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Vdr. r-r. TOI -33. 4-bO^
\;
ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE.
7, aUE DU MUSÉE.
ŒUVRES
GEORGES CHASTELLAIN
PUIUÉES
PAR M. LE BARON KERVYN DE LETTENHOVE
\M£liCBBK DX XJACAJi^MtK ROTAXJS DB BXZ.aiQn£.
TOME SIXIÈME.
ŒUVRES DIVERSES
Le Ciicile it lasle. — U Pai de U lert. — L'Oeltrê d'ÂBeor. —
Dicté imii Tu i44§. — Usiel u iicrOrléiis. —
U Tkilie aitié. — fpUtre è Jehn Cutel. — tpistre iv iu de Beirgetgie.
Li Cenphiite i*lecier. — Le linir des leblei. —
Panlei de lit is leîi. — le Dit de Téritd. — lipeiitiei nr Vérité' m\ prise. —
U lert di nj Cbries ¥11.
BRUXELLES,
F. HBUSSNER, LIBRAIRB-âDITEUR,
i$, Place Saiile^idile, 22, leitiCM de la Cht.
1864
7, RUB DU MUSÉE.
ŒUVRES
GEORGES CHASTELLAIN
POBUiBS
PAR M. LE BARON KERVYN DE LETTENHOVE
vMXMBllK SX l.*ACAI>iMXZ ROTAZJB DB SSLOIQUS.
TOME SIXIÈME.
ŒUVRES DIVERSES
U CNdle é% lasle. — U Pai d« U lirt. — rOvltri rAMir. —
fiidé trtiTé l'u i44C. — Usiel u 4k d'Orléus. —
U Tkrti» aiuf. — fpistrt è Jêln Culel. — Ipistn ii die it liirgwiM.
Il CMipkiB(« d'iMtor. — L« linir des MkiM. —
Ptnl« 4« (If is nif . — U DU di Térité. — liptsitin ur Térilé m\ prise. —
U l«rt di n; Oirlei TII.
BRUXELLES,
F. HEUSSNER, LIBBAIBE-âDITEUR»
i«, ?bM 8aiB(«-€idiU, 21, iMtafM di li Cnr.
1864
Noos avons recneilli avec un grand soin ce que nous
appellerons les œuvres diverses de Chastellain. La plu-
part de ces pièces, oh Von trouve un énergique écho des
sentiments et des émotions du clironiqueur« offrent un |
grand intérêt, et elles ne formeront pas moins de troi0 j
volumes.
Nous indiquerons rapidement les compositions que
nous publions avgourd'hui.
I. — Le mystère du Concile de Bask* Ce poëme, sans
nom d'auteur, mais plein de rapports dans la forme aussi
bien que dans le style avec les autres mystères de Chas-
tellain, est sans doute Tun des plus anciens, car il paratt
remonter à Tannée 1 432 ou 1 433 , et peut-être Chastel-
lain était-il encore à TUniversité de, Louvain, quand il
récrivit. Les allusions hispaniques y abondent, et Ton y
remarquera sans doute les plaintes de la France sur la
triste situation à laquelle elle se voyait réduite*
II. — Le Pas de ta mort. Chastellain y pleure la mort
de sa dame. Ce poëme peut répandre quelque lumière
sur la biographie de ses premières années. Ne confirme-
t-il pas ce que notre auteur nous apprend ailleurs qu'il
déserta les écoles, quil s'enveloppa d'affections mon-
daines et que ce fut par de rudes épreuves qu*il fut
ramené malgré lui aux enseignements de la foi et de la
science ? Cet amour, si tristement rompu jpar la mort de
l'objet aimé» n'aorait-il pas {H-écédé et n'expUquflraii^l
pas sa retraite à ^Université de Louvain?
Ti INTRODUCTION.
Telle est Thypothèse qai noos semble la mieux jusU-
fiée; carie surnom d!aveniurier qu'on donne à Chastellain
dans les vers qui précèdent le Pas de la mort dans le ms.
de la Bibliothèque de TÂrsenal , indique un ouvrage
composé pendant sa jeunesse. 11 existe néanmoins à la
Bibliothèque impériale de Paris un ms. (n* 1 521 6) que
nous avions remarqué autrefoiset dans lequel un examen
plus attentif a fait retrouver, mais cette Ibis sans nom
d auteur, le même poëme. On y lit, en regard du pre-
mier feuillet qui a été arraché : le Miroir de mort fait (sic)
messire Philippe de Croy, conle de Chimay. Comment com-
bler la lacune évidente de cette phrase? Fautr-il : fait par
ou fait pour? Philippe de Croy ne gagnerait rien à reven-
diquer une des plus faibles compositions de Chastellain :
il lui suffit d'avoir été ce vaillant et infatigable défenseur
delà maison de Bourgogne, qu on appelait en son temps,
disent les généalogistes, la Clochette du Hcànaut. Préfé-
rerait^on : fait pour ? Il y aurait à cette opinion de sérieux
obstacles. Philippe de Croy ne devint comte de Chimay
que peu avant la mort de Chastellain, et sa femme Wal-
burge de Meurs vécut assez longtemps pour lui donner
sept enfants, dont l'un fut le parrain de Charles-Quint.
Rien n'explique donc ce que nous trouvons dans le
manuscrit de Paris, à moins que l'on ne se borne à voir
dans la phrase citée la simple mention d'une copie faite
par l'ordre du comte de Chimay, et il faut laisser à Chas-
tellain la pensée et lerhythmede cette longue élégie'.
■ Une grande partie de ce volume était imprimée quand j*ai décou-
vert à Bruxelles un texte qui renferme deux cents vers de plus que
celui de Paris. Il a fiillu recomposer tout ce poëme, et c^est ce qui
INTRODUCTION. tu
in. — LcuUri Jtamour\ Ici encore, il s'agit d'une
dame dont la vie a été prématurément tranchée à l'au-
rore de la jeunesse, et le chevalier qui Taimait se décide
à grand* peine à former un autre lien. La dame qui a cessé
de vivre était issue de la maison de France : c est, si nous
comprenons bien le poëte, à la cour du duc de Bourgo-
gne que le chevalier rencontre une autre dame qui
doit le consoler. Il serait difficile de retrouver les noms
qui se cachent sous cette rhétorique assez confuse, et
explique comment des chifl^ sapplémentaireB ont, par salie d*uue
impérieuse nécessité, été employés dans la pagination.
On lit dans Je ms. de TAnenal :
* Ce iraitU-^ p<mr enseiçnier
Fit George V Aventurier,
Afin que choieun ait remort
De penser au pas de la mart^
Dittéen belle rhétorique
Afin que chascun s'$ appliqua.
lA ms. de la Bibl. de Bourgogne ne renferme pas ces vers, mais il
ae termine par ces quatre Ters qui manquent dans le ms. de Paris :
Bxplicit le Miroir de mort
 glace obscure et ténébreuse,
Là où on ToH chose doabtense
St nature de desoonfort.
Enfin un manuscrit de la Bibliothèque impériale de Paris, men-
tionné plus haat, nous a oflért, au moment même où ce yolume s'a-
chève, un troisième texte, mutilé au eommenoement, mais différant
des deux autres par de nombreuses Tariantes dont nous avons été
heureux de faire usage.
Ce po8me paratt avoir porté indifféremment pour titre : Le Pas de la
mort ou là Miroir de mort : nous avons adopté le premier.
< Le texte incomplet d'après lequel VOuUré d'amour a été imprimé
en 1758^ vient d'être retrouvé à Paris à la Bibliotiièque de Sainte-
Genevière.
Tiif HITBQDDGTION.
Robertôt ne nous apprend rien de plus qaand il dit
dans nne épttre à Chastellain :
Pois 4a9 (f amoat apiès en ftxt iatn,
i'ouUr^ d'amour, ceint de mortel tissu,
Long temps a, as de sa douleur angoste.
lY. — * Dicté trow>è fan U46 dans Phostet du roi de
France» Oo comprend asdez aisément que l'auteur de ces
vers ne se soit pas fait connaître ; mais leur origine rap-
pelle d'assez près celle du n^'XI, et Chastellain se trou-
vait à cette époque en France.
V. — Bondel au duc ^Orléans. Une confrérie poéti-
que s'était formée au sein de la cour modeste, mais
élégante, qui entourait Charles d'Orléans, rentré, après
un long e^il, dans ses domaines héréditaires. Ceux qui
en faisaient partie se nommaient lee Amoureux de ï obser-
vance, par allusion à la réforme de X observance, intro-
duite ^n Italie au xiv^ siècle dans Tordre des Frères
Mineurs^ Charles d'Orléans prie dans un rondel Pierre
de Brezé (il était aussi Fun des Amoureux de t observance)
« de le bénir et de le confesser > , et il ajoute ailleurs :
Des amouTOox de rol nwva nea,
Dont j*ay esté au tei^M passée
A présent m*en trouve lassé
Bu tout^ aîiion de souTSiDaiioB,
Oà Je prem d'en parier plaiia&ee,
QueAqfoe imi» de Yotâte eassé
Des amoureux de robserranee;
'Dont f ay esté au temps passé.
Souvent y ay porté penance
Et si peu de biens amassé
Que ^uand je seray trespassé,
A mes lioirs lairray peu cbevance.
INTRODUCnON. »
YI. ^ Epiêlre au ray Charks VIL Cette épttre, offerte
à Charles VU, comme le témoigne Robertet, fat compo-^
8ée vers la fin de Tannée 1 450, après la délivrance de
la Normandie*
YII. — EpUtre à Jehan CasUi* Castel que le manuscrit
de Florence snmomme Aérin, tandis qne nous n'avons
vu dans ce mot qu une épiihète poétique du Caatd élevé
jusqu'aux cieux» Castel que Molinet appelle « le grand
chroniqueur de France » , fut Fami de Cbastellain. Était-
il le fils d'Etienne Castel et de Christine de Pisan T
Lacroix du Maine Taffirme ; mais un acte authentique
publié par M. Quicherat démontre qu'il s'est trompé.
Il paratt toutefois avoir acquis par ses propres travaux
lestime de ses contemporains. Martin Franc le cite
parmi les bons poètes de son temps ; en \ 461 , il succéda
à Jean Chartier dans la charge de chroniqueur officiel,
et en 4472, il devint abbé de ce monastère de 3aint-
Maur« si célèbre dans les annales de Térudition. Peut-
être Castd, comme Chastellain^ croyait-il devoir la
vérité aux princes, môme pendant leur vie : en effist,
lorsque Castel mourut, Louis XI se fit apporter à Cléry
les chroniques rédigées par Tabbé de Saint-Maur, qui
étaient conservées dans on coffre fermé à doux clefe^ au
trésor de SainWDenis.
VIII. — Efiètre au àon duc PhUippe de Baurytmgne» Cet
éloge de Philippe le Bon ne marqueràit-il pas lépoque
oh Cbastellain entra au service du duc de Bourgogne?
IX. — La Complainte dHeeior. Qu on n'oublie pas que
les princes de l'Occident rattachaient leur origine aux
colonies errantes dllion et que d^uis six siècles les
X INTRODUCTION.
historiens, aussi bien que les poëtes, saluaient dans le»
fils de Priam les glorieux ancêtres des races royafes ; il
sera aisé de comprendre avec quelle faveur le souvenir
d'Hector était accueilli à cette cour de Bourgogne oii
Raoul Lefèvre écrivait les histoires de Troye. Dans ce
poëme, Alexandre exhorte Hector à pardonner à Achille
qui Ta fait périr par trahison. N'y aurait-il pas ici quel-
que allusion à la maison de Bourgogne se réconciliant
avec Charles VII, seize ans après l'entrevue de Mon-
terean? Ceci devient plus vraisemblable lorsqu'on voit n
ailleurs Chastellain appeler le duc Philippe, k seowid
Heo^.
X. "^Miroir des nobles hommes de France (ou des prin--
ces et nobles de France). Cette pièce fut composée vers
4 457 : ici encore le poëte revendique le noble privilège
de rappeler à la chevalerie des préceptes et des exemples
qu'il ne lui est pas permis d'oublier.
XI. — - Les fardes (ou easclamaces) de trois puissants
princes. Jacques Duclercq se borne à citer ces vers qui
furent trouvés dans l'hôtel du duc de Bourgogne, à l'é-
poque oh s'instruisait à Vendôme le procès criminel du
duc d'Alençon, mais il n'en nomme pas l'auteur. Le ms.
de Florence les attribue formellement à Chastellain.
XII. — Dit de vénïé. En donnant ce titre à ce poëme,
nous avons cru exprimer la pensée de l'auteur qui, au
risque d'exciter des haines redoutables, se croyait tenu
de ne jamais cacher la vérité.
XIII. — Ecoposition sur vérité mal prise. Cet ouvrage,
quelque développement qu'y ait reçu la partie métaphy-
sique ou allégorique, renferme quelques précieuses
IimODDGTION. Il
données historiques. Chastellaia ne se contente pas de
nous entretenir de ses études et de ses premiers tra-
vaux : il nous offre le témoignage de cette indépen-
dance et de ce courage qui font Ihonneur des lettres et
qui, dans tous les temps, eurent leurs dangers aussi bien
que leur gloire.
XIV. — ilystère de la mortiie Charles VIL Ce poôme
avait été publié par M. Jubinal d'après le ms. assez
incorrect de la Haye. Le ms. de Florence nous a per-
mis d'en améliora le texte : les noms propres notam-
ment ont été rétablis avec soin.
Dans ce volume, la collation des mss. conservés en
France, ea Italie, dans les PaysrBas, a offert des diffi-
cultés de plus en plus nombreuses. Nous ne saurions
assez reconnaître combien ce travail nous a été rendu
plus facile par Tobligeante érudition de M. Michelant à
Paris, de M. Milanesi à Florence, de M. Campbell à ]a
Haye.
n nous reste à expliquer pourquoi nous n'avons pas
foit entrer dans ce volume deux ouvrages attribués à
Chastellain dans Tintroduction quoAOUS avons jointe au
tome I*': les NaUîbUs enseignements paternels et Y Instruction
J^un jeune prince. L'autorité de Lacroix du Maine et de
La Sema ne nous paraît point sufllsante, et bien que
dans un ms. de la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris, un
de ces traités soit joint à un ouvrage de Chastellain, une
lecture attentive ne nous a pas permis d'y reconnaître
le style de notre auteur.
Rien ne nous autorise non plus à attribuer à Chastel-
lain, ni Yab c de doctrine paternelle conservé à la Biblio-
thèque de Donay , ni la Dodrine du pire au fils, imprimée
à Paris «ans date par Pierre Mareschal et Barnabe Ghans*
sart, dont voici les première vers :
Moa enftint, ai tu Teim Mn Tim
En ce monde honnestement,
Retiens en ton entendement
C6 qui eft en ee pettt Utts.
Nous ne doutons pas que le lecteur, à mesure que
passeront sous ses yeux ces pages souvent éloquentes et
toujours dictées par une pensée loyale et généreuse,
n apprécie de plus en plus Tautorité d'un chroniqueur
si zélé et si impartial ; et nous ne saurions mieux ter-
miner cette préface que par ces vers inédits, oh Vun de
ses contemporains, écrivain moins habile que lui, mais
pénétié des mêmes sentiments, lui a rendu un solennel
hommage :
Arrestes-Yous devant oe cymetôre.
Hommes viyans da monde en la misère ;
Considérez qne vanlt honneur mondain,
BesaUé ds eorpi,Tie doulee ouanstère,
Puisque la mort, «n jouant son mistèeSt
Peult tout prendre si tost huy que demain.
Geor^ suys surnommé Chastellaln,
Qai mAixit4itiô ay fait d*art Deatoirs :
Si bien y a, à Dieu en soit la gloire I
Xay fait mon temps : à terre , rends le corps,
A. mes amys, «roir de moy mémoire,
St TAme II IHea, Juste el xaisérlcois > .
^ Bibl. imp. de Paris, f. fr. 1716, ^ 9.
LE CONCILE DE BASLE.
MYSTÈRE.
CONCILB.
Qui estes-vous?
l'bolisb.
Hélas ! bon juge.
CONCILB.
Âpprochez-Yous : point ne vous voy.
l'éqlibb.
Saint concil, je yiens à refuge,
A vous, ami : parlez à moy.
* Publié d'après une transcription du ms. 205 de la Bibliothèque de
Berne, faite ayee beaucoup de soin et malgré de nombreuses difficul-
téa par M. le docteur Basile Hldber, professeur d*hi8toire.
TÛB. Tl. i
LE œNClLE
CONCILB.
Que vous voye : en bonne foy.
Je ne vous recognois pas bien.
L'âOLISB.
Je ne m*en esbays en rien ;
Car Tiellesse, de sa nature.
Fait devenir la vue obscure,
Pardonnez-moy d*ainsy parler :
Femmes ne scèvent riens oéler.
Sy croy-je, pas ne véez trouble,
Car vous représentez un noble
Joyau, pour qui faut bien veiller
Et bien penser à conseiller
Des affaires, par bonne guise.
CONCILB.
C*est vray : je suis cy pour TÉglise.
I.'É0LZ8B.
Bien la devez cognoistre doncques.
CX)NOILB.
Sans faute, je ne la vis oncques.
Au moins pièca, si bien ensemble,
Comment elle est cy, ce me semble.
