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k
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
RO N S A RD
Paris. Imprimé par Guiraudet et Jouaust, ;)8, rue S.~Honoré
tvec les caractère» elzeviriens de P. Jannbt.
/
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
7¥V/
p. DE RONSARD
Pnbliét tUT IM uxtt» k» plat uciem
AVEC LES VARIANTES ET DES NOTES
M. PROSPBR BLANCHBHAIN
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLVll
LES ODES
DB
P. DE RONSARD
Gentilhomme vendomois.
Le Commentaire de N. Richelet, Parisien, sur
les Odes, est dédié à M. Achilles de Harlay,
chevalier, conseiller du Roy en ses Conseils
d'Estat et privé, premier président en sa Cour
de Parlement.
AU LECTEUR »•
u dois sçavoir que toute sorte de poésie
a l'argument propre et convenable à son
suject : l'héroïque y armes, assaults de
villes> batailles, escarmouches, conseils
et discours de capitaines ; la satyrique, brocards
et reprehensions de vices ; la tragique, morts et
misérables accidents des princes ; la comique ,
la licence effrénée de la jeunesse , les ruses des
courtizannes, avarice de vieillards, tromperie de
valets ; la lyrique , l'amour, le vin , les banquets
dissolus, les danses, masques, chevaux victo-
rieux, escrime, joustcs et tournois, et peu sou-
vent quelque argument de philosophie. Pour ce,
lecteur, si tu vois telles matières librement escri-
tes, et plusieurs fois redites en ces Odes >, tu ne
1. Cet avertissement, qui ne se trouve que dans les édi-
tions posthumes, est de Ronsard , ainsi que les vers et argu-
ments qu'il a mis en tète des mascarades, élégies, etc. , pour en
définir le genre.
2. Le mot od€ en fxançois est de Tinvention de Ronsard.
8 Au Lbcteur.
t'en dois esmerveiller, mais lousjours te souvenir
des vers d'Horace en son Art poétique :
Musa dédit fidibus Divos puerasque Dconim,
El pugilem vietorem , et equum certamine primum-,
Et juvenum curas, et libéra vina referTe(0.
Ronsard,
1. J'ai suivi, pour le teiie des Odw comme pour celui
des Amours , l'édition princeps du ceuvres de Roniard, don-
née pat lui eu i |6a, en y ajotitint les variâmes imporUDtes
fournies par les autrei édiiiotu. Let yen retranchés depuis
onlélé, pour plus de clarté, reofermis entre deux nochets[].
Les odes posiérieuies i. l'éd. de i|6o partent la date de
l'éditionoùjelesairencontiéespour lapremiéielbis. (P. B.)
PREFACE»
Mis au devant de la première impression des Odes.
AU LECTEUR.
i les hommes, tant des siècles passez que
du nostre, ont mérité quelque louange pour
avoir picqué diligentement après les traces
^__ de ceux qui, courant par la carrière de
leurs inventions, ont de bien loin franchi la borne,
combien d'avantage doit-on vanter le coureur qui,
galopant librement par les campagnes attiques et ro-
maines, osa tracer un sentier incognu pour aller à
l'immortalité.^ Non que je soy, lecteur, si gourmand
de gloire ou tant tourmenté d'ambitieuse présomption
que je te vueil forcer de me bailler ce que le temps
peut-estre me donnera (tant s'en faut que c'est la
moindre affection que j'aye de me voir pour si peu de
frivoles jeunesses estimé); mais, quand tu m'appelleras
le premier auteur lyrique françois et celuy qui a guidé
les autres au chemin de si honneste labeur, lors tu
me rendras ce que tu me dois, et je m'efforcerav te
faire apprendre qu'en vain je ne l'auray receu. bien
que la jeunesse soit tousjours eslongnée de toute stu-
I . Préface étoit alors du masculin. Cette pièce et la sui-
vante, qui datent de 1(50, éliminées en 1(60, se retrou-
vent dans les Pièces retranchées, Edition de 1617.
io Epistrb
dieuse occupation pour ]es plaisirs volontaires qui la
maistrisent . si est-ce que des mon enfance j'ay tous^
jours estime i'estude des bonnes lettres l'heureuse fé-
licité de la vie , et sans laquelle on doit désespérer de
pouvoir jamais atteindre au comble du parfait con-
tentement. Donques, désirant par elle m'approprier
quelque louange encçres non commune , ny attrapée
par mes devanciers, etbe voyant en nos poètes fran-
çois chose qui fust suffisante d'imiter, j'allay voir les
estrangers, et me rendy familier d'Horace, contrefai-
sant sa naïve douceur, dés le mesme temps que Clé-
ment Marot (seule lumière en ses ans de la vulgaire
poésie) se travailloit à la poursuite de son psautier,
et osay le premier des nostres enrichir ma langue de
ce nom. Ode, comme l'on peut voir par le titre d'une
imprimée sous mon nom dedans le livre de Jacques
Pejetier, du Mans , l'un des plus excellens poètes de
no^stre âge , à fin que nul ne s'attribue ce que la vé-
rité commande estre à mov. Il est certain que telle
ode est imparfaite pour n estre mesurée ne propre à
la lyre, ainsi que 1 ode le requiert, comme sont en-
core douze ou treize que j'ay mises en mon Bocage,
sous autre nom que d'odes, pour ceste mesme raison,
servans de tesmoignage par ce vice à leur antiquité.
Depuis . ayant fait quelques uns de mes amis parti-
cipans ae telles nouvelles inventions, approuvans mon
entreprise, se sont diligentez de faire apparoistre com>
bien nostre France est hardie et pleine de tout ver-
tueux labeur ; laquelle chose m'est agréable, pour voir
par mon moyen les vieux lyriques si heureusement
ressuscitez. Tu jugeras incontinent, lecteur^ que je
suis un vanteur et glouton de louange ; mais, si tu veux
entendre le vray, je m'asseure tant de ton accoustu-
mée honnesteté que non seulement tu me favoriseras,
mais aussi, quand tu liras quelques traits de mes vers
qui se pourroient trouver dans !es œuvres d'autruy, in-
considérément tu ne me diras imitateur de leur escrits ;
car l'imitation des nostres m'est tant odieuse (d'au-
AU Lecteur. 1 1
tant que la langue est encores en son enfance) que
pour ceste raison je me suis esloigné d'eux , prenant
stile à part , sens à paît , œuvre à part , ne aesirant
avoir rien de commun avec une si monstrueuse er-
reur. Doncques , m'acheminant par un sentier inco-
cneu et monstrant le moyen de suivre Pindare et
Aorace, je puis bkn dire (et certes sans vanterie)
ce que luy-mesme modestement tesmoigne de luy :
Libéra per vacuum posui vestigia princeps , •
Non aliéna meo pressi pede.
Je fus maintes-fois , avecques prières , admonnesté de
mes amis faire imprimer ce mien petit labeur, et
maintes-fois Fay refusé , apprenant la sentence de
IRon sentencieux autheur,
Nonumque prematur \j\ annum ;
çt mesmement solicité par Joachim du Bellay, duquel
le jugement, l'estude oareille, ia longue fréquentation
et Tardent désir de reveillçr la poésie françoise, avant
npus foible et languissante (j'excepte tous jours Hc-
roët et Sceve et Sainct Gelais), nous a rendus pres-
que semblables d'espnt, d'inventions et de labeur. Je
ne te diray à présent que signifie strophe, antistrophe,
epode (laquelle est tousjours différente du strophe et
antistrophe de nombre ou de ryme); ne quelle estoit
^ la lire, ses coudes du ses cornes; aussi peu si Mer-
cure la soupçonna de l'escaille d'une tortue^ ou Poly-
pheme des cofnes.d'un cerf , le creux de la teste ser-
vant de concavité; résonnante; en quel honneur es-
toient jadis les poëteUyriques, comme ils accordoient
1^ guerres esneues rentre- les rcâS) et quelle somme
d'argent ils prenoicat pour louera tes hommes. Je tal-
ray Comme Pindare faisait dtantevle^ hyttines escris à
la. louance deajvafinquenrs Olympiehs, Pythiens, Ne-
Deans, Isthniiens^ Jerreserveîtout ce- discours à un
m^iHçur loisir; si je vpy que* teiks choses méritent
quelqiie brieve. exposition^ eene> me itn labeur de té
'l2 Epistre
les faire entendre, mais plaisir, t'asseurant que je
m'estimeray fortuné ayant fait diligence qui te soit
agréable. Je ne fais point de doute que ma poésie
tant variée ne semble fascheuse aux oreilles de nos ri-
meurs, et principalement des courtisans, qui n'admi-
rent C[u'un petit sonnet petrarquisé, ou quelque mi-
gnardise d'amour, qui continue tousjours en son pro-
pos; pour le moins, je m'asseure qu'ils ne me sçau-
roient accuser sans condamner premièrement Pindare,
autheur de telle copieuse diversité , et outre que c'est
la sauce à laquelle on doit gouster l'ode. Je suis de
ceste opinion aue nulle poésie ne se doit louer pour
accomplie si elle ne ressemble la nature , laquelle ne
fut estimée belle des anciens que pour estre incon-
stante et variable en ses perfections. Il ne faut aussi
que le volage lecteur me blasme de trop me louer :
car, s'il n'a autre argument pour médire que ce poinct
là ou mon orthographe , tant s'en faut que je prenne
^arde à tel ignorant que ce me sera plaisir de l'ouïr
japper et caqueter, ayant pour ma defence l'exemple
de tous les poètes grecs et latins. Et, pour parier
rondement , ces petits lecteurs poetastres , qui ont les
yeux si aigus à noter les frivoles fautes d autruy, le
blasmant pour un A mal escrit, pour une rime non
riche ou un poinct superflu, et bref, pour quelque lé-
gère faute survenue en l'impression, monstrent évi-
demment leur peu de jugement de s'attacher à ce oui
n'est rien, laissant couler les beaux mots sans les
louer ou admirer. Pour telle vermine de gens igno-
rantement envieuse ce petit labeur n'est publié , mais
pour les gentils esprits , ardans de la vertu et dédai-
gnans mordre comme les raastins la pierre qu'ils ne
peuvent digérer. Certes, je m'asseure que tels débon-
naires lecteurs ne me blâmeront , moy de me louer
quelquefois modestement , ny aussi de trop hautement
célébrer les honneurs des hommes favorisez par mes
vers : car, outre que ma boutique n'est chargée d'au-
tres drogues que de louanges et d'honneurs ^^c'est le
AU Lecteur. i^
vray but d'un poète lyrique de célébrer Jusques à
Textremité celuy au'il entreprend de louerjEt s'il ne
cognoist en luy criose qui soit digne de grande re-
commandation, il doit entrer dans sa race, et là cher-
cher quelqu'un de ses ayeux , jadis braves et vaillans ,
ou l'honorer par le tiltre de son païs ou de quelque
heureuse fortune survenue soit â luy, soit aux siens ,
ou par autres vagabondes digressions, industrieuse-
ment brouillant ores cecy, ores cela, et par l'un louant
l'autre , tellement aue tous deux se sentent d'une
mesme louange. Telles inventions encores te feray-je
voir dans mes autres livres, où tu pourras (si les muses
me favorisent comme j'espère) contempler de plus près
les sainctes conceptions de Pindare et ses admira-
bles inconstances, que le temps nous avoit si longue-
ment celées ; et ferav encores revenir (si je puis) l'usage
de la lyre, aujourd huy ressuscitée en Italie , laquelle
lyre seule doit et peut animer les vers et leur donner le
juste poids de leur gravité (')• N'affectant pour ce livre
icy aucun tiltre de réputation , lequel ne t'est lasché
que pour aller descouvrir ton jugement, à fin de t'en-
voyer après un meilleur combattant, au moins si
tu ne te fasches dequoy je me travaille à faire enten-
dre aux estrangers que nostre langue (ainsi que nous
les surpassons en prouesses, en toy et religion) de
bien loin deyanceroit la leur, si ces fameux sciama-
ches (a) d'au jourd'huy youloient prendre les armes pour
la défendre et victorieusement la pousser dans les
pals estrangers. Mais que doit-on espérer d'eux , les-
quels, estant parvenus plus par opinion peut-estre
que par raison, ne font trouver bon aux princes sinon
1. Ronsard chantoit ses odes et ses sonnets. Orlande,
Janequin, Goudmel, etc., les ont mises en chant. Il s'en
trouve de notés à la suite des Amours (1552) et dans les
recueils de musique du temps. (P. B.)
2. Sciamaches, gens qui combattent des ombres : de
^
14 ADVERTISSEllIBilT
ce qu'il leur plaist, et/ ne pouvans souffrir que la clarté
brusie leur ignorance, en mesdisant des labeurs d'au-
truy, déçoivent le naturel jugement des hommes abu-
sez par leurs mines? Tel fut jadis Bacchylide à l'en-
tour d'Hieron, roy de Sicile, tant noté par les vers de
Pindare; et tel encores fut le sçavant envieux Caili-
maq, impatient d'endurer qu'un autre flattast les oreil-
les de son roy Ptolomée, mesdisant de ceux qui tas^
choient, comme Ovide, gouster les mannes de ia
royale grandeur. Bien que telles gens foisonnent en
honneurs, et qu'ordinairement on les bonnette (i) pour
avoir quelque titre de faveur, si mourront-ils sans re-
nom et réputation; et les doctes folies des poètes sur-
vivront les innombrables sjecles à venir, crians la gloire
des princes consacrée par eux à l'immortalité.
Ronsard.
ADVERTISSEMENT AU LECTEUR «.
'avois délibéré, lecteur, suivi'e en l'ortho-
graphe de mon livre la plus grand' part
des raisons de Louys Maigret, homme de
sain et parfait jugement (qui a le premier
osé desiller les yeux pour voir l'abus de nostre escri-
ture), sans l'advertissement de mes amis, plus studietix
de mon renom oue de la vérité, me peignant au de-
vant des yeux le vulgaire, l'antiquité et l'opiniastre
advis des plus célèbres ignorans de nostre temps; la-
quelle remonstrance ne m'a tant sceu espouvanter que
1 . On les salue.
2. Le poète est loin d'être resté fidèle aux prindpes qu'il
émet ici. Us n'en sont pas moins curieux pour l'histoire de
notre orthographe.
y
AU Lecteur. 15
tu n'y voyes encores quelques maraues de ses raisons.
Et, bien qu'il n'ait totalement raclé ta lettre grecque T^
comme il devoit, je me suis hazardé de l'efEacer, ne la
laissant servir sinon aux propres noms grecs , comme
en Tethys, Thyeste, Hippolyte, Ulysse, à fin qu'en les
voyant de prime face, on cognoisse quels ils sont et
de quel pais nouvellement venus vers nous; non pas
en ces vocables abismes, cigne, nimphe, lire, sire (qui
vient comme l'on dit de xùptùç, changeant la let-
tre X en 9), lesquels sont desja receus entre nous pour
françois, sans les marquer de cet espouvantable cro-
chet de y. ne sonnant non plus en eux que nostre i en
ire , simple , nice , lime. Bref, je suis d'opinion (si ma
raison a quelque valeur), lors que tels mots grecs au-
ront long-temps demeuré en France . les recevoir en
nostre megnie , puis les inarquer de l'i françois pour
monstrer qu'ils sont nostrés, et non plus incogneus
estrangers : car qui est celuy qui ne jugera inconti-
nent que sibille, Cibelle, Cipris, ciclope, nimphe, lire,
ne soient naturellement grecs, ou pour le moins es-
trangers, puis adoptez en la famille des françois,
sans les marquer de tel espouvantail de Pythagore ? Tu
dois sçavoif qu'un peu devant le siècle d'Auguste la
lettre grecque T estoit incogneue aiix Romains, comme
Ton peut voir par toutes les comédies de Plaute , où
totalement tu le verras osté . ne se servant point d'un
charactere estranger dans les noms adoptez ^ comme
Amphitruon pour Amphitryon ; et, si tu me dis qu'an-
ciennement la lettre y se prononçoit comme au]our-
d'huy nous faisons sonner nostre u latin, il faut donc
que tu le prononces encores ainsi, disant Cubelle pour
Cybelle; mais je te veux dire davantage, que l'y n'a
pas esté tant anecté des Latins (ainsi qu'asseurent nos
docteurs) pour le retenir comme enseigne en tous les
vocables aes Grecs tournez par eux en leui* langue;
mais ils l'ont ordinairement transfoiiné, ores en u,
comme /aOç, musj ores en a, x\mv, caiiis; ores en o,
vTcvos, somnus, tournant l'esprit aspre noté sur û en 4
î6 Advertissement
comme estoit presque leur vieille coustume avant que
Taspiration h fust trouvée. Je t'ay bien voulu admonester
de cecy pour te monstrer que tant s'en faut qu'il faille
escrire nos mots françois par Ty grec, aue nous le pou-
vons bien oster, suivant ce que j'ay ait, hors du nom
naturel, pourveu qu'il soit usité en nostre langue ; et, si
les latins le retiennent en quelques lieux, c'est plus pour
monstrer l'origine de leur quantité que pour besoia
qu'ils en ayent. S'il advient que nos modernes sçavants
se vueillent travailler d'inventer des dactyles et spon-
dées en nos vers vulgaires, lors, à l'imitation des La-
tins , nous le pourrons retenir dans les noms venus
des Grecs pour monstrer la mesme quantité de leur
origine ; et, si tu le vois encore en ce mot , yeux, seu-
lement, sçache que pour les raisons dessus mention-
nées , obéissant a mes amis , je l'ay laissé maugré moy
pour remédier à l'erreur auquel pourroient tomber nos
scrupuleux vieillars, ayant perdu leur marque enla lec-
ture des yeux et des jeux, te suppliant, lecteur,
vouloir laisser en mon livre la lettre i en sa naïve si-
gnification , ne la dépravant point , soit qu'elle com-
mence la diction , ou qu'elle soit au milieu de deux
voyelles, ou à la fin du vocable, sinon en quelques
mots , comme en ie, en i'eus. iugement , jeunesse et au-
tres, où, abusant de la voyelle h tu le liras pour I con-
sonne, inventé par Maigret, attendant que tu recevras
cette marque cri consonne, pour restituer l'I voyelle
en sa première liberté. Quant aux autres diphthongues,
je les ay laissées en leurvieille corruption, avecques in-
supportables entassemens de lettres , signe de nostre
ignorance et de peu de jugement en ce qui est si
manifeste et certain , estant satisfait d'avoir deschar-
gé mon livre, pour cette heure, d'une partie de
tel faix , attendant aue nouveaux characteres seront
forgez pour les syllabes H , jgn , ch , et autres. Quant
à la syllabe ph , il ne nous raut autre note que nos-
tre F , qui sonne autant entre nous que f entre les
Grecs, comme manifestement tu peux voir par ce mot
AU Lecteur. 17
fihi , feille. Et si tu m'accuses d'estre trop Inconstant
en Torthographe de ce livre , escrivant maintenant es-
pée épée. accorder acorder, vestu vêtu, espandre
ëpandre, olasmer blâmer, tu t'en dois colerer contre
toy mesmes , qui me fais estre ainsi , cherchant tous
les moyens que je puis de servir aux oreilles du sça-
vant , et aussi pour accoustumer le vulgaire à ne re-
gimber contre réguillon lors qu'on le piquera plus
nidement, monstrant par cette inconstance oue, si
j'estois receu en toutes les saines opinions de 1 ortho-
graphe, tu ne'trouverois en mon livre presque une
seule forme de Pescriture que sans raison tu admires
tant, t'asseurant qu'à la seconde impression je ne fe-
ray si grand tort à ma langue que de laisser estran-
gler une telle vérité sous couleur de vain abus. Aussi
tu ne trouveras fascheux si j'av quelquefois changé la
lettre E en A , et A en E , et oien souvent ostant une
lettre d'un mot ou la luy adjoustant pour faire ma
rime plus sonoreuse ou parfaite. Certes , telle licence
a tousjours esté concédée aux poèmes de longue ha-
leine ou de médiocre vertu , pourveu qu'elle soit rare-
ment usurpée , non à ces rimes vulgaires , orphelines
de la vraye humeur poétique. Et si quelqu'un, par cu-
rieuse opinion plustost que par raison , se colère con-
tre telle honteuse liberté,, il doit apprendre qu'il est
ignorant en sa langue , ne sentant point que E est fort
voisin de la lettre A, voire tel que souvent, sans y penser,
nous les confondons naturellement, comme en vent et au-
tres infinis ; et s'il ne se contente de ces raisons, qu'il
regarde la liberté des Grecs et Latins , qui muent et
changent , changent et remuent les lettres ainsi qu'il
leur plaist^ pour obéir au son ou à la forçante loi de
leurs vers^ comme xpaSla pour xapSla^ olli pour illi.
Si telles libertez n'ont lieu en nostre langue , qui est
celuy qui voudroit se travailler à labourer un champ
tant ingrat et inutile ? Au surplus, lecteur, tu ne seras
esmerveillé si je redy souvent mesmes mots , mesmes
sentences et mesmes traits de vers , en cela imitateur
Ronsard. — II. 2
iS ADVERTIS5E1IENT AU LECTEUR.
des poètes ^ecs, et principalement d'Homerê, qat
jamais ou bien peu ne change un bon mot, ou qqel-
Jae trac de bons vers , quand une fois il se l'est fait
unilier. Je parle à. ceux qui misérablement espieut le
noyen pour blasonner les escrits d'autruy, courroucez
peut-estre pour m'ouïr souvent redire ; le miel de
mes vers , les ailes de mes vers, l'arc de ma Muse ,
mes vers sucerez , un trait ailé , empaner la mémoire ,
Phonneur altéré des Cieux , et autres semblables ato-
mes par lesmiels j'ay composé le petit monde de mes
iRventions. Qyand tels grimaus ne reprennent d'un
pocine que telles choses , ou (comme j'ay desja dit)
quelque petit mot non richement rimé, ou une vir-
gn^pour un point, ou l'orthographe, lors le poète
se doit asseurer d'avoir bien dit , voire de la victoire,
puis que ses adversaires , mal embastonnez , le com-
battent ^ foiblement.
J/1
l^
AU ROY
HENRY II DE CE NOM.
près avoir loflg-4emps sué sous le harnoiSy
bornant plus loin ta France (>)> et fait boire
aux François, [Seine,
Dans leur creux morions. en lien de Teau de
Les ondes de la Meuse, et saccage la ptainè
Des Flamans mis en route, et Tantique surnom
Des chasteaux de Marie (a) eschangez en ton nom;
Après avoir gagné une bataille heureuse,
Et veu César (?) courir d'une fuite peureuse;
Et après avoir fait comme un bon marinier (4),
Lequel, se souvenant de l'orage dernier.
Quand il est dans le port, soigneusement prend garde
STi faut rien à sa' net : maintenant il regarde
Si le tillac est bon, si la carène en bas
Est point entre-fendue : il contemple le mas.
Maintenant le timon ; il cherche si les coMes
Ouvertes par Torage aux flancs sont point dissoutes;
1 . Dans le Luxembourg. .
2. De Mariambourg , appeliez Henribourg.
3. L'empereur Charles cinquiesme. .
4. Tout cecy est une imitation ou plustost traduaion de
Marulle. (R.)
20 Au Roy.
Et, bien qu'il soit au port, il n'a moindre souci
De sa net qu'en la mer, et se rempare ainsi
Que s'il esperoit pendre au milieu de l'orage,
Et ne se veut iier au tranquille visage
Du ciel ny de la mer, pour se donner à l'eau,
Que premier il n'ait bien racoutré son vaisseau :
Ainsi, après avoir (la guerre estant finie)
De vivres et de gens ta frontière garnie.
Fait nouveaux bastions, flanqué chasteaux et forts,
Remparé tes citez , fortifié tes ports ;
'^ Bref, après avoir fait ce qu'un prince doit faire
De ce qui est en guerre et en paix nécessaire
aventure
Entre-rompre tes jeux d'une longue escriture.
Maintenant que tu dois pour quelque peu de temps
Après mille travaux prendre tes passe-tenips .
Pour retourner plus frais aux œuvres de ëellonne.
Toutefois le desir qui le cœur m'éguillonne
De te monstrer combien je suis ton serviteur
Me fait importuner ta royalle grandeur ;
Et si en ce faisant je commets quelque vice,
Il vient du seul desir de te faire service.
Qui , pressant, me contraint de mettre un œuvre mien
Sous la protection de ton nom tres-chrestien,
Le sacrant à tes pieds. C'est , Prince, un livre d'odes
"^Qu'autres-fois je sonnay suivant les vieilles modes
D'Horace Calabrois et Pindare Thebain ;
Livre trois fois heureux si tu n'as à desdain
Que ma petite lyre ose entre tes trompettes
Rebniire les chansons de ces deux vieux poètes,
Et que mon petit myrte ose attoucher le rond
Des lauriers que la guerre a mis dessus ton front.
Mais que dy-je? à desdain! j'ay tant de confiance
En ta simple bonté, que ta magnificence.
Bien que grave elle soit, ne refusera pas
Mon ouvrage donné, tant soit-il humble et bas :
Au Roy. 21
Imitateur des dieux, qui la petite offrande [de,
Prennent d'aussi bon cœur qu'ils prennent la plus gran-
Et, bien qu'ils soient seigneurs, jamais n'ont a mespris
Des pauvres les presens, tant soient de petit prix.
Ce fils de Jupiter, ce foudre de la guerre,
Hercule, qui tua les monstre de la terre,
Allant pour estre fait d'Olympe citoyen,
Ne refusa d'entrer au toict Molorchien ;
Et mesme Jupiter, qui la tempeste jette,
De Bauce et Philemon entré dans la logette,
I Comme d'un cerne d'or son chef environna
D'un chapelet de fleurs que Bauce luy donna.
Et toujours à sa feste en Libye honorée
Ne luy tombe un taureau à la corne dorée.
Mais souvent un aigneau ; car sa grande bonté
Ne prend garde aux presens, mais à la volonté.
Amsi, suivant les dieux, je te suppli' de prendre
^ A gré ce petit don pour l'usure d'attendre
Un présent plus panait et plus digne d'un roy,
Que ja dans mon esprit je patrone pour toi.
Cependant je pri ray ta puissance divine.
Ainsi que Jupiter Calhmache en son hymne.
« Donne-moy (ce dit-il) des vertus et du bien,
Car la seule vertu sans le bien ne sert rien,
Ni le bien sans vertu. O Jupiter, assemble
Tous ces deux poincts en un et me les donne ensemble ! i»
Les vertus et le bien que je veux recevoir^
C'est le moyen bientôt en armes de pouvoir
Amener ton Francus avec une grana trope
D'Asians pour domter la plus part de l'Europe;
Mais il te faut payer les n'ais de son arroy.
Car il ne veut venir qu'en Majesté de roy.
Bien qu'il soit fugitif et qu'il n'ait en paiiage
Sinon du père sien la force et le courage.
Aussi tu porterois la honte sur les yeux
Si luy, oui tut jadis l'ayeul de tes ayeux.
Le ms d'un si grand roy, venoit seulet en France
Donner à tes ayeux la première naissance.
ï2 Au Rot.
Pais qu'il a donc trouvé le vrai si j propos,
Ne le laisse languir en casanier repos
Aux rivages de Tro)[e ou sur les ûords d'Epire,
Fraudé <le son chemin par faute de navire
Et par faute de gens; car, ouvrier, je suis prest
De charpenter sa nef et dresser tout Vapprest,
Pourveu que ta grandeur royale favorise
A ton ayeul Fraocus et à mon entreprise.
LE PREMIER UVRE
DESODES
25
A LUY-MESME(i)
Sur la paix faite entre luy et le roy d'Angleterre Tan 1 550.
Ode I. —Strophe i.^
|oate royauté qui desdaigne
La vertu poïir humble compaigne
Dresse toujours le front trop haut,
Et, de son heur outrecuidée,
Court^ vajjue, sans estre guidée
De la raison, qui lui défaut.
O Roy par destin ordonné
Pour commander seul à la France,
Le Dieu tout puissant t'a donné
Ce double honneur ééi ton enfance,
Lequel (après la longue horreur
De Mars vomissant sa fureur
Et l'aspre venin de sa rage ,
Sur ton pays noi/cy d'orage)
I. Au roi Henri IL Noos dirions auîoardliai : Au même.
24 Odes.
Par Peffort d'un bras souverain
A fait ravalier la tempeste
Et ardre à Tentour de ta teste
Un air plus tranquille et seraln.
Antistrophe,
Certainement tousjours le sage
Augmente les dons aavantage
Que jeune il emprunta des deux.
Ta Majesté jeune et prudente
Au double tous les siens augmente
D'un artifice ingénieux.
Aussi mille félicitez
Ont bien-heure toute ta race^
Et toy, roy de tant de citez,
Qui se courbent devant ta face»
Des long temps tu fus honoré
Comme seul prince décoré
Des biens et des vertus ensemble
Sue le destin en un t'assemble,
lis ce bien qu^ores tu nous fais
Veut qu'on f^honore d'avantage
Pour avoir fait reverdir l'âge
Où florissoil l'antique paix»
Epcdc,»^
La quelle osta le débat
Du chaos, ouand la première
Assoupit le lourd combat
Qui aveugloit la lumière.
Elle seule osa tenter
D'effondrer le ventre large
Du grand Tout, pour enfanter
L'obscur fardeau de sa charge ;
Puis, desmembrant l'univers
En quatre quartiers divers ^
Premier livre. 2;
Sa main divinement sainte
Les lia de doux d'aimant,
Et en eux alla formant
Une paisible contrainte.
Strophe il.
Adonc , meslant dans ce grand monde
Sa douce force vaeabonde ,
Les asseura d'un doux repos ;
Elle fit bas tomber la terre
Et tournoyer Teau qui la serre
De ses bras vagues et dispos;
Du soleil allongea les yeux
En forme de flèches volantes,
Et d'ordre fit baller aux cieux
L'ordre des estoilles roulantes.
Elle courba le large tour
De l'air qui cerne tout autour
Le rond du grand parc où nous sommes ,
Peuplant sa grande rondeur d'hommes
D'un mutuel accroissement :
Car, partout où voloit la belle ,
Les Amours voloient avec elle ,
Chatouillans les coeurs doucement.
Anùstrophe.
Lors pour sa juste récompense
Le sainct monarque qui dispense
Tout en tous (dont le grave front ,
En se clinant pour faire sine ,
Croulle la terre et la racine
Du firmament jusques au fond)
Fit seoir la paix au dextre flanc
De son grand trône d'excellence
Et près du senestre à son rang
Logea le. dieu de violence.
20 Odes.
De Tun les grands princes jl oingt,
De l'autre durement les poingt,
Tous effroyez d'oiiyr les armes
Craquer sur le àot des gendarmes.
De run jadis il honora
Les vieux pères du premier âge,
Et de Tautre il aigrit la rage
Contre Ilion , que dévora
Epodt,
Le feu grec, quand mille naus,
Ainçois mille et mille foudres,
Esclatèrent mille maux
Dessus les troyennes poudres.
Tandis que le feu tournoit
Forcenant parmy là ville ,
Et que l'étranger s'ornoit
De la despouille sérvile ^
Une aspre fureur d'esprit
Le cœur de Cassandre éprit ,
Et , comme toute insensée,
Son corps tremblant çà et là,
Au fils d'Hector s'en alla
Pour lui chanter sa pensée.
Strophe III.
Bien (]ue le feu grégeois nous arde ,
Tant soit il cruel, il n'a garde
D'estoufer pourtant ton renom,
Enfant dont la race iatailc .<«)..
Dedans la terre occidentale, ;
Fera regcrraer îiostre ^ojb . :
Ja déjà Danube t'attend
I . La suitte destinée de tant de rois. (IC)
t
«
« -,
Premier livre. 27
Sur le bord de sa rive humide (1),
Et ce crand marest (3) qui s'estend
Près des lèvres de Peau Pontide (î):
C'est-là, c'est~là, c'est où tu dois
Pour quelque temos donner tes lois ;
C'est où Tarrest des dieux t'octroye
Fonder encore une autre Troye (4) ,
Resuscitant par ton moyen
L'honneur des tiens et leur proêsse,
Avant vangé dessus la Grèce
L outrage fait au sang troyen.
Antistropke*
Après le cours de quelque année,
L'ire de Cercs forcenée,
Pour, diévôt , n'avoir satisfait
A ses honneurs,. toute mutine
Te contraindra par b famine
De quitter ton mur imparfait.
Horriblant ($) ton corps de la peau
D'un tigre , déjà, ce me sembley
Je te voy guider un troupeau
De vingt mille Troyens ensemble.
Je voy ce troupeau peferin (^)
Déjà bien loin outre le Rhin
1. Et défait qu'il n'y a point d'antre fleuve plus commode
ny de plus grande estendue par où ce prince pust venir es
Atlemaignes ny es Gaules. (R.)
2. Le Propontis , qui est au devant du Pont Euxin, entre
THellespont et le Bosphore Thraçien; (R.)
> 3. Avant que d'entrer au Far de Çonstantinople et de là
en la mer Ma|our, c'est-à-dUe au Pont Euxin. (R.)
4. Il entend la ville des Sicambriens, bastie par les
Troyens. ^R.)
5. Renaant comme sauvage et hérissé. (R.)"
6. Colonie troyenne, comme Pyrrhus apjpelloit les Ro~
mains. (R.)
28 Odes.
Enrichir Troyc de louanges
Et du butin aesroys estranges,
Ayant trompé mille péris ,
Ains que bastir aux bords de Seine
Les murs d'une ville hautaine
Du nom de mon frère Paris.
Epode.
Là tes enfants dompteront
Les rois francs d'obéissance ,
Et jusc}ue au ciel porteront
L'empire de leur puissance.
Donc , cependant que les Grecs
Chargent leur dos de bagage ,
Nous de cris et de regrets ,
Donne voile au navigage,
Sus l'eschine de la mer
Fais les vagues escumer,
Pour replanter notre race
Où te traîneront les cieux
Et le forçant veuil des dieux ,
Qui jà t'ont borné ta place {a).
tf. Var. (1J87) :
Ja déjà j'cntens la vois
De Seine, fui te désire.
Et la défaite des rois
Esclaves de ton empire;
J'enten le bruit des chevaux
Et le cliquetis des armes.
Et toy, noble de travaux,
Commander à tes gendarmes.
Ores tu ne Deux sçavoir,
îpeui
i/ant,
Comme enfant, ny concevoir
Pour achever l'entreprise^
Premier livre. 29
Strophe un.
A-tant acheva la prestresse (i)y
Et , folle du Dieu qui luy presse
L'estomac chagrin et félon ,
En rechignant s'en est allée,
Nuds pieds et toute eschevelée ,
Dedans le temple d'Apollon.
Andromache , qui remâcha
Les mots de Cassandre évoléc,
Son fils secrettement cacha
Dessous figure recelée ;
Car Junon , qui ne vouloit plus
Que le nom troyen revinst sus ,
Ardoit d'en abbatre la race
Et Francus tuer sur la place,
Sans Venus , qui soudam feignit
Une idole à lui ressemblante,
Dont Junon d'une main ardente,
En lieu de Francion , teignit
Antistrophe.
La terre de sang , et la feinte
Garda le vrai ; puis , après mainte
Fortune dont il se sauva ,
Enterra le corps de sa mère
Dans le vain tombeau de son père ,
Qu'çntre les Grecs elle éleva {a).
M. Var. (1587) :
Sans Jupin, qui V enfant mua
Eh une semblance animée^
Que Pyrrhe, de sa main armée
D une tour, à terre rua.
Antistrophe.
Du faux sang la place fut teinte :
I . Cassandre, prestresse d'Apollon. \
30 Odes.
Son cœur elle ouvrit d'un couteau ,
Ayant sceu la fausse merveille.
Comme Porage ayoit sous l'eau
Noyé son fils prés de Marseille (»)•
De oleurs la tombe il honora (2)
Et ae beaux (3) jeux la décora,
Par joustes esprouvant l'adresse
De la phrygienne jeunesse (a) ;
Ennn à terre il se coucha,
Et d'une grand coupe dorée
Sur la vuide tombe Hectorée
Du lait par trois fois épancha.
Epode,
Lors la tombe en deux s'ouvrit
Et l'obscur de ses crevasses
Hors des enfers découvrit
Ainsi la fraude de la feinte
Le corps de Francion sauva.
En Buthrote, vivant sa mère,
Feignit le tombeau de son père,
Qw entre les Crus il esleva.
a Var. (1587), remplaçant les 104 vers suivants :
Puis faisant la vague escumer.
Invoquant Junon et Neptune,
Hazardeux, chercha sa fortune
Au gré des vents et de la mer,
1 . En la coste de Provence, où quelques uns de ses vais-
seaux furent portez par la tempeste, comme il se voit en la
Franciade. (R.) .
2. A la mode ancienne, avec des pleureux à louage. (R.)
^ . Qui se faisoient entre les Romains le neuviesme jour
du decez, et pour cest effect estoient appeliez noyendiales
ludi.
Premier livre. )i
Une ombre de quinze brasses.
Tout le sang qui lui froidit
Le cœur, que la peur enserre,
Le corps tout plat lui roidit.
Dessus rétrangère terre
Une voix par I air s'oûit,
Qui les sens lui éblouit,
Lui chantant sa destinée,
Qui jà déjà le hâtoit,
D'autant qu'au ciel elle estoit
Par arrêt déterminée.
Strophe V.
Mon fils, dit l'ombre, prends bien garde
Que ce pays ne te retarde,
Ny tes labeurs , tant soient ils durs.
Mais fuy ces champs, mais fuy ces rives,
Afin que , paresseux , ne prives
Les tiens de leurs honneurs futurs.
Je voy desja fleurir ton los
En ce pays ou la Dunoue
Traîne en la mer ses larges flots
Et par les champs la Seine noue.
Sus Tune tu dois maçonner
Une autre Troye, et luy donner
Le nom de Sicambre, où ta race
Usera quelque temps d'espace.
Mais sus l'autre non seulement
Mille ans borneront sa demeure ;
Car le ciel veut qu'elle y demeure ,
Et demeure éternellement.
Antistrophe,
Après que par le veuil céleste
La pale famine et la peste
32 Odes.
Auront tes soldats esclaircis,
Eux, quittant leur ville malade,
Sous toi faits nouvelle peuplade,
Peupleront des champs mieux assis.
Ton bras adonque poussera
Si courageusement tes bandes
Qu*à coups d'épée il froissera
Les rois des terres allemandes,
Et, comme un guide diligent,
Bien plus loin conduiras ta gent.
Outre le Rhin, tant qu'elle arrive
De Seine à la fertile rive
Dans la gauloise nation.
Et là fera sa demourance
(Changeant le nom de Gaule à France
Ipour l'honneur de toi, Francion.
Epode. •
Si le Ciel m'a fait bien seur
Des paroles qu'il m'inspire.
Tu auras pour successeur
Maint neveu digne d'empire;
Maints rois de toi sortiront.
Dont les vertus manifestes
Parmi les princes luiront
Comme au ciel les feux célestes.
Entre eux un Henry je voy,
Des meilleurs le meilleur roy.
Qui finira sa conqueste
Aux deux bords où le soleil
S'endort et fait son réveil.
Penchant et dressant sa teste.
Strophe VI. -^
France, par luy victorieuse,
Ne sera point tant glorieuse
Premier livre. 33
De son Clovis ni de Martel,
Ni de son Charlemagne encore,
Comme je voy qu'elle s'honore
Dans les vertus d'un prince tel.
f C'est ce Henry qui bastira
I Les pergames de nostre ville,
Qui plus jamais ne sentira
Le fer meurtrier d'un autre Achille.
Aussi le destin ne veut pas
Que le Grec là retombe à bas,
AÏn que ta race éternelle
Eternellement vive en elle,
Grosse d'empires et d'honneur,
Enfantant triomphes et gloires.
Mille lauriers, mille victoires,
Ayant tel roy pour gouverneur.
Antistrophe,
Ainsi dit l'ombre , et le tonnerre ,
Tombant du côté gauche à terre ,
Qui de trois feux la tombe éprit ,
Elança trois flammes subites.
Ratifiant les choses dites
Et par Cassandre et par l'esprit.
Adonc Francion étonné
Dedans son cœur pense et revire
L'augure qui lui est donné.
Pour le hâter, en son navire ,
Ayant son oncle interrogué,
En haute mer il a vogué ;
Tant et tant l'ardeur l'importune
De courir après la fortune
Pour le veuil des dieux éprouver.
Fuy-donc , Troyen , toi et ta bande 1
Si ton neveu me le commande , »
J'iray bientôt te retrouver.]
Ronsard, — II. J
34 Odes.
Epàde,
Muse , rcpren l'aviron
Et racle la prochaine onde
Qui nous baigne à Fenvirotr^
Sans estre ainsi vagabonde.
Tousjours un propos desplaist
Aux aureilles attendantes
Si plein outre reigte il est
De paroles abondantes (i)*
Cehiy qui en peit de vers
Estraint un sujet divers
Se met au chef la couronne.
De ceste fleur que voicy^
Et de celle et celle aussi
La mousche son miel façonne.
Strophe vu.
Diversement, $ paix heureuse.
Tu es la carde vigoureuse
Des peuples et de leurs citez ;
Des royaumes Fa clef tu portes ^
Tu ouvres des villes les portes^
Serenant leurs adversitèz.
Bien qu'un prince vonlust darder
Les flots armez de son orage ^
Et tu le viennes regarder,
Ton œil appaise son courage;
L'effort de ta divinité
Commande à la nécessité,
1. Parce quil s'estoit comme perdu dans le discours d'un
suject estranger; ainsi souvent parle Pindare. (R.)
2. C'est-à-dire si, outre son 'principal suiet, il en reçoit
d'autres par induaion ; comme en cet endroit que Pautheur
s'est eschappé sur le discours de la Franciade, combien que
son but ne tende qu'à louer la paix. (R.)
Premier livre. }5
Ployant sous ton obéissaoïce;
Les hommes sentent ta puissance,
Alléchez de ton doux repos.
De Tair la vagabonde troupe
T'obeyt, et celle qui coupe
De Teschine l'azur des flots.
Antistrophe.
C'est toy qui dessus ton eschine
Soustiens terme ceste machine,
Medecinant chaque élément ,
Quand une humeur par trop abonde , *
Pour joindre tes membres au monde
D'un contrepois également:
Je te salue, heureuse Paix,
Jeté salue et re-salue,
Toy seule , Déesse , tu fais
Que la vie soit mieux voulue.
Ainsi que les champs tapissez
De pampre ou d'espics hérissez
Désirent les filles des nues
Après les chaleurs survenues ,
Ainsi la France t'attendoit ,
Douce nourricière des hommes ,
Douce rosée qui consommes
La chaleur qui trop nous ardoit.
Epode.
Tu as esteint tout Pennuy
Des guerres injurieuses ,
Faisant flamber aujourd'huy
Tes grâces victorieuses.
En lieu du fer outrageux.
Des menaces et des fiâmes ,
Tu nous rameines les jeux.
Le bal et Tamour des dames ,
l6 Odes.
Travaux mignars et plaisans
A Tardeur des jeunes ans. •
O grand roy non imitable ,
Tu nous aumosnes cecy,
Ayant creu Montmorency (•)
Et son conseil véritable (>) ;
Strophe vil.)'
Lequel, mettant en évidence,
Les saincts trésors de sa prudence.
Ne s'est jamais accompagné
Du sot enfant d'Epimethée()),
Mais de celuy de Promethée(4),
Par longues ruses enseigné.
Et certes un tel serviteur
Mérite que ta main royale
Recontre-balance un grand heur
A sa diligence lovale.
Il me ptaist or' ae descocher
Mes traits thebains pour les lâcher,
Montmorency, dedans ta gloire ,
Afin que je te face croire
Que la nourriture d'un roy (5)
1 . Lors connestable , le plus grand et le plus sage seigneur
de son temps. (R.)
2. A la différence de ceux dont Tambition trahissoit desja
le prince et l'Estat par conseils déguisez. (R.)
3. Epimethée et Promethée etoient frères. Ils furent les
deux premiers ouvriers des hommes {dissimili manu) : car
ceux oe Promethée sont prudens ; ceux d'Epimethee, au con-
traire, sont grossiers et sans esprit. (R.)
4. De la Raison, fille du Conseil et de la Prudence, riiç
$. Nostre poète, nourry tousjours et élevé en la maison
des roys , depuis François I jusqu'à Henry III, ainsi que tu
peux voir par sa vie, qu'a escrite monsieur Binet. (R.)
Premier livre. 37
De bien loin nos rymeurs(i) surmonte,
Lors que hardie elle raconte
Un vaillant sage comme toy.
Antistrophe.
Nul n'est exempt de la Fortune,
Car sans égard elle importune
Et peuples et rois et seigneurs.
Caame sentit bien sa secousse
Et de quel tonnerre elle pousse
Les grands princes de leurs honneurs.
Mais , tout ainsi que les flambeaux
Ou du soleil ou d une estoiie
Tout soudain reluisent plus beaux
Après qu'ils ont brisé leur voile ,
Ainsi, après ton long séjour,
Tu nous esclaires d'un oeau jour,
Ayant cogmi par ta présence
Combien nous nuisoit ton absence,
Privez de ton œil, qui sçait voir
Les pieds boiteux de la malice ,
Si près œilladant la police
Que rien ne le peut décevoir.
Epodc,
Et qu'est-ce que des mortels.?
Si au matin ils fleurissent ,
Le soir ils ne sont plus tels.
Pareils aux champs qui fanissent.
Nul jamais ne s'est vanté
D'éviter la bourbe noire
Si la Muse n'a chanté
Les hymnes de sa mémoire.
I. Ces misérables esprits qui n'avoient rien que des rymes
quand il commença à paroistre, et pensoient estre grands
poètes. (R.)
38 Odes.
d'est à toy, Roy, d'honorer
Les vers , et les décorer
Des presens de ta hantesse ;
Souffe ma nef, je seray
Le premier qui passeray
Mes compagnons de vistessjK.
Strophe I X.
Plustost que les feux ne s'eslancent,
Quand au ciel les foudres nous tancent ,
Je courrav dire aux estrangers
Combien reffort de ta main dextre,
Maniant le fer, est adextre
A briser Thorreur des dangers ,
Et de quel soin prudent et caut
Ton peuple justement tu gpides ,
Appris au mestier comme il faut
Luy lâcher et serrer les brides.
Ta vieille jeunesse et tes ans
En mille vertus reluisans
M'inspirent une voix hardie^
Et me commandent que je die
Ce règne heureux et fortuné
Sous qui Fheureuse destinée
Avoit chanté dés mainte année
Qu'un si grand prince seroit né
Antistri^hi. /m
Pour gouverner comme un bon père
La France, heureusement prospère
Par les eifects de sa vertu.
Rien icy bas ne s'accompare .
A l'equité saintement rare
Dont un monarque est revestu ;
Aussi rien n'est tant vicieux
Qu'un grand gouverneur de province
Premier livre. 59
Quand il fault, d'autant que mille yeux
Avisent la faute d'un prince.
Ne preste Paureille aux menteurs
Et iuy de bien loin les flateurs,
S'ils veulent oindre (1) tes aureilles
De fausses et vaines merveilles ,
Fardans sous vaine authonté
Le vain abus de leurs vains songes,
Subtils artisans de mensonges
Et bons pipeurs de vérité.
Epode.
L'un se ronge le cerveau ,
L'autre mesdit et rapporte ,
S'il sent qu'un esprit nouveau
Nouvelles chansons apporte.
Ce pendant l'innocent faict
Preuve de sa patience ,
Sçacliant que Dieu tout par&ict
(Dieu la mesme sapience)
Ne sçauroit jamais laisser .
L'orgueil sans le rabaisser
Pour hausser la chose basse.
Ostant l'honneur d'un qui l'a,
Il le donne à cestui-lâ
Qui par raison se compassé.
Strophe X.
Il faut qu'en me parant j'évite
L'escrime de leur langue viste
A tirer l'estoc dangereux ;
Si est-ce que j'oy tousjours dire
Qu'un homme engraissé de mesdire
Maigrit à la fin mal~heureux.
I. Doucement amadouer.. (R.)
40 Odes.
lis n*ont point le japer si beau
Que leur caquet te force à croire
Qu'un blanc nabit orne un corbeau ,
Ou bien que la neige soit noire;
Ton jugement cognoist assez
Les vers qui sont bien compassez.
Et ceux qui trainent une envie ,
« Et ceux qui languissent sans vie ,
Enrouez , durs et mal-plaisans.
Par trait de temps les flateurs meurent,
Mais les beaux vers tousjours demeurent
Optniastres sur les ans.
Anûstrophe.
Prince, jet'envoye ceste ode.
Trafiquant mes vers à la mode
Que le marchand baille son bien ^
Troque pour troq*. Toy qui es riche^
Toy, roy des biens , ne sois point chiche
De changer ton présent au mien.
Ne te lasse point de donner,
Et tu verras comme j'accorde
L'honneur que je promets sonner
Quand un présent dore ma corde.
Presque le loz de tes ayeux
Est pressé du temps envieux ,
Pour n'avoir eu l'expérience
Des Muses ne de 'leur science ;
Mais le rond du grand univers
Est plein de la gloire éternelle
Qui fait flamber ton oere en elte
Pour avoir tant aime les vers.
Efode.
Dieu vueilte continuer
Le sommet de ton empire
Et jamais ne le muer^
Premier livre. 41
Eschangeant son mieux au pire.
Dieu vueille encor' dessous toy
Douter l'Espagne affoiblie ,
Gravant bien avant ta loy
Dans le gras champ d'Italie.
Avienne aussi que ton fils,
Survivant ton jour prefis,
Borne aux Indes sa victoire ,
Riche de gain et d'honneur,
Et aue je sois le sonneur
De l'une et de l'autre gloire. /
/
/
A LUY-MESME.
Ode II. — Strophe !.•
Comme un qui prend une couœ ,
Seul honneur de son trésor,
Et de rang verse à la troupe
Du vin qui rit dedans l'or :
Ainsi, versant la rosée
Dont ma langue est arrousée
Sur ta race des Valois ,
En son doux nectar j'abbreuve
Le plus grand roy> qui se treuve
Soit en armes ou en lois.
AntistropheJ
Heureux l'honneur que j 'embrasse ,
Heureux qui se peut vanter
De voir la thebaine grâce
Qui sa vertu veut chanter.
Je vien pour chanter la tienne
Sur la corde dorienne,
Odes.
Et pour estre désormais
Celui qui de tes victoires
Ne souffrira que les gloires
En Poubly tombent jamais.
Epode^
De ce beau trait décoché >
Dy, Muse mon espérance,
Quel prince sera touché
Le tirant parmy la France ?
Sera-ce pas nostre Roy,
De qui la divine aureiile
Boira la douce merveille
Qui n*obeit qu'à ma loy ?
Strophe II.
«
De Jupiter les antiques
Leurs escrits embellissoient ,
Par luy leurs chants poétiques
Commençoient et iinissoient ,
Réjouy d'entendre bruire
Ses louanges sur la lyre ;
Mais Henry sera le Dieu
Qui commencera mon mètre ,
Et que seul j'ay voué mettre
A la fin et au milieu.
Antistrophe,
Le ciel , qui ses lampes darde
Sur ce tout qu'il apperçoit ,
Rien de si fi;rand ne regarae
Qui vassal des roys ne soit.
D'armes le monde ils estonnent ,
Sur le chef de ceux ils tonnent
Qui les viennent despiter;
Premier livre. 43
Leurs mains toute chose attaignent^
Et les plus rebelles craignent
Les roys fils de Jupiter.
Epodc.
Mais du nostre la grandeur
Les autres d'autant surpasse
Que d'un rocher la hauteur
Les flancs d'une rive basse.
Puisse-t-il par l'univers
Devant ses ennemis croistre ,
Et pour ma guide apparoistre
Tousjours au front ae mes vers !
A LA ROYNE SA FEMME (').
Ode IIL —Strophe h
Je suis troublé de fureur,
Le poil me dresse d'horreur,
D'un enroy mon ame est pleine ,
Mon estomac est pantois.
Et par son canal ma vois
Ne se desgorge qu'à peine.
Une deité m'emmeine ;
Fuyez, peuple, qu'on me laisse,
Voicy venir la déesse ;
Fuyez, peuple, je la voy.
Heureux ceux qu'elle regarde ,
Et plus heureux qui la garde
Dans l'estomac comme moy I
Andsttophe.
Elle, esprise de mes chants,
I . Catherine de Medicit.
44 Odes.
Loin me guide par les champs
Où jadis sur le rivage
Apollon Florence aima ('),
Lorsque jeune elle s'arma
Pour combattre un loup sauvage.
L*art de filer ny Tquvrage
Ne plurent à la pucelle ,
Ny le lit mignard ; mais elle ,
Devant le jour s'éveillant ,
Cherchoit des loups le repaire ,
Pour les bœufs d'Arne son père
Sans repos se travaillant.
Epode.
Ce Dieu, qui du ciel la vit
Si valeureuse et si belle ,
Pour sa femme la ravit.
Et surnomma du nom d'elle
La ville qui te fit naistre ,
Laquelle se vante d'estre
Mère de nostre Junon ,
Et qui par les gens étranges
Pour ses plus grandes louanges
Ne célèbre que ton nom.
Strophe il.
Là les faits de tes ayeux
Vont flamboyant comme aux cieux
I . Comme dans Pausanias Apollon aima Bolina vierge , du
nom de laquelle est nommée une ville d'Achaîe. A la mode des
anciens , le poète desguise les choses véritables de fictions et
de fables, et il feint une nymphe donnant son nom à la ville
de Florence, fille d'Arne, aimée et ravie par Apollon ; ce qui,
en effect, vouloit dire que ceste ville est pleine de courage
et de doctrine, comme de vérité plusieurs admirables esprits
en sont sortis et plusieurs grands capitaines. (R.)
Premier livre. 45.
Flamboyé Paiirore ciaire ;
Là l'honneur de ton Julien (i)
Dans le ciel italien
Comme une planette esclaire.
Par luy le gros populaire
Pratiqua Texperience
De la meilleure science ,
Et là reluisent aussi
Tes deux grands papes (») , qui ores
Du ciel , où ils sont encores ,
Te favorisent icy.
Antistrophe,
On ne compte les moissons
De Pesté, ni les glaçons
Qui , l'hiver, tiennent la trace
Des eaux roides à glisser :
Ainsi je ne puis penser
Les louanges de ta race.
Le Ciel t'a peint en la face
Je ne sçay quoy qui nous monstre ,
Dés la première rencontre ,
Que tu passes par grand-heur
Les princesses de nostre âge ,
Soit en force de courage ,
Soit en royale grandeur.
Epode.
Le comble de ton sçavoir
Et de tes vertus ensemble
Dit qu'on ne peut icy voir
Rien que toy qui te resemble.
Quelle dame a la pratique
1 . Il faut voir iqr l'histoire de Florence. (R. )
2. Clément VU et LeonX.
4^ Odes.
De tant de mathématique (i)?
Quelle princesse entend mieux
Du grand monde la peinture ('),
Les chemins de la nature (0
Et la musique des cieux (4) ?
Strophe ni:
Ton nom , que mon vers dira.
Tout le monde remplira
De ta louange notoire :
Un tas qui chantent de toy
Ne sçavent si bien que moy
Comme il faut sonner ta gloire.
Jupiter, aérant mémoire
D'une vieille destinée
Autrefois déterminée
Par l'oracle de Themis (î),
A commandé que Florence
Dessous les loix de la France
Se courbe le chef soumis.
Antistrophe,
Mais il veut que ton enfant
En ait honneur triomphant,
D'autant qu'il est tout ensemble
Italien et François,
Qui de front, d'yeux et de vois,
A père et mère resemble.
1 . Il comprend toutes les espèces de la science, la géomé-
trie, l'astronomie et les autres, qui s'appellent toutes mathé-
matiques. (R.)
2. La cosmographie.
3. La physique.
4. La metapn}rsique.
5. Car ceste vieille déesse est là haut aux deux et aux
dieux ce que la justice est icy bas aux hommes en la terre. (R.)
Premier livre. 47
Déjà tout colère il semble
Que sa main tente les armes y
ér qu'au milieu des alarmes
Jà desdaigne les dangers;
Et ^.servant aux siens de ^ide,
Vainqueur, attache une bnde
Aux royaumes estrangers.
Epode,
Le Ciel ^ qui nous Ta donné
Pour estre nostre lumière ,
Son empire n'a borné
D'un mont ou d'une rivière.
Le destin veut qu'il enserre
Dans sa main toute la terre ^ .
Seul roy se faisant nommer,
D'où Phébus les Indes laisse,
Et d'où son char il abbaisse
Tout panché dedans la mer.
A MADAME MARGUERITE
Duchesse de Savoie, sœur du Roy Henry II (1).
Ode IV.— Strophe 1.
II hui aller contenter
L'aureille de Marguerite ,
Et en son palais chanter
Quel honneur ell^erite.
Debout, Muses, qu'on m'attelle
I . Ceste princesse a combatu l'ignorance de son temps et
a merveillettsement advancé ilionnear des lettres. (R.)
48 Odes.
Vostre charrette immortelle ,
Afin qu*errer je la face
Par une nouvelle trace,
Chantant la vierge autrement
Qu'un tas de rimeurs barbares
Qui ses louanges si rares
Luy souilloient premièrement.
Antistrophe.
J'ay sous Tesselle un carquois
Gros de flèches nompareilles,
Qui ne font bruire leurs vois
Que pour les doctes aureilles.
Leur roideur n*est apparente
A telle bande ignorante
Quand une d'elles annonce
Dhonneur que mon arc enfonce.
Entre toutes j'esliray
La mieux sonnante, et de celle
Par la terre universelle
Ses vertus je publiray.
Epode,
Sus, ma Muse, ouvre la porte
A tes vers plus doux que le miel ,
Afin qu'une fureur sorte
Pour la ravir jusqu'au ciel.
Du croc arracne la lyre
Qui tant de gloire t'acquit ,
Et vien sur ses cordes dire
Comme la Vierge nasquit.
s
Strophe 11.
Par un miracle nouveau,
Un jour Pallas de sa lance
Premier livre. 49
Ouvrit le docte cerveau
De François , seigneur de France.
Alors, estrange nouvelle!
Tu nasquis de sa cervelle ,
Et les Muses, qui là furent ,
En leur giron te receurent.
Mais , quand le temps eut parfait
L'accroissance de ton âge ,
Tu pensas en ton courage
De mettre à chef un grand fait.
Antistrophe,
' Tes mains s'armèrent alors
De rhorreur de deux grandes haches ,
Sous un beau harnois de cors
Tout Pestomach tu te caches ;
Une menassante creste
Flotoit au haut de ta teste ,
Refrappant la gueule horrible
D'une Méduse terrible :
Ainsi tu allas trouver *
Le vilain monstre Ignorance,
Qui souloit toute la France
Dessous son ventre couvef.
Epode.
L'ire qui la beste eslance
En vain irrita son cœur.
Poussant son mufle en aéf ence
Encontre ton bras vainqueur ;
Car le fer prompt à l'abbatre
En son ventre est ja caché ,
Et ja trois fois, voire quatre,
Le cœur luy a rechercné.
Ronsard. — II.
50 Odes.
Strophe ill.
Le monstre gist estendu .
L'herbe en sa playe se souille;
Aux Muses tu as pendu
Pour trophée sa aespouiilé ;
Puis, versant de ta poitrine
Mainte source de doctrine,
Aux François tu fts cognestre
Le miracle de ton estre (<).
Pour cela je chanteray
Ce bel hvmne de victoire ,
Et sur 1 autel de Mémoire
L'enseigne j'en planteray.
Antistropke.
Mais moy, qui suis le tesmoia
De ton loz qui le monde orne ,
Il ne faut ruer si loin
?ue mon train passe la bpnie. .
i*appe à ce coup Mar^erite
Par le l\ut de son mérite ,
Qui luit comme une plane|te .
Des flots de la mer brunette.
Répandons devant ses yeux
Ma musique tousjours neuve
Et le nectar dont j'abreuve
Les honneurs dignes des deux,
Eppde.
Afin que la nymphe voye
I . » I
I . Car à la vérité ce fut chose estrange de voir sous ceste
princesse, et sous le grand roy François son père, les esprits
ramenez tout à coup de Tignorance au sçavoir, et par sa fa-
veur un siècle d'hommes doctes qui parurent en toutes scien-
ces. (R.)
Premier livre. 51
Que mon luth premièrement
Aux François monstra la voye
De sonner si proprement ,
Et comme imprimant ma trace
Au champ attiq' et romain ,
Callimacn, Pindare, Horace,
Je déterray de ma main.
A CHARLES
Cardinal de Lorraine.
Ode V. — Strdpkei.
Ç) uand tu n'aurois autre ^jOixie
^K^^^Y antre présent des aeux,
Sinon sortir de la race
De tant de roys tes aveux ,
J'aurois encor trop de lieux
Pour te bastir çne gloire :
Car, si je veux raconter
De ton grand Buillon rhistoire*, .
Qui peust les Turcs sarmonterfi)
Par une heureuse victoire y
Ou la fameuse mémoire
De ses frères (2), ou les rois
Tes ayeux , dNMit la Sicile
A leur obnrtiocile ,
Escouta les saiactes lois; .
1. Soubs le ppe Urbain il, autheur de la croisade à la
suscitation de Pierre l'Hermite , en Pan 1099, £t Qodeiiroy de
Buillon en fut déclaré cjief, combien qu'alors iln'enst autre
qualité que de seigneur dé Boiîlongne sur la iner. (R.)
2. Paul Jove dit qu'il- laissa après soy une succession glo-
rieuse, et entre autres Baudouin son frère, qui luy succéda
au royaume. (R.)
52 Odes.
Antistrophe.
Leur nom , qui le temps surmonte ,
Te feroit seul immortel ;
Mais ta vertueuse honte
Rougiroit d'un honneur tel.
Je te veux faire un autel,
Où, maugré Tan, qui tout mange,
Ton propre los je peindray
D'une encre (][ui ne se change.
Et là ce vœu je pendray,
Qui au pèlerin estrange
Racontera ta louang;e,
Et la vertu oui reluit
Par les ans ae ta jeunesse.
Comme Por sur la richesse,
Ou la lune par la nuict.
Epodi.
Tout rhonneur qui seul en France
Du sein des dieux s'escoula,
Pour illustrer ton enfance ,
Dessus ton front s'en-vola,
Et depuis s'est planté là.
Donccjues, prélat de bon-heur,
Qui tiens le sommet d'honneur.
En qui nostre roy contemple
Des vertus le vray exemple,
Sois content d'un si grand bien.
Et ne souhaitte plus rien :
Car toy, qui ta vie arroses
Du miel des heureuses choses,
D'avantage, à qui je donne
Une louange si bonne
Qui te célèbre en tout lieu.
Cesse de plus rien attendre
Premier livre. 5^
Et ne vueilles point apprendre
A te faire un nouveau Dieu.
LA VICTOIRE DE FRANÇOIS DE BOURBON
COMTE D'ANGUIEN
à Cerizoles (1).
Ode VI. — Strophe i.
L*hymne qu'après tes combas
Marot fit de ta victoire,
Prince heureux , n'égala pas
Les mérites de ta gloire ;
Je confesse bien qu'à l'heure
Sa plume estoit la meilleure
Pour desseigner simplement
Les premiers traits seulement;
Mais moy, nay d'un meilleur âge,
Aux lettres industrieux.
Je veux parfaire l'ouvrage
D'un art plus laborieux.
Antistrophe,
Moy donc, qui tiens dans le poing
L'arc des Muses bien-peignées.
Je ru'ray l'honneur plus loing
De tes couronnes gagnées,
Et jusqu'aux pays estranges
Je darderay tes louanges,
Tes coups de masse et l'horreur
De ta vaillante fureur
Qui tonnoit en ton jeune âge,
I . Qui fiit le lendemain de Pasques de l'an 1 544. (R.)
54 Odes.
Mdssonoant ks ennemis
Que le martial orage
Devant ta foudre avoit mis.
Epode.
Voy voler mon dard estrange,
De ma Muse emmiellé,
Et de ta victoire ailé,
Qui vient ficher ta louange.
Ores.il nç.faut pas dire
Un bas cfiant dessus ma lyre,
Ny un chant qui ne peut plaire
Su'aux aureilles du vulgaire ,
^s des vers graves et bons,
Haut-celebrant par ceste ode,
Dite à la thebaine mode,
François, Thonneur des Bourbons («),
Strophe il.
Qui, dés la jeune saison,
?uand la Jouvence dorée
rise sa çrespe toison
Sur la joue colorée.
Par la pointe de sa lance
Réveilla Thonneur de France,
Lors que, mattant la vertu
Du vieil marquis (a) combatu,
Trantha les peuples d'Espagne,
A bas sans ame ruez,
1 . Et oncle paternel de nostre roy. (R.)
2, Du marquis du Gast, qui perdit ceste journée. Les
historiens du temps racontent qu'on trouva entre ses deçouil-
les quatre mille cadenats, desquels il avoit résolu d'enchaîner
les François et les envoyer aux galleres s'il eust eu la vic-
toire. (R.)
Premier livre. 55
LorsquHI joncha U cailfpagnê
De tant de soudàrts tuez (1).
Anùstrophe.
Comme un affamé lion.
Qui de soif la gorge a cuite,
Tout seul domte un million
De cerfs légers à la fuite ;
Ores rouant sa grand masse
A grands coups de coutelace,
Emmena pour son butin
Le traistre Alternant mutin (>),
Et, brûlé de la victoire,
Luy grava dessus le dos (?)
En lettres rouges (4) la gloire
De la France et de son Toz.
Epode,
Jamais la muse ne souffre
Qu'un silence sommeillant
En ses ténèbres engoufre
Les faits d'un homme vaillant.
1 . Jusqu'à douze ou quinze mille tuez . deux mille cinq
cens prisonniers blessez et non blessez. (R.)
2 . Car il se jetta sur le gros de^ Allemans et des Espagnols,
qui emportment l'infanterie de France sans luy, et n'y perdit
3ue deux cens des siens. Maistre Antoine Arnaud , advocat
u Parlement , aussi docte que fort éloquent , parle de ceste
victoire en ces mots, en sa première Savoysienne : « Mon-
sieur d'Anguien, sous les auspices du roy François, emporta
ceste glorieuse journée, oh nostre infanterie, à coups de pic-
qnes , renversa nirieusement toutes les vieilles banaes triom-
phantes des deux parties du monde, bien qu'ils fassent le
tiers plus que nous, et tellement armez que nous y gaignas-
mes nuia mille corselets. » (R.)
). Comme ilfiiyoit, ocdpHiumastendenti. (Vânon.)
4. Avec le fer.
56 Odes.
La France ne voit encore
De nul prince qu'elle honore
La gloire si bien empreinte
Comme j'ay la tienne peinte,
Poussant le nom par mes vers
De toy, prince, qui es diene
D*estre seigneur de mon hynne,
Voire de tout Tunivers.
Strophe m.
Muses, ne vaut-il pas mieux
Que le son de ma lyre aille
Aux vieux Bourbons ses ayeux
Annoncer ceste bataille ,
Seule douce recompense
Des coups et de la despense ?
Car la poudre des tombeaux
N'ensarde que les faicts beaux
Des fils ornez de merveilles
N'aillent là bas resjouyr
De leurs pères les aureilles,
Esgayez ae les ouyr.
Antistrophe.
Fille du nepveu d'Atlas (0>
Poste du monde où nous sommes,
Qui n'eus oncque le bec las
D'éventer les faicts des hommes,
Va-t'en là bas sous la terre.
Et à Charles (2) et à Pierre (5)
Dy que François, leur neveu,
1 . La Renommée, fille de Mercure. *
2. Dernier duc de Bourbon, brave prince qui mourut au
siège de Rome. (R.)
3. Second de ce nom , duc de Bourbon, qui espousa Anne
de France, fille du roy Louys onziesme. (R.)
Premier livre. 57
Aujourd'huy vainaueur s'est veu
De rimperiale auaace ;
Et dy (jue sa jeune main
N'a point desmenty sa face
Par un faict couard et vain.
Autour de la yie humaine
Maint orage va volant,
Qui ores le bien ameine(i)^
Ores le mal violant.
La roue de la Fortune
Ne se monstre aux roys toute une,
Et jamais nul ne se treuve
Qui jusqu'à la fin espreuve
L'entière félicité.
Les hommes journaliers meurent,
Les dieux seulement demeurent
Francs de toute adversité.
AU SEIGNEUR DE CARNAVALET,
OpE VIL — Sirqphc i.
Ma promesse (a) ne veut pas,
Carnavalet, que là. bas
Ton nom erre sans honneur^
Ne sans avoir cognQissiance
I II dit cela à cause de la malheureuse mort de ce prince ^
qu'un coffre jeté, peut-être à dessein., par une fenêtre, tua
à la Roche-Guyon, en février 1 546, sous le roi. François 1er. (R.)
2. Il s'aquitte d'une promesse faite au sieur de Carnavalet
de l'immortaliser. Entre autres choses, il le loue de sçavoir
parfaictement manier un cheval etd'estre brave cavalier. (R.)
$8 Odes.
Quelle force a ma puissance
Et quels vers je suis donneur.
Muses, filles au grand Dieu
Par qui la foudre est lancée,
Venez lui dire en quel lieu
Je Tay peint dans ma pensée.
Il est vray que j*avoy mis
En long oubly la mémoire
Qu'une fois je liiy promis
D'^pandre au monde sa gloire;
Mais ores vostre main forte
Chasse Pinjure, de sorte
Qu'il voye parfaictement
Que nulle mortelle chose
Ferme ne fut oncques close
Sous rhuis de Tenteridement.
Antistrophe.
Le temps, venant de bien loin,
M'a blasmé, comme tesmoin.
De. n'acquitter mon devoir.
Au pis aller, une usure
Raclera toute l'injure
Que j'en pourrôy recevoii*.
(?ést un travail de boit-heur
Chanter tés hommes' louables,
Et leur bastir un honneur
Seu} vainqueur des ans muables.
Le marbre oti l'airaiii vestu
D'un labeur vif par l'enclume
N'animent tant la vertu
Que les Muses par la plume.
Ores donc ta renommée
Vdirra le inondé, animée
Par le labeur de mes dois.
Telle immortelle largesse
Premier livre. ^9
Passe en grandeur la richesse
Du plus grand de tous les rois.
Epode,
aielle louange première
yre te sonnera,
Resjouy de la lumière
Que mon vers te donnera ?
Diray-'je l'expérience
Que tu as en la science,
Ou ta main qui sçait Taaresse
D'acheminer la jeunesse
Par tes vertus à bon train (»),
Ou ton art , qui admoneste
L'esprit de la iiere beste
Se rendre docile au frain
Strophe II.
Qu'apporta du ciel Pallas
A Bellerophon, ja las
De vouloir en vain douter
Le iils aislé de Méduse
A coups -de pied, qui refuse
Le laisser sur luy monter?
Quand la nuiiât il entendit
Pallas, des soudars ta guide,
Qui en songe luy a dit :
Dors-tu, la race solide?
Pren le secours de tes maux ,
Geste médecine douce;
Elle seule des chevaux
Le gros courage repousse.
Luy qui soudaih se reveille
I . c'est à dh:e la parfaîcte et plus imi)ortante pedago^,
comme celle du roy Charles IX. (R.)
6o Odes.
De voir un frain s*esmerveilic,
Et, le prenant, Ta cach^
Dans Topiniastre bouche
Du cheval non plus farouche,
L'ayant un petit mâché,
Antistrophç,
Lors, le touchant de plus près,
Osa tenter Tair après,
Monté sur le dos volant (i),
Et, se jouant en ses armes ,
Fit de merveilleux alarmes ;
Dévoûtant l'arc viplant,
La puante ame il em.bla
À la chimece à trois formes,
Et le col luy dessembla
Hors de ses testes difformes.
A terre morte il rua
Des guerrières la vaillance ;
Mais quel méchef (e tua,
Je le passe sous silence.
Dix et huit astres receurent
Le cheval qu*elP aperçurent
Culbuter son maistre i bas (4).
L'homme qui veut entréprendre
D'allçn ay ciel doit apprendre
A s*eslever par compas.
a. Var. :
Au ciel mainLtfiii Von vid naistre
De Pégase, ûui son mabtrt
Culbuta du haut en bas.
I . Luçian estime que ce Bellerophon fiit un excellent as-
trologue , dont l^esprit eslevè donna suject de feindre quMI
estoit emporté ^u cid sur un cheval vglant, (R.)
Premier livre. 6i
Epode,
Automedon ne Sthenelle,
Dont la lonffue antiquité
Chante la gloire éternelle^
La tienne n*ont mérité,
Soit pour mollir le courage
Au cneval d'une main sage,
Ou soit pour le faire adextre,
A la gauche et à la dextre
Obeyssant à tes lois,
A fin que par ta conduite
Puisse un jour tourner en fuite
Le camp ennemy des rois.
Strophe ill.
Tes ancestres maternels
Et tes ayeux paternels
Divers champs ont habité, <
Si bien que qui fils t'appelle
De deux terres, il ne celé
Ta raCe à la vérité.
Quand la bize vient fascber
La nef que trop elle vire,
Alors il faict bon lascher
Deux ancres de son navire.
La France te va louant
Pour son fils, et la Bretaigne
De t'aller sien avouant
En si grand honneur se baigne ,
Si tu es fils légitime
De la vertu, que jjestime
Plus que tes honneurs divers ;
C'est pour cela que ma corde.
Parlant ta gloire, s'accorde
Avec le son dïe mes vers,
62 Odes."
Antistmphe.
Lesquels en douceur parfàicts
Apparoistre sç sont faite'
Sur le rivage du Loir,
Pour sacrer à la mémoire
Les vertueux qui leur gloire
Ne mettent en nonchatoir.
Comme le fHs ' qu'un père a
De sa femme en sa vieiilesB6y^
Ce vers, mon fils, te plafcfa>
Bien que tard je te le laisse.
L'homme veuf n'a tant d'ennuy
De quitter son héritage
Aux estrangers qui de luy
Auront le bien en partage
Comme l'homme qui dévale
Dedans la barque infernale ^
De mes hymnes devestu.
En vain l'on travaille au monde,
Si la lyrique faconde ,
Fait muette la vertu;
Epode.
Mais la mienne emmiellée ,
Qui sçait les loix de mon doy,
Avec les flostes meslée,
Chassera l'oubly de toy^
Les neuf divmes pucelles -
Gardent la gloire che2 elles ;
Et mon luth, qu^«ll' ont fait eittû
De leurs secrets le grand pfe^ej-
Par cest hymne tfDienmBi :
Respahdra dessus ta race ^
Je nesçay quoy de sa glt^e
Qui te doit faire éternel.
Premier livre. 6$
USURE, A LUY-MESME.
Ode VIII.
