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Full text of "Œuvres complètes de P. de Ronsard"

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k 



ŒUVRES COMPLÈTES 

DE 

RO N S A RD 



Paris. Imprimé par Guiraudet et Jouaust, ;)8, rue S.~Honoré 
tvec les caractère» elzeviriens de P. Jannbt. 



/ 

ŒUVRES COMPLÈTES 

DE 



7¥V/ 



p. DE RONSARD 

Pnbliét tUT IM uxtt» k» plat uciem 
AVEC LES VARIANTES ET DES NOTES 

M. PROSPBR BLANCHBHAIN 



A PARIS 
Chez P. Jannet, Libraire 

MDCCCLVll 



LES ODES 

DB 

P. DE RONSARD 

Gentilhomme vendomois. 



Le Commentaire de N. Richelet, Parisien, sur 
les Odes, est dédié à M. Achilles de Harlay, 
chevalier, conseiller du Roy en ses Conseils 
d'Estat et privé, premier président en sa Cour 
de Parlement. 





AU LECTEUR »• 



u dois sçavoir que toute sorte de poésie 
a l'argument propre et convenable à son 
suject : l'héroïque y armes, assaults de 
villes> batailles, escarmouches, conseils 
et discours de capitaines ; la satyrique, brocards 
et reprehensions de vices ; la tragique, morts et 
misérables accidents des princes ; la comique , 
la licence effrénée de la jeunesse , les ruses des 
courtizannes, avarice de vieillards, tromperie de 
valets ; la lyrique , l'amour, le vin , les banquets 
dissolus, les danses, masques, chevaux victo- 
rieux, escrime, joustcs et tournois, et peu sou- 
vent quelque argument de philosophie. Pour ce, 
lecteur, si tu vois telles matières librement escri- 
tes, et plusieurs fois redites en ces Odes >, tu ne 



1. Cet avertissement, qui ne se trouve que dans les édi- 
tions posthumes, est de Ronsard , ainsi que les vers et argu- 
ments qu'il a mis en tète des mascarades, élégies, etc. , pour en 
définir le genre. 

2. Le mot od€ en fxançois est de Tinvention de Ronsard. 



8 Au Lbcteur. 

t'en dois esmerveiller, mais lousjours te souvenir 
des vers d'Horace en son Art poétique : 
Musa dédit fidibus Divos puerasque Dconim, 
El pugilem vietorem , et equum certamine primum-, 
Et juvenum curas, et libéra vina referTe(0. 

Ronsard, 

1. J'ai suivi, pour le teiie des Odw comme pour celui 
des Amours , l'édition princeps du ceuvres de Roniard, don- 
née pat lui eu i |6a, en y ajotitint les variâmes imporUDtes 
fournies par les autrei édiiiotu. Let yen retranchés depuis 
onlélé, pour plus de clarté, reofermis entre deux nochets[]. 

Les odes posiérieuies i. l'éd. de i|6o partent la date de 
l'éditionoùjelesairencontiéespour lapremiéielbis. (P. B.) 




PREFACE» 
Mis au devant de la première impression des Odes. 




AU LECTEUR. 

i les hommes, tant des siècles passez que 
du nostre, ont mérité quelque louange pour 
avoir picqué diligentement après les traces 

^__ de ceux qui, courant par la carrière de 

leurs inventions, ont de bien loin franchi la borne, 
combien d'avantage doit-on vanter le coureur qui, 
galopant librement par les campagnes attiques et ro- 
maines, osa tracer un sentier incognu pour aller à 
l'immortalité.^ Non que je soy, lecteur, si gourmand 
de gloire ou tant tourmenté d'ambitieuse présomption 
que je te vueil forcer de me bailler ce que le temps 
peut-estre me donnera (tant s'en faut que c'est la 
moindre affection que j'aye de me voir pour si peu de 
frivoles jeunesses estimé); mais, quand tu m'appelleras 
le premier auteur lyrique françois et celuy qui a guidé 
les autres au chemin de si honneste labeur, lors tu 
me rendras ce que tu me dois, et je m'efforcerav te 
faire apprendre qu'en vain je ne l'auray receu. bien 
que la jeunesse soit tousjours eslongnée de toute stu- 

I . Préface étoit alors du masculin. Cette pièce et la sui- 
vante, qui datent de 1(50, éliminées en 1(60, se retrou- 
vent dans les Pièces retranchées, Edition de 1617. 



io Epistrb 

dieuse occupation pour ]es plaisirs volontaires qui la 
maistrisent . si est-ce que des mon enfance j'ay tous^ 
jours estime i'estude des bonnes lettres l'heureuse fé- 
licité de la vie , et sans laquelle on doit désespérer de 
pouvoir jamais atteindre au comble du parfait con- 
tentement. Donques, désirant par elle m'approprier 
quelque louange encçres non commune , ny attrapée 
par mes devanciers, etbe voyant en nos poètes fran- 
çois chose qui fust suffisante d'imiter, j'allay voir les 
estrangers, et me rendy familier d'Horace, contrefai- 
sant sa naïve douceur, dés le mesme temps que Clé- 
ment Marot (seule lumière en ses ans de la vulgaire 
poésie) se travailloit à la poursuite de son psautier, 
et osay le premier des nostres enrichir ma langue de 
ce nom. Ode, comme l'on peut voir par le titre d'une 
imprimée sous mon nom dedans le livre de Jacques 
Pejetier, du Mans , l'un des plus excellens poètes de 
no^stre âge , à fin que nul ne s'attribue ce que la vé- 
rité commande estre à mov. Il est certain que telle 
ode est imparfaite pour n estre mesurée ne propre à 
la lyre, ainsi que 1 ode le requiert, comme sont en- 
core douze ou treize que j'ay mises en mon Bocage, 
sous autre nom que d'odes, pour ceste mesme raison, 
servans de tesmoignage par ce vice à leur antiquité. 
Depuis . ayant fait quelques uns de mes amis parti- 
cipans ae telles nouvelles inventions, approuvans mon 
entreprise, se sont diligentez de faire apparoistre com> 
bien nostre France est hardie et pleine de tout ver- 
tueux labeur ; laquelle chose m'est agréable, pour voir 
par mon moyen les vieux lyriques si heureusement 
ressuscitez. Tu jugeras incontinent, lecteur^ que je 
suis un vanteur et glouton de louange ; mais, si tu veux 
entendre le vray, je m'asseure tant de ton accoustu- 
mée honnesteté que non seulement tu me favoriseras, 
mais aussi, quand tu liras quelques traits de mes vers 
qui se pourroient trouver dans !es œuvres d'autruy, in- 
considérément tu ne me diras imitateur de leur escrits ; 
car l'imitation des nostres m'est tant odieuse (d'au- 



AU Lecteur. 1 1 

tant que la langue est encores en son enfance) que 
pour ceste raison je me suis esloigné d'eux , prenant 
stile à part , sens à paît , œuvre à part , ne aesirant 
avoir rien de commun avec une si monstrueuse er- 
reur. Doncques , m'acheminant par un sentier inco- 
cneu et monstrant le moyen de suivre Pindare et 
Aorace, je puis bkn dire (et certes sans vanterie) 
ce que luy-mesme modestement tesmoigne de luy : 

Libéra per vacuum posui vestigia princeps , • 
Non aliéna meo pressi pede. 

Je fus maintes-fois , avecques prières , admonnesté de 
mes amis faire imprimer ce mien petit labeur, et 
maintes-fois Fay refusé , apprenant la sentence de 
IRon sentencieux autheur, 

Nonumque prematur \j\ annum ; 

çt mesmement solicité par Joachim du Bellay, duquel 
le jugement, l'estude oareille, ia longue fréquentation 
et Tardent désir de reveillçr la poésie françoise, avant 
npus foible et languissante (j'excepte tous jours Hc- 
roët et Sceve et Sainct Gelais), nous a rendus pres- 
que semblables d'espnt, d'inventions et de labeur. Je 
ne te diray à présent que signifie strophe, antistrophe, 
epode (laquelle est tousjours différente du strophe et 
antistrophe de nombre ou de ryme); ne quelle estoit 
^ la lire, ses coudes du ses cornes; aussi peu si Mer- 
cure la soupçonna de l'escaille d'une tortue^ ou Poly- 
pheme des cofnes.d'un cerf , le creux de la teste ser- 
vant de concavité; résonnante; en quel honneur es- 
toient jadis les poëteUyriques, comme ils accordoient 
1^ guerres esneues rentre- les rcâS) et quelle somme 
d'argent ils prenoicat pour louera tes hommes. Je tal- 
ray Comme Pindare faisait dtantevle^ hyttines escris à 
la. louance deajvafinquenrs Olympiehs, Pythiens, Ne- 
Deans, Isthniiens^ Jerreserveîtout ce- discours à un 
m^iHçur loisir; si je vpy que* teiks choses méritent 
quelqiie brieve. exposition^ eene> me itn labeur de té 



'l2 Epistre 

les faire entendre, mais plaisir, t'asseurant que je 
m'estimeray fortuné ayant fait diligence qui te soit 
agréable. Je ne fais point de doute que ma poésie 
tant variée ne semble fascheuse aux oreilles de nos ri- 
meurs, et principalement des courtisans, qui n'admi- 
rent C[u'un petit sonnet petrarquisé, ou quelque mi- 
gnardise d'amour, qui continue tousjours en son pro- 
pos; pour le moins, je m'asseure qu'ils ne me sçau- 
roient accuser sans condamner premièrement Pindare, 
autheur de telle copieuse diversité , et outre que c'est 
la sauce à laquelle on doit gouster l'ode. Je suis de 
ceste opinion aue nulle poésie ne se doit louer pour 
accomplie si elle ne ressemble la nature , laquelle ne 
fut estimée belle des anciens que pour estre incon- 
stante et variable en ses perfections. Il ne faut aussi 
que le volage lecteur me blasme de trop me louer : 
car, s'il n'a autre argument pour médire que ce poinct 
là ou mon orthographe , tant s'en faut que je prenne 
^arde à tel ignorant que ce me sera plaisir de l'ouïr 
japper et caqueter, ayant pour ma defence l'exemple 
de tous les poètes grecs et latins. Et, pour parier 
rondement , ces petits lecteurs poetastres , qui ont les 
yeux si aigus à noter les frivoles fautes d autruy, le 
blasmant pour un A mal escrit, pour une rime non 
riche ou un poinct superflu, et bref, pour quelque lé- 
gère faute survenue en l'impression, monstrent évi- 
demment leur peu de jugement de s'attacher à ce oui 
n'est rien, laissant couler les beaux mots sans les 
louer ou admirer. Pour telle vermine de gens igno- 
rantement envieuse ce petit labeur n'est publié , mais 
pour les gentils esprits , ardans de la vertu et dédai- 
gnans mordre comme les raastins la pierre qu'ils ne 
peuvent digérer. Certes, je m'asseure que tels débon- 
naires lecteurs ne me blâmeront , moy de me louer 
quelquefois modestement , ny aussi de trop hautement 
célébrer les honneurs des hommes favorisez par mes 
vers : car, outre que ma boutique n'est chargée d'au- 
tres drogues que de louanges et d'honneurs ^^c'est le 



AU Lecteur. i^ 

vray but d'un poète lyrique de célébrer Jusques à 
Textremité celuy au'il entreprend de louerjEt s'il ne 
cognoist en luy criose qui soit digne de grande re- 
commandation, il doit entrer dans sa race, et là cher- 
cher quelqu'un de ses ayeux , jadis braves et vaillans , 
ou l'honorer par le tiltre de son païs ou de quelque 
heureuse fortune survenue soit â luy, soit aux siens , 
ou par autres vagabondes digressions, industrieuse- 
ment brouillant ores cecy, ores cela, et par l'un louant 
l'autre , tellement aue tous deux se sentent d'une 
mesme louange. Telles inventions encores te feray-je 
voir dans mes autres livres, où tu pourras (si les muses 
me favorisent comme j'espère) contempler de plus près 
les sainctes conceptions de Pindare et ses admira- 
bles inconstances, que le temps nous avoit si longue- 
ment celées ; et ferav encores revenir (si je puis) l'usage 
de la lyre, aujourd huy ressuscitée en Italie , laquelle 
lyre seule doit et peut animer les vers et leur donner le 
juste poids de leur gravité (')• N'affectant pour ce livre 
icy aucun tiltre de réputation , lequel ne t'est lasché 
que pour aller descouvrir ton jugement, à fin de t'en- 
voyer après un meilleur combattant, au moins si 
tu ne te fasches dequoy je me travaille à faire enten- 
dre aux estrangers que nostre langue (ainsi que nous 
les surpassons en prouesses, en toy et religion) de 
bien loin deyanceroit la leur, si ces fameux sciama- 
ches (a) d'au jourd'huy youloient prendre les armes pour 
la défendre et victorieusement la pousser dans les 
pals estrangers. Mais que doit-on espérer d'eux , les- 
quels, estant parvenus plus par opinion peut-estre 
que par raison, ne font trouver bon aux princes sinon 



1. Ronsard chantoit ses odes et ses sonnets. Orlande, 
Janequin, Goudmel, etc., les ont mises en chant. Il s'en 
trouve de notés à la suite des Amours (1552) et dans les 
recueils de musique du temps. (P. B.) 

2. Sciamaches, gens qui combattent des ombres : de 



^ 



14 ADVERTISSEllIBilT 

ce qu'il leur plaist, et/ ne pouvans souffrir que la clarté 
brusie leur ignorance, en mesdisant des labeurs d'au- 
truy, déçoivent le naturel jugement des hommes abu- 
sez par leurs mines? Tel fut jadis Bacchylide à l'en- 
tour d'Hieron, roy de Sicile, tant noté par les vers de 
Pindare; et tel encores fut le sçavant envieux Caili- 
maq, impatient d'endurer qu'un autre flattast les oreil- 
les de son roy Ptolomée, mesdisant de ceux qui tas^ 
choient, comme Ovide, gouster les mannes de ia 
royale grandeur. Bien que telles gens foisonnent en 
honneurs, et qu'ordinairement on les bonnette (i) pour 
avoir quelque titre de faveur, si mourront-ils sans re- 
nom et réputation; et les doctes folies des poètes sur- 
vivront les innombrables sjecles à venir, crians la gloire 
des princes consacrée par eux à l'immortalité. 

Ronsard. 




ADVERTISSEMENT AU LECTEUR «. 

'avois délibéré, lecteur, suivi'e en l'ortho- 
graphe de mon livre la plus grand' part 
des raisons de Louys Maigret, homme de 
sain et parfait jugement (qui a le premier 
osé desiller les yeux pour voir l'abus de nostre escri- 
ture), sans l'advertissement de mes amis, plus studietix 
de mon renom oue de la vérité, me peignant au de- 
vant des yeux le vulgaire, l'antiquité et l'opiniastre 
advis des plus célèbres ignorans de nostre temps; la- 
quelle remonstrance ne m'a tant sceu espouvanter que 

1 . On les salue. 

2. Le poète est loin d'être resté fidèle aux prindpes qu'il 
émet ici. Us n'en sont pas moins curieux pour l'histoire de 
notre orthographe. 



y 



AU Lecteur. 15 

tu n'y voyes encores quelques maraues de ses raisons. 
Et, bien qu'il n'ait totalement raclé ta lettre grecque T^ 
comme il devoit, je me suis hazardé de l'efEacer, ne la 
laissant servir sinon aux propres noms grecs , comme 
en Tethys, Thyeste, Hippolyte, Ulysse, à fin qu'en les 
voyant de prime face, on cognoisse quels ils sont et 
de quel pais nouvellement venus vers nous; non pas 
en ces vocables abismes, cigne, nimphe, lire, sire (qui 
vient comme l'on dit de xùptùç, changeant la let- 
tre X en 9), lesquels sont desja receus entre nous pour 
françois, sans les marquer de cet espouvantable cro- 
chet de y. ne sonnant non plus en eux que nostre i en 
ire , simple , nice , lime. Bref, je suis d'opinion (si ma 
raison a quelque valeur), lors que tels mots grecs au- 
ront long-temps demeuré en France . les recevoir en 
nostre megnie , puis les inarquer de l'i françois pour 
monstrer qu'ils sont nostrés, et non plus incogneus 
estrangers : car qui est celuy qui ne jugera inconti- 
nent que sibille, Cibelle, Cipris, ciclope, nimphe, lire, 
ne soient naturellement grecs, ou pour le moins es- 
trangers, puis adoptez en la famille des françois, 
sans les marquer de tel espouvantail de Pythagore ? Tu 
dois sçavoif qu'un peu devant le siècle d'Auguste la 
lettre grecque T estoit incogneue aiix Romains, comme 
Ton peut voir par toutes les comédies de Plaute , où 
totalement tu le verras osté . ne se servant point d'un 
charactere estranger dans les noms adoptez ^ comme 
Amphitruon pour Amphitryon ; et, si tu me dis qu'an- 
ciennement la lettre y se prononçoit comme au]our- 
d'huy nous faisons sonner nostre u latin, il faut donc 
que tu le prononces encores ainsi, disant Cubelle pour 
Cybelle; mais je te veux dire davantage, que l'y n'a 
pas esté tant anecté des Latins (ainsi qu'asseurent nos 
docteurs) pour le retenir comme enseigne en tous les 
vocables aes Grecs tournez par eux en leui* langue; 
mais ils l'ont ordinairement transfoiiné, ores en u, 
comme /aOç, musj ores en a, x\mv, caiiis; ores en o, 
vTcvos, somnus, tournant l'esprit aspre noté sur û en 4 



î6 Advertissement 

comme estoit presque leur vieille coustume avant que 
Taspiration h fust trouvée. Je t'ay bien voulu admonester 
de cecy pour te monstrer que tant s'en faut qu'il faille 
escrire nos mots françois par Ty grec, aue nous le pou- 
vons bien oster, suivant ce que j'ay ait, hors du nom 
naturel, pourveu qu'il soit usité en nostre langue ; et, si 
les latins le retiennent en quelques lieux, c'est plus pour 
monstrer l'origine de leur quantité que pour besoia 
qu'ils en ayent. S'il advient que nos modernes sçavants 
se vueillent travailler d'inventer des dactyles et spon- 
dées en nos vers vulgaires, lors, à l'imitation des La- 
tins , nous le pourrons retenir dans les noms venus 
des Grecs pour monstrer la mesme quantité de leur 
origine ; et, si tu le vois encore en ce mot , yeux, seu- 
lement, sçache que pour les raisons dessus mention- 
nées , obéissant a mes amis , je l'ay laissé maugré moy 
pour remédier à l'erreur auquel pourroient tomber nos 
scrupuleux vieillars, ayant perdu leur marque enla lec- 
ture des yeux et des jeux, te suppliant, lecteur, 
vouloir laisser en mon livre la lettre i en sa naïve si- 
gnification , ne la dépravant point , soit qu'elle com- 
mence la diction , ou qu'elle soit au milieu de deux 
voyelles, ou à la fin du vocable, sinon en quelques 
mots , comme en ie, en i'eus. iugement , jeunesse et au- 
tres, où, abusant de la voyelle h tu le liras pour I con- 
sonne, inventé par Maigret, attendant que tu recevras 
cette marque cri consonne, pour restituer l'I voyelle 
en sa première liberté. Quant aux autres diphthongues, 
je les ay laissées en leurvieille corruption, avecques in- 
supportables entassemens de lettres , signe de nostre 
ignorance et de peu de jugement en ce qui est si 
manifeste et certain , estant satisfait d'avoir deschar- 
gé mon livre, pour cette heure, d'une partie de 
tel faix , attendant aue nouveaux characteres seront 
forgez pour les syllabes H , jgn , ch , et autres. Quant 
à la syllabe ph , il ne nous raut autre note que nos- 
tre F , qui sonne autant entre nous que f entre les 
Grecs, comme manifestement tu peux voir par ce mot 



AU Lecteur. 17 

fihi , feille. Et si tu m'accuses d'estre trop Inconstant 
en Torthographe de ce livre , escrivant maintenant es- 
pée épée. accorder acorder, vestu vêtu, espandre 
ëpandre, olasmer blâmer, tu t'en dois colerer contre 
toy mesmes , qui me fais estre ainsi , cherchant tous 
les moyens que je puis de servir aux oreilles du sça- 
vant , et aussi pour accoustumer le vulgaire à ne re- 
gimber contre réguillon lors qu'on le piquera plus 
nidement, monstrant par cette inconstance oue, si 
j'estois receu en toutes les saines opinions de 1 ortho- 
graphe, tu ne'trouverois en mon livre presque une 
seule forme de Pescriture que sans raison tu admires 
tant, t'asseurant qu'à la seconde impression je ne fe- 
ray si grand tort à ma langue que de laisser estran- 
gler une telle vérité sous couleur de vain abus. Aussi 
tu ne trouveras fascheux si j'av quelquefois changé la 
lettre E en A , et A en E , et oien souvent ostant une 
lettre d'un mot ou la luy adjoustant pour faire ma 
rime plus sonoreuse ou parfaite. Certes , telle licence 
a tousjours esté concédée aux poèmes de longue ha- 
leine ou de médiocre vertu , pourveu qu'elle soit rare- 
ment usurpée , non à ces rimes vulgaires , orphelines 
de la vraye humeur poétique. Et si quelqu'un, par cu- 
rieuse opinion plustost que par raison , se colère con- 
tre telle honteuse liberté,, il doit apprendre qu'il est 
ignorant en sa langue , ne sentant point que E est fort 
voisin de la lettre A, voire tel que souvent, sans y penser, 
nous les confondons naturellement, comme en vent et au- 
tres infinis ; et s'il ne se contente de ces raisons, qu'il 
regarde la liberté des Grecs et Latins , qui muent et 
changent , changent et remuent les lettres ainsi qu'il 
leur plaist^ pour obéir au son ou à la forçante loi de 
leurs vers^ comme xpaSla pour xapSla^ olli pour illi. 
Si telles libertez n'ont lieu en nostre langue , qui est 
celuy qui voudroit se travailler à labourer un champ 
tant ingrat et inutile ? Au surplus, lecteur, tu ne seras 
esmerveillé si je redy souvent mesmes mots , mesmes 
sentences et mesmes traits de vers , en cela imitateur 
Ronsard. — II. 2 



iS ADVERTIS5E1IENT AU LECTEUR. 

des poètes ^ecs, et principalement d'Homerê, qat 
jamais ou bien peu ne change un bon mot, ou qqel- 

Jae trac de bons vers , quand une fois il se l'est fait 
unilier. Je parle à. ceux qui misérablement espieut le 
noyen pour blasonner les escrits d'autruy, courroucez 
peut-estre pour m'ouïr souvent redire ; le miel de 
mes vers , les ailes de mes vers, l'arc de ma Muse , 
mes vers sucerez , un trait ailé , empaner la mémoire , 
Phonneur altéré des Cieux , et autres semblables ato- 
mes par lesmiels j'ay composé le petit monde de mes 
iRventions. Qyand tels grimaus ne reprennent d'un 
pocine que telles choses , ou (comme j'ay desja dit) 
quelque petit mot non richement rimé, ou une vir- 
gn^pour un point, ou l'orthographe, lors le poète 
se doit asseurer d'avoir bien dit , voire de la victoire, 
puis que ses adversaires , mal embastonnez , le com- 
battent ^ foiblement. 



J/1 



l^ 




AU ROY 



HENRY II DE CE NOM. 




près avoir loflg-4emps sué sous le harnoiSy 
bornant plus loin ta France (>)> et fait boire 
aux François, [Seine, 

Dans leur creux morions. en lien de Teau de 
Les ondes de la Meuse, et saccage la ptainè 
Des Flamans mis en route, et Tantique surnom 
Des chasteaux de Marie (a) eschangez en ton nom; 

Après avoir gagné une bataille heureuse, 
Et veu César (?) courir d'une fuite peureuse; 
Et après avoir fait comme un bon marinier (4), 
Lequel, se souvenant de l'orage dernier. 
Quand il est dans le port, soigneusement prend garde 
STi faut rien à sa' net : maintenant il regarde 
Si le tillac est bon, si la carène en bas 
Est point entre-fendue : il contemple le mas. 
Maintenant le timon ; il cherche si les coMes 
Ouvertes par Torage aux flancs sont point dissoutes; 

1 . Dans le Luxembourg. . 

2. De Mariambourg , appeliez Henribourg. 

3. L'empereur Charles cinquiesme. . 

4. Tout cecy est une imitation ou plustost traduaion de 
Marulle. (R.) 



20 Au Roy. 

Et, bien qu'il soit au port, il n'a moindre souci 
De sa net qu'en la mer, et se rempare ainsi 
Que s'il esperoit pendre au milieu de l'orage, 
Et ne se veut iier au tranquille visage 
Du ciel ny de la mer, pour se donner à l'eau, 
Que premier il n'ait bien racoutré son vaisseau : 

Ainsi, après avoir (la guerre estant finie) 
De vivres et de gens ta frontière garnie. 
Fait nouveaux bastions, flanqué chasteaux et forts, 
Remparé tes citez , fortifié tes ports ; 
'^ Bref, après avoir fait ce qu'un prince doit faire 
De ce qui est en guerre et en paix nécessaire 




aventure 

Entre-rompre tes jeux d'une longue escriture. 
Maintenant que tu dois pour quelque peu de temps 
Après mille travaux prendre tes passe-tenips . 
Pour retourner plus frais aux œuvres de ëellonne. 
Toutefois le desir qui le cœur m'éguillonne 
De te monstrer combien je suis ton serviteur 
Me fait importuner ta royalle grandeur ; 
Et si en ce faisant je commets quelque vice, 
Il vient du seul desir de te faire service. 
Qui , pressant, me contraint de mettre un œuvre mien 
Sous la protection de ton nom tres-chrestien, 
Le sacrant à tes pieds. C'est , Prince, un livre d'odes 
"^Qu'autres-fois je sonnay suivant les vieilles modes 
D'Horace Calabrois et Pindare Thebain ; 
Livre trois fois heureux si tu n'as à desdain 
Que ma petite lyre ose entre tes trompettes 
Rebniire les chansons de ces deux vieux poètes, 
Et que mon petit myrte ose attoucher le rond 
Des lauriers que la guerre a mis dessus ton front. 

Mais que dy-je? à desdain! j'ay tant de confiance 
En ta simple bonté, que ta magnificence. 
Bien que grave elle soit, ne refusera pas 
Mon ouvrage donné, tant soit-il humble et bas : 



Au Roy. 21 

Imitateur des dieux, qui la petite offrande [de, 

Prennent d'aussi bon cœur qu'ils prennent la plus gran- 
Et, bien qu'ils soient seigneurs, jamais n'ont a mespris 
Des pauvres les presens, tant soient de petit prix. 

Ce fils de Jupiter, ce foudre de la guerre, 
Hercule, qui tua les monstre de la terre, 
Allant pour estre fait d'Olympe citoyen, 
Ne refusa d'entrer au toict Molorchien ; 
Et mesme Jupiter, qui la tempeste jette, 
De Bauce et Philemon entré dans la logette, 
I Comme d'un cerne d'or son chef environna 
D'un chapelet de fleurs que Bauce luy donna. 
Et toujours à sa feste en Libye honorée 
Ne luy tombe un taureau à la corne dorée. 
Mais souvent un aigneau ; car sa grande bonté 
Ne prend garde aux presens, mais à la volonté. 

Amsi, suivant les dieux, je te suppli' de prendre 
^ A gré ce petit don pour l'usure d'attendre 
Un présent plus panait et plus digne d'un roy, 
Que ja dans mon esprit je patrone pour toi. 

Cependant je pri ray ta puissance divine. 
Ainsi que Jupiter Calhmache en son hymne. 
« Donne-moy (ce dit-il) des vertus et du bien, 
Car la seule vertu sans le bien ne sert rien, 
Ni le bien sans vertu. O Jupiter, assemble 
Tous ces deux poincts en un et me les donne ensemble ! i» 
Les vertus et le bien que je veux recevoir^ 
C'est le moyen bientôt en armes de pouvoir 
Amener ton Francus avec une grana trope 
D'Asians pour domter la plus part de l'Europe; 
Mais il te faut payer les n'ais de son arroy. 
Car il ne veut venir qu'en Majesté de roy. 
Bien qu'il soit fugitif et qu'il n'ait en paiiage 
Sinon du père sien la force et le courage. 

Aussi tu porterois la honte sur les yeux 
Si luy, oui tut jadis l'ayeul de tes ayeux. 
Le ms d'un si grand roy, venoit seulet en France 
Donner à tes ayeux la première naissance. 



ï2 Au Rot. 

Pais qu'il a donc trouvé le vrai si j propos, 

Ne le laisse languir en casanier repos 

Aux rivages de Tro)[e ou sur les ûords d'Epire, 

Fraudé <le son chemin par faute de navire 

Et par faute de gens; car, ouvrier, je suis prest 

De charpenter sa nef et dresser tout Vapprest, 

Pourveu que ta grandeur royale favorise 

A ton ayeul Fraocus et à mon entreprise. 



LE PREMIER UVRE 



DESODES 



25 





A LUY-MESME(i) 
Sur la paix faite entre luy et le roy d'Angleterre Tan 1 550. 

Ode I. —Strophe i.^ 

|oate royauté qui desdaigne 
La vertu poïir humble compaigne 
Dresse toujours le front trop haut, 
Et, de son heur outrecuidée, 
Court^ vajjue, sans estre guidée 

De la raison, qui lui défaut. 

O Roy par destin ordonné 

Pour commander seul à la France, 

Le Dieu tout puissant t'a donné 

Ce double honneur ééi ton enfance, 

Lequel (après la longue horreur 

De Mars vomissant sa fureur 

Et l'aspre venin de sa rage , 

Sur ton pays noi/cy d'orage) 

I. Au roi Henri IL Noos dirions auîoardliai : Au même. 



24 Odes. 

Par Peffort d'un bras souverain 
A fait ravalier la tempeste 
Et ardre à Tentour de ta teste 
Un air plus tranquille et seraln. 

Antistrophe, 

Certainement tousjours le sage 
Augmente les dons aavantage 
Que jeune il emprunta des deux. 
Ta Majesté jeune et prudente 
Au double tous les siens augmente 
D'un artifice ingénieux. 
Aussi mille félicitez 
Ont bien-heure toute ta race^ 
Et toy, roy de tant de citez, 
Qui se courbent devant ta face» 
Des long temps tu fus honoré 
Comme seul prince décoré 
Des biens et des vertus ensemble 

Sue le destin en un t'assemble, 
lis ce bien qu^ores tu nous fais 
Veut qu'on f^honore d'avantage 
Pour avoir fait reverdir l'âge 
Où florissoil l'antique paix» 

Epcdc,»^ 

La quelle osta le débat 
Du chaos, ouand la première 
Assoupit le lourd combat 
Qui aveugloit la lumière. 
Elle seule osa tenter 
D'effondrer le ventre large 
Du grand Tout, pour enfanter 
L'obscur fardeau de sa charge ; 
Puis, desmembrant l'univers 
En quatre quartiers divers ^ 



Premier livre. 2; 

Sa main divinement sainte 
Les lia de doux d'aimant, 
Et en eux alla formant 
Une paisible contrainte. 

Strophe il. 

Adonc , meslant dans ce grand monde 
Sa douce force vaeabonde , 
Les asseura d'un doux repos ; 
Elle fit bas tomber la terre 
Et tournoyer Teau qui la serre 
De ses bras vagues et dispos; 
Du soleil allongea les yeux 
En forme de flèches volantes, 
Et d'ordre fit baller aux cieux 
L'ordre des estoilles roulantes. 
Elle courba le large tour 
De l'air qui cerne tout autour 
Le rond du grand parc où nous sommes , 
Peuplant sa grande rondeur d'hommes 
D'un mutuel accroissement : 
Car, partout où voloit la belle , 
Les Amours voloient avec elle , 
Chatouillans les coeurs doucement. 

Anùstrophe. 

Lors pour sa juste récompense 
Le sainct monarque qui dispense 
Tout en tous (dont le grave front , 
En se clinant pour faire sine , 
Croulle la terre et la racine 
Du firmament jusques au fond) 
Fit seoir la paix au dextre flanc 
De son grand trône d'excellence 
Et près du senestre à son rang 
Logea le. dieu de violence. 



20 Odes. 

De Tun les grands princes jl oingt, 
De l'autre durement les poingt, 
Tous effroyez d'oiiyr les armes 
Craquer sur le àot des gendarmes. 
De run jadis il honora 
Les vieux pères du premier âge, 
Et de Tautre il aigrit la rage 
Contre Ilion , que dévora 

Epodt, 

Le feu grec, quand mille naus, 
Ainçois mille et mille foudres, 
Esclatèrent mille maux 
Dessus les troyennes poudres. 
Tandis que le feu tournoit 
Forcenant parmy là ville , 
Et que l'étranger s'ornoit 
De la despouille sérvile ^ 
Une aspre fureur d'esprit 
Le cœur de Cassandre éprit , 
Et , comme toute insensée, 
Son corps tremblant çà et là, 
Au fils d'Hector s'en alla 
Pour lui chanter sa pensée. 

Strophe III. 

Bien (]ue le feu grégeois nous arde , 
Tant soit il cruel, il n'a garde 
D'estoufer pourtant ton renom, 
Enfant dont la race iatailc .<«).. 
Dedans la terre occidentale, ; 
Fera regcrraer îiostre ^ojb . : 
Ja déjà Danube t'attend 

I . La suitte destinée de tant de rois. (IC) 



t 



« 



« -, 



Premier livre. 27 

Sur le bord de sa rive humide (1), 
Et ce crand marest (3) qui s'estend 
Près des lèvres de Peau Pontide (î): 
C'est-là, c'est~là, c'est où tu dois 
Pour quelque temos donner tes lois ; 
C'est où Tarrest des dieux t'octroye 
Fonder encore une autre Troye (4) , 
Resuscitant par ton moyen 
L'honneur des tiens et leur proêsse, 
Avant vangé dessus la Grèce 
L outrage fait au sang troyen. 

Antistropke* 

Après le cours de quelque année, 
L'ire de Cercs forcenée, 
Pour, diévôt , n'avoir satisfait 
A ses honneurs,. toute mutine 
Te contraindra par b famine 
De quitter ton mur imparfait. 

Horriblant ($) ton corps de la peau 
D'un tigre , déjà, ce me sembley 
Je te voy guider un troupeau 
De vingt mille Troyens ensemble. 
Je voy ce troupeau peferin (^) 
Déjà bien loin outre le Rhin 

1. Et défait qu'il n'y a point d'antre fleuve plus commode 
ny de plus grande estendue par où ce prince pust venir es 
Atlemaignes ny es Gaules. (R.) 

2. Le Propontis , qui est au devant du Pont Euxin, entre 
THellespont et le Bosphore Thraçien; (R.) 

> 3. Avant que d'entrer au Far de Çonstantinople et de là 
en la mer Ma|our, c'est-à-dUe au Pont Euxin. (R.) 

4. Il entend la ville des Sicambriens, bastie par les 
Troyens. ^R.) 

5. Renaant comme sauvage et hérissé. (R.)" 

6. Colonie troyenne, comme Pyrrhus apjpelloit les Ro~ 
mains. (R.) 



28 Odes. 

Enrichir Troyc de louanges 
Et du butin aesroys estranges, 
Ayant trompé mille péris , 
Ains que bastir aux bords de Seine 
Les murs d'une ville hautaine 
Du nom de mon frère Paris. 

Epode. 

Là tes enfants dompteront 
Les rois francs d'obéissance , 
Et jusc}ue au ciel porteront 
L'empire de leur puissance. 
Donc , cependant que les Grecs 
Chargent leur dos de bagage , 
Nous de cris et de regrets , 
Donne voile au navigage, 
Sus l'eschine de la mer 
Fais les vagues escumer, 
Pour replanter notre race 
Où te traîneront les cieux 
Et le forçant veuil des dieux , 
Qui jà t'ont borné ta place {a). 

tf. Var. (1J87) : 

Ja déjà j'cntens la vois 
De Seine, fui te désire. 
Et la défaite des rois 
Esclaves de ton empire; 
J'enten le bruit des chevaux 
Et le cliquetis des armes. 
Et toy, noble de travaux, 
Commander à tes gendarmes. 
Ores tu ne Deux sçavoir, 



îpeui 
i/ant, 



Comme enfant, ny concevoir 




Pour achever l'entreprise^ 



Premier livre. 29 

Strophe un. 

A-tant acheva la prestresse (i)y 
Et , folle du Dieu qui luy presse 
L'estomac chagrin et félon , 
En rechignant s'en est allée, 
Nuds pieds et toute eschevelée , 
Dedans le temple d'Apollon. 
Andromache , qui remâcha 
Les mots de Cassandre évoléc, 
Son fils secrettement cacha 
Dessous figure recelée ; 
Car Junon , qui ne vouloit plus 
Que le nom troyen revinst sus , 
Ardoit d'en abbatre la race 
Et Francus tuer sur la place, 
Sans Venus , qui soudam feignit 
Une idole à lui ressemblante, 
Dont Junon d'une main ardente, 
En lieu de Francion , teignit 

Antistrophe. 

La terre de sang , et la feinte 
Garda le vrai ; puis , après mainte 
Fortune dont il se sauva , 
Enterra le corps de sa mère 
Dans le vain tombeau de son père , 
Qu'çntre les Grecs elle éleva {a). 

M. Var. (1587) : 

Sans Jupin, qui V enfant mua 
Eh une semblance animée^ 
Que Pyrrhe, de sa main armée 
D une tour, à terre rua. 

Antistrophe. 
Du faux sang la place fut teinte : 

I . Cassandre, prestresse d'Apollon. \ 



30 Odes. 

Son cœur elle ouvrit d'un couteau , 
Ayant sceu la fausse merveille. 
Comme Porage ayoit sous l'eau 
Noyé son fils prés de Marseille (»)• 
De oleurs la tombe il honora (2) 
Et ae beaux (3) jeux la décora, 
Par joustes esprouvant l'adresse 
De la phrygienne jeunesse (a) ; 
Ennn à terre il se coucha, 
Et d'une grand coupe dorée 
Sur la vuide tombe Hectorée 
Du lait par trois fois épancha. 

Epode, 

Lors la tombe en deux s'ouvrit 
Et l'obscur de ses crevasses 
Hors des enfers découvrit 

Ainsi la fraude de la feinte 
Le corps de Francion sauva. 
En Buthrote, vivant sa mère, 
Feignit le tombeau de son père, 
Qw entre les Crus il esleva. 

a Var. (1587), remplaçant les 104 vers suivants : 

Puis faisant la vague escumer. 
Invoquant Junon et Neptune, 
Hazardeux, chercha sa fortune 
Au gré des vents et de la mer, 

1 . En la coste de Provence, où quelques uns de ses vais- 
seaux furent portez par la tempeste, comme il se voit en la 
Franciade. (R.) . 

2. A la mode ancienne, avec des pleureux à louage. (R.) 

^ . Qui se faisoient entre les Romains le neuviesme jour 
du decez, et pour cest effect estoient appeliez noyendiales 
ludi. 



Premier livre. )i 

Une ombre de quinze brasses. 
Tout le sang qui lui froidit 
Le cœur, que la peur enserre, 
Le corps tout plat lui roidit. 
Dessus rétrangère terre 
Une voix par I air s'oûit, 
Qui les sens lui éblouit, 
Lui chantant sa destinée, 
Qui jà déjà le hâtoit, 
D'autant qu'au ciel elle estoit 
Par arrêt déterminée. 

Strophe V. 

Mon fils, dit l'ombre, prends bien garde 
Que ce pays ne te retarde, 
Ny tes labeurs , tant soient ils durs. 
Mais fuy ces champs, mais fuy ces rives, 
Afin que , paresseux , ne prives 
Les tiens de leurs honneurs futurs. 
Je voy desja fleurir ton los 
En ce pays ou la Dunoue 
Traîne en la mer ses larges flots 
Et par les champs la Seine noue. 
Sus Tune tu dois maçonner 
Une autre Troye, et luy donner 
Le nom de Sicambre, où ta race 
Usera quelque temps d'espace. 
Mais sus l'autre non seulement 
Mille ans borneront sa demeure ; 
Car le ciel veut qu'elle y demeure , 
Et demeure éternellement. 

Antistrophe, 

Après que par le veuil céleste 
La pale famine et la peste 



32 Odes. 

Auront tes soldats esclaircis, 
Eux, quittant leur ville malade, 
Sous toi faits nouvelle peuplade, 
Peupleront des champs mieux assis. 
Ton bras adonque poussera 
Si courageusement tes bandes 
Qu*à coups d'épée il froissera 
Les rois des terres allemandes, 
Et, comme un guide diligent, 
Bien plus loin conduiras ta gent. 
Outre le Rhin, tant qu'elle arrive 
De Seine à la fertile rive 
Dans la gauloise nation. 
Et là fera sa demourance 
(Changeant le nom de Gaule à France 
Ipour l'honneur de toi, Francion. 

Epode. • 

Si le Ciel m'a fait bien seur 
Des paroles qu'il m'inspire. 
Tu auras pour successeur 
Maint neveu digne d'empire; 
Maints rois de toi sortiront. 
Dont les vertus manifestes 
Parmi les princes luiront 
Comme au ciel les feux célestes. 
Entre eux un Henry je voy, 
Des meilleurs le meilleur roy. 
Qui finira sa conqueste 
Aux deux bords où le soleil 
S'endort et fait son réveil. 
Penchant et dressant sa teste. 

Strophe VI. -^ 

France, par luy victorieuse, 
Ne sera point tant glorieuse 



Premier livre. 33 

De son Clovis ni de Martel, 

Ni de son Charlemagne encore, 

Comme je voy qu'elle s'honore 

Dans les vertus d'un prince tel. 
f C'est ce Henry qui bastira 
I Les pergames de nostre ville, 

Qui plus jamais ne sentira 

Le fer meurtrier d'un autre Achille. 

Aussi le destin ne veut pas 

Que le Grec là retombe à bas, 

AÏn que ta race éternelle 

Eternellement vive en elle, 

Grosse d'empires et d'honneur, 

Enfantant triomphes et gloires. 

Mille lauriers, mille victoires, 

Ayant tel roy pour gouverneur. 

Antistrophe, 

Ainsi dit l'ombre , et le tonnerre , 
Tombant du côté gauche à terre , 
Qui de trois feux la tombe éprit , 
Elança trois flammes subites. 
Ratifiant les choses dites 
Et par Cassandre et par l'esprit. 
Adonc Francion étonné 
Dedans son cœur pense et revire 
L'augure qui lui est donné. 
Pour le hâter, en son navire , 
Ayant son oncle interrogué, 
En haute mer il a vogué ; 
Tant et tant l'ardeur l'importune 
De courir après la fortune 
Pour le veuil des dieux éprouver. 
Fuy-donc , Troyen , toi et ta bande 1 
Si ton neveu me le commande , » 

J'iray bientôt te retrouver.] 

Ronsard, — II. J 



34 Odes. 

Epàde, 

Muse , rcpren l'aviron 
Et racle la prochaine onde 
Qui nous baigne à Fenvirotr^ 
Sans estre ainsi vagabonde. 
Tousjours un propos desplaist 
Aux aureilles attendantes 
Si plein outre reigte il est 
De paroles abondantes (i)* 
Cehiy qui en peit de vers 
Estraint un sujet divers 
Se met au chef la couronne. 
De ceste fleur que voicy^ 
Et de celle et celle aussi 
La mousche son miel façonne. 

Strophe vu. 

Diversement, $ paix heureuse. 
Tu es la carde vigoureuse 
Des peuples et de leurs citez ; 
Des royaumes Fa clef tu portes ^ 
Tu ouvres des villes les portes^ 
Serenant leurs adversitèz. 
Bien qu'un prince vonlust darder 
Les flots armez de son orage ^ 
Et tu le viennes regarder, 
Ton œil appaise son courage; 
L'effort de ta divinité 
Commande à la nécessité, 

1. Parce quil s'estoit comme perdu dans le discours d'un 
suject estranger; ainsi souvent parle Pindare. (R.) 

2. C'est-à-dire si, outre son 'principal suiet, il en reçoit 
d'autres par induaion ; comme en cet endroit que Pautheur 
s'est eschappé sur le discours de la Franciade, combien que 
son but ne tende qu'à louer la paix. (R.) 



Premier livre. }5 

Ployant sous ton obéissaoïce; 
Les hommes sentent ta puissance, 
Alléchez de ton doux repos. 
De Tair la vagabonde troupe 
T'obeyt, et celle qui coupe 
De Teschine l'azur des flots. 

Antistrophe. 

C'est toy qui dessus ton eschine 
Soustiens terme ceste machine, 
Medecinant chaque élément , 
Quand une humeur par trop abonde , * 
Pour joindre tes membres au monde 
D'un contrepois également: 
Je te salue, heureuse Paix, 
Jeté salue et re-salue, 
Toy seule , Déesse , tu fais 
Que la vie soit mieux voulue. 
Ainsi que les champs tapissez 
De pampre ou d'espics hérissez 
Désirent les filles des nues 
Après les chaleurs survenues , 
Ainsi la France t'attendoit , 
Douce nourricière des hommes , 
Douce rosée qui consommes 
La chaleur qui trop nous ardoit. 

Epode. 

Tu as esteint tout Pennuy 
Des guerres injurieuses , 
Faisant flamber aujourd'huy 
Tes grâces victorieuses. 

En lieu du fer outrageux. 
Des menaces et des fiâmes , 
Tu nous rameines les jeux. 
Le bal et Tamour des dames , 



l6 Odes. 

Travaux mignars et plaisans 
A Tardeur des jeunes ans. • 
O grand roy non imitable , 
Tu nous aumosnes cecy, 
Ayant creu Montmorency (•) 
Et son conseil véritable (>) ; 

Strophe vil.)' 

Lequel, mettant en évidence, 
Les saincts trésors de sa prudence. 
Ne s'est jamais accompagné 
Du sot enfant d'Epimethée()), 
Mais de celuy de Promethée(4), 
Par longues ruses enseigné. 
Et certes un tel serviteur 
Mérite que ta main royale 
Recontre-balance un grand heur 
A sa diligence lovale. 
Il me ptaist or' ae descocher 
Mes traits thebains pour les lâcher, 
Montmorency, dedans ta gloire , 
Afin que je te face croire 
Que la nourriture d'un roy (5) 

1 . Lors connestable , le plus grand et le plus sage seigneur 
de son temps. (R.) 

2. A la différence de ceux dont Tambition trahissoit desja 
le prince et l'Estat par conseils déguisez. (R.) 

3. Epimethée et Promethée etoient frères. Ils furent les 
deux premiers ouvriers des hommes {dissimili manu) : car 
ceux oe Promethée sont prudens ; ceux d'Epimethee, au con- 
traire, sont grossiers et sans esprit. (R.) 

4. De la Raison, fille du Conseil et de la Prudence, riiç 

$. Nostre poète, nourry tousjours et élevé en la maison 
des roys , depuis François I jusqu'à Henry III, ainsi que tu 
peux voir par sa vie, qu'a escrite monsieur Binet. (R.) 



Premier livre. 37 

De bien loin nos rymeurs(i) surmonte, 
Lors que hardie elle raconte 
Un vaillant sage comme toy. 

Antistrophe. 

Nul n'est exempt de la Fortune, 
Car sans égard elle importune 
Et peuples et rois et seigneurs. 
Caame sentit bien sa secousse 
Et de quel tonnerre elle pousse 
Les grands princes de leurs honneurs. 
Mais , tout ainsi que les flambeaux 
Ou du soleil ou d une estoiie 
Tout soudain reluisent plus beaux 
Après qu'ils ont brisé leur voile , 
Ainsi, après ton long séjour, 
Tu nous esclaires d'un oeau jour, 
Ayant cogmi par ta présence 
Combien nous nuisoit ton absence, 
Privez de ton œil, qui sçait voir 
Les pieds boiteux de la malice , 
Si près œilladant la police 
Que rien ne le peut décevoir. 

Epodc, 

Et qu'est-ce que des mortels.? 
Si au matin ils fleurissent , 
Le soir ils ne sont plus tels. 
Pareils aux champs qui fanissent. 
Nul jamais ne s'est vanté 
D'éviter la bourbe noire 
Si la Muse n'a chanté 
Les hymnes de sa mémoire. 

I. Ces misérables esprits qui n'avoient rien que des rymes 
quand il commença à paroistre, et pensoient estre grands 
poètes. (R.) 



38 Odes. 

d'est à toy, Roy, d'honorer 
Les vers , et les décorer 
Des presens de ta hantesse ; 
Souffe ma nef, je seray 
Le premier qui passeray 
Mes compagnons de vistessjK. 

Strophe I X. 

Plustost que les feux ne s'eslancent, 
Quand au ciel les foudres nous tancent , 
Je courrav dire aux estrangers 
Combien reffort de ta main dextre, 
Maniant le fer, est adextre 
A briser Thorreur des dangers , 
Et de quel soin prudent et caut 
Ton peuple justement tu gpides , 
Appris au mestier comme il faut 
Luy lâcher et serrer les brides. 
Ta vieille jeunesse et tes ans 
En mille vertus reluisans 
M'inspirent une voix hardie^ 
Et me commandent que je die 
Ce règne heureux et fortuné 
Sous qui Fheureuse destinée 
Avoit chanté dés mainte année 
Qu'un si grand prince seroit né 

Antistri^hi. /m 

Pour gouverner comme un bon père 
La France, heureusement prospère 
Par les eifects de sa vertu. 
Rien icy bas ne s'accompare . 
A l'equité saintement rare 
Dont un monarque est revestu ; 
Aussi rien n'est tant vicieux 
Qu'un grand gouverneur de province 



Premier livre. 59 

Quand il fault, d'autant que mille yeux 
Avisent la faute d'un prince. 
Ne preste Paureille aux menteurs 
Et iuy de bien loin les flateurs, 
S'ils veulent oindre (1) tes aureilles 
De fausses et vaines merveilles , 
Fardans sous vaine authonté 
Le vain abus de leurs vains songes, 
Subtils artisans de mensonges 
Et bons pipeurs de vérité. 

Epode. 

L'un se ronge le cerveau , 
L'autre mesdit et rapporte , 
S'il sent qu'un esprit nouveau 
Nouvelles chansons apporte. 
Ce pendant l'innocent faict 
Preuve de sa patience , 
Sçacliant que Dieu tout par&ict 
(Dieu la mesme sapience) 
Ne sçauroit jamais laisser . 
L'orgueil sans le rabaisser 
Pour hausser la chose basse. 
Ostant l'honneur d'un qui l'a, 
Il le donne à cestui-lâ 
Qui par raison se compassé. 

Strophe X. 

Il faut qu'en me parant j'évite 
L'escrime de leur langue viste 
A tirer l'estoc dangereux ; 
Si est-ce que j'oy tousjours dire 
Qu'un homme engraissé de mesdire 
Maigrit à la fin mal~heureux. 

I. Doucement amadouer.. (R.) 



40 Odes. 

lis n*ont point le japer si beau 
Que leur caquet te force à croire 
Qu'un blanc nabit orne un corbeau , 
Ou bien que la neige soit noire; 
Ton jugement cognoist assez 
Les vers qui sont bien compassez. 
Et ceux qui trainent une envie , 
« Et ceux qui languissent sans vie , 
Enrouez , durs et mal-plaisans. 
Par trait de temps les flateurs meurent, 
Mais les beaux vers tousjours demeurent 
Optniastres sur les ans. 

Anûstrophe. 

Prince, jet'envoye ceste ode. 
Trafiquant mes vers à la mode 
Que le marchand baille son bien ^ 
Troque pour troq*. Toy qui es riche^ 
Toy, roy des biens , ne sois point chiche 
De changer ton présent au mien. 
Ne te lasse point de donner, 
Et tu verras comme j'accorde 
L'honneur que je promets sonner 
Quand un présent dore ma corde. 
Presque le loz de tes ayeux 
Est pressé du temps envieux , 
Pour n'avoir eu l'expérience 
Des Muses ne de 'leur science ; 
Mais le rond du grand univers 
Est plein de la gloire éternelle 
Qui fait flamber ton oere en elte 
Pour avoir tant aime les vers. 

Efode. 

Dieu vueilte continuer 
Le sommet de ton empire 
Et jamais ne le muer^ 



Premier livre. 41 

Eschangeant son mieux au pire. 

Dieu vueille encor' dessous toy 

Douter l'Espagne affoiblie , 

Gravant bien avant ta loy 

Dans le gras champ d'Italie. 

Avienne aussi que ton fils, 

Survivant ton jour prefis, 

Borne aux Indes sa victoire , 

Riche de gain et d'honneur, 

Et aue je sois le sonneur 

De l'une et de l'autre gloire. / 



/ 

/ 



A LUY-MESME. 
Ode II. — Strophe !.• 

Comme un qui prend une couœ , 
Seul honneur de son trésor, 
Et de rang verse à la troupe 
Du vin qui rit dedans l'or : 
Ainsi, versant la rosée 
Dont ma langue est arrousée 
Sur ta race des Valois , 
En son doux nectar j'abbreuve 
Le plus grand roy> qui se treuve 
Soit en armes ou en lois. 

AntistropheJ 

Heureux l'honneur que j 'embrasse , 
Heureux qui se peut vanter 
De voir la thebaine grâce 
Qui sa vertu veut chanter. 
Je vien pour chanter la tienne 
Sur la corde dorienne, 



Odes. 

Et pour estre désormais 
Celui qui de tes victoires 
Ne souffrira que les gloires 
En Poubly tombent jamais. 

Epode^ 

De ce beau trait décoché > 
Dy, Muse mon espérance, 
Quel prince sera touché 
Le tirant parmy la France ? 
Sera-ce pas nostre Roy, 
De qui la divine aureiile 
Boira la douce merveille 
Qui n*obeit qu'à ma loy ? 

Strophe II. 

« 

De Jupiter les antiques 
Leurs escrits embellissoient , 
Par luy leurs chants poétiques 
Commençoient et iinissoient , 
Réjouy d'entendre bruire 
Ses louanges sur la lyre ; 
Mais Henry sera le Dieu 
Qui commencera mon mètre , 
Et que seul j'ay voué mettre 
A la fin et au milieu. 

Antistrophe, 

Le ciel , qui ses lampes darde 
Sur ce tout qu'il apperçoit , 
Rien de si fi;rand ne regarae 
Qui vassal des roys ne soit. 
D'armes le monde ils estonnent , 
Sur le chef de ceux ils tonnent 
Qui les viennent despiter; 



Premier livre. 43 

Leurs mains toute chose attaignent^ 
Et les plus rebelles craignent 
Les roys fils de Jupiter. 

Epodc. 

Mais du nostre la grandeur 
Les autres d'autant surpasse 
Que d'un rocher la hauteur 
Les flancs d'une rive basse. 
Puisse-t-il par l'univers 
Devant ses ennemis croistre , 
Et pour ma guide apparoistre 
Tousjours au front ae mes vers ! 



A LA ROYNE SA FEMME ('). 

Ode IIL —Strophe h 

Je suis troublé de fureur, 
Le poil me dresse d'horreur, 
D'un enroy mon ame est pleine , 
Mon estomac est pantois. 
Et par son canal ma vois 
Ne se desgorge qu'à peine. 
Une deité m'emmeine ; 
Fuyez, peuple, qu'on me laisse, 
Voicy venir la déesse ; 
Fuyez, peuple, je la voy. 
Heureux ceux qu'elle regarde , 
Et plus heureux qui la garde 
Dans l'estomac comme moy I 

Andsttophe. 

Elle, esprise de mes chants, 

I . Catherine de Medicit. 



44 Odes. 

Loin me guide par les champs 
Où jadis sur le rivage 
Apollon Florence aima ('), 
Lorsque jeune elle s'arma 
Pour combattre un loup sauvage. 
L*art de filer ny Tquvrage 
Ne plurent à la pucelle , 
Ny le lit mignard ; mais elle , 
Devant le jour s'éveillant , 
Cherchoit des loups le repaire , 
Pour les bœufs d'Arne son père 
Sans repos se travaillant. 

Epode. 

Ce Dieu, qui du ciel la vit 
Si valeureuse et si belle , 
Pour sa femme la ravit. 
Et surnomma du nom d'elle 
La ville qui te fit naistre , 
Laquelle se vante d'estre 
Mère de nostre Junon , 
Et qui par les gens étranges 
Pour ses plus grandes louanges 
Ne célèbre que ton nom. 

Strophe il. 

Là les faits de tes ayeux 
Vont flamboyant comme aux cieux 

I . Comme dans Pausanias Apollon aima Bolina vierge , du 
nom de laquelle est nommée une ville d'Achaîe. A la mode des 
anciens , le poète desguise les choses véritables de fictions et 
de fables, et il feint une nymphe donnant son nom à la ville 
de Florence, fille d'Arne, aimée et ravie par Apollon ; ce qui, 
en effect, vouloit dire que ceste ville est pleine de courage 
et de doctrine, comme de vérité plusieurs admirables esprits 
en sont sortis et plusieurs grands capitaines. (R.) 



Premier livre. 45. 

Flamboyé Paiirore ciaire ; 

Là l'honneur de ton Julien (i) 

Dans le ciel italien 

Comme une planette esclaire. 

Par luy le gros populaire 

Pratiqua Texperience 

De la meilleure science , 

Et là reluisent aussi 

Tes deux grands papes (») , qui ores 

Du ciel , où ils sont encores , 

Te favorisent icy. 

Antistrophe, 

On ne compte les moissons 
De Pesté, ni les glaçons 
Qui , l'hiver, tiennent la trace 
Des eaux roides à glisser : 
Ainsi je ne puis penser 
Les louanges de ta race. 
Le Ciel t'a peint en la face 
Je ne sçay quoy qui nous monstre , 
Dés la première rencontre , 
Que tu passes par grand-heur 
Les princesses de nostre âge , 
Soit en force de courage , 
Soit en royale grandeur. 

Epode. 

Le comble de ton sçavoir 
Et de tes vertus ensemble 
Dit qu'on ne peut icy voir 
Rien que toy qui te resemble. 
Quelle dame a la pratique 

1 . Il faut voir iqr l'histoire de Florence. (R. ) 

2. Clément VU et LeonX. 



4^ Odes. 

De tant de mathématique (i)? 
Quelle princesse entend mieux 
Du grand monde la peinture ('), 
Les chemins de la nature (0 
Et la musique des cieux (4) ? 

Strophe ni: 

Ton nom , que mon vers dira. 
Tout le monde remplira 
De ta louange notoire : 
Un tas qui chantent de toy 
Ne sçavent si bien que moy 
Comme il faut sonner ta gloire. 
Jupiter, aérant mémoire 
D'une vieille destinée 
Autrefois déterminée 
Par l'oracle de Themis (î), 
A commandé que Florence 
Dessous les loix de la France 
Se courbe le chef soumis. 

Antistrophe, 

Mais il veut que ton enfant 
En ait honneur triomphant, 
D'autant qu'il est tout ensemble 
Italien et François, 
Qui de front, d'yeux et de vois, 
A père et mère resemble. 

1 . Il comprend toutes les espèces de la science, la géomé- 
trie, l'astronomie et les autres, qui s'appellent toutes mathé- 
matiques. (R.) 

2. La cosmographie. 

3. La physique. 

4. La metapn}rsique. 

5. Car ceste vieille déesse est là haut aux deux et aux 
dieux ce que la justice est icy bas aux hommes en la terre. (R.) 



Premier livre. 47 

Déjà tout colère il semble 
Que sa main tente les armes y 
ér qu'au milieu des alarmes 
Jà desdaigne les dangers; 
Et ^.servant aux siens de ^ide, 
Vainqueur, attache une bnde 
Aux royaumes estrangers. 

Epode, 

Le Ciel ^ qui nous Ta donné 
Pour estre nostre lumière , 
Son empire n'a borné 
D'un mont ou d'une rivière. 
Le destin veut qu'il enserre 
Dans sa main toute la terre ^ . 
Seul roy se faisant nommer, 
D'où Phébus les Indes laisse, 
Et d'où son char il abbaisse 
Tout panché dedans la mer. 



A MADAME MARGUERITE 
Duchesse de Savoie, sœur du Roy Henry II (1). 

Ode IV.— Strophe 1. 

II hui aller contenter 
L'aureille de Marguerite , 
Et en son palais chanter 
Quel honneur ell^erite. 
Debout, Muses, qu'on m'attelle 

I . Ceste princesse a combatu l'ignorance de son temps et 
a merveillettsement advancé ilionnear des lettres. (R.) 



48 Odes. 

Vostre charrette immortelle , 
Afin qu*errer je la face 
Par une nouvelle trace, 
Chantant la vierge autrement 
Qu'un tas de rimeurs barbares 
Qui ses louanges si rares 
Luy souilloient premièrement. 

Antistrophe. 

J'ay sous Tesselle un carquois 
Gros de flèches nompareilles, 
Qui ne font bruire leurs vois 
Que pour les doctes aureilles. 
Leur roideur n*est apparente 
A telle bande ignorante 
Quand une d'elles annonce 
Dhonneur que mon arc enfonce. 
Entre toutes j'esliray 
La mieux sonnante, et de celle 
Par la terre universelle 
Ses vertus je publiray. 

Epode, 

Sus, ma Muse, ouvre la porte 
A tes vers plus doux que le miel , 
Afin qu'une fureur sorte 
Pour la ravir jusqu'au ciel. 
Du croc arracne la lyre 
Qui tant de gloire t'acquit , 
Et vien sur ses cordes dire 
Comme la Vierge nasquit. 
s 
Strophe 11. 

Par un miracle nouveau, 
Un jour Pallas de sa lance 



Premier livre. 49 

Ouvrit le docte cerveau 

De François , seigneur de France. 

Alors, estrange nouvelle! 

Tu nasquis de sa cervelle , 

Et les Muses, qui là furent , 

En leur giron te receurent. 

Mais , quand le temps eut parfait 

L'accroissance de ton âge , 

Tu pensas en ton courage 

De mettre à chef un grand fait. 

Antistrophe, 

' Tes mains s'armèrent alors 

De rhorreur de deux grandes haches , 

Sous un beau harnois de cors 

Tout Pestomach tu te caches ; 

Une menassante creste 

Flotoit au haut de ta teste , 

Refrappant la gueule horrible 

D'une Méduse terrible : 

Ainsi tu allas trouver * 

Le vilain monstre Ignorance, 

Qui souloit toute la France 

Dessous son ventre couvef. 



Epode. 

L'ire qui la beste eslance 
En vain irrita son cœur. 
Poussant son mufle en aéf ence 
Encontre ton bras vainqueur ; 
Car le fer prompt à l'abbatre 
En son ventre est ja caché , 
Et ja trois fois, voire quatre, 
Le cœur luy a rechercné. 
Ronsard. — II. 



50 Odes. 

Strophe ill. 

Le monstre gist estendu . 
L'herbe en sa playe se souille; 
Aux Muses tu as pendu 
Pour trophée sa aespouiilé ; 
Puis, versant de ta poitrine 
Mainte source de doctrine, 
Aux François tu fts cognestre 
Le miracle de ton estre (<). 
Pour cela je chanteray 
Ce bel hvmne de victoire , 
Et sur 1 autel de Mémoire 
L'enseigne j'en planteray. 

Antistropke. 

Mais moy, qui suis le tesmoia 
De ton loz qui le monde orne , 
Il ne faut ruer si loin 

?ue mon train passe la bpnie. . 
i*appe à ce coup Mar^erite 
Par le l\ut de son mérite , 
Qui luit comme une plane|te . 
Des flots de la mer brunette. 
Répandons devant ses yeux 
Ma musique tousjours neuve 
Et le nectar dont j'abreuve 
Les honneurs dignes des deux, 

Eppde. 
Afin que la nymphe voye 



I . » I 



I . Car à la vérité ce fut chose estrange de voir sous ceste 
princesse, et sous le grand roy François son père, les esprits 
ramenez tout à coup de Tignorance au sçavoir, et par sa fa- 
veur un siècle d'hommes doctes qui parurent en toutes scien- 
ces. (R.) 



Premier livre. 51 

Que mon luth premièrement 
Aux François monstra la voye 
De sonner si proprement , 
Et comme imprimant ma trace 
Au champ attiq' et romain , 
Callimacn, Pindare, Horace, 
Je déterray de ma main. 



A CHARLES 
Cardinal de Lorraine. 

Ode V. — Strdpkei. 

Ç) uand tu n'aurois autre ^jOixie 
^K^^^Y antre présent des aeux, 
Sinon sortir de la race 
De tant de roys tes aveux , 
J'aurois encor trop de lieux 
Pour te bastir çne gloire : 
Car, si je veux raconter 
De ton grand Buillon rhistoire*, . 
Qui peust les Turcs sarmonterfi) 
Par une heureuse victoire y 
Ou la fameuse mémoire 
De ses frères (2), ou les rois 
Tes ayeux , dNMit la Sicile 
A leur obnrtiocile , 
Escouta les saiactes lois; . 

1. Soubs le ppe Urbain il, autheur de la croisade à la 
suscitation de Pierre l'Hermite , en Pan 1099, £t Qodeiiroy de 
Buillon en fut déclaré cjief, combien qu'alors iln'enst autre 
qualité que de seigneur dé Boiîlongne sur la iner. (R.) 

2. Paul Jove dit qu'il- laissa après soy une succession glo- 
rieuse, et entre autres Baudouin son frère, qui luy succéda 
au royaume. (R.) 



52 Odes. 

Antistrophe. 

Leur nom , qui le temps surmonte , 
Te feroit seul immortel ; 
Mais ta vertueuse honte 
Rougiroit d'un honneur tel. 
Je te veux faire un autel, 
Où, maugré Tan, qui tout mange, 
Ton propre los je peindray 
D'une encre (][ui ne se change. 
Et là ce vœu je pendray, 
Qui au pèlerin estrange 
Racontera ta louang;e, 
Et la vertu oui reluit 
Par les ans ae ta jeunesse. 
Comme Por sur la richesse, 
Ou la lune par la nuict. 

Epodi. 

Tout rhonneur qui seul en France 
Du sein des dieux s'escoula, 
Pour illustrer ton enfance , 
Dessus ton front s'en-vola, 
Et depuis s'est planté là. 
Donccjues, prélat de bon-heur, 
Qui tiens le sommet d'honneur. 
En qui nostre roy contemple 
Des vertus le vray exemple, 
Sois content d'un si grand bien. 
Et ne souhaitte plus rien : 
Car toy, qui ta vie arroses 
Du miel des heureuses choses, 
D'avantage, à qui je donne 
Une louange si bonne 
Qui te célèbre en tout lieu. 
Cesse de plus rien attendre 



Premier livre. 5^ 

Et ne vueilles point apprendre 
A te faire un nouveau Dieu. 



LA VICTOIRE DE FRANÇOIS DE BOURBON 

COMTE D'ANGUIEN 
à Cerizoles (1). 

Ode VI. — Strophe i. 

L*hymne qu'après tes combas 
Marot fit de ta victoire, 
Prince heureux , n'égala pas 
Les mérites de ta gloire ; 
Je confesse bien qu'à l'heure 
Sa plume estoit la meilleure 
Pour desseigner simplement 
Les premiers traits seulement; 
Mais moy, nay d'un meilleur âge, 
Aux lettres industrieux. 
Je veux parfaire l'ouvrage 
D'un art plus laborieux. 

Antistrophe, 

Moy donc, qui tiens dans le poing 
L'arc des Muses bien-peignées. 
Je ru'ray l'honneur plus loing 
De tes couronnes gagnées, 
Et jusqu'aux pays estranges 
Je darderay tes louanges, 
Tes coups de masse et l'horreur 
De ta vaillante fureur 
Qui tonnoit en ton jeune âge, 

I . Qui fiit le lendemain de Pasques de l'an 1 544. (R.) 



54 Odes. 

Mdssonoant ks ennemis 
Que le martial orage 
Devant ta foudre avoit mis. 

Epode. 

Voy voler mon dard estrange, 
De ma Muse emmiellé, 
Et de ta victoire ailé, 
Qui vient ficher ta louange. 
Ores.il nç.faut pas dire 
Un bas cfiant dessus ma lyre, 
Ny un chant qui ne peut plaire 

Su'aux aureilles du vulgaire , 
^s des vers graves et bons, 
Haut-celebrant par ceste ode, 
Dite à la thebaine mode, 
François, Thonneur des Bourbons («), 

Strophe il. 

Qui, dés la jeune saison, 

?uand la Jouvence dorée 
rise sa çrespe toison 
Sur la joue colorée. 
Par la pointe de sa lance 
Réveilla Thonneur de France, 
Lors que, mattant la vertu 
Du vieil marquis (a) combatu, 
Trantha les peuples d'Espagne, 
A bas sans ame ruez, 

1 . Et oncle paternel de nostre roy. (R.) 

2, Du marquis du Gast, qui perdit ceste journée. Les 
historiens du temps racontent qu'on trouva entre ses deçouil- 
les quatre mille cadenats, desquels il avoit résolu d'enchaîner 
les François et les envoyer aux galleres s'il eust eu la vic- 
toire. (R.) 



Premier livre. 55 

LorsquHI joncha U cailfpagnê 
De tant de soudàrts tuez (1). 

Anùstrophe. 

Comme un affamé lion. 
Qui de soif la gorge a cuite, 
Tout seul domte un million 
De cerfs légers à la fuite ; 
Ores rouant sa grand masse 
A grands coups de coutelace, 
Emmena pour son butin 
Le traistre Alternant mutin (>), 
Et, brûlé de la victoire, 
Luy grava dessus le dos (?) 
En lettres rouges (4) la gloire 
De la France et de son Toz. 

Epode, 

Jamais la muse ne souffre 
Qu'un silence sommeillant 
En ses ténèbres engoufre 
Les faits d'un homme vaillant. 

1 . Jusqu'à douze ou quinze mille tuez . deux mille cinq 
cens prisonniers blessez et non blessez. (R.) 

2 . Car il se jetta sur le gros de^ Allemans et des Espagnols, 
qui emportment l'infanterie de France sans luy, et n'y perdit 

3ue deux cens des siens. Maistre Antoine Arnaud , advocat 
u Parlement , aussi docte que fort éloquent , parle de ceste 
victoire en ces mots, en sa première Savoysienne : « Mon- 
sieur d'Anguien, sous les auspices du roy François, emporta 
ceste glorieuse journée, oh nostre infanterie, à coups de pic- 
qnes , renversa nirieusement toutes les vieilles banaes triom- 
phantes des deux parties du monde, bien qu'ils fassent le 
tiers plus que nous, et tellement armez que nous y gaignas- 
mes nuia mille corselets. » (R.) 
). Comme ilfiiyoit, ocdpHiumastendenti. (Vânon.) 
4. Avec le fer. 



56 Odes. 

La France ne voit encore 
De nul prince qu'elle honore 
La gloire si bien empreinte 
Comme j'ay la tienne peinte, 
Poussant le nom par mes vers 
De toy, prince, qui es diene 
D*estre seigneur de mon hynne, 
Voire de tout Tunivers. 

Strophe m. 

Muses, ne vaut-il pas mieux 
Que le son de ma lyre aille 
Aux vieux Bourbons ses ayeux 
Annoncer ceste bataille , 
Seule douce recompense 
Des coups et de la despense ? 
Car la poudre des tombeaux 
N'ensarde que les faicts beaux 
Des fils ornez de merveilles 
N'aillent là bas resjouyr 
De leurs pères les aureilles, 
Esgayez ae les ouyr. 

Antistrophe. 

Fille du nepveu d'Atlas (0> 
Poste du monde où nous sommes, 
Qui n'eus oncque le bec las 
D'éventer les faicts des hommes, 
Va-t'en là bas sous la terre. 
Et à Charles (2) et à Pierre (5) 
Dy que François, leur neveu, 

1 . La Renommée, fille de Mercure. * 

2. Dernier duc de Bourbon, brave prince qui mourut au 
siège de Rome. (R.) 

3. Second de ce nom , duc de Bourbon, qui espousa Anne 
de France, fille du roy Louys onziesme. (R.) 



Premier livre. 57 

Aujourd'huy vainaueur s'est veu 
De rimperiale auaace ; 
Et dy (jue sa jeune main 
N'a point desmenty sa face 
Par un faict couard et vain. 

Autour de la yie humaine 
Maint orage va volant, 
Qui ores le bien ameine(i)^ 
Ores le mal violant. 
La roue de la Fortune 
Ne se monstre aux roys toute une, 
Et jamais nul ne se treuve 
Qui jusqu'à la fin espreuve 
L'entière félicité. 
Les hommes journaliers meurent, 
Les dieux seulement demeurent 
Francs de toute adversité. 



AU SEIGNEUR DE CARNAVALET, 
OpE VIL — Sirqphc i. 

Ma promesse (a) ne veut pas, 
Carnavalet, que là. bas 
Ton nom erre sans honneur^ 
Ne sans avoir cognQissiance 

I II dit cela à cause de la malheureuse mort de ce prince ^ 
qu'un coffre jeté, peut-être à dessein., par une fenêtre, tua 
à la Roche-Guyon, en février 1 546, sous le roi. François 1er. (R.) 

2. Il s'aquitte d'une promesse faite au sieur de Carnavalet 
de l'immortaliser. Entre autres choses, il le loue de sçavoir 
parfaictement manier un cheval etd'estre brave cavalier. (R.) 



$8 Odes. 

Quelle force a ma puissance 
Et quels vers je suis donneur. 
Muses, filles au grand Dieu 
Par qui la foudre est lancée, 
Venez lui dire en quel lieu 
Je Tay peint dans ma pensée. 

Il est vray que j*avoy mis 
En long oubly la mémoire 
Qu'une fois je liiy promis 
D'^pandre au monde sa gloire; 
Mais ores vostre main forte 
Chasse Pinjure, de sorte 
Qu'il voye parfaictement 
Que nulle mortelle chose 
Ferme ne fut oncques close 
Sous rhuis de Tenteridement. 

Antistrophe. 

Le temps, venant de bien loin, 
M'a blasmé, comme tesmoin. 
De. n'acquitter mon devoir. 
Au pis aller, une usure 
Raclera toute l'injure 
Que j'en pourrôy recevoii*. 
(?ést un travail de boit-heur 
Chanter tés hommes' louables, 
Et leur bastir un honneur 
Seu} vainqueur des ans muables. 
Le marbre oti l'airaiii vestu 
D'un labeur vif par l'enclume 
N'animent tant la vertu 
Que les Muses par la plume. 

Ores donc ta renommée 
Vdirra le inondé, animée 
Par le labeur de mes dois. 
Telle immortelle largesse 



Premier livre. ^9 

Passe en grandeur la richesse 
Du plus grand de tous les rois. 

Epode, 

aielle louange première 
yre te sonnera, 
Resjouy de la lumière 
Que mon vers te donnera ? 
Diray-'je l'expérience 
Que tu as en la science, 
Ou ta main qui sçait Taaresse 
D'acheminer la jeunesse 
Par tes vertus à bon train (»), 
Ou ton art , qui admoneste 
L'esprit de la iiere beste 
Se rendre docile au frain 

Strophe II. 

Qu'apporta du ciel Pallas 
A Bellerophon, ja las 
De vouloir en vain douter 
Le iils aislé de Méduse 
A coups -de pied, qui refuse 
Le laisser sur luy monter? 

Quand la nuiiât il entendit 
Pallas, des soudars ta guide, 
Qui en songe luy a dit : 
Dors-tu, la race solide? 
Pren le secours de tes maux , 
Geste médecine douce; 
Elle seule des chevaux 
Le gros courage repousse. 
Luy qui soudaih se reveille 

I . c'est à dh:e la parfaîcte et plus imi)ortante pedago^, 
comme celle du roy Charles IX. (R.) 



6o Odes. 

De voir un frain s*esmerveilic, 
Et, le prenant, Ta cach^ 
Dans Topiniastre bouche 
Du cheval non plus farouche, 
L'ayant un petit mâché, 

Antistrophç, 

Lors, le touchant de plus près, 
Osa tenter Tair après, 
Monté sur le dos volant (i), 
Et, se jouant en ses armes , 
Fit de merveilleux alarmes ; 
Dévoûtant l'arc viplant, 
La puante ame il em.bla 
À la chimece à trois formes, 
Et le col luy dessembla 
Hors de ses testes difformes. 

A terre morte il rua 
Des guerrières la vaillance ; 
Mais quel méchef (e tua, 
Je le passe sous silence. 
Dix et huit astres receurent 
Le cheval qu*elP aperçurent 
Culbuter son maistre i bas (4). 
L'homme qui veut entréprendre 
D'allçn ay ciel doit apprendre 
A s*eslever par compas. 



a. Var. : 



Au ciel mainLtfiii Von vid naistre 
De Pégase, ûui son mabtrt 
Culbuta du haut en bas. 



I . Luçian estime que ce Bellerophon fiit un excellent as- 
trologue , dont l^esprit eslevè donna suject de feindre quMI 
estoit emporté ^u cid sur un cheval vglant, (R.) 



Premier livre. 6i 



Epode, 



Automedon ne Sthenelle, 
Dont la lonffue antiquité 
Chante la gloire éternelle^ 
La tienne n*ont mérité, 
Soit pour mollir le courage 
Au cneval d'une main sage, 
Ou soit pour le faire adextre, 
A la gauche et à la dextre 
Obeyssant à tes lois, 
A fin que par ta conduite 
Puisse un jour tourner en fuite 
Le camp ennemy des rois. 

Strophe ill. 

Tes ancestres maternels 
Et tes ayeux paternels 
Divers champs ont habité, < 
Si bien que qui fils t'appelle 
De deux terres, il ne celé 
Ta raCe à la vérité. 
Quand la bize vient fascber 
La nef que trop elle vire, 
Alors il faict bon lascher 
Deux ancres de son navire. 

La France te va louant 
Pour son fils, et la Bretaigne 
De t'aller sien avouant 
En si grand honneur se baigne , 
Si tu es fils légitime 
De la vertu, que jjestime 
Plus que tes honneurs divers ; 
C'est pour cela que ma corde. 
Parlant ta gloire, s'accorde 
Avec le son dïe mes vers, 



62 Odes." 



Antistmphe. 



Lesquels en douceur parfàicts 
Apparoistre sç sont faite' 
Sur le rivage du Loir, 
Pour sacrer à la mémoire 
Les vertueux qui leur gloire 
Ne mettent en nonchatoir. 

Comme le fHs ' qu'un père a 
De sa femme en sa vieiilesB6y^ 
Ce vers, mon fils, te plafcfa> 
Bien que tard je te le laisse. 
L'homme veuf n'a tant d'ennuy 
De quitter son héritage 
Aux estrangers qui de luy 
Auront le bien en partage 
Comme l'homme qui dévale 
Dedans la barque infernale ^ 
De mes hymnes devestu. 
En vain l'on travaille au monde, 
Si la lyrique faconde , 
Fait muette la vertu; 

Epode. 

Mais la mienne emmiellée , 
Qui sçait les loix de mon doy, 
Avec les flostes meslée, 
Chassera l'oubly de toy^ 

Les neuf divmes pucelles - 
Gardent la gloire che2 elles ; 
Et mon luth, qu^«ll' ont fait eittû 
De leurs secrets le grand pfe^ej- 
Par cest hymne tfDienmBi : 
Respahdra dessus ta race ^ 
Je nesçay quoy de sa glt^e 
Qui te doit faire éternel. 



Premier livre. 6$ 

USURE, A LUY-MESME. 
Ode VIII. 

