succès 
que vous avez la cruauté de souhaiter, et qui mal- 
heureusement est devenu, depuis ma dernière let- 
tre, encore plus vraisemblable". L'âne qui ne veut 
point mordre son voisin, ni en être mordu devant 
un râtelier vide, sera forcé, s'il est changé en che- 
val bien pansé devant un râtelier plein, de faire 
quelques courses et de manéger pour gagner son 
avoine; et, quand je songe qu'en se déplaçant il 
aura plus d'avoine qu'il n'en pourra manger, je 
suis bien près de penser qu'il fait un marché de 
dupe. 

Vous voyez par là, mon ami, combien je suis 



i . On proposoit à Chamfort une place de secrétaire des 
commandemens à la cour. (Note du premier éditeur.) 



232 LETTRES DIVERSES 

attaché aux sentimens qui m'appellent à la retraite, 
et vous le verriez bien davantage si vous pouviez. 
savoir, fortune mise à part, combien ma position 
m'offre de côtés agréables, quels combats j'ai à 
soutenir contre les amis les plus tendres et les plus 
dévoués, quels efforts il me faut pour repousser ou 
prévenir les sacrifices qu'ils voudroient faire pour 
me retenir. Quelle est donc cette invincible fierté 
et même cette dureté de cœur qui me fait rejeter 
des bienfaits d'une certaine espèce, quand je con- 
viens que je voudrois faire pour eux plus qu'ils ne 
peuvent faire pour moi? Cette fierté les afflige et 
les offense ; Je crois même qu'ils la trouvent pe- 
tite et misérable , comme mettant un trop haut 
prix à ce qui devroit en avoir si peu. Mon ami, je 
n'ai point, je crois, les idées petites et vulgaires 
répandues à cet égard; je ne suis pas non plus un 
monstre d'orgueil; mais j'ai été une fois empoi- 
sonné avec de l'arsenic sucré, je ne le serai plus : 
mancl alla mente repostum. Vous me dites que 
vous tenez mon ame dans ma première lettre; il 
en est resté quelque chose, je crois, pour la seconde. 
J'accepte, mon ami, avec un sentiment bien 
vif, l'offre que vous me faites de parcourir avec 
moi la Provence pour chercher l'asile qui me con- 
vient, et je me fais d'autant plus de plaisir de l'ac- 
cepter que je ne vous ferai pas faire un grand 
voyage : il faudra que votre pays ait de grands in- 



LETTRES DIVERSES 233 

convéniens si la retraite la plus proche de vous 
n'est pas celle qui me convient le mieux. 

Je vous avois promis des nouvelles littéraires ; 
mais, par mon mouvement personnel, je suis bien 
froid sur cet article, et j'ai besoin, pour vous en 
envoyer, de songer que vous y mettez quelque in- 
térêt. On joue à présent avec un grand succès, 
malgré de grandes huées sur la scène et de gran- 
des réclamations et indignations à Paris et à Ver- 
sailles, le Mariage de Figaro de Beaumarchais. 
C'est un ouvrage plein d'esprit, même de comique 
et de talent, mais qui n'en est pas moins mons- 
trueux par le mélange de choses du plus mauvais 
ton et de trivialités. Les loges sont retenues jus- 
qu'à la dixième, et d'autres disent jusqu'à la ving- 
tième représentation. Le spectacle, sans petite 
pièce, ne dure plus que trois heures un quart, de- 
puis les retranchemens qu'on y a faits. Je ne vous 
parle point du Jaloux , du mauvais Coriolan de 
La Harpe : les journaux se sont chargés de cela. Un 
mot sur les Danaïdes, opéra nouveau oii Gluck a 
mis la main : c'est un ouvrage de Topinambous, à 
jouer devant des cannibales ; on dit pourtant que 
cela n'aura qu'une douzaine de représentations. 

Parlons de notre Académie. M. de Montesquiou 
a eu toutes les voix : c'est qu*on a vu que tout 
partage seroit inutile, et il faisoit plaisir en se pré- 
sentant à l'Académie ; il écartoit l'abbé Maury , dont 

3o 



234 LETTRES DIVERSES 

plusieurs ne veulent pas entendre parler. Mon 
amusement actuel est de voir comment ils feront 
pour Tévincer à la première vacance, qui est très- 
prochaine, si elle n*est ouverte par la mort de 
M. de Pompignan. L'abbé a huit ou dix voix tout 
au plus ; mais les autres gens de lettres, ses rivaux, 
n'en ont pas à beaucoup près autant. Personne n'y 
est appelé d'une manière positive. Prendre encore 
un homme de qualité seroit le comble du mauvais 
goût et le chef-d'œuvre du ridicule. Comment 
s'en tireront-ils? Je me divertirai des intrigues : ce 
sont mes seuls jetons; je n'en ai point d'autres. J'y 
vais si peu que je n'ai pas fait la moitié d'une 
bourse à jetons qu'on m'avoit demandée. 

Adieu, mon ami; je n'ai plus que le temps de 
vous dire encore un petit mot de moi. Ma mère 
se porte à merveille, et n'a d'autre incommodité 
que de ne pouvoir faire usage de ses jambes; mais 
j'ai bien peur que cette seule incommodité n'a- 
brège les jours d'une personne aussi vive et plus 
impatiente, à quatre-vingt-quatre ans, que je ne 
l'ai jamais été. Il me semble que, si je restois 
en place une année, je ne pourrois plus vivre, et 
cette idée m'afflige sensiblement sur son état, 
quoiqu'on me mande d'ailleurs tout ce qui peut 
me rassurer. Adieu encore une fois; je vous aime 
et vous embrasse de tout mon cœur. Il me semble 
que nous n'avons pas cessé de nous entendre. 



LETTRES DIVERSES 235 



LETTRE Vil. 

Au même, 

Paris, 5 octobre. 

Que devez-vous penser de moi, mon cher ami, 
et d'un si long silence? Vous devez croire que 
tous les maux réunis ont fondu sur ma tête. Hé- 
las! vous ne vous tromperiez pas beaucoup. Il y 
a deux mois et demi que j'ai eu le malheur de 
perdre ma mère, et ce n'est pas vous qui vous 
étonnerez de l'effet qu'a pu faire sur moi cette 
affligeante nouvelle; ce n'est pas vous qui me 
direz que quatre-vingt-cinq ans étoient un âge 
qui devoit me préparer à ce malheur, et que 
quinze ans d'absence dévoient me le faire trou- 
ver moins terrible. La raison dit tout cela, et le 
sentiment paye son tribut. Je n'en dirai pas da- 
vantage, craignant surtout d'avoir déjà trop réveillé 
chez vous le sentiment d'une perte qui vous a rendu 
si longtemps malheureux et qui ne sera de long- 
temps oubliée. Mon second malheur est d'avoir 
eu pendant deux mois une fièvre double tierce, 
suivie d'une convalescence très-pénible et qui 
n'est pas terminée. Je ne sais comment toute ma. 
personne étoit devenue un amas de bile, ce qui 



236 LETTRES DIVERSES 

m*a empêché d'avoir recours au quinquina : c'est 
la nature qui m'a guéri, comme elle eût fait avant 
la découverte du spécifique. C'est un mois de plus 
qu'il m'en a coûté, et un mois de peines et de 
souffrances , pendant lequel il m'a été impossible 
d'écrire. Vous mander de mes nouvelles par une 
main étrangère, c'est ce que je n'ai pas voulu, 
dans la crainte que vous ne me crussiez mort; et 
d'ailleurs je suis d'une stupidité rare pour dicter. 

Je passe, mon ami, à un autre article, dont je 
vous ai déjà touché quelque chose : c'est le projet 
d'aller vous trouver en Provence. Quand il n'y 
auroit eu d'obstacle que ma maladie, il ne pouvoit 
s'effectuer et ne le pourroit même encore qu'au 
mois de décembre; encore cela ne seroit-il pos- 
sible que dans le cas où j'aurois un compagnon 
pour aller en chaise de poste : car d'aller par les 
voitures publiques dans cette saison, c'est ce qui 
me seroit aussi difficile qu'un pèlerinage dans le 
Sirius. Mais, mon ami, il y a d'autres obstacles 
encore plus grands : ce sont ceux qui naissent de 
ma nouvelle position. Vous avez peut-être lu dans 
les papiers publics qu'on a obtenu pour moi la 
place de secrétaire du cabinet de madame Elisa- 
beth, sœur du roi. Cette place vaut deux mille 
francs, et, quoiqu'elle ne m'enrichisse pas pour ce 
moment-ci, puisque dans la maison du roi les pre- 
mières échéances ne se payent qu'à un terme fort 



LETTRES DIVERSES 287 

reculé, il n'en est pas moins vrai que je suis lié 
par la reconnoissance et par rattachement aux 
personnes mg^ ont sollicité et obtenu cette place 
pour moi, tandis que j'étois cloué dans mon lit de- 
puis six semaines; je passerois pour un êtrç sau- 
vage et indomptable, un misanthrope désespéré, 
et je serois condamné universellement.il faut vous 
dire, de plus, qu'indépendamment de ma nouvelle 
place, ma liaison avec M. le comte de Vaudreuil est 
devenue telle qu'il n'y a plus moyen de penser à 
quitter ce pays-ci : c'est l'amitié la plus parfaite et 
la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne sau- 
rois vous en écrire les détails; mais je pose en fait 
que, hors l'Angleterre, où ces choses-là sont sim- 
ples, il n'y a presque personne en Europe digne 
d'entendre ce qui a pu rapprocher par des liens si 
forts un homme de lettres isolé, cherchant à l'être 
encore plus, et un homme de la cour jouissant 
de la plus grande fortune et même de la plus grande 
faveur. Quand je dis des liens si forts, je devrois 
dire si tendres et si purs : car on voit souvent des 
intérêts combinés produire entre des gens de let- 
tres et des gens de la cour des liaisons très-con- 
stantes et très-durables; mais il s'agit ici d'amitié, et 
ce mot dit tout dans votre langue et dans la mienne. 
Voilà, mon ami, quelles sont les raisons qui 
m'empêchent d'aller vous chercher, et qui vrai- 
semblablement me priveront toujours du plaisir de 



238 LETTRES DIVERSES 

VOUS voir dans votre retraite de Provence. Il n*en 
falloit pas moins, je vous assure : car, quoique, 
dans votre dernière lettre , vous eussiez eu la bar- 
barie de vouloir me retenir dans la capitale, tou- 
jours par votre manie de me voir une plus grande 
fortune, il est pourtant certain que j*aurois juré au 
mois de mai dernier de ne pas passer l'hiver à Pa- 
ris. Les obstacles étoient de nature à pouvoir être 
vaincus , et ma fortune a'en étoit pas un. Vous 
m'avez mandé qu'il falloit, pour vivre agréable- 
ment en Provence, avoir trois mille livres de renie : 
au temps où vous me parliez, j'en avois quatre 
mille. Je posois la barre à ce terme, et je n'étois 
pas mécontent : c'est vous qui avez voulu que j'al- 
lasse plus loin. Vous voilà satisfait, et il y a à pa- 
rier que d'ici à six mois vous le serez infiniment 
davantage. Il restera ensuite à satisfaire votre au- 
tre manie, que j'aie de la célébrité. Je ne promets 
pas que j'y réussisse également; mais, soit que 
cette fantaisie me prenne, soit que je garde ma 
répugnance pour cette célébrité, dont vous parois- 
sez faire trop de cas, il est sûr que , tranquille sur 
mon avenir, je travaillerai beaucoup davantage et 
même mieux, et que j'aurai plus de titres à cette 
célébrité si je les manifeste : ce que j'ignore, car je 
suis bien endurci dans le péché. Je crois que vous 
seriez de mon bord si, comme moi, vous veniez 
voir de suite et longtemps notre public parisien* 



LETTRES DIVERSES 289 

Au surplus, alors comme alors : je ne suis pas d'une 
pièce ; je suis immuable quand les choses ne chan- 
gent pas, mais je suis mobile quand elles changent, 
et surtout quand elles changent à mon avantage. 

J'apprends que Ton a été très-content de notre 
ambassadeur à Marseille, et c'est pour moi une 
joie très-vive. J'espère qu'on le sera partout, et 
on le seroit bien davantage si on connoissoit l'ha- 
bitude de ses sentimens intérieurs. C'est un de ces 
êtres qui ont contribué, par leurs vertus et leur 
commerce, à me réconcilier avec l'espèce humaine. 
Il faut qu'il ait prévu de grandes tribulations dans 
son ambassade, puisque la dernière lettre qu'il m'é- 
crit finit par ces mots : Ah! mon ami, quand dîne-* 
rons-nous ensemble au restaurateur^ J'oublie de vous 
dire qu'il est cause que je n'ai pu répondre à votre 
avant-dernière lettre, parce que j'ai passé avec lui 
exactement les quatre derniers jours de son séjour 
à Paris , et c'est l'époque où votre lettre m'arriva. 

Adieu, mon ami; je vous aime et vous embrasse 
très -tendrement. J'espère que notre correspon- 
dance ne sera plus interrompue, et que la suite de 
contre -temps qui m'ont mis en arrière n'arrivera 
qu'une fois en la vie. Donnez-moi de vos nou- 
velles en détail, et ne me parlez que de vous. Je 
vous donne un bel exemple à cet égard. Je vous 
avertis que je me sais par cœur, et à la fin on se 
lasse de soi. Adieu encore. Vale et ama. 



240 LETTRES DIVERSES 



LETTRE VIII. 

A M. de V... 

1 3 décembre i 788. 

Je vois que vous vous souvenez de la KequeU 
des filles sur le renvoi des évêques, et que vous 
voudriez donner un frère ou une sœur à cette ba- 
gatelle dont vous êtes le parrain; mais je vous as- 
sure qu'il me seroit impossible de faire un ouvrage 
plaisant sur un sujet aussi sérieux que celui dont il 
s'agit. Ce n'est pas le moment de prendre les 
crayons de Swift ou de Rabelais, lorsque nous 
touchons peut-être à des désastres; et je pense 
qu'un écrivain quijetteroit du ridicule sur tous les 
partis seroit lapidé à frais communs. Je ne pour- 
rois donc faire qu'un ouvrage sérieux, et de quoi 
serviroit-il ? S'il n'y en a pas encore qui présente 
sous tous les points de vue cette intéressante ques* 
tion, il en existe un grand nombre qui, par leur 
réunion, l'éclaircissent suffisamment. En effet, de 
quoi s'agit-il? d'un procès entre vingt-quatre mil- 
lions d'hommes et sept cent mille privilégiés '. J'en- 



I. Il n'y en avoit pas cent mille, mais on en croyoit sept 
cent mille. [Note du premier éditeur.) 



LETTRES DIVERSES 241 

tends dire que la haute noblesse forme des ligues, 
pousse des cris, etc. : c'est ici, je crois, qu'on peut 
accuser la maladresse de la plupart des écrivains 
qui ont manié cette question. Que n'ont-ils dit aux 
grands privilégiés : « Vous croyez qu*on vous at- 
taque personnellement, qu'on veut vous attaquer... 
Point du tout : une grande nation peut élever et 
voir au-dessus d'elle quelques familles distinguées, 
trois cents, quatre cents, plus ou moins; elle peut 
rendre cet hommage à d'antiques services, à d'an- 
ciens noms, à des souvenirs ; mais, en conscience, 
peut-elle porter sept cent mille anoblis qui, quant 
à l'impôt, quant à l'argent, sont aux mêmes droits 
que les Montmorency et les plus anciens chevaliers 
françois? Plaignez-vous de la fatalité qui fait mar- 
cher à votre suite cette épouvantable cohue ; mais 
ne brûlez pas la maison qui ne peut la loger. Ne 
sommes- nous pas accablés, anéantis sous cette 
même fatalité qui enfin a mis en péril ce que vous 
appelez vos droits et vos privilèges? Ne voyez- 
vous pas qu'il faut nécessairement qu'un ordre de 
choses aussi monstrueux soit changé, ou que nous 
périssions tous également, clergé, noblesse, tiers 
état? » Je suis vraiment affligé qu'on n'ait point 
dit et répété partout cette observation : elle eût 
ramené les esprits prévenus; elle eût désarmé l'a- 
mour-propre; elle eût intéressé l'orgueil aux suc- 
cès de la raison, et peut-être eût-elle sauvé aux 

Chamfort. II. 3i 



242 LETTRES DIVERSES 

notables Topprobre ineffaçable dont ils viennent 
de se couvrir à pure perte. Un autre avantage de 
cette réflexion, c'est qu'elle eût sur-le-champ fait 
apprécier le moyen terme que quelques-uns pro- 
posent ridiculement : celui d'appeler, pour le seul 
consentement à l'impôt, le tiers état, à l'égalité 
numérique, en ne l'admettant que pour un tiers 
seulement à délibérer sur les objets de législation 
générale. Qui est-ce qui me fait cette proposi- 
tion ? Est-ce un membre de l'ancienne chevalerie? 
est-ce un secrétaire du roi, du grand collège, du 
petit collège, car tous ont le droit de parler ainsi? 
Je réponds à ce dernier... Mais non, je ne réponds 
pas : vous sentez que j'aurois trop d'avantage. Per- 
mettre à un peuple de défendre son argent et lui 
ravir le droit d'influer sur les lois qui doivent dé- 
cider de son honneur et de sa vie, c'est une in- 
sulte, c'est une dérision. Non, cela ne sera point, 
cela ne sauroit être; la nation ne le souffrira pas, 
et, si elle le souffre, elle mérite tous les maux dont 
cHe est menacée. 