Ne pilier ne terme dorique
D histoires vieilles décoré,
Ne marbre tiré de TAfrique
En colonnes elabouré,
Ne te feront si bien revivre ,
Après avoir passé le port,
Comme les plumes et le livre
Te feront vivre après ta mort.
Le compagnon des Dieux je vante
Celuy qui se peut faire amy
Du luth vandomois oui le chante
Contre le silence enaonny^
Le doux accord de son marmure, i
Chassant de ton bniict le soimmeil ,
Le respandra pour mon usure (i;
De l'un jusqu'à Tautre soleil.
LA VICTOIRE DE GUY DE CHABOT,
Seigneur de Jamac (2).
Ode IX. — Strophe i.
O France ! mère fertile
D'un peuple à la guerre utile,
Terre pleine ae'gfand-ieur,
1 . Il appelle ainsi ceste ode, laauelle il a^jouste à la pre-
dente comme un interest de robiigation qu'il a payée trop
rd. (R.)
2. C'est en faveur du célèbre duel qui fat dit sous te roy
64 Odes.
Pren ceste douce couronne
Que Chabot pour son vœu donne
Au temple de ta grandeur,
Lequel, ains que son espée
Au sang haineux fiist trempée,
Du miel de sa langue molle
Se desaigrit le souci ,
Et de sa douce parolle
Flatta sa chère âme ainsi :
Antistrophe.
ce Une ame lasche et couarde
Au péril ne se hazarde ;
Et d'où vient cela que ceux
Qui pour mourir icy vivent
1/honneste danger ne suivent ,
A la vertu paresseux ?
Misérable qui se laisse
Engloutir à la vieillesse !
Heureux deux et trois fois l'homme
?ui desdaigne les dansers !
ousjours vaillant on le nomme
Par les peuples estrangers. »
Epode.
, Disant tels mots, il appreste
Au combat ses membres forts ;
De fer il arma sa teste,
De maille il arma son corps.
Il prit Tespée en la dextre,
Le bouclier en^la senestre,
Henry II, entre la Chastaigneraye et Jarnac, qu'il loue la
resolution d'un brave courage, et consacre à la mémoire
rhonneur qu'en rapporta le vainqueur. (R.)
Premier livre 65
Et, horrible à l'approcher,
Esclairoit comme une foudre
Qui chet pour mer en poudre
Le haut sourcil d'un rocher.
Strophe il.
De juger par conjecture
La fin de l'heure future
Nous rend le cœur plus hautain,
Donnant à qui bien y. pense
Une pande recompense
D'avoir preveu l'incertain.
Mesmes, c'est le tout que d'estre
Des mains aux armes adestre, .
Qui doivent meurdrir la face
De l'adversaire odieux,
Et qui font au vainaueur place
Au plus haut siège des dieux.
Antistrophe,
Toy, devant les yeux de France,
Per à per en camp d'outrance,
Tu remis dessus ton front
Ce au'on embioit de ta gloire (>),
Et J7 gravay la victoire ,
?ue mille ans ne desferont ,
es vertus et ton audace.
Et le maintien de ta grâce, '
8ui eust adoucy la rage
il plus foible befliqueiir,
Si la fureur du courage
Ne luy eust sillé le cœur.
I . Oii sçait le suject de la querelle , et le tort que Ton te-
noit au sieur de Jamac, qui se vengea de son ennemy, de
mesme qu'Apollon des enfans de Niobe. (R.)
Ronsard. — II. 5
66 Odes.
r
Epodf,
Une ttii;e< d'erreur pteiiie(i)
Qui nous trouble Volontiers, ^
Couvrant la raison , nous meine
Esgarez desiixeaux sentiers,
Nous fians (sots que nous sommes!)
Aux vents mcettmiis des bpmmes ,
Qui soufflent j pour nOiis tromper,
En cent sone$ et manières,
Et aux faveurs joumMieres
Que le fer sçait bien couper*
Strophe iiu
Toutesfois , la pa^le Envie
Epie tousjours la vie
De rhomme à qui le bon-heur
De la victoire honorable
Par sa face vénérable
A peint l'image d'honneur.
La loy de nature toulrne.
Rien de ferme ne séjourne,
Divers vents sont ep mesme heure,
Ore hy ver, ore printemps;
Tousjours la vertu demeure
Constante contre le temps.
Antistràph*
Ah ! ce labenr^ façcordé :
Dessus ma thebaine corde
Ne cesse de m tehttty
Afin qu'au jour je le monsif e
Et que je marche à i'encontf«^
I . Tout ce qiii suit est dit à cause de la fSortnne 4tt sieur
de laChastaignemye, qui estoit grande en coui et pleine de
faveur, et ceU luy baus&oit k cœur* ,
Premier livre. 6^
Du vainqueur pouf le chaater,
Le mariant aux haleines
Des trompette y qui sont pkiiies
D'un son iuneax est grave.
Qui mettrrât à fiondialoir
La vietoire que je lave
Dedans les onies du Loin?
Qu'on chante'ies nouveaux- lijrnnes,
Mais qu'on vante les vins vieux.
Ceux qui ibnt fes vertus dignes
Sont engrsivez dans les Cieux.
Du couard la renoinmée
Ne hit oficqnaes estimée .
(Quoy qu^il bce du vaillant), .
Soit au camp paraiy les troupefs.
Soit en la ner sur les poupes ^
Lors que l'on va bataillant* .
Strùphfim,
La mer a cognit ta race:
Humble, appaisant son audace.
Sous ton oncle gouverneur.
Du flot qui venteux arrive
Contraria Irançoise tvfe ■
Bruyant encor son honâeûr.
Chabotl bien peu je prise
De gaigner une entreprise
Que lla-FQrttiiie^eOV>e ■ • •
A chacun également;
Mais'c^est' beaucoup que de vivre
• Par elle etémeliement. ;
Ta yçrtu seroit trompée,
Et-ncâpliisque toà^pé^.
i •}
68 Odes. :
Mit à vaincre l'ennemi
Non plus vive seroit-elle
Si je n'avoy coupé Taile
Du long Silence endormi y
Monstre qui a de coustume
De couver dessous sa plume
La vertu qui s'est parfaite
En Thonneur d'un acte beau ;
Mais celle que tu as faite
N'ira pas sous le tombeau,
Epode,
J'ay jur^.de faire croistre
Ta gloire contre les ans ,
Faisant par elle apparoistre
Combien mes vers sont plaisans,
Qui tesmoignent à la France
Comme ta brave asseurance
Te fit marcher glorieux ,
Vestu d'honneur et de gloire,
Ayant ravy la victoire
Par le fer victorieux.
en
A MICHEL DE L'HOSPITAL,
chancelier de France.
Ode y:. (}),— Strophe i.
Errant par les champs de la Grâce,
Qui peint mes vers de ses couleurs,
Sus les bords dirceans j'amasse
L'eslîte des plus .belles fleurs ,
1. C'est un chef-d'œuvre de poésie que teste ode, feictc
l'honneur de la poésie et d'un grandissime personnage.
Premier livre. 69
Afin qu'en pillant je façonne
D'une laborieuse main
La rondeur de ceste couronne
Trois fois torse d'un plv thebain ,
Pour orner te haut de fa gloire
De l'Hospital, mignon des Dieux,
Qui çà bas ramena des deux
Les filles qu'enfanta Mémoire.
Antistrophe,
Mémoire, royne d'Eleuthere,
Par neuf baisers qu'elle receut
De Jupiter, qui la fit mère.
En neuf soirs neuf filles conceut.
Mais quand la Lune vagabonde
Eut courbé douze fois en rond
(Pour r'enflamer l'obscur du monde)
La double voûte de son front,
Elle adonc lassement outrée
Dessous Olympe se coucha,
Le poète y traiae la naissance des Muses et le voyage qu'elles
font chez POcean pour y voir leur père, où estans arrivées
comme il souppoit, elles chantent trois sujects qui représen-
tent trois stiles divers. Cela fait, avec un ravissement mer-
veilleux, l'une d'elles, au nom de la troupe, demande à
Jupiter i>lusieurs choses excellentes et dignes de leur profes-
sion; puis après, ayant obtenu ce qu'elles demandent, le
poète les fait revenir en terre , où il descrit les commence-
mens de la poésie, ses progrés et son déclin ; enfin , pour
venir au suject spécial et particulier de son œuvre , il les
fait retourner au ciel , contrainctes par l'Ignorance, jusqu'au
jour prefix à l'heureuse naissance du grand Michel de l'Hos-
pital, chancelier de France, ^ui les rameine une autre fois
et restabltt en terre pour jamais, avec admiration de ses ver-
tus, sçavouet preud'hommie, que le poète traiae et poursuit
excellemment jusqu'à la fin de l'œuvre. (R.)
Nous avons comservé cette note caractéristique de Richelet
sur l'ode de Ronsard la plus admirée par ses contemporains.
Et criant Lucine^raçoàiuiha
De neuf filles d'une centrée ,
Epode.
En qui respandit le Ciel
Une musique immortelle ,
Comblant leur bouche nouvelle
Du jus d'un attique miel y
Et à qui vrayment aussi
Les vers furent en souci y
Les vers dont flattez nous sommes,
Afin que leur doux chanter
Penst doucement enchanter
Le soin des dieux et des hommes.
Strophe 1 1.
Aussi tost que leur petitesse y
Courant avec les pas du temps ,
Eut d'une rampante vistesse
Touché la borne de sept ans ,
Le sang naturel , qui commande
De voir ses parens , vint saisir
Le cœur de ceste jeune bande ,
Chatouillé d'un noole désir ;
Si qu'elles mignardant leur mère,
Neuf et neuf bras forent plians
Autour de son col, la priant
De voir la face de leur père.
Antistrophe,
Mémoire, impatiente d'aise ,
Délaçant leur petite main ,
L'une après l'autre les rebaise
Et les presse contre soq sein.
Hors oes poumons à lente peine
Une parole luy montoit,
Premjek livre. 7*
De souspirs alkttremciitptàic,
Tant TafFcction îa^t,
Pour avoir desia cognoissancc
Combien ses filles auront tfheur,
Ayant pratiqué la grandes
Du Dieu qui ptanta leur naissance.
Epode,
*
Après avoir relié
D'un tortis de violettes
Et d'un cerne de fleurettes
L'or de leur chef délié ,
Après avoir proprement
Troussé leur açcoustrement
Marcha loin devant sa trope,
Et , la hastant jour et nuict ,
D'un pied dispos la conduit
Jusqu'au riv^g^ Ethîope.
Strophe lli.
Ces vierges encôres nouvelles
Et maUpprises au labeur,
Voyant le front des eaux cruelles ,
S'effroyerent d'une grand' peur.
Et toutes pancherent amcre
(Tant elles s'alloient émouvant),
Comme on voit dans 4telqnc nviere
Un jonc se pancher sous te ve*t j
Mais leur mère, non estowiét
De voir leur sein qui haletoit,
Pour les asseurer tes flatçit
De ceste parote empennée :
Antistfophc.
« Courage , mes filles (dit-elle)
Et filles de ce Dieu puissant
72 Odes.
Qui seul en sa main immortelle
Soustient le foudre. rougissant!
Ne craignez point les vagues creuses
De Peau qui oruit profondément,
Sur qui vos chansons doucereuses
Auront un jour commandement ;
Mais dédaignez ses longues rides ,
Et ne vous souffrez décevoir
Que vostrc pcre n'aillez voir
Dessous ces royaumes humides.»
Epode,
Disant ainsi , d'un plein saut
Toute dans les eaux s allonge ,
Comme un cvgne qui se plonge
Quand il voia raigle plus haut,
Ou ainsi que l'arc des cieux
?ui d'un grand tour spacieux
out d'un coup en la mer glisàe ,
Quand Junon naste ses pas
Pour aller porter là bas
Un message à sa nourrice (>)•
Strophe IV.
Elles adonc , voyant la trace
D^ leur mère , qui ja sondoit
Le creux du plus humide espace ,
Qu'à coup de bras elle fendoit ,
A chef tourné sont dévalées,
Penchant bas la teste et les veux ,
Dans le sein des plaines salées.
L'eau , qui jaillit jusques aux cieux ,
Grondant sus elles se regorge,
Et, frisant deçà et de là
Mille tortis, les avala
Dedans le goufre de sa gorge.
I . Tethys.
Premier livre. 73
Antistrophe.
En cent façons , de mains ouvertes
Et de pieds voûter en deux pars,
Sillonnoient les campagnes vertes
De leurs bras vaguement espars.
Comme le plomb, dont la secousse
Traîne le met jusqu'au fond.
L'extrême désir qui les pousse
Avalle contre-bas leur iront,
Tousjpurs sondant ce vieil repaire
Jusques aux portes du chasteau
De l'Océan , qui dessous Teau
Donnoit un festin à leur père.
Epode.
De ce palais éternel ,
Bhive en colonnes hautaines,
Sourdoit de vives fontaines
Le vif surgeon perennel.
Là pendoit sous le portail ,
Lambrissé d'un vera émail ,
Sa charrette vagabonde.
Qui le roule d'un gjrand tour,
Soit de nuict ou soit de jour,
Deux fois tout au rond du monde.
Strophe v.
Là sont divinement encloses
Au fond de cent mille vaisseaux
Les semences de toutes choses ,
Eternelles filles des eaux.
Là les Tritons , chassant les fleuves
Sous la terre les escouloient
Aux canaux de leurs rives neuves ,
Puis de rechef les rappelloient.
74 Odes.
Là ceste trouppe est arrivée
Sur le poinct que l'on desservoit »
Et que desja Portonne avoit
La première nappe levée.
Antistropke,
PhœbttSy du milieu de la table ^
Pour dérider le front des dieux,
Marioit sa voix délectable
A son archet mélodieux y
Quand Tœil du père , qui prend garde
Sus un chacun , se costoyant
A Pescart des autres, regarde
Ce petit troupeau flamboyant,
Du quel et Thonneur et la grâce
Qu'empreints sur le front il portoit »
Publioit assez qu'il sortoit
De l'heureux tige de sa race.
Epode,
Luy oui debout se dressa
Et de plus près les œillade.
Les serrant d'une accolade.
Mille fois les caressa,
Tout essayé de voir .peint
Dedans les traits de feur teint
Le naïf des grâces siennes.
Puis , pour son hoste éjouir,
Les chansons voulut ouïr
De ces neuf musiciennes.
Strophe VI.
Elles, ouvrant leur bouche, nleine
D'une aouce arabe moisson (i),
I . Riche et heureuse.
Premier livre.
Pv l'nprit d'ane vive hilûne (i)
Donnèrent l'ame i lenr chanson;
Fredonniint snr U chanterelle
De la harpe du Delien
La contentieuse querelle
De Minerïe(a) et duCromen()),
Comme elle du sein de la terre
Poussa son arbre (*) palissant.
Et luy son cheval hennissant.
Futur augure de la guerre.
Aatiitrophe.
Puis, d'une voix plus violente,
Chantèrent l'enclume de fer(l)i
Oui, par neuf et neuf jours roalaote.
Mesura le ciel et l'enfer,
EÏï rond s'allongeant i l'enlô^r,
Avecque ta nuict qui couronu
Son espace d'un tnpie tour.
Là, tout debout devant la porte,
Le 61s de Japet fermement (^),
Courbé dessous le finnament.
Le soustient tout de sa main forte.
. . - '■ (R)
1. Qui nomma la ville d'Attatees de son nom.
j. De Neptune. — 4. Son olive. ,
). Hésiode dit ( air l'audace des Ti-
lant lonslevu coni ei «tK dea chiimes
dam l'enlti, qui e eue comme II terre
t basse soubs le j c« diilancei par
quelque mes
□pitee du ci
_, u ciel tbt levant que d'amver
en tene, et, depui_ , 1 terre [wqu'à l'en-
fer, demeura autres neuf iouri avant que d'y pirveur.
76 Odes.
Epode,
Dedans ce gouffre béant
Hurle la troupe hereti(]ue
Qui par un assaut bellique
Assaillit le Tu-geant.
Là , tout auprès de ce lieu ,
Sont les garnisons du Dieu
Qui sur les meschans eslance
Son foudre pirouettant ,
Comme un chevalier jettant
Sur les ennemis sa lance.
Strophe vil.
Là de la terre et là de Ponde
Sont les racines jusqu'au fond
De Fabysme la plus profonde
De ce ventre le plus profond.
La Nuict, d'estoiiles accoustrée,
Là salue à son rang le Jour,
D'ordre parmi la mesme entrée
Se rencontrant de ce séjour,
Soit lors que sa noire carrière
Va tout le monde embrunissant ,
Ou quand luy, des eaux jaillissant,
Ouvre des Indes la barrière.
Antistrophe.
Après , sur la plus grosse corde ,
D'un bruit qui tonnoit jusau'aux cieux.
Le pouce des Muses accorae
L'assaut des Geans et des Dieux :
Comme eux sur la croupe Othryenne
Rangeoient en armes les Titans ,
Et comme eux sur l'Olympienne
Leur firent teste par dix ans;
Premier livre. 77
Eux , dardant les roches brisées ,
MouYoient en Tair chacun cent bras; *
Eux y ombrageant tous les combas ,
Gresloient leurs flesches aiguisées.
Epode,
D'aisle douteuse vola
Longtemps sur eux la Fortune ,
Qui or' se monstroit commune
A ceux-cy, or* à ceux-là ,
Quand Jupiter fit sonner
La retraite , pour donner
A ces dieux un peu d'haleine ;
Si (]u'eux , en ayant un peu
Prins du nectar et repeu ,
Plus forts retentent la peine. .
Strophe y ïii.
Il arma d'un foudre terrible
Son bras , qui d'ésclairs rougissoit ,
En la peau d'une chèvre horrible
Son estomach se herissoit ;
Mars, renfrongné d'une ire noire,
Branloit son bouclier inhumain ;
Le Lemnien d'une maschoire
Garnit la force de sa main ;
Phebus, souillé de la poussière,
Lunoit en rond son arc voûté ,
Et le lunoit d'autre costé ,
Sa sœur, la Dictynne(i) guerrière.
Anûstrophe. '
Bellonne eut la teste couverte
D'un fer sur lequel rechignoit
I . Ainsi les Candiots appellent Diane.
7* Odes»
De Méduse la guindé rmesit^ i *
Qyi , pleine 'de: fajnme&vgrongiioitf ^
En son poing elle enlu iaotadte
Par qui les rojrs sont irrites,
Alors que despite elle arrache
Les vieilles tours de'.leura citez.
Styx d*un noir halecret rempare
Ses bras, ses jambes et son sein,
Sa fille amenant par la main (i),
Avec Cotte, Gyge et Briare,
Epodt.
Rhete et Myme, âpres soudarsi, . .
Pour mieux fournir aux. batailles,
Brisoient les dures entrailles
Des rocs , pour faire des dars ;'•> .
Typhé hocnoit arraché
Un grand sapin esbraiicfa^:.
Comme une lance facile;
Encelade un mont avoit , .
Qui bien tost porter devoit
Le grand mont de la Sicile (i).
Strophe IX.
Un tonnerre ailé par la bise
Ne choque pas Tautre si fort ,
S ni sous le ventaâicajnibrise' -
esme air par uti contraiof^aeinti, •
Comme les camps s'éfttM-InAirtérènt^
A l'aborder déstkiviers lieaar; '
Les poudres sous leurs pieds montèrent
Par tourbillons jusqucsiikxxieux.
1. La victoire.
2. Ce fut la punition des geaâs, qui furent terrassez la
plus part sous des montagnes , comme Encelade sous le mont
Gibcl. (R.)
PrEMIILH LIVRE. 79
Un cri se fait; Olympe «é lOQiiev
Othrye en bruit , ta niaf ititssail^
Tout le ciel en «ragte làlwit,
Et là bas Penfer s'en estonite<
ÀntiOiûfia.
Voicy le magnanime Hercule,
Oiii de Tare Rnete a menacé ;
Voicy Myme qui le recule ,
Du heurt d'un rocher eslancé;
Neptune , à la fourche estofée
De trois crampons , vint se mesler
Dans la troupe contre Typhée,
Qui rouoit une fonde en rair^
Icy Phœbus, d'un trait qu'il lette.
Fit Encelade trébucher;.
Là Porphyre luy fit broncher
Hors des poings l'arc et la sagette.
Epodc. ■'
Adonc le De)*6 puissant ,
hii d'os et dé netfs s*eflbrce,
le mit en ottbly.laiorce
De son foudre punissant;
My-courbant son sein en-bas
Et dressant bien.kaHt'ie bras,
Contre-eux cuigna sa tempeste ,
Laquelle en Tes foudroyant
Sifloity aigu-toumoyaift,^
Comme un fuseatr sui'rletir teste.
Strophe X'j ,
Du feu les ^eux piliers du m6nde(0
Bruslez jusqu'au fond.cbaaceUoieat;
1. Les deux pôles.
8o Odes.
Le ciel ardoit , la terre et Tonde
Tous petillans estincelloient ;
Si que le soulfre amy du foudre
Qui tomba lors sur les geans,
Jusqu'aujourd'huy noircit la poudre
Qui put par les cnàmps Phlegreans.
• A tant les filles de Mémoire
Du luth apaisèrent le son ,
Finissans leur douce chanson
Par ce bel hymne de victoire.
Ântistrophe,
Jupiter, qui tendoit Taurcille,
La combloit d'un aise parfait ,
Ravi de la voix nompareille
Qui si bien Tavoit contrefait ;
Et, retourné, rit en arrière
De Mars, qui tenoit l'œil fermé,
Ronflant sur sa lance guerrière ,
Tant la chanson l'avoit charmé ;
Puis à ses filles il commande
De luy requérir, pour guerdon
De leurs chansons, quelque beau don
Qui soit digne de leur demande.
Epode.
Lors sa race s'approcha ,
Et , luy flatant de la destre
Les genoux, de la senestre
Le sous-menton luy toucha;
Voyant son grave sourcf,
Long temps tut béante ainsi ,
Sans parler, quand Calliope,
De la belle voix qu'elle a ,
Ouvrant sa bouche , parla
Seule pour toute la trope :
Premier Livre. 8i
Stroph xi.
« Donne-nous , mon père , dit-elle ,
Père , dit-elle , donne-nous
Que nostre chanson immortelle
Passe en douceur le sucre doux ;
Fay-nous princesses des montagnes,
Des antres, des eaux et des bois,
Et que les prez et les campagnes
S*animent dessous nostre vois.
Donne-nous encor d'avantage
La tourbe des chantres divins ,
Les poètes et les devins,
Et les prophètes en partage.
• Antistrophe,
« Fay que les vertueux miracles
Des vers, médecins enchantez.
Soient à nous, et que les oracles
Par nous encore soient chantez;
Donne-nous ceste double grâce,
De fouler l'enfer odieux.
Et de sçavoir la courbe trace
Des feux qui dansent par les deux ;
Donne-nous encor la puissance
D'arracher les âmes dehors
Le sale bourbier de leurs corps.
Pour les re-joindre à leur naissance.
Epodc.
« Donne-nous aue les seigneurs ,
Les empereurs et les princes
Soient veus Dieux en leurs provinces,
S'ils révèrent nos honneurs.
Fay que les roys décorez
De nos présens honorez
RMsard, — II. 6
82 Odes.
Soient aux hommes admirabfes.
Lors qu'ils vont par leur cité ,
Ou lors que , plems, xl'çauité ,
Donnent les loix veneraoles. »
Strophe xii.
A-tant acheva sa requeste ,
Courbant les genoux humblement.
Et Jupiter, d'un cfîn de teste
L'accorda libéralement.
« Si toutes les femmes mortelles
Que je donte dessous mes bras
Me concevoîent des filles telles
(Dit-il), il ne me chaudroit pas
Ny de Junon ny de sa rage ; ^
Tousiours pour me faire honteux ^
M'enfante ou des monstres boiteux^
Ou des fils de mauvais courage ,
Antistrophe,
(c Comme Mars; mais vous, troupe chère.
Que j'ayme trop plus que mes yeux ,
Je vous plantay dans vostre mère
Pour plaire aux hommes et aux dieux.
Sus doncques, retournez au monde ,
Coupez-moy derechef les flôs ,
Et la d'une langue faconde
Chantez ma gloire et vostre los.
Vostre mestier , race gentille ,
Les autres mestiers passera ,
D'autant qu'esclave il ne sera
De l'art , aux Muses inutile.
Epode,
« Par art le navigateur
Dans la mer manie et vire
Premier livre. 8^
La bride de son navire ,
Par art plaide l'orateur,
Par art les roys sont guerriers,
Par art se font le^ ouvriers;
Mais si vaine expérience
Vous n'aurez de tel erreur :
Sans plus, ma saincte fureur
Polira vostre science.
• Strophe xiii.
a Comme Paymant sa force inspire
Au fer qui le touche de près,
Puis soudain ce fer tiré tire
Un autre qui en tire après,
Ainsi du bon fils de Latonne
Je raviray l'esprit à moy;
Luy^ du pouvoir que je luy donne,
Ravira les vostres â soy ;
Vous, par la force apoHinée,
Ravirez les poètes saincts ;
Eux, de vostre puissance attaints,
Raviront la tourbe estonnée.
Antistrophe.
« Afin (ô destins I) qu'il n'avienne
Que le monde, appris faussement,
Pense que vostre mestier vienne
D'art, et non de ravissement.
Cet art pénible et misérable
S'eslongnera de toutes parts
De vostre mestier honorable,
Desmembré en diverses parts ,
En prophétie, en poésies.
En mystères et en amour.
Quatre fureurs qui tour à tour
Chatouilleront vos fantasies.
84 Odes.
Epode,
a Le traict qui fuit de ma main
Si tost par Tair ne chemine
Comme la fureur divine
Voie dans un cœur humain ,
Pourveu qu'il soit préparé,
Pur de vice , et reparé
De la vertu précieuse.
Jamais les dieux, qui sont bons,
Ne respandent leurs saints dons
En une ame vicieuse.
Strophe XIV.
a Lors que la mienne ravissante
Vous viendra troubler vivement,
D'une poitrine obéissante
Tremblez dessous son mouvement ,
Et souffrez qu'elle vous secoue
Le corps etVesprit agité.
Afin que , dame , elle se joue
Au temple de sa deité.
Elle, de toutes vertus pleine.
De mes secrets vous remplira.
Et en vous les accomplira
Sans art, sans sueur ne sans peine.
Antistrophe,
a Mais par sur tout prenez bien garde
Gardez-vous bien de n'employer
Mes presens en un cœur qui garde
Son péché , sans le nettoyer ;
Ains , devant que de luy respandre ,
Purgez-le de vostre samcte eau ,
Afin que net il puisse prendre
Premier livre. 85
Un beau don dans un beau vaisseau ; '
Et luy, purgé, à Pheure à l'heure
Divinement il chantera
Je ne sai duel vers qui fera
Au cœur des hommes sa demeure.
Epode.
« Celuv qui sans mon ardeur
Voudra chanter quelque chose,
Il vôirra ce qu'il compose
Veuf de grâce et de grandeur;
Ses vers naistront inutis,
Ainsi qu'enfans abortis
Qui ont forcé leur naissance ,
Pour monstrer en chacun lieu
Que les vers viennent de Dieu ,
Non de l'humaine puissance.
Strophe XV.
« Ceux là Que je feindrai poètes
Par la grâce ae ma bonté
Seront nommez les interprètes
Des dieux et de leur volonté ;
Mais ')k seront, tout au contraire,
Appeliez sots et furieux
Par le caquet du populaire
Méchantement injuneux.
Tousjours oendra devant leur face
Quelque démon, qui au besoin,
Comme un bon valet , aura soin
De toutes choses qu'on leur face.
Antistrophe,
a Allez, mes filles , il est heure
De fendre les champs escumeux ;
S6 Odes.
Allez, fita gloire là meilleure,
Allez , mon los le plus fameux.
Vous ne devez, dessus la terre j
Long temps cette fois séjourner.
Sue rignorance avec sa guer-re
é vous contraigne retourner,
Pour retomber sous la conduite
D'un guide {[) dont la docte main^
Par un effrojr grec et romain ,
Ailera ses pieos à la fuite. ts>
Epodô.
A-tant Jupiter enfla
Sa bouche rondement pleine ,
Et du vent de son haleine
Sa fureur il leur soufla.
Après leur avoir donné
Le luth qu'avoit façonné
L'ailé courrier Atlantide ,
D'ordre par Teau s'en-revont ;
En trancnant Tonde elles font
Ronfler la campagne humide.
Strophe XVI.
Dieu vous gard , jeunesse divine,
Réchauffez-moy Taifection
De tordre les plis de cest hynne
Au comble de perfection.
Dessillez-mo^ rame assoupie
En ce gros fardeau vicieux ,
Et faites que tousjours j'espte
D'œil veillant les secrets des cieux.
Donnez-moy le sçavoir d'eslire
Les vers qui sçavent contenter^
I . Du docte Miehel de rHos^hal*
PREMlfeli LIVRE. '87
Et, mignon des Cfâ^és, thanfer
Mon Fr4/tcw/i sus vostre 4yrè. •
Ândstrophe,
Elles, trenchant lesondes blenes,
Vindrent du creux'des flou thénus ,
Ainsi que neuf petites nues,
Parmi les peuples ^ocognn^;
Puis , dardant leurs flames subtiles ,
Du premier coup ont ajdté /
Le cœur prophète des sitylies.
Espoint ae leur divimté ^ .
Si bien cju€ leur langue cotoblée
D*un son dooteiisement obscur,
Chantoit aux hommes Ile futur
D'une boucli^ toute troublée.
Epvde,
Après, par tout l'Univers
Les responses prôph^iques
De tant d'oracles antiques
Furent écrites en ver^;
En vers se firent les lois,
Et les amitiez des rois
Par les vers furent acquises;
Par les vers on fit armer
Les cœurs , pous les animer
Aux vertueuses emprises.
Strophe XV II,
Au cri de leurs saintes paroles
Se réveillèrent les devins ,
Et diactples de leurs escoles
Vindrent lés poçtes divins:
Divins , d'autant qae la nature *
88 Odes.
Sans art librement exprimoient ^
Sans art leur naïve escriture
Par la fureur ils animoient.
Eumofpe (») vint, Musée (2), Orphée,
L'Ascrean, Line (î), et cestuy-là
Qui si divinement parla ,
Dressant à la Grèce un trophée (4).
^ntistrophe.
Eux , piquez de la douce rage
Dont ces filles les tourmentoient ,
D'un démoniaque courage
Les secrets des dieux racontoient :
Si que , paissant par les campagnes
Les troupeaux dans les champs herbeux ,
Les démons et les sœurs compagnes
La nuict s'apparoîssoient à eux ;
Et loin sus tes eaux solitaires ,
Carolant en rond par les prez ,
Les promouvoient prestres sacrez
De leurs saincts orgieux mystères.
Epode.
Apres ces poètes saincts ,
Avec une foule grande
Arriva la jeune bande
1. Excellent homme athénien, duquel fut fils Musée, qui
le premier de tous escrivit de la génération des dieux et in-
venta la sphère. (R.)
2. Duquel nous n'avons point d'œuvres. Et le poëme des
Amours de Leandre n'est pas de luy. (R.)
^. Docte Thebain, fth de Mercure etd'Uranîe, qui a traitté
quasi de toute la nature. (R.)
4. Homère. Son Iliade et son Odyssée, le trophée de la
victoire de tous les esprits , parce qu'il n'y a rien de pareil
entre les escrits des hommes. (R.}
Premier livre. 89
D'autres poètes humains
Degenerans des premiers :
Comme venus les derniers,
Par un art melancbolique
Trahirent avec grand soin
Les vers esloignez bieq loin
De la saincte ardeur antique.
Strophe XVI il.
L'un sonna Thorreur de la guerre
Qu'à Thebes Adrastc conduit (0,
L'autre comme on tranche la terre ,
L'autre les flambeaux de la nuict ;
L'un sur la flûte départie
En sept tuyaux siciliens
Chanta les bœufs (2) ; l'autre en Scythie
Remena les Thessaliens (3);
L'un fit Cassandre furieuse (4),
L'un au ciel poussa les debas
Des roys chetifs (5), l'autre plus bas
Traina la chose plus joyeuse (^).
Antistrophe.
Par le fil d'une longue espace,
Après ces poètes humains
Les Muses soufflèrent leur grâce
Dessus les prophètes romains ;
1 . Une Thebaîde : car Pausanias , dans ses Bœotiques, en
fait mention, sans dire le nom de Tautheur. (R.)
2. Theocrit, Sicilien qui a fait des edogues. (R.)
3 . Apollonius , autheur des Argonautiques. (R. }
4. Lycophron. (R.)
5 . Comme Sophocle ou Euripide et les autres Tragiques. (R. )
6. Comme Aristophane ou Menandre, autheurs premiers
de la comédie , qui a le style bas , à cause de ses sujects sim-
ples et populaires. (R.)
90 CDEà.
Non pas comme ait la première
Ou comme la seeofide^^oit ,
Mais , comme. tont^' là; dernière ,
Plus lentement ks agitoit;
Eux toutefois , pinçant tai lyre ,
Si bien s'assonpfireiA 1^ dois ,
gu'encor le fre;<fôn de' leur vois
asse le bruit de leur empire.
Epode.
Tandis Pl^orance arma
L'aveugle toeur des princes -,
Et leurs avenus provinces
Contre les Sœurs «nima^
Ja rhorreur les enserroitj
Mais plustost les enferroit^
$uana les Muses destournées ,
oyant du fer la rayeûr(i),
Haletantes de frayeur
Dans le ciel sont retournées.
Strophe xix.
Auprès du throne de leur père
Tout à Pentour se vont'saseôiry
Chantant , avec Phebus leur ^e,
Du grand Jupiter le pouvoir^
Les dieux ne faisoLent rien sans elles,
Ou soit qu'ils voulussent aller
A quelqu$:s nopçes.solenneties,
Ou soit quMls voulussent baller.
Mais si tost qu'arriva le terme
Qui les hastoit de retourner
Au monde , pour y séjourner,
D'un pas éternellement ferme,
1 . L'esclat et la lueur des armes. (R.)
Premibr livre. 91
Antistrophe,
Adonc Jupiter se dévale
De son throne, et, grave, conduit
Gravement ses pas en la saHe
Des Parques , nlfes de ia Wuit.
Leur roquet pendoit Jusqu'aux hanches ,
Et un dodonien fueillard
Faisoit ombrage aur tresses blandies
De leur chef trisfement vieiilird ;
Elles, ceintes sops les mammelles,
Filoient assises en nn rond -
Sus trois carreaux , ayant ie front
Renfrongné de grosses prunelles.
Epode.
Leur pezon (i) se herissoit
D'un fer estoiÙé de rouille ;
Au flanc pendoit leur quenouille.
Qui d'airain se roidissoiti
Au milieu d'elles estoit
Un cofre où le Temps roettoit
Les fuzeaux de leurs journées,
De courts, de grands^ d'allongez,
De gros et de bien dougez ,
Comme il plaist aux Destinées.
Strophe XX.
Ces trois sœurs, à l'œuvre ententives,
Marmotoient un charme fatal ,
Tortillans les iîlaces vives
Du corps futur de l'Hospital.
Clothon, qui le filet rephe,
Ces deujc vers, masicha pour i neuf fpi^ : •
1 . Ce qui arreste au bout du-fiiseaab descente du fil. (R.)
92 Odes.
a Je retors la plus belle vie
SU'ONCQUES RETORDIRENT MES DOIS. »
jiis si tost qu'elle fut tirée
A Tentour du fuzeau humain,
Le Destin la mit en la main
Du fils de Saturne et de Rhée.
Antistraphc.
Luy adoncques print une masse
De terre . et devant tous les Dieux
Dedans il feignit une face ,
Un corps, deux jambes et deux yeux,
Deux bras, deux flancs, une poitrine.
Et, achevant de l'imprimer, '
Soufla de sa bouche divine
Le saint filet pour l'animer;
Luv donnant encor' davantage
Mille vertus , il appella
Ses neuf filles, qui çà et là
Entoumoient la nouvelle image :
Epode,
« Ore vous ne craindrez pas ,
Seures sous telle conduite ,
De reprendre encor la fuite
Pour encor voler là bas.
Suivez donc ce guide ici :
C'est celuy, filles, aussi,
Du quel la docte asseurance
Franches de peur vous fera,
Et celuy qui desfera
Les soldars de l'ignorance. »
Strophe xxi.
Lors à bas il poussa leur guide (i/;
I. Michel de l'Hospital. (R.)
Premier livre. 9)
Et elles, d'ordre le suivant,
Fendoient le grand vague liquide.
Hautes sur les ailes du vent ,
Ainsi qu'on voit entre les nues
De rang un escadron voler
Soit de cygnes ou soit de grues,
Suivant leur guide parmy Pair.
A-tant, prés de terre eslevées ,
Tombèrent au monde, et le feu
Qui flamber à gauche fut veu (>)
Resalua leurs arrivées.
Antistrophe.
Hà! chëre Muse, quel zephyre,
Souflant trop violentement,
A fait écarter mon navire
Qui fendoit Tair si droitement ?
Tourne à rive, douce nourrice,
Ne vois-tu Morel (a) sur le bord,
Lequel , à fin qu'il te chérisse,
T'œillade pour venir au port ?
N'ois-tu pas sa nymphe Antoinette (î)
Du front du havre t'appeller.
Faisant son oeil estinceler.
Qui te sert d'heureuse planète ?
Epode,
Haste-toy donc de plier
Ta chanson trop poursuyvie
De peur. Muse , que l'Envie
N'ait matière de crier,
1. Bon présage. (R.)
2. Docte personnage, assez cogneu de son temps. (R.)
3. Sa femme et son espouse, docte pareillement, comme
estoient aussi ses trois filles. (R.)
94
Odes.
La quelle vent abvsmer
Nos noms au fond dé la mer
Par sa langue sacrilège;
Mais plus ell' nous veut plonger,
Et plus elP nous fait nager
Haut dessus l'eau comme un liège.
Strophe XXII.
Contre ceste lice(i) exécrable
Résiste d'un dos non plié.
C'est grand mal d'estre misérable ,
Mais c'est grand bien d'estre envié.
Je sçay que tes peines, ancrées .
Au port de la divinité ,
Seront malgré les ans sacrées
Aux pieds de l'Immortalité ;
Mais les vers que la chienne Envie
En se rongeant fait avorter
Jamais ne pourront supporter
Deux soleils sans perdre la vie.
Antistrophe.
Ourdis, 6 douce lyre mienne,
Encore un chant à cestui-ci ,
Qui met ta corde dorienn#
Sous le travail d'un doux souci.
Il n'y a ne torrent ne roche '
Qui puisse engardér un sonneur
Que près des bons il ne s'approche
Courant pour chanter leur nonneur.
Puissé-je autant darder cet hynne
Par l'air, d'un bras présomptueux.
Comme il est sage et vertueux ^
Et comme il est de mes vers dmne.
I . Ceste chienne. (R.)
Premier livre. 9)
Epode.
Faisant parler sa grandeur
Aux sept langues de ma lyre^
De luy je ne veux rien dire
Dont |e puisse estre menteur;
Mais véritable il me plaist
De chanter bien haut qu'il est
L'ornement de nostre France,
Et qu'en fidèle équité,
En justice et venté ,
Les vieux siècles il devance.
Strophe XX m.
C'est luy dont les grâces infuses
Ont ramené par l'univers
Le choeur des Piérides Muses,
Faites illustres par ses veris (i) •
Par luy leurs honneurs s'embellissent,
Soit d'escrits rampants à deux piez,
Ou soit par des nombres qui glissent
De pas tous francs et déliez;
C'est luy qui honore et qui prise
Ceux qui font l'amour aux neuf Sœurs ,
Et qui estime leurs douceurs ,
Et qui anime leur emprise.
Antistrophe.
C'est luy, Chanson , que tu révères
Comme l'honneur de nostre ciel,
I. Illustres à la vérité; car les six livres de ses Epistres
que nous avons sont excellens, et ont, outre Ja douceur et
l'elegante simplicité de vers, une plénitude d'érudition et de
philosophie morale, tesmoins (|e la docte et, sainte Piud'hom^
mie de leur autheur. (R.)
96 Odes.
C'est celuy qui aux loix sévères
A fait gouster l'attique miel ;
C'est luy qui la saincte balance
Cognoist , et qui ne bas ne haut ,
Juste, son poids douteux n'eslance,
La tenant oroite comme il faut:
C'est luy dont Tœil non variable
Note les meschans et les bons ,
Et qui contre le heurt des dons(i)
Oppose son cœur imployable. *
Epode,
J'avise, au bruit de ces mots,
Toute France qui regarde
Mon trait , qui droitement darde
Le riche but de son los.
Je trahirois les vertus.
Et les hommes revestus
De vertueuses louanges,
Sans publier leur renom,
Et sans envoyer leur nom
Jusques aux terres estranges.
Strophe xxiv.
L'un d'une chose esbat sa vie ,
L'autre d'une autre est surmonté ;
Mais ton ame n'est point ravie
Sinon de justice et bonté.
Pour cela nostre Marguerite (a),
L'unique sœur de ce grand roy.
De loin espiant ton mérite.
Bonne , a tiré le bon à soy.
1 . La concussion.
2. De Valois, qui depuis fat duchesse de Savoye, prin-
cesse digne de l'immortalité, que son mérite et la plume des
plus doctes de son temps luy ont acquise. (R.)
Premier livre. 97
Bien que son pcre (') ayt par sa lance
Donté le Suisse mutin (»)^
Et que de Tor grec et laUn (î)
Ayt redoré toute la France;
Antistrophe.
r
Il ne fit jamais cHosé telle
Que d*avoir en^ndré la fleur
De la Marguerite immortelle ,
Pleine d'immortelle valeur y
Laquelle tout le ciel admire.
Et , à fin que de tous costez
Dedans ses grâces il se mire,
Sus elle tient ses yeux voûtez :
Laquelle d'un vers plein d'audace
Plus hautement je aescriray,
Lors que hardy )e publiray
Le tige troyen (4) de sa race.
Epode.
Mais la loy de la chanson
Ores , ores , ine vient dire
Que par trop en long je tire
Les replis de sa façon;
Ores donques je ne puis
Vanter la fleur, tant je suis
Pris d'une ardeur nompareille
D'aller chez toy, pour chanter
Geste ode, à fin d'enchanter
Ton soin charmé par l'aureilfe.
1 . Le roy François 1er, prince auquel à jamais les Muses
et les lettres devront leur establissement en France, (r )
2. A Marignan, à Novarre
j. De la sdence grecque et latine, le plus riche et plus
précieux or de ces deux Republiques. (R.)
4. La Franciade.
Ronsard. — II. y
9»
Odes.
i ) lis:
A JOACHIM. DU BELLAY
Gentil-homme Angevin, poète excellent.
Ode. XL-- Strophe i.
k ujourd'huy jeemeivan^erayi' ;
A Que jamais je nexhanteray:
Un homme plus ai«é ijuôjtoy ' ■
Des neuf Pucetleitt.d© otoy^
Poste qui cornera ttt'gtoa^e -
Que toute France esliappr«ttvantf
Dans les délices s'abwnv-aHtî.
Dont tu flitcsrofgueilie/Lmreî
Car si un coup elle apper^jwt-^ ^.^
Qu'à du Bellay monkyitiHesDiti',
Par monceaux eHedodoutra tmitfc
Autour de ma Ivre , où dégoûte
L'honneur distillant de ton nom,
Mi«nardé par Part de mon pouce >
Et pour cueillir la gloire douce
Qui emmielle ton renom.' '
Antistrophe.
Sus avant, Muse, ores il faut
Le guinder par l'air aussi haut
Que ses vertus m*ont nus la ,
Dessous le joug d'un doux soua.
Il le mérite, ma mignonne :
Nul tant que luy n'tst honorant
Les vers dqnt tu vas redorant
La gloire M ceux que je spune ;.
Il s^esgaîyc de tes chansons:,
Et de ces ùQUvdks façons,
Auparavant non imitables,
Qui font esmerveiller les UUes
Premier livre.
Et les gros sourcis renfoncer
De ceste jalouse ignorance
Qui ose déjà par ia France
Lltonneur de mes vers offenser.
Epodc,
L'homme est fol qui se travaille
Porter en la mer des eaux,
A Corinthe des vaisseaux ,
Et fol qui des vers te baille.
Si t'envoiray-je les miens
Pour r'encherir plus les tiens ,
Dont les douceurs nompareilles
Sçavent flater les aureilles
Des roy s, Joyeux de t'ouïr :
Seule en France est nostre lyre ,
Qui les fredons sache eslire
Pour les Princes rijouïr.
Strophe il.
Car le poète endoctriné .
Par le seul naturel bien né ,
Se haste de ravir le prix ;
Mais ces rimeurs qui ont appris
Avec travail , peines et ruses ,
A leur honte enfantent des vers
Qui toujours courent de travers
Parmy la carrière des Muses.
Eux , comparez à nos chants beaux ,
Sont faits semblables aux corbeaux ,
Qui dessous les fueilles caquettent
Contre deux aigles , oui aguéttent
Auprès du >throne de leur Roy
Le temps de ruer leurs tempestes
Dessus les misérables testes
De ces criars pâlies d'effroy,
loo Odes.
Antistrophe.
Voyant Paijgle; mais ny les ans,
Ny Taudace des vents nuisans ,
Ny la dent des pluycs qui mord ,
Ne donne aux vers doctes la mort.
Par eux la Parque est devancée,
Ils fuyent Teternelle nuict .
Tousjours fleurissans par le fruit
Que la Muse ente en leur pensée.
Le temps , qui les suit de bien loin
En est aux peuples le tesmoin.
Mais quoy l la Muse babillarde
L'honneur d*un chacun ne regarde ,
Animant ores cestuy-cy ,
Et ores ces deux-là ; car elle ,
Des hauts Dieux la fille éternelle,
Ne se Valette (>) pas ainsi.
Epode,
L'ayant prise pour ma guide ,
Avec le chant iftcognu (a)
De mon luth , je suis venu
Où Loire en flotant se ride
Contre les champs plantureux
De tes ancestres heureux ;,
Puis, sautelant, me rameme ;
De ton Anjou jusqu'au M aine
(De«mon Vendomois voisins),
Afin que là je décore
Et Guillaume et Jean encore,
L'ornement de tes cousins ,
1 . Ne se profane pas ainsi comme un valet. (R.
2. A cause de la nouveauté de ses odes. (R.)
Premier livre. ioi
Strophe III.
Lesquels ont supporté souvent
La fureur de Thorrible vent
8ui d'un orage redoublé
ostre grand prince avoit troublé (i).
Bien que matin le jour s'éveille
Pour voir tout, il ne vid jamais
Ny ne pourra voir désormais
De frères la couple pareille ,
A qui les François doivent tant
De lauriers qu'ils vont méritant ;
Ou soit pour refroidir Paudace
De l'Espagnol , s'il nous menace ,
Ou soit pour amollir les cœurs ,
Par la douceur de leur faconde ,
Des Anglois séparez du monde
Ou des Allemans belliqueurs.
Antistrophe.
Rome, s'yvrantdc leur parler,
Dont le nectar (a) sembloit couler;
Béante, en eux s'émerveilla;
Puis à l'un d'eux (5) elle bailla
Le sainct chapeau dessus la teste ,
Flamboyant autour de son front ,
Ainsi que les deux jumeaux font
Quant ils sereinent la tempeste.
A l'autre (4) nostre Roy cfonna
1 . Aux plus belles et importantes fonctions de l'Estat, pen-
dant les guenes des roys François 1er et Henry II. (R.)
2, La parfaicte éloquence nécessaire aux légations qu'Us
ont eu devers plusieurs princes cstrangers. (R.)
J. A Jean, cardinal et evesque d'Hostie. (R.)
4. A Guillaume du Bellay, sieur de Ungè, qui a dressé,
les Mémoires de son temps. (R.)
102 Odes.
L'ordre (>) qui soi) col entouma ,
Avecaue la puissance d'estre
Sous luy des Piémontois le maistre (a).
Balançant d'équitable poids
Son advis et sa vigilance ,
Les exploits de sa forte lance
Jointe avec une docte vois.
Epodt, •
Nul terme de nostre vie
Par nous ne se juge pas ,
Ignorans le jour qu'en bas
Éflle doit estre ravie.
Dessus l'esté de ses ans ,
Rongé de soucis cuisans ,
Son grand Langé rendit Tame ,
Enterrant sous mesme lame
L'honneur ensemble abbatu ,
Ne laissant rien de valable
Sinon un frère semblable *
Au portrait de sa vertu.
Strophe II II.
Sçache que le san^ de ceux-cy
Et leur race est la tienne aussi.
Mais repren Tare , Muse , il est temps
Guigner au blanc où tu pretens.
Puis que sa louange foisonne
En cent vertus propres à luy,
A quoy par les honneurs d'autruy
Rcmply-je ce que je luy donne }
1 . Le faisant chevalier de Pordre de Samct-Mtchel. Depuis
cet ordre , celuy du Sainct-Esprit a esté institué par Hen-
rf III. (R.-)
2. Gouverneur pour le roy en Piedmont». (R.) '
Premier livre. lo^
Sa gloire suffit pour borner
Les vers qui le veulent orner.
O bons Dieux 1 on ne sçaurôit faire
Que ia vertu se paisse taire ,
Bien qu'on tascne de ro(}scurcif :
Maugré toute envie elle est forte
Et sur le front la lampe porte
Qui seule la peut esc(aircir. 9
Antiitrapht.
Ton nom est tant estinoelant ,
Qu'encores , s*on Palloit celant ,
Dessous le silence il croistrcnt ,
Et plus sa flame apparoistroit.
Car, tout ainsi que la mer passe
L'honneur d'un chacun élément ^
Et le soleil semblablement
Les moindres feux du dé efface ,
Ainsi apparoissent les traits
Dont tu esmailles les portraits
De la riche peinture tienne,
Naïvement soeur de la mienne ,
Monstrant par ton commencement
?ue mesme fureur nous affole ,
ôus deux disciples d'une escole
Où l'on forcené doucement.
Epode.
Par une cheute subite
Encor je n^av fait nommer
Du nom de Konsa/d ja mer ,
Bien que Pindare j'imite.
Horace . harpeur latin ,
Estant fils d'un libertin ( > ),
1. D*un serviteur affranchi.
104 Odes.
Basse et lente avoit Paudace
Non pas moy, de franche race.
Dont la Muse enfle les sons
Avecque plus forte haleine ,
A fin que Phebns rameine
Par moy ses vieilles chansons ;
Strophe v.
Lequel m'encharge de chanter
Son du Bellay , pour le vanter
Sur tous ses enrans qui ont bien
Masché le laurier Delphien (>).
Obéissant à la voix samcte ,
Mon trait , par le ciel galopant ^
L'air angevin nira coupant
Sans que ta gloire en soit attemte.
Chantant Thomme estre bien-heurettx
Qui en ton nectar doucereux
Ses belles louanges eny vre ,
Mille fois nommé dans ton livre.
Que diray plus ? Le Ctel t'a fait
(Te fortunant de main non chiche)
Jeune , dispest , sçavant et riche y
Dessus son moule plus parfait.
Anùstrophe.
Mes doigts ne pourroient se lasser
De faire mon batteau passer
Parmy les mers de ton renom ,
Et ramerois encor sinon
Que j'ay déjà preveu Torage
Des mesdisans impétueux,
Qui contre les plus vertueux
I . QUi sont les meilleurs poètes , qui laurum momordenint
(Juvenal).
Premier livre. 105
Dégorgent volontiers leur rage ,
La quelle , en babil s'estendant ,
Comme un grand tonnerre grondant ,
De son murmure m'admoneste
De tromper rhorrible tempeste,
Aboyante tant seulement
Les nourrissons des neuf Pucelles ,
Qui se sont mis au dos des ailes
Pour voler éternellement 1
Epod€.
Ore donc , frères d* Hélène,
Les Amycleans flambeaux
Du ciel , monstrez-vous , jumeaux , \
Et mettez but à ma peine ;
Faites ancrer à ce bort
Ma navire en quelque port ,
Pour finir mon navigage ,
Et destournez le langage
Du mesdisant (>) aue je voy,
?ui tousjours sa dent travaille
bur me mordre , afin qu'il aille
Remordre un autre que moy.
AU PRÉSIDENT BOUJU
Angevin.
Ode XH. --Strophe i.
LE potier hait le potier,
Le févre le charpentier,
Le poète tout ainsi
1. De Mellin de Saint-Gelais , à <jui la gloire lors et la
grandeur de Tesprit de no9tre poète faisoit envie. (RO
io6 Odes.
Hait celuy oni Test aussi ,
Comme dit fa voix sacrée
Du vieil citoyen dîAscrée ;
Mais tu as parta^vertu
Ce vieil provèiteiabbâtu ,
Vantant mon petit mérite
(Sans te.monsiret eimeux)
Devant nostrt Marguerite,
Le rare présent des >ciettx.
Antistrophe.
Phebus ravit les neuf sœurs ,
Puis leurs picquan tes douceurs
Ravissent les beaux esprits
8ui d'elles se sont épris ;
ais mon ame n'est ravie
Que d'une bruslante envie
D'user un labeur tenter
Pour mon grand Roy contenter,
A celle fin que mon œuvre
Sa graad'main flatte si bien
Que quelquefois je la treuve
Prompte a me faire du bien.
Epode,
Celuy qui d'un ret pourchasse
Les poissons, ou cestuy-là
Qui par les montagnes chasse
Les testes deçà et là ,
C'est afin qu'air peude^toye
La fortune luyoctfove ; . .
Mais l'homme plein de .'bcWTbejir ,
Qui suit comme toy les princes
Et les grands dieux des isfxiviBtes,
C'est pour sexombier dTionheBr,
Premier livre. 107
Strophe 1 1.
Laissant au peuple ignorant
Un crevecœur dévorant
Béant après la vertu
Dont le sage est revestu.
Les uns en cecy excédent ,
Les autres cela possèdent.
Mais les roys portent sur eux
Le sommet des biens heureux.
Au poète qui s'amuse
Comme toy de les vanter,
Calliope ne refuse
De Touyr tôusjours chanter.
Antistrophe.
Quand Phebus sVsleve aux cieux ,
Les ombres fiiyent ses yeux :
Ainsi, où ta Muse lurt^
La sourde ignorance fiiit ,
Rendant les bouch^ muetes
De nos mal-heurtstix poètes ,
Qui souloient cqmme pourceaux
Souiller le clair des ruissieaux.
Les beaux vers que j'ày veu naistre
Si heureusement de toy
Te rendent bien di^e d'estrc
Prisé de la sœur d'un Roy.
Epode.
Ta fameuse renommée ,
)ui doit voir tout l'Univers,
le prie d'estre nommée
Par la trompe de mes vers.
Et le feray , car ta glqirt
io8 Odes.
Est digne de la mémoire ;
Puis les dieux conte ne font
De nul papier s'il ne porte,
A la dorienne sorte ,
Ton beau nom dessus le front.
A JEAN D*AURAT
Son précepteur et poète royal.
Ode XIII. — Strophe,
Le médecin de la peine,
C'est le plaisir qui ameine
Le repos avecque luy,
Et les odes qui nous flatent
Par leurs douceurs, qui abbatent
La mémoire de l'énnuy.
Le bain ne soulage pas
Si bien les corps qui sont las
Comme la louange douce
Nous soulage , que du pouce
A la lyre nous joignons.
Par qui les playes de l'ame
(Lors qu'un desplaisif l'entame)
Pour la guérir nous oignons.
Antistrophe.
Certes ma chanson sucrée ,
?ui les grands princes recrée ,
c pourra bien dérider
Apres ta peine publique ,
Ou ta faconde s'applique
Pour la jeunesse guider.
Premier livre. 109
Le haut bruit de ton sçavoir
Evidemment nous fait voir
Que tu brises l'ignorance ,
Renommé parmy la France,
Comme un oracle des dieux ,
Pour desnouer aux plus sages
Les plus ennouez passages
Des livres laborieux.
Epode.
Tant d'ames ne courent pas
Après Alcée là bas ,
Quand hautement il accorde
Les guerres dessus sa corde ,
Comme ta douce merveille
Emmoncelte par milliers
Un grand peuple d'escoliers
Que tu tires par l-aureiile.
A JAN ANTOINE DE BAÏF
Très-excellent poète.
Ode XIV. — Stro/AM.
Jay tousjours celé les fautes
Dont mes amis sont tachez ;
y^Y tousjours teu leurs péchez,
Mais non pas leurs vertus hautes^;
Car moy qui suis le sonneur
Et le courrier des louanges,
Je ne porte aux gens étranges
Sinon la gloire et Thonneur
Que le Ciel , large donneur,
Ayant quelque soin de toy,
T*a départy comme à moy,
110 :OpE$*~
Versant sur ta Ungu«f sage
Un sainct trésor de beaux vers ,
Afin que son doux^mess^e
S'espande par l'univers.
Antistropke,
Maint chemin nous peut attraire
Pour venir à la vertu ;
D'un bien un tel est vestu,
L'autre d'un autre au contraire.
Premier j'ay dit la façon ;
D'accorder le luth aux odes,
Et premier tu t'accommodes -
A la tragique chanson ,
Espouvantant d'un grand son
Et d'un stile tel qu'il faut
Nostre françois échafaut ; .
Des grands princes misérables
Traînant en long les regrets
Par tonnerres exécrables
Bruyans es tragiques Grecs.
Epodc,
D'esprit et d'art volontiers
En tout differens nous sommeç :
Ne deux ne quatre mestiois
Ne nourrissent pas les hommes;
Mais quiconque a le sçavoir,
Ccluy doit l'honneur avoir.
O Baîf, ia plume prottte
A vouloir monter aux cieux
D'un vol qui la mort surnionte
Trompe l'enfer odieux.
Premier livre. mi
A JEAN MARTIN
Poëte et architecte.
Ode XV.^ Strophe l.
La fable etabounéè, :
Desente heureusement
D'une plume dorée,
Nous trompe doucement ,
A Pun donnant la gloire
Qu'il n'a pas mérité,
Faisant par le faux croire
Qu'on voit la vérité ;
Car tout ce que la Muse
Lyrique ne refuse
D'emmieller par nous.
Cela flatte Taureille,
Qui toute s'esmerveille
De le boire si dous.
Antistropbe:
Il ne faut que j'honore
Ton renom, i Martin,
De fables prises ore
Du grec ny du latin;
Ta vertu treluisante
Comme astres radieux
Me sera suffisante
Pour te loger aux cieirx.
Quelle terre esîofgfiée,'
Quelle rive baignée
De l'une et l'autre mer, , .
Quelle isie déscouverte,
t ' •
112 Odes.
Ne tient la gorge ouverte
Ardente à te nommer ?
Epodt.
Vous jgouvcrnez les rois,
Poètes & la court ,
Et si de vostre. vois
La mémoire ne court.
Si ta grand main désire
De respandre le bien^
C'est à ce Martin, Sire,
Qui le mérite bien.
Strophe ii.
Certes Texperience
N'est utile sinon
Pour sonder la science
Si elle est fausse ou non.
Le siècle qui doit estre
Ne taira ton bon-heur.
Et comme tu fis naistre
A la France un honneur,
Toy de qui la musette
Sur le bord de Sebctte (i)
Chanta bien haut aussy ..
Les beaux pasteurs , qu'encore
Naples autant honore
Comme on: t'honore icy.
Atttistropbe,
Par toi le peuple estrange
A peu sentir combien
i . Fontaine auprès de Naples. Elle fut chantée par Sanna-
zar, dont Jean Martin a traduit I'Arcadie.
Premier livre. 113
La France a de louange
Faite heureuse en ton bien ;
Par toy revient l'usage
Des outils et compas .
Que mesme le vieil âge
Des Romains ne sceut pas.
Le maçon par ta peine
Son ouvrage démeine,
Et , sous toy faict sçavant ,
Jusgues au ciel égale
Mainte maison rovale ,
Ton livre allant devant.
Epodc,
L'œuvre est de l'inventeur,
Et celuy qui apprend
^: t *-. nour menteur
•;: ■ <■' . • '."
i.: .''1 ■
•V^
Ll sii iœkle :..
.,>
'r.rirxs
Ne peut céder aux lieux.
^
konsard, — 11. ' ^
AU SIEUR BERTRAND BERGIER,
De Poiticis.
Ode XV!.
La mercerie que je porte ,
Bertrand , est bjen d'une autre sorte
Que celltque l'usurier veni
Dedans ses boutiques avares.
Ou celle des Indes barbares
Qji enflent l'orgueil du Levant.
Ma douce navire immortelle
Ne se chai
El telle de
Ou, si tu I
Et de leur
Leur m
. Au plus ol
Car leur 1:
Et pour l'i
Sans plus .
A qui me plaist de mes amis.
Reçoy donque teste largesse ,
Et croy que c est une richesse
Qui par le temps ne s'use pas ;
Mais contre le temps elle dure,
El, de siècle en aede plus pure,
Ne donne point aux vers d'appas. •
L'audacieuse encre d'Alcée
Par les ans n'est point effacée,
Et vivent encores les sons
Que i'amante (') bailloit en garde
A sa tortue (>}babillarde,
La compagne de ses chansons.
1. Sapphuo. — 1- A sa lyre, parce que la première 1;
fut foitt et tompoiie d'une lonue. (R.)
Premier livre. 115
Mon grand Pindare vit encore
Et Simonide et Stesichore ,
Sinon en vers ( ' ) ^ 3u moins, par notai ;
Et des chansons qu'a voulu dire
Anacreon dessur la lyre
Le temps n'eiface le renom.
N'as-tu oôy parler d'Enée ,
D'Achil, d'Afax, d'idomenée?
A moy semblables artisans
Ont immort^lizé leur gloire
Et fait allonger la mémoire
De leur nom jusques à nos ans.
Hélène seule, estant gaienée
D'une perruque bien peignée ,
D'un port royal , d'un vestement
Brode d'or ou d'une grand suite,
N'a pas eu la poitrine cuite
Par un amour premièrement.
Hector le premier dès gendarmes ,
Et Teucre n'a vAu les armes,
Dardant ses homicides traits;
Non une fois Troye fut prise :
Maint prince a £ait mainte entreprise
Devant le camp des. deux roys grecs.
Mais leur prouesse n'est cogneue ^
Et une oblivieuse nue
Les tient sous un silence estrahits ;
Engloutie est leur vertu haute
Sans renom, pour avoir eu faute
Du secours des poètes saincts.
Mais la mort ne vient impunie
Si elle atteint Pâme gai-nie
Du vers que la Muse a chanté,
Qui, pleurant de dueil, se tourmente
Quand l'homme aux emers. se lamente
Dequoy son nom n'est .point vaiité.
I. Nous n'avons point les vers de Simonide et de Stesi-
chore , sinon quelques fragmens dans les livres. (R.)
ii6 Odes.
Le tien le sera , car ma plume
Aime volontiers la coustume
De louer les bons comme toy,
Qui prévois l'un et l'autre terme
Des deux saisons , constant et ferme
Contre leur inconstante foy ;
Plein de vertu , pur de tout vice ,
Non bruslant après Tavarice,
Oui tout attire dans son poin ;
CKenu de meurs, jeune de force,
Amy d'espreuve , qui s'efforce-
De toujours prêter au besoin.
Celuy qui sur la teste sienne
Voit Tespee sicilienne (>),
Des douces tables l'appareil
N'irrite sa faim , ny la noise
Du rossignol qui se desgoise
Ne luy raroeine le sommeil.
Mais bien celuy qui se contente
Comme toy; la mer il ne tente .
Et pour rien tremblant n'a este ,
Soit que le bled fausse promesse,
Ou que la vendange se laisse
Griller aux fiâmes de l'esté.
De celuy le bruit du tonnerre
Nv les nouvelles de la guerre
N ont fait chanceler la vertu ;
Non pas d'un roy la fiere trace ,
Ny les pirates la menace,
N ont point son courage abatu.
Taisez-vous, ma lyre mignarde.
Taisez-vous, ma lyre jazarde,
Un si haut chant n^est pas pour vous ;
Retournez louer ma Cassandre ,
Et dessur vostre lyre tendre
Chantez-la d'un fredon plus dous.
I. L'èpèe de Damoclis.
Premier livre. 117
A CASSANDRE.
Ode XVII (i).
IVA ignonne , allons voir si la rose
iVl Qui ce matin avoit desclose
^/Sa robe de pourpre au soleil
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
NEt son teint au vostre pareil.
Las! voyez comme en peu d'espace ,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! las ! ses beautez laissé cheoir !
O vrayment marastre Nature ,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir \
Uonc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté ,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur, la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
A JOACHIM DU BELLAY.
Ode XVIII.
Celuy qui ne nous honore
Comme prophètes des Dieux ,
Plein d'un orgueil odieux
1. Void les 18 vers qui ont plus servi à la gloire de Ron-
sard que tout le reste de ses œuvres.
liS Odes.
Les Dieux il mesprise ertcore^
Et le ciel, qui nous décore
De son thresor le plus beau ^
Nous mariant au troupeau
Que le sainct Parnasse adore.
Une saincte jalousie
De leurs présents les plus douS,
Se laissant glisser dans nous,
Flatte nostre poésie ,
Qui darde la tantasie
De leurs prestres agitez
Jusqu'au Sein des oeitez,
Yvres de leur ambrosie.
De^à revolans au monde,
Comblez de secrets divers,
Vont chantant par Pu ni vers
D'une voix où Dieu abonde ,
Et leur divine faconde
Sert d'oracles , et sont faits
Les ministres plus parfaits
De la deité profonde.
Un démon les accompaigne,
Par sur tous le mieux instruit,
Lequel en songes , la nuict ,
Sans nul travail les enseigne,
Et , demy*Kiieu , ne desdeigne
De les aller informant ,
Afin que l'homme en donnant
Toutes sciences appreigne.
Ils cognoissent la peinture
De ce grand monde, et cela
Qu'il varie çà et là
En chacune créature ;
Ore par leur escriture
Sont pescheurs , sont laboureurs ,
Maçons ^ soudars , empereurs ,
Vrais peintres de la Nature.
Celuy à qui le ciel donne
PRËMI&K LIVRE. Il^
Un tel preseiit> il peut bleu
Dire à tous qu'il a le bien .
Qu'à peu d'hommes 11 ordonne,
Et sa langue, jqui doux sonse^
Quand elle voiùira jdiaittery
Se pourra trè»-bien vanter . . ; ,
Qtrelle est des DkIux là aùgnonne.
^n chaque art |adts maint homme
Admirable s'est trotivé,
Et admirable approuvé/
Par Page, qm tout consomme.*
Suant aux poètes^ oa nomme
n Hemere «eui^niBSt ;
Homère eteniélkment
Sur les autres se renomme^
Ce nous est expérience.
Que Dieu n'estpas libéral
A chacun en gênerai
D'une si belle science.
Qui commença j'ailiànce
De corps et d'^e. entre nous ,
Et qui loge par ^itr tous
En tes beaux vers 5a fiance.
AVANT-VENUE DU PRINTEMPS,
Ode XIX.
Taureau q«i dessus ta crape
Enlevas la. belle Europe
Parmy les voyes de l'eau ,
Heurte du o-^d ciel la borne ,
Et descTouiOe de ta «orne.
Les portes de. Tan. nduvéau^
Et toy, vieillard qui enserre
I20 Odes.
Squs ta clef ce que la terre
Produit généralement,
Ouvre l'huys à la Nature,
Pour orner de sa peinture
Les champs libéralement.
Vous, nymphes des eaux , qui estes
Ores aux sfaces sujettes,
Levez un oeau chef dehors ,
Et , mollissant vostre course ,
D'une trépignante source
Frappez hbrement vos bors,
Ann que la saison verte
Se monstre aux amans couverte
D'un tapis marqué de fleurs;
Et que la campagne face
Plus jeune et gaye sa face ,
Peinte de mille couleurs,
Et devienne glorieuse
De se voir victorieuse
Sur rhyver injurieux ,
Qui Tavoit trop offencée
De mainte gresle eslancée
D'un aiguillon furieux.
Mais or en vain il s'efforce :
Car il voit déjà sa force
Lentement se consumer
Sous le beau jour qui s'allonge ,
Et qui ja tardif se plonge
Dans le ciron de la mer.
[Jà le beau printemps arrive
Et jà l'herbe de la rive
Soulève un petit son chef,
Et, méprisant la froidure,
Etale au ciel sa verdure.
Pour y fleurir de rechefl]
Jà le ciel d'amours s'enflamme^
Et dans le sein de sa femme
Jupiter se va lançant ,
Premier livre. 121
Et y meslant sa force en elle ,
De sa rosée éternelle
Va son ventre ensemençant; '
Si qu'elle , estant en gesine ,
Respand sa charge divine
Sur la terre, à celle fin
Sue la terre mesme enfante ,
i peur que ce Tout ne sente
En ses membres quelque fin.
Amour, qui Nature éveille ,
Amenant prés de raureille
La coche des traits ardents ,
Les pousse de telle sorte
Oue la poitrine est bien forte
STls ne se fichent dedans.
Du ciel la grand' bande ailée ,
De Teau la troupe escaillée ,
Contrainte du dard vainqueur,
Ny dans Teau ny par les nues
NWeint les fiâmes venues
Enflamber leur tendre cœur.
La charrette vagabonde
Qui court sur le doz de Tonde,
Oisive au port paravant .
Laschant aux voiles les brides,
Va par les plaines humides
De roccident au levant.
[Nos soudards chargent la pique
Voire et tant Thonneur les pique
Qu'avant le temps attendu
Du veillant soudard d'Espagne
Ils ont jà dans la campagne
Leur camp partout épandu.]
Du printemps la saison belle.
Quand la terre estoit nouvelle,
L'an paisible conduisoit 2
Du soleil qui nous esclaire
La lampe seulement claire
122 Odes»
Tiède par tout reiuisoit .
Mais la main des Dieux jalouse
N^endara que telle chouse
Suivist son train coustnroier;
Ains, changeant le premier vivre,
Fit une saison de cuivr.e
En lieu du bel or premier. '
Lors le printemps donna place
Au chaud y au vent , à la giace,
Qui renaissent à leur tour,
Et le sapin des valées
Sauta sur les eaux salées
Qui nous baignent à l'entour.
On ouyt sonner les armes,
On ouyt par les alarmes
L'acier tinter durement,
Et les lames acérées.
Sur les endumes ferrées
Craqueter horriblement.
On inventa les usages
D'empoisonner les breuvages
Et Fart d'espandre le sang; .
Les maux du cofre sortirent,
Et les hauts cochers sentirent
La foudre dessus leur flanc.
A PHŒBUS,
Pour la santé de sa maistresse.
Ode XX.
y^ père , ô Phœbus Cynthien ,
KJO sainct Apollon Pythien ,
Seigneur de ^ Déle là divine , .
Premier livre. >2j
Cyretiean, Patarean,
Par oui le trepié ihymbrean (»)
Les cnoses futures aevine ;
Ou soit que Clare (2). ou que tes sœurs,
Te détiennent de leurs douceurs ,
Ou soit que tu laves en Ponde
D'Eurote (3), dairement rouFant,
Le crespe honneur du poil coulant
Par flocons de ta teste blonde ;
Enten , 6 Prince , mon soucy ,
Et vien pour soulager icy
Celle qui ne m'est moins cruelle
Que la fièvre , qui va mordant
D'un accez et froid et ardant
La douce humeur de sa môuetle.
Quoi ! sur elle n'espandras-tu
Oyelque jus remply de vertu ?
Veux-tu pas son médecin estre ?
Si seras , ou je fus deceu ,
Ayant Tautre jour apperceu
Ton cygne voler à senestre.
Tu as , seul des dieux , cest honneur,
D*estre poète et gouverneur
De toute herbe, soit de campagne ,
Soit de monts , soit de celles-là
Que Thetys , de çà et de là,
En quelque bord étrange bagne.
Par toy Esculape pilla
Les enfers . lors qu'il réveilla
Hippolyt' ae la gresle bande ,
Et, fraudant le prince inhumain (4),
Luy arracha hoi's de la main
1. Une sorte de simple, appellée thymbra^ qui abonde en
la Troade. (R.)
2. Isle des Cyclades. (R.)
3. Pleuve de Laconie.
4. PlntOD.
124 Odes.
Le tribut (i) qu'à tous il demande.
Par toy le doux enchantement
Sait arrêter soudainement
Le corps de l'homme qui dévie (a) ;
Par toy le médecin expert,
Ayant mvoqué ton nom , pert
Le mal , larron de nostre vie.
Fils de Latone, escoute-moy,
Vien , et apporte avecque toy
Le mol y et la panacée ,
Et Pheroe que Medée avoit
Quant'reverdir elle devoit
iJ^Eson la jeunesse passée ;
[Et celle qui boutonne aussi
Sur le plus haut du froid sourcy
Du Caucase, étant enfantée
Du poumon toujours s'aliongeant
Que l'aigle éternel va rongeant ,
Cruel bourreau de Prométnée ;]
Et l'herbe forte qui changea
Glauque si tost qu'il la mangea ,
Le faisant immortel d'un homme ,
Sui, par la mer, entre les Dieux,
e Craint que le temps odieux
Le nombre de ses ans consomme.
Brise-les du bout de ton arc.
Puis, d'elles pressurant le marc,
Fais un breuvage et le luy baille ,
Ou bien les applique à ses bras,
Et lors, ô Pean, tu rompras
Le mal qui deux âmes travaille.
Déjà son beau coral s'esteint,
I. La vie.
. a. Var. 1587 :
Par ta puissance le charmeur
Arreste de V homme qui meur
L'amc à demy déjà ravie.
Premier livre. 125
Et ja la rose de son teint
Se fanit, paliement flestrie,
Et Toeil meurtrier où m'aguettoit
Ne sçai quel archer qui estoit
L'object de mon idolâtrie.
Las ! tû peux , en la guarissant.
Me soulag[er, moy périssant
Au feu qui sa fièvre resemble ;
Ainsi, ratifiant mes vœux,
De mesme cure, si tu veux,
Tu en guariras deux ensemble.
Lors un temple j'edifiray.
Où ton image je feray
De longues tresses honorée,
A son Qoz pendray Tare turquois ,
La lyre , sœur de son carquois ,
A son flanc la dague dorée.
A PIERRE PASCHALO).
Ode XXL
Ne serov-je pas encore
Plus (fur qu'un Scythe cruel ,
Ou le flot continuel
Qui ronge le sablon more j
Si je n'emplumoy la gloire
De toy, mon Pascnal (2), afin
Qu'elle voltige sans fin
Dans le temple de Mémoire.^
1 . Il loue Pierre Paschal de parler bien latin et d'estie
digne de rimmortalité de ses vers. (R.)