L*â0LI8B.
Et que vous semble-il que je soie?
CONCILB.
Je ne scay, mais si vous véoie,
Plus à plein au vis, par mon &me,
DE BASLE.
J'en diroie : ha ! ha! Notre-Dame,
Mère-Dieu, pardonnez-moy :
J'ay trop mespris en bonne foy,
Que ne vous ay fait révérence.
C'est du moins*. Levez sus; car en ce.
Estes déçu, comme autresfois
Fut un saint convers, je m'en crois, /'
En un lieu, c'on dit Clèrevaux, \
Auquel je remonstray mes maux, \
Comme je pense à faire cy .
L*acteur de Fcril moral * cecy
Raconte, là puet-on lire,
C'estoîe-je, je le puis bien dire,
Qui me monstray au saint preudomme.
En pareille figure comme
On me voit cy, vous m'avez vue
Devant, et m'avez mescongnue.
Or me regardez par derrière :
Suis-je la mère de lumière^
Qui est sans tache et toute belleT
Qu'en dites-vous? Me ressemble-elle!
Elle n'est pas si vermolue,
[Si] povre et villement tenue.
Comme moy. Non, je suis l'Église,
Qui suis gouvernée en tel guise
Comme il appert. Je vous dy voir,
Chascun scet, au moins doit savoir.
Qu'en mon premier estât jadis.
Les benois saints de paradis
Me firent belle et bien ornée.
i Cest-à-dire : Vous ne pouvez pas faire moins.
* Xignore quel est ce traité.
LE CONCILE
Je fus par leur sang coulourée
Et par leurs vertus embellie.
Moururent pas, je vous en prie.
Pour moy appostres, confesseurs,
Hartirs» yierges et saints pluseurs.
Qui si gprant beauté me donnèrent,
Par ce que pour moy endurèrent.
Que pardevant ' ne me cheut puis?
Mais quant est orendroit, je suis
Vielle et fade. Tout mal me sourt,
Je vous dy, pour le temps qui court.
Par ceux qui me dussent aocroistre,
Tant c'on ne me scet recognoistre.
Les vers m*ont ma beauté toUue,
Comme on voit. Pour ce suis venue
A vous pour y remédier.
Goncil, vueillez estudier
Pour mon fait, et c*on me pardonne
Si j*ay cy riens dit qui mal sonne ;
Car je parle d*affection.
COMCILB.
Dame, c'est bien m'entention
D*y mettre brief amendement.
Et vous mercie g^randement
- Qu'il vous a plu venir deçà.
J'en suis très-bien joyeux. Or çè.
Pour ce que vous estes TÉglise,
Vous serei là premier assise,
Moy emprèa comme lieutenant ,
Et puis vous verrez maintenant
La manière que f ay tenue,
t Përie^mU, depuis Ion.
DE BÂSLE.
Ayant que soyez cy venue,
Pour votre restitution.
I Vous verrez Béformation,
I G'on peut dire autrement Justice,
t Et Paix ^ui font bien leur office
/ Pour bouter dehors Hérésie,
i Qui a garant voix, je vous affie.
\ Ce sont trois points où je procède
I A quérir de vos maux remède,
Sur lesquels je mande tout homme
Subgect à Téglise de Rome,
Pour recevoir correction.
FAIX.
Il est tard. Béformation»
Allons besongner, Theure passe.
BÉFOBHATION OU JU8TI0B.
Paix, c*est bien mon intention.
PAIX.
' Il est tard, Béformation.
hébAsib.
C'est tout pour ma destruction :
Dieu scet quel brouet on me brasse!
PAIX.
' Il est tard, Béformation.
IUSfOBMATION ou JUSTICE^
Allons besongner.
PAIX.
LTieure passe.
LE CONCILE '
HÉBÉ8IB.
Je seray là plus tost que vous :
Allez si tost que vous vouldrez.
BÉFOBICATION OU JUSTICE.
Cheminez, Paix; avançons-nous.
PAIX.
Je seray là plus tost que vous ;
Et qu^estKsecy? Veult devant nou»
Hérésie aller?
HBBÉSIB.
Vous errez;
Je seray là plus tost que vous.
Allez si tost que vous vouldrez.
BÉFOBMATION.
Ne vous chault, Paix. D*elle pourrez
Avoir raison devant le juge.
PAIX.
On iroit en vain à refuge
Au Concil, si les maux ne venge.
BÉFOBICATION OU JU8TICB.
Le Saint-Esperit, le bon ange,
L*a cy mis. Il ne fera rien
Qui ne soit au gré de tout bien :
Autrem^t faudra dire lose.
PAIX.
Je le croy bien ; mais quelle chose
Yoy auprès de lui haut assise!
DIE BÂSLE.
Ce me semble nouvelle guise.
Il ne devoit, que pour nous trois
Estre Tenu cy ; mais je crois
Qu'il a vers lui une autre femme.
BÉFOBMATION.
Parlez bas : il seroit infâme
S'il faisoit fors que bien, ma sœur.
CONCILB.
N'ayez paour; non, ayez bon cœur :
C'est notre mère Sainte-Ég^,
Pour quoy j'ay telle peine prise
A convenir en ceste place.
PAIX.
! Louée soit la Dame de gr&ce !
I Dame, bien soyez-vous venue.
L'éOLISB.
Nous nous verrons par plus d'espace.
XtéFOBHATION.
Louée soit la Dame de grâce !
HtaisiB.
Je ne sçay quelle chose fasse,
Tant ay paour d'estre court tenue.
PAIX. -^
Louée soit la Dame de grâce !
BJF0B¥ATI0lf.
, Dame, bien soyez-vous venue.
LE CONCILE
Mieux ne peut venir soub la nue.
BÉFOKKâTION.
Or allez, Paix, au oostô désire.
PAIX.
Moi, je seray au senestre :
Béformation, c'est mon lieu.
BÉFOBIUTION.
Puisqu'il TOUS plaist, soit fait; adieu!
l'^glisb»
Yoy le doux maintien qu'elles ontf
CONOILB.
Justitia et pax osoulats iunf:
Justice ou Béformation
A baisé, par dilection,
Fdx, qu'elle ayme d'amour entière»
hAbésib.
Dieu mette en mal an la ma mère f
Plust à Dieu qu'ils ne vissent goutte !
Et où seray-je sur le coûte ^?
On ne me assigne point de lieu ,
Mais [il] m'en chaut bien peu, par Dieu ;
Je seray bien partout logée.
L'iausB.
EUe parle comme enragée..
i Conte, lit, siège.
DE BÂSLE.
CONGILH.
C'est voir : apejorirota
Semper suntjwgia maia.
La pire roue tousjours brait.
Or çà, sans faire plus de plait.
Faisons pour moy : sommes ensemble.
PAIX.
Concil, par congé il me semble
Bon d'attendre s'il venra âme.
BÉFORMATION.
yous dites très-bien, belle dame.
Tel ou telle peut estre près»
Qui ne pourroit si bien après
Estre cy, comme devant tous.
L'éOLlSB.
Je suis d'acort aveoques voua.
FfiANOB.
Deui, in quantU
Animuê versaiur amantis !
OONCILB»
Qu'est-ce que j'oy?
HÉBBSIE.
Voof elamantis,
FBANCB.
Hélas, c'est une voix piteuse
D'une Me désespérée,
iO LE CONCILE
Qui est huy la plus malheureusef
Concques fu créature née.
A • c'est fol ou folle.
Qui ne scet que fait ne qu*un ivre.
Ne point n'arreste en une cole ' :
Tout lui est un, mourir ou vivre,
Je suis, que on appelle France,
La sage femme, au temps jadis.
A .... * suis sans doubtance,
Loué soit Dieu de paradis !
Bt s'amant par elle se complaint
De faulse amour qui le contraint
A dire mal de ses amours,
Qu'en peut mais, si point ne se praint
De plaindre *
De tous maux, sans avoir secours?
Je suis si fort au cœur navrée
Et en tous membres tourmentée.
Que je ne le sçay à qui dire.
Quand je cuide estre confortée
D'un lez, je me trouve cassée
De l'autre, tant que c'est tout ire.
Il a passé vingt-cinq ans.
Que depuis le pied jusqu'aux dents,
Je n'eus, ne santé, ne repos;
Et qui pourroit estre oontensT
Le plus sage y pert son propos.
Hé ! Dieu ! je ne sçay plus que faire
Pour les gprandes oppressions
Qu'on me fait : plus ne m'en puis taire.
1 Lacune. Il faut peut^-étre lire :
A vray dire, c'est fbl ou folle.
> CoU, accès de fureur, de désespoir.
* Lacune d*un mot.
* Lacune de quelques mots.
DE BASLE. il
•Tay tant d'ymaginations,
D'estranges cogitations,
Doux Jésus» mon frère et mon père!
Que si mes grans afflictions
Ne cessent, je me désespère ,
Combien, quant je viens à raison,
J'en suis cause par mon malice;
Car j'ay mis hors de ma maison, ]
Par mon orgueil. Paix et Justice.
Très-doux Dieu I soyez-moy propice, -
Sique ma tribulation
Puisse porter : c'est votre office
De donner consolation.
Dieu, pour Tamour de vous» j'endure
Ceste grant peine, en espérance
Que ce temps g^ères ne me dure.
Sy, par toy, je pry, com s'avance,
De moy aidier : le cœur me lance '
Puis çà, puis là, par desconfort.
Je ne sçay plus ma contenance;
Car plus vay, plus m'agrave fort.
Hé! bon chevalier Prancion,
Fils de Hector, de la nation
De Troye, quant me mis nom France,
Ce n'estoit pas t'entention
Que venlsse à subjection ,
Comme on voit, n'a telle meschance.
Chascun m'abandonne à oultrance.
Je porte sur moy ma chevance
Par la bonne provision
Des miens où dusse avoir fiance :
D'eux et moy, par leur gouvernance.
Se moque toute région.
Quand je pense à ma grant noblesse,
• J/e ($nu?
ii LE CONCILE
A moB honneurs, à ma richesse,
Et à Testât où suis venue.
Le cœur me fault tout de détresse ;
Ma joye se tourne .en tristesse :
Plus povre n*a dessoubs la nue.
Hélas! que suis-je devenue?
Je suis tant vile et mal vestue
Que je ne sçay à qui m'adresse.
Je ne suis plus de nul cognue
Par les miens : chacun me desnue ;
Dieu leur doint recouvrer sagesse!
Hé! Dieu que pourray-je plus dire?
Plus pense à mon fait, plus ay d'ire.
Que ne me viens-tu quérir, mort?
Plus ne puis souffrir ce martire.
J'avoie envoyé à Tempire,
A fiasle, pour avoir confort
De conseil, mais tout semble mort.
Nul ne veille pour moy, tout dort.
C'est mon mieulx d'y aller de tire;
Car, si là puis venir à port,
Je croy que n'y aura si fort
Franc cœur qui pour mpy ne soupire.
Sy eussé-je, à briève langage,
Ce voyage
Voulentiers certainement
Évité, mais nul message
Fol, ne sage
Ne m'en vient aucunement.
Que font-ils si longuement,
Si humblement
Ne procèdent d'un courage?
Durer ne puis longuement,
Yrayement.
Je yrai par quelque passage;
D£ BASLE. i5
Là devray trouver TÉglige
Haulte assise,
Le Concile, Paix et Justice;
Hais paour d*estre reprise
Quant m'ayise,-
Deux, quatre, car comme nice
Vais seule, et tout pour mon vice,
Le service
Que j*ay, chascun me desprise :
Mal eus onques bénéfice.
Ne office.
J*en vois, et dusse estre prise !
Adieu, clercs, nobles, bourgeois :
Je m'en vois
 Basic pour vos mesfaits.
Vous estes monstres aux dois.
Tous François,
Que n'avez Justice et Paix.
Tels joyaux n'aurez jamais :
Je m'en tais.
Je les querray , saufs tous droits ;
Peinez-y, comme je fais ;
Et mon fais
Allégera de grant pois.
Priez Dieu à haulte voix.
Mes en£ans, pour votre mère.
Si je faulz à ceste fois.
Je mourray de mort [très] amère.
HÉRÉSIE.
C'est bien raconter sa misère.
Pour une fois, avez oy
La voix, sire Concile?
CONCILB.
Ouy;
14 LE CONCILE
C*est grant pitié, par bonne foy.
L*É0LI8B.
Nous deux pouvons bien, elle et moy ,
Ensemble, car elle se plaint
Encor plus fort.
B^FOBICATIOK.
Point ne se £aint :
Sans faulte, c'est piteuse chose.
PAÏZ.
Quoy que ce soit, je croy que n*ose
Venir yci et se hontoye.
l'^glisb.
Je croy qu'il est bon qu'on envoyé
Au devant, pour savoir que c'est.
CONOILB.
Je le vueil bien, je suis tout prest
D'y envoier : allez-y, Paix
Et [aussy] Réformation.
BâFOBlULTION.
Nous ne voulons désob&r.
FBANCB.
Hélas ! je me doy bien haïr.
Car je ne sçay que je feray,
Ne à qui je m'adresseray.
Dieu, ayde-moi, qui tout co'gnois !
PAIX.
Dame, qui tant piteuse voix
Avez, cessez votre manière.
DE BASLE. i5
FBAMCB.
Dame ! mais votre chamberière
M'appeliez. Dame! ce m'est blasme.
Je TOUS recognois bien par m'ftme,
Mais vous ne me recognoissez. N^
BÉPOtlBIATIGN.
Soustenons-la fort : elle pasme.
FBANOB.
Je voua recognois bien par m'âme,
Mais vous ne me recognoissez.
PAIX.
Pour Dieu, point ne la rabaissez.
Jàrsoit-ce qu'elle soit mal vestue^
Semble-elle de bon lieu venue,
Au visage, fait pas, ma sœur?
FRANCE.
Hélas ! vous me rompez le cœur.
BâFOBliATlON.
Haa! prenez consolation.
9BAN0B.
Haa! Paix, haa ! Réformation
Que je vueil appeller Justice,
Autresfois, m'avez fait service ;
Mais puis que de vous ne tins compte,
Je n'eus bien et vis à grant honte :
Je me rens coupable à genoux.
PAIX.
Haa ! mère France, levez-vous :
Vous ne devez pas ainsi faire.
iC LE CONCILE
BÉFOBMATION.
Estes France la débonnaire?
Je croy que ouyl; ha! France, France!
FBAMCB.
Je vous pri que j'aie audience
Par votre moyen au concil :
J'ai esté et suis en exil,
Tant que ne sçay plus que je fasse;
Mais, si je puis avoir espace
De parler tout en général.
J'ai espérance que mon mal
Allégera, et pour ce suis
Gy venue, car plus ne puis
Celer mes maux ; Us sont trop clers.
PAIX.
Vous y trouverez de bons clercs
Et mesmes de votre pays.
BEFOBMATION.
' D'une chose trop m'esbays :
Que ceux qui veulent dominer
i Sur vous, ne scevent terminer
' Vos maux, et non à vous attraire.
FBANCB.
\ C'est pour néant, il s'en faut taire.
Chascun fait à sa voulenté,
Sique ne puis avoir santé :
Pour Dieu, menez-moy au Concil.
PAIX.
Youlentiers, aussi nous a-il
Envoyés pour vous y mener.
DE fiASLE. 17
CommaDdez, nous voulons pener
A vous complaire, sur nos vies.
Combien que nous ayez bannies;
Mais je croy que n*en pouvez mais.
BÉFORMATION.
Ha! ma sœur, n'en parlez jamais.
Elle en a assez à souffrir.
Présenter la faut et offrir
Au saint Goncil et à TÉglise.
Saint Concil, nous avons tant quise
La voix, que nous Tavons trouvée.
C'est France, jadis bien nommée.
Qui tant est serve, et en vil point.
CONCILB.
France, je ne la cognois point;
France n'a point si laid maintien.
EDSKiSIB.
Pourquoy non? je les en croy bien ;
Elle a si bien fait parler d'elle
Comme moy qu'il est grant nouvelle
Far tout le monde de nous deux.
Elle est en ce point, ce m'aist Dieux !
Comme on voit, par les tiens vassaux
Qui pour moy ont fait maints assaux,
Aux Boesmes et Pragiens
Que j'ay tenu en mes liens :
C'est guerre, famine et la mort.
FBAMCB.
Hélas ! vecy petit confort
Pour moy mettre le cœur asseur.
TOI. Tl.
iS LE CONCILE
H^BÉSIB.
On m'a cuidé faire grant peur
Pour dire, que si France eust paix,
Je ne rég^eroie jamais.
Dieu mercy, enoor n*ay-je garde
D'elle, car quant bien la regarde,
Je ne la craing, ne ne la double.
Tant que soit ainsi. Somme toute,
Ainsi la veuille Dieu tenir !
l'iéqlisb.
On ne scet qui peut advenir :
. Tu parles bien trop. Hérésie.
PAIX.
Ne vous chault de riens qu'elle dye ;
Vos bons amis vous aideront.
F&ANCB.
Hélas! Paix, m'amie, feront?
OONCILB.
Bien soyez-vous venue, France.
Puisque c'estes vous, prenez place.
FBANCB.
Église, à vous soit révérence !
L*ÉGLI8B.
Bien soyez-vous venue, France.