Mais on parle des dangers attachés à la trop 
grande influence du tiers état; on va même jusqu'à 
prononcer le mot de démocratie. La démocratie! 
dans un pays où le peuple ne possède pas la plus 
petite portion du pouvoir exécutif ! dans un pays 
où le plus mince suppôt de l'autorité ne trouve 
oartout qu'obéissance et même trop souvent abjec- 



LETTRES DIVERSES 248 

tion, OÙ la puissance royale ne vient que de ren- 
contrer des obstacles de la part des corps (dont 
presque tous les membres sont nobles ou anoblis), 
où le luxe le plus effréné et la plus monstrueuse 
inégalité des richesses laisseront toujours d*homme 
à homme un trop grand intervalle ! Quel pays plus 
libre que l'Angleterre ? et en est-il un où la supé- 
riorité du rang soit plus marquée, plus respectée, 
quoique l'inférieur n'y soit pas écrasé impunément? 
Que de faux prétextes, que d'ignorance, ou plutôt 
que de mauvaise foi ! Pourquoi ne pas dire nette- 
ment , comme quelques-uns : « Je ne veux pas 
payer » ? Je vous conjure de ne pas juger des au- 
tres par vous-même. Je sais que, si vous aviez cinq 
ou six cent mille livres de rente en fonds de terre, 
vous seriez le premier à vous taxer fidèlement et 
rigoureusement; mais vous vous rappelez l'offre 
généreuse faite par le clergé pendant la première 
assemblée des notables , et l'indigne réclamation 
qu'il a faite ensuite en faveur de ses immunités. 
Vous voyez le parlement feindre d'abandonner les 
siennes, et l'instant d'après se ménager les moyens 
de les conserver et même d'accroître son existence. 
Enfin, vous savez ce qui vient de se passer, et ce 
qui a si- bien mis en évidence le projet formel de 
maintenir les privilèges pécuniaires- M. de Chabot 
et M. de Castries, ayant consigné dans un mé- 
moire leur abandon de ces privilèges pour ne 



244 LETTRES DIVERSES 

conserver que leurs droits honorifiques, n'ont pu 
trouver ni nobles ni anoblis qui voulussent signer 
aj^rès eux. Les gentilshommes bretons ne nous di- 
sent-ils pas qu'il n'est pas en leur pouvoir de se 
dessaisir de leurs privilèges utiles, que c'est l'héri- 
tage de leurs enfans, que ces droits seroient ré- 
clamés par eux tôt ou tard? Et c'est ainsi qu'ils 
intéressent leur conscience à faire de l'oppression 
du foible le patrimoine du fort, de l'injustice la 
plus révoltante un droit sacré, enfin de la tyrannie 
un devoir. Je l'ai entendu... et vous voulez que 
j'écrive ! Ah! je n'écrirois que pour consacrer mon 
mépris et mon horreur pour de pareilles maximes... 
Je craindrois que le sentiment de l'humanité ne 
remplît mon âme trop profondément et ne m'in- 
spirât une éloquence qui enflammât les esprits déjà 
trop échaulfés; je craindrois de faire du mal par 
Texcès de l'amour du bien. Je m'effraye de l'ave- 
nir : je vois mettre aux plus petits détails une suite 
et un intérêt qui m'étonnent moi-même; on fait 
des listes de ceux qui ont été pour et de ceux qui 
ont été contre le peuple; on prête, on ôte tour à 
tour tel ou tel propos, bon ou mauvais, à tel ou 
tel homme. Pour mon compte , j'ai nié hardiment 
un mot attribué à M. le comte d'Artois. Ce mou- 
vement machinal, chez moi, a été l'effet de ma re- 
connoissance pour les marques de bonté que vous 
m'avez attirées de sa part. On suppose que ce 



LETTRES DIVERSES 245 

prince a dit à un notable , dont l'avis avoit été fa- 
vorable au peuple : Est-ce que vous voulez nous en- 
roturer^ Je ne crois point ce mot; mais, s'il a été 
dit, le notable pouvoit répondre: « Non, Mon- 
seigneur; mais je veux anoblir les François en leur 
donnant une patrie. » On ne peut anoblir les 
Bourbons, mais on peut encore les illustrer en 
leur donnant pour sujets des citoyens, et c'est ce 
.qui leur a toujours manqué. C'est bien M. le 
comte d'Artois qui y est le plus intéressé ; c'est bien 
lui qui peut dire, à la vue de ses enfans : Posteri, 
posteri, vestra res agitur. C'est de cette époque que 
tout va dépendre. J'ose affirmer que, si les privi- 
légiés pouvoient avoir le malheur de gagner leur 
procès, la nation, écrasée au dedans, seroit pour 
des siècles aussi méprisable au dehors qu'elle est 
maintenant méprisée. Elle seroit, à l'égard de ses 
voisins réunis, ce que le Portugal est à l'Angle- 
terre, une grande ferme, où ils récolteroient, en 
lui faisant la loi, ses vins, ses moissons, ses den- 
rées, etc. Si, au contraire, il arrive ce qui doit ar- 
river et ce qui est presque infaillible, je ne vois que 
prospérité pour la nation entière et pour ces pri- 
vilégiés si aveugles, si ennemis d'eux-mêmes, qui 
n'aperçoivent pas que l'aisance du pauvre fait par- 
tie de l'opulence du riche; pour les premiers hom- 
mes de l'Etat, qui ne voient pas qu'il n'y a de 
liberté et de dignité particulière que sous la sauve- 



2/^0 i.i: TIRES DIVERSES 

garde de la liberté publique et de l'honneur na- 
tional. Eh ! grand Dieu, que peuvent-ils craindre 
pour leurs dignités? Est-ce le tiers état qui les leur 
enlèvera? est-ce le tiers état qui arrivera aux places 
de la cour, aux grands emplois? Craignent-ils pour 
leurs fortunes? N'est-ce pas un fait avéré qu'en 
Angleterre les grandes fortunes territoriales des 
familles illustres ne datent que de la révolution de 
1688? Cest le fruit du rehaussement dans la va- 
leur des terres, effet de la liberté publique et d'un 
accroissement marqué dans l'industrie nationale , 
qui l'un et l'autre tournent toujours, en dernière 
analyse, au profit des propriétaires terriens. Je suis 
si convaincu de cette double influence que, si on 
me demandoit, dans la sincérité de mon cœur, à 
quelle classe d'hommes je crois plus profitable la 
révolution qui se prépare, je répondrois que cette 
révolution, profitable à tous, l'est à chacun dans 
la proportion de supériorité déjà existante où son 
rang et sa fortune actuels le mettent sur la grande 
échelle sociale. J'en excepte le clergé, dont nous 
ne sommes pas en peine, ni vous ni moi, et les 
ministres (pour le temps, quelquefois très-court, 
pendant lequel ils sont ministres) ; mais on ne se 
dégoûtera pas du métier; et puis, on ne sauroit 
parer à tout. 

Telle est ma manière de voir cette unique et in- 
concevable crise. J'ai voulu vous faire ma profes- 



LETTRES DIVERSES 247 

sion de foi, afin que, si par hasard nos opinions se 
trouvoient trop différentes, nous ne revinssions plus 
sur cette conversation. Nos opinions ont plus d'une 
fois été opposées, sans que d'ailleurs nos âmes 
aient cessé de s'entendre et de s'aimer : c'est le 
principal , ou plutôt c'est tout. Je me souviens, 
entre autres, qu'il y a juste deux ans dans ce 
moment-ci, nous eûmes une discussion très-animée 
sur le parti que prenoit M. de Calonne, sur son 
projet de subvention territoriale, infaillible, disiez- 
vous, s'il étoit appuyé, comme il l'étoit, de toute 
la puissance du roi. Je vous dis que le roi y 
échoueroit. Je vous dis, en propres termes, que 
Je roi pouYoit faire abattre la forêt la plus im- 
mense ; mais qu'on ne faisoit pas quatre cents 
lieues, à pied, sur des lianes, des ronces et des 
épines. Ce que Ton entreprend aujourd'hui est 
bien autrement difficile. Supposez, ce qui paroît 
impossible, que la nation soit vaincue aux pro- 
chains Etats généraux, je demande ce qui arrivera 
en 1791, à l'époque où le troisième vingtième 
cessera d'être dû, où les impôts, depuis l'incom- 
pétence reconnue des parlemens, exigeront le 
consentement national. Croyez - vous que ces 
cinquante -cinq millions seront perçus .f^ croyez- 
vous même que les autres le soient exactement? 
Non, non. Croyez plutôt qu'on ne réduit pas 
vingt-trois ou vingt - quatre millions d'hommes 



248 LETTRES DIVERSES 

dont le mécontentement ne se montre point sous 
la forme de révolte, mais sous celle de mauvaise 
volonté. Alors, que restera-t-il à ceux qui auront 
favorisé de si mauvaises mesures ? Je vous supplie, 
au nom de ma tendre amitié, de ne pas prendre 
à cet égard une couleur trop marquante. Je connois 
le fond de votre âme; mais je sais comme on s'y 
prendra pour vous faire pencher du côté antipo- 
pulaire. Souffrez que j'en appelle à la noble por- 
tion de cette âme que j'aime , à votre sensibilité, 
à votre humanité généreuse. Est-il plus noble d'ap- 
partenir à une association d'hommes, quelque res- 
pectable qu'elle puisse être, qu'à une nation en- 
tière, si longtemps avilie, et qui, en s'élevant à la 
liberté, consacrera les noms de ceux qui auront 
fait des vœux pour elle, mais peut se montrer sé- 
vère, même injuste, envers les noms de ceux qui 
lui auront été défavorables? Je vous parle du fond 
de ma cellule, comme je le ferois du tombeau, 
comme l'ami le plus tendrement dévoué, qui n'a ja- 
mais aimé en vous que vous-même, étranger à la 
crainte et à l'espérance , indifférent à toutes les 
distinctions qui séparent les hommes, parce que 
leur coup d'œil n'est plus rien pour lui. J'ai cru 
remplir le plus noble devoir de l'amitié en vous 
parlant avec cette franchise : puissiez-vous la pren- 
dre pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour l'expres- 
sion et !a preuve du sentiment qui m'attache à tout 



LETTRES DIVERSES 249 

ce que vous avez d'aimable et d*honnête, et à des 
vertus que je voudrois voir apprécier par d'autres 
autant qu'elles le sont par moi-même. 



LETTRE IX. 
A M. P 

Je n'ai reçu, Monsieur, votre billet qu'hier ma- 
tin, au moment où je sortois pour une affaire in- 
téressante qui m'a empêché d'avoir l'honneur d'y 
répondre sur-le-champ. 

Je vous dois d'abord des remercîmens de la 
préférence que vous me donnez, en voulant m'as- 
socier à des gens de lettres que j'estime et que 
j'honore; mais, après mes remercîmens, je vous 
prie d'agréer le véritable regret que j'ai de ne 
pouvoir être leur coopérateur. La partie dont je 
serois chargé entraîne avec soi des inconvéniens 
auxquels ils ne se sont pas exposés. Je vous avoue 
franchement que je ne sais pas le moyen de traiter 
trois fois par mois avec l'amour-propre des auteurs, 
acteurs et actrices des trois théâtres de Paris, et 
surtout de la Comédie françoise. Serai-je un cri- 
tique juste et sévère, me voilà l'ennemi de tous 
les mauvais auteurs; et, malgré leur petit nombre, 

32 



25o LETTRES DIVERSES 

ils ne laissent pas d*ètre très-dangereux; prendrai-je 
le parti de la grande indulgence, je déshonore, 
je décrédite mon jugement; et, ce qui n'est pas 
indifférent pour vous, le nombre des souscripteurs 
diminuera, car le public veut de la malignité. Il 
faut que Tarticle des spectacles soit attendu, qu'il 
inspire de la curiosité, de la crainte, de Tespérance; 
en un mot, qu'il remue les passions, comme les 
ouvrages de théâtre dont il rend compte. Faut-il 
tout vous dire, Monsieur ? gardez-moi le secret : 
un journal sans malice est un vaisseau de guerre 
démâté, à qui les corsaires même refusent le salut. 
On peut insister et prétendre qu'il est possible 
d'accorder la plus exacte politesse avec une criti- 
que sévère. Outre que je crois cet accord très- 
difïicile, Tamour-propre des auteurs sait-il, dans 
ses chagrins, vous tenir compte de vos ménage- 
mens? On injurie, on insulte, on calomnie le cri- 
tique, et, en pareil cas, qui peut répondre de soi? 
Le sentiment de l'injustice irrite ; le caractère s'ai- 
grit; on devient injuste, absurde soi-même, et on 
finit par tomber dans un décri, dans un avilisse- 
ment qui équivaut à une flétrissure publique et à- 
une véritable diffamation. Nous en avons des exem- 
ples déplorables dans la personne de M. F... et 
de M. de La H..., qui n'étoient point sans talens 
l'un et l'autre, à beaucoup près. Qui sait même 
s'ils n'étoient pas nés honnêtes? En vérité, cette 



LETTRES DIVERSES 231 

destinée fait frémir. Il n'en faut pas courir les ris- 
ques; il ne faut pas tenter Dieu. 

Telles sont mes raisons, Monsieur; et, en sup- 
posant, ce qui seroit peut-être en moi trop d'a- 
mour-propre, qu'elles ne vous satisfissent point 
comme propriétaire du privilège du Mercure, je 
suis bien sûr que vous les approuverez comme 
homme, et comme honnête homme. 



LETTRE X. 

A Madame..... 

Voici le moment où je commence à soulever 
mon âme, après le coup qui vient de l'accabler. 
C'est ce qui m'a empêché, mon aimable amie, de 
répondre à votre lettre Un autre sentiment m'a 
empêché de courir à vous. J'ai craint, je l'avoue- 
rai, j'ai craint votre présence autant que je la dé- 
sire; j'ai craint d'être suffoqué en voyant, dans ces 
premiers jours, la personne que mon amie aimoit le 
plus et dont nous parlions le plus souvent. Le 
cœur sait ce qu'il lui faut, et quand il le lui faul. 
C'est de vous que j'ai besoin maintenant : j'irai 
vous voir au premier jour, mais le matin, vers les 
dix heures. Je ne réponds pas du premier mo- 
ment ; mais je ne suffoquerai point, parce que mon 



252 LETTRES DIVERSES 

cœur peut s*épancher auprès de vous. Mais, quand 
je songe que ce même jour, et sans doute à cette 
même heure où je serai chez vous, elle vous ver- 
roit aussi... Je m'arrête, et ne puis plus écrire; 
les larmes coulent ; et c'est, depuis qu'elle n'est 
plus, le moment le moins malheureux. 



LETTRE XI. 

A la même. 

Paris, juillet i 789. 

La veille du jour où j'ai reçu votre lettre, Ma- 
dame, j'avois vu M. Marmontel et lui avois parlé 
de celle qu'il avoit reçue de vous, avec les pièces 
justificatives attestant l'acte de vertu auquel vous 
vous intéressez. J'ai pris la liberté d'y joindre un 
petit mot de reproche sur son défaut de galante- 
rie. Sa réponse m'a prouvé que si, en devenant 
vieux, on est exposé à devenir paresseux ou moins 
galant, on peut du moins continuer à se tenir en 
règle ei à mettre ses papiers en ordre. Il m'a mon- 
tré votre paquet, bien étiqueté, entre ceux de vos 
rivales, et il m'a dit que sa coutume étoit de ré- 
pondre après la décision de l'Académie. Je m'ima- 
gine, Madame, qu'il ne manquera pas à ce devoir; 
mais, en tout cas, je me ferai, à cet égard, le sup- 



LETTRES DIVERSES 253 

pléant de M. Marmontel, et je deviendrai pour 
vous le secrétaire de notre secrétaire. 

Vous ne me paroissez pas bien apitoyée sur le 
décès de notre ami feu le Despotisme, et vous 
savez que cette mort m'a très-peu surpris. C'est 
avec bien du plaisir que je reçois de votre main 
mon brevet de prophète. Il vaut mieux que celui 
de sorcier, qui m'a été expédié par plusieurs de 
mes amis ; mais les femmes sont toujours plus po- 
lies, plus aimables que les hommes. Au reste, 
comme on ne scie plus les prophètes et qu'on ne 
brûle plus les sorciers, je jouis en toute sûreté des 
honneurs de ma prévoyance. Mais^ en vérité, il 
n'en falloit pas beaucoup : il ne falloit qu'appro- 
cher du colosse pour s'apercevoir qu'il étoit creux 
et pourri, vernissé en dehors et vermoulu en de- 
dans. Sa chute, pour avoir été trop soudaine, nous 
mettra dans l'embarras quelque temps; mais nous 
nous en tirerons. 

Je voulois, ces derniers jours, aller causer avec 
vous et récapituler les trente ans que nous venons 
de vivre en trois semaines; mais la chaleur acca- 
blante d'hier et d'aujourd'hui m'a retenu chez 
moi. J'irai me dédommager quand le thermomètre 
sera descendu de quelques degrés. Il y en a un 
qui ne descendra pas : c'est celui de l'amitié que 
je vous ai vouée l'an cinquantième du règne de 
Claude-Louis XV. C'est une fort bonne raison de 



254 LETTRES DIVERSES 

ne pas douter de mon tendre et respectueux atta- 
chement sous son successeur. 

P. S. Voulez-vous bien vous charger de tous 
mes complimens pour M..., et le prier de rendre 
le Mercure un peu plus républicain : il n'y a plus 
que cela qui prenne, /fem, que h Gazette de Frartcc 
soit aussi haussée de plusieurs crans, dans la pro- 
portion respectueuse où elle doit être à l'égard du 
Mercure. Ajoutez, je vous demande en grâce, 
qu'à ce prix je lui pardonne la peur qu'il a voulu 
me faire des baïonnettes, auxquelles il avoit une 
foi trop peu philosophique. 

Mercr Paris, P. R. n. i8. 



LETTRE XII. 

A la même. 

Paris, 1789. 

Je suis mal avec moi-même, mon aimable amie, 
et j'ai besoin d'espérer que je ne suis pas aussi mal 
avec vous. Pour commencer par ce qui me peine 
le plus, c'est que je ne puis dîner avec vous, ni 
même vous voir aujourd'hui. Je suis forcé d'assis- 
ter au dîner de notre société des trente-six, où je 
veux présenter deux de mes amis pour notre 



LETTRES DIVERSES 255 

grand club, avant qu'il soit formé et que le scrutin 
soit établi. Je les désobligerois grossièrement et 
les exposerois à n'être pas reçus, et, de plus, je dé- 
plais beaucoup à la société déjà établie pour n'y 
avoir pas dîné depuis plusieurs vendredis, jour qui, 
n'étant pas académique, a été demandé en ma fa- 
veur par quelques amis particuliers; mais ce n'est 
pas cette dernière raison qui me prive de vous 
aujourd'hui, voilà pourquoi je n'ai pas tant d'hu- 
meur contre elle. Au surplus, je ferois mieux de 
garder tout à fait ma chambre : car, sans être ma- 
lade, je suis excédé, anéanti, et j'ai grand besoin 
de repos. Voilà près de huit jours qu'il m'a été 
impossible de me délivrer d'une fantaisie de poète, 
vraiment poétique , au moins par son acharne- 
nement. Le jour, la nuit, le repas même, tout s'en 
est ressenti : je ne croyois pas être si jeune. Rien, 
absolument rien, n'a pu faire lâcher prise à cette 
lubie. C'est être mordu d'un chien enragé. Le 
chien n'étoit pas gros, mais c'est un chien- 
loup, ou plutôt un chien-lion, un mélange d'hor- 
rible et de ridicule, de raison et de folie, mais où 
la raison ordonnoit à la folie de paroître domi- 
nante. J'irai vous faire ma cour un de ces matins, 
et vous présenter à votre lever mon redoutable 
petit Bichon. J'espère que, malgré ses dents, et 
non pas malgré lui, il pourra vous amuser. Je ne 
me servirois pas de lui pour faire ma paix avec 



2d6 lettres oiverses 

vous, car je ne la ferois jamais avec moi-même, 
si je n'avois pas à vingt reprises écarté, repoussé 
cette persévérante folie, souveraine maîtresse de 
mon imagination. Si je vous en demandois par- 
don, ce seroit vous demander pardon d'avoir eu 
quelques accès de fièvre. Fièvre soit, la comparai- 
son est juste , et il ne me falloit rien moins qu'une 
maladie pour m'empêcher de vous envoyer bien 
vite ce que je vous ai promis. 

Il est vrai de dire que je me suis bien mis qua- 
tre à cinq fois au livre de M. de Saint- Pierre, 
dont j'avois mille choses à dire, toutes préparées 
dans ma tête, et il n'est pas moins vrai que je n'ai 
pu les retrouver, que rien ne venoit; mais à la 
place accouroient les idées dont j'étois rempli : la 
folle étoit reine dans la maison. Qu'y faire? Céder 
pour redevenir le maître. La voilà chassée, tout 
à fait chassée, et dès demain je me remets à la sa- 
gesse, c'est-à-dire à ce qui peut vous faire plaisir. 
Je vous l'enverrai tout de suite, ce qui est bien 
généreux : car je ne prétends pas différer le plaisir 
de prendre une tasse de chocolat auprès de votre 
chevet. 

Adieu, mon aimable amie ; vous connoissez mon 
respect et mon attachement. Vous chargez-vous 
de tous mes complimens et de tous mes regrets 
auprès de M...? 



LETTRES DIVERSES îS/ 



LETTRE XIII. 

A la même, 

Paris, 1 5 juillet 1790. 

Bon Dieu! que j'admire votre courage et que 
j'aime votre bonté ! Que je vous ai désirée à la 
place où j*étois, en face de Tautel, et, tout au- 
près, un asile contre les averses! Je sais oîi vous 
étiez, et vous étiez bien mal. Dans ce moment, 
je vous aurois presque grondée; mais je vous au- 
rois aimée davantage , s'il est possible. Comme il 
n'y aura plus de fédération, j'espère que vous vous 
ménagerez, que vous soignerez ce mieux qui, 
Dieu merci, est arrivé bien vite, dont j'irai voir les 
progrès au plus tôt, peut-être aujourd'hui même, 
et dont je vous remercie. 

