Skip to main content

Full text of "Oeuvres complètes. Tome IV. 3e partie, Phèdre"

See other formats


VA 
+ 


Due 
Re. 
RER RS 
: TE EU 

à CE εἶν, 

ΣΞ ας  ξυΣα  Ξ ΣΞ  τρεεεξαδες, 
κα: D CE RE ICT Peter ἀν 
RE EE pee LR RARE, 
Ke A A am APE - Ἂν ἢ 


“+ se 


CS 


214 
τ 
24 
5 


+ 
Ψ 

τὶ β 

pa 


+ 
i 


* 


ὧς ἀπ PT 
ins 


« 
ἢ 
» 
x 


᾿ 
ere 


LA 
ΠΕΡῚ 
EU 


γι 
γα ΠΝ 


Ds 
Υ 
Ἀν 


ἦν. 
- pa PAL 
ER ΣᾺ κα 


ARR PL TE LR. 
EC LR 
ARS LE ne PRE fn δι δ Re 
« PCT Est 
LA Cet . CERTES 
etes LÉ ad NT à ἐν σας 


et Tan ee CLS - 

ν “ 2 συ. res "“..5.» ne f s 

᾽ PR τ ρο PRET CLP PRES μον, Ce τὸ ον 
CL δ νυ να Ν ne PER LS 

1e, min PET Le) ER PR R A AS 


: res Tara 
ÉTE RAS ET Ὁ 
CE Te he Y 
: " En 
EL TE EP EL ε 


“ 
22: 


RAA LA as À. 
Fra ς OCT ce men 
Eee Loge es νι ere 


(re 
PME à 


ΣᾺ 
re 
ee 


À ἐν ie 
ΕΣ 


Pere: 


- 


THE UNIVERSITY 
OF ILLINOIS 
LIBRARY 


88l 
ἘΞ 


. 


CLASSICS 4198 EPA 


Return this book on or before the 
Latest Date stamped below. 


Theft, mutilation, and underlining' of books 
are reasons for disciplinary action and may 
result in dismissal from the University. 


University of Illinois Library 


act 5 ναὶ 


L161— O-1096 


OEUVRES COMPLÈTES 


7 


_ TOME IV — 8 PARTIE 


nn sur papier par ” 


né ἃ la presse de 1 à 200. 


COLLECTION DES UNIVERSITÉS DE FRANCE 
publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ 


PLATON 


OEUVRES COMPLÈTES 


TOME IV — 3° PARTIE 


PHÈDRE 


TEXTE ÉTABLI ET TRADUIT 


PAR 


Léox ROBIN 


Professeur à la Sorbonne. 


PARIS 
SOCIÉTÉ D’ÉDITION « LES BELLES LETTRES 
99, BOULEVARD RASPAIL 
1933 


Tous droits réservés. 


Conformément aux statuts de l'Association Guillaume 
Budé, ce volume a été soumis à l'approbation de la 
commission technique, qui a chargé M. Louis Méridier 
d'en faire la revision et d'en surveiller la correction en 
collaboration avec M. Léon Robin. 


se 


“ἢ 
ΜᾺ 
κ᾿ 


Led 


NOTICE 


[ 


LE PHÈDRE 


Entre le Banquet et le Phèdre la rela- 

ns δος στοᾷ tion est une de celles qui nous sont le 
plus familières : dans tous les deux en 

effet il est parlé de l’amour et ce sont eux qu’on utilise pour 
définir la conception que s’en fait Platon. Toutefois, ainsi 
comprise, la relation n’est peut-être qu’extérieure et superf- 
cielle. Sans doute n'est-il pas faux de dire que l’amour est 
le sujet du Banquet; mais c’est une question, comme on le 
verra (section {{{}, de savoir s’il “η΄ est pareillement du 
Phèdre. Bien plus, même à propos du premier, on avait pu : 
se demander (Notice p. xcu, n. 1) 831] ne s’y cachait pas une 
autre intention, celle d’opposer, sur ce thème, le point de 
vue de la Philosophie à celui des Sophistes et des Rhéteurs. 
Cette intention se dévoile et prend corps dans le second dia- 
logue, où décidément le problème de l'amour semble bien 
n'être pour Platon qu’une occasion de dire comment il conçoit 
la culture et l'enseignement, d’une façon qui contraste vive- 
ment avec l’idée qu’on s’en faisait dans les écoles de rhéto- 
rique. ΠῚ en résulte d’ailleurs, ainsi qu’on essaiera de le 
montrer plus tard (Notice, p. cxxxv sqq.), un approfon- 
dissement et un élargissement de la conception même de 
l'amour par la nécessité, ouvertement reconnue, d’yÿ intro- 
duire une théorie de l’âme. Il est possible aussi que, dans le 
Banquet, cette nécessité füt déjà entrevue, si vraiment la 
connaissance de l’âme humaine est, comme je l’ai pensé 


τι : PHÈDRE 


(p. 92, ἢ. 1 et Notice, p. vit), la condition qui permettrait 
au même homme d’exceller également dans l’art tragique et 
l’art comique. En tout cas ce qui, d’après le Phèdre, fait 
l'infirmité de l'art de la parole, en général et tel qu'il est 
présentement constitué, c'est justement l'ignorance où il est 
du rapport de ses moyens d'action avec la nature vraie des 
âmes humaines. 

L'authenticité du Phèdre n'a pas plus 
besoin d’être discutée que celle du Ban- 
quet. Elle est garantie, d'abord par 
plusieurs références  aristotéliciennes. 
soit avec le titre seul, soit avec le nom seul de Platon, 
ensuite par la tradition unanime de l'Antiquité. La question 
délicate, c’est de savoir à quelle époque Platon l'a écrit. Il 
y ἃ dans ce dialogue une telle allégresse de vie, une si grande 
fraicheur de jeunesse qu’on a pendant longtemps ajouté foi 
à une allégation rapportée par quelques écrivains anciens 
d'époque tardive ?, que le Phèdre serait le premier ouvrage 
de Platon, antérieur même, disent certains, à la mort de 
Socrate et datant de sa vingt-cinquième année environ. Cette 
opinion, à la vérité, avait rencontré des adversaires ; mais ce 
sont les travaux des Stylisticiens qui l’ont le plus fortement 
ébranlée. On ne peut dire cependant qu'ils lui aient porté 
le coup de grâce et qu’il y ait rien d’entièrement décisif 
dans les résultats auxquels a conduit la comparaison de la 
langue du Phèdre avec celle de dialogues que leur parenté 
stylistique avec les Lois a fait reconnaître eux-mêmes comme 


Authenticité 
et date de 
la composition. 


1. Pour le premier cas: Rhet. ΠῚ 7 fin (à propos de l'emploi 
ironique de la langue de la poésie). Pour le second: Top. VI 3, 
140 b 3 sq.; Metaph. À 6, 1071 b, 31-33, 37 sq. À ces textes, les 
seuls que mentionne Bonitz (Index 598 b, 25 sqq.), il faut sans doute 
ajouter deux autres passages, qui semblent viser le Phèdre mais où 
Platon n’est même pas nommé : Phys. VIII 9, 265 b, 32-266 a, 1 et 
De an. I ἃ, 4o4 ἃ, 20-25. 

ἃ. Diogène Laërce III 38; Hermias, Commentaire du Phèdre 
Ρ- 9, 14-19 Couvreur; Olympiodore (le Jeune) Vie de Platon (vol. VI 
du Platon d’Hermann, p. 192 8. med.), témoignage qui se confond 
avec celui de la Scholie à 227 a (Hermann p. 262), d’après le commen- 
taire sur le Premier Alcibiade; car la Vie de Platon est elle-même 
extraite de ce commentaire (cf. l’éd. de ce commentaire par Creu- 
zer ΠῚ, p. xvu n. 2 et p. 2). Cf. Notice p. Lix. 


NOTICE si 


tardifs: une statistique brutale des particularités verbales 
risque en effet de méconnaître les altérations apportées dans 
la prose du second discours de Socrate par le seul parti-pris 
poétique qui le domine d’un bout à l’autre. Encore moins 
déterminantes pour renoncer à voir dans le Phèdre une œuvre 
de jeunesse seraient d’ailleurs les raisons tirées des rapports 
personnels entre Platon et Isocrate: on verra plus tard 
combien elles sont fragiles (p. czxxu1 sqq.). Une discussion 
sur ce point entrainerait donc fort loin‘: aussi me conten- 
terai-je de quelques indications sur la position que me 
semble avoir le Phèdre dans l’œuvre de Platon. Tout compte 
fait, la prétendue objectivité sur des matières historiquement 
si obscures n’est, je crois, qu’une chimère : aux vraisem- 
blances qu’on a pu obtenir s’en opposent d’autres, et l’attirail 
de dates dont chacun étaie sa conviction est un trompe-l'œil. 
Aussi m'appuierai-je uniquement sur l'analyse interne et sur 
des considérations relatives au contenu : subjectivité pour 
subjectivité, celle-ci se reconnaît au moins pour telle. 

En premier lieu, je crois le Phèdre postérieur au Banquet. 
Si c'était l'inverse, on comprendrait mal que, dans un dia- 
logue spécialement consacré à l'amour, Platon en eût dépouillé 
la théorie de développements qui, sans la modifier, lui donnent 
cependant toute sa portée. D'autre part, à supposer que Pla- 
ton eût déjà écrit cet entretien de Socrate avec Phèdre sur 
l'amour et à propos d’un Éréticos de Lysias, aurait-il pré- 
senté dans le Banquet comme 1] l’a fait (177 ἃ sqq.) les 
plaintes de Phèdre sur la négligence des auteurs à l'égard 
d'un tel sujet? On pensera bien plutôt que, en donnant ici 
pour interlocuteur à Socrate Phèdre, et non pas un autre, il 
s’est souvenu des plaintes dont il s’agit : il y aurait donc là 
un renvoi implicite au Banquet. Il y en a d’ailleurs d’autres 
et qui sont plus manifestes : Phèdre est celui des hommes de 
son temps, exception faite pour Simmias le Thébain, qui ἃ 
fait se produire le plus de discours (242 ab) et, à ce titre, il 
mérite d’être appelé « le père de beaux enfants » (261 a)°. 


1. On la trouvera dans ma Théorie platonicienne de l'Amour (1908), 
p- 63-109. Voir une excellente mise au point de la question dans 
A. Diès Autour de Platon, p. 250-255. 

2. Cf. Banquet, Notice, p. xvir et, ici, p. 27 n.2. L’interpré- 
tation que j’ai donnée de χαλλίπαις n’est qu’une de celles que propose 


\ 


IY PHÈDRE 


Enfin nombre de passages du Phèdre ne prennent, je crois, 
tout leur sens que si on les rapproche du Banquet*. 

Mais une deuxième question 86 pose aussitôt : le Phèdre 
est-il immédiatement consécutif au Banquet? C’est ce que 
suppose le plan de cette édition de l’œuvre de Platon (vol. I, 
p. 13), en mettant le Phèdre entre le Banquet et la Républi- 
que. Mais on a eu soin d'ajouter que la chronologie sur 
laquelle se fonde ce plan est conjecturale : sur une question 
aussi controversée que celle de la place du Phèdre la sagesse 
était donc de prendre un parti moyen et, d’autre part, de ne 
pas le séparer d’un dialogue dont le sujet est voisin. Il n’en 
reste pas moins que l’antériorité du Phèdre par rapport à la 
République n’est nullement hors de question. Mon sentiment 
personnel est qu’au contraire il lui est postérieur. D'abord il 
est psychologiquement peu vraisemblable que, aussitôt après 
le Banquet, Platon ait senti le besoin d’en élargir la doctrine 
pour tracer une image, inégalement poussée sans doute, de 
la culture philosophique dans son ensemble et pour l’opposer 
à la culture rhétorique : un temps de méditation semble 
nécessaire. Cet intervalle assurément pourrait avoir été vide 
de tout écrit. Si en revanche il existe un ouvrage sans lequel 
le Phèdre serait souvent inintelligible, c’est dans l'intervalle 
qu'il faudra placer celui-là. Or, c’est ce que je voudrais 
maintenant établir, la République satisfait justement à cette 
condition et, par conséquent, le livre 1 étant supposé déjà 
écrit depuis longtemps, la composition de ce grand dialogue, 
en un seul ou en plusieurs moments, me paraît avoir assez 
abondamment rempli cet intervalle pour donner à l’élargis- 
sement dont je parlais le temps de se préparer. Ceci se véri- 
fiera peu à peu par la suite. Dès à présent je dirai que le 
mythe de l’attelage ailé serait difficilement intelligible si la 
tripartition de l’âme, au livre IV de la République, ne per- 
mettait de l’interpréter ; admet-on que le mythe a précédé 


Hermias (223, 17 sq.), mais c’est celle que développe Plutarque 
Quaest. platon. II 1, 1000 f 54. — Voir en outre, à propos de 228 b 
la n. 1 de la p. 3. 

1. Voirp.11n.1fin;p.18n.3;p.19n.1;p.22n.1; p.28 
n.2;5p.25n.1;p.28n.3;p. 46n.3;p.47n.1;p.52n.1,2 
et4; p.53n.1fin; p. 68 πὶ τ; p. 96 n. 1. Cf. aussi Notice 
p. Lxix sq., les notes de p. Lxx11, p. Giv ἢ. 2, cxxix etc. 


NOTICE Y 


l'explication ? On devra nier alors le caractère de nouveauté 
que, selon moi, Platon a incontestablement attribué à cette 
explication (cf. p. exvir sqq.). Sur le problème de l’immorta- 
lité de l'âme, il y a dans la République des témoignages visibles 
d’embarras (cf. p. cxxv) ; ne seraient-ils pas fort étranges 
après la démonstration du Phèdre, puisque celle-ci est conser-- 
vée par Platon à la fin de sa carrière, quand il achève les 
Lois(X 894 e-895 c, 896 ab) ? L’eschatologie du Phèdre serait, 
sur certains points, bien énigmatique sans l’eschatologie 
similaire du livre X de la République, notamment la combi- 
naison du choix avec le tirage au sort pour les âmes qui 
vont commencer une nouvelle existence terrestre (249 b) ; de 
même, dans la hiérarchie des prédestinations, la place du 
tyran au neuvième et dernier rang de l'échelle (248 e; 
cf. p. xc). Enfin il ne me paraît pas douteux que le « lieu 
supra-céleste » du Phèdre ne soit rien d’autre qu’un doublet 
mythique du « lieu intelligible » de la République (VI 508. 
be, 509 d; VII 517 b), et il n’y a ‘ d’autre différence, de la 
République au Phèdre, pour la situation dans laquelle est ce 
lieu par rapport au ciel astronomique, qu’une plus grande 
précision et une affinité plus marquée avec la psycho-astrolo- 
gie du Timée et des Lois. 

C'est qu’en effet le Phèdre présente de remarquables res- 
semblances avec les dialogues de la dernière période. Je 
laisse de côté le point de vue stylistique et je reconnais à quel 
point ils diffèrent dans la forme littéraire ; mais il y a des 
ressemblances de fond sur lesquelles il est impossible de 
fermer les yeux. N'est-ce pas tout d’abord un fait significatif 
que l'aspect, vraiment nouveau en dépit de certaines anticipa- 
tions de la République, que prend dans le Phèdre la dialectique 
avec l'importance prépondérante de la méthode de division, 
soit précisément celui que développent avec prédilection le 
Sophiste et le Politique, celui sur le sens profond duquel le 

, Philèbe (16 c-e) insiste avec tant de force (cf. p. cziv sqq.) ἢ 
En affirmant la supériorité de la dialectique, sous le rapport 
de l’exactitude, sur tous ceux des autres arts où il y a le plus 
d’exactitude, ce dernier dialogue précise d’ailleurs, non sans 
solennité, que la rhétorique est à cet égard complètement 


1. Contrairement à ce que j'ai dit par erreur dans la Théorie pla- 
tonicienne de l'Amour, p. 84. 


vI PHÈDRE 


hors de cause (58 a-d). Bien plus, c'est de cette méthode 
même du Phèdre que les Lois (XII 966 a et cf. p. cLvu) exi- 
gent une parfaite possession chez les magistrats du Conseil 
Nocturne. On aura dans la suite plusieurs occasions particu- 
lières de rapprocher Phèdre et Philèbe (p.59 n. 1, p. 61 n. 2, 
p. 87 n. 1). De son côté le Politique éclairera, lui aussi, cer- 
tains points obscurs (p. exv) : tout ce qui y est dit des carac- 
tères de l'art (283 c-287 b) développe des indications, encore 
imprécises, du Phèdre sur le même sujet. Quant au Timée, 
il est dificile d’en exposer la doctrine sur l'âme sans se réfé- 
rer constamment au Phèdre, et la réciproque, on le verra, 
n’est pas moins vraie. Au surplus, quand le Phèdre affirme 
solennellement (269 e-270 c) qu’il n’y a pas de vraie rhéto- 
torique capable d'agir sur les âmes, non plus que de vraie 
médecine capable d’agir sur les corps, sans la connaissance 
de la relation qui unit au Tout l’âme aussi bien que le corps, 
n'y a-t-il pas là comme une annonce du Timée? Le dialecti- 
cien philosophe qui à la rhétorique empirique veut en sub- 
stituer une autre, telle qu’elle soit un art éducateur fondé 
sur la science, devra donc préalablement connaître la Nature; 
or cette exigence est celle à laquelle répond le Timée. Enfin 
nous avons vu tout à l’heure comment le livre X des Lois 
ne retient qu'une seule preuve de l’immortalité, qui est jus- 
tement celle du Phèdre. Tant de points de contact entre notre 
dialogue et ceux de la vieillesse conduisent donc à penser 
que, postérieur au Banquet et à la République, c’est de ceux-là 
d'autre part qu’il est le plus voisin!. 

Schleiermacher avait cru trouver dans le Phèdre le pro- 
gramme de toute la philosophie de Platon, programme tracé 
dans l'enthousiasme d’une jeunesse inspirée; chaque dialogue 
venait à son tour développer un des points de ce programme. 
L'invraisemblance psychologique d’une telle conception suf- 
firait à la condamner. Cependant il n'était pas faux de 
regarder le Phèdre comme un raccourci de l’ensemble : c’est 
qu’en effet le dialogue retient beaucoup du passé, notamment 


1. Je dois pourtant renoncer à la ‘témérité de mon ancienne 
conjecture (op. cit., p. 114-118): je n'oserais plus aujourd’hui 
considérer tout ce qui, dans le Phèdre, s'apparente à la doctrine des 
derniers dialogues ou, tout au moins, du Timée, comme un rappel 
sommaire de ce qui a été établi dans ceux-ci. 


/ 


NOTI CE‘ : VII 


du Phédon, du Banquet et de la République, et qu'en même 
temps il présage et définit l'avenir. L’erreur de Schleierma- 
cher a été de s’imaginer une telle anticipation figeant, pour 
cinquante ans au moins, la pensée de Platon dans un moule 
préfiguré. Or les développements méthodologiques ou doctri- 
naux que le Phèdre anticipe sont au contraire tout proches, et 
le programme ou le plan qu’il en trace est pour être réalisé 
dans la dizaine d'années qui suit. En plaçant ainsi le Phèdre 
après le Banquet et la République, je suis amené à le rappro- 
cher du Théétète : ce sont des dialogues du même type et qui 
semblent devoir se situer à peu près de même, tant par rap- 
port aux dialogues de la maturité qu’à ceux de la vieillesse. 

Le Théétète est d’un charme exquis dans le mouvement du 
dialogue et dans la façon dont il s’engage ; s’il est, comme 
on le pense assez généralement, un peu postérieur à 369, il 
atteste chez un homme qui ainsi toucherait à la vieillesse une 
merveilleuse intensité de vie, un irrésistible entrain de la 
pensée ; à côté d’une polémique serrée, pressante non sans 
causticité, on y trouve une méditation, vibrante d’enthou- 
siasme, sur ce modèle divin qu'il faut s’efforcer d’imiter, une 
imprécation vengeresse contre le modèle humain loin duquel 
on doit s’écarter. Du Phèdre ou du Thééiète, lequel placera- 
t-on le premier? En faveur de l’une ou l’autre solution on ne 
présumerait rien que de fragile. Ce qui importe surtout 
d’ailleurs, c’est de souligner la signification du rapprochement 
conjecturé. Dans le Théétète, Platon suppose la rencontre 
de Socrate jeune avec le vieux Parménide et avec Zénon 
(183 e): fiction sur laquelle est construit le Parménide. Que 
celui-ci soit ou non antérieur au Théétète, à tout le moins y 
a-t-il dans ce dernier (180 d-181 b, 184 a) une intention 
déclarée de disjoindre l’Éléatisme de toutes les autres doctrines 
philosophiques pour en faire l’objet d’un examen spécial ; il 
Υ ἃ même l'annonce d’un essai de synthèse, qui se fera autant 
aux dépens de l’Éléatisme que de ce qui s’y oppose. Or c’est 
ce qui sera réalisé par le Sophiste et, pour autant qu’il définit 
les rapports de l’Un ct du Multiple, par le Philébe. De plus, 
en distinguant comme il le fait sensation et science, le Théétèle 
détermine, au moins négativement, à quelles conditions il peut 
exister un vrai savoir concernant les phénomènes de la nature, 
objets de la sensation ; ainsi il serait comme une préface épisté- 
mologique au Timée. Enfin, si les difficultés du problème 


VIII PHÈDRE 


de l’erreur sont mises en pleine lumière par le Théétète, 
c'est au Sophiste qu’il appartiendra de fournir la solution. — 
De son côté, en montrant que l’amour est dans l’âme le lien 
du sensible avec l’intelligible, que ce ne sont pas là deux 
mondes qui se nient mutuellement, le Phèdre prend une posi- 
tion antagoniste de celle des Éléates ; ainsi en effet il récon- 
cilie le non-être de la sensibilité avec l’être de l’Idée. Ce savoir 
secret dont le Théélèle nous dit que chaque âme est grosse ἃ 
pour pendant le pouvoir latent de s'élever que, d’après le 
Phèdre, gardent toujours les ailes de celle-ci, desséchées et 
durcies par son union à un corps de terre: double expression 
mythique, par conséquent, d’une idée à laquelle le Sophiste 
donnera sa forme dialectique. De plus, la méthodologie du 
Phèdre semble complémentaire de l’épistémologie du Théétète. 
Enfin, tandis que ce dernier envisageait l’affection sensible, 
le πάθος, sous son aspect de sensation, d’état individuel et 
momentané qui, sans l’acte synthétique du jugement, 
n'est à aucun degré une connaissance, l’autre la considère 
sous l'aspect d’une jouissance, qui n’est pas le véritable 
amour ou qui n’en est qu’une dégradation. D'autre part, en 
un passage (258 ὁ et p. 59 n. 1) qui rappelle une analyse de la 
République, il prélude au développement que cette analyse 
doit recevoir dans le Philèbe. 

En somme ce seraient là deux dialogues en quelque mesure 
parallèles, et pareïllement liminaires. Avant d’entrer dans 
des voies qui, préparées de longue date, n’en sont pas moins 
nouvelles, il semble que Platon ait voulu régler ses comptes : 
dans le Théélète, c'est avec certaines écoles philosophiques, 
hormis toutelois celle sous la pression de laquelle il s’enga- 
geait justement dans ces chemins nouveaux ; dans le Phèdre, 
c'est avec les écoles des rhéteurs. Les deux dialogues se pla- 
ceraient donc dans la période qui précède le départ de Platon, 
au printemps de 366, pour son deuxième voyage en Sicile. 
Toute tentative pour préciser davantage serait arbitraire. 
Mais, si la République a, comme je le crois, précédé le Phèdre ; 
si le Banquet est de 385 ou de 380 environ, écho plus ou 
moins attardé de la fondation de l’Académie (cf. Banquet, 
Notice p. 1x n. ἃ et p. χαὶ sq.) ; si l’on réfléchit aux tâches 
absorbantes que sa fonction de Chef d’École dut imposer à 
Platon, on pensera qu'entre le Banquet et le Phèdre il a dû 
s’écouler un intervalle qui ne peut être inférieur à une dizaine 


NOTICE ΙΧ 


d'années au moins. Notre dialogue suppose en effet une 
conscience précise des besoins de l’enseignement, des expé- 
riences faites sur les procédés les plus féconds de la dialec- 
tique, bref toute une organisation méthodique de la culture. 
Or cela n'apparaissait pas dans le Banquet; d’autre part, 
l'éducation des philosophes telle que la décrit le livre VII 
de la République, ne dessinait que des fondations ou les plus 
grandes lignes de ce qui doit être le couronnement de toute 
éducation libérale. Mais peut-être aussi, et pour les mêmes 
raisons, le Phèdre atteste-t-il chez Platon une soif de délasse- 
ment, la joie qui suit l'achèvement d’une longue tâche et 
qui est impatiente de se déployer en un mouvement aisé et 
libre de la pensée; bref tout ce qui a déterminé Wilamo- 
witz à intituler: « Un heureux jour d’été » le chapitre de son 
Platon qui est consacré à notre dialogue !. 


Il 


QUESTIONS D'HISTOIRE 


Peut-être n'est-il pas très nécessaire de 
chercher à dater la scène du Phèdre : 
ne suffit-il pas, tenant compte de l’allu- 
sion qui yest faite au rôle de Phèdre dans la scène du Banquet, 
de dire que Platon a voulu qu'on la supposât postérieure à 
celle-ci ? Or celle-ci se place vraisemblablement en 416. Mais, 
pour assigner à l’autre la date précise de 410 ?, on manque 
de base : Lysias, dit-on, serait revenu d'Italie à Athènes en 
h12, il y aurait fait bientôt figure d'homme de lettres et il 
en aurait donné une preuve en composant un Érôticos. Or 
rien de tout cela, on le verra bientôt (p. xiv sqq.), n’est 
assuré. En quoi cela servirait-il d’ailleurs à dater la scène ? 
La seule chose qu'il y ait sans doute à dire, c’est que dans le 
Phèdre il n’est pas du tout question, comme dans d’autres 


L'époque 
de la scène. 


1. Platon? 1, p. 459. Toutefois il n’en résulte pas nécessairement 
que, comme il le dit, le Phèdre doive être en quelque sorte le 
« soupir de soulagement » qu’arrache, sans délai, à Platon la ligne 
finale de la République. 

2. Comme Va fait L. Parmentier, L'âge de Phèdre dans le 
dialogue de Platon, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, janvier 
1926, p. 9. 


k PHÈDRE 


dialogues, des inimitiés que Socrate a suscitées contre lui, 
encore moins de poursuites judiciaires, possibles, imminentes, 
ou déjà engagées. C’est donc, si l’on tient à toute force à 
situer dans l’histoire sociale et politique une scène qui est, en 
elle-même, en dehors de toute histoire, que Platon a voulu 
nous reporter à une époque éloignée du procès. La scène 
n’a besoin d’être située que dans la série de ces petits drames 
fictifs dont Socrate est l’ordinaire protagoniste : c'est un cas 
analogue à celui de la Comédie humaine de Balzac. 


Ce qui, par une singularité remar- 
quable, mérite en revanche plus d'atten- 
tion, c’est le lieu mème de cette scène. Il ne semble pas en 
effet qu'il soit imaginaire, puisque les indications topogra- 
phiques données par Platon nous permettent, avec le secours 
des découvertes archéologiques, de le retrouver sur le ter- 
rain !. Relevons dans leurordre toutes ces indications. Phèdre 
va pour faire une promenade hors des Murs et sur la grand’- 
route (227 a) : c’est donc qu’au moment de sa rencontre avec 
Socrate il est encore en dedans, et l'expression, malgré ce 
qu'un peu plus bas (228 b) elle ἃ d'ambigu, n’y peut avoir 
un autre sens. De l’endroit où ils se sont rencontrés on voit, 
Phèdre la montre, la maison de Morychus et, tout contre, 
on aperçoit aussi le temple de Zeus Olympien. Phèdre invite 
Socrate à marcher avec lui, tout en devisant (b, 1. 8). Si 
longue que puisse être la promenade projetée par Phèdre, 
Socrate est prêt à le suivre en partant des Murs jusqu’à 
Mégare, et même à faire deux fois ce chemin aller et retour, 
selon le précepte d'Hérodicus (227 d). Toutefois, puisqu'aussi 
bien il faudra s’asseoir quelque part pour lire le discours, il 
propose à un moment de se détourner de la grand'route pour 
suivre le cours de l’Ilissus (229 a) jusqu'où il fera bon de 
s'arrêter. Chemin faisant, on discute de l’endroit où Borée 


Topographie. 


1. Voir Thompson, The Phaedrus (1868), notes à 229 c et 230b 
(p. 7et9); Wilamowitz, Platon? I, p. 456 n. τ. Je dois tout ce qui 
suit, ainsi que le plan de la page suivante, à la compétence de mon 

- collègue Ch. Picard, ancien directeur de l'École française d'Athènes, 
à qui j'exprime ma plus vive gratitude pour l’empressement bien- 
veillant avec lequel, à ma demande, il a étudié les données de ce 
petit problème. 


NOTICE = 


enleva la Nymphe Orithye : ce n'est pas ici où les rives, 
étant plates, semblent à Phèdre propices aux ébats des jou- 
vencelles, mais en contre-bas, à deux ou trois stades environ, 
au point où on passe la rivière quand on va vers le sanctuaire 
d’Agra, car il y a là des rochers qui en dominent le lit 
(229 c). Sans s’interrompre de parler, ils continuent à avan- 


NORD 


Pa 


Otgmphieion 


Maisonve 


P Mékôon d'Agra 


ὧν deux hapts foteiéls 
AVEC E 
at à ῥαν due qu ΄ ἤφ 6: 
PPS 2 2 2 Cu τ 
0-0.0-0.0-0-0-0-0 


cer. C'est ainsi qu’ils se trouvent tout à coup devant ce haut 
platane vers lequel ils se dirigeaient (230 ἃ ; cf. 229 8)... 
Ces données, il faut maintenant les interpréter. D'abord, 
si la rencontre a lieu à proximité du Mur, du moins est-ce, 
comme déjà cela semblait probable, à l’intérieur de la ville ; 
sans quoi on ne pourrait voir la Morychienne et l’Olympieïon 
lequel se trouvait en dedans du rempart de Thémistocle. 
D'autre part, Socrate ne penserait pas que Phèdre püût 
avoir idée de faire sa promenade vers Mégare si l’on n’était 
du côté d’une porte ouvrant sur la route qui y mène, c’est- 
à-dire près de la porte Dioméïa ou, ce qui est moins pro- 
bable, d’une porte voisine, l’Itonia. Dans ce dérnier cas, le 
point où les deux promeneurs, ayant quitté la route, rejoi- 
gnent l’Ilissus est plus rapproché de celui d’où ils sont partis ; 


IV. 3. — b 


XII PHÈDRE 


plus court est alors le trajet dans le lit de la rivière jus- 
qu’au gué d’Agra : deux stades, soit un peu plus de 300 
mètres. Dans l’autre hypothèse, le trajet serait plus long, 
puisqu'ils auraient atteint la rivière plus en aval: trois stades, 
ou un peu plus de 500 mètres. Les deux évaluations sont 
données par Platon, mais comme si la première lui avait 
semblé trop modérée : ce qui est en faveur de la sortie par la 
porte Dioméïa, sur la route même de Mégare. Quant au 
sanctuaire dont 1] est parlé, ce n’est pas à Artémis Agrotéra 
ou Agraïa, la Chasseresse, ici tout à fait hors de question, 
qu'il est consacré; c'est un sanctuaire de Démêter, un 
Mètrôon que possédait le dème d’Agra et qui, au siècle der- 
nier !, se voyait encore sur les pentes rocheuses qui surplom- 
bent la rivière. Ils en remontent le cours et peut-être passent- 
ils sur la rive gauche ? à l’endroit du gué. Peut-être le lieu 
où ils vont faire halte estl, de ce côté, celui où l’on a décou- 
vert un relief de Pan, au-dessous de l'emplacement où jaillis- 
sait, sur la rive droite, la source Callirhoè. Aujourd’hui la 
source est obstruée, il n’y a plus d’ombrages, le lit de l’Ilis- 
sus n’est plus sillonné des filets d’une eau transparente, 
mais on a plaisir à faire avec le philosophe cette promenade 
dans un paysage dont il a si délicatement traduit la poésie. 


Le Phèdre est un dialogue à deux per- 
sonnages et qui sont vraiment, selon le 
mot de Phèdre (236 ἃ déb.), « seul à seul ». De Socrate il 
n’y a rien à dire. Quant à Phèdre j'en ai esquissé déjà le 
portrait dans la Notice du Banquet (p. xxxvi sqq.) et d’après 


Les interlocuteurs. 


τ. Stuart et Revett l’ont connu. 

2: La préposition xaté, 229 ἃ 1, 4 signifie donc en suivant le lit, 
non en descendant le cours. L’adverbe χάτωθεν (6 1) me parait 
signifier en contre-bas du point où on se trouve et par rapport à 
la direction qu’on a prise; mais M. Picard voit un autre sens pos- 
sible : le lit de la rivière, étant plus encaissé, semble plus bas. — 
S'ils ont utilisé le gué comme le croit Thompson, la correction 
suggérée par lui: διεθαίνομεν, nous passions, au lieu du présent 
d’habitude, se justifierait. Toutefois jusqu’au moment où ils sont en 
face du platane, rien n’indique qu’ils aient quitté le lit de la rivière 
pour l’uné ὁὰ l’autre rive: D’autre part, quand Socrate parlera de 
pässer sur l’autre bord (242 a déb., b 8), cela semble indiquer qu’ils 
sont en effet à proximité du gué d’Agra. Voir en outre la suite. 


NOTICE τ ΧΗΣ 
les trois dialogues où il figure : ce dernier, le nôtre et le Pro- 
tagoras. On a eu raison ‘ de réagir contre la tradition qui fait 
ici de Phèdre un tout jeune homme. C’est ainsi en effet qu’il 
apparaît dans le Protagoras, dont l’action se passe vers 433/2. 
Mais alors, seize ans plus tard, à l’époque du banquet 
d'Agathon il doit être environ dans sa trente-cinquième année. 
Si donc le Phédre suppose le Banquet, il faut enfin qu'ici 
il soit encore plus âgé. Toutefois, à vouloir préciser davan- 
tage, ne trahirait-on pas l'esprit de Platon, peu soucieux de 
ces scrupules chronologiques (cf. Banquet, Notice p. xx, n. 1) 
et qui s’accommode de vraisemblances psychologiques géné- 
rales ? De ce qu’au cours du Phèdre il ait voulu rappeler le 
Banquet, s’ensuit-il que l’action du premier doive être tenue 
pour postérieure à celle du second ? Il n’y aurait alors ana- 
chronisme que par rapport à nos conjectures sur la relation 
chronologique des deux dialogues. C’est donc assez, je crois, 
d'observer simplement que, quelle que puisse être la diffé- 
rence des âges, Socrate se croit du moins autorisé par la 
naïveté des enthousiasmes de son ami à l'égard de la rhéto- 
rique, de la mythologie, de l’érudition, des livres des Mai- 
tres, etc., à le traiter d'une façon un peu cavalière et, en 
vérité, comme « un grand enfant ? ». Quant à savoir ce 
qu'’ensuite devient Phèdre et quelle est l’époque de sa mort, 
cela peut avoir son intérêt. Mais c’est ruiner toute vraisem- 
blance interne que de conjecturer cette époque en s’appuyant 
sur le fait que, si la mort de Phèdre n'avait pas précédé celle 
de Socrate, 11 aurait certainement été du nombre des fidèles 
qui assistèrent Socrate à ses derniers moments ὃ, Conjecture 
gratuite : le Phédon ne dit-il pas (59 b fin) que tous ceux 
des Attiques qui étaient présents n’ont pas été nommés ὃ 
Conjecture arbitraire et que dément le portrait psychologique 
du Phèdre platonicien : son honnête sincérité lui vaut d’être 
traité avec une sympathie un peu condescendante et railleuse ; 
mais toujours il apparaît comme un fervent partisan des 
Sophistes, totalement incapable par là même de communier 
avec la pensée de Socrate *. 


1. L. Parmentier, art. cité, p. 10 sq., p. 14. 

2. Cf. 257 c : ὦ νεανία ; 267c : ὦ rat; 275bec. 
_3. L. Parmentier, art. cité p. 15-17. 

4. Cf. 235 d, 236 a b, 241 d, 257 c, 266 cd. 


XIV ἢ PHÈDRE 


Mais il y a dans le Phèdre, derrière les 
deux interlocuteurs, deux autres per- 
sonnages dont la muette présence y est 
capitale ; ils en sont les deux pôles ; 
Lysias, dès le commencement, Isocrate, seulement à la fin!. 
Pour des raisons que je dirai plus tard (p: cLxxII18q. ), la figure 
prépondérante me paraît être cependant la seconde. Pour le 
moment, nous pouvons les mettre toutes deux sur le même 
plan et réunir ici à leur sujet quelques données historiques 
et littéraires indispensables. 


Deux célébrités 
principales 
en cause : 


Lysias nous est présenté dans le Phèdre 
sous un double aspect : c'est un maître 
de rhétorique et qui compose des discours épidictiques, modèles 
sur lesquels on faisait étudier aux élèves la technique de la 
composition ; c'est aussi un logographe, qui écrit des plai- 
doyers que les parties, demanderesses ou défenderesses, réci- 
tent devant le tribunal ?. L'auteur de la Vie des dix orateurs, 
faussement attribuée à Plutarque, est surtout abondant et 
précis, ainsi qu'il arrive souvent, à propos de ce qu'il sait 
sans doute le moins bien, c 'est-à-dire de l’activité de Lysias 
en tant que rhéteur : « Il a composé aussi, dit-il (836 b), des 
Arts de la parole, des Discours politiques, des Lettres, des 
Éloges (Encômia), des Oraisons funèbres, des Discours sur 
l'amour, une Apologie de Socrate... » Or on peut. présumer 
que les « philologues » de l'Antiquité n'étaient riches là- 
dessus que de conjectures : celui-ci, au surplus, n’avoue-t-il 
pas (836 a) que la moitié à peu près de toute l’œuvre attribuée 
à Lysias est inauthentique ? Au reste, c’est une question que 
nous retrouverons à propos du discours de Lysias dans le 
Phèdre (p. 1x sqq.). Notons seulement ici que toute cette 
production rhétorique, vraie ou fausse, de Lysias est en 


Lysias. 


1. Diogène Laërce (VI 15) parle d’un écrit d’Antisthène qui pou- 
vait être également un parallèle de Lysias et d’Isocrate (cf. Banquet, 
Notice p. Χμ n. 2); si en effet il s’agit, dans cet écrit, de l’Amarty- 
ros d’Isocrate que nous avons conservé, on sait que Lysias défendait la 
partie adverse (Clément d'Alexandrie, Strom. VI 626 ; cf. G. Mathieu, 
Isocrate I, p. 5, Coll. Budé). 

2. Pour le second point 257 b c (p. 56 n. 2), 277 ἃ ; pour le pre- 
mier 227 a et c, 228ab, 272 Ο. 


ca NOTICE . ἊΣ 


majeure partie perdue: des Discours politiques il ne subsiste 
que l’exorde et un sommaire de l'Olympique dans Denys 
d'Halicarnasse ; d’autre part, l'Oraison funèbre des Athé- 
niens morts en défendant Corinthe est loin d’être incontesta- 
blement authentique. 

En outre on ne s'accorde pas sur la place que cette forme 
de son activité aurait occupée dans la vie de Lysias. Pour les 
uns elle serait du début de sa carrière à Athènes. C’est ce 
que semble avoir pensé Cicéron (Brutus 48) : il fait en effet 
de lui, sur ce terrain, un concurrent de Théodore de 
Byzance, et sa logographie ne serait qu'une extension ulté- 
rieure de sa profession primitive‘. L'hypothèse est assez vrai- 
semblable. C’est en effet très probablement en 412 que 
Lysias revient s'établir à Athènes. Fils de Céphale, ce grand 
négociant syracusain qui sur les conseils, dit-on, de Périclès, 
avait fondé au Pirée une fabrique d’armes (cf. p. 1 n. 1), il 
avait suivi son frère aîné Polémarque dans un exode d’émi- 
grants allant occuper les lots de terre qui leur avaient été 
assignés (clérouchie) sur le territoire de Thourii, dans l'Italie 
méridionale. C'était une cité de création récente (444/3): 
Hippodame de Milet en aurait été l’architecte et Protago- 
ras, le législateur; Hérodote, comme on sait, la visita et 
il en devint citoyen. Or Tisias, le maître syracusain qui 
passe pour être l'inventeur de la rhétorique, y était venu 
fonder une école dont Lysias fut l'élève. Y a-t-il lui-même 
professé ? C’est fort possible ?. Après le désastre d'Athènes 
en Sicile (413), il y avait peu de sécurité pour lui à rester à 
Thourii ; on dit même qu'il en fut banni par le parti anti- 
athénien. Si donc Tisias était surtout, comme il semble, un 


1. Cicéron fonde son assertion, en apparence au moins (cf. 46 déb.), 
sur l’autorité d’Aristote. Mais on doit observer que, dans ce qui nous 
reste d’Aristote, il n’y a rien de tel : Lysias est cité deux fois dans la 
Rhélorique et les deux citations proviennent de ses plaidoyers; dans 
aucune d’ailleurs il n’est nommé. 

2. En tout cas, on ne peut conjecturer la durée de cet enseigue- 
ment, car la chronologie de Lysias est très incertaine. Autrefois on 
le faisait naître en 459/8 ; aujourd’hui on tient généralement pour 
446, parfois même pour une date plus tardive. La date de 412 pour 
son retour à Athènes est mieux assurée, pour la raison qu’on va voir. 
Mais, faute de savoir quand il est né, on ne peut s’aventurer à dire 
quel âge 1] avait alors. 


XVI PHÈDRE 


professeur et que Lysias l’ait été, lui aussi, avant son retour 
à Athènes, il est permis de croire qu’une fois revenu c’est 
sous cette forme qu’il commença d’exercer son activité. 
Toutefois certaines autres données peuvent suggérer de la 
vie de Lysias une représentation différente. Il est remar- 
quable tout d’abord que Cicéron, qui nous donnait à penser 
que Lysias avait commencé par s’illustrer comme rhéteur, ne 
connaît cependant en lui, comme nous-mêmes, que le causi- 
dicus, l'avocat (Orator 30). Il est donc possible que ce soit 
en appliquant à la composition de plaidoyers les connais- 
sances techniques ‘acquises en Italie, qu’il a fondé sa répu- 
tation. Un tel début expliquerait en outre ses ambitions ulté- 
rieures. Huit ans après son retour à Athènes, quand après 
la prise de la ville par Lysandre s’y fut établi le gouverne- 
ment des Trente Tyrans, Lysias se trouva dans une situation 
périlleuse. Sans doute sa qualité d’isotéle, c’est-à-dire de 
métèque privilégié, admis sans être citoyen au droit de pos- 
séder, était peu faite pour le rendre sympathique à une aris- 
tocratie en majorité nationaliste, prête d’ailleurs à toutes les 
rigueurs contre ses propres concitoyens du parti adverse. 
Mais peut-être des rancunes contre l’avocat intervenaient- 
elles aussi, plus vraisemblables qu’à l'égard d’un rhéteur. 
Toujours est-il que son frère Polémarque fut, sur l’ordre 
des Trente, arrêté par l’un d'eux, Ératosthène, pour être 
conduit à la prison où il devait bientôt périr. Il ne dut lui- 
même son salut qu'à une fuite précipitée. On sait comment 
les bannis et les fugitifs se groupèrent sous le commande- 
ment du démocrate Thrasybule. Mais ils manquaient d'armes, 
il leur fallait recruter des mercenaires: Lysias se fit leur 
bailleur de fonds. Enfin, une fois abattue la tyrannie des 
Trente, il se crut alors près de monter sur la scène politique 
pour laquelle, avocat rompu aux affaires, il devait se sentir 
mieux préparé que s’il n’avait été jusque-là que théoricien 
et professeur. Pour reconnaître en effet les services rendus, 
Thrasybule fit voter un décret qui, conférant le droit de cité 
à tous les non-Athéniens qui avaient soutenu l’armée des 
bannis, allait faire de lui un Athénien de premier plan. La 
mesure était d’ailleurs conforme à la politique traditionnelle 
des démocrates radicaux qui, ayant toujours eu l’appui des 
étrangers domiciliés en Attique, cherchaient à grossir leur 
majorité civique. Mais le parti démocratique comptait des. 


NOTICE XVII 


conservateurs, assez proches de cette aristocratie modérée dont 
Théramène avait été, dans le gouvernement des Trente, le 
représentant malheureux. On attaqua donc le décret de 
Thrasybule : il était illégal, n’ayant pas reçu l'approbation 
préalable du Conseil (la Boulé). Le décret fut cassé {, et Lysias 
dut rester dans l'isotélie. Déçu dans ses espérances, il 
n’abandonne pas son lucratif métier d'avocat, mais il s'occupe 
surtout de causes politiques ; il plaide même en personne, 
dans cette année 403 qui avait failli voir son triomphe, 
contre Ératosthène, qui avait fait périr son frère. Or, ce serait 
justement à partir de 4o3 que Lysias aurait cherché à se faire 
une réputation d'homme de lettres etde professeur de compo- 
sition litéraire. A cette période appartient en effet son Discours 
Olympique, prononcé en 388? et c’est ainsi que, par l’élo- 
quence d’apparat, il se serait consolé de n’avoir pu devenir 
un orateur politique. Il y jetait feu et flamme contre les 
tyrans, engageant les Grecs à se réconcilier contre eux ; non 
plus, il est vrai, contre l’ennemi héréditaire, contre la Perse, 
mais bien contre une puissance redoutable du pays d’où 1]. 
était originaire, contre Denys, le prince syracusain qu’une 
ambassade somptueuse représentait précisément à la Fête. A 
la détresse des Grecs il opposait les immenses richesses dont 
ils avaient sous les yeux le témoignage insolent. Bref, son 
éloquence échauffa si bien les esprits que, à la suite de mani- 
festations hostiles, l'ambassade se retira. Lysias provoquait 
ainsi un incident qui devait être fatal à la renaissance athé- 
nienne. La colère poussa en eflet Denys à appuyer énergique- 
ment l'hostilité de Sparte et de la Perse, et la dureté des 
conditions imposées par la paix d’Antalcidas (387) en fut 
probablement encore aggravée. C’est de la même époque que 
seraient aussi l’Apologie de Socrate, qui vraisemblablement 
répondait au pamphlet de Polycrate (Banquet, Notice, p. x 
sq.), et enfin, comme si avec l’âge les sujets proprement 
sophistiques tentaient davantage un Lysias apaisé, ces dis- 
cours ou lettres Sur l'Amour dont le Phèdre nous aurait 


1. Comparer dans le Phèdre le passage de 258b et Notice, 
p- xxxv n. 1. — Sur les faits, voir Paul Cloché, La restauration 
démocratique à Athènes en 403 (1915). 

2. Celui de Gorgias est de 392, à la Fête précédente. 


XVIII È PHÈDRE 


\ 


conservé un échantillon ; ceux-ci seraient de la sorte assez 
voisins de sa mort survenue en 379!. 

L'extrème imprécision de nos connaissances ne semble pas 
permettre de choisir entre ces deux façons de « romancer » 
quelques pauvres données de l’histoire, ou d’une tradition 
érudite qui n'est peut-être elle-même qu’un autre roman 
plus ancien. Ce sur quoi, par contre, il faut s'arrêter c’est 
sur l'étrange désaccord qu’il semble y avoir entre la façon 
‘dont l’art de Lysias est apprécié par Platon et dont il l’a été 
par Cicéron, par Quintilien et aussi par la critique moderne. 
Pour Platon en effet Lysias, qui passe aux yeux de Phèdre et de 
tous les fervents de l'écriture artiste pour « le plus habile des 
écrivains actuels » (228 a), est au contraire un mauvais écri- 
vain, qui manque à la fois d'invention et de méthode, qui 
n’a ni spontanéité ni logique, aussi vague qu'il est diffus 
(cf. p. zxrv sq.). Or Cicéron par exemple, s’il reproche à 
Lysias une maigreur passablement décharnée, loue la façon 
dont il va droit au fait, sa finesse élégante et spirituelle, sa 
pénétration, le naturel de ses peintures et même, parfois, la 
vigueur nerveuse de son talent?. Nous n’en jugeons guère 
autrement: nous louons chez Lysias la sobriété, une sim- 
plicité de ton qui dissimule à merveille une technique 
savante, l’art de faire vivre ses personnages et de les faire 
parler selon leur caractère et leur situation, enfin, à l'occa- 
sion, de la force ou de l'émotion, mais sans rien de déclama- 
toire ni de forcé. Sans doute dira-t-on, pour atténuer le 
contraste brutal de ces jugements, que Platon n’a pas eu 
en vue les mêmes écrits de Lysias que Cicéron ou que les 
critiques d’aujourd’hui. Est-il croyable cependant que Lysias 
[ἀξ à ce point différent dans ses plaidoyers de ce qu'il était 
dans ses discours épidictiques ? Pourquoi, si cette différence 
existait en effet, Platon ne l’a-t-il pas notée et ne tient-il 
aucun compte de ce qu'il y a de meilleur chez Lysias ? On 
en est d'autant plus surpris qu’en lui il a envisagé aussi 
, l’auteur de plaidoyers, le logographe (257 ὁ sqq.) ; or 1] n’a 
jugé utile d'introduire à ce propos ni distinction ni réserve, 
se bornant à mettre hors de cause le fait même d’être logo- 
graphe, pourvu qu’on le soit comme il faut (cf. 258 cd; 


1. Voir Wilamowitz Platon?, I p. 259. 
2. Brutus 38, 63 sq., 285 fin, 293 ; Orator 29 sq. 


NOTICE XIX 


277 ab, d). ΤΙ semble donc qu’on doive taxer Platon d'injus- 
tice notoire envers Lysias. Mais, son appréciation fût-elle 
même de tout point justifiée, il resterait encore à se deman- 
der pourquoi, entre tant de rhéteurs, il a spécialement choisi 
Lysias pour victime expiatoire de tous les péchés de la rhé- 
torique. 

Une première raison pourrait être que, au moment de la 
composition du Phèdre, Lysias devait déjà être mort!: 
autrement, on concevrait à peine que Platon eût pu ouver- 
tement lancer contre un contemporain vivant une diatribe 
à ce point injurieuse ; un ouvrage littéraire, émanant du chef 
d’une grande école, n’excluait-il pas l'emploi de procédés que 
la comédie même avait cessé d'admettre ? Certes le fait de 
viser un disparu ne diminuerait pas l'injustice de l’attaque ; 
pour notre conscience elle en serait seulement plus déplacée. 
Quoi qu'il en soit, tous les autres motifs qui se présentent 
le plus spontanément à l'esprit pour expliquer une telle 
attitude de la part de Platon semblent ne pouvoir être, en 
l'espèce, d'aucun poids. Ce n’est pas en effet le métèque que 
Platon peut exécrer en Lysias : aurait-il, dans sa République, 
traité avec tant de faveur Céphale et Polémarque ? aurait-il, 
ici même (257 b), opposé ce dernier à Lysias en ceci seule- 
ment, qu'il s’est tourné vers la philosophie et que l’autre s’en 
tient à l'écart? Pas davantage, le démocrate en tant que tel 
(cf. p. 2 n. 2), ni l’homme suspect au gouvernement des 
Trente et qu'on aurait voulu supprimer comme on le fit de 
Polémarque, ni celui qui a contribué à abattre la tyrannie : 
un des hommes les plus passionnément dévoués à Socrate, 
Chéréphon, n'était-il pas justement de ceux-là et fervent 
démocrate (Apologie 20 e sq.)? Socrate lui-même n’avait-il 
pas été menacé par les Tyrans ? Il faut donc supposer une 
animosité personnelle et essayer d’en deviner les raisons 
cachées. 

Un passage de la VIE Lettre (325 bc) me paraît, dans une 
phrase il est vrai assez mystérieuse, propre à bien poser le 


1. Ce qui fournirait un terminus a quo, — d’ailleurs indépendam- 
ment du principe posé par L. Parmentier (cf. Banquet Notice, p. xix 
n. 2), puisqu’en l’espèce il ne s’agit pas d’un personnage du dialogue 
et que d’autre part Isocrate, alors incontestablement en vie, y est 
nommé et jugé. 


xx PHÈDRE 


le problème‘ : « Ceux qui rentrèrent alors, y lit-on, usèrent 
assurément d’une très grande modération. Mais voici ce qui 
arrive : ce Socrate, au cercle duquel nous appartenions, est 
traduit en justice par certains hommes qui avaient du pou- 
voir. » Or l'expression ne convient ni au principal accusa- 
teur, Mélètus, ni à l’un de ceux qui avaient appuyé l’accusa- 
tion, Lycon : ce n’étaient pas des hommes puissants ; très tôt 
ils étaient déjà des inconnus. Le seul, dans l'affaire, qui eût 
du pouvoir, c’est celui qui avait mis sa signature à côté de 
celle de Lycon, savoir Anytus. Il était une des têtes du parti 
démocrate et, dans la révolution de 403, son rôle avait été de 
premier plan ?. Mais, si le pluriel de la Lettre a une signifi- 
cation, on peut alors supposer que, derrière l’accusateur en 
titre et à côté d’Anytus, il y a d’autres hommes puissants. 
Peut-être l’Apologie nous mettrait-elle sur la voie. De toutes 
les haines qui se sont conjurées contre moi, y dit Socrate 
(23 e sq.), Mélètus représente celle des poètes, Anytus celle 
des gens de métier et des hommes politiques, Lycon celle des 
oraleurs. Ordinairement on comprend : des orateurs politi- 
ques, parce qu’on se réfère au passage de Diogène Laërce 
(II 38) où, peut-être d’après Hermippe, Lycon est appelé δημα- 
γωγός, orateur du parti populaire. Mais, si le renseignement 
est exact, comment se fait-il que, dans l’histoire de ces temps, 
nous ne trouvions pas trace d’un politicien de ce nom ? De 
plus, l’acception du mot orateur (ῥήτωρ) est habituellement 
déterminée chez Platon par le contexte ou spécifiée avec pré- 
cision ὃ; or, rien de tel ici. Il est donc permis de supposer 


1. On ose à peine avouer que les multiples arguments allégués 
aujourd’hui par tant d’illustres critiques en faveur de l’authenticité, 
totale ou partielle, du recueil des Lettres ne semblent pas décisifs. 
Plusieurs d’entre elles, sans doute, reflètent de bons documents et 
témoignent d’une remarquable habileté. Le scepticisme dont je ne 
puis me défendre, même à l’égard de la vni®, n’est pas diminué, loin 
de là, par quelques réminiscences, trop adroites, du Phèdre: 344de, 
cf. 276 de ; 348 a déb., cf. 249 d. 

2. Les motifs qui avaient poussé Anytus à contresigner l’accusa- 
tion, peut-être même à la provoquer, sont fort bien analysés par 
M. Eudore Derenne, Les procès d’impiété intentés aux philosophes à 
Athènes au V® et au IV® siècle avant J.-C. (1930), p. 133 844. 

3. « Quel est l’art dans lequel tu es savant? demande Socrate à 


Gorgias (Gorgias 449 a). — La rhétorique | — C’est donc ῥήτωρ; 


NOTICE XXI 


que Lycon n'était qu'un rhéteur. Si sa médiocrité profes- 
sionnelle a été ensevelie dans l’oubli où n’a pas réussi à som- 
brer complètement celle de Mélètus, c'est que, grâce à l’enre- 
gistrement officiel des pièces présentées au concours, les poètes 
avaient un privilège spécial. Ainsi, dans l’accusation, Lycon 
aurait été le porte-parole des rhéteurs. Et maintenant, quand 
on se demande qui, dans ce camp, avait pu sournoisement 
pousser Lycon, quel est le rhéteur démocrate dont l'influence 
personnelle était comparable en puissance à celle d’Anytus, 
et qui, par intérêt ou par vengeance, pouvait souhaiter l’éloi- 
gnement ou la perte de Socrate, c’est à Lysias que l’on peut 
penser. Si avant la révolution 1] était déjà, comme l’insinue 
Cicéron (cf. p. xv), maître de rhétorique, il devait redouter 
l'action de Socrate sur la jeunesse riche. D'autre part, en 
tant que démocrate et en tant qu’étranger, il devait partager 
l'opinion qui faisait de Socrate le maître, non seulement de 
Critias, le chef cruel des Trente, l'ennemi juré des métèques 


΄ 


orateur, qu’il faut t’appeler. » De même, les orateurs dont il est 
question dans Ménexène (235 c), ce sont ceux qui composent à loisir 
des Panégyriques d’Athènes, des oraisons funèbres, des éloges des 
ancêtres, bref des rhéteurs qui écrivent des discours épidictiques. 
Euthydème 284 b : les orateurs, quand ils parlent dans l’Assemblée du 
Peuple (cf. Alcib. I 114 ὁ 4)... ; 305 b : un orateur, soit de ceux qui 
ont la pratique des débats judiciaires, soit de ceux qui composent des 
discours pour les gens engagés dans ces débats... Dans Théétèle 
201 a, les oraleurs sont les avocats. Dans notre dialogue, le mot est 
pris au sens le plus général : 258 b 10 (où il signifie à la fois l’orateur 
politique, le logographe, le législateur), 260 a, 269 d. C’est juste- 
ment pour avoir, dans le passage en question de l’Apologie, entendu 
ῥήτωρ au sens étroit d’orateur politique, que certains critiques (dont 
Wilamowitz Platon? II, p. 48 n. 2) ont suspecté les mots « et les 
hommes politiques » à la suite de « gens de métier » : ces mots seraient, 
d’après eux, une très ancienne glose (antérieure à Diogène Laërce 
qui les cite IT 40), inspirée du portrait d’Anytus dans le Ménon. Sans 
doute, dans les pages de l’Apologie qui précèdent notre texte, Socrate 
n’a mentionné, parmi les gens sur lesquels a porté son enquête, que 
les hommes d’État, les poètes et les gens de métier. Mais est-il 
nécessaire qu'il y ait, de part et d’autre, symétrie ? L'enquête est 
incontestablement très générale (cf. 21 0) : pourquoi se serait-elle 
limitée à ces trois catégories et comment les Sophistes, maîtres de 
rhétorique et auteurs de discours épidictiques, en auraient-ils été 
exceptés ? 


xxu | Ὁ ΒΗ.  / 


et l’instigateur probable de la mort de Polémarque, mais le 
maître encore de Charmide, l’oncle de Platon; or Char- 
mide avait été l’un des Dix. qui représentaient au Pirée, à 
l'égard d’une population de métèques et d’Athéniens interdits 
de séjour, l’implacable autorité des Tyrans. Sans doute 
Lysias était-il, comme son patron Thrasybule, un démocrate 
plutôt radical, tandis qu'Anytus appartenait à la fraction 
modérée du parti. Mais, puisqu'il s'agissait d’anéantir une 
propagande aussi agissante que celle de Socrate, subversive 
de toutes les valeurs sociales et politiques admises, bien plus, 
antipatriotique dans la mesure où elle afBchait des sympa- 
thies lacédémoniennes, une action concertante d'hommes 
appartenant à des fractions opposées pouvait être très légiti- 
mement envisagée et acceptée. 
Ainsi la sévérité, incroyablement partiale, dont Platon a 
fait preuve envers Lysias pourrait s'expliquer en partie par 
la rancune qu’il lui aurait gardée de sa participation, dans 
la coulisse, à la conjuration ourdie contre Socrate en 399. 
S'il en est bien ainsi, loin d’apaiser cette rancune, la composi- 
tion d’une Apologie de Socrate, exercice rhétorique destiné 
à rivaliser avec l’exercice contraire de Polycrate, était une 
indécence, avivant encore la blessure. L’animosité de Platon 
contre Lysias serait donc comparable à celle qu'il ressent à 
l'égard d’Aristophane, auquel, en dépit des illusions que peut 
suggérer le Banquet (cf. la Notice, p. Lvnr-11x), il n’a jamais 
pardonné ; avec cette différence toutefois que le génie d’Aris- 
tophane ἃ pu lui paraître digne d’un acte de justice que ne 
méritait pas l'adresse sans scrupule du rhéteur. Ce n’est pas 
tout : il est possible aussi, à supposer le Phèdre écrit entre 
_370 et 366, que Platon ait souhaité ménager, soit Denys 
encore vivant en 368, soit plus généralement la cour de 
Syracuse. Après l’algarade de Lysias aux Jeux Olympiques 
de 388, il pouvait sentir le besoin de marquer avec force, 
et son désaveu de l’insulte et son antipathie pour l'insulteur : 
n'était-ce pas sur cette puissance des princes siciliens que 
comptait Platon pour réaliser son État modèle ? 


Ainsi Lysias aurait été délibérément élu 
entre tous les rhéteurs pour que son 
nom détesté portät, à lui seul, le poids des fautes de la rhé- 
torique. Pourquoi Isocrate est-il au contraire exclu de cette 


et Isocrate. 


NOTICE XXII 


sphère empestée et élu par Platon pour recevoir, tout à la fin 
du dialogue, des louanges qui contrastent singulièrement 
avec la façon dont Lysias a été constamment traité ? La ques- 
tion est délicate. Sans doute serait-il assez facile d’y répondre 
si l’on connaissait vraiment l’histoire des relations person- 
nelles d’Isocrate avec Platon. Il ne manque certes pas à ce 
sujet de conjectures, analogues à celles qui viennent d’être 
proposées pour le cas de Lysias. Mais, cette fois, nous avons 
au moins des données positives d’une autre sorte; ce sont les 
vues d'Isocrate sur la nature et la destination d’un art de 
parler, et nous pouvons les confronter avec celles que Platon 
expose dans le Phèdre. La question devra donc être reprise 
_ quand on abordera la conception de la rhétorique (p. czxrv 
sqq.). Pour le moment, on se bornera à situer le personnage 
d'Isocrate et à noter les principales étapes de sa carrière jus- 
qu'aux environs de l’époque au-dessous de laquelle on peut 
diflicilement reculer la composition du Phèdre. 

Néen 436, plus âgé par conséquent que Platon d'à peu 
près huit ans et, de toute façon, notablement plus jeune que 
Lysias, Isocrate était le fils d’un Athénien à qui sa fabrique 
de flûtes avait valu une belle fortune. Il n’est pas impossible 
qu'il ait été l’élève de Prodicus et fréquenté Socrate. En tout 
cas la situation de son père lui assurait la meilleure éducation ; 
elle lui permit même, vers sa vingtième année, de se rendre 
en Thessalie à l’é se de Gorgias qui, dit-on, vendait fort 
cher son enseignement. Combien de temps y resta-t-il? à 
quelle époque rentra-t-il à Athènes? Nous l’ignorons: à 
l’époque où nous retrouvons sa trace il est ruiné et, pour vivre, 
contraint d'utiliser sa culture rhétorique à faire métier de 
logographe. Les plus anciens plaidoyers que nous possédions 
de lui semblent être contemporains, ou peu s’en faut, de la 
restauration démocratique de 403 ‘. Mais cela ne prouve päs 
qu'il n’eût point déjà plaidé, et d’un autre côté la publication, 
totale ou partielle, paraît en avoir été faite bien plus tard, par 
ses soins, pour montrer aux élèves de son école comment il 
faut traiter tel genre d’affaire, comment on doit employer 
tel moyen rhétorique. Il y en a, comme le Trapézitique et 


. Sur ceci et sur ce qui suit, voir l'édition d’Isocrate par 
α. Mathieu et É. Brémond dans la cûlléption Budé (t. 1, 1928) et la 
thèse du premier : Les idées politiques d’Isocrate (1925). 


XXIV PHÈDRE 


l'Éginétique, qui traitent de délicates questions d'intérêt ; le 
dernier avait même ceci de particulier qu’il concernait un 
problème de droit international privé, puisque c'était à Égine 
que se jugeait le procès et qué le client d’Isocrate était d’ail- 
leurs. Dans d’autres, c'est la politique d'Athènes qui est évo- 
quée ; ainsi dans le discours Sur l’attelage, écrit vers 395 pour 
le fils d’Alcibiade, et qui est un éloge de ce dernier en même 
temps qu’un raccourci, assez partial bien entendu, des faits 
auxquels Alcibiade avait été mêlé. Quelque fructueux que 
[ἀξ le métier, Isocrate n’y trouvait pas cependant la satisfac- 
tion de traiter de grands sujets, ni celle de parler en son 
propre nom (Antidosis 46-48). Peut-être alors eût-il aimé se 
consacrer activement à la politique de son pays; mais il 
manquait des dons naturels indispensables: la force et la 
souplesse de la voix, l'assurance et même la hardiesse (A ntid. 
189 sq.). Il se tourna donc vers le professorat et, vers 393, 
il ouvrait une école de rhétorique. 
Dès lors ses écrits seront des discours épidictiques. Celui qui 
s'intitule Contre les Sophistes (vers 390) est un programme de 
son enseignement, en opposition à ce qu'on faisait dans 
d’autres écoles concurrentes. L’Hélène et le Busiris sont des 
« modèles » du genre « éloge », proposés à limitation de ses 
élèves et à l’admiration découragée de ses rivaux. Enfin Iso- 
crate aperçoit, dans cette même voie, un moyen de satisfaire 
ses ambitions déçues : il va devenir un écrivain politique ou, 
comme on dit parfois, un publiciste. Il s’attaque d’abord au 
thème, déjà traité par Gorgias et par Lysias!, de la concorde 
entre les Grecs; il le développe avec éclat en 380 dans son 
Panégyrique d'Athènes : si Lacédémone voulait faire sincère- 
ment sa paix avec Athènes, l’union de ces deux États ferait 
celle de toute la Grèce contre l’ennemi naturel, le Barbare 
d'Orient, dont la faiblesse avérée garantit à l’entreprise les 
meilleures chances de succès. Puis, Lacédémone persévérant 
dans sa politique hargneuse et despotique, ce n’est plus contre 
le Grand Roi, c’est contre elle qu’il veut réaliser l’union ; le 
résultat peut avoir été, en 377, la formation de cette nouvelle 
Confédération athénienne qu'animait une pensée, non d’hé- 
gémonie, mais de justice. Désormais Isocrate suit les événe- 


1. Cf. p. xiv sq., p. xvu et ἢ. 2. Sur les antécédents, voir le 
<h. 11 de G. Mathieu op. cit. 


NOTICE XXV 


ments plutôt qu'il ne les dirige, mentor qui, devant le 
démenti des faits, ne sait que remplacer ses illusions passées 
par des illusions nouvelles. Quand il voit en effet grandir la 
puissance de Thèbes et que la destruction de Platées lui révèle 
la menace, contre Athènes, de l’unité béotienne en voie de se 
réaliser, alors il écrit son Discours plataïque: c'est maintenant 
contre Thèbes qu’il faut organiser le front commun. Et le 
voici qui cherche un homme dont l'autorité personnelle soit 
assez grande pour imposer l'union: c’est d’abord le fils de 
Conon, le stratège athénien Timothée qui avait été l’un de 
ses plus chers élèves (Antid. 101-139); ce sont ensuite des 
princes étrangers : Jason et Alexandre de Phères, Denys 
l’Ancien, le roi de Sparte Archidame, fils d’Agésilas, le roi 
de Chypre Nicoclès, fils d'Évagoras ; plus tard encore ce sera 
Philippe de Macédoine. Α tous il écrit des lettres qui, encore 
et toujours, sont des morceaux d’éloquence épidictique. Il 
n’y a pas lieu de suivre cette évolution de la pensée politique 
d’Isocrate jusqu’à sa mort en 338, une dizaine d'années après 
celle de Platon : cela n’a rien à voir en effet avec le problème 
à propos duquel il figure dans le Phèdre, le problème de la 
rhétorique.[ Rien d’autre part ne prouve que, à l’époque 
où il écrivait le Phèdre et si tardive qu’on la suppose, Pla- 
ton ait eu connaissance des lettres à Jason ou de la lettre à 
Denys, nécessairement antérieure à la mort de ce prince 
en 367: la publication peut avoir suivi d’assez loin la compo- 
sition. 

On observera seulement, pour terminer, quelle différence 
il y a sous ce rapport même entre le point de vue d'Isocrate 
et celui de Platon. Tous deux, en vue de réaliser leurs plans, 
se sont tournés vers des tyrans, investis d’un pouvoir absolu. 
Mais le plan d’Isocrate vise uniquement le Panhellénisme ; 
celui de Platon, sans se désintéresser, loin de là, de cette 
question de politique extérieure, est surtout un plan de 
réforme sociale et de politique intérieure, applicable à tout 
État, présent ou futur, quel qu'il soit. Isocrate est toujours 
en quête d’accommodements, il accepte les variations, les 
renoncements même, s'ils doivent servir l’idée dont il est 
obsédé. Platon, lui, a la hantise du gouvernement par une 
science qui est une et immuable, qui n’admet point les coups 
de pouce ni les retouches ; il n’a jamais, à bien considérer les 
choses, varié dans sa conviction, maïs seulement dans la possi- 


XXVI PHÈDRE 


bilité d'en réaliser intégralement l’objet. Ce sont deux esprits 
οἱ deux caractères entièrement différents : l’un se meut dans 
le plan du relatif et du contingent, l’autre dans celui de 
l'éternel et de l'absolu. 


IT 


LA STRUCTURE DU DIALOGUE ET SON UNITÉ 


Dans un texte rebattu du Phèdre (264 c), 
Platon affirme la nécessité pour tout 
discours, autrement dit pour toute œuvre littérairedela pensée, 
d’« être constitué à la façon d’un être animé », d’avoir un 
corps qui ait une partie centrale, une tête, des membres, 
bref des éléments qui soient solidaires les uns des autres 
et du tout, se convenant entre cux et au tout. Là-dessus 
maint critique s'étonne que Platon ait si mal appliqué un 
précepte si bien formulé : comment se fait-il que, dans une 
première partie, le Phèdre traite de l'amour et de la beauté, 
puisdans une seconde, de la rhétorique opposée à la dialectique? 
Certains en prennent bravement leur parti‘ : Platon était 
vieux quand il écrivit le Phèdre, et son art avait perdu de 
sa souplesse. La plupart font des efforts désespérés pour 
découvrir une cohésion à laquelle ils ne croient guère; ils 
cherchent surtout à subordonner à l’autre une des deux par- 
ties ?, espérant ainsi trouver dans la partie dominante le 
principe d'unité de l’ensemble. Aussi est-il indispensable, si 
l’on veut savoir à quoi s’en tenir sur une question si contro- 
versée, de déterminer le plus précisément qu'on pourra les 
articulations essentielles de la structure du Phèdre*. 


Le problème. 


1. Ainsi Raeder, Platos philosophische Entwickelung, p. 267. 

2. On voit par Hermias φ. 10, 20 544.) que ce débat sur le vrai 
sujet du Phèdre était fort ancien ; cf. Ρ' Lx. 

3. Il faut lire l'étude si fine et si pénétrante d'Émile Bourguet 
Sur la composition du Phèdre, dans [a Revue de Métaphysique et de 
Morale 1919, p. 335-351 et un intéressant mémoire de Z. Diesen- 
druck, Struktur und Charakter des plalonischen Phaidros, 1927 (cf. 
REG. ΧΕ p. 115), où l’on trouvera une bonne revue des opinions 
principales de la critique allemande sur la question. 


NOTICE É XXVII 


Dès le début, nous sommes mis en face 
L'objet immédiat ἢς Lysias et introduits dans l’école d’un 
du dialogue: δ k ᾿ 
la rhétorique. Maître de rhétorique: Lysias a lu devant 
son auditoire un discours de sa composi- 
tion sur le thème de l’amour, et ce qui fait l'intérêt de cette 
composition aux yeux de Phèdre, c'est qu’il a pris, si l’on 
peut dire, le thème à rebrousse-poil et qu'il a parlé d’un 
amour d’où l'amour est absent (227 c); ce qui est le comble 
de l'originalité dans l’invention. Quoique la lecture ait lieu 
dans une maison particulière (ibid. b), il s’agit bien d’une 
leçon d'école et l’auditoire est un auditoire d'élèves: Phèdre 
se plaint en effet d’être resté assis depuis le petit matin (ibid. 
a et 228b), et l’on sait que les classes à Athènes ouvraient en 
eflet avec le jour. N'est-ce pas d'autre part l’image d’une 
classe qui nous est donnée par Socrate, quand il se représente 
Phèdre empressé à se faire analyser par le Maître chacun des 
passages qui ont excité son intérêt, demandant à emporter le 
texte du modèle pour étudier celui-ci plus à loisir, se hâtant, 
avant de le rendre, de l'avoir en secret appris par cœur (228 
a b)‘? Si enfin Phèdre se dit capable de donner, point par 
point, un sommaire du discours, il est possible que ce som- 
maire soit le moyen dont il a usé pour aider sa mémoire, 
mais possible aussi que ce soit le fruit du commentaire même 
du Maitre sur le discours qu’il vient de lire. Enfin ce Socrate 
que Platon peint ailleurs comme un homme passionné d’en- 
tretiens où questionneur et répondant cherchent en commun 
la vérité, ce Socrate que l’éloquence de longue haleine décou- 
rage (p. ex. Protagoras 328 de, 335 bc; Apologie 33 b), est 
représenté ici comme follement avide d'y goûter et de se 
prêter à ses redoutables enchantements (cf. p. 17 n. 3). 
Ironie sans doute, mais qui rappelle celle qu’on trouve au 
début d’un dialogue dont l’objet est justement l’art oratoire, 
le Ménexéne. Une chose apparait donc dès ces premières 
pages : c'est que Platon n’a pas attendu d’être plus qu’au 


1. D'après Ὁ. Navarre, Essai sur la Rhélorique grecque, p. 36, 
Pexercice dont 1] est question 228e n’est pas seulement celui par 
lequel on s’assure de bien posséder ce qu’on s’est proposé de savoir 
par cœur, mais un exercice de libre reconstruction, à l’aide du plan 
et des souvenirs qu’on a conservés du détail de l’original : voir ce que 
dit Phèdre au début du 228 d et que j’interprète un peu autrement. 

ΙΝ. 3. — c 


X XVIII PHÈDRE 


milieu de son dialogue pour signifier que l’enseignement de 
la rhétorique en est l’objet immédiat. 


Puisque Phèdre a sur lui le texte 


Art même du discours, il en devra donner 
sur la fonction des et x S OUR, \ 
mythes. ecture à Socrate. On cherche pour cela 


un coin où faire halte et, tandis qu’on 
γ va, la conversation des deux promeneurs tombe sur l’enlè- 
vement par Borée de la Nymphe Orithye: prétexte pour 
Platon à définir son attitude en face des interprétations phy- 
siques des mythes traditionnels. L’effort qu’elles supposent 
détourne, dit-il, du véritable objet de la pensée, la réflexion 
de celle-ci sur elle-même et la connaissance de soi ; ainsi on 
se lance dans une recherche qui est sans fin comme sans 
base, on se croit très savant et l’on n’est qu’un rustaud (229 c- 
230 a). Mais, si ce n’est pas là ce qu'il faut chercher sous l’affa- 
bulation d’un mythe, celui-ci ne serait-il donc qu’un conte 
amusant ? Encore aurions-nous à lui demander, comme le 
dit Platon dans un morceau fameux de la République (I 
376 e sqq.), de ne pas servir à dépraver l'esprit. La vérité 
est du reste qu'il est possible au philosophe d'utiliser les 
mythes existants ou d’en créer lui-même de façon à faire 
deviner, sous la séduction du vêtement, un corps de vérité 
substantielle. C'est de quoi le Phèdre nous fournira trois 
remarquables exemples. Bien plus, le plus important d’entre 
eux, celui où est enfermée la doctrine de l’âme et de l'amour, 
représente l’expiation qui doit purifier d’une souillure reli- 
gieuse, du péché de mythologie (243 a) ; or ce péché consiste 
justement à traiter les mythes comme des fables avec les- 
quelles on peut en prendre à son aise, faute d'y voir une 
occasion de réfléchir sur soi-même. Peut-être est-il donc per- 
mis, en résumé, de penser que cet apparent hors d'œuvre 
mythologique du début est secrètement motivé par la signi- 
fication qu’il doit recevoir de la suite même du dialogue. 


L'amour est le sujet du discours de 

Gomment Lysias, que Phèdre lit à Socrate. Serait- 
Ah " ce pour celte raison, tout extérieure, 
l'amour. que l’œuvre fait à l'amour une grande 
place ? S'il en était ainsi, tout ce qui y 


est dit plus tard sur la question et qui est une pièce essen- 


NOTICE XXIX 


tielle de la philosophie de Platon, de sa théorie de l’âme en 

particulier, aurait alors le caractère d’un accident : ce serait 
quelque chose d’extrinsèque et de déterminé par le dehors. 
Dans cette hypothèse, la rhétorique deviendrait le sujet 
principal. Ne peut-on cependant se demander alors pourquoi 
Platon a choisi un discours sur l’amour plutôt que sur tout 
autre sujet? Sans doute allèguera-t-on l’existence réelle de 
ce discours de Lysias. Supposons pour l'instant qu'il soit en 
effet de lui. Le choix n’en subsiste pas moins : entre tous 
les thèmes que Lysias, rhéteur, pouvait avoir traités dans 
des discours épidictiques, il a préféré celui-ci. Or un choix 
suppose un dessein. C’est donc que, dans ce dessein, au pro- 
blème de la valeur d’un enseignement de la rhétorique se 
trouvait uni le problème de l’amour. Au surplus, si le pre- 
mier de ces problèmes était le vrai et le seul sujet, tandis 
que le second ne serait qu’une matière de fait, accidentelle- 
ment fournie à Platon, certaines particularités de structure 
s’expliqueraient fort mal. Pourquoi n’a-t-il pas sufhi à 
Socrate de refaire le discours de Lysias, puis de le critiquer 
et, enfin, de joindre à cette critique ses propres vues sur 
l’art de parler ? Pourquoi la critique est-elle ainsi coupée en 
deux tronçons (234 e-236 a, 262 c-265 c) ? Et surtout, pour 

quoi y a-t-il, au centre de l’œuvre, cette « palinodie » dans 
laquelle ce n’est plus seulement la forme qui est corrigée, 
mais bien le fond même et où est instituée une doctrine ? 
Mais si, d’un autre côté, on arguait de ce qu’elle est le point 
culminant d’un effort en vue de déterminer la fonction de 
l'amour, pour prétendre inversement que la rhétorique est 
le sujet accessoire et l’amour le sujet principal, c’est alors 
une autre question qui se poserait : pourquoi le mythe des 
Cigales (259 b sqq.) ? Or on voit au contraire qu'il est des- 
tiné à nous rappeler qu'avec la doctrine de l'amour, exposée 
dans la palinodie, le sujet n’est pas épuisé et qu’on serait 
coupable de ne pas le conduire à son terme. Une conclusion 
semble donc s’imposer à nous : c’est que, conformément à ce 
qu’exige aux yeux de Platon tout discours, il y a dans le 
Phèdre une solidarité organique entre l’élément « amour » 
et l'élément « rhétorique », qu'aucun des deux ne peut être 
rendu indépendant de l’autre, mais que tous deux concou- 
rent à la vie de l’ensemble. 


χχχ PHEDRE 


᾿ Tout ἃ l’heure j'étudierai (1770), à la fois 

4 MTPEN 5 en eux-mêmes et dans leur rapport, le 
dialogue. discours de Lysias et le premier dis- 
cours de Socrate. Puisque, en appa- 

rence au moins, le thème en est identique, on doit les consi- 
dérer, je crois, comme les deux sections, entre lesquelles 1] 
n’y a différence que de forme et de méthode, d’une première 
partie. C’est ce que me paraît marquer très nettement cette 
observation de Socrate: mon attention, dit-il (234 e sq.), 
s’est portée tout entière, tandis que j'écoutais le discours de 
Lysias, sur les caractères rhétoriques du morceau et sur le 
style, attendu que le fond semblait être en effet complète- 
ment indifférent à l’auteur. Plus loin (235 e sq.) une autre 
remarque parle dans le même sens : asservir d'avance l'ora- 
teur à une donnée fictive et arbitraire (p. 18 n. 2), c’est lui 
interdire toute liberté dans la recherche et dans l'invention 
de la vérité, c’est l’astreindre à ne développer que les points 
nécessairement impliqués par la donnée : dès lors, sa tâche 
est limitée à l’ordonnance des développements, et c’est en 
effet à cette tâche toute formelle que se bornera Socrate en 
reprenant, sur l’injonction de Phèdre, la donnée de Lysias. 
Reste, il est vrai, un passage assez embarrassant : celui où 
Socrate (235 b-d), invoquant une tradition de l'antiquité 
que représentent des femmes comme des hommes, nomme 
Sapho et Anacréon. Il ÿ faut reconnaître, semble-t-il, un 
procédé familier d'exposition ‘, qui sert à dissimuler sous le 
voile de mystérieuses autorités le caractère original et per- 
sonnel de certaines opinions ; c’est une des exigences du 
motif socratique de l’inscience, qui du reste est rappelé ici 
même à trois reprises (234 d, e fin, 235 a fin). Toujours est- 
il que Socrate déclare qu’à ces sources étrangères son cœur 
s’est empli, il ne sait comment?. Il me semble impossible 


1. Cf. Banquet Notice p. xx et Phédon p.22 n. 4 de mon 
édition. 

2. Le commentaire d'Hermias sur ces derniers mots (p. 43, 8 544.) 
est un éloquent exemple des interprétations allégoriques de son 
École. Voici, dit-il en substance, ce que Platon veut nous faire 
deviner en parlant ici de la « plénitude du cœur » : le cœur est dans 
la poitrine, qui est au milieu du corps ; or, tout à l’heure (230 b), il 
a parlé de ses pieds qui lui offrent le témoignage de l’aimable frai- 
cheur de la source ; bientôt (234 b) il appellera Phèdre « tête 


NOTICE ΧΧΧῚ 


qu’une déclaration si solennelle puisse se rapporter au dis- 
cours que Socrate va prononcer sur le thème sophistique de 
l'amour sans amour : pourquoi parlerait-il de sources étran- 
gères, si elles ne l'étaient en effet à l'inspiration même du 
thème en question et, par conséquent, impropres à donner, 
fût-ce sous une forme plus épurée, une eau dont la nature 
n'aurait point changé? C’est donc que Socrate sent déjà 
vaguement qu'il serait en état, puisant à ces sources étran- 
gères, d’opposer au discours de Lysias un autre discours, 
dont le fond cette fois serait différent. Tel est, je crois, le sens 
de ce qu’il affirme en se disant prêt à soutenir, sans infério- 
rité, le parallèle (235 c mil.). Il y a donc dans ce passage 
l’annonce du second discours. 

Mais Phèdre n’a pas compris‘ : c’est la rhétorique seule 


divine » et, dans le mythe de l’attelage ailé, il montrera (248 a) le 
cocher élevant la téte pour contempler les Idées ; c'est une façon de 
dire qu’il y a des activités affectives inférieures, puis moyennes ét 
psychiques, des activités supérieures enfin et qui nous mènent à ce 
qui nous dépasse. 

1. Cf. p.17 π. 1. --- ἃ 236 c déb., il ne s’agit pas proprement 
de « se renvoyer la balle ». Hermias, qui d’ailleurs voit bien le sens, 
donne à l’appui de son interprétation un exemple qui conviendrait 
mieux à la précédente : une phrase de l’un des interlocuteurs « Je 
(αἱ donné cela », renvoyée à celui-ci par l’autre, sans y rien changer 
dans sa réplique (p. 46, 8-15). Mais, puisqu'il s’agit d’une comédie, 
il y a plutôt ici un échange des rôles : la contrainte que Socrate a 
tout à l’heure exercée sur Phèdre, c’est Phèdre qui va maintenant 
l'exercer sur Socrate ; le rôle devenant le même, il est naturel que 
les termes ne changent pas non plus. — Au même endroit, la plupart 
des éditeurs suspectent ou suppriment le mot grec que j'ai traduit 
par « Gare à toi ! » (εὐλαδήθητι), ainsi que le δέ qui, dans T, suit ἵνα. 
C’est aussi l'avis de M. Méridier. On en donne pour raison que k 
phrase se rattache étroitement à ce qui précède : Tu n'as plus qu'à 
parler... afin que nous n’en soyons pas réduits à... ; le dé aurait donc 
été ajouté par quelqu'un à qui cette relation étroite aurait échappé. 
L’idée importante, au contraire, me paraît être ici que Socrate devra 
parler comme il pourra, et c'est sur ces mots qu’il faut achever la 
pensée. Au μέν, qui accompagne l'obligation de parler tant bien que 
mal, s'oppose maintenant le δέ : Mais, s’il ne le fait pas, il n’a qu’à 
se tenir sur ses gardes et à ne pas volontairement s'exposer ἃ... D: 
plus, l'impératif : Ne va pas... (un βούλου) justifie l’autre impératife 
Tiens toi sur tes gardes... Je conserve donc εὐλαῤδήθητι. 


XXXII PHÈDRE 


qui l'intéresse, et il croit que Socrate s’engage à changer la 
forme sans toucher au fond (235 d, 236 a-c) : le malentendu 
roule tout entier sur les mots autre et différent, qui dans son 
esprit ne doivent concerner que le vocabulaire et le style, 
C'est de quoi justement le raille Socrate quand il lui donne 
à entendre (235 e sq.) que, à moins de changer la donnée, 
il n’y a pas réellement de nouveauté possible. Mais la vio- 
lence exercée sur Jui par Phèdre le contraint de garder la 
donnée de Lysias. En dépit du comique de la scène et qui 
d’ailleurs est surtout dans le rôle de Phèdre, sa défense n’est 
pas feinte; pas davantage la honte qu'il ressent d’avoir à 
parler contre la vérité, et le geste de se voiler {a face en est 
l'expression visible (236 b-237 a). Enfin, nouvel indice de 
cette annonce implicite, que j'ai cru apercevoir, d’une nou- 
velle position à prendre sur la question, il observe une fois 
de plus avec force (237 b) que la position actuelle est pure- 
ment conventionnelle et qu’elle ne répond à aucune réalité. 
Concluons : si l'amour était le sujet de Phèdre, le second 
discours, déjà près d’éclore, viendrait maintenant ; ce ne 
serait pas une « palinodie », une rétractation à l’égard de soi- 
même, mais la réfutation d’un autre. Et d’un autre côté, si 
la rhétorique était le sujet, il n’y aurait lieu ni à rétracta- 
tion ni à réfutation : le premier discours sufirait, avec le 
progrès rhétorique qu'il marque à l'égard du discours de 
Lysias. Ainsi s'affirme de nouveau la solidarité des deux 
sujets entre lesquels on a voulu écarteler le Phèdre. La 
vérité est donc qu’il n’y a qu’un seul sujet. 

Au moment où, dans son premier discours, Socrate en 
vient à parler de l’amour en tant que forme particulière 
de la sensualité (238 bc), il s’interrompt pour noter que son 
éloquence a perdu sa froideur méthodique, qu’elle touche 
presque au ton du dithyrambe, qu’elle semble enfin procé- 
der de quelque inspiration divine. Quelle inspiration ? 
Serait-ce ce mystérieux influx dont il se sentait tout à l'heure 
envahi (235 cd) et qui se manifestait à lui par l'éveil 
imprévu dans sa mémoire d’une tradition vénérable de 
l'Antiquité ? De fait il n’en est plus question, et ce qu’il allè- 
gue maintenant, ce sont des influences presque physiques, 
une magie inhérente au lieu où ils sont et attestée par les 
consécrations religieuses dont il porte le témoignage : c’est 
Pan, divinité des champs et des troupeaux, ce sont les Nym- 


NOTICE XXXIII 


phes, divinités des bois et des fontaines, c’est le dieu fluvial, 
Achéloüs, leur père (cf. 263 d) ; il y a aussi les cigales chan- 
teuses, servantes des Muses (9800, 259 cd, 262 d); il y a 
ces Muses mêmes, à la voix claire, qu'il a invoquées en 
commençant son discours et dont l'inspiration n’est pas sans 
risques. Or, quand ils résultent de telles influences, l'enthou- 
siasme et la possession, la présence intérieure de quelque 
divinité, ne sont pas les plus belles formes de ces délires 
dont il sera plus tard question. Sur cette pente, Socrate est 
donc en danger d’en venir aux égarements de la nympholepsie 
(238 ἃ déb.)‘. Et c’est autre chose encore que ce délire cory- 
bantique où Phèdre est jeté par l’éloquence, autre chose que 
cette bacchanale dans laquelle il a entraîné Socrate {228 bc, 
234 d), au point que le véritable auteur du premier discours 
de celui-ci, c'est Phèdre lui-même (242 de, 244a)! Sans 
doute cela n’est-il pas, et Socrate en fait à Phèdre le repro- 
che, sans avoir contribué à le mener où il en est; ce n’est 
pourtant encore qu’une sorte de vertige, dont il est légi- 
time de parler avec ironie. Mais voici que l'apparition inat- 
tendue, sur ses lèvres, d’un hexamètre (241 d déb.) révèle à 
Socrate que, tout en parlant, il s’est à son insu élevé du ton 
du dithyrambe à celui de l'épopée : à quel diapason va-t-il 
donc monter, s’il continue? Aussi se gardera-t-il bien de 
donner à Phèdre ce qu'attendait celui-ci : après le réquisi- 
toire contre l’homme passionné d'amour, l’éloge de celui qui 
n'aime pas. Déjà c'était à sa honte et contre son gré qu'il 
avait repris le thème de Lysias : plutôt que de trahir, plus 
honteusement encore, les nobles enseignements dont il avait 
eu le bonheur de se souvenir, il aime mieux tout de suite 
s'en aller! 


C'est alors que, au moment où dans 
cette intention il allait passer de l’autre 
côté de l’eau, il a entendu la voix de 
son démon, l’avertissant de n’en rien faire. Il avait eu 
auparavant, tandis qu'il parlait, la vague divination d’une 
faute personnelle, il s'était senti troublé et décontenancé, il 


La voix du Démon: 
deuxième partie. 


1. Voir la note de Thompson ad loc. et, ici, p. 20 n. 2. — Peut- 
être rappellerait-on utilement à ce propos que l’épilepsie s’appelait 
chez les Grecs le mal sacré. 


XXXIV PHÈDRE 


avait obscurément senti que l’éloge dont les hommes hono- 
reraient son langage pourrait bien signifier un péché contre 
les dieux (242 b-d): l’amour dont les deux discours ont 
parlé est en effet un amour de gens sans noblesse, et non pas 
d'hommes libres (243 c)!. Mais c’est l’admonition démonique 
qui ἃ vraiment permis à Socrate de prendre enfin pleine 
conscience de son péché. Il est donc difficile de ne pas voir 
là une coupe significative dans le développement du dialo- 
gue: à une inspiration qui venait d’en bas s’en substitue 
désormais une autre, qui vient d’en haut. Car un démon, 
selon la doctrine du Banquet (202 e sq.), est un médiateur : 
. C'est grâce à lui que l’homme est capable de cette divination 
de l’âme dont Socrate s'était tout à l'heure jugé investi, et 
les divinités dont il lui porte le verbe sont des divinités 
vraiment souveraines. C’est donc, je crois, une erreur de 
considérer la discussion sur la rhétorique comme inaugurant 
la deuxième partie du dialogue : dès le début, la rhétorique 
τ était son cadre et nous ne sortons pas de ce cadre. Mais 
ce qui a complètement changé, c’est le rapport à ce cadre 
de son contenu : celui-ci était jusqu'à présent une image 
sans vérité, dont on n’a fait que rectifier le dessin sans en 
corriger l’inconvenance foncière ; c'est la réalité même de 
l'amour qu’enfermera désormais le cadre. La deuxième 
partie du Phèdre, comme partie distincte dans l’ensemble, 
me paraît donc être constituée par le second discours de 
Socrate. 

Dans ce second discours, ce que Phèdre a surtout admiré, 
c'est la beauté de la forme (257 c). Or il s’était promis, 
avant de l’avoir entendu, d’obliger Lysias à entrer en compé- 
tition avec Socrate, en composant à son tour un éloge de 
l’amour (243 de). Il craint maintenant que cette compétition 
ne tourne pas à l'avantage de son héros, sans penser, bien 
entendu, à autre chose qu’à la difficulté pour Lysias de réa- 
liser dans la forme une pareille élévation. Aussi bat-il pru- 
demment en retraite et allègue-t-il, par anticipation, un pré- 
texte pour excuser Lysias s’il garde le silence : déjà suspect 
aux politiques en crédit parce qu’il compose des discours 
et qu'il est un logographe (p. 56 n. 2), ne risquera-t-l 


1. Socrate relève à cet égard des passages du discours de Lysias 
(232 cd, 233 c) et de son propre discours, 238 e-239 b. 


NOTICE XXXW 


pas ainsi de surexciter encore leur hostilité? Un homme 
public redoute en effet d’être appelé « sophiste » : cela revien- 
drait à dire qu’il est en dehors de la vie publique, travail- 
lant en effet dans la coulisse pour ceux qui y participent ". 
N'y a-t-il pas toutelois, observe Socrate, quelque chose de 
déconcertant dans ce grief comme dans cette crainte (cf. 
258 c)? Tout homme politique, qu’il soit comme Darius 
monarque absolu d’un grand royaume, ou bien comme 
Lycurgue et Solon orateur dans un État grec, n'est-il pas 
un logographe ? Ses lois sont des écrits et qui sont destinés à 
d’autres, principalement à la postérité sur laquelle règneront 
ces lois. L'illustration que se sont acquise de tels « écri- 
vains » prouve donc qu'il n’y a pas de mal, en soi et abso- 
lument, à se faire écrivain, et aussi bien dans des produc- 
tions qui ne concernent pas le public, en prose tout comme 
en vers. La question est autre : c'est de savoir par quels carac- 
tères un mauvais écrit se distingue d’un bon. A-t-on besoin 
d'examiner cette question de valeur relative? N’en auraïit-on pas 
besoin, ce ne serait pas une raison pour ne pas goûter un 
vif plaisir à faire un tel examen ?. En tout cas, que ce soit 
ou non un besoin, que ce doive être un plaisir ou non, ce n’est 
pas le loisir qui manque à Socrate et à Phèdre. 


1. La question d’émoluments est ici secondaire. Ce qui importe 
surtout, c’est qu’un sophiste, un logographe, un maître de rhéto 
rique ont un faux talent, puisque ce sont des orateurs qui ne parlent 
pas, des plaideurs qui ne sont pas partie au procès qu'ils plaident, 
des politiques qui ne prennent pas part à la vie publique ; ils sont 
comme des flûtistes qui ne joueraient pas de la flûte, mais se borne- 
raient à en fabriquer à l’usage de ceux qui en jouent (cf. Euthydème 
288 d-290 a). Il est possible que le passage 257 ὁ d soit une allusion 
aux déceptions politiques de Lysias (cf. Notice, p. xvr sq.). Mais 
il pourrait s'appliquer, presque aussi bien, à Isocrate (cf. p. xxiv 
sq.). 

ἃ. 258de etla n. 1 de la p.59. Quand Platon fait dire à 
Phèdre que l’épithète de serviles est donnée, ou a été donnée, aux 
plaisirs qui sont dans la dépendance d’un besoin, fait-il allusion à 
Pemploi de cette formule par quelque autre, où par lui-même ? Du 
moins n'est-ce pas, comme on le dit parfois, un renvoi au Phédon 
69 b (car ce qui à cet endroit est dit servile, ce n’est pas le plaisir, 
c’est une certaine espèce de vertu [de même République IV 430 b, 
pour une certaine espèce de courage]), mais peut-être à 66 cd. 


XXXVI PHÈDRE 


C’est en effet justement l'heure de la 
sieste : vont-ils l’employer à dormir, au 
lieu de discuter la question qui s'offre 
à leur examen ? Ils ne doivent pas, pareïls à des esclaves ou 
à des bêtes, se laisser vaincre par la chaleur; le chant 
ensorceleur des cigales ne les captivera pas, pour leur perte, 
comme dans l'Odyssée celui des Sirènes. Ils peuvent espérer 
au contraire que, d’avoir résisté à leurs enchantements en 
employant le temps à philosopher, cela leur vaudra l’avan- 
tage d’être signalés par ces déléguées et ces interprètes des 
Muses à celles d’entre ces dernières qui ont le plus noble 
rang. Elles sont nommées: c’est Calliope, l'aînée, et sa 
cadette, Uranie. Or la première est, d’après la tradition la 
plus ordinaire, muse de l’épopée et de l’éloquence, la seconde, 
de l’astronomie ; leur commune musique est la plus belle de 
toutes (p. 29 n. 1 et p. 60 n. 1). Je crois apercevoir là un 
ensemble significatif de notations. Il y a d’abord l’idée d’une 
hiérarchie parmi les Muses et dans l’ordre de leurs fonctions. 
Socrate leur avait demandé, à toutes indistinctement, l’in- 
spiration de son premier discours, et on se rappelle où cela le 
conduisit. Or c’est quand il était parvenu au ton de l'épopée 
qu'il s’est refusé à continuer par peur d’un pire danger et 
qu’il a entendu l'avertissement de son Démon. Mais voici 
maintenant qu'il distingue entre les Muses et que, conformé- 
ment d’ailleurs à la tradition, il donne à Calliope la première 
place. Est-ce au titre seulement de l'épopée et de l'éloquence ὃ 
La subordination d'Uranie, muse des choses du ciel, à l'égard 
de Calliope, suggère l’idée que la double fonction de celle-ci 
relève en effet de quelque principe commun, qui ne peut 
être que la philosophie !. Il ÿ aurait donc là, au moins pour 
ce qui regarde l’éloquence, une sorte de présage de l’exis- 
tence d’une rhétorique philosophique et de sa relation néces- 
saire avec l'étude du ciel et de la nature entière (269 d sqq., 
surtout e-270 c). Au surplus ce qui est dit de l’incomparable 
valeur de « la musique » de ces deux Muses est tout à fait dans 
le sens de ce qu’on lit dans le Timée (47 de), où les mouve- 
ments de notre âme, leur harmonie et leur rythme, sont 


Le mythe 
des Cigales. 


1. Que Calliope fût chez les Pythagoriciens le nom de la philoso- 
phie (p. 60 n. 1), Maxime de Tyr (VII 2. 63) est seul à le dire, mais 
peut-être à bon droit ; cf. Empédocle, fr. 131 Diels. 


NOTICE XXXVII 


, manifestemont liés, à la fois à la musique proprement dite 
et à l'astronomie, dont on connaît d’autre part l'étroite cor- 
respondance. En second lieu, ce sont les cigales elles-mêmes 
qui sont en quelque sorte promues en dignité. Elles se rat- 
tachaient tout à l'heure à cet ensemble d’influences locales 
qui ont inspiré à Socrate une éloquence mensongère (cf. 262 
d). Maintenant encore ce sont des sorcières, dont l’inlassable 
claquette travaille à endormir la pensée du philosophe. Ces 
sorcières toutefois récompensent celui qui résiste à leurs malé- 
fices : si Phèdre et Socrate ne trahissent pas la philosophie 
au profit d’un repos animal, s’ils persévèrent dans leur 
enquête sur la rhétorique, ce sont elles qui devant Calliope 
et Uranie en porteront témoignage. 

Ainsi le mythe des Cigales serait autre chose qu'un inter- 
mède. Il est comparable à ce qu’est dans le Phédon (84 e-85 b) 
le mythe des Cygnes, les oiseaux d’Apollon, qui rappelle le 
thème apollinien du début (60 e-61 b) pour en faire repartir 
ensuite le dialogue. De même, le mythe des Cigales est comme 
le pivot du Phèdre. Le second discours de Socrate nous a fait 
monter jusqu’au plan le plus élevé dans la conception de 
l'amour. Mais nous n’en avions pas fini avec la rhétorique 
et il nous faut revenir à notre point de départ. Ce sera pour- 
tant dans d’autres conditions, et l’objet de cet intermède 
apparent est de le faire sentir. Un nouvel exemplaire de 
discours s'est en effet ajouté à ceux qui remplissaient la pre- 
mière partie. Du point de vue supérieur jusqu'où il nous a 
élevés, nous recommencerons notre enquête, mais avec de 
plus vastes horizons, non pas seulement sur la rhélorique, 
mais sur le rapport qui l’unit à l’amour et au-dedans de l’âme. 
Nous voici donc au seuil d’une troisième partie ; elle se lie 
aux deux autres de la façon la plus intime et elle en fait 
comprendre la destination. C’est un nouveau motif de 
reconnaître combien est solide, et même particulièrement 
serrée, la texture du dialogue. 


Cette troisième partie peut à son tour se 
subdiviser en trois sections. Dans la 
première, après avoir déterminé les 
conditions les plus générales auxquelles doit satisfaire toute 
œuvre d'un art quelconque, on s'interroge sur les œuvres 
que produit l’usage de la rhétorique; et d’autre part, en 


La troisième 
partie. 


'XXX VIII PHÈDRE 


expérimentant sur des exemples, on cherche dans quel cas 
l'usage ne satisfait pas du tout à ces conditions générales, ou 
bien y satisfait d’une façon incomplète, ou enfin totalement. 
Une seconde section envisage l’enseignement de la rhétori- 
que, et dans ce qu’il comporte, et par rapport à la contribu- 
tion historique des Maîtres à la constitution de l’art enseigné 
sous ce nom. Enfin, dans la dernière section, à cette rhéto- 
rique de fait Platon oppose ce qu’on pourrait appeler une 
rhétorique de droit, rhétorique philosophique qui n’est autre 
‘chose qu’une mise en œuvre pratique de sa dialectique. 


Ι — A. La question à examiner en pre- 

Quels sont leS  mier lieu (259 e sqq.) est celle qui 
γἐδιτρα γιὸ τ a été posée tout à l'heure (258 d): 

ἃ se dire un art? Comment et pourquoi parler et écrire, 
actes qui en eux-mêmes n'ont rien de 

repréhensible, ni, ajouterions-nous, de spécifiquement méri- 
toire, peuvent-ils être tantôt quelque chose de mauvais et 
tantôt quelque chose de bon ? Ce dernier résultat, Socrate 
en a la certitude, ne sera obtenu qu’à une condition : connaître 
ce qui est la vérité sur le sujet dont on traite. Ce n’est pas là 
pourtant ce que Phèdre a appris à l’école de la rhétorique : 
si le but à atteindre est de persuader des auditeurs (ou des 
lecteurs), ce n’est pas le vrai qu’il importe de savoir, sur la 
justice par exemple, mais uniquement, puisque ce sont eux 
qui doivent juger et décider, quelle est là-dessus leur opinion, 
de façon à utiliser cette opinion pour produire en eux telle 
conviction qu'on veut obtenir. Soit ! réplique Socrate, appli- 
quons donc ceci à un exemple : je ne sais pas ce qu'est un 
cheval ; jesais uniquement que, dans l’opinion de Phèdre, c’est 
entre les animaux domestiques celui dont les oreilles sont les 
plus longues ; la rhétorique m’autorisera-t-elle à lui persuader, 
en conformité avec cette opinion, qu'il fera bien, ayant 


1. La prédilection de Platon pour les divisions ternaires se mani- 
festait dans le Phédon et dans le Banquet. De fait, ici, cette troisième 
__ partie est à la première, j'ai tenté de le montrer, dans un rapport 
dont la seconde est justement la clef. Est-ce à dire pourtant qu’elle 
doive comprendre tout le reste du dialogue ? Je ne le pense pas : 
dans ce reste, en effet, il y a une coupe si nettement marquée à 
274 b, qu’il me semble impossible de ne pas considérer comme une 
partie distincte tout ce qui concerne la valeur propre de l'écrit. 


NOTICE XXXIX 


besoin d'un cheval pour la guerre, d'acheter cet animal aux 
longues oreilles ? Il n’y a qu’à transporter cet exemple au cas 
de la distinction du bien et du mal, pour se rendre compte 
de ce que peut valoir en ses fruits une rhétorique ainsi 
conçue. Peut-être y a-t-il cependant, dans l'expression d’un 
. tel grief, une simplicité quelque peu brutale. La rhétorique, 
par la voix d’un de ses suppôts (Notice, p. cLxvin1 sqq.), répon- 
dra que la connaissance de la vérité est préliminaire sans doute, 
mais insuffisante pour savoir persuader et que, si le but du 
discours est de persuader, on ne saurait se passer de la rhé- 
torique, l’art qui en enseigne le moyen. — Ainsi une sorte 
de procès est engagé, où la rhétorique est défenderesse. Le 
demandeur lui refuse le droit, telle qu’en fait elle se comporte, 
de se dire un art, une discipline capable d’être transmise par 
l’enseignement ; il soutient qu’elle n’est au contraire qu’une 
grossière routine. Il procède donc, selon l’usage, à l’interro- 
gatoire de la partie adverse (p. 62 n. 3). 


B. Le but de la rhétorique, deman- 

La rhétorique  dera-t-il, n'est-ce pas de « diriger les 

à ppshdtoote » mes » par la parole, d’être une psy- 
de l'illusion. chagogte *, comme il existe une pédagogie 
dont le but est de diriger l'enfance ἢ 

Est-elle cela dans toutes les circonstances possibles, soit 
publiques, devant l’Assemblée du Peuple ou au Tribunal, soit 
privées, et quelle que soit d’ailleurs l'importance du sujet 
ou l'étendue du discours? C’est seulement, répond la 
rhétorique, dans les deux premiers cas, ce qui implique que 
le sujet est important et que le discours sera étendu. Mais, 
riposte le demandeur, dans l’Assemblée ou au Tribunal 
n'est-ce pas une controverse qui s'engage, une anlilogie, où 
s'affrontent deux parties dont chacune cherche à faire croire 
aux mêmes gens que la même chose est juste ou injuste, 
bonne ou mauvaise ? Or n'est-ce pas ce qui se passe aussi 
dans des discussions en petit cercle et portant sur de petits 
intérêts, ainsi l’argumentation de Zénon d’Élée sur la plura- 
lité et le mouvement ? C’est donc que le domaine de la rhéto- 


1. Sur cette expression, cf. p. exLui et cxLvir. Je m’attache seule- 
ment ici à marquer l’enchaînement des idées ; ces questions seront 
examinées spécialement dans la s-ction VI. 


ΧΙ, PHÈDRE 


rique est bien plus vaste qu’elle ne le croit, mais que, d’autre 
part, son caractère essentiel est de s’appliquer, autant que 
faire se peut et à l'égard de gens capables de s’y laisser pren- 
dre‘, à assimiler ceci à cela qui en diffère et à seule fin de 
créer une illusion, ou bien au contraire à déjouer dans le 
discours d’autrui de telles assimilations illusoires. Or, 
comment pourra-t-on pratiquer contre autrui cet art d’illu- 
sion, ou bien éviter d’en être dupe soi-même, si l’on n’est pas 
capable de distinguer des choses qui se ressemblent ? Car le 
terrain privilégié d’un tel illusionnisme est celui sur lequel 
on peut insensiblement glisser d’un terme à celui qui en est 
réellement le contraire ?. Produire l'illusion aussi bien que 
la discerner suppose donc qu’on ne se contente pas d’opérer 
sur des opinions incertaines et vagues, mais que l’on connaît 
l'essence vraie de ce qui, peu ou prou, se ressemble?. Autre- 
ment, la rhétorique n’a aucun droit de se présenter à la barre 
pour prétendre qu'elle est un art. 


C. Mais tout cela n'est-il pas trop peu 
concret ? Pour nous rendre compte de 
la différence qui sépare un discours fait 
avec art d’un discours sans art, considérons, dit Socrate, les 
trois discours qui ont été prononcés sur l’amour: celui de 
‘Lysias et les deux miens. Et Phèdre d'approuver ; élève des 
rhéteurs, il est en effet habitué à étudier sur des « exemples », 


Le recours 
aux exemples. 


1. À 261 e 3 οἷς est, je crois, un masculin et, de même, ἐν τοῖς 
ἄλλοις 262 a τι. Cette proposition correspond à celle de c 10 sq., 
où Platon a distingué entre l’objet dont on parle et les sujets à qui 
l’on s’adresse. Nous savons tous ce que c’est qu’un âne et ce que c’est 
qu’un cheval ; on n’a donc aucune chance de faire prendre à quel- 
qu’un un âne pour un cheval; c’est ce qui faisait de l’exemple 
précédent un argument à la fois comique et péremptoire. Mais il 
n’en est pas ainsi pour le juste et l’injuste ; aussi, devant des sujets 
qui, sur ces objets, ignorent la vérité, aura-t-on beau jeu pour tout 
brouiller sans qu’ils s’en aperçoivent. 

2. Le genre « ressemblance », dit le Sophiste (231 a) exige qu’on 
soit constamment sur ses gardes, car «il n’y a pas de genre plus 
glissant ». 

3. Il suit de là qu’en cette matière l’art véritable ne peut appar- 
tenir qu’à celui qui emploie à faire illusion un savoir authentique ou 
qui joue, comme Socrate, la comédie de l’inscience. Cela rappelle, la 


, NOTICE XLI 


qui sont les compositions « épidictiques » du maître. Oui, 
poursuit Socrate, c’est une heureuse chance, vraiment, 
qu’aient été prononcés les deux discours qui offrent quelque 
exemple de la façon dont on peut, bien qu’on connaisse la 
vérité, se faire de la parole un jeu pour égarer ceux qui vous 
écoutent (cf. 265 cs. fin.). Les deux discours en question ne 
peuvent être, à mon avis, que le discours de Lysias et le 
premier discours de Socrate ‘. N'est-ce pas tout d’abord une 
heureuse chance que Socrate ait rencontré Phèdre et qu’ainsi 
il ait connu le discours de Lysias? De plus, c’est encore un 
hasard, heureux en un sens, que du lieu même où ils se sont 
arrêtés émanent tant d’influences particulières (cf. p.xxxirsq.), 
sans lesquelles jamais Socrate n’eût cédé aux objurgations de 
Phèdre ni repris à son tour le thème de Lysias. D’un autre 


suite l'indique assez clairement (262 d et p. 66 n. 2), l’audacieux 
paradoxe par lequel Platon, jeune encore, traduisait en termes 
saisissants sa conviction profonde de la valeur absolue du savoir, le 
paradoxe de l’Hippias minor. En même temps, cela annonce l’ana- 
lyse, plus subtile et plus nuancée que Platon, vieillard, consacre à 
la question dans le Sophiste (233 a-236 d et surtout 266 d jusqu’à la 
fin du dialogue) ; analyse préparée d’ailleurs par celle qu’on trouve 
au livre X de la République, notamment 596 a-603 a. Ces analyses 
envisagent la mimétique, l’art de l’imitation. Dans cet art le Sophiste 
distingue explicitement une production de réalités vraies, qui sont 
des copies, et une production de simulacres, qui sont de fausses 
apparences. Mais, parmi les simulateurs dont les produits sont de ce 
dernier genre, il distingue ceux qui ont la connaissance vraie de ce 
qu’ils imitent et ceux qui en sont dépourvus : l’art des premiers est 
une mimétique informée (ἱστοριχή τις μίμησις) et celui des autres, une 
mimétique d’opinion, une doxomimétique. Puis entre ces derniers 
apparaît encore une nouvelle distinction : il y a le simulateur candide 
(εὐήθης), qui croit savoir ce que réellement 1] ignore (ce serait ici le 
public, qui se croit en état de juger et de décider, cf. 260 a) et le 
simulateur astucieux (εἰρωνιχός, cf. ici 271 c déb.), qui affiche exté- 
rieurement un savoir dont, au-dedans de lui-même, il sent l’effroyable 
néant ; selon que son hypocrisie s’exerce dans des assemblées publiques 
ou dans des réunions privées, en longs discours ou bien en argumen- 
tations, c’est ou bien un orateur populaire ou bien un sophiste. Dans 
l’un des cas comme dans l’autre, le Phèdre dirait, d’une façon géné- 
rale, que c’est un orateur (cf. p. xx n. 3). 

1. Sur ce point je m’écarte à regret de l'opinion de M. Bour- 
guet : il s’agit ici d’après lui (art. cit. p. 338) des deux discours 
de Socrate. | : 


XLII PHEDRE 


côté, jouer de l’éloquence pour tromper l’auditeur quoiqu’on 
sache soi-même ce qui est vrai, cela convient seulement, et 
au discours de Lysias en une acception ironique et comme 
si celui-ci dissimulait ce que réellement il sait (comparer 271 
c déb.), et au premier discours de Socrate, puisque le mensonge 
de ce discours est celui de l’homme qui sait ce qui est vrai. 
Sans doute une telle connaissance de la vérité est-elle pareil- 
lement impliquée par le second discours ; sans doute celui-ci 
est-il pareillement un jeu oratoire (cf. 265 c, déb. et fin); 
sans doute aussi suppose-t-il une heureuse chance, savoir que 
la voix démonique soit intervenue pour déterminer Socrate 
‘à sa « palinodie ». Il n’en est pas moins vrai qu’il n’a rien 
à voir avec l'opposition, si nettement marquée ici, entre 
vérité au-dedans de la pensée et mensonge dans l'expression 
de cette pensée au dehors. Enfin n'est-ce pas intentionnel- 
lement, plutôt que par négligence grammaticale, que, parlant 
des deux discours, Platon a écrit qu'ils contiennent un exemple 
d’une telle opposition ? En fait, d’ailleurs, c’est par le discours 
de Lysias que commencera cette leçon des exemples ; la cri- 
tique qu'on en a faite du point de vue de la forme doit tout 
naturellement dispenser d'examiner pour lui-même le premier 
discours de Socrate, car il en corrigeait seulement les défauts 
de forme ; l'unique leçon à en tirer, on le voit en effet (265 
a), est celle qui résulte de sa relation au second discours, en 
tant qu'avec celui-ci la considération du fond remplace celle 
de la forme, et que la vérité y est cette fois proclamée par 
l’homme qui la connaît. Ainsi les trois discours seraient trois 
exemples : celui de Lysias, de jeu mensonger sans art; le 
premier des discours de Socrate, de jeu mensonger avec art ; 
le second, de jeu à la fois véridique et plein d'art. 

La critique du discours de Lysias (262 d fin sqq.) porte 
sur deux points. Le premier précise des indications antérieures 
(cf. 261 cd): le domaine où se meut la rhétorique dans toute 
son extension, c’est celui de ressemblances qui favorisent le 
passage inaperçu d’une notion à son opposé. Ici ce sont de 
nouveau les notions de juste et d’injuste, de bien et de mal 
qui servent d'exemple pour montrer que nulle part la rhéto- 
rique n’est plus à son aise pour produire l'illusion que sur 
les sujets qui prêtent à controverse, étant de ceux sur lesquels 
flotte, hésitante, la pensée, non seulement de divers hommes, 
mais de chacun de nous en des moments divers. Pour parler 


NOTICE ΧΕΙ 


ou écrire avec art il est donc indispensable d’avoir tout 
d’abord déterminé si tel n’est pas le cas du sujet à traiter et, 
ensuite, de s'être mis d'accord sur une définition de la chose 
dont il s'agit (cf. 237 c, 277 b). Or c’est précisément le cas 
de l'amour: sans quoi Socrate n'aurait pu à son égard adopter 
successivement dansses deux discours deux attitudes contraires. 
Lysias est donc fautif de n’avoir point, comme l’a fait Socrate 
au début de son premier discours, défini la conception qu’il 
s’en faisait. — Le second point sur lequel on voit que 
Lysias a manqué d’art (263 e déb.) se lie à cette première 
faute : ne sachant pas de quoi il parlait, il ne pouvait ordon- 
ner convenablement son discours ; il a commencé par la fin; 
l'ordre des parties, étant indifférent, est interchangeable. C’est 
donc une composition inorganique. 

Ce qu’en premier lieu révèle d'autre part l'exemple de la 
relation qui existe entre les deux discours de Socrate (264 e 
sqq-), c’est l'importance significative de leur contrariété. Cette 
contrariété nous mène en effet à reconnaître qu'il y a deux 
espèces du délire, dont l’une est une vraie maladie dans 
laquelle déchoit notre nature humaine, tandis que l’autre 
est une possession divine par laquelle nous sommes au 
contraire élevés au-dessus de nous-mêmes. Il est possible que 
la première espèce corresponde à ces délires dont parle le 
Timée (86 b sqq.) et qui sont suffisamment expliqués par des 
états du corps. Mais il me paraît plus probable, étant donnée 
la façon dont cette distinction est introduite, qu’elle doit 
être rapportée à la différence d'inspiration, déjà notée, des 
deux discours (cf. p. xxx sqq.). Or l'amour, de son côté, ἃ 
été reconnu pour être un délire, aussi bien par le premier 
discours (241 a 4, b8; cf. 238 e fin) que par le second. En raison 
toutefois de cette différence d'inspiration, le premier a consi- 
déré ce délire comme un mal : jeu impie ; le second y ἃ vu au 
contraire la plus belle des formes de délire qu’il a distin- 
guées ἡ : jeu sacré et qui rend au dieu Amour l'hommage 
auquel il a droit. Peu importe à quoi Platon a pu penser au 


1. Il est assez surprenant que Platon présente à 265b la distri- 
bution des quatre formes du délire entre quatre divinités comme si 
elle correspondait exactement à la division de 244 b sqq., alors qu’elle 
constitue une nouveauté réelle. On ne peut cependant soupçonner 
ici une interpolation. 


IV. 3. — d 


XLIV PHÈDRE 


juste quand il avoue n’avoir sans doute pas réussi à garder le 
contact avec la vérité (p. 71 n. 2); l'essentiel, c’est que cet 
hommage est lyrique et mythique, et que le moment où 
Platon caractérise ainsi son deuxième discours est celui où il 
introduit la notion de la méthode dialectique (265 bc). En 
tant qu’il est un hymne mythologique, ce deuxième discours 
est en lui-même un mélange, c’est-à-dire qu’à la fiction poé- 
tique se mêle une vérité. Mais ce n’est pas par lui-même 
qu’il a motivé l'introduction de la dialectique, c’est par son 
opposition au premier discours et, comme dit Platon, par 
la façon dont on ἃ pu passer ainsi du blâme à l'éloge, 
reconnaître la nécessité d’une division, donc d’une spécifica- 
tion. Aussi, quand Socrate, un peu plus loin (e), parle des 
deux discours grâce auxquels ce résultat a été obtenu, est-il 
évident qu’il ne s’agit plus des deux discours, pareillement 
mensongers, dont il était tout à l’heure question (262 c fin): 
celui de Lysias est explicitement mis hors de cause (264 e), et 
ce qui est par conséquent instructif, c’est la relation du second 
discours de Socrate au premier. Or ils ont envisagé l’égare- 
ment d'esprit dans l’unicité de sa nature; mais, tandis que 
l’un a taillé d’un côté et ainsi a abouti à déterminer la branche 
gauche et funeste de cette nature, l’autre a taillé du côté 
droit et abouti à déterminer une branche droite, ce qui lui a 
permis de découvrir une sorte divine d’ amour, qu il a louée 
comme il convient (265 e sq.). En résumé, si l’on veut être 
capable de comprendre comment à une rhétorique fondée sur 
le pur empirisme on pourra substituer une rhétorique philo- 
sophique, il est également impossible d'isoler le premier 
discours de Socrate de celui de Lysias et, l’un de l’autre, les 
deux discours de Socrate. Ainsi se manifeste à nouveau, et 
d’une façon particulièrement éclatante, l’unité de composition 
du dialogue, puisqu'ainsi on voit quelle étroite solidarité 
lie l'examen de la rhétorique à la conception de l'amour. 
IT. — Mais Phèdre ne connaît qu’une 
rhétorique, celle des rhéteurs qui sont 
ses maîtres: une rhétorique qui dépen- 
drait de la dialectique ne dit rien à son esprit (cf. p. 73 π. 3). 
11 réclame donc qu’au contraire, en face de la dialectique, 
on envisage la rhétorique en elle-même et à titre de genre 
indépendant (266 c). Si c’est une discipline autonome, elle 


La rhétorique 
actuelle. 


NOTICE XLY 


doit avoir des règles techniques qui lui soient propres (cf. 269 
bc). Aussi y a-t-il lieu de passer en revue le contenu des 
livres où cette discipline est exposée, de nommer quelques- 
uns des maîtres qui en ont fait profession (cf. section PT). 
Ce qui seul à la vérité nous intéresse présentement et par 
rapport au développement du dialogue, c’est l'examen cri- 
tique de cette prétendue discipline (268 a sqq.) : c’est en effet 
de cet examen que sortira, réclamée par Phèdre lui-même 
(269 c), la notion d'une rhétorique qui mérite d’être appelée 
un art. Cet examen se fait par une méthode comparative : 
quelles sont les exigences des arts incontestables et, pour 
ainsi dire, constilués, ayant des représentants illustres et dont 
l'avis fait autorité quant aux exigences de chacun de ces arts? 
Or le médecin, le poète tragique, le musicien s'accordent à 
reconnaître que l'exercice de leur art suppose des études 
préliminaires spéciales : un médecin par exemple, avant de 
soigner des malades, doit avoir appris quel est l’équilibre du 
chaud et du froid dont est faite la santé, quelles sont les 
espèces de perturbations qui peuvent survenir dans cet équi- 
libre générique, quelles sont pour chaque effet curatif à 
obtenir les ressources de la thérapeutique. Mais il sait aussi 
que de telles connaissances, purement formelles, ne suffisent 
pas pour être capable de guérir quelqu'un : la grande affaire, 
c'est de les organiser et de les mettre en œuvre en les adaptant 
à des sujets individuels et à des circonstances singulières 
(268 b s. fin. ; cf. 270 b). Tout au contraire, la rhétorique 
met le tout de l’art dans une théorie qui ne concerne que les 
éléments, qui est scolaire et livresque, qui se flatte d'être 
exhaustive parce que, dans l’abstrait et artificiellement, elle 
envisage les opposés d’un même genre. Quant au surplus, 
qui est véritablement l'essentiel, elle n’en a cure et c’est 
affaire aux élèves de se débrouiller tout seuls quand ils auront 
à parler ou à écrire. Or ce surplus, il n’y a que l’exercice de 
la dialectique qui puisse le donner {269 bc). C’est justement 
ce qu’expliquera Platon par la suite quand 1] parlera de la 
rhétorique philosophique. 


τα, Surtout 271 c-272 b. C’est de cette déficience de la rhétorique 
actuelle que témoignait déjà l’examen critique du discours de Lysias, 


235 e sq., 262 d-264 e. 


XLVI PHÈDRE 


ΠῚ. Celle-ci, la vraie, Platon l'envi- 
sage à trois points de vue: il en déter- 
mine les conditions, il en explique la 
méthode, il en précise l’objet par opposition à la rhétorique 
actuelle. 

A. Il commence par prendre à son compte, pour le moment 
du moins, une proposition qui n’était sans doute déjà qu’un 
lieu commun’, mais il en renouvelle complètement l'esprit 
par le commentaire qu'il fait ici du mot savoir. Les dons 
naturels sont assurément indispensables à l’orateur. Mais, 
comme il va le montrer par l'exemple de Périclès (270 cd?), 
ces dons ne sont rien s'ils ne sont soutenus et consolidés par 
un savoir authentique et approprié, si l’on ne rencontre en 
outre le maître capable de réaliser un tel accord, si l'on ne 
pratique enfin la méthode qui convient à l'usage de ce savoir. 
N'est-ce pas justement toute la doctrine de l'éducation dans 
la République ?. Elle définit le naturel philosophe, en même 
temps qu’elle explique comment il se corrompt (VI 485 a-487 
a, 489 e-495 c); elle indique par quelle sorte d’instruction, 
d’abord scientifique, proprement philosophique ou dialectique 
ensuite, et qui est l'instruction donnée par les maîtres de 


La 
vraie rhétorique. 


1. On la rencontre, à peu de chose près, dans Protagoras (Vorso- 
kratiker ch. 54, B 3) ; sous la même forme qu'ici, dans l'écrit connu 
sous le nom d’Anonyme de Jamblique et qui est probablement contem- 
porain de la guerre du Péloponnèse (95, 13 544. Pistelli — Vorsokr. 
ch. 82, 1-3; dans les Doubles raisons (δισσοὶ λόγοι où Dialeæeis) 
9, 2-4 (chap. 83 des Vorsokr.) ; dans l’écrit hippocratique Sur la loi 
2 (LV 638 Littré). Voilà pour le v® siècle ; mais au temps de Platon 
d’autres que lui lutilisent également comme un principe, cf. 
P- CXLVI, CLI D. I et CLX VIII. 

2. [Il ne me paraît guère douteux, malgré l’opinion contraire de 
Burnet, que à 270 a 5 il faille lire, avec les meilleurs mss. et avec 
Hermias, ἀνοίας, absence d'intelligence, et non διανοίας, pensée discur- 
sive (par opposition à l’Intelligence souveraine). Mais il est peu vrai- 
semblable que, comme le voudrait Hermias (244, 15), l'absence 
d'intelligence désigne la matière, c’est-à-dire le mélange infini des 
particules, sur laquelle, d’après Anaxagore, agit l’Intelligence. El y a 
là, me semble-t-il, une plaisanterie, à la fois sur l’impopularité où 
finit par tomber l’ami du Nous, c’est-à-dire Périclès, et sur le procès 
intenté au Nous lui-même, c’est-à-dire à Anaxagore : c’est ainsi 
qu'ils en sont venus à connaître, l’un comme l’autre, l’envers de 
l'intelligence, autrement dit l’anoia. 


»"» 


NOTICE XLVII 


l'Académie, un tel naturel sera conservé ; elle suppose enfin 
des exercices appropriés d'entraînement (VII 521 c sqq., 535 
a sqq.). Le caractère fondamental du savoir ainsi acquis, 
c’est, nous le voyons ici, qu'il soit désintéressé et général : 
désintéressé (269 d, 270 a), ce qui le fait prendre par les sots 
pour un vain bavardage et une réverie « dans la lune », et, 
pour le caractériser, le Phèdre use des mêmes termes que la 
République(VI488 e sq. 3); général (270 bc), parce que chaque. 
chose est solidaire du tout, et c’est la République encore qui 
insiste (VII 537 c) sur l’aptitude caractéristique du dialecti- 
cien philosophe à voir les choses dans leur ensemble, à être 
un esprit synoptique. Là-dessus Platon indique à quelles 
conditions générales la recherche doit satisfaire pour n’être 
pas un tâtonnement d’aveugle ?, à quelles conditions d'autre 
part devrait avoir satisfait la rhétorique avant de prétendre se 
constituer en discipline autonome (270 e sqq.). Ce n’est pas 
encore la détermination de sa méthode propre, mais c’est ce 
qui y achemine. L’exemple de la médecine lui sert à expliquer 
sa pensée. On ne peut en effet soigner le corps sans savoir de 
quel ensemble naturel il fait partie, sans savoir quelle en est 
la nature et si elle est simple ou composée, sans connaître, 
dans ce dernier cas, le nombre des parties composantes et la 
fonction de chacune d'elles, sans avoir déterminé dans ce 
domaine toutes les actions et les effets qu'il est utile de 
connaître. Si donc la rhétorique est une psychagogie et si, par 
conséquent, son objet est l’âme pour y produire la persuasion, 
c'est ainsi qu’elle devrait procéder, considérant d’une part les 
espèces d’âmes et, de l’autre, les espèces de discours, déter- 
minant sur quelles âmes agiront tels discours (cf. cxLvi sqq.). 
Mais comment cela se comprendrait-il si le second discours 
de Socrate sur l'amour ne nous avait en effet pourvus d’une 
théorie de la composition de l’âme? Une classification des 
genres d’âmes ne s’explique que par la prépondérance de tel 
ou tel des éléments opposés entre lesquels normalement 1] 
doit y avoir harmonie : n'est-ce pas ainsi que s’explique la 
diversité des tempéraments physiques et la possibilité de les 
classer ? Ainsi, une fois de plus, la relation du second discours 


1. Cf. p. 79 n. 2. Voir en outre Parménide 135 d. 
2. On pourrait utilement comparer le passage de 270 de avec le 
début de la IVe des Regulae de Descartes. 


XUVIIH PHÈDRE 


à l’ensemble est évidente, et en même temps on voit en quoi 
ce discours sur l’Amour est un exemple de ce qu’est une 
rhétorique fructueuse et qui tend à la vérité. 
B. Voilà donc la vraie façon, qui n’est pas celle dont 
arlent en fait les Maîtres, de bien parler et de bien écrire. 
Mais Phèdre, cette fois encore, n’a pas compris: il ne voit 
pas que la méthode de la rhétorique est impliquée par les 
conditions de ce qu’elle doit être et il demande quelle peut 
bien être cette façon de s’y prendre. Ainsi Socrate se trouve 
amené, en reprenant ce qu'il a déjà dit, à déterminer avec 
une précision accrue la méthode propre de la vraie rhéto- 
rique (a7rc)t. Ici, il insiste davantage sur la classification 
des genres de l’éloquence, tantôt brève, tantôt émouvante, 
tantôt indignée, faisant siennes, au moins provisoirement, 
les distinctions des rhéteurs. Mais le plus important de cette 
théorie, c’est que la seule rhétorique constituant un ensei- 
gnement positif est celle qui ne se fonde pas seulement sur 
une classification parallèle des âmes et des discours, mais qui 
en outre envisage spécialement leur interaction. Au lieu en 
effet de laisser à l’élève le soin de se tirer tout seul d'affaire 
en face des cas concrets (cf. 269 c, 277c 8. in.), elle l’aura 
instruit de la même manière que, par la clinique, un 
médecin apprend à ses élèves à approprier la médication au 
tempérament du malade et aux circonstances de la maladie 
(cf. 268 b, 270 b). Instruit par une telle rhétorique, dont la 
culture dialectique est la base (cf. 266 b, 269 b, 2738 de), un 


élève saura, le moment venu, quel langage il doit tenir à 


1. Cf. p. 82 n. 2: je ne crois pas que αὐτὰ μὲν τὰ ῥήματα εἰπεῖν 
271 c Ὁ puisse signifier: dire la chose en termes propres. Toute la 
suite ne consiste-t-elle pas en effet à dire en termes propres la « façon 
de s’y prendre » (cf. b 7 οὔτοι ἄλλως, ο 3 τὸν τρόπον τοῦτον, ο 5 τίνα 
τοῦτον (τὸν tp6rov);)? D’un autre côté, l'opposition (marquée par 
μέν... δέ) ne se comprend plus entre ce qui présente de la difficulté et 
ce qu’au contraire Socrate se dit prêt à montrer et qui concerne préci- 
sément la façon dont on doit s’y prendre pour faire œuvre d’art en parlant 
ou en écrivant (ὡς δὲ δεῖ γράφειν, et μέλλε!...). En d’autres termes, 
tandis que Phèdre, ainsi que l'y ont habitué ses maîtres, attend un 
modèle ou un corrigé qui lui donne « les phrases elles-mêmes », 
un « dites ceci, dites cela », où sera mise en action la méthode de 
VPArt, c’est seulement une théorie de cette méthode que Socrate est 
prêt à lui offrir. 


NOTICE an: Le 


tels auditeurs, par rapport à telles conjonctures, et aussi 
quelles sont celles dans lesquelles il est au contraire opportun 
de se taire (271 d fin, e-272c; cf. 270e). Bref, à une 
théorie qui reste théorique ou formelle et qui est dépourvue 
d'efficacité, se substitue une théorie qui est théorie de la 
pratique et qui s'applique à un contenu réel, Ainsi se trouve 
finalement confirmée, parmi les facteurs qui conditionnent 
le mérite de l’orateur et de l’écrivain, la prééminence décisive 
du savoir. 

C. On voit mieux maintenant ce qui creuse un abime 
entre la fausse rhétorique et la vraie, entre la rhétorique de 
fait et la rhétorique de droit : c’est que l’objet de la première 
est la vraisemblance, celui de la seconde, la vérité et que, en 
fin de compte, seul est apte à produire la vraisemblance qui 
connaît aussi la vérité. Sur ce point encore, le dialogue ne 
fait que reprendre des idées déjà exposées et auxquelles des 
renvois sont fréquemment indiqués ; mais elles sont mises 
ici dans la lumière qui doit leur donner toute leur valeur 
significative. Socrate commence par réfuter une objection 
des maîtres de rhétorique : s’il y a, disent-ils, une voie très 
courte pour atteindre le but de l’Art, à quoi bon en préco- 
niser une qui au contraire comporte tant de longueurs et de 
circuits ? Oui, répliquera-t-on, s’il ne s’agit en effet, comme 
on le voit dans 165 débats des tribunaux, que d’une routine 
du mensonge (272 e-273 c), dont le but est de faire illusion 
à un juge qui n'a ni le désir ni le loisir de s’enquérir de la 
vérité, pas plus sur le fait en cause que sur la différence du 
juste et de l'injuste‘. Quand c’est à des sommets qu’on 
aspire à s'élever, on ne reculera pas devant la peine que 
coûtent les longs circuits ?. La rapidité de la marche, dira de 
même le Politique (286 d-287 a), est un avantage de second 
ordre, et, s’il faut un long circuit pour nous rendre meilleurs 
dialecticiens, plus habiles à faire toutes les spécifications 


1. Comparer Gorgias 455 a et surtout Théélèle 201 a-c. 

2. Cf. p. δά π. τ. La phrase finale de Socrate à 274 a sur l’ac- 
ceptation anticipée de toutes les conséquences que peut entraîner la 
poursuite d’une si magnifique espérance rappelle le « beau risque » 
que, dans le Phédon (114 ἃ ; cf. 84 ab), le philosophe accepte de 
courir en pariant pour la croyance à l’immortalité et pour ce qu’elle 
exige de lui dans sa vie présente. 


L PHÈDRE 

nécessaires, c’est celte voie qui dans notre estime mérite le 
meilleur rang. — Le second point est plus important 
“encore: le but apparent de la rhétorique, savoir l’action 
sociale de ma pensée sur celle d'autrui par le moyen d'un 
discours adapté à cette fin, n’en est pas le vrai but si ce 
n'est par surcroît ; ce but c’est, par mon effort vers la 
vérité, de travailler à complaire à des dieux bons ou, en 
d’autres termes, de travailler à m’élever vers un idéal dont la 
souveraine beauté embellira jusqu’à ces objets secondaires ou 
surérogatoires de mon activité (273 e sq.)'. Ici encore, le 
Politique nous fournit un commentaire instructif: quand, 
pour arriver à définir le politique, nous envisageons l’art du 
tisserand, notre but véritable n’est pas celui-là ; il est au 
delà, et c’est de nous rendre plus habiles dialecticiens (286 d). 
Ainsi, dirons-nous, une étude de la rhétorique n’est sans 
doute pas notre objet dernier : le problème de l'amour, qui un 
moment a paru n'être que l’occasion d'exemples utiles pour 
cette étude, s’affirme comme le problème essentiel ; Pamour 
est en effet, dans le fond de sa nature, aspiration vers l'idéal, 
et cet idéal, qui est le bien de l’âme, elle devient par l'amour 
capable de le retrouver et de rentrer ainsi dans sa légitime 
patrie. 


A cet endroit (274 b), le développement 
du dialogue accuse, ainsi qu'on l’a déjà 
noté en passant (p. xxxvir n.1), une. 
division assez franche pour qu’on y voie, non pas une nou- 
velle section de la troisième partie, mais vraiment une qua- 
trième partie de l’entretien. Platon déclare en effet qu'il n’a 
rien de plus à dire sur l’art et l’absence d’art dans les 
« discours », et par ce mot il a jusqu’à présent désigné à la 
fois la parole et l’écrit (cf. 258 b, 259 6, 261 b). Le but qu’on 
s'était fixé (258 d, 259e), de savoir à quelles conditions 
peut devenir mauvais ou bon un usage de l’activité qui, en 
lui-même, est indifférent, ce but est atteint. Le circuit, qui 
s'était ouvert (259 6) sur l'exigence de la vérité, se ferme ici 


La quatrième 
partie. 


1. Le souvenir de la garderie (φρουρά) du Phédon 62 b est évident 
(cf. p. 86 n. 2): les dieux sont nos maitres et nous sommes leur 
bétail humain, leurs esclaves : il ne faut ni déplaire au maître, ni 
s'évader de sa tutelle. 


NOTICE LI 


avec notre définitive accession à la sphère divine de la vérité. 
C'est alors qu'apparaît la nécessité de distinguer entre la 
parole et l'écrit, d'évaluer leurs mérites respectifs et de se 
poser, à propos de l’écrit tout seul, la question qui jusqu'alors 
concernait indistinctement l’un et l’autre. 
Peut-être n'est-ce pas d’ailleurs par 
Le mythe de Theuth hasard qu’au début de cette dernière 
577 μηυραλμρμδμς partie Platon a mis un mythe, celui de 
directe sur l'écrit. l'invention de l'écriture par Theuth 
(274 b sqq.), comme il faisait du mythe 
des Cigales une introduction à la troisième partie. Quoi qu’il 
en soit, son intention est manifeste; cette histoire est le 
symbole d’une idée (cf. p. exiv sqq.): l'écrit tue dans la 
pensée l’activité vivante de la mémoire ; il ne fait que sup- 
pléer artificiellement à sa paresse ou à ses défaillances ; c’est 
un secours étranger qui nous déshabitue de l’effort intérieur. 
Le progrès de l'instruction ne peut résulter que de la longue 
patience d’une culture dirigée par l'homme qui sait, culture 
appropriée à celui qui la doit recevoir et supposant de la part 
de ce dernier une communion avec le maitre qui la lui 
donne ; bien loin de servir ce progrès, l’écrit engendre l’illu- 
sion orgueilleuse d’un savoir dépourvu de critique et trop 
facilement acquis pour être solidement fondé (cf. 275 cd). 
On sait avec quelle sévérité Platon juge la peinture, en tant 
qu'elle est un trompe-l’œil destiné à nous donner le faux- 
semblant de la réalité vivante‘: la vie des figures qu’elle 
campe devant nos yeux est réellement une vie morte et, à 
notre appel, ces figures demeurent inertes et silencieuses. Or 
il en est de même pour l'écrit: on s'imagine y trouver une 
pensée vivante; mais, qu'on lui pose une question, il ne 
sait que se répéter ou se taire? ; de plus, incapable comme 
il est de discerner à qui il doit ou non s’adresser, il tombe à 


1. Voir p. χι, ἢ. 3 les textes sur l’imitation et, plus parti- 
culièrement, Rép. X 596 de, 597 d-598 d, 602 d et Soph. 235 e-236 c. 

2. C’est ce que disait déjà le Protagoras 32gab, mais en compa- 
rant les livres aux orateurs populaires qui parlent interminablement 
dès qu’on les met en branle et qui se taisent quand on leur pose une 
question imprévue, pareils à des vases de bronze qui vibrent longue- 
ment dès qu’on les heurte jusqu’à ce que, en y posant le doigt, on 
mette fin à cette vibration. 


LIT PHÈDRE 


l'aventure en n'importe quelles mains ; enfin, si on l'attaque, 
il ne peut se défendre lui-même (275 de; cf. 276 c, 277 e- 
278 b). C'est tout l'opposé pour la parole vivante. Sa parenté 
avec l'écrit et la communauté de ce nom de « discours » dont 
on les désigne ne doivent pas nous tromper: l'écrit est 
l'enfant bâtard de la pensée. IL n’est en effet que le fruit 
d’un divertissement, qu’elle s’est occasionnellement accordé 
en vue d’une satisfaction facile et passagère. Un écrivain 
ressemble à ceux qui s’enchantent de voir en huit jours 
pousser une petite plante incapable de fructifier et condamnée 
à une mort rapide. Toutefois le livre n’est pas toujours uni- 
quement un passe-temps dépourvu de sérieux et un pur jeu! : 
comme tout écrit, il est un moyen de remémoration (276 ἃ, 
cf. 275 a). Indication capitale, si elle doit être prise au pied 
de la lettre. La critique moderne ? s’est montrée disposée à 
voir dans les derniers ouvrages de Platon des écrits kypomné- 
matiques, destinés à rappeler pour les élèves de l’Académie 
certaines discussions ou leçons de l’école. À en juger par ce 
passage du Phèdre, cette conception pourrait être étendue à 
d’autres ouvrages : n'est-ce pas le cas, semble-t-il, même du 
Phédon (cf. ma Notice, p. χχι sq.) ? Sans doute la plupart 
rappelaient-ils à Platon la circonstance particulière qui en 
avait été l'occasion et les méditations qu’elle avait suscitées ; 
à nos yeux ils en sont au moins une image (cf. 276 a fin). 
Pour le philosophe ce seraient donc, comme il le dit lui- 
même à cet endroit du Phèdre, autant de témoignages, dont 
s’enchantera sa vieillesse, de l’activité généreuse de sa pensée, 
etil y a là une confidence que l'historien ne peut pas négliger. 


1. On ne doit pas, je crois, comme le fait Wilamowitz [ἢ 453, 
486, 487, mettre trop à l’arrière-plan, au bénéfice de la seule idée 
du divertissement, cette intention de se constituer pour l’avenir un 
trésor de remémorations, une sorte de « Journal d’un philosophe », 
conçu non pas comme la biographie d’un homme, mais comme 
l’histoire des moments d’une pensée. Une telle intention s’accorderait 
d’ailleurs, mieux que celle de se divertir, avec « cette impulsion inté- 
rieure » du poète dont parle aussi le même critique : en Platon le 
poète est en effet, si l’on peut dire, un lyrique de la pensée pure ; 
ce sont des états de sa pensée qu’il exprime avec un magnifique 
enthousiasme ; ce ne sont pas, comme chez un lyrique ordinaire, des 
états du sentiment liés aux circonstances de la vie. 

2. Par exemple Lutoslawski, Origin and growth of Plato's Logic. 


NOTICE ὃ 1111 


Qu'il y ait eu, et probablement dès la fondation de l’Aca- 
démie, des « doctrines non écrites », c’est ce dont on ne 
peut douter. Même si l’on répugne à en appeler à leur égard 
au témoignage des Lettres (par exemple VII 341 c sqq.), qui 
malgré tout demeure suspect (cf. p. xx n. 1)et qui d’ailleurs 
inquiète par son parfum d'ésotérisme, il y a tout au moins 
le témoignage d’Aristote. Le livre serait le reflet de cet ensei- 
gnement, un reflet que seraient seuls capables de reconnaître 
les privilégiés qui auraient connu la réalité ainsi reflétée. 

* Ces reflets de sa pensée, ce n’est pas au surplus pour lui 
seul que l'écrivain philosophe les recueille et les fixe : 115 
serviront aussi, ajoute Platon dans une phrase qui vaut d’être 
soigneusement notée (276 d), à quiconque marche sur les 
traces de cette pensée. Mais, comme Socrate insiste sur la 
valeur d’un tel divertissement comparé à d’autres, ce qui 
frappe l'esprit de Phèdre et ce qu'il retient, c’est seulement 
l'idée de jeu littéraire et d’exercice rhétorique (e et la note 
ad loc.) ; il concède donc que les thèmes en devront être 
ceux dont Socrate a parlé, le Juste, le Beau, le Bien (c, s. in. 
et 277e déb.). S'il y a là de sa part un malentendu, on 
verra plus tard de quelle façon il doit être dissipé (cf. 
p. exv sqq.). Toujours est-il qu'avec cette indulgence nar- 
quoise et polie qui lui est habituelle, Socrate s’abstient de 
contredire ouvertement. Il y a cependant, ajoute-t-il, bien 
plus de beauté dans une activité sérieuse s’appliquant à ces 
mêmes objets et pour eux-mêmes (cf. 278 a, de): c’est celle 
qui, appuyée sur un savoir authentique et usant de la dia- 
lectique, ensemence par la parole les âmes choisies dont elle 
a avec amour entrepris la culture. Activité essentiellement 
élective en eflet, car elle sait à l’égard de quelles âmes et 
dans quelles circonstances elle doit s'exercer ou bien s’abstenir 
(cf. 276 a). Dire d'autre part que la dialectique en est la 
méthode, c’est dire qu’elle est un entretien, car il n’y ἃ pas 
de dialectique sans dialogue ?. Et cet entretien est un ensei- 
gnement, mais ce n’est pas un enseignement dogmatique ; 
il suppose en effet une participation active du répondant 


1. C’est un problème qu’il suffit d’avoir posé et qu’il est impos: 
sible de discuter ici. Voir Paul Mazoné Sur une lettre de Platon, Aca- 
démie des Inscriptions et Belles-Lettres 1930. 

2. Cf. mon édition du Phédon, p. 12 n. 2. 


. 


L1Y  PHÈDRE 


(ou, si l’on veut, de l'élève), puisqu'à chacun de ses pas la 
recherche ne peut avancer qu’à la condition d’un assentiment 
critique donné à l’interrogateur, c’est-à-dire par l'accord des 
deux interlocuteurs‘. ‘Voilà pourquoi un tel enseignement 
n’est pas stérile, comme le serait celui qui se fige dans la 
mémoire docile de l’élève. C'est au contraire une semence 
qui lèvera dans son âme, engendrant ainsi une activité nou- 
velle où revivra ce qu’on pourrait appeler l'esprit du germe 
originaire. Enfin, de même qu’un tel discours est capable, 
quand il vient au jour, de se défendre lui-même contre les 
attaques et contre les obstacles, la continuation de sa vie à 
travers les générations lui garantit pour toujours le même 
pouvoir (276 a,esq.; cf. 278a-c). L'image qu'évoque ce 
morceau du Phèdre me semble être celle d’une association 
entre maître et élèves pour la recherche en commun de la 
vérité, et dans laquelle le maître est ‘seulement un guide. 
Comment une telle communauté ne serait-elle pas fondée sur 
l'amour, amour de cette vérité qui en est le principe et 
l’objet, amour du maître pour les âmes qu'il a choisi de 
cultiver, amour des âmes élues pour celui qui guide et sur- 
veille leur épanouissement, amour de tous ensemble pour ce 
qui est le fruit impérissable de leur mutuel amour ? Il ÿ a 
là un parallélisme remarquable avec un passage du Banquet 
(209 a-e) où, à l’idée d’une éducation fondée sur la commu- 
nauté dans l'aspiration au Vrai et au Bien, s’associe l’idée 
d’amour et de fécondité. Dans les deux cas nous serions donc 
en présence de confidences déguisées au sujet de l’Académie 
(cf. Banquet, Notice p. xcsqq.). Si ce rapprochement est 
justifié, c’est de nouveau la notion d'amour qui vient affleurer, 
comme une eau souterraine courant, invisible, à travers toute 
cette partie du dialogue, qui semblait n'être consacrée qu’à 
l'examen de la rhétorique. 


C'est là pourtant le terrain sur lequel, 
dès le début, se meut le dialogue, et 
cette surface ne doit pas finir par éclater sous la poussée de 
ce dont elle recouvre la vie secrète. Voilà sans doute la rai- 
son d’être d'une récapitulation (277 a sqq.) qui, en fait, se 


Récapitulation. 


. Cf. 277 a. Voir mon édition du Banquet p. Lxxv 54. et du 
Phédon p-58 n. τ etp. 60 n. 4. 


NOTICE LY 


borne à dessiner les grandes lignes de la troisième et de la 
quatrième parties, de la même façon que le mythe des Ciga- 
les avait lui-même pour fonction de nous rappeler quel est ἡ 
le terrain effectif de la recherche (cf. p. xxxvr sq.). — Deux 
points y doivent pourtant retenir l'attention, L'un (278 b) 
est que tout cet examen de la rhétorique a été une occasion 
de se divertir. Qu'est-ce à dire? Même la détermination 
d’une rhétorique philosophique ? Oui, même cela ; et Platon 
l'indique très clairement ensuite (c d): il n’y a qu’une chose 
vraiment sérieuse, ce sont les objets mêmes que cette rhéto- 
rique-là prend pour matière de son action, le Bien, le Beau, 
le Juste (cf. 277e déb. et 278 a) ; indépendamment de 
l'usage qu’elle en fait, la dialectique et le savoir ont leur 
valeur propre, parce que ces « augustes objets » ont eux- 
mêmes une réalité indépendante. Ajouterons-nous que 
V aspiration qui nous porte éternellement vers eux, c’est jus- 
tement l'amour totalement épuré? Aïnsi donc ce qui était 
un jeu, ce n’était pas de parler de l'amour, c'était d’en par- 
ler à propos de la rhétorique ; car c’est proprement de prendre 
celle-ci pour objet qui est le vrai jeu : füt-il voilé, le fond du 
tableau a plus d'importance que le cadre auquel est attaché 
le voile. — Le second point (278 c d) est connexe de celui-ci. 
Si la dénomination de «philosophe» est la seule qui 
convienne à l’homme qui, de toute son âme, s'attache à ces 
objets supérieurs, c’est qu’il est en effet tout entier possédé 
par le divin délire d'amour sous sa forme la plus haute, celle 
qui seule, selon la Diotime du Banquet (210 a-d, 211 c), est 
d’ici-bas capable de nous porter là-haut. — Ainsi, jusque 
dans cette récapitulation, deux lueurs viennent brusquement 
illuminer les dessous profonds du dialogue, tout en nous en 
rappelant le visible objet. C’est à ce moment en outre que 
Platon prend soin de fermer le cadre à l’intérieur duquel il 
a indiqué ces perspectives. Il avait en parlant de Lysias 
commencé de le constituer, il l’achève maintenant en parlant 
d'Isocrate. R 

Ces deux protagonistes de la rhétorique 
au 1v* siècle sont les deux termes extrêmes 
entre lesquels s’est développé tout l'entretien. Quant aux 
louanges données à Isocrate (278 e-279 b), doit-on les opposer 
aux critiques par lesquelles Lysias a été si durement malmené ? 
ou bien sont-elles une dérision ? C’est un problème très discuté. 


L'éloge d'Isocrate. 


LYI PHÈDRE 


Mais il n’intéresse pas la structure même du dialogue et 1] 
devra être examiné séparément (cf. p. czxxrr sq.). 