2. Il est toutefois accusé d'avoir abusé le public d'une pro-
messe d'histoire dont il ne fit jamais voir qu'un je ne sçay
quel dessein sous Henry II , qui luy valust beaucoup. Es-
tienne Pasquier accuse fort ce Paschal dans ses Epistres. (R.)
126 Opes.
La chaîne qui entrelace
Ton esprit avec le mien ,
Et mon nom semblable au tien(i)y
Commande que l^e le face.
Ce m'est une .dovice peine
Chanter Phomme en qui les cieux
Ont renversé tout le mieiuc .
De leur influence pleine.
Quand sa clarté merveilleuse
Maugré Tobscur se fait voir
Par les rayons du sçayoir
De sa langue n^iell^use, ,
Certes telle gloire douce
Crie qu'elle est seule à toy,
Obéissant à la loy
De ma lyre et de mon pouce.
[Ne voy tu comme elle vole
Ça bas en dix mille lieux,
Ains comme elle vole aux cieux
Par le vent de ma parole ?]
Jà ton Languedoc se vant^
D'honorer son nourrisson ,
Fait immortel par le sQn .
Du Vendomois qui le chante.
Quoy ! c'est toy qui m'éternise !
Et, si l'ay quelque renom ,
Je ne ray, Pascnal , sinon
Que par ta vois, qui me prise.
Car jamais le temps ti'ameine,
Comme aux autres , des oublis ,
Aux escrits qui sont polis
Par ta langue si romaine.
1 . Le nom de Pierre.
PREMÛR LIVRE. id7
A SA LYRE.
Ode XXI L
Lyre dorée où Phebus seulement
Et les neuf Sœurs ont part également,
Le seul confort qui mes tristesses tue^ .
Que la danse oit, et toute s'évertue •
De t*obeyr et mesuriir ses pas -
Sous tes fredons miguardés par compas ,
Lors qu'en bruyant 4;i|. n^iroues la cadaace
D'un avant-^u le guide de ta danse.
Le feu arnné de Jupiter s'esteint
Sous ta çhânsoB , si ta chanson l'atteint ,
Et au caquet de tes cordes bien jointes
Son aigle dort sur la foudre à trois pointes , .
Abaissant Ta^le : adonc tu vas chamaat
Ses yeux ai^s, et luy, en les fermant,
Son dos hérisse et ses plumes repousse,
Flatté du son de ta corde si douce.
Celuy ne vit le bien-aimé des Dieuiç .
A qui aesplaist ton chant mélodieux.
Heureuse Iyre4^ honneur, de npoajenfcinc^l
Je te sonnay devant ji^uK en la France
De peu à peu : car^ q^iat^-piiecQi^rfniieat
Je te trottvay, tusonnoisduremeiitt.i; ,
Tu n'avois point-dl3.@ordçs'>Qui. valussent,
Ne qui respondrej aux loix ae inon doigt peussept.
Moisi du temps, ton fust ne sonnoit point;
Mais j'en pitié de te voir mal en-point,
Toy qui ja4is, des grands fôys les viandes
Faisois trouver plus douces et friandes.
Pour te monter de cordes et d'un fust ,
Voire d'uit:jiOBqaifiatiil«ii le iustj ■ ■■ .t
laS Odes.
Je pillav Thebc (i) et saccageay la Pomllc(a),
T'enricnissant de leur belle despouille.
Et lors en France avec toy je chantay,
Et, jeune d'ans, sur le Loir inventay
De marier aux cordes les victoires
Et des grands roys les honneurs et leurs gloires.
[Puis, affectant un œuvre plus divin,
Qu'à lui tout seul la gloire en soit donnée.]
Certainement celuv que tes chansons
Paissent, ravy du plaisir de leurs sons.
Ne sera point haut estimé pour estre
Ou à l'escrime ou à la luitte adestre,
Ny de laurier couronné ne sera.
Car l'arme au poin^ jamais n'abaissera
L'orgueil des rois ni la fureur des princes ,
Portant vainqueur le feu dans leurs provinces.
Mais ma Gastine (5), et le haut crin des bois
Qui vont bornant mon fleuve vendomois ,
Le dieu bouquin qui la Neufaune entoume,
Et le saint chœur qui en Braye (4) séjourne ,
Le feront tel que par tout l'univers
Il se verra renommé par ses vers.
Tant il aura de grâces eif son pouce
Et de fredons fils de sa lyre douce.
Déjà, mon Luth , ton loyer tu reçoit,
Et ja déjà la race des François
Me veut nombrer entre ceux qu'elle loue,
Et pour son chantre heureusement m'avoue.
Calliope, 6 Cleion, ô les Sœurs,
Qui de ma Muse animez les douceurs ,
1. Pour faire ses odes pîndariques.
2. Pour imiter Horace en ses odes communes : la Pouille
est une province d'Italie. (R.)
). Saforest.
4. Neufiiune et Braye, dépendances de sa demeure.
PRBHIBR LIVRE.
Je VOUS saine et resalue encore,
Par qui mon roi et $m princes l'honore!
Par toy je plais, et par toy je suis leu ;
C'est toy qui fais que Ronsara soit esleu
Hirpeur françois, et, quaad on le rencontre
Qu'avec le doigt par !a rue on le monstre.
Si je plais donc, si je sçay contenter,
Si mon renom la France veut chanter,
S de mon hotA les estoilles je passe,
LE SECOND LIVRE
DES ODES
:)
AU ROY HENRY IL
Ode I.
e te veux bastir une ode ,
La maçonnant à la mode
De tes palais hoRorez ,
Qui volontiers ont l'entrée
De'grands marbres accoustrée
Et de hauts piliers dorez,
Afin que le front de l'œuvre
Du premier regard descœuvre
Tout le riche bâtiment;
Ainsi , Prince , je veux mettre
Au premier front de mon mètre
Tes vertus premièrement.
Sur deux termes de mémoire
Je veux graver la victoire
Dont TAnglois fut combattu (i),
K.Sous ce prince l'Angloisa cessé de plus rien avoir en
France. (R.)
Deuxiesme Livre. ni
Et veux encore y pourtraire
Les guerres de feu ton père,
Soustenu de ta vertu,
Lors que ton jeune courage
S*opposa contre ia rage
De 1 empereur (i) despilé ,
Se vantant d'avoir la foudre
Dont il devoit mettre en poudre
Paris , ta grande cité.
Le conseil et la vaillance,
Par une égale balance,
Tousjours veillent à Pentour
Des affaires qui sont pleines
Et de périls et de peines ,
S'entresuivans à leur tour;
Ce que la faveur céleste
Par toy nous rend manifeste ,
Comme n'ayant desdaigné
Dés ta première jeunesse
De conseil et de prouesse
Tousjours estre accompagné.
Aussi , Prince , ta main forte
A fait voir en mainte sorte
L'impuissance d'éviter
Les efforts de ton armée ,
Et ta colère enflammée
A oui la vient irriter.
âur ta roche thespienne ,
Des Sœurs la plus ancienne,
8ui de tes faits a souci ,
e garde une mélodie.
Afin qu'un jour je la die
Bien plus haut que celle-ci.
Par les campagnes èstranges
I . En ce temps la France fut assaillie de toutes parts , mais
en vain : car elle eut des princes vaillans qui la sceurent bien
garder et défendre, à Mets, à Thionvilie et autres lieux. (R.)
n2 Odes.
Je sonneray tes louanges^
Lors que ton bras belnqùeur
Aura foudroyé le monde ,
Et que Tetbys de son onde
Te confessera vainqueur
[Et lorsque ta main non chiche
M'aura fait heureux et riche ,
Me faisant sentir combien
La grand' majesté royale
D'Auguste fut libérale
Vers Fauteur Aemicn].
Les Muses ont à leur corde
Deux tons divers : l'un s'accorde
Avec les guerres des rois;
L'autre, plus bas, ne s'allie
?u'avec le luth de Thalie ,
ouché doucement des dots.
De ce bas ton je te chante
Maintenant , et si me vante
De ne sonner jamais roy
Sui en bonté te ressemble,
é prince qui soit ensemble
Si preux et sçavant que toy.
[Ov donc ma voix , qui s'efforce
D'exnorter par douce force
Que l'honneur qu'on voit écrit
Es oracles poétiques
Célébrant les rois antiques
Est seul propre à ton espHt.l
Sus donq . France^ ouvre la bouche.
Au son du juth que )e touche ;
Dy que le ciel t'a donné
Un roy dispost à combatre
Et prompt par les bix d'abatre
LeJ)eché desordonné.
Et toy, vendomoise Lyre,
Mieux que devant faut eslire
Un vers pour te marier,
Deuxibsmb Livre: M)
Afin que tu faces croire
Que véritable est la gloire
Qu'on t'a voulu dédier.
TU réjouis nostre prince,
Tu contentes sa province ,
Et mille furent espris
De contrefaire ta grâce ,
Et, suivans ta mesme trace,
On voulu gaiçner le prix.
Mais , 6 Phebus , authorise
Mon chant et le favorise ,
Qui ose entonner le loz
De ce grand roy qui t'honore ,
Et ses beaux blasons (>) décore
De l'arc qui charge ton dos,
Et fait tant que sa Hautesse
Daigne voir ma petitesse
Qui vient des rives du Loir,
Criant sa force et justice ,
Afin que l'âge qui glisse
Ne les mette à nonchaloir,
Et qui doit chanter la gloire
De sa future victoire ,
S'elle avient : car, en tout lieu.
De la chose non tissue
L'heureuse fin et l'issue
Se cache en la main de Dieu.
I . Il est à remarquer que chacun de nos roys ordinairement
a pris sa devise et des blasons : François 1er une salemandre
dans le feu , avec sa devise : Nutrisco et extinguor; Henri II
trob croissans, avec sa devise : Donec totam impltat orbtm ;
François II deux globes, avec sa devise : Unus non sufficit
orbis; Charles IX deux colonnes, avec sa devise : Pietate et
justitia; Henry III trois couronnes, avec sa devise : Manet
ultima cœlo; Henry IV une espée entre deux sceptres, avec
sa devise : Duo protegit unus. (R.)
1)4 Odes.
A CALLIOPE.
Ode il
Descen du ciel , Calliope , et repousse
Tous les ennuis de mov, ton nourrisson,
Soit de ton luth , ou soit ae ta voix douce ,
Et mes soucis charme de ta chanson.
Par toy je respire,
C'est toy qui ma lyre
Doucement conduis;
C'est toy, ma princesse,
Qui me fais sans cesse
Fol comme je suis.
Certainement, avant que né je fusse.
Pour te chanter tu m'avois ordonné.
Le Ciel voulut que ceste gloire j'eusse
D'estre ton chantre avant que d estre né.
La bouche m'agrée
Que ta voix sucrée
De son miel a peu,
Et oui sur Parnase
De l'eau de Pégase
Gloutement a beu.
deureux celuy que ta folie affole !
Heureux qui peut par tes traces errer!
Ce!uy-là cloit , par sa douce parole ,
Hors du tombeau tout vif se déterrer.
Ton bien sans dessertes
Tu m'as donné, certes,
Qui n'eus jamais soin
Rapprendre la lettre.
Toutefois, mon mettre
S'entend d'assez loin.
Dieu est en nous, et par nous fait miracles
Deuxiesme Livre. ij$
Si qu*un Doëte et ses vers furieux ,
Ce sont aes dieux les plus secrets oracles,
Que par sa bouche ils montrent à nos yeux (4).
Si , dés mon enfance ,
Le premier de France
J'ay pindarisé(«J,
De telle entreprise ,
Heureusement prise,
Je me voy prise.
Chacun n'a pas les Muses en partage,
Et leur fureur tout estomach ne poina.
A gui le Ciel a fait tel avantage ,
Vainqueur des ans , son noni fie mourra point.
Durable est sa gloire ,
Tousjours la mémoire
Sans mourir le suit;
Comme vent, grand erre, ^
Par mer et par terre
S'escarte son bruit.
C'est tpy oui fais que j'aime les fontaines,
Tout esloigne du vulcaire ienorant,
Tirant mes pas, sur les roches hautaines.
Après les tiens, que je vais adorant.
4. Var. :
Pour l'avoir servie,
Tu as de ma vie
Honoré le train.
Suivant ton escole,
Ta douce oarole
M'eschaujfa le sein.
Dieu est en nous, et par nous fait miracles,
D'accords meslez s égayé l'univers.
Jadis en vers se renaoïent les oracles.
Et des hauts dieux les hymnes sont en vers.
1 . C'est-à-dire : le premier de tous les François , j'ay in-
troduit la façon d'escrire de Pindare, Vode. (R.) En eflet, il
inventa le mot et la chose.
ij6 Odes.
Tu es ma liesse,
Tu es ma déesse,
Tu es mes souhais.
Si rien je compose ^
Si rien )e dispose ,
En moy tu le fais.
Dedans quel antre, en quel désert sauvage,
Me guides-tu ? et quel ruisseau sacré
A ta grandeur me sera doux breuvage
Pour mieux chanter ta louange à mon gré }
[Nous savons bien comme
Roland, de sage homme.
Devint fol d'aimer.
Et comme Angélique,
Vierge mal pudique.
Repassa la mer.
Nous connoissons Mandricard à. ses armes;
Du bon Roger Thistdre ne nous fuit.
Ni le vieillard qui , murmurant ses charmes ,
Avoit d*airain le vain palais construit.]
Ça, page, ma lyre:
Un chant je veux dire.
Sur ses cordes d*or.
La divine grâce
Des beaux vers d'Horace
Me plaist bien encor ;
Mais tout soudain, d'un haut style plus rare (a).
Je veux sonner le sang hectorean ,
Changeant le son du Dircean Pindare
Au plus haut bruit du chantre Smyrnean (i).
I. Homère. (R.)
a. Var. (1J50) •
Mais tout soudain je changerai mon style
Pour les vertus de Henri raconter;
Lors, cultivant un terroir si fertile,
Jusques au ciel le fruit pourra monter.
Deuxiesme Livre. 157
CONSOLATION
A la royne de Navarre, sur la mort de Charles de Valois,
duc d'Orléans , son nepreu , troisiesme fils
du roy François I.
Ode in.
Vien à moy, mon Luth , que j'accorde
Une ode , pour la fredonner
Dessus la mieux pariante. corde
Que Phebus t'ait voulu donner,
A celle fin de la sonner
Si doucement (qu'elle contante
Et puisse le som destourner
Qui mord une royale tante.
Doncques, ô Chimère inconstante {i)\
Tu as dessous les- ombres mis
Le prince qui fut nostre attante.
Et reifroy de nos ennemis l
En vain donc il avoit promis
De douter la rondeur du monde
Et de voir sous Charles soumis
Ce que Tethys serre en son onde I
Une large pluye féconde.
Vous, Muses, puisez de vos veux.
Lamentez la coubnne (>) ronae
Où s'appuyoit tout vostre mieux.
Pour ta vertu dessus les cteux ,
fils de roy! tu te reposes,
Et ce bas monde vicieux
Du ciel tu régis et composes,
1. La mort. (R.)
2. Ainsi s'appellent les enfans masles des maisons. (K.)
1^8 Odes.
Et nouvelles loix luy imposes ,
Nouveau citoyen de là haut ,
Entre les immortelles choses
Et près du Bien , qui point ne faut.
Des royaumes plus ne te chaut ,
Dont tu as fait icy la preuve :
Car rien de ce monde ne vaut
Un trait du nectar qui t'abreuve.
Tu as laissé la terre veuve
Du vrav honneur, au ciel montant,
Où ta facile aureille appreuve
Nos vœux , qu'elle va escoutant.
Appaise ton cœur lamentant ,
Essuyé ton œil , ma princesse :
Pour néant tu vas regrettant
Dequoy si tost ton neveu cesse
Et a pris son heureuse addresse
Vers une autre habitation ,
Changeant Tavril de sa jeunesse
Au bien de l'incorruption.
Aux dieux , sans intermission ,
Son corps tu requiers par prière ,
Qu'il n'eut à la condition
De voir par deux fois la lumière.
Quand ton oraison coustumiere
Sonneroit aussi doucement
Que la harpe tirant première (')
Les bois en esbahissement ,
Encore l'ame nullement
N'animeroit sa froide image ,
Puis que la Parque durement
Luy a fait rendre son hommage.
De Pluton l'avare héritage
Ton neveu n'ira jamais voir,
?ue le ciel pour son avantage
rop soudain a voulu ravoir;
I . La harpe d'Orphée. (R.)
Deuxiesme Livre. 139
Et, jaloux^ t'a fait recevoir
(Pour s'enrichir de son enfance)
Un dueil , que le temps n'a pouvoir
D*arracher de ta souvenance.
CONTRE LES AVARICIEUX
ET CEUX QUI PRÈS DE LA MORT BASTISSENT.
Ode IV.
Q-1
uand tu tiendrois des Arabes heureux
_,Et des Indiens les trésors plantureux,
Voire et des rois d'Assyrie la pompe ,
Tu n'es point riche , et ton argent te trompe.
Je parle à toy oui erres •
Après l'or par les terres ,
Puis, d'elles t'ennuyant,
La voile au grand mast guindés,
Et voles jusqu'aux Indes,
La pauvreté fuyant.
Le soin meurtrier pourtant ne laisse pas
D'accompagner tes misérables pas.
Bien que par toy mainte grana net, chargée
De lingots d'or, fende la mer Egée.
Le soin qui te tourmente
Suit le bien qui s'augmente ,
Guidant deçà, delà.
Parmi les eaux, ta vie,
Qui moins est assouvie
Quand plus de biens elle a.
Les larges ports de Venise et d'Anvers
De tous costez de tes biens sont couverts ,
Cherchez par eau , par vent et par tempeste ,
D'où le soleil hausse et baisse la teste.
Ces perles, achetées
Si chères, soient jettées
140 Odes.
Dedans ces eaux encor ;
?u'on reinette en sa mine
ieste esmeraude fine ,
Ces rubis et cet or.
De peu de bien on vit honnestement ;
L'homme qui peut trouver contentement
N 'entrerompt point son sommeil par la crainte
Des blés menteurs ne par la vigne atteinte (4).
Ta fièvre est incurable ,
Avare misérable :
Car le soin.d'acauerir,
Qui sans repos t enflame ,
Engarde qiie ton ame
Ne se puisse gliarir.
A juste droit tu es ainsi traité :
Car, pour vouloir banir la pauvreté,
Tu te banis de ta maison , et changes
Ton doux païs aux régions estranges.
Mais le soin et l'envie,
Vrais bourreaux de ta vie ,
Ne t'abandonnent point ;
Au dedans ils te nuisent ,
Et sur ton cœur aiguisent
L'aiguillon oui te poind.
Et toy, vieillard au sepùlchre oublieux ,
Sui jusqu'au ciel esleves en maints lieux
arbre sur marbre, et. ja presque mort, tasches
Fendre les rocs que tu bailles par tasches,
La terre n'est pas pleine
Seulement -de ta peine ^
Mais les poissons aussi
Sentent, sous tes ouvrages
a. Var. (1587) :
De peu de rente on vit honnestement ;
Le vray thresor est le contentement,
Non les grands biens , lourde et fascheuse somme.
Biens, non pas biens, mais le malheur de l'homme.
Deuxiesme Livre. 141
Assis sur les rivages,
Leur séjour restrecy.
Bien que par toy un millier de maiçons
Maints gros rochers animent de façons ,
Si mourras-tu , et ta maison certaioe
Est de PlutoD la. maison pale et vaine.
Doncques, avare, cesse,
Cesse , avare , et délaisse
Tant de biens aausser:
Le batelier qut-^de
Le port d^eafer n'a garde
Pour For te repasser.
Là Rhadamant , le }uge audacieux ,
Va punissant les avaricieux ,
Et le chetif que douce mort délivre
Aise à son rang là-bas il laisse vivre.
Si donc la riche pierre ,
Tant soit d'estrange terre,
Et Por tant recherché, .
Foibles, n'ont la puissance
D'oster la doieance
De leur maistre fasché ,
Pourquoy TEgypte iray-je saccager,
Pourquoy iray-je aux Inaes voyager^
Changeant mon aise aux richesses lomtaines
De rOrient, quises à si grands peines ?
A CASSANDRE.
Ode V.
La lune est coustumiere
Renaistre tous les mois;
Mais, quand nostre lumière
Sera morte une fois,
Longtemps sans réveiller
Nous faudra sommeiller.
Tandis que vivons ores.
142
Odes.
Un baiser donne-moy;
Donne-m'en mille encores :
Amour n'a point de loy ;
A sa grand' déité
Convient l'infinité.
Ah! vous m'avez, maistressc,
De la dent entamé
La langue chanteresse
De vostre nom aimé.
Quoi ! est-ce là le prix
Du labeur qu'elle a pris ,
Elle oui vos louanges
Dessus le luth vantoit,
Et aux peuples estranges
Vos mérites chantoit,
Ne faisant l'air sinon
Bruire de vostre nom {a) ?
De vos tetins d'yvoire
(Joyaux de l'Orient)
Elle chantoit la gloire ,
Et de votre œil riant,
Pour la récompenser,
La faut-il offenser?
Las! de petite chose
fl. Var. (1587):
Elle par qui vous estes
Déesse entre les dieux,
Qui vos beautez parfaites
Celebroit jusqu'aux deux ,
Ne faisant loir sinon
Bruire de vostre nom,
De vostre belle face.
Le beau logis d'amour.
Où Venus et la Grâce
Ont choisi leur séjour.
Et de vostre ail, qui fait
Le soleil moins parfait.
]
Deuxiesme Livre. 14^
Je me plains durement :
La playe en l'ame enclose
Me cuit bien autrement ,
Que ton œil m'y laissa
Le jour qu'il me blessa.
PROPHETIE
DU DIEU DE LA CHARANTE
Aux mutins de Guyenne.
Ode VI.
Ç^ uand la Guyenne errante
^Vi^S'arma contre son roy,
Le dieu de la Charante ,
Fasché d'un tel desroy,
Arresta son flot coy,
Puis, d'une bouche ouverte,
A ce peuple sans loy
Prophétisa sa perte :
Ja déjà ta desserte
Te suit, peuple mutin,
Qui ma rive déserte
Saccages pour butin;
Mais le cruel destin ,
Que ton orgueil n'arreste ,
Viendra quelque matin
Te foudroyer la teste.
Oy de Mars la tempeste,
D'escailles revestu.
Et Henry, qui appreste
Contre toy sa vertu.
En vain espere-tu
Tenter son asseurance,
Qui dois estre abbatu
Par le soldat de France..
»44
Odes.
Et Favare espérance
De ton vain appareil
Périra par Toutrance
D*un qui n*a son pareil.
Ton sang fera vermeil
Mon flot, ores esclave,
Et tout le verd esmail
De ces prez que je lave.
Voicy le seigneur brave.
De Guyse (a), qui te suit
Et ja son los engrave
Sus ton dos qui s*enfuit,
Prince sur tous instruit
Aux dangereux vacarmes ,
Ou soit lors Qu'il destruit
Les troupes ae gendarmes ,
Ou quand , par les allarmes ,
De sa pique l'eiFort
Fait bien Quitter les armes
Au piéton le plus fort.
Ne vois-tu le renfort
Que Bonnivet amdne,
Prompt à haster ta mort
D'une playe soudaine?
Comme la nue pleine
D'un orage odieux
Perd du bouvier la peine,
Qui prie en vain les dieux,
Le soldat furieux
Qui ja déjà t'enserre
Ton chef si glorieux
Perdra d'un grand tonnerre»
Le comte de Sanserre
Et le seigneur d'Iliers
Te porteront par terre,
Indomtez chevaliers.
a, Vai.{i55o)- Aumalc.
Deuxiesme LivRr, 145
Parmy tant de miliers ,
Tu dois Jarnac cognoistre,
Que les dieux familiers
Sous bon astre ont fait naistre,
Comme l'ayant fait estre
De son haineux vainqueur
Et de soy-mesme maistre (>),
Commandant à son cœur;
Lesquels, toy, sans vigueur,
Tu craindras de la sorte
Su'un loup craint la rigueur
û lion qui l'emporte.
A la fin , la main forte
Du grand Montmorenci
Rendra ta gloire morte
Et ta malice aussi.
Le Ciel le veut ainsi,
Qui ma bouche a contrainte
Prophétiser ceci
Pour t'avancer la crainte.
A SA MAISTRESSE.
Ode vil
Cassandre ne donne pas
Des baisers, mais des appas
Qui seuls nourrissent mon ame,
Les biens dont les dieux sont fous,
Du nectar, du sucre dous,
De la cannelle et du bâme,
Du thym, du lis, de la rose
Parmy ses lèvres desclose ,
I . Parce qu'il ne le tua pas, le pouvant £ûre et en ayant
sujea. (R.)
Ronsard, — II. !•
146 Odes.
Fleurante en toutes saisons,
Et du miel tel qu'en Hymette
La desrobe-fleur avette
Remplit ses 4ouce$ maisons.
dieux! que j'ay de plaisir
Quand je sens mon col saisir
De ses Was en mainte sorte 1
Sur moy se laissant courber,
Peu à peu la voy tonaber
Dans mon sein à demi-morte;
Puis, mettant la bouche sienne
Tout à plat dessus la mienne.
Me mord , et je la remors.
Je luy darde, elle me darde
Sa languette fretillarde;
Puis en ses bras je m'endors.
D'un baiser doucement long
EiPme suce l'ame adonc.
Puis en souflant là repousse,
La ressuce encore un coup,
La ressoufle tout à coup
Avec son haleine douce.
Tout ainsi les colombelles,
Trémoussant un peu des ailes,
Havement se vont baisant.
Après que l'oiseuse glace
A quitte la froide place
Au printemps doux et plaisant.
Helasl mais tempère un peu
Les biens dont je suis repeu »
Tempère un peu ma liesse :
Tu me ferois immortel.
Hé! Je ne veux estre tel
Si tu n'es aussi déesse.
Deuxiesms Livre. 147
A UNE FILLE,
, Odb VII.L
Ma petite nymphe Macée,
Plus blanche qii'yvoire taillé.
Que la neige à monts amassée,
?ue sur le jonc le laiçt caillé,
on beau teint ressemble les Kz
Avecque les roses cueillis.
Ton chef de soie et d*or descœuvrc.
Où le Ciel , de;s (>é^.utiEs donneur,
Employa sa peine et: son œuvre ,
Curieux 4e luy faire honneur {a).
Descœuvre ton beau front aussi.
Heureux object de mon souci.
Plus bdie que Vénus tu marches;
Plus que les siens tes yeux sont beaux,
Qm .flambent fojis de^z noires arches*
Comme! deux célestes flamWux,
D'où le brandon fatjalluim^
Qui tout le cœur m'a consumé.
Eh ! n'est-ce pasl t^n ^ï\ , mignoàne ,
Qui dans son regacÂ-.eKaitté
Les mieoS'CtniçoreisnempnsQaiie,
Peu soucieux de JiJxrfié)
Et qui m^a dérobé le co^ur
Et seul de jooi n'est bk Viaxnqaeur?
«. var. (1587): . :: .: l. .
Descouvre-mtri ton beau chef-d'ixmn,
Tes chevcax oà'le Cièt. donneur
Des grâces, riche:meh('aese<gum
Tous ses biens pour-leur' faire honneur.
149 Odes.
[Ennuy, plaisir^ joye, tristesse.
De tous costés naissent de toy.
Enlasse mon col , ma déesse l
Baîse-moi et rebaise-moi ;
Veuilles au moins d'un seul baiser
Le feu de mon cœur appaiser.]
Te voyant des belles la belle.
Tu me suces Tame et le sang.
Monstre-mo)r ta rose nouvelle,
.Je dy ton sein d'y voire blanc ,
Et tes deux rondelets tétons,
Qui s'enflent comme deux boutons.
Lasl puis que ta beauté meurtrière
Ne me veut point faire merci ,
Et que, de jour en jour plus fière,
Prends passetemps ae mon souci ,
Au moins un jour voi sur mon front
Combien de maux tes yeux me font.
A LA FONTAINE BELLERÏE;
Ode IX.
O fontaine Bellerie! .
Belje déesse chérie
De nos nymphes, quand ton eau
Les cache au fond de ta source.
Fuyantes le satyreau
Qui les pourchasse à la course .
Jusqu'au Jbord de ton ruisseau ,
Tu es la nymphe étemelle
De ma terre paternelle.
Pource, en ce pré verdelet,.
Voy ton poète qui t'orne
D'un pietit chevreau de lait,
Deuxibsme Livre. 149
A qui l'une et Tautre corne
Sortent du front nouvelet.
Toujours Pesté je repose
Près ton onde, où je compose,
Caché sous tes saules vers,
Je ne sçay quoy qui ta gloire
Envoira par Tunivers,
Commanaant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
L'ardeur de Ja canicule
Jamais tes rives ne brûle,
Tellement qu'en toutes pars
Ton ombre est espaisse et drue
Aux pasteurs venans des parcs.
Aux bœufs las de la charrue
Et au bestial espars.
16 . tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moy célébrant le conduit
Du rocher percé qui darde
Avec un enroué bruit
L'eau de ta source jazarde ,
Qui trepillante se suit.
DU RETOUR DE MACLOU DE LA HAIE.
A SON PAGE.
Ode X.
T^av refraischir le vin de sorte
r Qtt'il passe en froideur un glaçon ,
Page, et que Marguerite apporte
Son luth jpour dire une chanson :
Nous bauerons tous trois au son;
1^0 Odes^
Et dy à Jane qu'elle vieihilt
Les cheveux tors à la façon '
D'rae folastre It^Ken^e.
Ne sens-tif que le jour se passe?
Et tu ne te vas point teetaiilt! «
Qu'on verse du vin dafts ma t^ssefl
A qui le boirai-je d'autaift? ^; ;
Pour ce jourd'bui je suis Montent
Su'un autre plus fol ife îé tretiive •
(évoyant mon Maclou ^ que tant
J'ai connu seur ami d'épreuve («).
A JEAN D'AURAT,
Son précepteur (r).
Ode XI.
Si l'oiseau qu'on voit amener
Par son chant le temps qui ennuyé (»)
Peut les hommes acertener
a, Var. :
Ne roi$4u que le jour h passée
Je ner/ point au lendemain.
Page, reverse dam ma lasse,
Sue ce grand verre soit tùul plein,
^audit soit qui languit en vain !
Ces vieux médecins je n'apnreuve :
Mon cerveau n'est fomaisrpiân sain.
Si beaucoup de vin tu l'abreun.
1 . Cette pièce étoit primitivement dédiée à Abel de la
Httitetoire.
2. La grue.
Deuxiesme Livre. 151
Dn vrai augure de la pluye,
Demain le Troyen (i) de sa baye
Espandra Peau , et si le jour
Sera long temps, sans qu'il s'essaye.
Voilé d'un ténébreux se|Our.
Donc , pour attendre que le tour
De ceste tempeste ennuyeuse
Se change par le beau retour
D'une autre saison plus joyeuse ,
Evite la tourbe envieuse.
Et, seul en ta chambre a recoy,
Escri de main laborieuse
Des vers qui soient dignes de tby.
Espris a*une ardeur, comme nyoy,
De te vouloir rendre admirable
Pour n'estre sujet à la loy
Du crand faucheur inexorable,
Peslfr-mesle dessus la table
Tibulle, Ovide, soient ouvers
Auprès de ton luth délectable,
Fiaele compagnon des vers.
Dessus, par maints accords divers.
Chasse de toy le souci gravé
Et le soin que ce dieu pervers
Dans un cœur amoureux engrave.
Après l'estude, il faut qu'on lave
Le cerveau, se réjouissant
D'un vin de réserve en la cavt.
Par quatre ans au fust languissant.
Pourquoy te vas-tu meurtrissant,
Et pourquoy gennes-tu ta vie
Tandis que tu es fleurissant?
Et pourquoY n'est-elle suivie
D'esbat et d'amoureuse envie ?
Pauvre chétif , ne sçais-tu pas
I. Ganimède ou le Veneaii.
.IJ2 OlXES.
Qy'il ne faut qu'une maladie
Pour te mener jouer làrbas (a) ?
SUR LES MISERES DES HOMMES.
A Ambroise de Laporte, Parisien.
Ode XII.
Mon Dieu! aue malheureux nous sommes !
Mon Dieu ! que de maux en un temps
Offensent la race des hommes,
Semblable aux fueilles du printemps,
Qui vertes dedans Parbre croissent,
Puis, dessous Pautomne suivant.
Seiches , à terre , n'apparoissent
Qu'un jouet remoqué, au vent.
vrayment, l'Espérance est meschante :
D'un taux masque elle nous déçoit,
Et tousjours pipant elle enchante
Le pauvre sot qui la reçoit;
Mais le sage, qui ne se fie
Qu'en la plus seure vérité,
Sçait que l'espoir de nostre vie
N'est rien que pure vanité.
Tandis que la crespe jouvence
La fleur des beaux ans nous produit,
•
a. Le dernier vers de Fode a été remplacé par ceux-ci,
qui se trouvent déjà dans Téd. de i $84 :
Pour te faire ombre de là bas.
D'où jamais ne revient le pas?
Qaelaue chose qu'icy Von die,
Ci n est qu'horreur que le trespas.
Deuxiesme Livre. 15)
Jamais le jeune enfant ne pense
A la vieillesse qui le suit,
Ne jamais Thomme heureux n'espère
De se voir tomber en meschef ,
Sinon alors que la misère
Déjà luy pend dessus le chef.
Homme chétif et misérable,
Pauvre abusé, ne sçais-tu pas
Que la jeunesse est peu durable,
Et que la Mort guiae nos pas ,
Et que nostre fangeuse masse
Si tost s'esvanouyt en rien
Qu'à grand'peine avons-nous l'espace
D'apprendre le mal et le bien ?
Ue tous côtés, la Parque noire,
Avant le temps sillant nos veux,
Maugré nous nous envoyé ooire
Les flots du lac oblivieux ;
Mesmes les roys, si craints en guerre,
Despouillez de veines et d'os,
Comme nous viendront sous la terre,
Devant le throne de Minos. ^
C'est pitié aue de nostre vie :
Par les eaux 1 avare marchand
Se voit sa chère ame ravie ,
Le soudart par le fer trenchant;
Cetuy d'une langueur se mine,
Et l'autre d'un soin nompareil ,
Et cetui là par la famine
Perd la lumière du soleil.
Bref, on ne voit chose qui vive
Sui vive franche de douleur;
ais sur tout la race chetive
Des hommes foisonne en malheur.
Malheur des hommes est la proye :
Aussi Phebus ne vouloit pas
Pour eux, à bon droit, devant Troye,
Se mettre au danger des combats.
1J4 Odes.
Ah! que maudite soit rasnesse(i)
Qui, las! pour sa soif étancher,
Au serpent donna la Jeunesse,
Que garder on devoit tant c!jer,
Jeunesse que le populaire
De Jupiter avoit receu
Pour foyer de n'avoir sceu taire
Le secret larrecin du feu I
Dés ce jour devint enlaidie
Par luy la santé des humains
De vieillesse et de maladie,
Des hommes bourreaux inhumains.
Et dés ce jour il fit entendre
Le bruit de son foudre nouveau ^
Et depuis n'a cessé d'espandre
Les dons de son mauvais tonneau.
A GUILLAUME DES AUTELS,
Poète françois (a).
Ode XIIL
Des^Autels, oui redore
Le langage françois,
Oy ce vers qui honore
Mon terroir vendomois.
1. Nicandre dit que, Jupiter avant donné aux hommes la
Jeunesse, pour les récompenser de lut avoir févéléie larcin
de Prométhée, ils la mirent sur une ioesse^ qui la ]<Hssa au
serpent pour avoir de Teau.
.2. En 1 5 jo, cette ode commençoit au le quatrain et étoit
dèdi^ â JuUen Peccate. La jre strophe a été ajoutée dans
I*éd. de 1584.
Deuxibsne Livre. 155
terre fortunée^
Des Muses le sejôBr, .
Qu'en tous ses mois l'année
Serene d'un beau jour!
En toy le del non chiche^
Prodiguant le bon-henr,
A de la corne riche
Renversé tout Phonnenr .
Deux longs tertres te ceignent
Qui , de leur flanc hardi ^
Les aquilons contraignent
Et les vents du midi.
Sur l'un Gastine saincte.
Mère des demi-dieux.
Sa teste de verd peinte.
Envoyé jusqu'aux cieux;
Et sur l'autre prend vie
Maint beau cep dont le vin
Porte bien peu d'envie
Au vignoble angevin.
Le Loir, tara à la fuite ,
En soy s'esbanoyant^
D'eau lentement conduite
Tes champs va tournoyant ^
Et rend en prez fertile
Le pays traversé
Par l'ttumeur qnt distîle
De son limon versé.
Bien qu'on n'y vienne querre.
Par flots injurieux,
De quelque estrange terre '
L'or tant laborieux ,
Et la gemme, pipsch^ .
En rOricnt sr>ch«r,
Chez-toy ne soit cherchée ; '
Par l'avare nochef)
L'Inde pourtant ne péiscf ''
Te veiûcre ; car tes dr«tx» ■■"■■^
i$6 Odes.
D'une autre récompense,
Te fortunent bien mieux.
La Justice^ grand'erre
S'enfuyant d'icy bas,
Laissa dans notre terre
Le saint trac de ses pas,
Et, s'encore à ceste heure
De l'antique saison
?uelque vertu demeure,
il es bien sa maison, {a)
Bref, quelque part que j'erre,
Tant le ciel mV soit dous,
Ce petit coin de terre
Me rira par-sur tous.
Là je veux que la Parque
Trancne mon fatal fil ,
Et m'envoye en la barque
De perdurabie exil;
Là te faudra respandre
Mille larmes parmy
Les ombres et la cendre
De Ronsard, ton amy.
a. Les trois strophes suivantes ne sont que dans l'éd.
dcijjo:
Les Muscs honorées ,
Les Muses mon soucy,
Et les Grâces dorées,
Y habitent aussi ,
Et les Nymphes natives
Citoyennes des bois.
Qui au caquet des rives
Font accorder leurs voix,
Chantant de bonne grâce
Les faits et les honneurs
De la céleste race
Des Bourbon^, nos seigneurs. .
Deuxiesmb Livre. 157
CONTRE DENISE,
Sorcière.
Ode XIV.
L'inimitié aue je te porte
Passe celle, tant elle est forte,
Des a^eaux et des loups,
Vieille sorcière des-hontée ,
Que les bourreaux ont fouettée ,
Te découpant de coups.
Tirant après toy une presse
D'hommes et de femmes espesse,
Tu monstrois nud le flanc,
Et monstrois nud parmy la rue
L'estomach et Tespaule nue.
Rougissante de sang.
Mais la peine fut bien petite ,
Si l'on balance ton mérite :
Le Ciel ne devoit pas
Pardonner à si lasche teste ;
Ains il devoit de sa tempeste
L'accravanter à bas.
La Terre, mère encor' pleurante
Des geans la mort violante,
Bruslez du feu des cieux
(Te laschant de son ventre à peine).
T'engendra vieille ^ pour la haine
Qi^'elle portoit aux dieux.
Tu sçais que vaut mixtionnée
La drogue (]ui nous est donnée
Des pais chaleureux.
158 Odks.
Et en quel mois, en quelles heures,
Les fleurs des femmes sont meilleures
Au breuvage amoureux.
Nulle faerbe, soit^elle m^ montagnes,
Ou soit venimeose aux campagnes,
Tes yeux sorciers n» mit, .
Que tu as mille fois coupée
D'une serpe d'airain courbée,
Béant contre la nuict.
Le soir, quand la Liuie fouette
Ses chevaux par la nùict muette,
Pleine de rage alors.
Voilant ta forieuse teste
De la peau d'une estrange beste.
Tu t*eslances dehors.
Au seul souffler de ton haleine.
Les chiens, effroyez, par la plaine
Aiguisent leurs abois ;
Les fleuves contremont reculent;
Les loups effroyablement huilent
Après toi par les bois.
Adonc , par les lieux solitaires
Et par riiorreur des cimetaires
Où tu hantes le plus ,
Au son des vers' que tu murmures ,
Les corps pâlies tu dés-emmures
De leurs tombeaux reclus.
Vestant de l'un Timage vaine ,
Tu viens donner horreur et peine ,
Apparoissant ainsi
A la veîVè qui se tourmente ,
Ou à la mère qui lamenté
Sa fille morte aussi.
Tu fais que la lune enchantée
Marche par Tair toute argentée,
Luy dardant d'icy bas
Deuxiesme Livre. 1)9
Telle coulesur «vx joues pâlies
Que le son de mille cymballes
Ne divertiroit pas.
Tu es la frayeur du. Village :
Chacuft , craignant ton sorcelage ,
Te ferme sa maison ,
Tremblant de peur que tu ne taches
Ses bœufs , ses moutons et ses vaches ,
Du jus de ta poison.
J'ay veu souvent ton œil senestre,
Trois fois regardant de loin paistre
La guide du troupeau ,
L'ensqrceler de telle sorte
Que tost après je la vy morte
Et les vers sur la peau.
Bien que Médée fut cruelle .
Tant comme toy ne le fut elle :
Ses venins ont servy,
Reverdissant d'E^n Pescorce;
Au contraire , tu .m'as par force
Mon beau printemps ravy.
Dieux 1 si là haut pitié demeure,
Pour recompense, qu'elle meure,
Et ses oz diffamez,
Privez d'honneur de. sépulture,
Soient des corbeaux coulus pasture
Et des chiens affamez.
■Am^»«^4«
A LA FOREST DE GASTINE.
. • « ^
Ode XV.
Couché seras. tes ombrages vers,
Gasttoe^ jft te chante
66 Odes.
Autant que les Grecs, par leurs vers,
La forest d'Erymanthe :
Car, malin , celer je ne puis
A la race future •
De combien obligé Je suis
A ta belle verdure.
Toy qui, sous Tabry de tes bois, .
Ravy d'esprit m'amuses:
Toy qui fais qu'à toutes les fois
Me respondent les Muses;
Toy par qui de l'importun soin
Tout franc je me délivre ,
Lors qu'en toy je me pers bien loin.
Parlant avec un livre ,
Tes boccages soient tousjjours pleins
D'amoureuses brigades
De Satyres et de Syivains ,
La crainte des NaiadesT
En toy habite désormais
Des Muses le collège ,
Et ton bois ne sente jamais
La flame sacrilège 1
A.CASSANDRE..
Ode XVL
Ma petite colombelle.
Ma mignonne toute belle,
Mon petit œu , baisez-moy ;
D'une bouche toute pleine
De baisers chassez la pçine
De mon amoureux esmoy.
-Quand je.vous diray : Micnonne.
Approchez-vous,. qu'on me oonne
Deuxijssmb Livre. i6i
Neuf baiser$ tout à h fois.
Lors ne m'en baillez <jue trois.
Tels que Diane guerrière
Les donne à Phebus son frère,
Et PAurpre à son vieillard;
Puis reculez vostre bouche,
Et bien loin, toute farouche.
Fuyez d*un pied fr^iJlard,
Comme un taureau par Ja prée
Court après son amourée,
Ainsi, tout plein de courroux,
Je courray fol après vous,
Et, prise d'une main forte.
Vous tiendray de telle sorte
Qu'un ai^le l'oiseau tremblant.
Lors, faisant de la modeste,
De me redonner le reste
Des baisers ferez semblant-
Mais en vain serez pendante
Toute à mon col , attendante
(Tenant un peu l'œil baissé)
Pardon de m'avoir laissé :
Car, en lieu de six , adonques
J'en demanderay plus qu'onques
Tout le ciel d'estoiles n'eut ,
Plus que d'arène poussée
Aux bords, quand l'eau courroussée
Contre les rives s'esmeut.
Ode XVII (1).
Pour boire, dessus l'herbe tendre
Je veux sous un laurier m'estendre.
Et veux qu'Amour, d'un petit brin
I. Imité d'Anactépn. (R.)
Ronsard, — II. ii
l62 OOBS.
Ou de lin, ou de chenevîere,
Trousse au flanc sa robe légère ,
Et my-nud me verse do vin.
L'incertaine vie de l'homme
De jour en jour se roule comme
Aux rives se roulent les flots ,
Et, après nostre heure dernière ,
Rien de nous ne reste en la bière
Que je ne sçay quels petits os.
Je ne veux^ selon la coustume,
Sue d'encens ma tombe on parfume ^
y qu'on y verse des odeurs;
Mais, tandis que je suis en vie,
J'ay de me parfumer envie
Et de me couronner de fleurs.
Corydon. va quérir ma mie.
Avant que la Parque blesmie
M 'envoyé aux éternelles nuits,
Je veux, avec la tasse pleine
Et avec elle , oster la peine
De mes misérables ennuis (a).
A SON LAQUAIS,
Ode XVIIL
J'ay l'esprit tout ennuyé
D'avoir trop estudié
a. Var. (1J87) :
De moy-mesme je me veux faire
L'héritier pour me satisfaire :
Je ne veux vivre pour autruy.
Fol le pélican qui se blesse
Pour les siens, et fol qui se laisse
Pour les siens travailler d'ennuy.
DEUXieSMfi LiVRB. l6)
Les Phénomènes d'Arate :
il est temps que je m'esbate
Et que j'aille aux champs jouer.
' Bons dieux! qui voudrott louer
Ceux qui, coUez sur un livre,
N'ont jamais soucy de vivre ?
Que nous sert Testudier,
Sinon de nous ennuyer
Et soing dessus soing accrestre ,
A nous qui serons peut-estre,
Ou ce matin , ou ce soir,
Victime de Torque noir,
De l'orque qui ne pardonne,
Tant il est aer, à personne?
Corydon, marche devant;
Sçache où le bon vin se vend.
Fais après à ma bouteiUe,
Des feuilles de quelque treille.
Un tapon pour la boucher (d).
Ne m acheté point de chair,
Car, tant soit-elJe friande ,
L'esté je hay la viande.
Acheté des abricôs ,
Des pompons, desartichôs.
Des fraises et de la crème :
C'est en esté ce que j'aime.
Quand , sur le bord d'un ruisseau ,
Je les mange au bruit de l'eau,
Estendu sur le rivage
Ou dans un antre sauvs^e.
Ores que je suis dispos ,
Je veux rire sans repos,
»
a. Var. {1J87) :
F(rj refreschir ma bouteille,
Cerche une fueilleuse treille
Et des fleurs pour me coucher.
164 Odes,
De peur que la maladie
Un de ces jours ne me die,
Me happant à l'impourveu :
« Meurs, gallant : c'est assez beu (a), »
L'AMOUR MOUILLÉ (>).
Au sieur Robertet.
Ode XIX.
Du malheur de recevoir
Un estranger sans avoir
De luy quelque cognoissance
Tu as fait experiance,
Menelas, ayant receu
Paris, dont tu fus deceu;
Et moy je la viens de faire,
Las! qui ay voulu retraîre
Tout soudain un estranger
Dans ma chambre et le loger.
Il estoit minuict, et l'ourse
De son char tournoit la course
Entre les mains du bouvier,
Quand le somme vint lier
D'une chaine sommeillere
Mes yeux clos sous la paupière.
Jà, je dormois en mon lit,
Lors que j'entr'ouy le bruit
tf. Var. {1587) :
Je t*ay maintenant veincu.
Meurs, galland : c'est trop vescu,
I. Cette ode, d'abord dédiée à Revergat, est imitée d'Ana-
créon.
Deuxie^me Livre. 165
D'un qui frapoit à ma porte,
Et heurtoit de telle sorte
Que mon dormir s'en-alia.
Je demanday : « Qu'est-ce là
Qui fait à mon huis sa plainte ?
— Je suis enfant, n'aye crainte »,
Ce me dit-il. Et adonc
Je luy desserre le gond
De ma porte verrouillée.
«c J'ay la chemise mouillée.
Qui me trempe jusqu'aux oz,
Ce disoit , car sur le doz
Toute nuict j'ay eu la pluie;
Et pour ce je te supplie
De me conauire à ton feu
Pour m'aller seicher un peu. »
Lors je prins sa main numide ,
Et par pitié je le guide
En ma chamore, et le fis seoir
Au feu qui restoît du soir;
Puis, allumant des chandelles.
Je vy qu'il portoit des ailes ,
Dans la mam un arc turquois ,
Et sous l'aisselle un carquois.
Adonc en mon coeur [e pense
Qu'il avoit grande puissance,
Et qu'il falloit m'apprester
Pour le faire banqueter.
Ce-pendant il me regarde
D'un œil, de l'autre il prend garde
Si son arc estoit séché;
Puis , me voyant empesché
A \\xy faire bonne chère.
Me tire une flèche amere
Droict en l'oeil , et qui de là
Plus bas au cœur dévala ,
Et m'y fit telle ouverture
Qu'herbe, drogue ny murmure,
i66 Odes.
Wj serviroient pins de rien.
Voila, Robertet, le biea
(Mon Robertet, qui embrasses
Les nenf Muses et les Grâces),
Le bien qui m'est advenu
Pour loger on incognn.
ODE XX.
Si j'aime depuis napiiere
U ne belle chambrière ,
Je ne suis pas à blasmer
De si bassement aimer.
Non, l'amour n'est (>oint vilaine
Sue maint brave capitaine,
aint phik>sq)he et maint roy,
A trouvé digne de soy.
Hercule^ dont l'honneur vole
Au ciel, aima bien lole,
Qui, prisonnière, dontoit
Celuy qui son maistre estoit.
Achille, l'efFroydeTroye,
De Briseïs fut la proye,
Dont si bien il s'echaufa
Que, serve, elle en tripnfa.
Ajax eut pour sa maistresse
Sa prisonnière Tecraesse,
Bien qu'il secouast au bras
Un bouclier à sept rebras.
Agamemnon se vit prendre
De sa captive Cassanare,
Qui sentit plus d'aise au cœur,
D'éstre veincu que veinqueur.
Le petit Amour veut estre
Tousjours des plus grands le maistre ,
Deuxiesme Livre. 167
Et jamais il n'a esté
Compagnon de tnajcsté.
A quoy dirofAt rhistoire
De Jupiter^ m» tait gloire
De se vestir d'nn oysem^
D'nn satyre et d'un tavean.
Pour abuser nos le^ielles.^
Et^ bien qpe les inuttortelles
Soient à s^ œm^andeipent,
Il veut aimer bassenenl.
Jamais on n'a ^ue tn^tesses
A servir ces çrana's déesses :
Qui veut avoir ses esbas,
iHakut aimer en Ken bas.
Quant à moy, ^ laisse dire
Tous ceux oui' venlent mesdire;
Je ne veux laisser pour eox.
En bas lieu d'estre amoureux.
ODE XXI.
m la ileur qui porte le nom
'un mois et d'un dieu (0» ny la rose,
Qui dessus la cuisse d'Adon
D'une playe (a) se vit esclose;
Ny les beaux œillets empourprés
Du. teint de Bellone, ni celle
Fleurette oui, parmy les prés.
Dû nom dliyaanthe s'appelle;
1. U violette de mars. (R.>
^. De la playè que Venus se feit parroy des espînes ac-.,
conrantà la blessure de son Adonis^ mourant par la jalousie
de Mars. (R.)
i6S Odes.
Ny celle qu'Ajax enfanta,
De son sang vemMÎ) empourprée ,
Lors que, furieux , il planta
En son cœur la tro^renne espée;
Ny celle qui jaimit du teint
De la fille trop envieuse («>,
En voyant le Soleil atteint
D'une autre plus belle amourense (');
Ny celle qui , dessur le bord
D'une belle source azurée.
Nasquit sur l'herbe après la mort
De la face trop remirée (?);
Ny les fleurons que diflàma
Venus, alors q^ue sa main blanche
Au milieu dn hs renferma
D'un grand asne le roide manche (4) ;
Nv la blanche fleur qui se fist
Des larmes d'Heleine la belle ,
Ny cellô que Junon blanchist
Du Larict de sa tendre mammelle.
Quand , faisant leter le dieu Mars
Du bout de sa fraize esgoutée,
Le laict qui s'escouloit espars
Fit au ciel la voye laictée,
Ne me plaisent tant que la fleur
De la douce vigne sacrée,
Qui de sa nectareuse odeur
Le nez et le cœur me recrée.
1. Le souqr, qui est jaune et palle, représentant la ja-
louse passion de Clytie, de laquelle il est issu , et suit telle-
ment toute les conversions ârx Soleil , qu'il a son occident
et son orient avecque luy. (R.)
2. De Leucothoé. Ovide 4. Metamorph. (R.)
). Le Narcis. (R )
4. Dans les Alezipharmaques, Nicandre dit que ce fleuron
voulut un jour contester de beauté contre Venus, qui, par
desph et en vengeance, enferma au milieu tie ses fiieilies la
vergongne d'un asne. (R.}
Deuxiesmb Livre. 169
Quand la Mort me voudra tuer,
A tout le moins, si je suis digne
Que les dieux me daignent muer,
Je le veux estre en fleur de vigne,
Et m'esbahis qu'Anacreon ,
8 m tant a chery la vendange,
omme un poète biberon ,
N'en a chanté quelque louange.
A REMY BELLEAU»
Poète.
Ode XXir. .
Tu es -un trop sec biberon (0
Pour un tourneur d'Anacreon ,
Belleau. Et quoy ! ceste comète
Qui naguiere au ciel reluisoît
Rien que la soif ne predisoit ,
Ou je suis un mauvais prophète.
Les plus chauds astres etherez
Ramènent les jours altérez
En ce mois pour nous faire boire.
Boy donques : après le trespas.
Ombre, tu ne boiras là bas
Que je ne sçay quelle onde noire.
Mais non, ne boy point, mon Belleau,
Si tu veux monter au coupeau
Des Muses : dessus leur montaigne,
Il vaut trop mieux estudier,
I . Il se rit de Belleau, qui ne Wt point et qui neantmoins
se mesle de traduire le plus grand beuveur de poète qui ait
jamais esté. (R.)
l-yo OdbS.
Comme tu fak» que s'«Uier
De Bacchus et de sa compagne.
Quand avecques Bacdius on joint
Venus sans mesure , oo n'a point
Saine du cerveau la partie.
Donc, pour corriger son défaut,
Un vieil pedajgogue il luy faut,
Un Silène qui le chastie,
Ou les pucelles dont il fut
Nourry quand Jupin le receut
Tout vif de sa mère bruslée :
Ce furent les nymphes des eaux,
Car Bacchus gaste nos cerveaux
Si la nymphe n'y est meslée.
A JOACHIM DU BELLAY.
Ode XXIII 0).
E scoute, du Bellay, ou les Muses ont peur
De Penfant de Venus, ou Taiment de bon cœur.
Et tousjours pas à pas accompagnent sa trace;
Car, si quelqu'un ne veut les Amours desdaigner.
Toutes à qui mieux-mieux le viennent jenseigner.
Et sa bouche mielleuse emplissent de leur grâce.
Mais au brave qui met les Amours à desdain.
Le desdaignant aussi , l'abandonnent soudain ,
Et plus ne luy font part de leur gentille veine ,
Ains Clion luy défend dé ne se plus trouver
En leur danse , et jamais ne venir abreuver
Sa bouche non amante en leur belle fontaine.
Certes, j'en suis tesmoin, car, quand je veux louer
1. imité de Bion.(R.}
Deuxieshe Livre. 171
Quelque homme ou Quelque dieu, soudain je «m nouer
La langue à mon palais, et ma gorge se bouche:
Mais, quand je veu» d'Amour ou escrire ou parler,
Ha langue se dexnoue, et lors je sens couler
Ma chanson d'elle-mesme aisément en la bouche.
Fia du itcond lau its Oies.
ï7i
LE TROISÏESME LIVRE
DES ODES
AU ROY HENRY II.
Ode L
omme on voit la navire attendre bien souvent
Au premier front du port la conduite du vent
Afin de voyacer, haussant la voile enflée
5 Du costé (jue le vent sa poupe aura souflée,
Ainsi', Prince, je suis sans bouger, attendant
Que ta fureur royale aille un iour commandant
A ma nef d'entreprendre un cnemin honorable
Du costé que ton vent luy sera favorable ;
Car, si tu es sa guide , elle courra sans peur
De trouver dessous l'eau quelque rocher trompeur,
Ou les bans périlleux des sablonneuses rades.
Ou Faboyante Scylle, ou les deux Symplegaaes,
Mais, seurement voguant sans crainte d'abysmer,
Joyeuse, emportera les Muses par la mer.
Qui . pour Ptionneur de toy, luy monstreront la voye
D'aller bien loin de France, aux rivages de Troye,
Et là, sous les monceaux de tant de murs veincus,
La première trouver le fils d'Hector Francus,
Troisiesme Livre. 17)
Et soudain l'junener, sous ta conduite , Sire,
Enterrer Andromache à la coste d'Epire,
Et de là , plus avant (échappés des oangers
Des Greçeois ennemis et des flots estrangers),
Gaigner Ta mer Euxine et Temboucheure large
Où Te cornu Danube en la mer se descharge ;
De là , contre ses eaux costoyant les Gelons,
Les Goths, les Tomiens, les Getes, les Polons,
Aborder en Hongrie ,' et là bastir la ville
De Sicambre au giron d'une plaine fertile.
Là, quittant la navire à l'abandon des flots,
Je me mettrois à pied et chargerois mon dos
De mainte grosse pierre aux compas agencée
Pour aider à bastir sa ville commencée.
Mais, quand désja les murs seroient parachevez ,
Et qu'on verroit au ciel les palais eslevez ,
Et quand plus les Troyens s asseureroient à l'heure
D'avoir là pour jamais arresté leur demeure,
LasI il faudroit quitter ce bastiment si cher
Et par destin ailleurs autres maisons chercher.
Gérés, vindicative , à grand tort courroussée
Gontre eux d'avoir sans feu sa chapelle laissée ,
Gasteroit la campagne , et d'un cœur despité
Une peste espandroit par toute la cité.
Alors du père Hector la ressemblance pâle
(La nuict , par le congé de la royne infernale)
Prendroit à l'impourveu et la bouche, et les yeux,
Et la voix d' Amyntor, grand augure des dieux ,
Et admonesteroit son enfant d'aller querre
Dessus les bords de Seine autre nouvelle terre.
Et que là , pour l'honneur de son oncle Paris,
Bastiroit à jamais la ville de Paris,
Ville que ses neveux et sa troyenne race
Tiendroient de main en main pour leur royale place.
Il me semble déjà que i'oy ae toutes pars
Déloger ton Francus, et la voix des soldars.
Et le hennissement des chevaux , et la tourbe
Des vieux pères laissez sur~le rivage courbe.
i74 OoES.
Et le cry àe% enfans, et les pleurs soucieux
Des femmes, envoyer un bruit jusques aux deux.
Mais, pour cela, Francus ne cède i la fortune,
Ains de çà et de là son peuple il importune
De vestir le harnois, et, haut apparoissant
Entre tous ses soudards, comme un grand pin croissant
Sur les menus cyprès, saccage la campagne
Et deffie au combat les princes ^'Allemagne.
Les champs de Franconie en armes il passa ,
Et son nom pour jamais à la terre il laissa.
Passa le Rhin gaulois, la Moselle et la Meuse,
Et vint planter son camp dessus la rive herbeuse
Et de Somme et de Marne , et de là , côtoyant
Plus bas le gauche flanc de Seine tournoyant,
Fonda dedans une isle, au milieu d'une plaine,
La ville de Paris, qui pour lors n'estoit oléine
Que de buissons et d'herbe, et ses granas palais d'or.
Comme ils font aujourd'huy, n'y reluisoient encor.
Tous les roys habitans en la gauloise terre,
Si tost quil arriva , luy mandèrent la guerre /
Et qu'ils seroient honteux qu'un étranger banny
Se remparast ainsi d'un tel païs earny
D'hommes et de chevaux qui , plustost que tempeste,
Un orage ferré verseroient sur sa teste.
Mais luy, qui resembloit son père courageux ,
Ne pouvant endurer leurs propos outrageux ,
Premier les assaillit et leur donna la fiiite ,
Ayant pris à Beauvais Bavo(i) pour sa conduite.
Presques un an entier contre eux tl batailla.
Et mille fois en proye à la mort se bailla.
Tant il y eut de peine, ains que Frâncus en France
I. Nom peut-estre du fondateur de la ville de Beauvais,
I>ar imitation de Virgile , qui , dans son Enéide , fait men-
tion, à la traverse, du nom des fondateurs de quelques villes
d'Italie, comme du nom de Capys, à cause de Capouê; dé
Privemum , de Salmon et autres , qu'il employé aux princi-
pales actions de son Enée. (R.)
Troisibsme Livre. 175
Semast 4e tes ayeuic la première naissance.
De ce vaillant Francus les faits je chanterois,
Et près de ses vertns les vertus je mettrois
Des roys issus de luy, qui jusqu aut Pyrénées
Et jusqu'aux bords du Rhin les Gaules ont botnéés,
Et , braves, se sont faits, par Teffort de leurs mains,
De tributaires francs des empereurs romains.
Après, de père en fils, par une mesme trace ,
J.e viendrois aux Valois, les tiges de ta race ;
Mais quand, remply d'ardeur, je chanterpis de tôy,
Un esprit plus qu'humain me raviroit de moy.
Et rien, nen que Phebus et sa fureur divine ,
Ne pourroit respirer ma bouillante poitrine ;
Je m'irois abreuver es ruisseaux pegasins^
Et, m'endormant à.part dans leurs antres -voisins,
Je songerois comment les Françoises Charités,
Hautes, égaleroient mes vers à tes mérites,
Et peut-estre qu'un jour je te dirois si bien
Que rbonneiff d'un Achi/le atifoit envie au tien.
En vain,, certes^ en vain les princes se travaillent,
En vain pour gloire avoir Tun-à l'autre bataillent,
Si , après cinquante ans, ^auèez de lettr renom ,
Le peuple ne sçait point s'ilis ont vescu ou non.
Ce nW rien (mon srind roy) d'avoir Bouk)ngne(0
D'avoir jusques au Rhin l'Allemagne Conquise [prise,
[D'avoir Metz , flqinviUier, Yvoir , Parme , Sienne ,
Et cette ilè qui jpint la mer sicilienne].
Si la Muse te fuit, et d'un vers solennel
Ne te fait d'âge en âge aux peuples éternel.
Les palais, .les citez, l'or, l'argent et te cuivre
Ne font les puissàns roys, sans les Muses , revivre ;
Sans les Muses deux fois les roys ne vivent pas ,
Ains despouillez d'honneur se lamentent là bas
Aux rives d'Acheron; seulement ceste gloire
I. ville frontière et maritime, tenue en fief de la Vierge
Marie par nos roys depuis le roy Loys XI, occupée par Vkn-
glois et rendue par la paix de l'an i $ $0. (R.)
176 Odes.
Est de Dieu concédée aux filles que Mémoire
Conceut de Jupiter, pour la donner à ceux
Qui attirent par dons les poètes chez eux.
Tout le riche butin , toute la belle pr03re
Qjie les deux frères Grecs avoient conquise i Troye ,
Est perie aujourd'huy, et ne cognoistroit-on
Achille ny Patrocle, Ajax n'Agamemnon ,
Ny Rhese, ny Glaucus, ny Hector, ny Troïlc,
Et tant de gens vaillans perdus devant la ville
Seroient , comme de corps , de gloire devestus ,
Si la muse d'Homère eust celé leurs vertus ;
Ainsi que vignerons qui ont es mains Pempoule
A force de bêcher, seroient parmy la foule
Des esprits incogneus , et leur vertu qui luit
Seroit ensevelie en l'éternelle nuit.
Donques , pour engarder que la Parque cruelle
Sans nom t'ensevelisse en la nuict éternelle ^
Tousjours ne faut avoir à gage des maçons
Pour transformer par art une roche en maisons ,
Et tousjours n'acheter, avecques la main pleine ,
Ou la medalle morte ou la peinture vaine;
Mais il faut par bien-faits et par caresse d'yeux
Tirer en ta maison les ministres des dieux ,
Les poètes sacrez , qui , par leur escriture ,
Te rendront plus vivant que maison ny peinture.
Entre lesquels (mon Roy) de si peu que je puis ,
Ton dévot serviteur dés enfance je suis ,
Comme le nourrisson de ta cranaeur prospère ,
Qui seule .m'a nourry, mes frères et mon père.
Pour toy (mon Roy) pour toy hardv j'entreprendrois
De faire en armes teste à la fureur aes rois,
Et de ravir des poings à Jupiter la foudre;
Pour toy seul je mettrois dedans les yeux la poudre
A tous mes devanciers , s'il piaist à ta grandeur
(Si digne au-moins j'en suis) de me faire tant d'heur
8u'un jour me commander, d'un seul clin, que je face
!a Franciade tienne , où la troyenne race
De Francus ton ancestre , où les faicts glorieux
Troisiesme Livre. 177
De tant de vaillans roys qui furent tes ayeux ,
Où mesmes tes vertus y luiront evidantes
Comme luisent au ciel les estoiles ardantes ,
Sortant de Pocéan. Là donques, mon grand Roy,
En me la commandant, libéral, donne-moy
Ce que tu m'as promis , et pour la recompense
Je t'appreste un renom , et à toute la France,
?ui vit de siècle en siècle à jamais volera ,
ànt qu'en France françois ton peuple parlera.
A LA ROYNE CATHERINE DE MEDICIS,
Mère du Roy, .
Ode II.
Mère des dieux ancrenne,
Berecynthe phrygienne,
A qui cent prestres ridez
Font, avecques cent Menades,
Au son du buis , des gambades ,
Sur les hauts sommets Idés,
Laisse , laisse ta couronne
Que mainte tour environne ,
ËTton mystère orgien,
Et plus à ton char n'attache
Tes fiers lions , et te cache
Dans ton antre phrygien.
Une autre mère nouvelle,
Une autre mère Cy belle.
Nous est transmise des cieux ,
Qui, plus que toy bien-heureuse,
Se voit mère plantureuse
D'un plus grand nombre de dieux. ^
Ronsard. — II. 12
ijS Odes.
Innon en pompe si grande
Ne fend la céleste bande
Qui luv courbe les genoux,
Quana elle , grave matrone ,
Se va seoir auprès du throne
De son frère , son espoux ,
Comme toy, Junon de France,
Grave en royale apparance ,
Fends la tourbe des François,
T'allant seoir à la main destre
De ton espoux, nostre maistre.
Le meilleur de tons tes rois;
Duquel , après mainte année ,
Tu conceus par destinée
Une abondance d'enfants
Qui diviseront le monde ,
Et de sa grand masse ronde
Seront les rois triomphants (a).
[Mais d'autant que plus d'affaire
Et plus d'ans tu mis à faire
L'enfant que premier tu feis,
Pour le delay de ton estre.
D'autant plus grand il doibt estre
Que le reste de tels fils.l
Car, comme Alcide diffère
De prouesses à son frère ,
Conceu par trois nuicts de temps ,
L'aisné prendra d'avantage
Que ses puisnez de courage ,
Qui mit a naistre sept ans.
Tout aussi tost que Ludne
Enst fortuné ta gesine,
a, Yar.(i587):
(Les deux à tes vœux oaverts)
Des fils héritiers du monde.
Qui d'une rau féconde
Peupleront cet univers.
Troisibske Livre. 479
Et que Fenfant nouveau-aé
De sa douce voix première
Eust salué la lumière
Dujour à chac^n donné .
Tu n'as pas, coaune nst Rhée,
A la pierre dévorée
Le corps de ton fils changé ,
De peur aue ne le perdisses.
Et le perdant ne le visses
Par un Saturne mangé;
Et ne Tas porté secrette,
Dedans un antre de Crète,
Afin qu'il vesquit deiniel,
Afin aussi que sa lèvre
Suçast le laict de la chèvre
Que depuis il mit au cieL
iSX que les'Cretois genoarraes
S'entrechoquans de leurs armes,
En dansant fissent un son
Parmy Tantre solitaire,
Pour engarder quç le père
N'entr'ouist son enfançon.
Mais tu Tas, Royne très-sage ,
Porté dés son premier âge ,
Non à Nede , non aussi
Aux campagnes dicteennes ,
Non aux nymphes meliennes,
Pour en prendre le souci ,
Mais à Durfé , qui radresse
Les fautes de sa jeunesse
Par un art industrieux.
Et, comme en la cire tendre,
En cent façons luy fait prendre
Les vertus de ses ayeux.
Ores une ombre il exerce
D'une bataille diverse ,
Et , tenant le fer en main ,
Les siens au combat il serre,
i8o Odb&.
Et brave esmeut dlune guerre
La figure faite en vain;
Ores les chevaux il- doifte ^
Et leur brutesse W surmonte
Par iM doux commandement ;
Ores dontez il les guide ,
Et leur attache à la bride
Un humain entendement;
Ores sa voix il façonne,
Et de ses doigts le luth sonne ,
Doigts qui tost doivent darder
Les armes de telle sorte,
Sue TEspagne , tant soit forte ,
e les pourra retarder.
Mais cela ne \t destourne
Qu*à son Diirfé ne retourne
Ouyr ses mots fructueux :
Ainsi Tenfançôn Achille
Escoutoit la voix utile
Du centaure vertueux ,
Après aue Thetis la belle
Eut Drusle la peau mortelle ,
Et que, dedans son giron
L'enlevant de Peau salée ,
L*eut, sans le sceu de Pelée,-
Mis en Tantre de Chiron.
Mais laissons ce Peleïde
Et sa mère Nereîde ,
Chiron et Tantre Pholois,
Et ces histoires estranges,
Et redisons les louanges
Du divin sang de Valois.
Oy donque , Royne , et t'amuse
Toracle de ma muse
Qui va chanter tes honneurs ,
Et de tes enfans nos princes ,
Et de combien de provinces
Le Ciel les fera seigneurs.
Troisiesme Livre. i8i
AU ROY DAUPHIN FRANÇOIS II,
Depuis Toy de France.
Ode m.
f^ ue pourroy-je , moy François ,
^^^Mieux célébrer que la France ,
Le pays à qui je dois
Le Don-heur de ma naissance?
Et comme oublirov-je aussi ,
En le célébrant , la race
De son Roy, qui tient icy
Après Dieu la plus grand place ?
Que me vauaroit de chanter
Ces vieilles fables passées
Qui ne servent qu'a tenter
L esprit de vaines pensées?
Qui est celuy qui n'a sceu
• De Pelops Tardante flame.
Le traistre Œnomas deceu
Et les nopces d'Hippodame?
Ores je veux esprouver
Autre fable plus nouvelle
Sue ces vieilles, pour trouver
ne autre gloire plus belle
Qui déjà se donne à moy,
Si jusqu'aux pays estranges
Du fils aisné de mon Roy
Je veux pousser les louanges.
Mais moy, qui suis coustumier :
Brouiller mes vers à la mode
De Pindar', de qui premier
Commenceray-je mon Ode ?
i8z Odes.
Commenccray-jc à Tcnfant ,
Oa par tes faicts de sod père.
Ou par le nom triomphant
De sa tante on de sa mère?
J'oy Jupiter qui défend
Ne commencer par le père.
Par ta tante ou par Tenfant ^
Mais par le nom de sa mère.
Donc, puis qu'un Dieu me défend
De commencer par le père,
Les vers qui sont à Fenfant
Commenceront par Fa mère;
Laquelle, dés quatorxe ans,
Portoit au bois la sagette,
La robe et les arcs duisans
Aux pucelles de Taygctte;
Son poil as vent s'esbatoit
D'une ondoyante secousse.
Et sur le flanc luy battoit
Tousjours la trompe et la trousse.
Tousjours dés l'aube du jour
Alloit aux forests en queste ,
Ou de reths tout à Tentour
Cemoit le trac d'une beste ;
Ou prenoît les cerfs au cours ,
Ou, par le pendant des roches^
Sans chiens assailloit les ours
Et les sangliers aux dents croches.
Un jour, pour avoir chassé
Long temps un sangHer sauvage.
Reposa son corps lassè
Dessus les fleurs d^un rivage :
Elle pend son arc turquois.
Recoiffe sa tresse blonde ,
Met pour chevet son carquois,
Puis s'endort au bruit de l'onde^
Les souspirs qui repoussoîent
Du sein la lumelle pomme ,
Troisiesme Livre. 183
Et ses ycBX qui languissoient
En la paresse du somme,
Les Amours qui éventoient
La sommeillante poitrine,
De plus en plus augmeûtoient
Les glaces et Catherine.
Jupiter la vid des cieux
(Mais est-il rien ou'il ne voye?).
Puis d'un soin amoitieux
Souhaita si douce proye ;
Car amour, qui s'ecouloit
Venimeux en ses mouelles, -
Ses os congnens luy bruloit
De mille dames nouvelles.
Adottc luy, sentant là haut
Au cœur Famoureuse playe.
C'est ores, dit-il, qu'il faut
Que pour me guaru* j'essaye
D'aller voir celle là bas
Qui tient ma liberté prise;
Ma Junon ne sçaura pas
Pour ce coup mon entreprise.
A grand^ peine avoit-u dit,
Qu'ardant d approcher s'amie,
De son throne descendit
Près de la nymphe endormie;
Et, comme un dieu qui sentoit
D'amour la poignante rage ,
A la force s apprestoit
De ravir son pucelage.
Mais Anie(i), qui Tentre-vit,
Poussant Tean de ses espaules,
Hors des flots la teste mit.
Ceinte de joncs et de saules ;
Et, destournant ses cheveux
Qui flotoient déviant sa bouche ,
I. L'Amo, fleuve qui passe à Florence.
]84 Odes.
Défend au prince amoureux
Qu'à la pucelle il ne touche.
a Si tu n'as désir de voir,
Dit le Fleuve, ta puissance
Serve dessous le pouvoir
Du fils qui prendroit naissance
De ceste nymphe et de toy,
Et si tousjours tu veux estre
Des dieux le père et le roy.
Sans attendre un plus grana maistre ,
« Cesse, cesse ae tenter
Faire ceste vierge mère ,
Qui doit un jour enfanter
Uu fils plus grand que son père.
Fils qui donnera ses loix ,
Soit en paix ou soit en guerre,
Aux tourbes des autres rois.
Qui sous luy tiendront la terre.
«Un prince en Gaule est nourry,
Né de semence royale ,
Qui doit estre son mary,
ETle sa femme loyale;
D'elle et de luy sortira
Ce fils héritier de France
Qui ciel et terre emplira
Des prouesses de sa lance.
a Les Parques au front ridé,
D'Erebe et de la Nuict nées.
Ont main à main dévidé
L'arrest de ses destinées. »
A tant le Fleuve plongea
Au plus creux de l'eau sa teste ,
Et I amoureux deslogea ,
Fraudé de sa douce queste.
Après le terme parfait
Preait par la voix divine ,
Le mariage Tut fait
De ceste Nymphe divine.
Troisiesme Livre. 185
Sept ans peurent s'absenter
Ains qu'elle fust accouchée
Du fils dont je vay chanter
La louange non touchée.