J'aime bien encore votre nouvelle profession de 
foi : nous sommes inébranlables dans notre reli- 
gion. J'entends crier à mes oreilles, tandis que je 
vous écris : Suppression de toutes les pensions de 
France! et je dis : « Supprime tout ce que tu vou- 
dras, je ne changerai ni de maximes ni de senti- 
mens. » Les hommes marchoient sur leur tête, et ils 
marchent sur les pieds; je suis content : ils auront 
toujours des défauts, des vices même ; mais ils 
Chamfort. — II. 3 3 



258 LETTRES DIVERSES 

n'auront que ceux de leur nature, et non les dif- 
formités monstrueuses qui composoient un gou- 
vernement monstrueux. 

Adieu, mon aimable amie, conservez-vous pour 
vos amis. Faisons durer tout ce qui est bon de 
l'ancien temps , qui étoit si mauvais ! 



LETTRE XIV. 

Paris, 17 janvier 1792. 

Je n'ai pas répondu, mon ami; à votre dernière 
lettre, i® parce que je ne l'ai pas pu; 2® parce 
que je savois que sous trois jours les journaux se 
chargeroient de répondre à l'un de ses articles 
principaux , celui qui nous occupoit alors , les ras** 
semblemens des réfugiés brabançons à Lille» 
Douay, etc. Il y a des siècles depuis ce moment» 
et tout est bien changé. Je vis avec des personnes 
(et ce ne sont pas celles que vous connoissez) qui 
se trouvent, par une position bizarrement favora- 
ble, très au fait des affaires des Pays-Bas. Tou- 
jours est-il vrai que depuis un mois ils m'annon- 
cent , quatre jours à l'avance , ce qui se trouve 
vérifié par l'événement. Ces gens-là soutiennent 
que Léopold craint une guerre avec nous plus que 
les badauds de Paris ne la craignoient il y a deux 



LETTRES DIVERSES 259 

ans. Ils prédisent que sa réponse du lo février 
prochain sera telle que nous la pourrions désirer 
dans le système le plus pacifique; et je conçois 
que les mouvemens déjà sensibles dans plusieurs 
de ses États, et entre autres dans la Styrie, sont 
bien capables de l'inquiéter. Mais, supposons qu'il 
veuille agir hostilement dans deux mois, que fe- 
rons-nous si, d'ici à ce temps, il parle en allié et 
en bon voisin? Lui déclarerons- nous la guerre? 
entrerons-nous dans le Brabant, comme un certain 
parti nous en sollicite? C'est ce qui paroît impos- 
sible, et, dans la supposition même où il lieroit 
sa partie avec les princes allemands pour nous 
faire au printemps prochain une guerre qu'il rendra 
sûrement une guerre d'Empire, comment forcerons- 
nous notre pouvoir exécutif, maître des combinai- 
sons militaires, à marcher en Brabant plutôt qu'à 
Liège, à Trêves, etc.? On rit de pitié lorsqu'on 
voit, après deux ans et demi de révolution, le 
parti patriote n'ayant pas eu le crédit de chas- 
ser un commis de la guerre, M. Bessière, par 
exemple, et des commis des affaires étrangères, 
tels que Hennin et Rayneval. Contraindra-t-il le 
roi à agir sérieusement contre sbn beau-frère, avec 
qui se sont concertés des arrangemens déjoués 
par le hasard plus que par la pohtique? C'est ce 
qui ne pourroit arriver qu'après une crise qui com- 
pliqueroit encore notre position et la rendroit 



26o LETTRES DIVERSES 

peut-être encore plus embarrassante. Mon idée est 
toujours que tout ceci est un problème sans solu* 
tion, un drame brouillé et confus, dont le dénoû- 
ment tombera d'en haut comme celui des pièces 
d'Euripide. Ce que je sais seulement, c'est que le 
mouvement général entravera tous les mouvemens 
partiels et contradictoires dont on cherche à le re- 
tarder. 

N*avez-vous pas bien ri du patriotisme qui, 
dans la séance du 14 de ce mois, a saisi nos mi- 
nistres et les huissiers? J'ai surtout été ravi de 
l'enthousiasme de M. de Lessart, quoique celui de 
M. Duport ait bien son mérite, M. Duport qui 
disoit la surveille : « Tout ceci ne peut pas aller, 
et la constitution ne marchera jamais sans une 
chambre haute ! » 

La plupart de nos députés, quelques meneurs et 
quelques intrigans, voient que M. de Lessart tire à 
sa fin, et c'est même l'opinion générale. Ce n'est 
pas la mienne, et j'ai de fortes raisons de croire 
qu'il sera très-difficile de le déraciner. Peut-être 
en savez-vous autant que moi , si vous n'en savez 
pas plus. Quoi qu'il en soit, je dis à qui veut 
l'entendre que je ne compterai sur la sincérité des 
Tuileries que lorsque vous aurez ce ministère-là. 
Je m'aperçois que je ne réussis pas également au- 
près de tout le monde en parlant ainsi : cet ar- 
rangement n'est pas celui qui convient à certaines 



LETTRES DIVERSES 26 1 

gens que vous savez ; mais c*est ce qui m'importe 
fort peu. Croiriez-vous qu'il y a eu une plate in- 
trigue pour y placer S. L...? L'ancien régime n'é- 
toit pas plus impudent. S. L... aux affaires étran- 
gères ! lui qui ne sait pas plus la géographie que 
M. de Lessart! Vous jugez bien qu'on croyoit 
le gouverner jusqu'au moment où Tannée 1793 
ouvriroit la porte aux nobles de la minorité, les 
seuls hommes vraiment faits pour les places. H est 
bien heureux pour les auteurs de cette plate intri- 
gue d'avoir été siffles avant le lever de la toile : ils 
en auroient été les dupes; il les eût joués tous et 
probablement foulés aux pieds. Qu'eût fait S. L...? 
Il ne manque pas d'esprit. Il a cette activité que 
donne à un ambitieux l'habitude du travail dans 
les emplois subalternes; il eût pris la géographie 
de Busching, de bonnes cartes, eût parcouru les 
cartons et les portefeuilles des affaires étrangères, 
se seroit bourré la cervelle de tout ce qui pouvoit 
y entrer en quinze jours, leur eût dit qu'il en sa- 
voit plus qu'eux en politique, et leur eût du moins 
prouvé qu'en intrigue et en audace il étoit leur 
maître à tous. Voilà l'homme, et tel est le carac- 
tère qu'il a montré depuis qu'il est en place. Vous 
savez qu'ils veulent M. Dietrich. Je sais que c'est 
un bon citoyen et un homme de mérite; mais 
j'ignore s'il a d'ailleurs toutes les connoissances 
requises. 



2b2 LETTRES DIVERSES 

Adieu, mon cher ami; je vous aime et vous em- 
brasse de tout mon cœur. Vos fanatiques vous 
donnent bien du tracas dans votre département. 
Mais le dégoût que m'inspirent ici les intrigans et 
les fripons, ci-devant honnêtes, remplit l'âme d'un 
sentiment plus mélancolique. 

L'hommage de T amitié à votre peureuse amie. 



LETTRE XV. 

Paris, 12 août 1793. 

Je continue, mon ami, de me bien porter; mais 
je ne néglige point mon régime. J'ai fait ce ma- 
tin le tour de la statue renversée de Louis XV, de 
Louis XIV, à la place Vendôme, à la place des 
Victoires. C'étoit mon jour de visite aux rois dé- 
trônés, et les médecins philosophes disent que c'est 
un exercice très-salutaire. Vous serez sûrement de 
leur avis. En tous cas, j'ai pris cela sur moi. 

De la place Louis XV j'ai poussé jusqu'au 
château des Tuileries. C'est un spectacle dont on 
rose fait pas l'idée. Le peuple remplissoit le jardin, 
comme il eût fait celui du Prato, à Vienne, ou ceuK 
de Potsdam ; la foule inondoit les appartemens 
teints du sang de ses frères et de ses amis, et percés 



LETTRES DIVERSES 263 

de coups de canon renvoyés en réponse à ceux 
qui les avoient massacrés la surveille. Les conversa- 
tions étoient analogues à ces tristes objets. A la 
vérité, je n'ai pas entendu prononcer le nom du roi 
ni celui delà reine; mais, en revanche, on yparloit 
beaucoup de Charles IX et de Catherine de Médicis. 
Une vieille femme y racontoit plusieurs traits de 
rhistoire de France. Un homme en haillons citoit 
l'anecdote de la jatte et des gants de la duchesse 
de Marlborough comme ayant été la cause d'une 
guerre. Il se trompoit : elle fit faire une campagne 
de moins ; mais je me suis bien gardé de rétablir 
le texte : j'aurois été pris pour un aristocrate; 
d'ailleurs, la méprise étoit si légère, et l'intention 
du conteur étoit si bonne! 

Voulez-vous savoir de combien de siècles l'opinion 
a cheminé depuis deux mois? Rappelez-vous le 
symptôme que je vous citois de la passion françoise 
pour la royauté, ce que je prouvois par la facilité 
avec laquelle les danseurs jacobins, sous mes fenêtres, 
passoient de l'air Ça ira à l'air Vive Henri IV! Eh 
bien, cet air est proscrit, et au moment où je vous 
parle la statue de ce roi est par terre. Rien ne m'a 
plus étonné dans ma vie. Je ne vous dirai plus que 
ceux qui voudroient la répubHque trouveroient sur 
leur chemin la Henriade et le Lodoïx de l'univer- 
sité; non, cela n'est plus à craindre, et je suis sûr 
même que le Versalicas arces de nos poëmes latins 



264 LETTRES DIVERSES 

modernes ne protégera pas Versailles. Il ne falloit 
rien moins que la cour actuelle pour opérer ce 
miracle; mais enfin, elle Ta fait: gloire lui soit 
rendue ! Je n'ai plus le moindre doute à cet égard 
depuis que j'ai entendu les discours très-peu badauds 
des Parisiens autour des statues royales qui ont eu 
ce matin ma visite. Pour moi, le peu de badauderie 
qu'il me reste m''a engagé à lire quelques mots 
écrits sous un pied du cheval de Louis XIV. Que 
croyez-vous que j'y ai trouvé? Le nom de Girardon, 
qui avoit caché là son immortalité. Cela ne vous 
paroît-il pas l'emblème de la protection intéressée 
accordée aux beaux-arts par un despote orgueilleux, 
et en même temps de la modeste bêtise d'un artiste, 
homme de génie, qui se croit honoré de travailler 
à la gloire d'un tyran? Plus j'étudie l'homme, plus 
je vois que je n'y vois rien. Au reste, il seroit 
plaisant que Girardon se fût dit en lui-même : a La 
gloire de ce roi ne durera pas; sa statue sera ren- 
versée par la postérité indignée de son despotisme, 
et son cheval, en levant le pied, parlera de ma 
gloire aux regardans. » Cet artiste-là auroit eu une 
philosophie qu'on pourroit souhaiter aux Racine et 
aux Boileau. 

A propos de roi, on m'a dit qu'on parloit de 
vous pour l'éducation du prince royal. J'y trouve 
une difficulté : comment saurez-vous quel métier il 
faut faire apprendre à votre élève, en cas que les 



LETTRES DIVERSES 205 

François ressemblent aux Parisiens? Prenez-y garde ! 
cette difficulté vaut bien qu'on la propose. 

Vous êtes sûrement bien aise que Grouvelle soit 
secrétaire du conseil, et par conséquent qu'un 
mauvais génie ne l'ait pas placé il y a sept ou huit 
jours, comme le bruit en avoit couru. Il trouvera 
ce métier bien doux auprès de celui de président 
de section, qu'il a fait pendant la terrible nuit 
d'avant-hier. Un président de section étoit, en ce 
moment, un composé de commissaire de quartier, 
arbitre, juge de paix, lieutenant criminel, et un 
peu fossoyeur, vu que les cadavres étoient là qui 
attendoient ses ordres, comme il arrive quand le 
pouvoir exécutif force la souveraineté à recourir au 
pouvoir révolutionnaire. Je suis bien aise aussi que 
Lebrun soit aux affaires étrangères, quoique je n'aie 
jamais pu, pendant deux mois, obtenir de lui une 
épreuve de la Gazette de France tandis qu'il la 
faisoit sous mon nom. Je n'ai pas de rancune. 

Adieu, mon cher ami; je vous aime et vous em- 
brasse très-tendrement : vous voyez que, sans être 
gai, je ne suis pas précisément triste. Ce n'est pas 
que le calme soit rétabli, et que le peuple n'ait, 
encore cette nuit, pourchassé les aristocrates, entre 
autres les journalistes de leur bord ; mais il faut 
savoir prendre son parti sur les contre-temps de 
cette espèce. C'est ce qui doit arriver chez un 
peuple neuf qui pendant trois années a parlé sans 

34 



206 LETTRES DIVERSES 

cesse de sa sublime Constitution, mais qui va la 
détruire, et, dans le vrai, n'a su organiser encore 
que rinsurrection. C'est peu de chose, il est vrai, 
mais cela vaut mieux que rien. 

Adieu, encore une fois. Je vous espère sous 
huitaine, ainsi que notre cher malade. Je ne vous 
ai point parlé de lui, parce que je vais lui écrire. 



LETTRE XVI. 

A la Citoyenne 

1 5 frimaire, l'an II de la République. 

C'est un besoin pour moi, mon aimable amie, de 
vous écrire, et je suppose qu'en ce moment-ci vous 
êtes disposée à faire grâce aux défauts de mon 
écriture. Je ne croyois pas, lorsque vous déchiriez 
votre linge pour mes blessures et pour m'envoyer 
de la charpie, que je pourrois sitôt tracer de ma 
main les remercîmens que je vous ai adressés du fond 
du cœur. Ils seront courts, cette fois-ci, mais ils n'en 
seront pas moins vifs : appliquez-leur ce qu'on dit 
des prières, ce qui n'empêche pas d'en faire quel- 
quefois de longues qui valent bien leur prix. 

On me flatte d'obtenir bientôt ma liberté. Je 
suis diflîcile en espérance, mais je ne veux pas avoir 



LETTRES DIVERSES itj 

pour moi-même la cruauté de repousser celie-ci. Je 
serois pourtant plus voisin de vous au Luxembourg ; 
mais vous ne me souhaitez pas d'être votre voisin 
à ce prix. 

Adieu, mon aimable amie. Respect et tendresse, 
et sensibilité à vos peines que je sais. 





DISSERTATION 

SUR 

L'IMITATION DE LA NATURE 



ES OUVRAGES DRAMATIQ.IJE5. 



I parle sans cesse de la nécessite 
r la nature, sans que personne 
igné fixer le vrai sens de ce terme, 
L devient presque une abstraction 
par le petit nombre d'idées claires' et distinctes 
qu'on y attache. Ordinairement la philosophie, 
pour mériter ce nom , a besoin de voir en grand; 
ici, elle doit descendre dans quelques détails, sous 
peine d'être absolument illusoire. Toutefois il est 



270 DISSERTATION 

nécessaire de remonter d'abord à des vues géné- 
rales. 

Les grandes et sublimes proportions que la na- 
ture a mises dans ses ouvrages échappant à nos 
foibles yeux, les arts se sont proposé de créer pour 
nous un monde nouveau, plus parfait en apparence 
parce que nous embrassons plus aisément les rap- 
ports de ses différentes parties. Ils nous placent 
dans un ordre de choses d'un choix plus exquis; 
ils embellissent notre séjour; ils doivent orner 
l'édifice plutôt que d'en élever un semblable. 
L'homme, étant ce qu'il y a dans le monde de 
plus intéressant pour l'homme^ a été le principal 
objet de l'étude des artistes. Ils l'ont considéré 
sous toutes les faces, sous les rapports qui le lient 
à ses semblables ; ils l'ont observé dans presque 
toutes ces circonstances si nombreuses qui oppo- 
sent l'homme de la nature à l'homme de la société , 
qui mettent aux prises ses goûts et ses intérêts, 
ses passions et ses devoirs; enfin ils l'ont placé 
dans les attitudes les plus pénibles , et lui ont fait 
subir une espèce de torture pour arracher de son 
âme l'expression véritable d'un sentiment pro- 
fond. 

Quelle a dû être la marche de leur esprit dans 
cette opération ? qu'a dû faire le peintre ? qu'a dû 
faire le poète ? Ils ont regardé autour d'eux : l'un 
a vu que les hommes bien proportionnés étoient 



SUR l'imitation de la nature 271 

en petit nombre ; l'autre, que la plupart d'entre 
eux avoient une âme foible et froide, indigne 
et incapable d'intéresser. Le peintre aperçoit uil 
homme d'une stature plus haute que celle des 
autres : il l'arrête, il lui dit : « Vous serez mon 
modèle. » Le poëte, à travers une foule méprisa- 
ble, distingue un homme qui mérite son attention; 
son âme est à la fois sensible et forte, ardente et 
inébranlable : «Voilà, dit le poëte, l'homme que 
je veux peindre. » 

L'artiste doit m'offrir sans cesse le sentiment de 
mon excellence, et ce sentiment, je serai bien loin 
de l'éprouver si vous peignez les hommes exacte- 
ment comme ils sont dans la nature. Agrandissez- 
nous à nos propres yeux : c'est une flatterie indi- 
recte et d'autant plus ingénieuse, par laquelle vous 
séduirez à coup sûr notre jugement. Corneille a 
dit : « L'homme s'admirera en m'écoutant, en me 
lisant. Je lui montrerai Rodrigue tuant par hon- 
neur le père d'une maîtresse qu'il adore; Auguste 
pardonnant à son assassin; César vengeant la mort 
de son ennemi. Je peindrai de grands criminels, 
et on s'intéressera à leur sort, parce que le crime, 
si je le risque sur le théâtre, peut attacher; il n'y 
a que la bassesse qui soit tout à fait révoltante : 
un vil intrigant qui sacrifie son gendre à de lâches 
espérances de grandeur , je lui donnerai des re- 
mords qui feront au moins tolérer son caractère. » 



272 DISSERTATION 

Au reste, il seroit à souhaiter que Corneille eût 
pu placer Pauline et Sévère dans l'admirable situa- 
tion où il les a mis , sans exposer aux yeux un ca- 
ractère aussi vil que celui de Félix. De ce qu'on 
n'ose plus en hasarder de semblables, quelques 
personnes infèrent la médiocrité des successeurs de 
Corneille : lui seul , dit-on , pouvoit mettre un 
Félix, un Prusias, sur la scène. Il falloit conclure 
au contraire que depuis ce grand homme on a fait 
des progrès dans l'art qu'il a créé. On a senti qu'il 
falloit des raisons invincibles pour autoriser un 
poète à peindre de si vils criminels. L'admirable 
rôle de Narcisse, dans Britannicus, contient une 
des plus belles leçons qu'on ait jamais données 
aux rois, et cependant cette considération n'em- 
pêche pas que le parterre ne voie ce personnage 
avec peine, et l'on sait que le public donna, aux 
premières représentations de ce chef-d'œuvre, des 
marques d'un mécontentement peu équivoque. 