BâFOBlfATION.
Elle vient à obéissance,
 secours.
DE BASLE. 19
PAIX.
Prenez-la en grftce.
OONCILB.
Bien soyez-vous venue, France.
Puisque créâtes vous, prenez place.
FRANCS.
Puisque TËglise voy en faoe.
Je prens en gré ce que j'endure.
Elle est douce de sa nature
Et pleine de miséricorde,
Sique pécheur qui se raccorde
 elle, ne périra point.
Chascun reçoit. Je ne plains point
Riens qu'elle ait eu de moy jadis ;
Car grâce à Dieu de Paradis
Il me semble qu'elle remploie
Très-bien, supposé que j'en oye
Et ay ouy plaindre pluseurs
De mes subjets. Oncques couleurs
Ne rendirent chose tant belle.
Ce semble une douce pucelle ;
A son vis, c'est toute plaisance.
l'éqlisb.
Vous vous décevez, fille France,
Et savez mal ma maladie.
Pour ce faut que je la vous die :
Yray est que pardevant 0uis belle,
Hais par derrière, je chancdle;
Regardez : j'ay jà dit pourquoy.
20 LE CONCILE
FaANOB.
Pour Dieu, Dame, pardonnez-moy;
Certes, je n*en savoie riens.
L*iaLI8B.
Vray est que j'ay eu de vos biens.
Dont bien me souvient; car TÉglise
Pluseurs fois avez sus remise.
Sans les autres qui sont sans somme.
On les scet assez bien à Homme ,
Mais tout s'en va comme il vient;
J*ay grand deuil quant il m*en souvient
Comment j*ai esté gouvernée ;
J'aimasse mieux n'estre oncques née,
Si brief remède n*y est mis.
OONCILB.
Vous avez cy de bons amis,
Créez» chascun labourera
Si bien que vous amendera.
Si Dieu plaist, ains que je départe.
PAIX.
Haï ce seroit trop grosse perte.
Si je ne suis remise sus;
Tout le monde seroit déçus
D'estre venu yci en vain.
BâFOBMATION.
Je y ay mis et mettray la main.
C'est raison ; car en bonne foy ,
Vous ne pouvez régner sans moy ;
Pour tant en vyeil-je prendre soin.
DE BÂSLE. 21
FRANCE.
Hélas ! il en est bien besoin :
Certes, tous avez tout attaint.
HBBÉSIB.
Oomme chascune se complaint !
Je ne vy oncques celle galle.
Mal seroie venne à Basle,
S*il advient ainsy oom pourpense.
Or faites, faites, car je pense
Que partie en demourra.
Je brairay si hault com morra*.
Je ne vueil riens dire en secret :
11 n'y aura par Dieu déciret
Contre moy, qui suis Hérésie,
Ne contra ma sœur Symonie,
Ne contre les concubinaires,
N'autres, ce croy, qui durent guères
S'ils ne sont à chaulz et à sablon.
Ne cuidez pas que nous fàblon :
Fols et folles dient paroles
Souvent qui ne sont pas frivoles.
Je vous en dy ma râtelée'.
Et ne puis-je qu estre brCdée :
On en verra Texpérience.
l'église.
Concil, si par votre science,
Moyennant Béformation,
* Je ne comprends pas ce vers. Y a^t-il ici ane allusion au chant
broyant des Morabites, dont le nom serait exprimé par abréviation?
Faut-U lire : e^on morra pour qi^on mourra?
' Ma raUUe, ce que j'ai réuni avec mon rftteau, ce que Je sais.
L£ CONCILE
Ne m*est faite provisiou
Telle que Paix soit bus remise.
Il n'est plus riens dé moy Église.
La douleur que j'ay, trop m'altère.
Quant je regarde et considère
J'ay de mal tant en tous estats :
Quaniam a planta pedis usque ad ^erticmm
Non est in me mniios '.
Je sens partout le corps malade ;
Sans riens excepter, je suis fade;
Mon corps est partout diffamé
PerfilioB qnos enntrivi et eaaltavi :
IpH autem spuevmmni me*.
Ghascun, soit clerc ou séculier.
Tend à son prouffii singulier.
Plus n'ay enfana qui tiennent compte
De moy, par quoy je yIs à honte.
Je perds, entre les autre» choses.
De pièca, deux tfop belles rosée.
C'est assaToii Boesme et France,
Dont trop me doubte». car sans doubtance^
Bien reparoient mon ehapeau.
Perds-je pas aussi de noureau
Partout mon principal domaine?
Quant je y pense, je me domaine
Tellement que j'en perds mon sens;.
Et tout ce vient par mes enfans
Qui ont bannie charité,
Justice, paix et équité,
Et se sont du tout empeschés
En tous vices, en tous péchés.
En moy laissant à la volée
^ Cf. Deuteronom. xxvm, 35.
* Isaie, 1, 2.
DE BÂSLE. 85
Comme yeave descoofortée,
Dont fort me dueil, n'en doubtez mie.
Bien pour moy diaoit Jérémie :
Fada est quoH tidva, domina gentium :
PHnMpt ffimnctatum faeia est sub tHbuto';
Celle qui estoit la princesse
Sur tous christieïis et maistreasoY
Est devenue tributai^.
FBANOB.
Moy aussi, ne me puis plus taire
Que, comme TÉglise, ne die
 TOUS, Condl, ma maladie;
Car je souffre en espécial
Ce qu'elle dit en général,
Tant qu'à moy peut toucher et touche.
Nul ne sauroit dire de bouche
Les maux que j'endure à grans cas
Soubs elle, par mes trois estas'.
Par eux, je n'ay jour de repos.
De heure «n heure mue propos
Et souffre du pied jusqu'au chief.
Tant et tant, que c'est tout meschief .
Toutefois, je les nourrissoie
Es temps passés et eslevoie.
Tant que chascun estoit contens.
Or sont-ils tous en tels contemps^
Par leur orgueil, par leur envie.
Qu'ils m'en feront perdre la vie.
Ce que je dy, c'est à ma honte,
Ne plus ne tiennent de moy conte.
■ LamenL Jerem. I, i.
* Une assemblée des trois États du royaume de France, tenue à
Paris, ratifia le 6 janvier 1420 (y. st.} le traité de Troyes.
8* LK œNCILE
Car j'estoie bien renommée
Partout en chascune contrée,
Sique chascun venoit apprendre
De moy. On ne pourroit comprendre
Que c'estoit, quant je m*en remembre :
J'estoie soubs TÉglise membre
Qui les corps moult embellissoie;
Mais on m*a bien mis jus ma joie.
Car il me convient mendier.
H^ÉSIB.
N'y a-on sceu remédier?
FBAMCB.
Sy eust bien, mais on n'a voulu.
HâiùâsiB.
ITaist Dieux I orgaeU vous a toUu
Votre honneur, comme a fait la gueule
A Prague. Vous n'estes pas seule :
A elle et vous, ce les enporte.
FBANCB.
Cecy guères ne me conforte.
Dieu amende les Pragiens !
France et Prague, entre christiens,
Estoient jadis comme l'œil*;
Mais par leur gresse et leur orgueil
Ils ont &ut de leurs vertus vices,
Sique [ont] par leurs soubtils malices
Aucuns d'elles moult hault levée,
• Yojfez t. m, p. 372.
DE BASLE. 25
Non pas des miens. J'ay renommée
De tous temps estre catholique ;
Ifoncques ne nourris hérétique.
Ne jà ne feray : sy m'ait Dieux î
HSBÉSIB.
Et de combien valez-vous mieux?
Jà-soit-ce que ne soyez pas
Venue jusqnes à mes las,
Sy avez-vous de la semence
Dont je viens, qui voit Tordonnanoe
Des filles d'orgueil que descript
Saint Grégoire, en un sien escript.
Aussi, qui voit ad Chdathas
Saint Pol, au quint' : il met grant tas
Des faits crueux où on en peut
Trouver, et autre part qui veut;
Mais pour brief cy fais mémoire
Des filles que met saint Grégoire,
Qui, pers' qu'à moy, vous ont servie
Par très-long temps de votre vie.
Je les nomme inobédience,
Noise ou contention, vantance,
Pertinaxité et discorde ;
Mais devant ce, bien me recorde.
En ordre va ypocrisie.
Et puis moy, qtd suis Hérésie
Mets à la queue en la fin ;
Car en moy gist le fort venin :
FUÙB, inquit^ inanis gloria sua
Superiia, sunt inobedientia^
Canteniio, jadaniia, fpocrisiê.
' Au quint, au cinquième cHapitre.
* Péri [pariter] lemblablementi audsi bien qu*à moi.
26 LE CONCILE
Pertinada, diieordia, nontaium
Prasumptio. «
Or me dites : que signifie
De nouveautés présomption,
Autre chose, fors hérésie,
Selon sa définition?
Quia notUatum prasumptio est,
Cum quis nova vel dicii vel
Invenit %t laudetur.
Puis donc que vous estes fournie
De racines dont me vient vie
Et dont je descens par lignage,
Il me semble, qu*& brief langage,
Entre Boesmes et François,
Moy ostée, n'a pas chois.
Je dy : quant au gouvernement ;
On le voit assez clôrement.
Et c'est ce que dire vouloie.
FRANCS.
Ne me sçais-tu faire autre joie ?
Ce que les autres ont meffait,
Ne m'alége guôres mon fait ;
J'ai failly, je n'en doubte mie.
En ces dits, au moins en partie.
Mais les Bougres se sont soubsmis
A toy , et hors de la foy mis ;
De tant se doivent plus haïr.
Quant à moy, je vueil obéir,
Et ay tousjours, & Sainte-Église.
Qui eust pris garde aux dits Moyse,
Qui sont en son livre, c'en nomme
En vulgal : Deutéronome
DE BÂSLE. 27
Au vingt-huitiesme chappitre \
Point ne chussions à ai bas titre.
Bien Bçay que par oultrecuidance
Et faute d'obéissance
A Dieu et ses oommandemens,
Ayons-nous tant dénombrement.
Et tant de grans d'afflictions :
Toutes les malédictions
Qu'à eux et moy sont advenues,
Et enoor sont plus contenues
Où j'ay dit, qui y veult garder
Les dix commandemens de Dieu.
Quant à moy, je suis en tout lieu
Maudite, aux champs et à la ville.
Il n'est créature plus vile
Que je suis, mais c'est de grant pièce.
On m'a destruite pièce à pièpe,
Sique ne me puis soustenirp
On n'ose aller, ne venir
Par tout mon pays à la ronde ;
Toute iniquité cy abonde;
Je ne sçay lequel me fait pis :
Ils sont tous tant faulx et despis^
Que je ne le sçay à qui dire.
^ Ils n'ont pitié de mon martire,
Ne qu'ils auroient de pourceaux.
Ils s'entretuent à monceaux,
Sans pitié, sans compassion ;
Si Dieu n'en a rémission,
Ils y perdent et corps et ftme.
A brief parler, j'en suis inf&me.
On ne sauroit compter en brief
I CTest dans le vingt-huitième chapitre du Deutéronome que Moïse
annonce les malheurs qui frapperont les transgresseurs de la loi
divine.
I
28 LE CONCILE
Ce qu*ils font, les maux et le grief;
Tout est perdus, empersonné * ,
Destroussé, pendu, rançonné ,
Ou au mieux venu à pastis ' ;
Et qui n'est de partir hastis.
Dieu scet quel meschief on Ty fait.
Jusque au bouter le feu de fait.
Plus n*7 faut quérir labourage
De tout; n'y a pas un village:
Tout est le pats régalle ' ;
Ne n'y a chante^, ne balle,
Ne croi, ne calice en l'église, .
Où on devroit avoir francise.
Encor pis, femme, enfant ou prestre,
N'est espargné où que puist estre ;
Les églises sont violées
Et les filles dépucelées ;
Brief , tout est plein de mauvestié ;
Plus n'y a douceur, ne pitié,
Ne foy aussi, ne loy gardée.
Ainsi suis partout gouvernée :
Ils ne cuident jamais mourir;
Je ne sçay plus où recourir.
Dieu ait l'âme des trespassés !
Il a plus de trente ans passés.
C'en me commença ceste dance ;
Mais, or peut-on dire : t Adieu, France,
« Le doux pays, la bonne terre!
< Tu fineras tes jours en guerre
I Non obstant quelconque famine
* Bmpwrsonné, pour emprisonné,
•- Venu à pastis, mis à contribution.
' Tout est le pats (ou pasf^ régalle, tout est dévoré par la régale?
* Chante, chanterel? livre d'église? peut^tre. Chaule, bille. Ni bille,
f?i balle Bénit en ce cas une locution proverbiale.
DE BÂSIJS.
< Qu'auras par vengeance divine ; »
Car cruelle mortalité ,
Sy n'ay-je ville, ne cité
Qui nagaires ne Tait eu grande ;
Toutesfois nul ne s*en amende,
Ne ne corrige ses excès.
HÉBÉSIB.
Vous avez fait bien long procès ;
Sy n*avez vous riens icy dit,
Que eux n'aient sans contredit
Et pis d'assez, je vous affye,
Car ils m'ont par long temps nourrie
Et feront encor, si je puis.
Si Dieu plaist, toutesfois je suis
Bien contente, car, comme il me semble.
En maints points convenez ensemble.
Cest grant bien d'avoir compaignie:
Vous serez, quant Boesme guérie,
Qui pour moy a cy audience.
fbànob.
Concil, ayez pitié de France :
En cest estât ne puis plus vivre.
BâFOBMATIOM.
C'est grant fait d'oyr sa meschance.
PAIX.
Concil, ayez pitié de France.
HÉBéSIB.
Aura-elle si tost délivrance
De ses maux?
30 LE CONCILE
CONCILB.
Tay-toy, rote', et yvre.
L*ÉGLIBB.
Goncil, ayez pitié de France.
En cest estât ne puis plus vivre ;
Vous avez ouy à délivre
La garant douleur et le meschief
Que j*endure et ay tant eu chief
Et en membres : je péris toute;
Qui ne le voit, il ne voit goûte.
Pour Dieu, ayez de moy mercy,
CONCILB.
Et pour ce suis-je venu cy.
C*e8t toute mon entention
Qu*ayez par réformation
Paix avec vous en général
Et aussi en espécial ;
A mon pouvoir, n*en doubte nuls,
En vain seroie cy venus
A ceste &n, par monts et vaux.
Sont cy arrivé cardinaux,
Patriarches et arcevesques.
Aussi multitude d^évesques,
Abbés, prélats et clercs sans nombre.
FSANCB.
Je vous requiers 6 sans descombre
Afin que m*en puisse sentir.
BÉFOBMATION.
Vous diray-je voir sans mentir?
Certes vous n'aurez jk remède ,
< Bote (du flamand : rot), pourrie, gfttée.
DE BASLE. 51
Au moins en tout, 8*on ne procède
De bon vouloir en charité.
Sans vouloir par subtilité
Quérir cinq pieds en un mouton.
PAIX.
Je vous prie, ne nous bouton
En matière qui nous délaye.
Je croy et tiens pour chose vraye :
Chascun est bon ou il périt ;
C*est le fait du Saint-Esperit :
Autrement dire, c*est errer.
RiCFOBMATION.
Si chascun se laisse ferrer.
Tout ira bien, je le conclus.
Toutesvoies, je ne puis plus
Moy taire contre vous, ma sœur ;
Il semble qu*ayez jà le cœur.
Sans coup frapper, du tout failly :
Bien défendu, bien assailly,
Laissez-moy faire mon devoir.
Chascun peut bien appercevoir
Que nulle part ne régnerez
Sans moy; j*ai cy grant intérestz.
Pour .ce ne me faut-il plus faindre.
J*ay ouy TÉglise à plaindre
Devant nous tous piteusement.
Et France aussi semblablement,
De quoy Hérésie se moque.
Qui de riens ses mots ne révoque.
Hids tout quique a, pent à soy hache :
Sy vueil-je bien que chascun sache.
Ce qu*elles ont, c'est par leur vice
32 LE CONCILE
Et par le mien, car mon office
J^ay exercé mauvaisement.
Je le TOUS dy publiquement ;
Je m*en confesse, il m*en desplaist.
Le saint Concil, s*il lui plaist.
M'en absoldra, il a puissance ;
Dieu m*a donné reoognoissance
De mon mesfait, je Ten mercie.
Faites tous ainsi, je vous prie.
Car nul n'y a qui n'ait mespris
Envers Dieu, dont sera repris
S'il ne s'amende ainçois qu'il meure.
Mourir conyient quelque demeure.
Nous véons les plus g^rands mourir;
Pour tant Tueillons tous recourir
A celle très-sainte leçon:
Medicey eura te ipsum.
Toy qui veux autrui corriger,
Yueillez avant tes faits juger :
Ce doit tout catholique faire.
Et s'aucuns dient le contraire.
Je vous promets ipropterea
Etaginabo glaiium meum
Et interjlciet eos manus mea\
Pour ce c'on a dissimulé
Au temps passé et reculé.
Et encores c'on dissimule
Au temps présent et c'on recule.
En tous estats, moy la première.
Est l'Église, en telle manière
Déserte, comme elle raconte.
Je ne sçay comment on n'a honte :
Chascun doit avoir conscience.
Mais tous appliquent leur science
» Exod. XV, 9.