Escoute un peu, fils aisné ,
Honneur de France et d'Itale,
Le bien qui t'est destiné
Par ordonnance fatale :
Quand ja ton père sera
Las de mener les gendarmes.
Que vieillard il cessera
D^effroyer le monde en armes y
Adonc vaillant tu tiendras
Sous luy d'Europe la bride ,
Et sous luy tu serviras
A ses genaarmes de guide ,
Et, ensemble fort et nn
En mainte ruse guerrière.
Humble , tu mettras à fin
Les mandemens de ton père;
Et, s'il reste qiuelque roy
Qu'il n'ait eu loisir de prendre ,
Fait esclave dessous toy,
François tu le feras rendre.
Tu penseras en ton cœur
D'acquérir l'Europe encore ,
Et de te faire vainqueur
Des Gades jusqu'au Bosphore.
Ces grands peuples reculez
A l'escart de nostre monde,
Des flots de Tethys salez
Couronnez tout à la ronde ,
Et ceux qu'on void habiter
Les Orcades escossoises,
N'auront cœur de résister
Contre tes armes françoises.
Les grands doistres Pyrenez >
Dévoyez en mille entorses,
i86 Odes.
De tes soudars obstinez
Ne pourront tromper les forces,
Ny les grands citez ton feu,
Que toy, pillant les campagnes
En armes , tu ne sois veu
Le monaraue des Espagnes.
Ny les Alpes au grandiront,
Ny rAppenin, qui divise
L'Italie, ne pourront
Retarder ton entreprise ,
Lors Que, traînant avec toy
Tant ae légions fidelles,
Tu ne te couronnes roy
Des Itales maternelles.
De là tirant plus avant
Vers TAllemagne terrible ,
De la part où plus le vent
D'aquilon se montre horrible ,
Tu donteras les Gelons
Et ceste froide partie
Que possèdent les Polons,
Les Gots et ceux de Scythie.
Poussant outre, tu prendras
La Thrace , et par ta prouesse
Tes bornes tu planteras
Jus(]u'au destroit de la Grèce;
Puis en France retourné ,
Dans Paris , ta grande ville ,
Tu triompheras orné •
De sa despouille servile.
Ton père , déjà chenu
D'avoir trop mis la cuirace ,
D'un grand aise détenu ,
Fera rajeunir sa face ,
Et, dessus son throne assis,
Sentira mille liesses
D'estre père d'un tel fils
Héritier de ses prouesses.
Troisiesme Livre. 187
Ainsi qu'à Rome César
Triomphant d'une victoire ,
Hsy^t t'assoiras dans an char
Dessus un siège d'yvoire ;
Deux coursiers blancs henniront
D'une longue voix aiguë ,
Qui ton beau char traîneront
En triomphe par la rue.
Tes cheveux seront liez
De palme torse en couronne,
Et bas seront sous tes piez
Les ferremens de Beiionne;
Le ciel y qui s'esbahira
De voir pour toi si grand' choses ^^ ■
Prodigue, te remplira
Le sein de Hz et de roses.
Là. francs de peur^ tes soudars^^
Marchans au son des trompettes^
Te ru'ront de toutes pars
Mille joyeuses sornettes,
Et, parez de lauriers verds^
Diront aux tourbes pressées
Les maux qu'ils auront soufferts
En tant de guerres passées.
Tout le peuple 16 crira ,
Rien qu'IÔ par l'assemblée
Le peuple ne redira
D'une }oye redoublée;
Le menestner resonnant ,
Des chantres la douce presse.
Autres mots n'iront sonnant
Que cette voix d'allégresse.
En ordre les roys vaincus
Iront en diverse mine ,
Trainez dessus leurs escu^^
Devant ta pompe divine;
Les uns auront les yeux bas »
Les autres, levant les faces >
i88 Odes.
A leur mal ne songeant pas,
Remascheront des menaces.
Les uns au col secouront
Les liens d'une chaisne orde,
Les autres les bras auront
Serrez au dos d'une corde;
Aux autres, selon les faits
De leurs fautes desloyales ,
Divers tourments seront faits
A leurs misères royales.
Là seront peints les chasteaux ,
Les ports et les villes prises ,
Les grands forets et les eaux.
Et les montaignes conquises;
Le vieil Apennin sera
Portrait d une face morne ,
Le Rhin vaincu cachera
Parmy les roseaux sa corne.
Devant ton char bien-tournant
Marchera la Renommée ,
Qui ton bruit ira cornant
De sa trompette animée ;
Et moy, qui me planteray
Devant ses pieds pour escorte y
Comme elle je chanteray
Ta louange en telle sorte :
a Prince bien-aimé des dieux,
Antique race de Troye,
Sous qui la faveur des cieux
Toute Europe a mise en proye ,
Triomphe^ et voy ta cité
Qui devotieuse appreste
A ta jeune deité
Une solennelle feste.
a Bien que tes frères et toy
La terre ayez départie ,
Et qu'aisné tu ne sois Toy
Que de la moindre partie.
Troisiesme Livre. 189
Le Ciel pourtant a voulu
Que sur toutes tu la prinsses ,
Et la prenant t'a esleu
Le seigneur des autres princes.
« Ils ont choisi pour leurs pars ,
L'un les parfums d'Arabie ,
L'autre les sablons épars
De la bouillante Libye ;
Mais tu as , Roy plus heureux ,
Choisi les terres fertiles ,
Pleines d'hommes valeureux.
Pleines de ports et de villes.
a Celuy qui peut raconter
Tes entreprises fameuses ,
Celuy peut les flots conter
De nos rives escumeuses ;
Car bien peu ^ bien peu s'en faut ,
Que ta Majesté royale
De Jupiter de là haut
L'autre Majesté n'égale. ', '
« Jamais à chanter toii los^
Je n'aurav la bouche close,
Fussé-je là bas enclos
Aux lieux oîi la Mort repose ;
Tou6Jours je diray ton nom ,
Et mon ame vagabonde
Rien ne chantera sinon
Tes louanges par le monde.»
Ainsi dirav-je , et ta main
Jusqu'au palais honorable
Conduira tousiours le frain
De ton haut cnar vénérable.
Là , t'assoyant au milieu
Sur des marches eslevées ,
Tu rendras grâces à Dieu
Pour tes guerres achevées.
Puis , ayant de toutes pars
Fermé de cent chaisnes fortes
1^0 Odes.
De l'ouvert temple de Mars
L'horrible acier de cent portes ,
Tu feras égal aux Dieux
Ton règne , et par ta contrée
Fleurir la paix, et des cieux
Revenir la belle Astrée.
A Mgr CHARLES DUC D'ORLEANS,
Depuis roy de France.
Ode IV.
Prince, tu porte le nom
De renom
Du prince qui fiit mon maistre((]}
De Charles, en qui les Dieux
Tout leur mieux
Pour chef-d'œuvre firent naistre.
Naguiere il fut comme toy
Fils de roy,
Ton grand-pere fut son père,
Et Henry le tres-chrestien ,
Père tien ,
L'avoit eu pour second frère.
A peine un poil blondelet (>),
Nouvelet,
1 . Il entend le fils puisné du roy Françoys I, auquel il fut
baillé page, et demeura cinq ans avecque luy. (R.)
2. A rage de vingt et deux ans. (R.)
Troisiesme Livre. 191
Autour de sa bouche tendre
A se frizer commençoit,
Qu'il pensoit
De César estre le ^endre(i).
Ja, brave, se promettoit
Qu'il estoit
Duc des lombardes caiiipajB[nes ,
Et qu'il verroit quelquefois
Ses fils rois
De ritale et des Espagnes.
Mais la Mort, qui le tua (z),
Luy mua
Son espouse en une pierre;
Et, pour tout l'heur qu'il conceut,
Ne receut
Qu'à peine six pieds de terre. .
Comme on void, au poinct du jour, ^
Tout autour
Rougir la rose espanie,
Et puis on la void au soir
Se déchoir
A terre toute fanie;
Ou comme un lis trop lavé,
Aggravé
D'une pluyeuse tempeste.
Ou trop fort du chaud atteint,
Perdre teint
Et languir à basse teste :
Ainsi ton oncle, en naissant,
Périssant
f . Espouser la fille de Pempereur Charles V. Et la paix de
Tan 1544 fut faite à ceste condition de mariage dans deux
ans , et qu'il auroit la duché de Milan ou la comté de Flan-
dres. (R.)
2. D^ttiie fièvre, âgé de 3 ) ans, le 4 de septembre 1 541 . (R.)
192 Odes.
Fut veu presque en mesme espace ,
Et , comme fleur du printemps ,
En un temps
Perdit la vie et la grâce.
Si, pour estre nay d'ayeux
Dcmy-dieux,
Si , pour estre fort et juste ,
Les princes ne mouroient pas ,
Le trespas
Devoit espargner Auguste.
[Jupiter et ce Romain , ,
De leur main,
Départirent tout le monde;
A 1 un en part le ciel vint ,
L'autre print
Pour sa part h terre et Tonde. ]
Si ne vainquit-il l'effort
De la Mort ,
Par qui tous vaincus nous sommes
Car aussi bien elle prend
Le plus grand
Que le plus petit des hommes.
[La Mort, frappant de son dard,
N'a égard
A la majesté royale ;
Les empereurs aux bouviers ,
Aux leviers
Les grands sceptres elfe égalé.]
Et le Nocher importun
Un chacun
Presse en sa nacelle courbe,
Et sans honneur à la fois,
Met les rois
Pesle-mesle avec la tourbe.
Mais or' je reviens à toy,
Fils de roy,
Troisieshe Livre.
Petit neveu de 'nukt.maistre y
De Charles en •(ml les Dieux .
Tout ieiir;raieax
Pour cheM^œuvre: firent nsôstre.
Comme un bel astre luisant,
Conduisant
Au ciel sa voye cognue,
Se cache sous TOcean
Demy an .
Avec Tethys la chenue,
Puis, ayant iavé:sûn chef,
Derechef .
Remonstlie ça^face claire ,
Et, plus beauqû'auparayant,
S'eslevant
Sur nostre hortson^esclaire.
Ainsi ton onde, enimoarant,
Demeurant .
Sous la terres quelque anaée ,
De rechef estineteumé,
Danstby.né,
Sous meilleure destinée.
Il s'est voilé de tdn corps.
Saillant Jiocs^ :..
De la fosse tesebieuse^
Pour vivre emtioyodanbkment
Longuement
D'une vie plus .heureuse :
Car le Destin, qui tout peut,
..Nie;tç,Y)ÇUt;
Comme à luy, tricher la vie,
Ains que voir par les vertus
...Abfaatos
Sous toy.les rojfs de TAsie.
Dieu,, quivoid tout delà-haut
Ce qu'il faut V
Ronsard, — II. i|
m
ï94 ' Odes.
Aux personnes iournalieres ,
A party ce monde espars
En trois parts ,
Pour toy seul et pour tes frères.
Ton premier aisné François (»)
Sous ses loix
Recira l'Europe sienne; •
D'Afriq* sera couronné
Ton puisné («),
Toy de la terre asienne :
Car, quand Page homme parfaict
T*aura fait
(Comme Jason fit en Grèce) (?)
Tu triVas les plus vaillans
Bataillans
De la françoise jeunesse;
Puis, mettant la voile au vent,
Ensuyvant
De Brenne l'antique trace (4)^
Tu iras (couvrant les eaux
De vaisseaux)
En l'Asie prendre place.
Là, dés le premier abort,
Sur le port,
A cent roys tu feras teste,
Et, captifis dessous tes bras,
Tu prendras
Leurs terres pour ta conqaeste.
1. Second, qui depui^fut roy. (R.) .
2. Le duc d'Alençon, pour lequel est Tode qui suit. (R.)
). Quand il assen^la des Argonautes pour'Ventrepnse de
la Toison. (R.)
que
ver,
cent cinquante mille* hommes de pied et vingt mille chevaux,
paiM en Asie et ruina le temple de Delphes. (R.)
Troisiesme Livre. 195
Ceux qui sont sous le réveil
Du soleil,
Ceux qui habitent Niphate,
Ceux qui vont, d'un bœuf suant.
Remuant
Les gras rivages d'Euphrate;
Ceux qui boivent dans le sein
Du Jourdain
De Teau tant de fois courbée,
Et tout ce peuple. odorant
Demeurant^
Aux sablons de la Sabée;
Ceux qui ont, en bataillant.
L'arc vaillant,
guand ils sont tournez derrière,
t ceux qui, toutes saisons,
Leurs maisons
Roulent sur une civière;
Ceux qui, d'un acier mordant,
Vont tondant
De Gange les doux rivages,
Et ceux qui hantent auprès
Les forêts
Des vieux Arcades sauvages (a);
Ceux qui vont, en labourant.
Déterrant
Tant d'os es champs de Sigée,
Et ceux qui plantez se sont
Sur le front
D'Hellesponte et de l'Egée.
tf. var. (1J87):
La terrer aux tigres nourrice.
Et ceux dont les chesaes vprs
Sont couverts
De soye sans artifice;
196 Odes*
De ces peuples^ bien que forts.
Tes efforts
Rendront la hrct périe,
Et, ^âiHSo^i Vobéiroht
Et seront
Vassaux de-ta sçignenne.
A ce grand-pritice theibam
(Dont la main'
Print les. Indes admi^aUes). .
E£pil roy tu te feras^,
Et auras- > • .
Sans plus lesmioearixlisseniblables :
Car, si tost qu'il les défit;
11 leur fit
Sentir sa idneose rage;
Et de ses (cns orgieux..
Furieux , .
Leur tenipesta;lecourage4
De peauit il les «ntôuma ,
Il orna. .:
De pampre leur -folle teste.
Et, trépignant ;an iuAim:^ .
Ce fol diett •
Forsendt.apçè&safeste.
Mais toy. Prince lAieux instnût.
En qui luit . .
Des vertus i*anti|uc: Teste,
Chrestien, leur feras'^voo'
Le devoir .: A
D'une autre \qyi^\vÀ odesbt.
Brisant les idoles feints
De tes mains.
De leurs dieite' tu <»éràs' mai^re^
Et, ruant léui^tëmptes bas.
Tu ferîfe •. ' .
La loy de Jésus renaistre, >
Troisiesmb Livre. 197
Puis, estant de tout costé
Redouté ,
Par ta fortune prQ$pere,
Iras au bout /iu levaul,
EslevjWt o ; .
Cent colosses ià ton piere.
A MONSEIGNEUR D'ANGOULESME («)•
Ode V.
Tov qui chantes Thonneur des rois, *
Poljmnie, ma douce Muse,
Ce dernier labeur de mes dois
Ta lyre d*or ne me rcfcse.
J'ay souvenance que tes mains,
Jeune garçon , me couronnèrent
Quand j'«u masché les lauriers saints
Que tes compagnes me donnèrent
[Alors qu'amoureux de tes yeux
Tu me donnas ta douce lyre
Pour y chanter jusques aux cieux
D^Amour le bien et le martyre].
Mais or', par le commandement
Du roy, ta lyre j'abandonne
Pour entonner plus hautement
La grand' trompette de Bellonite.
Toutefois, ains aue dé tenter
L'instrument de telle guerrière,
Fais qu'encor je puisse chanter
Pour adieu ceste ode dernière,
1 . Henrv III, alors duc d'Angoulesme, depuis duc d'Alen-
çon et roi oe France et de Pologne.
198 Odes.
Et que j'aitte en tes boîs penser
Aux honneurs du fils de mon maistre.
Pour ses louang[es commenGer
Dis le premier jour de son estre.
La nuict que ce prince nouveau
De nos dieux augmenta la trope,
On vid autour de son berceau
Se battre TAfrique et l'Europe.
L'Afrique avoit le ooit retors
A la moresque crespeiée ,
Les lèvres grosses aux deux bords ,.
Les yeux noirs, la f^ce halée.
Son habit sembloit s'allonger
Depuis les colonnes d'Espaigne
Jusqu'au bord du fleuve estranger
Qui de ses eaux TEgypte baigne.
En son habit estoient gravez
Maint serpent, maint lion sauvage,
Maint trac de sablons eslevez
Autour de son bouillant rivage.
L'Europe avoit les cheveux blonds,
Son teint sembloit aux fleurs décloses,
Les yeux verds, et deux vermeillons
Couronnoient ses lèvres de roses.
Sur sa robe furent pourtraits
Maints ports, maints fleuves , maintes isles ,
Et de ses plis sourdoient espais
Les murs d'un million de villes.
De tel vestement triomphant
Ces terres furent accoustrées ,
La nuict qu'elles tiroient l'enfant
Par force devers leurs contrées.
L'Europe le vouloit avoir.
Disant qu^il estoit nay chez elle.
Et que sien estoit par devoir
Comme à sa mère naturelle.
L'Afrique en courroux respondoit
Qu'il estoit sien par destinée,
Troisiesme Livre. 199
Et que jâ du ciel l'attendoit
Pour son prince dès mainte année.
Ainsi Tune à soy Tattiroit
Sur le berceau demy-couchée ,
Et l'autre après le retiroit ,
Contre sa compagne faschee.
• Mais la pauvre Europe à la iîn ,
Baissant le front melancholique.
Par force £t voye au destin ,
Et Quitta Tenfant à l'Afrique.
L Afriaue adonc luy présenta
Le laict Je sa noire tétine,
Et, pleine d'Apollon, chanta
Sur luy ceste chanson divine :
Enfant heureusement bien-né ,
( Race du Juoiter de France)
En qui tout le Ciel a donné
Toutes vertus en abondance^
Crois , crois , et d'une majesté
Monstre-toy le fils de ton père,
Et porte au front la chasteté
Qui reluit au front de ta mère.
^Comme un pin planté sur les eaux ,
Bien nourri de l'humeur prochaine ,
Croist par sus tous les arbrisseaux
Et se fait l'honneur de la plaine,
Ainsi , 6 prince, tu croistras
Entre les princes de l'Europe,
Et plus vaillant apparoistras
L'ornement royal ae leur trope.]
Si tost que l'âge, produisant
Les fleurs de la jeunesse tendre.
T'aura fait l'esprit suffisant
Pour les douces lettres apprendre,
Les trois Grâces te mèneront
Au bal des muses Pegasides ,
Et toute miict t'abreuveront
De leurs ondes aganippides.
200 Odes.
[Pour toi les ruisseaux Pyraplèans
Seront ouverts , et les bocages
De Pinde , et les monts Cirrhéans y.
Effroyables d'antres sauvages.]
Mais auand l'ardeur t'eschaufeca
Le sang Doûillant dans les entrailles ,
Et que la gloire te fera • .
Concevoir le soin des batailles.
Nul plus que tov sera sçavant
A tourner les banaes en fuite ^
Et nul soldat courra devant
Les pas allez de ta poursuite.
Soit que de prés il voye au poing
Ta large espée foudroyairte ,
Ou soit au'il advise de loing
Les plis ae ta picque ondoyante ;
Soit qu'il se vante d'opposer
Contre ta lance' sa cuirasse ,
Ou soit qu'il se fie d'oser
Attendre les coups de ta masse.
Lors toy sur un cheval monté ,
Régissant son esprit farouche .
Pourfendras de chaque costé
Le plus espais de l'escarmouche,
Soit que tu le pousses au cours,
Laschant la resne vagabonde ,
Ou soit au'en l'air de mille tours.
Tu le vottes à bride ronde.
Ainsi porté par le milieu
Des banaes d'horreur les plus pleines,
Tu sembleras à quelque Dieu
Qui prend soin des guerres humaines,
Et, mariant à tes beaux faits
Fortune et vertu, ta compaigne,
Vainqueur, tu paveras espais
De corps morts toute la campagne.
Comme on void l'orgueiLa'un torrent
Bouillonnant d'une trace neuve
Troisiesms Livre. aqi
Parmy les plaioes en courant
Ravager tout cela qu'iUreuve»
Ainsi ta main renversera .
Sur la terre de sang trempée
Tout cela qui s'opposera.
Devant le fil de ton espéev
Le faucheur à grand tour de bras,
Du matin (usqu'à la ^rée^
De rang ne fait tom^.à bas
Tant d'berbes cheutes sur la prée,
Ne le scieur ne ya^taillant ,
Tant de moissons, :)prs que nous sommes
En esté, qiietQy bataillant
Tailleras de chevaux et d'hpmnies.
Accablez sous tes coups trenchans ,
Par monceaux seront en carnage
Ctux d'Ererabe, et tous c^ux fl^ champs
Des Nomades (») etde Carthage> >
Et ceux qui. ne coupent le fruit
Des vignes meures devenites (^},
Et qui jamois n'ojreot U bruH-
Des bœufs qui traînent les (charrues,
Et ceux qui gardent le verger
Des Hespendes desi>ouillé0s ,
Et ceux qui du sang estranger
Habitent les rives souillées (3);
Ceux qui tiennent le mont Atlas,
Et ma plaine mauruslenne (4),
Et mon lac(J) qui nomma Pallas(^)
De son onde tntonienne.
1 . De la Humidie. (R.}
2. Les Massyliens, voisins des Nomades, qui n'ont non
plus qu'eux de demeure arrestéé, (R.)
). Les Nasamons, qui tuèrent par trahison un capitaine
romain envoyé chez eux. (à.)
4. Les deux MauHtanies. (R.)
j . PalMf wstâ, proche de la petite Syrte. (R.)
é. Lucain dit , conune nosuë autheur, que ce lac luy donna
202 Ode s.
Et ce peuple thëbàin (>) venu
Aux amycleannes cyrènes ,
Et ceux où ie bélier cornu
Prophétise sur mes arènes (>).
Bref, tous mes habitans seront
Vaincus ou morts dessous ta destre,
Et tremblans te confesseront
A coups de masse pour leur maistre.
Battus , qui tant de mers passa (0
Suand sa voix luy fut racoustrée (4),
e me pleut tant lors qu'il laissa
Pour moy sa native contrée ,
Ny Hannibal , de qui la main
Esbranlant ses haches guerrières ,
En-joncha du peuple romain
Tant de champs et tant de rivières,
Ne me fut point si cher que toy
(Bien qu'il fust mon fils de naissance),
Que toy adopté pour mon roy,
Du Ciel par fatale ordonnance.
Ainsi disant, elle ferma
La parole aux futures choses,
Et de çà et de là sema
Sur le berceau dix mille roses.
Puis comme une voix qui se plaint,
le nom de Tritonienne, et que ce fut le premier lieu où elle
arriva après sa naissance. (R.)
1 . Ceux qui habitent la Cyrenaîque, qui semblent estre ve>
nus des Thebains. (R.)
2. Car c'a esté là anciennement un fameux oracle, où Ju-
piter estoit interrogé sous la forme d'un bélier. (R.)
). Et toutefois sa navigation n'est pas grande, de Pisie
de Thera, d'où il estoit, près de Candie, jusqu'au bord d'A-
frique, où il bastit la ville de Cyrene. Suidas. (R.)
4. Parce qu'auparavant qu'il passast en Afrique, il estoit
muet; mais y estant venu par l'oracle d'Apollon, et sans y
penser s'esunt présenté à luy un lion effroyable, la peur
qu'il en eut luy deslia la langue. (R.)
Troisiesme Livre. 203
Au soir, dedans un antre ouie ,
Ou de nuict comme un songe feint,
Parmy Tair s'eist évanouie.
A MES DAMES, FILLES DU ROY HENRY II
Ode VI.
Ma nourrice Calliope,
Qui du luth musicien ,
Dessus la jumelle crope
D'Helicon , guides la trope
Du sainct chœur Parnassien ;
Et vous, ses sœurs, qui, recreues
D'avoir trop mené le bal,
Toute nuict vous baignez nues
Dessous les rives herbues
De la fontaine au cheval ;
Puis, tressans dans quelque prée '
Vos cheveux délicieux ,
Chantez d'une voix sacrée
Une chanson qui recrée
Et les hommes et les dieux !
Laissez vos antres sauvages
(Doux séjour de vos esbas).
Vos forests et vos rivages ,
Vos rochers et vos bocages,
* Et venez suivre mes pas.
Vous sçavez, puceiles chères,
Que, libre onques je n'appris ,
De vous faire mercenaires,
Ny chetives prisonnières ,
Vous vendant pour quelque pris;
Mais sans estre marchandées.
Vous sçavez que librement
204 6des.
Je Ydtts ay t^sjours guid{;es
Es maisons recommaRd^es,
Pouf leurs vertus seulement.
Comme ores , nymphes très-belles ,
lé vous meine avecques moy
Eif ces maisons immortelles,
Pour célébrer trois pucelles (»),
Comme vous filles de roy,
Qui dessous leur mère croissent
Ainsi que trois arbrisseaux ,
Et ja grandes apparoissent
Comme trois beaux lis qui naissent
A la fraischeur des ruisseaux,
Quand quelque future espouse,
Aimant leur chef nouvelet ,
Soir et matin les arrouse,
Et à ses nopces propouse
De s'en faire un chapelet.
Mais de <(uel vers plein de grâce
Vous iray-je décorant?
Chanteray-je vostre race,
Ou rhonneur de vostre face
D'un teint brun se colorant?
Divin est vostre lignage ,
Et le brun que vous voyez
Rougir en vostre visage
En nen ne vous endommage
Que trois grâces ne soyez.
Les Charités sont brunettes ,
Bruns les Muses ont les yeux ,
Toutefois belles et nettes ,
Reluisant comme planettes
Parmy la troupe des dieux.
Mais que sert d'estre les, filles
D'un grand roy, si vous tenez
, 1
I. A sçavoir : Elisabet, qtit fut maâée au roy d'Espagne,
Claude au duc de Lorraine, et Marguen^ à Heniy IV. (R.)
Troisibsmb Livre. 205
Les Moses-eonime iRutiJes,
1^ leurs sciencé$ gentiles
Dés le berceau h^appretiez ?
Ne craignez, pour mieux revivre,
D'assembler d'ecaf compas '
Les aiguillés et- fè 4iVrê, ■ •
Et de doublement' <?niuirre
Les deux mestiers éé Pallas.
Peu de temps la Beauté dure,
Et le sanç gui des lioys sort,
Si de l'esprit on li-â ciire.
Autant vaut quelque peinture
Qui n*est vive qù^en son mort.
Ces richesse^ t^rgùeilleuses.
Ces gros'dîarhahsMubans,
Ces robes voluptueuses,
Ces dorures somptueuses ,
Périront avec les. ans.
Mais le sçavoii* de la Musé
Plus que la richesse est fort ;
Car jamais rouilféne s'use,
Et maugré les ans i^efuse
De donner place à là mort.
Si tost que serez apprises
A la danse des neuf SœUrs,
Et que vous aurez comprises
Les doctrines plus exquises
A former vos jeunes mœurs ,
Tout aussi tost la déesse
Qui trompette lesi renoms .
De sa bouche parleresse
Par tout espandiia saas tesse
Les louanges de vos noms.
Lors s'im -roy, pour sa defence,
A vos frères repoussez •
De sa terre avet'fea lance j
Refroidissant la vaillance
De ses peuples cbUrrôùcez,
2o6 Odes.
Au bruit de la renommée ,
Espris de vostre sçavoir.
Aura son âme enflammée,
Et , quittant là son armée ,
Pour mary vous viendra voir.
Voyla comment en deux sortes
Tous roys seront combatus ,
Soit qu'ils sentent les mains fortes
De nos françoises cohortes,
Soit qu'ils aiment vos vertus;
Là donq, Princesses divines,
Race ancienne des dieux,
Armez vos tendres poitrines
Des vertus et de doctrines;
C'est le vray chemin des cieux.
Par tel chemin Polixene
D'un beau renom a jouy ;
Par tel mestier la Romaine
De chasteté toute pleine
Vit encores aujourd'huy,
Laquelle de son espée
Sa vie aux ombres jetta,
Et, par soy-mesme frappée,
Ayant la honte trompée.
Un beau renom s'acneta.
A LA ROYNE DE NAVARRE.
Ode VU.
P allas est souvent d'Homère
Dite fille d'un bon père,
Et vous, la Pallasd'ici{
Par moy serez dite ainsi.
Homère ainsi l'a nommée
Troisiesme Livre. 2Q7
Pour estre fille estimée
Du Diieu que les siècles vieux
Nommèrent père des Dieux :
Et moy je vous nomme telle ,
Fille d'un Roy qu'on appelle
Icy bas en tous endrois
Le bon père des François.
Pallas et vous, ce me semble,
Avez vos mestiers ensemble.
Elle tousjours s'amusoit
Aux vers qu'elle composoit :
Souvent vostre esprit s'amuse
Aux saints labeurs de la Muse,
Qui y en despit du tombeau ,
Rendra vostre nom plus beau.
Elle addonnoit son courage
A faire maint bel ouvrage
Dessur la toile , et encor
A joindre la soye à l'or :
Vous, d'un pareil exercice,
Mariez par artifice
Dessur la toile, en maint trait.
L'or et la soyë en potirtrait.
Une seule différence
Vous sépare : car la lance ,
Les guerres et les combats
Estoient ses plus doux esbats ;
Mais vous , aimant la concorde ,
Chasserez toute discorde.
Et le plus beau de vos faits
Ce sera d'aimer la paix,
Et, par nouveau mariage,
De Mars appaiser la rage ,
S'il vouloit une autre fois
Pousser en armes nos rois.
20S Odks.
A LA FONTAINE BELLERIE.
Ode VIII.
E scoute un peu ^ fontaine vive ,
En qui j'av rebeu si souvent ,
Couché tout plat dessus ta rive ,
Oisif à la firaischenr du vent ,
Quand l'esté mesnager moissonne
Le sein de Cerés dévestu ,
Et Taire par compas ressonne
Dessous répi du olé batu.
Ainsi tousjours puisses-tu estre
En dévote religion
Au bœuf et au bouvier champestre
De ta voisine région ;
Ainsi tousjours la lune claire
Voye à mi-nuict, au fond d'un val,
Les nymphes près de ton repaire
A mille bonds mener le bal ,
Comme je désire, fontaine ,
De plus ne songer boire en tojr
L'esté , lors que la fièvre ameme
La mort despite contre moy.
A DENYS LAMBIN,
Lecteur du Roy.
Ode IX.
Ç^ ne les formes de toutes choses
^^^.Soienty comme dit Platon, encloses
En nostre ame, et que le sçavoir
Troisibsme Livre. 209
N'est sinon se raraentevoif :
Je ne le crov, bien que s» gloire
Me persuaae de le croire;
Car, de jour el de miicl depvi»
Sue studieux du grec je suis y
omere devenu je âisse,
Si souvenir icy me peusae
D'avoir ses beaux yors entendu
Âins que mon esprit descendu
Et mon corps fussent joints endemUe.
Mais c'est abus : l'esprit ressemble
Au tableau tout neuf oà nul trait
N'est par le peintre encor pourtrail ,
Et qui retient ce qu'il y note ^
Lambin , qui sur Seine d'Eurote,
Par le doux miel de tes douceurs,
As ramené les saintes Sc9urs....
i*NMi«B
EPIPALINODIE (I).
Ode X.
O terre j 6 mer, à ciel espars.
Je SUIS en feu de toutes pars;
Dedans et dehors mes entrailles
Une ardante chaleur me poind
Plus fort qu'un mareschal ne joint
Le fer tout roiige en ses tenailles.
La chemise qui escorcha
Hercul' si tost qui! la toucha
N'égale point la flame mienne ,
Ny de Vésuve tout le chaud ,
I. Imitation d'une ode d*HOface. (R.)
Ronsard. — II. 14
210 Odes.
Ny tout le feu que rote en haut
La fournaise sicilienne.
Le jour les soucis presidans
Condamnent ma coulpe au dedans
Et la genne après on me donne;
La peur sans intermission ,
Sergent de leur commission ,
Me poind, me pique et m'aiguillonne.
La nuict les fantômes volans ,
Claquetant leurs becs violants
Et sifflant, mon ame espouvantent;
Et les Funes. qui ont soing
Venger le mal, tiennent au poing
Les couleuvres qui me tourmentent.
Il me semble que je te voy
Murmurer des charmes sur moy,
Tant que d'effroy le poil me dresse ;
Puis mon chef tu vas relavant
D'une eau puisée bien avant
Dedans le neuve de tristesse.
Que veux-tu plus ? di , que veux-tu ?
Ne m'as-tu pas assez batu ?
Veux-tu qu en cest âge je meure ?
Me veux-tu brusier, foudroyer, «
Et tellement me poudroyer
Qu'un seul osset ne me demeure ?
Je suis appresté , si^tu veux ,
« De te sacrifier cent bœufs ,
Afin de des-enfler ton ire:
Ou, si tu veux , avec les aieux
Je t'envoiray là haut aux cîeux
Par le son menteur de ma lyre.
Les frères d'Helene, faschez
Pour les ïambes delaschez
Contre leur sœur par Stesichore,
A la fin luy ont pardonné ,
Et, pleins de pitié, redonné
L'usage de la veue encore.
Troisiesme Livre. 211
Tu peux, helas 1 Denise, aussi
Rompre la teste à mon souci ,
Te fléchissant par ma prière ;
Rechante tes vers (0, et les traits
De ma face en cire pourtraits (a)
Jette au vent (3) trois fois par derrière.
L'ardeur du courroux que Ton sent
Au premier âge adolescent
Me fit trop nicement t'escrire ;
Maintenant, humble et repentant,
D'œil non femt je vay lamentant
La juste fureur de ton ire.
1 . C'est-à-dire défais les charmes que tu as faits contre
moy. (R.)
2. C'estoit une meschanceté de la magie, tellement effi-
cace et puissante que, les sorcières perçans et penetrans à
coups d'aiguilles et de canivets ces images de cire , le sen-
timent et le mal en passoit aux personnes 'contre lesquelles
elles estoient faites. Voire que, si quelquefois seulement elles
pouvoîent avoir ou recouvrer la coque d'une noix ou d'un
œuf que celuy qu'elles devouoient euM mangé, elles s'en
servoient à mesme effet ; et c'est pourquoy les anciens, s'en
donnans garde, rompoient les coquilles des œufs qu'ils man-
geoient, pour prévenir le charme. Nostre histoire fait men-
tion d'une image de cire de Louys Hutin qui fut trouvée
entre les mains d'une sorcière , laquelle , selon qu'elle le fon-
doit au feu , affbiblissoit et diminuoit d'autant les forces du
corps de ce prince. (R.)
3. Ou dans l'eau, par une superstition magique. (R.)
212 Odes.
■**™»^P^W*'"»»*^i*Wi
SUR LA NAISSANCE DE PRANÇCMS II,
Dauphin de France , fiU 4u roy Henrj U.
A Calliope,
Ode XI (i).
En quel bois le plus séparé
Du populaire et en quel antre
Prens-tu plaisir de me guider,
O Muse, ma douce folie,
Afin qu'ardant de ta fureur,
Et du tout hors de moy, je chante
L'honneur de ce royal enfant
Qui doit commander à la France?
Je cri'ray de vers non sonnez
Du grec ny du latin poète,
Plus hautement que sur le mont
Le prestre thracien n'entonne
Le cor. à Bacchus dédié ,
Ayant la poitrine remplie
D'une trop vineuse fureur.
Il me semble desja que j'erre
Seul par les antres, et qu au fond
D'une solitaire vallée
Je chante les divins honneurs
Du grand-pere et du père ensemble.
Tandis , Muse , sur son berceau
Semé le lis. semé la rose,
Semé la palme et le laurier.
L'honneur des veînqueun es batailles.
Je prevoy qu'il vous aimera ,
Et employra la mesme dextre
I . Les vers de cette ode ne sont pas rimes. .
Troisibsme Livre. ai)
Dont guerrier il aura veincu
L'Espagnol et TAnjglois superbe
A polir des vers qui feront
Voler son nom par-^us la terre
Imitateur du grand César,
Vaillant et sçavant tout ensemble ,
Qui le jour vestoit le hamois ,
Et la nuit escrivoit ses gestes.
A JEANNE IMPITOYABLE.
Ode Xn.
O grand' beauté , mais trop oùtrecuidée
Des presens de Vei^us,
Quand tu voirras ta face estre ridée
Et tes flocons chenus ,
Contre le temps et contre toy rebelle ,
Diras en te tançant :
Que ne pensois-je alors que j'estois belle
Ce que je vay pensant ?
Ou bien pourquoy à mon désir pareille
Ne suis-je maintenant?
La beauté semble à la rose vermeille,
Qui meurt incontinent.
Voila les vers tragiques et la plainte
Qu'au ciel tu envoyras ,
Incontinent que ta face dépainte
Par le temps tu voirras.
Tu sçais combien ardamment je t'adore ,
Indocile à pitié,
Et tu me fiiis , et tu ne veux encore
Te joindre à ta moitié.
O de Paphos et de Cypre régente,
Déesse aux noirs soucis ,
214 Odes.
Plustost encor one le temps sois vengeante
Mes desaaignez soucis!
Et, du brandon dont les cœurs tu enflâmes
Des jumens tout autour,
Brusle-la moy, afin que de ses fiâmes
Je me rie à mon. tour.
A JOACHIM DU BELLAY.
Ode XIIL
Nous avons , du Bellay, grand' faute
Soit de biens, soit oe faveur haute,
Selon que le temps nous conduit;
Mais tousjours, tandis que nous sommes
Ou morts ou mis au rang des hommes,
Nous avons besoin de bon bruit.
Car la louange emmiellée.
Au sucre des Muses meslée ,
Nous perce Taureille en riant;
Je dis louange qui ne cède
A Por que Pactole possède,
Ny aux perles de TOrient.
La vertu qui n'a cognoissance
Combien la Muse a de puissance
Languit en ténébreux séjour.
Et en vain elle est souspirante
Que sa clarté n'est apparante
Pour se monstrer aux rais du jour.
Mais ma plume, qui conjecture
Par son vol sa gloire future,
Se vante de n'endurer pas
Que la tienne en l'obscur demeure,
05 comme orpheline elle meure.
Errante sans honneur là bas.
[Nous avons bien , moi et mon mètre ,
Troisiesmb Livre. 215
Cette audace de te promettre
Sue tes labeurs seront appris
e nous , de nos suivantes races ,
S'il est vrai que j'aye des Grâces
Cueilli^ les fleurs dans leurs pourpris.]
Je Canderay mon arc, qui jette
Contre ta maison sa sagette.
Pour viser tout droit en ce lieu
Qui se réjouit de ta gloire ,
Et où le grand fleuve de Loire
Se mesle avec un plus grand Dieu.
Car. bien que ta Muse soit telle
Que oe soy se rende immortelle ,
Desdaigner pourtant tu ne dois
L'honneur que la mienne te donne
Ny ceste lyre qui te sonne
Ce que. luy commandent mes doi
Jadis Pmdare sur la sienne
Accorda la gloire ancienne
Des princes vainqueurs et des rois ;
Et ie sonnerai ta louanee ,
Et renvoiraî de Loire à Gange,
Si tant loin peut aller ma vois.
Car il semble que nostre lyre
Ta race seule vueille eslire
Pour la chanter jusques aux cieux :
Macrin (>) a sacré la mémoire
♦ De Toncle , et j'honore la gloire
Du nepveu , qui s'honore mieux.
France sous Henry fleurit, comme
Sous Auguste fleurissoit Romme;
Elle n'est pleine seulement
D'hommes qui animent le cuivre ,
Ny de peintres qui en font vivre
Deux ensemble (a) éternellement ; .
f . Poète assez bon de son temps. (R.)
2. La personne peinte et son tableau. (R.)
2i6 Odes.
Mais, grosse de sçavoir. enfante
Des fils dont elle est triontante,
Qui son nom rendent honoré :
Liin chantre d'Amotrr la décore ,
L'autre de Mars, et l'autre encore
De Phœbus au beau crin doré;
Entre lescjuels le Cie! ordonne
Que le premier lieu l'on te donne ,
Du Bellay , qui monstres tes vers
Entez dans le tronc d'une dire ('),
Olive dont la fueiHe vire
Se rend égale aux ianriers vers (»).
DE LA CONVALESCIINCE
DE JOACHIM DU PELLAY.
A Louy» M«g«it.
ODftXÏV.
Mon ame, il est temps que tu rendes
Aux bons dieux les justQ$ offrandes
Dont tu as obligez tes vœvx:
Qu'on nous dresse un autel de terre»
Avec toy payer je le veux,
- Et gu'on le pare de fierre
Et ae vervéne aux froids cheveux.
Les dieux n*ont remis en arrière
L'humble souspir de ma prière ,
Et Pluton, qm n'avoit appris
1 . Sur les mérites de sa maistresse, appellée Olive, de la-
quelle il a composé les amours qui se lisent entre ses œu-
vres. (R.)
2. Aux amours de Pétrarque. (R.)
\
Troisiesme Livre. 217
Se fléchir pour dueil qu'homme meine,
N'a pas mis le mien a mespris,
Rappelant la Parque inhumaine
Qui ja du Bellav tenoit pris.
Mortes sont les fièvres cruelles
Qui rongeoient ses chères mouelles ;
Son oeil est maintenant pareil
Aux fleurs que trop les pluyes baisent ,
Envieuses cfe leur termeil ,
Et qui plus vives se repeignent
Aux rayons du nouveau soleil. ^
Sus, Megret, qu'on diante, qu'on sonne
Cest heur que la santé luy donne»
Qu'on chasse ennuis , soucis «t pleurs ,
Qu'on semé la place de roses.
D'oeillets, dé lis, de toutes fleurs
£a ce beau mois de foin écioses>,
Où le ciel mire ses couieors^
Lequel &'é^e ti se neenee
De te voir s»n, et injr agnèe
Le jour que ta fois dessous Juy ;
Son cours, qui sembioit apparoidtie
Malade contre toy-d'enniif.
Tous deux sains, «?ec fait caognoiArft
Vos belles clartez aujourd'hui!,
Mais quoy? si faut-il bien qu'on meure;
Rien çà tas ferme ne demeure;
Le roy François vid bien !a nuit.
Donc , tandis qu'on ne te menace ,
Et la Mort boiteuse te fuit.
Il faut que ta docte main face
Un oeuvre digne de ton bruit.
2i8 Odes.
A FRANÇOIS DE LA BROSSE
ChanoloU.
Ode XV 0).
Puis que d'ordre à son rang l'orage est revenu ,
Si que le ciel voilé tout triste et devenu,
Et la veufve forest bransle son chef tout nu
Sous le vent qui Testonne,
C'est bien pour ce joura'huv (ce me semble) raison ,
gui ne veut offenser la loi ae la saison ,
rendre à gré les plaisirs que l'amie maison
En temps pluvieux donne.
Mais, si j'augure bien, quand je voy pendre en bas
Les nuaux avaliez , mardy ne sera pas
Si mouillé qu'aujourd'huy; nous prendrons le repas
Tel jour nous deux ensemble.
Tandis chasse de toy tout le mordant souci.
Et l'Amour, si tu l'as, chasse le moy aussi :
Ce garçon insensé au plus sage d'ici
Mille douleurs assemble.
Du soin de l'advenir ton cœur ne soit espoint.
Ains. content du présent, dis lui qu'en un seul point
N'aomire des faveurs qui ne dureront point
Sans culbuter à terre.
Plustost que les buissons les pins audacieux ,
Et le front des rochers qui menace les cieux
Plustost que les cailloux abbaissez à nos yeux ,
Sont punis du tonnerre.
Vien saoul , car tu n'auras le festin ancien
Que, prodigue, donna l'orgueil égyptien
I. Cette ode étoit primitivement dédiée I Madou de La-
haye.
Troisiesme Livre. 219
Au Romain qui vouioit tout Tempire éstre. sien :
Je tiay tant de viandes.
Tu ne boiras aussi de ce nectar divin
Qui rend Anjou fameux, car volontiers le vin
Qui a senty rhumeur du terroir angçvin
Suit les bouches friandes.
A CUPIDOn/
Pour punir Jane crueU^.
Ode XVI. '
Le jour pousse la nuit,'
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D'une obscure ombre*
L'automne suit Testé,
Et Taspre rage
Des vents ra point esté
Après Torage.
Mais la fièvre d*amours
Qui me tourmente
Demeure en moy tousjours
Et ne s'alente.
Ce n*estoit pas moy^ Dieu,
. Qu'il falloit pomdre;
Ta fledle en autre lieu
Se devoit joindre.
Poursuy les paresseux
Et les amuse.
Et non pas moy, ne ceux
Qu^aime la Muse.
220 Odes.
Decestedare,
Qui rit (joand |ihis d%siiiO)r
; Vbid que ]'«Qduve.
Redonne la clarté
A mes ténèbres,
Remets en liberté
> -Mes jours funèbres.
Amour, sois le support
De ma pen$é«,
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.
Tant plus je suis criant,
Plus me reboute;
Plus je la suis priant,
Moins eU* m*escoute.
Ne ma palle couleur,
D'amour blesmie,
N'a esmeu à douleur
Mon ennemie;
Ne sonner à son huis
' De ma guitterre^
Ny pour elle les nuis^ '
Dormir à terre.
Plus cruel n'est l'eflort
De l'eau mutine
Qu'elle, lors que plus bri
Le vent s obstine.
Eir s'arme en sa beauté,
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La recompense.
Monstre^oy le Vainqueur,
Et d'elle enflamme,
Troisiesmb Livre. . 221
Pour exemple, le cœQf ,
De telle ilamc
"S
Qui Biblys alluma,
Trop indiscrète,
Et d'ardeur consuma .
La royne en Crète.
COMPLAINTE DE GLAUQUE A SCYLLE,
Nymphe. r
Ode XVH.
Les douces fleurs d'Hymette aux abeilles agréent,
Et les eaux de Testé les altérez récréent;
Mais ma peine obstinée
Se soulage en chantant sur ce bord foiblement
Les maux ausquels Amour a misérablement
Soumis ma destinée.
Hé! Scylle! Scylle! las! ceste dolente rive.
Voire son flot piteux , qui grommelant arriVe
Des salées campagnes,
Me plaint et me lamente, et cjes rochers, oyans
Mon dueil continuel, de mo^r sont larmoyans;
Seule tu me desdaîgnes.
Ce jour fut mon malheur, quand les dieux marins euren
Envie sur mon aise et lors qu'ils me cognurent
De leur grande mer digne.
Las! heureux si jamais je n'eusse desdaigné
L'art premier où j'estois par mon père enseigné ,
Ny mes rets, ny ma ligne!
Car le feu oui mon cceur ronge , poinçonne et lime ,
Me vint ardre au milieu (qui ï'eust creu ?) de l'abtme
De leur mer fluctueuse ,
222 Odes. •
Et bien en autre forme adonc je me changeay
Que je ne fus mué alors que je mangeay
C'herbe tant vertueuse.
Pourtant, si j'ay le chef de longs cheveux difforme
Et le corps monstrueux d'une nouvelle forme
Bien peu connue aux ondes.
Tel honneur de nature en moy n'est à olasmer :
La mère Tethys m'aime , et mSgiment de la mer
Les nymphes vagabondes.
Circé taitt seuletftent ne m'aime, mais encore
Ardantement me suit et ardente m'adore,
En vain de mov éprise.
Ainsi, le bien que cçnt désirent, une l'a,
Une seule en jouist, et, en lieu de cela.
Me hait et me déprise.
Bien aue nymphe tu sois, ah! cruelle, si est-ce
Qu'inaigne je ne suis' de toy : demy-déesse.
Un dieu te fait reque^te.
Tethys, pour effacer cela que j'eu d'humain
Et d homme au temps sujet, m'a versé de sa main
Cent fleuves sur la teste.
Mais, las! dequoy me sert ceste faveur que d'estre
Immortel, et d'aller, compagnon, à ladestre
Du grand prince Neptune,
Quand Scylle me desdaigne, estant franc du trespas,
Et celui qui, par mort, permis ne luy est pas
De changer sa fortune?
Troisiesme Livre. 22;
A CHARLES DE PISSELEU,
Evesque de Condom.
Ode XVIII (»).
D'où vient cela (Pisseleu) que les hommes
De leur nature aiment le changement,
Et qu'on ne void en ce monde où nous sommes
Un seul qui n'ait un divers jugement? ^
L'un , esloigné des foudres de la guerre ,
Veut par les champs son âge consumer
A bien poitrir les mottes de sa terre
Pour de Cerés les presens y semer;
L'autre, au contraire, ardant, aime les armes,
Et ne sauroit en un lieu séjourner
Sans bravement attaquer les allarmes.
Bien gue jamais ne pense retourner {a),
Q^i le palais de langue mise en vente
Fait esclater devant un président , '
Et qui , piqué d'avarice suivante ,
Franchit la mer de l'Inde à l'occident.
L'un de l'amour adore l'inconstance ;
L'autre, plus sain, ne met l'esprit sinon
Au bien public, aux choses d'importance,
Cherchant par peine un perdurable nom.
L'un suit la cour et les faveurs ensemble,
Si que sa teste au ciel semble toucher;
a. Var. (1584):
Marchant hardi, ores pour estonner
Le camp anglois de menassans alarmes
Et pour l'assaut à Boulogne donner,
1. Unité d'Horace : Qjjiifit H^cenas, etç.
224 Odes.
L'autre les fuit et est mort , ce luy semble ,
S'il void le roy de son toict approcher.
Le pèlerin a l'ombre se délasse,
Ou d'un sommeil le travail adoucit,
Ou, réveillé, avec la pleine tasse
Des jours d'esté la longueur accourcit.
Qui devant l'aube accourt triste à la porte
Du conseiller^ et là, faisant maint tour,
Le sac au pomg, attend que Monsieur sorte
Pour luy donner humblement le bon-iour.
Icy cestuy de ta sage nature
Les taits divers remasche en y pensant,
Et cestuy-Ià^ par la lineature
Des mains, prédit le malheur menaçant.
L'un, allumant ses vains fourneaux^ se fonde
Dessus la pierre incertaine, et, combien
Que l'invoqué Mercure ne responde >
Soufle en oeux mois le meilleur de son bien.
L'un grave en bronze , et dans le marbre â force
Veut le labeur de nature imiter
Des corps errans l'astrolo^e s\fforce
Oser par art le chemin limiter.
Mais tels estais » inconstants de Ta vie ,
Ne m'ont point pieu, et me suis tellement
Esloi^é (Peux que je n'eus onc envie
D'abaisser l'œil pour tes voir seulement.
L'honneur sans plus du verd laurier m'agrée;
Par luy je hay le vulgaire odieux.
Voilà pourquoy Euterpe ta sacrée
M'a de moi:ter fait compagnon des dieux.
La belle m'aime et par ses bois m'amuse »
Me tient, m'embrasse, et, quand je veux sonner,
De m'accorder ses flûtes ne refuse »
Ne de m'apprendre à bien les entoùner.
Car elle m*» de Yean de ses feirteiiies
Pour prestre bien baptisé de sa ram .
Me faisant part du mai honneur d'Athènes
Et du sçavQÎr de l'antique Romain.
Troisiesme Livre. 225
A ANTHOINE CHASTEIGNER,
Abbé de Nantueil.
Ode XIX.
Ne s*efFroyer de chose <jui arrive,
Ne s'en fâcher aussi ,
Rend Thomme heureux, et fait encor qu'il vive
Sans peur ne sans souci.
Comme le temps vont les choses mondaines,
Suivans son mouvement ;
II est soudain et les saisons soudaines
Font leur cours brèvement.
Dessus le Nil jadis fut la science.
Puis en Grèce elle alla.
Rome depuis en eut Texperience,
Paris maintenant Pa.
Villes et forts et royaumes périssent
Par le temps tout exprès ,
Et donnent lieu aux nouveaux qui fleurissent ,
Pour remourir après.
[Comme un printemps les jeunes enfants croissent ,
Puis viennent en esté ;
L'hiver les prend , et plus ils n'apparoissent
Cela qu'ils ont esté. ] ^^
Naguère estoient dessus la sèche arène
Les poissons à l'envers ,
Puis tout soudain l'orgueilleux cours de Sène
Les a de flots couverts.
La mer n'est plus où elle souloit estre,
Et aux lieux vuides d'eaux
Ronsard, — IL i j
ZZ6 OOES, ..
(Miracle estrange ! ) on la void soudain oaistre
Hospitai de bateaux.
TelUsioix fit dam^ Nature ^de,
' Lors'ûUë pT sur le'dôs
Pyrrhe sema dedans le inonde vuide
De sa mère les os ,
A celle fin que nulhomme n'espère
S*oser dif e i'»mortei ,
Voyant le temps qui est.son propre perc,
M Voir ri^n moins de tel,
Arme-tov donc de la philosophie
. Contre tant d'âccidens ,
Et f courageux , d'elle te fortifie
L'estomach au dedans ,
N'ayant effroy de chose qui survienne
Au devant de tes yeux ,
Soit que le ciel les abysmes devienne ,
Et Tabysme les cieux.
•i«7?"^"f— »■*-"••- • I ■*~9^^mmm^-'''mm-^'mmmmm^mmfmmmm^-m^
DE LA DEFLORATION DE LEDE,
A Cassandre,
Divisée par trois pauses,
Ode XX,
première pause.
Le cruel Amour, vainqueur
De ma vie sa sujette ,
\
TROISIESMC LiVRBt ^ij
M'a si bien ^itau cceur
Votre nom de sa sagette ,
Que le temps , qm peut casser
Le fer et ia pterre dure, .
Ne le sauroit effacer !
Qu'en moi vhrant il. ne dure (4).
Mon luth, qui des bois Ckyans
Souloit allé^sr les peines.
Las ! de. mes yeux larmôxaits
Ne tarit point les fontaines;
Et le soleil ne peutv^oir,. .
Soit quand le jour il apporte,'
Ou quand tJ se xouchfi.au' soir.
Une autre douleur plus forte.
Mais vostre cœur olaétiné ,
Et moins pitoyable encore
'^e rOcean mutiné:! .
Uii baigne la ri ve^ more.,
Ht prend mon ^service à gré,
•^^Ains ad'immofairciivie ,/
Le mien , à hiy consacH
Dts premiers 2fns de éia vie»
Jupiter, espbinçonné
De telle amoureuse rage ^
A jadis abandonné
Et son tr6ne et son orage;
<i. Var. (1J87);
Amour, dont U traict vainqueur
Fait en mon sang sfl retraite ,
M* a si bien escrit au céeur
Le nom de ma CassandretU,
Que le tombeau mangéH:kair,
Logis de la pourriture,.
Ne pourra point arracher ^
De mon çoaw, sa pouttraifttrt.
iaS Odes*
Car l'œil qui son cœurestraînti
Comme estraints ores nous sommes
Ce grand seigneur a contraint
De tenter Tamour des hommes.
Impatient du désir
Naissant de sa Aame esprîse ,
Se laissa d'amour saisir,
Comme une despouille prise.
Puis il a, bras, teste et flanc.
Et sa poitrine cachée
Sous un plumage plus blanc
Que le laict sur la jonchée.
fin son col mit un carcan
Avec une chaîne où Tœuvre
Du laborieux Vulcan
Admirable se descœuvre.
D'or en estoient les cerceaux ,
Piolez d'émail ensemble.
A l'arc qui note les eaux
Ce bel ouvrage ressemble.
L'or sur.la plume reluit
D'une semblable lumière
Sue le clair œil de la nuit
essus la neige première.
Il fend le chemin des cieux
Par un voguer de ses ailes ,
Et d'un branle spatieux
Tire ses rames nouvelles.
Comme l'aigle fond d'en haut.
Ouvrant l'espais de la nue,
Sur l'aspic qui lèche au chaud
Sa jeunesse revenue ,
Ainsi le cygne voloit
Contre-bas , tant qu'il arrive
Dessus l'estang où souloit
Jouer Lede sur la rive.
Quand le ciel eut allumé
Le beau jour par les campagnes ,
Troisiesme Livre. 229
Elle au bord acconstumé
Mena jouer ses compagnes;
Et, studieuse des fleurs ,
En sa main un pannier porte
Peint de diverses couleurs.
Et peint de diverse sorte.
Seconde pause.
D'un bout du pannier s'ouvroit ,
Entre cent nues aorées ,
Une aurore qui couvroit
Le ciel de fleurs colorées ;
Ses cheveux vaguoient errans ,
Souflez du vent des narines
Des prochains chevaux tirans
Le soleil des eaux marines.
Comme au cid il fait son tour
Par sa voye courbe et torte,
Il tourne tout à Tentour
De Tanse en semblable sorte.
Les nerk s'enflent aux chevaux ,
Et leur puissance indontée
Se lasse sous les travaux
De la pénible montée.
La .mer est peinte plus bas.
L'eau ride si bien sur elle,
Ou'un peschenr ne nieroit pas
fû'eile ne fust naturelle.
!e soleil tombant au soir
Dedans Tonde voisine entre,
A chef bas se laissant cheoir
Jusqu'au fond de ce grand ventre.
Sur le sourd d'un rocher
Un pasteur le loup regarde ,
Qui se haste d'approcher
Du couard peuple qu'il garde ;
2^0 Odis; :
Mais de cela ne loy cliant,
Tant an limas luy agrée,
8 ai katement monte aa'haal
'un lis au bas de la préè.
Un satyre toatloUet,
Larron , en folàsmnt Qre
La panetière et le laict
D'un autre follet satyre,
L^un court après tout ireux ,
L'autre défend sa despouitle ^
Le lakt se verse sur eux ,
Qui sein et menton kur sooille.
Deux béliers <^i se iiéiirtoient •
Le haut de leurs testes tbres
Pourtraits aux deux bords estoieni
Pour la fin de sei peintures^
Yel pannier en ses maios mist
Lede , qui sa troope excelle ,
Le jour qu'tm oiseau la iisft;
Femme en lieu d'^ine pucelle.
'^ L'une arrache d'un doigt» ^blanc
Du beau Narcisse ks larmes,
Et la lettre teinte au sang
Du Grec marrj poar les armes;
De crainte l'œillet veftncil
Pallist entre ces pillardes ,
Et la fleur que toy , Soteil ^
Des cieux encor tu^ regardes.
A l'envi ^otitjà cueillis ■
Les verds trésors de la' plaine ^
Les bassinets et les lis,
La rôle et la marjolwiie;
Quand la vierge dit ainsi,
De son destin ignorante : :
« De tant de fleurs:oite roicy
Laissons la proye ooorattte*
a Allons, troupeau bièn-^heureux
Que j'aime d'amour naiye,^ '
TroISIËSME L1VR£« 2jÀ
Ûuyr l'oiseau doifloofeux
Qui se plaint sur nostre rive. 9
Et elle, eii hastatit le pas ^
Puit par rherbe d'un pkd vite;
Sa troupe ne la suit pâ$,, ^
Tant sa carrière «st subite \
"' Du bord luy tendit la main ,
Et Toiseau , qui tressaut d'idse^
S'en approche tout huniain ^ >
Etie blanc y voire; baise.
Ores Padultere oiseau,
Au bord par les fteurs se joue^
Et ores au haut de i -eau
Tout mignard près d'eli^ noue.
Puis, d'une g«yefâ^,
Courbe au dos Pune et-l^trtre aile,
Et au bruit dé sa «H^fison •
Il apprivoise la. bette/
La nicette en son giron
Reçoit les flammes setmteS)
Faisant tout à i'eh-viton ' : ^ •
Du cygne un tfct der fleurettes.
Luy, qui fut si |f acieux /
Voyant soii heufe dppbrtu|ief
Devint plus audacieux ,
Prenant au pdit la touiié;
De son col comme ondes long
Le sein de la vierge toudie,
Et son bec Itiy mit adonc -
Dedans sa verifieille bouche.
Il va ses erçotsdrisssaiit. :
Sur les bras d^eJie qii'ii.seiRV^
Et de son ventre preissant
Contraint la rebelle <à terrer '
Sous Poiseau se débat fbiît ,
Le pince et le inofd) si est'<e
'^u^au milieu de tel effort.
Là
ËTl' sent ravir sa jeuniéssê.
2^2 Odes.
Le cinabre çà et là
Couloura la vercongneuse.
A la fin elle paria
D'une boQche desdaigneuse:
fc D'où es-tu y trompeur volant?
D'où viens4Uy qui as l'audace
D'aller ainsi violant
Les filles de noble race ?
a Je cuidois ton cœur, helas I
Semblable à l'habit qu'il porte , *
Mais (hé pauvrette 1 } tu Pas,
A mon dam , d'une autre sorte.
ciel t qui mes cris entens,
Morte puissè-je estre enclose
Là bas y puis que mon printemps
Est despouillé de sa rose 1
a Plustost vien pour me manger»
veufve tigre affamée ,
Que d'un oiseau estranser
Je sois la femme nommée. »
Ses membres tombent peu forts.
Et dedans la mort voisine
Ses yeux jà nouoient, alors
Qye luy respondit le cygne :
Trouiesme pause.
a Vierge , dit-il , je ne suis ^
Ce qu'à me voir il te semble;
Plus grande chose je puis
Qu'un cygne à qui )e ressemble : ^
Je suis le maistre des deux,
Je suis celuy qui desserre
Le tonnerre audacieux
Sur les durs flancs de la terre.
« La contraignante douleur
Du tien, plus cnaud, oui m'alliune.
M'a fait prendre la couleur
\
t
Troisiesme Livre. 23}
De ceste non mienne plume.
Ne te va donc obstinant
Contre 1 heur de ta fortune :
Tu seras incontinant
La belle-sœur de Neptune,
« Et si tu pondras deux œufs
De ma semence féconde ,
Ainçois deux triomphes neufs,
Futurs ornemens du monde.
L'un deux jumeaux esclorra :
Pollux, vaillant à Tescrime , i -
Et son frère, qu'on loûra C6^^^^
Pour des chevaliers le prime;
a Dedans Tautre germera
La beauté , au ciel choisie ,
Pour qui un jour s'armera
L'Europe contre l'Asie. » , , \.j^.v-*'
A ces mots, elle consent.
Recevant telle avanture ,
Et jà de peu à peu sent
Haute eslever sa ceinture.
A GA&PAR D'AUVERGNE,
Ode XXL
Gaspar, qui, loin de Pégase,
As les fuies de Parnase
Conduites en ta maison ,
Ne sçais-tu que moy, poète,
De mon Phœbus je souhéte
Quand je fais une oraison ?
Les moissons je ne ouiers pas
Que la faux arrange à oas
Sur la Beauce fructueuse;
2J4 Ot>ti.
Ny tous les cornus troupeaux
Qui sautent sur les coupeaux
De l'Auvergne montueuse (05
Ny l'or sans forme qu'ameine
La mine pour nostre peine;
Ny celuy qui est formé
Portant d'un roy la figure
Ou la fiere pourtraiture ^
De quelque empereur armé ;
Ny l'ivoire marqueté
En l'Orient acheté
Pour parade d'une sale ;
Ny les cousteujc diamans
Magnifiques ornemens
D*une majesté royale ;
Ny tous les champs {*) que le fleuve
Du Loir lentement abreuve;
Ny tous les prer emmurez
Des plis de braye argentine;
Ny tous les bois dont Gastme
Void ses bras en-verdurez ;
Ny le riche accoustrement
D'une laine qui dément
Sa teinture naturelle
Ez chaudrons du Gobelin (?),
Sevrant d'un rouge venin (4) ^
Pour se desguiser plus belle<
Que celuy <lans une coupe
Toute d'or boive à la troupe
De son vin de PrepatourUJ,
I . De la haute Auvergne* (R.)
2- DesonVendomois. (R.) ^ . j «
}. Autrefois le plus fameux et riche tcintunet de Pa^
ris. (R.) ^ . . V
4, Noyée longuement dans rcscariatc. (R.)
$. Vin excellent, et dont la vigne appartient au roy, e
ett de son domaine en Vendenob. (R.)
Troisiesme Livre. IH
A qui la vigne succède,
Et près Vendôme en possède
Deux cents arpens en un tour.
Que celuy qui aime Mars
S'enrolle entre les soldars,
Et face sa peau vermeille
D'un beau sang pour son devoir^
Et que la trompette , au soir.
D'un son luy raze Taureille.
Le marchant hardiment vire
Par la mer de sa navire
La proue et la poupe encor;
Ce n'est moy, brusié d'çnvie,
A tels despens de ma vie ,
Rapporter des lingots d'or.
Tous ces biens je ne quiers point.
Et mon courage n'est poingt
De telle gloire excessive.
Manger o (>) mon compagnon
Ou la figue d'Avignon ,
Ou la provençale olive.
L'artich6t et la salaae ,
L'asperge et la pastenade ,
Et les pompons tourangeaux.
Me sont herbes plus friandes
Que les royales viandes
Qui se servent à monceaux.
Puis qu'il faut si tost mourir.
Sue me vandroit d'acquérir
il bien qui ne dure guère ,
Qu'un héritier qui viendroil
Après mon trespas vendroit
Et en feroit bonne chère ?
Tant seulement je désire
Une santé qui n'empire ;
Je désire un beau séjour.
I . Avec. (IL
2)6 Odes.
Une raison saine et bonne
Et une lyre qui sonne
Tousjours le vin et Tamour.
Ode XXII.
Celuy qui est mort aujourd'huy
Est aussi bien mort que celuy
Qyi mourut au jour du cleluge.
Autant vaut aller le premier
Que de séjourner le dernier
Devant le parquet du grand juge.
Incontinent que rhomme est mort ,
Pour jamais ou long temps il dort
Au creux d'une tombe enfouie ,
Sans plus parler, ouïr ne voir *
Hé, quel bien sçauroit-on avoir
En perdant les yeux et Fouîe?
Or, l'âme selon le bien-fait
âu'hostesse du corps elle a fait,
onte au ciel, sa maison natale;
Mais le corps, nourriture à vers,
Dissoult de veines et de nerfs ,
N'est plus qu'une ombre sépulcrale.
M n a plus esprit ny raison,
Emboiture ne liaison,
Artère, poux, ny veine tendre,
Cheveul en teste ne luy tient j
Et , qui plus est, ne luy souvient
D'avoir jadis aimé Cassandre.
Le mort ne désire plus rien ;
Donc , cepejidant que j'ay le bien
De désirer^ vif, je demande
Estre tousjours sain et dispos ;
Troisiesme Livre. i)7
Puis, quand je n*auray que les os,
Le reste à Dieu je recommande.
Homère est mort , Anacreon ,
Pindare, Hésiode et Bion,
Et plus n'ont souci de s'enquerre
Du bien et du mal qu'on dit d'eux ;
Ainsi , après un siècle ou deux,
Plus ne sentiray rien sous terre.
Mais dequoy sert le désirer
Sinon pour l'homme martirer?
Le desir n'est rien que martire;
Content ne vit le désireux .
Et l'homme mort est bien-neureux.
Heureux qui plus rien ne désire !
Ode XXin.
Çj uand je dors je ne sens rien,
^^^Je ne sens ne mal ne bien.
Plus je ne me puis cognoistre ,
Je ne sçay ce que je suis ,
Ce que je fus , et ne puis
Sçavoir ce que je dois estre.
J'ay perdu le souvenir
Du passé, de l'advenir;
Je ne suis que vaine masse
De bronze en homme gravé ,
Ou quelque terme esievé
Pour parade en une place.
Toutesfois je suis vivant ,
Repoussant mes flancs de vent,
Et si pers toute mémoire;
Voyez donc que je seray
Quand mort je rcposeray
Au fonds de. la tombe noire i
t L'âme, volant d'un plein saut,
)ieu s en ira là haut
Avecque luy se ressoudre,
Mais ce mien corps enterré,
Sillé d'un somme ferré,
Ne sera plus rien que poudre.]
A ODET DE COLLIGNY
Cardinal de ChastUion ( i ).
Ods XXIV.
M
ais d'où vient cela , mon Odet }
Si de fortune par la rue
Quelque courtisan je salue
Ou de la voix , ou du bonnet ,
Ou d'un clin d'œil tant seulement,
De la teste, ou d'un autre geste,
Soudain par serment il proteste
Qu'il est à mon commandement.
Soit qu'il me treuve chez le roy,
Soit qu'il en sorte ou au'il y vienne,
Il met sa main dedans ta mienne ,
Et jure qu'il est tout à moy.
[Il me promet montagnes d'or,
La terre a'or et toute Vonde ,
Et toutes les bourdes du monde
Sans rougir me promet encor. j '
Mais quand un affaire de soin
Me presse à luy faire requeste ,
I. Lequel a favorisé tousioun , durant sa tie,l(es
de tçavou:, et particulièrement nostre autbeur. (R.)
Troisiesme Livre. ;ij9
Tout soudain il tourne la teste ,
Et me délaisse à mon besoin ;
Et si je veux ou l'aborder,
Ou l'accoster en quelque sorte ,
Mon courtisan passe une porte ,
Et ne daigne me regarder ;
Et plus je ne luy suis cognu,
Ny mes vers ny ma poésie ,
Non plus qu'un estranger d'Asie ,
Ou quelqu un d'Afrique venu.
Mais vous, mon support gracieux ,
Moq appuy. mon prélat que j'aime .
Mille fois plus ny que moy-mesme,
Ny que mon cœur, ny que mes yeux,
Vous ne me faictes pas ainsi :
Car si quelque affaire me presse ,
Librement à vous je m'addresse ,
Qui de inon fait avez souci.
Vous avez soin de mon honneur,
Et voulez que mon bien prospère,
M'aimant tout ainsi qu'un doux père ,
Et non comme un rude seigneur.
Sans me promettre ces grands monts
Ni ces grand' mers d'or ondoyantes ;
Car telles bourdes impudantes
Sont indignes des Chastillons.
La raison (Prélat), je l'entens ,
C'est que vous estes véritable ,
Et non courtisan variable
(jUii sert aux faveurs et au temps.
Fin du troisicsmt iim.
240
LE QUATRIESME LIVRE
DES ODES
AU ROY HENRY II.
Ode I.
scoute , grand roy des François,
Jamais je ne confesserois
Que l'on peust surmonter ta France ,
Tant que ton grand Montmorency
Et ton srand Chastillon aussi
Te serviront de leur vaillance ;
Et tant que vivant je seray,
Jamais je ne confesseray
Qu'en France la Muse périsse,
Tant qu'elle aura pour bastillon
Un cardinal de Chastillon {a)
a. Var. (1(84) :
Tant ûtt'elle aura pour souverain
Un CtiarUs cardinal lorrain
Dans les éditions postérieures à la Saint-Barthélémy, le
aom de Chastillon a été remplacé par celui du duc de Guise.
QUATRIESME LiVRE. 34I
.Qui la défende et la chérisse.
Sus donq , filles de Jupiter,
C'est à ce coup qu'il faut chanter
Ou jamais, d'une haute véne ;
Je veux , enyvré de vos eaux,
Chanter deux Achilles nouveaux
Et un autre nouveau Mécène (>).
Le fort oncle et le fort neveu
Ont mes vers d'un sujet pourveu
Plus beau qu'Achil n'est dans Homère,
Et mon cardinal , qui me fait
De sa faveur poète parfait
Pour chanter son oncle et son frère (a).
EPITHALAME
De très illustre prince Antoine de Bourbon et de Jeanne
roync de Navane (2).
Q.
Ode II.
uand mon prince (?} espousa
Jeanne (4), divine race,
a. Var. (1(84) :
Les forts Guysians, /juej*ayvett
Vaillans comme M an, m'ont pourveu
D*un argument digne d'Homère,
Et mon Odet y lequel méfait
De sa faveur poète parfait
Pour chanter l'honneur de son frère,
1. Le cardinal de Lorraine, support des hommes doctes
de son temps. (R.)
2. Imité de l'Epithalame d'Hélène par Théocrite. (R.) —
Cette pièce a été imprimée en 1549, à Paris, chez Vasco-
san , 4 if . in-8. C'est probablement la première publication
de Ronsard. (P. B.)
j. Second duc de Vendcsme. (R.)
4. Fille oe Henry d'Albret, roy de Navarre, et mère de
Henry IV, roy de France et de Navarre. (R.)
Ronsard, — II, 16
242 Odes.
?ue le Ciel composa
lus belle qu'une Grâce ,
Les princesses de France >
Ceintes de lauriers vers.
Toutes d'une cadance
LuY chantèrent ces vers(tf) :
hymen, hymenéel
Hymea» 6 h3rnenéel
Prince plein de* bon-heur»
L'arrest du Ciel commande
Qu'on te donne l'honneur
De nostre belle bande;
D'autant qu'une déesse
La passe en majesté ^
D'autant elle, princesse,
Nous surpasse en beauté (^).
hymen, hymenée!
Hymen , o hymenée !
Plus qu'à nulle autre aussi
Parfaite est son attente ,
Jointe à ce prince icy
gui nostre âge contente,
omme l'anneau décore
Le diamant de chois ,
Ainsi sa gloire honore
a. Var. {ii$o):
Douze vierges venues
Ces beaux vers luy ont dit.
En chantant toutes nues
A Ventour de son lit..
b. Var, (1550) :
Telle qu*est une rose
Nie au mois le plus doux .
Sur toute fleur déclose j
Telle elle est entre nous.
QUATRIESME LiVRE. 24;
Les princes et les rois.
O hymen, hymenée!
Hymen, ô hymenée!
Il n'eust pas mieux trouvé
$iie toy, vierge excellente,
oire eost-îl esprouvé
La course d'Atalante,
Ne la Grecque amoureuse
N'eustpas voulu changer
Telle alliance heureuse
Au pasteur estrancer («)..
O hymen , hymenée i
Hymen j ô hymenée!
^ Le Ciel fera beaucoup
Pour tout le monde enseml)k,
Si tu conçois un coup
Un fils qui te resemble.
Où Thonneur de ta face
Soit peint, et de tes yeux,
Et ta céleste grâce,
Qui tenteroit les Dieux (H
O hymen, hymenée!
Hymen, 6 hymenée!
Cessez , flambeaux , là haut ,
Vos clartez coustumieres;
Ce soir, mais ce jour^ vaut
Cinq cens de vos lumières ;
. Car les amours i]ui dardent
tf. Var. (1550):
Ny ta jeunesse heureuse
He voudroit pas changer
A la grecque amoureuse
Qui suivit l'estranger.
b, Var. (1550):
Divin* présent dts'ciiâx .
144 Ode»^
Icv îearfeu <}uiiuit,
Plus que les astres ardent
L'espesseur de la nuit.
O hyn»en, hymeneel
Hymen , 6 hymence l
Maint soir jadis fut bien
Du lict des Dieux coulpable.
Mais nul d'un si grand bien
Ne fut oncques capable ;
Et si tu peux bien croire ,
Heureux soir, désormais^
Que tu seras la gtoire
Des soirs pour tout jamais.
hymen , hymenée )
Hymen, 6 hymenée!
Nymphes, ck vo» couleur»
Ornez leur couche sainte
Des plus gentilles fteurs
Dont la terre soif peinte.
Que menu Pon y jette
Cet excellent butin
Que le marchant achette
Bien loing sous le matin.
O hymen , hymenée !
Hymen , ô hymenée !