Plus on sonde ce principe, plus on le trouve 
fécond. Il explique d'une manière satisfaisante 
l'extrême déplaisir qu'on éprouve à voir des carac- 
tères nobles s'avilir et se dégrader. Je sais pour- 
quoi mon âme est affectée désagréablement lorsque 
le vainqueur des Curiaces enfonce le poignard 
dans le sein de sa sœur, dont le seul crime est de 
pleurer la mort de son amant. En lisant l'histoire 
même , ne sommes-nous pas sensiblement affligés 



SUR l'imitation de la nature 273 

lorsqu'un des principaux personnages s'avilit par 
quelque action qui flétrit une âme à laquelle la nôtre 
s'intéressoit? Cette nécessité de maintenir l'énergie 
du caractère est si reconnue que les poëtes tragi- 
ques ont Tattention de ne jamais laisser entendre 
aux héros de leurs poèmes rien d'humiliant pour 
eux , même dans la bouche d'un ennemi. Voyez si 
les menaces d'Assur, dans Sémiramisj ont rien 
d'avilissant pour Arsace 1 Ce secret de l'art qui 
consiste à faire tomber l'odieux d'un crime sur un 
confident est une des découvertes les plus utiles 
à la tragédie. Racine l'a mis le premier en usage 
dans Phèdre. L'auteur de Mahomet en a profité ha- 
bilement quand il s'est servi d'Omar pour donner 
à Mahomet l'idée de faire immoler Zopire par 
Séide. 

Quoique les anciens aient négligé plus d'une 
fois de soutenir les caractères dans toute leur 
force , ils ne laissoient pas d'en sentir la nécessité. 
Lorsqu'ils étoient obligés d'avilir un héros, un dieu 
ou une déesse venoit partager le crime avec lui, 
ou même s'en chargeoit entièrement. Les hommes 
aimoient mieux qu'on leur montrât un dieu vindi- 
catif ou une déesse jalouse qu'un être de leur 
espèce vil et dégradé. C'est ainsi que, dans Ho- 
mère, Minerve, la déesse de la sagesse, conduit 
Ulysse et Diomède aux tentes de Rhésus. Elle ne 
se montre ni plus juste ni plus généreuse dans 
Chamfort. II. 35 



274 DISSERTATION 

VAjax furieux, où elle trompe ce malheureux prince 
en feignant de le servir, tandis qu'elle sert en effet 
son rival. L'usage que les anciens faisoient, à cet 
égard , de leurs divinités, paroit plus condamnable 
encore que la manière dont ils s'en servoient pour 
le dénoûment de leurs pièces. 

Il est à peu près reconnu que les modernes sont 
très-supérieurs aux anciens dans l'art de tracer les 
caractères. Je ne doute pas que ceux-ci n'aient 
bien peint les mœurs existantes sous leurs yeux; je 
dis seulement que les caractères des bons ouvrages 
anciens ne sont pas aussi fortement dessinés que 
ceux des bons ouvrages modernes. Je crois pou- 
voir en assigner plusieurs raisons. Ce n'est que 
depuis la renaissance de la philosophie qu'on a 
profondément réfléchi sur la théorie des beaux- 
arts. Les Grecs paroissent avoir peu médité sur ce 
sujet. Dominés par une âme sensible et une ima- 
gination ardente , ils se laissoient entraîner par ces 
guides, qui conduisent rapidement celui qui marche 
à leur suite , mais qui quelquefois l'égarent. En 
effet, le génie ne préserve pas des écarts du génie. 
Il a besoin d'être dirigé par des réflexions qu'il ne 
fait ordinairement qu'après s'être trompé pins 
d'une fois. Plus le goût de la société s'étend, plus 
les objets des méditations du philosophe se multi- 
plient. Les idées de la vraie grandeur et de la 
vraie vertu deviennent plus justes et plus précises. 



SUR L*IMITATION DE LA NATURE 276 

La corruption des mœurs, qui, selon quelques 
sages, est le fruit de ce goût excessif pour la société, 
est pour le poëte une raison de plus de multiplier 
les caractères vertueux. On a dit que plus les 
mœurs s'altèrent, plus on devient délicat sur les 
décences. Par cette raison , plus les hommes de- 
viennent vicieux , plus ils applaudissent à la pein-» 
ture des vertus. Fatigués de voir des âmes com^ 
munes, des bassesses, des trahisons, leur cœur se 
léfugie, pour ainsi dire, dans ces monumens pré- 
cieux, où il retrouve quelques traits d'une grandeur 
pour laquelle il étoit né. 

Mais telle est la foiblesse de la nature humaine, 
même dans ses vertus, que, pour nous rendre in- 
téressans à nos propres yeux , le poëte a presque 
toujours besoin de nous embellir. Quel est le terme 
auquel il doit s'arrêter? Je crois qu'il peut nous 
agrandir tant qu'il voudra, pourvu que l'illusion 
ne disparoisse point, pourvu que nous nous recon- 
noissions encore. L'intérêt cesse avec la vraisem-* 
blance ; mais ce qui est vraisemblable pour l'un ne 
l'est pas pour l'autre. Nous jugeons les hommes 
vertueux suivant les moyens que nous avons de les 
égaler. La décision de ce procès appartient exclu* 
sivement au très-petit nombre d'hommes qui, nés 
avec un sens droit et une âme élevée, peuvent 
trouver l'appréciation vraie de chaque chose, peu-» 
vent dire : « Ce sentiment est juste et noble, celui- 



276 DISSERTATION 

ci est vrai, celui-là est faux ou exagéré. L'un doit 
naître dans un cœur honnête , l'autre n'existe que 
dans la tête d'un poète qui s'efforce de créer des 
vertus. » Croyons qu'il est des hommes dignes de 
porter un tel jugement. 

Souvent un seul sentiment faux détruit une illu- 
sion délicieuse , et la détruit plus désagréablement 
qu'une invraisemblance. Qu'une mère, réduite à 
la dernière infortune par l'erreur d'un juge, se 
retire dans un cloître avec sa fille; qu'elle passe 
pour la gouvernante de son enfant; qu'appelée 
ensuite, par un concours de circonstances, dans la 
maison de son juge, elle y vienne avec sa fille; 
que le fils de ce juge devienne amoureux de la 
jeune personne; que la tendre gouvernante se défie 
de cet amour, et veille sur sa fille avec toutes les 
inquiétudes et toutes les transes de la maternité : 
voilà ce qui doit intéresser tous les cœurs. Je veux 
bien passer au poète la combinaison d'incîdens 
divers dont il doit résulter de si grands meuve» 
mens ; mais que cette mère dans l'indigence, sou^ 
frant dans elle-même et dans sa fille, refuse la 
restitution de ses biens, c'est-à-dire ne permette 
pas que son juge s'acquitte d'un devoir rigoureux » 
alors je vois un être imaginaire, produit par un 
auteur qui, dans ce moment, n'avoit pas le senti- 
ment juste des convenances véritables. 
' Une autre raison pour laquelle un auteur doit 



SUR l'imitation de la nature 277 

s'attacher à n'exprimer que des sentîmens vrais, 
c'est que plusieurs bons esprits, ayant vu dans la 
plupart des ouvrages de théâtre une fausse gran- 
deur, rient de tout ce vain étalage dramatique 
dont rien n'est à leur usage, au lieu qu'un senti- 
ment noble et juste passe rapidement dans une 
âme bien faite, qui l'adopte avec avidité. 

Il faut un sens très-exquis pour s'arrêter, à cet 
égard, dans les justes bornes, et ce n'est que de- 
puis Racine qu'on les a fixées. Pompée implore le 
secours du roi d'Egypte ; il a mis en sûreté la 
moitié de lui-même; il n'a plus rien à craindre 
que pour sa vie ; il prévoit le traitement qu'on va 
lui faire; il s'abandonne à sa destinée sans se 
plaindre : voilà un grand homme. Mais il dédaigne 
de lever les yeux au ciel , 

De peur que, d'un coup d'œil, contre une telle offense 
Il ne semble implorer son aide ou sa vengeance : 

voilà un capitan impie. Les princesses de Corneille 
me paroissent quelquefois avoir pour la vie un 
mépris féroce et peu intéressant. Iphigénie dit 
naturellement : 



Peut-être assez d'honneurs environnoient ma vie 
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie, 
Ni qu'en me l'arrachant un sévère destin 
Si près de ma naissance en eût marqué la fin. 



278 DISSERTATION 

Encore plusieurs gens de goût ont-ils blâmé Racine 
de n'avoir pas donné à cette jeune princesse une 
plus grande frayeur de la mort. Aménaïde avoue 
aussi un sentiment semblable : 

Je ne me vante point du fastueux effort 

De voir, sans m'alarmer, les apprêts de ma mort : 

Je regrette la vie; elle doit m'être chère. 

Puisque les hommes du plus grand courage ne 
doivent mépriser la vie que lorsqu'ils ne peuvent 
la conserver qu'en trahissant leur devoir, à plus 
forte raison de jeunes princesses innocentes ne 
doivent point la quitter sans regret, quoique prêtes 
à la sacrifier si leur devoir l'exige. 

Mais , s'il est vrai qu'il n'y ait point de grande 
action dont l'humanité ne soit capable, il est im- 
possible que toutes les vertus se réunissent sur un 
seul être. Les poètes tragiques ont su éviter ce 
défaut , dans lequel sont tombés plusieurs romanciers 
excellens. Ceux-ci ont d'avance affoibli l'intérêt 
qu'ils font naître dans la suite. C'est ce qu'a fait 
l'auteur de Grandisson en prenant soin d'accumuler 
sur son héros toutes les vertus et tous les avan-»- 
tages que la nature et la fortune n'ont jamais réunis 
dans un seul homme. 

Quelques auteurs célèbres, las de voir dans la 
plupart des caractères une empreinte romanesque , 
se sont avisés d'avilir tout à coup un personnage 



SUR L IMITATION DE LA NATURE 279 

qu'ils avoient rendu intéressant par la réunion des 
sentimens les plus délicats. Ils se fondent sur ce 
que nul n*est parfait dans la nature, et qu'il faut, 
en présentant au lecteur de grands écarts ainsi que 
de grandes vertus, lui persuader qu'il ne lit point un 
roman. On répond que l'art consiste à obtenir cet 
effet sans employer de pareils moyens. Un grand 
intérêt pris fortement dans nos mœurs véritables, 
quelques taches volontairement répandues dans les 
caractères principaux, quelques circonstances com- 
munes dans les événemens, soutiendront parfaite- 
ment l'illusion. Le poète et le romancier doivent 
imiter, en ce point, l'artifice de ces menteurs 
adroits qui assurent la croyance à leurs récits en 
y mêlant des détails frivoles. Au reste, le peu 
d'effet qu'ont produit ces ressorts dans des mains 
habiles et vigoureuses empêchera, sans doute, que 
des mains plus foibles osent jamais essayer de s'en 
servir. 

Si l'idée de grandeur que nous attachons à notre 
nature est une source d'intérêt, le sentiment de 
notre foiblesse contre certains coups de la fortune, 
le besoin d'appui et de consolation, en ouvrent 
une autre non moins abondante, et souvent ces 
deux sensations se réunissent. La simple vue d'une 
action de générosité nous transporte. En sommes- 
nous les objets, elle arrache de nos yeux des 
larmes de reconnoissance et d'admiration. Quand 



280 DISSERTATION 

nous avons le bonheur de la faire nous-mêmes , 
elle excite dans nous un doux tressaillement qui ^ 
se confondant par dégrés avec le calme d'une joie 
pure et concentrée, forme la jouissance la plus 
voluptueuse que la nature ait accordée à l'homme. 
Oreste et Pylade se disputant l'honneur de mourir 
l'un pour l'autre, que de sentimens délicieux 
s'élèvent à la fois dans votre âme 1 Vous jouissez 
de la générosité de Pylade, il vous semble que 
vous rimileriez ; l'infortune d'Oreste vous attache 
et vous attendrit. Une identification qui, pour être 
rapide , n'en est pas moins réelle , nous transforme 
dans l'homme que l'infortune accable , et dans 
l'ami généreux qui veut mourir pour lui. Nous 
jouissons des deux sentimens qui nous sont les 
plus chers : du sentiment de notre grandeur qui 
nous flatte , et de celui de notre foiblesse qu'on 
soulage. 

Ce seroit peut-être ici la place d'examiner pour- 
quoi les grands crimes ne sont intéressans au 
théâtre que quand ils sont commis par des hommes 
à peu près vertueux. Si Œdipe étoit un scélérat, 
il ne seroit que révoltant. Qu'un monstre, pour 
remplir une vengeance méditée depuis plus de 
vingt ans, fasse boire à un malheureux père le 
sang de son fils, c'est une horreur qui n'est point 
intéressante. On répond que l'intérêt porte sur 
Thyeste. J'insiste , et je dis que Thyeste n'inspire 



SUR l'imitation de la nature 281 

point un intérêt déchirant tel qu'on devoit Fat- 
tendre d*une pareille situation si elle eût été 
adoucie. On a seulement pour lui cette pitié qu'on 
accorde à tous les malheureux. Un écrivain célèbre, 
dans une lettre éloquente contre les spectacles, 
fait un grand mérite à l'auteur d'Atrée d'avoir in- 
téressé tous les spectateurs pour la simple huma- 
nité. Ce point de vue, sans doute, est philoso- 
phique ; mais qu'on examine s'il en falloit faire un 
mérite à l'auteur. Thyeste est jeté par la tempête 
dans un port soumis au cruel Atrée. Il faut échap- 
per à sa vengeance ; il cache sa qualité de prince : 
quoi qu'il fasse , il faut bien qu'il reste homme ; il 
ne peut renoncer à ce titre. Il est évident que la 
force du sujet a tout fait, et qu'il n'a point un si 
grand mérite dans cette disposition, qui d'ailleurs 
appartient tout à fait à Sénèque. Mais qu'un amant 
sensible et généreux tue sa maîtresse vertueuse, et 
qu'il croit infidèle; qu'Oreste, que Ninias, mas- 
sacrent leur coupable mère avec le projet de ne 
jamais cesser de la respecter : voilà un genre de 
tragédie qui aura toujours des droits sur tous les 
hommes. L'événement tragique est le même, sans 
qu'il soit besoin d'offrir des monstres aux yeux des 
spectateurs. L'erreur commet le crime, l'homme 
reste vertueux : l'effet théâtral n'y perd rien. 

Le dogme de la fatalité , répandu chez les an- 
ciens, les amena par degrés à concevoir ainsi la 

36 



282 DISSERTATION 

tragédie. D'abord, le besoin que les hommes ont 
d*être ébranlés fortement fit qu'on se contenta 
d'une émotion vive, de quelque manière qu'elle fût 
produite : Oreste tourmenté par les furies, Promé- 
thée attaché sur le Caucase tandis que des vau- 
tours lui déchiroient le cœur ; ces affreux spectacles 
suffirent. Ensuite on s'efforça de rendre intéressant 
le héros du poème : le poète ménagea tellement 
son action qu'on ne pouvoit imputer les crimes de 
son héros qu'à une fatalité tyrannique; c'est ce qui 
rend Œdipe et Phèdre si attachans. Depuis, Cor- 
neille, aidé de Guilhem de Castro et de son génie , 
inventa la tragédie fondée sur les passions. Enfin 
on est revenu depuis à un genre de tragédie fondé 
en même temps sur les passions et sur cette dépen- 
dance où nous sommes d'une cause supérieure : 
telle est Sémiramis, et telles sont les pièces dont 
les sujets sont tirés du théâtre des Grecs. Quelque 
admiration que j'aie pour ce genre, dans lequel on 
peut offrir aux hommes de grandes leçons et pe 
grands tableaux, j'avoue que je lui préfère la tra- 
gédie qui fait couler des larmes de pur attendrisse- 
ment : telles sont Andromaque, Zaïre, Alzire, 
etc. 

Les différens peuples policés ont suivi des pro- 
cédés différens dans l'imitation de la nature. Les 
Grecs ont prodigué les grands traits, mais s'en sont 
souvent permis plusieurs qui avilissoient leurs héros. 



SUR L*IMITATION DE LA NATURE 283 

Ce défaut venoit de ce que, dans ces siècles hé- 
roïques et grossiers, on n'avoit point fixé les véri- 
tables notions des vertus morales. Les Romains, 
nés moins heureusement, mais ayant plus d'idées 
sur les décences, tracèrent des caractères moins 
forts, mais plus soutenus. Les deux ou trois siè- 
cles qui précédèrent la renaissance des lettres doi- 
vent être comptés pour rien. Une imitation servile 
des anciens, tant Grecs que Romains, tint lieu de 
tout mérite dans TEurope littéraire. Les Anglois, 
les Italiens et les François prirent des routes diffé- 
rentes. Les deux premiers de ces peuples, surtout 
les Anglois, se piquèrent d'imiter la nature avec 
une vérité souvent grossière et rebutante. La 
preuve qu'ils n'étoient point dirigés dans cette 
marche par le désir d'opérer une illusion par- 
faite, mais seulement par une rusticité qui n'est 
point incompatible avec les élans du génie , c'est 
qu'en même temps qu'ils copioient la nature com- 
mune, ils choquoient toutes les vraisemblances, en 
resserrant dans l'espace d'un jour des événemens 
qui avoient rempli trente années. Les Italiens imi- 
tèrent la nature dans des détails moins odieux , 
mais peu intéressans. Dans la Mérope de Maffei, 
le vieillard qui vient chercher le jeune Egiste se 
permet de parler beaucoup , et de dire plusieurs 
choses inutiles à l'action. Blâmez, en Italie, cette 
absurdité, on vous répondra : «Telle est la nature. » 



284 DISSERTATION 

En France , nous pensons qu*il pourroit exister un 
vieillard qui , ayant élevé le fils de son roi , et 
l'ayant laissé échapper de ses bras, viendroit le ré- 
clamer sans bavardage. 

Combien cette imitation servile de la nature est 
^eu intéressante ! Dès lors, le goût, ce conducteur 
du génie, est banni de l'empire des arts; dès 
lors, plus de nécessité de porter du choix dans les 
parties, pour en former un ensemble intéressant: 
une vérité, souvent désagréable, tiendra lieu de 
tout mérite. Plus de ces nuances, de ces adoucis* 
semens que la perfection du goût a introduits dans 
le langage et dans la peinture des passions, et dont 
Racine a le premier donné Tidée. Si vous peignez 
les anciens exactement tels qu'ils sont, vous pré- 
sentez le tableau de mœurs grossières à des hom- 
mes dont les mœurs se sont épurées par le temps ; 
vous rappelez à un nouveau noble le souvenir de 
sa roture. 

Exiger toujours celte froide ressemblance, c'est 
refuser d'accéder au traité secret, mais réel, en 
vertu duquel l'artiste dit au public : a Admettez 
telle et telle supposition , et je m'engage à af- 
fecter votre âme de telle et telle manière. » Ces 
conventions étant au théâtre en plus grand nombre 
que partout ailleurs, vous proscrirez toute repré- 
sentation dramatique; la tragédie en musique vous 
deviendra tout à fait insupportable; vous n^aurez 



SUR l'imitation de la nature ^85 

guère plus d'indulgence pour la tragédie parlée ; 
vous demanderez pourquoi Pulchérie insulte Phocas 
en vers alexandrins, et la perfection même de Tart 
va devenir un défaut pour vous. Dans un chef- 
d'œuvre où de grands événemens sont représentés 
et réunis d'une manière attachante , vous serez en 
droit de remarquer que la nature ne place pas ainsi 
Tun auprès de l'autre plusieurs événemens extra- 
ordinaires. Si vous continuez à vous tenir rigueur, 
vous demanderez pourquoi César parle françois; 
vous serez le plus cruel ennemi de vos plaisirs : 
vous aurez vu Mérope, et n'aurez pas pleuré. 