Ne pilier ne terme dorique 
D histoires vieilles décoré, 
Ne marbre tiré de TAfrique 
En colonnes elabouré, 
Ne te feront si bien revivre , 
Après avoir passé le port, 
Comme les plumes et le livre 
Te feront vivre après ta mort. 

Le compagnon des Dieux je vante 
Celuy qui se peut faire amy 
Du luth vandomois oui le chante 
Contre le silence enaonny^ 
Le doux accord de son marmure, i 
Chassant de ton bniict le soimmeil , 
Le respandra pour mon usure (i; 
De l'un jusqu'à Tautre soleil. 



LA VICTOIRE DE GUY DE CHABOT, 
Seigneur de Jamac (2). 

Ode IX. — Strophe i. 

O France ! mère fertile 
D'un peuple à la guerre utile, 
Terre pleine ae'gfand-ieur, 

1 . Il appelle ainsi ceste ode, laauelle il a^jouste à la pre- 
dente comme un interest de robiigation qu'il a payée trop 
rd. (R.) 

2. C'est en faveur du célèbre duel qui fat dit sous te roy 



64 Odes. 

Pren ceste douce couronne 
Que Chabot pour son vœu donne 
Au temple de ta grandeur, 
Lequel, ains que son espée 
Au sang haineux fiist trempée, 
Du miel de sa langue molle 
Se desaigrit le souci , 
Et de sa douce parolle 
Flatta sa chère âme ainsi : 

Antistrophe. 

ce Une ame lasche et couarde 
Au péril ne se hazarde ; 
Et d'où vient cela que ceux 
Qui pour mourir icy vivent 
1/honneste danger ne suivent , 
A la vertu paresseux ? 
Misérable qui se laisse 
Engloutir à la vieillesse ! 
Heureux deux et trois fois l'homme 

?ui desdaigne les dansers ! 
ousjours vaillant on le nomme 
Par les peuples estrangers. » 

Epode. 

, Disant tels mots, il appreste 
Au combat ses membres forts ; 
De fer il arma sa teste, 
De maille il arma son corps. 
Il prit Tespée en la dextre, 
Le bouclier en^la senestre, 

Henry II, entre la Chastaigneraye et Jarnac, qu'il loue la 
resolution d'un brave courage, et consacre à la mémoire 
rhonneur qu'en rapporta le vainqueur. (R.) 



Premier livre 65 

Et, horrible à l'approcher, 
Esclairoit comme une foudre 
Qui chet pour mer en poudre 
Le haut sourcil d'un rocher. 

Strophe il. 

De juger par conjecture 
La fin de l'heure future 
Nous rend le cœur plus hautain, 
Donnant à qui bien y. pense 
Une pande recompense 
D'avoir preveu l'incertain. 
Mesmes, c'est le tout que d'estre 
Des mains aux armes adestre, . 
Qui doivent meurdrir la face 
De l'adversaire odieux, 
Et qui font au vainaueur place 
Au plus haut siège des dieux. 

Antistrophe, 

Toy, devant les yeux de France, 
Per à per en camp d'outrance, 
Tu remis dessus ton front 
Ce au'on embioit de ta gloire (>), 
Et J7 gravay la victoire , 

?ue mille ans ne desferont , 
es vertus et ton audace. 
Et le maintien de ta grâce, ' 

8ui eust adoucy la rage 
il plus foible befliqueiir, 
Si la fureur du courage 
Ne luy eust sillé le cœur. 

I . Oii sçait le suject de la querelle , et le tort que Ton te- 
noit au sieur de Jamac, qui se vengea de son ennemy, de 
mesme qu'Apollon des enfans de Niobe. (R.) 

Ronsard. — II. 5 



66 Odes. 

r 

Epodf, 

Une ttii;e< d'erreur pteiiie(i) 
Qui nous trouble Volontiers, ^ 
Couvrant la raison , nous meine 
Esgarez desiixeaux sentiers, 
Nous fians (sots que nous sommes!) 
Aux vents mcettmiis des bpmmes , 
Qui soufflent j pour nOiis tromper, 
En cent sone$ et manières, 
Et aux faveurs joumMieres 
Que le fer sçait bien couper* 

Strophe iiu 

Toutesfois , la pa^le Envie 
Epie tousjours la vie 
De rhomme à qui le bon-heur 
De la victoire honorable 
Par sa face vénérable 
A peint l'image d'honneur. 
La loy de nature toulrne. 
Rien de ferme ne séjourne, 
Divers vents sont ep mesme heure, 
Ore hy ver, ore printemps; 
Tousjours la vertu demeure 
Constante contre le temps. 

Antistràph* 

Ah ! ce labenr^ façcordé : 
Dessus ma thebaine corde 
Ne cesse de m tehttty 
Afin qu'au jour je le monsif e 
Et que je marche à i'encontf«^ 

I . Tout ce qiii suit est dit à cause de la fSortnne 4tt sieur 
de laChastaignemye, qui estoit grande en coui et pleine de 
faveur, et ceU luy baus&oit k cœur* , 



Premier livre. 6^ 

Du vainqueur pouf le chaater, 
Le mariant aux haleines 
Des trompette y qui sont pkiiies 
D'un son iuneax est grave. 
Qui mettrrât à fiondialoir 
La vietoire que je lave 
Dedans les onies du Loin? 

Qu'on chante'ies nouveaux- lijrnnes, 
Mais qu'on vante les vins vieux. 
Ceux qui ibnt fes vertus dignes 
Sont engrsivez dans les Cieux. 
Du couard la renoinmée 
Ne hit oficqnaes estimée . 
(Quoy qu^il bce du vaillant), . 
Soit au camp paraiy les troupefs. 
Soit en la ner sur les poupes ^ 
Lors que l'on va bataillant* . 

Strùphfim, 

La mer a cognit ta race: 
Humble, appaisant son audace. 
Sous ton oncle gouverneur. 
Du flot qui venteux arrive 
Contraria Irançoise tvfe ■ 
Bruyant encor son honâeûr. 
Chabotl bien peu je prise 
De gaigner une entreprise 
Que lla-FQrttiiie^eOV>e ■ • • 
A chacun également; 
Mais'c^est' beaucoup que de vivre 
• Par elle etémeliement. ; 

Ta yçrtu seroit trompée, 
Et-ncâpliisque toà^pé^. 



i •} 



68 Odes. : 

Mit à vaincre l'ennemi 
Non plus vive seroit-elle 






Si je n'avoy coupé Taile 
Du long Silence endormi y 
Monstre qui a de coustume 
De couver dessous sa plume 
La vertu qui s'est parfaite 
En Thonneur d'un acte beau ; 
Mais celle que tu as faite 
N'ira pas sous le tombeau, 

Epode, 

J'ay jur^.de faire croistre 
Ta gloire contre les ans , 
Faisant par elle apparoistre 
Combien mes vers sont plaisans, 
Qui tesmoignent à la France 
Comme ta brave asseurance 
Te fit marcher glorieux , 
Vestu d'honneur et de gloire, 
Ayant ravy la victoire 
Par le fer victorieux. 



en 



A MICHEL DE L'HOSPITAL, 

chancelier de France. 

Ode y:. (}),— Strophe i. 

Errant par les champs de la Grâce, 
Qui peint mes vers de ses couleurs, 
Sus les bords dirceans j'amasse 
L'eslîte des plus .belles fleurs , 

1. C'est un chef-d'œuvre de poésie que teste ode, feictc 
l'honneur de la poésie et d'un grandissime personnage. 



Premier livre. 69 

Afin qu'en pillant je façonne 
D'une laborieuse main 
La rondeur de ceste couronne 
Trois fois torse d'un plv thebain , 
Pour orner te haut de fa gloire 
De l'Hospital, mignon des Dieux, 
Qui çà bas ramena des deux 
Les filles qu'enfanta Mémoire. 

Antistrophe, 

Mémoire, royne d'Eleuthere, 
Par neuf baisers qu'elle receut 
De Jupiter, qui la fit mère. 
En neuf soirs neuf filles conceut. 
Mais quand la Lune vagabonde 
Eut courbé douze fois en rond 
(Pour r'enflamer l'obscur du monde) 
La double voûte de son front, 
Elle adonc lassement outrée 
Dessous Olympe se coucha, 

Le poète y traiae la naissance des Muses et le voyage qu'elles 
font chez POcean pour y voir leur père, où estans arrivées 
comme il souppoit, elles chantent trois sujects qui représen- 
tent trois stiles divers. Cela fait, avec un ravissement mer- 
veilleux, l'une d'elles, au nom de la troupe, demande à 
Jupiter i>lusieurs choses excellentes et dignes de leur profes- 
sion; puis après, ayant obtenu ce qu'elles demandent, le 
poète les fait revenir en terre , où il descrit les commence- 
mens de la poésie, ses progrés et son déclin ; enfin , pour 
venir au suject spécial et particulier de son œuvre , il les 
fait retourner au ciel , contrainctes par l'Ignorance, jusqu'au 
jour prefix à l'heureuse naissance du grand Michel de l'Hos- 
pital, chancelier de France, ^ui les rameine une autre fois 
et restabltt en terre pour jamais, avec admiration de ses ver- 
tus, sçavouet preud'hommie, que le poète traiae et poursuit 
excellemment jusqu'à la fin de l'œuvre. (R.) 

Nous avons comservé cette note caractéristique de Richelet 
sur l'ode de Ronsard la plus admirée par ses contemporains. 



Et criant Lucine^raçoàiuiha 
De neuf filles d'une centrée , 

Epode. 

En qui respandit le Ciel 
Une musique immortelle , 
Comblant leur bouche nouvelle 
Du jus d'un attique miel y 
Et à qui vrayment aussi 
Les vers furent en souci y 
Les vers dont flattez nous sommes, 
Afin que leur doux chanter 
Penst doucement enchanter 
Le soin des dieux et des hommes. 

Strophe 1 1. 

Aussi tost que leur petitesse y 
Courant avec les pas du temps , 
Eut d'une rampante vistesse 
Touché la borne de sept ans , 
Le sang naturel , qui commande 
De voir ses parens , vint saisir 
Le cœur de ceste jeune bande , 
Chatouillé d'un noole désir ; 
Si qu'elles mignardant leur mère, 
Neuf et neuf bras forent plians 
Autour de son col, la priant 
De voir la face de leur père. 

Antistrophe, 

Mémoire, impatiente d'aise , 
Délaçant leur petite main , 
L'une après l'autre les rebaise 
Et les presse contre soq sein. 
Hors oes poumons à lente peine 
Une parole luy montoit, 



Premjek livre. 7* 

De souspirs alkttremciitptàic, 
Tant TafFcction îa^t, 
Pour avoir desia cognoissancc 
Combien ses filles auront tfheur, 
Ayant pratiqué la grandes 
Du Dieu qui ptanta leur naissance. 

Epode, 

* 

Après avoir relié 
D'un tortis de violettes 
Et d'un cerne de fleurettes 
L'or de leur chef délié , 
Après avoir proprement 
Troussé leur açcoustrement 
Marcha loin devant sa trope, 
Et , la hastant jour et nuict , 
D'un pied dispos la conduit 
Jusqu'au riv^g^ Ethîope. 

Strophe lli. 

Ces vierges encôres nouvelles 
Et maUpprises au labeur, 
Voyant le front des eaux cruelles , 
S'effroyerent d'une grand' peur. 
Et toutes pancherent amcre 
(Tant elles s'alloient émouvant), 
Comme on voit dans 4telqnc nviere 
Un jonc se pancher sous te ve*t j 
Mais leur mère, non estowiét 
De voir leur sein qui haletoit, 
Pour les asseurer tes flatçit 
De ceste parote empennée : 

Antistfophc. 

« Courage , mes filles (dit-elle) 
Et filles de ce Dieu puissant 



72 Odes. 

Qui seul en sa main immortelle 
Soustient le foudre. rougissant! 
Ne craignez point les vagues creuses 
De Peau qui oruit profondément, 
Sur qui vos chansons doucereuses 
Auront un jour commandement ; 
Mais dédaignez ses longues rides , 
Et ne vous souffrez décevoir 
Que vostrc pcre n'aillez voir 
Dessous ces royaumes humides.» 

Epode, 

Disant ainsi , d'un plein saut 
Toute dans les eaux s allonge , 
Comme un cvgne qui se plonge 
Quand il voia raigle plus haut, 
Ou ainsi que l'arc des cieux 

?ui d'un grand tour spacieux 
out d'un coup en la mer glisàe , 
Quand Junon naste ses pas 
Pour aller porter là bas 
Un message à sa nourrice (>)• 

Strophe IV. 

Elles adonc , voyant la trace 
D^ leur mère , qui ja sondoit 
Le creux du plus humide espace , 
Qu'à coup de bras elle fendoit , 
A chef tourné sont dévalées, 
Penchant bas la teste et les veux , 
Dans le sein des plaines salées. 
L'eau , qui jaillit jusques aux cieux , 
Grondant sus elles se regorge, 
Et, frisant deçà et de là 
Mille tortis, les avala 
Dedans le goufre de sa gorge. 

I . Tethys. 



Premier livre. 73 

Antistrophe. 

En cent façons , de mains ouvertes 
Et de pieds voûter en deux pars, 
Sillonnoient les campagnes vertes 
De leurs bras vaguement espars. 
Comme le plomb, dont la secousse 
Traîne le met jusqu'au fond. 
L'extrême désir qui les pousse 
Avalle contre-bas leur iront, 
Tousjpurs sondant ce vieil repaire 
Jusques aux portes du chasteau 
De l'Océan , qui dessous Teau 
Donnoit un festin à leur père. 

Epode. 

De ce palais éternel , 
Bhive en colonnes hautaines, 
Sourdoit de vives fontaines 
Le vif surgeon perennel. 
Là pendoit sous le portail , 
Lambrissé d'un vera émail , 
Sa charrette vagabonde. 
Qui le roule d'un gjrand tour, 
Soit de nuict ou soit de jour, 
Deux fois tout au rond du monde. 

Strophe v. 

Là sont divinement encloses 
Au fond de cent mille vaisseaux 
Les semences de toutes choses , 
Eternelles filles des eaux. 
Là les Tritons , chassant les fleuves 
Sous la terre les escouloient 
Aux canaux de leurs rives neuves , 
Puis de rechef les rappelloient. 



74 Odes. 

Là ceste trouppe est arrivée 
Sur le poinct que l'on desservoit » 
Et que desja Portonne avoit 
La première nappe levée. 

Antistropke, 

PhœbttSy du milieu de la table ^ 
Pour dérider le front des dieux, 
Marioit sa voix délectable 
A son archet mélodieux y 
Quand Tœil du père , qui prend garde 
Sus un chacun , se costoyant 
A Pescart des autres, regarde 
Ce petit troupeau flamboyant, 
Du quel et Thonneur et la grâce 
Qu'empreints sur le front il portoit » 
Publioit assez qu'il sortoit 
De l'heureux tige de sa race. 

Epode, 

Luy oui debout se dressa 
Et de plus près les œillade. 
Les serrant d'une accolade. 
Mille fois les caressa, 
Tout essayé de voir .peint 
Dedans les traits de feur teint 
Le naïf des grâces siennes. 
Puis , pour son hoste éjouir, 
Les chansons voulut ouïr 
De ces neuf musiciennes. 

Strophe VI. 

Elles, ouvrant leur bouche, nleine 
D'une aouce arabe moisson (i), 

I . Riche et heureuse. 



Premier livre. 

Pv l'nprit d'ane vive hilûne (i) 
Donnèrent l'ame i lenr chanson; 
Fredonniint snr U chanterelle 
De la harpe du Delien 
La contentieuse querelle 
De Minerïe(a) et duCromen()), 
Comme elle du sein de la terre 
Poussa son arbre (*) palissant. 
Et luy son cheval hennissant. 
Futur augure de la guerre. 

Aatiitrophe. 

Puis, d'une voix plus violente, 
Chantèrent l'enclume de fer(l)i 
Oui, par neuf et neuf jours roalaote. 
Mesura le ciel et l'enfer, 

EÏï rond s'allongeant i l'enlô^r, 
Avecque ta nuict qui couronu 
Son espace d'un tnpie tour. 
Là, tout debout devant la porte, 
Le 61s de Japet fermement (^), 
Courbé dessous le finnament. 
Le soustient tout de sa main forte. 



. . - '■ (R) 

1. Qui nomma la ville d'Attatees de son nom. 

j. De Neptune. — 4. Son olive. , 

). Hésiode dit ( air l'audace des Ti- 

lant lonslevu coni ei «tK dea chiimes 

dam l'enlti, qui e eue comme II terre 

t basse soubs le j c« diilancei par 



quelque mes 
□pitee du ci 



_, u ciel tbt levant que d'amver 

en tene, et, depui_ , 1 terre [wqu'à l'en- 
fer, demeura autres neuf iouri avant que d'y pirveur. 



76 Odes. 

Epode, 

Dedans ce gouffre béant 
Hurle la troupe hereti(]ue 
Qui par un assaut bellique 
Assaillit le Tu-geant. 
Là , tout auprès de ce lieu , 
Sont les garnisons du Dieu 
Qui sur les meschans eslance 
Son foudre pirouettant , 
Comme un chevalier jettant 
Sur les ennemis sa lance. 

Strophe vil. 

Là de la terre et là de Ponde 
Sont les racines jusqu'au fond 
De Fabysme la plus profonde 
De ce ventre le plus profond. 
La Nuict, d'estoiiles accoustrée, 
Là salue à son rang le Jour, 
D'ordre parmi la mesme entrée 
Se rencontrant de ce séjour, 
Soit lors que sa noire carrière 
Va tout le monde embrunissant , 
Ou quand luy, des eaux jaillissant, 
Ouvre des Indes la barrière. 

Antistrophe. 

Après , sur la plus grosse corde , 
D'un bruit qui tonnoit jusau'aux cieux. 
Le pouce des Muses accorae 
L'assaut des Geans et des Dieux : 
Comme eux sur la croupe Othryenne 
Rangeoient en armes les Titans , 
Et comme eux sur l'Olympienne 
Leur firent teste par dix ans; 



Premier livre. 77 

Eux , dardant les roches brisées , 
MouYoient en Tair chacun cent bras; * 
Eux y ombrageant tous les combas , 
Gresloient leurs flesches aiguisées. 

Epode, 

D'aisle douteuse vola 
Longtemps sur eux la Fortune , 
Qui or' se monstroit commune 
A ceux-cy, or* à ceux-là , 
Quand Jupiter fit sonner 
La retraite , pour donner 
A ces dieux un peu d'haleine ; 
Si (]u'eux , en ayant un peu 
Prins du nectar et repeu , 
Plus forts retentent la peine. . 

Strophe y ïii. 

Il arma d'un foudre terrible 
Son bras , qui d'ésclairs rougissoit , 
En la peau d'une chèvre horrible 
Son estomach se herissoit ; 
Mars, renfrongné d'une ire noire, 
Branloit son bouclier inhumain ; 
Le Lemnien d'une maschoire 
Garnit la force de sa main ; 
Phebus, souillé de la poussière, 
Lunoit en rond son arc voûté , 
Et le lunoit d'autre costé , 
Sa sœur, la Dictynne(i) guerrière. 

Anûstrophe. ' 

Bellonne eut la teste couverte 
D'un fer sur lequel rechignoit 

I . Ainsi les Candiots appellent Diane. 



7* Odes» 

De Méduse la guindé rmesit^ i * 
Qyi , pleine 'de: fajnme&vgrongiioitf ^ 
En son poing elle enlu iaotadte 
Par qui les rojrs sont irrites, 
Alors que despite elle arrache 
Les vieilles tours de'.leura citez. 
Styx d*un noir halecret rempare 
Ses bras, ses jambes et son sein, 
Sa fille amenant par la main (i), 
Avec Cotte, Gyge et Briare, 

Epodt. 

Rhete et Myme, âpres soudarsi, . . 
Pour mieux fournir aux. batailles, 
Brisoient les dures entrailles 
Des rocs , pour faire des dars ;'•> . 
Typhé hocnoit arraché 
Un grand sapin esbraiicfa^:. 
Comme une lance facile; 
Encelade un mont avoit , . 
Qui bien tost porter devoit 
Le grand mont de la Sicile (i). 

Strophe IX. 

Un tonnerre ailé par la bise 
Ne choque pas Tautre si fort , 

S ni sous le ventaâicajnibrise' - 
esme air par uti contraiof^aeinti, • 
Comme les camps s'éfttM-InAirtérènt^ 
A l'aborder déstkiviers lieaar; ' 
Les poudres sous leurs pieds montèrent 
Par tourbillons jusqucsiikxxieux. 

1. La victoire. 

2. Ce fut la punition des geaâs, qui furent terrassez la 
plus part sous des montagnes , comme Encelade sous le mont 
Gibcl. (R.) 



PrEMIILH LIVRE. 79 

Un cri se fait; Olympe «é lOQiiev 
Othrye en bruit , ta niaf ititssail^ 
Tout le ciel en «ragte làlwit, 
Et là bas Penfer s'en estonite< 

ÀntiOiûfia. 

Voicy le magnanime Hercule, 
Oiii de Tare Rnete a menacé ; 
Voicy Myme qui le recule , 
Du heurt d'un rocher eslancé; 
Neptune , à la fourche estofée 
De trois crampons , vint se mesler 
Dans la troupe contre Typhée, 
Qui rouoit une fonde en rair^ 
Icy Phœbus, d'un trait qu'il lette. 
Fit Encelade trébucher;. 
Là Porphyre luy fit broncher 
Hors des poings l'arc et la sagette. 

Epodc. ■' 

Adonc le De)*6 puissant , 

hii d'os et dé netfs s*eflbrce, 

le mit en ottbly.laiorce 
De son foudre punissant; 
My-courbant son sein en-bas 
Et dressant bien.kaHt'ie bras, 
Contre-eux cuigna sa tempeste , 
Laquelle en Tes foudroyant 
Sifloity aigu-toumoyaift,^ 
Comme un fuseatr sui'rletir teste. 

Strophe X'j , 

Du feu les ^eux piliers du m6nde(0 
Bruslez jusqu'au fond.cbaaceUoieat; 

1. Les deux pôles. 



8o Odes. 

Le ciel ardoit , la terre et Tonde 
Tous petillans estincelloient ; 
Si que le soulfre amy du foudre 
Qui tomba lors sur les geans, 
Jusqu'aujourd'huy noircit la poudre 
Qui put par les cnàmps Phlegreans. 
• A tant les filles de Mémoire 
Du luth apaisèrent le son , 
Finissans leur douce chanson 
Par ce bel hymne de victoire. 

Ântistrophe, 

Jupiter, qui tendoit Taurcille, 
La combloit d'un aise parfait , 
Ravi de la voix nompareille 
Qui si bien Tavoit contrefait ; 
Et, retourné, rit en arrière 
De Mars, qui tenoit l'œil fermé, 
Ronflant sur sa lance guerrière , 
Tant la chanson l'avoit charmé ; 
Puis à ses filles il commande 
De luy requérir, pour guerdon 
De leurs chansons, quelque beau don 
Qui soit digne de leur demande. 

Epode. 

Lors sa race s'approcha , 
Et , luy flatant de la destre 
Les genoux, de la senestre 
Le sous-menton luy toucha; 
Voyant son grave sourcf, 
Long temps tut béante ainsi , 
Sans parler, quand Calliope, 
De la belle voix qu'elle a , 
Ouvrant sa bouche , parla 
Seule pour toute la trope : 



Premier Livre. 8i 

Stroph xi. 

« Donne-nous , mon père , dit-elle , 
Père , dit-elle , donne-nous 
Que nostre chanson immortelle 
Passe en douceur le sucre doux ; 
Fay-nous princesses des montagnes, 
Des antres, des eaux et des bois, 
Et que les prez et les campagnes 
S*animent dessous nostre vois. 
Donne-nous encor d'avantage 
La tourbe des chantres divins , 
Les poètes et les devins, 
Et les prophètes en partage. 

• Antistrophe, 

« Fay que les vertueux miracles 
Des vers, médecins enchantez. 
Soient à nous, et que les oracles 
Par nous encore soient chantez; 
Donne-nous ceste double grâce, 
De fouler l'enfer odieux. 
Et de sçavoir la courbe trace 
Des feux qui dansent par les deux ; 
Donne-nous encor la puissance 
D'arracher les âmes dehors 
Le sale bourbier de leurs corps. 
Pour les re-joindre à leur naissance. 

Epodc. 

« Donne-nous aue les seigneurs , 
Les empereurs et les princes 
Soient veus Dieux en leurs provinces, 
S'ils révèrent nos honneurs. 
Fay que les roys décorez 
De nos présens honorez 
RMsard, — II. 6 



82 Odes. 

Soient aux hommes admirabfes. 
Lors qu'ils vont par leur cité , 
Ou lors que , plems, xl'çauité , 
Donnent les loix veneraoles. » 

Strophe xii. 

A-tant acheva sa requeste , 
Courbant les genoux humblement. 
Et Jupiter, d'un cfîn de teste 
L'accorda libéralement. 
« Si toutes les femmes mortelles 
Que je donte dessous mes bras 
Me concevoîent des filles telles 
(Dit-il), il ne me chaudroit pas 
Ny de Junon ny de sa rage ; ^ 

Tousiours pour me faire honteux ^ 
M'enfante ou des monstres boiteux^ 
Ou des fils de mauvais courage , 

Antistrophe, 

(c Comme Mars; mais vous, troupe chère. 
Que j'ayme trop plus que mes yeux , 
Je vous plantay dans vostre mère 
Pour plaire aux hommes et aux dieux. 
Sus doncques, retournez au monde , 
Coupez-moy derechef les flôs , 
Et la d'une langue faconde 
Chantez ma gloire et vostre los. 
Vostre mestier , race gentille , 
Les autres mestiers passera , 
D'autant qu'esclave il ne sera 
De l'art , aux Muses inutile. 

Epode, 

« Par art le navigateur 
Dans la mer manie et vire 



Premier livre. 8^ 

La bride de son navire , 
Par art plaide l'orateur, 
Par art les roys sont guerriers, 
Par art se font le^ ouvriers; 
Mais si vaine expérience 
Vous n'aurez de tel erreur : 
Sans plus, ma saincte fureur 
Polira vostre science. 

• Strophe xiii. 

a Comme Paymant sa force inspire 
Au fer qui le touche de près, 
Puis soudain ce fer tiré tire 
Un autre qui en tire après, 
Ainsi du bon fils de Latonne 
Je raviray l'esprit à moy; 
Luy^ du pouvoir que je luy donne, 
Ravira les vostres â soy ; 
Vous, par la force apoHinée, 
Ravirez les poètes saincts ; 
Eux, de vostre puissance attaints, 
Raviront la tourbe estonnée. 

Antistrophe. 

« Afin (ô destins I) qu'il n'avienne 
Que le monde, appris faussement, 
Pense que vostre mestier vienne 
D'art, et non de ravissement. 
Cet art pénible et misérable 
S'eslongnera de toutes parts 
De vostre mestier honorable, 
Desmembré en diverses parts , 
En prophétie, en poésies. 
En mystères et en amour. 
Quatre fureurs qui tour à tour 
Chatouilleront vos fantasies. 



84 Odes. 

Epode, 

a Le traict qui fuit de ma main 
Si tost par Tair ne chemine 
Comme la fureur divine 
Voie dans un cœur humain , 
Pourveu qu'il soit préparé, 
Pur de vice , et reparé 
De la vertu précieuse. 
Jamais les dieux, qui sont bons, 
Ne respandent leurs saints dons 
En une ame vicieuse. 

Strophe XIV. 

a Lors que la mienne ravissante 
Vous viendra troubler vivement, 
D'une poitrine obéissante 
Tremblez dessous son mouvement , 
Et souffrez qu'elle vous secoue 
Le corps etVesprit agité. 
Afin que , dame , elle se joue 
Au temple de sa deité. 
Elle, de toutes vertus pleine. 
De mes secrets vous remplira. 
Et en vous les accomplira 
Sans art, sans sueur ne sans peine. 

Antistrophe, 

a Mais par sur tout prenez bien garde 
Gardez-vous bien de n'employer 
Mes presens en un cœur qui garde 
Son péché , sans le nettoyer ; 
Ains , devant que de luy respandre , 
Purgez-le de vostre samcte eau , 
Afin que net il puisse prendre 



Premier livre. 85 

Un beau don dans un beau vaisseau ; ' 

Et luy, purgé, à Pheure à l'heure 

Divinement il chantera 

Je ne sai duel vers qui fera 

Au cœur des hommes sa demeure. 

Epode. 

« Celuv qui sans mon ardeur 
Voudra chanter quelque chose, 
Il vôirra ce qu'il compose 
Veuf de grâce et de grandeur; 
Ses vers naistront inutis, 
Ainsi qu'enfans abortis 
Qui ont forcé leur naissance , 
Pour monstrer en chacun lieu 
Que les vers viennent de Dieu , 
Non de l'humaine puissance. 

Strophe XV. 

« Ceux là Que je feindrai poètes 
Par la grâce ae ma bonté 
Seront nommez les interprètes 
Des dieux et de leur volonté ; 
Mais ')k seront, tout au contraire, 
Appeliez sots et furieux 
Par le caquet du populaire 
Méchantement injuneux. 
Tousjours oendra devant leur face 
Quelque démon, qui au besoin, 
Comme un bon valet , aura soin 
De toutes choses qu'on leur face. 

Antistrophe, 

a Allez, mes filles , il est heure 
De fendre les champs escumeux ; 



S6 Odes. 

Allez, fita gloire là meilleure, 
Allez , mon los le plus fameux. 
Vous ne devez, dessus la terre j 
Long temps cette fois séjourner. 

Sue rignorance avec sa guer-re 
é vous contraigne retourner, 
Pour retomber sous la conduite 
D'un guide {[) dont la docte main^ 
Par un effrojr grec et romain , 
Ailera ses pieos à la fuite. ts> 

Epodô. 

A-tant Jupiter enfla 
Sa bouche rondement pleine , 
Et du vent de son haleine 
Sa fureur il leur soufla. 
Après leur avoir donné 
Le luth qu'avoit façonné 
L'ailé courrier Atlantide , 
D'ordre par Teau s'en-revont ; 
En trancnant Tonde elles font 
Ronfler la campagne humide. 

Strophe XVI. 

Dieu vous gard , jeunesse divine, 
Réchauffez-moy Taifection 
De tordre les plis de cest hynne 
Au comble de perfection. 
Dessillez-mo^ rame assoupie 
En ce gros fardeau vicieux , 
Et faites que tousjours j'espte 
D'œil veillant les secrets des cieux. 
Donnez-moy le sçavoir d'eslire 
Les vers qui sçavent contenter^ 

I . Du docte Miehel de rHos^hal* 



PREMlfeli LIVRE. '87 

Et, mignon des Cfâ^és, thanfer 
Mon Fr4/tcw/i sus vostre 4yrè. • 

Ândstrophe, 

Elles, trenchant lesondes blenes, 
Vindrent du creux'des flou thénus , 
Ainsi que neuf petites nues, 
Parmi les peuples ^ocognn^; 
Puis , dardant leurs flames subtiles , 
Du premier coup ont ajdté / 
Le cœur prophète des sitylies. 
Espoint ae leur divimté ^ . 
Si bien cju€ leur langue cotoblée 
D*un son dooteiisement obscur, 
Chantoit aux hommes Ile futur 
D'une boucli^ toute troublée. 

Epvde, 

Après, par tout l'Univers 
Les responses prôph^iques 
De tant d'oracles antiques 
Furent écrites en ver^; 
En vers se firent les lois, 
Et les amitiez des rois 
Par les vers furent acquises; 
Par les vers on fit armer 
Les cœurs , pous les animer 
Aux vertueuses emprises. 

Strophe XV II, 

Au cri de leurs saintes paroles 
Se réveillèrent les devins , 
Et diactples de leurs escoles 
Vindrent lés poçtes divins: 
Divins , d'autant qae la nature * 



88 Odes. 

Sans art librement exprimoient ^ 
Sans art leur naïve escriture 
Par la fureur ils animoient. 
Eumofpe (») vint, Musée (2), Orphée, 
L'Ascrean, Line (î), et cestuy-là 
Qui si divinement parla , 
Dressant à la Grèce un trophée (4). 

^ntistrophe. 

Eux , piquez de la douce rage 
Dont ces filles les tourmentoient , 
D'un démoniaque courage 
Les secrets des dieux racontoient : 
Si que , paissant par les campagnes 
Les troupeaux dans les champs herbeux , 
Les démons et les sœurs compagnes 
La nuict s'apparoîssoient à eux ; 
Et loin sus tes eaux solitaires , 
Carolant en rond par les prez , 
Les promouvoient prestres sacrez 
De leurs saincts orgieux mystères. 

Epode. 

Apres ces poètes saincts , 
Avec une foule grande 
Arriva la jeune bande 

1. Excellent homme athénien, duquel fut fils Musée, qui 
le premier de tous escrivit de la génération des dieux et in- 
venta la sphère. (R.) 

2. Duquel nous n'avons point d'œuvres. Et le poëme des 
Amours de Leandre n'est pas de luy. (R.) 

^. Docte Thebain, fth de Mercure etd'Uranîe, qui a traitté 
quasi de toute la nature. (R.) 

4. Homère. Son Iliade et son Odyssée, le trophée de la 
victoire de tous les esprits , parce qu'il n'y a rien de pareil 
entre les escrits des hommes. (R.} 



Premier livre. 89 

D'autres poètes humains 
Degenerans des premiers : 
Comme venus les derniers, 
Par un art melancbolique 
Trahirent avec grand soin 
Les vers esloignez bieq loin 
De la saincte ardeur antique. 

Strophe XVI il. 

L'un sonna Thorreur de la guerre 
Qu'à Thebes Adrastc conduit (0, 
L'autre comme on tranche la terre , 
L'autre les flambeaux de la nuict ; 
L'un sur la flûte départie 
En sept tuyaux siciliens 
Chanta les bœufs (2) ; l'autre en Scythie 
Remena les Thessaliens (3); 
L'un fit Cassandre furieuse (4), 
L'un au ciel poussa les debas 
Des roys chetifs (5), l'autre plus bas 
Traina la chose plus joyeuse (^). 

Antistrophe. 

Par le fil d'une longue espace, 
Après ces poètes humains 
Les Muses soufflèrent leur grâce 
Dessus les prophètes romains ; 

1 . Une Thebaîde : car Pausanias , dans ses Bœotiques, en 
fait mention, sans dire le nom de Tautheur. (R.) 

2. Theocrit, Sicilien qui a fait des edogues. (R.) 

3 . Apollonius , autheur des Argonautiques. (R. } 

4. Lycophron. (R.) 

5 . Comme Sophocle ou Euripide et les autres Tragiques. (R. ) 

6. Comme Aristophane ou Menandre, autheurs premiers 
de la comédie , qui a le style bas , à cause de ses sujects sim- 
ples et populaires. (R.) 



90 CDEà. 

Non pas comme ait la première 
Ou comme la seeofide^^oit , 
Mais , comme. tont^' là; dernière , 
Plus lentement ks agitoit; 
Eux toutefois , pinçant tai lyre , 
Si bien s'assonpfireiA 1^ dois , 

gu'encor le fre;<fôn de' leur vois 
asse le bruit de leur empire. 

Epode. 

Tandis Pl^orance arma 
L'aveugle toeur des princes -, 
Et leurs avenus provinces 
Contre les Sœurs «nima^ 
Ja rhorreur les enserroitj 
Mais plustost les enferroit^ 

$uana les Muses destournées , 
oyant du fer la rayeûr(i), 
Haletantes de frayeur 
Dans le ciel sont retournées. 

Strophe xix. 

Auprès du throne de leur père 
Tout à Pentour se vont'saseôiry 
Chantant , avec Phebus leur ^e, 
Du grand Jupiter le pouvoir^ 
Les dieux ne faisoLent rien sans elles, 
Ou soit qu'ils voulussent aller 
A quelqu$:s nopçes.solenneties, 
Ou soit quMls voulussent baller. 
Mais si tost qu'arriva le terme 
Qui les hastoit de retourner 
Au monde , pour y séjourner, 
D'un pas éternellement ferme, 

1 . L'esclat et la lueur des armes. (R.) 



Premibr livre. 91 

Antistrophe, 

Adonc Jupiter se dévale 
De son throne, et, grave, conduit 
Gravement ses pas en la saHe 
Des Parques , nlfes de ia Wuit. 
Leur roquet pendoit Jusqu'aux hanches , 
Et un dodonien fueillard 
Faisoit ombrage aur tresses blandies 
De leur chef trisfement vieiilird ; 
Elles, ceintes sops les mammelles, 
Filoient assises en nn rond - 
Sus trois carreaux , ayant ie front 
Renfrongné de grosses prunelles. 

Epode. 

Leur pezon (i) se herissoit 
D'un fer estoiÙé de rouille ; 
Au flanc pendoit leur quenouille. 
Qui d'airain se roidissoiti 
Au milieu d'elles estoit 
Un cofre où le Temps roettoit 
Les fuzeaux de leurs journées, 
De courts, de grands^ d'allongez, 
De gros et de bien dougez , 
Comme il plaist aux Destinées. 

Strophe XX. 

Ces trois sœurs, à l'œuvre ententives, 
Marmotoient un charme fatal , 
Tortillans les iîlaces vives 
Du corps futur de l'Hospital. 
Clothon, qui le filet rephe, 
Ces deujc vers, masicha pour i neuf fpi^ : • 

1 . Ce qui arreste au bout du-fiiseaab descente du fil. (R.) 



92 Odes. 

a Je retors la plus belle vie 

SU'ONCQUES RETORDIRENT MES DOIS. » 
jiis si tost qu'elle fut tirée 
A Tentour du fuzeau humain, 
Le Destin la mit en la main 
Du fils de Saturne et de Rhée. 

Antistraphc. 

Luy adoncques print une masse 
De terre . et devant tous les Dieux 
Dedans il feignit une face , 
Un corps, deux jambes et deux yeux, 
Deux bras, deux flancs, une poitrine. 
Et, achevant de l'imprimer, ' 
Soufla de sa bouche divine 
Le saint filet pour l'animer; 
Luv donnant encor' davantage 
Mille vertus , il appella 
Ses neuf filles, qui çà et là 
Entoumoient la nouvelle image : 

Epode, 

« Ore vous ne craindrez pas , 
Seures sous telle conduite , 
De reprendre encor la fuite 
Pour encor voler là bas. 
Suivez donc ce guide ici : 
C'est celuy, filles, aussi, 
Du quel la docte asseurance 
Franches de peur vous fera, 
Et celuy qui desfera 
Les soldars de l'ignorance. » 

Strophe xxi. 
Lors à bas il poussa leur guide (i/; 

I. Michel de l'Hospital. (R.) 



Premier livre. 9) 

Et elles, d'ordre le suivant, 
Fendoient le grand vague liquide. 
Hautes sur les ailes du vent , 
Ainsi qu'on voit entre les nues 
De rang un escadron voler 
Soit de cygnes ou soit de grues, 
Suivant leur guide parmy Pair. 
A-tant, prés de terre eslevées , 
Tombèrent au monde, et le feu 
Qui flamber à gauche fut veu (>) 
Resalua leurs arrivées. 

Antistrophe. 

Hà! chëre Muse, quel zephyre, 
Souflant trop violentement, 
A fait écarter mon navire 
Qui fendoit Tair si droitement ? 
Tourne à rive, douce nourrice, 
Ne vois-tu Morel (a) sur le bord, 
Lequel , à fin qu'il te chérisse, 
T'œillade pour venir au port ? 
N'ois-tu pas sa nymphe Antoinette (î) 
Du front du havre t'appeller. 
Faisant son oeil estinceler. 
Qui te sert d'heureuse planète ? 

Epode, 

Haste-toy donc de plier 
Ta chanson trop poursuyvie 
De peur. Muse , que l'Envie 
N'ait matière de crier, 

1. Bon présage. (R.) 

2. Docte personnage, assez cogneu de son temps. (R.) 

3. Sa femme et son espouse, docte pareillement, comme 
estoient aussi ses trois filles. (R.) 



94 



Odes. 

La quelle vent abvsmer 

Nos noms au fond dé la mer 

Par sa langue sacrilège; 

Mais plus ell' nous veut plonger, 

Et plus elP nous fait nager 

Haut dessus l'eau comme un liège. 

Strophe XXII. 

Contre ceste lice(i) exécrable 
Résiste d'un dos non plié. 
C'est grand mal d'estre misérable , 
Mais c'est grand bien d'estre envié. 
Je sçay que tes peines, ancrées . 
Au port de la divinité , 
Seront malgré les ans sacrées 
Aux pieds de l'Immortalité ; 
Mais les vers que la chienne Envie 
En se rongeant fait avorter 
Jamais ne pourront supporter 
Deux soleils sans perdre la vie. 

Antistrophe. 

Ourdis, 6 douce lyre mienne, 
Encore un chant à cestui-ci , 
Qui met ta corde dorienn# 
Sous le travail d'un doux souci. 
Il n'y a ne torrent ne roche ' 
Qui puisse engardér un sonneur 
Que près des bons il ne s'approche 
Courant pour chanter leur nonneur. 
Puissé-je autant darder cet hynne 
Par l'air, d'un bras présomptueux. 
Comme il est sage et vertueux ^ 
Et comme il est de mes vers dmne. 



I . Ceste chienne. (R.) 



Premier livre. 9) 

Epode. 

Faisant parler sa grandeur 
Aux sept langues de ma lyre^ 
De luy je ne veux rien dire 
Dont |e puisse estre menteur; 
Mais véritable il me plaist 
De chanter bien haut qu'il est 
L'ornement de nostre France, 
Et qu'en fidèle équité, 
En justice et venté , 
Les vieux siècles il devance. 

Strophe XX m. 

C'est luy dont les grâces infuses 
Ont ramené par l'univers 
Le choeur des Piérides Muses, 
Faites illustres par ses veris (i) • 
Par luy leurs honneurs s'embellissent, 
Soit d'escrits rampants à deux piez, 
Ou soit par des nombres qui glissent 
De pas tous francs et déliez; 
C'est luy qui honore et qui prise 
Ceux qui font l'amour aux neuf Sœurs , 
Et qui estime leurs douceurs , 
Et qui anime leur emprise. 

Antistrophe. 

C'est luy, Chanson , que tu révères 
Comme l'honneur de nostre ciel, 

I. Illustres à la vérité; car les six livres de ses Epistres 
que nous avons sont excellens, et ont, outre Ja douceur et 
l'elegante simplicité de vers, une plénitude d'érudition et de 
philosophie morale, tesmoins (|e la docte et, sainte Piud'hom^ 
mie de leur autheur. (R.) 



96 Odes. 

C'est celuy qui aux loix sévères 
A fait gouster l'attique miel ; 
C'est luy qui la saincte balance 
Cognoist , et qui ne bas ne haut , 
Juste, son poids douteux n'eslance, 
La tenant oroite comme il faut: 
C'est luy dont Tœil non variable 
Note les meschans et les bons , 
Et qui contre le heurt des dons(i) 
Oppose son cœur imployable. * 

Epode, 

J'avise, au bruit de ces mots, 
Toute France qui regarde 
Mon trait , qui droitement darde 
Le riche but de son los. 
Je trahirois les vertus. 
Et les hommes revestus 
De vertueuses louanges, 
Sans publier leur renom, 
Et sans envoyer leur nom 
Jusques aux terres estranges. 

Strophe xxiv. 

L'un d'une chose esbat sa vie , 
L'autre d'une autre est surmonté ; 
Mais ton ame n'est point ravie 
Sinon de justice et bonté. 
Pour cela nostre Marguerite (a), 
L'unique sœur de ce grand roy. 
De loin espiant ton mérite. 
Bonne , a tiré le bon à soy. 

1 . La concussion. 

2. De Valois, qui depuis fat duchesse de Savoye, prin- 
cesse digne de l'immortalité, que son mérite et la plume des 
plus doctes de son temps luy ont acquise. (R.) 



Premier livre. 97 

Bien que son pcre (') ayt par sa lance 
Donté le Suisse mutin (»)^ 
Et que de Tor grec et laUn (î) 
Ayt redoré toute la France; 

Antistrophe. 

r 

Il ne fit jamais cHosé telle 
Que d*avoir en^ndré la fleur 
De la Marguerite immortelle , 
Pleine d'immortelle valeur y 
Laquelle tout le ciel admire. 
Et , à fin que de tous costez 
Dedans ses grâces il se mire, 
Sus elle tient ses yeux voûtez : 
Laquelle d'un vers plein d'audace 
Plus hautement je aescriray, 
Lors que hardy )e publiray 
Le tige troyen (4) de sa race. 

Epode. 

Mais la loy de la chanson 
Ores , ores , ine vient dire 
Que par trop en long je tire 
Les replis de sa façon; 
Ores donques je ne puis 
Vanter la fleur, tant je suis 
Pris d'une ardeur nompareille 
D'aller chez toy, pour chanter 
Geste ode, à fin d'enchanter 
Ton soin charmé par l'aureilfe. 

1 . Le roy François 1er, prince auquel à jamais les Muses 
et les lettres devront leur establissement en France, (r ) 

2. A Marignan, à Novarre 

j. De la sdence grecque et latine, le plus riche et plus 
précieux or de ces deux Republiques. (R.) 
4. La Franciade. 

Ronsard. — II. y 



9» 



Odes. 



i ) lis: 



A JOACHIM. DU BELLAY 

Gentil-homme Angevin, poète excellent. 

Ode. XL-- Strophe i. 

k ujourd'huy jeemeivan^erayi' ; 
A Que jamais je nexhanteray: 
Un homme plus ai«é ijuôjtoy ' ■ 
Des neuf Pucetleitt.d© otoy^ 
Poste qui cornera ttt'gtoa^e - 
Que toute France esliappr«ttvantf 
Dans les délices s'abwnv-aHtî. 
Dont tu flitcsrofgueilie/Lmreî 
Car si un coup elle apper^jwt-^ ^.^ 
Qu'à du Bellay monkyitiHesDiti', 
Par monceaux eHedodoutra tmitfc 
Autour de ma Ivre , où dégoûte 
L'honneur distillant de ton nom, 
Mi«nardé par Part de mon pouce > 
Et pour cueillir la gloire douce 
Qui emmielle ton renom.' ' 

Antistrophe. 

Sus avant, Muse, ores il faut 
Le guinder par l'air aussi haut 
Que ses vertus m*ont nus la , 
Dessous le joug d'un doux soua. 
Il le mérite, ma mignonne : 
Nul tant que luy n'tst honorant 
Les vers dqnt tu vas redorant 
La gloire M ceux que je spune ;. 
Il s^esgaîyc de tes chansons:, 
Et de ces ùQUvdks façons, 
Auparavant non imitables, 
Qui font esmerveiller les UUes 



Premier livre. 

Et les gros sourcis renfoncer 
De ceste jalouse ignorance 
Qui ose déjà par ia France 
Lltonneur de mes vers offenser. 

Epodc, 

L'homme est fol qui se travaille 
Porter en la mer des eaux, 
A Corinthe des vaisseaux , 
Et fol qui des vers te baille. 
Si t'envoiray-je les miens 
Pour r'encherir plus les tiens , 
Dont les douceurs nompareilles 
Sçavent flater les aureilles 
Des roy s, Joyeux de t'ouïr : 
Seule en France est nostre lyre , 
Qui les fredons sache eslire 
Pour les Princes rijouïr. 

Strophe il. 

Car le poète endoctriné . 
Par le seul naturel bien né , 
Se haste de ravir le prix ; 
Mais ces rimeurs qui ont appris 
Avec travail , peines et ruses , 
A leur honte enfantent des vers 
Qui toujours courent de travers 
Parmy la carrière des Muses. 
Eux , comparez à nos chants beaux , 
Sont faits semblables aux corbeaux , 
Qui dessous les fueilles caquettent 
Contre deux aigles , oui aguéttent 
Auprès du >throne de leur Roy 
Le temps de ruer leurs tempestes 
Dessus les misérables testes 
De ces criars pâlies d'effroy, 




loo Odes. 

Antistrophe. 

Voyant Paijgle; mais ny les ans, 
Ny Taudace des vents nuisans , 
Ny la dent des pluycs qui mord , 
Ne donne aux vers doctes la mort. 
Par eux la Parque est devancée, 
Ils fuyent Teternelle nuict . 
Tousjours fleurissans par le fruit 
Que la Muse ente en leur pensée. 
Le temps , qui les suit de bien loin 
En est aux peuples le tesmoin. 
Mais quoy l la Muse babillarde 
L'honneur d*un chacun ne regarde , 
Animant ores cestuy-cy , 
Et ores ces deux-là ; car elle , 
Des hauts Dieux la fille éternelle, 
Ne se Valette (>) pas ainsi. 

Epode, 

L'ayant prise pour ma guide , 
Avec le chant iftcognu (a) 
De mon luth , je suis venu 
Où Loire en flotant se ride 
Contre les champs plantureux 

De tes ancestres heureux ;, 
Puis, sautelant, me rameme ; 
De ton Anjou jusqu'au M aine 
(De«mon Vendomois voisins), 
Afin que là je décore 
Et Guillaume et Jean encore, 
L'ornement de tes cousins , 

1 . Ne se profane pas ainsi comme un valet. (R. 

2. A cause de la nouveauté de ses odes. (R.) 



Premier livre. ioi 

Strophe III. 

Lesquels ont supporté souvent 
La fureur de Thorrible vent 

8ui d'un orage redoublé 
ostre grand prince avoit troublé (i). 
Bien que matin le jour s'éveille 
Pour voir tout, il ne vid jamais 
Ny ne pourra voir désormais 
De frères la couple pareille , 
A qui les François doivent tant 
De lauriers qu'ils vont méritant ; 
Ou soit pour refroidir Paudace 
De l'Espagnol , s'il nous menace , 
Ou soit pour amollir les cœurs , 
Par la douceur de leur faconde , 
Des Anglois séparez du monde 
Ou des Allemans belliqueurs. 

Antistrophe. 

Rome, s'yvrantdc leur parler, 
Dont le nectar (a) sembloit couler; 
Béante, en eux s'émerveilla; 
Puis à l'un d'eux (5) elle bailla 
Le sainct chapeau dessus la teste , 
Flamboyant autour de son front , 
Ainsi que les deux jumeaux font 
Quant ils sereinent la tempeste. 
A l'autre (4) nostre Roy cfonna 

1 . Aux plus belles et importantes fonctions de l'Estat, pen- 
dant les guenes des roys François 1er et Henry II. (R.) 

2, La parfaicte éloquence nécessaire aux légations qu'Us 
ont eu devers plusieurs princes cstrangers. (R.) 

J. A Jean, cardinal et evesque d'Hostie. (R.) 
4. A Guillaume du Bellay, sieur de Ungè, qui a dressé, 
les Mémoires de son temps. (R.) 



102 Odes. 

L'ordre (>) qui soi) col entouma , 

Avecaue la puissance d'estre 

Sous luy des Piémontois le maistre (a). 

Balançant d'équitable poids 

Son advis et sa vigilance , 

Les exploits de sa forte lance 

Jointe avec une docte vois. 

Epodt, • 

Nul terme de nostre vie 
Par nous ne se juge pas , 
Ignorans le jour qu'en bas 
Éflle doit estre ravie. 
Dessus l'esté de ses ans , 
Rongé de soucis cuisans , 
Son grand Langé rendit Tame , 
Enterrant sous mesme lame 
L'honneur ensemble abbatu , 
Ne laissant rien de valable 
Sinon un frère semblable * 
Au portrait de sa vertu. 

Strophe II II. 

Sçache que le san^ de ceux-cy 
Et leur race est la tienne aussi. 
Mais repren Tare , Muse , il est temps 
Guigner au blanc où tu pretens. 
Puis que sa louange foisonne 
En cent vertus propres à luy, 
A quoy par les honneurs d'autruy 
Rcmply-je ce que je luy donne } 

1 . Le faisant chevalier de Pordre de Samct-Mtchel. Depuis 
cet ordre , celuy du Sainct-Esprit a esté institué par Hen- 
rf III. (R.-) 

2. Gouverneur pour le roy en Piedmont». (R.) ' 



Premier livre. lo^ 

Sa gloire suffit pour borner 
Les vers qui le veulent orner. 
O bons Dieux 1 on ne sçaurôit faire 
Que ia vertu se paisse taire , 
Bien qu'on tascne de ro(}scurcif : 
Maugré toute envie elle est forte 
Et sur le front la lampe porte 
Qui seule la peut esc(aircir. 9 

Antiitrapht. 

Ton nom est tant estinoelant , 
Qu'encores , s*on Palloit celant , 
Dessous le silence il croistrcnt , 
Et plus sa flame apparoistroit. 
Car, tout ainsi que la mer passe 
L'honneur d'un chacun élément ^ 
Et le soleil semblablement 
Les moindres feux du dé efface , 
Ainsi apparoissent les traits 
Dont tu esmailles les portraits 
De la riche peinture tienne, 
Naïvement soeur de la mienne , 
Monstrant par ton commencement 

?ue mesme fureur nous affole , 
ôus deux disciples d'une escole 
Où l'on forcené doucement. 

Epode. 

Par une cheute subite 
Encor je n^av fait nommer 
Du nom de Konsa/d ja mer , 
Bien que Pindare j'imite. 
Horace . harpeur latin , 
Estant fils d'un libertin ( > ), 

1. D*un serviteur affranchi. 



104 Odes. 

Basse et lente avoit Paudace 
Non pas moy, de franche race. 
Dont la Muse enfle les sons 
Avecque plus forte haleine , 
A fin que Phebns rameine 
Par moy ses vieilles chansons ; 

Strophe v. 

Lequel m'encharge de chanter 
Son du Bellay , pour le vanter 
Sur tous ses enrans qui ont bien 
Masché le laurier Delphien (>). 
Obéissant à la voix samcte , 
Mon trait , par le ciel galopant ^ 
L'air angevin nira coupant 
Sans que ta gloire en soit attemte. 
Chantant Thomme estre bien-heurettx 
Qui en ton nectar doucereux 
Ses belles louanges eny vre , 
Mille fois nommé dans ton livre. 
Que diray plus ? Le Ctel t'a fait 
(Te fortunant de main non chiche) 
Jeune , dispest , sçavant et riche y 
Dessus son moule plus parfait. 

Anùstrophe. 

Mes doigts ne pourroient se lasser 
De faire mon batteau passer 
Parmy les mers de ton renom , 
Et ramerois encor sinon 
Que j'ay déjà preveu Torage 
Des mesdisans impétueux, 
Qui contre les plus vertueux 

I . QUi sont les meilleurs poètes , qui laurum momordenint 
(Juvenal). 



Premier livre. 105 

Dégorgent volontiers leur rage , 
La quelle , en babil s'estendant , 
Comme un grand tonnerre grondant , 
De son murmure m'admoneste 
De tromper rhorrible tempeste, 
Aboyante tant seulement 
Les nourrissons des neuf Pucelles , 
Qui se sont mis au dos des ailes 
Pour voler éternellement 1 

Epod€. 

Ore donc , frères d* Hélène, 
Les Amycleans flambeaux 
Du ciel , monstrez-vous , jumeaux , \ 
Et mettez but à ma peine ; 
Faites ancrer à ce bort 
Ma navire en quelque port , 
Pour finir mon navigage , 
Et destournez le langage 
Du mesdisant (>) aue je voy, 

?ui tousjours sa dent travaille 
bur me mordre , afin qu'il aille 
Remordre un autre que moy. 



AU PRÉSIDENT BOUJU 

Angevin. 

Ode XH. --Strophe i. 

LE potier hait le potier, 
Le févre le charpentier, 
Le poète tout ainsi 

1. De Mellin de Saint-Gelais , à <jui la gloire lors et la 
grandeur de Tesprit de no9tre poète faisoit envie. (RO 



io6 Odes. 

Hait celuy oni Test aussi , 
Comme dit fa voix sacrée 
Du vieil citoyen dîAscrée ; 
Mais tu as parta^vertu 
Ce vieil provèiteiabbâtu , 
Vantant mon petit mérite 
(Sans te.monsiret eimeux) 
Devant nostrt Marguerite, 
Le rare présent des >ciettx. 

Antistrophe. 

Phebus ravit les neuf sœurs , 
Puis leurs picquan tes douceurs 
Ravissent les beaux esprits 

8ui d'elles se sont épris ; 
ais mon ame n'est ravie 
Que d'une bruslante envie 
D'user un labeur tenter 
Pour mon grand Roy contenter, 
A celle fin que mon œuvre 
Sa graad'main flatte si bien 
Que quelquefois je la treuve 
Prompte a me faire du bien. 

Epode, 

Celuy qui d'un ret pourchasse 
Les poissons, ou cestuy-là 
Qui par les montagnes chasse 
Les testes deçà et là , 
C'est afin qu'air peude^toye 
La fortune luyoctfove ; . . 
Mais l'homme plein de .'bcWTbejir , 
Qui suit comme toy les princes 
Et les grands dieux des isfxiviBtes, 
C'est pour sexombier dTionheBr, 



Premier livre. 107 

Strophe 1 1. 

Laissant au peuple ignorant 
Un crevecœur dévorant 
Béant après la vertu 
Dont le sage est revestu. 
Les uns en cecy excédent , 
Les autres cela possèdent. 
Mais les roys portent sur eux 
Le sommet des biens heureux. 
Au poète qui s'amuse 
Comme toy de les vanter, 
Calliope ne refuse 
De Touyr tôusjours chanter. 

Antistrophe. 

Quand Phebus sVsleve aux cieux , 
Les ombres fiiyent ses yeux : 
Ainsi, où ta Muse lurt^ 
La sourde ignorance fiiit , 
Rendant les bouch^ muetes 
De nos mal-heurtstix poètes , 
Qui souloient cqmme pourceaux 
Souiller le clair des ruissieaux. 
Les beaux vers que j'ày veu naistre 
Si heureusement de toy 
Te rendent bien di^e d'estrc 
Prisé de la sœur d'un Roy. 

Epode. 

Ta fameuse renommée , 

)ui doit voir tout l'Univers, 

le prie d'estre nommée 
Par la trompe de mes vers. 
Et le feray , car ta glqirt 



io8 Odes. 

Est digne de la mémoire ; 
Puis les dieux conte ne font 
De nul papier s'il ne porte, 
A la dorienne sorte , 
Ton beau nom dessus le front. 



A JEAN D*AURAT 
Son précepteur et poète royal. 

Ode XIII. — Strophe, 

Le médecin de la peine, 
C'est le plaisir qui ameine 
Le repos avecque luy, 
Et les odes qui nous flatent 
Par leurs douceurs, qui abbatent 
La mémoire de l'énnuy. 
Le bain ne soulage pas 
Si bien les corps qui sont las 
Comme la louange douce 
Nous soulage , que du pouce 
A la lyre nous joignons. 
Par qui les playes de l'ame 
(Lors qu'un desplaisif l'entame) 
Pour la guérir nous oignons. 

Antistrophe. 

Certes ma chanson sucrée , 

?ui les grands princes recrée , 
c pourra bien dérider 
Apres ta peine publique , 
Ou ta faconde s'applique 
Pour la jeunesse guider. 



Premier livre. 109 

Le haut bruit de ton sçavoir 
Evidemment nous fait voir 
Que tu brises l'ignorance , 
Renommé parmy la France, 
Comme un oracle des dieux , 
Pour desnouer aux plus sages 
Les plus ennouez passages 
Des livres laborieux. 

Epode. 

Tant d'ames ne courent pas 
Après Alcée là bas , 
Quand hautement il accorde 
Les guerres dessus sa corde , 
Comme ta douce merveille 
Emmoncelte par milliers 
Un grand peuple d'escoliers 
Que tu tires par l-aureiile. 



A JAN ANTOINE DE BAÏF 
Très-excellent poète. 

Ode XIV. — Stro/AM. 

Jay tousjours celé les fautes 
Dont mes amis sont tachez ; 
y^Y tousjours teu leurs péchez, 
Mais non pas leurs vertus hautes^; 
Car moy qui suis le sonneur 
Et le courrier des louanges, 
Je ne porte aux gens étranges 
Sinon la gloire et Thonneur 
Que le Ciel , large donneur, 
Ayant quelque soin de toy, 
T*a départy comme à moy, 



110 :OpE$*~ 

Versant sur ta Ungu«f sage 
Un sainct trésor de beaux vers , 
Afin que son doux^mess^e 
S'espande par l'univers. 

Antistropke, 

Maint chemin nous peut attraire 
Pour venir à la vertu ; 
D'un bien un tel est vestu, 
L'autre d'un autre au contraire. 
Premier j'ay dit la façon ; 
D'accorder le luth aux odes, 
Et premier tu t'accommodes - 
A la tragique chanson , 
Espouvantant d'un grand son 
Et d'un stile tel qu'il faut 
Nostre françois échafaut ; . 
Des grands princes misérables 
Traînant en long les regrets 
Par tonnerres exécrables 
Bruyans es tragiques Grecs. 

Epodc, 

D'esprit et d'art volontiers 
En tout differens nous sommeç : 
Ne deux ne quatre mestiois 
Ne nourrissent pas les hommes; 
Mais quiconque a le sçavoir, 
Ccluy doit l'honneur avoir. 
O Baîf, ia plume prottte 
A vouloir monter aux cieux 
D'un vol qui la mort surnionte 
Trompe l'enfer odieux. 



Premier livre. mi 



A JEAN MARTIN 
Poëte et architecte. 

Ode XV.^ Strophe l. 

La fable etabounéè, : 
Desente heureusement 
D'une plume dorée, 
Nous trompe doucement , 
A Pun donnant la gloire 
Qu'il n'a pas mérité, 
Faisant par le faux croire 
Qu'on voit la vérité ; 
Car tout ce que la Muse 
Lyrique ne refuse 
D'emmieller par nous. 
Cela flatte Taureille, 
Qui toute s'esmerveille 
De le boire si dous. 



Antistropbe: 

Il ne faut que j'honore 
Ton renom, i Martin, 
De fables prises ore 
Du grec ny du latin; 
Ta vertu treluisante 
Comme astres radieux 
Me sera suffisante 
Pour te loger aux cieirx. 
Quelle terre esîofgfiée,' 
Quelle rive baignée 
De l'une et l'autre mer, , . 
Quelle isie déscouverte, 



t ' • 



112 Odes. 

Ne tient la gorge ouverte 
Ardente à te nommer ? 

Epodt. 

Vous jgouvcrnez les rois, 
Poètes & la court , 
Et si de vostre. vois 
La mémoire ne court. 
Si ta grand main désire 
De respandre le bien^ 
C'est à ce Martin, Sire, 
Qui le mérite bien. 

Strophe ii. 

Certes Texperience 
N'est utile sinon 
Pour sonder la science 
Si elle est fausse ou non. 
Le siècle qui doit estre 
Ne taira ton bon-heur. 
Et comme tu fis naistre 
A la France un honneur, 
Toy de qui la musette 
Sur le bord de Sebctte (i) 
Chanta bien haut aussy .. 
Les beaux pasteurs , qu'encore 
Naples autant honore 
Comme on: t'honore icy. 

Atttistropbe, 

Par toi le peuple estrange 
A peu sentir combien 

i . Fontaine auprès de Naples. Elle fut chantée par Sanna- 
zar, dont Jean Martin a traduit I'Arcadie. 



Premier livre. 113 

La France a de louange 
Faite heureuse en ton bien ; 
Par toy revient l'usage 
Des outils et compas . 
Que mesme le vieil âge 
Des Romains ne sceut pas. 
Le maçon par ta peine 
Son ouvrage démeine, 
Et , sous toy faict sçavant , 
Jusgues au ciel égale 
Mainte maison rovale , 
Ton livre allant devant. 

Epodc, 

L'œuvre est de l'inventeur, 
Et celuy qui apprend 

^: t *-. nour menteur 



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Ne peut céder aux lieux. 






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konsard, — 11. ' ^ 



AU SIEUR BERTRAND BERGIER, 
De Poiticis. 
Ode XV!. 

La mercerie que je porte , 
Bertrand , est bjen d'une autre sorte 
Que celltque l'usurier veni 
Dedans ses boutiques avares. 
Ou celle des Indes barbares 
Qji enflent l'orgueil du Levant. 
Ma douce navire immortelle 
Ne se chai 
El telle de 
Ou, si tu I 

Et de leur 

Leur m 
. Au plus ol 
Car leur 1: 
Et pour l'i 
Sans plus . 
A qui me plaist de mes amis. 

Reçoy donque teste largesse , 
Et croy que c est une richesse 
Qui par le temps ne s'use pas ; 
Mais contre le temps elle dure, 
El, de siècle en aede plus pure, 
Ne donne point aux vers d'appas. • 

L'audacieuse encre d'Alcée 
Par les ans n'est point effacée, 
Et vivent encores les sons 
Que i'amante (') bailloit en garde 
A sa tortue (>}babillarde, 
La compagne de ses chansons. 

1. Sapphuo. — 1- A sa lyre, parce que la première 1; 
fut foitt et tompoiie d'une lonue. (R.) 



Premier livre. 115 

Mon grand Pindare vit encore 
Et Simonide et Stesichore , 
Sinon en vers ( ' ) ^ 3u moins, par notai ; 
Et des chansons qu'a voulu dire 
Anacreon dessur la lyre 
Le temps n'eiface le renom. 

N'as-tu oôy parler d'Enée , 
D'Achil, d'Afax, d'idomenée? 
A moy semblables artisans 
Ont immort^lizé leur gloire 
Et fait allonger la mémoire 
De leur nom jusques à nos ans. 

Hélène seule, estant gaienée 
D'une perruque bien peignée , 
D'un port royal , d'un vestement 
Brode d'or ou d'une grand suite, 
N'a pas eu la poitrine cuite 
Par un amour premièrement. 

Hector le premier dès gendarmes , 
Et Teucre n'a vAu les armes, 
Dardant ses homicides traits; 
Non une fois Troye fut prise : 
Maint prince a £ait mainte entreprise 
Devant le camp des. deux roys grecs. 

Mais leur prouesse n'est cogneue ^ 
Et une oblivieuse nue 
Les tient sous un silence estrahits ; 
Engloutie est leur vertu haute 
Sans renom, pour avoir eu faute 
Du secours des poètes saincts. 

Mais la mort ne vient impunie 
Si elle atteint Pâme gai-nie 
Du vers que la Muse a chanté, 
Qui, pleurant de dueil, se tourmente 
Quand l'homme aux emers. se lamente 
Dequoy son nom n'est .point vaiité. 

I. Nous n'avons point les vers de Simonide et de Stesi- 
chore , sinon quelques fragmens dans les livres. (R.) 



ii6 Odes. 

Le tien le sera , car ma plume 
Aime volontiers la coustume 
De louer les bons comme toy, 
Qui prévois l'un et l'autre terme 
Des deux saisons , constant et ferme 
Contre leur inconstante foy ; 

Plein de vertu , pur de tout vice , 
Non bruslant après Tavarice, 
Oui tout attire dans son poin ; 
CKenu de meurs, jeune de force, 
Amy d'espreuve , qui s'efforce- 
De toujours prêter au besoin. 

Celuy qui sur la teste sienne 
Voit Tespee sicilienne (>), 
Des douces tables l'appareil 
N'irrite sa faim , ny la noise 
Du rossignol qui se desgoise 
Ne luy raroeine le sommeil. 

Mais bien celuy qui se contente 
Comme toy; la mer il ne tente . 
Et pour rien tremblant n'a este , 
Soit que le bled fausse promesse, 
Ou que la vendange se laisse 
Griller aux fiâmes de l'esté. 

De celuy le bruit du tonnerre 
Nv les nouvelles de la guerre 
N ont fait chanceler la vertu ; 
Non pas d'un roy la fiere trace , 
Ny les pirates la menace, 
N ont point son courage abatu. 

Taisez-vous, ma lyre mignarde. 
Taisez-vous, ma lyre jazarde, 
Un si haut chant n^est pas pour vous ; 
Retournez louer ma Cassandre , 
Et dessur vostre lyre tendre 
Chantez-la d'un fredon plus dous. 

I. L'èpèe de Damoclis. 



Premier livre. 117 



A CASSANDRE. 

Ode XVII (i). 

IVA ignonne , allons voir si la rose 
iVl Qui ce matin avoit desclose 

^/Sa robe de pourpre au soleil 
A point perdu ceste vesprée 
Les plis de sa robe pourprée, 

NEt son teint au vostre pareil. 

Las! voyez comme en peu d'espace , 
Mignonne, elle a dessus la place, 
Las ! las ! ses beautez laissé cheoir ! 
O vrayment marastre Nature , 
Puis qu'une telle fleur ne dure 
Que du matin jusques au soir \ 

Uonc, si vous me croyez, mignonne, 
Tandis que vostre âge fleuronne 
En sa plus verte nouveauté , 
Cueillez, cueillez vostre jeunesse : 
Comme à ceste fleur, la vieillesse 
Fera ternir vostre beauté. 



A JOACHIM DU BELLAY. 
Ode XVIII. 

Celuy qui ne nous honore 
Comme prophètes des Dieux , 
Plein d'un orgueil odieux 

1. Void les 18 vers qui ont plus servi à la gloire de Ron- 
sard que tout le reste de ses œuvres. 



liS Odes. 

Les Dieux il mesprise ertcore^ 
Et le ciel, qui nous décore 
De son thresor le plus beau ^ 
Nous mariant au troupeau 
Que le sainct Parnasse adore. 

Une saincte jalousie 
De leurs présents les plus douS, 
Se laissant glisser dans nous, 
Flatte nostre poésie , 
Qui darde la tantasie 
De leurs prestres agitez 
Jusqu'au Sein des oeitez, 
Yvres de leur ambrosie. 

De^à revolans au monde, 
Comblez de secrets divers, 
Vont chantant par Pu ni vers 
D'une voix où Dieu abonde , 
Et leur divine faconde 
Sert d'oracles , et sont faits 
Les ministres plus parfaits 
De la deité profonde. 

Un démon les accompaigne, 
Par sur tous le mieux instruit, 
Lequel en songes , la nuict , 
Sans nul travail les enseigne, 
Et , demy*Kiieu , ne desdeigne 
De les aller informant , 
Afin que l'homme en donnant 
Toutes sciences appreigne. 

Ils cognoissent la peinture 
De ce grand monde, et cela 
Qu'il varie çà et là 
En chacune créature ; 
Ore par leur escriture 
Sont pescheurs , sont laboureurs , 
Maçons ^ soudars , empereurs , 
Vrais peintres de la Nature. 

Celuy à qui le ciel donne 



PRËMI&K LIVRE. Il^ 

Un tel preseiit> il peut bleu 
Dire à tous qu'il a le bien . 
Qu'à peu d'hommes 11 ordonne, 
Et sa langue, jqui doux sonse^ 
Quand elle voiùira jdiaittery 
Se pourra trè»-bien vanter . . ; , 
Qtrelle est des DkIux là aùgnonne. 
^n chaque art |adts maint homme 
Admirable s'est trotivé, 
Et admirable approuvé/ 
Par Page, qm tout consomme.* 

Suant aux poètes^ oa nomme 
n Hemere «eui^niBSt ; 
Homère eteniélkment 
Sur les autres se renomme^ 
Ce nous est expérience. 
Que Dieu n'estpas libéral 
A chacun en gênerai 
D'une si belle science. 
Qui commença j'ailiànce 
De corps et d'^e. entre nous , 
Et qui loge par ^itr tous 
En tes beaux vers 5a fiance. 



AVANT-VENUE DU PRINTEMPS, 

Ode XIX. 

Taureau q«i dessus ta crape 
Enlevas la. belle Europe 
Parmy les voyes de l'eau , 
Heurte du o-^d ciel la borne , 
Et descTouiOe de ta «orne. 
Les portes de. Tan. nduvéau^ 
Et toy, vieillard qui enserre 



I20 Odes. 

Squs ta clef ce que la terre 
Produit généralement, 
Ouvre l'huys à la Nature, 
Pour orner de sa peinture 
Les champs libéralement. 

Vous, nymphes des eaux , qui estes 
Ores aux sfaces sujettes, 
Levez un oeau chef dehors , 
Et , mollissant vostre course , 
D'une trépignante source 
Frappez hbrement vos bors, 

Ann que la saison verte 
Se monstre aux amans couverte 
D'un tapis marqué de fleurs; 
Et que la campagne face 
Plus jeune et gaye sa face , 
Peinte de mille couleurs, 

Et devienne glorieuse 
De se voir victorieuse 
Sur rhyver injurieux , 
Qui Tavoit trop offencée 
De mainte gresle eslancée 
D'un aiguillon furieux. 

Mais or en vain il s'efforce : 
Car il voit déjà sa force 
Lentement se consumer 
Sous le beau jour qui s'allonge , 
Et qui ja tardif se plonge 
Dans le ciron de la mer. 

[Jà le beau printemps arrive 
Et jà l'herbe de la rive 
Soulève un petit son chef, 
Et, méprisant la froidure, 
Etale au ciel sa verdure. 
Pour y fleurir de rechefl] 

Jà le ciel d'amours s'enflamme^ 
Et dans le sein de sa femme 
Jupiter se va lançant , 



Premier livre. 121 

Et y meslant sa force en elle , 
De sa rosée éternelle 
Va son ventre ensemençant; ' 
Si qu'elle , estant en gesine , 
Respand sa charge divine 
Sur la terre, à celle fin 

Sue la terre mesme enfante , 
i peur que ce Tout ne sente 
En ses membres quelque fin. 

Amour, qui Nature éveille , 
Amenant prés de raureille 
La coche des traits ardents , 
Les pousse de telle sorte 
Oue la poitrine est bien forte 
STls ne se fichent dedans. 

Du ciel la grand' bande ailée , 
De Teau la troupe escaillée , 
Contrainte du dard vainqueur, 
Ny dans Teau ny par les nues 
NWeint les fiâmes venues 
Enflamber leur tendre cœur. 

La charrette vagabonde 
Qui court sur le doz de Tonde, 
Oisive au port paravant . 
Laschant aux voiles les brides, 
Va par les plaines humides 
De roccident au levant. 

[Nos soudards chargent la pique 
Voire et tant Thonneur les pique 
Qu'avant le temps attendu 
Du veillant soudard d'Espagne 
Ils ont jà dans la campagne 
Leur camp partout épandu.] 

Du printemps la saison belle. 
Quand la terre estoit nouvelle, 
L'an paisible conduisoit 2 
Du soleil qui nous esclaire 
La lampe seulement claire 



122 Odes» 

Tiède par tout reiuisoit . 

Mais la main des Dieux jalouse 
N^endara que telle chouse 
Suivist son train coustnroier; 
Ains, changeant le premier vivre, 
Fit une saison de cuivr.e 
En lieu du bel or premier. ' 

Lors le printemps donna place 
Au chaud y au vent , à la giace, 
Qui renaissent à leur tour, 
Et le sapin des valées 
Sauta sur les eaux salées 
Qui nous baignent à l'entour. 

On ouyt sonner les armes, 
On ouyt par les alarmes 
L'acier tinter durement, 
Et les lames acérées. 
Sur les endumes ferrées 
Craqueter horriblement. 

On inventa les usages 
D'empoisonner les breuvages 
Et Fart d'espandre le sang; . 
Les maux du cofre sortirent, 
Et les hauts cochers sentirent 
La foudre dessus leur flanc. 



A PHŒBUS, 
Pour la santé de sa maistresse. 

Ode XX. 

y^ père , ô Phœbus Cynthien , 
KJO sainct Apollon Pythien , 
Seigneur de ^ Déle là divine , . 



Premier livre. >2j 

Cyretiean, Patarean, 

Par oui le trepié ihymbrean (») 

Les cnoses futures aevine ; 

Ou soit que Clare (2). ou que tes sœurs, 
Te détiennent de leurs douceurs , 
Ou soit que tu laves en Ponde 
D'Eurote (3), dairement rouFant, 
Le crespe honneur du poil coulant 
Par flocons de ta teste blonde ; 

Enten , 6 Prince , mon soucy , 
Et vien pour soulager icy 
Celle qui ne m'est moins cruelle 
Que la fièvre , qui va mordant 
D'un accez et froid et ardant 
La douce humeur de sa môuetle. 

Quoi ! sur elle n'espandras-tu 
Oyelque jus remply de vertu ? 
Veux-tu pas son médecin estre ? 
Si seras , ou je fus deceu , 
Ayant Tautre jour apperceu 
Ton cygne voler à senestre. 

Tu as , seul des dieux , cest honneur, 
D*estre poète et gouverneur 
De toute herbe, soit de campagne , 
Soit de monts , soit de celles-là 
Que Thetys , de çà et de là, 
En quelque bord étrange bagne. 

Par toy Esculape pilla 
Les enfers . lors qu'il réveilla 
Hippolyt' ae la gresle bande , 
Et, fraudant le prince inhumain (4), 
Luy arracha hoi's de la main 

1. Une sorte de simple, appellée thymbra^ qui abonde en 
la Troade. (R.) 

2. Isle des Cyclades. (R.) 

3. Pleuve de Laconie. 

4. PlntOD. 



124 Odes. 

Le tribut (i) qu'à tous il demande. 

Par toy le doux enchantement 
Sait arrêter soudainement 
Le corps de l'homme qui dévie (a) ; 
Par toy le médecin expert, 
Ayant mvoqué ton nom , pert 
Le mal , larron de nostre vie. 

Fils de Latone, escoute-moy, 
Vien , et apporte avecque toy 
Le mol y et la panacée , 
Et Pheroe que Medée avoit 
Quant'reverdir elle devoit 
iJ^Eson la jeunesse passée ; 

[Et celle qui boutonne aussi 
Sur le plus haut du froid sourcy 
Du Caucase, étant enfantée 
Du poumon toujours s'aliongeant 
Que l'aigle éternel va rongeant , 
Cruel bourreau de Prométnée ;] 

Et l'herbe forte qui changea 
Glauque si tost qu'il la mangea , 
Le faisant immortel d'un homme , 

Sui, par la mer, entre les Dieux, 
e Craint que le temps odieux 
Le nombre de ses ans consomme. 
Brise-les du bout de ton arc. 
Puis, d'elles pressurant le marc, 
Fais un breuvage et le luy baille , 
Ou bien les applique à ses bras, 
Et lors, ô Pean, tu rompras 
Le mal qui deux âmes travaille. 
Déjà son beau coral s'esteint, 

I. La vie. 
. a. Var. 1587 : 

Par ta puissance le charmeur 
Arreste de V homme qui meur 
L'amc à demy déjà ravie. 



Premier livre. 125 

Et ja la rose de son teint 
Se fanit, paliement flestrie, 
Et Toeil meurtrier où m'aguettoit 
Ne sçai quel archer qui estoit 
L'object de mon idolâtrie. 

Las ! tû peux , en la guarissant. 
Me soulag[er, moy périssant 
Au feu qui sa fièvre resemble ; 
Ainsi, ratifiant mes vœux, 
De mesme cure, si tu veux, 
Tu en guariras deux ensemble. 

Lors un temple j'edifiray. 
Où ton image je feray 
De longues tresses honorée, 
A son Qoz pendray Tare turquois , 
La lyre , sœur de son carquois , 
A son flanc la dague dorée. 



A PIERRE PASCHALO). 
Ode XXL 

Ne serov-je pas encore 
Plus (fur qu'un Scythe cruel , 
Ou le flot continuel 
Qui ronge le sablon more j 

Si je n'emplumoy la gloire 
De toy, mon Pascnal (2), afin 
Qu'elle voltige sans fin 
Dans le temple de Mémoire.^ 

1 . Il loue Pierre Paschal de parler bien latin et d'estie 
digne de rimmortalité de ses vers. (R.) 