Et vous , divin troupeau
?ui les eaux de Pégase
ênez , et le coupeau
Du chevelu Parnase,
Venez, divine race,
Offrir vos lauriers vers ,
Et , prenant nostre place ,
Chantez vos meilleurs vers.
hymen! hymenée,
Hymen , ô hymenée I
Car Pardeur oui nous tient
Nous guide par les plaines
Que le Loir entretient
QiJATRiESME Livre. a4{
De verdeur toujours pleines.
Là, nous nt verrons prée
Sans leur faire un autel ,
N'eau qui ne soit sacrée
A leur nom immortel.
O hymen, hy menée J
Hymen, 6 hymenée!
Cependant consommez
Vos nopces ordonnées,
Et les feux allumez
De vos amours bien-nées.
La chaste Cyprienne (i).
Ayant -son ces)^ ceint ,
Avec les Grâces vienne
Compagne à l'œuvre sainL
O hymen , hymenée 1
Hymen, 6 hymenéel
Af n que le nœud blanc
De foy loyale assemble
De Navarre le sang
Et de Bourbon ensemble ^
Plus estroit que ne serre
La vijgne les ormeaux ,
Ou i'importun lierre
Les appuyans rameaux.
O hymen , hymenée !
Hymen , 6 hymenée !
Adieu, Prince, adieu soir.
Adieu , Pttcelle encore ,
Nous te reviendrons voir
Demain avec l'Aurore,
Pour prier Hymenée
De vouloir prendre à gré
I . Car il y a deux sortes de Venus , comme deux sottci
4'amours ; or, teste chaste Venus est en represenution de
^rfaicte obéissance conjugale, qui suit tousjours la pudidté
4des iiemmet. (E.)
246 Odes.
Nostre chanson sonnée
Sur vostre liet sacré (a).
O hymen , hymenée !
Hymen , à hymenée f
AU PAYS DE VENDOMOIS.
Ode III.
L'ardeur qui Pythagorc
En Egypte a conduit ^
Me venant ardre flhcore
Comme lui , m'a séduit
A celle fin que i*erre
' ' Par le païs enclos
De deux mers (')> et qui serre
De Saturne les os.
Terre, adieu y qui première
En tes bras m'a reçeu y
Quand la belle lumière
Du monde j'apperçeu l
Et toy, Braye, qui roules
En tes eaux fortement,
Et toy, mon Loir, qui coules
Un peu plus lentement I
Adieu , fameux rivages
De bel esmail couvers ,
Et vous , antres sauvages.
Délices de mes veri.
M. Var. (rj$o) r
Pour prier ta hautesst-
Ne mettre en nonchaloir
De nostre petitesse
Ce bien humble watoài
i. Par ritalic. (R.)
QuATRiESMÈ Livre. â47
Et vous, riches campagnes,
Où presque enfant je vy
Les neuf Muses compagnes
M 'enseigner à Tenvy !
Je verray legrana Mince (i)>
Le Mince tant cognu ,
Et des fleuves ie prince ,
Erîdan le cornu (2),
Et les roches hautaines
Que donta TAfrican ())
Par les forces soudaines
Du soullre et du Vulcan.
De la Serene antique
Je verray le tombeau (4),
Et la course erratique
D'Arethuse (J), dont l'eau,
Fuyant les bras d'Alphée,
Se desrobe à nos yeux,
Et Etna, le trophée
Des victoires des Dieux.
Je verray ceste ville
Dont jadis le gr^nd heur
Rendit à soy serviie
Du monde la grandeur;
Et celle qui entr'ouve
Les flots à l'environ («),
1 . Fleuve qui passe à Mantoue et est fameux à cause de
Virgile. (R.)
2. Le Po, grand fleuve de la Lombardie. (R.)
). Les Alpes, à travers lesquelles Hannibal se fit un pas-
sage prodigieux. (R.)
4. La ville de Naples, où est enterrée Parthenope, Tune
des Serenes. (R.)
5. La Sicile, où est ceste fameuse fontaine d*Arethuse, qui
fut une belle chasseresse, laquelle, fuyant l'amour d'Alphée,
fut changée en fonutne. (R.)
. I . Venise. Au surplus est élégant et ancien de représenter
ainsi quelque lieu par ses proprietez particulières. (R.)
248 Odes.
Et riche se descouvre
Dans i'humide giron.
Plus les beaux vers d'Horaœ
Ne me seront plaisans.
Ne la thebaine grâce ,
Nourrice de mes ans ;
Car ains que tu reviennes ^
Petite lyre, il faut
Que trompe tu deviennes
Pour resonner plus haut.
Soit que tu te hazardes
D*oser chanter l'honneur
Des victoires picardes
Que gaigna mon seigneur;
Ou soit qu'à la mémoire.
Par un vers assez bon ,
Tu consacres la gloire
Des princes de Bourbon.
Heureux celuy je nomme
Qui , de savoir pourveu ,
A les mœurs de maint homme
En mainte terre veu ,
Et dont la sage addresse
Et le conseil exauis
Du fin soudart ae Grèce (1)
Le nom luy ont acquis.
Celuy la grand' peinture
Du ciel n'ignore pas ,
Ne tout ce que nature
Fait en haut et çà bas.
De Mars la fière face -
Ne luy fit oncq effroy^
Ne l'horrible menace
D'un sénat ou d'un roy.
Son asseuré courage ,
1. D'Ulysse, que Sophocle, à cause de cela, ai^>etle renard
d'Ithaque, en son Ajax. (R.}
QUATRIESME LlVRE; 249
Basty sur la vertu ,
Par nul humain orage
Ne fut onc abattu :
Car d'une aile non molle
Fuit ce monde odieux
Et indompté s'envoie
Jusqu'au siège des Dieux (a).
DE L'ELECTION DE SON SEPULCHRE.
Ode IV.
Antres , et vous fontaines ,
De ces roches hautaines
Qui tombez contre-bas
D'un glissant pas;
Et vous forests, et ondes
Par ces prez vagabondes ,
Et vous rives et bois,
Oyez ma vois.
Quand le ciel et mon heure
Jugeront que je meure,
Ravi du beau séjour
Du commun jour,
Je defens qu'on ne rompe
Le marbre pour la pompe
De vouloir mon tombeau
Bastir plus beau.
M. Vir. (1J87) :
Son teint n'est jamais hfesmc
D*un pecké dissolu ;
Tout seignfur de soy-mesme.
Tout SIM, et résolu.
250 Odes.
le veuil , j*'enten , j'ordonne
^u'un sepukhre on me donne ,
Ton près des rois levé
Ny d'or gravé ,
Mais en cette isle verte
Oh la course entrouverte
Du Loir autour coulant
Est accollant ,
Là où Braye s'amie
D'une eau non endormie
Murmure à Tenviron
De son giron (»).]
Mais bien je veux qu'un arbre
M'ombrage en lieu d'un marbre,
Arbre qui soit couvert
Tousjours de verd.
De moY puisse la terre
Engendrer un lierre
M 'embrassant en maint tour
Tout à l'entour;
Et la vigne tortisse
Mon sepukhre embellisse ,
Faisant de toutes pars
Un ombre espars.
Là viendront chaque année
A ma feste ordonnée,
Avecques leurs troupeaux,
Les pastoureaux;
Puis, ayans fait l'office
De leur beau sacrifice,
Parlans à l'isle ainsi,
Diront ceci :
I . Ces trois stances ne se trouvent que dans les odes de
1550.
QUATRIESME LiVRE. 2^1
«c Que tu es renommée
D'estre tombeau nommée
D'un de qui l'univers
Chante les vers,
(K Et qui oncque en sa vie
Ne fut brûlé d'envie,
Mendiant les honneurs
Des grands seigneurs,
« Nv n'enseigna l'usage
De l'amoureux breuvage ,
Ny l'art des anciens
^ Magiciens ,
« Mais bien à nos campagnes
'Fit voir les Sœurs compagnes
Foulantes l'herbe aux sons
De ses chansons,
« Car il fit à sa lyre
Si bons accords eslire
Qu'il orna de ses chants
Nous et nos champs!
« La douce manne tombe
A jamais sur sa tombe ,
Et l'humeur que produit
Eh may la nuit !
a Tout à l'entour l'emmure
L'herbe et l'eau qui murmure,
L'un tousjours verdoyant,
L'autre ondoyant !
a Et nous, ayans mémoire
Du renom de sa gloire,
Luy ferons, comme à Pan,
Honneur chaque an. i»
Ainsi dira la troupe ,
Versant de mainte coupe
252 Odes.
Le sang d'un agnelet ,
Avec du lait,
Dessus moy, qui à l'heure
Seray par la demeure
Où les heureux esprits
Ont leur pour pris.
La gresle ne la nége
N'ont tels lieux pour leur siège,
Ne la foudre oncques lA
Ne dévala.
Mais bien constante y dure
L'immortelle verdure ,
Et constant en tout temps
Le beau printemps.
[Et Zephire y alaine
Les myrtes et la plaine
Qui porte les couleurs
De mille fleurs.]
Le soin qui sollicite
Les rois ne les incite
Le monde ruiner
Pour dominer,
Ains comme frères vivent,
Et , morts , encore suivent
Les mestiers qu'ils avoient
Quand ils vivoient.
Là, là j'oirray d'Alcée
La lyre courroucée,
Et Sapphon , qui sur tous
Sonne plus dous.
Combien ceux qui entendent
Les odes qu'ils respendent
Se doivent réjouir
De les ouir!
QUATRIESME LIVRE. 25}
Quand la peine receue
Du rocher est deceue ,
Et quand saisit la faim
Tantale en vain.
La seule Ivre douce
L'ennuy aes cœurs repousse ,
Et va l'esprit flatant
De 1 escoutant.
A GUY PACATE, PRIEUR DE SOUGÉ(').
Ode V.
Guy, nos meilleurs ans coulent
Comme les eaux qui roulent
D'un cours sempiternel ;
La mort pour sa seauelle
Nous ameine avec elle
Un exil éternel.
Nulle humaine prière
Ne repousse en arrière
Le bateau de Charon ,
Quand l'ame nue arrive
Vagabonde en la rive
De Styx et d'Acheron.
Toutes choses mondaines
Qui vestent nerfs et veines
La mort égale prend ^
Soient pauvres ou soient princes ;
Car sur toutes provinces
Sa main large s'estend.
La puissance tant forte
Du grand Achille est morte,
1 . Cette ode, dans les éditions posthumes , est adressée i
Jean Durât , son précepteur.
254 Odes.
Et Thersite, odieux
Aux Grecs, est mort encores;
Et Minos qui est ores
Le conseiller des dieux .
Jupiter ne demande.
Sue des bœufs pour offrande;
'ais son frère rluton
Nous demande, nous hommes,
Qui la victime sommes
De son enfer glouton.
Celuy dont le Pau baigne
Le tombeau nous enseigne
N 'espérer rien de haut,
Et celuy que Pégase
(Qui fit sourcer Parnase)
Culbuta d'un grand saut.
Las! on ne peut cognaistre
Le destin qui doit naistre,
Et Phorome en vain poursuit
Conjecturer la chose
Que Dieu sage tient dose
Sous une obscure nuit.
Je pensois oue ta trope
^ue guide Calliope,
1*oupé mon seul confort,
Soustiendroit ma querelle,
Et qu'indonté par elle '
Je donterois la mort.
Mais une fièvre grosse
Creuse déjà ma fosse
Pour me banir là bas ,
Et sa flame cruelle
Se paist de ma mouelte ,
Misérable repas.
Que peu s'en faut, ma vie,
Sue tu ne m'es ravie
lose sous le tombeau ,
Et que mort je ne voye
t
QUATRIESMB LiVRE. 2)$
Où Mercure coiïvoye
Le débile troupeau !
[Et ce Grec qui les peines
Dont les guerres sont pleines
Va là bas racontant ,
Poète qu'une presse
Des épaules espaisse
Admire en l'écoutant.]
A bon droit Prométhée
Pour sa fraude inventée
Endure un tourment tel ,
Qu'un aigle sur la roche
Luy ronge d'un bec croche
Son poumon immortel.
Depuis qu'il eut robée
La flame prohibée ,
Pour les dieux despiteti
Les bandes incogneues
Des fièvres sont venues ,
Parmi nous habiter, '■'>
Et la mort despiteuse ^
Auparavant boiteuse ,
Fut légère d'aller;
D'ailes mal-ordonnées
Aux hommes non données « -
Dédale coupa l'air.
L'exécraole Pandore
Fut forgée , et encore
Astrée s'en-vola,
Et la boîte féconde
Peupla le pauvre monde
De tant de maux qu'il a.
Ah ! le meschant courage
Des hommes de nostre âge' ^
N'endure pas ses faits; -
Que Jupiter estuye
Sa foudre , qui s çnnuje.
Venger tant de mesfaits !
256 Odes.
VŒU A LUCINE.
Aux couches d'Anne Tiercelin.
Ode VL
O déesse puissante
De pouvoir secourir
La vierge languissante
Déjà preste à mourir,
Quand la douleur amere
D'un enfant la rend mère!
Si , douce et secourable,
Heureusement tu veux
D'aureille favorable
Ouïr mes humbles vœux ,
J'esleveray d'y voire
Une image à ta gloire;
Et moy, la teste ornée
De beaux lis fleurissans ,
Iray trois fois l'année
La parfumer d'encens ,
Accordant sur ma lyre
L'honneur de ton Osire.
[Descens, déesse humaine ,
Du ciel^ et, te hâtant,
La santé douce ameine
A celle qui l'attend ,
Et d'une main maistresse
Repousse sa détresse.]
Ainsi tousjours t'honore
Le Nil impétueux y
Qui Neptune colore
Par sept huis fluctueux;
Ainsi tousjours ta pompe
Danse au bruit de la trompe.
QUATRIESME LlVRE. 257
Toy, déesse Lucine,
Requise par trois fois,
De la vierge en gesine
Tu escoutes la vois,
Et desserres la porte
Au doux, fruict qu'elle porte.
Tu as de la nature
La clef dedans tes mains ;
Tu donnes l'ouverture
De la vie aux humains ,
Et des siècles avares
Les fautes tu repares.
VŒU AU SOMME.
Ode IV.
Somme, le repos du monde,
Si d'un pavot plein de Ponde
Du grand fleuve oblivieux
Tu veux arrouser mes yeux ,
Tellement que je reçoive
Ton doux présent qui déçoive
Le long séjour de la nuit ,
Qui trop lente pour moy fuit ,
Je te voue une peinture
Où l'effet de ta nature
Sera pourtrait à l'entour,
S'entresuivant d'un long tour
Tous les songes et les formes
Où la nuict tu te transformes
Pour nos esprits contenter,
Ou pour les espouvanter.
A grand tort Homère nomme
Frère de la mort le somme,
Ronsard. — il. 17
2j8 Odes.
Qui charme tous nos ennuis
Et la paresse des nuits ,
Voire que nature estime
Comme son fils légitime.
Le soin qui les rois espoint
L'esprit ne me ronge point;
Toutefois la tarde aurore
Me void au matin encore.
Parmy le lict travailler,
Et depuis le soir veiller.
Vien donques, somme, et distile
En mes yeux ton onde utile,
Et tu auras en pur don
Un beau tableau pour guerdon.
M
ODE Vin.
ais qne me vaut d'entretenir
Si cnerement un souvenir
Qui , hoste de mon cœur, je ronge,
Et tousjours me fait devenir
Réveur<omme un homme qui songe ?
Ce n*est pas moy, c'est toy, mon cœur,
Qui , pour allonger ma langueur,
Desloyal envers moy te portes ,
Et, pour faire un penser vainqueur.
De nuict tu luy ouvres mes portes.
Tu ne te sçaurois excuser
Que tu ne viennes m'abuser.
Et qu'à tort ne me sois contraire,
Qui veux mon party refuser
Pour soustenir mon adversaire.
Mais en qui me dois-je fier.
Quand, chetif, je me voy lier
QUATRIESME LiVRE. 2$$
De mes gens qui me viennent prendre ,
Pourestre fait le prisonnier
De ceux qui me aevroient défendre ?
Ce penser n'eust logé chez moy
S'il n'eust eu trafica avec toy;
Sors, cœur, de |a place ancienne;
Puis que tu m*as rompu ta foy,
Je te veux rompre aussi la mienne.
Sors doncq , si tu ne veux périr
De telle mort gu'on fait mourir
Le soudart qui rompt safoy vaine ,
Pour aller, traistre, secourir
L'éhnemy de son capitaine.
A CASSÀNDRE.
Ode IX.
ff^ uand je suis vingt ou trente mois
^SwSans retourner en Vendomois ,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d'un remors et d'un souci ,
Aux roçliers je me plains ainsi ,
Aux peis^ kux antres , et aux ondes :
Rochers , bien que soyez âgez" "
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ny d'estat ny de forme;
Mais tousjours ma jeunesse fuit ,
Et la vieillesse qui me suit
De jeune en vieillard me transforme.
Bois, bien que perdiez tous tes ans
En hy ver vos cheveux mouvans ,
L'an d'après qui se renouvelle
Renouvelle aussi vostre chef;
/
26o Odes.
Mais le mien ne peut de rechef
Ravoir sa perruque nouvelle.
Antres j je me suis «eu chez vous
Avoir jadis verds les genous ,
Le corps habile et la main bonne ;
Mais ores j'ay le corps plus dur,
Et les genous, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.
Ondes , sans fm vous promenez ,
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne;
Et moy, sans faire long séjour,
Je m'en vais de nuict et de jour,
Au lieu d'où plus on ne retourne.
Si est-ce que je ne voudrois
Avoir esté ni roc ni bois ,
Antre ni onde , pour défendre .,
Mon corps contre Tâge emplumé :'
Car, ainsi dur, je n'eusse aimé
'Toy qui m'as fait vieillir, Cassandre.
LE RAVISSEMENT DE CEPHALE
Divisé en trois pauses.
Ode X.
Premiert pause.
L'hyver, lors que la nuict lente
Fait au ciel si long séjour,
Une vierge vigilante
S'éveilla devant le jour ;
Puis, par les antres humides
Où les Dieux dormoient enclos,
QUATRIESME LiVRE. iSî
Hucha les sœurs Ncreïdes
Qui ronfloient au bruit des flots :
« Sus , réveillez-vous , pucetles !
Le sommeil n^a jamais pris *
Les yeux curieux de celles
Qui ont un œuvre entrepris. »
Geste parolle mordante
Leur front si honteux a fait,
Que ià chacune est ardantc
Que Touvrage soit parfait.
D'une soye non commune ,
Et d*un or en Cypre esleu ,
Elles brodoient à Neptune
Lé tissu d'un manteau bleu ,
Pour mener Thetis la belle
Où le& Dieux sont jà venus ,
Et où son mary Tappelle,
Aux doux presens de Venus.
Au vif traite y fut la terre
En boule arrondie au tour,
Avec la mer qui la serre
De ses? bras tout à l'entour.
Au milieu d'elle une orage
Mouvoit ses flots d'ire pleins.
Pâlies du futur naufrage
Les mariniers estoient peints.
Desamiée est leur jlavire
Du haut jusqu'au fondement ,
Çà et là le vent la vire, ' ^^■
Serve à son commandement.
Le ciel foudroyé , et les fiâmes
Tombent d'un vol escarté ,
Et les longs esclats des rames
Vont léchant de leur clarté.
[La mer pleine d'inconstance
Bruit d'une bouillonnante eau,
Et , toute dépite , tance
Les flancs du vaincu .bateau.
262 Odes..
D'une soie et noire et perse
Cent nues entrelaçoient
?ui d'une longue traverse
out le serein effaçoient.
Si que la pluie et la gresle ,
Le vent et les tourbillons ,
Se menacent pèle mêle
Sur les humiaes sillons.
Les bords, en voix eiroyantes.
Crient d'être trop lavés
Des tempestes aboyantes-
Autour ae leurs pieds caves.]
Neptune y fut peint luy-mesme
Brode d'or, qui , du danger
Tirant le marinier blesme,
L'eau en l'eau faisoit ranger.
Les troupes de la mer grande
Sont leur prince environnans ,
Palemon, Glauque^ et la bande
Des Tritons bien resonnants..
Luy, les brides abandonne
A son char, si au'en glissant
Sur la mer, ses toix il donnje
Au flot luy obéissant;
Et, se jouant dessus l'onze.
Se monstre seul gouverneur
Et roy de l'humide monde
Qui s'encline à son honneur.
Elles cessoient de pourtraire
De verd j de rouge et vermeil^
L'arc qui s'enflame au contraire
Des sagettes du soleil ,
?iiand Naîs de sa parolle
eit. ainsi résonner l'air;
De sa voix doucette et molle
Le^sucre sembloit couler.
QuATRi^SME Livre. 263
Secondt pause.
Réveillez-vous, belle Aurore,
Lente au lict vous sommeillez ,
Et avecques vous encore
Le beau matin réveillez.
Ainsi le dolent Cephale
Vous soit amiable et dous,
Et 2 laissant sa femme paste,
Daigne aller avecque vous.
Le fils de Vernis, compagnes,
Ce cruel archer qui peut
L'air, la mer et les campagnes
Gesner d'amour, quand il veut,
D'une ruse deceptive
Nostre Aurore en-amoura,
Si bien que d'elle captive
Ses trophées honora.
Elle , qui a de coustume
D'allumer le jour, voulant
L'allumer, elle s'allume
D'un brandon plus violant.
Passant les portes décloses
Du ciel, elle alloit devant,
Çà et là versant des roses
Au sein du soleil levant.
Son teint de nacre et d'yvoire
Le matin embellissoit ,
Et du comble de sa gloire
L'orient se remplissoit;
Mais Amour, en son courage.
N'endura qu'un si beau teint
Ne sentist un peu la rage
Dont les amants il atteint.
Contre la belle il s'efforce,
Et , luy tenant les yeux bas ,
Luy fit voir d'en haut, par forcer
264 Odes*
Ce que voir ne devoit pas :
Elle vid dans un bocage
Cephale, parmy les fleurs.
Faire un large marescage
De la pluye de ses pleurs. .
a O ciel! disoit-il, ô Parque!
Avancez mon jour dernier.
Et m'envoyez en la barque
De Pavare nautonnier!
Je hay de vivre Tenvie,
Ce monde m'est odieux;
Puis que j*ay tué ma vie^
A quoy me gardent les dieux?
<K O javelot exécrable l
Tu m*es tesmoin aujourd'huy
Qu'on ne void rien de durable
En ce monde que l'ennuy l »
Ainsi disant, il se pâme
Sur le corps qui trespassoit,
Et les reliques de Famé
De ses lèvres amassoit.
L'Aurore , au dueil de sa plainte ,
Malade, perd sa couleur,
Et toute se sent estrainte
Des lacs de mesme douleur.
Par une nouvelle porte ,
En elle te dard vainqueur >
Entra d'une telle sorte
Qu'il se fit roy de son cœur.
Ses mouelles sont ia pleines
D'un appétit desreiglé.
Et nourrit au fond des veines
Un feu d'amour aveuglé;
Ja le ciel elle desprise,
Et plus d'aimer^ n a souci
De Tithon la barbe grise,
L'Orient, ny elle aus^i.
Cephale , qui luy retourne
QUATRIESME LiVRB. 265
En Famé pour roffenser,
Au plus haut sommet séjourne
De son malade penser.
Et dedans Tame blessée
La fièvre luy entretient
Ores chaude , ores glacée ,
Selon que Paccez la tient.
En vain e|le dissimule
Ne sentir le mal qui croist/
Car la flame qui la brusle
Claire au visage apparoist;
Au pourpre que honte allume
Par rayons dedans son teint,
On void qu'outre sa coustume
Son cœur est pris et atteint. ^
Si tost par la nuict venue
Les cieux ne sont obscurcis ,
Qu'elle couche à terre nue
Sans abaisser les sourcis ;
Car Pamour qui Téguillonne
Ne souffre que le dormir
En proye à ses yeux se donne ;
Elle ne fait que gemir^
Et, bien que de loin absente
De Tabsent Cephalesoit,
Comme s'elle estoit présente ,
En son esprit Tapperçoit ;
Ores prompte en ceci pense ,
Et ores pense en cela ;
Sa trop constante inconstance
Ondoyé deçà et là.
Mais quand le paresseux voile
De la nuict quitte les cieux ,
Et que nulle et nulle estoile
Plus ne se monstre à nos yeux ,
Elle fuit eschevelée ^
Portant bas le front et l'œil ,
Et par bois et par valée
266 Odë5.
Lasche la bride à son dueil.
[D'herbes Pignorante essaie
De dompter le mal enclos,
Mais pour néant , car la plaie
Est jà compagne de Pos.
Aux augures eir prend garde,
Aux charmeurs et à leurs vers ,
Ou bien , béante , regarde
Le fond des gésiers ouverts ,
Pour voir si en quelque sorte
Pourra tromper sa douleur ;
Mais nulle herbe, tant soit forte,
N'a diverti son malheur :
Car le mal qui plus s'encheme
Et moins veut estre dompté
Les vagues brides gouverne
Du cœur par lui surmonté.]
Amour, oui causa la peine
De telle araante amitié,
La voyant d'ennuy si pleine,
En eut luy-mesme pitié.
Et, guidant la foible Aurore,
La meine où Cephale estoit ,
Qui sa femme morte encore
A longs souspirs regrettoit.
L'eshontée maladie
La vierge tant pressa là.
Qu'à la fin toute hardie
A Cephale ainsi parla :
« Pourquoy pers-tu de ton âge
Le printemps à lamenter
Une froide et morte image
Qui ne te peut contenter?
Elle à la mort fut sujette ,
Non pas moy, le sans des dieux ;
Non pas moy, nymphe qui jette
Les premiers rayons aux cieux ;
Reçoy-moy donques, Cephale,
QUATRIESME LiVRE. '267
Et ta basse aualité
D'un estroit tien égale
A mon immortalité. »
Luy, desdaignant sa prière ,
Fuit la suppliante vois ,
Et tout despit en arrière
S'escarta dedans les bois :
Elle , comme amour la porte ,
Vole après et çà et là ,
Le presse et ja sa main forte
Dedans ses cheveux elle a ;
Puis comme un aigle qui serre
Un lièvre en ses pie£ donté,
En luy faisant perdre terre ,
Par force au ciel Ta monté ,
Où avecques luy encores
Est maintenant à séjour.
Et bien peu se soucie ores
De nous allumer le jour.
TroUicsme pause.
Ainsi Pune de la bande
Mettoit fin à son parler,
Quand le Dieu marin deiflande
Sa robe pour s*en-aller ;
D'elle richement s'habille ,
S'agençant de mains et d'yeux,
Pour mener en-poinct sa fille
A l'assemblée des dieux ,
Où Themis , la grand' prestresse ,
Pleine d'un esprit ardant,
La tirant hors de la presse
Lujr dit en la regardant :
« Bien qu'Inon soit ta compagne ,
Reçoy pourtant doucement
Ton mary, et ne desdagne
Son mortel embrassement.
268 Odes.
Ains que soit la lune entière
Dix fois , tu dois enfanter
Un qui donnera matière
Aux poètes de chanter. •
Le monde pour un tel homme
N'est pas assez spacieux;
Ses vertus reluiront comme
Les estoiies par les cieux.
Il passera de vistesse
Les lyons , et nul soudart
Ne trompera la rudesse
De son homicide dard,
Prompt à suivre comme foudre ;
Sa mam au sang souillera
De Telephe, et sur la poudre
Mille roys despouillera ; r
Et si fera voir encore ,
Tant ses coups seront pesans ,
Au noir enfant de l'Aurore
Les enfers devant ses ans ;
Et après avoir de Troye
Le fort rampart abatu ,
Ilion sera la proye
Des Grecs et de sa vertu. »
Ode XL
Ma douce jouvence est passée ,
Ma première force est cassée,
J'ay la dent noire et le chef blanc j
. icmes
Que d'une eau rousse en lieu de <»ang.
Adieu , ma lyre ; adieu , fillettes ,
Jadis mes douces amourettes,
QUATRIESME LIVRE. 269
Adieu , je sens venir ma fin ;
Nul passetemps de ma jeunesse
Ne m'accompa^e en la vieillesse,
Que le feu, le lict et le vin.
J'ay la teste toute estourdie
De trop d'ans et de maladie ;
De tous costez le soin me mord ,
Et, soit que j'aille ou que je tarde,
Tousjours après moy je regarde
Si je verray venir la mort,
Qui doit, ce me semble, à toute heure
Me mener là bas , où demeure
Je ne sçay quel Pluton , qui tient
Ouvert à tous venans un antre.
Où bien facilement on entre ,
Mais d'où jamais on ne revient.
Ode XII.
Pourquoy, chetif laboureur,
Trembles tu d'un empereur
Qui doit bien tost, légère ombre,
Des morts accroistre le nombre ?
Ne sçais-tu qu'à tout chacun
Le port d'enfer est commun ,
Et qu'une ame impériale
Aussi tost là bas dévale
Dans le bateau de Charon
Que l'âme d'un bûcheron ?
Courage , coupeur de terre !
Ces grands foudres de la guerre
Non plus que toy n'iront pas
Armez d'un plastron là bas
Comme ils alloient aux batailles :
Autant leur vaudront leurs mailles.
ayo Odes.
Leurs lances et leur estoc,
Comme à toy vaudra ton soc.
Car le juge Rhadamante ,
Asseuré , ne s'espouvante
Non plus de voir un hamois
Là bas qu'un levier de bois ,
Ou voir une souquenie
Qu'une cape bien garnie ,
Ou qu'un riche accoustrement
D'un roy mort pompeusement.
Ode XIIL
Les espics sont à Cerès .
Aux Chèvre-pieds les forêts,
A Chlore l'herbe nouvelle,
A Phebus le verd laurier,
A Minerve l'olivier.
Et le beau pin à Cybelle ;
Aux Zepnyres le doux bruit,
A Pomone le doux fruit.
L'onde aux Nymphes est sacrée ,
A Flore les belles fleurs;
Mais les soucis et les pleurs
Sont sacrez à Cytherée.
L
Ode XIV(').
e petit enfant Amour
Cueilloit des fleurs à l'entour
D'une ruche, où les avettes
Font leurs petites logettes.
Comme il les alloit cueillant,
I. Imitée d'Anacréon.
QuATRiESME Livre. 171
Une avette sommeillant
Dans le fond d'une fleurette ,
Luy piqua la main tendrette.
Si tost que piqué se vit ,
Ah ! je suis perdu , ce dit ;
Et, s'en-courant vers sa mère,
Luy monstra sa playe amere :
Ma mère , voyez ma main ,
Ce disoit Amour tout plein
De pleurs , voyez quelle enflure
M'a fait une esgratignure !
Alors Venus se sou-rit,
Et en le baisant le prit ,
Puis sa main luy a souflée
Pour guarir sa plaie enflée.
Qui t'a, dv-moy, faux garçon ,
Blessé de telle façon ?
Sont-ce mes Grâces riantes ,
De leurs aiguilles poignantes ?
Nenny, c'est un serpenteau ,
Qui vole au printemps nouveau
Avecques deux ailerettes
Çà et là sur les fleurettes.
Ah ! vrayment je le cognois ,
Dit Venus ; les villageois
De la montagne d' H y mette
Le surnomment une avette {a).
Si donques un animal
Si petit fait tant de mal ,
Quand son halesne espoinçonne
La main de quelque personne,
Combien fais-tu de douleurs
Au prix de luy, dans les cœurs
De ceux contre qui tu jettes
Tes homicides sagettes ?
a. Var. 1584:
Le surnomment Mtlissette,
272 Odes.
Ode XV.
Chaste troupe pierienne ,
Qui de Tonde hippocrenienne
Tenez les rives , et le mont
D'Heme , et les verdoyans bocages
De Pinde , et les antres sauvages
Du sainct Parnasse au double front I
Vous de Peau poissonneuse fille ,
?ui dans le creux d'une coçjuîlle
mstes à Cypre, et qui Gnidon
Gouvernez, et Paphe et Cythere,
Venus , la nere-douce , mère
De ce bon enfant Cupidon !
Vous, Grâces, d'une escharpe ceintes,
Qui dessus les montaignes saintes
De Colche , ou dans le fond du val
Soit d'Amathonte, ou soit d'Erie,
Toute nuict sur Therbe fleurie
En un rond démenez le bal 1
Et vous Dryades, et vous Fées,
8ui de joncs simplement coifées
agez par le cristal des eaux ,
Et vous qui les prenez à force,
Faunes, qui vivez sous Técorce
Et dans le tronc des arbrisseaux (â).
Ornez ce livre de lierre ,
Ou de myrthe , et loin de la terre
S'il vous plaist enlevez ma vois;
tf. Var. 1J87 :
Fendant des fleuves les entorses.
Et qui naissez sous les escortes,
Ames vertes des arbrisseaux.
QUATRIBSME LIVRE. ZJl
Et faites que tousjonrs ma lyre
D'âee en âge s'entende bruire
Du More jnsques à PAnglois.
Ode XVI (I).
"NT agueres chanter je voulois
Il Comme Francus au bord gaulois
Avec sa troupe vint descendre ;
Mais mon luth pincé de mon doy
Ne vouloit en despit de moy
Que chanter amour et Cassandre.
Je pensois (d'autant que tousjours
J'avois dit sur luy mes amours)
Que ses cordes par long usage
Chantoient d'amour, et qu'il falloit
En mettre d'autres s'on vouloit
Luy apprendre un autre langage.
Et pour ce faire il n'y eut fust,
Archet ne corde qui ne fust
Echangée en d'autres nouvelles;
Mais après qu'il fut remonté.
Plus fort Que devant a chanté
De Venus les flammes cruelles.
Or. adieu donc, pauvre Francus ,
Ta gloire sous tes murs vaincus
Se cachera tousjours pressée ,
Si à ton neveu nostre Roy
Tune dis qu'en l'honneur detoy
Il face ma lyre crossée.
1 . Imitation de la première d'Anacreon. (R.)
Ronsard, ^ II. i8
a74 Odes.
Ode XVII.
De neuf à dix syllabes.
Chere Vcsper, lumière dorée
De la belle Vénus Cytherée ,
Vesper, dont la belle clarté luit
Autant sur les astres de la nuit
Que reluit par dessus to^ la lune ;
claire image de la nuict brune ,
En lieu du beau croissant tout ce soir
Donne lumière , et te laisse choir
Bien tard dedans la marine source.
Je ne veux, larron , oster la bourse
A Quelque amant, ou comme un meschant
Voleur, dévaliser un marchant ;
Je veux aller outre la rivière
Voir m'amie ; mais sans ta lumière
Je ne puis mon voyage achever.
Sors ooncques de 1 eau pour te lever^
Et de ta belle nuitale flame
Esdaire au feu d'amour qui. m'enflame.
Ode XVIII.
Dieu vous gard , messagers fîdelles
Du printemps , pentes arondelles ,
Huppes, cocus, rossignolets ,
Tourtres , et vous oiseaux sauvages ,
Qui de cent sortes de ramages
Animez les bois verdelets.
Dieu vous gard , belles pâquerettes,
Relies roses , belles fleurettes ,
QUATRIESME LIVRE. 275
De Mars , et vous boutons cognus
Du sang d'Ajax et de Narcisse;
Et vous , thym , anis et mélisse ,
Vous soyez les bien revenus.
Dieu vous gard , troupe diaprée
De papillons , qui par Ja prée
Les douces herbes suçotez ;
Et vous, nouvel essain d'abeilles.
Qui les fleurs jaunes et vermeilles
Indifféremment baisotez.
Cent mille fois je resalue
Vostre belle et douce venue ;
que j'aime ceste saison
Et ce ooux caquet des rivages ,
Au prix des vents et des orages
Qui m'enfermoient en la maison I
^Sus , p3^ge , à cheval 1 qiie l'on bride l
Ayant ce beau printemps pour guide ,
Je veux ma dame aller trouver
Pour voir, en ces beaux mois , si elle .
Autant vers moi sera cruelle
Comme elle fut durant l'hy ver. ]
Ode XXL
B
et aubespin verdissant ,
Fleurissant ^
Le long de ce beau rivage ,
Tu es vestu jusqu'au bas
Des longs bras
D'une lambrunche sauvage.
Deux camps drillânts de fourmis
Se sont mis
En garnison SOU& ta souche ;
276 Odes.
Et dans ton tronc mi-mangé
Arraneé
Les avettes ont leur couche.
Le gentil rossignolet ,
Nouvelet,
Avecques sa bien-aimée,
Pour ses amours alléger
Vient loger
Tous les ans en ta ramée.
Sur ta cyme il fait son ny^
Bien garny
De laine et de fine soye ,
Où ses petits esciorront ,
Qui seront
De mes mains la douce proye.
Or Ty, gentil aupespin ,
Vy sans nn ,
Vy sans que jamais tonnerre ,
Ou la coignée , ou les vents ^
Ou les temps ,
Te puissent ruer par terre.
A REMY BELLEAU.
Ode XX (0.
Du grand Turc je n'ay souci ,
Ny du grand soldan aussi ;
L'or ne maistrise ma vie^
Aux roys je ne porte envie;'
J'ay souci tant seulement
De parfomer coiatement
I. Imitation de deux odes d'Anaaéon. (R.)
QuATRiÉSME Livre. 277
Ma barbe , et qu'une couronne
De fleurs le chef m'environne.
Le soin de ce jour me point,
Du demain Je n'en ai point.
Qyi , bons Dieux ! sçauroit cognoistre
Si un lendemain doit estre.
Vulcan , en faveur de moy.
Je te pri*, despeche-toy
De me tourner une tasse,
Qui de profondeur surpasse
Celle du vieillard Nestor;
Je ne veux qu'elle soit d'or,
Sans plus fay-Ia-moy de chesne ,
Ou de lierre , ou de fresne.
Et ne m'engrave dedans
Ces grands panaches pendans ,
Plastrons , morions , ny armes :
Qu'ai- je soucy des allarmes.
Des assauts ni des combas ?
Aussi ne m'y grave pas
Ny le soleil ny la lune ,
Ny le jour ny la^nuict brune,
Nv les astres radieux :
En ! quel soin ai-je des cieux ,
De leurs Ours, de leur Charrette,
D'Orion, ny de Boëte.î*
Mais pein-moy. Je te supplî,
D'une treille le repli
Non encore vendangée ;
Peins une vigne chargée
De grapes et de raisins ,
Peins-y des fouleurs de vins.
[Peins-y Vénus et Cassandre,
Laisse ae Bacchus espandre
Le lierre tout autour;
Peins-y îa Grâce et l'Amour.]
Le nez et la rouge trongne
D'un Silène ou d^un yvrongne.
278 Odes.
A MELIN DE SAINT-GELAIS.
Ode XXI(0.
Tousjours ne tempeste enragée
Contre ses bords la mer Egée,
Et tousjours Torage cruef
Des vents comme un fondre ne gronde
Elochant la voûte du monde
D'un souflement continel.
Tousjours rhyver de neiges blanches
Des pins n'enfarine les branches ,
Et du haut Apennin tousjours
La gresie le dos ne martelle ,
Et tousjours la gjace éternelle
Des fleuves ne bride le cours.
[Tousjours ne durent orgueilleuses
Les pyramides sourcilleuses
Contre la faux du temps vainqueur,
Aussi ne doit Tire félonne
Qui de son fiel nous empoisonne ,
Durer toujours dedans un cœur.}
Rien sous le ciel ferme ne dure :
Telles loix la sage Nature
Arresta dans ce monde alors
Sue Pyrrhe espandoit sur la terre
ôs aveux , conceus d'une pierre
S'amollissante en nouveaux corps.
Maintenant une triste pfuye
D'un air larmoyant nous ennuyé;
Maintenant les astres jumeaux
D'émail en-fleurissent les plaines ;
I . Imitation d'Horace, ode 9 du livre a.
QuATRiESME Livre. 279
Maintenant l'esté boit; les veines
D'Ide, gazouillante «n ruisseaux.
Nous aussi, Melin, qui ne. sommes
Immortels, mais fragiles hommes,
Suivant cet ordre ^ il ne faut pas
Que nostre ire soit immortelle ,
Balançant sagement contre elle
La raison par juste compas.
N'as-tu point Jeu dedans Homère,
Lors que plus Tardante colère
Achille enrloit contre son roy.
Que Pallas, la sage guerrière^
Luy happant les cneveux derrière,
Tout gromelant l'arresta coy ?
Ja sa dague il avoit tirée
Pour tuer rheritier d'Atrée,
Tant le courroux Taiguillonnoit ,
Sans elle, qui en son navire
L'envoya digérer son ire ,
Dont tout le fiel luy bouillonnoit.
Combien de fois ce Peleïde
Refusa lespresensd'Atride
Pour appointer! Combien encor
De prisonnières lesbiennes
Et de citez mycéniennes !
Et combien de chevaux et d'or!
Tandis Hector armoit la rage^
L'horreur et le trpyen orage,
Contre les Grecs, et, d'une part.
D'un grand caillou froissa leur porte,
Et, d autre part, du feu qu'il porte
Darda le foudre en leur rampart.
De quelque i:o$té <]u'il se tourne ,
Beilone autour de luy séjourne.
Faisant couler Xanthe tout roux
Du sang des Grecs, qui par la plaine
Enduroient, innocens, la peine
De ce dommageable courroux:
28o Odes.
O monde heureux! si Promethée
D'argile en ses doigts retâtée
Le cœur ne nous avoit formé,
Le trempant en Peau stygienne
Et en la race libyenne
D'un cruel lyon affamé !
Certainement la vierge Astrée
N'eust point quitté nostre contrée.
Et les foudres tombez du ciel
N'eussent accablé les montaignes;
Tousjours fussent par les campâmes
Glissez les doux ruisseaux de miel.
Le cheval au milieu des guerres
N'eust point ronflé , ny les tonnerres
Des canons n'eussent point tonné ,
Ny, sur les bornes des provinces,
Le camp armé de deux grands princes
N'eust point le pasteur estonné.
On n eust point emmuré les villes
Pour crainte des suerres civiles
Ny des estranges légions ,
Ny le contre de Pharsalie
N^eust hurté tant d'os d'Italie
Ny tant de vuides mortons.
[L'ire, cause que les batailles
Jusqu'au fond rasent les murailles
De maint palais audacieux,
Et que les buissons et les herbes
S'é(;ayent sur les tours superbes
Qui souloient voisiner les cieux;}
L'ire, cause des tragédies.
Fait les voix en plaintes haraies
Des rois tremblant sous le danger,
Et fait les exécrables mères
Présenter les fils à leurs pères
Sur la table pour les manger;
[L'ire, qui trouble le courage,
Ne diffère point de la rage
Quàtriesme Livre. 281
Des vieux Curetés forcenés,
Ni des chastrés de Dyndimène ,
Quand, en hurlant, elle les mène
Au son du buis espoinçonnés ;
L'ire , qui les hommes manie ,
Changeant la raison en manie,
Rien qu'un remords ne fait sentir,
Et pour tout fruit ne nous apporte ,
Après que son ardeur est morte ,
Si non un triste repentir.]
Las ! ce monstre , ce monstre d'Ire ,
Contre toy me força d'escrire
Et m'eslança tout irrité ,
Quand , d'un vers enfielle d'ïambes ,
Je vomissois les aigres flambes
De mon courage despité,
Pource qu'à tort on me fit croire
Qu'en frauaant le prix de ma gloire
Tu avois mal parle de moy,
Et que d'une longue risée
Mon œuvre , par toy mesprisée ,
Ne servit que de farce au roy.
Mais ores , Mellin , que tu nies
En tant d'honnestes compagnies
N'avoir mesdit de mon labeur.
Et que ta bouche le confesse
Devant moi-même , je délaisse
Ce despit qui m'ardoit le cœur.
Chatouillé vrayment d'un grand aise
De voir morte du tout la braise
Qui me consumoit, et de voir
Crever ceux qui , par une envié ,
Troublant le repos de ma vie ,
Souloient ma simplesse esmouvoir.
Dressant à nostre amitié neuve
Un autel, j'atteste le fleuve
Qui des parjures n'a pitié
Que ny roubly, ny le temps mesme,
282 Odes.
Ny la rancœur, ny la Mort blesme,
Ne desnou'ront nostre amitié :
Car d'une amour dissimulée
Ma foy ne sera point voilée
( De faux visages artizan ) ,
Croyant seurement que tu n'uses
Vers tes amis des doubles ruses
Dont se desguise un courtisan.
Ne pense donc que le temps brise
L'accord de nostre foy promise ,
Bien qu'un courroux raye parfait.
Souvent une mauvaise cause ,
Contraire à sa nature, cause
Secrettement un bon effait.
Les lis naissent d'herbes puantes,
Les roses d'espineuses plantes.
Et neantmoins la France peint
De l'un son blason , et encore
De l'autre la vermeille Aurore
Eniprunte le fard de son teint.
Bien que l'un des fils d'Iocaste
La nuict, sous le portail d'Adraste,
Et Tydée, enflez ae courrons.
D'une main horriblement dure,
Pour un petit de couverture,
Se fussent martelez de coups,.
Toutesfois, après ces allarmes,
Amis jurez , prindrent les armes ,
Et l'un pour l'autre s'employa,
Quand, devant Thebes, le prophète (»),
Vif englouti dans sa charrette.
Tout armé Pluton effroya.
I. Amphiaraùs, l'un des sept chefs qui combattirent de
vant Thèbes, fut englouti tout armé avec son char.
QUATRIESME LIVRE. 28j
Ode XXII.
J'avois les veux et le cœur
Malades d'une langueur
L'une à l'autre différente ;
Tousjours une fièvre ardante
Le pauvre cœur me brusloit ,
Et tousjours l'œil distilloit
Une pluye catarreuse
Qui , s'escoulant dangereuse ,
Tout le cerveau m'espuisoit.
Lors mon cœur aux yeux disoit :
Le Cœur.
C'est bien raison que sans cesse
Une pluye vangeresse
Lave le mal qu'avez fait ;
Car par vous entra le trait
Qui m'a la fièvre causée. ;
Lors mes yeux pleins de rosée ^
En distillant mon souci ,
Au cœur respondoient ainsi :
Les Yeux.
Mais c'est vous qui fustes cause
Du premier mal qut nous cause
A vous Fardante chaleur
Et à nous l'humide pleur.
Il est bien vray que nous fusmes
Auteurs du mat , qui receusmes
Le trait qui nous a blessé ;
Mais il fut si tost passé ,
Qu'à peine tiré le vismes,
Que jà dans nous le sentismes«
284 Odes.
Vous deviez, comme plus fort,
Contre son premier effort
Faire un peu de résistance;
Mais vous pristes accointance
Tout soudam avecques luy ,
Pour nous donner tout Tennuy.
la belle emprise vaine,
Puis aue vous souffrez la peine ,
Aussi oien que nous , d'avoir
Voulu seuls nous décevoir.
La chose est bien raisonnable
Que le trompeur misérable
Reçoive le mal sur luy
Qu*il machinoit contre autruy,
Et que pour sa fraude il meure.
Amsi mes yeux à toute heure ,
Et mon cœur contre mes yeux ,
Querelloient séditieux ,
Quand vous . ma douce maistresse ,
Ayant soin ae ma destresse
Et de mon tourment nouveau ,
Me listes présent d'une eau
Qui la lumière perdue
De mes deux yeux m'a rendue.
Reste plus à secourir
Le cœur qui s'en va mourir,
S'il ne vous plaist qu'on luy face
Comme aux yeux un peu de grâce.
Or pour esteindre le chaud
Qui le consomme , il ne faut
Smon qu'une fois je touche
De la mienne vostre bouche.
Afin que le doux baiser
Aille du tout appaiser
Par le vent de son haleine
La flame trop inhumaine,
Sue de ses ailes Amour
!^évente tout à l'entour,
QUATRIESME LIVRE. 285
Depuis l'heure que la flèche
De vos yeux luy fit la brèche
Si avant , qu'il ne pourroit
En guarir s il ne mouroit.
Ou si vostre douce haleine
Ne le tiroit hors de peine.
Ode XXIII (I).
Les Muses lièrent un jour
De chaisnes de roses Amour,
Et, pour le garder, le donnèrent
Aux Grâces et à la Beauté ,
Qui , voyant sa desloyauté ,
Sur Parnasse l'emprisonnèrent.
Si tost que Venus Tentendit,
Son beau ceston elle vendit
A Vulcan pour la délivrance
De son entant , et tout soudain,
Ayant Targent dedans la mam.
Fit aux Muses la révérence :
a Muses , déesses des chansons,
Quand il faudroit quatre rançons
Pour mon enfant, je les apporte;
Délivrez mon fils prisonnier. »
Mais les Muses Pont fait lier
D'une autre chaisne bien plus forte.
Courage donques. amoureux,
Vous ne serez plus langoureux :
Amour est au bout de ses ruses ;
Plus n'oseroit ce faux garçon
Vous refuser quelque chanson ,
Puis qu'il est prisonnier des Muses.
1. Imité d'Anacréon. (R.)
286 Odes.
P;
Ode XXIV (»).
lourtant si j*ay le chef plus blanc
Que n'est d'iin lys la neur esclose ,
Et toy le visage plus franc
Que n'est le bouton d'une rose;
t^our cela, cruelle, il ne faut
Fuir ainsi ma teste blanche,
Si j'ai la tète blanche en haut,
J'ay en bas la queue bien franche I (a)
Ne sçais-tu pas , toy qui me fuis,
Que pour bien faire une ççuronqe
Ou quelque beau bouquet , d'un li$
Tousjours la rose on environne. ? '.
Ode XXV W.
La terre les eaux va boivant ,
L'arbre la boit par sa racine
La mer éparse boit te vent,
Et le soleil boit la marine ;
Le soleil est beu de la lune ;
Tout boit^ soit en haut ou en bas :
a. Var. ijSy :
Pour cela moquer il ne faut
M a teste de neige couverte;
Si j'ay la teste blanche en haut.
Vautre partie eà assez verte, '
1. Imité d'Anacréon. (R.)
2. Encore imité d'une ode d'Auaaéon. (R.)
QuATRiÉSME Livre. 287
Suivant ceste reigle commune ,
Pourquoy donc ne boirons-nous pas ?
Ode XXVI (i).
Plusieurs, de leurs corps desnuez,
Se sont veus en diverse terre
Miraculeusement muez,
L'un en serpent et Tautre en pierre ,
L'un en lleur, l'autre en arbrisseau ,
L'un en loup , l'autre en colorabelle ;
L'un se vid changer en ruisseau ,
El l'autre devint arondelle.
Mais je voudrois estre miroir
Afin que tousjours tu me visses ;
Chemise je voudrois me voir,
Afin que tousjours tu me prisses.
Volontiers eau je deviendrois ,
Afin que ton corps je lavasse ;
Estre du parfum je voudrois ,
Afin que )e te parfumasse.
Je voudrois estre le ri ban
Qui serre ta belle poitrine ;
Je voudrois estre le carçjuan
Qui orne ta çorge yvoirine.
Je voudrois estre tout autour
Le coral qui tes lèvres touche ,
Afin de baiser nuict et jour
Tes belles jévres et ta touche.
I. Derechef imité d'Anacréon. (R.)
288 Odes.
Ode XXVII (i)
Poarquoy, comme une jeune poutre ,
De travers guignes-tu vers moy ?
Pouraucy, farouche , fuis-tu outre
Quana je veux approcher de toy ?
Tu ne veux souffrir qu'on te touche ;
Mais si je f avois sous ma main
Asseure toi aue dans ta bouche ,
Bientost je raurois mis le frein.
Puis te voltant à toute bride ,
Soudain je t'aurois fait au cours ^
Et te piquant serois ton guide
Dans la carrière des amours.
Mais par Therbe tu ne fais ores
Que suivre des prez la fraicheur,
Pource que tu n*as point encores
Trouvé quelque bon chevaucheur.
A AMADIS JAMYN.
Ode XXVni(i).
Ha ! si Por pouvoit allonger
D'un quart d'heure la vie aux hommes ;
De soin on devroit se ronger
Pour l'entasser à grandes sommes,
Afin qu'il peust servir de prix
1 . Imité d'Ànacreon. (R.)
2. Traduit d'Anacreon. (R.)
Quàtkiesme Livre. 2(9
Et de rançon à nostre vie,
Et que la Mort, en l'ayant pris,
De nous tuer n'eut plus envie.
Mais puis qu'on ne la peut tarder
Pour don ny pour or qu'on luy of&e.
Sue me serviroit de garder
n trésor moisi dans mon coffre ?
Il vaut mieux^ Jamyn, s'addonner
A fiieilleter tous|ours un livre,
Sui plustost que Tor peut donner
[augré la mort un second vivre.
A ESTIENNE PASQUIER.
Ode XXIX (1).
Tu me fais mourir de me dire
Qu'il ne faut sinon qu'une lyre
Pour m'amuser, et que tousjours
Je ne veux chanter que d'amours.
Tu dis vray, je te le confesse;
Mais il ne plaist à la déesse
Qui mesle un plaisir d'un souci
(Jrae je vive autrement qu'ainsi.
Car quand Amour un coup enflame
De son feu quelque gentille ame ,
Impossible est de l'oublier,
Ny de ses rets se deslier.
Mais toy, Pasquier (1), en qui Minerve
1 . Imité d'Horace. (R.)
2. Advocat gênerai de la Chambre des Comptes, à Paris ,
auquel on ne peut rendre plus de tesmoigoage que lui en
rendent ses propres oeuvres, et nostre poète en cet endroit,
qui a vrayement touché ton naturel. (R.)
Rimsard, — II. 19
2Û0 Odes.
A tant mis de biens en mehre,
Sui as l'esprit ardent et ivif^ -
t nay pour ii*cstre point obif ;
Elevé au ciel par ton histoire *
De nos rots les fiits et la ([toire ,
Et pren sous ta diserte voix
La charge des honoeurs françois ;
Et désormais vivre me laisse
Sans gloire au sein de ma maistresse»
Et parmy ses ris et ses jeux
Laisse grisoAner,mes cheveux.
Ode XXX 0). ;
Celuy qui n*a)rttié est maUcnreux ,
Et malheureux est Tamourcux;
Mais la misère ta plus grande/
C'est quand Tamant^après avoir
En bien servant fait son devoir)
Ne peut avoir ce qu'il demande.
La race ea amours ne ^ sert rien ^
Ne beauté, grâce ne mâiiltieft;
Sans honneur la Mnse gist morte ;
Les amoureuses dû. jonra'huy .
En se vendant ayment celuy
Qui le pluç d'argent, leur apporte^
fouisse mourir ,mescharttcment :
Qui Tor ayma premièrement!
Par luy le frère n'est pas frère,
Par luy le père n'est pas seur,
Par luy la sœur n'est pas la sœur,
Et la mcre n'est pas la mère.
Par luy la guerre et le discord ,
$. Inîité d'une ode d'Anacfcon. (R.)
QUATRIESME LiVRB. 29I
Par luy les glaives et la mort ,
Par hiy viennent mille tristesses ,
Et, qui pis est, nous recevons
La mort par luy, nous qui vivons
Amoureux d'avares maistresses.
Odelette XXXI (i).
Janne, en te baisant tu me dis
Que i'ay le chef. à demy gris,
Et tousjours me baisant tu veux
De Tongle oster mes blancs cheveux ,
Comme s'un cheveu blanc ou noir '
Sur le baiser avoit pouvoir.
Mais, Janne, tu te trompes fort:
Un cheveu blanc est assez fort '
Au seul baiser, pourveu que point
Tu ne vueilles ae l'autre poinct.
OOE XXXII.
Verson ces roses en ce vin ^
En ce bon vin verson ces roses.
Et boivon l'un î l'antre, afin .
?2l'au cœur nos tristesses encloses
rennent en boivant quelque fin.
La belle rose du pnntemps,
I . Cette petite ode est quasi d'invention semblable k cet
épigramme de Martial :
Ouid me, Thai, senem subinde dicis?
Nemo est, Tbai, semez ad irruinaadttm.
2^2 Odes.
Aubert, admoneste les hommes
Passer joyeusement le temps,
Et pendant que jeunes nous sommes
Esbatre la fleur de nos ans.
Car ainsi qu'elle défieurit
A bas en une matinée,
Ainsi nostre â^e se flestrit,
Las! et en moins d'une journée
Le printemps d'un homme périt.
Ne veis-tu pas hier Brinon
Parlant et faisant bonne chère ,
Lequel aujourd'huy n'est sinon
Qu^un peu de poudre en une bière,
Qui de luy n'a rien que le nom ?
Nul ne desrobe son trespas,
Caron serre tout en sa nasse .
Roys et pauvres tombent là oas;
Mais ce-pendant le temps se passe ,
Rose, et je ne te chante pas.
La rose est l'honneur d'un pourpris(i))
La rose est des fleurs la plus oelle ,
Et dessus toutes a le pris :
C'est pour cela que je l'appelle
La violette de Cypris.
Le rose est le bouquet d'amour,
La rose est le jeu des Charités ,
La rose blanchit tout autour
Au matin de perles petites,
Qu'elle emprunte du poinct du jour.
La rose est le parfum des dieux,
La rose est l'honneur des pucelles,
Qui leur sein beaucoup aiment mieux
Enrichir de roses nouvelles
Que d'un or tant soit précieux.
filst-il rien sans elle de beau ?
La rose embellit toutes choses ,
I . Imité d'Aiiacxéon, à paitir de ce ven.
QuÀTRiESME Livre. 291
Venus de roses a ta peau ,
Et l'Aurore a les doigts de roses ,
Et le front le Soleil nouveau.
Les nymphes de rose ont le sein ,
Les coudes , les flancs et les hanches ;
Hebé de roses a la main ,
Et les Charités , tant soient blanches y
Ont le front de roses tout plein.
Que le mien en soit couronné ,
Ce m'est un laurier de victoire *
Sus . appelon le deux-fois-né ,
Le oon père, et le faisons boire^
De cent roses environné.
Bacchus , espris de la beauté
Des roses aux fueilles vermeilles ,
Sans elles n'a jamais esté ,
Quand en chemise sous les treilles
Il boit au plus chaud de l'esté.
A REMY BELLEAU.
Ode XXXIII(i).
Belleau, s'il est loisible aux hommes d'inventer
Cela que les plus vieux n'ont pas osé chanter,
Je dirois hardiment que l'Amour n a point d'ailes ;
Las 1 car s'il en avoit , s'esbranlant dessus elles
De mon cœur Quelquefois se pourroit absenter.
Il n'a point o'arQ aussi , et le feint-on ruer
Des flèches à grand tort : il a voulu muer
Son arc en harquebuze , on le sent à l'espreuve ;
Car pour le coup d'un trait si grand feu ne se treuve
I. Imité de Properce. (R.)
194 Odes.
Autour du ccear blessa , qu'il le «aisse tuer.
Donques ou je me trotnf>e, ouTAnour n'est archer,
Il est harqucbuzier ; et qiii voudra clicrcher
Comme il tire, aille veoir les beaux yeux de Cassandre ;
Tout soudain de cent pas il luy fera comprendre
Si d'un plotnb ou d'un trait les cœurs il vient toucher.
Il fait de ses beaux yeux son plombet enilamè,
Sa poudre' de sa grâce, et en ce point armé
Se |ette i la conqueste à l'entour de sa bouche ;
Daus ses cheveux fnsez il dresse l'escannouche ,
Et du sein d'elle il fait son rampart enfermé.
Fin du qaaUiamt lirn du Oda.
295
LE CïNQUIESME LIVRE
DESODES
AU ROY HENRY II,
Sur ses ordonnances faites Tan M. D. L,
Ode I,
I é ! queUes k>uai^es ^ales
A ton mérite souverain
Rendroicift tes Gaules loyales»
Fust par mémorables annales,
On par vives lettres d'airain ,
O Prince , le plus redoutable
De tous les prinœs ordonnez
Pour régir les sceptres donnez
A nostre partie habitable ?
N'est-ce pas toy qui nous rapportes
La paix, et qni de toutes pars
As verroullé de tes mains fortes
Le temple béant par cent portes
Où forcenoit l'horrible Mars?
Par Xojf jusqu'aux Indes se rue
La navire franche de peur,
296 Odes.
Par toy d'un paisible labeur
Le bœuf fume sous la charrue.
Par toy, Tabondance, ayant pleine
Sa riche corne jusqu'aux bords ,
A couvert la françoise plaine;
Par toy la plus légère peine
Suit les péchés de pied non tors ;
Par toy, par Texploict de ta destre,
La France voit ses estendars,
Jadis trahis par nos soudars,
Toy n'estai^t point encor leur maistre.
Mais ores que tu Tes, qui est-œ
Qui pallira craignant TAnglois,
Ou respagnole hardiesse.
La Flandre, ou la blonde jeunesse
Du Rhin indocile à nos lois?
Et puis que ta police sainte ,
Qui droittement nous veut guider.
Par la justice a sceu brider
Les tiens d'une juste contrainte ?
Tes piétons, ta gendarmerie,
Qui violoient auparavant
Les saints droits de l'hostelerie ,
Riblant(i) les biens par pillerie
Comme un \À& moissonne du vent ;
Si bien que tes terres sujettes
N'enduroient moins d'affliction.
Que la rebelle nation
Où les feux ennemis tu jettes.
Ore ta loy, mais un tonnerre.
Les effroye plus estonnez
Que lors qu*un camp angloîs les serre
Ou quand par le jeu de la guerre
César (*) les presse environnez;
Si qu'humble tu fais apparoistre
1 . Dissipant avec un ravage désespéré, (a.)
2. Charles le Quint. (R.)
CiMQuiESMB Livre. 297
Une si grande légion^
Comme gens de religion
Qui vont muets dedans un doistre.
Le velours, trop commun en France»
Sous toy reprend son vieil honneur.
Tellement que ta remonstrance
Nous a fait voir la differance
Du valet et de son seicneur,
Et du muguet chargé oe soye
Qui à tes princes s'égaloit,
Et riche en cramoisy alloit,
Faisant flamber toute la voye.
Les tusques mains (i) ingénieuses
Ja de trop velouter s'usoient
Pour nos femmes délicieuses,
Qui sous robes trop précieuses
Du rang des nobles abusoient ;
Mais or' la laine desprisée
Reprend son premier ornement.
Tant vaut le grave enseignement
De ta parole authorisée (2).
Ceux qui , par un avare outrage ,
Espoincts d'une meschanceté,
Te pinçoient ore le visage ,
Ore le nez , ore Timage
De ta commune Majesté 0),
Maintenant, oyant ta défense.
Tiennent leurs mains sans plus congner,
Et ton argent sans le rongner,
Tremblans de t'avoir fait offense ;
Non espris d'une peur si grande
1. Les ouvrien de Florence. (R.)
2. De ton edit vérifié par la cour, sans laquelle il n'auroit
point d'effect ny d'exécution. (R.) Ici Richelet se trompe
évidemment. Autorisée est employé dans le sens d'imposante,
jiyant de Tautorité.
) . Les faujc-monnoyeurs.
298 Odes.
De sentir tous nuds un fer chaud ,
D'estre bouillis (>)^ bu d'une amande ,
Que de ta loy, qui leur commande
De recognoistre leur défaut.
Prince, les sainctes polices
Et les grands faits aue tu conçois
Te feront nommer aes François
L'Hercule qui purge les vices !
Ton œil vigilant, qui contemple
Tes vassaux en divers costez ,
A contemplé de Dieu le temple.
Que nos banquiers par faux exemple
Combloient de larrons eshontez,
Et doctes en xhiquaneries,
N'enduroient en un seul quartier
?u'un bénéfice fust entier,
rouble de mille tromperies.
Mais or' bulles et signatures ,
Et dattœ levez par avant (a).
Mandats, faux titres, escritures,
Dépravez par leurs impostures.
Seront certains doresnavant;
Si bien que le moine et le prestre ,
Possedans en paix leurs maisons ,
Feront pour toy leurs oraisons ,
Et pour les loix que tu fais naistre ,
Lesquelles l'odieuse Espagne
Ne pourra corrompre , ny ceux
Oue la Tamise angloise bagne ,
Ny les nourrissons d'Allemagne,
A la guerre non paresseux ,
Ny ntalie conjurée
A briser leur divinité,
1 . Supplice prattiqué seulement en France. (R.)
2. Antidates : voyez ce qu'en escrivoit en ce temps-là
maistre Charles du Moulin, tres-ezcellent jurisconsulte pa-
risien. (R.)
ClNQ.UlBàME LiVRB. 299
Tant aura ton auctorité
Plus que leurs armes de durée.
Et nous , ayans de toy mémoire ,
Comme les Grecs de leur Castor
Ou d* Hercule , ferons ta gloire *
Par nos vers plus claire et notoire
Que la leur ne s'apparoist or'.
Au jour de feste, au jour ouvrable ,
Suans à Tœuvre ou reposez ,
Nous serons tousjours disposez
A chanter ton nom vénérable.
Avec la lyre dépendue
Nous t'avourons pour immortel
Dessus sa corde bien tendue ,
Et d'une liqueur respandue
SacrifiVons à ton autel ;
Eternisant d'un vœu prospère
Nous , nos femmes , et nos enfants,
?uatre nouveaux Dieux triomphans,
oy, ton fils, ton frère et ion père.
A MADAME MARGUERITE,
Qiii depuis a esté duchesse de Savoye.
Ode II.
Vierge , dont la vertu redore
Cet heureux siècle qui t'adore ,
Non pour estre fille de roy,
Pour estre duchesse , où pour estre
Si proche en san^ du roy mon maistre^
Qu'il n'a point d^autre sœur que toy,
Mais bien pour estre seule en France
Et la colonne et respeitmce
po Odes.
Des Muses, la race des Dieux,
Que ta saincte srandeur embrasse,
Suivant le naïf de ta race,
Qui d'astres a peuplé les deux.
Les Muses , d'une sage envie
Tu suis pour guides de ta vie ,
Et non leurs vers tant seulement;
Mais bien tu joins à leur science
Et rinnocente conscience ,
Et leurs beaux dons également.
Que sert à la princesse d'estre
A toutes sciences adestre
Et mille fois Platon revoir,
Si par Testude tout sur l'heure
Sa vie n'est faite meilleure,
Mariant les mœurs au sçavoir ?
Les mœurs au sçavoir tu maries,
Et le sçavoir aux mœurs tu lies ,
Assemblez d'un nœud gordien ,
T'esgarant loin du populaire .
Et de son bruit oui ne peut plaire
Aux filles de l'Olympien.
Ces riches maisons somptueuses ,
Ces grans villes présomptueuses ,
Par Porgueil d'un mur s'eslevant ,
Ne sont les lieux où elles dansent ,
Et leurs pas serrent et avancent ,
Le C^nthien sonnant devant.
Mais bien par les fleurs reculées ,
Loin à l'écart par les vallées.
Au fond de deux tertres bossus ,
Ou parmi les forests sauvages ,
Ou par le secret des rivages.
Ou dans les antres bien moussus.
Point ou peu ne hantent la table
Des Dieux a' Homère , délectable
Pour les vins versez de la main
Du Troyen, fuyans les viandes
CiNQUiESMB Livre. 301
Délicieusement friandes
Qui ne font qu'irriter la faim.
Quand quelqu'un de Pallas devise ,
LesiMuses appreuvent l'emprise
De filer, de tistre , d'ourdir,
D'imposer nouveaux noms aux villes ,
Et sous les polices civiles
Ne laisser les loix engourdir.
Mais d'aller, horrible, à la guerre ,
De pousser les citez par terre ,
Et, vierge, hanter les combas ,
Coiffer (Tun morion sa teste,
Et l'ombrager d'une grand' creste.
Les Muses ne l'appreuvent pas.
Jueeant qu'il vaut mieux que la gloire
Des femmes vive en la mémoire
Par autres travaux plus duisans
Qw par ceux-là des Amazones ;
Auquel jugement tu t'addonnes
Dés le premier fil de tes ans.
Et bien que ta royale vie
Soit de délices assouvie ,
Pourtant, vierge^ si fraudes4u
Les haims qui la jeunesse appastent ,
Et jamais ta bouche ne gastent ,
Rebouchez contre ta vertu.
Car ta raison bien attrempée
Ne veut souffrir estre trompée
De leur mignard affolement.
Ne ta force toujours toute une,
Sue nulle chance de fortune
e peut esbranler nullement.
Aussi ces maisons tant prisées
D'un or imagé lambrissées,
Fontaine-Bleau , Cbambour, ne sont
Les séjours où tant tu t'amuses ,
Que parmy les antres des Muses
Compagne des sauts qu'elles font.
^02 Odes,
Estimant trop meilleur de vivre
Coye et tranquille, que de suivre
Cet orgueil par toy rejette ;
Et loin du populaire escrire
Je ne sçay quoy qui puisse dire
Que Quelquefois tu as esté.
O aes princesses U lumière ,
De quelle louange première
Commencerav-je à te vanter ?
Et de mille dont tu abondes ,
Quelles dernières ou secondes
Clorront la fin de mon chanter ?
[Dirai-je comme en ton visage
Tu portes engravé l'image,
Les grâces de mille beautés;
Et de François ton père encores.
Et de ton frère qui vit ores ,
Les deux égales royautés ?]
Diray-je que tesr yeux enchantent
Les plus constans qui se présentent
Devant ta face , et vistement .
Avecque ta voix nompareille ,
Leurs tires leurs cœurs par l'aureille
D'un vertueux enchantement?
[Dirai-je que la France toute -
De bon cœur autre chant n'écoute
Que les vers faits pour, ton renom
Lequel de si très près le touche
Qjl^elle n'anime dans sa bouche
Autres paroles que ton nom ?]
Diray je si quelqu'un souhéte
De se feindre nouveau poète ,
Il ne doit sinon esprouver
Quelle est ta vertu , sans qu'il songe
Dessus Parnasse, ou qu'il se plonee
Es flots menteurs pour $!abreuver r
Diray-je comme tu rabaisses
La pompe des autres princesses,
CiNQuiBSME Livre. $o$
Te balançant d'un juste pois,
Entre lesquelles ta prudence
Flambloye en pareille évidence
Que ton frère par-sus les rois ?
Diray-je que les ans qui tournent
De pas qui jamais ne séjournent
N'ont nen veu de semblable encor
A la grandeur de ton courage ,
Ny ne verront , bien que aostre Age
Change son fer au premier or?
C'est toy, Princesse , qui animes
Les fredons de nos basses r)[mes
Pour les eslever jusqu'aux - deux ,
Et oui fais nos chants poétiques
Egaler les vers des antiques
Par un oser in^ieuX,
C'est tOY qui portes sur tes aisles
Le sainct donneur des neuf Pucelles
Obéissantes à ta loy.
C'est toy seule qui ne desdaignes
De les avouer pour compaignes.
Filles d'un grand roy comme toy.
N'est-ce pas toy, docte Princesse, ,
Ainçois , 6 mortelle déesse ,
Qui me donnas coeiur de chanter, .
Et qui m'ouvris la fantasie
De trouver quelque poésie
Qui peust tes grâces contenter?
Mais que féray**je à ce vul^aife
A qui jamais je it'ay sçeu plâtre,
Ny ne plais , nv plaire ne veux t ,
Porteray-rje la couche close >
Sans plus animer quelque choses
N'est point bien joint ne maçonné ;
L'un prend horreur de mon. audace.
304 Odes.
Et dit que sur la grecque trace
Mon œuvre n'est point façonné.
Mais je responds tout au contraire,
Comme rayant bien sceu pourtraire
Dessus le moule des plus vieux,
Et comme cil qui ne s'esgare
Des vers repliez de Pindare,
Incogneus de mes envieux.
L>sUble du grand Roy d'Elide ,
Nette par les travaux d'Alcide,
Fonda près les champs Eleans
D'Olympe les joustes illustres,
Qui retoumoient par chacuns lustres
Anoblir les bords Piseans.
Là s'amoncelloit la jeunesse
Des plus belliqueux de la Grèce ,
Studieuse à ravir l'honneur
De Testrange lueille honorée,
Que de la terre h^perborée
Apporta le Thebain veneur.
Ceux qui suans en la carrière
Laissoient leurs compagnons derrière
Et ceux qui de gands emplombez
Meurtrissoient la chair empoullée ,
Et ceux qui par la lutte liuillée
Contre-tenoient leurs bras courbez;
Ceux oui à leurs flèches soudaines
Commanaoient d'estre plus certaines ;
Et ceux qui en rouant tournoient
Un grand caillou d'horrible masse,
Outre-volant le long espace
Du but où les coups se bomoient.
Ceux qui en limons ou en selle
Devant la Grèce universelle
Par douze fois rasoient le tour
De la course douze fois torte,
Et d'une roue entière et forte
S'acheloient un brave retour ;
CiNQuiESME Livre. ^05
Ceux-ci de ceste fueille heureuse
Laçoient leur perruque poudreuse,
Et craignans perdre les labeurs
Pour qui leurs vertus travaillèrent,
Avec la victoire éveillèrent
Le mestier des premiers harpeurs ;
Lesquels au soir par rassemblée ,
Quand Tœil de la Lune doublée
Ardoit le voile obscur des cieux ,
Avec les flûtes doux-souflantes
Et les trompettes haut-parlantes
Celebroient les victorieux.
Archiloch premier osa dire
D'un simple refrain sur sa lyre
Les honneurs d'Hercule en ses vers,
Qui depuis Hercule servirent
A tous les vainqueurs qui ravirent
L'olive par combats divers.
Après, comme une eau desbordée.
Ou comme la foudre guindée
Sur la nue au mois le plus chaut,
S'ouït tonner la voix Dircée,
Qui par l'air s'est si bien dressée
Que nulle n'a bondy plus haut.
Elle par les terres étranges
Cria des vainaueurs les louanges
Et plutôt les tilt élevant
Que l'air n'est froissé par la vire
Ou l'eau ronflante du navire
Soufleté des gorges du vent (a).
a. Var. (1587):
Elle parles terres lointaines
Respandit les poudreuses peines
De ceux ^u*Oiympe veit suer
Pour r honneur, le prix de la gloire,
Ressuscitez par la mémoire
Que trois mille ans n'ont sceu tuer.
Ronsard, — H. 20
;o6 Odes.
Aussi nul chant ne s*accomf>are
Au chant courageux de Pindare,
Que la honte ne coloroit
D^entre-mesler ses proprres gloires
Avec les fameuses victoires
Des bataillons qu'il honoroit ;
Et tout ensemble les sceut vendre
A quiconque les vouloit prendre ,
Plus chèrement qu'on n'achetoit
Une statue feinte en cuivre ,
Que le vainqueur pour mieux revivre
Au plus haut d'Olympe mettott.
Tant la Grèce estoit studieuse
De sa Muse laborieuse,
Et tant son art eut de bon-heur.
Que ses paroles honorées
Escrites en lettres dorées
Aux temples pendoient en honneur.