Voulez- vous voir combien la nature a besoin 
d'être embellie ? jetez les yeux sur la pastorale. Il 
est à croire que les guerres civiles d'Auguste et 
d'Antoine, les troubles de l'Italie dans le siècle du 
Guarini et du Tasse, l'abrutissement où les paysans 
ont toujours été plongés en France , n'ont pas 
permis que la patrie des Tityres, des Amyntes, des 
Tyrcis, des Céladons, ait été le séjour du parfait 
bonheur. Toutefois nous sentons que les habitans 
de la campagne , libres des travaux trop pénibles 
de leur état , abandonnés à la simplicité de leurs 
goûts, seroient plus près du bonheur que nous ne 
le sommes dans nos villes, où toutes les passions, 
exaltées au plus haut degré, se livrent sans cesse 
dans notre âme un combat qui l'accable et qui la 
déchire. Le poëte, traçant à nôtre imagination le 



286 DISSERTATION 

tableau des plaisirs champêtres, fait pour nous les 
frais d'une agréable maison de campagne, où nous 
pourrons nous retirer quand nous serons fatigués 
des plaisirs bruyans de la ville. Qu'il prenne garde 
seulement dé détruire le prestige, en donnant à 
ses personnages des sentimens ou des idées étran- 
gers à leur état; mais qu'il ne craigne pas de me 
les montrer plus aimables qu'ils ne le sont en effet. 
Ses bergers sont-ils de beaux esprits, je ne suis 
point à la campagne, ni Fontenelle non plus; sont- 
ils grossiers, je m'y déplais, fût-ce avec Théo- 
crite. 

Un philosophe a dit que, hors Dieu, rien n'est 
beau dans la nature que ce qui n'existe pas. On ne 
peut pas condamner plus fortement la représenta- 
tion de la nature commune. Parmi nous, quelques 
auteurs , prenant pour guide cette philosophie 
froide et fausse qui, pour mieux mesurer le champ 
des beaux-arts, commence par en arracher les fleurs 
et les fruits, ont cru, comme nos voisins, qu'il 
falloit réduire les arts à cette vérité rigoureuse qui 
fait de la ressemblance la chose même qu'on a 
voulu imiter. Si l'artiste qui cherche à la peindie 
se propose de tromper tout à fait le spectateur, il 
méconnoît l'objet de son art. Il faut donner à 
l'âme le plaisir de s'exercer; et les copistes, en 
quelque genre que ce soit, ne donnent jamais ce 
plaisir. Ce tableau du Poussin me saisit d'admira- 



SUR l'imitation de la nature 287 

tion ; toutefois l'illusion n'opère pas sur moi au 
point de me faire adresser la parole aux êtres qui 
paroissent animés sur la toile; ce n'est pas même 
ce plaisir que je cherche. Cette statue dont j'ad- 
mire la beauté , essayez de la peindre des vérita- 
bles couleurs de la nature, que la carnation soit 
exactement semblable à celle d'un homme, assurez 
l'effet du prestige en la couvrant d'habits sembla- 
bles aux nôtres : mon plaisir est évanoui ; une ridi- 
cule surprise prend la place de l'admiration; je 
vois qu'on a voulu créer un homme, et qu'on n'a 
pas réussi. Je me demande pourquoi cette figure 
ressemble à un homme, et n'en est point un. Je 
souhaite avec Pygmalion que la statue soit animée; 
je sens l'insuffisance de l'artiste : elle me rappelle 
la mienne ; et c'est cette idée qu'il doit toujours 
écarter. Il est à croire que le sentiment de la diffi- 
culté vaincue est un charme secret et toujours 
agissant, qui se mêle au plaisir que nous éprouvons 
à la vue d'une belle imitation de la nature. 
• D'après ces considérations, on est en état de 
décider si la philosophie peut faire autant de tort 
à la poésie que le prétendent la plupart des gens 
de lettres. Il est vrai que quelques écrivains en 
ont abusé en la faisant dégénérer en une vaine 
métaphysique ; mais observez les avantages qu'elle 
peut produire en éclairant la marche d'un talent 
véritable. Un auteur célèbre a dit que tout ouvrage 



288 DISSERTATION 

dramatique est une expérience faite sur le cœur 
humain. C'est le philosophe qui la dirige; le poète 
ne fait que passionner le langage de ses acteurs. 
L'un place le modèle, l'autre dessine avec feu. Je 
sais que le génie peint à grandes touches et dé* 
daigne les nuances;, mais je ne puis croire qu'il 
soit toujours emporté par une impulsion violente : 
il peut laisser échapper subitement un morceau 
plein de sensibilité ; il peut même concevoir un 
plan rempli de chaleur; mais il a besoin de la mé- 
ditation pour présider à l'ordonnance des parties 
et les diriger à un but moral. Il a pu fournir à 
Molière l'idée de la cassette; mais il a été secondé 
par de profondes réflexions lorsqu'il a compromis 
un père avare et usurier avec un fils libertin qui 
emprunte à un intérêt ruineux. Je vois le doigt de 
la philosophie empreint sur chaque vers du Tartufe 
et du Misanthrope. Ne croyons pas que cette ha- 
bitude de réfléchir puisse jamais refroidir un poète ; 
elle trace au contraire, dans son imagination, l'i- 
mage d'un beau idéal qui le dirige à son insu, 
même dans la chaleur de sa composition. Un phi- 
losophe pourroit donc composer un nouvel Art 
poétique, dans lequel il remonteroit aux sources de 
l'intérêt et du comique , où il approfondiroit l'art 
de tracer les caractères, où il feroit voir les progrès 
que cet art a faits, et où il pourroit donner la so- 
lution de plusieurs problèmes littéraires. On peut 



assurer à celui qui exécuieroit bien cet ouvrage 
UQ très'grand succès, dont l'auteur ne seroit jamaU 
témoin; mais, s'il se trouvoit un homme digne de 
l'entreprendre , il est à croire que cette dernière 
réflexion ne seroit pas capable de l'arrêter. 




NOTES ET VARIANTES 



Page 8, ligne 17. Et U$ pauvres , les frères de Jésus- 
Christ, C'est : les membres de Jésus-Christ, qu'il faut 
lire. 

P. 7$, 1. 5. Ce fut le comte de Grammont lui-même, etc. 
Nous avons, dans la Préface de notre édition des Mémoires 
du comte de Grammont, par Hamilton, publiés dans cette 
collection même, démontré la fausseté absolue de cette as- 
sertion, la première édition des Mémoires étant postérieure 
de six ans à la mort du héros d'Hamilton. 

P. 80, 1. 2 1.7/ vous étoit réservé. Madame, de faire rou- 
gir du mariage. D'autres leçons portent : de faire rougir le 
mariage, forme encore plus énergique de la même pensée. 

P. 147, 1. 19. Le général Quintus Icilius. On peut lire 
dans Thiébault , Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin 
(édition Didot, t. P"", p. 409), l'histoire du sieur Cuichard, 
né à Magdebourg de réfugiés français, et du caprice par 
lequel Frédéric II le fît, de professeur, général, et lui donna 
officiellement le nom de Quintus Icilius, aide de camp favori 
de César. 

P. i53, 1. II. M. de C... avoit reçu un bienfait de 
M. d*A... Ces initiales cachent, paraît-il, M. de Condorcet 
et le duc d'Anville. 

P. 154, 1. I. Nous ne pouvons nous empèchei de faire 
toutes nos réserves comme historien, à propos de cette anec- 
dote. Le secret de M. de Choiseul pour se maintenir en 
dépit de M™° du Barry ne saurait avoir résidé dans le par- 



292 NOTES ET VARIANTES 

tage avec le roi des économies faites sur son département. 
Le roi n*avait garde de créer entre ses ministres et lui de ces 
honteuses solidarités. Si le fait eût existé', il n*eût jamais 
osé renvoyer le duc de Choiseul ; et, si la recette pour se 
maintenir en faveur eût été si efficace que cela, M'''^^ du 
Barry n'eût jamais pu faire congédier le premier ministre qui 
avait eu le courage de la braver. Or c'est le contraire qui 

arriva. Donc il ne faut pas croire, parce qu'elle n'est 

pas vraie, à l'anecdote que Chamfort a acceptée comme 
vraie parce qu'elle était maligne. 

P. 170, 1. il. M. de Vaudreuil se plaignait à C... etc. 
C'est de Chamfort qu'il est ici question. 

P. 219. Lettre IV. Cette lettre est adressée à M"* Sau- 
rin , femme de l'auteur de Spartacus, amie dévouée de 
Chamfort. D'autres ont dit à tort M™*' Suard : car le ma- 
riage de M^^° Panckoucke avec Suard est postérieur à la date 
de cette lettre, qui doit être reportée à l'année 1774. 

P. 2 2 3. Lettre V, Cette lettre pourrait bien avoir été 
écrite à Mirabeau. 

P. 227. Lettre VI. Cet abbé Roman, qui fut aussi l'ami 
et le correspondant de Rivarol , était un littérateur avigno- 
nais, né en 1726, mort en août 1787, sur lequel on troufe 
une bonne notice de M. Weiss dans la Biographie umvV" 
selle de Michaud, 2^ édition. La Biographie Didot ne le 
mentionne pas. 

P. 240. Lettre VIII. Cette lettre est adressée au comte 
de Vaudreuil. 

P. 249. Lettre IX. M- P.... c'est M. Panckoucke, le cé- 
lèbre éditeur. La Lettre X et les suivantes sont adressées à ta 
femme. 

P. 2 58. La Lettre XIV et la suivante paraissent adressées 
à Condorcet. 

P. 266. Lettre XVI. C'est à M<»o Ginguené que fut adressé 
ce billet, un des derniers qui soit sorti de la main de Cham* 

fort. 



TABLE ANALYTIQUE 

DES PORTRAITS ET CARACTÈRES 

ET 

DES ANECDOTES ET BONS MOTS 



Abbé. Singulière excuse d'un abbé à un évêque qui l'in- 
vite à déjeuner. 146. 

Académie française. Mot de M... sur la collection des 
discours de réception à l'Académie. 49. — Comment M. de 
Mairan arrête une dispute à l'Académie. 49. — M... di- 
sait qu'il ne fallait rien dire, dans les séances publiques, 
au delà de ce qui est imposé par les statuts. 82. — Le 
triple échec de Fontenelle ne console personne. 141. 

Académie de Soissons. Mot de Voltaire sur elle, i . 

Aguesseau ( Le chancelier d'). Condition qu'il met à la 
permission d'imprimer les premiers volumes de Cléveland, 
de l'abbé Prévost. 3, 

Aiguillon (Le duc d'). Comment il est fait ministre des 
affaires étrangères par M™® du Barry. 3 5. 

Aimable. Mot qui peint la différence entre l'homme 
aimable et l'homme digne d'être aimé. 3. 

Alembert (D'). Son mot le lendemain du mariage de 
M™^ Denis avec M. du Vivier. 3. — Mot que lui dit le 
roi de Prusse à propos d'un de ses beaux laquais. 3 3. — 
Comment il est salué par M. Fournier. i5i. — Critique 



294 TABLE ANALYTIQUE 

de ses petits traités littéraires. i63. — Ne trouve Voltaire 
un peu faible qu'en géométrie. i65. 

Aligre iLa présidente d*). Tour que lui joue M. de 
Bissi. 38. 

Allemagne. Mot de M... à son retour d'Allemagne. 146. 

Ambassadeur anglais à Naples. Comment il se venge de 
Tinsuccès d'une fête. 89-90. 

Amis. Dialogue entre deux amis. 5. — Il y a trois sortes 
d'amis. 149. 

Amour. Mot de M™^ de C... à M. B..., et réponse de 
celui-ci. 24. — Mot d'un homme qui n*ose plus aimer. 25. 

— De l'Italienne, de l'Anglaise, de la Française. 82. — 
Mot dit à un homme qui ne s'aperçoit pas qu'il est aimé. 
91. — Mot d'un jeune homme honnête en amour. 121. 

— Mot de M... sur la princesse de... : c'est une femme 
qu'il faut absolument tromper. 140. — M... fait semblant 
d'être malhonnête pour que les femmes ne le rebutent pas. 
149. 

André (Le petit Père). Début de son sermon sar un 
étrange sujet proposé par le prince de Condé. 8. 

Angivilliers (M™^ d'). Est une des quatre grandes co- 
médiennes du siècle... à la ville. 84. 

Anglais. Refuse sa grâce et veut être pendu. 10. 

Anne d'Autriche. Était mariée avec Mazarin. 97. 

Anville (m. d*). Fameux géographe; n'avait jtmaa 
quitté sa chambre. 74. 

Aquaviva (Le cardinal). Est empêché par le sacré-col- 
lége de faire amende honorable de ses violences. 87-88. 

Argenson (Le comte d'). Son mot à la bataille de Rmu- 
coux. 7. — Son mot au comte de Sebourg, amant de sa 
femme. 8. — Son mot de courtisan cynique. 41. 

Arlequin. Son mot dans une farce italienne. 106. 

Arnaud (Baculard d'). Trouve au comte de Frise des 
cheveux de génie. Mot de celui-ci à ce propos. 28-29. 

Arnaud (L'abbé). Son mémoire à M"*® du Barry. 9. 
Arnoncourt (m. d'). Singulier contrat qu'il fait à une 
fille. 161-162. 



TABLE ANALYTIQUE 296 

Arnoult ( Sophie). C'est chez elle qu'est décidé le choix 
d'un précepteur pour le comte de Chinon. 58. 

Artois (Le comte d*). Son mot le jour de ses noces. 73. 
— Mot du duc de Chartres en apprenant son insulte à la 
duchesse de Bourbon. 122. 

Athées. Mot de M. D... sur les athées. 9. — Mot d'un 
athée qui voudrait ne pas l'être. 44. 

AuBRY, avocat. Tour qu'il joue à l'abbé de Tencin. 1 74, 

AuMONT (Le duc d'). Récit naïf de ses derniers moments. 
46. 

Auteur. Il faut laisser à l'envie le temps d'essuyer son 
•écume. 56. — Réponse d'un auteur à qui on reprochait 
de ne plus rien donner au public. i36. — Ce que fait dire 
une idée qui se montre deux fois dans un ouvrage à peu de 
distance. 141. — Mot dit à un auteur insolent après un 
premier succès, i 54. 

AuTREY (M. d'). Son mot sur M. de Ximénès. 174. 

Avances. Comment M... expliquait son refus des avances 
de M™e de ... 68. 

Avare. Mot d'un avare qui avait mal aux dents. 45. 

AvEjAN (M. d'), officier de mousquetaires. Comment il 
évite de tirer sur le peuple dans une sédition. 108. 

Avocat. Conseil d'un avocat anglais qui tourne contre 
lui. 9. 

Aydie (L'abbé d'). Son mot à M™^ du Deffand, qui 
prétendait être la femme qu'il aimait le plus. 1 1 . 

Ayen (Le duc d'). Sa réponse à Louis XV, qui lui de- 
mandait s'il avait envoyé sa vaisselle à la Monnaie. 11. — 
Histoire incroyable qu'il conte devant Louis XV. 116. 

Banqueroute de M. de Guéménée. M. de Villette 
l'appelle sérénissime. i3. — Vers de Racine que M. D... 
appliquait aux fréquentes banqueroutes de nos rois. i3. 

Barbançon (M. de). Aveu que lui fait la duchesse de La 
Vailière. 68. 

Barthe (M.). Plaisante semonce que lui adresse M. de ... 
sur ce qu'il se permet d'être jaloux. 84. — Mot dit à 
M. Barthe. io8c 

Barry (La comtesse du). Comment elle fait le duc d'Ai- 



\^6 



TABLE ANALYTIQUE 



guillon ministre des affaires étrangères. 35. — Scène avec 
M™* de Beauvau. 53. — Secret du duc de Choiseul pour 
se maintenir malgré elle. 154. 

Bassompierre (m. de). Sa réponse à M^^^ d'Entragues. 
59. 

Bassompierre (M™^ de). Maîtresse de M. de la Galai- 
sière, chancelier du roi de Pologne. 1 5g. 

Bastille. M. de Malesberbes est dissuadé par M. de 
Maurepas d'engager le roi à aller voir la Bastille. i3. — 
Mot d'un homme très-pauvre qui avait fait un livre contre 
le gouvernement, i 3 . 

Beaujon (Le financier) et ses berceuses. 19. 

Beaumarchais. Ce que lui dit le joueur Sablière, qu*if 
veut empêcher de se tuer. 87. 

Beaumont (L'abbé de). Son mot à Pabbé Maury, qui est 
venu le voir. 98. 

Beauvau (Le prince de). Grand puriste. Mot sur lui. iSç. 

Beauvau (La princesse de). Ce que lui dit M"® do 
Barry pendant une visite au Val. 5 3-54. 

Beauzée (m.). Leçon de grammaire qu'il donne à 
Tamant de sa femme. 139. 

Belle-Isle (Le maréchal de). Fait faire contre le duc de 
Choiseul, par le jésuite Neuville, un mémoire au roi. 29. 

Ben-Johnson. Dit qu'il faut prendre les Muses pour mat- 
tresses, et non pour femmes. 109. 

Benserade (m. de). Son mot sur les précepteurs du duc 
de Chartres. 74. 

Bernard (Le poète). Comment il arrange le choix d'un 
précepteur pour le comte de Chinon. 58. — Meurt éprî» 
passionnément d'une fille, i 55. 

Bernière (La présidente de). Histoire galante sur la pré- 
sidente de Bernière. 121. 

Berryer (m.). Fait mettre à la Bastille un négociant qui 
Va. prévenu des projets de Damiens. 49-50. 

Bienfaits. Mot de M... sur les bienfaits. 5. — Diea ne 
recommande pas le pardon des bienfaits. 126. 

Bienfaiteur. Mot d'un homme à qui on disait que M...^ 
autrefois son bienfaiteur, le haïssait. i5. 



TABLE ANALYTIQUE 297 

BiRON (Le maréchal de). Sa confession interrompue par 
la boutade d'un ami. i5. 

Bissi (M. de). Comment il s'impose à la présidente 
d'Aligre, qui veut le quitter. 38. 

Blanchard (L'aéronaute). Mot sur une sotte lettre de 
lui. 61. 

BoiNDiN et Marmontel au café Procope. 96. 

BoLiNGBROCKE (Lord). Son mot à Louis XIV sur les rois. 
i5. 

BoRDEU (M. de), médecin. Soigne Louis XV dans sa 
dernière maladie, 93. — Remède étrange qu'il propose à 
M°ie de Sully. 98. 

BossuET. Ne put jamais apprendre au grand dauphin à 
écrire une lettre, i $9. 

BouFFLERS (La comtesse de). Mot piquant que lui dit 
Rousseau. 106. — Appelle le prince de Conti le meilleur 
des tyrans. i65. 

BouLAiNviLLiERs (M. de). Mot qui lui est dit à propos 
de son cordon bleu par charge. 38. 

BouRDALOuE (Le P.). Comment il cause du désordre à 
Rouen, i 7. 

BouRDELOT. Médecin de Christine, reine de Suède. Lui 
persuade de faire danser à Naudé et chanter à Meibomius 
une danse grecque. Meibomius s'en venge en le battant. 3 i. 

BouTEviLLE (Le chevalier de). Réponse d'un représentant 
de Genève au chevalier de Bouteville. 146. 

Bréquigny (M. de). Son mot sur la gourmandise des 
rois. 128. 

Breteuil (Le bailli de). Application d'un vers de Delille 
que lui fait la maréchale de Luxembourg. 47. 

Breteuil (Le baron de). Montre le portrait de la reine 
au milieu dune rose garnie de diamants. 18. — Est fort 
au-dessous de Peixoto. 18. — Montre qu'on peut ballotter 
dans ses poches des portraits de souverains et n'être qu'un 
sot. 18. — Comment il n'est qu'un sot. i8. — Ce qu'en 
dit M™° de Créqui. 18. — Veut renfermer l'autorité 
royale dans les limites où elle était resserrée sous Louis XIV. 

38 



298 TABLE ANALYTIQ^UE 

iSy. — Pourquoi M. de Vergennes l*a laissé arriver au 
ministère. 171. 