Un semblable souci de rejoindre l’un à 
l’autre les deux bouts du dialogue se 
manifeste dans la façon dont Platon « boucle » l’entretien de 
Phèdre avec Socrate. Au moment où les deux amis vont 
quitter leur retraite, sont de nouveau évoquées les divinités 
de l'endroit, aussi bien les Nymphes et Achéloüs que Pan, 
dont le nom est seul prononcé (279 b, cf. 278 b). On leur 
doit bien cette politesse pour les remercier d’une inspiration 
qui a permis à Socrate de prononcer son premier discours, 
sans lequel il n’y aurait pas eu lieu à la « palinodie » du 
deuxième. Dans la prière que leur adresse Socrate il y a une 
manifestation religieuse que l’on comparerait volontiers à la 
recommandation, dans le Phédon (118 a), de ne pas oublier 
le sacrifice promis à Esculape, ou, dans le Banquet (220 d), 
à la prière au Soleil. Si toutefois les divinités invoquées ici 
sont justement responsables d’une faute qu’il a fallu réparer, 
on sera fondé à se demander pourquoi c’est à des puissances 
de la Nature capables d’égarer ainsi l'esprit, que s’adresse la 
prière de Socrate. Peut-être, du fait même que la bienveil- 
lance de Pan est seule explicitement invoquée, est-il permis 
d’inférer des idées analogues à celles que le nom même de 
Pan inspire à Platon dans le Cratyle (408 b-d)!. Pan, le 
Chevrier, est d’après la mythologie fils d'Hermès, et ce der- 
nier, messager du verbe divin, a aussi pour fils le Discours. 
Pan est done frère du ou. Or Pan a une double nature : 
dans la partie supérieure de son corps sa peau est unie et 
sans poils, velue au contraire dans la partie inférieure, qui 
est d’un bouc. Cette dualité ne symbolise-t-elle pas la dualité 
d’un discours qui se partage entre le vrai, qui est uni, divin, 
tourné vers le haut, et le faux, qui est tourné vers #4 bas, 
capricant, embroussaillé ἢ Étymiclogie et mythologie s’accor- 
dent donc à suggérer, à propos de Pan, l'idée d’une synthèse 
de contraires. Dès lors le sens de la prière qui lui est adres- 
sée ici serait dans les éléments mêmes qui la constituent, et 


L'épilogue. 


1. Comme:l’a pensé Hermias, 265, 18 sqq. Il a échappé à Cou- 
vreur que le dit-il est, dans l'interprétation du commentateur, un 
renvoi non douteux au Cratyle. 


‘ 
Ἵ 


NOTICE LVII 


elle serait comparable à ce que sont, dans le Banquet, ou 
bien la généalogie de l'Amour ou, mieux encore, cette boîte 
dont Socrate est l’image et qui, enfermant une figurine 
sacrée, représente au dehors un grossier silène (cf. p. 96 n. 1). 
Que demande en effet Socrate ? Qu’à la laideur grotesque 
du dehors s’unisse la beauté du dedans et que, inversement, 
aucun des avantages extérieurs qui peuvent bien lui échoir 
ne fasse tort aux valeurs intérieures ; n’y a-t-il pas là le vœu 
implicite qu'une bestiale dégradation de l'amour ne vienne 
jamais appauvrir l’idéal qu'il s’en est fait? Puisse-t-il en 
somme être un Sage tout en étant un homme, comme Pan 
est un Dieu tout en étant un bouc! C’est, d'autre part, 
conclure à souhait un entretien sur la rhétorique, au cours 
duquel à des discours mensongers et pleins de bassesse s’est 
uni un discours plein de vérité et divinement inspiré : en 
invoquant le fils du dieu même de la parole, Pan qui est 
patron d’un double discours, Pan en qui s'unissent la bête 
et le dieu, Socrate semble demander à un dieu de la rhé- 
torique de lui épargner la dégradation à laquelle est exposé 
dans son discours quiconque méconnaît l'idéal de la parole ". 


En résumé, l’unité de la composition 
du Phèdre ne me paraît pas pouvoir 
être mise en doute. L'art avec lequel elle est réalisée est 
d’une légèreté subtile et d'une incomparable souplesse; on 
en alourdit nécessairement le libre jeu dans l'effort qu'on 
fait pour suivre ce jeu dans ses mobiles articulations. L’har- 
monie de l’ensemble y est faite de la variété des éléments, 
des sonorités, des rythmes. Ce qu’il faut chercher en effet 
ici, ce n’est pas la symétrie factice d’un plan conventionnel ; 
c'est: plutôt la puissance créatrice de la vie qui, à travers 


Conclusion. 


1. À l’égard d’un philosophe, fût-il poète, rien n’est plus légitime 
que de chercher à expliciter des intentions qu’il nous laisse deviner. 
Irait-on cependant jusqu’à penser, avec Z. Diesendruck (op. cit. 
p. 32), que la réplique de Phèdre, sur laquelle s’achève le dialogue : 
« Entre amis tout est commun ! », soit un ultime rappel du thème 
de l’amour, sous prétexte qu’elle suppose la thèse du second discours 
de Socrate et signifie l’attachement semblable de l’amant et de 
l’aimé à un bien supérieur, qui leur est commun ? Il ne faut pas voir 
partout des intentions définies. 


LVIII PHÈDRE i 


mille détours et au prix de multiples accommodements, orga- 
nise ses matériaux. Quoique cette comparaison soit celle-là 
même que suggère Platon, il en est une autre par laquelle 
est peut-être rendu plus aisément sensible l’art singulier que 
le Phèdre révèle : c'est celle qu’en ἃ faite Émile Bour- 
guet avec l'art d’une symphonie musicale. Le thème géné- 
ral est celui du discours. Mais un motif dominant se des- 
sine d’un bout à l’autre, tantôt d’une manière apparente et 
d’abord avec sécheresse puis avec une majestueuse ampleur, 
tantôt fondu dans l’ensemble et discrètement rappelé, juste 
assez pour se faire deviner: c’est le thème de l’amour. 
D’autres motifs interfèrent avec celui-là : l’un, le thème des 
divinités locales, qui est comme la voix du lieu où se déroule 
l'entretien, brode ses arabesques du commencement à la fin 
de celui-ci ; un autre est celui du délire qui, d’abord étoufté, 
se fait jour par instants jusqu’au moment où il éclate en 
accents grandioses ; un troisième, le motif de l'âme, se lie au 
thème de l’amour dont il est une variation, et le motif de 
la « psychagogie » s’y rattache à son tour. Tous ces motifs 
s’enchevêtrent sans se confondre ; ils s’annoncent, se déve- 
loppent, sont réveillés ensuite en sourdine. Joignez à cela la 
variété du ton : tour à tour froid et d’une pédanterie carica- 
turale, puis brûlant d'inspiration ; naïf ou persifleur selon que 
domine la tonalité de l’un ou l’autre des interlocuteurs ; ici 
brutal et cynique, là incisif et vengeur, selon que la parole 
est à la rhétorique ou bien à la philosophie. Ces oppositions 
ou ces alternatives se font valoir réciproquement, sans heurts 
ni dissonances criardes. 


1. ΠῚ développe cette idée avec un rare bonheur d’expression p. 346 
sq. de l’article cité p. xxvr n. 3 : « Chacune des parties composantes 
a son caractère propre, et en même temps elle contribue avec les autres 
par des variations ménagées sans choc, par le groupement et la 
valeur réciproque des effets que les morceaux successifs produisent, à 
l'effet convergent de l’ensemble... Cette œuvre, construite avec des 
mots, évoque. l’idée d’une composition musicale par les sonorités 
profondes qu’elle sait grouper. » Mais aussitôt il introduit une réserve 
pleine de sagesse : « Mème en surchargéant le Phèdre d’un commen- 
taire où tous les motifs seraient notés, je n’arriverais pas à fairé 
sentir la merveille de cet art complexe qui les a tous réunis et 
orchestrés dans le mystère d’un ensemble vivant. » 


LR AG EL © NOTICE Ye 


On s’étonne donc que les critiques anciens soient pour la 
plupart restés insensibles à une réussite aussi merveilleuse. 
La façon dont Aristote dans sa Rhétorique (111 7 fin) justifie 
par son caractère ironique l'emploi, dans certaines parties 
du Phèdre, du style de la poésie paraît indiquer que l’exem- 
ple du Phèdre était celui qu’on alléguait pour condamner 
un tel emploi. De fait, par Diogène Laërce (III 38) nous 
savons que Dicéarque, le disciple d’Aristote, était très sévère 
pour notre dialogue, y incriminant la vulgarité ou, tout au 
moins, l’enflure du style. Ce n’est donc pas, semble-t-il, sans 
motif que Denys d'Halicarnasse parle du grand ombre de 
ceux qui, avant lui, ont fait le procès du Phèdre, et sans 
doute n’était-il pas le premier à dire que l'élévation factice 
du style y dégénérait en un jargon emphatique et obscur, 
d’une affectation poétique insupportable (De Demosthene 5-7). 
: On voyait là autant d’indices d’inexpérience et, par consé- 
quent, de « juvénilité » ; ce dernier caractère est celui que 
notent pareïllement Diogène Laërce (ibid.) et Hermias. Ce 
dernier, dans le Préambule de son commentaire (9, 11-19) 
distingue trois points sur lesquels on fondait ce reproche : 
l'ambition de virtuosité qui, à un réquisitoire contre l’amour, 
fait joindre un plaidoyer en sa faveur ; la malignité chica- 
nière que manifeste la critique du discours de Lysias ; le 
manque de goût, la boursouflure, l'emphase, l’abus du style 
poétique. Peut-être la réfutation de ces griefs par Hermias 
est-elle un peu trop inspirée de l'esprit étroitement conven- 
tionnel dont ils procèdent. Elle atteste du moins l’existence, 
dont l’auteur du Traité du Sublime porte aussi témoignage, 
d'un courant opposé, néoplatonicien sans nul doute, et où la 
considération des idées prévalait peut-être sur celle du style. 
Quoi qu’il en soit, le seul fait que la composition littéraire 
du Phèdre ait été critiquée dans l'Antiquité suffit à justifier 
l'effort qu’on ἃ consacré à l’expliquer ainsi qu’à analyser le 
sentiment que nous éprouvons à le lire : celui d’être en face 
d'un art à la fois très savant et prodigieusement aisé, plei- 
nement maître enfin de toutes ses ressources. 


IV: 3: κὺρ 


Lx τ PHÈDRE 


IV 


LE DISCOURS DE LYSIAS ET LE PREMIER DISCOURS 
DE SOCRATE 


Avant d'envisager la structure et le 

I. Le discours de contenu du discours de Lysias ‘, un pro- 

à: a Han en.  blème singulièrement épineux s'impose 

tique? à nous: ce discours est-il un pastiche de 

la main de Platon ? Ou bien celui-ci a- 

t-il inséré dans son Phèdre une authentique composition de 
Lysias ? 

Entre plusieurs témoignages anciens, tous postérieurs au 
début de notre ère et qui s’échelonnent du 1° siècle à la fin 
du ν᾿, la plupart n’ont pas plus de signification que notre 
propre expression « le discours de Lysias », où nous n’impli- 
quons rien dans un sens ou dans l’autre ὃ. Deux seulement 
sont précis et formels: celui de Diogène Laërce, IT 25 (m° 
siècle), et celui d'Hermias (deuxième moitié du v°). Dans 
le premier nous lisons que Platon a réfuté le discours de 
Lysias, « ce qu'aucun philosophe n'avait fait avant lui, après 
avoir transporté dans son Phèdre ce discours mot à mot 
(ἐκθέμενος. αὐτὸν κατὰ λέξιν)». Le second affirme comme une 
chose qu’«on doit savoir », que ce discours est de Lysias, 
lui-même et, de plus, que c’est dans le recueil des Lettres 
de Lysias un morceau réputé ὃ. 


1. Une étude très approfondie en a été faite par H: Weiïinstock 
De Erotico Lysiaco, Münster, 1912. 

2. Denys d’Halicarnasse, Ad Cn. Pompeium 126 (1® s.) ; Maxime 
de Tyr, Diss. XXIV 5 ; Hermogène, De or. forma 11 477 (ces deux 
derniers du πιὸ s.). Pour le témoignage de Fronton, le maître de 
Marc-Aurèle, voir la note suivante. ᾿ 

3. Le lexicographe byzantin Suidas (x° s.) parle lui aussi des 
Lettres de Lysias, dont cinq sur sept étaient adressées à des ado- 
lescents ; mais il ne mentionne pas que le morceau du Phèdre fasse 
partie du recueil. Quant à Fronton, le fait de dire au début de son 
᾿Ερωτιχός que c’est son troisième « message » à son élève (σοι... 
ἐπιστέλλω) et que les deux premiers provenaient de Lysias et de 
Platon (διὰ Λυσίου χαὶ Πλάτωνος ἐπεσταλμένων), ce fait, quoi qu’en 
pense Thompson (p. 184 sq.), ne peut servir à prouver, ni que 


NOTICE LXI 


S'appuyant sur ces témoignages anciens, bon nombre de 
critiques modernes ont admis l’authenticité du morceau, 
que ce soit d’ailleurs une lettre ou bien ce que les Anglais 
nomment un « Essai ». Il y aurait, dit-on, de la part de 
Platon une inconcevable stupidité à critiquer, avec l’âpreté 
qu'il y met (234 d-236 ἃ. οἱ surtout 262 d-26/ e), le discours 
de Lysias si la pièce était de sa main à lui, au lieu d’être 
connue pour être de Lysias et admirée sous son nom par 
bien des gens. Puisqu'il se proposait de montrer quels sont 
les défauts de Lysias dans ses composilions de rhéteur, pour- 
quoi én aurait-il fait un pastiche plutôt que de prendre juste- 
ment l’une de ces compositions ? Pourquoi, d’autre part, 
aurait-il commencé ce pastiche comme la suite d’autre chose 
et l’aurait-il, à chaque nouvelle lecture, repris de la même 
façon, si ce n’était réellement un fragment détaché d’une 
pièce authentique ? Pourrait-on en outre y chercher (262 cd) 
un «exemple » de l'absence d’art chez un écrivain, si cet 
exemple avait été fabriqué en vue de la critique et pour la 
justifier par avance? Au surplus, Platon a tout fait pour : 
nous épargner cette méprise : Phèdre, nous dit-il, a entendu 
Lysias lire le morceau, il lui en a emprunté le texte, il en a 
sur lui l’original ; autant de traits qui sont évidemment des- 


Fronton fût convaincu de l'authenticité du morceau, ni qu'il le 
considérät comme une lettre. L’envoi d’un écrit à quelqu'un n’est 
pas nécessaisement une « missive ». De plus, à ce compte, il fau- 
drait penser que Fronton considérait aussi comme une lettre le pre- 
mier discours de Socrate. Or celui-ci, même si on en retranche 
lVinvocation aux Muses qui précède le début proprement dit, ne 
commence nullement à la façon d’une lettre, ce qui devrait être si 
c'était déjà le cas pour le discours de Lysias ; c’est bien plutôt une 
histoire dans laquelle s’encadre explicitement un discours : « et son 
langage était celui-ci... ». Au surplus Platon parle toujours du λόγος 
de Lysias. 

1. La plus solide étude en ce sens, celle de Vahlen (Sitzungsb. 
de l’Acad. de Berlin, XXXIX, 1903), en bonne partie fondée sur 
des comparaisons de style, a décidé K. Hude à insérer la pièce dans 
son édition (Oxford 1912); ce que, par prudence, fait aussi M. Bizos 
(t. II du ZLysias de la coll. Budé, 1926). Wilamowitz, Platon 15, 
p- 259, laisse entendre qu’il s’agit là d’un fait entièrement avéré, et 
A. E. Taylor, dans son Plato (1926), p. 301 sq., estime qu’il est 
impossible sans absurdité d’en juger autrement. Voir dans Wein- 
stock, p. 34 n. 1, une liste d’autres représentants de cette opinion. 


LXI PHÈDRE 


tinés à nous apprendre que la pièce est en eflet de Lysias. 
Enfin, on comprendrait fort mal que, à la fin du dialogue, 
le talent d’Isocrate fût comparé à celui de Lysias, si ce n’était 
pas vraiment le talent personnel de ce dernier qui était en 
cause au début. 

Ces raisons sont à la vérité proprement irréfutables, et 
l'on accordera sans difficulté que les arguments du parti 
adverse ‘ n’ont rien de décisif. C’est en effet ne rien prouver 
du tout que, par exemple, de rappeler quels incomparables 
échantillons Platon a donnés ailleurs, et notamment dans le 
Protagoras et dans le Banquet, de son habileté dans l’art du 
pastiche ; de se demander par conséquent pourquoi il aurait, 
cette fois, renoncé à un procédé dans lequel il était passé 
maître. Raisonner de la sorte, c’est, dit-on, très justement, 
répondre à la question par la question, ce qui s’appelle une 
pétition de principe. 

Mais, répliquerait-on volontiers, n’est-ce pas commettre la 
même faute de logique, que de fonder la thèse de l’authenti- 
cité sur l'hypothèse des Lettres ? Il est fort à craindre en effet 
que ce nesoit justement sur la thèse que se fonde l'hypothèse : 
c'est parce qu’on croit le discours authentique et qu'il peut 
ressembler à une épître, qu'on ajoute foi à l'existence d’un 
recueil de Lettres de Lysias. Des témoignages aussi tardifs 
que ceux dont on fait état et d’une autorité aussi faible, ne 
 témoigneraient-ils pas plutôt de la facilité avec laquelle l’éru- 
dition de ces temps s’enrichissait d’une fausse monnaie litté- 
raire, que d'astucieux industriels étaient empressés à lui 
fournir, et plus particulièrement peut-être dans ce genre 
même de la Lettre? Le discours de Lysias dans le Phèdre 
pouvant en faire figure, on a pu être tenté de fabriquer quatre 
autres semblables lettres à des adolescents, puis de grossir 
encore un recueil si bien commencé (cf. p. 1x et n. 3). — 
C'est encore commettre une pétition de principe que d’ap- 


1. C'est celle qui compte le moins grand nombre de partisans, cf. 
Weinstock, p. 34 ἢ. 2. Dans Particle déjà cité, p. 343 n. 2, 
É. Bourguet se déclare beaucoup moins sensible (en 1919) qu’il ne 
l'était autrefois à l'argumentation de Vahlen, dont la thèse est lon- 
guement critiquée par Weinstock. Cf. aussi A. Diès, Autour de 
Platon (La transposition platonicienne, 1913-4), p. 419 sq., p. 423 et 
la note. 


de nées a 


NOTICE LXIIT 


puyer ὁ la thèse de l'authenticité sur l'hypothèse d’une 
manière différente de composer et d'écrire, que Lysias aurait 
adoptée, pense-t-on, à la fin de sa vie. Cette hypothèse n’a 
en effet d’autre raison que l'embarras, pareillement confessé 
par les deux partis, de retrouver dans le morceau en ques- 
tion la manière du Lysias que nous connaissons, sèche et 
grêle sans doute, habile aussi, mais sobre et naturelle, 
exempte de la préciosité et du désordre que nous voyons ici 
(cf. p. xvir sq.). Assurément, les adversaires de l’authenticité 
sont moins aventureux en supposant à ce propos que la 
composition de Platon n’est pas tant un pastiche de Lysias 
lui-même que de toute une école d'écrivains. La question 
reste, il est vrai, de savoir quelles raisons a eues Platon de 
choisir Lysias pour en faire le représentant nominal, et c’est 
une question à laquelle j'ai tenté de répondre (cf. p. χιχ 
sqq.). De toute façon, si c’est une opposition de tendances 
qu’il avait en vue, il lui fallait un nom illustre à mettre en 
face de celui d’Isocrate, l’opposition de tendances étant 
d’ailleurs aussi facile à admettre qu’une opposition de per- 
sonnes. 

Sur un terrain aussi mal connu, il est sage de ne pas 
avancer avec trop d'assurance. Ainsi, peut-on sérieusement 
prétendre que, parce que le morceau commence à la façon 
d’une continuation, Platon n’en saurait être l’auteur ? Il est 
tout au contraire permis de penser que Platon a voulu l'écrire 
sous cette forme, pour montrer d’une façon plus comique 
(264 a) à quel point, dans l’école qu'il a en vue, on dédaigne 
les exigences de la composition. — De même, c’est trop aisé- 
ment se confier à une vue arbitraire des choses que de refu- 
ser à un auteur le droit de forger, pour en analyser ensuite 
les défauts, un morceau où il rassemblera tous cés défauts 
(264 e). N'est-ce pas, au contraire, le principe propre du pas- 
tiche, même lorsqu'il n’est suivi, ni d’un « corrigé » tel 
qu'est le premier discours de Socrate, ni d’une critique? Ce 
n'est donc pas en niant le principe propre du pastiche qu’on 
prouvera quele discours de Lysias n’est pas un pastiche ! — Au 
surplus, ce n’est pas davantage parce qu'il en serait un, 
qu'il ne pourrait servir d’ « exemple ». Les deux discours de 
Socrate ne servent-ils pas pareïllement d'exemples, et, pour 


1. Ainsi que le fait Wilamowitz, loc. cit. (ici, p. Lx1 n. 1). 


LXIV PHÈDRE 


celte raison, voudra-t-on prétendre qu'ils sont authentique- 
ment de Socrate? Au même titre que le discours de Lysias 
ou que les cinq premiers discours du Banquet, ils sont conçus 
et écrits par Platon en vue de l’ensemble dont ils font partie. 
Cet ensemble, dans le Phèdre, est fait, on l’a vu, d’une gra- 
dation de contrastes harmonisés : l'harmonie subsisterait-elle 
encore si l’un de ses éléments, le discours de Lysias, était 
extérieur à l'œuvre ? S'il n’était plus que l’occasion acciden- 
telle du choix du thème de l’amour pour motif dominant, on 
enlèverait à ce thème son pouvoir vivant d'organisation, et 
au dialogue son unité intérieure originale (cf. p. χχυπι sqq., 
p. vu sq.). — Enfin toutes les notations du prologue, où 
l’on croit trouver la preuve décisive que Lysias a réellement 
écrit et prononcé ce discours, semblent bien appartenir à un 
procédé littéraire qui doit produire cette illusion dramatique 
sans laquelle l'entretien manquerait de couleur et de vie : 
c'est ainsi que dans le Banquet tout est fait pour donner à 
croire qu'il s’agit du récit, dûment authentifié et vraiment 
historique, d'un banquet qui se serait réellement tenu dans 
la maison du poète Agathon (cf. mon édition, p. xx sq:).°: 

En résumé, jusqu’à ce que les partisans de l'authenticité 
aient apporté des preuves qui ne soient pas au fond de simples 
opinions, on sera en droit, à ces opinions, d'en opposer 
d’autres qui du moins ne prétendent pas à être rien de plus, 
attendu que, dans l’état actuel de notre information, rien de 
plus ne semble permis et possible. 


De ce qui vient d’être dit il résulte que 
le discours de Lysias, étant autre chose 
qu'un prétexte, ne peut être isolé de 
l’ensemble et que par conséquent il ne doit pas, ce qui arrive 
souvent, être sacrifié dans l'étude de cet ensemble. — Ce 
qu’on y remarque à première vue, c’est qu'il est une mosai- 
que; que chaque fragment y est soigneusement travaillé pour 
lui-même ; que l’assemblage de ces fragments, loin d’être dis- 
simulé, est au contraire nettement marqué par deux parti- 
cules de liaison, dont l’une signifie un changement d'aspect 
dans un même motif et l’autre, le passage à un motif nouveau, 
Le « métier » y est donc à peu près celui que décrit Platon 
vers la fin du dialogue (278 de), quand 1] parle de ces gens 
qui consument leur existence à tourner et retourner leurs 


B. structure 
et contenu. 


ἃς; 


NOTICE - | LXV 


phrases, à coller entre eux des morceaux ou à les rogner. 
Aussi n’y a-t-il dans l’œuvre nulle vie intérieure, par assimi- 
lation et croissance organiques ; le développement se fait au 
petit bonheur, sans progrès réel de la pensée mais d’une 
façon purement mécanique et par le seul jeu des antithèses. 
Le sujet même n'’intéresse pas: c’est assez qu'il provoque 
l’'étonnement et pique la curiosité (cf. 227 cd). Enfin, c’est 
l’œuvre d’un ouvrier en mots: il les a tous bien polis, bien 
tournés ; sa langue est précise et sans bavures (cf. p. 8 n. 2 
et p. 13 η. τ). 

Il y a donc lieu d’étudier d'assez près la contexture rhéto- 
rique du morceau. Il paraît être divisé en quatre parties, plus 
une conclusion. La première, qu'on pourrait intituler 
« Amant et aimé », est précédée d’une introduction: « Tu le 
sais déjà : je te voudrais à moi. Mais ce n'est pas sous l’em- 
pire de la passion. Autrement, je ne proportionnerais pas 
à ma fortune mes dépenses en ta faveur ; ce qui prouve de ma 
part l’espoir de n’avoir pas plus tard à regretter mes bienfaits ». 
— 1° (231 ἃ vers la fin) Variation sur l’aimé : à la dépense 
s'ajoutent la peine prise et les ennuis de famille ; tandis que 
l'amant passionné s’en fait un mérite qui le dispense de gra- 
titude envers l’aimé, celui-ci n’hésitera pas à complaire à ‘un 
amant sans amour de qui il n’a pas cela à craindre. 2° 
(c déb.) Nouvelle variation, et cette fois sur l'amant : le passionné 
se dit prêt, pour l'aimé, à braver toutes les haines; mais sa 
passion, inconstante, lui fera plus tard haïr celui que jadis il 
aimait. — 3° (c fin) Reprise, du point de vue de l’aimé : raison- 
nablement, il ne doit pas céder au caprice d’une folie passa- 
gère qui, dans l’avenir, se reniera elle-même. — 4° (d mil.) 
Complément : et, s’il s’agit pour lui, entre des amoureux, de 
choisir le plus amoureux ‘, le domaine de son choix est évi- 
demment limité ; illimité au contraire, si c’est entre les 
non-amoureux qu'il veut élire le plus utile. 

La se partie traite la question au point de vue 
social. 1° si l’aimé redoute les critiques de l'opinion, il a tout 
à ce de l’indiscrétion d'un amant passionné et de sa 


1. Tel me semble être le sens ici de τὸν βέλτιστον : c’est bien celui 
« qui a le plus de valeur », non pourtant sous le rapport de l’utilité, 
mais au point de vue qui à présent occupe Lysias, celui de l’amour 
passionné. Je m’écarte en ceci de l’opinion de M. Méridier. 


LXVI PHÈDRE 


fatuité, tandis qu'un amant qui a de l’empire sur soi pré- 
fère à la vanité de se faire valoir l'avantage d’en venir à ses 
fins. — 2° (232 a mil.) Variation : de toute manière, les assi- 
duités du passionné compromettent son aimé, car celui-ci est 
soupçonné dès qu’on les voit ensemble ; mais, si l’amant est 
sans passion, on ne pense qu’à l'amitié ou à d’autres motifs 
pareïllement innocents. — 3° (b mil.) Nouvelle variation, qui 
précise ce thème de l’amitié (cf. p. 10 n. 1) : l’amitié certes 
est un lien sujet à se rompre; mais, tandis qu'avec n'importe 
quelle autre cause, le dommage est égal des deux côtés, c’est 
au contraire pour l'aimé qu'il est le plus grand s’il a déjà 
cédé à la passion d’un amoureux. La jalousie de celui-ci aura 
en effet écarté de l’aimé tous ceux dont il redoute l'influence ; 
bien plus elle le force à les éloigner lui-même ; autour de 
lui elle ruine enfin toute amitié. Inversement, l'amant sans 
passion la favorise : s’il pense en effet devoir seulement à son 
mérite le succès de ses vœux, c’est que ce mérite aura été 
reconnu de l’aimé ; en refusant son amitié à ce dernier, on 
déprécie par là même la consécration que son mérite a reçue, 
tandis qu’on la confirme dans le cas contraire ; ainsi, plus 
l’aimé aura d'amis, plus lui-même il s’estimera flatté{. 
Dans une troisième partie on se place au point de vue 
moral. 1° (232 6) Constance de l'amant sans amour: le pas- 
sionné ne songe qu’au corps, de sorte que son amitié mourra 
avec son désir ; l’autre au contraire a commencé par une 
amitié dont le motif est la valeur morale et sociale de l’ami; 
si donc à celles-ci s'ajoutent des satisfactions sensuelles, ces 
dernières ne font courir à l'amitié aucun risque. — 2° (233 a, 
mil.) Amélioration morale de l’aimé (cf. p. 11 n. 1): par ses 
flatteries, par son manque de jugement et d'équilibre, 


1. Contrairement encore à l’avis de M. Méridier, je ne pense pas 
que s'impose la correction proposée par Heindorf à d 7 et adoptée par 
d’autres éditeurs. Le sens serait alors que le motif de l’antipathie ou 
de la sympathie de moi, amant, à l'égard de ceux qui refusent ou 
acceptent d’être les amis de toi, mon aimé, c’est le dédain qu’ainsi 
ils te témoignent ou le cas qu’ainsi ils font de ta compagnie. Mais 
il semble qu'avec ce sens ne se comprenne plus la phrase de laquelle 
dépend tout le développement en cause : à quoi aurait-il servi de dire 
que ce n’est pas à sa passion, mais à son mérite propre, que l’aman 
froid doit son succès, si l’objet de son inquiétude devait τ ensuite 
la réalité du mérite chez l’aimé ὃ 


NOTICE LXVII 


l'amant passionné est un corrupteur ; l’autre au contraire, 
puisqu'il se domine lui-même au lieu d’être dominé par 
l’amour, reste toujours de sang-froid, et son indulgence est 
en même temps de bon conseil : nouveaux gages d’une amitié 
durable‘. — 3° (223 b 5. fin.) Réponse à une objection pos- 
sible ? : si la passion amoureuse devait être le principe de tout 
attachement, la force et la valeur morale des liens de la 
parenté ne se comprendraient plus. 

L'objet de la quatrième partie est d'examiner les caractères 
de la requête, selon qu’elle vient d’un amant sans passion ou 
au contraire, passionné. — 1° (233 d mil.) Le besoin à la base 
de la requête : dans ce cas on devra se dire en effet que, plus 
est grand le besoin qui fait l’objet de la requête, plus sera 
grande aussi la gratitude à espérer de celui qu’on aura satis- 
fait ; de sorte que c’est le besoin, non le mérite, qui décidera. 
— 2° (d fin) Variations ironiques sur le même thème : tandis que 
la passion d'amour est comparable à la voracité du mendiant 
ou du parasite, l'amour sans passion est une garantie de 
mérite, de reconnaissance, de discrétion, de loyauté. — 3° (234 
b déb.) Conseil final: puisque favoriser une requête dont 
tels sont les caractères, bien loin de nuire aux intérêts de 
l’aimé, les sert au contraire, celui-ci n’a pas à craindre les 
récriminations de ses proches. 

On peut maintenant conclure (b mil.): la thèse exposée 
ne signifie pas qu'entre les non-amoureux ce soit au hasard 
qu'on doive choisir (cf. 231 d, dernière section de la pre- 
mière partie), autrement dit ne pas choisir du tout. Choisir 
est au contraire un gage de gratitude et de discrétion. Si 
pourtant je n’en ai pas dit assez pour te convaincre de me 
choisir, moi qui te parle, je suis prêt à répondre à tes ques- 
tions. 

En résumé, ce discours est écrit, on le voit, en style pério- 


1. Comme à 231 b 5 et à 232 a 1, ὥστε me semble à 233 b 5 
marquer une conclusion destinée à mettre dans tout son jour l’ensei- 
gnement de l’antithèse qui précède. 

2. Bien qu'ici la section ne soit pas marquée, comme elle l’est 
ordinairement, par ἔτι dé ou xai μὲν δή, je la crois réelle ; cf. Bonitz, 
Platon. Studien?, p. 254 note. 

3. La façon solennelle dont la conclusion est présentée ici me fait 
penser qu’elle doit être détachée du reste, comme elle l’est par 
Bonitz, loc. cit. 


LXVIIT PHÈDRE 


dique (cf. Banquet Notice, p. xr). Les périodes y sont au 
nombre de quatre, dont chacune comprend un exorde et une 
conclusion. Sauf la première qui est de quatre membres 
(côla), toutes les autres en ont trois : soit en tout, avec l’in- 
troduction et l'épilogue, quinze membres, dont treize consti- 
tuent le corps même du développement et quant au rythme 
desquels il est difficile de saisir aucune relation. 


: On a vu comment et dans quelles condi- 

Fe Premier tions Socrate ἃ accepté de parler à son 
iscours k Ne - 

de ἰοδόναξδ, tour sur le thème traité par Lysias 

(p. xxx sqq.). Ce thème, à la vérité, 1] 

le change subrepticement: ce n’est en effet, dit-il, qu'une 

fiction, un faux-semblant ; l'amant en question est réellement 

amoureux, mais il veut faire croire qu'il ne l’est pas (237 ab). 

Quant au discours même, il est divisé clairement en deux 

parties : l’une concerne la nature de l'amour et l’autre, ses 

effets (237 c fin ; cf. p. 18 n. 3). Elles sont séparées par 

une pause dont j'ai essayé de déterminer la signification 


(Ρ. xxxu sq.). 


; ς La première partie, à son tour, se divise 
Première partie. Ρ " ἥ + 


très nettement en deux. Socrate com- 
mence (237 b fin-d) par établir un principe général sans 
lequel nulle question ne peut être utilement débattue : il faut 
savoir de quoi l’on débat, s’accorder sur une définition de cet 
objet ; faute de quoi, ni les interlocuteurs ne peuvent s’en- 
tendre entre eux, ni chacun ne peut s'entendre avec soi-même, 
puisqu'on ne sait au juste de quoi on parle. Or le présent 
débat porte sur les mérites respectifs de l’amant féru d'amour 
et de l’amant sans amour. A-t-on donc eu soin de définir 
l'essence (ousia) de l'amour ? Nullement. Et pourtant, si l’on 
ignore cette essence, on ne pourra y rapporter ce qu'on vou- 
dra dire sur les effets, tels qu’ils découlent de l'essence (cf. 
238 d fin). — Ce principe général posé, Socrate va maintenant 
l'appliquer (237 d-238 c). L'amour est évidemment un désir. 
Mais est-ce assez dire? De quiconque désire ce qui est beau, 
dit-on qu'il est un « amoureux » ? Il faut donc savoir quelque 
chose de plus pour être à même de saisir, à propos des deux 
sortes d'hommes sur qui porte notre comparaison, quelle 
différence il y a entre les deux déterminations en jeu : «aimer » 
et « ne pas aimer ». Mais voici que, d'un autre côté, 


NOTICE LXIX 


une remarque se présente à l'esprit: en nous tous, deux 
façons de voir se distinguent qui gouvernent notre conduite, 
et, corrélativement, deux tendances de notre activité. L'une, 
quiest instinctive et étrangère à la raison, est le désir du 
plaisir, lequel est jugé être le bien. L'autre, qui est une 
acquisition de la réflexion raisonnante et raisonnable, est le 
désir du- meilleur. Parfois elles sont concordantes, parfois 
discordantes, et alors c’est tantôt l’une qui domine, tantôt 
c'est l’autre : tantôt nous gardons la mesure, tantôt nous la 
dépassons, nous sommes tempérants ou intempérants !. Or 
l'absence de mesure a justement, dans la langue, une plura- 
lité de dénominations, grâce à laquelle nous pouvons aisément 
y distinguer une pluralité de formes ; car c’est la prédomi- 
nance de telle de ces formes en un caractère qui lui vaut le 
nom dont on le qualifie. Ainsi, nous ferons une classification 
où nous ayons chance de découvrir, entre toutes les espèces 
du désir, celle qui comporte particulièrement l'emploi de 
ces deux expressions : « être amoureux », « ne pas l’être » ; 
c'est là en effet ce que nous cherchons (cf. 238 b 8). Glou- 
tonnerie, ivrognerie sont données comme exemples de ces 
formes obsédantes et passionnées du désir, qui sont décelées 
par le nom qu'on donne au type d'homme où elles prédo- 
minent. Or, on appelle « amoureux » celui en qui est prédo- 
minante, par rapport à l'aspiration raisonnée et raisonnable 
vers le meiïlleur, une impulsion non raisonnée et. déraison- 
nable vers la beauté, désir irrésistible parce qu’il se renforce 
d’autres désirs du même groupe qui tendent spécialement à 
la beauté du corps, et c’est ce désir qu’on nomme spécialement 
« amour ». 

Cette première partie vaut qu’on s’y arrête. Elle évoque 
invinciblement tout d’abord le souvenir du Banquet (cf. p. 19 
n. 1). L'amour, y était-il dit, est amour de quelque chose; 
ce quelque chose, il le désire ; c’est ce qui est beau, et si l’on 
dit « bon » au lieu de « beau », on voit tout de suite que 


1. Les termes dont se sert Platon sont séphrosyné et hybris. Le 
dernier se rend bien par démesure. Mais le premier est difficile à : 
traduire dans toutes nos langues modernes : c’est une sagesse, mais 
principalement pratique, et surtout faite de mesure, de sorte que 
modération ou tempérance sont, en fin de compte, des équivalents 
assez exacts. 


Lxx PHÈDRE 


c'est en vue d’être heureux par la possession de ce que l’on 
convoite; si d'autre part on dit de certains hommes qu'ils 
aiment et que de certains autres on ne le dise pas, la raison en 
est qu’une espèce, l'amour au sens étroit, est désignée par un 
nom qui est celui du genre tout entier. Entre cette analyse 
et celle du Phèdre il y a toutelois de notables différences. 
L'analyse du Banquet est à la fois plus précise et plus nourrie; 
elle se poursuit avec une magnifique ampleur dans le discours 
de Diotime. Par contre, deux traits qui sont totalement 
absents du Banquet s'imposent ici à l’attention : d'une part, 
le contraste de la modération et de la démesure; de l’autre, 
l’idée de chercher dans les dénominations que le langage 
applique aux variétés de la démesure, un moyen de spécifier 
et de définir cet amour-passion dont parlait le discours 
de Lysias. Or c’est précisément parce qu'il s’agit d’un amour- 
passion que l’analyse devait être prise de ce biais. Mais d’un 
autre côté, puisqu'il est une démesure, cela nous donne à 
penser par avance qu’il y en a un autre dans le plan de la 
mesure, qui est une aspiration vers le meilleur et qui obéit à 
la rectitude : première anticipation du deuxième dicours. — 
De plus, ce contraste entre la poussée irréfléchie des tendances 
instinctives et les inhibitions réfléchies de la raison n’a plus 
du tout la même signification que chez Lysias ; pour celui-ci 
en effet le premier terme signifiait avant tout imprudence et 
inconstance, le second, aptitude à bien calculer des intérêts 
matériels dans le présent et en vue de l'avenir. Au contraire, 
tel qu’il se présente maintenant, le contraste fait penser à la 
_ célèbre analyse du livre IV de la République (439 b-440 d), 

où Platon distingue les désirs, tels que l’amour ou la faim 
et la soif, qui mènent impérieusement à leur objet ce qu’il 
y a en nous de bestial, et la réflexion raisonnante qui toujours 
s’y oppose bien qu'avec des fortunes diverses. L’analogie de 
ces deux analyses suggère, une fois de plus, qu’à l’arrière- 
plan de celle du Phèdre il y a dès maintenant l’idée que 
développera le deuxième discours. Il existe dans l’âme deux 
forces diamétralement opposées, l'une de gouvernement et 
d'ordre, l’autre d’anarchie et de désordre ; s’il arrive cependant 
que, après avoir cédé à la seconde, on en ait du remords et 
qu'on veuille dans l’avenir prêter main-forte à la première, 
cela ne signifie-t-il pas l'existence d’une force moyenne, qui 
aidera la première à maîtriser la seconde? Voilà ce que dit la 


NOTICE _ LXXI 


République, et c'est ce que, dans le deuxième discours, mon- 
trera le mythe de l’attelage ailé. Ce passage du premier dis- 
cours est donc comme un germe caché dans un sol ingrat, 
promis cependant pour plus tard à une brillante éclosion. 


La seconde partie a pour objet, on l’a vu, 
les effets de l'amour : a-t-il chance d’être 
avantageux à l’aimé ou, au contraire, de lui être nuisible 
(238 d-241 e)? Puisque la fiction, bien que démasquée, y 
reste conforme au thème de Lysias, les effets de l'amour n’y 
peuvent être envisagés que d’un point de vue unilatéral, par 
rapport à l’aimé ou l'objet de l'amour, non par rapport à 
l’amant, autrement dit le sujet : point de vue qui sera expli- 
citement rejeté par le deuxième discours (249 e ; cf. 245 b). 
D'un autre côté, comme la première partie traitait un point 
que Lysias avait négligé, c’est au contraire dans celle-ci que 
nous devons nous attendre à voir reprises et corrigées les 
raisons que Lysias avait alléguées ‘. — Comme la première, 
cette seconde partie du discours de Socrate se laisse assez aisé- 
ment subdiviser en deux sections. La première, que précède 
une sorte de plan, est consacrée à montrer quels dommages 
cause à un aimé l’amoureux passionné. Socrate a commencé 
par montrer (238 6 3-239 a 5) que l’homme gouverné par la 
passion et qui est l’esclave du plaisir est un malade, se féli- 
citant par suite de tout ce qui est dans le sens de sa folie, 
s’irritant de tout ce qui peut la contrarier ou la maîtriser. 
D'autre part ce qu'il cherche dans un aimé, c’est son plus 
grand plaisir : il ne faut donc pas que cet aimé soit son égal, 
encore moins qu’il puisse lui tenir tête; par conséquent il le 
voudra aussi bas que possible pour l'instruction, pour le 
courage, pour l’habileté à parler, pour la vivacité de l'esprit 
etc. Ces divers points sont groupés sous trois rubriques, qui 
correspondent à la division commune des biens de l'âme, de 
ceux du corps et des biens extérieurs. S'agit-il d’abaisser 
l'intelligence de l'aimé (239 a 5-c 2)? Il s’attachera, par sa 
direction comme par sa société, à cultiver en lui la sottise 
naturelle et même à l’accroître, tandis que d'autre part il 
l’écartera jalousement de toutes les sociétés dans lesquelles il 


Seconde partie. 


1. Comparer en particulier 231 b, 234 b avec 239 e sq. ; 23rcd 
avec 241b; 232bc,e sq. avec 240b-e; 232cd avec 2808}; 
233 a b avec 238 e sq. 


LXXII PHÈDRE : 


pourrait au contraire se développer et se mürir, et notamment 
il l’éloignera de la philosophie: bon moyen pour que de 
l'amant il soit la chose et le jouet‘. S'agit-il maintenant du 
corps (239 ὁ 3-d:7)? II le voudra d’une complexion molle et 
sans vigueur, étranger dans le passé à une culture physique 
un peu sévère, déjà habitué au régime d’une vie efféminée, 
artificiellement embelli par les fards et les parures: ainsi, 
sans courage à la guerre ?. S'agit-il enfin de la situation sociale 
de l’aimé (239 d 8-240 a 9)? Par sa direction comme par sa 
société, l’amoureux n’est pas à cet égard moins malfaisant. 
Tous ceux qui, autour de celui qu’il aime, veulent à celui-ci 
le plus de bien, il en souhaite la disparition comme d’autant 
de gêneurs, particulièrement celle de ses proches. Afin d’être 
plus à l'aise pour le conquérir et pour le manier ensuite à 
sa guise, il le voudrait pauvre ou ruiné. Comme il n’accepte 
point de partage, il le détournera enfin le plus longtemps 
qu'il pourra de se marier et de fonder une famille. 

La deuxième section concerne, non plus le dommage causé 
par l’amoureux à l’aimé, mais les sentiments de ce dernier, 
d’abord tant qu’en eflet 1] est aimé, puis quand il a cessé de 
l'être. D'une part en effet (240 a 10-e 7), tant que dure sa 
passion l’amant passionné, bien différent en cela de ces autres 
plaies sociales que sont la courtisane ou le flatteur, est, sans 
compensation, insupportable pour sa jeune victime : il ne lui 
est pas assorti par l’âge et il prétend être, toujours et tout 
entier, à son service ὃ ; mais c’est pour l’avoir plus complète- 
ment à lui, pour le soumettre à la tyrannie de sa présence ou 
de ses espionnages, pour l’assaillir tantôt de compliments 
outrés, tantôt d’injustes récriminations et, quand il aura bu, 
de grossiers outrages. Puis (240 e 8-241 c6), quand s’est 
éteinte sa passion, il devient alors traître à ses engagements ; 
en revenant à la raison, il a en effet brisé tout lien avec son 
passé de folie . Mais aussi, pourquoi l’aimé a-t-il été assez 


1. Ces considérations rappellent certains traits du discours de 
Pausanias dans le Banquet (181 b, d ; 182 b-d, 184 de). Cf. p.22 n. 1. 

2. A l'opposé de ce que, dans le Banquet (178 e-179b), Phèdre 
attend de celui qui est aimé d’amour et de ce qu'attestaient les 
« bataillons sacrés » des peuples doriens, tel celui de Thèbes. 

3. Cf. Pausanias dans le Banquet, 184 b-d. 

ἡ. Comparer encore Pausanias, ibid., 183 e. 


NOTICE LXXIIT 


imprudent pour s’abandonner à un fou, duquel il ne pouvait 
attendre que dommage et désagrément? — La conclusion 
(241 ce 7-d 1), c’est que l'amitié d’un amoureux est une 
fausse amitié ; car, le désir se portant exclusivement à ce qui 
doit le satisfaire, c'est une amitié sans réciprocité. 

Ce discours, on l’a déjà dit {p. xxx sq.), est un redres- 
sement de celui de Lysias. Mais il n’en redresse que la forme; 
lui-même il aura besoin d’être redressé quant au fond, et ce 
sera la « palinodie » du philosophe. On pourrait donc dire 
que nous avons ici une première « palinodie », mais elle est, 
dirait-on, celle de la pure rhétorique. Le progrès de forme 
qu'elle manifeste n’est pas douteux : en dépit de développe- 
ments qui sont surtout des amplifications, on y trouve une 
construction méthodique à la place de l’aventureux assem- 
blage de fragments qui constituait toute la composition de 
Lysias. Si nous envisageons maintenant l’objet même du 
débat, le rapport des deux discours est à cet égard particu- 
lièrement instructif. L'observation finale de Socrate, avec ce 
qui la précède, dégage nettement ce qu'il y a de commun dans 
le point de vue: un amour, qui n’est pas un élan de l’âme 
par delà l’objet immédiat du désir, ne peut être que la convoi- 
tise d’une chose ; si l'objet de l'amour n’en est pas en même 
temps un sujet, £ l’aimé n’est pas, pour autant, lui-même un 
amant, l'amant de celui qui l’aime, on a le déoit de condamner 
l'amour. Voilà ce que fait Socrate, et l’on n'aurait peut-être 
pas tort de dire‘ que le contenu de son premier discours, au 
lieu d'être positif comme de celui de Lysias, est négatif. 
Lysias en effet prononçait surtout l'éloge de l'absence d'amour ; 
Socrate nie la valeur de l’amour tel que le comprenait le 
rhéteur, il se refuse (241 de) à faire à sa suite un éloge posi- 
tif de l’homme qui n’aime pas. Quant à voir dans ce réquisi- 
toire contre l’amour, soit une parodie des thèses cyniques, 
soit un exposé des idées inémies du Socrate historique ?, ce 


. Cf. Z. Diesendruck, op. cil. p. 12 54. ., 

2. La première hypothèse a été défendue par K. Joël (Platons 
Sokralische Periode und der Phaidros, dans les Philos. Abhandl. für 
Max Heinze, 1906, p. 78 sqq.), dont on connaît le zèle, toujours 
ingénieux, à dépister partout Antisthène. Si à la fin du dialogue 
l'éloge d’Isocrate devait être tenu pour sincère, il ne serait pas impos- 
sible que Platon eût en effet l’intention de s’associer ici à son hostilité 


LXXIV PHÈDRE 


sont là des hypothèses auxquelles je ne veux pas m’aventurer 
et qu'il est aussi impossible de prouver que de réfuter. S'il y 
a dans le Phèdre, comme j'ai essayé de le montrer, l'harmonie 
d’une œuvre d'art, la façon dont cette harmonie découle de 
l’idée première est plus importante que la recherche conjec- 
turale de prétendues sources, aussi bien d’ailleurs en ce qui 
concerne ce premier discours de Socrate qu'en ce qui concer- 
nait celui de Lysias. 


V 
LE SECOND DISCOURS DE SOCRATE 


Notre premier soin doit être d'examiner la composition et 
le contenu du deuxième discours de Socrate. Ensuite il y 
aura lieu de considérer trois questions, à des titres divers 
pareïllement importantes, quise posent à son sujet : l'emploi 
qui y est fait du mythe ; la doctrine de l’âme qui y est exposée ; 
enfin sa conception de l'amour. 


I. Structure et contenu du deuxième discours. — 
L'erreur du premier discours de Socrate était de dénier toute 
valeur à l'amour passionné sous prétexte que c’est un délire : 
folie nuisible à l'intérêt de l’aimé, avait déjà dit Lysias, et 


contre les Cyniques. — L'autre conjecture est de W. Thompson dans 
le premier appendice de son excellente édition du Phèdre. Il cherche 
à l’établir par un parallèle avec le langage de Socrate dans le Banquet 
de Xénophon, étant admis d’autre part que ce dernier, quoique 
incomplet et trop attaché au détail, n’a pas cherché du moins à 
transfigurer son maître. Assurément les passages des deux écrits que 
Thompson met en regard (ch. 8, $ 13, 15, 21, 23 en face de 24ocd, 
λήτο ; comparer aussi 19 fin avec 239 e sq., 21 fin avec 24od e) se 
ressemblent étrangement. On ne s’arrètera pas cependant à l’inso- 
luble question de savoir qui des deux écrivains est l’emprunteur (cf. 
ma Notice du Banquet, IV). Il faudrait en effet pouvoir dater avec 
sûreté les deux ouvrages. Supposez qu'ils aient tous deux une source 
commune dans les propos du Socrate historique sur l’amour : propos 
d’une rare vulgarité de pensée chez Xénophon, d’une singulière étroi- 

tesse de vues chez Platon dans ce premier discours, ils seraient de 
Ἢ toute façon surprenants de la part d’un homme dont l’action fut sans 
nul doute prodigieusement animatrice et fécondante. 


NOTICE LXXV 


qui doit lui faire préférer, pour ses mérites, cet amant qui 
soi-disant n’est pas amoureux. Ce qui va être dit maintenant 
est bien une rétractation : à la place de l'éloge d’un amant 
sans passion, que Socrate s'est relusé à prononcer, nous 
allons entendre un éloge de l’exaltation dans l’amour. Ainsi 
la rétractation apparaît à la fois comme un changement de 
point de vue et comme une progression à un point de vue 
supérieur. Une fois établi de la sorte l'objet du second dis- 
cours, il est dans l’ordre que soit justifiée tout d’abord l’in- 
tention même de cet « éloge de la folie ». 


1. C'est ce que va faire Platon (244 a 6 
sqq.) en exposant trois raisons desquelles 
il résulte que, loin d’être toujours un 
mal, le délire est au contraire, sous trois formes bien connues, 
un grand bien pour les hommes, donc un don des dieux ; ce 
qui permettra de penser (cf. 245 b sqq.) que, si l’amour est 
lui-même une quatrième forme du délire, l'amour doit être 
pareillement un privilège que nous accorde la divinité. — La 
première preuve est double. On allègue d’abord ce fait qu'il 
y a des prophétesses, femmes d’un esprit plus qu’ordinaire 
quand elles sont dans leur bon sens, capables au contraire 
de lire dans l’avenir quand elles sont inspirées du dieu dont 
elles sont les prêtressest. Le langage d'autre part témoigne 
dans le même sens. Si en effet, par delà les dénaturations 
qu’il a subies, on remonte jusqu'aux mots primitifs, on voit 
que les Anciens liaient au délire la vision immédiate du 
devin 2, à la réflexion mettant en œuvre certaines connais- 
sances la divination médiale de l’augure, en tant qu’elle se 
fonde sur des signes : preuve que leur sagesse faisait du délire 
plus de cas que du raisonnement. — La seconde forme du 
délire est encore religieuse. On lui doit la découverte de ces 


Le délire 
et ses formes. 


1. Platon en nomme trois : celle du temple d’Apollon Delphien, 
la Pythie, dont le trépied reposait au-dessus d’une crevasse du sol ; 
celle du temple de Zeus à Dodone qui parlait par son chêne 
(cf. 275 b); enfin la Sibylle que, comme Aristophane (Paix 1096 ; 
cf. Héraclite fr. 92 D.), il ne désigne pas autrement et qui est sans 
doute la Sibylle d’Érythrées (plus probablement'la cité béotienne, et 
non sa colonie ionienne). 

2. D’après le Timée 72 b le devin est bien supérieur au prophète, 
qui n’est alors que l'interprète du devin. 


IV.3.—f 


\ 


LXXVI PHÈDRE 


initiations, de ces rites purificateurs, de ces prières dont 
l'effet est, pour l’homme qui a fait ou connu cette décou- 
verte, de se racheter de la peine collective qui pèse sur toute 
sa race, en punition de quelque faute ancienne commise par 
un individu de cette race : rédemption qui s'étend à l'avenir, 
soit par rapport à la destinée ultérieure de la race, soit par 
rapport à celle de l'individu après la mort, comme dans l'Or- 
phisme. — L’inspiration poétique constitue une troisième 
‘ espèce du délire. Sans inspiration, c’est-à-dire sans enthou- 
siasme ou possession divine, point de poésie ; l’habileté tech- 
nique ne suffit pas. Encore faut-il pourtant que l’âme inspirée 
soit elle-même pure pour que l'inspiration puisse vraiment 
être considérée comme venue d'en haut! — Voilà donc de 
quels grands effets le délire est capable. Puisque l'amour est un 
délire, pourquoi ne serait-il pas une autre forme de l’inspi- 
ration divine ? Les trois premières constituaient un bienfait 


. Cf. Notice p. xxxiv et p. 33 n. 1. La condition posée ici paraît 
He que Platon ne désavoue eu la sévérité qu’il montre 
ailleurs envers la poésie (p. ex. Rép. IL 877 d sqq., 379 ὁ sqq. ; tout 
le début du livre II; X θοῦ a-c, 606 a et en outre les passages qui 
seront mentionnés ΤῊΣ bas; Lois IL 656bc, 658 e sqq., 660 ἃ et 
VII 817 a-c). Il note en effet, et que l’élève des Sophistes se trompe 
en croyant qu’on peut se passer de l'inspiration pourvu qu’on 
connaisse les règles (cf. 268 c d), et qu’un Homère se fait illusion 
quand il s’imagine que, parce qu’il est inspiré, on le laissera libre 
de pervertir les âmes par sa propre immoralité (cf. Rép. X 590 Ρ ο, 
60o ab, 606 e sq). Mais, s’il arrivait que la poésie réunît ces deux 
conditions d’inspiration et de moralité, on pourrait alors dans l’édu- 
cation, qui est le but suprême du législateur philosophe, lui accorder 
la place à laquelle son origine divine l’autorise à prétendre. — Il n’y 
a pas grand intérêt à observer, avec la plupart des critiques et après 
Cicéron (Div. I 37 déb.) comme après Horace (Ars poet. 296), 
qu'avant Platon Démocrite avait déjà dit (fr. 18 D.) que la poésie 
suppose l’enthousiasme et le souffle divin. Est-il croyable en effet que 
Démocrite ait été le premier à le penser et à le dire ? Rappelons 
plutôt qu’il y a dans l’Jon toute une théorie de l'inspiration poé- 
tique (533 e-534 6), qui est très voisine de celle du Phèdre: le poète 
ne compose que sous l’influence d’une possession divine; la preuve 
en est qu’il est même incapable de composer en ἀρνὶ du genre 
d'inspiration qui lui est propre, et qu’il peut même lui arriver de 
ne connaître qu’une seule fois l'inspiration. Voir plus loin p. cxxxn: 
et n. 1. : 


NOTICE LXXVII 


autant pour celui qui reçoit le don divin que pour celui qui 
ensuite en bénéficie. Si donc le délire d'amour est à son tour 
un bien, il le sera tout autant pour l’aimé que pour l’amant, 
pour celui qui est l’objet de l'enthousiasme amoureux que 
pour celui qui en est.le sujet : c'est ce qui avait été méconnu 
par la doctrine de Lysias et par celle du premier discours 
(cf. p. xx). 


2. Mais ce point ne peut être compris 
qu’à la condition de savoir ce qu'est la 
nature de l’âme, quelles sont ses affec- 
tions et ses actions, et cela à propos de l’âme divine aussi 
bien que de l’âme humaine. 

A. — Le point de départ de cette recher- 
che sera une démonstration de l’immor- 
talité de l’âme. Elle se fait en quatre moments. — a. Pla- 
ton commence (245 c 6 sqq.) par distinguer, entre les choses 
mues et qui existent en tant qu’elles sont mues, d’une part 
celles qui se meuvent elles-mêmes et, de l’autre, celles qui 
tiennent leur mouvement d’une autre chose et le communi- 
quent à une autre. Ces dernières cesseront d'exister dès 
qu'elles cesseront d’être mues, tandis que les premières ne 
peuvent cesser d’exister puisque leur essence est précisément 
d’être mues par elles-mêmes et qu’elles ne peuvent perdre 
leur essence. En outre, c’est d'elles seulement que les autres 
peuvent recevoir leur mouvement et leur existence pendant 
qu'elles sont mues et qu'elles existent‘. La chose qui se 
meut elle-même ne peut donc périr et elle est un principe. — 
ὃ. Or un principe (245 c 10 sqq.) est ce qui ne commence pas 


La nature 
de l'âme. 


Son immortalité. 


1. Cf. p. 33 n. 3. Si la proposition initiale était, comme dans le 
texte ordinairement suivi : « ce qui se meut toujours est immortel »,, 
on comprendrait mal que à ce qui se meut toujours Platon opposât 
(δέ) ce qui ne se meut pas soi-même mais est mû par autre chose. 
D’autre part, il n’y aurait pas lieu de présenter comme une consé- 
quence (δή) que ce qui se meut soi-même ne peut cesser de se mou- 
voir sans cesser d’être. Au surplus, la formule employée à e3 paraît 
bien signifier que l’immortalité de ce qui se meut soi-même était 
l’énoncé du premier théorème à démontrer et que maintenant Platon 
déclare avoir en effet démontré : ce qui est répété au terme de la 
démonstration est, semble-t-il, ce qui a dù être dit pour signifier ce 
qu’elle se proposait tout d’abord. 


LXXVIIL PHÈDRE 


d'exister, mais à partir de quoi commence d'exister tout ce 
qui existe. Il serait en effet contradictoire avec la notion 
même de « Principe » que ce qui est principe pût être quelque 
chose d’engendré, c'est-à-dire de dérivé ; et d’autre part il n’y 
aurait plus d'existence, car rien ne pourrait plus commencer 
d'exister‘. La chose qui se meut soi-même est donc inen- 
gendrée en tant qu'elle est principe. — c. À ce même titre 
elle se révèle encore (245 d 3 sqq.) comme incorruptible ?. 
Il serait en effet contradictoire qu'un principe, une fois 
anéanti, pût renaître, car ce serait à partir d’autre chose, de 
sorte qu'il ne serait plus un principe ; contradictoire aussi, 
pour cette même raison, que rien désormais püt en provenir. 
— d. Puisque ce qui se meut soi-même est principe et que, à 
ce titre, il ne peut ni avoir commencé ni cesser d’exister, 
nous dirons (245 d 7 sqq.) qu’en cela consiste l’essence et la 
nolion# de l’âme en tant que distincte du corps. Car un 
corps, s’il est inanimé, reçoit du dehors son mouvement, 
mais, s’il est animé, d'un principe interne de mouvement 
qui est justement son âme. Donc, en raison de l'identité de 


1. Cf. p. 34 n. 1. Comme tout à l’heure à propos de la notion de 
chose automotrice, Platon me paraît se fonder, pour faire entendre 
quel est le rôle du principe, sur ce qu’implique logiquement la 
notion de « Principe ». Or un principe engendré en supposerait un 
autre pareillement engendré, et ainsi à l'infini; ce qui serait la 
négation même de la notion de « Principe » et, corrélativement, la 
négation d’une existence dépendant du principe comme de sa cause. 
C’est donc encore une sorte d’argument ontologique. 

2. ἃ la vérité Platon dit : « à titre de chose inengendrée, le prin- 
cipe est aussi incorruptible ». En modifiant comme j’ai fait l’expres- 
sion, j'ai voulu mettre en évidence que nous avons là une nouvelle 
preuve de l’immortalité de la chose automotrice, mais qui se fonde 
sur la notion même de « Principe », dont il vient d’être prouvé qu’elle 
est inhérente à cette chose. 

3. À propos de tout objet de la pensée 1] y a (Lois X 895 d-Rg6 a) 
trois choses à considérer : la réalité de cette chose ou son ousia, c’est-à- 
dire, du point de vue de l’idéalisme platonivien, son essence ou Idée ; 
la notion ou définition de cette réalité, son logos ; enfin son nom. 
Ainsi la réalité dont le nom est « âme » a pour notion ou définition 
« ce qui se meut soi-même » et qui est par conséquent le principe 
de la génération et du mouvement. La notion ou définition de la 
chose nommée équivaut donc à la réalité de cette chose ; cf. Phédon 


99 e sq. 


NOTICE ÈS 


la chose automotrice avec la réalité qu’on appelle une âme, 
on doit dire que l’âme est inengendrée et immortelle {. 

Β. — L’immortalité de l’âme étant ainsi 

Image mythique  Jémontrée, voyons à présent quelle est 

de la nature : 

d5 lême. la nature de cette chose immortelle (246 

a 3 sqq.). Pour la dire telle qu'elle est, 

.un savoir divin serait nécessaire ; mais un savoir humain 

permet d'en donner une image, c’est-à-dire de montrer à 

quoi elle ressemble. Autrement dit, quelle est la chose qui, 

dans le domaine de notre expérience, pourra par ses rapports 

constitutifs servir à figurer la nature de l’âme et être consi- 

dérée comme lui étant analogue? Or, représenter ainsi une réa- 

lité, dont on n’a pas d'expérience directe, au moyen de l’image 

sensible. d'une réalité familière, c’est l'essentiel du mythe. 

La nature de l’âme sera donc exposée d’une façon mythique. 

Platon commence par dessiner l’image, puis il explique pour- 

quoi dans cette image il y a, si l’on peut dire, des parties 

lumineuses et d’autres obscures. 

a. Nous imaginerons donc l'âme (246 a 6 sqq.) à la ressem- 
blance d’une force active dont la nature soit d’être un atte- 
lage ailé que mène sur son char un cocher, ailé lui aussi?. 
Mais, tandis que dans la représentation de l’âme des dieux 
l'ensemble doit être tenu pour excellent dans ses parties 


1. Cf. p. 35 n. τ et Notice, p. οχχν sq. 

2. L'origine de cette image peut être (je dois encore cette indi- 
cation à M. Ch. Picard) dans des représentations figurées comme 
celles des deux petites faces du sarcophage d’Hagia-Triada (qui 
remonte au Minoen récent II, environ 1450 av. J.-C.) ou de pein- 
tures sur certains vases des Cyclades (νι s.) au Musée d'Athènes. 
Mais l'âme n’y est: pas figurée, comme ici, par l’ensemble des 
chevaux et du cocher sur son char : elle est sur le char la compagne 
du cocher. — Il n’y a donc aucune raison de supposer, avec Natorp 
(Platons Ideenlehre p. 72), un souvenir direct du début du poème 
de Parménide (fr. 1 D.). Sans doute y a-t-il là des chevaux, un 
char, un ou plutôt des cochers (v. 24). Mais l’image est très diffé- 
rente : ainsi chez Platon συνωρίς s'applique à l’attelage apparié qui 
tire le char, tandis que chez Parménide le terme voisin συνάορος 
s'applique au poète lui-même, qui s’apparie aux immortels cochers 
qui le conduisent. Au fond, le spectacle de la vie journalière 
suffisait, exception faite des ailes, à suggérer à Platon cette repré- 
sentation. 


LXXX PHÈDRE 


comme dans les éléments de ces parties, il n’en peut être 
ainsi quand on veut sereprésenter une âme d'homme. En pre- 
mier lieu, l’attelage y couple des chevaux qui ne sont point 
pareils !. En second lieu, tandis qu’un des chevaux ainsi 
appariés est fait de bons éléments, l’autre sera tout l’op- 
posé. Enfin, dans de telles conditions, la fonction même de 
cocher s’exercera avec un succès incertain. Ainsi ce qui carac- 
térise la chose à laquelle une âme humaine est comparable, 
c'est un mélange du mauvais avec le bon?. — ὃ. Étant 
donné que l’âme est un principe de vie qui est commun aux 
hommes et aux dieux, pourquoi cependant (246 b 5 sqq.) 
à propos des premiers parle-t-on de vie mortelle, de vie 
immortelle à propos des seconds ? Tout ce qui a nature d'âme? 


1. Quand il s’agit de l’attelage en général, divin comme humain, 
Platon se sert en effet du terme général zeugos ; le terme qui est 
employé ensuite pour l’âme humaine est synôris, qui désigne un 
attelage dont les chevaux sont couplés mais ne sont pas identiques. 
La différence ne consiste pas en ce que les chars des âmes divines 
n'auraient qu’un seul cheval comme si, à la fin de a, le pluriel les 
chevaux était déterminé par le sujet pluriel, les dieux. Mais, on le 
verra par la suite, le cas est le même que celui des âmes humaines. 
Toutefois, en ce qui concerne ces dernières, Platon commence par 
noter seulement une diversité, qui pourrait n’être que de race ou 
de taille ou d’âge. Puis il spécifie qu'au bon est associé du mauvais. 

2. Ge n'est pas en effet simplement un mélange en tant que tel, 
comme Platon semble le dire au début de b ; car les âmes divines 
comportent, on l’a vu, un mélange, mais du bon avec le bon. Ici 
comme ailleurs, Platon appelle « exempt de mélange » ce qui est 
mélangé selon des proportions exactement définies et sans mélange 
de rien d’étranger à sa nature: ainsi dans le Timée (57c) ces corps 
premiers qui, loin d'être les éléments ou les lettres des choses, en, 
sont les véritables syllabes, donc des mélanges dont il a déjà expliqué 
la composition ; ainsi dans le Philèbe (59 ὁ) les objets de la dialec- 
tique, c’est-à-dire les Idées, dont l’exactitude a été comparée (58 cd) 
à la pureté d’un blanc qui n’est mêlé d'aucune autre couleur ou 
d’un plaisir qui n’est pas mêlé de douleur (53 ab). De même dans 
le Phèdre 247 d 2, quand il parle de « savoir sans mélange », cela ne 
doit pas s’entendre à la rigueur, puisqu'il n’y a pas de savoir qui ne 
comporte des relations (cf. Théét. 201 e-206 b). 

3. Cf. p. 38 n. τ. Wilamowitz [5 p. 463 suit le texte de Burnet 
et traduit comme j'ai fait. L'objet du morceau, qui est d’opposer des 
vies immortelles à des vies mortelles et de définir le sens de cette 


NOTICE LXXXI 


est en effet principe de vie à l'égard d’une chose qui, au 
contraire, est par elle-même sans âme ou inanimée, c’est-à-dire 
un corps. Mais dans la totalité de l’univers physique ! cette 
relation n’est pas la même partout où porte la vie l'âme 
qui y circule. On est ainsi conduit à distinguer deux formes 
ou espèces d'âme : celle qui est ailée en perfection et qui se 
meut dans les régions supérieures de l’univers, du haut des- 
quelles elle est pour l’ensemble de celui-ci le principe d’une 
vie organisée ; celle qui, pour les raisons qu’on verra bientôt, 
a cessé d'être ailée et qui ainsi tombe jusqu’à ce qu’elle se 
soit arrêtée dans cette masse, solidement assemblée (cf. Timée 
43 a), qu'est un corps fait principalement de terre. Or c’est à 
un tel composé d'une âme et d’un corps que nous donnons 
le nom de « vivant » en y ajoutant l’épithète de « mortel » ?. 


opposition, ne me paraît pas pouvoir comporter d’autre texte ni 
d’autre interprétation. 

1. Platon dit « la totalité du ciel », mais cette traduction, pouvant 
suggérer l’idée du ciel astronomique, m’a semblé équivoque. Il ne 
paraît pas douteux en effet qu’ici, au lieu de prendre le moten son sens 
restreint, Platon ait voulu parler de tout ce qui existe sous la coupole 
du ciel, et tel est en effet le sens du grec ouranos. C’est ainsi que, 
après des fluctuations dont témoignerait le vocabulaire auquel s’étaient 
finalement arrêtés les Pythagoriciens (cf. Vorsokr. ch. 32, À 16; 
Robin, Pensée grecque p. 70 sq.), ouranos en est venu à recevoir pour 
équivalent le terme cosmos, que justement Platon emploie trois lignes 
plus bas et que nous traduisons par le Monde. Mais au temps de Platon 
l’équivalence n’est pas encore assez usuelle pour que l'écrivain puisse 
se dispenser de la signaler. Ainsi dans le Timée il se sert d'ouranos 
(31 a b) pour signifier, sans nul doute, le monde entier, alors qu'il a 
écrit précédemment (28 b): « la totalité de l’ouranos ou bien du 
cosmos ou quelque autre nom qu’on veuille lui donner » ; de même 
Politique 209 d. Dans le Philèbe 28 d on voit que le tout, τὸ ὅλον, paraît 
être un autre de ces noms dont on tendait à se servir pour signifier 
« l’ensembie des choses » τὰ σύμπαντα, et 29 6 que le mot cosmos est 
dans le même cas. Du reste chez Aristote ouranos a une semblable 
diversité d’acceptions : comme ici il signifie souvent l’ensemble des 
choses (cf. Bonitz Index Ar. 541 a 56 sqq.). Voir Burnet, Aurore de la 
Philosophie grecque (Early Gr. Philos.) p. 31. 

2. La dissolution de ce composé est la mort, mais l’âme est immor- 
telle : elle renaîtra donc, c’est-à-dire qu’elle formera avec un autre 
corps un nouveau composé. C’est ce que l’Orphisme appelle «le cercle 
de la génération » : s’il n’existait pas en tant que cercle mais que la 
génération se fit en ligne droite, alors ce serait la fin du monde (cf. - 


LXXXII PHÈDRE 


Quant au dieu, s’il est vrai que ni l'expérience ni le rai- 
sonnement ne permettent de savoir ce qu'il est réellement, 
du moins pouvons-nous le concevoir pareillement comme un 
vivant !: autrement dit, son âme est principe de vie à 
l'égard d’un corps; mais, ce corps n'étant pas un corps dans 
lequel elle aurait chà faute d’avoir su garder ses ailes, un tel 
assemblage d’âme et de corps doit, dans le cas du dieu?, 
durer sans fin. 


C. — Ce qu'il faut expliquer à présent 
La vie céleste Ἵ PU Ρ 


ἀκ ἐῶν ὩΣ He (2 246 d 3 864. ), c’est la cause par laquelle 
ἮΝ delë dun vil. âme, puisque son attelage est ailé 
comme l’est aussi son cocher, peut cepen- 

dant perdre ce qui est une propriété de sa nature. Platon 
commence donc par exposer (d 6 sqq.) en quoi consiste la 
fonction propre de l’aile: c'est d’élever vers le haut ce qui 
est naturellement pesant, d’être ainsi, étant admis que le 
divin est au-dessus de nous, ce qu’il y a de plus divin parmi 


Phédon 72 a-d). Il n’y aurait donc plus de vivants mortels et, en ce 
sens, cette chute de l’âme ἃ un sens profond ou, comme le dit 
Z. Diesendruck p. 18, tout à fait positif. Ce n’en est pas moins pour 
l’âme une diminution d’être que de se trouver désormais condamnée 
à une vie qui est coupée de morts incessantes (cf. Banquet Notice, 
ΡΟ LXXXVII sq.). 

1. Le sens paraît être voisin de celui d’un passage du Banquet 
(208 a b) où Platon se propose semblablement de distinguer le mode 
d'existence du mortel et de l’immortel : l’existence du premier est 
discontinue, mais continuée, toujours nouvelle mais en apparence 
identique ; celle du second est une existence réellement et à jamais 
identique à elle-même. De même ici le mortel et l’immortel sont 
pareillement vivants, mais ce n’est pas de la même manière. 

2. Du dieu platonicien seulement, dit entre autres Wilamowitz I 
464 ; car Platon ne veut pas l’identifier aux dieux respectés de la reli- 
gion nationale, et les âmes qui, ailées, gouvernent l’univers sont 
dépourvues de corps ; c’est le développement subséquent de l’image 
qui conduit, en leur donnant des ailes, à paraître les pourvoir d’un 
corps. — Mais les dieux du Panthéon hellénique ne représentent-ils 
pas plutôt aux yeux de Platon une tradition, qu'il s’agit moins de res- 
pecter que de redresser pour en faire sortir une vérité ? Et les seuls 
dieux qui pour lui soient réellement des dieux ne sont-ils pas juste- 
ment les dieux planétaires ? Au fond de ceci le vrai problème est 
celui de la relation du corps à l’âme et nous aurons à l’envisager 
par la suite ; cf. p. cxxx11 sqq. 


NOTICE LXXXIIT 


les choses corporelles. Mais Platon a hâte de marquer le 
symbolisme de ce langage : ce qui réside dans ces hauteurs 
vers lesquelles fait monter l’aile, c’est ce qui est beau, savant 
et bon t. Voilà donc ce qui, étant l'objet auquel tendent les 
ailes comme à ce qui les nourrit (cf. 246 e), donne à celles-ci 
leur vertu propre. Inversement, cette vertu est détruite par 
ce qui est le contraire du beau, du savant et du bon. — 
Ceci dit, on va voir quels sont les effets de cette vertu, d’abord 
en ce qui concerne le ciel lui-même ou le monde, puis en ce 
qui concerne un autre monde qui est par delà le ciel, et, 
dans chaque cas, pour les âmes qui sont divines comme pour 
celles qui ne le sont pas. 

a. Platon décrit donc (246 e sqq.) une sorte de procession 
que des âmes de dieux et de démons accomplissent dans le 
ciel, chacune avec le cortège d’âmes en tête duquel elle 
s’avance. Celui qui conduit la procession entière, c'est Zeus ; 
il l’ordonne dans son détail et il pourvoit à tout. Quoiqu'il y 
ait douze dieux et démons, l’armée entière comprend seule- 
ment onze bataillons, parce qu’Hestia n’en fait point partie 
et que, immobile, elle reste au foyer du palais des dieux ?. 
Chaque groupe enfin a son rang et son rôle propres. Si main- 


τ. Comparer Banquet 204 a déb. et ici 247 d : le savoir est inhérent 
à la nature du dieu, et c’est pour cela qu’un dieu ne désire pas le 
savoir comme un bien dont il serait dépourvu et que, par conséquent, 
il n’est pas philosophe. Il est remarquable que les trois termes 
nommés ici semblent répondre, dans un ordre renversé, à la hié- 
rarchie qu’on trouve à la fin du Philèbe, 64e sq. : le Bien inacces- 
sible, la Beauté, la Vérité ; il ne manque ici que la Proportion. 

2. Cf. p. 37 π. 1. — Le mot hestia désigne proprement le foyer 
auprès duquel est placé l’autel des divinités domestiques: c’est la 
maison même. Puis le foyer de la famille devient une des grandes 
divinités olympiennes, petite-fille d'Ouranos et de Gaïa, fille de 
Cronos et de Rhéa, sœur de Zeus, de Poseïdôn, de Hadès, de 
Dêmêtèr et de Héra. Si donc Platon l’identifie ici à la terre, c’est 
qu'il ne se fonde pas sur la tradition mythologique. Mais, comme 
dans le Timée 4o b fin, il paraït transposer une métaphore des Pytha- 
goriciens : ce n’était pas en effet la terre, mais le feu central, que 
Philolaüs appelait, nous dit-on, « le foyer de lunivers », « la 
demeure de Zeus », « l’autel », etc. (cf. Vorsokr. ch. 32, A 16 et 
B 7 ; ch. 45, B 37 5. fin.). Quoi qu’il en soit, Cratyle (4or b ; p. 77 
n. 3 de l’éd. de L. Méridier) et les Lois (V 745 c) nous disent que 
Hestia est la première divinité à honorer, avant Zeus et avant Athëna. 


LXXXIV PHÈDRE 


tenant nous considérons la part que prennent les âmes à 
celte procession, nous voyons qu'elle est différente selon la 
constitution de ces âmes. Pour les âmes des dieux, point de 
difficulté : elles montent allègrement, car la tâche du cocher 
est facile avec un attelage de tout point excellent, elles mon- 
tent vers ces objets supérieurs qui, comme on l’a vu, sont 
l'aliment de leurs ailes. Mais il y a pour les suivre d’autres 
âmes qui sont divines en leur genre et qui ont faim de cette 
suprême nourriture. Sans doute leur attelage n'est-il pas 
excellent ; il est toutefois excellemment apparié ou excellem- 
ment dressé et dirigé. Elles suivent donc les dieux, c’est-à-dire 
qu’en les imitant elles leur ressemblent, aussi souvent qu’elles 
n'en sont point empèchées par quelque cause, étrangère en 
tout cas à la volonté des dieux !, et aussi souvent qu’elles en ont 
la bonne volonté. De telles âmes doivent donc parvenir, avec 
les âmes des dieux, jusqu'aux confins du ciel ou du monde et, 
dressées alors sur la voûte, emportées par la révolution cir- 
culaire, elles contemplent les réalités qui sont en dehors du 
ciel ou du monde. Ce sont là pourtant des âmes privilégiées : 
la plupart sont au contraire incapables d'étendre ainsi leur 
horizon parce qu'au bon leur attelage mêle trop de mau- 
vais et parce que leur cocher, faute d’avoir su corriger et 
dresser le mauvais, sent peser sur sa main le poids d’une 
résistance. 

b. Voici donc les meilleures âmes portées par la bonté 
même de leurs aspirations au seuil d’un autre monde, extè- 
rieur à l’univers physique. Qu’on dise tant qu’on voudra que 
nous sommesici en plein mythe. Il n’en est pas moins vrai, si 


1. L’Envie, ce démon qui, selon la tradition, jalouse le bonheur 
des hommes, est exclue par Platon des chœurs divins, comme dans le 
Banquet (203 b) Pauvreté a été tenue à l’écart du festin par lequel les 
dieux célébraient la naissance d’Aphrodite. [ci l'exclusion de l’Envie 
est l'expression mythologique d’une double intention : d’abord purifier 
la notion du dieu de cette jalousie méchante qui en était inséparable 
dans la croyance populaire ; puis dégager la responsabilité des dieux 
par rapport à des malheurs qui ne sont la conséquence que de notre 
propre méchanceté. Cette dernière idée serait donc la même que 
dans la République (11 379 bc, X 617e) ou dans le Timée (41e, 
had; cf. 29e): Dieu est innocent de la méchanceté des hommes 
parce que, d’une façon générale, le bien seul, non le mal, lui est 
imputable (cf. aussi Politique 269 e sq., 273 b c). 


NOTICE LXXXV 


le mythe a un sens, que cette extériorité spatiale marque, 
avec une clarté qu’on ne rencontre nulle part au même degré, 
l'intention chez Platon de considérer les réalités intelligibles 
comme étant tout à fait à part de celles de l'expérience, ou, 
selon la formule d’Aristote, de séparer les Idées. Jusqu’à 
présent nous étions au sein d’un monde enveloppé dans la 
sphère du ciel. Nous voici maintenant (247 c 3), par delà 
le ciel, en face d’un autre monde qui est celui de la Vérité 
(cf. 248 b 7). A vrai dire, les âmes des dieux ne sont pas plus 
capables que les meilleures des autres âmes de quitter le ciel 
pour passer dans cet autre monde. C’est au premier qu'elles 
appartiennent. Mais, quand elles sont parvenues au sommet 
de celui-ci et comme installées sur sa convexité, leur cocher 
est en état de porter ses regards dans la direction des réalités 
véritables, qui sont des objets pour l’intellect seul et sur les- 
quelles, puisqu'elles sont sans couleur et sans figure, les sens 
n'ont point de prise : la Justice réelle, la Tempérance réelle, 
le Savoir réel et qui, au lieu de s'appliquer à des apparences 
dont la diversité se déploie dans un devenir changeant, est 
une connaissance vraie de vraies réalités, la Pensée pure de 
tout alliage sensible, la Beauté dans toute sa splendeur, etc. 
(cf. 250 b-d). De plus, cette contemplation n’est pas offerte 
aux âmes divines d'une façon indifférente, mais pour le temps 
précis que doit durer la révolution qui ramènera le ciel au 
même pointt. Au terme de cette révolution, le cocher, l’intel- 


1. Cf. aussi 248 a 3 et c 4. Quelle est cette révolution ? Est-elle 
identique à celle dont il sera question 247 e sq. et qui concerne le 
retour de chaque âme au chœur divin dont elle faisait originairement 
partie (cf. p. Lxxxvur n. 3)? Si Zeus représente ici la sphère des 
Fixes, on pourrait penser que la révolution dont il s’agit est la révo- 
lution diurne, le jour de 24 heures qui sert d’unité de mesure aux 
autres périodes de révolution. Mais ce serait sans doute une bien courte 
durée pour une contemplation pareille, le privilège en dàt-il se renou- 
veler régulièrement. Doit-on plutôt penser que Platon a en vue, 
comme dans le Timée (39 d), « ce nombre parfait du temps qui rem- 
plit une année parfaite », c’est-à-dire la durée d’une Grande Année ? 
Il n’y aurait aucun doute si Platon avait, ainsi que dans le Timée, ᾿ 
parlé de révolution qui ramène au même point tous les astres les uns 
par rapport aux autres. — Certes, un esprit moderne a de la peine à 
concevoir, surtout chez un penseur de l’envergure de Platon, de 
pareilles spéculations qui supposent un synchronisme entre les révo- 


LXXXVI PHÈDRE 


lect, s'enfonce de nouveau dans ce ciel qui est la demeure 
ordinaire de son âme. C’est alors qu'il donne à ses chevaux 
une nourriture et une boisson choisies, dont les noms prou- 
vent assez que, dans l’esprit de Platon, elles sont le produit 
de cette contemplation supérieure et la quintessence de ce 
qui est propre à entretenir la vertu des ailes (247 e fin ; cf. 
248 c déb.) ou à satisfaire l’aspiration qui porte l'âme natu- 
rellement vers les hauteurs (cf. 248 a 7). — Or cette aspira- 
tion, les autres âmes s’efforcent bien de la contenter, mais 
sans succès : leurs conducteurs ne réussissent même pas à 
élever la tête d’une façon continue vers les réalités du lieu 
supracéleste. Ce sont tout au moins des âmes incapables de 
soutenir quelque temps l'effort de la contemplation et dont 
la vision restera incomplète. Comme elles sont pourtant 
avides de s’élever et qu’elles pensent n’y pouvoir réussir 
qu'au prix d’une concurrence pressée, elles se bousculent et se 
piétinent (cf. 247 Ὁ 5). Mais le résultat, c’est qu'ainsi elles 
gâtent leurs ailes et que, faute d’être capables de se soutenir 
sur la voûte du ciel, elles sont contraintes d’y rentrer avant le 
terme fixé de la révolution circulaire. C’est un accident auquel, 
semble-t-il, n’échapperont pas les âmes les mieux trempées. 
Toujours est-il qu'elles tombent alors brutalement et que 
leur chute ne s'arrête qu’à la terre (cf. 246 c et 248 c fin). 
Désormais ce sera l'opinion, avec les incertitudes au milieu 
desquelles elle roule et se traine, ce ne sera plus le savoir, 
qui sera leur pâture. : 
D. — Voilà donc deux sortes d’âmes 
La destinée des  déchues : les unes ont eu quelque part à 
âmes déchues : la contemplation des réalités vraies, les 
une double escha- Taie τ - 
tologie. autres en ont été privées. La question 
se pose alors (248c 3 sqq.) de savoir 
quelle sera inévitablement leur destinée (cf. p. 4o n. 2) en 


lutions astronomiques et l’exercice de la pensée pure. Il ne faut pour- 
{ant pas se hâter d’y voir de simples fantaisies. On ne doit pas oublier 
en effet que l'étude de l'astronomie est une voie d’ascension vers la 
dialectique (ef. p. 38 n. 2), et ce trait de l'éducation platonicienne 
montre assez clairement toute la portée symbolique du rapport spatial 
des révolutions célestes aux pures Idées. Ces spéculations ne sont pas 
du reste plus déconcertantes que d’autres du même genre, celles par 
exemple qui bientôt concerneront l’eschatologie. * 


NOTICE LXXXVIL 


conséquence de l’état où elles seront au terme de la proces- 
sion : pour les unes, initiation incomplète et révélation ou 
« époptie » seulement partielle (cf. p. 44 n. 1); pour les 
autres, absence totale de l’une et de l’autre !. Mais 11 y a un 
autre terme : c’est celui des existences terrestres consécutives 
à la chute. Nous avons donc ici une double eschatologie, qui 
n'a chez Platon d'autre analogue que celle du Timée (41 d- 
42d, 00 a-c, 91 d-92 c): il y a une destinée qui dépend de 
l'antérieur à la vie terrestre et il y en a une autre qui est la 
conséquence de cette vie même. Ajoutons cependant que, 
tandis que dans le Timée il s’agit d’un règlement général 
institué par Dieu, avant « la première naissance », pour les 
âmes qui indirectement sortiront de ses mains, le Phèdre 
envisage les conséquences de la conduite préempirique d’âmes 
déjà existantes. Partout ailleurs, la destinée finale des 
âmes est envisagée comme une sanction de la manière dont 
elles se sont comportées ici-bas et dans l'union avec le corps?. 
a. La première eschatologie consiste à 
hiérarchiser des espèces d'hommes et 
d'occupations d’après la valeur individuelle des âmes par rap- 
port à la contemplation des réalités vraies. D’une part, on 
l'a vu, il y a des âmes qui, associées à l’un des chœurs 
divins, ont vu une partie au moins de ces réalités: leur 
récompense est d’être jusqu’à la prochaine révolution ? 


Prédestinations. 


1. Cf. 248b5; 249 cfin; 25obc,e1; 251a2; 253c3; 254 5. 

2. Par exemple Phédon 81 c-82 b, 83 de (cf. mon édition, p. 42 
n., où il faudrait ajouter Lois X 904 cd). — Le fragm. 146 d’Em- 
pédocle (qui provient probablement du poème des Purifications) 
peut avoir inspiré notre passage ; mais, si Platon y a pensé, c’est 
pour retourner la démarche décrite par Empédocle et qui est une 
remontée graduelle des âmes déchues vers la condition divine. On 
peut songer aussi au fr. 115, dans lequel est expliqué comment est 
bannie du ciel en vertu de l’arrêt de la Nécessité une divinité crimi- 
nelle. 

3. La durée de cette révolution paraît être de mille ans si l’on se 
réfère à ce qui est dit 249 a et surtout 256e fin (cf. p. eva n. 1). 
Si cette révolution est celle dont il était question 247 d 5 (p. Lxxxv 
n. 1) et que celle-ci dure le temps d’une Grande Année, on en devrait 
conclure que celle ci est pour Platon un millénaire. Mais chez per- 
sonne il n’y a trace d’une évaluation si modeste, et, en ce qui 
concerne Platon, on est réduit à des conjectures passablement arbi- 


LXXX VIII PHÈDRE 


exemptes de dommage, c’est-à-dire sans doute admises à 
continuer leur existence céleste sans entrer dans la généra- 
tion '. Deux cas peuvent alors se présenter : ou bien elles 
persévèrent pendant ce temps dans la manière d’être qui 
leur a valu cette récompense et elles se l’assurent ainsi à 
tout jamais ; ou bien elles n’y persévèrent pas et elles en 
sont punies, sans doute à la fin de la révolution, par une 
déchéance qui les plonge dans la génération. Cette déchéance 
à son tour peut avoir deux causes : ou bien l’âme n’a pas su 
garder son équilibre (cf. 247 b) et, devenue incapable de 
suivre docilement, elle a été privée de la contemplation ; ou 
bien elle est victime d’une malchance? qui la rend oublieuse 
des visions dont elle avait pu être favorisée et qui pervertit 
complètement sa nature : elle était chose légère et ailée, elle 
s’alourdit et perd ses ailes. La voici donc à terre. Une 
compensation est toutefois promise à cette exilée, c’est 
qu’elle n’animera pas le corps de n'importe quel vivant, mais,. 
à la première génération, seulement celui d’un homme. 
Cependant, comme il y a des degrés dans la dénaturation 
préempirique des âmes, il doit y avoir aussi, en conséquence, 
une diversité qualitative dans leur existence empirique et 
une hiérarchie dans leur genre de vie à la suite de cette 
«première naissance ». [Il y a donc un ordre prédestiné des 


traires ; voir les commentaires du Timée par Th. H. Martin (IT p. 78) 
et de À. E. Taylor (p. 216 sqq.). 

1. Ainsi comprend Hermias 163, 1-3, 0 sq. Il admet en outre 
que, s’il y a perpétuité dans cette continuation, cela ne peut être ἀὰ 
qu’à des Génies bienveiïllants (13 sqq.), comme d’ailleurs le contraire 
à de mauvais Génies (25 sqq.). Il est superflu d’ajouter que rien chez 
Platon n’autorise cette interprétation ; voir la note suivante. 

2. C’est, dans la vie céleste, le pendant de cette autre malchance 
dont il est question à 250 a 4 et qui fait perdre ici-bas tout souvenir 
des visions préempiriques. Il y a quelque chose d’analogue, mais à 
rebours, dans le mythe d’Er : avant de revenir dans la génération et 
après leur séjour dans la plaine brûlante du Lêthè, les âmes qui se 
sont trop largement désaltérées au fleuve Amélès oublient tout ce 
qu’elles ont appris depuis la mort et chez Hadès. 

3. La préposition dont se sert ici Platon (ἐπί et non εἰς) semble 
indiquer que ce n’est pas à la chute même qu’il pense (cf. 246 c), 
mais plutôt à ce qui doit résulter de la chute, une fois faite, pour 
l'avenir de l’âme dans la génération. 


} 


NOTICE : LXXXIX 


incarnations. Les âmes qui, avant de se corrompre, ont eu 
la plus abondante vision des réalités vraies produiront en 
s'incarnant un homme ami du savoir et de la beauté, c’est- 
à-dire un philosophe‘. Le second rang d’incarnation fait 
paraître un roi fidèle à l’ordre de la Loi ou qui a dans la 
guerre l’art de commander. Au troisième, c'est un politique, 
à moins que ce ne soit un bon administrateur ou un finan- 
cier. Que ces sortes d'hommes viennent ainsi juste au-des- 
sous du philosophe, on se l’explique: il est possible en effet 
qu'ils s’inspirent des principes que l’autre leur aura dictés, 
comme dans le Politique (258 e-260 b, 301 a fin-c) et confor- 
mément à l'idéal défini dans la République (V 433 cd, cf. IX 
587 ab) ou à l'espérance attestée encore par les Lois (IV 
Ἴ09 6 sq.). Ces âmes sont inférieures sans doute; mais, 
quand les tendances à commander ou à administrer qui les 
caractérisent auront élé réglées scientifiquement?, elles 
acquerront une autre valeur. Peut-être même ceci s’appli- 
querait-il encore aux âmes du quatrième rang, celles d’où 
naîtront des hommes voués aux soins du corps, maîtres de 
gymnase ou médecins: ceux-ci en effet sont encore capables 
de s’ennoblir en se pliant aux directions du philosophe. 
Avec les rangs qui suivent nous ne trouvons plus au contraire 
que des âmes vouées à une existence de mensonge ou de 
sujétion : au cinquième, les marchands de prophéties ou 
d’exorcismes ὃ ; au sixième, les imitateurs de tout ordre, et 
les peintres sans doute aussi bien que les poètes (cf. p. χι, 


1. Il ne semble pas qu'ici le ou bien soit disjonctif comme il 
semble l’être pour les catégories suivantes. Etre musicien (avoir de 
la culture), être instruit des choses d'amour, être ami de la beauté, 
tout cela converge vers la notion du philosophe ou de « celui qui 
aime les jeunes gens d’un amour philosophique » ; cf. ici 249 a et 
Banquet 211 b ; voir aussi p. 29 ἢ. 1. 

2. C’est à peu près ainsi qu'Auguste Comte dans son système 
politique faisait des banquiers les organes, pour l’ordre temporel, de 
ce que prescrivent les philosophes dans l’ordre spirituel. 

3. Comme chez Aristophane les devins des Oiseaux ou de la Paix ; 
comme chez Euripide ces charlatans auxquels Thésée assimile Hippo- 
lyte (Hippol. 952-957; cf. les autres textes cilés par L. Méridier, 
Euripide et l'Orphisme, Bulletin Budé, janv. 1928); comme enfin 
tous ces gens que dénonce Platon lui-même dans la République (11 364 
b-365 a)et qui exploitent la crédulité d’autrui, surtout celle des riches. 


χα PHÈDRE 


n. 3); au septième, les travailleurs manuels, ouvriers ou 
laboureurs. Cequi a pu faire penser qu’en dressant cette hiérar- 
chie Platon ne veut que s’amuser, c’est la place qu’il assigne, 
plus bas encore, au sophiste et au démagogue. Mais n'est-il 
pas vrai que les deux classes précédentes ont au moins quelque 
utilité, l’une de nous charmer, l’autre de pourvoir aux néces- 
sités de l'existence ? Les gens du huitième rang au contraire 
ne sont que malfaisants, également corrupteurs de la 
conscience privée et de la conscience publique. Quant à 
‘âme prédestinée à l'état tyrannique, le chiffre de son rang 
est le même que dans ce passage de la République (IX 587 b- 
e) où Platon mesure de combien de degrés le. bonheur du, 
‘tyran s'éloigne de celui du roi. S'il y a donc, en somme, 
dans cet exposé une part de fantaisie, c'est justement celle 
qu'on y pouvait attendre : comment savoir l’ordre de valeur 
des prédestinations si l’on ne s’est fait à l’avance quelque 
opinion sur l'ordre de valeur des prédestinés eux-mêmes, ou 
du moins de leurs conditions! ? comment parler de ces condi- 
tions, sinon d’après les types que l’on connaît ? Or c’est jus- 
tement ce que Platon fait ici. 
ὃ. Ces premières naissances sont pour 
les âmes la fin d’une précédente exis- 
tence et le commencement d’une existence nouvelle. Il y a 
donc lieu de s'interroger sur la destinée finale des âmes par 
rapport à cette dernière : que deviennent-elles après la pre- 
mière mort? C’est l’objet de la seconde eschatologie (248 e 
5 sqq.). Deux idées la dominent. L'une est que leur sort 
dépend de ce qu'aura été, dans l’union avec un corps, leur 
manière de vivre par rapport à la justice et à l'injustice, et 
qu'il doit donc y avoir un jugement des morts ?. L'autre 


Sanctions. 


1. De même, Rép. X 618 b, la condition que les âmes ont choisie 
les détermine qualitativement et fonde entre elles un ordre hiérar- 
chique, τάξις. 

2. D’après l’eschatologie du Gorgias (526 c) et de la République 
(X 6:14 c d) les âmes les meilleures. celles des vrais philosophes, sont 
soumises comme les autres au jugement. Or ici il semble qu’il n’y 
ait de jugement que pour ces dernières (249 a 5): si en effet le 
renouveau des ailes est immédiat pour toute âme qui, par une vie 
philosophique, s’est déchargée de ce qui pesait sur elle (cf. 248 e 
8 sq., 249 a 4, c 4 sq.), les âmes des philosophes semblent monter 


NOTICE MN τὰς UNSS 


idée est que le délai au terme duquel les ΞΡ de nouveau 
ailées, reviendront prendre leur place dans le chœur divin 
auquel elles ont appartenu est de dix mille ans, mais que 
tous les mille ans elles recommencent une nouvelle existence 
terrestre‘. Ceci posé, voici une âme qui achève, souillée 
d’injustice, sa première existence terrestre : le jugement la 
condamne (cf. 256 e) à subir dans les demeures souterraines 
d’Hadès une punition proportionnée à ses fautes, et cela jus- 
qu'à ce qu’elle soit appelée mille ans plus tard à remonter 
sur la terre pour y vivre une seconde existence. Mais voici 
maintenant une âme dont la première vie fut juste : si c’est 
‘âme du vrai philosophe ou de celui qui unit à la philoso- 
phie l’amour de la jeunesse, elle montera pour mille ans au 
ciel ; après quoi elle redescendra sur la terre pour y commen- 
cer une nouvelle existence. Que celle-ci soit pareille à la pre- 
mière, consacrée comme elle à la justice, pareille aussi sera 
la récompense. S'il en est encore de même pour une troi- 
sième existence, alors cette âme connaîtra, à la fin seulement 
du troisième millénaire?, le privilège d’un retour anticipé à 
son lieu d’origine. Ce n’est pas cependant au seul philosophe 
qu'est promis ce retour au ciel. Il l’est aussi, du moins pour 
« quelque endroit » du ciel, à d’autres âmes, mais après 
que le jugement aura décidé de ce qu'a valu leur existence 
terrestre ; peut-être même la résidence qui leur sera assi- 
gnée est-elle proportionnée à cette valeur. Il semble que ce 
soient les âmes dont il sera question plus loin (256 ce et 
p. 95 n. 1), âmes généreuses et nobles mais dénuées de 
philosophie. 


tout droit au ciel (cf. 256 b 4), tandis que celles dont les efforts pour 
redevenir ailées ont besoin d’être estimés doivent attendre le juge- 
ment (cf. 256 d 4); voir la suite. 

1. Ce qui, dans l’eschatologie du Phédon (113 6), est pour tou- 
jours refusé aux grands coupables. Ce que leur refuse, semble-t-il, 
celle de la République (X 615 c-616 a) c’est seulement le droit au 
recommencement millénaire dont il est question ici. Voir Théorie 
platon. de l'Amour, p. 157 sq. 

2. Ce cycle de trois millénaires appartenait, d’après Hérodote 
(II 123), à la doctrine des Égyptiens, à laquelle les Grecs l’auraient 
emprunté sans le dire. Voir en outre Pindare, Olympiques IL 75 584. 

3. Peut-être ce Paradis que le Phédon (108 c, 110 c-111 c,114bc) 
réservait aux philosophes. Cf. aussi Lois X 904 c d. 


IV. 3. — g 


XCII PHÈDRE 


Ce qu’il y a de plus important toutefois: 
dans cette double eschatologie, ce sont 
deux principes par lesquels Platon a voulu résoudre deux 
problèmes qu’elle implique. — Le premier serait celui-ci. 
Puisque les bêtes sont des vivants et qu'il n’y a rien de 
vivant que par une âme, les âmes des bêtes viennent-elles. 
aussi des hauteurs qu'avoisine le royaume de la pure intelli- 
gibilité ? et, si elles en sont descendues, comment leur pen- 
sée peut-elle être si pauvre et incapable de cette « réminis- 
cence » qui est permise aux âmes humaines ? ou bien comment 
la richesse de pensée qui est en celles-ci pourrait-elle émerger. 
de cette pauvreté? Le réponse de Platon (248 cd) est que, à 
la première génération, ce n’est jamais dans un corps de- 
bête que s'implante une âme déchue, mais toujours dans un 
corps d'homme, quel que doive être d’ailleurs son rang dans. 
la hiérarchie des valeurs humaines ; que jamais une âme de 
bête ne peut donc revenir à un corps d'homme qu’à la 
condition d’avoir originairement animé un tel corps (249 b)! ; 
qu'un tel corps ne peut avoir enfin reçu d’autre âme qu’une 
âme ayant contemplé les réalités (249 e fin). Autrement dit, 
toutes les âmes des vivants mortels ont une nature identique 
et sont pareïllement déchues, mais celles des bêtes sont des 
âmes frappées d’une pénalité additionnelle. — Le second 
problème est connexe au précédent. Puisqu'une bête ἃ 
nécessairement été un homme lors de la première généra- 


Hommes et bêtes. 


1. Il y a sur ce point quelque équivoque dans l’expression. En 
parlant ici d’âmes qui jamais n’ont vu la vérité et qui par là même 
sont incapables d'animer un corps d'homme, Platon semble admettre 
qu'il y a originairement des âmes de bêtes et que toute âme d'homme 
a eu au contraire originairement cette vision. Or, quand il a dressé. 
le tableau des incarnations originaires, qui toutes sont des incarna- 
tions humaines, il paraît bien spécifier que les âmes inférieures sont 
des âmes qui n’ont pas vu la vérité (248 c 7). On pourrait être tenté. 
de penser que ce sont, dans des corps d’hommes, des âmes de bêtes ; 
un peu plus loin en effet il est question d'hommes qui, dans les 
choses de l’amour, ne se comportent pas en hommes, mais en bêtes. 
(250 e fin). Toutefois cette tentation échoue devant le texte décisif de- 
249 e fin. Il n’y a donc aucun doute sur l'intention profonde ; « ne 
pas voir » est pris au sens de « voir mal », et l’équivoque signalée est 
seulement due à l’élan lyrique de tout le morceau qui nuit parfois à 
la précision de l'expression. ᾿ 


NOTICE XCIII 


tion, l’état de bète ne peut donc se comprendre que par rap- 
port à l'existence terrestre des hommes originaires et par 
rapport à un moment où, une fois morts et après avoir payé 
les peines ou reçu les récompenses dues, ils doivent venir à 
une nouvelle existence. Comment se détermine la condition 
de cette nouvelle existence? La réponse est, sommairement 
indiquée ici, celle que développe le mythe d’Er dans la Répu- 
blique (cf. p. 4t n. 1): il y a un rôle pour le sort et un 
rôle pour le choix; c’est le sort qui assigne aux âmes le 
rang dans lequel elles seront appelées à choisir entre leurs 
futures existences ; celles-ci, combinées et dosées d’avance, 
sont proposées à leur choix en plus grand nombre que celui 
des candidats ; elles sont enfin, semble-t-il (cf. 619 c déb.), 
comme des paquets clos, qui portent une étiquette simple- 
ment générique mais dont le contenu reste ignoré dans son 
détail. Or, parmi ces existences, il y a des existences de bêtes, 
et, pour des raisons diverses, elles peuvent à certaines âmes 
paraître préférables à des existences humaines ἡ. Il est à noter 
enfin que ce choix, limité par le hasard du rang et qui peut 
s'orienter vers une vie de bête, appartient, d'après le Phèdre, 
aussi bien aux âmes qui viennent de recevoir en un endroit 
du ciel la récompense de leur vie terrestre, qu’à celles dont 
l'expiation vient de s'achever aux enfers. Bien plus, la 
République fait observer que ces âmes venues du ciel ne sont 
pas, tant s’en faut, les moins exposées à se tromper dans 
leur choix : c’est justement parce que la vertu dont elles ont 
été récompensées se fondait moins sur la philosophie que sur 

l'inertie des habitudes en relation avec un bon naturel 


1. On peut se demander cependant si là-dessus la pensée de Platon 
n’a pas évolué. Dans le Phédon en effet (8r e-82 b, cf. 83 d fin) et, 
d’autre part, dans le Timée (41 bc, 76 d, 90 e-92b), la condition de 
bête n’est pas le fait d’une option, mais le résultat nécessaire d’une 
vie humaïne antérieure que dominaient de mauvais penchants et un 
résultat en harmonie avec ces penchants ; du supérieur à l’inférieur, 
la série de ces dégradations de l’homme commence par la femme, 
qui provient d’un homme lâche et injuste, et elle finit aux animaux 
aquatiques, qui descendent des hommes les plus intelligents et les 
plus ignorants. Peut-être, à la vérité, les deux conceptions ne sont- 
elles pas inconciliables. Peut-être aussi Platon pense-t-il que dans 
ce domaine mythique une vraisemblance n’est pas loin d'en valoir 
une autre, 


XCIV PHÈDRE 


(619 cd). Ce sont des points sur lesquels on aura l'occasion 
de revenir plus tard (cf. p. exxix sq.). 


3. La doctrine de l’âme, dans son ensem- 
Amour et ble, a été appelée par le besoin de faire 
philosophie, : ᾿ 

comprendre comment le délire d'amour 

est entre tous le plus beau et le plus bienfaisant. Nous pas- 
sons donc maintenant à la doctrine de l’amour et Platon 
commence (249 b 8 sqq.) par montrer quel lien existe entre 
l'une et l’autre doctrine, Nous avons appris que c’est néces- 
sairement dans un corps d'homme que doit, à la première 
génération, s'implanter toute âme à qui a été donnée la 
possibilité de contempler les réalités absolues. C’est qu’une 
intelligence d'homme est, comme nous dirions, une raison : 
sa fonction est en effet de réduire la multiplicité sensible à 
l'unité d’une idée dans laquelle cette multiplicité est rassem- 
blée par un acte de réflexion raisonnée. Mais en faisant 
cela, nous ne créons pas, nous ne faisons que nous remé- 
morer ? ces réalités vraies que nous avons pu voir par delà le 
ciel, quand dans ce ciel nous faisions partie de la suite d’un 
dieu. C’est de ces réalités, divines en elles-mêmes, que ce qui 
est dieu tient sa divinité, et c’est parce que le philosophe 


. 


1. Il faut, je crois, garder ici le texte des mss. et d'Hermias. Les 
objections de Thompson et d’autres me semblent peu décisives : ce 
n'est pas de l’idée que Platon dit qu’elle va de la multiplicité à 
l'unité, mais bien de « l'acte de comprendre, comme on dit, selon 
l’Idée » ; pas davantage ce n’est l’idée qui est rassemblée par une 
réflexion raisonnée, mais c’est l’unité qui apparaît ainsi comme une 
totalité unifiée ; cf. 250 e et la note. Il n’y a rien d’autre ici que ce 
qu’on trouve dans Ménon "4 d-75 a, dans Phédon 65 d-66 a, 56 cd, 
dans la République VII 523 e-525 a ou X 596 a b, dans Théétète 148 ἃ 
et ailleurs encore. 

2. Sur la réminiscence, cf. Ménon 80 ἃ sqq., Phédon 72 e sqq. 

3. Cf. p. 42 n. 2. — Peut-ètre y .a-t-il dans ce passage de quoi 
lever les doutes qui se sont élevés sur le sens d’une phrase du Timée 
(37 c) où Platon appelle le monde « une image produite des dieux 
éternels ». Dans une intéressante discussion de son commentaire 
(Ρ. 184-186), A. E. Taylor rejette en effet l'interprétation, qui 
remonte à Plotin, d’après laquelle ces dieux éternels ce seraient les 
Idées elles-mêmes. Certes il n’est pas contestable que le Démiurge 
est un dieu éternel (34 a) ; il ne l’est pas non plus que, si les dieux 


NOTICE XCV 


s’applique sans cesse à se les rappeler, en suivant la voie dont 
on vient de parler, que son âme est toujours prête à s'éle- 
ver vers la perfection du mystère auquel il est parfaitement 
initié. Mais ainsi il se désintéresse de tout ce qui passionne 
le reste des hommes : on le prend donc pour un fou, tan- 
dis qu'en vérité il est possédé d’un dieu. 
A. — Or c’est justement la même chose 
Le délire d'amour, Qui a lieu dans la quatrième forme 
son origine et ses du déli l'Asie d' d 
Mères . u délire, le délire d'amour (249 ἃ ἡ 
sqq.). La vue d’une beauté dans l’ordre 
sensible provoque le ressouvenir de la Beauté véritable ; 
l’âme de l’amoureux se sent redevenir ailée, elle voudrait 
s'envoler et elle ne le peut pas. Mais cette impatience de 
s'élever ne détache pas des choses de la terre l’amoureux 
moins qu’elle n’en détachait le philosophe, et lui aussi il passe 
pour être fou, fou d'amour. Or cette forme de la possession 
divine est, tout au contraire, la meilleure entre toutes celles 
qui ont été énumérées. Bien plus, le développement entier 
est conçu de façon à suggérer que ce délire d’amour est un 
équivalent de cet autre délire dans lequel la foule fait consis- 
ter la philosophie. Et de part et d’autre c’est la forme excel- 
lente, à la fois pour celui qui en est le sujet, l’amant ou le 
philosophe, et pour celui qui en est l'objet, l’aimé ou le 
jeune homme à qui le philosophe brüle de se consacrer ?. 


sidéraux et à plus forte raison les autres ne sont pas éternels à la 


rigueur (41 d déb. ; cf. 4o e-41 a), on peut cependant les considérer - 


comme tels (4o b). Mais, à prendre littéralement l’exposé du Timée, 
on voit que cet éternel Démiurge a travaillé d’après un modèle qui 
est lui-même éternel et absolument parfait (28 a-29 a, 30 d sq.), 
duquel on aurait quelque peine à le distinguer s’il n’était pas l’artisan 
d’une copie. Dès lors, en quoi serait-il choquant que les réalités 
intelligibles, toujours identiques à elles-mêmes et qui sont le modèle, 
c’est-à-dire les Idées, fussent appelées par Platon « les dieux 
éternels » ? L'expression s'accorde avec celle de « dieu futur », appli, 
quée au monde en opposition à la perpétuelle existence du Démiurge 
(34 a), et elle se retrouve à la fin du Timée (932 c), où le monde est 
appelé « le dieu sensible qui est la copie du dieu intelligible ». 

1. Comparer Banquet 218 d (discours d’Alcibiade). 

2. À l’opposé de ce que faisaient les deux premiers discours, qui 
ne se plaçaient qu’au point de vue de l'intérêt de l’aimé et qui ten- 
taient de prouver à celui-ci que son avantage est de céder à l’amant 


xCvI PHÈDRE 


Au reste les occasions efficaces de se ressouvenir sont rares, 
rares aussi les âmes qui en sont capables (cf. Phédon 69 cd), 
soit faute d’avoir vu d’une façon suffisante les réalités, soit 
faute d’avoir, par une vie pure, entretenu en elles-mêmes 
l'aptitude à se ressouvenir. Aussi, quand une chose sensible 
n’en est pas seulement l’occasion indirecte, mais qu’elle 
imite autant que cela est possible une réalité vraie !, cette 
chose est-elle propre à causer dans l'âme des transports qui 
la mettent si bien hors d’elle-même qu’elle ne se possède 
plus et qu’elle est incapable de s'expliquer à elle-même 
l'émotion intense qu’elle éprouve. 

B. — Ce qu'il faut donc expliquer, c’est pourquoi le bel 
objet qui fait naître l'amour provoque dans l'âme ces trans- 
ports (250 b 2 sqq.). Les réalités absolues ne sont pas toutes 
également lumineuses dans leurs images terrestres : ainsi la 
Justice, la Tempérance ont besoin, pour être tout juste 
reconnues, que l’on ait recours à des moyens artificiels de les 
reconnaître, et encore ces moyens ne sont-ils à la portée que 
d’un petit nombre d’hommes?; si elles brillaient de tout 


qui est sans amour ou sans passion (cf. Lxxrr et Lxxvr sq.). D’un 
autre côté, s’il'est vrai que ceci concerne à la fois l’amour et la 
philosophie, c’est-à-dire l’amour philosophique, la proposition pour- 
rait être illustrée par un fameux passage du Banquet (cf. ma Notice 
de ce dialogue, p. xcr sq.). 

1. Cette idée d'imitation (250 ἃ 6) vaut qu’on s’y arrête. Sans 
doute peut-on dire avec le Phédon (74 a-75 a) que les égalités sen- 
sibles font ressouvenir de l'égalité en soi parce qu’elles lui ressemblent 
et qu’elles tendent à l’imiter quoique toujours imparfaitement. Mais 
elles sont plutôt une occasion médiate d’y penser et de mesurer la 
distance qui les en sépare. Aussi n’excitent-elles pas à cette occasion 
l’émotion qu’excite la beauté sensible, parce que l’évidence lumineuse 
de celle-ci imite immédiatement la splendeur de la Beauté idéale. 
C’est sur ce privilège de la beauté qu'insiste le développement qui 
suit. On pourrait rapprocher Banquet 210 e-212 a. 

2. Il ne semble pas que ces « troubles instruments » d’une représen- 
tation imaginaire puissent désigner l’homme juste ou tempérant : s’il 
est une image de la justice ou de la tempérance, par contre on voit 
mal comment il pourrait être appelé un «instrument». Platon veut, 
je crois, parler des législations et des règles, traditionnelles ou 
codifiées, de la conduite. Ce sont en effet à la fois des instruments et 
des images, car elles reproduisent artificiellement, tant bien que mal 


NOTICE XCGVII 


eur éclat dans leurs images terrestres, l’amour qu’elles allu- 
meraient ainsi dans nos âmes serait le plus ardent qui se 
puisse. A la vérité, même au temps aboli des visions préem- 
piriques !, le resplendissement de la Beauté était sans pareil. 
- Du moins est-ce un fait qu’ici-bas encore ses images sont 
les seules qui aient de la clarté par elles-mêmes : c’est à la 
vue qu’elles s'offrent, et de tous nos sens c’est le plus péné- 
trant ; elles possèdent un charme qui leur est propre. 

C. — Il y a lieu toutefois (250 e sqq.), en ce qui concerne 
l'impression produite par les images de la Beauté, de voir 
quelles en sont les différences selon les sujets qui la reçoivent. 
Chez les uns l'initiation a perdu sa fraîcheur, elle l’a gardée 
chez d’autres ? ; les âmes des uns se sont perverties, celles des 
autres ont été réfractaires à la corruption. Il s’ensuit que, à 
la vue de l’objet aimable, toutes ne sont pas également 
promptes à se porter sur les ailes du souvenir vers la Beauté 
absolue. Bien plus, certaines se comportent en amour à la 
façon des bêtes, d’autres poussent même le dérèglement jus- 


et plutôt mal que bien, l’air de famille de ces réalités absolues ; peu 
nombreux sont en outre les législateurs capables de produire de tels 
instruments (cf. 258 c déb.) et le code de la conduite (les nomima) 
n’est l'œuvre que de Sept Sages. C’est justement l’obscurité et l’in- 
distinction de telles images qui détermine Platon à entreprendre de 
fonder la société sur de nouvelles bases, 

1. Toutes les expressions dont se sert ici Platon viennent sans 
doute du vocabulaire des Mystères. En tout cas elles doivent être rap- 
prochées de ce qu’il y a d’analogue dans le Phédon 67 a b et dans le 
Banquet 209 e sq., 210e, 211 0-212 ἃ. 

2. Qui sont ces derniers ? Sans doute il peut s’agir d’âmes qui 
sont depuis peu incarnées ; non bien entendu d’âmes nouvelles, car 
si la quantité d’âme (c’est-à-dire de principes de vie) est constante 
(Rép. X 6rra; cf. Phédon 72 a-d, Lois X ροή ab), une telle nou- 
veauté est inconcevable. Ce n’est pas d’ailleurs pour les avoir perdues 
depuis trop longtemps que les âmes oublient les visions idéales; c’est 
parce qu’elles entrent dans la génération et justement parce qu’elles 
s'unissent à un corps (cf. Phédon 75 d, 56 c d). Ne s’agit-il pas plutôt 
d’âmes en qui, par l’éducation ou par l’amour philosophique, la sève 
de linitiation préempirique a vu sa fraîcheur renouvelée (cf. 25 1 a-c) ἢ 
Leur cas s'oppose très naturellement à celui des âmes dont il a été 
question auparavant et qui, s’étant laissé corrompre, sont incapables 
d’un tel renouveau. 


ΧΟΥΣῚ PHÈDRE 


qu’à chercher des plaisirs contre nature ‘. Mais il en est, tout 
au contraire, chez qui la vue du bel objet renouvelle les 
émotions que dans la vie préempirique donnait à leur âme la 
contemplation de la réalité vraie de la Beauté. Ils sont, en 
face de lui, comme en face de leur dieu; tour à tour ils fris- 
sonnent et ils brülent. C’est que de l’aimable émane une 
chaleur sous l’action de laquelle fond ce qui en leur âme 
s'était figé et durci, de sorte qu’à l'aile est ainsi donné un 
élan de vitalité. 

D. — Pour qu'il en soit ainsi, une condition est pourtant 
nécessaire (251 c 6 sqq.); c’est qu'entre ce foyer de chaleur 
et l’âme de l’amoureux rien ne vienne s’interposer. Dans le 
cas contraire, l'âme déjà prête à s'envoler sent se briser son 
élan; elle souffre cruellement, mais elle est dans le même 
temps joyeuse parce qu’elle pense au bien-aimé. Ce conflit 
de sentiments la déconcerte, elle ne sait plus où elle en est ni 
comment sortir de cette contradiction ?. Dans l'espoir d’y 
mettre un terme, elle s'emploie avec ardeur à se rapprocher 
le plus possible de l’objet vers lequel elle tend ; elle travaille, 
au mépris de tout ce qui l’en pourrait détourner, à se mettre 
dans la dépendance complète de l’aimé, afin de ne plus souf- 
frir et de réaliser au contraire la plénitude de sa joie. 


1. Ce serait une nouvelle preuve que Platon, tout en parlant le 
langage de l'amour masculin qui est familier à son milieu, y voit 
cependant une honteuse aberration ; cf. 256 c 3 sq. et Banquet 
Notice p. xLv-xLvir. 

2. Cf. p. 46 n. 2 et Banquet Notice, p. cr sq. — Le rapproche- 
ment de l’atopia et de l’aporia suggère, une fois de plus, l’idée d’une 
étroite parenté entre l’amour et la philosophie. La conduite de 
l’'amoureux est si étrange qu’elle déroute son entourage (Banquet 
182 e-183 c) et 1] est lui-même dérouté par un étrange dissentiment 
intérieur (ibid. 216 c). De même Socrate, c’est-à-dire le philosophe, 
déroute tout le monde par son étrangeté, mais il ne se sent pas moins 
dérouté lui-même par lui-même (Ménon 80 c d). De là l’embarras où 
ils sont, amoureux ou philosophe ne sachant comment trouver le 
chemin qui les mènera à leur but (Banquet 219 ἃ fin, Ménon 80 d). 
La naissance d’une vérité dont on porte en soi-même la promesse 
suppose justement, à la racine de la maïeutique, ce sentiment d’em- 
barras intérieur (Ménon 84 a, Théét. 151 a, d). 

3. Sur la « vague de désir », par quoi jai tenté de rendre le sens 
étymologique attribué par Platon au mot himéros, cf. p. 46 n. 1 et 
infra 255 c déb. — Quant à l’impertinence du second des vers cités 


NOTICE ΧΟΙΧ 


E. — Voilà donc comment sont rendues ses ailes à l’âme 
de l’amoureux et commentellefaitun effort personnel pour se 
replacer, en intention et en image, dans le chœur divin auquel 
elle a appartenu. Aussi allons-nous voir (252 c 4 sqq.) ce 
qui en résulte, et pour la façon dont l'amant se comporte en 
amour, et pour la façon dont cet amour se communique à 
l’anné. Tout d’abord l’amant, dans sa conduite à l'égard de 
l’aimé, manifeste son désir d'imiter le dieu duquel il dépend: 
il le choisit en effet assorti à sa propre nature telle qu’elle 
est déterminée par cette dépendance et, s’il lui rend un véri- 
table culte, c'est qu’en lui il croit retrouver son dieu; ce 
sont ceux qui ont été les suivants de Zeus, dont l'amour sera 
philosophe (cf. 250 b 7). Ensuite, dans l'âme du bien-aimé 
ainsi choisi, l’amoureux reverse ‘ l'influence à laquelle il est 


252 b fin, elle semble évidente. N’est-il pas inconvenant en effet de 
se réclamer des Immortels pour donner au dieu Amour un nom qui, 
si vrai qu’il puisse être, n’est du moins pas le sien et qui, de plus, 
prête à rire? La faute de prosodie serait double : devant deux 
consonnes δέ devrait être une longue et non une brève ; d’autre part, 
dans πτεροφύτορ᾽, le à devrait à son tour être une brève et non pas 
une longue, au moins selon l’usage moderne ; car il semble qu’ori- 
ginairement la voyelle ait été longue dans la racine φυ, ainsi qu’elle 
l’est restée dans plusieurs temps du verbe φύω et comme Aristote en 
admet la possibilité dans sa Métaphysiqae, À 4 déb. 

1. Avec le texte traditionnel £x Διός (à la source de Zeus), il me 
semble difficile de ponctuer après les mots: pareils aux Bacchantes, 
ainsi qu’on le fait d’ordinaire. Quand en effet les Bacchantes, 
comme le dit l’Ion 534 a, sont en état de possession et puisent aux 
fleuves le lait et le miel, ce n’est pas Zeus qui est l’auteur de cette 
possession, mais bien (ce que note Hermias 191, 22) Dionysos, qui 
est leur patron. Si donc Platon les prend ici comme exemple, ce 
serait pour les montrer faisant part à autrui de ces douceurs que, 
dans leur ivresse, elles font sortir de l’eau. Ceci n’est pas encore 
toutefois pleinement satisfaisant, tandis que la conjecture de De Geer 
(cf. p. 48 n. 1), que je n’ai pas osé transporter dans le texte, paraît 
propre à faire disparaître toute difficulté. Pourquoi en effet serait-il 
de nouveau question ici de l'inspiration de Zeus, déjà envisagée 
252 e 1? Pourquoi Dionysos ne serait-il pas nommé comme le sont 
plus bas Hèra et Apollon ? Il ne semble pas d’ailleurs que Platon 
pense à Dionysos en tant qu'il est patron des ivrognes ; mais plutôt 
ainsi qu’il le fera plus tard (265 b 3, passage auquel se réfère vrai- 
semblablement Hermias loc. cit.), en tant qne Dionysos est patron 


ν᾿ PHÈDRE ᾿ 

personnellement soumis : il le conseille et le dirige afin de 
J'élever à son niveau, et ainsi de l’élever, avec lui-même, au 
niveau de son dieu, car il n’est point jaloux de le voir devenir 
meilleur‘. L'amant qui délire, quand son délire s'oriente, 
-comme on l’a dit, vers le divin, quand ce délire est un retour 
aux contemplations de jadis, fait donc partager son délire à 
-celui qui s’est laissé prendre à son amour. 


ἡ. Il s’est donc laissé prendre: il était 


-ke:2rame aimé,et voici qu'à son tour il aime. 
intérieur ᾿ ΜΚ ΕΡΕΙΑ Ὰ 
τῷ Comment cela s'est-il fait? C’est une 


péripétie du drame qui se joue: quels 
sont les vrais ressorts de cette péripétie et quel y est le rôle 
des deux personnages? Voilà ce qu’il reste à expliquer (253 c 
ἢ sqq.). Le principe de cette explication est dans le mythe de 
l'âme : l’âme de chacun des deux personnages est en effet 
-comme la coulisse où se joue secrètement un autre drame, 
-qui a lui-même ses acteurs et ses péripéties. Aussi Platon 
nous invite-t-il tout d’abord à nous rappeler comment il a 
représenté la nature de l'âme par l’image de l’attelage ailé 
(cf. 246 ab): les deux chevaux de l’âme et son cocher. Mais, 
s’il avait alors indiqué que des deux chevaux de tout attelage 
mortel l’un est bon et l’autre mauvais, il n'avait pas montré 
en quoi. Du portrait pittoresque qu'il en fait ici, les éléments 
en quelque sorte moraux sont les seuls que nous ayons à 
retenir. Le bon cheval aime la gloire, mais avec sagesse et 
mesure (σωφροσύνη), il a de la réserve (αἰδώς) ; il y a société 
entre lui et l'opinion vraie, c'est-à-dire qu'il lui est habituel 
de juger juste, mais sans que la rectitude de ce jugement soit 
fondée sur un savoir réel (cf. p. 49. n. 1); pour le mener, le 
-cocher n’a besoin que de l’encourager de la voix?. L'autre au 


de l’art des initiations. Une dernière remarque : Proclus, dans son 
“commentaire du Premier Alcibiade (p. 26 sq. Creuzer), fait une 
allusion textuelle à notre passage, mais en omettant, comme s’il en 
“était embarrassé, les mots sur lesquels porte la présente discussion. 

1. Comme les dieux qui ne connaissent pas l’envie (247 a fin), et 
contrairement à ce qui a lieu pour l’amant sans amour du premier 
discours de Socrate (238 e-239 b). 

2. Le terme dont se sert ici Platon, λόγῳ, est d’une ambiguïté 
voulue : il signifie à la fois la parole et la raison. De même il dira 
plus bas du bon cheval (253 e 7 sq.) qu’il « obéit docilement au 


NOTICE ct 


contraire ne cède qu'à la contrainte: il a partie liée avec la 
démesure et la vantardise. Aussi en face du bel objet ne se 
comportent-ils pas de même. Tandis que l’un garde la pudique 
réserve qui lui est ordinaire, l’autre va de l’avant avec vio- 
lence, il se flatte d’être à même de procurer à l’aimé les plus 
vives jouissances. Quant au cocher, son état est complexe : 
J'émanation qui lui est venue de la beauté l’a échaufté (cf. 
291 ab, c fin) et s’est communiquée à la totalité de l'âme, 
c'est-à-dire aux deux forces qu’il a pour mission de diriger ; 
or c’est cette chaleur qui, fondant une sève durcie, est capable 
de rendre à l’appareil ailé sa vitalité, mais en même temps 
il ressent ces mêmes piqûres que faisait endurer à l’âme 
l'absence de la beauté (cf. 251 de). Autrement dit, il est dans 
un état d'instabilité qui lui enlève son pouvoir de contrôle et 
de direction, si bien que les forces dociles à son action ne 
savent plus elles-mêmes à quoi obéir et que celles dont la 
tendance naturelle est déséquilibre et révolte finissent, après 
diverses alternatives, par prendre le dessus et conduisent au 
péché l’âme tout entière. 


cocher ». Or, le cocher qui sait ainsi se faire écouter, c’est l’intellect, 
cer ou pilote de l’âme (cf. 247 c fin). 

. Ce passage difficile doit être inter ges à la lumière des ΞΕ 
τῷ εις κυσὶ qu’il rappelle et auxquels j’ai renvoyé. Le mot dont 
use Platon 253 6 7, πόθος, signifie à la fois désir passionné et regret. 
Si on le prend au premier sens, on attribue au cocher une convoitise 
qui, d’après la description de Platon, est propre au cheval vicieux. 
Le second sens par contre implique chez le cocher le sentiment d’un 
manque, auquel s’oppose cette sensation généralisée de chaleur que 
provoque la vue du bel objet qu’il a devant lui. Hermias (196, 29- 
197; 7) a raison quand il note que la passion n’est pas le fait du 
cocher et que son désir ne peut aller que vers la Beauté absolue ; 
mais il a tort de prétendre que par « sensation » Platon a voulu 
désigner ici la « remémoration ». Tout au contraire cette sensation 
dont l’objet est une beauté empirique est nécessaire pour éveiller 
la réminiscence. Mais celle-ci ne se produit pas encore ; autrement, 
ce qui déjà aurait lieu, c’est ce qui sera décrit dans la suite immé- 
diate. Donc ici la beauté est à la fois sentie comme présente puisque 
le bel objet est là, et devinée comme absente puisque la réminis- 
cence de la Beauté absolue n’est encore qu’amorcée (ef. 254 b 6 


sq.). C’est le mélange de sentiments contraires dont il était question 
251 d. 


cut PHÈDRE 


Cette exposition est toutefois trop géné- 
rale, et en outre elle ne considère qu’un 
seul des deux personnages entre lesquels se joue le drame 
visible de l'amour. Il faut donc reprendre l’analyse du drame 
intérieur, successivement dans l’âme de chacun d'eux, et 
d’abord dans l’âme de l’amoureux, autrement dit du sujet de 
l'amour (254 b 5 sqq.). Supposons que la vision flamboyante 
du bel objet ait réveillé dans l’âme de l’amant les souvenirs 
assoupis de la Beauté idéale et des autres réalités absolues que 
le cocher a jadis contemplées dans le voisinage de celle-ci. 
Une sorte de religieuse terreur s'empare de lui, il redoute de 
profaner ce qu’il vénère, il recule devant le sacrilège et 1] fait 
ainsi reculer les deux chevaux qu'il a charge de mener, l’un 
sans qu'il oppose aucune résistance, l’autre de vive force. Le 
premier a honte d’avoir oublié sa réserve coutumière ; le 
second est furieux de n’avoir pu aller jusqu’au bout de son 
désir. Ses exigences, auxquelles les deux autres ont d’abord 
imposé un délai, deviennent enfin si impérieuses que de nou- 
veau, tous les trois, les voici en face du bien-aimé. De nou- 
veau aussi le cocher est animé des mêmes sentiments de 
vénération craintive et, sous l'influence de la même cause, 
il se ressouvient de la Beauté en soi; de nouveau il recule et 
fait reculer l’attelage. La même scène s’est-elle plusieurs fois 
répétée, la bête vicieuse est alors domptée; la peur l’empé- 
chera désormais de se révolter contre les décisions de son 
conducteur. De la sorte, en face du bien-aimé, une même 
attitude de respect et de réserve est commune à tous les 
acteurs du drame intérieur. Pour substituer cette attitude 
à la précédente, il a suffi que l'inquiétude désorientée du 
cocher fit place au ressouvenir de la Beauté vraie. 

Plaçons-nous maintenant au point de 
vue de l’aimé (255 a 1 sqq.), c’est-à-dire 
de celui qui, étant l’objet de l'amour, doit à son tour en 
devenir un sujet, aimant lui même autant qu'il est aimé ; car 
sans réciprocité il n’y a point d'amour. Celui qui l’aime 
l'aime d’un amour sincère ; quant à lui, il ne peut s'empêcher 
d’avoir pour lui de l’amitié. Peut-être, à force de s'entendre 
dire qu’il est mal de fréquenter un amoureux, repoussera- 
til d'abord le poursuivant. Mais comment, s’il est bon, 
repousserait-il longtemps celui qui est bon lui aussi ? Ainsi 
s’établissent entre eux des relations, et plus immédiates se 


/ 


dans l'amoureux ; 


dans l'aimé. 


NOTICE cuil 


_ font les manifestations de la bienveillance de l’amoureux 
(cf. 253 b fin). L’aimé en ressent des transports qui le mettent 
hors de lui-même : aucune tendresse ne lui semble comparable 
à celle d’un amant que l'amour inspire et qui est ainsi pos- 
sédé d’un dieu (cf. 252 a). Avec le temps leur intimité 
devient encore plus étroite. Alors cette « vague de désir », 
l'himéros (cf. 251 c fin), qui a sa source dans le bel objet 
roule vers l'amoureux un flot plus abondant, et celui-ci s’en 
emplit jusqu'à déborder. Mais ce trop-plein, au lieu de se 
perdre, revient par le regard vers sa source à la façon d’un 
écho. Une fois que, ainsi réfléchi, il a comblé l’âme de l’aimé, 
les ailes de celle-ci reprennent leur vitalité, comme cela 
avait eu lieu, sous l’action brûlante de la beauté aperçue, 
pour les ailes recroquevillées de l’âme de l’amant (cf. 251 a- 
c). L’aimé à son tour est donc lui-même devenu un amou- 
reux, et c’est ce qui le distingue de l’aimé du premier discours 
(cf. 240 de) qui, au lieu de s’éprendre de son amant, l’avait 
au contraire à charge un peu plus chaque jour. Voilà comment 
l'objet de l'amour en devient lui-même un sujet : un 
amoureux de son amoureux. 
Ainsi deux sujets de l’amour sont en 
face l’un de l’autre: qu’en résulte-t-il 
pour leurs rapports ? C’est sur ce point 
que va désormais se poursuivre l'analyse (255 d 3 sqq.). 
’éclosion de l’amour chez celui qui n’était d’abord qu’un 
aimé a déterminé en lui un trouble qu’il ne s’explique pas 
(cf. 256 a déb). La vérité est que, sans qu'il s’en rende compte, 
c'est lui-même qu’il voit dans son amant ainsi qu’en un 
miroir. Vision directe de l’amant et image réfléchie de l’aimé 
ne font plus qu’un. Aussi se manque-t-il à lui-même en 
quelque sorte quand son amant est éloigné de lui, et, quand 
il le retrouve, c’est vraiment lui-même qu’il retrouve, de sorte 
qu'aussitôt prend fin la souffrance qu'il éprouvait : réplique 
fidèle de ce qui avait lieu pour l’amant du fait que son aimé 
était absent ou présent (cf. 251 de). Une réplique, voilà en 
effet ce qu'est chez l’aimé cet amour qui est l’image réfléchie 
de celui de l'amant: un « contre-amour », un ant-éros!, en 


Deux amants : 
le contre-amour. 


1. Cf. p. 53 n. L’Antéros est entendu ici au sens où le prend 
Eschyle, Agamemnon 544 : « Vous brûliez du désir de qui vous 


GIY PHÈDRE 


face de l’amour, de l’éros, qui en a été le principe et dans 
lequel il y avait naturellement plus de vigueur : voilà pourquoi 
« amitié », et non point « amour », est seulement le nom 
que tout d’abord l’aimé donne à ce qu'il ressent (cf. 255 a 3)‘. 
Comme cependant les témoignages qu’il donne de cette amitié 
sont particulièrement chaleureux, il arrivera forcément que le 
cheval vicieux de l'amant en prendra avantage pour essayer 
de circonvenir son cocher en vue d'obtenir les jouissances 
qu'il convoite. Celui de l’aimé en revanche ne sait que dire, 
puisque l’âme de l’aimé ne s’explique pas ce qu’elle éprouve; 
et pourtant le désir dont elle surabonde l’incite à manifester 
à celui en qui elle voit simplement un ami une brûlante 
tendresse, expression imparfaite d’une gratitude infinie. Pour 
peu qu'on le presse, l’aimé est donc sur le point de succom- 
ber. Mais voici qu'interviennent alors la réserve naturelle au 
bon cheval et la réflexion propre au cocher : leur résistance 
préservera l’aimé de la chute définitive ?. 


désirait » (trad. Paul Mazon). Mais cette émulation, où l’amant et 
l’aimé rivalisent à qui sera le plus amoureux l’un de l’autre, peut 
aussi se produire entre deux personnes qui aiment une même chose: 
ainsi dans ce passage de la République (VII 521 b) où Platon, par 
rapport à la possession du pouvoir, met en face les uns des autres 
les amoureux et les contre-amoureux, c'est-à-dire des rivaux qui se 
disputent un commun objet, extérieur à eux-mêmes. Dans le dialogue 
pseudoplatonique intitule Antérastaï, la rivalité est au contraire entre 
deux amants qui aiment des choses différentes, l’un la philosophie, et 
l’autre les exercices physiques, chacun s’efforçant de convaincre son 
aimé de la supériorité de la chose qu’il aime. Il y a donc du mot 
antéros plusieurs acceptions, qui se rattachent à la diversité des sens 
de anti : ce préfixe marque en effet aussi bien réciprocité et échange 
qu’opposition et antagonisme. 

1. Ceci pour faire voir que la confusion des deux choses dans le 
discours de Lysias 232 e-233 d n’était en réalité qu’une méprise sur 
la dénomination. 

2. Cette partie de l’analyse évoque le souvenir, dans le Banquet, 
de la scène de « tentation » (218 b-219 d): Alcibiade, amoureux de 
Socrate bien qu’il en croie être l’aimé, voit ses entreprises conqué- 
rantes échouer devant la raison et la réserve d’un homme pour qui 
l'amour, celui dont il est l’objet aussi bien que celui qu’il donne, 
dépasse Le plan de la sensualité. 


NOTICE cv- 


: Aux péripéties qui ont marqué ce drame- 
Deux épilogues  qyn amour, dont on a reconnu qu'il: 
possibles 


du drame: est un véritable amour puisqu'il est un 
délire, il ne reste plus qu'à donner un 
épilogue. Or celui-ci sera différent selon la manière dont se- 
seront dénouées ces péripéties, soit. par l’impudence brutale- 
chez l’amoureux et l'abandon complaisant chez l’aimé, soit - 
par le triomphe chez l’un comme chez l’autre de la raison et 
de la sagesse. Ainsi ce qui reste à considérer, ce sont les. 
effets de l'amour selon la facon dont il aura évolué, c’est 
l'utilité ou le dommage qui peuvent en résulter, comme 
disait Socrate dans son premier discours (cf. 238 e et p. 18 
n. 3), mais celte fois à propos du véritable amour, de celui 
qui est un délire. Il y a donc, on le voit, deux épilogues.- 
possibles. — Le premier (256 a 7 sqq.) est celui d’un amour 
qui a été soumis à l’ordre et orienté vers la philosophie, 
dans lequel l’autorité a appartenu à ce qu’il y a de meilleur 
dans l'âme, qui a comporté la maîtrise de soi et la mesure, 
qui a asservi les éléments capables de corrompre cette âme où 
il y a du mauvais et du bon, qui inversement a libéré ce qui 
est capable d'empêcher que le mauvais ne l’emporte sur le- 
bon. Après une existence terrestre faite d'harmonie et de 
bonheur, les amants de cette sorte ont délesté leur âme de ce 
qui l’appesantissait, et celle-ci, à l’heure où elle quittera son 
corps, montera portée par ses ailes vers sa patrie céleste. Elle 
y reprendra, et même définitivement, sa place originelle- 
quand, deux fois encore, elle aura remporté la même victoire 
sur les désirs sensuels, antagonistes de la raison (cf. p. 54 
n. 1). Il n’est pas de bien plus grand que puissent conférer, 
ni une sagesse pratique humaine, ni tout autre délire divin‘. 


1. Platon veut ici distinguer entre les bienfaits du délire d’amour- 
quand le caractère divin en aura été sauvegardé par son application 
philosophique, et ceux des autres délires dont'il a parlé 244 a-245 a : 
ceux-ci ne sont en effet bienfaisants que par rapport aux choses d’ici- 
bas. Mème ainsi limitée, leur bienfaisance est cependant supérieure- 
à celle des techniques humaines raisonnées, qui en sont de grossières 
contrefaçons (244 ὁ 4), A plus forte raison en doit-il être ainsi d’une 
forme du délire qui a été proclamée supérieure à toutes les autres 
(249 e déb. ; cf. 245 b fin). — Il me semble d’autre part moins pro- 
bable que, comme le suggère Z. Diesendruck (p. 11, 13, 14), la 
sagesse humaine dont il est ici question soit celle dont le premier 


cvI  PHÈDRE 


Le second épilogue (256 b 8 sqq.) concerne un délire 
d’amour où la philosophie n’a point de part, mais seulement 
un certain souci de l'honneur et qui cependant n’est pas 
exempt de quelque grossièreté. Les âmes des deux amants 
n’y sont pas sur leurs gardes ; elles sont donc sans défense si, 
du fait même de l’insouciance morale qui caractérise ce second 
couple, elles sont surprises par l'ivresse ou par quelque autre 
cause de moindre résistance. Alors s'établit en effet entre les 
forces indisciplinées de chacune des deux âmes un accord 
pour tendre au même but, qui est de se procurer un plaisir 
dans lequel le vulgaire voit le comble de la félicité (cf. 250 e 
fin). Or le choix d’un tel but, c’est par ce qu'il y a dans 
l'âme de plus mauvais qu'il a été dicté: ce n’est point par 
l’âme tout entière. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que par la 
suite il ne se renouvelle qu’épisodiquement : en d’autres 
termes, la passion ne comporte pas cette continuité dans la 
communion de deux âmes, que nous offrait le cas précédent. 
Ce n’est pas à dire toutefois que ces amants-là ne soient pas 
fidèlement attachés l’un à l’autre: le culte qu’ils ont de 
l'honneur les empêche justement de trahir une amitié dont 
ils se sont donné des gages, à leurs yeux les plus certains qui 
se puissent. Sans doute n'ont-ils pas mérité le sort des pre- 
miers ; ils ont droit néanmoins à être récompensés des efforts 
qu'ils ont faits, dans leur délire d’amour, pour s’élever au- 
dessus d’eux-mêmes, etaussi du détachement que signifient ces 
efforts. N'ayant toutelois fait rien de plus ainsi que se mettre 
en route pour le céleste voyage, la mort les trouvera donc 
encore sans ailes, mais du moins allégés ; capables par consé- 
quent, au lieu de descendre sous terre aux demeures d'Hadès, 
de monter au contraire, mais sans pouvoir dépasser les régions 
inférieures du ciel. Leurs âmes, toujours unies, y goûteront 
ensemble les joies d'une existence lumineuse. Puis, quand 


discours de Socrate était l’expression. N’étant la source d’aucun 
bienfait, sévèrement condamnée 256e, elle ne peut en effet être 
mise en parallèle avec aucun délire divin, quel qu’il soit. La sagesse 
en amour n’a de prix que si elle sauvegarde la divinité du délire et 
si elle n’est pas un froid calcul; elle caractérise celui des moteurs de 
l’âme qui est docile à la raison (cf. 258 d). Peut-on dès lors prétendre 
que le second discours de Socrate ne fasse qu’élargir, mais sans 
l’abandonner, le point de vue du premier ? La vérité semble être 
plutôt qu’on passe alors sur un plan qui est entièrement différent. 


NOTICE cyil 


l'heure en sera venue, c’est-à-dire après un millénaire et une 
nouvelle existence ici-bas, elles recouvreront toute la vertu 
de leurs ailes, à la condition sans doute, de s'être cette fois 
mieux comportées en amour (cf. 249 ab). Voilà la destinée 
promise à ceux qui ont connu une amitié dont le fondement, 
à vrai dire mal assuré et non philosophique, fut pourtant 
encore un délire d'amour. 

Quant à ceux (256 e 4 sqq.) dont l’amour 
est vide de tout délire, les prétendus 
amants du discours de Lysias et du 
premier discours de Socrate, ce sont seulement de sages 
calculateurs et, chez le jeune garçon dont ils se sont faits 
les poursuivants, ils encouragent la même arithmétique 
misérable. Comment des âmes de cette sorte pourraient-elles 
s'élever vers le divin? Elles s’atlachent à ce qui est mortel, 
elles s’accrochent à la terre et n’obtiennent le suffrage que 
de la foule. Leur punition naturelle sera donc, après la 
mort, d'être plongées dans un état d’égarement et de rouler 
ainsi pendant neuf mille années autour de la terre‘ ou sous 
la terre. 

Le discours s'achève (257 a 3 sqq.) comme s’achèvent ceux 
du Banquet par des paroles d’offrande à l'Amour. Mais ici 
l'offrande est en même temps expiation : si le Dieu daigne 
accueillir avec faveur l’une et l’autre, il le témoignera à 
Socrate en lui conservant la science des choses d'amour et en 
ne détachant pas de lui la jeunesse?. Les derniers mots sont 
un encouragement à la philosophie, un conseil à Lysias de 
5 adonner sans partage, selon l'exemple de Polémarque son 


La punition 
des faux amants. 


1. Le Phédon 81 c d parle d’âmes qui, incapables au moment de 
la mort de se détacher de leur corps, sont retenues du côté du lieu 
visible et errent à l’entour des tombes. L’eschatologie de 248 e 544. 
n’envisage que la destinée souterraine, vers laquelle l’état dont 1] 
s’agit ici n’est peut-être qu’un acheminement. — Quant à la substi- 
tution du nombre neuf au nombre dix pour les milliers d'années que 
doit durer l'exil de ces âmes (cf. 248 e fin), elle s’explique sans 
doute, comme le veut Hermias (205, 23-25), par l’exemption 

’épreuve, accordée à toute âme, pour le premier millénaire qui ἃ 
suivi la révolution céleste au cours de laquelle elle a eu part à la 
contemplation des réalités absolues (cf, 248 c et p. Lxxxvir sq.). 

2. Sur ces deux points, voir les textes rassemblés Banquet p. 72 
n.1etla Notice p. cvu. 


IV. 3. —h 


cvur PHÈDRE 


frère (cf. p. 56 n. x et Notice, p. xv sq. ét xx), et de lui 
consacrer son éloquence, en se proposant pour but de 
rendre hommage à l'Amour et de le prendre pour guide (cf. 
265 c déb.). 


IL. Trois problèmes particuliers. — Le second discours 
de Socrate nous impose, je l’ai dit, l'examen de trois pro- 
blèmes, aussi importants pour l'intelligence du Phèdre que 
pour celle du Platonisme tout entier. 1° Dans sa plus 
grande partie ce discours est un mythe: comment doit-on 
comprendre l'emploi du mythe par la philosophie? 2° 11 
contient une doctrine de l’âme : en quoi cette doctrine dif- 
fère-t-elle de ce qu’on trouve ailleurs ὃ 3° L'amour en est 
enfin le sujet : par quels traits la conception de l’amour qui 
y est exposée diffère-t-elle de celle qu’on trouve dans le 
Banquet? 
1 Lo nigie Un premier point auquel il convient 
à d’être attentif, c'est que le second 
discours ne commence pas par être um mythe. Ce que nous 
y trouvons en effet tout d’abord, c’est une classification des 
différentes formes que revêt en fait le délire qui est reconnu 
pour être d'inspiration divine. Bien mieux, quand Platon 
veut ensuite démontrer que, de toutes ces formes, l'amour est 
la plus belle et qu'il pose la nécessité d’avoir, au préalable, 
une connaissance vraie de la nature de l'âme (245 c déb.), il 
donne tout d'abord à cette démonstration l'aspect d’un rai- 
sonnement très élaboré, par lequel il établit logiquement que 
l'âme est immortelle. C'est seulement après s'être satisfait 
sur ce premier point, qui sans nul doute, il l’a dit lui- 
même, concerne la nature de l’âme, que Platon, sans cesser 
de considérer cette nature (son ἰδέα 246 ἃ 4), change cepen- 
dant complètement de ton et donne alors à son exposé le 
tour mythique. C’est, nous dit-il, faute de pouvoir expliquer 
en quoi consiste essentiellement la nature de l’âme, qu’on 
doit se contenter de dire à quoi elle ressemble; c’est parce 
que nous saisissons cette nature seulement dans ses effets 
sans en avoir aucune expérience, que nous sommes réduits 
à en donner une image sensible : celle de l’attelage ailé avec 
son cocher aïlé. Ce sont donc les manifestations observables 
de la nature de l’âme qui sont au point de départ du « che- 
minement de la pensée» dans la recherche de l’image 


NOTICE CIX 


sensible appropriée. Or dans le livre IV de la République, 
quand il s’agit de savoir de quelles fonctions l’âme est 
capable, autrement dit quelle est sa nature (436 b sqq., 
surtout à partir de 43ge), c’est aussi de l'observation des 
effets de cette nature que l’on part : « J'ai furieusement envie 
de faire quelque chose dont je comprends que je devrais 
m'abstenir ; je veux m’en abstenir ; si néanmoins je cède à 
la violence de mon désir, j’en éprouve ensuite regret et 
remords ». Mais ce n’est pas à une image mythique que 
conduisent cette observation et d’autres du même genre; 
elles sont au contraire les ressorts d’une analyse dont le 
caractère est principalement logique ; elle se propose en effet, 
d'après les variations de concomitance qui auront été 
constatées, de distinguer des notions qu'on pourrait être 
tenté de confondre, celles des fonctions comprises dans la 
nature de l'âme. Pourquoi dans le Phèdre Platon procède-t-il 
autrement? Puisque en fin de compte le résultat devait y 
être pareïllement de distinguer dans l’âme la notion d’un 
principe directeur et celle de deux forces motrices dont l’une 
est équilibrée et l'autre dépourvue d'équilibre, pourquoi 
_a-t-il éprouvé le besoin de figurer sensiblement cette relation 
et d'en personnifier les facteurs ? Le problème de l'emploi du 
mythe est ainsi nettement posé devant nous. 

Sans doute y a-t-il quelque témérité à conjecturer les 
motifs qui ont, cette fois, déterminé Platon à y recourir. A 
première vue, on croit en apercevoir deux. L’un se rapporte 
à la fiction initiale du second discours : la « palinodie » de 
Socrate est censée être prononcée par Stésichore lui-même 
(244 a, cf. 257 a) ; il est donc naturel de recourir aux pro- 
cédés ordinaires de la poésie. L'autre motif, qui apparaît 
assez clairement à 253 d déb., est que Platon se propose de 
représenter le drame de l'amour, drame visible et drame 
intérieur, avec les péripéties diverses dont il est susceptible ; 
il avait donc intérêt à transformer en acteurs les facteurs 
d'une relation fonctionnelle, et d’une façon qui rendit sen- 
sible leur solidarité comme le mode de leur action ou de leur 
interaction. Sans méconnaître la force que donne à ces 
motifs le génie poétique et plastique de Platon, ils ont dans 
le cas particulier quelque chose d'extérieur et qui ne suffit pas 
à expliquer ce qui est en question. La vérité me semble être 
plutôt que, de toute façon, l’emploi du mythe s’imposait à 


ΟΧ PHÈDRE 


Platon par des nécessités internes et qui dérivent de la 
nature même de ce dont il parle. 
Elles ont leur principe générateur dans 
La raison d'être ceie idée qu'il existe deux mondes: l’un, 
du mythe. EEE : 
celui d’ici-bas, le monde de notre expé- 
rience ou de notre pratique, monde d'illusions et de fantômes ; 
l'autre au-dessus de nous et dont les réalités sont vraies, c’est- 
à-dire purement intelligibles et logiques tout en étant réelles. 
Pour qu'il puisse y avoir de la vérité dans notre connaissance 
ou dans notre conduite, il faut donc que nous ayons accès de 
quelque façon à ce monde supérieur. Mais, pour que cela soit 
possible, il faut aussi que, de quelque façon, notre âme ait 
participé à l'existence vraie et que dans son existence ici-bas 
elle soit capable d'y participer à nouveau, soit au cours de 
celle-ci par un réveil méthodique de ses souvenirs, soit après 
la mort en récompense de son zèle à s'affranchir ainsi des 
liens qui l'emprisonnaient. D'autre part les hauteurs du Vrai 
ne sont pas les seules : il y en a d’autres qui sont plus près 
de nous et qui nous sont moins étrangères, dont les réalités 
sont visibles et font partie de notre expérience, qui s’en dis- 
tinguent cependant parce qu'elles n’en ont ni le désordre ni 
l'irrégularité. Ce sont les hauteurs du ciel, peuplées d'êtres 
de lumière et de flamme, dont les révolutions s'accomplissent 
avec une régularité et suivant un ordre qui ne varient 
jamais, attestant ainsi la sagesse et la divinité de ces êtres. 
Il faut donc que l’âme n’appartienne pas au monde des 
réalités vraies : comment pourrait-elle l'avoir quitté pour un 
monde d'illusion ? avoir perdu l'éternité du Vrai pour être 
entraînée dans le tourbillon des générations et des morts) 
C’est donc, corrélativement, que le ciel doit ètre sa patrie 
d'origine. Mais, puisque le ciel est la patrie imprescriptible 
d’êtres indéfectiblement divins, il faut aussi qu'il y ait pour 
l'âme des raisons spéciales d’en avoir été un jour exilée et 
parcillement des conditions qui un jour la rendront digne, 
ou bien d’y rentrer avec honneur, ou bien d’être admise par 
indulgence à y recommencer une épreuve à laquelle aupara- 
vant elle n’avait point satisfait. 