2. Il est toutefois accusé d'avoir abusé le public d'une pro- 
messe d'histoire dont il ne fit jamais voir qu'un je ne sçay 
quel dessein sous Henry II , qui luy valust beaucoup. Es- 
tienne Pasquier accuse fort ce Paschal dans ses Epistres. (R.) 



126 Opes. 

La chaîne qui entrelace 
Ton esprit avec le mien , 
Et mon nom semblable au tien(i)y 
Commande que l^e le face. 

Ce m'est une .dovice peine 
Chanter Phomme en qui les cieux 
Ont renversé tout le mieiuc . 
De leur influence pleine. 

Quand sa clarté merveilleuse 

Maugré Tobscur se fait voir 
Par les rayons du sçayoir 
De sa langue n^iell^use, , 

Certes telle gloire douce 
Crie qu'elle est seule à toy, 
Obéissant à la loy 
De ma lyre et de mon pouce. 

[Ne voy tu comme elle vole 
Ça bas en dix mille lieux, 
Ains comme elle vole aux cieux 
Par le vent de ma parole ?] 

Jà ton Languedoc se vant^ 
D'honorer son nourrisson , 
Fait immortel par le sQn . 
Du Vendomois qui le chante. 

Quoy ! c'est toy qui m'éternise ! 
Et, si l'ay quelque renom , 
Je ne ray, Pascnal , sinon 
Que par ta vois, qui me prise. 

Car jamais le temps ti'ameine, 
Comme aux autres , des oublis , 
Aux escrits qui sont polis 
Par ta langue si romaine. 

1 . Le nom de Pierre. 



PREMÛR LIVRE. id7 



A SA LYRE. 

Ode XXI L 

Lyre dorée où Phebus seulement 
Et les neuf Sœurs ont part également, 
Le seul confort qui mes tristesses tue^ . 
Que la danse oit, et toute s'évertue • 
De t*obeyr et mesuriir ses pas - 
Sous tes fredons miguardés par compas , 
Lors qu'en bruyant 4;i|. n^iroues la cadaace 
D'un avant-^u le guide de ta danse. 

Le feu arnné de Jupiter s'esteint 
Sous ta çhânsoB , si ta chanson l'atteint , 
Et au caquet de tes cordes bien jointes 
Son aigle dort sur la foudre à trois pointes , . 
Abaissant Ta^le : adonc tu vas chamaat 
Ses yeux ai^s, et luy, en les fermant, 
Son dos hérisse et ses plumes repousse, 
Flatté du son de ta corde si douce. 

Celuy ne vit le bien-aimé des Dieuiç . 
A qui aesplaist ton chant mélodieux. 
Heureuse Iyre4^ honneur, de npoajenfcinc^l 
Je te sonnay devant ji^uK en la France 
De peu à peu : car^ q^iat^-piiecQi^rfniieat 
Je te trottvay, tusonnoisduremeiitt.i; , 
Tu n'avois point-dl3.@ordçs'>Qui. valussent, 
Ne qui respondrej aux loix ae inon doigt peussept. 

Moisi du temps, ton fust ne sonnoit point; 
Mais j'en pitié de te voir mal en-point, 
Toy qui ja4is, des grands fôys les viandes 
Faisois trouver plus douces et friandes. 
Pour te monter de cordes et d'un fust , 
Voire d'uit:jiOBqaifiatiil«ii le iustj ■ ■■ .t 



laS Odes. 

Je pillav Thebc (i) et saccageay la Pomllc(a), 
T'enricnissant de leur belle despouille. 

Et lors en France avec toy je chantay, 
Et, jeune d'ans, sur le Loir inventay 
De marier aux cordes les victoires 
Et des grands roys les honneurs et leurs gloires. 
[Puis, affectant un œuvre plus divin, 




Qu'à lui tout seul la gloire en soit donnée.] 

Certainement celuv que tes chansons 
Paissent, ravy du plaisir de leurs sons. 
Ne sera point haut estimé pour estre 
Ou à l'escrime ou à la luitte adestre, 
Ny de laurier couronné ne sera. 
Car l'arme au poin^ jamais n'abaissera 
L'orgueil des rois ni la fureur des princes , 
Portant vainqueur le feu dans leurs provinces. 
Mais ma Gastine (5), et le haut crin des bois 
Qui vont bornant mon fleuve vendomois , 
Le dieu bouquin qui la Neufaune entoume, 
Et le saint chœur qui en Braye (4) séjourne , 
Le feront tel que par tout l'univers 
Il se verra renommé par ses vers. 
Tant il aura de grâces eif son pouce 
Et de fredons fils de sa lyre douce. 

Déjà, mon Luth , ton loyer tu reçoit, 
Et ja déjà la race des François 
Me veut nombrer entre ceux qu'elle loue, 
Et pour son chantre heureusement m'avoue. 
Calliope, 6 Cleion, ô les Sœurs, 
Qui de ma Muse animez les douceurs , 

1. Pour faire ses odes pîndariques. 

2. Pour imiter Horace en ses odes communes : la Pouille 
est une province d'Italie. (R.) 

). Saforest. 

4. Neufiiune et Braye, dépendances de sa demeure. 



PRBHIBR LIVRE. 

Je VOUS saine et resalue encore, 
Par qui mon roi et $m princes l'honore! 
Par toy je plais, et par toy je suis leu ; 
C'est toy qui fais que Ronsara soit esleu 
Hirpeur françois, et, quaad on le rencontre 
Qu'avec le doigt par !a rue on le monstre. 
Si je plais donc, si je sçay contenter, 
Si mon renom la France veut chanter, 
S de mon hotA les estoilles je passe, 




LE SECOND LIVRE 



DES ODES 



:) 




AU ROY HENRY IL 

Ode I. 

e te veux bastir une ode , 
La maçonnant à la mode 
De tes palais hoRorez , 
Qui volontiers ont l'entrée 

De'grands marbres accoustrée 

Et de hauts piliers dorez, 
Afin que le front de l'œuvre 

Du premier regard descœuvre 

Tout le riche bâtiment; 

Ainsi , Prince , je veux mettre 

Au premier front de mon mètre 

Tes vertus premièrement. 
Sur deux termes de mémoire 

Je veux graver la victoire 

Dont TAnglois fut combattu (i), 

K.Sous ce prince l'Angloisa cessé de plus rien avoir en 
France. (R.) 



Deuxiesme Livre. ni 

Et veux encore y pourtraire 
Les guerres de feu ton père, 
Soustenu de ta vertu, 

Lors que ton jeune courage 
S*opposa contre ia rage 
De 1 empereur (i) despilé , 
Se vantant d'avoir la foudre 
Dont il devoit mettre en poudre 
Paris , ta grande cité. 

Le conseil et la vaillance, 
Par une égale balance, 
Tousjours veillent à Pentour 
Des affaires qui sont pleines 
Et de périls et de peines , 
S'entresuivans à leur tour; 

Ce que la faveur céleste 
Par toy nous rend manifeste , 
Comme n'ayant desdaigné 
Dés ta première jeunesse 
De conseil et de prouesse 
Tousjours estre accompagné. 

Aussi , Prince , ta main forte 
A fait voir en mainte sorte 
L'impuissance d'éviter 
Les efforts de ton armée , 
Et ta colère enflammée 
A oui la vient irriter. 

âur ta roche thespienne , 
Des Sœurs la plus ancienne, 

8ui de tes faits a souci , 
e garde une mélodie. 
Afin qu'un jour je la die 
Bien plus haut que celle-ci. 
Par les campagnes èstranges 

I . En ce temps la France fut assaillie de toutes parts , mais 
en vain : car elle eut des princes vaillans qui la sceurent bien 
garder et défendre, à Mets, à Thionvilie et autres lieux. (R.) 



n2 Odes. 

Je sonneray tes louanges^ 
Lors que ton bras belnqùeur 
Aura foudroyé le monde , 
Et que Tetbys de son onde 
Te confessera vainqueur 

[Et lorsque ta main non chiche 
M'aura fait heureux et riche , 
Me faisant sentir combien 
La grand' majesté royale 
D'Auguste fut libérale 
Vers Fauteur Aemicn]. 

Les Muses ont à leur corde 
Deux tons divers : l'un s'accorde 
Avec les guerres des rois; 
L'autre, plus bas, ne s'allie 

?u'avec le luth de Thalie , 
ouché doucement des dots. 
De ce bas ton je te chante 
Maintenant , et si me vante 
De ne sonner jamais roy 

Sui en bonté te ressemble, 
é prince qui soit ensemble 
Si preux et sçavant que toy. 

[Ov donc ma voix , qui s'efforce 
D'exnorter par douce force 
Que l'honneur qu'on voit écrit 
Es oracles poétiques 
Célébrant les rois antiques 
Est seul propre à ton espHt.l 

Sus donq . France^ ouvre la bouche. 
Au son du juth que )e touche ; 
Dy que le ciel t'a donné 
Un roy dispost à combatre 
Et prompt par les bix d'abatre 
LeJ)eché desordonné. 

Et toy, vendomoise Lyre, 
Mieux que devant faut eslire 
Un vers pour te marier, 



Deuxibsmb Livre: M) 

Afin que tu faces croire 
Que véritable est la gloire 
Qu'on t'a voulu dédier. 

TU réjouis nostre prince, 
Tu contentes sa province , 
Et mille furent espris 
De contrefaire ta grâce , 
Et, suivans ta mesme trace, 
On voulu gaiçner le prix. 

Mais , 6 Phebus , authorise 
Mon chant et le favorise , 
Qui ose entonner le loz 
De ce grand roy qui t'honore , 
Et ses beaux blasons (>) décore 
De l'arc qui charge ton dos, 

Et fait tant que sa Hautesse 
Daigne voir ma petitesse 
Qui vient des rives du Loir, 
Criant sa force et justice , 
Afin que l'âge qui glisse 
Ne les mette à nonchaloir, 

Et qui doit chanter la gloire 
De sa future victoire , 
S'elle avient : car, en tout lieu. 
De la chose non tissue 
L'heureuse fin et l'issue 
Se cache en la main de Dieu. 

I . Il est à remarquer que chacun de nos roys ordinairement 
a pris sa devise et des blasons : François 1er une salemandre 
dans le feu , avec sa devise : Nutrisco et extinguor; Henri II 
trob croissans, avec sa devise : Donec totam impltat orbtm ; 
François II deux globes, avec sa devise : Unus non sufficit 
orbis; Charles IX deux colonnes, avec sa devise : Pietate et 
justitia; Henry III trois couronnes, avec sa devise : Manet 
ultima cœlo; Henry IV une espée entre deux sceptres, avec 
sa devise : Duo protegit unus. (R.) 



1)4 Odes. 



A CALLIOPE. 
Ode il 

Descen du ciel , Calliope , et repousse 
Tous les ennuis de mov, ton nourrisson, 
Soit de ton luth , ou soit ae ta voix douce , 
Et mes soucis charme de ta chanson. 

Par toy je respire, 

C'est toy qui ma lyre 

Doucement conduis; 

C'est toy, ma princesse, 

Qui me fais sans cesse 

Fol comme je suis. 
Certainement, avant que né je fusse. 
Pour te chanter tu m'avois ordonné. 
Le Ciel voulut que ceste gloire j'eusse 
D'estre ton chantre avant que d estre né. 

La bouche m'agrée 

Que ta voix sucrée 

De son miel a peu, 

Et oui sur Parnase 

De l'eau de Pégase 

Gloutement a beu. 

deureux celuy que ta folie affole ! 

Heureux qui peut par tes traces errer! 

Ce!uy-là cloit , par sa douce parole , 

Hors du tombeau tout vif se déterrer. 

Ton bien sans dessertes 

Tu m'as donné, certes, 

Qui n'eus jamais soin 

Rapprendre la lettre. 

Toutefois, mon mettre 

S'entend d'assez loin. 
Dieu est en nous, et par nous fait miracles 



Deuxiesme Livre. ij$ 

Si qu*un Doëte et ses vers furieux , 

Ce sont aes dieux les plus secrets oracles, 

Que par sa bouche ils montrent à nos yeux (4). 

Si , dés mon enfance , 

Le premier de France 

J'ay pindarisé(«J, 

De telle entreprise , 

Heureusement prise, 

Je me voy prise. 
Chacun n'a pas les Muses en partage, 
Et leur fureur tout estomach ne poina. 
A gui le Ciel a fait tel avantage , 
Vainqueur des ans , son noni fie mourra point. 

Durable est sa gloire , 

Tousjours la mémoire 

Sans mourir le suit; 

Comme vent, grand erre, ^ 

Par mer et par terre 

S'escarte son bruit. 
C'est tpy oui fais que j'aime les fontaines, 
Tout esloigne du vulcaire ienorant, 
Tirant mes pas, sur les roches hautaines. 
Après les tiens, que je vais adorant. 

4. Var. : 

Pour l'avoir servie, 

Tu as de ma vie 

Honoré le train. 

Suivant ton escole, 

Ta douce oarole 

M'eschaujfa le sein. 
Dieu est en nous, et par nous fait miracles, 
D'accords meslez s égayé l'univers. 
Jadis en vers se renaoïent les oracles. 
Et des hauts dieux les hymnes sont en vers. 

1 . C'est-à-dire : le premier de tous les François , j'ay in- 
troduit la façon d'escrire de Pindare, Vode. (R.) En eflet, il 
inventa le mot et la chose. 



ij6 Odes. 

Tu es ma liesse, 

Tu es ma déesse, 

Tu es mes souhais. 

Si rien je compose ^ 

Si rien )e dispose , 

En moy tu le fais. 
Dedans quel antre, en quel désert sauvage, 
Me guides-tu ? et quel ruisseau sacré 
A ta grandeur me sera doux breuvage 
Pour mieux chanter ta louange à mon gré } 

[Nous savons bien comme 

Roland, de sage homme. 

Devint fol d'aimer. 

Et comme Angélique, 

Vierge mal pudique. 

Repassa la mer. 
Nous connoissons Mandricard à. ses armes; 
Du bon Roger Thistdre ne nous fuit. 
Ni le vieillard qui , murmurant ses charmes , 
Avoit d*airain le vain palais construit.] 

Ça, page, ma lyre: 

Un chant je veux dire. 

Sur ses cordes d*or. 

La divine grâce 

Des beaux vers d'Horace 

Me plaist bien encor ; 
Mais tout soudain, d'un haut style plus rare (a). 
Je veux sonner le sang hectorean , 
Changeant le son du Dircean Pindare 
Au plus haut bruit du chantre Smyrnean (i). 

I. Homère. (R.) 

a. Var. (1J50) • 

Mais tout soudain je changerai mon style 
Pour les vertus de Henri raconter; 
Lors, cultivant un terroir si fertile, 
Jusques au ciel le fruit pourra monter. 



Deuxiesme Livre. 157 



CONSOLATION 

A la royne de Navarre, sur la mort de Charles de Valois, 

duc d'Orléans , son nepreu , troisiesme fils 

du roy François I. 

Ode in. 

Vien à moy, mon Luth , que j'accorde 
Une ode , pour la fredonner 
Dessus la mieux pariante. corde 
Que Phebus t'ait voulu donner, 
A celle fin de la sonner 
Si doucement (qu'elle contante 
Et puisse le som destourner 
Qui mord une royale tante. 

Doncques, ô Chimère inconstante {i)\ 
Tu as dessous les- ombres mis 
Le prince qui fut nostre attante. 
Et reifroy de nos ennemis l 
En vain donc il avoit promis 
De douter la rondeur du monde 
Et de voir sous Charles soumis 
Ce que Tethys serre en son onde I 

Une large pluye féconde. 
Vous, Muses, puisez de vos veux. 
Lamentez la coubnne (>) ronae 
Où s'appuyoit tout vostre mieux. 
Pour ta vertu dessus les cteux , 
fils de roy! tu te reposes, 
Et ce bas monde vicieux 
Du ciel tu régis et composes, 

1. La mort. (R.) 

2. Ainsi s'appellent les enfans masles des maisons. (K.) 



1^8 Odes. 

Et nouvelles loix luy imposes , 
Nouveau citoyen de là haut , 
Entre les immortelles choses 
Et près du Bien , qui point ne faut. 
Des royaumes plus ne te chaut , 
Dont tu as fait icy la preuve : 
Car rien de ce monde ne vaut 
Un trait du nectar qui t'abreuve. 

Tu as laissé la terre veuve 
Du vrav honneur, au ciel montant, 
Où ta facile aureille appreuve 
Nos vœux , qu'elle va escoutant. 
Appaise ton cœur lamentant , 
Essuyé ton œil , ma princesse : 
Pour néant tu vas regrettant 
Dequoy si tost ton neveu cesse 

Et a pris son heureuse addresse 
Vers une autre habitation , 
Changeant Tavril de sa jeunesse 
Au bien de l'incorruption. 
Aux dieux , sans intermission , 
Son corps tu requiers par prière , 
Qu'il n'eut à la condition 
De voir par deux fois la lumière. 

Quand ton oraison coustumiere 
Sonneroit aussi doucement 
Que la harpe tirant première (') 
Les bois en esbahissement , 
Encore l'ame nullement 
N'animeroit sa froide image , 
Puis que la Parque durement 
Luy a fait rendre son hommage. 

De Pluton l'avare héritage 
Ton neveu n'ira jamais voir, 

?ue le ciel pour son avantage 
rop soudain a voulu ravoir; 

I . La harpe d'Orphée. (R.) 



Deuxiesme Livre. 139 

Et, jaloux^ t'a fait recevoir 
(Pour s'enrichir de son enfance) 
Un dueil , que le temps n'a pouvoir 
D*arracher de ta souvenance. 



CONTRE LES AVARICIEUX 

ET CEUX QUI PRÈS DE LA MORT BASTISSENT. 

Ode IV. 



Q-1 



uand tu tiendrois des Arabes heureux 
_,Et des Indiens les trésors plantureux, 
Voire et des rois d'Assyrie la pompe , 
Tu n'es point riche , et ton argent te trompe. 

Je parle à toy oui erres • 

Après l'or par les terres , 

Puis, d'elles t'ennuyant, 

La voile au grand mast guindés, 

Et voles jusqu'aux Indes, 

La pauvreté fuyant. 
Le soin meurtrier pourtant ne laisse pas 
D'accompagner tes misérables pas. 
Bien que par toy mainte grana net, chargée 
De lingots d'or, fende la mer Egée. 

Le soin qui te tourmente 

Suit le bien qui s'augmente , 

Guidant deçà, delà. 

Parmi les eaux, ta vie, 

Qui moins est assouvie 

Quand plus de biens elle a. 
Les larges ports de Venise et d'Anvers 
De tous costez de tes biens sont couverts , 
Cherchez par eau , par vent et par tempeste , 
D'où le soleil hausse et baisse la teste. 

Ces perles, achetées 

Si chères, soient jettées 



140 Odes. 

Dedans ces eaux encor ; 

?u'on reinette en sa mine 
ieste esmeraude fine , 
Ces rubis et cet or. 
De peu de bien on vit honnestement ; 
L'homme qui peut trouver contentement 
N 'entrerompt point son sommeil par la crainte 
Des blés menteurs ne par la vigne atteinte (4). 
Ta fièvre est incurable , 
Avare misérable : 
Car le soin.d'acauerir, 
Qui sans repos t enflame , 
Engarde qiie ton ame 
Ne se puisse gliarir. 
A juste droit tu es ainsi traité : 
Car, pour vouloir banir la pauvreté, 
Tu te banis de ta maison , et changes 
Ton doux païs aux régions estranges. 
Mais le soin et l'envie, 
Vrais bourreaux de ta vie , 
Ne t'abandonnent point ; 
Au dedans ils te nuisent , 
Et sur ton cœur aiguisent 
L'aiguillon oui te poind. 
Et toy, vieillard au sepùlchre oublieux , 

Sui jusqu'au ciel esleves en maints lieux 
arbre sur marbre, et. ja presque mort, tasches 
Fendre les rocs que tu bailles par tasches, 
La terre n'est pas pleine 
Seulement -de ta peine ^ 
Mais les poissons aussi 
Sentent, sous tes ouvrages 

a. Var. (1587) : 

De peu de rente on vit honnestement ; 
Le vray thresor est le contentement, 
Non les grands biens , lourde et fascheuse somme. 
Biens, non pas biens, mais le malheur de l'homme. 



Deuxiesme Livre. 141 

Assis sur les rivages, 

Leur séjour restrecy. 
Bien que par toy un millier de maiçons 
Maints gros rochers animent de façons , 
Si mourras-tu , et ta maison certaioe 
Est de PlutoD la. maison pale et vaine. 

Doncques, avare, cesse, 

Cesse , avare , et délaisse 

Tant de biens aausser: 

Le batelier qut-^de 

Le port d^eafer n'a garde 

Pour For te repasser. 
Là Rhadamant , le }uge audacieux , 
Va punissant les avaricieux , 
Et le chetif que douce mort délivre 
Aise à son rang là-bas il laisse vivre. 

Si donc la riche pierre , 

Tant soit d'estrange terre, 

Et Por tant recherché, . 

Foibles, n'ont la puissance 

D'oster la doieance 
De leur maistre fasché , 
Pourquoy TEgypte iray-je saccager, 
Pourquoy iray-je aux Inaes voyager^ 
Changeant mon aise aux richesses lomtaines 
De rOrient, quises à si grands peines ? 



A CASSANDRE. 
Ode V. 

La lune est coustumiere 
Renaistre tous les mois; 
Mais, quand nostre lumière 
Sera morte une fois, 
Longtemps sans réveiller 
Nous faudra sommeiller. 
Tandis que vivons ores. 



142 



Odes. 

Un baiser donne-moy; 
Donne-m'en mille encores : 
Amour n'a point de loy ; 
A sa grand' déité 
Convient l'infinité. 

Ah! vous m'avez, maistressc, 
De la dent entamé 
La langue chanteresse 
De vostre nom aimé. 
Quoi ! est-ce là le prix 
Du labeur qu'elle a pris , 

Elle oui vos louanges 
Dessus le luth vantoit, 
Et aux peuples estranges 
Vos mérites chantoit, 
Ne faisant l'air sinon 
Bruire de vostre nom {a) ? 

De vos tetins d'yvoire 
(Joyaux de l'Orient) 
Elle chantoit la gloire , 
Et de votre œil riant, 
Pour la récompenser, 
La faut-il offenser? 

Las! de petite chose 

fl. Var. (1587): 

Elle par qui vous estes 
Déesse entre les dieux, 
Qui vos beautez parfaites 
Celebroit jusqu'aux deux , 
Ne faisant loir sinon 
Bruire de vostre nom, 
De vostre belle face. 
Le beau logis d'amour. 
Où Venus et la Grâce 
Ont choisi leur séjour. 
Et de vostre ail, qui fait 
Le soleil moins parfait. 



] 



Deuxiesme Livre. 14^ 

Je me plains durement : 
La playe en l'ame enclose 
Me cuit bien autrement , 
Que ton œil m'y laissa 
Le jour qu'il me blessa. 



PROPHETIE 

DU DIEU DE LA CHARANTE 
Aux mutins de Guyenne. 

Ode VI. 

Ç^ uand la Guyenne errante 
^Vi^S'arma contre son roy, 
Le dieu de la Charante , 
Fasché d'un tel desroy, 
Arresta son flot coy, 
Puis, d'une bouche ouverte, 
A ce peuple sans loy 
Prophétisa sa perte : 

Ja déjà ta desserte 
Te suit, peuple mutin, 
Qui ma rive déserte 
Saccages pour butin; 
Mais le cruel destin , 
Que ton orgueil n'arreste , 
Viendra quelque matin 
Te foudroyer la teste. 

Oy de Mars la tempeste, 
D'escailles revestu. 
Et Henry, qui appreste 
Contre toy sa vertu. 
En vain espere-tu 
Tenter son asseurance, 
Qui dois estre abbatu 
Par le soldat de France.. 



»44 



Odes. 

Et Favare espérance 
De ton vain appareil 
Périra par Toutrance 
D*un qui n*a son pareil. 
Ton sang fera vermeil 
Mon flot, ores esclave, 
Et tout le verd esmail 
De ces prez que je lave. 

Voicy le seigneur brave. 
De Guyse (a), qui te suit 
Et ja son los engrave 
Sus ton dos qui s*enfuit, 
Prince sur tous instruit 
Aux dangereux vacarmes , 
Ou soit lors Qu'il destruit 
Les troupes ae gendarmes , 

Ou quand , par les allarmes , 
De sa pique l'eiFort 
Fait bien Quitter les armes 
Au piéton le plus fort. 
Ne vois-tu le renfort 
Que Bonnivet amdne, 
Prompt à haster ta mort 
D'une playe soudaine? 

Comme la nue pleine 
D'un orage odieux 
Perd du bouvier la peine, 
Qui prie en vain les dieux, 
Le soldat furieux 
Qui ja déjà t'enserre 
Ton chef si glorieux 
Perdra d'un grand tonnerre» 

Le comte de Sanserre 
Et le seigneur d'Iliers 
Te porteront par terre, 
Indomtez chevaliers. 



a, Vai.{i55o)- Aumalc. 



Deuxiesme LivRr, 145 

Parmy tant de miliers , 
Tu dois Jarnac cognoistre, 
Que les dieux familiers 
Sous bon astre ont fait naistre, 

Comme l'ayant fait estre 
De son haineux vainqueur 
Et de soy-mesme maistre (>), 
Commandant à son cœur; 
Lesquels, toy, sans vigueur, 
Tu craindras de la sorte 

Su'un loup craint la rigueur 
û lion qui l'emporte. 
A la fin , la main forte 
Du grand Montmorenci 
Rendra ta gloire morte 
Et ta malice aussi. 
Le Ciel le veut ainsi, 
Qui ma bouche a contrainte 
Prophétiser ceci 
Pour t'avancer la crainte. 



A SA MAISTRESSE. 
Ode vil 

Cassandre ne donne pas 
Des baisers, mais des appas 
Qui seuls nourrissent mon ame, 
Les biens dont les dieux sont fous, 
Du nectar, du sucre dous, 
De la cannelle et du bâme, 

Du thym, du lis, de la rose 
Parmy ses lèvres desclose , 

I . Parce qu'il ne le tua pas, le pouvant £ûre et en ayant 
sujea. (R.) 

Ronsard, — II. !• 



146 Odes. 

Fleurante en toutes saisons, 
Et du miel tel qu'en Hymette 
La desrobe-fleur avette 
Remplit ses 4ouce$ maisons. 

dieux! que j'ay de plaisir 
Quand je sens mon col saisir 
De ses Was en mainte sorte 1 
Sur moy se laissant courber, 
Peu à peu la voy tonaber 
Dans mon sein à demi-morte; 

Puis, mettant la bouche sienne 
Tout à plat dessus la mienne. 
Me mord , et je la remors. 
Je luy darde, elle me darde 
Sa languette fretillarde; 
Puis en ses bras je m'endors. 

D'un baiser doucement long 
EiPme suce l'ame adonc. 
Puis en souflant là repousse, 
La ressuce encore un coup, 
La ressoufle tout à coup 
Avec son haleine douce. 

Tout ainsi les colombelles, 
Trémoussant un peu des ailes, 
Havement se vont baisant. 
Après que l'oiseuse glace 
A quitte la froide place 
Au printemps doux et plaisant. 

Helasl mais tempère un peu 
Les biens dont je suis repeu » 
Tempère un peu ma liesse : 
Tu me ferois immortel. 
Hé! Je ne veux estre tel 
Si tu n'es aussi déesse. 



Deuxiesms Livre. 147 



A UNE FILLE, 

, Odb VII.L 

Ma petite nymphe Macée, 
Plus blanche qii'yvoire taillé. 
Que la neige à monts amassée, 

?ue sur le jonc le laiçt caillé, 
on beau teint ressemble les Kz 
Avecque les roses cueillis. 

Ton chef de soie et d*or descœuvrc. 
Où le Ciel , de;s (>é^.utiEs donneur, 
Employa sa peine et: son œuvre , 
Curieux 4e luy faire honneur {a). 
Descœuvre ton beau front aussi. 
Heureux object de mon souci. 

Plus bdie que Vénus tu marches; 
Plus que les siens tes yeux sont beaux, 
Qm .flambent fojis de^z noires arches* 
Comme! deux célestes flamWux, 
D'où le brandon fatjalluim^ 
Qui tout le cœur m'a consumé. 

Eh ! n'est-ce pasl t^n ^ï\ , mignoàne , 
Qui dans son regacÂ-.eKaitté 
Les mieoS'CtniçoreisnempnsQaiie, 
Peu soucieux de JiJxrfié) 
Et qui m^a dérobé le co^ur 
Et seul de jooi n'est bk Viaxnqaeur? 

«. var. (1587): . :: .: l. . 

Descouvre-mtri ton beau chef-d'ixmn, 
Tes chevcax oà'le Cièt. donneur 
Des grâces, riche:meh('aese<gum 
Tous ses biens pour-leur' faire honneur. 



149 Odes. 

[Ennuy, plaisir^ joye, tristesse. 
De tous costés naissent de toy. 
Enlasse mon col , ma déesse l 
Baîse-moi et rebaise-moi ; 
Veuilles au moins d'un seul baiser 
Le feu de mon cœur appaiser.] 

Te voyant des belles la belle. 
Tu me suces Tame et le sang. 
Monstre-mo)r ta rose nouvelle, 
.Je dy ton sein d'y voire blanc , 
Et tes deux rondelets tétons, 
Qui s'enflent comme deux boutons. 

Lasl puis que ta beauté meurtrière 
Ne me veut point faire merci , 
Et que, de jour en jour plus fière, 
Prends passetemps ae mon souci , 
Au moins un jour voi sur mon front 
Combien de maux tes yeux me font. 



A LA FONTAINE BELLERÏE; 

Ode IX. 

O fontaine Bellerie! . 
Belje déesse chérie 
De nos nymphes, quand ton eau 
Les cache au fond de ta source. 
Fuyantes le satyreau 
Qui les pourchasse à la course . 
Jusqu'au Jbord de ton ruisseau , 

Tu es la nymphe étemelle 
De ma terre paternelle. 
Pource, en ce pré verdelet,. 
Voy ton poète qui t'orne 
D'un pietit chevreau de lait, 



Deuxibsme Livre. 149 

A qui l'une et Tautre corne 
Sortent du front nouvelet. 

Toujours Pesté je repose 
Près ton onde, où je compose, 
Caché sous tes saules vers, 
Je ne sçay quoy qui ta gloire 
Envoira par Tunivers, 
Commanaant à la mémoire 
Que tu vives par mes vers. 

L'ardeur de Ja canicule 
Jamais tes rives ne brûle, 
Tellement qu'en toutes pars 
Ton ombre est espaisse et drue 
Aux pasteurs venans des parcs. 
Aux bœufs las de la charrue 
Et au bestial espars. 

16 . tu seras sans cesse 
Des fontaines la princesse, 
Moy célébrant le conduit 
Du rocher percé qui darde 
Avec un enroué bruit 
L'eau de ta source jazarde , 
Qui trepillante se suit. 



DU RETOUR DE MACLOU DE LA HAIE. 

A SON PAGE. 

Ode X. 

T^av refraischir le vin de sorte 

r Qtt'il passe en froideur un glaçon , 

Page, et que Marguerite apporte 

Son luth jpour dire une chanson : 

Nous bauerons tous trois au son; 



1^0 Odes^ 

Et dy à Jane qu'elle vieihilt 
Les cheveux tors à la façon ' 
D'rae folastre It^Ken^e. 

Ne sens-tif que le jour se passe? 
Et tu ne te vas point teetaiilt! « 
Qu'on verse du vin dafts ma t^ssefl 
A qui le boirai-je d'autaift? ^; ; 
Pour ce jourd'bui je suis Montent 

Su'un autre plus fol ife îé tretiive • 
(évoyant mon Maclou ^ que tant 
J'ai connu seur ami d'épreuve («). 



A JEAN D'AURAT, 
Son précepteur (r). 

Ode XI. 

Si l'oiseau qu'on voit amener 
Par son chant le temps qui ennuyé (») 
Peut les hommes acertener 

a, Var. : 

Ne roi$4u que le jour h passée 
Je ner/ point au lendemain. 
Page, reverse dam ma lasse, 

Sue ce grand verre soit tùul plein, 
^audit soit qui languit en vain ! 
Ces vieux médecins je n'apnreuve : 
Mon cerveau n'est fomaisrpiân sain. 
Si beaucoup de vin tu l'abreun. 

1 . Cette pièce étoit primitivement dédiée à Abel de la 
Httitetoire. 

2. La grue. 



Deuxiesme Livre. 151 

Dn vrai augure de la pluye, 
Demain le Troyen (i) de sa baye 
Espandra Peau , et si le jour 
Sera long temps, sans qu'il s'essaye. 
Voilé d'un ténébreux se|Our. 

Donc , pour attendre que le tour 
De ceste tempeste ennuyeuse 
Se change par le beau retour 
D'une autre saison plus joyeuse , 
Evite la tourbe envieuse. 
Et, seul en ta chambre a recoy, 
Escri de main laborieuse 
Des vers qui soient dignes de tby. 

Espris a*une ardeur, comme nyoy, 
De te vouloir rendre admirable 
Pour n'estre sujet à la loy 
Du crand faucheur inexorable, 
Peslfr-mesle dessus la table 
Tibulle, Ovide, soient ouvers 
Auprès de ton luth délectable, 
Fiaele compagnon des vers. 

Dessus, par maints accords divers. 
Chasse de toy le souci gravé 
Et le soin que ce dieu pervers 
Dans un cœur amoureux engrave. 
Après l'estude, il faut qu'on lave 
Le cerveau, se réjouissant 
D'un vin de réserve en la cavt. 
Par quatre ans au fust languissant. 

Pourquoy te vas-tu meurtrissant, 
Et pourquoy gennes-tu ta vie 
Tandis que tu es fleurissant? 
Et pourquoY n'est-elle suivie 
D'esbat et d'amoureuse envie ? 
Pauvre chétif , ne sçais-tu pas 



I. Ganimède ou le Veneaii. 



.IJ2 OlXES. 

Qy'il ne faut qu'une maladie 
Pour te mener jouer làrbas (a) ? 



SUR LES MISERES DES HOMMES. 
A Ambroise de Laporte, Parisien. 

Ode XII. 

Mon Dieu! aue malheureux nous sommes ! 
Mon Dieu ! que de maux en un temps 
Offensent la race des hommes, 
Semblable aux fueilles du printemps, 
Qui vertes dedans Parbre croissent, 
Puis, dessous Pautomne suivant. 
Seiches , à terre , n'apparoissent 
Qu'un jouet remoqué, au vent. 

vrayment, l'Espérance est meschante : 
D'un taux masque elle nous déçoit, 
Et tousjours pipant elle enchante 
Le pauvre sot qui la reçoit; 
Mais le sage, qui ne se fie 
Qu'en la plus seure vérité, 
Sçait que l'espoir de nostre vie 
N'est rien que pure vanité. 

Tandis que la crespe jouvence 

La fleur des beaux ans nous produit, 

• 

a. Le dernier vers de Fode a été remplacé par ceux-ci, 
qui se trouvent déjà dans Téd. de i $84 : 

Pour te faire ombre de là bas. 
D'où jamais ne revient le pas? 
Qaelaue chose qu'icy Von die, 
Ci n est qu'horreur que le trespas. 



Deuxiesme Livre. 15) 

Jamais le jeune enfant ne pense 

A la vieillesse qui le suit, 

Ne jamais Thomme heureux n'espère 

De se voir tomber en meschef , 

Sinon alors que la misère 

Déjà luy pend dessus le chef. 

Homme chétif et misérable, 
Pauvre abusé, ne sçais-tu pas 
Que la jeunesse est peu durable, 
Et que la Mort guiae nos pas , 
Et que nostre fangeuse masse 
Si tost s'esvanouyt en rien 
Qu'à grand'peine avons-nous l'espace 
D'apprendre le mal et le bien ? 

Ue tous côtés, la Parque noire, 
Avant le temps sillant nos veux, 
Maugré nous nous envoyé ooire 
Les flots du lac oblivieux ; 
Mesmes les roys, si craints en guerre, 
Despouillez de veines et d'os, 
Comme nous viendront sous la terre, 
Devant le throne de Minos. ^ 

C'est pitié aue de nostre vie : 
Par les eaux 1 avare marchand 
Se voit sa chère ame ravie , 
Le soudart par le fer trenchant; 
Cetuy d'une langueur se mine, 
Et l'autre d'un soin nompareil , 
Et cetui là par la famine 
Perd la lumière du soleil. 

Bref, on ne voit chose qui vive 

Sui vive franche de douleur; 
ais sur tout la race chetive 
Des hommes foisonne en malheur. 
Malheur des hommes est la proye : 
Aussi Phebus ne vouloit pas 
Pour eux, à bon droit, devant Troye, 
Se mettre au danger des combats. 



1J4 Odes. 

Ah! que maudite soit rasnesse(i) 
Qui, las! pour sa soif étancher, 
Au serpent donna la Jeunesse, 
Que garder on devoit tant c!jer, 
Jeunesse que le populaire 
De Jupiter avoit receu 
Pour foyer de n'avoir sceu taire 
Le secret larrecin du feu I 

Dés ce jour devint enlaidie 
Par luy la santé des humains 
De vieillesse et de maladie, 
Des hommes bourreaux inhumains. 
Et dés ce jour il fit entendre 
Le bruit de son foudre nouveau ^ 
Et depuis n'a cessé d'espandre 
Les dons de son mauvais tonneau. 



A GUILLAUME DES AUTELS, 
Poète françois (a). 

Ode XIIL 

Des^Autels, oui redore 
Le langage françois, 
Oy ce vers qui honore 
Mon terroir vendomois. 

1. Nicandre dit que, Jupiter avant donné aux hommes la 
Jeunesse, pour les récompenser de lut avoir févéléie larcin 
de Prométhée, ils la mirent sur une ioesse^ qui la ]<Hssa au 
serpent pour avoir de Teau. 

.2. En 1 5 jo, cette ode commençoit au le quatrain et étoit 
dèdi^ â JuUen Peccate. La jre strophe a été ajoutée dans 
I*éd. de 1584. 



Deuxibsne Livre. 155 

terre fortunée^ 
Des Muses le sejôBr, . 
Qu'en tous ses mois l'année 
Serene d'un beau jour! 

En toy le del non chiche^ 
Prodiguant le bon-henr, 
A de la corne riche 
Renversé tout Phonnenr . 

Deux longs tertres te ceignent 
Qui , de leur flanc hardi ^ 
Les aquilons contraignent 
Et les vents du midi. 

Sur l'un Gastine saincte. 
Mère des demi-dieux. 
Sa teste de verd peinte. 
Envoyé jusqu'aux cieux; 

Et sur l'autre prend vie 
Maint beau cep dont le vin 
Porte bien peu d'envie 
Au vignoble angevin. 

Le Loir, tara à la fuite , 
En soy s'esbanoyant^ 
D'eau lentement conduite 
Tes champs va tournoyant ^ 

Et rend en prez fertile 
Le pays traversé 
Par l'ttumeur qnt distîle 
De son limon versé. 

Bien qu'on n'y vienne querre. 
Par flots injurieux, 
De quelque estrange terre ' 
L'or tant laborieux , 

Et la gemme, pipsch^ . 
En rOricnt sr>ch«r, 
Chez-toy ne soit cherchée ; ' 
Par l'avare nochef) 

L'Inde pourtant ne péiscf '' 
Te veiûcre ; car tes dr«tx» ■■"■■^ 



i$6 Odes. 

D'une autre récompense, 
Te fortunent bien mieux. 

La Justice^ grand'erre 
S'enfuyant d'icy bas, 
Laissa dans notre terre 
Le saint trac de ses pas, 

Et, s'encore à ceste heure 
De l'antique saison 

?uelque vertu demeure, 
il es bien sa maison, {a) 

Bref, quelque part que j'erre, 
Tant le ciel mV soit dous, 
Ce petit coin de terre 
Me rira par-sur tous. 

Là je veux que la Parque 
Trancne mon fatal fil , 
Et m'envoye en la barque 
De perdurabie exil; 

Là te faudra respandre 
Mille larmes parmy 
Les ombres et la cendre 
De Ronsard, ton amy. 

a. Les trois strophes suivantes ne sont que dans l'éd. 
dcijjo: 

Les Muscs honorées , 
Les Muses mon soucy, 
Et les Grâces dorées, 
Y habitent aussi , 

Et les Nymphes natives 
Citoyennes des bois. 
Qui au caquet des rives 
Font accorder leurs voix, 

Chantant de bonne grâce 
Les faits et les honneurs 
De la céleste race 
Des Bourbon^, nos seigneurs. . 



Deuxiesmb Livre. 157 



CONTRE DENISE, 
Sorcière. 

Ode XIV. 

L'inimitié aue je te porte 
Passe celle, tant elle est forte, 
Des a^eaux et des loups, 
Vieille sorcière des-hontée , 
Que les bourreaux ont fouettée , 
Te découpant de coups. 

Tirant après toy une presse 
D'hommes et de femmes espesse, 

Tu monstrois nud le flanc, 
Et monstrois nud parmy la rue 
L'estomach et Tespaule nue. 

Rougissante de sang. 

Mais la peine fut bien petite , 
Si l'on balance ton mérite : 

Le Ciel ne devoit pas 
Pardonner à si lasche teste ; 
Ains il devoit de sa tempeste 

L'accravanter à bas. 

La Terre, mère encor' pleurante 
Des geans la mort violante, 

Bruslez du feu des cieux 
(Te laschant de son ventre à peine). 
T'engendra vieille ^ pour la haine 

Qi^'elle portoit aux dieux. 

Tu sçais que vaut mixtionnée 
La drogue (]ui nous est donnée 
Des pais chaleureux. 



158 Odks. 

Et en quel mois, en quelles heures, 
Les fleurs des femmes sont meilleures 
Au breuvage amoureux. 

Nulle faerbe, soit^elle m^ montagnes, 
Ou soit venimeose aux campagnes, 

Tes yeux sorciers n» mit, . 
Que tu as mille fois coupée 
D'une serpe d'airain courbée, 

Béant contre la nuict. 

Le soir, quand la Liuie fouette 
Ses chevaux par la nùict muette, 

Pleine de rage alors. 
Voilant ta forieuse teste 
De la peau d'une estrange beste. 

Tu t*eslances dehors. 

Au seul souffler de ton haleine. 
Les chiens, effroyez, par la plaine 

Aiguisent leurs abois ; 
Les fleuves contremont reculent; 
Les loups effroyablement huilent 

Après toi par les bois. 

Adonc , par les lieux solitaires 
Et par riiorreur des cimetaires 

Où tu hantes le plus , 
Au son des vers' que tu murmures , 
Les corps pâlies tu dés-emmures 

De leurs tombeaux reclus. 

Vestant de l'un Timage vaine , 
Tu viens donner horreur et peine , 

Apparoissant ainsi 
A la veîVè qui se tourmente , 
Ou à la mère qui lamenté 

Sa fille morte aussi. 

Tu fais que la lune enchantée 
Marche par Tair toute argentée, 
Luy dardant d'icy bas 



Deuxiesme Livre. 1)9 

Telle coulesur «vx joues pâlies 
Que le son de mille cymballes 
Ne divertiroit pas. 

Tu es la frayeur du. Village : 
Chacuft , craignant ton sorcelage , 

Te ferme sa maison , 
Tremblant de peur que tu ne taches 
Ses bœufs , ses moutons et ses vaches , 

Du jus de ta poison. 

J'ay veu souvent ton œil senestre, 
Trois fois regardant de loin paistre 

La guide du troupeau , 
L'ensqrceler de telle sorte 
Que tost après je la vy morte 

Et les vers sur la peau. 

Bien que Médée fut cruelle . 
Tant comme toy ne le fut elle : 

Ses venins ont servy, 
Reverdissant d'E^n Pescorce; 
Au contraire , tu .m'as par force 

Mon beau printemps ravy. 

Dieux 1 si là haut pitié demeure, 
Pour recompense, qu'elle meure, 

Et ses oz diffamez, 
Privez d'honneur de. sépulture, 
Soient des corbeaux coulus pasture 

Et des chiens affamez. 



■Am^»«^4« 



A LA FOREST DE GASTINE. 

. • « ^ 

Ode XV. 

Couché seras. tes ombrages vers, 
Gasttoe^ jft te chante 



66 Odes. 

Autant que les Grecs, par leurs vers, 

La forest d'Erymanthe : 
Car, malin , celer je ne puis 

A la race future • 
De combien obligé Je suis 

A ta belle verdure. 
Toy qui, sous Tabry de tes bois, . 

Ravy d'esprit m'amuses: 
Toy qui fais qu'à toutes les fois 

Me respondent les Muses; 
Toy par qui de l'importun soin 

Tout franc je me délivre , 
Lors qu'en toy je me pers bien loin. 

Parlant avec un livre , 
Tes boccages soient tousjjours pleins 

D'amoureuses brigades 
De Satyres et de Syivains , 

La crainte des NaiadesT 
En toy habite désormais 

Des Muses le collège , 
Et ton bois ne sente jamais 

La flame sacrilège 1 



A.CASSANDRE.. 
Ode XVL 

Ma petite colombelle. 
Ma mignonne toute belle, 
Mon petit œu , baisez-moy ; 
D'une bouche toute pleine 
De baisers chassez la pçine 
De mon amoureux esmoy. 

-Quand je.vous diray : Micnonne. 
Approchez-vous,. qu'on me oonne 



Deuxijssmb Livre. i6i 

Neuf baiser$ tout à h fois. 

Lors ne m'en baillez <jue trois. 
Tels que Diane guerrière 

Les donne à Phebus son frère, 

Et PAurpre à son vieillard; 

Puis reculez vostre bouche, 

Et bien loin, toute farouche. 

Fuyez d*un pied fr^iJlard, 
Comme un taureau par Ja prée 

Court après son amourée, 

Ainsi, tout plein de courroux, 

Je courray fol après vous, 
Et, prise d'une main forte. 

Vous tiendray de telle sorte 

Qu'un ai^le l'oiseau tremblant. 

Lors, faisant de la modeste, 

De me redonner le reste 

Des baisers ferez semblant- 
Mais en vain serez pendante 

Toute à mon col , attendante 

(Tenant un peu l'œil baissé) 

Pardon de m'avoir laissé : 
Car, en lieu de six , adonques 

J'en demanderay plus qu'onques 

Tout le ciel d'estoiles n'eut , 

Plus que d'arène poussée 

Aux bords, quand l'eau courroussée 

Contre les rives s'esmeut. 



Ode XVII (1). 

Pour boire, dessus l'herbe tendre 
Je veux sous un laurier m'estendre. 
Et veux qu'Amour, d'un petit brin 

I. Imité d'Anactépn. (R.) 

Ronsard, — II. ii 



l62 OOBS. 

Ou de lin, ou de chenevîere, 
Trousse au flanc sa robe légère , 
Et my-nud me verse do vin. 

L'incertaine vie de l'homme 
De jour en jour se roule comme 
Aux rives se roulent les flots , 
Et, après nostre heure dernière , 
Rien de nous ne reste en la bière 
Que je ne sçay quels petits os. 

Je ne veux^ selon la coustume, 

Sue d'encens ma tombe on parfume ^ 
y qu'on y verse des odeurs; 
Mais, tandis que je suis en vie, 
J'ay de me parfumer envie 
Et de me couronner de fleurs. 
Corydon. va quérir ma mie. 
Avant que la Parque blesmie 
M 'envoyé aux éternelles nuits, 
Je veux, avec la tasse pleine 
Et avec elle , oster la peine 
De mes misérables ennuis (a). 



A SON LAQUAIS, 
Ode XVIIL 

J'ay l'esprit tout ennuyé 
D'avoir trop estudié 

a. Var. (1J87) : 

De moy-mesme je me veux faire 
L'héritier pour me satisfaire : 
Je ne veux vivre pour autruy. 
Fol le pélican qui se blesse 
Pour les siens, et fol qui se laisse 
Pour les siens travailler d'ennuy. 



DEUXieSMfi LiVRB. l6) 

Les Phénomènes d'Arate : 
il est temps que je m'esbate 
Et que j'aille aux champs jouer. 
' Bons dieux! qui voudrott louer 
Ceux qui, coUez sur un livre, 
N'ont jamais soucy de vivre ? 

Que nous sert Testudier, 
Sinon de nous ennuyer 
Et soing dessus soing accrestre , 
A nous qui serons peut-estre, 
Ou ce matin , ou ce soir, 
Victime de Torque noir, 
De l'orque qui ne pardonne, 
Tant il est aer, à personne? 

Corydon, marche devant; 
Sçache où le bon vin se vend. 
Fais après à ma bouteiUe, 
Des feuilles de quelque treille. 
Un tapon pour la boucher (d). 
Ne m acheté point de chair, 
Car, tant soit-elJe friande , 
L'esté je hay la viande. 

Acheté des abricôs , 
Des pompons, desartichôs. 
Des fraises et de la crème : 
C'est en esté ce que j'aime. 
Quand , sur le bord d'un ruisseau , 
Je les mange au bruit de l'eau, 
Estendu sur le rivage 
Ou dans un antre sauvs^e. 

Ores que je suis dispos , 
Je veux rire sans repos, 

» 

a. Var. {1J87) : 

F(rj refreschir ma bouteille, 
Cerche une fueilleuse treille 
Et des fleurs pour me coucher. 



164 Odes, 

De peur que la maladie 

Un de ces jours ne me die, 

Me happant à l'impourveu : 

« Meurs, gallant : c'est assez beu (a), » 



L'AMOUR MOUILLÉ (>). 
Au sieur Robertet. 

Ode XIX. 

Du malheur de recevoir 
Un estranger sans avoir 
De luy quelque cognoissance 
Tu as fait experiance, 
Menelas, ayant receu 
Paris, dont tu fus deceu; 
Et moy je la viens de faire, 
Las! qui ay voulu retraîre 
Tout soudain un estranger 
Dans ma chambre et le loger. 

Il estoit minuict, et l'ourse 
De son char tournoit la course 
Entre les mains du bouvier, 
Quand le somme vint lier 
D'une chaine sommeillere 
Mes yeux clos sous la paupière. 

Jà, je dormois en mon lit, 
Lors que j'entr'ouy le bruit 

tf. Var. {1587) : 

Je t*ay maintenant veincu. 
Meurs, galland : c'est trop vescu, 

I. Cette ode, d'abord dédiée à Revergat, est imitée d'Ana- 
créon. 



Deuxie^me Livre. 165 

D'un qui frapoit à ma porte, 
Et heurtoit de telle sorte 
Que mon dormir s'en-alia. 
Je demanday : « Qu'est-ce là 
Qui fait à mon huis sa plainte ? 
— Je suis enfant, n'aye crainte », 
Ce me dit-il. Et adonc 
Je luy desserre le gond 
De ma porte verrouillée. 

«c J'ay la chemise mouillée. 
Qui me trempe jusqu'aux oz, 
Ce disoit , car sur le doz 
Toute nuict j'ay eu la pluie; 
Et pour ce je te supplie 
De me conauire à ton feu 
Pour m'aller seicher un peu. » 

Lors je prins sa main numide , 
Et par pitié je le guide 
En ma chamore, et le fis seoir 
Au feu qui restoît du soir; 
Puis, allumant des chandelles. 
Je vy qu'il portoit des ailes , 
Dans la mam un arc turquois , 
Et sous l'aisselle un carquois. 
Adonc en mon coeur [e pense 
Qu'il avoit grande puissance, 
Et qu'il falloit m'apprester 
Pour le faire banqueter. 

Ce-pendant il me regarde 
D'un œil, de l'autre il prend garde 
Si son arc estoit séché; 
Puis , me voyant empesché 
A \\xy faire bonne chère. 
Me tire une flèche amere 
Droict en l'oeil , et qui de là 
Plus bas au cœur dévala , 
Et m'y fit telle ouverture 
Qu'herbe, drogue ny murmure, 



i66 Odes. 

Wj serviroient pins de rien. 
Voila, Robertet, le biea 
(Mon Robertet, qui embrasses 
Les nenf Muses et les Grâces), 
Le bien qui m'est advenu 
Pour loger on incognn. 



ODE XX. 

Si j'aime depuis napiiere 
U ne belle chambrière , 
Je ne suis pas à blasmer 
De si bassement aimer. 
Non, l'amour n'est (>oint vilaine 

Sue maint brave capitaine, 
aint phik>sq)he et maint roy, 
A trouvé digne de soy. 

Hercule^ dont l'honneur vole 
Au ciel, aima bien lole, 
Qui, prisonnière, dontoit 
Celuy qui son maistre estoit. 

Achille, l'efFroydeTroye, 
De Briseïs fut la proye, 
Dont si bien il s'echaufa 
Que, serve, elle en tripnfa. 

Ajax eut pour sa maistresse 
Sa prisonnière Tecraesse, 
Bien qu'il secouast au bras 
Un bouclier à sept rebras. 

Agamemnon se vit prendre 
De sa captive Cassanare, 
Qui sentit plus d'aise au cœur, 
D'éstre veincu que veinqueur. 

Le petit Amour veut estre 
Tousjours des plus grands le maistre , 



Deuxiesme Livre. 167 

Et jamais il n'a esté 
Compagnon de tnajcsté. 

A quoy dirofAt rhistoire 
De Jupiter^ m» tait gloire 
De se vestir d'nn oysem^ 
D'nn satyre et d'un tavean. 

Pour abuser nos le^ielles.^ 
Et^ bien qpe les inuttortelles 
Soient à s^ œm^andeipent, 
Il veut aimer bassenenl. 

Jamais on n'a ^ue tn^tesses 
A servir ces çrana's déesses : 
Qui veut avoir ses esbas, 
iHakut aimer en Ken bas. 

Quant à moy, ^ laisse dire 
Tous ceux oui' venlent mesdire; 
Je ne veux laisser pour eox. 
En bas lieu d'estre amoureux. 



ODE XXI. 

m la ileur qui porte le nom 
'un mois et d'un dieu (0» ny la rose, 
Qui dessus la cuisse d'Adon 
D'une playe (a) se vit esclose; 

Ny les beaux œillets empourprés 
Du. teint de Bellone, ni celle 
Fleurette oui, parmy les prés. 
Dû nom dliyaanthe s'appelle; 



1. U violette de mars. (R.> 

^. De la playè que Venus se feit parroy des espînes ac-., 
conrantà la blessure de son Adonis^ mourant par la jalousie 
de Mars. (R.) 



i6S Odes. 

Ny celle qu'Ajax enfanta, 
De son sang vemMÎ) empourprée , 
Lors que, furieux , il planta 
En son cœur la tro^renne espée; 

Ny celle qui jaimit du teint 
De la fille trop envieuse («>, 
En voyant le Soleil atteint 
D'une autre plus belle amourense ('); 

Ny celle qui , dessur le bord 
D'une belle source azurée. 
Nasquit sur l'herbe après la mort 
De la face trop remirée (?); 

Ny les fleurons que diflàma 
Venus, alors q^ue sa main blanche 
Au milieu dn hs renferma 
D'un grand asne le roide manche (4) ; 

Nv la blanche fleur qui se fist 
Des larmes d'Heleine la belle , 
Ny cellô que Junon blanchist 
Du Larict de sa tendre mammelle. 

Quand , faisant leter le dieu Mars 
Du bout de sa fraize esgoutée, 
Le laict qui s'escouloit espars 
Fit au ciel la voye laictée, 

Ne me plaisent tant que la fleur 
De la douce vigne sacrée, 
Qui de sa nectareuse odeur 
Le nez et le cœur me recrée. 

1. Le souqr, qui est jaune et palle, représentant la ja- 
louse passion de Clytie, de laquelle il est issu , et suit telle- 
ment toute les conversions ârx Soleil , qu'il a son occident 
et son orient avecque luy. (R.) 

2. De Leucothoé. Ovide 4. Metamorph. (R.) 
). Le Narcis. (R ) 

4. Dans les Alezipharmaques, Nicandre dit que ce fleuron 
voulut un jour contester de beauté contre Venus, qui, par 
desph et en vengeance, enferma au milieu tie ses fiieilies la 
vergongne d'un asne. (R.} 



Deuxiesmb Livre. 169 

Quand la Mort me voudra tuer, 
A tout le moins, si je suis digne 
Que les dieux me daignent muer, 
Je le veux estre en fleur de vigne, 

Et m'esbahis qu'Anacreon , 

8 m tant a chery la vendange, 
omme un poète biberon , 
N'en a chanté quelque louange. 



A REMY BELLEAU» 
Poète. 

Ode XXir. . 

Tu es -un trop sec biberon (0 
Pour un tourneur d'Anacreon , 
Belleau. Et quoy ! ceste comète 
Qui naguiere au ciel reluisoît 
Rien que la soif ne predisoit , 
Ou je suis un mauvais prophète. 

Les plus chauds astres etherez 
Ramènent les jours altérez 
En ce mois pour nous faire boire. 
Boy donques : après le trespas. 
Ombre, tu ne boiras là bas 
Que je ne sçay quelle onde noire. 

Mais non, ne boy point, mon Belleau, 
Si tu veux monter au coupeau 
Des Muses : dessus leur montaigne, 
Il vaut trop mieux estudier, 

I . Il se rit de Belleau, qui ne Wt point et qui neantmoins 
se mesle de traduire le plus grand beuveur de poète qui ait 
jamais esté. (R.) 



l-yo OdbS. 

Comme tu fak» que s'«Uier 
De Bacchus et de sa compagne. 

Quand avecques Bacdius on joint 
Venus sans mesure , oo n'a point 
Saine du cerveau la partie. 
Donc, pour corriger son défaut, 
Un vieil pedajgogue il luy faut, 
Un Silène qui le chastie, 

Ou les pucelles dont il fut 
Nourry quand Jupin le receut 
Tout vif de sa mère bruslée : 
Ce furent les nymphes des eaux, 
Car Bacchus gaste nos cerveaux 
Si la nymphe n'y est meslée. 



A JOACHIM DU BELLAY. 

Ode XXIII 0). 

E scoute, du Bellay, ou les Muses ont peur 
De Penfant de Venus, ou Taiment de bon cœur. 
Et tousjours pas à pas accompagnent sa trace; 
Car, si quelqu'un ne veut les Amours desdaigner. 
Toutes à qui mieux-mieux le viennent jenseigner. 
Et sa bouche mielleuse emplissent de leur grâce. 

Mais au brave qui met les Amours à desdain. 
Le desdaignant aussi , l'abandonnent soudain , 
Et plus ne luy font part de leur gentille veine , 
Ains Clion luy défend dé ne se plus trouver 
En leur danse , et jamais ne venir abreuver 
Sa bouche non amante en leur belle fontaine. 

Certes, j'en suis tesmoin, car, quand je veux louer 

1. imité de Bion.(R.} 



Deuxieshe Livre. 171 

Quelque homme ou Quelque dieu, soudain je «m nouer 
La langue à mon palais, et ma gorge se bouche: 
Mais, quand je veu» d'Amour ou escrire ou parler, 
Ha langue se dexnoue, et lors je sens couler 
Ma chanson d'elle-mesme aisément en la bouche. 



Fia du itcond lau its Oies. 



ï7i 




LE TROISÏESME LIVRE 



DES ODES 




AU ROY HENRY II. 

Ode L 

omme on voit la navire attendre bien souvent 
Au premier front du port la conduite du vent 
Afin de voyacer, haussant la voile enflée 

5 Du costé (jue le vent sa poupe aura souflée, 

Ainsi', Prince, je suis sans bouger, attendant 
Que ta fureur royale aille un iour commandant 
A ma nef d'entreprendre un cnemin honorable 
Du costé que ton vent luy sera favorable ; 

Car, si tu es sa guide , elle courra sans peur 
De trouver dessous l'eau quelque rocher trompeur, 
Ou les bans périlleux des sablonneuses rades. 
Ou Faboyante Scylle, ou les deux Symplegaaes, 
Mais, seurement voguant sans crainte d'abysmer, 
Joyeuse, emportera les Muses par la mer. 
Qui . pour Ptionneur de toy, luy monstreront la voye 
D'aller bien loin de France, aux rivages de Troye, 
Et là, sous les monceaux de tant de murs veincus, 
La première trouver le fils d'Hector Francus, 



Troisiesme Livre. 17) 

Et soudain l'junener, sous ta conduite , Sire, 
Enterrer Andromache à la coste d'Epire, 
Et de là , plus avant (échappés des oangers 
Des Greçeois ennemis et des flots estrangers), 
Gaigner Ta mer Euxine et Temboucheure large 
Où Te cornu Danube en la mer se descharge ; 
De là , contre ses eaux costoyant les Gelons, 
Les Goths, les Tomiens, les Getes, les Polons, 
Aborder en Hongrie ,' et là bastir la ville 
De Sicambre au giron d'une plaine fertile. 

Là, quittant la navire à l'abandon des flots, 
Je me mettrois à pied et chargerois mon dos 
De mainte grosse pierre aux compas agencée 
Pour aider à bastir sa ville commencée. 

Mais, quand désja les murs seroient parachevez , 
Et qu'on verroit au ciel les palais eslevez , 
Et quand plus les Troyens s asseureroient à l'heure 
D'avoir là pour jamais arresté leur demeure, 
LasI il faudroit quitter ce bastiment si cher 
Et par destin ailleurs autres maisons chercher. 
Gérés, vindicative , à grand tort courroussée 
Gontre eux d'avoir sans feu sa chapelle laissée , 
Gasteroit la campagne , et d'un cœur despité 
Une peste espandroit par toute la cité. 

Alors du père Hector la ressemblance pâle 
(La nuict , par le congé de la royne infernale) 
Prendroit à l'impourveu et la bouche, et les yeux, 
Et la voix d' Amyntor, grand augure des dieux , 
Et admonesteroit son enfant d'aller querre 
Dessus les bords de Seine autre nouvelle terre. 
Et que là , pour l'honneur de son oncle Paris, 
Bastiroit à jamais la ville de Paris, 
Ville que ses neveux et sa troyenne race 
Tiendroient de main en main pour leur royale place. 

Il me semble déjà que i'oy ae toutes pars 
Déloger ton Francus, et la voix des soldars. 
Et le hennissement des chevaux , et la tourbe 
Des vieux pères laissez sur~le rivage courbe. 



i74 OoES. 

Et le cry àe% enfans, et les pleurs soucieux 
Des femmes, envoyer un bruit jusques aux deux. 

Mais, pour cela, Francus ne cède i la fortune, 
Ains de çà et de là son peuple il importune 
De vestir le harnois, et, haut apparoissant 
Entre tous ses soudards, comme un grand pin croissant 
Sur les menus cyprès, saccage la campagne 
Et deffie au combat les princes ^'Allemagne. 

Les champs de Franconie en armes il passa , 
Et son nom pour jamais à la terre il laissa. 
Passa le Rhin gaulois, la Moselle et la Meuse, 
Et vint planter son camp dessus la rive herbeuse 
Et de Somme et de Marne , et de là , côtoyant 
Plus bas le gauche flanc de Seine tournoyant, 
Fonda dedans une isle, au milieu d'une plaine, 
La ville de Paris, qui pour lors n'estoit oléine 
Que de buissons et d'herbe, et ses granas palais d'or. 
Comme ils font aujourd'huy, n'y reluisoient encor. 

Tous les roys habitans en la gauloise terre, 
Si tost quil arriva , luy mandèrent la guerre / 
Et qu'ils seroient honteux qu'un étranger banny 
Se remparast ainsi d'un tel païs earny 
D'hommes et de chevaux qui , plustost que tempeste, 
Un orage ferré verseroient sur sa teste. 

Mais luy, qui resembloit son père courageux , 
Ne pouvant endurer leurs propos outrageux , 
Premier les assaillit et leur donna la fiiite , 
Ayant pris à Beauvais Bavo(i) pour sa conduite. 

Presques un an entier contre eux tl batailla. 
Et mille fois en proye à la mort se bailla. 
Tant il y eut de peine, ains que Frâncus en France 

I. Nom peut-estre du fondateur de la ville de Beauvais, 
I>ar imitation de Virgile , qui , dans son Enéide , fait men- 
tion, à la traverse, du nom des fondateurs de quelques villes 
d'Italie, comme du nom de Capys, à cause de Capouê; dé 
Privemum , de Salmon et autres , qu'il employé aux princi- 
pales actions de son Enée. (R.) 



Troisibsme Livre. 175 

Semast 4e tes ayeuic la première naissance. 

De ce vaillant Francus les faits je chanterois, 
Et près de ses vertns les vertus je mettrois 
Des roys issus de luy, qui jusqu aut Pyrénées 
Et jusqu'aux bords du Rhin les Gaules ont botnéés, 
Et , braves, se sont faits, par Teffort de leurs mains, 
De tributaires francs des empereurs romains. 

Après, de père en fils, par une mesme trace , 
J.e viendrois aux Valois, les tiges de ta race ; 
Mais quand, remply d'ardeur, je chanterpis de tôy, 
Un esprit plus qu'humain me raviroit de moy. 
Et rien, nen que Phebus et sa fureur divine , 
Ne pourroit respirer ma bouillante poitrine ; 
Je m'irois abreuver es ruisseaux pegasins^ 
Et, m'endormant à.part dans leurs antres -voisins, 
Je songerois comment les Françoises Charités, 
Hautes, égaleroient mes vers à tes mérites, 
Et peut-estre qu'un jour je te dirois si bien 
Que rbonneiff d'un Achi/le atifoit envie au tien. 
En vain,, certes^ en vain les princes se travaillent, 
En vain pour gloire avoir Tun-à l'autre bataillent, 
Si , après cinquante ans, ^auèez de lettr renom , 
Le peuple ne sçait point s'ilis ont vescu ou non. 

Ce nW rien (mon srind roy) d'avoir Bouk)ngne(0 
D'avoir jusques au Rhin l'Allemagne Conquise [prise, 
[D'avoir Metz , flqinviUier, Yvoir , Parme , Sienne , 
Et cette ilè qui jpint la mer sicilienne]. 
Si la Muse te fuit, et d'un vers solennel 
Ne te fait d'âge en âge aux peuples éternel. 
Les palais, .les citez, l'or, l'argent et te cuivre 
Ne font les puissàns roys, sans les Muses , revivre ; 
Sans les Muses deux fois les roys ne vivent pas , 
Ains despouillez d'honneur se lamentent là bas 
Aux rives d'Acheron; seulement ceste gloire 



I. ville frontière et maritime, tenue en fief de la Vierge 
Marie par nos roys depuis le roy Loys XI, occupée par Vkn- 
glois et rendue par la paix de l'an i $ $0. (R.) 



176 Odes. 

Est de Dieu concédée aux filles que Mémoire 
Conceut de Jupiter, pour la donner à ceux 
Qui attirent par dons les poètes chez eux. 
Tout le riche butin , toute la belle pr03re 
Qjie les deux frères Grecs avoient conquise i Troye , 
Est perie aujourd'huy, et ne cognoistroit-on 
Achille ny Patrocle, Ajax n'Agamemnon , 
Ny Rhese, ny Glaucus, ny Hector, ny Troïlc, 
Et tant de gens vaillans perdus devant la ville 
Seroient , comme de corps , de gloire devestus , 
Si la muse d'Homère eust celé leurs vertus ; 
Ainsi que vignerons qui ont es mains Pempoule 
A force de bêcher, seroient parmy la foule 
Des esprits incogneus , et leur vertu qui luit 
Seroit ensevelie en l'éternelle nuit. 

Donques , pour engarder que la Parque cruelle 
Sans nom t'ensevelisse en la nuict éternelle ^ 
Tousjours ne faut avoir à gage des maçons 
Pour transformer par art une roche en maisons , 
Et tousjours n'acheter, avecques la main pleine , 
Ou la medalle morte ou la peinture vaine; 
Mais il faut par bien-faits et par caresse d'yeux 
Tirer en ta maison les ministres des dieux , 
Les poètes sacrez , qui , par leur escriture , 
Te rendront plus vivant que maison ny peinture. 

Entre lesquels (mon Roy) de si peu que je puis , 
Ton dévot serviteur dés enfance je suis , 
Comme le nourrisson de ta cranaeur prospère , 
Qui seule .m'a nourry, mes frères et mon père. 
Pour toy (mon Roy) pour toy hardv j'entreprendrois 
De faire en armes teste à la fureur aes rois, 
Et de ravir des poings à Jupiter la foudre; 
Pour toy seul je mettrois dedans les yeux la poudre 
A tous mes devanciers , s'il piaist à ta grandeur 
(Si digne au-moins j'en suis) de me faire tant d'heur 

8u'un jour me commander, d'un seul clin, que je face 
!a Franciade tienne , où la troyenne race 
De Francus ton ancestre , où les faicts glorieux 



Troisiesme Livre. 177 

De tant de vaillans roys qui furent tes ayeux , 
Où mesmes tes vertus y luiront evidantes 
Comme luisent au ciel les estoiles ardantes , 
Sortant de Pocéan. Là donques, mon grand Roy, 
En me la commandant, libéral, donne-moy 
Ce que tu m'as promis , et pour la recompense 
Je t'appreste un renom , et à toute la France, 

?ui vit de siècle en siècle à jamais volera , 
ànt qu'en France françois ton peuple parlera. 



A LA ROYNE CATHERINE DE MEDICIS, 

Mère du Roy, . 

Ode II. 

Mère des dieux ancrenne, 
Berecynthe phrygienne, 
A qui cent prestres ridez 
Font, avecques cent Menades, 
Au son du buis , des gambades , 
Sur les hauts sommets Idés, 

Laisse , laisse ta couronne 
Que mainte tour environne , 
ËTton mystère orgien, 
Et plus à ton char n'attache 
Tes fiers lions , et te cache 
Dans ton antre phrygien. 

Une autre mère nouvelle, 
Une autre mère Cy belle. 
Nous est transmise des cieux , 
Qui, plus que toy bien-heureuse, 
Se voit mère plantureuse 
D'un plus grand nombre de dieux. ^ 
Ronsard. — II. 12 



ijS Odes. 

Innon en pompe si grande 
Ne fend la céleste bande 
Qui luv courbe les genoux, 
Quana elle , grave matrone , 
Se va seoir auprès du throne 
De son frère , son espoux , 

Comme toy, Junon de France, 
Grave en royale apparance , 
Fends la tourbe des François, 
T'allant seoir à la main destre 
De ton espoux, nostre maistre. 
Le meilleur de tons tes rois; 

Duquel , après mainte année , 
Tu conceus par destinée 
Une abondance d'enfants 
Qui diviseront le monde , 
Et de sa grand masse ronde 
Seront les rois triomphants (a). 

[Mais d'autant que plus d'affaire 
Et plus d'ans tu mis à faire 
L'enfant que premier tu feis, 
Pour le delay de ton estre. 
D'autant plus grand il doibt estre 
Que le reste de tels fils.l 

Car, comme Alcide diffère 
De prouesses à son frère , 
Conceu par trois nuicts de temps , 
L'aisné prendra d'avantage 
Que ses puisnez de courage , 
Qui mit a naistre sept ans. 

Tout aussi tost que Ludne 
Enst fortuné ta gesine, 

a, Yar.(i587): 

(Les deux à tes vœux oaverts) 
Des fils héritiers du monde. 
Qui d'une rau féconde 
Peupleront cet univers. 



Troisibske Livre. 479 

Et que Fenfant nouveau-aé 
De sa douce voix première 
Eust salué la lumière 
Dujour à chac^n donné . 

Tu n'as pas, coaune nst Rhée, 
A la pierre dévorée 
Le corps de ton fils changé , 
De peur aue ne le perdisses. 
Et le perdant ne le visses 
Par un Saturne mangé; 

Et ne Tas porté secrette, 
Dedans un antre de Crète, 
Afin qu'il vesquit deiniel, 
Afin aussi que sa lèvre 
Suçast le laict de la chèvre 
Que depuis il mit au cieL 

iSX que les'Cretois genoarraes 
S'entrechoquans de leurs armes, 
En dansant fissent un son 
Parmy Tantre solitaire, 
Pour engarder quç le père 
N'entr'ouist son enfançon. 

Mais tu Tas, Royne très-sage , 
Porté dés son premier âge , 
Non à Nede , non aussi 
Aux campagnes dicteennes , 
Non aux nymphes meliennes, 
Pour en prendre le souci , 

Mais à Durfé , qui radresse 
Les fautes de sa jeunesse 
Par un art industrieux. 
Et, comme en la cire tendre, 
En cent façons luy fait prendre 
Les vertus de ses ayeux. 

Ores une ombre il exerce 
D'une bataille diverse , 
Et , tenant le fer en main , 
Les siens au combat il serre, 



i8o Odb&. 

Et brave esmeut dlune guerre 
La figure faite en vain; 

Ores les chevaux il- doifte ^ 
Et leur brutesse W surmonte 
Par iM doux commandement ; 
Ores dontez il les guide , 
Et leur attache à la bride 
Un humain entendement; 

Ores sa voix il façonne, 
Et de ses doigts le luth sonne , 
Doigts qui tost doivent darder 
Les armes de telle sorte, 

Sue TEspagne , tant soit forte , 
e les pourra retarder. 

Mais cela ne \t destourne 
Qu*à son Diirfé ne retourne 
Ouyr ses mots fructueux : 
Ainsi Tenfançôn Achille 
Escoutoit la voix utile 
Du centaure vertueux , 

Après aue Thetis la belle 
Eut Drusle la peau mortelle , 
Et que, dedans son giron 
L'enlevant de Peau salée , 
L*eut, sans le sceu de Pelée,- 
Mis en Tantre de Chiron. 

Mais laissons ce Peleïde 
Et sa mère Nereîde , 
Chiron et Tantre Pholois, 
Et ces histoires estranges, 
Et redisons les louanges 
Du divin sang de Valois. 

Oy donque , Royne , et t'amuse 
Toracle de ma muse 
Qui va chanter tes honneurs , 
Et de tes enfans nos princes , 
Et de combien de provinces 
Le Ciel les fera seigneurs. 



Troisiesme Livre. i8i 



AU ROY DAUPHIN FRANÇOIS II, 

Depuis Toy de France. 

Ode m. 

f^ ue pourroy-je , moy François , 
^^^Mieux célébrer que la France , 
Le pays à qui je dois 
Le Don-heur de ma naissance? 
Et comme oublirov-je aussi , 
En le célébrant , la race 
De son Roy, qui tient icy 
Après Dieu la plus grand place ? 

Que me vauaroit de chanter 
Ces vieilles fables passées 
Qui ne servent qu'a tenter 
L esprit de vaines pensées? 
Qui est celuy qui n'a sceu 
• De Pelops Tardante flame. 
Le traistre Œnomas deceu 
Et les nopces d'Hippodame? 

Ores je veux esprouver 
Autre fable plus nouvelle 

Sue ces vieilles, pour trouver 
ne autre gloire plus belle 
Qui déjà se donne à moy, 
Si jusqu'aux pays estranges 
Du fils aisné de mon Roy 
Je veux pousser les louanges. 

Mais moy, qui suis coustumier : 
Brouiller mes vers à la mode 
De Pindar', de qui premier 
Commenceray-je mon Ode ? 



i8z Odes. 

Commenccray-jc à Tcnfant , 
Oa par tes faicts de sod père. 
Ou par le nom triomphant 
De sa tante on de sa mère? 

J'oy Jupiter qui défend 
Ne commencer par le père. 
Par ta tante ou par Tenfant ^ 
Mais par le nom de sa mère. 
Donc, puis qu'un Dieu me défend 
De commencer par le père, 
Les vers qui sont à Fenfant 
Commenceront par Fa mère; 

Laquelle, dés quatorxe ans, 
Portoit au bois la sagette, 
La robe et les arcs duisans 
Aux pucelles de Taygctte; 
Son poil as vent s'esbatoit 
D'une ondoyante secousse. 
Et sur le flanc luy battoit 
Tousjours la trompe et la trousse. 

Tousjours dés l'aube du jour 
Alloit aux forests en queste , 
Ou de reths tout à Tentour 
Cemoit le trac d'une beste ; 
Ou prenoît les cerfs au cours , 
Ou, par le pendant des roches^ 
Sans chiens assailloit les ours 
Et les sangliers aux dents croches. 

Un jour, pour avoir chassé 
Long temps un sangHer sauvage. 
Reposa son corps lassè 
Dessus les fleurs d^un rivage : 
Elle pend son arc turquois. 
Recoiffe sa tresse blonde , 
Met pour chevet son carquois, 
Puis s'endort au bruit de l'onde^ 

Les souspirs qui repoussoîent 
Du sein la lumelle pomme , 



Troisiesme Livre. 183 

Et ses ycBX qui languissoient 
En la paresse du somme, 
Les Amours qui éventoient 
La sommeillante poitrine, 
De plus en plus augmeûtoient 
Les glaces et Catherine. 

Jupiter la vid des cieux 
(Mais est-il rien ou'il ne voye?). 
Puis d'un soin amoitieux 
Souhaita si douce proye ; 
Car amour, qui s'ecouloit 
Venimeux en ses mouelles, - 
Ses os congnens luy bruloit 
De mille dames nouvelles. 

Adottc luy, sentant là haut 
Au cœur Famoureuse playe. 
C'est ores, dit-il, qu'il faut 
Que pour me guaru* j'essaye 
D'aller voir celle là bas 
Qui tient ma liberté prise; 
Ma Junon ne sçaura pas 
Pour ce coup mon entreprise. 

A grand^ peine avoit-u dit, 
Qu'ardant d approcher s'amie, 
De son throne descendit 
Près de la nymphe endormie; 
Et, comme un dieu qui sentoit 
D'amour la poignante rage , 
A la force s apprestoit 
De ravir son pucelage. 

Mais Anie(i), qui Tentre-vit, 
Poussant Tean de ses espaules, 
Hors des flots la teste mit. 
Ceinte de joncs et de saules ; 
Et, destournant ses cheveux 
Qui flotoient déviant sa bouche , 

I. L'Amo, fleuve qui passe à Florence. 



]84 Odes. 

Défend au prince amoureux 
Qu'à la pucelle il ne touche. 

a Si tu n'as désir de voir, 
Dit le Fleuve, ta puissance 
Serve dessous le pouvoir 
Du fils qui prendroit naissance 
De ceste nymphe et de toy, 
Et si tousjours tu veux estre 
Des dieux le père et le roy. 
Sans attendre un plus grana maistre , 

« Cesse, cesse ae tenter 
Faire ceste vierge mère , 
Qui doit un jour enfanter 
Uu fils plus grand que son père. 
Fils qui donnera ses loix , 
Soit en paix ou soit en guerre, 
Aux tourbes des autres rois. 
Qui sous luy tiendront la terre. 

«Un prince en Gaule est nourry, 
Né de semence royale , 
Qui doit estre son mary, 
ETle sa femme loyale; 
D'elle et de luy sortira 
Ce fils héritier de France 
Qui ciel et terre emplira 
Des prouesses de sa lance. 

a Les Parques au front ridé, 
D'Erebe et de la Nuict nées. 
Ont main à main dévidé 
L'arrest de ses destinées. » 
A tant le Fleuve plongea 
Au plus creux de l'eau sa teste , 
Et I amoureux deslogea , 
Fraudé de sa douce queste. 

Après le terme parfait 
Preait par la voix divine , 
Le mariage Tut fait 
De ceste Nymphe divine. 



Troisiesme Livre. 185 

Sept ans peurent s'absenter 
Ains qu'elle fust accouchée 
Du fils dont je vay chanter 
La louange non touchée. 