Brionne (La comtesse de). Rompt avec le cardinal de 
Rohan à roccasion de M. de Choiseul; réponse qu'elle 
s*attire. 65. — Mot de M™* de Talmont à Richelieu à 
propos de la comtesse de Brionne. 160. 

Briffe (M. de la). Incidents à ses obsèques. 84. 

Brisard ( M™° ). Son mot naïf à la comtesse de Gisors, 
qui lui reproche h nombre de ses amants. 46. 

Brissac (m. de). Sa réponse au comte de Charolais, qui 
Ta surpris chez sa maîtresse. 27. — Comment il appelait 
Dieu. 48. 

Brissard (m.) le père. Lettre à sa femme sur leur cha- 
pelle funèbre. 26. 

Broglie (Le comte de). Comment Louis XV traite le 
comte de Vergennes dans sa correspondance secrète avec le 
comte de Broglie. 64-65. 

Broglie (Le maréchal de). N'admire que le mérite mili- 
taire. 1 9. — Réponse de sa femme à son regret de s*ètre 
mésallié. 145. — Comment on le dissuade de trop s'expo- 
ser. 160. 

Bucc^(M. du). Son mot sur les femmes. $4. 

Buffon (m. de). S'environne de flatteurs et de sots qui 
le louent sans pudeur. 79. 

Bureau d'esprit. Mol de M"*« X... tenant un bureau 
d'esprit. 20. 

Cachots en Espagne. M... se fait des cachots en Es- 
pagne. 20. 

Cagliostro (Le comte de). Hâblerie de son valet. Si. 
— Comment il fait épouser par M. d'Espréménil M"« Ti- 
laurier. 182. 

Calomniateurs. Traité que leur proposerait volontien 
M. D... 22. 

Calonne (m. de). Veut se faire remplacer par M. de 
Fourqueux. Manière dont Dupont de Nemours se charge 
de la négociation. 16-17. — Scène entre lui et M. de 
Choiseul. 3o-3i. — Pension qu'il fait avoir à M. de 
Saint-Priest. 73. — Ce que M. de Lauzun dit de leur» 



TABLE ANALYTIQ^UE 299 

disputes. 87. — Est maltraité dans le livre de Mirabeau 
sur l'agiotage. 102. — Dit qu'il n*y a qu'un mot qui 
serve. i65. 

Calprenède (m. de la). Donne le nom de son roman à 
succès à l'étofFe de son habit. 75. 

Canaye (L'abbé de). Son mot sur Louis XV et Cahusac. 
92. 

Caractère piquant de M. N... C'est une statue de bronze 
sur du marbre. 23. — Mot de M... sur son caractère. 23. 
— Très-fort uni à une santé délicate, comparé au chêne et 
au roseau. 27-28. — Caractère non vulgaire; ce que dit 
■celui qui le possède à la Gloire et à la Fortune. 68. 

Castries (m. de). Son mot à propos de la querelle de 
Diderot et de Rousseau. 63. 

Catherine II. Son mot à Diderot sur la malpropreté des 
paysans russes. 5o. — Mot hardi que lui dit la Gabrielli. 

54- , , 

CÉLÉBRITÉ littéraire. Est une espèce de diffamation. 24. 

Célibataires. On accuse la philosophie moderne d'en 
avoir multiplié le nombre; mot de M... à ce sujet, 24. 

César. Son mot à un mauvais orateur. 40-41. 

Chabot (Le comte de). Comment il indique à la maré- 
chale de Luxembourg à quel endroit de la messe on en 
€st. 3 3. 

Chabot (Le duc de). Épigramme à propos de la Renom- 
mée peinte sur sa voiture. 142. 

Chabrillan ( Le bailli de). Son mot au comte Schwalow. 
i53. 

Chamfort. Comment il élude l'offre de services que lui 
fait M. de Vaudreuil. 170. 

Charlatan. Dit la bonne aventure à un petit décrotteur. 

32. 

Charles II. Son mot à son frère, le duc d'York, qui lui 
donnait un conseil imprudent. 40. 

Charles le Téméraire. Mot de son fou , après Morat. 

69. 

Charolais (Le comte de). Réponse qu'il s'attire de 
M. de Brissac. 27. — Sa manière de payer sa maison. 27. 



3oO TABLE ANALYTIQ^UE 

Chartres (Duc de). Son mot sur l'insulte faite par le 
comte d'Artois à sa sœur, la duchesse de Bourbon. 12a. 

Chatelet (La marquise du). Dans quels termes Voltaire 
se plaint à la duchesse de Cbaulnes de ce qu'elle n'aime 
pas Pharmonie. 34. 

Chatelux (Le marquis de). Amoureux de sa femme, est 
persiflé par M. de Genlis. 85. 

Chaulnes (La duchesse de). Dans quels termes Voltaire 
se plaint à elle du peu de goût de M™° du Chfttelet pour 
l'harmonie. 34. — Son mari l'a fait peindre en Hébé; mot 
de M*^® Quinault à ce sujet. 37. — Ce qu'elle dit à 
M™® de Créqui sur son mariage avec M. de Giac. 64. — 
Ses derniers moments. 94-9$. 

Choiseul (Le duc de). Bon mot d'un député de Bre- 
tagne soupant chez lui. 29. — Comment il se venge d'un 
Mémoire contre lui rédigé par le jésuite Neuville. 29-30. 
— Comment il récompense les maîtres de poste dont il est 
content. 3o. — Scène entre lui et M. de Calonne à propos 
des lettres qu'il lui a écrites dans l'affaire La Chalotais. 3o- 
3 I . — Comment il prouve qu'il a une étoile pour le mal 
autant que pour le bien. 62. — Est la cause de la rupture 
du cardinal de Rohan avec M™° de Brionne. 65. — Con- 
tinue après son exil à être intéressé au jeu du roi. 85. — 
Sa dispute avec M. de Praslin sur la question de savoir qui 
est le plus bête du roi ou de M. de la Vrillière. 126. — 
Son secret pour se maintenir malgré M™° du Barry. i 54. 

Choiseul-Gouffier (M. de). Les paysans refusent ta 
proposition de faire couvrir leurs toits de tuiles. 164. 

Choiseul-La Baume. (Le marquis de). Comment il se fait 
payer une cafetière par un oncle évêque. 21. 

Christine, reine de Suède. Fait chanter à Meibomius et 
danser à Naudé une danse grecque par le conseil de Bour- 
delot. 3i. 

Clairon (M^'®). Est une des quatre grandes comédiennes 
du siècle. 34. — Établit au théâtre la vérité du costume. 
42. 

Clément XI (Le pape). Accuse en pleurant le P. Le 
Tellier de l'avoir forcé à donner la Constitution. 41. 



TABLE ANALYTIQ^UE 3oi 

CoLBERT. S'oppose à ce que Molière attaque les gens de 
finance. io3. — Ce quMl dit de l'industrie française. 147. 

Collé. Son mot à un financier. 171. 

Comédiennes. Liste des huit grandes comédiennes du 
siècle. 34. 

Comique. Une source de comique. 83. 

Conclave. Mot d'un sot à propos d'un conclave. 63. 

CoNDÉ (Le prince de). Étrange sujet de sermon qu'il 
donne au petit Père André. 8. 

CoNDORCET (M. de). Divulgue le bienfait d'un ami qu'il 
n'aime plus, i 5 3. 

Confesseur. Mot d'un confesseur à une jeune fille. 36. 

CoNFLANs (Le marquis de). Son mot à M. de Fronsac. 
157. 

CoNTi ( La princesse de), fille de Louis XIV. Mot 
qu'elle s'attire de la dauphine. 1 56-157. 

CoNTi (Le prince de). Dans quels termes il s'excuse en- 
vers la duchesse d'Orléans de ne pouvoir souper chez elle. 
32. — Son mot sur les princes. 124. — Demande au roi 
le secret d'une épigramme contre M. de Silhouette. i5 5. — 
Ce que lui dit lord Tyrconnel en réponse à ses plaintes 
contre Louis XV. 170. 

Considération. Comment on l'acquiert. 38. 

Coquette. Avec ou sans illusion. 38. 

Cour. Mot d'un homme à qui on reprochait de ne pas 
connaître la cour. 74. 

Courtisan. Le métier de courtisan convient à la déca- 
-dence de l'esprit, comme le jeu aux vieilles femmes. 43. — 
Mot sur un courtisan léger, mais non corrompu. i36. 

Courtisane. Définition d'une courtisane non vénale. 95. 

Coypel, peintre. Fournit à Louis XIV le moyen de pa- 
raître un connaisseur. 92. 

Cramer (M™®). Son mot sur M™® Tronchin. 26. 

Crébillon fils. Mort épris passionnément d'une fille. i55. 

Créqui (Le marquis de). Son mot à M. de Lauzun a 
propos de M. de Liancourt. 61. 

Créqui- HÉMON (Le marquis de). Manière dont un curé 
annonce sa mort, i 1 2. 



302 TABLE ANALYTIQUE 

Créqui (La marquise de). Son mot sur le baron de Bre* 
teuil. i8. — Lettre que lui écrit un curé. 41. — Mot 
que lui dit M™*' de Chaulnes. 64. 

Grillon (Le duc de). Mot de Richelieu à son sujet. 154. 

Crime. Ce qu'il faut mettre après le crime et le mal faits 
à dessein, i 5. 

Damiens. Un négociant, informé des projets de Damiens, 
prévient M. Berryer, qui le fait mettre à la Bastille. 49. 

Dangeau (L'abbé de). Se console des malheurs de la 
guerre en constatant qu'il a dans sa cassette deux mille verbes 
français bien conjugués. 42. 

Dangeville (M^^^). Est une des quatre grandes comé- 
diennes du siècle. 34. 

Daron (Le président). Le régent exige sa démission de 
la charge de premier président à Bordeaux. 142. 

Dauberval. Déclare à Lekain qu'il fera faire à la grecque 
le premier habit à la romaine dont il aura besoin. 43. 

Dauphin (Le), fils de Louis XIV. Est consolé de Texil de 
M°^° du Roure par le plaisir de n'avoir plus à lui écrire. 
159-160. 

Deffand (La marquise du). Mot que lui dit l'abbé 
d'Aydie. 11. — Massillon lui ordonne le remède du caté- 
chisme de cinq sous. 43. — Dit de M... qu'il est aux pe- 
tits soins pour déplaire. 78. — Comment dans ion salon le 
médecin Fournier salue les gens. 1 5 1 . — Comment elle 
appelait le Temple de Gnide. 161. 

Delille (L'abbé). Quelqu'un lui promet le premier bé- 
néfice à la nomination de Virgile. 44. — Ne sait pas gar- 
der le secret de ses vers. 109. — Mot de Turgot à l'abbé 
Delille. 145. 

Delon, médecin mesmériste. Son mot sur un malade 
mort. i38. 

Denis (M™°), nièce de Voltaire. Compliment naïf qu*el le 
reçoit après avoir joué Zaïre, 45. 

Despotisme. Définition d'un certain despotisme. 5o. 

DÉVOT. Mot d'un dévot sur la foi. 9, 

Diderot. Comment il se reproche, à soixante-deux ans, 
d'être amoureux de toutes les femmes. 36. — Fiction dont 



TABLE ANALYTIQUE 3o3 

il use pour réconcilier un oncle avec son neveu. 47. — 
Mot que lui dit Catherine II sur la malpropreté des paysans 
russes. 5o. — Son portrait de M. d'Épinay. 134. — Trahit 
lui-même son secret. i5 3. -^ Son mot à un aventurier. 
I 73. 

Dieu. Preuve de l'existence de Dieu, suivant Dorilas. 5i- 
52. — Mot d'un incrédule au sujet de l'éternité de Dieu. 
142. 

Différence entre les principes de deux hommes de cour. 
56. 

Dîner. Mot d'un homme qui, à un grand dîner, ne dis- 
tingue pas les plats. 53. — Festins meurtriers qu'on se 
donne dans le monde. 66. 

Discours de remerciement d'un homme condamné à être 
pendu. 109. 

Distique. Mot sur un distique. 49. 

Donne. Satirique anglais. Ne veut pas tonner sur les 
vices sans attaquer les vicieux. 172. 

Donner. Lequel est le plus agréable, de donner ou de 
recevoir. 5o-5i. 

Dubois (L'abbé). Mot que lui dit le régent au bal de 
l'Opéra. 141. 

Dubreuil (m.). Son mot touchant à son ami Pechméja. 
54. — Dialogue à son sujet entre M™* de Tessé et M™° de 
Champagne. 161. 

DucLos. Sa définition de l'abbé d'OIivet. 54. — Son 
mot sur un sermon. 54-55. — Grondé par l'abbé de 
Resnel sur ce qu'il jure en pleine Académie. 63. — Con- 
versation avec M™" de Mirepoix et M™° de Rocheforl. 77. 
— Comment il nomme les Romains modernes. 8a. — Son 
paradis d'après M™*^ de Rochefort. i2 5. 

Duel. Mot d'un duelliste. 53. 

Duménil (M^^°). Est une des quatre grandes comédiennes 
du siècle. 84. 

Dupont de Nemours. Se charge d'aller négocier le rem- 
placement de M. de Calonne par M. de Fourqueux. 16-17. 

Duras (Le maréchal de). Punition dont il menace son 
fils, i 57. 



3o4 TABLE ANALYTIQUE 

DuTHÉ(M^^^]. Combien de tempselle pleure un amant. 55. 

Écossais. Mot d*un Écossais à propos des Américains. 121. 

Egmont (La comtesse d*). Déception que lui fait éprouver 
un descendant de du Guesclin. 5 7. — Comment elle ar- 
range le choix d'un précepteur pour son neveu. 57-58. 

Egoïste. Définition d'un égoïste. 124. 

Éloges. La manière dont on les distribue donnerait envie 
d'être diffamé. 59. 

Embonpoint. Ce qu'on dit de celui de Tavant-deraier 
évèque d'Autun, monstrueusement gros. 75. 

Enfants. Égoïsme des enfants. 58. 

Ennemis. Comment ils ne peuvent rien sur M... 59. 

Entragues (M*^° d'). Réponse qu'elle s'attire de Bassom- 
pierie. $9. 

Épigrammes. Mot d'un faiseur d'épigrammes. 59-60. 

Épinay (M. d'). Son portrait par Diderot. 134. 

EsPARBÈs (M™° d'). Dialogue nocturne entre elle et le 
roi Louis XV. lo-i 1. 

Espion de police. Définition d'un espion de police. 60. 

EspRÉMÉNiL (M. d'). Comment Cagliostro lui fait épouser 
M"'® Tilaurier. i 32. 

Esprit. Sert à M™^ de G... k être moins méprisée que 
beaucoup de femmes moins méprisables. 75. 

Estaing (Le comte d'). Ce que lui dit la reine à son re- 
tour de la campagne de la Grenade. 61. 

Estime. Mot d'un homme qui estime autant qu'il le 
peut. 6a. 

EsTRÉES (Le maréchal d'). Mot de joueur que lui dit 
Louis XV. 86. 

États de Béarn. Serment de fidélité du roi aux États de 
Béarn. 19. 

Étioles (Le Normand d*). Mari de M™« de Pompadour. 
Ce qu'il fait d'un présent cynégétique de Louis XV. i36. 

ÉvÊQUE de Dol. Prononce un discours fanatique tn 
sujet du rappel des protestants. 63. — Réplique qu'il t'attire 
de l'évêque de Saint-Pol. 63. 

Faim. Mot d'un homme sans appétit. 7. 



TABLE ANALYTIQ^UE 3o5 

Femmes. Mot de M... sur les femmes. 65. — En quoi 
leur commerce est nécessaire à M... i66. 

Fierté. Ce qu'il y a de mieux en ce genre. 66. 

Filles. Mot dit pour excuser un jeune homme d'aimer 
trop les filles, ii. — Mot de M. de L... sur un jeune 
homme dont on disait qu'il n'aimait que les filles. 66. 

Fleury (L'abbé, puis cardinal de). Aveu que lui fait la 
maréchale de Noailles. 120. 

Florian (m. de), m. de Th... regrette qu'il n'y ait pas 
de loups dans ses bergeries. 14. 

Foncemagne (m. de). Mot de M. Saurin sur son honnê- 
teté. l5 2. 

Fontaine de Jouvence. C'est l'oubli. 66. 

Fontenelle (m. de). Son mot dans sa querelle avec 
l'archevêque de Paris à propos d'un chœur de prêtres dans 
un opéra. 3 3. — Son mot à propos d'une quête à l'Acadé- 
mie française. 66. — Son reproche à une femme qui l'avait 
dédaigné. 67. — Son mot à un repas de gâteau des rois. 
67. — Sa réponse à la question : Comment cela va-t-Wi 
67. — A une femme qui lui disait : « La mort nous a ou- 
bliés. » 67. — Le comte de Grammont l'oblige d'approu- 
ver le manuscrit des Mémoires. 7$. — Son compliment à 
M™® Helvétius. 76. — Avait été refusé trois fois à l'Acadé- 
mie. 141 . 

Fou. Mot d'un fou de cour très-sage. 69. — Mot du 
fou de Charles le Téméraire. 69. 

F0URNIER, médecin. Ses formules diverses de salutation 
chez M™« du Deffand. i 5 1 . 

Fox (M.). Trouve deux grands plaisirs au jeu. 86. — 
Son mot à la naissance d'un enfant qui le déshérite. 106. 

Frédéric II, roi de Prusse, Fait grâce à un homme de 
Breslau qui a volé dans une église. 20-21. — Fait ré- 
pandre de faux plans topographiques. 2 3. — Mot de son 
cocher, qui l'a versé. 33. — Son mot à d'Alembert sur un 
beau laquais à son service. 3 3. — Dit qu'il n'y a pas 
d'homme qui ait fait la moitié de ce qu'il aurait pu faire. $9. 
— Sa rigueur contre un délateur. 69. — Son mot sur 
le butin fait à Dresde chez le comte de Briihl. 70. — 

Chamfort, II, 39 



3o6 TABLE ANALYTIQ^UE 

Comment il récompense les habitants de Berlin de leur ac- 
cueil triomphal à la fin de la guerre de Sept ans. 70. — 
Tour qu'il joue à des juifs faux-monnayeurs. 70. — Sa 
réponse à une requête. 71. — Son mot sur Louis XIV. 92'. 
— Mot de son frère le prince Henri sur sa popularité à 
Neuchâtel. 121. — Réponse d'un soldat à qui il demande 
l'origine d'une balafre. 145. — Son mot à d'Alembert sur 
ce que le roi ne lui a pas parlé. 148. — Sa définition du 
régiment de Champagne. 148. — Ce que dit Voltaire en le 
voyant pleurer. 173. 

Frise (Le comte de). Son mot à d'Arnaud qui lui trouve 
des cheveux de génie. 28. 

Fronsac (Le duc de). M"o Arnoult est chargée de lui 
indiquer un précepteur pour son fils. 58. — Ses chansons 
à un souper chez M. de Conflans. 157. — Manque d'être 
pris pour un évêque. 169. — Fronsac (La duchesse de). 
Comment sa force est dans ses cheveux. 28. 

Gabelle. Trait de l'horreur des paysans bas bretons pour 
la gabelle. 71 . 

Gabrielli (La). Célèbre chanteuse. Son mot hardi à 
Catherine II. 54. 

Galaisière (L'abbé de la). Son mot au portier dt 
M. Orry. 107. 

Galaisière (M . de la). Son mot au roi Stanislas sur les 
changements d'heure de son diner. 48. — Mot de Stanislas 
à sa maîtresse- i 59. 

Gascon. Instituteur des enfants d'un seigneur russe, ne 
leur apprend que le basque. 71. — Mot d'un Gascon au 
roi. 72. 

Gaussin (M^^*)). Sa réponse à un financier entrepre- 
nant. i3. 