Tels sont les postulats qui sont à l'arrière-plan de la 
pensée de Platon. Mème en les formulant dans un langage 
aussi abstrait que possible, nous ne parvenons pas à les 
dépouiller de leur vêtement d'images sensibles. Voici dans 


NOTICE : cxI 


le Phédon' les hommes représentés sous l’aspect d’un per- 
sonnel embrigadé de serviteurs sous la tutelle de dieux qui 
sont des maîtres excellents ; le corps placé semblablement 
sous l'autorité d’une âme qui pourtant est en lui comme 
dans une geôle, prisonnière se complaisant trop souvent dans 
son sort ; celte âme, apparentée d’autre part à ce qui est pur 
absolument et rendue digne par la purification de retourner 
à sa vraie famille. Voici dans la République?, à côté de 
l'analyse du livre IV, d’autres traits qui en attestent le carac- 
tère exceptionnel, en même temps que la difficulté pour 
Platon de représenter dans son fond la nature de l’âme 
autrement que par des symboles: ce sont par exemple les 
images fameuses de la triple bête, monstre polycéphale, lion, 
homme; ou bien encore de Glaucus, le dieu marin défiguré 
par les algues, les coquillages, les cailloux. Sans doute allè- 
guera-t-on que sur le thème fondamental de la relation des 
deux mondes, intelligible et sensible, autrement dit sur la 
participation des choses aux Idées, le Parménide a mis dans la 
bouche du vieil Éléate une critique incisive de cette façon 
mythique d'exposer le thème, en lui-même et dans ses consé- 
quences ; que dans le Sophiste et dans le Philèbe elle fera 
place en eflet à des analyses dialectiques qui ne parlent 
plus à l’imagination. Il n'en reste pas moins que, long- 
temps après le Parménide, c’est encore le mythe qui dans 
le Timée s'impose à Platon pour traiter de l'âme et de la 
divinité. 

S'il en est ainsi, comment le Phèdre aurait-il, dans les 
conditions définies par les deux premiers motifs, échappé à 
cette exigence foncière du sujet auquel est consacré le. 
deuxième discours de Socrate ? Comme dans la République 
l'analyse logique du livre IV, la démonstration logique de 
l’immortalité de l’âme y est une exception. Celle-ci provient 
de ce que sur "ἢ ensemble de la question on a pu prendre un 
point de vue particulier, dégager quelques notions très géné- 
rales et en envisager les rapports: la notion de principe et 
de ce qui en dépend, la notion de mouvement et de ce qui 


. Voir parex.-61de; 62be (cf. ici 253 e sq.) ; 70"; 5gab,e; 
82 4.83 a, cd et Notice, p. xxvir et p. xxxir. 
2. Cf. IX 588 b-589 c, 590 a-c; X 611 b-612 a. Voir Phèdre 
290 οὔ. 


cxn PHÈDRE 


est requis logiquement pour en rendre comple sans être 
obligé de reculer sans fin de moteur en moteur. Mais, dès 
que sont épuisés les avantages de cette situation privi- 
légiée, le mythe apparaît: il pose une donnée et il en déve- 
loppe toutes les conséquences, tant par rapport aux effets 
constatés qu’il s’agit d'expliquer que par rapport aux exi- 
gences générales de la doctrine. Il n’y ἃ pas lieu d’y revenir ; 
mais, si l’on se reporte à ce que j'ai dit plus haut des postulats 
qu’elle implique, on verra aisément comment chaque détail 
vient s’y ajouter à la donnée première pour rendre compte 
de quelque effet observable ou pour satisfaire quelque 
exigence doctrinale interne. Ainsi Platon, sous peine de ne 
donner sur la réalité de l’âme que des vues fragmentaires et 
inconsistantes, est amené à déployer librement ses concep- 
tions dans l’espace et dans le temps sous la forme d’une 
fable, en décrivant des configurations sensibles et des rap- 
ports de situation, en racontant les moments successifs d’une 
histoire fictive. 

Le mythe serait donc pour lui plus que le réveil fortuit 
d’un génie poétique volontairement assoupi ; il serait plus 
aussi qu’un pis-aller, plus qu’un δεύτερος πλοῦς auquel le 
philosophe, dans sa navigation vers la vérité, demanderait de 
le conduire au port'. Il semble en effet qu’il réponde à une 
: nécessité consciemment acceptée, délibérément utilisée et 
qu’on fait naître alors même qu'on pourrait s'en passer ; 
comme si le plus sûr moyen dont on dispose pour se faire 
entendre des hommes et éveiller en eux la pensée réfléchie 
était de parler d’abord à leur imagination. Le Phèdre me 
paraît être à cet égard singulièrement instructif, et autre- 
ment que par la seule considération du second discours de- 
Socrate. D'une part on y voit en effet que les mythes tradi- 
tionnels, ceux du folk-lore même, ont du prix aux yeux de. 
Platon, et précisément en tant qu’on n’en dissout pas le 
contenu fabuleux. Bien plus, il y semble d’autre part tout 
prêt à en fabriquer, sans y être obligé par des nécessités. 
internes du genre de celles que nous rencontrions tout 
à l'heure. 


1. Sur le sens de cette formule, voir Phédon, Notice p. xLvux 
n. 2 


j NOTICE CxIIE 


Quand Phèdre, au début du dialogue 
(229 b sqq.), demande à Socrate s’il 
croit à la légende de l'enlèvement d’Orithye par Borée, 
celui-ci rejette résolument l'interprétation rationaliste de 
cette légende comme de toute autre. Mais, s’il leur donne 
leur congé, ce n’est point du tout pour les repousser elles- 
mêmes ; c’est au contraire pour leur laisser libre carrière en 
leur souhaitant bonne chance, à l'inverse de ces esprits 
tracassiers qui ne leur permettent pas d’aller leur chemin. 
Ce qui importe en effet à ses yeux, ce n’est pas de dépouiller 
ces légendes de l'illusion qu’elles enferment, c’est de s’en 
dépouiller soi-même afin de se connaître et de savoir ce 
qu'on vaut. Et il ajoute (230 a), comme en exemple, que par 
comparaison la fable de Typhon, le géant fumant d’orgueil, 
pourrait aussi bien l’éclairer sur ce qu'il est, que le ferait une 
autre légende où 1] s'agirait de quelque animal pacifique et 
voué à une destinée divine. En d’autres termes ces mythes 
traditionnels sont autant de suggestions dont il faut tirer 
parti pour pénétrer dans sa propre conscience d’un regard 
plus clairvoyant et pour y apercevoir une vérité. Le sens me 
paraît donc être le même que dans le prologue du Phédon 
(61 b, cf. 6obc): pour obéir à l’ordre du songe Socrate a 
composé en vers; or un poète digne de ce nom doit être 
capable de créer des fables, mais c’est un talent qu’il n’a 
point; aussi prend-il où il peut son bien, dans les fables 
d’Ésope qu’il sait par cœur. Et voici da reste qu’à l’imitation 
de ces fables traditionnelles il en a imaginé une qui mettrait 
en évidence, d'une façon dramatique et sensible, les rapports 
qui en chacun de nous unissent le plaisir et la douleur. 

Il appartient donc au philosophe d’in- 
venter des fables sur le modèle de celles 
qu'a léguées la tradition et pour les faire servir au même 
genre d'instruction. C’est ce que Platon paraît avoir fait ici 
dans le mythe des Cigales (258 e sqq.) et dans le mythe de 
Theuth (274 c sqq.). Le premier n'appartient pas, que nous 
sachions, à la tradition; en l’analysant on verra peut-être 
quelles raisons ἃ eues Platon de l’imaginer. Or il y a une idée 
qu'il a exprimée avec force dans le Phédon et dans le Banquet! : 


Légendes 


et fictions. 


1. Phédon, par ex. 66 a, 67 a, 68b, 82 ἃ, 83bc; Banquet 174 d, 
179 ab, 176c, 220 cd. 


PE Ge PHÈDRE 


c'est qu'il.y a dans ce monde-ci un être privilégié qui y 
survit à une humanité très ancienne et par conséquent excel- 
lente ; qui est indifférent aux nécessités de l'existence, éga- 
lement supérieur du reste à l’abondance ou au besoin; qui 
ne vit que pour l'harmonie de la pensée; dont la mission 
est d'examiner les’ autres hommes et de surveiller leurs 
occupations ; qui après sa mort se trouve uni à ce à quoi, sa 
vie durant, il s'était efforcé de ressembler: c’est le philo- 
sophe. Or cette idée, il l’exprimait alors sans recourir à la 
fable : ce qu'il voulait signifier ainsi, c’est que le philosophe 
est un missionnaire du divin, un médiateur qui sur la terre 
n'est déjà plus de la terre et dont la mission s’achèvera 
auprès dè ce divin dont il était ici-bas l’envoyé et l'interprète 
(cf. Banquet, Notice, p. αν). Telle est l’idée que symbolise 
le personnage du philosophe, et voici qu’à son tour celui-ci 
est symbolisé par la Cigale. Il y a donc ici un double sym- 
bole : par quoi est-il suggéré et comment s’insère-t-il dans 
le développement organique de l’œuvre? Un effort vers la 
vérité a été commencé; avons-nous le droit, étant philo- 
sophes, d'y renoncer pour éviter de nous fatiguer, et préfé- 
rerons-nous au souci du vrai celui de notre repos? Aïnsi 
s’introduit à sa place l’idée de la mission du philosophe, et 
l'introduction de cette idée signifie même (cf. p. xxxvi sq.) 
un moment important dans le progrès de l'entretien. Mais 
d'autre part les cigales dans le platane sont surexcitées par la 
chaleur, et la musique de leurs ailes bruissantes se fait plus 
soutenue ; cetie impression sonore (déjà notée 230 c} adhère 
maintenant à l'idée et lui fournit le vêtement qui sera le 
plus capable de rendre cette idée sensible à l'esprit de 
Phèdre, une fois qu’auront été piquées ses curiosités de 
mythologue. Le mythe des Cigales n’est donc pas, semble- 
t-il, une simple fantaisie poétique : il est une étape dans la 
réalisation d’un plan et, en un conte historié, il traduit une 
idée philosophique. — L'invention est moins douteuse 
encore en ce qui concerne la fable de la découverte de l’écri- 
ture: l'observation de Phèdre sur l’aisance de Socrate à 
fabriquer des contes de ce genre et la réplique de celui-ci 
sont signilicatives (279 bc). Cette réplique précise le sens 
d’une indication donnée au début (229 e sq.) : le philosophe 
accueillera telles quelles, et naïvement, les fables de la 
mythologie, non comme une matière à recherches érudiles, 


NOTICE ΟΧΥ 


soit d'interprétation allégorique, soit relatives à la détermi- 
nation des sources, mais bien comme une occasion concrète 
pour la conscience de s'interroger elle-même. La curiosité 
historique est une chose et elle a certes son prix ; elle ne sert 
en revanche de rien pour apprécier la valeur, par rapport au 
vrai et au beau, de ce à quoi elle s'applique ; cela est d'un 
autre ordre et importe davantage au salut de la pensée. 

Un autre endroit du Phèdre mérite, 
pour l'intelligence du rôle des mythes, 
une attention particulière : on y trouve (276 6) une opposi- 
tion fortement marquée entre le divertissement de l'écrivain 
qui « mythologise » sur le Juste, sur le Beau, sur le Bien, 
et le sérieux avec lequel, par le dialogue, le dialecticien 
s'applique à ces mêmes objets. On a eu raison ! de rappro- 
cher ceci d’un passage du Politique, 304 cd. L’Étranger éléate 
vient d’établir qu’il appartient à l’art politique de commander 
à tous les autres, parce que seul il sait dans quels cas il faut ἢ 
avoir recours à la force ou au contraire à la persuasion. Or 
l'art qui a le pouvoir de persuader la multitude, c'est la rhé- 
torique, etil ne s’exerce pas sous la forme d’une instruction, 
mais sous la forme d’une mythologie. — Que la rhétorique 
soit un art de persuader et non d’instruire, c'est une convic- 
tion bien assise chez Platon ?. Mais que cela se fasse par le 
moyen du mythe il n’y a, je crois, que ces deux passages 
pour nous le dire. Pensera-t-on que la rhétorique qui use 
du mythe pour persuader soit celle qui ἃ été si rudement 
traitée dans le Gorgias ? ou celle qui, ici même, est envisagée 
avec moins d'âpreté peut-être, mais encore sans indulgence ὃ 
Il faudrait alors supposer que, dans l’un et l’autre passage, 
Platon a en vue des mythes rhétoriques ou sophistiques du 
type de l’Hercule au carrefour (cf. Banquet, p. 9 n. 3) ou du 
mythe de Prométhée et d’'Épiméthée dans le Protagoras?: 
Sans doute est-ce à cela que Phèdre pense en effet. Mais on 
doutera qu’il en soit de même quand Socrate lui répond, et 
aussi que Platon, qui dans sa philosophie a fait aux mythes 
une si grande place, ait pu voir dans un artifice de la rhéto- 
rique des Sophisles un des moyens de gouvernement de son 


Le rôle du mythe. 


1. Thompson, p. xv1 de l’Introduction à son édition du Phèdre. 
2. Cf. par ex. Gorgias 455 a, Théétèle 201 a ; ici 260 a 544. 
3. Voir Δ. Diès, Autour de Platon, p. 422 ἢ. 1 et Notice p. zur. 


1 


ΟΧΥῚ PHÈDRE 


Politique. — Or ilexiste, c’est justement ce que nous enseigne 
le Phèdre, au-dessus de cette rhétorique dont l’objet est de 
produire des vraisemblances illusoires (260 b-e) une autre 
* rhétorique, qui est philosophique. Celle-ci ne se refuse pas 
sans doute à persuader (271 a, e sq.), mais elle le fait en 
rattachant le vraisemblable au vrai, qui en est le principe 
(262 a-c, 273 d, 277 Ὁ). Cette rhétorique philosophique 
consiste en outre à distinguer les diverses sortes d’âmes et 
les diverses sortes de discours, puis à établir quelle sorte de 
discours est propre à convaincre telle sorte d'âme (271 b, 
de; 277 bc; 278 d fin). Ne peut-on dès lors penser que son 
objet sera notamment de savoir dans quels cas il y a lieu, si 
on veut convaincre, de recourir au mythe parce que l'usage 
de la dialectique serait sans effet sur les âmes qu'il s’agit de 
toucher ? C’est ainsi que, avant de travailler à prouver 
qu’entre les délires l'amour est le plus beau, Socrate sait 
d'avance que seuls les Sages seront convaincus par son 
argumentation et qu’elle ne trouvera qu'incrédulité auprès 
des habiles, c’est-à-dire des esprits forts (245 c). D'autre 
part, son second discours qui contient sa conception de 
l'amour est qualifié par lui (265 b c) d’hymne mytholo- 
gique, où il s’est amusé à la combinaison d’un morceau ora- 
toire auquel ne manquait pas la force persuasive. Enfin on 
ne peut se défendre de rapprocher le mythe du Timée de ce 
passage du Phèdre (269 e sq. ; cf. p. exzviur sq.) où la physi- 
que apparaît comme une application de la vraie rhétorique. 
Ainsi donc, quand celui qui sait le vrai se propose de 
convaincre, et surtout dans un écrit puisque ce n'est à ses 
yeux qu’un moyen de se délasser, il peut sans scrupule user 
du mythe pour rendre sa pensée partiellement accessible à 
ceux qui sont capables d’être « convertis » (cf. Timée 28 c). 
Or l'étude des mathématiques et des sciences connexes est 
aussi, d’après la République (VI 518 c d, 521 ὁ), un moyen de 
« conversion ». Le mythe, quand c’est la vraie rhétorique qui 
l'emploie, en serait par conséquent un autre, mais d'ordre infé- 
rieur et fait pour des âmes auxquelles manque encore la puri- 
fication indispensable de la pensée. C’est dire qu'il se justifie 
dans un écrit appelé à tomber en n'importe quelles mains 
(cf. 275 e déb.); on lui demandera seulement d’avoir égard 
au respect dù à la divinité (273 e sq.), autrement dit d'éviter 
l'immoralité des mythes homériques (cf. p. Lxxvi, n. 1). 


NOTICE CxVIR 


Peut-être y a-t-il quelque témérité à 
rapprocher de l'emploi du mythe celui 
que Platon ἃ fait de létymologie. Sans parler du Cratyle, 
où il est d’ailleurs fort possible que certaines étymologies 
soient pour lui un objet de risée, nous avons ici même (244 
b-d) un échantillon assez significatif ; bien plus il arrive dans 
le Phèdre que l’étymologie serve à tirer du mythe la leçon 
qu’il comporte (cf. 230 a et p. 6 n. 2). Il me semble difficile 
d'admettre que Platon se soit amusé avec une pareille 
complaisance à se moquer de lui-même : un jeu qui se pro- 
longe à un tel point cesse d’être un jeu, et l'ironie devient 
fastidieuse à force de se répéter. Sent-on d’ailleurs quoi que 
_ce soit d’ironique dans les étymologies qu’on trouve encore 
dans les derniers dialogues, ou dans le Timée (43 c, 45 b, 
62 ab) ou dans les Lois (ΕΥ̓͂ 714 a déb. ; XII 957cs. fin.)? 
Platon me semble user de l’étymologie ainsi qu'il use du 
mythe, comme d'un moyen secondaire de rendre tangible une 
intuition que, pour des raisons accidentelles ou profondes, 
il est incapable de révéler sous une forme scientifique. ἢ 

En résumé, ce qui résulterait de la considération du 
Phèdre, c’est qu'entre les mythes traditionnels et ceux de 
Platon il n’y a pas de différence quant à la forme ; c’est tou- 
jours une histoire : l’histoire des âmes, l’histoire de la proces- 
sion des Dieux, l’histoire des Cigales, l'histoire de Theuth. 
Si les étymologies sont elles-mêmes une variété du mythe, 
c'est qu’elles tentent de retracer l’histoire vraisemblable de 
la dénaturation d’un langage primitif. Mais toute cette his- 
toire n’est pas immorale, comme celle de la mythologie. 
D'autre part elle ne prétend pas être une vérité, comme ces 
« contes » sans agrément que les Physiciens veulent nous 
faire prendre pour argent comptant, ainsi qu'une expression 
fidèle de la réalité (cf. Soph. 242 c). Il s'ensuit que seul est 
en droit d'employer la vraisemblance du mythe, celui qui sait 
ce qu'est la vérité, et comme un moyen de préparer l’äme à 
recevoir celle-ci. 


Étymologies. 


On a vu tout à l'heure (p. cx) que la 
conception de la triplicité de l’âme qui 
s'étale dans le Phèdre avec un réalisme si cru était au contraire 
fondée dans le livre IV de la République sur une analyse de 
nature logique. Υ a-t-il des anticipations de cette doctrine 


2. L'âme. 


ΟΧΥ͂ΠΙ -PHÈDRE 


dans le Phédon (68 c. 82 c), et déjà dans le Gorgias (493 
a b)!? Pour les y trouver il faut à la vérité beaucoup de com- 
plaisance : distinguer entre l’ami des richesses et l'ami des 
honneurs pour les opposer ensemble au philosophe, comparer 
à un tonneau percé ce qui dans l'âme est le siège des désirs, 
tout cela, d’ailleurs banal ?, est bien loin de la conception 
définie qui est en question. Encore doit-on même ajouter 
que, dans le second de ces passages, Platon se réfère expres- 
sément à une doctrine orphico-pythagorique. Il est difficile 
d'autre part de n’être pas frappé de l’insistance avec laquelle 
Platon introduit cette conception comme une découverte à 
laquelle l’a conduit la division de la Cité en trois classes 
(435 bc, 436 ab). On ne peut du moins douter que le cocher 
de l’attelage de l'âme dans le Phèdre soit ce que la République 
appelle raison ou fonction de réflexion (λόγος, τὸ λογιστιχόν) ; 
que le bon cheval soit le « cœur » au sens moral du mot, ou 
ce que nous nommerions fonction inhibito-motrice (ὃ θυμός, 
τὸ θυμοειδές) ; le mauvais cheval enfin, les appétits et les désirs 
(τὸ ἐπιθυμητικόν). Que ce soient dans sa pensée des parties ou 
des aspects (εἴδη) de l’âme, peu importe: le vocabulaire de 
Platon n’est pas sur ce point bien fixé. Ce sont en tout cas 
si bien des fonctions distinctes que le mythe du Phèdre, tout 
en les faisant solidaires, n’hésite pas à les individualiser. Cette 
tripartition, on le verra plus loin, se retrouve, notablement 
modifiée il est vrai, dans le Timée, mais avec la même dispo- 
sition à séparer les trois fonctions : séparation anatomique 
cette fois, puisque, comme on sait, la raison se loge dans la 
tête, le « cœur » dans la poitrine au-dessus du diaphragme, 
les appétits concupiscibles au-dessous et dans l'abdomen jus- 
qu’à la hauteur du nombril. 

Or ce n’est pas du tout ainsi que le 
Phédon se représentait l’âme. En raison 
de sa ressemblance avec les essences 
absolues, qui prouve qu’elle leur est apparentée, elle possède 
l’unicité formelle (μονοειδές) qui justement caractérise ces 
réalités ; par là elle est le contraire du corps, qui est une 
pluralité formelle, étant essentiellement un composé. Ce qui 


Simplicité 
et composition 


1. Ainsi que le font Burnet, Aurore etc. (Early Gr. Ph.) p. 319 
n. 3 et À. E. Taylor, Plalo p. 120 n. 1. 
2. Voir Zeller, Ph. der Griechen 11 1#, p. 846 n. 1. 


NOTICE ΟΧΙΧ 


en effet définit l'âme, c’est seulement la pensée (φρόνησις), en 
tant qu’elle est épurée de tout mélange de sensation et 
qu'ainsi elle entre en contact avec l’intelligible ‘. Or ce point 
de vue ne semble pas abandonné dans la République, en 
dépit du soin évident avec lequel la tripartition a été établie 
au livre IV. Celle-ci en effet est présentée dans le livre X 
(611 b-612 a) comme une conséquence de l’union avec le 
corps. En cela d’ailleurs l’accord est complet avec le Phédon, 
où les désirs et toutes les émotions connexes de crainte, de 
plaisir, de peine sont la cause de l'asservissement de l’âme 
au corps : c’est au point qu'aux Purs et aux Saints est promise 
une existence entièrement incorporelle (66 bc, 82 e sq., 83 
cd, 114 bc). Le Phédon à la vérité ne connaît pas de milieu 
entre les passions ainsi comprises et la raison qui est incor- 
porelle. Or cette fonction moyenne, dont le livre IV s’appli- 
quait à prouver la réalité, le livre X semble lui-même y voir 
quelque chose d’étranger à la nature essentielle de l'âme. 
C'est en -effet par rapport à l’état dans lequel présentement 
nous l’observons, et sous la forme humaine, qu'on a pu être 
en droit de considérer l’âme comme composée. Il est vrai, pour- 
suit Platon, qu’un composé peut l'être d’une façon excel- 
lente, mais ce n’est pas le cas de l’âme ? et, tout au contraire, 
on voit que sa nature est gâtée du fait de son association avec 
un corps: ce qui amène la comparaison bien connue avec 
Glaucus, le dieu marin (cf. p. ex1). Si pourtant on réfléchit à 
quoi s’attache l’âme et vers quoi elle aspire en tant que 
inversement elle est apparentée au divin et à l’éternel, à ce 
qu’elle deviendrait si tout entière elle s’employait à satis- 
faire une telle aspiration, et que cet élan la fit s'élever du 


1. Voir particulièrement 78 c d (comparer Banquet 211b,e) et 
80 b. Cf. aussi 76 c,e ; 704 6; 83e. 

2. Le sens de 611 b 6 sq. ne me parait pas être : « à moins que la 
composition n’en soit aussi parfaite que vient de nous paraître celle 
de l’âme ». Par rapport au contexte du présent morceau cela consti- 
tuerait une contradiction difficilement explicable. De plus, comment 
parlerait-on de la perfection d’un composé qui précédemment a été 
comparé (IX 588 b sqq.) à un être fabuleux dont la structure 
comprend un animal féroce, un animal paisible et enfin un monstre 
à mille têtes ? Le sens me paraît être : difficilement serait éternel 
« un composé qui ne jouit pas de la composition la plus belle, et c’est 
ainsi que miantenant nous est apparue l’âme ». 


“CXX PHÈDRE 


fond de l’abime où elle est à présent plongée, c’est alors 
seulement qu'on pourra discerner sa véritable nature, « s’il 
y a en elle pluralité de forme ou bien unicité, ou bien en 
quel cas il en est ainsi et de quelle manière. ». Or, vers la 
fin du Phédon (107 a b), Platon indiquait que les postulats 
fondamentaux de sa doctrine de l’âme avaient besoin d’être 
- approfondis. Quand ilécrit le livre X de la République, et bien 
qu'un grand pas ait été fait avec le livre IV dans le sens de 
la composition, il n’estime pourtant pas avoir encore complè- 
tement élucidé le problème. Il remet donc à plus tard de 
décider si, dans la vérité de son essence, l'âme est simple ou 
bien composée, dans quels vivants elle est simple, dans quels 
autres composée et enfin quelle est la modalité de cette 
composition ou de cette simplicité. 

À l’époque du Phèdre, il semble au contraire avoir pris 
parti : l’âme dans son essence est une chose composée. En 
disant « dans son essence » on veut parler seulement, puisque 
l'âme n’est pas une Idée, de la plénitude et de la perfection 
de la sorte de réalité qu’elle est. Or il n’est pas douteux que, 
d'après le Phèdre, les âmes qui habitent le ciel : âmes des 
dieux, âmes des démons, âmes qui recevront un jour la forme 
humaine, sont toutes, à ce stade de l’existence, des âmes 
composées. La différence qu'il y a entre elles, c’est que, dans 
des attelages constituant les âmes des deux premières catégo- 
ries, les chevaux sont également excellents, et parfaits les 
cochers. Ceux-ci seront donc bien à l’aise, une fois le char 
parvenu sur le dos de la voûte céleste, pour contempler les 
réalités vraies du lieu supra-céleste ; ils ne connaîtront pas 
les tribulations des cochers qui, de leurs deux chevaux, en 
ont un qui est rétif (246 a b, 247 b, 248 ἃ b). Ainsi, dans 
les âmes divines elles-mêmes, il y a donc les mêmes facteurs 

que dans les nôtres : des désirs, de la retenue et un principe 
directeur dont la fonction est proprement de connaître le 
vrai. — Mais, dira-t-on, si les désirs sont dans les âmes 
divines toujours bons, qu’est-il besoin de retenue? Et, si 
la retenue est alors dans le désir même, qu’a-on besoin 
d’une direction ? Il ne reste plus au principe à qui semblait 
en incomber la fonction que l'exercice de la pensée pure. 
La composition à la vérité ne disparaît pas pour cela ; mais 
elle se réduirait à deux termes dont l’un est dynamique et 
l’autre statique : un moteur parfaitement réglé et une intel- 


NOTICE ΟΧΧΙ 


ligence indéfectible. — Il est toutefois probable que Platon 
fermait les yeux sur ces difficultés de la tripartition. En effet 
dans les Lois, qui sont son dernier ouvrage, il attribue à l’âme, 
dont il veut prouver qu’elle est première par rapport au corps, 
une égale convenance aux états passifs comme aux états actifs ; 
en elle il met, à côté de la pensée pure, les jugements vrais 
ou faux, c’est-à-dire l’opimion, les dispositions du caractère 
c’est-à-dire un certain « comportement », des aspirations et 
des délibérations, des souvenirs et des préoccupations d’ave- 
nir, enfin des émotions et des passions, des joies et des peines, 
de l’assurance et de la crainte, de la dilection et de la haine: 
ce sont là les mouvements causes-premières qui, prenant en 
charge les mouvements causes-secondes, les conduisent à leurs 
effets qualitatifs et sensibles ἡ. Or tout cela s'applique à l’âme 
en tant que chose qui se meut en elle-même et qui, à ce titre, 
est principe premier de tout mouvement ; exactement comme 
dans le Phèdre il s'agit d’une âme qui, en vertu de sa nature 
même, a la préoccupation.et la charge de ce qui est dépourvu 
d'âme, corps du monde ou corps d'un homme (246 b 7 et 
p. 36 n. 1). En résumé toute la diversité qui est dans une 
âme humaine appartient aussi à l’âme divine, mais elle s’y 
trouve dans une harmonie et un équilibre parfaits. 

N'ya--il pas cependant, entreces deux conceptions extrêmes 
de la simplicité de l’âme et de sa tripartition, un stade inter- 
médiaire auquel la pensée de Platon se serait un moment 
arrêtée ? Peut-être le trouverait-on dans la doctrine du Timée, 
Les émotions, aussi bien celles qui sont nobles et généreuses 
que celles qui sont passionnées et grossières, y sont en effet 
présentées (42 a b, de ; 69 c-70 b) comme n'appartenant pas 
à la nature essentielle et primitive de l’âme : elles caracté- 
risent une autre espèce d'âme, l'espèce mortelle, celle que 
les démiurges inférieurs ont mission de fabriquer afin de 
constituer des âmes humaines. — Mais, si l’on examine de 
près cette exposition, une première remarque paraît s’impo- 
ser. Quand Platon passe en revue (69 cd) les états caracté- 
ristiques de cette espèce mortelle de l'âme, c’est d’une façon 
péjorative qu’il les détermine : ce sont des émotions violentes 
et qui nous contraignent ; c’est le plaisir en tant que princi- 


1. Lois X 894 c, 896 c d, e sq. ; cf. Timée 46 de. La dernière idée 
est un élargissement d’une indication du Phéden, 98 c-99 «. 


ΟΧΧΗ PHÈDRE 


pal appât du mal, la douleur qui nous fait fuir le bien, 
l'audace et la crainte qui sont des conseillers déraisonnables ; 
s’il existe en elle une ardeur généreuse, elle est du moins 
emportée et n’écoute rien ; l'espérance se laisse aisément 
décevoir ; enfin la sensation est irraisonnée et l'amour, capa- 
ble de toutes les entreprises. Aussi est-ce pour éviter la 
corruption du meilleur par le pire que la cloison du dia- 
phragme a été mise devant le pire et que dans la poitrine a 
été logée une partie de l’âme qui, en même temps qu’elle 
ressent le contre-coup des agitations qui ont lieu plus bas, 
serait capable d'entendre parfois les ordres de la pensée. C'est 
donc que l’ardeur généreuse n’est pas toujours aussi impru- 
dente et indocile qu'il semblait tout à l'heure. Il suffirait par 
conséquent d'envisager tous ces états dans l’âäme d’un mortel 
philosophe pour que le caractère en fût radicalement changé. 
Peut-être est-il dès lors permis de penser que la perversité ne 
leur est pas essentielle et que ce qui les ἃ pervertis c’est 
l'union de l’âme avec un corps de terre et mortel, auquel elle 
s'attache et dont le philosophe au contraire travaille à se déga- 
ger. C’est du reste ce que paraît dire Platon dans le premier 
des passages du Timée auxquels j'ai renvoyé. Or n'est-ce pas 
cela justement que le Phèdre appelle la chute de l’âme 9 
Une seconde remarque prouverait d’une façon plus déci- 
sive encore que la doctrine du Timée ne diffère pas au fond 
de celle du Phèdre et des Lois. La nature parfaite de l’âme 
y est en effet, sans contestation possible, décrite comme 
composée. Bien plus, il y a double composition ; car l’âme 
e fabrique le Démiurge a pour essence propre un mélange 
de l’Indivisible, qui est l’unité de l'être de chaque réalité 
intelligible, avec le Divisible, qui est la multiplicité se 
déployant dans l'étendue ; puis à ce mélange sont à leur tour 
mélangés le Même et, par contrainte, l'Autre lequel est en 
effet une nature rebelle (35 a b: cf. 37 4)". Ainsi donc la 


1. Il est impossible d’entreprendre ici une discussion d’un texte 
aussi épineux. Je dirai seulement qu’il semble difficile, avec 
A. E. Taylor (The Timaeus p. 107 sq.), d'identifier Mème et 
Autre avec Indivisible et Divisible. En effet l’Autre a sa place dans 
le monde des essences absolues, tandis que la divisibilité selon le 
corps est quelque chose de l’âme, s’il est vrai, comme nous le verrons 
tout à l’heure (cf. p. cxxxnir), qu’à ce stade de sa pensée Platon ne 
conçoit pas d'âme qui ne soit l’âme d’un corps. 


NOTICE cxxm 


partie divine de notre âme, celle que le Timée appelle notre 
« démon » et par laquelle nous sommes capables d’entrer en 
rapport avec les Idées (90 a-d), serait elle-même tripartite, 
étant constituée par l'introduction du Même et de l'Autre 
dans l'essence mixte déjà formée. L'autre tripartition, celle 
qui résulte de l'existence d’une espèce mortelle de l’âme, 
serait une image dégradée de la tripartition essentielle, et 
toutes les deux se retrouveraient dans le Phèdre, séparées 
par la chute. C’est en substance l'interprétation néoplatoni- 
cienne d'Hermias (123, 14-19). Peut-être celle-ci aurait-elle 
pourtant besoin d’être corrigée. Le Même, dont l'essence est 
pour Platon d’être l’Uniforme, ne peut en effet êtresymboliséen 
toute rigueur par celui des deux chevaux qui, après la chute, 
cédera à des entraînements passagers. Celui-ci symboliserait 
bien plus cette docilité de l’Autre au pouvoir légitime du 
Même sans laquelle, d’après le Timée (42 cd, 43 a-44 c), 
il ne peut y avoir que désordre en tout ce qui agit, se meut 
ou est πιὰ. De même donc que obéissance ou rébellion sont 
des contraires d’un genre unique, celui de l’ordre et de la 
règle‘, les deux forces qui tirent le char de l’âme humaine 
sont, d’après le Phèdre (253 c 9), des contraires dans le genre 
cheval. En résumé, de part et d’autre, l'âme apparaît triple. 
Mais le Phèdre se borne à distinguer les âmes des dieux et 
des hommes, des immortels et des mortels par la qualité des 
forces qui les meuvent ou par la possession, pleine dans un 
cas, latente dans l’autre, de l’usage de leurs ailes (246 a-d); 
le Timée, lui, qualifie immédiatement de parties mortelles de 
l’âme les forces en question, quand elles ne sont pas celles qui 
meuvent des âmes divines. 


Passons maintenant au problème de 
l’immortalité de l’âme. Il n’y a pas lieu 
de rappeler ce qu’on appelle improprement les « preuves » 
du Phédon (cf. ma Notice, p. xxvi, p. xxxv sqq., p. Lxiv 
sq.). Un seul argument, le dernier, pourrait être considéré 
comme philosophiquement valable aux yeux de Platon, en 
raison de son caractère purement dialectique (ibid. p. Lv- 
1x). Mais toujours, et même sur ce point, il y a une néces- 
sité qui transparaît (par ex. 79 b, 106 d) : c’est de déterminer 


Immortalité. 


1. Le cercle de l’Autre est intérieur au cercle du Même, Timée 43 a. 
IV.:3. — à 


cxx1V PHÈDRE 


autrement que par analogie l'essence propre de l'âme ; faute 
de quoi on devra se contenter de dire que l’âme a toutes les 
chances d’être immortelle. — La meilleure preuve, au reste, 
que là-dessus Platon ne s’est pas satisfait, c'est que, dans le 
livre X de la République, on le voit de nouveau en quête de 
ce caractère essentiel de l’âme duquel on pourrait déduire 
son immortalité. Or, si en cela il se réfère au Phédon, ce 
n'est que par prétérition, lorsqu'il fait allusion (611 b,s. fin.) 
à l'existence d’autres arguments, qu’il y aurait lieu par consé- 
quent de remplacer ici par des raisons plus décisives ; de fait, 
tandis que Socrate pourrait, par avance, donner à Glaucon, 
qui ignore si l’âme est immortelle, quelques uns des motifs. 
de le croire qu'il en allèguera au moment de mourir, c’est 
au contraire un argument entièrement différent qui est alors 
‘présenté !. Ce qui fait périr une chose, c’est, dit-il, le mal qui 
est en elle ; si donc inversement il y a une chose que son mal 
ne fait pas périr, cette chose doit être par essence indestruc- 
tible ; or, si la mort est infligée à l’injuste, c’est là une peine 
qui atteint seulement son corps et qui est propre à celui-ci ; 
elle laisse entière la cause de cette peine, savoir l'injustice, 
un mal qui est celui de l’âme ; puis donc que le mal de 
l'âme survit, tel quel, à la mort du corps, c’est qu’il y a sur- 
vivance aussi de l'âme elle-même ; autrement, le supplice ne 
serait pas une punition, ce serait bien plutôt pour l’âme 
une guérison et la fin du mal dont elle souffre (608 d-6 1 1 a). 
Quant au corollaire qui suit (611 ab), s’il complète une des 
raisons du Phédon, c’est en la retournant : si un anéantisse- 
ment d'âme, y lisait-on (72 a-d), était possible, ce serait 
bientôt l’anéantissement universel, car l’âme est le principe 
de la vie; réciproquement, dit la République, la quantité 
d'âme ne peut s’accroître dans l’univers sinon aux dépens de 
ce qui meurt, de sorte que tout y finirait par être immortel. 
Qu'en conclure? C’est que, avant la génération et leur existence 
d'union à un corps mortel, les âmes sont quelque part, et de 
même après la fin de cette existence; que le nombre enfin 
en est fini. Or c’est justement ce qu’exprime le Phèdre par 
sa double eschatologie (cf. p. Lxxxvi sqq.). 

Il semble bien pourtant que Platon n’a pas encore trouvé 


1. L’antériorité du Phédon sur la République n’est contestée par 
personne. 


NOTICE CxxY 


ce qu’il cherchait, puisque la République, au terme même de 
cette argumentation, remet à plus tard de connaître l’âme 
dans la vérité de son essence (cf. p. οχιχ sq.). La preuve 
décisive, celle qui dérive de l'essence, serait donc la preuve 
qui se fonde sur la propriété qu’a l’âme de se mouvoir elle- 
même, celle qui est commune au Phédre (cf. p. Lxxvn sqq.), 
au Timée et aux Lois (X 894 e-895 c, 896 ab). Un seul point 
vaut qu'on y revienne. Comme le Phèdre, le Timée attribue 
en effet à l’âme l’automotricité et il en fait le principe pour 
les siècles des siècles d’une vie ininterrompue; il nous 
accorde à nous-mèmes l’immortalité dans la mesure où, par 
l'exercice de l’intellect, nos âmes imitent les mouvements qui 
résultent de cette automotricité essentielle (36 e-37 b, 90 cd; 
ct. 43a-44 b). Mais d'autre part il admet un « divin commen- 
cement» de ce mouvement sans défaillance dont l’âme, une 
fois sortie des mains du Démiurge, « a commencé de » se mou- 
voir elle-même. Or, tout au contraire, de ce que l’âme est 
ce qui se meut soi-même le Phédre infère qu'elle « devra 
être à la fois inengendrée et immortelle » (245 e sq. et p. 35 
ἢ. 1)‘: c’est donc qu'elle n’a pas non plus commencé de se 
mouvoir ; il l’affirme avec force et il en donne les raisons 
(ibid. c-e). La comparaison des deux passages est intéressante 
justement en ce qu’elle nous permet de mesurer la portée, 
dans le Timée, du mythe de la fabrication de l'âme et des 
commencements de sa vie immortelle. On sait que Xéno- 
crate, le second successeur de Platon à la tête de l’Académie, 
que Crantor, le premier commentateur du Timée, se refu- 
saient à prendre à la lettre cette histoire de la naissance de 
l'âme et du monde ; qu’Aristote ait fait le contraire, la rai- 
son en est que sa polémique trouve son compte aux inter- 


1. Le passage des Lois, X 904 a b, où il est dit que âme et corps 
ne sont pas quelque chose d’éternel (οὐχ αἰώνιον) comme le sont les 
« dieux légitimes », mais qu’ils sont l’un et l’autre indestructibles, 
ne contredit pas ceci. [αἰών en effet c’est l'éternité, et d’aucune 
façon il ne pourrait êlre question d’éternité pour une chose composée, 
sinon en ce qui concerne tel ou tel de ses composants. Au surplus le 
Phèdre dit simplement que l’âme est inengendrée, et non pas qu’elle 
est éternelle. Quant au Timée, il déclare (37 d, 38 c) que l’éternité 
(aimv), immobile et une, n'appartient qu'au modèle, c’est-à-dire aux 
Intelligibles, et que les divers astres doivent être plusieurs images 
mobiles et numériquement mesurables de cette éternité. 


CXXVI PHÈDRE 


prétations les plus grossièrement réalistes de la doctrine de 
son maître. Ainsi, sans être à proprement parler une chose 
éternelle, l’âme a dû toujours exister comme principe de 
son propre mouvement et du mouvement de tout le reste. 
Mais pour expliquer cela il faut, semble-t-il, qu’elle soit 
tripartite; bien plus, la tripartition que j'ai cru trouver 
dans l’âme essentielle du Timée le fait mieux comprendre 
encore que la tripartition du Phèdre. Si en effet l’âme est 
motrice de nature et par elle-même, c’est parce que dans sa 
nature il y a de l'Autre ; cela ne s'explique pas par la pré- 
sence en elle de l’Indivisible et du Divisible, dont le rôle est 
différent comme on le verra plus tard (p. cxxxnt); pas 
davantage par l'introduction du Même seul dans l'essence 
mixte, car l’âme n'aurait alors la possibilité d'aucun change- 
ment (7e), fût-ce celui qui consiste à tourner sur soi-même 
sans changer de place. De l’Autre au contraire dériverait en 
elle la possibilité du mouvement, puisque ce dernier, d’après 
la doctrine du Timée (58a ; cf. 52e, 53 a fin et aussi 36b, 
57 ab), réside dans le Non-uniforme qui, à son tour, a pour 
condition l’Inégalité, c’est-à-dire des ruptures d’équilibre. 
Mais si l'Autre entrait tout seul, sans le Même, dans la 
composition de l’âme, le mouvement de celle-ci ne pourrait 
être qu’incohérent, perpétuellement déséquilibré, toujours 
dépourvu d'ordre et de mesure, bref tout pareil à celui qui 
résulterait de ce que le Timée appelle la « Cause vagabonde » 
‘ou la « Nécessité », si celle-ci n’était pas maîtrisée par la 
« Cause intelligente » et qui s'oriente délibérément vers le 
meilleur (30 a, 46 e, 48 a, 52e). En résumé, il suffit de faire 
abstraction de la démiurgie mythique du Timée pour aper- 
cevoir entre ce dialogue et la démonstration du Phèdre un 
accord profond. 
Il n’y a pas lieu de s'interroger ici sur 
les exigences logiques de cette interpré- 
tation : on pourrait en effet se demander si elle ne devrait 
pas être étendue au delà des âmes humaines, imitations 
imparfaites des âmes divines des astres, au delà même de 
celles-ci dont le rapport ne diffère pas à l'égard de cette âme- 
mère qu'est l’âme du monde sensible, et jusqu’à cet autre 
monde qui en est le modèle, jusqu’à ce monde intelligible 
auquel les derniers dialogues, plus spécialement le Sophiste 
(248e sq.) et le Philèbe (30 cd, cf. 23 c), attribuent la vie, 


Ame et Idées. 


NOTICE . CXXVIL 


Ἵ 


l'intelligence et le mouvement. Il suflira d'envisager la 
parenté de l’âme avec les réalités de ce monde intelligible 
qui sont sa vraie famille. Ce qui, dans le langage symboli- 
que du Phèdre, traduit le pouvoir qu'elle a de rester en 
contact avec le monde de ces réalités, d'y être chez elle ou 
d’y retourner si elle en est sortie, ce sont les ailes dont est 
pourvue chacune de ses parties constitutives. Certes le Phédon 
affirmait bien cette parenté, mais il parlait seulement (109 e) 
de la possibilité d’une ascension de notre âme vers des 
régions supérieures. Le symbole du Phèdre aflirme davan- 
tage : la faculté pour tout ce qui est âme de planer au voisi- 
nage des réalités vraies et de les contempler. Que les ailes, se 
flétrissent, ce sera ravir à nos âmes celte intuition bien- 
heureuse ; elle n’en est pas moins essentielle à l’âme en 
général. — Dans son premier discours (237 de) Socrate dis- 
tinguait deux principes ou motifs d’action, l’un primitif et 
qui nous porte au plaisir, l’autre acquis et qui tend vers le 
meilleur. Mais ce point de vue est la continuation de celui 
de Lysias : on était encore dans le bas-fond de l'humaine 
sagesse, celle qui apprend peu à peu, à l’école de l'expérience, 
à modérer le penchant au plaisir en vue de s’épargner les 
ennuis qui en peuvent être l'effet. Élevons cependant notre 
point de vue ; aussitôt la relation dont il s’agit se renverse : 
ce qui était jugé acquis apparaîtra au contraire comme pri- 
mitif et essentiel, et ce qu'on estimait primitif sera jugé 
secondaire et dérivé. C’est qu'il est en effet naturel à l’âme, 
tant qu'elle est dans la vérité de sa nature, de n'avoir pas 
besoin d'effort pour se porter vers le meilleur; le cocher, 
pour parler le langage du Phèdre, n'a aucune peine à mener 
des chevaux qui sont aussi faciles l’un que l’autre. Quand 
donc l'intellect n’est pas occupé à gouverner ce qui en ἃ 
besoin, il n’a qu’à faire son œuvre d’intellect (cf. p. cxx), 
qui est de rester en contact avec ce qui donne à l’âme tout 
entière son excellence originelle et de la nourrir avec l'aliment 
qui est naturellement le sien (246 de ; 247 cd; 248 a déb., 
b fin et sq.). Le Timée fait de même: bien qu’il ait dans 
l'essence vraie de l'âme placé l’Autre qui, par soi, est un 
principe de diversité et de désordre, il n’en donne pas moins 
au seul intellect le droit de contempler la réalité absolument 
déterminée, éternelle, immuable; et cela parce que, dans 
la constitution originelle et normale de l’âme, il y a subor- 


ΟΧΧΥ͂ΠΙ PHÈDRE 


dination nécessaire de l'Autre à l'autorité du Même, orga- 
nisation réglée du divers par l'identique, unification harmo- 
nieuse du multiple par l’un (51 d-52 a ; cf. 35 a fin). 


Mais, s’il en est ainsi, pourquoi ce qui, 
_ même sans être dieu, était du moins 
divin a-t-il perdu sa divinité ? Pourquoi la plénitude d’un être 
achevé, et dont toutes les fins sont atteintes dès qu'il est, se 
dissout-elle parfois dans l’infinité sans borne des désirs et dans 
le dérèglement ou la méchanceté qui en résultent ? Pourquoi 
la chute? Le Phèdre explique celle-ci par une faute originelle 
et il y ajoute une prédestination. De toute façon il accepte 
qu’il y ait des élus et des réprouvés. D'abord c’est une néces- 
sité qu'il y ait des âmes de dieux : une sorte d’isonomie veut 
en effet, puisqu'il y a des hommes, qu’il y ait des dieux ; 
autrement, le Tout ne serait pas le Tout (cf. Timée 41 bc et ici 
p. ex et exxiv). Il y a donc des âmes qui seront, de nature, 
exclues de cette dignité ; dont les chevaux ne seront pas des 
pur-sang, dont les cochers seront malhabiles : bref, des âmes 
. qui seront condamnées d’avance au risque de la chute. Or ce 
qui les perdra, ce qui par suite les privera de la contempla- 
tion des Idées, ce sera justement qu’elles l’auront voulue avec 
trop d’ardeur ! D’où en effet une bousculade, qui témoignerait 
d'autre part que les dieux n’ont pas su régler avec ordre la 
procession qu'ils conduisent. En définitive la chute de l'âme 
supposerait donc bien plutôt malchance et maladresse que 
mauvaise volonté et faute morale. Ce n’est pas tout : les 
conséquences de cet accident, qui manifestement ne lui est 
pas de tout point imputable, seront aggravées du fait que l’une 
en sera punie plus cruellement qu'une autre, puisque l'échelle 
des prédestinations en est une des punitions. — À ces diflicul- 
tés Platon a opposé la solution où, par la suite, viendra 
toujours se réfugier l’optimisme : il faut qu'il ÿ ait du mal 
puisqu'il y a du bien et, s’il y a un premier rang, il faut 
qu'il y en ait un dernier; mais toutes choses sont cependant 
arrangées pour le mieux et chacun est au rang qui lui 
convient ; après tout, si l’on n’était pas tombé, on n'aurait 
aucun mérite à se relever (Lois X 903 bsqq. surtout 904 a-c). 
Et en eflet, si nous avons été malchanceux dans notre vie 
céleste, il nous appartient par notre conduite ici-bas de com- 
penser la prédestination qui est résultée de cette malchance. 


La chute. 


NOTICE 


Encore n'est-ce pas d’ailleurs sans re- 
striction. Platon, il est vrai, concède à 
l’âme déchue, une fois qu’elle ἃ vécu selon sa prédestination 
une première existence et que celle-ci a été dûment sanction- 
née, le choix d’une nouvelle existence ici-bas. Mais c’est un 
choix qui, comme on l’a vu, est limité, annulé presque, par 
les circonstances qui l'entourent, une échappatoire qui per- 
mettrait à Dieu de dégager sa responsabilité (p. χαπὶ sq. et 
p- zxxx1v ἢ. 1). Choisir ainsi sa destinée, c'est au surplus se 
prédestiner soi-même, car la destinée, une fois choisie, est 
irrévocable (Rép. X 617 e, 620 e sq.). Comment dès lors Pla- 
ton peut-il nous offrir l’espérance consolatrice d’un salut qui 
serait en nos mains ? Comment celui qui, par malheur, se sera 
trompé dans son choix fera-t-il pour « tenir toujours la route 
qui mène vers les hauteurs » ? Le seul conseil positif qui soit 
donné à cet égard, c’est, pendant cette vie, d'écouter les vrais 
philosophes comparer la valeur des diverses conditions humai- 
nes, expliquer les risques de méchanceté inhérents à certaines 
d’entre elles et raconter à cet effet des mythes eschatologiques 
(cf. p. οχν sqq.); si d’autre part on est convaincu que l’âme 
est immortelle, on se mettra de la sorte en état la prochaine 
fois, mille ans plus tard, de faire un meilleur choix (618 b- 
619 a, 621 cet la fin du Gorgias). — Peut-être le Banquet 
aiderait-il à comprendre le sens de ce conseil. Alcibiade est ce 
qu'il doit être, du bon et du mauvais, en vertu de la condi- 
tion que son âme a choisie avant de rentrer dansla génération. 
Or le déroulement de son destin se croise avec celui du destin 
de Socrate. Mais en ce dernier c’est seulement l’homme qu’il 
admire et qu’il aime; il se bouche au contraire les oreilles 
pour ne point entendre les leçons de la philosophie et pour 
mieux écouter en lui-même l’appel de l’orgueil et de l’ambi- 
tion. Pourquoi donc tout ce qui en lui était mauvais est- 
il devenu pire, au point d’étouffer ce qui y était bon et pou- 
_vait devenir meïlleur? Parce qu’il vivait au sein d’une société 
corrompue et corruptrice, où les passions ne pouvaient être 
dominées par la voix de la philosophie (cf. Banquet, Notice 
p. xarx sqq.). Bref, si le salut est possible, s’il ne faut pas 
désespérer d’apporter un remède aux erreurs originelles et aux 
autres, ou devra demander à la philosophie de recréer l’état 
social, de régénérer par de saines mesures le troupeau humain, 
de prendre le gouvernement. C’est ce dont justement la Répu- 


CXXIX 


\ 


Le salut. 


ΟΧΧΧ PHÈDRE 


blique a dessiné le plan. Bien plus, c’est du pire des maux que 
sortira ce bien décisif; car pour le réaliser, telle est la convic- 
tion obstinée de Platon (Lois IV 709 e), la philosophie devra 
commencer par apprivoiser celui dont le Phèdre a fait le der- 
nier des réprouvés: le tyran. 

Mais que faut-il au philosophe pour se faire l’initiateur de 
cette œuvre grandiose et redoutable ? Sans doute cette voca- 
tion éducatrice, ce désir divin de féconder pour toujours d’au- 
tres âmes par son enseignement en les unissant à la sienne 
et entre elles par un amour dont la philosophie est la sub- 
stance. Voilà en effet ce qui caractérise l’homme dont le Ban- 
quet (209 bc) fait le portrait enthousiaste, et en lui on 
reconnaît le loyal «ami du savoir » du Phédre, celui qui est 
aussi un ami de la Beauté, qui donne la rectitude à l’amour 
de la jeunesse et dont la parole enfin est une semence toujours 
vivante et active (248 d, 249 a déb., 276 e sq.). A la racine 
de la réforme sociale d’où naîtra le salut, il y a donc une inspi- 
ration divine et l’amour qui en est la plus magnifique mani- 
festation. Ainsi l’âme ne peut se relever de sa déchéance que 
par le moyen d’une dispensation ou grâce divine, d’une θεία 
μοῖρα, par laquelle un homme devient, pour un temps plus ou 
moins court, capable de se dépasser lui-même. Quand de la 
sorte ils prennent « possession » de nous, les dieux témoignent 
qu'à notre égard ils ne connaissent point l’envie (p. Lxxxrv 
n. 1): c'est un rayon de leur lumière qui vient se réfléchir 
sur nous et par lequel nous sommes transfigurés. Enfin, si 
toute possession divine apporte aux hommes un remède à quel- 
qu'une des misères de leur condition, la précellence de celle 
qui consiste dans l’amour associé à la philosophie et se confon- 
dant même avec elle, est due à ce qu’elle les guérit de la 
misère d’être des hommes. Il est donc très important de com- 

- prendre, et comment s'opère la possession d’une âme humai- 
ne par un dieu, et pourquoi elle nous élève au-dessus de nous- 
mêmes. — Qu'on se rappelle cette étrange physique de la 
communication de l'amour, dont la doctrine du contre-amour 


1. Le principal exposé s’en trouve dans le Ménon 99 b sq. Mais on 

la rencontre aussi dans l’Apologie 22bc, dans l’Jon 534 bc, dans le 

. Banquet 203 a, même dans les Lois III 682 a, IX 875 c; et le Phèdre 

s’en souvient très évidemment 244 a, ο, 8sq., 245c; cf. 230 a 
et 256 b. 


NOTICE CXXXI 


avec l’image réfléchie sur le miroir est l'expression dans le 
Phèdre (cf. p. ceux): elle prétend expliquer la naissance de 
l'enthousiasme par une sorte d'irradiation qui se propage à 
partir de la Beauté absolue; ainsi, deux âmes communient 
dans un contact avec le divin, bien plus avec ce qui est le prin- 
cipe même du divin (250 a, 249 c). Si elles ne font pas ce 
qu'il faut pour conserver ce contact, pour profiter de la béné- 
diction qui leur est échue, alors l'enthousiasme aura le sort 
de tout autre semblable don divin: 1] s’éteindra soudaine- 
ment ou par degrés. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faut 
que toute l’âme y porte intérêt; autrement dit, que l’intel- 
lect, si l'on peut dire, prenne en main l'émotion et que 
l'amour devienne philosophie, allant de la sorte à ce qui est 
l’aimable vrai, la réalité de la beauté et non plus une image 
de cette réalité (256 c, 250 d 7). Or cette conception présente 
de remarquables analogies avec la théorie de la divination 
qu’expose le Timée (71 b-72 b). Il semble tout d’abord qu'en 
celle-ci l’âme inférieure soit seule en cause. C’est en effet 
grâce au foie, dont la place est au-dessous du diaphragme, 
qu'est possible la divination : dans certains cas, ce sont des 
images terribles qui, venues de l'intelligence, se réfléchissent 
sur le miroir poli de sa surface et aussitôt il se rétracte et se 
ride; inversement, quand de l'intellect émane une « inspira- 
tion » contraire, il retrouve son poli et ce sont des images de 
vérité qui viennent s’y réfléchir. Mais ce n’est pas à celui quia 
reçu ces images qu’il appartient de les interpréter: c'est au 
sage, parce qu’au sage seul il appartient de se connaître lui- 
même et d'agir selon ce qui est dans sa nature. Aïnsi faisait 
le philosophe quand il mettait en œuvre l’émotion dont la 
Beauté intelligible est la source. — Au reste certains traits 
du Phèdre s’expliqueraient fort bien par cette théorie. Pour 
échapper au péril d’avoir à faire l'éloge de l’homme sans 
amour, Socrate va repasser la rivière : c’est que de son démon, 
interprète d’une intelligence divine (cf. Banquet 203 a), lui 
sont venues obscurément les images terribles d’un péché 
qu'il allait encore aggraver. Mais alors de l'intelligence 
‘sont émanées d’autres images qui lui ont rendu sa sérénité : 
il les a interprétées et, en comprenant son péché, le sage a 
découvert la pénitence qui convient. Aussi se dit-il un 
« devin », de petite envergure il est vrai, et assure-t-il 
qu’en l’âme réside un pouvoir de divination, et cette divina- 


CXXXII PHÈDRE 


tion est. la vraie parce qu'elle est inspirée (242 b-d; cf. 244 
b-d)!. 
ME SE line Quels que puissent être les remèdes offerts 
par l’amour et la philosophie à notre 
condition d'hommes, il n’en demeure pas moins que nous 
restons des hommes et qu’il y a des dieux. Il importe donc 
de définir le mieux possible en quoi ceux-ci diffèrent de nous; 
ce qui nous conduira à préciser la nature de la relation qui 
existe entre le corps et l'âme. — Tout d’abord, on a déjà pu 
voir (cf. p. Lxxxnt et cxxur sq.) quelle difficulté il y a de dire 
ce que sont les dieux. Pour en représenter la nature on est donc 
obligé, ainsi que pour l'âme, d’user sous certaines conditions 
d’un langage mythique (cf. p. 36 n. 3). Sans doute on peut 
énoncer quelle est l'exigence générale d'une nature divine, 
affirmer que le divin c’est ce qui a bonté, beauté, savoir (246 
e déb. ; cf. Banquet 202 c, 204 a déb.), rattacher par consé- 
quent ces caractères à ce qui d’autre part possède la perfection 
de l'existence et de la vérité (249 c). Mais, au delà de ces 
convictions très assurées, on ne peut guère faire autre chose 
que de chercher ce qu’elles excluent ou ce que, inversement, 
elles impliquent. Or ce qu’elles excluent, c’est justement la 
théologie traditionnelle, telle qu’elle ἃ été élaborée par les 
spécialistes de la mythologie : le Timée en parle (4o d-4r a) 
avec une ironie souverainement méprisante ; c’est une « his- 
toire » où il n’y a nulle vraisemblance et, si nous en croyons 
sur parole ceux qui nous la content, c’est qu'ils la donnent 
comme l’histoire même de leur famille ! Ce qu’impliquent 
au contraire ces convictions, c’est une tout autre théologie, la 
théologie astrale : les dieux y apparaîtront comme des vivants 
très sages, très bons et très beaux, dont les révolutions sont 
si exactement calculées qu’on ne peut, à moins de manquer 
de sens, y voir les actions d’êtres dépourvus d’âme et d'in- 
telligence ; en chacun d’eux on reconnaïîtra au contraire 
une âme divine et une intelligence parfaite, capables de 
gouverner toutes choses pour le mieux. Sans doute est-il 
difficile de savoir comment cette âme meut le corps de 


1. De même, dans le Phédon 84 e, 85 b Socrate dit être un devin, 
comme le sont les Cygnes quand ils sentent qu'ils vont mourir : 
c’est parce qu’il est, comme eux, au service d’Apollon et possédé 
par ce dieu. 


NOTICE CXXXIII 


chaque astre ; mais il est certain qu’elle est un dieu et, vrai- 
semblablement, un dieu qui a son corps approprié ; donc 
un vivant analogue au vivant que nous sommes, mais d’une 
espèce supérieure (Lois X 896 e-897 c, 898 c-899 d ; XII 967 
ab, de; cf. Timée 30 bc, 38 cd, 4o a-d et aussi Philèbe 28 
a-30 d). 

Ainsi se pose une deuxième question : les âmes des dieux 
meuvent-elles le corps visible des astres, étant logées en ceux- 
<i comme nos âmes le sont dans nos corps ? Ou bien pour cela 
leur faut-il un autre corps à titre d’instrument nécessaire ? 
Ou bien enfin sont-elles dépourvues de toute solidarité de ce 
genre et meuvent-elles l’astre en vertu d’on ne sait quel mysté- 
rieux pouvoir ? À la vérité Platon ne prend pas parti: une 
seule chose importe, c’est qu’on ne doute point de l’excellence 
de telles âmes (898 e-899 b). Son incertitude semble donc 
concerner moins l’union même de l’âme au corps que le mode 
de cette union. Au surplus, si dans le noyau de sa constitu- 
tion l’âme est déjà un composé dont un élément est ce que le 
Timée appelle le Divisible selon le corps (cf. p. exx11), on voit 
mal comment une telle union ne serait pas nécessaire. L’âme 
est par nature ce qui se meut soi-même, mais c’est pour être 
le principe inengendré et impérissable du mouvement de tout 
le reste (Phèdre 246 a déb.) et, par conséquent, de la géné- 
ration, c’est-à-dire de tout l’univers de notre expérience. ἃ 
cet égard il ÿ a dans le livre X des Lois (904 ab; cf. p. cxxv 
n. 1) un texte particulièrement instructif : pour que la géné- 
ration soit impérissable, y est-il dit, il faut que le corps ne 
soit pas moins impérissable que l'âme. C’est donc que, corré- 
lativement, ils sont aussi nécessaires l’un que l’autre, non sans 
doute au même rang, par rapport au commencement de la 
génération à partir de la spontanéité automotrice de l’âme. 
Que l’Étranger athénien se borne, il est vrai, à déclarer que 
ni l’un ni l’autre ne sont éternels et que l’éternité appartient 
seulement aux « dieux légitimes », il n’y a pas lieu d’en être 
surpris : ce n’est pas à des philosophes qu’il s'adresse. Mais, 
si ses interlocuteurs avaient entendu les leçons de l’Académie, 
peut-être comprendraient-ils qu’il ne peut y avoir d'autre 
éternité divine que celle des réalités intelligibles (cf. p. xcrv 
et n.3). 

Én résumé il n’y aurait pas d’âmes entièrement « séparées », 
fussent-elles des âmes de dieux. Dans le ciel, aucune âme ne 


ΟΧΧΧΙΥ PHÈDRE 


serait incorporelle, et il est vraisemblable, bien que Platon 
n'ait pas « mythologisé » là-dessus, que [65 âmes dont le rèle 
est seulement d’essayer de suivre les dieux ne sont pas à cet 
égard différentes: c’est ce qu’exprime l’image des ailes, qui 
de la sorte ne serait pas aussi dépourvue qu’on l’a dit de 
signification doctrinale (οἵ, p. Lxxxi1 ἢ. 2). Toutes ces âmes 
sont dans le lieu naturel de l’âme. Celles qui n’y sont plus 
et qui sont tombées dans la génération s’en distinguent seule- 
ment en ce que leur corps n’est plus fait principalement de 
feu (cf. Timée Lo a), mais principalement de terre (Phèdre 
246 c), ou, à parler par symbole, en ce que, si la vertu des ailes 
subsiste encore à l’état latent, elles en ont du moins perdu 
l'usage. Quand donc Platon définit la mort une « séparation » 
de l’âme et du corps (Phédon 64 c), cela se rapporterait 
seulement à ce corps sans gloire dont la substance principale 
a tant d’assiette et si peu de mobilité qn’il en résulte pour 
elle une grande pesanteur relative; on peut même se deman- 
der si les damnés n’en doivent pas conserver quelque équiva- 
lent (cf. Phèdre 256 e sq. et Notice du Phédon p. zxu et 
Lxxvii sq.). Enfin cette union nécessaire, dans laquelle l'âme 
a sur le corps la primauté de nature et d’action, aurait sa 
raison d'être dans la composition même de l’âme. Le Divi- 
sible selon le corps y représente la nécessité essentielle de 
s’unir à un corps, la possibilité d’une résistance et la réalité 
d'un point d'application pour ce mouvement dont l’âme est 
à elle-même le principe. Ainsi ce serait comme un intermé- 
diaire entre les «intentions » de l’intellect, avec ce qu’elles 
contiennent d'énergie motrice, et, d'autre part, la masse 
sensible que meut l’âme. La vie du philosophe, disaitle Phédon, 
doit être une mortification ; la prédication morale y était 
empreinte du mysticisme le plus exalté. Le ton change avec 
le Phèdre, car il deinande à l’âme de recouvrer l’usage de ses 
ailes : il s'agirait donc alors pour elle, non point de mourir 
à tout corps, mais de se préparer à reprendre une autre sorte 
de corps, savoir celle qui originairement lui est propre. 
C'est ce que déjà le Banquet (212 a) et plus tard le Timée (90 
bc) appellent s’immortaliser aussi pleinement que cela est 
possible à la nature humaine. Or cela se fait moins par 
l’ascétisme que par le savoir et par l’amour, solidaires l’un 
de l’autre. 


NOTICE | ΟΧΧΧΥ͂ 


Dans la notice du Banquet, j'ai cru devoir 
remettre à maintenant le soin de fixer, 
autant que possible, les traits de la conception que Platon se 
fait de l'amour. 

L'amour apparaît dans le Banquet comme le grand mystère 
de l'existence : en lui s'opère en effet une synthèse des opposés 
qui semblent le moins préparés à s’unir. L’aspiration qui le 
constitue n’est-elle pas le fruit de la rencontre et de l’union 
de deux dispositions tout à fait contraires? L'une est la 
conscience douloureuse de ce qu'il y a en nous d’indigent et 
de borné; l’autre est le sentiment exalté de l’inépuisable 
richesse de nos ressources inventives. Quand le cœur est mis 
en fête par le spectacle de la beauté, cette exaltation devient 
une ivresse, dans laquelle à la fin il s'endort ; et c’est l’occa- 
sion d’une entreprise où l’élément douloureux espère se relever 
de sa misère. C’est de ce jeu rythmé des contraires que nait 
Amour, fils de Pauvreté et d'Expédient; Amour dont l’exis- 
tence est faite de découragement et d'espoir, de timidité et de 
hardiesse, d’ignorance consciente et d’ardeur pour savoir : 
nature dans l'unité de laquelle se fondent des opposés qui 
tour à tour s’annulent sans jamais briser la solidarité qui les 
unit. Voilà pourquoi il y a dans l'amour une aspiration qui 
jamais n’est assouvie vers le beau et vers le bon, une mobi- 
lité qui se réveille inlassablement, une force d'expansion en 
vertu de laquelle il ne fait défaut à aucune des sphères de 
l'existence, à la fois moteur de la « roue des générations » etâme 
de la philosophie. C’est que l'amour a pour objet la création 
dans la beauté; c’est qu'il représente l'effort de la nature 
mortelle, aussi bien dans l’ordre de la chair que dans celui de 
l'esprit, pour s’immortaliser autant qu’elle le peut : un effort 
qui jamais n’atteint pour toujours le terme où il tend et qui 
pourtant jamais ne s’éteint, un eflort qui est le ressort même 
de la vie, de la vie spirituelle comme de la vie physique. 
L'amour est donc une synthèse de mortel et d’immortel ; 1] 
joint mystérieusement l’un à l’autre deux mondes qu’un 
abime semblait séparer ; il refait ainsi l’unité du Tout. Mais, 


3. L'amour. 


1. Voir p. Lxxix et p. xciv sq. — Il va sans dire que, dans ce 
qui suit, je laisse de côté les cinq premiers discours du Banquet, 
puisqu'ils ne représentent pas le point de vue de la philosophie sur 
la question. 


CXXXVI PHÈDRE 


si telle est sa fonction, il ne peut s’en acquitter sans une 
discipline qui règle ses aspirations, sans une « méthode » qui 
les empêche de se détrurner de leur but: discipline progres- 
sive, car elle gravit successivement une suite d’échelons, 
allant de la beauté sensible des corps à la beauté intellectuelle 
des connaissances ; et en même temps, à chacune de ses 
étapes, elle détache l'amour des attachements individuels ou 
même spéciaux. Le terme en est, pour qui aura été convena- 
blement initié par un guide instruit de la route qui y mène, 
une révélation soudaine, celle de la Beauté absolue : entre 
celle-ci et la multiplicité des choses belles qui sont dans le 
devenir, il n’y a point de parité; ce n’en est pas une géné- 
ralisation, mais elle est une par elle-même, étant l'essence 
intelligible du Beau en soi et par soi. 

Tels sont les principaux enseignements. 
du Banquet. Il γ a dans la forme qui leur 
est donnée une remarquable variété : 
dans la relation des entretiens de Socrate avec Diotime ou 
dans le discours de la prophétesse, les élévations lyriques 
accompagnent l'emploi du mythe ; dans la discussion avec 
Agathon, la recherche est conduite dialectiquement ; enfin 
dans le discours d’Alcibiade le tour devient dramatique lorsque 
Socrate, incarnation de la philosophie, nous apparaît comme 
la vivante image de l'amour (Banquet, Notice p. aux sqq.). 
— Dans la façon dont le Phèdre à son tour traite le problème 
il y a d’évidentes analogies. Le discours de Lysias et le premier 
discours de Socrate sont l'équivalent des points de vue 
incomplets des cinq premiers discours du Banquet. D'autre 
part Stésichore, le poète, tient la place de la prophétesse 
Diotime: seuls des inspirés sont capables de prendre sur 
l'amour le point de vue qu'il faut. Mais, tandis que l'amour 
est l’unique sujet du Banquet, le Phèdre unit, par un lien très 
serré malgré la complication de ses inflexions, le problème de 
l'amour au problème de l’éducation. À qui doit appartenir la 
formation intellectuelle et morale de la jeunesse ? Est-ce à la 
rhétorique et à sa technique toute formelle de l'illusion, qui 
fera triompher une vraisemblance où il n’y a point de véritét? 


Les nouveautés 
du Phèdre. 


1. Îl faut du reste noter que, dans le cadre limité du Banquet, le 
problème de savoir ce que vaut la formation rhétorique de la pensée 


a sa place : cf. 198 d-199 b. 


NOTICE CXXXVIF 


Est-ce à la philosophie, qui par la méthode dialectique vise 
seulement à faire communier les âmes dans la vérité ? Sur le 
fond même de la question peut-être n’apporte-t-il rien qui 
soit spécifique. Il transpose toutefois la doctrine de la manière 
la plus instructive, autant dans son esprit que dans ses appli- 
cations. 

Sur un premier point cette transposition nous est rendue 
immédiatement sensible. Comme une conséquence de sa 
donnée initiale, l'éloge de l'Amour, le Banquet personnifiait 
celui-ci; cependant il le qualifiait non pas de dieu, mais 
seulement de démon, de façon qu’il fût un agent de liaison 
entre les hommes et les dieux, un intermédiaire entre deux 
domaines radicalement distincts. Or, dans le Phèdre, à la 
place du démonisme de l’amour, nous trouvons dans l’âme la 
possession divine et l'inspiration. Que par là soit impliqué le 
démonisme ou quelque chose d’analogue, c’est bien certain 
(cf. p. cxxx sq.). Il n’en est pas moins vrai que, en mettant 
l’« enthousiasme » dans l’âme de l’être sensible, en faisant de 
l'amour une des espèces, et la plus belle, de cette possession 
divine, on exprime la chose en des termes qui s’éloignent 
davantage de la mythologie, qui parlent plus directement à 
l'expérience humaine ; c’est en effet définir un état que chacun 
connaît plus ou moins, soit chez d’autres soit par lui-même : 
n'être plus soi ou être hors de soi. La conséquence en est que 
maintenant ce n’est plus le démon Amour qui est un être 
intermédiaire, c'est l’âme elle-même. C’est ce que le Phèdre 
établit doublement ; il le fait certes en un langage mythique, 
mais sur la signification de ce langage il n’y a pas de méprise 
possible. L'âme est d’abord intermédiaire en tant que tripar- 
tite, touchant à l’Intelligible par ce qu'il y a de meilleur 
en elle, au Sensible par ce qu’elle a de moins bon, avec une 
fonction moyenne entre ces deux extrêmes ; et cela n’est pas 
moins vrai des âmes divines que des âmes humaines (cf. 
p- cxx sq. et p. cxxxn1). En second lieu la région qui est 
l'habitat naturel des âmes est-elle même une région moyenne: 
c'est le ciel astronomique, car les âmes des dieux sont les 
moteurs des astres et elles sont suivies tant bien que mal par 
les autres âmes ; de plus les astres sont les réservoirs de nos 
âmes (Timée ἡ τ c-e). Or cette région touche d’un côté au lieu 
supra-céleste, c’est-à-dire au monde des Idées, et de l’autre au 
lieu d’ici-bas. Mais, sous cette forme, une telle conception se 


CXXXVIII PHÈDRE 


lie‘ à celle que se fait Platon de l'éducation des philosophes : 
en étudiant l’astronomie et les autres sciences mathématiques, 
ils se dégageront du Sensible et ce sera une propédeutique à 
la science exacte entre toutes, la dialectique, science de 
VIntelligible ; il y a donc là une culture moyenne (Rép. VII 
524 c-531 c; Philèbe 56 de). En disant que l’amour est un 
délire, il s'est donné pour tâche d’intégrer à la doctrine de 
l'amour une doctrine de l’âme (Phèdre 245 c); du même 
coup il intégrait, plus clairement qu'il ne l'avait fait dans le 
Banquet, la doctrine de l'amour à toute sa philosophie. On 
peut même ajouter que l’âme devient ainsi le médiateur dont 
les objections du Parménide accusent la nécessité : par l'amour 
vrai dans l’âme, l’Intelligible et le Sensible se rejoignent; c’est 
un pont jeté sur le gouffre et ces deux « en soi » deviennent 
alors « l’un pour l’autre ». 

Ce n'est pas tout. L'amour était conçu dans le Banquet 
(par ex. 203 d) comme une tendance qui est toujours soit en 
action soit prête à l’action; parce que l’amour désire tou- 
jours autre chose que ce qu'il ἃ, il est sans cesse en chasse, 
il va toujours de l’avant. Ainsi l’amour est moteur et ce qu'il 
meut, c’est lui-même, mais aussi du même coup tout le 
reste, les âmes comme les corps, puisqu'il n’y a de perpé- 
tuité dans la génération, pour l'esprit comme pour la chair, 
que par l'amour. Or cette double motricité, c’est à l’âme 
qu'elle est transférée par le Phèdre. En même temps le désir 
de se perpétuer en d’autres âmes ou en d’autres corps, ce 
désir de s’immortaliser qui était d’après le Banquet le grand 
ressort de l’amour, se transforme en une immortalité essen- 
tielle de l’âme, sans laquelle l'amour même ne saurait être 
compris. Donc c’est à présent l’âme qui se meut elle-mème 
et qui meut tout le reste. Mais ce mouvement est amour“ 
l’âme s’aime elle-même, et c’est ce qui lui fait accomplir ses 
révolutions dans le ciel, mue par le désir de contempler ces 
réalités vraies dont la vision est l’aliment de ce qu’il y a de 
meilleur en elle. Or l’âme gouverne et administre tout ce 
qui est dépourvu d’âme; c’est donc le désir dont elle se meut 
qui meut aussi tout ce à quoi elle communique le mouve- 
ment, car c'est ce désir qui attache les âmes non divines aux 


1. Ce que lui reproche Aristote, d’ailleurs sans le nommer, 


Métaph. B 2, 997 b 15-20. 


NOTICE CXXXIX 


traces du dieu, exempt de jalousie, au cortège duquel elles 
appartiennent. C’est ce désir enfin qui, réveillé dans l’âme 
par la réminiscence, provoque un enthousiasme, duquel 
pourra naître ensuite cet amour philosophique où elle trou- 
vera l'élan capable de la ramener à son lieu naturel. Certes, 
sur ce point encore, le Phèdre ne fait que développer la 
pensée du Banquet, mais il le fait de façon à lui donner plus 
de portée et à en approfondir les perspectives. A cet appro- 
fondissement se rattacherait peut-être la solution d’une diffi- 
culté qui subsistait dans le Banquet (cf. Notice, p. xcvi sqq.): 
sil’amour estun mouvement vers un but, peut-être, une fois 
ce but atteint, ne cessera-t-il pas avec le succès obtenu, mais 
du moins perdra-t-il son caractère de moteur. Or le Phèdre, 
par l’image physique du miroir (255 d e), représente le 
mouvement essentiel à l'amour comme un mouvement qui 
revient deux fois sur lui-même: de l’aimable à l’aimant, 
puis de l’aimant à l’aimable et, de nouveau, de celui-ci à 
l’autre. Et l’image ne s'applique pas moins bien à l'amour 
céleste qu’à celui d’ici-bas. En effet, ce qui meut l’âme dans 
le ciel, ou plutôt ce qui fait qu’elle s’y meut elle-même, c’est, 
on l’a vu, le désir de contempler les réalités du lieu supra- 
céleste, qui sont les aimables absolus. Ainsi c’est en elles 
qu'est le principe du mouvement, puis il revient spontané- 
ment vers elles, et de nouveau il en repart, de façon à 
posséder une continuité incessante. Par l’éternelle effusion 
de leur attrait, ces réalités éternelles prolongent sans fin 
l’élan d'amour qui vers elles avait mis l’âme en branle: elle 
se meut elle-même parce qu’il y a en elle une soif inextin- 
guible de l'idéal. 

Enfin, bien que le Banquet parle beaucoup de l’amour 
charnel, il est certain que, dans la partie du dialogue où 
s'exprime la pensée de Platon, le point de vue qui compte 
est celui de la génération, parce qu'il atteste dans l’ordre de 
la chair le désir de l’immortalité (cf. 207 a-d, 208 e). Quant 
à l’amour masculin, ceux qui se complaisent à en faire 
l'éloge, ce sont les non-philosophes qui prononcent les cinq 
premiers discours. Il s’agit ensuite, tout au contraire, de 
dégager l’amour de cette gangue de sensualité, pour insister 
finalement sur l'aspect spirituel d’un amour qui désire 
surtout la possession éternelle du bon et du vrai (cf. 210bc; 
211de; 20ga,ce; 217esq.; 219 a-c). — Assurément 

ἔν" ἢ RE 


cxL PHÈDRE ἢ 


l’idée que l’amour est condition de la reproduction n’est pas 
étrangère au Phèdre ; mais, à la différence du Banquet, il en 
fait de préférence ressortir l’abjection (250 e sq.). C’est qu’en 
réalité il est plus soucieux encore que n’était le Banquet de 
montrer commèênt de la sensualité, même la plus naturelle, 
on peut passer à l’idéalité; c’est en vue d'expliquer dans 
quels cas ce passage ne se réalise pas, qu’il est conduit d’autre 
part à analyser avec le soin le plus attentif l'émotion sensuelle 
sous l’aspect que le milieu social tenait pour le plus noble et 
le plus étranger à l’animalité. Il le fait de telle sorte que 
son analyse en est une peinture si extraordinairement vivante 
que certains ont voulu y voir le souvenir, encore chaud 
d'émotion, d’une expérience personnelle‘. Cette insistance, 
néanmoins, ne semble pas avoir d’autre objet que de faire 
sentir à quelles embüches est exposée l’âme dans son union 
à un corps terrestre ; de donner à comprendre sur quel point 
précis doit porter son effort pour être capable d’en tourner la 
bassesse, la perversité mème, au profit de son élévation. Sans 
doute un motif d'équilibre intervient-il aussi dans la pensée 
de Platon: s'il y a un amour « droit» et un amour 
« gauche », la méthode de division dichotomique exige que 
ce dernier, dans l'analyse ou dans la description, ne soit pas 
escamoté, ni ses jouissances voilées pour faire valoir plus 
sûrement les joies contemplatives que l’autre promet; on 
obtiendrait ainsi l’effet contraire de celui qu’on cherche. Au 


ται Cf. 253e-254 b, 255 e sq., 256cd. — L'interprétation à 
laquelle je fais allusion est notamment celle de Wilamowitz Platon 13, 
p- 468 sq. (cf. p. 44 et saep.). La question serait de savoir si un 
grand artiste ne peut peindre avec force que les sentiments qu’il a 
lui-même éprouvés et s’il n’est pas capable d’y réussir par l’observa- 
tion d'autrui et grâce au pouvoir qu’il possède de faire vivre des 
émotions qui ne sont pas les siennes, au point même de sympathiser 
avec elles. Dira-t-on que Plaute ou Molière ou Balzac doivent avoir 
été eux-mêmes des avares pour avoir pu peindre l’avarice comme ils 
ont fait ? Peut-être est-il plus sage de voir ce qui est, que d’ériger en 
fait ce qu’on ignore totalement. Or ce qui est, c’est la condamnation 
par Platon de pratiques dont il avait autour de lui d'innombrables 
exemples et dont la psychologie spéciale était pour lui d’un si grand 
intérêt. Que cette condamnation provienne d’un repentir et manifeste 
un triomphe de la volonté, c’est une chose que sans doute nous ne 
saurons jamais. Cf. p. α 544. et Banquet, Notice p. xL1v sqq. 


NOTICE CxLI 


surplus, à la peinture passionnée d’un amour sensuel per- 
verti, Platon ne manque pas d’entreméler des traits où se 
marque la réprobation : au milieu des pires emportements 
de la passion surgissent dans l’âme du coursier docile ou dans 
celle du cocher des sentiments de honte, de respect, de 
pudeur (254 a-e, 256 a). 

Dès lors, on le comprend, il n’y a plus place dans le 
Phèdre pour une discipline progressive de l'amour conçue 
comme une méthode particulière, ainsi que cela se voyait 
dans le Banquet. Ce que Platon cherche maintenant à créer, 
c'est une nouvelle « psychagogie », une méthode philoso- 
phique générale pour conduire les âmes par la vérité à la 
vérité, en opposition à la fausse « psychagogie » des rhéteurs, 
qui ne vise qu'à la persuasion par la vraisemblance. C’est 
dans le même esprit que sont précisées certaines suggestions 
du Banquet: il y était question de l’éloquence que déploient 
l’homme né pour être un éducateur ou celui qui montre à 
gravir les échelons de l’amour (209 c; 210 a, c). A la fin du 
Phèdre cette idée se définit dans une apologie fervente de la 
parole de vérité, celle où s’exprime la vie d’une âme soucieuse 
de déposer des semences choisies dans des âmes aptes à les 
recevoir, préparées à cette fin et dans lesquelles ces semences 
puissent fructifier, pour se resemer à leur tour dans d’autres 
âmes ; ainsi une existence impérissable sera assurée à l’âme 
même dont la pensée leur a donné la vie (276 b, e sq., 277e- 
278b). On pouvait deviner dans le Banquet que Platon 
songeait au lien d'amour qui doit dans son École unir les 
disciples au maître qui les guide. Ici on voit ce qu'il espère : 
c’est la pérennité de l’action que son enseignement a exercée 
sur les âmes qu'il a lui-même conquises en les aimant et en 
s’en faisant aimer. 

En résumé, si sur la doctrine de l’amour le Phèdre n’ap- 
porte rien qui soit à proprement parler nouveau, en revanche 
il l’a transformée du fait qu’il y a incorporé une théorie de 
l’âme, dont le retentissement est profond sur l’ensemble de 
sa philosophie. La raison en est, je crois, celle que j'ai déjà 
indiquée (cf. p. α sqq.): dans le Phèdre, au lieu d’envi- 
sager l’amour dans son essence et de transfigurer la mytho- 
logie, il a voulu surtout y voir le drame intérieur de l’âme 
tout entière, avec la diversité des motifs et des mobiles qui, 
en elle, s'unissent à la pensée réfléchie, avec toutes les péri- 


cxLII PHÈDRE 


péties qui en résultent et les dénouements auxquels elles 
conduisent. 


VI 


RHÉTORIQUE ET DIALECTIQUE 


Si l’on voulait donner à cette section tout le développe- 
ment qu’elle comporte, elle prendrait dans la Notice, si 
longue déjà, une place démesurée‘. Pour le but qu’on s'y 
propose, il suflira de définir, avec autant de précision qu’on 
pourra, la position que Platon a adoptée dans le Phèdre 
envers la rhétorique en général, et de signaler quelles diffi- 
cultés on rencontre dès qu'il s’agit de déterminer son attitude 
envers tel ou tel rhéteur en particulier. Au reste, l’objet du 
débat est clairement marqué par Socrate (266 b; cf. 269 b) : 
la discipline qu’il enseigne, « jusqu’à présent, en tout cas », 
il l'appelle dialectique ; quel nom faut-il pour le présent 
donner à l’enseignement de l’art oratoire ? Si ce n’est même 
pas un art, comme on l’a déjà prouvé (262 c), à plus forte 
raison pourra-t-on penser qu'il n’y a pas non plus de disci- 
pline qui l’enseigne. Phèdre en conclut qu'il reste, par 
conséquent, à définir la rhétorique comme objet distinct 

‘étude. Est-ce donc à dire, demande alors Socrate, qu'elle 
existerait comme discipline technique, à part de la dialec- 
tique ? Tout entrelacées qu’elles sont, les grandes lignes d’un 
plan se dessinent pourtant ici: 1° critique de la rhétorique 
de fait, dans ses productions et dans son enseignement ; 
2° détermination idéale d’une rhétorique de droit, qui se fon- 
derait sur la dialectique ; 3° caractère de la dialectique en 
tant que propre à fonder cette nouvelle rhétorique. 


I. Critique de la rhétorique existante. — Pour montrer 
à quel point sont injustifiées les prétentions de la rhétorique 
à se dire un art, Platon se place, comme on vient de le 


1. Sur la question, voir O. Navarre Essai sur la Rhétorique grecque 
avant Aristote, 1900 (thèse Paris); E. Drerup, die Anfänge der rhetor. 
Kunstprosa (Jahrb. f. class. Philologie, Supplem.-bd 27, 1902, p. 218- 
351); H. Gomperz, Isokrates und die Sokratik (Wiener Stud. vol. 28, 
1906, p. 1-42); W. Süss, Ethos, Studien :. älteren Rhetorik, 1910, etc. 


NOTICE CXLIII 


noter, à un double point de vue, celui des œuvres et 
celui de la discipline par laquelle ce soi-disant art serait 
communicable. 

Le premier point de vue apparaît lorsque, 
après le second discours de Socrate, est 
introduite, avec la supposition que 
Lysias écrira une réplique, la notion capitale de « logo- 
graphie ». C’est d'autre part sur cette notion que s’achèvera 
l'examen de la rhétorique: qu'est-ce en effet, à la fin du 
Phèdre, que l'apologie de l’enseignement vivant sinon une 
condamnation de la composition oratoire écrite? Mais, au 
lieu de prendre le terme dans son sens usuel et concernant 
spécialement la composition des plaidoyers, Platon le géné- 
ralise (p. 56 n. 2): légitimement, il signifie en effet l’acte 
d'écrire des discours. Peu importe que l’objet n’en ait rien de 
juridique, qu'il s’agisse par exemple de proposer ou d’édicter 
une loi, et même simplement de défendre une thèse spécu- 
lative ou de la combattre ; la forme littéraire, que ce soit de 
la prose ou des vers, n’est pas moins indifférente par rapport 
au caractère de l’œuvre (258 ἃ fin; 277efin; 278 ο, 6). 
Aussi a-t-on grand tort de mépriser ou de suspecter la « logo- 
graphie » en raison de son application professionnelle : le 
jugement qu’on portera sur ce qu’elle vaut doit rester indé- 
pendant du fait qu’elle est, ou le métier des avocats qui 
écrivent pour les plaideurs, ou celui des Sophistes qui 
écrivent pour mettre en évidence (genre épidictique) leur 
talent de professeurs (257 c-258 d ; cf. 261 a-e, 278 c). — 
Ce qui par contre constituera pour la « logographie » un 
vice essentiel et justement condamnable, c’est qu’elle fasse 
fi de la vérité par rapport au sujet qu’elle traite; qu’au 
contraire elle soit uniquement soucieuse de l'opinion de ceux 
à qui elle s’adresse, soit pour la flatter en s’y conformant, 
soit pour la séduire. Quand en effet l’art dont elle procède 
se donne pour une « psychagogie », pour un art de mener 
les âmes, le seul objet qu’en cela il ait en vue est la per- 
suasion. Or, si celle-ci ne se rapporte pas à la vérité, elle ne. 
peut être qu’un artifice pour faire croire, en abusant de 
certaines similitudes, que ceci est cela et, aussi bien, le 
contraire. Toujours, en eflet, et quel que soit le sujet de la 
composition oratoire, celle-ci se présente comme une opposi- 
tion de thèses: c’est donc une controverse ou « antilogie », 


Œuvres : 
la logographie. 


GXLIY PHÈDRE 


dans laquelle une des deux parties en présence cherche à 
persuader lecteur ou auditeur, pour faire triompher la thèse 
qu'elle défend. En vue d’y réussir, on s’appliquera d’abord 
à dissimuler aux yeux de ceux-ci l'ambiguïté de ce qui est en 
cause et, au lieu de se mettre là-dessus d'accord avec eux, à 
les empêcher au contraire de s’en faire une idée nette, à 
éviter soi-même de le définir préalablement; d’un autre 
côté, on fera en sorte de si bien embrouïller les choses en les 
jetant toutes pêle-mêle que, faute de pouvoir s’y reconnaître, 
ils passeront à leur insu de la réalité à son contraire. C’est de 
‘quoi justement témoigne à merveille le discours de Lysias. 
Mais si, pareil au rhapsode, on débite ainsi des choses dont 
on n’a pas auparavant examiné si elles sont vraies, comment 
ne se laissera-t-on pas prendre soi-même au piège de l’illu- 
sion dont on cherche à duper autrui? La conclusion, c'est 
que, sans la connaissance du vrai, la composition oratoire ne 
peut obéir qu’à de mystérieuses « nécessités logographiques » ; 
qu'il n’y a là par conséquent qu’une routine misérable et un 
tour d'adresse qui n’est pas transmissible (258 e-264e; cf. 
273 d, 277 e fin). 

Mais précisément ce qu'assure la rhéto- 
rique, c’est qu’elle serait une technique 
pouvant être enseignée et acquise sans qu'on eût aucune 
connaissance du vrai. Voici donc le second point de vue: 
comment enseignerait-on un art dont on vient de dire qu’il 
n'en est pas un ὃ Or c’est un fait (266 d-267 6) qu’il y a des 
traités de rhétorique qui contiennent, dit-on, une foule de 
merveilles, et qu'il y a des écoles où se donne cet enseigne- 
ment (266d; 269c; 271c déb.,e; 472 6). C'est un fait 
aussi qu’il y a eu, qu'il y a des maîtres qui ont acquis une 
grande renommée et qui se font payer très cher (266 c), si 
soucieux d’ailleurs de graver leurs préceptes dans l'esprit des 
élèves qu'ils ne dédaignent pas de les consigner en vers 
mnémotechniques (267 a). Mais, au vrai, que renferment 
ces traités et qu'apprend-on de ces maîtres dans leurs 
écoles? Rien de plus que des expédients qui ont réussi en 
diverses occasions et dont on donne la formule (σχῆμα, 
figure); ou bien des «lieux communs », développements 
passe-partout qui serviront à n'importe quel sujet ; ou bien 
enfin des conseils et des règles qui n’ont rapport qu’à la 
forme littéraire, soit au style, soit au vocabulaire. 


Enseignement. 


NOTICE CXLY 


Or ce qui fait l’orgueil des maîtres, ce sont les découvertes 
dont ils accroissent un si précieux trésor. Platon ne s’attache 
pas à en détailler les richesses et il se borne à en donner 
quelques échantillons. On enseigne à choisir ses mots, à les 
ébarber pour qu’ils soient bien nets, ou à les ciseler; on 
recommande au prosateur d'éviter les termes poétiques 
(234 c, e; 257a); on donne des conseils pour la correction 
ou pour l'élégance de la langue (267 c); redoubler le mot 
qu’on vient de dire est un moyen d’exciter l'attention; il y 
a un style doctoral et sententieux, il ἃ un style imagé et 
métaphorique (ibid. et 269 a), qu’on apprendra à employer 
selon les cas ; on dira comment s’y prendre pour être tantôt 
sobre et tantôt copieux (267b, 268c, 269 a, 4728; cf. 235 a). 
Du maître l’élève reçoit en outre une sorte de patron d’après 
lequel il construira mécaniquement n’importe quel discours, 
soit devant l’Assemblée, soit au tribunal, et qu'il s’agisse 
d’accuser ou bien de défendre : exorde ou préambule, expo- 
sition des faits ou narration, production des témoignages, 
indices ou présomptions, puis la preuve à laquelle s’ajoutera 
au besoin le complément de preuve, enfin ce que les uns 
nomment le résumé, d’autres la récapitulation, et qui consiste 
à rappeler les points principaux du discours (266 e sq. ; 
267 c; 272 ἃ, 6). Ajoutez à cela toutes les roueries de 
métier, dont l’expérience du maître est à même de garantir 
le succès: au lieu de louer ou de blâmer ouvertement, le 
faire d’une façon détournée et pratiquer l’insinuation 
(267 a); faire naître le soupçon par une adroite calomnie 
(ibid. d); exciter ou apaiser tour à tour les fureurs d’une 
foule (267cd, 268c, 272a); l’apitoyer et lui arracher des 
larmes (ibid.). En enseignant aux élèves tous ces « moyens», 
on leur inculque en outre la conviction que l’unique ressort 
en est, non pas la vérité, mais la probabilité et la vraisem- 
blance : « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable », 
gardez-vous donc alors de dire le vrai si vous voulez qu’on 
vous croie (266e sq., 272 d-273 d). Quant à la matière à 
laquelle s’appliqueront ces divers artifices, elle consiste en 
des thèmes, dûment catalogués, qui appartiennent à la 


1. Platon s’amuse à user de ce procédé dans le passage, plein de 
verve, qui précède la palinodie : « Épouvantable, Phèdre, épouvan- 
table est le discours... » (242 d). 


CXLYI PHÈDRE 


réflexion la plus commune et dont chacun donne lieu à une 
antithèse facile : richesse et pauvreté, jeunesse et vieillesse, 
passion brûlante et froid calcul, amour et amitié, etc. (par ex. 
227 cd, 235e, 267 c). 

Certes, il est impossible de méconnaître 
la nécessité de tels développements : ce 
serait renoncer à dire sur chaque sujet ce qu’il appelle natu- 
rellement. Mais ce qu'on reprochera à l’enseignement rhéto- 
rique, c'est de voir là-dedans le domaine privilégié de l’inven- 
tion : ce n’est pas être original que de prendre sur tout 
sujet le contre-pied de ce qui est raisonnable et de se 
complaire aux paradoxes. Gonfler de petits sujets pour les 
faire paraître grands, évider les grands pour qu’ils semblent 
petits, faire du vieux avec du neuf ou du neuf avec du vieux, 
rien de tout cela non plus n’est inventer ; c’est seulement 
donner à des banalités un certain arrangement : tant qu'on 
s’en tient à des thèmes inévitables, mais rebattus, il n’y a 
pas place pour l'invention, et c’est là justement quelque 
chose qui ne se laisse pas formuler en précepte, mais un 
don de nature (236 a, 267 ab, 268 c). A la vérité, quand les 
rhéteurs énoncent à quelles conditions on peut, à leur école, 
devenir un bon orateur, ils ne manquent pas de joindre les 
dons naturels à l'instruction et à l'exercice (269 d): en quoi 
ils ne se trompent pas. Ce n’est pas toutelois par leurs 
méthodes que cela se fera : la façon superficielle dont ils 
comprennent l'instruction et le savoir fait que les dons 
naturels ne signifient plus qu’une agile dextérité dans l’usage 
des artifices qu’ils ont enseignés, et les exercices par lesquels 
ils prétendent la faire acquérir ne sont qu'une parodie de 
culture. Pour atteindre le but ils se flattent d’avoir trouvé 
la voie la plus courte et la moins pénible (2724); mais la 
vérité est que leurs élèves n’apprennent d'eux que l’'ABC 
d’un art, et qu’eux-mêmes d’ailleurs, à moins de supposer 
qu'ils en gardent perfidement le secret, ils ne possèdent pas 
l'art qu’ils enseignent. Affaire donc au disciple, une fois 
achevé son cours d’études, de se débrouiller tout seul en 
face des réalités, d'organiser son discours par rapport aux 
conjonctures et d'apprécier les questions d'opportunité! Au 
lieu d’une base solide de la pratique, tout ce qu’ils lui ont 
donné ce sont des « corrigés »: ces misérables modèles, tout 
pleins d'artifice et de convention, n'ayant hors d'eux-mêmes 


L'invention. 


NOTICE CxLVII 


nulle raison d’être, que sont leurs discours « épidictiques ». 
Quant à lui, il les apprendra par cœur ou bien il s’essaiera 
à les reconstituer d’après un canevas : ce qui est précisément, 
au début du dialogue, l'occupation à laquelle se livre Phèdre 
sur l’Érôticos écrit par Lysias (269 bc; cf. 268 b sqq., 271 bc, 
e sq., 2770, 278 b-e et, d'autre part, 228 a, c-e; voir p. xxvu 
n. 1 et p. XLVIII N. 1). 

Ainsi donc, ni par leurs œuvres, ni par leur enseignement 
les maîtres de rhétorique ne manifestent qu’il existe en fait 
un art rhétorique fondé sur un savoir défini, comportant 
des règles précises, capable enfin d’être enseigné. S'il doit y 
avoir un tel art de la parole, c’est d’un autre côté qu’il 
faudra le chercher et c’est par d’autres voies qu’on pourra 


l’atteindre (269 cd, cf. 271 a). 


IT. Plan d’une rhétorique nouvelle. — Or cet art, on 
a le pressentiment, solennellement affirmé, qu'il existe en 
droit; qu’un imposteur en a usurpé la place ; qu’il n’a qu’à : 
faire valoir ses titres, à prouver qu'il est la rhétorique dont 
une philosophie authentique serait le fondement ΟΣ e 84.» 
cf. 257 b et 270 6 fin). 
Comme c’est en effet pour la parole sa 
fonction propre de conduire les âmes, 
d’être une « psychagogie », on dira que l’âme est l’objet pro- 
pre de la vraie rhétorique (271 c). Mais, tandis que l’autre 
se fonde sur la pure vraisémblance et emploie l'illusion à 
produire la persuasion, celle-ci entend n’appuyer sa « psy- 
chagogie » que sur la connaissance de la vérité de tout sujet 
auquel s’appliquera le discours (259e, cf. 260e fin). A 
l'égard de son objet, l’âme, elle se comportera donc comme 
le fait la médecine à l'égard du sien, qui est le corps (270 b, 
cf. 268a-c), comme du reste se comporte tout art digne de 
ce nom, soit qu’il produise une œuvre, soit qu’il enseigne à 
autrui la manière de s'y prendre (270d déb.). Aussi 
commencera-t-elle par analyser la nature de son objet : c'est 
ce qu'a fait Socrate quand il a voulu prouver dans son second 
discours que le plus beau de tous les délires est celui qui 
est inspiré par l'amour (cf. 245 c-249 4). D'abord, l’objet 
est-il simple ou ne l’est-il pas? S'il l’est, quelle est sa pro- 
priété, soit à titre d'agent, soit à titre de patient ? S'il est 
composé, quelles sont les natures simples dont il est formé ? 


Son objet. 


CXLVIN PHÈDRE ; 


Une fois qu’on les aura dénombrées, on se posera à propos 
de chacune les mêmes questions qu’on se serait posées à 
propos de l’objet s’il avait été simple. Voilà donc ce que 
commencera par faire la rhétorique à propos de l’âme, son 
objet (270 c-271 a, cf. 277b). 

Mais est-il possible de se faire une idée 
suffisante de la nature de l’âme indé- 
pendamment de la nature du Tout? 
Non, si le dire d'Hippocrate est vrai, et que ce soit impossi- 
ble même en ce qui concerne seulement le corps. C'est 
qu'en effet, ainsi que Platon vient de le montrer (269e sq.), 
tout art important, c’est-à-dire sans doute tout art qui n’est 
pas un métier manuel, exige en quelque sorte de se dépasser 
lui-même : autrement, il est impossible d’en comprendre la 
portée et les relations. L'éloquence de Périclès a ἀὰ beau- 
coup au hasard qui sur sa route mit Anaxagore, savant et 
philosophe. Si donc la rhétorique veut être un art qui 
compte, il faut qu’elle ne s’enferme pas dans le cadre de sa 
spécialité, 1] faut qu'elle ait la tête en l'air, qu'elle ne crai- 
gne pas de jeter les regards au delà de son horizon borné 
(cf. p. cxvi). On voit à quel point tout cela est loin de la 
rhétorique usuelle, qui ne songe qu’à grossir ce fatras de 
procédés et de formules dont est faite sa routine. — Ce n'est 
pas cependant la seule signification qu’il y ait lieu de don- 
ner à cette remarque incidente ; le passage sur Périclès et 
Anaxagore n’est pas non plus le seul qui l’éclaire. Doutera- 
t-on en effet que le second discours de Socrate, cet « hymne 
mythologique » d’où n’est pas absente la force persuasive 
(265 bc), soit un échantillon de la vraie rhétorique, de celle 
qui se fonde sur la philosophie ? Or l’âme n’y est pas conçue 
seulement comme individuelle, ce qui est le cas quand 1] 
s’agit de celles de chacun des astres-dieux, ou encore à pro- 


L'étendue de son 
domaine. 


1. Pour savoir à quel point ce passage a embarrassé et divisé les 
érudits, on n’a qu’à lire la très intéressante revue qu’a faite ἃ. Diès 
de ces discussions (en 1912) et qu’il a réimprimée dans le vol. I de 
Autour de Platon (p. 30-45). On comprendra que je ne puisse m’ar- 
rêter sur ce problème, dont tant d’efforts divergents semblent 
prouver qu’il est actuellement insoluble. Au surplus, si l’impor- 
tance en est peut-être grande pour la question hippocratique, il n’en 
est pas de même en ce qui concerne l'intelligence de la pensée 
exprimée par le Phèdre. 


NOTICE CXLIX 


pos de nos âmes humaines ; elle est conçue essentiellement 
comme universelle, attendu qu’elle est, en tant qu’automo- 
trice, le principe premier du mouvement et de l’ordre des 
mouvements dans l’univers. Une parenté réelle existe donc 
entre la combinaison du mythique et du logique qu'on 
trouve, concernant l’âme, dans ce morceau central du Phè- 
dre, et une semblable combinaison dans le Timée, embras- 
sant à la fois et l’âme et la Nature. Le Phèdre ne prétendait 
donner qu’une « image » de la nature de l’âme, rien de plus 
qu'une façon vraisemblable de se la représenter (246 a); 
c'était là un divertissement et un jeu (265 c, cf. 262 d déb.). 
De même, à des exigences préliminaires de la raison le 
Timée combine un mythe simplement vraisemblable (27 d- 
29 d, 68 d) ; en le faisant on se livre à un divertissement, à 
un jeu (59 cd, 72 de). Ainsi tout ce qui constitue la partie 
mythique de ce dialogue, c’est-à-dire presque tout, serait un 
exemple de ce que réclame le Phèdre: une extension à la 
Nature et au Tout de la rhétorique philosophique, en tant 
précisément qu’elle est une « psychagogie » et que l’âme est 
son objet. : 

Mais la connaissance vraie de son objet, 
l’âme, n’est pour celte nouvelle rhéto- 
rique que la première de ses conditions. La seconde est 
qu’elle dise au moyen de quoi l'âme agit ou pâtit et de 
quelle façon il lui est propre d’agir ou de pâtir (271 a). Cette 
condition est la même que pour le vrai médecin à l'égard de 
son objet: il doit savoir par quels effets se manifeste la 
nature du corps tant qu’elle n’est pas pervertie par quelque 
désordre et, d’autre part, à la fois quelles causes troublent 
cette nature et quelles causes, neutralisant les précédentes, 
rétablissent en elle santé et vigueur ; drogues ou régime et 
exercices sont à leur tour des causes qui, déterminées par 
lui, serviront à conserver la santé ou à la restaurer par une 
action appropriée. De même en est-il pour l'âme : si ce par 
quoi elle agit ou ce qui agit sur elle ce sont des discours et 
des pratiques, de telles causes ou de tels effets sont assortis 
à sa nature : tous les mouvements d'ordre physique qui consti- 
tuent nos actions résultent en effet de ces mouvements, 
d'ordre moral qui, comme on l’a vu, sont les mouvements 
propres de l’âme (270b; cf. p. cxx1). Aïnsi donc, dans 
le cas qui nous occupe, ce par quoi une âme agit sur une 


Ses conditions. 


cL PHÈDRE 


autre âme ou pâtit de la part d’une autre, ce sont des dis- 
cours par la force persuasive desquels elle sera amenée à 
telles façons de penser et de se conduire qui soient, en 
effet, ce qu’elles doivent être (270 b, 271 a déb. ; cf. Banquet 
209 b fin sq., 210 bc). 

La troisième condition est celle qui concerne le plus immé- 
diatement la pratique. Elle comporte deux moments, dont 
le premier se rapporte peut-être à l’une et à l’autre, respec- 
tivement, des deux premières conditions (cf. 270 ἃ 6). 
D'une part en effet il s’agit alors de dénombrer et de décrire 
des espèces d’âme ; or, après le second discours, on sait que 
l'âme est une chose composée, de sorte qu’il y aura nécessai- 
rement une diversité dans le rapport des éléments qui, dans 
chaque cas singulier, forment ce composé ; d’où une classi- 
fication des « caractères », fondée sur un principe analogue 
à celui qui, en médecine, est à la base de la classification des 
« tempéraments ». D'autre part il y a lieu de procéder à un 
semblable dénombrement et classement des différentes sortes 
de discours, chacune étant affectée de sa détermination 
caractéristique‘. — Une fois dénombrées et classées les 


1. Il semble difficile que cette classification des discours puisse 
ressembler à celle des rhéteurs: discours concis ou abondants, qui 
excitent la pitié ou bien la fureur, etc. Hermias (247, 29 sq.) parle de 
discours démonstratifs ou sophistiques, abondants ou secs: ce qui 
n’est guère plus vraisemblable. L’indication donnée par Platon, 
277 c déb., discours variés ou simples selon la qualité de l’âme, est 
une indication bien générale. Elle suggère cependant l’idée qu’il y a 
des discours dont le ton est uniforme, par exemple entièrement 
dialectiques et démonstratifs, comme l’a été dans la Palinodie la 
preuve de l’immortalité ; d’autres où la poésie du mythe et l’analyse 
psychologique se mêlent à la dialectique et à la démonstration, 
comme l’est le tout de la Palinodie, qui précisément a été définie 
comme un mélange (265 b fin). On peut du reste préciser encore 
cette indication en considérant que les divers genres de l’âme auxquels 
doivent correspondre les différentes sortes du discours sont déter- 
minés, semble-t-il, par la prédominance en elle de tel ou tel de ses 
composants. Ainsi, à une âme où domine l'intelligence on parlera la 
langue de la démonstration ; les encouragements conviendront à 
celle qui, capable d'entendre la voix de la raison, est plutôt caracté- 
risée par la noblesse instinctive de ses sentiments ; la remontrance 
conviendra au contraire à l’égard d’une âme en qui dominent la 
passion et la démesure qui en est l’accompagnement. Ce que dit 


NOTICE CLI 


différentes espèces d’âmes et les différentes espècesde discours, 
il n’y a plus qu’à mettre en parallèle ces deux classifications. 
C’est le second moment : il consiste à reconnaître quels 
rapports de causalité lient, chacune à chacune, les espèces 
de ces deux séries. Voilà qui constitue une pratique vérita- 
ble, car on sait alors ce qu'il faut dire à telle âme pour pro- 
duire en elle telle conviction dont elle a besoin et qu’on 
souhaite pour elle (271b, d-272a, 277c déb., 278 ἃ fin). 
C’est alors seulement qu'on est, de façon authentique, un 
orateur ou un professeur de l’art de parler. Faute d’un tel 
savoir en ce qui regarde le corps, n’est-on pas incapable 
d'exercer ou d'enseigner la médecine? Quand au contraire 
on sait cela, on sait donc aussi l'opportunité et l’inopportunité 
(εὐκαιρία, ἀκαιρίαν, soit d'appliquer tel discours, soit d’appli- 
quer tel remède. 

Telles sont les trois conditions d'un 
usage et d'un enseignement légitimes 
de l’art de parler. Elles sont incomparablement plus efficaces 
que ces trois autres conditions traditionnelles! dont 
s’accommodent les rhéteurs et qui, nécessaires sans doute, 
demeurent cependant indéterminées. Or ce qui fait qu’on 
ne s’en est pas contenté, ce qui a permis d’y substituer des 
conditions capables de produire à coup sûr l'effet que l’on 
cherche, c'est la connaissance de la dialectique ; autrement, 
la rhétorique n’a d’autre base qu’une aptitude aventureuse à 
conjecturer, à laquelle on se flatte de donner par l'exercice 
une süreté qu’elle ne peut avoir?. Que dans cette direction 


Son fondement. 


Socrate à Calliclès dans le Gorgias, 506 c sqq., serait un échantillon 
de ce dernier genre de discours et nous en aurions de même un 
canevas dans Phédon 94 d.. Au surplus le Phédon tout entier serait 
un très bon exemple de cette variété dans le discours : tour à tour 
on y trouve le plaidoyer, la confidence historique, le sermon réconfor- 
tant à l’adresse de ceux qui n’ont pas la foi, l’ « élévation », la 
démonstration dialectique, l’apologue, le mythe; et, selon que 
Socrate parle à Simmias ou à Cébès, on sent qu’il mesure le ton 
sur la qualité différente de leurs âmes (Notice du Phédon, p. xvi). 

1. Cf. p. exzvr. Voir sur ce point Paul Shorey, Φύσις, μελέτη, 
ἐπιστήμη dans les Transactions of the American philological Asso- 
ciation, vol. XL, 1910, p. 185-200. 

2. Cf. Gorgias 463 a (à comparer avec Phèdre 260 6 et surtout 
avec Philèbe 55e sq., 57e sq., 58 a-59 0): si la dialectique est pour 


αὐτὶ PHÈDRE 


la route soit longue et pleine de circuits, il n’importe si elle 
doit mener certainement au but, au lieu d’être un tâton- 
nement d'aveugle et de n’y conduire que par l'effet d’une 
heureuse fortune (272 c déb., d; 270 de). Quant au but, il 
est connu : c’est une « psychagogie » légitime. Les caractères 
du discours qui la constituent attestent assez que ce but est 
atteint. Ce discours en eflet n’aborde pas le sujet avant de 
savoir s’il ne recèle aucune ambiguïté ; il définit exactement 
la question (cf. 265 d); il n’en poursuit l’analyse qu'après 
s'être assuré que ceux qui l’écoutent sont là-dessus 
d'accord avec lui; il déduit avec ordre et en accord 
avec lui-même (ibid.) tout ce qui résulte de la définition 
ainsi posée et acceptée; bref il ressemble à un être vivant 
qui a son corps à lui et dont toutes les parties sont réelle- 
ment solidaires les unes des autres comme de l’ensemble 
(263 a-c, 264c, 269c, 277 bc; cf. 237 b-d, 238 e sqq.). De 
plus, en suivant cette « méthode », autrement dit cette 
roule, on donne à l’âme une véritable culture; surtout à 
condition de renoncer, sinon en vue de la satisfaction d’avoir 
fixé ses méditations passées, à la vanité d’immobiliser la vie 
du discours dans une composition écrite ; à condition de le 
considérer au contraire comme une semence vivante qui, 
semée dans une âme propre à la recevoir, y germera pour 
produire ses fruits et ainsi, indéfiniment, ensemencer 
d’autres âmes. On voit ainsi quel est l’aboutissement de la 
route par laquelle nous mène la rhétorique philosophique, 
art de parler et de penser (266 b) : c'est l’enseignement, 
mais non pas un enseignement figé et dogmatique ; c’est au 
contraire celui qui suppose la recherche en commun et un 
effort vers la vérité, qui est dans l'esprit du disciple aussi 
vivant et aussi fécond qu'il l’est dans l'esprit du maître. 
C'est qu'en effet, comme on l'a vu (cf. p. exzr), les liens 
d’un amour inspiré les unissent l’un à l’autre. 


\ 


ΠῚ. La dialectique. — Le fondement de la rhétorique 


l'exactitude au sommet de la hiérarchie des arts, il y en a cependant 
qui, au moins sous ce rapport, en approchent à des degrés divers, 
soit dans une certaine façon de les pratiquer, soit par une de leurs 
subdivisions ; mais la rhétorique n’est aucun de ces arts, telle que 
Gorgias la conçoit, et, quoi qu'il en dise, elle ne peut donc être le 
premier de tous. 


NOTICE CLIII 


philosophique, c’est donc la dialectique. De fait, dans ce 
Phèdre dont l’examen de la rhétorique constitue le cadre, 
se trouve la description la plus élaborée et la plus précise 
que Platon ait jamais donnée de sa méthode, celle qui selon 
toute vraisemblance correspond au dernier stade de l’évolu- 
tion de sa pensée. 

Les Idées. Parmi les traits qui la caractérisent, il 
y en a plusieurs que nous avons déjà 
rencontrés et qu’il suflira de rappeler : accord mutuel des 
interlocuteurs ou, ici, des auditeurs avec l’orateur sur la 
chose qui est en question ; recherche d’une définition de cette 
chose dans l’universalité de son essence, mais sans en négliger 
les espèces, la considération des espèces étant justement, ou 
bien ce qui nous fait apercevoir les différences qui, progres- 
sivement éliminées, laisseront comme résidu l'essence géné- 
rique, ou bien ce qui nous aide à reconnaitre que l'essence 
en cause a vraiment la généralité que nous lui avons attribuée; 
enfin existence réelle et substantielle de l’objet de ces notions, 
indépendamment des choses sensibles où elles sont d’une 
certaine façon immanentes et qu’elles dénomment, indépen- 
damment aussi de l’aspect purement logique sous lequel la 
pensée conçoit ces notions. Or l’afirmation de la transcen- 
dance de ces « Idées » est dans le Phèdre plus décidée que 
nulle part ailleurs. Qu'elle s'exprime sous la forme mythique 
du « lieu supra-céleste », cela ne peut s’interpréter, semble- 
t-il, que comme un indice de l'intention chez Platon de 
dissiper toute incertitude à ce sujet ‘. Mais il y a en outre 
dans le Phèdre un exposé, qui y est même par deux fois repris, 
d’un certain aspect de la méthode sur lequel Platon n'avait 
pas jusqu'alors explicité sa pensée. Peut-être cet aspect était- 
il impliqué dans d’autres exposés, dans le Phédon par exemple 
(101 e déb.) ou surtout dans la République (VI 511 bc; cf. 
V 454 a). Mais Platon insistait alors principalement sur le 
mouvement ascendant de sa dialectique, celui qui doit abou- 
tir à un terme inconditionnel ou non dépendant (]᾿ ἀνυπόθετον), 


1. Cf. p. Lxxxiv sq. — Si le Parménide est antérieur au Phèdre, 
ceci donnerait à penser que la critique du début contre la séparation 
des Idées (130 b sqq.) est tenue pour négligeable; ce qui a encore 
besoin d’être expliqué, la seconde partie le suggérait, c’est la liaison 
de ces Idées séparées avec ce qui en dépend et entre elles. 


GLIY PHÈDRE 


et le mouvement de descente, s’il y était fait allusion, n’appa- 
raissait que comme un complément de l’autre. Ici au contraire 
il devient, sous le nom de « division », le procédé essentiel de 
la dialectique, sans lequel celle-ci ne serait, comme dit le 
Parménide (130 ab), qu’un élan enthousiaste vers l’intelligi- 
bilité pure. Or ce n’est pas tout de s’envoler ainsi vers les 
hauteurs les plus sublimes ; il faut en outre être capable de 
redescendre ensuite jusqu’au point d’où l’on a pris son vol. 
D'après le Phèdre (265 a-266 c, 273 e 
déb., 277 b), la dialectique comporte 
deux démarches, dont chacune a une fonction qu'il s’agit de 
déterminer techniquement, c’est-à-dire comme procédé d’une 
méthode. Le premier procédé consiste à rassembler (συναγωγή) 
ce qui est dispersé un peu partout, en l’embrassant d’un coup 
d'œil (cf. p. 72 n. τ), et à ramener ainsi cette multiplicité 
éparse à l’unité d’une forme ou, comme nous disons, d’une 
Idée qui soit précisément l'unité naturelle de cette multipli- 
cité ‘. Le but de cette première démarche, que précédemment 
Platon a fondée sur la réminiscence (249 bc), est de définir 
en son essence l'objet que l'on considère : c'est ainsi que le 
premier soin de Socrate, en reprenant le thème de Lysias, a 
été de définir l'amour dans l’unité totale de son essence (263 


Deux procédés. 


1. Platon dit tour à tour 265 d 3 υἱα ἰδέα, 6 ἡ ἕν τι χοινῇ εἶδος, 
266 a 3 ἕν... πεφυχὸς εἶδος, b 5 ἕν χαὶ ἐπὶ πολλὰ πεφυχὸς εἶδος. Le 
texte de cette dernière formule est, il est vrai, controversé (p. 73 
n. 1). Si l’on adopte la leçon des mss., dont l’altération s’expliquerait 
d’ailleurs aisément, la formule apparaît du même type que la précé- 
dente, sauf que Platon cette fois insiste sur ce point que, dans sa 
nature, l’unité atteinte doit être précisément l’unité de la multiplicité 
considérée. C’est ainsi que paraît avoir compris Hermias (236, 6) : 
« l’homme qui est capable de poser son regard sur la nature des 
choses ». Mais ce qui est à mon sens décisif, c’est la comparaison 
avec Philèbe 16e sq. (cf. 15e): à cet endroit Platon raille « les 
doctes hommes de ce temps-ci, qui font un comme cela se trouve », 
car c’est un danger de s'élever à une généralité trop ample et qui ne 
serait pas de nature à recouvrir (πεουχὸς ἐπὶ) la multiplicité que seule 
on envisage. Il est clair en effet que, si on a commis cette faute 
initiale contre la nature des choses, la division fera découvrir des 
espèces qui seront prises par erreur pour 168 espèces du genre, mais 
qui en réalité supposent une généralité beaucoup plus élevée et plus 
vaste. Cf. p. aLvir sq. 


NOTICE cLv 
d déb.; cf. 277 b 6 et 262 b fin); il n’y a pas en effet d’autre 


moyen de rester, dans la déduction des conséquences, conséquent 
avec soi-même. — La seconde démarche est donc l'inverse de 
celle-ci : elle consiste à spécifier l’unité définie dont elle part, 
et elle cherche à reconnaître quelles formes sont enveloppées 
dans sa nature et dépendent de cette nature; on découpe 
l’unité selon ses articulations naturelles, autrement dit selon 
ses espèces ‘. L'unité dont il s’agit est en effet comparable à 
celle d’un être vivant : le découpage ne doit donc pas se faire 
à l'aventure, mais selon la division naturelle des membres, 
dont l’ensemble solidaire exprime la constitution de cette 
individualité vivante. De même que nous y voyons une sem- 
blable partie, œil, oreille, bras, jambe exister à droite et 
exister à gauche, de même, après avoir dit indistinctement 
que l’amour est un délire, nous nous sommes aperçus que, 
après avoir dans le premier discours vilipendé l’amour en tant 
que délire, on l’a dans le second loué au contraire, et encore 
en tant que délire. Or cette façon de passer du blâäme à l'éloge 
à l’intérieur d’une forme cependant commune (cf. 265 a, c), 
est particulièrement instructive. Elle montre que, dans cette 
forme commune, il doit y avoir une espèce gauche et une 
espèce droite: un délire humain et un délire divin, un amour 
qui est une sous-espèce de cette première espèce de délire, 
et un autre amour qui est une des formes comprises dans la 
seconde espèce, Cette seconde espèce comporte d’ailleurs des 
sections, dont tout le monde admet qu’elles en sont des 
manifestations particulières (244 a sqq., 265 b); ce qu’il 
s’agit de faire en établissant que l’amour droit est un amour 
inspiré des dieux, c'est d'introduire en elle une subdivision 
de plus. Cette spécification, ajoute Platon, devra se poursuivre 
jusqu’à ce qu'on ait atteint l'espèce indivisible (277 b) ou, ce 
qui revient au même, la forme de la chose envisagée ?, car 


1. Le rapprochement avec Cratyle 387 a, par lequel G. Rodier 
(Sur l’évolution de la dialectique de Platon, dans Études de philosophie 
ancienne, p. 62) veut indiquer que là-dessus le Phèdre n’apporte 
aucune nouveauté, est tout extérieur. ἃ cet endroit il est en effet 
question, d’une façon très générale, de l’action de couper, puis de 
l’action de brûler, mais pour signifier enfin que l’action de nommer 
ne peut se faire n'importe comment ni, non plus, à l’aide de n’im- 
porte quel instrument. 

2. On voit ici assez bien comment se fait le passage de εἶδος, la 


IV.3, — k 


CLyT PHÈDRE 


dans cette forme on n’aperçoit plus de contrariété, donc plus 
de différence pouvant donner lieu à un sectionnement. Elle 
est le dernier échelon de la descente, 

Ainsi les deux démarches seraient liées comme la montée 
et la descente. Mais, comme la montée s’est souvent faite d’un. 
bond dans la direction de l’unité qu’on suppose être au 
sommet et sans tenir compte de tous les degrés qu'il doit y 
avoir entre ce sommet et la base à laquelle est accoutumée 
notre expérience, rien n’assure que nous ne nous sommes pas 
lancés dans une fausse direction. IL faut donc que, à partir de 
notre point d'arrivée, nous cherchions maintenant sous nos 
pieds un premier appui, puis un autre après celui-là, et ainsi 
de suite jusqu’à ce que nous retrouvions notre base initiale. 
C’est à la solidarité même de ces deux démarches que Platon 
se dit fermement attaché, à la solidarité du « rassemblement » 
qui unifie et de la « division » qui détaille (266 b; cf. 273 e 
déb.). Ceux qui sont capables de faire l’une et l’autre sans les 
séparer, ceux-là, dit-il (266 c fin et 269 b), à tort ou à raison 
jusqu'ici je les appelle des « dialecticiens ». La raison de cette 
dénomination est supposée déjà connue : c’est qu’elle se fonde 
essentiellement sur l'emploi du dialogue ; on le voit dans le 
Phédon (73 a, 79 ἃ, η8 d; cf. p. 12 n. retp. 31 n. 1) quoique 
le mot « dialectique » ne soit pas prononcé, mais plus claire- 
ment encore dans le Cratyle (390 c ; cf. aussi Ménon 75 4) où 
c'est par là qu'il est explicitement défini. Que le dialogue 
soit indispensable à la première des deux démarches, les dia- 
logues de jeunesse, avec les inductions qui y sont le but 
d’une recherche en commun, sufliraient à le prouver. Pour 
se convaincre d’autre part qu'il n’est pas moins nécessaire à 


nature essentielle de la chose, « forme » ou « Idée », à εἶδος, 
« l’espèce », qui signifie également une détermination formelle, 
mais conçue comme dépendant d’une autre forme, moins différenciée 
et, par conséquent, plus élevée, le genre. Ajoutons d’ailleurs que, 
dans la langue de Platon, le rapport logique de γένος et de εἶδος n’est 
pas constamment le même que celui, dans nos langues modernes, 
des termes genre et espèce : ainsi, dans le Timée (57 c, d), il est ques- 
tion de γένη (genres) qui sont des subdivisions de certaines εἴδη 
(espèces); langage très naturel si l’on se reporte au seus originaire, 
car ce sont proprement des familles qui sont issues d’une souche 
commune, laquelle est la forme initiale, le type de la race. Cf. Zeller, 
Ph. d. Gr. H1#, p. 626 πη. τ᾿. 


NOTICE | cit 


la seconde démarche, on n’a qu’à songer au Sophiste et au 
Politique. 
L'insistance avec laquelle est soulignée 
dans le Phèdrel’importance de ladivision, 
la place qu’elle tient dans les deux dialogues qu’on vient de 
nommer, tout cela suggère qu'en ce point le Phèdre apporte 
une vue nouvelle sur la méthode. Le Sophiste (253 cd!) et le 
Politique (285 ab, 287 c) exposent la fonction de ce procédé 
presque dans les mêmes termes que le Phèdre. Mais c’est 
peut-être le Philèbe, écrit tardif lui aussi, qui commente 
avec le plus de précision (15 c-18 d, surtout 16 c-e) la pensée 
de notre dialogue. Enfin le XIT° livre des Lois (963 a sqq., 
surtout 964 a, 965 b-d, 966 a). en est encore une illustration 
par la façon remarquable dont il applique au problème 
moral la méthode de division. — Un double mouvement de 
pensée est.envisagé. On part. d’une multiplicité confuse et 
indéterminée, mais dans laquelle on a aperçu une certaine 
diversité spécifique que signale à notre attention une certaine 
contrariété ; il y a donc là quelque chose qui déjà nous élève 
au-dessus du point de vue de la perception sensible?. Or, en 
essayant de surmonter cette contrariété, on s'élève à une 
unité déterminée, définie, et qui doit être assez large pour 
envelopper.en elle les deux. termes de la contrariété en ques- 
tion, de sorte que, du point de vue supérieur où on s’est 
élevé, celle-ci disparaîtrait. Mais on peut s’étre trompé ; il est 
possible en effet (cf. p. cuiv, n. 1) que cette unité soit trop 
étendue, que par conséquent elle ne soit pas l’unité naturelle 
dans laquelle se fondra la multiplicité considérée. IL faut 
donc revenir sur ses pas, et cela progressivement, en obser- 
vant un ordre régulier de consécution et en dénombrant 
exactement les étapes. ἃ la place de la multiplicité indéter- 
minée du début, on se trouve maintenant en face d’une mul- 
tiplicité définie, celle qui est faite de toutes les différences, 
différences analogues à la contrariété par laquelle initialement 
la réflexion avait été mise en branle, qui auront successi- 
vement été aperçues dans l'unité à laquelle on s'était élevé ; 


La division. 


1. Voir dans l'édition de A. Diès (coll, Budé) les schèmes de divi- 
sion, p. 306, 307, 311. 

2. Cette idée est mise en bonne lumière par un morceau très 
connu de la République VII 523 a-525 a, surtout 524 a, d. 


GLYI PHÈDRE 


ce sont ces différences qui donneront lieu à constituer des 
espèces distinctes. On poursuivra de la sorte jusqu’à ce qu'on 
‘arrive à une « forme » dans l’unité de laquelle on n’apercevra 
plus aucune différence qui puisse se définir et donner lieu, 
par conséquent, à un progrès dans la spécification : c’est l’es- 
pèce indivisible. Au delà, l'unité se perdra dans l’infinité des 
existences individuelles, qui ne se distinguent plus les unes 
des autres par des caractères définissables et nombrables ; 
ainsi donc on en revient, mais par degrés, à la multiplicité 
confuse de laquelle on avait dans le premier moment tenté 
de s'évader. C'était en effet un essai: il fallait en contrôler la 
valeur, et c’est le rôle de la division: celle-ci est donc le 
procédé capital de la dialectique en tant que méthode de la 
science. Du sensible on est allé vers l’intelligible, et c’est par 
l'intelligible que l'on revient au sensible; d’un terme à 
l’autre la dialectique se meut donc continuellement dans le 
plan de l’intelligibilité, et c’est ce que déjà disait la République 
(VL 511 bc) mais sans s'expliquer suffisamment : utiliser les 
Idées mêmes, en laissant de côté le sensible, pour aller aux 
Idées par le moyen des Idées et, en terminant, aboutir à des 
Idées. 
Pbllosontie, Toutefois, quand on dit de la dialectique 
qu'elle est la méthode même du savoir 
en tant qu'elle fait place à la division, il faut bien s'entendre. 
Cela n’est vrai en effet que d’une aspiration vers le savoir, 
avec laquelle la possession même du savoir ne saurait être 
confondue (278 c et cf. Banquet 203 e sq.). Si la division 
consiste à déduire le sensible en faisant le compte des inter- 
médiaires qui le séparent de l'intelligible, n'est-ce pas le signe 
d’une renonciation de l'intelligence, puisqu'en atteignant 
l'espèce indivisible elle avoue son impuissance à spécifier 
davantage? L’infinité du sensible n’est peut-être qu’une 
complication du défini, c'est-à-dire de l’intelligible, mais c’est 
une complication rebelle à toute détermination et devant 
laquelle vient échouer l'intelligence humaine. Bref, entre 
l'infini et le fini il n’y a de commune mesure que dans cer- 
taines limites. Autrement dit, pour qu'il y ait une « philoso- 
phie », un effort vers le savoir qui ne soit jamais entièrement 
ni définitivement satisfait, il faut que toujours de l'infini 
subsiste comme tel à titre d’irréductible inintelligibilité. Or 
Platon, en nommant dans le Phèdre le « dialecticien », a 


NOTICE \ CLIX 


indiqué que c'était là une dénomination provisoire. Est-ce à 
dire que, l'ayant jusqu'alors employée, il veuille désormais y 
renoncer? Non sans doute, puisqu'il s’en sert encore comme 
d’un terme technique dans le Sophiste, dans le Politique et 
dans le Philèbe. C'est à l’intérieur même du Phèdre qu’elle 
est provisoire, et de fait, quand il cherche quel nom convient 
à l’homme qui pratique un art de la parole fondé sur le 
savoir, C'est un autre nom qu'il propose, celui de « philo- 
sophe » (278 cd). Qu'il y ait à cette substitution un motif 
particulier, c'est probable (cf. p. cLxx sq.); ce qui est 
certain, c'est qu'il souligne à ce propos l'indication sur 
laquelle je viens d’insister. Aïnsi, la dialectique serait « philo- 
sophie » en tant qu’elle est, comme l'amour, une aspiration 
toujours renaissante, un effort vers le savoir et qui se renou- 
velle incessamment : de même que, de nature, il y a dans 
l’amour, à côté d’une déficience irrémédiable, un élan inté- 
rieur pareillement indéfectible (cf. Banquet 203 c-204 b), 
ainsi la philosophie, comprise comme elle doit l'être, comme 
« la science des hommes libres » (Sophiste 253 c), est une chose 
vivante et féconde, pour qui les échecs auxquels elle se sait 
promise seront toujours la raison de nouveaux efforts. Peut- 
être est-ce pour n'avoir pas compris ce lien de l’amour spiri- 
tuel et de la philosophie, pour avoir fait de celle-ci une 
chose définitive et l’objet d’un enseignement figé, qu’Aristote 
a méconnu la dialectique de son maître. Il l’exclut en effet du 
nombre des sciences auxquelles, à des degrés divers, il réserve 
le nom de « philosophie ». Dans le groupe des sciences qu’il 
nomme « poétiques » et qui étudient les conditions de la créa- 
tion d’une œuvre de la pensée, discours ou poème, la dialec- 
tique représente pour lui la science architectonique : c'est 
qu’elle est, dit-il, celle du vraisemblable et du pérsuasif. Quoi 
qu'on puisse dire de l’influence des vues de Platon sur la Rhé- 
torique et sur la Poétique d’Aristote, il n’en est pas moins 
vrai que, par là, Aristote a complètement trahi la conception 
platonicienne d’un art de parler qui se fonderait sur un savoir 
réel, unissant de façon nécessaire à la connaissance du beau 
et du vrai celle du juste et du bon. 
L'Idéal. Il se peut que cette conception soit chi- 
\ mérique. Le problème qu'elle pose à 
propos de l’art de parler, c'est en somme le problème général 
du réalisme et de l’idéalisme dans l’art, et souvent Platon ἃ 


| GLx PHÈDRE 


été rendu responsable des vices de l’art idéaliste, de ce qu'il a 
d’artificiel et d’abstrait: Or, ce qu'il a voulu dans le cas dont 
il s’agit, c’est qu'on ne fit pas consister l’art de la parole en 
artifices conventionnels propres à produire l'illusion et à 
dénaturer la réalité des valeurs morales ; c’est que, au -lieu 
de s'appliquer à imiter le travestissement qu'inflige à ces 
valeurs une vie sociale corrompue, on fit effort pour en 
imiter la réalité vraie, en se donnant toutes les peines ima- 
ginables pour la chercher et pour la déterminer par la pensée 
avec exactitude. Qui voudrait lui en faire un grief? Il l’a 
dit, dans le Phèdre même, avecune force admirable (273 esq.) : 
_il ne s’agit pas de parler de façon à complaire aux préjugés 
et aux mensonges de la société dans laquelle nous vivons ; 
ce qu’il faut, c'est chercher inlassablernent la vérité et avoir 
le courage de la dire; par là se justifie la pénible longueur 
d’ün si grand effort, et celui-ci communique aux discours 
qui en sont les fruits sensibles la beauté de l'idéal vers lequel 
il tendait. 


IV. Interprétation historique. — Quelles que soient les 
différences de l’attitude actuelle de Platon à l'encontre de la 
rhétorique, comparée à celle que manifestait le Gorgias, c’est 
encore une opposition très vive. Ceux qui estiment que dans 
le Phèdre elle s’est considérablement atténuée, que Platon y 
distingue entre l’École sicilienne et une École attique dont 
Gorgias serait le chef et pour laquelle il aurait plus d’indul- 
gence, ceux-là n’ont guère d'autre raison de le penser que 
le compliment final adressé à Isocrate, élève de Gorgias. 
Mais c'est justement une question de savoir si c’est bien 
un compliment. Or on ne peut, sans pétition de principe, 
juger de l'attitude présente de Platon en se fondant sur un 
passage dont l'interprétation est subordonnée à ce jugement 
même. [1 faudrait en outre savoir de façon certaine si. c’est 
réellement contre le seul Lysias qu'est menée la bataille. 
Par malheur, notre connaissance des milieux littéraires 
du 1v° siècle n’est ni assez complète ni assez précise. Faute 
de pouvoir établir avec quelque assurance la relation chro- 
nologique des œuvres, nous ne pouvons, sans risquer de 
nous fourvoyer complètement, faire l’histoire des polémiques 
dont ces œuvres portent. la trace. Sur ce point encore le 
vice des inférences est le même : tantôt on conjecture les 


NOTICE CEXI 


dates d’après l'opinion qu'on s’est faite sur le sens de la 
polémique, tantôt c’est la date, gratuitement supposée, qui 
sert à fonder cette opinion. Une seule chose ici n’est pas 
douteuse: c’est que la critique de la rhétorique dans le 
Phèdre suppose de multiples relations et que l’histoire de 
ces relations nous est très mal connue. Peut-être est-il impos- 
_ sible de ne pas en effet mêler quelque hypothèse à une simple 
exposition des données du problème, tel qu’il se présente 
dans le Phèdre; on laissera du moins à de plus perspicaces 
le mérite de le résoudre. 


Notre dialogue nomme pêle-mêle (266 e- 
267 c; cf. 261cd) une dizaine des 
maîtres de la rhétorique et, détachés de 
cette énumération, Lysias dès le commencement et jusqu’au 
voisinage de la fin, Isocrate dans la dernière page seule- 
ment, d’une façon d’ailleurs tout à fait imprévue et sans que 
jusqu'alors son nom ait été une seule fois prononcé. D’autre 
part, cette énumération associe des hommes d'époques très 
différentes et dont le rôle dans l’histoire de la rhétorique 
n’est, semble-t-il, ni du même ordre, ni de la même impor- 
tance : manifestement, c’est l'esprit de la rhétorique qui 
intéresse ici Platon, bien plutôt que la contribution succes- 
sive de chacun de ses protagonistes au développement de 
l'Art. On peut donc penser qu’il a surtout affaire à la rhéto- 
rique telle qu’elle se pratique et s’enseigne au temps où il 
écrit et, par conséquent, aux rhéteurs alors les plus en vue. 
Souvent il a l’air de n'employer les noms propres que pour 
donner à l'argumentation une couleur individuelle : ici, c’est 
Lysias ou un autre (258 d, 272 c, 277 4); là, Tisias ou tout 
autre (273 c) ; ailleurs, expressions analogues à propos de 
Thrasymaque (266 ὁ, 2718); ou bien encore une citation, 
qui sera ensuite déclarée littérale, est cependant introduite 
dans les termes les plus généraux, comme représentant le 
langage de ceux qui s’occupent de cela (272 csqq., 273 a); 
mais une autre, par contre, est un peu plus loin mise expres- 
sément au compte de Tisias (273 b c). 
Passons à l'examen des noms qui composent l’énumération 
même. Pourquoi l’un des premiers est-il celui de Zénon, 
« le Palamède d’Élée », le héros subtil à qui serait due l’in- 
vention de la dialectique ἢ Difficilement on croira qu’en lui 


Les rhéteurs 
mentionnés. 


GLXII PHÈDRE 


Platon voie un représentant de la rhétorique ; pas davantage, 
qu'il confonde avec la controverse chicanière et vide des 
rhéteurs une dialectique sérieuse, qui s’est mise au service 
d'une philosophie qu’il critique sans la repousser tout 
entière : Zénon, c’est en effet le défenseur du « vénérable » 
Parménide (cf. Parménide 128 ce), et ses héritiers, ce sont 
ces Socratiques de Mégare pour qui Platon a de l'amitié. 
S'il lui donne cette place, ne serait-ce pas plutôt qu’il songe 
à une autre dialectique, la sienne? Mais la dialectique de 
Zénon a donné naissance à une éristique, à la dispute philo- 
sophique ou à l’escrime rhétorique (par exemple dans l'écrit 
de Gorgias Sur le non-être), peut-être même, dans son pays 
d'origine, à la chicane judiciaire. Or ce sont des tares 
auxquelles sa dialectique échappe, et la rhétorique qu’elle 
doit fonder sera d’une autre sorte. — Ce sont ensuite les pro- 
cédés classiques de la rhétorique qui, au hasard de la ren- 
contre, lui suggèrent les noms des maîtres (cf. p.74 n. 2). Or 
les uns sont des Sophistes qui furent rhéteurs, soit qu'ils 
appartiennent, comme Protagoras, Prodicus, Hippias, à la 
première génération sophistique, ou bien à la seconde, 
comme Gorgias!, Polus?, Évènus ; d’autres sont des spécia- 


1. À la vérité, l’activité de Gorgias, sous l’influence, dit-on par- 
fois, d'Empédocle, s'était déjà certainement exercée en Sicile avant 
son ambassade à Athènes en 427. Quant à la date de sa mort, pour 
la placer en 376 ou 370 comme on le fait d'ordinaire, on s’appuie 
sur la tradition qui le fait vivre cent sept, huit ou neuf ans. Ne peut- 
on supposer cependant que cette tradition se fonde sur une mauvaise 
lecture : ΡΖ (107), au lieu de [1Z (87)? Confusion facile si, comme 
il arrive dans les anciennes écritures, le second jambage du II était 
dans l’original plus court que le premier. La mort de Gorgias se pla- 
cerait ainsi aux environs de 396. Par suite, on éviterait d’être obligé 
de croire que le Gorgias a été écrit alors que vivait encore le grand 
Sophiste. Et surtout, cela permettrait d'expliquer que dans le Banquet 
(198 c), dont la composition se place sans doute vers 384, Platon 
fasse dire à Socrate (par anachronisme, il est vrai, puisque la scène 
se place en 416) que le discours d’Agathon lui a remis Gorgias en 
mémoire et qu’il s’attendait à voir lancer sur son discours futur la 
tète même de Gorgias-Gorgone. 

2. Je laisse de côté Licymnius. Aristote, qui en outre le nomme 
comme poète dithyrambique (Rhet. ΠῚ 12, 1413 ὁ 13 sq.), parle avec 
mépris de certaines nouveautés que sa Rhélorique avait introduites 
dans la terminologie usuelle (ibid. 13 fin) et note enfin que, d’après 


NOTICE CLXIII 


listes plus définis de la pure rhétorique et, particulièrement, de 
la technique du plaidoyer, comme Tisias lequel n’a peut-être 
pas, autant qu'on le veut parfois, le rôle d’un initiateur !, 
Thrasymaque (celui dont le nom revient le plus souvent) 
qui était vraisemblablement déjà connu à Athènes avant que 
Gorgias y vint, Théodore de Byzance enfin, qui paraît avoir 
été un vieux contemporain de Lysias. — Si maintenant, par 
rapport à ces maîtres, on tente de marquer la filiation des 
deux hommes qui, dans le Phèdre, sont les protagonistes de 
la rhétorique, c’est à Tisias qu'on rattachera Lysias, mort 
vers 385, et à Gorgias, Isocrate qui est encore en vie. — Notez 
enfin qu’à l’'énumération il manque deux noms importants : 
celui d’Antiphon de Rhamnonte? qui, contemporain de 
Gorgias, aurait été cependant son élève et qui périt en 411; 
celui d’Alcidamas, autre disciple de Gorgias et son succes- 
seur, dit-on, à la tête de l’école, contemporain de Platon et 
rival d’Isocrate, un rhéteur dont nulle part Platon n’a pro- 
noncé le nom et que pourtant il ἃ cité au moins une fois ὃ. 


lui, c’est le sens ou la sonorité qui fait la beauté d’un mot (2, 1405 
b 7). Suivant Hermias (239, 12), il aurait appris à Polus la di- 
stinction des mots en primitifs et composés, mots de même famille, 
mots adjectifs etc. 

1. En toute cette histoire des débuts de la rhétorique en Sicile, 
c’est en effet Corax qui, peut-être encore après Empédocle, passe pour 
être l’initiateur. Or Corax n’est pas nommé par Platon, à moins qu'il 
n’ait voulu, comme le pensait Thompson, suggérer son nom dans le 
passage de 253 ὁ (cf. p. 85 n. 2) : le corbeau (corax) symboliserait cet 
esprit de rapine duquel est issue la rhétorique judiciaire. — Il est à 
remarquer qu'un argument (cf. Navarre, op. eit., p. 16-18, p. 135- 
140), rapporté par Platon à la Rhétorique de Tisias (273 ἃ sqq.), 
l’est par Aristote (Rhét. II 24, 1402 a 12-20) à celle de Corax et qu'il 
l’a été, par le même Aristote (ibid. 23, 1400 b 8-16), à celle de Théo- 
dore de Byzance! Tout cela rend sceptique à l’égard de Corax 
comme auteur authentique de la τέχνη en question, aussi bien 
d’ailleurs qu’à l'égard de toute attribution qui ne concerne pas une 
époque récente. 

2. Platon le nomme dans le Ménexène (236 a) comme un très 
bon maître de rhétorique. Étant admis qu’il serait l’auteur des 
Tétralogies, qui seules intéressent l’histoire de la rhétorique, il n’y 
a pas à se demander s’il est distinct (ce que je ne crois pas) d’Anti- 
phon le Sophiste, dont on connaît d’autres écrits. 

3. Banquet 196 c (cf. p. 52 n. τ et Notice, p. zxvinr n. 1). Il est 


CLXIV PHÈDRE 


J’observe simplement le fait, sans prétendre en rien inférer 
quant aux motifs de ce silence. 


Ceci dit, envisageons les parallèles qu’on 
peut trouver entre les thèmes du Phèdre 
et ceux de la rhétorique contemporaine. La plupart me 
semblent être d’une signification médiocre par rapport à la 
position chronologique réciproque des écrits en cause et, par 
conséquent, peu décisifs sur la question des emprunts. Dans 
un milieu restreint, où certaines questions sont au même 
moment sur le tapis, il est fatal que reviennent les mêmes 
-expréssions sous la plume de divers auteurs, et une revendi- 
cation de priorité en faveur de tel ou tel semble par là-même 
fort compromise. De plus, la comparaison des textes fait 
apparaître à quel point les ressemblances sont extérieures et 
touchent peu le fond même de la pensée. 

Entre tous ces parallèles celui dont on fait le plus volon- 
tiers état est celui qui concerne la supériorité du discours 
vivant sur le discours écrit. On sait assez ce que Platon 
“entend par là (p. zx sq., p. cxur, p. cr). Or, quel est à ce 
sujet le point de vue d’Isocrate ? C’est qu'il y a des inconvé- 
nients à exposer ses idées à quelqu'un dans une lettre ou 
tout autre écrit et que le tête-à-tête est préférable (cf. Phèdre 
279 e 3): si en effet celui à qui on s’adresse n’est pas instruit de 
quelque point ou qu’on ne l'ait pas convaincu, on pourra 
alors lui expliquer ce qu’il ignore ou répondre à ses objec- 
tions et, de la sorte, défendre ses idées (cf. Phèdre 275 e 5, 
276 ἃ 6); mais, si l'on n'est pas là, c’est une assisiance qui 
fait défaut autant au correspondant qu’au lecteur lui-même 
(Lettre à Denys le tyran X 2 sqq.). Pour Platon c’est à l’œuvre 
écrite, en tant que telle, que manque cette assistance 
(279 e 5, 276 e 9, 277 a 1, 278 c6). La pensée d’Isocrate est 
encore que ce qui manque à l'écrit pour être persuasif, c'est 
l'autorité personnelle de l’orateur, l’accent de sa parole, 
l'appui des conjonctures (καιροί) et de l'intérêt qu'offre pré- 
sentement pour un auditoire l'affaire dont on lui parle ; 
aussi, ajoute-t-il, n’a-t-on pas tort de surtout voir dans 
l'écrit une composition d’apparat (ἐπίδειξις) et l'exécution 


Parallèles. 


possible que dans le Théétète il y ait une réponse à Alcidamas ; cf. 
A. Diès, Autour de Platon, p. 417 n. 1. 


NOTICE CLXY 


. d’une « commande », tandis que les choses sérieuses exigent 
le discours parlé (Philippe 25-27). Or ces déclarations 
semblent ‘avoir pour: but principal, dans l'intention d’Iso- 
+ærate, de prévenir cette objection que, puisqu'il s’est avéré 
incapable de devenir un orateur politique, autrement dit un 
homme public, les questions sérieuses de la politique lui sont 
par là même interdites. --- Quant à Alcidamas, il avait 
expressément envisagé la question dans un traité spécial : 
Sur'ceux qui écrivent des discours ou Sur les sophistes, dont 
l’authenticité est aujourd’hui généralement admise et dans 
lequel, en tout cas, on s'accorde à voir une attaque contre 
Isocrate. Or le point de vue’ d’Alcidamas n’est pas moins 
éloigné de celui de Platon, en dépit d’analogies d'expression 
plus nombreuses. Les gens qu'il vise, ce sont ceux qui 
mettent leur fierté à écrire des discours où ils prétendent 
faire montre de leur savoir (σοφία ; cf. Phèdre 258 a 7), sim- 
plement parce qu’ils sont aussi impuissants à parler que le 
premier venu. Ils ne comprennent pas qu’écrire n’est qu’un 
amusement (παιδιά ; cf. 276 b-e, 277 b, 278 4) et un passe- 
temps; que le discours écrit est une vaine image, comme 
celles de la peinture et de la sculpture, tandis que le discours 
parlé est animé, vivant, adapté aux choses (cf. 275 d, 276 a 9); 
que cependant on peut, en certains cas, user de l’écrit 
comme d'un miroir où l’on contemplera plus aisément ses 
progrès passés (cf. 276 d). Gardons-nous donc de nous 
mettre à l'école de gens qui sont seulement des faiseurs de 
discours, mais non des maîtres (σοφισταί) capables, ainsi 
qu'ils le promettent, d’instruire autrui, et qui se font en 
réalité de la rhétorique et de la « philosophie » une idée 
inférieure (Sur les sophistes 1 sq., 15, 27-30, 32, 35 ; cf. 12). 
Sur ce dernier point la suite offrira l’occasion de revenir 
pour en préciser l'intérêt (cf. p. czxx sqq.). 