Avec Hieron , roi de Sicile ,
Trafiqua maint vers difficile ,
Où , des brocars injurieux
De Bacchylide son contraire ,
Fut moqué , comme chez ton frère
M'ont moqué ceux des envieux («)•
Ne son chant , ne la cognoissance
Des Muses n'eurent la puissance
De tromper l'envie , qui suit
Non pas une obscure personne
Mais la cognue qui foisonne
Par ses vertus en fameux bruit.
Que pleust à Dieu qu'à sa hautesse
Fust égale ma petitesse ,
Et mes vers à ses chants nerveux ;
Par ta saincte grandeur je jure
I . Allusion à Mellin de Saint-Gelais , qui avoit attaqué
Ronsard devant. Henry II.
K.INQUICSME LiyRE.
Que i'entonnerôis ceste injure
Aux aureilles de nos neveux
Mais quoyl Madame, je n'ay faute
Sinon d'avoir ta faveur haute ,
Sinon d'estre avoué de toy,
Afin que notre France estime
Que quelquefois ma basse rime
Seul contenter la sœur d'un Roi (a).
S'ainsi advenoit , leur mesdire
Grondant ne m'oseroit rien dire.
Qui (bons Dieux!) oseroit penser,
Tant fust la langue audacieuse
Et sa nature vicieuse,
De vouloir les tiens offenser ?
Là donc , Madame , pren la charge
De m'envelopper sous ta targe ,
Sue de Gyge les bras archers
é perceroient, tant elle est forte,
Ne celui qui d'une autre sorte
Dardoit les membres des rochers.
Lors me voyant en asseurance ,
Je publi'ray parmi la France
Le loz de ta divinité ,
Tes vertus, bontez et doctrine,
Les vrais boucliers de ta poitrine.
Blanchissante en virginité ;
Afin qu'après ma voix fidelle,
Au soir, à la tarde chandelle,
Les mères, faisant œuvres maints.
Content tes vertus précieuses
A leurs filles non ocieuses ,
Pour tromper le temps et leurs mains.
Var. :
Sinon qu'on te pense Minerve,
Et que ma Muse se reserve
Pour chanter la sœur de mon Roy.
}o8 OdeS'
Peot-^stre anssi, alors qne Tâge
Aura toot brouillé ton lignage.
Le peuple qui lira mes vers,
Abreuve d'une gloire uUe,
Ne te dira femme mortelle ,
M»s sœur de Pallas aux yeux vers.
Et tft fera des édifices
Tous enfumez de sacrifices.
Si bien que le siècle avenir
Ne congoistra que Marguerite,
Immortalisant ton mente
D'un perdurable souvenir.
Ode III (i).
f) uand les filles d'Achclois ,
^^^Les trois belles chanteresses ,
Quidcs hommes par leurs vois
Estoient les enchanteresses ,
Virent jaunir la toison ,
Et les soldars de Jason
Ramer la barque argienne
Sur la mer Sicilienne,
Elles, d'ordre, flanc à flanc,
Oisives au front des ondes ,
D'un peigne d'yvoire blanc
Frisotoient leurs tresses blondes,
Et mignotant de leurs yeux
Les attraits délicieux,
Aguignoient la nef passante
I . En faveur de trois doctes filles d'Angleterre, înstruictes
et apprises par Denisot, conte d'Alsinois. (R.) La Crobc du
Maine appelle ces trois sœurs Anne, Marguerite et Jeanne
de Seymour.
CiNQUiBSMB Livre. 30Q
D'une œillade languissante.
Puis souspirerent un chant
De leurs gorges nompareilles ,
Par douce force alléchant
Les plus gaillardes aureilles ;
Afin Que le son pipeur
Frauaast le premier labeur
Des chevaliers de la Grèce
Amorcés de leur caresse.
Ja ces demi-dieux estoient
Prests de tomber en servage ,
Et jà domptés se jettoient
Dans la prison du rivage ,
Sans Orphée, qui, soudain
Prenant son luth en la main ,
Opposé vers elles , joue
Loin des autres sur la proue,
Afin que le contre-son
De sa repoussante Ivre
Perdist au vent la cnanson
Premier qu'entrer au navire,
' Et qu'il tirast des dangers
Ces demi-dieux passagers
Qui dévoient par la Libye
Porter leur mère afFoiblie.
Mais si ce harpeur fameux
Oyoit le luth des Serenes
Qui sonne aux bords escumeux
Des Albionnes arènes ,
Son luth payen il fendroit
Et disciple se rendroit
Dessous leur chanson chrestienne
Dont la Toix passe la sienne (>)•
I . Parce que ces trois filles, en ce temps-là, firent un livre
de distiques chrestiens, en latin, fort bienfaits, lesquels aussi
tost furent tournez en grec, en italien, en françois, et dédiez
i madame Marguerite, sœur unique du roy Henry il. (R.)
Odes.
Car Iny, enflé de vains mots
Devisoit à Taventure
Ou des membres du Chaos
Ou du sein de la Nature ;
Mais ces vierges chantent mieux
Le vray manouvrier des cieux ,
Et sa aemeure eterneUe ,
Et ceux qui vivent en eHe.
Las ! ce qu'on void de mondai
Jamais ferme ne se fonde ^
Ains fuit et refuk soudain
Comme le branle d'une onde
Qui ne cesse de rouler,
De s'avancer et couler.
Tant que rampant il arrive
D'un grand heurt contre la rive.
La science , auparavant
Si long temps orientale.
Peu à peu marchant avant,
S'apparoist occidentale.
Et sans jamais se borner
N'a point cessé de tourner.
Tant qu'eHe soit parvenue
A l'autre rive incogneue*
Là de son grave sourcy
Vint affoler te coura^
De ces trois vierçcs icy,.
Les trois seules de nostre âge.
Et si bien les sceut tenter,
Su'ores on les oit chanter
aiat vers jumeau qui surmonte
Les nostres, rouges de honte.
Par vous,, vierses de renom ,
Vrais peintres de la mémoire ^
Des autres vierges le oom
Sera clair en vostre gloire.
Et puis que \e ciel beiûa
Au doux sexe feminia
GiNquiESME Livre. ?ii
Fait naistre chose si rare
D*un lieu jadis tant barbare,
Denisot se vante heure
D'avoir oublié sa terre ,
Et passager demeuré
Trois ans en vostre Angleterre,
Et d'avoir cogneu vos yeux ,
Où les amours gracieux
Doucement leurs flèches dardent
Contre ceux qui vous regardent.
Voire et d'avoir quelquefois
Tant levé sa petitesse ,
Que sous l'outil de sa vois
Ilpolit vostre jeunesse ,
Vous ouvrant les beaux secrets
Des vieux Latins et des Grecs ,
Dont l'honneur se renouvelle
Par vostre muse nouvelle,
lo , puis que les esprits
D'Angleterre et de la Frante,
Bandez d'une ligue, ont pris
Le fer contre l'ignorance,
Et que nos roys se sont faits
D'ennemis amis parfaits ,
Tuans la guerre cruelle
Par une paix mutuelle,
Advienne qu'une de vous.
Nouant la mer passagère ,
Se joigne à quelqu'un de nous
Par une nopce estrangere;
Lors vos escnts avancez
Se verront recompensez
D'une chanson mieux sonnée,
Qui cri'ra vostre hymenée.
312 Odes,
TRADUCTION DES VERS LATINS
De Jean Daurat
Sur le trespas de la raync de Navarre (»).
Ode IV.
Ainsi que le ravv prophète
Dans une flambante charrette
Haut eslever en Tair s*est veu ,
D'un bras allumé par le vuide^
Guidant Testincelante bride
De ses chevaux aux pieds de feu ,.
Quand du vieillard la cheute robe^
Qui du sein biruslant se desrobe,
Coula dans les bras attendans
Du jeune prophète , et glissante
Fut veue par Pair rougissante
Loin derrière en replis ardans;
Comme on void une estoile esmeue
Qui tombe , ou qui tomber est veue
Du ciel sous une claire nuit^
Attrainant derrière sa fuite
Par le vuide une lon^ suite
De sillons de feu qui la suit:
Ainsi Marguerite y faschée
De sa robe humaine entachée
Du premier vice naturel ^
Ruant bas, de prompte allégresse,,
I. Marguerite d'Orléans, soeur du roy Françon 1er, la-
quelle espousa Henry II, roy de Naraire, ayeul maternel de
Henry IV. (R.)
CiNQUiESME Livre. ;i}
Et sa sommeillante paresse ,
Et son gros fardeau corporel ^
Hautaine au ciel est arrivée
Sur quatre roues eslevée,
Foy, espérance, charité.
Et patience dure et forte,
?ui courageusement supporte
oute maligne adversité.
D'un tel chariot soustenue ,
Faite déesse elle est venue
En la troupe du Roy des rois ,
Que maintenant elle contemple,
Royne d'un monde bien plus ample
Que n'estoit pas son Navarrois.
HYMNE TRIOMPHAL D'ELLE-MESME.
Ode V.
Çj ui renforcera ma vois,
^^^Et qui fera que je vote
Jusqu'au ciel à ceste fois
Sur Taile de ma parole?
Or' mieux que devant il faut
Avoir l'estomac plus chaud
De l'ardeur qui ja m'enflame
D'une plus ardante flame ;
Ores il faut que le frain
De Pégase, qui me guide,
Peu serviteur de h bride
Fende l'air d'un plus grand train*
Assez Pindare a chanté
Les jeux d'Hercule et sa gloire,
Et son olivier planté
Pour refraichtr ta mémoire
J14 Odes.
D'avoir justement du roy
Puni la parjure fo^,
Qui par folle hardiesse ,
En démentant sa promesse ,
Monstra qu'un foiole assaillant
En vain fait braver sa force ,
Quand , plein d'outrages , s'efforce
U^assaillir le plus vaillant;
Mais moy. hastant de mes vers
La vagaboncle carrière ,
J'annonce par l'univers
L'honneur de ceste guerrière ,
Laquelle , apprise aux combats ,
Ses cheveux n'ombragea pas
D'une si fresle couronne
Sue celle que Pise donne,
liis bien les environna
De sa despouille doutée,
Lors que par soy surmontée
Soy-mesme se couronna.
Là donques, mon cher soucy,
Sus, Muse, qu'on s'évertue
De sonner oien haut icy
Comme elle s^est combatue.
Chante-moy les bataillans,
Les forts et les moins vaillans ;
Et pourquoy s'est animée
Une si estrange armée,
Et quel camp de rage espris
Vint irriter Marguerite,
Qui par le divin mérite
Se fit maistresse du prix.
La Chair tentant le moyen
D'asservir l'Esprit son maistre,
Comme un mutin citoyen
Qui traistrè à son roy veut estre,
Fut celle de qui l'erreur
Mit aux champs si grande horreur
CiNQUiESME Livre.
De gens en armes horribles,
Qui de menaces terribles
Tansoient les murs et les forts
De PEsprit qui les défie ,
Tant sa force il fortifie
Pour mieux forcer leurs efforts.
Là fut le Monde emplumé
De crands crestes ondoyantes,
Là tut rOrsueil enflame
D'esclairs crarmes flamboyantes;
Là Tescadron des Plaisirs ,
Là les bandes des Désirs^
Là les bourreaux de ta vie,
La Convoitise et l*Envie,
Male-bouche, et la Rancœur,
Là la Gloire somptueuse,
Et Pire présomptueuse
Qui ne peut bnder son cœur.
Là dessous les estendars
De la Chair séditieuse
Flottoient d'ordre ses soldars
D'une vague audacieuse; .
Mais par-sus tous s'eslevoit
Une lance qu'elle avoit
D'Impatience ferrée,
Sur la queux d'Ire acérée.
Que l'on yoyoit s'enflammer
Par la poincte, en mesme sorte
Sue flambe l'astre qui porte
n prodige sur la mer.
La maille qu'elle* vestoit
Fut de Paresse estoffée;
En lieu d'un armet estott
D'une Vanité coiffée,
Où chanceloit attaché
Le vieil timbre de Péché.
Ainsi l'horrible guerrière
Pressoit ses bandes derrière.
3i6 Odes.
Et les poussoH en avant,
Ondoyans de rang comme ondes ,
Ou comme les forests blondes
Des espics souflez da vent.
Elle adonc qui regardott
Ses mains colères de rage^
Pleine d'un feu qui Tardoit ,
Se redoubloit de courage :
ce Par vous (disoit-elP), mes mains,
Tant de haineux inhumains
Ce jourd'huy mordront la terre ;
Par vous Thonneur de la guerre
Ja se dit mien , et par vous ,
Martelant plus dru que foudre,
Je mettray PEsprit en poudre,
Accablé sous moy de coups.
Sus, soldars, il est saison
Su'ore un chacun se souvienne
e soy et de sa maison.
Là-donc, de peur au'il n'avienne
Que nous sentions au vainqueur
La loy, par faute de cœur,
Courag[e, enfans, la victoire
Enrichira nostre gloire !
Autant qu*eux n'avons-nous pas
De bras , de jambes et d'armes
Pour repousser leurs alarmes
Par l'effort de nos combats ?
Si, couards, vous estes pris ,
Rien que la mort ne vous reste.
Ne craignez donc les périls
D'un butin tant manifeste ;
Et bien, s'ils sont plus que nous,
Le gain en sera plus dous,
Et les louanges plus grandes
D'avoir meurtry plus de bandes. »
De tels mots la Chair flatoit
Les cœurs bouillans de sa bande,
CiNQUiESME Livre. 317
Et d'une aileure plus grande
A la guerre les hastoit.
Jà, TEsprit d'une autre part,
Impatient qu'on l'assaille,
Avoit franchy son rampart,
Pour devancer la bataille.
Luy, de Raison accoustré,
Horrible à voir s'est monstre
Parmy les troupes menues,
Comme un foudre entre les nues ;
Et, marchant à pas contez,
Arrangeoit sous sa conduite
Une longue et longue suite
De chevaliers indomtez.
L'Amour divin fut vestu
Du harnoi^ de Résistance ,
Tout engravé de Vertu ,
Et redoré de Constance;
Là, Tardante Charité,
Là , la simple Vérité
De près son maistre accompagne.
Avec sa forte compagne
Qui suit les pas de son roy ;
Là, l'antique Prud'hommie,
Là, la Crainte d'infamie,
Là, l'Espérance et la Foy.
Là tenoit rang la Pitié,
De son guide la plus proche ;
Là s'avançoit l'Amitié
Se chacun doit à son proche;
les Contemplations
Avecûues les Passions
Que 1 ame fidèle endure
Pour corriger la Chair dure,
A la bataille arrivoient
File à file d'une tire;
Et mordans leurs lèvres d'ire,
D'un grand branle se suivoient.
)i8 Odes.
L*Esprit ore se tournant ,
Haste son camp magnanime ;
Ores un peu séjournant,
De tels aiguillons l'anime :
a Amis , tentez le labeur,
Et ne paliissez de peur
Qu'une si lasche canaille
Face entreprise qui vaille.
Qui ja tremble seulement
De voir sans plus vostre face,
Tant nostre première audace
L'espouvante horriblement. »
Ces mots finis, dans leur fort
D'un saut de course s'eslance,
Abatant le Monde mort
Au premier heurt de sa lance.
Du Dond en terre donné
Ses armeures ont sonné.
Après, POrgueil il renverse,
8ui, trépignant des pieds, verse
n lac rouge de son flanc ,
Vomissant , ja froid et blesme ,
Du creux de la playe mesme
L'ame , le fer et le sang.
Mortes après il rua
Contre terre les Délices;
Les Voluptez il tua
Du coup qu'il tua les Vices.
Tant de neice ne chet pas.
Quand l'air T'esparpille à bas
Pour enfariner la plaine,
Comme la terre estoit pleine
De soldars menus greslez ,
Renversez sous tel orage,
Par un estrange nieslage
L'un sus l'autre amoncelez.
L'Humilité s'attacha
Contre la Gloire mondaine .
CiNQ^uiESME Livre. 319
Et sa lance luy cacha
Droit en ceste part où l'aine
Se joint avecque le flanc ;
Le Péché, de crainte blanc,
N'attendit la Repentance,
Ains évitant sa puissance ,
Vint où Grâce I enserra
Dedans sa troupe hardie ,
Et d'une lance orandie
Jusques au cœur {'enferra.
Un peu plus avant la Foy,
Faisant branler son panache ,
Les charnels loin devant sov
Foudroyoit à coups de hache ;
La Loy d'un grand coup d'espieu
Profendit jusqu'au milieu
L'opiniastre Hérésie,
Et la fausse Hypocrisie
En cent morceaux trançonna ;
La Justice, de sa pique ,
Si avant le Vice pique ,
Que mort le désarçonna.
D'un autre costé la Chair,
Comme un bras d'une montagne
Que l'orage fait broncher
Au plus creux de la campape,
Casse , froisse , tonne , bruit ;
En ce poinct elle destruit
Les forces qu'elle rencontre;
Mais l'Esprit s'opposa contre
Son foudre trop inhumain ,
Et, de prés se joignant d'elle,
Effroyaolement l'appelle -
Seule au combat main à main.
a Toy, dit-il , après avoir
Contre mon obéissance
Sceu tant d'armes esmouvoir.
Fuiras-tu bien ma puissance r
J20 Odes.
Toy qui as trahy mes lois,
Et rhonncur que tu me doisi
Toy, citoyenne mutine,
Sue la Volonté divine
re conduit au danger,
Et souflant sur toy sa haine,
D*un bras violant t'attraine
Sous les miens pour la vanger? »
Ja-ja la Chair pallissant
De peur, s*escou(e en la presse
Devant l'ennemy puissant,
Qiji ja Tespaule luy presse;
Et vouloit se repentir,
Quand TEsprit luy fit sentir
De son homicide poincte
Le coup , où la gorge est joincte
De Pespaule au plus gros os.
Ainsi mit fin aux batailles ,
Elle poussant ses entrailles
D*un long ordre de sanglos.
Alors PEsprit, glorieux
De rheur de son entreprise,
A d*un bras victorieux
La serve despouille prise;
Puis Marguerite en orna,
Et de laurier entouma
Tout le beau rond de sa teste ,
Luy consacrant la conqueste
De la Chair; car sa vertu
Seule en moyenna la gloire,
Et la fameuse victoire
Que TEsprit en avoit eu.
Jesus-Christ à ceste fois,
Esbranlant dans sa main nue
Le grand fardeau de la croix,
Perçoit Pantre d'une nue
A l*escart, pour voir çà bas
La fin de ces deux combas;
CiNQjJiESME Livre. 321
Ayant ferme souvenance
D'une fatale ordonnance
Que l'ame au ciel monteroit
Far une nouvelle porte ,
Dont la main sainctement forte
Sa chair propre donteroit.
Lors son ange il appela
8ui front à front des vents vole ,
ageant par Tair çà et là
Où le soufle sa parole:
«Poste, dit-il, marche, fuy,
Huche les vents et les suy,
Laisse ramer tes aisselles.
Et glisse dessus tes aijes.
Tant que bas tu te sois veu
Dedans les champs (1) qu'environne
La tortueuse couronne
Des monts surnommes? de feu (2).
« Là, de ta parole endors
Geste guerrière, et le voile
De son victorieux corps
Transforme au ciel en estoile ;
En-après laisse rouler
Son idole parmy Pair (3),
Afin qu'en terre elle tombe ,
Et, desdaignante la tumbe,
Vole en France sans repos
Par la bouche de maint homme ,
Sans que jamais l'an consomme
1 . Dans le royaume de Navarre, qui est la plus part enclavé
des Pyrénées , montaignes repliées et pleines de longues en-
tones et destours. (R.}
2. Pyrenez, ano tou vMpbç, autrefois bruslans comme le
Vésuve et le Montgibel. (R.)
). Sa ressemblance comme une ombre. Les philosophes
composoient l'homme de trois choses : d'ame , de corps , et
de cette ombre ou simulachre qn'ils imaginoient retenir la
iormedu corps. (R.)
Ronsard, — il. 21
)22 Odes.
Son voler vague ti dispos. »
L'ange adonques s'est lié ,
Pour mieux haster sa carrière,
A l'un et à l'autre pié
L'une et l'autre talonniere,
Dont il est porté souvent
Egal aux souspirs du vent y
Soit sus la terre ou sus l'onde ,
Quand sa roideur vagabonde
Davalle outre l'air bien loing;
Puis sa perruque divine
Coifa d'une capeline,
Prenant sa verge en son poing.
De celte il est défermant
L'œil de l'homme qui sommeille;
De celle il est endormant
Les yeux de l'homme qui veille;
De celle en l'air soustenu,
Nagea tant qu'il fust venu
Se percher sur la montagne
SU! fend la France et l'Espagne ,
"ont que l'oraçe cruel
Bat tousjours d une tempeste ,
Tousjours en-glaçant sa teste
D'un frimas perpétuel.
De là, se laissant pancher
A corps élancé grand'erre,
Fondoit en bas pour trancher
Le vent oui raze la terre ,
Deçà et delà vagant,
A basses rames vogant
Ores coup sur coup mobiles,
Ores coyes et tranquilles
Comme un oiseau qui pend bas ,
Et l'aile au vent ne desplie ^
Quand près des eaux il espie
Le hazard de ses appas.
Ainsi l'humble messager,
CiNQjjiESME Livre, jaj
Volant d'une aile subite ,
Glissa bassement léger
Jusqu'au corps de Marguerite ;
D'elle les yeux il a clos ,
Puis, la chargeant sur le dos
(Comme fut I Athénienne
Sur l'eschine thracienne),
Haut dans Tair se suspendit
Loin-loin de la terre basse ,
Et d'un long trac il repasse
Par où mesme il descendit.
Lors il ficha dans les cieux
De ce corps la masse entière ;
Il luy acgrandit les yeux
De rondeur et de lumière ;
Ses cheveux furent changez
En nouveaux rais allongez,
Ses deux bras et ses deux jambes
En quatre jumelles flambes ;
Bref, ce fut un astre ardant,
Lequel de là haut encores
De son aspect bénin ores
La France va regardant.
Si qu'elle avecques les feux
De l'estoile de son frère
Et des princes ses nepveux ,
Bien tost, oubliant sa sphère ,
Viendra flamber sur l'armet
De Henry, droit au sommet ,
Où l'espouvantable creste
Luy flote dessur la teste
Pour le guider aux dangers ,
Soit de l^nde ou de la terre ,
Quand les foudres de sa guerre
Perdront les roys estrangers.
L'ange après dans l'univers
Chassa son errante idole
Pour voler dessus mes vers
3^4
Odes.
De Tun jusqu'à Vautre pôle ;
Puis , cnargcant Tame à son col ,
L'emporta a*un roide vol
Toute pure et toute nette,
Mieux luisant que sa planette,
Sur le ciel jusques au lieu
Où les ans fermes demeurent
Entre ceux qui plus ne meurent,
Incorporez avec Dieu.
Là, le droit chemin tenant,
Tu es, 6 Princesse! allée
Où sous tes pieds maintenant
Tu vois la terre avallée.
Tu vois sous tes pieds saillir
Le jour pour naistre et faillir ;
Tu vois la mer et ses voiles.
Tu sçais le nom des estoiles;
Le froid , le vent et le chaud
Ne te donne plus de crainte,
Toy faite nouvelle sainte
Par les troupes de là haut.
Là, sous tes pieds les saisons
Eternellement cneminent;
Là tu cognois les raisons
Des astres qui nous dominent ;
Tu sçais pourquoy le soleil
Ore pasle, ore vermeil,
Prédit le vent et la pluye ,
Et le serein qui Tessuye;
Tu sçais les deux trains de l'eau ,
Ou si c'est l'air qui séjourne.
Ou si la terre qui tourne
Nous porte comme un bateau.
Tu sçais dequoy se refont
Les deux cornes renaissantes
Que la lune ente à son front ,
Et qui les fait décroissantes ;
Tu vois ce grand animal ,
CINQ.UIESME Livre. {25
Son rond et son nombre égal
Discordant en mélodie;
Où tu es, la maladie
Ne defleure la santé :
On n'y void rien qui desplaise ,
Chacun y vit à son aise.
De nul ennuy tourmente.
Mais nous, pauvres et chetifs.
Ici n'avons cognoissance
Non-plus qu'enfans abortifs (1)
Du lieu de nostre naissance ;
Ains, désireux de gésir
Dessous Fallechant plaisir
Des serenes de la vie {^),
Jamais ne nous prend envie
(Comme au Grec) de voir un jour
La flame, en l'air proumenée,
Sauter sur la cheminée
De nostre antique séjour.
Si plustost je n'av sacré
Tes cendres à la Mémoire,
Ne m'en sçaches mauvais gré :
Plus vive en sera la gloire.
Les arbres qui sont tardifs
Demeurent plus long-temps vifis;
Les fleurs tost espanouyes
Tost s'en vont évanouyes,
Et le colosse élevé
Qui ores le ciel menace
En un mesme trait d'espace
Ne se vit point achevé.
Mais quel plus riche tombeau
Blanc de neige parienne (3)
Jadis t'eust dressé plus beau
1. Morts à leur naissance. (R.)
2. Des douceurs mortelles et corrompues de la tene. (R
3. De marbre blanc. (R.)
}26 Odes.
Geste veufve carienne (i)?
Quel rocher elabouré.
Ou quel temple redoré,
Pressera la renommée
De ceste tumbe animée,
La()uelle non une fois,
Au lour de ses rais publiques ,
Reoon'ra Tame aux reliques
Du sainct astre navarrois ?
Je te salue, ô Thonneur
De mes Muses, et encore
L'ornement et le bon-heur
De la France , qui t'honore I
Escarte loin de mon chef
Tout malheur et tout meschef;
Preserve-moy d'infamie,
De toute langue ennemie
Et de tout acte malin ,
Et fay que devant mon Prince
- Désormais plus ne me pince
La tenaille de Mellin {a),
a. Ronsard, après s'être réconcilié avec Mellin de Saint-
Gelais , modina ainsi les derniers vers :
De toute langue ennemie
Teinte en venin odieux.
Et fay que devant mon Prince
Désormais plus ne me pince
Le caquet des envieux,
I . Artemisie, royne de Carie, qui feit bastir à la mémoire
immortelle de son mary le plus magnifique et somptueux
tombeau qui jamais fut. (R.)
CiNQUiESME Livre. 327
A PHEBUS,
Pour guarir le roy Charles IX.
Ode VI(').
Phébus, soit que tu sois
Pasteur parmi les bois
Ou sur les bords d'Amphryse,
Ou prince^ escoute-moy,
Vien-t'en guarir mon Roy,
Qui seul te favorise.
Apporte à ceste fois
Le aictamon cretois
Avecq' la panacée,
Herbes qui font au corps
Des hommes qui sont morts
R'entrer rame passée.
Un sujet au trespas
Guarir ne le doit pas :
Présomption est vice.
Vien doncques en ce lieu :
C'est la raison qu'un dieu
Un autre dieu guarisse.
Un petit prince il n'est
D'une estroitte forest ^
D'un port ou d'une ville ,
Mais d'un pays guerrier
Des meilleurs le premier.
En richesse fertile.
I . Imitée de Callimaque. Cette pièce doit être postérieure
à \a Saint-Barthélémy, car elle ne se trouve point dans Té-
dttion de 1 572. J'ai suivi le texte de 1 584, à défaut de celui
de 1 578, que je n'ai pu consulter.
328 Odes.
Deux mers et mille ports,
Villes , citez et forts
Pleins de traficque estrange,
Mille fleuves de nom,
Ne vont bruyant sinon
L'honneur de sa louange.
Vien, Prince aux beaux cheveux,
Guarir son mal fiévreux ;
?ue sain on le remette,
îi Paimeras cent fois
Plus fort, si tu le vois,
Que tu ne feis Admette.
h*ar luy tu te soustiens :
C'est le support des tiens.
Son esprit il applique
A tes mestiers divers ;
Il honnore les vers,
Il chérit la musique.
Ou je diray, Phebus,
Que tu n'es qu'un abus ,
EtqueJunon, severe,
Se vangeoit à propos
De ne donner repos
A Latone, ta mère.
Je te diray maçon.
Un berger, un garçon
Qi)i fis paistre les vaches.
Craignant d'estre envoyé
Aux enfers foudroyé ,
Qu'icy bas tu te caches;
.Qu'Hyacinthe tuas.
Quand le pal luv ruas.
D'art, et non a'aventure;
?ue tes bœufs justement
e furent finement
Desrobez par Mercure;
Que Mercure vaut mieux
Que toy, entre les dieux,
CiN(^uiESME Livre. 329
Pour jouer de la lyre,
Mercenaire valet,
Qui sçais un flaseolet
Seulement faire pruire.
Mais, si tu viens icy
Soulager le soucy
De ses membres malades ,
D'ache couvert le chef.
Je feray de rëchef
Tes testes cameades.
Je diray que tu es
Second des immortels
Et du ciel l'interprète.
Du laurier inventeur.
Prophète non menteur.
Grand chantre et grand poète,
Et qu'en jeune menton
Tu fis crever Python
Par ta flèche première,
Et aue tù fis cacher
Niobe en un rocher.
Vengeance de ta mère.
Je diray tes amours,
Que tu parois tousiours
Sans barbe ny vieillesse,
* O des mires''») le roy!
A Bacchus et à toy
Sert le don de jeunesse.
Quitte-moy ton Delphos,
Ta Cyrrhe, ta Delos,
Des flots marins suivie,
Et vien, astre luisant,
La Santé conduisant,
Nourrice de la Vie.
Sans toy, douce Santé ,
La Force et la Beauté
I. Mires, médecins, vieux mot firançois.
MO
Odes.
Sont manques de puissance.
Ny empire ny bien
A l'homme ne sert rien
Sans ta douce presance.
La Jeunesse te snit;
Le Plaisir, le Déduit,
Dessous ton ombre vivent;
Tournois, joustes, chevaux,
Dames, chiens et oiseaux,
Pour maistresse te suivent. *
Par toy se fait Pamour,
Et le vin tout le jour
Par toy fume en la tasse ;
Par toy le long festin ,
Du soir jusqu'au matin ,
Couvre la table grasse.
O Santé chasse-mal!
Par toy se fait d'un bal
La gaillarde entreprise.
Où, te roulant parmi.
Tu n'as point d'ennemi
Qu'une moustache grise.
Tout ainsi que l'esclair
Du soleil , prompt et clair,
Passe par la verrière ,
Passe dedans son corps ,
A ses membres peu forts
Ren la vigueur première.
Descen donc de là hatit :
C'est à ce jour qu'il faut
Que sain tu nous le rendes.
La France t'en lou'ra.
Et chacun te vou'ra
Et temples et offrandes.
CiNQUiESME Livre. 3^1
AU ROI CHARLES,
En luy donnant un Léon hebrieu (i).
Ode ViI(!S73).
Je vous donne p6ur vos estreines'
L'amour chanté par un Hebrieu;
Les cieux et les terres sont pleines
De là puissance de ce Dieu.
Ils sont (ce me semble) deux frères :^
Nature doubles les a faits;
Ils ont aussi deux doubles mères ,
Contraires en divers effaits.
L'un a le ciel pour son empire,
Qu'il peut esbranler de la main ;
L'autre en la terre se retire,
Et vit de nostre sang humain.
L'un pousse les âmes guidées
Aux belles contemplations,
A l'intellect et aux idées ,
Purgeant l'esprit de passioris:
L^autre à nature est serviable,
Nous fait aimer et désirer.
Fait engendrer nostre semolable,
Et l'estre des hommes durer.
Il nous fait la paix et la guerre;
Mais, mon grana roy, pour choisir miéâx,
Prenez l'amour qui règne en terre,
Et laissez l'autre pour les dieux.
I. Sçavant platonicien qui a traicté doctement la matière
de rameur dans ses Dialogues. (R.)
H^
Odes.
A ROBERT DE LA HAYEO),
Ode VIII.
Ceux qui semoient outre leur dos
De nostre grand'mere les os
Dans le désert des vuides terres,
Pour ranimer le genre humain ,
Tousjoursne versoient de leur main
La duré semence des pierres,
Mais bien aucunefois ruoient
Des diamans, qui se muoient,
Changeans leur dur en la naissance
D'un peuple rare et précieux,
Qui encore de ses ayeux
Donne aujourd'huy la concnoissance.
Ton beau rayon qui brille icy
Monstre qu'un diamant , ainsi
Muant en tov sa forme claire , •
L'estre semolable t'a donné;
Car des pierres tu n'es point né,
Comme tut ce cros populaire.
Il a l'esprit dur et plombé ,
Tousjours vers la terre courbé ,
Jamais au beau ne dresse l'aile ;
Le tien s'élève saintement ,
Balancé d'un vol hautement
Tout autour de la chose belle.
Aussi le bruit impétueux
De ton palais tumultueux ,
Forçant ton destin , ne t'amuse
t. Feu monsieur de la Haye, docte personnage et maistre
des requestes ordinaires de l'nostel du roy. (R.)
CiNQUiESME Livre. 333
Si bien que quelquefois le jour
Tu ne travailles au séjour
De Poiseux travail de la Muse.
Qu'est-il rien aussi de plus doux ?
A quel sucre égalerons-nous
Ta nectareuse poésie ?
Seule elle passe les appas
Et du miel et les doux repas
Du nectar et de Tambroisie.
Les Amours n'aiment tant les pleurs ,
La tnousche ne suit tant les fleurs,
Ne \es veinqueurs tant les couronnes,
La Haye , comme tu poursuis
Les doctes Muses, que tu suis
Comme tes plus chères mignonnes.
Nul mieux que toy. parmy les bois ,
Ne contrefait leur belle vois,
Et nul par les roches hautaines
Ne les va mieux accompa^ant,
Ne mieux près d'elle se baignant
Sous le crystal de leurs fontaines.
Nul mieux sous les rais de la nuit ,
Quand la Itine en son plein reluit,
Sur Fherbe avec elles ne dance ,
Suivantes le pouce divin
De ce grand Alcée angevin (i)
Qui devant sonne la cadance.
Toy lors , couronné du lien
Que donne l'arbre delien ,
Ores tu prens plaisir d'élire
Le premier rang, or' le milieu.
Entre elles marchant comme un dieu
Qui s'égaye au son de la lyre.
Et toutefois, estant ainsi
I. Du Bellay, ^u'il appelle Alcée à cause de ses Regrets ,
où excellemment il taxe les mœurs de son temps , selon que
les sujects s*en presentoient à luy. (R.)
}}4 Odes.
De ces pucelles le souci ,
Tu veux bien faire un contr'eschange
De tes vers latins, qui sont d'or,
Aux miens moindres qu'airain encor',
Indignes de telle louange :
Car, bien que nostre âge ait loué
Le premier vers que j'ay joué ,
Pourtant je n'eusse pris l'audace
De te respondre ou de tenter
Ma lyre, qui ne sçait chanter
Pour toy qu'une chanson trop basse.
Mais ce bon père au double chef,
Qui l'an ramène derechef.
D'une inconstance coustumiere,
M'a commandé de la sonner
Telle qu'elle est , pour estrener
La foy de nostre amour première.
Si j'avois les butins heureux
Que le marchant avantureux
Arrache du sein de l'Aurore,
Tu les aurois, et les sablons
Qui roulent et riches et blons
En l'eau que la Phrygie honore;
Ou, si j'estois assez subtil
Pour animer par un outil
La toile muette ou le cuivre,
Mon art t'offriroit ces presens ;
Mais ces dons-là contre les ans
Ne te sçauroient faire revivre.
Pren donc mes vers, qui valent mieux,
Et les reçoy comme les dieux
Reçoivent par leur bonté haute
Les humbles presens des mortels ,
Qui de biens chargent leurs autels,
ET si Q'çn eurent jamais faute.
I
CiNQuiESME Livre. m
ODE IX.
Çj ui par gloire ou par mauvaistié ,
^^^^Ou par nonchalante paresse,
Aura tranché de l'amitié
Le saint nœud qui deux âmes presse,
A celuy d'une loy expresse
Je defens qu'en nulle saison
Ne se loge dans ma maison ,
Et qu'avec moy sus le rivage,
Compagnon d'un mesme voyage,
Poilu , ne coupe le lien
Qui tient l'hosteliere navire ,
Car Jupiter le Philien («)
Quelquefois avecque le pire
Punit le juste , et peu souvent
On void la vangeresse peine
Soufirir, comme boiteuse et vaine
Le meschant s'échapper devant.
Que sert à l'homme de piller
Tous les printemps de l'Arabie,
Et de ses moissons despouiller
Soit la Sicile ou la Cibye,
Ou desrober l'Inde annoblie
Aux trésors de son bord ^emmé ,
S'il n'aime et s'il n'est pomt aimé,
Si tout le monde le dédaigne.
Si nul second ne l'accompaigne,
Soliciteux de son amy,
I. Qui prend soin des amitiez et qui les défend, car les
anciens ont attribué divers epitbetes et surnoms à Jupiter,
selon la diversité des sujects qu'ils ont voulu faire passe^
sous sa protection. (R.)
jj6 Odes.
Comme un Patrocle pitoyable
Suivoit Achille , fust parmy
La nue la plus effroyable
Des Lyciens, lors qu'odieux
Contre Priam souffloit son ire ,
Fust quand, paisible, sus la lyre
Chantoit les hommes et les Dieux ?
Le temps, qui a commandement,
Sur ces grandes masses sourcilleuses,
Qui devallent leur fondement
Jusques aux ondes sommeil leuses,
Ne les menaces orgueilleuses
Des fiers tyrans, ne sçauroient pas
Escrouler ne ruer à bas
La ferme amour que je te porte,
Tant elle est en sa force forte ;
Et, si avec toy librement
Je ne puis franchir les montagnes
Qu'Annibal cassa durement ,
Haineux des latines campagnes,
Pourtant ac mesprise ma toy.
Car Taspre^soin qui m'enchevestre.
Seul m'alenfc, et m'engarde d'estre
Prompt à voW avecque toy.
Mais , s'il tè plaist de retenir
Ta fuite disposte et légère
Jusqu'au temps qu'on void revenir
L'aronde, des fleurs messagère,
De prompte jambe voyagere
Je te suivray, fust pour trouver
L'onde où Phebus vient abreuver
Ses chevaux suans de la course,
Ou du Nil l'incertaine source.
Mais^ si le désir courageux
Te pique tant qu'il t'importune
De forcer l'hyver outrageux
Et la saison mal-opportune ,
Marche , fuy, va légèrement ;
CiNQUiESME Livre. 3^7
L'oiseau Menalien Mercure,
Le Dieu qui des passans a cure,
Te puisse guider dextrement.
Ces meurtriers pelottons volans
Sue l*orage par les monts boule
e te soient durs ni violans;
Ny 1 eau qui par ravines coule
Du jus de la neige oui roule
Demeure coye sans broncher
Quand tu voudras en approcher;
La froide gorge Thracienne
Et la pluyeuse Libyenne
Serrent leurs vents audacieux;
9ue rien sur les monts ne resonne
ors un Zephyre gracieux
Imitant ton luth quand il sonne ;
Phebus aussi , qui a cognu
Combien son poète te prise,
Clair, par les champs te favorise,
Et sa sœur au beau iront cornu.
Quand tu te seras approché
Des belles plaines d'Italie,
Vy, Ligneiy, pur du pechè
Sui Pamitie première oublie :
'isndure que Tâge deslie
Le noeud que les Grâces ont joint.
O temps ou Ton ne souloit point
Courir à Ponde hyperboréef
Telle saison fut bien dorée
En laquelle on se contentoit
De voir de son toict la fumée ^
Lors que la terre on ne hantoit
D'un autre soleil allumée ;
Et les mortels heureux alors.
Remplis d'innocence naïve,
Ne cognoissoient rien que la rive
Et les^ancs de leurs prochains bords.
Tu me diras â ton retour
Ronsard. — n. 22
^8 Odbs.
Combien de lacs et de rivières
Et de ramparS' ferment le tour
De tant de grosses villes 6ere$ ;
Suelles citez vont les premières
n brave nom le plus vanté,
Et par moi te sera chanté
Ma Franciade commencée.
Si le Roy meurit ma pensée. *
Tandis sur le Loir te suivrai
Un petit taureau que je voue
A ton retour, qui la sevré
Tout seul par les nerbes se joue ,
Blanchissant d'une note au n'ont(i) ;
Sa marque imite de la Lune
Les feux courbez, quand Tune et l'une
De ses deux cornes se refont.
A NICOLAS DENISOT.
Ode X.
Bien que le repli de Sarte
Qui lave ton Alsinois
En serpentant ne s'écarte
De mon fleuve vendoiiiois {a) ,
Et que les champs de ton estre.
Que les Muses ont en soin ,
Var. (1587):
Bien que la course de Sarte
Qui ton Maine fait valoir
En serpentant ne s'escarte
Du cours de mon petit Loir.
Marques solennelles que Ton obserroit aux victimes.
CiNQuiESME Livre. 339
Du païs qui me vid itaistre
Ne se bornent pas de loin,
Gela pourtant n'avoit force
De m'allecher, sans avoir
Premier engoulé l'amorce
Qui pendoit de r ton sçavoir ;
Et non ta Sarte voisine ,
Ny ton champ voisin au mien : .
Nostre amitié n*estoit dine
D'un si vulgaire lien.
La vertu &t en partie
Le lien qui nous joignit,
Et la mesme sympathie
Celle oui nous estraignit;
C'est donc l'heureuse folie
Dont le Ciel folastre en nous ,
Non le pàîs, qui nous lie
D'un anollement s> dous.
Quoy 1 celuy que la Nature
A d^s l'enfance animé
De poésie et peinture
Ne doit-il pas estre aimé?
Puis que telle fureur double,
Tel double présent- des Cieux
Volontiers les hommes trouble, »
Qui sont les mignons des dieux ?
Mais où est rœil qui n'admire
Tes tableaux si bien pourtraits
Que la nature se mire
Dans le parfait de leurs traits ?
Où est l'aureille bouchée
De telle indocte espesseur
Qui ne rie estant touchée
De tes vers pleins de douceur ?
Cesse donc et ne^ouhéte
De t'enrichir plus de rien,
Toy oui es peintre et poète,
Fuy rautre troisiesme bien;
HO Odes*
Car si l'ardante musique
(En t'ornant de sa vertu)
Jointe aux deux autres te pique ^
Bons Dieux! que deviendrois-tu P
Ton ame , fuyant la peine
Dont tti serois agité,
S'eschapperoit, las! trop pleine
De tant de divinité,
Et ses passions nouvelle^
Aux deux flancs luj bouteroient ^
Pour la mieux haster, des ailes
Qui par Tair Temporteroient.
'Vrayment, Dieu, qui tout ordonne
Sans estre forcé d'aucun )
Le beau présent au'il te donne
Ne donne pas à chacun;
Aussi sa saincte pensée^
Dessignant ce monde beau ,
A sa forme commencée
Sus le dessein d'un tableau ,
Le variant en la sorte
D'un pourtraict ingénieux ,
'Où maint beau trait se rapporte
Pour mieux réjouir les yeux,
^is doncque seur, pour ne craindre
gue la Mort en te pressant
uisse ton renom estaindre ,
Avec le corps périssant.
Vaines seroient ses allarmes,
En vain Parc elle bandVoit,
Toy tenant au poing les armes,
A ren servir si adroit;
Car le pincel et la plume,
A qui les sçait bien ruer.
Ont usurpé la coustume
De la mort mesme tuer*
Jean second, de qui la gloire
N'ira jamais défaillant,
CiNQUiESMB Livre* 341
Eut contre elle la victoire ,
Par tels outils Tassailiant,
Dont la main industrieuse
Anîmoit penibleipent
La carte laborieuse ,
Et la table également (û),
Et duquel les baisers ores ,
Pour estre venus du Ciel ,
En ses vers coulent encores
Plus doux que i'attique miel.
Mais, ô Denisot, qui est-ce
Qui j>eindra les yeux traitis
De Cassandre ma déesse ,
Et ses blonds cheveux tortis }
Lequel d*entre vous sera-ce
Qui pourroit bien colorer
La majesté de sa grâce
Qui me force à Padorer ?
Et ce front dont elle abuse
Ce pauvre poète amant,
Son ris (ains une Méduse)
Qui tout me va transformant ?
Amour qui le cœur me ronge ,
Pour redoubler mon esmçy,
Ceste nuict trois fois en songe
L'a fait apparoistre à moy ;
Mais sa fuite , accoustumée
De me tromper si souvent ,
S'enfuit comme une fumée
Qui se joue avec le vent,
a. Yar. (ij87)î
A'moit I d'amours et de pleurs
La carte laborieuse,
Et la table de couleurs.
I. A'moit, c'est ce qu'on dit, escorchant le latin, ani-
moit. L'un et Tautre est bon. (Ronsard.)
^4^ Odes.
Ode XI.
Sur toute flenrette dédose
J'aime la senteur de la rose
Et Todeur de la belle fleur
?ui de sa première coùtoor
are la terre , quand la glace
Et l'hyver au sotol font place; -
Les autres boutons vemeillets,
La giroflée et les aillets^
Et le bel esmail qui varie
L'honneur gemme d'une prairie
En milles lustres s'esdatant ,
Ensemble ne me plaisent tant
Que fait la rose pourperette ,
Et de Mars la blanche fleurette.
Que puis- je. pour le passe^emps
Que vous me oonnez le printemps ,
Prier pour vous deux autre- chose >
Sinon que toy, pourprine rose,
Puisses toujours avoir le sein
En mai de rosée tout plein^
Et que jamais le chaut qui dure
En juin ne te fasse laidure<a)f
Njr à toy, fleurette de mars,
Jamais Thyver, lorsque tu pars
Hors de la terre, ne te face
tf. var. (1587):
Du teint de hante accompagné
Sois toujours en may rebaigné
De la rosée qui doux glisse, .
Et jamais juin ne te fanisse f '
CiNQuiESME Livre. 34^
Pancher morte dessus la place;
Ains toujours, maugré la froideur.
Puisses-tu de ta soefve odeur
Nous annoncer que Tan se vire
Plus doux vers nous, et que Zephyre
Après le tour du fascheux temps
Nous ramené le beau printemps.
Ode XII.
Je veux, Muses aux beaux yeux,
Muses migngnnes des dieux ,
D*un vers qui coule sans peine
Louanger une fontaine.
Sus donc , Muses aux beaux yeux ,
Muses mignpnnes des dieux ^
D'un vers qui coule sans peine,
Louangeons une fontaine y
C'est à vous de me guider^
Sans vous je ne puis m'aider,
Sans vous, Brunettes, ma lyre
Rien de bon ne sçauroit dire.
Mais , Bruaettes aux beaux yeux ,
Brunes mignonnes des dieux ,
S'il vous plaist tendre ma lyre
Et m'enseigner pour redire
Cela que dit vous m'aurez,
Lors, Brunet^s^ vous m'oirez
A nos françoises aur^îUes , ,
Chanter vos douces merveilles:
beau çrystal murmurant,
Que le ciel est azurant ;
D'une belle couleur blue,
Où ma dame toute nue
H4 Odes.
Lave son beau teint yermeil
Qyi detenoit le soleil ,
Et sa belle tresse blonde .
Tresse aux Zéphyrs vagabonde ,.
Comme Ceres esmouvant
La sienne aux souspirs du vent y
Tresse vra^'ment aussi belle
Que celle a' Amour, ou celle
Qui va de crespes reflos
Frappant d^Apolîon le dos.
C'est toy, belle Fontcnette,
Où ma douce miffnonoette ,
A miré ses deux beaux yeux ,
Ainçois deux astres des cieux ^
Que ta gaye Paphienne ,
La brunette (>prienne,
Sur ceux des uraces lou'roit^
Et pour siens les avou Voit ,
Tant leur mîgnotise darde
D'amours à qui les regarde.
C'est tov qui dix mille fois
As relavé les beaux doigts
De ma douce Cassandrette
Dedans ta douce ondelette ,
Doigts qui de beauté vaincus
Ne sont de ceux de Bacchus ,
Tant jeurs branchettes sont pleines
De mille rameuses veines
Par où coule te beau sang
Dedans leur yvoire blanc,
Yvoire où sont cinq perlettes
Luisantes , claires et nettes ,
Ornant les bouts finissans
De cinq boutons fleurissans.
C'est toy, douce Fontelette,
Qui dans ta douce ondelette
As baigné ses deux beaux piez ^
Piez de Thetis déliez,
CiNQUiESME Livre. UJ
Et son beau corps qui FesseiRb(&
Aux lys et roses ensemble ;
Corps qui pour Favoir veu nu.
M'a fait Acteon cornu ,
Me transformant ma nature
En sauvagine figure ;
Mais de ce mal ne se deut
Mon cœur, puis qu'elle le veut^
C'est toy, douce Fonitclette^
Dont la mignarde ondelette
A cent foia baisé les brins (>)
De ses boutons cinabrins ,
De ses lèvres pourperées ,
De ses lèvres nectarées,
De ses roses de qui sort
Le ris qui cause ma mort..
C'est toy qu> laves sa hanche >
Sa grève et sa cuisse blanche ,
Et son qui ne fait encor(a)
1. Le bord moyen de ses lèvres. (R.)
2. Il entend ce que vous sçavez bien, tva fiii iifiti bpi
^a(» dit Anacreon. Ainsi P\»}xt6 {Bacchidib^) n'osant dire
hbrement ce qui est de la parfaicte action d'amour, se con-
tente de dire illud quod dici solet, compie Jean Second :
Quidquid ppst otscula dulce.
Comme il Candelaio, Questo che tu mHntendi. Comme nostre
Tibulle François le sieur de U Bergerie :
...Une chose
Que fe sçay bien , et que dire je n'ose.
Ainsi ta Sapphon, n'osant dire tout à fait, adjouste : sedom-
niafiunt, et juvat; et Ovide, encor pour représenter ces par-
ties , use de circonlocution et (es appçUe :
... Panes
In quibtts occulté spicula tingit Amor.
Gomme aussi PoUux, rb iv /utiff» çxatpov votpKlov ; tel est le
secret de ces vers des Priapèes :
Hune tu , sed ucep, scis fm^ quod sequitur. (I\.)
J46 Odes.
Qpe se friser de fils d'or.
C'est toy, quand la porte-flame,
La Chienne du ciel, enfiame
Le monde de toutes pars ,
Qui vois les membres espars
De ma dame sur ta rive ,
Lors que sur Therbette oisive
Le somme en ses yeux glissant
Flatte son corps languissant ,
Et lors que le vent secoue
Son sein, oh pris il se joue,
Et le fait d'un doux soufler
Rabaisser et puis r'enfter;
Elle dessus ton rivage
Ressemblant un bel image
Fait de porphyre veineux ,
S'il ne fust que ses cheveux
La descouvrent sur ta rive
Estre quelque nymphe vive;
Et aue les oiseaux perchez
De leurs cols demi-panchez
En re-jargonnant Tespient,
Et de se tenir s'oublient
Sur la branche , tant l'ardeur
De ses yeux brusle leur cœur,
Et , trepignans dedans l'arbre ,
Font dessus son sein de marbre
Escouler dix mille fleurs,
Fleurs de dix mille couleurs ,
Qui tombent comme une nue
Dessus sa poitrine nue:
Si bien qu^on ne peutsçavoir,'
A la voir et à les voir.
Laquelle , ou de la fleurette
Ou d'elle, est la plus douillette.
Vrayment crystal azuré,.
Crystal gay'ment emmuré -
D'une belle herbe fleurie,
CiNQUiESME Livre. 347
Pour avoir fait à m'amie
Un doux chevet de ton bord,
Quand languissante elle dort;
Je t'asseure , ondette chère ,
Sue jamais, ainsi qu'Homère,
oire ne t'appelleray.
Mais tousjours je te lou'ray
Pour claire , pour argentine y
Pour nette ^ pour crystalline ;
Et te suppli* de vouloir j
Ains qu entrer dedans le Loir
D'une course serpentiere ,
Recevoir Thumble prière '
Que je fay dessus tes flots,
Et recevoir en ton los
Ces lis et ces belles roses
Que je verse à mains décloses
Avec du miel et du lait
Dessus ton sein ondelet,
Et ces beaux vers que j'engraye
Au bord que ton onde lave.
Fille à Tethys , désormais
Puisses-tu pour tout jamais
Plus qu'argent estre luisante.
Et que la Chienne cuisante
Jamais dedans ton vaisseau
Ne face tarir ton eau !
Tousjours lés belles Naiades , f
Oréades et Dryades ,
S'entre-serrans par )es mains ^^
Jointes avec les Sylvains ,
Puissent rouer leurs çarolles
Autour de tes rives mblles,
Et Pan trépignant menu
De son ergot mi-cornu ,
Guidant te preftiier îa datise : .
Au doux son de la. cadence!
Jamais le lascif troupeau.
^48 Odes.
L'aignelet et Iç chevreau
Ne brouttent tes rives franches^
Ne jamais fueitles ne branches
Ne puissent troubler ton fond,
Tombant d'enhaut sur ton front ^
Front en qui ma Cythérée
A sa face remirée !
Ne jamais quelque Roland,
Espoint d'amour violant .
Ne honnisse ta belle onae ,
Mais sans cesse vagabonde ,
Caquetant sur ton gravois
D'une flo-flotante vois,
Tous jours sa course verrée (i)
Se joigne à Tonde Loirée !
Mais adieu, Fontaine, adieu.
Tressaillante par ce lieu
Vous courrez perpétuelle
D'une course pérennelle ,
Vive sans jamais tarir;
Et je doy bien tost mourir,
Et je doy bien tost en cendre
Aux Champs Elysez descendre »
Sans qu'il reste rien de moy
Qu'un petit je ne sçay quoy,
Qu'un petit vase de pierre (a)
Cachera dessous la terre.
Toutefois , ains que mes yeux
Quittent le beau io\ir des çieux,
' Je vous pri*, ma Fontelette,
Ma doucelette ondelette ,
Je vous pri', n'oubliez pas
Dés le jour de mon trespas
•
1. Claire, liquide e^ transparente, de mesme que, Varron
appelle une robbc déliée et fort claire, vitream togam, (R.)
2, Un tombeau, ou quelque urne servant à garder les
cendres des defiiucts selon ^antiquité, (R.)
9.
CiNQuiESME Livre. 349
Contre vos rives de dire
Sue Ronsard dessus sa Ivre
'â vostre nom desdai^ne;
Et que Cassandre a baigné
Sa belle peau doucelette
En vostre claire ondelette^
(hiÉi ■ ■■■ilill TTf Hr» ili
N
A SIMON NiCOLAà
Secrétaire du Roy.
Ode XIII (isâ4).
icolas , faisons bonne chéré
Tandis qu'en avons lé loisir^
Trompon le soin et la misère,
Ennemis de nostre plàisii*.
Purçèon Thumeiir qui iious enflame
D'avance et d'ambition ;
Ayon, philosophes, une amé
Toute franche de passion.
Chasson le sôih, chassoh la peine,
Contenton-nous de noStre rien :
?uand nostre ame sera bien saine
But le corps se portera bien.
U ne ame de biens affamée
Obscurcit tousjours la raison :
Il ne faut qu'un peu de fumée
Pour noircir toute la maison.
Faire conqueste sur conqueste
De biens amassez sans propos,
Ce n'est que nous rompre la teste.
Et ne trouver jamais repos.
J'ay raclé de ma fantasie
Le monde au visage éhonté ,
^50 Odes.
Pour vaquer à la poésie
Quand j'en auray la volonté.
Voilà le bien que je désire,
Sans plus en vain me tourmenter :
Désormais sera mon empire
Que savoir bien me contenter (a).
Quand ta fièvre (dont la mémoire
Me Uit encores frissonner)
Ne t'auroit appris qu*à bien boire ,
Tu ne la dois abandonner.
A toutes les fûijs que Fenvie
Te prendra de boire . reboy ;
Boy souvent, aussi oien la vie
N'est pas plus lonEjte que le doy.
C'est un grand bien d'estre hydropique
Et d'eau s'enfler la ronde peau :
Des elemens le plus antique
Et le meilleur, n'est-ce pas l'eau ?
Non seulement la maladie
8ui nous surprend par seà efforts
e rend nostre masse estourdie ,
Enervant les forces du corps.
Mais elle trouble la cervelle ,
Et l'esprit qui nous vient des cieux :
Il n'y a part qui ne chancelle,
Quand Içs hommes deviennent vieux.
Puis la mort vient , la vieille escarce ;
Alors un chacun se repent
Sue mieux il n'a joué sa farce;
ais bon-temps, à Dieu t'y command'.
a. Var. (1587):
Mn que mon amt n'empire
Par fauu de se contenter.
CiNQUiESME Livre. ^p
AJANET
Peintre dû Roy très-excellent.
Ode gei^iale XIV. \
Boy, Janet(»), à moy tour â tour, •
Et ne ressembles au vautour
Qui tousjours tire la charongne.
Tu es un sot : un bon yvrongne
Autant pour une nopce vaut
Qi|'un bon guerrier pour un assaut.
Car ce n est moins entre les pots
D'en-hardir par vineux propos
Un homme paresseux à poire ,
Que pour gaigner une victoire , '
Rendre à la bataille hardy
Un capitaine acouardy.
Boy donc, ne fay plus du songeart:
Au vin dst la plus grande part
Du jeu a'amour et de la danse.
L'homme sot qui lave sa panse
D'autre Breuvage que du vin
Meurt tousjours de mauvaise fin.
A bon droit le ciel a donné
A Phomme qui n*est aviné
Tousjours Quelque fortune dure ;
Autrement la mordante cure ,
Sui nous cuit Pâme à petit feu,
e s*en-va qu'après avoir beu..
I. Dans Péd. de 1 560, il y a Vilain. Est-ce un nom pro-
pre? — Dans celles de 1567, 1571 et 1575, il y a Janin;
dans celle de 1 J84, on lit Jarret.- Nous avons conservé Janet ,
dont le nom est historique.
i^i Odes.
Après le vin on n'a souci
D'amour ny de la cour aussi y
Ny de procez , ny de la guerre.
Hé 1 que celui lâchement erre
Qui, faisant aifisS qUe PeAthé,
Bacchus en ses vers n'a chanté !
Boy dbùcques à nrôy tour à tour,
Et ne ressemoles au vautour
Qui tousjburs tire la eharoncne :
Il yaut mieux voir en peau a'yvrongne
Là bas Pinfemal passager,
Que de crever de trop manger.
Ode XV.
Nous ne tenons en hôsire main
Le ternp^ futur du lendemain ;
La vie n'a point d'asseurance,
Et, pendant que nous desirons
La faveur des roys, nous mourons
Au milieu de nostre espérance.
L'homme , après son dernier trespas ,
Plus ne boit ne mange là bas,
Et sa grange, qu'il a laissée
Pleine de blé devant sa fin ,
Et sa cave pleine de vin ,
Ne luy viennent plus en pensée.
Hé ! quel gain apporte l'esmoy ?
Va, Corvdon, appreste-moy
Un lict ae roses espanchées.
Il me plaist, pour me défascher,
A la renverse me coucher
Entre les pots et les jonchées.
Fay-moy venir Daurat icy;
Faîs-y venir Jodelle aussi ,
CiNc^uiESME Livre. 35^
Et toute la musine troupe (1).
Depuis le soir jusqu'au matin
Je veux leur donner un festin
Et cent fois leur pendre la coupe.
Verse donc et reverse encor
Dedans ceste grand' coupe d'or :
Je yay boire à Henry Estienne,
Qui (les enfers nous a rendu
Du vieil Anacreon perdu
La douce lyre teïenne. ^
A toy, gentil Anacreon ,
Doit son plaisir le biberon.
Et Bacchus te doit ses bouteilles;
Amour son compagnon te doit
Venus , et Silène , oui boit
L'esté dessous Pomore des treilles.
Ode XVL
Mon Choiseul , levé tes yeux :
Ces mesmes flambeaux des deux.
Ce soleil et ceste lune,
C'estoit la mesrae commune
Qui luisoit à nos ayeux.
Mais rien ne se perd là haut,
Et le genre humain défaut
Comme une rose pourprine.
Qui languit dessus Tespine
Si tost qu'elle sent le chaud.
Nous ne devons espérer
De tousjours vifs demeurer,
I. L'excellente pleîade des esprits de son temps, Danrat,
Du Bellay, Belleau, Baïf, Jodclle, Scevole de Saincte-Maî-
thc, Muret, et nostre poète par dessus tous. (R.)
Ronsard, '—II, 23
)f4 Odes.
Noos, le soop d*lme TÎe.
Qui , bons diet»r! auroh entic
De Youloir toasjoars dorer?
Non, ce n'est moy qm veux or
Vivre autant que fit Nestor.
Quel plaisir, quelle liesse
Reçoit Ifiomme en sa vietllesse,
EustHl mille talens d'or?
L'homme vieil ne peut marcher,
•N'ouyr, ne voir ny mascher :
C'est une idole enfumée
Au coin d'une cheminée,
Qui ne fait rien que cracher.
Il est tousiours en courroux;
Bacchus ne luv est plus doux ,
Ny de Venus raccomtance;
En lieu de mener la dance,
Il tremblotte des genoux.
Si quelque force ont mes vœux,
Escoutez, Dieux, je ne veux
Attendre qu'une mort lente
Me conduise à Rhadamante
Avecques des blancs cheveux.
[Aussi je ne veux mourir
Ores que je puis courir^
Ouïr, parler, boire et rire , .
Danser, jouer de la lyre
Et de plaisirs me nourrir .3
Ah ! qu'on me feroit grand tort
De me traîner voir le bord
Ce jourd'huy du fleuve courbe
Qui là bas reçoit la tourbe .
Qui tend les bras vers le port!
Car je vis , et c'est grand bien
De vivre et de vivre bien.
Faire envers Dieu son office,
Faire à son prince service
Et se contenter du sien.
CiNQuiESME Livre. 355
Celuy qui vit en ce poinct»
Heureux, ne convoite point
Du peuple estre nomme Sire ,
D'adjoindre au sieq an empire
De trop d'avarice cspoint.
Celuy n'a soucy quel roy
Tyrannise sous sa loy
Ou la Perse, ou la Syrie,
Ou PInde, ou la Tartarie :
Car celay vit sans esmoy.
On bien, s'il a quelque soin,
C'est de s'endormir au coin
De quelque grotte sauvage,
Ou , le long d'un beau rivage ,
Tout seul se perdre bien lom;
Et, soit à l'aube du jour,
Ou quand la nuict fait son tour
Dans sa charrette endormie.
Se souvenant de s'amie,
Tousjours chanter de l'amour.
Ode XVÏI.
Mon neveu, suy la vertu:
Le jeune homme revestu
De la science honorable
Aux peuples, en chacun lieu,
Apparoîst un demi-dieu
Pour son sçavoir vénérable.
Sois courtois, sois amoureux,
Sois en» guerre valeureux,
Aux petits ne fais injures ;
Mais, si un grand te fait tort,
Souhaitte plustost la mort
Que d'un seul poinct tu l'endures.
i\6 Odes.
Jamais, en nulle saison.
Ne cagnarde en ta maison ;
Voy les terres estrangcrcs ,
Faisant service à ton Roy,
Et garde tousjours la ioy
Que souloient garder tes pères.
rïe sois menteur ny paillard ,
Yvrongne ni babillara ;
Fay que ta ieunesse caute
Sott vieille aevant le temps.
Si bien ces vers tu entens ,
Tu ne feras jamais faute.
Ode XVïII.
Puis que tost je doy reposer
Outre l'infernale rivière ,
Hél que me sert de composer
Autant de vers qu'a fait Homère ?
Les vers ne me sauveront pas
Qu'ombre poudreuse, je ne sente
Le faix de la tombe là bas,
S'elle est bien légère ou pesante.
Je pose le cas que mes vers,
De mon labeur en contr'eschange ,
Dix ou vingt ans, par l'univers (iz) ,
M'apportent un peu de louange,
[Que faut-il pour la consumer.
Et pour mon livre ôter de terre ,
Qu un feu qui le vienne allumer,
Ou qu'une esclandre de la guerre.^]
a. Var. (1587):
Cent ans ou deux
CiNQUiESMB Livre. ))7
Suis-je meilleur au'Aaacreon,
Que Stesichore ou Simouide ,
Ou qu'Antimache ou que Bion,
Que Philete ou que Bacchylide ?
Toutefois , bien qu'ils fussent Grecs ,
Que leur servit leur beau langage,
Puis que les ans venus après
Ont mis en poudre leur ouvrage ?
Donque moy, qui suis nay François,
Composeur de rimes barbares,
Hé! doy-je espérer que ma vois
Surmonte les siècles avares ?
Non-non, il vaut mieux, Rubampré,
Son âge en trafiques despendre,
Ou devant un sénat pourpré
Pour de l'argent sa langue vendre,
Que de suivre Tocieux train
De ceste pauvre Calliope ,
Qui tousjours fait mourir de faim
Les meilleurs chantres de sa trope.
Ode XIX {').
fj uand je veux en amour prendre mes passe-temps,
^V^M'amie, en se moquant, laid et vieillard me nom-
« Quoy! dit-elle, rêveur, tu as plus de cent ans, [me.
Et tu veux contrefaire encore le jeune homme I
Tu ne fais que hennir, tu n'as plus de vigueur,
Ta couleur est d'un mort qu'on devalle en la fosse.
Vray est, quand tu me vois, tu prens un peu de cœur :
Un cheval généreux ne devient jamais rosse;
Et , si tu ne m'en crois, pren ce miroir et voy
I. Imitée d'Anaaéon, ainsi que la suivante. (R.)
)58 Odes. .
Ta barbe en tous endroits de neige parsemée,
Ton œil qui fait la cire espesse comme un doy,
Et ta face qui semble une idole enfumée. »
Alors, le luy respons : « (^ant à moy, je ne sçay *
Si j'ay rœil chassieux, si fay perdu courage,
Si mes cheveux sont noirs, ou si blancs je les ay :
Il n'est plus temps d'apprendre à mirer mon visage;
Mais, puisque le tombeau me doit bientost avoir,
Certes, tu me devrois d'autant plus être humaine :
Car le vieil homme doit ou jamais recevoir [ne {a). »
Ses plaisirs, d'autant plus qu'il voit la mort prochai-
Ode XX.
i tost que tu sens arriver
La froide saison de l^yver,
s
En septembre . chère arondellê ,
Tu t'en-voles bien loin de nous;
Puis tu reviens quand le temps doux.
Au mois d'avril , se renouvelle ;
Mais Amour, oyseau comme toy,
Ne s'enfuit jamais de chez-moy :
Tousjours mon hoste je le trouve;
Il se niche en mon cœur tousjours ,
Et pond mille petits Amours
Qu'au fond de ma poitrine il couve.
L'un a des ailerons au flanc,
L'autre de duvet est tout blanc,
El l'autre ne fait que d'éclore ;
a, Var. (1587) :
Mais, puis que mon corps doit sous la terre moisir
Bien tost, et que Platon victime le veut prendre,
Plus il me faut haster de ravir le plaisir,
D'autant plus que ma vie est proche de sa cendre.
CiNQUiESME Livre. ^59
L'un de la coque à demy sort ,
Et l'autre en becquette le bord ,
Et l'autre est dedans l'œuf encore.
J'entens, soit de jour, soit de nuit,
De ces petits Amours le bruit,
Béans pour avoir la bêchée.
Qui sont nourris par les plus grans,
Et , grands devenus , tous les ans
Me couvent une autre nichée.
Quel remède auroy-je, Brinon,
Encontre tant d'Amours, sinon
(Puis que d'eux je me désespère),
Pour soudain guarir ma langueur,
D'une dague m'ouvrant le cœur,
Tuer les petits et leur mère ?
Ode XXL
Ta seule vertu reprend
Le vieil Ascrean, qui ment
Quand il dit que la Justice,
La Pitié , le sainct Amour,
Ont quitté ce bas séjour.
Abhorrant nostre malice :
Car icy bas j'apperçoy
Tontes ces vertus en toy.
J'en ay fait la seure espreuve;
Il n'y a fby n'amitié ,
Honneur, bonté ny pitié ,
Qui dedans toy ne se treuve.
Qui dira doncq. Charbonnier,
Que ce vieil siècle dernier,
05 Dieu l'ame t'a donnée.
Soit de fer, puis qu'aujourd'huy
Par toy l'on revoit en luy
La saison d'or retournée r
)6o Odes.
Ode XXIï(').
La belle Venus un jour
M'amena son fils Amour;
£n l'amenant me vint dire :
c Esconte, mon cher Ronsard,
Enseigne i mon enfant l'art
De bien jouer de la lyre. »
Incontinent je le pris ,
Et soigneux je luy appris
Comme Mercure eut la peine
De premier ht façonner,
Et ae premier en sonner
Dessus le mont de Cyllene ;
Comme Minerve inventa
Le haut-bois , qu'elle jetta
Dedans l'eau toute marrie;
Comme Pan le chalumeau,
?u'il pertuisa du roseau
orme du corps de s'amie.
Ainsi, pauvre que j'estois,
Tout mon art je recordbis
A cet enfant pour l'apprendre ;
Mais luy, comme un taux garson.
Se moquoit de ma chanson ,
Et ne la vouloit entendre.
a Pauvre sot, ce me dit-il.
Tu te penses bien subtil l
Mais tu as la teste foie
D'oser t'egaler à mov,
Sui jeune en sçay plus que toy,
y que ceux de ton escole. »
Et alors il mesou-rit,
Et en me fiatant m'apprit
1 . Imité de Bion , idyt. 4. (R.)
CiNQUiESME Livre. )6i
Tous les œuvres de sa mere.
Et comme pour trop aimer
Il avoit fait transformer
En cent figures son père.
Il me dit tous ses attraits ,
Tous ses jeux , et de quels traits
Il blesse les fantaisies
Et des hommes et des Dieux ,
Tous ses tourmens gracieux ,
Et toutes ses jalousies.
Et me les disant , alors
J*oubliay tous tes accors
De ma lyre desdaignée ,
Pour retenir en leur lieu
L'autre chanson que ce Die»
M'avoit par cœur enseignée.
A ANDRÉ THEVET, ANGOUMOISIN,
Ode XXIIL
Hardy celui qui le premier
Vid au bois le pin montaignief*
Inutile sur sa racine ,
Et qui, le tranchant en un tronc,
Le laissa seicher de son long
Dessus le bord de la marine ;
Puis, sec des rayons de Testé,
Le scia d*un fer bien denté ,
Le transformant en une hune ,
En mast, en tillac, en carreaux,
Et renvoya dessus les eaux
Servir de charrette à Neptune!
Tethys, qui tousjours avoit eu
D'avirons le dos non batu ,
Sentit des playes incogneues ;
)62 Odes.
Et, maiigré les vents furieux.
Argon dnin art laborieux
Silfonna les vagues chenues.
Sous la conduite de Tiphys
L'entreprise (6 Jason) tu fis
D'acquérir la laine dorée ,
Avec quarante chevaliers,
En force et vertus les premiers
De toute la Grèce honorée.
Les TritonSj qui s'esbahissoient
De voir ta navire , poussoient
Hors de la mer leurs testes blondes ,
Et les Phorcydes. d'un long tour,
En carolant tout à l'entour,
Conduisoient ta net sus les ondes.
Orphé dessus la proue estoit ,
g^i aes doi^ son luth pincetoit
t respondoit à la navire ,
Laissant des aiguillons ardans
Aux cœurs de ces preux , accordans
L'aviron au son de la lyre.
Or si Jason a tant receu
De gloire pour avoir deceu
Une jeune infante amoureuse,
Pour ^voir d'un dragon veillant
Charmé le regard sommeillant
Par une force monstrueuse ,
Et, pour n'avoir pa^é sinon
Qu'un fleuve de petit renom ,
Qu'une mer qui. va de Thessale
Jusqu'aux rivages Medéehs,
A mérité des anciens
Un honneur qui les Dieux égale,
Combien Thevet (0 au pris de luy (a)
a. Var. :
Combien Selon au pris de luy,
I. André Thevet avoit publié, sous le titre de Cosmogra-
CiNQuiESME Livre. ;6}
Doit avoir en France aujourd'huy
D'honneur, de faveur et de gloire,
Qui a veu ce grand univers ,
Et de longueur et de travers.
Et la gent blanche et la gent noire !
Qui de près a veu le soleil
Aux Indes faire son réveil
Quand de son char il prend les brides ,
Et Ta veu de près sommeiller
Dessous POccident, et bailler
Son char en garde aux Néréides 4
Qui luy a veu faire son tour
En Egvpte au plus haut du jour,
Puis la reveu dessous la terre
Aux antipodes esclairer,
Quand nous voyons sa sœur errer
Dedans le ciel qui nous enserre !
Qui a pratiqué mille ports ,
Mille rivages , mille bords ,
Tous sonnant un divers langage,
Et mille fleuves tous bruyants
De mille parts divers fuyants
Dans la mer d'un tortu voyage (a)\
Qui a descrit mille façons
D'oiseaux, de serpens, de poissons.
Nouveaux à nostre cognoissance ;
phU du Levant, la relation de son voyage en Orient. Piene
Belon , dont le nom fut plus tard substitué au sien dans cette
pièce, avoit donné, en 1553, les Observations de plusieurs
sinsularita et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie,
Juaie, etc.
a. Var. :
Sevarez de diverses bornes ,
Mille fleuves bons au ramer,
Qui bruyans roulent en la mer,
Fcndans le chemin de leurs cornes f
}64 Odes.
Puis en ayant sauvé son chef
Des dancers , a logé sa nef
Dedans le beau port de la France !
Il est abordé dans le port
Du docte Bourdin (i)» son support ,
Qui comme un sçavant Ptolomee
A de tous costez amassez
Les livres des siècles passez
Empanez de la renommée.
Qui garde en son cœur Tequité ,
L'innocence et la vérité ,
Ennemy capital du vice,
Aimé des peuples et de Dieu,
Et qui du palais au milieu
Paroist l'image de Justice.
Qui doit sur tous avoir le pris ,
Comme aux trois langues bien appris ;
Qui seul fait cas des doctes hommes ,
Qui par son sçavoir honoré
A presque tout seul redoré
Cet âge de fer où nous sommes.
Thevet, il te Ta bien monstre {^),
Si tost que tu Tas rencontré ;
Et tu eusses couru peut-estre
Non une fois, mais mille fois,
Les cours des papes et des rois ,
Sans t'accointer a*un si bon maistre.
b. Var. :
Selon, sa faveur Va monstre.
I. Lors procureur gênerai du roy, et duquel nous avons
de doctes observations sur l'ordonnance de Moulins. (R.)
CiNQUiESME Livre. 365
Odelette XXIV (1584).
Cependant que ce beau mois dure,
Mignonne, allon sur la verdure ,
Ne laisson perdre en vain le temps ;
L'âge glissant qui ne s'arreste ,
Meslant le poil de nostre teste ,
S'enfuit ainsi que le printemps.
Donq , cependant que nostre vie
Et le temps d'aimer nous convie ,
Aimon , moissonnon nos désirs ,
Passon l'amour de veine en veine;
Incontinent la mort prochaine
Viendra desrober nos plaisirs.