Gazetier. Comment il évite de se prononcer sur la mort 
du cardinal Mazarin. 7}. 

GÉNÉRAL. Mot d'un général employé dans une guerre 
difficile et ingrate. 55. 

Genève. Belle réponse d'un député de Genève au che- 
valier de Bouteville. 146. 



TABLE ANALYTIQ^UE 3oj 

Genlis (m™® de). Est une des quatre grandes comé- 
diennes du siècle... à la ville. 34. 

Genlis (Le marquis de). Son mot au marquis de Cha- 
telux. 85 . — Se moque de la vanité de M. de Fronsac. 1 69. 

Geoffrin (M™°). Son mot sur sa fille. 124. 

Goutte, Croix de Saint-Louis de la galanterie. 58. — 
Ressemble aux bâtards des princes. 74. 

Gouvernement d'Angleterre. Pourquoi il est excellent. i35. 

Gouvernement en France. On ne rirait plus sans le gou- 
vernement. 166. 

Gouverneurs de province. Mot d*un ministre sur les 
gouverneurs de province. 64. 

Grâce. Ce qu'on appelle la grâce suivant M... 74. 

Grandir. Comment on peut grandir de la tête. 2 5. 

Grammont (Le comte de). Vend i,5oo livres le manu- 
scrit des mémoires où il est si clairement traité de fripon, et 
oblige Fontenelle de l'approuver. 75. 

GuÉMÉNÉE ( Le prince de). Comment le marquis de Villette 
appelait sa banqueroute, i 3 . 

Guesclin (du). Déception qu'un de ses descendants fait 
éprouver à M""*^ d'Egmont. 57. 

Hamilton. Le comte de Grammont oblige Fontenelle d'ap- 
prouver les Mémoires. 75. 

Hamilton ( Lord). Fait porter sur la carte un garçon qu'il 
a tué dans une auberge. 71. 

Harlay (M. de). Premier président. Sa façon d'imposer 
silence à l'audience. 76. 

Harris (m.). Ce qu'il dit du traité de commerce de 
1786 avec l'Angleterre. 162. 

Helvétius. Dans sa jeunesse était beau comme l'Amour. 
Mot de M^'° Gaussin à ce propos. 13-14. 

Helvétius (M™°). Compliment que lui fait FontenellCo 

76- 

Henri IV. Jugé par l'abbé de Voisenon. 77. — Com- 
ment il s'y prend pour faire connaître à un ambassadeur 
d'Espagne le caractère de ses trois ministres. 102. 

Henri (Le prince) de Prusse, frère de Frédéric. Comment, 
dans une conversation avec l'abbé Raynal, il trouve moyen 



3o8 TABLE ANALYTIQ^UE 

de placer son mot. 77. — Son mot sur la popularité de 
son frère à Neuchâtel. 121. 

Hercule. Chanson sur Hercule, vainqueur des cinquante 
pucelles. 26. 

Hervey (Lord). Son mot en traversant une lagune. 100. 

Hollandais. Aventure d'un Hollandais qui sait mat te 
français . 1 1 o- 1 1 1 . 

Hommages. Pourquoi certaines femmes refusent-elles tes 
hommages offerts pour courir après ceux qu'on leur refuse. 
I 2. 

Homme. Sa définition par M.... 7. 

Homme de lettres. Mot d'un homme de lettres en ré- 
ponse à quelqu'un qui lui demandait des nouvelles de son 
poëme. 2. — Mot d'un homme à qui un grand seigneur 
faisait sentir la supériorité de son rang. 78. 

Honnête. Pourquoi on est plus honnête en France avant 
trente ans que passé cet âge. i3 5. 

Houze (Le baron de la). Rusé Gascon. Parti qu'il tire 
d'une relique. 39. 

HuRSON (M.). Conseiller au parlement. Comment il se 
récuse dans un procès du maréchal de Noailles. 126. 

Idéal de M. de.... Se défranciser et se débaptiser. 75. 

Illusions. Mot d'un homme sans illusions. 149. 

Importunité. Trois choses qui importunent M. N., au 
sens figuré comme au sens propre. 20. 

Index. La philosophie, disait M... , doit avoir aussi son 

index. 80. 

Injustice. Conseil d'un vieillard à un homme trop sen- 
sible à l'injustice. 1 1 . 

Inscriptions. Dispute sur la préférence qu'il conTÎeiit de 
donner à la langue latine ou à la langue française. 9. 

Ivrogne. Mot d'un ivrogne. 72. 

Invault (M. d'). Contrôleur général. Le roi lai réfute 
la permission de se marier. i32. 

Jacques II. Comment Charles II repousse un conseil da 
duc d'York, futur Jacques II. ^o. — Touche tes écrouellet 
en qualité de roi de France. 84. 



TABLE ANALYTIQ^UE 809 

Jalousie. Mot d'une jeune fille dont la mère est jalouse. 
45. 

Jansénistes. Contiment l'archevêque de Lyon passe pour 
être janséniste. 166. . 

Jaucourt (m. de). Comment il dissuade le maréchal de 
Brogiie de trop s'exposer. 160. 

Jérôme (Saint). Ce que M... dit de la lettre où il peint 
sa lutte contre ses passions. 77, 

JÉSUITES. N'étaient pas fâchés qu'on dise qu'ils assassi- 
naient les rois, i 2 5. 

Joueur. Mot d'un joueur. 86. — Leçon donnée à un 
joueur par un de ses amis. 89. 

Kankan. Locution populaire pour bruit. D'où vient cette 
expression. 3 2. 

Lacour (M'^°), de l'Opéra. Son mot au duc de la Vai- 
lière qui ie subjugue à jamais. 40. 

La Fontaine. Se flatte que les damnés s'accoutument à 
l'enfer. 41. 

Lapdant (L'abbé). Comment il devient le précepteur du 
comte de Chinon. 58. 

La Roche-Aymon (Le cardinal de). Scène entre lui et 
l'abbé Maury. 1 1 5. — Son mot sur son confesseur. 128, 

— Ses plaintes à l'abbé Maury sur l'abbé de la Luzerne. 172, 
Lassay (Le marquis de). Son mot sur le crapaud à avaler 

tous les matins à la cour. 40. 

Latour (de), le peintre. Réplique qu'il s'attire de 
Louis XV. 106. 

Lauraguais (m. de). Sa lettre au marquis de Villette. 
I 22. 

Lauzun (Le duc de). Soupe avec deux géantes de la foire. 
3 2. — Mot que lui dit M. de Créqui à propos de M. de 
Liancourt. 61. — Ses disputes avec M. de Calonne. 87. 

— Ce qu'il feroit en cas de grossesse de sa femme. 144. 
Laval, maître de ballet. Offensé d'être pris pour un des 

messieurs de Laval. i2 3. 

Lekain. Est le premier à se soumettre à la vérité du cos- 
tume au théâtre. 42. 



3lO TABLE ANALYTIQ^UE 

Lemierre (m.). Différence qu*il trouve entre sa pièce de 
la Veuve du Malabar , en 1 770 et en i 781. 171. 

Le Tellier (Le P.). Accusé par le pape Clément XII 
d'être l'auteur de la Constitution. 41. 

Le Tellier-Louvois. Archevêque de Reims. Infatué de 
son rang et de sa naissance Aventure qui lui arrive. 166- 
168. 

Lettres d'amour. Les femmes commencent à les garder 
vers trente ans. 90. 

LÉvis ( Le maréchal de). Mot de l'évêque d'Arras en re- 
cevant le corps du maréchal de Lévis. 38-39. 

Levret (m.), célèbre accoucheur. Sa réponse au dau- 
phin. 90. 

LiANCOuRT (Le duc de). Mot de M. de Créqui sur lui. 
61. 

Lorry, médecin. Louis XV mourant l'entend avec dépit 
dire : Il faut. 98. — Comment il expliquait sa disgrâce 
auprès de M™o de Sully. 98. 

Louis XIV. Réponse que lui fait Bolingbrocke, à qui il 
disoit que les Anglais n'aiment pas les rois. i5. — Re- 
proche à Dieu ce qu'il a fait pour lui. 48, — Jugé par 
l'abbé de Voisenon. 77. — Frédéric II en est jaloux. 9a. 
— Subterfuge dont il use pour paraître connaisseur. 92. — 
Se plaint chez M°^° de Maintcnon de la division des évéques. 
Mot de M"'" de Caylus à ce sujet. 107. — Sa santé con- 
sole la cour des plus grands malheurs. 148. 

Louis XV. Son mot à la mort de M""^ de Châteauroux. 
6. — A un trésor particulier. 24. — Comment il prend 
le duc d'Aiguillon pour ministre des affaires étrangères. 35. 
- — N'aime pas M. de Vergennes. 64. — Permet que le duc 
de Choiseul, exilée demeure intéressé à son jeu. 85. — Son 
mot de joueur au maréchal d'Estrées. 86. — Choqué de ce 
que SCS médecins disent : // faut. 93. — Refuse une mal- 
tresse parce qu'elle coûterait trop cher à renvoyer. 93, — 
Son mot au peintre La Tour. 106. — Intrigues pour son 
mariage. 114. — Histoire incroyable contée devant lui par 
le duc d'Aycn. 116. — Refuse à M. d'Invault la permis- 
sion de se marier. i32. — Envoie à M. d'Étiolés une ri- 



TABLE ANALYTIQUE 3ll 

inure de cerf. 1 36. — On lui présente le projet d'une cour 
plénièie. Singulier mémoire à ce sujet. i38. — Garde au 
prince de Condé le secret de ses épigrammes contre M. de 
Silhouette, i 5 5. 

Louis XVI. Comment il paraît terrible aux musiciens. 93. 

LowENDAHL (Le comtc de), fils du maréchal. M™° de 
Maurepas le fait danser le jour de son retour de Saint-Do- 
mingue. 42. 

LucHET (M°^° de). Compte que lui fait sa femme de 
chambre. 78. 

Luxembourg ( Le maréchal de) . Son mot plaisant au sor- 
tir de la Bastille, i 10. 

Luxembourg, crieur de la Comédie française. Regrette 
qu'elle soit transportée au Carrousel. 34. 

Luxembourg (La maréchale de). Comment le comte de 
Chabot lui indique le moment de la messe oii elle arrive. 
3 3. — Vers de Delille dont elle fait l'application plaisante. 

47- 

LuYNES (M. de). Quitte le service pour un soufflet non 

rendu, et devient archevêque de Sens. io2-io3. 

Luzerne (L'abbé de la). Donne de l'humeur au cardinal 
de La Roche-Aymon. 172. 

Machault (M. de). Comment M. de Maurepas devient 
premier ministre à sa place, 3 5 — Projet d'une cour plé- 
nière présenté au roi. i38. 

Madame, fille du roi Louis XV. Son étonnement en 
voyant que sa bonne a cinq doigts comme elle. 16. 

Magistrat de Berne . Mot d'un magistrat de Berne sur 
le livre de l'Esprit et le poëme de la Pucelle. 61. 

Maine ( La duchesse du). Ce qu'elle appelle « son parti- 
culier ». 127. 

Maintenon (M°^® de). Se compare aux carpes de la pièce 
d'eau de Marly. 2 3 . 

Mairan (m. de). Sa définition de l'honnête et du mal- 
honnête homme. 2. — Comment il obtient le silence à 
l'Académie. 49. 

Major de place. Mot de lui que rappellent les représen- 
tations de certaines pièces. 107. 



3l2 TABLE ANALYTIQUE 

Malesherbes. m. de Maurepas le dissuade d'engager le 
roi à aller visiter la Bastille. i3. — Conte l'histoire d'un 
négociant mis à la Bastille par M. Berryer. 5o. 

Malheur. Ce qu'on dit d'un homme tout à fait malheu- 
reux. 78. 

Marchand, avocat. Son mot sur l'administration , la jus- 
tice et la cuisine. 2. 

Mariage. Mot d'un académicien sur le mariage, i. — 
Mot de M. de B... à propos du bruit qu'il allait épouser 
son amie intime. 5. — Réponse de M... à la question s'il 
se marierait. 14. — Mot d'un mari qui bâille. Sç. — 
Mot de M... sur la femme qu'il lui faudrait. 65. — His- 
toire d'un homme qui refuse d'épouser sa maîtresse parce 
qu'il ne saurait où aller passer ses soirées. 76. — Exemple des 
gentillesses que le mariage peut produire. 94. — M...YOudrait 
qu'on pût le faire à bail. 95. — M™° de B..., ne pouvant 
rien faire de son amant, l'épouse. 95. — Mot d'un mari à 
sa femme. 95. — En quels termes M. de L... refuse de se 
marier. i36. — Mot d'un célibataire qu'on pressait de se 
marier. 137. — Mot sur le mariage d'un homme de vingt 
deux ans avec une femme de soixante-cinq ans. 39. — 
Manière de reconnaître à table deux personnes mariées. 143. 
— Mariage d'un homme de cmquante ans avecune fille de 
treize ans. 159. 

Marie-Antoinette. Ce qu'elle dit au comte d'Estaing i 
son retour. 61. 

Marie-Stuart. Sa devise. 5o, 

Marie-Thérèse. Comment Tévèque de Saint-Brieuc, dans 
son oraison funèbre, se tire d'affaire sur sa participation i 
la mutilation de la Pologne. 127. 

Marivaux (M. de). Disait que le style a un sexe. 154. 

Marlborouch (Lord). Mot qui lui est dit à la tran- 
chée. 143. 

Marmontel et Boindin au café Procope. 96. 

Marville (m. de). Dit qu'il ne peut y avoir d'honnête 
homme à la police. 96. 

Masque de fer (L'homme au). Est un frère de Louis XIV» 

97- 



TABLE ANALYTIQUE 3l3 

Massillon. Vers galants adressés par lui à M"^® de Si- 
miane. 26. — Ne trouve de remède à l'incrédulité précoce 
de M^^^ de Vichy-Chamrond qu'un catéchisme de cinq 
sous. 43. 

Maugiron (m. de). Action horrible commise par lui. 96. 

Maupertuis. Mot qui le peint tout entier. iSy. 

Maurepas (m. de). Comment il reçoit une lettre du roi 
destinée à M. de Machault et devient premier ministre. 35. 
— Fait par badinage avec M, de Saint-Florentin la répéti- 
tion du compliment de renvoi. 44. 

Maurepas (M°^° de). Fait danser le comte de Lowendal 
le jour de son retour de Saint-Domingue. 42. 

Maury (Abbé). Sa visite intéressée à l'abbé de Beau- 
mont. 98. — Scène plaisante entre lui et un vieux con- 
seiller. 1 00-101, — Scène entre lui et le cardinal de la 
Roche-Aymon. 11 5. — Ce que lui dit le cardinal en re- 
venant de l'assemblée du clergé, 172. 

Mazarin. Étoit marié avec Anne d'Autriche. 97, 

Mazarin (La duchesse de). Sa réponse aux exhortations 
suprêmes du curé de Saint-Sulpice. 14. 

MÉDECIN. M... hait si fort le despotisme qu'il ne peut souf- 
frir le mot « ordonnance de médecin ». 46. — Mot dit à un 
médecin. 98. — Réponse d'un médecin à qui on reproche 
d'être le médecin Tant pis. 160. 

Meibomius. Érudit allemand. Comment il se venge de 
Bourdelot, qui a persuadé à la reine Christine de lui faire 
chanter un air grec. 3i. 

Menteur. Mot dit à un menteur, iio. 

Mépris. Formule de M... pour exprimer le mépris. 10. 

MÉROPE. Pourquoi une femme ne pleure pas à une re- 
présentation de Mérope. i33. 

Mesmes(M. de). Épigramme inscrite sur son hôtel. 11 3. 

Millionnaire. Mot d'un millionnaire. 147. 

MiLTON. Son désintéressement. loi. 

Ministre. Il est moins dangereux d'offenser le ministre 
que l'homme qui le sert dans la garde-robe. 36. — Les 
ministres en place parlent de leur retraite comme les ma- 
lades de leur mort, sans y croire. 102. — Moyen original 

4^ 



3l4 TABLE ANALYTIQUE 

de faire chasser un ministre. io8. — Les ministres finissent 
souvent par porter envie à leurs commis. 114. 

Mirabeau (Le comte de). Comment il se défend d'une 
accusation de rapt et de séduction. 86. — Son livre sur 
Tagiotage (où M. de Calonne est maltraité) n'en a pas 
moins, dit-on, été payé par lui. 102. 

Misanthrope. Mot d'un misanthrope. 16. — Autre 
mot sur la méchanceté des femmes. 48. — Mot d'un mi- 
santhrope plaisant. 142. — Moyen de ne pas devenir mi- 
santhrope. i56. — Autre mot d'un misanthrope. i56. 

Moïse. Mot de M.... à propos des six mille ans de Moïse. 
io3. 

Molière. N'a jamais attaqué les gens de finance. io3. 

Molière (L'abbé de). Scène entre lui et un voleur. 
10Î-104. 

Montbarey (Le chevalier de). Son mot sur la société de 
province. 36. 

Monde. Ce qui le rend désagréable. 69. — Il faut dire 
aux masques : Je vous connaiSy ou leur laisser l'espérance 
de vous tromper. 97. — Application au monde d'un mot 
de M... 140. 

Montazet (m. de). Archevêque de Lyon. Sa ruse pour 
éviter l'effet d'une dénonjciation. 93. — Scène entre lui et 
une chanoinesse sœur de M°^° de Tencin. 104-105. 

MoNTESSON (M'""^ de). Est une des quatre grandes comé- 
diennes du siècle... à la ville. 34. 

MoNTEYNARD (M. de). Opinion du duc de Choiseul sur lui. 
62. 

MoNTCALM (Le marquis de). Mot que lui dît un chef de 
sauvages, i i 3. 

MoNTMORiN (M™° de). Son conseil à son fils entrant 
dans le monde. io5. 

MoNTPENSiER (La duchesse de). Donne à ses pages de 
quoi perdre les tentations dont elle est cause. iSy. 

Mot sublime d'un paysan à propos de ses enfants, i 98. 

Motte (M™® de la). Son supplice fait renchérir son 
portrait. 134. 

Mourir. Il est inutile d'apprendre à mourir. 107. 



TABLE ANALYTIQ.UE 3î5 

MussoN et Rousseau, bouffons de société. Mot de Tun à 
l'autre, i i 3. 

Mystification. Exemple d'une mystification. 83. 

Nadaillac (m. de). Dénature un mot du dauphin relatif 
au prince cardinal de Rohan. 119. 

Naïveté d'enfant. 116. — D'une petite fille. 116. — 
D'un fossoyeur. 11 6- 11 7. — D'un soldat irlandais. 117. 
— D'un Suisse du roi. 117-118. — D'un juge. 118. — 
D'un docteur en Sorbonne. 118. — Traits divers. 1 19. 

Narbonne (Le chevalier de). Comment il persifle la fa- 
ffiiliarité d'un inconnu, 80. 

Nature. Comment elle a agi en nous accablant de mi- 
sères et en nous donnant un attachement invincible pour la 
vie. 6. 

Naudé. Danse devant Christine de Suède une danse grec- 
que. 3 1 . 

Necker (m.). Observation qui fait tomber en un instant 
l'enthousiasme qu'il inspire. i3i. 

Necker (M'"'^). Est une des quatre grandes comédiennes 
du siècle... à la ville. 34. 

Nemours (M"^** de). Portrait qu'en fait M. de Ven- 
dôme. I 34. 

Néricault-Destouches. Quitte Paris la veille de la pre- 
mière représentation de ses pièces. 5o. 

Nesle (Le comte de). Fait battre sa femme par M. de 
Soubise. 99. 

Nesle (La comtesse de). Est battue par son amant sur un 
conte de son mari. 99. 