Ce premier parallèle ne semble donc être nullement 
décisif. À plus forte raison en serait-il de même pour 
d’autres rencontres analogues. Ainsi, les trois écrivains sont 
d'accord pour affirmer la nécessité d'adapter le discours aux 
circonstances dans lesquelles il se produit (χαιρός). Mais ce 
qui, chez Isocrate (Contra Soph. 12 sq., 16 et al.) et chez Alci- 
damas (3, 9 sq., 22, 28, 33 sq.), est plutôt une agilité à 
saisir l’occasion et à profiter de conjonctures accidentelles, 
signifie chez Platon un discernement méthodique, fondé sur 


CLXVI PHÊDRE 


une connaissance réelle des genres d'âme et des genres de 
discours qui y correspondent (271 c-272 a, 278 6). — Les 
trois conditions qui, d’après le Phèdre (269 d), sont néces- 
saires pour devenir un orateur accompli se retrouvent chez 
Isocrate (C. Soph. 17 et cf. 14 sq.; Antidosis 186-189). 
Mais ce n’est là qu'un lieu commun, et il n’y a pas matière 
à parler d'emprunt, de l’un quelconque des deux à l’autre. 
Au surplus ces trois conditions, Platon les a remplacées, on 
l'a vu (p. cxzvn sqq.), par trois autres, dont le caractère est 
nettement technique. — De même, la « logographie » est 
condamnée par Platon (257 c-258 d), par Isocrate (Antidosis 
2, 40-42, 48 fin; cf. C. Soph. 20) et par Alcidamas (Soph. 13). 
Mais ce n’est pas dans le même esprit : Alcidamas cherche à 
atteindre Isocrate où le bât le blesse; celui-ci proteste que, 
ruiné, il n'avait pas d'autre moyen d'existence ; Platon enfin 
estime qu’en soi l'acte d’écrire des discours n’aurait rien de 
blämable s’il ne se faisait avec une telle malhonnéteté 
(272 de, 273 bc). Beaucoup d’autres exemples encore pour- 
raient être cités‘, qui feraient apparaître, sinon la fragilité, 


1. Rapprochement entre la politique et la rhétorique : Phèdre 
258bc, 277d, 278c,e; Antidosis 79-83. — Platon dit que les 
choses dont il parle sont grandes et sérieuses, et, d’un autre côté, que 
ses écrits ne sont qu’un jeu, et il n’attend pas la fin du Phèdre pour 
le dire (262 d 2, 265 c 1, 8 sq.). Or Isocrate observe (Hélène 11-13) 
qu’il est bien plus facile de jouer avec les grands sujets que de les 
traiter avec le sérieux qui leur convient, — Isocrate (Hélène 64) parle 
dans les mêmes termes que Platon de la « palinodie » par laquelle 
Stésichore, insulteur d'Hélène, a obtenu que fût levée sa peine. — Il 
fait remonter (Hél. 67) à la guerre de Troie l’origine des arts et des 
« philosophies » (entendez : de la rhétorique). Platon évoque (261 b}) 
ces « Arts oratoires » que Nestor et Ulysse ont composés sous les 
murs de Troie pendant leurs heures de loisir. — Le reproche d’être 
simplement propédeutique, que Platon adresse à un enseignement de 
la rhétorique auquel fait défaut la pratique (269 a-c), peut être 
retrouvé chez Alcidamas (25 sq.), sans doute contre Isocrate. — 
Lysias, dit Phèdre (228 a 1), a pris tout son temps pour écrire son 
discours. Alcidamas (4, 10) le dit, exactement dans les mêmes 
termes, de tout discours écrit. — Quand une partie d’un écrit, dit 
encore ce dernier (14), a été très soignée, elle fait l’effet d’une 
déclamation d’acteur ou de rhapsode. Et Platon de son côté dit qu’il 
ne vaut pas la peine, ni qu’on l’écrive, ni qu’on le récite à la façon 


NOTICE Fo 


du moins l'inutilité de tels rapprochements, pour mieux 
connaître le jeu des polémiques. 


Il y a, par contre, un avantage positif à 
noter les points sur lesquels une diver- 
gence se manifeste : on voit ainsi où sont les oppositions et 
en quoi elles consistent. — Une première opposition, tout 
extérieure en apparence, mais fort importante en un temps 
où le métier salarié déconsidère celui qui l’exerce, apparaît 
à propos de la rétribution de l’enseignement. Or Isocrate se 
faisait payer très cher, dit-on; et, comme ses élèves étaient 
nombreux, il avait gagné un grosse fortune (Antid. 41, 
86 sq., 159 sq.). Platon, riche personnellement, ne deman- 
dait au contraire de contribution aux élèves de l’Académie 
que pour l'entretien de l’école. Si cette contribution n'avait 
pas été plus modeste que le salaire exigé par les maîtres de 
rhétorique, pourquoi attirerait-il railleusement l'attention 
sur les dons que, pareils à des rois, ceux-ci daignent 
accepter de leurs disciples (266 c)? De son côté Isocrate 
s'excuse, quand il reproche à ses rivaux de déprécier un 
enseignement auquel ils attribuent une si haute valeur, en 
le donnant à si bas prix et en affectant de préférer l’immor- 
talité à tous les biens de la terre (C. Soph. 4, 7, 13 fin; cf. 
Busiris 1). Évidemment il s'adresse à des concurrents déloyaux 
qui « gâtent le métier », et on peut penser qu’en fait il vise 
spécialement Platon. ju reste, si l’école d’Isocrate coûte 
cher, du moins n’y reste-t-on pas plus longtemps qu’il ne 
faut: sa méthode est la plus expéditive qui se puisse et la 
plus dégagée de toute superfétation oiseuse (Antid. 271). 
Une telle prétention se retrouvait vraisemblablement chez 
d’autres Maîtres. Toujours est-il que Platon la relève comme 
on sait (272 b-d; cf. p. cxivi et p. cr). — Que main- 
tenant on envisage en elle-même cette méthode : Isocrate est 
fort embarrassé pour définir la place qu'y occupe l’invention 
et pour en caractériser le rôle. Sans doute est-ce à certains de 
ses émules qu’il s’en prend, quand il rejette la comparaison 
de la rhétorique avec l'éducation de l'orthographe : ce sont 
dit-il, toujours les mêmes lettres qui servent, tandis que la 


Oppositions. 


des rhapsodes (277 e fin). — Autre ressemblance verbale entre Alci- 
damas (34) et Phèdre 269 d. 


CLXVIII à PHÈDRE 


rhétorique est un art créateur. ἃ ses yeux, le meilleur 
technicien est celui qui, parlant comme l’exigent le sujet et 
les circonstances, sait renouveler un sujet; qui est capable 
d'inventer une façon de le présenter diflérant entièrement de 
celles auxquelles on ἃ Θὰ recours avant lui ; il saura notam- 
ment rapetisser ce.qui est grand et grandir ce qui est petit ; 
il donnera à l'antique (par ex. la politique de Thésée) un 
air de nouveauté et à ce qui est nouveau. un air d'antiquité 
(C. Soph. 12 sq. ; Panég. 8; .cf: Hél. 35 sq.). Or, on doit 
reconnaître que c’est difficile lorsqu'on parle sur un sujet 
connu ; que ce talent est avant tout un don naturel, lequel peut 
à la vérité se développer par l'éducation (Hél, 13; οἵ, Phi- 
lippe 84 fin, C. Soph. 14 sq.). Mais finalement ce pouvoir 
de création se réduit à choisir dans chaque cas les « formes » 
oratoires (ἰδέαι) les mieux appropriées, à les mélanger entre 
elles et à les ordonner ou les arranger comme il faut, en 
donnant à la langue du rythme et de l'harmonie, sans 
tomber pourtant dans le style. poétique (C. Soph. 16 sq. ; 
Antid. 46 sq. ; Évagoras 8 sq.). Chacune de ces thèses impose 
le souvenir: de quelque proposition du Phèdre, qui.en est 
l'exact contrepied. Qu'on: interprète comme on voudra cette 
symétrie dans le contraste : je me borne à la constater. Ainsi, 
ce n’est pas de sa faute si Socrate ἃ abusé du style poétiqne 
(257 a); quand sur le sujet on a dit ce qu’il.y a à dire, il 
est bien inutile de le reprendre sous des formes différentes; 
et se croire alors à même de dire autre chose, c'est le fait, 
non pas du meilleur technicien, mais d’un écrivain au-dessous 
même du médiocre ; s’il n’est question que de tourner les 
choses autrement, c’est simple affaire d’arrangement et 1] 
n'ya pas là la moindre parcelle d'invention (234 e-235 b, d- 
236 a), pas plus qu'il n’y a de mirifique découverte à changer 
l'apparence des choses pour tromper sur leur réalité (267 a b; 
cf. p. cxLvi). 

Nous touchons ici à une opposition aussi nette que profonde : ξ 
à quoi doit avoir égard l’orateur ou l'écrivain ? est-ce à l’opi- 
nion de ceux qui l’écoutent ou le lisent, à la δόξα ὃ est-ce au 
savoir et à la connaissance du vrai, ἐπιστήμη ? À entendre le 
langage que Platon fait tenir à la Rhétorique et aux rhéteurs, 
la réponse ne saurait être douteuse : « Apprenez, si vous vou- 
lez, à connaître la vérité parce qui s’appelle lesavoir : que ce soit 
du moins au commencement, et sans vous attarder à une étude 


-.NOTICE CLXIX 


qui ne vous servira absolument de rien pour apprendre à per- 
suader. Si c’est en effet la persuasion qui est le but de l’ora- 

teur, il n’y a que nous, pour en enseigner l’art. Or le principe : 
de la persuasion n’est pas du tout la vérité: c'est la vraisem- 
- blance, à telle enseigne que, si le vrai est invraisemblable, il 

vaut mieux le taire et que, au contraire, le vraisemblable peut 

servir à faire douter de la réalité du vrai. C’est donc qu'il 

est beaucoup moins utile de connaître la vérité que de savoir- 
quelle peut être l'opinion des gens à qui l’on s'adresse » 

(260 a, d ; 262 c déb. ; 272 de ; 273 a-c; 277 edéb.). — Tout ἡ 
au contraire, d'après Platon, s’il y ἃ un homme à qui il 
appartienne, et encore seulement pour s'amuser, d'employer 
la parole à égarer ses auditeurs, c’est uniquement celui qui 
sait la vérité (262 d). Ce qui prétend être indépendant d’un. 
tel savoir, et par conséquent la pure instruction rhétorique, 
voilà ce qui en réalité ne saurait être rien de plus qu'une 
préparation à ce qu’il est nécessaire d'apprendre (269 bc). — 
Interrogeons à présent l’ « honnête » Isocrate. On verra sans 
peine que la thèse qui, selon Platon, est celle de la Rhétori- 
que et des rhéteurs, c’est justement la sienne : il se contente 
d’en dissimuler les conséquences scandaleuses. Pareil en cela 
au Calliclès du Gorgias (485 a-d), il engage les jeunes gens. 
à consacrer un peu de temps à étudier les théories de ceux 
qui s’intitulent « philosophes », mais à ne pas s’y dessécher 
l'esprit. Comment de pareilles méditations serviraient-elles. 
jamais à la conduite de nos affaires ou de celles de l’État ? Il 
n’y a rien là (exception faite du profit qu'y trouvent les. 
gens qui en font commerce |) qu’une gymnastique de l’esprit 
et une préparation à des études plus sérieuses et les seules qui 
soient utiles (Antid. 261-269, 285). Les gens qui se livrent 
à des occupations de cette sorte et qui se flattent de posséder 
le savoir sont incapables de donner le moindre conseil pra- 
tique : on a bien raison de les mépriser comme des diseurs 
de riens et de tenir leurs études, sans rapport avec la cul- 
ture de l’âme, pour un vain bavardage (ἀδολεσχία ; cf. Phe- 
dre 270 a déb. ). Ceux qui en jugent ainsi sont au contraire 
des hommes de bon sens, qui au lieu de faire des embarras 
pensent comme tout le monde ; qui préfèrent à la prétendue 
rigueur d’un savoir vide les opinions généralement reçues. C’est 
un enfantillage de croire qu'elles puissent être remplacées par 
des paradoxes auxquels personne, sauf des très jeunes gens 


ULXX PHÈDRE 


n'ajoutera foi; ce que demande au contraire la rhétorique, 
c'est de la virilité dans le jugement, et là est le secret de la 
vérité (Micoclès 41 ; C. soph. ὃ, 17; Hél. 1,5, 7, τα; Antid. 
84 ; Panathénaïque 234 d sqq.). C’est pourquoi il est indis- 
pensable, si l'on veut être persuasif, de ne rien dire qui heurte 
les opinions accréditées. Bien plus, on doit les utiliser pour 
le succès de la cause qu’on soutient : ainsi, ce qui est reçu 
pour être une belle qualité, on en exagérera l’existence en 
celui dont on fait l'éloge ; ce sera l’inverse si on est accusa- 
teur (Antid. 273; Busiris 4). 


Cette opposition du vrai savoir et de 
l'opinion, de 1᾿ ἐπιστήμη et de la δόξα, 
s'exprime d’une façon particulièrement 
significative dans la dénomination que, de l’un et l'autre 
côté, on revendique pour l’enseignement. — Rappelons tout 
d’abord comment au poète, au faiseur de discours, à l’auteur 
de textes de lois, le Phèdre (278 c-e) oppose son dialecti- 
cien ; comment il réclame pour celui-ci, non pas le nom 
de sage ou de savant, mais celui d'homme qui aspire à la 
sagesse et au savoir, celui de « philosophe » ; parfois, comme 
si une équivoque était à craindre, il spécifie que le « philo- 
sophe » dont il parle est celui qui l’est « loyalement », 
« dignement » et « au sens droit » du terme‘.Or ce nomest 
celui que se donnait Isocrate, et il serait fastidieux de men- 
tionner tous les passages où ce qu’il enseigne est appelé par 
lui « philosophie ». C’est du reste un nom qu’Alcidamas 
(2, 15) lui reproche de s’arrôger, sans cependant douter lui- 


La dénomination 
de philosophe. 


1. Ainsi dans le Phédon, p. ex. 64 b 9, 67 d 6 et e 3, 69 d 1 ; ou 
bien ici 249 a 1 (ἀδόλως), 261 a 4 (ἱκανῶς); comparer la « droite 
conception de l’amour des jeunes gens » (0p0@is παιδεραστεῖν) du 
Banquet 211 b 6. Ordinairement c’est le contexte qui détermine 
l’acception dans laquelle le terme est employé. C’est ainsi que la 
comparaison de 239 a 4 avec b 4 permet de penser que, dans ce der- 
nier endroit, la « philosophie » dont il est question, toute « divine » 
qu’elle est, n’est pas entendue en son vrai sens, mais en un sens 
rhétorique, puisque c’est du point de vue de la rhétorique que 
Socrate conçoit son premier discours. Peut-être en devrait-il être de 
même pour la « philosophie » qu’invoque le Pausanias du Banquet 
182 c 1, 183 a 1. 


NOTICE GLXXI 


même, semble-t-il, que « philosophie » soit le vrai nom de 
la rhétorique. — Puisque ce titre était disputé par deux 
méthodes rivales de culture, ce qui nous intéresse particu- 
lièrement c’est de savoir sur quelles raisons 1socrate appuyait 
sa revendication. La connaissance absolue de ce qu'il faut 
dire ou faire est, disait-il en substance, impossible à la nature 
humaine. Aussi la sagesse (σοφία) consiste-t-elle pratiquement 
dans le bon sens (φρόνησις), une certaine rectitude de juge- 
ment qui, dans la plupart des cas (ὡς ἐπὶ τό πολύ)), permet 
de trouver l'opinion qui vaut le mieux. Cette justesse d’es- 
prit, quoiqu'’elle soit le plus souvent un don naturel, peut 
être néanmoins acquise, doit en tout cas être cultivée : ce qui 
se fait, avec toute la rapidité possible, au moyen de certai- 
nes études et pratiques, auxquelles le nom de « philosophie » 
sera légitimement réservé ; culture de l’âme analogue à ce 
qu'est la culture du corps par le moyen de la gymnastique 
(Antid. 270 sq., 181). Ainsi, au lieu d’être un effort, qui 
n'est jamais entièrement contenté, vers un savoir toujours 
supérieur au plan humain, la philosophie serait une méthode 
toute pratique pour s'élever à ce qu’il y a, dans ce plan 
même, de meilleur par rapport aux croyances communément 
reçues. Quant à la philosophie des soi-disant philosophes, 
Isocrate l’englobe tout entière, comme fait Platon pour la 
rhétorique des rhéteurs, dans le même mépris et la même 
hostilité. Sans doute, au début de l’Éloge d'Hélène, fait-il des 
distinctions. Mais, si elles sont obscures pour nous, on peut 
se demander si elles avaient dans sa propre pensée quelque 
précision. Disputes logiques, recherches sur la nature des 
choses, étude de la géométrie et de l'astronomie, enseigne- 
ment scientifique de la vertu et de la politique, prétention 
d'atteindre la vérité, tout cela est mis pêle-mêle. S'il est 
certain qu'Antisthène et les Cyniques sont visés, s’il est très 
probable que les éristiques de Mégare le sont également, il 
n’est guère douteux d'autre part que Platon, surtout après 
la fondation de l’Académie, ait été pour Isocrate un concur- 
rent plus redoutable qu'aucun des philosophes et qu'aucun 
autre parmi les maîtres de rhétorique. Quand donc Isocrate 
parle de disputeurs ou ἀ᾽ « éristiques » qui se targuent de 
chercher la vérité et puis, tout aussitôt, se mettent à débiter 
des mensonges ; quand il parle de dialogues éristiques qui ne 
sont bons qu’à amuser une jeunesse inexpérimentée, de 
IV. 3. — 1 


CLXXII PHÈDRE 


controverses par demandes et réponses ‘ ; quand il dit de tout 
cela, aussi bien que des spéculations sur la Nature, que c’est 
jonglerie, parade de foire, monstruosité de la pensée, — il 
est impossible que Platon ne soit pas compris dans cette 
réprobation. Isocrate ne peut consentir qu’il décore du beau 
nom de « philosophie » une étude dont l'ambition n’est 
d'aucune utilité ni pour la parole ni pour l'action ?. 


Mais, dit-on, cette hostilité contre le 
Les relations per- chef de l’Académie n’a pas toujours 
sonnelles d'Isocrate -., : 
δὲ de Platon existé ; Antisthène est pour tous les 
deux l'ennemi commun ; le Discours 
contre les Sophistes témoigne de ménagements à l'égard de 
Platon. C’est un témoignage, à vrai dire, qui n’est pas d’une 
évidence aveuglante ; en jugerait-on de même si l’on n’était 
pas obsédé par le compliment final du Phèdre ἢ On fait en 
outre état de quelques assertions de Diogène Laërce, à 
l'appui desquelles il nomme ses autorités : Isocrate aurait 
fait à Platon une visite dans la maison de campagne de ce 
dernier et leur entretien aurait porté sur les poètes (III 8); 
Speusippe, le neveu de Platon aurait le premier donné la 
clef de ce qu'on appelle les « secrets » d’Isocrate (IV 2). 
Mais, s’il est vrai que ces « secrets » soient ceux des varia- 
tions d’Isocrate dans son attitude envers la Macédoine ὃ, on 
y verrait un indice d’hostilité plutôt que d'amitié de la part 
des Platoniciens ‘. Quant à la première assertion, elle est 


1. Le Parménide οἱ le Sophiste pouvaient-ils être considérés autre- 
ment que comme des dialogues éristiques par un esprit aussi rebelle 
à la spéculation philosophique que l’était celui d’Isocrate ? Au surplus, 
le mot « éristique » n’avait sans doute pas pour lui l’acception histo- 
rique définie que nous lui attribuons. 

2. Sur tout cela, voir C. Soph. 1, 3, 6,21; Hél. 1-10; Antid. 
45, 84, 258, 266, 269, 274, 285 ; Panathén. 29. 

3. Elle aurait été, d’après Speusippe (si la XXX*® Lettre Socra- 
tique est de lui), primitivement hostile. Cf. H. Gomperz, op. cit., 
p- 39; G. Mathieu, Les idées politiques d’Isocrate, p. 154 sq. 

4. Parmi les ouvrages de Speusippe, Diogène mentionne d’ailleurs 
(IV 5) un Contre l'audotupos (le discours sans lémoignages), dont 
on peut penser qu'il visait le plaidoyer d’Isocrate qui porte ce sous- 
titre (Contre Euthynoüs). Cf. Banquet, p. χει n. 2 et ici p. χιν, ἢ. 1: 
Antisthène l'aurait aussi critiqué dans son /sagogé ou Lysias et Isocrate. 


NOTICE GLXXII 


vraisemblablement une fiction de Praxiphane, qui en avait 
fait le sujet d’un dialogue de sa composition. En fait, il 
paraît difficile que Platon ait pu avoir beaucoup de sympa- 
thie pour l’homme et l'écrivain qu'était Isocrate : ce sont 
deux esprits dont la structure et l'orientation sont diamétrale- 
ment opposées. On s'est donné une peine infinie pour 
essayer de prouver qu'Isocrate ne doit pas être reconnu dans 
le personnage hybride dont Platon avait fait le cruel portrait 
dans son Euthydème (305 c-306 c ; cf. la Notice de L. Méridier 
p. 133 sqq.); peut-être se refusera-t-on aussi à voir dans le 
discours du Pausanias du Banquet une parodie de la manière 
d’Isocrate (cf. ibid. Notice, p. xzsqq.) ; peut-être n'est-ce pas 
non plus à lui que devrait se rapporter, contrairement à ce 
que je crois (cf. ibid.), le passage de la République (VI 498 ς 
5344.) où c’est le nom de Thrasymaque qui est prononcé. Ce 
qui du moins est certain, c’est que, dans lAntidosis (qui est 
de 354/3) Isocrate parle d’ennemis cachés derrière ceux qui 
l’attaquent ouvertement, à peu près comme, dans l’Apologie, 
Socrate parle d’Aristophane dont les calomnies ont de 
longue date fait mürir l’accusation dont il est l'objet. Or 1] 
y semble bien avoir en vue une hostilité ancienne et tenace, 
non pas celle de quelques rhéteurs dont il n’a plus à craindre 
la concurrence, mais celle de. rivaux qui ont su acquérir sur 
l'esprit de la jeunesse et dans le public une autorité dont il 
ya lieu pour lui de s’alarmer ; ils sont. passés maîtres dans 
« les discours éristiques » et en même temps ils s'occupent 
de géométrie et d’astronomie : ce sont eux qui ont été les 
agresseurs et sur son compte ils ont toujours quelque méchan- 
ceté à dire ; sans que leur orgueil soit tout à fait injustifié, 
il l’est cependant (Antid. 257-261 ; cf. 243-247). Bref, il 
s’agit d’ennemis qu’il est impossible de traiter par le dédain. 


Pa Le Phèdre, dans ses deux dernières par- 
L'éloge d'Isocrate , ;: ÿ 
à'1a fin du Phèdre. Mes οἷν Par conséquent, dans son ensem 
ble puisque c’est un tout solidaire, m’ap- 
paraît donc comme un réquisitoire contre la rhétorique d’Iso- 
crate ‘. Tous les autres Maîtres dont il est question çà et là 


1. Ainsi que le suggérait Thompson (173, 178), qui pourtant 
n’est pas allé tout à fait jusqu’au bout de ce que semble appeler 
<ette suggestion. — Que la comparaison d’Isocrate avec Lysias fût, à 


CLXXIV PHÈDRE 


ne sont nommés que pour donner le change sur l'intention 
essentielle. Bien plus, si l'objet principal semble en être 
constamment Lysias, c'est qu’une aversion personnelle se 
trouve ainsi satisfaite (cf. p. x1x sqq.) ; c’est qu'il n’y avait 
pas, pour donner au trait final sa véritable valeur, de 
meilleur artifice que de concentrer l’attention tout entière sur 
l’homme que le public littéraire se plaisait à mettre en paral- 
lèle avec Isocrate. Tout au long du dialogue, c’est le nom de 
celui-ci que devait attendre le lecteur du temps, et il n’était 
question que de Lysias ! Ce lecteur ne pouvait cependant 
manquer, si tout ce qui a été dit plus haut est vrai, de 
ressentir à quel point s’appliquaient mal à Lysias la plupart 
des observations de Platon, à quel point au contraire elles 
portaient contre Isocrate. La brusque apparition de son nom 
_ quand la lecture est déjà presque achevée, l’inattendu d’un 
éloge, tout cela lui révélait enfin que son sentiment ne 
l'avait pas trompé : le compliment n’était qu’une nasarde, et, 
dans un éclat de rire, il devait savourer la malice de l’effet 
comique ainsi obtenu. 

Examinons au reste les éléments de l'éloge d’Isocrate. — 
Il a des dons naturels supérieurs. En effet, c’est ce qui, nous 
l'avons vu, est à ses yeux la condition fondamentale de l’élo- 
quence; mais qu'est-ce que cela, pour Platon, sans la phi- 
losophie entendue comme une recherche désintéressée de la 
vérité ? — [l y a dans son caractère une particulière noblesse. 
Or c’est justement ce que sa vanité solennelle ne cesse de 
proclamer; mais, quand on a gagné tant d'argent à ensei- 
gner par quels adroits mensonges il est possible de duper 
autrui, suffit-il pour être cru d’affirmer qu’on est honnête ? 
— Vient ensuite le pronostic sur ce qu’on peut dans l'avenir 
attendre d’Isocrate quand il aura un peu vieilli. Mais, à quel- 
que date qu’on place la composition du Phèdre, du moment 
qu'on renonce à en faire un écrit de jeunesse, certainement 
alors Isocrate est déjà un vieillard ; chacun est donc à même 
d'apprécier si ces merveilleuses promesses ont été tenues et 
si, malgré l'étude et l'exercice, la supériorité de ses dons 
naturels a produit les effets décisifs qu’elle aurait dû produire, 
— À la vérité, une pointe s'ajoute ici : cela arrivera, même 


l’époque, un thème de dissertation, on en a un indice à la fin de la 
note précédente. 


NOTICE CLXXV 


si son éloquence s'applique encore aux mêmes objets que 
maintenant. C’est rappeler discrètement à Isocrate, devenu 
professeur d’éloquence et auteur de discours d’apparat, des 
débuts dont à présent il rougit et son ancienne carrière de 
« logographe ». — Mais peut-être ces succès écrasants, que 
le progrès de l’âge doit assurer à Isocrate, ne lui suffront- 
ils pas ; peut-être un élan plus divin le portera-t-il plus haut 
encore. Ne serait-ce pas une allusion à la prétention qu'a 
eue Isocrate d’être le conseiller de la politique athénienne, à 
l'intérieur comme à l'extérieur? Le Panégyrique d'Athènes, 
vers 380, en fut la première manifestation. Que peuvent 
valoir au regard d’un Platon, bâtisseur de la Cité future, de 
telles ambitions chez cet homme qui n’est qu’un vieux rou- 
tier de la chicane judiciaire et des artifices rhétoriques ? — 
On revient pour finir à l’idée initiale des dons naturels : si 
Isocrate atteint un jour l’apogée de sa gloire, c’est que la 
nature a mis dans sa pensée une certaine philosophie. Quelle 
sorte de philosophie ? La sienne évidemment : la philosophie 
du sens commun, des opinions accréditées, celle qui dédai- 
gne un pur savoir, sans emploi dans la vie pratique, pour ne 
s'attacher qu'aux moyens de réussir ; bref, tout ce que 
Platon méprise le plus au monde et contre quoi sa philoso- 
phie entière est une ardente protestation. — En résumé 
donc, si le Phèdre n’est pas une œuvre de jeunesse, il sem- 
blera difficile ! de voir où Platon, même au temps où l’ancien 
logographe, qui vient d'ouvrir son école, publie le discours 
Contre les sophistes (391/0), aurait pu trouver matière à 
honorer sérieusement Isocrate du compliment qui termine 
le Phèdre. 


VII 
ÉTABLISSEMENT DU TEXTE ET APPARAT CRITIQUE 
Des quatre manuscrits qui ont été uti- 


lisés pour le Phédon et le Banquet, trois 
seulement contiennent le Phèdre : il manque en effet dans 


Manuscrits. 


1. On connaît le mot de Cicéron, Orator 13, 47: Haec de adu- 
lescente Socrales auguratur, at ea de seniore scribit Plato. 1] ajoute 
qu’on ne sera pas de l’avis de Platon, si l’on n’aime pas Isocrate. Mais 
la question est plutôt de savoir si Platon pouvait l’aimer. 


cLxxvI PHÈDRE 


le Vindobonensis 21, Y'. Entre T et W il existe, pour notre 
dialogue, un accord assez général ? : ainsi, tous deux ont à 
243 ἃ 5 la même faute absurde, ἐπιθυμῶι, l’ascription de- 
l'iôta étant ici dans W d'autant plus singulière qu’elle y est 
le plus souvent omise ὃ alors qu’elle serait nécessaire ; à 
244 Ὁ 7, après ἐπιμαρτύρασθαι, il y a dans la marge de W un 
γρ. : ἀπὸ τοῦ ὀνόματος, qu'on retrouve pareïllement dans la 
marge de T (à la vérité, ni dans un cas ni dans l’autre, il 
ne semble être de la main même du copiste) ; à 272 a 2 ils 
écrivent tous deux τοῦσδε: — En revanche, un cas comme 
celui de 261 a 4, où W a ὡς ἐάν, tandis que T ἃ ἕως ἄν sem- 
ble prouver que W ne dépend pas directement de T. En 
outre W se distingue de T en ce que, pour la désinence de 
la 2° pers. du sing. de l'indicatif présent moyen, il écrit 
constamment ἡ au lieu de εἰ. — Il est à noter enfin que W 
paraît souvent s’accorder avec le Vindobonensis 109 ( de 
Bekker, V de Burnet), mais qu'il en semble être pareille- 
ment indépendant : à 270 ἃ 95 διανοίας V, ἀνοίας: ὟΥ ; à 270 4 7 
οὕτω V, αὐτῷ W ; ἃ 274d 3 ἥν V, ὃν W:. 
Quatre papyrus nous ont conservé des 
débris du texte du Phèdre. — Le pre- 
mier et le plus important, découvert en 1906 au verso d’un 
acte d'achat de terrain (n° 10165 des Oxyrynchus Pap. de 
Grenfell et Hunt, vol. VII p. 115 sqq.), est du premier tiers 
du πὸ siècle de notre ère. Le début du dialogue jusqu’à 
4806 ἡ 5᾽ Ὕ trouve dans un état parfait et avec d'excellentes 
leçons : ainsi, 228 b 5 πάνυ τι, 7 ἰδὼν μέν, 229 e 4 τά τοιαῦτα, 


Papyrus. 


1. Voir Phédon, Notice p. Lxxix sq. et ici la Table des Sigles. 

2. De quelque façon qu’on doive l’interpréter ; cf. Alline, Histoire 
du texte de Platon, p. 238. 

3. Si souvent que je me suis abstenu d’en faire à chaque fois. 
mention dans l’Apparat. Il s'ensuit, bien entendu, que dans plusieurs 
cas il est délicat de décider quelle ἃ été sa leçon. Ex.: 250 ὁ 7 
μνήμῃ, 251 ἃ 5 ἑκάστη, 252 ἃ 7 ἐγγυτάτω, 256 e 5 σωφροσύνῃ θνητῇ, 
279 ἃ 9 δρμὴ θειοτέρα, 

4. Pour V je me fie aux collations de Burnet, mais il se peut: 
qu’elles ne soient pas plus exactes que celles de W. 

5. Sur ce Papyrus et le suivant, cf. Alline, op. cit., p. 144 n. > 
(où l’on trouvera la référence à un important article de la Revue de- 
Philologie, 1910), p. 145, p. 186. 


NOTICE CLXXVII 


230 b 7 ὥς γε. — Découvert en même temps que le précé- 
dent, le second (n° 1017, p. 127 sqq.) serait un peu plus 
ancien, peut-être de la deuxième moitié du 11° siècle, mais 
il apporte moins de variantes dignes d'attention. Il a été, 
plus certainement que l’autre, l’objet d’une revision, dont 
témoignent des corrections dans l’interligne ou en marge 
(indiquées dans l’Apparat par « Oxy.? ») et l’addition par- 
fois d’esprits ou d’accents. Saufune grosse lacune de 240 ἃ 5 
à 245 a 5 et quelques autres moins étendues (notamment de 
246c6 à 247d ἃ et de 248c 1 à 250b 2), il contient le 
texte de 238c 6 à 251 b:3!1. — Le fragment contenu dans 
le troisième (n° 2102, vol. XVII; peut-être de la fin du n° 
siècle) est beaucoup plus court, 242 d-244 d. C'est très pro- 
bablement un reviseur qui a ajouté dans ce papyrus les 
signes diacritiques, la ponctuation, l'indication du change- 
ment d'interlocuteur. Il n’y a d’ailleurs rien d’intéressant à 
en tirer pour le texte. — Plus ancien (première moitié du 
n° siècle), mais plus bref encore (266 b 1-5, d 1-e 3), est le 
dernier qui appartient à Columbia University (n° 492 A ; 
désigné dans l’Apparat par « Pap. CG») et qui a été publié 
par GC. W. Keyes dans l’American Journal of Philology (vol. 
L, 1929, p. 260-262)°. 


La question du recours à la tradition 
indirecte ne se pose pas pour le Phèdre 
tout, à fait de la même façon que pour le Phédon ou le Ban- 
quet. Il y a lieu de distinguer entre celle qui, comme c’était 
alors le cas, provient de citations et celle que nous devons au 
commentaire d'Hermias sur le Phèdre, qui nous a été inté- 
gralement conservé 3, 


Tradition indirecte. 


1. Les mots n'étant séparés ni dans l’un ni dans l’autre, les signes 
d’élision le plus souvent omis ainsi que l’ascription de l’iôta muet, 
on est parfois incertain du texte. Ex. : 230 ἃ 5 μεθελει, 246 a 6 εοιχε- 
τωδη. — L’iôta long est constamment écrit et (ainsi χείνησις). 

2. Je dois à l’obligeance de mon collègue Paul Collart d’avoir 
connu les deux derniers. 

3. Exception faite de deux lacunes, l’une qui porte sur le texte de 
232e 4 à 234 d 1 (p. 39, 7 Couvreur), l’autre au cours d’un long 
développement sur 245 c d (p. 108, 1), mais par laquelle n’est pas 
interrompue la consécution de l’exégèse du texte lui-même. 


CLXX VIII PHÈDRE 


Ce commentaire représente la tradition 
néoplatonicienne de l'interprétation du 
Phèdre. Avec Proclus, Hermias (deuxième moitié du v° s.) 
avait été l'élève de Syrianus, et il est possible qu'il 
n'ait fait que rédiger, peut-être à la vérité en l’enrichissant 
de ses propres réflexions, des leçons de son maître sur notre 
dialogue. Ces leçons semblent avoir eu la forme, alors 
commune dans les écoles, de la diatribe ou de l’entretien: 
quelque part en effet (92,6-8), Hermias parle d’une diffi- 
culté soulevée par Proclus et de la solution qu’en proposa 
« le philosophe » ; or, d’après une scholie, sans doute 
ancienne, qui est répétée en marge de trois bons manuscrits, 
ce serait Syrianus. C’est plus haut encore pourtant que, 
selon toute probabilité, on devrait remonter : jusqu’à Jam- 
blique (deuxième moitié de 1v° s.), dont Proclus (Theol. Pla- 
ton. IV 16) mentionne expressément un commentaire sur le 
Phèdre, auquel du reste Hermias lui-même fait plus d’une 
allusion ‘. — Il n’y a pas lieu de parler ici des idées d’'Her- 
mias ni de l’esprit de son commentaire: un échantillon en a 
été donné en passant (p. xxx n. 2), sur lequel toutefois il 
ne serait pas équitable de fonder une condamnation globale. 
Le fatras certes n'y manque pas, ni le pédantisme, ni même 
la sottise. Mais, pour en déclarer fausse toute l’interpréta- 
tion, il faudrait d’abord avoir prouvé que les Néoplatoni- 
ciens n’ont radicalement rien compris à Platon ; que notam- 
ment ils ont eu tort de se servir si souvent du Timée pour 
interpréter le Phèdre. Or cette preuve n’est pas faite. Mais 
ce qui maintenant nous importe, c’est seulement la contri- 
bution d'Hermias à l'établissement du texte. Elle est d’une 
valeur critique indéniable : par les lemmes qui donnent les 
premiers mots de chacune des petites sections entre lesquel- 
les il divise le texte; par des notes détachées qui expliquent 
certains des termes du passage ; par l'insertion de tel ou tel 


Hermias. 


1. Notamment 9, 9 sq. et 215, 12 544. ; cf. aussi 143, 23 sqq., 
150, 24 et 200, 28 sq. — Sur tout ceci, cf. Am. Bielmeïer, Die Neu- 
platonische Phaidros interpretation ; ihr Werdegang und ihre Eigenart, 
1080, dans les Rhetor. Studien de E. Drerup, fasc. 16 (REG XLV, 
Ρ- 116). D’après l’auteur, Jamblique et ceux qui dépendent de lui 
sont, par rapport à Plotin et à son cercle, les représentants d’une 
interprétation plus mystique et moins philosophique du dialogue : 
c’est assez probable. 


NOTICE CLXXIX 


mot du texte au cours d’une paraphrase ; par la reprise de 
membres de phrase entiers; par des citations faites çà et Là 
en dehors de la suite du texte. Il lui arrive même, à propos 
de 249 c 6 sq. (p. 171, 32 sqq.), de signaler qu’il existe du 
passage quatre variantes, dont l’une a ses préférences puis- 
qu'il en fait son lemme. Entre les citations constituées par 
les lemmes et celles que fait Hermias au courant de son exé- 
gèse, une distinction s'impose : dans ces dernières il pouvait 
en effet ne pas se sentir astreint à la même exactitude. J’ai 
donc signalé dans l’apparat par la lettre «l», placée en 
exposant après le nom d'Hermias, toute leçon qui provient 
de ses lemmes. 


À ce que j'ai dit dans la notice du Phé- 
don (p. xxx sqq.) sur la forme usuelle 
de la tradition indirecte, je voudrais ajouter quelques remar- 
ques dont l'étude de cette tradition pour le Phèdre a été 
l’occasion. — Il n’est certes pas douteux que souvent les 
auteurs citent de mémoire. Mais, quand en plusieurs endroits 
un même auteur cite de façon différente, on peut se deman- 
der si l’on est en présence d’une variation de sa mémoire ou 
bien d'une variante réelle, en rapport avec l’utilisation 
par lui de copies différentes. C’est ainsi que le passage de 
2466 4 ὁ μὲν δὴ μέγας ἡγεμών ... Ζεύς est cité deux fois par 
Plutarque. Or, dans les Quaestiones conuiuales VIII 3, 5 722 ἃ, 
son texte: ὃ γὰρ δὴ μέγας ἡγεμών ...Zeûs est très voisin du 
nôtre; dans le Non posse suauiter uiui secundum Epicurum, 
22 1102 6,1] écrit bien ὁ μέν, mais il omet δή, et, ce qui 
importe davantage, il omet ἡγεμών. C’est un fait pourtant 
que de ces deux passages celui qui s'éloigne le plus de 
notre texte est justement celui qui a le plus l’apparence 
d’une citation textuelle. On peut donc se demander si l’omis- 
sion de ἡγεμών n’y est pas le témoignage d’une tradition 
différente. — De même à 250 d 4: ἔρχεται αἰσθήσεων. Là 
où Plutarque ne paraît pas citer mais se souvenir (Aqua an 
ignis utilior 13, 958 6), il écrit : ἐστιν (ou εἶσιν) αἰσθήσεων ; 
mais là où il semble citer textuellement (Quaest. conuiu. HI 
6, 4 654e), on lit: ἔρχεται παθημάτων. Ce dernier mot 
serait-il une variante réelle de la tradition manuscrite ὃ — 
Moins délicat est le cas de 243 d 6; car, si deux fois (cf. 
Apparat) Plutarque écrit χαταχλύσασθαι, les deux autres 


Observations. 


x 


GLXXX PHÈDRE 


endroits (Quaest. conuiu. ὙΠ 5, 4 706 d et De esu carnium 
Il 3, 998 a) où il retient notre ἀποχλύσασθαι sont ceux où il 
paraît citer la lettre. 

Autre observation. Une phrase du Phèdre, 237 b 8-c 2: 
περὶ παντός, ὦ παῖ, ...d&vayxn, est citée par trois commenta- 
teurs d’Aristote avec des déformations au moins partiellement 
identiques. Philopon (fin du v° 5. et début du vi, in Ar. De 
an. 33, 21 et 43, 8 Hayduck), David (fin du vi* s., Proleg- 
9, 21 et Zsag. 95, 18 Busse), Élias (fin du vin s., Jsag. 41, 4 
et Categ. 127, 7 Busse), au lieu de τοῖς μέλλουσι χαλῶς Bou- 
λεύεσθαι, s'accordent à écrire : τοῦ x. 8.1, — περὶ ὅτου au lieu 
de περὶ οὗ, — τοῦ παντός au lieu de παντός. Tandis qu'après. 
ὅτου Philopon ἃ notre texte, les deux derniers donnent une 
commune variante : ἐστὶν à ἣ σχέψις. Sans doute est-il possible 
qu "Élias ait copié David; mais, puisqu'ils s'accordent aussi 
avec Philopon, une autre tradition, peut-être dans quelque 
Ilorilège scolaire, n’est pas invraisemblable. 

Enfin un passage du Phèdre, 238 b 9-c 3, est textuelle- 
ment cité par Denys d'Halicarnasse dans le De Demosthene 
(E 140, 14 Usener et Radermacher) et dans la Lettre à Cn._ 
Pompée (11 1 230, 12). Or, sauf Vollgraff, tous les éditeurs 
signalent l'accord complet de la seconde citation avec notre 
texte, tandis que la première comporte quatre variantes (cf. 
Apparat). Nous serions donc manifestement ici en présence 
de deux traditions manuscrites qui auraient été tour à tour 
suivies par Denys et dont l’une aurait prédominé dans les 
manuscrits médiévaux ?. Mais la différence des deux textes 
est purement apparente, et elle a été fort bien expliquée 
par les derniers éditeurs de Denys. Les manuscrits de la 
Lettre ont en effet une lacune à l'endroit où Denys y avait 
transporté la citation du Phèdre que renfermait son De 
Demosthene. Or, en voulant combler cette lacune, ce n’est 
pas au texte de ce dernier traité qu'Henri Estienne ἃ eu 
recours, mais à son propre Platon. Il n’y a donc ici aucun 
désaccord de citations ὃ. 


1. La seconde fois Philopon a pourtant τῷ μέλλοντι. --- Simplicius 
(in Ar. Phys., 75, 3 Diels) lit notre texte. 

2. Il y en a des exemples dans Stobée, mais qui intéressent des 
points sans importance ; cf. ad 239 b 3. 

3. La liste qui suit ne comprend que les auteurs (ordre chronolo- 


NOTICE CLXXXE 


Les éditions spéciales du Phèdre sont 
moins nombreuses encore que celles du 
Banquet. J'ai utilisé celles de Friedr. Ast (1810, 1830), de 

Stallbaum (2° éd. 1857) et surtout celle de W. H. Thompson, 
The Phaedrus of Plalo with english notes and dissertations, 
1868!. L'édition de J. C. Vollgraff?, professeur à l’Univer- 
sité d'Utrecht, est purement critique et, très souvent, extrè- 
mement hardie. Comme je l’ai fait pour le Banquet et au risque 


Éditions etc. 


gique) mentionnés dans l’Apparat et qui ont fourni une variante où 
servi à confirmer une leçon. Pour le surplus, voir les Testimonia de 
l’édition de Schanz ou de celle de Vollgraff. J’ai pour ma part 
dépouillé la collection des Commentateurs grecs d’Aristote, tâche 
facile depuis la publication de l’Académie de Berlin. Je ne men- 
tionne l'édition dont je me suis servi que pour les auteurs au sujet 
desquels cette indication n’a pas été fournie déjà par les éditions du 
Phédon (p. Lxxxr n. 1) et du Banquet (p. cxvit n. 1). — ARISTOTE 
(De anima, Apelt, bibl. Teubner ; Métaphysique, W.-D. Ross 1924) ; 
Cicéron (CG. F. W. Müller, bibl. Teubner) ; Dexys D'HazicarNASsE 
(Usener et Radermacher, ibid.) ; Héraczrre le Stoïcien (Allégories 
homériques, Mehler 1851); Sénèque (De tranquillitate animi, 
Hermes, bibl. Teubner) ; PLUTARQUE ; ARISTIDE ; ALEXANDRE 
d’Aphrodise ([π Ar. Topica, Wallies, Coll. de l’Acad. de Berlin ; 
De an., Ivo Bruns, ibid.) ; Arsinus (Introductio in Platonis Dialogos, 
vol. VI du Platon de K. Fr. Hermann, bibl. Teubner) ; Lucren 
(Jacobitz, ibid.); HERMOGÈNE ; PLorin ; ORIGÈNE ; CLÉMENT d’Alexan- 
drie ; Eusèse ; JamBziQue (in Nicom. arithm. introd., Pistelli, ibid.) ; 
SYNÉSIUS ; ARISTÉNÈTE ; Jean STOBÉE ; SYRIANUS (in. Ar. Metaph. 
Kroll, coll. Acad. de Berlin) ; Hermras ; Procrus (in Rempubl., 
Kroll ; in Crat., Pasquali, bibl. Teubner) ; Jean PuiLopon (in Ar. 
de an. Hayduck, coll. de l’Acad. de Berlin); Srmpzicius (in Ar. 
Phys., Diels, ibid.) ; Davin (Prolegomena et in Porphyri Isagogé, 
Busse, ibid.); Écias (in Porph. Isag. et in Categ. Busse, ibid.) ; 
Puorius ; Eusrarse (ad Hom., Stallbaum) ; NicÉPHORE ; ANEGDOTA 
graeca de Bekker. 

1. Preface; Introduction; Appendix I: On the erotic discourses of 
Socrates ; IL On the philosophy of Isocrates, and the relation to the 
Socratic schools ; TIL The Eroticus of Cornelius Fronto. 

2. Platonis dialogus qui inscribitur Phaedrus, ad optimorum librorum, 
codicis Bodl. praecipue, fidem recognovit, Leyde, 1912. Le texte du 
Bodleianus (B) y est reproduit en face du texte établi par l'éditeur. 
On y trouve également le recueil des scholies et un recueil des 
corrections proposées au texte. Au bas de chaque page sont rassem- 
blés les Testimonia. 


CLXXXII ; PHÈDRE 


d’allonger abusivement l’apparat critique, j'ai voulu, non 
pas seulement y rappeler les principales conjectures ou correc- 
tions dont le texte a été l’objet‘, mais y donner aussi une 
image de celui qu'ont imprimé les éditeurs les plus récents ?. 
— Si les éditions ont été rares, par contre le nombre est 
considérable des études qui ont été consacrées à telle ou telle 
des questions que pose le Phèdre. Or, on a pu s’en rendre 
compte, il y en a beaucoup et d'espèces très diverses : compo- 
sition du dialogue ; authenticité de l’Érôticos de Lysias; rôle du 
mythe et conception de la dialectique ; aspects particuliers de 
la théorie des Idées ou de la doctrine de l’âme; attitude de 
Platon à l’égard de la rhétorique ou à l’égard de ceux qui 
l'enseignent, spécialement en ce qui concerne Isocrate, etc. Les 
bibliographies classiques, par exemple celle de J. Marouzeau, 
plus accessible au lecteur français, ou la bibliographie spé- 
ciale du Phèdre dans le manuel d’histoire de la philosophie 
ancienne (Grundriss der Geschichte d. Philos. des Altert. 
d'Ueberweg-Prächter, fourniront aisément des indications) 
qu'il eût été trop long de donner. On trouvera dans le pre- 
mier chapitre de la dissertation (citée p. xxvi n. 3) de 


1. Les conjectures de Gottfried Hermann sur le texte proviennent 
des notes marginales de son exemplaire du Platon de Heindorf, qui 
est à la bibliothèque de l’Université de Cambridge. C’est Thompson 
qui, le premier, les ἃ fait connaître dans son édition. — Dans 
l’Apparat critique, « Richards » désigne les Platonica de cet auteur et 
« Richards 3», de nouvelles remarques publiées par lui en 1915 dans 
le Classical Quarterly (p. 205 sq.). 

2. J'ai procédé en cela comme pour le Banquet (cf. p. exvrr n. 2); 
ils sont donc signalés seulement quand leur texte n’est pas celui que 
j'ai adopté, sans que je m’astreigne d’ailleurs à les nommer séparé- 
ment quand, à l’exception d’un seul (eæc.), tous sont du même avis. 
J'ai négligé de signaler que Burnet et Vollgraff, d’accord en cela, 
comme on l’a vu (p. czxxvi), avec la copie du Phèdre dans W, 
adoptent constamment la désinence ἢ pour la 2° pers. sing. de l’indic. 
prés. moyen. D’autres particularités orthographiques de peu d’im- 
portance ont été cependant signalées : pour νῦν δή, que Schanz, 
Burnet et Vollgraff écrivent constamment νυνδή ; pour ϑιὸς, διεῖς que 
les mêmes éditeurs, d’accord avec les inscriptions du temps, écrivent 
ὑός, δεῖς ; pour l’augment des verbes commençant par εὖ ; pour 
l'emploi du ξ au lieu du σ dans les mots composés avec σὺν ; enfin 
pour le v ephelkystique. Sur ces deux derniers points j’ai suivi la 
règle que je m'étais fixée pour le Phédon (cf. Notice p. Lxxxv). 


NOTICE CLXXXIII 


Z. Diesendruck ou dans le livre de A. Diès, Autour de Platon 
(surtout p. 100 sqq., p. 400 844. ) des exposés qui permettent 
d’avoir un aperçu des conflits d'opinion auxquels le Phèdre 
a donné lieu. 

Le texte que j'imprime est, comme dans 
les deux autres parties de ce tome IV, 
celui-là même que je traduis: c’est-à-dire que, sans jamais 
faire usage des crochets droits, je rejelte à l’Apparat les mots 
ou membres de phrase dont l’interpolation m'a paru, ce qui 
est d’ailleurs très rare ‘, tout à fait incontestable. De même, 
je n’ai pas hésité à introduire dans le texte une transposition 
qui me semblait améliorer la suite des idées?. J'ai adopté 
plusieurs corrections proposées par mes devanciers ὃ ; en face 
de certaines autres j'ai hésité, non sans regret +. De moi-même 


Texte. 


1. 2510 8 περὶ τὰ οὗλα, malgré les mss. et contrairement aux 
autres éditeurs, cf. p. 45 n. 2; 257 ἃ 9 toute la phrase explicative 
de γλυχὺς ἀγχών, cf. p. 56 n. 3. 

2. 229 d 1 sq., transposé entre b 5 et 6 ; cf. p. 5 n. 2. 

3. 228 b 6 δέ τῳ, correction ἀ Ἢ. Estienne, adoptée par Thompson 
et Vollgraff ; 241 d 5 σε μεσοῦν, avec Hermann, au lieu de γε μεσοῦν 
des mss. et des autres éditeurs, ce verbe s’employant en effet ordi- 
nairement avec un sujet de personne (ex. Banquet 175 c 7) et le 
complément d'objet au génitif ; 244 d 7 ἔνι τισί, correction suggérée 
par Thompson ; 249 d 7 τε καί placé devant προθυμούμενος, avec 
Spengel, au lieu de l’être devant ἀναπτερούμενος 6, cf. p. 4a n. 3; 
255 c 8 ἀναπληρῶσαν, avec Heindorf, car, si le courant ἃ fait l’âme 
de nouveau ailée (ἀναπτερῶσαν codd., Eusèbe), on ne comprend plus 
l'effet dont il est ensuite question ; 258 a 1, sans accepter la sup- 
pression de ἀνδρός proposée par Bergk et qui ne paraît pas indispen- 
sable, j’adopte sa correction συγγράμματος au lieu de συγγράμματι, 
codd. ; 260 b 9, en outre de στρατείας au lieu de στρατιᾶς (à l’armée), 
j'adopte avec Burnet et Vollgraff le πρός γ᾽ ἐνεγχεῖν de Thompson, au 
lieu du προσενεγχεῖν des mss., contre lequel celui-ci a apporté 
d’excellentes raisons ; 260 c 3, en accord avec un passage du Philèbe 
(cf. p. θτ n. 2), j'ai écrit comme Burnet γελοῖον χαὶ φίλον, ce qui 
paraît avoir été le texte d’Hermias et répond en tout cas à son inter- 
prétation (220, 15 sq.). 

ἡ. 244 e 3, quoique le αὐτὴν ἔχοντα d’Aristide ou le εὖ ἑαυτῆς 
ἕχοντα de Richards pussent être tentants, j’ai cependant gardé le τὸν 
ἑαυτῆς ἔχοντα des mss, en donnant à ce dernier mot le sens de μετέ- 
χοντα, comme dans OËdipe Roi, v. 709 ;. 253 a 6 je n’ai pas osé 
suivre Geer en écrivant Διονύσου au lieu de-Atés, mais cette correc- 
tion me semble néanmoins très probable, cf. p. 48 n. 1 (49). 


x 


CLXXXIV PHÈDRE 


j'ai rétabli, dans la première lecture’ que donne Phèdre du 
discours de Lysias, la conformité du texte avec celui qu’il lit 
la seconde et la troisième fois ‘. En plusieurs cas, en revanche, 
le texte des manuscrits m'a semblé devoir être maintenu?. 
Dans d'autres cas cependant, c’est pour la leçon des Papyrus 
que je me suis décidé ὃ. Enfin, pour ce qui est de la ponctua- 


1. Puisque Phèdre lit et relit son cahier, il est peu naturel qu'il 
y lise une fois γενομένων τούτων (230 6 7), et, les deux autres fois, 
τούτων γενομένων. La divergence n’existe d’ailleurs que dans B. 

2. 232 ἃ 7, avec Burnet je repousse la correction de Heindorf σ᾽ ὑπ᾽ 
ἐχείνων au lieu de ὑπ᾽ ἐχείνων, car celui qui croit devoir à son mérite 
d’avoir réussi dans son entreprise aura des satisfactions. d’orgueil à 
voir qu’on recherche le jeune garçon qui a cédé à ce mérite et se 
sentira personnellement insulté par ceux qui ne font aucun cas de sa 
conquête (cf. p. Lxvi n.); 236 ὁ 3 je garde εὐλαδήθητι qui est dans 
tous les mss. et, avec T, je 115 à la 1. 2 ἵνα δέ, en coupant la phrase 
après εἶ : ce dé me paraît en effet répondre au μέν de la ligne avant, 
et, à εὐλαδήθητι que je lie à xai μὴ βούλου, répond c 7 un autre impé- 
ratif ἀλλὰ διανοήθητι (cf. p. xxx1 n. 1) ; 238 a 6 χεχλῆσθαι, que lit aussi 
Stobée, me paraît devoir être préféré à la leçon de Β χεχτῆσθαι : quand 
on ἃ une passion dominante ou qu’on est possédé par elle (a 5,b ἃ sq.), 
on ést appelé d’un certain nom ; sur 245 d3ete 1, cf. p.34 ἢ. τ ἃ 
et Notice p. zxxvir sq. ; 246 ἃ 6, cf. p. 35 n. 2 : il n’y ἃ pas de raison 
de préférer à la leçon des mss. ἔοιχέ τῳ δή ou δή τῳ la variante 
signalée dans T et dans W ἐοιχέτω δή ; 248 b 6 δή, donné par les 
mss. et par le lemme d’Hermias, me paraît, étant repris à 7, devoir 
être gardé ici, et de même b 7 où ἐστιν malgré sa proximité de où δὴ 
ἕνεχ᾽, qui peut faire penser à l'interprétation d'une dittographie 
initiale’; 249 c 1 le neutre ἰόν, grammaticalement injustifiable, est 
cependant maintenu comme se rapportant au groupe ἄνθρωπον 
ξυνιέναι, et d’ailleurs garanti par l’accord des mss. avec un lemme 
d'Hermias (234, 22), cf. p. XIV n. 1. 

3. 228 b 7 idwv, après ἰδὼν μέν, que l’on cherche, soit à corriger, 
soit à justifier par un étrange motif (p. 3 n. 2), n’est pas répété dans 
l'Oxy. 1016 et il est d’ailleurs suspecté par un reviseur de T; 
420. ὁ ἡ τὰ τοιαῦτα est bien meilleur que αὐτά et surtout que ταῦτα ; 
245 c 6 αὐτοχίνητον, pour les raisons données p. Lxxvir n. 1 et p. 33 
n. 3, doit être préféré à ἀειχίνητον ; 246 b 7 ψυχὴ πᾶσα (cf. p. 36 
n. 1), confirmé d’ailleurs par une citation de Plotin, donne un trop 
bon sens pour que, en dépit des mss., on ne tienne pas compte du 
fait que cette leçon est retenue en outre par Eusèbe et par Simplicius ; 
248 ἃ 2 le pluriel θεοῖς, puisqu'il s’agit en général des âmes autres 
que celles des dieux, ést plus naturel que le singulier θεῷ des mss., 


NOTICE CLXXXV 


tion, je l’ai rarement modifiée d'une façon significative ‘. 

Il existe en français une excellente traduction du Phèdre 
par É. Chambry (avec d’autres dialogues, Classiques Garnier, 
1919) et aussi par Mario Meunier (Payot, 1922). J’ai souvent 
utilisé avec grand profit une traduction allemande anonyme, 
suivie de notes (Leipzig, 1846). Sans parler de celles qui font 
partie de collections complètes des Œuvres de Platon, il y 
a en anglais, en allemand (celle d'O. Apelt notamment), 
d’autres traductions du Phèdre, mais je n’ai pu les avoir à 
ma disposition. 

En terminant cette Notice, il m'est très agréable de témoi- 
gner ma profonde gratitude à mon collègue M. Louis Méridier 
pour l’amical dévouement avec lequel il a accepté de reviser 
tout mon travail. Celui-ci doit beaucoup à sa compétence, à 
la sûre précision de ses remarques, à son attention minutieuse. 
Il y subsiste encore assurément bien des imperfections : c’est 
qu’il ne pouvait tout redresser et aussi, j'en conviens, que 
je n'ai pas toujours suffisamment cédé à ses avis. 


et l’idée d’assimilation, exprimée par les mots χαὶ εἰχασμένη qui 
manquent en effet dans l’Oxy. 1017, est tout à fait hors de propos ; 
si d’autre part à 248 c 3 et 249 ὁ 3 on a le singulier θεῷ, c’est qu Ἢ 
3 La du cortège d’un dieu déterminé. 

. 236 ὁ 2, point en haut après εἶ, cf. p. précéd. n. 2 ; 253 a 6 je 
D comme Schanz, la virgule dédie ὥσπερ ai Βάχχαι et non 
après ce mot, cf. p. xcix n. 1 ; 269 b 2 je supprime la virgule après σύ, 
cf. p. 78 n. 2 ; 276 d 4 je lis un point au lieu d’une virgule après 
μετιόντι parce que, dans ce qui suit, on ne peut disjoindre l’opposi- 
tion du plaisir en question à d’autres plaisirs qui sont sans délicatesse. 


SIGLES ° 


B — cod. Bodleianus 39. 
T — cod. Venetus, app. class. ET. 
W — cod. Vindobonensis 54, suppl. philos. gr. 7. 


Sur les Papyrus et la tradition indirecte, voir Notice, 
Ρ- CLXXVI 864. 


Ἔν τς τ 


Re ne bo nu tes ee de ne lt 


à PEN 


227 


PHÈDRE 


[ou De la Beauté ; genre moral.] 


SOCRATE, PHÈDRE 


SOCRATE. — Où vas-tu comme cela, 
mon cher Phèdre, et d’où viens-tu ? 

Puèpre. — De chez Lysias, le fils de Céphale‘, Socrate ; et 
je vais de ce pas me promener hors des Murs: c’est que j'ai 
passé là-bas bien des heures de suite, assis depuis le petit 
matin ! Or, sur les conseils d’Acoumène ?, ton familier et le 
mien, c’est le long des grands chemins que je fais mes pro- 
menades : elles sont ainsi, dit-il, plus remontantes que celles 
qu'on fait dans les préaux.. 


Prologue. 


SOcRATE. — Etila, ma foi, raison de le dire, camarade ! 
Mais au fait, il faut croire, Lysias était donc en ville ? 
Paèpre. — Oui, chez Épicrate, dans cette maison, tu la 


vois, qui avoisine le temple de Zeus Olympien : la Mory- 
chienne ὃ. 


SocraTe. — Eh bien ! alors, à quoi passait-on le temps ? 
C’est d'éloquence, bien sûr, que Lysias vous aura régalés ? 
. Paëore. — Tu l'apprendras, si rien ne t’empêche, en 


poussant plus loin, de m’écouter. 


1. Céphale, dont Platon trace un vivant portrait au début du 
livre I de sa République, était un métèque qui possédait au Pirée une 
importante fabrique d'armes. Un autre de ses fils, Polémarque, chez 
qui se passe l'entretien sur la justice, objet de ce premier livre, sera 
mentionné plus bas, 257 b. Sur Lysias voir Notice, p. x1v sqq. 

2. Médecin renommé, père du médecin Éryximaque ; cf. 268 a. 

3. Épicrate, nous dit-on, était un orateur du parti démocratique. 
Quant à Morychus, il avait eu la réputation de mener la grande 
vie, et son nom était resté attaché à la demeure où s’étalait son faste. 


ΦΑΙΔΡΟΣ 


[ἢ περὶ χαλοῦ: ἠθιχός.] 


ΣΩΚΡΑΤΗΣ ΦΑΙΔΡΟΣ 


ΣΩΚΡΑΤΗΣ. Ὦ φίλε Φαῖδρε, ποῖ δὴ καὶ πόθεν ; 

ΦΑΙΔΡΟΣ. Παρὰ Λυσίου, ὦ Σώκρατες, τοῦ Κεφάλου" 
πορεύομαι δὲ πρὸς περίπατον ἔξω τείχους, συχνὸν γὰρ 
ἐκεῖ διέτριψα χρόνον, καθήμενος ἐξ, ἑωθινοῦ. Τῷ δὲ σῷ 
καὶ ἐμῷ ἑταίρῳ πειθόμενος ᾿Ακουμενῷ, κατὰ τὰς δδοὺς 
ποιοῦμαι τοὺς περιπάτους" φησὶ γὰρ ἀκοπωτέρους εἶναι 
τῶν ἐν τοῖς δρόμοις. 

ΣΩ. Καλῶς γάρ, ὦ ἑταῖρε; λέγει. ᾿Ατὰρ Λυσίας ἦν, ὡς 


ἔοικεν, ἐν ἄστει : 


221 


b 


PAI. Ναί, παρ᾽ ᾿Ἐπικράτει, ἐν τῇδε τῇ πλησίον τοῦ 


᾿ὈΟλυμπίου οἰκίᾳ, τῇ Μορυχίᾳ. 

ΣΩ. Τίς οὖν δὴ ἦν ἣ διατριβή ; Ἢ δῆλον ὅτι τῶν λόγων 
ὕμᾶς Λυσίας εἵἷστία : 

ΦΑΙ. Πεύσει, εἴ σοι σχολὴ προϊόντι ἀκούειν. 


Τιτυτῦβ.: περὶ χαλοῦ BTW x. ἔρωτος Diog. La. ΠῚ 58 ; ἠθιχός B? 
(alia manu) Diog. La. ibid. 

227 a 3 δὲ : δὴ Dionys. || πρὸς περίπατον ἔξω τείχους : Ë. τ. πρ. π. 
Hermias | τείχους : TE! 8. U. Oxy. Il a βειχρον O7. || 5 * Axovu- 
μενῷ: -μένῳ codd. || 6 φησὶ : -σὶν T Oxy. || b 2 γάρ, D: γεφηὼ Oxy. 
[| ἦν (et Oxy. Hermi.!) : ἦν ἄρ᾽ sc I 4 τοῦ ᾿Ολυμπίου : om. 
Oxy. τ. -πιείου Vollgraff || 6 δὴ : om. TW || ἢ : ἢ BT || 7 εἱστία : 
totia Oxy. || 8 πεύσει : -on W δώ: ὍΣ, 


227b 


228 


PHÈDRE 2 


SocraTe. — Quelle idée ! Ne suis-je pas à tes yeux, comme 
dit Pindare, homme à sacrifier tout empéchement au soin 
d'écouter ce à quoi vous passiez votre temps, Lysias aussi 
bien que toi ? 


Puèpre. — Avance, alors ! 
SocrATE. — Tu peux parler. 
Paèpre. — Eh ! oui, Socrate, d'autant 


Phèdre, auditeur qu’elle est de ton ressort, la chose qu’il 
" ds noel ἥ s’agit d'écouter. La question en effet dont 
sur l'amour. nous nous occupions avait, je ne sais . 

comment, rapport à l'amour‘. Lysias, il 
faut te dire, a mis en écrit la séduction d’un beau garçon, et 
non par un amant! Mais, c’est même justement là qu'est 
l'ingéniosité, il dit qu’on doit donner ses faveurs à celui qui 
n'aime pas, plutôt qu'à celui qui aime. 

SocrATE. — Ah ! le brave homme ! Que n'’écrit-il que c’est 
obligatoirement au pauvre plutôt qu’au riche, au vieux plutôt 
qu’au jeune ; sans parler de toutes les misères qui me sont 
personnelles, comme à la plupart d’entre nous ! Voilà en effet 
des propos dont la civilité servirait aussi l'intérêt des 
gens?... Aussi, ma foi, me suis-je senti une telle envie de 
t’écouter que, devrais-tu en faisant ta promenade marcher 
jusqu'à Mégare, et, selon la méthode d’Hérodicus ὃ, aller de là 
jusqu'aux Murs pour revenir ensuite sur tes pas, non, je ne 
me laisserais pas lâcher par toi d’une semelle ! 

Puèpre. — Qu'est-ce à dire, excellent Socrate? T'ima- 
gines-tu que des choses dont la composition a été pour Lysias 
l'affaire de beaucoup de temps et d’une patiente étude, pour 
lui le plus habile des écrivains actuels, ces choses-là, moi un 
profane, je les redirai par cœur d’une façon digne de cet 
homme ? Ah ! il s’en faut de beaucoup ; et pourtant, oui, bien 
davantage le souhaiterais-ie que de me voir tomber une 
grosse fortune *.… 

SocraTe. — O Phèdre, si de moi Phèdre est ignoré, c’est 
que j'ai perdu jusqu’à la conscience de ce que je suis! Mais 


1. Voir Banquet 177 ἃ οὐ p.72, π. 1. 

2. Démagogie humanitariste ; cf. Aristophane, Nuées 204 sq. 

3. Médecin et maître de culture physique (Prot. 316 e, Rép. ΠῚ 
4o6 a); il élait de Mégare, puis s'était installé à Sélymbrie. 

ἡ. Phèdre est pauvre, mais plus avide d'instruction que de ri- 
chesse. Sur ce trait de son caractère, cf. Banquet, Notice p. xxxvi1 sq. 


2 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ. 227b 

ΣΩ. Τί δέ; οὐκ ἂν οἴει με, κατὰ Πίνδαρον καὶ ἀσχο- 
λίας ὑπέρτερον πρᾶγμα ποιήσασθαι τὸ σήν τε καὶ 
Λυσίου διατριθὴν ἀκοῦσαι ; 

ΦΑΙ. Πρόαγε δή. c 

ΣΩ. Λέγοις ἄν. 

PAI. Καὶ μήν, ὦ Σώκρατες, προσήκουσά γέ σοι À ἀκοή᾽ 
ὃ γάρ τοι λόγος ἦν περὶ ὃν διετρίθομεν, οὐκ. οἶδ᾽ ὅντινα / 
τρόπον, ἐρωτικός. Γέγραφε γὰρ δὴ ὃ Λυσίας πειρώμενόν 
τινα τῶν καλῶν, οὐχ ὕπὸ ἐραστοῦ δέ" ἀλλ᾽ αὐτὸ δὴ τοῦτο 
καὶ κεκόμψευται, λέγει γὰρ ὧς χαριστέον μὴ ἐρῶντι μᾶλλον 
ἢ ἐρῶντι. 

ΣΩ. Ἂ γενναῖος: εἴθε γράψειεν ὡς χρὴ πένητι μᾶλλον 
ἢ πλουσίῳ, καὶ πρεσθυτέρῳ ἢ νεωτέρῳ, καὶ ὅσα ἄλλα ἐμοί 
τε πρόσεστι καὶ τοῖς πολλοῖς uôv À γὰρ ἂν ἀστεῖοι καὶ d 
δημωφελεῖς εἶεν οἵ λόγοι. Ἔγωγ᾽ οὖν οὕτως ἐπιτεθύμηκα 
ἀκοῦσαι, ὥστ᾽ ἐὰν βαδίζων ποιῇ τὸν περίπατον Μέγαράδε 
καί, κατὰ ἫἩρόδικον, προσθὰς τῷ τείχει πάλιν ἀπίῃς, où 
μή σου ἀπολειφθῶ. 

ΦΑΙ. Πῶς λέγεις, ὦ βέλτιστε Σώκρατες ; Οἴει με, ἃ 
Λυσίας ἐν πολλῷ χρόνῳ κατὰ σχολὴν συνέθηκεν, δεινό- 228 
τατος dv τῶν νῦν γράφειν, ταῦτα ἰδιώτην ὄντα ἀπομνη- 
μονεύσειν ἀξίως ἐκείνου ; Πολλοῦ γε δέω: καίτοι ἐθουλόμην 
γ᾽ ἂν μᾶλλον ἤ μοι πολὺ χρυσίον γενέσθαι. 

ΣΩ. Ὦ Φαῖδρε, εἰ ἐγὼ Φαῖδρον ἀγνοῶ, καὶ ἐμαυτοῦ 
ἐπιλέλησμαι. ᾿Αλλὰ γὰρ οὐδέτερά ἐστι τούτων. Εὖ οἷδα ὅτι, 


b 9 δέ: δαί B Οχγ. || το ποιήσασθαι Oxy. Par. 1811 : -σεσθαι 
codd. || σήν (et Oxy.): τεήν G (Ven. app. class. 4, 54) Burnet || 
© ἡ ἦν: om. Oxy. || γὰρ : μεν yap Oxy. || 6 ὑπὸ : ὑπ᾽ Oxy. (ut uid.) 
IL 7 γὰρ : om. Oxy. (ut uid.) || μὴ ... ἢ : to un ... ἡ τω Oxy. || 9 ὦ : 
& ΤῊ ὦ B Hermi.! || 10 ὅσα (et Oxy.) : ὅσ᾽ B || ἃ τ πρόσεστι W2 
rec.: πρὸς ἐστι W -tiv Οχγ. || ἂν : ἂν ἅμ᾽ ci. Richards || 2 ἔγωγ᾽ οὖν: 
χαι eywye Oxy. οὖν 5. ἃ. Oxy.? ἔγωγε μέντοι uel ἐγὼ δὲ χαὶ νῦν οἱ. 
Herwerden ἔγωγ᾽ ὅμως Vollgr. || 3 ἀχοῦσαι : αυὐτων ax. Oxy. || ὥστ᾽ 
ἐὰν: ὥστε ἂν W -τε ἀν T ὥ, κἂν Vollgr. || 228 ἃ 1 συνέθηχεν (et 
Oxy.): -χε BW || 4 πολὺ (et Οχγ.): πολὺν T || 6 γὰρ ... τούτων (et Oxy. 
Hermi.) : auct. Naber del. Vollgr. || ἐστι : -τιν Oxy. || εὖ : εὖ δ᾽ T Oxy. 


228 a 


PHÈDRE 3 


non, la vérité est que ce n’est ni l’un ni l’autre. J’en suis 
bien certain : puisque c'était de Lysias qu'il écoutait un 
discours, une seule audition ne lui a pas suffi, mais à maintes 
reprises, revenant à la charge, il a voulu se le faire dire, et 
l’autre à lui obéir a mis de l’empressement. Pour lui cepen- 
dant ce n'était pas encore assez, mais finalement des mains de 
celui-ci il a pris le cahier, et le voilà revoyant les passages 
qu'il désirait le plus revoir ; enfin, las de travailler ainsi et 
d’être resté assis depuis le petit matin, le voilà parti pour sa 
promenade, ayant déjà (c'est, par le chien! ce que je crois) le 
discours dans la tête, d’un bout à l’autre, à moins qu’il ne fût 
très long. Et, s’il s’en allait hors des Murs, c'était pour 
s’exercer à le réciter ! Or, voici qu’il tombe sur un homme‘ 
dont c’est la maladie d'écouter des discours ; en le voyant ?, il 
s'est réjoui d’avoir là celui qui s’associerait à son délire 
cor ybantique #, et il l’a invité à pousser plus avant. Mais, prié 
de parler par celui qui se passionne pour les discours, voilà 
qu'il faisait des manières, tout comme s’il ne grillait pas de 
parler ! Et, pour finir, il était sur le point, au cas où l’on 
n'aurait pas consenti à l'écouter, de se faire entendre par 
force! A toi donc, Phèdre, puisque bientôt il ne manquera pas 
de s’exécuter, de lui demander que ce soit dès maintenant. 

Paäpre. — Pour moi, en vérité, le meilleur parti, et de 
beaucoup, c’est de parler comme je pourrai ; attendu que tu 
me lais l’effet, toi, de n’être pas le moins du monde prêt à 
me laisser partir, que je n'aie, n'importe comment, pris la 
parole ! 

SocraTE. — En effet, tu vois tout à fait juste en ce qui 
me concerne. 

Paëpre. — Eh bien donc ! soit: je ferai comme j'ai dit. 
En réalité, vois-tu, ce qu’il y a surtout, Socrate, c’est que je 
n'ai pas appris à fond le mot à mot du discours. Pour ce qui 
est toutefois du raisonnement, en presque tout ce qu'a dit 


1. Ou, en lisant autrement, sur l’homme dont..., comme si de 
Socrate c'était la passion notoire. N'est-ce pas plutôt un rappel de ce 
concours oraloire auquel Platon le fait participer dans le Banquet ? 

2. La répétition, dans de bons manuscrits, de ces deux mots tra- 
duirait, dit-on, l’enthousiasme excité en Phèdre par cette rencontre ! 

3. Les danses des Corybantes, prêtres de la Déesse-Mère (Cybèle), 
avaient, par leur furieuse agitation, les apparences d’une passion 
forcenée, telle qu'est celle de Phèdre pour les discours. 


3 , ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


Λυσίου λόγον ἀκούων, ἐκεῖνος οὐ μόνον ἅπαξ, ἤκουσεν, 
ἀλλὰ πολλάκις ἐπαναλαμθάνων ἐκέλευέν οἷ λέγειν, ὃ δὲ 
ἐπείθετο προθύμως. Τῷ δὲ οὐδὲ ταῦτα ἦν ἱκανά, ἀλλὰ 
τελευτῶν, παραλαθὼν τὸ βιθλίον, ἃ μάλιστα ἐπεθύμει 
ἐπεσκόπει, καὶ τοῦτο δρῶν ἐξ, ἑωθινοῦ καθήμενος ἀπειπών, 
εἰς περίπατον ει, ὡς μὲν ἐγὼ οἶμαι νὴ τὸν κύνα, ἐξεπι- 
στάμενος τὸν λόγον εἰ μὴ πάνυ τι ἦν μακρός. ᾿Επορεύετο 
δ᾽ ἐκτὸς τείχους, ἵνα μελετῴη. ᾿Απαντήσας δέ τῷ νοσοῦντι 
περὶ λόγων ἀκοήν, ἰδὼν μέν, ἥσθη ὅτι ἕξοι τὸν συγκορυ- 
᾿θαντιῶντα, καὶ προάγειν ἐκέλευε. Δεομένου δὲ λέγειν τοῦ 
τῶν λόγων ἐραστοῦ, ἐθρύπτετο ὡς δὴ οὖκ ἐπιθυμῶν λέγειν" 
τελευτῶν δὲ ἔμελλε καί, εἰ μή τις Ékov ἀκούοι, βίᾳ ἐρεῖν. 
Σὺ οὖν, ὦ Φαῖδρε, αὖτοθ δεήθητι ὅπερ τάχα πάντως 
ποιήσει νῦν ἤδη ποιεῖν. 

ΦΑΙ. Ἐμοὶ ὧς ἀληθῶς πολὺ κράτιστόν ἐστιν οὕτως 
ὅπως δύναμαι λέγειν, ὥς μοι δοκεῖς σὺ οὐδαμῶς με ἀφήσειν 
τιρὶν ἂν εἴπω ἁμῶς γέ πως. 

ΣΩ. Πάνυ γάρ σοι ἀληθῆ δοκῶ. 

ΦΑΙ. Oôtoot τοίνυν ποιήσω. Τῷ ὄντι γάρ, ὦ Σώκρατες, 
τιαντὸς μᾶλλον τά γε ῥήματα οὐκ ἐξέμαθον. τὴν μέντοι διά- 
νοιαν, σχεδὸν ἁπάντων οἷς ἔφη διαφέρειν τὰ τοῦ ἐρῶντος ἢ 


a 8 ἀλλὰ (et Oxy.): ἀλλὰ καὶ Hermi.r || b 2 ἐπεθύμει (et Οχγ.): 
ἐτεθαυμάχε: ci. Badham || 3 χαθήμενος (et Oxy.) : secl. Hirschig || 4 ἐγὼ 
οἷμαι : εγωμαι Oxy. || 5 τὸν : om. W Oxy. || πάνυ τι Oxy.: x. τις 
codd. Thompson || 6 δ᾽ : de Oxy. || dé τῳ Stephan. : δὲ τῷ codd. Schanz 
Burnet || 7 ἰδὼν μὲν T? (et Oxy.) : ἰδ. μι. ἰδών ΒΤ (ἰδ. exp.) W Thomp- 
son Burnet ἰδ. uw. ἰών Ven. 54 (G) ἰόντα uulg. εἷς ὧν Winckelmann 
ἰδίᾳ olim Schanz ἐννοῶν Vahlen εἰδὼς Kramm αὐτόν Richards? || συγχο- 
ρουδαντιῶντα : Evyx. Oxy. || G 1 προάγειν (et Oxy.): προσάγ. W || ἐχέ- 
eve : fort. δὴ uel γε ἐχ. Oxy. || τοῦ ... ἐραστοῦ : secl. Hartman 
1 3 ἔμελλε: ελεγεν Oxy. || 6 ἐμοὶ (et Oxy.): ἐμ. οὖν uel μὲν οὖν 
Heindorf Εἶεν: ἐμοὶ Klopfer || 7 δύναμα: (fort: α ex ὦ T): εἼαν δυνω- 
wat Oxy. || d τ οὑτωσὶ : outw Oxy. || τοίνυν (et Oxy.? tot s. u.): νυν 
Oxy. || 3 ἁπάντων : παντων Oxy. (ut uid.) || ἐρῶντος ἢ τὰ τοῦ μή: 
un te. ci. Vollgr., qui reliqua damnat || ἢ (et Oxy.): καὶ Hirschig 
Vollgr. 


228 a 


228 ἃ 


229 


PHÈDRE : 4 


Lysias sur la différence de l’homme qui aime comparé à 
l’homme sans amour, chacun des points, je l’exposerai som- 
mairement dans l’ordre, à commencer par le premier. 
SocRATE. — Bon, quand premièrement, 
cher amour, tu m'auras fait voir ce 
qu’en ta main gauche tu peux bien tenir 
là, sous ton manteau... Je gage en effet que c’est le discours 
lui-même ! Mais, si c’est bien cela, mets-toi sur mon compte 
ceci dans l'esprit, que moi je t’aime beaucoup, mais que, 
avec Lysias ainsi présent lui aussi, je ne suis pas du tout 
décidé à me laisser utiliser pour te permettre de répéter ta 
leçon ! Eh bien ! allons, fais voir. 

Paire. — En voilà assez! Tu as de ce coup, Socrate, 
culbuté mon espoir de te prendre pour champ de mon 
entraînement! ! Mais dis-moi, où veux-tu que nous nous 
asseyions pour faire notre lecture ? 

SOCRATE. — Quittons ici la route et suivons le cours de 
l’Ilissus. Après, en un endroit que tu jugeras paisible, nous 
nous asseoirons. 

Paèpre. — C'est à propos, je le vois, que je me suis trouvé 
à être sans chaussure ! Quant à toi, c’est ton habitude, on le 
sait ?. De la sorte il nous sera tout à fait facile, en y trempant 
nos pieds, de suivre ce filet d’eau; et ce ne sera pas désa- 
gréable, en cette saison surtout et à ce moment de la journée ὃ. 

SOCRATE. — Avance donc et, tout en 


du la ra cv marchant, examine où nous pourrons 
retr . 
une Teiralle ous asseoir. 


en suivant Ἶ : 
l'Ilissus. Paèpre. — Vois-tu là-bas ce très- 


haut platane ? 
Socrate. — Eh bien ? 


II a sur lui 
le discours. 


1. Si l’on ἃ sous la main le discours même de Lysias, pourquoi 
Socrate se prêterait-il à servir à Phèdre de terrain d’expérience, 
afin qu’il s’assure si son exercice de mémoire est au point? Cf. 
Notice, p. xxviretn. 1. 

2. C’est un trait bien connu (Banquet 174 a, 220 b) et que note 
aussi Aristophane dans les Nuées (103, 363). Quant à Phèdre, s’il est 
nu-pieds, peut-être n'est-ce pas par hasard, mais pour se conformer, 
c’est son faible, à quelque prescription médicale (cf. Banquet, Notice 
p. xxxvi1). 

3. C'est le plein été, la rivière est presque entièrement à sec, et il 
va bientôt être midi (cf. 230c, 242 a, 258 6 sq., 259 d, 279 b). 


ἃς 


4 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


τὰ τοῦ μή, ἐν κεφαλαίοις ἕκαστον ἐφεξῆς δίειμι, ἀρξάμενος 
ἀπὸ τοῦ πρώτου. 

ΣΩ. Δείξας γε πρῶτον, ὦ φιλότης, τί ἄρα ἐν τῇ ἄρι- 
στερᾷ ἔχεις ὑπὸ τῷ ἱματίῳ" τοπάξζω γάρ σε ἔχειν τὸν λόγον 
αὐτόν. Εἰ δὲ τοῦτό ἐστιν, οὑτωσὶ διανοοῦ περὶ ἐμοῦ, ὡς 
ἐγώ σε πάνυ μὲν φιλῶ, παρόντος δὲ. καὶ Λυσίου, ἐμαυτόν 
σοι ἐμμελετᾶν παρέχειν οὐ πάνυ δέδοκται. ᾿Αλλ᾽ ἴθι, 
δείκνυε. 

ΦΑΙ. Made: ἐκκέκρουκάς με ἐλπίδος, ὦ Σώκρατες, ἣν 
εἶχον ἐν σοὶ ὡς ἐγγυμνασόμενος. ᾿Αλλὰ ποῦ δὴ βούλει 
καθιζόμενοι ἀναγνῶμεν : 

ΣΩ. Δεῦρ᾽ ἐκτραπόμενοι, κατὰ τὸν ᾿Ιλισὸν ἴωμεν" εἶτα 
ὅπου ἂν δόξη ἐν ἡσυχίᾳ καθιζησόμεθα. 

ΦΑΙ. Εἰς καιρόν, ὡς ἔοικεν, ἀνυπόδητος ὧν ἔτυχον σὺ 
μὲν γὰρ δὴ ἀεί. Ρᾶστον οὖν ἡμῖν κατὰ τὸ ὕδάτιον βρέχουσι 
τοὺς πόδας ἰέναι, καὶ οὐκ ἀηδές, ἄλλως τε καὶ τήνδε τὴν 
ὥραν τοῦ ἔτους τε καὶ τῆς ἡμέρας. 

ΣΩ. Πρόαγε δή, καὶ σκόπει ἅμα ὅπου καθεδούμεθα. 

ΦΑΙ. ὋὉρᾶς οὖν ἐκείνην τὴν ὑψηλοτάτην πλάτανον ; 

ΩΤ μήν; 


d 4 κεφαλαίοις : x. ουν Οχγ. || ἕχαστον (et Οχγ.) : om. Β et, exc. 
Burnet, edd. omnes. || 6 τί ἄρα ἐν: τί ἄ. ὃ ἐν ΤῊ o εν Oxy. || 7 τῷ 
ἱματίῳ : τὸ ἱμάτιον Hermi. || 6 1 δὲ καὶ Λυσίου: δὲ À. TW Οχγ. Schanz 
Vollgr. δ᾽ ἐχείνου Badham || 3 δείχνυς (et Οχγ.) : -νυ Hirschig et, 
exc. Burnet, omnes || 4 ἐχκχέχρουχάς W2 rec. 1. m. (et Oxy ) : ëyx. W 
|| ἐλπίδος : των (exp.) ελπιδος Oxy. -dwv fort. prius scripserat || 5 ποῦ : 
ποι Oxy. probat Wilamowitz Platon? II 363 || 6 χαθιζόμενοι : χαθεζ. 
Vindob. 89 Hermi. Stallb. Vollgr. || 229 a τ δεῦρ᾽: -ρο Oxy. Hermi.! 
[| Ἰλισὸν Oxy.: -σσὸν codd. || 2 ὅπου (et Oxy.): ὅπη W sed ὅπου 7 || 
av: eav Oxy. || ἐν ἡσυχίᾳ : χαθ ἡσυχιαν Oxy. || καθιζησόμεθα (et Oxy., 
Anecd. gr. L 101): -εζώμεθα Stephan. -εδούμεθα Vollgr. ex Oxy. in u. 
7 || 4 δὴ : om. Oxy. Ven. 184 || ἀεί (et Oxy.) : ai. TW || ῥᾷστον: 
θασσον ουν Oxy. ἄριστον οὖν ci. Naber || 5 τοὺς : τοὺ sic B || 6 ἔτους : 
ἕτου B || 7 προάγε δὴ καὶ σχόπει (et Oxy.) : πρός γε δὴ σχ. W || ἅμα: 
om. Oxy. Vollgr. || χαθεδούμεθα Oxy.: -ἰζησόμεθα codd. et, exc. 
Vollgr., omnes. 


228d 


229 


229b 
b 


PHÈDRE 5 


Puèpre. — C'est là qu’il y a de l'ombre, une brise mo- 
dérée, du gazon pour nous asseoir et, si nous le voulons, pour 


nous étendre. 


SOCRATE. — Si tu Ru 

Puèpre. — Dis-moi, Socrate, n'est-ce pas en vérité de 
quelque part ici, de l'Ilissus, que Borée selon la légende en- 
leva Orithye!? Ou bien est-ce de la colline d’Arès? La légende 
en effet admet aussi cette autre version, que c’est de là et non 
point d’ici, qu’elle a été enlevée?. 

SOCRATE. — Elle l’admet en effet. 

Puèpre. — Enfin voyons ! est-ce d’ici? Quel charme, 
conviens-en, quelle pureté, quelle transparence offrent aux 
yeux ces filets d’eau, et comme leurs bords se prêtent bien à 
des amusements de jeunes filles ! 

SocraTE. — Non, c’est plutôt en contre-bas, à quelque 
deux ou trois stades, à l'endroit où nous passons la rivière 
dans la direction du sanctuaire Δ᾽ Ἄρτα ὃ : il y a là justement 
un autel de Borée. 

Paëbre. — Tiens! je ne m'en suis pas du tout aperçu. 
Mais, par Zeus ! explique-toi, Socrate, sur cette fable ! Crois- 
tu, toi, qu'elle soit vraie ὃ 
SOCRATE. — Si; j'étais, comme les Doctes, 
un incrédule, je ne serais pas un extra- 
vagant ἡ ; ensuite, doctement, je déclarerais qu’elle a été poussée 
par un vent boréal en bas des rochers voisins, tandis qu’elle 


Mythologie. 


jouait avec Pharmacée, et que des circonstances mêmes de sa 


mort est née la légende de son enlèvement par Borée. Quant 
à moi, j'estime d’ailleurs que des explications de ce genre, 
Phèdre, ont leur agrément ; mais il Υ faut trop de génie, 


1. Cette Nymphe, selon la légende, était fille d’Éréchthée, le vieux 
héros de l’Attique. Pharmacée, sa compagne (cf. c) est la Nymphe à 
qui était consacrée une fontaine, peut-être curative, près de l’Ilissus. 

2. Cette dernière phrase me paraît être, non l’interpolation d’une 
glose (Alline, Hist. du texte de Platon 267, 3), mais une omission, 
d’abord rétablie en marge, puis mal replacée dans le texte. Avec la 
transposition, la suite des idées semble plus naturelle : la réplique de 
Socrate répond exactement à la remarque de Phèdre, lequel se 
préoccupe de n’oublier aucune des versions de la légende. 

3. Agra était un dème de l’Attique ; Artémis Agrotéra où Agraïa 
n’a sans doute rien à faire ici. Cf. Notice, p. x. 

4. Au sens propre : celui qui ne suit pas les sentiers battus et dont 


5 PAIAPOZ 


PAI. ᾽Εκεῖ σκιά τ᾽ ἐστὶν καὶ πνεῦμα μέτριον, καὶ πόα 
καθίζεσθαι ἤ, ἂν βουλώμεθα, κατακλιθῆναι. ι 

ΣΩ. Προάγοις ἄν. 

ΦΑΙ. Εἰπέ μοι, ὦ Σώκρατες" οὐκ ἐνθένδε μέντοι ποθὲν 
ἀπὸ τοῦ ᾿Ιλισοῦ λέγεται ὃ Βορέας τὴν ᾿Ωρείθυιαν ἁρπάσαι ; 
Ἢ ἐξ ᾿Αρείου πάγου ; λέγεται γὰρ αὖ καὶ οὗτος ὃ λόγος, 
ὡς ἐκεῖθεν, ἀλλ᾽ οὐκ ἐνθένδε, ἡρπάσθη. 

ΣΩ. Λέγεται γάρ. ; 

PAI. *Ap° οὖν ἐνθένδε ; Χαρίεντα γοῦν καὶ καθαρὰ καὶ 
διαφανῆ τὰ ὕδάτια φαίνεται, καὶ ἐπιτήδεια κόραις παίζειν 
παρ᾽ αὐτά. 

ΣΩ. Οὔκ, ἀλλὰ κάτωθεν, ὅσον δύ᾽ ἢ τρία στάδια, ἣ 
npèc τὸ τῆς Αγρας διαθαίνομεν: καί πού τίς ἐστι βωμὸς 
αὐτόθι Βορέου. 

ΦΑΙ. Οὐ πάνυ νενόηκα. ᾿Αλλ᾽ εἰπὲ πρὸς Διός, ὦ Σώ- 
κρατες, σὺ τοῦτο τὸ μυθολόγημα πείθει ἀληθὲς εἶναι ; 

ΣΩ. ᾿Αλλ᾽ εἰ ἀπιστοίην, ὥσπερ οἵ σοφοί, oùk ἂν ἄτοπος 
εἴην, εἶτα σοφιζόμενος φαίην αὐτὴν πνεῦμα βορέου κατὰ 
τῶν πλησίον πετρῶν, σὺν Φαρμακείᾳ παίζουσαν, ὦσαι καὶ 
οὕτω δὴ τελευτήσασαν λεχθῆναι ὕπὸ τοῦ Βορέου ἀνάρ- 
Taotov γεγονέναι. Ἐγὼ δέ, ὦ Φαῖδρε, ἄλλως μὲν τὰ 
τοιαῦτα χαριέντα ἡγοῦμαι, λίαν δὲ δεινοῦ καὶ ἐπιπόνου καὶ 


b τ ἐστὶν: -τι W Oxy. || 2 καθίζεσθαι (et Oxy.): ἐγχ. auct. Her- 
werden Vollgr. || ἤ, äv: ἢ ἐὰν W Oxy. ἢ ἂν Β ἢ ἐὰν T || βουλώμεθα 
(et Oxy.): βουλό. Β || καταχλιθῆνα: (et Oxy.): -χλινῆναι Schanz Bur- 
net ἐγχαταχλινῆναι Herwerden Vollgr. || 5 ἀπὸ τοῦ ᾿Ιλισοῦ (et Oxy.): 
del. Vollgr. || ᾿Ιλισοῦ sic B (sed cf. a 1): -σσοῦ B? (c s. u ) TW || 
ἃ τ ἢ ... ἃ ἡρπάσθη (et Oxy.) auct. Heindorf huc transposui : non 
interpretatur Hermi. Auct. Bast secl. Schanz del. Vollgr. || b 7 ἐνθένδε: 
xat ενθ. Oxy. || καὶ χαθαρὰ nai διαφανῆ : x. δ. x. 240. Oxy. || τ ἧ (et 
Oxy.) : à ut uid. Β || τὸ τῆς ΓΑγρας (et Oxy. Hermi.l): τὸ τῆς. 
᾿Αγραίας B? (ais. u.) Eustath. Schol. τὸ (uel τὰ Bratuschek) ἐν "Aye. 
Burnet || διαδαίνομεν : dte6. ci. Thomps. || πού τίς (et Oxy.? σ 5. u.): 
πού τί B τουτι fort, Oxy. || 4 νενόηχα : evvev. Oxy. |] 5 σὺ : σε Oxy. || 
πείθει (et Oxy.): -4n Wexc. Thomps. omnes || 7 φαίην (et Oxy.): ὁ. ἂν 
Ast Schanz || 8 obv: ου ἡ Oxy. || Φαρμακείᾳ (et Oxy.): -κία W || 9 τοῦ: 
om. Oxy. || ἃ 3 ἄλλως μὲν : post τὰ τοιαῦτα Galen. || ἡ λίαν : λειαν Oxy. 


229b 


229 d 


230 


PHÈDRE 6 


trop d'application laborieuse, et l’on n’y trouve pas du tout 
le bonheur : ne serait-ce que parce qu’après cela, on sera bien 
forcé de remettre d’aplomb l’image des Hippocentaures, puis 
plus tard celle de la Chimère ; et nous voilà submergés par 
une foule pressée de semblables Gorgones ou Pégases, par la 
multitude, autant que par la bizarrerie, d’autres créatures in- 
imaginables et de monstres légendaires ! Si, par incrédulité, on 
ramène chacun de ces êtres à la mesure de la vraisemblance, 
et cela en usant de je ne sais quelle grossière sagesse, on n’aura 
pas le temps de beaucoup flâner ! Or ma flânerie à moi, ce 
n'est point du tout vers des explications de ce genre qu'elle 
est tournée ; et en voici, mon cher, la raison : je ne suis pas 
jusqu’ à présent capable, suivant l'inscription delphique, de 
me connaître moi-même ; je vois donc clairement le ridicule 
qu'il y aurait, pour moi à qui cette connaissance fait encore 
défaut, d'examiner les choses qui y sont étrangères. En foi de 
quoi, je donne à ces fables leur congé et, à leur sujet, je m’en 
rapporte à la tradition ; je le disais à l’instant, ce n’est point 
elles que j'examine, c’est moi-même: peut-être suis-je une 
bête plus étrangement diverse et plus fumante d’orgueil que 
n'est Typhon ?? peut-être suis-je un animal plus paisible et 
moins compliqué, dont la nature participe à je ne sais quelle 
destinée divine et qui n’est point enfumée d’orgueil ἢ... Eh 
mais ! à propos, est-ce que ne voici pas, camarade, l’arbre 
vers lequel précisément tu nous menais ? 
Puèpre. — Eh oui ! c’est lui-même. 

SocrATE. — Ah ! par Héra, le bel endroit 
pour y faire halte ! Ce platane vraiment 
couvre autant d'espace qu’il est élevé. Et ce gattilier*, qu'il 
est grand et magnifiquement ombreux ! Dans le plein de sa 
floraison comme il est, l'endroit n’en peut être davantage 
embaumé! Et encore, le charme sans pareil de cette source 


Paysage. 


l'originalité ingénue (atopia) déconcerte (Banquet, Notice cn sq.). 

1. Ces interprétalions rationalistes de la mythologie étaient en 
faveur auprès des Sophistes. En celle-ci l’étymologie semble avoir 
sa place : ainsi, Orithye serait la coureuse de montagne. 

2. Il y a là un intraduisible jeu de mots. La racine typh exprime 
une idée de fumée, de souffle : typhon est le nom d’un vent qui fume 
et celui d’un orgueilleux Géant. Or se connaitre soi-même, voir le peu 
qu’on vaut, rend modeste: a-typhos, diront plus tard les Sceptiques. 

3. Ou petit poivre, ou encore poivre de moine : arbrisseau à fleurs 


6 ΦΑΙΔΡΟΣ 


où πάνυ εὐτυχοῦς ἀνδρός, κατ᾽ ἄλλο μὲν οὐδέν, ὅτι δ᾽ αὐτῷ 
ἀνάγκη, μετὰ τοῦτο, τὸ τῶν “Ἱπποκενταύρων εἶδος ἐπανορ- 
θοῦσθαι καὶ αὖθις τὸ τῆς Χιμαίρας" καὶ ἐπιρρεῖ δὲ ὄχλος 
τοιούτων Γοργόνων καὶ Πηγάσων καὶ ἄλλων ἀμηχάνων 
πλήθη τε καὶ ἀτοπίαι τερατολόγων τινῶν φύσεων. Αἷς εἴ 
τις ἀπιστῶν προσθιβθᾷ κατὰ τὸ εἰκὸς ἕκαστον ἅτε ἀγροίκῳ 
τινὶ σοφίᾳ χρώμενος, πολλῆς αὐτῷ σχολῆς δεήσει. ᾿Εμοὶ 
δὲ πρὸς τὰ τοιαῦτα οὐδαμῶς ἐστι σχολή τὸ δὲ αἴτιον, ὦ 
φίλε, τούτου τόδε' οὐ δύναμαί To κατὰ τὸ Δελφικὸν 
γράμμα γνῶναι ἐμαυτόν’ γελοῖον δή μοι φαίνεται, τοῦτο 
ἔτι ἀγνοοῦντα, τὰ ἀλλότρια σκοπεῖν. “Ὅθεν. δή, χαίρειν 
ἐάσας ταῦτα, πειθόμενος δὲ τῷ νομιζομένῳ περὶ αὐτῶν, ὃ 
νῦν δὴ ἔλεγον, σκοπῷ οὐ ταῦτα ἀλλ᾽ ἐμαυτόν, εἴτε τι 
θηρίον τυγχάνω Τυφῶνος πολυπλοκώτερον καὶ μᾶλλον 
ἐπιτεθυμμένον, εἴτε fuepotepév τε καὶ ἁπλούστερον ζῷον, 
θείας τινὸς καὶ ἀτύφου μοίρας φύσει μετέχον. ᾿Ατάρ, ὦ 
ἑταῖρε, μεταξὺ τῶν λόγων, ἄρ᾽ οὐ τόδε ἦν τὸ δένδρον 
ἐφ᾽ ὅπερ ἦγες ἥμϑς; 

ΦΑΙ. Τοῦτο μὲν οὖν αὐτό. ; 

ΣΩ. Νὴ τὴν Ἥραν, καλή γε ἣ καταγωγή. Ἥ τε γὰρ 
πλάτανος αὕτη μάλ᾽ ἀμφιλαφής τε καὶ ὑψηλή τοῦ τε ἄγνου 
τὸ ὕψος καὶ τὸ σύσκιον πάγκαλον, καὶ ὧς ἀκμὴν ἔχει τῆς 
ἄνθης, ὡς ἂν εὐωδέστατον παρέχοι τὸν τόπον. “H τε αὖ 


ἃ 5 3’: δε Oxy. || 7 αὖθις : αυτις Oxy. || Χιμαίρας (et Galen.): 
Xeruatpne Oxy. || χαὶ alt. (et Galen.): om. Oxy. || δὲ (et Oxy. 
Galen.): δὴ Vollgr. || e 1 πλήθη ... ἀτοπίαι (et Galen.): -ει... -ίᾳ 
Oxy. (: mutum 5. u.) Par. 1811 Athen. exc. Burnet omnes. Post ἀτ. 
scrips. Oxy. θερμὴν exp. || 4 τὰ τοιαῦτα Oxy.: αὐτὰ B edd. ταῦτα ΤΥ 
reuera || 5 τούτου : του toutou Oxy. || πω (et Oxy.): που W || 6 δή (et 
Oxy. Procl. (Alcib. I 289, 5): δέ Vindob. 80 Heindorf Schanz Vollgr. 
||. 230 a 3 νῦν δὴ : νυνδὴ Schanz Burnet || ἀλλ᾽ : τὰ T Oxy. || 4 θηρίον 
(et Oxy.): 0. ὃν TW Burnet 0. ὧν uulg. Vollgr. || 5 ἐπιτεθυμμένον 


(et Oxy.): pr. μι eras. ΒΞ sic Plut" (adu. Col. 21, 1119 b) τεθυωμ.- 


ci. Naber cf. Photi. ἔτι τεθ. ci. Ruhnken || b 3 ἄγνου: ἅγν. W || 
ἡ χαὶ ὡς (et Oxy.): 2. οὕτως ci. Heindorf x. ἱχανῶς Winckelm. χα’ 
πως Madvig χαὶ Schanz Vollgr. χαλῶς τ᾿ uel xai χαλῶς ci. Richards. 


229 e 


΄ 


{ 


230 


PHÈDRE ᾿ 7 


qui coule sous le platane, la fraicheur de son eau : il suffit de 
mon pied pour me l’attester ! C’est à des Nymphes, c’est à 
Achéloüs, si j'en juge par ces figurines, par ces statues de 
dieux ‘, qu’elle est sans doute consacrée. Et encore, s’il te 
plaît, le bon air qu'on ἃ ici n’est-il pas enviable et prodi- 
gieusement plaisant ? Claire mélodie d’été, qui fait écho au 
chœur des cigales? ! Mais le raffinement le plus exquis, c’est 
ce gazon, avec la douceur naturelle de sa pente qui permet, 
en s’y étendant, d’avoir la tête parfaitement à l’aise. Je le 
vois, un étranger ne peut avoir de meilleur guide que toi, 
mon cher Phèdre ! 

Paèpre. — Et toi, mirifique ami, tu es bien le plus extra- 
ordinaire quidam qui se voie ! C’est réellement ce que tu dis : 
tu fais l’effet d’un étranger qu'on guide, et non pas d’un 
indigène. Le fait est que tu ne quittes la ville, ni pour voyager 
au delà de la frontière, ni tout compte fait, si je m’en crois, 


pour sortir hors les Murs ? ! 


SocraTEe. — Sois indulgent pour moi, mon bon ami : 
j'aime à apprendre, vois-tu. Cela étant, la campagne et les 
arbres ne consentent pas à rien m’apprendre, mais bien les 
hommes de la ville‘. Toi, pourtant, tu m'as l’air d’avoir 
découvert la drogue pour me faire sortir ! N'est-ce pas en 
agitant devant elles, quand elles ont faim, un rameau ou un 
fruit, qu'on mène les bêtes ? Ainsi fais-tu pour moi: avec 
des discours qu’en avant de moi tu tendras ainsi en feuillets, 


en grappes, violettes ou parfois blanches, très abondant chez nous sur 
le littoral méditerranéen (vitex agnus castus). 

1. Statuettes votives de terre cuite, figures en marbre d’Achéloüs, 
le patron des eaux potables et des rivières. 

2. Voir plus bas, 258 e-259 d, le mythe des Cigales. 

3. L'hyperbole est certaine. Qu'on laisse même de côté les expé- 
ditions militaires (Potidée, Délion, Amphipolis), puisque c’était alors 
le devoir civique qui appelait Socrate hors d'Athènes. On ne doit 
pourtant pas oublier que le Lycée, où il fréquentait le plus volontiers 
(Banquet p. 92, ἢ. 2), était au delà des Murs, et de même l’Académie 
où, dit-il au début du Lysis, il se rendait parfois ; et le Criton nous 
apprend (52 b) qu’il était une fois allé aux jeux Isthmiques. Sûre- 
ment les voyages, en tout cas, ne lui disaient rien : autre preuve de 
son atopia (p. 5, n. 4). Cf. aussi Ménon 80 b. 

4. Socrate, dit Diogène Laërce (II 21), aimait à définir l’objet de 
sa recherche en citant un vers d’Homère: « C'est ce qui dans les 
demeures des hommes se fait en mal tout comme.en bien. » 


- dAIAPOZ 


πηγὴ χαριεστάτη ὕπὸ τῆς πλατάνου ῥεῖ μάλα ψυχροῦ 
ὕδατος, ὥς γε τῷ ποδὶ τεκμήρασθαι: Νυμφῶν τέ τινῶν καὶ 
᾿Αχελῴου ἱερὸν ἀπὸ τῶν κορῶν τε καὶ ἀγαλμάτων ἔοικεν 
εἶναι. Εἰ δ᾽ αὖ βούλει, τὸ εὔττνουν τοῦ τόπου ὧς ἀγαπητὸν 
καὶ σφόδρα ἧδύ: θερινόν τε καὶ λιγυρὸν ὕπηχεῖ τῷ τῶν 
τεττίγων χορῷ. Πάντων δὲ κομψότατον τὸ τῆς πόας, 
ὅτι ἐν ἠρέμα προσάντει ἱκανὴ πέφυκε κατακλινέντι τὴν 
κεφαλὴν παγκάλως ἔχειν. “Ὥστε ἄριστά σοι ἐξενάγηται, ὦ 
φίλε Φαῖδρε. 

ΦΑΙ. Σὺ δέ γε, ὦ θαυμάσιε, ἀτοπώτατός τις φαίνει. 
᾿Ατεχνῶς γάρ, ὃ λέγεις, ξεναγουμένῳ τινὶ καὶ ᾿οὐκ ἐπι- 
χωρίῳ ἔοικας᾽ οὕτως ἐκ τοῦ ἄστεως οὔτ᾽ εἰς τὴν ὑπερορίαν 
ἀποδημεῖς, οὔτ᾽ ἔξω τείχους ἔμοιγε δοκεῖς τὸ παράπαν 
ἐξιέναι. | 

ΣΩ. Συγγίγνωσκέ μοι, ὦ ἄριστε. Φιλομαθὴς γάρ εἶμι- 
τὰ μὲν οὖν χωρία καὶ τὰ δένδρα οὔδέν μ᾽ ἐθέλει διδάσκειν, 
οἵ δ᾽ ἐν τῷ ἄστει ἄνθρωποι. Σὺ μέντοι δοκεῖς μοι τῆς 
ἐμῆς ἐξόδου τὸ φάρμακον εὑρηκέναι ὥσπερ γὰρ οἵ τὰ 
πεινῶντα θρέμματα, θαλλὸν ἤ τινα καρπὸν προσείοντες, 
. ἄγουσιν, σὺ ἐμοὶ λόγους οὕτω προτείνων ἐν βιθλίοις, τήν τε 


b 6 ὑπὸ τῆς πλατάνου : ὑπὸ τῇ -νῳ Aristaenet. || 7 ὥς γε Oxy. 
Aristaenet. Hermi.: ὥστε γε codd. sed in Β non omnino pri. manu 
Schanz Burnet || © 1 τὸ: om. Oxy. uacuum spatium relinquens || 
2 ἡδύ : ἤδη B Oxy. || te (et Oxy.): τέ τι Stephan. || ὑπηχεῖ τῷ B? 
rec. : vonyet τω Oxy. ὑπηχεῖτο B || 4 ἠρέμα (et Oxy. 9) : -ua T || xpo- 
σάντει B reuera || χαταχλινέντι (et Oxy.): -χλίναντι ΒΞ rec. || 7 σὺ 
Oxy.: où codd. (W reuera) || φαίνει (et Oxy.): -vn W || d τ èx 
τοῦ ἄστεως Oxy.: ἐχτ. -τεος codd. del. Vollgr. ci. dubit. οὔτ᾽ ἐξ &. || 
οὔτ᾽ εἰς : oute ες Oxy. || 2 ἀποδημεῖς (et Oxy.): -μεῖν Hirschig || 
οὔτ᾽ : -τε Oxy. || 5 μ᾽ ἐθέλει (et Hermogen.): ue θέλει B (utrum 
Oxy. incertum) Hermogen. in alio loco || 6 où fors. T? (em. parum 
distincta) Oxy.: où codd. || μέντοι : μεντοι γε Oxy. || δοχεῖς (et Oxy.): 
-εἴ B || 7 ἐμῆς (et Oxy.): om. B || εὑρηχέναι (et Oxy.): ne. exc. 
Thomps. omnes || oi: οἱ ποιμένες Vollgr. || 8 πεινῶντα : πιν. Oxy. || 
προσείοντες T? (ει s. u.) Oxy. : προσιόντες codd. || g ἄγουσιν : -οντες οἱ, 
Richards || σὺ ἐμοὶ λόγους οὕτω : outw ou μοι λογ. Oxy. || προτείνων : 
προτιν. Oxy. || ἐν βιδλίοις (et Oxy.) : auct. Hartman del. Vollgr. 


230b 


231 


PHÈDRE 8 


visiblement tu me feras circuler à travers l’Attique entière, 
et ailleurs encore, où ce serait ton bon plaisir ! Quoi qu'ilen 
soit, puisque me voici pour l'instant parvenu jusqu'ici, je 
trouve bon, pour ma part, de m'’étendre tout de mon long ! 
Α toi de prendre la position que tu jugeras la plus commode 
pour pouvoir lire, et, quand tu l’auras trouvée, fais ta 
lecture. 
Paèpre. — J'y suis! écoute. 


᾿ te « Quel est mon cas, tu en es instruit ; 

᾿ τἀ Ἀγ Ν PET «_et mon opinion sur l'intérêt que nous 
Lysias. « avons à la réalisation de ceci‘, tu l’as 

« entendue. Or, je ne crois pas que ma 

« requête doive valablement échouer pour ce motif que, 
justement, je ne suis point ton amoureux. La preuve en 
« est que les gens dont je parle, le jour où leur désir aura 
« pris fin, en viennent à regretter le bien qu'ils ont pu faire, 
« tandis que pour les autres il n’y a pas de saison où les 
« repentirs soient à propos. Ce n'est pas en effet sous la 
« pression d’une nécessité, mais librement, en s'appliquant 
« à consulter au mieux leur situation personnelle, que ces 
« derniers mesurent à ce qu’elle leur permet le bien qu’ils 
« font. Autre chose? : ceux qui aiment considèrent, et celles 
« de leurs propres affaires qu'ils ont mal réglées du fait de 


A 


‘« leur amour, et tout le bien qu'ils ont fait; y ajoutant enfin 


« ce qu’ils se sont donné de peine, ils estiment avoir depuis 
« longtemps déjà acquitté à son prix leur gratitude à l’égard 
« de leurs aimés. Ceux qui n’aiment pas n’ont lieu, au 
« contraire, ni d’alléguer cette mauvaise raison pour avoir 
« négligé leurs affaires personnelles, ni pour mettre en compte 
« toute leur peine passée, ni pour incriminer les dissentiments 
« avec la famille. D'où ilsuit que, une fois tous ces inconvé- 
« nients écartés d’autour d'eux, il ne reste plus qu’à s'empres- 
« ser de leur accorder l’acte dont on pense qu'il leur fera 
« plaisir. Autre chose : admettons qu’il faille faire grand cas 


1. C.-à-d. la réalisation de la fin poursuivie; ailleurs l'acte ou 
l'affaire. Mais le mobile n’en sera pas la passion amoureuse : à l’ori- 
gine il doit y avoir un calcul réfléchi, où le poursuivant mettra en 
balance les intérêts, matériels ou moraux, aussi bien de celui qui est 
l’objet de la poursuite, que les siens propres. 

2. C’est une façon purement verbale de lier les parties du déve- 


8 ΦΑΙΔΡῸΣ 


᾿Αττικὴν φαίνει περιάξειν ἅπασαν, καὶ ὅποι ἂν ἄλλοσε 
βούλῃ. ΝΌν δ᾽ οὖν ἐν τῷ παρόντι δεῦρ᾽ ἀφικόμενος ἐγὼ μέν 
μοι δοκῶ κατακείσεσθαι" σὺ δέ, ἐν δποίῳ σχήματι οἴει 
ῥᾷστα ἀναγνώσεσθαι, τοῦθ᾽ ἑλόμενος ἀναγίγνωσκε. 

ΦΑΙ. ἴΑκουε δή. 


« Περὶ μὲν τῶν ἐμῶν πραγμάτων ἐπίστασαι, καὶ ὡς 
« νομίζω συμφέρειν ἡμῖν τούτων γενομένων ἀκήκοας. 


LC 


= 


᾿Αξιῶ δὲ μὴ διὰ τοῦτο ἀτυχῆσαι ὧν δέομαι. ὅτι οὐκ 
« ἐραστὴς ὥν σου τυγχάνω. Ὥς ἐκείνοις μὲν τότε μετα- 
« μέλει ὧν ἂν εὖ ποιήσωσιν, ἐπειδὰν τῆς ἐπιθυμίας 
« παύσωνται: τοῖς δὲ οὐκ ἔστι χρόνος ἐν ᾧ μεταγνῶναι 
« προσήκει. Οὐ γὰρ ὕτ᾽ ἀνάγκης, ἀλλ᾽ ἑκόντες, ὡς ἂν 
« ἄριστα περὶ τῶν οἰκείων βουλεύσαιντο, πρὸς τὴν δύναμιν 
« τὴν αὑτῶν εὖ ποιοῦσιν. Ἔτι δὲ οἵ μὲν ἐρῶντες σκο- 
« ποῦσιν ἅ τε κακῶς διέθεντο τῶν αὑτῶν διὰ τὸν ἔρωτα 
« καὶ ἃ πεποιήκασιν εὖ καί, ὃν εἶχον πόνον προστιθέντες, 
« ἡγοῦνται πάλαι τὴν ἀξίαν ἀποδεδωκέναι χάριν τοῖς 
« Épouévoic τοῖς δὲ μὴ ἐρῶσιν οὔτε τὴν τῶν οἰκείων 
« ἀμέλειαν διὰ τοῦτο ἔστι προφασίζεσθαι, οὔτε τοὺς παρε- 
« ληλυθότας πόνους ὑπολογίζεσθαι, οὔτε τὰς πρὸς τοὺς 
« προσήκοντας διαφορὰς αἰτιάσασθαι. “Ὥστε, περιῃρη- 
« μένων τοσούτων κακῶν, οὐδὲν ὕπολείπεται ἀλλ᾽ ἢ ποιεῖν 
« προθύμως ὅ τι ἂν αὐτοῖς οἴωνται πράξαντες χαριεῖσθαι. 
« Ἔτι δέ, εἰ διὰ τοῦτο ἄξιον τοὺς ἐρῶντας περὶ πολλοῦ 


e 1 φαίνει (et Οχγ.): -vn W || ὅποι : οπη Oxy. || 2 νῦν δ᾽ οὖν (et 
Oxy.): νῦν οὖν BW | δεῦρ᾽ : -οο Oxy. || 3 καταχείσεσθαι (et Oxy.): 
-χεῖσθαι BW || δέ (et Oxy.): δ᾽ TW || ὁποίῳ (et Oxy.? οἱ s. u.): fors. 
ex ὅτῳ || 4 τοῦθ᾽ Oxy. : -xo codd. Schanz || ἀναγίγνωσχε (et Oxy.): 
ἀναγίν. W || 6 μὲν (et Hermi.!): y. οὖν ci. Herwerden || 7 τούτων 
γενομένων (cf. 262 e 2, 263 e 7): y. +. B edd. addub. Herwerden || 
231 a 2 σου: om. W || 3 τῆς ἐπιθυμίας παύσωνται : x. τ. ἐ. Hermi. || 
8 αὑτῶν T reuera : αὖ. BW || b 3 τοῦτο ἔστ: : -τό ἐστι codd. (T in 
compendio) τ. ἔστιν Schanz Burnet || 5 αἰτιάσασθαι : obelo not. 
Thomps. Cobeti probans αἰτιᾶσθαι quod serib. Vollgr. del. Badham 
ci. ἐπαιτιᾶ. || περιῃρημένων : περιηρ. B || © τ τοὺς B? (em.): τοῦ B. 


IV. 3. — 2 


230 e! 


231 


231 c 


232 


PHÈDRE 9 
de ceux qui aiment, parce qu'ils prétendent avoir pour 
ceux dont ils peuvent être épris une amitié particulière- 
ment vive et qu'ils sont prêts, par leurs paroles comme 
par leurs actes, à se faire détester d'autrui pour se rendre 
agréables à leurs aimés. Il est aisé de se rendre compte 
s'ils disent la vérité, par le fait que tous ceux dont ils se 
seront plus tard amourachés, d'eux ils feront un plus 
grand cas que des premiers et que, selon le caprice de ceux- 
là, ils iront évidemment jusqu'à faire du tort aux autres. 
Mais vraiment, quel bon sens y a-t-il de consentir pareil 
abandon à un homme qui éprouve pareille disgrâce, dis- 
grâce que nul ne voudrait, sachant ce qui en est, entre- 
prendre seulement de conjurer? Et le fait est qu'ils 


« conviennent eux-mêmes d'avoir la tête plus folle que bien 
« pensante, d'être aussi conscients du désordre de leur 


A 


« 


« 
« 
« 
« 
« 
« 
« 
« 
« 


pensée qu’ils le sont aussi de leur incapacité à se dominer : 
comment, par suite, une fois leur pensée rentrée dans 


l'ordre, estimeraient-ils qu'il y a quelque chose de bon : 


dans les projets qu'ils forment quand ils sont dans cet 
état? Il y a plus : s'agit-il pour toi, entre ceux qui aiment 
d'élire celui qui aime le mieux ? c’est sur un petit 
nombre que tu auras à faire ce choix ; est-ce, parmi tout 
le reste, l’homme qui te sera le plus utile ? ton choix porte 
sur un grand nombre. J’en conclus que tu as beaucoup 
plus d'espoir, au milieu de cette multitude, de mettre la 
main sur l’homme qui mérite ta propre amitié. 

« Il y ἃ plus: la règle établie, supposons-le, te fait 
craindre que, connue du public, ta conduite ne te vaille 
des reproches, Dans ce cas il y a vraisemblablement, 
chez ceux qui aiment, l'idée qu'aux yeux des autres 
ils sont aussi enviables qu'ils le sont à leurs propres yeux ; 
ils brülent de parler et, dans leur désir de se faire valoir, 
ils montrent complaisamment à tout le monde que ce 
n'est pas pour rien qu'ils se sont donné de la peine! Au 
contraire, ceux qui n'aiment pas, étant capables de se 
dominer, c’est à ce qui a le plus de valeur qu'ils donnent 
la préférence sur la réputation auprès du public. Autre 
chose : avec ceux qui aiment, une foule de gens sont for- 


loppement : celle-ci revient quatre fois dans le discours, et cinq fois, 
dont la première 231 d, une autre formule : 1 y a plus... 


9 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« ποιεῖσθαι ὅτι τούτους μάλιστά φασι φιλεῖν ὧν ἂν ἐρῶσιν, 
« καὶ ἕτοιμοί εἶσι καὶ ἐκ τῶν λόγων καὶ ἐκ τῶν ἔργων, 
« τοῖς ἄλλοις ἀπεχθανόμενοι, toc ἐρωμένοις χαρίζεσθαι, 
« βῥάδιον γνῶναι εἶ ἀληθῆ λέγουσιν, ὅτι ὅσων ἂν ὕστερον 
« ἐρασθῶσιν, ἐκείνους αὐτῶν περὶ. πλείονος ποιήσονται, 
« καὶ δῆλον ὅτι, ἐὰν ἐκείνοις δοκῇ, καὶ τούτους κακῶς 
« ποιήσουσιν. Καίτοι πῶς εἶκός ἔστι τοιοῦτον πρᾶγμα 
« προέσθαι τοιαύτην ἔχοντι συμφοράν, ἣν οὐδ᾽ ἂν ἐπιχει- 
« ρήσειεν οὐδεὶς ἔμπειρος. ὧν ἀποτρέπειν : Kal γὰρ αὐτοὶ 
« δμολογοῦσι νοσεῖν μᾶλλον ἢ σωφρονεῖν, “καὶ εἰδέναι ὅτι 
« κακῶς φρονοῦσιν ἀλλ᾽ où δύνασθαι αὑτῶν κρατεῖν: ὥστε 
« πῶς ἄν, εὖ φρονήσαντες, ταῦτα καλῶς ἔχειν ἡγήσαιντο, 
« περὶ ὧν οὕτω διακείμενοι βουλεύονται : Καὶ μὲν δή, εἰ 
« μὲν ἐκ τῶν ἐρώντων τὸν βέλτιστον αἱροῖο, ἐξ, ὀλίγων ἄν 
« σοι À ἔκλεξις εἴη εἰ δ᾽ ἐκ τῶν ἄλλων τὸν σαυτῷ ἐπιτη- 
« δειότατον, ἐκ πολλῶν ὥστε πολὺ πλείων ἐλπὶς ἐν τοῖς 
« πολλοῖς ὄντα τυχεῖν τὸν ἄξιον τῆς σῆς φιλίας. 

« Εἰ τοίνυν τὸν νόμον τὸν καθεστηκότα δέδοικας μή, 
« πυθομένων τῶν ἀνθρώπων, ὄνειδός σοι γένηται, εἶκός 
« ἐστι τοὺς μὲν ἐρῶντας, οὕτως ἂν οἱομένους καὶ ὕπὸ τῶν 
« ἄλλων ζηλοῦσθαι ὥσπερ αὐτοὺς ὕφ᾽ αὑτῶν, ἐπαρθῆναι 
« τῷ λέγειν καί, φιλοτιμουμένους, ἐπιδείκνυσθαι πρὸς 
« ἅπαντας ὅτι oùk ἄλλως αὐτοῖς πετιόνηται᾽ τοὺς δὲ μὴ 
« ἐρῶντας, κρείττους αὑτῶν ὄντας, τὸ βέλτιστον ἀντὶ τῆς 
« δόξης τῆς παρὰ τῶν ἀνθρώπων αἱρεῖσθαι. Ἔτι δὲ τοὺς μὲν 


© 2 φασι : -σιν Β || 8 ἕτοιμοί εἰσι καὶ ΒΣ rec. (i. m.): om. B et, 
exc. Burnet, omnes || 5 ὅτι ὅσων : ὁπόσον B οἵ γ᾽ ὕσων Hermann 
Vollgr. || 6 ποιήσονται : -σωνται T || 8 ποιήσουσιν : -σι W {|| ἐστὶ : -τιν 
ΤΊ! d 4 αὑτῶν : αὐ. W || 6 οὕτω T?rec. (add. acc. etws. u.) (e, notam 
argumenti diuisionis, non w, scrips. i. m. B?): οὗτοι codd. || βουλεύ- 
ovra Stephan. : βούλονται codd. obelo not. Thomps. βεξούλευνται 
Heindorf Schanz Vollgr. addub. Badham || 7 αἱροῖο: -οἴτο B || 
232 ἃ 3 τῷ λέγειν : τῳ À. T? (° eras.) τῷ. ἔχειν Badham Schanz εἰς 
+0 À. Vollgr. τοῦτο À. Bückh alia alii {| 4 οὐχ ἄλλως: οὐ καλῶς B {| 


5 αὑτῶν : αὐ. codd. || ἀντὶ : ἂν B. 


2316 


232 


232 a 


RRARRRRRRRAR ἢ 


MESA, NM DE REA REA 


* PHÈDRE 10 


cément au courant; on les a vus faire cortège à leurs 
aimés et s’en assigner l'obligation ; aussi, quand on les 
aperçoit en train de s’entretenir ensemble, on est alors 
persuadé que leur commerce suppose qu'ils ont donné déjà 
ou qu'ils vont donner satisfaction à leur désir. À l'égard 
de ceux qui n'aiment pas, au contraire, on ne cherche 
même pas à les incriminer à cause de leur commerce ; on 
sait en effet que s’entretenir avec quelqu'un est un effet 
normal de l’amitié ou de quelque autre agrément‘. Il y 
a plus : une crainte est-elle venue à ton esprit au sujet 
de la difficulté pour l'amitié de durer ? te dis-tu que, de 
quelque façon que naisse le dissentiment, elle nous sera 
commune à tous les deux la disgrâce qui en résulte, tan- 
dis que, si tu as fait abandon de ce que tu mets au plus 
haut prix, c’est pour toi que grand sera le dommage? Alors 
ce sont naturellement ceux qui aiment, qui davantage te 
feront peur : tant de choses en effet sont motifs à les cha- 
griner | toutes sont interprétées par eux comme tournant à 
leur propre dommage! Voilà justement aussi pourquoi 
tout commerce de leur aimé avec d’autres, ils cherchent à 
le conjurer, de peur que ceux qui possèdent de la fortune 
ne se servent de leur argent pour surenchérir sur eux, ou 
que ceux qui ont de l'instruction ne se servent de leur 
intelligence pour avoir sur eux le dessus ; quant à ceux qui 
possèdent quelque autre bien, c’est chaque fois contre son 
ascendant qu'ils se mettent en garde; le résultat, c’est 
qu'en te persuadant de te faire détester de ceux-ci, ils en 
viennent à faire autour de toi le vide des amitiés! Mais si, 
en considérant ton intérêt personnel, tu montres plus de 
jugement que n'en ont les gens dont je parle, c'est avec eux 
alors que tu en viendras à rompre. Quiconque justement 
est, au contraire, sans amour et doit plutôt à son mérite 
d’avoir réalisé l’objet de sa requête, celui-là ne sera pas 
jaloux de ceux qui ont commerce avec toi : ce sont plutôt 
ceux qui s’y refusent qu’il prendra en haine, dans l’idée 


1. ci, à cet amour soi-disant sans amour commence à se substituer 


subrepticement l’idée d’une amitié sophistiquée, idée qui sera plus 
ouvertement mise en lumière un peu plus loin, 232 e-233 ἃ ; voir 
aussi 231 e, 234 a. C’est sur cette équivoque que reposent la plupart 
des apologies de l’amour masculin (cf. note suiv.). 


10 : ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« ἐρῶντας, πολλοὺς ἀνάγκη πυθέσθαι καὶ ἰδεῖν ἀκολου- 
« θοῦντας τοῖς ἐρωμένοις καὶ ἔργον τοῦτο ποιουμένους, 
« ὥστε, ὅταν ὀφθῶσι διαλεγόμενοι ἀλλήλοις, τότε αὐτοὺς 
« οἴονται ἢ γεγενημένης ἢ μελλούσης ἔσεσθαι τῆς ἐπι- 
« θυμίας συνεῖναι: τοὺς δὲ μὴ ἐρῶντας οὐδ᾽ αἰτιᾶσθαι διὰ 
« τὴν συνουσίαν ἐπιχειροῦσιν, εἰδότες ὅτι ἀναγκαῖόν ἐστιν 


« ἢ διὰ φιλίαν τῷ διαλέγεσθαι ἢ δι᾿ ἄλλην τινὰ ἥδονήν.᾽ 


« Καὶ μὲν δή, εἴ σοι δέος παρέστηκεν ἡγουμένῳ χαλεπὸν 
« εἶναι φιλίαν συμμένειν καί, ἄλλῳ μὲν τρόπῳ διαφορᾶς γενο- 
« μένης, κοινὴν ἂν ἀμφοτέροις καταστῆναι τὴν συμφοράν, 
« προεμένου δέ σου ἃ περὶ πλείστου ποιεῖ μεγάλην ἄν σοι 
« βλάθην γενέσθαι, εἰκότως ἂν τοὺς ἐρῶντας μᾶλλον ἂν 
« poboto: πολλὰ γὰρ αὐτούς ἐστι τὰ λυποῦντα καὶ πάντ᾽ 
« ἐπὶ τῇ αὑτῶν βλάθῃ νομίζουσι γίγνεσθαι" διόπερ καὶ τὰς 
« πρὸς τοὺς ἄλλους τῶν ἐρωμένων συνουσίας ἀποτρέ- 
« πουσιν, φοθούμενοι τοὺς μὲν οὐσίαν κεκτημένους μὴ 
« χρήμασιν αὐτοὺς ὑὕπερθάλωνται, τοὺς δὲ πεπαιδευμένους 
« μὴ συνέσει κρείττους γένωνται᾽ τῶν δὲ ἄλλο τι κεκτη- 
« μένων ἀγαθὸν τὴν δύναμιν ἑκάστου φυλάττονται. Πεί- 

σαντες μὲν οὖν ἀπεχθέσθαί σε τούτοις εἷς ἐρημίαν 

φίλων καθιστᾶσιν: ἐὰν δέ, τὸ σεαυτοῦ σκοπῶν, ἄμεινον 


μὴ ἐρῶντες ἔτυχον ἀλλὰ δι᾽ ἀρετὴν ἔπραξαν ὧν ἐδέοντο, 


« 
« 
« ἐκείνων φρονῇς, ἥξεις αὐτοῖς εἰς διαφοράν. Ὅσοι δὲ 
« 
« οὐκ ἂν τοῖς συνοῦσι φθονοῖεν, ἀλλὰ τοὺς μὴ ἐθέλοντας 


b 2 τῆς ἐπιθυμίας : τῆς πλησμονῆς (uel ἀποπληρώσεως οἱ. Her- 
werden) τῆς ἐπ. Vollgr. || 4 ἀναγκαῖόν ἐστιν : -αἴον ἔστιν ὅτ᾽ Vollgr. 
[15 τῳ Τὸ (acc. offudit) : τῷ TW || ὃ ἂν Hirschig : om. codd. 
Thomps. || G 1 ποιεῖ : -ἣ W || ἄν σοι : δὴ σοὶ Schanz σοι Vollgr. 
[12 βλάθην : β. ἂν B et, exc. Thomps., omnes || ἂν pri.(et Hermi.): δὴ 
Schanz Vollgr. || ävalt. : om. TW Hermi.||3 αὐτούς ἐστι: -1v αὐ. Hermi. 
114 αὑτῶν : αὐ. BW || τὰς : τῆς corr. Ven. 184 (E)]|] 5 τῶν ἐρωμένων : 
τὸν ἐρώμενον Heïindorf || ἀποτρέπουσιν : -σι TW || 6 χεχτημένους : ἐχτη. 
Herwerden Vollgr. || ἃ 2 ἀπεχθέσθαί σε τούτοις ci. Stallb. : ἀπέχθεσ- 
θαί σε τ. T Thomps. ἀπέχθ. σοι τ. W ἀπέχεσθαί σε τ. B ἀπέχε. σε 
τούτων auct. Blass Vollgr. || 8 ἐὰν : ἂν TW [! σεαυτοῦ : σαυτοῦ T 
(σαὐ.) W Vollgr. || 6 ἐθέλοντας : ἐθ. συνεῖναι dubit, ci. Herwerden. 


232 a 


C 


d 


233 


€ 


R 


PHÈDRE 11 


que les seconds font fi de lui, alors que dans ton commerce 


« avec les autres il trouve son profit. J’en conclus que celui- 


là te donne bien plus d’espoir de voir l’amitié naître de la 
réalisation de ses vœux, à la place de l’inimitié. 

« Il y a plus : parmi ceux qui aiment, beaucoup commen- 
cent par faire du corps l’objet de leur désir sans connaître 
le naturel de l’aimé, sans s'être mis au courant de ce 
qu'est d’autre part sa situation personnelle; par suite ils 
ne peuvent être certains qu'ils tiendront encore à cette 
amitié le jour où leur désir aura pris fin. Maïs chez ceux 
qui n’aiment pas il y a eu, pour commencer, une mutuelle 
amitié, avant même qu'ils aient réalisé leur dessein ; ainsi 
il n’est pas vraisemblable que la satisfaction qu'ils en 
auront ressentie fasse diminuer cette amitié ; que, bien 
plutôt, elle subsistera comme un gage de ce que promet 
l'avenir. Il y a plus : il t’appartient d'acquérir, en me 
cédant, une valeur plus haute qu’en cédant à un amou- 
reux. Ces gens-là en effet vont jusqu'à louer chez l’aimé 


« paroles et actions, même à l'encontre de ce qui est le meil- 
« leur, en partie dans la crainte de se faire détester, en par- 


tie aussi parce que le désir a pour effet de corrompre en 
eux le jugement ; car voici de quelle sorte sont les effets 
que manifeste l'amour : une malchance qui pour le reste 
des hommes n’est pas motif à se chagriner, il la leur fait 
tenir pour une affliction ; une bonne ‘chance qui ne mérite 
même pas qu'on se réjouisse, il les contraint d’y trouver 
matière à louange de leur part. J’en conclus que c’est la 
pitié, beaucoup plus que l’envie, qui convient à l’égard de 
ceux qui sont aimés! Si en revanche tu me cèdes, d’abord 
ce n’esl pas à servir la jouissance présente que tendra mon 
cominerce avec toi, mais encore à servir ton intérêt dans 
l'avenir ; sans me laisser subjuguer par l'amour, mais en 
me dominant moi-même! : ; sans me laisser non plus empor- 


1. L'amant sans amour se domine, tandis qu’un authentique 


amoureux en est incapable (cf. 231 d, 232 a); c’est en effet son amour 
qui le domine. Il y a là une sorte de doublet du mot qu’on prête au 
vieil Aristippe, le protagoniste de la morale du plaisir : « Je possède 
Laïs, je n’en suis pas possédé ! » Ainsi, ce que le discours entreprend 
de prouver par cette fiction d’un désir sans émotion, c’est que 
celui-ci, loin d’abolir l’exercice de l'intelligence, le favorise au 


11 ΦΑΙΔΡΟΣ 


« μισοῖεν, ἡγούμενοι ὕπ᾽ ἐκείνων μὲν ὑὕπερορᾶσθαι, ὑπὸ 
« τῶν συνόντων δὲ ὠφελεῖσθαι. “Ὥστε πολὺ πλείων ἐλπὶς 
« φιλίαν αὐτοῖς ἐκ τοῦ πράγματος ἢ ἔχθραν γενήσεσθαι. 

« Καὶ μὲν δὴ τῶν μὲν ἐρώντων πολλοὶ πρότερον τοῦ 
« σώματος ἐπεθύμησαν ἢ τὸν τρόπον ἔγνωσαν καὶ τῶν 
« ἄλλων οἰκείων ἔμπειροι ἐγένοντο, ὥστε ἄδηλον αὐτοῖς εἰ 

ἔτι τότε βουλήσονται φίλοι εἶναι ἐπειδὰν τῆς ἐπι- 


« 
« θυμίας παύσωνται' τοῖς δὲ μὴ ἐρῶσιν, οἵ καὶ πρότερον 
« ἀλλήλοις φίλοι ὄντες ταῦτα ἔπραξαν, οὐκ ἐξ ὧν ἂν εὖ 
« πάθωσι ταῦτα εἰκὸς ἐλάττω τὴν φιλίαν αὐτοῖς ποιῆσαι, 
« ἀλλὰ ταῦτα μνημεῖα καταλειῳφϑῆναι τῶν μελλόντων 
« ἔσεσθαι. Καὶ μὲν δὴ βελτίονί σοι προσήκει γενέσθαι, 
« ἐμοὶ πειθομένῳ ἢ ἐραστῇ. ᾿Εκεῖνοι μὲν γὰρ καὶ παρὰ τὸ 
« βέλτιστον τά τε λεγόμενα καὶ τὰ πραττόμενα ἐπαι- 
« νοῦσιν, τὰ μὲν δεδιότες μὴ ἀπέχθωνται, τὰ δὲ καὶ αὐτοὶ 
« χεῖρον διὰ τὴν ἐπιθυμίαν γιγνώσκοντες" τοιαῦτα γὰρ 
« ὃ ἔρως ἐπιδείκνυται. δυστυχοῦντας μέν, ἃ μὴ λύπην 
« τοῖς ἄλλοις παρέχει ἀνιαρὰ ποιεῖ νομίζειν" εὐτυχοῦντας 
« δέ, καὶ τὰ μὴ ἡδονῆς ἄξια παρ᾽ ἐκείνων ἐπαίνου ἄναγ- 
« κάζει τυγχάνειν. “Ὥστε πολὺ μᾶλλον ἐλεεῖν τοῖς ἐρω- 
« μένοις ἢ ζηλοῦν αὐτοὺς προσήκει. ᾿Εὰν δέ μοι πείθῃ, 
« πρῶτον μὲν où τὴν παροῦσαν ἧδονὴν θεραπεύων συνέ- 
« σομαί σοι ἀλλὰ καὶ τὴν μέλλουσαν ὠφέλειαν ἔσεσθαι, 
« οὔχ ὕπ᾽ ἔρωτος ἥττώμενος ἀλλ᾽ ἐμαυτοῦ κρατῶν, οὐδὲ 


d 9 ὑπ᾽ : σ᾽ ὑπ’ Heindorf Schanz Vollgr. || e 2 γενήσεσθαι : 
γενέσθαι TW Burnet |! 5 αὐτοῖς εἰ ἔστι : εἰ ἔ. ad. TW Hermi. εἰ ἔτι 
(om. αὐ.) Hermann Schanz Vollgr. || 6 τότε : om. B Schanz Vollgr. || 
233 ἃ ὃ πάθωσι: -σιν T || ταῦτα : om. Vollgr. || 4 μνημεῖα : σημεῖα 
Heindorf || 7 ἐπαινοῦσιν : -σι W Stob. || b 2 ἐπιδείχνυται (et Stob.) : 
ἀποδείχνυσιν Badham Vollgr. || 3 ποιεῖ (et Stob.) : -εἴν W || 5 τοῖς 
ἐρωμένοις (et Stob.) : τοὺς -vous Ven. 184 (E) uulg. Schanz Vollgr. 
τοῦ -vou Badham del. Ast || 6 αὐτοὺς (et Stob.) : -oïs ΤῊΝ || δέ μοι: 
δ᾽ ἐμοὶ Ven. 184 et, exc. Burnet, omnes || πείθῃ : xi. Herwerden Vollgr. 
[| 7 où : οὐ μόνον iidem || θεραπεύων : θηρεύων auct. Naber Vollgr. | 
© 1 ὠφέλειαν : ὠφελίαν exc. Thomps. omnes. 


2324 


233 


PHÈDRE 12 


ter par de faibles motifs à une forte inimitié, mais sur des 
raisons graves lent à concevoir une légère irritation, pour 
les fautes involontaires ayant de l'indulgence et, celles qui 
sont volontaires, m’efforçant de les conjurer : ne sont-ce 
pas là des indices d’une amitié qui vivra longtemps? Si 
cette idée pourtant a bien pu te venir, qu'il n’est pas pos- 
sible à une amitié forte de se former s’il ne se trouve pas 
quelqu'un qui aime d’amour, il te faut alors réfléchir que, 
ni nos fils ne nous importeraient guère ni, sans doute, nos 
pères et nos mères, ni nous n’aurions d'amis fidèles, puisque 
ce n’est pas dans une passion de cette sorte que ces attache- 
ments ont leur principe, mais dans des convenances d’un 
ordre différent. 

« Autre chose : si c’est à ceux dont la requête est la plus 
pressante qu’on doit accorder ses faveurs, alors ce n'est 
pas non plus, par ailleurs, à ceux qui valent le plus 
qu'il convient de faire du bien, mais à ceux qui sont le 
plus dénués : puisqu’en effet ils auront été débarrassés des 
maux les plus grands, infinie sera leur gratitude envers vous! 
Il y a plus encore : aux festins privés ce ne sont pas les 
amis qui mériteront d’être invités, mais les mendiants et 
ceux qui aspirent à se gorger : ne sont-ils pas, eux aussi, 
gens tout prêts à marquer de la tendresse, à faire cortège, 
à se rendre à votre porte, à ressentir une joie sans bornes, 
à avoir envers vous la gratitude la plus vive, à vous sou- 
haiter abondance de biens ! Mais non : ce qui probablement 
convient, ce n’est pas d'accorder ses faveurs à ceux dont la 
requête est véhémente, mais à ceux qui sont le plus à même 
d’acquitter une dette de gratitude ; ce n’est pas non plus 
à ceux qui se contentent d’aimer, mais à ceux qui méritent 
l'affaire ; ce ne sont pas davantage tous ceux pour qui la 
fleur de ta jeunesse doit être objet de jouissanee, mais qui- 
conque te donnera, quand tu seras devenu vieux, part à 
ses biens ; pas davantage ceux qui, l'affaire faite, aimeront 
à se faire valoir auprès des autres, mais quiconque par 
pudeur s’en taira à tout le monde; pas davantage à ceux 
dont le zèle est de courte durée, mais à ceux dont l’amitié 


contraire et que, supposant le mérite moral chez le poursuivant, il est 
pour l’autre, si ce dernier cède par raison, un instrument de culture 


morale (231 d; 2328, 4; 233 ab, d; 234 b). ἃ cet égard, quelles 


12 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 
« διὰ σμικρὰ ἰσχυρὰν ἔχθραν ἀναιρούμενος ἀλλὰ διὰ μεγάλα 
« βραδέως ὀλίγην ὄργὴν ποιούμενος, τῶν μὲν ἀκουσίων 
« συγγνώμην ἔχων, τὰ δὲ ἑκούσια πειρώμενος ἀποτρέπειν" 
« ταῦτα γάρ ἐστι φιλίας πολὺν χρόνον ἐσομένης τεκμήρια. 
« Εἰ δ᾽ ἄρα σοι τοῦτο παρέστηκεν ὡς οὐχ οἷόν τε ἰσχυρὰν 
« φιλίαν γενέσθαι ἐὰν μή τις ἐρῶν τυγχάνῃ, ἐνθυμεῖσθαι 
« χρὴ ὅτι οὔτ᾽ ἂν τοὺς υἱεῖς περὶ πολλοῦ ἐποιούμεθα, 
« οὔτ᾽ ἂν τοὺς πατέρας καὶ τὰς μητέρας, οὔτ᾽ ἂν πιστοὺς 
« φίλους ἐκεκτήμεθα, οἵ οὖκ ἐξ ἐπιθυμίας τοιαύτης γεγό- 
« νασιν ἀλλ᾽ ἐξ ἑτέρων ἐπιτηδευμάτων. 

« Ἔτι δέ, εἰ χρὴ τοῖς δεομένοις μάλιστα χαρίζεσθαι, 
« προσήκει καί, τοῖς ἄλλοις, μὴ τοὺς βελτίστους ἀλλὰ 
« τοὺς ἀπορωτάτους εὖ ποιεῖν: μεγίστων γὰρ ἀπαλλα- 
« γέντες κακῶν, πλείστην χάριν αὐτοῖς εἴσονται. Καὶ μὲν 
« δὴ καὶ ἐν ταῖς ἰδίαις δαπάναις, οὐ τοὺς φίλους ἄξιον 
« παρακαλεῖν ἀλλὰ τοὺς προσαιτοῦντας καὶ τοὺς δεομένους 
« πλησμονῆς: ἐκεῖνοι γὰρ καὶ ἀγαπήσουσιν, καὶ ἀκολου- 
« θήσουσιν, καὶ ἐπὶ τὰς θύρας ἥξουσι, καὶ μάλιστα ἡσθή- 
« σονται καὶ oùk ἐλαχίστην χάριν εἴσονται καὶ πολλὰ 
« ἀγαθὰ αὐτοῖς εὔξονται. ᾿Αλλ᾽ ἴσως προσήκει, οὐ τοῖς 
« σφόδρα δεομένοις χαρίζεσθαι ἀλλὰ τοῖς μάλιστα ἀπο- 
« δοῦναι χάριν δυναμένοις" οὐδὲ τοῖς ἐρῶσι μόνον, ἀλλὰ 
« τοῖς τοῦ πράγματος ἀξίοις" οὐδὲ ὅσοι τῆς σῆς ὥρας 
« ἀπολαύσονται, ἄλλ᾽ οἵτινες πρεσδυτέρῳ γενομένῳ τῶν 
« σφετέρων ἀγαθῶν μεταδώσουσιν᾽ οὐδὲ οἵ, διαπραξάμενοι, 
« πρὸς τοὺς ἄλλους φιλοτιμήσονται, ἀλλ᾽ οἵτινες, aioyu- 
« νόμενοι, πρὸς ἅπαντας σιωπήσονται: οὐδὲ τοῖς ὀλίγον 


ἃ Or υἱεῖς : ὑεῖς 14, || 6 χαὲ τοῖς ἄλλοις : χ. τῶν ἄλλων. Ald. 
Schanz av τοῖς ἄ, Badham χἂν τοῖς ἄ. Vollgr. || 8 μὲν : addub. 
Bekker del. Vollgr. || e 2 προσαιτοῦντας : προσαιρ. Ven. 54 || 3 
ἀγαπήσουσιν : -σι W || ἀκολουθήσουσιν : -σι W {| 4 ἥξουσιν : -σι W || 
ἡσθήσονται... 5 εἴσονται : deest in W ubi c. VII lit. in rasura || 8 
ἐρῶσι μόνον : προσερ. μ. B προσαιτοῦσι ψμ. Ast Schanz Burnet 
προσαιτ. (om. μ.}) auct. Herwerden Vollgr. || 234 ἃ 2 ἀπολαύσονται : 
μόνον ἀπ. Vollgr. || γενομένῳ B? rec. (ex οἱ fec. w): γενόμενοι B. 


233 ὃ 


d 


234 


234a 


PHÈDRE 13 


« vivra sans changer d’un bout à l’autre de l’existence; pas 
« davantage quiconque, quand sa passion aura pris fin, 


« cherchera à l’inimitié de mauvaises raisons, mais ceux 
« pour qui, quand il en sera pour toi fini de ta fleur, ce sera 
« le moment de faire montre de ce qu’est leur propre mérite. 
« Toi, donc, garde le souvenir de mes paroles ; réfléchis à 
« ce point, que ceux qui aiment reçoivent de leurs amis des 
« représentations sur le mal qu’il y a dans une telle pratique 
« et que, au contraire, ceux qui n'aiment pas ne s'entendent 
« jamais reprocher par personne de leur famille d’être ainsi 
« conduits à mal consulter leur intérêt personnel. 

« Probablement me demanderas-tu enfin si c’est indi- 
« stinctement à quiconque n'aime pas que je te conseille d’ac- 
« corder tes faveurs. Pour ma part, je pense que l’homme 
« qui aime ne l’engagerait pas davantage à avoir cette pen- 
« sée à l'égard, indistinctement, de ceux qui aiment : pour 
« qui fait bien son compte, cela ne mériterait pas gratitude 
« égale et, pour toi qui souhaites que les autres n’en sachent 
« rien, ce ne serait pas pareillement possible. Or il ne faut 
« pas que de cela rien provienne qui soit dommage, mais, 
« au contraire, de l'utilité pour tous les deux. Quant à moi, 
« j'estime qu'il suflit de ce que je t’ai dit. Si tu as pourtant 
« regret de quelque omission qu’à ton jugement j'aurais 
« commise, interroge ! » 


Comment trouves-tu ce discours, Socrate? N'est-ce pas, à 
tous les égards, une merveille d'éloquence, et spécialement 
pour le vocabulaire ' ὃ 


que soient les différences de forme et de fond, il y a quelque ana- 
logie entre ce réquisitoire purement fictif contre la passion et la 
franche apologie de l’amour dorien par le Pausanias du Banquet. 

1. 1] suffit de lire le discours de Lysias pour en sentir la monotone 
sécheresse. C’est justement ce que Socrate observera un peu plus 
loin (235 a) et, avec plus d’insistance encore, 263 c-264 e. Ce que 
Phèdre, lui, y juge spécialement admirable, c’est ce qu'on a appelé 
de notre temps une « écriture artiste », une sorte de ciselure ver- 
bale, s’accommodant de la plus pauvre matière. Voilà ce que lui 
concède en effet Socrate (234 e) : la langue de Lysias est claire et 
précise, chaque mot y est soigneusement travaillé sur le tour : clarté 
sans force, sèche précision, virtuosité toute mécanique. 


13 PAIAPOE - 


« χρόνον σπουδάζουσιν, ἀλλὰ τοῖς ὁμοίως διὰ παντὸς τοῦ 
« βίου φίλοις ἐσομένοις" οὐδὲ οἵτινες, παυόμενοι τῆς 
« ἐπιθυμίας, ἔχθρας πρόφασιν ζητήσουσιν, ἀλλ᾽ οἵ, παυ- 
« σαμένου τῆς ὥρας, τότε τὴν αὑτῶν ἀρετὴν ἐπιδείξονται. 
« Σὺ οὖν τῶν τε εἰρημένων μέμνησο καὶ ἐκεῖνο ἐνθυμοῦ, 


« ὅτι τοὺς μὲν ἐρῶντας ot φίλοι νουθετοῦσιν ὡς ὄντος 


« κακοῦ τοῦ ἐπιτηδεύματος, τοῖς δὲ μὴ ἐρῶσιν οὐδεὶς 
« πώποτε τῶν οἰκείων ἐμέμψατο ὡς διὰ τοῦτο κακῶς 
« βουλευομένοις περὶ ἑαυτῶν. 

« Ἴσως ἂν οὖν ἔροιό με εἰ ἅπασί σοι παραινῶ τοῖς μὴ 


234 ἃ ; 


« ἐρῶσι χαρίζεσθαι. ᾿Εγὼ μὲν οἶμαι οὐδ᾽ ἂν τὸν ἐρῶντα. 


« πρὸς ἅπαντάς σε κελεύειν τοὺς ἐρῶντας ταύτην ἔχειν 
« τὴν διάνοιαν: οὔτε γὰρ τῷ λόγῳ λαμβάνοντι χάριτος 
« ἴσης ἄξιον, οὔτε σοὶ βουλομένῳ τοὺς ἄλλους λανθάνειν 
« ὁμοίως δυνατόν. δεῖ δὲ βλάθην μὲν ἀπ᾽ αὐτοῦ μηδεμίαν, 
« ὠφέλειαν δὲ ἀμφοῖν γίγνεσθαι. ᾿Εγὼ μὲν οὖν ἱκανά μοι 
« νομίζω τὰ εἰρημένα᾽ εἶ δέ τι σὺ ποθεῖς, ἡγούμενος παρα- 
« λελεῖφθαι, ἐρώτα. » 


Τί σοι φαίνεται, ὦ Σώκρατες, ὃ λόγος ; Οὐχ ὑπερφυῶς 
τά τε ἄλλα καὶ τοῖς ὀνόμασιν εἰρῆσθαι ; 


a 6 σπουδάζουσιν : σπουδάσ. ci. Stephan. colent Ficin. -σόμενοις 
auct. Herwerden Vollgr. -δαίοισιν dubit, ci. Schanz || 8 παυσαμένου 
G. Hermann : -σαμένοις Winckelm. Schanz Vollgr. -σαμένῳ et postea 
ἀπολαυσάμενοι Heindorf -σάμενοι codd. Thomps. -σαμένης Ast 1829 
(cf. -ouévns Laur. 2643) Stallb, πασάμενοι Ast 1810 ἐπαυράω. ΒόΟΚΗ 
alia ali 81 αὑτῶν : αὐ. T? W || 3 ὄ ὄντος: χαχοῦ : x. ὄν. Hermi. || 
ἡ ἂν οὖν: μὲν οὖν Β Thomps. Vollgr. || ἅπασί : -σιν Β || 8 ἐρῶσι: 
-σιν T || μὲν B reuera (et Hermi.) : δὲ T reuera W {|| 9 πρὸς 
ἅπαντάς: ᾿προσάπαντά sic W || © 1 τῷ λόγῳ λαμθάνοντι : τῷ λαμό. 
T Schanz Burnet τῷ γ᾽ οὕτω Àau6. Badham αὐτῷ 05. Xaué. Her- 
werden τῷ οὔ. kau6. Vollgr. τῷ πολλοστῷ Madvig || 2 ἴσης : otons B 
οἴσεις W (cf. Alline Hist. du texte de P. 240) || 3 δεῖ : αἰεὶ B || ἀπ᾿ : 
ἐπ’ TW || 4 ὠφέλειαν : -ελίαν T et, exc. Thomps., omnes || 5 dé τι: δ᾽ 
ἔτι τι Heindorf Schanz Burnet δ᾽ ἔτι Vollgr. |] σὺ ποθεῖς Ven. 189 : 
σὺ ὑποθῇς BW et -θεις T où ποθεῖς +: Vollgr. où ἐπιπ. Ast || 6 ἐρώτα : 
ἔρωτα B sed acc. rec. manu. 