Escoute un peu, fils aisné , 
Honneur de France et d'Itale, 
Le bien qui t'est destiné 
Par ordonnance fatale : 
Quand ja ton père sera 
Las de mener les gendarmes. 
Que vieillard il cessera 
D^effroyer le monde en armes y 

Adonc vaillant tu tiendras 
Sous luy d'Europe la bride , 
Et sous luy tu serviras 
A ses genaarmes de guide , 
Et, ensemble fort et nn 
En mainte ruse guerrière. 
Humble , tu mettras à fin 
Les mandemens de ton père; 

Et, s'il reste qiuelque roy 
Qu'il n'ait eu loisir de prendre , 
Fait esclave dessous toy, 
François tu le feras rendre. 
Tu penseras en ton cœur 
D'acquérir l'Europe encore , 
Et de te faire vainqueur 
Des Gades jusqu'au Bosphore. 

Ces grands peuples reculez 
A l'escart de nostre monde, 
Des flots de Tethys salez 
Couronnez tout à la ronde , 
Et ceux qu'on void habiter 
Les Orcades escossoises, 
N'auront cœur de résister 
Contre tes armes françoises. 

Les grands doistres Pyrenez > 
Dévoyez en mille entorses, 



i86 Odes. 

De tes soudars obstinez 
Ne pourront tromper les forces, 
Ny les grands citez ton feu, 
Que toy, pillant les campagnes 
En armes , tu ne sois veu 
Le monaraue des Espagnes. 

Ny les Alpes au grandiront, 
Ny rAppenin, qui divise 
L'Italie, ne pourront 
Retarder ton entreprise , 
Lors Que, traînant avec toy 
Tant ae légions fidelles, 
Tu ne te couronnes roy 
Des Itales maternelles. 

De là tirant plus avant 
Vers TAllemagne terrible , 
De la part où plus le vent 
D'aquilon se montre horrible , 
Tu donteras les Gelons 
Et ceste froide partie 
Que possèdent les Polons, 
Les Gots et ceux de Scythie. 

Poussant outre, tu prendras 
La Thrace , et par ta prouesse 
Tes bornes tu planteras 
Jus(]u'au destroit de la Grèce; 
Puis en France retourné , 
Dans Paris , ta grande ville , 
Tu triompheras orné • 
De sa despouille servile. 

Ton père , déjà chenu 
D'avoir trop mis la cuirace , 
D'un grand aise détenu , 
Fera rajeunir sa face , 
Et, dessus son throne assis, 
Sentira mille liesses 
D'estre père d'un tel fils 
Héritier de ses prouesses. 



Troisiesme Livre. 187 

Ainsi qu'à Rome César 
Triomphant d'une victoire , 
Hsy^t t'assoiras dans an char 
Dessus un siège d'yvoire ; 
Deux coursiers blancs henniront 
D'une longue voix aiguë , 
Qui ton beau char traîneront 
En triomphe par la rue. 

Tes cheveux seront liez 
De palme torse en couronne, 
Et bas seront sous tes piez 
Les ferremens de Beiionne; 
Le ciel y qui s'esbahira 
De voir pour toi si grand' choses ^^ ■ 
Prodigue, te remplira 
Le sein de Hz et de roses. 

Là. francs de peur^ tes soudars^^ 
Marchans au son des trompettes^ 
Te ru'ront de toutes pars 
Mille joyeuses sornettes, 
Et, parez de lauriers verds^ 
Diront aux tourbes pressées 
Les maux qu'ils auront soufferts 
En tant de guerres passées. 

Tout le peuple 16 crira , 
Rien qu'IÔ par l'assemblée 
Le peuple ne redira 
D'une }oye redoublée; 
Le menestner resonnant , 
Des chantres la douce presse. 
Autres mots n'iront sonnant 
Que cette voix d'allégresse. 

En ordre les roys vaincus 
Iront en diverse mine , 
Trainez dessus leurs escu^^ 
Devant ta pompe divine; 
Les uns auront les yeux bas » 
Les autres, levant les faces > 



i88 Odes. 

A leur mal ne songeant pas, 
Remascheront des menaces. 

Les uns au col secouront 
Les liens d'une chaisne orde, 
Les autres les bras auront 
Serrez au dos d'une corde; 
Aux autres, selon les faits 
De leurs fautes desloyales , 
Divers tourments seront faits 
A leurs misères royales. 

Là seront peints les chasteaux , 
Les ports et les villes prises , 
Les grands forets et les eaux. 
Et les montaignes conquises; 
Le vieil Apennin sera 
Portrait d une face morne , 
Le Rhin vaincu cachera 
Parmy les roseaux sa corne. 

Devant ton char bien-tournant 
Marchera la Renommée , 
Qui ton bruit ira cornant 
De sa trompette animée ; 
Et moy, qui me planteray 
Devant ses pieds pour escorte y 
Comme elle je chanteray 
Ta louange en telle sorte : 

a Prince bien-aimé des dieux, 
Antique race de Troye, 
Sous qui la faveur des cieux 
Toute Europe a mise en proye , 
Triomphe^ et voy ta cité 
Qui devotieuse appreste 
A ta jeune deité 
Une solennelle feste. 

a Bien que tes frères et toy 
La terre ayez départie , 
Et qu'aisné tu ne sois Toy 
Que de la moindre partie. 



Troisiesme Livre. 189 

Le Ciel pourtant a voulu 
Que sur toutes tu la prinsses , 
Et la prenant t'a esleu 
Le seigneur des autres princes. 

« Ils ont choisi pour leurs pars , 
L'un les parfums d'Arabie , 
L'autre les sablons épars 
De la bouillante Libye ; 
Mais tu as , Roy plus heureux , 
Choisi les terres fertiles , 
Pleines d'hommes valeureux. 
Pleines de ports et de villes. 

a Celuy qui peut raconter 
Tes entreprises fameuses , 
Celuy peut les flots conter 
De nos rives escumeuses ; 
Car bien peu ^ bien peu s'en faut , 
Que ta Majesté royale 
De Jupiter de là haut 
L'autre Majesté n'égale. ', ' 

« Jamais à chanter toii los^ 
Je n'aurav la bouche close, 
Fussé-je là bas enclos 
Aux lieux oîi la Mort repose ; 
Tou6Jours je diray ton nom , 
Et mon ame vagabonde 
Rien ne chantera sinon 
Tes louanges par le monde.» 

Ainsi dirav-je , et ta main 
Jusqu'au palais honorable 
Conduira tousiours le frain 
De ton haut cnar vénérable. 
Là , t'assoyant au milieu 
Sur des marches eslevées , 
Tu rendras grâces à Dieu 
Pour tes guerres achevées. 

Puis , ayant de toutes pars 
Fermé de cent chaisnes fortes 



1^0 Odes. 

De l'ouvert temple de Mars 
L'horrible acier de cent portes , 
Tu feras égal aux Dieux 
Ton règne , et par ta contrée 
Fleurir la paix, et des cieux 
Revenir la belle Astrée. 



A Mgr CHARLES DUC D'ORLEANS, 
Depuis roy de France. 

Ode IV. 

Prince, tu porte le nom 
De renom 
Du prince qui fiit mon maistre((]} 
De Charles, en qui les Dieux 

Tout leur mieux 
Pour chef-d'œuvre firent naistre. 

Naguiere il fut comme toy 

Fils de roy, 
Ton grand-pere fut son père, 
Et Henry le tres-chrestien , 

Père tien , 
L'avoit eu pour second frère. 

A peine un poil blondelet (>), 
Nouvelet, 

1 . Il entend le fils puisné du roy Françoys I, auquel il fut 
baillé page, et demeura cinq ans avecque luy. (R.) 

2. A rage de vingt et deux ans. (R.) 



Troisiesme Livre. 191 

Autour de sa bouche tendre 
A se frizer commençoit, 

Qu'il pensoit 
De César estre le ^endre(i). 

Ja, brave, se promettoit 

Qu'il estoit 
Duc des lombardes caiiipajB[nes , 
Et qu'il verroit quelquefois 

Ses fils rois 
De ritale et des Espagnes. 

Mais la Mort, qui le tua (z), 

Luy mua 
Son espouse en une pierre; 
Et, pour tout l'heur qu'il conceut, 

Ne receut 
Qu'à peine six pieds de terre. . 

Comme on void, au poinct du jour, ^ 

Tout autour 
Rougir la rose espanie, 
Et puis on la void au soir 

Se déchoir 
A terre toute fanie; 

Ou comme un lis trop lavé, 

Aggravé 
D'une pluyeuse tempeste. 
Ou trop fort du chaud atteint, 

Perdre teint 
Et languir à basse teste : 

Ainsi ton oncle, en naissant, 
Périssant 



f . Espouser la fille de Pempereur Charles V. Et la paix de 
Tan 1544 fut faite à ceste condition de mariage dans deux 
ans , et qu'il auroit la duché de Milan ou la comté de Flan- 
dres. (R.) 

2. D^ttiie fièvre, âgé de 3 ) ans, le 4 de septembre 1 541 . (R.) 



192 Odes. 

Fut veu presque en mesme espace , 
Et , comme fleur du printemps , 

En un temps 
Perdit la vie et la grâce. 

Si, pour estre nay d'ayeux 

Dcmy-dieux, 
Si , pour estre fort et juste , 
Les princes ne mouroient pas , 

Le trespas 
Devoit espargner Auguste. 

[Jupiter et ce Romain , , 

De leur main, 
Départirent tout le monde; 
A 1 un en part le ciel vint , 

L'autre print 
Pour sa part h terre et Tonde. ] 

Si ne vainquit-il l'effort 

De la Mort , 
Par qui tous vaincus nous sommes 
Car aussi bien elle prend 

Le plus grand 
Que le plus petit des hommes. 

[La Mort, frappant de son dard, 

N'a égard 
A la majesté royale ; 
Les empereurs aux bouviers , 

Aux leviers 
Les grands sceptres elfe égalé.] 

Et le Nocher importun 

Un chacun 
Presse en sa nacelle courbe, 
Et sans honneur à la fois, 

Met les rois 
Pesle-mesle avec la tourbe. 

Mais or' je reviens à toy, 
Fils de roy, 



Troisieshe Livre. 

Petit neveu de 'nukt.maistre y 
De Charles en •(ml les Dieux . 

Tout ieiir;raieax 
Pour cheM^œuvre: firent nsôstre. 

Comme un bel astre luisant, 

Conduisant 
Au ciel sa voye cognue, 
Se cache sous TOcean 

Demy an . 
Avec Tethys la chenue, 

Puis, ayant iavé:sûn chef, 

Derechef . 
Remonstlie ça^face claire , 
Et, plus beauqû'auparayant, 

S'eslevant 
Sur nostre hortson^esclaire. 

Ainsi ton onde, enimoarant, 

Demeurant . 
Sous la terres quelque anaée , 
De rechef estineteumé, 

Danstby.né, 
Sous meilleure destinée. 

Il s'est voilé de tdn corps. 

Saillant Jiocs^ :.. 
De la fosse tesebieuse^ 
Pour vivre emtioyodanbkment 

Longuement 
D'une vie plus .heureuse : 

Car le Destin, qui tout peut, 

..Nie;tç,Y)ÇUt; 
Comme à luy, tricher la vie, 
Ains que voir par les vertus 

...Abfaatos 
Sous toy.les rojfs de TAsie. 

Dieu,, quivoid tout delà-haut 
Ce qu'il faut V 
Ronsard, — II. i| 



m 



ï94 ' Odes. 

Aux personnes iournalieres , 
A party ce monde espars 
En trois parts , 
Pour toy seul et pour tes frères. 

Ton premier aisné François (») 

Sous ses loix 
Recira l'Europe sienne; • 
D'Afriq* sera couronné 

Ton puisné («), 
Toy de la terre asienne : 

Car, quand Page homme parfaict 

T*aura fait 
(Comme Jason fit en Grèce) (?) 
Tu triVas les plus vaillans 

Bataillans 
De la françoise jeunesse; 

Puis, mettant la voile au vent, 

Ensuyvant 
De Brenne l'antique trace (4)^ 
Tu iras (couvrant les eaux 

De vaisseaux) 
En l'Asie prendre place. 

Là, dés le premier abort, 

Sur le port, 
A cent roys tu feras teste, 
Et, captifis dessous tes bras, 

Tu prendras 
Leurs terres pour ta conqaeste. 

1. Second, qui depui^fut roy. (R.) . 

2. Le duc d'Alençon, pour lequel est Tode qui suit. (R.) 
). Quand il assen^la des Argonautes pour'Ventrepnse de 

la Toison. (R.) 




que 

ver, 

cent cinquante mille* hommes de pied et vingt mille chevaux, 

paiM en Asie et ruina le temple de Delphes. (R.) 



Troisiesme Livre. 195 

Ceux qui sont sous le réveil 

Du soleil, 
Ceux qui habitent Niphate, 
Ceux qui vont, d'un bœuf suant. 

Remuant 
Les gras rivages d'Euphrate; 

Ceux qui boivent dans le sein 

Du Jourdain 
De Teau tant de fois courbée, 
Et tout ce peuple. odorant 

Demeurant^ 
Aux sablons de la Sabée; 

Ceux qui ont, en bataillant. 
L'arc vaillant, 

guand ils sont tournez derrière, 
t ceux qui, toutes saisons, 
Leurs maisons 
Roulent sur une civière; 

Ceux qui, d'un acier mordant, 

Vont tondant 
De Gange les doux rivages, 
Et ceux qui hantent auprès 

Les forêts 
Des vieux Arcades sauvages (a); 

Ceux qui vont, en labourant. 

Déterrant 
Tant d'os es champs de Sigée, 
Et ceux qui plantez se sont 

Sur le front 
D'Hellesponte et de l'Egée. 

tf. var. (1J87): 

La terrer aux tigres nourrice. 
Et ceux dont les chesaes vprs 

Sont couverts 
De soye sans artifice; 



196 Odes* 

De ces peuples^ bien que forts. 

Tes efforts 
Rendront la hrct périe, 
Et, ^âiHSo^i Vobéiroht 

Et seront 
Vassaux de-ta sçignenne. 

A ce grand-pritice theibam 

(Dont la main' 
Print les. Indes admi^aUes). . 
E£pil roy tu te feras^, 

Et auras- > • . 
Sans plus lesmioearixlisseniblables : 

Car, si tost qu'il les défit; 

11 leur fit 
Sentir sa idneose rage; 
Et de ses (cns orgieux.. 

Furieux , . 
Leur tenipesta;lecourage4 

De peauit il les «ntôuma , 

Il orna. .: 
De pampre leur -folle teste. 
Et, trépignant ;an iuAim:^ . 

Ce fol diett • 

Forsendt.apçè&safeste. 

Mais toy. Prince lAieux instnût. 

En qui luit . . 
Des vertus i*anti|uc: Teste, 
Chrestien, leur feras'^voo' 

Le devoir .: A 
D'une autre \qyi^\vÀ odesbt. 

Brisant les idoles feints 

De tes mains. 
De leurs dieite' tu <»éràs' mai^re^ 
Et, ruant léui^tëmptes bas. 

Tu ferîfe •. ' . 
La loy de Jésus renaistre, > 



Troisiesmb Livre. 197 

Puis, estant de tout costé 

Redouté , 
Par ta fortune prQ$pere, 
Iras au bout /iu levaul, 

EslevjWt o ; . 
Cent colosses ià ton piere. 



A MONSEIGNEUR D'ANGOULESME («)• 

Ode V. 

Tov qui chantes Thonneur des rois, * 
Poljmnie, ma douce Muse, 
Ce dernier labeur de mes dois 
Ta lyre d*or ne me rcfcse. 

J'ay souvenance que tes mains, 
Jeune garçon , me couronnèrent 
Quand j'«u masché les lauriers saints 
Que tes compagnes me donnèrent 

[Alors qu'amoureux de tes yeux 
Tu me donnas ta douce lyre 
Pour y chanter jusques aux cieux 
D^Amour le bien et le martyre]. 

Mais or', par le commandement 
Du roy, ta lyre j'abandonne 
Pour entonner plus hautement 
La grand' trompette de Bellonite. 

Toutefois, ains aue dé tenter 
L'instrument de telle guerrière, 
Fais qu'encor je puisse chanter 
Pour adieu ceste ode dernière, 

1 . Henrv III, alors duc d'Angoulesme, depuis duc d'Alen- 
çon et roi oe France et de Pologne. 



198 Odes. 

Et que j'aitte en tes boîs penser 
Aux honneurs du fils de mon maistre. 
Pour ses louang[es commenGer 
Dis le premier jour de son estre. 

La nuict que ce prince nouveau 
De nos dieux augmenta la trope, 
On vid autour de son berceau 
Se battre TAfrique et l'Europe. 

L'Afrique avoit le ooit retors 
A la moresque crespeiée , 
Les lèvres grosses aux deux bords ,. 
Les yeux noirs, la f^ce halée. 

Son habit sembloit s'allonger 
Depuis les colonnes d'Espaigne 
Jusqu'au bord du fleuve estranger 
Qui de ses eaux TEgypte baigne. 

En son habit estoient gravez 
Maint serpent, maint lion sauvage, 
Maint trac de sablons eslevez 
Autour de son bouillant rivage. 

L'Europe avoit les cheveux blonds, 
Son teint sembloit aux fleurs décloses, 
Les yeux verds, et deux vermeillons 
Couronnoient ses lèvres de roses. 

Sur sa robe furent pourtraits 
Maints ports, maints fleuves , maintes isles , 
Et de ses plis sourdoient espais 
Les murs d'un million de villes. 

De tel vestement triomphant 
Ces terres furent accoustrées , 
La nuict qu'elles tiroient l'enfant 
Par force devers leurs contrées. 

L'Europe le vouloit avoir. 
Disant qu^il estoit nay chez elle. 
Et que sien estoit par devoir 
Comme à sa mère naturelle. 

L'Afrique en courroux respondoit 
Qu'il estoit sien par destinée, 



Troisiesme Livre. 199 

Et que jâ du ciel l'attendoit 
Pour son prince dès mainte année. 

Ainsi Tune à soy Tattiroit 
Sur le berceau demy-couchée , 
Et l'autre après le retiroit , 
Contre sa compagne faschee. 
• Mais la pauvre Europe à la iîn , 
Baissant le front melancholique. 
Par force £t voye au destin , 
Et Quitta Tenfant à l'Afrique. 

L Afriaue adonc luy présenta 
Le laict Je sa noire tétine, 
Et, pleine d'Apollon, chanta 
Sur luy ceste chanson divine : 

Enfant heureusement bien-né , 
( Race du Juoiter de France) 
En qui tout le Ciel a donné 
Toutes vertus en abondance^ 

Crois , crois , et d'une majesté 
Monstre-toy le fils de ton père, 
Et porte au front la chasteté 
Qui reluit au front de ta mère. 
^Comme un pin planté sur les eaux , 
Bien nourri de l'humeur prochaine , 
Croist par sus tous les arbrisseaux 
Et se fait l'honneur de la plaine, 

Ainsi , 6 prince, tu croistras 
Entre les princes de l'Europe, 
Et plus vaillant apparoistras 
L'ornement royal ae leur trope.] 

Si tost que l'âge, produisant 
Les fleurs de la jeunesse tendre. 
T'aura fait l'esprit suffisant 
Pour les douces lettres apprendre, 

Les trois Grâces te mèneront 
Au bal des muses Pegasides , 
Et toute miict t'abreuveront 
De leurs ondes aganippides. 



200 Odes. 

[Pour toi les ruisseaux Pyraplèans 
Seront ouverts , et les bocages 
De Pinde , et les monts Cirrhéans y. 
Effroyables d'antres sauvages.] 

Mais auand l'ardeur t'eschaufeca 
Le sang Doûillant dans les entrailles , 
Et que la gloire te fera • . 
Concevoir le soin des batailles. 

Nul plus que tov sera sçavant 
A tourner les banaes en fuite ^ 
Et nul soldat courra devant 
Les pas allez de ta poursuite. 

Soit que de prés il voye au poing 
Ta large espée foudroyairte , 
Ou soit au'il advise de loing 
Les plis ae ta picque ondoyante ; 

Soit qu'il se vante d'opposer 
Contre ta lance' sa cuirasse , 
Ou soit qu'il se fie d'oser 
Attendre les coups de ta masse. 

Lors toy sur un cheval monté , 
Régissant son esprit farouche . 
Pourfendras de chaque costé 
Le plus espais de l'escarmouche, 

Soit que tu le pousses au cours, 
Laschant la resne vagabonde , 
Ou soit au'en l'air de mille tours. 
Tu le vottes à bride ronde. 

Ainsi porté par le milieu 
Des banaes d'horreur les plus pleines, 
Tu sembleras à quelque Dieu 
Qui prend soin des guerres humaines, 

Et, mariant à tes beaux faits 
Fortune et vertu, ta compaigne, 
Vainqueur, tu paveras espais 
De corps morts toute la campagne. 

Comme on void l'orgueiLa'un torrent 
Bouillonnant d'une trace neuve 



Troisiesms Livre. aqi 

Parmy les plaioes en courant 
Ravager tout cela qu'iUreuve» 

Ainsi ta main renversera . 
Sur la terre de sang trempée 
Tout cela qui s'opposera. 
Devant le fil de ton espéev 

Le faucheur à grand tour de bras, 
Du matin (usqu'à la ^rée^ 
De rang ne fait tom^.à bas 
Tant d'berbes cheutes sur la prée, 

Ne le scieur ne ya^taillant , 
Tant de moissons, :)prs que nous sommes 
En esté, qiietQy bataillant 
Tailleras de chevaux et d'hpmnies. 

Accablez sous tes coups trenchans , 
Par monceaux seront en carnage 
Ctux d'Ererabe, et tous c^ux fl^ champs 
Des Nomades (») etde Carthage> > 

Et ceux qui. ne coupent le fruit 
Des vignes meures devenites (^}, 
Et qui jamois n'ojreot U bruH- 
Des bœufs qui traînent les (charrues, 

Et ceux qui gardent le verger 
Des Hespendes desi>ouillé0s , 
Et ceux qui du sang estranger 
Habitent les rives souillées (3); 

Ceux qui tiennent le mont Atlas, 
Et ma plaine mauruslenne (4), 
Et mon lac(J) qui nomma Pallas(^) 
De son onde tntonienne. 

1 . De la Humidie. (R.} 

2. Les Massyliens, voisins des Nomades, qui n'ont non 
plus qu'eux de demeure arrestéé, (R.) 

). Les Nasamons, qui tuèrent par trahison un capitaine 
romain envoyé chez eux. (à.) 
4. Les deux MauHtanies. (R.) 
j . PalMf wstâ, proche de la petite Syrte. (R.) 
é. Lucain dit , conune nosuë autheur, que ce lac luy donna 



202 Ode s. 

Et ce peuple thëbàin (>) venu 
Aux amycleannes cyrènes , 
Et ceux où ie bélier cornu 
Prophétise sur mes arènes (>). 

Bref, tous mes habitans seront 
Vaincus ou morts dessous ta destre, 
Et tremblans te confesseront 
A coups de masse pour leur maistre. 

Battus , qui tant de mers passa (0 

Suand sa voix luy fut racoustrée (4), 
e me pleut tant lors qu'il laissa 
Pour moy sa native contrée , 

Ny Hannibal , de qui la main 
Esbranlant ses haches guerrières , 
En-joncha du peuple romain 
Tant de champs et tant de rivières, 

Ne me fut point si cher que toy 
(Bien qu'il fust mon fils de naissance), 
Que toy adopté pour mon roy, 
Du Ciel par fatale ordonnance. 

Ainsi disant, elle ferma 
La parole aux futures choses, 
Et de çà et de là sema 
Sur le berceau dix mille roses. 

Puis comme une voix qui se plaint, 



le nom de Tritonienne, et que ce fut le premier lieu où elle 
arriva après sa naissance. (R.) 

1 . Ceux qui habitent la Cyrenaîque, qui semblent estre ve> 
nus des Thebains. (R.) 

2. Car c'a esté là anciennement un fameux oracle, où Ju- 
piter estoit interrogé sous la forme d'un bélier. (R.) 

). Et toutefois sa navigation n'est pas grande, de Pisie 
de Thera, d'où il estoit, près de Candie, jusqu'au bord d'A- 
frique, où il bastit la ville de Cyrene. Suidas. (R.) 

4. Parce qu'auparavant qu'il passast en Afrique, il estoit 
muet; mais y estant venu par l'oracle d'Apollon, et sans y 
penser s'esunt présenté à luy un lion effroyable, la peur 
qu'il en eut luy deslia la langue. (R.) 



Troisiesme Livre. 203 

Au soir, dedans un antre ouie , 
Ou de nuict comme un songe feint, 
Parmy Tair s'eist évanouie. 



A MES DAMES, FILLES DU ROY HENRY II 

Ode VI. 

Ma nourrice Calliope, 
Qui du luth musicien , 
Dessus la jumelle crope 
D'Helicon , guides la trope 
Du sainct chœur Parnassien ; 

Et vous, ses sœurs, qui, recreues 
D'avoir trop mené le bal, 
Toute nuict vous baignez nues 
Dessous les rives herbues 
De la fontaine au cheval ; 

Puis, tressans dans quelque prée ' 
Vos cheveux délicieux , 
Chantez d'une voix sacrée 
Une chanson qui recrée 
Et les hommes et les dieux ! 

Laissez vos antres sauvages 
(Doux séjour de vos esbas). 
Vos forests et vos rivages , 
Vos rochers et vos bocages, 
* Et venez suivre mes pas. 

Vous sçavez, puceiles chères, 
Que, libre onques je n'appris , 
De vous faire mercenaires, 
Ny chetives prisonnières , 
Vous vendant pour quelque pris; 

Mais sans estre marchandées. 
Vous sçavez que librement 



204 6des. 

Je Ydtts ay t^sjours guid{;es 
Es maisons recommaRd^es, 
Pouf leurs vertus seulement. 

Comme ores , nymphes très-belles , 
lé vous meine avecques moy 
Eif ces maisons immortelles, 
Pour célébrer trois pucelles (»), 
Comme vous filles de roy, 

Qui dessous leur mère croissent 
Ainsi que trois arbrisseaux , 
Et ja grandes apparoissent 
Comme trois beaux lis qui naissent 
A la fraischeur des ruisseaux, 

Quand quelque future espouse, 
Aimant leur chef nouvelet , 
Soir et matin les arrouse, 
Et à ses nopces propouse 
De s'en faire un chapelet. 

Mais de <(uel vers plein de grâce 
Vous iray-je décorant? 
Chanteray-je vostre race, 
Ou rhonneur de vostre face 
D'un teint brun se colorant? 

Divin est vostre lignage , 
Et le brun que vous voyez 
Rougir en vostre visage 
En nen ne vous endommage 
Que trois grâces ne soyez. 

Les Charités sont brunettes , 
Bruns les Muses ont les yeux , 
Toutefois belles et nettes , 
Reluisant comme planettes 
Parmy la troupe des dieux. 

Mais que sert d'estre les, filles 
D'un grand roy, si vous tenez 

, 1 

I. A sçavoir : Elisabet, qtit fut maâée au roy d'Espagne, 
Claude au duc de Lorraine, et Marguen^ à Heniy IV. (R.) 



Troisibsmb Livre. 205 

Les Moses-eonime iRutiJes, 

1^ leurs sciencé$ gentiles 

Dés le berceau h^appretiez ? 

Ne craignez, pour mieux revivre, 
D'assembler d'ecaf compas ' 
Les aiguillés et- fè 4iVrê, ■ • 
Et de doublement' <?niuirre 
Les deux mestiers éé Pallas. 

Peu de temps la Beauté dure, 
Et le sanç gui des lioys sort, 
Si de l'esprit on li-â ciire. 
Autant vaut quelque peinture 
Qui n*est vive qù^en son mort. 

Ces richesse^ t^rgùeilleuses. 
Ces gros'dîarhahsMubans, 
Ces robes voluptueuses, 
Ces dorures somptueuses , 
Périront avec les. ans. 

Mais le sçavoii* de la Musé 
Plus que la richesse est fort ; 
Car jamais rouilféne s'use, 
Et maugré les ans i^efuse 
De donner place à là mort. 

Si tost que serez apprises 
A la danse des neuf SœUrs, 
Et que vous aurez comprises 
Les doctrines plus exquises 
A former vos jeunes mœurs , 

Tout aussi tost la déesse 
Qui trompette lesi renoms . 
De sa bouche parleresse 
Par tout espandiia saas tesse 
Les louanges de vos noms. 

Lors s'im -roy, pour sa defence, 
A vos frères repoussez • 
De sa terre avet'fea lance j 
Refroidissant la vaillance 
De ses peuples cbUrrôùcez, 



2o6 Odes. 

Au bruit de la renommée , 
Espris de vostre sçavoir. 
Aura son âme enflammée, 
Et , quittant là son armée , 
Pour mary vous viendra voir. 

Voyla comment en deux sortes 
Tous roys seront combatus , 
Soit qu'ils sentent les mains fortes 
De nos françoises cohortes, 
Soit qu'ils aiment vos vertus; 

Là donq, Princesses divines, 
Race ancienne des dieux, 
Armez vos tendres poitrines 
Des vertus et de doctrines; 
C'est le vray chemin des cieux. 

Par tel chemin Polixene 
D'un beau renom a jouy ; 
Par tel mestier la Romaine 
De chasteté toute pleine 
Vit encores aujourd'huy, 

Laquelle de son espée 
Sa vie aux ombres jetta, 
Et, par soy-mesme frappée, 
Ayant la honte trompée. 
Un beau renom s'acneta. 



A LA ROYNE DE NAVARRE. 
Ode VU. 

P allas est souvent d'Homère 
Dite fille d'un bon père, 
Et vous, la Pallasd'ici{ 
Par moy serez dite ainsi. 
Homère ainsi l'a nommée 



Troisiesme Livre. 2Q7 

Pour estre fille estimée 

Du Diieu que les siècles vieux 

Nommèrent père des Dieux : 

Et moy je vous nomme telle , 
Fille d'un Roy qu'on appelle 
Icy bas en tous endrois 
Le bon père des François. 

Pallas et vous, ce me semble, 
Avez vos mestiers ensemble. 
Elle tousjours s'amusoit 
Aux vers qu'elle composoit : 

Souvent vostre esprit s'amuse 
Aux saints labeurs de la Muse, 
Qui y en despit du tombeau , 
Rendra vostre nom plus beau. 

Elle addonnoit son courage 
A faire maint bel ouvrage 
Dessur la toile , et encor 
A joindre la soye à l'or : 

Vous, d'un pareil exercice, 
Mariez par artifice 
Dessur la toile, en maint trait. 
L'or et la soyë en potirtrait. 

Une seule différence 
Vous sépare : car la lance , 
Les guerres et les combats 
Estoient ses plus doux esbats ; 

Mais vous , aimant la concorde , 
Chasserez toute discorde. 
Et le plus beau de vos faits 
Ce sera d'aimer la paix, 

Et, par nouveau mariage, 
De Mars appaiser la rage , 
S'il vouloit une autre fois 
Pousser en armes nos rois. 



20S Odks. 



A LA FONTAINE BELLERIE. 
Ode VIII. 

E scoute un peu ^ fontaine vive , 
En qui j'av rebeu si souvent , 
Couché tout plat dessus ta rive , 
Oisif à la firaischenr du vent , 

Quand l'esté mesnager moissonne 
Le sein de Cerés dévestu , 
Et Taire par compas ressonne 
Dessous répi du olé batu. 

Ainsi tousjours puisses-tu estre 
En dévote religion 
Au bœuf et au bouvier champestre 
De ta voisine région ; 

Ainsi tousjours la lune claire 
Voye à mi-nuict, au fond d'un val, 
Les nymphes près de ton repaire 
A mille bonds mener le bal , 

Comme je désire, fontaine , 
De plus ne songer boire en tojr 
L'esté , lors que la fièvre ameme 
La mort despite contre moy. 



A DENYS LAMBIN, 

Lecteur du Roy. 

Ode IX. 

Ç^ ne les formes de toutes choses 
^^^.Soienty comme dit Platon, encloses 
En nostre ame, et que le sçavoir 



Troisibsme Livre. 209 

N'est sinon se raraentevoif : 
Je ne le crov, bien que s» gloire 
Me persuaae de le croire; 
Car, de jour el de miicl depvi» 

Sue studieux du grec je suis y 
omere devenu je âisse, 
Si souvenir icy me peusae 
D'avoir ses beaux yors entendu 
Âins que mon esprit descendu 
Et mon corps fussent joints endemUe. 
Mais c'est abus : l'esprit ressemble 
Au tableau tout neuf oà nul trait 
N'est par le peintre encor pourtrail , 
Et qui retient ce qu'il y note ^ 
Lambin , qui sur Seine d'Eurote, 
Par le doux miel de tes douceurs, 
As ramené les saintes Sc9urs.... 



i*NMi«B 



EPIPALINODIE (I). 

Ode X. 

O terre j 6 mer, à ciel espars. 
Je SUIS en feu de toutes pars; 
Dedans et dehors mes entrailles 
Une ardante chaleur me poind 
Plus fort qu'un mareschal ne joint 
Le fer tout roiige en ses tenailles. 

La chemise qui escorcha 
Hercul' si tost qui! la toucha 
N'égale point la flame mienne , 
Ny de Vésuve tout le chaud , 

I. Imitation d'une ode d*HOface. (R.) 
Ronsard. — II. 14 



210 Odes. 

Ny tout le feu que rote en haut 
La fournaise sicilienne. 

Le jour les soucis presidans 
Condamnent ma coulpe au dedans 
Et la genne après on me donne; 
La peur sans intermission , 
Sergent de leur commission , 
Me poind, me pique et m'aiguillonne. 

La nuict les fantômes volans , 
Claquetant leurs becs violants 
Et sifflant, mon ame espouvantent; 
Et les Funes. qui ont soing 
Venger le mal, tiennent au poing 
Les couleuvres qui me tourmentent. 

Il me semble que je te voy 
Murmurer des charmes sur moy, 
Tant que d'effroy le poil me dresse ; 
Puis mon chef tu vas relavant 
D'une eau puisée bien avant 
Dedans le neuve de tristesse. 

Que veux-tu plus ? di , que veux-tu ? 
Ne m'as-tu pas assez batu ? 
Veux-tu qu en cest âge je meure ? 
Me veux-tu brusier, foudroyer, « 
Et tellement me poudroyer 
Qu'un seul osset ne me demeure ? 

Je suis appresté , si^tu veux , 
« De te sacrifier cent bœufs , 
Afin de des-enfler ton ire: 
Ou, si tu veux , avec les aieux 
Je t'envoiray là haut aux cîeux 
Par le son menteur de ma lyre. 

Les frères d'Helene, faschez 
Pour les ïambes delaschez 
Contre leur sœur par Stesichore, 
A la fin luy ont pardonné , 
Et, pleins de pitié, redonné 
L'usage de la veue encore. 



Troisiesme Livre. 211 

Tu peux, helas 1 Denise, aussi 
Rompre la teste à mon souci , 
Te fléchissant par ma prière ; 
Rechante tes vers (0, et les traits 
De ma face en cire pourtraits (a) 
Jette au vent (3) trois fois par derrière. 

L'ardeur du courroux que Ton sent 
Au premier âge adolescent 
Me fit trop nicement t'escrire ; 
Maintenant, humble et repentant, 
D'œil non femt je vay lamentant 
La juste fureur de ton ire. 

1 . C'est-à-dire défais les charmes que tu as faits contre 
moy. (R.) 

2. C'estoit une meschanceté de la magie, tellement effi- 
cace et puissante que, les sorcières perçans et penetrans à 
coups d'aiguilles et de canivets ces images de cire , le sen- 
timent et le mal en passoit aux personnes 'contre lesquelles 
elles estoient faites. Voire que, si quelquefois seulement elles 
pouvoîent avoir ou recouvrer la coque d'une noix ou d'un 
œuf que celuy qu'elles devouoient euM mangé, elles s'en 
servoient à mesme effet ; et c'est pourquoy les anciens, s'en 
donnans garde, rompoient les coquilles des œufs qu'ils man- 
geoient, pour prévenir le charme. Nostre histoire fait men- 
tion d'une image de cire de Louys Hutin qui fut trouvée 
entre les mains d'une sorcière , laquelle , selon qu'elle le fon- 
doit au feu , affbiblissoit et diminuoit d'autant les forces du 
corps de ce prince. (R.) 

3. Ou dans l'eau, par une superstition magique. (R.) 



212 Odes. 



■**™»^P^W*'"»»*^i*Wi 



SUR LA NAISSANCE DE PRANÇCMS II, 
Dauphin de France , fiU 4u roy Henrj U. 

A Calliope, 
Ode XI (i). 

En quel bois le plus séparé 
Du populaire et en quel antre 
Prens-tu plaisir de me guider, 
O Muse, ma douce folie, 
Afin qu'ardant de ta fureur, 
Et du tout hors de moy, je chante 
L'honneur de ce royal enfant 
Qui doit commander à la France? 

Je cri'ray de vers non sonnez 
Du grec ny du latin poète, 
Plus hautement que sur le mont 
Le prestre thracien n'entonne 
Le cor. à Bacchus dédié , 
Ayant la poitrine remplie 
D'une trop vineuse fureur. 

Il me semble desja que j'erre 
Seul par les antres, et qu au fond 
D'une solitaire vallée 
Je chante les divins honneurs 
Du grand-pere et du père ensemble. 
Tandis , Muse , sur son berceau 
Semé le lis. semé la rose, 
Semé la palme et le laurier. 
L'honneur des veînqueun es batailles. 

Je prevoy qu'il vous aimera , 
Et employra la mesme dextre 

I . Les vers de cette ode ne sont pas rimes. . 



Troisibsme Livre. ai) 

Dont guerrier il aura veincu 
L'Espagnol et TAnjglois superbe 
A polir des vers qui feront 
Voler son nom par-^us la terre 
Imitateur du grand César, 
Vaillant et sçavant tout ensemble , 
Qui le jour vestoit le hamois , 
Et la nuit escrivoit ses gestes. 



A JEANNE IMPITOYABLE. 

Ode Xn. 

O grand' beauté , mais trop oùtrecuidée 
Des presens de Vei^us, 
Quand tu voirras ta face estre ridée 

Et tes flocons chenus , 
Contre le temps et contre toy rebelle , 

Diras en te tançant : 
Que ne pensois-je alors que j'estois belle 

Ce que je vay pensant ? 
Ou bien pourquoy à mon désir pareille 

Ne suis-je maintenant? 
La beauté semble à la rose vermeille, 

Qui meurt incontinent. 
Voila les vers tragiques et la plainte 

Qu'au ciel tu envoyras , 
Incontinent que ta face dépainte 

Par le temps tu voirras. 
Tu sçais combien ardamment je t'adore , 

Indocile à pitié, 
Et tu me fiiis , et tu ne veux encore 

Te joindre à ta moitié. 
O de Paphos et de Cypre régente, 

Déesse aux noirs soucis , 



214 Odes. 

Plustost encor one le temps sois vengeante 

Mes desaaignez soucis! 
Et, du brandon dont les cœurs tu enflâmes 

Des jumens tout autour, 
Brusle-la moy, afin que de ses fiâmes 

Je me rie à mon. tour. 



A JOACHIM DU BELLAY. 

Ode XIIL 

Nous avons , du Bellay, grand' faute 
Soit de biens, soit oe faveur haute, 
Selon que le temps nous conduit; 
Mais tousjours, tandis que nous sommes 
Ou morts ou mis au rang des hommes, 
Nous avons besoin de bon bruit. 

Car la louange emmiellée. 
Au sucre des Muses meslée , 
Nous perce Taureille en riant; 
Je dis louange qui ne cède 
A Por que Pactole possède, 
Ny aux perles de TOrient. 

La vertu qui n'a cognoissance 
Combien la Muse a de puissance 
Languit en ténébreux séjour. 
Et en vain elle est souspirante 
Que sa clarté n'est apparante 
Pour se monstrer aux rais du jour. 

Mais ma plume, qui conjecture 
Par son vol sa gloire future, 
Se vante de n'endurer pas 
Que la tienne en l'obscur demeure, 
05 comme orpheline elle meure. 
Errante sans honneur là bas. 

[Nous avons bien , moi et mon mètre , 



Troisiesmb Livre. 215 

Cette audace de te promettre 

Sue tes labeurs seront appris 
e nous , de nos suivantes races , 
S'il est vrai que j'aye des Grâces 
Cueilli^ les fleurs dans leurs pourpris.] 

Je Canderay mon arc, qui jette 
Contre ta maison sa sagette. 
Pour viser tout droit en ce lieu 
Qui se réjouit de ta gloire , 
Et où le grand fleuve de Loire 
Se mesle avec un plus grand Dieu. 

Car. bien que ta Muse soit telle 
Que oe soy se rende immortelle , 
Desdaigner pourtant tu ne dois 
L'honneur que la mienne te donne 
Ny ceste lyre qui te sonne 
Ce que. luy commandent mes doi 

Jadis Pmdare sur la sienne 
Accorda la gloire ancienne 
Des princes vainqueurs et des rois ; 
Et ie sonnerai ta louanee , 
Et renvoiraî de Loire à Gange, 
Si tant loin peut aller ma vois. 

Car il semble que nostre lyre 
Ta race seule vueille eslire 
Pour la chanter jusques aux cieux : 
Macrin (>) a sacré la mémoire 
♦ De Toncle , et j'honore la gloire 
Du nepveu , qui s'honore mieux. 

France sous Henry fleurit, comme 
Sous Auguste fleurissoit Romme; 
Elle n'est pleine seulement 
D'hommes qui animent le cuivre , 
Ny de peintres qui en font vivre 
Deux ensemble (a) éternellement ; . 

f . Poète assez bon de son temps. (R.) 
2. La personne peinte et son tableau. (R.) 



2i6 Odes. 

Mais, grosse de sçavoir. enfante 
Des fils dont elle est triontante, 
Qui son nom rendent honoré : 
Liin chantre d'Amotrr la décore , 
L'autre de Mars, et l'autre encore 
De Phœbus au beau crin doré; 

Entre lescjuels le Cie! ordonne 
Que le premier lieu l'on te donne , 
Du Bellay , qui monstres tes vers 
Entez dans le tronc d'une dire ('), 
Olive dont la fueiHe vire 
Se rend égale aux ianriers vers (»). 



DE LA CONVALESCIINCE 

DE JOACHIM DU PELLAY. 
A Louy» M«g«it. 

ODftXÏV. 

Mon ame, il est temps que tu rendes 
Aux bons dieux les justQ$ offrandes 
Dont tu as obligez tes vœvx: 
Qu'on nous dresse un autel de terre» 
Avec toy payer je le veux, 
- Et gu'on le pare de fierre 
Et ae vervéne aux froids cheveux. 
Les dieux n*ont remis en arrière 
L'humble souspir de ma prière , 
Et Pluton, qm n'avoit appris 

1 . Sur les mérites de sa maistresse, appellée Olive, de la- 
quelle il a composé les amours qui se lisent entre ses œu- 
vres. (R.) 

2. Aux amours de Pétrarque. (R.) 



\ 



Troisiesme Livre. 217 

Se fléchir pour dueil qu'homme meine, 
N'a pas mis le mien a mespris, 
Rappelant la Parque inhumaine 
Qui ja du Bellav tenoit pris. 

Mortes sont les fièvres cruelles 
Qui rongeoient ses chères mouelles ; 
Son oeil est maintenant pareil 
Aux fleurs que trop les pluyes baisent , 
Envieuses cfe leur termeil , 
Et qui plus vives se repeignent 
Aux rayons du nouveau soleil. ^ 

Sus, Megret, qu'on diante, qu'on sonne 
Cest heur que la santé luy donne» 
Qu'on chasse ennuis , soucis «t pleurs , 
Qu'on semé la place de roses. 
D'oeillets, dé lis, de toutes fleurs 
£a ce beau mois de foin écioses>, 
Où le ciel mire ses couieors^ 

Lequel &'é^e ti se neenee 
De te voir s»n, et injr agnèe 
Le jour que ta fois dessous Juy ; 

Son cours, qui sembioit apparoidtie 

Malade contre toy-d'enniif. 

Tous deux sains, «?ec fait caognoiArft 

Vos belles clartez aujourd'hui!, 

Mais quoy? si faut-il bien qu'on meure; 
Rien çà tas ferme ne demeure; 
Le roy François vid bien !a nuit. 
Donc , tandis qu'on ne te menace , 
Et la Mort boiteuse te fuit. 
Il faut que ta docte main face 
Un oeuvre digne de ton bruit. 



2i8 Odes. 



A FRANÇOIS DE LA BROSSE 
ChanoloU. 

Ode XV 0). 

Puis que d'ordre à son rang l'orage est revenu , 
Si que le ciel voilé tout triste et devenu, 
Et la veufve forest bransle son chef tout nu 

Sous le vent qui Testonne, 
C'est bien pour ce joura'huv (ce me semble) raison , 

gui ne veut offenser la loi ae la saison , 
rendre à gré les plaisirs que l'amie maison 
En temps pluvieux donne. 

Mais, si j'augure bien, quand je voy pendre en bas 

Les nuaux avaliez , mardy ne sera pas 

Si mouillé qu'aujourd'huy; nous prendrons le repas 

Tel jour nous deux ensemble. 
Tandis chasse de toy tout le mordant souci. 
Et l'Amour, si tu l'as, chasse le moy aussi : 
Ce garçon insensé au plus sage d'ici 

Mille douleurs assemble. 

Du soin de l'advenir ton cœur ne soit espoint. 
Ains. content du présent, dis lui qu'en un seul point 
N'aomire des faveurs qui ne dureront point 

Sans culbuter à terre. 
Plustost que les buissons les pins audacieux , 
Et le front des rochers qui menace les cieux 
Plustost que les cailloux abbaissez à nos yeux , 

Sont punis du tonnerre. 

Vien saoul , car tu n'auras le festin ancien 
Que, prodigue, donna l'orgueil égyptien 

I. Cette ode étoit primitivement dédiée I Madou de La- 
haye. 



Troisiesme Livre. 219 

Au Romain qui vouioit tout Tempire éstre. sien : 

Je tiay tant de viandes. 
Tu ne boiras aussi de ce nectar divin 
Qui rend Anjou fameux, car volontiers le vin 
Qui a senty rhumeur du terroir angçvin 

Suit les bouches friandes. 



A CUPIDOn/ 
Pour punir Jane crueU^. 

Ode XVI. ' 

Le jour pousse la nuit,' 
Et la nuit sombre 
Pousse le jour qui luit 
D'une obscure ombre* 

L'automne suit Testé, 

Et Taspre rage 
Des vents ra point esté 

Après Torage. 

Mais la fièvre d*amours 
Qui me tourmente 

Demeure en moy tousjours 
Et ne s'alente. 

Ce n*estoit pas moy^ Dieu, 
. Qu'il falloit pomdre; 
Ta fledle en autre lieu 
Se devoit joindre. 

Poursuy les paresseux 

Et les amuse. 
Et non pas moy, ne ceux 

Qu^aime la Muse. 



220 Odes. 

Decestedare, 
Qui rit (joand |ihis d%siiiO)r 
; Vbid que ]'«Qduve. 

Redonne la clarté 

A mes ténèbres, 
Remets en liberté 
> -Mes jours funèbres. 

Amour, sois le support 
De ma pen$é«, 

Et guide à meilleur port 
Ma nef cassée. 

Tant plus je suis criant, 
Plus me reboute; 

Plus je la suis priant, 
Moins eU* m*escoute. 

Ne ma palle couleur, 
D'amour blesmie, 

N'a esmeu à douleur 
Mon ennemie; 

Ne sonner à son huis 
' De ma guitterre^ 

Ny pour elle les nuis^ ' 
Dormir à terre. 

Plus cruel n'est l'eflort 
De l'eau mutine 

Qu'elle, lors que plus bri 
Le vent s obstine. 

Eir s'arme en sa beauté, 
Et si ne pense 

Voir de sa cruauté 
La recompense. 

Monstre^oy le Vainqueur, 
Et d'elle enflamme, 



Troisiesmb Livre. . 221 

Pour exemple, le cœQf , 
De telle ilamc 

"S 

Qui Biblys alluma, 

Trop indiscrète, 
Et d'ardeur consuma . 

La royne en Crète. 



COMPLAINTE DE GLAUQUE A SCYLLE, 

Nymphe. r 

Ode XVH. 

Les douces fleurs d'Hymette aux abeilles agréent, 
Et les eaux de Testé les altérez récréent; 
Mais ma peine obstinée 
Se soulage en chantant sur ce bord foiblement 
Les maux ausquels Amour a misérablement 
Soumis ma destinée. 

Hé! Scylle! Scylle! las! ceste dolente rive. 
Voire son flot piteux , qui grommelant arriVe 

Des salées campagnes, 
Me plaint et me lamente, et cjes rochers, oyans 
Mon dueil continuel, de mo^r sont larmoyans; 

Seule tu me desdaîgnes. 

Ce jour fut mon malheur, quand les dieux marins euren 
Envie sur mon aise et lors qu'ils me cognurent 

De leur grande mer digne. 
Las! heureux si jamais je n'eusse desdaigné 
L'art premier où j'estois par mon père enseigné , 

Ny mes rets, ny ma ligne! 

Car le feu oui mon cceur ronge , poinçonne et lime , 
Me vint ardre au milieu (qui ï'eust creu ?) de l'abtme 
De leur mer fluctueuse , 



222 Odes. • 

Et bien en autre forme adonc je me changeay 
Que je ne fus mué alors que je mangeay 
C'herbe tant vertueuse. 

Pourtant, si j'ay le chef de longs cheveux difforme 
Et le corps monstrueux d'une nouvelle forme 

Bien peu connue aux ondes. 
Tel honneur de nature en moy n'est à olasmer : 
La mère Tethys m'aime , et mSgiment de la mer 

Les nymphes vagabondes. 

Circé taitt seuletftent ne m'aime, mais encore 
Ardantement me suit et ardente m'adore, 

En vain de mov éprise. 
Ainsi, le bien que cçnt désirent, une l'a, 
Une seule en jouist, et, en lieu de cela. 

Me hait et me déprise. 

Bien aue nymphe tu sois, ah! cruelle, si est-ce 
Qu'inaigne je ne suis' de toy : demy-déesse. 

Un dieu te fait reque^te. 
Tethys, pour effacer cela que j'eu d'humain 
Et d homme au temps sujet, m'a versé de sa main 

Cent fleuves sur la teste. 

Mais, las! dequoy me sert ceste faveur que d'estre 
Immortel, et d'aller, compagnon, à ladestre 

Du grand prince Neptune, 
Quand Scylle me desdaigne, estant franc du trespas, 
Et celui qui, par mort, permis ne luy est pas 

De changer sa fortune? 



Troisiesme Livre. 22; 



A CHARLES DE PISSELEU, 

Evesque de Condom. 

Ode XVIII (»). 

D'où vient cela (Pisseleu) que les hommes 
De leur nature aiment le changement, 
Et qu'on ne void en ce monde où nous sommes 
Un seul qui n'ait un divers jugement? ^ 

L'un , esloigné des foudres de la guerre , 
Veut par les champs son âge consumer 
A bien poitrir les mottes de sa terre 
Pour de Cerés les presens y semer; 

L'autre, au contraire, ardant, aime les armes, 
Et ne sauroit en un lieu séjourner 
Sans bravement attaquer les allarmes. 
Bien gue jamais ne pense retourner {a), 

Q^i le palais de langue mise en vente 
Fait esclater devant un président , ' 
Et qui , piqué d'avarice suivante , 
Franchit la mer de l'Inde à l'occident. 

L'un de l'amour adore l'inconstance ; 
L'autre, plus sain, ne met l'esprit sinon 
Au bien public, aux choses d'importance, 
Cherchant par peine un perdurable nom. 

L'un suit la cour et les faveurs ensemble, 
Si que sa teste au ciel semble toucher; 

a. Var. (1584): 

Marchant hardi, ores pour estonner 
Le camp anglois de menassans alarmes 
Et pour l'assaut à Boulogne donner, 

1. Unité d'Horace : Qjjiifit H^cenas, etç. 



224 Odes. 

L'autre les fuit et est mort , ce luy semble , 
S'il void le roy de son toict approcher. 

Le pèlerin a l'ombre se délasse, 
Ou d'un sommeil le travail adoucit, 
Ou, réveillé, avec la pleine tasse 
Des jours d'esté la longueur accourcit. 

Qui devant l'aube accourt triste à la porte 
Du conseiller^ et là, faisant maint tour, 
Le sac au pomg, attend que Monsieur sorte 
Pour luy donner humblement le bon-iour. 

Icy cestuy de ta sage nature 
Les taits divers remasche en y pensant, 
Et cestuy-Ià^ par la lineature 
Des mains, prédit le malheur menaçant. 

L'un, allumant ses vains fourneaux^ se fonde 
Dessus la pierre incertaine, et, combien 
Que l'invoqué Mercure ne responde > 
Soufle en oeux mois le meilleur de son bien. 

L'un grave en bronze , et dans le marbre â force 
Veut le labeur de nature imiter 
Des corps errans l'astrolo^e s\fforce 
Oser par art le chemin limiter. 

Mais tels estais » inconstants de Ta vie , 
Ne m'ont point pieu, et me suis tellement 
Esloi^é (Peux que je n'eus onc envie 
D'abaisser l'œil pour tes voir seulement. 

L'honneur sans plus du verd laurier m'agrée; 
Par luy je hay le vulgaire odieux. 
Voilà pourquoy Euterpe ta sacrée 
M'a de moi:ter fait compagnon des dieux. 

La belle m'aime et par ses bois m'amuse » 
Me tient, m'embrasse, et, quand je veux sonner, 
De m'accorder ses flûtes ne refuse » 
Ne de m'apprendre à bien les entoùner. 

Car elle m*» de Yean de ses feirteiiies 
Pour prestre bien baptisé de sa ram . 
Me faisant part du mai honneur d'Athènes 
Et du sçavQÎr de l'antique Romain. 



Troisiesme Livre. 225 

A ANTHOINE CHASTEIGNER, 

Abbé de Nantueil. 

Ode XIX. 

Ne s*efFroyer de chose <jui arrive, 
Ne s'en fâcher aussi , 
Rend Thomme heureux, et fait encor qu'il vive 
Sans peur ne sans souci. 

Comme le temps vont les choses mondaines, 

Suivans son mouvement ; 
II est soudain et les saisons soudaines 

Font leur cours brèvement. 

Dessus le Nil jadis fut la science. 

Puis en Grèce elle alla. 
Rome depuis en eut Texperience, 

Paris maintenant Pa. 

Villes et forts et royaumes périssent 

Par le temps tout exprès , 
Et donnent lieu aux nouveaux qui fleurissent , 

Pour remourir après. 

[Comme un printemps les jeunes enfants croissent , 

Puis viennent en esté ; 
L'hiver les prend , et plus ils n'apparoissent 

Cela qu'ils ont esté. ] ^^ 

Naguère estoient dessus la sèche arène 

Les poissons à l'envers , 
Puis tout soudain l'orgueilleux cours de Sène 

Les a de flots couverts. 

La mer n'est plus où elle souloit estre, 
Et aux lieux vuides d'eaux 

Ronsard, — IL i j 



ZZ6 OOES, .. 

(Miracle estrange ! ) on la void soudain oaistre 
Hospitai de bateaux. 

TelUsioix fit dam^ Nature ^de, 

' Lors'ûUë pT sur le'dôs 
Pyrrhe sema dedans le inonde vuide 
De sa mère les os , 

A celle fin que nulhomme n'espère 

S*oser dif e i'»mortei , 
Voyant le temps qui est.son propre perc, 

M Voir ri^n moins de tel, 

Arme-tov donc de la philosophie 

. Contre tant d'âccidens , 
Et f courageux , d'elle te fortifie 
L'estomach au dedans , 

N'ayant effroy de chose qui survienne 

Au devant de tes yeux , 
Soit que le ciel les abysmes devienne , 

Et Tabysme les cieux. 



•i«7?"^"f— »■*-"••- • I ■*~9^^mmm^-'''mm-^'mmmmm^mmfmmmm^-m^ 



DE LA DEFLORATION DE LEDE, 

A Cassandre, 
Divisée par trois pauses, 

Ode XX, 

première pause. 

Le cruel Amour, vainqueur 
De ma vie sa sujette , 



\ 



TROISIESMC LiVRBt ^ij 

M'a si bien ^itau cceur 
Votre nom de sa sagette , 
Que le temps , qm peut casser 
Le fer et ia pterre dure, . 
Ne le sauroit effacer ! 
Qu'en moi vhrant il. ne dure (4). 
Mon luth, qui des bois Ckyans 
Souloit allé^sr les peines. 
Las ! de. mes yeux larmôxaits 
Ne tarit point les fontaines; 
Et le soleil ne peutv^oir,. . 
Soit quand le jour il apporte,' 
Ou quand tJ se xouchfi.au' soir. 
Une autre douleur plus forte. 
Mais vostre cœur olaétiné , 
Et moins pitoyable encore 
'^e rOcean mutiné:! . 

Uii baigne la ri ve^ more., 
Ht prend mon ^service à gré, 
•^^Ains ad'immofairciivie ,/ 
Le mien , à hiy consacH 
Dts premiers 2fns de éia vie» 

Jupiter, espbinçonné 
De telle amoureuse rage ^ 
A jadis abandonné 
Et son tr6ne et son orage; 



<i. Var. (1J87); 

Amour, dont U traict vainqueur 
Fait en mon sang sfl retraite , 
M* a si bien escrit au céeur 
Le nom de ma CassandretU, 
Que le tombeau mangéH:kair, 
Logis de la pourriture,. 
Ne pourra point arracher ^ 
De mon çoaw, sa pouttraifttrt. 



iaS Odes* 

Car l'œil qui son cœurestraînti 
Comme estraints ores nous sommes 
Ce grand seigneur a contraint 
De tenter Tamour des hommes. 

Impatient du désir 
Naissant de sa Aame esprîse , 
Se laissa d'amour saisir, 
Comme une despouille prise. 
Puis il a, bras, teste et flanc. 
Et sa poitrine cachée 
Sous un plumage plus blanc 
Que le laict sur la jonchée. 

fin son col mit un carcan 
Avec une chaîne où Tœuvre 
Du laborieux Vulcan 
Admirable se descœuvre. 
D'or en estoient les cerceaux , 
Piolez d'émail ensemble. 
A l'arc qui note les eaux 
Ce bel ouvrage ressemble. 

L'or sur.la plume reluit 
D'une semblable lumière 

Sue le clair œil de la nuit 
essus la neige première. 
Il fend le chemin des cieux 
Par un voguer de ses ailes , 
Et d'un branle spatieux 
Tire ses rames nouvelles. 

Comme l'aigle fond d'en haut. 
Ouvrant l'espais de la nue, 
Sur l'aspic qui lèche au chaud 
Sa jeunesse revenue , 
Ainsi le cygne voloit 
Contre-bas , tant qu'il arrive 
Dessus l'estang où souloit 
Jouer Lede sur la rive. 

Quand le ciel eut allumé 
Le beau jour par les campagnes , 



Troisiesme Livre. 229 

Elle au bord acconstumé 
Mena jouer ses compagnes; 
Et, studieuse des fleurs , 
En sa main un pannier porte 
Peint de diverses couleurs. 
Et peint de diverse sorte. 

Seconde pause. 

D'un bout du pannier s'ouvroit , 
Entre cent nues aorées , 
Une aurore qui couvroit 
Le ciel de fleurs colorées ; 
Ses cheveux vaguoient errans , 

Souflez du vent des narines 
Des prochains chevaux tirans 
Le soleil des eaux marines. 

Comme au cid il fait son tour 
Par sa voye courbe et torte, 
Il tourne tout à Tentour 
De Tanse en semblable sorte. 
Les nerk s'enflent aux chevaux , 
Et leur puissance indontée 
Se lasse sous les travaux 
De la pénible montée. 

La .mer est peinte plus bas. 
L'eau ride si bien sur elle, 
Ou'un peschenr ne nieroit pas 

fû'eile ne fust naturelle. 

!e soleil tombant au soir 
Dedans Tonde voisine entre, 
A chef bas se laissant cheoir 
Jusqu'au fond de ce grand ventre. 

Sur le sourd d'un rocher 
Un pasteur le loup regarde , 
Qui se haste d'approcher 
Du couard peuple qu'il garde ; 



2^0 Odis; : 

Mais de cela ne loy cliant, 
Tant an limas luy agrée, 

8 ai katement monte aa'haal 
'un lis au bas de la préè. 

Un satyre toatloUet, 
Larron , en folàsmnt Qre 
La panetière et le laict 
D'un autre follet satyre, 
L^un court après tout ireux , 
L'autre défend sa despouitle ^ 
Le lakt se verse sur eux , 
Qui sein et menton kur sooille. 

Deux béliers <^i se iiéiirtoient • 
Le haut de leurs testes tbres 
Pourtraits aux deux bords estoieni 
Pour la fin de sei peintures^ 
Yel pannier en ses maios mist 
Lede , qui sa troope excelle , 
Le jour qu'tm oiseau la iisft; 
Femme en lieu d'^ine pucelle. 
'^ L'une arrache d'un doigt» ^blanc 
Du beau Narcisse ks larmes, 
Et la lettre teinte au sang 
Du Grec marrj poar les armes; 
De crainte l'œillet veftncil 
Pallist entre ces pillardes , 
Et la fleur que toy , Soteil ^ 
Des cieux encor tu^ regardes. 

A l'envi ^otitjà cueillis ■ 
Les verds trésors de la' plaine ^ 
Les bassinets et les lis, 
La rôle et la marjolwiie; 
Quand la vierge dit ainsi, 
De son destin ignorante : : 
« De tant de fleurs:oite roicy 
Laissons la proye ooorattte* 

a Allons, troupeau bièn-^heureux 
Que j'aime d'amour naiye,^ ' 



TroISIËSME L1VR£« 2jÀ 

Ûuyr l'oiseau doifloofeux 
Qui se plaint sur nostre rive. 9 
Et elle, eii hastatit le pas ^ 
Puit par rherbe d'un pkd vite; 
Sa troupe ne la suit pâ$,, ^ 
Tant sa carrière «st subite \ 
"' Du bord luy tendit la main , 
Et Toiseau , qui tressaut d'idse^ 
S'en approche tout huniain ^ > 
Etie blanc y voire; baise. 
Ores Padultere oiseau, 
Au bord par les fteurs se joue^ 
Et ores au haut de i -eau 
Tout mignard près d'eli^ noue. 

Puis, d'une g«yefâ^, 
Courbe au dos Pune et-l^trtre aile, 
Et au bruit dé sa «H^fison • 
Il apprivoise la. bette/ 
La nicette en son giron 
Reçoit les flammes setmteS) 
Faisant tout à i'eh-viton ' : ^ • 
Du cygne un tfct der fleurettes. 

Luy, qui fut si |f acieux / 
Voyant soii heufe dppbrtu|ief 
Devint plus audacieux , 
Prenant au pdit la touiié; 
De son col comme ondes long 
Le sein de la vierge toudie, 
Et son bec Itiy mit adonc - 
Dedans sa verifieille bouche. 

Il va ses erçotsdrisssaiit. : 
Sur les bras d^eJie qii'ii.seiRV^ 
Et de son ventre preissant 
Contraint la rebelle <à terrer ' 
Sous Poiseau se débat fbiît , 
Le pince et le inofd) si est'<e 
'^u^au milieu de tel effort. 



Là 



ËTl' sent ravir sa jeuniéssê. 



2^2 Odes. 

Le cinabre çà et là 
Couloura la vercongneuse. 
A la fin elle paria 
D'une boQche desdaigneuse: 
fc D'où es-tu y trompeur volant? 
D'où viens4Uy qui as l'audace 
D'aller ainsi violant 
Les filles de noble race ? 

a Je cuidois ton cœur, helas I 
Semblable à l'habit qu'il porte , * 

Mais (hé pauvrette 1 } tu Pas, 
A mon dam , d'une autre sorte. 
ciel t qui mes cris entens, 
Morte puissè-je estre enclose 
Là bas y puis que mon printemps 
Est despouillé de sa rose 1 

a Plustost vien pour me manger» 
veufve tigre affamée , 
Que d'un oiseau estranser 
Je sois la femme nommée. » 
Ses membres tombent peu forts. 
Et dedans la mort voisine 
Ses yeux jà nouoient, alors 
Qye luy respondit le cygne : 

Trouiesme pause. 

a Vierge , dit-il , je ne suis ^ 

Ce qu'à me voir il te semble; 
Plus grande chose je puis 

Qu'un cygne à qui )e ressemble : ^ 

Je suis le maistre des deux, 
Je suis celuy qui desserre 
Le tonnerre audacieux 
Sur les durs flancs de la terre. 

« La contraignante douleur 
Du tien, plus cnaud, oui m'alliune. 
M'a fait prendre la couleur 



\ 



t 



Troisiesme Livre. 23} 

De ceste non mienne plume. 
Ne te va donc obstinant 
Contre 1 heur de ta fortune : 
Tu seras incontinant 
La belle-sœur de Neptune, 

« Et si tu pondras deux œufs 
De ma semence féconde , 
Ainçois deux triomphes neufs, 
Futurs ornemens du monde. 
L'un deux jumeaux esclorra : 
Pollux, vaillant à Tescrime , i - 
Et son frère, qu'on loûra C6^^^^ 
Pour des chevaliers le prime; 

a Dedans Tautre germera 
La beauté , au ciel choisie , 
Pour qui un jour s'armera 
L'Europe contre l'Asie. » , , \.j^.v-*' 
A ces mots, elle consent. 
Recevant telle avanture , 
Et jà de peu à peu sent 
Haute eslever sa ceinture. 



A GA&PAR D'AUVERGNE, 
Ode XXL 

Gaspar, qui, loin de Pégase, 
As les fuies de Parnase 
Conduites en ta maison , 
Ne sçais-tu que moy, poète, 
De mon Phœbus je souhéte 
Quand je fais une oraison ? 

Les moissons je ne ouiers pas 
Que la faux arrange à oas 
Sur la Beauce fructueuse; 



2J4 Ot>ti. 

Ny tous les cornus troupeaux 
Qui sautent sur les coupeaux 
De l'Auvergne montueuse (05 

Ny l'or sans forme qu'ameine 
La mine pour nostre peine; 
Ny celuy qui est formé 
Portant d'un roy la figure 
Ou la fiere pourtraiture ^ 

De quelque empereur armé ; 

Ny l'ivoire marqueté 
En l'Orient acheté 
Pour parade d'une sale ; 
Ny les cousteujc diamans 
Magnifiques ornemens 
D*une majesté royale ; 

Ny tous les champs {*) que le fleuve 
Du Loir lentement abreuve; 
Ny tous les prer emmurez 
Des plis de braye argentine; 
Ny tous les bois dont Gastme 
Void ses bras en-verdurez ; 

Ny le riche accoustrement 
D'une laine qui dément 
Sa teinture naturelle 
Ez chaudrons du Gobelin (?), 
Sevrant d'un rouge venin (4) ^ 
Pour se desguiser plus belle< 

Que celuy <lans une coupe 
Toute d'or boive à la troupe 
De son vin de PrepatourUJ, 

I . De la haute Auvergne* (R.) 

2- DesonVendomois. (R.) ^ . j « 

}. Autrefois le plus fameux et riche tcintunet de Pa^ 

ris. (R.) ^ . . V 

4, Noyée longuement dans rcscariatc. (R.) 
$. Vin excellent, et dont la vigne appartient au roy, e 

ett de son domaine en Vendenob. (R.) 



Troisiesme Livre. IH 

A qui la vigne succède, 
Et près Vendôme en possède 
Deux cents arpens en un tour. 

Que celuy qui aime Mars 
S'enrolle entre les soldars, 
Et face sa peau vermeille 
D'un beau sang pour son devoir^ 
Et que la trompette , au soir. 
D'un son luy raze Taureille. 

Le marchant hardiment vire 
Par la mer de sa navire 
La proue et la poupe encor; 
Ce n'est moy, brusié d'çnvie, 
A tels despens de ma vie , 
Rapporter des lingots d'or. 

Tous ces biens je ne quiers point. 
Et mon courage n'est poingt 
De telle gloire excessive. 
Manger o (>) mon compagnon 
Ou la figue d'Avignon , 
Ou la provençale olive. 

L'artich6t et la salaae , 
L'asperge et la pastenade , 
Et les pompons tourangeaux. 
Me sont herbes plus friandes 
Que les royales viandes 
Qui se servent à monceaux. 

Puis qu'il faut si tost mourir. 

Sue me vandroit d'acquérir 
il bien qui ne dure guère , 
Qu'un héritier qui viendroil 
Après mon trespas vendroit 
Et en feroit bonne chère ? 

Tant seulement je désire 
Une santé qui n'empire ; 
Je désire un beau séjour. 



I . Avec. (IL 



2)6 Odes. 

Une raison saine et bonne 
Et une lyre qui sonne 
Tousjours le vin et Tamour. 



Ode XXII. 

Celuy qui est mort aujourd'huy 
Est aussi bien mort que celuy 
Qyi mourut au jour du cleluge. 
Autant vaut aller le premier 
Que de séjourner le dernier 
Devant le parquet du grand juge. 

Incontinent que rhomme est mort , 
Pour jamais ou long temps il dort 
Au creux d'une tombe enfouie , 
Sans plus parler, ouïr ne voir * 
Hé, quel bien sçauroit-on avoir 
En perdant les yeux et Fouîe? 

Or, l'âme selon le bien-fait 

âu'hostesse du corps elle a fait, 
onte au ciel, sa maison natale; 
Mais le corps, nourriture à vers, 
Dissoult de veines et de nerfs , 
N'est plus qu'une ombre sépulcrale. 

M n a plus esprit ny raison, 
Emboiture ne liaison, 
Artère, poux, ny veine tendre, 
Cheveul en teste ne luy tient j 
Et , qui plus est, ne luy souvient 
D'avoir jadis aimé Cassandre. 

Le mort ne désire plus rien ; 
Donc , cepejidant que j'ay le bien 
De désirer^ vif, je demande 
Estre tousjours sain et dispos ; 



Troisiesme Livre. i)7 

Puis, quand je n*auray que les os, 
Le reste à Dieu je recommande. 

Homère est mort , Anacreon , 
Pindare, Hésiode et Bion, 
Et plus n'ont souci de s'enquerre 
Du bien et du mal qu'on dit d'eux ; 
Ainsi , après un siècle ou deux, 
Plus ne sentiray rien sous terre. 

Mais dequoy sert le désirer 
Sinon pour l'homme martirer? 
Le desir n'est rien que martire; 
Content ne vit le désireux . 
Et l'homme mort est bien-neureux. 
Heureux qui plus rien ne désire ! 



Ode XXin. 

Çj uand je dors je ne sens rien, 
^^^Je ne sens ne mal ne bien. 
Plus je ne me puis cognoistre , 
Je ne sçay ce que je suis , 
Ce que je fus , et ne puis 
Sçavoir ce que je dois estre. 

J'ay perdu le souvenir 
Du passé, de l'advenir; 
Je ne suis que vaine masse 
De bronze en homme gravé , 
Ou quelque terme esievé 
Pour parade en une place. 

Toutesfois je suis vivant , 
Repoussant mes flancs de vent, 
Et si pers toute mémoire; 
Voyez donc que je seray 



Quand mort je rcposeray 
Au fonds de. la tombe noire i 

t L'âme, volant d'un plein saut, 
)ieu s en ira là haut 
Avecque luy se ressoudre, 
Mais ce mien corps enterré, 
Sillé d'un somme ferré, 
Ne sera plus rien que poudre.] 



A ODET DE COLLIGNY 
Cardinal de ChastUion ( i ). 

Ods XXIV. 



M 



ais d'où vient cela , mon Odet } 
Si de fortune par la rue 
Quelque courtisan je salue 
Ou de la voix , ou du bonnet , 

Ou d'un clin d'œil tant seulement, 
De la teste, ou d'un autre geste, 
Soudain par serment il proteste 
Qu'il est à mon commandement. 

Soit qu'il me treuve chez le roy, 
Soit qu'il en sorte ou au'il y vienne, 
Il met sa main dedans ta mienne , 
Et jure qu'il est tout à moy. 

[Il me promet montagnes d'or, 
La terre a'or et toute Vonde , 
Et toutes les bourdes du monde 
Sans rougir me promet encor. j ' 

Mais quand un affaire de soin 
Me presse à luy faire requeste , 

I. Lequel a favorisé tousioun , durant sa tie,l(es 
de tçavou:, et particulièrement nostre autbeur. (R.) 



Troisiesme Livre. ;ij9 

Tout soudain il tourne la teste , 
Et me délaisse à mon besoin ; 

Et si je veux ou l'aborder, 
Ou l'accoster en quelque sorte , 
Mon courtisan passe une porte , 
Et ne daigne me regarder ; 

Et plus je ne luy suis cognu, 
Ny mes vers ny ma poésie , 
Non plus qu'un estranger d'Asie , 
Ou quelqu un d'Afrique venu. 

Mais vous, mon support gracieux , 
Moq appuy. mon prélat que j'aime . 
Mille fois plus ny que moy-mesme, 
Ny que mon cœur, ny que mes yeux, 

Vous ne me faictes pas ainsi : 
Car si quelque affaire me presse , 
Librement à vous je m'addresse , 
Qui de inon fait avez souci. 

Vous avez soin de mon honneur, 
Et voulez que mon bien prospère, 
M'aimant tout ainsi qu'un doux père , 
Et non comme un rude seigneur. 

Sans me promettre ces grands monts 
Ni ces grand' mers d'or ondoyantes ; 
Car telles bourdes impudantes 
Sont indignes des Chastillons. 

La raison (Prélat), je l'entens , 
C'est que vous estes véritable , 
Et non courtisan variable 
(jUii sert aux faveurs et au temps. 



Fin du troisicsmt iim. 



240 




LE QUATRIESME LIVRE 

DES ODES 




AU ROY HENRY II. 
Ode I. 

scoute , grand roy des François, 

Jamais je ne confesserois 

Que l'on peust surmonter ta France , 

Tant que ton grand Montmorency 

Et ton srand Chastillon aussi 

Te serviront de leur vaillance ; 
Et tant que vivant je seray, 

Jamais je ne confesseray 

Qu'en France la Muse périsse, 

Tant qu'elle aura pour bastillon 

Un cardinal de Chastillon {a) 

a. Var. (1(84) : 

Tant ûtt'elle aura pour souverain 
Un CtiarUs cardinal lorrain 

Dans les éditions postérieures à la Saint-Barthélémy, le 
aom de Chastillon a été remplacé par celui du duc de Guise. 



QUATRIESME LiVRE. 34I 

.Qui la défende et la chérisse. 

Sus donq , filles de Jupiter, 
C'est à ce coup qu'il faut chanter 
Ou jamais, d'une haute véne ; 
Je veux , enyvré de vos eaux, 
Chanter deux Achilles nouveaux 
Et un autre nouveau Mécène (>). 

Le fort oncle et le fort neveu 
Ont mes vers d'un sujet pourveu 
Plus beau qu'Achil n'est dans Homère, 
Et mon cardinal , qui me fait 
De sa faveur poète parfait 
Pour chanter son oncle et son frère (a). 



EPITHALAME 

De très illustre prince Antoine de Bourbon et de Jeanne 
roync de Navane (2). 



Q. 



Ode II. 

uand mon prince (?} espousa 
Jeanne (4), divine race, 



a. Var. (1(84) : 

Les forts Guysians, /juej*ayvett 
Vaillans comme M an, m'ont pourveu 
D*un argument digne d'Homère, 
Et mon Odet y lequel méfait 
De sa faveur poète parfait 
Pour chanter l'honneur de son frère, 

1. Le cardinal de Lorraine, support des hommes doctes 
de son temps. (R.) 

2. Imité de l'Epithalame d'Hélène par Théocrite. (R.) — 
Cette pièce a été imprimée en 1549, à Paris, chez Vasco- 
san , 4 if . in-8. C'est probablement la première publication 
de Ronsard. (P. B.) 

j. Second duc de Vendcsme. (R.) 
4. Fille oe Henry d'Albret, roy de Navarre, et mère de 
Henry IV, roy de France et de Navarre. (R.) 
Ronsard, — II, 16 



242 Odes. 

?ue le Ciel composa 
lus belle qu'une Grâce , 
Les princesses de France > 
Ceintes de lauriers vers. 
Toutes d'une cadance 
LuY chantèrent ces vers(tf) : 
hymen, hymenéel 
Hymea» 6 h3rnenéel 

Prince plein de* bon-heur» 
L'arrest du Ciel commande 
Qu'on te donne l'honneur 
De nostre belle bande; 
D'autant qu'une déesse 
La passe en majesté ^ 
D'autant elle, princesse, 
Nous surpasse en beauté (^). 
hymen, hymenée! 
Hymen , o hymenée ! 

Plus qu'à nulle autre aussi 
Parfaite est son attente , 
Jointe à ce prince icy 

gui nostre âge contente, 
omme l'anneau décore 
Le diamant de chois , 
Ainsi sa gloire honore 



a. Var. {ii$o): 

Douze vierges venues 
Ces beaux vers luy ont dit. 
En chantant toutes nues 
A Ventour de son lit.. 

b. Var, (1550) : 

Telle qu*est une rose 
Nie au mois le plus doux . 
Sur toute fleur déclose j 
Telle elle est entre nous. 



QUATRIESME LiVRE. 24; 

Les princes et les rois. 
O hymen, hymenée! 
Hymen, ô hymenée! 
Il n'eust pas mieux trouvé 

$iie toy, vierge excellente, 
oire eost-îl esprouvé 
La course d'Atalante, 
Ne la Grecque amoureuse 
N'eustpas voulu changer 
Telle alliance heureuse 
Au pasteur estrancer («).. 
O hymen , hymenée i 
Hymen j ô hymenée! 
^ Le Ciel fera beaucoup 
Pour tout le monde enseml)k, 
Si tu conçois un coup 
Un fils qui te resemble. 
Où Thonneur de ta face 
Soit peint, et de tes yeux, 
Et ta céleste grâce, 
Qui tenteroit les Dieux (H 
O hymen, hymenée! 
Hymen, 6 hymenée! 

Cessez , flambeaux , là haut , 
Vos clartez coustumieres; 
Ce soir, mais ce jour^ vaut 
Cinq cens de vos lumières ; 
. Car les amours i]ui dardent 

tf. Var. (1550): 

Ny ta jeunesse heureuse 
He voudroit pas changer 
A la grecque amoureuse 
Qui suivit l'estranger. 

b, Var. (1550): 

Divin* présent dts'ciiâx . 



144 Ode»^ 

Icv îearfeu <}uiiuit, 
Plus que les astres ardent 
L'espesseur de la nuit. 
O hyn»en, hymeneel 
Hymen , 6 hymence l 

Maint soir jadis fut bien 
Du lict des Dieux coulpable. 
Mais nul d'un si grand bien 
Ne fut oncques capable ; 
Et si tu peux bien croire , 
Heureux soir, désormais^ 
Que tu seras la gtoire 
Des soirs pour tout jamais. 
hymen , hymenée ) 
Hymen, 6 hymenée! 

Nymphes, ck vo» couleur» 
Ornez leur couche sainte 
Des plus gentilles fteurs 
Dont la terre soif peinte. 
Que menu Pon y jette 
Cet excellent butin 
Que le marchant achette 
Bien loing sous le matin. 
O hymen , hymenée ! 
Hymen , ô hymenée ! 