Neuville (Le P.). Jésuite. Comment le duc de Choiseul 
découvre qu'il est l'auteur d'un mémoire contre lui, et s'en 
venge. 29-30. 

NivERNois (Le duc de). Rappelle à M. de Tressan des 
couplets faits contre lui. 99. 

NoAiLLEs (Le vicomte de). Mot d'une dame quittée par 
lui. 4. — Est passionnément aimé par M°^®deVoyer. i55. 

N0AILLES (Le maréchal de). Pleure à la tragédie par hon- 
nêteté. 79. 



3l6 TABLE ANALYTIQUE 

NoAiLLES (La maréchale de). Écrit à la Vierge. 39. -~ 
Son aveu au cardinal de Fleury. 119. 

NoAiLLES ( Le duc de). Sa consultation sur le cas d*un des 
gardes du roi devenu malade. 56. 

Noblesse. Ce que M... est tenté de dire quand il voit 
un homme de qualité faire une lâcheté. i2 3. — Preuves 
de noblesse annoncées par de mauvais vers. |2 3. — Ob- 
servation sur la noblesse. i38. 

Nobles. Au Pérou peuvent seuls étudfer. 122. 

Nobles de Savoie. Mot de quelques nobles de Savoie au 
roi de Sardaigne. 122. 

Notables (Assemblée des). Plaisanterie sur l'Assemblée 
des Notables, i 29. 

Olivet (L'abbé d*). Sa définition par Duclos. 54. 

Opéra. Mot d'une femme d'esprit à une représentation 
d'Armide. 7. — Mot d'un plaisant qui voit exécuter en 
ballet le : QuUl mourût! de Corneille. 12. 

Opinion publique. Mot de M... sur l'opinion publique. 
124-1 25. 

Œuvre. Une bonne œuvre de M.... 17. 

Orléans (La duchesse d'). Remontrance qu'elle s'attire 
de sa belle-mère. 80. 

Ormesson (m, d'). Remontrance quMl s'attire de M. Pel- 
letier de Morfontaine, son beau-père. 91. 

Orsay (Le comte d'). Se plaint par vanité de ce qu'on 
a diminué la capitation. 140. 

Parabère (La comtesse de). Mot que lui dit le régent. 
i5i. 

Paradis. Ce qui a fait la fortune du paradis. 68. 

Passions. Manière dont M... étouffe ses passions. 127. 

Pechméja (m.). Mot touchant que lui dit son ami Du- 
breuil mourant. 54. 

Pelletier de Morfontaine (M.). Sa semonce à ton 
gendre M. d'Ormesson, contrôleur général. 91. 

Perche, poisson. Comparaison de' M. B... avec une 
perche. 12. 

Phèdre. Mot dit à un homme qui avait vu jouer Phèdrt 
par de mauvais acteurs. 1 i i . 



i 

TABLE ANALYTIQUE 3lJ 

Philosophe. Accroît tous les jours la liste des choses dont 
il ne parle plus. 91. — Doit commencer par avoir le bon* 
heur des morts, puis celui des vivants. 16. — Mot d'un 
philosophe sur les sauvages et les enfants. 12 5. — Lettre 
d'un philosophe. i3i. 

Pierre P^* (Le czar). Comment il cherche à savoir ce 
que c'est que le supplice de la cale. 1 3 1 . 

PiTT (M^^^). Son mot à un homme qui rintéresse. 1 1 1« 

Place. Mot de M... en refusant une place. 7. — Autre 
mot sur le même sujet. 8. — En quels termes M... refuse 
de quitter une place. 129. 

Poissonnier (M.), médecin. Mot de Voltaire à Poisson^ 
nier. 120. 

Police. La plupart des règlements de police ne sont guère 
que des spéculations de finances. 82. —Mot sur la police. 
133. 

Polichinelle. Est envoyé à Bicétre. 84. 

PoMPADOUR ( M™*' DE ). Court après Louis XV aux chasses, 
n'étant encore que M"*® d'Etiolles. i36, — Fait présenter 
au roi le projet d'une cour plénière. Curieux mémoire à ce 
sujet. i38. 

Popeûnière (m. de la). Son mot sur son chien. 5. 

PoRQUET (L'abbé). Réponse du roi Stanislas à ses plaintes 
de n'avoir point de bénéfice. 1 58. 

Portier. Mot sublime d'un portier, i3 3. 

Portugais. Définition du Portugais par lord Tyrauley. 60. 

Prédicateur de la Ligue. Texte pris pour ton sermon 
par un prédicateur de la Ligue. i36. 

Préjugé relatif aux peines infamantes. 1 29. 

Prêtrise (État de). Mot d'un homme épris de l'état de 
prêtrise. 173. 

Prie (La marquise de). Sédition causée par un accapare- 
ment de blé fait par elle. 108. 

Procession de Sainte-Geneviève. Mot d'un évèqne à ce 
sujet. 60. 

Protection. Mot de la duchesse de B.... 19. 

Provençal. Politique d'un Provençal à idées plaisantes. 
162. 



3l8 TABLE ANALYTIQUE 

Proverbe. Rappelé par deux femmes de la cour passant 
sur le pont Neuf. 2 5. 

Public. Mot de M. de B..., peu ménagé par le public. 
12. — A quoi ressemblent ceux qui se justifient devant 1^ 
public. 86. — Genre de respect qu'il mérite. 139. — Sa 
défînition par M.... 189. 

Question épineuse. Réponse de M... à une question 
épineuse. 140. 

QuiNAULT (M^^^). Sa réponse au duc de Chaulnes, qui lui 
demande comment il doit se faire peindre. 3 7. 

Racine. Côtés plaisants de son histoire de Port-Royal« 
I 34-1 35. 

Raynal (L'abbé). Sa conversation en monologue avec le 
prince Henri de Prusse. 76. — Messe à vingt sous qu'il 
cède à Tabbé de la Porte, qui la cède à l'abbé Dinouart, 
chacun retenant une part. 10 1. 

RccupERO (Le chanoine). Est tancé par la cour pour 
avoir dit que le monde ne peut avoir moins de 14,000 ans. 
io5. 

RÉGENT (Le duc d'Orléans, plus tard). Difficulté d'élever 
un gouverneur pour lui. 74. — Comment il accorde une 
abbaye d'abord refusée. 110. — Son mot à Tabbé Dubois, 
au bal de l'Opéra. 141. — Sa réponse au président Daron. 
141. — Réponse plaisante que lui fait Voltaire, 143. — 
Son mot à M"^® de Parabère. i 5 1 . 

RÉGIMENT de Champagne. Ce qu'en dit le roi de Prusse. 
148. 

Religion. Réponse faite à un soldat qui demande quelle 
est la meilleure religion. 112. 

Resnel (L'abbé du). Sa remontrance à Duclos, qui jure 
en pleine Académie. 63. 

Retraite. Utilité de la retraite pour la force de l'esprit. 
i33. 

Retz (Le cardinal de). Son mot à un homme qui le 
couchait en joue. i2 3. 

RÉVOLUTION de 1789, Pourquoi M. R... ne s'y est nul- 
lement montré. 2 5. 



TABLE ANALYTIQUE S l() 

Reynière (m. d-e la). Moi que lui dit un grand seigneur 
qui soupait chez lui. i58. — Ce que dit de lui un de ses 
convives. iSç. — Reynière (M™® de la). La maréchale 
de Luxembourg lui applique un vers de Delille. 47. 

Richelieu (Le cardinal de). Médaille où il figure avec 
Louis XIII. 98. 

Richelieu (Le maréchal de). Propose à Louis XV une 
maîtresse qui est refusée. 93. — Aveu que son souvenir 
arraclie à M"'° de Saint-Pierre. i5i. — Son mot au sujet 
du siège de Mahon. i5 4. — Mot de M™® de Talmont au 
maréchal de Richelieu. 160. 

RocHEFORT (La comtesse de). Son mot sur l'avenir. 10. 
— Son mot à Duclos. 77. — Son autre mot à Duclos sur 
son paradis, i 2 5. 

RocHESTER. Son mot à un poltron. SS-Sç. 

RoHAN (Le cardinal de). Son mot à M°»« de Brionne. 
65. — Mot du dauphin sur lui, dénaturé par M. de Na- 
dailhac. 1 i 9. 

Roi d'Espagne. Colère d'un chambellan à qui on a dit 
que le roi travaillait. i63. 

Roi de France. Sa définition par M.... 147. 

Roi de Portugal. Était absent de Lisbonne, ainsi que 
la reine, le jour du fameux tremblement de terre. A tou- 
jours ignoré l'étendue du désastre. i63. 

RoQUEMONT (M. de). Sa philosophie conjugale. i5o. 

Roucher. Mot que dit Turgot à Delille en lisant son 
poëme des Mois. 146. 

RouRE (La comtesse de). Billets que lui écrit le grand 
dauphin. 159. 

RoubSEAu .J .-Jacques). C'est un hibou, mais c'est celui 
de Minerve. 77. — Passe pour avoir eu la comtesse de 
Boufïlers. io5. — Comment il reçoit un faiseur de com- 
pliments. 149-150. — N'est pas courtisan aux échecs. i5o. 

RoY. Poc'te. Ce que Voltaire dit de lui. i5o, 

Rulhière (M. de). Mot sur lui. 140. — Sur sa méchan- 
ceté. 145. 

Sablière (M. de). Joueur fameux. Ce qu'il dit à Beau- 
marchais, qui veut l'empêcher de se tuer. 87. 



320 TABLE ANALYTIQ^UE 

Saint-Huberti (M'^o de). Est une des quatre grandes 
comédiennes du siècle. 34. 

Saint-Florentin (M. de). Fait avec M. de Maurepas, 
par plaisanterie, la répétition du compliment de renvoi. 44. 

Saint-Malo. Réponse d'un Breton de Saint-Malo à la 
question de M. de Court : Pourquoi la ville est-elle gardée 
par des chiens? 29, 

Saint-Julien (M. de). Compte de ses dettes que lui remet 
son fils. 46-47, 

Saint-Pierre (L'abbé de). Sa manière d'approuver les 
choses. i38. 

Saint-Pierre (La duchesse de). Aveu qui lui échappe à 
propos ai Richelieu, i5i. 

Saint-Priest (Le vicomte de). Comment M. de Calonne 
lui fait avoir une pension de 20,000 livres. 73. 

Santé. Moyen de rétablir sa santé. i52. 

Saurin, Son mot sur l'honnêteté de M. de Foncemagne. 

I 52. 

Saxe (Le maréchal de). Son mot sur les critiques des 
bourgeois de Paris. 1 1 1. — Mot que lui dit M. de Thiange 
à Raucoux. i 5 2. 

ScHWALOw (Le comte). Mot du bailli de Chabrillan aa 
comte de Schwalow. i53. 

Secours donné à un malheureux par un autre. 17, 
SÉGUR (Le maréchal de). Plaisante conséquence de l'or- 
donnance par laquelle il prescrit de n'admettre dans le corps 
de l'artillerie que des gentilshommes. 81, 

Senevoi (m. de). Comment il est obligé d'accorder un 
congé demandé. 36-3 7. 

SiécE. Sang-froid d'un porteur d'eau pendant un siège. 1 5i. 

Silhouette (M. de). Contrôleur général. Le roi garde aa 
prince de Conti le secret d'une épigramme contre lui. i55. 
— Redoute les chansons faites contre lui. 175, 

SiMiANE (M"o de). Petite-fille de M™« de Sévigné, Est en 
commerce de galanterie avec Massillon, 26-27, 

Sixte-Quint. Tance un prieur jacobin de Milan pour lui 
avoir jadis prêté de l'argent, j 56. 



TABLE ANALYTIQ^UE 521 

Société. Plusieurs choses y choquent la nature. 121. — 
Qu'est-ce qui rend le plus aimable dans la société? i32. 

Solitude. Comment M... explique son goût pour la so- 
litude. 43. 

Solliciteuse. Obtient par le commis d'un commis ce qui 
avait été refusé par le ministre. 129-130. 

Sot. Cruche sans anse. 40. — Portrait d'un sot. 55. — 
Mot d'un sot. 79. 

SouBisE (Le prince de). Le mari de sa maîtresse le pousse 
à la battre. 99. 

SouRCHEs (M. de). Mot que lui attire sa fatuité. 144. 

Stair. Banquier anglais accusé de conspiration. Sa ré- 
ponse à ses juges. 148. 

Stain VILLE (M. de). Son quiproquo avec M. de Vaube- 
court. i58. 

Stanislas, roi de Pologne. Mot que lui dit M. de la Ga- 
laisière sur les changements d'heure de son dîner. 48. — 
Ce qu'il dit à l'abbé Porquet. i58. — Son mot à M™® de 
Bassompierre. 159. 

Subterfuge d'un soldat à qui on a pris son cheval. 1 1 2- 
I I 3. 

Sully (M™® de). Étrange remède que lui propose Bor- 
deu, médecin. 98. 

Talmont (La princesse de). Son mot à Richelieu à pro- 
pos de M™® de Brionne. 160. 

Tencfn (L'abbé de). Tour que lui joue Tavocat Aubry. 
174. 

Tencin (M™® de). Ce qu'elle dit sur les fautes de con- 
duite des gens d'esprit. 161. — Sa douceur, selon l'abbé 
Trublet. 161. 

Tentations. Ce que M... fait des siennes. 120. 

Terrasson (L'abbé). Son avis sur une édition de la Bible. 

Terray (Abbé). Est, suivant le duc de Noailles, un 
excellent médecin. 56. 

Tessé (La comtesse de). Ce que lui dit M"*® de Cham- 
pagne à propos de M, Dubreuil. 161. 

Thiange (M. deJ. Son mot au maréchal de Saxe. i53, 

Chamfort. II. 41 



322 TABLE ANALYTIQUE 

TiLAURiER (M™®). Portée en compte dans le bilan des 
dettes de M. de Saint-Julien le fils. 47. — Comment elle 
se fait épouser par M. d*Espréménil. i32. 

Thomas (M. ). Mot que lui attire son amour de la gloire. 
i35. 

Toulousain. Vaut à peu près les Gascons et les Proven- 
çaux ensemble. 79. 

Tressan (m. de). Sa visite de sollicitation académique k 
M. de Nivernois. 99. — Son mot au roi Stanislas à pro- 
pos de pensions accordées à plusieurs jésuites. 187. 

Tronchin (m.), médecin. Son mot sur le viatique. 164. 

Tronchin (m™*). Manière dont M"*« Cramer donne de 
ses nouvelles. 26. 

Trublet (L'abbé). Ce qu'il dit de la douceur de M™» de 
Tencin. i6i, 

Turenne (Le maréchal de). Conseil qu'il donne à un 
enfant pour éviter les ruades de son cheval. 37. — Avoue 
qu'au commencement d'une bataille il éprouve une grande 
agitation. 164. 

TuRGOT. Son mot à l'abbé Delille. 14 S. — Comment il 
est défini par l'abbé Beaudeau. 81. — Son mot à un ami 
qui le néglige depuis qu'il est ministre. 164. 

Tyrauley (Lord). Ambassadeur en Portugal. Sa défini- 
tion du Portugais. 60. 

Tyrconnel (Lord). Ce qu'il dit au prince de Conti, qui 
Voudrait se venger de Louis XV. 170. 

Usage du monde. Comment M... s'était formé à l'usage 
du monde. 65. 

Vaines (M. de). Sa manière ironique de repousser un 
reproche. 144. 

Vallière (Le duc de La). Comment il est subjugué par 
la petite Lacour. 40. 

Vallière (La duchesse de La). Son aveu à M. de Bat* 
bançon. 68-69. 

Vatry (L'abbé). Comment il obtient une place. 170. 

Vaubecourt (m. de). Plaisant quiproquo du comte d% 
Stainville à son égard. i58. 

Vaubrun (L'abbé de). Mot de lui. 114. 



TABLE ANALYTIQ^UE SaS 

Vaucanson (m. de). Compliment que lui adresse Vol- 
taire. 174. 

Vaudreuil (Le comte de). Ce que M... dit de lui. 9}. 
— Réponse que lui fait Chamfort, à qui il offre ses ser- 
vices. 170. 

Vendôme (M. de). Son portrait de M°*® de Nemours. 
1 34. 

Vertu. Mot dit à une femme qui parlait emphatique- 
ment de sa vertu. 3. 

Vergennes (Le comte de). Opinion de M. de Choiseul 
sur le comte de Vergennes. 62. — Est maltraité dans la 
correspondance secrète de Louis XV avec le comte de Bro- 
glie. 64-65. — N'aime point les gens de lettres. i33. — 
Pourquoi il laisse M. de Breteuil être ministre. 171. 

Versailles. Définition de Versailles. 171. 

Vertot (L'abbé de). Ses changements d'état. 146. 

Veuf. Mot d'un veuf. 146. 

Veuve. Mot de M. de L... à une veuve pour la détour- 
ner d'un second mariage. 10. — Perd sa douleur au jeu. 

52. 

ViLLARS (Le maréchal de). Mot que lui dit un entrepre- 
neur de spectacles qui veut ôter l'entrée gratis aux pages. 
21. — Adonné au vin. 85. 

ViLLARS (M. de). Entend trois messes croyant qu'elles 
sont pour lui. 112. 

ViLLEQuiER (Le marquis de). Comment le premier mou- 
vement trahit la bassesse de son âme. 4. 

Villette (Le marquis de). Son mot sur la banqueroute 
de M. de Guéménée. i3. — Lettre que lui écrit M. de 
Lauraguais. 122. 

Violence. Comment un homme violent fut arrêté dans 
son accès par un mot d'ami. 79. 

VivRiERS. Comment M... flétrit une malversation de vi» 
vriers. 84. 

Voleurs anglais. Condamnés, vendent ce qu'ils possèdent 
pour en faire bonne chère avant de mounr. Mot d'un vo- 
leur à un lord qui veut lui acheter son cheval. a8. 

Voltaire. Son mot sur l'Académie de Soissons. x. ^ 



324 TABLE ANALYTIQUE 

Sur VAnti-Machiapel de Frédéric II. 7. — Sa réponse au 
reproche d'abuser du travail et du café. 21. — Ses plaintes 
contre M™® du Châtelet. 34, — Son mot cynique à Pois- 
sonnier. 120. — Sa réponse plaisante au régent. 143. — 
Son mot sur lé poëte Roy. i5o. — Sur la religion. i5i. 
— D'Alembert ne le trouve un peu faible qu'en géométrie. 
i65, — Fait pleurer le roi de Prusse. 173. — Son mot à 
Vaucanson. 174. 

VoisENON (Abbé de). Son jugement sur Henri IV et 
Louis XIV. 77. 

Volupté. Mot de M. de L... expliquant pourquoi il s 
renoncé à la volupté. 6. 

Vrillière (Le duc de la). M. de Choiseul a disputé 
avec M. de Praslin sur la question de savoir qui est le plus 
bête, de lui ou du roi. 126. 

VoYER (M. de). Laisse deux cassettes pleines de lettres 
céladoniques. i55-i56. 

VoYER (M™® de). Aime sentimentalement le vicomte de 
Noailles. i55. 

Washington. Héroïque réponse que lui fait un Améri- 
cain qui a fait seul six prisonniers. 82. 

XiMÉNÈs (M. de). Mot de M. d'Autray sur de Ximénès. 
174. 





TABLE 



DU TOME SECOND 



Pages 
Portraits, Caractères, Anecdotes et Bons Mots. . i 

Le Marchand de Smtrne , comédie en un acte et en 

prose 177 

Lettres diverses 211 

Dissertation sur l'imitation de la nature, relative- 
ment aux caractères dans les ouvrages dramatiques. 269 

Notes et Variantes 291 

Table analytique des Portraits, Caractères, Anecdotes 

et Bons Mots 29$ 




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