234 d 
d 


235 


PHÈDRE 14 


SocraTe. — Disons mieux, cela tient du divin, mon cama- 
rade, au point que j'en suis tout étourdi! Et cette impres- 
sion, c’est à toi, Phèdre, que je la dois: j'avais les yeux sur 
toi et, pendant ta lecture, tu me semblais tout illuminé par 
ce discours et, vois-tu, dans la conviction qu’à ces sortes de 
choses tu t’entends mieux que moi, je me mettais à ta suite, 
et, m'y étant mis, je suis avec toi entré dans la bacchanale!, 
oui avec toi, tête divine ! 

Puèpre. — Allons bon! C'est comme cela, alors, que tu 
trouves bon de plaisanter ? 

Socrate. — Ainsi je te fais l'effet de plaisanter et de 
n'être pas sérieux ! 

Paëpre. — Point du tout, Socrate. Mais la vérité vraie, 
dis-la moi, au nom du Zeus de l’Amitié?: penses-tu qu'il 
puisse y avoir en Grèce un autre homme capable de pronon- 
cer sur le même sujet un second discours qui ait plus d’élé- 
vation et d’abondance ἢ 
SocraTE. — Eh quoi ! est-ce aussi notre 
devoir, à moi comme à toi, de louer le 
discours, de ce que l’auteur y a dit les 
choses qu’il fallait ? ? et non pas plutôt, de ceci seulement que 
sa langue est nette et précise et chaque mot exactement 
fait au tour ? Si nous avons en effet ce devoir, c’est bien à 
cause de toi qu'il faudra le reconnaître ; car, à moi du moins, 
en raison de ma nullité l’idée ne m'en était point venue ! 
C’est que, seule, la rhétorique du morceau avait attiré mon 
attention, et, pour ce qui est de l’autre point, non, pensais- 
je, Lysias lui-même ne pense pas y avoir satisfait. En somme, 
mon sentiment à moi, Phèdre, c’est, sauf objection de ta 
part, qu'il dit les mêmes choses deux et trois fois, comme 
si, pour rester dans le sujet, son éloquence était passable- 
ment à court de matière, ou que, peut-être bien, une question 
de ce genre fût pour lui sans aucun intérêt. Il me faisait 
dès lors l’effet d’un jouvenceau qui s’évertue à faire montre 
du talent qu'il a, en disant les mêmes choses comme ceci et 
puis comme cela, de les exprimer en perfection d’une façon 
comme de l’autre. 


Critiques 
de Socrate. 


1. Le délire corybantique de tout à l'heure (cf. p. 3, n. 3). 
2. Phèdre a besoin d’être confirmé dans la ferveur de sa foi. 
3. C’est un point que Socrate développera 235 e sq. 


K 


14 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ΣΩ. Δαιμονίως μὲν οὖν, ὦ ἑταῖρε, ὥστε με ἐκπλαγῆναι. 
Καὶ τοῦτο ἐγὼ ἔπαθον διὰ σέ, ὦ Φαῖδρε, πρὸς σὲ ἀπο- 
θλέπων, ὅτι ἐμοὶ ἐδόκεις γάνυσθαι πὸ τοῦ λόγου μεταξὺ 
ἀναγιγνώσκων: ἡγούμενος γὰρ σὲ μᾶλλον ἢ ἐμὲ ἐπαΐειν 
περὶ τῶν τοιούτων, σοὶ εἱπόμην, καὶ ἑπόμενος συνεθάκχευσα 
μετὰ σοῦ, τῆς θείας κεφαλῆς. 

ΦΑΙ. Εἶεν: οὕτω δὴ δοκεῖ παίζειν ; 

ΣΩ. Δοκῶ γάρ σοι παίζειν καὶ οὐχὶ ἐσπουδακέναι ; 

ΦΑΙ. Μηδαμῶς, ὦ Σώκρατες" ἀλλ᾽ ὡς ἀληθῶς εἰπὲ πρὸς 
Διὸς Φιλίου, οἴει ἄν τινα ἔχειν εἰπεῖν ἄλλον τῶν Ἑλλήνων 
ἕτερα, τούτων μείζω καὶ πλείω, περὶ τοῦ αὐτοῦ πράγματος ; 

ΣΩ. Τί δέ; Καὶ ταύτῃ δεῖ ὕπ᾽ ἐμοῦ τε καὶ σοῦ τὸν 
λόγον ἐπαινεθῆναι, ὡς τὰ δέοντα εἷρηκότος τοῦ ποιητοῦ : 
ἀλλ᾽ οὐκ ἐκείνῃ μόνον, ὅτι σαφῆ καὶ στρογγύλα, καὶ ἀκρι- 
θῶς ἕκαστα τῶν ὀνομάτων ἀποτετόρνευται : Ei γὰρ δεῖ, 
συγχωρητέον χάριν σήν, ἐπεὶ ἐμέ γε ἔλαθεν ὑπὸ τῆς ἐμῆς 
οὐδενίας. Τῷ γὰρ ῥητορικῷ αὖὗτοῦ μόνῳ τὸν νοῦν προσ- 
εἶχον: τοῦτο δὲ οὐδὲ αὐτὸν ᾧμην Λυσίαν οἴεσθαι ἱκανὸν 
εἶναι. Καὶ οὖν μοι ἔδοξεν, ὦ Φαῖδρε, εἰ μή τι σὺ ἄλλο 
λέγεις, δὶς καὶ τρὶς τὰ αὐτὰ εἰρηκέναι, ὥς où πάνυ εὐπορῶν 
τοῦ πολλὰ λέγειν περὶ τοῦ αὐτοῦ, ἢ ἴσως οὐδὲν αὐτῷ 
μέλον τοῦ τοιούτου: καὶ ἐφαίνετο δή μοι νεανιεύεσθαι 
ἐπιδεικνύμενος ὡς οἷός τε dv, ταὐτὰ ἑτέρως τε καὶ ἑτέρως 
λέγων, ἀμφοτέρως εἰπεῖν ἄριστα. 


d 3 ἐδόχεις B? (ε s. ἃ. fors. pr. manu) : δοχεῖς B || γάνυσθαι : 
γάνν. W (cf. Schanz Proleg. ὃ 3) || 7 doxei : δὴ B δεῖ Schanz || e 1 
μηδαμῶς : μ. γ᾽ auct. Naber Vollgr. || 3 τούτων μείζω : μ. τ. T +. 
ἄμεινω Naber Richards || πλείω : ante χαὶ μ. Hermi. || 6 σαφῆ καὶ 
στρογγύλα : -ὥς x. -ὡς Plut. || χαὶ ἀχριθῶς : om. Plut. et fors. Hermi. 
del. Vollgr. xai addubit. Badham || 7 ἕχαστα τῶν ὀνομάτων : τ. ὀν. … 
ἔχαστον Plut. || ἀποτετόρνευται (et Plut.) : -νωται TW -τορνευμένα 
Badham || 235 4 1 οὐδενίας : -νείας BT?W? (ει 8. u.) || 2 οὐδὲ αὐτὸν 
ὥμην ... οἴεσθαι : ἂν add. ante αὐτὸν Burnet, ante ὥμην ci. Thomps., 
post οἴεσθα: Ast || 3 χαὶ οὖν Hermann : x. δὴ οὖν Stephan. Thomps. 
χ. δὴ καὶ οὖν Heindorf δικαιοῦν B δίκαιοῦν B δίκαιον οὖν ΤΥ || 4 λέγεις: 
-yns B || 7 ταὐτὰ Heindorf : ταῦ, codd. 


234 d 
d 


235 


PHÈDRE 15 


Paèpre. — Ce que tu dis là, Socrate, ne signifie rien ! 
Voici en effet quelle ést justement la qualité, et même la 
qualité maîtresse, du discours : entre les éléments du sujet 
qui valaient la peine d'être exprimés, il n'en a laissé 
aucun de côté ! J'en conclus qu'en comparaison du langage 
de notre homme, il n’y a personne qui soit capable d’en 
tenir un autre, ayant plus d’abondance et de plus de valeur. 
SocraTE. — Voilà quelque chose qu’il 
ne me sera plus possible, à moi, de te 
concéder | L’Antiquité, sache-le, compte 


Autres idées 
sur l'amour. 


‘ des Sages, hommes aussi bien que femmes, qui ont traité de 


ces matières, oralement ou par écrit. Ils me confondront 
si, pour l’amour de toi, je me range à ton avis! 


Paëpre. — Qui sont-ils, dis! où donc as-tu entendu un 
langage supérieur à celui-là ? 
SOCRATE. — Pour l'instant, ma foi, je ne suis pas à même, 


comme cela, de te renseigner ! Ce qui est clair, c'est que j'en 
ai entendu : la belle Sapho? le sage Anacréon ἢ ou même 
quelque prosateur ? Sais-tu donc ce qui me le fait supposer ? 
Une mystérieuse plénitude de l’âme me donne, divin Phèdre, 
le sentiment d’être en état, s’il le faut, de soutenir ici le 
parallèle en termes différents, sans demeurer en-dessous ! Or 
ce n'est point, en tout cas, de mon propre fonds que me 
viennent ces idées-là : j'en ai la certitude, conscient que je 
suis de mon incompétence. Reste donc, voilà mon avis, que 
c'est à des sources étrangères, ne sais d’où, que par l'oreille 
je me suis empli, à la façon d’une cruche! Mais une fâcheuse 
paresse d'esprit m’empêche de même me rappeler et dans 
quelles conditions et par quelles personnes j'ai oui dire ces 
choses-là. 

Paèpre. — Ah ! le plus généreux des hommes, tu ne pou- 
vais mieux t’exprimer : de quelles personnes tu l’as ouï dire, 
dans quelles conditions, tu n’as pas en ellet à m’en parler 
même si je t'en prie, pourvu que tu fasses ce que justement 
tu dis. En parallèle à ce qu'il y a dans le cahier, tu t'es 
engagé à parler différemment, à la fois mieux et avec non 
moins d'abondance, sans t'en inspirer. De mon côté, envers 
toi je m'engage, pareil aux neuf Archontes, à faire offrande 
à Delphes d'une image en or, grandeur naturelle, non pas de 


e moi seulement, mais aussi de toi ! 


4 


Ἂς 


15 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ΦΑΙ. Οὐδὲν λέγεις, ὦ Σώκρατες" αὐτὸ γὰρ τοῦτο, καὶ 
μάλιστα, ὃ λόγος ἔχει: τῶν γὰρ ἐνόντων ἀξίως ῥηθῆναι 
ἐν τῷ πράγματι οὐδὲν παραλέλοιπεν. “Qote, παρὰ τὰ 
ἐκείνῳ εἰρημένα, μηδέν᾽ ἄν ποτε δύνασθαι εἰπεῖν ἄλλα 
τιλείω καὶ πλείονος ἄξια. 

ΣΩ. Τοῦτο. ἐγώ σοι οὐκέτι οἷός τ᾽ ἔσομαι πιθέσθαι. 
Παλαιοὶ γὰρ καὶ σοφοὶ ἄνδρες τε καὶ γυναῖκες, περὶ αὐτῶν 
εἰρηκότες καὶ γεγραφότες, ἐξελέγξουσί με ἐάν, σοι χαριζό- 
μενος, συγχωρῶ. 

ΦΑΙ. Τίνες οὗτοι, καὶ ποῦ σὺ βελτίω τούτων ἀκήκοας ; 

ΣΩ. Νῦν μὲν οὕτως οὐκ ἔχω εἰπεῖν. Δῆλον δὲ ὅτι τινῶν 
ἀκήκοα, ἤ που Σαπφοῦς τῆς καλῆς ἢ ᾿Ανακρέοντος τοῦ 
σοφοῦ ἢ καὶ συγγραφέων τινῶν. [Πόθεν δὴ τεκμαιρόμενος 


. λέγω; πλῆρές πως, ὦ δαιμόνιε, τὸ στῆθος ἔχων, αἶσθά- 


νομαι παρὰ ταῦτα ἂν ἔχειν εἰπεῖν ἕτερα μὴ χείρω" ὅτι μὲν 
οὖν παρά γε ἐμαυτοῦ οὐδὲν αὐτῶν ἐννενόηκα, εὖ οἶδα, 
συνειδὼς ἐμαυτῷ ἀμαθίαν. Λείπεται δή, οἶμαι, ἐξ, ἀλλοτρίων 
ToBèv ναμάτων διὰ τῆς ἀκοῆς πεπληρῶσθαί με, δίκην 
ἀγγείου. Ὑπὸ δὲ νωθείας αὖ καὶ αὐτὸ τοῦτο ἐπιλέλησμαι, 
ὅπως τε καὶ ὥντινων ἤκουσα. 

ΦΑΙ. ᾿Αλλ᾽, ὦ γενναιότατε, κάλλιστα εἴρηκας" σὺ γὰρ 
ἐμοὶ ὥντινων μὲν καὶ ὅπως ἤκουσας, μηδ᾽ ἂν κελεύω εἴπῃ ς᾽ 
τοῦτο δὲ αὐτὸ ὃ λέγεις ποίησον. Τῶν ἐν τῷ βιθλίῳ βελτίω 
τε καὶ μὴ ἐλάττω ἕτερα ὑπέσχησαι εἰπεῖν, τούτων ἀπεχό- 
μενος᾽ καί σοι ἐγώ, ὥσπερ οἷ ἐννέα ἄρχοντες, ὑπισχνοῦμαι 
χρυσῆν εἰκόνα ἰσομέτρητον εἷς Δελφοὺς ἀναθήσειν, où 
μόνον ἐμαυτοῦ ἀλλὰ καὶ σήν. 


b 2 ἀξίως : ἀξίων Madvig Schanz Vollgr. || 4 μηδέν᾽ ἂν Ald. 
μηδ᾽ ἂν ἕνα Hermi. μηδ᾽ ἂν T?(i. m.) μηδένα codd. || 6 τ᾽ : γε T γ᾽ 
W {{-πιθέσθαι : πείθ. TW Thomps. || © 2 εἰπεῖν : fors. σοι εἰπ. Hermi. 
113 ἢ pr. : à B || 4 δὴ : δὲ Heindorf Vollgr. || 5 πως (et Hermi.l) : 
περ Ald. || ἃ 3 ὅπως : ὅπου Herwerden || 7 ἕτερα ὑπέσχησα: εἰπεῖν 
Burnet : ἑτέρᾳ ὑποσγέσει εἰ, codd. ἔτ. ὑπόσγες εἰ. Wex om. εἰ. 
Badham Thomps. ἕτ. ὑποσχέθητι εἰ, Stephan. Vollgr. ἕτ. ὑπόσθητι εἰ. 
οἱ. Stallb. ἕτ. ἐπιχείρει εἰ, Schanz 8118 alu. 


235 
b 


235 e 


236 


PHÈDRE 16 


Socrate. — Comme c’est amical de ta part, Phèdre! Et 
quelle nature d'or tu es en vérité, si tu te figures qu’à mon 
avis Lysias a totalement manqué son affaire et que par suite 
il est possible, point par point, de parler toujours autrement 
qu'il n’a fait: voilà qui n’arriverait même pas, je crois, au 
plus médiocre des écrivains ! Tiens, prenons le sujet du dis- 
cours : avec celte thèse qu'il faut accorder ses faveurs à celui 
qui n'aime pas plutôt qu'à celui qui aime, qui crois-tu 
capable, s’il renonce à célébrer la prudence du premier, à 
blâmer l’imprudence du second — développements qui à tout 
prendre s’imposent —, de trouver après cela quelque chose 
encore à dire ? De pareils thèmes, je crois au contraire qu’il 
y a lieu de les passer à l’orateur, de les lui pardonner, et 
que, pour tout ce qui est du même genre, ce n’est pas 
l'invention, c’est plutôt l’arrangement, qu’il y a lieu de louer ; 
tandis que, pour ce qui ne s'impose pas et dont l'invention 
est difficile, c’est, outre l’arrangement, l'invention qui est à 
louer. 
Paèpre. — Je me rends à ces considé- 

Phèdre oblige rations: il y a en effet du bon, à mon 

Socrate à traiter à Ξ β ses 
le thème de Lysias. AVIS dans ce que tu viens de dire. Voici 

donc ce que pour ma part je ferai: que 
l'homme amoureux est plus malade que celui qui n’aime 
pas, telle est la thèse que je te donnerai pour point de 
départ ; quant au reste, différence du fond, abondance plus 
grande et plus grande valeur de ton discours comparé à 
celui-ci, c'est dit : je te veux en pied, or martelé, à Olympie, 
à côté de l’offrande des Cypsélides ! ! 

SOCRATE. — As-tu, Phèdre, pris la chose au sérieux parce 
que, en te taquinant, je m'attaquais à tes amours? Et te 


_figures-tu par suite que, tout de bon, je vais entreprendre, 


en parallèle avec un personnage de ce talent, de dire du 
nouveau avec un surcroît de variété ? 
Paèpre. — Voilà en vérité, mon cher, où t'attend la 
areille et tu y es venu te faire prendre ! Tu n'as plus qu'à 
parler et à (’en tirer comme tu pourras. Évitons d’en être 
réduits à faire des comédiens le piètre métier, en échangeant 


1. Les descendants de Cypsélus, père de Périandre, le fameux 
tyran de Corinthe et l’un des Sept Sages. Sur cette offrande, on ne 
s'accorde pas mieux que sur celle des neuf Archontes (235 de). 


αν ὙΠ ΟῚ 


16 PAIAPOE 


ZQ. Φίλτατος εἶ καὶ ὧς ἀληθῶς χρυσοῦς, ὦ Φαῖδρε, 
εἴ με οἴει λέγειν ὧς Λυσίας τοῦ παντὸς ἡμάρτηκεν καὶ οἷόν 
τε δή, παρὰ πάντα ταῦτα, ἄλλα εἰπεῖν: τοῦτο δὲ οἶμαι οὐδ᾽ 
ἂν τὸν φαυλότατον παθεῖν συγγραφέα. Αὐτίκα, περὶ οὗ 
ὃ λόγος, τίνα οἴει, λέγοντα ὧς χρὴ μὴ ἐρῶντι μᾶλλον ἢ 
ἐρῶντι χαρίζεσθαι, παρέντα τοῦ μὲν τὸ φρόνιμον ἐγκω- 
μιάζειν, τοῦ δὲ τὸ ἄφρον ψέγειν, ἀναγκαῖα γοῦν ὄντα, 
εἶτ᾽ ἄλλ᾽ ἄττα ἕξειν λέγειν ; ᾿Αλλ᾽ οἶμαι τὰ μὲν τοιαῦτα 
ἐατέα καὶ συγγνωστέα λέγοντι: καὶ τῶν μὲν τοιούτων où 
τὴν εὕρεσιν, ἀλλὰ τὴν διάθεσιν, ἐπαινετέον, τῶν δὲ μὴ 
ἀναγκαίων τε καὶ χαλεπῶν εὑρεῖν, πρὸς τῇ διαθέσει καὶ 
τὴν εὕρεσιν. ; 

ΦΑΙ. Συγχωρῶ ὃ λέγεις" μετρίως γάρ μοι δοκεῖς eipn- 
κέναι, Ποιήσω οὖν καὶ ἐγὼ οὕτω τὸ μὲν τὸν ἐρῶντα τοῦ 
μὴ ἐρῶντος μᾶλλον νοσεῖν δώσω σοι ὑποτίθεσθαι, τῶν δὲ 
λοιπῶν, ἕτερα πλείω καὶ πλείονος ἄξια εἰπὼν τῶνδε, παρὰ 
τὸ Κυψελιδῶν ἀνάθημα, σφυρήλατος, ἐν ᾿Ολυμπίᾳ στάθητι. 

ΣΩ. Ἐσπούδακας, ὦ Φαῖδρε, ὅτι σου τῶν παιδικῶν 
ἐπελαθόμην, ἐρεσχηλῶν σε, καὶ οἴει δή με ὡς ἀληθῶς ἐπι- 
χειρήσειν εἰπεῖν, παρὰ τὴν ἐκείνου σοφίαν, ἕτερόν τι ποι- 
κιλώτερον : 

ΦΑΙ. Περὶ μὲν τούτου, ὦ φίλε, εἰς τὰς δμοίας λαβὰς 
ἐλήλυθας. ἹΡητέον μὲν γάρ σοι παντὸς μᾶλλον οὕτως ὅπως 
οἷός τε εἶ: ἵνα δὲ μὴ τὸ τῶν κωμῳδῶν φορτικὸν πρᾶγμα 
ἀναγκαζώμεθα ποιεῖν, ἀνταποδιδόντες ἀλλήλοις, εὐλαβή- 


e 2 φίλτατος : γλυχύτ. Herwerden || 3 ἡμάρτηχεν : διήμαρτεν Hermi. 
|| 4, πάντα ταῦτα: τ. x. T om. πάντα Ven. 54 || οὐδ᾽ ἂν : μηδὲ (om. 
ἂν) Hermi. || 6 τίνα : τί uulg. || 236 ἃ 8 οὕτω : -ς et, exc. Schanz, 
omnes || Ὁ 2 εἰπὼν τῶνδε : εἰ. τῶνδε Λυσίου T (τῶν δὲ ut uid.) W 
εἰπόντος À. B ei. τῶν τοῦ A. T? rec. (τοῦ 5. u. ad δὲ) et. τῶνδε τῶν 
À. Vahlen εἰ, τῶν À. exc. Burnet omnes || 3 στάθητι : ἐστάθη Photi. 
ἕσταθι auct. Cobet, exc. Burnet, omnes ||5 ἐρεσχηλῶν : -ελῶν T? rec. 
ut uid. (cf. Schanz Proleg. ὃ 4) || © 1 ἐλήλυθας : -θα B || 2 ἵνα 
δὲ : ἵνα BW edd. || φορτικὸν πρᾶγμα : auct. Hartman del. Vollgr. 
11 3 ἀναγχαζώμεθα : -όμεθα T || εὐλαδήθητί : auct. Cobet secl. Schanz 
Burnet del. Thomps. Vollgr. (cf. Notice p. xxx1 ἢ. 2). 


IV. 3. — 3 


235e 


236 


b 


236 c 


237 


PHÈDRE 17 


mutuellement nos rôles! ; donc gare à toi! et ne va pas, je 
t'en prie, me réduire à tenir un langage que tu connais : 
« O Socrate, si de moi Socrale est ignoré, c'est que j'ai perdu 
jusqu’à la conscience de ce que je suis ! » et encore : « il grillait 
de parler et faisait pourtant des manières ». Mets-toi bien 
plutôt dans la tête que nous ne nous en irons pas d'ici que tu 
n’aies dit ce qu’à t’'entendre tu as en l’âme! Vois, nous 
sommes seul à seul et l'endroit est désert; or c’est moi qui 
suis le plus fort et le plus jeune ! C’est tout; conclus : « À 
bon entendeur, salut?! » Non, non, ne va pas choisir de par- 
ler par force plutôt que de bon gré! 

SocraTE. — Mais, bienheureux Phèdre, je vais être ridi- 
cule, moi profane, de me mettre dans une improvisation 
en parallèle, sur le même sujet, avec un auteur accompli ! 

Paèpre. — Sais-tu ce qui en est? Finis de minauder avec 
moi: je ne suis pas loin en effet de tenir la formule qui te 
contraindra à parler. 

SocrATE. — Garde-toi bien alors de la prononcer | 

Paëpre, — Non pas, je la dis au contraire, et tout de suite ! 
Ce sera un serment : « Je te le jure... » Ah! mais, et par 
qui ? quelle divinité choisir? Tiens, veux-tu ? par le platane 
que voici ! « Oui, je l’atteste : si, face à l'arbre qui est là, tu ne 
prononces pas ton discours, jamais aucun autre discours, ni 
d’aucun orateur, ne te sera par moi ni produit, ni signalé ! » 

Socrate. — Peste ! Comme tu as bien trouvé, gredin, le 
secret pour contraindre un homme ami des discours à satis- 
faire tes exigences ! 

Paèpre. — Qu'’as-tu donc à tergiverser ὃ 

Socrate. — Non, c’est fini, puisqu’aussi bien tu as fait ce 
serment: comment serais-je capable en effet de me priver 
d’un régal pareil ? ? 


Paëpre. — Alors, parle ! 


SocraTe. — Ecoute, sais-tu comment je vais procéder ὃ 
Puèpre. — Explique-toi.. 
SOCRATE. — Je vais m’encapuchonner pour parler, afin 


1. Les rôles de 228 a-e sont intervertis : que Socrate montre ce que 
cache son âme (235 c) comme Phèdre, ce que cachait son manteau. 
2. Adaptation d’un vers de Pindare (fr. 71), passé en proverbe. 
-3. Cette passion maladive de Socrate pour les discours (228 b, 
230 de) est pour le dialogue un motif fondamental, et Platon ne la 


17 DAIAPOE 


θητι καὶ μὴ βούλου με. ἀναγκάσαι λέγειν ἐκεῖνο τὸ « εἰ 
ἐγώ, ὦ Σώκρατες, Σωκράτην ἀγνοῶ, καὶ ἐμαυτοῦ 
ἐπιλέλησμαι », καὶ ὅτι « ἐπεθύμει μὲν λέγειν, 
ἐθρύπτετο δέ ». ᾿Αλλὰ διανοήθητι ὅτι ἐντεῦθεν οὐκ 
ἄπιμεν πρὶν ἂν σὺ εἴπῃς ἃ ἔφησθα ἐν τῷ στήθει ἔχειν᾽ 
ἐσμὲν δὲ μόνω ἐν ἐρημίᾳ, ἰσχυρότερος δ᾽ ἐγὼ καὶ νεώτερος. 
Ἔκ δὲ ἅπάντων τούτων, « ξύνες ὅ τοι λέγω » καὶ 
μηδαμῶς πρὸς βίαν βουληθῇς μᾶλλον ἢ ἑκὼν λέγειν. 

ΣΩ. ᾿Αλλ᾽, ὦ μακάριε Φαῖδρε, γελοῖος ἔσομαι παρ᾽ 
ἀγαθὸν ποιητήν, ἰδιώτης, αὐτοσχεδιάζων περὶ τῶν αὐτῶν. 

ΦΑΙ. Oo” ὡς ἔχει; Παῦσαι πρός με καλλωπιζόμενος: 
σχεδὸν γὰρ ἔχω ὃ εἰπὼν ἀναγκάσω σε λέγειν. 

ΣΩ. Μηδαμῶς τοίνυν εἴπῃς. 

ΦΑΙ. Οὔκ, ἀλλὰ καὶ δὴ λέγω. Ὃ δέ μοι λόγος ὅρκος 
ἔσται. « Ὄμνυμι γάρ σοι » τίνα μέντοι, τίνα θεῶν ; ἢ βού- 
λει τὴν πλάτανον ταυτηνί: « À μήν, ἐάν μοι μὴ εἴπῃς τὸν 
λόγον ἐναντίον αὐτῆς ταύτης, μηδέποτέ σοι ἕτερον λόγον 
μηδένα μηδενὸς μήτε ἐπιδείξειν μήτε ἐξαγγελεῖν. » 

ΣΩ. Babat, ὦ μιαρέ, ὡς εὖ ἀνεθῦρες τὴν ἀνάγκην ἀνδρὶ 
φιλολόγῳ ποιεῖν ὃ ἂν κελεύῃς. 

ΦΑΙ. Τί δῆτα ἔχων στρέφει ; 

ΣΩ. Οὐδὲν ἔτι, ἐπειδὴ σύ γε ταῦτα ὀμώμοκας" πῶς 
γὰρ ἂν οἷός τ᾽ εἴην τοιαύτης θοίνης ἀπέχεσθαι ; 

ΦΑΙ. Λέγε δή. 

ΣΩ. Οἷὖσθ᾽ οὖν ὡς ποιήσω ; 

ΦΑΙ. Τοῦ πέρι: 

ΣΩ. ᾿Εγκαλυψάμενος ἐρῶ, ἵνα ὅτι τάχιστα διαδράμω 


C4 ei: interpos. pr. manu W [17 διανοήθητι : -θητε B || d 1 μόνω : 
μ. μὲν TW || 2 ξύνες : σύν. Schanz Burnet || ὅ τοι Schanz : ὅ σοι 
codd. Thomps. ὅ τιν Cobet || 3 βίαν : βίας BW? (os. u. pr. πὶ. ἢ) 
116 ἔχει : ἔχε auct. Naber Vollgr. || 10 τίνα ... τίνα : τινὰ ... τινὰ 
codd. sed in τι alt. τινὰ acc. add. ΤΟΥΣ ||: TnBller:i:ñB || 
3 μηδενὸς μήτε ... μήτε : -νός τ᾽... μήτε B μηδενὸς ... und’ Hermann 
Il ἐξαγγελεῖν (reuera T): -γέλλειν BW || ἡ ἀνεῦρες : ἀνηῦρες exc. 
Thomps. omnes ἂν εὗρες Β || 6 στρέφει : -pn W || 237 ἃ 4 ἵνα: ἵν᾽ edd. 


236 c 


237 


237 a 


PHÈDRE 18 


d’arriver au plus vite au terme de mon discours et d’éviter 
qu'en te regardant je n'aille, de honte, perdre contenance. 

Puèpre. — Pourvu que tu parles, libre à toi, quant au 
reste, d’agir à ta guise. 


SOCRATE. — « C’est vous que j’invoque, 
« Muses à la voix légère‘, que vous 
« deviez ce surnom à la qualité de votre 
chant ou bien à la race musicienne des Ligures! Prenez 
en main, avec moi, la fiction ? dont me force à discourir le 
beau sire que voici, dans l'intention que l’homme dont il 
est le fidèle, après lui avoir fait déjà apprécier son talent, 
le lui fasse apprécier davantage encore ! 
« Or donc, il y avait une fois un jeune garçon, un ado- 
lescent plutôt, doué d’une grande beauté, et celui-ci 
avait des amoureux en grand nombre. Mais il y en avait 
un qui était un malin : sans avoir pour le garçon moins 
d’amour qu'aucun autre, il lui avait donné à croire qu’il 
« ne l’aimait pas. Un jour même, comme 1] le sollicitait, 
« voici précisément ce qu'il lui fit accroire: c'est qu’un 
« homme qui n’aime pas a plus de droit aux faveurs que 
« celui qui aime. Et son langage était celui-ci : 

« Quel que soit l’objet dont on délibère, un unique point 
« de départ, mon petit gars, permet de s’en bien tirer : c’est, 
« obligatoirement, de savoir ce qu’est l’objet sur lequel on 
« délibère; autrement, c’est forcé, on manque complète- 
« ment le but?. Or un fait qui échappe à la plupart des 
hommes, c’est qu'ils ne savent pas, pour chaque chose, 
quelle en est l’essence ; ainsi, se figurant le savoir, ils ne 
se mettent point en peine d’un accord au point de départ 
de la recherche et, à mesure qu'ils y avancent, eomme de 


Il. Premier 
discours de Socrate. 


A 


RARE ἃ 


RAA RAR 


lui prête pas ailleurs (cf. p. 3, n. 1). A la vérité, Aristophane fait 
de lui un maître d’éloquence (Nuées, 98-118, 260, 657, 874 sqq), 
et de même Xénophon (Mém. I 2, 31) ; mais, pour des raisons dif- 
férentes, leurs témoignages sont pareïllement suspects. 

1. Exactement : claire (cf. 230 c 2). J'ai tenté de garder l’allitération 
avec le nom des Ligures qui, selon la légende, étaient si musiciens 
qu’à la bataille ils réservaient au chant la moitié de leur armée. 

2. Imposée à Socrate (236 b), la thèse est en effet sans réalité 
(cf. 24refinet p.11, 1). 

3. Passage capital: si l’on ne s’est pas préalablement accordé sur 


D pr > pet Mr 


18 PAIAPOX 
τὸν λόγον καΐ, μὴ βλέπων πρὸς σέ, ὕπ᾽ αἰσχύνης διαπο- 
ρῶμαι. 

ΦΑΙ. Λέγε μόνον᾽ τὰ δ᾽ ἄλλα ὅπως βούλει ποίει. 


ΣΩ. « ἌἌγετε δή, ὦ Μοῦσαι, εἴτε δι᾽ φδῆς εἶδος λίγειαι, 
εἴτε διὰ γένος μουσικὸν τὸ Λιγύων ταύτην ἔσχετ᾽ ἐπω- 
νυμίαν, ξύμ μοι λάθεσθε τοῦ μύθου, ὅν με ἀναγκάζει 
ὃ βέλτιστος οὑτοσὶ λέγειν, ἵνα ὃ ἑταῖρος αὐτοῦ, καὶ πρό-- 


ΔΑ Α. ἃ 


τερον δοκῶν τούτῳ σοφὸς εἶναι, νῦν ἔτι μᾶλλον δόξῃ. 

« Ἣν οὕτω δὴ παῖς, μᾶλλον δὲ μειρακίσκος, μάλα καλός" 
τούτῳ δὲ ἦσαν ἐρασταὶ πάνυ πολλοί. Εἷς δέ τις αὐτῶν 
αἱμύλος ἦν, ὃς οὐδενὸς ἧττον ἐρῶν, ἐπεπείκει τὸν 
παῖδα ὡς oùk ἐρῴη. Kai ποτε, αὐτὸν αἰτῶν, ἔπειθεν 
τοῦτ᾽ αὐτό, ὧς μὴ ἐρῶντι πρὸ τοῦ ἐρῶντος δέοι χαρί- 
ζεσθαι. "Ελεγέν τε Gôe 

« Περὶ παντός, ὦ παῖ, μία ἀρχὴ τοῖς μέλλουσι καλῶς 
βουλεύεσθαι" εἰδέναι δεῖ περὶ οὗ ἂν À À βουλή, ἢ παντὸς 
ἁμαρτάνειν ἀνάγκη. Τοὺς δὲ πολλοὺς λέληθεν ὅτι οὐκ 
ἴσασι τὴν οὐσίαν ἑκάστου: ὡς οὖν εἰδότες, où διομολο- 
γοῦνται ἐν ἀρχῇ τῆς σκέψεως" προελθόντες δέ, τὸ εἰκὸς 


δι RAR A 


A 


MUR A 


a ὃ ὦ : om. Stob. || λίγειαι (et Dionys. Hermogen. Stob.) : 
λιγιαι B || 9 μοῦσιχὸν τὸ Λιγύων : τὸ A. μ. Dionys. u. τὸ λιγὺ ὃν 
Stob. y. τὸ λιγυρὸν Cornari. τι μουσιχὸν Heraclit. prob. Cobet u. τι 
Vollgr. || ἔσχετ᾽ (et Stob.) : ἔχετ᾽ W ἔσχετε τὴν Dionys. Heraclit. || 
10 ξύμ : ξύν T ut uid. || λάῤεσθε : λαδέσθαι Stob.r || 11 ἵνα : ἵν’ exc. 
Schanz omnes || Ὁ 2 μειραχίσχος : 1. ἁπαλός W uulg. || 4 αἱμύλος : 
ai. ΒΤ |} 5 αὐτὸν αἰτῶν : αὐ. ἐρῶν B αὐ. πειρῶν Winckelm. αὐ: λέγων 
Richards addub. ait. Vollgr. || ἔπειθεν : -θε W || 6 τοῦτ᾽ : -το B || 8 
τοῖς méAhouot χαλῶς (et Albin. Simplic.) : τῷ p. x. Philop. τοῦ x. id. 
alibi David Elias || © 1 βουλεύεσθαι (et Alb. Philop. Simpl. Dav. Eli.): 
-σεσθαι T Burnet || εἰδέναι δεῖ (et Alb. Phil. Simpl.): εἰ, ἃ δεῖ ΤΥ 
τὸ εἰ, Dav. Eli. || οὗ (et Alb. Simpl.): ὅτου Phil. Dav. Eli. || ἂν 7 
ἡ βουλή (et Phil. Simpl,): ἂν ἢ β. ἢ Alb. ἐστὶν ἣ σχέψις Dav. Eli. 
|| παντὸς ἁμαρτάνειν (οἱ Hermi. Simpl.): ἅπαντος ἁ. ΤῊ παρὰ 
τοῦτο ἁ Alb. τοῦ x. διαμ. (Phil.) uel ἁ. (Dav. Eli.) τοῦ x. ἁμαρτεῖν 
Hirschig || 3 εἰδότες : οὐχ εἰ. Albin. Vollgr. || 4 προελθόντες T? 
(s eras.) (et Albin.) : προσελθ. BT. 


237 a 


237 c 


238 


PHÈDRE 19 


juste ils le paient, puisqu'ils ne s'accordent, ni avec eux- 
mêmes, ni entre eux ! Ne nous mettons donc pas, toi et 
moi, dans le cas d’encourir le reproche que nous adres- 
sons à d’autres. Au contraire, dès lors que nous sommes, 
toiet moi, en face de la question de savoir si c’est avec un 
amoureux, ou avec un homme sans amour, qu’il vaut 
mieux lier amitié, le problème est celui de l’amour, de sa 
nature et de ses effets; mettons-nous d'accord pour en 
poser une définition ; ayons là-dessus les yeux fixés et rap- 
portons-nous y, tandis que nous examinons si c’est utilité, 
ou bien dommage, que l'amour apporte avec lui. 

« Et maintenant, ceci dit, que l’amour soit un désir, 
c'est une évidence pour tout le monde‘; que, d’autre part, 
même des gens qui n’aiment pas désirent ce qui est beau, 


« on le sait: à quel signe distinguons-nous donc entie celui 


qui aime et celui qui n’aime point? Il faut par ailleurs 
réfléchir qu’en chacun de nous il existe deux formes de 
principes et de motifs d’action, que nous suivons où ils 
peuvent bien nous mener : l’un, qui est inné, est le désir 
des plaisirs; l’autre, qui est une façon de voir acquise, 
aspire au meilleur. Or ces deux tendances sont en nous 
parfois concordantes, mais il arrive aussi qu’elles soient en 
lutte, et c’est parfois celle-ci qui domine, mais d’autres fois 
c'est celle-là. Cela posé, quand c’est une façon de voir qui, 


« par la raison, conduit vers le meilleur et qu’elle domine, 


cette domination s’appelle {empérance ; quand c’est le désir 
qui, déraisonnablement, entraîne aux plaisirs et gouverne 
en nous, voilà le gouvernement auquel on a donné le nom 
de démesure. Or la démesure a justement de multiples 
dénominations; multiples sont en effet ses membres et 
multiples ses formes ?, et, parmi ces formes, celle qui vient 
à être mise en relief fait que sa propre dénomination sert 


l’objet de la recherche en définissant cet objet, il est impossible ensuite 
de dire rien qui vaille sur les effets ou la fonction (cf. 238 de). 
C’est à quoi le Socrate du Banquet, après Agathon qui n’a fait que 
poser le principe, affirme la nécessité de procéder au sujet de l'Amour 
(194 6 sq., 199 be, 201 de, 204 e et Notice, p. Lxx1I-Lxxv1). 


1. Tout ce morceau doit être rapproché du Banquet, surtout 199 


d2,e6; 200 a 3,e 3; — 201 a 5,8 (cf. 204 ἃ 3-8, 6 3); — 205 ἃ 
8-d 8 ; 206 b-209 e. 


2. Si le texte est ici controversé, la suite des idées (jusqu’à c) est, 


CUT, CPV INT RP LT ον 


Set 


= 
Ξ 


ΦΑΙΔΡΟΣ 


ἀποδιδόασιν: οὔτε γὰρ ἑαυτοῖς οὔτε ἀλλήλοις ὅμολο- 
γοῦσιν. ᾿Εγὼ οὖν καὶ σὺ μὴ πάθωμεν ὃ ἄλλοις ἐπιτι- 
μῶμεν: ἀλλ᾽, ἐπειδὴ σοὶ καὶ ἐμοὶ ὃ λόγος πρόκειται 
πότερα ἐρῶντι ἢ μὴ μᾶλλον εἷς φιλίαν ἱτέον, περὶ 
ἔρωτος οἷόν τ᾽, ἔστι καὶ ἣν ἔχει δύναμιν, δμολογίᾳ 
θέμενοι ὅρον, εἰς τοῦτο ἀποθλέποντες καὶ ἀναφέ- 
ροντες, τὴν σκέψιν ποιώμεθα εἴτε ὠφέλειαν εἴτε βλάθην 
παρέχει. 

« Ὅτι μὲν οὖν δὴ ἐπιθυμία τις ὃ ἔρως, ἅπαντι δῆλον. 
ὅτι δ᾽ αὖ καὶ μὴ ἐρῶντες ἐπιθυμοῦσι τῶν καλῶν, ἴσμεν" 
τῷ δὴ τὸν ἐρῶντά τε καὶ μὴ κρινοῦμεν ; Δεῖ αὖ νοῆσαι 
ὅτι ἡμῶν ἐν ἑκάστῳ δύο τινέ ἐστον ἰδέα ἄρχοντε καὶ 


ἄγοντε, οἷν ἑπόμεθα ἣ ἂν ἄγητον, ñ μέν, ἔμφυτος οὖσα, 


ἐπιθυμία ἡδονῶν, ἄλλη δέ, ἐπίκτητος δόξα, ἐφιεμένη᾽ 


τοῦ ἀρίστου. Τούτω δὲ ἐν ἣμϊῖν τοτὲ μὲν ὁδμονοεῖτον, 
ἔστι δὲ ὅτε στασιάζετον᾽ καὶ τοτὲ μὲν ἧ ἑτέρα, ἄλλοτε 
δὲ ἣ ἑτέρα κρατεῖ. Δόξης μὲν οὖν ἐπὶ τὸ ἄριστον λόγῳ 
ἀγούσης καὶ κρατούσης, τῷ κράτει σωφροσύνη ὄνομα᾽ 
ἐπιθυμίας δὲ ἀλόγως ἑλκούσης ἐπὶ ôovàc καὶ ἀρξάσης 
ἐν ἥμῖν, τῇ ἀρχῇ ὕθρις ἐπωνομάσθη. Ὕθρις δὲ δὴ 
πολυώνυμον, πολυμελὲς γὰρ καὶ πολυειδές᾽ καὶ τούτων 
τῶν ἰδεῶν ἐκπρεπὴς ἣ ἂν τύχῃ γενομένη, τὴν αὑτῆς 
ἐπωνυμίαν ὀνομαζόμενον τὸν ἔχοντα παρέχεται, οὔτε 


© 5 ἀλλήλοις : ἄλλοις W et fors. T2 (An exp. et eras.) Albin, || 


8 πότερα W? (α 8. u.): πότερον W Thomps. om. B Schanz Vollgr. 
9 οἷόν τ᾽ ἔστι : οἷον τέ ἐστι ΤΥ οἷόν τι ἔστι Hirschig Vollgr. || ἔχει : 
εἶχε Β || ἃ τ ὅρον : addub. Schanz || εἰς : εἰ W (sed σ 8. ἃ.) || τοῦτο : 
-τον Stephan. || ὠφέλειαν : -ελίαν Τ et, exc. Thomps., omnes || 5 μὴ (et 
Stob.): οἱ μὴ auct. Madvig Vollgr. || 6 αὖ (et Stob.) : δὴ Schanz δὲ 
Vollgr. || 8 οἷν (et Stob.) : αἷν s. u. W? pr. m. ut uid. || 9 ἡδονῶν Β5 
(em.): δηλονων B |} ro (et 6 1) τοτὲ ... τοτὲ Stob. : τότε ... τότε codd, 
[| 6 3 σωφροσύνη : -νη W || 238 ἃ 3 πολυμελὲς ... πολυειδές (et Stob.): 
-μερὲς... -ειδές T'W -ειδὲς... -μελές Vindob. 109 -μελὲς... -uepéç Bur- 
net -μελές solum Hermi. || 4 ἰδεῶν (et Stob.) : ἰδέων Β ἡδέων Stob.n 
A (et Stob.) : à W ἢ W? rec. (em.) ἡ B |] αὑτῆς : αὖ. W Stob. a. 


B 


1 5 ὀνομαζόμενον : ἐπον. Stob. Heindorf Vollgr. 


237 


938 


238 a 


PHÈDRE 20 


« à nommer l’homme qui la possède : une dénomination 
« sans honneur et qui n’est guère précieuse! Est-ce par 
« exemple à la mangeaille que se rapporte le désir par lequel 
« sont dominés, et la raison du meilleur, et le reste des 
« désirs? Voilà la gloutonnerie, dont le nom servira précisé- 
« ment aussi à désigner celui chez qui elle existe. Est-ce 
« d’autre part aux excès de boisson qu’a rapport ce désir tyran- 
« nique ? Puisque c’est de ce côté qu’il mène l’homme dont 
« il est devenu l'apanage, il n’y a pas de doute sur l’épithète 
« dont celui-ci sera gratifié. Et ainsi du reste: en ce qui 
« concerne les noms apparentés à ceux-ci, et qui sont ceux 
« de désirs eux-mêmes apparentés, le nom qu’il convient 
« d'employer pour un désir dont le despotisme est sans 
« relâche, ce nom est de toute évidence. Or, quel est le 
« but où tend tout ce qui a été dit précédemment ? Peu s’en 
« faut sans doute qu’il ne soit manifeste ; il est, en tout cas, 
« plus sûr de le faire entendre que de le sous-entendre ! Le 
« désir, dirai-je, qui, dépourvu de raison, prédomine sur un 
« élan réfléchi vers la rectitude, quand il se porte au plaisir 
« que donne la beauté et quand, fortement renforcé à son 
« tour par les désirs de sa famille dont la beauté corporelle 
« est l'objet, il s’y porte victorieusement, alors, empruntant 
« sa dénomination à sa rhômè, à sa force, 1] a reçu le nom 
« d’Éros ou d'amour... »! 


Eh mais! ne te fais-je point, mon cher 


ARS tion  Phèdre, l'effet que je me fais à moi- 
ποτοῦ Qi. même, d'être dans un état qui tient du 
divin ? ? 


par contre, très claire: Socrate passe en revue les formes de la 
démesure, dont chacune est dénommée d’après l’espèce de plaisir 
qui est l’objet du désir, plaisirs du manger, du boire, de l’amour 
charnel. C’est une désarticulation des membres du genre (cf. 265 6 
sqq.) et qui répond à peu près à l’analyse du Banquet, 205 a-206 a. 
1. Le français ne peut rendre la cascade de jeux de mots à 
laquelle s’amuse ici Platon : la racine γιό, que sa fantaisie étymolo- 
gique veut retrouver dans éros, amour, est authentiquement constitu- 
tive des mots grecs qui ont été traduits par fortement, renforcé, force. 
2. Cette pause, avec tout ce qui la suit jusqu’à la reprise, prépare 
de loin la distinction (265 ab, 266 a) de deux délires, auxquels 
semblent respectivement se rapporter ce discours de Socrate et celui 


TU RTS re me de LU A) JE el ORNE PET 


Spa 


20 ' ΦΑΙΔΡΟΣ 


« τινὰ καλὴν οὔτ᾽ ἐπαξίαν κεκλῆσθαι. Περὶ μὲν γὰρ 
« ἐδωδὴν κρατοῦσα τοῦ. λόγου τε τοῦ ἀρίστου καὶ τῶν 
« ἄλλων ἐπιθυμιῶν ἐπιθυμία γαστριμαργία τε καὶ τὸν 
« ἔχοντα ταὐτὸν τοῦτο κεκλημένον παρέξεται. Περὶ δ᾽ αὖ 
« μέθας τυραννεύσασα, τὸν κεκτημένον ταύτῃ ἄγουσα, 
« δῆλον οὗ τεύξεται προσρήματος. Καὶ τἄλλα δὴ τὰ 
« τούτων ἀδελφὰ καὶ ἀδελφῶν ἐπιθυμιῶν ὄδνόματα τῆς 
« ἀεὶ δυναστευούσης, À προσήκει καλεῖσθαι πρόδηλον. Ἣς 
« δ᾽ ἕνεκα πάντα τὰ πρόσθεν εἴρηται, σχεδὸν μὲν ἤδη 
« φανερόν: λεχθὲν δὲ ἢ μὴ λεχθὲν πάντως σαφέστερον. 
« Ἧ γὰρ ἄνευ λόγου δόξης ἐπὶ τὸ ὀρθὸν δρμώσης κρατή- 
« σασα ἐπιθυμία, πρὸς ôoviv ἀχθεῖσα κάλλους καὶ ὕπὸ 
« αὖ τῶν ἑαυτῆς συγγενῶν ἐπιθυμιῶν ἐπὶ σωμάτων κάλλος 
« ἐρρωμένως ῥωσθεῖσα, νικήσασα ἀχωγῇ, ἀπ᾽ αὐτῆς τῆς 
« ῥώμης ἐπωνυμίαν λαθοῦσα, ἔρως ἐκλήθη. » 


᾿Ατάρ, ὦ φίλε Φαῖδρε, δοκῶ τι σοὶ ὥσπερ ἐμαυτῷ θεῖον 
πάθος πεπονθέναι : 


a 6 χεχλῆσθαι (et Stob.; cf. b 2, 3): -χτῆσθαι Β Thomps. Burnet 
ἐχτῆσθα:ι Schanz || 7 ἐδωδὴν (et Stob.) : -δὰς Hermi. || τοῦ λόγου te τοῦ 
(et Stob.): τοῦ À. τοῦ B Hermi. (?) Schanz Vollgr. (hic etiam τοῦ 
À. addub.) τοῦ τε À. τοῦ Buttmann Thomps. || b 1 ἐπιθυμία : del. ci. 
Vollgr. || te : τε χληθήσεται (ci. χαλεῖτσι) Vollgr. [j 2 ταὐτὸν : ταυτὸν 
codd. || 3 χεχτημένον (et Stob.) : ἐχτημέ. Schanz || 4 οὗ (et Stob.): 
οὐ B |) 5 τῆς : ἀπὸ τῆς Badham Vollgr. || 6 ἀεὶ : αἰ. codd. || 5 B? 
(rec. nt uid.) : à B ὃ Stob. Schanz || 7 τὰ : om. Stob. || 8 πάντως 
Ven. 189 Stob. πᾶν πως TW Thomps. Vollgr. πᾶν πῶς BW? (acc. 
rec. τὰ. ut uid.) || 9 ἄνευ λόγου ζοι Dionys. Stob. Hermi.): δυοί: Hart- 
man del. Vollgr. || ἐπὶ τὸ ὀρθὸν (et Stob. Hermi.): ἐπὲ τἀγαθὸν B? 
((. m. ἐν ἄλλῳ) Dionys. (cf. Notice, p. cLxxx sq-) Il οι ἀχθεῖσα 
(et Stob. Hermi.) : ἄγουσα i. τα. B? Dionys. || xai ὑπὸ αὖ : καὶ αὖ 
5.00." χαὶ 1. m. B? Dionys. || 2 ἑχυτῆς Β51. m. (et Dionys. Stob.): 
ἑαυτῇ B αὑτῆς Vollgr. || 3 ἐρρωμένως... 8 νιχήσασα : 560]. ἃ. 
Hermann || ἐρρωμένως B? rec. (em. et 1, m.) (et Dionys. Stob.): 
ἐρώμενος B || ῥωσθείσα (et Dionys. Stob.): -cavi. m. B? Dionys." addub 
Badham || νικήσασα (et Dionys. Stob. Hermi.) : χινήσασα dubit. ci. G. 
Hermann || ἀγωγῇ ΒΣ 1. m.: -γὴ Dionys. Stob. Schanz del. Vollgr. 
11 4 ἐπωνυμίαν (et Stob. Hermi.): τὴν ἐπων. Stob." ἐπιθυμίαν ΒΞ i. 
m. Dionysii codd. || 5 φίλε (et Hermi.) : om. idem.! 


2384 


238 c 


239 


PHÈDRE HEURE 


Paènre. — C’est tout à fait mon avis, Socrate. On n’est 
pas habitué à te voir ainsi emporté par le flux de l’éloquence ! 

SOocrATE. — Chut! alors, et écoute-moi. C’est que, tout de 
bon, l'endroit a bien l’air d’être divin ! De sorte que, si des 
fois, avec le progrès de mon discours, j'en viens à être un pos- 
sédé des Nymphes, ne t'en étonne pas. De fait, les paroles 
qu’à présent je profère ne sont plus bien loin d’être dithy- 


rambiques | 
Paèpre, — C'est très vrai, ce que tu dis là. 
SOCRATE. — À toi la faute, sais-tu bien! Mais écoute la 


suite: il pourrait se faire que se détourne de moi ce que je 
sens venir; ceci, après tout, ce sera l'affaire du dieu ; la 
nôtre est de revenir au discours qui s'adresse au jeune 
garçon. 
Hu « Eh bien ! donc, mon brave, quel est 
eprise. : AE: Sp ΤΡ ΤΟΣ 
« précisément. l’objet sur quoi il s’agit 
« de délibérer, voilà," c’est chose dite et définie. Les yeux 
« donc là-dessus fixés, ce qu’il nous reste encore à faire, 
« c’est de dire quelle utilité ou quel dommage, pour qui 
« accorde ses faveurs, doit probablement résulter aussi bien 
« de l’homme qui aime que de l’homme sans amour. Eh 
« bien! dis-je‘, quand on est gouverné par le désir, quand 
« on se fait l’esclave de la jouissance, forcément on doit, 
« semble-t-il, s'arranger à obtenir de l’aimé la plus grande 
« somme de jouissance. Or une inclination malade s'en- 
« chante de tout ce qui ne la contrarie pas, déteste ce qui est 
« supérieur ou égal. Donc, ni supériorité, ni égalité ne seront 
« par l’amoureux de bon gré supportées chez ses amours ; 
« mais toujours au contraire il travaille à leur abaissement 
« et à leur infériorité. Or l’ignorant est au-dessous du 
« savant ; le poltron, au-dessous du brave ; le parleur inhabile, 
« de RUE qui ἃ appris la rhétorique; celui qui a l’esprit 
« lent, de celui qui l’a vif. Quand chez l’aimé l'intelligence 
« a de pareilles faiblesses et bien d’autres encore, forcément 


’1l prononcera ensuite. ἃ présent, son état de possession, son 
qu Pp P ᾽ 


‘enthousiasme, doivent venir (cf. 241 de, 262 d, 263 4) des divinités de 


ce lieu champêtre, et si, en traitant un sujet glacé, il en est venu au 
ton du dithyrambe, c’est-à-dire d’un chant bachique, c’est qu’un 
délire nympholeptique déjà le menace. et c’est pour y échapper qu’il 
interrompra (241 c) ce qu’il appelle ici le progrès de son discours. 

1. Socrate, dans son discours, reprend tous les éléments de celui 


21 .PAIAPOEZ 


ΦΑΙ. Πάνυ μὲν οὖν, ὦ Σώκρατες: παρὰ τὸ εἰωθὸς 
εὔροιά τίς σε εἴληφεν. 

ΣΩ. Σιγῇ τοίνυν μου ἄκουε. Τῷ ὄντι γὰρ θεῖος ἔοικεν 
ὃ τόπος εἶναι ὥστε, ἐὰν ἄρα πολλάκις νυμφόλητιτος 
τιροϊόντος τοῦ λόγου γένωμαι, μὴ θαυμάσῃς" τὰ νῦν γὰρ 
οὐκέτι πόρρω διθυράμθων φθέγγομαι. 

ΦΑΙ. ᾿Αληθέστατα λέγεις. 

ΣΩ. Τούτων μέντοι σὺ αἴτιος. ᾿Αλλὰ τὰ λοιπὰ ἄκουε" 
ἴσως γὰρ κἂν ἀποτράποιτο τὸ ἐπιόν: ταῦτα μὲν οὖν 
θεῷ μελήσει, ἥμῖν δὲ πρὸς τὸν παῖδα πάλιν τῷ λόγῳ 
ἱτέον. 

« Εἶεν, ὦ φέριστε, ὃ μὲν δὴ τυγχάνει ὃν περὶ οὗ βου- 
« λευτέον, εἴρηταί τε καὶ ὥρισται: βλέποντες δὲ δὴ πρὸς 
« αὐτό, τὰ λοιπὰ λέγωμεν’ τίς ὠφέλεια ἢ βλάθη ἀπό τε 
« ἐρῶντος καὶ μὴ τῷ χαριζομένῳ ἐξ, εἰκότος συμβήσεται. 
« Τῷ δὴ ὕπὸ ἐπιθυμίας ἀρχομένῳ δουλεύοντί τε ἡδονῇ, 
« ἀνάγκη που τὸν ἐρώμενον ὡς ἥδιστον ἑαυτῷ παρα- 
« σκευάζειν. Νοσοῦντι δὲ πᾶν ἡδὺ τὸ μὴ ἀντιτεῖνον, 
« κρεῖττον δὲ καὶ ἴσον ἐχθρόν. Οὔτε δὴ κρείττω οὔτε 
« ἰσούμενον ἑκὼν ἐραστὴς παιδικὰ ἀνέξεται, ἥττω δὲ καὶ 
« ὑποδεέστερον ἀεὶ ἀπεργάζεται: ἥττων δὲ ἀμαθὴς σοφοῦ, 
« δειλὸς ἀνδρείου, ἀδύνατος εἰπεῖν ῥητορικοῦ, βραδὺς 
« ἀγχίνου. Τοσούτων κακῶν καὶ ἔτι πλειόνων κατὰ τὴν 


ἃ τ ὥστε (et Oxy.) : ὥστ᾽ Dionys. || ἄρα (et Oxy.) : om. 
Hermi. || 2 γένωμαι : ante προϊόντος Dionys. || 3 οὐχέτ! (et Oxy.): 
où Dionys. (Lysias 11, 1) τι postlac. in De Demosth. || διθυράμδων (et 
Oxy.) : à. τινῶν Dionys. || 6 xäv (et Hermi.) : ἂν TW || 7 θεῷ : 0w W 
|{ 1 ὠφέλεια (et Stob.) : -ελία T et, exc. Thomps., omnes || 3 δουλεύοντ' 
τε (et Stob.) : ἢ ὃ. τε TW || 4 παρασχευάζειν : x. χρείττοσι δέ Stobae: 
codd. || 5 δὲ (et Oxy. Stob.): om. Hermi. || τὸ (et Oxy. ut uid.): 
om. Stobaei codd. || μὴ ΒΞ 5. u. (et Oxy. Stob. Hermi.): om. B || 239 
a τ χρεῖττον (et Oxy. ut uid. Stob. Hermi.) : τὸ x. Hirschig Vollgr. 
| ἴσον (et Oxy. ut uid. Stob. Hermi.!) : ἰσούμενον Hermi. (cf. 239 a 
2) [| δὴ : .e. (δε) Oxy.? 5. ut || 3 ἀεὶ Oxy.: ai. codd. || ἀπεργάζεται 
(et Oxy. Stob.): -doerat Stephan. Vollgr. || ἥττων (et Oxy. Stob.): 
ἧττον W Vindob. 209 Stob." 


2380 


239 


239 a 


PHÈDRE 22 


« l’amoureux s'attache à celles qui se forment comme à 
« celles qui sont congénitales, tant pour se féliciter de ces 
« dernières que pour faire naître les autres : faute de quoi, 
« il laisse échapper la jouissance du moment! Il va de soi 
« qu'il est forcément jaloux; qu’il tient l’aimé à l'écart 
« d’une foule de relations, de celles surtout qui lui seraient 
« utiles en contribuant à faire de lui au plus haut point un 
« homme; qu'il lui cause ainsi un grand dommage, et le 
« dommage le plus grand si c’est à l’écart de cette relation 
« d’où résulterait pour lui la plus grande élévation de la pen- 
« sée. Or c'est justement le cas de la divine philosophie‘ : un 
« amoureux, forcément, loin d’elle écarte ses amours, par 
« peur extrême d'être ainsi dédaigné ! N'importe quel stra- 
« tagème lui est bon pour faire que son aimé soit ignorant 
« de tout, et qu’en tout il ait les yeux tournés vers son 
« amoureux : une fois mis en un tel état, il charmera sans 
« doute celui-ci, mais à lui-même il se sera causé le dom- 
« mage le plus grand! En somme donc, pour ce qui est de 
« l'intelligence, qu'il s'agisse de direction, qu’il s'agisse de 
« collaboration, il n'y a rien absolument à gagner avec 
« l’homme qui a de l’amour. 

« Passons au corps ?, à sa complexion, à la façon d’en pren- 
« dre soin : quelle est cétte complexion ? quels soins donnera 
« à ce corps, quand il en sera devenu le seigneur, l’homme 
« qui, par la force des choses, poursuit le plaisir de préfé- 
« rence au bien? Voilà ce qu'il faut, après cela, considérer. 
« Or cet homme, on le verra à la poursuite de quelque mol- 
« lasse et non d’un garçon solide; pas davantage, de quel- 
« qu'un qui ait été élevé au plein soleil, mais à couvert de 
« l'ombre d’un demi-jour ; à qui ne soient pas familières les 
« viriles fatigues et les sueurs de l’effort, mais à qui soient 
« familières les délicatesses d’un régime sans virilité; qui, 
« faute d’en avoir à lui propres, se parera de couleurs et de 


R 


de Lysias, en évitant, non pas seulement d’omettre la détermination 
de l’objet considéré, mais aussi de n’en pas classer les diverses mani- 
festations : ce qu’il reprochera à Lysias de n'avoir pas su faire 
(264 a-e). Le premier morceau concerne l'âme. 

1. L'amour du savoir, la philosophie, loin de favoriser d’autres 
amours (Banquet 183 a; p. 18, 1) les exclut au contraire. Peut- 
être est-ce ici la rhétorique ; cf. 239 a ἡ et Notice, p. cLxx sq. 

2. Maintenant c’est le point de vue du corps. — L'ombre d’un 


die tentée time Pet αν 


22 PAIAPOX 


« διάνοιαν ἐραστὴν ἐρωμένῳ, ἀνάγκη γιγνομένων τε καὶ 
« φύσει ἐνόντων τῶν μὲν ἥδεσθαι, τὰ δὲ παρασκευάζειν, 
«ἢ στέρεσθαι τοῦ παραυτίκα ἥδέος. Φθονερὸν δὴ ἀνάγκη 
« εἶναι, καὶ πολλῶν μὲν ἄλλων συνουσιῶν ἀπείργοντα καὶ 
« ὠφελίμων, ὅθεν ἂν μάλιστ᾽ ἀνὴρ γίγνοιτο, μεγάλης αἴτιον 
« εἶναι βλάθης, μεγίστης δὲ τῆς ὅθεν ἂν φρονιμώτατος 
« εἴη. Τοῦτο δὲ ñ θεία φιλοσοφία τυγχάνει ὄν, ἧς ἐραστὴν 
« παιδικὰ ἀνάγκη πόρρωθεν εἴργειν, περίφοθον ὄντα τοῦ 
« καταφρονηθῆναι. Τά τε ἄλλα μηχανᾶσθαι ὅπως ἂν À 
« πάντα ἀγνοῶν καὶ πάντα ἀποθλέπων εἷς τὸν ἐραστήν᾽ 
« οἷος ὧν τῷ μὲν ἥδιστος, ἑαυτῷ δὲ βλαθερώτατος ἂν εἴη. 
« Τὰ μὲν οὖν κατὰ διάνοιαν, ἐπίτροπός τε καὶ κοινωνός, 
« οὐδαμῇ λυσιτελὴς ἀνὴρ ἔχων ἔρωτα. 

« Τὴν δὲ τοῦ σώματος ἕξιν τε καὶ θεραπείαν, οἵαν τε 
« καὶ ὡς θεραπεύσει οὗ ἂν γένηται κύριος, ὃς ἥδὺ πρὸ 
« ἄγαθοθῦ ἠνάγκασται διώκειν, δεῖ μετὰ ταῦτα ἰδεῖν. 
« ᾿φθήσεται δὲ μαλθακόν τινα καὶ où στερεὸν διώκων, 
« οὐδ᾽ ἐν ἡλίῳ καθαρῷ τεθραμμένον, ἀλλὰ ὕπὸ συμμιγεῖ 


A 


σκιϑ, πόνων μὲν ἀνδρείων καὶ ἱδρώτων ξηρῶν ἄπειρον, 


= 
À 


ἔμπειρον δὲ ἁπαλῆς καὶ ἀνάνδρου διαίτης, ἀλλοτρίοις 


A 


χρώμασι καὶ κόσμοις χήτει οἰκείων κοσμούμενον, ὅσα τε 


a ὃ ἐραστὴν ἐρωμένῳ ἀνάγχη : ἐρω. post ἐνόντων 7 οἱ ἐρα. ἀν. post 
ἔρω. transp. Voller. |] γιγνομένων (et Oxy. Stob.): ἐγγιγν. auct. Naber 
Vollgr. || 7 ἐνόντων B? (em.) (et Oxy. Stob.): ἕν ὄντων B || τῶν (et 
Oxy. Stob.) : auct. Nutzhorn secl. Burnet del. Schanz τοῖς Oxy.? (s. 
u.) Heindorf Vollgr. || ἥδεσθα!: (et Oxy. Stob.) : «13. Hirschig || ὃ δὴ : 
.ε. (δε) Oxy.? 5. u. || avéyxn (et Stob.): -n B || Ὁ τ xx ὠφελίμων (et 
Oxy. Stob.) : secl. ci. Hartman del. Vollgr. || 3 φρονιμώτατος «et 
Où. Stob. LV, 478, 6]) : φ. τις Stob. [IIT, 209, 15] 115 πόρρωθεν : 

m. Oxy. πορρώτατα || περίφοδον B2 (et Stob.): περὲ φόδον B || 6 ἢ 
B?: 1 B Oxy. || 7 πάντα : addub. G. Hermann || ὃ μὲν (et Oxy. Stob.) : 
un B?(n s.u.) || ἑαυτῷ (et [ut uid.] Oxy. Stob.) : τῷ &. B Schanz | 
βλαδερώτατος : -τερος i. m. Oxy. Stob." || ἂν Vindob. το9 : om. codd. 
Oxy. (ut uid.) Stob. || εἴη : eme Oxy. || 0 4 θεραπεύσει : -σειεν Oxy. 
1. τὰ. || 5 μετὰ Β5 (τὰ s. u.) (et Oxy. Stob.): με B Stob.r || 6 δὲ (et 
Oxy. Stob.): δὴ Hirschig Schanz Burnet {| 7 οὐδ᾽ ἐν ΒΞ (acc. exp.) 
(et Stob.): οὐδὲν B || ἃ τ χρώμασι : -σιν Oxy. || κόσμοις (et Oxy. 
Stob.) : σχήμασιν Plut. 


239 a 


239 d 


240 


« 


3. Δ. Α΄ Α-Δ΄..ὃ 


A 


PHÈDRE ERA 


parures d'emprunt, dont toute l'occupation sera ce qui par 
ailleurs s’y rattache. Toutes choses manifestes et ne valant 
pas la peine qu’on aille plus avant, mais plutôt, après avoir 
sur un point particulier défini le principal, que l’on 
passe à un autre point : un corps de cette sorte, à la guerre 
comme dans toute autre nécessité importante, inspire en 
effet l’audace aux ennemis, tandis que les amis, et les amou- 
reux justement, tremblent pour lui ! 

« Voilà, bien sûr, un point à laisser de côté comme mani- 
feste, pour parler de celui qui vient ensuite : quelle 
utilité ou quel dommage, concernant ce que nous avons à 
nous, devons-nous attendre de la société comme de la 
direction de l’homme qui aime ‘? Eh bien! oui, voici qui 
ne fait doute pour personne, pour l’amoureux surtout : 
tout ce qu’à lui l’aimé a de plus cher, de plus bienveillant 
à son égard, de plus divin, c’est de cela que pour celui-ci 
l’amoureux souhaiterait par-dessus tout la perte; père, 
mère, parents, amis, il ne demanderait pas mieux que de 
leu voir privé : autant d’empêcheurs, pense-t-il, autant de 
censeurs de l’extrême agrément de son commerce avec 
lui! Ce n’est pas tout: ce qu’il jugera, c’est qu’un aimé 
qui a du bien à soi, soit en argent, soit en propriété d’autre 
sorte n’est, ni de prise pareïllement aisée, ni, une fois pris, 
aussi facile à manier ; il s’ensuit que, de toute nécessité, 
un amoureux est jaloux que ses amours aient du bien et, 
au contraire, ravi de leur ruine. Il y a plus encore: point 
de mariage pour ses amours, point d’enfants, point de 
foyer et le plus longtemps possible! voilà la condition que 
leur souhaiterait l’amoureux?, puisque son désir est de se 
réserver le plus longtemps possible l'égoïste jouissance de 
ce doux fruit. 


demi-jour, c’est en grec une ombre mélée par opposition à ce qui est 
appelé le soleil pur. — Plus loin il qualifie de sèches les sueurs d’un 
athlète, par opposition à celles qui suivent le bain ; c’est de même 
à sec que l’athlète se frotte d’huile, à la différence de qui vient de se 
baigner. 


1. Le troisième point est relatif aux avantages extérieurs, soit de 


naissance et de famille, soit de fortune. 


ἃ. C’est ce que l’Aristophane du Banquet (192 b) dit des hommes 


qui, provenant de la bissection d’un mâle primitif, cherchent en 
aimant les garçons à retrouver la moitié d'eux-mêmes. 


23 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« ἄλλα τούτοις ἕπεται πάντα ἐπιτηδεύοντα ἃ δῆλα καὶ 
« οὐκ ἄξιον περαιτέρω προβαίνειν, ἀλλά, ἕν κεφάλαιον 
« δρισαμένους, ἐπ᾽ ἄλλο ἰέναι" τὸ γὰρ τοιοῦτον σῶμα ἐν πο- 
« λέμῳ τε καὶ ἄλλαις χρείαις ὅσαι μεγάλαι, of μὲν ἐχθροὶ 
« θαρροῦσιν, οἱ δὲ φίλοι καὶ αὐτοὶ οἵ ἐρασταὶ φοθοῦνται. 

« Τοῦτο μὲν οὖν ὡς δῆλον ἐατέον. τὸ δ᾽ ἐφεξῆς ῥητέον, 
« τίνα fuîv ὠφέλειαν ἢ τίνα βλάθην περὶ τὴν κτῆσιν ἧ 
« τοῦ ἐρῶντος δμιλία τε καὶ ἐπιτροπεία παρέξεται. Σαφὲς 
« δὴ τοῦτό γε παντὶ μέν, μάλιστα δὲ τῷ ἐραστῇ, ὅτι τῶν 
« φιλτάτων τε καὶ εὐνουστάτων καὶ θειοτάτων κτημάτων 
« ὄδρφανὸν πρὸ παντὸς εὔξαιτ᾽ ἂν εἶναι τὸν ἐρώμενον᾽ 


R 


« πατρὸς γὰρ καὶ μητρὸς καὶ ξυγγενῶν καὶ φίλων στέ- 
« ρεσθαι ἂν αὐτὸν δέξαιτο, διακωλυτὰς καὶ ἐπιτιμητὰς 
« ἡγούμενος τῆς ἥδίστης πρὸς αὐτὸν ὁμιλίας. ᾿Αλλὰ μὴν 
« οὐσίαν γ᾽ ἔχοντα χρυσοῦ ἤ τινος ἄλλης κτήσεως, οὔτε 
« εὐάλωτον δμοίως οὔτε ἁλόντα εὐμεταχείριστον ἡγήσεται. 
« Ἔξ ὧν πᾶσα ἀνάγκη ἐραστὴν παιδικοῖς φθονεῖν μὲν 
« οὐσίαν κεκτημένοις, ἀπολλυμένης δὲ χαίρειν" ἔτι τοίνυν 
« ἄγαμον, ἄπαιδα, ἄοικον ὅτι πλεῖστον χρόνον παιδικὰ 
« ἐραστὴς εὔξαιτ᾽ ἂν γενέσθαι, τὸ αὑτοῦ γλυκὺ ὡς πλεῖστον 


A 


χρόνον καρποῦσθαι ἐπιθυμῶν, 


ἃ ἃ ἄλλα (et Oxy.): καὶ ἄ. Stob. || ἃ δῆλα B? rec. T? reuera 
(et Stob.) : ἄδηλα ΒΤ α δη δηλα Oxy. 1. m. || 3 περαιτέρω : -pw BW 


2394 


240 


|| ἕν κεφάλαιον (et Oxy. Stob.) : ἐν χεφαλαίῳ Ast Schanz || 4 ὁρισαμέ- : 


vous : -sauevoy Oxy.i. m. {| τοιοῦτον : -το Oxy. || 7 δ᾽ (et Oxy. Stob.): 
δὲ W || e τ ὠφέλειαν (et Stob.) : -ελίαν T Oxy. et, exc. Thomps., omnes 
[| περὶ τὴν χτῆσιν : secl. Hartman del. Vollgr. || 2 ἐπιτροπεία (et Ox y.) : 
-πία Stob. || 3 παντὶ (et Oxy.? τι add. 5. u.): παν Oxy. || δὲ (et Oxy. 
Stob.) : γε B || 4 τε : om. Oxy. Stob. || 5 παντὸς (et Oxy.) : πάντων 
Stobaei codd. || εὔξαιτ᾽ W? (αι ex em.) (et Oxy. [ut 6 spatio uid.] 
Stob.) : εὔξετ᾽ BW || 6 καὶ alt. (et Oxy. Stob.): om. B || ξυγγενῶν 
(et Oxy. Stob.) : συγγ. Stob." Burnet || 240 ἃ 1 δέξαιτο : εὔξ. dubit. 
ci. Herwerden || 2 αὐτὸν :’eav. Oxy. || ὁμιλίας : ομει. Oxy. || 5 φθονεῖν 
(et Oxy.? vs. u.): -ει Oxy. || 6 χεχτημένοις (et Oxy. Stob.): -vw 
Naber ἐχτημένῳ Vollgr. || ἀπολλυμένης (et Oxy. [utuid.] Stob.) : -νοῖς 
uulg. || 7 ἄοιχον B? rec. (em.) (et Oxy. Stob.): οἶχον B || 8 αὑτοῦ T? 
(em.) (et Oxy. [spir. fecit]): αὖ. TW Stob. av. B. 


240 a 


PHÈDRE 24 


« Il existe assurément bien des maux divers. A la plupart 
« d’entre eux néanmoins un dieu, sur le moment, mêla du 
« plaisir : ainsi le flatteur, c’est une terrible bête et grande- 
« ment nuisible, et pourtant la nature y a mêlé un certain 
« plaisir qui n’est pas sans saveur; d’une courtisane aussi, 
« comme d’une chose nuisible, on vous fera grief? ; sans 
« parler d'une foule de-créatures et de pratiques analogues, 
« quiontla propriétéd'être, au moins pour un jour, on ne peut 
« plus agréables. Il n’en est pas ainsi de l’amoureux par rap- 
« port à ses amours : il n’est pas nuisible seulement, son assi- 
« duité journalière fait de lui tout ce qu'il y a de plus désa- 
« gréable. Chaque âge en effet, c’est un vieux proverbe, fait 
« ses délices de ce qui est de son âge : être du même temps 
« porte, j'imagine, aux mêmes plaisirs, et cette similitude a 
« l'amitié pour effet; ce qui n’empèche, il est vrai, la satiété 
« d’être inhérente, même à de telles relations. C’est la vérité 
« aussi que la contrainte est, à son tour, qualifiée de pesante, 
« pour tout le monde et en tout; ce qui évidemment, en outre 
« de la différence des âges, est au plus haut degré le cas de 
« l’amoureux envers ses amours: dans ses relations avec 
« quelqu'un de plus jeune, l’homme plus âgé n'accepte en 
« effet pas volontiers d’être délaissé, ni jour ni nuit. Mais 
« alors, c’est par la contrainte et sous l’aiguillon qu’est mené 
« celui qui, pour l’homme dont je parle, est la source perpé- 
« tuelle des jouissances qu’il goûte à le voir, à l'entendre, à 
« le toucher, à sentir par tous les sens son aimé ; si bien que 
« ce sont des jouissances qui accompagnent son ferme assu- 
« jettissement auservice de celui-ci. Quant à l’aimé, comment 


 « l’encourager, ou quels plaisirs lui donnera-t-il à goûter 


« pour faire que, à égalité de temps, ce commerce ne l’amène 
« pas à l'extrême point du déplaisir ? oui, quand ce qui s'offre 
« à sa vue, c’est la vision d’un être déjà âgé et qui n’est pas 


1. Les sentiments qu’un amant amoureux inspirera à son aimé sont 
l’objet de la quatrième section : d’abord, tant que dure sa passion, il 
est insupportable ; puis (240 e-241 c), celle-ci éteinte, il devient un 
ingrat. De lui on ne peut donc espérer un plaisir qui compense vrai- 
ment les désagréments et les dommages dont il est la cause. 

2. Flatteur grugeant les riches, courtisane plumant les jeunes gens. 
sont des types traditionnels : celui-ci, surtout de la comédie moyenne, 

3. Le proverbe complet dit: « À chaque âge plais-toi avec qui a 
ton âge ; mais, vieux, plais-toi avec un vieux. » 


tail ns --ἀ 4 ἃ... "4 


24 PAIAPOE 240 a 


a ee ὅδε, οὐδε Ὁ 


A 


A 


A 


« Ἔστι μὲν δὴ καὶ ἄλλα κακά, ἀλλά τις δαίμων ἔμιξε τοῖς 
πλείστοις ἐν τῷ παραυτίκα ἧδονήν᾽ οἷον κόλακι, δεινῷ b 
θηρίῳ καὶ βλάβῃ μεγάλῃ, ὅμως ἐπέμιξεν À φύσις ἥδονήν 
τινα οὐκ ἄμουσον, καί τις ἑταίραν ὡς βλαθερὸν ψέξειεν 
ἄν, καὶ ἄλλα πολλὰ τῶν τοιουτοτρόπων θρεμμάτων τε καὶ 
ἐπιτηδευμάτων: οἷς τό γε καθ᾽ ἡμέραν ἡδίστοισιν εἶναι 
ὑπάρχει. Παιδικοὶς δὲ ἐραστὴς πρὸς τῷ βλαβθερῷ καὶ 
εἷς τὸ συνημερεύειν πάντων ἀηδέστατον. “Ἥλικα γὰρ καὶ ὁ 
ὃ παλαιὸς λόγος τέρπειν τὸν ἥλικα᾽ À γάρ, οἶμαι, χρόνου 
ἰσότης, ἐπ᾽ ἴσας ἡδονὰς ἄγουσα, δι᾿ ὁμοιότητα φιλίαν 
παρέχεται, ἀλλ᾽ ὅμως κόρον γε καὶ À τούτων συνουσία 
ἔχει. Καὶ μὴν τό γε ἀναγκαῖον αὖ βαρὺ παντὶ περὶ πᾶν 
λέγεται: ὃ δὴ πρὸς τῇ ἀνομοιότητι μάλιστα ἐραστὴς 
τιρὸς παιδικὰ ἔχει. νεωτέρῳ γὰρ πρεσβύτερος συνών, 
οὔθ᾽ ἡμέρας οὔτε νυκτὸς ἑκὼν ἀπολείπεται: ἀλλ᾽ ὕπ᾽ 
ἄνάγκης τε καὶ οἴστρου ἐλαύνεται, ὃς ἐκείνῳ μὲν ἡδονὰς d 
ἀεὶ διδοὺς ἄγει, δρῶντι, ἀκούοντι, ἁπτομένῳ, καὶ πᾶσαν 
αἴσθησιν αἰσθανομένῳ τοῦ ἐρωμένου ὥστε μεθ᾽ ἥδονῶν 
ἀραρότως αὐτῷ ὑπηρετεῖν. Τῷ δὲ δὴ ἐρωμένῳ ποῖον 
παραμύθιον ἢ τίνας ἧδονὰς διδούς, ποιήσει τὸν ἴσον 
χρόνον συνόντα μὴ οὐχὶ ἐπ᾽ ἔσχατον ἐλθεῖν ἀηδίας: 
δρῶντι μὲν ὄψιν πρεσθυτέραν καὶ οὖκ ἔν ὥρᾳ, ἑπομένων 


a 10 μὲν δὴ (et Clem. Eus. Stob.) : μὲν οὖν Theodoret. || ἔμιξε 


(et Stob.) : ἔμει. Oxy. Burnet ἀνέμιξε Clem. Eus. Theodoret. ἐπέμ.. 
auct. Naber Vollgr. || Ὁ 2 ἐπέμιξεν (et Stob.): ἐπέμει. Oxy. Burnet 
Vollgr. || 3 καί... 4 ἄν : secl. ci. Hartman || ἑταίραν (et Oxy. Stob.): 
pa W || 4 τε : del. i. τὰ. Oxy. ut uid. || 5 ἡδίστοισιν εἶναι T reuera 
(et Oxy. 1. m.): -τοῖς εἶναι Oxy. Stob. -τοῖς συνεῖνοι Stob.n Île τ γὰρ 
(et Oxy. Hermi.) : γ. δὴ Aristaenet. Stob. Burnet || 2 λόγος (et Aris- 
taenet.): om. Slob. φησὶ À. Stob.n λέγει À. Cobet Vollgr. || τέρπειν 
T (vs. u. pr. m.) (et reuera Stob.): -: Arisiaenet. || ἣ γὰρ... 5 
ἔχει : auct. Hartman del. Vollgr || 3 ἐπ᾽ (et Oxy. ut uid.): ἐπὶ TW 
Aristaenet. || ὁμοιότητα : -ότατον Aristaenet. || 5 αὖ (et Stob.) : εἶναι 
Stob.2 || 8 ἑκὼν ἀπολείπεται : ἀπ. ἐχ. TW || ἃ 2 ἀεὶ [ai. coud.] διδοὺς 
ἄγει: atitous ἄγ. ci. Schneider ἀϊδίους ὃ. ἄγ. Vollgr. || 3 ἡδονῶν Oxy. : 
-väs codd. edd. || 4 ἀραρότως αὐτῶ : av. ap. Oxy. || 5 διδοὺς : αἰδοῦς B 
διαιδοῦς W ἀντιδιδοὺς Vollgr. || 7 οὐχ: οὐχ ἔτι ci. v. Heusde οὐχέτ᾽ Voligr. 


IV. 8. — ἡ 


240 d 


241 


PHÈDRE 25 


« dans sa fleur, avec tout ce qui encore suit d’autre part 
cette vision, et dont il répugne d'entendre seulement parler, 
« pour ne rien dire du fait même d’une contrainte de se 
« laissér manier, qui perpétuellement le harcèle ? oui, quand 
il est, tout le temps et vis-à-vis de tout le monde, soumis 
« à des espionnages malignement soupçonneux ? qu'il s'entend 
« faire des compliments hors de propos et qui passent les 
« bornes ? mais des reproches aussi bien: reproches qui, 
« lorsque l’amoureux n’a pas encore bu, ne sont pas tolé- 
« rables, et qui, lorsque l'ivresse le gagne, ne sont pas into- 
« lérables seulement, mais en plus outrageants, et desquels 


A 


A 


« se saoule l’impudence débridée de son langage? 


« Ce n’est pas tout : l’amoureux est nuisible et déplaisant 
« tant qu’il aime ; mais, quand il a cessé d’aimer, il est sans 
« foi pour le temps d’après: ce temps en vue duquel il multi- 
« pliait ces promesses grâce auxquelles, à grand renfort 
de serments et de prières ‘, il avait péniblement réussi à 
« maintenir, si accablant qu’en fût le fardeau, le commerce 
« d’alors à cause des biens qu'il faisait espérer! Voici donc 
« venue l'obligation de payer sa dette. Mais en-dedans de lui- 
« même s’est opéré un retournement ? dans l'autorité et dans 


A 


« la direction: raison et sagesse ont remplacé amour et folie ; 


« il est devenu un autre homme, et l’aimé ne s’en est point 
« douté! Celui-ci donc lui réclame la rémunération du passé, 
« ilévoque le souvenir de ce qu'a fait l’amoureux, de ce qu'il 
« a dit: comme si son langage s’adressait au même homme ! 
« Quant à l’autre, la honte l’empêche, et d’avoir le courage 
« de dire qu'il est devenu un autre homme, et de trouver 
« moyen de donner corps aux serments, aux promesses du 
« régime antérieur, celui de la déraison ; à présent qu'il a 
« acquis la raison et qu'il est devenu sage, il ne veut pas 
« qu’une conduite identique à celle de l’homme d'autrefois le 
« fasse ressembler à celui-ci et redevenir le même. De ce 
« passé il est donc à présent le transfuge, et c’est désormais 


1. Comparer Banquet (discours de Pausanias) 183 bc. 

2. Ici apparaît une des deux images qui se mêlent dans le mor- 
ceau, celle de la coquille qui se retourne : allusion à un jeu où deux 
camps s'opposent ; au milieu du terrain, un joueur lance en l’air une 
coquille ; selon qu’elle tombe ou non sur la face nacrée, c’est à l’une des 
équipes de fuir à l’autre de poursuivre. L'autre image est juridique: 


25 ΦΑΙΔΡΟΣ 


« δὲ τῶν ἄλλων ταύτῃ ἃ καὶ λόγῳ ἐστὶν ἀκούειν οὐκ ἐπι- 
« τερπές, μὴ ὅτι δὴ ἔργῳ ἀνάγκης ἀεὶ προσκειμένης 
« μεταχειρίζεσθαι: φυλακάς τε δὴ καχυποτόπους φυλατ- 
« τομένῳ διὰ παντὸς καὶ πρὸς ἅπαντας: ἀκαίρους τε 
« ἐπαίνους καὶ ὕπερθάλλοντας ἀκούοντι: ὡς δ᾽ αὕτως 
« Ψόγους νήφοντος μὲν οὐκ ἀνεκτούς, εἰς δὲ μέθην 
« ἰόντος, πρὸς τῷ μὴ ἀνεκτῷ, ἐπαισχεῖς, παρρησίᾳ κατα- 
« κορεῖ καὶ ἀναπεπταμένῃ χρωμένου ; 

« Καὶ ἐρῶν μὲν βλαθερός τε καὶ ἀηδής" λήξας δὲ τοῦ 
« ἔρωτος, εἷς τὸν ἔπειτα χρόνον ἄπιστος εἷς ὅν, πολλὰ καὶ 
« μετὰ πολλῶν ὅρκων τε καὶ δεήσεων ὑπισχνούμενος, μόγις 
« κατεῖχε τήν γ᾽ ἐν τῷ τότε ξυνουσίαν ἐπίπονον οὖσαν 
« φέρειν δι᾽ ἐλπίδα ἀγαθῶν. Τότε δὴ δέον ἐκτίνειν᾽ μετα- 
« βαλὼν ἄλλον ἄρχοντα ἐν αὑτῷ καὶ προστάτην, νοῦν καὶ 
« σωφροσύνην ἄντ᾽ ἔρωτος καὶ μανίας, ἄλλος γεγονὼς 
« λέληθε τὰ παιδικά. Καὶ ὃ μὲν αὐτὸν χάριν ἀπαιτεῖ τῶν 
« τότε, ὑπομιμνήσκων τὰ πραχθέντα καὶ λεχθέντα, ὡς τῷ 
« αὐτῷ διαλεγόμενος. ‘O δὲ ὕπ᾽ αἰσχύνης οὔτε εἰπεῖν 
« τολμᾷ ὅτι ἄλλος γέγονεν, οὔθ᾽ ὅπως τὰ τῆς προτέρας 
« ἀνοήτου ἀρχῆς δρκωμόσιά τε καὶ ὑποσχέσεις ἐμπεδώσῃ 
« ἔχει, νοῦν ἤδη ἐσχηκὼς καὶ σεσωφρονηκώς, ἵνα μή, 
« πράττων ταὐτὰ τῷ πρόσθεν, ὅμοιός τε ἐκείνῳ καὶ ὃ 
« αὐτὸς πάλιν γένηται. Φυγὰς δὴ γίγνεται ἐκ τούτων καί, 


Θ 1 ἀεὶ : ai. codd. ||  χαχυποτόπους (post χα lit. eras. Τ) : χαχυπὸ 
τόπους B χαχυπόπτους uulg. Vollgr. || 3 ἀκαίρους te ἐπαίνους xai : 
ax. τε καὶ ἐπ. B Vollgr. ἀκ. τε χαὶ tyxalpous ἐπ. apogr. ἀχ, τε xai 


ἐπαχθεῖς ἐπ. Winckelm. || 5 νήφοντος : -τες B || 6 ἐπαισχεῖς, παρ- 


ρησίᾳ καταχορεῖ Heindorf : ἐπ᾽ αἴσχει π. 2. ΒΤ ἐπαίσχει x. x. W 
ἐπαισχεῖ π. καὶ x. Vollgr. || 244 ἃ 3 γ᾽ : om. B Thomps. Vollgr. Ϊ 


ξυνουσίαν : συν. Burnet || οὖσαν : om. B Schanz Vollgr. || à ἐχτίνειν : 


ἐχτεί. Coiïslin, 155 ἐχτείνει Ven. δή et fors. T? (ras. s. ἃ. ante : et y: 


alt. exp.) || μεταδάλλων : -λάδων corr. Coislin. 155 Thomps. || 3 αὑτῷ : 
αὐ. ΒΤ av. W || 5 λέληθε : Dev BT || 7 ὑπ᾽: ὑπὸ TW {| 8 ὅτι : οὔτ᾽ εἰ 
B || 9 ἐμπεδώσῃ : -σει uulg. et, exc. Burnet, omnes || b 1 νοῦν... 
3 γένηται secl. Hartman del. Vollgr. || 2 ταὐτὰ : ταῦτα B (sed B? rec. 
fecit acc. in alt. a) || 3 φυγὰς -.. τούτων (et Hermogen.) : del. Vollgr. 


241 


241b 


PHÉDRE 26 


« pour lui une nécessité de faire défaut, maintenant qu’en 
« tombant la coquille s’est retournée ; et, retourné lui-même, 
« il se hâte de prendre la fuite ! L'autre, de son côté, est dans 
« la nécessité d'être le demandeur, non sans s'indigner et 
« prendre à témoin les dieux : c’est que, dès le principe, il ἃ 
« complétement méconnu cette vérité, que jamais il n'aurait 
« dù accorder ses faveurs à un homme qui aime et qui forcé- 
« ment n’a pas sa tête à lui, mais bien plutôt à celui qui 
« n'aime pas et qui a toute sa tête ; 'qu'autrement il ne pou- 
« vait manquer de se mettre aux mains d’un être sans foi, 
« d'humeur difficile, jaloux, désagréable, nuisible pour ses 
« biens, nuisible aussi pour la complexion de son corps, 
« nuisible enfin, par dessus tout et de beaucoup, pour la 
« culture de son âme : un bienfait, au prix duquel il n’y a, 
« aux yeux ni des hommes ni des dieux, rien en réalité qui 
« vaille davantage, ni à présent ni jamais! 

« Voilà en fin de compte, mon petit gars, ce qu’il faut se 
« mettre dans l'esprit, et en même temps savoir que les bon- 
« nes intentions n’ont point de part à la genèse de l'amitié 
« chez un amoureux, mais que, comme dans le cas de ce qui 
« se mange, la réplétion en est l’objet : la tendresse du loup 
« pour l’agneau, voilà l’image de l'amitié qu'ont des amoureux 
« pour un jeune garçon ! ν᾽ 
C’est cela, je l'avais prévu, Phèdre! Tu 
n’as plus à entendre de ma bouche un 
seul mot, et dis-toi plutôt maintenant 
que le discours a le point final. 

Puèpre. — Pas possible ! Et moi qui me figurais que tu 
n’en étais qu’à sa moitié et que tu allais l’équilibrer ? avec un 
développement sur celui qui n’aime pas, sur l'obligation de 
lui accorder par préférence ses faveurs, et dire tous les biens 
qu’en retour cela comporte. Or voici que justement, Socrate, 
tu veux en rester là; pourquoi ? 

SocraTEe. — Ne t’es-tu pas aperçu, bienheureux ami, que 


Si l'on doit 
continuer, il faudra 
changer de ton. 


l’amoureux a pris des engagements au temps où, en demandeur, il 
voulait gagner sa cause près de l’aimé ; à présent, il les récuse, fait 
défaut, et l’autre ainsi devient le demandeur. 
1. C’est une fin d’hexamètre : voilà Socrate au ton de l’épopée. Il 
l’observe tout de suite in petto et le fait ensuite remarquer à Phèdre. 
2. Les membres d’une période doivent se balancer ; de même, 


TR NT SR 


> iMel ls 


26 PAIAPOE 241} 
« ἀπεστερηκὼς ὕπ᾽ ἀνάγκης ὃ πρὶν ἐραστής, ὀστράκου 

« μεταπεσόντος, ἵεται φυγῇ μεταθαλών. Ὃ δὲ ἀναγκά- 

« ἔεται διώκειν, ἀγανακτῶν καὶ ἐπιθεάζων, ἠγνοηκὼς τὸ 
ἅπαν ἐξ ἀρχῆς ὅτι οὐκ ἄρα ἔδει ποτὲ ἐρῶντι καὶ ὕπ᾽ 
ἀνάγκης ἀνοήτῳ χαρίζεσθαι, ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον μὴ 
ἐρῶντι καὶ νοῦν ἔχοντι: εἰ δὲ μή, ἀναγκαῖον εἴη ἐνδοῦναι“ € 
ἑαυτὸν ἀπίστῳ, δυσκόλῳ, φθονερῷ, ἀηδεῖ, βλαθερῷ μὲν 

« πρὸς οὐσίαν, βλαθερῷ δὲ πρὸς τὴν τοῦ σώματος ἕξιν, 

« πολὺ δὲ βλαθερωτάτῳ πρὸς τὴν τῆς ψυχῆς παίδευσιν, 

« ἧς οὔτε ἀνθρώποις οὔτε θεοῖς τῇ ἀληθείᾳ τιμιώτερον 


LC 


ἴα 


« 


πὶ 


« 


[οὶ 


LC 


À 


« οὔτε ἔστιν οὔτε ποτὲ ἔσται. 

ἀ Ταῦτά τε οὖν χρή, ὦ παῖ, συννοεῖν καὶ εἰδέναι τὴν 
« ἐραστοῦ φιλίαν ὅτι où μετ᾽ εὐνοίας γίγνεται, ἀλλὰ σιτίου 
« τρόπον χάριν πλησμονῆς, ὡς λύκοι ἄρνας ee ὃς ἃ 
« παῖδα φιλοῦσιν ἐρασταί. » 

Τοῦτο ἐκεῖνο, ὦ Φαῖδρε. Οὐκέτ᾽ ἂν τὸ πέρᾳ ἀκούσαις 
ἐμοῦ λέγοντος, ἀλλ᾽ ἤδη σοι τέλος ἐχέτω ὃ λόγος. 

ΦΑΙ. Καίτοι ᾧμην σε μεσοῦν αὐτοῦ καὶ ἐρεῖν τὰ ἴσα 
περὶ τοῦ μὴ ἐρῶντος, ὡς δεῖ ἐκείνῳ χαρίζεσθαι μᾶλλον, 
λέγων ὅσα αὖ ἔχει ἀγαθά. Νῦν δὲ δή, ὦ Σώκρατες, τί 
ἀποπαύει : 


ΣΩ. Οὐκ ἤσθου, ὦ μακάριε, ὅτι ἤδη ἔπη φθέγγομαι 9 


b ἡ ἀπεστερηχὼς (et Hermogen.): ἀπειρηκὼς corr. Coislin. 155 
ἀπεστυγηχὼς G. Hermann Hirschig || ὁ (et Hermogen.) : οὗ Ast || 
6 διώκειν : -χων B -xetv ἀνόητος ὧν Hermogen. [{ἐπιθεάζων (et Her- 
mogen.): ἐπιθει. B || ὃ ἀνοήτῳ χαρίζεσθαι: xateyouévw y. ἀνοήτως 
Hermogen. || © 2 £œaurov: ab. Stob. et, exc. Thomps., omnes αὐ. 
B Stob.? || δυσχόλῳ φθονερῷ : auct. Spengel del, Schanz || 3 βλαδέρῳ 
(et Stob.) : -ερωτέρῳ auct. Naber Vollgr. || τοῦ (et Stob.) : om. uulg. 
|| 5 οὔτε pri. (et Hermi.!) : οὐδὲν οὔτ᾽ Badham Vollgr. || 7 συννοεῖν : 
ξυν. T Stob.n ξυνοεῖν sic W Stob.n || ἃ τ ἄρνας ἀγαπῶσιν : ἄρν᾽ 
ἀγαπῶσ᾽ Hermi. (alibi ἄρνα φιλοῦσιν et Hermog. φιλεῦσ ”)et, exc. Bur- 
net, omnes || 3 τοῦτο : τοῦτ᾽ exc. Schanz omnes || πέρᾳ (et Hermi.): 
πέρας B? (fecit σ 5. 1) πέρα edd. || 4 ἀλλ᾽ ἤδη : ἀλλὰ δὴ ΤΥ || 5 σε 
Hermann : γε codd. edd. || αὐτοῦ : -τὸν Vindob. 109 edd. || ἐρεῖν : σε 
ἐ. Vollgr. || 6 ὡς δεῖ... 7 λέγων : ὡς ἐρεῖς ... λέγ. ci. Richards del. 
Vollgr. || 7 λέγων : -ovta Stephan. Schanz (-ονθ᾽} || 8 ἀποπαύει : -n W. 


2e 


242 


“2 


PHÈDRE 27 


déjà ma voix devenait épique? que je n'en étais plus aux 
dithyrambes ? Et cela dans le blâme! Mais, si c’est l'éloge de 
l’autre que je dois commencer, juges-en : qu'est-ce que je devrai 
faire? As-tu idée que, par la vertu de ces Nymphes, aux- 
quelles avec préméditation tu m'as livré, je vais être pris d'un 
enthousiasme indiscutable? Je le dis donc d’un seul trait : 
tout ce que nous avons vilipendé chez l’un, le contraire en 
revient à l’autre à titre de biens ; à quoi bon allonger le dis- 
cours, puisque sur tous deux il en a dit autant qu'il fallait? 
Quel que soit donc le sort qui, en bonne justice, convienne à 
ma fiction, ce sort sera le sien; moi, je traverse cette rivière et 
je me sauve, avant que par toi pire violence ne me soit faite ! 

Pare. — Ah! pas encore, Socrate, pas avant que soit 
passée la chaleur brûlante : ne vois-tu pas que c’est quasi- 
ment déjà midi tapant, l'heure où justement, comme on dit, 
ça tape dur ? Attendons plutôt ici, tout en nous entretenant 
de ce qui s’est dit ; aussitôt la fraîcheur venue, nous partons ! 

SOCRATE. — Pour les discours, Phèdre, tu es en vérité 
divin et, tout bonnement, tu m'émerveilles ! C’est mon avis 
en effet : ton temps a vu se produire des discours, mais per- 
sonne n’en a fait se produire un plus grand nombre que toi, 
soit que tu les aies toi-même prononcés, soit qu'à autrui tu 
les aies de façon quelconque imposés. Je fais exception 
pour Simmias de Thèbes ; mais les autres, tu les surpasses, 
et de très haut. Et voici, je crois bien, qu’à présent encore 


. tu viens de prendre l'initiative d’un discours que j'ai, moi, 


ὧν 


à prononcer ! ? 
Paèpre. — Eh! ce n’est pas là déclaration de guerre! 
Mais dis-moi comment, et quel est ce discours ? 


dans un discours, la thèse et l’antithèse (Banquet, Notice p. xL-xLrr). 

1. Il n’y a là, semble-t-il, aucune tautologie, mais une allitéra- 
tion. J’ai essayé de la rendre, en changeant toutefois l’image qui, en 
grec, est celle de station (du soleil), de stabilité (de sa chaleur). 

2. Dans le Banquet Phèdre a été l’initiateur du sujet, son père 
(177 a-e), donc le père aussi de tant de beaux discours ! Ici il est 
cause de celui que va prononcer Socrate, et l’épithète dont le gratifie 
celui-ci 261 a : père de beaux enfants n’est sans doute pas de pur 
style (cf. Plutarque Quaest platon. IL 1, 1000 ἢ sq.). Avec l’autre 
exception, l’allusion au Phédon n’est pas moins transparente (Phédon, 
Notice p. xrv). 

3, Phèdre est trop grand amateur de discours pour voir dans la 


Sedan tnti dinde 


27 PAIAPOY 

ἀλλ᾽ οὐκέτι διθυράμθους, καὶ ταῦτα ψέγων ; ᾿Εὰν δ᾽ ἐπαι- 
νεῖν τὸν ἕτερον ἄρξωμαι, τί με οἴει ποιήσειν ; © Ap° οἶσθ᾽ 
ὅτι ὑπὸ τῶν Νυμφῶν, αἷς με σὺ προύθαλες ἐκ προνοίας, 
σαφῶς ἐνθουσιάσω ; Λέγω οὖν ἑνὶ λόγῳ ὅτι ὅσα τὸν ἕτερον 
λελοιδορήκαμεν, τῷ ἑτέρῳ τἀναντία τούτων ἀγαθὰ πρόσ- 
εστιν᾽ καὶ τί δεῖ μακροῦ λόγου ; περὶ γὰρ ἀμφοῖν ἱκανῶς 
εἴρηται. Καὶ οὕτω δὴ ὃ μῦθος ὅ τι πάσχειν προσήκει αὐτῷ, 
τοῦτο πείσεται᾽ κἀγὼ τὸν ποταμὸν τοῦτον διαβάς, ἀπέρ-- 
χομαι πρὶν ὑὕπὸ σοῦ τι μεῖζον ἀναγκασθῆναι. 

ΦΑΙ. Μήπω γε, ὦ Σώκρατες, πρὶν ἂν τὸ καῦμα παρέλθῃ. 
Ἢ οὐχ 6p@c ὡς σχεδὸν ἤδη μεσημθρία ἵσταται, À δὴ 
καλουμένη σταθερά ; ᾿Αλλά, περιμείναντες καὶ ἅμα περὶ 
τῶν εἰρημένων διαλεχθέντες, τάχα ἐπειδὰν ἀποψυχῇ 
ἴμεν. 

ΣΩ. Θεῖός γ᾽ εἶ περὶ τοὺς λόγους, ὦ Φαῖδρε, καὶ 
ἀτεχνῶς θαυμάσιος. Οἷμαι γὰρ ἐγὼ τῶν ἐπὶ τοῦ σοῦ βίου 
γεγονότων λόγων μηδένα πλείους ἢ σὲ πεποιηκέναι. γεγε- 
νῆσθαι, ἤτοι αὐτὸν λέγοντα ἢ ἄλλους ἕνί γέ τῷ τρόπῳ 
προσαναγκάζοντα᾽ Σιμμίαν Θηθαῖον ἐξαιρῶ λόγου, τῶν δὲ 
ἄλλων πάμπολυ κρατεῖς. Καὶ νῦν αὖ δοκεῖς αἴτιός μοι 
γεγενῆσθαι λόγῳ τινὶ ῥηθῆναι. 

ΦΑΙ. Οὐ πόλεμόν γε ἀγγέλλεις. ᾿Αλλὰ πῶς δή, καὶ τίνι 
τούτῳ; 


e 20°: δὲ W i| 3 ἀρ᾽ : ἄρ᾽ Β ἀρ’ Τ || 4 προύδαλες : προύλαθδες 
W? Α οἱ β 5. ἃ.) || 5 ἐνθουσιάσω : ἐνθυσ. B || 6 πρόσεστιν: -τι W || 
242 ἃ τ χἀγὼ : χαὶ ἐγὼ TW || 4 à δὴ ... 5 σταθερά : secl. Ruhnken 
Schanz addub. Thomps. del. Vollgr. || ἢ δὴ (ex em. fors. T) (et 
Suidas): ἤδη B uulg. ἵσταται ἤδη ot. Ast || 6 τάχα ἐπειδὰν : ἐπ. 
τάχιστα ci. Herwerden uel αὐτίχ᾽ ἐπ. Vollgr. || ἀποψυχῇ luev : ἀπο- 
ψυχηϊμεν B ἀποψύξῃ ἴωμεν T et ἴμεν W (sed y 5. ξ fecit T?) ax. ἄπιμεν 
Bekkeri anecd. Vollgr. {|b τ λόγων : om. BW et, exc. Burnet,omnes || 
πεποιηχέναι : πεπον. T || Yeyevñodar : γενέσθαι Richards Vollgr. || 2 
τῳ: τῷ B reuera T (acc. eras. in γέ) om. W uulg. || 3 Σιμμίαν : 


Σιμί, Schanz Vollgr. || Θηθαῖον : auct. Herwerden del. Vollgr. || - 


ἐξαιρῶ Heindorf : ἐξαίρω codd. -pwv Ven. 185 || λόγου : τοῦ À. W || 
δὲ : δ᾽ W || 5 γεγενῆσθα: : γενήσ. Badham Vollgr. 


24te 


242 


242b 


PHÈDRE 28 


| ᾿ SOCRATE. — Au moment même, mon 
op NRRDer tie. — Eon, où j'étais sur le point de traverser 
démonique. la rivière, ce signal divin, ce signal dont 


la manifestation est habituelle chez moi!, 
s’est manifesté. Or c’est toujours pour m'arrêter quand je 
vais faire une chose. Et j’ai cru entendre une voix qui en 
venait et qui ne m’autorisait pas à m’en aller avant de m'être 
acquitté d'une pénitence, en raison de quelque péché de ma 
part envers la divinité: preuve certaine que je suis un devin, 
pas très fort c'est vrai, mais, à la façon des gens qui savent 
mal leurs lettres, juste assez rien que pour moi! Donc j'ai 
déjà claire conscience d’avoir péché. Incontestablement une 
chose, camarade, qui a ce pouvoir même de divination, c’est 
aussi l'âme: il y avait en effet un je ne sais quoi qui me 
troublait, et depuis un bon moment, tandis que je disais mon 
discours ; j'étais tout décontenancé, par peur, selon la parole 
d’'Ibycus?, qu'ayant failli auprès des dieux, je ne fusse, en 
compensalion, honoré des hommes. Mais maintenant je me suis 
rendu compte de mon péché ! 

Paèpre. — Quel est donc le péché dont tu parles? 

Socrate. — Épouvantable, Phèdre, épouvantable est le 
discours dont, tu t’es toi-même chargé, aussi bien que celui 
que tu m'as forcé de prononcer. 

Pnèpre. — Comment cela ? 

SOCRATE. — Une niaiserie, et, dans une certaine mesure, 
une impiété ! Dans ces conditions peut-il y avoir plus épou- 
vantable discours ? 

Puaèpre. — Impossible, pour peu que ce que tu dis soit 
la vérité. 

SocraTE. — Quoi donc! Amour n'est-il pas à ton juge- 
ment le fils d’Aphrodite, et un dieu? 

Paèpre. — En tout cas c’est assurément la tradition ὃ. 


déclaration de Socrate une menace : sa réponse est celle qu’on fait 
par antiphrase au messager d’une bonne nouvelle (cf. 243 b fin). 

1. Je garde, bien que contesté, le texte traditionnel : la voix 
intérieure vient d’une source divine ; aussi donne-t-elle à l’âme qui 
l’entend'une divination (cf. 244 a-245 c la suite d’idées qui aboutit à étu- 
dier la nature de l’âme; Notice p. ὀχχχι sq.), d’ailleurs toute person- 
nelle ; jamais elle ne fait que détourner Socrate d’agir (Apologie 31 d). 

2. De Rhégium (milieu du 1ve s.) ; fr. 51 Bergk. 

3. Il n’est pas impossible que la réplique (cf. aussi infra) soit une 


28 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ΣΩ. ἩΝνίκ᾽ ἔμελλον, ὥγαθέ, τὸν ποταμὸν διαβαίνειν, τὸ 
δαιμόνιόν τε καὶ τὸ εἰωθὸς σημεῖόν μοι γίγνεσθαι ἐγένετο" 
ἀεὶ δέ με ἐπίσχει ὃ ἂν μέλλω πράττειν, καί τινα φωνὴν 
ἔδοξα αὐτόθεν ἀκοῦσαι ἥ με οὐκ ἐᾷ ἀπιέναι πρὶν ἂν 
ἀφοσιώσωμαι, ὥς τι ἡμαρτηκότα εἰς τὸ θεῖον. Εἰμὶ δὴ 
οὖν μάντις μέν, οὐ πάνυ δὲ σπουδαῖος, ἀλλ᾽, ὥσπερ of τὰ 
γράμματα φαῦλοι, ὅσον ἐμαυτῷ μόνον kavés. Σαφῶς οὖν 
ἤδη μανθάνω τὸ ἁμάρτημα. Ὥς δή τοι, ὦ ἑταῖρε, μαντικόν 
γέ τι καὶ ἣ ψυχή: ἐμὲ γὰρ ἔθραξε μέν τι, καὶ πάλαι, 
λέγοντα τὸν λόγον, καί πὼς ἐδυσωπούμην, κατ᾽ “IBukov, 
μή τι’ παρὰ θεοῖς 

ἀμθλακὼν τιμὰν πρὸς ἀνθρώπων ἀμείψω. 


Νῦν δ᾽ ἤσθημαι τὸ ἁμάρτημα. 

ΦΑΙ. Λέγεις δὲ δὴ τί; 

ΣΩ. Δεινόν, ὦ Φαῖδρε, δεινὸν λόγον αὐτός τε ἐκόμισας 
ἐμέ τε ἠνάγκασας εἰπεῖν. 

ΦΑΙ. Πῶς δή; 

ΣΩ. Εὐήθη καὶ ôné τι ἀσεθῆ᾽ οὗ τίς ἂν εἴη δεινότε- 
pos ; 

ΦΑΙ. Οὐδείς, εἴ γε où ἀληθῆ λέγεις. 

ΣΩ. Τί οὖν: τὸν Ἔρωτα oùk ᾿Αφροδίτης καὶ θεόν τινα 
ἡγεῖ; 

ΦΑΙ. Λέγεταί γε δή. 


b 8 τὸ δαιμόνιόν τε xai (et Hermi. ut uid.): damn. Hartman 
Wilamowitz del. Vollgr. || 9 τε χαὶ : ci. del. Schanz μοι καὶ Vindob. 
109 (1.0: om. ante γίγνεσθαι) || τὸ (et Proclus) : om. nonnulli libri || 
© τ ἀεὲ ... πράττειν (et Proclus): 560]. Heindorf Schanz del. Vollgr. 
ἢ ἀεὶ : αἰ. codd. || ὃ : ἃ Proclus || ἃ ἐᾷ (et Proclus): εἴα Richards 
Vollgr. || 3 ὡς (et Hermi.!) : ὡς δὴ Proclus Burnet || 5 ὅσον : ὅσ. μὲν 
B edd. || ἱκανός : -νῶς B || 6 ὡς δή τοι, ὦ : ὡς δε ποιω BW? (ε 8. ἡ et 
π 8. τ) οἶσθα δέ που, ὦ Herwerden Vollgr. || 7 γέ: del. idem. || ἃ 1 
ἀμόλαχὼν (ἀμόλά. ΝΥ) : ἀμπλαχῶν ΤΥ 3 (π νοΐ. man. 5. β) || τιμὰν : -uäv 
B || 2 νῦν δ᾽ ἤσθημαι : συνήσθ. Proclus || 7 οὗ τίς : οὔ τις B ουτις Oxy. 
οὗ τί et mox δεινότερον Proclus [[9.᾿Αφροδίτης : -δειτης Oxy. || 10 ἡγεῖ 
(et Oxy.): -3 W || ττ γε (et Oxy.?) : δε Oxy. 


242b 


242 d 


243 


PHÈDRE 29 


SocRATE. — Du moins ce n’est pas celle 
du discours de Lysias, ni non plus du tien 
— de celui que tu as prononcé par ma 
bouche, une fois celle-ci ensorcelée ! Mais 
Amour, s’ilest (ce que réellement il est) un dieu ou bien quel- 
que chose de divin, ne saurait être quelque chose de mauvais. 
Or c’est ainsi qu'il a été caractérisé par les deux discours qui 
viennent d'être prononcés à son sujet; tous deux en cela ils 
péchaient donc envers Amour. Et de plus ils sont, l’un et 
l’autre, d’une niaiserie absolument exquise: alors qu’ils ne 
disent rien de sain ni de vrai, ils se font gloire d’être quelque 
chose, si d'aventure ils doivent faire illusion à je ne sais quels 
bouts d'homme et s'être acquis auprès d’eux de la réputation! 
C’est donc pour moi une nécessité de me purifier. Or il y a, 
pour ceux qui pèchent en matière de mythologie, une anti- 
que purification dont Homère, lui, ne s’est point avisé, mais 
bien Stésichore‘. Privé de la vue pour avoir médit d'Hélène, 
il ne partagea pas l’incompréhension d'Homère : il avait de la 
culture, il comprit la raison et il se hâta de composer les 
vers que voici: « {l n’y a pas de vérité dans ce langage ! — 
Non, tu ne montas point sur les nefs bien pontées, — non, tu ne 
vins pas au château de Troie! » Et, quand il eut achevé de 
composer la Palinodie (c’est le titre du poème), sur le champil 
recouvra la vue. En effet je montrerai, moi, plus d’habileté 
que ces gens-là, sous ce rapport du moins: je vais en effet, 
sans attendre quelque disgrâce pour avoir médit d'Amour, 
m’efforcer de lui payer ma « palinodie », avec la tête à décou- 
vert et non pas en m'encapuchonnant, comme de honte je 
le faisais tout à l'heure. 


Une palinodie 
expiatoire est 
nécessaire. 


allusion au discours de Diotime : Amour est démon et non dieu, fils 
non d’Aphrodite, mais de Poros et de Pénia (Banquet 202 d-203 c). 

1. Stésichore (première moitié du vie s.) avait, au début de son 
poème La destruction d’Ilion, durement parlé d'Hélène, « la femme 
aux deux, aux trois maris, l’infidèle épouse ». Puisque c’était Aphro- 
dite qui punissait Tyndare en donnant à la vertu de sa fille une telle 
fragilité, à son tour l’innocente héroïne était en droit de punir ceux 
qui, comme Homère et Stésichore, lui reprochaiïent sa conduite (cf. 
A. Diès Autour de Platon, p. 108 sq.). Mais le second, étant un 
lyrique, donc un musicien (et le philosophe n’est-il pas, pour Platon, 
le parfait musicien [Phédon 61 a] ἢ), comprit qu’il avait péché et en 
quoi. D'où sa rétractation : ce n’est pas Hélène, c’est son fantôme qui ἃ 


2) Ἷ ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ΣΩ. Οὔ τι ὕπό γε Λυσίου, οὐδὲ Ünd τοῦ σοῦ λόγου, ὃς 
διὰ τοῦ ἐμοῦ στόματος καταφαρμακευθέντος ὕπὸ σοῦ 
ἐλέχθη. Εἰ δ᾽ ἔστιν, ὥσπερ οὖν ἔστι, θεὸς ἤ τι θεῖον ὃ 
Ἔρως, οὐδὲν ἂν κακὸν εἴη τὼ δὲ λόγω τὼ νῦν δὴ περὶ 
αὐτοῦ εἰπέτην ὡς τοιούτου ὄντος᾽ ταύτῃ τε οὖν fuap- 
τανέτην περὶ τὸν Ἔρωτα. ἜἜτι τε ἣ εὐήθεια αὐτοῖν πάνυ 
ἀστεία, τὸ μηδὲν ὑγιὲς λέγοντε μηδὲ ἀληθὲς σεμνύνεσθαι 
ὥς τι ὄντε, εἰ ἄρα, ἀνθρωπίσκους τινὰς ἐξαπατήσαντε, 
εὐδοκιμήσετον ἐν αὐτοῖς. ᾿Εμοὶ μὲν οὖν, ὦ φίλε, καθή- 
ρασθαι ἀνάγκη. Ἔστι δὲ τοῖς ἁμαρτάνουσι περὶ μυθολογίαν 
κΚαθαρμὸς ἀρχαῖος, ὃν Ὅμηρος μὲν οὖκ ἤσθετο, Στη- 
σίχορος δέ: τῶν γὰρ ὀμμάτων στερηθεὶς διὰ τὴν Ἕλένης 
κακηγορίαν, οὐκ ἤγνόησεν ὥσπερ “Ὅμηρος, ἀλλ᾽ ἅτε μουσικὸς 
ὧν ἔγνω τὴν αἰτίαν καὶ ποιεῖ εὐθὺς" 


Οὐκ ἔστ᾽ ἔτυμος λόγος οὗτος᾽ 
οὐδ᾽ ἔθας ἐν νηυσὶν εὐσέλμοις 
οὐδ᾽ ἵκεο πέργαμα Τροίας. 


Καὶ ποιήσας δὴ πᾶσαν τὴν καλουμένην Παλινῳδίαν, παρα-- 
χρῆμα ἀνέθλεψεν. Ἐγὼ οὖν σοφώτερος ἐκείνων γενήσομαι, 
κατ᾽ αὖτό γε τοῦτο" πρὶν γάρ τι παθεῖν διὰ τὴν τοῦ Ἔρωτος 
κακηγορίαν, πειράσομαι αὐτῷ ἀποδοῦναι τὴν παλινῳδίαν, 
γυμνῇ τῇ κεφαλῇ καὶ οὖχ, ὥσπερ τότε, ὕπ᾽ αἰσχύνης 
ἐγκεκαλυμμένος. 


ἃ 12 οὔ τι B? (ex ο fecit ov et signa rescr.) (et Oxy.? τι 5...) : ὅτι 
B ouv Oxy. οὔτοι Heindorf Vollgr. || οὐδὲ : ovà Oxy. || e 2 ὥσπερ … 
θεῖον : om. Oxy. || 3 τὼ δὲ λόγω τὼ (et Oxy.? acc. in pr. τω): τῷ δὲ 
λόγῳ τῷ B τὼ δὴ λόγω τὼ TW || νῦν δὴ : νυνδὴ exc. Thomps. omnes 
|| 4 ἡμαρτανέτην : ἡμάρτανε τὴν Β sed acc. rec. m. |] 5 ἔτι τε (et Oxy.) : 
εἴτε B || 243 ἃ τ μηδὲ B? (i. m.) : μήτε B || 2 ἀνθρωπίσχους (et Oxy.? 
ss.u.): -πίχους W Oxy. || 3 ἐμοὶ : eus Oxy. || καθήρασθαι (et Oxy.) : 
καθῃ. T | ἡ ἔστι (οἱ Oxy.): -τιν B || 6 EXévns : τῆς E. Oxy.? (της 5. 
u.) || 7 καχηγορίαν : κατηγ. Oxy. (sed cf. b 5) Hermi. || ὥσπερ “Ὅμηρος 
(et Oxy.): del. Vollgr. || 8 ποιεῖ (et Oxy.): ἐποίει Richards Vollgr. || 
9 ἔτυμος : Et. BWT? £:5. T || οὗτος : om. Oxy. τος s. u. Oxy.? post 
οὐδ᾽ |] ro οὐδ᾽ ἔδας : ουδὲ βὰς BW || εὐσέλμοις : εὐσσ. Oxy. || b 5 χαχηγο- 
ρίαν (et Oxy.? x s. u.): xatn. Oxy. || 6 τῇ (et Hermi.): om. B Oxy. 


242 d 


PHÈDRE 30 


Paëpre. — Ah! Socrate, c’est tout ce que tu pouvais me 
dire de plus agréable! 
SocraTE. — Cela prouve, mon bon Phèdre, que tu conçois 


ce qu'il y avait d’impudent dans les deux discours prononcés, 
aussi bien celui-là que celui que tu as lu sur ton cahier. 
Supposons en effet qu’il se soit trouvé, pour nous entendre, 
un homme dont le caractère eût de la noblesse et de la 
bienveillance, et qui en aimât un autre tout pareil ou bien 
qui l’eût aimé auparavant; quand nous lui parlerions de ces 
amoureux qui, pour de faibles motifs, s’emportent à une 
vigoureuse inimitié, qui à l'égard deleurs amours se condui- 
sent en jaloux et leur sont nuisibles, comment pourrais-tu ne 
pas penser qu’à son jugement les propos entendus sont ceux 
de gens nourris parmi des matelots et qui n’ont jamais eu 
le spectacle d’un amour vraiment libre? Ne s’en faudrait-il 
pas de beaucoup qu'il [ἀϊ d’accord avec nous dans ces repro- 
ches dont nous chargeons Amour ? 

Paëpre. — C'est, par Zeus, bien possible, Socrate ! 

SocrATE. — Eh bien ! devant cet homme-là, vois-tu, je me 
fais honte, et c'est d'Amour en personne que j'ai peur ; alors, 
j'aspire à un discours dont l’eau douce lave ce que j'appelle- 
rais l’âcre salure des propos entendus! Mais à Lysias égale- 
ment je conseille d'écrire au plus vite sur l'obligation, toutes 


choses égales d’ailleurs, d’accorder ses faveurs à l’amoureux, 


plutôt qu’à celui qui n’aime pas. 

Paèpre. — Eh bien! sois-en sûr, c’est ainsi que ça se 
passera ! Du moment que tu auras prononcé l'éloge de l’amou- 
reux, à toute force il faudra que Lysias soit par moi forcé 
d'écrire à son tour un discours sur le même sujet?. 

SOGRATE. — Là-dessus je me fie à toi, ma parole! aussi 
longtemps que tu seras qui tu es. 

Paèpre. — Parle, alors, en toute assurance! 

SOCRATE. — Où donc est passé ce jeune garçon à qui je 


suivi Pâris à Troie (cf. Rép. IX 586 c). Pour offrir au dieu qu'il a 
offensé sa palinodie, préventive celle-là, Socrate sera le pénitent qui 
proclame ouvertement sa faute ; se serait-il, s’il ne l’avait déjà sentie, 
voilé la tête avant son premier discours (237 a) ? Mais le vrai coupable 
(si ce n’est Lysias, 257 ab) est Phèdre, l’ensorceleur qui l’entrainait 
dans la bacchanale (234 d ; cf. 244 a). 

1. Se purifier en lavant la souillure (242 ἃ 544. ; cf. 257 a). 

2. C’est l’idée sophistique de compétition (Banquet, p. Lxx sq.). 


osé en, 


30 ΦΑΙΔΡΟΣ 


ΦΑΙ. Τουτωνί, ὦ Σώκρατες, οὐκ ἔστιν ἅττ᾽ ἂν ἐμοὶ 
εἶπες ἡδίω. ; 

ΣΩ. Καὶ γάρ, ὠγαθὲ Φαῖδρε, ἐννοεῖς ὡς ἀναιδῶς 
εἴρησθον τὼ λόγω, οὗτός τε καὶ ὃ ἐκ τοῦ βιθλίου ῥηθείς. 
Εἰ γὰρ ἀκούων τις τύχοι ἡμῶν, γεννάδας καὶ πρᾷος τὸ 


ἦθος, ἑτέρου δὲ τοιούτου ἐρῶν ἢ καὶ πρότερόν ποτε 


ἐρασθείς, λεγόντων ὧς διὰ σμικρὰ μεγάλας ἔχθρας of. 


ἐρασταὶ ἀναιροῦνται καὶ ἔχουσι πρὸς τὰ παιδικὰ φθονερῶς 
τε καὶ βλαθερῶς, πῶς οὐκ ἂν οἴει αὐτὸν ἡγεῖσθαι ἀκούειν 
. ἐν ναύταις που τεθραμμένων καὶ οὐδένα ἐλεύθερον ἔρωτα 
ξἑωρακότων, πολλοῦ δ᾽ ἂν δεῖν ἣμϊν δμολογεῖν ἃ ψέγομεν 
τὸν Ἔρωτα; 

ΦΑΙ. Ἴσως νὴ Al, ὦ Σώκρατες. 

ΣΩ. Τοῦτόν γε τοίνυν ἔγωγε αἰσχυνόμενος καὶ αὐτὸν 
τὸν Ἔρωτα δεδιώς, ἐπιθυμῶ ποτίμῳ λόγῳ οἷον ἁλμυρὰν 
ἀκοὴν ἀποκλύσασθαι. Συμθουλεύω δὲ καὶ Λυσίᾳ ὅτι τάχιστα 
γράψαι ὡς χρὴ ἐραστῇ μᾶλλον ἢ μὴ ἐρῶντι, ἐκ τῶν δμοίων, 
χαρίζεσθαι. 

ΦΑΙ. ᾿Αλλ᾽ εὖ ἴσθι ὅτι ἕξει τοῦθ᾽ οὕτω: σοῦ γὰρ εἰπόντος 
τὸν τοῦ ἐραστοῦ ἔπαινον, πᾶσα ἀνάγκη Λυσίαν ὕπ᾽ ἐμοῦ 
ἄναγκασθῆναι γράψαι αὖ περὶ τοῦ αὐτοῦ λόγον. 

ΣΩ. Τοῦτο μὲν πιστεύω, ἕωσπερ ἂν ἧς ὃς εἶ. 

ΦΑΙ. Λέγε τοίνυν θαρρῶν. 

ΣΩ. Ποῦ δή μοι ὃ παῖς πρὸς ὃν ἔλεγον ; ἵνα καὶ τοῦτο 


b 8 τουτωνί : -νει Oxy. || οὐχ ἔστιν : ante ὦ XZwxo. posuit 5... 


Oxy.? || © 1 ὡς : ὡς ἀληθως xat Oxy. || 2 τὼ λόγω : τῷ λόγῳ Β || 


οὗτός τε... ρηθείς : del. Hirschig. Vollgr. || ῥηθείς : χληθεις Oxy. || 
ἡ ἐρῶν (et Oxy.?) : etepov Οχγ. || 6 ἔχουσι : -σιν Oxy. || φθονερῶς: 
φανε. Oxy. || 7 οἴει: -η W (n ex €) || 8 ναύταις : auras Oxy. || 
τεηραμμένων corr. Coislin. 155 : -uévov codd. || ëAeblepoy (et Oxy.) : 
-θέριον Hirschig || ἃ 5 ἐπιθυμῶ : -μὧῶι sic TW || 6 ἀποχλύσασθαι (et 
Oxy. Hermogen. Plut.): χαταχλ. Plut. Quaest. conuiu. 1 9, 4, 627 f et 
VIL 8, 2, 711 d || 9 οὕτω : -wç codd. Oxy. || σοῦ T?(s interpos et 
signum mut.) (et Oxy.) : où BT οἱ W γρ. || τὸ τὸν : interpos. W || e 2 
ἔωσπερ ἂν (et Oxy.): eus av περ Oxy.? || 3 λέγε τοίνυν (et Oxy.?) : 
λεγοι νυν Oxy. || 4 τοῦτο : τούτου TW Oxy. 


243e 


PHÈDRE 31 


m’adressais ? Il faut que ceci, il l’entende aussi. S'il ne l’en- 
tendait pas, peut-être bien prendrait-il les devants et don- 
nerait-il ses faveurs à l’homme qui n'aime pas... 


Paèpre. — Il est là contre toi, tout près, toujours à tes 
côtés et tant que tu voudras ! 
| SocRATE. — « Eh bien! voici, mon beau 


one ot « gars, ce que tu dois bien te mettre en 

Éloge de l'amour, “l'esprit: c'est que le précédent discours 

« était de Phèdre, fils de Pythoclès et 

« bourgeois de Myrrhinonte, tandis que celui que je vais dire 
« est de Stésichore, fils d'Euphème et natif d'Himère. 

« Voici maintenant comment doit s'exprimer son discours : 
«il n’y a pas de vérité dans un langage qui, la présence 
« d’un amoureux étant admise, prétendra que c’est à celui 
« qui n'aime pas qu'on doit de préférence accorder ses 
« faveurs, et cela pour ce motif que le premier est en délire, 
« et le second, de sens rassis ! Si en effet il était vrai, sans 
« restriction, que le délire est un mal, ce serait bien parler. 
« Mais le fait est que, parmi nos biens, les plus grands sont 
« ceux qui nous viennent par l'intermédiaire d’un délire, 

« dont à coup sûr nous dote un don 
Les quatre formes « divin. On le voit en effet: la prophé- 

du délire 

inspiré des dieux, “ tesse de Delphes, les prêtresses de 

« Dodone, c’est dans leur délire qu’elles 
« ont été pour la Grèce les ouvrières de nombre de bienfaits 
« évidents, tant d'ordre privé que d'ordre public, tandis que, 
« quand elles étaient dans leur bonsens, leur action se rédui- 
« sait à peu de chose, ou même à rien. Après cela, parlerons- 
« nous de la Sibylle ὃ de tous ceux qui, usant d’une divina- 
« tion qu’un dieu inspire, ont d'avance dicté à bien des gens, 
« en bien des occasions, le droit chemin de leur avenir? Ce 
« serait s’attarder à ce qui est évident pour tout le monde. 
« Voici vraiment qui vaut la peine d’être 
« produit en témoignage : cet autre fait 
« que les hommes qui, dans l'Antiquité, instituaient les noms 
« ne tenaient pas le délire, mania, pour une chose honteuse, 
« non plus que pour un opprobre. Autrement, ils n'auraient 
« pas en effet, enlaçant ce nom-là au plus beau des arts, à celui 
« qui permet de discerner l'avenir, appelé celui-ci maniké, : 
« l’art délirant ! Mais c’est parce qu’ils regardaient le délire 


Étymologies. 


\ > 

31 | ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 
ἀκούσῃ καί, μὴ ἀνήκοος &v, φθάσῃ χαρισάμενος τῷ μὴ 
ἐρῶντι. 

ΦΑΙ. Οὗτος παρά σοι, μάλα πλησίον, ἀεὶ πάρεστιν ὅταν 
σὺ βούλῃ. 

ΣΩ. « Οὑτωσὶ τοίνυν, ὦ mat καλέ, ἐννόησον ὡς ὃ μὲν 
« πρότερος ἦν λόγος Φαίδρου τοῦ []Πυθοκλέους, Μυρρι- 
« νουσίου ἀνδρός: ὃν δὲ μέλλω λέγειν, Στησιχόρου τοῦ 
« Εὐφήμου, Ἵμεραίου. 

« Λεκτέος δὲ ὧδε: ὅτι οὐκ ἔστ᾽ ἔτυμος λόγος ὃς ἄν, 
« παρόντος ἐραστοῦ, τῷ μὴ ἐρῶντι μᾶλλον φῇ δεῖν χαρί- 
« ἔεσθαι, διότι δὴ ὃ μὲν μαίνεται, ὃ δὲ σωφρονεῖ. Εἰ μὲν 
« γὰρ ἦν ἁπλοῦν τὸ μανίαν κακὸν εἶναι, καλῶς ἂν ἐλέγετο" 
« νῦν δὲ τὰ μέγιστα τῶν ἀγαθῶν ἥἧμῖν γίγνεται διὰ μανίας, 
« θείᾳ μέντοι δόσει διδομένης. Ἥ τε γὰρ δὴ ἐν Δελφοῖς 
« προφῆτις αἵ τ᾽ ἐν Δωδώνῃ ἱέρειαι, μανεῖσαι μέν, πολλὰ 
« δὴ καὶ καλὰ ἰδίᾳ τε καὶ δημοσίᾳ τὴν “Ἑλλάδα εἰργάσαντο᾽ 
« σωφρονοῦσαι δέ, βραχέα ἢ οὐδέν. Καί, ἐὰν δὴ λέγωμεν 
« Σίθυλλάν τε καὶ ἄλλους ὅσοι, μαντικῇ χρώμενοι ἐνθέῳ, 
« πολλὰ δὴ πολλοῖς προλέγοντες εἷς τὸ μέλλον ὥρθωσαν, 
« μηκύνοιμεν ἂν δῆλα παντὶ λέγοντες. 

« Τόδε μὴν ἄξιον ἐπιμαρτύρασθαι, ὅτι καὶ τῶν παλαιῶν 
« οἵ τὰ ὀνόματα τιθέμενοι οὐκ αἰσχρὸν ἡγοῦντο οὐδὲ 
« ὄνειδος μανίαν: où γὰρ ἂν τῇ καλλίστῃ τέχνῃ, À τὸ 
« μέλλον κρίνεται, αὐτὸ τοῦτο τοὔνομα ἐμπλέκοντες 
« μανικὴν ἐκάλεσαν. ᾿Αλλ᾽, ὡς καλοῦ ὄντος ὅταν θείᾳ 


e 7 ἀεὶ (et Oxy.): ai. codd. || πάρεστιν (et Οχγ.) : auct. Cobe 
del. Vollgr. || 9 οὑτωσὶ : outws Oxy.2 || 244 ἃ τ ἣν (et Oxy.?): 
om. Oxy. || Μυρρινουσίου (et Oxy.): Μυρινν. B || 2 ἀνδρός : secl. 
Herwerden del. Vollgr. || ἡ λεχτέος (et Oxy.) : om. B || ἔτυμος : ἐτ, 
W ëx. B ex. T || λόγος (et Oxy.) : ὁ À. T || 9 δὴ (et Oxy.) : eras. B 
om. Aristid. || b 2 εἰργάσαντο (et Oxy. Aristid.): %py. Burnet 
Vollgr. || 4 ἐνθέῳ (et Aristid.) : ἐνθεοῖς B ἐνθέως Winckelm. || 5 εἰς : 


secl. Hirschig del. Vollgr. || &p0:ocav Ven. 189 (et Aristid.) : ὀρθως᾿ 


codd. || 7 τόδε W? (et Aristid) : τὸ δὲ T τόδε W || ἐπιμαρτύρασθαι : 
add. ἀπὸ τοῦ ὀνόματος T (rec.?) W yep. || 8 τιθέμενοι : τεθειμένοι 
Aristid. |} © 2 ἐμπλέχοντες (et Aristid.) : addub. Herwerden. 


243e 


b 


. 2440 


245 


PHÈDRE 832 


comme une belle chose, toutes les fois qu’il provient d’une 
dispensation divine, c’est pour cela qu'ils instituaient cette 
dénomination. Les modernes qui, au contraire, n’ont pas le 
sens du beau, y ont introduit le { et l’ont appelé mantiké, 
l'art divinatoire. La preuve en est aussi que c’est justement 
l’art des gens qui se possèdent, s’employant à la recherche 
de l’avenir par le moyen des oiseaux et des autres signes ; 
un art qui en eflet, à l’aide de la réflexion, procure à l’opi- 
nion des hommes, oiésis, rationalité et information, noûs et 
historia. C’est pour cela que cet art fut par ces Anciens 
dénommé oio-no-histiké. Aujourd’hui les modernes l’appel- 
lent oïônistiké, l’art des oiseaux, l’art de l’augure, avec un o 


« long, pour en rendre le nom imposant ! Autant donc, cela va 


de soi, sont supérieurs en perfection et en dignité, et l’art 
du devin par rapport à celui de l’augure, et le nom comme 
la fonction de l’un par rapport au nom comme à la fonction 
de l’autre, autant le délire est par sa beauté, les Anciens en 
témoignent‘, supérieur à la sagesse, le délire qui vient du 
dieu, à la sagesse dont les hommes sont les auteurs! 

« Ce n’est pas tout: ces maladies même, ces épreuves, 
entre toutes rigoureuses, qui en conséquence d’antiques 
ressentiments, existent, venant on ne sait d’où, dans cer- 
tains individus d’une race, — le délire prophétique, en 
se produisant chez ceux qui y étaient destinés, a trouvé le 
moyen de les éloigner, et cela par un recours à des prières 
aux dieux, à des services en leur honneur; grâce à quoi, 
ayant abouti à des rites purificateurs et d'initiation, il ἃ 
mis à l’abri celui qui y participe, par rapport au présent 
comme par rapport au temps qui suivra, en faisant trou- 
ver à l’homme, en qui sont ce qu’il faut délire et posses- 
sion, un moyen de s’affranchir des maux présents ?. 

«Il y a encore un troisième genre de possession et de 
délire, celui dont les Muses sont le principe : si l’âme qui 
en est saisie est une âme délicate et immaculée, elle en 
reçoit l'éveil, il la plonge dans des transports qui s’ex- 


1. Ce morceau suppose la doctrine du Cratyle : institution du lan- 


gage par des législateurs philosophes, qui combinaient les sons de 
façon à traduire des idées plus ou moins complexes. 


2. Passage controversé : il s’agit sans doute de races maudites, 


payant la rançon de quelque faute ancestrale, et dont pourtant cer- 
tains membres inspirés brisent cette solidarité dans la sanction. 


PP 


32 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« μοίρᾳ γίγνηται, οὕτω νομίσαντες ἔθεντο" οἵ δὲ νῦν, 
« ἀπειροκάλως τὸ ταῦ ἐπεμθάλλοντες, μαντικὴν ἐκάλεσαν. 
« Enel καὶ τήν γε τῶν ἐμφρόνων, ζήτησιν τοῦ μέλλοντος 
« διά τε ὄδρνίθων ποιουμένων καὶ τῶν ἄλλων σημείων, 
« ἅτ᾽ ἐκ διανοίας ποριζομένων ἀνθρωπίνῃ οἰήσει νοῦν τε 
« καὶ ἱστορίαν, οἱονοϊστικὴ ν ἐπωνόμασαν, ἣν νῦν oîowr- 
« στικὴν τῷ ὦ σεμνύνοντες οἷ νέοι καλοῦσιν. “Ὅσῳ δὴ 
« οὖν τελεώτερον καὶ ἐντιμότερον μαντικὴ οἴωνιστικῆς, 
« τό τε ὄνομα τοῦ ὀνόματος ἔργον τ᾽ ἔργου, τόσῳ κάλλιον 
« μαρτυροῦσιν of παλαιοὶ μανίαν σωφροσύνης, τὴν ἐκ θεοῦ 
« τῆς παρ᾽ ἀνθρώπων γιγνομένης. 

« ᾿Αλλὰ μὴν νόσων γε καὶ πόνων τῶν μεγίστων, ἃ δὴ 
« παλαιῶν ἐκ μηνιμάτων ποθὲν ἔνι τισὶ τῶν γενῶν, À 
« μανία ἐγγενομένη καὶ προφητεύσασα οἷς ἔδει, ἀπαλ- 
« λαγὴν εὕρετο, καταφυγοῦσα πρὸς θεῶν εὐχάς τε καὶ 
« λατρείας: ὅθεν δὴ καθαρμῶν τε καὶ τελετῶν τυχοῦσα 
« ἐξάντη ἐποίησε τὸν ἑαυτῆς ἔχοντα πρός τε τὸν παρόντα 
« καὶ τὸν ἔπειτα χρόνον, λύσιν τῷ ὀρθῶς μανέντι τε καὶ 
« κατασχομένῳ τῶν παρόντων κακῶν εὑρομένη. 

« Τρίτη δὲ ἀπὸ Μουσῶν κατοκωχή τε καὶ μανία, λαθοῦσα 
« ἁπαλὴν καὶ ἄθατον ψυχήν, ἐγείρουσα καὶ ἐκθακχεύουσα 

© 5 ἐπευμδάλλοντες : -αλόντες Aristid. Vollgr. || 7 ποιουμένων 
(et Aristid.): secl. Schanz Vollgr. -vnv Stephan. πετομένων ci. 
Richards || ὃ ποριζομένων (et Aristid.) : -vnv Stephan. -όμενον Hein- 
dorf || ἀνθρωπίνῃ οἰήσει B? (et Oxy. Aristid.): -vnv οἷ, B -vn νοήσει 
TW || 9 οἰονοϊστιχὴν (et Aristid, Hermi.): ofwvoïat. et oiovtot. 
Aristid.» οἷον νοϊστιχὴν T ῴωνιστ. Hermogen. || νῦν : ante νέοι transp. 
aut 560]. ci. Naber |i ἃ 1 ὦ : ὦ WT? || 2 μαντιχὴ : -χῇ W || 6 γε (et 
Hermi.l) : te Aristid. || πόνων (et Aristid. Hermi.!) : ποινῶν ci. 
Valckenaer || ἃ (et Aristid.): ἅτε Heindorf || 7 ἕνι ci. dubitanter 
Thomps. : ἕν codd. ἦν ἕν Vollgr. || γενῶν à : y. ἦν (om. ἢ) Hermann 
γενομένων À Heindorf y. (om. ἣ) Vollgr. || e 1 εὕρετο : nd. exc. 
Thomps. omnes || θεῶν: θεὸν W || ἃ δὴ: om. B xai Aristid. || 
3 ἑαυτῆς : secl. Burnet (fors. e glossem. ἔξω ἄτης) del. Vollgr. αὐτὴν 
Aristid. εὖ £av. Richards? {ἔχοντα : addub. Badham μετέχοντα ci. 
Herwerden (cf. 249 e 3) || 245 ἃ 1 χατοχωχή T reuera : χατοιχ. B 


ratax. B?(a 5. u.) κατοχή Aristid. || 2 καὶ ἐχδαχχεύουσα : κἀναθαχ. 
et xat ἀνα. Aristid. 


IV. 3. — 5 


244 c 


245 


245a 


PHÈDRE 33 


« priment en odes, en poésies diverses !, il pare de gloire mille 
« et mille exploits des Anciens, et ainsi il fait l'éducation de 
« la postérité. Mais qui se sera, sans le délire des Muses, pré- 
« senté aux portes de la Poésie avec la conviction que l’ha- 
« bileté doit en fin de compte suffire à faire de lui un poète, 
« celui-là est lui-même un poète manqué, comme est éclipsée 
«par la poésie de ceux qui délirent celle de l’homme qui se 
« possède | 

« Tu vois tous les beaux effets — ‘et encore ne sont-ce pas 
« les seuls — que je suis à même de rapporter à un délire 
« dont les dieux sont le principe. Concluons donc que ce 


_« n’est pas là en vérité chose dont, en elle-même, nous ayons 


« à avoir peur, et ne nous laissons pas déconcerter par cet 
« épouvantail d’une doctrine d’après laquelle 1] faut, à 
« l'amitié de l’homme passionné, préférer celle de l’homme 
« qui se possède. C’est le contraire : quand, non contente de 
« dire cela, elle aura prouvé la thèse que voici, qu’elle se flatte 
« alors d’emporter le prix ! la thèse d’après laquelle ce n’est 
« pas dans l'intérêt de l’amant et de l’aimé que leur vient 
« l'amour envoyé par les dieux ! Et nous, ce qu’en revanche 
« nous avons à démontrer, c’est, inversement, que les dieux 
« ont voulu le suprême bonheur de ceux-ci quand ils leur 
«ont fait don d’un semblable délire ?. Sans doute cette 
« démonstration ne convaincra-t-elle pas les esprits forts, 
« mais pour des sages elle sera convaincante. Dans ces 
4 . «conditions, ce qui est tout d’abord 
er pol a ME requis, c’est qu’au sujet de la nature 
ce qu'est l'âme: à ΣῊΝ ἀν δ ᾽ . 
« de l’âme, aussi bien divine qu'humaine, 
« on se fasse des idées vraies en observant ses états et ses 
« actes. 
« Or voici d’où part cette démonstration : 
« toute âme est immortelle. Ce qui en 
« effet se meut soi-même ὃ est immortel, au lieu que, pour ce 


son immortalité ; 


1. La pureté de l’âme est inséparable d’une inspiration vraiment 
divine. Il y a donc deux sortes de poètes que condamne Platon : 
ceux qui ne sont que des techniciens sans inspiration, et ceux dont 
l'inspiration est impure et immorale ; seul un poète philosophe 
unira les deux conditions (cf. Lois IV 519 cd, VII 8or bc). 

2. L'amour inspiré des dieux ne peut être qu’un amour philoso- 
phique, celui qu’exalte Diotime (Banquet Notice, p: Lxxvir sqq.). 

3. La plupart des éditeurs lisent ici le texte qu’a traduit Cicéron 


ΟΡ ΨΘΩΙΝ 


33 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


κατά τε ᾧδὰς καὶ κατὰ τὴν ἄλλην ποίησιν, μυρία τῶν 
παλαιῶν ἔργα κοσμοῦσα, τοὺς ἐπιγιγνομένους παιδεύει. 
Ὃς δ᾽ ἄν, ἄνευ μανίας Μουσῶν, ἐπὶ ποιητικὰς θύρας 
ἀφίκηται πεισθεὶς ὧς ἄρα ἐκ τέχνης ἱκανὸς ποιητὴς 
ἐσόμενος, ἀτελὴς αὐτός τε καὶ À ποίησις ὕὅπὸ τῆς τῶν 
μαινομένων À τοῦ σωφρονοῦντος ἠφανίσθη. 
« Τοσαῦτα μέν σοι καὶ ἔτι πλείω ἔχω μανίας γιγνομένης 
« ἀπὸ θεῶν λέγειν καλὰ ἔργα. “Ὥστε τοῦτό γε αὐτὸ μὴ 
« φοθώμεθα, μηδέ τις ἡμᾶς λόγος θορυθείτω, δεδιττόμενος 
« ὡς πρὸ τοῦ κεκινημένου τὸν σώφρονα δεῖ προαιρεῖσθαι 
« φίλον: ἀλλὰ τόδε πρὸς ἐκείνῳ δείξας φερέσθω τὰ νικη- 
« τήρια, ὡς οὐκ ἐπ᾽ ὠφελεία ὃ ἔρως τῷ ἐρῶντι καὶ τῷ 
« ἐρωμένῳ ἐκ θεῶν ἐπιπέμπεται. “Ἡμῖν δὲ ἀποδεικτέον αὖ 
« τοὐναντίον ὡς ἐπ᾽ εὐτυχίᾳ τῇ μεγίστῃ παρὰ θεῶν À 
« τοιαύτη μανία δίδοται. Ἣ δὲ δὴ ἀπόδειξις ἔσται δεινοῖς 
« μὲν ἄπιστος, σοφοῖς δὲ πιστή. Δεῖ οὖν πρῶτον ψυχῆς 
« φύσεως πέρι, θείας τε καὶ ἀνθρωπίνης, ἰδόντα πάθη τε 
« καὶ ἔργα, τἀληθὲς νοῆσαι. 

« ᾿Αρχὴ δὲ ἀποδείξεως ἥδε: ψυχὴ πᾶσα ἀθάνατος. Τὸ 
« γὰρ αὐτοκίνητον ἀθάνατον᾽ τὸ δ᾽ ἄλλο κινοῦν καὶ ὕπ᾽ 


ἃ ὃ μανίας Μουσῶν : M. μ. Proclus || ποιητιχὰς (et Oxy. Seneca 
[poeticas] Aristid. Stob.) : -κῆς Proclus || 6 πεισθεὶς (et Oxy. Aristid. 
Stob.) : auct. Cobet del. Vollgr. || ὡς ἄρα (et Oxy. Aristid.): ἄρα 
ὡς Stob. || ἱκανὸς : -νῶς Aristid. || 7 αὐτός te xai: xai αὖ. Proclus 
|| ὃ à Stob.: ἢ TW ἡ B {|| b τ μέν σοι (et Oxy. Aristid. Hermi.!) : 
μέντοι B Schanz Vollgr. || πλείω : πλείω: Oxy. || ἔχω μανίας (et 
Aristid.) : ας eye Oxy. || 2 τοῦτό γε : γε τ. Stob. || 3 δεδιττόμενος (et 
Oxy.) : δειδ, Stob.® αἰνιττ. auct. Naber Vollgr. || 4 xextvnuévou : χεχειν. 
Oxy. || 6 ὠφελείᾳ : -λίᾳ T Oxy. ut uid. {|| ὃ (et Oxy. ut uid.): om. 
Vindob. 109 Stob. || 7 ἐπιπέμπεται (et Oxy.): ἐχπ. Stob.n || ὃ τῇ 
μεγίστῃ (et Oxy.) : om. Stob. || θεῶν (et Oxy. 1. m.) : θεου Oxy. || c 
ὃ φύσεως : post θείας Oxy. i. m. || 4 ἔργα (et Hermi.): εργα χαι 
εἰδὴ Oxy. || 5 ἀρχὴ ... ἥδε (et Oxy. -Hermi.l): auct. Naber del. 
Vollgr. || 6 αὐτοκίνητον Oxy. (et Hermi. [104 7, 9, 28; 115 1]): ἀεικ. 
codd. Oxy.?(i. m.) Cic. (quod semper mouetur) Hermogen. Stob. Hermi. 
(108 17, 109 8, 113 12)et, exc. Vollgr., omnes || δ᾽ (et Oxy. ?): δὲ BW 
[| ἄλλο : &. τι Alex. Aphrod. || ὑπ᾽ (et Oxy.) : ὑπὸ W Stob. 


245 ἃ 


245 ὃ 


PHÈDRE 34 


« qui, moteur d'autre chose, est πιὰ aussi par autre chose, 
« la cessation de son mouvement est la cessation de son 
existence. Il n’y a dès lors que ce qui se meut soi-même 
« qui, du fait qu’il ne se délaisse pas soi-même, ne finit 
« jamais d’être en mouvement; mais en outre ilest, pour 
« tout ce qui encore est mû, une source et un principe de 
« mouvement. Or un principe est chose inengendrée; car 
« c’est à partir d’un principe que, nécessairement, vient à 
« l'existence tout ce qui commence d’exister, au lieu que lui- 
« même, nécessairement, il ne provient de rien ; si en effet 
« il commençait d’être à partir de quelque chose, il n’y 
« aurait pas commencement d’existence à partir d’un prin- 
« cipe!. D'autre part, puisqu'il est chose inengendrée, l’in- 
« corruptibilité aussi lui appartient nécessairement; il est 
« évident en effet que, une fois le principe anéanti, ni jamais 
«il ne commencera lui-même d’être à partir de quelque 
« chose, ni autre chose à partir de lui, s’il est vrai que c’est 
« à partir d'un principe que toutes choses doivent commencer 
« d'exister. Concluons donc: ce qui est principe de mouve- 
« ment, c’est ce qui se meut soi-même; or cela, il n’est pos- 
« sible, ni qu'il s’anéantisse, ni qu'il commence d'exister : 
« autrement, le ciel entier, la génération entière venant à 
« s’affaisser ?, tout cela s’arrêterait et jamais ne trouverait à 
« nouveau, une fois mis en mouvement, un point de départ 
« pour son existence. Maintenant qu'a été rendue évidente 
« l’immortalité de ce qui est mù par soi-même, on ne se fera 
« pas scrupule d'affirmer? que c’est là l'essence de l’âme, que 


A 


(Tusc. 1 23, 52) et que donnent les Mss. médiévaux : il s’agirait de 
ce qui se meut loujours. La leçon du papyrus 1016 d’Oxyrhynchus 
(début du 1° 5. ap. J.-C.) est bien préférable : Platon veut en effet 
établir que ce qui est automoteur est principe de mouvement pour 
soi comme pour ce qu'il meut, et cela éternellement ; ce sont les 
deux parties de la preuve résumée à la fin de d. Avec le texte usuel, 
la démonstration semble boiteuse (Notice, p. Lxxvir sq.). 