Dfi BASLE. 33
A vouloir autrui surmonter.
Quoy gagne de si haut monter ,
Puisqu^à la fin faut tout laisser?
Il convient chascun abaisser
Envers Dieu par humilité.
Par bonne amour, par charité,
Qui voudra que sa voix profite :
Au saint Concil, je m*en acquite.
Ainsi les appostres faisoient,
Ce scèvent ceux qui leur fait voient :
Brat eis cor unum et anima tma \
Je promets qu'à Basle n*a
Qui sache si jamais verra
Le temps que Goncil» sera,
Si Dieu ne lui a fait savoir.
Pour ce fasse chascun devoir,
8*il peut, de remède quérir
Pour l*Église, c*on voit périr;
Et se elle eust esté assemblée
Plus souvent depuis qu*elle est née,
Par bonne réformation
Et sans dissimulation,
Je croy que tout fust chrestien.
Que nous dit le bon ancien
David : Quibui est forma morum,
In omnem terram exivit sonus eorum ^
Les appostres partout preschèrent
Quant la foy ceux commentièrent' :
A quoy tient donc, que tout n'est un,
Fors que, les temps passés, chascun
Ka, pas du tout fait son devoir,
Pour quoy dy» com peux percevoir,
' Cf. Aei. Apost. IV, 32.
» Cf. Psàlm, XVni, 5 eiBpist, B. Pauli ad Botn. X, 18.
* Commentièrentf commentèrent.
TM. Tl. 5
34 LE œNCILE
Que par ces fautes, Sainte-Église
Est aujourd'ui ainsi bas mise.
Elle a voulu à tous complaire.
Et par ainsi je ii*ay pu faire
Mon office, par quoy languist
Paix, et chrestienté périt.
En général qui Tosast dire
Et quoy qu*en soit, en ont du pire
Aucuns pats, à part : c'est France
Et Boesme, qui sans doubtance
Ont grant besoin d*aToir secours.
On le crye cy tous les jours :
Plaise à Dieu qu'à temps en souyiengne ;
Car s*il advient (que jk n'aviengne I)
Qu'en ces choses on ne pourvoye
Je ne voy point par quelque voye
Que homme revoise en sa maison
Honnestement, s'il a raison.
Et qu'il ait pu cy prouffiter.
PAIX.
Si chascun se veut acquitter
Comme vous, au moins oomme il me semble
Encor demourrons-nous ensemble
Soubs rÉglise nous deux et brief
Il ne me chaura plus de grief
Comme m'ait, aine je vous supplie ;
Quelque chose que je vous die,
Pardonnez-moy, ne vous desplaise.
OONCXLS.
Chascun en dit bien à son aise.
Qui n'auroit vu nuls vents venter,
De peu le vouldrie^ contenter.
Femmes dient ce qui leur plaist.
DB BASLE. 35
Quant est de moy, il me despkist
Des maux qui coure&t, mais je tien
Que tout sera pour notre bien
A la fin et laissons Dieu faire.
Qui bien regarde saiat Hylaûe'
En ces dits de la Triiuté
Au livre un, en vérité,
L*Église reconfortei fort,
Quoy qu'elle endure en droit pu tort :
Hoc, inquit, propriim e$t eeeUii^, ui
Tune vincat eum laditur, tune
InUlligat eum arguitur, tune
OUineat eum dwritur.
L'Église est de telle nataire
Que s'on la blesse, d*ffvcmture.
Lors elle vaint, et s*en lYurguOv
En mieux son entendement mue,
Et quant d'elle toute on ne tient
Et c'en la kisse, lors obtient.
Ainsi le dit le saint preudliomme;
Et pour tant si l'Église de Borna
Et autre part en pluseurs lieux
Souffre, je croy que c'est son mieux
Que le dit saint Hylaire a^visew
L'ÉGXaSB.
C'est petit confort pour l'Église
Si vous ne dites autre chose.
OOMOILE.
Vous semble-il que je me repose?
n y a des gens hors et ens
* 9eiiil Hili^re, év^ue de Poitiers, a composé un traité eu douze
Itwm sur la THnité.
36 LE œNCILE
Qui sèment que depuis trois ans
Et plus, le Concile n*a riens fait :
Qui considérast bien mon fait
Et les destourbes que j'ai eus.
Tel en parle qui se fust tus.
Est-ce riens d*aToir fait venir
Les Boesmes et convenir
Tellement qu*au plaisir de Dieu,
Ains que je parte de ce lieu.
Hérésie d'eux sera hors?
H^BÉSIE.
Oyez par la foy de mon corps :
Pluseurs ont garant faim com notre este ;
Mais je croy qu'ils comptent sans Toste,
Me cuidans ainsi débouter.
CONCILE.
Tout fut perdu, n'en faut doubter
Par tous pays, pour abrégier ;
Le peuple croit trop de légier,
Mesmes en France', qui se vante
Conques n'issi de droite sente.
Tant que notre foy peut toucher
Ne lui vueil riens reproucher ;
Elle a assez d'encombrement,
Et en fièvres dernièrement
N'ay-je pas eu à luy herson ■?
Du Pape, cel conclusion
En concil telle ne fu faite,
Ce me semble, qui bien y guette.
Mais c'on avise la besogne
> Y a-i*il ici quelque allusion à Jeanne d'Arc? Cf. tome II, p. 20S et
la ReeclUdion des mereeilles que nous publierons dans le tome Vn.
' N*ai-Je pas eu aflkire à elle?
DE BASLE. 37
Sans fainte et sans quérir eslongne
Et que chascun Toit droite voie.
PAIX.
Concile, vous me faites de joie
Trèstous les esprits remuer;
Dieu vous donist bien continuera
A ce coup seray-je remise.
Si Dieu plaist, par toute TÉglise,
Dont je me doy bien resjouir;
Hais plaise vous un mot olr
Que j*ai dessus le cœur, bel sire.
Nous ne cessasmes huy de dire
Une chose que je ne puis
Oublier» c*est que je ne suis
En estât, sinon par justice,
Felle aussi sans moy, que son office
Est tout réformer, sans esloingne.
Saint Augustin cecy tesmoig^e
Assez sur les mots que dits sont :
Justitia et Fax aseulata sunt.
. Dua 9uni arnica Justitia et Fax.
Tu forte unam vis et alteràm
Noufacis : mu enim est homo
Qui uau vellet paeem, sed uon^
Veilet operarijusticiam, Interroga
Omnes Aomines : vispacem? uno
Ore respondet tiH geuus humanum:
Opto, eupio^ amo^ tolo, amo
Justitiam. Q^ iua amicm sunt,
Justitia et Paso oseulantur. Si
Amieampacis non amateris, non
Te amabit ipsa PasOy née veniênt
Ai te. Auçustinus super psahnum
LE CONCILE
Octogerimum qpartwm.
Desquels dits «n brief vueil i«tfwtfe
Que nul ne me peut attraire
S*il ne se laisse réfonner :
Je le dy pour vous informer
De mon pouvoir; en vérité
Pour ce ait de vous miitorité
Béformation sur diascua
Ou Justice, ce m^est tout un.
De rechief «'«ne n'en a asaee.
OONCILB.
Paix, pour néant, vous vous lassez.
De ce m*osé-je bien vanter.
Toutesfois, pour vous contenter
Et d*elle donner cognoissanee,
Sachez qu'elle a telle puissance,
Je ne vueil qu'elle «spargne homme.
Tant soit le saint père de Rome,
Cardinal, patriarche, évesque,
Abbé, prélat, clerc, n'arcevesque,,
Advocat, procureur, notaire.
Juge ou autres, et laissez braire.
Je vueU c'en réforme la court,
Chascun en droit lui, bref et court,.
Et généralment tous estas
Depuis le chef jusques au bas :
Autrement tout ne vaudroit rien.
Sans faute, vmis dites trè9-bien.
Par ce moyen ràgnent paix.
Qui est plus gmxt bien «que jamais
Homme en œ monde puisse mvoir.
DE BASLB. 53
Chascun le peut assez stiroir
Par ce que saint Augustin dit
En un lieu, et vecy son dit :
Taie bonum est bonum pacis
Quoniam in rébus creaiis
NiehU gratiosius solei àudiri,
Nil ielectàbilius coneupisoi, et
NieAil utUius possideH. SpirUus enim
ffumanus nunguam timJtciU fnembra,
Nisifuerint unica. Sio Spiritut Sandaê nunquam
Vivijleat ecebsia membra, nisifkerint
Inpaee imica, Augitstinus de Cititate Dei.
Le bien de paix est un tel bien
Qu*en ce monde mortel n^a rien
Plus gracieux, plus délitable,
Kk posséder plus profitable ,
Et met une sollicitude
Que nul n'ygnore, 8*il n'est rude;
Sioonmie Tesperit humain
Ne vivifie pied, ne main,
N'autres membres, si bonnement
Ne sont unis : semblablement
Le Saint-Esprit qui fait vivre
L'Église, la laisse à délivre
Sans donner à ses membres vie
S*ils ne boutent d'eux hors envie
Et ayent paix eu unité
Par bonne amour et charité.
C'est en brief mon intention.
BÉFCBIIATION.
Parlera Béformation
Un mot sur ce, ne vous déplaise.
Sans doubter, je seray bien aise
Si paix par moy peut estre asseur
40 LE CONCILE
Et règne, mais j*ai trop grant peur
Par fausse paix ne vienne enjeu.
J'ay vu saint Bemart : en un lieu
Het de fausse paix trois manières ;
Dit ainsi com je vi naguères
Falsm pacis très su/ut species :
Seilieet paa œstimata.
Fax HgiUata et pax imperata ;
JSstimatur a nescientibus; iiffUlatur
A non hàbentibus; imperatur a wm tinentibus.
Ces trois paix sont : paix estimée
Et paix fainte et paix commandée»
La première ont simples qui oient
Parler de paix et de fait voient
Les grans aultrement à paix fiûre»
Et souvent advient le contraire.
L*autre paix qui est dite fainte,
Bègne huy en compaignie mainte ;
Car pluseurs font.de paix manière
Et ils traXssent par. derrière.
L*autre paix ont les souverains
«Qui mettent loys et font.
De telle paix, nous ga. . . .
Sy règnent-elles en
En siècle et en
PAIX.
CTest bien.
Mais . . .
Se ... .
Par. . . .
S
' Ici et dans d'autres parties du manuscrit quelques feaiUets sont
incomplets.
B£ BÂSLE. 41
HJBlSSIB.
Vous dites ce que bon vous semble,
Mais certes, vous n'aurez jamais
Quoy c'on die, parfaite paiz.
Tant que deux points seront sur terre
Qui souvent renouvellent guerre.
UÉglise pièca Ta cy dit;
Elle Ta pesché en un dit
De Sénèque; aussi ai-je. De moy
le n*en disse rien, mais je voy
bae chascun sy parle latin;
/Je décliqùeray un tatin '.
QuietUsimam vitam agerent Aoinines,
Si Aac duo a natura omnium rerum
Tolkreniur, meum et tuum. Sbnboa^
In libro : moralibus.
Si mien et tien fussent ostés,
Fdx pust régner de tous costés ;
Mais je vous jure et vous afferme.
Tant que durront, ne sera ferme.
Je le vous dy pour autruy.
GONCILB.
c'est yci à meshuy,
sans rien besongner,
• . eslongner.
PAIX.
Commençons au plus nécessaire.
CONOILB.
Dieu nous doint en tout bien préfaire!
JTous avons des cas bien pesans.
' Je tepperai un coup.
42 LE CONCILE
KiFOBlfATION.
Gommençonâ au plus nécessaire :
Despèchons ceux qui sont présens.
HÉBiSlB.
Je proteste que je me rens
Devant tous sans aller plus loing
Au cas qu*il en seroit besoing.
Je croy bien votre intention.
Oyez-vous, Réformation?
Laissez-moy et despôchez France.
BéFOBICATION.
As-tu peur de mener la dance»
Qui ainsi brais à la volée?
Pièca, dussez estre brûlée,
Car tu ne fais que te moquer.
Si te voulsisses révoquer
De bon cœur, tu eusses mercy.
HinisiB.
Attendez que reviengne cy
L'ambassade qui est en Boesme,
Et, foy je doy Dieu et mon proesme,
S'ils se rendent, je me rendray.
S'il vous plaist, je les attendray.
Vous savez qu'ils eâtoient défendeurs.
Je suis en mains de revendeurs;
Je ne leur sçay comment leur complaire.
BÂFOBHATION.
Regardez que vous voulez faire ;
Vous oyez ce qu'elle respont.
DE BÂSU. 43
CONOILS.
Si ne fust pour rompre le pont
Par où les uns dolyent venir,
Je la fisse bien court tenir ;
Mais il leur faut garder passage.
FRANOB.
Sans faute, c'est dit d^homme sage :
MiUm est ignoBcere
Quam post fAUoriam fœmt$re.
Mieux vaut estpe doux, suis mentir,
Qu'après rigueur soy repentir;
J'approuve très-bien votre guise.
PAIX.
Scelle est en la main de l'Église
Qui est miséricors et bonne
Tant qu'elle n'exœpte personne,
Tous prent à mercy, bons et mauvais.
héfobmahon.
Vous dites ce qui vous plaist, Paix,
Mais encor ne l'ave^vous mie.
Vous estes trop douce , m'amie ;
Je le vous ay dit autresfois.
L'ÉaLUSS.
Vous dites bi^, mais toutesfois,
Quoy que dit Réformation,
Je me tiens de l'oppinion
Du Concil : c'est le mieux d'attendre
Afin c'en ne nous puist reprendre
De justice trop rigoreuse.
rmÀNcm.
mercy ; tu es heureuse
en soyez pas digne.
44 LB CONCILE
BÉEÉBIB.
Grans mercys.
CONOILB.
L'Église est bénigne,
Elle te laisse en espérance
Que viengnes à obéissance,
Mais garde bien c'on ne te voie
En ville, en champ, n'en quelque voie,
Jusques j*aie en ton &it pourvu ;
Car si le contraire estoit sçu,
Il te vaudroit mieux estre à mais.
HÉBtelB.
Non feray-je, je vous promets,
Si je ne viens à mon entente. .
BâFOBHÂTION.
Sainte Église, estes-vous contente?
l'église.
Ouyl, puis c'en ne peut mieux faire.
CONOILB.
Je n'ay cure c'on vieng^e braire
Après moy : entendez-vous bien?
L'âOLISB.
Ce que j'ay dit, j'ay dit pour bien,
Ce semble.
CONOILB.
C'est quant à ce point,
Aux autres tost.
BéFOBMATXON.
Je ne voy point
Pour le présent, voie ou manière
DB BASLE. 45
D^entamer nouvelle matiôre,
Fors pour France qui attent cy.
FRANCS.
grantmercy;
à vostre plaisir,
avant par loisir,
y retoumerez-vousî
OONCILB.
... ou bien il vient vers nous
soustraire
.... doit à tous desplaire.
. . . elle a dit : c'est par elle.
FRANCS.
me renouvelle
trop amèrement.
L*éQLISB.
.... le plus doulcement
. . . vivrez, je vous en prie.
RéFORMATION.
. . i . . vous pas c'en die
dont ce mal lui vient
bien me prévient
qu'elle a souef nourris.
PAIX.
maints en y a pourris,
mène ceste dance.
ma mère France
ils m'ont bannie,
fait trop grant folie
fols n'y prennent garde
qui y garde
les autres n'ont fait
46 L£G(»«CILE
.... Totrefait
bien faire savoir
ravoir.
Afin que par
Nagaires
Et selon
Je vous con
Que le fondement
Toutesvoies
Et m'en desp '
Sy le verrez-vous clèrement.
Maintenant et bien voua aouviengne
De la matière, quoy qu'aviengne :
Elle est escripte en pluseurs lieux;
Si Dieu plaist, vous en vaudrez mieux.
C'est une bonne matière,
Or entendez bien la manière.
Ex pace dititia, ex âivitiis
Superiia, ex sup&rbia gmerre^
Ex guerra pauperta^, ex
Paupertate humilitas, ex Aumiliiate
Pax.
De paix naist ricbease sur terre«
De richesse orgueil, d'orgueil guerre.
De guerre vient povreté.
De povreté humilité,
Mais d'humilité revient paix.
Loys ces dire onoques mais * :
Vous avez eu grand seignourie
> Ce vers est aisé à rétablir:
Et m*en desplaiat très-grandement,
> Il faut peut-être lire :
Il me loist te dire oncques mais :
DE &ÂSLE. 47
Soubs inoy, tant que m'avez nourrie,
Mais puis que ne me recognustes
Et que d'orgueil hordié ^ fustes,
La guerre vous a court tenue
Par quoy pauvre estes devenue.
Sy vous convient humilier,
S*à vous me voulez ralier :
Nul meilleur conseil, je n'y voy.
amour, ne charité
dez votre humilité.
veult Paix parler.
BÉFCBMATION.
'. roie plus celer
de ce qui me semble
n'auront jà paix ensemble.
un costé n'amolie
et vers Dieu s'humilie
... à Dieu, comme pense, tant faire
. . . mais qui vous font tant traire
humblement
JG dy seurement
.... lieu et qu'ils se vissent *
je croy qu'ils fissent
bonne conclusion
imagination, ,
. seroitleplusbrief;
et voit-on le grief,
> Hwrdié, possédée.