Et vous , divin troupeau 

?ui les eaux de Pégase 
ênez , et le coupeau 
Du chevelu Parnase, 
Venez, divine race, 
Offrir vos lauriers vers , 
Et , prenant nostre place , 
Chantez vos meilleurs vers. 
hymen! hymenée, 
Hymen , ô hymenée I 

Car Pardeur oui nous tient 
Nous guide par les plaines 
Que le Loir entretient 



QiJATRiESME Livre. a4{ 

De verdeur toujours pleines. 
Là, nous nt verrons prée 
Sans leur faire un autel , 
N'eau qui ne soit sacrée 
A leur nom immortel. 
O hymen, hy menée J 
Hymen, 6 hymenée! 

Cependant consommez 
Vos nopces ordonnées, 
Et les feux allumez 
De vos amours bien-nées. 
La chaste Cyprienne (i). 
Ayant -son ces)^ ceint , 
Avec les Grâces vienne 
Compagne à l'œuvre sainL 
O hymen , hymenée 1 
Hymen, 6 hymenéel 

Af n que le nœud blanc 
De foy loyale assemble 
De Navarre le sang 
Et de Bourbon ensemble ^ 
Plus estroit que ne serre 
La vijgne les ormeaux , 
Ou i'importun lierre 
Les appuyans rameaux. 
O hymen , hymenée ! 
Hymen , 6 hymenée ! 

Adieu, Prince, adieu soir. 
Adieu , Pttcelle encore , 
Nous te reviendrons voir 
Demain avec l'Aurore, 
Pour prier Hymenée 
De vouloir prendre à gré 

I . Car il y a deux sortes de Venus , comme deux sottci 
4'amours ; or, teste chaste Venus est en represenution de 
^rfaicte obéissance conjugale, qui suit tousjours la pudidté 
4des iiemmet. (E.) 



246 Odes. 

Nostre chanson sonnée 
Sur vostre liet sacré (a). 
O hymen , hymenée ! 
Hymen , à hymenée f 



AU PAYS DE VENDOMOIS. 
Ode III. 

L'ardeur qui Pythagorc 
En Egypte a conduit ^ 
Me venant ardre flhcore 
Comme lui , m'a séduit 
A celle fin que i*erre 
' ' Par le païs enclos 
De deux mers (')> et qui serre 
De Saturne les os. 

Terre, adieu y qui première 
En tes bras m'a reçeu y 
Quand la belle lumière 
Du monde j'apperçeu l 
Et toy, Braye, qui roules 
En tes eaux fortement, 
Et toy, mon Loir, qui coules 
Un peu plus lentement I 

Adieu , fameux rivages 
De bel esmail couvers , 
Et vous , antres sauvages. 
Délices de mes veri. 

M. Var. (rj$o) r 

Pour prier ta hautesst- 
Ne mettre en nonchaloir 
De nostre petitesse 
Ce bien humble watoài 

i. Par ritalic. (R.) 






QuATRiESMÈ Livre. â47 

Et vous, riches campagnes, 
Où presque enfant je vy 
Les neuf Muses compagnes 
M 'enseigner à Tenvy ! 

Je verray legrana Mince (i)> 
Le Mince tant cognu , 
Et des fleuves ie prince , 
Erîdan le cornu (2), 
Et les roches hautaines 
Que donta TAfrican ()) 
Par les forces soudaines 
Du soullre et du Vulcan. 

De la Serene antique 
Je verray le tombeau (4), 
Et la course erratique 
D'Arethuse (J), dont l'eau, 
Fuyant les bras d'Alphée, 
Se desrobe à nos yeux, 
Et Etna, le trophée 
Des victoires des Dieux. 

Je verray ceste ville 
Dont jadis le gr^nd heur 
Rendit à soy serviie 
Du monde la grandeur; 
Et celle qui entr'ouve 
Les flots à l'environ («), 

1 . Fleuve qui passe à Mantoue et est fameux à cause de 
Virgile. (R.) 

2. Le Po, grand fleuve de la Lombardie. (R.) 

). Les Alpes, à travers lesquelles Hannibal se fit un pas- 
sage prodigieux. (R.) 

4. La ville de Naples, où est enterrée Parthenope, Tune 
des Serenes. (R.) 

5. La Sicile, où est ceste fameuse fontaine d*Arethuse, qui 
fut une belle chasseresse, laquelle, fuyant l'amour d'Alphée, 
fut changée en fonutne. (R.) 

. I . Venise. Au surplus est élégant et ancien de représenter 
ainsi quelque lieu par ses proprietez particulières. (R.) 



248 Odes. 

Et riche se descouvre 
Dans i'humide giron. 

Plus les beaux vers d'Horaœ 
Ne me seront plaisans. 
Ne la thebaine grâce , 
Nourrice de mes ans ; 
Car ains que tu reviennes ^ 
Petite lyre, il faut 
Que trompe tu deviennes 
Pour resonner plus haut. 

Soit que tu te hazardes 
D*oser chanter l'honneur 
Des victoires picardes 
Que gaigna mon seigneur; 
Ou soit qu'à la mémoire. 
Par un vers assez bon , 
Tu consacres la gloire 
Des princes de Bourbon. 

Heureux celuy je nomme 
Qui , de savoir pourveu , 
A les mœurs de maint homme 
En mainte terre veu , 
Et dont la sage addresse 
Et le conseil exauis 
Du fin soudart ae Grèce (1) 
Le nom luy ont acquis. 

Celuy la grand' peinture 
Du ciel n'ignore pas , 
Ne tout ce que nature 
Fait en haut et çà bas. 
De Mars la fière face - 
Ne luy fit oncq effroy^ 
Ne l'horrible menace 
D'un sénat ou d'un roy. 

Son asseuré courage , 

1. D'Ulysse, que Sophocle, à cause de cela, ai^>etle renard 
d'Ithaque, en son Ajax. (R.} 



QUATRIESME LlVRE; 249 

Basty sur la vertu , 
Par nul humain orage 
Ne fut onc abattu : 
Car d'une aile non molle 
Fuit ce monde odieux 
Et indompté s'envoie 
Jusqu'au siège des Dieux (a). 



DE L'ELECTION DE SON SEPULCHRE. 

Ode IV. 

Antres , et vous fontaines , 
De ces roches hautaines 
Qui tombez contre-bas 
D'un glissant pas; 

Et vous forests, et ondes 
Par ces prez vagabondes , 
Et vous rives et bois, 
Oyez ma vois. 

Quand le ciel et mon heure 
Jugeront que je meure, 
Ravi du beau séjour 
Du commun jour, 

Je defens qu'on ne rompe 
Le marbre pour la pompe 
De vouloir mon tombeau 
Bastir plus beau. 

M. Vir. (1J87) : 

Son teint n'est jamais hfesmc 
D*un pecké dissolu ; 
Tout seignfur de soy-mesme. 
Tout SIM, et résolu. 



250 Odes. 

le veuil , j*'enten , j'ordonne 
^u'un sepukhre on me donne , 
Ton près des rois levé 
Ny d'or gravé , 

Mais en cette isle verte 
Oh la course entrouverte 
Du Loir autour coulant 
Est accollant , 

Là où Braye s'amie 
D'une eau non endormie 
Murmure à Tenviron 
De son giron (»).] 

Mais bien je veux qu'un arbre 
M'ombrage en lieu d'un marbre, 
Arbre qui soit couvert 
Tousjours de verd. 

De moY puisse la terre 
Engendrer un lierre 
M 'embrassant en maint tour 
Tout à l'entour; 

Et la vigne tortisse 
Mon sepukhre embellisse , 
Faisant de toutes pars 
Un ombre espars. 

Là viendront chaque année 
A ma feste ordonnée, 
Avecques leurs troupeaux, 
Les pastoureaux; 

Puis, ayans fait l'office 
De leur beau sacrifice, 
Parlans à l'isle ainsi, 
Diront ceci : 



I . Ces trois stances ne se trouvent que dans les odes de 
1550. 






QUATRIESME LiVRE. 2^1 

«c Que tu es renommée 
D'estre tombeau nommée 
D'un de qui l'univers 
Chante les vers, 

(K Et qui oncque en sa vie 
Ne fut brûlé d'envie, 
Mendiant les honneurs 
Des grands seigneurs, 

« Nv n'enseigna l'usage 
De l'amoureux breuvage , 
Ny l'art des anciens 
^ Magiciens , 

« Mais bien à nos campagnes 
'Fit voir les Sœurs compagnes 
Foulantes l'herbe aux sons 
De ses chansons, 

« Car il fit à sa lyre 
Si bons accords eslire 
Qu'il orna de ses chants 
Nous et nos champs! 

« La douce manne tombe 
A jamais sur sa tombe , 
Et l'humeur que produit 
Eh may la nuit ! 

a Tout à l'entour l'emmure 
L'herbe et l'eau qui murmure, 
L'un tousjours verdoyant, 
L'autre ondoyant ! 

a Et nous, ayans mémoire 
Du renom de sa gloire, 
Luy ferons, comme à Pan, 
Honneur chaque an. i» 

Ainsi dira la troupe , 
Versant de mainte coupe 



252 Odes. 

Le sang d'un agnelet , 
Avec du lait, 

Dessus moy, qui à l'heure 
Seray par la demeure 
Où les heureux esprits 
Ont leur pour pris. 

La gresle ne la nége 
N'ont tels lieux pour leur siège, 
Ne la foudre oncques lA 
Ne dévala. 

Mais bien constante y dure 
L'immortelle verdure , 
Et constant en tout temps 
Le beau printemps. 

[Et Zephire y alaine 
Les myrtes et la plaine 
Qui porte les couleurs 
De mille fleurs.] 

Le soin qui sollicite 
Les rois ne les incite 
Le monde ruiner 
Pour dominer, 

Ains comme frères vivent, 
Et , morts , encore suivent 
Les mestiers qu'ils avoient 
Quand ils vivoient. 

Là, là j'oirray d'Alcée 
La lyre courroucée, 
Et Sapphon , qui sur tous 
Sonne plus dous. 

Combien ceux qui entendent 
Les odes qu'ils respendent 
Se doivent réjouir 
De les ouir! 



QUATRIESME LIVRE. 25} 

Quand la peine receue 
Du rocher est deceue , 
Et quand saisit la faim 
Tantale en vain. 

La seule Ivre douce 
L'ennuy aes cœurs repousse , 
Et va l'esprit flatant 
De 1 escoutant. 



A GUY PACATE, PRIEUR DE SOUGÉ('). 

Ode V. 

Guy, nos meilleurs ans coulent 
Comme les eaux qui roulent 
D'un cours sempiternel ; 
La mort pour sa seauelle 
Nous ameine avec elle 
Un exil éternel. 

Nulle humaine prière 
Ne repousse en arrière 
Le bateau de Charon , 
Quand l'ame nue arrive 
Vagabonde en la rive 
De Styx et d'Acheron. 

Toutes choses mondaines 
Qui vestent nerfs et veines 
La mort égale prend ^ 
Soient pauvres ou soient princes ; 
Car sur toutes provinces 
Sa main large s'estend. 

La puissance tant forte 
Du grand Achille est morte, 

1 . Cette ode, dans les éditions posthumes , est adressée i 
Jean Durât , son précepteur. 



254 Odes. 

Et Thersite, odieux 
Aux Grecs, est mort encores; 
Et Minos qui est ores 
Le conseiller des dieux . 
Jupiter ne demande. 

Sue des bœufs pour offrande; 
'ais son frère rluton 
Nous demande, nous hommes, 
Qui la victime sommes 
De son enfer glouton. 

Celuy dont le Pau baigne 
Le tombeau nous enseigne 
N 'espérer rien de haut, 
Et celuy que Pégase 
(Qui fit sourcer Parnase) 
Culbuta d'un grand saut. 

Las! on ne peut cognaistre 
Le destin qui doit naistre, 
Et Phorome en vain poursuit 
Conjecturer la chose 
Que Dieu sage tient dose 
Sous une obscure nuit. 

Je pensois oue ta trope 
^ue guide Calliope, 
1*oupé mon seul confort, 
Soustiendroit ma querelle, 
Et qu'indonté par elle ' 
Je donterois la mort. 

Mais une fièvre grosse 
Creuse déjà ma fosse 
Pour me banir là bas , 
Et sa flame cruelle 
Se paist de ma mouelte , 
Misérable repas. 

Que peu s'en faut, ma vie, 

Sue tu ne m'es ravie 
lose sous le tombeau , 
Et que mort je ne voye 



t 



QUATRIESMB LiVRE. 2)$ 

Où Mercure coiïvoye 
Le débile troupeau ! 

[Et ce Grec qui les peines 
Dont les guerres sont pleines 
Va là bas racontant , 
Poète qu'une presse 
Des épaules espaisse 
Admire en l'écoutant.] 

A bon droit Prométhée 
Pour sa fraude inventée 
Endure un tourment tel , 
Qu'un aigle sur la roche 
Luy ronge d'un bec croche 
Son poumon immortel. 

Depuis qu'il eut robée 
La flame prohibée , 
Pour les dieux despiteti 
Les bandes incogneues 
Des fièvres sont venues , 
Parmi nous habiter, '■'> 

Et la mort despiteuse ^ 
Auparavant boiteuse , 
Fut légère d'aller; 
D'ailes mal-ordonnées 
Aux hommes non données « - 
Dédale coupa l'air. 

L'exécraole Pandore 
Fut forgée , et encore 
Astrée s'en-vola, 
Et la boîte féconde 
Peupla le pauvre monde 
De tant de maux qu'il a. 

Ah ! le meschant courage 
Des hommes de nostre âge' ^ 

N'endure pas ses faits; - 
Que Jupiter estuye 
Sa foudre , qui s çnnuje. 
Venger tant de mesfaits ! 



256 Odes. 



VŒU A LUCINE. 
Aux couches d'Anne Tiercelin. 

Ode VL 

O déesse puissante 
De pouvoir secourir 
La vierge languissante 
Déjà preste à mourir, 
Quand la douleur amere 
D'un enfant la rend mère! 

Si , douce et secourable, 
Heureusement tu veux 
D'aureille favorable 
Ouïr mes humbles vœux , 
J'esleveray d'y voire 
Une image à ta gloire; 

Et moy, la teste ornée 
De beaux lis fleurissans , 
Iray trois fois l'année 
La parfumer d'encens , 
Accordant sur ma lyre 
L'honneur de ton Osire. 

[Descens, déesse humaine , 
Du ciel^ et, te hâtant, 
La santé douce ameine 
A celle qui l'attend , 
Et d'une main maistresse 
Repousse sa détresse.] 

Ainsi tousjours t'honore 
Le Nil impétueux y 
Qui Neptune colore 
Par sept huis fluctueux; 
Ainsi tousjours ta pompe 
Danse au bruit de la trompe. 



QUATRIESME LlVRE. 257 

Toy, déesse Lucine, 
Requise par trois fois, 
De la vierge en gesine 
Tu escoutes la vois, 
Et desserres la porte 
Au doux, fruict qu'elle porte. 

Tu as de la nature 
La clef dedans tes mains ; 
Tu donnes l'ouverture 
De la vie aux humains , 
Et des siècles avares 
Les fautes tu repares. 



VŒU AU SOMME. 
Ode IV. 

Somme, le repos du monde, 
Si d'un pavot plein de Ponde 
Du grand fleuve oblivieux 
Tu veux arrouser mes yeux , 
Tellement que je reçoive 
Ton doux présent qui déçoive 
Le long séjour de la nuit , 
Qui trop lente pour moy fuit , 

Je te voue une peinture 
Où l'effet de ta nature 
Sera pourtrait à l'entour, 
S'entresuivant d'un long tour 
Tous les songes et les formes 
Où la nuict tu te transformes 
Pour nos esprits contenter, 
Ou pour les espouvanter. 

A grand tort Homère nomme 
Frère de la mort le somme, 

Ronsard. — il. 17 



2j8 Odes. 

Qui charme tous nos ennuis 
Et la paresse des nuits , 
Voire que nature estime 
Comme son fils légitime. 

Le soin qui les rois espoint 
L'esprit ne me ronge point; 
Toutefois la tarde aurore 
Me void au matin encore. 
Parmy le lict travailler, 
Et depuis le soir veiller. 

Vien donques, somme, et distile 
En mes yeux ton onde utile, 
Et tu auras en pur don 
Un beau tableau pour guerdon. 



M 



ODE Vin. 

ais qne me vaut d'entretenir 

Si cnerement un souvenir 

Qui , hoste de mon cœur, je ronge, 
Et tousjours me fait devenir 
Réveur<omme un homme qui songe ? 

Ce n*est pas moy, c'est toy, mon cœur, 
Qui , pour allonger ma langueur, 
Desloyal envers moy te portes , 
Et, pour faire un penser vainqueur. 
De nuict tu luy ouvres mes portes. 

Tu ne te sçaurois excuser 
Que tu ne viennes m'abuser. 
Et qu'à tort ne me sois contraire, 
Qui veux mon party refuser 
Pour soustenir mon adversaire. 

Mais en qui me dois-je fier. 
Quand, chetif, je me voy lier 



QUATRIESME LiVRE. 2$$ 

De mes gens qui me viennent prendre , 

Pourestre fait le prisonnier 

De ceux qui me aevroient défendre ? 

Ce penser n'eust logé chez moy 
S'il n'eust eu trafica avec toy; 
Sors, cœur, de |a place ancienne; 
Puis que tu m*as rompu ta foy, 
Je te veux rompre aussi la mienne. 

Sors doncq , si tu ne veux périr 
De telle mort gu'on fait mourir 
Le soudart qui rompt safoy vaine , 
Pour aller, traistre, secourir 
L'éhnemy de son capitaine. 



A CASSÀNDRE. 
Ode IX. 

ff^ uand je suis vingt ou trente mois 
^SwSans retourner en Vendomois , 
Plein de pensées vagabondes, 
Plein d'un remors et d'un souci , 
Aux roçliers je me plains ainsi , 
Aux peis^ kux antres , et aux ondes : 

Rochers , bien que soyez âgez" " 
De trois mil ans, vous ne changez 
Jamais ny d'estat ny de forme; 
Mais tousjours ma jeunesse fuit , 
Et la vieillesse qui me suit 
De jeune en vieillard me transforme. 

Bois, bien que perdiez tous tes ans 
En hy ver vos cheveux mouvans , 
L'an d'après qui se renouvelle 
Renouvelle aussi vostre chef; 



/ 



26o Odes. 

Mais le mien ne peut de rechef 
Ravoir sa perruque nouvelle. 

Antres j je me suis «eu chez vous 
Avoir jadis verds les genous , 
Le corps habile et la main bonne ; 
Mais ores j'ay le corps plus dur, 
Et les genous, que n'est le mur 
Qui froidement vous environne. 

Ondes , sans fm vous promenez , 
Et vous menez et ramenez 
Vos flots d'un cours qui ne séjourne; 
Et moy, sans faire long séjour, 
Je m'en vais de nuict et de jour, 
Au lieu d'où plus on ne retourne. 

Si est-ce que je ne voudrois 
Avoir esté ni roc ni bois , 
Antre ni onde , pour défendre ., 
Mon corps contre Tâge emplumé :' 
Car, ainsi dur, je n'eusse aimé 
'Toy qui m'as fait vieillir, Cassandre. 



LE RAVISSEMENT DE CEPHALE 
Divisé en trois pauses. 

Ode X. 

Premiert pause. 

L'hyver, lors que la nuict lente 
Fait au ciel si long séjour, 
Une vierge vigilante 
S'éveilla devant le jour ; 
Puis, par les antres humides 
Où les Dieux dormoient enclos, 



QUATRIESME LiVRE. iSî 

Hucha les sœurs Ncreïdes 

Qui ronfloient au bruit des flots : 

« Sus , réveillez-vous , pucetles ! 
Le sommeil n^a jamais pris * 
Les yeux curieux de celles 
Qui ont un œuvre entrepris. » 
Geste parolle mordante 
Leur front si honteux a fait, 
Que ià chacune est ardantc 
Que Touvrage soit parfait. 

D'une soye non commune , 
Et d*un or en Cypre esleu , 
Elles brodoient à Neptune 
Lé tissu d'un manteau bleu , 
Pour mener Thetis la belle 
Où le& Dieux sont jà venus , 
Et où son mary Tappelle, 
Aux doux presens de Venus. 

Au vif traite y fut la terre 
En boule arrondie au tour, 
Avec la mer qui la serre 
De ses? bras tout à l'entour. 
Au milieu d'elle une orage 
Mouvoit ses flots d'ire pleins. 
Pâlies du futur naufrage 
Les mariniers estoient peints. 

Desamiée est leur jlavire 
Du haut jusqu'au fondement , 
Çà et là le vent la vire, ' ^^■ 
Serve à son commandement. 
Le ciel foudroyé , et les fiâmes 
Tombent d'un vol escarté , 
Et les longs esclats des rames 
Vont léchant de leur clarté. 

[La mer pleine d'inconstance 
Bruit d'une bouillonnante eau, 
Et , toute dépite , tance 
Les flancs du vaincu .bateau. 



262 Odes.. 

D'une soie et noire et perse 
Cent nues entrelaçoient 

?ui d'une longue traverse 
out le serein effaçoient. 

Si que la pluie et la gresle , 
Le vent et les tourbillons , 
Se menacent pèle mêle 
Sur les humiaes sillons. 
Les bords, en voix eiroyantes. 
Crient d'être trop lavés 
Des tempestes aboyantes- 
Autour ae leurs pieds caves.] 

Neptune y fut peint luy-mesme 
Brode d'or, qui , du danger 
Tirant le marinier blesme, 
L'eau en l'eau faisoit ranger. 
Les troupes de la mer grande 
Sont leur prince environnans , 
Palemon, Glauque^ et la bande 
Des Tritons bien resonnants.. 

Luy, les brides abandonne 
A son char, si au'en glissant 
Sur la mer, ses toix il donnje 
Au flot luy obéissant; 
Et, se jouant dessus l'onze. 
Se monstre seul gouverneur 
Et roy de l'humide monde 
Qui s'encline à son honneur. 

Elles cessoient de pourtraire 
De verd j de rouge et vermeil^ 
L'arc qui s'enflame au contraire 
Des sagettes du soleil , 

?iiand Naîs de sa parolle 
eit. ainsi résonner l'air; 
De sa voix doucette et molle 
Le^sucre sembloit couler. 



QuATRi^SME Livre. 263 

Secondt pause. 

Réveillez-vous, belle Aurore, 
Lente au lict vous sommeillez , 
Et avecques vous encore 
Le beau matin réveillez. 
Ainsi le dolent Cephale 
Vous soit amiable et dous, 
Et 2 laissant sa femme paste, 
Daigne aller avecque vous. 

Le fils de Vernis, compagnes, 
Ce cruel archer qui peut 
L'air, la mer et les campagnes 
Gesner d'amour, quand il veut, 
D'une ruse deceptive 
Nostre Aurore en-amoura, 
Si bien que d'elle captive 
Ses trophées honora. 

Elle , qui a de coustume 
D'allumer le jour, voulant 
L'allumer, elle s'allume 
D'un brandon plus violant. 
Passant les portes décloses 
Du ciel, elle alloit devant, 
Çà et là versant des roses 
Au sein du soleil levant. 

Son teint de nacre et d'yvoire 
Le matin embellissoit , 
Et du comble de sa gloire 
L'orient se remplissoit; 
Mais Amour, en son courage. 
N'endura qu'un si beau teint 
Ne sentist un peu la rage 
Dont les amants il atteint. 

Contre la belle il s'efforce, 
Et , luy tenant les yeux bas , 
Luy fit voir d'en haut, par forcer 



264 Odes* 

Ce que voir ne devoit pas : 
Elle vid dans un bocage 
Cephale, parmy les fleurs. 
Faire un large marescage 
De la pluye de ses pleurs. . 

a O ciel! disoit-il, ô Parque! 
Avancez mon jour dernier. 
Et m'envoyez en la barque 
De Pavare nautonnier! 
Je hay de vivre Tenvie, 
Ce monde m'est odieux; 
Puis que j*ay tué ma vie^ 
A quoy me gardent les dieux? 

<K O javelot exécrable l 
Tu m*es tesmoin aujourd'huy 
Qu'on ne void rien de durable 
En ce monde que l'ennuy l » 
Ainsi disant, il se pâme 
Sur le corps qui trespassoit, 
Et les reliques de Famé 
De ses lèvres amassoit. 

L'Aurore , au dueil de sa plainte , 
Malade, perd sa couleur, 
Et toute se sent estrainte 
Des lacs de mesme douleur. 
Par une nouvelle porte , 
En elle te dard vainqueur > 
Entra d'une telle sorte 
Qu'il se fit roy de son cœur. 

Ses mouelles sont ia pleines 
D'un appétit desreiglé. 
Et nourrit au fond des veines 
Un feu d'amour aveuglé; 
Ja le ciel elle desprise, 
Et plus d'aimer^ n a souci 
De Tithon la barbe grise, 
L'Orient, ny elle aus^i. 

Cephale , qui luy retourne 



QUATRIESME LiVRB. 265 

En Famé pour roffenser, 
Au plus haut sommet séjourne 
De son malade penser. 
Et dedans Tame blessée 
La fièvre luy entretient 
Ores chaude , ores glacée , 
Selon que Paccez la tient. 

En vain e|le dissimule 
Ne sentir le mal qui croist/ 
Car la flame qui la brusle 
Claire au visage apparoist; 
Au pourpre que honte allume 
Par rayons dedans son teint, 
On void qu'outre sa coustume 
Son cœur est pris et atteint. ^ 

Si tost par la nuict venue 
Les cieux ne sont obscurcis , 
Qu'elle couche à terre nue 
Sans abaisser les sourcis ; 
Car Pamour qui Téguillonne 
Ne souffre que le dormir 
En proye à ses yeux se donne ; 
Elle ne fait que gemir^ 

Et, bien que de loin absente 
De Tabsent Cephalesoit, 
Comme s'elle estoit présente , 
En son esprit Tapperçoit ; 
Ores prompte en ceci pense , 
Et ores pense en cela ; 
Sa trop constante inconstance 
Ondoyé deçà et là. 

Mais quand le paresseux voile 
De la nuict quitte les cieux , 
Et que nulle et nulle estoile 
Plus ne se monstre à nos yeux , 
Elle fuit eschevelée ^ 

Portant bas le front et l'œil , 
Et par bois et par valée 



266 Odë5. 

Lasche la bride à son dueil. 

[D'herbes Pignorante essaie 
De dompter le mal enclos, 
Mais pour néant , car la plaie 
Est jà compagne de Pos. 
Aux augures eir prend garde, 
Aux charmeurs et à leurs vers , 
Ou bien , béante , regarde 
Le fond des gésiers ouverts , 

Pour voir si en quelque sorte 
Pourra tromper sa douleur ; 
Mais nulle herbe, tant soit forte, 
N'a diverti son malheur : 
Car le mal qui plus s'encheme 
Et moins veut estre dompté 
Les vagues brides gouverne 
Du cœur par lui surmonté.] 

Amour, oui causa la peine 
De telle araante amitié, 
La voyant d'ennuy si pleine, 
En eut luy-mesme pitié. 
Et, guidant la foible Aurore, 
La meine où Cephale estoit , 
Qui sa femme morte encore 
A longs souspirs regrettoit. 

L'eshontée maladie 
La vierge tant pressa là. 
Qu'à la fin toute hardie 
A Cephale ainsi parla : 
« Pourquoy pers-tu de ton âge 
Le printemps à lamenter 
Une froide et morte image 
Qui ne te peut contenter? 

Elle à la mort fut sujette , 
Non pas moy, le sans des dieux ; 
Non pas moy, nymphe qui jette 
Les premiers rayons aux cieux ; 
Reçoy-moy donques, Cephale, 



QUATRIESME LiVRE. '267 

Et ta basse aualité 
D'un estroit tien égale 
A mon immortalité. » 

Luy, desdaignant sa prière , 
Fuit la suppliante vois , 
Et tout despit en arrière 
S'escarta dedans les bois : 
Elle , comme amour la porte , 
Vole après et çà et là , 
Le presse et ja sa main forte 
Dedans ses cheveux elle a ; 

Puis comme un aigle qui serre 
Un lièvre en ses pie£ donté, 
En luy faisant perdre terre , 
Par force au ciel Ta monté , 
Où avecques luy encores 
Est maintenant à séjour. 
Et bien peu se soucie ores 
De nous allumer le jour. 

TroUicsme pause. 

Ainsi Pune de la bande 
Mettoit fin à son parler, 
Quand le Dieu marin deiflande 
Sa robe pour s*en-aller ; 
D'elle richement s'habille , 
S'agençant de mains et d'yeux, 
Pour mener en-poinct sa fille 
A l'assemblée des dieux , 

Où Themis , la grand' prestresse , 
Pleine d'un esprit ardant, 
La tirant hors de la presse 
Lujr dit en la regardant : 
« Bien qu'Inon soit ta compagne , 
Reçoy pourtant doucement 
Ton mary, et ne desdagne 
Son mortel embrassement. 



268 Odes. 

Ains que soit la lune entière 
Dix fois , tu dois enfanter 
Un qui donnera matière 
Aux poètes de chanter. • 

Le monde pour un tel homme 
N'est pas assez spacieux; 
Ses vertus reluiront comme 
Les estoiies par les cieux. 

Il passera de vistesse 
Les lyons , et nul soudart 
Ne trompera la rudesse 
De son homicide dard, 
Prompt à suivre comme foudre ; 
Sa mam au sang souillera 
De Telephe, et sur la poudre 
Mille roys despouillera ; r 

Et si fera voir encore , 
Tant ses coups seront pesans , 
Au noir enfant de l'Aurore 
Les enfers devant ses ans ; 
Et après avoir de Troye 
Le fort rampart abatu , 
Ilion sera la proye 
Des Grecs et de sa vertu. » 



Ode XL 



Ma douce jouvence est passée , 
Ma première force est cassée, 
J'ay la dent noire et le chef blanc j 




. icmes 
Que d'une eau rousse en lieu de <»ang. 

Adieu , ma lyre ; adieu , fillettes , 
Jadis mes douces amourettes, 



QUATRIESME LIVRE. 269 

Adieu , je sens venir ma fin ; 
Nul passetemps de ma jeunesse 
Ne m'accompa^e en la vieillesse, 
Que le feu, le lict et le vin. 

J'ay la teste toute estourdie 
De trop d'ans et de maladie ; 
De tous costez le soin me mord , 
Et, soit que j'aille ou que je tarde, 
Tousjours après moy je regarde 
Si je verray venir la mort, 

Qui doit, ce me semble, à toute heure 
Me mener là bas , où demeure 
Je ne sçay quel Pluton , qui tient 
Ouvert à tous venans un antre. 
Où bien facilement on entre , 
Mais d'où jamais on ne revient. 



Ode XII. 

Pourquoy, chetif laboureur, 
Trembles tu d'un empereur 
Qui doit bien tost, légère ombre, 
Des morts accroistre le nombre ? 
Ne sçais-tu qu'à tout chacun 
Le port d'enfer est commun , 
Et qu'une ame impériale 
Aussi tost là bas dévale 
Dans le bateau de Charon 
Que l'âme d'un bûcheron ? 

Courage , coupeur de terre ! 
Ces grands foudres de la guerre 
Non plus que toy n'iront pas 
Armez d'un plastron là bas 
Comme ils alloient aux batailles : 
Autant leur vaudront leurs mailles. 



ayo Odes. 

Leurs lances et leur estoc, 
Comme à toy vaudra ton soc. 

Car le juge Rhadamante , 
Asseuré , ne s'espouvante 
Non plus de voir un hamois 
Là bas qu'un levier de bois , 
Ou voir une souquenie 
Qu'une cape bien garnie , 
Ou qu'un riche accoustrement 
D'un roy mort pompeusement. 



Ode XIIL 

Les espics sont à Cerès . 
Aux Chèvre-pieds les forêts, 
A Chlore l'herbe nouvelle, 
A Phebus le verd laurier, 
A Minerve l'olivier. 
Et le beau pin à Cybelle ; 

Aux Zepnyres le doux bruit, 
A Pomone le doux fruit. 
L'onde aux Nymphes est sacrée , 
A Flore les belles fleurs; 
Mais les soucis et les pleurs 
Sont sacrez à Cytherée. 



L 



Ode XIV('). 

e petit enfant Amour 
Cueilloit des fleurs à l'entour 
D'une ruche, où les avettes 
Font leurs petites logettes. 
Comme il les alloit cueillant, 

I. Imitée d'Anacréon. 



QuATRiESME Livre. 171 

Une avette sommeillant 
Dans le fond d'une fleurette , 
Luy piqua la main tendrette. 

Si tost que piqué se vit , 
Ah ! je suis perdu , ce dit ; 
Et, s'en-courant vers sa mère, 
Luy monstra sa playe amere : 

Ma mère , voyez ma main , 
Ce disoit Amour tout plein 
De pleurs , voyez quelle enflure 
M'a fait une esgratignure ! 

Alors Venus se sou-rit, 
Et en le baisant le prit , 
Puis sa main luy a souflée 
Pour guarir sa plaie enflée. 

Qui t'a, dv-moy, faux garçon , 
Blessé de telle façon ? 
Sont-ce mes Grâces riantes , 
De leurs aiguilles poignantes ? 

Nenny, c'est un serpenteau , 
Qui vole au printemps nouveau 
Avecques deux ailerettes 
Çà et là sur les fleurettes. 

Ah ! vrayment je le cognois , 
Dit Venus ; les villageois 
De la montagne d' H y mette 
Le surnomment une avette {a). 

Si donques un animal 
Si petit fait tant de mal , 
Quand son halesne espoinçonne 
La main de quelque personne, 

Combien fais-tu de douleurs 
Au prix de luy, dans les cœurs 
De ceux contre qui tu jettes 
Tes homicides sagettes ? 

a. Var. 1584: 

Le surnomment Mtlissette, 



272 Odes. 



Ode XV. 

Chaste troupe pierienne , 
Qui de Tonde hippocrenienne 
Tenez les rives , et le mont 
D'Heme , et les verdoyans bocages 
De Pinde , et les antres sauvages 
Du sainct Parnasse au double front I 
Vous de Peau poissonneuse fille , 

?ui dans le creux d'une coçjuîlle 
mstes à Cypre, et qui Gnidon 
Gouvernez, et Paphe et Cythere, 
Venus , la nere-douce , mère 
De ce bon enfant Cupidon ! 

Vous, Grâces, d'une escharpe ceintes, 
Qui dessus les montaignes saintes 
De Colche , ou dans le fond du val 
Soit d'Amathonte, ou soit d'Erie, 
Toute nuict sur Therbe fleurie 
En un rond démenez le bal 1 
Et vous Dryades, et vous Fées, 

8ui de joncs simplement coifées 
agez par le cristal des eaux , 
Et vous qui les prenez à force, 
Faunes, qui vivez sous Técorce 
Et dans le tronc des arbrisseaux (â). 

Ornez ce livre de lierre , 
Ou de myrthe , et loin de la terre 
S'il vous plaist enlevez ma vois; 

tf. Var. 1J87 : 

Fendant des fleuves les entorses. 
Et qui naissez sous les escortes, 
Ames vertes des arbrisseaux. 



QUATRIBSME LIVRE. ZJl 

Et faites que tousjonrs ma lyre 
D'âee en âge s'entende bruire 
Du More jnsques à PAnglois. 



Ode XVI (I). 

"NT agueres chanter je voulois 
Il Comme Francus au bord gaulois 
Avec sa troupe vint descendre ; 
Mais mon luth pincé de mon doy 
Ne vouloit en despit de moy 
Que chanter amour et Cassandre. 

Je pensois (d'autant que tousjours 
J'avois dit sur luy mes amours) 
Que ses cordes par long usage 
Chantoient d'amour, et qu'il falloit 
En mettre d'autres s'on vouloit 
Luy apprendre un autre langage. 
Et pour ce faire il n'y eut fust, 
Archet ne corde qui ne fust 
Echangée en d'autres nouvelles; 
Mais après qu'il fut remonté. 
Plus fort Que devant a chanté 
De Venus les flammes cruelles. 

Or. adieu donc, pauvre Francus , 
Ta gloire sous tes murs vaincus 
Se cachera tousjours pressée , 
Si à ton neveu nostre Roy 
Tune dis qu'en l'honneur detoy 
Il face ma lyre crossée. 

1 . Imitation de la première d'Anacreon. (R.) 



Ronsard, ^ II. i8 



a74 Odes. 



Ode XVII. 

De neuf à dix syllabes. 

Chere Vcsper, lumière dorée 
De la belle Vénus Cytherée , 
Vesper, dont la belle clarté luit 
Autant sur les astres de la nuit 
Que reluit par dessus to^ la lune ; 
claire image de la nuict brune , 
En lieu du beau croissant tout ce soir 
Donne lumière , et te laisse choir 
Bien tard dedans la marine source. 

Je ne veux, larron , oster la bourse 
A Quelque amant, ou comme un meschant 
Voleur, dévaliser un marchant ; 
Je veux aller outre la rivière 
Voir m'amie ; mais sans ta lumière 
Je ne puis mon voyage achever. 
Sors ooncques de 1 eau pour te lever^ 
Et de ta belle nuitale flame 
Esdaire au feu d'amour qui. m'enflame. 



Ode XVIII. 

Dieu vous gard , messagers fîdelles 
Du printemps , pentes arondelles , 
Huppes, cocus, rossignolets , 
Tourtres , et vous oiseaux sauvages , 
Qui de cent sortes de ramages 
Animez les bois verdelets. 

Dieu vous gard , belles pâquerettes, 
Relies roses , belles fleurettes , 



QUATRIESME LIVRE. 275 

De Mars , et vous boutons cognus 
Du sang d'Ajax et de Narcisse; 
Et vous , thym , anis et mélisse , 
Vous soyez les bien revenus. 

Dieu vous gard , troupe diaprée 
De papillons , qui par Ja prée 
Les douces herbes suçotez ; 
Et vous, nouvel essain d'abeilles. 
Qui les fleurs jaunes et vermeilles 
Indifféremment baisotez. 

Cent mille fois je resalue 
Vostre belle et douce venue ; 
que j'aime ceste saison 
Et ce ooux caquet des rivages , 
Au prix des vents et des orages 
Qui m'enfermoient en la maison I 
^Sus , p3^ge , à cheval 1 qiie l'on bride l 
Ayant ce beau printemps pour guide , 
Je veux ma dame aller trouver 
Pour voir, en ces beaux mois , si elle . 
Autant vers moi sera cruelle 
Comme elle fut durant l'hy ver. ] 



Ode XXL 



B 



et aubespin verdissant , 
Fleurissant ^ 



Le long de ce beau rivage , 
Tu es vestu jusqu'au bas 
Des longs bras 
D'une lambrunche sauvage. 

Deux camps drillânts de fourmis 

Se sont mis 
En garnison SOU& ta souche ; 



276 Odes. 

Et dans ton tronc mi-mangé 

Arraneé 
Les avettes ont leur couche. 

Le gentil rossignolet , 

Nouvelet, 
Avecques sa bien-aimée, 
Pour ses amours alléger 

Vient loger 
Tous les ans en ta ramée. 

Sur ta cyme il fait son ny^ 
Bien garny 

De laine et de fine soye , 

Où ses petits esciorront , 
Qui seront 

De mes mains la douce proye. 

Or Ty, gentil aupespin , 
Vy sans nn , 

Vy sans que jamais tonnerre , 

Ou la coignée , ou les vents ^ 
Ou les temps , 

Te puissent ruer par terre. 



A REMY BELLEAU. 

Ode XX (0. 

Du grand Turc je n'ay souci , 
Ny du grand soldan aussi ; 
L'or ne maistrise ma vie^ 
Aux roys je ne porte envie;' 
J'ay souci tant seulement 
De parfomer coiatement 

I. Imitation de deux odes d'Anaaéon. (R.) 



QuATRiÉSME Livre. 277 

Ma barbe , et qu'une couronne 

De fleurs le chef m'environne. 

Le soin de ce jour me point, 

Du demain Je n'en ai point. 

Qyi , bons Dieux ! sçauroit cognoistre 

Si un lendemain doit estre. 

Vulcan , en faveur de moy. 
Je te pri*, despeche-toy 
De me tourner une tasse, 
Qui de profondeur surpasse 
Celle du vieillard Nestor; 
Je ne veux qu'elle soit d'or, 
Sans plus fay-Ia-moy de chesne , 
Ou de lierre , ou de fresne. 

Et ne m'engrave dedans 
Ces grands panaches pendans , 
Plastrons , morions , ny armes : 
Qu'ai- je soucy des allarmes. 
Des assauts ni des combas ? 
Aussi ne m'y grave pas 
Ny le soleil ny la lune , 
Ny le jour ny la^nuict brune, 
Nv les astres radieux : 
En ! quel soin ai-je des cieux , 
De leurs Ours, de leur Charrette, 
D'Orion, ny de Boëte.î* 

Mais pein-moy. Je te supplî, 
D'une treille le repli 
Non encore vendangée ; 
Peins une vigne chargée 
De grapes et de raisins , 
Peins-y des fouleurs de vins. 
[Peins-y Vénus et Cassandre, 
Laisse ae Bacchus espandre 
Le lierre tout autour; 
Peins-y îa Grâce et l'Amour.] 
Le nez et la rouge trongne 
D'un Silène ou d^un yvrongne. 



278 Odes. 



A MELIN DE SAINT-GELAIS. 
Ode XXI(0. 

Tousjours ne tempeste enragée 
Contre ses bords la mer Egée, 
Et tousjours Torage cruef 
Des vents comme un fondre ne gronde 
Elochant la voûte du monde 
D'un souflement continel. 

Tousjours rhyver de neiges blanches 
Des pins n'enfarine les branches , 
Et du haut Apennin tousjours 
La gresie le dos ne martelle , 
Et tousjours la gjace éternelle 
Des fleuves ne bride le cours. 

[Tousjours ne durent orgueilleuses 
Les pyramides sourcilleuses 
Contre la faux du temps vainqueur, 
Aussi ne doit Tire félonne 
Qui de son fiel nous empoisonne , 
Durer toujours dedans un cœur.} 

Rien sous le ciel ferme ne dure : 
Telles loix la sage Nature 
Arresta dans ce monde alors 

Sue Pyrrhe espandoit sur la terre 
ôs aveux , conceus d'une pierre 
S'amollissante en nouveaux corps. 

Maintenant une triste pfuye 
D'un air larmoyant nous ennuyé; 
Maintenant les astres jumeaux 
D'émail en-fleurissent les plaines ; 

I . Imitation d'Horace, ode 9 du livre a. 



QuATRiESME Livre. 279 

Maintenant l'esté boit; les veines 

D'Ide, gazouillante «n ruisseaux. 

Nous aussi, Melin, qui ne. sommes 
Immortels, mais fragiles hommes, 
Suivant cet ordre ^ il ne faut pas 
Que nostre ire soit immortelle , 
Balançant sagement contre elle 
La raison par juste compas. 

N'as-tu point Jeu dedans Homère, 
Lors que plus Tardante colère 
Achille enrloit contre son roy. 
Que Pallas, la sage guerrière^ 
Luy happant les cneveux derrière, 
Tout gromelant l'arresta coy ? 

Ja sa dague il avoit tirée 
Pour tuer rheritier d'Atrée, 
Tant le courroux Taiguillonnoit , 
Sans elle, qui en son navire 
L'envoya digérer son ire , 
Dont tout le fiel luy bouillonnoit. 

Combien de fois ce Peleïde 
Refusa lespresensd'Atride 
Pour appointer! Combien encor 
De prisonnières lesbiennes 
Et de citez mycéniennes ! 
Et combien de chevaux et d'or! 

Tandis Hector armoit la rage^ 
L'horreur et le trpyen orage, 
Contre les Grecs, et, d'une part. 
D'un grand caillou froissa leur porte, 
Et, d autre part, du feu qu'il porte 
Darda le foudre en leur rampart. 

De quelque i:o$té <]u'il se tourne , 
Beilone autour de luy séjourne. 
Faisant couler Xanthe tout roux 
Du sang des Grecs, qui par la plaine 
Enduroient, innocens, la peine 
De ce dommageable courroux: 



28o Odes. 

O monde heureux! si Promethée 
D'argile en ses doigts retâtée 
Le cœur ne nous avoit formé, 
Le trempant en Peau stygienne 
Et en la race libyenne 
D'un cruel lyon affamé ! 

Certainement la vierge Astrée 
N'eust point quitté nostre contrée. 
Et les foudres tombez du ciel 
N'eussent accablé les montaignes; 
Tousjours fussent par les campâmes 
Glissez les doux ruisseaux de miel. 

Le cheval au milieu des guerres 
N'eust point ronflé , ny les tonnerres 
Des canons n'eussent point tonné , 
Ny, sur les bornes des provinces, 
Le camp armé de deux grands princes 
N'eust point le pasteur estonné. 

On n eust point emmuré les villes 
Pour crainte des suerres civiles 
Ny des estranges légions , 
Ny le contre de Pharsalie 
N^eust hurté tant d'os d'Italie 
Ny tant de vuides mortons. 

[L'ire, cause que les batailles 
Jusqu'au fond rasent les murailles 
De maint palais audacieux, 
Et que les buissons et les herbes 
S'é(;ayent sur les tours superbes 
Qui souloient voisiner les cieux;} 

L'ire, cause des tragédies. 
Fait les voix en plaintes haraies 
Des rois tremblant sous le danger, 
Et fait les exécrables mères 
Présenter les fils à leurs pères 
Sur la table pour les manger; 

[L'ire, qui trouble le courage, 
Ne diffère point de la rage 



Quàtriesme Livre. 281 

Des vieux Curetés forcenés, 
Ni des chastrés de Dyndimène , 
Quand, en hurlant, elle les mène 
Au son du buis espoinçonnés ; 

L'ire , qui les hommes manie , 
Changeant la raison en manie, 
Rien qu'un remords ne fait sentir, 
Et pour tout fruit ne nous apporte , 
Après que son ardeur est morte , 
Si non un triste repentir.] 

Las ! ce monstre , ce monstre d'Ire , 
Contre toy me força d'escrire 
Et m'eslança tout irrité , 
Quand , d'un vers enfielle d'ïambes , 
Je vomissois les aigres flambes 
De mon courage despité, 

Pource qu'à tort on me fit croire 
Qu'en frauaant le prix de ma gloire 
Tu avois mal parle de moy, 
Et que d'une longue risée 
Mon œuvre , par toy mesprisée , 
Ne servit que de farce au roy. 

Mais ores , Mellin , que tu nies 
En tant d'honnestes compagnies 
N'avoir mesdit de mon labeur. 
Et que ta bouche le confesse 
Devant moi-même , je délaisse 
Ce despit qui m'ardoit le cœur. 

Chatouillé vrayment d'un grand aise 
De voir morte du tout la braise 
Qui me consumoit, et de voir 
Crever ceux qui , par une envié , 
Troublant le repos de ma vie , 
Souloient ma simplesse esmouvoir. 

Dressant à nostre amitié neuve 
Un autel, j'atteste le fleuve 
Qui des parjures n'a pitié 
Que ny roubly, ny le temps mesme, 



282 Odes. 

Ny la rancœur, ny la Mort blesme, 
Ne desnou'ront nostre amitié : 

Car d'une amour dissimulée 
Ma foy ne sera point voilée 
( De faux visages artizan ) , 
Croyant seurement que tu n'uses 
Vers tes amis des doubles ruses 
Dont se desguise un courtisan. 

Ne pense donc que le temps brise 
L'accord de nostre foy promise , 
Bien qu'un courroux raye parfait. 
Souvent une mauvaise cause , 
Contraire à sa nature, cause 
Secrettement un bon effait. 

Les lis naissent d'herbes puantes, 
Les roses d'espineuses plantes. 
Et neantmoins la France peint 
De l'un son blason , et encore 
De l'autre la vermeille Aurore 
Eniprunte le fard de son teint. 

Bien que l'un des fils d'Iocaste 
La nuict, sous le portail d'Adraste, 
Et Tydée, enflez ae courrons. 
D'une main horriblement dure, 
Pour un petit de couverture, 
Se fussent martelez de coups,. 

Toutesfois, après ces allarmes, 
Amis jurez , prindrent les armes , 
Et l'un pour l'autre s'employa, 
Quand, devant Thebes, le prophète (»), 
Vif englouti dans sa charrette. 
Tout armé Pluton effroya. 

I. Amphiaraùs, l'un des sept chefs qui combattirent de 
vant Thèbes, fut englouti tout armé avec son char. 



QUATRIESME LIVRE. 28j 



Ode XXII. 

J'avois les veux et le cœur 
Malades d'une langueur 
L'une à l'autre différente ; 
Tousjours une fièvre ardante 
Le pauvre cœur me brusloit , 
Et tousjours l'œil distilloit 
Une pluye catarreuse 
Qui , s'escoulant dangereuse , 
Tout le cerveau m'espuisoit. 
Lors mon cœur aux yeux disoit : 

Le Cœur. 

C'est bien raison que sans cesse 
Une pluye vangeresse 
Lave le mal qu'avez fait ; 
Car par vous entra le trait 
Qui m'a la fièvre causée. ; 

Lors mes yeux pleins de rosée ^ 
En distillant mon souci , 
Au cœur respondoient ainsi : 

Les Yeux. 

Mais c'est vous qui fustes cause 
Du premier mal qut nous cause 
A vous Fardante chaleur 
Et à nous l'humide pleur. 

Il est bien vray que nous fusmes 
Auteurs du mat , qui receusmes 
Le trait qui nous a blessé ; 
Mais il fut si tost passé , 
Qu'à peine tiré le vismes, 
Que jà dans nous le sentismes« 



284 Odes. 

Vous deviez, comme plus fort, 
Contre son premier effort 
Faire un peu de résistance; 
Mais vous pristes accointance 
Tout soudam avecques luy , 
Pour nous donner tout Tennuy. 

la belle emprise vaine, 
Puis aue vous souffrez la peine , 
Aussi oien que nous , d'avoir 
Voulu seuls nous décevoir. 

La chose est bien raisonnable 
Que le trompeur misérable 
Reçoive le mal sur luy 
Qu*il machinoit contre autruy, 
Et que pour sa fraude il meure. 

Amsi mes yeux à toute heure , 
Et mon cœur contre mes yeux , 
Querelloient séditieux , 
Quand vous . ma douce maistresse , 
Ayant soin ae ma destresse 
Et de mon tourment nouveau , 
Me listes présent d'une eau 
Qui la lumière perdue 
De mes deux yeux m'a rendue. 

Reste plus à secourir 
Le cœur qui s'en va mourir, 
S'il ne vous plaist qu'on luy face 
Comme aux yeux un peu de grâce. 

Or pour esteindre le chaud 
Qui le consomme , il ne faut 
Smon qu'une fois je touche 
De la mienne vostre bouche. 
Afin que le doux baiser 
Aille du tout appaiser 
Par le vent de son haleine 
La flame trop inhumaine, 

Sue de ses ailes Amour 
!^évente tout à l'entour, 



QUATRIESME LIVRE. 285 

Depuis l'heure que la flèche 
De vos yeux luy fit la brèche 
Si avant , qu'il ne pourroit 
En guarir s il ne mouroit. 
Ou si vostre douce haleine 
Ne le tiroit hors de peine. 



Ode XXIII (I). 

Les Muses lièrent un jour 
De chaisnes de roses Amour, 
Et, pour le garder, le donnèrent 
Aux Grâces et à la Beauté , 
Qui , voyant sa desloyauté , 
Sur Parnasse l'emprisonnèrent. 

Si tost que Venus Tentendit, 
Son beau ceston elle vendit 
A Vulcan pour la délivrance 
De son entant , et tout soudain, 
Ayant Targent dedans la mam. 
Fit aux Muses la révérence : 

a Muses , déesses des chansons, 
Quand il faudroit quatre rançons 
Pour mon enfant, je les apporte; 
Délivrez mon fils prisonnier. » 
Mais les Muses Pont fait lier 
D'une autre chaisne bien plus forte. 

Courage donques. amoureux, 
Vous ne serez plus langoureux : 
Amour est au bout de ses ruses ; 
Plus n'oseroit ce faux garçon 
Vous refuser quelque chanson , 
Puis qu'il est prisonnier des Muses. 

1. Imité d'Anacréon. (R.) 



286 Odes. 



P; 



Ode XXIV (»). 

lourtant si j*ay le chef plus blanc 
Que n'est d'iin lys la neur esclose , 
Et toy le visage plus franc 
Que n'est le bouton d'une rose; 

t^our cela, cruelle, il ne faut 
Fuir ainsi ma teste blanche, 
Si j'ai la tète blanche en haut, 
J'ay en bas la queue bien franche I (a) 

Ne sçais-tu pas , toy qui me fuis, 
Que pour bien faire une ççuronqe 
Ou quelque beau bouquet , d'un li$ 
Tousjours la rose on environne. ? '. 



Ode XXV W. 

La terre les eaux va boivant , 
L'arbre la boit par sa racine 
La mer éparse boit te vent, 
Et le soleil boit la marine ; 

Le soleil est beu de la lune ; 
Tout boit^ soit en haut ou en bas : 

a. Var. ijSy : 

Pour cela moquer il ne faut 
M a teste de neige couverte; 
Si j'ay la teste blanche en haut. 
Vautre partie eà assez verte, ' 

1. Imité d'Anacréon. (R.) 

2. Encore imité d'une ode d'Auaaéon. (R.) 



QuATRiÉSME Livre. 287 

Suivant ceste reigle commune , 
Pourquoy donc ne boirons-nous pas ? 



Ode XXVI (i). 

Plusieurs, de leurs corps desnuez, 
Se sont veus en diverse terre 
Miraculeusement muez, 
L'un en serpent et Tautre en pierre , 

L'un en lleur, l'autre en arbrisseau , 
L'un en loup , l'autre en colorabelle ; 
L'un se vid changer en ruisseau , 
El l'autre devint arondelle. 

Mais je voudrois estre miroir 
Afin que tousjours tu me visses ; 
Chemise je voudrois me voir, 
Afin que tousjours tu me prisses. 

Volontiers eau je deviendrois , 
Afin que ton corps je lavasse ; 
Estre du parfum je voudrois , 
Afin que )e te parfumasse. 

Je voudrois estre le ri ban 
Qui serre ta belle poitrine ; 
Je voudrois estre le carçjuan 
Qui orne ta çorge yvoirine. 

Je voudrois estre tout autour 
Le coral qui tes lèvres touche , 
Afin de baiser nuict et jour 
Tes belles jévres et ta touche. 

I. Derechef imité d'Anacréon. (R.) 



288 Odes. 



Ode XXVII (i) 

Poarquoy, comme une jeune poutre , 
De travers guignes-tu vers moy ? 
Pouraucy, farouche , fuis-tu outre 
Quana je veux approcher de toy ? 

Tu ne veux souffrir qu'on te touche ; 
Mais si je f avois sous ma main 
Asseure toi aue dans ta bouche , 
Bientost je raurois mis le frein. 

Puis te voltant à toute bride , 
Soudain je t'aurois fait au cours ^ 
Et te piquant serois ton guide 
Dans la carrière des amours. 

Mais par Therbe tu ne fais ores 
Que suivre des prez la fraicheur, 
Pource que tu n*as point encores 
Trouvé quelque bon chevaucheur. 



A AMADIS JAMYN. 
Ode XXVni(i). 

Ha ! si Por pouvoit allonger 
D'un quart d'heure la vie aux hommes ; 
De soin on devroit se ronger 
Pour l'entasser à grandes sommes, 
Afin qu'il peust servir de prix 

1 . Imité d'Ànacreon. (R.) 

2. Traduit d'Anacreon. (R.) 



Quàtkiesme Livre. 2(9 

Et de rançon à nostre vie, 

Et que la Mort, en l'ayant pris, 

De nous tuer n'eut plus envie. 

Mais puis qu'on ne la peut tarder 
Pour don ny pour or qu'on luy of&e. 

Sue me serviroit de garder 
n trésor moisi dans mon coffre ? 
Il vaut mieux^ Jamyn, s'addonner 
A fiieilleter tous|ours un livre, 

Sui plustost que Tor peut donner 
[augré la mort un second vivre. 



A ESTIENNE PASQUIER. 
Ode XXIX (1). 

Tu me fais mourir de me dire 
Qu'il ne faut sinon qu'une lyre 
Pour m'amuser, et que tousjours 
Je ne veux chanter que d'amours. 

Tu dis vray, je te le confesse; 
Mais il ne plaist à la déesse 
Qui mesle un plaisir d'un souci 
(Jrae je vive autrement qu'ainsi. 

Car quand Amour un coup enflame 
De son feu quelque gentille ame , 
Impossible est de l'oublier, 
Ny de ses rets se deslier. 

Mais toy, Pasquier (1), en qui Minerve 

1 . Imité d'Horace. (R.) 

2. Advocat gênerai de la Chambre des Comptes, à Paris , 
auquel on ne peut rendre plus de tesmoigoage que lui en 
rendent ses propres oeuvres, et nostre poète en cet endroit, 
qui a vrayement touché ton naturel. (R.) 

Rimsard, — II. 19 



2Û0 Odes. 

A tant mis de biens en mehre, 

Sui as l'esprit ardent et ivif^ - 
t nay pour ii*cstre point obif ; 
Elevé au ciel par ton histoire * 
De nos rots les fiits et la ([toire , 
Et pren sous ta diserte voix 
La charge des honoeurs françois ; 

Et désormais vivre me laisse 
Sans gloire au sein de ma maistresse» 
Et parmy ses ris et ses jeux 
Laisse grisoAner,mes cheveux. 



Ode XXX 0). ; 

Celuy qui n*a)rttié est maUcnreux , 
Et malheureux est Tamourcux; 
Mais la misère ta plus grande/ 
C'est quand Tamant^après avoir 
En bien servant fait son devoir) 
Ne peut avoir ce qu'il demande. 

La race ea amours ne ^ sert rien ^ 
Ne beauté, grâce ne mâiiltieft; 
Sans honneur la Mnse gist morte ; 
Les amoureuses dû. jonra'huy . 
En se vendant ayment celuy 
Qui le pluç d'argent, leur apporte^ 

fouisse mourir ,mescharttcment : 
Qui Tor ayma premièrement! 
Par luy le frère n'est pas frère, 
Par luy le père n'est pas seur, 
Par luy la sœur n'est pas la sœur, 
Et la mcre n'est pas la mère. 

Par luy la guerre et le discord , 

$. Inîité d'une ode d'Anacfcon. (R.) 



QUATRIESME LiVRB. 29I 

Par luy les glaives et la mort , 
Par hiy viennent mille tristesses , 
Et, qui pis est, nous recevons 
La mort par luy, nous qui vivons 
Amoureux d'avares maistresses. 



Odelette XXXI (i). 

Janne, en te baisant tu me dis 
Que i'ay le chef. à demy gris, 
Et tousjours me baisant tu veux 
De Tongle oster mes blancs cheveux , 
Comme s'un cheveu blanc ou noir ' 
Sur le baiser avoit pouvoir. 

Mais, Janne, tu te trompes fort: 
Un cheveu blanc est assez fort ' 
Au seul baiser, pourveu que point 
Tu ne vueilles ae l'autre poinct. 



OOE XXXII. 

Verson ces roses en ce vin ^ 
En ce bon vin verson ces roses. 
Et boivon l'un î l'antre, afin . 

?2l'au cœur nos tristesses encloses 
rennent en boivant quelque fin. 
La belle rose du pnntemps, 

I . Cette petite ode est quasi d'invention semblable k cet 
épigramme de Martial : 

Ouid me, Thai, senem subinde dicis? 
Nemo est, Tbai, semez ad irruinaadttm. 



2^2 Odes. 

Aubert, admoneste les hommes 
Passer joyeusement le temps, 
Et pendant que jeunes nous sommes 
Esbatre la fleur de nos ans. 

Car ainsi qu'elle défieurit 
A bas en une matinée, 
Ainsi nostre â^e se flestrit, 
Las! et en moins d'une journée 
Le printemps d'un homme périt. 

Ne veis-tu pas hier Brinon 
Parlant et faisant bonne chère , 
Lequel aujourd'huy n'est sinon 
Qu^un peu de poudre en une bière, 
Qui de luy n'a rien que le nom ? 

Nul ne desrobe son trespas, 
Caron serre tout en sa nasse . 
Roys et pauvres tombent là oas; 
Mais ce-pendant le temps se passe , 
Rose, et je ne te chante pas. 

La rose est l'honneur d'un pourpris(i)) 
La rose est des fleurs la plus oelle , 
Et dessus toutes a le pris : 
C'est pour cela que je l'appelle 
La violette de Cypris. 

Le rose est le bouquet d'amour, 
La rose est le jeu des Charités , 
La rose blanchit tout autour 
Au matin de perles petites, 
Qu'elle emprunte du poinct du jour. 

La rose est le parfum des dieux, 
La rose est l'honneur des pucelles, 
Qui leur sein beaucoup aiment mieux 
Enrichir de roses nouvelles 
Que d'un or tant soit précieux. 

filst-il rien sans elle de beau ? 
La rose embellit toutes choses , 

I . Imité d'Aiiacxéon, à paitir de ce ven. 



QuÀTRiESME Livre. 291 

Venus de roses a ta peau , 

Et l'Aurore a les doigts de roses , 

Et le front le Soleil nouveau. 

Les nymphes de rose ont le sein , 
Les coudes , les flancs et les hanches ; 
Hebé de roses a la main , 
Et les Charités , tant soient blanches y 
Ont le front de roses tout plein. 

Que le mien en soit couronné , 
Ce m'est un laurier de victoire * 
Sus . appelon le deux-fois-né , 
Le oon père, et le faisons boire^ 
De cent roses environné. 

Bacchus , espris de la beauté 
Des roses aux fueilles vermeilles , 
Sans elles n'a jamais esté , 
Quand en chemise sous les treilles 
Il boit au plus chaud de l'esté. 



A REMY BELLEAU. 
Ode XXXIII(i). 

Belleau, s'il est loisible aux hommes d'inventer 
Cela que les plus vieux n'ont pas osé chanter, 
Je dirois hardiment que l'Amour n a point d'ailes ; 
Las 1 car s'il en avoit , s'esbranlant dessus elles 
De mon cœur Quelquefois se pourroit absenter. 

Il n'a point o'arQ aussi , et le feint-on ruer 
Des flèches à grand tort : il a voulu muer 
Son arc en harquebuze , on le sent à l'espreuve ; 
Car pour le coup d'un trait si grand feu ne se treuve 

I. Imité de Properce. (R.) 



194 Odes. 

Autour du ccear blessa , qu'il le «aisse tuer. 
Donques ou je me trotnf>e, ouTAnour n'est archer, 

Il est harqucbuzier ; et qiii voudra clicrcher 
Comme il tire, aille veoir les beaux yeux de Cassandre ; 
Tout soudain de cent pas il luy fera comprendre 
Si d'un plotnb ou d'un trait les cœurs il vient toucher. 

Il fait de ses beaux yeux son plombet enilamè, 
Sa poudre' de sa grâce, et en ce point armé 
Se |ette i la conqueste à l'entour de sa bouche ; 
Daus ses cheveux fnsez il dresse l'escannouche , 
Et du sein d'elle il fait son rampart enfermé. 



Fin du qaaUiamt lirn du Oda. 



295 




LE CïNQUIESME LIVRE 

DESODES 




AU ROY HENRY II, 
Sur ses ordonnances faites Tan M. D. L, 

Ode I, 

I é ! queUes k>uai^es ^ales 
A ton mérite souverain 
Rendroicift tes Gaules loyales» 
Fust par mémorables annales, 

On par vives lettres d'airain , 

O Prince , le plus redoutable 

De tous les prinœs ordonnez 

Pour régir les sceptres donnez 

A nostre partie habitable ? 
N'est-ce pas toy qui nous rapportes 

La paix, et qni de toutes pars 

As verroullé de tes mains fortes 

Le temple béant par cent portes 

Où forcenoit l'horrible Mars? 

Par Xojf jusqu'aux Indes se rue 

La navire franche de peur, 



296 Odes. 

Par toy d'un paisible labeur 
Le bœuf fume sous la charrue. 

Par toy, Tabondance, ayant pleine 
Sa riche corne jusqu'aux bords , 
A couvert la françoise plaine; 
Par toy la plus légère peine 
Suit les péchés de pied non tors ; 
Par toy, par Texploict de ta destre, 
La France voit ses estendars, 
Jadis trahis par nos soudars, 
Toy n'estai^t point encor leur maistre. 

Mais ores que tu Tes, qui est-œ 
Qui pallira craignant TAnglois, 
Ou respagnole hardiesse. 
La Flandre, ou la blonde jeunesse 
Du Rhin indocile à nos lois? 
Et puis que ta police sainte , 
Qui droittement nous veut guider. 
Par la justice a sceu brider 
Les tiens d'une juste contrainte ? 

Tes piétons, ta gendarmerie, 
Qui violoient auparavant 
Les saints droits de l'hostelerie , 
Riblant(i) les biens par pillerie 
Comme un \À& moissonne du vent ; 
Si bien que tes terres sujettes 
N'enduroient moins d'affliction. 
Que la rebelle nation 
Où les feux ennemis tu jettes. 

Ore ta loy, mais un tonnerre. 
Les effroye plus estonnez 
Que lors qu*un camp angloîs les serre 
Ou quand par le jeu de la guerre 
César (*) les presse environnez; 
Si qu'humble tu fais apparoistre 

1 . Dissipant avec un ravage désespéré, (a.) 

2. Charles le Quint. (R.) 



CiMQuiESMB Livre. 297 

Une si grande légion^ 

Comme gens de religion 

Qui vont muets dedans un doistre. 

Le velours, trop commun en France» 
Sous toy reprend son vieil honneur. 
Tellement que ta remonstrance 
Nous a fait voir la differance 
Du valet et de son seicneur, 
Et du muguet chargé oe soye 
Qui à tes princes s'égaloit, 
Et riche en cramoisy alloit, 
Faisant flamber toute la voye. 

Les tusques mains (i) ingénieuses 
Ja de trop velouter s'usoient 
Pour nos femmes délicieuses, 
Qui sous robes trop précieuses 
Du rang des nobles abusoient ; 
Mais or' la laine desprisée 
Reprend son premier ornement. 
Tant vaut le grave enseignement 
De ta parole authorisée (2). 

Ceux qui , par un avare outrage , 
Espoincts d'une meschanceté, 
Te pinçoient ore le visage , 
Ore le nez , ore Timage 
De ta commune Majesté 0), 
Maintenant, oyant ta défense. 
Tiennent leurs mains sans plus congner, 
Et ton argent sans le rongner, 
Tremblans de t'avoir fait offense ; 

Non espris d'une peur si grande 

1. Les ouvrien de Florence. (R.) 

2. De ton edit vérifié par la cour, sans laquelle il n'auroit 
point d'effect ny d'exécution. (R.) Ici Richelet se trompe 
évidemment. Autorisée est employé dans le sens d'imposante, 
jiyant de Tautorité. 

) . Les faujc-monnoyeurs. 



298 Odes. 

De sentir tous nuds un fer chaud , 
D'estre bouillis (>)^ bu d'une amande , 
Que de ta loy, qui leur commande 
De recognoistre leur défaut. 
Prince, les sainctes polices 
Et les grands faits aue tu conçois 
Te feront nommer aes François 
L'Hercule qui purge les vices ! 

Ton œil vigilant, qui contemple 
Tes vassaux en divers costez , 
A contemplé de Dieu le temple. 
Que nos banquiers par faux exemple 
Combloient de larrons eshontez, 
Et doctes en xhiquaneries, 
N'enduroient en un seul quartier 

?u'un bénéfice fust entier, 
rouble de mille tromperies. 

Mais or' bulles et signatures , 
Et dattœ levez par avant (a). 
Mandats, faux titres, escritures, 
Dépravez par leurs impostures. 
Seront certains doresnavant; 
Si bien que le moine et le prestre , 
Possedans en paix leurs maisons , 
Feront pour toy leurs oraisons , 
Et pour les loix que tu fais naistre , 

Lesquelles l'odieuse Espagne 
Ne pourra corrompre , ny ceux 
Oue la Tamise angloise bagne , 
Ny les nourrissons d'Allemagne, 
A la guerre non paresseux , 
Ny ntalie conjurée 
A briser leur divinité, 

1 . Supplice prattiqué seulement en France. (R.) 

2. Antidates : voyez ce qu'en escrivoit en ce temps-là 
maistre Charles du Moulin, tres-ezcellent jurisconsulte pa- 
risien. (R.) 



ClNQ.UlBàME LiVRB. 299 

Tant aura ton auctorité 

Plus que leurs armes de durée. 

Et nous , ayans de toy mémoire , 
Comme les Grecs de leur Castor 
Ou d* Hercule , ferons ta gloire * 
Par nos vers plus claire et notoire 
Que la leur ne s'apparoist or'. 
Au jour de feste, au jour ouvrable , 
Suans à Tœuvre ou reposez , 
Nous serons tousjours disposez 
A chanter ton nom vénérable. 

Avec la lyre dépendue 
Nous t'avourons pour immortel 
Dessus sa corde bien tendue , 
Et d'une liqueur respandue 
SacrifiVons à ton autel ; 
Eternisant d'un vœu prospère 
Nous , nos femmes , et nos enfants, 

?uatre nouveaux Dieux triomphans, 
oy, ton fils, ton frère et ion père. 



A MADAME MARGUERITE, 
Qiii depuis a esté duchesse de Savoye. 

Ode II. 

Vierge , dont la vertu redore 
Cet heureux siècle qui t'adore , 
Non pour estre fille de roy, 
Pour estre duchesse , où pour estre 
Si proche en san^ du roy mon maistre^ 
Qu'il n'a point d^autre sœur que toy, 

Mais bien pour estre seule en France 
Et la colonne et respeitmce 



po Odes. 

Des Muses, la race des Dieux, 
Que ta saincte srandeur embrasse, 
Suivant le naïf de ta race, 
Qui d'astres a peuplé les deux. 

Les Muses , d'une sage envie 
Tu suis pour guides de ta vie , 
Et non leurs vers tant seulement; 
Mais bien tu joins à leur science 
Et rinnocente conscience , 
Et leurs beaux dons également. 

Que sert à la princesse d'estre 
A toutes sciences adestre 
Et mille fois Platon revoir, 
Si par Testude tout sur l'heure 
Sa vie n'est faite meilleure, 
Mariant les mœurs au sçavoir ? 

Les mœurs au sçavoir tu maries, 
Et le sçavoir aux mœurs tu lies , 
Assemblez d'un nœud gordien , 
T'esgarant loin du populaire . 
Et de son bruit oui ne peut plaire 
Aux filles de l'Olympien. 

Ces riches maisons somptueuses , 
Ces grans villes présomptueuses , 
Par Porgueil d'un mur s'eslevant , 
Ne sont les lieux où elles dansent , 
Et leurs pas serrent et avancent , 
Le C^nthien sonnant devant. 

Mais bien par les fleurs reculées , 
Loin à l'écart par les vallées. 
Au fond de deux tertres bossus , 
Ou parmi les forests sauvages , 
Ou par le secret des rivages. 
Ou dans les antres bien moussus. 

Point ou peu ne hantent la table 
Des Dieux a' Homère , délectable 
Pour les vins versez de la main 
Du Troyen, fuyans les viandes 



CiNQUiESMB Livre. 301 

Délicieusement friandes 
Qui ne font qu'irriter la faim. 

Quand quelqu'un de Pallas devise , 
LesiMuses appreuvent l'emprise 
De filer, de tistre , d'ourdir, 
D'imposer nouveaux noms aux villes , 
Et sous les polices civiles 
Ne laisser les loix engourdir. 

Mais d'aller, horrible, à la guerre , 
De pousser les citez par terre , 
Et, vierge, hanter les combas , 
Coiffer (Tun morion sa teste, 
Et l'ombrager d'une grand' creste. 
Les Muses ne l'appreuvent pas. 

Jueeant qu'il vaut mieux que la gloire 
Des femmes vive en la mémoire 
Par autres travaux plus duisans 
Qw par ceux-là des Amazones ; 
Auquel jugement tu t'addonnes 
Dés le premier fil de tes ans. 

Et bien que ta royale vie 
Soit de délices assouvie , 
Pourtant, vierge^ si fraudes4u 
Les haims qui la jeunesse appastent , 
Et jamais ta bouche ne gastent , 
Rebouchez contre ta vertu. 

Car ta raison bien attrempée 
Ne veut souffrir estre trompée 
De leur mignard affolement. 
Ne ta force toujours toute une, 

Sue nulle chance de fortune 
e peut esbranler nullement. 
Aussi ces maisons tant prisées 
D'un or imagé lambrissées, 
Fontaine-Bleau , Cbambour, ne sont 
Les séjours où tant tu t'amuses , 
Que parmy les antres des Muses 
Compagne des sauts qu'elles font. 



^02 Odes, 

Estimant trop meilleur de vivre 
Coye et tranquille, que de suivre 
Cet orgueil par toy rejette ; 
Et loin du populaire escrire 
Je ne sçay quoy qui puisse dire 
Que Quelquefois tu as esté. 

O aes princesses U lumière , 
De quelle louange première 
Commencerav-je à te vanter ? 
Et de mille dont tu abondes , 
Quelles dernières ou secondes 
Clorront la fin de mon chanter ? 

[Dirai-je comme en ton visage 
Tu portes engravé l'image, 
Les grâces de mille beautés; 
Et de François ton père encores. 
Et de ton frère qui vit ores , 
Les deux égales royautés ?] 

Diray-je que tesr yeux enchantent 
Les plus constans qui se présentent 
Devant ta face , et vistement . 
Avecque ta voix nompareille , 
Leurs tires leurs cœurs par l'aureille 
D'un vertueux enchantement? 

[Dirai-je que la France toute - 
De bon cœur autre chant n'écoute 
Que les vers faits pour, ton renom 
Lequel de si très près le touche 
Qjl^elle n'anime dans sa bouche 
Autres paroles que ton nom ?] 

Diray je si quelqu'un souhéte 
De se feindre nouveau poète , 
Il ne doit sinon esprouver 
Quelle est ta vertu , sans qu'il songe 
Dessus Parnasse, ou qu'il se plonee 
Es flots menteurs pour $!abreuver r 

Diray-je comme tu rabaisses 
La pompe des autres princesses, 



CiNQuiBSME Livre. $o$ 

Te balançant d'un juste pois, 
Entre lesquelles ta prudence 
Flambloye en pareille évidence 
Que ton frère par-sus les rois ? 

Diray-je que les ans qui tournent 
De pas qui jamais ne séjournent 
N'ont nen veu de semblable encor 
A la grandeur de ton courage , 
Ny ne verront , bien que aostre Age 
Change son fer au premier or? 

C'est toy, Princesse , qui animes 
Les fredons de nos basses r)[mes 
Pour les eslever jusqu'aux - deux , 
Et oui fais nos chants poétiques 
Egaler les vers des antiques 
Par un oser in^ieuX, 

C'est tOY qui portes sur tes aisles 
Le sainct donneur des neuf Pucelles 
Obéissantes à ta loy. 
C'est toy seule qui ne desdaignes 
De les avouer pour compaignes. 
Filles d'un grand roy comme toy. 

N'est-ce pas toy, docte Princesse, , 
Ainçois , 6 mortelle déesse , 
Qui me donnas coeiur de chanter, . 
Et qui m'ouvris la fantasie 
De trouver quelque poésie 
Qui peust tes grâces contenter? 

Mais que féray**je à ce vul^aife 
A qui jamais je it'ay sçeu plâtre, 
Ny ne plais , nv plaire ne veux t , 
Porteray-rje la couche close > 
Sans plus animer quelque choses 




N'est point bien joint ne maçonné ; 
L'un prend horreur de mon. audace. 



304 Odes. 

Et dit que sur la grecque trace 
Mon œuvre n'est point façonné. 

Mais je responds tout au contraire, 
Comme rayant bien sceu pourtraire 
Dessus le moule des plus vieux, 
Et comme cil qui ne s'esgare 
Des vers repliez de Pindare, 
Incogneus de mes envieux. 

L>sUble du grand Roy d'Elide , 
Nette par les travaux d'Alcide, 
Fonda près les champs Eleans 
D'Olympe les joustes illustres, 
Qui retoumoient par chacuns lustres 
Anoblir les bords Piseans. 

Là s'amoncelloit la jeunesse 
Des plus belliqueux de la Grèce , 
Studieuse à ravir l'honneur 
De Testrange lueille honorée, 
Que de la terre h^perborée 
Apporta le Thebain veneur. 

Ceux qui suans en la carrière 
Laissoient leurs compagnons derrière 
Et ceux qui de gands emplombez 
Meurtrissoient la chair empoullée , 
Et ceux qui par la lutte liuillée 
Contre-tenoient leurs bras courbez; 

Ceux oui à leurs flèches soudaines 
Commanaoient d'estre plus certaines ; 
Et ceux qui en rouant tournoient 
Un grand caillou d'horrible masse, 
Outre-volant le long espace 
Du but où les coups se bomoient. 

Ceux qui en limons ou en selle 
Devant la Grèce universelle 
Par douze fois rasoient le tour 
De la course douze fois torte, 
Et d'une roue entière et forte 
S'acheloient un brave retour ; 



CiNQuiESME Livre. ^05 

Ceux-ci de ceste fueille heureuse 
Laçoient leur perruque poudreuse, 
Et craignans perdre les labeurs 
Pour qui leurs vertus travaillèrent, 
Avec la victoire éveillèrent 
Le mestier des premiers harpeurs ; 

Lesquels au soir par rassemblée , 
Quand Tœil de la Lune doublée 
Ardoit le voile obscur des cieux , 
Avec les flûtes doux-souflantes 
Et les trompettes haut-parlantes 
Celebroient les victorieux. 

Archiloch premier osa dire 
D'un simple refrain sur sa lyre 
Les honneurs d'Hercule en ses vers, 
Qui depuis Hercule servirent 
A tous les vainqueurs qui ravirent 
L'olive par combats divers. 

Après, comme une eau desbordée. 
Ou comme la foudre guindée 
Sur la nue au mois le plus chaut, 
S'ouït tonner la voix Dircée, 
Qui par l'air s'est si bien dressée 
Que nulle n'a bondy plus haut. 

Elle par les terres étranges 
Cria des vainaueurs les louanges 
Et plutôt les tilt élevant 
Que l'air n'est froissé par la vire 
Ou l'eau ronflante du navire 
Soufleté des gorges du vent (a). 

a. Var. (1587): 

Elle parles terres lointaines 
Respandit les poudreuses peines 
De ceux ^u*Oiympe veit suer 
Pour r honneur, le prix de la gloire, 
Ressuscitez par la mémoire 
Que trois mille ans n'ont sceu tuer. 

Ronsard, — H. 20 



;o6 Odes. 

Aussi nul chant ne s*accomf>are 
Au chant courageux de Pindare, 
Que la honte ne coloroit 
D^entre-mesler ses proprres gloires 
Avec les fameuses victoires 
Des bataillons qu'il honoroit ; 

Et tout ensemble les sceut vendre 
A quiconque les vouloit prendre , 
Plus chèrement qu'on n'achetoit 
Une statue feinte en cuivre , 
Que le vainqueur pour mieux revivre 
Au plus haut d'Olympe mettott. 