1. Avec un autre texte, que suit Cicéron, le sens serait: il n'y 
aurait plus de principe. Soit; pourvu qu'ici on ne garde pas le mot 
grec qui, trois fois déjà, a signifié venir à l'existence, car on ne peut, 
sans absurdité, dire qu’il ne naîtrait plus de principe ! 

2. Nouvelle variante : le ciel, la terre se confondant... Mais l’idée 
est que, le principe automoteur disparu, tout mouvement disparaît. 

3. Cicéron n’a peut-être pas lu ce texte, car il traduit: Qui 
niera.… ? Autrement dit: Qui se fera scrupule d'affirmer. ὃ 


34 ΦΑΙΔΡΟΣ 


« ἄλλου κινούμενον, παῦλαν ἔχον κινήσεως, παῦλαν ἔχει 
« ζωῆς. Μόνον δὴ τὸ αὑτὸ κινοῦν, ἅτε oùk ἀπολεῖπον 
« ἑαυτό, οὔποτε λήγει κινούμενον, ἀλλὰ καὶ τοῖς ἄλλοις 
« ὅσα κινεῖται τοῦτο πηγὴ καὶ ἀρχὴ κινήσεως. ᾿Αρχὴ δὲ 
« ἀγένητον: ἐξ ἀρχῆς γὰρ ἀνάγκη πᾶν τὸ γιγνόμενον 
« γίγνεσθαι, αὐτὴν δὲ μηδ᾽ ἐξ, ἑνός" εἰ γὰρ ἔκ του ἀρχὴ 
γίγνοιτο, οὐκ ἂν ἐξ, ἀρχῆς γίγνοιτο. ᾿Επειδὴ δὲ ἀγένητόν 
« ἐστιν, καὶ ἀδιάφθορον αὐτὸ ἀνάγκη εἶναι: ἀρχῆς γὰρ 
« δὴ ἀπολομένης, οὔτε αὐτή ποτε ἔκ του, οὔτε ἄλλο ἐξ, 


« 


“ 


« ἐκείνης γενήσεται, εἴπερ ἐξ ἀρχῆς δεῖ τὰ πάντα 
« γίγνεσθαι. Οὕτω δὴ κινήσεως μὲν ἀρχὴ τὸ αὐτὸ αὑτὸ 
κινοῦν" τοῦτο δὲ οὔτ᾽ ἀπόλλυσθαι οὔτε γίγνεσθαι δυνατόν, 
ἢ πάντα τε οὐρανὸν πᾶσάν τε γένεσιν συμπεσοῦσαν 


« 
« 
« στῆναι, καὶ μήποτε αὖθις ἔχειν ὅθεν κινηθέντα γενή- 
« σεται. ᾿Αθανάτου δὲ πεφασμένου τοῦ ὕφ᾽ ἑαυτοῦ κινου- 
« 


μένου, ψυχῆς οὐσίαν τε καὶ λόγον τοῦτον αὐτόν τις 


© 7 κινήσεως ... ὃ ζωῆς (et Oxy.): ζ. ... χιν. Stob. || 8 αὑτὸ (et 
Oxy. εαυτο): αὐτὸ BW Stob.n αὐτὸ αὑτὸ (οἵ, ἃ 7) Herwerden Vollgr. || 
10 τοῦτο: τ. γὰρ Stob. || ἃ 2 ἔχ του (et Stob. lamblich.) : ἐκ τοῦ Β || 
3 οὐχ ἂν ἐξ ἀρχῆς (et Oxy. Stob.) : οὐχ ἂν ἀρχὴ Vindob. 89 Cic. [nec 
enim esset principium] Simplic. Ast οὐχ ἀν ἔτι ἀργὴ Iamblich. Theo- 
doret. (ad Tim. Locr. referens ?) Buttmann Burnet τοῦτο οὐχ ἂν ἐξ 
&py. Schleierm. Schanz οὐχ ἂν πᾶν ἐξ ἀρχ. Heindorf || γίγνοιτο alt. 
(et Oxy. Stob.) : γένοιτο Buttmann Vollgr. εἴη Simplic. Ast ἦν Theo- 
doret. (cf. supra) || 4 ἐστιν (et Oxy.). -τι W || ἀδιάφθορον (et Oxy.) : 
-pocoy B ἄφθορον Stob. || αὐτὸ ἀνάγχη εἶναι (et Oxy.): αὐ. εἴ. ἀν. 
Stob. || 5 ποτε (et Oxy.) : om. Simplic. || 6 τὰ (et Stob.): om. Oxy. 
Il 7 δὴ (et Oxy. Stob.): om. Simplic. || αὐτὸ (et Ar. Top. VI 3, 
140 ὁ 3) : exp. ut uid. W {| αὑτὸ (et Oxy. sauto) : αὐτὸ B Stob.r || 8 
δὲ (et Oxy.) : δ᾽ οὖν Stob. || e τ γένεσιν (et Oxy. Gic. [omnisque natura] 
Stob. Syrian. Hermi.): γῆν (T 1. m.) εἰς ἕν Philopon. Burnet || 
συμπεσοῦσαν : ξυμπ. Oxy. |] 2 στῆναι (et Oxy.): συστ. Stob. στήσεσθαι 
Syrian. || αὖθις : autts Oxy. [ἔχειν Oxy. Stob. : ἔχ. στῆναι codd. 
Hermi. uulg. || χινηθέντα γενήσεται (et Oxy. Stob.) : -θέν τι γεν. 
Rohde χινηθήσεται Vollgr. |] 3 δὲ (et Oxy. Alex. Aphrod. Stob. Phi- 
lopon.) : om. Β || ὑφ᾽ ἑαυτοῦ : υπ aurou Oxy. sed φ 5. ἃ. || 4 οὐσίαν 
(et Oxy. Ar. [l. ς. a 34, ὃ 4] Alex. Stob. Philopon.) : φύσιν ci. Naber|| 
τοῦτον αὐτόν : τοῦτό Alex. || τις οὐχ (et Oxy. Alex. Stob. Philopon.): 
τίς (om. οὐχ) e Ciceronis quis est qui. neget Herwerden Vollgr. 


5e 


246 


PHÈDRE 35 


« sa notion est cette notion même. Tout corps en effet qui 
« reçoit du dehors son mouvement est un corps inanimé ; 
« est au contraire un corps animé, celui pour qui c'est du 
« dedans et qui en tient de lui-même le principe, attendu 
« que c'est en cela que consiste la nature de l’âme. Mais, si 
«c'est bien ainsi qu'il en est, si ce qui se meut soi-même 
« n'est pas autre chose que l’âme, alors nécessairement l’âme 
« devra être à la fois inengendrée‘ et immortelle. 
« Aussi bien, voilà qui suffit sur la 
ve arr « question de son immortalité. Quant 
de l'attelage ailé. “ à Ce qui est de sa nature, voici ce qu'il 
«en faut dire: la caractériser, c’est 
« l'affaire d’une exposition entièrement, absolument divine 
« et fort étendue; mais en donner une image, l’affaire d'un 
« exposé humain et de moindres proportions; en consé- 
« quence, c’est ainsi que nous devons parler. Cette image 
« donc est ? celle de je ne sais quelle force active naturelle, qui 
« unit un attelage et un cocher, soutenus par des ailes. Cela 
« étant, les Dieux ont des chevaux, des cochers qui, tous, 
« sont eux-mêmes bons, composés de bons éléments, tandis 
« que, pour le reste des êtres, il y a du mélange. Pour nous, 
« c’est, premièrement, d'un attelage apparié que le conducteur 
« est cocher; ensuite, des deux chevaux, l’attelage en a un 
« qui est beau, bon et formé de tels éléments, tandis que la 
« composition de l’autre est contraire, et contraire sa nature. 
« Il s'ensuit que, dans notre cas, c’est nécessairement un 
« métier difficile et ingrat que celui de cocher! D'où vient 
« donc, ceci posé, que mortel aussi bien qu’immortel soient 
« des dénominations du vivant? Voilà ce qu'on doit tâcher 


1. Ou bien il faut admettre que ceci est en contradiction avec 
l’histoire, dans le Timée, de la fabrication de l’âme-mère par le 
Démiurge, ou bien y voir la confirmation de la thèse que ce serait le 
symbole mythique d’une analyse de sa nature : c’est le plus probable. 
Bien entendu, l'ingénérabilité est plus que la préexistence, dans le 
Phédon, de nos âmes par rapport au corps. 

2. Décrire réellement l’âme serait long et suppose un savoir qui dé- 
passe l’homme ; en donner une image sera vite fait et est à notre por- 
tée ; procédons par conséquent ainsi ; voici donc cette image. Un autre 
texte, généralement suivi, garde ici l’impératif : que cette image soit. 
Mais cette leçon est, je crois, moins autorisée et la répétition de l’im- 
pératif me paraît peu naturelle. 


35 R ΦΑΙΔΡῸΣ 


« λέγων οὖκ αἰσχυνεῖται. Πᾶν γὰρ σῶμα, ᾧ μὲν ἔξωθεν 
« τὸ κινεῖσθαι, ἄψυχον: ᾧ δὲ ἔνδοθεν αὐτῷ ἐξ, αὑτοῦ, 
« ἔμψυχον, ὡς ταύτης οὔσης φύσεως ψυχῆς. Εἰ δ᾽ ἔστι 
« τοῦτο οὕτως ἔχον, μὴ ἄλλο τι εἶναι τὸ αὐτὸ ἑαυτὸ κινοῦν 
« ἢ ψυχήν, ἐξ ἀνάγκης he τε καὶ ἀθάνατον ψυχὴ 
« ἂν εἴη. 

« Περὶ μὲν οὖν ἀθανασίας αὐτῆς ἱκανῶς" περὶ δὲ τῆς 
« ἰδέας αὐτῆς, ὧδε λεκτέον᾽ οἷον μέν ἐστι, πάντῃ πάντως 
« θείας εἶναι καὶ μακρᾶς διηγήσεως, ᾧ δὲ ἔοικεν, ἀνθρω- 


« πίνης τε καὶ ἐλάττονος" ταύτῃ οὖν λέγωμεν. "Eouké τῷ 
« δὴ ξυμφύτῳ δυνάμει ὑὕποτπτέρου ζεύγους τε καὶ ἡνιόχου. 
« Θεῶν μὲν οὖν ἵπποι τε καὶ ἡνίοχοι πάντες αὖτοί τε 
« ἀγαθοὶ καὶ ἐξ ἀγαθῶν, τὸ δὲ τῶν ἄλλων μέμικται. Kal 
« πρῶτον μὲν ἡμῶν ὃ ἄρχων συνωρίδος fvioyet: εἶτα τῶν 
« ἵππων ὃ μὲν αὐτῷ καλός τε καὶ ἀγαθὸς καὶ ἐκ τοιούτων, 
« ὃ δ᾽ ἐξ ἐναντίων τε καὶ ἐναντίος" χαλεπὴ δὴ καὶ 
« δύσκολος ἐξ, ἀνάγκης À περὶ ἣμᾶς ἡνιόχησις. Πἔ δὴ οὖν 
« θνητόν τε καὶ ἀθάνατον ζῷον ἐκλήθη, πειρατέον εἰπεῖν. 


e 5 αἰσχυνεῖται : -χύνηται Stob.® Philopon. || 6 αὐτῷ (et Alex.): 
αὐτὸ Stob. || αὑτοῦ : ἑαυτοῦ W Simplic. αὐτου B Oxy. αὐ. Stob.n 
|| 7 ἔστι (et Oxy. Stob.): -ἰν ΒΤ || 8 τοῦτο : tour” Oxy. || ἔχον (et 
Oxy.): om. Stob. || τὸ αὐτὸ ἑαυτὸ χινοῦν (et Oxy. Ar. [Metaph. 
À 6,1072 a 2]) : τὸ αὑτοχεινοὺν sic Oxy. i. m. τὸ αὖ, αὖ. x. Stob. 
11 246 ἃ 4 αὐτῆς (et Oxy. i. m.): exp. W? om. Oxy. || 5 μαχρᾶς: 
μαχαρίας Oxy. (cf. 247 a 4) || διηγήσεως (et Oxy.) : δεήσ. Pro- 
11 6 οὖν (et fors. Oxy. i. m.): δὴ Oxy. || λέγωμεν (et Oxy.) : 

λέγο. Slob. 2 || ἔοιχέ τῳ δὴ (et Hermi.) : ἔ. δή τῳ W Vindob. 109 
ἐοιχέτω δὴ T?yp. et W? ἵν m. Stob. Hermi. edd. (pro uerborum conti- 
nuitate et muti τ solita omissione nihil ex Oxy. induci potest) || 7 
ξυμφύτῳ (et Oxy.): συμφ. Burnet || 8 πάντες αὐτοί te (et Oxy.): 
xai x. αὐ. B x. om. Hermi. x. χαὶ αὐ. Baiter || b 1 τὸ : τὰ dubit. ci. 
Vollgr. || ἄλλων (et Hermi.): &vbpuixwv(errorem putans e compendio 
natum) Vollgr. ΠΠ| μέμικται : μέμει. Burnet Vollgr. [12 πρῶτον μὲν : re. 
μ. ἥττων ὧν Herwerden Vollgr. || ἡμῶν : om. Hermi.! || συγωρίδος : 
ξυνω. Oxy. Thomps. Vollgr. || τῶν : exp. ut uid. W || 3 αὐτῷ (et 
Oxy. ut uid.) : -τῶν Vindob. 89 Ποϊηάοτῇ -τὸς Grumme || ἡ δ᾽ : ὃ 
Oxy. || 6 τε (et Oxy. Hermi.!) : om. B Schanz Vollgr. 


245e 


246 


246b 


PHÈDRE 36 


« d'expliquer. C’est toujours une âme‘ qui a charge de tout 
« ce qui est dépourvu d'âme; mais, en circulant dans la 
« totalité de l’univers, elle y revêt çà et là des formes diffé- 
« rentes. C’est ainsi que, lorsqu'elle est parfaite et ailée, elle 
« chemine dans les hauteurs et administre le monde entier ; 
« quand au contraire elle a perdu ses ailes, elle est entrainée 
« jusqu’à ce qu’elle se soit saisie de quelque chose de solide ? ; 
« elle y établit sa résidence, elle prend un corps de terre et 
« qui paraît être l'auteur de son propre mouvement à cause 
« de la force qui appartient à l’âme: ce qu’on a appelé un 
« vivant, c’est cet ensemble d’une âme et d’un corps solide- 
« ment ajusté, et il a reçu la dénomination de mortel. Quant 
« à celle d’immortel, il n’est rien qui permette d’en rendre 
« raison d’une façon raisonnée; mais nous nous forgeons, 
« sans en avoir ni expérience ni suflisante intellection, une 
« idée du dieu? : un vivant immortel qui possède une âme, 
« qui possède aussi un corps, mais tous deux naturellement 
« unis pour une éternelle durée. Là-dessus cependant, qu'il 
« en soit en somme et qu’on en parle ainsi qu'il plaît à la 


“« Divinité; et maintenant passons à la raison qui fait tomber 


« les ailes, qui les fait se détacher de l'âme. Or, voici quelle 
« peut être cette raison. 

« Il est de la nature de l'aile d’être apte 
« à mener vers le haut ce qui est pesant, 
« en l’élevant du côté où habite la race 
« des Dieux, et ainsi c’est elle qui, entre les choses qui ont 


La procession 
céleste des âmes. 


1. C.-à-d. tout ce qui est âme. Mais la plupart des éditeurs lisent 
un texte dont le sens est : toute l’âme, l’âme tout entière ; considération 
qui est hors de propos en cet endroit où Platon distingue les âmes 
par rapport à la fonction qu’il a définie 245 ὁ. 

2. C’est la chute de l’âme, dont il sera encore parlé 248 ab, cfin: 
ne disons pas, sans plus, qu’elle la précipite dans un corps (car les 
âmes divines, qui sont exemptes de cette chute, n’en ont pas moins 
un corps {246 ἃ déb.]), mais dans un corps solide et fait de terre, non 
de feu, comme celui des dieux-astres (cf. Notice, p. cxxxir1 sq.). 

3. Le cas des dieux est donc, à un plus haut degré encore, le 
même que celui de l’âme: on n’en peut parler autrement que par 
image ou par analogie et sous la forme d’un mythe, pourvu que ce 
soit en des termes qui ne les déprécient pas (ainsi 246 e déb.) et qui 
même leur agréent (Phédon, Notice, p. L, n. 3). Platon en donne ici 
la raison et, à la fois, celle de plusieurs emplois du mythe : c’est que 


36 ΦΑΙΔΡΟΣ 


« Ψυχὴ πᾶσα παντὸς ἐπιμελεῖται τοῦ ἀψύχου" πάντα δὲ 
« οὐρανὸν περιπολεῖ, ἄλλοτε ἐν ἄλλοις εἴδεσι γιγνομένη. 
« Τελέα μὲν οὖν οὖσα καὶ ἐπτερωμένη, μετεωροπορεῖ τε 
« καὶ πάντα τὸν κόσμσν διοικεῖ: ἥ δὲ πτερορρυήσασα 
« φέρεται ἕως ἂν στερεοῦ τινος ἀντιλάθηται, οὗ κατοι- 
« κισθεῖσα, σῶμα γήϊνον λαβοῦσα, αὐτὸ αὑτὸ δοκοῦν κινεῖν 
« διὰ τὴν ἐκείνης δύναμιν, ζῷον τὸ ξύμπαν ἐκλήθη, ψυχὴ 
« καὶ σῶμα παγέν, θνητόν τε ἔσχεν ἐπωνυμίαν. ᾿Αθάνατον 
« δὲ οὐδ᾽ ἐξ ἑνὸς λόγου λελογισμένου: ἀλλὰ πλάττομεν, 
« οὔτε ἰδόντες οὔτε ἱκανῶς νοήσαντες, θεὸν ἀθάνατόν τι 
« ἔον, ἔχον μὲν ψυχήν, ἔχον δὲ σῶμα, τὸν ἀεὶ δὲ χρόνον 
« ταῦτα ξυμπεφυκότα. ᾿Αλλὰ ταῦτα μὲν δή, ὅπῃ τῷ θεῷ 
« φίλον, ταύτῃ ἐχέτω τε καὶ λεγέσθω τὴν δὲ αἰτίαν τῆς 
« τῶν πτερῶν ἀποβολῆς, δι᾽ ἣν ψυχῆς ἀπορρεῖ, λάβωμεν. 


« Ἔστι δέ τις τοιάδε. 


« Πέφυκεν À πτεροῦ δύναμις τὸ ἐμθριθὲς ἄγειν ἄνω, 
« μετεωρίζουσα À τὸ τῶν θεῶν γένος οἰκεῖ’ κεκοινώνηκε 


b 7 ψυχὴ πᾶσα (οἱ Oxy. Plotin. [IL 4, 21; IV 8, 138] Euseb. 
[ex Attico] Simplic.) : x. ἣ 4. B exc. Burnet omnes à ᾧ. x. TW || 
δὲ οὐρανὸν (et Oxy. Plotin. [IL 4, 22] Euseb. Simplic.) : δὲ ἄνθρωπον 
W Vindob. 109 δ᾽ οὖν Herwerden Vollgr. οὐρ. secl. Badham || 8 
ἄλλοτε Oxy.: -τ᾽ codd. || © 1 τελέα : -εἰια Oxy. || οὖν : om. B Oxy. 
(ut uid.) Hermi. Schanz || μετεωροπορεῖ τε χαὶ (et Hermi.) : -πολεὺ 
(Oxy.? 1. m.) τε x. Syrian et Hermi.® -πολεῖται χαι Oxy. || πάντα (et 
Oxy. Plotin. Hermi.): ἅπαντα TW || διοιχεῖ (et Oxy. Plotin. Hermi.): 
διοιχνεῖ Naber Vollgr. || πτερορρυήσασα: nt. πως Oxy. (prob. Wila- 
mow.) || 3 στερεοῦ (et Oxy. i. m.): στερρου Oxy. || οὗ : ου Β || 4 αὐτὰ 
αὑτὸ (et Oxy. ab. sic) : auto auto Β αὐτὸ Hermi. αὖ. 14." || 5 ξύμπαν 
(et Oxy.): σύμπ. Burnet || 6 θνητόν (et Oxy.) : -rnv ? Oxy. 1. τῇ. 
Il τε Oxy.: τ᾽ codd. || ἀθάνατον δὲ (et Oxy. Hermi.): τὸ ἀθ. δὲ 
Heindorf τὸ δ᾽ ἀθ. Vollgr. || 7 οὐδ᾽ (et Oxy.) : οὐχ Hermi. || λελογισ- 


μένου (et Procl. Hermi.) : -ίσμεθα Badham Vollgr. || ἀλλὰ : ἄλλο ci. 


Wilam. || πλάττομεν corr. Vindob. 109 Proclus : πλαττομένου codd. 
πλάτε. οἱ G. Hermann || 8 οὔτε ἰδόντες : οὔτ᾽ εἰδότες B || τ: ζῷον : τὸ 
&. Β τι τὸ €. Procli codd. τι ζ. ἐχάλεσαν Heindorf || ἃ 1 ἀεὶ : ai. codd. 
|| 2 ξυμπεφυχότα : συμπ. Burnet || δὴ (et Hermi.!): ἤδη B || 3 τε : om. 
W || δὲ : 3 W || 4 λάδωμεν : ἀναλ. ci. Naber || 6 δύναμις (et Her- 
mi.l): φύσις Plut. || 7 %: n B || χεχοινώνηχε (et Hermi.!) : -xev ΒΤ. 


246b 


246d 


247 


PHÈDRE | 37 


« rapport au corps, a eu, le plus largement qui se puisse, part 
« au divin. Or le divin, c’est ce qui est beau, savant, bon, 
« avec tout ce qui est du même ordre ; rien certainement ne 
«contribue davantage à nourrir, à développer l'appareil ailé 
« de l’âme ; au lieu que le laid, le mauvais, tout ce qui 
« contraste avec les précédentes qualités, le dégrade et le 
« ruine à fond. Or donc celui qui dans le ciel est le grand 
« chef de file, Zeus, lançant son char ailé, s'avance le pre- 
« mier, ordonnant toutes choses en détail et y pourvoyant. 
« Il est suivi par une armée de Dieux et de Démons, qui 
« est ordonnée en onze sections; Hestia en effet reste à la 
« maison des Dieux, toute seule. Quant aux autres, tous ceux 
« qui, dans ce nombre de douze‘, ont obtenu rang de dieu 
« conducteur sont chefs de file à leur rang, au rang qui a 
« été assigné à chacun. Dans ces conditions, ils sont nom- 
« breux et béatifiques, les spectacles qu'offrent les évolutions 
« dont le ciel est le domaine et qu’accomplit circulairement 
« l’heureuse race des Dieux: chacun d’eux fait la tâche qui 
«est la sienne; le suit qui, toutes les fois, en a et la 
« volonté et le pouvoir, car là place de l’Envie est en dehors 
« du chœur des Dieux! Or, aussi souvent qu'ils se rendent 
« au repas et vont prendre part au banquet, ils montent les 
escarpements qui mènent au sommet de la voûte qui sur- 
« plombe le ciel: pour les attelages qui portent les Dieux, 


A 


le dieu n’est l’objet, ni d’une expérience sensible qui permettrait de 
les décrire, ni d’une intellection qui permettrait d’en acquérir, dia- 
lectiquement, une science réelle. On remarquera la parenté avec 
celle-ci, de la définition épicurienne du dieu (A Ménécée 123). 

1. Quoique Platon, plus bas (252 c,e; 253 ab), puisse paraître 
avoir ici songé aux dieux de l’Olympe, ce n’en est sans doute pas le 
nombre qu’il envisage. Il s’agit plutôt d’un mythe cosmologique : 
aux mouvements dans le ciel de onze dieux et démons s’oppose en 
effet l’immobilité de la terre (Hestia, Vesta); ce rang où chacun fait 
sa tâche signifie la distance au centre et l’étendue de l'orbite sur 
laquelle se meut l’astre (cf. aussi 247b, de ; 248 a). Par suite, celui 
qui mène cette procession circulaire et règle tout ce qui en dépend, 
Zeus, doit être la sphère des fixes. Mais une première difficulté 
surgit: dans les cinq planètes qui suivent, on retrouvera Zeus 
(Jupiter). Une autre difficulté concerne les trois rangs après le 
septième et le huitième (soleil et lune) et qu’occupent peut-être des 
démons ; ni le Timée (38 ab), ni la République (X 616 d) ne nous 


jé ee 


ES 


37 _ DAIAPOEX 


« δέ πῃ μάλιστα τῶν περὶ τὸ σῶμα τοῦ θείου. Τὸ δὲ θεῖον 
« καλόν, σοφόν, ἀγαθὸν καὶ πᾶν ὅ τι τοιοῦτον" τούτοις δὴ 
« τρέφεταί τε καὶ αὔξεται μάλιστά γε τὸ τῆς ψυχῆς 
« πτέρωμα, αἰσχρῷ δὲ καὶ κακῷ καὶ τοῖς ἐναντίοις φθίνει 
« τε καὶ διόλλυται. Ὃ μὲν δὴ μέγας ἡγεμὼν ἐν οὐρανῷ 
« Ζεύς, ἐλαύνων πτηνὸν ἅρμα, πρῶτος πορεύεται, δια- 
« κοσμῶν πάντα καὶ ἐπιμελούμενος. Τῷ δ᾽ ἕπεται στρατιὰ 
« θεῶν τε καὶ δαιμόνων, κατὰ ἕνδεκα μέρη κεκοσμημένη" 
« μένει γὰρ Ἕστία ἐν θεῶν οἴκῳ, μόνη. Τῶν δὲ ἄλλων ὅσοι 
« ἐν τῷ τῶν δώδεκα ἀριθμῷ τεταγμένοι θεοὶ ἄρχοντες 
« ἡγοῦνται, κατὰ τάξιν ἣν ἕκαστος ἐτάχθη. Πολλαὶ μὲν 
« οὖν καὶ μακάριαι θέαι τε καὶ διέξοδοι ἐντὸς οὐρανοῦ, ἃς 
« θεῶν γένος εὐδαιμόνων ἐπιστρέφεται, πράττων ἕκαστος 
« αὐτῶν τὸ αὗτοθ᾽ ἕπεται δὲ ὃ ἀεὶ ἐθέλων τε καὶ δυνά- 
« μενος, Φθόνος γὰρ ἔξω θείου χοροῦ ἵσταται. “OTtav δὲ 
« δὴ πρὸς δαῖτα καὶ ἐπὶ θοίνην ἴωσιν, ἄκραν ἐπὶ τὴν 
« ὑπουράνιον ἁψῖδα πορεύονται πρὸς ἄναντες" À δὴ τὰ 


ἃ 8 θείου Plut.: θ. ψυχή codd. (inter punctos ψ. W) ψ. 560]. 
Burnet del. cett. || e αὔξεται (et Hermi.): ἄρδεται alibi Hermi. 
Proclus." || μάλιστά γε B? (em.): u. τε Β μάλιστα TW || 3 καὶ τοῖς 
ἐναντίοις (et Hermi.) : secl. Schanz τοῖς δ᾽ ë. (uel χαὶ ἄλλοις ἐ.) ci. 
Hirschig Vollgr. καὶ τοιούτοις ἐ. Suckow || 4 μὲν (et Dionys. Plut.) 
: om. Stob. (uerba referens Platonici cuiusd.) γὰρ alibi Plut. || δὴ 
(et Dionys. Plut. [c. γὰρ]) : om. Plut. c. μὲν || ἡγεμὼν (et Dionys. 
Plut. Hermogen. Plotin. [III 5, 87] Stob. Hermi.! Procl.) : om. 
alibi Hermogen. Plut. del. Vollgr. || 247 a 4 διέξοδοι: ἔξοδοι 
Dionys. || 5 εὐδαιμόνων (et Dionys. Hermi. Syrian. Damasc.) : -όνως 
Schanz χαὶ δαιμόνων Badham || 6 αὐτῶν τὸ αὑτοῦ : δι᾽ αὑτοῦ τὰ αὐτῶν 
Dionys. om. Hermi. || ὃ αεὶ : 6 αἰ. codd. Hermi. ai. ὁ Dionys. || 
ἐθέλων te nai : 0. καὶ Hermi. θέλ. +. x. Dionys. Hermi. al. || 7 ἔξω 
(et Dionys. Plut. Alex.): 0ev Plut. al. || θείου χόρου (et Dionys. 
Plut. Alex.): y. 0. T || ἵσταται (et Plut.): om. Dionys. Plut. alibi 
Alex. || 8 χαὶ (et Hermi.!): τε x. TW || ἐπὶ : om. Hermi.! Procl, 
del. Vollgr. || ἄκραν (et Hermi.) : ἄ. τε Heindorf || ἐπὶ τὴν ὑπουράνιον 
Procl. : ἐ. τ. ὑπουρανίαν W ἐ. τ. ἐπουρανίαν W? (ε 5. ὃ) Exc. Palat. 
173 Badham ἐ. τ. οὐράνιον T Vollgr. ὑπὸ τὴν ὑπουράν. B Hermi. 
Thomps. Schanz ὁ. τ. ὑπουρανίαν Hermi. ὑ. +. ὑπερουρ. Winckelm. 
{| b τ πορεύονται: 560]. Schanz del. Vollgr. -εται Badham (sed πορεύε- 
ται del. ἢ 2) || ἧ δὴ Procl. : ἤδη codd. Thomps. Schanz Vollgr. 


246d 


247 


247b 


PHÈDRE 38 


« comme la façon dont ils sont équilibrés les rend faciles à 
« conduire, la montée est aisée. Mais, pour les autres, elle se 
« fait à grand peine: celui des chevaux en effet chez qui il 
« y a de la rétiveté appuie pesamment ; il tire vers la terre 
« son cocher, alourdissant la main de celui qui n'aura pas 
« eu l’art de le dresser. C'est là, sache-le, que l’âme est en 
« face de l’épreuve et de la joute suprèmes! Les âmes en 
« effet qu’on nomme immortelles, une fois qu’elles sont au 
« sommet, s’avancent au dehors, se dressant alors sur le dos 
« de la voûte céleste, et, ainsi dressées, sa révolution cir- 
« culaire les emporte tandis qu'elles contemplent les réalités 
« qui sont en dehors du ciel. 

« À l’honneur de ce lieu supracéleste 
« nul poète parmi ceux d’ici-bas n’a 
« encore chanté d’hymne, et jamais ne 
« chantera d’hymne, qui y soit proportionné. Or, voici ce qui 
« en est; car, si vraiment il est un cas où l’on doive avoir 
« le courage de dire la vérité, c’est surtout quand on parle 
« sur la Vérité! Eh bien! donc, la réalité qui réellement est 
« sans couleur, sans figure, intangible ; celle qui ne peut être 
« contemplée que par le pilote de l’âme, par l’intellect ! ; celle 
« qui est le patrimoine du vrai savoir, c’est elle qui occupe 
« ce lieu ?. Il s’ensuit que la pensée d’un Dieu, en tant qu’elle 
« se nourrit d’intellection et de savoir sans mélange, et, de 
« même, la pensée de toute âme qui se soucie de recevoir 
« l'aliment qui lui convient, lorsqu’avec le temps elle a fini 
« par apercevoir la réalité, elle en éprouve du bien-être, et 
« la contemplation. des réalités véritables est pour elle une 
« nourriture bienfaisante, jusqu'au moment où la révolution 


Lelieu 
supracéleste. 


renseignent ; mais l’Épinomis (984 bc) assigne les trois places vacantes 
à l’éther (d’autres disent le feu), l’air et l’eau. Il s’agirait donc des 
zones intermédiaires entre le ciel et la terre (le domaine de la mé- 
téorologie chez Aristote), influencées par le premier, agissant sur la 
seconde, dont elles conditionnent l’existence. 

1. C’est le sens du mot grec, mais l’image alors a changé, car il 
est bien clair qu’il s’agit toujours du cocher qui mène l’attelage. 

2. Ge lieu, la plaine de Vérité (248 b), est celui des réalités intel- 
ligibles ; Justice, Tempérance ou Sagesse, Science (ici, d), Pensée, 
Beauté (250 b-d) sont seules nommées. Le rapport de cette région 
des Idées au ciel des astres symbolise celui de la dialectique à l’astro- 
nomie et au reste de la mathématique, soit dans la hiérarchie du 


"88 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« μὲν θεῶν ὀχήματα, ἰσορρόπως εὐήνια ὄντα, ῥαδίως 
« πορεύεται, τὰ δὲ ἄλλα μόγις" βρίθει γὰρ ὃ τῆς κάκης 
« ἵππος μετέχων, ἐπὶ τὴν γῆν ῥέπων τε καὶ βαρύνων ᾧ μὴ 
« καλῶς À τεθραμμένος τῶν ἡνιόχων. Ἔνθα δὴ πόνος τε 
« καὶ ἀγὼν ἔσχατος ψυχῇ πρόκειται. Αἱ μὲν γὰρ ἀθάνατοι 
« καλούμεναι, ἡνίκ᾽ ἂν πρὸς ἄκρῳ γένωνται, ἔξω πορευ- 
« θεῖσαι, ἔστησαν ἐπὶ τῷ τοῦ οὐρανοῦ νώτῳ, στάσας δὲ 
« αὐτὰς περιάγει À περιφορά“ at δὲ θεωροῦσι τὰ ἔξω τοῦ 
« οὐρανοῦ. 

« Τὸν δὲ ὕπερουράνιον τόπον, οὔτε τις ὕμνησέ no τῶν 
« τῇδε ποιητής, οὔτε ποτὲ ὕμνήσει κατ᾽ ἀξίαν. Ἔχει δὲ 
« ὧδε’ τολμητέον γὰρ οὖν τό γε ἀληθὲς εἰπεῖν, ἄλλως τε 
« καὶ περὶ ἀληθείας λέγοντα. Ἣ γὰρ ἀχρώματός τε καὶ 
« ἀσχημάτιστος καὶ ἀναφὴς οὐσία ὄντως οὖσα, ψυχῆς 
« κυθερνήτῃ μόνῳ θεατὴ νῷ, περὶ ἣν τὸ τῆς ἀληθοῦς 
« ἐπιστήμης γένος, τοῦτον ἔχει τὸν τόπον. “Ατ᾽ οὖν θεοῦ 
« διάνοια, νῷ τε καὶ ἐπιστήμῃ ἀκηράτῳ τρεφομένη, καὶ 
« ἅπάσης ψυχῆς ὅσῃ ἂν μέλῃ τὸ προσῆκον δέξασθαι, 
« ἰδοῦσα διὰ χρόνου τὸ ὄν, ἀγαπᾷ τε καὶ θεωροῦσα τἀληθῆ 
« τρέφεται καὶ εὐπαθεῖ, ἕως ἂν κύκλῳ ἣ περιφορὰ εἷς 

b 2 μὲν: μι. οὖν em, Coisl. 155 Hermi. || 8 χάχης : χκαχῆς Β || 
4 ἐπὶ... 5 ἡνιόχων : om. W add. alia man. i. m. || 5 ἢ (et Niceph.) : ἦν 
recc. Schanz Burnet ἂν ἢ Heindorf Vollgr. || 6 ψυχῇ : τῇ 4. Euseb. 
(Attici uerba referens) || 7 ἄχρῳ : ἄχρον W || 8 στάσας T? (em.) (et 
Procl.): ist. codd. || © 1 θεωροῦσι Paris. 1814 Ven. 189 em. (et 
Hermi.) : -σαι codd. || 4 ποτὲ : om. Aristid. Origen. || 7 οὖσα, ψυχῆς 
{et Procl. Hermi.! Simplic.) : ψυχῇ οὖσα, sic B ψυχῆς (om. οὗ.) Stob. 
Syrian. οὖ. (om. ψυχῆς) Madvig Schanz Vollgr. [cf. Alline op. cit. 
224 sq.] || 8 μόνῳ θεατὴ νῷ edd. : v. μ. θεατὴ Origen. μ. θεῷ θεατὴ 
Clem. μ. νῷ θεατὴ Syrian, μ.-ἢ v. B -ἣ v. γρῆται ΤῊ uulg. u. 
θεατῇ (om. νῷ) Hermiae codd. Procl." || ἣν : ὃν Origen. || d τ τόπον 
(et Simplic.): τρόπον B || ἅτ᾽ (et Hermi.!): ἥ +” Heindorf Schanz 
Vollgr. {| θεοῦ διάνοια : post 2 τρεφομένη ci. Richards || 2 ἀχηράτῳ 
τρεφομένη (et Damasc.): ἀχήρατος στρεφ. BT? (τος i. m.) W? (os 5. 
ἃ. οἷ δ0ο. ἴῃ ἡ, σ 5, τρ.) τάτῳ στρεφ. T || καὶ... 3 δέξασθαι : auct. 
Suckow del. Vollgr. || 3 ὅσῃ : ὅση TW Hermi. Thomps. Schanz || 
μέλῃ Ven. 54: μέλλῃ codd. Hermi. edd. 114, || δέξασθαι (et Hermi.): 
δέξεσθαι B Oxy. 114. || 4 ἀγαπᾷ : ἄγαταί auct. Naber Vollgr. 


247b 


247 ἃ 


248 


PHÈDRE 3g 


« circulaire la ramène au même point. Or, tandis qu’elle 
« accomplit ce tour, elle a sous les yeux la Justice en elle- 
« même, sous les yeux la Sagesse ; elle a sous les yeux un 
« savoir qui n’est pas celui auquel est lié le devenir, qui 
« n'est pas non plus celui qui se diversifie avec la diversité 
« des objets auxquels il s'applique et auxquels, dans notre pré- 
« sente existence, nous donnons le nom d'êtres, mais le Savoir 
« qui s'applique à ce qui est réellement une réalité!. Après 
« qu'elle a, de la même façon, contemplé les autres choses 
« qui réellement sont des réalités, après qu’elle en a fait son 
« régal, de nouveau elle s'enfonce dans l’intérieur du ciel et 
« revient à son logis. Une fois qu’elle y est rendue, son 


« cocher installe les chevaux devant la mangeoire, il y jette 


« pour leur pâture l’ambroisie, et, après l’ambroisie, il leur 
« donne à boire le nectar. 
« Voilà pour l'existence des dieux ; 
Les âmes « passons aux autres âmes. Celle-ci fait 
autres que celles Ξ 3 ς 
ii « de son mieux pour suivre les Dieux ; 
« elle élève vers le lieu qui est en dehors 
« du ciel la tête de son cocher ; entraînée dans la révolution 
« circulaire, elle est à grand peine capable, dans l'embarras 
« que ses chevaux lui causent, de porter les yeux sur les 
« réalités. Cette autre tantôt lève, tantôt enfonce sa tête et, 
« ne maîtrisant pas ses chevaux, elle voit les unes et non les 
« autres. Quant au reste des âmes, comme elles aspirent 
« toutes à monter, elles prennent bien la suite; mais c’est 
« peine perdue: elles sombrent dans le remous qui les 
« entraîne, se piétinant et se bousculant entre elles, chacune 
« s’efforçant de se placer en avant d’une autre. C'est donc 
« le tumulte, la lutte, les sueurs, tout cela à son comble, et, 
« comme de juste, l’occasion pour beaucoup d’âmes, du fait 
« de l’impéritie des cochers, d’être estropiées ; pour beaucoup 
« d’entre elles, d’avoir beaucoup de leur plumage froissé ! 


savoir, soit dans l’éducation (Rép. VII 521 c-534 e, Philèbe 55 c-59 c): 
l’ordre d’étude exprime le rapport réel des objets connus. 

1. Opposition de l'être et de l’apparence, et, corrélativement, du 
savoir dont les objets sont éternels, invariables dans leur constitution 
intrinsèque comme dans leurs rapports mutuels, et de la connais- 
sance sensible, dont les objets naissent, périssent, changent sans 
cesse ; fondement ruineux de l'opinion (cf. note suivante). 


on dr nd Sd US D à à) dé à 


39 dAIAPOS 


« ταὐτὸν περιενέγκῃ. Ἔν δὲ τῇ περιόδῳ καθορᾷ μὲν αὐτὴν 
δικαιοσύνην, καθορᾷ δὲ σωφροσύνην, καθορᾷ δὲ ἐπι- 
στήμην, οὐχ À γένεσις πρόσεστιν, οὐδ᾽ ἥ ἐστίν που 
ἑτέρα ἐν ἑτέρῳ οὖσα ὧν ἡμεῖς νῦν ὄντων καλοῦμεν, 
ἀλλὰ τὴν ἐν τῷ ὅ ἐστιν ὃν ὄντως ἐπιστήμην οὖσαν. Καὶ 
τἄλλα ὡσαύτως τὰ ὄντα ὄντως θεασαμένη καὶ ἑστιαθεῖσα, 
δῦσα πάλιν εἰς τὸ εἴσω τοῦ οὐρανοῦ, οἴκαδε ἦλθεν᾽ 
ἐλθούσης δὲ αὐτῆς ὃ ἡνίοχος, πρὸς τὴν φάτνην τοὺς 
ἵππους στήσας, παρέβαλεν ἀμθροσίαν τε καὶ ἐπ᾽ αὐτῇ 


πὰς ὩΣ ΟΣ ΣΡ ἘῸΝ ΜῈ᾿ 


νέκταρ ἐπότισεν. 

« Καὶ οὗτος μὲν θεῶν βίος. Αἱ δὲ ἄλλαι ψυχαί, À μὲν 
« ἄριστα θεοῖς ἑπομένη ὕπερῆρεν εἷς τὸν ἔξω τόπον τὴν 
« τοῦ ἡνιόχου κεφαλήν, καὶ συμπεριηνέχθη τὴν περι- 
« φοράν, θορυθουμένη ὑπὸ τῶν ἵππων καὶ μόγις καθορῶσα 
« τὰ ὄντα À δὲ τοτὲ μὲν ἦρεν, τοτὲ δ᾽ ἔδυ, βιαζομένων 
« δὲ τῶν ἵππων τὰ μὲν εἶδεν, τὰ δ᾽ οὔ, Αἱ δὲ δὴ ἄλλαι, 
« γλιχόμεναι μὲν ἅπασαι τοῦ ἄνω, ἕπονται, ἀδυνατοῦσαι 
« δὲ ὑποθρύχιαι συμπεριφέρονται, πατοῦσαι ἀλλήλας καὶ 
« ἐπιθάλλουσαι, ἑτέρα πρὸ τῆς ἑτέρας πειρωμένη γενέσθαι. 
Θόρυθος οὖν καὶ ἅμιλλα καὶ ἱδρὼς ἔσχατος γίγνεται, οὗ 
δὴ κακίᾳ ἡνιόχων πολλαὶ μὲν χωλεύονται, πολλαὶ δὲ 
πολλὰ πτερὰ θραύονται. Πᾶσαι δέ, πολὺν ἔχουσαι πόνον, 


“ A 


A 


d 6 καθορᾷ μὲν B? (αι s. u.) (et Oxy.): -Guev B || αὐτὴν (et 
Syrian. Hermi.): αὖ τὴν Oxy.? (i. m. αὖ την) Coislin. 155 Heindorf 
[| 7 δικαιοσύνην : ὃ. [ὁ est]: διχαιοσυνη Oxy. || δὲ : δ᾽ Oxy.utuid. [[6 1 
οὐδ ᾽ῆ (et Oxy. [οὐδε à sic] Simplic.): o0ôn T οὐδ᾽ ἢ uulg. {| ἐστίν : -τί 
W Oxy. || οὖσα (i. m. Oxy.? seu prius omissum seu pro alio uerbo) 
[| 3 ὃν : om. Oxy. Simplic. Vollgr. || 8 ἐπότισεν (et Oxy. ut uid.): 
-σε W || 248 ἃ 1 μὲν (et Hermi.) : u. δη Oxy. || 2 θεοῖς Oxy. (prob. 
Wilamow. IL 363) : θεῷ codd. edd. ||érouévn Oxy. : ἐπ. χαὲ εἰχασμένη 
codd. (quae uerba damn. id. ibid.) [ὑπερῆρεν : -ἦρεν T || 3 περιφοράν W? 
(περι5. u.): φοράν W || ἡ μόγις : μολις Oxy. || 5 τοτὲ .... τοτὲ : τότε... 
τότε codd. ποτὲ ... ποτὲ Hermi.r || ἦρεν (et Oxy.) : ἢ. T ἦρε W ἤρατο 
fors. legit Hermi. || δ᾽ ἔδυ : fors. ἔδυσε Hermi. δου Oxy. (cf. 6 τὰ 
δ᾽ οὔ) |] 8 συμπεριφέρονται : ξυμπ. Hermi.! || b 2 où (et Oxy. [spir. et 
acc. fecit] Proclus) : ov B || 4 πολλὰ (et Oxy. [ut uid.] Proclus): secl. 
Stallb. || ἔχουσαι : σχοῦσαι Egelie. 


247 à 


248. 


PHÈDRE ho 


« Toutes enfin, accablées de fatigue, s’éloignent sans avoir 
« été initiées à la contemplation de la réalité, et, une fois 
« éloignées, c’est l’Opinion! qui fait leur nourriture. Oui, 
ce qui est le mobile d’un si grand effort pour apercevoir 
où est la Plaine de Vérité, c’est justement que la pâture 
convenant à ce qu’il y a dans l’âme de meilleur se tire du 
pré qui s’y trouve, et que c’est ἰὰ ce dont se nourrit la 
« nature de ce-plumage qui donne à l’âme sa légèreté. 

« Et maintenant voici ce qu'a décrété 
« Adrastée?. Toute âme qui, en faisant 
« partie du cortège d’un Dieu, a eu quelque vision des 
« réalités véritables, est jusqu’à la révolution suivante exempte 
« d'épreuve, et, si toujours elle est capable de réaliser 
« cette condition, à toujours elle est exempte de dommage; 
« quand au contraire, faute d’avoir été capable de suivre doci- 
« lement, elle ne voit point; quand, par l'effet de quelque 
« disgrâce, comblée d’oubli et de perversion, elle s’est 
« alourdie; que, s’étant ainsi alourdie, elle a enfin perdu 
«son plumage et gît sur la terre, c’est alors une loi 
« qu’elle n’aille s'implanter en aucune sorte de bête dès 
« la première génération ; mais que celle qui aura eu la plus 
« copieuse vision aille s'implanter dans la semence d’un 
« homme appelé à devenir ami du savoir ou ami de la beauté, 
« ou bien d’un homme qui a de la culture et qui est instruit 
« en matière d'amour; que, pour celle du second rang, ce 
« soit dans la semence d’un roi qui obéit à la loi, ou bien 
« guerrier et habile à commander; que celle du troisième 
« rang vienne animer un politique, à moins que ce ne soit un 
« bon intendant ou un financier; celle du quatrième, un 
« homme qui aime la fatigue des exercices physiques, ou bien 
« encore qui s’emploiera à guérir le corps ; la cinquième aura 
« droit à une existence de devin ou consacrée à quelque forme 
« d'initiation ; à la sixième correspondra le faiseur de poésies 
« ou tout autre parmi ceux qui s'occupent d’imiter; à la 


A RAR A 


Eschatologie. 


1. Tandis que les âmes des dieux et celles qui leur sont appa- 
rentées ont le savoir pour aliment (243 d déb.). 

2. L'Inévitable, épithète de Némésis, ou Justice distributive. Ici, 
son décret concerne la destinée finale des âmes, par rapport à ce que 
sera leur existence dans la vie terrestre et après. Que l’eschatologie 
soit pour Platon une croyance sérieuse, on n’en peut douter ; mais, 
que le présent exposé comporte une part de fantaisie, c’est possible : 


or LV be {Luc am dia sie à 


ko ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ἀτελεῖς τῆς τοῦ ὄντος θέας ἀπέρχονται, καὶ ἀπελθοῦσαι 
τροφῇ δοξαστῇ χρῶνται. Οὗ δὴ ἕνεχ᾽ ἧ πολλὴ σπουδὴ 
τὸ ἀληθείας ἰδεῖν πεδίον οὗ ἐστιν, ἥ τε δὴ προσήκουσα 
ψυχῆς τῷ ἀρίστῳ νομὴ ἐκ τοῦ ἐκεῖ λειμῶνος τυγχάνει 
οὖσα, ἥ τε τοῦ πτεροῦ φύσις, ᾧ ψυχὴ κουφίζεται, 


ROSE, No . 


τούτῳ τρέφεται. 

« Θεσμός τε ᾿Αδραστείας ὅδε᾽ ἥτις ἂν ψυχή, θεῷ 
« ξυνοπαδὸς γενομένη, κατίδῃ τι τῶν ἀληθῶν, μέχρι τε 
« τῆς ἑτέρας περιόδου εἶναι ἀπήμονα, κἂν ἀεὶ τοῦτο 
᾿« δύνηται ποιεῖν, ἀεὶ ἀθλαθῆ εἶναι: ὅταν δὲ ἀδυνατήσασα 
« ἐπισπέσθαι μὴ ἴδῃ καί τινι συντυχίᾳ χρησαμένη λήθης 
« τε καὶ κακίας πλησθεῖσα βαρυνθῇ, βαρυνθεῖσα δὲ πτερορ- 
ρυήσῃ τε καὶ ἐπὶ τὴν γῆν πέσῃ, τότε νόμος ταύτην 
μὴ φυτεῦσαι εἰς μηδεμίαν θήρειον φύσιν ἐν fi πρώτῃ 


γενησομένου φιλοσόφου ἢ φιλοκάλου ἢ μουσικοῦ τινος 
καὶ ἐρωτικοῦ, τὴν δὲ δευτέραν εἰς βασιλέως ἐννόμου ἢ 
πολεμικοῦ καὶ ἀρχικοῦ, τρίτην εἰς πολιτικοῦ: ἤ τινος 
οἰκονομικοῦ ἢ χρηματιστικοῦ, τετάρτην εἷς φιλοπόνου 


RM δὲ Δ ORORORARUTRA 


γυμναστικοῦ ἢ περὶ σώματος ἴασίν τινος ἐσομένου, 
« πέμπτην μαντικὸν βίον À τινα τελεστικὸν ÉEouoav: ἕκτῃ 
« ποιητικὸς ἢ τῶν περὶ μίμησίν τις ἄλλος ἁρμόσει, ἑθδόμῃ 


b 6 οὗ δὴ ἕνεχ᾽ ἡ (et Hermi.!): οὐδὲν ἔχει Β οὗ δ᾽ ἕν. à corr. 
Ven. 185 auct. Madvig edd. τοῦ δὴ ἕν. ἣ Ast ὧν δ᾽ ἕν. ἣ Badham || 
7 οὗ ἐστιν (et Oxy. [ut uid. sed ante πεδίον] Hermi.!) : ἐστίν (οὗ om.) 
Madvig Schanz utrumque damn. Wilam. II 364 où ἔστιν Ast δύ᾽ ἐστόν 
Badham Vollgr. || © 3 ψυχὴ :--ἢ B || 4 ξυνοπαδὸς : συν. Burnet || 
5 χἂν : xàv T χὰν W εἰ B || ἀεὶ : ai. TW om. B ||.6 ἀεὶ : αἱ, TW χὰν 
ai. B || ἀδλαδὴ (et Hermi.) : faéén B || 7 ἐπισπέσθαι : -θαιο sic T || 
γρησαμένη : -vn Β || ἃ τ θήρειον : θηρείαν BT? rec. (α s. u,) Thomps. 
Vollgr. || 3 γενησομένου : ἐσο. Plotin. 1 8, 18 || ἢ φιλοχάλου : om. 
Plotin. ibid. οἱ οἵ, 10 || 5 xœi : x. (ci. ἢ) Badham Vollgr. || ἤ τινος 
οἰχονομιχοῦ : τινος ἢ oi. Vollgr. fors. non leg. Hermi. || 6 φιλοπόνου 
γυυναστιχοῦ (et Hermi. ut uid. [om +.]): @. ἢ y. Thomps. Burnet 
Î| 7 τινος Hermann: τινα codd. Thomps. ἢ θεραπείαν τε τινα. 
Heindorf. 


IV. 3. — 6 


248b 


γενέσει: ἀλλὰ τὴν μὲν πλεῖστα ἰδοῦσαν εἰς γονὴν ἀνδρὸς ᾿ 


248 e 


249 


A 


PHÈDRE Δ 


septième, l'artisan ou le cultivateur; à la huitième, le 
professionnel de la sophistique ou de l’art de flatter le 
peuple ; à la neuvième, l’homme tyrannique. 

« Et maintenant, admettons que, dans l’ensemble de ces 
hommes, il y en ait un qui ait mené une vie juste: il reçoit 
en partageun meilleur lot, et un pire si c’est une vie d’in- 
justice. C’est que le même point d'où chaque âme est venue 
n’est pour elle celui du retour qu'après dix mille ans: ce 
n’est pas avant tout ce temps que l’âme en effet reçoit des 
ailes, exception faite pour celle de l’homme qui a été un 
loyal ami du savoir ou qui a aimé les jeunes garçons d’un 
amour philosophique. De fait, ces âmes-là, à la troisième 
révolution millénaire et dans le cas où, trois fois de suite, 
elles ont choisi ce genre de vie, s'étant de la sorte donné 
des ailes, à la trois-millième année elles s’éloignent ! Quant 
aux autres, une fois qu’elles ont terminé leur première 
existence, elles sont soumises à un jugement, et, après 
qu’elles ont été jugées, les unes s’en vont aux maisons de 
justice qui sont sous terre et y paient leur juste peine, 
tandis que celles que l’arrêt de justice a fait monter, 
légères, jusqu’à tel ou tel endroit du ciel, celles-là mènent 
une vie qui récompense la vie qu’elles ont vécue sous une 
forme humaine. Or, à la millième année, pour celles-ci 
comme pour celles-là, le moment est venu de tirer au sort 
et, à la fois, de choisir leur deuxième existence, le choix 
de cette existence dépendant de la volonté de chacune. C’est 
à ce moment qu'en une existence de bête vient passer 
une âme d'homme‘, tout comme, d’une existence de bête, 
revient à la condition humaine celui qui fut une fois 
homme: il n'y aura pas en effet, pour l’âme qui jamais 
n’eut une vision de la Vérité, de passage à cette forme qui 
est la nôtre. 


ainsi sont vouées au sort qu’elles méritent de détestables sortes 


d’ 


hommes! On remarquera notamment la place du sophiste et du 


démagogue, au-dessous des travailleurs manuels, ordinairement si 
méprisés. Sur les autres points, voir Notice, p. Lxxxvi1 sqq. 


1. Toute âme, à sa chute, commence par animer un homme 


(248 d déb.). Mais elle peut ensuite choisir, selon le rang que le sort 


a 


fixé pour ce choix, d’animer un corps de bête. Comparer le mythe 


d’Er l’Arménien, Rép. X 617d-618 b, 619 b-620 d. 


fix ΦΑΙΔΡΟΣ 


« δημιουργικὸς ἢ γεωργικός, ὀγδόῃ σοφιστικὸς ἢ δημο- 
« κοπικός, ἐνάτῃ τυραννικός. 

« Ἔν δὴ τούτοις ἅπασιν ὃς μὲν ἂν δικαίως διαγάγῃ 
« ἀμείνονος μοίρας μεταλαμβάνει ὃς δ᾽ ἂν ἀδίκως, χεί- 
« ρονος. Εἷς μὲν γὰρ τὸ αὐτὸ ὅθεν ἥκει À ψυχὴ ἑκάστη 
« οὐκ ἀφικνεῖται ἐτῶν uuplov: οὐ γὰρ πτεροῦται πρὸ 
« τοσούτου χρόνου, πλὴν À τοῦ φιλοσοφήσαντος ἀδόλως ἢ 
« παιδεραστήσαντος μετὰ φιλοσοφίας. αὗται δὲ τρίτῃ 
« περιόδῳ τῇ χιλιετεῖ, ἐὰν ἕλωνται τρὶς ἐφεξῆς τὸν βίον 
« τοῦτον, οὕτω πτερωθεῖσαι, τρισχιλιοστῷ ἔτει ἀπέρ- 
« χονται, Αἴ δὲ ἄλλαι, ὅταν τὸν πρῶτον βίον τελευτή- 
« σῶσιν, κρίσεως ἔτυχον, κριθεῖσαι δέ, ai μὲν εἷς τὰ ὕπὸ 
« γῆς δικαιωτήρια ἐλθοῦσαι δίκην ἐκτίνουσιν, at δ᾽ εἰς 
« τοὔρανοῦ τινα τόπον, ὕπὸ τῆς δίκης κουφισθεῖσαι, 
« διάγουσιν ἀξίως οὗ ἐν ἀνθρώπου εἴδει ἐθίωσαν βίου. Τῷ 
« δὲ χιλιοστῷ ἀμφότεραι, ἀφικνούμεναι ἐπὶ kAñpooiv τε 
« καὶ αἵρεσιν τοῦ δευτέρου βίου, αἱροῦνται ὃν ἂν θέλῃ 
« ἑκάστη ἔνθα καὶ εἷς θηρίου βίον ἀνθρωπίνη ψυχὴ 
« ἀφικνεῖται, καὶ ἐκ θηρίου ὅς ποτε ἄνθρωπος ἦν πάλιν 


« εἷς ἄνθρωπον" où γὰρ ἥ γε μήποτε ἰδοῦσα τὴν ἀλήθειαν 
« εἷς τόδε ἥξει τὸ σχῆμα. 


e 3 δημοχοπιχός (et Hermi.) : δημοτιχὸς B Thomps. || 4 ἐνάτῃ : ἐνν. 
BT (ἐνεν) W2 (vs. u.) || 5 δὴ (et Hermi.!) : δὲ TW || 6 μεταλαμβάνει : 
λαγχάνει Hermi. || 7 αὐτὸ : om. Theodoret. || à : om. Euseb. Theodoret. 
|| 249 ἃ τ ἀδόλως ἢ (et 114.) : ἢ ἀδ. Vollgr. || 3 χιλιετεῖ : -ετίᾳ 
Euseb. Theodoret. || ἐὰν ἕλωνται (et Euseb.): ἐῶνται" τρὶς δὲ 
Theodoret. || 4 τρισχιλιοστῷ (et Euseb.): τῷ τρ. Theodoret. || 
ἀπέρχονται (et Euseb. Theodoret.): ἀνέρχ. Vollgr. cf. Remp. VII 
5ar ὁ 3 || 5 τελευτήσωσιν : -σι W Euseb. Theodoret. || 7 ἐχτί- 
vouoty: τίνουσιν Euseb. Theodoret. χτίν. Eus." ἐχτεί. Vollgr, 
IL 8 τοὐρανοῦ: τοῦ οὐρ. TW  Euseb. Theodoret. || ὑπὸ τῆς 
δίχης (et Euseb. Theodoret.): auct. Herwerden del. Vollgr. || 
Ὁ 1 εἴδει W? rec. (s. u.): om. W {|| 3 θέλη (et Euseb.): ἐθέ. 
Euseb.» Hermi. Thomps. Vollgr. || 4 xai : δὴ x. Euseb. || βίον (et 
Euseb. Hermi.}) : βίου B || 6 ἥ γε (et Philopon.) : δή γε id. alio loco || 
τὴν ἀλήθειαν : τὸ ὃν id. 


2489 


249 


249b 


PHÈDRE ka 


« La cause en est qu’une intelligence 
L'Idée « d'homme doit s'exercer selon ce qu’on 
des Re perte αν « appelle Zdée, en allant d’une multi- 
d'amour « plicité de sensations vers une unité, 
« dont l’assemblage est acte de réflexion. 
« Or cet acte consiste en un ressouvenir des objets que jadis 
« notre âme a vus, lorsqu'elle s’associait à la promenade d’un 
« dieu, lorqu’elle regardait de haut tout ce à quoi dans notre 
« présente existence nous attribuons la réalité et qu’elle levait 
« la tête vers ce qui est réellement réel. Aussi est-il juste 
« assurément que, seule, la pensée du philosophe soit ailée : 
« c'est que les grands objets, auxquels constamment par 
« le souvenir elle s'applique dans la mesure de ses forces, 
« sont justement ceux auxquels, parce qu'il s’y applique, un 
« dieu doit sa divinité?! Eh bien! c’est en usant droitement 
« de pareils moyens de souvenance qu’un homme, dont l’ini- 
« tiation à de parfaits mystères est toujours parfaite, est seul 
« à devenir réellement parfait. Mais, comme il s’écarte des . 
« objets où tend le zèle des hommes et qu'il s'attache à ce 
« qui est divin, la foule lui remontre qu'il a la tête à l’en- 
« vers, alors qu’il est possédé d’un dieu ; mais la foule nes’en 
« rend pas compte ! 
« Or donc, voici où en arrive tout le développement 
« concernant la quatrième forme du délire — oui, du 
« délire : quand, à la vue de la beauté d’ici-bas, au ressou- 
« venir de celle qui est véritable, on prend des ailes, de 
« nouveau ailé et impatient aussi de s'envoler mais im- 
« puissant à le faire, portant vers le haut son regard à la 
« manière de l'oiseau‘, mais négligeant les choses d’en-bas, 
« on ἃ ce qu'il faut pour se faire taxer d’être atteint de 
« délire... La conclusion, c'est que, entre toutes les formes 
« de possession divine, celle-là se révèle être la meilleure, en 


1. Pour aller à l’Idée et obtenir la réminiscence de visions oubliées, 
cette discipline logique d’un exercice normal de la pensée a un pen- 
dant émotif, le don divin du délire d’amour (Notice. p. xcrv sq.). 

ἃ. Au-dessus du dieu il ÿ a donc du divin : la réalité intelligible 
dont le dieu fait sa substance (cf. 247 d déb. et p. 38, n. 2). 

3 Le texte usuel place ce et avant : de nouveau ailé. Maïs, liés à 
l’impatience de voler, ces mots ne sont plus une répétition superflue. 

4. Avec ces jeunes ailes il est plutôt un oisillon, élevant en effet la 
tête quand il s’essaie à voler. C’est en ce sens qu’interprète Hermias. 


42 το ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 

« Δεῖ γὰρ ἄνθρωπον ξυνιέναι κατ᾽ εἶδος λεγόμενον, ἐκ 
« πολλῶν ἰὸν αἰσθήσεων εἰς ἕν λογισμῷ ξυναιρούμενον. 
« Τοῦτο δ᾽ ἐστιν ἀνάμνησις ἐκείνων ἅ ποτ᾽ εἶδεν ἣμῶν À 
« Ψυχή, συμπορευθεῖσα θεῷ καὶ ὑπεριδοῦσα ἃ νῦν εἶναί 
« φαμεν καὶ ἀνακύψασα εἷς τὸ ὃν ὄντως. Διὸ δὴ δικαίως 
« μόνῃ πτεροῦται À τοῦ φιλοσόφου διάνοια: πρὸς γὰρ 
« ἐκείνοις ἀεί ἐστι μνήμῃ κατὰ δύναμιν, πρὸς οἷσπερ θεὸς 
« ὧν θεῖός ἐστιν. Τοῖς δὲ δὴ τοιούτοις ἀνὴρ ὑπομνήμασιν 
« ὀρθῶς χρώμενος, τελέους ἀεὶ τελετὰς τελούμενος, τέλεος 
« ὄντως μόνος γίγνεται" ἐξιστάμενος δὲ τῶν ἀνθρωπίνων 
« σπουδασμάτων καὶ πρὸς τῷ θείῳ γιγνόμενος, νουθετεῖται 
« μὲν ὕπὸ τῶν πολλῶν ὥς παρακινῶν, ἐνθουσιάζων δὲ 
« λέληθε τοὺς πολλούς. 

« Ἔστι δὴ οὖν δεῦρο ὃ πᾶς ἥκων λόγος περὶ τῆς 
« τετάρτης μανίας᾽ ἥν, ὅταν τὸ τῇδέ τις δρῶν κάλλος, τοῦ 
« ἀληθοῦς ἀναμιμνῃσκόμενος, πτερῶται, ἀναπτερούμενός 
« τε καὶ προθυμούμενος ἀναπτέσθαι ἀδυνατῶν δέ, ὄρνιθος 
« δίκην βλέπων ἄνω τῶν κάτω δὲ ἀμελῶν, αἰτίαν ἔχει ὡς 
« μανικῶς διακείμενος" ὧς ἄρα αὕτη πασῶν τῶν ἐνθου- 


b 8 ξυνιέναι (et Hermi.) : συν. Burnet || χατ᾽ εἶδος : τὸ var” εἶ, 
Heindorf Schanz ἕχαστον ei. Badham || ἐχ πολλῶν : τὸ ἐχ x. Vollgr. 
|| © τ ἰὸν (et Hermi.): del. Vollgr. :6vr’ Badham Thomps. οἷον B2? 
rec (1. m.) || ξυναιρούμενον : συν. Burnet ξυναιρουμένων Heindorf 
Schanz || ἃ δ᾽ : δέ W {| 4 ἀναχύψασα : lit. eras. post x W || 6 ἀεὶ: 
ai. codd. || ἐστι : -ἰν B || μνήμη Hermi. : -un codd. Proclus || θεὸς ... 
θεῖός (et Hermi.!) : ὁ θεὸς ... θεῖός W Hermi. (ye.) θεὸς ... θεός Hermi. 
(re-) ὃ θεὸς ... θεός id. (γρ.) Plut. Qu. conu. 718 ἔ || 8 ἀεὶ : αἰ. codd. || 
ἃ 3 λέληθε : -θεν T || 4 ἔστι (et Hermi.l): -τιν BT || ὁ (et Stob. 
Hermi.!) : om. Hermi. 99? || 5 ἣν (et Stob. Hermi.!): ἢ Vin- 
dob. 8g et al. ἵν᾽ uulg. || τὸ τῇ dé (et Hermi.!) : τὸ τηδε B τόδ᾽ ἤδη 
uel τὸ δ᾽ ἤδη Stobaei codd. || τοῦ... 6 ἀναπτερούμενος : om. W add. 
i. τὰ. W? pr. m. || 6 πτερῶταίι : -ροῦται W? Stob. ἐπτέρωται Herm.! || 
ἀναπτερούμενός te καὶ Spengel (prob. Wilamow. II 264) : τε xai ἀναπτ. 
codd. Stob. Hermi.! Burnet τε x. secl. Schanz ἀναπτ. secl. Thomps. 
11 7 προθυμούμενος (et Stob.) : -μῆται Ven. 184 || 8 δίκην : post δίχην 
distinxisse uid. Hermi. 174 32 sq. || ἀμελῶν (et Stob. Hermi.) : à. 
διατελῇ Vahlen || ἔχει : ἔχη Ven. 184 -s1v Stobaei codd. || e 1 
μανικῶς : -χὸς B || αὕτη (et Hermi.1) : αὐτὴ Β αὐτὴ Stob. 


249b 


249 9 


250 


RMI PA 


δ ἢ 


LARRARRR RAR 


A Ζ 


PHÈDRE 43 


même temps que faite des meilleurs éléments, aussi 
bien pour celui qui en est le sujet que pour celui qui y 
est associé ; el, en outre, que la présence de ce délire chez 
qui aime les beaux garçons fait dire de lui qu’il est fou 
d'amour ! Toute âme d'homme en effet a par nature, 
ainsi que je l’ai dit, contemplé les réalités: autrement, 
elle ne serait pas venue dans le vivant dont je parle. Mais 
trouver dans les choses de ce monde-ci le moyen de se 
ressouvenir de celles-là n’est pas aisé pour toute âme, 
ni pour toutes celles qui alors n’ont eu qu’une brève 
vision des choses de là-bas, ni pour celles qui, une fois 
tombées en ce lieu-ci, ont été assez malchanceuses pour se 
laisser tourner à l'injustice par on ne sait quelles fréquen- 
tations et pour y trouver l’oubli des augustes objets dont 
en ce temps-là elles ont eu la vision; il n’en reste donc 
qu'un petit nombre auxquelles appartienne en suflisance 
le don du souvenir. Mais, quand 1] arrive à celles-ci 


d’apercevoir une imitation des choses de là-bas, elles sont . 


hors d’elles-mêmes et ne se possèdent plus ! Quant à la 
nature de ce qu’elles éprouvent, elles ne s’en rendent pas 
compte, faute de pouvoir s’analyser comme 1] faut. 
Lo priviige ᾿ τὸ εν sh ge est qe Re 
A5 ie Bosnté. gesse, tout ce qu’il y a de précieux 
« encore pour des âmes, ne possèdent 
aucune luminosité dans les images de ce monde-ci : à 
grand peine, au contraire, de troubles instruments per- 
mettent-ils, et même à un petit nombre de gens, de 
recourir aux représentations de ces objets pour contempler 
en elles les traits de famille que ces représentations ont 
gardés. La Beauté, elle, était resplendissante à voir, 
en ce temps où, unis à un chœur fortuné, ces gens-là 
avaient en spectacle la béatifique vision, nous à la suite de 
Zeus et dans son cortège, d’autres dans celui d’un autre 
dieu ; ce temps où cela était sous leurs yeux ; où ils s’ini- 
tiaient à celle des initiations dont il y a justice à dire 
qu’elle atteint la suprême béatitude ; mystère que nous 
célébrions dans l'intégrité de notre vraie nature et exempts 
de tous les maux qui nous attendaient dans le cours ulté- 
rieur du temps ; intégrité, simplicité, immobilité, félicité 
appartenant à leur tour aux apparitions que l’initiation ἃ 
fini par dévoiler à nos regards au sein d’une pure et écla- 


43 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


σιάσεων ἀρίστη τε καὶ ἐξ ἀρίστων, τῷ τε ἔχοντι καὶ τῷ 
κοινωνοῦντι αὐτῆς, γίγνεται, καὶ ὅτι, ταύτης μετέχων 
τῆς μανίας, ὃ ἐρῶν τῶν καλῶν ἐραστὴς καλεῖται. [Καθ 
άπερ γὰρ εἴρηται, πᾶσα μὲν ἀνθρώπου ψυχὴ φύσει 
τεθέαται τὰ ὄντα᾽ ἢ οὐκ ἂν ἦλθεν εἰς τόδε τὸ ζῷον. 
᾿Αναμιμνήσκεσθαι δὲ ἐκ τῶνδε ἐκεῖνα οὗ ῥάδιον ἁπάσῃ, 
οὔτε ὅσαι βραχέως εἶδον τότε τἀκεῖ, οὔθ᾽ αἵ, δεῦρο 
πεσοῦσαι, ἐδυστύχησαν ὥστε, mé τινων ὁμιλιῶν ἐπὶ τὸ 
ἄδικον τραπόμεναι, λήθην ὧν τότε εἶδον ἱερῶν ἔχειν" 
ὀλίγαι δὴ λείπονται αἷς τὸ τῆς μνήμης ἱκανῶς πάρε- 
στιν. Αὗται δέ, ὅταν τι τῶν ἐκεῖ ὁμοίωμα ἴδωσιν, 
ἐκπλήττονται καὶ οὐκέθ᾽ αὑτῶν γίγνονται. “Ὃ δ᾽ ἔστι τὸ 
τιάθος ἀγνοοῦσι διὰ τὸ μὴ ἱκανῶς διαισθάνεσθαι. 


ἘΣ πὰρ ΤΩΝ ὩΣ AURAS ΩΝ Ne R 


« Δικαιοσύνης μὲν οὖν καὶ σωφροσύνης καὶ ὅσα ἄλλα 
τίμια ψυχαῖς οὐκ ἔνεστι φέγγος οὐδὲν ἐν τοῖς τῇδε 
« δμοιώμασιν᾽ ἀλλὰ δι᾿ ἀμυδρῶν ὄργάνων μόγις αὐτῶν καὶ 
« ὀλίγοι, ἐπὶ τὰς εἰκόνας ἰόντες, θεῶνται τὸ τοῦ εἶκα- 
« σθέντος γένος. Κάλλος δὲ τότε ἦν ἰδεῖν λαμπρόν, ὅτε, σὺν 
« εὐδαίμονι χορῷ, μακαρίαν ὄψιν τε καὶ θέαν, ἑπόμενοι 
« μετὰ μὲν Διὸς ἡμεῖς, ἄλλοι δὲ μετ᾽ ἄλλου θεῶν, εἶδόν τε 
« καὶ. ἐτελοῦντο τῶν τελετῶν ἣν θέμις λέγειν μακαριω- 
« τάτην᾽ ἣν ὠργιάζομεν, ὁλόκληροι μὲν αὐτοὶ ὄντες καὶ 
« ἀπαθεῖς κακῶν ὅσα Aus ἐν ὕστέρῳ χρόνῳ ὑπέμενεν, 
« ὅλόκληρα δὲ καὶ ἁπλᾶ καὶ ἀτρεμῇ καὶ εὐδαίμονα φάσματα 
« μυούμενοί τε καὶ ἐποπτεύοντες ἐν αὐγῇ καθαρᾷ καθαροὶ 


8 : 


e 3 χαὶ ὅτι : διότι ci. Riese || 4 xaheïrar (et Hermi.) : γίγνεται 
Stob. || 250 ἃ 2 οὔτε W2? (em. 5. u.): οὐδὲ W [] taxer: τὰ ëx. W || 
οὔθ᾽: οὐδ᾽ W || 3 ὥστε ΤΞ γρ. : οὔτε T εἶτα Heindorf || ἡ ἔχειν : 
ἔσχον Heindorf || 7 ἐχπλήττονται W? (em.): -ἥτονται W || οὐχέθ᾽ 
αὗτων (£av. Hermi.): -ἐτ᾽ αὖ. codd. -ἐτ’ ἐν ab. Hirschig Burnet 
Vollgr. || ἔστι : -τιν T Schanz || b 1 ἀγνοοῦσι! : -σιν T || 5 ὀλίγοι ΤΞ (σ 
exp.) : τοῖς T ὀλ. αὐτῶν olim Hermann || 6 τότε ἦν: τότ᾽ ἣν B Oxy. 
(ut 6 spatio uid.) +. τ᾿ ἦν Bekker || 8 τε (et Oxy.?) : om. Oxy. Ι 9 
τῶν (et Oxy. ute spatio uid. ): om. TW || ἣν recc. (et Hermi.): ἡ B 
ἡ Τὴ || c τ ὠργιάζομεν : 6py. ΒΤ Hermi. || 2 ὑπέμενεν. (et Oxy 
ut nid. ): περιέμ. Hirschig Vollgr. || 4 αὐγῇ (et Hermi.) : αὐτῇ B. 


249 e 


250 


251 


ὩΣ, δὰ ἈΝ ΟΣ, ἘΣ RSR πε ἂς 5 ἘΣ 


à 


PHÈDRE 44 


tante lumière‘, parce que nous étions purs et que nous ne 
portions pas la marque de ce sépulcre que, sous le nom de 
corps, nous promenons actuellement avec nous ?, attachés 
à lui de la même façon que l’est l’huître à sa coquille !.… 


Trèêve au souvenir ! C’est assez de cet hommage : en nous 


donnant regret de ce passé, voici qu’à présent il nous a 
fait trop longuement parler! Or c’est de la Beauté qu’il 
s'agissait. Dans sa réalité, disions-nous, elle resplendissait 
parmi les réalités dont il était question. Depuis notre 
venue en ces régions, c'est elle encore sur qui nous 
avons eu prise au moyen de celui qui est le plus clair des 
sens que nous possédons, elle-même brillante d’une supé- 
rieure clarté. De fait, la vision est la plus aiguë des percep- 
tions qui nous viennent par l'intermédiaire du corps ; mais 
la Pensée, elle ne la voit point! Quelles inimaginables 


« amours ne nous donnerait pas celle-ci ὃ, si pareïllement elle 
« donnait d'elle-même quelque claire image qui parvien- 


« 
« 


drait à la vue, et ainsi des autres réalités, toutes aimables, 
autant qu’elles sont! Mais non : seule la Beauté a obtenu 
ce lot de pouvoir être ce qui est le plus en évidence et ce 


dont le charme est le plus aimable. 


« À la vérité, celui qui n'est pas fraîchement initié ou 
bien qui s’est laissé corrompre n’est point vif, d'ici, à se 
porter là-bas, vers la Beauté en soi, quand 1] contemple 
ce à quoi, en ce monde-ci, est appliqué son nom*. Aussi 


« n'est-ce point avec vénération qu ὮΙ tourne dans cette 


direction ses regards ;‘ mais au contraire, s’abandonnant 
au plaisir, il agit en bête à quatre pattes, il se met en 
devoir de saillir et d’engrosser, et, se familiarisant avec la 
démesure, il ne craint pas, il n’a pas honte non plus, de 
poursuivre un plaisir contre nature. Quant à celui au 
contraire qui vient d’être initié, celui pour qui l’abondant 
objet de ses contemplations, ce furent les réalités de jadis, 
celui-là, quand il voit un visage d’un aspect divin, imi- 
tation réussie de la Beauté, ou quelque corps pareille- 


1. C’est le terme du mystère, l’époptie : l'initié contemple l’image 


illuminée du dieu (Banquet, p. 67, n. 4). 


2. Peut-être : « le nom actuel de corps » (cf. Crat. 4oo c). Allu- 


sion au séma-séma (corps-tombe) des Orphiques (Gorgias 498 a). 


3. Sur la Pensée, valeur suprême, voir Phédon 6g a-c et al. 
4. L’Idée est l’unité d’une multiplicité, qui lui doit sa dénomination 


44 PAIAPOË 


ὄντες καὶ ἀσήμαντοι τούτου ὃ νῦν δὴ σῶμα περιφέροντες 
ὀνομάζομεν, ὀστρέου τρόπον δεδεσμευμένοι... Ταῦτα 


« 
« 
« μὲν οὖν μνήμῃ κεχαρίσθω δι᾿ ἥν, πόθῳ τῶν τότε, νῦν 
« μακρότερα εἴρηται. Περὶ δὲ κάλλους, ὥσπερ εἴπομεν, 
« μετ᾽ ἐκείνων τε ἔλαμπεν ὄν, δεῦρό τ᾽ ἐλθόντες κατειλή- 
« φαμεν αὐτὸ διὰ τῆς ἐναργεστάτης αἰσθήσεως τῶν 
« ἡμετέρων, στίλβον ἐναργέστατα. "Oyic γὰρ ἡμῖν ὀξυτάτη 
« τῶν διὰ τοῦ σώματος ἔρχεται αἰσθήσεων, À φρόνησις 
« οὐχ δρᾶται δεινοὺς γὰρ ἂν παρεῖχεν ἔρωτας, εἴ τι 
« τοιοῦτον ἑαυτῆς ἐναργὲς εἴδωλον παρείχετο εἰς ὄψιν 
« ἴόν, καὶ τἄλλα ὅσα ἐραστά. Νῦν δὲ κάλλος μόνον ταύτην 
« ἔσχε μοῖραν ὥστ᾽ ἐκφανέστατον εἶναι καὶ ἐρασμιώτατον. 

« Ὃ μὲν οὖν μὴ νεοτελὴς ἢ διεφθαρμένος oùk ὀξέως 
« ἐνθένδε ἐκεῖσε φέρεται, πρὸς αὐτὸ τὸ κάλλος, θεώμενος 
« αὐτοῦ τὴν τῇδε ἐπωνυμίαν ὥστ᾽ οὐ σέβεται προσορῶν, 
« ἀλλ᾽, ἡδονῇ παραδούς, τετράποδος νόμον βαίνειν ἐπι- 
« χειρεῖ καὶ παιδοσπορεῖν καί, ὕθρει προσομιλῶν, où 
« δέδοικεν οὐδ᾽ αἰσχύνεται παρὰ φύσιν ἡδονὴν διώκων. 
« Ὁ δὲ ἀρτιτελής, ὃ τῶν τότε πολυθεάμων, ὅταν θεοειδὲς 
« πρόσωπον ἴδῃ, κάλλος εὖ μεμιμημένον, ἤ τινα σώματος 

\ 

οὅ ἀσήμαντοι (et Hermi.): ἀπή. Herwerden Richards || τούτου : 
τῷ ci. Herwerden || δὴ : om. Bet, exc. Burnet, omnes || 6 δεδεσμευμένοι : 
-voy Β ἐνδεδεμένη (sc. à Vu) Plut. sed δεδεμ. Stob., einsd. Plut, 
uerba referens ἢ 7 uv4un (et Hermi.!) : μνήμη BW || 8 ὥσπερ : ὡς 
Hermi.! || ἃ 1 ὄν : ὅν Β ον Oxy. ἰόν uulg. || 3 ὀξυτάτη (et Plut.) : -τέρα 
Hermi. || 4 ἔρχεται (et Plut.): εἶσιν uel ἐστιν id. alibi. auct. . 
del. Vollgr. | αἰσθήσεων (et Plut.): παθημάτων id. in al. loco If ñ : 
B || φρόνησι s.(et Οχγ. [ut uid.] Hermi.) : φρ. μὲν Vollgr. || 6 due 
ἐναργὲς εἴδωλον : uel ἐν. uel εἴδ. om. Oxy. et ἑαυ. post alterutr. 
scrib. || 7 χαὶ : οἷον x. Buttmann Vollgr. || ταύτην ... μοῖραν (et Pro- 
clus) : τοιαύτην... μ. Hermi. ταύ. τὴν μ. olim Ast Ι e 1 μὴ νεοτελὴς 
(et Hermi.!) : μὴ reuera non del. T? ἀρτιτ. Geer (cf. 251 ἃ 2) || ἢ 
διεφθαρμένος (et Hermi.): ἤδη ἐφθ. W || 3 cor’... προσορῶν (et 
Hermi.) : del. Vollgr. (cf. 251 a 5) || 254 ἃ τ οὐδ᾽ : οὐδὲ ΤῊ Hermi. 
|| ἃ ἀρτιτελής (et Oxy. Hermi.!): μὴ veot. Geer || ὁ : n Oxy. || 3 
πρόσωπον ἴδη : ιδ, re. Oxy. || κάλλος: ἡ 4. s. u. Oxy. || σώματος (et 
Oxy.): ἀσώματον uulg. 


250 c 


251 


251 a 


PHÈDRE 45 


« ment bien fait, il éprouve d’abord un frisson, et quelque 
« chose l’envahit sourdement de ses effrois de jadis. Puis 
« le voici qui tourne ses regards dans la direction du bel 
« objet; il le vénère à l’égal d’un dieu; s’il ne craignait 
« même de passer pour être au comble du délire, il offrirait, 
« comme à une sainte image et à un dieu, des sacrifices au 
« bien-aimé! Or, au moment où il voit, se fait en lui le 
changement qu’amène le frisson : une chaleur inaccou- 
« tumée. C’est que, une fois reçue par la voie des yeux 
« l’émanation de la beauté, il s’échauffe, et l’émanation 
« donne de la vitalité’ au plumage; l’échauffement, de son 
« côté, fait fondre ce qui, concernant l'expansion de cette 
« vitalité, s'était depuis longtemps fermé sous l’action d’un 
« durcissement et l’empêchait de germer. Mais l’afflux de 
« l’aliment produit un gonflement, un élan de croissance 
« dans la tige des plumes à partir de la racine, dans tout le 
« dedans de la forme de l’âme. L'âme en effet, au temps 
« jadis, était tout entière emplumée ; la voilà donc, en 


A 


« celui-ci, dans une ébullition générale et toute palpitante ; ὸ 


« ses impressions sont exactement ce que sont, dans le cas de 
« la dentition, les impressions de ceux qui font leurs dents, 
« quand ils sont tout juste en train de les percer : une déman- 
« geaison, un agacement ?, c’est identiquement ce qu'éprouve 
« en vérité l’âme de celui chez qui commencent à pousser les 
« plumes ; elle est à la fois en ébullition, agacée, chatouillée 


_« dans le temps où elle fait ses ailes. 


« Or donc, le voilà qui regarde dans la direction de la 
« beauté du jeune garçon. De là provient un flot de parti- 
« cules, et c’est précisément pour cette raison que ce flot est 


collective et l’existence de chacun de ses termes. Cette opposition 
s’exprime souvent par celle de deux mondes: l’un au-dessus de nous, 
perdu dans le lointain, perdu aussi pour l'actualité du souvenir ; 
l’autre, d’ici-bas et actuel. Cf. 249 c, 250 ab, 274 a : ces grands, ces 
augustes objets sont la réalité réellement réelle de 247 c fin, e déb. 

1. Cette physiologie de l'émotion amoureuse, qui est bien dans le 
ton du mythe, se comprend mal si, au mot grec que j’ai rendu par 
donner de la vitalité à (ranimer), on donne partout son sens propre : 
arroser. On ne s’explique plus alors que, par l’effet de la chaleur, ce 
qui était durci, puisse fondre et donner issue à la poussée du germe. 

2. Les mots dans les gencives ont été éliminés ici comme étant une 
glose : je doute que cette précision ait semblé nécessaire à Platon. 


MAD Ne AE »Ψ᾿ 
ER 


45 ΦΑΙΔΡΟΣ 


2518 


« ἰδέαν, πρῶτον μὲν ἔφριξε καί τι τῶν τότε ὑπῆλθεν. 


« αὐτὸν δειμάτων᾽ εἶτα προσορῶν ὡς θεὸν σέθεται καί, εἰ 
« μὴ ἐδεδίει τὴν τῆς σφόδρα μανίας δόξαν, θύοι ἂν ὡς 
« ἀγάλματι καὶ θεῷ τοῖς παιδικοῖς. ᾿Ιδόντα δέ, αὐτὸν οἷον 
᾽ς ἐκ τῆς φρίκης μεταβολή τε καὶ ἱδρὼς καὶ θερμότης 
« ἀήθης λαμβάνει: δεξάμενος γὰρ τοῦ κάλλους τὴν 
« ἀπορροὴν διὰ τῶν ὄμμάτων ἐθερμάνθη, À À τοῦ πτεροῦ 
« φύσις ἄρδεται: θερμανθέντος δέ, ἐτάκη τὰ περὶ τὴν 
« ἔκφυσιν ἃ πάλαι ὕπὸ σκληρότητος συμμεμυκότα εἶργε 
« μὴ βλαστάνειν’ ἐπιρρυείσης δὲ τῆς τροφῆς, ᾧδησέ τε 
« καὶ ὥρμησε φύεσθαι ἀπὸ τῆς ῥίζης ὃ τοῦ πτεροῦ καυλὸς 
« ὑπὸ πᾶν τὸ τῆς Ψυχῆς εἶδος. Πᾶσα γὰρ ἦν τὸ πάλαι 
« πτερωτή᾽ ζεῖ οὖν ἐν τούτῳ ὅλη καὶ ἀνακηκίει καί, ὅπερ 
« τὸ τῶν ὀδοντοφυούντων πάθος περὶ τοὺς ὀδόντας 
« γίγνεται ὅταν ἄρτι φύωσιν, κνῆσίς τε καὶ ἀγανάκτησις, 
« ταὐτὸν δὴ πέπονθεν À τοῦ πτεροφυεῖν ἀρχομένου puy: 
« ζεῖ τε καὶ ἀγανακτεῖ καὶ γαργαλίζεται φύουσα τὰ πτερά. 

« Ὅταν μὲν οὖν, βλέπουσα τιρὸς τὸ τοῦ παιδὸς κάλλος, 
« ἐκεῖθεν μέρη ἐπιόντα καὶ ῥέοντ᾽ (ἃ δὴ διὰ ταῦτα ἵμερος 


ἃ 4 ἔφριξε (et Hermi.!) : τξεν T Oxy. || ὑπῆλθεν : -θε Οχγ. || 5 
αὐτὸν (et Oxy.): addub. Heusde teste Geer || δειμάτων (et Oxy. 
Hermi.): deryu. Hermi.” Heusde || 6 μὴ ἐδεδίει Oxy.: un δεὸ. ΤῊΝ μὴ 
᾽δεδ, Schanz Vollgr. μὴ δεδιείη B (sed ein ut uid. exp. B?) μὴ δεδιοίη 
Buttmann μὴ δεδίοι Ast || σφόδρα (et Oxy.): -ᾶς B? (σ 5. u.) || 7 καὶ 
θεῷ (et Oxy. Hermi.) : addub. Schanz Herwerden del. Vollgr. || τοῖς 
παιδιχοῖς (et Oxy. Hermi.) : auct. Herw. del. Vollgr. || δὲ (et Oxy.) : 
δ᾽ B Hermi.! || b 2 ἢ... 3 ἄρδεται (et Oxy.) : secl. Schanz del. Vollgr. 
11% à (et Oxy.) : ἡ B || 3 δὲ (et Oxy. Hermi.): γὰρ Schanz || 7 ὑπὸ 
(et Hermi.): ἐπὶ Gray || τὸ réhat : om. Hermi. 185 18 sed habet 1267 
Ile τ ζεῖ ΤΞΥΥΞ3 (ει 8. u.) (et Hermi.) : ζῇ T ζη BW || ἃ ὀδοντοφυούντων 
ΤΞ (em.) (et Hermi.!): ὀδόντων φυόντων T || 8 φύωσιν : -σι TW || 
χνῆσίς : χίνησίς BW || ἀγανάχτησις : ἀγ. περὶ τὰ οὖλα codd. edd. ego 
del. ut glossema || 5 ζεῖ ὙΥ2: ζὴ BW || ζεῖ... 5 πτερά : forsan non 
legit Hermi. φύ. τὰ xt. auct. Herwerden del. Vollgr. || 7 μέρη... 8 
χαλεῖται : 560]. Ast || ἐπιόντα (et Hermi.) : χαὶ ῥέοντα W2 (ιόν et pé 
s. u.): értpé. χαὶ ἰόντα W apogr. (ἐπιρρέ.) ἐπ. δήπου x. 6. Ficin. ἀπ. 
x. 6. Vollgr. ἄττ᾽ ἰ. x. 6. Herwerden ἰ. x. ἐπιρρέ. Badham. 


251 c 


252 


A 


PHÈDRE 46 


appelé la vague de désir. Une fois que l’âme l’a reçu, sa 
vitalité est stimulée, elle s’échauffe ; alors elle se repose de 
sa souffrance, elle est dans la joie. Qu'elle vienne au 
contraire à en être isolée et qu’ainsi elle se flétrisse, alors 
les embouchures des pertuis par où la plume se fait sa 
route se sèchent toutes ensemble et, s’étant fermées, in- 
terceptent le germe de la plume. Mais celui-ci, ayant été, 
en commun avec la vague de désir, intercepté dans l’inté- 
rieur de l’âme, saute à la façon d’un pouls qui bat fort ; 
il vient gratter dans les pertuis, chaque germe à chaque 
pertuis ; si bien que, tout entière encerclée de piqüres, 
l’âme bondit follement sous la douleur, tandis que le sou- 
venir qu'elle a du bel objet la met en revanche dans la 
joie. Le mélange de ces deux sentiments fait qu'elle se 
tourmente de ce qu’il y a de déroutant dans son état, et 
aussi qu'elle enrage de ne pouvoir en sortir? ; dans le délire 
où elle est, elle ne peut, ni dormir la nuit, ni pendant le 
jour demeurer en place ; mais elle court, pleine de convoi- 
tise, aux lieux où, pense-t-elle, elle pourra voir celui qui 
possède la beauté. Or, quand elle l’a vu, qu'elle a fait 
dériver vers elle la vague de désir, elle commence alors à 
dégager ce qui auparavant était obstrué: elle a repris son 
souffle, pour elle c’en est fini des piqûres ainsi que du 
douloureux travail, et c’est en quoi aussi elle cueille pour 
l'instant [6 plaisir le plus délicieux. Voilà certes une condi- 
tion de laquelle elle n'accepte pas volontiers d’être éloignée, 
et il n’y a non plus personne dont elle fasse plus de cas 
que du bel objet : mères, frères, camarades, tout cela est 
au contraire oublié; la perte des biens, fruit de son 
incurie, ne compte à ses yeux pour rien ; les bons usages 
et les belles manières, dont jusqu'alors elle faisait sa 
parure, sont englobés par elle dans un même dédain ; elle 
est prête à l'esclavage, elle est est prête à dormir où on 
lui donnera permission, au plus près de ce qu’elle convoite* ! 
C'est que, non contente de vénérer l’être qui possède la 


1. Le mot grec est himéros, dont respectivement les trois syllabes 


traduiraient (cf. 251 bc) les idées de mouvoir en avant (hiénaï) les 
particules (méré) d’un courant (rhoé). Cf. Grat. 420 ab et p. 82,1. 


2. A l'atopia (p. 5, 4) se lie l’aporia, incapacité de trouver issue. 
3. Avec 251 e déb. comparer Banquet 183 a (Pausanias), 208 d 


ἠδ ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 

« καλεῖται) δεχομένη, ἄρδηταί τε καὶ θερμαίνηται, λωφᾷ 
« τε τῆς ὀδύνης καὶ γέγηθεν. “Ὅταν δὲ χωρὶς γένηται καὶ 
« αὐχμήσῃ, τὰ τῶν διεξόδων στόματα À τὸ πτερὸν ὁρμᾷ 


A 


συναυαινόμενα, μύσαντα ἀποκλείει τὴν βλάστην τοῦ 
« πτεροῦ" ἣ δ᾽ ἐντός, μετὰ τοῦ ἱμέρου ἀποκεκλειμένη, 
« πηδῶσα οἷον. τὰ σφύζοντα, τῇ διεξόδῳ ἐγχρίει, ἑκάστη 
« τῇ καθ᾽ αὑτήν, ὥστε πᾶσα κεντουμένη κύκλῳ À ψυχὴ 
« ototp@ καὶ ὀδυνᾶται: μνήμην δ᾽ αὖ ἔχουσα τοῦ καλοῦ, 
« γέγηθεν. Ἔκ δὲ ἀμφοτέρων μεμιγμένων ἀδημονεῖ τε τῇ 
« ἄἀτοπία τοῦ πάθους καὶ ἀποροῦσα λυττᾷ, καί, ἐμμανὴς 
« οὖσα, οὔτε νυκτὸς δύναται καθεύδειν οὔτε μεθ᾽ ἡμέραν 
« οὗ ἂν À μένειν" θεῖ δὲ ποθοῦσα ὅπου ἂν οἴηται ὄψεσθαι 
« τὸν ἔχοντα τὸ κάλλος. ᾿Ιδοῦσα δὲ καὶ ἐποχετευσαμένη 
« ἵμερον, ἔλυσε μὲν τὰ τότε συμπεφραγμένα: ἀναπνοὴν δὲ 
« λαθοῦσα, κέντρων τε καὶ ὠδίνων ἔληξεν, ñôoviv δ᾽ αὖ 
« ταύτην γλυκυτάτην ἐν τῷ παρόντι καρποῦται. Ὅθεν δὴ 
« ἑκοῦσα εἶναι οὐκ ἀπολείπεται, οὐδέ τινα τοῦ καλοῦ περὶ 
« πλείονος ποιεῖται. ἀλλὰ μητέρων τε καὶ ἀδελφῶν καὶ 
« ἑταίρων πάντων λέλησται, καὶ οὐσίας δι᾽ ἀμέλειαν 
« ἀπολλυμένης παρ᾽ οὐδὲν τίθεται, νομίμων δὲ καὶ εὔσχη- 
« μόνων οἷς πρὸ τοῦ ἐἑκαλλωπίζετο πάντων καταφρονή- 
«σασα, δουλεύειν ἑτοίμη καὶ κοιμᾶσθαι ὅπου ἂν ἐᾷ τις 
« ἐγγυτάτω τοῦ πόθου. Πρὸς γὰρ τῷ σέβεσθαι τὸν τὸ 

Ὁ 8 δεχομένη : ὃ. τὸν ἵμερον codd. τὸν t. secl. Thomps. Burnet 
del. Schanz Vollgr. ὃ. τῷ ἱμέρῳ Heindorf || ἃ ἃ αὐχμήσῃ; :uirgulam 
post στόματα transpos. Heindorf Vollgr. ||: n Β || ὁρμᾷ (et Her- 
mi.l): ὀργᾷ ci. Naber || 3 σὐναυαινόμενα μύσαντα: σ. xai μι. Stephan, 
post. σ. interpunx. Heindorf || ἀποχλείει : -χλήει edd. || 4 ἀποχε- 
χλειμένη : -nuévn BT -ημένη edd. || 5 ἑχάστη Ruhnken.: -τῇ ΒΤ 
(muto τ saepiss. in W deficiente, huius cod. lectio dubia) || 6 τῇ xa0” 
αὑτὴν : τῇ χαθ᾽ αὖ. διεξόδῳ Hermi.! quasi non legens 5 τῇ διεξ. || 8 
μεμιγμένων : μεμειγ. Burnet Vollgr. || e 2 ἢ: n Β || 4 ἔλυσε : 
ἐλύθη Hermi.! || συμπεφραγμένα (et Hermi.!): συμπεπρ. B || 5 τε: 
om. Hermi. || ὠδίνων (et Hermi.): ὀδυνῶν Badham || 252 ἃ 2 τε xai: 
τε x. πατέρων xai Heindorf Vollgr. || 3 λέλησται : ἐπιλέλ. ci. Vollgr. 
Ι 6 ἂν (et Hermi.) : ἐὰν B || 7 ἐγγυτάτω : -τῳ ΒΤ (in W incertum, 
cf. ad 251 d 5). 


251c 


252 


252b 


PHÈDRE ι 47: 


« beauté, en lui seul elle ἃ trouvé un médecin des peines 
« les plus grandes‘. Eh bien ! cet état-là, mon beau gars, toi 
« à qui je m'adresse, les hommes, il est vrai, le nomment 
« amour, mais si je te dis comment l’appellent les dieux, ta 
« jeunesse sans doute ne fera qu’en rire! On cite (certains 
« Homérides, je crois bien, qui les tirent de leurs réserves) 
« deux vers en l'honneur d'Amour, dont le second en prend 
« tout à fait à son aise et n’est pas d’une prosodie très régu- 
« lière. Or voici ce qu'ils chantent : Amour-qui-vole est, à 
« vrai dire, son nom pour les mortels ; — mais, pour les immor- 
« tels, c'est l’'Emplumé, à cause de son pouvoir de faire pous- 
« ser des plumes. Permis, bien entendu, de croire à cela, 
« permis aussi le contraire? ! Toujours est-il que, pour ce 
« qui concerne la cause et l’effet, c’est précisément ce qui en 
« est dans le cas des amants. 

« Poursuivons : celui qui s’est fait 


ir er « prendre, s’il est de ceux qui ont fait 
or μτ SR « cortège à Zeus, est capable de porter, 
le cortège. « avec une plus solide assiette, le far- 


« deau du dieu qui tire son nom de 
« son emplumage. Quant à ceux qui furent les servants 
« d’Arès et ont accompagné sa révolution, quand Amour 
« s'empare d'eux et qu'ils pensent avoir été injustement 
« traités par leur bien-aimé, ils sont portés au meurtre et 
« prêts à se sacrifier eux-mêmes en même temps que leurs 
« mignons. Et de mème, en rapport avec chacun des Dieux 
« dont chacun fut le choreute, c’est à honorer ce dieu-là, à 
« l’imiter le plus complètement possible, que se passe la vie: 
« tant qu’il n'y a pas eu contamination et que l’exis- 
« tence vécue est celle de la première génération ici-bas, 
« c’est encore selon cette manière d’être qu’on se comporte 
« dans les relations avec les bien-aimés comme à l'égard des 
« hommes en général. Ainsi donc, pour ce qui est de 


(Diotime) et 192 de (Aristophane). Bien entendu, tout ceci répond 
au discours de Lysias et au premier de Socrate, passim. 

1. C’est ce que dit Aristophane, Banquet 189 d ; cf. 193 a. 

2. Tout le passage est visiblement une moquerie, d’abord de l’an- 
lique usage d’affecter à une même chose deux noms, l’un, sacré et 
l'autre, profane (il y en a des exemples dans Homère) ; ensuite de 
ces trésors de variantes qu’avaient constitués les exégètes d’Homère. 
Le second vers pèche par démesure, au figuré comme au propre. 


Li cn DCE ous à 7) 


47 ΦΑΙΔΡΟΣ 


πόνων. Τοῦτο δὲ τὸ πάθος, ὦ παὶ καλέ πρὸς ὃν δή μοι 
ὃ λόγος, ἄνθρωποι μὲν ἔρωτα ὀνομάζουσιν, θεοὶ δὲ ὃ 
καλοῦσιν ἀκούσας εἰκότως διὰ νεότητα γελάσει. Λέγουσὶ 
δέ, οἶμαί, τινες ὋὉμηριδῶν ἐκ τῶν ἀποθέτων δύο ἔπη εἰς 
τὸν Ἔρωτα, ὧν τὸ ἕτερον ὕθριστικὸν πάνυ καὶ où 


A. ἃ AR À 4» À 


σφόδρα τι ἔμμετρον. Ὑμνοῦσι δὲ ὧδε" 


« τὸν δ᾽ ἤτοι θνητοὶ μὲν "Ἔρωτα καλοῦσι ποτηνόν, 
« ἀθάνατοι δὲ Πτέρωτα, διὰ πτεροφύτορ᾽ ἀνάγκην. 


« Τούτοις δὴ ἔξεστι μὲν πείθεσθαι, ἔξεστι δὲ μή ὅμως δὲ 
« ἥ γε αἰτία καὶ τὸ πάθος τῶν ἐρώντων τοῦτο ἐκεῖνο 
« τυγχάνει ὄν. 

« Τῶν μὲν οὖν Διὸς ὁπαδῶν ὃ ληφθεὶς ἐμθριθέστερον 
« δύναται φέρειν τὸ τοῦ πτερωνύμου ἄχθος. “Ὅσοι δὲ 
« ἼΑρεώς τε θεραπευταὶ καὶ μετ᾽ ἐκείνου περιεπόλουν, 
« ὅταν ὕπ᾽ ἜἜρωτος ἅλῶσι καί τι οἰηθῶσιν ἀδικεῖσθαι ὕπὸ 
« τοῦ ἐρωμένου, φονικοὶ καὶ ἕτοιμοι καθιερεύειν αὑτούς 
« τε καὶ τὰ παιδικά. Καὶ οὕτω καθ᾽ ἕκαστον θεὸν οὗ 
« ἕκαστος ἦν χορευτής᾽ ἐκεῖνον τιμῶν τε καὶ μιμούμενος 
« εἷς τὸ δυνατὸν ζῇ᾽ ἕως ἂν ἧ ἀδιάφθορος καὶ τὴν τῇδε 
« πρώτην γένεσιν βιοτεύῃ, καὶ τούτῳ τῷ τρόπῳ πρός τε 
« τοὺς ἐρωμένους καὶ τοὺς ἄλλους δμιλεῖ τε καὶ προσφέ- 


b τ εὕρηχε : n9. Schanz Burnet Vollgr. || 2 πρὸς ... 3 λόγος (et 
Stob.): auct. Naber del. Vollgr. || δὴ : δὲ Stob. || 3 ὀνομάζουσιν : 
-5t W Stob. || 4 εἰκότως : εἰ. δὲ Stob. || γελάσει : -on W -oeiç Stob, 
τσειας Hermi. (ἂν -σειας ci. Couvreur)|| 5 οἶμαί : οἱ μέν B|| ἀποθέτων: 
ἀπ. ἐπῶν codd. Stob. edd. sed ἐπῶν non legit Hermi. addub. Wachsmuth 
ad Stob. || 6 τὸ ἕτερον (et Stob.) : θάτερον auct. Herwerden Vollgr. 
Il ὑόριστικὸν πάνυ : x. ὑ. TW Stob. Hermi. || καὶ : x. θάτερον 
Herw. Vollgr. || 8 δ᾽ ἤτοι : δή τοι BW Stob. || ποτηνόν 
{et Stob.): πτηνόν T || g πτεροφύτορ᾽ Stob.: -pégurov B Hermi. 
-ρόφοιτον TW -ροφῖτυν (uel -ρόφιτον) auct. Herwerden Vollgr. || ç 1 
ἕξεστι alt. : -τιν T Schanz Burnet || 4 ἐμδριθέστερον : ἐνό. Β || 6 
περιεπόλουν W? (ém.) : περι ἐπό. W || 7 ἁλῶσι : -σιν T || 8 αὑτούς : av. 
B || d 3 ζῇ recc. : ζῆν codd. i| 7 : ἡ B || 4 βιοτεύῃ W (ex em.) : -e 
BT || τε: γε TW || 5 καὶ τοὺς : x. πρὸς τ. ΤῊ Thomps. Vollgr. 


252b 


κάλλος ἔχοντα, ἰατρὸν εὕρηκε μόνον τῶν μεγίστων ἢ 


252 d 


253 


PHÈDRE 48 


l'amour des beaux garçons, chacun fait son choix de la 
manière voulue et, l’objet de ce choix représentant 
pour lui la divinité même, c’est comme une sorte d'image 
sainte qu’il se fabrique et qu'il orne, dans l’intention de 
l’honorer et de lui rendre un culte secret ! Ceux-là donc, 
dis-je, qui dépendent de Zeus cherchent que de Zeus soit 
l'âme de celui qui sera aimé par eux: ils examinent en 
conséquence si, de sa nature, il est philosophe et apte à 
conduire, et quand, l'ayant découvert, ils se mettent à 
l'aimer, ils font tout pour qu’en réalité il soit tel'. Par 
suite, si c'est là un genre d'occupation dans lequel aupa- 
ravant ils ne se sont pas engagés, à présent qu'ils y ont mis 
la main, ils s’instruisent à la source où ils en auront 
quelque possibilité ; par eux-mêmes aussi, ils poursuivent 
cette recherche. Or, quand 115. tiennent la piste, leur 
effort pour découvrir, par leurs moyens personnels, la 
nature de leur propre Dieu est couronné de succès, parce 


ue c’est pour eux une intense nécessité de regarder dans 
P 


la direction de ce Dieu. Lorsqu’enfin ils atteignent par le 
souvenir et que le Dieu dont il s’agit les possède, c’est à 
lui qu’ils empruntent leurs façons habituelles et l’occupa- 
tion de leur activité, pour autant qu'il est possible à 
l'homme de participer à la divinité. Bien entendu, ce 
résultat, c’est au bien-aimé qu'ils le rapportent, et ils l’en 
chérissent encore davantage ; ont-ils même puisé à la 
source de Zeus, pareils aux Bacchantes ils reversent 


< ce qu'ils y ont pris sur l’âme du bien-aimé, le rendant 


ainsi le plus complètement possible semblable au Dieu 
qui est le leur! Tous ceux qui, d’autre part, ont suivi 
dans le cortège d’Hèra cherchent un aimé de type royal, 
et, quand ils l’ont trouvé, en tout ils procèdent à son 
égard de la même façon. Ceux qui relèvent d’Apollon 
ainsi que de chacun des Dieux, réglant leur marche sur la 
sienne, cherchent que leur propre mignon ait un naturel 
assorti. Et, quand ils ont acquis ce résultat en imitant eux- 
mêmes leur Dieu tout comme en conseillant leurs bien- 
aimés et en les disciplinant, ils les amènent à rapporter à 
ce Dieu l'emploi qu’ils font de leur activité ainsi que leur 


« aspect extérieur. Cela dépend de la capacité de chacun : de 


leur part il n’y a point d’envie, pas de mesquine malveillance 


1. Il se peut que ceci vise Dion : le mot düos (de Zeus) serait un 


Ἔν me ni) de 7) dé de 


ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ρεται Τόν τε οὖν ἔρωτα τῶν καλῶν πρὸς τρόπου 
ἐκλέγεται ἕκαστος καί, ὧς θεὸν αὐτὸν ἐκεῖνον ὄντα, 
ἑαυτῷ οἷον ἄγαλμα τεκταίνεταί τε καὶ κατακοσμεῖ, ὡς 
τιμήσων τε καὶ ὀργιάσων. Οἱ μὲν δὴ οὖν Διὸς Δῖόν τινα 
εἶναι ζητοῦσι τὴν ψυχὴν τὸν ὅφ᾽ αὑτῶν ἐρώμενον᾽ σκο- 
ποῦσιν οὖν εἰ φιλόσοφός τε καὶ ἡγεμονικὸς τὴν φύσιν 
καί, ὅταν αὐτὸν εὑρόντες ἐρασθῶσι, πᾶν ποιοῦσιν ὅπως 
τοιοῦτος ἔσται. ᾿Εὰν οὖν μὴ πρότερον ἐμθεβθῶσι τῷ 
ἐπιτηδεύματι, τότε ἐπιχειρήσαντες μανθάνουσί τε ὅθεν 
ἄν τι δύνωνται καὶ αὐτοὶ μετέρχονται ἰχνεύοντες δέ, 
παρ᾽ ἑαυτῶν ἀνευρίσκειν τὴν τοῦ σφετέρου θεοῦ φύσιν 
εὐποροῦσι, διὰ τὸ συντόνως ἠναγκάσθαι πρὸς τὸν θεὸν 
βλέπειν" καὶ ἐφαπτόμενοι αὐτοῦ τῇ μνήμῃ, ἐνθουσιῶντες 
ἐξ ἐκείνου λαμβάνουσι τὰ ἔθη καὶ τὰ ἐπιτηδεύματα, 
καθ᾽ ὅσον δυνατὸν θεοῦ ἀνθρώπῳ μετασχεῖν. Καὶ τούτων 
δὴ τὸν ἐρώμενον αἴτιώμενοι ἔτι τε μᾶλλον ἀγαπῶσι, κἂν 
ἐκ Διὸς ἀρύτωσιν, ὥσπερ at βάκχαι ἐπὶ τὴν τοῦ ἔρω- 
μένου ψυχὴν ἐπαντλοῦντες, ποιοῦσιν ὡς δυνατὸν 
δμοιότατον τῷ σφετέρῳ θεῷ. Ὅσοι δ᾽ αὖ μεθ᾽ Ἥρας 
εἵποντο, βασιλικὸν ζητοῦσι καί, εὑρόντες, περὶ τοῦτον 
πάντα δρῶσι τὰ αὐτά. Οἱ δὲ ᾿Απόλλωνός τε καὶ ἑκάστου 
τῶν θεῶν οὕτω, κατὰ τὸν θεὸν ἰόντες, ζητοῦσι τὸν 
σφέτερον παῖδα πεφυκέναι. Kai, ὅταν κτήσωνται, μιμού- 
μενοι αὐτοί τε καὶ τὰ παιδικὰ πείθοντες καὶ ῥυθμί- 
ζοντες, εἰς τὸ ἐκείνου ἐπιτήδευμα καὶ ἰδέαν ἄγουσιν 
ὅση ἑκάστῳ δύναμις, où φθόνῳ οὐδ᾽ ἀνελευθέρῳ δυσμενεία 
χρώμενοι πρὸς τὰ παιδικά, ἀλλ᾽, εἰς ὁμοιότητα aÿtoic 


e 1 Δῖόν (et Hermi.) : διιόν TW δι᾽ ὅν Β || 2 ἐρώμενον : 


ἐρωμένων W || 253 à 4 τούτων Hermi.l: τοῦτον codd. || 5 xav 
Hermi. : χὰν ΒΤ χὰἀν W χἃν ex Hermiae interpr. auct. Madvig 
Schanz Vollgr. {| 6 Διὸς (et Hermi.): Διονύσου ci. Geer || ἀρύτωσιν : 
exc. Schanz, non hic sed post βάχχαι interpung. omnes || 8 Ἥρας 
T? (em.) (et Hermi.!) : ἡμέρας BW || b 2 δρῶσι : -σιν ΒΤ || 4 παῖδα 
πεφυχέναι : del. Badham? x. -χότα Badham! || 5 ῥυθμίζοντες : ὑόρίζ. W 
11 8 αὑτοῖς Heindorf : αὐ. codd. Hermi. 


IV. 3. — ἡ 


252 d 


253 


253 Ὁ 


PHÈDRE 49 


« à l'égard de leurs mignons ; tout au contraire, c’est à leur 
« ressembler à eux-mêmes et, totalement, de tout point, à 
« tel Dieu qu’ils honorent, c'est à cela qu'ils s'efforcent le 
« plus possible de les amener, c’est pour cela qu'ils se 
« conduisent comme ils font. Concluons : les aspirations de 
« tout amant véritable et son initiation, à condition du moins 
« qu’il prenne, pour réaliser ce à quoi il aspire, la voie 
« dont je parle, voilà quelles en sont la beauté, la félicité 
pour celui qu ‘un ami dont Amour cause le délire ἃ pris 
en amitié, à condition que celui-ci ait été conquis. 

« Or voici maintenant de quelle façon 
« se fait prendre celui qui a été 
« conquis. Rappelons-nous qu’au com- 
« mencement de cette fable nous avons dans chaque âme 
« distingué trois sortes de choses: il y en a deux qui sont 
« du type cheval, tandis que la troisième a fonction de 
« cocher ; à présent encore tout cela devra demeurer. Et 
« maintenant, de ces chevaux l’un, disons-nous, est bon, non 
« pas l’autre ; mais en quoi consiste l’excellence du bon ou, 
« chez le vicieux, son vice, c'est ce que nous n’avons pas 
« expliqué et qu’à présent nous avons à dire. Eh bien! le 
« premier des deux, et qui est celui dont plus belle est la 
« condition, ἃ le port droit ; il est bien découplé, il a l’en- 
« colure haute, la ligne du chanfrein légèrement courbe ; 
« son pelage est blanc; ses yeux, noirs; il est amoureux 
« d’une gloire qu’accompagnent modération et réserve ; 
« comme il est compagnon de l'opinion vraie, pour être 
« conduit il n’a pas besoin qu’on le frappe : c’est assez d’un 


8 ΔΆ 


Les alternatives 
de l'amour. 


« encouragement ou d'une parole. Le second, par contre, 


« ést de travers, massif ; il est bâti on ne sait comment ; 1] 
« a l’encolure épaisse, la nuque courte, le masque camard ; 


calembour sur son nom ; l’homme qui, ayant suivi Zeus, garde son 
équilibre sous le poids de l’amour (252 c), qui est philosophe et apte 
à diriger, qui cherche à rendre tel l’aimé chez qui il en a deviné la 
promesse, ce serait Platon lui-même. — Plus loin (a fin), peut-être 
faut-il lire Dionysou (de Bacchus) et non Dios (de Zeus). On voit mal 
en effet pourquoi celui-ci serait de nouveau mentionné; et l’image 
des Bacchantes convient mieux à l’autre. — Après ce qui a été dit à 


246 e sq., on se sent ici en pleine paul: ἦν notre caractère dépend 


de Les d’où provient notre âme. 
. Il possède en effet une nature moyenne : doilé aux ordres du 


49 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 
« καὶ τῷ θεῷ ὃν ἂν τιμῶσι πᾶσαν πάντως ὅτι μάλιστα 
« πειρώμενοι ἄγειν, οὕτω ποιοῦσι. Προθυμία μὲν οὖν τῶν 


« ὡς ἀληθῶς ἐρώντων, καὶ τελετὴ ἐάν γε διαπράξωνται ὃ 
« προθυμοῦνται À λέγω, οὕτω καλή τε καὶ εὐδαιμονικὴ ὑὕπὸ 
« τοῦ δι᾽ Ἔρωτα μανέντος φίλου τῷ φιληθέντι γίγνεται, 
« ἐὰν. αἱρεθῇ. 

« Αλίσκεται δὲ δὴ ὃ αἱρεθεὶς τοιῷδε τρόπῳ. Καθάπερ 
ἐν ἀρχῇ τοῦδε τοῦ μύθου τριχῇ διείλομεν ψυχὴν 
ἑκάστην, ἱππομόρφω μὲν δύο τινὲ εἴδη, ἡνιοχικὸν δὲ 
εἶδος τρίτον, καὶ νῦν ἔτι ἡμῖν ταῦτα μενέτω. Τῶν δὲ 
δὴ ἵππων ὃ μέν, φαμέν, ἀγαθός, ὃ δ᾽ οὔ. ᾿Αρετὴ δὲ τίς 


Ὃ μὲν τοίνυν αὐτοῖν ἐν τῇ καλλίονι στάσει dv, τό τε 


ROSE ROM OAI RAR 


εἶδος ὀρθὸς καὶ διηρθρωμένος, ὑψαύχην, ἐπίγρυπος, 
λευκὸς ἰδεῖν, μελανόμματος, τιμῆς ἐραστὴς μετὰ σωφρο-- 
σύνης τε καὶ αἴδοῦς καὶ ἀληθινῆς δόξης ἑταῖρος, 


A 


A 


ἄπληκτος κελεύσματι μόνον καὶ λόγῳ ἡνιοχεῖται. Ὃ δ᾽ 


A 


αὖ, σκολιός, πολύς, εἰκῇ συμπεφορημένος, κρατεραύ- 
χην, βραχυτράχηλος, σιμοπρόσωπος, μελάγχρως, γλαυκ- 


A 


Ο ἃ οὕτω: -zws ΤῊ || ποιοῦσι : -σιν Vollgr. || προθυμία (et 
Hermi.!): “av Vollgr. (cf. c 4) || 3 τελετή em. Paris. 1808: -τήν 
Vollgr. (cf. ibid.) τελευτὴ codd. (cf. Hermi. 19214 30 τὸ τέλος) || ἐάν 
γε ... προθυμοῦνται : del. Badham Vollgr. || ἐάν γε διαπράξωνται : 
ἐάν τ᾽ ἐνδιαπρ. ΒΤ ἐάν γ᾽ ἐνὸ. W ἐὰν διαπρ. Hermi. ἐάν γ᾽ εὖ ὃ. 
G. Hermann ἐὰν μὲν ὃ. Graser ἐάν τι ἕν ὃ. Winckelm. || 4 ἧ λέγω 
Heindorf : ἣν λέγω TW Thomps. nv δ᾽ ëyw Β % δ᾽ ἐγὼ À. ci. Stallb. 
λέγω, à Vollgr. || 5 γίγνεται : -νηται B || 6 αἱρεθῇ : αἱρῇ auct. Badham 
Vollgr. εὑρεθῇ Heindorf || 7 ὁ αἱρεθεὶς (et Hermi.): secl. Schanz del. 
Badham Vollgr. à εὗρε. Heindorf || 8 διείλομεν Hermi. (Heindorf): 
διειλόμην codd. || 9 ixroudpqw : -pw B || δύο (et Hermi.r): δύω 
Hermi. || d 2 ἵππων: -rxw B || φαμέν (et Hermi.): ἔφαμεν Cornar. 
Vollgr. || 3 ἢ : xai τοῦ Hirschig Vollgr. || 4 αὐτοῖν (et Hermi.) : 
-τῶν B || στάσει (et Hermi.) : ἕξει dubit. ci. Herwerden || 7 τε : om. 
Hermi. || xai alt.: del. Badham Vollgr. || ἀληθινῆς : om. Heraclit. || 8 
χελεύσματι ΤΞ (σ interpos.) (et Hermi.) : χελεύμ. ΒΤ Thomps. Vollgr. |] 
ἡνιοχεῖται: -χούμενος ci. Herwerden || @ 1 πολύς, εἰχῇ (et Hermi.): x. 
καὶ et. Ast πολυειδής, εἰ, Winckelm. x. damn. Naber || xpatepaby nv : 
xaptep. Hermi. || 2 βραχυτράχηλος (et Hermi.) : βαρυ. W Vindob. 109. 


253 c 
c 


τοῦ ἀγαθοῦ ἢ κακοῦ κακία, où διείπομεν" νῦν δὲ λεκτέον. ᾿ 


253e 


254 


PHÈDRE 50 


sa couleur est noire et ses yeux gris, sa complexion plutôt 
sanguine ! ; compagnon de la démesure et de la gloriole, ses 
oreilles, pleines de poil, sont sourdes et c’est à peine si le 
fouet garni de pointes ? le fait obéir. Cela étant, quand à la 
vue de l’amoureuse apparition le cocher, qui par la sen- 
sation a répandu de la chaleur dans la totalité de son âme, 
a presque son compte du chatouillement et des piqûres 
causées par le regret, alors celui des chevaux qui obéit doci- 
lement au cocher; celui à qui, aussi bien toujours qu’à pré- 
sent, s'impose la contrainte de sa réserve, se retient de fondre 
sur l’aimé. Mais l’autre, qui ne se soucie plus ni des pointes 
du cocher ni de son fouet, d’un bond violent s’élance et, 
donnant à son compagnon et à son cocher toutes les peines 
imaginables, il les contraint à se porter vers le mignon et 
à lui faire entendre combien sont délicieux les plaisirs 
d'amour ! Au début, tous deux se raidissent avec indi- 
gnation devant une contrainte qui tend à ce qu'ils jugent 
abominable et contraire à la loi ; ils finissent pourtant, 
quand le mal ne connaît plus de borne, par se laisser sans 
résistance mener de l’avant et ils consentent à faire ce à 
quoi on les invite. 

« Les voilà donc tout contre ; ils regardent l'apparition ; 
elle flamboie : c’est le bien-aimé *! Mais, à sa vue, les sou- 
venirs du cocher se portent vers la réalité de la Beauté : 
il la revoit, accompagnée de la Sagesse et dressée sur son 
socle sacré! Il l’a vue dans son souvenir, et un mélange 
de crainte et de vénération l’a fait se renverser en arrière; 
du coup, il a été forcé de tirer par devers lui les rênes 
avec une telle vigueur qu'il a fait s’abattre les chevaux sur! 
la croupe, l’un et l’autre: l’un, sans contrainte parce qu’il 


« ne se raidit pas; l’autre, le révolté, en le contraignant 
« rudement. Tandis qu'ils se retirent plus loin, l’un, sous 


cocher, l’intellect qui connaît le vrai (247 0), mais attelé avec la 
passion ; il se confond donc avec le thumos (Rép. IV 439 6-ἠλτ ce). 
Aussi s’en tient-il à l'opinion droite, moyenne entre ignorer et savoir 
(Banquet 202 a); comme s’y tiennent les militaires de la République, 
classe moyenne à qui les philosophes dictent ce qu’elle doit croire. 


1. Peut-être ceci concerne-t-il les yeux : injectés de sang. 
2. Ou le fouet avec le secours de la pointe (l’aiguillon). Mais le 


grec dit : les pointes (ici et infra). 


3. Réplique de l’apparition de l’idole au terme du mystère : le 


PRE Te 


ot 
© 


RIR NN M RAR UNE MR 


CLIM ARERE NRA 


PAIAPOE ᾿ 


όμματος, ὕφαιμος, ὕβθρεως καὶ ἀλαζονείας ἑταῖρος, 
περὶ ὦτα λάσιος, κωφός, μάστιγι μετὰ κέντρων μόγις 
ὑπείκων. Ὅταν δ᾽ οὖν ὃ ἡνίοχος, ἰδὼν τὸ ἐρωτικὸν 
ὄμμα, πᾶσαν αἰσθήσει διαθερμήνας τὴν ψυχήν, γαργα- 
λισμοῦ τε καὶ πόθου κέντρων ὑὕποπλησθῇ, ὃ μὲν εὐπειθὴς 
τῷ ἡνιόχῳ τῶν ἵππων, ἄεί τε καὶ τότε αἰδοῖ βιαζό-- 
μενος, ἑαυτὸν κατέχει μὴ ἐπιπηδᾶν τῷ ἐρωμένῳ ὃ δὲ 
οὔτε κέντῤῥων ἡνιοχικῶν οὔτε μάστιγος ἔτι ἐντρέπεται, 
σκιρτῶν δὲ βίᾳ φέρεται καί, πάντα πράγματα παρέχων 
τῷ σύζυγί τε καὶ ἡνιόχῳ, ἀναγκάζει ἰέναι τε πρὸς τὰ 
παιδικὰ καὶ μνείαν ποιεῖσθαι τῆς τῶν ἀφροδισίων 
χάριτος. Τὼ δὲ κατ᾽ ἀρχὰς μὲν ἀντιτείνετον, ἄγανα- 
κτοῦντε ὡς δεινὰ καὶ παράνομα ἀναγκαζομένω᾽ τελευ- 
τῶντε δέ, ὅταν μηδὲν À πέρας κακοῦ, πορεύεσθαι 
ἀγομένω, εἴξαντε καὶ ὁμολογήσαντε ποιήσειν τὸ κελευό- 
μενον. 

« Καὶ πρὸς αὐτῷ τ᾽ ἐγένοντο καὶ εἶδον τὴν ὄψιν τὴν 
τῶν παιδικῶν ἀστράπτουσαν. ᾿Ιδόντος δὲ τοῦ ἡνιόχου, À 
μνήμη πρὸς τὴν τοῦ κάλλους φύσιν ἠνέχθη, καὶ πάλιν 
εἶδεν αὐτὴν μετὰ σωφροσύνης ἐν ἁγνῷ βάθρῳ βεθῶσαν᾽ 
ἰδοῦσα δέ, ἔδεισέ τε καὶ σεφθεῖσα ἀνέπεσεν Üntia καὶ 
ἅμα ἠναγκάσθη εἰς τοὐπίσω ἑλκύσαι τὰς ἡνίας οὕτω 
σφόδρα ὥστ᾽ ἐπὶ τὰ ἰσχία ἄμφω καθίσαι τὼ ἵππω, τὸν 
μὲν ἑκόντα διὰ τὸ μὴ ἀντιτείνειν, τὸν δὲ ὑὕθριστὴν 
μάλ᾽ ἄκοντα. ᾿Απελθόντε δὲ ἀπωτέρω, 6 μέν, ὕπ᾽ 


e 3 ὕφαιμος : χαὶ ὑφ. Ast || 4 περὶ ὦτα λάσιος, χωφός (et Plut, 


Hermi.) : x. ὦ. λασιόχωφος Β Synes. Photi. λασιόχωφος (secl. x. ὦ.) 
Winckelm. λάσιος (secl. x. ὦ. et χωφ.) Badham || 6 αἰσθήσει (et cf. 
Hermi. 1973): addub. Heindorf αἴθει G. Hermann ἱμέρῳ Herwerden 
[| 7 κέντρων : πτερῶν auct. Herwerden (cf. 255 d 1) Vollgr. || 254 4 1 
ἀεὶ : αἱ, codd. |] 5 ἡνιόχῳ : τῷ à. auct. Herw. Vollgr. || 8 τὼ : τῷ B || 
bi τελευτῶντε : -τες B || 8 ἐν ἁγνῷ βάθρῳ (et Hermi.): ἐν βάθροις 
ἁγίοις Plut. Ad princ. inerud. 5 781 f ἐν ἁγνοῖς βάθροις [amblich. ap. 
Stob. || © 1 ἑλχύσαι (et Hermi.): ἐχλῦσαι W || οὕτω : -τως W ||] 


τὼ ἵππω T2? (em.): τῷ -πῳ T || 3 διὰ... 3 ἀντιτείνειν : del. 


Hirschig Vollgr. || 4 μάλ᾽ : -λα TW || ἀπωτέρω : ἀπο. W. 


2539 


b 


254 c 


255 


RRE RARE. A 


RAR RAR A 


PHÈDRE 51 


la honte et l’effroi, mouille de sueur l’âme tout entière ; 
mais l’autre, une fois passée la souffrance que lui ont fait 
endurer et le mors et sa chute, n’a pas encore repris 
haleine que déjà sa colère se répand en invectives et qu’il 
abreuve de ses reproches le cocher ainsi que son compagnon 
d’attelage : par lâcheté, par pusillanimité, ils ont déserté 
le rang et trahi leur engagement ! Et, comme de nouveau, 
malgré leurs refus, il les.met en demeure de revenir à la 
charge, c’est à grand peine qu'ils obtiennent de lui qu’on 
remette à une autre fois. Puis, quand arrive l'époque 
convenue, comme ils font tous deux mine d’en avoir perdu 
souvenance, il les en fait de force se ressouvenir, il hennit, 
il tire : une fois de plus il les a contraints d'approcher du 


« bien-aimé, pour lui tenir les mêmes propos ! Enfin, main- 


« 


tenant que les voilà à proximité, il se penche en avant sur 
lui, il déploie sa queue, il mâchonne le mors, il tire sans 
vergogne. Le cocher cependant a ressenti, plus vivement 


« encore, le même sentiment ; comme s’il avait devant lui la 
« barrière!, il se renverse; avec plus de violence encore, il 


A 


RRERR ARR OR RARE RAR 


ramène le mors en arrière et, l’arrachant des dents du 
cheval révolté, il ensanglante la bouche injurieuse et les 
mâchoires de celui-ci; forçant à toucher terre ses jambes 
et sa croupe, il le livre aux douleurs ? ! Or, quand elle ἃ été 
plusieurs fois traitée de la même façon, la mauvaise bête 
enfin renonce à la démesure ; elle suit désormais, l’échine 
basse, la décision réfléchie du cocher et, lorsqu'elle aper- 
çoit le bel objet, elle se meurt d’effroi. Ce qui en résulte 
finalement, c’est qu'alors l’âme de l’amoureux est désor- 
mais pleine de réserve autant que de crainte, quand elle 
se fait suivante du bien-aimé. 
« Voilà donc que, par là même, à ce 
Comment il se  « dernier est vouée une dévotion sans 
otlrstlon « bornes, comme à un égal des dieux : 
physique. « l'amant ne joue pas la comédie ὃ ; c’est 
« là au contraire sa disposition véri- 


« table; et lui, de son côté, il a une amitié naturelle pour 


bien-aimé est l’idole qui éveille dans le souvenir la réalité resplen- 
dissante, jadis entrevue, de la Beauté (250 be; cf. p. 44, n. 1). 


1. La corde barre la piste ; le cheval se cabre, impatient. 
2. Formule assez fréquente, d’origine homérique (Od. XVII, 567). 
3. Comme celui de Lysias, qui feignait n'être pas amoureux. 


51 


« 


PAIAPOE 


αἰσχύνης τε καὶ θάμβους, ἱδρῶτι πᾶσαν ἔθρεξε τὴν 
ψυχήν ὃ δέ, λήξας τῆς ὀδύνης ἣν ὕπὸ τοῦ χαλινοῦ τε 


᾿ἔσχε καὶ τοῦ πτώματος, μόγις ἐξαναπνεύσας ἐλοιδό-- 


ρῆσεν ὀργῇ, πολλὰ κακίζων τόν τε ἡνίοχον καὶ τὸν 
δμόξζυγα, ὡς δειλίᾳ τε καὶ ἀνανδρίᾳ λιπόντε τὴν τάξιν 
καὶ δμολογίαν. Καὶ πάλιν oùk ἐθέλοντας προσιέναι 
ἀναγκάζων, μόγις συνεχώρησε δεομένων εἰς αὖθις 
ὑπερβαλέσθαι. ᾿Ελθόντος δὲ τοῦ. συντεθέντος χρόνου 
ἀμνημονεῖν προσποιουμένω ἀναμιμνήσκων, βιαζόμενος, 
χρεμετίζων, ἕλκων ἠνάγκασεν αὖ προσελθεῖν τοῖς παι- 
δικοῖς ἐπὶ τοὺς αὐτοὺς λόγους. Kai ἐπειδὴ ἐγγὺς ἦσαν, 
ἐγκύψας καὶ ἐκτείνας τὴν κέρκον, ἐνδακὼν τὸν χαλινόν, 
μετ᾽ ἀναιδείας ἕλκει. Ὃ δ᾽ ἡνίοχος, ἔτι μᾶλλον ταὐτὸν 
τιάθος παθών, ὥσπερ ἀπὸ ὕσπληγος ἀναπεσών, ἔτι 
μᾶλλον τοῦ ὕθριστοῦ ἵππου ἐκ τῶν ὄδόντων βίᾳ ὀπίσω 
σπάσας τὸν χαλινόν, τήν τε κακηγόρον γλῶτταν καὶ τὰς 
γνάθους καθήμαξεν, καί, τὰ σκέλη τε καὶ τὰ ἰσχία πρὸς 
τὴν γῆν ἐρείσας, ὀδύναις ἔδωκεν. Ὅταν δέ, ταὐτὸν 
πολλάκις πάσχων, ὃ πονηρὸς τῆς ὕθρεως λήξῃ, ταπει- 
νωθεὶς ἕπεται ἤδη τῇ τοῦ ἡνιόχου. προνοίᾳ καί, ὅταν 
ἴδῃ τὸν καλόν, φόβῳ διόλλυται. “Ὥστε ξυμθαίνει τότ᾽ ἤδη 
τὴν τοῦ ἐραστοῦ ψυχὴν τοῖς παιδικοῖς, αἰδουμένην τε 
καὶ δεδιυῖαν, ἕπεσθαι. 

« Ἅτε οὖν πᾶσαν θεραπείαν ὡς ἰσόθεος θεραπευόμενος, 
οὐχ ὑποσχηματιζομένου τοῦ ἐρῶντος ἀλλ᾽ ἀληθῶς τοῦτο 


οὔ ἣν: ἣν Β || η ἔσχε: -ev ΒΤ || 9 τε: om. Hermi. || λιπόντε 


(et Hermi.) : -τα BW? (a 5. u.) || τάξιν χαὶ : τ. τε χαὶ Badham Vollgr. 
Π| d τ ἐθέλοντας (et Hermi.l} : -οντε Hirschig || 2 συνεχώρησε : -σεν T 
Ἱ! δεομένων : -votv Heindorf Schanz del. Vollgr. || 3 χρόνου Heindorf: 
4. οὗ codd. || 6 ἐπειδὴ : ἐπεὶ δὲ B || ἦσαν : εἰσὶν Buttmann Vollgr. || 
ἡ ἐκτείνας : ἐντ. Β || 8 ἕλχει: εἷλχεν Bôckh || e 4 χαθήμαξεν : -ξε W 
| τε : om. W || 8 966w (et Hermi.) : -ov B || ξυμθαίνει : συμό. Burnet || 
τότ᾽ : πότ᾽ TW || 10 δεδιυΐαν Bekker : dedv. B (zut 5. Δ. B?) δεδοιχυ. 
TW |} 255 ἃ 2 ὑποσχηματιζομένου B? (σχηματιζο 1. m.) (et Hermi.}) : 
ὑποσχημένου B ὑπὸ σχηματ. exc. Vollgr. omnes || ἀλλ᾽ : -à TW. 


2540 


d 


255 


255a 


PHÈDRE À | 52 


ce dévotieux servant ! ! Supposons que ἀ᾽ ἀγθηΐαγθ, et même 
antérieurement, il ait été circonvenu par des camarades 
ou par d’autres personnes, lui disant qu’il est vilain d’ap- 
procher quelqu'un qui vous aime?, et que, pour ce motif, 
il repousse l’amoureux. Une fois pourtant que le temps ἃ 
marché, l’âge aussi bien que la force des choses l’ont amené 
à l’admettre dans sa société : c’est, sans nul doute, qu’un 
méchant n'est pas prédestiné à avoir de l’amitié pour un 
méchant, et pas davantage un brave homme, à être sans 
amitié à l'égard d’un brave homme*. Or, après qu'il l’a 
admis, qu’il a accueilli et son entretien et sa société, c’est 
de près que se manifeste la bienveillance de l’amoureux, et 
cela met l’aimé hors de lui-même : il se rend compteque, 
même réunis, tous les autres, amis ou parents, le lot d’ami- 


« tié qu’ils peuvent lui procurer n’est rien au prix de celui 
« que procure l’ami possédé d’un dieu ! Puis, quand il a per- 


sévéré dans cette conduite et qu’il approche cet ami, en y 
ajoutant les contacts des gymnases ‘ et autres lieux de réu- 
nion, à ce moment le flot du courant dont j'ai parlé, et 


« auquel le nom de vague de désir fut donné par Zeus alors qu'il 
« aimait Ganymèdeÿ, commence à se porter en abondance vers 


l’'amoureux. Mais, tandis qu'il y en a une part qui se perd 
en lui, l’autre, une fois qu’il a été rempli jusqu’au bord, 
s'écoule à l’extérieur. Pareil au souffle, ou bien au son que 
des surfaces lisses et résistantes font rebondir et renvoient 
en sens inverse à son point de départ, ainsi le courant, qui 
est venu de la beauté, chemine en sens inverse par la voie 
des yeux vers le bel objet. Quand, par le chemin qui natu- 
rellement le mène à l’âme, il y est parvenu et qu'il l’a 
entièrement emplie, les passages de la plume en reçoivent 


1. Dans la doctrine de Pausanias (Banquet, 184 be), celui dont la 


fonction est de servir, c’est au contraire l’aimé. 


2. C’est ce que disaient les deux premiers discours (232 b, 234 b, 


240 c) et aussi Pausanias (Banquet, 183 cd). 


3. Mais non pas en vertu du principe que le semblable aime son 


semblable, car alors le méchant aimerait le méchant ; voir la discus- 
sion du Lysis 213 c-215 c (cf. aussi Banquet, p. 40, n. 1). 


4. Par ce moyen, dans le Banquet 217c, Alcibiade espère amener 


Socrate à se déclarer ; comparer en outre 256 a avec Bang. 219 b-d. 


5. Platon cette fois s’amuse à appuyer sur l’autorité du Maître des 


dieux son interprétation de himéros (cf. 251 c fin); voir Lois I 636 cd. 


PP ET 


52 . ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« πεπονθότος, καὶ αὐτὸς ὧν φύσει φίλος τῷ θεραπεύοντι, 
« ἐὰν ἄρα καὶ ἐν τῷ πρόσθεν Ünd ξυμφοιτητῶν À τινὼν 
« ἄλλων διαβεθλημένος À, λεγόντων ὡς αἰσχρὸν ἐρῶντι 
« πλησιάζειν, καὶ διὰ τοῦτο ἀπωθῇ τὸν ἐρῶντα, προϊόντος 
« δὲ ἤδη τοῦ χρόνου ἥ τε ἡλικία καὶ τὸ χρεὼν ἤγαγεν εἷς 
« τὸ προσέσθαι αὐτὸν εἷς δμιλίαν᾽ où γὰρ δήποτε εἵμαρται 


« κακὸν κακῷ φίλον, οὐδ᾽ ἀγαθὸν μὴ φίλον ἀγαθῷ εἶναι. 


« Προσεμένου δὲ καὶ λόγον καὶ δμιλίαν δεξαμένον, ἐγγύθεν 
« ἧ εὔνοια γιγνομένη τοῦ ἐρῶντος ἐκπλήττει τὸν ἐρώμενον, 
« διαισθανόμενον ὅτι οὐδ᾽ οἵ ξύμπαντες ἄλλοι, φίλοι τε καὶ 
« οἰκεῖοι, μοῖραν φιλίας οὐδεμίαν παρέχονται πρὸς τὸν 
« ἔνθεον φίλον. Ὅταν δὲ χρονίζῃ τοῦτο δρῶν καὶ πλησιάζῃ 
« μετὰ τοῦ ἅπτεσθαι ἔν τε γυμνασίοις καὶ ἐν ταῖς ἄλλαις 
« ὅδμιλίαις, τότ᾽ ἤδη À τοῦ ῥεύματος ἐκείνου πηγή, ὃν 


« ἵμερον Ζεύς, Γανυμήδους ἐρῶν, ὠνόμασεν, πολλὴ φερο- 


« μένη πρὸς τὸν ἐραστήν, À μὲν εἷς αὐτὸν ἔδυ, ñ δ᾽ ἀπο- 
« μεστουμένου ἔξω ἀπορρεῖ" καί, οἷον πνεῦμα À τις ἠχὼ 
« ἀπὸ λείων τε καὶ στερεῶν ἁλλομένη πάλιν ὅθεν ὡρμήθη 
« φέρεται, οὕτω τὸ τοῦ κάλλους ῥεῦμα πάλιν εἰς τὸν 
« καλὸν διὰ τῶν ὀμμάτων ἴόν᾽ À πέφυκεν ἐπὶ τὴν ψυχὴν 
« ἰέναι, ἀφικόμενον καὶ ἀναπληρῶσαν, τὰς διόδους τῶν 


a 3 φίλος : φ. εἰς ταὐτὸν ἄγει τὴν φιλίαν (xai τὸν ἔρωτα Hermi.) 
uulg. 5601. Thomps. del. ceteri || 4 ξυμφοιτητῶν : συμφ. Burnet || 
6 καὶ W? (interpos. fors. pr. manu) : om. W || ἀπωθῇ : -0eï codd. || 
ἐρῶντα : ἔοωτα BW || 7 δὲ ἤδη : δὲ Hermi.l γ᾽ ἤδη Stephan. Vollgr. || 
b 1 προσέσθαι em. Coislin. 155: προέσθαι BT πορεύεσθαι W || 2 pr. 
φίλον : ex -wv fecit W φ. εἶναι Clem. || φίλον ἀγαθῷ εἶναι : ἀγ. μὴ 
φίλον Clem. || 3 προσεμένου B? (signa eras.) : πρὸς ἐμ. Β || χαὶ alt. : 
τε χαὶ ΤῊΝ || 5 ξύμπαντες : σύμπ. Burnet || ὃ τοῦ Euseb. : τοῦτο codd. 
[| © τ τότ᾽ ἤδη (et Hermi.) : τότε δὴ Euseb. || 2 ὠνόμασεν : -σε B Euseb. 
| 4 ἀπορρεῖ (et Euseb.): ἀπορεῖ Β ἀπερρύη Badham || 5 λείων (et 
Euseb. Hermi.) : σχληρῶν Herwerden {|| ἁλλομένη W? (° add.) (et 
Euseb.): αλλ. T ἀλλ. BW || 7 ἰόν (et Euseb.): auct. Hartman del. 
Vollgr. || ñ (et Euseb.) : n B || 8 ἀναπληρῶσαν Heindorf : ἀναπτερ. 
codd. Euseb. et, exc. Vollgr., omnes, non vertit Ficin. ἀναστομ.. ci. 
Schneider ἀναπετάσ. ci. Suckow. 


255a 


255 d 
d 


256 


PHÈDRE 53 


« de la vitalité; le branle a été donné à la poussée du plu- 
« mage: à son tour, l'âme de l’aimé est maintenant pleine 
« d'amour ! 

« Ainsi le voilà qui aime; mais quoi? il en est bien en 
« peine : il ne sait même pas ce qu’il éprouve, il n’est pas 
« davantage à même d’en rendre raison. C'est bien plutôt 
« comme s’il avait d’un autre attrapé une ophtalmie: il n’est 
« pas à même de rien alléguer qui l'explique ; il ne se rend 
« pas compte que dans son amant, ainsi qu'en un miroir, 
« c’est lui-même qu’il voit : quand celui-ci est présent, iden- 
« tiquement à ce qui a lieu pour ce dernier, sa souffrance 
« prend fin, et, lorsqu'il est absent, c’est encore identique- 
« ment qu'il regrette et qu'il est regretté, ayant ainsi un 
« contre-amour qui est une image réfléchie d'amour. 
« Mais le nom qu'il y donne, et à son avis c’est bien cela, 
« ce n’est point amour, mais amilié ; son ambition, analogue 
« à celle de l’autre quoiqu’avec moins de vigueur, est de 
« voir, de toucher, de donner des baisers, de s’étendre 
« contre. Dès lors, il y a bien des chances pour que, dans 


« ces conditions, la chose ne tarde pas à se faire! Tandis , 


« donc qu'ils partagent la même couche, celui des chevaux 
« de l’amoureux qui est indiscipliné a des choses à dire au 
« cocher : comme un juste retour de toutes ses peines, il 
« demande à goûter de légères jouissances ! Quant à celui de 
« l’aimé, il n’est pas à même de rien dire; mais, gonflé de 
« désir et bien en peine de savoir de quoi, il jette ses bras 
« autour de l’amoureux, il lui donne des baisers dans l’idée 
« qu'il témoigne ainsi son affection à quelqu'un qui lui veut 
« grand bien ; et, toutes les fois qu'ils sont étendus côte à 


_« côte, il en est au point de ne pas se refuser peut-être, pour 


« sa part, à accorder ses faveurs, au cas où l'amant deman- 
« derait à les obtenir. Mais, d’un autre côté, le compagnon de 


- « joug se joint au cocher pour opposer à cette concession une 


« résistance qu'inspirent la réserve et la réflexion. 

« Supposons pour l'instant que ce soit, en conséquence, à 
« une vie d'ordre et à l’amour de la sagesse que conduit le 
« triomphe de ce qu’il Υ a de meilleur dans l'esprit : 'bien- 


1. La contagion de l’ophtalmie passait pour mystérieuse, puisqu'il 
suffisait d’un simple regard. De même le malaise que ressent l’aimé: , 


᾿ 


PR CR SOS ES SP 


Er ᾿ 


53 ΦΑΙΔΡΟΣ 
τιτερῶν ἄρδει τε καὶ ὥρμησε πτεροφνεῖν, καὶ τὴν τοῦ 


AR 


« ἐρωμένου αὖ ψυχὴν ἔρωτος ἐνέπλησεν. 

« Ἔρβᾷ μὲν οὖν, ὅτου δὲ ἀπορεῖ" καὶ οὔθ᾽ ὅ τι πέπονθεν 
οἷδεν οὐδ᾽ ἔχει φράσαι, ἀλλ᾽, οἷον ἀπ᾽ ἄλλου ὀφθαλμίας 
ἀπολελαυκὼς πρόφασιν εἶπεῖν οὐκ ἔχει, ὥσπερ δ᾽ ἐν 


MER CN: 


κατότιτρῳ ἐν τῷ ἐρῶντι ἑαυτὸν δρῶν λέληθεν καί, ὅταν 
« μὲν ἐκεῖνος παρῇ, λήγει κατὰ ταὐτὰ ἐκείνῳ τῆς ὀδύνης, 
« ὅταν δὲ ἀπῇ, κατὰ ταὐτὰ αὖ ποθεῖ καὶ ποθεῖται, εἴδωλον 
« ἔρωτος ἀντέρωτα ἔχων. Kalet δὲ αὐτὸν καὶ οἴεται οὐκ 
« ἔρωτα, ἀλλὰ φιλίαν εἶναι᾽ ἐπιθυμεῖ δέ, ἐκείνῳ παρα- 
« πλησίως μὲν ἀσθενεστέρως δέ, δρᾶν, ἅπτεσθαι, φιλεῖν, 
« συγκατακεῖσθαι, Καὶ δή, οἷον εἶκός, ποιεῖ τὸ μετὰ τοῦτο 
« ταχὺ ταῦτα. ᾿Εν οὖν τῇ συγκοιμήσει, τοῦ μὲν ἐραστοῦ ὃ 
« ἀκόλαστος ἵππος ἔχει ὅ τι λέγῃ πρὸς τὸν ἡνίοχον, καὶ 
« ἀξιοῖ ἀντὶ πολλῶν πόνων σμικρὰ ἀπολαῦσαι. Ὁ δὲ τῶν 
« παιδικῶν ἔχει μὲν οὐδὲν εἰπεῖν" σπαργῶν δὲ καὶ ἀπορῶν, 
« περιβάλλει τὸν ἐραστὴν καὶ φιλεῖ ὧς σφόδρ᾽ εὔνουν 
« ἀσπαζόμενος" ὅταν τε συγκατακέωνται, οἷός ἐστι μὴ ἂν 
« ἀπαρνηθῆναι, τὸ αὗτοῦ μέρος, χαρίσασθαι τῷ ἐρῶντι εἰ 
« δεηθείη τυχεῖν. ‘O δὲ ὁμόζυξ, αὖ μετὰ τοῦ ἡνιόχου πρὸς 
« ταῦτα μετ᾽ αἰδοῦς καὶ λόγου ἀντιτείνει. 


255 d 
d 


256 


« ᾿Ἐὰν μὲν δὴ οὖν εἷς τεταγμένην τε δίαιταν καὶ φιλο- 


« σοφίαν νικήσῃ τὰ βελτίω τῆς διανοίας ἀγαγόντα, μακά- 


d τ ὥρμησε (et Euseb.) : -σεν T || rtrepopueiv : εἶν ex em. W 
IL καὶ Euseb.: te xai codd. Schanz Burnet Vollgr. || 3 οὔθ᾽ : 
οὐχ, Euseb." οὐδ᾽ Buttman Schanz Vollgr. || 4 ὀφθαλμίας : τῇ -ία 
Hermi.” ay Ast || 5 δ᾽ : δὲ Hermi. || 6 ἐν.: auct. Cobet secl. Thomps. 
del. Vollgr. || 7 οἱ 8 ταὐτὰ : ταυτὰ W ταῦτα B || e 1 ἀντέρωτα: 
ἀντἔρ. sic BW || 5 ταῦτα (et Euseb.): τὰ αὐτὰ Hermi.! || 6 λέγη 
Bekker : λέγει codd. Euseb. -ot Euseb." λέξει auct. Herwerden 
Vollgr. || 256 à τ ἀπορῶν : ἐπιθυμῶν Hermi. ὀργῶν ci. Naber || 
a σφόδρ᾽ : -α Euseb. || 3 οἷός : οἷός τε Euseb. || ἂν : om. B Euseb. 
Vollgr. || 4 ἀπαρνηθῆναι : ἀπανν. W || αὑτοῦ (et Euseb.) : αὐ. BW || 
5 τυχεῖν : τυγχάνειν Euseb. || 6 λόγου em. Coïslin. 155 : λόγους 
codd. || 7 ἐὰν (et Euseb. Hermi.l): ἃ B || re : om. Euseb. || 8 νιχήση 
(et Euseb.) : -σει B || ἀγαγόντα : om. Euscb. 