« Peat-ôtre rencontrait-on dans ces vers mutilés le vœu plus ou
moins voilé de voir le roi de France et le duc de Bourgogne se ren-
contrer et oonclure la paix. I.e traité dArras était déjà dans toutes les
prévisions.
48 LE CONCILE DE BÂSLE.
n^acure,
et passe à dure,
de présent endure
sur qui peu dure
et pour les lieux,
m'aist DieuzM
* La fin manque.
LE PAS DE LA MORT'.
Je fus indigne serviteur.
Au temps de ma prime jeunesse,
De Toultrepasse de valeur,
La joye de mon povre cœur.
Ma parassouvie maistresse;
Hais la mort, par sa grant rudesse,
Envieuse de nostre bien.
Prit son corps et laissa le mien.
Comblé de mort et agrevô
Plus qu'on ne pourroit oonoepvoir.
Souffrant tourment comme un dampné.
Désirant de non estre né,
Je fus ainsi qu'en désespoir
Le plus dolant qu'on pourroit voir
De tous ceux que nature a fait.
Par la mort qui m'avoit deffait.
Elle defBt premiers ma dame,
Ma cbierté et m'honneur mondain.
Et enversa et mit soubs la lame
Bonté, douceur, et bruit et famé;
■ Publié diaprés le ma. de la Bibl. de Bourgogne, 21580, ooUationné
sur les ms. de Paris, Bibl. de rArsenal, lY, 314 et Bibl. imp. 15216.
TOM. Tl. 4
50 LB PAS DE LA MORT.
Da premier jusques au derrain,
Dieu ravoit faite de sa main
Pour toutes vertus y adjoindre,
Que faulse mort voulut desjoindre.
Peu paravant de son trespas
Et en son derrenier parler.
Les yeux couchiés encontre bas,
VouluÉ que moy, dolant et las,
La visse pour désespérer ;
Car elle me fit appeler
Et me dit basset à voix casse ;
€ Mon amy, regardes ma face.
€ Voyez que fiait dolante mort
« Et ne Voubliez désormais;
c C*est celle qu'aimiez si fort;
€ Et ce corps vostre, vil et ort,
« Yousperderezpour un jamais;
« Ce sera puant entremais
. c A la terre et à Ift vermine t
I 4 Dure mort, toute beauté fine. >
Quant je vis ce dolant ymage,
Ceste piteuse ramembrancé,
Ce taint et appaly visage.
Je n*eus ne vouloir, ne courage
Qui n*en fust en désespérance;
Tombay envers par desplaisance.
J'eusse moy voulu estre rien,
Ou mourir avec tant de bien.
Celle qui con^noissoit mon cœur,
Chargea qu'on me portast dehors,
Tantost adirés, par grant douleur.
LB PAS DB LA MORT. 81
Oongnoissant «on vray Créateur,
Son esperit pariii du oorpB ;
Et est mis au nombre des nïartB
La chose la plus assouvie
De tout œ qu'au jour dliuy a vie.
De raconter mon infortune
n est force que je m*en passe.
C'estoit douleur non jmus commune;
Dieu en gard chascon et chascune!
Combien que c'est la droite passe.
Ce n'est point jeu de passe-passe ;
Car on s'en va sans revenir :
Dieu nous y laisse bien venir!
Las ! il faut mourir une fois.
Et ne sçaiion quant, ne comment;
Et faut porter le fais et poix
De ce dont on a pris le choix.
Pour attendre son jugement
Qui sera de joye ou tourment.
Dont l'un et l'autre est pardurable :
Joye mondaine est peu durable.
Sy faut hayr ce flattant monde
Dont la doulceur est ennemie.
Le plus haut bien qui y abonde.
Est aussy tost passé que l'onde
Qui est de haut tost abaissie.
Ceste chose m'estoit muchie
Et ne l'eusse sçu percevoir ;
Hais ma dame m'en fut miroir.
Pour quoy, pour mirer les mondains,
Congnoissant ma fragilité.
S2 LE PAS DB LÀ MORT.
Comme celai qni sçait le mains,
Ay fait et escript de mes mains;
Ainsy comme je Fay trouvé.
Ce traitiô que j'ay compilé
Et nommé le Miroir de Mort;
Chascun en doit avoir remort.
Pour au miroir de mort mirer.
Penser y &ut en remirant.
Et sy nous faut tous amirer
De ceux que nous veons miner
Par la mort qui nous va minant.
Bien n*y vaut donc nom dominant;
Il ne luy chault, pour abrégier,
Non plus d'un roy que d'un bergier.
Comme au miroir, y est la glace
Là où on voit sa ramembrance;
On y choisit et corps et face,
Mais de légier elle s*efface.
Car elle n'a point de souffrance;
Elle ne peut avoir grevance,
QuQ de légier ne soit cassée ;
]!{ostre vie est plus tost passée.
Mirons-nous donc et remirons;
Veons où est le premier né,
Celuy de qui nous tous venons,
Où sont les vaillans champions.
Ceux qui depuis luy ont esté.
Où est le Troyen adurô
Qui faisoit les autres mourir?
Il ne fut né que pour pourrir.
Où sont les princes de la terre?
Où est Alixandre d*Allier,
. LB PA& DE LA MOET. 53
Celuy qui tout voulut conquerre * ?
Où est le bon roy d'Angleterre,
Artus, et son couraige fier?
Et Lancelot, bon chevalier.
Qui fut garde de son honneur?
Us sont morts comn^ie un laboureur.
Charlemaine, roy. des FrançotSi^
Qui les Espaignes reconquist^
Roland et Ogier le Danois
Qui soustinrent le fais et pois.
Avant ce qu*à la foy les mist,
Ils [ont] logis aussy petit
Et aussy bien par dedana terre
Que celuy qui va son pain querre.
Et le garant renommé Pompée,
Qui aux Bomains fit tant de biens
Que par fureur de son espée
Leur subjugua toute contrée,
Que vingt et deux rois furent siens,
Après tous ses haulx faits terriens,
Il ta tué piteusement
A coup ainsy qu'en un moments
Celuy qui les Alpes passa,
Hannibal, le duc de Cartage,
Doulereusement dévya
Par le venin qu'on luy donna
A boire, dont ce fut dommage*.
Samson, qui de force fit rage,
n est comme im foible passé,
Car depiëça est trespassé.
Voyez le roman d'Aleaandre, publié par M. Michelant. .
LE PAS DE LA lORT.
Où sont les praox du temps jadis»
Qtii férirent tant coups d'espéet
La loyue Bémiramis,
La renommée Thamaris,
EtlabeUePanthasiléeT
Certes toute fat plus doabtée,
 eu dolante départie
Et dure mort en sa partie.
Et la mdre du très^ut roy,
Olimpias, noble royne.
Qui mourut en très-grant desroy,
La plus dolante que je toj.
Fors Tempereys Agrippine,
Que son fils, pour yeoir le signe
Et le lieu où il fu porté,
Le fit ouvrir, qui fut pité?
La bonne royne Héeuba,
Femme du noble' roy Priant,
Laquelle vit et regarda
Que mort tous les siens luy osta,
Qu*elle n*eut rien de demourùit.
Elle choisit Troye brûlant
ÂTant le temps de son termine.
Et puis elle derini vermine.
Où est d^élaine la beauté
Sur toutes autres n<m pareille?
Où est rhonnauv et la oiarté
De Lucrèce et fsa cbasteté.
De quoy un cbascun B*<esmerveîUe?
Heureux est celuy qui y vaille
Et qui connoist qu'il faut finir !
Hélas ! nous ne pouvons fuyr.
I£ PAS DE U IfORT. 55
Nous ne pouvons fujfr, hélaa!
Ne recouvrer le temp^ pissé.
Celuy est bien obâtif et l«a.
Qui ne craint le dolereux Ua
De Fesperit qui fut dfonpné.
Qui par org:ueil fut aureraé.
Et tous les siens du ciel là ans :
Bien y devons pena» t& jus.
Quant ceux si noblement créés
Et en leurs beautés tant louabl^
Furent pour jamais copdemppés
Et soudainement traiismué)^ ;
Quant d'anges devinrent dyablea^
Et par orgueil eq^uyéntables
[Sont] en supplice étem^ent
Et douleur sanç a,m^ndement.
Gardons-nous doncques de pécbi^
Qui est à Dieu tant desplaiaant.
Si nous en sommes entepbié.
Faisons qu'il soit desembuacbîé;
Yeons dont nous venons uai^sant
Et que devenons en mourant.
Et après que nous serons mortç :
Ce nous sera humble repiors.
Prenons dosioquep bm&UHé
Et laissons ce pécbié d^oi^f^l;
Pensons à notre humaiûté;
Yeons bien nostre povi<9tâ>
Et nostre qqeur W l^ura deuil«
Souspirons et plourons de VoA\.
Contemplant nostre povre vie :
Sage est celuy qui peu s'y fie*
56 LE PAS DE Là MORT.
Ayons fiance au Créateur
Qui pour nous la mort endura
En telle amertume et douleur.
Que luy pensant dedans son cœur
Abondance de sang sua.
Le povre pécheur que fera.
Quant son Dieu tant doubta la mort?
n a mestier de son confort
Sy fiiut avoir celle souffrance
Et très^^unère passion
 llieure de sa doléance.
En doulereuse ramembrance
Et piteuse compassion.
Afin qu*elle soit champion
Contre Sathan et sa malice :
Il ne nous est rien plus propice.
Quant nous cuidons estre plus haut.
Plus subitement déchéons;
Il ne nous faut guères d'assaut ;
Un petit de f roit ou de chaut
Kous fait avoir les trenchisonsS
Ou les mulles à nos talons.
Ou tout subitement mourir
Sans regarder, n'avoir loisir.
De ceux que tu vis en jeunesse,
En ton eage premendn.
Si tu vis jusques en viellesse.
Tu trouveras que mort ne laisse
Ne vieil, ne jeune, ne mondain ;
Un en santé mourra demain;
' 7fefi^«<«0iM, tranchées, douleonaignës.
LB PAS DE Là MORT. 57
Tu en vois souvent et assés
Plus de morts que de demeurés.
Regarde où sont allés nos pères
Qui ont eu vie comme nous,
Nos parens, sœurs et frères.
Ils ont laissié ces misères
Esquelles nous sommes trèstous.
Ce monde qui nous semble doux.
Est décevant et tost passé :
Heureux est qui Ta bien passé !
Car c*est un passage de mort
Doloureux et tantost failly.
Tu n^as donjon, chasteau, ne fort,
Qui te puisse garder au fort.
Que tu ne soyes assailly.
Tu auras bien de loing sailly.
Quant ton esperit s'en yra
Et ton corps cendre devenra.
Cest grant folie de parer
Ce qui sera viande aux vers ;
Ce que mets peine d*amasser.
Il te faura tantost laissier,
Et prendre habillemens divers.
Tu n^auras pour tous tes blés vers
Que ta dolante sépulture
Et ta puante pourreture.
jou venté de belle dame !
Et que dites- vous à ce point?
Cuidiez-vous la mort si inf&me
Qu'elle voulsist avoir ce blâme
I LB PAS DB LA SORT.
De TOUS assaillir en œ point)
Certes vous nV aTez un point
Plus d'avantage qu*un porcierS
Et vous aye» qui vouldrAt obier.
Il faut laissier yos haulx atours
Et vos robes à longue qoette»
Et TOUS faut oublier les tours
Que vous aprenes h oes cours
Au temps que tous foites la reue.
Vostre frescheor doTenra bleue»
Vostre regard fera horreur,
Mesmes à Tostrq serriteu^é
, noble arroy de eheralier,
Qui est osé pour t'assaillirt
Tu es oultre mesure fier.
Quand tu es dessus ton coursier.
Chascun Teut deTanttoy firémir;
Toy qui fais les autres crémir.
Tu doTenras ' abhominable :
Ce monde n*est point pardurable.
Vous qui estes vestus de court,
Gentil homme du temps présent.
Pensez que tous le ferea court,
Ne TOUS ne sçaTez tour de court
Qui y sçust mettre empesohement.
La beauté de Tostre jouvent
Ne TOUS sauTcra pas tousjours;
Vous finerez dolant vos joujrs'.
' Var : Qtf'iin bergier, ma, de la Bibl. imp. de Paris.
3 Tu demourras, ma, de PArsenal.
* Var : Quant auriez force de cent ours, ms. de Broxelles.
J4E PAS DE LA MORT.
Damps abbés dû sera laiasié
Avec la dame de ses biens ;
S*il est estuvé ou baigné,
n sera en terre plongié
Et ne sera son corps que âensi
Nostre vie ne durra riens
Que pour avoir deuil en la fin :
Dieu s$ait qui est bon pellerin.
Le bourgeois qui boit du meilleur
Et fait à tous chière commune,
Hort ne luy fera plus dlionneur
Comme à un povre laboureur
Ou à autre de la conunune.
Il ne lui chault où elle jdume»
A grant, au petit, au moyen :
Encontre elle, n'y a moyen.
Lors qui veut bien mourir, bien vive
Selon Dieu et sa conscience,
Et ses commandements avive,
Congnoisse sa vie fautive
Et prende tout en pati^ioe.
Il fera tant par sa science
Qu'après sa mort il vivent :
Envis meurt, qui appris ne Ta.
Hais ce n'est pas merveille grant
S'on craint chose si très-amère.
Celuy que Dieu fist revivant
A qui il fit de grâce tant.
Le ladre à la Marie frère
Oncques depuis n^eut que misère
Et toute douleur à penser,
j Crémant ce qu'U devoit passer.
60 LE PAS DE LA MORT.
L'horreur de la mort fut empraiote
Tellement au devant ses yeux.
Qui luy donna pensée mainte»
Tant que tousjours il fut en crainte,
Combien qu'il espéroit son mieux
Et qu'il eust son entente es çyeulx.
Que fera donques le pécheur.
Quant le juste en avoit si peur?
S'il n'en prent moyen et refuge
A la trésorière de grâce,
Quelle moyenne vers le juge
Qu'en son très-angoisseux déluge,
Lorsque la voix sy sera casse
Et la 7ie. dolente et lasse»
U puist estre lors secouru.
Et Sathan maté et vaincu.
Lequel en horrible figure
Se démonstra en son regart,
Qui est très-amère pointure
Et dolour angoisseuse et dure
A l'âme qui craint le départ ;
Le corps travelle & l'autre part,
Tremble, tressault, est sans vigueur
Par abondance de douleur.
Qu'est oultre pouvoir de nature
Car elle l'abandonne lors.
Il n'a ne membre, ne facture
Qui ne sente sa pourreture.
Avant que l'esperit soit hors,
Le cœur qui veult crevier au corps
Haulce et sousliève la poitrine
Qui se veult joindre & son eschine.
LE PAS DE L\ MORT. Gl
La face est tainte et apalie.
Et les yeux treilliés en la teste.
La paioUe luy est £eiillie.
Car la langue au palais se lie.
Le poulx tressault et sy halette.
La vie fuit, la mort est preste.
Il a doleur à démesure,
En attendant sa sépulture.
Les os desjoindent à tous lez ;
Il n*a nerf qu'au rompre ne tende.
Assaillis est par tous costés
Et oongnoit tous ses faits passés,
De quoy il faut un compte rendre,
Et n*a plus loisir qu'il s'amende;
Car llieure est briefve et doloureuse.
Dont sa pauvre ftme est crémeteuse.
Lors le veult mettre en désespoir
L'adversaire de nostre foy,
Qui s'amonstre hideux et noir,
Espoentable oultre pouvoir,
Disant : t Pécheur, tu es à moy ;
t Te souviengne de ton desroy
< Et du temps que tu as perdu,
< Car tu es à ta fin venu.
c Et sy n'as dame, ne mignon,
« A qui guères de toy chaulra,
« Joyau, tant soit riche, ne bon,
< Chasteau, palais, fort, ne donjon,
< Ce qu'à toy fut, autruy aura,
• Et ton âme en tourment sera
< Pardurable tison d'enfer
f En la présence Lucifer.
03
LE PAS DE lia MORT.
Il te faut laissier tes oiseaux.
Tes chiens, tes bracques, tes lévriers,
La pompe de tes beaux chevaulx,
Qui soubs toy faisoient les saulz,
La route de tes escoienl.
Les moindres de tes ofSciers,
Auxquels tu laisses de tes biens.
Ne te tiennent j& que pour fions.
Bien est changié ta fierté
Et aussy ta gloire mondaine.
Le temps que Dieu Vavoit preste,
Tu Tas perdu et dégasté.
Dont pour jamais seras en paine,
Et chascun jour de la sepmaine
Raige de tourmens et sans fin :
Tu fus subtil, maùai moy plus fin.
Ne fattens plus aux ËTangilles,
N'a messe qu'on te fksse dire :
Tu n*as parens, ne fils, ne filles,
Ne tous ceux qui sont de tes villes«
Qui se puissent tenir de rire;
Il ne leur chault de ton martire.
Ne si tu t'es dampné pour eux :
Tu en es seul le malheureux.
Car tu f en rêvas ainsy nu,
Sicomme en œ monde tu vins ;
Il t'est par trop mésadvenu.