Tant la Grèce estoit studieuse 
De sa Muse laborieuse, 
Et tant son art eut de bon-heur. 
Que ses paroles honorées 
Escrites en lettres dorées 
Aux temples pendoient en honneur. 

Avec Hieron , roi de Sicile , 
Trafiqua maint vers difficile , 
Où , des brocars injurieux 
De Bacchylide son contraire , 
Fut moqué , comme chez ton frère 
M'ont moqué ceux des envieux («)• 

Ne son chant , ne la cognoissance 
Des Muses n'eurent la puissance 
De tromper l'envie , qui suit 
Non pas une obscure personne 
Mais la cognue qui foisonne 
Par ses vertus en fameux bruit. 

Que pleust à Dieu qu'à sa hautesse 
Fust égale ma petitesse , 
Et mes vers à ses chants nerveux ; 
Par ta saincte grandeur je jure 



I . Allusion à Mellin de Saint-Gelais , qui avoit attaqué 
Ronsard devant. Henry II. 



K.INQUICSME LiyRE. 

Que i'entonnerôis ceste injure 
Aux aureilles de nos neveux 

Mais quoyl Madame, je n'ay faute 
Sinon d'avoir ta faveur haute , 
Sinon d'estre avoué de toy, 
Afin que notre France estime 
Que quelquefois ma basse rime 
Seul contenter la sœur d'un Roi (a). 

S'ainsi advenoit , leur mesdire 
Grondant ne m'oseroit rien dire. 
Qui (bons Dieux!) oseroit penser, 
Tant fust la langue audacieuse 
Et sa nature vicieuse, 
De vouloir les tiens offenser ? 

Là donc , Madame , pren la charge 
De m'envelopper sous ta targe , 

Sue de Gyge les bras archers 
é perceroient, tant elle est forte, 
Ne celui qui d'une autre sorte 
Dardoit les membres des rochers. 

Lors me voyant en asseurance , 
Je publi'ray parmi la France 
Le loz de ta divinité , 
Tes vertus, bontez et doctrine, 
Les vrais boucliers de ta poitrine. 
Blanchissante en virginité ; 

Afin qu'après ma voix fidelle, 
Au soir, à la tarde chandelle, 
Les mères, faisant œuvres maints. 
Content tes vertus précieuses 
A leurs filles non ocieuses , 
Pour tromper le temps et leurs mains. 

Var. : 

Sinon qu'on te pense Minerve, 

Et que ma Muse se reserve 

Pour chanter la sœur de mon Roy. 



}o8 OdeS' 

Peot-^stre anssi, alors qne Tâge 
Aura toot brouillé ton lignage. 
Le peuple qui lira mes vers, 
Abreuve d'une gloire uUe, 
Ne te dira femme mortelle , 
M»s sœur de Pallas aux yeux vers. 

Et tft fera des édifices 
Tous enfumez de sacrifices. 
Si bien que le siècle avenir 
Ne congoistra que Marguerite, 
Immortalisant ton mente 
D'un perdurable souvenir. 



Ode III (i). 

f) uand les filles d'Achclois , 
^^^Les trois belles chanteresses , 
Quidcs hommes par leurs vois 
Estoient les enchanteresses , 
Virent jaunir la toison , 
Et les soldars de Jason 
Ramer la barque argienne 
Sur la mer Sicilienne, 

Elles, d'ordre, flanc à flanc, 
Oisives au front des ondes , 
D'un peigne d'yvoire blanc 
Frisotoient leurs tresses blondes, 
Et mignotant de leurs yeux 
Les attraits délicieux, 
Aguignoient la nef passante 

I . En faveur de trois doctes filles d'Angleterre, înstruictes 
et apprises par Denisot, conte d'Alsinois. (R.) La Crobc du 
Maine appelle ces trois sœurs Anne, Marguerite et Jeanne 
de Seymour. 



CiNQUiBSMB Livre. 30Q 

D'une œillade languissante. 

Puis souspirerent un chant 
De leurs gorges nompareilles , 
Par douce force alléchant 
Les plus gaillardes aureilles ; 
Afin Que le son pipeur 
Frauaast le premier labeur 
Des chevaliers de la Grèce 
Amorcés de leur caresse. 

Ja ces demi-dieux estoient 
Prests de tomber en servage , 
Et jà domptés se jettoient 
Dans la prison du rivage , 
Sans Orphée, qui, soudain 
Prenant son luth en la main , 
Opposé vers elles , joue 
Loin des autres sur la proue, 

Afin que le contre-son 
De sa repoussante Ivre 
Perdist au vent la cnanson 
Premier qu'entrer au navire, 
' Et qu'il tirast des dangers 
Ces demi-dieux passagers 
Qui dévoient par la Libye 
Porter leur mère afFoiblie. 

Mais si ce harpeur fameux 
Oyoit le luth des Serenes 
Qui sonne aux bords escumeux 
Des Albionnes arènes , 
Son luth payen il fendroit 
Et disciple se rendroit 
Dessous leur chanson chrestienne 
Dont la Toix passe la sienne (>)• 

I . Parce que ces trois filles, en ce temps-là, firent un livre 
de distiques chrestiens, en latin, fort bienfaits, lesquels aussi 
tost furent tournez en grec, en italien, en françois, et dédiez 
i madame Marguerite, sœur unique du roy Henry il. (R.) 



Odes. 

Car Iny, enflé de vains mots 
Devisoit à Taventure 
Ou des membres du Chaos 
Ou du sein de la Nature ; 
Mais ces vierges chantent mieux 
Le vray manouvrier des cieux , 
Et sa aemeure eterneUe , 
Et ceux qui vivent en eHe. 

Las ! ce qu'on void de mondai 
Jamais ferme ne se fonde ^ 
Ains fuit et refuk soudain 
Comme le branle d'une onde 
Qui ne cesse de rouler, 
De s'avancer et couler. 
Tant que rampant il arrive 
D'un grand heurt contre la rive. 

La science , auparavant 
Si long temps orientale. 
Peu à peu marchant avant, 
S'apparoist occidentale. 
Et sans jamais se borner 
N'a point cessé de tourner. 
Tant qu'eHe soit parvenue 
A l'autre rive incogneue* 

Là de son grave sourcy 
Vint affoler te coura^ 
De ces trois vierçcs icy,. 
Les trois seules de nostre âge. 
Et si bien les sceut tenter, 

Su'ores on les oit chanter 
aiat vers jumeau qui surmonte 
Les nostres, rouges de honte. 

Par vous,, vierses de renom , 
Vrais peintres de la mémoire ^ 
Des autres vierges le oom 
Sera clair en vostre gloire. 
Et puis que \e ciel beiûa 
Au doux sexe feminia 



GiNquiESME Livre. ?ii 

Fait naistre chose si rare 
D*un lieu jadis tant barbare, 

Denisot se vante heure 
D'avoir oublié sa terre , 
Et passager demeuré 
Trois ans en vostre Angleterre, 
Et d'avoir cogneu vos yeux , 
Où les amours gracieux 
Doucement leurs flèches dardent 
Contre ceux qui vous regardent. 

Voire et d'avoir quelquefois 
Tant levé sa petitesse , 
Que sous l'outil de sa vois 
Ilpolit vostre jeunesse , 
Vous ouvrant les beaux secrets 
Des vieux Latins et des Grecs , 
Dont l'honneur se renouvelle 
Par vostre muse nouvelle, 

lo , puis que les esprits 
D'Angleterre et de la Frante, 
Bandez d'une ligue, ont pris 
Le fer contre l'ignorance, 
Et que nos roys se sont faits 
D'ennemis amis parfaits , 
Tuans la guerre cruelle 
Par une paix mutuelle, 

Advienne qu'une de vous. 
Nouant la mer passagère , 
Se joigne à quelqu'un de nous 
Par une nopce estrangere; 
Lors vos escnts avancez 
Se verront recompensez 
D'une chanson mieux sonnée, 
Qui cri'ra vostre hymenée. 



312 Odes, 



TRADUCTION DES VERS LATINS 

De Jean Daurat 
Sur le trespas de la raync de Navarre (»). 

Ode IV. 

Ainsi que le ravv prophète 
Dans une flambante charrette 
Haut eslever en Tair s*est veu , 
D'un bras allumé par le vuide^ 
Guidant Testincelante bride 
De ses chevaux aux pieds de feu ,. 

Quand du vieillard la cheute robe^ 
Qui du sein biruslant se desrobe, 
Coula dans les bras attendans 
Du jeune prophète , et glissante 
Fut veue par Pair rougissante 
Loin derrière en replis ardans; 

Comme on void une estoile esmeue 
Qui tombe , ou qui tomber est veue 
Du ciel sous une claire nuit^ 
Attrainant derrière sa fuite 
Par le vuide une lon^ suite 
De sillons de feu qui la suit: 

Ainsi Marguerite y faschée 
De sa robe humaine entachée 
Du premier vice naturel ^ 
Ruant bas, de prompte allégresse,, 

I. Marguerite d'Orléans, soeur du roy Françon 1er, la- 
quelle espousa Henry II, roy de Naraire, ayeul maternel de 
Henry IV. (R.) 



CiNQUiESME Livre. ;i} 

Et sa sommeillante paresse , 
Et son gros fardeau corporel ^ 
Hautaine au ciel est arrivée 
Sur quatre roues eslevée, 
Foy, espérance, charité. 
Et patience dure et forte, 

?ui courageusement supporte 
oute maligne adversité. 
D'un tel chariot soustenue , 
Faite déesse elle est venue 
En la troupe du Roy des rois , 
Que maintenant elle contemple, 
Royne d'un monde bien plus ample 
Que n'estoit pas son Navarrois. 



HYMNE TRIOMPHAL D'ELLE-MESME. 

Ode V. 

Çj ui renforcera ma vois, 
^^^Et qui fera que je vote 
Jusqu'au ciel à ceste fois 
Sur Taile de ma parole? 
Or' mieux que devant il faut 
Avoir l'estomac plus chaud 
De l'ardeur qui ja m'enflame 
D'une plus ardante flame ; 
Ores il faut que le frain 
De Pégase, qui me guide, 
Peu serviteur de h bride 
Fende l'air d'un plus grand train* 

Assez Pindare a chanté 
Les jeux d'Hercule et sa gloire, 
Et son olivier planté 
Pour refraichtr ta mémoire 



J14 Odes. 

D'avoir justement du roy 
Puni la parjure fo^, 
Qui par folle hardiesse , 
En démentant sa promesse , 
Monstra qu'un foiole assaillant 
En vain fait braver sa force , 
Quand , plein d'outrages , s'efforce 
U^assaillir le plus vaillant; 

Mais moy. hastant de mes vers 
La vagaboncle carrière , 
J'annonce par l'univers 
L'honneur de ceste guerrière , 
Laquelle , apprise aux combats , 
Ses cheveux n'ombragea pas 
D'une si fresle couronne 

Sue celle que Pise donne, 
liis bien les environna 
De sa despouille doutée, 
Lors que par soy surmontée 
Soy-mesme se couronna. 

Là donques, mon cher soucy, 
Sus, Muse, qu'on s'évertue 
De sonner oien haut icy 
Comme elle s^est combatue. 
Chante-moy les bataillans, 
Les forts et les moins vaillans ; 
Et pourquoy s'est animée 
Une si estrange armée, 
Et quel camp de rage espris 
Vint irriter Marguerite, 
Qui par le divin mérite 
Se fit maistresse du prix. 

La Chair tentant le moyen 
D'asservir l'Esprit son maistre, 
Comme un mutin citoyen 
Qui traistrè à son roy veut estre, 
Fut celle de qui l'erreur 
Mit aux champs si grande horreur 



CiNQUiESME Livre. 

De gens en armes horribles, 
Qui de menaces terribles 
Tansoient les murs et les forts 
De PEsprit qui les défie , 
Tant sa force il fortifie 
Pour mieux forcer leurs efforts. 

Là fut le Monde emplumé 
De crands crestes ondoyantes, 
Là tut rOrsueil enflame 
D'esclairs crarmes flamboyantes; 
Là Tescadron des Plaisirs , 
Là les bandes des Désirs^ 
Là les bourreaux de ta vie, 
La Convoitise et l*Envie, 
Male-bouche, et la Rancœur, 
Là la Gloire somptueuse, 
Et Pire présomptueuse 
Qui ne peut bnder son cœur. 

Là dessous les estendars 
De la Chair séditieuse 
Flottoient d'ordre ses soldars 
D'une vague audacieuse; . 
Mais par-sus tous s'eslevoit 
Une lance qu'elle avoit 
D'Impatience ferrée, 
Sur la queux d'Ire acérée. 
Que l'on yoyoit s'enflammer 
Par la poincte, en mesme sorte 

Sue flambe l'astre qui porte 
n prodige sur la mer. 
La maille qu'elle* vestoit 
Fut de Paresse estoffée; 
En lieu d'un armet estott 
D'une Vanité coiffée, 
Où chanceloit attaché 
Le vieil timbre de Péché. 
Ainsi l'horrible guerrière 
Pressoit ses bandes derrière. 



3i6 Odes. 

Et les poussoH en avant, 
Ondoyans de rang comme ondes , 
Ou comme les forests blondes 
Des espics souflez da vent. 

Elle adonc qui regardott 
Ses mains colères de rage^ 
Pleine d'un feu qui Tardoit , 
Se redoubloit de courage : 
ce Par vous (disoit-elP), mes mains, 
Tant de haineux inhumains 
Ce jourd'huy mordront la terre ; 
Par vous Thonneur de la guerre 
Ja se dit mien , et par vous , 
Martelant plus dru que foudre, 
Je mettray PEsprit en poudre, 
Accablé sous moy de coups. 

Sus, soldars, il est saison 

Su'ore un chacun se souvienne 
e soy et de sa maison. 
Là-donc, de peur au'il n'avienne 
Que nous sentions au vainqueur 
La loy, par faute de cœur, 
Courag[e, enfans, la victoire 
Enrichira nostre gloire ! 
Autant qu*eux n'avons-nous pas 
De bras , de jambes et d'armes 
Pour repousser leurs alarmes 
Par l'effort de nos combats ? 

Si, couards, vous estes pris , 
Rien que la mort ne vous reste. 
Ne craignez donc les périls 
D'un butin tant manifeste ; 
Et bien, s'ils sont plus que nous, 
Le gain en sera plus dous, 
Et les louanges plus grandes 
D'avoir meurtry plus de bandes. » 
De tels mots la Chair flatoit 
Les cœurs bouillans de sa bande, 



CiNQUiESME Livre. 317 

Et d'une aileure plus grande 
A la guerre les hastoit. 

Jà, TEsprit d'une autre part, 
Impatient qu'on l'assaille, 
Avoit franchy son rampart, 
Pour devancer la bataille. 
Luy, de Raison accoustré, 
Horrible à voir s'est monstre 
Parmy les troupes menues, 
Comme un foudre entre les nues ; 
Et, marchant à pas contez, 
Arrangeoit sous sa conduite 
Une longue et longue suite 
De chevaliers indomtez. 

L'Amour divin fut vestu 
Du harnoi^ de Résistance , 
Tout engravé de Vertu , 
Et redoré de Constance; 
Là, Tardante Charité, 
Là , la simple Vérité 
De près son maistre accompagne. 
Avec sa forte compagne 
Qui suit les pas de son roy ; 
Là, l'antique Prud'hommie, 
Là, la Crainte d'infamie, 
Là, l'Espérance et la Foy. 

Là tenoit rang la Pitié, 
De son guide la plus proche ; 
Là s'avançoit l'Amitié 

Se chacun doit à son proche; 
les Contemplations 
Avecûues les Passions 
Que 1 ame fidèle endure 
Pour corriger la Chair dure, 
A la bataille arrivoient 
File à file d'une tire; 
Et mordans leurs lèvres d'ire, 
D'un grand branle se suivoient. 



)i8 Odes. 

L*Esprit ore se tournant , 
Haste son camp magnanime ; 
Ores un peu séjournant, 
De tels aiguillons l'anime : 
a Amis , tentez le labeur, 
Et ne paliissez de peur 
Qu'une si lasche canaille 
Face entreprise qui vaille. 
Qui ja tremble seulement 
De voir sans plus vostre face, 
Tant nostre première audace 
L'espouvante horriblement. » 

Ces mots finis, dans leur fort 
D'un saut de course s'eslance, 
Abatant le Monde mort 
Au premier heurt de sa lance. 
Du Dond en terre donné 
Ses armeures ont sonné. 
Après, POrgueil il renverse, 

8ui, trépignant des pieds, verse 
n lac rouge de son flanc , 
Vomissant , ja froid et blesme , 
Du creux de la playe mesme 
L'ame , le fer et le sang. 

Mortes après il rua 
Contre terre les Délices; 
Les Voluptez il tua 
Du coup qu'il tua les Vices. 
Tant de neice ne chet pas. 
Quand l'air T'esparpille à bas 
Pour enfariner la plaine, 
Comme la terre estoit pleine 
De soldars menus greslez , 
Renversez sous tel orage, 
Par un estrange nieslage 
L'un sus l'autre amoncelez. 

L'Humilité s'attacha 
Contre la Gloire mondaine . 



CiNQ^uiESME Livre. 319 

Et sa lance luy cacha 
Droit en ceste part où l'aine 
Se joint avecque le flanc ; 
Le Péché, de crainte blanc, 
N'attendit la Repentance, 
Ains évitant sa puissance , 
Vint où Grâce I enserra 
Dedans sa troupe hardie , 
Et d'une lance orandie 
Jusques au cœur {'enferra. 

Un peu plus avant la Foy, 
Faisant branler son panache , 
Les charnels loin devant sov 
Foudroyoit à coups de hache ; 
La Loy d'un grand coup d'espieu 
Profendit jusqu'au milieu 
L'opiniastre Hérésie, 
Et la fausse Hypocrisie 
En cent morceaux trançonna ; 
La Justice, de sa pique , 
Si avant le Vice pique , 
Que mort le désarçonna. 

D'un autre costé la Chair, 
Comme un bras d'une montagne 
Que l'orage fait broncher 
Au plus creux de la campape, 
Casse , froisse , tonne , bruit ; 
En ce poinct elle destruit 
Les forces qu'elle rencontre; 
Mais l'Esprit s'opposa contre 
Son foudre trop inhumain , 
Et, de prés se joignant d'elle, 
Effroyaolement l'appelle - 
Seule au combat main à main. 

a Toy, dit-il , après avoir 
Contre mon obéissance 
Sceu tant d'armes esmouvoir. 
Fuiras-tu bien ma puissance r 



J20 Odes. 

Toy qui as trahy mes lois, 
Et rhonncur que tu me doisi 
Toy, citoyenne mutine, 

Sue la Volonté divine 
re conduit au danger, 
Et souflant sur toy sa haine, 
D*un bras violant t'attraine 
Sous les miens pour la vanger? » 

Ja-ja la Chair pallissant 
De peur, s*escou(e en la presse 
Devant l'ennemy puissant, 
Qiji ja Tespaule luy presse; 
Et vouloit se repentir, 
Quand TEsprit luy fit sentir 
De son homicide poincte 
Le coup , où la gorge est joincte 
De Pespaule au plus gros os. 
Ainsi mit fin aux batailles , 
Elle poussant ses entrailles 
D*un long ordre de sanglos. 

Alors PEsprit, glorieux 
De rheur de son entreprise, 
A d*un bras victorieux 
La serve despouille prise; 
Puis Marguerite en orna, 
Et de laurier entouma 
Tout le beau rond de sa teste , 
Luy consacrant la conqueste 
De la Chair; car sa vertu 
Seule en moyenna la gloire, 
Et la fameuse victoire 
Que TEsprit en avoit eu. 

Jesus-Christ à ceste fois, 
Esbranlant dans sa main nue 
Le grand fardeau de la croix, 
Perçoit Pantre d'une nue 
A l*escart, pour voir çà bas 
La fin de ces deux combas; 



CiNQjJiESME Livre. 321 

Ayant ferme souvenance 
D'une fatale ordonnance 
Que l'ame au ciel monteroit 
Far une nouvelle porte , 
Dont la main sainctement forte 
Sa chair propre donteroit. 
Lors son ange il appela 

8ui front à front des vents vole , 
ageant par Tair çà et là 
Où le soufle sa parole: 
«Poste, dit-il, marche, fuy, 
Huche les vents et les suy, 
Laisse ramer tes aisselles. 
Et glisse dessus tes aijes. 
Tant que bas tu te sois veu 
Dedans les champs (1) qu'environne 
La tortueuse couronne 
Des monts surnommes? de feu (2). 

« Là, de ta parole endors 
Geste guerrière, et le voile 
De son victorieux corps 
Transforme au ciel en estoile ; 
En-après laisse rouler 
Son idole parmy Pair (3), 
Afin qu'en terre elle tombe , 
Et, desdaignante la tumbe, 
Vole en France sans repos 
Par la bouche de maint homme , 
Sans que jamais l'an consomme 

1 . Dans le royaume de Navarre, qui est la plus part enclavé 
des Pyrénées , montaignes repliées et pleines de longues en- 
tones et destours. (R.} 

2. Pyrenez, ano tou vMpbç, autrefois bruslans comme le 
Vésuve et le Montgibel. (R.) 

). Sa ressemblance comme une ombre. Les philosophes 
composoient l'homme de trois choses : d'ame , de corps , et 
de cette ombre ou simulachre qn'ils imaginoient retenir la 
iormedu corps. (R.) 

Ronsard, — il. 21 



)22 Odes. 

Son voler vague ti dispos. » 
L'ange adonques s'est lié , 
Pour mieux haster sa carrière, 
A l'un et à l'autre pié 
L'une et l'autre talonniere, 
Dont il est porté souvent 
Egal aux souspirs du vent y 
Soit sus la terre ou sus l'onde , 
Quand sa roideur vagabonde 
Davalle outre l'air bien loing; 
Puis sa perruque divine 
Coifa d'une capeline, 
Prenant sa verge en son poing. 

De celte il est défermant 
L'œil de l'homme qui sommeille; 
De celle il est endormant 
Les yeux de l'homme qui veille; 
De celle en l'air soustenu, 
Nagea tant qu'il fust venu 
Se percher sur la montagne 

SU! fend la France et l'Espagne , 
"ont que l'oraçe cruel 
Bat tousjours d une tempeste , 
Tousjours en-glaçant sa teste 
D'un frimas perpétuel. 

De là, se laissant pancher 
A corps élancé grand'erre, 
Fondoit en bas pour trancher 
Le vent oui raze la terre , 
Deçà et delà vagant, 
A basses rames vogant 
Ores coup sur coup mobiles, 
Ores coyes et tranquilles 
Comme un oiseau qui pend bas , 
Et l'aile au vent ne desplie ^ 
Quand près des eaux il espie 
Le hazard de ses appas. 

Ainsi l'humble messager, 



CiNQjjiESME Livre, jaj 

Volant d'une aile subite , 
Glissa bassement léger 
Jusqu'au corps de Marguerite ; 
D'elle les yeux il a clos , 
Puis, la chargeant sur le dos 
(Comme fut I Athénienne 
Sur l'eschine thracienne), 
Haut dans Tair se suspendit 
Loin-loin de la terre basse , 
Et d'un long trac il repasse 
Par où mesme il descendit. 

Lors il ficha dans les cieux 
De ce corps la masse entière ; 
Il luy acgrandit les yeux 
De rondeur et de lumière ; 
Ses cheveux furent changez 
En nouveaux rais allongez, 
Ses deux bras et ses deux jambes 
En quatre jumelles flambes ; 
Bref, ce fut un astre ardant, 
Lequel de là haut encores 
De son aspect bénin ores 
La France va regardant. 

Si qu'elle avecques les feux 
De l'estoile de son frère 
Et des princes ses nepveux , 
Bien tost, oubliant sa sphère , 
Viendra flamber sur l'armet 
De Henry, droit au sommet , 
Où l'espouvantable creste 
Luy flote dessur la teste 
Pour le guider aux dangers , 
Soit de l^nde ou de la terre , 
Quand les foudres de sa guerre 
Perdront les roys estrangers. 

L'ange après dans l'univers 
Chassa son errante idole 
Pour voler dessus mes vers 



3^4 



Odes. 

De Tun jusqu'à Vautre pôle ; 
Puis , cnargcant Tame à son col , 
L'emporta a*un roide vol 
Toute pure et toute nette, 
Mieux luisant que sa planette, 
Sur le ciel jusques au lieu 
Où les ans fermes demeurent 
Entre ceux qui plus ne meurent, 
Incorporez avec Dieu. 

Là, le droit chemin tenant, 
Tu es, 6 Princesse! allée 
Où sous tes pieds maintenant 
Tu vois la terre avallée. 
Tu vois sous tes pieds saillir 
Le jour pour naistre et faillir ; 
Tu vois la mer et ses voiles. 
Tu sçais le nom des estoiles; 
Le froid , le vent et le chaud 
Ne te donne plus de crainte, 
Toy faite nouvelle sainte 
Par les troupes de là haut. 

Là, sous tes pieds les saisons 
Eternellement cneminent; 
Là tu cognois les raisons 
Des astres qui nous dominent ; 
Tu sçais pourquoy le soleil 
Ore pasle, ore vermeil, 
Prédit le vent et la pluye , 
Et le serein qui Tessuye; 
Tu sçais les deux trains de l'eau , 
Ou si c'est l'air qui séjourne. 
Ou si la terre qui tourne 
Nous porte comme un bateau. 

Tu sçais dequoy se refont 
Les deux cornes renaissantes 
Que la lune ente à son front , 
Et qui les fait décroissantes ; 
Tu vois ce grand animal , 



CINQ.UIESME Livre. {25 

Son rond et son nombre égal 

Discordant en mélodie; 

Où tu es, la maladie 

Ne defleure la santé : 

On n'y void rien qui desplaise , 

Chacun y vit à son aise. 

De nul ennuy tourmente. 

Mais nous, pauvres et chetifs. 
Ici n'avons cognoissance 
Non-plus qu'enfans abortifs (1) 
Du lieu de nostre naissance ; 
Ains, désireux de gésir 
Dessous Fallechant plaisir 
Des serenes de la vie {^), 
Jamais ne nous prend envie 
(Comme au Grec) de voir un jour 
La flame, en l'air proumenée, 
Sauter sur la cheminée 
De nostre antique séjour. 

Si plustost je n'av sacré 
Tes cendres à la Mémoire, 
Ne m'en sçaches mauvais gré : 
Plus vive en sera la gloire. 
Les arbres qui sont tardifs 
Demeurent plus long-temps vifis; 
Les fleurs tost espanouyes 
Tost s'en vont évanouyes, 
Et le colosse élevé 
Qui ores le ciel menace 
En un mesme trait d'espace 
Ne se vit point achevé. 

Mais quel plus riche tombeau 
Blanc de neige parienne (3) 
Jadis t'eust dressé plus beau 

1. Morts à leur naissance. (R.) 

2. Des douceurs mortelles et corrompues de la tene. (R 

3. De marbre blanc. (R.) 



}26 Odes. 

Geste veufve carienne (i)? 
Quel rocher elabouré. 
Ou quel temple redoré, 
Pressera la renommée 
De ceste tumbe animée, 
La()uelle non une fois, 
Au lour de ses rais publiques , 
Reoon'ra Tame aux reliques 
Du sainct astre navarrois ? 
Je te salue, ô Thonneur 
De mes Muses, et encore 
L'ornement et le bon-heur 
De la France , qui t'honore I 
Escarte loin de mon chef 
Tout malheur et tout meschef; 
Preserve-moy d'infamie, 
De toute langue ennemie 
Et de tout acte malin , 
Et fay que devant mon Prince 
- Désormais plus ne me pince 
La tenaille de Mellin {a), 

a. Ronsard, après s'être réconcilié avec Mellin de Saint- 
Gelais , modina ainsi les derniers vers : 

De toute langue ennemie 
Teinte en venin odieux. 
Et fay que devant mon Prince 
Désormais plus ne me pince 
Le caquet des envieux, 

I . Artemisie, royne de Carie, qui feit bastir à la mémoire 
immortelle de son mary le plus magnifique et somptueux 
tombeau qui jamais fut. (R.) 



CiNQUiESME Livre. 327 



A PHEBUS, 
Pour guarir le roy Charles IX. 

Ode VI('). 

Phébus, soit que tu sois 
Pasteur parmi les bois 
Ou sur les bords d'Amphryse, 
Ou prince^ escoute-moy, 
Vien-t'en guarir mon Roy, 
Qui seul te favorise. 

Apporte à ceste fois 
Le aictamon cretois 
Avecq' la panacée, 
Herbes qui font au corps 
Des hommes qui sont morts 
R'entrer rame passée. 

Un sujet au trespas 
Guarir ne le doit pas : 
Présomption est vice. 
Vien doncques en ce lieu : 
C'est la raison qu'un dieu 
Un autre dieu guarisse. 

Un petit prince il n'est 
D'une estroitte forest ^ 
D'un port ou d'une ville , 
Mais d'un pays guerrier 
Des meilleurs le premier. 
En richesse fertile. 

I . Imitée de Callimaque. Cette pièce doit être postérieure 
à \a Saint-Barthélémy, car elle ne se trouve point dans Té- 
dttion de 1 572. J'ai suivi le texte de 1 584, à défaut de celui 
de 1 578, que je n'ai pu consulter. 



328 Odes. 

Deux mers et mille ports, 
Villes , citez et forts 
Pleins de traficque estrange, 
Mille fleuves de nom, 
Ne vont bruyant sinon 
L'honneur de sa louange. 

Vien, Prince aux beaux cheveux, 
Guarir son mal fiévreux ; 

?ue sain on le remette, 
îi Paimeras cent fois 
Plus fort, si tu le vois, 
Que tu ne feis Admette. 

h*ar luy tu te soustiens : 
C'est le support des tiens. 
Son esprit il applique 
A tes mestiers divers ; 
Il honnore les vers, 
Il chérit la musique. 

Ou je diray, Phebus, 
Que tu n'es qu'un abus , 
EtqueJunon, severe, 
Se vangeoit à propos 
De ne donner repos 
A Latone, ta mère. 

Je te diray maçon. 
Un berger, un garçon 
Qi)i fis paistre les vaches. 
Craignant d'estre envoyé 
Aux enfers foudroyé , 
Qu'icy bas tu te caches; 

.Qu'Hyacinthe tuas. 
Quand le pal luv ruas. 
D'art, et non a'aventure; 

?ue tes bœufs justement 
e furent finement 
Desrobez par Mercure; 

Que Mercure vaut mieux 
Que toy, entre les dieux, 



CiN(^uiESME Livre. 329 

Pour jouer de la lyre, 

Mercenaire valet, 

Qui sçais un flaseolet 

Seulement faire pruire. 
Mais, si tu viens icy 

Soulager le soucy 

De ses membres malades , 

D'ache couvert le chef. 

Je feray de rëchef 

Tes testes cameades. 
Je diray que tu es 

Second des immortels 

Et du ciel l'interprète. 

Du laurier inventeur. 

Prophète non menteur. 

Grand chantre et grand poète, 
Et qu'en jeune menton 

Tu fis crever Python 

Par ta flèche première, 

Et aue tù fis cacher 

Niobe en un rocher. 
Vengeance de ta mère. 
Je diray tes amours, 
Que tu parois tousiours 
Sans barbe ny vieillesse, 
* O des mires''») le roy! 
A Bacchus et à toy 
Sert le don de jeunesse. 

Quitte-moy ton Delphos, 
Ta Cyrrhe, ta Delos, 
Des flots marins suivie, 
Et vien, astre luisant, 
La Santé conduisant, 
Nourrice de la Vie. 

Sans toy, douce Santé , 
La Force et la Beauté 

I. Mires, médecins, vieux mot firançois. 



MO 



Odes. 

Sont manques de puissance. 
Ny empire ny bien 
A l'homme ne sert rien 
Sans ta douce presance. 

La Jeunesse te snit; 
Le Plaisir, le Déduit, 
Dessous ton ombre vivent; 
Tournois, joustes, chevaux, 
Dames, chiens et oiseaux, 
Pour maistresse te suivent. * 

Par toy se fait Pamour, 
Et le vin tout le jour 
Par toy fume en la tasse ; 
Par toy le long festin , 
Du soir jusqu'au matin , 
Couvre la table grasse. 

O Santé chasse-mal! 
Par toy se fait d'un bal 
La gaillarde entreprise. 
Où, te roulant parmi. 
Tu n'as point d'ennemi 
Qu'une moustache grise. 

Tout ainsi que l'esclair 
Du soleil , prompt et clair, 
Passe par la verrière , 
Passe dedans son corps , 
A ses membres peu forts 
Ren la vigueur première. 

Descen donc de là hatit : 
C'est à ce jour qu'il faut 
Que sain tu nous le rendes. 
La France t'en lou'ra. 
Et chacun te vou'ra 
Et temples et offrandes. 



CiNQUiESME Livre. 3^1 



AU ROI CHARLES, 
En luy donnant un Léon hebrieu (i). 

Ode ViI(!S73). 

Je vous donne p6ur vos estreines' 
L'amour chanté par un Hebrieu; 
Les cieux et les terres sont pleines 
De là puissance de ce Dieu. 

Ils sont (ce me semble) deux frères :^ 
Nature doubles les a faits; 
Ils ont aussi deux doubles mères , 
Contraires en divers effaits. 

L'un a le ciel pour son empire, 
Qu'il peut esbranler de la main ; 
L'autre en la terre se retire, 
Et vit de nostre sang humain. 

L'un pousse les âmes guidées 
Aux belles contemplations, 
A l'intellect et aux idées , 
Purgeant l'esprit de passioris: 

L^autre à nature est serviable, 
Nous fait aimer et désirer. 
Fait engendrer nostre semolable, 
Et l'estre des hommes durer. 

Il nous fait la paix et la guerre; 
Mais, mon grana roy, pour choisir miéâx, 
Prenez l'amour qui règne en terre, 
Et laissez l'autre pour les dieux. 

I. Sçavant platonicien qui a traicté doctement la matière 
de rameur dans ses Dialogues. (R.) 



H^ 



Odes. 



A ROBERT DE LA HAYEO), 
Ode VIII. 

Ceux qui semoient outre leur dos 
De nostre grand'mere les os 
Dans le désert des vuides terres, 
Pour ranimer le genre humain , 
Tousjoursne versoient de leur main 
La duré semence des pierres, 

Mais bien aucunefois ruoient 
Des diamans, qui se muoient, 
Changeans leur dur en la naissance 
D'un peuple rare et précieux, 
Qui encore de ses ayeux 
Donne aujourd'huy la concnoissance. 

Ton beau rayon qui brille icy 
Monstre qu'un diamant , ainsi 
Muant en tov sa forme claire , • 
L'estre semolable t'a donné; 
Car des pierres tu n'es point né, 
Comme tut ce cros populaire. 

Il a l'esprit dur et plombé , 
Tousjours vers la terre courbé , 
Jamais au beau ne dresse l'aile ; 
Le tien s'élève saintement , 
Balancé d'un vol hautement 
Tout autour de la chose belle. 

Aussi le bruit impétueux 
De ton palais tumultueux , 
Forçant ton destin , ne t'amuse 

t. Feu monsieur de la Haye, docte personnage et maistre 
des requestes ordinaires de l'nostel du roy. (R.) 



CiNQUiESME Livre. 333 

Si bien que quelquefois le jour 
Tu ne travailles au séjour 
De Poiseux travail de la Muse. 

Qu'est-il rien aussi de plus doux ? 
A quel sucre égalerons-nous 
Ta nectareuse poésie ? 
Seule elle passe les appas 
Et du miel et les doux repas 
Du nectar et de Tambroisie. 

Les Amours n'aiment tant les pleurs , 
La tnousche ne suit tant les fleurs, 
Ne \es veinqueurs tant les couronnes, 
La Haye , comme tu poursuis 
Les doctes Muses, que tu suis 
Comme tes plus chères mignonnes. 

Nul mieux que toy. parmy les bois , 
Ne contrefait leur belle vois, 
Et nul par les roches hautaines 
Ne les va mieux accompa^ant, 
Ne mieux près d'elle se baignant 
Sous le crystal de leurs fontaines. 

Nul mieux sous les rais de la nuit , 
Quand la Itine en son plein reluit, 
Sur Fherbe avec elles ne dance , 
Suivantes le pouce divin 
De ce grand Alcée angevin (i) 
Qui devant sonne la cadance. 

Toy lors , couronné du lien 
Que donne l'arbre delien , 
Ores tu prens plaisir d'élire 
Le premier rang, or' le milieu. 
Entre elles marchant comme un dieu 
Qui s'égaye au son de la lyre. 

Et toutefois, estant ainsi 

I. Du Bellay, ^u'il appelle Alcée à cause de ses Regrets , 
où excellemment il taxe les mœurs de son temps , selon que 
les sujects s*en presentoient à luy. (R.) 



}}4 Odes. 

De ces pucelles le souci , 
Tu veux bien faire un contr'eschange 
De tes vers latins, qui sont d'or, 
Aux miens moindres qu'airain encor', 
Indignes de telle louange : 

Car, bien que nostre âge ait loué 
Le premier vers que j'ay joué , 
Pourtant je n'eusse pris l'audace 
De te respondre ou de tenter 
Ma lyre, qui ne sçait chanter 
Pour toy qu'une chanson trop basse. 

Mais ce bon père au double chef, 
Qui l'an ramène derechef. 
D'une inconstance coustumiere, 
M'a commandé de la sonner 
Telle qu'elle est , pour estrener 
La foy de nostre amour première. 

Si j'avois les butins heureux 
Que le marchant avantureux 
Arrache du sein de l'Aurore, 
Tu les aurois, et les sablons 
Qui roulent et riches et blons 
En l'eau que la Phrygie honore; 

Ou, si j'estois assez subtil 
Pour animer par un outil 
La toile muette ou le cuivre, 
Mon art t'offriroit ces presens ; 
Mais ces dons-là contre les ans 
Ne te sçauroient faire revivre. 

Pren donc mes vers, qui valent mieux, 
Et les reçoy comme les dieux 
Reçoivent par leur bonté haute 
Les humbles presens des mortels , 
Qui de biens chargent leurs autels, 
ET si Q'çn eurent jamais faute. 



I 



CiNQuiESME Livre. m 



ODE IX. 

Çj ui par gloire ou par mauvaistié , 
^^^^Ou par nonchalante paresse, 
Aura tranché de l'amitié 
Le saint nœud qui deux âmes presse, 
A celuy d'une loy expresse 
Je defens qu'en nulle saison 
Ne se loge dans ma maison , 
Et qu'avec moy sus le rivage, 
Compagnon d'un mesme voyage, 
Poilu , ne coupe le lien 
Qui tient l'hosteliere navire , 
Car Jupiter le Philien («) 
Quelquefois avecque le pire 
Punit le juste , et peu souvent 
On void la vangeresse peine 
Soufirir, comme boiteuse et vaine 
Le meschant s'échapper devant. 
Que sert à l'homme de piller 
Tous les printemps de l'Arabie, 
Et de ses moissons despouiller 
Soit la Sicile ou la Cibye, 
Ou desrober l'Inde annoblie 
Aux trésors de son bord ^emmé , 
S'il n'aime et s'il n'est pomt aimé, 
Si tout le monde le dédaigne. 
Si nul second ne l'accompaigne, 
Soliciteux de son amy, 

I. Qui prend soin des amitiez et qui les défend, car les 
anciens ont attribué divers epitbetes et surnoms à Jupiter, 
selon la diversité des sujects qu'ils ont voulu faire passe^ 
sous sa protection. (R.) 



jj6 Odes. 

Comme un Patrocle pitoyable 
Suivoit Achille , fust parmy 
La nue la plus effroyable 
Des Lyciens, lors qu'odieux 
Contre Priam souffloit son ire , 
Fust quand, paisible, sus la lyre 
Chantoit les hommes et les Dieux ? 

Le temps, qui a commandement, 
Sur ces grandes masses sourcilleuses, 
Qui devallent leur fondement 
Jusques aux ondes sommeil leuses, 
Ne les menaces orgueilleuses 
Des fiers tyrans, ne sçauroient pas 
Escrouler ne ruer à bas 
La ferme amour que je te porte, 
Tant elle est en sa force forte ; 
Et, si avec toy librement 
Je ne puis franchir les montagnes 
Qu'Annibal cassa durement , 
Haineux des latines campagnes, 
Pourtant ac mesprise ma toy. 
Car Taspre^soin qui m'enchevestre. 
Seul m'alenfc, et m'engarde d'estre 
Prompt à voW avecque toy. 

Mais , s'il tè plaist de retenir 
Ta fuite disposte et légère 
Jusqu'au temps qu'on void revenir 
L'aronde, des fleurs messagère, 
De prompte jambe voyagere 
Je te suivray, fust pour trouver 
L'onde où Phebus vient abreuver 
Ses chevaux suans de la course, 
Ou du Nil l'incertaine source. 
Mais^ si le désir courageux 
Te pique tant qu'il t'importune 
De forcer l'hyver outrageux 
Et la saison mal-opportune , 
Marche , fuy, va légèrement ; 



CiNQUiESME Livre. 3^7 

L'oiseau Menalien Mercure, 
Le Dieu qui des passans a cure, 
Te puisse guider dextrement. 
Ces meurtriers pelottons volans 

Sue l*orage par les monts boule 
e te soient durs ni violans; 
Ny 1 eau qui par ravines coule 
Du jus de la neige oui roule 
Demeure coye sans broncher 
Quand tu voudras en approcher; 
La froide gorge Thracienne 
Et la pluyeuse Libyenne 
Serrent leurs vents audacieux; 

9ue rien sur les monts ne resonne 
ors un Zephyre gracieux 
Imitant ton luth quand il sonne ; 
Phebus aussi , qui a cognu 
Combien son poète te prise, 
Clair, par les champs te favorise, 
Et sa sœur au beau iront cornu. 

Quand tu te seras approché 
Des belles plaines d'Italie, 
Vy, Ligneiy, pur du pechè 

Sui Pamitie première oublie : 
'isndure que Tâge deslie 
Le noeud que les Grâces ont joint. 
O temps ou Ton ne souloit point 
Courir à Ponde hyperboréef 
Telle saison fut bien dorée 
En laquelle on se contentoit 
De voir de son toict la fumée ^ 
Lors que la terre on ne hantoit 
D'un autre soleil allumée ; 
Et les mortels heureux alors. 
Remplis d'innocence naïve, 
Ne cognoissoient rien que la rive 
Et les^ancs de leurs prochains bords. 
Tu me diras â ton retour 
Ronsard. — n. 22 



^8 Odbs. 

Combien de lacs et de rivières 
Et de ramparS' ferment le tour 
De tant de grosses villes 6ere$ ; 

Suelles citez vont les premières 
n brave nom le plus vanté, 
Et par moi te sera chanté 
Ma Franciade commencée. 
Si le Roy meurit ma pensée. * 
Tandis sur le Loir te suivrai 
Un petit taureau que je voue 
A ton retour, qui la sevré 
Tout seul par les nerbes se joue , 
Blanchissant d'une note au n'ont(i) ; 
Sa marque imite de la Lune 
Les feux courbez, quand Tune et l'une 
De ses deux cornes se refont. 



A NICOLAS DENISOT. 
Ode X. 

Bien que le repli de Sarte 
Qui lave ton Alsinois 
En serpentant ne s'écarte 
De mon fleuve vendoiiiois {a) , 
Et que les champs de ton estre. 
Que les Muses ont en soin , 

Var. (1587): 

Bien que la course de Sarte 
Qui ton Maine fait valoir 
En serpentant ne s'escarte 
Du cours de mon petit Loir. 

Marques solennelles que Ton obserroit aux victimes. 



CiNQuiESME Livre. 339 

Du païs qui me vid itaistre 
Ne se bornent pas de loin, 

Gela pourtant n'avoit force 
De m'allecher, sans avoir 
Premier engoulé l'amorce 
Qui pendoit de r ton sçavoir ; 
Et non ta Sarte voisine , 
Ny ton champ voisin au mien : . 
Nostre amitié n*estoit dine 
D'un si vulgaire lien. 

La vertu &t en partie 
Le lien qui nous joignit, 
Et la mesme sympathie 
Celle oui nous estraignit; 
C'est donc l'heureuse folie 
Dont le Ciel folastre en nous , 
Non le pàîs, qui nous lie 
D'un anollement s> dous. 

Quoy 1 celuy que la Nature 
A d^s l'enfance animé 
De poésie et peinture 
Ne doit-il pas estre aimé? 
Puis que telle fureur double, 
Tel double présent- des Cieux 
Volontiers les hommes trouble, » 
Qui sont les mignons des dieux ? 

Mais où est rœil qui n'admire 
Tes tableaux si bien pourtraits 
Que la nature se mire 
Dans le parfait de leurs traits ? 
Où est l'aureille bouchée 
De telle indocte espesseur 
Qui ne rie estant touchée 
De tes vers pleins de douceur ? 

Cesse donc et ne^ouhéte 
De t'enrichir plus de rien, 
Toy oui es peintre et poète, 
Fuy rautre troisiesme bien; 



HO Odes* 

Car si l'ardante musique 
(En t'ornant de sa vertu) 
Jointe aux deux autres te pique ^ 
Bons Dieux! que deviendrois-tu P 

Ton ame , fuyant la peine 
Dont tti serois agité, 
S'eschapperoit, las! trop pleine 
De tant de divinité, 
Et ses passions nouvelle^ 
Aux deux flancs luj bouteroient ^ 
Pour la mieux haster, des ailes 
Qui par Tair Temporteroient. 

'Vrayment, Dieu, qui tout ordonne 
Sans estre forcé d'aucun ) 
Le beau présent au'il te donne 
Ne donne pas à chacun; 
Aussi sa saincte pensée^ 
Dessignant ce monde beau , 
A sa forme commencée 
Sus le dessein d'un tableau , 

Le variant en la sorte 
D'un pourtraict ingénieux , 
'Où maint beau trait se rapporte 
Pour mieux réjouir les yeux, 
^is doncque seur, pour ne craindre 

gue la Mort en te pressant 
uisse ton renom estaindre , 
Avec le corps périssant. 

Vaines seroient ses allarmes, 
En vain Parc elle bandVoit, 
Toy tenant au poing les armes, 
A ren servir si adroit; 
Car le pincel et la plume, 
A qui les sçait bien ruer. 
Ont usurpé la coustume 
De la mort mesme tuer* 

Jean second, de qui la gloire 
N'ira jamais défaillant, 



CiNQUiESMB Livre* 341 

Eut contre elle la victoire , 
Par tels outils Tassailiant, 
Dont la main industrieuse 
Anîmoit penibleipent 
La carte laborieuse , 
Et la table également (û), 

Et duquel les baisers ores , 
Pour estre venus du Ciel , 
En ses vers coulent encores 
Plus doux que i'attique miel. 
Mais, ô Denisot, qui est-ce 
Qui j>eindra les yeux traitis 
De Cassandre ma déesse , 
Et ses blonds cheveux tortis } 

Lequel d*entre vous sera-ce 
Qui pourroit bien colorer 
La majesté de sa grâce 
Qui me force à Padorer ? 
Et ce front dont elle abuse 
Ce pauvre poète amant, 
Son ris (ains une Méduse) 
Qui tout me va transformant ? 

Amour qui le cœur me ronge , 
Pour redoubler mon esmçy, 
Ceste nuict trois fois en songe 
L'a fait apparoistre à moy ; 
Mais sa fuite , accoustumée 
De me tromper si souvent , 
S'enfuit comme une fumée 
Qui se joue avec le vent, 

a. Yar. (ij87)î 

A'moit I d'amours et de pleurs 
La carte laborieuse, 
Et la table de couleurs. 

I. A'moit, c'est ce qu'on dit, escorchant le latin, ani- 
moit. L'un et Tautre est bon. (Ronsard.) 



^4^ Odes. 



Ode XI. 

Sur toute flenrette dédose 
J'aime la senteur de la rose 
Et Todeur de la belle fleur 

?ui de sa première coùtoor 
are la terre , quand la glace 
Et l'hyver au sotol font place; - 

Les autres boutons vemeillets, 
La giroflée et les aillets^ 
Et le bel esmail qui varie 
L'honneur gemme d'une prairie 
En milles lustres s'esdatant , 
Ensemble ne me plaisent tant 
Que fait la rose pourperette , 
Et de Mars la blanche fleurette. 

Que puis- je. pour le passe^emps 
Que vous me oonnez le printemps , 
Prier pour vous deux autre- chose > 
Sinon que toy, pourprine rose, 
Puisses toujours avoir le sein 
En mai de rosée tout plein^ 
Et que jamais le chaut qui dure 
En juin ne te fasse laidure<a)f 

Njr à toy, fleurette de mars, 
Jamais Thyver, lorsque tu pars 
Hors de la terre, ne te face 

tf. var. (1587): 

Du teint de hante accompagné 
Sois toujours en may rebaigné 
De la rosée qui doux glisse, . 
Et jamais juin ne te fanisse f ' 



CiNQuiESME Livre. 34^ 

Pancher morte dessus la place; 
Ains toujours, maugré la froideur. 
Puisses-tu de ta soefve odeur 
Nous annoncer que Tan se vire 
Plus doux vers nous, et que Zephyre 
Après le tour du fascheux temps 
Nous ramené le beau printemps. 



Ode XII. 

Je veux, Muses aux beaux yeux, 
Muses migngnnes des dieux , 
D*un vers qui coule sans peine 
Louanger une fontaine. 
Sus donc , Muses aux beaux yeux , 
Muses mignpnnes des dieux ^ 
D'un vers qui coule sans peine, 
Louangeons une fontaine y 
C'est à vous de me guider^ 
Sans vous je ne puis m'aider, 
Sans vous, Brunettes, ma lyre 
Rien de bon ne sçauroit dire. 

Mais , Bruaettes aux beaux yeux , 
Brunes mignonnes des dieux , 
S'il vous plaist tendre ma lyre 
Et m'enseigner pour redire 
Cela que dit vous m'aurez, 
Lors, Brunet^s^ vous m'oirez 
A nos françoises aur^îUes , , 
Chanter vos douces merveilles: 

beau çrystal murmurant, 
Que le ciel est azurant ; 
D'une belle couleur blue, 
Où ma dame toute nue 



H4 Odes. 

Lave son beau teint yermeil 
Qyi detenoit le soleil , 
Et sa belle tresse blonde . 
Tresse aux Zéphyrs vagabonde ,. 
Comme Ceres esmouvant 
La sienne aux souspirs du vent y 
Tresse vra^'ment aussi belle 
Que celle a' Amour, ou celle 
Qui va de crespes reflos 
Frappant d^Apolîon le dos. 

C'est toy, belle Fontcnette, 
Où ma douce miffnonoette , 
A miré ses deux beaux yeux , 
Ainçois deux astres des cieux ^ 
Que ta gaye Paphienne , 
La brunette (>prienne, 
Sur ceux des uraces lou'roit^ 
Et pour siens les avou Voit , 
Tant leur mîgnotise darde 
D'amours à qui les regarde. 

C'est tov qui dix mille fois 
As relavé les beaux doigts 
De ma douce Cassandrette 
Dedans ta douce ondelette , 
Doigts qui de beauté vaincus 
Ne sont de ceux de Bacchus , 
Tant jeurs branchettes sont pleines 
De mille rameuses veines 
Par où coule te beau sang 
Dedans leur yvoire blanc, 
Yvoire où sont cinq perlettes 
Luisantes , claires et nettes , 
Ornant les bouts finissans 
De cinq boutons fleurissans. 

C'est toy, douce Fontelette, 
Qui dans ta douce ondelette 
As baigné ses deux beaux piez ^ 
Piez de Thetis déliez, 



CiNQUiESME Livre. UJ 

Et son beau corps qui FesseiRb(& 
Aux lys et roses ensemble ; 
Corps qui pour Favoir veu nu. 
M'a fait Acteon cornu , 
Me transformant ma nature 
En sauvagine figure ; 
Mais de ce mal ne se deut 
Mon cœur, puis qu'elle le veut^ 
C'est toy, douce Fonitclette^ 
Dont la mignarde ondelette 
A cent foia baisé les brins (>) 
De ses boutons cinabrins , 
De ses lèvres pourperées , 
De ses lèvres nectarées, 
De ses roses de qui sort 
Le ris qui cause ma mort.. 
C'est toy qu> laves sa hanche > 
Sa grève et sa cuisse blanche , 
Et son qui ne fait encor(a) 

1. Le bord moyen de ses lèvres. (R.) 

2. Il entend ce que vous sçavez bien, tva fiii iifiti bpi 
^a(» dit Anacreon. Ainsi P\»}xt6 {Bacchidib^) n'osant dire 
hbrement ce qui est de la parfaicte action d'amour, se con- 
tente de dire illud quod dici solet, compie Jean Second : 

Quidquid ppst otscula dulce. 

Comme il Candelaio, Questo che tu mHntendi. Comme nostre 
Tibulle François le sieur de U Bergerie : 

...Une chose 
Que fe sçay bien , et que dire je n'ose. 

Ainsi ta Sapphon, n'osant dire tout à fait, adjouste : sedom- 
niafiunt, et juvat; et Ovide, encor pour représenter ces par- 
ties , use de circonlocution et (es appçUe : 

... Panes 
In quibtts occulté spicula tingit Amor. 

Gomme aussi PoUux, rb iv /utiff» çxatpov votpKlov ; tel est le 
secret de ces vers des Priapèes : 

Hune tu , sed ucep, scis fm^ quod sequitur. (I\.) 



J46 Odes. 

Qpe se friser de fils d'or. 

C'est toy, quand la porte-flame, 
La Chienne du ciel, enfiame 
Le monde de toutes pars , 
Qui vois les membres espars 
De ma dame sur ta rive , 
Lors que sur Therbette oisive 
Le somme en ses yeux glissant 
Flatte son corps languissant , 
Et lors que le vent secoue 
Son sein, oh pris il se joue, 
Et le fait d'un doux soufler 
Rabaisser et puis r'enfter; 
Elle dessus ton rivage 
Ressemblant un bel image 
Fait de porphyre veineux , 
S'il ne fust que ses cheveux 
La descouvrent sur ta rive 
Estre quelque nymphe vive; 
Et aue les oiseaux perchez 
De leurs cols demi-panchez 
En re-jargonnant Tespient, 
Et de se tenir s'oublient 
Sur la branche , tant l'ardeur 
De ses yeux brusle leur cœur, 
Et , trepignans dedans l'arbre , 
Font dessus son sein de marbre 
Escouler dix mille fleurs, 
Fleurs de dix mille couleurs , 
Qui tombent comme une nue 
Dessus sa poitrine nue: 
Si bien qu^on ne peutsçavoir,' 
A la voir et à les voir. 
Laquelle , ou de la fleurette 
Ou d'elle, est la plus douillette. 

Vrayment crystal azuré,. 
Crystal gay'ment emmuré - 
D'une belle herbe fleurie, 



CiNQUiESME Livre. 347 

Pour avoir fait à m'amie 
Un doux chevet de ton bord, 
Quand languissante elle dort; 
Je t'asseure , ondette chère , 

Sue jamais, ainsi qu'Homère, 
oire ne t'appelleray. 
Mais tousjours je te lou'ray 
Pour claire , pour argentine y 
Pour nette ^ pour crystalline ; 
Et te suppli* de vouloir j 
Ains qu entrer dedans le Loir 
D'une course serpentiere , 
Recevoir Thumble prière ' 
Que je fay dessus tes flots, 
Et recevoir en ton los 
Ces lis et ces belles roses 
Que je verse à mains décloses 
Avec du miel et du lait 
Dessus ton sein ondelet, 
Et ces beaux vers que j'engraye 
Au bord que ton onde lave. 

Fille à Tethys , désormais 
Puisses-tu pour tout jamais 
Plus qu'argent estre luisante. 
Et que la Chienne cuisante 
Jamais dedans ton vaisseau 
Ne face tarir ton eau ! 

Tousjours lés belles Naiades , f 
Oréades et Dryades , 
S'entre-serrans par )es mains ^^ 
Jointes avec les Sylvains , 
Puissent rouer leurs çarolles 
Autour de tes rives mblles, 
Et Pan trépignant menu 
De son ergot mi-cornu , 
Guidant te preftiier îa datise : . 
Au doux son de la. cadence! 

Jamais le lascif troupeau. 



^48 Odes. 

L'aignelet et Iç chevreau 
Ne brouttent tes rives franches^ 
Ne jamais fueitles ne branches 
Ne puissent troubler ton fond, 
Tombant d'enhaut sur ton front ^ 
Front en qui ma Cythérée 
A sa face remirée ! 
Ne jamais quelque Roland, 
Espoint d'amour violant . 
Ne honnisse ta belle onae , 
Mais sans cesse vagabonde , 
Caquetant sur ton gravois 
D'une flo-flotante vois, 
Tous jours sa course verrée (i) 
Se joigne à Tonde Loirée ! 

Mais adieu, Fontaine, adieu. 
Tressaillante par ce lieu 
Vous courrez perpétuelle 
D'une course pérennelle , 
Vive sans jamais tarir; 
Et je doy bien tost mourir, 
Et je doy bien tost en cendre 
Aux Champs Elysez descendre » 
Sans qu'il reste rien de moy 
Qu'un petit je ne sçay quoy, 
Qu'un petit vase de pierre (a) 
Cachera dessous la terre. 

Toutefois , ains que mes yeux 
Quittent le beau io\ir des çieux, 
' Je vous pri*, ma Fontelette, 
Ma doucelette ondelette , 
Je vous pri', n'oubliez pas 
Dés le jour de mon trespas 

• 

1. Claire, liquide e^ transparente, de mesme que, Varron 
appelle une robbc déliée et fort claire, vitream togam, (R.) 

2, Un tombeau, ou quelque urne servant à garder les 
cendres des defiiucts selon ^antiquité, (R.) 



9. 



CiNQuiESME Livre. 349 

Contre vos rives de dire 

Sue Ronsard dessus sa Ivre 
'â vostre nom desdai^ne; 
Et que Cassandre a baigné 
Sa belle peau doucelette 
En vostre claire ondelette^ 



(hiÉi ■ ■■■ilill TTf Hr» ili 



N 



A SIMON NiCOLAà 

Secrétaire du Roy. 

Ode XIII (isâ4). 

icolas , faisons bonne chéré 
Tandis qu'en avons lé loisir^ 

Trompon le soin et la misère, 

Ennemis de nostre plàisii*. 
Purçèon Thumeiir qui iious enflame 

D'avance et d'ambition ; 

Ayon, philosophes, une amé 

Toute franche de passion. 
Chasson le sôih, chassoh la peine, 

Contenton-nous de noStre rien : 

?uand nostre ame sera bien saine 
But le corps se portera bien. 

U ne ame de biens affamée 
Obscurcit tousjours la raison : 
Il ne faut qu'un peu de fumée 
Pour noircir toute la maison. 

Faire conqueste sur conqueste 
De biens amassez sans propos, 
Ce n'est que nous rompre la teste. 
Et ne trouver jamais repos. 

J'ay raclé de ma fantasie 
Le monde au visage éhonté , 



^50 Odes. 

Pour vaquer à la poésie 
Quand j'en auray la volonté. 

Voilà le bien que je désire, 
Sans plus en vain me tourmenter : 
Désormais sera mon empire 
Que savoir bien me contenter (a). 

Quand ta fièvre (dont la mémoire 
Me Uit encores frissonner) 
Ne t'auroit appris qu*à bien boire , 
Tu ne la dois abandonner. 

A toutes les fûijs que Fenvie 
Te prendra de boire . reboy ; 
Boy souvent, aussi oien la vie 
N'est pas plus lonEjte que le doy. 

C'est un grand bien d'estre hydropique 
Et d'eau s'enfler la ronde peau : 
Des elemens le plus antique 
Et le meilleur, n'est-ce pas l'eau ? 

Non seulement la maladie 

8ui nous surprend par seà efforts 
e rend nostre masse estourdie , 
Enervant les forces du corps. 

Mais elle trouble la cervelle , 
Et l'esprit qui nous vient des cieux : 
Il n'y a part qui ne chancelle, 
Quand Içs hommes deviennent vieux. 

Puis la mort vient , la vieille escarce ; 
Alors un chacun se repent 

Sue mieux il n'a joué sa farce; 
ais bon-temps, à Dieu t'y command'. 

a. Var. (1587): 

Mn que mon amt n'empire 
Par fauu de se contenter. 



CiNQUiESME Livre. ^p 



AJANET 

Peintre dû Roy très-excellent. 

Ode gei^iale XIV. \ 

Boy, Janet(»), à moy tour â tour, • 
Et ne ressembles au vautour 
Qui tousjours tire la charongne. 
Tu es un sot : un bon yvrongne 
Autant pour une nopce vaut 
Qi|'un bon guerrier pour un assaut. 

Car ce n est moins entre les pots 
D'en-hardir par vineux propos 
Un homme paresseux à poire , 
Que pour gaigner une victoire , ' 
Rendre à la bataille hardy 
Un capitaine acouardy. 

Boy donc, ne fay plus du songeart: 
Au vin dst la plus grande part 
Du jeu a'amour et de la danse. 
L'homme sot qui lave sa panse 
D'autre Breuvage que du vin 
Meurt tousjours de mauvaise fin. 

A bon droit le ciel a donné 
A Phomme qui n*est aviné 
Tousjours Quelque fortune dure ; 
Autrement la mordante cure , 

Sui nous cuit Pâme à petit feu, 
e s*en-va qu'après avoir beu.. 

I. Dans Péd. de 1 560, il y a Vilain. Est-ce un nom pro- 
pre? — Dans celles de 1567, 1571 et 1575, il y a Janin; 
dans celle de 1 J84, on lit Jarret.- Nous avons conservé Janet , 
dont le nom est historique. 



i^i Odes. 

Après le vin on n'a souci 
D'amour ny de la cour aussi y 
Ny de procez , ny de la guerre. 
Hé 1 que celui lâchement erre 
Qui, faisant aifisS qUe PeAthé, 
Bacchus en ses vers n'a chanté ! 

Boy dbùcques à nrôy tour à tour, 
Et ne ressemoles au vautour 
Qui tousjburs tire la eharoncne : 
Il yaut mieux voir en peau a'yvrongne 
Là bas Pinfemal passager, 
Que de crever de trop manger. 



Ode XV. 

Nous ne tenons en hôsire main 
Le ternp^ futur du lendemain ; 
La vie n'a point d'asseurance, 
Et, pendant que nous desirons 
La faveur des roys, nous mourons 
Au milieu de nostre espérance. 

L'homme , après son dernier trespas , 
Plus ne boit ne mange là bas, 
Et sa grange, qu'il a laissée 
Pleine de blé devant sa fin , 
Et sa cave pleine de vin , 
Ne luy viennent plus en pensée. 

Hé ! quel gain apporte l'esmoy ? 
Va, Corvdon, appreste-moy 
Un lict ae roses espanchées. 
Il me plaist, pour me défascher, 
A la renverse me coucher 
Entre les pots et les jonchées. 

Fay-moy venir Daurat icy; 
Faîs-y venir Jodelle aussi , 



CiNc^uiESME Livre. 35^ 

Et toute la musine troupe (1). 
Depuis le soir jusqu'au matin 
Je veux leur donner un festin 
Et cent fois leur pendre la coupe. 

Verse donc et reverse encor 
Dedans ceste grand' coupe d'or : 
Je yay boire à Henry Estienne, 
Qui (les enfers nous a rendu 
Du vieil Anacreon perdu 
La douce lyre teïenne. ^ 

A toy, gentil Anacreon , 
Doit son plaisir le biberon. 
Et Bacchus te doit ses bouteilles; 
Amour son compagnon te doit 
Venus , et Silène , oui boit 
L'esté dessous Pomore des treilles. 



Ode XVL 

Mon Choiseul , levé tes yeux : 
Ces mesmes flambeaux des deux. 
Ce soleil et ceste lune, 
C'estoit la mesrae commune 
Qui luisoit à nos ayeux. 

Mais rien ne se perd là haut, 
Et le genre humain défaut 
Comme une rose pourprine. 
Qui languit dessus Tespine 
Si tost qu'elle sent le chaud. 

Nous ne devons espérer 
De tousjours vifs demeurer, 

I. L'excellente pleîade des esprits de son temps, Danrat, 
Du Bellay, Belleau, Baïf, Jodclle, Scevole de Saincte-Maî- 
thc, Muret, et nostre poète par dessus tous. (R.) 
Ronsard, '—II, 23 



)f4 Odes. 

Noos, le soop d*lme TÎe. 
Qui , bons diet»r! auroh entic 
De Youloir toasjoars dorer? 

Non, ce n'est moy qm veux or 
Vivre autant que fit Nestor. 
Quel plaisir, quelle liesse 
Reçoit Ifiomme en sa vietllesse, 
EustHl mille talens d'or? 

L'homme vieil ne peut marcher, 
•N'ouyr, ne voir ny mascher : 
C'est une idole enfumée 
Au coin d'une cheminée, 
Qui ne fait rien que cracher. 

Il est tousiours en courroux; 
Bacchus ne luv est plus doux , 
Ny de Venus raccomtance; 
En lieu de mener la dance, 
Il tremblotte des genoux. 

Si quelque force ont mes vœux, 
Escoutez, Dieux, je ne veux 
Attendre qu'une mort lente 
Me conduise à Rhadamante 
Avecques des blancs cheveux. 

[Aussi je ne veux mourir 
Ores que je puis courir^ 
Ouïr, parler, boire et rire , . 
Danser, jouer de la lyre 
Et de plaisirs me nourrir .3 

Ah ! qu'on me feroit grand tort 
De me traîner voir le bord 
Ce jourd'huy du fleuve courbe 
Qui là bas reçoit la tourbe . 
Qui tend les bras vers le port! 

Car je vis , et c'est grand bien 
De vivre et de vivre bien. 
Faire envers Dieu son office, 
Faire à son prince service 
Et se contenter du sien. 



CiNQuiESME Livre. 355 

Celuy qui vit en ce poinct» 
Heureux, ne convoite point 
Du peuple estre nomme Sire , 
D'adjoindre au sieq an empire 
De trop d'avarice cspoint. 

Celuy n'a soucy quel roy 
Tyrannise sous sa loy 
Ou la Perse, ou la Syrie, 
Ou PInde, ou la Tartarie : 
Car celay vit sans esmoy. 

On bien, s'il a quelque soin, 
C'est de s'endormir au coin 
De quelque grotte sauvage, 
Ou , le long d'un beau rivage , 
Tout seul se perdre bien lom; 

Et, soit à l'aube du jour, 
Ou quand la nuict fait son tour 
Dans sa charrette endormie. 
Se souvenant de s'amie, 
Tousjours chanter de l'amour. 



Ode XVÏI. 

Mon neveu, suy la vertu: 
Le jeune homme revestu 
De la science honorable 
Aux peuples, en chacun lieu, 
Apparoîst un demi-dieu 
Pour son sçavoir vénérable. 

Sois courtois, sois amoureux, 
Sois en» guerre valeureux, 
Aux petits ne fais injures ; 
Mais, si un grand te fait tort, 
Souhaitte plustost la mort 
Que d'un seul poinct tu l'endures. 



i\6 Odes. 

Jamais, en nulle saison. 
Ne cagnarde en ta maison ; 
Voy les terres estrangcrcs , 
Faisant service à ton Roy, 
Et garde tousjours la ioy 
Que souloient garder tes pères. 

rïe sois menteur ny paillard , 
Yvrongne ni babillara ; 
Fay que ta ieunesse caute 
Sott vieille aevant le temps. 
Si bien ces vers tu entens , 
Tu ne feras jamais faute. 



Ode XVïII. 

Puis que tost je doy reposer 
Outre l'infernale rivière , 
Hél que me sert de composer 
Autant de vers qu'a fait Homère ? 

Les vers ne me sauveront pas 
Qu'ombre poudreuse, je ne sente 
Le faix de la tombe là bas, 
S'elle est bien légère ou pesante. 

Je pose le cas que mes vers, 
De mon labeur en contr'eschange , 
Dix ou vingt ans, par l'univers (iz) , 
M'apportent un peu de louange, 

[Que faut-il pour la consumer. 
Et pour mon livre ôter de terre , 
Qu un feu qui le vienne allumer, 
Ou qu'une esclandre de la guerre.^] 

a. Var. (1587): 

Cent ans ou deux 



CiNQUiESMB Livre. ))7 

Suis-je meilleur au'Aaacreon, 
Que Stesichore ou Simouide , 
Ou qu'Antimache ou que Bion, 
Que Philete ou que Bacchylide ? 

Toutefois , bien qu'ils fussent Grecs , 
Que leur servit leur beau langage, 
Puis que les ans venus après 
Ont mis en poudre leur ouvrage ? 

Donque moy, qui suis nay François, 
Composeur de rimes barbares, 
Hé! doy-je espérer que ma vois 
Surmonte les siècles avares ? 

Non-non, il vaut mieux, Rubampré, 
Son âge en trafiques despendre, 
Ou devant un sénat pourpré 
Pour de l'argent sa langue vendre, 

Que de suivre Tocieux train 
De ceste pauvre Calliope , 
Qui tousjours fait mourir de faim 
Les meilleurs chantres de sa trope. 



Ode XIX {'). 

fj uand je veux en amour prendre mes passe-temps, 
^V^M'amie, en se moquant, laid et vieillard me nom- 
« Quoy! dit-elle, rêveur, tu as plus de cent ans, [me. 
Et tu veux contrefaire encore le jeune homme I 
Tu ne fais que hennir, tu n'as plus de vigueur, 
Ta couleur est d'un mort qu'on devalle en la fosse. 
Vray est, quand tu me vois, tu prens un peu de cœur : 
Un cheval généreux ne devient jamais rosse; 
Et , si tu ne m'en crois, pren ce miroir et voy 



I. Imitée d'Anaaéon, ainsi que la suivante. (R.) 



)58 Odes. . 

Ta barbe en tous endroits de neige parsemée, 
Ton œil qui fait la cire espesse comme un doy, 
Et ta face qui semble une idole enfumée. » 
Alors, le luy respons : « (^ant à moy, je ne sçay * 
Si j'ay rœil chassieux, si fay perdu courage, 
Si mes cheveux sont noirs, ou si blancs je les ay : 
Il n'est plus temps d'apprendre à mirer mon visage; 
Mais, puisque le tombeau me doit bientost avoir, 
Certes, tu me devrois d'autant plus être humaine : 
Car le vieil homme doit ou jamais recevoir [ne {a). » 
Ses plaisirs, d'autant plus qu'il voit la mort prochai- 



Ode XX. 

i tost que tu sens arriver 
La froide saison de l^yver, 



s 

En septembre . chère arondellê , 
Tu t'en-voles bien loin de nous; 
Puis tu reviens quand le temps doux. 
Au mois d'avril , se renouvelle ; 

Mais Amour, oyseau comme toy, 
Ne s'enfuit jamais de chez-moy : 
Tousjours mon hoste je le trouve; 
Il se niche en mon cœur tousjours , 
Et pond mille petits Amours 
Qu'au fond de ma poitrine il couve. 

L'un a des ailerons au flanc, 
L'autre de duvet est tout blanc, 
El l'autre ne fait que d'éclore ; 

a, Var. (1587) : 

Mais, puis que mon corps doit sous la terre moisir 
Bien tost, et que Platon victime le veut prendre, 
Plus il me faut haster de ravir le plaisir, 
D'autant plus que ma vie est proche de sa cendre. 



CiNQUiESME Livre. ^59 

L'un de la coque à demy sort , 
Et l'autre en becquette le bord , 
Et l'autre est dedans l'œuf encore. 

J'entens, soit de jour, soit de nuit, 
De ces petits Amours le bruit, 
Béans pour avoir la bêchée. 
Qui sont nourris par les plus grans, 
Et , grands devenus , tous les ans 
Me couvent une autre nichée. 

Quel remède auroy-je, Brinon, 
Encontre tant d'Amours, sinon 
(Puis que d'eux je me désespère), 
Pour soudain guarir ma langueur, 
D'une dague m'ouvrant le cœur, 
Tuer les petits et leur mère ? 



Ode XXL 

Ta seule vertu reprend 
Le vieil Ascrean, qui ment 
Quand il dit que la Justice, 
La Pitié , le sainct Amour, 
Ont quitté ce bas séjour. 
Abhorrant nostre malice : 

Car icy bas j'apperçoy 
Tontes ces vertus en toy. 
J'en ay fait la seure espreuve; 
Il n'y a fby n'amitié , 
Honneur, bonté ny pitié , 
Qui dedans toy ne se treuve. 

Qui dira doncq. Charbonnier, 
Que ce vieil siècle dernier, 
05 Dieu l'ame t'a donnée. 
Soit de fer, puis qu'aujourd'huy 
Par toy l'on revoit en luy 
La saison d'or retournée r 



)6o Odes. 



Ode XXIï('). 

La belle Venus un jour 
M'amena son fils Amour; 
£n l'amenant me vint dire : 
c Esconte, mon cher Ronsard, 
Enseigne i mon enfant l'art 
De bien jouer de la lyre. » 

Incontinent je le pris , 
Et soigneux je luy appris 
Comme Mercure eut la peine 
De premier ht façonner, 
Et ae premier en sonner 
Dessus le mont de Cyllene ; 

Comme Minerve inventa 
Le haut-bois , qu'elle jetta 
Dedans l'eau toute marrie; 
Comme Pan le chalumeau, 

?u'il pertuisa du roseau 
orme du corps de s'amie. 
Ainsi, pauvre que j'estois, 
Tout mon art je recordbis 
A cet enfant pour l'apprendre ; 
Mais luy, comme un taux garson. 
Se moquoit de ma chanson , 
Et ne la vouloit entendre. 

a Pauvre sot, ce me dit-il. 
Tu te penses bien subtil l 
Mais tu as la teste foie 
D'oser t'egaler à mov, 

Sui jeune en sçay plus que toy, 
y que ceux de ton escole. » 
Et alors il mesou-rit, 
Et en me fiatant m'apprit 

1 . Imité de Bion , idyt. 4. (R.) 



CiNQUiESME Livre. )6i 

Tous les œuvres de sa mere. 
Et comme pour trop aimer 
Il avoit fait transformer 
En cent figures son père. 

Il me dit tous ses attraits , 
Tous ses jeux , et de quels traits 
Il blesse les fantaisies 
Et des hommes et des Dieux , 
Tous ses tourmens gracieux , 
Et toutes ses jalousies. 

Et me les disant , alors 
J*oubliay tous tes accors 
De ma lyre desdaignée , 
Pour retenir en leur lieu 
L'autre chanson que ce Die» 
M'avoit par cœur enseignée. 



A ANDRÉ THEVET, ANGOUMOISIN, 

Ode XXIIL 

Hardy celui qui le premier 
Vid au bois le pin montaignief* 
Inutile sur sa racine , 
Et qui, le tranchant en un tronc, 
Le laissa seicher de son long 
Dessus le bord de la marine ; 

Puis, sec des rayons de Testé, 
Le scia d*un fer bien denté , 
Le transformant en une hune , 
En mast, en tillac, en carreaux, 
Et renvoya dessus les eaux 
Servir de charrette à Neptune! 

Tethys, qui tousjours avoit eu 
D'avirons le dos non batu , 
Sentit des playes incogneues ; 



)62 Odes. 

Et, maiigré les vents furieux. 
Argon dnin art laborieux 
Silfonna les vagues chenues. 

Sous la conduite de Tiphys 
L'entreprise (6 Jason) tu fis 
D'acquérir la laine dorée , 
Avec quarante chevaliers, 
En force et vertus les premiers 
De toute la Grèce honorée. 

Les TritonSj qui s'esbahissoient 
De voir ta navire , poussoient 
Hors de la mer leurs testes blondes , 
Et les Phorcydes. d'un long tour, 
En carolant tout à l'entour, 
Conduisoient ta net sus les ondes. 

Orphé dessus la proue estoit , 

g^i aes doi^ son luth pincetoit 
t respondoit à la navire , 
Laissant des aiguillons ardans 
Aux cœurs de ces preux , accordans 
L'aviron au son de la lyre. 

Or si Jason a tant receu 
De gloire pour avoir deceu 
Une jeune infante amoureuse, 
Pour ^voir d'un dragon veillant 
Charmé le regard sommeillant 
Par une force monstrueuse , 

Et, pour n'avoir pa^é sinon 
Qu'un fleuve de petit renom , 
Qu'une mer qui. va de Thessale 
Jusqu'aux rivages Medéehs, 
A mérité des anciens 
Un honneur qui les Dieux égale, 

Combien Thevet (0 au pris de luy (a) 

a. Var. : 

Combien Selon au pris de luy, 
I. André Thevet avoit publié, sous le titre de Cosmogra- 



CiNQuiESME Livre. ;6} 

Doit avoir en France aujourd'huy 
D'honneur, de faveur et de gloire, 
Qui a veu ce grand univers , 
Et de longueur et de travers. 
Et la gent blanche et la gent noire ! 

Qui de près a veu le soleil 
Aux Indes faire son réveil 
Quand de son char il prend les brides , 
Et Ta veu de près sommeiller 
Dessous POccident, et bailler 
Son char en garde aux Néréides 4 

Qui luy a veu faire son tour 
En Egvpte au plus haut du jour, 
Puis la reveu dessous la terre 
Aux antipodes esclairer, 
Quand nous voyons sa sœur errer 
Dedans le ciel qui nous enserre ! 

Qui a pratiqué mille ports , 
Mille rivages , mille bords , 
Tous sonnant un divers langage, 
Et mille fleuves tous bruyants 
De mille parts divers fuyants 
Dans la mer d'un tortu voyage (a)\ 

Qui a descrit mille façons 
D'oiseaux, de serpens, de poissons. 
Nouveaux à nostre cognoissance ; 

phU du Levant, la relation de son voyage en Orient. Piene 
Belon , dont le nom fut plus tard substitué au sien dans cette 
pièce, avoit donné, en 1553, les Observations de plusieurs 
sinsularita et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, 
Juaie, etc. 

a. Var. : 

Sevarez de diverses bornes , 
Mille fleuves bons au ramer, 
Qui bruyans roulent en la mer, 
Fcndans le chemin de leurs cornes f 



}64 Odes. 

Puis en ayant sauvé son chef 

Des dancers , a logé sa nef 

Dedans le beau port de la France ! 
Il est abordé dans le port 

Du docte Bourdin (i)» son support , 

Qui comme un sçavant Ptolomee 

A de tous costez amassez 

Les livres des siècles passez 

Empanez de la renommée. 
Qui garde en son cœur Tequité , 

L'innocence et la vérité , 
Ennemy capital du vice, 

Aimé des peuples et de Dieu, 
Et qui du palais au milieu 
Paroist l'image de Justice. 

Qui doit sur tous avoir le pris , 
Comme aux trois langues bien appris ; 
Qui seul fait cas des doctes hommes , 
Qui par son sçavoir honoré 
A presque tout seul redoré 
Cet âge de fer où nous sommes. 

Thevet, il te Ta bien monstre {^), 
Si tost que tu Tas rencontré ; 
Et tu eusses couru peut-estre 
Non une fois, mais mille fois, 
Les cours des papes et des rois , 
Sans t'accointer a*un si bon maistre. 



b. Var. : 

Selon, sa faveur Va monstre. 

I. Lors procureur gênerai du roy, et duquel nous avons 
de doctes observations sur l'ordonnance de Moulins. (R.) 



CiNQUiESME Livre. 365 



Odelette XXIV (1584). 