Ode XXV (0.
Pér dialogue.
Cassandre.
D'où viens-tu, douce Colombclle,
D'amour messagère fidelle ?
Hé ! d'où viens-tu ? En quelle part
As-tu laissé nostre Ronsard.
COLOM6ELLE.
D'où je vien ! qu'en as-tu que faire ?
Ton Ronsard, qui te veut complaire.
De qui tu es le seul émoy,
- M'envoye icy par devers toy,
M 'avant eu naguiere en eschange
De Venus, pour une louange.
I . Imitée d'Anacréon.
}66 Odes.
Cassandre.
Gentil pigeon, vrayment^ tu sois
Le bien-venu cent mille fois.
Mais dy-moy, dy-moy. je te prie,
A-t-il point fait nouvelle amie
Depuis qu'il s'en alla d'ici ,
Où s'il m'a tousjours en souci ?
COLOMBELLE.
Plustost les monts seront valées,
Les rivières les eaux salées,
Que , perfide , il manque de foy.
Pour servir une autre que toy.
Cassandre.
Est-il possible qu'on te croye ?
Colom'belle.
Tu m'en croiras , car il m'envoye
De Vendomois , et parmy l'air
Jusques icy m'a fait voler
Avec ces vers qu'au bec j'apporte ;
Et m'a dit^ si je fais en sorte
Que i'amolisse ta fierté ,
Qu'il me donnera liberté.
ftiais pour cela je ne veux estrc
Ny libre , ne changer de maistre ;
Car que me vaudroit de changer.
Afin d'aller après manger
Comme auparavant, es boccages.
Des glands et des gaines sauvages,
?uand il m'esmie oe sa maiji
ousjours à la table du pain ,
Et me fait boire dans son verre?
Après avoir beu je desserre
Toutes mes ailes, et luyfais
Sur la teste un ombrage frais;
Puis je m'endors dessus sa lyre.
C.iN<iyiESME Livre. J67
Mais luy, qui jour et nuict souspire
Pour ton amour, à tous les coups
Me fait rompre mon somme dous
De mille baisers qu'il me donne,
En me disant: Douce mignonne,
Las ! je t'aime : car je te vby
Vivre en servage comme moy.
Vray est que tu pourrois bien vivre
De ma cage franche et délivre , .
Si tu voulois voler aux bois;
Mais moy, fuitif , je ne pourrois
Vivre franc de la servitude
Où nostre geôlière trop rude .
Sans espoir me tient arresté.
Mais adieu, c'est trop caqueté;
Tu m'as rendue plus jazardè
?u'une corneille babillarde.
rop longuement, icy j'attens :
Baille-moy response, il est temps.
Ode XXVL
En vous donnant ce pourtraît mien ,
Dame , je ne vous donne rien ;
Car tout le oien qui estoit nostre
Amour dés le jour le fit vostre
Que je receu dedans le cœur
Vostre nom et vostre rigueur ;
Puis la chose est bien raisonnable.
Que la peinture ressemblable
Au corps qui languit en soucy
Pour vostre amour soit vostre aussi.
Mais voyez comme elle me semble.
Pensive^ triste, et palle ensemble,
Pourtraitte de mesme couleur
368 Odes.
Qu'Amour a pourtrait son seigneur 1
Sue pleust à Dieu que la nature
T'eust fait au cœur une ouverture,
Afin que vous eussiez pouvoir
De me cognoistre et de me voiri
Car ce n'est rien de voir, maistresse ,
La face , qui est tromperesse ,
Et le front bien souvent moqueur;
C'est le tout aue de voir le cœur.
Vous verriez du mien la constance ,
La foy, l'amour, l'obéissance ;
Et les voyant, peut-cstre aussi
Qu'auriez de luy quelque merci ,
ET des angoisses qu'il endure,
Voire quand vout seriez plus dure
Que les rochers Caucaseans,
Ou les naufrages i^geans ,
Qui sourds n'entendent les prières"
Des pauvres barques marinières.
Ode XXVI {»)•
Le boiteux mary de Venus ,
Le maistre des Cyclopes nus,
Rallumoit un jour les fiaméches
De sa forse , afin d'eschauffer
Une grande masse de fer
Pour en faire à l'Amour des flèches.
Venus les trempoit dans du miel,
Amour les trempoit dans du fiel ,
guand Mars , retourné des alarmes,
h se moquant les mesprisoit,
Et branlant son dard , luy disoit :
I . Imité d'une ode d'Anacréon. (R.)
CiNQuiESME Livre. 569
Voicy bien de plus fortes armes.
Tu t'en ris donq ! lui dit Amour ;
Vrayment tu sentiras un jour
Combien leur poincture «st amère ,
S and d'elles t)Iessé dans le cœur .
)y qui fais tant du belliqueur)
Languiras au sein de ma mère.
A MONSIEUR DE VERDUN,
Secrétaire et conseiller du Roy.
Ode XXVIII (1567).
Si j*avois un riche trésor,
Ou des vaisseaux encrave? d'or,
Tableaux ou médailles ae cuivre,
Ou ces joyaux q[ui font passer
Tant de n^rs poi^* les amasser^
Où le jour se laissa reyivr^y
Je t en ferois un. beau présent.^ „
Mais quoyl cela ne t'est jlaiaaBt , :
Aux richesses tu ne.,t'ai^uses -
Qui ne font que' nous éstonner ; ■
Cest pourquoy Je te veux donner
Le bien que m'ont donné les Muses.
Je sçay que tu contes assei .
De biens l'un sur l'autre amassez ,
Qui périssent comme fui^jêe ,
Ou comme un songe q|u^ s'ienÀDt^
Du cerveau si tostque la nuit ■
Au second sonvme est coo&umée»
L'un au matin-Sr-enfle ^n-son bien,
Qui au soleil cbuctiaat' n'a rien,. ..
Par défaveur, pu far disgrâce,
Ronsard, — ii. 24
570 Odes-
Ou par un changement commun ,
Ou par l'envie de quelqu'un
Qui ravit ce que Tautre amasse.
Mais les beaux vers ne changent pas ,
Qui durent contre le trespas,
Et en devançant les années ,
Hautains de gloire et de bon-4)eur,
Des hommes emportent l'honneur
Dessur leurs courses empennées.
Dy-moy , Verdun , qui penses-tu
Qui ait déterré la vertu
IrHector, d'Achille et d'Alexandre,
Envoyé Bacchus dans les Cieux,
Et Hercule au nombre des dieux ,
Et de Junon l'a fait le gendre,
Sinon le vers bien accomplv.
Qui tirant leurs noms de l'ouoly,
Plongez au plus profond de l'onde
De Styx, les a remis au jour,
Les relogeant au grand séjour
Par deux fois de nostre grand monde ?
Mort est l'honneur de tant de rois
Espagnols, germains et françois.
D'un tombeau pressant leur mémoire ;
Car les rois et les empereurs
Ne différent aux laboureurs
Si quelcun ne chante leur gloire.
Quant à moy, je ne veux souffrir
Que ton beau nom se vienne offrir
A la Mort, sans que je le vange.
Pour n'estre jamais finissant.
Mais d'âge en âge verdissant.
Surmonter la Mort et le change.
Je veux ^ maugré les ans obscurs,
Oiie tu sois des peuples futurs
Cognu sur tous ceux de nostre âge.
Pour avoir conçeu volontiers
Des neuf Pucelles les mestiers,
CINQ.UIESME Livre. jyi
Qui t'ont enflamé le courage,
rjïon pas au gain ny au vil prix,
Mais pour estre des mieux appris
Entre les hommes qui s'assemolent
Sur Parnasse au double sourci;
C'est pourquoy tu aimes aussi
Les bons esprits qui te ressemblent.
Or pour le plaisir, quant à moy,
Verdun , que |'ay reçeu de toy,
Tu n'auras rien de ton poëte
Sinon ces vers que je t'ay faits ,
Et avec ces vers les souhaits
Que pour bon-heur je te souhaite.
Dieu vueille bénir ta maison
De beaux enfans naiz à foison
De ta femme belle et pudique;
La concorde habite en ton lit ^
Et bien loin de toy soit le bruit
De toute noise domestique.
Sois gaillard , dispost et joyeux ,
Ny convoiteux ny soucieux
Des choses qui nous rongent Tame ;
Fuy toutes sortes de douleurs,
Et ne pren soucy des malheurs
Qui sont prédits par Nostradame.
Ne romps ton tranquille repos
Pour papaux, ny pour huguenots,
Ny amy d'eux , ny adversaire ,
Croyant que Dieu père tres-dous
(Qui n'est partial comme nous)
Sçait ce qui nous est nécessaire.
N'ayes soucv du lendemain ,
Mais , serrant le temps en la main ,
Vy joyeusement la journée
Et l'heure en laquelle seras :
Et que sçais-tu si tu verras
L'autre lumière retournée?
1 Odes.
Couche-toy k l'ombre d'un bois,
Ou près d'uB rivage où la vois
D'une fontaine jaz^esse -
Tressaute , et tandb qu« les ans
Sont encore et verds ei plaisans.
Par le jeu trompe la wiilesse.
Tout iiKontinenl nous mourrons.
Et bien loin bannis tkws irons
Dedans une nacelle obscurt
Où plus de rien ne nous souvient ,
Et a'où jamais on rie revient:
Car ainsi l'a voulu Nilure.
MAGIE, OU DÉLIVRANCE D'AMOUR.
Ode XXJX(ii78).
Sans avoir lien qui m'estraigne ,
Sans cordons, ceinture ny nouds,
Et sans jartiere à mes genous
Je vien dessus ceste montaigne,
Afin qu'autant soit relasclié
Mon cœur d'amoureuses tortures .
Comme de n<xi
Mon corps est
Démons, sei
Volez en troup
Combattez pou
Vents qui se
Et vous , Sein*
Vos flots par ci
CiNQUiESME Livre. 575
En l'Océan noyer ma peine {a).
Va-t'en habiter tes Cytheres ,
Ton Paphos, Prince idalien.:
Icy pour rompre ton lien
Je nay besoin de tes mystères.
Anterot, preste-moy la main.
Enfonce tes flèches diverses ;
Il faut que pour moy tu renverses
Cet ennemy du genre humain.
Je te pry, grand Dieu, ne m'oublie!
Sus, page, verse à mon costè
Le sac que tu as apporté .
Pour me guarir de ma folie 1
Brusle du soufre et de l'encens.
Comme en l'air je voy consommée
Leur vapeur, se puisse en fumée
Consommer le mal que je sens !
Verse-moy l'eau de ceste esguiere ;
Et comme à bas tu larespans,
Qu'ainsi coule en ceste rivière
Damour, duquel je me répans.
Ne tourne plus ce devideau :
Comme soudain son cours s'arreste ,
Ainsi la fureur de ma teste
Ne tourne plus en mon cerveau.
a. Var. :
Venez tost aîrins gendarmes ;
Démons, volez à mon secours.
Je quitte, apostat des amours,
La solde, le camp et les armes.
Vents qui meuvtz Vair vostre amy^
Enfans engendrez de la Seine,
En l'Océan noyez ma peine ;
Noyez Amour, mon ennemy.
^y^ Odes.
Laisse dans ce genièvre prendre
Un feu s'enfumant peu à peu :
Amour! je ne veux plus de feu,
Je ne veux plus que de la cendre.
Vien viste, enlasse-moy le flanc,
Non de thym ny de marjolaine,
Mais bien d'armoise et de vervaine,
Pour mieux me rafraischir le sang.
Verse du sel en ceste place :
Comme il est infertile , amsi
L'engeance du cruel soucy
Ne couve en mon cœur plus de race.
Romps devant moy tous ses prescns ,
Cheveux, gands , chifres, esçnture.
Romps ses lettres et sa peinture.
Et jette les morceaux aux vens.
Vien donc, ouvre-moy ceste cage,
Et laisse vivre en libertez
Ces pauvres oiseaux arrestez ,
Ainsi que j'estois en servage.
Passereaux, volez à plaisir;
De ma cage je vous délivre.
Comme désormais je veux vivre
Au gré de mon premier désir.
Vole, ma douce tourterelle,
Le vray symbole de Tamour;
Je ne veux plus ni nuit ni jour
Entendre ta plainte fidelle.
Pigeon , comme tout à Tentour
Ton corps emplumé je desplume ,
Puissé-je, en ce feu que j'allume,
Déplumer les ailes d'Amour;
Je veux à la façon antique
Bastir un temple de cyprès.
Où d'Amour je rompray les traits
Dessus l'autel anterotique.
Vivant il ne faut plus mourir.
CtN(tutE£MB Livre.
Il faut du cceur s'oster la playe :
Dix lustres veulent que j'essaye
Le remède de me guarir.
Adieu, Amour, adieu les fiâmes,
Adieu ta douceur, ta rigueur,
Et bref, adieu toutes les dames
Qui m'ont jadis bruslé le cœur.
Adieu le mont Valerien ,
Montagne par Venus nommie ,
guand Francus conduit son arm£e
éssus le bord Parisien.
^-jô Qdzs.
VERS SAPPHiqUES.
»
^es vers sapphiques ne sont, ny ne furent,
>ny ne seront jamais agréables, s*ils ne
[sont chantez de voix vive, ou pour le
moins accordez aux instrumens, qui sont
la vie et Vame de la poésie. Car Sapphon chantant
ces vers ou accommodez à son cystre , ou à quelque
rebec, estant toute rabuffée, à cheveux mal-agen-
cez et négligez, avec un contour d'yeux languissants
et putaciers, leur donnoit plus de grâce que toutes
les trompettesy fifres et tabourins n'en donnoient aux
vers masles et hardis d'Aide, son citoyen et contem-
porain, faisant la guerre aux tyrans.
ODE SAPPHIQUE XXX (1584).
Belle dont les yeux doucement m'ont tué
Par un doux regard qu'au cœur ils m'ont rué ,
Et m'ont en un roc msensible mué
En mon poil grison ,
Que j'estois heureux en ma jeune saison ,
Avant qu'avoir beu l'amoureuse poison !
Bien lom de souspirs, de pleurs et de prison,
Libre je vivoy.
Sans servir autruy, tout seul je me servoy ;
Engagé n'avois ny mon cœur ny ma foy ;
De ma volonté j'estois seigneur et roy.
O tascheux Amour !
CiNQUiESME Livre. 377
Pourquoy dans mon cœur a»-tu fait ton séjour ?
Je languis la nuit, je souspire k jour;
Le sang tout gelé se ramasse à l'entour
De mon cœur transi.
Mon traistre penser me nourrit de souci ;
L'esprit y consent et la raison aussi.
Long temps en tel mal vivre ne puis ainsi :
La mort vaudroit mieux.
Devallon là bas à ce bord stygieux ;
D'amour njr du jour je ne veux plus jouyr.
Pour ne voir plus rien je veux perdre les yeux
Comme j'ay Pouyr.
ODE SAPPHiqUE XXXI (1584).
Mon âge et mon sang ne sont plus en vigueur,
Les ardents pensers ne m'eschaufTent le cœur ;
Plus mon chef grisou ne se veut enfermer
Sous le joug d'aimer.
En mon jeune avril, d'Amour je fus soudart,
Et , vaillant cuerrier, portay son estendart ;
Ores à l'autel de Venus je l'appens,
Et forcé me rens.
Plus ne veux ouyr ces mots délicieux : •
ce Ma vie, mon sang, ma chère ame. mes yeux. »
C'est pour les amans à qui le sang plus chaud
Au cœur ne défaut;
Je veux d'autre feu ma poitrine eschaufer,
Cognoistre nature et bien philosopher,
Du monde sçavoir et des astres te cours.
Retours et destours.
Donc , sonnets , adieu ! adieu , douces chansons 1
Adieu, dance! adieu de la Ivre les sonsl
Adieu, traits d'Amour 1 Volez en autre part
Qii'au cœur de Ronsard.
}78 Odes.
Je veux estre à moy, non plus servir autruy;
Pour autruy ne veux me donner plus d'ennuy.
Il faut essayer, sans plus me tourmenter,
De me contenter.
L'oiseau prisonnier, tant soit-il bien traité,
Sa cage rompant , cherche sa liberté :
Servage d'esprit tient de liens plus forts
Que celuy du corps.
Vostre affection m'a servy de bon-heur.
D'estre aimé de vous ce m'est un grand honneur.
Tant que l'air vital en moy se respandra,
Il m'en souviendra.
Plus ne veut mon Age à l'amour consentir, -
Repris de nature et d'un tard repentir.
Combattre contre elle et luy estre odieux.
C'est forcer les dieux.
A SA MUSE.
Ode XXXII.
lus dur que fer j'ay fini mon ouvrage.
Que l'an , dispos à démener les pas,
p.
Que l'eau, le vent ou le brûlant orage,
L/injuriant, ne ru'ront point à bas.
Suand ce viendra que le dernier trespas
''assoupira d'un somme dur, à l'heure
Sous le tombeau tout Ronsard n'ira pas,
Restant de luy la part qui est meilleure.
Tousjours, tousjours, sans que jamais je meure,
Je voleray tout vif par l'univers,
Eternisant les champs où je demeure,
De mes lauriers fatalement couvers,
Pour avoir joint les deux harpeurs divers
CiNQuiBSME Livre. 379
Au doux babil de ma lyre d'yvoire,
Que i'ay rendus Vandomois par mes vers.
Sus aon(]ue, Muse, emporte au ciel la gloire
Que j'ay gaignée, annonçant la victoire
Dont à bon droit je me voy jouissant,
Et de ton fils consacre la mémoire^
Serrant son front d'un laurier verdissant.
FIN DBS ODES.
JOANNIS AURATI AD PETRUM
RONSARDUM
ODE.
auis te Dtorum cacas agitfuror,
RONSARDE^ Graiâm fana recluderc
Arcana f lucos quis moverc,
Qttos situs et sua iam vetustas
Formidolosos fecerat ? 6 novum
Non expavescens primus iter Ijra
Tentare, Romanis quod olim
Turviter incutiat pudorem ,
NU talequondam tangere pectine
Attsis Latino, qualeferox sonat
Cadmi colonus septichordi
Liberiùs jaculans ab arcu.
Tu primus, ut jam trita relinqueres,
TestttJinis vestigia gallica
Aggressus excluso timoré
OgjgLOtua labra fonte
^8o Opes.
Mersare; i^ûutinéhfUnm^culas
Haurirc, digfuts principibus firis.
Quonim tuà sacraUi bujço
Facta stti stupeant nepotes,
Fœlix Ur 6 qui Um modà fortUer
Te vate scsc pro patria gerctl
Non qus uttrà ohliyioso
Dente teret senium labores ,
Seu quis rebellifrena Britannia
P or tans, ferocis frètent impetus
Gentis, suos in limitesqae
Reppukrit nimiùm vagantem;
Âvalsa seu quis membra rejunxerit
Regno rcsuta brachia Gallia,
Atque Italas assertor urbes
Reddiderit solitis habenis.
ODE DEL SIGNOR BARTHOLOMEO
DEL-BENE
Al signor Pietro Ronsardo, gentil -huorno vandomese,
excdlentiss. poeta francese.
Apih d*un verde alloro
Fra le tenere fronde,
Mentre canta, et s*ascondt
Rossignoletto ancor giovcne, e soro,
Augel crudo, erapace
Dal ciel ratto disuse,
Che'l meschinel soprese,
In duol cangiando ogni sua gioia, e pace,
Quand* io nvolto, dissi
A la nemica mia,
Che di par meco gia,
Tenendo gli occhi nel suo volto affissi :
CiNCiuiESME Livre. ^8i
Questo è btn vero tiempiù
Délia mia cruda sorte.
Che ancor giovene e forte
Tu me rapiste à non men crudo scempio.
M entre fra i sacri rami
D* Apollon io mi sedea :
E cantando apprende
Quelc'huomsaggioconvien chefugga, à brami, ■
Il tuo bel crine aurata \
Fï il laccio, che m'awinse :
De i tuoi beggli occki vinse
Ogni mio senso il lampo alto eiprépatù.
Et se nomar si deve
Morir chi in preda pone
Al senso la ragione,
Mia vita sparve allor come al sol neve.
Cosi diceva io lasso
A quella sospirando,
O RONSARDO, cheamando
Addutto à sera m* ha gia passa passa.
Felice te, che in usa
Migliore i tuoi verdi anni .
Spendeste, e fuor d*âffanni
Onde s'è il nome tuo si chiaro effuso.
Da la Garonna al Reno,
Da VOceano à VAlpe,
Et da Hiberoj e Calpe
Oltre ad Emo e Ôljmpp, al Gange in seno.
Tu, come il Po di cento
Fiumi, correndo, ûscura
Il nome, hai con la pura
Tua penna di mille altre il srido spento.
* Ora in sfile alto, orvago
Cantando i grandi heroi,
Ora i dolci ardor tuoi,
Accesi à i raggi di céleste imago.
virtu fortunata
De la mia chiara duce.
)8a Odrs.
Cke i inoi di luctut : or' laa
Ne i dotti vent tuoi colia t prepatt.
Ne men filice ancora
L'alla t rtal btlUlt,
Et l'altre doti amMt
Di luelh , ehe or Jt noi lanp dimora.
Diaoella, ehe leit gm
Al nido fuo paUi
Prendeil
[ud/ Colomba, cke l vei
laiiloso t ri
Il tempo n>
Il tempo, cke ha moasiraUt
Qaanto miiero i il greggt
Cmfreiu inctrta legge
Lanp dal priico taù senturo utato I
Cou apra si inma ,
Che {quai pel grande Homtro
Aspro coalao Jero
Smjraa, Argo, Rhodo, Atkine e Salamiaa),
Lutr, Meno, Sartra e Lera,
Contenderamo un porao
Ciaseuu portar lul eomOg
Bramando il nome di liu pairta ahera.
LE
RECUEIL
DES ODES
Retranchées par Ronsard aux dernières éditions
de ses œuvres.
Nous avons indiqué par un titre en tète de
chaque ode la date de sédition où nous Pavons
retrouvée. Celles qui ne portent pas de chiffre
paroissent être restées inédites ou n'avoir pas
été réunies aux Œuvres de Ronsard avant 1609
et 1617.
j85
LE
RECUEIL
DES ODES
RlTRANCHtfBS PAR RONSARD AUX DERNIÈRES ÉDITIONS
DE SES ŒUVRES.
Ode(ij6o).
e suis homme né pour mourir;
I Je suis bien seur que du trespas
IJe ne me sçaurois secourir
w. -w.^ 9."^ poudre je n^aille là bas.
Je cognois bien les ans que j'ay,
Mais ceux qui me doivent venir.
Bons ou mauvais, je ne les sçay,
Ny quand mon âge doit finir.
Pour-ce fuyez-vous-en, esmoy,
Qui rongez mon cœur à tous coups,
Fuyez- vous-en bien loin de moy.
Ronsard, — II.
a^
Je n'ajr que faire jvecque vous,
' ■ moins, avant que trespassér,
je puis» à mon aise on joor
Avecque Bacchus et Amour.
Qge je p^
fe
A MARGUERITE{isso)-
i inqn tœul' tf estji^nt ejcHte
it taj, blanche Marguerite,
Par qoi j'ay cette touleitt.
N'es-tu celle dont les yenx
Ont surpris
Par un regard gracieux
Mes espris ?
Puis que ta sœur de haut pris,
Ta sœur, pucelle d'élite,
N'est cause de ma douleur.
C'est donc partoy, Marguerite,
Que i'ay pris ceste couleur.
Ma couleur palle nasquit.
Quel. chafiQe, pourroit cassa"
Monennuy
Et ma couleur effacer
Avec luy f
RETRÀNCJHÉES. fij
De l'amour que tant je v»
La jouissance subite
Seule osteroit le îDa^fur
Que me donna Marguerite,
Par qui j'ay cette couleur.
A SA GUITÉÎlRE'(i55a):
Ma guiterre, je te chante,
Par qui seule je deçoy.,
Je deçoy, |e romps, j'enchante
Les amours que )e reçoj. ..
Nulle chose , tant sou douce,
Ne te sçauroit esgaler.
Toi qui mes ennuis repousse
Si tost qu'ils t'oyent parler.
Au son de ton harmonie
Je refreschy ma chaleur,
Ardante en flamme infinie,
Naissant d'infini malheur.
Plus chèrement je te garde
Que je ne garde mes yeux ,
Et ton fust que je regarde
Peint dessus en mille lieux.
Où le nom de ma déesse
En maint amoureux lien,
En mains laz d'amour se laisse.,
Joindre en chiffre avec le mien j
Où le beau Phebus, qui baigne
Dans le Loir son poil doré.
Du luth aux Muses enseigne
Dont elles m'ont honoré V
Son laurier preste J'oreille,
)8a 0"^
Si qu'au premier veut qui vient,
De reciter s'apareiltc
Ce que par cœur il retient.
Icy les forests compagnes
Orphée attire , et les vens ,
Et les voisines campagnes.
Ombrage de bois suivans.
Là est Ide la branchue.
Où Toyseau de Jupiter
Dedans sa griffe crochue
Vient Ganymede empiéter,
Ganymedc délectable ,
Chasserot délicieux ,
Qui ores sert à la table
D*un bel échanson aux Dieux.
Ses chiens après Taigle aboycnt ,
Et ses gouverneurs aussi ,
En vain étonnez , le voyent
Par Tair emporter ainsi.
Tu es des dame-, pensives
L'instrument approprié ,
Et des jeunesses lascives
Pour les amours dédié.
Les amours , c'est ton office ,
Non pas les assaus cruels ,
Mais le joyeux exercice
De souspirs continuels.
Encore qu'au temps d'Horace
Les armes de tous costez
Sonnassent par la menace
Des Cantabres indomtez ,
Et que le Romain empire
Foullé des Parthes fust tant ,. w.
Si n'a-il point à sa lyre , >
Bellonne accordé pourtant, • ' '
Mais bien Venus la riante ,
Ou son fils plein de rigueur.
Ou bien Lalagé fuyante
retranchées; )89
Davant avecques son cœur.
Siiand sur toy je chanteroye
ector tes comoas divers ,
Et ce qui fut fait à Troye
Par les Grecs en dix hyvers ,
Cela ne peut satisfaire
A Tamour oui tant me mord :
Que peut Hector pour moy faire ?
Que peut Ajax, qui est mort ?
Mieux vaut donc de ma maistresse
Chanter les beautez, afin
Qu'à la douleur qui me presse
Daigne mettre heureuse fin ;
Ces yeux autour desquels semble
Qu'amour vole , ou que dedans
lise cache, ou qu'il assemble
Cent traits pour les regardans.
Chanton donc sa chevelure ,
De laquelle Amour vainqueur
Noua mille rets à l'heure
Qu'il m'encordela le cœur ,
Et son sein , rose naïve ,
Qui va et vient tout ainsi
Que font deux flots à leur rive
Poussez d'un vent adoucy.
A CASSANDRE(i$5o).
/^pucellepltts tendre
v^ Qu'un beau bouton vermeil
Que le rosier ensendre
Au lever du soleil ,
D'une part verdissant )
De l'autre rougissant (3
IJ(9 Odes
Plus fort -que le licrvf
Qui se gripe à reotour
Du chesne aine, qu'il serre
Entassé de naist tour,
Courbant ses brais épars
Sus luy de toutes parts ^
Serrez mon col , maistressc y
De YÔs deux bras pltci; '
D'un neud qui iienae et presse
Dovcenent ne liez ;
Un baiser nnitue^
Nous soit perpétuel.
Ny le tenps , wf Ifemde *
D'autre anour desôrer^
Ne poerra point ma vie
De vos lèvres tirer ;
Ains serrez demourrons ,
Et baisant nous monrnnis.
En mesme^n et nesne heqFe,
Et en mène saison.
Irons voir la demeure
De la palle naison,.'
Et les channs ordonnez
Aux amans rortunez.
Amour par. tesr fleurettes
Du printemps éternel
Voirra nos amourettes
Sous le bois maternel ;
Là nous sçauroDS combien
Les amans ont de bien.
C Le long des belles plaines
I Et parray les prez vers ,
> Les rives sonnent pleines
De maints accords dhiers ;
L'un joue^ et l^autre aiii sob
Danse d'une chanson.
Là le beau ciel décuenvre
Tousjours un front bénin.
Snr les fleuo la conlcuwç.
Ne vomit son venin,
El toDsjours lès oyseaux
Chantent sur les rameauï;
ToBSJoursles vens y .^nneitf
Je ne stay quoy de doux,
Et les lauriers y donnent
Tousjours ombrages moiix i
Toos)ours les belles fleurs
Y gardent leurs couleurs.
Pamiy le grand espace
B ce vergerlieureux ,
lous aurons tous deux place
Entre les amoureux ,
Et comme eux sans souqr
Nous aimerons aussi.
Nulle amie ancienne
Ne se dépitera,
Quand de la place sienne
Pour nous deux s'ostera.
Non celles dont les yeux
prirent le cceur des dieux.
Afin
Unf
Lee
Qa'a
, *'
Ne fi
Auss
)92 Odes
Sans faire icy long séjour
Il faut que je meure un jour.
Le long vivre me dépiaist :
Mal-heureux l'homme qui est
Accablé de la vieillesse 1
Quand je perdray ta jeunesse ^
Je veux mourir tout soudain,
Sans languir au lendemain.
Ce-pendant verse sans fin
Dedans mon verre du vin ,
A fin qu*endormir je face
Un procès qui me tirace
Le cœur et rame phis fort
Qu'un limier un sanglier mort.
Ode(ij6o).
Hé ! mon Dieu ! que je te hay, Somme ,
Et non pour autant qu'on te nomme
Le froid simulacre des morts;
Mais pour autant que, quand je dors,
Par toy du penser m'est ravie
L'ardeur qui me tenoit en vie ;
Car. dormant, penser je ne puis
Au bien par qui vivant je suis ,
Et sans lequel je ne pourroye
Estre vif, si je n'y songeoye.
Pource , ne me vien plus siller
L'œil pour me faire sommeiller;
Le veiller m'est plus a^eable
Que n'est ton dormir misérable ^
Qui du cœur la nuit me soustrait
Le penser qui vivre me fait.
RETRANCHÉES. )93
Ode (1560).
Laisse-moy sommeiller, Amour !
Ne te suffit>il que de jour
Les yeux trop cruels de ma dame
Me tourmentent le corps et l'ame.
Sans la nuict me vouloir ainsi
Tourmenter d'un nouveau souci ,
Alors que je devrois refaire
Dans le lit la peine ordinaire
Que tout le jour je souffre au cœur I
Helas ! Amour plein de rigueur,
Cruel enfant , que veux- tu dire ?
Toujours le vautour ne martyre
Le pauvre cœur Promethean
Sur le sommet Caucasean ,
Mais de nuict recroistre le laisse ,
A fin qu'au matin s'en repaisse.
Mais tu me ronges jonr et nuit,
Et ton soin , qui tousjours me suit ,
Ne veut que mon cœur se reface ;
Mais tousjours , tousjours le tirace ,
Ainsi qu'un acharné limier
Tirace le cœur d'un sanglier.
Chacun dit que je suis malade,
Me voyant la couleur si fade
Et le teint si morne et si blanc;
Et dit-on vray , car je n'ay sang
En veine , ny force en artère ;
Aussi la nuict je ne digère
Et mon souper me reste cru
Dans l'estomac d'amours recru.
Mais , Amour, j'auray la vengeance
De ta cruelle outrecuidance
QattUnt ma vie , et , si je meurî
le seray franc de tes douleurs :
Car lien ne peut U tyrannie
Sus ua corps qui n'a plus de vit
A SON LUT(ii}o)[a
Si autre- îtine
Avons j ine ,
Dec
Sus,
Sus, l'hon: delectahl;
Sçait rèjou ,
Chani
MainI
Je t'asseur^que tes çqrùe!
Par moy ne ïeront points
De chansons salement drdes
D'un tas d'amjjurs dissolues ;
Je ne chanteray lea |M-iaccs ,
Ny le soi a de leurs provinces,
Ny moins la nef que prcpare
Le marchant , las 1 trop avare
Pour aller après ramer
Jusqu'aux plus lointaines terres,
Peschant ne stay quelles pierret
Au bord de l'indique mer-
Tandis qu'en l'air je soufHeray ma vre.
Sonner Phebus j'auray toas(ours envie ,
Et ses compagnes aussi ,
I . Celle ode est li première que l'aatenr *tt iimaii com-
posa ; de mfane celle qu'il adresie } Jacques Pelletier, celle
Je GiipjTdd'Auïctgneet deMacliMi'd«L»b>ye','eil* prière
' Dieu pour h (Maine. Aussi ne S9nl-eUa.pas inMiiées ni
piopres 1 diiDter. (Note de liËô.)
RETRANCHÉES. )9$
Pour leijHr fendre un grandHoi^rd
De m'avpir fait poHp à^ ji^ture,
Idolâtrant la musique ^% pein^rç,
Prestre saint de leur& cHansons,
Qui aiCcerdent à te$ son/». ^
L'enfant oue la douce Muse
Naissant d'œil bénin a veu ,
Et de sa science infuse
Son jeune esprit a ppurveti ,
Tousjours en sa fantasie
Ardera de poésie
Sans prétendre un autre bien ;
Eiicor qu'il combati^t bien ,
Jamais les Muses peureuses
Ne voudront le premier
De laurier, fust-il premier
Aux guerres victorieuses.
La poésie est un feu consumant
Par grand ardeur Tesprit de son amant y
Esprit que jamais ne laisse
En repos j tant ell^. presse.
Voila pourquoy le ministre dçç Dieux
Vit sans grans biens, d'autant qu'il aime mieux
Abonder d'inventions
Que de grand's possessions.
Mais Dieu juste , qui dispense
Tout en tous , les fait chanter
Le futur en recompense
Pour le monde espouvanter.
Ce sont les seuls interprète^ .
Des hauts Djçux qiu^ (e^ ppet^l^ ;
Car aux prières qu^ls fçji^ j ■. >
L'or aux Dieux criant ne sc^pt y
Ni ja richesse, qui passç;
Mais un lut tousjpur^ pariant
L'art des Mus^s çxçfilçAt^ ;
Pour dessus leur rendre ^^ce.
)96 Odes
Qut dirons-nous de la musique sainte ?
Si quelque amante en a Taureille atteinte ,
Lente en larmes goûte à goûte
Fondra sa chère ame toute ,
Tant la douceur d'une harmonie éveille
D'un cœur ardant Tamitié qui sommeille ,
Au vif luy représentant
L'aimé par ce qu'elle entend.
La Nature, de tout mère ,
Prévoyant que nostre vie
Sans plaisir séroit amere ,
De la musique eut envie ,
Et, ses accords inventant,
Alla ses fils contentant
Par le son , oui loin nous jette
L'ennuy de rame sujette ,
Pour l'ennuy mesme douter;
Ce que l'emeraude fine
Ni 1 or tiré de sa mine
N'ont la puissance d'oster.
Sus , Muses , sus , celebrez-moy le nom
Du grand Apelle, immortel de renom ,
Et de Zeuxe « qui peignoit
Si au vif qu'il contraignoit
L'esprit ravy du pensif regardant
A s'oublier soy-mesme, ce-pendant
Que l'œil humoit à longs trais
La douceur de ses portrais.
C'est un céleste présent
Transmis çà-bas où nous sommes ;
Qui règne encore à présent.
Pour lever en haut les hommes ;
Car, ainsi que Dieu a fait
De rien le monde parfait.
Il veut qu'en petite espace
Le peintre ingénieux face
(Alors qu'il est agité),
RETRANCHÉES. 397
Sans avoir nulle matière,
Instrument de deité.
On dit que cil qui r'anima les terres,
Vuides de gens, par le jet de ses pierres (')
(Origine de la rude
Et grossière multitude),
Avoit aussi des diamans semé
Dont tel ouvrier fut vivement formé ,
Son es|)rit faisant cognoistre
L'origme de son estre.
Dieux ! de quelle oblation
Acquiter vers vous me puis-je ,
Pour rémunération
Du bien receu qui m'oblige ?
Certes, je suis glorieux
D'estre ainsi amy des dieux ,
Qui seuls m'ont fait recevoir
Le meilleur de leur sçavoir
Pour mes passions guarir,
Et d'eux , mon luth , tu attens
Vivre çà-bas en tout temps.
Non de moy, qui doy mourir.
O de Phebus lagloire et le trophée.
De qui jadis le Tnracien Orphée
Faisoit arrester les vens
Et courir les bois suy vans !
Je te salue , 6 lut harmonieux ,
Raclant de moy tout le soin ennuyeux ,
Et de mes amours tranchantes
Les peines, lors que tu chantes I
1. Deucalion,. après le déluge mythologique.
)98 0d1s5
ODE NON MESURÉE.
A Gaspard d'Auvergne (issp).
Soyon constans, et ne prenon souci
Quel jour suyvant poussera cestuy-ci :
Jetton au vent, mon Gaspard , totit Tattaire
Dont nous n'avon que faire.
Pourquoy m'iray-je enquérir des Tartarés
Et des paîs estran^s et barbares,
Quand à grand peine ay-je la co^oissatibe
Du lieu de ma naissance?
Volontiers l'ignorant
Va tousjours s'enqucranl
Du ciel , plus hant que luy. ,
Las ! malneur sur les hommes !
Nais au monde ne isommes
Que pour nous faire ennuy.
C'est se mocquer de genner et de poindre
Le bas esprit des hommes, qui est moindre
Que les conseils de Dieu , ou de pensier
Sa volonté passer.
Tousjours en luy metton nostre espérance ,
Et en son Fils nostre ferme asseurance.
Au demeurant, allon avec le temps
Heureusement contens.
A rhomme qui est né
Peu de temps est donné
Pour se rire et s'esbatre.
Nous l'avons ; ce-pendant
Qu'allons-nous attendant?
Un bon jour en vaut quatre.
Soit que le ciel de foudres nous despite,
Ou que la terre en bas se précipite;
RETRAWtHÉES. Î99
Soit que la nuict devienhe jûiir qui luit,
Soit que le jour soit'huit,
Jamais de rien TÎ*auray frayettr he crainte,
Comme asseuré que la pensiée ^aihte
De TEtemel gouverne en «quité
Ce monde limité.
Le Sei^eur de là^iaut
Cognoist ce qu'il nous faut
Mieux oue nou& tOti$ ensemble. '
Sans nul égard d'aucun ,
Il départ à chacun
Tout ce que boti luy semble.
Je t'apprendray, si tu veux ra'escouter, ;
Comment TennuY d'un cœur se peut outêr,
Et ce que tient la tristesse cruelle
D'importurie séquelle.
Tu ne seras convotteux d'amasser
Le bien qui doit si vitement passer,
Comme trésors, honneurs et avarices,
Escolles de tous vices :
Car c'est plus de refràindre
Son désir que de joindre
L'ourse au midy ardant,
L'Escosse sablonneuse
A l'Arabie heureuse,
Ou l'Inde à l'Occident.
Tu dois encor éviter, ce me semble.
Faveurs des roys et aes peuples ensemble :
De leurs mignons tousjours quelque tempeste
Vient foudroyer la teste.
Ce n'est pas tout : avecques providence
Fais un amy, dont l'heureuse prudence
Te servira de secours nécessaire
Contre l'heure adversaire.
Ton creur bien préparé,
De force remparé.
En la fortune adverse,
400
Odes
Patience prendra j
En la bonne, craindra
Que rheur ne le renverse.
Après rhyver, la saison variable
Pousse à son rang le printemps amiable.
Si aujourd'hui nous sommes soucieux ,
Demain nous serons mieux.
Tousjours de Tare Apollon ne moleste
Le camp des Grecs pour leur tirer la peste ;
Aucune-fois , tout paisible , réveille
Sa harpe , qui sommeille.
En orage outrageux
Tu seras courageux;
Puis, si bon vent te sort,
Tes voiles trop enflées,
De la faveur souflées ,
Conduiras, sage , au port.
Après avoir prié , devotieux ,
Les deux jumeaux qui décorent les cieux ,
De tousjours luire, au fort de la tempeste,
Sur le haut de la teste,
L'un escrimeur en vers tu descriras.
L'autre donteur des chevaux tu diras ,
Ou pour leur sœur la querelle ennemie
D'Europe et de l'Asie.
ODE NON MESURÉE.
Au Mesme (1550).
Puis que la Mort ne doit tarder
Que prompte vers moy ne parvienne,
Trop humain suis pour me garaer
Qu'espou vanté ne m'en souvienne,
Et qu'en mémoire ne me vienne
Le cours des heures incerténes,
RETRANCHÉES. 4OI
Gaspar, qui , aux bords de la Vienne ,
As rebasti Rome et Athènes.
En vain l'on fuit.la mer qui sonne
Contre les goulfres, ou la guerre ,
Ou les vents mal-sains de l'automne ,
Qui souflent la peste en la terre ,
Puis que la Mort , qui nous enterre ,
Jeunes nous tue, et nous conduit
Avant le temps au lac qui erre
Par le royaume de la Nuict.
L'avaricieuse Nature
Et les trois Sœurs filans la vie
Se deulent quand la créature
Dure long-temps, portant envie
A la fleur, qui si tost dévie ,
La créant rose du printemps,
A qui la naissance est ravie
Et la grâce tout en un temps.
L'un devient goûteux , rautre hectique ;
L'autre n'attend que le cyprès,
Et celuy qui fut hydropique
Guarit pour retomber après.
Nous sommes humains tout exprés
Pour avoir le cœur outragé
D'un aigle . qui le voit d'auprès
Naistre à fin qu'il soit remangé.
Bien-tost sous les ombres, Gaspar,
La Mort nous guidera subite.
N'or ny argent, de telle part,
Ne font que l'homme ressuscite.
Diane son cher Hippolyte
N'en tire hors, ains gist parmy
La troupe où Thesé se dépite
Qu'il n'en peut ravoir son amy.
L'homme ne peut fuir au monde
Le certain de sa destinée.
Le marinier craint la fiere onde ,
Le soldat la guerre obstinée ,
Ronsard. — II. 26
402 Odes
Et n'ont peur de voir terminée
Leur vie sinon en tels lieux;
Mais une mort inopinée
Leur a tousjours fermé les veux.
Dequoy sert donc la médecine
Et tout le gaiac estranger^ J
User d'onguens ou de racine , i
Boire bolus ou d'air changer,
Suand cela ne peut allonger
os jours contez? Où cours-tu, Muse,
Repren ton stile plus léger
Et à ce grave ne t'amuse.
A JACQUES PELLETIER DU MANS.
Des beautés qu^U voudroit en s'amie (1550) [i].
Ode non mesurée.
fj uand je seroy si heureux de choisir
^V^Maistresse selon mon désir,
Mon Peletier, je te veux dire
Laauelle je voudrois eslire
Pour ta servir, constant à son plaisir.
L'âge non meur, mais verdelet encore ,
Est l'âge seul qui me dévore
Le cœur d'impatience atteint.
Noir je veux rœil et brun le teint,
Bien que l'œil verd toute la France adore.
J'aime la bouche imitante ta rose
Au lent soleil de may déclose ;
Un petit tetin nouvelet
Qui se fait déjà rondelet ,
I . Cette ode, la première que Ronsard ait composée, avoit
paru avant 1550 dans le Recueil des poésies de Jacques
Pelletier du Mans.
RETRANCHÉES. 4O}
Et sur Py voire eslevé se repose ;
La taille droitte à la beauté pareille ,
Et dessous la coife une aureille
Qui toute se monstre dehors ;
En cent façons tes cheveux tors ;
La joue égale à TAurore venneille ;
L'estomac plein ; la jambe de bon tour,
Pleine de chair tout à Pentour,
Que volontiers on tâteroit ;
Un sein qui les dieux tenteroit ,
Le flanc haussé , la cuisse faite au tour ;
La dent d*yvoire, odorante l'haleine,
A qui s'égaleroyent à peine
Les doux parfums de la Sabée ,
Ou toute 1 odeur dérobée
Que l'Arabie heureusement ameine ;
L'esprit naïf, et naïve la grâce;
La main lascive^ ou qu'elle embrasse
L'amy en son giron couché,
Ou que son lut en soit touché,
Et une voix qui mesme son lut passe ;
Le pied petit, la main longuette et belle,
Dontant tout cœur dur et rebelle,
En un ris qui, en découvrant
Maint diamant, allast ouvrant
Le beau séjour d'une grâce nouvelle ; «•
Qu'ell' sceut par cœur tout cela qu'a chanté
Pétrarque , en amour tant vanté ,
Ou la Rose si bien escrite.
Et contre les femmes despite,
Par qui je fus des enfance enchanté;
Quant au maintien , inconstant et volage ,
Folâtre et digne de tel âge ,
Le regard errant çà et là ;
Un naturel avec cela
Qui plus que l'art misérable soulage.
Â
404 Odes
Je ne voudrais avoir en ma puissance
A tous coups d'elle jouissance ;
Souvent le nier un petit
En amour donne l'appétit ,
Et fait durer la longue obéissance.
D'elle le temps ne pourroit m'estranger,
N 'autre amour, ne l'or estranger,
Ny à tout le bien qui arrive
De l'Orient à nostre rive
Je ne voudrois ma Brunette changer,
Lors que sa bouche à me baiser tendroit ,
Ou qu'approcher ne la voudroit
Feignant la cruelle faschée ,
Ou , quand en quelque coin cachée ,
Sans l'aviser prendre au col me viendroit.
A MACLOU DE LAHAYE.
Ode non mesurée (15 $o).
Maclou, amy des Muses,
En la musique expert ,
Pour néant tu t|amuses ,
Le temps en vain se pert ,
Menant un dueil apert :
Il vaut mieux que tu jettes
Les mordantes sagettes
Qui ton cœur vont grevant
Aux Scythes , ou aux Gétes ,
Ou encor plus avant.
Ceux à qui point n'agréent
Tes beaux ars tant connus ,
Et qui ne se recréent
De voir les Silvains nus,
Et les pères cornus
Pendre au haut d'un rocher,
RETRANCHÉES. 405
Doivent bien se fascher,
Non toy, dont poésie
Peut le soin arracher
Hors de ta fantasie.
Et quoy ! je voy tes yeux
Moites d'un bleur amer ;
Soit quand rhebus aux cieux
Vient le jour allumer,
Ou quand dedans la mer
Ses chevaux il abreuve.
Gémissant je te treuve
La fin de ton malheur,
Puis que ne bois ne fleuve
N'appaise ta douleur.
Donc la faveur du monde
Te fait désespérer,
Laquelle on peut à Tonde
Justement comparer.
Qui ne sçauroit durer
Une heure sans orage.
Appren à ton courage
Voler ainsi gu'ilfaut;
Par ceste aisle le sage
S'en-vole aux Dieux là haut.
Il est vray que la court
Des princes est aimable ,
Mais long temps on y court
Sans fortune amiable.
Sor de là , pitoyable ;
Quand la mort se courrousse ,
Sans égard elle pousse
A bas un empereur
De la mesme secousse
Qu'eir fait un laboureur.
La vertu qui ordonne
Aux bons immortel nom
N'a baillé la couronne «
De laurier pour renom
S'
Qui
Est
406 Odes
A nul homme sinon
Qu'à celuy qui n'a garde
De prendre ror en garde ,
Vivant du sien contant ,
Et à qui le regarde
D'un œil ferme et constant.
C'est plus de commander
Sur les affections ,
Qu'aux princes d'amender
Te mille nations.
^ui de ses passions
!st maistre entièrement ,
Celuy vit seulement,
N'eust-il qu'un toict de chaume y
Et plus asseurèment
Qu un roy de son rovanme.
Quand nostre vie numaine
Longue en santé seroit ,
Chaau'un à juste peine
Des biens amasseroit ,
Et point n'offenseroit ;
Mais pour vie si brève
Faut-il tant qu'on se grève
D'amasser et d'avoir ?
Matin le jour se lève
Pour mourir sus le soir.
soin meurtrier, encores
Que Ton s'allast cacher
Bien loin outre les Mores,
Tu nous viendrois chercher
Pour nous nuire et fascher.
Le gendarme en sa troupe
Tout seul te porte en croupe ,
Et tu te vas cachant
Jusqu'au fond de la poupe ,
Compagnon du marchand.
Donques puis que l'envie
Et l'avarice forte
RETRANCHÉES. 4^7
Sont bourreaux de la vie
De rhomme qui les porte,
Mon amy, je t'enhorte
De ies chasser ; entens
A te donner bon temps ,
Fuy les maux qui t*ennuyent.
Qu'est-ce que tu attens ?
Les ans légers s'enfuyenL
Le temps bien peu durable ^
Tout chauve par derrière.
Demeure inexorable
S'il franchit sa carrière.
L'infernale portière
Hoche de main égale
La grand cruche fatale;
Soit tost eu tard, le sort
Viendra vers toy tout pale
Pour t'annoncér la mort.
Donques un jour ne laisse
Voler sans ton plaisir.
L'importune vieillesse
Court tost pour nous saisir.
Tandis qu'avons loisir,
Tes amours anciennes
Chantons avec les miennes;
Ou bien , û bon te semble-,
N'entonnon que les tiennes
Sur nos Seules ensemble.
Pour tuer le soud
Qui Fongeoit ton courage,
Asséons nous ici
Sous ce mignard ombrage.
Voy près de ce rivage
Quatre nymphes qui viennent,
A qui tant bien aviennent
Leurs corsets simplement ,
Et leurs cheveux qui tiennent
A un nœud seulement.
4o8 Odes
Hé , quel pasteur sera-ce
Qui au prochain ruisseau
Ira rincer ma tasse
Quatre ou cinq fois en Peau ?
D'autant ce vin nouveau
Efface les ennuis
Et fait dormir les nuis ;
Autrement la mémoire
De mes maux je ne puis
Estrangler qu après boire.
A FRÈRE RENÉ MACÉ,
Vendomois, excellent poète historiographe françois (1550).
Cependant que tu nous dépeins
Des François la première histoire ,
Desensevelissant la gloire
Dont nos ayeux furent si pleins ,
Horace et ses nombres divers
Amusent seulement ma lyre ,
A qui j'ay commandé de dire
Ce chant pour honorer tes vers.
Je les entens desja tonner
Parmy la France , ce me semble ,
Et voy nos poètes ensemble
D*un tel murmure s'estonner.
J*entrevoy desja la lueur
Des bien estincellantes armes
Chasser en fuite les gensdarmes y
Et les chevaux pleins de sueur.
Icy le More est abatu ,
Et là le vaillant Charlemaigne,
Tenant le fer an poing, enseigne
Aux siens à suivre sa vertu.
C'est là le vray enfantement
De ta grave héroïque Muse ,
RETRANCHÉES. 409
Qui , toute enflée , ne s*amuse
Qu*à deviser bien hautement.
Mais moy, petit et mal appris ,
Ayant basse et pauvre la veine ,
Je façonne avec grande peine
Des vers oui sont de peu de prix.
Tels qu ils sont , Macé , toutesfois
Je veux qu'ils tesmoignent ta gloire,
Et commandent à la mémoire
Que tu vives plus d'une fois.
Ils chanteront à nos neveux
Comme tu allas aux montaignes
D'Helicon voir les sœurs compaignes
Et Apollon aux beaux cheveux ,
Et comme la charmante vois
De tes douces et braves rimes
Les força de quitter leurs cimes
Pour habiter le Vendosmois.
A SON LICT(i$5o),
Lict , que le fer industrieux
D'un artisan laborieux
A façonné presque d'un égal tour
Qu'à ce grand monde encerne tout autour,
Où celle qui m'a mis le mors
De ses beaux doits foiblement fors
Entre mes bras se repose à séjour,
Et chaque nuit égale au plus beau jour.
Qui vit jamais Mars et Venus
Dans un tableau portraits tous nus }
Des doux amours la mère estroittement
Tiens Mars lassé , qui laisse lentement
Sa lance tomber à costé ,
D'un si plaisant venin denté ,
410 Odes
Et, la baisant, presse l'yvoire blanc ,
Bouche sur boucne , et le flanc sur le flanc.
Celuy qui les a veus ainsy
Nous peut imaginer aussy,
M 'amie et moy, en éprouvant combien
Se recoller ensemble fait de bien (a),
Deçà et là d*un branle doux
Le châlit tremblant comme nous,
Ainsi qu'on voit des bleds le chef mouvant
Sous le souspir du plus tranquille vent.
Ha! que grand tort te font les Dieux
Qui ne te logent en leurs cieux !
Tu leur ferois plus d'honneur que ne font
Un chien, un cancre et deux ours qui y sont {b).
LES PEINTURES D'UN PAYSAGE (1550).
Tableau , que Petemelle gloire
D'un Apelle avouroit pour sien ,
Ou de quelqu'autre dont Tbistoire
Célèbre le nom ancien ,
Tant la couleur heureusement parfaite
A la nature en son mort contrefaite ; •
Où la grand' bande renfrongnée
Des cyclopes laborieux
a. Var. (1560) :
Ctluy qui Us a veu portraits
Peut sur nous contempler les traits
De leurs plaisirs, lors que m*amie et moyi
Tous nuis au lict faisons je ne sçaj quoy,
b, Var. (1560) :
Tu leur ferois un ornement plus beau
Que n'est leur chien, leur asne et leur corbeau.
RETRANCHÉES. 4I I
Est à la forge embesongnée ,
Qui d'un efiort industrieux
Haste un tonnerre , afin d'armer la dextre
De ce grand Dieu que Saturne ait fait naistre.
Trois , sur Penciume gémissante
D'ordre égal le vont martelant ,
Et d'une tenaille pinçante
Tournent l'ouvrage cstincelant ;
Vous les diriez qu'ils ahanent et suent ,
Tant de grands coups dessur l'enclume ruent.
En trois rayons de pluye torte
Tout le tonnerre est finissant ,
En trois de vent qui le supporte ,
Et en trois de feu rougissant ;
Ores de peur, ores de bruit , et ore
D'ire et d'éclair on le polit et dore.
Les autres deux soufflets entonnent ,
Qui dans leurs grands ventres enflez
Prennent le vent , et le redonnent
Par compas aux charbons soufflez.
Le métal coule, et dedans la fournaise
Comme un estang se répand en la braise.
Un peu plus haut parmy les nues ,
Enflées a'un vague ondoyant ,
Le père ses flecnes connues
Darde aval d^un bras foudroyant;
Le feu se suit, et, saccageant l'air, gronde,
Faisant trembler le fondement du monde.
Entre l'orage et la nuit pleine
De gresle , martelant souvent ,
Un pilote cale à grand' peine
Sa voile trop serve du vent.
La mer le tance , et les flots irez baignent
De monts bossus les cordes qui se plaignent.
Les longs traits des flammes , grand erre
En forme de lances errans ,
412 Odes
Lèchent l'estomac de la terre ,
Aux bords des fleuves éclairans ;
Et la forest, par les vens depessée, ^
Egale aux champs sa perruque baissée.
A costé gauche de l'orage
Junon sa colère celant ,
De Venus emprunte l'ouvrage ,
Son beau demi-ceint excellant ,
Et , le ceignant , sa force coustumiere
Tire Jupin à l'amitié première.
Là les Amours sont portraits d'ordre ,
Celuy qui donte les oiseaux ,
Celuy qui chaleureux vient mordre
Le cœur des dauphins sous les eaux.
Leandre, proye à la mer inhumaine ,
Pendu aux flots noue où l'amour le meine.
Junon , tenant les mains esparses,
De son mary presse le sein ;
Luy, qui s'enâe ses veines , arses
De trop d'amour dont il est plein ,
Baise sa temme , et sur l'heure tait naistre
Le beau printemps , saison du premier estre.
De rOcean l'image emprainte
Contraint ses portraits finissans ;
D'azur verdoyant elle est peinte ,
Et d'argent ses flots blancnissans ,
Où les dauphins aux dos courbez y nouent ,
Et sautelans à mille bons se jouent.
Au milieu de l'onde imprimée
Comme grandes forests on voit
S'eslever la navale armée
Que Charles à Thunis avoit ;
Les flots , batus des avirons qui sonnent ,
Contre les flancs de cent barques resonnent.
Environné d'une grand' trope,
Son pouvoir le rend orgueilleux ,
RETRANCHÉES. 4I3
Traînant les forces de TEurope
Avec soy d'un bras merveilleux.
L'Espagne y est , et les peuples qui vivent
Loin dessous l'Ourse^ et les Flamans , le suivent.
Près de Thunis, sur le bord More,
L'Africain, aveugle au danger,
La mer verte en pourpre colore
Au sang du soldat estranger ;
Mars les anime , et la Discorde irée ,
Trainant sa robbe en cent lieux déchirée.
Tout au bas , d'une couleur pale
Est repeint l'empereur romain ,
Craignant nostre Roy, qui égale
Les dieux par les faits de sa main ;
Mais pour néant ^ car de Henry la lance
Ja-ja captif le traine dans la France.
Paris tient ses portes décloses,
Recevant son Koy belliqueur;
Une grande nue de roses
Pleut à l'entour du chef vainqueur;
Les feux de joye icy et là s'allument,
Et jusqu'au ciel les autels des dieux fument.
A PHEBUS,
LUY VOUANT SES CHEVEUX (1550).
Dieu crespelu {a) (qui autrefois,
Banni du ciel, parmy les bois
D'Admete gardas les taureaux ,
Fait compagnon des pastoureaux).
Mes cheveux j'offre à tes autels;
Et, bien qu'ils ne soient immortels,
a, Var. (ij6o) :
Ditu perruquier.
414 0D€S.
Ils te seront doux et plusans.
Pour estre la fleur de mes ans.
Mainte fille ^ oar amitié,
En a souhaité la moitié
Pour s'en orner; mais je ne veux,
PhœbttSy roy des beaux cheveux!
Rien de ma part te présenter
Dont quelqu un se puisse vanter :
Car c'est toy qui n'as dédaigné
De m'avoir seul accompaigné
?uand dès le berceau j'allai voir
es compaignes, dont le sçavoirj
M'a tellement ravy depuis
Que je ne sçay si \t me suis
Ivre de leur ruisseau arov,
Car sur le bord je m'enaormy.
A mon réveil , il me sembla
^u'un chœur de vierces s'assembla,
iTaue Calliope aux oeaux yeux,
La Muse qui chante le mieux,
Pour présent son luth me donna,
Qui depuis le premier sonna
Dedans la France les façons
De joindre le lut aux chansons.
L
A MAGDELEINE
Ayant mari vieillart (1550). '
es fictions dont tu décores
L'ouvrage oue tu vas peignant
D'Hyacinth', d'Europe , et encores
De Narcisse se compiaignant
De son ombre le dédaignant ,
Ne sont pas dignes de la peine
u'en vain tu donnes à tes doits :
ar plustost, soit d'or, soit de laine,
Ca]
RETRANCHEES.
Ta toile peindre toute pleine
De ton tourment propre tu dois.
Quand je te voy et voy encore
Ce vieil mary que tu ne veux.
Je vov Tithon et voy l'Aurore,
Luy dormir, elle ses cheveux
Tresser d'un laqs doré comme eux (u),
Pour aller chercher son Cephate;
Et, quoy qu'il soit alangoré
De voir sa femme morte et pale,
Si sutt-il celle qui égale
Les roses d'un troni coloré.
Parmy les tois errent ensemble ,
Se soûlant de plaisir; mais, lasl
Jamais le jeune Amour n'assemble
Un vieillard devenus si las
A un printemps tel que tu l'as.
DE LA VENUE DE L'ESTÉ.
Au SEIGNEUR DE BONNIVET (iSS")-
Desja les grand's chaleurs s'esmeuvent.
Et presque les fleuves ne peuvent
Les peuples escaillez couvrir;
Ja voi(t-on la plaine, altérée
Par la grande torche etherée ,
De soifse lascher et s'ouvrir.
L'estincelante canicule,
Qai ard, qui cuit, qui boull, qui brûle,
iJesté nous darde de là haul,
Et le Soleil, qui se promeine
Par les bras du Cancre, rameine
Ces mois halez d'un si grand chaut.
1. Car. (i|6o):
RefrisoUr de mille naads.
4i6 Odes
Icy, la diligente troupe
Des mesnagers par ordre coupe
Le poil de Gérés jaunissant,
Et là . jusques à la vesprée ,
Abat les honneurs de la prée ,
Des beaux prez l'honneur verdissant.
Cependant leurs femmes sont prestes
D'asseurer au haut de leurs testes
Des plats de bois et des baris,
Et , filant , marchent par la plaine
Pour aller soulager la peine
De leurs laborieux maris.
Si-tost ne s'éveille' PAurore
Que le pasteur ne soit encore
rTustost levé qu'elle , et alors
Au son de la corne réveille
Son troupeau , qui encor sommeille
Dessus la fraische herbe dehors.
Parmv les plaines descouvertes,
Par les oois et les rives vertes,
Paist le bestail , ores courant
Entre les fleurs Apollinées.
Or* entre celles qui sont nées
Du beau sang d'Adonis mourant.
Sur les rives des belles ondes,
Les jeunes troupes vagabondes.
Les nlles des troupeaux lascifs,
De fronts retournez s'entrechocquent
Devant leurs pereSj qui s'en mocquent ,
Au haut du prochain tertre assis.
Mais, q^uand en sa distance égale
Et le soleil , et la cigale
Enrouement espand sa vois ,
Et que nul Zepnyre n'haleine
Tant soit peu les fleurs en la plaine ,
Ne la teste ombreuse des bois,
Adonc le pasteur entre-lasse
Ses panniers de torse pelasse,
RETRANCHÉES. 417
Ou il englue ks oiseaux ,
Ou, nu comme un poisson, il noue
Et avec les ondes se joue ,
Cherchant le plus protond des eaux.
Si l'antique fable est croyable,
Erigone la pitoyable
En tels mois alla luire aux cieux
En forme de vierge , Cjui ores
Reçoit dedans son sein encores
Le commun œil de tous les Dieux,
Œil incogneu de nos valées,
Où les fontaines dévalées
Du vif rocher vont murmurant , . ;;
Et où mille troupeaux se pressent ,
Et le nez contre terre baissent ,
Si grande chaleur endurant.
Sous les chesnes oui refraischissent ,
Remaschent les bœufs , qui languissent
Au piteux cry continuel
De la génisse qui lamente
L'insrate amour dont la tourmente
Par Tes bois son taureau cruel.
Le pastoureau , oui s'en estonne ,
S'essaye , du flageol qu'il sonne ,
De soulager son mal ardent ;
Ce qu'il tait tant qu'il voye pendre
Contre-bas Phœbus , et descendre
Son chariot en l'Occident.
Et lors de toutes parts r'assemble
Sa troupe vagabonde ensemble,
Et la convoyé aux douces eaux ,
Laquelle en les beuvant ne touche
Sans plus que du haut de la bouche
Le premier front des pleins ruisseaux.
Puis au son des douces musettes
Marchent les troupes camusettes,
Pour aller trouver le séjour^
. Où les aspres chaleurs cleçoivent
Ronsard. — il. 27
4i8 Odes
Par un dormir qu'elles reçoivent
Lentement jusqu'au poinct du jour.
A CHARLES DE PISSELËU,
EVESQUE DE CONDOM (iSJO) [»].
VOUS faisant de mon escriture
La lecture,
Souvent à tort m'avez repris
De quoy si bas je composoye ,
Et n'osoye -,
Faire un œuvre de plus haut pris.
Tout esprit gaillard qui s'efforce
N'a la force
De polir les livres parfaits;
Les nerfe foi blés souvent se treuvent ,
S'ils espreuverit
Plus que leur charge iin pesant faix.
Qui pensez-vous qui puisse escrire
L'ardente ire
D'Ajax , le fils de Telamon ,
Ou d'Hector rechanter la gloire,'
Ou l'histoire
De la race du vieil Emon ?
Toute Muse pour tragédie
N'est hardie
A tonner sur un eschaifaut ,
Ne propre à rechanter la peine
D'erreur pleine
De ce Grégeois qui fut si caut.
I . Cette ode fut dédiée ensuite à Jacques Grévîn, puis en-
"nï^onsard remplaça le nom de Grévin, avec qui il s'étôit fâ-
ché (Voy. pag.4j6), par celui de Grujet, probablement Claude
ae Cnijet, Parisien,éditeur des Nouvelles de la reine de Navarre.
RETRANCHÉES. 419
Adieu donc, enfans de la terre,
Qui la guerre
Entreprinstes contre les Dieux 1
Ce n'est pas moy qui vous raconte ,
Ne qui monte
Avecque vous jusques aux cieux.
Quant est de moy, j'aime ma mode
Par mainte ode
Mon renom ne périra point.
Les autres de Mars diront Fire ,
Mais ma lire
Bruira Pamour qui me point.
AUX MOUCHES A MIEL.,
Pour cueillir des fleurs sur la bouche de Cassandre (i u o}«
Où allez-vous , filles du ciel ,
Grand miracle de la nature ?
Où allez- vous, mouches à miel ,
Chercher aux champs vostre pasture ?
Si vous voulez cueillir les fleurs
D'odeur diverse et de couleurs ,
Ne volez plus à Tavanture.
Autour de Cassandre halenée
De mes baisers tant bien donnez
Vous trouverez la rose née ,
Et les œillets environnez
Des florettes ensanglantées
D'Hyacinthe et d'Ajax, -plantées
Près des l^rs sur sa bouche nez.
Les marjolaines y fleurissent ,
L'amône y est continuel ,
Et les lauriers , qui ne périssent
Pour l'hvver, tant soit-il cruel ;
L'anis, le chevreftieil, qiiijporte
420 Odes
La manne qui vous reconforte ,
Y verdoyé perpétuel.
Mais , je vous pri*, eardez-vous bien,
Gardez-vou» qu'on ne Péguillonne :
Vous apprendrez bien test combien
Sa pointure est trop plus félonne ,
Et de ses fleurs ne vous soûlez
Sans m*en garder, si ne voulez
Qpe mon ame ne m'abandonne.
AU ROSSIGNOL(i56o).
Gentil rossignol passager,
Qui t'es encor venu loger
Dedans ceste coudre ramée ,
Sur ta branchette accoustumée ,
Et qui nuit et jour de ta vois
Assourdis les mons et les bois ,
Redoublant la vieille querelle ^
De Terée et de Philomele, ^
Je te supplie (ainsi tousjours
Puisses jouir de tes amours)
De dire à ma douce inhumaine ,
Au soir quand elle se promeine
Ici pour ton nid espier,
Qu'il n'est pas bon de se fier
En la beauté ny en la grâce ,
Qui plustost qu'un songe se passe.
L)y-luy que les plus belles fleurs
En janvier perdent leurs couleurs ,
Et quand le mois d'avril arrive
Su 'ils revestent leur beauté vive;
ais quand des filles le beau teint
Par l'âge est une fois esteint,
Dy-luy que plus il ne retourne,
Mais bien qu'en sa place séjourne
RETRANCHÉES. 421
Au haut du front je ne sçay quoy
De creux à coucher tout le doy ;
Et toute la face seichée
Devient comme une fleur touchée
Du soc aigu. Dy-luy encor
Qu'après qu'elle aura changé Tor
De ses blonds cheveux , et que l'âge
LuY aura crespé le visage,
Qu en vain lors elJe pleurera ,
Dequov jeunette elle n'aura
Prins les plaisirs qu'on ne peut prendre
Quand la vieillesse nous vient rendre
Si froids d'amours et si perclus,
Que les plaisirs ne plaisent plus.
Mais , rossignol , que ne vient-elle
Maintenant sur l'herbe nouvelle
Avecques moy dans ce buisson ?
Au brait de ta douce chanson ,
Je luy ferois sous la coudr^te
Sa couleur blanche vermeiitette.
A MERCURE (is$o).
Facond neveu d*Atlas , Mercure ,
Qui as pris ie soin et la cure
Des bons esprits sur tous les Dieux ,
Accorde les nerfs de ma lyre ,
Et fais qu'un chant j'y puisse dire
Qui ne te soit point odieux.
i Honore mon nom par tes odes ;
L'art qu'on leur doit, leurs douces modes,
A ton disciple ramentoy.
Comme à cduy que Thebes vante
Monstre-moy, aun que je chante
Un vers qui soit digne de toy.
Je garmray tes talons d'ailes,
2 Odes
Ta capeline de deoi belles;
Ton tûston je n'Dvbbray pas.
Dont lu nous endors et reveilles.
Et fais des œtwres nonutareilles.
Au del , en la tarie et U bas.
Je feray que ta.main déçoive
(Sans qoe iml boulier l'apperçoive)
Phœbus, qui suit les pastooreanx,
Lujr dérobant et arc et troossC,
Lors que plus fort il se comToiuse
D'ayoïr perds ses beaux toieaUi.
Je itrvf qM la langne sage
Apporte par l'aù Ja laessage
Des dieu an peuples et anx rois.
Lors que les peuples se mutîneot.
On lors que les rois qui dominent
Violentent les sûnctes lotx.
Comme il ne plaist de te voir oret
Aller parmi U nuit encores.
Avec Priam, an camp des Grecs,
Racheter par dons et par larmes
La fleur des magna nim es armes,
Hector, qui causa les regrets !
C'est toy qui guides et accordes
L'ignorant pouce sûr mes cordes.
Sa " ;
RETRANCHÉES. 42^
A MICHEL PIERRE DE MAULEON,
Protonotaire de Durban (i^^o).
Je ne suis jamais paresseux
A consacrer le nom de ceux
Qui sont altérez de la gloire ,
Et nul mieux que moy, par ses vers,
Ne leur bastit dans Tunivers
Les colonnes d'une mémoire.
Mauieon , tu te peux vanter,
Puisque Ronsard te veut chanter.
Que tu devanceras les aisles
Du Temps, qui vole et qui conduit
Volontiers une obscure nuict
Aux vertus qui sont les plus belles.
Mais par où doy-je commencer
Pour tes louanges avancer ?
Ton abondance me fait pouvre,
Tant ia Nature heureux t'a fait
Et tant le ciel de son parfait
Prodigue vers toy se descouvre.
Certes, la France n'a point veu
Un homme encore si pourveu
Des biens de la Muse éternelle,
Ne qui dresse son vol plus haut ,
Ne mieux guidant l'outil qu'il faut
Pour nostre langue maternelle :
Car, sôit en prose ou soit en vers,
Minant maint beau trésor divers.
Tu nous fais riches par ta peine ,
Industrieux à refuser
Qu'un mauvais son vienne abuser
Le goust de ton oreille saine.
Le ciel ne t'a pas seulement
Elargi prodigalement
14 Odes
Mille presens, mais d'avantage
il veut, pour te favoriser,
Te faire vanter et priser
Par les plus doctes de nostre Jge.
Languedoc m'en sert de tesmoin ,
Voire Venise, qui plus hnn
S'esmerveilia de voir la grâce
De ton Paschal, oui, louangeant
Les Mauleons, alla vengeant
L'outrage fait contre ta race,
Lorsqu'au milieu des Pères vieux,
Dégorf^anl le présent des dieux,
Par les torrens de sa harangue
Déroba l'esprit des ovans,
Comme épies çà et \k ptoyans
Dessous le doux vent ae sa langue ,
Liant , par ses mots courageux ,
Au col du meurtrier outrageux ,
Une furie venseresse,
Qui , plus que l'horreur de la mort ,
Encore; luy ronge et luy mord
Mais ny son style ny Te mien
Ne te sçauroient chanter si bien
Ïue toy-mesme, si tu découvres
es labeurs, escrits doctement.
Par lesquels manifestement
Le chemin du ciel tu nous ouvres :
Car tov, volant outre les cîeux ,
Tu as pillé du sein des dieux
Le destin et la prescience,
Et le premier as bien osé
\voir en françois composé
Les secrets de telle science.
RETRANCHÉES. ^2$
A REMY BELLEAU (1560).
Donc, Belleau, tu portes envie
Aux dépouilles de l'Italie,
Qu*encores vous ne tenez pas ;
Et, t'armant sous le duc ae Guyse,
Tu penses voir broncher à bas
Les murailles de Naples prise.
J'eusse plustost pensé les courses
Des eaux remonter à leurs sources
Que te voir changer aux harnois,
Aux piques et aux harquebuses,
Tant de beaux vers oue tu avois
Receu de la bouche des Muses.
K
fi
AU FLEUVE DU LOIR (i$So). [f"
Loir, dont le cours heureux distille
Au sein d'un pays si fertile ,
Fay bruire mon renom
D'un grand son en tes rives,
Qui se doivent voir vives
Par l'honneur de mon nom.
Ainsi Tethys te puisse aimer
Plus que nul qui entre en la mer!
Car, si la Muse m'est prospère.
Fameux comme Amphryse, j'espère
Te faire un jour nombrer
Aux rangs des eaux qu'on prise,
Et que la Grèce apprise
A daigné célébrer,
Pour estre le fleuve éternel
Qui baignes mon nid paternel.
Là donc d'un autre bruit résonne
Le bruit que ma Muse te donne.
4^6
Odes
Tu voirras désormais
Par mo; ton onde fîire
S'enfler par ta jiyiere,
Qw ne mourra jamais,
Resonnant avec un orand soi
L'honneur de moi ,
Loir, de qui la bonté ne cède
Ao Nil qui l'Egypte possède,
Pour le loyer d'avoir
( Eternizant ta gloire
De durable mémoire)
Fait si bien mon devoir,
Quand i'auray mon âge accompli,
Enseven d'un long oubli,
Si quelque pèlerin arrive
Auprès de ta parlante rive,
Dy luy à haute vois
Que ma Muse première
Apporta la lumière
De Grèce en Vendomois;
Dy-tny ma race et mes ayeux,
Et le stavoir que j'eu dés deux;
Dy-leur que moy, d'affaire vuîde,
Ayant tes filles pour ma guide,
A tes bors j'encorday
Sur la Ivre ces odes.
Et aux TrançoisEs modes
Premier les accorday;
Dis-lui ma Cassaadre, el ces vers
Qu'i ton bord je chante à l'envers.
T:
RETRANCHÉES. 427
A CASSANDRE FUYARDE (1550.)
'u me fuis d'une courte vîste
Comme lin faiy'qui les loup^'evite
Allan^les mamelles^4:hercher
De sa mere/pour se ^'cacher,
Sautelant , de frayeur, ce semble,
Si un. rameau,/le vient toucher ;
Car, pour le moindre bruit que face
D'un serpent la glissante trace ^
Et de genoux et de coeur tremble;
Mais toy, belk» qui m'es ensemble
Ma douc^ w'i^' et mon trespas, .
Comme un lion je ne cours pas
Après toi pour te faire outrage.
Mets donc, ma mignonne, un peu bas
La cruauté de ton courage ;
Arreste , fuyarde , tes pas ,
Et toy, ja d'âge pour te fendre.
Laisse ta mère, et vien apprendre
Combien l'Amour donne d^esbas.
DU JOUR NATAL DE CASSANDRE (1550).