Quant tu as si très-mal vescu
Que tu n'es plaint de tes voisins ;
Et n'auras pour tous biens et vins
Que ton tombeau et ton suaire
Et vermine pour toy defiaire.
LB PAS DE Là MOHT. 65
c Pourquoy fus-tu donc n6 de mère
c Pour si dolentement mourir,
< En doléance si amère
• Et insupportable misère
f Que pour jamais te &ut souffrir?
c Tu doibs bien trembler et frémir,
c Et ton âme doibt bien maldire
« Uocquoison de ton grant mârtire.
< Tu fus doloureuse portée
t A la mère qui t*enfanta«
t Ta folie désordonnée
« A ton àme désespérée
« Mise en tourment qui ne Siiuldra,
I En laquelle vivant mourra,
< Et par tes puans faulx délis
« Tousjours auras de mal en pis.
c Plus que nul n'oseroit penser,
< Ne que langue ne pourroit dire,
I Par crier et par souspirer,
I On y ot Dieu désaourer
c Et souvent sa vie maudire;
« Il n^est <r;rrurgien, ne mire,
< Pour allégier celle souffrance,
« Seulement d*ane surséanoe. •
Et puis luy dit : i Je suis des princes
« De Tinfemale mansion.
c II te faut laissier tes provinces,
c Je fenmenray povres et minoes
c Au lieu de tribulation. •
Le pécheur qui sent Taiguillon
De la mort qui le serre et point.
Ne sçait là riens penser à point.
G4
LE PAS DE L/k MORT.
Car il egt en désespérance
Et en faulte de vraye foy.
Alors le bon ange s'avance
Et sy le met en souvenance.
Disant : • Las! chrétien, recong^oy
Ton Salveur qui mourut pour toy,
Qui est prest de te pardonner
Si tu luy daignes demander.
Son pouvoir est incomparable,
Sa miséricorde infinie.
Fay-luy honneur et honte au diable.
Bends-toy de ton péchié coupable
Et humblement mercy luy prie.
Tu auras jmrdurable vie,
Qui es sa povre créature
Pour qui la mort luy fut tant dure.
Il t*a chièrement racheté,
Pour quoy il ne te veut laissier ;
Tu luy as grandement cousté;
Pour toy fut ouvert son costé,
Et sy se fit crucéfier
Et de clous pieds et mains percier, i
Estendu douloureusement
Et battu très-piteusement.
Sa tendre chair fut deschirée.
Et son vierge sang espandu
Par les grans coups de Tescorée.
On veoit sa chair détrenchée
Sur le pavé dru et menu;
Ses os se monstroient au nu
Et en divers lieux descouvers ;
Sy faisoient veines et nerfs.
LE PAS HE LA lORT. 64<
Le chief fat cooronnô d'espine -
Poingnant jusquee à M>n œrveftv ;
Sa face glorieuse et cligne
En qnx raiplend besutd divine.
Fut ressemblakit à im méeean;
Luy qui devmt eetoit si beau.
Fut en eet ettst rencoiktré
De la Vierge qui Tôt porté.
Que put lors direcelle mère
De si grande amertume plaine*
S*elle ne dit : t Ifon Dieu, mon père.
Que je souffre e^e misère
Afin que j*aUége sa paine.
Ha ! Gabriel, tu me dis plaine
De gr&ce, en me nommant Marie.
Las ! je me tiouye bien changie.
ma très-amée portée,
créateur de ton anoeUe,
fruit de celle désolée
Qui te transporta de Judée,
Lorsqu'elle estoît jeune pU()eUe;
Fay-moy qtle plus je ne canœlle
Et que je puisse soustenir
Geste croix qtti te &it ftûllir !
mon enfant, escoute-mpy;
Je vueil à ta douleur parfir;
Mon Dieu, mon Seigneur et mûn Boy,
Fay tant pour Is mère de toy.
Qu'avant ta mort, puiiMe mourir;
Car je ne te puis seàoùrir.
Et sy te voy tant désolé :
Hélas ! h qnay t'ay-je porté?
t«i. n. 4*
04«
LE PiS DE iiA MORT.
Qui suy ta serve très-indigne.
Non suffisant à tel honneur.
Elisabeth, ma cousine.
Tu me monstras honneur et signe
Qu*en moy estoit ton Créateur;'
Et je le Toy «n telle horreur
Qu*ils le tiennent comme une beste
En paine horrible et déshonneste.
croix, eng^en de grant tourment,
Tu es chose bien inhumaine.
Quant ton Créateur innocent,
Plus pur que n^est le firmament
Tu me laisses et tu Tenmaine.
Génération inhumaine,
Comme ton rachat couste chier.
Lequel je ne veul empeschier !
Et quant elle le vit en croix,
Où il rendit son esperit,
Les élémens, à une fois.
Firent si doulereux explois.
Pour le Créateur qui les fit.
Pensez qu*en soy elle souffrit
De sa passion grant pitié.
Quant vit son fils crucefié;
Et angoisseusement percie
Avec le costé de son fils,
Ceste vierge sanctifie,
Ceste mère tant esplorie
Souffroit trop plus que je ne dis.
Par le premier péchiet commis
Du père de lliumain linage :
Qui ne le sent, il n^est pas sage*
LE PAS DE LA MORT.
W
Mets au secret de ta mémoire
Et au clos de ton souvenir
Ceste très-pitoyable histoire
Et celle angoisse si notoire
Où fîit ton Dieu jusqu*au mourir,
Et le très-doloureux souffirir
De sa tendre et piteuse mère :
Ta paine n'est pas si amère.
Laquelle tu as desservie^
Et ils estoient innocens»
Et fut pour te rendre la vie^
Toy qui n*e& heure, ne demie^
Que tu ne pèches en tes sens :
Si tu n'as ses commandements.
De près gardés à ton pouvoir.
Desplaisir en vueilles avoir.
Et en grande contrition
Recongnois que tu es pécheur.
Requiers-luy que sa passion
Te soit escut et campion ;
Si vray qu'il est ton Créateur,
Ne te boutes en folle erreur ;
Groy qu'il est le pilier et masse
Dont sourt abondance de grâce.
Un monde ne sauroit comprendre
Que c'est de sa miséricorde :
Puisque ce vient à compte rendre,
Il te faut à mourir apprendre.
Avise bien et reoorde
Qu'il n'est pécheur qui ne s'accorde
Vers luy, s'il luy requiert pardon :
Exemple par le bon larron,
y
G4«
LB Và& m LÀ MORT.
Par la trèMainto Magdahine,
Par autres tant que saas nombrer.
Tu ne dois avoir poulxt n*balaiiie»
Vertu de nerfs, pouToir de yaine»
Qu'il ne faille tout eslerer
Envers le ciel et aouiar.
Afin que Jbteus te regarde
Et te baille sa aaulvegarde-
Il te donra son paradis.
Et sera le diable raincu.
Tu feras peur aux annemia
Qui se troorTeront esbahis;
Car tu auras sur eux vertu
Puisque tu seras eslu ;
Tu auras choix de tcm souhait
Et de ton désir le parfidt.
En la vue de notre Sauveur
En quoy se délitent les saints;
La présence du Créateur
Leur donne souiBsanoe au eoun
Dont ils le loexiiy j<^tea matas;
Et sy sont de joye si idaias
Que les anges en leurs salus
Chantent : Tê D0tm Umiamw^
Ils ont gloire sans terminer
Et lyesse parassouvie.
Us ne font sinon Dieu loer ;
Car oe qu'ils veulent demander.
Un chascun jour leur multiplie,
Et voient !a Yierge Marie
Auprès de son fils couronné,
Après luy la plus honnourée^
LE PAS DE LA MORT. 64"^
Souvent dient en leurs aocors :
Af>e eœlorum regina;
BenoH soit le ventre et le corps
Qui sçut compreudre les trésors
Où la Déité s'aombm;
af>e gratia pUna,
Royne de béatitude.
Fort resjoyst ta plénitude.
II n*est chieU ne terre, ne mer,
Ne clercs tant lettrés en estudes,
Qui sçussent de toy comparer,
Ne qui suffissent pour nombrer
Les noms de tas béatitudes.
Ce sont de grftces plénitudes,
Obscures à Thumanité \
Comme choses de déité;
Lesquelles ^y sont invisibles
Par la fragilité du corps;
11 n'est pas bystoires, ne bibles.
Qu'elles te soient compatibles
Jusques que Tesperit soit hors.
Pry Dieu qu'à l'heure de lors
n te donne sa gratitude
Et de sa gloire plénitude.
L'heure est briefve'de ton trespas;
Il t'en faut faire ton proffit. »
Le pécheur qui se voit au bas,
Combré de si doolereux las.
Et ot ce que l'ange luy dit,
Ne peut sonner mot tant petit.
Lors le dyable dit qu'il est sien :
L'ange soustient qu'il n y a rien.
646 LE PAS DE LA MORT.
misérable créature,
Quant vient à ceste extrémité
Et à ceste amère pointure !
Où est la force, tant soit dure,
Ne sens, qui ne soit oublié?
Nostre œil devroit estre moullié.
Et devrions trembler frissons ,
Toutesfois que nous y pensons.
A g^rand paine se saulvera
Le plus juste, qui au monde est.
Eh! donc, le pécheur que fera.
Quant ce terrible jour vendra
Que Dieu jugera le parfait?
Mieux luy vaulsist non estre fait
Qu*estre en telle dampnation.
Où est justice sans pardon.
A toy donc, créature humaine,
A toy est llieure de trembler,
A toy qui quiers joye mondaine,
A toy qui délayras en paine,
A toy qui ne fais que passer,
A toy qui en dois soupirer,
A toy je dis que tu n'es riens,
Toy et ta vie, fors que fiens.
Bien sera ta chançon muée;
Bien tost ton corps deviendra cendre.
Bien tost sera ta vie oultrée,
Bien tost ton ame séparée ;
Bien tost te faudra compte rendre;
Bien tost mourras comme le mendre.
Bien tost seras en pourreture;
Bien tost t'abandonra nature.
LE PAS D£ LÀ MORT. W
Combien que tu soyes gentil»
€k)mbien que tu soyes mondain,
Combien que tu ne crains péril»
Combien que tu ne doubtes exil,
Combien que tu soyes humain.
Combien que Ton crainde ta main,
Combien d'honneur que on te face.
Comme le vent, tantost se passe.
Doubte et crémeur tu doibs avoir,
Doubte de Jhésus couroucier,
Doubte de tant de biens vouloir.
Dont tu te puisses décepvoir*.
Doubte qu'il te faut trespasser,
Doubte qu'il te faut tout laisser,
Doubte que tu ne sçais comment,
Doubte du jour du jugement.
En Dieu soit ta ferme espérance.
En ce faux monde peu d'arrest,
En vanité et en beubance.
En pompe et en oultrecuidance.
En orgueil qui à Dieu desplait,
En luxure qui tout deffait.
En ire, paresse et envie,
En avarice et gloutonnie '.
Fors seule satisfaction,
Force d'obéir en constance,
Doubte ton âme à décevoir, ms. de Bruxelles.
* En envie, paresse et ire,
En avarice, et n*y amire.
Ms. de la Bibl. imp. de Paris.
En envie, paresse et ire,
Bn avarice et en gloutire.
Us. de l'Arsenal.
Gl« LB PAS DE LA lORT.
Force contre temptation, >
Force de requerre pardon.
Force et vertueuse attempmnce,
Force contre folle ignorance.
Force quand on se trouve bas,
Force de congnoifttre son cas.
Grande pitô en avenra,
Grant paine pourra mieux souffrir,
Gntht povretô convoitera.
Grande soufferte • portera.
Grande dolour jusqu'au mourir.
Grande patience et désir,
Grande crainte et crémeur de Dieu,
Grante doubte où sera son lieu.
Vivons en Dieu et en bienfaits ;
Vivons errant le droit chemin ;
Vivons en redoubtant nos faits';
Vivons pour régner à jamais ;
Vivons ainsy qu'un pellerin;
Vivons pour partir au matin ;
Vivons pour tantost deslogier ;
Visons où nous voulons logier.
Mirons-nous au grant jugement;
Mirons-nous en la passion;
Mirons enfer et dampnement;
Mirons la mort et son tourment;
Mirons nostre inclinatioD ;
Mirons le monde et sa ftiçon ;
Mirons nostre fragilité ;
Mirons-nous pour estre saulvé.
' Sonfreté, ms. de la Bibl. imp. de Paris.
* JBn doubtant nostr es faits, ma. de la Bibl. imp. de Paris.
LE PAS DB LA MORT. 65
Prions h Dieu qtfil nous pardonne,
Prions qu*il nous donne sa grftoe,
Prions qu*il ne nous abandonne,
Prions que sa gloire nous donne.
Prions que nous yéons sa face,
Prions que nos péchiés efface ;
Prions qu*il nous veulle garder
Et nos deffaultes pardonner.
AMEN.
L'OULTRÉ D'AMOUR*.
Pensant, songeant à demy trouble,
Ne trop joyeux, ne peu de hait,
Sique par plus de trois fois double
L'un pensement sur Tautre double.
Malgré tel fois que Ton en ait
Ou par douleur ou par souhait
Ou par plus de mille autres points,
Ck>mme les divers cœurs sont points.
Dessoubs un parillon de soie,
Entre deux draps fiairans la rose.
L'un de ces jours veillant gisoie,
Et faignant de dormir, visoie
Sur mainte très-diverse chose,
Que la clarté du jour reclose
Ne me pouvoit tollir des yeux
Pour m'en faire estre pis, ne mieux.
La terre avoit le jour couvert :
8y n'avoient mes yeux puissance
* Publié diaprés le manuscrit 120 de la Bibliothèque Laurentienne,
de Florence, collationné sur le manuscrit de Paris, Bibliothèque
de TArsenal, IV, 192, et sur le manuscrit de la Bibliothèque de
Bonen, 0,3S/13.
Ce poSme a été inséré dans I0 (Umservateur du mois de mai 1758 ,
p. 190.
es L*OULTRÉ D^AMOUR.
De choisir rouge, blanc, ne vert ;
Hais le cœur de tous lez ouvert
Yeoit par dère congnoissance :
Donc, fust ou joie ou desplaisance.
Qui le venissent courir seure,
II vedît tout #t à toute heure.
Le jour devant de son malheur
S^estoit complaint un autre à moy ',
Qui par semblant de sa couleur
Portoit d'annuy et de douleur
Assez pour en mourir à poy,
Et luy mouYoit par un envoy
Que felle fortune adressoit
Là où sa paix 5e nourrissoit.
Yescu avoit neuf ans ou plus
Joyeux le plus qui fust sur terre.
Et de son temps tout le surplus
S^attendoit et estoit conchia
Pour un passebien cent acquerre;
Mais fortune qui mène gpuerre
Souvent à ce que Ton devise.
En disposa d*uue autre guise.
Car comme ainsi faut que mortelle
Soit toute humaine créature.
Sa dame dont une autre telle
N'a pas sur terre, ne si belle
Pour toute beauté de nature,
Estoit de plaisant nourreture,
Venue à doulereuse issue
Que mort crudle aveit tissue.
I S'êiMt un autre plaint à mop, manuscrit de rArsenal.
VOCLSÈH D*iXOUII*
Pour tiper de deux corps la vie
Far mettre à fin piteuse Yvoàé^
Mort avoit Tune part lane
Four faire IVuitre par enyie
Triste la plus dessoubs la lune,
En quoy tout For de Pampelnae,
Ne du monde pour abrégier,
Ne suffiroit pour Falégier.
En peu de mots pleins de substance,
Sentens pure douleur nayre
Et proprement surabondance
Finsoustenable desplaisance
En cœur qui n'a ne fons, ne rive.
Sa vie ainsi triste et ebétive
Me devisoit trèstout au long,
Séchant sur terre comme un jong.
Donc par pitié qui me prit tendre
De si perçans et pi^uqc termes,
Ne moy ne le Tueil plus entendre.
Ne luy ne se pouyoit deflendre
De moullier ses r^rets en lennes ;
Mais comme deux d*un mal enfermes.
Chacun fuyoit plourftnt à part,
L*un çà et Vautre une autrejMurt.
Ainsi laissay ce complaiputnt
Faisant de tristes chères maintes.
Lequel, plus Testoye eslongnant.
Plus alloit ses mains estraignant
En renforcement de complaintes.
Dont les pointores et attaintes
Prirent en mon cosur tel sigour
Que je n*eu8 bien de tout ce jour.
70 rOULTRÉ D*ÂMOUR.
Mais desplaisant plus que nulle ftme
D*un mien si très-par£ait amy
A qui fortune a fait tel blasme
Qu'autant luy servoit rendre lame
Que vivre en vivant à demy.
Par tant de fois disoie : c Ay my ! »
Qu'onc ne me veult souffrir ce deuil
Que je dormisse goutte d*œil.
8y estoit jà my nuit passée
Et presque une heure davantage,
Qu*oncques la dame trespassée
Ne pouvoit faire sa passée
Dehors de mon veillant courage ;
Et puis de mon amy la rage
Me cuisoit tant qu'ainsi gésir
M'estoit plus force que plaisir.
Plus m'efforçay d'en estre hors
De ceste essdrgne tant musable
Et mettre en amoureux accords
Le cœur avec le grevé corps,
Comme pour le plus convenable.