Cependant que ce beau mois dure, 
Mignonne, allon sur la verdure , 
Ne laisson perdre en vain le temps ; 
L'âge glissant qui ne s'arreste , 
Meslant le poil de nostre teste , 
S'enfuit ainsi que le printemps. 

Donq , cependant que nostre vie 
Et le temps d'aimer nous convie , 
Aimon , moissonnon nos désirs , 
Passon l'amour de veine en veine; 
Incontinent la mort prochaine 
Viendra desrober nos plaisirs. 



Ode XXV (0. 

Pér dialogue. 

Cassandre. 

D'où viens-tu, douce Colombclle, 
D'amour messagère fidelle ? 
Hé ! d'où viens-tu ? En quelle part 
As-tu laissé nostre Ronsard. 

COLOM6ELLE. 

D'où je vien ! qu'en as-tu que faire ? 
Ton Ronsard, qui te veut complaire. 
De qui tu es le seul émoy, 
- M'envoye icy par devers toy, 
M 'avant eu naguiere en eschange 
De Venus, pour une louange. 

I . Imitée d'Anacréon. 



}66 Odes. 

Cassandre. 

Gentil pigeon, vrayment^ tu sois 
Le bien-venu cent mille fois. 
Mais dy-moy, dy-moy. je te prie, 
A-t-il point fait nouvelle amie 
Depuis qu'il s'en alla d'ici , 
Où s'il m'a tousjours en souci ? 

COLOMBELLE. 

Plustost les monts seront valées, 
Les rivières les eaux salées, 
Que , perfide , il manque de foy. 
Pour servir une autre que toy. 

Cassandre. 
Est-il possible qu'on te croye ? 

Colom'belle. 

Tu m'en croiras , car il m'envoye 
De Vendomois , et parmy l'air 
Jusques icy m'a fait voler 
Avec ces vers qu'au bec j'apporte ; 
Et m'a dit^ si je fais en sorte 
Que i'amolisse ta fierté , 
Qu'il me donnera liberté. 

ftiais pour cela je ne veux estrc 
Ny libre , ne changer de maistre ; 
Car que me vaudroit de changer. 
Afin d'aller après manger 
Comme auparavant, es boccages. 
Des glands et des gaines sauvages, 

?uand il m'esmie oe sa maiji 
ousjours à la table du pain , 
Et me fait boire dans son verre? 
Après avoir beu je desserre 
Toutes mes ailes, et luyfais 
Sur la teste un ombrage frais; 
Puis je m'endors dessus sa lyre. 



C.iN<iyiESME Livre. J67 

Mais luy, qui jour et nuict souspire 
Pour ton amour, à tous les coups 
Me fait rompre mon somme dous 
De mille baisers qu'il me donne, 
En me disant: Douce mignonne, 
Las ! je t'aime : car je te vby 
Vivre en servage comme moy. 
Vray est que tu pourrois bien vivre 
De ma cage franche et délivre , . 
Si tu voulois voler aux bois; 
Mais moy, fuitif , je ne pourrois 
Vivre franc de la servitude 
Où nostre geôlière trop rude . 
Sans espoir me tient arresté. 

Mais adieu, c'est trop caqueté; 
Tu m'as rendue plus jazardè 

?u'une corneille babillarde. 
rop longuement, icy j'attens : 
Baille-moy response, il est temps. 



Ode XXVL 

En vous donnant ce pourtraît mien , 
Dame , je ne vous donne rien ; 
Car tout le oien qui estoit nostre 
Amour dés le jour le fit vostre 
Que je receu dedans le cœur 
Vostre nom et vostre rigueur ; 
Puis la chose est bien raisonnable. 
Que la peinture ressemblable 
Au corps qui languit en soucy 
Pour vostre amour soit vostre aussi. 
Mais voyez comme elle me semble. 
Pensive^ triste, et palle ensemble, 
Pourtraitte de mesme couleur 



368 Odes. 



Qu'Amour a pourtrait son seigneur 1 

Sue pleust à Dieu que la nature 
T'eust fait au cœur une ouverture, 
Afin que vous eussiez pouvoir 
De me cognoistre et de me voiri 
Car ce n'est rien de voir, maistresse , 
La face , qui est tromperesse , 
Et le front bien souvent moqueur; 
C'est le tout aue de voir le cœur. 
Vous verriez du mien la constance , 
La foy, l'amour, l'obéissance ; 
Et les voyant, peut-cstre aussi 
Qu'auriez de luy quelque merci , 
ET des angoisses qu'il endure, 
Voire quand vout seriez plus dure 
Que les rochers Caucaseans, 
Ou les naufrages i^geans , 
Qui sourds n'entendent les prières" 
Des pauvres barques marinières. 



Ode XXVI {»)• 

Le boiteux mary de Venus , 
Le maistre des Cyclopes nus, 
Rallumoit un jour les fiaméches 
De sa forse , afin d'eschauffer 
Une grande masse de fer 
Pour en faire à l'Amour des flèches. 
Venus les trempoit dans du miel, 
Amour les trempoit dans du fiel , 

guand Mars , retourné des alarmes, 
h se moquant les mesprisoit, 
Et branlant son dard , luy disoit : 

I . Imité d'une ode d'Anacréon. (R.) 



CiNQuiESME Livre. 569 

Voicy bien de plus fortes armes. 

Tu t'en ris donq ! lui dit Amour ; 
Vrayment tu sentiras un jour 
Combien leur poincture «st amère , 

S and d'elles t)Iessé dans le cœur . 
)y qui fais tant du belliqueur) 
Languiras au sein de ma mère. 



A MONSIEUR DE VERDUN, 
Secrétaire et conseiller du Roy. 

Ode XXVIII (1567). 

Si j*avois un riche trésor, 
Ou des vaisseaux encrave? d'or, 
Tableaux ou médailles ae cuivre, 
Ou ces joyaux q[ui font passer 
Tant de n^rs poi^* les amasser^ 
Où le jour se laissa reyivr^y 

Je t en ferois un. beau présent.^ „ 
Mais quoyl cela ne t'est jlaiaaBt , : 
Aux richesses tu ne.,t'ai^uses - 
Qui ne font que' nous éstonner ; ■ 
Cest pourquoy Je te veux donner 
Le bien que m'ont donné les Muses. 

Je sçay que tu contes assei . 
De biens l'un sur l'autre amassez , 
Qui périssent comme fui^jêe , 
Ou comme un songe q|u^ s'ienÀDt^ 
Du cerveau si tostque la nuit ■ 

Au second sonvme est coo&umée» 

L'un au matin-Sr-enfle ^n-son bien, 
Qui au soleil cbuctiaat' n'a rien,. .. 
Par défaveur, pu far disgrâce, 
Ronsard, — ii. 24 



570 Odes- 

Ou par un changement commun , 
Ou par l'envie de quelqu'un 
Qui ravit ce que Tautre amasse. 

Mais les beaux vers ne changent pas , 
Qui durent contre le trespas, 
Et en devançant les années , 
Hautains de gloire et de bon-4)eur, 
Des hommes emportent l'honneur 
Dessur leurs courses empennées. 

Dy-moy , Verdun , qui penses-tu 
Qui ait déterré la vertu 
IrHector, d'Achille et d'Alexandre, 
Envoyé Bacchus dans les Cieux, 
Et Hercule au nombre des dieux , 
Et de Junon l'a fait le gendre, 

Sinon le vers bien accomplv. 
Qui tirant leurs noms de l'ouoly, 
Plongez au plus profond de l'onde 
De Styx, les a remis au jour, 
Les relogeant au grand séjour 
Par deux fois de nostre grand monde ? 

Mort est l'honneur de tant de rois 
Espagnols, germains et françois. 
D'un tombeau pressant leur mémoire ; 
Car les rois et les empereurs 
Ne différent aux laboureurs 
Si quelcun ne chante leur gloire. 

Quant à moy, je ne veux souffrir 
Que ton beau nom se vienne offrir 
A la Mort, sans que je le vange. 
Pour n'estre jamais finissant. 
Mais d'âge en âge verdissant. 
Surmonter la Mort et le change. 

Je veux ^ maugré les ans obscurs, 
Oiie tu sois des peuples futurs 
Cognu sur tous ceux de nostre âge. 
Pour avoir conçeu volontiers 
Des neuf Pucelles les mestiers, 



CINQ.UIESME Livre. jyi 

Qui t'ont enflamé le courage, 

rjïon pas au gain ny au vil prix, 
Mais pour estre des mieux appris 
Entre les hommes qui s'assemolent 
Sur Parnasse au double sourci; 
C'est pourquoy tu aimes aussi 
Les bons esprits qui te ressemblent. 

Or pour le plaisir, quant à moy, 
Verdun , que |'ay reçeu de toy, 
Tu n'auras rien de ton poëte 
Sinon ces vers que je t'ay faits , 
Et avec ces vers les souhaits 
Que pour bon-heur je te souhaite. 

Dieu vueille bénir ta maison 
De beaux enfans naiz à foison 
De ta femme belle et pudique; 
La concorde habite en ton lit ^ 
Et bien loin de toy soit le bruit 
De toute noise domestique. 

Sois gaillard , dispost et joyeux , 
Ny convoiteux ny soucieux 
Des choses qui nous rongent Tame ; 
Fuy toutes sortes de douleurs, 
Et ne pren soucy des malheurs 
Qui sont prédits par Nostradame. 

Ne romps ton tranquille repos 
Pour papaux, ny pour huguenots, 
Ny amy d'eux , ny adversaire , 
Croyant que Dieu père tres-dous 
(Qui n'est partial comme nous) 
Sçait ce qui nous est nécessaire. 
N'ayes soucv du lendemain , 
Mais , serrant le temps en la main , 
Vy joyeusement la journée 
Et l'heure en laquelle seras : 
Et que sçais-tu si tu verras 
L'autre lumière retournée? 



1 Odes. 

Couche-toy k l'ombre d'un bois, 
Ou près d'uB rivage où la vois 
D'une fontaine jaz^esse - 
Tressaute , et tandb qu« les ans 
Sont encore et verds ei plaisans. 
Par le jeu trompe la wiilesse. 

Tout iiKontinenl nous mourrons. 
Et bien loin bannis tkws irons 
Dedans une nacelle obscurt 
Où plus de rien ne nous souvient , 
Et a'où jamais on rie revient: 
Car ainsi l'a voulu Nilure. 



MAGIE, OU DÉLIVRANCE D'AMOUR. 

Ode XXJX(ii78). 

Sans avoir lien qui m'estraigne , 
Sans cordons, ceinture ny nouds, 
Et sans jartiere à mes genous 
Je vien dessus ceste montaigne, 

Afin qu'autant soit relasclié 
Mon cœur d'amoureuses tortures . 
Comme de n<xi 
Mon corps est 

Démons, sei 
Volez en troup 
Combattez pou 

Vents qui se 
Et vous , Sein* 
Vos flots par ci 



CiNQUiESME Livre. 575 

En l'Océan noyer ma peine {a). 

Va-t'en habiter tes Cytheres , 
Ton Paphos, Prince idalien.: 
Icy pour rompre ton lien 
Je nay besoin de tes mystères. 

Anterot, preste-moy la main. 
Enfonce tes flèches diverses ; 
Il faut que pour moy tu renverses 
Cet ennemy du genre humain. 

Je te pry, grand Dieu, ne m'oublie! 
Sus, page, verse à mon costè 
Le sac que tu as apporté . 
Pour me guarir de ma folie 1 

Brusle du soufre et de l'encens. 
Comme en l'air je voy consommée 
Leur vapeur, se puisse en fumée 
Consommer le mal que je sens ! 

Verse-moy l'eau de ceste esguiere ; 
Et comme à bas tu larespans, 
Qu'ainsi coule en ceste rivière 
Damour, duquel je me répans. 

Ne tourne plus ce devideau : 
Comme soudain son cours s'arreste , 
Ainsi la fureur de ma teste 
Ne tourne plus en mon cerveau. 



a. Var. : 

Venez tost aîrins gendarmes ; 
Démons, volez à mon secours. 
Je quitte, apostat des amours, 
La solde, le camp et les armes. 

Vents qui meuvtz Vair vostre amy^ 
Enfans engendrez de la Seine, 
En l'Océan noyez ma peine ; 
Noyez Amour, mon ennemy. 



^y^ Odes. 

Laisse dans ce genièvre prendre 
Un feu s'enfumant peu à peu : 
Amour! je ne veux plus de feu, 
Je ne veux plus que de la cendre. 

Vien viste, enlasse-moy le flanc, 
Non de thym ny de marjolaine, 
Mais bien d'armoise et de vervaine, 
Pour mieux me rafraischir le sang. 

Verse du sel en ceste place : 
Comme il est infertile , amsi 
L'engeance du cruel soucy 
Ne couve en mon cœur plus de race. 

Romps devant moy tous ses prescns , 
Cheveux, gands , chifres, esçnture. 
Romps ses lettres et sa peinture. 
Et jette les morceaux aux vens. 

Vien donc, ouvre-moy ceste cage, 
Et laisse vivre en libertez 
Ces pauvres oiseaux arrestez , 
Ainsi que j'estois en servage. 

Passereaux, volez à plaisir; 
De ma cage je vous délivre. 
Comme désormais je veux vivre 
Au gré de mon premier désir. 

Vole, ma douce tourterelle, 
Le vray symbole de Tamour; 
Je ne veux plus ni nuit ni jour 
Entendre ta plainte fidelle. 

Pigeon , comme tout à Tentour 
Ton corps emplumé je desplume , 
Puissé-je, en ce feu que j'allume, 
Déplumer les ailes d'Amour; 

Je veux à la façon antique 
Bastir un temple de cyprès. 
Où d'Amour je rompray les traits 
Dessus l'autel anterotique. 

Vivant il ne faut plus mourir. 



CtN(tutE£MB Livre. 

Il faut du cceur s'oster la playe : 
Dix lustres veulent que j'essaye 
Le remède de me guarir. 

Adieu, Amour, adieu les fiâmes, 
Adieu ta douceur, ta rigueur, 
Et bref, adieu toutes les dames 
Qui m'ont jadis bruslé le cœur. 

Adieu le mont Valerien , 
Montagne par Venus nommie , 

guand Francus conduit son arm£e 
éssus le bord Parisien. 



^-jô Qdzs. 




VERS SAPPHiqUES. 

» 

^es vers sapphiques ne sont, ny ne furent, 
>ny ne seront jamais agréables, s*ils ne 
[sont chantez de voix vive, ou pour le 
moins accordez aux instrumens, qui sont 
la vie et Vame de la poésie. Car Sapphon chantant 
ces vers ou accommodez à son cystre , ou à quelque 
rebec, estant toute rabuffée, à cheveux mal-agen- 
cez et négligez, avec un contour d'yeux languissants 
et putaciers, leur donnoit plus de grâce que toutes 
les trompettesy fifres et tabourins n'en donnoient aux 
vers masles et hardis d'Aide, son citoyen et contem- 
porain, faisant la guerre aux tyrans. 



ODE SAPPHIQUE XXX (1584). 

Belle dont les yeux doucement m'ont tué 
Par un doux regard qu'au cœur ils m'ont rué , 
Et m'ont en un roc msensible mué 
En mon poil grison , 
Que j'estois heureux en ma jeune saison , 
Avant qu'avoir beu l'amoureuse poison ! 
Bien lom de souspirs, de pleurs et de prison, 

Libre je vivoy. 
Sans servir autruy, tout seul je me servoy ; 
Engagé n'avois ny mon cœur ny ma foy ; 
De ma volonté j'estois seigneur et roy. 
O tascheux Amour ! 



CiNQUiESME Livre. 377 

Pourquoy dans mon cœur a»-tu fait ton séjour ? 
Je languis la nuit, je souspire k jour; 
Le sang tout gelé se ramasse à l'entour 

De mon cœur transi. 
Mon traistre penser me nourrit de souci ; 
L'esprit y consent et la raison aussi. 
Long temps en tel mal vivre ne puis ainsi : 

La mort vaudroit mieux. 
Devallon là bas à ce bord stygieux ; 
D'amour njr du jour je ne veux plus jouyr. 
Pour ne voir plus rien je veux perdre les yeux 

Comme j'ay Pouyr. 



ODE SAPPHiqUE XXXI (1584). 

Mon âge et mon sang ne sont plus en vigueur, 
Les ardents pensers ne m'eschaufTent le cœur ; 
Plus mon chef grisou ne se veut enfermer 

Sous le joug d'aimer. 
En mon jeune avril, d'Amour je fus soudart, 
Et , vaillant cuerrier, portay son estendart ; 
Ores à l'autel de Venus je l'appens, 

Et forcé me rens. 
Plus ne veux ouyr ces mots délicieux : • 
ce Ma vie, mon sang, ma chère ame. mes yeux. » 
C'est pour les amans à qui le sang plus chaud 

Au cœur ne défaut; 
Je veux d'autre feu ma poitrine eschaufer, 
Cognoistre nature et bien philosopher, 
Du monde sçavoir et des astres te cours. 

Retours et destours. 
Donc , sonnets , adieu ! adieu , douces chansons 1 
Adieu, dance! adieu de la Ivre les sonsl 
Adieu, traits d'Amour 1 Volez en autre part 

Qii'au cœur de Ronsard. 



}78 Odes. 

Je veux estre à moy, non plus servir autruy; 
Pour autruy ne veux me donner plus d'ennuy. 
Il faut essayer, sans plus me tourmenter, 

De me contenter. 
L'oiseau prisonnier, tant soit-il bien traité, 
Sa cage rompant , cherche sa liberté : 
Servage d'esprit tient de liens plus forts 

Que celuy du corps. 
Vostre affection m'a servy de bon-heur. 
D'estre aimé de vous ce m'est un grand honneur. 
Tant que l'air vital en moy se respandra, 

Il m'en souviendra. 
Plus ne veut mon Age à l'amour consentir, - 
Repris de nature et d'un tard repentir. 
Combattre contre elle et luy estre odieux. 

C'est forcer les dieux. 



A SA MUSE. 

Ode XXXII. 

lus dur que fer j'ay fini mon ouvrage. 
Que l'an , dispos à démener les pas, 



p. 

Que l'eau, le vent ou le brûlant orage, 
L/injuriant, ne ru'ront point à bas. 

Suand ce viendra que le dernier trespas 
''assoupira d'un somme dur, à l'heure 
Sous le tombeau tout Ronsard n'ira pas, 
Restant de luy la part qui est meilleure. 

Tousjours, tousjours, sans que jamais je meure, 
Je voleray tout vif par l'univers, 
Eternisant les champs où je demeure, 
De mes lauriers fatalement couvers, 
Pour avoir joint les deux harpeurs divers 



CiNQuiBSME Livre. 379 

Au doux babil de ma lyre d'yvoire, 
Que i'ay rendus Vandomois par mes vers. 

Sus aon(]ue, Muse, emporte au ciel la gloire 
Que j'ay gaignée, annonçant la victoire 
Dont à bon droit je me voy jouissant, 
Et de ton fils consacre la mémoire^ 
Serrant son front d'un laurier verdissant. 



FIN DBS ODES. 



JOANNIS AURATI AD PETRUM 
RONSARDUM 



ODE. 

auis te Dtorum cacas agitfuror, 
RONSARDE^ Graiâm fana recluderc 
Arcana f lucos quis moverc, 
Qttos situs et sua iam vetustas 

Formidolosos fecerat ? 6 novum 
Non expavescens primus iter Ijra 
Tentare, Romanis quod olim 
Turviter incutiat pudorem , 

NU talequondam tangere pectine 
Attsis Latino, qualeferox sonat 
Cadmi colonus septichordi 
Liberiùs jaculans ab arcu. 

Tu primus, ut jam trita relinqueres, 
TestttJinis vestigia gallica 
Aggressus excluso timoré 
OgjgLOtua labra fonte 



^8o Opes. 

Mersare; i^ûutinéhfUnm^culas 
Haurirc, digfuts principibus firis. 
Quonim tuà sacraUi bujço 
Facta stti stupeant nepotes, 

Fœlix Ur 6 qui Um modà fortUer 
Te vate scsc pro patria gerctl 
Non qus uttrà ohliyioso 
Dente teret senium labores , 

Seu quis rebellifrena Britannia 
P or tans, ferocis frètent impetus 
Gentis, suos in limitesqae 
Reppukrit nimiùm vagantem; 

Âvalsa seu quis membra rejunxerit 
Regno rcsuta brachia Gallia, 
Atque Italas assertor urbes 
Reddiderit solitis habenis. 



ODE DEL SIGNOR BARTHOLOMEO 

DEL-BENE 

Al signor Pietro Ronsardo, gentil -huorno vandomese, 
excdlentiss. poeta francese. 

Apih d*un verde alloro 
Fra le tenere fronde, 
Mentre canta, et s*ascondt 
Rossignoletto ancor giovcne, e soro, 
Augel crudo, erapace 
Dal ciel ratto disuse, 
Che'l meschinel soprese, 
In duol cangiando ogni sua gioia, e pace, 
Quand* io nvolto, dissi 
A la nemica mia, 
Che di par meco gia, 
Tenendo gli occhi nel suo volto affissi : 



CiNCiuiESME Livre. ^8i 

Questo è btn vero tiempiù 
Délia mia cruda sorte. 
Che ancor giovene e forte 
Tu me rapiste à non men crudo scempio. 
M entre fra i sacri rami 
D* Apollon io mi sedea : 
E cantando apprende 
Quelc'huomsaggioconvien chefugga, à brami, ■ 

Il tuo bel crine aurata \ 

Fï il laccio, che m'awinse : 
De i tuoi beggli occki vinse 
Ogni mio senso il lampo alto eiprépatù. 
Et se nomar si deve 
Morir chi in preda pone 
Al senso la ragione, 
Mia vita sparve allor come al sol neve. 
Cosi diceva io lasso 
A quella sospirando, 
O RONSARDO, cheamando 
Addutto à sera m* ha gia passa passa. 
Felice te, che in usa 
Migliore i tuoi verdi anni . 
Spendeste, e fuor d*âffanni 
Onde s'è il nome tuo si chiaro effuso. 
Da la Garonna al Reno, 
Da VOceano à VAlpe, 
Et da Hiberoj e Calpe 
Oltre ad Emo e Ôljmpp, al Gange in seno. 
Tu, come il Po di cento 
Fiumi, correndo, ûscura 
Il nome, hai con la pura 
Tua penna di mille altre il srido spento. 
* Ora in sfile alto, orvago 
Cantando i grandi heroi, 
Ora i dolci ardor tuoi, 
Accesi à i raggi di céleste imago. 
virtu fortunata 
De la mia chiara duce. 



)8a Odrs. 

Cke i inoi di luctut : or' laa 
Ne i dotti vent tuoi colia t prepatt. 
Ne men filice ancora 
L'alla t rtal btlUlt, 
Et l'altre doti amMt 
Di luelh , ehe or Jt noi lanp dimora. 
Diaoella, ehe leit gm 
Al nido fuo paUi 



Prendeil 



[ud/ Colomba, cke l vei 
laiiloso t ri 



Il tempo n> 

Il tempo, cke ha moasiraUt 
Qaanto miiero i il greggt 
Cmfreiu inctrta legge 
Lanp dal priico taù senturo utato I 
Cou apra si inma , 
Che {quai pel grande Homtro 
Aspro coalao Jero 
Smjraa, Argo, Rhodo, Atkine e Salamiaa), 
Lutr, Meno, Sartra e Lera, 
Contenderamo un porao 
Ciaseuu portar lul eomOg 
Bramando il nome di liu pairta ahera. 



LE 



RECUEIL 

DES ODES 

Retranchées par Ronsard aux dernières éditions 

de ses œuvres. 



Nous avons indiqué par un titre en tète de 
chaque ode la date de sédition où nous Pavons 
retrouvée. Celles qui ne portent pas de chiffre 
paroissent être restées inédites ou n'avoir pas 
été réunies aux Œuvres de Ronsard avant 1609 
et 1617. 



j85 




LE 



RECUEIL 

DES ODES 

RlTRANCHtfBS PAR RONSARD AUX DERNIÈRES ÉDITIONS 

DE SES ŒUVRES. 




Ode(ij6o). 

e suis homme né pour mourir; 
I Je suis bien seur que du trespas 
IJe ne me sçaurois secourir 
w. -w.^ 9."^ poudre je n^aille là bas. 
Je cognois bien les ans que j'ay, 
Mais ceux qui me doivent venir. 
Bons ou mauvais, je ne les sçay, 
Ny quand mon âge doit finir. 

Pour-ce fuyez-vous-en, esmoy, 
Qui rongez mon cœur à tous coups, 
Fuyez- vous-en bien loin de moy. 
Ronsard, — II. 



a^ 



Je n'ajr que faire jvecque vous, 
' ■ moins, avant que trespassér, 

je puis» à mon aise on joor 

Avecque Bacchus et Amour. 



Qge je p^ 



fe 



A MARGUERITE{isso)- 
i inqn tœul' tf estji^nt ejcHte 



it taj, blanche Marguerite, 
Par qoi j'ay cette touleitt. 
N'es-tu celle dont les yenx 

Ont surpris 
Par un regard gracieux 

Mes espris ? 
Puis que ta sœur de haut pris, 
Ta sœur, pucelle d'élite, 
N'est cause de ma douleur. 
C'est donc partoy, Marguerite, 
Que i'ay pris ceste couleur. 
Ma couleur palle nasquit. 



Quel. chafiQe, pourroit cassa" 

Monennuy 
Et ma couleur effacer 

Avec luy f 



RETRÀNCJHÉES. fij 

De l'amour que tant je v» 
La jouissance subite 
Seule osteroit le îDa^fur 
Que me donna Marguerite, 
Par qui j'ay cette couleur. 



A SA GUITÉÎlRE'(i55a): 

Ma guiterre, je te chante, 
Par qui seule je deçoy., 
Je deçoy, |e romps, j'enchante 
Les amours que )e reçoj. .. 

Nulle chose , tant sou douce, 
Ne te sçauroit esgaler. 
Toi qui mes ennuis repousse 
Si tost qu'ils t'oyent parler. 
Au son de ton harmonie 
Je refreschy ma chaleur, 
Ardante en flamme infinie, 
Naissant d'infini malheur. 

Plus chèrement je te garde 
Que je ne garde mes yeux , 
Et ton fust que je regarde 
Peint dessus en mille lieux. 
Où le nom de ma déesse 
En maint amoureux lien, 
En mains laz d'amour se laisse., 
Joindre en chiffre avec le mien j 

Où le beau Phebus, qui baigne 
Dans le Loir son poil doré. 
Du luth aux Muses enseigne 
Dont elles m'ont honoré V 
Son laurier preste J'oreille, 



)8a 0"^ 

Si qu'au premier veut qui vient, 
De reciter s'apareiltc 
Ce que par cœur il retient. 
Icy les forests compagnes 
Orphée attire , et les vens , 
Et les voisines campagnes. 
Ombrage de bois suivans. 
Là est Ide la branchue. 
Où Toyseau de Jupiter 
Dedans sa griffe crochue 
Vient Ganymede empiéter, 

Ganymedc délectable , 
Chasserot délicieux , 
Qui ores sert à la table 
D*un bel échanson aux Dieux. 

Ses chiens après Taigle aboycnt , 
Et ses gouverneurs aussi , 
En vain étonnez , le voyent 
Par Tair emporter ainsi. 

Tu es des dame-, pensives 
L'instrument approprié , 
Et des jeunesses lascives 
Pour les amours dédié. 

Les amours , c'est ton office , 
Non pas les assaus cruels , 
Mais le joyeux exercice 
De souspirs continuels. 

Encore qu'au temps d'Horace 
Les armes de tous costez 
Sonnassent par la menace 
Des Cantabres indomtez , 

Et que le Romain empire 
Foullé des Parthes fust tant ,. w. 
Si n'a-il point à sa lyre , > 
Bellonne accordé pourtant, • ' ' 

Mais bien Venus la riante , 
Ou son fils plein de rigueur. 
Ou bien Lalagé fuyante 



retranchées; )89 

Davant avecques son cœur. 

Siiand sur toy je chanteroye 
ector tes comoas divers , 
Et ce qui fut fait à Troye 
Par les Grecs en dix hyvers , 

Cela ne peut satisfaire 
A Tamour oui tant me mord : 
Que peut Hector pour moy faire ? 
Que peut Ajax, qui est mort ? 

Mieux vaut donc de ma maistresse 
Chanter les beautez, afin 
Qu'à la douleur qui me presse 
Daigne mettre heureuse fin ; 

Ces yeux autour desquels semble 
Qu'amour vole , ou que dedans 
lise cache, ou qu'il assemble 
Cent traits pour les regardans. 

Chanton donc sa chevelure , 
De laquelle Amour vainqueur 
Noua mille rets à l'heure 
Qu'il m'encordela le cœur , 

Et son sein , rose naïve , 
Qui va et vient tout ainsi 
Que font deux flots à leur rive 
Poussez d'un vent adoucy. 



A CASSANDRE(i$5o). 

/^pucellepltts tendre 

v^ Qu'un beau bouton vermeil 

Que le rosier ensendre 

Au lever du soleil , 

D'une part verdissant ) 

De l'autre rougissant (3 



IJ(9 Odes 

Plus fort -que le licrvf 
Qui se gripe à reotour 
Du chesne aine, qu'il serre 
Entassé de naist tour, 
Courbant ses brais épars 
Sus luy de toutes parts ^ 

Serrez mon col , maistressc y 
De YÔs deux bras pltci; ' 
D'un neud qui iienae et presse 
Dovcenent ne liez ; 
Un baiser nnitue^ 
Nous soit perpétuel. 

Ny le tenps , wf Ifemde * 
D'autre anour desôrer^ 
Ne poerra point ma vie 
De vos lèvres tirer ; 
Ains serrez demourrons , 
Et baisant nous monrnnis. 

En mesme^n et nesne heqFe, 
Et en mène saison. 
Irons voir la demeure 
De la palle naison,.' 
Et les channs ordonnez 
Aux amans rortunez. 

Amour par. tesr fleurettes 
Du printemps éternel 
Voirra nos amourettes 
Sous le bois maternel ; 
Là nous sçauroDS combien 
Les amans ont de bien. 
C Le long des belles plaines 
I Et parray les prez vers , 
> Les rives sonnent pleines 
De maints accords dhiers ; 
L'un joue^ et l^autre aiii sob 
Danse d'une chanson. 

Là le beau ciel décuenvre 
Tousjours un front bénin. 



Snr les fleuo la conlcuwç. 
Ne vomit son venin, 
El toDsjours lès oyseaux 
Chantent sur les rameauï; 

ToBSJoursles vens y .^nneitf 
Je ne stay quoy de doux, 
Et les lauriers y donnent 
Tousjours ombrages moiix i 
Toos)ours les belles fleurs 
Y gardent leurs couleurs. 

Pamiy le grand espace 

B ce vergerlieureux , 
lous aurons tous deux place 
Entre les amoureux , 
Et comme eux sans souqr 
Nous aimerons aussi. 

Nulle amie ancienne 
Ne se dépitera, 
Quand de la place sienne 
Pour nous deux s'ostera. 
Non celles dont les yeux 
prirent le cceur des dieux. 



Afin 
Unf 
Lee 
Qa'a 
, *' 
Ne fi 
Auss 



)92 Odes 

Sans faire icy long séjour 
Il faut que je meure un jour. 

Le long vivre me dépiaist : 
Mal-heureux l'homme qui est 
Accablé de la vieillesse 1 
Quand je perdray ta jeunesse ^ 
Je veux mourir tout soudain, 
Sans languir au lendemain. 

Ce-pendant verse sans fin 
Dedans mon verre du vin , 
A fin qu*endormir je face 
Un procès qui me tirace 
Le cœur et rame phis fort 
Qu'un limier un sanglier mort. 



Ode(ij6o). 

Hé ! mon Dieu ! que je te hay, Somme , 
Et non pour autant qu'on te nomme 
Le froid simulacre des morts; 
Mais pour autant que, quand je dors, 
Par toy du penser m'est ravie 
L'ardeur qui me tenoit en vie ; 
Car. dormant, penser je ne puis 
Au bien par qui vivant je suis , 
Et sans lequel je ne pourroye 
Estre vif, si je n'y songeoye. 

Pource , ne me vien plus siller 
L'œil pour me faire sommeiller; 
Le veiller m'est plus a^eable 
Que n'est ton dormir misérable ^ 
Qui du cœur la nuit me soustrait 
Le penser qui vivre me fait. 



RETRANCHÉES. )93 



Ode (1560). 

Laisse-moy sommeiller, Amour ! 
Ne te suffit>il que de jour 
Les yeux trop cruels de ma dame 
Me tourmentent le corps et l'ame. 
Sans la nuict me vouloir ainsi 
Tourmenter d'un nouveau souci , 
Alors que je devrois refaire 
Dans le lit la peine ordinaire 
Que tout le jour je souffre au cœur I 

Helas ! Amour plein de rigueur, 
Cruel enfant , que veux- tu dire ? 
Toujours le vautour ne martyre 
Le pauvre cœur Promethean 
Sur le sommet Caucasean , 
Mais de nuict recroistre le laisse , 
A fin qu'au matin s'en repaisse. 

Mais tu me ronges jonr et nuit, 
Et ton soin , qui tousjours me suit , 
Ne veut que mon cœur se reface ; 
Mais tousjours , tousjours le tirace , 
Ainsi qu'un acharné limier 
Tirace le cœur d'un sanglier. 

Chacun dit que je suis malade, 
Me voyant la couleur si fade 
Et le teint si morne et si blanc; 
Et dit-on vray , car je n'ay sang 
En veine , ny force en artère ; 
Aussi la nuict je ne digère 
Et mon souper me reste cru 
Dans l'estomac d'amours recru. 

Mais , Amour, j'auray la vengeance 
De ta cruelle outrecuidance 



QattUnt ma vie , et , si je meurî 
le seray franc de tes douleurs : 
Car lien ne peut U tyrannie 
Sus ua corps qui n'a plus de vit 



A SON LUT(ii}o)[a 

Si autre- îtine 

Avons j ine , 

Dec 

Sus, 
Sus, l'hon: delectahl; 

Sçait rèjou , 

Chani 

MainI 

Je t'asseur^que tes çqrùe! 

Par moy ne ïeront points 

De chansons salement drdes 

D'un tas d'amjjurs dissolues ; 

Je ne chanteray lea |M-iaccs , 

Ny le soi a de leurs provinces, 

Ny moins la nef que prcpare 

Le marchant , las 1 trop avare 

Pour aller après ramer 

Jusqu'aux plus lointaines terres, 

Peschant ne stay quelles pierret 

Au bord de l'indique mer- 
Tandis qu'en l'air je soufHeray ma vre. 
Sonner Phebus j'auray toas(ours envie , 

Et ses compagnes aussi , 

I . Celle ode est li première que l'aatenr *tt iimaii com- 
posa ; de mfane celle qu'il adresie } Jacques Pelletier, celle 
Je GiipjTdd'Auïctgneet deMacliMi'd«L»b>ye','eil* prière 
' Dieu pour h (Maine. Aussi ne S9nl-eUa.pas inMiiées ni 
piopres 1 diiDter. (Note de liËô.) 



RETRANCHÉES. )9$ 

Pour leijHr fendre un grandHoi^rd 
De m'avpir fait poHp à^ ji^ture, 
Idolâtrant la musique ^% pein^rç, 

Prestre saint de leur& cHansons, 

Qui aiCcerdent à te$ son/». ^ 

L'enfant oue la douce Muse 
Naissant d'œil bénin a veu , 
Et de sa science infuse 
Son jeune esprit a ppurveti , 
Tousjours en sa fantasie 
Ardera de poésie 
Sans prétendre un autre bien ; 
Eiicor qu'il combati^t bien , 
Jamais les Muses peureuses 
Ne voudront le premier 
De laurier, fust-il premier 
Aux guerres victorieuses. 

La poésie est un feu consumant 

Par grand ardeur Tesprit de son amant y 

Esprit que jamais ne laisse 

En repos j tant ell^. presse. 
Voila pourquoy le ministre dçç Dieux 
Vit sans grans biens, d'autant qu'il aime mieux 

Abonder d'inventions 

Que de grand's possessions. 

Mais Dieu juste , qui dispense 
Tout en tous , les fait chanter 
Le futur en recompense 
Pour le monde espouvanter. 
Ce sont les seuls interprète^ . 
Des hauts Djçux qiu^ (e^ ppet^l^ ; 
Car aux prières qu^ls fçji^ j ■. > 
L'or aux Dieux criant ne sc^pt y 
Ni ja richesse, qui passç; 
Mais un lut tousjpur^ pariant 
L'art des Mus^s çxçfilçAt^ ; 
Pour dessus leur rendre ^^ce. 



)96 Odes 

Qut dirons-nous de la musique sainte ? 

Si quelque amante en a Taureille atteinte , 
Lente en larmes goûte à goûte 
Fondra sa chère ame toute , 

Tant la douceur d'une harmonie éveille 

D'un cœur ardant Tamitié qui sommeille , 
Au vif luy représentant 
L'aimé par ce qu'elle entend. 

La Nature, de tout mère , 
Prévoyant que nostre vie 
Sans plaisir séroit amere , 
De la musique eut envie , 
Et, ses accords inventant, 
Alla ses fils contentant 
Par le son , oui loin nous jette 
L'ennuy de rame sujette , 
Pour l'ennuy mesme douter; 
Ce que l'emeraude fine 
Ni 1 or tiré de sa mine 
N'ont la puissance d'oster. 

Sus , Muses , sus , celebrez-moy le nom 
Du grand Apelle, immortel de renom , 
Et de Zeuxe « qui peignoit 
Si au vif qu'il contraignoit 
L'esprit ravy du pensif regardant 
A s'oublier soy-mesme, ce-pendant 
Que l'œil humoit à longs trais 
La douceur de ses portrais. 

C'est un céleste présent 
Transmis çà-bas où nous sommes ; 
Qui règne encore à présent. 
Pour lever en haut les hommes ; 
Car, ainsi que Dieu a fait 
De rien le monde parfait. 
Il veut qu'en petite espace 
Le peintre ingénieux face 
(Alors qu'il est agité), 



RETRANCHÉES. 397 

Sans avoir nulle matière, 
Instrument de deité. 

On dit que cil qui r'anima les terres, 
Vuides de gens, par le jet de ses pierres (') 

(Origine de la rude 

Et grossière multitude), 
Avoit aussi des diamans semé 
Dont tel ouvrier fut vivement formé , 

Son es|)rit faisant cognoistre 

L'origme de son estre. 

Dieux ! de quelle oblation 
Acquiter vers vous me puis-je , 
Pour rémunération 
Du bien receu qui m'oblige ? 
Certes, je suis glorieux 
D'estre ainsi amy des dieux , 
Qui seuls m'ont fait recevoir 
Le meilleur de leur sçavoir 
Pour mes passions guarir, 
Et d'eux , mon luth , tu attens 
Vivre çà-bas en tout temps. 
Non de moy, qui doy mourir. 

O de Phebus lagloire et le trophée. 
De qui jadis le Tnracien Orphée 

Faisoit arrester les vens 

Et courir les bois suy vans ! 
Je te salue , 6 lut harmonieux , 
Raclant de moy tout le soin ennuyeux , 

Et de mes amours tranchantes 

Les peines, lors que tu chantes I 

1. Deucalion,. après le déluge mythologique. 



)98 0d1s5 



ODE NON MESURÉE. 

A Gaspard d'Auvergne (issp). 

Soyon constans, et ne prenon souci 
Quel jour suyvant poussera cestuy-ci : 
Jetton au vent, mon Gaspard , totit Tattaire 
Dont nous n'avon que faire. 

Pourquoy m'iray-je enquérir des Tartarés 
Et des paîs estran^s et barbares, 
Quand à grand peine ay-je la co^oissatibe 
Du lieu de ma naissance? 
Volontiers l'ignorant 
Va tousjours s'enqucranl 
Du ciel , plus hant que luy. , 
Las ! malneur sur les hommes ! 
Nais au monde ne isommes 
Que pour nous faire ennuy. 

C'est se mocquer de genner et de poindre 
Le bas esprit des hommes, qui est moindre 
Que les conseils de Dieu , ou de pensier 
Sa volonté passer. 

Tousjours en luy metton nostre espérance , 
Et en son Fils nostre ferme asseurance. 
Au demeurant, allon avec le temps 

Heureusement contens. 

A rhomme qui est né 

Peu de temps est donné 

Pour se rire et s'esbatre. 

Nous l'avons ; ce-pendant 

Qu'allons-nous attendant? 

Un bon jour en vaut quatre. 

Soit que le ciel de foudres nous despite, 
Ou que la terre en bas se précipite; 



RETRAWtHÉES. Î99 

Soit que la nuict devienhe jûiir qui luit, 

Soit que le jour soit'huit, 
Jamais de rien TÎ*auray frayettr he crainte, 
Comme asseuré que la pensiée ^aihte 
De TEtemel gouverne en «quité 

Ce monde limité. 

Le Sei^eur de là^iaut 

Cognoist ce qu'il nous faut 

Mieux oue nou& tOti$ ensemble. ' 

Sans nul égard d'aucun , 

Il départ à chacun 

Tout ce que boti luy semble. 

Je t'apprendray, si tu veux ra'escouter, ; 
Comment TennuY d'un cœur se peut outêr, 
Et ce que tient la tristesse cruelle 

D'importurie séquelle. 
Tu ne seras convotteux d'amasser 
Le bien qui doit si vitement passer, 
Comme trésors, honneurs et avarices, 

Escolles de tous vices : 

Car c'est plus de refràindre 

Son désir que de joindre 

L'ourse au midy ardant, 

L'Escosse sablonneuse 

A l'Arabie heureuse, 

Ou l'Inde à l'Occident. 

Tu dois encor éviter, ce me semble. 
Faveurs des roys et aes peuples ensemble : 
De leurs mignons tousjours quelque tempeste 

Vient foudroyer la teste. 
Ce n'est pas tout : avecques providence 
Fais un amy, dont l'heureuse prudence 
Te servira de secours nécessaire 

Contre l'heure adversaire. 

Ton creur bien préparé, 

De force remparé. 

En la fortune adverse, 



400 



Odes 



Patience prendra j 
En la bonne, craindra 
Que rheur ne le renverse. 

Après rhyver, la saison variable 
Pousse à son rang le printemps amiable. 
Si aujourd'hui nous sommes soucieux , 

Demain nous serons mieux. 
Tousjours de Tare Apollon ne moleste 
Le camp des Grecs pour leur tirer la peste ; 
Aucune-fois , tout paisible , réveille 

Sa harpe , qui sommeille. 

En orage outrageux 

Tu seras courageux; 

Puis, si bon vent te sort, 

Tes voiles trop enflées, 

De la faveur souflées , 

Conduiras, sage , au port. 

Après avoir prié , devotieux , 

Les deux jumeaux qui décorent les cieux , 

De tousjours luire, au fort de la tempeste, 

Sur le haut de la teste, 
L'un escrimeur en vers tu descriras. 
L'autre donteur des chevaux tu diras , 
Ou pour leur sœur la querelle ennemie 

D'Europe et de l'Asie. 



ODE NON MESURÉE. 
Au Mesme (1550). 

Puis que la Mort ne doit tarder 
Que prompte vers moy ne parvienne, 
Trop humain suis pour me garaer 
Qu'espou vanté ne m'en souvienne, 
Et qu'en mémoire ne me vienne 
Le cours des heures incerténes, 



RETRANCHÉES. 4OI 

Gaspar, qui , aux bords de la Vienne , 
As rebasti Rome et Athènes. 

En vain l'on fuit.la mer qui sonne 
Contre les goulfres, ou la guerre , 
Ou les vents mal-sains de l'automne , 
Qui souflent la peste en la terre , 
Puis que la Mort , qui nous enterre , 
Jeunes nous tue, et nous conduit 
Avant le temps au lac qui erre 
Par le royaume de la Nuict. 

L'avaricieuse Nature 
Et les trois Sœurs filans la vie 
Se deulent quand la créature 
Dure long-temps, portant envie 
A la fleur, qui si tost dévie , 
La créant rose du printemps, 
A qui la naissance est ravie 
Et la grâce tout en un temps. 

L'un devient goûteux , rautre hectique ; 
L'autre n'attend que le cyprès, 
Et celuy qui fut hydropique 
Guarit pour retomber après. 
Nous sommes humains tout exprés 
Pour avoir le cœur outragé 
D'un aigle . qui le voit d'auprès 
Naistre à fin qu'il soit remangé. 

Bien-tost sous les ombres, Gaspar, 
La Mort nous guidera subite. 
N'or ny argent, de telle part, 
Ne font que l'homme ressuscite. 
Diane son cher Hippolyte 
N'en tire hors, ains gist parmy 
La troupe où Thesé se dépite 
Qu'il n'en peut ravoir son amy. 

L'homme ne peut fuir au monde 
Le certain de sa destinée. 
Le marinier craint la fiere onde , 
Le soldat la guerre obstinée , 
Ronsard. — II. 26 



402 Odes 

Et n'ont peur de voir terminée 
Leur vie sinon en tels lieux; 
Mais une mort inopinée 
Leur a tousjours fermé les veux. 
Dequoy sert donc la médecine 
Et tout le gaiac estranger^ J 

User d'onguens ou de racine , i 

Boire bolus ou d'air changer, 

Suand cela ne peut allonger 
os jours contez? Où cours-tu, Muse, 
Repren ton stile plus léger 
Et à ce grave ne t'amuse. 



A JACQUES PELLETIER DU MANS. 
Des beautés qu^U voudroit en s'amie (1550) [i]. 

Ode non mesurée. 

fj uand je seroy si heureux de choisir 
^V^Maistresse selon mon désir, 

Mon Peletier, je te veux dire 

Laauelle je voudrois eslire 
Pour ta servir, constant à son plaisir. 

L'âge non meur, mais verdelet encore , 

Est l'âge seul qui me dévore 

Le cœur d'impatience atteint. 

Noir je veux rœil et brun le teint, 
Bien que l'œil verd toute la France adore. 

J'aime la bouche imitante ta rose 
Au lent soleil de may déclose ; 
Un petit tetin nouvelet 
Qui se fait déjà rondelet , 

I . Cette ode, la première que Ronsard ait composée, avoit 
paru avant 1550 dans le Recueil des poésies de Jacques 
Pelletier du Mans. 



RETRANCHÉES. 4O} 

Et sur Py voire eslevé se repose ; 

La taille droitte à la beauté pareille , 

Et dessous la coife une aureille 

Qui toute se monstre dehors ; 

En cent façons tes cheveux tors ; 
La joue égale à TAurore venneille ; 

L'estomac plein ; la jambe de bon tour, 

Pleine de chair tout à Pentour, 

Que volontiers on tâteroit ; 

Un sein qui les dieux tenteroit , 
Le flanc haussé , la cuisse faite au tour ; 

La dent d*yvoire, odorante l'haleine, 

A qui s'égaleroyent à peine 

Les doux parfums de la Sabée , 

Ou toute 1 odeur dérobée 
Que l'Arabie heureusement ameine ; 

L'esprit naïf, et naïve la grâce; 

La main lascive^ ou qu'elle embrasse 

L'amy en son giron couché, 

Ou que son lut en soit touché, 
Et une voix qui mesme son lut passe ; 

Le pied petit, la main longuette et belle, 

Dontant tout cœur dur et rebelle, 

En un ris qui, en découvrant 

Maint diamant, allast ouvrant 
Le beau séjour d'une grâce nouvelle ; «• 

Qu'ell' sceut par cœur tout cela qu'a chanté 

Pétrarque , en amour tant vanté , 

Ou la Rose si bien escrite. 

Et contre les femmes despite, 
Par qui je fus des enfance enchanté; 

Quant au maintien , inconstant et volage , 

Folâtre et digne de tel âge , 

Le regard errant çà et là ; 

Un naturel avec cela 
Qui plus que l'art misérable soulage. 



 



404 Odes 

Je ne voudrais avoir en ma puissance 
A tous coups d'elle jouissance ; 
Souvent le nier un petit 
En amour donne l'appétit , 

Et fait durer la longue obéissance. 

D'elle le temps ne pourroit m'estranger, 
N 'autre amour, ne l'or estranger, 
Ny à tout le bien qui arrive 
De l'Orient à nostre rive 

Je ne voudrois ma Brunette changer, 

Lors que sa bouche à me baiser tendroit , 
Ou qu'approcher ne la voudroit 
Feignant la cruelle faschée , 
Ou , quand en quelque coin cachée , 

Sans l'aviser prendre au col me viendroit. 



A MACLOU DE LAHAYE. 
Ode non mesurée (15 $o). 

Maclou, amy des Muses, 
En la musique expert , 
Pour néant tu t|amuses , 
Le temps en vain se pert , 
Menant un dueil apert : 
Il vaut mieux que tu jettes 
Les mordantes sagettes 
Qui ton cœur vont grevant 
Aux Scythes , ou aux Gétes , 
Ou encor plus avant. 

Ceux à qui point n'agréent 
Tes beaux ars tant connus , 
Et qui ne se recréent 
De voir les Silvains nus, 
Et les pères cornus 
Pendre au haut d'un rocher, 



RETRANCHÉES. 405 

Doivent bien se fascher, 
Non toy, dont poésie 
Peut le soin arracher 
Hors de ta fantasie. 

Et quoy ! je voy tes yeux 
Moites d'un bleur amer ; 
Soit quand rhebus aux cieux 
Vient le jour allumer, 
Ou quand dedans la mer 
Ses chevaux il abreuve. 
Gémissant je te treuve 
La fin de ton malheur, 
Puis que ne bois ne fleuve 
N'appaise ta douleur. 

Donc la faveur du monde 
Te fait désespérer, 
Laquelle on peut à Tonde 
Justement comparer. 
Qui ne sçauroit durer 
Une heure sans orage. 
Appren à ton courage 
Voler ainsi gu'ilfaut; 
Par ceste aisle le sage 
S'en-vole aux Dieux là haut. 

Il est vray que la court 
Des princes est aimable , 
Mais long temps on y court 
Sans fortune amiable. 
Sor de là , pitoyable ; 
Quand la mort se courrousse , 
Sans égard elle pousse 
A bas un empereur 
De la mesme secousse 
Qu'eir fait un laboureur. 

La vertu qui ordonne 
Aux bons immortel nom 
N'a baillé la couronne « 

De laurier pour renom 



S' 

Qui 
Est 



406 Odes 

A nul homme sinon 
Qu'à celuy qui n'a garde 
De prendre ror en garde , 
Vivant du sien contant , 
Et à qui le regarde 
D'un œil ferme et constant. 
C'est plus de commander 
Sur les affections , 

Qu'aux princes d'amender 

Te mille nations. 

^ui de ses passions 

!st maistre entièrement , 
Celuy vit seulement, 
N'eust-il qu'un toict de chaume y 
Et plus asseurèment 
Qu un roy de son rovanme. 
Quand nostre vie numaine 
Longue en santé seroit , 
Chaau'un à juste peine 
Des biens amasseroit , 
Et point n'offenseroit ; 
Mais pour vie si brève 
Faut-il tant qu'on se grève 
D'amasser et d'avoir ? 
Matin le jour se lève 
Pour mourir sus le soir. 

soin meurtrier, encores 
Que Ton s'allast cacher 
Bien loin outre les Mores, 
Tu nous viendrois chercher 
Pour nous nuire et fascher. 
Le gendarme en sa troupe 
Tout seul te porte en croupe , 
Et tu te vas cachant 
Jusqu'au fond de la poupe , 
Compagnon du marchand. 

Donques puis que l'envie 
Et l'avarice forte 



RETRANCHÉES. 4^7 

Sont bourreaux de la vie 
De rhomme qui les porte, 
Mon amy, je t'enhorte 
De ies chasser ; entens 
A te donner bon temps , 
Fuy les maux qui t*ennuyent. 
Qu'est-ce que tu attens ? 
Les ans légers s'enfuyenL 

Le temps bien peu durable ^ 
Tout chauve par derrière. 
Demeure inexorable 
S'il franchit sa carrière. 
L'infernale portière 
Hoche de main égale 
La grand cruche fatale; 
Soit tost eu tard, le sort 
Viendra vers toy tout pale 
Pour t'annoncér la mort. 

Donques un jour ne laisse 
Voler sans ton plaisir. 
L'importune vieillesse 
Court tost pour nous saisir. 
Tandis qu'avons loisir, 
Tes amours anciennes 
Chantons avec les miennes; 
Ou bien , û bon te semble-, 
N'entonnon que les tiennes 
Sur nos Seules ensemble. 

Pour tuer le soud 
Qui Fongeoit ton courage, 
Asséons nous ici 
Sous ce mignard ombrage. 
Voy près de ce rivage 
Quatre nymphes qui viennent, 
A qui tant bien aviennent 
Leurs corsets simplement , 
Et leurs cheveux qui tiennent 
A un nœud seulement. 



4o8 Odes 

Hé , quel pasteur sera-ce 
Qui au prochain ruisseau 
Ira rincer ma tasse 
Quatre ou cinq fois en Peau ? 
D'autant ce vin nouveau 
Efface les ennuis 
Et fait dormir les nuis ; 
Autrement la mémoire 
De mes maux je ne puis 
Estrangler qu après boire. 



A FRÈRE RENÉ MACÉ, 
Vendomois, excellent poète historiographe françois (1550). 

Cependant que tu nous dépeins 
Des François la première histoire , 
Desensevelissant la gloire 
Dont nos ayeux furent si pleins , 

Horace et ses nombres divers 
Amusent seulement ma lyre , 
A qui j'ay commandé de dire 
Ce chant pour honorer tes vers. 

Je les entens desja tonner 
Parmy la France , ce me semble , 
Et voy nos poètes ensemble 
D*un tel murmure s'estonner. 

J*entrevoy desja la lueur 
Des bien estincellantes armes 
Chasser en fuite les gensdarmes y 
Et les chevaux pleins de sueur. 

Icy le More est abatu , 
Et là le vaillant Charlemaigne, 
Tenant le fer an poing, enseigne 
Aux siens à suivre sa vertu. 

C'est là le vray enfantement 
De ta grave héroïque Muse , 



RETRANCHÉES. 409 

Qui , toute enflée , ne s*amuse 
Qu*à deviser bien hautement. 

Mais moy, petit et mal appris , 
Ayant basse et pauvre la veine , 
Je façonne avec grande peine 
Des vers oui sont de peu de prix. 

Tels qu ils sont , Macé , toutesfois 
Je veux qu'ils tesmoignent ta gloire, 
Et commandent à la mémoire 
Que tu vives plus d'une fois. 

Ils chanteront à nos neveux 
Comme tu allas aux montaignes 
D'Helicon voir les sœurs compaignes 
Et Apollon aux beaux cheveux , 

Et comme la charmante vois 
De tes douces et braves rimes 
Les força de quitter leurs cimes 
Pour habiter le Vendosmois. 



A SON LICT(i$5o), 

Lict , que le fer industrieux 
D'un artisan laborieux 
A façonné presque d'un égal tour 
Qu'à ce grand monde encerne tout autour, 

Où celle qui m'a mis le mors 
De ses beaux doits foiblement fors 
Entre mes bras se repose à séjour, 
Et chaque nuit égale au plus beau jour. 

Qui vit jamais Mars et Venus 
Dans un tableau portraits tous nus } 
Des doux amours la mère estroittement 
Tiens Mars lassé , qui laisse lentement 

Sa lance tomber à costé , 
D'un si plaisant venin denté , 



410 Odes 

Et, la baisant, presse l'yvoire blanc , 
Bouche sur boucne , et le flanc sur le flanc. 

Celuy qui les a veus ainsy 

Nous peut imaginer aussy, 
M 'amie et moy, en éprouvant combien 
Se recoller ensemble fait de bien (a), 

Deçà et là d*un branle doux 
Le châlit tremblant comme nous, 
Ainsi qu'on voit des bleds le chef mouvant 
Sous le souspir du plus tranquille vent. 

Ha! que grand tort te font les Dieux 

Qui ne te logent en leurs cieux ! 
Tu leur ferois plus d'honneur que ne font 
Un chien, un cancre et deux ours qui y sont {b). 



LES PEINTURES D'UN PAYSAGE (1550). 

Tableau , que Petemelle gloire 
D'un Apelle avouroit pour sien , 
Ou de quelqu'autre dont Tbistoire 
Célèbre le nom ancien , 
Tant la couleur heureusement parfaite 
A la nature en son mort contrefaite ; • 

Où la grand' bande renfrongnée 
Des cyclopes laborieux 

a. Var. (1560) : 

Ctluy qui Us a veu portraits 

Peut sur nous contempler les traits 
De leurs plaisirs, lors que m*amie et moyi 
Tous nuis au lict faisons je ne sçaj quoy, 

b, Var. (1560) : 

Tu leur ferois un ornement plus beau 

Que n'est leur chien, leur asne et leur corbeau. 



RETRANCHÉES. 4I I 

Est à la forge embesongnée , 

Qui d'un efiort industrieux 
Haste un tonnerre , afin d'armer la dextre 
De ce grand Dieu que Saturne ait fait naistre. 

Trois , sur Penciume gémissante 

D'ordre égal le vont martelant , 

Et d'une tenaille pinçante 

Tournent l'ouvrage cstincelant ; 
Vous les diriez qu'ils ahanent et suent , 
Tant de grands coups dessur l'enclume ruent. 

En trois rayons de pluye torte 

Tout le tonnerre est finissant , 

En trois de vent qui le supporte , 

Et en trois de feu rougissant ; 
Ores de peur, ores de bruit , et ore 
D'ire et d'éclair on le polit et dore. 

Les autres deux soufflets entonnent , 

Qui dans leurs grands ventres enflez 

Prennent le vent , et le redonnent 

Par compas aux charbons soufflez. 
Le métal coule, et dedans la fournaise 
Comme un estang se répand en la braise. 

Un peu plus haut parmy les nues , 

Enflées a'un vague ondoyant , 

Le père ses flecnes connues 

Darde aval d^un bras foudroyant; 
Le feu se suit, et, saccageant l'air, gronde, 
Faisant trembler le fondement du monde. 

Entre l'orage et la nuit pleine 

De gresle , martelant souvent , 

Un pilote cale à grand' peine 

Sa voile trop serve du vent. 
La mer le tance , et les flots irez baignent 
De monts bossus les cordes qui se plaignent. 

Les longs traits des flammes , grand erre 
En forme de lances errans , 



412 Odes 

Lèchent l'estomac de la terre , 
Aux bords des fleuves éclairans ; 
Et la forest, par les vens depessée, ^ 
Egale aux champs sa perruque baissée. 

A costé gauche de l'orage 
Junon sa colère celant , 
De Venus emprunte l'ouvrage , 
Son beau demi-ceint excellant , 

Et , le ceignant , sa force coustumiere 

Tire Jupin à l'amitié première. 

Là les Amours sont portraits d'ordre , 
Celuy qui donte les oiseaux , 
Celuy qui chaleureux vient mordre 
Le cœur des dauphins sous les eaux. 
Leandre, proye à la mer inhumaine , 
Pendu aux flots noue où l'amour le meine. 

Junon , tenant les mains esparses, 

De son mary presse le sein ; 

Luy, qui s'enâe ses veines , arses 

De trop d'amour dont il est plein , 
Baise sa temme , et sur l'heure tait naistre 
Le beau printemps , saison du premier estre. 

De rOcean l'image emprainte 
Contraint ses portraits finissans ; 
D'azur verdoyant elle est peinte , 
Et d'argent ses flots blancnissans , 
Où les dauphins aux dos courbez y nouent , 
Et sautelans à mille bons se jouent. 

Au milieu de l'onde imprimée 

Comme grandes forests on voit 

S'eslever la navale armée 

Que Charles à Thunis avoit ; 
Les flots , batus des avirons qui sonnent , 
Contre les flancs de cent barques resonnent. 

Environné d'une grand' trope, 
Son pouvoir le rend orgueilleux , 



RETRANCHÉES. 4I3 

Traînant les forces de TEurope 

Avec soy d'un bras merveilleux. 
L'Espagne y est , et les peuples qui vivent 
Loin dessous l'Ourse^ et les Flamans , le suivent. 

Près de Thunis, sur le bord More, 

L'Africain, aveugle au danger, 

La mer verte en pourpre colore 

Au sang du soldat estranger ; 
Mars les anime , et la Discorde irée , 
Trainant sa robbe en cent lieux déchirée. 

Tout au bas , d'une couleur pale 

Est repeint l'empereur romain , 

Craignant nostre Roy, qui égale 

Les dieux par les faits de sa main ; 
Mais pour néant ^ car de Henry la lance 
Ja-ja captif le traine dans la France. 

Paris tient ses portes décloses, 

Recevant son Koy belliqueur; 

Une grande nue de roses 

Pleut à l'entour du chef vainqueur; 
Les feux de joye icy et là s'allument, 
Et jusqu'au ciel les autels des dieux fument. 



A PHEBUS, 

LUY VOUANT SES CHEVEUX (1550). 

Dieu crespelu {a) (qui autrefois, 
Banni du ciel, parmy les bois 
D'Admete gardas les taureaux , 
Fait compagnon des pastoureaux). 
Mes cheveux j'offre à tes autels; 
Et, bien qu'ils ne soient immortels, 

a, Var. (ij6o) : 

Ditu perruquier. 



414 0D€S. 

Ils te seront doux et plusans. 
Pour estre la fleur de mes ans. 
Mainte fille ^ oar amitié, 
En a souhaité la moitié 
Pour s'en orner; mais je ne veux, 
PhœbttSy roy des beaux cheveux! 
Rien de ma part te présenter 
Dont quelqu un se puisse vanter : 
Car c'est toy qui n'as dédaigné 
De m'avoir seul accompaigné 

?uand dès le berceau j'allai voir 
es compaignes, dont le sçavoirj 
M'a tellement ravy depuis 
Que je ne sçay si \t me suis 
Ivre de leur ruisseau arov, 
Car sur le bord je m'enaormy. 
A mon réveil , il me sembla 
^u'un chœur de vierces s'assembla, 
iTaue Calliope aux oeaux yeux, 
La Muse qui chante le mieux, 
Pour présent son luth me donna, 
Qui depuis le premier sonna 
Dedans la France les façons 
De joindre le lut aux chansons. 



L 



A MAGDELEINE 
Ayant mari vieillart (1550). ' 

es fictions dont tu décores 
L'ouvrage oue tu vas peignant 
D'Hyacinth', d'Europe , et encores 
De Narcisse se compiaignant 
De son ombre le dédaignant , 

Ne sont pas dignes de la peine 
u'en vain tu donnes à tes doits : 
ar plustost, soit d'or, soit de laine, 



Ca] 



RETRANCHEES. 

Ta toile peindre toute pleine 
De ton tourment propre tu dois. 

Quand je te voy et voy encore 
Ce vieil mary que tu ne veux. 
Je vov Tithon et voy l'Aurore, 
Luy dormir, elle ses cheveux 
Tresser d'un laqs doré comme eux (u), 

Pour aller chercher son Cephate; 
Et, quoy qu'il soit alangoré 
De voir sa femme morte et pale, 
Si sutt-il celle qui égale 
Les roses d'un troni coloré. 

Parmy les tois errent ensemble , 
Se soûlant de plaisir; mais, lasl 
Jamais le jeune Amour n'assemble 
Un vieillard devenus si las 
A un printemps tel que tu l'as. 



DE LA VENUE DE L'ESTÉ. 

Au SEIGNEUR DE BONNIVET (iSS")- 

Desja les grand's chaleurs s'esmeuvent. 
Et presque les fleuves ne peuvent 
Les peuples escaillez couvrir; 
Ja voi(t-on la plaine, altérée 
Par la grande torche etherée , 
De soifse lascher et s'ouvrir. 

L'estincelante canicule, 
Qai ard, qui cuit, qui boull, qui brûle, 
iJesté nous darde de là haul, 
Et le Soleil, qui se promeine 
Par les bras du Cancre, rameine 
Ces mois halez d'un si grand chaut. 

1. Car. (i|6o): 

RefrisoUr de mille naads. 



4i6 Odes 

Icy, la diligente troupe 
Des mesnagers par ordre coupe 
Le poil de Gérés jaunissant, 
Et là . jusques à la vesprée , 
Abat les honneurs de la prée , 
Des beaux prez l'honneur verdissant. 

Cependant leurs femmes sont prestes 
D'asseurer au haut de leurs testes 
Des plats de bois et des baris, 
Et , filant , marchent par la plaine 
Pour aller soulager la peine 
De leurs laborieux maris. 

Si-tost ne s'éveille' PAurore 
Que le pasteur ne soit encore 
rTustost levé qu'elle , et alors 
Au son de la corne réveille 
Son troupeau , qui encor sommeille 
Dessus la fraische herbe dehors. 

Parmv les plaines descouvertes, 
Par les oois et les rives vertes, 
Paist le bestail , ores courant 
Entre les fleurs Apollinées. 
Or* entre celles qui sont nées 
Du beau sang d'Adonis mourant. 

Sur les rives des belles ondes, 
Les jeunes troupes vagabondes. 
Les nlles des troupeaux lascifs, 
De fronts retournez s'entrechocquent 
Devant leurs pereSj qui s'en mocquent , 
Au haut du prochain tertre assis. 

Mais, q^uand en sa distance égale 
Et le soleil , et la cigale 
Enrouement espand sa vois , 
Et que nul Zepnyre n'haleine 
Tant soit peu les fleurs en la plaine , 
Ne la teste ombreuse des bois, 

Adonc le pasteur entre-lasse 
Ses panniers de torse pelasse, 



RETRANCHÉES. 417 

Ou il englue ks oiseaux , 
Ou, nu comme un poisson, il noue 
Et avec les ondes se joue , 
Cherchant le plus protond des eaux. 

Si l'antique fable est croyable, 
Erigone la pitoyable 
En tels mois alla luire aux cieux 
En forme de vierge , Cjui ores 
Reçoit dedans son sein encores 
Le commun œil de tous les Dieux, 

Œil incogneu de nos valées, 
Où les fontaines dévalées 
Du vif rocher vont murmurant , . ;; 

Et où mille troupeaux se pressent , 
Et le nez contre terre baissent , 
Si grande chaleur endurant. 

Sous les chesnes oui refraischissent , 
Remaschent les bœufs , qui languissent 
Au piteux cry continuel 
De la génisse qui lamente 
L'insrate amour dont la tourmente 
Par Tes bois son taureau cruel. 

Le pastoureau , oui s'en estonne , 
S'essaye , du flageol qu'il sonne , 
De soulager son mal ardent ; 
Ce qu'il tait tant qu'il voye pendre 
Contre-bas Phœbus , et descendre 
Son chariot en l'Occident. 

Et lors de toutes parts r'assemble 
Sa troupe vagabonde ensemble, 
Et la convoyé aux douces eaux , 
Laquelle en les beuvant ne touche 
Sans plus que du haut de la bouche 
Le premier front des pleins ruisseaux. 

Puis au son des douces musettes 
Marchent les troupes camusettes, 
Pour aller trouver le séjour^ 
. Où les aspres chaleurs cleçoivent 
Ronsard. — il. 27 



4i8 Odes 

Par un dormir qu'elles reçoivent 
Lentement jusqu'au poinct du jour. 

A CHARLES DE PISSELËU, 

EVESQUE DE CONDOM (iSJO) [»]. 

VOUS faisant de mon escriture 
La lecture, 
Souvent à tort m'avez repris 
De quoy si bas je composoye , 

Et n'osoye -, 
Faire un œuvre de plus haut pris. 

Tout esprit gaillard qui s'efforce 

N'a la force 
De polir les livres parfaits; 
Les nerfe foi blés souvent se treuvent , 

S'ils espreuverit 
Plus que leur charge iin pesant faix. 

Qui pensez-vous qui puisse escrire 

L'ardente ire 
D'Ajax , le fils de Telamon , 
Ou d'Hector rechanter la gloire,' 

Ou l'histoire 
De la race du vieil Emon ? 

Toute Muse pour tragédie 

N'est hardie 
A tonner sur un eschaifaut , 
Ne propre à rechanter la peine 

D'erreur pleine 
De ce Grégeois qui fut si caut. 

I . Cette ode fut dédiée ensuite à Jacques Grévîn, puis en- 
"nï^onsard remplaça le nom de Grévin, avec qui il s'étôit fâ- 
ché (Voy. pag.4j6), par celui de Grujet, probablement Claude 
ae Cnijet, Parisien,éditeur des Nouvelles de la reine de Navarre. 



RETRANCHÉES. 419 

Adieu donc, enfans de la terre, 

Qui la guerre 
Entreprinstes contre les Dieux 1 
Ce n'est pas moy qui vous raconte , 

Ne qui monte 
Avecque vous jusques aux cieux. 

Quant est de moy, j'aime ma mode 

Par mainte ode 
Mon renom ne périra point. 
Les autres de Mars diront Fire , 

Mais ma lire 
Bruira Pamour qui me point. 



AUX MOUCHES A MIEL., 
Pour cueillir des fleurs sur la bouche de Cassandre (i u o}« 

Où allez-vous , filles du ciel , 
Grand miracle de la nature ? 
Où allez- vous, mouches à miel , 
Chercher aux champs vostre pasture ? 
Si vous voulez cueillir les fleurs 
D'odeur diverse et de couleurs , 
Ne volez plus à Tavanture. 

Autour de Cassandre halenée 
De mes baisers tant bien donnez 
Vous trouverez la rose née , 
Et les œillets environnez 
Des florettes ensanglantées 
D'Hyacinthe et d'Ajax, -plantées 
Près des l^rs sur sa bouche nez. 
Les marjolaines y fleurissent , 
L'amône y est continuel , 
Et les lauriers , qui ne périssent 
Pour l'hvver, tant soit-il cruel ; 
L'anis, le chevreftieil, qiiijporte 



420 Odes 

La manne qui vous reconforte , 
Y verdoyé perpétuel. 

Mais , je vous pri*, eardez-vous bien, 
Gardez-vou» qu'on ne Péguillonne : 
Vous apprendrez bien test combien 
Sa pointure est trop plus félonne , 
Et de ses fleurs ne vous soûlez 
Sans m*en garder, si ne voulez 
Qpe mon ame ne m'abandonne. 



AU ROSSIGNOL(i56o). 

Gentil rossignol passager, 
Qui t'es encor venu loger 
Dedans ceste coudre ramée , 
Sur ta branchette accoustumée , 
Et qui nuit et jour de ta vois 
Assourdis les mons et les bois , 
Redoublant la vieille querelle ^ 
De Terée et de Philomele, ^ 

Je te supplie (ainsi tousjours 
Puisses jouir de tes amours) 
De dire à ma douce inhumaine , 
Au soir quand elle se promeine 
Ici pour ton nid espier, 
Qu'il n'est pas bon de se fier 
En la beauté ny en la grâce , 
Qui plustost qu'un songe se passe. 
L)y-luy que les plus belles fleurs 
En janvier perdent leurs couleurs , 
Et quand le mois d'avril arrive 

Su 'ils revestent leur beauté vive; 
ais quand des filles le beau teint 
Par l'âge est une fois esteint, 
Dy-luy que plus il ne retourne, 
Mais bien qu'en sa place séjourne 



RETRANCHÉES. 421 

Au haut du front je ne sçay quoy 
De creux à coucher tout le doy ; 
Et toute la face seichée 
Devient comme une fleur touchée 
Du soc aigu. Dy-luy encor 
Qu'après qu'elle aura changé Tor 
De ses blonds cheveux , et que l'âge 
LuY aura crespé le visage, 
Qu en vain lors elJe pleurera , 
Dequov jeunette elle n'aura 
Prins les plaisirs qu'on ne peut prendre 
Quand la vieillesse nous vient rendre 
Si froids d'amours et si perclus, 
Que les plaisirs ne plaisent plus. 

Mais , rossignol , que ne vient-elle 
Maintenant sur l'herbe nouvelle 
Avecques moy dans ce buisson ? 
Au brait de ta douce chanson , 
Je luy ferois sous la coudr^te 
Sa couleur blanche vermeiitette. 



A MERCURE (is$o). 

Facond neveu d*Atlas , Mercure , 
Qui as pris ie soin et la cure 
Des bons esprits sur tous les Dieux , 
Accorde les nerfs de ma lyre , 
Et fais qu'un chant j'y puisse dire 
Qui ne te soit point odieux. 
i Honore mon nom par tes odes ; 
L'art qu'on leur doit, leurs douces modes, 
A ton disciple ramentoy. 
Comme à cduy que Thebes vante 
Monstre-moy, aun que je chante 
Un vers qui soit digne de toy. 
Je garmray tes talons d'ailes, 



2 Odes 

Ta capeline de deoi belles; 
Ton tûston je n'Dvbbray pas. 
Dont lu nous endors et reveilles. 
Et fais des œtwres nonutareilles. 
Au del , en la tarie et U bas. 

Je feray que ta.main déçoive 
(Sans qoe iml boulier l'apperçoive) 
Phœbus, qui suit les pastooreanx, 
Lujr dérobant et arc et troossC, 
Lors que plus fort il se comToiuse 
D'ayoïr perds ses beaux toieaUi. 

Je itrvf qM la langne sage 
Apporte par l'aù Ja laessage 
Des dieu an peuples et anx rois. 
Lors que les peuples se mutîneot. 
On lors que les rois qui dominent 
Violentent les sûnctes lotx. 

Comme il ne plaist de te voir oret 
Aller parmi U nuit encores. 
Avec Priam, an camp des Grecs, 
Racheter par dons et par larmes 
La fleur des magna nim es armes, 
Hector, qui causa les regrets ! 

C'est toy qui guides et accordes 
L'ignorant pouce sûr mes cordes. 
Sa " ; 



RETRANCHÉES. 42^ 

A MICHEL PIERRE DE MAULEON, 
Protonotaire de Durban (i^^o). 

Je ne suis jamais paresseux 
A consacrer le nom de ceux 
Qui sont altérez de la gloire , 
Et nul mieux que moy, par ses vers, 
Ne leur bastit dans Tunivers 
Les colonnes d'une mémoire. 

Mauieon , tu te peux vanter, 
Puisque Ronsard te veut chanter. 
Que tu devanceras les aisles 
Du Temps, qui vole et qui conduit 
Volontiers une obscure nuict 
Aux vertus qui sont les plus belles. 

Mais par où doy-je commencer 
Pour tes louanges avancer ? 
Ton abondance me fait pouvre, 
Tant ia Nature heureux t'a fait 
Et tant le ciel de son parfait 
Prodigue vers toy se descouvre. 

Certes, la France n'a point veu 
Un homme encore si pourveu 
Des biens de la Muse éternelle, 
Ne qui dresse son vol plus haut , 
Ne mieux guidant l'outil qu'il faut 
Pour nostre langue maternelle : 

Car, sôit en prose ou soit en vers, 
Minant maint beau trésor divers. 
Tu nous fais riches par ta peine , 
Industrieux à refuser 
Qu'un mauvais son vienne abuser 
Le goust de ton oreille saine. 

Le ciel ne t'a pas seulement 
Elargi prodigalement 



14 Odes 

Mille presens, mais d'avantage 
il veut, pour te favoriser, 
Te faire vanter et priser 
Par les plus doctes de nostre Jge. 

Languedoc m'en sert de tesmoin , 
Voire Venise, qui plus hnn 
S'esmerveilia de voir la grâce 
De ton Paschal, oui, louangeant 
Les Mauleons, alla vengeant 
L'outrage fait contre ta race, 

Lorsqu'au milieu des Pères vieux, 
Dégorf^anl le présent des dieux, 
Par les torrens de sa harangue 
Déroba l'esprit des ovans, 
Comme épies çà et \k ptoyans 
Dessous le doux vent ae sa langue , 

Liant , par ses mots courageux , 
Au col du meurtrier outrageux , 
Une furie venseresse, 
Qui , plus que l'horreur de la mort , 
Encore; luy ronge et luy mord 

Mais ny son style ny Te mien 
Ne te sçauroient chanter si bien 

Ïue toy-mesme, si tu découvres 
es labeurs, escrits doctement. 
Par lesquels manifestement 
Le chemin du ciel tu nous ouvres : 
Car tov, volant outre les cîeux , 
Tu as pillé du sein des dieux 
Le destin et la prescience, 
Et le premier as bien osé 
\voir en françois composé 
Les secrets de telle science. 



RETRANCHÉES. ^2$ 



A REMY BELLEAU (1560). 

Donc, Belleau, tu portes envie 
Aux dépouilles de l'Italie, 
Qu*encores vous ne tenez pas ; 
Et, t'armant sous le duc ae Guyse, 
Tu penses voir broncher à bas 
Les murailles de Naples prise. 

J'eusse plustost pensé les courses 
Des eaux remonter à leurs sources 
Que te voir changer aux harnois, 
Aux piques et aux harquebuses, 
Tant de beaux vers oue tu avois 
Receu de la bouche des Muses. 






K 



fi 



AU FLEUVE DU LOIR (i$So). [f" 

Loir, dont le cours heureux distille 
Au sein d'un pays si fertile , 
Fay bruire mon renom 
D'un grand son en tes rives, 
Qui se doivent voir vives 
Par l'honneur de mon nom. 
Ainsi Tethys te puisse aimer 
Plus que nul qui entre en la mer! 

Car, si la Muse m'est prospère. 
Fameux comme Amphryse, j'espère 

Te faire un jour nombrer 

Aux rangs des eaux qu'on prise, 

Et que la Grèce apprise 

A daigné célébrer, 
Pour estre le fleuve éternel 
Qui baignes mon nid paternel. 

Là donc d'un autre bruit résonne 
Le bruit que ma Muse te donne. 



4^6 



Odes 
Tu voirras désormais 
Par mo; ton onde fîire 
S'enfler par ta jiyiere, 
Qw ne mourra jamais, 

Resonnant avec un orand soi 

L'honneur de moi , 



Loir, de qui la bonté ne cède 
Ao Nil qui l'Egypte possède, 
Pour le loyer d'avoir 
( Eternizant ta gloire 
De durable mémoire) 
Fait si bien mon devoir, 
Quand i'auray mon âge accompli, 
Enseven d'un long oubli, 
Si quelque pèlerin arrive 
Auprès de ta parlante rive, 
Dy luy à haute vois 
Que ma Muse première 
Apporta la lumière 
De Grèce en Vendomois; 
Dy-tny ma race et mes ayeux, 
Et le stavoir que j'eu dés deux; 
Dy-leur que moy, d'affaire vuîde, 
Ayant tes filles pour ma guide, 
A tes bors j'encorday 
Sur la Ivre ces odes. 
Et aux TrançoisEs modes 
Premier les accorday; 
Dis-lui ma Cassaadre, el ces vers 
Qu'i ton bord je chante à l'envers. 



T: 



RETRANCHÉES. 427 



A CASSANDRE FUYARDE (1550.) 

'u me fuis d'une courte vîste 
Comme lin faiy'qui les loup^'evite 
Allan^les mamelles^4:hercher 
De sa mere/pour se ^'cacher, 
Sautelant , de frayeur, ce semble, 
Si un. rameau,/le vient toucher ; 
Car, pour le moindre bruit que face 
D'un serpent la glissante trace ^ 
Et de genoux et de coeur tremble; 

Mais toy, belk» qui m'es ensemble 
Ma douc^ w'i^' et mon trespas, . 
Comme un lion je ne cours pas 
Après toi pour te faire outrage. 

Mets donc, ma mignonne, un peu bas 
La cruauté de ton courage ; 
Arreste , fuyarde , tes pas , 
Et toy, ja d'âge pour te fendre. 
Laisse ta mère, et vien apprendre 
Combien l'Amour donne d^esbas. 