256 b 


PHÈDRE 54 


heureuse et pleine d'harmonie est l'existence qu'ils passent 
ici-bas, puisqu'ils ont la maîtrise d'eux-mêmes et le souci 
de la mesure; puisqu'ils ont réduit à l’esclavage ce qui 
faisait naître le vice de l’âme et donné au contraire la 
liberté à ce qui y produisait la vertu. Quand donc, parve- 
nus au terme de la vie, les voilà portés par leurs aïles et 
délestés, alors, des trois manches de cette joute qui est 
véritablement olympique, c’est la première qu'ils ont 
gagnée‘, et il n’est pas de plus grand bien que puissent 
procurer à un homme, ni l’humaine sagesse, ni le divin 
délire! Supposons maintenant, au contraire, qu’ils aient 
pratiqué une vie plutôt grossière et qu’en même temps à 
l’amour de la sagesse ils aient substitué celui de l'honneur : 
sans doute pourra-t-il arriver que, dans l'ivresse ou quel- 
que autre moment d'abandon, les deux bêtes qui, dans 
leurs deux attelages, sont indisciplinées, trouvant les âmes 
sans être sur leurs gardes, s’unissant pour les mener au 
même but, choisissent le parti qui, aux yeux de- la foule, 
représente la félicité et qu'elles en viennent à l'affaire ! 
L'affaire faite, c’est un parti que par la suite on prend 
encore, mais rarement, attendu que c’est un acte qui ne 
suppose pas une décision de l'esprit tout entier. Amis, 
oui certes, ces deux-là le sont aussi, moins toutefois que 
les précédents : c’est l’un pour l’autre qu’ils vivent, aussi 
bien au beau temps de leur amour qu'après en être sortis, 
convaincus d’avoir mutuellement donné et reçu les plus 
hautes garanties, celles dont il est, à leurs yeux, impie de 
se délier pour en venir un jour à être ennemis ! Au terme 
pourtant de leur vie, c’est sans ailes, mais non sans avoir 
fait effort pour être ailés, qu'ils s’en vont de leur corps. 
Aussi n'est-il pas de mince valeur, le prix qui récompense 
leur amoureux délire : ce n’est plus en effet vers les ténè- 


σ΄ 


la cause en est ce contre-amour, antéros, qui, sans qu'il s’en doute, 
est sa propre émotion réfléchie par son amant, miroir où il se voit 
lui-même. Ainsi, ils ne font qu’un. Ceci semble donc être la reprise, 
sur une autre base, de ce que dit l’Aristophane du Banquet (192 b-e). 
Pour les poètes et les artistes, l’Antéros symbolisait à la fois la réci- 
procité et l’émulation dans la tendresse. 


1. Ceci se rapporte à 248e sq. ἃ Olympie, pour la victoire 


complète, il fallait trois succès de suite; cf. Eschyle, Eumén. 589. 


54 PAIAPOE 


« ριον μὲν καὶ épovontikdv τὸν ἐνθάδε βίον διάγουσιν, 
« ἐγκρατεῖς αὑτῶν καὶ κόσμιοι ὄντες, δουλωσάμενοι μὲν ᾧ 
« κακία ψυχῆς ἐνεγίγνετο, ἐλευθερώσαντες δὲ ᾧ ἀρετή. 
« Τελευτήσαντες δὲ δή, ὑπόπτεροι καὶ ἐλαφροὶ γεγονότες 
« τῶν τριῶν παλαισμάτων τῶν ὧς ἀληθῶς ὌὈλυμ- 
« πιακῶν, ἕν νενικήκασιν οὗ μεῖζον ἀγαθὸν οὔτε σωφρο- 
« σύνη ἀνθρωπίνη οὔτε θεία μανία δυνατὴ πορίσαι 
« ἀνθρώπῳ. ᾿Εὰν δὲ δὴ διαίτῃ φορτικωτέρᾳ τε καὶ ἀφιλο- 
« σόφῳ φιλοτίμῳ δὲ χρήσωνται, τάχ᾽ ἄν που, ἐν μέθαις ἤ 
« τινι ἄλλῃ ἀμελείᾳ, τὼ ἀκολάστω αὐτοῖν ὕποζυγίω, λαθόντε 
« τὰς ψυχὰς ἀφρούρους, συναγαγόντε εἷς ταὐτόν, τὴν ÜTrd 
« τῶν πολλῶν μακαριστὴν αἵρεσιν εἵλέσθην τε καὶ διεπρα- 
« ξάσθην. Καὶ διαπραξαμένω, τὸ λοιπὸν ἤδη χρῶνται μὲν 
« αὐτῇ, σπανία δέ, ἅτε où πάσῃ δεδογμένα τῇ διανοίᾳ 
« πράττοντες. Φίλω μὲν οὖν καὶ τούτω, ἧττον δὲ ἐκείνων" 
« ἀλλήλοιν διά τε τοῦ ἔρωτος καὶ ἔξω γενομένω διάγουσι, 
« πίστεις τὰς μεγίστας ἡγουμένω ἀλλήλοιν δεδωκέναι τε 
« καὶ δεδέχθαι, ἃς οὐ θεμιτὸν εἶναι λύσαντας εἷς ἔχθραν 
« ποτὲ ἐλθεῖν. Ἔν δὲ τῇ τελευτῇ, ἄπτεροι μέν, ὡρμηκότες 
« δὲ πτεροῦσθαι, EkBaivouor τοῦ σώματος. “Ὥστε οὐ 
« σμικρὸν &Blov τῆς ἐρωτικῆς μανίας φέρονται" εἰς γὰρ 


256 b τ διάγουσιν : διάξ. Euseb.r || 2 αὑτῶ» : ἑαυ. Euseb. αὐ. codd. 
Hermi. || & Β5 (em.) (et Hermi.!): ὡς ? B || 3 ἐνεγίγνετο (et Hermi.!): 
ἐνεγέν. Heindorf || ᾧ : ὦ B || 5 Ὀλυμπιαχῶν : α interpos. W || 8 δὴ : 
om. Euseb. || καὶ T? (interpos.) (et Euseb.) : om. T || © 1 φιλοτίμῳ 
(et Euseb.) : φιλοίνῳ Vollgr. (cf. 240 e 5, 276 d 6 App. crit. 146) || 
τάχ᾽ ἂν (et Euseb. Hermi.!): τάχά sic W || 2 τὼ ἀχολάστω (et 
Euseb.) : τῷ -tw BT {| αὐτοῖν (et Euseb.): αὐτὴν W (et cf. 265 d 1) 
|| ὑποζυγίω (et Euseb.): -ἰῳ ΒΤ || λαθόντε : λάδωνται Euseb. || 3 
συναγαγόντε : ξυν. Β συναγαγόντες T Ε56}." || ταὐτόν : -16 Euseb. || 
thv:iter. T ante τῶν 4 || 4 εἱλέσθην Euseb. : εἵλεσθαι id." εἱλέτην 
codd. Thomps. Vollgr. || διεπραξάσθην Euseb. : -ἄξαντο codd. et, exc. 
Burnet, omnes || 5 διαπραξαμένω (et Euseb }: -ξάμενω TW || 6 σπανίᾳ 
(et Euseb.) : σπάνια uulg. || 7 φίλω μὲν : φιλῶμεν B || ἧττον : ἥττω 
Euseb.r || ἃ 1 ἀλλήλοιν: o ex ὦ W || γενομένω (et Hermi.) : -νων 
Euseb.r || à ἡγουμένω Euseb. : -vwy codd. || 3 δεδέχθα: (et Euseb.) : 
δέχθαι B || 6 μανίας (et Euseb.): om. Theodoret. 


256b 
b 


256 d 


257 


PHÈDRE 55 


bres, ni pour le voyage souterrain, qu’en vertu de la Loi 
partent ceux qui déjà ont commencé le voyage qui se fait 
au-dessous du ciel 1 ! Elle veut au contraire que, passant une 
existence lumineuse, ils soient heureux tandis que, en 
compagnie l’un de l’autre, ils font ce voyage, et qu’ensem- 
ble, à raison de leur amour, ils soient pourvus d'ailes 
quand ce sera pour eux le temps d’en être pourvus. 

« Voilà quelle est la grandeur, mon gars, 
« et l’exceptionnelle divinité des biens 
que te donnera une amitié qui est celle d’un amoureux ! 
Quant à la liaison dont l’initiateur est un homme qui 
n’aime pas, celle-ci, trempée de sagesse mortelle,s’employant 
à des règlements d'une économie mortelle, enfantant dans 
l’âme amie une mesquinerie que la foule loue à l’égal d’un 
mérite, vaudra à cette âme de rouler pendant neuf mil- 
liers d'années, autour de la terre et sous la terre, dans un 
état de déraison. 

« Et voilà comment toi, ὁ cher Amour, tu as reçu la plus 
belle, la plus excellente palinodie dont nous soyons capable, 
offrande et expiation à la fois! A tous égards, et spéciale- 
ment pour le vocabulaire, l’éloquence? en est d’un tour poé- 
tique : c'est une nécessité dont Phèdre est responsable. 
Eh bien |! en accordant à mon premier discours ton pardon, 
au second, ta faveur, sois bienveillant, sois propice : cette 
science de l'amour que tu m'as accordée, par colère neme 
la retire pas! ne la rends pas infirme! accorde-moi au 
contraire d’être, plus encore qu’à présent, en crédit auprès 
des beaux garçons! Si, dans le passé, nous avons tenu quelque 
propos trop dur à ton égard, Phèdre aussi bien que moi, 
c'est Lysias, le père du sujet, que tu dois incriminer : 


Conclusion. 


1. À cette amitié, fondée sur l’amour, le sort qu’au terme impartit 


la Loi (cf. 248 c), ce n’est pas la survie souterraine, réservée avec le 
vagabondage circumterrestre (infra) au faux ami des deux premiers 
discours : c’est une survie infra-céleste. Sans doute, tandis que 
montent plus haut d'autres âmes (249 a fin), celles-ci restent-elles au 


pied des escarpements qui mènent au faîte du ciel(247 a sq.). ἃ ceux - 


au contraire dont l’amour a été philosophique, Socrate promet (b) la 
même béatitude que Diotime à celui qui a gravi tous les échelons de 
l'initiation amoureuse (Banquet 211 a-212 a). 


2. Socrate répète ce qu’a dit Phèdre (234 c) du discours de Lysias. 
3. De lui sont nés en effet les trois discours (cf. p. 27, n. 2). 


ND ON PT 0 Ce ST 


2 


55 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 
« σκότον καὶ τὴν ὑπὸ γῆς πορείαν οὐ νόμος ἐστὶν ἔτι 


AR 


ἐλθεῖν τοῖς κατηργμένοις ἤδη τῆς ὑὕπουρανίου πορείας, 
« ἄλλά, φανὸν βίον διάγοντας, εὐδαιμονεῖν μετ᾽ ἀλλήλων 
« πορευομένους, καὶ δμοπτέρους ἔρωτος χάριν, ὅταν 
« γένωνται, γενέσθαι. 

« Ταῦτα τοσαῦτα, ὦ παῖ, καὶ θεῖα οὕτω σοι δωρήσεται 
« À παρ᾽ ἐραστοῦ φιλία: À δὲ ἀπὸ τοῦ μὴ ἐρῶντος 
« οἰκειότης, σωφροσύνῃ θνητῇ κεκραμένη, θνητά τε καὶ 
φειδωλὰ οἴκονομοῦσα, ἀνελευθερίαν Ünd πλήθους ἐπαι- 
νουμένην ὡς ἀρετὴν τῇ φίλῃ ψυχῇ ἐντεκοῦσα, ἐννέα 
« χιλιάδας ἐτῶν περὶ γῆν κυλινδουμένην αὐτὴν καὶ ÜTè 
« γῆς ἄνουν παρέξει. 

« Αὕτη σοι, ὦ φίλε Ἔρως, εἷς ἠμβῥκεῤαὶ δύναμιν ὅτι 
« καλλίστη καὶ ἀρίστη δέδοταί τε καὶ ἐκτέτισται παλι- 
« νῳδία, τά τε ἄλλα καὶ τοῖς ὀνόμασιν ἠναγκασμένη 
« ποιητικοῖς τισιν διὰ Φαῖδρον εἰρῆσθαι, ἀλλά, τῶν προ- 
« τέρων τε συγγνώμην καὶ τῶνδε χάριν ἔχων, εὐμενὴς καὶ 
« ἵλεως, τὴν ἐρωτικήν μοι τέχνην ἣν ἔδωκας μήτε ἀφέλῃ 


256 ἃ 


257 


« μήτε πηρώσῃς δι᾽ ὀργήν᾽ δίδου δ᾽ ἔτι μᾶλλον ἢ νῦν παρὰ 


« τοῖς καλοῖς τίμιον εἶναι. Ἐν τῷ πρόσθεν δ᾽ εἴ τι λόγῳ 
« σοι ἀπηνὲς εἴπομεν Φαῖδρός τε καὶ ἐγώ, Λυσίαν, τὸν τοῦ 


d 8 ὑπουρανίου (et Euseb. Theodoret.) : ἐπουρ. Ven. 184 Theodo- 
τοὶ." οὐρανίαν (sc. πορείαν) Hermi. ὑπερουρ. Buttmann || 0 διάγοντας 
(et Τποοάοτοί.) : διαγάγ. Euseb. || e 1 ὅταν... γενέσθαι : om. Euseb. 
Theodoret. || 2 γένωνται : γίγν. auct. Richards Vollgr. I] 3 ταῦτα 
τοσαῦτα: haec uerba distinx. TW || θεῖα οὕτω σοι : οὔ, θεία σ. (sc. 
φιλία) TW Euseb. οὔ. σ. θεία Theodoret. || 5 σωφροσύνῃ θνητῇ (: mut. 
om. W):-oûvn -τὴ B || xexpauévn : aliquid eras. post α T || 7 χιλιά-- 
das : -des B || 257 ἃ τ γῆν recc. : τὴν codd. || κυλινδουμένην : χαλ. 
auct. Herwerden Vollgr. || γῆς : τῆς B || ἄνουν παρέξει : addub. 
Badham || 3 αὕτη (et Hermi.!): αὐτὴ B || 4 δέδοταί: dédox. B δέδειχ. 
Winckelm. || ἐχτέτισται : ἐχτέτει. Burnet Vollgr. || 5 ἠναγχασμένη 
(et Hermi.!): ci. ἤγλαισ. Herwerden χεχασ. Naber || 6 τισιν : -σι 
TW {{εἰρῆσθαι: del. Herw. Naber || 7 τε : om. Hermi.! || 8 τὴν 
ἐρωτιχήν μοι : τήν μ. te. TW || ἔδωχας : δέδ, TW || μήτε: μήτ᾽ W || 
9 πηοώσῃς : παρ. W {|| à’ ἔτι Hermi.l: δέ τι B Hermi.r τ᾽ ἔτι TW 
Hermi." Burnet || b 1 ἐν : om. B Hermi.! et, exc. Burnet, omnes || 
2 ἀπηνὲς : ἀπηχὲς Hermi. Burnet || Λυσίαν (et Hermi.): damn. Naber. 


257b 


1) 


PHÈDRE 56 


« guéris-le de parler comme il fait; tourne-le plutôt, ainsi 
« que l’a été déjà son frère Polémarque, vers la philosophie, 
« afin que son amoureux, ici présent, ne soit plus comme 
« aujourd’hui entre deux selles ! mais que sans partage, avec 
« l'amour pour objet, il emploie son existence à des dis- 
« cours qu'inspire la philosophie! » 


Pure. — A ta prière, Socrate, je joins 
la mienne pour que cela se réalise, s’il 
est vrai que ce soit un avantage pour nous! Quant à ton 
discours, il y a beau temps que je me sens à son égard plein 
d’admiration, tellement tu as dépassé le premier dans la 
beauté de l’exécution. Aussi ai-je peur que Lysias ne m’appa- 
raisse bien terre-à-terre, — au cas d'aventure où il consenti- 
rait, avec un autre discours, à faire assaut contre le tien : 
sais-tu bien, merveilleux ami, que tout à l’heure c’est juste- 
ment là ce que lui reprochait un de nos hommes politiques, 
l’invective à la bouche? Tout au long de 
son invective, il le traitait de fabricant 
de discours, de logographe? ! IL est donc bien possible que, dans 
notre cas, par respect humain il s’abstienne d'écrire. 
SocRATE. — La drôle d'idée que voilà, jeune homme ! Tu 
te trompes du tout au tout sur le compte de ton ami, en le 
prenant ainsi pour quelqu’un qui se laisse intimider. Mais 
sans doute penses-tu également que l'auteur de l’invective 
mettait un blâme à son égard dans les propos qu’il tenait ? 
Pnèpre. — C'était de toute évidence, Socrate! Et, même 
toi, tu n’es pas sans savoir, je pense, que ceux qui dans les 
Cités ont le plus de pouvoir et dont la respectabilité est le 
mieux assise, rougissent d’écrire des discours tout comme de 
laisser après eux des écrits de leur main, par crainte des 
jugements de l’avenir et de peur d’être appelés Sophistes. 
Socrate. — Détour délicieux, tu ne t'en aperçois pas ὃ, 


Intermède. 


La « logographie ». 


1. Voirp.1,n. 1. Est-ce à dire que Polémarque fût un disciple de 
Socrate ? Ou ceci vise-t-il son rôle au livre I de la République ? Membre 
du parti démocrate, il périt victime des Trente tyrans. 

2. Au sens usuel, le logographe faisait métier, sorte d’avocat dans 
la coulisse, d'écrire des discours que les plaideurs récitaient devant le 
tribunal. La suite montre que Platon désigne par là, en un sens plus 
large, quiconque écrit un discours. 

3. Le texte des mss. signiferait : {u ne l’aperçois pas que cette 


παν POSTS SE ET 


56 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« λόγου πατέρα αἰτιώμενος, παῦε τῶν τοιούτων λόγων, 
« ἐπὶ φιλοσοφίαν δέ, ὥσπερ ἁδελφὸς αὔτοῦ Πολέμαρχος 
« τέτραπται, τρέψον, ἵνα καὶ ὃ ἐραστὴς ὅδε αὐτοῦ μηκέτι 
ἐπαμφοτερίζῃ καθάπερ νῦν, ἀλλ᾽ ἁπλῶς πρὸς ἔρωτα 
μετὰ φιλοσόφων λόγων τὸν βίον ποιῆται. » 


A 


A 


PAI. Συνεύχομαί σοι, ὦ Σώκρατες, εἴπερ ἄμεινον ταῦθ᾽ 
ἡμῖν εἶναι, ταῦτα γίγνεσθαι. Τὸν λόγον δέ σου πάλαι θαυμά- 
σας ἔχω, ὅσῳ καλλίω τοῦ προτέρου ἀπειργάσω᾽ ὥστε ὀκνῶ 
μή μοι ὃ Λυσίας ταπεινὸς φανῇ, --- ἐὰν ἄρα καὶ ἐθελήσῃ 
τιρὸς αὐτὸν ἄλλον ἀντιπαρατεῖναι. καὶ γάρ τις αὐτόν, 
ὦ θαυμάσιε, ἔναγχος τῶν πολιτικῶν τοῦτ᾽ αὐτὸ λοιδορῶν 
ὠνείδιζε καί, διὰ πάσης τῆς λοιδορίας, ἐκάλει λογογράφον᾽" 
τάχ᾽ οὖν ἄν, ὑπὸ φιλοτιμίας, ἐπίσχοι uv ἂν τοῦ γράφειν. 

ΣΩ. Γελοῖόν γε, ὦ νεανία, τὸ δόγμα λέγεις. Kai τοῦ 
ἑταίρου συχνὸν διαμαρτάνεις εἰ αὐτὸν οὕτως ἡγεῖ τινα 
ψοφοδεᾶ᾽ ἴσως δὲ καὶ τὸν λοιδορράμαννα αὐτῷ οἴει ὀνειδί-- 
are λέγειν ἃ ἔλεγεν. 

ΦΑΙ. Ἐφαίνετο γάρ, ὦ Σώκρατες. Καὶ σύνοισθά που 
καὶ sé ὅτι ot μέγιστον δυνάμενοί τε καὶ σεμνότατοι ἐν 
ταῖς πόλεσιν αἰσχύνονται λόγους τε γράφειν καὶ κατα- 
λείπειν συγγράμματα ἑαυτῶν, δόξαν φοβούμενοι τοῦ ἔπειτα 
χρόνου μὴ σοφισταὶ καλῶνται. 

ΣΩ. Γλυκὺς ἀγκών, ὦ Φαῖδρε, λέληθέ σε᾿ καί, πρὸς 

b ἡ ἀδελφὸς Bekker: ἀδ. codd. ὁ ἀδ, αἱ uid. Ven. 184 {| Πολέ- 
uapyos (et Hermi.): damn. Naber || 5 τέτραπται : γέγραπταί τε 
τέτρ. B || © 2 ἀπειργάσω (et Aristid.): ἀπηργ. Burnet Vollgr. || 3 
xai: om. Aristid. || ἐθελήσῃ : θελήσῃ id. || 4 αὐτὸν (et Aristid.): 
-τῶν uulg. -τῷ Heindorf om. Vollgr. (typ. menda ?) || 7 τάχ᾽ : -α 
codd. || 8 γε: γ᾽ TW || ἃ τ οὕτως ἡγεῖ τινα: où. τ. y. TW || 
ἡγεῖ : τῇ W || ἃ ὀνειδίζοντα Postgate : νομίζ. ΤΥ Hermi.! Thomps. 
Schanz ὀνειδ. vou. Β ὀνειδίζειν vou. Richards || ἡ σύνοισθά : ξυν. 
Hermi.! σύ γ᾽ οἶσθα Heindorf Vollgr. || 9 ἀγχών : ἀγών W (sed ἀγχ. 
e 1, 2) |] λέληθέ: -θέν BT i| σε: σε ὅτι ἀπὸ τοῦ μαχροῦ ἀγχῶνος 
τοῦ χατὰ Νεῖλον ἐχλήθη codd. Thomps. Burnet auct. Heindorf 


secl. Schanz del. Vollgr. (cf. Alline op. cit. 272 sq.) pro uaxpoÿ ci. 
πιχροῦ Schneider (et cf. Hermi. 2115) ἁλμυροῦ ci. Naber. 


IV. 3. — 8 


257b 


257 e 
e 


258 


PHÈDRE 57 


Phèdre! Et, en outre du détour, ce dont tu ne t'aperçois pas 
non plus c’est que, parmi les politiques, ceux qui se croient 
le plus, sont au plus haut point férus de logographie et avides 
de laisser après eux des écrits de leur main : la preuve, c’est 
que, chaque fois qu’ils écrivent quelque discours, ils ont pour 
les approbateurs‘ une telle tendresse, qu’ils font mention 
supplémentaire, en tête, de ceux dont, en chaque endroit, 
l'approbation est par eux obtenue. 

Paèpre. — Que veux-tu dire par là? Je ne vois pas. 
_ Socrate. — Tu ne vois pas que, en commençant leurs 
écrits, ce qu’inscrivent en tête messieurs les politiques, c’est 
qui donne approbation ? 

Puaèpre. — Comment cela ? 

SocraTE. — « Il a plu », ce sont quasiment les termes, 
« au Sénat », ou bien «.au Peuple », ou bien à tous les deux 
à la fois, « sur la proposition de Un tel »... Et voici que 
l'écrivain se met à parler de lui-même avec beaucoup de 
solennité et à chanter ses propres louanges ; après quoi, voici 
qu’ensuite, faisant aux approbateurs la démonstration de sa 
sagesse personnelle, il compose un écrit qui parfois est fort 
long. Est-ce qu’il n’est pas évident à tes yeux qu’une sem- 
blable composition n’est rien d'autre qu’un discours couché 


par écrit ? 
Paèpre. — Rien d'autre, à mes yeux du moins. 
SOGRATE. — Or, dans le cas où l’œuvre tient la scène, 


l’auteur s'éloigne tout joyeux du théâtre; si, au contraire, 
elle est rayée du répertoire et qu'il soit, lui, privé du droit 
de logographie et de la dignité d'écrivain, c’est un deuil pour 
lui aussi bien que pour ses partisans. 

Puaèpre. — Ah! je crois bien ! 

Socrate. — Il est clair alors que,dans leur pensée, il n’y a 
pas de dédain pour cette pratique, mais plutôt de l’admira- 
tion. 


expression vient du long détour dans la descente du Nil. En éliminant 
cette explication suspecte, très probablement interpolée, la suite des 
idées s’éclaire : le langage des politiques est, dirions-nous, « cousu 
de fil blanc », tu ne le vois pas et tu ne vois pas non plus... Il n’y a 
pas lieu de discuter l’origine de la formule. 

1. C.-à-d. les gens dont le rôle est, éventuellement, d'approuver : 
ainsi le Sénat (boulé, le Conseil des Cinq Cents) qui préparait les 
lois et l’Assemblée du Peuple (ecclesia) qui les discutait. Ce que vise 


57 ΦΑΙΔΡῸΣ 


τῷ ἀγκῶνι, λανθάνει σε ὅτι οἵ μέγιστον φρονοῦντες τῶν 
πιολιτικῶν μάλιστα ἐρῶσι λογογραφίας τε καὶ καταλείψεως 
συγγραμμάτων, οἵ γε καί, ἐπειδάν τινα γράφωσι λόγον, 
οὕτως ἀγαπῶσι τοὺς ἐπαινέτας ὥστε προσπαραγράφουσι 
τιρώτους οἵ ἂν ἑκασταχοῦ ἐπαινῶσιν αὐτούς. 

ΦΑΙ. Πῶς λέγεις τοῦτο ; Οὐ γὰρ μανθάνω. 

ΣΩ. Οὐ μανθάνεις ὅτι, Ἂ ἀρχῇ ἀνδρὸς πολιτικοῦ σύν 
γράμματος, πρῶτος ὃ ἐπαινέτης γέγραπται ; 

ΦΑΙ. Πῶς: 

ΣΩ. « Ἔδοξέ », πού φησιν, « τῇ Βουλῇ », ἢ « τῷ 
Δήμῳ », ἢ ἀμφοτέροις, καὶ « ὃς εἶπεν »... τὸν αὑτὸν δὴ 
λέγων μάλα σεμνῶς καὶ ἐγκωμιάζων ὃ συγγραφεύς, ἔπειτα 
λέγει δὴ μετὰ τοῦτο, ἐπιδεικνύμενος τοῖς ἐπαινέταις 


τὴν ἑαυτοῦ σοφίαν, ἐνίοτε πάνυ μακρὸν ποιησάμενος σύγ- | 


γραμμα. Ἤ σοι ἄλλο τι φαίνεται τὸ τοιοῦτον ἢ λύγος συγ- 
γεγραμμένος ; 

ΦΑΙ. Οὐκ ἔμοιγε. 

ΣΩ. Οὐκοῦν, ἐὰν μὲν οὗτος ἐμμένῃ, γεγηθὼς ἀπέρχεται 
ἐκ τοῦ θεάτρου ὃ ποιητής" ἐὰν δὲ ἐξαλειφθῇ καὶ ἄμοιρος 
γένηται λογογραφίας τε καὶ τοῦ ἄξιος εἶναι συγγράφειν, 
πενθεῖ αὐτός τε καὶ οἱ ἑταῖροι. 

ΦΑΙ. Καὶ μάλα. 

ΣΩ. Δῆλόν γε ὅτι οὐχ ὡς ὑὕπερφρονοῦντες τοῦ ἐπιτη- 
δεύματος, ἀλλ᾽ ὡς τεθαυμακότες. 


e 8. γράφωσι : -φουσι  -ψωσιν Hermi.! || 258 ἃ 1 ἀρχῇ : 
damn. Madvig (uel à. ἐν) secl. Schanz || ἀνδρὸς : auct. Bergk et 
Herwerden del. Vollgr. || συγγράμματος Bergk : -τι codd. Thomps. 
Schanz secl. Burnet || 4 ἔδοξέ : -Eév T || xoû: om. Hermi. addub. 
Heindorf αὐτό Winckelm. {|| φησιν : φ. αὐτῶν τὸ σύγγραμμα TW || 
ἢ : xai Hermi. || 5 καὶ ὃς εἶπεν : x. ὃς χαὶ ὃς el. Winckelm. Burnet 
ὃς xai ὃς εἴ. Vollgr. {| τὸν αὑτὸν δὴ : τ. ἑαυτὸν δὴ TW Hermi.l τ. αὖ. 
δὴ Β αὖ. ἑαυτὸν δὴ Stephan. αὐ. ἕαυ. ἀεὶ Winckelm. || 7 δὴ μετὰ 
τοῦτο: μ. τ. δὴ Winckelm. τὸ μ. τ. Krische Vollgr. {| τοῖς ἐπαινέταις : 
del. Vollgr. || 8 μαχρὸν : μι. W || 9 ἤ pr.: ἢ T {{Ὁ 2 ἐμμένῃ (et 
Hermi.): συμμ. ci. cum Herwerden Vollgr. || 3 2x: ὡς Vollgr. || 
ἐξαλειφθῇ : -λιφῇ B Vollgr. διαγραφῇ Winckelm. || καὶ... 4 συγγράφειν : 


ε 


damn. Winckelm. || 7 ὡς : οὕτως W || 8 ἀλλ᾽ ὡς : ἀλλ᾽ ὡς τε sic W. 


257 9 
e 


258 


258 ἢ 


σ 


A 


PHÊDRE 58 


Puèpre. — Hé! absolument. 

SOCRATE. — Et quoi ὃ lorsqu'un orateur, ou bien un roi, 
s’est rendu capable, étant investi du pouvoir d’un Lycurgue, 
d’un Solon, d’un Darius!, d’être dans un État un immortel 
logographe, ne juge-t-il pas qu’il est lui-même, tandis qu’il 
est encore en vie, un égal des dieux? et n'est-ce pas cette 
même opinion que se fait à son sujet la postérité, les yeux 
attachés sur ses écrits ? 

Puaèore. — Ah! je crois bien ! 

SocrATE. — Penses-tu, en conséquence, qu'un homme de 
cette sorte, n'importe lequel et qui aurait contre Lysias une 
animosité quelconque, lui fasse précisément le reproche? d’être 
un écrivain ὃ 

Paèpre. — Ce n’est guère probable en tout cas d’après ce 
que tu dis : à ce compte, semble-t-il bien, il se reprocherait 
à lui-même sa propre passion | 

SOcRATE. — C’est donc une chose claire pour tout le monde : 
non, il n’y a rien, en soi, de vilain à écrire des discours | 

Paèpre. — Et pourquoi, en effet ? 

SOCRATE. — Où la chose par contre commence, à mon 
avis, d’être vilaine, c’est quand on ne parle ni n’écrit de la 
belle façon, mais d’une vilaine et d’une mauvaise. 

Paèpre, — Eh ! oui, c’est clair ! 

SOGRATE. — Qu'est-ce donc qui caractérise le fait d'écrire, 
ou non, de la belle façon? Avons-nous, Phèdre, quelque 
besoin de nous enquérir là-dessus près de Lysias, ou de qui- 
conque ἃ jamais écrit et écrira? que l'écrit concerne les 
choses de la Cité ou bien quelque affaire privée, et qu'il use 
du mètre, étant œuvre de poète, ou qu'il s’en passe, comme 
dans la prose ? 

Paèpre. — Tu demandes si nous en avons besoin ! Mais 


ensuite Platon, c’est un texte de proposition de loi, son intitulé 
réglementaire, l’exposé des motifs où l’auteur fait valoir la sagacité 
de ses vues. Enfin la proposition est comparée à une pièce de 
théâtre : si elle passe en loi, c’est un succès pour lui et pour son 
parti ; l’inverse si elle est rejetée ou si sa loi est abrogée et que la 
ruine de son crédit ou celle de son parti le prive de la possibilité 
de recommencer. 

1. L'œuvre législative de Darius est louée Lois ΠῚ 695 ὁ et 
Lettre VII 332 a. — Sur la pensée, cf. Banquet 209 d. 

2. Le reproche que, dit Phèdre, font à Lysias les politiques, 257 cd. 


PP ET 


58 PAIAPOE 


PAI. Πάνυ μὲν οὖν. 

ΣΩ. Τί δέ; Ὅταν ἱκανὸς γένηται ῥήτωρ ἢ βασιλεὺς 
ὥστε, λαθὼν τὴν Λυκούργου ἢ Σόλωνος ἢ Δαρείου δύναμιν, 
ἀθάνατος γενέσθαι λογογράφος ἐν πόλει, ἄρ᾽ οὐκ ἰσόθεον 
ἡγεῖται αὐτός τε αὑτὸν ἔτι ζῶν, καὶ of ἔπειτα γιγνόμενοι 
ταὐτὰ ταῦτα περὶ αὐτοῦ νομίζουσι, θεώμενοι αὐτοῦ τὰ συγ- 
γράμματα ; 

ΦΑΙ. Καὶ μάλα. 

ΣΩ. Οἴει τινὰ οὖν τῶν τοιούτων, ὅστις καὶ δπωστιοῦν 
δύσνους Λυσίᾳ, ὀνειδίζειν αὐτὸ τοῦτο ὅτι συγγράφει ; 

ΦΑΙ. Οὔκουν εἶκός γε ἐξ, ὧν σὺ λέγεις" καὶ γὰρ ἂν τῇ 
ἑαυτοῦ ἐπιθυμίᾳ, ὡς ἔοικεν, ὀνειδίζοι, 

ΣΩ. Τοῦτο μὲν ἄρα παντὶ δῆλον, ὅτι οὐκ αἰσχρὸν αὖτό 
γε τὸ γράφειν λόγους. 

ΦΑΙ. Τί γάρ; 

ΣΩ. ᾿Αλλ᾽ ἐκεῖνο, οἶμαι, αἰσχρὸν ἤδη, τὸ μὴ καλῶς 
λέγειν τε καὶ γράφειν, ἀλλ᾽ αἰσχρῶς τε καὶ κακῶς. 

ΦΑΙ. Δῆλον δή. 

ΣΩ. Τίς οὖν ὃ τρόπος τοῦ καλῶς τε καὶ μὴ γράφειν ; 
Δεόμεθά τι, ὦ Φαῖδρε, Λυσίαν τε περὶ τούτων ἐξετάσαι καὶ 
ἄλλον ὅστις πώποτέ τι γέγραφεν ἢ γράψει, εἴτε πολιτικὸν 
σύγγραμμα εἴτε ἰδιωτικόν, ἐν μέτρῳ ὡς ποιητὴς ἢ ἄνευ 
μέτρου ὡς ἰδιώτης : 

ΦΑΙ. ᾿Ερωτᾶς εἶ δεόμεθα ; τίνος μὲν οὖν ἕνεκα κἄν τις 


b 10 τί δέ ; ὅταν : τί δὲ ὅταν codd. Hermi.! || ἢ βασιλεὺς : 
del. Vollgr. (et cf. c 2) || ο 2 λογόγραφος : del. Vollgr. || ἀρ᾽ : ἄρ᾽ ΒΤ 
|| 3 αὐτὸς αὑτὸν : au. av. B |] 4 ταὐτὰ ταῦτα : ταυ. ταῦ. W ταὺυ. ταυ. 
B || 7 τινὰ οὖν : οὖν τ. TW || 8 αὐτὸ : -τῷ Ast |] 9 οὔχουν : οὐχοῦν 
ΤῊ Vollgr. ovxouy B {|| το ἑαυτοῦ : αὐ. TW αὖ. Vollgr. || ἃ 1 
αἰσχρὸν : αἰσχρόν γε Hermi. 2189 || 4 οἶμαι : οἵ, σε ΤΥ οἷ. γε uulg. 
ΠΠ 5 τε alt.: om. W || 8 τι (et Stob.): τοῖ uulg. || 9 πώποτέ (et 
Hermi.) : ποτέ W i| 10 ὡς ποιητὴς et 11 ὡς ἰδιώτης : fors. non legit 
Hermi. auct. Badham (qui ab iv totam damn. sententiam) secl, 
Thomps. del. Vollgr. || e 1 ἐρωτᾷς... 5 χέχληνται : addub. Heindorf 
Îl τίνος... 5 χέχληνται : Socrati tribuit Bernhardy (cf. 6) || ἕνεχα χἄν : 
ἕνεχ᾽ ἄν ΤῊ ἕνεχά Stob. 


2580 


259 


PHÈDRE 59 


quelle raison aurait-on, même de vivre, si ce n’était en 
vue de semblables plaisirs ? De fait, ces plaisirs ne sont pas 
en vérité de ceux que doit précéder une souffrance, sans 
laquelle il n’y aurait même pas plaisir. Or c’est le caractère 
de tous les plaisirs, ou peu s’en faut, qui intéressent le corps, 
et c'est encore ce qui justifie l’épithète de « serviles » qui 
leur est donnée !. 

SocraTE. — En tout cas nous avons le temps, à ce qu'il 
paraît ! Et tout ensemble, j'en ai l’idée, les cigales qui, selon 
l'usage au fort de la chaleur, chantent et conversent entre 
elles au-dessus de nos têtes, ont l’œil sur nous. Si donc 
elles nous voyaient, même nous deux, à l’heure de midi imi- 
ter les gens du commun et ne point converser, mais au 
contraire laisser choir notre tête et céder à leurs enchante- 
ments par inertie intellectuelle, à juste titre elles se riraient 
de nous, dans la pensée que je ne sais quels esclaves leur 
sont arrivés en cet asile pour y dormir, ainsi que des 
moutons, leur méridienne à l’entour de la source! Si, au 
contraire, elles nous voient converser, et notre esquif les 
côtoyer comme des Sirènes, sans céder à leurs enchantements, 
alors ce privilège dont les dieux leur ont accordé de faire 
aux hommes le présent, peut-être nous en feraient-elles 
présent dans leur satisfaction ! 

Paèpre. — Et quel est ce privilège ? Dis-le moi, car c’est 
une chose dont il se trouve que, vraisemblablement, je n'ai 
point entendu parler. 
SOCRATE. — En vérité, il n’est guère 
bienséant pour quelqu'un qui est ami 
des Muses de n'avoir point entendu 
parler de pareilles choses?! Or voici la légende. Jadis les 
cigales étaient des hommes, de ceux qui existaient avant la 
naissance des Muses. Puis, quand les Muses furent nées et 
qu'on eut la révélation du chant, il y en eut alors, parmi les 
hommes de ce temps, qui furent à ce point mis par le plai- 
sir hors d’eux-mêmes, que de chanter leur fit omettre le 
manger et le boire, et qu'ils trépassèrent sans eux-mêmes 
s’en douter ! Ce sont eux qui, à la suite de cela, ont été la 


Le mythe 
des cigales. 


1. Comp. Rép. IX 584 be et Philèbe 51 a sqq., surtout 52 ab; ce 
plaisirs sont esclaves du besoin (cf. Notice, p. xxxv n. 2). 
2. Double allusion : aux goûts littéraires de Phèdre, à ses curiosités 


59 ΦΑΙΔΡῸΣ 


ὡς εἰπεῖν ζῴη ἀλλ᾽ ἢ τῶν τοιούτων ἡδονῶν ἕνεκα; Οὐ 
γάρ που ἐκείνων γε ὧν προλυπηθῆναι δεῖ ἢ μηδὲ ἡσθῆναι, 
ὃ δὴ ὀλίγου πᾶσαι at περὶ τὸ σῶμα ἡδοναὶ ἔχουσι" διὸ καὶ 
δικαίως ἀνδραποδώδεις κέκληνται. 

ΣΩ. Σχολὴ μὲν δή, ὡς ἔοικεν. Καὶ ἅμα μοι δοκοῦσιν, 
ὡς ἐν τῷ πνίγει, ὑπὲρ κεφαλῆς ἡμῶν οἱ τέττιγες, ἄδοντες 
καὶ ἀλλήλοις διαλεγόμενοι, καθορᾶν καὶ ἥμᾶς. Ei οὖν 
ἴδοιεν καὶ νώ, καθάπερ τοὺς πολλοὺς ἐν μεσημθρίᾳ, μὴ 
διαλεγομένους ἀλλὰ νυστάζοντας καὶ κηλουμένους 5 
αὑτῶν δι᾿ ἀργίαν τῆς διανοίας, δικαίως ἂν καταγελῷεν, 


ἡγούμενοι ἀνδράποδ᾽ ἄττα σφίσιν ἐλθόντα εἰς τὸ κατα- 
γώγιον, ὥσπερ προθάτια, μεσημθριάζοντα περὶ τὴν κρήνην 
εὕδειν. ᾿Εὰν δὲ δρῶσι διαλεγομένους καὶ παραπλέοντάς 
σφας ὥσπερ Σειρῆνας ἀκηλήτους, ὃ γέρας παρὰ θεῶν 
ἔχουσιν ἀνθρώποις διδόναι τάχ᾽ ἂν δοῖεν ἀγασθέντες. 

ΦΑΙ. Ἔχουσι δὲ δὴ τί τοῦτο ; ᾿Ανήκοος γάρ, ὡς ἔοικε, 
τυγχάνω ὦν. 

ΣΩ. Où μὲν δὴ πρέπει γε φιλόμουσον ἄνδρα τῶν τοιούτων 
ἄνήκοον εἶναι. Λέγεται δ᾽ ὥς ποτ᾽ ἦσαν οὗτοι ἄνθρωποι, 
τῶν πρὶν Μούσας γεγονέναι' γενομένων δὲ Μουσῶν καὶ 
φανείσης δῆς, οὕτως ἄρα τινὲς τῶν τότε ἐξεπλάγησαν 


bp” ἡδονῆς ὥστε, ἄδοντες, ἠμέλησαν σίτων τε καὶ ποτῶν, 


καὶ ἔλαθον τελευτήσαντες αὑτούς. Ἐξ, ὧν τὸ τεττίγων 


e 2 ζῴη (et Stob.) : ζωὴ Β || 3 μηδὲ : μὴ W Vindob. 109 
Stob. || 6 σχολὴ... ἔοιχε : Phaedro tribuit Bernhardy (cf. 1} |] ἔοιχεν 
et Stob.): -x: BW Hermi.! Thomps. Burnet || δοχοῦσιν ὡς : ὡς 
om. Stob.® -σι vw Badham Vollgr. || 259 a 2 xai ἡμᾶς (et Stob.) : 
om. B et, exc. Burnet, omnes || νὼ (fors. ex v& ΤῊ (et Stob.) : νῶ B || 
3 χηλουμένους (et Stob.) : χαταχηλ. Hermi. || ὑφ᾽ αὑτῶν (et Stob.): 
ὕπ᾽ αὖ. W {|| 4 χαταγελῷεν : λῶκεν B -λῶεν W || 5 ἀνδράποδ᾽ (et 
Stob.) : -δα ΤῊ || ἄττα Stob. : ét. T ἅτ BW || ἐλθόντα : -τας Stob.n 
Il 7 διαλεγομένους (et Stob. Hermi.!): auct. Hartman del. Vollgr. || 
b 1 ἀχηλήτους : ἀχηλί. W Stob.r || 3 δὴ τί (et Stob.): δή τι B || 5 γε 
(et Stob.): om. B || 6 δ᾽ (et Stob. δὲ Hermi.!): δὴ ci. Heindorf || 7 
πρὶν (et Stob.): πρίν γε Hermi. || © 2 αὑτοὺς : αὐ. W Stob. av. B 
fors. non legit Hermi. 


258. 


b 


259 c 


PHÈDRE | 60 


souche de la gent cigale. Elle a des Muses reçu le privi- 
lège de n'avoir, une fois née, aucun besoin de se nourrir, 
et de se mettre cependant, estomac vide et gosier sec, 
tout de suite à chanter jusqu’à l'heure du trépas, et puis 
après d'aller trouver les Muses pour leur rapporter qui 
les honore ici-bas et à laquelle d’entre elles va cet hom- 
mage. Ainsi, à Terpsichore, c’est sur les hommes qui l'ont 
honorée dans les chœurs de danse que les cigales font leur 
rapport, lui inspirant pour eux de la prédilection ; à Érato, 
sur ceux dont les matières d'amour sont l'occupation ; et aux 
autres de même, selon la façon dont chacune est spéciale- 
ment honorée. Or à l’ainée, Calliope, et à sa cadette, 
Uranie, ceux qu’elles signalent ce sont les hommes qui pas- 
sent leur vie à philosopher et qui honorent la musique propre 
à ces deux Muses; car entre toutes, avec le ciel pour princi- 
pal objet et les questions de l’ordre divin aussi bien 
qu'humain, ce sont elles qui font entendre les plus beaux 
accents! ! Nous avons donc, tu vois, mille raisons de parler 
et de ne pas nous endormir à l’heure de midi. 
Paèpre. — Entendu ! Parlons donc. 


Troisième partie. SOCRATE. — Alors, la question que jus- 
— Première tement nous proposions à l’examen tout 
section : à l'heure, de savoir quels sont les carac- 


les conditions 


ΣΟΥ d'ent tères d'un bon discours comme d’un 


bon écrit et quels sont les caractères 
de ceux qui ne le sont pas, voilà ce qu’il faut examiner. 

Paèpre. — C’est clair ! 

SocraTE. — Eh bien ! est-ce que ce ne doit pas être une 
qualité de ce qu'on voudra dire, au moins bien et de la 
belle façon, qu’il y ait, dans la pensée de celui qui parle, une 
connaissance de ce qui est la vérité du sujet sur lequel 1] 
aura à parler ? 

Père. — Voici, cher Socrate, ce que j'ai oui-dire là- 
dessus: c’est qu’il n’est point nécessaire, pour celui qui se 
destine à être orateur, d’avoir appris ce qui en est de la réalité 
de la justice, mais plutôt ce que peut bien en penser la mul- 


mythologiques (229 b). Si cette fable est une invention, le reproche 
d’ignorance est, à son tour, ironique (cf. p. 87, n. 1). 
1. Sans doute suppose-t-il l’'Harmonie des Sphères, la parenté de 


60 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


γένος μετ᾽ ἐκεῖνο φύεται, γέρας τοῦτο παρὰ Μουσῶν 
λαθόν, μηδὲν τροφῆς δεῖσθαι γενόμενον, ἀλλ᾽, ἄσιτόν τε καὶ 
ἄποτον, εὐθὺς ἄδειν ἕως ἄν τελευτήσῃ καί, μετὰ ταῦτα 
ἐλθὸν παρὰ Μούσας, ἀπαγγέλλειν τίς τίνα αὐτῶν τιμᾷ τῶν 
ἐνθάδε. Τερψιχόρᾳ μὲν οὖν τοὺς ἐν τοῖς χοροῖς τετιμη- 
κότας αὐτὴν ἀπαγγέλλοντες ποιοῦσι προσφιλεστέρους᾽ τῇ 
δὲ ᾿Ερατοῖ, τοὺς ἐν τοῖς ἐρωτικοῖς" καὶ ταῖς ἄλλαις οὕτως, 
κατὰ τὸ εἶδος ἑκάστης τιμῆς. Τῇ δὲ πρεσθυτάτῃ Καλλιόπῃ 
καὶ τῇ μετ᾽ αὐτὴν Οὐρανία τοὺς ἐν φιλοσοφίᾳ διάγοντάς 
τε καὶ τιμῶντας τὴν ἐκείνων μουσικὴν ἀγγέλλουσιν, αἵ δὴ 
μάλιστα τῶν Μουσῶν, περί τε οὐρανὸν καὶ λόγους οὖσαι 
θείους τε καὶ ἀνθρωπίνους, for καλλίστην φωνήν. Πολλῶν 
δὴ οὖν ἕνεκεν λεκτέον τι καὶ οὐ καθευδητέον ἐν τῇ 
μεσημθρίᾳ. 
ΦΑΙ. Λεκτέον γὰρ οὖν. 


ΣΩ. Οὐκοῦν, ὅπερ νῦν προυθέμεθα σκέψασθαι, τὸν 
λόγον ὅπῃ καλῶς ἔχει λέγειν τε καὶ γράφειν καὶ ὅπῃ μή, 
σκεπτέον. 

ΑΙ. Δῆλον. 

ΣΩ. “Αρ᾽ οὖν οὐχ ὑπάρχειν δεῖ τοῖς εὖ γε καὶ καλῶς 
ῥηθησομένοις τὴν τοῦ λέγοντος διάνοιαν εἰδυῖαν τἀληθὲς 
ὧν ἂν ἐρεῖν πέρι μέλλῃ ; 

ΦΑΙ. Οὑτωσὶ περὶ τούτου ἀκήκοα, ὦ φίλε Σώκρατες" 
οὐκ εἶναι ἀνάγκην τῷ μέλλοντι ῥήτορι ἔσεσθαι τὰ τῷ ὄντι 
δίκαια μανθάνειν, ἀλλὰ τὰ δόξαντ᾽ ἂν πλήθει, οἵπερ 


© 8 μετ᾽ ἐχεῖνο : μετ᾽ ἐχείνων Stob. μετ᾽ (etiam μετ᾽ ἐχ.) auct. Her- 
werden del. Vollgr. || 4 λαδόν W2: -6uy W αἱ αἱά. || γενόμενον : γεννώμ.. 
Stob.n post εὐθύς mox transp. Badham Vollgr. || 7 Τερψιχόρᾳ (et 
Stob. Hermi.!): -pn B? rec. (n s. u.) uulg. || ἃ 2 ἑχάστης (et Stob. 
Hermi.) : -τῃ τῆς ci. Egelie |] 3 μετ᾽ αὐτὴν (et Stob.): μ. ταύτην T || 
6 ἰᾶσι: -σιν T τασιν B ἴασι T2B? ἴασι W ἰᾶσι Stob. || 7 οὖν ἕνεχεν W 
reuera : ee B oûvexa Hermi.! || τι : τί W τε auct. Jongh Vollgr. 
Île 5 ἀρ᾽ : ἀρ’ T (cum pers. dist. post δῆλον 4) ἄρ᾽ B (sc. δῆλον ἄρ᾽) 
|| γε: ᾿ TW || 0 τἀληθὲς : τὸ ἀλ. B Burnet || 260 a 2 δόξαντ᾽ : -τα 
TW {| οἴπεο W? (οἵ 5. α.) : ὑπερ sic W. 


2590 


200 


260 a 


PHÈDRE Gr 


 titude, celle qui précisément doit décider; pas davantage 


ce qui réellement est bon ou beau, mais ce qu'elle en pen- 
sera. Voilà quel est en effet, dit-on, le principe de la per- 
suasion, mais non pas la vérité. 

Socrate. — La parole impossible à rejeter‘... impossible, 
Phèdre, quand cette parole est celle de savantes gens; mais 
on examinera plutôt s’il n’y a pas du vrai dans ce qu'ils 
disent ! Et, en particulier, ce que tu viens de dire, il ne faut 
pas en faire fi. 

Puèpre. — Parfaitement ! 

Socrate. — Voici maintenant comment nous devons en 
faire l'examen. 

Puèpre. — De quelle façon ? 

SOCRATE. — Suppose que moi, je veuille, à toi, te persua- 
der d’aller combattre l’ennemi après avoir fait acquisition 
d’un cheval; que tous les deux, nous ignorions le cheval ; 
mais qu'il y ait pourtant une chose que, sur ton compte, je 
me trouverais à connaître, c’est que, au jugement de Phèdre, 
le cheval est de tous les animaux domestiques celui qui a les 
plus longues oreilles. 

Paèpre. — Ma foi, Socrate, ce serait ridicule ! 

SocRaTE. — Non, pas encore. Mais que, maintenant, je 
veuille pour tout de bon te persuader au moyen d’un dis- 
cours de ma composition : un éloge dont l’âne serait lesujet, 
où je donnerais le nom de cheval à cette créature, dont je 
déclarerais inappréciable l'acquisition aussi bien pour chez 
soi qu’en campagne, et non moins utile pour combattre de 
haut que, bien entendu, avantageuse eu égard à la capacité de 
porter le bagage et des tas d’autres choses. 


Paëpre. — Ah! maintenant ce serait, ma foi, ridicule 
achevé ! 
SocraTe. — Dis-moi, est-ce qu’il ne vaut pas mieux le 


ridicule chez un ami que la puissance redoutable chez un 
ennemi ? ὃ 

Puèpre. — C'est évident | 

Socrate. — Ainsi donc, lorsque l’orateur de talent, igno- 


musique et d'astronomie avec philosophie, peut-être enfin une tradi- 
tion pythagorique où la philosophie est Calliope (p. 29,1 et 38, à). 
1. Formule proverbiale qui vient de l’Iliade (II 361). 
ἃ. Ce texte controversé s’éclaire, je crois, par la remarque iden- 


6r ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


δικάσουσιν᾽ οὐδὲ τὰ ὄντως ἀγαθὰ ἢ καλά, ἀλλ᾽ ὅσα δόξει. 
Ἔκ γὰρ τούτων εἶναι τὸ πείθειν, ἀλλ᾽ οὐκ ἐκ τῆς ἄλη- 
θείας. 

ΣΩ. Οὔτοι ἀπόθλητον ἔπος εἶναι δεῖ, ὦ Φαῖδρε, 
ὃ ἂν εἴπωσι σοφοί, ἀλλὰ σκοπεῖν μή τι λέγωσι: καὶ δὴ καὶ 
τὸ νῦν λεχθὲν οὖκ ἀφετέον. 

ΦΑΙ. ᾿Ορθῶς λέγεις. 

ΣΩ. Ὧδε δὴ σποπῶμεν αὐτό. 

ΦΑΙ. Πῶς; 

ΣΩ. Εἴ σε πείθοιμι ἐγὼ πολεμίους ἀμύνειν κτησάμενον 
ἵππον, ἄμφω δὲ ἵππον ἀγνοοῖμεν, τοσόνδε μέντοι τυγχά- 
νοιμι εἰδὼς περὶ σοῦ ὅτι Φαῖδρος ἵππὸν ἡγεῖται τὸ τῶν 
. ἡμέρων ζῴων μέγιστα ἔχον ὦτα... 

ΦΑΙ. Γελοῖόν γ᾽ ἄν, ὦ Σώκρατες, εἴη. 

ΣΩ. Οὔπω γε. AN ὅτε δὴ σπουδῇ σε πείθοιμι, συν- 
τιθεὶς λόγον, ἔπαινον κατὰ τοῦ ὄνου, ἵππον ἐπονομάζων 
καὶ λέγων ὡς παντὸς ἄξιον τὸ θρέμμα οἴκοι τε κεκτῆσθαι 
καὶ ἐπὶ στρατείας, ἀποπολεμεῖν τε χρήσιμον καὶ πρός 
γ᾽ ἐνεγκεῖν δυνατὸν σκεύη καὶ ἄλλα πολλὰ ὠφέλιμον... 

ΦΑΙ. Παγγέλοιόν γ᾽ ἂν ἤδη εἴη. 

ΣΩ. “Αρ᾽ οὖν où κρεῖττον γελοῖον καὶ φίλον ἢ δεινόν τε 
καὶ ἐχθρὸν εἶναι ; 

ΦΑΙ. Φαίνεται. 

ΣΩ. Ὅταν οὖν 6 ῥητορικός, ἀγνοῶν PC καὶ κακόν, 


ἃ 6 οὔτοι: οὔ τι Hermi.r || ὦ Φαῖδρε ὃ : ὃ D ὃ B || 7 σόροι : οἱ 
σ. Hermi. Heïadorf Vollgr. || μή τι λέγωσι : μ. τ. λέγουσι Schaefer 
Schanz Vollgr. εἴ πή τι λέγουσι Winckelm. || Ὁ 5 εἴη : om. B || 6 
οὕπω γε : οὔποιε B || δὴ : om. B Schanz Vollgr. || σπουδῇ : -ôn B || 
ἡ λόγον : del. Vollgr. ||9 στρατείας Par. 2011 Spalding : -τιᾶς T et, exc. 
Thompson, omues -τιας BW || πρός γ᾽ ἐνεγχεῖν ci. Thomps. : προσεν. 
codd. Schanz et etiam Thomps. sed cum obelo || c 2 'παγγέλοιον W? 
(add. o:): -λον W || 3 ao” (et Hermi.!): ἄρ᾽ Β 3p° T || καὶ φίλον 
Hermi. : om. codd. Schanz Vollgr. || re: om. Hermi. || 4 ἐχθρὸν 
εἶναι: ἐ. et. ἢ φίλον codd. εἶναι φίλον Par. 1812 εἶ. τὸν φ, Cornar. 
uerba ἐχθρὸν sequentia non legisse uid. Hermi. secl. Burnet eva: secl. 


Thomps. 


260a 


b 


PHÈDRE x 62 


rant le bien et le mal, ayant affaire à une Cité pour laquelle 
il en va de même, se met à lui persuader, non pas à  pro- 
pos de l’ombre de l'âne‘ que c’est d’un cheval qu’il compose 
l'éloge, mais, à propos du mal, que c’est du bien ; lorsque, 
après avoir fait des opinions de la multitude une particulière 
étude ?, il lui aura persuadé de faire le mal au lieu du bien, 
quelle sorte de produit penses-tu que l’art oratoire doive, 
dans ces conditions, recueillir pour moisson de ce qu'il a 
semé ? 

Paèpre. — Un produit qui sans doute n’est pas du tout 
recommandable. 

SOCRATE. — Eh mais ! n’avons-nous pas, mon bon, outre- 
passé les bornes de la rusticité en vilipendant ainsi l’art des dis- 
cours ? Sans doute dirait-il : « À quoi, extraordinaires bonnes 
« gens, peuvent bien rimer vos calembredaines ? Moi, c’est 
« un fait, je n’oblige personne, à qui la vérité est inconnue, 
« d'apprendre à parler ; mais (supposé que mon avis vaille 
« quelque chose) c’est une acquisition à faire avant, moi, de 
« me prendre en main. Et voici donc ce que je déclare 
« hautement : c’est que, sans moi, celui qui possédera la 
« connaissance de l’être des choses n’y gagnera rien abso- 
« lument pour l’art de persuader ! » 


Paèpre. — N'y aura-t-il pas, de sa part, justice à parler 
ce langage ? 
SOCRATE. — J'en conviens, — au cas du moins où les 


arguments qui se présentent à la barre attesteraient, en sa 
faveur, qu’il est un art! Car j'ai comme une idée que j'en 
entends d’autres, qui se présentent à leur suite ; et ces argu- 
ments protestent qu’il ment et qu’il n’est pas un art, mais 
une routine dénuée d'art: « De la parole, dit le Laconien, 


tique du Philèbe dans l’analyse du plaisir comique (49 d-5o a). 

1. C.-à-d. « moins que rien »: expression familière amenée par 
l'exemple allégué, à propos duquel en effet la méprise ne serait rien 
au prix d’une illusion qui fait prendre aux gens le mal pour le bien. 

2. Cf. 260 a déb.; de même, dans la République (VI 493 ab), celui 
qui s’exténue à étudier les caprices du monstre dont il fait l’élevage. 

3. Lei et 270 b on retrouve les expressions mêmes dont le Socrate 
du Gorgias stigmatisait la rhétorique (463 b). Il vient ici de supposer 
(ce qui peut-être avait eu lieu) que celle-ci se défend contre cette 
attaque sauvage ; il en rappelle donc les termes et ensuite, comme 
devant le tribunal qui jugera la cause, il va reprendre son réquisi- 


ati Se nt ΣΠΌΡΟΝ ΒΟ 


ai 


62 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


λαθὼν πόλιν ὡσαύτως ἔχουσαν, πείθῃ, μὴ περὶ ὄνου σκιᾶς 
ὡς ἵππου τὸν ἔπαινον ποιούμενος, ἀλλὰ περὶ κακοῦ ὡς 
ἄγαθοθ, δόξας δὲ πλήθους μεμελετηκώς, πείσῃ κακὰ 
τιράττειν ἄντ᾽ ἀγαθῶν, ποῖόν τιν᾽ ἂν οἴει, μετὰ ταῦτα, τὴν 
ῥητορικὴν καρπὸν ὧν ἔσπειρε θερίζειν : ἷ 

ΦΑΙ. Οὐ πάνυ γε ἐπιεικῆ. 

ΣΩ. “Ἂρ᾽ οὖν, ὦ ἀγαθέ, ἀγροικότερον τοῦ δέοντος λελοι- 
δορήκαμεν τὴν τῶν λόγων τέχνην ; Ἣ δ᾽ ἴσως ἂν εἴποι" 
« Τί ποτ᾽, ὦ θαυμάσιοι, ληρεῖτε ; ᾿Εγὼ γὰρ οὐδέν᾽ 
« ἀγνοοῦντα τἀληθὲς ἀναγκάζω μανθάνειν λέγειν, ἀλλ᾽, εἴ 
« τι ἐμὴ ξυμθουλή, κτησάμενον ἐκεῖνο οὕτως ἐμὲ λαμ- 
« θάνειν. Τόδε δ᾽ οὖν μέγα λέγω, ὡς ἄνευ ἐμοῦ τῷ τὰ ὄντα 
« εἰδότι οὐδέν τι μᾶλλον ἔσται πείθειν τέχνῃ. » 

ΦΑΙ. Οὐκοῦν δίκαια ἐρεῖ, λέγουσα ταῦτα ; 

ΣΩ. Φημί, ἐὰν οἵ γε ἐπιόντες αὐτῇ λόγοι μαρτυρῶσιν 
εἶναι τέχνῃ. “Ὥσπερ γὰρ ἀκούειν δοκῶ τινων προσιόντων 
καὶ διαμαρτυρομένων λόγων ὅτι ψεύδεται καὶ οὐκ ἔστι 
τέχνη, ἀλλ᾽ ἄτεχνος τριθή: « Τοῦ δὲ λέγειν, φησὶν ὃ 


© 7 σχιᾶς (et Hermi.): auct. Spalding del. Schanz Vollgr. || 9 
δόξας... 10 ἀγαθῶν : auct. Hirschig del. Vollgr. || 10 τιν’ ἂν Hirschig : 
τινα codd. Vollgr. γάρ τινα Hermi. || ἃ τ ὧν : ὃν B || ἔσπειρε : -ρεν T 
I θερίζειν : -ζει W || 2 ye (et Hermi.): om. TW || 8 ἄρ᾽ (et 
Hermi.l): ἄρ᾽ B ἀρ’ T || ὦ ἀγαθέ: ὠγαθέ Hermi.! Vollgr. ὦ᾽ γα. 
Thomps. || τοῦ δέοντος : fors. non leg. Hermi. || 5 οὐδέν᾽ : -va TW 
οὐδὲν B || 7 τι : τις TW Hermi.! exc. Burnet omnes εἰ ἔστιν ci. Ast 
|| ἐμὴ ξυμδουλὴ (ouu6. Burnet) : ἐμῇ-λῃ ΤῊΝ (?) Hermi.! πείθετα! suppl. 
Hermi. add. Badham χρῆται Stephan. Schanz χρῆσθαι βούλεται auct. 
Matthiae Vollgr. || xtnoéuevov Vahlen : -vos codd. Hermi. et, exc. Bur- 
net, omnes || οὕτως : -tw Β || λαμβάνειν : -νει Hermi. Schanz -δάνετω 
auct. Naber Vollgr. || 8 τόδε δ᾽ οὖν (et Hermi.!): τόδε δ᾽ οὐ auct. Herwer- 
den Vollgr. (App. crit. 148) || 9 τέχνῃ : del. Vollgr. (cf. ibid.) || e x 
οὐχοῦν ... ταῦτα Phaedri, 2 φημί... 7 γένητα: Socratis, 8 τούτων... 
261 ἃ 2 λέγουσιν Phaedri (sic etiam ΤΎ  personas distribuunt) : 
οὐχοῦν ... ταῦτα Socratis, φημί... λέγουσιν Phaedri B et, ante Bek- 
kerum, edd. φημί Phaedro ἐὰν ... λέγουσιν Socrati adser. Heindorf 
| οὐχοῦν : οὔχουν Vollgr. || 2 γε (et Hermi.!): γ᾽ B || μαρτυρῶσιν : 
-οὖσιν W j| 5 τοῦ... 7 γένηται (et Hermi.!): auct. Schleierm. secl. 
Schanz del. Vollgr. || ὁ Λάχων (et Hermi.!) : ὁ λάχων Nitsch. 


260 ὁ 


260 e 


261 


PHÈDRE 63 


« un art authentique, faute d’être attaché à la Vérité, ni 
« n'existe, ni jamais ne pourra naître dans l'avenir ». 

Paèpre. — Ces arguments, Socrate, il nous les faut ! 
Allons ! produis-les ici; questionne-les : que disent-ils et en 
quels termes ὃ 

SOcRATE. — Comparaissez donc, nobles créatures, et per- 
suadez à Phèdre, père de beaux enfants, que, s’il n’a pas 
dignement philosophé, il ne sera pas digne non plus de par- 
ler de rien ‘ ! Que Phèdre maintenant réponde. 

Puèpre. — Interrogez-moi ! 

D SocraTE. — Eh bien! est-ce que, 
és ae oire, Somme toute, l’art oratoire ne serait pas 

È ‘une psychagogie, une façon de mener les 
âmes ?, par l'entremise de discours, non point uniquement 
devant les tribunaux et dans tout autre endroit public de 
réunion, mais aussi dans les réunions privées ; une façon 
qui ne change pas avec la petitesse ou la grandeur du sujet 
traité ; et dont l’emploi, j'entends l'emploi correct, n’est en 
rien plus honorable quand la matière est sérieuse, que lors- 
qu’elle est sans importance ? Est-ce en ce sens que tu as 
entendu parler de cela ? 

Paèpre. — Non, par Zeus! pas du tout en ce sens. Bien 
au contraire c’est, dirait-on, principalement aux procès que 
se rapporte l’art de parler et d’écrire, quoique parler ait 
aussi sa place dans les délibérations de l’Assemblée du 
Peuple. Mais qu’il s’étende au delà, on ne m'en a pas 
instruit. 

Socrate. — Eh bien ! alors, les « Arts oratoires » de Nes- 


ἴον et d'Ulysse, il n’y a qu’eux dont tu sois instruit? ceux - 


dis-je, qu’ils ont composés devant Troie à leurs moments de 
loisir. Quant à ceux de Palamède, ton instruction n’est pas 
allée jusque-là ὃ ? 


toire, avec moins d’âpreté, mais avec plus de précision (cf. note suiv.). 

1. L'objet de cette partie du dialogue est ainsi bien défini : opposer 
à la rhétorique, telle que la conçoivent les Maîtres attitrés, une rhé- 
torique philosophique ayant sa méthode propre (269 d-272 b). 

2. Ces derniers mots paraphrasent le terme grec (cf. 271 c fin). 

3. Socrate s’amuse ici, ce que semble indiquer la réplique de 
Phèdre, à un jeu auquel fait allusion le Banquet (221 cd) : faire 
deviner le nom d’un contemporain, qu’on désigne sous celui de 
quelque personnage fameux. Plus loin reviendront Gorgias, Thrasy- 


Fr. IUT SR STE 


63 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ ᾿ 
« Λάκων, ἔτυμος τέχνη ἄνευ τοῦ ἀληθείας ἦφθαι, οὔτ᾽ 
« ἔστιν, οὔτε μή ποτε ὕστερον γένηται. » : 

ΦΑΙ. Τούτων δεῖ τῶν λόγων, ὦ Σώκρατες ἀλλά, δεῦρο 
αὐτοὺς παράγων, ἐξέταζε τί καὶ πῶς λέγουσιν. 

ΣΩ. Πάριτε δή, θρέμματα γενναῖα, καλλίπαιδά τε 
Φαῖδρον πείθετε ὧς, ἐὰν μὴ ἱκανῶς φιλοσοφήσῃ, οὐδὲ 
ἵκανός ποτε λέγειν ἔσται περὶ οὐδενός. ᾿Αποκρινέσθω δὴ ὃ 
Φαῖδρος. 

ΦΑΙ. ἜἘρωτᾶτε. ᾿ 

ZQ. “Ἀρ᾽ οὖν où, τὸ μὲν ὅλον, À ῥητορικὴ ἂν εἴη τέχνη 
Ψυχαγωγία τις διὰ λόγων, où μόνον ἐν δικαστηρίοις καὶ 
ὅσοι ἄλλοι δημόσιοι σύλλογοι, ἀλλὰ καὶ ἐν ἰδίοις, ἣ αὐτὴ 
σμικρῶν τε καὶ μεγάλων πέρι, καὶ οὐδὲν ἐντιμότερον, τό γε 
ὄρθόν, περὶ σπουδαῖα ἢ περὶ φαῦλα γιγνόμενον : Ἢ πῶς 
σὺ ταῦτ᾽ ἀκήκοας ; 


ΦΑΙ. Οὐ μὰ τὸν Δία, οὐ παντάπασιν οὕτως: ἀλλὰ 


μάλιστα μέν πὼς περὶ τὰς δίκας λέγεταί τε καὶ γράφεται 
τέχνῃ λέγεται δὲ καὶ περὶ δημηγορίας" ἐπὶ πλέον δὲ οὐκ 
ἀκήκοα. 

ΣΩ. ᾿Αλλ᾽ ἦ τὰς Νέστορος καὶ ᾽Οδυσσέως τέχνας μόνον 
περὶ λόγων ἀκήκοας, ἃς ἐν ᾿Ιλίῳ σχολάζοντες συνεγρα- 
ψάτην; τῶν δὲ Παλαμήδους ἀνήκοος γέγονας ; 


e 6 ἔτυμος τέχνη (et Hermi.): ἕτοι. (om. +.) B sed locus in 
macula rescriptus νὴ τὼ σιὼ τ. Plut. || 7 ὕστερον : om. Plut. || 264 a 
1 δεῖ: δὴ B Hermi.! (anacoluthon significat 2236) δεῖ ἀχροᾶσθαι ci. 
Richards || λόγων (et Hermi.) : À. ἐλέγχου (ci. Herwerden) uel ἀχροᾶσθαι 
(scrib. Vollgr.) ci. Richards || καὶ W? (interpos.): om. W || λέγουσιν : 
-σι codd. || 3 θρέμματα (οἱ Hermi.!): ὦ θρ. Ast |] 4 πείϑετε (et cf. Hormi. 
πείσατε) : -θεται B || ὡς ἐὰν : ὡς ἂν Hermi.l ἕως ἂν T || 7 ἐρωτᾶτε 
(Phaedro adscrib. codd.) : Socrati, ut uid., Hermi. (22338) et, 
ante Bekkerum, edd. Socrati interroganti Ficin. ὃ tp Ast ἐρώτα δή 
Krische || 8 4e” (et Hermi.!) : ἄρ᾽ B || ὅλον : ὁλ x ον W {| b 4 Δία (et 
Hermi.!): Δι’ exc. Schanz omnes || 6 ἐπὲ πλέον : ἐπιπλ. BW || 8 ἀλλ᾽ 
ἢ : ἀλλ᾽ ἢ T Hermi.! ἀλλη Β || καὶ : rez. TW || 9 περὶ : secl. Thomps. 
Il ἐν ᾽᾿Ιλίῳ : auct. Herwerden del. Vollgr. || σχολάζοντες : -τε em. 
Coislin. 155 Thomps. Vollgr. 


260 e 


261 


b 


V4 


261 c 


σ 


PHÈDRE 64 


Paèpre. — Et, par Zeus, même pas, ma foi oui, jusqu’à 
ceux de Nestor ! À moins que ce ne soit de Gorgias que tu 
fais une manière de Nestor ; ou bien d'Ulysse, une manière 
de Thrasymaque ou de Théodore! 

SocrATE. — Il se peut. Mais, après tout, ne nous occupons 
plus de ces gens-là ! À toi la parole: dans les tribunaux, que 
font les parties adverses ? n’est-ce pas en vérité une contro- 
verse ! ? Appellerons-nous cela autrement ? 

Ῥπέρβε. — Précisément ainsi. 

Socrate. — Sur le juste comme sur l’injuste ? 

Paèpae. — Oui. 

Socrate. — Et, n'est-ce pas? celui qui s’acquitte de cela 
en conformité avec l’Art, fera que la même chose apparaisse 
aux mêmes gens, tantôt juste, puis injuste quand 1}" le 
voudra... ὃ 

Paèpre. — Et pourquoi pas ? 

SOCRATE. — ...et, s'il s’agit maintenant de harangues 
politiques, que les mêmes choses semblent à la Cité tantôt 
bonnes et tantôt tout le contraire. ? 

Puèpre. — C'est bien cela. 

Socrate. — Passons au Palamède d’Élée: ne savons-nous 
pas qu’il parlait avec tant d’art que cela lui permettait de 
faire les mêmes choses apparaître à son auditoire semblables 
et dissemblables, unes et multiples, et encore immobiles 
aussi bien que mues ? : 

Puaèpre. — Ah ! je crois bien ! 

SocRATE. — Alors, c’est donc que les tribunaux et l'élo- 
quence politique ne sont pas le seul domaine de la contro- 
verse ; mais que, à ce qu'il semble, toutes les formes de la 
parole relèveraient d’un art unique (s’il est vrai qu'il existe !), 
celui grâce auquel on sera en état de rendre toute chose 
semblable à toute chose, de celles, bien entendu, qui le peu- 


maque, Théodore (266 e sq., 267 c). Quant à Palamède, le héros 
inventif de l’Iliade, la suite (d) fait tomber son masque : c’est un 
Éléate, et ses thèses sont celles de Zénon : le double trajet sur le stade, 
égal à la moitié ; la flèche qui vole, immobile, etc. 

1. Ou antilogie (cf. Phédon 91 a), un duel de thèses où la vérité de 
celles-ci importe peu pourvu que triomphe la thèse qu’on soutient, et 
c’est, au besoin, tour à tour l’une et l’autre. Voilà l’escrime immorale 
qu’Aristophane, dans les Nuées (cf. p. 17, n. 3), accuse Socrate d’en- 
seigner. Que le grief n’atteigne pas celui-ci, il n’en est pas moins 


64 ΦΑΙΔΡΟΣ 


ΦΑΙ. Καὶ ναὶ μὰ Δί᾽ ἔγωγε τῶν Νέστορος, εἰ μὴ 
Γοργίαν Νέστορά τινα κατασκευάζεις, ἤ τινα Θρασύμαχόν 
τε καὶ Θεόδωρον ᾽Οδυσσέα. 

ΣΩ. Ἴσως. ᾿Αλλὰ γὰρ τούτους ἐῶμεν. Σὺ δ᾽ εἰπέ" ἐν 
δικαστηρίοις οἵ ἀντίδικοι τί δρῶσιν ; οὐκ ἀντιλέγουσι 
μέντοι ; Ἢ τί φήσομεν : 

ΦΑΙ. Τοῦτ᾽ αὐτό. 

ΣΩ. Περὶ τοῦ δικαίου τε καὶ ἀδίκου : 

ΦΑΙ. Ναί. 

ΣΩ. Οὐκοῦν ὃ τέχνῃ τοῦτο δρῶν ποιήσει φανῆναι τὸ 
αὐτὸ τοῖς αὐτοῖς τοτὲ μὲν δίκαιον, ὅταν δὲ βούληται, 
ἄδικον... ; 

ΦΑΙ. Τί μήν; 

ΣΩ. ...καὶ ἐν δημηγορίᾳ δή, τῇ πόλει δοκεῖν τὰ αὐτὰ 
τοτὲ μὲν ἀγαθά, τοτὲ δ᾽ αὖ τἀναντία ; 

ΦΑΙ. Οὕτως. 

ΣΩ. Τὸν οὖν ᾿Ελεατικὸν Παλαμήδην, λέγοντα oùk 
ἴσμεν τάχνῃ ὥστε φαίνεσθαι τοῖς ἀκούουσι τὰ αὐτὰ ὅμοια 
καὶ ἀνόμοια, καὶ ἕν καὶ πολλά, μένοντά τε αὖ καὶ φερό- 
μενα; 

ΦΑΙ. Μάλα γε. 

ΣΩ. Οὐκ ἄρα μόνον περὶ δικαστήριά τέ ἐστιν ἣ ἀντι- 
λογικὴ καὶ περὶ δημηγορίαν, ἀλλ᾽, ὡς ἔοικε, περὶ πάντα τὰ 
λεγόμενα μία τις τέχνη (εἴπερ ἔστιν) αὕτη ἂν εἴη, ἣ τις 
οἷός τ᾽ ἔσται πᾶν παντὶ δμοιοῦν τῶν δυνατῶν καὶ οἷς 


c 1 Δι᾿: Δία ΒΤ Hermi.! Schanz || τῶν : οὐδὲ +. malit Vollgr. 
si mox et μὴ seruetur || Νέστορος : N. χαὶ ᾽Οδυσσέως Vollgr. || μὴ : 
δὴ Vollgr. (cf. App. crit. 148) || 2 χατασχευάζεις : -Enç B || 3 τε χαὶ 
@:00wp0v : fors. non legit Hermi. neque scholiasta del. Vollgr. || re : 
de B || 5 ἀντιλέγουσι : -σιν codd. || 10 (et d 8) τέχνῃ: -vn BW 
(quanquam in altero -vn d 8) || ἃ 1 (et 5) τοτὲ : τότε codd. || βούλη- 
ται ἄδιχον T? (transpon. notauit) : ἄδ, 8. T || 8 φαίνεσθαι : δοχεῖν ©. 
uulg. || 9 μένοντά B? (signa em.): μὲν ὄντα B || e 1 ἀλλ᾽ ὡς B2 


rec. : ἄλλως B {|| 2 % Paris. 1812 : ἥ ΤΥ Hermi.® ἢ B εἴ Hermi.n! 


em. || 3 τ᾽ : τε Β || πᾶν παντὶ : πάμπαν τί ut uid. B || καὶ οἷς δυνατὸν : 


ci. del. Vollgr. 
IV. 3. — 9 


261c 
c 


261 e 


262 


PHÊDRE 65 


vent et à l'égard de ceux pour qui c’est possible; ou encore, 
quand un autre fait en les dissimulant de telles assimilations, 
d’amener celles-ci au grand jour. 

Paèpre. — Quelle est, dis-moi, ton idée en parlant de la 
sorte ? 

SOCRATE. — À chti dans le sens que voici, m'est avis 
qu’elle apparaitra... L'illusion, est-ce dans les choses qui 
diffèrent beaucoup qu’elle se produit, plutôt que dans celles 


qui diffèrent peu ? 
Puèpre. — Dans celles qui diffèrent peu. 
SocrATE. — Eh bien! oui, c’est sûr : si tu te déplaces 


petit à petit, ton mouvement dans la direction opposée aura 
plus de chances de passer inaperçu, que si c'était à grands 


pas. 
Puèpre. — Le moyen qu'il en soit autrement ! 
SocraATE. — Il faut donc, alors, si l’on doit faire illusion 


à autrui, mais sans être soi-même dupe de l'illusion, que 
l’on connaisse à fond bien exactement les similitudes de la 
réalité et ses dissimilitudes. 

Paèpre. — C’est une nécessité, disons-le ! 

SOCRATE. — En conséquence, sera-t-on à même, pour 


chaque chose dont on ignore la vérité, de discerner chez les 


autres la similitude de la chose ignorée, que cette similitude 
soit petite ou grande ? 

Puaèpre. — Impossible. 

SOcRATE. — Donc, quand on juge contrairement à la réa- 
lité et qu'on est dupe d’une illusion, il est manifeste que, 
si ce mal s’est insinué en nous, c’est l'effet de certaines 
similitudes. 

PuèDre. — Oui, c 'est bien ainsi que la chose se passe, 

Socnare. — Est-il. donc possible qu'on ait l’art d'opérer 
un changement, petit à petit, en usant des similitudes pour 
faire en chaque cas passer de la réalité à son contraire, et 
que d’ailleurs on échappe soi-même à cet accident si l’on n’a 
pas acquis la connaissance de l’essence de chaque réalité ? 

Puëpre. — Non, jamais | 


vrai que, sur le fond, la pensée de Platon est la même : l'antilogie des. 
Sophistes ou, ce qui est tout un, des maîtres de rhétorique et des 
logographes, est coupable de la malhonnêteté des plaideurs (cf. 272 de, 
273 a) et de celle des orateurs politiques. 


65 PAIAPOE 


δυνατὸν καί, ἄλλου δὁμοιοῦντος καὶ ἀποκρυπτομένου, εἰς 
φῶς ἄγειν. 

ΦΑΙ. Πῶς δὴ τὸ ie λέγεις ; 

ZQ. Τῇδε δοκῶ ζητοῦσι φανεῖσθαι. ᾿Απάτη πότερον ἐν 
πολὺ διαφέρουσι γίγνεται μᾶλλον ἢ. ὀλίγον ; 

ΦΑΙ. Ἔν τοῖς ὀλίγον... 

ΣΩ. ᾿Αλλά γε δή, κατὰ σμικρὸν μεταβαίνων, μᾶλλον 
λήσεις ἐλθὼν ἐπὶ τὸ ἐναντίον ἢ κατὰ μέγα. 

AI. Πῶς δ᾽ οὔ: 

ΣΩ. Δεῖ ἄρα τὸν μέλλοντα. ἀπατήσειν μὲν ἄλλον, αὐτὸν 
δὲ μὴ ἀπατήσεσθαι, τὴν ὁμοιότητα τῶν ὄντων καὶ ἄνο- 
μοιότητα ἀκριθῶς διειδέναι. 

ΦΑΙ. ᾿Ανάγκη μὲν οὖν. 

ΣΩ. Ἢ οὖν οἷός τε ἔσται, ἀλήθειαν ἀγνοῶν ἑκάστου, 
τὴν τοῦ ἀγνοουμένου ὅδμοιότητα, σμικράν τε καὶ μεγάλην, 
ἐν τοῖς ἄλλοις διαγιγνώσκειν ; 

ΦΑΙ. ᾿Αδύνατον. 

ΣΩ. Οὐκοῦν τοῖς παρὰ τὰ ὄντα δοξάζουσι καὶ ἀπα- 
τωμένοις δῆλον ὡς τὸ πάθος τοῦτο δι᾽ δὁμοιοτήτων τινῶν 
εἰσερρύη. 

ΦΑΙ. Γίγνεται γοῦν οὕτω. 

ΣΩ. Ἔστιν οὖν ὅπως τεχνικὸς ἔσται μεταδιθάζειν κατὰ 
σμικρόν, διὰ τῶν δμοιοτήτων ἀπὸ τοῦ ὄντος ἑκάστοτε ἐπὶ 
τοὐναντίον ἀπάγων, ἢ αὐτὸς τοῦτο διαφεύγειν ὃ μὴ ἐγνω- 
ρικὼς ὃ ἔστιν ἕκαστον τῶν ὄντων. 

ΦΑΙ. Οὐ μή ποτε. 


e 5 φῶς: τἀληθὲς φ. Vollgr. (App. cril. 149) || 7 τῇδε ... φαν- 
εἶσθαι : clausulam uersum esse cens. Ηοϊπάοτῇ || ζητοῦσι : -σιν ΒΤ 
| ἀπάτη : ἣ à. Galen. || 8 ἢ (et Galen.): ἢ ἐν Hirschig Vollgr- 


261e 


262 


11 262 ἃ 2 γε δὴ : δὴ TW μὴν Galen. || μεταδαίνων : χαταῦ. Galen. || : 


y 


5 ἄρα : à. πρῶτον Galen. || 7 διειδέναι : εἰδέναι Galen. || 9 % (et 
Galen.) : ἢ reuera B || 11 διαγιγνώσκειν : διαγιν. W || ἢ 2 fenanes 
-σιν BT || 5 οὕτω : -τως Galen. edd..|| 6 μεταδιβάζειν (et Gal:): -<t B 
ἄλλον u. Hirschig μ. τινὰ Badham ||.7 σμιχρὸν : -ὥν W || 8 à PR 
παρά. Hermi. (ut uid. [ef. d 2}) Badham Vollgr. 


262 c 


\ 


C 


263 


PHÈDRE 66 


SocraTe. — Alors, mon camarade, c’est donc qu’un art 
oratoire, que manifestera celui qui ne connaît pas la vérité et 
qui n’a été en chasse que d'opinions, est un art risible, à ce 
qu’il semble, et même sans art ! 


Puaèpre. — Peut-être bien. 
SocRATE. — Veux-tu, par suite, dans ce 
Vérification discours de Lysias, que tu as sur toi, et 


par l'exemple : dans ceux que j'ai prononcés, envisager 
es ἐπα σμὴ quelque cas de ce que nous déclarons 
sans art ou plein d'art ? 

Paèpre. — Voilà, ma foi oui, mon vœu le plus cher ! 
D'autant qu’en vérité nous parlons à présent quelque peu 
en l’air, faute d’avoir des exemples ὁ convenables. 

SocraTe. — C’est d’ailleurs pour nous une vraie chance, 
semble-t-il bien, qu’aient été prononcés deux discours où 
il y a un exemple de la façon dont celui qui connaît le vrai 
peut, en se faisant de la parole un jeu, égarer ses auditeurs ?. 
C’est une chose, Phèdre, que pour ma part je dois aux divi- 
nités locales ; mais il se peut aussi que les interprètes des 
Muses, ces cigales chanteuses qui sont au-dessus de nos têles, 
nous aient insufflé ce privilège : je ne pense pas être en effet, 
quant à moi, loti d'aucun art de parole! 


Pare. — Mettons que tu aies raison, pourvu seulement 
que tu prouves ce que tu affirmes! 

SocraTE. — Allons ! lis-moi alors le début du discours de 
Lysias. 

Paèpre. — « Quel est mon cas, tu en es instruit, et mon 


« opinion sur l'intérêt que nous avons à la réalisation de ceci, 
« tu l’as entendue. Or, je ne crois pas que ma requêéle doive 
« valablement échouer pour ce motif que, justement, je ne suis 
« pas ton amoureux. La preuve en est que les gens dont je parle 
« en viennent à regreller.…, » 

SOcRATE. — Halte-là! En quoi, maintenant, Lysias est-il 
fautif et sa composition, dénuée d'art, il faut le dire: c’est 
bien cela, n'est-ce pas? 

Père. — Oui. 

Socrate. — Eh bien! n’y a-t-il pas une chose au moins 


1. L’insistance de Platon sur cette idée (eomparer infra 264e, 
265 c) est significative de son intention : cf. Notice, p. xL sqq. 
2. Seul peut sciemment dire faux celui qui sait le vrai (cf. Hip- 


66 “ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 

ΣΩ. Λόγων ἄρα τέχνην, ὦ ἑταῖρε, ὃ τὴν ἀλήθειαν μὴ 
εἰδώς, δόξας δὲ τεθηρευκώς, γελοίαν τινά, ὡς ἔοικε, καὶ 
ἄτεχνον παρέξεται. 

ΦΑΙ. Κινδυνεύει. 

ΣΩ. Βούλει οὖν, ἐν τῷ Λυσίου λόγῳ ὃν φέρεις καὶ ἐν 
οἷς ἡμεῖς εἴπομεν, ἰδεῖν τι ὧν φαμεν ἀτέχνων τε καὶ 
ἐντέχνων εἶναι: 

ΦΑΙ. Πάντων γέ που μάλιστα, ὡς νῦν γε ψιλῶς πως 
λέγομεν, οὐκ ἔχοντες ἱκανὰ παραδείγματα. Ν 

ΣΩ. Καὶ μὴν κατὰ τύχην᾽ γέ τινα, ὡς ἔοικεν, ἐρρηθήτην 
τὼ λόγω, ἔχοντέ τι παράδειγμα ὡς ἂν ὃ εἰδὼς τὸ ἀληθές, 
τιροσπαίζων ἐν λόγοις, παράγοι τοὺς ἀκούοντας. Kat 
ἔγωγε, ὦ Φαῖδρε, αἰτιῶμαι τοὺς ἐντοπίους θεούς" ἴσως δὲ 
καὶ οἵ τῶν Μουσῶν προφῆται, οἵ ὑπὲρ κεφαλῆς ᾧδοί, 
ἐπιπετινευκότες ἂν ἥμῖν εἶεν τοῦτο τὸ γέρας" où γάρ που 
ἔγωγε τέχνης τινὸς τοῦ λέγειν μέτοχος. 

ΦΑΙ. Ἔστω ὡς λέγεις, μόνον δήλωσον ὃ φής. 

ΣΩ. Ἴθι δή μοι ἀνάγνωθι τὴν τοῦ Λυσίου λόγου 


ἄρχήν. 
ΦΑΙ. « Περὶ μὲν τῶν ἐμῶν πραγμάτων ἐπίστασαι, καὶ 


A 


ὡς νομίζω συμφέρειν ἡμῖν τούτων γενομένων, ἀκήκοας. 
« ᾿Αξιῶ δὲ μὴ διὰ τοῦτο ἀτυχῆσαι ὧν δέομαι, ὅτι οὐκ 
ἐραστὴς dv σοῦ τυγχάνω. Ὥς ἐκείνους μὲν τότε μετα- 


A 


« μέλει...» 

ΣΩ. Παῦσαι. Τί δὴ οὖν οὗτος ἁμαρτάνει καὶ ἄτεχνον 
ποιεῖ λεκτέον" À γάρ: 

ΦΑΙ. Ναί. 


ΣΩ. “Ἀρ᾽ οὖν οὐ παντὶ δῆλον τό γε τοιόνδε ὡς, περὶ 


© Ô ἀτέχνων ... ἐντέχνων Heïndorf : ἄτεχνόν ... ἔντ. codd. || 8 
νῦν γε: ν. γέ που Hermi.!l || 9. οὐχ... παραδείγματα : totam sent. 


uel saltem ἱκανὰ damn. Herwerden del. Vollgr. || ἃ τ τὼ λόγω : τῷ΄ 


λόγῳ Β || 5 που : τοι οἱ. Vollgr. || 6e 2 ἡμῖν : ὅμ. B | 7n:n B || 
263 4 2 ἄρ᾽ (et Galen. Hermi.!): ἄρ᾽ B |] τοιόνδε : τοσ. ci. Richards 
| ὡς περὶ μὲν ἔνια : ὥσπερ ei u. Ev. W 


2020. 
ο 


263 


263a 


PHÈDRE 67 


qui pour tout le monde est claire, savoir que, dans des ques- 
tions de ce genre, il y a des points sur lesquels nous sommes 
d'accord, tandis que sur d’autres il y a dissentiment ? 
Paèore, — Je crois comprendre ce que tu dis; parle tou- 
tefois plus clairement encore. 
SOCcRATE. — Quand, nommément, on nous parle de fer ou 


d'argent, est-ce que nous ne pensons pas tous la même chose ? 


Puèpre. — Rien de plus certain. 

SocRATE. — Mais, quand il s’agit du juste et du bon, que 
se passe-t-il ? Chacun ne se porte-t-il pas dans une direction 
différente? Est-ce qu’à nos contestations mutuelles ne 
s'ajoutent pas celles que nous avons avec nous-mêmes ? 


Punèpre. — Hé! absolument. 

SocrATE. — Alors, c’est donc qu’il y a des cas où nous 
sommes en accord, et d’autres, non? 

Paèpre. — C'est cela. 

SocRATE. — Or donc, dans lequel de ces deux cas som- 


mes-nous le mieux dupes de l'illusion et dans lequel des 
deux domaines la rhétorique a-t-elle plus de pouvoir ? 


Paèpre. — Dans celui, la chose est claire, où notre pensée 
est flottante. 
SocrATE. — S'il en est ainsi, l’homme pour qui l'art rhé- 


torique va être l’objet de sa recherche doit avoir commencé 
par instituer une division en règle de ces deux espèces, et par 
se rendre compte de ce qui caractérise chacune d'elles : aussi 
bien celle où la pensée de la foule doit forcément flotter, que 
celle où il n’en est point ainsi. 

Père. — La bonne espèce, en tout cas, Socrate, 1] 
en aura sans doute pris conscience, celui qui se rend compte 
de cela ! 

SocRaTE. — Et puis après, en toute question à laquelle on 
s'attache, je pense qu’on ne doit pas laisser échapper, mais, 
au contraire, percevoir finement auquel des deux genres se 
trouve appartenir le sujet sur lequel on aura à parler. 


pias IT). Mais, pour qu’il se plaise à un tel jeu, il y faut quelque 


influence étrangère, une influence à laquelle, averti par son Démon, 


Socrate sait qu’il eut tort de céder. Ceci vise donc le premier discours 
(cf. 263 d et p. 20, n. 2). 

1. Ici et infra le grec dit errante; ce qui en français suggère l’idée 
d'erreur. Mais il s’agit seulement de distinguer les problèmes dont 


CONS T TC EP 


67 ΦΑΙΔΡῸΣ 


μὲν ἔνια τῶν τοιούτων, δμονοητικῶς ἔχομεν, περὶ δ᾽ ἔνια 
στασιωτικῶς ; , 

ΦΑΙ. Δοκῶ μὲν ὃ λέγεις μανθάνειν. ἔτι δ᾽ εἰπὲ σαφέ- 
στερον. 

ΣΩ. Ὅταν τις ὄνομα εἴπῃ σιδήρου ἢ ἀργύρου, ἄρ᾽ où τὸ 
αὐτὸ πάντες διενοήθημεν ; 

ΦΑΙ. Καὶ μάλα. 

ΣΩ. Ti δ᾽ ὅταν δικαίου ἢ ἀγαθοῦ ; Οὐκ ἄλλος ἄλλῃ 
φέρεται, καὶ ἀμφισθητοῦμεν ἀλλήλοις τε καὶ ἡμῖν αὐτοῖς : 

ΦΑΙ. Πάνυ μὲν οὖν. 

ΣΩ. Ἔν μὲν ἄρα τοῖς συμφωνοῦμεν, ἐν δὲ τοῖς οὔ. 

ΦΑΙ. Οὕτω. 

ΣΩ. Ποτέρωθι οὖν εὐαπατητότεροί ἐσμεν, καὶ À ῥητο- 
piki ἐν ποτέροις μεῖζον δύναται : 

ΦΑΙ. Δῆλον ὅτι ἐν οἷς πλανώμεθα. 

ΣΩ. Οὐκοῦν τὸν μέλλοντα τέχνην ῥητορικὴν μετιέναι 
τιρῶτον μὲν δεῖ ταῦτα δδῷ διηρῆσθαι, καὶ εἰληφέναι τινὰ 
χαρακτῆρα ἑκατέρου τοῦ εἴδους, ἐν ᾧ τε ἀνάγκη τὸ πλῆθος 
πιλανᾶσθαι καὶ ἐν ᾧ μή. τ 

ΦΑΙ. Καλὸν γοῦν ἄν, ὦ Σώκρατες, εἶδος εἴη κατα- 
νενοηκὼς ὃ τοῦτο λαβών. 

ΣΩ. Ἔπειτά γε, οἶμαι, πρὸς ἑκάστῳ γιγνόμενον μὴ 
λανθάνειν, ἀλλ᾽ ὀξέως αἰσθάνεσθαι περὶ οὗ ἂν μέλλῃ ἐρεῖν 
ποτέρου ὃν τυγχάνει τοῦ γένους. 

ἃ 3 τῶν τοιούτων : τῶν ὄντων em. Coislin. 155 Thomps. τῶν 
ὀνομάτων Richards Vollgr. || ὁμονοητικῶς B2 (post em. rescrips. fors. 
pr. m.): οὐ μόνον ποιητιχῶς B (ut uid.) || 4 στασιωτιχῷῶς : στασιαστ- 
Galen. |] 5 ὃ λέγεις : ὀλίγον Galen. || 7 ὄνομα : -u” B || ἄρ᾽ (et Galen- 
Hermi.!) : ἄρ᾽ Β || τὸ (et Galen.) : τοῦτο Hermi.! || 11 ἀμφισδητοῦμεν : 
-τεῖται Galen.” || ἡμῖν (et Galen.): ëv ἡ. W {|| b 3 ποτέρωθι (et 
Hermi.): -θεν Galen. || οὖν (et Galen.): om. Hermi. || 4 δύναται : ὃ, 
εἶναι Galen. || 7 δεῖ: δὴ Galen." || διῃρῆσθαι (et Hermi.): ηὗρ. 
Galen. || 8 πλῆθος (et Galen.): εἶδος BW? γρ. || © 1 χαλὸν (et 
Galen. Hermi.!) : μᾶλλον uel κάλλιον Badham χαλῶς (uel καλόν tt) 
Vollgr. || εἶδος (et Galen.): addub. Richards del. Vollgr. {| εἴη : εἴη 


ἂν Galen. || 2 τοῦτο (et Galen.): -τον (sc. τὸν χαραχτῆρα [ef. b 7 sq.]) 
Badham Vollgr. 


263a 


263c 


264 


PHÈDRE 68 


Puèpre. — Pourquoi pas ? 

SOCRATE. — Eh bien! et l’amour? Devrons-nous pré- 
tendre qu’il appartient à la classe des choses qui sont sujettes 
à contestation, ou de celles qui ne le sont pas! 9 

Pnèpre. — De celles qui sont sujettes à contestation, c’est 
évident : autrement, penses-tu qu'il eût été possible pour toi 
d’en parler comme justement tu viens d’en parler, le donnant 
aussi bien pour être dommageable à celui qui aime comme 
à celui qui est aimé, que pour être, au rebours, le plus grand 
des biens ? 


Socrate, — Tu parles d’or ! Mais dis-moi ceci encore (de 


vrai, j'étais en effet dans un tel état de possession que je ne 
m'en souviens pas tropl): est-ce qu'en commençant mon 
discours j'ai donné de l’amour une définition ὃ 

Paèpre. — Oui, par Zeus, et avec une incroyable rigueur? ! 

Socrare. — Miséricorde ! Quelle supériorité, à t’entendre, 
l’art des Nymphes, filles d’Achéloüs, et de Pan, fils d'Hermès, 
n’a-t-il donc pas, en matière d’éloquence, sur celui de Lysias, 
fils de Céphale* ! Ou bien ne dis-je rien qui compte, et 
tout au contraire Lysias, quand il a commencé son discours 
sur l’amour, nous a-t-il forcés à concevoir l’amour comme la 
réalité particulière que lui-même il voulait nous faire conce- 
voir? Est-ce en rapport à cette notion qu'il a, dès lors, tout 
ordonné et mené au terme la suite de son discours * ? Veux-tu 
qu’une fois de plus nous en lisions le commencement ? 


Puèpre. — Bien sûr, si cela te plaît; mais, à dire vrai, 
ce n’est pas là que se trouve ce que tu cherches ! 

Socrate. —- Lis, que j’entende ses propres paroles. 

Paèpre. — « Quel est mon cas, tu en es instruit, et mon 


« opinion sur l’intérêt que nous avons à la réalisation de ceci, 
« tu l'as entendue. Or, je ne crois pas que ma requête doive 
« valablement échouer pour ce motif que, justement, je ne suis 


l’objet prête, ou non, au doute et à l’incertitude. Or, du caractère de 
l’objet dépend la façon d’en parler (cf. Timée 29 bc). 

1. Comparer Banquet 198 a-199 a (Notice, p. Lxxn). 

2. Voir 237 b-d. 

3. Sur Achéloüs, p. 7, n. 1: Pan, la divinité paysanne, les Nymphes, 
divinités agrestes et fontainières, m'ont mieux guidé que Lysias ne 
l’a été par son art. 

4. C’est l’annonce du second point, sur lequel portera la critique 
jusqu’à 264 e : le défaut de composition. 


OT CES NN 


68 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ΦΑΙ. Τί μήν; 

ΣΩ. Τί οὖν; τὸν ἔρωτα πότερον φῶμεν εἷναι τῶν 
ἀμφισθητησίμων, ἢ τῶν μή ; 

ΦΑΙ. Τῶν ἀμφισθητησίμων δήπου: ἢ οἴει ἄν σοι ἐγχω- 
ρῆσαι εἰπεῖν ἃ νῦν δὴ εἶπες περὶ αὐτοῦ, ὡς βλάβη τέ ἐστι 
τῷ ἐρωμένῳ καὶ ἐρῶντι καί, αὖθις, ὧς μέγιστον τῶν 
ἀγαθῶν τυγχάνει ; 

ZQ. “Apiota λέγεις" ἀλλ᾽ εἰπὲ καὶ τόδε (ἐγὼ γάρ τοι 
διὰ τὸ ἐνθουσιαστικὸν où πάνυ μέμνημαι), εἰ ὡρισάμην 
ἔρωτα ἀρχόμενος τοῦ λόγου. 

ΦΑΙ. Νὴ Δία, ἀμηχάνως γε ὡς σφόδρα. 

ΣΩ. φεῦ, ὅσῳ λέγεις τεχνικωτέρας Νύμφας, τὰς 
᾿Αχελῴου; καὶ Πᾶνα, τὸν Ἕρμοῦ, Λυσίου, τοῦ Κεφάλου, πρὸς 
λόγους εἷναι. Ἢ οὐδὲν λέγω, ἀλλὰ καὶ ὃ Λυσίας, ἀρχόμενος 
τοῦ ἐρωτικοῦ, ἠνάγκασεν ἥμᾶς ὑπολαβεῖν τὸν Ἔρωτα ἕν 


τι τῶν ὄντων ὃ αὐτὸς ἐβουλήθη ; καί, πρὸς τοῦτο ἤδη͵ 


συνταξάμενος πάντα, τὸν ὕστερον λόγον διεπεράνατο ; 
Βούλει πάλιν ἀναγνῶμεν τὴν ἀρχὴν αὐτοῦ ; 

ΦΑΙ. Εἰ σοί γε δοκεῖ: ὃ μέντοι ζητεῖς oùk ἔστ᾽ αὐτόθι. 

ΣΩ. Λέγε, ἵνα ἀκούσω αὐτοῦ ἐκείνου. 

ΦΑΙ. « Περὶ μὲν τῶν ἐμῶν πραγμάτων ἐπίστασαι, καὶ 
« ὧς νομίζω συμφέρειν ἡμῖν τούτων γενομένων, ἀκήκοας. 
« ᾿Αξιῶ δὲ μὴ διὰ τοῦτο ἀτυχῆσαι ὧν δέομαι, ὅτι οὐκ 
« ἐραστὴς dv σοῦ τυγχάνω. Ὥς ἐκείνοις μὲν τότε μετα- 


© 7 πότερον (et Galen.): ποτέρων Hirschig Vollgr. || 9. ἢ οἴει... 
12 τυγχάνει ; Phaedro et ἄριστα λέγεις d 1 Socrati primus trib. 
Heindorf: priora Socratis, altera Phaedri faciunt codd. || à (et 
Galen.) : ἡ Β ἢ T || ἐγχωρῆσαι Galeni cod. Marcian. : συγγ. codd. 
Hermi.! Thomps. || 10 νῦν δὴ : δὴ Galen. νυνδὴ exc. Thomps. 
omnes {{΄ εἶπες : τας Vollgr. || τέ ἐστι : περίεστι Galeni Marcian. || 
11 μέγιστον (et Galen.): μ. ὃν Heindorf Burnet || 12 τυγχάνε: (et 
Galen.): ὧν +. Hirschig Vollgr. || ἃ 2 εἰ : εἰ ἐγὼ ci. Naber || 4 Δία: 
At’ Thomps. Vollgr. || ὡς : om. B Hermi. || 5 λέγεις τεχνιχωτέρας : 
τ. À. Aristid. || 6 Πᾶνα: πάνκα ΒΤ ex πάντα W || λόγους : -ov 
BW || 6 6 ἐπίστασαι : -μαι T || 264 ἃ 2 τότε: τὸ τε B. 


263 ç 


264 


264 a 


PHÈDRE 69 


« pas lon amoureux. La preuve en est que les gens dont je 
« parle en viennent à regretter le bien qu'ils ont pu faire, le 
« Jour où leur désir aura pris fin. ! 

SocrATE. — Point de doute! IL est bien loin, ce semble, 
de faire ce que nous cherchons, cet homme qui ne prend 
même pas le sujet par le commencement, mais plutôt par la 
fin, s’essayant à en faire la traversée en nageant sur le dos à 
reculons ! et qui commence par ce que l’amoureux, quand il 
en aurait déjà fini, dirait au bien-aimé! Est-ce que je n'ai 
rien dit qui compte, Phèdre, mon cher cœur ? ? 


Paèpre. — C'est bien vrai, ma foi, que c’est une fin, 
Socrate, ce dont il traite en s'exprimant ainsi! 
SOCRATE. — Mais que dire du reste? N’a-t-il pas l’air 


d’avoir jeté pêle-mèêle les éléments du sujet ? Ou bien existe-t-il 
quelque évidente nécessité, qui obligeait celui qui vient le 
second dans son discours à être mis à la seconde place, plutôt 
que telle autre des choses qu’il a dites ὃ Quant à moi, comme 
je n'y connais goutte, j'ai eu en effet l'impression que, bra- 
vement, l'écrivain les disait comme ils lui arrivaient ! Connais- 
tu, toi, quelque nécessité logographique qui l’ait obligé, lui, 
de mettre ainsi ces éléments à la file les uns à côté des autres? 


Puaèpre. — Tu es bien honnète de me juger capable de 
discerner ses intentions, à lui, avec une pareille précision ! 
SOCRATE. — Voici pourtant une chose au moins que tu 


affirmerais, je pense: c’est que tout discours doit être 
constitué à la façon d’un être animé: avoir un corps qui 
soit le sien, de façon à n'être ni sans tête ni sans pieds, mais 
à avoir un milieu en même temps que deux bouts, qui aient 
été écrits de façon à convenir entre eux et au tout‘. 
Puèpre. — Comment le nier en effet ὃ 
SocraTE. — Eh bien ! examine donc si le discours de ton 


1. Cette fois Phèdre a lu une phrase de plus, et c’est sur le der- 
nier mot que va repartir l'examen. — Lysias est comparé à un 
nageur qui, ayant un but, s’interdit de le voir puisqu'il « fait la 
planche », et qui de plus s’en éloigne en nageant à reculons. 

2. Le grec dit : tête chère ; expression homérique (Il. VIIT 481). 

3. Peut-être l’Art a t-il des exigences secrètes! Socrate feint naïve- 
ment de les ignorer : c’est le procédé de l'ironie. 

4. Voir plus bas 268 d et Notice, section III. Cette idée de l’unité 
organique de toute construction de la pensée est profonde chez Pla- 
ton, en relation avec sa conception finaliste du cosmos lui-même. 


ES rl CE 


sb dE bd 


69 τ ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 
« μέλει ὧν ἂν εὖ ποιήσωσιν, ἐπειδὰν τῆς ἐπιθυμίας 


« παύσωνται... » 

ΣΩ. Ἢ πολλοῦ δεῖν ἔοικε ποιεῖν ὅδε γε ὃ ζητοῦμεν, ὃς 
οὐδὲ ἀττ᾽ ἀρχῆς, ἀλλ᾽ ἀπὸ τελευτῆς ἐξ ὑπτίας ἀνάπαλιν 
διανεῖν ἐπιχειρεῖ τὸν λόγον, καὶ ἄρχεται ἀφ᾽ ὧν πεπαυ- 
μένος ἂν ἤδη ὃ ἐραστὴς λέγοι πρὸς τὰ παιδικά. ᾿Ἢ οὐδὲν 
εἶπον, Φαῖδρε, φίλη κεφαλή ; 

ΦΑΙ. Ἔστι γέ τοι δή, ὦ Σώκρατες, τελευτή, περὶ où 
τὸν λόγον ποιεῖται. 

ΣΩ. Τί δὲ τἄλλα ; Οὐ χύδην δοκεῖ βεθλῆσθαι τὰ τοῦ 
λόγου; Ἢ φαίνεται τὸ δεύτερον εἰρημένον ἔκ τινος 
ἀνάγκης δεύτερον δεῖν τεθῆναι ἤ τι ἄλλο τῶν ῥηθέντων ; 
᾿Εμοὶ μὲν γὰρ ἔδοξεν, ὡς μηδὲν εἰδότι, οὐκ ἀγεννῶς τὸ 
ἐπιὸν εἰρῆσθαι τῷ γράφοντι: σὺ δ᾽ ἔχεις τινὰ ἀνάγκην 
λογογραφικὴν ἧ ταῦτα ἐκεῖνος οὕτως ἐφεξῆς παρ᾽ ἄλληλα 
ἔθηκεν ; 

ΦΑΙ. Χρηστὸς εἶ, ὅτι με ἡγῇ ἱκανὸν εἶναι τὰ ἐκείνου 
οὕτως ἀκριθῶς διιδεῖν.͵ 

ΣΩ. ᾿Αλλὰ τόδε γε, οἶμαί, σε φάναι ἂν δεῖν πάντα 
λόγον ὥσπερ ζῷον συνεστάναι, σῶμά τι ἔχοντα αὐτὸν 
αὗτοῦ ὥστε μήτε ἀκέφαλον εἶναι μήτε ἄπουν, ἀλλὰ μέσα 
τε ἔχειν καὶ ἄκρα, πρέποντα ἀλλήλοις καὶ τῷ ὅλῳ γεγραμ- 
μένα. 

ΦΑΙ. Πῶς γὰρ où; 

ΣΩ. Σκέψαι τοίνυν τὸν τοῦ ἑταίρου σου λόγον εἴτε 


a5 n (et Hermi.l) : n Β {|| ζητοῦμεν ὃς : -τούμενος Β || 7 
διανεῖν : -νύειν ΒΞ rec. (exp. et vu 5. u.) || ὃ ἐραστὴς : -θεὶς codd. || 9 
Φαῖδρε : ὦ D. Vindob. 32 Hirschig || Ὁ 1 ἔστι: -τιν codd. || δή : ἤδη 
Badham Vollgr. || περὶ... ποιεῖται : auct. Heindorf addub. Schanz || 
3 δὲ (et Hermi.!): δαὶ T || τἄλλα : τἄλ. Β τᾶλ, W τὰ ἄλ. Hermi.! || 
εἰ ἢ τὴ T {|| 5 δεῖν τεθῆναι : δὴ τ. Schanz Vollgr. del, ci. δεῖν ns 

g || 6 ἀγεννῶς : ἀτενῶς ci. Naber || 8 % : ἢ B reuera {| 10 με: 
Β Ἵ ἡγεῖ : -ἢ W||c3 σῶμά τι T reuera: σώματι B || αὑτοῦ : μὶ 
codd. || 4 pr. μήτε B? (ex ο fecite): μὴ το B |] εἶναι : post ἄπουν 
Hermi. || 5 τε: τ᾽ TW || πρέποντα (et Dionys. Ars rhet. X 6 [Il!, 
36417]): πρεπόντως Vollgr. || 7 ἑταίρου : Eté. W. 


264a 


264 c 


265 


PHÈDRE » 70 


ami est dans ce cas, ou bien si c’est autrement: tu ne le 
trouveras pas du tout différent, alors, de l’épitaphe qui, dit- 
on, fut faite pour Midas le Phrygien! 

Puèpre. — Quelle est-elle et quelle en est l’histoire? 

SOCRATE. — En voici la teneur: « Vierge de bronze, au 
« tombeau de Midas j'ai place ; — tant que coulera l'eau, ver- 
« doieront les grands arbres, — firée au même lieu, sur le tertre 
« où l’on pleure, — aux passants je dirai: Là, sous terre est 
« Midas ! ! » Or, il est complètement indifférent que tel élément 
en soit dit le premier ou le dernier : tu le comprends assez, 
je suppose ! 

Paèpre. — Tu railles notre discours, Socrate. 

SOCRATE. — Eh bien! pour que, toi, 
tu n’aies pas de chagrin, laissons-le donc 
en paix, ce discours ! Ce n’est pas pour- 
tant qu'à mon avis il n’abonde en exemples sur lesquels il y 
aurait profit à fixer les yeux, en essayant de ne les guère 
imiter! Venons-en plutôt aux discours qui ont suivi: ils 
contenaient en effet, voilà mon avis, quelque chose qu'il 
convient d'envisager quand on veut examiner la question de 
l'éloquence. 

Paèpre. — De quelle nature, dis-moi, est la chose dont 
tu parles ? 

Socrate. — C’est qu'ils étaient tous deux contraires en 
quelque sorte ?, puisqu'ils disaient : l’un, qu'il faut accorder 
ses faveurs à l’homme qui aime ; l’autre, à celui qui n'aime 
pas. 

Puèore. — Et quelle n’était pas leur ardeur ! 

SocraTe. — Je pensais que tu dirais le vrai mot: leur 
délire! Et ce qu’en vérité j'avais en vue, c'était cela même. 
Un délire: voilà en effet ce que nous avons affirmé qu'est 
l'amour. C’est bien cela 9 

Paire. — Oui. 

Socrate. — Mais le délire, sais-tu, comporte deux espèces, 


— des deux discours 
de Socrate. 


1. Épigramme attribuée à (iléobule de Lindos, parfois nommé 
parmi les Sept Sages, et raillée par Simonide dans une de ses odes 
(fr. 6 Bergk). Dans Diogène Laërce qui la cite (I 6, 2), elle a deux 
autres vers, pure amplification du second, 

2. La contrariété met en évidence deux espèces d’un genre : heu- 
reuse chance (fin de 262 c et de 265 c) pour qui voudra diviser | 


70 ΦΑΙΔΡΟΣ 2640 
οὕτως εἴτε ἄλλως ἔχει" καὶ εὑρήσεις τοῦ ἐπιγράμματος 
οὐδὲν διαφέροντα ὃ Μίδᾳ τῷ Φρυγί φασί τινες ἐπιγε- 
γράφθαι. 
ΦΑΙ. FMotov τοῦτο, καὶ τί πεπονθός ; d 
ZQ. Ἔστι μὲν τοῦτο τόδε" 


Χαλκῇ παρθένος εἶμί, Μίδα δ᾽ ἐπὶ σήματι κεῖμαι. 
Ὄφρ᾽ ἂν ὕδωρ τε νάῃ καὶ δένδρεα μακρὰ τεθήλῃ, 
αὐτοῦ τῇδε μένουσα πολυκλαύτου ἐπὶ τύμθου, 
ἀγγελέω παριοῦσι Μίδας ὅτι τῇδε τέθαπται. » 


ES. ἋΣ τὴ 


Ὅτι δ᾽ οὐδὲν διαφέρει αὐτοῦ πρῶτον ἢ ὕστατόν τι λέγεσθαι, 6 
ἐννοεῖς που, ὡς ἐγῷμαι. 

ΦΑΙ. Σκώπτεις τὸν λόγον ἡμῶν, ὦ Σώκρατες. 

ΣΩ. Τοῦτον μὲν τοίνυν, ἵνα μὴ σὺ ἄχθῃ, ἐάσωμεν. 
καΐτοι συχνά γε ἔχειν μοι δοκεῖ παραδείγματα πρὸς ἅ 
τις βλέπων ὀνίναιτ᾽ ἄν, μιμεῖσθαι αὐτὰ ἐπιχειρῶν μὴ 
πιάνυ τι. Εἷς δὲ τοὺς ἑτέρους λόγους ἴωμεν" ἦν γάρ τι ἐν 
αὐτοῖς, ὡς δοκῶ, προσῆκον ἰδεῖν τοῖς RARE ES περὶ 
λόγων σκοπεῖν. 

ΦΑΙ. Τὸ ποῖον δὴ λέγεις ; 265 

ZQ. ’Evavtio που ἤστην᾽ ὃ μὲν γὰρ ὡς τῷ ἐρῶντι, ὃ 
δ᾽ ὡς τῷ μή, δεῖ χαρίζεσθαι ἐλεγέτην. 

ΦΑΙ. Καὶ μάλ᾽ ἀνδρικῶς. 

ΣΩ. Ὥιμην σε τἀληθὲς ἐρεῖν, ὅτι μανικῶς" ὃ μέντοι 
ἐζήτουν ἐστὶν αὐτὸ τοῦτο. Μανίαν γάρ τινα ἐφήσαμεν 
εἶναι τὸν ἔρωτα᾽ À γάρ: 

ΦΑΙ. Ναί. 

ΣΩ. Μανίας δέ γε εἴδη δύο, τὴν μὲν ὕπὸ νοσημάτων 


© 10 φασί: -σίν ΒΤ || ἃ 8 Μίδα (( ex em. W): -ᾳ Β || 6 πα- 
Ῥιοῦσι : -σιν W [16 1 ὅτι... à ἐγῷμαι : del. ci. Naber || 8 ἡμῶν T? rec. 
{i. m.) (et Hermi.!): om. T || 4 ἐάσωμεν: ἐάσο. W || 5 γε... oxet : 
om. Hermi.! || 6 βλέπων (et Hermi.).… μιμεῖσθαι : BA. μὲν... μ. δ᾽ 
Heindorf Vollgr. || 7 tt: τι εὐφυὴς ὧν uel ἀφυὴς Winckelm. || εἰς : 
εἰ W ἐπὶ Hermi. || ἐτέρους (et Hermi.!) : état. B || 265 4 7 à 
Stob.) :  T n B || 9 γε: om. Stob. Hermi. 


265 a 


PHÈDRE ητ 


l’une qui est due à des maladies humaines, l’autre, ἃ un état 
divin qui nous fait sortir des règles coutumières. 

Puèpre. — Absolument, ma foi! 

SOocRATE. — Quant au délire divin, nous l’avons divisé en 
quatre sections qui relèvent de quatre dieux, rapportant à 
Apollon l'inspiration divinatoire, à Dionysos l'inspiration 
mystique, aux Muses l'inspiration poétique, la quatrième 
enfin à Aphrodite et à l'Amour; nous avons alors proclamé 
l'excellence supérieure de l'amourcux délire‘. Et voici que, 
je ne sais comment, tandis qu’en nous faisant une image de 
l'émotion amoureuse nous mettons probablement la main sur 
quelque vérité, mais peut-être bien aussi nous fourvoyons- 
nous d’un autre côté?, voici que, ayant ainsi composé un 
mélange oratoire qui n'était pas tout à fait sans force persua- 
sive, c’est d’une sorte d’hymne mythologique que nous 
avons, en un badinage plein de convenance et de piété?, fait 
honneur à celui qui est ton maître comme le mien, Phèdre, 
à l'Amour sous la garde de qui sont les beaux garçons ! 


Puèpre. — Un hymne, ma parole! qu’il ne m'a pas du 
tout déplu d’entendre. 
SocraTE. — Voici donc la leçon que 
La méthode 


nous avons à tirer de cet hymne même, 
de la manière, dis-je, dont le discours 
fut à même de passer du blâme à l’éloge. 

Puèpre. — Comment l’entends-tu donc? 

SOCRATE. — Pour moi c’est évident: dans le reste nous 
n'avons réellement fait que jouer un jeu; mais, dans ces 
choses qu'une heureuse fortune nous a fait dire, il y a deux 
façons de procéder dont il ne serait pas sans intérêt, supposé 
qu’on le puisse, de comprendre techniquement la fonction ὃ. 

Paire. — Et quelles sont-elles ? 

SOGRATE. — La première : vers une forme unique mener, 


dialectique. 


1. Socrate a dit en effet que l’amour est un délire; que le pro- 
phétisme est une illumination exceptionnelle ; que la divination 
inspirée n’a rien de commun avec l’art augural ; que l’ouvrier en 
poésie n’est pas un poète; qu’il n’y a pas d'amour sans un élan 
désintéressé du cœur ; il a distingué quatre espèces du délire (244 a 
sqq., 249 d sqq.). Mais cette théologie du délire est nouvelle. ἡ 

2. Dans le rappel lyrique des visions abolies ? Dans les allusions au 
dérèglement de l’amour? Plutôt parce qu’un mythe n’est pas la vérité. 

3. Le contenu de l'hymne est un mythe et ce mythe est un jeu ; 


ΡΥ γον αν 


71 ΦΑΙΔΡῸΣ 


ἀνθρωπίνων, τὴν δὲ ὑπὸ θείας ἐξαλλαγῆς τῶν εἰωθότων 
νομίμων γιγνομένην. 

ΦΑΙ. Πάνυ γε. 

ΣΩ. Τῆς δὲ θείας τεττάρων θεῶν τέτταρα μέρη διελό- 
μενοι, μαντικὴν μὲν ἐπίπνοιαν ᾿Απόλλωνος θέντες, Διο- 
νύσου δὲ τελεστικήν, Μουσῶν δ᾽ αὖ ποιητικήν, τετάρτην 
- δὲ ᾿Αφροδίτης καὶ Ἔρωτος, ἐρωτικὴν μανίαν ἐφήσαμέν τε 
ἀρίστην εἶναι. καί, οὐκ οἷδ᾽ ὅπῃ, τὸ ἐρωτικὸν πάθος 
ἀπεικάζοντες, ἴσως μὲν ἀληθοῦς τινος ἐφαπτόμενοι, τάχα 
δ᾽ ἂν καὶ ἄλλοσε παραφερόμενοι, κεράσαντες OÙ παντά- 
πασιν ἀπίθανον λόγον, μυθικόν τινα ὕμνον προσεπαίσαμεν, 
μετρίως τε καὶ εὐφήμως, τὸν ἐμόν τε καὶ σὸν et 
Ἔρωτα, ὦ Φαῖδρε, καλῶν παίδων ἔφορον. 

ΦΑΙ. Καὶ μάλα ἔμοιγε oùk ἀηδῶς ἀκοῦσαι. 

ΣΩ. Τόδε τοίνυν αὐτόθεν λάθωμεν, ὡς ἀπὸ τοῦ ψέγειν 
τιρὸς τὸ ἐπαινεῖν ἔσχεν ὃ λόγος μεταθῆναι. 

ΦΑΙ. Πῶς δὴ οὖν αὐτὸ λέγεις ; 

ZQ. ’Epol μὲν φαίνεται τὰ μὲν ἄλλα τῷ ὄντι παιδιᾷ 
πεπαῖσθαι, τούτων δέ τινῶν, ἐκ τύχης ῥηθέντων, δυοῖν εἰδοῖν 
εἶ αὐτοῖν τὴν δύναμιν τέχνῃ λαθεῖν δύναιτό τις οὖκ ἄχαρι. 

ΦΑΙ. Τίνων δή ; 

ΣΩ. Εἰς μίαν τε ἰδέαν, συνορῶντα, ἄγειν τὰ πολλαχῇ 


a 10 ἐξαλλαγῆς (et Stob.): ἐξ ἀλλ. W || εἰωθότων νομίμων (et 
Stob.) : εἰω. ci. del. Schneider νου. del. Vollgr. || b 2 τεττάρων θεῶν 
(et Stob.) : fors. non legit Hermi. 560]. Schanz del. Vollgr. || 5 τε: 
om. Stob. || © 1 ἀπίθανον λόγον : ἀπ. λόγου BT -θάνῳ λόγῳ Schleierm. 
|| ὕμνον : postea interpung. Heindorf Ast || ἡ ἔμοιγε : ἐμοὶ μέν T || 8 
pr. μὲν : δὲ Galeni codd. || τὰ μὲν ἄλλα (et Galen.) : τὰ ἄλλα uel τἄλλ. 
Hermi.! || παιδιᾷ (et Galen.) : -δία B fors. non legit Hermi. || 9 
πεπαῖσθαι (et Galen.): πεπέ. B πεπαΐχθαι Galen." Hermi. uel rexpäy." 
(sed referri uid. ad προσεπαίσαμεν © 1) || τινῶν ... ῥηθέντων (et 
Galen. Stob.): τι νῷν ... ῥηθὲν τὸ τοῖν Badham || ῥηθέντων : «τοῖν 
Hermi. || εἰδοῖν (et Stob.): εἴδοιν Β εἰδῶν Galen. {| d 1 αὐτοῖν : -τὴν 
W (cf. 256 c 2) Galen. Stob. uulg. -τὸς Galeni Marcian. || τέχνῃ 
(etGalen. Hermi.!) : -vnv Stob. || δύναιτό (et Stob.): δύναταί Galeni 
Marcian. || 3 εἰς (et Galen. Stob. Hermi.!) : τὸ εἰς (sicut e 1) Vollgr. || 
συνορῶντα (et Galen. Stob.): συνείροντα auct. Naber Vollgr. 


265 æ 


. 2654 


266 


PHÈDRE 73 


grâce à une vision d'ensemble, ce qui est en mille endroits 
disséminé, afin que, par la définition de chacune de ces 
unités‘, on fasse voir clairement quelle est celle sur laquelle 
on veut, en chaque cas, faire porter l'instruction. C’est ce 
que nous fimes naguère à propos de l’amour: voilà ce qu’il 
est d’après notre définition ; et, que la formule de celle-ci 
fût bonne ou mauvaise, à tout le moins l’effet en a été de 
mettre le discours en état de réaliser, en ce qu’il disait, la 
clarté et l’accord avec soi-même. 

Puaèpre. — Et l’autre façon de procéder, qu'est-ce que tu 
en dis, Socrate? 

SOCRATE. — C’est, en retour, d’être capable de détailler 
par espèces ?, en observant les articulations naturelles; c’est 
de s'appliquer à n’en casser aucune partie et d'éviter les 
façons d’un méchant dépeceur. Tout au contraire, c’est de 
procéder comme tout à l’heure avec les deux discours qui, 
dans l’unité d’une forme commune, comprenaient ce qui est 
démence de l'esprit ; mais, tout ainsi que d’un corps unique 
partent des membres qui, de nature étant doubles et de 
même nom, sont désignés comme gauches ou droits, de 
même aussi le fait du dérangement d'esprit, après avoir été, 
en nous, considéré par les deux discours comme une espèce 
naturellement unique, a été taillé du côté gauche par l’un 
des deux, et celui-ci, taillant à nouveau, n’a point eu de 
relâche qu'il n'eùt, de ce côté, découvert une sorte gauche 
d'amour, qu'il a vilipendé et tout à fait légitimement ; le 


mais, ce jeu étant ce qu’il doit être, il s’ensuit que l’objet en est 
vraisemblable. Or, dans ce délassement on va trouver les indices 
d’une méthode sérieuse. On le comprend si l’on se rappelle que le 
mythe est, comme dit le Timée 59 cd, le « plaisir exempt de 
remords » du dialecticien qui sait la vérité (cf. 262 d). 

1. Le grec dit simplement chaque chose, au neutre. Or il ne peut 
s’agir de chacun des éléments de la multiplicité, mais seulement de 
chaque résultat de l’acte qui réduit la multiplicité à Funité, c.-à-d. 
en somme de chaque unité (cf. 249 bc). Quant à la vision d'ensemble, 
ou synoptique, qui permet cette réduction, c’est ce qui s’appellera, 
266b, le rassemblement. Par cette aptitude la République (VIT 537 c) 
caractérise le dialecticien, et les Lois (XII 965 b), les membres du 
Conseil nocturne, qui en sont la réplique. 

2. Sur la division, Notice, p. czvur sq. La dualité du plan organique, 
on le voit, est le principe du procédé dichotomique, dont l’application 
au délire et à l’amour répond à chacun des deux discours. 


4 


Sn tabs Ath dar à 


73 | ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


διεσπαρμένα, ἵνα, ἕκαστον δριζόμενος, δῆλον ποιῇ περὶ 
οὗ ἂν ἀεὶ διδάσκειν ἐθέλῃ: ὥσπερ τὰ νῦν δὴ περὶ ἔρωτος, 
ὃ ἔστιν δρισθὲν εἴτ᾽ εὖ εἴτε κακῶς ἐλέχθη, τὸ γοῦν σαφὲς 
καὶ τὸ αὐτὸ αὑτῷ ὁμολογούμενον, διὰ ταῦτα ἔσχεν εἰπεῖν 
ὃ λόγος. 

ΦΑΙ. Τὸ δ᾽ ἕτερον δὴ εἶδος τί λέγεις, ὦ Σώκρατες : 

ΣΩ. Τὸ πάλιν κατ᾽ εἴδη δύνασθαι διατέμνειν κατ᾽ ἄρθρα 
ἣ πέφυκεν, καὶ μὴ ἐπιχειρεῖν καταγνύναι μέρος μηδέν, 
κακοῦ μαγείρου τρόπῳ χρώμενον. ᾿Αλλ᾽ ὥσπερ ἄρτι τὼ 
λόγω τὸ μὲν ἄφρον τῆς διανοίας ἕν τι κοινῇ εἶδος ἐλα- 
θέτην, ὥσπερ δὲ σώματος ἐξ, ἑνὸς διπλᾶ καὶ ὁμώνυμα 
πέφυκε, σκαιὰ τὰ δὲ δεξιὰ κληθέντα, οὕτω καὶ τὸ τῆς 
παρανοίας ὡς ἕν ἐν ἡμῖν πεφυκὸς εἶδος ἡγησαμένω τὼ 
λόγω, ὃ μὲν τὸ ἐπ᾽ ἀριστερὰ τεμνόμενος μέρος, πάλιν 
τοῦτο τέμνων, οὐκ ἐπανῆκεν πρὶν ἐν αὐτοῖς ἐφευρὼν 
ὀνομαζόμενον σκαιόν τινα ἔρωτα ἐλοιδόρησεν, μάλ᾽ ἐν 


ἃ 4 ποιῇ : -εἴ Galeni Marcian. || 5 ἀεὶ Galen. Stob.: αἰ. codd. || 
διδάσχειν (et Stob.): -χων Galen. || ἐθέλῃ : -εἰ Galeni Marcian. || τὰ νῦν 
δὴ (et Galen. Stob.): τανῦν δὴ Hermi.! τὰ νυνδὴ Burnet τὸ νυνδὴ Schanz 
Vollgr. || 6 εἴτ᾽ : εἴτε Galen. Stob. Hermi. || 7 αὑτῷ (et Galen.): 
. αὖ. Stob. || g δὴ (et Stob.): om. Galen. μὴ B || e 1 χατ᾽ εἴδη (et 
Galen. Stob. Hermi.l): χατείδη W χαὶ τὰ el. Madvig ἕχαστ᾽ εἴ, 
Badham del. Vollgr. (Append. crit. 149) || διατέμνειν (et Galen. 
Stob.): τέμν. B et fors. Hermi. || χατ᾽ ἄρθρα (et _Galen. Stob. 
Hermi.): οἷον κατ᾽ &. Stephan. del. ci. Zipperer || 2 % (et Galen.): 
ἡ B || πέφυχεν : -xe Galen. Stob. || ἐπιχειρεῖν (et Galen. Stob.) : 
-poëvra Vollgr. || 3 ἀλλ᾽ : ἀλλὰ TW Stob. || τὼ λόγω Stob. : τῷ 
-w codd. || 266 ἃ τ σώματος (et Hermi.!): -τι Stob. || 2 πέφυχε 

σχαιὰ : -χες χαὶ à sic B x. καὶ ἅττα uel ἄτ. Stob.2 x. τὰ μὲν σ. 
Vollgr. || τὰ δὲ Stob. : τάδε, ἢ codd. (n B) || τὸ : τὰ Stob. || 3 παρα- 
γοίας (18. u. T): -οινίας Stob. Il ὡς (et Stob.): del. Vollgr. [[ ἕν ἐν 
ἡμῖν Heindorf : ἐν ἡ. TW Stob. ἐν ὑ. B || ἡγησαμένω τὼ λόγω: vo) 
(-vw B) τῷ -w codd. Stob. (λόγω Stob.») || 4 τὸ : om. Stob. |] à re € 
(et Hermi.) : -ρῷ T Stob. || τεμνόμενος μέρος (et Stob.) : +., εἰς μέρη 
Badham || πάλιν ... τέμνων (et Stob.): del. .Vollgr. Il 4 ἐπανῆκεν: 
-χε W ἀνῇ. Stob. Vollgr. || ἐν αὐτοῖς : ἐν αὐτῷ ci. Vollgr. ἑαυτοῖς 
Stob.n || 5 ὀνομαζόμενος : -νον Stob. || ἐλοιδόρησεν : -σε W Stob. 
Hermi. 


ΤΥ 8, "10 


265 ἃ 


266 


| 266a 


PHÈDRE 73 


second discours, nous menant à ce qui est le côté droit du 
délire, lequel porte le même nom que l’autre, a découvert à 
son tour une sorte divine d'amour, et, la présentant aux 
regards, il l’a louée comme la cause pour nous des biens les 


plus grands. 
Paèpre. — On ne peut dire plus vrai! 
SocraTe. — C'est de cela, Phèdre, que je suis pour mon 


compte, oui, fort amoureux: de ces divisions et de ces ras- 
semblements, en vue d’être capable de parler et de penser. 


En outre, si je crois voir chez quelqu'un d’autre une aptitude - 


à porter ses regards dans la direction d'une unité et qui soit 
l'unité naturelle‘ d’une multiplicité, cet homme-là, j'en suis 
le poursuivant, sur la trace qu’il laisse derrière lui, comme 
sur celle d’un Dieu? | Ce qui est vrai aussi, c'est que les hommes 
qui sont aptes à ce faire (ai-je raison, ou non, de les désigner 
ainsi? Dieu le sait! ), jusqu'à présent en tout cas, je les 
appelle des dialecticiens. Pour le moment, quel nom ceux 
qui sont de ton bord et de celui de Lysias doivent-ils recevoir ? 
Ce dont il s’agit, n'est-ce pas cet art oratoire dont l'emploi 
a permis à Thrasymaque et aux autres, et de se rendre 
habiles personnellement à parler, et de donner ce talent à 
d’autres, à ceux qui consentent à leur apporter des présents, 
comme à des rois ὃ 

Punèpre. — Des personnages royaux, c’est vrai, mais non 
pas, à coup sûr, par la connaissance de ce à quoi se rap- 
portait ta question ! Maïs, si ce genre-ci (quant à moi il 
me le semble) reçoit de toi son vrai nom quand tu l’appelles 
dialectique, par contre il me semble que le genre rhétorique 
nous fuit encore ὃ. 


LE ᾿ tu) 

beuriimesiotion : SOCRATE. Comment l’entends tu : 

procédés Est-ce, que par hasard, il y aurait quel- 

rhétoriques que belle étude, que la privation de 

et rhéteurs cette connaissance n’empêcherait pas 
illustres. 


d’être techniquement acquise? IL faut 
absolument que nous n’en fassions point fi, ni toi ni moi, 
mais que nous disions en quoi aussi consiste vraiment ce qu'on 
a laissé de la rhétorique. 

1. Plus souvent on rapporte naturel à aptitude, cf. Notice, p. azrv n. 


2. Fin d’hexamètre et pastiche probable d'Homère. 
3. Phèdre n’a pas compris, ce que dès ses premiers mots (Ὁ) 


ERP 


79 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


δίκη, ὃ δ᾽ εἰς τὰ ἐν δεξιᾷ τῆς μανίας ἀγαγὼν ἡμᾶς, 
δμώνυμον μὲν ἐκείνῳ, θεῖον δ᾽ αὖ τινα ἔρωτα ἐφευρὼν καὶ 
πιροτεινάμενος, ἐπήνεσεν ὡς μεγίστων αἴτιον ἡμῖν ἀγαθῶν. 

ΦΑΙ. ᾿Αληθέστατα λέγεις. 

ΣΩ. Τούτων δὴ ἔγωγε αὐτός τε ἐραστής, ὦ Φαῖδρε, 
τῶν διαιρέσεων καὶ συναγωγῶν, ἵνα οἷός τε ὦ λέγειν τε καὶ 
φρονεῖν. Ἐάν τέ τινα ἄλλον ἡγήσωμαι δυνατὸν εἰς ἕν καὶ 
ἐπὶ πολλὰ πεφυκὸς δρᾶν, τοῦτον διώκω κατόπισθε μετ΄ 
ἴχνιον ὥστε θεοῖο. Καὶ μέντοι καὶ τοὺς δυναμένους 
αὐτὸ δρᾶν, εἰ μὲν ὀρθῶς ἢ μὴ προσαγορεύω θεὸς οἶδεν, 
καλῶ δὲ οὖν μέχρι τοῦδε διαλεκτικούς. Τὰ δὲ νῦν παρὰ 
σοῦ τε καὶ Λυσίου μαθόντας, εἰπὲ τί χρὴ καλεῖν: ἢ τοῦτο 
ἐκεῖνό ἐστιν ἣ λόγων τέχνη, À Θρασύμαχός τε καὶ of 
ἄλλοι χρώμενοι σοφοὶ μὲν αὐτοὶ λέγειν γεγόνασιν, ἄλλους τε 
ποιοῦσιν οἱ ἂν δωροφορεῖν αὐτοῖς, ὡς βασιλεῦσιν, ἐθέλωσιν ; 

ΦΑΙ. Βασιλικοὶ μὲν ἄνδρες, οὐ μὲν δὴ ἐπιστήμονές γε 
ὧν ἐρωτᾶς. ᾿Αλλὰ τοῦτο μὲν τὸ εἶδος ὀρθῶς ἔμοιγε δοκεῖς 
καλεῖν, διαλεκτικὸν καλῶν" τὸ δὲ ῥητορικὸν δοκεῖ μοι 
διαφεύγειν ἔθ᾽ ἡμᾶς. 


ΣΩ. Πῶς φής; Καλόν πού τι ἂν εἴη ὅ, τούτων ἀπο- 
λειφθέν, ὅμως τέχνῃ λαμθάνεται ; Πάντως δ᾽ οὐκ ἀτιμα- 
στέον αὐτὸ σοί τε καὶ ἐμοί, λεκτέον δὲ τί μέντοι καὶ ἔστι 
τὸ λειπόμενον τῆς ῥητορικῆς. 


ἃ 7 τὰ: τὸ Stob. [{ἐν δεξιᾷ (et Stob.): ἐν -α Β ἐν -ἃ W εἰς 
τὰ -ὰ Hermi. || τῆς μανίας (et Stob.) : auct. Egelie del. Vollgr. || 
ἀγαγὼν (et Stob.): ἄγων Egelie || 8 ἐφευρὼν (et Stob.) : del. Vollgr. 
|| καὶ (et Stob.) : secl. Thomps. del. Schanz Vollgr. |} b 1 προτεινά- 
UEVOS : “νόμενος Stob. || 4 διαιρέσεων : ξυναιρ. Pap. C. I συναγωγῶν : 
ξυν. id. || {va : ἵν’ TW Stob. || 5 τινα (et Stob.): τιν᾽ exc. Schanz 
omnes || 6 πεφυχὸς (et Stob.r) : -χότα uulg. -x60” exc. Vollgr. omnes 
I κατόπισθε : -θεν codd. Stob. || 8 ἢ ΒΞ (s. u.): εἰ B ἢ Stob.r || oïdey : 
-de BW Stob. || © 1 τά δὲ νῦν : τὰ v. δὲ ΤΥ τανῦν δὲ Hermi.l τοὺς v. 
δὲ (sc. μαθόντας) Vollgr. || 2 μαθόντας : -τες ΤῊ τοὺς μ. Madvig -ta 
ci. Richards || 3 τέχνη: -νῃ W || 6 ἄνδρες Bekker: ἄνδρες codd. 
Hermi.! ἅν. Vollgr. || 7 τὸ : om. B || ἃ 3 ἔστι : -τιν Hermi.l || 4 τῆς 
ῥητοριχῆς : del. Vollgr. (Append. crit. 150). 


266 a 


266 d 


267 


x  PHÈDRE né 


Puèpre. — Et même, Socrate, une masse de choses, je 
pense: rien qu'avec ce que contiennent les livres qu'on a 
écrits sur l’art oratoire ! 

SOCRATE. — Et même tu as bien fait, oui, de me les rap- 
peler ! Il y ἃ d’abord, si je ne me trompe, le préambule qu’on 
doit prononcer en commençant le discours. Voilà, n'est-il 
pas vrai? ce que tu appelles « les raffinements de l’art » ΄. 

Paèpre. — Oui. 

Socrate. — En second lieu vient maintenant une expo- 
silion et, après elle, les témoignages qui s’y rapportent; en 
troisième lieu, les indices ; en quatrième lieu, les probabilités. 
Et à la preuve s'ajoute, si je ne me trompe, le supplément de 
preuve, au dire du moins de cet homme de Byzance qui 
excelle à ciseler des discours. 

Puaèpre. — C’est du magistral Théodore ? que tu parles ὃ 

SocrATE. — Belle question ! Pour lui, en outre, après la 
réfutation il y a lieu de procéder à un supplément de réfutation, 
dans l’accusation aussi bien que dans la défense. Mais le 
magnifique Événus de Paros, ne l’introduisons-nous pas dans 
la lice, lui qui, le premier, a découvert l’insinuation et l'éloge 
indirect; lui qui a aussi, certains l’assurent, mis en vers 
mnémotechniques le bläme indirect? Quel savant homme, en 
effet ! Et Tisias? Et Gorgias? Les laisserons-nous sommeiller, 
eux qui ont vu que, par-dessus la vérité, c’est la probabilité 
qu'il faut davantage honorer; qui encore, par la force de la 
parole, donnent aux petites choses l'apparence d’être grandes 
et aux grandes, d’être petites; qui mettent de l’archaïsme 
dans ce qui esl nouveau et, dans son contraire, de la nou- 
veauté ; qui, pour discourir sur tout sujet, ont inventé une 
méthode, aussi bien de concision que d’allongement indé- 
fini? Un jour pourtant Prodicus, m’entendant lui parler de 
cette méthode, se mit à rire : « Je suis le seul, me dit-il, 
à avoir découvert quels discours réclame l'Art: ceux qu’il 
réclame ne sont ni longs ni courts, mais d’une juste mesure ! » 


Socrate avait insinué, ce qu’il dira explicitement 269 b, que la dia- 

lectique, art de penser, fonde la rhétorique, art de parler. Celle-ci 

est vaine, on va le voir, si elle n’est pas philosophique (269 d). 

! αν Ainsi alors nommait-on sans doute toutes ces figures de style. 
2. Quoique le Sophiste soit professeur de parole et de style, il 

n’est pas sûr que tous les gens nommés ici aient écrit des traités sur 


74 AIAPOE 


PAI. Kai μάλα που συχνά, ὦ Σώκρατες, τά γ᾽ ἐν τοῖς 
βιθλίοις τοῖς περὶ λόγων τέχνης γεγραμμένοις. 

ΣΩ. Καὶ καλῶς γε ὑπέμνησας. Προοίμιον μὲν οἶμαι 
τιρῶτον, ὡς δεῖ τοῦ λόγου λέγεσθαι ἐν ἀρχῇ᾽ ταῦτα λέγεις 
(ἦ γάρ ;) τὰ κομψὰ τῆς τέχνης. 

ΦΑΙ. Ναί. 

ΣΩ. Δεύτερον δὲ δὴ διήγησίν τινα μαρτυρίας τ᾽ ἐπ᾿ 
αὐτῇ, τρίτον τεκμήρια, τέταρτον εἰκότα. Καὶ πίστωσιν 
οἶμαι καὶ ἐπιπίστωσιν λέγειν τόν γε βέλτιστον λογοδαί- 
δαλον Βυζάντιον ἄνδρα. 

ΦΑΙ. Τὸν χρηστὸν λέγεις Θεόδωρον : 

ΣΩ. Τί μήν; Καὶ ἔλεγχόν γε καὶ ἐπεξέλεγχον, ὡς 
ποιητέον ἐν κατηγορίᾳ τε καὶ ἀπολογία. Τὸν δὲ κάλλιστον 
Πάριον Eünvov ἐς μέσον οὐκ ἄγομεν ; ὃς ὕποδήλωσίν 
τε πρῶτος εὗρεν καὶ παρεπαίνους" οἵ δ᾽ αὐτὸν καὶ 


266 d 


267 


παραψόγους φασὶν ἐν μέτρῳ λέγειν, μνήμης χάρινξας-. 
σοφὸς γὰρ ἁνήρ. Τισίαν δὲ Γοργίαν τε ἐάσομεν εὕδειν, οἵ ὁ 


πιρρὸ τῶν ἀληθῶν τὰ εἰκότα εἶδον ὡς τιμητέα μᾶλλον, τά τε 
αὖ σμικρὰ μεγάλα καὶ τὰ μεγάλα σμικρὰ φαίνεσθαι ποιοῦσι 
διὰ ῥώμην λόγου, καινά τε ἀρχαίως τά τ᾽ ἐναντία καινῶς, 
συντομίαν τε λόγων καὶ ἄπειρα μήκη περὶ πάντων ἀνεῦρον ; 
Ταῦτα δὲ ἀκούων ποτέ μου, Πρόδικος ἐγέλασεν, καὶ μόνος 
αὐτὸς εὑρηκέναι ἔφη ὧν δεῖ λόγων τέχνην᾽ δεῖν δὲ οὔτε 
μακρῶν οὔτε βραχέων ἀλλὰ μετρίων. 


ἃ 7 καὶ (et Pap. C Hermi.l) : del. Vollgr. 560]. ceteri || χαλῶς 
(et id. [ut uid.] Hermi.!) : παγχαλῶς Vollgr. || γε: γ᾽ Hermi.l || 8 ἐν 
ἀρχῇ : ἐπ᾽ à. BW? (π 5. u.) auct. Schanz del. Vollgr. || 9 ñ (et 
Hermi.!): ἢ B || e 4 λογοδαίδαλον (et Cicero Hermi.l) : λόγον δαίδ. 
B || 267 4 3 ἐς : εἰς TW Thomps. Vollgr. || #youev': &E. ci. Richards 
(cf. ἐάσομεν 6) || 4 edpev: -pe W ηὗ. exc. Thomps. omnes || oi δ᾽ 
αὐτὸν : del. ci. Vügelin || 5 φασὶν : del. οἱ. id. || 6 ἁνήρ Bekker : ὁ à. 
Heindorf ἀν. codd. || Τισίαν (et Hermi.!) : Te. ubiq. Burnet Vollgr. || 
δὲ T reuera nequein ras, || ὃ ποιοῦσι : -σιν BW ||b τ ἀρχαίως : ἀ. λέγειν 
(uel διεξιέναι) Vollgr. || 2 ἀνεῦρον : ἂν εὖ. W ἀνηῦ. exc. Thomps, 
omnes || 3 ἐγέλασεν : -σε W || ἡ εὑρηχέναι : ηὗρ. ut supra || réyvnv : 
-m Ald. -νῇ Stephan. cum Ast del. Vollgr. || δεῖν (et corr. Paris. 
1808) : δεινὰ ΒΤ, 


b 


267b 


PHÈDRE 75 


Puèpre. — Le comble de la sagesse, Prodicus, en vérité ! 

SOCRATE. — Et Hippias ? ne parlons-nous pas de lui? Je 
le crois en effet : Prodicus obtiendrait aussi le suffrage de 
l'étranger d’Élis. 

Puëpre. — Pourquoi pas ? 

SOGRATE. — Et Polus, maintenant, comment nous y 
prendrons-nous pour donner une idée de ses Sanctuaires 
oratoires des Muses ‘ ὃ des chapitres, par exemple, du Redou- 
blement, du Style sententieux, du Style imagé ? Et aussi bien, 
son Vocabulaire de Licymnius, cadeau que lui fit ce dernier 
pour la composition de La beauté de la langue? 

Père. — Mais, Socrate, n’y avait-il pas en vérité chez 
Protagoras quelque étude de ce genre? 

SOCRATE. — Oui, mon garçon, une Propriété de la langue, 
et quantité d’autres belles choses... A dire vrai, pour ce qui 
est des discours qui font pleurer lorsque c’est sur les articles 
« vieillesse »et « pauvreté » qu’on les traîne, celui qui en 
cet art est, à mes yeux, passé maître, c'est le colosse de 
Chalcédoine! Homme qui s’est, en même temps, montré 
supérieur pour mettre une foule en fureur et ensuite, 
ces furieux étant soumis à ses enchantements, pour l’apaiser : 
ce sont ses expressions ; sans égal aussi, quel que soit le cas, 
aussi bien pour calomnier que pour dissiper la calomnie '... 
Mais passons à la terminaison des discours : la théorie en est 
commune, semble-t-il, à tous; certains pourtant l’appellent 
récapilulation, tandis que d’autres lui donnent un autre 
nom. 

Paèpre. — Tu parles du résumé, dans lequel, en finissant, 
on rappelle à l’auditoire chacun des points du sujet sur 
lequel on a discouru ? 


la matière. Peut-être aussi Platon pense-t-il plus à ses propres 
contemporains qu’à ceux de Socrate. — Thrasymaque, au livre I de 
la République, défend avec feu une conception de la justice voisine 
de celle de Calliclès (Gorgias). Tisias (cf. 273 a-c), élève de Corax 
et maître de Lysias quand celui-ci vivait à Thurii, peut-être aussi 
Gorgias et Polus, représentent ici l'École sicilienne. Protagoras (infra 
267 d), Prodicus, Hippias sont figures familières de l’ancienne sophis- 
tique. Pour Événus, cf. Phédon 60 d. Voir Notice, p. cLx1 544. 

1. Si ce sont des exemples, c’est, je crois, que les premiers mots 
en italiques sont le titre du livre, dont ce seraient les parties. De 
même, ensuite, pour cette étude qui en rappelle une semblable, de 


-5 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


'ΦΑΙ. Σοφώτατά γε, ὦ Πρόδικε. 

ZA. Ἱππίαν δὲ où λέγομεν ; Οἶμαι γὰρ ἂν σύμψηφον 
αὐτῷ καὶ τὸν ᾿Ηλεῖον ξένον γενέσθαι. 

ΦΑΙ. Τί δ᾽ οὔ: 

ΣΩ. Τὰ δὲ Πώλου πῶς φράσωμεν αὖ Μουσεῖα λόγων, 
ὡς διπλασιολογίαν καὶ γνωμολογίαν καὶ εἴκονο- 
λογίαν; Ὀνομάτων τε Λικυμνίων, ἃ ἐκείνῳ ἐδωρήσατο 
πρὸς ποίησιν Εὐεπείας ; 

ΦΑΙ. Πρωταγόρεια δέ, ὦ Σώκρατες, οὐκ ἦν μέντοι 
τοιαῦτ᾽ ἄττα : 

ΣΩ. ᾿᾽Ορθοέπειά γέ τὶς, ὦ παῖ, καὶ ἄλλα πολλὰ καὶ 
καλά... Τῶν γε μὴν οἰκτρογόων, ἐπὶ γῆρας καὶ πενίαν 
ἑλκομένων, λόγων κεκρατηκέναι τέχνῃ μοι φαίνεται τὸ τοῦ 
Χαλκηδονίου σθένος" ὀργίσαι τε αὖ πολλοὺς ἅμα δεινὸς 
ἀνὴρ γέγονεν, καὶ πάλιν, ὠργισμένοις ἐπάδων, κηλεῖν, ὡς 
ἔφη: διαθάλλειν τε καὶ ἀπολύσασθαι διαβολὰς δθενδὴ 
κράτιστος... Τὸ δὲ δὴ τέλος τῶν λόγων κοινῇ τπιᾶσιν ἔοικε 
συνδεδογμένον εἶναι, ᾧ τινες μὲν ἐπάνοδον, ἄλλοι δ᾽ ἄλλο 
τίθενται ὄνομα. 

ΦΑΙ. Τὸ ἐν κεφαλαίῳ ἕκαστα λέγεις ὕὅπομνῆσαι ἐπὶ 
τελευτῆς τοὺς ἀκούοντας περὶ τῶν εἰρημένων ; 


b 7 Ἱππίαν: -πείαν Β || λέγομεν : λέξ. ci. Richards (cf. ἃ 3) || 
σύμψηφον B?(em.) : σύμφ. B || 8 Ἠλεϊον : ἥλιον Β || 10 φράσωμεν : 
-σομεν TW où φράσο. Schanz Vollgr. ἐάσομεν Winckelm. || αὖ : om. 