Que plus trouvay non profitable
Le grand labeur que j'y mettoye.
Et moins d'effet y acquestoye. *
Mais en la fin, quant estranée
S'estoit par soy ma douleur toute.
Et que nature à l'estrivée
Se douloit d'estre tant grevée
Par faute de non dormir goutte.
Alors après si longue escoute,
Je pris un peu à sommeillier»
Droit entre dormir et veillier.
L*OULTRÉ D*ÂMOUR. 71
Sy n^estoient mes yeux à peine
De tous poins bien fermés encore,
Quant une advision soubdaine,
La plus de grant nûstère pleine
Que je yis oncques jusques ore,
. He vint Tentendement desclore-
\ Et susciter mon esperit,
• Sans que le corps bougeast du lit.
Lors de ma vision rentrée,
C'estoit de voir un territoire
Dont si grand beauté de contrée
Ne fut jamais enregistrée
En liTre nul, ne en histoire,
Et sy estoit de roche noire
Fermé à merveilleux destroit
Partout, fors en un seul endroit.
Place avoit léens gracieuse
Oultre créance à recorder,.
Flairant', fertile, sp^ieuse
Et la trop plus solatieuse
Où corps humain pust aborder;
Et pour tout ensemble accorder,
Tout y estoit de beauté part
Que Dieu mist oncques nulle part.
Repaire n'y avoit quelqu'un.
Ne habitation civile
Et n*y pouvoit entrer nesun.
Fors par le creux d'un rocher brun ,
D'un deffensable contre mille;
Donc il est vray comme évangille,.
> Fhurani, manuscrit de l'Arsenal.
72 VQUITÏÏÈ D'AHODB.
Que ne de fovçe» ne d*emU6e
Jamais ne pouvoit evtre emUée.
Droit au milieu le plua propîoe,
Assis avoit d*un moyen grand
Un temple fait par artifice,
Qui surpassoit en édiffioe
Le pouvoir de tout homme ouvrant,
Et ne me suis pas remembrant
Qu*onc homme osast pour oonuoenoer
Emprendre un tel, ne moy penser.
Car comme en noblesse un lyon
Surpasse un ver, et Tapge un l^omme.
Ainsi par plus d'un million
Ce temple ayoit à Tlion
Comparaison, comme or à pomme ;
Ne oncques la triomphante Bome
Ne parvint à si haut heur
Que d*en pouvoir bastir un m.ur.
Sy ne convient plus en escripre
De sa beauté quant à présent;
Mais force est bien qu'ailleurs je tire»
Là où je voy mistère à dire
Et des merveilles plus de cent ;
Donc, si fortune s'y assent
Que je le puisse bien parfaire.
L'on orra cy beau conte faire.
Au front' de ce pas estrédé,
Com je pouvaie appercevoi r,
Avoit un pavillon dreadé
De fin or rstAnmènt brodiié«
> Snjbns, manascrit de rArséaal.
rOULTSÉ B'ÂMODR. 75
Bleu d^uD oosté et d*autre noir ;
Hais qui eatoit dedans, pour voir,
Je ne pouToie apprendre àtors.
Qui n*en yj riens que le dehors.
Hais par semblant, comme nature
Souvent en soy estime et prise,
Léens se logeoit créature.
Quelque homme attendant aventure
Et adonné à haute emprise;
8y sembloit qu'il avoit emprise
La garde de ce digne lieu
Par droit adveu de quelque dieu.
Et cartes quant je mis Tentente
A bien regarder bas et haut.
Je vis au sommet de la tente
Grosse escripture d'or patente,
Lisable à tous comme il le &ut;
Donc, pour estre non en deffaut
D*un seul mot que mon œil lisoit*
Véez-cy fue rescript disoit :
t Pour estre au nombre des loyaux,
f Amour, par ses pouvoirs royaux,
< Ha mis en ceste roche brune
« Pour m'essayer contre Fortune
I Si j*ai cœur d'endurer ses maulx.
t Jamais dehors de çy ne saulx,
I Sinon quant les cas fortunaux
< Bequièrent que je les impugne,
t Pour estre au nombre des loyaux ;
I Et combien que petit je vaux,
f Sy ay-je souffert des assaux
74 L'OULTRE D* AMOUR.
I Plus que corps dliomme soubs la lune.
« Donc seulement Tattente d'une
c M*a donné force et vouloirs haulx
< Pour estre au nombre des loyaux, t
Sy m'aperçus encore après.
Droit au devant de ce passage.
D'un pilier qui estoit là près
Et contenoit par mots exprès
Titre d'un autre grand langage
Qu'une d'or reluisant ymage
Monstroit d'un doy bien agensy,
Et aux lisans disoit ainsy :
« Vecy l'estroit' de fortune très-dure
« Auquel Amour promet à tous et jure
t Qu'ils y pourront gagner joyeux salaire
€ Que nul vivant ne leur pourra fortraîre ,
« Sinon la mort ou perverse aventure,
c Le dieu d'Amours, frère à dame Nature,
< Remaint lassus en plaisant envoisure :
« Donc, qui voudra son voyage icy faire,
i Vecy l'estroit de fortune très-dure.
c Douleur, soucy, danger à desmesure
« Y survient maint. Donc, qui plus en endure,
« Mette tousjours plus peine à mieux parfaire,
c Car en la fin fortune l'adversaire
c Souffre aux vaillants venir à leur droiture :
« Vecy l'estroit de fortune très-dure. »
Ayant tousjours sur ceste emprainte
L'un de mes yeiix et l'autre non.
Tant suis allé léens par faînte
Qu'en la parfin j'ay toute attainte
* L'esiat, manuscrit do Florence.
rOULTRÉ D'AMOUR. 75
L*embu8che de ce pavillon,
Dont, en guise d'un champion,
Je vis qu'un chevalier sailloit,
Prest t combattre s'il falloit.
Armés estoit de toutes armes,
Uespée ceinte, hache au poing.
Et par nom de fier homme d'armes.
Sur luy portoit sa cotte d'armes
Pour en valoir mieux au besoing ;
Hais, par semblant, douleur et soing
L*avoient trop plus décoppée
Que coup de dague, ne d'espée.
Sur luy n'avoit pièce nesune
Qui ne fust soudé de temprure
Et avoit propre nom chascune,
Portant signifiance aucune,
Chascune selon sa nature.
Dont d'Amour mesme la main pure
Jadis avoit esté forgeur
Pour en armer son serviteur.
Emprès luy, sy avoit sans plus
Un gracieux jeune escuier
Non point armé, mais au surplus
n portoit tout couvert dessus
Un petit cofflnet légier;
Mais pour le compte en abrégier.
Quel chose il y pouvoit avoir,
Ne convient pas icy savoir.
Lors par mesure et par compas,
Tristement à visière ouverte
S'en aloit contremont ce pas,
Et son escuier pas à pas
76 L'OULTRÉ D'AMOUR.
D'enoDBte luy, sur llierbe verte ;
Mais point ne me fat desoouverte
L'emprise qui estoit sur mains ,
Dont peusers m*enTaIrent' maints.
Mais, par ce que Ton voit à rœil.
Souvent juge-on autruy pensées;
C*est pour luy que ce dire veuiU
Qui aperçus sur pieds son veuil
Par les voies' qu*il a dressées ;
Car par emprises pourpensées»
Je vis qu'il se boutoit au temple
Pour là pleurer sa douleur ample.
Ce temple estoit un lieu sacré.
Fait pour refuge aux doulereuz,
Jadis fondé et consacré
Four aourer mieux en secré
Le puissant dieu des amoureux,
Dont, sur un autel glorieux
Et en siège resplendissant,
Séoit rimage reluisant.
Devant les pieds de cet autel,
Avoit pompeuse sépulture
Faite à effort et pouvoir tel
Qu'il n'a sur terre un cœur mortel
Qui en prisast la couverture.
Et croy que noble créature
Gisoit dessoubs cest appareil.
Ou roy ou reyne ou leur pareil.
« ÀTen advinrent, manuscrits de Florence et de Rouen.
' Les vutê, manuscrit de TArsenal.
rOULTRÉ D'AMOUR. 77
Un velours noir, de toutes pars
Bordé de perles et d'orfroises,
Estoit dessus la tombe espars;
Et cuide, et point ne m*en dépars.
Qu'il trainoit bien de quatre toises
Comme si la fleur des Fran$oises,
Voire du monde seule dame,
Devoit gésir soubs celle lame.
Dedans la croix qui estoit perse,
D*un figuré velours couchée,
Avoit en forme moult diverse,
Si bien du long qu*à la traverse,
Grosse escripture d'or brochée
En quoy estoit assez touchée
Du mort la cause et vertu mainte.
Qui commençoit par tel complainte :
Pour savoir en lisant ces vers
Qui gist en ceste sépulture,
Je suis un corps viande à vers.
Rué par Fortune à Fenvers
Contre vray honneur et droiture ;
Car sans titre de forfaiture
J*ay eu le coeur fendu parmy,
Avant qu'avoir vescu demy.
Nature qui m'avoit nourrie,
Avant mes jours m'a délaissée
Et en fleur de jouvent chérie,
Amour m'a occise et périe
Piteusement par foy faulsée,
Qui m'avoit fort affiancée
De long^mps fcire vivre heureuse,
^t m'a pris jeune douloureuse.
78
L'OULTRÉ D'AMOUR.
Mais ne déplaise à vivant &me
Si d^amour titre m'attribue ;
Car j*ay aymé de corps et d*âme
Autant que fit onc noble dame
Jusques mort m*a Tamour tollue,
Et sy n'en cuide avoir value
Moins envers Dieu, ne en honneur,
Si Dieu est juste pardonneur.
Honneur de raison impartie
Me fit choisir dès mon enfance
Excellente et noble partie
A qui Dieu avoit impartie
Mer de biens et surabondance;
Donc, quant Amour fit Toctroiance
D'aimer corps de si noble sorte.
Ce m'est honneur d'en estre morte.
Désir sans villain pensement
M'a le cœur ars noir comme meure ,
Dont tout l'entier rapaisement
G'estoit qu'à mon définement
Je l'eusse vu au moins une heure.
Or a voulu Dieu que j'en meure
Sans blasme avoir au demeurant,
Car Dieu mesmes aimoit mourant.
Donc luy qui est mort en douleur
Vray amoureiix, le benoist sire
Me soit piteux au dernier jour;
Car par l'excès d'ardent amour
Je suis morte en amour martire.
Donc, si j'ay encouru son ire
Par plus aimer que je ne doy ,
Luy plaise avoir merci de moy. t
LX)ULTRÉ D'AMOUR. 79
Après autour de ce tombeau
Avoit encore quatre ymages,
Portant chascune à un rouleau
Un ardent cierge riche et beau,
TrèS'Somptueux en ses ouvrages ;
Et comme si par doux langages
La Youlsist haut louer chascune,
Voicy leurs mots, une après une.
La première.
« Icy, soubs ceste froide lame
t Repose digne de mémoire
« La plus Taillant et noble dame
« Qui puis mil ans a rendu Tàme
■ En ceste vie transitoire,
( Dont la vertu haute et notoire
« A déservi en plusieurs lieux
« Qu'en accroissance de sa gloire
« Son nom soit mis haut en histoire
« Et qu*on Teslève jusqu'aux cieux. »
£a seconde.
* Quant tout le beau parler d'Omère,
« De Tulle ensemble avec Virgille,
« Et de tout homme né de mère
* Seroit sans mixtion amère
< En une seule &me subtille
I Et tout le haut sens de sybille,
< Sy fauldroit-on bien à eslire
< 8i propres mots, ne si beau stille,
I Comme il affiert par raisons mille,
« Pour en son épitaphe escrire. »
L^OULTRÉ D'AMOUR.
La ti&ree.
« Le nom de femme est honoré
c En ses yertus et CBuvres belles,
« Et oe beau temple bien heure,
• Là où le corps gist enterré
c Dont tout le monde quiert nouyelles.
« 8y n'en desplaise à nulles celles
c Qui sont au livre de Bocaoe ;
c Mais d'autant comme les estelles
t Luisent plus cler que les chandelles,
« D'autant son nom l'autrui e£faoe. •
La quarte.
« Noble de mœurs, noble en lig^e
c La plus dont on se peut enquerre,
c D'excellent roial progénie,
c En maison de gloire infinie,
c Née, nourrie et morte en serre,
c Dont qui vouldroit le nom requerre,
c Qui peut ou sçait, sy l'adeYine ;
c Mais fust de France ou d'Angleterre,
c L'honneur du monde est mis en terre :
c Pardon luy doint l'amour divine ! •
Que vous diray-je du mîstère.
Ne d'un si merveilleux merveille.
Comme il afflert à la matière
D'un si précieux cimetière
Où l'estre jamais ne traveillel
Je n'ay ne sens, ne yeux, n'oreille.
Que tout n'en ftist si plein après
Que j'en fus aveugle tnqites {«es.
rOULTRÉ D'AMOUR. 81
Donc, si le conte est déliteux
Pour lire ainsi qu'un temps se passe.
Quant j'ay escript le plus coiteuz.
Il faut venir au cas piteux
Qui est des piteux Toutrepasse,
Et est oeluy en qui j'amasse
Plus de soucy, pour dire voir.
Comment j'en feray bon devoir.
Le chevalier dont j'ay conté.
Armé de tous hamoys de guerre,
D'amères larmes surmonté
Et par angoisse si dompté
Qu U n'est cœur qui n'en fust en serre,
Lors du visage contre terre
Se laissa cheoir devant Amour
Et forma telle sa clamour :
t décepveur, flatteur dampnable,
< Brasseur d'envenimé poison,
c Faux prometteur, amy faillable,
t Traître riant, bourdeur finable,
< Trouveur de toute langoison,
c Si Dieu ouit oncque oroison
t D'un cœur rempli de doléance,
c Je luy requiers de toy vengeance.
t faux abuseur de jeunesse,
c Murdrier du noble sang humain ,
t Bobeur d'honneur et de léesse,
« Vain en parler, vain en promesse,
c Changié pour tourner une main,
« Doux aujourd'huy, despit demain,
TOI. TI,
8i
vaULtKk D'AttOUA.
Qu*au puits du fis piMbnt d'enfer
Soies-tu d&mpnft 0* Lueiié^.
Désespéré, sur foy j«r claiiie,
BouTant' coinihé une &fne dilmpnée ;
Car n*ay cerveau , ne veine en rftme ,
Qui ne deschiré, feiide et pasme.
Par cuisant douleur forcenée.
Donc, soit folle ou désordonnée,
Je n*ay souqy comme on la prenge,
Mais que Dieu de ton corps me venge.
Maudite avec Gain soit llieure.
Quant terre te porte et soubstient,
Et quand Dieu tant souffre et demeure
Que terre ou enfer ne deveure
Ton corps, ainsi qu'Q appartient;
Car d*autant que le ciel contient
Jusqu'en enfer le plus abisme,
N*est rien qui soit si plein de crime.
Traître qui dieu d'Àmdurs te nommes.
Pense et avise qui tu soies.
N*es-tu pas traXsseur des hommes.
Le murdrief qui les corps assommes,
Dont au coeur tu promets les joies?
Tu Tes envers moy toutesvoies
S) très-cruel et si horrible
Que Tamende en est impossible.
Hélas! tu as en un moment
Murdri, deffait par ton envie.
' 0, avec.
> Mouvant (du latin : ro^mu], suppllani
rOULTBÉ irÂlIOM. 83
Ce quo tu as tant cbèfament
Flatté, nourri aongneumnient .
Longtemps par douceur assouvie :
C*6st ma dolente et pcrrre vie
Qui meurt et fine en droite lage
Par fausseté de Uax courage*.
Faux ypocrite^ tu nçùê bien
Comment à ta flattant requeste
Mon cœur, mon corps et tout le mien
Se donna tout à estre tien
Sur Tespoir de meilleur coaqueste ;
Puis en tralson deshonneste
Tu Tiens murdrir comme oubliant
Le corps que tu requis riant.
Et ne fa pas suffi d'emprendre
Sur moy qui bien n'eus oncqutfi point,
Mais es Tenu rober et prendre,
CroTer im autre coeur et fendre.
Dont le mien se tendt en point
Dont toy, morti jour et heure et point
Soit maudit et fortune aussi,
Quant Dieu Ta souffert estre ainsi.
Au moins puisqu^n si grief malheur
Mourir me falloit malheuiwx»
Que tu eusses en ta Taleur
Souffert sans grief et sans douleur
L'autre part de deux amoureux!
Xen mourusse bien plus heureux
Et me seroit douleur moins forte
Mourir seul que la saToir moite.
Mais puisque oodsîon si griefve
As faite de la meilleur part.
84
rOULTRÉ D*ÂMOUR.
YienB donc, paitae, ocoy et crève
La part qui reste, en heure brefve,
Qui meurt dolent par le départ ;
Car après le mortel espart
Qu*a pris un si haut cœur en toy.
Indigne suis de vivre moy.
Donoques, si vilonnie dire
Te peut semondre à murdre faire.
Ne provoquer ton cœur à ire ,
Fay donoques ce que je désire.
Et me viens tuer et deffaire,
Et en m'aooordant cest affaire,
Je te pardonne tout mon gprief.