Chanson , voici le jour
Où celle là qui la terre décore ,
Et que mon œil idohtre. et adore ,
Vint en ce beau.seJQuri.
Le Ciel d'apioar atteint,
Ardant de voir tant de beautez , Padmire,
Et, se courbant dessus ^ (aee,. mm
Tout rhonnçu;' de. §Qn.trint.
Car les divins 'flambeaux ,
Grandeur, vertu , les Amours et la Grâce ^
4^8 Odes
A qui mieux mieux embellirent sa face
De leurs presens plus beaux,
Afin que par ses yeux
Tout rimparfait dejmaigjiaMsejblIe
Fust corrigé , et qu'^aî^Slst^3oî^"
Pour me guider au mieux.
Heureux jour retourné,
A tout jamais j'auray de toy mémoire, •
Et d an en an je chanteray la gloire
De Phonneur en toy né.
Sus, page, vistement
Donne ma lyre, afin que sur sa corde
D'un pouce doux en sa faveur s'accorde
Ce beau jour saintement.
Semé par la maison
Tout le trésor des prez et de la plaine,
Le lis, la rose, et cela dont est pleine
La nouvelle saison.
Puis crie au temple aussi
Que le Soleil ne vit oncques journée
Qui fust de gloire et d'honneur Unt ornée
Comme il voit ceste-cy.
AU REVERENDISSIME
Cardinal du Bellay (15 So),
Dedans ce grand monde où nous sommes
Enclos généralement.
Il n'y a tant seulement
Qu'un genre des dieux et des hommes;
Eux et nous n'avons mère qu'une
Tous par elle nous vivons ,
Et pour héritage avons
Ceste grand' lumière commune. .
RETRANCHtiBS. 429
Nostre raison qui tout avise ,
Des dieux compagnons nous rend ;
Sans plus un seul différent
Nostre genre et le leur divise.
La vie aux dieux n'est consumée,
Immortel est leur séjour,
Et Phornme ne vit qu'un jour
Fuyant comnie songe ou fumée ;
Mais celuy qui acquiert la grâce
D'un bien-heureux escrivanl,
De mortel se fait vivant ,
Et au rang des célestes passe ;
Comme toy, que la Muse apprise
De ton Macrin a chanté ,
Et t'a un los enfanté
Qui la fuitte des ans mesprise.
Elle a perpétué ta gloire
La logeant là haut aux cieux ,
Et a Uit esgale aux dieux
L'éternité de ta mémoire.
Apprenez donc , vous rois et princes ,
Les poètes honorer,
Qui seuls peuvent décorer
Vous, vos sujets et vos provinces.
Sans plus . le grand prince Alexandre,
Qui à la terre commandoit,
Un Homère demandoit
Pour faire ses labeurs entendre.
La France d'Homeres est pleine,
Et d'eux liroit-on les fais
S'ils estoient tous satisfais
Autant que mérite leur peine.
4}0 Odes
DES ROSES PLANTÉES PREZ UN BLÉ(i 5 $0).
Dieu te gard Thortneur du printemps
Qui étens
Tes beaux trésors sur la branche,
Et qui découvres au soleit
Le vermeil
De ta beauté naïve et franche.
D'assez loin tu vois redoublé
Dans le blé
Ta face , de cinabre teinte ,
Dans le blé qu'on voit réjouir
De jouir
De ton image en son verd peinte.
Près de toy, sentant toti odeur,
Plein d'ardeur
Je façonne un vers dont la grâce
Maugré les tristes Sœurs vivra ,
Et suivra
Le long vol des ailes d'Horace.
Les uns chanteront les œillets
Vermeillets ,
Ou du lis la fleur argentée ,
Ou celle qui s'est par les prez
Diaprez '
Du sang des princes enfantée.
Mais moy, tant que chanter pourray,
Je louray
Tousjours en mes Odes la rose,
D'autant qu'elle porte le nom
De renom
De celle où ma vie est enclose.
RETRANCHÉES. 43 1
A CASSANDRE (1550).
XT ymphe aux beaux yeux, qui souffles de ta bouche
1^ Une Arabie à qui prés en approuche,
Pour déraciner mon esmôy
Cent mille baisers donne-moy.
Donne-les-moy, ça que je les dévore.
Tu fais la morte ! il m'en faut bien encore ;
Redonne-m'en deux milliers donc,
Et, sur tous , un qui soft plus long
Que n'est celuy des douces colombelles
Prises au jeu de leurs amours nouvelles.
Ainsi , ma Cassandre , vivons ,
Puis que les doux ans nous avons.
Incontinent nous mourrons , et Mercure
Nous coavoira sous la vallée obscure ,
Et guidera nos tristes pas
Au froid royaume de la bas ,
Tenant au poing sa verge messagère ,
Crainte là bas de la troupe légère.
Si qu'aussi tost qu'aurons passé
Le lac neuf fois entrelassé ,
Et que sur nous sa sentence imployable
Aura jette le juge inexorable ,
Ne parens, ne dévotions ,
Ne rentes, ne possessions,
Ne fleschiront la cruche ne l'audace
Du nautonnier, si bien qu'il nous repasse,
Du nautonnier qui n'a souci
De pauvre ne de riche aussi.
Donc , cependant que l'âge nous convie
De nous ebatre, égayons nostre vie;
43a Odes
Ne vois-tu le temps qui s'enfuit ,
Et la vieillesse qui nous suit ?
A LA SOURCE DU LOIR (i$$o).
Source d'argent toute pleine ,
Dont le beau cours éternel
Fuit pour enrichir la plaine
De nion pays paternel ,
Sois hardiment brave et fiere
De le baigner de ton eau :
Nulle françoise rivifre
N'en peut laver un plus beau,
Que les Muses éternelles
D'habiter n'ont dédaigné ,
Ne Phœbus , gui dit par elles
L'art où je suis enseisné,
Qui dessus ta rive herbue
Jadis fut énamouré
De la nymphe chevelue ,
La nymphe au beau crin doré ;
Et l'attrapa de vistesse
Fuyant le long de tes bords,
Et là ravit sa jeunesse
Au milieu de mille efforts.
Si qu'aujourd'huy d'elle encores
Immortel est le renom
Dedans un antre , qui ores
Se vante d'avoir son nom.
Fuy doncques, heureuse source ,
Et , par Vendosme passant ,
Retien la bride à la course
Le beau crystal effaçant.
Puis salue mon la Haye ^
Du murmure de tes flots :
C'est celuy qui ne s'essaye
De sonner en vain ton los.
RETRANCHÉES. 4)3
Si le Ciel permet qu'il vive ,
Il convoira doucement
Les neuf Muses sur ta rive,
Pleines d'esbahissemfent ,
De le voir seul dessus Therbe ,
Remémorant leurs leçons ,
Faire aller ton flot superbe,
Honoré par ses chansons.
Va donc , et reçoy ces roses
Que je respan au giron
De toy, source qui arroses
Mon pays à Tenviron.
Lequel par moy te supplie
En ta faveur le tenir,
Et en ta grâce accomplie ,
Pour jamais Tentretenir,
Ne noyant ses pasturages
D'eau par trop se respandant,
Ne defraudant les ouvrages
Du laboureur attendant;
Mais fay que ton onde utile ,
Luy riant joyeusement ,
Innocente se distile
Par ses champs heureusement.
Ainsi du Dieu vénérable
De la mer puisses avoir
Une accolade honorable ,
Entrant chez luy pour le voir.
A RENÉ D'URVOY. (1550.)
Je n'ay pas la main apprise
Au mestier muet de ceux
Qui font une image assise
Sur des piliers paresseux.
Ma peinture n'est pas mue ,
Ronsard. — II. 28
4^4 Odes
Mais vive, etparTunivers
Guindée en Tair se remue
Dessus Tengin de mes vers.
Aujourd'huy faut que j'atteigne
Au parfaict de mon art beau :
Urvoy m*a dit que ie peigne
Ses vertus en ce lapleau.
Muses , ouvrez-moy la porte
De vostre cabinet saint ,
Afin que de là j'apporte
Les traits dont il sera peint.
Si ma boutique estoit riche
De hanaps ou vaisseaux d'or,
Vers toy je ne seroy chiche
Des plus beaux de mon thresor;
Et si te serois encore
D'une main large baillant
Le prix dont la Grèce honore
Le capitaine vaillant.
Mais je n'ay telle puissance ;
Tu n'en as aussi besoin :
Ta contente suffisance
Les repousseroit bien loin.
Les vers sans plus t'éjouissent :
Mes vers doncq' je t'offriray ;
Les vers seulement jouissent
Du droit que je te airay.
Les colonnes eslevées ,
Ne les marbres imprimez
De grosses lettres gravées ,
Ne les cuyvres animez ,
Ne font que les hommes vivent
En images contrefaits ,
Comme les vers qui les suivent
Pour tesmoins de leurs beaux faits.
Si la plume d'un poëte
Ne favorisoit leur nom,
La vertu seroit muette
RETRANCSHIÊES. 43;
Et sans langue le renom.
Du grand Hector la mémoire
Fust ja morte, ^i les vers
N'eussent empenné sa gloire
Voletant par Puni vers.
De mille antres l'excellence
Et rhonneur fust abatu.
Tousjours Tenvieux silence
S'arme contre la vertu.
Les plumes doctes et rares
Jusqu'au ciel ont envoyé ,
Arraché des eaux avares ,
Achille presque noyé.
C'est la Muse qui engarde
Les bons de ne mourir pas,
Et qui nos talons retarde
Pour ne dévaler là bas.
La Muse l'enfer desfie ,
Seule nous esleve aux cieux ,
Seule nous béatifie
Ennombrés au rang des dieux.
Ode (0. (1560.)
Lors que Bacchus entre chez moy,
Je sen le soin^ je sen l'esmoy
S'endormir, et ravi me semble
aie dans mes coffres j'ay plus d'or,
us d'argent et plus de thresor
Que Mide ny que Crœse ensemble.
Je ne veux rien sinon tourner
Par la dance et me couronner
Le chef d'un tortis de lierre;
I . Imitée d'Anacréon.
4^6 Odes
Je foule en esprit les honneurs,
Et les estais des grands seigneurs
A coups de pied j écraze à terre.
Verse-moy doncq* du vin nouveau ,
Pour m'arracher hors du cerveau
Le soin par qui le cœur me tombe ;
Verse donc pour me Tarracher.
Il vaut mieux yvre se coucher
Dans le lict, que mort dans la tombe.
Ode. (i$72.)
J'oste Grevin de mes escris ,
Pour ce qu'il fut si mal-appris ,
Afin de plaire au calvinisme
(Je vouloy dire à Tatheisme),
D*injurier par ses brocards
Mon nom , cogneu de toutes parts^
Et dont il faisoit tant d'estime
Par son discours et par sa rime.
Les ingrats je ne puis aimer.
Et toy, que je veux pien nommer,
Beau Chrestien , qui fais Thabile homme ,
Pour te prendre au pape de Rome
Et à toute Pantiquite ,
Cesse ton langage effronté ,
Sans blasmer, en blasmant l'Eglise
Que le bon Jésus auctorise ,
Ceux qui t'aymoient, et plus cent fois
Vrayment que tu ne meritois.
Vous n'avez les testes bien faites :
Vous estes deux nouveaux poètes.
Taisez-vous , ou comme il faudra
Mon cuisinier vous respondra,
Car de vous présenter mon page ,
Ce vous seroit trop d'avantage.
RETRANCHÉES. 4}7
SUR LA MORT D'UNE HACQUENÊE. (1550.)
Les trois Parques, à ta naissance,
T*avoyent octroyé le pouvoir
De ne mourir ains que de France
Le dernier bord tu peusses voir.
Or, pour la fin de tes journées ,
Ton dernier voyage restoit
Sous les fatales Pyrénées,
Où Tarrest de ta mort estoit .
De ta mort qui fiere t'accable ,
Non pas te meurtrissant ainsv
Qu'un cheval tout pelé du caole
Aux coups de fouets endurci ;
Mais te poussant par une porte ,
Le pont levis s'est enfoncé ,
Avec lequel la mort t'emporte ,
Te renversant dans le fossé.
Toy morte donc , que la Bretagne,
Ta mère , ne se vante pas
De haquenée qui attaigne
Ta course , ton amble , ton pas.
Ne moins les sablonneuses plaines
De la chaude Afriaue , où souvent
Les jumens (miracle) sont pleines
N'ayant mary sinon le vent.
Ode. (1560.)
Venus est par cent mille noms
Et par cent mille autres surnoms
Des pauvres amans outragée :
L'un la dit plus dure que Ter,
L'autre la surnomme un enfer,
Et l'autre la nomme enragée ;
4)8 Odes
L'un l'appelle soucis et pleurs,
L'autre tnstesses et douleurs ,
Et l'autre la désespérée.
Mais moy, pour ce qu'elle a tousjours
Esté propice ^ mes amours,
Je la surnomme la sucrée.
Ode. (1560*)
T'oseroit bien quelque poète
Nier des vers, douce alouette ?
Quant à moy, je ne Toserois.
Je veux celeorer ton ramage
Sur tous oyseaux qui sont en cage
Et sur tous ceux qui sont es bois.
Qu'il te fait bon ouir à l'heure
Que le bouvier les champs labeure,
Quand la terre le printemps sent,
Qui plus de ta chanson est gaye ,
Que courroucée de la playe
Du soc qui l'estomac luy fendi
Si-tost que tu es arrosée
Au poinct du jour de. la rosée,
Tu fais en l'air mille discours ;
En l'air des àisles tu frétilles ,
Et pendue au ciel tu babtUes
Et contes aux vents tes amours.
Puis du ciel tu te laisses fondre
Dans un sillon vert , soit pour pondre.
Soit pour esclorre ou pour couver.
Soit pour apporter la oéchée
A tes petits, ou d'une achée,
Ou d'une chenille , ou d'un ver.
Lors raoy, couché dessus l'herbctte.,
D'une part j'oy ta chansonnette;
De l'autre , s^s dit fpoliot ,
RETRANCHÉES, 439
A Tabry de quelque fougère ,
J*escoute la jeune bergère
Qui dégoise son lerelot.
Lors je dy : a Tu es bien-heureuse ,
Gentille alouette amoureuse ,
Qui n*as peur ny soucy de rien ,
Qui jamais au coeur n'as sentie
Les desdains d'une fiere amie ,
Ny le soin d'amasser du bien ;
« Ou si quelque soucy te touche y
C'est, lors que le soleil se couche,
De dormir et de réveiller
De tes chansons, avec l'aurore ,
Et bergers et passans encore,
Pour les envoyer travailler. »
Mais je vy tousjours en tristesse
Pour les fiertez d'une maistresse
Qui paye ma foy de travauir
Et Œune plaisante mensonge ,
Mensonge qui tousjours alonge
La longue trame de mes maux.
Ode. (1560.)
Si tu me peux conter les fleurs
Du printemps, et combien d'arène
La mer, trouble de ses erreurs.
Contre le bord d'Afrique ameine;
Si tu me peux conter des cieux .
Toutes les estoilles ardantes.
Et des vieux chesne$ spacieux
Toutes les fueilles veraoyantes ;
Si tu me peux conter l'ardeur
Des amans et leur peine dure ,
Je te feray le seul conteur,
Magny, des amours que j'endure.
440 Odes
Conte d'un rang premièrement
Deux cens que je pns en Touraine;
De l'autre rang, secondement,
Quatre cens que je pris au Maine.
Conte , mais jette prés à prés
Tous ceuTC d'Angers et de la ville
D'Amboise , et de Vendosme après ,
Qui se montent plus de cent mille.
Conte après SIX cens à la fois
Dont à Paris je me vy prendre ;
Conte cent millions qu'à Blois
Je pris dans les yeux de Cassandre.
Quoy ! tu fais les contes trop cours !
Il semble que portes envie
Au grand nombre de mes amours ;
Conte-les tous, je te suppjie.
Mais non, il les vaut mieux oster,
Car tu ne trouverois en France
Assez de gettons pour conter
D'amours une telle abondance.
OïXE. (1560.)
Certes par efFect je sçay
Ce vieil proverbe estre vray,
« Qu'entre la bouche et le verre
Le vin souvent tombe à terre ^
Et ne faut que l'homme humam
S'asseure de nulle chose,
Si ja ne la tient enclose
Ëstroittement dans la main. »
On dit que le ciel esgal
Donne du bien et du mal
Indifféremment à l'homme;
Mais à moy, mal heureux comme
Si j'estois conceu d'un chien
RETRANCHÉES. 441
Ou d'une fiere lionne.
Tousjours mal sur mal me donne ,
Et jamais un pauvre bien.
Ainsi , cruel , il te f)laist
De m'abbatre, et, qui pis est,
Comme si portois envie
Aux angoisses de ma vie ,
Pour me faire au double choir
En toute misère extrême ,
Tu me fais haïr moy-mesme ,
Et du tout m'ostes l'espoir.
Ode. (is6o.)
Ma maistresse , que j'aime mieux
Dix mille fois ny que mes ^eux ,
Ny que mon cœur, ny que ma vie ,
Ne me donne plus , je te prie ,
Des confitures pour manger,
Pensant ma fièvre soulager :
Car ta confiture, mignonne.
Tant elle est douce, ne me donne
Qu'un désir de tousjours vouloir
Estre malade pour avoir
Tes friandises en la bouche.
Mais bien si quelque ennuy te touche
De me voir ainsi tourmenté
Pour la perte de ma santé.
Et si tu veux aue dés ceste heure
Pour vivre dedans moy je meure ,
Fay-moy serment par Cupidon ,
Par ses traits et par son brandon ,
Et par son are et par sa trousse ,
Et par Venus , qui est si douce
A celles qui garaent leur foy,
Que jamais un autre que moy,
442 Odes
Fust-ce un Adonis , n'aura place
En ton heureuse bonne-grace.
Lors ton serment pourra guarir
La fièvre qui me fait mourir.
Et non ta douce confiture ,
Qui ne m'est que vaine pasture.
Ode. (1560.)
Ah ! fiévreuse maladie ,
Comment es-tu si hardie
D'assaillir mon pauvre corps,
Qu'Amour dedans et dehors
De nuit et de jour enflame
Jusques au profond de Tame,
Et sans pitié prend à jeu
De le mettre tout en teu ?
Ne crain&-tu point, vieille blesme,
Qu'il ne te brûle toy-mesme ?
Mais que cherches-tu chez>>moy ?
Sonde- moy partout, et voy
Sue je ne suis plus au nombre
es vivans, mais bien un ombre
De ceux qu'Amour et la Mort
Ont conduit delà le port.
Compagnon des troupes vaines.
Je n'ay plus ny sang, ny veines,
Ny flanc, ny poumons, ny cœur;
Long-temps a que la rigueur
De ma trop fière Cassairare
Me les a tournez en cendre.
Donc, si tu veux m'offenser,
Il te faut aller blesser
Le tendre corps de m'amie;
Car en elle gist ma vie ,
Et non en moy, qui mort suis,
RETRAHCHÉES. 443
Et c^ui sans ame ne puis
Sentir chose qu'on me face ,
Non plus qu'une froide masse
De rocher ou de métal , *
Qui ne sent ne bien ne mal.
A SON LIVRE. (1560.)
Bien qu'en toy, mon livre, on n'oye
Achille es plaines de Troye
Brandir l'homicide dard ,
Et qu'un Hector n^y foudroyé
L'estomac d'un Grec soudard,
Ne laisse pourtant de mettre
Tes vers au jour, car le mètre
?u'en toy bruire tu entens
Vase pour jamais promettre
Te faire vainqueur du temps.
Si la gloire et la lumière
De Smyrne luit la première,
L'honneur sur tous emportant,
Une muette fumière
N'obscurcit Thèbes pourtant.
Les vers qu'il m'a pieu de dire
Sur les langues de ma lyre
Vivront , et , supérieurs
Du temps , on les voirra lire
Des hommes postérieurs.
Sus donc , Renommée , charge
Dessus ton espace large
Mon nom , qui tente les cieux ,
Et le couvre sous ta targe,
De peur du trait envieux.
Mon nom , dés l'onde atlantique
Jusqu'au dos du More antique,
Soit immortel tesmoigné,,
444 Odes
Et depuis l'isle erratiqiie
Jttsqu au Breton esloigné,
A fin que mon labeur croisse
Et sonoreux apparoisse
Lyrique par dessus tous,
Et que Thebes se cognoisse
Faite Françoise par nous.
Ode. (1584.)
Cependant que ce beau mois dure ,
Mignonne, allons sur la verdure;
Ne laisson perdre en vain le temps :
L'âge glissant, oui ne s*arreste,
Meslant le poil ae nostre teste.
S'enfuit ainsi que le printemps.
Donc, cependant que nostre vie
Et le temps d'aimer nous convie,
Aymon, moissonnon nos désirs,
Passon l'amour de veine en veine.
Incontinent la mort, prochaine.
Viendra desrober nos plaisirs.
Odelette.
Boivon , le jour n'est si long que le dov.
Je perds, amy, mes soucis quand je ooy.
Donne-moy viste un jambon sous ta treille ,
Et la bouteille
Grosse à merveille
Giougloute auprès de moy.
Avec la tasse et la rose vermeille
Il faut chasser l'esmoy.
RETRANCHÉES. 445
A JEAN D'AURAT. (i^jo.
Puissé-je entonner un vers
Qui raconte à Tunivers
Ton los porté sus son aile,
Et combien je fus heureux
Succer le laict savoureux
De ta féconde mammelle !
Sur ma langue doucement
Tu mis au commencement
Je ne sçay quelles merveilles
Que vulgaires je rendv,
Et premier les espanay
Dans les françoises aureilles.
Si , en mes vers , tu ne vois
Sinon le miel de ma vois
Versé pour ton los repaistre ,
Qui m en oseroit blasmer?
Le disciple doit aimer,
Vanter et louer son maistre.
Nul ne peut monstrer devant
Qu'il soit expert et sçavant,
Et rignorance n'enseigne
Comme on se doit couronner
Et le chef environner
D'une verdoyante ensaigne.
Sr j'ay du bruit, il n est mien;
Je le confesse estre tien ,
Dont la science hautaine
Tout altéré me trouva ,
Et bien jeune m'abreuva
De l'une et l'autre fontaine.
De sa mère l'apprentif
Petit de son luth aeceptif
446 Odes
Tromper les bandes rurales.
Puisse avenir aue ma vois
Attire et flate oes rois
Les grandes mains libérales 1
L'honneur nourrit le sçavoir.
Quand Tœil d'un prince veut voir
Le ministre de la Muse ,
Phebus luy fait ses leçons;
Phebus aime ses chansons,
Et son luth ne luy refuse.
On ne se travaille point
Ayant un disciple épomt
A vertu dés sa naissance;
En peu de jours il est fait
D'apprentif maistre parfait :
J'en donne assez cognoissance.
A RENÉ D'ORADOUR,
Abbé de Beus. (1550.)
Le Temps, de toutes choses maistre ,
Les saisons de Tan terminant,
Monstre assez que rien ne peut estre
Longuement durable en ^on estre
Sans se changer incontinant.
Ores rhyver brunit les cieux
D'un grana voile obscur emmuré;
Ores il soufle audacieux ,
Ores froid , ores pluvieux ,
En son inconstance asseuré ;
Puis, quand il s'enfuit variable,
On revoit Zephyre arriver,
Amenant un ciel amiable.
Qui est beaucoup plus agréable
Après qu'on a senti l'hyver.
RETRANCHÉES, 447
Quand un soucv triste et hideux,
Oradbur, te viendroit saisir,
Ne t'effroye d'jun ny de deux :
Car le Temps seul , en dépit d'eux ;
Te rendra libre à ton plaisir.
Dessus ton luth pour eux nç cesse ,
Si tu me crois, de raconter
Les passions ae ta maistresse,
Et comme sa voix flateresse
L'ame du corps te sceut oster.
De t'amie le nom aimé
Ores sur les eaux soit ouy,
Et ores par le bois ramé ;
Qu'il n'y ait pré de fleurs semé
Que d'elle ne soit éjouy.
Aucunefois, prés du rivage,
Lentement couché sur le jonc,
Tu oyras dans le bois sauvage
La veuve tourtre, en son ramage,
Se lamenter dessus un tronc.
Voilà comment il faut casser
L'effort des ennuis odieux ,
Et le soin du cœur efacer.
Incontinent tu dois passer
Les flots tant redoutez 4qs dieux.
Après la tourmente bien forte,
Le nautonnier, dur au labeur,
Boit sur la proue et reconforte
Sa troupe languissante et morte.
Chassant leur misérable peur.:
a Compagnons, l'enduré tourment
Par le vin nous effacerons.
Sus, suSj vivons joyeusement;
Après boire, plus aisément
La voile nous rehausserons. »
44^ Odbs
DE LA JEUNE AMIE D'UN SIEN AMY (>).
Ta génisse n*est assez drue
(Atten que ses ans soient venus),
Ne forte assez à la charrue ,
Ne pour le taureau , qui se rue
Lourdement aux jeux de Venus;
Aîns, mesiée avecques les veaux,
Folâtre d'une course viste,
Ou dessous les saules nouveaux
Se veautre à l'ombre . ou prés des eaux
Les flammes du soleil évite.
Jamais n'endure qu'on la touche,
Fuyant à bonds comme un chevreau ,
Comme un jeune chevreau farouche
?ui sur le printemps s'escarmouche
ar le tapis d'un verd préau.
Ne sois envieux du désir
Des raisins trop verts^ car l'automne
Les meurira tout à loisir.
Lors tu pourras à ton plaisir
Manger ta grappe meure et bonne.
Le temps, ravissant ton vert âge.
Le luy don'ra. Voilà le point
Comme elle croistra d'avantage ,
Tirant un gain de ton dommage ,
Dommage que l'on ne sent pomt.
Ji me semble que je la voy
Mignarde, en ton giron assise,
Te jurer étemelle foy
Et ne sçavoir partir de toy,
Tant en toy son coeur aura mise.
I . Pris de Théocrite. André Chénier en a aussi donné une
imitttion dans son Idylle intitulée Arcas et Paiimon.
RETRANCHÉES.
De toy pensive et idolâtre
T'adorera quelque matin.
Je prevoy ta main qui folâtre
Déjà sur sa cuisse a*albâtre
Et sur l'un et Pautre tetin.
Mais quoy ! pour néant tu pretens
De vouloir violenter ores
L'inexorable loy du temps,
Sue le plaisir que tu attens
e te veut pas donner encores.
449
A LA MUSE CLEION
Pour célébrer Maclou de la Haye, le premier jour
du mois de may. (i y jo.)
Muses aux yeux noirs, mes pucelles,
Mes Muses, dont les estincelles
Ardent mon nom par l'univers ,
De Maclou sacrez la mémoire,
Et faites distiller sa gloire
Dans le doux sucre de vos vers.
O ! qui des forests chevelues
Et des belles rives velues,
Cleion t'éjouis, sus, avant!
Cent fleurs pour mon La Haye amasse ,
Et qu'une couronne on luy face
Pour ombrager son front sçavant.
A toy et à tes sœurs compagnes
Il appartient par vos montaignes
L'éterniser en ce verd mois.
Là donc que sa gloire s'espande ,
Et sus les cordes on l'étende
Du lut qui bruit en Vandomois (a).
a. Var. 1 560 :
Le célébrera haute voix;
Ronsard,, — H.
^9
4(0 Odes
A CHARLES DE PISSELEU,
Evesqne de Condon (isfo) [i].
fj ue nul papier d'orénavant
^^_Par moy ne s'anime sans mettre
(Docte prélat) ton nom devant
- -Pour donner faveur à mon mètre.
C*est luy qui mieux te fera vivre
Su'un pourtrait de marbre attaché ,
u qu'une médaille de cuyvre
Mise à ton los dans un marché.
[Si perles ou rubis i'avoye
Decians mes coffres à présent,
Et tout cela que l'Inde envoyé
Aux froides terres pour présent;
Tu les aurois comme ma ryme ;
Mais , Charles (ou je me deçoy)
Ou tu en ferois peu d'estime
Et les bannirois loin de toy.
Rien que les Muses ne t'émeuvent;
Les Muses donc je vueil t'offrir,
Les Muses qui vives ne peuvent
L'oubïivieux tombeau souffrir.]
Qui penses-tu qui ait fait croistre
Hector ou Ajax si fameux ?
Là doncques espandez sa gloire ,
Et dessus ma lyre d'ivoire
Faites le bruire en Vandomois,
La pièce entière a été supprimée dès i (67.
I. En i;6o cette ode est dédiée au seigneur de Lanques
et les trois strophes entre crochets soàt retranchées.
RETRANCHÉES. 45 1
Ne te puis-je faire apparoistre
Par renommée autant comme eux ?
Certes le fort et puissant stile
Des poètes bien escrivans
Du creux de la fosse inutile
Les a déterrés tous rivans.
Bien, ouand ta main auroit reprise
La serve Boulongne , et donté
Jusqu'aux deux bouts de la Thamise
L'Anglois , à force surmonté .
Tu n'as rien fait si telle gloire
N'est pourtraite en mes vers , i fin
Que ta renaissante mémoire
Vive par les bouches sans fin.
Les livres seuls ont de la terre
Jupiter aux cienx envoyé ,
Et luy ont donné le tonnerre
Dont Encelade est foudroyé.
Ainsi les deux frères d'Heleine
Par leur faveur se firent dieux ^
Sauvant la nau , qui est jà pleine
De flots, et de flots odieux.
A DIEU, POUR LA FAMINE. (i$$o.)
ODieu des exercites,
Qui , aux Israélites .
Donnant jadis secours.,
Fendis en, deux je cours
De la rouge eau salée,
Et , comme une valée
Que deux tertres espars
Emmurent de deux pars.
Tu fis au milieu d'elle
4)2 Odes
Une voye fidelle,
Où à pied sec parmi
Passa ton peuple ami ;
Et puis en renversant
Le Ilot obeyssant
Sus le prince obstiné ,
Tu as exterminé
Luy et sa gent noyée
Sous l'onde renvoyée.
Ton peuple errant delà
Aux déserts çà et là .
Les veaux de fonte adore ;
Mais pour sa faute encore
Le ciel ne laissa pas
De pleuvoir son repas ^
?tt'n receut de ta erace
ar quarante ans orespace.
O seigneur! retourne ores
Tes yeux, et voy encores
Ton peuple lan^issant y
Ton peuple périssant,
Que ta pâlie famine
(Mort estrange) extermine !
Père, nous sçavons bien,
Selon tes loix , combien
Nos journalières fautes
Sont horribles et hautes ,
Et , voyant nos péchez ,
Dont sommes entachez,
Sue ceste affliction
^est pas punition ;
Mais nous sçavons aussi
?ue nous aurons merci ,
ôutes les fois que nous,
Flechissans les genous
Et soulevans la face.
Demanderons ta grâce.
Las, 6 Dieu! sur nous veille.
V3
RETRANCHÉES. 4()
Et de bénigne aureille
En ceste aspre saison
Reçoy nostre oraison ;
Ou bien sur les Tartares,
Turcs, Scythes et Barbares
Qui n'ont la cognoissance
Du bruit de ta puissance ,
Seigneur, hardiment
Espan ce chastiment ,
Et ton peuple console
Qui croit en ta parole,'
Ou fay encor renaistre
Les ans du premier estre,
L'âfie d'or précieux ,
Où le peuple ocieux
Vivoit aux bois sans peine
De glao cheut et de feine !
A CASSANDRE. (i$$o.)
i-*.
Le printemps vient , naissez fleurettes
Coupables de mes amourettes ,
Sus I naissez , et toutes ensemble
Variez par vostre peinture
Un manteau verd a la nature.
iCassandre^ qui tant leur ressemble^
Tu crois comme elle , ce lirië seriiblë, ï
Et ton petit poil acourci
S'allonge en fil d'or avec l'â^e ,
Comme un reverdissant fueiflage.
Tu croistras donc pour le souci
De maint peuple , et de moy aussi, —
Et SI feras les fleurs compagnes
454 Odes
Qui croissent à Tenvi de toy
Pallir de Taniour comme moy.
Et les eaux baignans les campagnes ,
Celles qui tonnent aux montaignes y
Frappant contre leur bord dolant ,
Bruiront leurs amours éternelles
Si ton bel œil se mire en elles.
Après maints cours de Tan volant ,
Les cieux , pour t'enfanter voulant
Se piller eux~mesmes , ont pris
Tout le beau vers eux retourné.
Et de toy le monde' ont orné,
A fin qu'on ne mette à mesprîs ^
Mes chants pour t'amour entrepn's.
Qui les traits de ta beauté suivent,
/ Et qui d'un vers laborieux
\ La font remonter jusqu'aux dieux.
J Les beautez jusqu'aux cieux arrivent
\ Si les poètes les descrivent;
\ Donc, Cassandre, si tu m'aimois
j Tu apprendrois de main docile
L'art et la* manière facile
Des Odes du luth Vendomois.
V
CONTRE LA JEUNESSE FRANÇOISE
CORROMPUE. {1S$0.)
Esperons-nous l'Italie estre prise,
Ou regaigner par meilleure entreprise,
D'un bras vindicatif,
Le serf butin de nos pertes si amples
Dont l'Espagnol a décoré ses temples
Dessous le roy captif?
pue telle gloire est loin de l'espérance,
RETRANCHÉES. 45>
Voyant (6 temps !) la jeanesse de France
À tout vice estre encline !
Outrecuidée en ses fautes se plaist,
Hait Tenseigneur, Tignorante qu'eir est
De toute discipline!
Ny escrimer, combattre à la barrière,
Ne iaçonner poulains en la carrière,
Peu vertueuse, n*ose;
Suit les putains, les.naauetSj, les plaisans,
Et laschement corrompf ses jeunes ans,
Sans oser plus grand'chose.
De telles cens Charles n'a pas denté
Naples, Venise, et Milan surmonté
Dessous son joug rebelle ,
Mais d^un soldat brave, vaillant et fort.
Qui de soy-mesroe alloit hasUuit sa mort
Par une playc belle.
Le pigeon vient du pigeon , et la chèvre
Naist de la chèvre, et le lièvre du lièvre;
Le fils tousjours rapporte
Le naturel des parens avec luy :
Quel peuple donc pourroit naistre aujourd'hny
De racé si peu forte }
La fille preste à marier accorde
Trop librement sa chanson à la corde
D'un poulce curieux,
Et veut encor Pétrarque retenir,
A (in que mieux elP puisse entretenir
L'amant luxurieux.
Il n'y a rien que cet âge où nous sommes
N'ait corrompu; il a gastè les hommes,
Les nopces sont pollues;
Des dieux vengeurs, sans honneur et ^ns pris,
Les temples met l'Aileman à mespris
Par sectes dissolues.
4(6 Odes
A SON RETOUR DE GASCONGNE,
Voyant DE loin Paris.. (1550.)
Deux et trois fois heureux ce mien regard,
Duquel je voy la viUe où sont infuses
La discipline et la gloire des Muses 1
C'est toy, Paris, que Dieu conserve et gard* !
C'est toy oui as dé science^ avec art,
Endoctrine mon jeune âge ignorant ,
Et qui chez-toy, par cinc[ ans demeurant,
L'as allaicté du taict qui de toy part.
Combien je sen ma vie heureuse en elle
, En te vovant^ au prix de ces monts blancs
Oui ont réchine et la teste et les flancs
CCargez de dace et de neige éternelle!
Je vojr déjà la bande solennelle
Du sainct Parnasse en avant s'approcher
Et me baiser, m'accoler et toucher.
Me r'appellant à son estude belle.
De 1 autre part, ma librairie, helas!
Grecque, latine, espagnole, italiaue,
En me tançant cJ'un front mélancolique ,
Me dit que plus je n'adore Pallas.
Un milion d^amis ne seront las
Deux jours entiers de me faire la feste.
Un Peletier qui a dedans sa teste
Muses et dieux, les nymphes et leurs lacs;
D'Aurat, réveil de la science morte.
Et mon Berger, qui s'est fait gouverneur
Non de troupeaux , mais de gloire et d'honneur,
Tiendra mon col lassé d'une main forte.
Tel jour heureux , qui tant d'aise m'apporte ,
Soit par mes vers jusqu'au ciel colloque ,
RETRANCHÉES. 457
Et sur mon cœur d'un blanc travers marqué y
Scelle fin que jamais il n'en sorte!
Mon Oradour ne Maclou n'y sont mie :
L'un est allé i Rome pour le Roy ;
L'autre en Anjou , esclave de sa foy,
Vit sous l'empire assez doux de s'amié.
Soit par la reste une joye accomplie.
De folastrer faison nostre devoir.
Ce jour passé, je suis prest d'aller voir
Si pour le temps les lettres on oublie.
Plus que devant je t'aimeray^ mon livre.
A celle fin aue le sçavoir j'appnnse ,
J'ay délaissé. et cour, et roy, et prince^
Où j'estoy bien quand je les vouloy suivre.
Pour recompense aussi je me voy vivre;
Et jusqu'au ciel icy bas remué ,
Ainsi qu'Horace, en cygne transmué,
J'ay fait un vol qui de mort me délivre.
Car, si le jour voit mon œuvre entrepris,
L'Espagne aocte et l'Italie apprise,
Celuv qui boit le Rhin et la Tamise
Voudra m'apprendre ainsi que je l'appris.
Et mon labeur aura louange et pris.
Sus, Vendomois (petit pays), sus donques,
Esjouy-toy, si tu t'éjouys oncques :
Je voy ton nom fameux par mes escris!
A BOUJU, ANGEVIN. (1550.)
Cestui-cy en vers les gloires
Des dieux vainqueurs escrira.
Et cestuy-là les victoires
De nos vieux princes dira.
Mais moy, je veux que ma Muse
Répande ton nom par l'air^
4$8 Odes
Et que toute s'y amuse
Si peu qu'elle sçait parler,
Pour estre de nostre France
L'un de ceux qui ont défait
Le vilain monstre Ignorance
Et le siècle d'or refait.
Que celuy qui s'estudie
D'estre pour jamais vivant
La main d'un peintre mendie,
Ou l'encre d'un escrivant;
Mais toy, -oui hautain déprise
Une empruntée faveur
De la main (tant soit apprise)
D'un poète ou engraveur,
Tu peux , maugré la Mort blesme ,
Mieux qu'une plume ou tableau ,
T'arracner vivant toy-mesme
Hors de l'oublieux tombeau.
Faisant un vers plus durable
Qu'un colosse elabouré ,
Ou la tombe mémorable
Dont Mausole est honoré.
Les pyramides, tirées
Des entrailles d'un rocher,
Jadis des rois admirées,
Le temps a fait trébucher;
Mais, si Pesprit poétique
Qui m'agite n'est errant,
Plus que nul pilier antique
Ton œuvre sera durant.
Et si prevoy que la gloire
De ton vagabond renom
Ne fera sonner à Loire,
Contre ses bords, que ton nom.
Et, le tournant en son onde,
Le ru'ra dedans la mer,
A fin que le vent au monde
Le puisse par tout semer.
RETRANCHÉES. 459
CONTRE UN
Qui luy desroba son Horace, (isjo.)
fj uiconques ait mon livre pris,
^^.D'oresnavant soit-il épris
D'une fureur, tant qu'il luy semble
Voir au ciel deux soleils ensemble ,
Comme Penthée!
Au dos, pour sa punition,
Pende sans intermission
» Une furie qui le suive!
* Sa coulpe luy soit tant qu'il vive
Représentée.
A MACLOU DE LA HAYE,
Sur le traité de la paix fait entre le roy François
et Henry d'Angletene en 1 5 4 5 .
(M50.)
Il est maintenant temps de boire ,
Et d'un doux vin oblivieux
Faire assoupir en la mémoire
Le soin de nostre aise envieux.
Que c'estoit chose défendue
Auparavant de s'éjouyr.
Ains que la paix nous nist rendue ,
Et le repos pour en jouyr!
Je dy quand Mars armoit l'Espagne
Contre les François indontez
460 Odbs
Et ce peuple que la mer baBoe
(Hors du inonae)de tous costei;
L'Espagne en picques violentes,
Furieuse , et ce peuple iq',
Par ses flèches en l'air volantes ,
A craindre grandement aussi.
Puis que la paix est revenue
Nous embellir de son séjour,
Lajoyeen l'obscur détenue
Doit i son rang sortir au jour.
Sus, page, en l'honneur des trois Gra
Verse trois fois en ce pot neuf,
Et neuf fois en ces neuves tasses,
En ['honneur des Stcurs qui sont neuf.
Ces lys et ces roses naïves
Sont espandues lentement ,
le hay les mains qui sont oisives :
Qu'on se despeche visteraenl.
Là donc, amy, de corde neuve
R'anime ton luth endormy :
Le luth avec le vin se treuve
Plus doui , s'il est meslé parmj.
quel zephyre favorable
Portera ce tolastre broit
Dedans l'oreille inexorable
DeMagdaleine, oui notisfuit?
Le soin qui en rame s'engrave
Secouer aux vents or' tu dois ;
C'est chose sage et vray'ment grave
De faire le fol quelque-fois.
RETRANCHÉES. 461
A LA FONTAINE BELLERIE. (1550.)
Argentine fontaine vive ,
De qui le beau crystal courant ,
D'une fuitte lente et tardive
Ressuscite le pré mourant ,
Quand l'Esté mesnager moissonne
Le sein de Ceres devestu ,
Et Taire par compas resonne
Dessous respy de blé battu ;
A tout jamais puisses-tu estre
En honneur et religion
Au bœuf et au bouvier champestre
De ta voisine resion ;
Et la Lune , d'un œil prospère ,
Voye les Bouquins amenans
La Nymphe auprès de ton repère,
Un bal sur Therbe demenans f
Comme je désire , fontaine ,
De plus ne songer ooire en toy
L'esté , lorsque la fièvre ameine
La mort despite contre moy.
A SA MUSE. (1550.)
Grossi-toy, ma Muse françoise,
Et enfante un vers résonant,
Qui bruye d'une telle noise
Qu'un fleuve débordé tonant ,
Alors qu'il saccage et emmeine ,
402 Odes.
Pillant de son flot^ sans mercy,
Le thresor de la riche plaine.
Le bœuf et le bouvier aussi.
Et fay voir aux yeux de la France
Un vers qui soit industrieux,
Foudroyant la vieille ignorance
De nos pères peu curieux.
Ne suy ny le sens, ny la rime ,
Ny Fart du moderne ignorant ,
Bien que le vulgaire Testime ,
Et en béant Paille adorant.
Sus, donque, Tenvie surmonte.
Coupe la teste à ce serpent!
Par tel chemin au ciel on monte ,
Et le nom au monde s'épend.
A LA FOREST DE GASTINE (1550) [i].
Donques, forest, c'est à ce jour
Que nostre Muse oisive
Veut rompre pour toy son séjour,
Aussi tu seras vive.
Je te dy vive pour le moins
Autant que celles voire
De qui les Latins sont tesmoins,
Et les Grecs, de leur gloire.
De quel présent te puis-je aussi
Payer et satisfaire , ,
Plus grand que cestuy-Ia qu'icy
Ma plume te veut faire ?
Toy qui au doux froid de tes bois
Ravy d'esprit m*amuses;
I. Voyez page 159 de ce volume une autre ode ^ te forêt
de Gastine, prise en partie de celle-ci.
RETRANCHÉES. ^6)
Toy qui fais qu'à toutes les fois
Me respondent les Muses ;
Toy qui devant qu'il naisse en moy.
Le soin meurtrier arraches ;
Toy encor qui de tout esmoy
M'allèges et défasches ;
Toy qui au caquet de mes vers
Estens Toreille oyatite,
Courbant en bas les cheveux vers
De ta cime ployante,
La douce rosée te soit
Tousjours quotidiane ,
Et le vent qu'en chassant reçoit
L'haletante Diane.
En toy habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flâme sacrilège.
A CASSANDRE. (1550.)
Si cet enfant qui erre
Vagabond par la terre
Avecques le carquois ,
Frère de l'arc turquois,
Arc qui me point et mbrd ,
Avoit son flambeau mort
Allumé dans l'haleine
Du géant qui à peine
Tient le mont envoyé
Sur son dos foudroyé,
Et m'en eust en donnant
Brusié le cœur amant ,
Comme (flâme indiscrette)
A la roine de Crète ,
Encor ne m'auroit tant
464 Odes
Bnislé , sa flàme estant
Reprise en son flambeau ,
Que ton visage beau ,
Que ta bouche qui semble
Roses et lis ensemble,
Que tes noirs yeux lascifs,
Armez d'archiers sourcis ,
Qui mille flesches tirent
Dans les miens , qui se mirent
En ta face , 6 pucelle ,
Me plaisant plus que celle
Qui , desdaignant Tithon ,
Au matin le voit-on
Peindre de mille roses
Ses barrières descloses.
Si
DE FEU LAZARE DE BAIF.
A Calliope. (1550.)
i les Dieux
* Larmes d'yeux
Versent pour la mort d'un homme ,
Acesteheure,
pieiix, qu'on pleure,
Et qu'en dueil on se consomme 1
Qilliope,
Et Utrope,
Ba!f chantez en voix telle
Que sa gloire
Par mémoire
Soit saintement immortelle.
En maint tour,
A l'entour
Du cercueil croisse l'hierre.
Nuit et jour
Sans se]Our,
RETRANCHÉES. 465
A rignorance. il eut guerre.
L^xcellence
De la France
Mourut en Budé première,
Et encores
Morte est ores
Des Muses l'autre lumière.
A JOACHIM DU BELLAY ANGEVIN. (1550.)
Si les âmes vagabondes
Aux enfers des pères vieux ,
Après avoir beu les ondes
Du doux fleuve oblivieux ,
Desdaignans Tobscur séjour,
Pleines d'amour de la vie première
Reviennent voir de nos cieux la lumière ,
Et le clair de nostre jour;
Si ce qu'a dit Pythagore
Pour vray l'on veut estimer,
L'ame de Pétrarque encore
T'est venue r'animer;
L'expérience est pour moy,
Veu que son livre antiq' tu ne leus oncques ,
Et tu escris ainsi comme luy ; donques
Le mesme esprit est en toy.
Une Laure plus heureuse
Te soit un nouveau soucy,
Et que ta plume amoureuse
Engrave à son tour aussi ,
Des amoureux le doux bien ^
A celle fin que nostre siècle encore,
Comme le vieil . en te lisant t'honore
Pour gaster l'encre si bien.
Rotuard. — n. 30
466 Odes
D'une nuit oblivieuse
Pourquoy tes vers caches-tu ?
La lumière est envieuse
S'on luy celé la vertu ;
Par un labeur glorieux
Ont surmonté les fureurs poétiques
Du vieil Homère et des autres antiques
Les siècles injurieux.
D'UN ROSSIGNOL ABUSÉ. (1550.)
En may, lors que les rivières
Des-enflent leurs ondes fieres
De la nége de Thyver,
Et que Ton voit arriver
Le beau signe qui r'assembL
Les amoureux joints ensemble ,
Duquel la clarté naissant ,
Sur un bateau périssant ,
Le vent se couche , et la mer .
Rengorge son flot amer,
Le mannier soucieux
Prenant un front plus joyeux.
Donc , au retour de ce temps
Que tout rit sous le printemps ,
Le rossignol passager
Estoit venu r assiéger
Sa forteresse ramée ,
De son caquet animée ;
Là , soit qu'il voulust chanter
Amour ou le lamenter,
S'assit , si l'antiquité
Chenue dit vérité ,
Sur un buis, dont s'escartoit
RETRANCHÉES. 467
Un ruisseau qui clair partoit,
Chantant de voix si sereine ,
Si gave , si souveraine ,
Que les chesnes bien oyants ,
Et les pins en bas ployants
Leurs oreilles pour l'ouyr
S'en voulurent resjouyr.
Geste nymphe sonoreuse
Du fier entant amoureuse ,
Jusqu'au ciel le chant rapporte,
Redoublant la voix de sorte
Que les rochers d'eaux lavez
Et leurs pieds d'elle cavez ,
Le ciel feirent assez seur
De la champestre douceur.
Mais luy, qui escoute un son
Tout semblable à sa chanson ,
Puis voyant son ombre vaine
Remirée en sa fontaine ,
Pense que son ombre estoit
Un oiseau qui mieux chantoit.
Amour de gloire obstinée
Avec toute beste née ,
Voulant demeurer le maistre
Et de soy le vainqueur estre ,
Plus haut que devant il sonne ,
Plus haut le bois en resonne.
Il dit et chante comment
Il fut tesmoin du tourment
Que la jalouse receut
Sous feint nom qui la deceut ;
Et comme le chevalier
Au javelot singulier
Se pasma dessus la face
Que desja la mort efface ,
Appellant plustost les dieux
Et les astres odieux,
Plustost avecque grands cris
468 Odes
Comblant Tair de sa Procris,
Despitoit le nom semblable ,
Et le vent du fait coulpable.
Il vouloit encore dire
De Clytie le martire ,
Lon que les nymphes des bois ,
D'aise ne tenant leurs vois,
A se mocquer commencèrent ,
Et le mocquant l'offensèrent.
Luy, qui a bien apperceu ,
Les oyant , qu'il est deceu ,
Teignit, tant ire le donte,
Ses joues d'honneste honte;
Si que , rompant viste en Pair,
Le vuide par son voler,
Tellement se disparut,
Qu'onques puis il n'apparut.
Qui est mieux semblaole à toy,
Petit rossignol, que moy?
Tous deux des nymphes ensemble
Sommes trompez , ce me semble ^
Toy de ton chant , moy du mien :
Ainsi nous nuit nostre bien.
Car vers , ne chansons escf ites ,
Ne rimes , tant soient bien dites,
N'ont rompu la cruauté
D'une de qui la beauté
Me lime jus(^ues au fond
Le cœur, qui en flammes fond.
Mais , ô déesse dorée ,
Des beaux amans adorée,
Livre-la-moy ouelgue jour
Dedans un ht à séjour,
Aiin qu'ell' me baise et touche,
Qu'ell' me mette dans la bouche
Je ne sçay quoy, dont Envié
Ait despit toute sa vie ;
Qu'eir me serre , qu'ell' m*enGhesne
RETRANCHÉES. 469
(Comme un lierre le chesne ,
Ou la vigne les ormeaux)
Mon col de ses bras jumeaux.
A GASPAR D»AUVERGNE. (1550.)
Çy ue tardes-tu ^ veu que les Muses
^V^T^'^nt eslargi tant de sçavoir,
Que plus souvent tu ne t'amuses
A les chanter, et que tu n'uses
De Part qu'elles t'ont fait recevoir ?
Tu as le temps qu'il faut avoir,
Repos d'esprit et patience ,
Doux instrument Je la sci&nce ;
Et toutefois l'heure s'enfuit
D'un pied léger et diligent ,
Sans que ton esprit négligent
Face apparoistre de son fruit.
On ne voit champ , tant soit fertil ,
S'il n'est poitry du labourage ,
Qu'à la fin ne vienne inutil ,
Voire ^ et le champ joignant ful-il
Du Nil l'égyptien rivage.
Tant soit un cheval de courage ,
Et coustumier à surmonter,
S'on est long-temps sans y monter
Il devient rosse et fort en bride ;
Ainsi des Muses l'escrivain ,
S'il les délaisse , helas ! en vain
Il les invoque après pour guide.
L'orfèvre de tenir n'a honte
Les instrumens de son mestier,
Son plaisir sa peine surmonte ,
Tellement qu'il feroit grand conte
Estre oisif un jour tout entier ;
■■
470 Odes
Ton art le passe d'un quartier.
Quoi ! voire du tout, ce me semble ;
Toutefois , encre et pbme ensemble
Tu crains , paresseux à toucher.
D'oresnavant escry , compose :
La louange pour peu de chose
S'achette , et qu 'est-il rien plus cher }
Mainte ville jadis puissante
Est ores morte avec son nom ,
Ensevelie et languissante ,
Et Troye est encor florissante ,
Comme un beau printemps en renom ;
Bien d'autres rois qu'Agamemnon
Ont fait reluire leur vertu ;
Et si sont morts , car ils n'ont eu
Un Homère, qui mieux qu'en cuivre,
En médaille , en bronze ou tableau ,
Les eust arrachez du tombeau ,
Faisant leur nom vivre et revivre.
CHANT DE FOLIE A BACCHUS. (1550.)
Délaisse les peuples vaincus
Qui sont sous le lit de l'Aurore ,
Et la ville qui , ô Bacchus ,
Cérémonieuse t'adore.
De tes tigres tourne la bride
En France, où tu es invocjué,
Et par l'air ton chariot guide ,
Dessus en pompe colloque.
Que ceste feste ne se face
Sans t'y trouver, père joyeux,
C'est de ton nom la dédicace,
Et le jour où l'on rit le mieux.
RETRANCHÉES. 47 1
Voy-le-ci , je le sen venir,
Et mon cœur estonné ne peut
Sa grand' divinité tenir,
Tant elle Pagite et Pesmeut.
Quels sont ces rochers où je vais
Léger d'esprit? Quel est ce fleuve,
Quels sont ces antres et ces bois
Où seul , esgaré , je me treuve ?
J'entens le bruir-e des cymbales
Et les champs sonner : Evohé !
J'oy la rage des bacchanales
Et le son du cor enroué.
Icy le chancelant Silène,
Sus un asne tardif monté,
Les inconstans Satyres mené.
Qui le soustiennent d'un costé.
Qu'on boute du vin en la tasse,
Sommelier! qu'on en verse tant
Qu'il se respande dans la place I
Qu'on mange, qu'on boive d'autant!
Amoureux, menez vos aimées,
Ballez et dansez sans séjour;
Que les torches soient allumées
Jusques à la pointe du jour.
Sus, sus, mignons, aux confitures!
Le cotignac vous semble bon ;
Vous n'avez les dents assez dures
Pour faire peur à ce jambon.
Amis, à force de bien boire ,
Repoussez de vous le soucy;
Que jamais plus n'en soit mémoire.
Là doncques, faites tous ainsi.
Helas ! aue c'est un doux tourment
Suivre ce dieu qui environne
Son chef de vigne et de sarment
Eu livu J« ••<%yai]fx cQuroune.
472 Odes.
PALINODIE A DENISE (1550).
Telle fin que tu voudras mettre
Au premier courroux de mon mètre
Contre toy tant irrité,
Mets-la luj' soit que tu le noies (a),
Que tu Peffaces ou Penvoyes
Au feu qu'il a mérité.
La grande Cybele insensée
N'esbranle pas tant la pensée
De ses ministres chastres furieux ,
Non Bacchus, non Phœbus ensemble ,
Le cœur de leur prestre , qui tremble
Les sentant venir des cieux ,
Comme Tire, quand elle enflâme
De sa rage le fond de Tame
Qui ne s'espou vante pas
Non d'un couteau , non d'un naufrage ,
Non d'un tyran , non d'un orage
Que le ciel darde çà bas.
De chaque beste Promethéc
A quelque partie adjoustée
En ITiomme, et, d'art curieux,
D'un doux aigneau fit son visage ,
Trempant son cœur dans le courage
De quelque lyon furieux.
Le courroux a rué par terre
Var. (1560) :
Telle fin maintenant soit mise
Que tu voudras au vers, Dms^
Qui, malin, ^xtcspttf
Ton cœur, on soit que tu le noyés.
RETRANCHÉES. 47^
Thyeste ; il cause que la guerre
Renverse mainte cité^
Et que le vainqueur qui s'y rue
Enflamme la captive rue
D'un feu contre elle irrité {a).
Jamais l'humaine conjecture
N'a preveu la chose future,
Et l'œil trop ardent de voir
Le temps futur, qui ne nous touche ,
En son avis demeure louche.
Qui le futur peut sçavoir ?
Las ! si j'eusse preveu la peine
Dont maintenant ma vie est pleine ,
Je n'eusse jamais laschè
Une ode d'erreur si tachée,
De laquelle , t'ayant fâchée ,
Moi-même je suis fâché.
Ores , ores , je voy ma faute ;
Je coçnois combien elle est haute,
Et )e tends les mains afin
Que ta sorceliere science,
Dont tu as tant d'expérience ,
•Ne mette mes jours à fin.
Je te suppli'. par Proserpine
(De Pluton la douce rapine).
Que courroucer il ne faut ,
Et par les livres qui esmeuvent
Les astres charmez , et les peuvent
Faire dévaler d'enhaut ,
a. Var. (ij6o) :
Toujours Vire cause la guerre ;
La seule ire a rué par terre
Le muramohionien.
Voire et fit qu après dix ans Troye
'{Hector ja tué) fut la proye
Du grand roy mycénien.
474 Odes
Reçoy mes misérables larmes
Et me deslie de tes charmes,
Espouventable labeur.
Destourne ton rouet , et ores
Deschante les vers qui encores
M^accablent d'une grand'peur.
Telephe, prince de Mysie,
Peut bien fléchir la fantasie
D'Achil pour le secourir,
Lors que sa lance pelienne,
En la mesme plave ancienne,
Repassa pour le guarir.
D'Ulysse la peineuse troupe,
Reboivant de Circé la coupe,
Laissa des porcs le troupeau ,
Et luy rougit dedans la face
L'honneur et la première grâce
De son visage plus beau.
Assez et trop, helas! j'endure!
Assez et trop ma peine est dure !
Mon corps , par tes eaux souillé ,
EfFace sa couleur de roses.
Et mes veines ne sont encloses
Que d'un sac palle et rouillé.
Ma teste, de tes onguents teinte,
Plus blanche qu'un cygne s'est peinte.
Le lict me semble espineux^
L'aube me semble une serée;
Plus ne m'est douce Cytherée,
Ny le gobelet vineux.
Appaise ta voix marsienne.
Et fay que l'amour ancienne
Nous reglue ensemble mieux;
De moy ta colère repousse ,
Et lors tu me seras plus douce
Que la clarté de mes yeux.
RETRANCHÉES. 475
Ode (1560).
Mon petit bouquet, mon mignon.
Qui m'es plus fidel compagnon
Qu'Oreste ne fut à Pylade ,
Tout le jour, quand je suis malade ,
Mes valets, qui , pour leur devoir,
Le soin de moy devroient avoir.
Vont à leur plaisir par la ville ,
Et ma vieille garde inutile ,
Après avoir largement beu ,
Yvre , s*endort auprès du feu
A l'heure qu'elle deust me dire
Des contes pour me faire rire.
Mais toy, petit bouquet, mais toy.
Ayant pitié cfe mon esmoy.
Jamais le jour tu ne me laisses
Seul compagnon de mes tristesses.
Que ne puis-ie autant que les dieux ?
Je t'envoirois là haut, aux ci eux.
Fait d'un bouquet un astre insigne ^
Et te mettrois auprès du signe
Que Bacchus dans le ciel posa
Quand Ariadne il espousa.
Qui seule lamentoit sa perte
Au pied d'une rive déserte.
Ode C1560).
Pipe des ruses d'Amour,
Je me promenois un jour
Devant l'huis de ma cruelle ,
Et tant rebuté j*estois
Qu'en jurant je promettois
De ne rentrer plus chez eUe.
476 Odes
« Il suffit d'avoir esté
Neuf ou dix ans arresté
Es cordes d'Amour, disoye ;
Il faut m'en déveloper,
Ou bien du tout les couper,
Afin que libre Je so^e. »
Et pour ce faire )e pris
Une dague que je mis
^ Bien avant dedans la lesse ,
Et son nœud j'eusse brisé
Si lors je n'eusse avisé
Devant l'huis une déesse.
Mais, incontinent que j'en
Son corps gamy d'aisies veu ,
\ Sa robe et sa contenance ,
^ Et son roquet retroussé ,
Incontinent je pensé
Que c'estoit dame Espérance.
Je m'approche ; elle me prit
Par la main dextre et me ait :
Espérance.
a Où vas-tu , pauvre poète ?
Tu auras avec le temps
Tout le bien que tu pretens
Et ce que ton cœur souhète.
Ta maistresse avoit raison
De tenir quelque saison
Rigueur à ta longue peine ;
Elle le faisoit exprès^
Pour au vray cognoistre après
Ton cœur et ta loy certaine.
Mais ores qu'elle sçait bien ,
Par seure espreuve , combien
Ta loyale amitié dure,
D'elle-mesme te pri'ra,
Et bénigne guarira
Le mal que ton cœur endure. »
retranchées. 477
Ronsard.
Alors je luy respondis :
« Et qu'est-ce que tu me dis ?
Veux-tu r'abuser ma vie ?
Après me voir éschappé
De celle qui m*a trompé
Veux-tu que je m'y refie ?
Dix ans sont que je la suis y
Et que pour elle je suis
Comme une personne morte ;
Mais en lieu de luy ployer
Son orgueil , pour tout loyer
Je muse encor à sa porte.
Non non , il vaut mieux mourir
Tout d'un coup que de périr
En langueur par tant d années ;
Ores je veux de ma main
Me tuer, pour voir soudain
Toutes mes douleurs finées. »
ESPERANCE.
« Ah ! qu'il te feroit bon voir
De tomber en desespoir,
Quand l'espérance te guide I
Laisse, laisse ton esmoy,
Laisse ta dague, et suy-moy
Là haut chez ton homicide. ^
Disant ces mots , je suivy
Ses pas , autant que je vy.
Dans la chambre de Cassandre.
ESPERANCE parle à Cassandre .
« Tien, dit l'Esperâhce, tîen:
Tout exprès icy je vién ■
Pour ton fugitif te rendre.
Il t'a servi longuement,
C'est raison quê^ doucement
478 Odes
Ses angoisses tu luy ostes ;
Il te faut bien le traitter,
Craignant ce grand Jupiter,
Puis qu*il est Tun de tes hostes. »
Ronsard parle à Cassandre,
A-tant elle s'eslança
Dans le ciel , et me laissa
Seul en ta chambre , m'amie.
Là doncque , par amitié ,
Là , maistresse , pren pitié
De ton hoste qui te prie.
Si j'ay quelque mal chez toy,
Jupiter, le juste roy,
Foudroyra ta chère teste :
Car il garde ceux qui sont
Hostes , et tous ceux qui font
En misère une requeste.
Ode pour Amadis Jamyn,
. Sur sa traduction d Homère ( i ).
Homère , il suffisoit assez
D*avoir en Grèce , aux temps passez ,
Fait combattre pour toy sept villes,
Sans qu'ores nos Gaules fertilles,
Pour se vanter de ton berceau
Refissent un combat nouveau.
En toy Jupiter transformé
Composa Touvrage estimé
De riliade et l'Odyssée ,
Et tu as ton ame passée
I . En tête de la traduction des treize derniers UVres de
J'iliade par A. Jamyn, Paris, L'Angelier, 1584, iii-12.
RETRANCHÉES. 479
En Jamyn, pour interpréter
Les vers qu'en toy fit Jupiter.
C'est afin qu'en lieu de Grégeois
Tu fusses appelé François ,
Et qu'on revist la mesme noise
Pour toy en la terre gauloise
Qu'en Grèce en sept villes tu fis ,
Qui toutes t'avouoient leur fils.
Tous deux en un corps n'estes qu'un ,
Le ciel vous est père commun ,
Vous n'estes ouvrage de terre ;
La terre que la mer enserre ,
Aux membres grossiers et pesans,
N'engendre pomt de tels enfans.
Ou si la terre vous conceut,
Fut sur Parnasse, qui receut
La part au giron de ses Muses
Allaictant des liqueurs infuses
Du nectar vos membres petits ,
Entre les roses et les lis.
Mais la terre ne peut avoir
Cet honneur de vous concevoir :
Nature , de gros germe pleine ,
Vous parturoit à toute peine ;
Depuis , vous aymant par sus tous
N'a daigné faire autre que vous.
Toute en vous deux elle se voit ;
Ce qu'aux autres elle devoit ,
Elle l'a mis d'un soin de mère
En son Jamyn, en son Homère,
Vous faisant , comme deux soleils ,
Patrons des Muses sans pareils.
Mille Romains, pour haut voler,
Ont voulu ton vol égaler,
Mais pour néant , car l'artifice ,
Au prix de la nature est vice ,
Restant à la, postérité ,
Adorable , et non imité.
480 Odes
Heureux le brazier d'Ilion !
Heureuse Troye ! un miiion
De villes riches et peuplées
Voudroient ainsi estre bruslées,
Prenant à plaisir et à jeu
Qu'Homère y eust jette le feu.
La riche pompe de tes vers
Ressemble à des joyaux divers ,
Diamans, rubis , chrysolithes ,
Où toutes clartez sont eslites ,
Luisantes comme astres des cieux,
Aussi tu es poète des Dieux.
Le plus admirable de toy.
Et le plus divin , c'est dequoy
Tu as poussé toutes les guerres
De Grèce aux estraogeres terres ,
Et n'as souffert qu'un Argien
Fust meurtrier d un Achaïen.
Mais en faisant outre la mer
Contre Ilion la Grèce armer,
Tu as des barbares provinces ,
Orné la gloire de tes princes ,
Eslevant d'un superbe front
Leurs victoires sur l'Hellespont.
Çà, las! je nesçaurois mon nom
Honorer aujourd'huy, sinon
Qu'en chantant les guerres civiles ,
ÊTle feu qui brusle nos villes;
Dieux qui présidez aux dangers ,
Portez ce mal aux estrangers,
Et faites que nostre bon roy,
Et nostre bonne antique loy,
Toujours immuable^ demeurent;
Que les guerres civiles meurent,
Et qu'en la France pour jamais
Florisse une étemelle paix l
RETRANCHÉES. 4^1
* A LA ROYNE D'ESCOSSE
Pour lors Royne de France.
Ode(is67)[i].
O belle , plus que belle et agréable Aurore,
Qui avez délaissé vostre terre escossoise
Pour venir habiter la réjgion françoise ,
Qui de vostre clarté maintenant se décore!
Si j*ay eu cest honneur d'avoir quitté la France,
Voguant dessus la mer pour suy vre vostre père ,
Si , loing de mon pays , de frères et de mère ,
J'ay dans le vostre usé trois ans de mon enfance,
Prenez ces vers en gré, Royne, que je vous donne.
Pour fuyr d*un ingrat le misérable vice ,
D'autant que je suis né pour faire humble service
A vous, à vostre race et â vostre couronne.
A DIANE DE POITIERS
Duchesse de Valentinois.
Ode (1567)..
fj' uand je voudrois célébrer ton renom,
^V*«Jc ne dirois que Diane est ton nom;
Car on feroit , sans se travailler guère ,
De ton nom seul une Iliade entière.
I. Elle se retrouve dans rèdîtion in- 12 de Lyon, Soo-
bion ,1593, â la suite des Mascarades.
* Les odes qui suivent ne font pas partie du volume dfis
pièces retranchées. Je les ai recueillies dans les éditions ori-
ginales, P. B«-
Ronsard, '—II. 31
4^2 Odes
Mais recherchant tes honneurs dé plus loin,
Je chanterois , animé d'un beau soin ,
Tes vieux ayeux chevalereux en guerre ,
Qui ont porté le sceptre en mainte terre,
Enfants de roys ou de roys héritiers. .
Je chanteroys le beau sang de Poitiers
Venu du ciel j et la race divine
Que Remondm conçeut de Melusine.
Je chanteroys comme, Tun de leurs filz
Au bord du Clain dormant , luy fust avis
Que hors de Teau le petit Dieu de Tonde
JusQues au col tiroit sa teste blonde,
L'admonestant d'aller en Dauphiné.
Et luy disoit : « Enfant prédestiné
Pour commander à plus naute rivière ,
Laisse mes bords ; cherche la rive fière
Du large Rhosne , et poursuy ton destin
Qui conduira ta voye à bonne fin ,
Car jà le ciel pour jamais à ta race
Aux bords du Rhosne a destiné ta place. »
Il luy conta quels seigneurs et quels roys
Naistroient de luy, et en combien d'endroits,
Soit d'Italie ou d'Espagne , ou de France ,
Tiendroient le sceptre en longue obéissance.
Il luy chanta ses hoirs de point en point,
Ceux qui mourroient , ceux qui ne mourroient point
Ains que régner, et combien de princesses
Viendroient de luy, de ducs et de duchesses;
Mais parsus tous ce fleuve luy chantoit
D'une Diane, et jurant promettoit
gii'ell' passeroit en chasteté Lucrèce
t en beauté ceste Hélène de Grèce,
Qu'elle prendroit d'un seul traict de ses yeux
Les cœurs ravis des hommes et des Dieux,
Et qu'à jamais ses fameuses louanges
Iroient volant par les terres estranges.
Disant ainsy le fleuve dévala
RETRANCHÉES. 4^5
Son chef dans Teau . et Tenfant s'en alla
Tout bouillonnant d'affection nouvelle
D'estre Tayeul d'une race si belle.
Je chanterois encore ta bonté.
Ton port divin, ta grâce, ta oeauté;
Comme tousjours ta vertueuse vie
A repoussé par sa vertu l'envie.
Je chanterois vers l'Eglise ta foy ;
Comme tu es la parente du roy,
Qui te cherist comme une dame saige,
De bon conseil et de gentil couraige ,
Grave, benine,' aymant les bons esprits
Et ne mettant les Muses à mespris.
Je chanterois d'Anet les édifices,
Thermes, piliers, chapitaux, frontispices,
Voûtes , lambris , cannelures ; et non ,
Comme plusieurs, les fables de ton nom.
Et te louant je chanteroy peut-estre
Si haultement que ce grand roy, mon maistre.
En ta faveur auroit l'ouvrage à gré.
Que je t'aurois humblement consacré.
DIALOGUE DES MUSES ET DE RONSARD.
(1567.)
Ronsard.
P
our avoir trop aymé vostre bande inégale,
Muses , qui défiez (ce dites vous) les temps ,
J'ay les yeux tout battus, la face toute pasle,
Le chef grison et chauve , et je n'ay que trente ans.
4*4
Odes
Muses.
Au nocher qui sans cesse erre sur la marine
Le teint noir appartient; le soldat n'est point beau
Sans estre tout poudreux ; qui courbe la poitrine
Sur nos livres, est laid s'il n'a pasle la peau.
Ronsard.
Mais quelle recompense aurois-je de tant suivre
Vos danses nuict et jour, un laurier sur le front ?
Et cependant les ans aux quels je deusse vivre
En plaisirs et en jeux comme poudre s'en vont.
Muses.
Vous aurez , en vivant , une fameuse gloire ,
Puis, quand vous serez mort, votre nom fleurira.
L'âge , de siècle en siècle , aura de vous mémoire ;
Vostre corps seulement au tombeau pourrira.
Ronsard.
O le gentil loyer! Que sert au vieil Homère,
Ores qu'il n'est plus rien, sous la tombe, là bas,
Et qu'il n'a plus ny chef, ny bras, ny jambe entière,
Si son renom fleurist, ou s'il ne fleurist pas!
Muses.
Vous estes abusé. Le corps dessous la lame
Pourry ne sent plus rien, aussy ne luv en chaut.
Mais un tel accident n'arrive point à 1 ame,
Qui sans matière vist immortelle là haut.
Ronsard.
Bien! je vous suyvray donc d'une face plaisante,
RETRANCHÉES. 48$
Deassé-je trespasser de l'estude vaincu ,
Et ne fust-Kre qu'à fin que la race suyvante
Ne me reproche point qu'oysif j*aye vescu.
Muses.
Vela saigement dit. Ceux dont la fantaisie
Sera religieuse et dévote envers Dieu
Tousjours achèveront quelque grand'poésie ,
Et dessus leur renom la Parque n'aura lieu.
Ode (1567).
Si tost , ma doucette Ysabeau ,
Que l'aube , à tes yeux ressemblable
Aura chassé hors de 1 estabie
Parmy les champs nostre troupeau ,
Au marché porter il me faut
(Ma mère Jeanne m'y envoyé)
Nostre grand cochon et nostre oye ,
Qui le matin crioit si haut.
Tu veux que j'achette pour toy
Une ceinture verdelette
Et une bague joliette ,
Pour en orner ton petit doy.
Tu veux l'epingher de velours
Et une bourse toute telle
Qu'a Toinon la sœur de Michelle,
Qui vient aux champs avecque nous.
Bien ; à mon retour du marché
Tu les auras , pourveu , bergère ,
Qu'au premier somme de ta mère,
Quand je mastin sera couché ,
Tu viennes quérir tes présents
486 Odes
Dessous la coudre où je t'attends.
Tu sçais oh elle est , mignoiiette.
Mais vien, mon cœur, toute seulette:
ODELETTE (1560).
Tay-toy, babillarde arondelle,
Ou bien je plumeray ton aile,
Si je t'empoigne , et d'un cousteau
Je te couperay ta languette,
Qui matin sans repos caquette ,
Et m'estourdit tout le cerveau.
Je te preste ma cheminée
Pour chanter, toute la journée ,
De soir, de nuict , quand tu voudras ;
Mais au matin ne me resveille
Et ne m'oste , quand je sommeille ,
Ma Cassandre d'entre les bras.
LE BAISER DE CASSANDRE.
Ode (i$$o).
X
Baiser, fils de deux lèvres closes ,
Filles de deux boutons de roses ,
Qui serrent et ouvrent le ris
Qui déride les plus marris ;
Baiser ambroisin, que j'adore
Comme ma vie, et dont encore
Je sen en ma bouche, souvent,
Plus d*un jour après le doux vent;
Baiser qui fais que l'amant meure
RETRANCHÉES. 487
Puis qu*il revive tout à Pheure,
Ressouflant Tame qui pendoit
Aux lèvres où ell' t attendoit;
Bouche d'aumône toute pleine ,
Qui m'engendre de ton haleine
Un pré de fleurs à chaoue part
Où ta flairante odteur s'epart;
Et vous , mes petites montaignes ,
Je parle i vous , lèvres compaignes ,
Dont le coral naïf et franc
Cache deux rangs d'ivoire blanc ,
Je vous suppli', n'ayez envie
D'estre homicides de ma vie :
Bouche , sans tes baisers je meurs ,
Car je vy d'eux, et non a'ailleurs.
Ode (1560).
L'un dit la prise des murailles
De Thebe , et l'autre les batailles
De Troye; mais j'ay entrepris
De dire comme je lus pris.
Ni nef, piéton, ni cnevalier^
Ne m'ont point rendu prisonnier.
Qui donc a perdu ma franchise ?
Un nouveau scadron furieux
D'amoureaux , armé des beaux yeux
De ma Dame, a causé ma prise.
FIN DU TOUS SBCOND.
4iS8
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CB VOLUME.
Lis Odes de P. de Ronsard.
Au lecteur 7
Préface mis au devant de la première impression des
Odes 9
Advertissement au lecteur 14
Au Roy Henri II de ce nom ■', 19
Le premier Livre des Odes 2^
Le second Livre des Odes. .... « 130
Le troisiesme Livre des Odeis 172
Le quatriesme Livre des Odes. , 240
Le cinquiesme Livre des Odes. . 295
Odes retranchées )8(
FIN DE LA TABLE.