W del. Winckelm. ||c 1 ὡς : ὃς TW (cf. ad ο 3 πρὸς ποίησιν) del. - 


Winckelm. χαὶ (ὡς del.) ci. Richards || διπλασιολογίαν (et Hermi.) : 
βραχυλογίαν χαὶ ὃ. (cf. 269 a 7) Vollgr. || 2 Λίχυμνίων : -νιείων Ast 
Schanz -νείω) Vollgr. || ἃ... ἐδωρήσατο : 560]. Ast Schanz del. 
Vollgr. || 3 πρὸς ποίησιν (et cf. Hermi. 2391#) : προσεποίησεν Cornar. 
. πεῖαν (cum προσεποίησεν) Schanz Vollgr. -ἤσατο Ast || εὐεπείας : ac 
Hermi. Heindorf Schanz || 5 ἄττα: ἅτ. BW dx. T || 6 παῖ : τᾶν οἱ. 
Naber || 8 τέχνῃ : -vn ΒΤ {{᾿μοι : om. W {᾿9 Χαλκχηδονίου : Kaky. Her- 
werden, Vollgr. || te(e interpos. W?) : +’ fors. W +0B|| ἃ τ ἀνὴρ: 6 à 
Heindorf ἅν. Bekker et, exc. Thomps., omnes || 2 ὁθενδὴ Paris. 1808 
(ὅθεν δὴ) : ὅθ. δεῖ codd. || 4 ᾧ : ὃ W || δ᾽: δὲ W || 5 τίθενται (et Her- 


mogen.) : τιθέντες B. 


267b 


2674 


268 


PHÈDRE "6 
SocraTE. — C’est de cela que je parle... Mais peut-être 
as-tu, toi aussi, quelque chose à dire sur l’art oratoire… 
Puèpre. — Bah! des vétilles, et qui ne méritent pas qu’on 
les dise ! 
SocRATE. — Eh bien! les vétilles au 


Examen critique. : ; 
4 moins, laissons-les de côté. Quant aux 


choses dont nous parlions, regardons-les davantage au grand 
jour, pour voir quelle est et dans quels cas, du point de vue 
de l’art, la vertu qu’elles possèdent. 

Puaèpre. — Une vertu, Socrate, qui est tout à fait puis- 
sante: au moins, c’est évident, dans des réunions populaires ! 

SOCRATE. — Elles la possèdent en effet. Mais pourtant, 
mon divin ami, de ton côté aussi regarde bien si, par hasard, 
il ne t’apparaît pas, à toi comme à moi, que le tissu n’en 
est guère serré. 

Paèpre. — Tu n’as qu'à me le faire voir ! 

SOcRATE. — Eh bien! dis-moi, si l’on venait trouver 
Éryximaque, ton familier, ou bien son père Acoumène, en 
leur‘disant : « Moi je sais administrer aux corps des choses, 
« propres suivant mon intention aussi bien à échauffer qu'à 
« refroidir, et, si c’est mon bon plaisir, à faire vomir ou, si 
« je change d’avis, à faire aller du bas‘ ; plus quantité d’au- 
« tres effets de même sorte ! Et, puisque j'ai ce savoir, j’es- 
« time que je suis capable de guérir, et d’en rendre capable 
« un autre quand je lui aurai transmis la science de ces 
« choses. » En entendant cela, à ton sens que diraient-ils ? 

PHèpre. — Qu’auraient-ils d'autre à faire que de lui 
demander s’il sait en outre, et quels sont ceux qu'il faut 
traiter ainsi, et dans quels cas on doit administrer chaque 
traitement, et dans quelle mesure? 

SocraTe. — Suppose maintenant qu'il leur réponde : 
« Je n’en sais absolument rien. J’estime cependant que 
« celui qui, auprès de moi, s’est instruit de ces choses est en 
« état, lui, de satisfaire à l’objet de ta question. » 


Protagoras ; Polus y aurait inséré une sorte de « Dites..., ne dites 
pas. », œuvre d’un collaborateur bénévole. 

1. L'idée, déjà énoncée 267 ab, cd, reparaît 268 c fin, d fin : en 
tout art l’essentiel serait, sans avoir égard à la vérité, d’être égale- 
ment apte à produire un contraire ou l’autre. — Sur Éryximaque et 
Acoumène (227 a), cf. Banquet, Notice, p. ΧΧΧΥ͂Π, LI sq. 


s 
PE TS 


76 ΦΑΙΔΡΟΣ 

ΣΩ. Ταῦτα λέγω. Καί, εἴ τι σὺ ἄλλο ἔχεις εἰπεῖν λόγων 
τέχνης πέρι... 

ΦΑΙ. Σμικρά γε καὶ οὖκ ἄξια λέγειν. 

ΣΩ. ᾿Εῶμεν δὴ τά γε σμικρά. Ταῦτα δὲ ὕπ᾽ αὐγὰς μᾶλλον 
ἴδωμεν τίνα καὶ πότ᾽ ἔχει, τὴν τῆς τέχνης, δύναμιν. 

ΦΑΙ. Καὶ μάλα ἐρρωμένην, ὦ Σώκρατες, ἔν γε δὴ 
πλήθους συνόδοις. 

ΣΩ. Ἔχει γάρ. ᾿Αλλ᾽, ὦ δαιμόνιε, ἰδὲ καὶ σὺ εἰ ἄρα καὶ 
σοὶ φαίνεται διεστηκὸς αὐτῶν τὸ ἤτριον, ὥσπερ ἐμοί. 

ΦΑΙ. Δείκνυε μόνον. 

ΣΩ. Εἰπὲ δή μοι’ εἴ τις, προσελθὼν τῷ ἕταίρῳ σου 
᾿Ερυξιμάχῳ ἢ τῷ πατρὶ αὐτοῦ ᾿Ακουμενῷ, εἴποι ὅτι" « ᾿Εγὼ 
_« ἐπίσταμαι τοιαῦτ᾽ ἄττα σώμασι προσφέρειν ὥστε θερ- 
« μαΐνειν τ᾽, ἐὰν βούλωμαι, καὶ ψύχειν καί, ἐὰν μὲν δόξῃ 
« μοι, ἐμεῖν ποιεῖν, ἐὰν δ᾽ αὖ, κάτω διαχωρεῖν: καὶ 
« ἄλλα πάμπολλα τοιαῦτα. Kai, ἐπιστάμενος αὐτά, ἀξιῶ 
« ἰατρικὸς εἶναι καὶ ἄλλον ποιεῖν ᾧ ἂν τὴν τούτων ἐπι- 
« στήμην παραδῷ », τί ἂν οἴει ἀκούσαντας εἶπεῖν ; 

ΦΑΙ. Τί δ᾽ ἄλλο γε ἢ ἐρέσθαι εἰ προσεπίσταται καὶ 
οὕστινας δεῖ, καὶ ὅπότε ἕκαστα τούτων ποιεῖν, καὶ μέχρι 
δπόσου : 

ΣΩ. Εἰ οὖν εἴποι ὅτι’ « Οὐδαμῶς. "AA ἀξιῶ τὸν 
« ταῦτα παρ᾽ ἐμοῦ μαθόντα αὐτὸν οἷόν τ᾽ εἶναι ποιεῖν ἃ 
« ἐρωτᾶς; » 


ἃ 8 εἴ : εἰπὲ εἴ Vollgr, et mox εἰπεῖν del. || 268 ἃ 1 ὑπ᾽ αὐγὰς μᾶλλον 
(et Hermi.!) : ὑπαὐγάσμα καλὸν Β || 2 ἴδωμεν (et Hermi.) : σχοπῶμεν 
χαὶ ἴδ. οἱ. Vollgr. || πότ᾽ : ποτ᾽ uulg. Vollgr. || τὴν : τὸ Vollgr. (cf. 
269 c 7) || 3 ἐρρωμένην : alt. p add. 5. u. T || 5 ἔχει γάρ Socratis : 
Phaedri W incertum ap. B || 6 ἤτριον : ἠτρί. codd. || 8 εἰπὲ B? 
(em.): εἴπερ B || προσελθὼν : προελθ. W (sed recte c 4) || 9 ᾿Ερυξι- 
uéyw : del. ci. Naber || ᾿Αχουμενῷ : -ένῳ codd. || 10 ἄττα : ἅτ. codd. 
(B reuera) || σώμασι : -τι W et Vindob. 10g || b 1 μὲν : uñ B ex em. 
ut uid. || 3 ἐπιστάμενος B? rec. (σ supra 0): -ταμένους codd. || αὐτὰ : 
-τὸς Egelie || 4 ἰατρικὸς : -τρὸς T -τροὺς W || 6 δ᾽ ἄλλο γε (et Her- 
mil): γε ἄλλο B | προσεπίσταται : πρὸς ἐπίστασαι W || © 1 ποιεῖν : 
auct. Buttmann 560]. Burnet del. Vollgr. ἐπαίειν Schleiermacher. 


268 


268 c 


269 


PHÈDRE 77 


Puèpre. — Ils diraient, je crois, que cet homme est fou : 
pour en avoir entendu parler quelque part dans un livre ou 
pour avoir mis par hasard la main sur quelques remèdes, 
il se figure être passé médecin, alors qu’il n'entend goutte à 
cet art ! 

Socrate. — Eh bien! suppose qu’à présent ce soit So- 
phocle qu’on vienne trouver, et Euripide, et qu’on leur 
dise : « Je sais, sur de menues matières, composer d’inter- 
« minables tirades, et de toutes menues sur une ample ma- 
« tière; des discours apitoyants s’il me plaît, et, inversement, 
« d’autres qui soient, à leur tour, terribleset menaçants... » 
Et tout le reste à l'avenant, avec l’idée qu’en enseignant 
cela on transmet la recette pour faire une tragédie. 

Puèpre. — Ceux-ci également, Socrate, se riraient, je 
crois, d’un homme qui se figure la tragédie autrement que 
comme l’organisation de ces éléments, et une organisation 
qui convienne à leur rapport mutuel aussi bien qu’à l’en- 
semble ! ! 

SOCRATE. — Mais, au lieu, je pense, de l’invectiver avec 
grossièreté, bien plutôt ils imiteraient un musicien qui, sur 
sa route, rencontrerait un homme se figurant être un har- 
moniste, parce qu’il se trouve savoir comment on s’y prend 
pour faire rendre à la corde le son le plus aigu ou le son le 
plus grave; il n’irait pas lui dire brutalement : « Malheu- 
« reux, tu as le cerveau malade?! ». Au contraire, en musi- 
cien qu’il est, il parlerait plus doux : « S'il est indispen- 
sable, homme excellent, de savoir cela aussi quand on 
veut être un harmoniste, rien n'empêche pourtant qu'on 

n’entende rien, ou presque, à l'harmonie quand on a la 
capacité que tu as ! Tu sais ce que, préalablement à l’har- 
monie, il est indispensable de connaître, mais la matière 
de l'harmonie, tu l’ignores. » 
Puèpre. — Rien de plus juste, assurément. 
SocRATE. — Et ce serait aussi la réponse de Sophocle à 


ον ὗν, AR. 


1. L'importance capitale de l’arrangement, déjà indiquée 236 a, 
symbolisée par la formule de 264 c que Phèdre répète en écho, sera 
de nouveau soulignée 209 c. Cela suppose en tout art un acquis 
préalable, mais qui n’est pas condition suffisante (ib. b fin). 

2. En grec : tu as la bile noire, ce qui pour nous est autre 
chose. 


bal nn 


77 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


PAI.  Εἴποιεν ἄν, οἶμαι, ὅτι μαίνεται ἅνθρωπος καί, ἐκ 
βιθλίου ποθὲν ἀκούσας ἢ περιτυχὼν φαρμακίοις, ἰατρὸς 
οἴεται γεγονέναι, οὐδὲν ἐπαΐων τῆς τέχνης. 

ΣΩ. Ti δ᾽, εἰ Σοφοκλεῖ αὖ προσελθὼν καὶ Εὐριπίδῃ τις 
λέγοι ὃς ἐπίσταται περὶ σμικροῦ πράγματος ῥήσεις παμ- 
μήκεις ποιεῖν καὶ περὶ μεγάλου πάνυ σμικράς, ὅταν τε 
βούληται οἴκτρὰς καὶ τοὐναντίον αὖ φοβερὰς καὶ ἀπει- 
λητικάς" ὅσα τ᾽ ἄλλα τοιαῦτα καί, διδάσκων αὐτὰ τρα- 
γῳδίας ποίησιν οἴεται παραδιδόναι ; 

ΦΑΙ. Καὶ οὗτοι ἄν, ὦ Σώκρατες, οἶμαι, καταγελῷεν εἴ 
τις οἴεται τραγῳδίαν ἄλλο τι εἶναι ἢ τὴν τούτων σύστασιν, 
πρέπουσαν ἀλλήλοις τε καὶ τῷ ὅλῳ συνισταμένην. 

ΣΩ. ᾿Αλλ᾽ οὐκ ἂν ἀγροίκως γε, οἶμαι, λοιδορήσειαν 
ἀλλ᾽, ὥσπερ ἂν μουσικὸς ἐντυχὼν ἀνδρὶ οἰομένῳ ἅρμονικῷ 
εἶναι͵, ὅτι δὴ τυγχάνει ἐπιστάμενος ὡς οἷόν τε ὀξυτάτην 
καὶ βαρυτάτην χορδὴν ποιεῖν, οὐκ ἀγρίως εἴποι ἄν: « Ὦ 
« μβοχθηρέ, μελαγχολᾶς », ἀλλ᾽ ἅτε μουσικὸς dv πραότερον, 
ὅτι. « Ὦ ἄριστε, ἀνάγκη μὲν καὶ ταῦτ᾽ ἐπίστασθαι τὸν 
« μέλλοντα &puovikdv ἔσεσθαι: οὐδὲν μὴν κωλύει μηδὲ 
« σμικρὸν ἁρμονίας ἐπαΐειν τὸν τὴν σὴν ἕξιν ἔχοντα. Τὰ 
« γὰρ πρὸ ἁρμονίας ἀναγκαῖα μαθήματα ἐπίστασαι, ἀλλ᾽ οὐ 
« τὰ ἅρμονικά. » 

ΦΑΙ. ᾿Ορθότατά γε. 

ΣΩ. Οὐκοῦν καὶ ὃ Σοφοκλῆς τόν σφισιν ἐπιδεικνύμενον 


ο 2 εἴποιεν ἄν Stephan. : εἴποι ἄν codd. τί εἴποιεν ἄν ; Socratis supra 
et εἴ, ἄν ibi Phaedri esse censuit. Cornar. Socratis τί εἴ, ἄν Phaedri 
οἶμαι ὅτι Heindorf εἰπεῖν ἄν Burnet || ἅνθρωπος Bekker : ἄνθρ. codd. 
Hermi. ὁ ἄν. Heindorf || 3 βιδλίου : Bu. B || 5 δ᾽ εἰ B?(em.) (et Hermi.! 
dt): δεῖ B || 6 σμιχροῦ : μι. W (sed σμι. 7 ete 5)} 8 αὖ : χαὶ αὖ ΒΤ 
Hermi. del. Heindorf|| ἃ 1 ὅσα +” ἄλλα τοιαῦτα χαὶ διδάσχων : ὅσα τἄλλα 
τ. χ. ὃ. TW καὶ ὅσα ταλλα τ. à. Β || 5 πρέπουσαν (et Hermi.) : τρέ. 
Β || συνισταμένην : auct. Madvig del. Vollgr. || 6 γε: τε  ΤΙ| 6 1 
ἀγρίως : -οίχως (cf. d 6) Osann || ἃ ἀλλ᾽ ἅτε: ἀλλά τε Β [| ἡ οὐδὲν 
μὴν : οὐδεμὴν sic B || 6 πρὸ T? (σ eras.) : πρὸς BT (sed recte 269 ἃ 
2, 3). 


268 ὁ 


269 


269 a 


PHÈDRE 78 


celui qui fait sa parade devant Euripide et devant lui : il sait 
ce qui est préalable à la tragédie, mais non la tragédie; la 
réponse aussi d’Acoumène : il sait ce qui est préalable à la 
médecine, mais non la médecine. 

Paèpre. — Hé! absolument. 

SocraTE. — Voyons ! nous imaginons-nous Adraste aux 
paroles de miel, ou bien encore Périclès, s'ils entendaient ces 
merveilleux artifices qu’à l'instant nous passions en revue, 
ces styles concis et ces styles imagés, tout ce dont encore nous 
disions, après l'avoir parcouru, qu’il faudrait l’examiner au 
grand jour, — les imaginons-nous, dis-je, rudoyant en des 
propos impolis, comme toi et moi par rusticité nous l’avons 
fait ?, quiconque aura, dans ses écrits ou dans son enseigne- 
ment, donné cela pour être la rhétorique ? Ou bien est-ce que, 
plus sages en effet que nous, ils ne nous taperaient pas à 
tous deux aussi sur les doigts en nous disant : « Phèdre, et 
« toi, Socrate, au lieu de les rudoyer, il faut plutôt traiter avec 
« indulgence ceux qui, faute de connaître la dialectique, se 
« seront mis hors d'état de définir l’essence de la rhétorique; 
« ceux qui, du fait de cette ignorance, se sont figuré, parce 
« qu'ils possédaient les connaissances indispensables préala- 
« blement à l’art, avoir découvert la rhétorique ; qui, 
« dis-je, enseignant à d’autres ces choses, estiment qu'ils 
« leur ont en perfection enseigné la rhétorique et, quant à 
« employer en parlant chacune d’elles de façon plausible aussi 
« bienqu’àäen organiser l’ensemble — une tâche qui necompte 
« pas ?—, que c’est à leurs élèves, tout seuls et par leurs 
« propres ressources, de s’en procurer le moyen lorsqu'ils 
« auront à parler » ὃ 

Pare. — Ma foi oui, Socrate, il y a chance que tel soit 
le caractère de l’art que ces personnages, dans leur enseigne- 
ment et dans leurs écrits, donnent pour être l’art oratoire ; 
et je suis d’avis, quant à moi, que tu as dit vrai. Mais alors, 


1. Roi d’Argos, il avait su par sa douce parole apaiser la fureur 
de Thésée. L’épithète paraît venir de Tyrtée (fr. 8, 7 sq. Bergk). 

2. L'expression, et la suite semble y inviter, doit être jointe, je 
crois, à doi et moi ; elle rappelle en effet le reproche que Socrate, en 
même temps qu’à Phèdre, s’est fait à ce sujet, 260 d. 

3. Bien que le texte soit incertain, le sens est clair : puisque c’est 


à leurs yeux chose indifférente d’user, ou non, des figures selon le . 


αν νυν Σὰν RP PTS 


78 | ΦΑΙΔΡῸΣ 


τὰ πρὸ τραγῳδίας ἂν φαίη ἀλλ᾽ où τὰ τραγικά, καὶ ὃ ’Akou- 
᾿μενός, τὰ πρὸ ἰατρικῆς ἀλλ᾽ οὐ τὰ ἰατρικά. 

ΦΑΙ. Παντάπασι μὲν οὖν. : 

ΣΩ. Τί δὲ τὸν μελίγηρυν ΓΑδραστον οἴόμεθα ἢ καὶ 

Περικλέα, εἰ ἀκούσειαν ὧν νῦν δὴ ἡμεῖς διῇμεν τῶν 
παγκάλων τεχνημάτων, βραχυλογιῶν τε καὶ εἴκονο- 
λογιῶν, καὶ ὅσα ἄλλα διελθόντες ὕπ᾽ αὐγὰς ἔφαμεν εἶναι 
σκετιτέα, πότερον χαλεπῶς ἂν αὐτούς, ὥσπερ ἐγώ τε καὶ 
σὺ ὕπ᾽ ἀγροικίας, ῥῆμά τι εἰπεῖν ἀπαίδευτον εἷς τοὺς 
ταῦτα γεγραφότας τε καὶ διδάσκοντας ὡς ῥητορικὴν 
τέχνην ; ἤ, ἅτε ἡμῶν ὄντας σοφωτέρους, κἂν νῷν ἐπι- 
πλῆξαι εἰπόντας" « Ὦ Φαῖδρέ τε καὶ Σώκρατες, οὗ χρὴ 
« χαλεπαίνειν, ἀλλὰ συγγιγνώσκειν εἴ τινες, μὴ ἐπιστά- 
« μενοι διαλέγεσθαι, ἀδύνατοι ἐγένοντο δρίσασθαι τί ποτ᾽ 
« ἔστιν ῥητορική᾽ ἐκ δὲ τούτου τοῦ πάθους, τὰ πρὸ τῆς 
« τέχνης ἀναγκαῖα μαθήματα ἔχοντες, ῥητορικὴν φήθησαν 
« εὑρηκέναι" καί, ταῦτα δὴ διδάσκοντες ἄλλους, ἡγοῦνταί 
« σφισιν τελέως ῥητορικὴν δεδιδάχθαι, τὸ δὲ ἕκαστα 
« τούτων πιθανῶς λέγειν τε καὶ τὸ ὅλον συνίστασθαι, 
« οὐδὲν ἔργον ὄν, αὐτοὺς δεῖν παρ᾽ ἑαυτῶν τοὺς μαθητάς 
« σφῶν πορίζεσθαι ἐν τοῖς λόγοις »; 

ΦΑΙ. ᾿Αλλὰ μήν, ὦ Σώκρατες, κινδυνεύει γε τοιοῦτόν 
τι εἶναι τὸ τῆς τέχνης, ἣν οὗτοι ot ἄνδρες ὡς ῥητορικὴν 
διδάσκουσί τε καὶ γράφουσιν, καὶ ἔμοιγε δοκεῖς ἀληθῆ 

ἃ 2 τὰ τραγιχὰ : τὰ to. ἐπίστασθαι Vollgr. || 5 τί δὲ τὸν (οἱ 
Hermi.l) : τί δαὶ τὸν Τ τίδέ ; τὸν Stephan., et, exc. Burnet, omnes || 
οἰόμεθα : -μεθ᾽ ἂν Hirschig Vollgr. || 6 νῦν δὴ : νυνδὴ exc. Thomps. 
omnes || διῆμεν W? (em.): δίῃμεν T (: mutum superscr.) din. BW || 
8 αὐγὰς: αὐτὰς B || ba ῥῆμά τι: ρήματι Β || 3 ῥητοριχὴν : del. 
Vollgr. || 4 σοφωτέρους : σοφο. W |] 6 συγγιγνώσχειν : συγγιν. W Hermi.! 
118 ἔστιν : -τι W |] ῥητοριχή : ἢ 6. T [[ τ εὑρηχέναι : n9p. exc. Thomps. 
omnes || 2 σφισιν : -σι W |} ἡ οὐδὲν ἔργον ὄν Heindorf : ὡς où. ἔ. ὄν 
Hermi. uel ὡς οὐ, ὃν ἔ, Stephan. οὐ. £. codd. Thomps. Schanz οὐ σφέτερον 
Badham || αὐτοὺς δεῖν : αὐ. δὲ Badham || 5 σφῶν : σφῷν T ἐφῶν B || 
6 γε: om. Β etfors. Hermi. delent, exc. Burnet, omnes || 8 διδάσχουσι 


…. γράφουσιν : -quv … -σιν ΒΤ -σι.... -σι W Aristid. |} δοχεῖς (ex em. 
W ἢ) : -xei B. 


2694 


269 c 


270 


-_ PHÈDRE 79 


l’art de celui qui, en réalité, est à la fois éloquent et persua- 
sif, comment et où est-il possible de se le procurer ? 


SOCRATE. — La possibilité, Phèdre, de 
Troisième section : devenir un parfait jouteur se présente 
an de isemblablement (et sans doute est- 

philosophique;  “'aisemblablemen (et oute est-ce 

1° conditions. du reste une nécessité) de la même 
façon qu'ailleurs : s’il est dans ta nature 
d’être éloquent, tu seras un orateur apprécié à condition d'y 
joindre le savoir et aussi l’exercice‘ ; mais, si l’une quel- 
conque de ces conditions te fait défaut, par là même tu 
seras un orateur imparfait. Quant à ce qui est d’un art 
répondant à cette possibilité, ce n’est pas sur la voie suivie 
et par Lysias et par Thrasymaque qu’en apparaît, à mon 
avis, la méthode. 

Paèpre. — Mais dans quelle voie, alors ? 

SOcRATE. — [Il y a chance, mon bon, que Périclès se 
soit, selon toute apparence, élevé entre tous à la plus haute 
perfection dans l’art oratoire. 

Paèpre. — Et la raison ὃ 

Socrate. — Tous les arts, j'entends ceux qui ont de l’impor- 
tance, exigent en surplus que, touchant la Nature, on 
bavarde et qu'on ait la tête en l'air ? : c'est en effet de là que 
proviennent en eux, semble-t-il, cette sublimité de ‘pensée 
qu’on y trouve et la perfection de la mise en œuvre ! Voilà 
ce que Périclès notamment a possédé, en outre de ses dons 
naturels : c'est, je pense, parce que le hasard mit sur son 
chemin Anaxagore, lequel était un homme de cette sorte ; 
parce qu’il s’est empli de visions en l'air ; parce qu’il en est 
venu à la nature de l'intelligence, aussi bien que de 
l’absence d'intelligence : sujets sur lesquels Anaxagore éten- 
dait abondamment ses propos ὃ. Et ainsi il a tiré de là, en vue 
de l’art oratoire, ce qui s’y adaptait. 

Puèpre. — Comment l’entends-tu ὃ 


bien et le vrai et de respecter l’unité organique du sujet qu’ils 
traitent, ils se dispensent d’enseigner cela à leurs élèves. 
1. Sans doute l’avait-on déjà dit. Du moins chez Platon ce lieu 
commun réçoit-il une valeur précise du sens qu'il y donne à science. 
2. C’est de quoi le Cratyle (οι b) fait honneur à ceux qui ont 
institué le langage et les Nuées (1405, 360), un grief contre Socrate. 
3. Sur ce passage, si riche de sens, voir Notice, p. cxLvIn sq. 


79 ΦΑΙΔΡΟΣ 


εἰρηκέναι. ᾿Αλλὰ δὴ τὴν τοῦ τῷ ὄντι ῥητορικοῦ τε καὶ 
πιθανοῦ τέχνην, πῶς καὶ πόθεν ἄν τις δύναιτο πορί- 


σασθαι; 


ΣΩ. Τὸ μὲν δύνασθαι, ὦ Φαῖδρε, ὥστε. ἀγωνιστὴν 
τέλεον γενέσθαι, εἶκός, ἴσως δὲ καὶ ἀναγκαῖον, ἔχειν 
ὥσπερ τἄλλα: εἰ μέν σοι ὑπάρχει φύσει ῥητορικῷ εἶναι, ἔσει 
ῥήτωρ ἐλλόγιμος, προσλαθὼν ἐπιστήμην τε καὶ μελέτην᾽ 
ὅτου δ᾽ ἂν ἐλλείπης τούτων, ταύτῃ ἀτελὴς ἔσει. “Ὅσον δὲ 
αὐτοῦ τέχνη, oùx À Λυσίας τε καὶ Θρασύμαχος πορεύεται 
δοκεῖ μοι φαίνεσθαι À μέθοδος. 

ΦΑΙ. ᾿Αλλὰ πῇ δή ; 

ΣΩ. Κινδυνεύει, ὦ ἄριστε, εἰκότως ὃ Περικλῆς πάντων 
τελεώτατος εἷς τὴν ῥητορικὴν γενέσθαι. 

ΦΑΙ. Τί δή; 

ΣΩ. Πᾶσαι ὅσαι μεγάλαι τῶν τεχνῶν προσδέονται 
ἀδολεσχίας καὶ μετεωρολογίας φύσεως πέρι" τὸ γὰρ ὕψη- 
λόνουν τοῦτο καὶ πάντῃ τελεσιουργὸν ἔοικεν ἐντεῦθέν ποθεν 
εἰσιέναι. Ὃ καὶ Περικλῆς πρὸς τῷ εὐφυὴς εἶναι ἐκτήσατο᾽ 
τιροσπεσὼν γάρ, οἶμαι, τοιούτῳ ὄντι ᾿Αναξαγόρᾳ, μετεωρο- 
λογίας ἐμπλησθεὶς καὶ ἐπὶ φύσιν νοῦ τε καὶ ἀνοίας ἀφικό- 
μενος, ὧν δὴ πέρι τὸν πολὺν λόγον ἐποιεῖτο ᾿Αναξαγόρας, 
ἐντεῦθεν εἵλκυσεν ἐπὶ τὴν τῶν λόγων τέχνην τὸ πρόσφορον 
αὐτῇ. 

ΦΑΙ. Πῶς τοῦτο λέγεις ; 


d 5 τἄλλα: τᾶλ. T ταλ. Β τὰ ἄλ. W || ῥητοριχῷ Β5 (ὥ 5. u.) 
(et Hermogen.): -χὸς B || et 6 ἔσει (et Aristid.) : -ση W {| 7 ὅτου 
(et Aristid.): ὅπου Ald. Vollgr. || ἐλλείπῃς (et Aristid. Hermog.n 
em.) : ἐλλί. B Thomps. Schanz || ἀτελὴς (et Aristid.) : -λὲς B |] 8% : 
ἢ B || Λυσίας (et Hermi.): Gorgias Ficin. Τισίας Schaefer || 9 φαίνεσ- 
θαι : φέρ. auct. Naber Vollgr. || 270 a 1 xai : x. τὸ TW{|2 τελεσιουργὸν 
(et Plut.) : πγιχὸν ΤῊΝ τελεσίεργον Badham || 4 τοιούτῳ : τῳ B || 5 
ἀνοίας (et Hermi.) : διαν. Vindob. 109 Aristid. (teste Schanz) Bur- 
net ἐνν. apogr. || 6 ὧν B? ἀκ ὃν Β {| πέρι B? rec. : περι Β || 7 
πρόσφορον : προσφέ. B. 


269 c 


270 


270b 
b 


PHÈDRE 80 


SocrATE. — Sans doute en est-il de même pour la méde- 
cine, que précisément pour la rhétorique. 

Paèpre. — Comment, enfin? 

SOcRATE. — Dans l’une et dans l’autre on doit procéder à 
l'analyse d’une nature: dans la première celle du corps, dans 
l’autre celle de l’âme si l’on veut, au lieu de se contenter 
de la routine et de l’expérience, recourir à l’art pour admi- 
nistrer, à l’un remèdes et régime et ainsi produire en lui 
santé et vigueur, à l’autre, propos et occupations en accord 
avec la règle, et ainsi lui communiquer telle conviction et 
telle excellence qu'on souhaite pour elle!. 

Paèpre. — Il y a au moins vraisemblance qu’il en est 
ainsi, Socrate. 

SocrATE. — Mais la nature de l’âme, penses-tu qu’il soit 
possible de la concevoir d’une façon qui vaille d’être men- 
tionnée, indépendamment de la nature du tout? ? 

Paëpre. — Ma foi, si c’est Hippocrate qu’il en faut croire, 
lui qui est un Asclépiade, on ne peut même pas traiter du 
corps sans recourir à cette méthode ! 

SOCRATE. — Il a raison, vois-tu, mon camarade, de dire 
cela. Il faut pourtant, en sus d'Hippocrate, s’enquérir auprès 
de la raison et examiner si la voix de cette dernière sonne 
d’accord avec son dire. 

Paèpre. — Oui, c’est cela. 

SocrATE. — Eh bien ! examine alors ce que sur la Nature 
peuvent bien dire et Hippocrate et la raison. N'est-ce pas 
de la façon que voici qu’il faut se faire une idée sur la 
nature de quoi que ce soit? D'abord, est-il simple ou bien 
multiforme, l’objet touchant lequel nous voudrons être per- 
sonnellement des techniciens, capables aussi de produire en 
autrui le même résultat ? En second lieu, dans le cas où cet 
objet sera simple, en examiner la propriété: quelle est celle 
qu'il possède naturellement, et par rapport à quoi eu égard à 
l'agir ? ou celle qui lui appartient eu égard au pâtir et sous 
l’action de quoi ? Si au contraire l’objet comporte une plu- 
ralité de formes, alors, après les avoir dénombrées, cela 
même qui était envisagé dans le cas de l’unicité le sera pour 
chacune de ces formes : par laquelle est-il dans la nature de 


1. Elle est en effet une psychagogie (261 a; cf. 271 c fin et p. 62, 3). 
2. Pour le sens de ces lignes, cf. Notice, loc. cit. p. 79 n. 3. 


cn ons te, Aeerues δ... - ᾿. 


80 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 

ΣΩ. Ὃ αὐτός που τρόπος τέχνης ἰατρικῆς ὅσπερ καὶ 
ῥητορικῆς. 

ΦΑΙ. Πῶς δή; 


ΣΩ. Ἔν ἀμφοτέραις δεῖ διελέσθαι φύσιν, σώματος μὲν 
ἐν τῇ ἑτέρᾳ, ψυχῆς δὲ ἐν τῇ ἑτέρᾳ, el μέλλεις μὴ τριθῇ 
μόνον καὶ ἐμπειρίᾳ, ἀλλὰ τέχνῃ, τῷ μέν, φάρμακα καὶ 
τροφὴν προσφέρων, ὑγίειαν καὶ ῥώμην ἐμποιήσειν, τῇ δέ, 
λόγους τε καὶ ἐπιτηδεύσεις νομίμους, πειθὼ ἣν ἂν βούλῃ 
καὶ ἀρετὴν παραδώσειν. 

ΦΑΙ. Τὸ γοῦν εἰκός, ὦ Σώκρατες, οὕτως. 

ΣΩ. Ψυχῆς οὖν φύσιν ἀξίως λόγου κατανοῆσαι οἴει 
δυνατὸν εἶναι ἄνευ τῆς τοῦ ὅλου φύσεως ; 

ΦΑΙ. Εἰ μὲν Ἱπποκράτει γε τῷ τῶν ᾿Ασκληπιαδῶν δεῖ 
τι πιθέσθαι, οὐδὲ περὶ σώματος ἄνευ τῆς μεθόδου ταύτης. 

ΣΩ. Καλῶς γάρ, ὦ ἑταῖρε, λέγει. Χρὴ μέντοι, πρὸς τῷ 
Ἱπποκράτει τὸν λόγον ἐξετάζοντα, σκοπεῖν εἰ συμφωνεῖ. 

ΦΑΙ. Φημί. 

ΣΩ. Τὸ τοίνυν περὶ φύσεως σκόπει τί ποτε λέγει Ἵππο- 
κράτης τε καὶ ὃ ἀληθὴς λόγος. ”Ap” οὐχ ὧδε δεῖ δια- 
νοεῖσθαι περὶ δτουοῦν φύσεως ; Πρῶτον μέν, ἅπλοῦν ἢ 
πολυειδές ἐστιν οὗ πέρι βουλησόμεθα εἶναι αὐτοὶ τεχνικοὶ 
καὶ ἄλλον δυνατοὶ ποιεῖν; "Ἔπειτα δέ, ἂν μὲν ἁπλοῦν f, 
σκοπεῖν τὴν δύναμιν αὔτοῦ, τίνα πρὸς τί πέφυκεν εἷς τὸ 
δρᾶν ἔχον, ἢ τίνα εἷς τὸ παθεῖν ὕπὸ τοῦ : ἐὰν δὲ πλείω 
εἴδη ἔχῃ, ταῦτα ἀριθμησάμενον, ὅπερ ἐφ᾽ ἑνὸς τοῦτ᾽ ἰδεῖν 


b 4 iv: om. Β || 5 δὲ : δ᾽ BT || 7 τῇ δὲ : τῷ δὲ B || 8 βούλῃ : 
βουλη Β || 9 παραδώσειν : -σει W || © 2 ὅλου : λόγου Β || 8 uèv (et 
Hermi.l): μ. οὖν Laur. 2643 || y: Heindorf: τε codd. om. Galen. || 
τῶν interpos. T pr. m. ut uid. || ἡ πιθέσθαι: πείθ. TW Thomps. || 
οὐδὲ περὶ : οὐδὲ Cornar. οὐ. τὴν τοῦ Stephan. Vollgr. || 5 τῷ Ἵππο- 
χράτει : τὸν -tn Badham || 7 ἄρ᾽: ἄρ᾽ Β ἀρ’ ΤΊ! ἃ 2 οὗ πέρι... 3 
ποιεῖν : post 1 φύσεως transpon. Vollgr. || 3 δέ, ἂν: δὲ ἐὰν TW 
Thomps. || 4 πρὸς τί : προς τι Β πρός τι TW || 5 ἔχον : ἔχειν Stephan. 
|| ὑπὸ τοῦ : ὃ. τουδε Β ὑπό του TW (οἵ. 8 et 271 ἃ 10) || 6 ἀριθμησά- 
μενον Galen.: xatap. Hermi. ἀριθμησάμενος codd. -σαμένους Ste- 
phan. Vollgr. || ἐφ᾽. ἐπὶ Hermi. 


IV::3;: tr 


\ 


270b 
b 


d 


270 d 


271 


 PHÈDRE ϑι 


l'objet de produire une action, et quelle action ? ou bien par 
laquelle, d’être patient, en quoi et par l’action de quoi ? 

Puèpre. — C’est bien possible, Socrate. 

SOCRATE. — Ce qu’il Υ a au moins de sûr, c’est que, sans 
cela, la méthode aurait toute l'apparence d’une démarche 
d'aveugle ! On ne doit certainement pas se faire une image 
de celui qui avec art poursuit l’étude de quoi que ce soit, en 
le comparant à un aveugle, non plus qu’à un sourd! Il est 
manifeste au contraire que l’enseignement de l'éloquence, s’il 
est donné avec art, fera voir dans sa réalité, avec exactitude, 
la nature de ce à quoi l’élève appliquera ses discours. Or 
cet objet, ce sera sans doute l’âme. 

Paëpre. — Bien sûr | 

SocrATF. — Voilà donc l’objet vers lequel son effort s’est 
tendu tout entier : la persuasion est en effet ce qu'il s’efforce 
d'y produire. N'est-ce pas cela ? 

Puèpre. — Oui. 

SocRATE. — Îl est donc manifeste que Thrasymaque, ou 
tout autre qui donnerait un enseignement sérieux de l’art 
oratoire, commencera par dépeindre l’âme en toute exacti- 
tude, par faire voir s’il est dans sa nature d’être une chose 
une et homogène ou si, à la façon d’un corps, elle est mul- 
tiforme ; car c’est cela, disons-nous, qui est montrer la nature 
d’une chose. 

Puaèpre. — Hé ! absolument. 

SocrATE. — Voici le second point : par le moyen de quoi 
lui est-il naturel de produire une action et laquelle ? ou bien 
de pâtir, et sous l’action de quoi ? 

Paèpre. — Bien sùr ! 

SOCRATE. — Enfin (c'est le troisième point), après avoir 
fait une classification des genres de discours comme des 
genres d’âme, ainsi que de leurs modalités respectives, il 
fait la revue des relations causales, établissant ainsi la corres- 
pondance de chaque genre à chaque genre, et il enseigne, de 
quelle sorte étant l’âme et de quelle sorte les discours, quelle 
est la cause en vertu de laquelle ceux-ci produisent nécessai- 
rement en l’une la persuasion, l’incrédulité dans une autre‘. 

Paèpre. — En tout cas, qu’il en pût être ainsi ce serait 
apparemment tout ce qu’il y a de magnifique ! 


1. Psychologie et éthologie fondent la rhétorique, Not., p. cxuix 544. 


nn nt ti 


{ 


| 


81 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


ἐφ᾽ ἑκάστου, τῷ τί ποιεῖν αὐτὸ πέφυκεν, ἢ τῷ τί παθεῖν 
ὑπὸ τοῦ ; ΄ 

ΦΑΙ. Κινδυνεύει, ὦ Σώκρατες. 

ΣΩ. Ἢ γοῦν ἄνευ τούτων μέθοδος ἐοίκοι ἂν ὥσπερ 
τυφλοῦ πορείᾳ. ᾿Αλλ᾽ οὐ μὴν ἀπεικαστέον τόν γε τέχνῃ 
μετιόντα ὅτιοῦν τυφλῷ οὐδὲ κωφῷ᾽ ἀλλὰ δῆλον ὡς, ἄν 
τῷ τις τέχνῃ λόγους διδῷ, τὴν οὐσίαν δείξει ἀκριθῶς τῆς 
φύσεως τούτου τιρὸς ὃ τοὺς λόγους προσοίσει. Ἔσται δέ 
που Ψυχὴ τοῦτο. 

ΦΑΙ. Τί μήν ; 

ΣΩ. Οὐκοῦν À ἅμιλλα αὐτῷ τέταται πρὸς τοῦτο πᾶσα᾽ 
πειθὼ γὰρ ἐν τούτῳ ποιεῖν ἐπιχειρεῖ. Ἢ γάρ ; 

ΦΑΙ. Ναί. 

ΣΩ. Δῆλον ἄρα ὅτι ὃ Θρασύμαχός τε καὶ ὃς ἂν ἄλλος 
σπουδῇ τέχνην ῥητορικὴν διδῷ, πρῶτον πάσῃ ἀκριβείᾳ 
γράψει τε καὶ ποιήσει ψυχὴν ἰδεῖν, πότερον ἕν καὶ ὅμοιον 
πέφυκεν À, κατὰ σώματος μορφήν, πολυειδές᾽ τοῦτο γάρ 
φαμεν φύσιν εἶναι δεικνύναι. 

ΦΑΙ. Παντάπασι μὲν οὖν. 

ΣΩ. Δεύτερον δέ γε, ὅτῳ τί ποιεῖν ἢ παθεῖν ὕττὸ τοῦ 
πέφυκεν. 

ΦΑΙ. Τί μήν: 

ΣΩ. Τρίτον δὲ δή, διαταξάμενος τὰ λόγων τε καὶ 
ψυχῆς γένη καὶ τὰ τούτων παθήματα, δίεισι τὰς αἰτίας, 
πιρροσαρμόττων ἕκαστον ἑκάστῳ, καὶ διδάσκων οἵα οὖσα 
ὅφ᾽ οἵων λόγων δι᾽ ἣν αἰτίαν ἐξ, ἀνάγκης À μὲν πείθεται, À 
δὲ ἀπειθεῖ. 

ΦΑΙ. Κάλλιστα γοῦν ἄν, ὡς ἔοικ᾽, ἔχοι οὕτως. 


d 7 τῷ utrumque : τὸ Vollgr. (Append. crit. 151) || αὐτὸ recc. : 
-τῷ codd. οὕτω Vindob. 109 || τῷ alt.: del. Suckow || 8 ὑπὸ τοῦ : 
ὑπό του TW || 6 1 ἀλλ᾽ où μὴν : ἀλλὰ μ. οὐχ auct. Herwerden Vollgr. 
[| γε : om. TW || 3 τῴ Hermi.l: τῳ T (fors. ex em.) W om. Β || 4 
ὃ: om. B || 274 ἃ ἐπιχειρεῖ : -on B? (n s. u.) || ñ: ἢ B || 10 τί: 
om. B τι Suckow |] παθεῖν : τι x. Suckow.|] ὑπὸ τοῦ : ὕπο του B ὑπό 
του TW {{ 2 τὰς : πάσας TW Burnet || 8 οἵα : οἷα TW. 


270 ἃ 


271 


b 


271b 


PHÈDRE 82 


SocRaTE. — Disons mieux : il est sûr, mon cher, qu'iln’y 
aura jamais d'autre façon, morceau d’apparatt ou discours, 
de parler ou d'écrire, ni sur un autre sujet, ni sur celui-ci ! 
Mais ceux qui aujourd’hui écrivent des Arts oratoires, et que, 
toi, tu as entendu parler, sont des rusés et font les cachottiers 
bien qu’ils sachent à merveille ce qui concerne l’âme. Ainsi 
donc, en attendant qu’ils manifestent cette façon de s’y 
prendre, dans leurs discours comme dans leurs écrits, ne les 
laissons pas nous persuader qu'ils ont l’art d'écrire ! 

Puèpre. — Cette façon de s’y prendre, 
quelle est-elle ? 

SocraTE. — Quant à dire les phrases elles-mêmes, ce n’est 
point commode ! Mais sur la manière dont il faut qu’on 
écrive?, pour que ce soit avec autant d'art qu'il se peut, là- 
dessus je consens à parler. 

Puèpre. — Eh bien! parle. 

SocRaTE. — Puisque justement la fonction propre du 
discours est d’être une façon de mener les âmes, une psycha- 
gogie, celui qui veut être un jour un orateur de talent 
doit nécessairement savoir de combien de formes l’âme est 
susceptible. Or il y en a tel et tel nombre, de telle sorte et 
de telle autre ; en conséquence de quoi les hommes pren- 
nent, les uns, telle nature déterminée, les autres, une 
nature différente. Et maintenant, une fois ces formes ainsi 
distinguées, c’est le tour des discours : il y en a des formes, 
en tel ou tel nombre, et ayant chacune tels caractères déter- 
minés. Or donc, les hommes de telle nature, sous l’action 
de discours de tel caractère, en vertu de cette cause-ci, se 
laisseront porter à telles convictions, tandis que ceux qui 
ont telle autre nature ne se laisseront pas facilement per- 
suader par les raisons que voici. Ce qu’il faut donc, quand 
on a suffisamment réfléchi sur ces déterminations, c’est 
ensuite considérer ce qu’elles sont dans la pratique et prati- 
quement appliquées * et, ainsi, avoir le flair assez fin pour en 


20 méthode. 


suivre la piste. Autrement, on n’en sait même encore pas 


1. Ou discours épidiclique : le maître y expose un modèle de l’Art. 

2. C.-à-d., je crois, ce ne sera pas un modèle de ce qu’il faut dire, 
mais une théorie de la façon d’y réussir (Notice, p. xLvirt n. 1). 

3. C’est l’application des trois principes posés, 271 ab. 

4. Sans la pratique, les cours théoriques de l’École sont vains. 


PR IE UT PR Ce, 


ΨΥ 


82 PAIAPOE 


ΣΩ. Οὔτοι μὲν οὖν, ὦ φίλε, ἄλλως, ἐνδεικνύμενον ἢ 
λεγόμενον, τέχνῃ ποτὲ λεχθήσεται ἢ γραφήσεται οὔτε τι 
ἄλλο οὔτε τοῦτο. ᾿Αλλ᾽ of νῦν γράφοντες, ὧν σὺ ἀκήκοας, 
τέχνας λόγων πανοῦθργοί εἶσιν καὶ ἀποκρύπτονται, εἰδότες 
ψυχῆς πέρι παγκάλως. Πρὶν ἂν οὖν τὸν τρόπον τοῦτον 
λέγωσί τε καὶ γράφωσι, μὴ πειθώμεθα αὐτοῖς τέχνῃ γράφειν. 

ΦΑΙ. Τίνα τοῦτον : 

ΣΩ. Αὐτὰ μὲν τὰ ῥήματα εἰπεῖν οὐκ εὐπετές" ὡς δὲ δεῖ 
γράφειν el μέλλει τεχνικῶς ἔχειν καθ᾽ ὅσον ἐνδέχεται, 
λέγειν ἐθέλω. 

ΦΑΙ. Λέγε δή. 

ΣΩ. ᾿Επειδὴ λόγου δύναμις τυγχάνει Ψυχαγωγία οὖσα, 
τὸν μέλλοντα ῥητορικὸν ἔσεσθαι ἀνάγκη εἰδέναι ψυχὴ ὅσα 
εἴδη ἔχει: ἔστιν οὖν τόσα καὶ τόσα, καὶ τοῖα καὶ τοῖα, 
ὅθεν οἱ μὲν τοιοίδε, οἱ δὲ τοιοίδε γίγνονται. Τούτων δὲ δὴ 
οὕτω διῃρημένων, λόγων αὖ τόσα καὶ τόσα ἔστιν εἴδη, 
τοιόνδε ἕκαστον᾽ οὗ μὲν οὖν τοιοίδε ὕπὸ τῶν τοιῶνδε 
λόγων, διὰ τήνδε τὴν αἰτίαν, εἷς τὰ τοιάδε εὐπειθεῖς, οἵ 
δὲ τοιοίδε, διὰ τάδε, δυσπειθεῖς. Δεῖ δή, ταῦτα ἱκανῶς 
νοήσαντα, μετὰ ταῦτα θεώμενον αὐτὰ ἐν ταῖς πράξεσιν 
ὄντα τε καὶ πραττόμενα, δξέως τῇ αἰσθήσει δύνασθαι 
ἐπακολουθεῖν: ἢ μηδὲν εἰδέναι no πλέον αὐτὸν ὧν τότε 


274 Ὁ 7 οὔτο: (et Hermi.! [Monac. 117}: οὕτω Β W Ye. Hermi.! 
(sed οὐδαμῶς mox) οὗτοι T || ὦ : om. Hermi.! || ἄλλως ἐνδειχνύμενον 
(et Hermi.): ἀλλ᾽ ὡς ἕν dev. Β || 8 τέχνη : τέχνη codd. Hermiae 
hibri || © 2 εἶσιν: -σι TW || 5 τίνα... 7 γράφειν : om. W i. τὰ. 
scrib. (pr. man, ut uid.) || ἃ τ ψυχὴ (et Galen." Hermi.): -ÿv Hirschig 
Vollgr. || 3 τοιοίδε ... τοιοίδε (et Galen. Hermi.l) : τοῖοι ... τοιοίδε B 
τοιοίδε ... τοιοῖδε T τοιοῖδε ... τοιοῖδε W τοῖοι ... τοῖοι Hermann 
Vollgr. || δὴ : om. TW Galen. || 4 οὕτω (et Galen.): om. Β || αὖ 
τόσα (et Galen. Hermi.!) : αὐτὸς ἃ B || 5 τοιόνδε : +. δὲ Galen. Vollgr. 
Il οὖν (et Galen.): om. W {| τοιοίδε (et 6): τοιοῖδε W {|| τῶν : 
om. Galen." || 6 εἰς (et Galen. Hermi.) : ἐς B Schanz Burnet || 7 δὴ 
(et Galen.): fors. om. Hermi. || 8 αὐτὰ Galen. : -τὸν codd. -τὸ 
Galen.» || 6 1 ὀξέως (et Hermi.): om. Galen.” || 2 ἢ μηδὲν εἰδέναι 
Hermi. : ἢ μηδὲ ei. ΤῊ εἰ μὴ ed. B ἢ μηδὲν εἶναί Galen. (μηδὲ 
Cornar.) edd. || αὐτὸν scripsi : αὐτῷ codd. edd. -τῶν uulg. Galen." 


271b 


2149 


212 


PHÈDRE | 83 


plus qu’il n’y a dans ces cours qu’on écoutait jadis, du temps 
qu’on fréquentait l’école, Mais, lorsqu'on est suffisamment 
en état de se prononcer sur la sorte d'homme que convaincra 
telle sorte de discours, lorsque, l’ayant à côté de soi, on est 
capable de voir clair en lui et de se faire à soi-même la leçon 
voulue : « Voici l’homme, et voici la nature dont jadis il 
« était question dans mes cours : maintenant c’est en réalité 
« qu’elle est devant moi et que j'ai à lui appliquer le lan- 
« gage que voici, de la manière que voici, en vue de faire 
« naître la conviction que voici »; — du moment, dis-je, 
qu’on a réuni toutes ces conditions ; qu’on y ἃ joint les 
conjonctures dans lesquelles c’est le temps de parler et celui 
de s’abstenir'; qu’à leur tour style concis, style apitoyant, 
indignation véhémente, et toutes les formes de discours qu’on 
aura appris à distinguer, on en sait discerner l'opportunité 
aussi bien que l’inopportunité, — c’est alors que l’Art ἃ 
atteint la beauté, la perfection de son achèvement: jusque- 
là, non. Disons-le plutôt : si une partie quelconque de cet 
ensemble fait défaut à l’orateur, au professeur, à l'écrivain, 
il aura beau affirmer la conformité de son langage avec 
l'Art, c’est à celui qui n’en croit rien que revient l'avantage. 
« Eh bien! que conclure? » dira peut-être notre auteur ?, 
« est-ce là votre opinion, Phèdre et Socrate ? Ou bien faut-il 
« admettre quelque autre définition de l’art oratoire ? » 


Paëpre. — Il est, je crois bien, impossible qu’il y en ait 
une autre, Socrate : ce n’est pourtant pas une petite affaire ! 
SOcRATE. — Tu dis vrai : c’est justement 

Vérité 


la raison pour laquelle il faut retourner 


et vraisemblance. Rire W 
en tout sens toutes les théories et, ainsi, 


examiner si par hasard ne s'offre pas à nos yeux un chemin 


plus aisé et plus court qui mènerait à cet art, et qui nous évi- 
terait de nous en aller en pure perte sur une route longue et 
raboteuse, quand nous en avons une qui ne l’est pas et tout 
unie. Mais si par hasard quelque moyen de nous aider est 
en ton pouvoir, toi qui as été l'auditeur de Lysias ou de tel 
autre, essaie de nous en faire part en rappelant tes souve- 
nirs | 


1. Ce que, pour le corps, fait le médecin (268 b et 270 b). 
2. Celui qui traite de la rhétorique en homme sérieux (271 a), et 
dont ensuite Socrate se fait le porte-parole (ibid. c mil.). 


) 


83 DAIAPOS 


ἤκουε λόγων ξυνών. Ὅταν δὲ εἰπεῖν τε ἱκανῶς ἔχῃ οἷος 
ὕφ᾽ οἵων πείθεται, παραγιγνόμενόν τε δυνατὸς ἧ, διαισθα- 
νόμενος, ἑαυτῷ ἐνδείκνυσθαι ὅτι, οὗτός ἐστι καὶ αὕτη à 
φύσις περὶ ἧς τότε ἦσαν οἷ λόγοι, νῦν ἔργῳ παροῦσά of, ἣ 
τιροσοιστέον τούσδε ὧδε τοὺς λόγους ἐπὶ τὴν τῶνδε πειθώ, 
- ταῦτα δ᾽ ἤδη πάντα ἔχοντι, προσλαθόντι καιροὺς τοῦ 


4119 


212 


τιότε λεκτέον καὶ ἐπισχετέον, βραχυλογίας τε αὖ καὶ ᾿ 


ἐλεεινολογίας καὶ δεινώσεως ἑκάστων τε ὅσα ἂν εἴδη 
μάθῃ λόγων, τούτων τὴν εὐκαιρίαν τε καὶ ἀκαιρίαν δια- 
γνόντι, καλῶς τε καὶ τελέως ἐστὶν À τέχνη ἀπειργασμένη᾽" 
τιρότερον δ᾽ οὔ. ᾿Αλλ᾽ ὅ τι ἂν αὐτῶν τις ἐλλείπῃ λέγων ἢ 
διδάσκων ἢ γράφων, φῇ δὲ τέχνῃ λέγειν, ὃ μὴ πειθόμενος 
κρατεῖ" « Τί δὴ οὖν : φήσει ἴσως ὃ συγγραφεύς, ὦ Φαῖδρέ 
« τε καὶ Σώκρατες, δοκεῖ οὕτως, ἢ ἄλλως πὼς ἀποδεκτέον 
« λεγομένης λόγων τέχνης: » 

ΦΑΙ. ᾿Αδύνατόν που, ὦ Σώκρατες, ἄλλως" καίτοι où 
σμικρόν γε φαίνεται ἔργον. 

ΣΩ. ᾿Αληθῆ λέγεις. Τούτου τοι ἕνεκα χρῆν πάντας 
τοὺς λόγους ἄνω καὶ κάτω μεταστρέφοντα, ἐπισκοπεῖν εἴ 
τίς πη ῥάων καὶ βραχυτέρα φαίνεται ἐπ᾽ αὐτὴν ὅδός, ἵνα 
μὴ μάτην πολλὴν ἀπίῃ καὶ τραχεῖαν, ἐξὸν ὀλίγην τε καὶ 
λείαν. ᾿Αλλ᾽ εἴ τινά πῃ βοήθειαν ἔχεις, ἐπακηκοὼς Λυσίου 
ἤ τινος ἄλλου, πειρῶ λέγειν ἀναμιμνησκόμενος. 

e 3 ἤχουε (et Galen.): -εν TW {|| ξυνών : συν. Burnet || ἔχῃ : 
-<t Galen.? || 4 παραγιγνόμενόν (et Galen.): παραγιν. Hermi.l || τε 
(et Galen. Hermi.l): δὲ B || ἢ: ἢ Τὴ B || 5 ἐστι: -τιν B || αὕτη (et 
Galen.) : αὐτὴ B || 272 ἃ τ νῦν : ἡ v. Galen.® || oi Ven. 155 : om. 
codd. σοι Galen. || ñ (et Galen.): n B || 2 τούσδε : τοῦσδε ΤΥ || 3 
ταῦτα δ᾽ ἤδη πάντα: x. δὴ τ. Galen. || 4 πότε : ποτὲ B || τε αὖ χαὶ : τε 
x. αὖ Galen. {| 5 ἐλεεινολογίας (et Galen.): ἐλεειλογ. T ἐλεινολ. exc. 
Schanz omnes || ὅσα (et Galen.): ὅσ᾽ W sic etiam T sed elisionis 
signum om. || 6 μάθῃ λόγων: À. μ. Galen. || τε χαὶ ἀχαιρίαν (et 
Galen.) : om. B et fors. non legit Hermi. |; Ὁ 1 τέχνη : -vnv Galen. 
IL ἃ φήσει : φύ. B || 3 ἢ : μὴ Burnet || 7 τούτου... c 4 ἀναμιμνῃσχό- 
uevos : Phaedro trib. ΒΤ || ἕνεχα χρὴ : y. εἶν. W || πάντας B? (a 


add.) : -ta Β |] © 2 ἀπίῃ : xepuin Badham ἀνίη ci. Stallb. ἴῃ Schanz 
ἴῃ τις Vollgr. || 4 %: εἴ T reuera (non B). N 


272 c 


273 


PHÈÉDRE 84 


Paèpre. — S'il ne s'agissait que d’essayer, ce serait en mon 
pouvoir ; mais pas comme cela et tout de suite! ! 

SocraTe. — Eh bien! veux-tu alors que ce soit moi qui 
te dise le langage que j'ai entendu tenir par quelques-uns 
de ceux qui s'occupent de cela ? 

Paèpre. — Bien sùr ! 

Socrare. — En tout cas, Phèdre, il y a un proverbe d’après 
lequel il est juste que le loup même ait son avocat ?. 

Puèpre. — C’est même à toi, oui, d’en faire office ! 

SocRATE. — Ils prétendent donc qu’il ne faut pas du tout 
prendre ainsi de grands airs, non plus qu’imposer aux gens 
une ascension qui allonge leur route par tant de lacets. De 
la vérité, en effet (c’est même ce que nous avons dit en 


-commençant ce propos 5), on doit n'avoir absolument que 


faire quand il s’agit du juste ou du bon, ni dans les affaires 
ni, bien sûr aussi, dans les hommes, qu'ils doivent à leur 
nature ou à leur éducation d’être ce qu’ils sont ; il ne le faut 
pas, si l’on veut être, dans la bonne mesure, un orateur de 
talent ! Voyez : dans les tribunaux personne n’a, là-dessus, le 
moindre souci de la vérité, mais bien de ce qui est convain- 
cant. Or cela, c’est le vraisemblable ; et c’est à quoi doit s’at- 
tacher quiconque se propose de parler avec art. L'acte en lui- 
même, il y a des cas où on ne doit même pas l’énoncer, quand 
la façon dont il a été accompli n’est pas une façon vraisem- 
blable, mais énoncer les vraisemblances, et cela dans l’accu- 
sation comme dans la défense. C’est même, de toute façon, 
le vraisemblable qu’il faut poursuivre, tandis qu’au vrai on 
donnera tous les bonsoirs du monde! C’est le vraisemblable 
en effet qui, traversant d’un bout à l’autre le discours, 
constitue la totalité de l’art. 

Paèpre. — Tu viens littéralement, ma parole! de rappor- 
ter, Socrate, la thèse soutenue par ceux qui se donnent pour 
des techniciens de l’art oratoire. Je me suis bien rappelé que 
précédemment nous nous étions brièvement attaqués à cette 
sorte de question. Oril y a là, semble-t-il, un très gros point 
pour ceux qui s'occupent de cela. \ 


1. Phèdre recule devant la confession qu’on lui demande. Sans 
doute ce qui suit est-il une citation littérale, cf. 273, déb. de a et b. 

ἃ. Ce qui répond au français : se faire l'avocat du diable. 

3. Renvoi probable (de même 273 a déb.) à 299 e sq., 260 cd. 


πῶ ν 


ὌΡΟΣ, ΜΡ ΟΡ ἢ, 


84 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 

ΦΑΙ. Ἕνεκα μὲν πείρας ἔχοιμ᾽ ἄν, ἀλλ᾽ οὔτι νῦν γ᾽ 
οὕτως ἔχω. 

ΣΩ. Βούλει οὖν ἐγώ τιν᾽ εἴπω λόγον, ὃν τῶν περὶ ταῦτά 
τινὼν ἀκήκοα ; 

ΦΑΙ. Τί μήν; 

ΣΩ. Λέγεται γοῦν, ὦ Φαῖδρε, δίκαιον εἶναι καὶ τὸ τοῦ 


L 


λύκου eireîv. 

PAI. Καὶ σύ γε οὕτω ποίει. 

ΣΩ. Φασὶ τοίνυν οὐδὲν οὕτω ταῦτα δεῖν σεμνύνειν, 
οὐδ᾽ ἀνάγειν ἄνω μακρὰν περιθαλλομένους. Παντάπασι 
γάρ, 8 καὶ κατ᾽ ἀρχὰς εἴπομεν τοῦδε τοῦ λόγου, ὅτι οὐδὲν 
ἀληθείας μετέχειν δέοι, δικαίων ἢ ἀγαθῶν πέρι πραγμάτων 
ἢ καὶ ἀνθρώπων γε, τοιούτων φύσει ὄντων ἢ τροφῇ, τὸν 
μέλλοντα ἱκανῶς ῥητορικὸν ἔσεσθαι. Τὸ παράπαν γὰρ 
οὐδὲν ἐν τοῖς δικαστηρίοις τούτων ἀληθείας μέλειν οὐδενί, 
ἀλλὰ τοῦ πιθανοῦ" τοῦτο δ᾽ εἶναι τὸ εἶκός, ᾧ δεῖν προσ- 
έχειν τὸν μέλλοντα τέχνῃ ἐρεῖν. Οὐδὲ γὰρ αὖ τὰ πραχθέντα 
δεῖν λέγειν ἐνίοτε, ἐὰν μὴ εἰκότως À πεπραγμένα, ἀλλὰ τὰ 
εἰκότα ἔν τε κατηγορία καὶ ἀπολογία. Καὶ πάντως 
λέγοντα τὸ δὴ εἰκὸς διωκτέον εἶναι, πολλὰ εἰπόντα χαίρειν 
τῷ ἀληθεῖ: τοῦτο γάρ, διὰ παντὸς τοῦ λόγου γιγνόμενον, 
τὴν ἅπασαν τέχνην πορίζειν. 

ΦΑΙ. Αὐτά γε, ὦ Σώκρατες, διελήλυθας ἃ λέγουσιν οἱ 
περὶ τοὺς λόγους τεχνικοὶ προσποιούμενοι εἶναι. ᾿Ανεμνή- 
σθην γὰρ ὅτι ἐν τῷ πρόσθεν βραχέως τοῦ τοιούτου ἐφηψά- 
μεθα’ δοκεῖ δὲ τοῦτο πάμμεγα εἶναι τοῖς περὶ ταῦτα. 


ο ὅ ἔχοιμ᾽ : λέγ. Schanz ἐθέλ. Madvig Vollgr. || ἀλλ᾽ οὔτι : 
ἄλλου τι Β || γ᾽ : exp. W cf. mox || 6 ἔχω : γ᾽ ἔχω W || 7 λόγον B? 
ut uid. (et Hermi.): -wv Β || ὃ τινων : δεινῶν em. Ven. 184 Vollgr. 
Il d 5 πέρι : περὶ Β 6 ἢ τροφῇ W? (signa em. : mut. om.) : à τροφὴ 
TW Hermi.® ἢ τροφὴ B {|| 8 ἀληθείας (et Hermi.): del. Vollgr. 
(Append. crit. 152) || μέλειν e Ficino Stephan. : -εἰ codd. Hermi.® || 
e 2 αὖ τὰ (et Hermi.!): αὐτὰ Β αὐτὰ τὰ Heindorf Schanz Burnet || 
273 ἃ 4 ἀνεμνήσθην... 6 ταῦτα : cum codd. Socrati trib. Badham || 
5 ἐφηψάμεθα : ἐψηφισά. B. 


2720 


213 


273 a 


$ PHÈDRE | 85 

SOCRATE. — Mais pourtant Tisias, lui, tu l’as, point par 
point, battu et rebattu ! Eh bien, il y a encore ceci qu’il faut 
que Tisias nous dise : par le vraisemblable, entend-il autre 
chose que l’opinion de la masse ? 

Paèpre. — Et quoi d'autre, en effet? 

SOCRATE. — Ainsi, voilà apparemment sa profonde décou- 
verte et qui, du même coup, est le secret de l’art ! S'il arrive, 
a-t-il écrit, qu’un homme sans vigueur et hardi en ait rossé 
un autre, vigoureux et lâche ; qu'il lui ait arraché son man- 
teau ou autre chose ; et puis qu’il soit traduit devant les tri- 
bunaux, ni l’un ni l’autre ils ne doivent dire la vérité. Bien 
au contraire, le lâche prétendra que le hardi n’a pas été tout 


. seul pour le rosser, à quoi l’autre sans doute ripostera qu’ils 


étaient seul à seul ; mais le grand argument auquel il recourra, 
c'est « comment me serais-je, moi, fait comme je suis, 
attaqué à lui, fait comme 1] est? » Quant à l’autre, il ne 
dira pas, bien entendu, sa propre lâcheté ; mais tout nouveau 
mensonge auquel il s’essaie fournira sans doute une riposte 
quelconque à la partie adverse. Varions les circonstances : 
c’est toujours en des procédés de ce genre que réside l’art 
de parler. N'est-ce pas cela même, Phèdre? 


Paèpre. — Évidemment! 
SOCRATE. — Miséricorde ! On a terriblement‘ l’impression, 


en vérité, qu'il avaitété mis dans une cachette, l’art dont 
Tisias a fait la trouvaille, lui ou un autre, qui que ce puisse 
être et quel que soit le nom dont il lui plaise d’être appelé? ! 
Mais au fait, mon camarade, à cet homme-là devrons-nous 
ou non, dire... ὃ 

Paèpre. — Quoi donc? 

SocRATE. — Ceci : « Il y a longtemps (c'était même, 
« Tisias, avant ton intervention) que justement nous le 
« disons ὃ: cette vraisemblance vient, somme toute, à se pro- 
« duire dans l'esprit de la masse en raison d’une similitude 
« avec la vérité; quant aux similitudes, nous l'avons expli- 
« qué tout à l’heure, celui qui partout sait le mieux les 
« découvrir, c’est celui qui connaît la vérité. Par conséquent, 


1. Ou habilement, tombant, soit sur été mis, soit sur a fait. 

2. Est-ce Corax ? et la formule rituelle a-t-elle ici un sens caché : 
après le loup de 272 c, une autre bête de proie, coraæ, le corbeau ὃ 

3. Supra, b déb. Le renvoi, ici et ensuite, est à 262 a-c; cf. 260 a, c. 


à AE hé 


85 ΦΑΙΔΡῸΣ 


ΣΩ. ᾿Αλλὰ μὴν τόν γε Τισίαν αὐτὸν πεπάτηκας ἀκριβῶς" 
εἰπέτω τοίνυν καὶ τόδε ἣμῖν ὃ Τισίας, μή τι ἄλλο λέγει τὸ 
εἰκὸς ἢ τὸ τῷ πλήθει δοκοῦν. 

ΦΑΙ. Τί γὰρ ἄλλο; 

ΣΩ. Τοῦτο δή, ὡς ἔοικε, σοφὸν εὑρὼν ἅμα καὶ τεχνικόν, 
ἔγραψεν ὥς, ἐάν τις ἀσθενὴς καὶ ἀνδρικός, ἰσχυρὸν καὶ 
δειλὸν συγκόψας, ἱμάτιον À τι ἄλλο ἀφελόμενος, εἷς δικα-- 
στήριον ἄγηται, δεῖ δὴ τἀληθὲς μηδέτερον λέγειν. ᾿Αλλὰ τὸν 
μὲν δειλὸν μὴ ὅπὸ μόνου φάναι τοῦ ἀνδρικοῦ συγκεκόφθαι, 
τὸν δὲ τοῦτο μὲν ἐλέγχειν ὡς μόνω ἤστην, ἐκείνῳ δὲ κατα- 
χρήσασθαι τῷ « πῶς δ᾽ ἂν ἐγὼ τοιόσδε τοιῷδε ἐπε- 
χείρησα; » Ὁ δ᾽ οὖκ ἐρεῖ δὴ τὴν ἑαυτοῦ κάκην, ἀλλά τι 
ἄλλο ψεύδεσθαι ἐπιχειρῶν τάχ᾽ ἂν ἔλεγχόν πῃ παραδοίη 
τῷ ἀντιδίκῳ. Καὶ περὶ τἄλλα δὴ τοιαῦτ᾽ ἄττα ἐστὶ τὰ 
τέχνῃ λεγόμενα. Οὐ γάρ, ὦ Φαῖδρε ; 

ΦΑΙ. Τί μήν: 

ΣΩ. Φεῦ, δεινῶς γ᾽ ἔοικεν ἀποκεκρυμμένην τέχνην 
ἀνευρεῖν ὁ Τισίας, ἢ ἄλλος ὅστις δή ποτ᾽ ὧν τυγχάνει καὶ 
διιόθεν χαίρει ὄνομαζόμενος. ᾿Ατάρ, ὦ Étape, τούτῳ 
ἡμεῖς πότερον λέγωμεν ἢ μὴ... ; 

ΦΑΙ. Τὸ ποῖον ; 

ΣΩ. “Or « Ὦ Τισία, πάλαι ἡμεῖς, πρὶν καὶ σὲ 
« παρελθεῖν, τυγχάνομεν λέγοντες ὡς ἄρα τοῦτο τὸ εἰκὸς 
« τοῖς πολλοῖς δι᾽ ὁμοιότητα τοῦ ἀληθοῦς τυγχάνει ἐγγι- 
« γνόμενον᾽ τὰς δὲ δμοιότητας ἄρτι διήλθομεν ὅτι πανταχοῦ 
« ὃ τὴν ἀλήθειαν εἰδὼς κάλλιστα ἐπίσταται εὑρίσκειν. 


ἃ 7 ἀλλὰ.... ἀχριδῶς : Phaedro trib. BT Badham {|| Tiolav B? 
(et α rec. 8. u.): τισιν Β || αὐτὸν : del. ci. Richards? || 8 εἰπέτω : 
-άτω Hermiae nonnulli codd.! Vollgr. εἰπέτω || λέγει : λέγειν BW ||b 
1 δοχοῦν: Phaedri B || 2 τί... 3 τοῦτο δὴ χτλ.: Socratis B || 3 Éotxe : 
-χεν Τ || 5 ἤ: εἴ B || 8 ἤστην : ἥ. B || ἐκείνῳ : -vo TW || © τ τῷ: 
τῳ T || τοιῷδε : -ὥδε B || 3 τάχ᾽ ἂν : τάχα δ᾽ ἂν W |] 4 τἄλλα : τᾶλ, 
TW ταλ. B || τοιαῦτ᾽ ἄττα : -τα ἄ, W τ. ἅττα ΒΤ || ἐστὶ : -τιν codd. 
Ι] 7 γ᾽: γε W τ᾽ Β || 8 ἀνευρεῖν : εὐ. W || 9 τούτῳ : τοῦτο em. 
Coiïslin. 155 τοῦτ᾽ αὐτῷ οἱ. Thomps. ser. Vollgr. || ἃ 3 τὸ : om. Β. 


273a 


\ 


1 


\ 


273 d 


274 


A 


€ 


ΚΑῚ 


« 
ἰς 


δὲ ff 


LC 
ς 
€ 


= dot ἘΦ; 


€ 


RER AR RER 


« 


αὶ 


« 
LC 


R A 


« 
LC 


R 


€ 


[ΑἹ 


LG 


Ὰ 4 


ς 


[αὶ 


« 
€ 


R 


« 


PHÈDRE tie 86 


si tu as autre chose à dire sur l’art oratoire, sans doute 
l'écouterons-nous; mais, s’il n’en est pas ainsi, nous nous 
en fierons à ce que nous avons expliqué tout à l'heure !. 
Faute, dirons-nous, d’avoir dénombré les divers naturels 
de ceux qui vont être les auditeurs ; faute d’être capable, 
aussi bien de distinguer les choses selon leurs caractères 
spécifiques que de les embrasser en une seule idée selon 
chacune de ces espèces, jamais on ne sera un technicien de 
l’art oratoire, pour autant que c’est possible à un homme ! 
Or c’est un résultat qu’on n’obtiendra pas sans beaucoup 
d'application ; et ce n’est pas pour adapter son langage et 
sa conduite à ses relations avec les hommes que le sage 
doit s’en donner toute la peine, mais pour être capable, et 
d’un langage qui soit agréable aux dieux et, en toute chose 
autant qu'il le peut, d’une conduite qui leur agrée. Non 
en effet, tu le vois désormais, Tisias, et ceux qui sont plus 
savants que nous l’affirment, ce n’est pas à ses compagnons 
d’esclavage que doit s'exercer à complaire, à moins que ce 
ne soit par surérogation, l’homme qui a du jugement, 
mais c’est à des maîtres bons eux-mêmes et faits de bons 
éléments?. Voilà pourquoi la longueur de ce circuit, tu n’as 
point à t'en étonner ὃ : avec de grands objets pour but, les 
circuits sont nécessaires ; ce n’est pas comme dans ta 
conception ! Ce qui est sûr, et voilà ce que notre thèse 
affirme, c’est que, pour peu qu'on accepte cette nécessité, 
même ces objets inférieurs auront reçu des autres la beauté 
la plus grande! » 

Puaèpre. — Magnifique en paroles, Socrate, oui, si je m'en 


crois, — à condition qu’on soit à la hauteur | 


SocrATE. — Eh bien ! ajoutons que, pour qui certes s’at- 


taque à ce qui est beau, il est beau aussi de subir les consé- 


Quatrième partie — 
Valeur et rôle du dans 


quences qu'on peut avoir à Subir. 


Puèpre. — Rien de plus certain. 


SOCRATE. — Ainsi donc, pour ce qui est, 
les discours, de l’art comme de 
l'absence d'art, en voilà largement 
assez. 


discours écrit. 


1. Cf. 271b, ἃ οἱ; pour ce qui suit, 265 d-266 b. 
2. C’est la pensée orphique, inspiratrice de Phédon, 62 b. 
3. Les gens, dont Socrate a rapporté les paroles, se plaignaient 


pan: ΕΝ. on: s 


Sols cd 


86 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« Ὥστ᾽, εἰ μὲν ἄλλο τι περὶ τέχνης λόγων λέγεις, 
« ἀκούοιμεν ἄν᾽ εἶ δὲ μή, οἷς νῦν δὴ διήλθομεν πεισόμεθα, 
« ὧς, ἐὰν μή τις τῶν τε ἀκουσομένων τὰς φύσεις 
« διαριθμήσηται, καὶ κατ᾽ εἴδη τε διαιρεῖσθαι τὰ ὄντα καὶ 
« μιᾷ ἰδέα δυνατὸς À καθ᾽ ἕν ἕκαστον περιλαμβάνειν, οὔ 
« ποτ᾽ ἔσται τεχνικὸς λόγων πέρι καθ᾽ ὅσον δυνατὸν 
« ἀνθρώπῳ. Ταῦτα δὲ οὐ μή ποτε κτήσηται ἄνευ πολλῆς 
x πραγματείας" ἣν οὐχ ἕνεκα τοῦ λέγειν καὶ πράττειν πρὸς 
« ἀνθρώπους δεῖ διαπονεῖσθαι τὸν σώφρονα, ἀλλὰ τοῦ 
« θεοῖς κεχαρισμένα μὲν λέγειν δύνασθαι, κεχαρισμένως 
« δὲ πράττειν τὸ πᾶν εἰς δύναμιν. Οὐ γὰρ δὴ ἄρα, ὦ 
« Τισία, φασὶν of σοφώτεροι ἡμῶν, δμοδούλοις δεῖ χαρί- 
« ζεσθαι μελετᾶν τὸν νοῦν ἔχοντα, ὅ τι μὴ πάρεργον, ἀλλὰ 
« δεσπόταις ἀγαθοῖς τε καὶ ἐξ, ἀγαθῶν, “Qor’, εἰ μακρὰ À 
« περίοδος, μὴ θαυμάσῃς" μεγάλων γὰρ ἕνεκα περιιτέον, 
« oùx ὡς σὺ δοκεῖς. ἜἜσται μήν, ὡς ὃ λόγος φησίν, ἐάν 
« τις ἐθέλῃ, καὶ ταῦτα κάλλιστα ἐξ, ἐκείνων γιγνόμενα. » 

ΦΑΙ. Παγκάλως ἔμοιγε δοκεῖ λέγεσθαι, ὦ Σώκρατες, 
εἴπερ οἷός τέ τις εἴη. 


ΣΩ. ᾿Αλλὰ καὶ ἐπιχειροῦντί τοι τοῖς καλοῖς καλὸν καὶ 


τιάσχειν “ὅ τι ἄν τῳ ξυμθῇ παθεῖν. 
ΦΑΙ. Καὶ μάλα. 


ΣΩ. Οὐκοῦν τὸ μὲν τέχνης τε καὶ ἀτεχνίας λόγων πέρι 
ἱκανῶς ἐχέτω... 


ἃ 7 ὥστ᾽ (et Galen.): ὥστε W || λέγεις : λέγοις Galeni Ald. || 8 εἰ 
δὲ : εἴδη B || νῦν δὴ : νῦν B Galen. Vollgr. νυνδὴ Schanz Burnet || 
9 ἐὰν (et Galen.): ἂν Hermi.l || 6 1 διαιρεῖσθαι : -ρεῖ Galen.r -ρεῖται 
Galeni Ald. || δυνατὸς : ἀδύν. Galen. || 3 ποτ᾽ : ποτε B || 9 ἡμῶν 
Heindorf : ἡ. ἢ TW ὑμῶν ἢ W? ( 5. u.) ἢ (μῶν om. sed 5. ἃ. aliquid 
parum dist. Β || 274 ἃ 2 ὥστ᾽ : ὥστε W || 3 ἡ (et Hermi.!): 3 Β || 
ἡ περιιτέον B? (alt. τ s. u.): περι τεὸν Β πέρι ἰτέον TW || οὐχ ὡς : 
οὐχ, ὧν οἱ. Heindorf et, exc. Burnet, omnes || 8 τέ τις Heindorf: γέ 
τις ΤῊ τις B || 9 ἐπιχειροῦντί (et Hermi.l): -οὔντά Stob. || τοι (et 
Hermi.!) : om. Stob. addub. Heindorf del. Vollgr. || Ὁ 1 ὅ τι 
ὅτῳ B || to ξυμδῇ : τῷ ξ. BE, τῷ Stob. συμό. Burnet, 


273 ἃ 


214 


274b 


PHÈDRE 87 


Paèpre. — Bien sùr ! 

SOCRATE. — ... tandis que, de savoir si justement c’est 
bienséant ou malséant d'écrire, dans quelles conditions il est 
bon que cela se fasse et dans lesquelles cela messiérait, voilà 
une question qui nous reste, n'est-il pas vrai ? 

Paèpre. — Oui. 

SOcRATE. — Eh bien ! alors, est-ce que tu sais quelles sont 
les meilleures conditions, concernant les discours, pour se 
rendre agréable à la divinité, quand on s’en occupe ou qu’on 
en parle? 

Puèpre. — Pas du tout ! Et toi? 

SOcRATE. — Il Υ a du moins une tradition que je suis à 
même de rapporter, une tradition de l’antiquité!. Or le vrai, 
c'est elle qui le connaît ; si nous pouvions, par nous-mêmes, 
le découvrir, est-ce qu’en vérité nous nous soucierions encore 
de ce qu’a cru l'humanité ? 

Paèpre. — Quelle drôle de question! Allons, ce que tu 
assures avoir entendu dire, raconte-le moi. 

SOcRATE. — Eh bien! j'ai entendu 
conter que vécut du côté de Naucratis, 
en Égypte, une des vieilles divinités de 
là-bas, celle dont l'emblème sacré est l’oiseau qu'ils appellent, 
tu le sais, l’ibis, et que le nom du dieu lui-mêmeétait Theuth. 
C'est lui, donc, le premier qui découvrit la science du nom- 
bre avec le calcul, la géométrie et l’astronomie, et aussi le 
trictrac et les dés, enfin, sache-le, les caractères de l'écriture. 
Et d'autre part, en ce temps-là, régnait sur l'Égypte entière 
Thamous, dont la résidence était cette grande cité du haut pays 
que les Grecs nomment Thèbes d'Égypte, et dont le dieu est 
appelé par eux Ammon. Theuth, étant venu le trouver, lui 
fit montre de ses arts : « Il faut, lui déclara-t-il, les commu- 
niquer au reste des Égyptiens! » Mais l’autre lui demanda 


L'invention 
de l'écriture. 


des lacets dont il allonge la route qui mène au sommet de l’art 
(272 d), tandis qu’au contraire ils prétendent savoir (ibid. c) comment 
on y arrive au plus vite. Mais, si ce sommet est la Vérité (cf. p. 44, 4), 
on peut accepter des circuits. 

1. ἢ est bien probable, comme le prouve la suite (275 b), que ce 
mythe est une invention de Platon, aussi bien que celui des cigales. 
Theuth, qu’on retrouve dans Philèbe (18 b), est le Thoth égyptien, 
l'inventeur divinisé des arts, des sciences, des lois, de l’écriture. 


bé 


EP Os LRU CRT TRS 


PT 2 


née dE 


87 dAIAPOE 


PAI. Τί μήν: 

ΣΩ. ...τὸ δ᾽ εὐπρεπείας δὴ γραφῆς πέρι καὶ ἀπρεπείας 
πῇ γιγνόμενον καλῶς ἂν ἔχοι καὶ ὅπῃ ἀπρεπῶς, λοιπόν. 
Ἢ γάρ; 

ΦΑΙ. Ναί. 

ΣΩ. Οἶσθ’ οὖν ὅπῃ μάλιστα θεῷ χαριεῖ, λόγων πέρι 
πράττων À λέγων ; 

ΦΑΙ. Οὐδαμῶς: σὺ δέ ; 

ΣΩ. ᾿Ακοήν γε ἔχω λέγειν τῶν προτέρων. Τὸ δ᾽ ἀληθὲς 
αὐτοὶ ἴσασιν ei δὲ τοῦτο εὕροιμεν αὐτοί, ἄρά γ᾽ ἂν ἔθ᾽ ἡμῖν 
μέλοι τι τῶν ἀνθρωπίνων δοξασμάτων ; 

ΦΑΙ. Γελοῖον ἤρου" ἀλλ᾽ ἃ φὴς ἀκηκοέναι λέγε. 

ΣΩ. Ἤκουσα τοίνυν περὶ Ναύκρατιν τῆς Αἰγύπτου 
γενέσθαι τῶν ἐκεῖ παλαιῶν τινα θεῶν, οὗ καὶ τὸ ὄρνεον τὸ 


ἱερὸν ὃ δὴ καλοῦσιν ἴδιν, αὐτῷ δὲ ὄνομα τῷ δαίμονι εἶναι 


Θεύθ’' τοῦτον δὴ πρῶτον ἀριθμόν τε καὶ λογισμὸν εὑρεῖν 
καὶ γεωμετρίαν καὶ ἀστρονομίαν, ἔτι δὲ πεττείας τε καὶ 
κυθείας, καὶ δὴ καὶ γράμματα. Βασιλέως δ᾽ αὖ τότε ὄντος 
Αἰγύπτου ὅλης Θαμοῦ περὶ τὴν μεγάλην πόλιν τοῦ ἄνω 
τόπου, ἣν ot “Ἕλληνες Αἰγυπτίας Θήθας καλοῦσι καὶ τὸν 
θεὸν Ἄμμωνα, παρὰ τοῦτον ἐλθὼν ὃ Θεύθ τὰς τέχνας 
ἐπέδειξεν καὶ ἔφη δεῖν διαδοθῆναι τοῖς ἄλλοις Αἰγυπτίοις. 


b 6 δὴ (et Hermi.!)... ἀπρεπείας : om. Stob. || 7 πῇ: ὅπῃ 
Schaefer Schanz Vollgr. || 10 ὅπῃ: ὅποι Stob.r || θεῷ Stob. : 
θεῶν codd. τοῖς θεοῖς Hermi. θεοὶς Vollgr. || χαριεῖ (et Stob.): 
7 Burnet || 12 σὺ : σοι Stob. || © 2 τοῦτο (et Stob.): τοῦθ᾽ 
Hermi.! || αὐτοί, (et Stob.): αὖθις ci. Vellgr. || äpa: ἄρα TW 
Stob.r ἀρα B {|| 3 μέλοι (et Stob.): μέλλ. TW μέλει Hermi. || 
Ὁ Ναύχρατιν (et Stob. Hermi.!): Ναυχράτην B || 6 τὸ alt. (et Her- 
mi.!): om. Stob, Hermi.® et, exc. Vollgr., omnes || 7 δὴ (reuera BT) 
(et Stob.) || ἃ τ πεττείας ... χυδείας (et Stob.): -αν,.. ταν Hermi. || 
ἃ δ᾽ (οἱ Stob.) : δὲ. Hermi.! || ἡ τόπου (et Stob.): νόμου ci. Naber || 
ἣν Vindob. 109 : ὃν codd. Stob. || xai (et Stob.) : x. αὐτὸν Badham 
Il 5 θεὸν (et Stob.): Θαμοῦν auct. Postgate Vollgr. || ΓΑυμωνα : 
äuw. W sed ἄμμ. 275 ὁ g {|| τοῦτον (et Stob.) : τούτων B {|| 6 ëxé- 
δειξεν B reuera (et Heérmi.!l): -ξς W Stob. 


274b 


274d 


275 


PHÉDRE 88 


quelle pouvait être l'utilité de chacun d’eux, et, sur ses expli- 
cations, selon qu'il les jugeait bien ou mal fondées il pro- 
nonçait tantôt le blâme, tantôt l'éloge. Nombreuses furent 
donc les réflexions dont, au sujet de chaque art, Thamous 
fit, dit-on, part à Theuth dans l’un et l’autre sens : on n’en 
finirait plus d’en dire le détail : Mais, le tour venu d’envi- 
sager les caractères de l'écriture : « Voici, à Roi, dit Theuth, 
« une connaissance qui aura pour effet de rendre les égyptiens 
« plus instruits et plus capables de se remémorer : mémoire 
« aussi bien qu'instruction ont trouvé leur remède! » Et le 
Roi de répliquer : « Incomparable maître ès arts, ὁ Theuth, 
autre est l’homme qui est capable de donner le jour à 
l'institution d’un art; autre, celui qui l’est d'apprécier 
« ce que cet art comporte de préjudice ou d'utilité pour 
les hommes qui devront en faire usage. ἃ cette heure, 
voilà qu’en ta qualité de père des caractères de l'écriture, 
« tu leur as, par complaisance pour eux, attribué tout le 
« contraire de leurs véritables effets ! Car cette connaissance 
« aura pour résultat, chez ceux qui l’auront acquise, de 
« rendre leurs âmes oublieuses, parce qu’ils cesseront d’exer- 
« cer leur mémoire : mettant en effet leur confiance dans 
« l’écrit, c’est du dehors, grâce à des empreintes étrangères, 
« non du dedans et grâce à eux-mêmes qu'ils se remémore- 
« ront les choses. Ce n’est donc pas pour la mémoire, c’est 
« pour la remémoration que tu as découvert un remède‘. 
« Quant à l'instruction, c'en est la semblance que tu pro- 
« cures à tes élèves, et non point la réalité: lorsqu’en effet 
« avec ton aide ils regorgeront de connaissances sans avoir 
« reçu d'enseignement, ils sembleront être bons à juger 
« de mille choses, au lieu que la plupart du temps ils sont 
« dénués de tout jugement ; et ils seront en outre insup- 
« portables, parce qu'ils seront des semblants d'hommes 
« instruits, au lieu d’être des hommes instruits?! » 


NA 


A 


A 


Aussi Platon parle-t-il de la vie humaine de ce dieu, à Naucratis, 
sur le Delta du Nil. De même, de Thamous, le roi qui réside à 
Thèbes, le récit passe à Ammon, le dieu de Thèbes, sous son nom 
grec qui est un équivalent de Thamous. 
1. L’écrit ne fait que soulager la mémoire défaillante ; cf. 275 d in. 
ἃ. Ce passage et celui de 275 bc évoquent certains mots de 
Montaigne : « Plustôt la tête bien faite que bien pleine. » « Fascheuse 


| 


88 ΦΑΙΔΡΟΣ 


Ὃ δὲ ἤρετο ἥντινα ἑκάστη ἔχοι ὠφέλειαν᾽ διεξιόντος δέ, 
ὅ τι καλῶς ἢ μὴ καλῶς δοκοῖ λέγειν τὸ μὲν ἔψεγεν, τὸ 
δ᾽ ἐπήνει. Πολλὰ μὲν δὴ περὶ ἑκάστης “τῆς τέχνης ἐπ᾽ 
ἀμφότερα Θαμοῦν τῷ Θεὺθ λέγεται ἀποφήνασθαι, ἃ λόγος 
πολὺς ἂν εἴη διελθεῖν. ᾿Επειδὴ δὲ ἐπὶ τοῖς γράμμασιν ἦν᾽ 
« Τοῦτο δέ, ὦ βασιλεῦ, τὸ μάθημα, ἔφη ὃ Θεύθ, σοφω- 
« τέρους Αἰγυπτίους καὶ μνημονικωτέρους παρέξει" μνή- 
« βῆς τε γὰρ καὶ σοφίας φάρμακον εὑρέθη. » Ὃ δ᾽ εἶπεν" 
« Ὦ τεχνικώτατε Θεύθ, ἄλλος μὲν τεκεῖν δυνατὸς τὰ 
« τέχνης, ἄλλος δὲ κρῖναι τίν᾽ ἔχει μοῖραν βλάβης τε καὶ 
« ὠφελείας τοῖς μέλλουσι χρῆσθαι. Καὶ νῦν σύ, πατὴρ ὧν 
« γραμμάτων, δι᾽ εὔνοιαν τοὐναντίον εἶπες ἢ δύναται. 
« Τοῦτο γὰρ τῶν μαθόντων λήθην μὲν ἐν ψυχαῖς παρέξει 
« μνήμης ἀμελετησίᾳ, ἅτε διὰ πίστιν γραφῆς ἔξωθεν 
« ὕπ᾽ ἀλλοτρίων τύπων, οὐκ ἔνδοθεν αὐτοὺς ὕφ᾽ αὑτῶν 
« ἄἀναμιμνῃσκομένους᾽ οὔκουν μνήμης, ἀλλὰ ὑπομνήσεως, 
φάρμακον εὗρες. Σοφίας δὲ τοῖς μαθηταῖς δόξαν, οὐκ 
ἀλήθειαν πορίζεις᾽ πολυήκοοι γάρ σοι γενόμενοι ἄνευ 
διδαχῆς, πολυγνώμονες εἶναι δόξουσιν, ἀγνώμονες ὡς 
ἐπὶ τὸ πλῆθος ὄντες, καὶ χαλεποὶ συνεῖναι, δοξόσοφοι 
γεγονότες ἀντὶ σοφῶν. » 


“-- Β΄ ΣΌΝ 


ἃ 7 ἥντινα (et Hermi.!): ἣν δὴ Stob. || ἔχοι : -εἰ Stob. || ὠφέ- 
λειαν (et Stob.): ὠφελίαν T et, exc. Thomps., omnes [διεξιόντος : 
δεξιόντοις T || e 1 δοχοῖ : δοχοίη Stob. || ἔψεγεν : -γε W Stob. || 2 δὴ : 
οὖν Stob.1 || 3 ἀποφήνασθαι (et Stob.): ἀποφήσ. Stallb. || ἃ ... 4 διελ- 
θεῖν : om. T || 4 πολὺς : x. μὲν Stob. || 5 σοφωτέρους : σοφο. W || 
6 παρέξει Stob. (et teste Schanz cod. quidam): -ξοι B (et 5. u. eod. teste 
cod. id.) -ξειν ΤῊΝ || 7 εὑρέθη (et Stob.) : n5o. exc. Thomps. omnes 
|| 8 ἄλλος : ex ἄλλως T || τεχεῖν δυνατὸς : ὃ, +. Stob. Hermi.! || 9 
τέχνης (et Stob.): τῆς τ. B et, exc. Burnet, omnes || 10 ὠφελείας (et 
Stob.) : -λίας T et, exc. Thomps., omnes || 275 a 1 ἢ: ἡ B || 2 μὲν (et 
Stob.): del. Schanz Vollgr. ἡμῖν Madvig || ἡ ἔνδοθεν (et Stob.): 
ἔνδον B Thomps. || αὐτοὺς ... 5 ἀναμιμνησχομένους (et Stob.) : -τοῖς.... 
-vots auct. Richards Vollgr. | 5 oëxouv: οὐχοῦν οὐ Stob. || ἀλλὰ: 
ἀλλ᾽ Stob. Hermi.! || 6 εὖρες (et Stob.): -pe B ηὗρ. exc. Thomps. 
omnes || 7 πορίζεις : ποριεῖς ci. Richards? || Ὁ 1 εἶνα: δόξουσιν (et 
Stob.): à. εἴ. Hermi. || 2 τὸ (et Hermi.): om. Stob. || συνεῖναι : 
ξυν. TW Stob. Thomps. Vollgr. 


IV. 3. — τὰ 


274 ἃ 


275 


b 


275b 


PHÈDRE 89 


Puèpre. — Quelle facilité tu as, Socrate, à composer des 
histoires égyptiennes, ou de toute autre contrée qu’il pourrait 
te plaire ! 

SocraTE. — C'était, mon cher, une tradition dans le 
sanctuaire de Zeus à Dodone, que d’un chêne étaient issues 
les premières révélations divinatoires. Ainsi donc, pour les 
gens de ce temps-là, pour eux qui n'étaient pas des savants à 
votre manière, à vous autres les jeunes, c'était assez, vu leur 
naïveté, d'écouter le langage d’un chêne ou d’une pierre, 
pourvu seulement qu'il fût véridique. Mais pour toi, ce qui 
sans doute importe surtout, c'est de savoir qui est celui qui 
parle et quel est son pays : cela ne te suffit pas, en effet, 
d’examiner si c’est bien comme cela qu’il en est, ou d’une 
autre façon ! 

Puaèpre. — Tu as eu raison de me donner sur les doigts, 
et je suis d'avis que, sur la question de l’écriture, il en est 
comme le dit l’homme de Thèbes. 

Socrate. — Conclusion : celui qui se figure que, dans des 
caractères d'écriture, il aura laissé après lui une connaissance 
technique, et celui qui, à son tour, la recueille avec l’idée 
que des caractères d'écriture produiront du certain et du 
solide, sans doute ont-ils largement, ces gens-là, leur compte 
de naïveté et méconnaissent-ils en réalité la prédiction 
d’Ammon : eux qui se figurent qu'un traité écrit est plus 
qu'un moyen, pour celui qui sait, de se remémorer les 
matières que concerne l'écrit ! 

Paèpre. — Tout à fait juste ! 

Socrate. — Ce qu'il y a de terrible en effet, je pense, 
dans l’écriture, c’est aussi, Phèdre, qu'elle ait véritablement 
tant de ressemblance avec la peinture. Et de fait, les êtres 
qu'enfante celle-ci font figure d'êtres vivants ; maïs, qu'on leur 
pose quelque question, pleins de dignité ils se taisent ! Il en 
est de même aussi pour les écrits : on croirait que de la pen- 


suffisance qu’une suffisance pure livresque » ; le second dénonce plus 
spécialement la pure curiosité historique, qui se désintéresse de la 
valeur, morale ou esthétique, de son objet. 

1. Peut-être la pierre de Delphes, après le chêne de Dodone. 
Adaptation d’un proverbe (Od. XIX 163) qui, sans allusion aux deux 
sanctuaires, signifiait une origine exempte de mystère. 

2. Pour Platon la peinture est par excellence l’art d’illusion. 


89. ΦΑΙΔΡῸΣ 


ΦΑΙ. Ὦ Σώκρατες, ῥᾳδίως σὺ Αἰγυπτίους καὶ ὅπο- 
δαποὺς ἂν ἐθέλῃς λόγους ποιεῖς. 

ΣΩ. Οἱ δέ γ᾽, ὦ φίλε, ἐν τῷ τοῦ Διὸς τοῦ Δωδωναίου 
ἱερῷ δρυὸς λόγους ἔφησαν μαντικοὺς πρώτους γενέσθαι. 
Τοῖς μὲν οὖν τότε, ἅτε οὐκ οὖσι σοφοῖς ὥσπερ ὕμεϊς ot 
νέοι, ἀπέχρη δρυὸς καὶ πέτρας ἀκούειν ὕπ᾽ εὐηθείας, εἰ 
μόνον ἀληθῆ λέγοιεν. Zoi δ᾽ ἴσως διαφέρει τίς ὃ λέγων καὶ 
ποδαπός" οὐ γὰρ ἐκεῖνο μόνον σκοπεῖς εἴτε οὕτως, εἴτε 
ἄλλως ἔχει. ἃ 

ΦΑΙ. ᾿Ορθῶς ἐπέπληξας, καί μοι δοκεῖ περὶ γραμμάτων 
ἔχειν ἧπερ ὃ Θηθαῖος λέγει. 

ΣΩ. Οὐκοῦν ὃ τέχνην otéuevos ἐν γράμμασι καταλιπεῖν, 
καὶ αὖ ὃ παραδεχόμενος ὥς τι σαφὲς καὶ βέθαιον ἐκ γραμ- 
μάτων ἐσόμενον, πολλῆς ἂν εὐηθείας γέμοι καὶ τῷ ὄντι τὴν 
ἼΑμμωνος μαντείαν ἀγνοοῖ, πλέον τι οἰόμενος εἶναι λόγους 
γεγραμμένους τοῦ τὸν εἰδότα ὕπομνῆσαι περὶ ὧν ἂν À τὰ 
γεγραμμένα. 

ΦΑΙ. ᾿Ορθότατα. 

ΣΩ. Δεινὸν γάρ που, ὦ Φαῖδρε, τοῦτ᾽ ἔχει γραφὴ καὶ 
ὡς ἀληθῶς ὅμοιον ζωγραφίᾳ. Kal γὰρ τὰ ἐκείνης ἔκγονα 
ἕστηκε μὲν ὧς ζῶντα" ἐὰν δ᾽ ἀνέρῃ τι, σεμνῶς πάνυ σιγᾷ. 
Ταὐτὸν δὲ καὶ of λόγοι: δόξαις μὲν ἂν ὥς τι φρονοῦντας 


b 8 καὶ (et Stob.) : τε καὶ TW [{Ὁ οἱ δέγ᾽ ὦ (et Hermi.![Monac. 11]): 
οἶδ᾽ ἐγ᾽ ὦ Β ut uid. et Hermiae pleriq. codd. οὐδ᾽ ἐγ᾽ ὦ W Vindob. 
109 soi et σὺ δ᾽ ἐγὼ Stob. || 6 ἱερῷ (et Stob.): -ρῆς Vollgr. || ἔφησαν 
(et Stob.) : ἔφα. TW || 7 ὑμεῖς (et Stob.): ἡμεῖς apogr. Heindorf 
|| 8 δρυὸς B? (ρ 5. u.): duos B || Ὁ 1 λέγοιεν : -εἰεν Stob.r || δ᾽ ἴσως (et 
Stob.): om. B || διαφέρει (et Stob.): -pn W || 2 ποδαπός (et Stob.) : 
rot. Hermi. || 3 ἔχει. : ἔχε: ; Schanz Burnet || 5 ἧπερ : ηπ. Β εἴπ. 
Stob. || λέγει (et Stob.): ἔλεγεν ci. Herwerden || 6 χαταλιπεῖν : 
-λείπειν Stob. || ὃ ἂν (et Stob.): om. B || 9 ΓἌμμωνος : ἄμμο. W ut uid. 
|| ἀγνοοῖ : -οεἴ uulg. Stob.n || εἶναι λόγους γεγραμμένους (et Stob.): 
ἔχειν (ποιεῖν Stallb.) À. y. (uel εἶναι ἐν [ἐνεῖναι Richards] τοῖς -ot -otç) 
Heindorf Vollgr. || ἃ 1 τοῦ τὸν : τοῦτον B xx τοῦτον Stob. ἢ τὸ τὸν 
ci. Wachsmuth ad Stob. || 4 γραφὴ B? (ν eras. ut uid.) (et Stob.) : 
-ὴν codd. || 5 τὰ : ταῦτα Stob. || 6 ἕστηχε : -xev Stob. || avépn B? Cæ: x 
δ᾽ ἂν ton B δὲ ἔρῃ δον; 


IV. 8. — 12. 


275 b' 


ο 


d 


275 ἃ 


276 


PHÈDRE 90 


sée anime ce qu'ils disent ; mais, qu’on leur adresse la parole 
avec l'intention de s’éclairer sur un de leurs dires, c’est une 
chose unique qu'ils se contentent de signifier, la même tou- 
jours ! Autre chose : quand une fois pour toutes il a été écrit, 
chaque discours s’en va rouler de droite et de gauche, indif- 
féremment auprès de ceux qui s’y connaïssent et, pareïlle- 
ment, auprès de ceux dont ce n’est point l'affaire, et il me 
sait pas quels sont ceux à qui justement il doit ou mon s’adres- 
ser !. Que d’autre part il s'élève à son sujet des voix discor- 
dantes et qu’il soit injustement dédaigné, il a toujours besoin 


_de l'assistance de son père : à lui seul, en effet, il n’est 


capable, ni de se défendre, ni de s’assister lui-même. 


Puèpre. — Ton langage est encore on ne peut plus 
juste ! 
SocraATE. — Qu'est-ce à dire? Devons-nous envisager, pour 


un autre discours, frère du précédent et légitime celui-là, 
dans quelles conditions il a lieu et de combien il surpasse 
l’autre par la qualité et la puissance de sa sève ? 


Puaèpre. — Quel «st ce discours dont tu parles et dans 
quelles conditions a-t-il lieu d’après toi ? 
Socrate. — C'est celui qui, accompagné de savoir, s’écrit 


dans l’âme de l’homme qui apprend, celui qui est capable 
de se défendre lui-même et qui, d’autre part, 881} parler aussi 
bien que se taire devant qui il faut. 

Paëpre. — Tu veux dire le discours de celui qui sait, 
discours vivant et animé, duquel en toute justice on pourrait 
dire que le discours écrit est un simulacre ? 

Socrate. — Hé oui! absolument. Et maintenant, dis- 
moi : le cultivateur intelligent, s’il a des semences dont il se 
soucie et dont il souhaite qu'elles portent fruit, est-ce que 
tout de bonil ira, en plein été, les ensemencer dans les jar- 
dinets d’Adonis, pour la satisfaction de voir ces jardinets 
devenus superbes au bout de huit jours ?? Ou bien ne serait-ce 
point pour se divertir, aussi bien qu’à cause de la fête, qu’il 
procéderait de la sorte, à supposer qu’il lui arrivât de le 
faire? Mais plutôt, s’il y en a qui réellement l'intéressent, 


1. À l’opposé de cette analyse concrète, dont la névessité a été 
expliquée 271 a-272 b (cf. 269 bc, 273 de). Même idée 276 a-e fin. 
ἃ. Aux fêtes d’Adonis, on faisait pousser, hors saison, dans une 
coquille, dans un panier, dans un vase, des plantes qui mouraient vite : 


90 os ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


αὐτοὺς λέγειν" ἐὰν δέ τι ἔρῃ τῶν λεγομένων βουλόμενος 
μαθεῖν, ἕν τι σημαίνει μόνον ταὐτὸν ἀεί. Ὅταν δὲ ἅπαξ, 
γραφῇ, κυλινδεῖται μὲν πανταχοῦ πᾶς λόγος, δμοίως παρὰ 
τοῖς ἐπαΐουσιν ὡς δ᾽ αὕτως παρ᾽ οἷς οὐδὲν προσήκει, καὶ 
οὐκ ἐπίσταται λέγειν οἷς δεῖ γε καὶ μή. Πλημμελούμενος 
δὲ καὶ οὐκ ἐν δίκῃ λοιδορηθείς, τοῦ πατρὸς ἀεὶ δεῖται 
βοηθοῦ: αὐτὸς γὰρ οὔτ᾽ ἀμύνασθαι οὔτε βοηθῆσαι δυνατὸς 
αὑτῷ. 

ΦΑΙ. Καὶ ταῦτά σοι ὀρθότατα εἴρηται. 

ΣΩ. Ti δέ: ἼΑλλον δρῶμεν λόγον, τούτου ἀδελφὸν γνή- 
σιον, τῷ τρόπῳ τε γίγνεται καὶ ὅσῳ ἀμείνων καὶ δυνατώ- 
TEPOG τούτου φύεται" 

ΦΑΙ. Τίνα τοῦτον καὶ πῶς λέγεις γιγνόμενον ; 

ΣΩ. Ὃς μετ᾽ ἐπιστήμης γράφεται ἐν τῇ τοῦ μανθά- 
νοντος ψυχῇ, δυνατὸς μὲν ἀμῦναι ἑαυτῷ, ἐπιστήμων δὲ 
λέγειν τε καὶ σιγᾶν πρὸς οὗς δεῖ. 

ΦΑΙ. Τὸν τοῦ εἰδότος λόγον λέγεις, ζῶντα καὶ ἔμψυχον, 
οὗ ὃ γεγραμμένος εἴδωλον ἄν τι λέγοιτο δικαίως ; 

ΣΩ. Παντάπασι μὲν οὖν. Τόδε δή μοι εἶπέ: ὃ νοῦν 
ἔχων γεωργός, ὧν σπερμάτων κήδοιτο καὶ ἔγκαρπα βούλοιτο 
γενέσθαι, πότερα σπουδῇ ἄν. θέρους εἰς ᾿Αδώνιδος κήπους 
ἀρῶν, χαίροι θεωρῶν καλοὺς ἐν ἡμέραισιν ὀκτὼ γιγνο- 
μένους ; ἢ ταῦτα μὲν δὴ παιδιᾶς τε καὶ ἑορτῆς χάριν δρῴη 
ἄν, ὅτε καὶ ποιοῖ ; ‘Ed οἷς δὲ ἐσπούδακεν, τῇ γεωργικῇ 


ἃ 9. ἀεὶ: αἱ. codd. || 6e 1 γραφῇ (et Hermi.!) : γράφῃ Β || 
χυλινδεῖται μὲν (οἱ Hermi.) : χαλ. μ. W Vindob. 109 Vollgr. πολλῶν 
ἐνδεῖται ci. Herwerden || 3 γε: τε Hirschig Thomps. Vollgr, || 
πλημμελούμενος B?rec. (5. u. λουμε) : πλημμενος B || 4 δὲ «ai: om. W? 
rec. (locum iterans i. m.) || ἀεὶ : αἰ. codd. || 6 αὑτῷ T? (spir. em.) : 
αὐ. ΤῊ av. B || 276 à 1 τί δέ; ἄλλον: τί δ᾽ ἄλλ. codd. Hermi.! || 
ὁρῶμεν : ἐροῦμεν W2? (ἐ ét où s. u. fors. pr. m.) ἐρῷ μὲν et ἐρῶμεν 
Hermi.? {γνήσιον em. Coislin. 155 (et Hermi.): -10ç codd. || br 
γοῦν : νυν B || 2 ὧν : ὦ Β ὧν (fors. ex ἂν) W ἂν Vindob. r09 || 4 ἀρῶν 
© W?rec. (à 8. u.): 6e. W Vindob, 109 addub. Heindorf σπείρας ci. 
Herwerden ἄωρα σπεί. ci. Vollgr. || 5 ἢ : ἢ BAT fors. non legit 
Hermi.! || 6 ἐσπούδαχεν : -xe W. 


2754 


276 


276b 


PHÈDRE gr 


il mettra à profit l’art de la culture pour les semer dans le 
terrain approprié, et il se félicitera sans doute si, au bout de 
huit mois, toutes celles qu’il a semées ont atteint leur terme. 

Paèpre. — C'est bien comme cela, Socrate, qu'il ferait, 
je crois: dans un cas, pour de bon; dans l’autre, d’une 
manière différente et de la façon que tu dis. 

SocraTE. — Mais l’homme qui possède la science du juste, 
celle du beau, celle du bien, devrons-nous affirmer qu'il a 
moins d'intelligence que le cultivateur, par rapport aux 
semences qui sont proprement les siennes? 

Paëpre. — Pas le moins du monde, c’est certain ! 

SocRATE. — Ainsi, tu vois, ce n’est pas pour de bon qu'il 
ira écrire sur l’eau‘ ces choses-là au moyen d’encre, usant 
d'un roseau pour ensemencer avec des discours, qui ne sont 
pas seulement impuissants à se porter assistance à eux-mêmes 
par la parole, mais impuissants aussi à enseigner convena- 
blement la vérité? ! 

Paèpre. — Tout au moins ce n’est pas probable. 

Socrate. — Non, en effet. Ces jardinets en caractères 
d'écriture, ce sera au contraire, selon toute apparence, 
pour se divertir, et qu'il les ensemencera, et qu'il écrira ; 
mais quand il lui arrive d’écrire, c’est un trésor de remémo- 
rations qu'ainsi il se constitue, et à lui-même en cas qu'il 
arrive à l’oublieuse vieillesse, et à quiconque suit la même 
piste*. Il prendra son plaisir à voir pousser ces tendres cultu- 
res; d'autres useront d'autres divertissements, se gorgeant 
de beuveries et de tous les plaisirs encore qui sont frères de 
ceux-là, pendant que lui, c'est bien probable, il leur préfè- 
rera ceux dont je parle et qui sont le divertissement de son 
existence ! 

Paèpre. — Quelle magnificence, Socrate, au regard de 
la bassesse des autres, dans le divertissement que tu dis 5 : 


offrandes qui symbolisaient la fin prématurée de l’aimé d’Aphrodite. 

1. Locution équivalente à notre écrire sur le sable. 

2. Ge sont les deux points qui seront distingués ibid. e sq., pas- 
sage à rapprocher de Banquet 209 ὁ (et la Notice, χοὶ sq.). 

3. Ainsi tout écrit de Platon remémorerait, soit son enseignement, 
soit au moins un moment de sa réflexion. Cf, Notice, p. 111 sq. 

4. Son plaisir contraste avec ceux des autres; je coupe donc ici. 

5. La réplique de Phèdre suppose un malentendu, que Socrate 
s’empresse de dissiper (cf. Notice, p. axy sq.). 


οι ΦΑΙΔΡῸΣ 


χρώμενος ἂν τέχνῃ, σπείρας εἷς τὸ προσῆκον, ἀγαπῴη ἂν 
ἐν ὀγδόῳ μηνὶ ὅσα ἔσπειρεν τέλος λαθόντα : 


ΦΑΙ. Οὕτω που, ὦ Σώκρατες: τὰ μὲν σπουδῇ, τὰ δὲ ὡς 


ἑτέρως ἂν ἣ λέγεις ποιοῖ. 

ΣΩ. Τὸν δὲ δικαίων τε καὶ καλῶν καὶ ἀγαθῶν ἐπιστήμας 
ἔχοντα, τοῦ γεωργοῦ φῶμεν ἧττον νοῦν ἔχειν εἷς τὰ ἑαυτοῦ 
σπέρματα ; 

ΦΑΙ. ἭΚκιστά γε. 

ΣΩ. Οὐκ ἄρα σπουδῇ αὐτὰ ἐν ὕδατι γράψει, μέλανι 
σπείρων διὰ καλάμου μετὰ λόγων, ἀδυνάτων μὲν αὑτοῖς 
λόγῳ βοηθεῖν, ἀδυνάτων δὲ ἱκανῶς τἀληθὲς διδάξαι. 

ΦΑΙ. Οὔκουν δὴ τό γ᾽ εἶκός. 

ΣΩ. Οὐ γάρ. ᾿Αλλὰ τοὺς μὲν ἐν γράμμασι κήπους, ὡς 
ἔοικε, παιδιᾶς χάριν σπερεῖ τε καὶ γράψει" ὅταν δὲ γράφῃ, 
Éaut® τε ὑὕπομνήματα βησαυριζόμενος εἷς τὸ λήθης 
γῆρας ἐὰν ἵκηται, καὶ παντὶ τῷ ταὐτὸν ἴχνος μετιόντι. 
“Ἡσθήσεταί τε αὐτοὺς θεωρῶν puouévoucs ἅπαλούς" ὅταν δὲ 
ἄλλοι παιδιαῖς ἄλλαις χρῶνται συμποσίοις τε ἄρδοντες 
αὑτοὺς ἑτέροις τε ὅσα τούτων ἀδελφά, τότ᾽ ἐκεῖνος, ὡς 
ἔοικεν, ἀντὶ τούτων οἷς λέγω παίζων διάξει. 


ΦΑΙ. Παγκάλην λέγεις παρὰ φαύλην παιδιάν, ὦ Σώ- 


Ὁ 7 χρώμενος ἂν τέχνῃ : ἂν ye. τ. ἂν ΒΓ ο 2 ἢ: ἢ ΤΊΒΙ 
ποιοῖ : -oin Thomps. || 7 μέλαν: : ἐν ᾧ.. Badham || 8 μετὰ λόγων : del. 
Heïndorf σπέρματα À. Badham Vollgr. || ἀδυνάτων... 9 ἀδυνάτων : 
-νατῶν... -νατῶν TW Heindorf || αὑτοῖς : αὖ. codd. Heindorf || 9 
τἀληθὲς: 0% B edd. || τὸ οὔχουν : οὐχοῦν Β reuera οὐχ οὖν Vollgr. 
" d τ τοὺς μὲν : τὸ μ. Hermi. || ἐν γράμμασι (et Hermi.) χήπους : 
χ, γρ. Vollgr. (Append. crit. 153) || 2 σπερεῖ τε: -εἴται W || δὲ : del. 
Thomps. 560]. Burnet τε Ηοϊπάοτῇ γε Schanz λόγους Vollgr. (tbid. cf. 
αὐτοὺς d 5) || 3 τὸ λήθης γῆρας : τὸ τῆς À. y. Damascius τὴν τοῦ 
γήρως λήθην Küster || 4 ἐὰν ἵχηται : del. οἱ. Winckelm. Schanz || 
rai : pépuaxa, xai ci. Winckelm. || μετιόντι. : -τι, edd. || 5 ὅταν δὲ 
add. Paris. 1811 ὅταν codd. ὅτ. τε Stephan. || 7 αὑτοὺς B reuera : 
αὖ. TW || 8 οἷς λέγω Paris. 1812 yep. : οἷς λέγων codd. où À. Schanz 
(cf. Theaet. 172 b 2) ἐν οἷς ἔλεγον Heindorf Vollgr. alia alii || παίζων : 
ëur. Richards || διάξει : διέ, B ἐνδιά, Bake διέξεισι Winckelm. || e 1 
παγχάλην ... παιδιάν : iterat W? rec. manu i. m. 


276b 


276 e 


277 


PHÈDRE 92 


celui de l’homme capable de se divertir à la composition lit- 
téraire, en imaginant de beaux discours sur la Justice, ainsi 
que sur les autres objets par toi nommés ! 

SOCRATE. — En fait il en est bien ainsi, mon cher Phè- 
der. Mais il ya beaucoup plus de beauté, je crois, dans une 
certaine façon de s'appliquer pour de bon à cette fin: c’est 
quand, par l'usage de l'art dialectique et une fois prise en 
main l’âme qui y est appropriée, on y plante et sème des 
discours que le savoir accompagne ; discours qui sont en 
mesure de se donner assistance à eux-mêmes ainsi qu'à celui 
qui les a plantés, et qui, au lieu d’être stériles, ont en eux 
une semence de laquelle, en d’autres naturels, pousseront 
d’autres discours ; en mesure de procurer toujours, impé- 
rissablement, ce même effet et de réaliser en celui qui le pos- 
sède le plus haut degré de félicité qui soit possible pour un 
homme ! 

Puèpre. — Dans ce que tu dis il y a en effet beaucoup 
plus de beauté encore. 


SocRATE. — À présent bien sûr, Phèdre, 
nous voilà désormais capables, une 
fois l’accord établi sur ces points, de 
décider pour l’autre. 

Pare. — Lequel? 

SocRATE. — Eh mais! celui sur lequel nous désirions voir 
clair et qui nous a amenés où nous en sommes! C'était de 
nous livrer à une enquête sur le grief qu’on faisait à Lysias 
d'écrire des discours, et aussi, à propos des discours mêmes, 
sur l’art ou l’absence d’art dans la manière de les écrire. 
Aussi bien suis-je d’avis que, pour ce qui caractérise la pré- 
sence ou l'absence d’art, nous avons convenablement fait voir 
ce qui en est. 


Résumé 
d'ensemble. 


Puèpre. — Nous en fùmes d'avis, je ne dis pas non! 
Revenons-y pourtant et remémore-moi comment. 
SocraTe. — Jusqu'à ce qu'on connaisse la vérité de cha- 


cune des questions dont on parle ou dont on écrit; jusqu'à 
ce qu’on se soit rendu capable de définir toute la chose pour 
elle-même et qu'on sache en outre, après lavoir définie, la 
subdiviser en retour selon ses espèces, en ne s’arrêtant qu’à 
l'espèce indivisible; jusqu’à ce qu'ensuite, grâce à une ana- 
lyse, fondée sur la même méthode, de la nature de l’âme, on 


΄ 


stat AE te HÉROS ÉTÉ ESS Se td on πὰ. προ SC  σσοΆ 


RD der ρου ρα, ϑονὴ 


92 ΦΑΙΔΡῸΣ 


κρατες, τοῦ ἐν λόγοις δυναμένου παίζειν, δικαιοσύνης τε 
καὶ ἄλλων ὧν λέγεις πέρι μυθολογοῦντα. 

ΣΩ. Ἔστι γάρ, ὦ φίλε Φαῖδρε, οὕτω. Mod δ᾽ οἶμαι 
καλλίων σπουδὴ περὶ αὐτὰ γίγνεται ὅταν τις, τῇ διαλεκτικῇ 
τέχνῃ χρώμενος, λαθὼν Ψψυχὴν προσήκουσαν, φυτεύῃ τε 
καὶ σπείρῃ μετ᾽ ἐπιστήμης. λόγους, οἱ ἑαυτοῖς τῷ τε 
φυτεύσαντι βοηθεῖν ἱκανοὶ καὶ οὐχὶ ἄκαρποι, ἀλλὰ ἔχοντες 
σπέρμα ὅθεν ἄλλοι, ἐν ἄλλοις ἤθεσι φυόμενοι, τοῦτ᾽ ἀεὶ 
ἀθάνατον παρέχειν ἱκανοί, καὶ τὸν ἔχοντα εὐδαιμονεῖν 
ποιοῦντες εἷς ὅσον ἀνθρώπῳ δυνατὸν μάλιστα. 

ΦΑΙ.. Πολὺ γὰρ τοῦτ᾽ ἔτι κάλλιον λέγεις. 


ΣΩ. Νῦν δὴ ἐκεῖνα ἤδη, ὦ Φαῖδρε, δυνάμεθα κρίνειν, 
τούτων ὡμολογημένων. 

ΦΑΙ. Τὰ ποῖα: 

ΣΩ. “Qv δὴ dis Bauandévesc ἰδεῖν ἀφικόμεθα εἰς τόδε, 
ὅπως τὸ: Λυσίου τε ὄνειδος ἐξετάσαιμεν τῆς τῶν λόγων 
γραφῆς πέρι, καὶ αὐτοὺς τοὺς λόγους οἷ τέχνῃ καὶ ἄνευ 
τέχνης γράφοιντο. Τὸ μὲν οὖν ἔντεχνον καὶ μὴ δοκεῖ μοι 
δεδηλῶσθαι μετρίως. 

ΦΑΙ. Ἔδοξέ γε δή᾽ πάλιν δὲ ὑπόμνησόν με πῶς. 

ΣΩ. Πρὶν ἄν τις τό τε ἀληθὲς ἑκάστων εἰδῇ περὺ ὧν 
λέγει ἢ γράφει: κατ᾽ αὐτό τε πᾶν δρίζεσθαι δυνατὸς 
γένηται’ δρισάμενός τε, πάλιν κατ᾽ εἴδη μέχρι τοῦ ἀτμήτου 
τέμνειν ἐπιστηθῇ᾽ περί τε ψυχῆς φύσεως διιδὼν κατὰ 


Θ 3 μυθολογοῦντα : -τας Hermi. -τος Richards || 7 οἵ ἑαυτοῖς : 
οἵ ἕ, τ᾽ ἔσονται Wilamowitz (teste Vollgr.) cf. mox || 277 ἃ 1 ἱκανοὶ: 
ἵ, ἔσονται Vollgr. || χαὶ : te x. TW || ἄκαρποι : ἃ. ἔσονται Badham || 
2 ἄλλοι: καὶ ἄλλ. Vollgr. || ἤθεσι : -σιν B || φυόμενοι : ἔμφυ. Vollgr. 
cf. 278 b 2 || ἀεὶ : af. codd. || 3 παρέχειν ἱχανοὶ (et Hermi.!) καὶ τὸν : 
7. i. τὸν Schanz παρέχοιεν: τὸν. Badham Vollgr. || b. 1 xai alt. : ἢ χαὶ 
W || 2 γράφοιντο : -ονται W sed: 5. ἃ. post o || ἡ πάλιν ... πῶς primus 
Phaedro tribuit Schleierm. sed iam Hermias 262? : Socrati sicut et 
subsequentia codd. || 5 re: γε Hermi. || εἰδῇ : ἰδῇ T ιδῃ ἢ Β A περὶ : 
πέρι Burnet Vollgr. || ὃ xax” αὐτό τε: x. αὖ. γε Bas.? χἄτ᾽ αὐ. γε 
Stephan. χαθ᾽ αὖ. Heindorf χαὶ αὐ. Richards || 7 xax” εἴδη : χατιδη B. 


2766 


277 


277 c 
c 


PHÈDRE 93 


découvre l'espèce qui correspond à chaque nature; que, de la 
sorte, on établisse et qu’on organise le discours, en offrant à 
une âme bigarrée des discours à la fois bigarrés et embras- 
sant tous les modes, ou, au contraire, des discours sans diver- 
sité à une âme sans diversité‘, — non, jusqu’à ce moment il 
n’y aura pas possibilité que le genre oratoire soit manié avec 
art dans toute la mesure où 1] est dans sa nature de l’être, 
ni en rien pour enseigner, ni en rien pour persuader; et c’est 
ce que nous a révélé toute la précédente discussion. 


Puèpre. — Mais oui, absolument ! C’est bien à peu près 
comme cela que la chose nous est apparue. 
Socrare. — Et que dire, d’autre part, des conditions où 


il est beau ou vilain de prononcer comme d'écrire des discours? 
et aussi des circonstances où, en bonne justice, on fera de 
cela un sujet, ou non, de blàme ? Est-ce qu’on n’a pas mis en 
lumière dans ce qu'on a dit un peu auparavant... ? ? 

Puèpre. — Et quoi? 

SOCRATE. — ...que, si Lysias ou un autre ἃ jamais écrit 
ou doive écrire, soit à titre privé, soit comme homme public 
qui, instituant des lois, écrit ainsi un ouvrage politique, et 
avec l’idée en outre qu'il y a là-dedans une grande solidité, 
une grande certitude, — voilà où certes il y a motif de blàme, 
déclaré ou πο ὃ, à l'égard de celui qui écrit. C’est que man- 
quer, éveillé ou bien en songe, de toute notion concernant le 


e juste et l’injuste, le mal et le bien, est chose qui véritable- 


ment n'échappe pas au blâme qu’elle mérite, obtiendrait-elle 
même l’unanime éloge de la tourbe ! 

Paèpre. — Non, effectivement ! 

SOCRATE. — Quant à cet autre, au jugement de qui un 
discours écrit, quel qu’en soit le sujet, contient nécessaire- 
ment une large part de divertissement ; pour qui jamais nul 
discours, usant du vers ou se passant du vers, ne vaut la 


peine de l'écrire, ou de le réciter à la façon dont les rhapso- 
des récitent les leurs5, s’il ne suppose ni examen préalable 


1. Résumé : 1° de 259c-264 e ; 20 de 271 a-272b, 273 de. 

2. Voir 257c 258 d, 261a-e, 274 b, 278 c. 

3. Les politiques de 257c n’eussent-ils pas blämé ouvertement 
Lysias, cela ne changerait rien à son cas. 

ἡ. Locution : le rêve même n’en donnerait pas l'illusion. 

5. Les récitations des rhapsodes (cf. Jon) ont pour but le plaisir 


93 ΦΑΙΔΡΟΣ 


ταῦτά, τὸ προσαρμόττον ἑκάστῃ φύσει εἶδος ἀνευρίσκων, 
οὕτω τιθῇ καὶ διακοσμῇ τὸν λόγον, ποικίλῃ μὲν ποικίλους 
ψυχῇ καὶ παναρμονίους διδοὺς λόγους, ἅπλοῦς δὲ ἅπλῇ, 
— où πρότερον δυνατὸν τέχνῃ ἔσεσθαι καθ᾽ ὅσον πέφυκε 
μεταχειρισθῆναι τὸ λόγων γένος, οὔτε τι πρὸς τὸ διδάξαι, 
οὔτε τι πρὸς τὸ πεῖσαι, ὧς ὃ ἔμπροσθεν πᾶς μεμήνυκεν 
ἡμῖν λόγος. 

ΦΑΙ. Παντάπασι μὲν οὖν τοῦτό γε οὕτω πως ἐφάνη. 

ΣΩ. Τί δ᾽ αὖ περὶ τοῦ καλὸν ἢ αἰσχρὸν εἶναι τὸ λόγους 
λέγειν τε καὶ γράφειν, καὶ ὅπῃ γιγνόμενον ἐν δίκῃ λέγοιτ᾽ 
ἂν ὄνειδος ἢ μή ; ἾΑρα οὐ δεδήλωκεν τὰ λεχθέντα ὀλίγον 
ἔμπροσθεν... ; 

ΦΑΙ. Τὰ ποῖα ; 

ΣΩ. ‘Qc, εἴτε Λυσίας ἤ τίς ἄλλος πώποτε ἔγραψεν ἢ 
γράψει ἰδίᾳ ἢ δημοσίᾳ, νόμους τιθείς, σύγγραμμα πολι- 
τικὸν γράφων, καὶ μεγάλην τινὰ ἐν αὐτῷ βεθαιότητα 
ἡγούμενος καὶ σαφήνειαν, οὕτω μὲν ὄνειδος τῷ γράφοντι, 
εἴτε τίς φησιν εἴτε ph: τὸ γὰρ ἀγνοεῖν, ὕπαρ τε καὶ ὄναρ, 
δικαίων καὶ ἀδίκων πέρι καὶ κακῶν καὶ ἀγαθῶν, οὐκ 
ἐκφεύγει τῇ ἀληθείᾳ μὴ οὐκ ἐπονείδιστον εἶναι, οὐδὲ ἂν ὃ 
πᾶς ὄχλος αὐτὸ ἐπαινέσῃ. 

ΦΑΙ. Οὐ γὰρ οὖν. 

ΣΩ. Ὃ δέ γε ἐν μὲν τῷ γεγραμμένῳ λόγῳ περὶ ἑκάστου 
παιδιάν τε ἡγούμενος πολλὴν ἀναγκαῖον εἶναι καὶ οὐδένα 
τιώποτε λόγον, ἐν μέτρῳ οὐδ᾽ ἄνευ μέτρου, μεγάλης ἄξιον 
σπουδῆς γραφῆναι οὐδὲ λεχθῆναι, ὡς οἵ ῥαψῳδούμενοι, 

Οἱ ταὐτά: ταῦτα ΤῊ ταυτα Β || 5 et 6 οὔτε τι utrumq. : οὐ τε 
τι W || 6 μεμήνυχεν : μεμνημόνευ. W || 8 πως : πῶς BW || d τ τοῦ 
(et Ηδγπηὶ.}) : τὸ B || 2 λέγειν τε xai: auct. Suckow del. Vollgr. || 
λέγοιτ᾽ ἂν: λέγει τὰν B || 3 ἢ em. Paris. 1812 : εἰ codd. || ἀρα: 
ἄρα codd. || 6 ἤ pr.: εἴτε auct. Herwerden Vollgr. || 7 γράψει : 
-pet B || v6uovs τιθείς : del. Schleierm. secl. Schanz || 8 γράφων : del. 
Badham Vollgr. || xxi: fors. non legit Hermi.! auct. Heindorf del. 
Vollgr. || e 1 xai pr.: τε xat TW Thomps. Vollgr. || 6 ἀναγχαῖον : 


-aiws auct. Herwerden Vollgr. || 8 οὐδὲ... g ἐλέχθησαν : 560]. Schanz 
del. Vollgr. (aut saltem ὡς ... ἐλ. Ast) || ὡς of : ὅσοι Schleierm. 


277 c 
c 


277e 


278 


PHÈDRE 94 


ni volonté d’instruire, et que la persuasion en ait été le but ; 
pour qui, au contraire, les meilleurs de cette espèce consti- 
tuent en réalité chez l'homme qui sait un moyen de se ressou- 
venir, tandis que les discours qui sont matière d’enseigne- 
ment, ceux dont l’objet est d’instruire et qui, en réalité, 
s’écrivent dans l’âme concernant le juste, le beau, le bien, 
sont les seuls où il y ait évidence, perfection et qui vaillent 
notre peine ; pour qui, enfin, de semblables discours doivent 
être appelés ses enfants à lui, ses fils légitimes en quelque 
sorte ! : en premier lieu, celui qu’il porte en lui-même quand 
Pinvention le lui a rendu présent ; ensuite, les rejetons du 
premier, et ses frères à la fois, s’il en est qui soient nés chez 
d'autres hommes, en d’autres âmes à proportion de ce qu’elles 
valent? ; qui au reste des discours dit adieu... cet homme, 
dis-je, et qui est tel, il y a chance, qu'il soit, Phèdre, ce que 
toi comme moi nous voudrions être l’un et l’autre! 

Prèpre. — Mais oui! Ton langage répond absolument à 
ce que, quant à moi, je désire et souhaite. 

SOCRATE. — Ainsi donc, en voilà désormais bien suffisam- 
ment du divertissement que nous a donné la question de 
l'éloquence ! A toi, maintenant, d’aller expliquer à Lysias 
qu'étant tous les deux descendus jusqu’au ruisseau des Nym- 
phes et jusqu’à leur sanctuaire, nous nous sommes entendu 
charger de la commission que voici, pour Eysias et aussi bien 
pour quiconque compose des discours; pour Homère égale- 
ment, comme pour tout autre qui aura composé des poésies, 
soit sans accompagnement musical, soit pour être chantées ; 
troisièmement enfin, pour Solon et pour quiconque, dans 
Vordre de l’éloquence politique, a écrit des ouvrages en leur 
donnant le nom de lois: « Si c’est avec la connaissance de 
« ce qui constitue le vrai, que tel de vous a composé ces écrits ; 
« en mesure aussi de leur porter assistance, au moment d’en 
« venir aux preuves relatives à la question que concerne son 
« écrit; capable enfin par sa parole de mettre lui-même en 
« évidence le peu que sont ses écritst — non, ce n’est aucune 


du public, non son éducation : aussi se dispensent-ils de cette enquête 
qui, au préalable, déterminerait les éléments de la cause. 

1. Par opposition à ces bâtards dont il était question 276 a. 

ἃ. Ceci correspond à l’âme appropriée de 276 e. 

3. Cf. Lois 665 d, où cette séparation signifie décadence. 

4. Ainsi que l’a fait justement Platon, 276 d. 


94 ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 

ἄνευ ἀνακρίσεως καὶ διδαχῆς, πειθοῦς ἕνεκα ἐλέχθησαν, 
ἀλλὰ τῷ ὄντι αὐτῶν τοὺς βελτίστους εἰδότων ὕπόμνησιν 
γεγονέναι: ἐν δὲ τοῖς διδασκομένοις καὶ μαθήσεως χάριν 


λεγομένοις, καὶ τῷ ὄντι γραφομένοις ἐν ψυχῇ περὶ δικαίων. 


τε καὶ καλῶν καὶ ἀγαθῶν, μόνοις τό τε ἐναργὲς εἶναι καὶ 
τέλεον καὶ ἄξιον σπουδῆς" δεῖν δὲ τοὺς τοιούτους λόγους 
αὗτοῦ λέγεσθαι οἷον υἱεῖς γνησίους εἶναι, πρῶτον μὲν τὸν 
ἐν αὑτῷ ἐὰν εὕρεθεὶς ἐνῇ, ἔπειτα εἴ τινες τούτου ἔκγονοί 
τε καὶ ἀδελφοὶ ἅμα ἐν ἄλλαισιν ἄλλων ψυχαῖς κατ᾽ ἀξίαν 
ἐνέφυσαν᾽ τοὺς δὲ ἄλλους χαίρειν ἐῶν, --- οὗτος δὴ ὃ 
τοιοῦτος ἀνὴρ κινδυνεύει, ὦ Φαῖδρε, εἶναι οἷον ἐγώ τε καὶ 
où εὐξαίμεθ᾽ ἂν σέ τε καὶ ἐμὲ γενέσθαι. 

ΦΑΙ. Παντάπασι μὲν οὖν ἔγωγε βούλομαί τε καὶ εὔχομαι 
ἃ λέγεις. 

ΣΩ. Οὐκοῦν ἤδη πεπαίσθω μετρίως ἡμῖν τὰ περὶ λόγων. 
Καὶ σύγε ἐλθὼν φράζε Λυσίᾳ ὅτι νώ, καταβάντε ἐς τὸ 
Νυμφῶν νᾶμά τε καὶ μουσεῖον, ἠκούσαμεν λόγων οἵ ἐπέ- 
στελλον λέγειν Λυσίᾳ τε καὶ εἴ τις ἄλλος συντίθησι λόγους, 
καὶ Ὁμήρῳ καὶ εἴ τις ἄλλος αὖ ποίησιν ψιλὴν ἢ ἐν δῇ 
συντέθηκε, τρίτον δὲ Σόλωνι καὶ ὅστις ἐν πολιτικοῖς 
λόγοις, νόμους ὀνομάζων, συγγράμματα ἔγραψεν. « Εἰ μὲν 
« εἰδὼς À τὸ ἀληθὲς ἔχει συνέθηκε ταῦτα, καὶ ἔχων 
« βοηθεῖν εἷς ἔλεγχον ἰὼν περὶ ὧν ἔγραψεν, καὶ λέγων 


a 1 αὐτῶν: -τῷ Β || 4 μόνοις Heindorf : ἐν μόνοις codd. Thomps. 
secl. ἐν Burnet Ηοϊπάοτῆϊ ἐν μ. τούτοις prob. Thomps. || τό : ἡγού- 
μενος τό TW Burnet || 6 αὑτοῦ: αὐ. codd. Vollgr. || υἱεῖς : υἱέας 
Hermi, ὑεῖς exc. Thomps. omnes || 7 ἐν αὑτῷ : ἐν av. B ἕαυ. TW ἐν 
£av. Thomps. || b 1 ἄλλων : -οἱ auct. Suckow Vollgr. || 2 ἐνέφυσαν : 
ἔφυ. W || ἐῶν : ἐᾶν auct. Wilamow. (teste Vollgr.) et Naber Vollgr. 
|| δὲ :- δὴ Heindorf Vollgr. || 7 πεπαίσθω (et Hermi.l | Monac. 11]) : 
-1%w Hermi. -σται Bergk || 8 σύγε Hermi.l : σύ τε codd. edd. || νώ : 
νῶ T || καταδάντε: -τες T || ἐς : εἰς B || τὸ : τὸν. Β [|| 9 νᾶμά T? ut uid. : 
νά. Β να. T || μουσεῖον : -σιον B -σῶν uulg. || ἐπέστελλον T? (στε 1. 
m. et ot rec. 8. u.): ἐπέλλον T || © 3 συντέθηχε : -θειχε B Thomps. || 
ἡ λόγοις : συλλό. Schleierm. Vollgr. || 5 % : ἡ B || ἔχει : aliquid 
postea eras. B {| 6 ἔγραψεν : -ψε exe. Schanz omnes. 


278 c 


279 


PHÈDRE LU 


« des dénominations en usage ici-bas‘ qu’on emploiera pour 
« l’homme qui est de cette sorte, mais celle de l’objet supé- 
« rieur auquel il s’est appliqué ! » 


Puèpre. — Et quelles sont donc les dénominations dont 
tu le lotis? 
SocraTe. — L’appeler un sage, à mon avis personnel c’est 


excessif, Phèdre, et cela ne sied qu’à la divinité. Mais l’ap- 
peler un ami de la sagesse, un philosophe?, ou bien de quelque 
nom analogue, cela lui conviendrait davantage et, en même 
temps, serait mieux dans le ton. 

Paèpre. — Et ce ne serait, ma foi, pas du tout déplacé ! 

SOCRATE. — Mais en revanche, est-ce que celui qui ne pos- 
sède rien de plus précieux que ce qu’il a composé ou écrit, 
passant des heures à le retourner sens dessus dessous, à col- 
ler des morceaux les uns aux autres ou à en retrancher, est-ce 
que sans doute tu n'auras pas le droit de le saluer des noms 
de poète, de faiseur de discours ou d’auteur de textes de loi? 

Puèpre. — Bien sùr! 

SOcRATE. — Eh bien! c’est cela que tu dois expliquer à 
ton camarade ! 
Puèpre. — Et toi? comment t’y pren- 
dras-tu ? Pas davantage, en effet, ton 
camarade à toi, on ne doit non plus le négliger ! 


Isocrate. 


SOCRATE. — Qui est-ce ἢ 

Puaèpre. — Le bel Isocrate ὃ : à lui, Socrate, quel message 
porteras-tu ? Comment allons-nous le caractériser ? 

SOCRATE. — Isocrate est encore jeune, Phèdre: ce que 
pourtant j’augure de lui, je veux bien te le dire. 

Paèpre. — Qu'est-ce donc ? 

SocRATE. — M’est avis que, en ce qui touche les dons de 


nature, il a trop de supériorité pour qu'il y ait lieu à un 
parallèle avec l’éloquence de Lysias, et, en outre, que son 
tempérament moral a plus de noblesse. Aussi ne serait-ce 


1. Celles qu’il dira un peu plus bas, déb. de 6. Cf. p. 44, n. ἡ. 

2. Il résulterait de ce passage que l’usage spécifique du mot philosophe 
est encore mal fixé, comme d’ailleurs celui du mot sophiste. Le discours 
d’Isocrate Contre les sophistes vise ceux que nous appelons philosophes. 
Ce nom, il se le réservait à lui-même, et, si Platon le définit, c’est 
pour en revendiquer la propriété (cf. Notice p. cLxx sqq.). 

3. Voilà donc, après tout ce qui précède, le prince des rhéteurs aussi 
cher à Socrate que Lysias l’est à Phèdre ! Cf. Notice, p. cLxxmx sqq. 


tm pt à £ 


95 PRE ΦΑΙ͂ΔΡΟΣ 


« αὐτὸς δυνατὸς τὰ γεγραμμένα φαῦλα ἀποδεῖξαι, οὔ τι 
« τῶνδε ἐπωνυμίαν ἔχοντα δεῖ λέγεσθαι τὸν τοιοῦτον, 
« ἀλλ᾽ ἐφ᾽ οἷς ἐσπούδακεν ἐκείνων. » 

ΦΑΙ. Τίνας οὖν τὰς ἐπωνυμίας αὐτῷ νέμεις ; 

ΣΩ. Τὸ μὲν σοφόν, ὦ Φαῖδρε, καλεῖν ἔμοιγε μέγα 
εἶναι δοκεῖ, καὶ θεῷ μόνῳ πρέπειν. Τὸ δὲ ἢ φιλόσοφον ἢ 
τοιοῦτόν τι μᾶλλόν τε ἂν αὐτῷ καὶ ἁρμόττοι καὶ ἐμμελε- 
στέρως ἔχοι. 

ΦΑΙ. Καὶ οὐδέν γε ἀπὸ τρόπου. 

ΣΩ. Οὐκοῦν αὖ τὸν μὴ ἔχοντα τιμιώτερα ὧν συνέθηκεν 
ἢ ἔγραψεν, ἄνω κάτω στρέφων ἐν χρόνῳ, πρὸς ἄλληλα 
κολλῶν τε καὶ ἀφαιρῶν, ἐν δίκῃ που ποιητὴν ἢ λόγων 
συγγραφέα ἢ νομογράφον προσερεῖς ; 

ΦΑΙ. Τί μήν; 

ΣΩ. Ταῦτα τοίνυν τῷ ἑταίρῳ φράζε. 

ΦΑΙ. Ti δὲ σύ; πῶς ποιήσεις ; Οὐδὲ γὰρ οὐδὲ τὸν σὸν 
ἑταῖρον δεῖ παρελθεῖν. 

ΣΩ. Τίνα τοῦτον : 

ΦΑΙ. ᾿Ισοκράτη τὸν καλόν: ᾧ τί ἀπαγγελεῖς, ὦ Σώ- 
κρατες ; Τίνα αὐτὸν φήσομεν εἶναι: 

ΣΩ. Νέος ἔτι, ὦ Φαῖδρε, ᾿Ισοκράτης᾽ ὃ μέντοι μαν- 
τεύομαι κατ᾽ αὐτοῦ, λέγειν ἐθέλω. 

ΦΑΙ. Τὸ ποῖον δή ; 

ΣΩ. Δοκεῖ μοι ἀμείνων ἢ κατὰ τοὺς περὶ Λυσίαν εἶναι 
λόγους τὰ τῆς φύσεως, ἔτι τε ἤθει γεννικωτέρῳ κεκρᾶσθαι. 
Ὥστε οὐδὲν ἂν γένοιτο θαυμαστόν, προϊούσης τῆς ἡλικίας, 


c 8 δεῖ : δεῖν Heindorf || ἃ τ ἐφ᾽ : ὑφ᾽ T || 5 τοιοῦτόν τι : τι 
τ. TW || καὶ pr. : om. Bexc. Burnet omnes || 7 ἀπὸ τρόπου : ἀποτρό. 
W ἄποτρό. sic. T || 8 oùxoüv (et Hermi.!) : οὐχουν B οὔχουν Hermi.” 
Vollgr. (fors. err. typogr. nam οὐχοῦν app. crit. 154) || αὖ τὸν Τὸ 
( add.) : αὐτὸν codd. || 9 ἢ : καὶ Vollgr. [1 6 1 ἐν din : din B δίχῃ 
Vollgr. || zou: om. TW {|| ἡ ἑταίρῳ : ἑτέρῳ B || 5 τί δὲ σύ; πῶς 
Stephan : τί δέ; σὺ πῶς exc. Burnet omnes || 7 τοῦτον : τοιοῦ. W || 
279 a 4 τε: δὲ TW? (Ὁ 5. u.) || 5 τῆς ἡλικίας : ισηλιχία: B. 


278 c 


279 


4794 


La prière du Sage. 


PHÈDRE 96 


point du tout merveille qu'avec le progrès de l’âge, et dans le 
genre même d’éloquence auquel à présent il s'emploie, 1] ne 
surpassât, plus que si c’étaient des enfants, quiconque s’est 
jamais attaqué à l’éloquence, et en outre, si cela ne devait 
pas lui suffire, qu’il ne-fût d’autre part conduit à de plus 
grandes choses par un plus divin élan: c’est que la nature, 
mon cher, a mis en la pensée de cet homme-là je ne sais 
quelle philosophie! Voilà donc le message que moi, au nom 
des divinités de ces lieux, je porte à Isocrate comme à mon 
bien-aimé. Pour toi, ce sont nos propos passés que, comme 
à ton bien-aimé, tu rapporteras à Lysias ! 

Puèpre. — Entendu ! Sur ce, en marche, puisqu'aussi 
bien la grosse chaleur s’est apaisée. 


SocratTE. — Ne sied-il pas qu'avant de 
se mettre en route on adresse une prière 
aux divinités de ces lieux ? 

Paèpre. — Bien sûr ! 

SOCRATE. — « O mon cher Panet vous autres, toutes tant 

Rae sé ἘΣ : 

« que vous êtes, Divinités d'ici, accordez-moi d’acquérir la 
« beauté intérieure, et, pour les choses extérieures, faites que 


Épilogue. 


- « toutes celles qui m’appartiennentaient de l’amitié pour celles 


« du dedans !! Puissé-je aussi me persuader de la richesse du 
« Sage? ! Et puisse être ma fortune juste de la grandeur qu’il 
« faut, pour que le seul capable de l’emporter et de l’emme- 
« ner, ce soit l’homme tempérant ! » Avons-nous, Phèdre, 


quelque autre demande encore à faire? Quant à moi, c’est 


vrai, j'ai fait à mes souhaits bonne mesure ! 

PnÈpre. — Associe-moi, moi aussi, à tes souhaits ! Entre 
amis tout est commun *. 
; «SOCRATE. — En marche! 


τ. Comme la prière à Pan rappelle la prière au Soleil du Ban- 
quet 220 d, ceci évoque la fameuse comparaison de Socrate avec ces 
boîtes qui, sous les dehors d’un Silène, cachaient au dedans l’image 
d’un dieu (215 ab, 216 ὁ sqq., 219 e sq.). 

ἃ. Thème souvent repris, surtout par les Épicuriens. 

3. Les deux temps du pillage; ou, en supposant un double sens, 
porter sur soi tout son bien, n’être point en peine de le gérer. 

ἡ. Formule pythagoricienne bien connue. 


DS DM. “À 


96 ΦΑΙΔΡΟΣ 


εἰ περὶ αὐτούς τε τοὺς λόγους οἷς νῦν ἐπιχειρεῖ πλέον ἢ 
παίδων διενέγκοι τῶν πώποτε ἁψαμένων λόγων᾽ ἔτι τε, εἰ 
αὐτῷ μὴ ἀποχρήσαι ταῦτα, ἐπὶ μείζω δέ τις αὐτὸν ἄγοι 
δρμὴ θειοτέρα᾽ φύσει γάρ, ὦ φίλε, ἔνεστί τις φιλοσοφία 
τῇ τοῦ ἀνδρὸς διανοίᾳ. Ταῦτα δὴ οὖν ἐγὼ μέν, παρὰ 
τῶνδε τῶν θεῶν, ὡς ἐμοῖς παιδικοῖς ᾿Ισοκράτει ἐξαγγέλλω᾽ 
σὺ δ᾽ ἐκεῖνα, ὡς σοῖς, Λυσίᾳ. 

ΦΑΙ. Ταῦτ᾽ ἔσται. ᾿Αλλὰ ἴωμεν, ἐπειδὴ καὶ τὸ πνῖγος 
ἠπιώτερον γέγονεν. ; 


ΣΩ. Οὐκοῦν εὐξαμένῳ πρέπει τοῖσδε πορεύεσθαι : 

ΦΑΙ. Τί μήν; 

ΣΩ. « Ὦ φίλε Πάν τε καὶ ἄλλοι ὅσοι τῇδε θεοί, δοίητέ 
« μοι καλῷ γενέσθαι τἄνδοθεν- ἔξωθεν δὲ ὅσα ἔχω, τοῖς 
« ἐντὸς εἶναί μοι φίλια. Πλούσιον δὲ νομίζοιμι τὸν σοφόν᾽ 
« τὸ δὲ χρυσοῦ πλῆθος εἴη μοι ὅσον μήτε φέρειν μήτε 
« ἄγειν δύναιτο ἄλλος ἢ ὃ σώφρων. » “Er ἄλλου του 
δεόμεθα, ὦ Φαῖδρε ; ᾿Εμοὶ μὲν γὰρ μετρίως ηὗκται. 

ΦΑΙ. Καὶ ἐμοὶ ταῦτα συνεύχου: κοινὰ γὰρ τὰ τῶν 
φίλων. 

ΣΩ. “louev. 


a 6 τοὺς : om. Β || πλέον ἢ παίδων : x. ἢ x. ἁπάντων τῶν ἄλλων 
Bergmann πὰ. ἢ νῦν x. Vollgr. || 7 ἔτι τε : εἴ τε B Spengel Rohde || 
8 ἀποχρήσαι T? (rec.) : -ἦσαι ΤΥ Hermi.! -nout B || μείζω recc. : 
-ζων ΒΤ μεῖζον T? (ὁ 5. u. et  Ὗ || δέ : secl. Thomps. del. Schanz 
Vollgr. δή Ueberweg || αὐτὸν : -τῷ BW? (w 5. u.) || 9 ὁρμὴ θειοτέρα : 
-μῇ τρᾳ B -un -pa W||b 2 ᾿Ισοχράτει et 3 Λυσίᾳ : del. ci. Herwerden || 
ἐξαγγέλλω : -γελῶ Stallb. Vollgr. || 4 ταῦτ᾽ : -τα TW || πνῖγος T 
reuera : πνι. W || 5 ἠπιώτερον : fre. T et ut uid. W || 6 εὐξαμένῳ : 
-uévw Bekker Thomps. Schanz || 8 ἄλλοι ὅσοι : ὅσ. ἄλ. Clem. || dointe 
(et Clem.) : δότε ci. Herwerden {|| © 1 φίλια recc. : φιλία Β φίλα. ΒΞ 
(x s. u.) TW Clem. Hermi. || 3 ἔτ᾽ : ἔτι TW || του : τοῦ BW. 


CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT (4-1933). 


279 a 


4 A 


+ 
Pa 
* 
ἫΝ 
ἘΣ 
CA 
F