DU JOUR NATAL DE CASSANDRE (1550). 

Chanson , voici le jour 
Où celle là qui la terre décore , 
Et que mon œil idohtre. et adore , 
Vint en ce beau.seJQuri. 

Le Ciel d'apioar atteint, 
Ardant de voir tant de beautez , Padmire, 
Et, se courbant dessus ^ (aee,. mm 

Tout rhonnçu;' de. §Qn.trint. 

Car les divins 'flambeaux , 
Grandeur, vertu , les Amours et la Grâce ^ 



4^8 Odes 

A qui mieux mieux embellirent sa face 

De leurs presens plus beaux, 

Afin que par ses yeux 

Tout rimparfait dejmaigjiaMsejblIe 

Fust corrigé , et qu'^aî^Slst^3oî^" 

Pour me guider au mieux. 

Heureux jour retourné, 
A tout jamais j'auray de toy mémoire, • 
Et d an en an je chanteray la gloire 

De Phonneur en toy né. 

Sus, page, vistement 
Donne ma lyre, afin que sur sa corde 
D'un pouce doux en sa faveur s'accorde 

Ce beau jour saintement. 

Semé par la maison 
Tout le trésor des prez et de la plaine, 
Le lis, la rose, et cela dont est pleine 

La nouvelle saison. 

Puis crie au temple aussi 
Que le Soleil ne vit oncques journée 
Qui fust de gloire et d'honneur Unt ornée 

Comme il voit ceste-cy. 



AU REVERENDISSIME 
Cardinal du Bellay (15 So), 

Dedans ce grand monde où nous sommes 
Enclos généralement. 
Il n'y a tant seulement 
Qu'un genre des dieux et des hommes; 

Eux et nous n'avons mère qu'une 

Tous par elle nous vivons , 

Et pour héritage avons 
Ceste grand' lumière commune. . 



RETRANCHtiBS. 429 

Nostre raison qui tout avise , 
Des dieux compagnons nous rend ; 
Sans plus un seul différent 

Nostre genre et le leur divise. 

La vie aux dieux n'est consumée, 

Immortel est leur séjour, 

Et Phornme ne vit qu'un jour 
Fuyant comnie songe ou fumée ; 

Mais celuy qui acquiert la grâce 

D'un bien-heureux escrivanl, 

De mortel se fait vivant , 
Et au rang des célestes passe ; 

Comme toy, que la Muse apprise 

De ton Macrin a chanté , 

Et t'a un los enfanté 
Qui la fuitte des ans mesprise. 

Elle a perpétué ta gloire 

La logeant là haut aux cieux , 

Et a Uit esgale aux dieux 
L'éternité de ta mémoire. 

Apprenez donc , vous rois et princes , 

Les poètes honorer, 

Qui seuls peuvent décorer 
Vous, vos sujets et vos provinces. 

Sans plus . le grand prince Alexandre, 

Qui à la terre commandoit, 

Un Homère demandoit 
Pour faire ses labeurs entendre. 

La France d'Homeres est pleine, 

Et d'eux liroit-on les fais 

S'ils estoient tous satisfais 
Autant que mérite leur peine. 



4}0 Odes 



DES ROSES PLANTÉES PREZ UN BLÉ(i 5 $0). 

Dieu te gard Thortneur du printemps 
Qui étens 
Tes beaux trésors sur la branche, 
Et qui découvres au soleit 
Le vermeil 
De ta beauté naïve et franche. 

D'assez loin tu vois redoublé 

Dans le blé 
Ta face , de cinabre teinte , 
Dans le blé qu'on voit réjouir 

De jouir 
De ton image en son verd peinte. 

Près de toy, sentant toti odeur, 

Plein d'ardeur 
Je façonne un vers dont la grâce 
Maugré les tristes Sœurs vivra , 

Et suivra 
Le long vol des ailes d'Horace. 

Les uns chanteront les œillets 

Vermeillets , 
Ou du lis la fleur argentée , 
Ou celle qui s'est par les prez 

Diaprez ' 
Du sang des princes enfantée. 

Mais moy, tant que chanter pourray, 

Je louray 
Tousjours en mes Odes la rose, 
D'autant qu'elle porte le nom 

De renom 
De celle où ma vie est enclose. 



RETRANCHÉES. 43 1 



A CASSANDRE (1550). 

XT ymphe aux beaux yeux, qui souffles de ta bouche 
1^ Une Arabie à qui prés en approuche, 

Pour déraciner mon esmôy 

Cent mille baisers donne-moy. 

Donne-les-moy, ça que je les dévore. 

Tu fais la morte ! il m'en faut bien encore ; 

Redonne-m'en deux milliers donc, 

Et, sur tous , un qui soft plus long 

Que n'est celuy des douces colombelles 
Prises au jeu de leurs amours nouvelles. 

Ainsi , ma Cassandre , vivons , 

Puis que les doux ans nous avons. 

Incontinent nous mourrons , et Mercure 
Nous coavoira sous la vallée obscure , 

Et guidera nos tristes pas 

Au froid royaume de la bas , 

Tenant au poing sa verge messagère , 
Crainte là bas de la troupe légère. 

Si qu'aussi tost qu'aurons passé 

Le lac neuf fois entrelassé , 

Et que sur nous sa sentence imployable 
Aura jette le juge inexorable , 

Ne parens, ne dévotions , 

Ne rentes, ne possessions, 

Ne fleschiront la cruche ne l'audace 

Du nautonnier, si bien qu'il nous repasse, 

Du nautonnier qui n'a souci 

De pauvre ne de riche aussi. 

Donc , cependant que l'âge nous convie 
De nous ebatre, égayons nostre vie; 



43a Odes 

Ne vois-tu le temps qui s'enfuit , 
Et la vieillesse qui nous suit ? 



A LA SOURCE DU LOIR (i$$o). 

Source d'argent toute pleine , 
Dont le beau cours éternel 
Fuit pour enrichir la plaine 
De nion pays paternel , 

Sois hardiment brave et fiere 
De le baigner de ton eau : 
Nulle françoise rivifre 
N'en peut laver un plus beau, 

Que les Muses éternelles 
D'habiter n'ont dédaigné , 
Ne Phœbus , gui dit par elles 
L'art où je suis enseisné, 

Qui dessus ta rive herbue 
Jadis fut énamouré 
De la nymphe chevelue , 
La nymphe au beau crin doré ; 

Et l'attrapa de vistesse 
Fuyant le long de tes bords, 
Et là ravit sa jeunesse 
Au milieu de mille efforts. 

Si qu'aujourd'huy d'elle encores 
Immortel est le renom 
Dedans un antre , qui ores 
Se vante d'avoir son nom. 

Fuy doncques, heureuse source , 
Et , par Vendosme passant , 
Retien la bride à la course 
Le beau crystal effaçant. 

Puis salue mon la Haye ^ 

Du murmure de tes flots : 
C'est celuy qui ne s'essaye 
De sonner en vain ton los. 



RETRANCHÉES. 4)3 

Si le Ciel permet qu'il vive , 
Il convoira doucement 
Les neuf Muses sur ta rive, 
Pleines d'esbahissemfent , 

De le voir seul dessus Therbe , 
Remémorant leurs leçons , 
Faire aller ton flot superbe, 
Honoré par ses chansons. 

Va donc , et reçoy ces roses 
Que je respan au giron 
De toy, source qui arroses 
Mon pays à Tenviron. 

Lequel par moy te supplie 
En ta faveur le tenir, 
Et en ta grâce accomplie , 
Pour jamais Tentretenir, 

Ne noyant ses pasturages 
D'eau par trop se respandant, 
Ne defraudant les ouvrages 
Du laboureur attendant; 

Mais fay que ton onde utile , 
Luy riant joyeusement , 
Innocente se distile 
Par ses champs heureusement. 

Ainsi du Dieu vénérable 
De la mer puisses avoir 
Une accolade honorable , 
Entrant chez luy pour le voir. 



A RENÉ D'URVOY. (1550.) 

Je n'ay pas la main apprise 
Au mestier muet de ceux 
Qui font une image assise 
Sur des piliers paresseux. 
Ma peinture n'est pas mue , 
Ronsard. — II. 28 



4^4 Odes 

Mais vive, etparTunivers 
Guindée en Tair se remue 
Dessus Tengin de mes vers. 

Aujourd'huy faut que j'atteigne 
Au parfaict de mon art beau : 
Urvoy m*a dit que ie peigne 
Ses vertus en ce lapleau. 

Muses , ouvrez-moy la porte 
De vostre cabinet saint , 
Afin que de là j'apporte 
Les traits dont il sera peint. 

Si ma boutique estoit riche 
De hanaps ou vaisseaux d'or, 
Vers toy je ne seroy chiche 
Des plus beaux de mon thresor; 

Et si te serois encore 
D'une main large baillant 
Le prix dont la Grèce honore 
Le capitaine vaillant. 

Mais je n'ay telle puissance ; 
Tu n'en as aussi besoin : 
Ta contente suffisance 
Les repousseroit bien loin. 

Les vers sans plus t'éjouissent : 
Mes vers doncq' je t'offriray ; 
Les vers seulement jouissent 
Du droit que je te airay. 

Les colonnes eslevées , 
Ne les marbres imprimez 
De grosses lettres gravées , 
Ne les cuyvres animez , 

Ne font que les hommes vivent 
En images contrefaits , 
Comme les vers qui les suivent 
Pour tesmoins de leurs beaux faits. 

Si la plume d'un poëte 
Ne favorisoit leur nom, 
La vertu seroit muette 



RETRANCSHIÊES. 43; 

Et sans langue le renom. 

Du grand Hector la mémoire 
Fust ja morte, ^i les vers 
N'eussent empenné sa gloire 
Voletant par Puni vers. 

De mille antres l'excellence 
Et rhonneur fust abatu. 
Tousjours Tenvieux silence 
S'arme contre la vertu. 

Les plumes doctes et rares 
Jusqu'au ciel ont envoyé , 
Arraché des eaux avares , 
Achille presque noyé. 

C'est la Muse qui engarde 
Les bons de ne mourir pas, 
Et qui nos talons retarde 
Pour ne dévaler là bas. 

La Muse l'enfer desfie , 
Seule nous esleve aux cieux , 
Seule nous béatifie 
Ennombrés au rang des dieux. 



Ode (0. (1560.) 

Lors que Bacchus entre chez moy, 
Je sen le soin^ je sen l'esmoy 
S'endormir, et ravi me semble 

aie dans mes coffres j'ay plus d'or, 
us d'argent et plus de thresor 
Que Mide ny que Crœse ensemble. 

Je ne veux rien sinon tourner 
Par la dance et me couronner 
Le chef d'un tortis de lierre; 

I . Imitée d'Anacréon. 



4^6 Odes 

Je foule en esprit les honneurs, 
Et les estais des grands seigneurs 
A coups de pied j écraze à terre. 

Verse-moy doncq* du vin nouveau , 
Pour m'arracher hors du cerveau 
Le soin par qui le cœur me tombe ; 
Verse donc pour me Tarracher. 
Il vaut mieux yvre se coucher 
Dans le lict, que mort dans la tombe. 



Ode. (i$72.) 

J'oste Grevin de mes escris , 
Pour ce qu'il fut si mal-appris , 
Afin de plaire au calvinisme 
(Je vouloy dire à Tatheisme), 
D*injurier par ses brocards 
Mon nom , cogneu de toutes parts^ 
Et dont il faisoit tant d'estime 
Par son discours et par sa rime. 

Les ingrats je ne puis aimer. 
Et toy, que je veux pien nommer, 
Beau Chrestien , qui fais Thabile homme , 
Pour te prendre au pape de Rome 
Et à toute Pantiquite , 
Cesse ton langage effronté , 
Sans blasmer, en blasmant l'Eglise 
Que le bon Jésus auctorise , 
Ceux qui t'aymoient, et plus cent fois 
Vrayment que tu ne meritois. 

Vous n'avez les testes bien faites : 
Vous estes deux nouveaux poètes. 
Taisez-vous , ou comme il faudra 
Mon cuisinier vous respondra, 
Car de vous présenter mon page , 
Ce vous seroit trop d'avantage. 



RETRANCHÉES. 4}7 



SUR LA MORT D'UNE HACQUENÊE. (1550.) 

Les trois Parques, à ta naissance, 
T*avoyent octroyé le pouvoir 
De ne mourir ains que de France 
Le dernier bord tu peusses voir. 

Or, pour la fin de tes journées , 
Ton dernier voyage restoit 
Sous les fatales Pyrénées, 
Où Tarrest de ta mort estoit . 

De ta mort qui fiere t'accable , 
Non pas te meurtrissant ainsv 
Qu'un cheval tout pelé du caole 
Aux coups de fouets endurci ; 

Mais te poussant par une porte , 
Le pont levis s'est enfoncé , 
Avec lequel la mort t'emporte , 
Te renversant dans le fossé. 

Toy morte donc , que la Bretagne, 
Ta mère , ne se vante pas 
De haquenée qui attaigne 
Ta course , ton amble , ton pas. 

Ne moins les sablonneuses plaines 
De la chaude Afriaue , où souvent 
Les jumens (miracle) sont pleines 
N'ayant mary sinon le vent. 



Ode. (1560.) 

Venus est par cent mille noms 
Et par cent mille autres surnoms 
Des pauvres amans outragée : 
L'un la dit plus dure que Ter, 
L'autre la surnomme un enfer, 
Et l'autre la nomme enragée ; 



4)8 Odes 

L'un l'appelle soucis et pleurs, 
L'autre tnstesses et douleurs , 
Et l'autre la désespérée. 
Mais moy, pour ce qu'elle a tousjours 
Esté propice ^ mes amours, 
Je la surnomme la sucrée. 



Ode. (1560*) 

T'oseroit bien quelque poète 
Nier des vers, douce alouette ? 
Quant à moy, je ne Toserois. 
Je veux celeorer ton ramage 
Sur tous oyseaux qui sont en cage 
Et sur tous ceux qui sont es bois. 

Qu'il te fait bon ouir à l'heure 
Que le bouvier les champs labeure, 
Quand la terre le printemps sent, 
Qui plus de ta chanson est gaye , 
Que courroucée de la playe 
Du soc qui l'estomac luy fendi 

Si-tost que tu es arrosée 
Au poinct du jour de. la rosée, 
Tu fais en l'air mille discours ; 
En l'air des àisles tu frétilles , 
Et pendue au ciel tu babtUes 
Et contes aux vents tes amours. 

Puis du ciel tu te laisses fondre 
Dans un sillon vert , soit pour pondre. 
Soit pour esclorre ou pour couver. 
Soit pour apporter la oéchée 
A tes petits, ou d'une achée, 
Ou d'une chenille , ou d'un ver. 

Lors raoy, couché dessus l'herbctte., 
D'une part j'oy ta chansonnette; 
De l'autre , s^s dit fpoliot , 



RETRANCHÉES, 439 

A Tabry de quelque fougère , 
J*escoute la jeune bergère 
Qui dégoise son lerelot. 

Lors je dy : a Tu es bien-heureuse , 
Gentille alouette amoureuse , 
Qui n*as peur ny soucy de rien , 
Qui jamais au coeur n'as sentie 
Les desdains d'une fiere amie , 
Ny le soin d'amasser du bien ; 

« Ou si quelque soucy te touche y 
C'est, lors que le soleil se couche, 
De dormir et de réveiller 
De tes chansons, avec l'aurore , 
Et bergers et passans encore, 
Pour les envoyer travailler. » 

Mais je vy tousjours en tristesse 
Pour les fiertez d'une maistresse 
Qui paye ma foy de travauir 
Et Œune plaisante mensonge , 
Mensonge qui tousjours alonge 
La longue trame de mes maux. 



Ode. (1560.) 

Si tu me peux conter les fleurs 
Du printemps, et combien d'arène 
La mer, trouble de ses erreurs. 
Contre le bord d'Afrique ameine; 

Si tu me peux conter des cieux . 
Toutes les estoilles ardantes. 
Et des vieux chesne$ spacieux 
Toutes les fueilles veraoyantes ; 

Si tu me peux conter l'ardeur 
Des amans et leur peine dure , 
Je te feray le seul conteur, 
Magny, des amours que j'endure. 



440 Odes 

Conte d'un rang premièrement 
Deux cens que je pns en Touraine; 
De l'autre rang, secondement, 
Quatre cens que je pris au Maine. 

Conte , mais jette prés à prés 
Tous ceuTC d'Angers et de la ville 
D'Amboise , et de Vendosme après , 
Qui se montent plus de cent mille. 

Conte après SIX cens à la fois 
Dont à Paris je me vy prendre ; 
Conte cent millions qu'à Blois 
Je pris dans les yeux de Cassandre. 

Quoy ! tu fais les contes trop cours ! 
Il semble que portes envie 
Au grand nombre de mes amours ; 
Conte-les tous, je te suppjie. 

Mais non, il les vaut mieux oster, 
Car tu ne trouverois en France 
Assez de gettons pour conter 
D'amours une telle abondance. 



OïXE. (1560.) 

Certes par efFect je sçay 
Ce vieil proverbe estre vray, 
« Qu'entre la bouche et le verre 
Le vin souvent tombe à terre ^ 
Et ne faut que l'homme humam 
S'asseure de nulle chose, 
Si ja ne la tient enclose 
Ëstroittement dans la main. » 

On dit que le ciel esgal 
Donne du bien et du mal 
Indifféremment à l'homme; 
Mais à moy, mal heureux comme 
Si j'estois conceu d'un chien 



RETRANCHÉES. 441 

Ou d'une fiere lionne. 
Tousjours mal sur mal me donne , 
Et jamais un pauvre bien. 
Ainsi , cruel , il te f)laist 
De m'abbatre, et, qui pis est, 
Comme si portois envie 
Aux angoisses de ma vie , 
Pour me faire au double choir 
En toute misère extrême , 
Tu me fais haïr moy-mesme , 
Et du tout m'ostes l'espoir. 



Ode. (is6o.) 

Ma maistresse , que j'aime mieux 
Dix mille fois ny que mes ^eux , 
Ny que mon cœur, ny que ma vie , 
Ne me donne plus , je te prie , 
Des confitures pour manger, 
Pensant ma fièvre soulager : 
Car ta confiture, mignonne. 
Tant elle est douce, ne me donne 
Qu'un désir de tousjours vouloir 
Estre malade pour avoir 
Tes friandises en la bouche. 

Mais bien si quelque ennuy te touche 
De me voir ainsi tourmenté 
Pour la perte de ma santé. 
Et si tu veux aue dés ceste heure 
Pour vivre dedans moy je meure , 
Fay-moy serment par Cupidon , 
Par ses traits et par son brandon , 
Et par son are et par sa trousse , 
Et par Venus , qui est si douce 
A celles qui garaent leur foy, 
Que jamais un autre que moy, 



442 Odes 

Fust-ce un Adonis , n'aura place 
En ton heureuse bonne-grace. 
Lors ton serment pourra guarir 
La fièvre qui me fait mourir. 
Et non ta douce confiture , 
Qui ne m'est que vaine pasture. 



Ode. (1560.) 

Ah ! fiévreuse maladie , 
Comment es-tu si hardie 
D'assaillir mon pauvre corps, 
Qu'Amour dedans et dehors 
De nuit et de jour enflame 
Jusques au profond de Tame, 
Et sans pitié prend à jeu 
De le mettre tout en teu ? 
Ne crain&-tu point, vieille blesme, 
Qu'il ne te brûle toy-mesme ? 

Mais que cherches-tu chez>>moy ? 
Sonde- moy partout, et voy 

Sue je ne suis plus au nombre 
es vivans, mais bien un ombre 
De ceux qu'Amour et la Mort 
Ont conduit delà le port. 
Compagnon des troupes vaines. 

Je n'ay plus ny sang, ny veines, 
Ny flanc, ny poumons, ny cœur; 
Long-temps a que la rigueur 
De ma trop fière Cassairare 
Me les a tournez en cendre. 
Donc, si tu veux m'offenser, 
Il te faut aller blesser 
Le tendre corps de m'amie; 
Car en elle gist ma vie , 
Et non en moy, qui mort suis, 



RETRAHCHÉES. 443 

Et c^ui sans ame ne puis 
Sentir chose qu'on me face , 
Non plus qu'une froide masse 
De rocher ou de métal , * 

Qui ne sent ne bien ne mal. 



A SON LIVRE. (1560.) 

Bien qu'en toy, mon livre, on n'oye 
Achille es plaines de Troye 
Brandir l'homicide dard , 
Et qu'un Hector n^y foudroyé 
L'estomac d'un Grec soudard, 
Ne laisse pourtant de mettre 
Tes vers au jour, car le mètre 

?u'en toy bruire tu entens 
Vase pour jamais promettre 
Te faire vainqueur du temps. 

Si la gloire et la lumière 
De Smyrne luit la première, 
L'honneur sur tous emportant, 
Une muette fumière 
N'obscurcit Thèbes pourtant. 

Les vers qu'il m'a pieu de dire 
Sur les langues de ma lyre 
Vivront , et , supérieurs 
Du temps , on les voirra lire 
Des hommes postérieurs. 

Sus donc , Renommée , charge 
Dessus ton espace large 
Mon nom , qui tente les cieux , 
Et le couvre sous ta targe, 
De peur du trait envieux. 

Mon nom , dés l'onde atlantique 
Jusqu'au dos du More antique, 
Soit immortel tesmoigné,, 



444 Odes 



Et depuis l'isle erratiqiie 
Jttsqu au Breton esloigné, 

A fin que mon labeur croisse 
Et sonoreux apparoisse 
Lyrique par dessus tous, 
Et que Thebes se cognoisse 
Faite Françoise par nous. 



Ode. (1584.) 

Cependant que ce beau mois dure , 
Mignonne, allons sur la verdure; 
Ne laisson perdre en vain le temps : 
L'âge glissant, oui ne s*arreste, 
Meslant le poil ae nostre teste. 
S'enfuit ainsi que le printemps. 

Donc, cependant que nostre vie 
Et le temps d'aimer nous convie, 
Aymon, moissonnon nos désirs, 
Passon l'amour de veine en veine. 
Incontinent la mort, prochaine. 
Viendra desrober nos plaisirs. 



Odelette. 

Boivon , le jour n'est si long que le dov. 
Je perds, amy, mes soucis quand je ooy. 
Donne-moy viste un jambon sous ta treille , 
Et la bouteille 
Grosse à merveille 
Giougloute auprès de moy. 
Avec la tasse et la rose vermeille 
Il faut chasser l'esmoy. 



RETRANCHÉES. 445 



A JEAN D'AURAT. (i^jo. 

Puissé-je entonner un vers 
Qui raconte à Tunivers 
Ton los porté sus son aile, 
Et combien je fus heureux 
Succer le laict savoureux 
De ta féconde mammelle ! 

Sur ma langue doucement 
Tu mis au commencement 
Je ne sçay quelles merveilles 
Que vulgaires je rendv, 
Et premier les espanay 
Dans les françoises aureilles. 

Si , en mes vers , tu ne vois 
Sinon le miel de ma vois 
Versé pour ton los repaistre , 
Qui m en oseroit blasmer? 
Le disciple doit aimer, 
Vanter et louer son maistre. 

Nul ne peut monstrer devant 
Qu'il soit expert et sçavant, 
Et rignorance n'enseigne 
Comme on se doit couronner 
Et le chef environner 
D'une verdoyante ensaigne. 

Sr j'ay du bruit, il n est mien; 
Je le confesse estre tien , 
Dont la science hautaine 
Tout altéré me trouva , 
Et bien jeune m'abreuva 
De l'une et l'autre fontaine. 

De sa mère l'apprentif 
Petit de son luth aeceptif 



446 Odes 

Tromper les bandes rurales. 
Puisse avenir aue ma vois 
Attire et flate oes rois 
Les grandes mains libérales 1 

L'honneur nourrit le sçavoir. 
Quand Tœil d'un prince veut voir 
Le ministre de la Muse , 
Phebus luy fait ses leçons; 
Phebus aime ses chansons, 
Et son luth ne luy refuse. 

On ne se travaille point 
Ayant un disciple épomt 
A vertu dés sa naissance; 
En peu de jours il est fait 
D'apprentif maistre parfait : 
J'en donne assez cognoissance. 



A RENÉ D'ORADOUR, 
Abbé de Beus. (1550.) 

Le Temps, de toutes choses maistre , 
Les saisons de Tan terminant, 
Monstre assez que rien ne peut estre 
Longuement durable en ^on estre 
Sans se changer incontinant. 

Ores rhyver brunit les cieux 
D'un grana voile obscur emmuré; 
Ores il soufle audacieux , 
Ores froid , ores pluvieux , 
En son inconstance asseuré ; 

Puis, quand il s'enfuit variable, 
On revoit Zephyre arriver, 
Amenant un ciel amiable. 
Qui est beaucoup plus agréable 
Après qu'on a senti l'hyver. 



RETRANCHÉES, 447 

Quand un soucv triste et hideux, 

Oradbur, te viendroit saisir, 

Ne t'effroye d'jun ny de deux : 

Car le Temps seul , en dépit d'eux ; 

Te rendra libre à ton plaisir. 
Dessus ton luth pour eux nç cesse , 

Si tu me crois, de raconter 

Les passions ae ta maistresse, 

Et comme sa voix flateresse 

L'ame du corps te sceut oster. 
De t'amie le nom aimé 

Ores sur les eaux soit ouy, 

Et ores par le bois ramé ; 

Qu'il n'y ait pré de fleurs semé 

Que d'elle ne soit éjouy. 
Aucunefois, prés du rivage, 

Lentement couché sur le jonc, 

Tu oyras dans le bois sauvage 

La veuve tourtre, en son ramage, 

Se lamenter dessus un tronc. 
Voilà comment il faut casser 

L'effort des ennuis odieux , 

Et le soin du cœur efacer. 
Incontinent tu dois passer 
Les flots tant redoutez 4qs dieux. 
Après la tourmente bien forte, 
Le nautonnier, dur au labeur, 
Boit sur la proue et reconforte 
Sa troupe languissante et morte. 
Chassant leur misérable peur.: 

a Compagnons, l'enduré tourment 
Par le vin nous effacerons. 
Sus, suSj vivons joyeusement; 
Après boire, plus aisément 
La voile nous rehausserons. » 



44^ Odbs 

DE LA JEUNE AMIE D'UN SIEN AMY (>). 

Ta génisse n*est assez drue 
(Atten que ses ans soient venus), 
Ne forte assez à la charrue , 
Ne pour le taureau , qui se rue 
Lourdement aux jeux de Venus; 

Aîns, mesiée avecques les veaux, 
Folâtre d'une course viste, 
Ou dessous les saules nouveaux 
Se veautre à l'ombre . ou prés des eaux 
Les flammes du soleil évite. 

Jamais n'endure qu'on la touche, 
Fuyant à bonds comme un chevreau , 
Comme un jeune chevreau farouche 

?ui sur le printemps s'escarmouche 
ar le tapis d'un verd préau. 

Ne sois envieux du désir 
Des raisins trop verts^ car l'automne 
Les meurira tout à loisir. 
Lors tu pourras à ton plaisir 
Manger ta grappe meure et bonne. 

Le temps, ravissant ton vert âge. 
Le luy don'ra. Voilà le point 
Comme elle croistra d'avantage , 
Tirant un gain de ton dommage , 
Dommage que l'on ne sent pomt. 

Ji me semble que je la voy 
Mignarde, en ton giron assise, 
Te jurer étemelle foy 
Et ne sçavoir partir de toy, 
Tant en toy son coeur aura mise. 

I . Pris de Théocrite. André Chénier en a aussi donné une 
imitttion dans son Idylle intitulée Arcas et Paiimon. 



RETRANCHÉES. 

De toy pensive et idolâtre 
T'adorera quelque matin. 
Je prevoy ta main qui folâtre 
Déjà sur sa cuisse a*albâtre 
Et sur l'un et Pautre tetin. 

Mais quoy ! pour néant tu pretens 
De vouloir violenter ores 
L'inexorable loy du temps, 

Sue le plaisir que tu attens 
e te veut pas donner encores. 



449 



A LA MUSE CLEION 

Pour célébrer Maclou de la Haye, le premier jour 
du mois de may. (i y jo.) 

Muses aux yeux noirs, mes pucelles, 
Mes Muses, dont les estincelles 
Ardent mon nom par l'univers , 
De Maclou sacrez la mémoire, 
Et faites distiller sa gloire 
Dans le doux sucre de vos vers. 

O ! qui des forests chevelues 
Et des belles rives velues, 
Cleion t'éjouis, sus, avant! 
Cent fleurs pour mon La Haye amasse , 
Et qu'une couronne on luy face 
Pour ombrager son front sçavant. 

A toy et à tes sœurs compagnes 
Il appartient par vos montaignes 
L'éterniser en ce verd mois. 
Là donc que sa gloire s'espande , 
Et sus les cordes on l'étende 
Du lut qui bruit en Vandomois (a). 



a. Var. 1 560 : 

Le célébrera haute voix; 
Ronsard,, — H. 



^9 



4(0 Odes 



A CHARLES DE PISSELEU, 
Evesqne de Condon (isfo) [i]. 

fj ue nul papier d'orénavant 
^^_Par moy ne s'anime sans mettre 
(Docte prélat) ton nom devant 
- -Pour donner faveur à mon mètre. 
C*est luy qui mieux te fera vivre 

Su'un pourtrait de marbre attaché , 
u qu'une médaille de cuyvre 
Mise à ton los dans un marché. 

[Si perles ou rubis i'avoye 
Decians mes coffres à présent, 
Et tout cela que l'Inde envoyé 
Aux froides terres pour présent; 

Tu les aurois comme ma ryme ; 
Mais , Charles (ou je me deçoy) 
Ou tu en ferois peu d'estime 
Et les bannirois loin de toy. 

Rien que les Muses ne t'émeuvent; 
Les Muses donc je vueil t'offrir, 
Les Muses qui vives ne peuvent 
L'oubïivieux tombeau souffrir.] 

Qui penses-tu qui ait fait croistre 
Hector ou Ajax si fameux ? 

Là doncques espandez sa gloire , 
Et dessus ma lyre d'ivoire 
Faites le bruire en Vandomois, 

La pièce entière a été supprimée dès i (67. 

I. En i;6o cette ode est dédiée au seigneur de Lanques 
et les trois strophes entre crochets soàt retranchées. 



RETRANCHÉES. 45 1 

Ne te puis-je faire apparoistre 
Par renommée autant comme eux ? 

Certes le fort et puissant stile 
Des poètes bien escrivans 
Du creux de la fosse inutile 
Les a déterrés tous rivans. 

Bien, ouand ta main auroit reprise 
La serve Boulongne , et donté 
Jusqu'aux deux bouts de la Thamise 
L'Anglois , à force surmonté . 

Tu n'as rien fait si telle gloire 
N'est pourtraite en mes vers , i fin 
Que ta renaissante mémoire 
Vive par les bouches sans fin. 

Les livres seuls ont de la terre 
Jupiter aux cienx envoyé , 
Et luy ont donné le tonnerre 
Dont Encelade est foudroyé. 

Ainsi les deux frères d'Heleine 
Par leur faveur se firent dieux ^ 
Sauvant la nau , qui est jà pleine 
De flots, et de flots odieux. 



A DIEU, POUR LA FAMINE. (i$$o.) 

ODieu des exercites, 
Qui , aux Israélites . 
Donnant jadis secours., 
Fendis en, deux je cours 
De la rouge eau salée, 
Et , comme une valée 
Que deux tertres espars 
Emmurent de deux pars. 
Tu fis au milieu d'elle 



4)2 Odes 

Une voye fidelle, 
Où à pied sec parmi 
Passa ton peuple ami ; 
Et puis en renversant 
Le Ilot obeyssant 
Sus le prince obstiné , 
Tu as exterminé 
Luy et sa gent noyée 
Sous l'onde renvoyée. 
Ton peuple errant delà 
Aux déserts çà et là . 
Les veaux de fonte adore ; 
Mais pour sa faute encore 
Le ciel ne laissa pas 
De pleuvoir son repas ^ 

?tt'n receut de ta erace 
ar quarante ans orespace. 
O seigneur! retourne ores 
Tes yeux, et voy encores 
Ton peuple lan^issant y 
Ton peuple périssant, 
Que ta pâlie famine 
(Mort estrange) extermine ! 
Père, nous sçavons bien, 
Selon tes loix , combien 
Nos journalières fautes 
Sont horribles et hautes , 
Et , voyant nos péchez , 
Dont sommes entachez, 

Sue ceste affliction 
^est pas punition ; 
Mais nous sçavons aussi 

?ue nous aurons merci , 
ôutes les fois que nous, 
Flechissans les genous 
Et soulevans la face. 
Demanderons ta grâce. 
Las, 6 Dieu! sur nous veille. 



V3 



RETRANCHÉES. 4() 

Et de bénigne aureille 
En ceste aspre saison 
Reçoy nostre oraison ; 
Ou bien sur les Tartares, 
Turcs, Scythes et Barbares 
Qui n'ont la cognoissance 
Du bruit de ta puissance , 
Seigneur, hardiment 
Espan ce chastiment , 
Et ton peuple console 
Qui croit en ta parole,' 
Ou fay encor renaistre 
Les ans du premier estre, 
L'âfie d'or précieux , 
Où le peuple ocieux 
Vivoit aux bois sans peine 
De glao cheut et de feine ! 



A CASSANDRE. (i$$o.) 



i-*. 



Le printemps vient , naissez fleurettes 
Coupables de mes amourettes , 
Sus I naissez , et toutes ensemble 
Variez par vostre peinture 
Un manteau verd a la nature. 

iCassandre^ qui tant leur ressemble^ 
Tu crois comme elle , ce lirië seriiblë, ï 
Et ton petit poil acourci 
S'allonge en fil d'or avec l'â^e , 
Comme un reverdissant fueiflage. 

Tu croistras donc pour le souci 
De maint peuple , et de moy aussi, — 
Et SI feras les fleurs compagnes 



454 Odes 

Qui croissent à Tenvi de toy 
Pallir de Taniour comme moy. 

Et les eaux baignans les campagnes , 
Celles qui tonnent aux montaignes y 
Frappant contre leur bord dolant , 
Bruiront leurs amours éternelles 
Si ton bel œil se mire en elles. 

Après maints cours de Tan volant , 
Les cieux , pour t'enfanter voulant 
Se piller eux~mesmes , ont pris 
Tout le beau vers eux retourné. 
Et de toy le monde' ont orné, 

A fin qu'on ne mette à mesprîs ^ 
Mes chants pour t'amour entrepn's. 
Qui les traits de ta beauté suivent, 
/ Et qui d'un vers laborieux 
\ La font remonter jusqu'aux dieux. 
J Les beautez jusqu'aux cieux arrivent 
\ Si les poètes les descrivent; 
\ Donc, Cassandre, si tu m'aimois 
j Tu apprendrois de main docile 
L'art et la* manière facile 
Des Odes du luth Vendomois. 



V 



CONTRE LA JEUNESSE FRANÇOISE 

CORROMPUE. {1S$0.) 

Esperons-nous l'Italie estre prise, 
Ou regaigner par meilleure entreprise, 
D'un bras vindicatif, 
Le serf butin de nos pertes si amples 
Dont l'Espagnol a décoré ses temples 
Dessous le roy captif? 

pue telle gloire est loin de l'espérance, 



RETRANCHÉES. 45> 

Voyant (6 temps !) la jeanesse de France 

À tout vice estre encline ! 
Outrecuidée en ses fautes se plaist, 
Hait Tenseigneur, Tignorante qu'eir est 

De toute discipline! 

Ny escrimer, combattre à la barrière, 
Ne iaçonner poulains en la carrière, 

Peu vertueuse, n*ose; 
Suit les putains, les.naauetSj, les plaisans, 
Et laschement corrompf ses jeunes ans, 

Sans oser plus grand'chose. 

De telles cens Charles n'a pas denté 
Naples, Venise, et Milan surmonté 

Dessous son joug rebelle , 
Mais d^un soldat brave, vaillant et fort. 
Qui de soy-mesroe alloit hasUuit sa mort 

Par une playc belle. 

Le pigeon vient du pigeon , et la chèvre 
Naist de la chèvre, et le lièvre du lièvre; 

Le fils tousjours rapporte 
Le naturel des parens avec luy : 
Quel peuple donc pourroit naistre aujourd'hny 

De racé si peu forte } 

La fille preste à marier accorde 
Trop librement sa chanson à la corde 

D'un poulce curieux, 
Et veut encor Pétrarque retenir, 
A (in que mieux elP puisse entretenir 

L'amant luxurieux. 

Il n'y a rien que cet âge où nous sommes 
N'ait corrompu; il a gastè les hommes, 

Les nopces sont pollues; 
Des dieux vengeurs, sans honneur et ^ns pris, 
Les temples met l'Aileman à mespris 

Par sectes dissolues. 



4(6 Odes 



A SON RETOUR DE GASCONGNE, 
Voyant DE loin Paris.. (1550.) 

Deux et trois fois heureux ce mien regard, 
Duquel je voy la viUe où sont infuses 
La discipline et la gloire des Muses 1 
C'est toy, Paris, que Dieu conserve et gard* ! 
C'est toy oui as dé science^ avec art, 
Endoctrine mon jeune âge ignorant , 
Et qui chez-toy, par cinc[ ans demeurant, 
L'as allaicté du taict qui de toy part. 
Combien je sen ma vie heureuse en elle 
, En te vovant^ au prix de ces monts blancs 
Oui ont réchine et la teste et les flancs 
CCargez de dace et de neige éternelle! 
Je vojr déjà la bande solennelle 
Du sainct Parnasse en avant s'approcher 
Et me baiser, m'accoler et toucher. 
Me r'appellant à son estude belle. 

De 1 autre part, ma librairie, helas! 
Grecque, latine, espagnole, italiaue, 
En me tançant cJ'un front mélancolique , 
Me dit que plus je n'adore Pallas. 
Un milion d^amis ne seront las 
Deux jours entiers de me faire la feste. 
Un Peletier qui a dedans sa teste 
Muses et dieux, les nymphes et leurs lacs; 

D'Aurat, réveil de la science morte. 
Et mon Berger, qui s'est fait gouverneur 
Non de troupeaux , mais de gloire et d'honneur, 
Tiendra mon col lassé d'une main forte. 
Tel jour heureux , qui tant d'aise m'apporte , 
Soit par mes vers jusqu'au ciel colloque , 



RETRANCHÉES. 457 

Et sur mon cœur d'un blanc travers marqué y 
Scelle fin que jamais il n'en sorte! 

Mon Oradour ne Maclou n'y sont mie : 
L'un est allé i Rome pour le Roy ; 
L'autre en Anjou , esclave de sa foy, 
Vit sous l'empire assez doux de s'amié. 
Soit par la reste une joye accomplie. 
De folastrer faison nostre devoir. 
Ce jour passé, je suis prest d'aller voir 
Si pour le temps les lettres on oublie. 

Plus que devant je t'aimeray^ mon livre. 
A celle fin aue le sçavoir j'appnnse , 
J'ay délaissé. et cour, et roy, et prince^ 
Où j'estoy bien quand je les vouloy suivre. 
Pour recompense aussi je me voy vivre; 
Et jusqu'au ciel icy bas remué , 
Ainsi qu'Horace, en cygne transmué, 
J'ay fait un vol qui de mort me délivre. 

Car, si le jour voit mon œuvre entrepris, 
L'Espagne aocte et l'Italie apprise, 
Celuv qui boit le Rhin et la Tamise 
Voudra m'apprendre ainsi que je l'appris. 
Et mon labeur aura louange et pris. 
Sus, Vendomois (petit pays), sus donques, 
Esjouy-toy, si tu t'éjouys oncques : 
Je voy ton nom fameux par mes escris! 



A BOUJU, ANGEVIN. (1550.) 

Cestui-cy en vers les gloires 
Des dieux vainqueurs escrira. 
Et cestuy-là les victoires 
De nos vieux princes dira. 

Mais moy, je veux que ma Muse 
Répande ton nom par l'air^ 



4$8 Odes 

Et que toute s'y amuse 
Si peu qu'elle sçait parler, 

Pour estre de nostre France 
L'un de ceux qui ont défait 
Le vilain monstre Ignorance 
Et le siècle d'or refait. 

Que celuy qui s'estudie 
D'estre pour jamais vivant 
La main d'un peintre mendie, 
Ou l'encre d'un escrivant; 

Mais toy, -oui hautain déprise 
Une empruntée faveur 
De la main (tant soit apprise) 
D'un poète ou engraveur, 

Tu peux , maugré la Mort blesme , 
Mieux qu'une plume ou tableau , 
T'arracner vivant toy-mesme 
Hors de l'oublieux tombeau. 

Faisant un vers plus durable 
Qu'un colosse elabouré , 
Ou la tombe mémorable 
Dont Mausole est honoré. 

Les pyramides, tirées 
Des entrailles d'un rocher, 
Jadis des rois admirées, 
Le temps a fait trébucher; 

Mais, si Pesprit poétique 
Qui m'agite n'est errant, 
Plus que nul pilier antique 
Ton œuvre sera durant. 

Et si prevoy que la gloire 
De ton vagabond renom 
Ne fera sonner à Loire, 
Contre ses bords, que ton nom. 

Et, le tournant en son onde, 
Le ru'ra dedans la mer, 
A fin que le vent au monde 
Le puisse par tout semer. 



RETRANCHÉES. 459 



CONTRE UN 
Qui luy desroba son Horace, (isjo.) 

fj uiconques ait mon livre pris, 
^^.D'oresnavant soit-il épris 
D'une fureur, tant qu'il luy semble 
Voir au ciel deux soleils ensemble , 
Comme Penthée! 

Au dos, pour sa punition, 

Pende sans intermission 
» Une furie qui le suive! 
* Sa coulpe luy soit tant qu'il vive 
Représentée. 



A MACLOU DE LA HAYE, 

Sur le traité de la paix fait entre le roy François 

et Henry d'Angletene en 1 5 4 5 . 

(M50.) 

Il est maintenant temps de boire , 
Et d'un doux vin oblivieux 
Faire assoupir en la mémoire 
Le soin de nostre aise envieux. 

Que c'estoit chose défendue 
Auparavant de s'éjouyr. 
Ains que la paix nous nist rendue , 
Et le repos pour en jouyr! 

Je dy quand Mars armoit l'Espagne 
Contre les François indontez 



460 Odbs 

Et ce peuple que la mer baBoe 
(Hors du inonae)de tous costei; 
L'Espagne en picques violentes, 
Furieuse , et ce peuple iq', 
Par ses flèches en l'air volantes , 
A craindre grandement aussi. 

Puis que la paix est revenue 
Nous embellir de son séjour, 
Lajoyeen l'obscur détenue 
Doit i son rang sortir au jour. 

Sus, page, en l'honneur des trois Gra 
Verse trois fois en ce pot neuf, 
Et neuf fois en ces neuves tasses, 
En ['honneur des Stcurs qui sont neuf. 

Ces lys et ces roses naïves 
Sont espandues lentement , 
le hay les mains qui sont oisives : 
Qu'on se despeche visteraenl. 

Là donc, amy, de corde neuve 
R'anime ton luth endormy : 
Le luth avec le vin se treuve 
Plus doui , s'il est meslé parmj. 

quel zephyre favorable 
Portera ce tolastre broit 
Dedans l'oreille inexorable 
DeMagdaleine, oui notisfuit? 

Le soin qui en rame s'engrave 
Secouer aux vents or' tu dois ; 
C'est chose sage et vray'ment grave 
De faire le fol quelque-fois. 



RETRANCHÉES. 461 



A LA FONTAINE BELLERIE. (1550.) 

Argentine fontaine vive , 
De qui le beau crystal courant , 
D'une fuitte lente et tardive 
Ressuscite le pré mourant , 

Quand l'Esté mesnager moissonne 
Le sein de Ceres devestu , 
Et Taire par compas resonne 
Dessous respy de blé battu ; 

A tout jamais puisses-tu estre 
En honneur et religion 
Au bœuf et au bouvier champestre 
De ta voisine resion ; 

Et la Lune , d'un œil prospère , 
Voye les Bouquins amenans 
La Nymphe auprès de ton repère, 
Un bal sur Therbe demenans f 

Comme je désire , fontaine , 
De plus ne songer ooire en toy 
L'esté , lorsque la fièvre ameine 
La mort despite contre moy. 



A SA MUSE. (1550.) 

Grossi-toy, ma Muse françoise, 
Et enfante un vers résonant, 
Qui bruye d'une telle noise 
Qu'un fleuve débordé tonant , 
Alors qu'il saccage et emmeine , 



402 Odes. 

Pillant de son flot^ sans mercy, 
Le thresor de la riche plaine. 
Le bœuf et le bouvier aussi. 

Et fay voir aux yeux de la France 
Un vers qui soit industrieux, 
Foudroyant la vieille ignorance 
De nos pères peu curieux. 

Ne suy ny le sens, ny la rime , 
Ny Fart du moderne ignorant , 
Bien que le vulgaire Testime , 
Et en béant Paille adorant. 

Sus, donque, Tenvie surmonte. 
Coupe la teste à ce serpent! 
Par tel chemin au ciel on monte , 
Et le nom au monde s'épend. 



A LA FOREST DE GASTINE (1550) [i]. 

Donques, forest, c'est à ce jour 
Que nostre Muse oisive 
Veut rompre pour toy son séjour, 

Aussi tu seras vive. 
Je te dy vive pour le moins 

Autant que celles voire 
De qui les Latins sont tesmoins, 

Et les Grecs, de leur gloire. 
De quel présent te puis-je aussi 

Payer et satisfaire , , 

Plus grand que cestuy-Ia qu'icy 

Ma plume te veut faire ? 
Toy qui au doux froid de tes bois 

Ravy d'esprit m*amuses; 

I. Voyez page 159 de ce volume une autre ode ^ te forêt 
de Gastine, prise en partie de celle-ci. 



RETRANCHÉES. ^6) 

Toy qui fais qu'à toutes les fois 

Me respondent les Muses ; 
Toy qui devant qu'il naisse en moy. 

Le soin meurtrier arraches ; 
Toy encor qui de tout esmoy 

M'allèges et défasches ; 
Toy qui au caquet de mes vers 

Estens Toreille oyatite, 
Courbant en bas les cheveux vers 

De ta cime ployante, 
La douce rosée te soit 

Tousjours quotidiane , 
Et le vent qu'en chassant reçoit 

L'haletante Diane. 
En toy habite désormais 

Des Muses le collège, 
Et ton bois ne sente jamais 

La flâme sacrilège. 



A CASSANDRE. (1550.) 

Si cet enfant qui erre 
Vagabond par la terre 
Avecques le carquois , 
Frère de l'arc turquois, 
Arc qui me point et mbrd , 
Avoit son flambeau mort 
Allumé dans l'haleine 
Du géant qui à peine 
Tient le mont envoyé 
Sur son dos foudroyé, 
Et m'en eust en donnant 
Brusié le cœur amant , 
Comme (flâme indiscrette) 
A la roine de Crète , 
Encor ne m'auroit tant 



464 Odes 

Bnislé , sa flàme estant 
Reprise en son flambeau , 
Que ton visage beau , 
Que ta bouche qui semble 
Roses et lis ensemble, 
Que tes noirs yeux lascifs, 
Armez d'archiers sourcis , 
Qui mille flesches tirent 
Dans les miens , qui se mirent 
En ta face , 6 pucelle , 
Me plaisant plus que celle 
Qui , desdaignant Tithon , 
Au matin le voit-on 
Peindre de mille roses 
Ses barrières descloses. 



Si 



DE FEU LAZARE DE BAIF. 
A Calliope. (1550.) 

i les Dieux 
* Larmes d'yeux 
Versent pour la mort d'un homme , 

Acesteheure, 

pieiix, qu'on pleure, 
Et qu'en dueil on se consomme 1 

Qilliope, 

Et Utrope, 
Ba!f chantez en voix telle 

Que sa gloire 

Par mémoire 
Soit saintement immortelle. 

En maint tour, 

A l'entour 
Du cercueil croisse l'hierre. 

Nuit et jour 

Sans se]Our, 



RETRANCHÉES. 465 



A rignorance. il eut guerre. 
L^xcellence 
De la France 

Mourut en Budé première, 
Et encores 
Morte est ores 

Des Muses l'autre lumière. 



A JOACHIM DU BELLAY ANGEVIN. (1550.) 

Si les âmes vagabondes 
Aux enfers des pères vieux , 

Après avoir beu les ondes 

Du doux fleuve oblivieux , 

Desdaignans Tobscur séjour, 
Pleines d'amour de la vie première 
Reviennent voir de nos cieux la lumière , 

Et le clair de nostre jour; 

Si ce qu'a dit Pythagore 

Pour vray l'on veut estimer, 

L'ame de Pétrarque encore 

T'est venue r'animer; 

L'expérience est pour moy, 
Veu que son livre antiq' tu ne leus oncques , 
Et tu escris ainsi comme luy ; donques 

Le mesme esprit est en toy. 

Une Laure plus heureuse 

Te soit un nouveau soucy, 

Et que ta plume amoureuse 

Engrave à son tour aussi , 

Des amoureux le doux bien ^ 
A celle fin que nostre siècle encore, 
Comme le vieil . en te lisant t'honore 

Pour gaster l'encre si bien. 

Rotuard. — n. 30 



466 Odes 

D'une nuit oblivieuse 

Pourquoy tes vers caches-tu ? 

La lumière est envieuse 

S'on luy celé la vertu ; 

Par un labeur glorieux 
Ont surmonté les fureurs poétiques 
Du vieil Homère et des autres antiques 

Les siècles injurieux. 



D'UN ROSSIGNOL ABUSÉ. (1550.) 

En may, lors que les rivières 
Des-enflent leurs ondes fieres 
De la nége de Thyver, 
Et que Ton voit arriver 
Le beau signe qui r'assembL 
Les amoureux joints ensemble , 
Duquel la clarté naissant , 
Sur un bateau périssant , 
Le vent se couche , et la mer . 
Rengorge son flot amer, 
Le mannier soucieux 
Prenant un front plus joyeux. 
Donc , au retour de ce temps 
Que tout rit sous le printemps , 
Le rossignol passager 
Estoit venu r assiéger 
Sa forteresse ramée , 
De son caquet animée ; 
Là , soit qu'il voulust chanter 
Amour ou le lamenter, 
S'assit , si l'antiquité 
Chenue dit vérité , 
Sur un buis, dont s'escartoit 



RETRANCHÉES. 467 

Un ruisseau qui clair partoit, 
Chantant de voix si sereine , 
Si gave , si souveraine , 
Que les chesnes bien oyants , 
Et les pins en bas ployants 
Leurs oreilles pour l'ouyr 
S'en voulurent resjouyr. 
Geste nymphe sonoreuse 
Du fier entant amoureuse , 
Jusqu'au ciel le chant rapporte, 
Redoublant la voix de sorte 
Que les rochers d'eaux lavez 
Et leurs pieds d'elle cavez , 
Le ciel feirent assez seur 
De la champestre douceur. 
Mais luy, qui escoute un son 
Tout semblable à sa chanson , 
Puis voyant son ombre vaine 
Remirée en sa fontaine , 
Pense que son ombre estoit 
Un oiseau qui mieux chantoit. 
Amour de gloire obstinée 
Avec toute beste née , 
Voulant demeurer le maistre 
Et de soy le vainqueur estre , 
Plus haut que devant il sonne , 
Plus haut le bois en resonne. 
Il dit et chante comment 
Il fut tesmoin du tourment 
Que la jalouse receut 
Sous feint nom qui la deceut ; 
Et comme le chevalier 
Au javelot singulier 
Se pasma dessus la face 
Que desja la mort efface , 
Appellant plustost les dieux 
Et les astres odieux, 
Plustost avecque grands cris 



468 Odes 

Comblant Tair de sa Procris, 
Despitoit le nom semblable , 
Et le vent du fait coulpable. 
Il vouloit encore dire 
De Clytie le martire , 
Lon que les nymphes des bois , 
D'aise ne tenant leurs vois, 
A se mocquer commencèrent , 
Et le mocquant l'offensèrent. 
Luy, qui a bien apperceu , 
Les oyant , qu'il est deceu , 
Teignit, tant ire le donte, 
Ses joues d'honneste honte; 
Si que , rompant viste en Pair, 
Le vuide par son voler, 
Tellement se disparut, 
Qu'onques puis il n'apparut. 
Qui est mieux semblaole à toy, 
Petit rossignol, que moy? 
Tous deux des nymphes ensemble 
Sommes trompez , ce me semble ^ 
Toy de ton chant , moy du mien : 
Ainsi nous nuit nostre bien. 
Car vers , ne chansons escf ites , 
Ne rimes , tant soient bien dites, 
N'ont rompu la cruauté 
D'une de qui la beauté 
Me lime jus(^ues au fond 
Le cœur, qui en flammes fond. 
Mais , ô déesse dorée , 
Des beaux amans adorée, 
Livre-la-moy ouelgue jour 
Dedans un ht à séjour, 
Aiin qu'ell' me baise et touche, 
Qu'ell' me mette dans la bouche 
Je ne sçay quoy, dont Envié 
Ait despit toute sa vie ; 
Qu'eir me serre , qu'ell' m*enGhesne 



RETRANCHÉES. 469 

(Comme un lierre le chesne , 
Ou la vigne les ormeaux) 
Mon col de ses bras jumeaux. 



A GASPAR D»AUVERGNE. (1550.) 

Çy ue tardes-tu ^ veu que les Muses 
^V^T^'^nt eslargi tant de sçavoir, 
Que plus souvent tu ne t'amuses 
A les chanter, et que tu n'uses 
De Part qu'elles t'ont fait recevoir ? 
Tu as le temps qu'il faut avoir, 
Repos d'esprit et patience , 
Doux instrument Je la sci&nce ; 
Et toutefois l'heure s'enfuit 
D'un pied léger et diligent , 
Sans que ton esprit négligent 
Face apparoistre de son fruit. 

On ne voit champ , tant soit fertil , 
S'il n'est poitry du labourage , 
Qu'à la fin ne vienne inutil , 
Voire ^ et le champ joignant ful-il 
Du Nil l'égyptien rivage. 
Tant soit un cheval de courage , 
Et coustumier à surmonter, 
S'on est long-temps sans y monter 
Il devient rosse et fort en bride ; 
Ainsi des Muses l'escrivain , 
S'il les délaisse , helas ! en vain 
Il les invoque après pour guide. 

L'orfèvre de tenir n'a honte 
Les instrumens de son mestier, 
Son plaisir sa peine surmonte , 
Tellement qu'il feroit grand conte 
Estre oisif un jour tout entier ; 



■■ 



470 Odes 

Ton art le passe d'un quartier. 
Quoi ! voire du tout, ce me semble ; 
Toutefois , encre et pbme ensemble 
Tu crains , paresseux à toucher. 
D'oresnavant escry , compose : 
La louange pour peu de chose 
S'achette , et qu 'est-il rien plus cher } 

Mainte ville jadis puissante 
Est ores morte avec son nom , 
Ensevelie et languissante , 
Et Troye est encor florissante , 
Comme un beau printemps en renom ; 
Bien d'autres rois qu'Agamemnon 
Ont fait reluire leur vertu ; 
Et si sont morts , car ils n'ont eu 
Un Homère, qui mieux qu'en cuivre, 
En médaille , en bronze ou tableau , 
Les eust arrachez du tombeau , 
Faisant leur nom vivre et revivre. 



CHANT DE FOLIE A BACCHUS. (1550.) 

Délaisse les peuples vaincus 
Qui sont sous le lit de l'Aurore , 
Et la ville qui , ô Bacchus , 
Cérémonieuse t'adore. 

De tes tigres tourne la bride 
En France, où tu es invocjué, 
Et par l'air ton chariot guide , 
Dessus en pompe colloque. 

Que ceste feste ne se face 
Sans t'y trouver, père joyeux, 
C'est de ton nom la dédicace, 
Et le jour où l'on rit le mieux. 



RETRANCHÉES. 47 1 

Voy-le-ci , je le sen venir, 
Et mon cœur estonné ne peut 
Sa grand' divinité tenir, 
Tant elle Pagite et Pesmeut. 

Quels sont ces rochers où je vais 
Léger d'esprit? Quel est ce fleuve, 
Quels sont ces antres et ces bois 
Où seul , esgaré , je me treuve ? 

J'entens le bruir-e des cymbales 
Et les champs sonner : Evohé ! 
J'oy la rage des bacchanales 
Et le son du cor enroué. 

Icy le chancelant Silène, 
Sus un asne tardif monté, 
Les inconstans Satyres mené. 
Qui le soustiennent d'un costé. 

Qu'on boute du vin en la tasse, 
Sommelier! qu'on en verse tant 
Qu'il se respande dans la place I 
Qu'on mange, qu'on boive d'autant! 

Amoureux, menez vos aimées, 
Ballez et dansez sans séjour; 
Que les torches soient allumées 
Jusques à la pointe du jour. 

Sus, sus, mignons, aux confitures! 
Le cotignac vous semble bon ; 
Vous n'avez les dents assez dures 
Pour faire peur à ce jambon. 

Amis, à force de bien boire , 
Repoussez de vous le soucy; 
Que jamais plus n'en soit mémoire. 
Là doncques, faites tous ainsi. 

Helas ! aue c'est un doux tourment 
Suivre ce dieu qui environne 
Son chef de vigne et de sarment 
Eu livu J« ••<%yai]fx cQuroune. 



472 Odes. 



PALINODIE A DENISE (1550). 

Telle fin que tu voudras mettre 
Au premier courroux de mon mètre 
Contre toy tant irrité, 
Mets-la luj' soit que tu le noies (a), 
Que tu Peffaces ou Penvoyes 
Au feu qu'il a mérité. 

La grande Cybele insensée 
N'esbranle pas tant la pensée 
De ses ministres chastres furieux , 
Non Bacchus, non Phœbus ensemble , 
Le cœur de leur prestre , qui tremble 
Les sentant venir des cieux , 

Comme Tire, quand elle enflâme 
De sa rage le fond de Tame 

Qui ne s'espou vante pas 
Non d'un couteau , non d'un naufrage , 
Non d'un tyran , non d'un orage 

Que le ciel darde çà bas. 

De chaque beste Promethéc 
A quelque partie adjoustée 

En ITiomme, et, d'art curieux, 
D'un doux aigneau fit son visage , 
Trempant son cœur dans le courage 

De quelque lyon furieux. 

Le courroux a rué par terre 

Var. (1560) : 

Telle fin maintenant soit mise 
Que tu voudras au vers, Dms^ 

Qui, malin, ^xtcspttf 

Ton cœur, on soit que tu le noyés. 



RETRANCHÉES. 47^ 

Thyeste ; il cause que la guerre 

Renverse mainte cité^ 
Et que le vainqueur qui s'y rue 
Enflamme la captive rue 

D'un feu contre elle irrité {a). 

Jamais l'humaine conjecture 
N'a preveu la chose future, 

Et l'œil trop ardent de voir 
Le temps futur, qui ne nous touche , 
En son avis demeure louche. 

Qui le futur peut sçavoir ? 

Las ! si j'eusse preveu la peine 
Dont maintenant ma vie est pleine , 

Je n'eusse jamais laschè 
Une ode d'erreur si tachée, 
De laquelle , t'ayant fâchée , 

Moi-même je suis fâché. 

Ores , ores , je voy ma faute ; 
Je coçnois combien elle est haute, 

Et )e tends les mains afin 
Que ta sorceliere science, 
Dont tu as tant d'expérience , 

•Ne mette mes jours à fin. 

Je te suppli'. par Proserpine 
(De Pluton la douce rapine). 

Que courroucer il ne faut , 
Et par les livres qui esmeuvent 
Les astres charmez , et les peuvent 

Faire dévaler d'enhaut , 

a. Var. (ij6o) : 

Toujours Vire cause la guerre ; 
La seule ire a rué par terre 

Le muramohionien. 
Voire et fit qu après dix ans Troye 
'{Hector ja tué) fut la proye 

Du grand roy mycénien. 



474 Odes 

Reçoy mes misérables larmes 
Et me deslie de tes charmes, 

Espouventable labeur. 
Destourne ton rouet , et ores 
Deschante les vers qui encores 

M^accablent d'une grand'peur. 

Telephe, prince de Mysie, 
Peut bien fléchir la fantasie 

D'Achil pour le secourir, 
Lors que sa lance pelienne, 
En la mesme plave ancienne, 

Repassa pour le guarir. 

D'Ulysse la peineuse troupe, 
Reboivant de Circé la coupe, 

Laissa des porcs le troupeau , 
Et luy rougit dedans la face 
L'honneur et la première grâce 

De son visage plus beau. 

Assez et trop, helas! j'endure! 
Assez et trop ma peine est dure ! 

Mon corps , par tes eaux souillé , 
EfFace sa couleur de roses. 
Et mes veines ne sont encloses 

Que d'un sac palle et rouillé. 

Ma teste, de tes onguents teinte, 
Plus blanche qu'un cygne s'est peinte. 

Le lict me semble espineux^ 
L'aube me semble une serée; 
Plus ne m'est douce Cytherée, 

Ny le gobelet vineux. 

Appaise ta voix marsienne. 
Et fay que l'amour ancienne 

Nous reglue ensemble mieux; 
De moy ta colère repousse , 
Et lors tu me seras plus douce 

Que la clarté de mes yeux. 



RETRANCHÉES. 475 



Ode (1560). 

Mon petit bouquet, mon mignon. 
Qui m'es plus fidel compagnon 
Qu'Oreste ne fut à Pylade , 
Tout le jour, quand je suis malade , 
Mes valets, qui , pour leur devoir, 
Le soin de moy devroient avoir. 
Vont à leur plaisir par la ville , 
Et ma vieille garde inutile , 
Après avoir largement beu , 
Yvre , s*endort auprès du feu 
A l'heure qu'elle deust me dire 
Des contes pour me faire rire. 

Mais toy, petit bouquet, mais toy. 
Ayant pitié cfe mon esmoy. 
Jamais le jour tu ne me laisses 
Seul compagnon de mes tristesses. 

Que ne puis-ie autant que les dieux ? 
Je t'envoirois là haut, aux ci eux. 
Fait d'un bouquet un astre insigne ^ 
Et te mettrois auprès du signe 
Que Bacchus dans le ciel posa 
Quand Ariadne il espousa. 
Qui seule lamentoit sa perte 
Au pied d'une rive déserte. 



Ode C1560). 

Pipe des ruses d'Amour, 
Je me promenois un jour 
Devant l'huis de ma cruelle , 
Et tant rebuté j*estois 
Qu'en jurant je promettois 
De ne rentrer plus chez eUe. 



476 Odes 

« Il suffit d'avoir esté 
Neuf ou dix ans arresté 
Es cordes d'Amour, disoye ; 
Il faut m'en déveloper, 
Ou bien du tout les couper, 
Afin que libre Je so^e. » 

Et pour ce faire )e pris 
Une dague que je mis 
^ Bien avant dedans la lesse , 
Et son nœud j'eusse brisé 
Si lors je n'eusse avisé 
Devant l'huis une déesse. 

Mais, incontinent que j'en 
Son corps gamy d'aisies veu , 
\ Sa robe et sa contenance , 
^ Et son roquet retroussé , 
Incontinent je pensé 
Que c'estoit dame Espérance. 

Je m'approche ; elle me prit 
Par la main dextre et me ait : 

Espérance. 

a Où vas-tu , pauvre poète ? 
Tu auras avec le temps 
Tout le bien que tu pretens 
Et ce que ton cœur souhète. 

Ta maistresse avoit raison 
De tenir quelque saison 
Rigueur à ta longue peine ; 
Elle le faisoit exprès^ 
Pour au vray cognoistre après 
Ton cœur et ta loy certaine. 

Mais ores qu'elle sçait bien , 
Par seure espreuve , combien 
Ta loyale amitié dure, 
D'elle-mesme te pri'ra, 
Et bénigne guarira 
Le mal que ton cœur endure. » 



retranchées. 477 

Ronsard. 

Alors je luy respondis : 
« Et qu'est-ce que tu me dis ? 
Veux-tu r'abuser ma vie ? 
Après me voir éschappé 
De celle qui m*a trompé 
Veux-tu que je m'y refie ? 

Dix ans sont que je la suis y 
Et que pour elle je suis 
Comme une personne morte ; 
Mais en lieu de luy ployer 
Son orgueil , pour tout loyer 
Je muse encor à sa porte. 

Non non , il vaut mieux mourir 
Tout d'un coup que de périr 
En langueur par tant d années ; 
Ores je veux de ma main 
Me tuer, pour voir soudain 
Toutes mes douleurs finées. » 

ESPERANCE. 

« Ah ! qu'il te feroit bon voir 
De tomber en desespoir, 
Quand l'espérance te guide I 
Laisse, laisse ton esmoy, 
Laisse ta dague, et suy-moy 
Là haut chez ton homicide. ^ 

Disant ces mots , je suivy 
Ses pas , autant que je vy. 
Dans la chambre de Cassandre. 

ESPERANCE parle à Cassandre . 

« Tien, dit l'Esperâhce, tîen: 
Tout exprès icy je vién ■ 
Pour ton fugitif te rendre. 
Il t'a servi longuement, 
C'est raison quê^ doucement 



478 Odes 

Ses angoisses tu luy ostes ; 
Il te faut bien le traitter, 
Craignant ce grand Jupiter, 
Puis qu*il est Tun de tes hostes. » 

Ronsard parle à Cassandre, 

A-tant elle s'eslança 
Dans le ciel , et me laissa 
Seul en ta chambre , m'amie. 
Là doncque , par amitié , 
Là , maistresse , pren pitié 
De ton hoste qui te prie. 

Si j'ay quelque mal chez toy, 
Jupiter, le juste roy, 
Foudroyra ta chère teste : 
Car il garde ceux qui sont 
Hostes , et tous ceux qui font 
En misère une requeste. 



Ode pour Amadis Jamyn, 
. Sur sa traduction d Homère ( i ). 

Homère , il suffisoit assez 
D*avoir en Grèce , aux temps passez , 
Fait combattre pour toy sept villes, 
Sans qu'ores nos Gaules fertilles, 
Pour se vanter de ton berceau 
Refissent un combat nouveau. 
En toy Jupiter transformé 
Composa Touvrage estimé 
De riliade et l'Odyssée , 
Et tu as ton ame passée 

I . En tête de la traduction des treize derniers UVres de 
J'iliade par A. Jamyn, Paris, L'Angelier, 1584, iii-12. 



RETRANCHÉES. 479 

En Jamyn, pour interpréter 
Les vers qu'en toy fit Jupiter. 

C'est afin qu'en lieu de Grégeois 
Tu fusses appelé François , 
Et qu'on revist la mesme noise 
Pour toy en la terre gauloise 
Qu'en Grèce en sept villes tu fis , 
Qui toutes t'avouoient leur fils. 

Tous deux en un corps n'estes qu'un , 
Le ciel vous est père commun , 
Vous n'estes ouvrage de terre ; 
La terre que la mer enserre , 
Aux membres grossiers et pesans, 
N'engendre pomt de tels enfans. 

Ou si la terre vous conceut, 
Fut sur Parnasse, qui receut 
La part au giron de ses Muses 
Allaictant des liqueurs infuses 
Du nectar vos membres petits , 
Entre les roses et les lis. 

Mais la terre ne peut avoir 
Cet honneur de vous concevoir : 
Nature , de gros germe pleine , 
Vous parturoit à toute peine ; 
Depuis , vous aymant par sus tous 
N'a daigné faire autre que vous. 

Toute en vous deux elle se voit ; 
Ce qu'aux autres elle devoit , 
Elle l'a mis d'un soin de mère 
En son Jamyn, en son Homère, 
Vous faisant , comme deux soleils , 
Patrons des Muses sans pareils. 

Mille Romains, pour haut voler, 
Ont voulu ton vol égaler, 
Mais pour néant , car l'artifice , 
Au prix de la nature est vice , 
Restant à la, postérité , 
Adorable , et non imité. 



480 Odes 

Heureux le brazier d'Ilion ! 
Heureuse Troye ! un miiion 
De villes riches et peuplées 
Voudroient ainsi estre bruslées, 
Prenant à plaisir et à jeu 
Qu'Homère y eust jette le feu. 

La riche pompe de tes vers 
Ressemble à des joyaux divers , 
Diamans, rubis , chrysolithes , 
Où toutes clartez sont eslites , 
Luisantes comme astres des cieux, 
Aussi tu es poète des Dieux. 

Le plus admirable de toy. 
Et le plus divin , c'est dequoy 
Tu as poussé toutes les guerres 
De Grèce aux estraogeres terres , 
Et n'as souffert qu'un Argien 
Fust meurtrier d un Achaïen. 

Mais en faisant outre la mer 
Contre Ilion la Grèce armer, 
Tu as des barbares provinces , 
Orné la gloire de tes princes , 
Eslevant d'un superbe front 
Leurs victoires sur l'Hellespont. 

Çà, las! je nesçaurois mon nom 
Honorer aujourd'huy, sinon 
Qu'en chantant les guerres civiles , 
ÊTle feu qui brusle nos villes; 
Dieux qui présidez aux dangers , 
Portez ce mal aux estrangers, 

Et faites que nostre bon roy, 
Et nostre bonne antique loy, 
Toujours immuable^ demeurent; 
Que les guerres civiles meurent, 
Et qu'en la France pour jamais 
Florisse une étemelle paix l 



RETRANCHÉES. 4^1 



* A LA ROYNE D'ESCOSSE 
Pour lors Royne de France. 

Ode(is67)[i]. 

O belle , plus que belle et agréable Aurore, 
Qui avez délaissé vostre terre escossoise 
Pour venir habiter la réjgion françoise , 
Qui de vostre clarté maintenant se décore! 

Si j*ay eu cest honneur d'avoir quitté la France, 
Voguant dessus la mer pour suy vre vostre père , 
Si , loing de mon pays , de frères et de mère , 
J'ay dans le vostre usé trois ans de mon enfance, 

Prenez ces vers en gré, Royne, que je vous donne. 
Pour fuyr d*un ingrat le misérable vice , 
D'autant que je suis né pour faire humble service 
A vous, à vostre race et â vostre couronne. 



A DIANE DE POITIERS 
Duchesse de Valentinois. 

Ode (1567).. 

fj' uand je voudrois célébrer ton renom, 
^V*«Jc ne dirois que Diane est ton nom; 
Car on feroit , sans se travailler guère , 
De ton nom seul une Iliade entière. 

I. Elle se retrouve dans rèdîtion in- 12 de Lyon, Soo- 
bion ,1593, â la suite des Mascarades. 

* Les odes qui suivent ne font pas partie du volume dfis 
pièces retranchées. Je les ai recueillies dans les éditions ori- 
ginales, P. B«- 

Ronsard, '—II. 31 



4^2 Odes 

Mais recherchant tes honneurs dé plus loin, 
Je chanterois , animé d'un beau soin , 
Tes vieux ayeux chevalereux en guerre , 
Qui ont porté le sceptre en mainte terre, 
Enfants de roys ou de roys héritiers. . 
Je chanteroys le beau sang de Poitiers 
Venu du ciel j et la race divine 
Que Remondm conçeut de Melusine. 
Je chanteroys comme, Tun de leurs filz 
Au bord du Clain dormant , luy fust avis 
Que hors de Teau le petit Dieu de Tonde 
JusQues au col tiroit sa teste blonde, 
L'admonestant d'aller en Dauphiné. 

Et luy disoit : « Enfant prédestiné 
Pour commander à plus naute rivière , 
Laisse mes bords ; cherche la rive fière 
Du large Rhosne , et poursuy ton destin 
Qui conduira ta voye à bonne fin , 
Car jà le ciel pour jamais à ta race 
Aux bords du Rhosne a destiné ta place. » 
Il luy conta quels seigneurs et quels roys 
Naistroient de luy, et en combien d'endroits, 
Soit d'Italie ou d'Espagne , ou de France , 
Tiendroient le sceptre en longue obéissance. 
Il luy chanta ses hoirs de point en point, 
Ceux qui mourroient , ceux qui ne mourroient point 
Ains que régner, et combien de princesses 
Viendroient de luy, de ducs et de duchesses; 
Mais parsus tous ce fleuve luy chantoit 
D'une Diane, et jurant promettoit 

gii'ell' passeroit en chasteté Lucrèce 
t en beauté ceste Hélène de Grèce, 
Qu'elle prendroit d'un seul traict de ses yeux 
Les cœurs ravis des hommes et des Dieux, 
Et qu'à jamais ses fameuses louanges 
Iroient volant par les terres estranges. 

Disant ainsy le fleuve dévala 



RETRANCHÉES. 4^5 

Son chef dans Teau . et Tenfant s'en alla 
Tout bouillonnant d'affection nouvelle 
D'estre Tayeul d'une race si belle. 

Je chanterois encore ta bonté. 
Ton port divin, ta grâce, ta oeauté; 
Comme tousjours ta vertueuse vie 
A repoussé par sa vertu l'envie. 

Je chanterois vers l'Eglise ta foy ; 
Comme tu es la parente du roy, 
Qui te cherist comme une dame saige, 
De bon conseil et de gentil couraige , 
Grave, benine,' aymant les bons esprits 
Et ne mettant les Muses à mespris. 

Je chanterois d'Anet les édifices, 
Thermes, piliers, chapitaux, frontispices, 
Voûtes , lambris , cannelures ; et non , 
Comme plusieurs, les fables de ton nom. 
Et te louant je chanteroy peut-estre 
Si haultement que ce grand roy, mon maistre. 
En ta faveur auroit l'ouvrage à gré. 
Que je t'aurois humblement consacré. 



DIALOGUE DES MUSES ET DE RONSARD. 

(1567.) 



Ronsard. 



P 



our avoir trop aymé vostre bande inégale, 
Muses , qui défiez (ce dites vous) les temps , 
J'ay les yeux tout battus, la face toute pasle, 
Le chef grison et chauve , et je n'ay que trente ans. 



4*4 



Odes 



Muses. 



Au nocher qui sans cesse erre sur la marine 
Le teint noir appartient; le soldat n'est point beau 
Sans estre tout poudreux ; qui courbe la poitrine 
Sur nos livres, est laid s'il n'a pasle la peau. 

Ronsard. 

Mais quelle recompense aurois-je de tant suivre 
Vos danses nuict et jour, un laurier sur le front ? 
Et cependant les ans aux quels je deusse vivre 
En plaisirs et en jeux comme poudre s'en vont. 

Muses. 

Vous aurez , en vivant , une fameuse gloire , 
Puis, quand vous serez mort, votre nom fleurira. 
L'âge , de siècle en siècle , aura de vous mémoire ; 
Vostre corps seulement au tombeau pourrira. 

Ronsard. 

O le gentil loyer! Que sert au vieil Homère, 
Ores qu'il n'est plus rien, sous la tombe, là bas, 
Et qu'il n'a plus ny chef, ny bras, ny jambe entière, 
Si son renom fleurist, ou s'il ne fleurist pas! 

Muses. 

Vous estes abusé. Le corps dessous la lame 
Pourry ne sent plus rien, aussy ne luv en chaut. 
Mais un tel accident n'arrive point à 1 ame, 
Qui sans matière vist immortelle là haut. 

Ronsard. 
Bien! je vous suyvray donc d'une face plaisante, 



RETRANCHÉES. 48$ 

Deassé-je trespasser de l'estude vaincu , 
Et ne fust-Kre qu'à fin que la race suyvante 
Ne me reproche point qu'oysif j*aye vescu. 



Muses. 



Vela saigement dit. Ceux dont la fantaisie 
Sera religieuse et dévote envers Dieu 
Tousjours achèveront quelque grand'poésie , 
Et dessus leur renom la Parque n'aura lieu. 



Ode (1567). 

Si tost , ma doucette Ysabeau , 
Que l'aube , à tes yeux ressemblable 
Aura chassé hors de 1 estabie 
Parmy les champs nostre troupeau , 

Au marché porter il me faut 
(Ma mère Jeanne m'y envoyé) 
Nostre grand cochon et nostre oye , 
Qui le matin crioit si haut. 

Tu veux que j'achette pour toy 
Une ceinture verdelette 
Et une bague joliette , 
Pour en orner ton petit doy. 

Tu veux l'epingher de velours 
Et une bourse toute telle 
Qu'a Toinon la sœur de Michelle, 
Qui vient aux champs avecque nous. 

Bien ; à mon retour du marché 
Tu les auras , pourveu , bergère , 
Qu'au premier somme de ta mère, 
Quand je mastin sera couché , 

Tu viennes quérir tes présents 



486 Odes 

Dessous la coudre où je t'attends. 
Tu sçais oh elle est , mignoiiette. 
Mais vien, mon cœur, toute seulette: 



ODELETTE (1560). 

Tay-toy, babillarde arondelle, 
Ou bien je plumeray ton aile, 
Si je t'empoigne , et d'un cousteau 
Je te couperay ta languette, 
Qui matin sans repos caquette , 
Et m'estourdit tout le cerveau. 

Je te preste ma cheminée 
Pour chanter, toute la journée , 
De soir, de nuict , quand tu voudras ; 
Mais au matin ne me resveille 
Et ne m'oste , quand je sommeille , 
Ma Cassandre d'entre les bras. 



LE BAISER DE CASSANDRE. 



Ode (i$$o). 



X 



Baiser, fils de deux lèvres closes , 
Filles de deux boutons de roses , 
Qui serrent et ouvrent le ris 
Qui déride les plus marris ; 

Baiser ambroisin, que j'adore 
Comme ma vie, et dont encore 
Je sen en ma bouche, souvent, 
Plus d*un jour après le doux vent; 
Baiser qui fais que l'amant meure 



RETRANCHÉES. 487 

Puis qu*il revive tout à Pheure, 
Ressouflant Tame qui pendoit 
Aux lèvres où ell' t attendoit; 

Bouche d'aumône toute pleine , 
Qui m'engendre de ton haleine 
Un pré de fleurs à chaoue part 
Où ta flairante odteur s'epart; 

Et vous , mes petites montaignes , 
Je parle i vous , lèvres compaignes , 
Dont le coral naïf et franc 
Cache deux rangs d'ivoire blanc , 

Je vous suppli', n'ayez envie 
D'estre homicides de ma vie : 
Bouche , sans tes baisers je meurs , 
Car je vy d'eux, et non a'ailleurs. 



Ode (1560). 

L'un dit la prise des murailles 
De Thebe , et l'autre les batailles 
De Troye; mais j'ay entrepris 
De dire comme je lus pris. 

Ni nef, piéton, ni cnevalier^ 
Ne m'ont point rendu prisonnier. 
Qui donc a perdu ma franchise ? 
Un nouveau scadron furieux 
D'amoureaux , armé des beaux yeux 
De ma Dame, a causé ma prise. 



FIN DU TOUS SBCOND. 



4iS8 




TABLE DES MATIÈRES 



CONTENUES DANS CB VOLUME. 



Lis Odes de P. de Ronsard. 

Au lecteur 7 

Préface mis au devant de la première impression des 

Odes 9 

Advertissement au lecteur 14 

Au Roy Henri II de ce nom ■', 19 

Le premier Livre des Odes 2^ 

Le second Livre des Odes. .... « 130 

Le troisiesme Livre des Odeis 172 

Le quatriesme Livre des Odes. , 240 

Le cinquiesme Livre des Odes. . 295 

Odes retranchées )8( 



FIN DE LA TABLE.