Mais que je meure et fine brief. >'
Alors se doulant souspiroit
De si parf onde et triste veine ,
Qu'en tout semblant il se tiroit
Devers la mort, et expiroit
Son âme avec un peu dlialeine ;
Hais Dieu qui de nature humaine
Tousjours se monstre vray bergier,
Le sauva par son ôscuier,
Lequel, quant le péril de mort
Estoit dehors et passé tout.
Posé qu'il y eust desconfort.
Douleurs et cris à tel effort
Que nul n'y sçust trouver le bout.
Tout ainsi comme un pot qui bout
Par trop feu verse sa liqueur.
Tout ainsi luy bouilloit le cœur;
Et convenoit par surondanee
D'amertume trop entassée,
roULTRÂ D*AMOUR. 85
Que la insouffrable abondanoe
De douleur et de desplaisanoe,
Panny les yeux fust enchâssée;
Ou s'elle ne prenoit passée
Panny les yeux pour estre hors ,
Le cœur crevoit dedans le corps.
Lors rendoit larmes une mer
Et temissoit en plours sa face»
Et puis par un regret amer
Beprit arrière à réclamer :
c Hémy ! hé Dieu ! hémy ! hélasse!
< N'aurai-je jamais tant de grâce
< Que je puisse mourir pleurant
c Plustost que vivre ainsi mourant! >
Quant Fescuier perçut sa plainte
Si très-aigre et desmesurée ,
Et avoit en partie crainte
Selon la vilonnie maintCr
Que Fortune ne fust irée;
Lors a sa bouche près tirée
Et luy a dit ces mots sans plus*
Pour le blasmer de son mésus :
c Haï sire, que de grans oultrages
t Vostre langue a aujourdliuy descouché,
t Ne quel mésus de fols langages ,
c Maudissons folles, mots volages
• Vous sont saillis de vostre bouche !
i Vous ne savez combien il touche
< A Dieu, ny à Fortune aussi
« De vilonner Amours ainsi.
< Amours n'est pas chose à maudire.
« Dieu mesmes Amours honnoura
96 l*qdltr£ d*amour.
( Et nous momitm par son mutira
fl Que mort et vif, aftna le despire,
< Subjet d'amour il demoura,
< Et par oe point vmie amour a
< Geste ezoeUenoe enoor au troane
€ D'avoir dea Tertos la GQuronne.
i Donoques d'Amoun palier ainsi,
« J'ay peur que Dieu ne vous eonfonde.
i Sy en aurez à faire aussy
i Avant qu'il soit longtemps û^icy^
i Ou loy fauldra sur quoy me fonde
i D'amour de Dieu, d^amour du ipoude.
c Le prenne un oœur ainsi qu^ veut,
« NV a nul qui passer s'en peut. »
Alors plus que demi bonteux
D'estre repris de sa folie,
Il ouvrit un regard piteu3(
Et prioit plus qu'assez doubtcmx,
Que l'offence en fust abolie.
Disant : c H$1{M9! ipéiancQlie
« Et deuil qui ne pouvoit crever,
« M'ont fiiit la bouche ainsi rAver.
t D'avis, de sens, ne de mémoire
« Je ne dis onc d'Amour pultrage;
i Mais la doi^eur e^ moy notoke
« Comme d'u^e &me en purgatoire
€ M'a fait crier ft hautp rage;
f Donc, quant une âme qui enrage
i Crie et blwpkèiQ^ et Dieu l'eimuie,
« Bien faut qu'Amour du mesmes use*
VOULIVÈ P'AMOUa. 87
c Amour n'est pas, j*ft7 1
i Comme les faonuMs si laoïtel ^
c Qu'à chascun coup il prist vengeanoe
€ D'un homme qui par dasplaisamce
< Diroit un mot ou tel ou quel }
c Mesdiief feroit, s'il estoit tel.
c Bonté de haut seigneur peut plus
• Qu'offenoe d'un çeryAnt', c^-jup*
i Sy me rappelle et me révoque»
c De tout mesdit, de toute offenoOr
c Qui d'aventure le provoque,
« Et son doux nom arrière invoque
4 Pour confort, gr&ce et assistence ;
c Hais comme un qui jamais ne pense*
I Oarir de mes piteuses larmes,
« Je luy vais rendre icy mes armes. »
Alors il desbouda luy-mesmes
Son hamas et le mit illeoques.
En fondant larmes si extrêmes
Qu'il n'est cœur d'hommes, ne de femmes^
Si dur qu'il n'en plourast aveoquee.
Puis offroit lors, expirant presques,
Hamas, escu, hache et bannière
Pbrlant à luy en tel manière!
« Amour, après injure mainte
c Dite en rêvant douleur mortelle,
c Encontro ta haute9se sainte
c Que tout le monde honore en crainte,
c Dont du meffi^itje me rappelle,
i Je viens ipy en ta chapelle
* Martel, courroucé, violent.
' SergaiU, maanserit de Florence.
rOULTRÉ D*ÂMOUR.
Ta douce merci requérir
Pour giftoe et pardon acquérir.
Haut puissant dieu des cœurs humains.
Très-humblement te regratie
De tous tes biens dont j*ay eu mains
Promis, livrés entre mes mains,
Et en loue ta courtoisie
Et de bon cœur te remercie
De mon heur puisque ainsi vient
Que du mal louer se convient.
Mais affin que le monde sache
Partout où on en parlera,
Quel honneur, quel proffit, quel grâce
Xay trouvé oncques en ta face,
Sur quoy maint cœur murmurera.
Sire, quand ne te desplaira
Que j'en die ce que je doy
Je monstreray icy de quoy.
Jadis m'envoyas ce hamas.
Noble en vertu et en trempure.
Et me requis, s'oublie n'as ,
De maintenir icy ton pas
Contre toute maie aventure ;
Donc, quant fortune et sa pointure
M'auroient bien esprouvé à droit.
Mon cœur aurdt ce qu'il voudroit.
Or l'ay gardé à ta requeste.
Tant qu'il n'y a plus qu'esprouver.
Et suis au bout de ceste queste
Sans fruit, sans gain et sans conqueste,
L'OULTRÉ D'AMOUR.
89
Povre flans jamais relever ;
Car perdu est ce que trouver
Jamais ne pourra conquérant,
Ne moy, ne autre cœur quérant.
Donc, quant le bien que je cherchoie
Je voy que je ne puis ravoir,
Com dolent homme que j'en soie.
Mais est en pardurable joie,
(Plaise à Dieu que j'en die voir ! )
Pour monstrer par loyal debvoir
Que jamais n'auray d'autre envie.
Mes armes rens en pleine vie.
Car ne suis digne, ne ne veuil
De porter jamais telles armes ;
Mais est mon droit de vivre en deuil
De porter noir, de baisser l'œil
Et de noyer mon corps en larmes,
Et entre les dolentes armes
Crier merci de tout à Dieu
Disant : c Adieu, amour, adieu! »
Puis en jetant devers les cieux
Son regard en triste apparence,
Le digne autel, voyant mes yeux,
Baisoit pour cuider faire mieux.
En toute honneur et révérence.
Et le hamas dont la présence
Estoit im riche et cher cattel *
Demeura là devant l'autel ;
Dont Tarmet, quant je m'en advise.
Se nommoii parfaite espérance.
ÙUM, objet.
00 rOULTBÉ D'AMOUR.
Et les deux gardes par devise
Se nommoient noble mirepriie;
Les avant-bras sont oiêmranee;
Et contre get d'espée ou lance
Dont fortune a maint abattu,
L*escu avoit à nom vefi%.
Puis le dessus de la euiraoe
Avoit à nom trU-haui wmMr,
Et le dessoubs êipair i$ grâee;
Les gantdets : Jlerié, amdaee;
Grève et cuissars^ /orc$ et tàhir ;
Et les soUersS à mon savoir,
Portoient le nom àe fermeté
Contre Tenvay d'adversité.
Sa cotte d'armes riche et chière
Eut nom souvenance excellente^
Sa hache : Uanté entière;
Et puis, me semble, sa bannière
S'appeloit riche et hante attente,
Et au dernier à mon entente
L'espée avoit nom courage
Pour contre danger faire rage.
Mais pour un parement au temple
Et pour donner tousjours mémoire
De cestui qui par douleur ample
Estoit vray miroer et exemple
Des fortunes le plus notoire,
Amour pour croistre plus sa gloire
Le fit tout mettre en un spectacle
Au plus près de son tabernacle.
> Les solers. De là notre mot moderne : souliers. On lit : Us sour^
lerets, dans le manuBcrit de VArsenal.
rOULTRÉ D*AMOUR. 91
Mais comme un lointain pèlerin
Qui ne pense à reveoir jamais
Un saint delà le cours marin,
Mais offre un cierge ou un florin
Au départir pour tous ses mes S
Ainsi offroit, je tous promets,
Cestui dolant d'un vouloir net
Par gprand chierté son ooffinet.
Donc, quel trésor, ne quelle chose
Qu'il y pouYoit fiYoir dedens.
Je veuil bien que ohascun y glose;
Hais autrement je ne Texpose.
Il me suffit que je Tentens,
Mais il peut estre qu'entres gens
Aucuns à part me trouveroie.
Je le diroie ou non feroie.
Lors toute aon offrande £ûte,
Son adieu dit, le congpié pris,
n ne restoit pour la par&ite
Rien que choisir lieu de retraite
Ou là ou hors de ce pourpris.
Je croy que luy d'amours espris,
Envis s'accordant au départ,
Mieux aimoit léens qu'autre part.
Sy n'en bougea de longue çspace.
Ne luy, ne l'escuier ^tussi.
Mais s'entrefirent mainte embrasse
Par souvenir de douleur lasse,
Quand leur mal les poingnoit ainsi.
Sy ouy s en la fin cçci
Jfe»! droits, rederaiices.
n rOULTRÉ D'AMOUR.
Que le dolant dUoit ces termes.
Moitié à eec» moitié à lennee :
LE CHBYALIBB.
Or, 8uis-je, hélas ! le plus du monde
Sur tous les autres fils des hommes
Celuy en qui croist et suronde
Plus de mortelle aigreur parfonde i
Et de douleurs plus larges sommes,
Dont cy assis là où nous sommes»
Je Touldrois non estre né
Pour estre non si fortuné.
l'bsouibb.
I
Les divers hommes ont diverses i
Douleurs, annuis desconfortables.
Et croy bien qu'entre les perverses
Vos fortunes vous sont adverses
Et à grant peine supportables ;
Mais plus ont hommes cœurs notables
Que mieux leur duit et affiert bien
De savoir porter mal et bien.
LB CHBVALIBB.
Quoy que me duise et affière,
Ne quel je soie de valeur.
Puisque la mort diverse et fière
M*a desrobé ma joye entière
Et destiné tout à malheur.
C'est peu de &it que de mon cœur
Qui a perdu sa soustenance.
Pour luy chargier telle ordonnance.
L'OULTRÉ D'AMOUR. 93
LBSCUIBB.
Je ne vous charge de riens faire.
Fors le meilleur pour vostre mieux;
Car plaindre et mesmes se deffidre
Pour un mort qu'on ne peut reffaire,
Ne ravoir jamais en nuls lieux
Qui en debvroit tirer ses yeux
Et faire Dieu de tort citer,
Sy ne peut-il ressusciter.
LB CHBVALIBR.
Hélas ! vous semble-il donc duisable,
Ne chose à haut cœur advenant,
Que plaie si ingarissable
Soit en mon cœur si tost passable.
Sans en estre plus souvenant?
Certes, je dis dès maintenant.
Et me dust-il Tàme couster.
Mon cœur ne s'en pourroit ester.
l'bscuibb.
Je n'entens pas que ainsi légier
Vostre ennuy se pourroit passer ;
Mais pour soy-mesmes alégier,
Il se fait meilleur abrégier
D'un mauvais pas que y repasser.
On doit ses œuvres compasser,
Sans faire en deuil trop long séjour :
Il convient vivre plus d'un jour.
LB GHBVALIBB.
Haa! sire, que vous parlez bien
En homme qui se sent à aise.
U L OULTRÉ D'AMOUR.
Quant pour perte d*un si haut bien
Voulez compas mettre et lien
Dedans mon cœur, dont il s*apaise.
Beau doux amy, ne vous desplaise
Ce conseil-cy est bon et sage.
Mais il n*est guèred en usage
l'bscuibb.
Il est d'usage et de coustume
Qu'un cœur qui pour honneur s'efforce,
Peut vaincre sa dure amertume,
Sicomme on casse sur Tenclume
Fer ou acier par droite force;
Et puis, quant bon vouloir renforce,
L'un coup sur l'autre hurte et chasse :
Il n'est douleur que l'on ne chasse.
LB CHSYALXBB.
Le deuil en chascun s'amoindrit
Selon la vertu du dolant.
Or ont aucuns tel esperit
Que plus vivent et plus florit
Leur angoisse et se vont dolant,
Ainsi qui va en reculant
Et ne peut autrement aller :
Il fault ouïr les gens parler.
l'bscuibb.
Je ne vous veuil parler, ne dire
Chose que bonne ouïr ne face.
J'ay mesmes part telle en vostre ire
Que je n'en cesse de maudire
L OULTRÉ D'AMOUR. 95
Mort et fortune en toute jdace;
Mais de voir yostre dolant face
De telle tristeâse abattuoi
(Test une pitié qui me tue.
LB CHByALIBB.
Dolente face et très-piteuse,
Bien a parlé qui ainsi dit.
Et scelle n*estoit marmiteuse\
Pâle, sèche et peu déliteuse.
Bien debvroie estre un corps maudit ;
Car sans faire gramment de dit.
Il n'a visage un, soubs le ciel,
Dont le cœur boive tant de fiel.
l'bsguibb.
Je sçay de vray que vostre cœur
Boit de Tamer plus qu*oncques ftme,
Et que maint annuy et rancueur
Vous meuvent à plainte et à pleur
Cent foys le jour la dolente àme.
Je ne vous donne tort, ne blasme
D*en flaire aucune plainte grief ve.
Mais trop y penser nuit et griève.
LB CHBVALIBR.
Comment pourroit loiauté dliomme
Qui auroit tant perdu que j'ay,
Et eust-il tout le sens de Rome,
Dormir en paix jamais un somme
*■ Marmiieuse, triste. Ce mot figure encore avec cette signification
dans le Dictionnaire de Trévoux.
96 LOULTRÉ ITÂMODR.
Et non penser en tel eamay t
Ne plaise à Dieu que oest essay
Se face en moy jamais nulle heure :
Ce m^est plus joie que j'en pleure.
l'bbcuisb.
Si par penser qui vous^évie,
Ne pour pleurer, crier, ne plaindre ,
Vous la pussiez ravoir en vie.
Je vous souffrisse vostre envie
Par pleurs et pas souspirs esteindre ;
Mais là ne pouvez vous attaindre :
Autant luy sert le plour d*amy
Qu*un rire de son ennemy.
LB OHEVAIiin*
Quant raison, honneur et droiture
Chascune à ce s^accorderoit.
Ce qui seroit fort d'aventure,
Toutesvoies en ce cas nature
Jamais s'accorder n'y pourroit.
Je vous requiers : parlez à droit
Et ne m'alez ces mots quérant;
Car ils ne portent nul garant.
l'bscuibb.
Ce poise moy que garantise
Mes mots ne portent plus experte.
S'il en pouvoit estre à ma guise,
Douleur mainte en vous se ratise,
Qui bien tost seroit peu apperte ;
Mais vous vous en irez en perte,
L*OULTRÉ D* AMOUR. 97
Tant longuement que vous plaira,
Mais le mal vous en demourra.
LB CHBYALXBB.
Je ne sçay si je perds ou gaigne,
Ne en quel point que j'en demeure
Je n'ai guère espoir de grand gaigne
Jamais nul jour, sinon d'engaigne ' .
Cestui fait en moy sa demeure :
J*ay tant perdu pour en une heure
Que ce n'est pas grand perte emprès
De moy si je me perds après.
l'bsguisb.
Soy perdre à son vray escient
N'est pas si perte que reprouche.
Dieu est bénin et patient;
Uais le soy-mesmes occient,
Celuy maudit-il de sa bouche.
, Entendez bien que je vous touche :
Soy tuer pour amour mondaine,
C'est gloire, mais elle est mal saine.
LB CHBYALIBB.
Je n'entens gloire en cest endroit.
Ne ne la quiers de vivant ftme.
Si j'en prens mort, c'est à bon droit,
Et au fort, quant à ce viendroit,
En Dieu est le plaisir de l'âme.
Mais, pour parler d'amour de dame,
• Sngûiffne, irritation, accroissement de douleur. On lit dans le ma-
nnscrit de Florence :
Désespoir qtd ce fiait tesmoigne.
TOI. TI. "^
98 rOULTRÉ D'AMOUR.
J*ay bien puissance d*en mourir,
Mais non pouvoir de m*en garir.
l'bscuibb.
Le pouvoir en chascun faut suivre,
Selon que le vouloir y œuvre.
Si vous n'avez vouloir de vivre
Et d'estre un peu mieux à délivre,
Le pouvoir n'y fait guères d'œuvre.
Gardez-vous bien, car au recœuvre
Vient-on souvent trop tart confus.
Quant on requiert, après refus.
LB CHBVALIBB.
Je ne refuse chose née.
Mais forcier pouvoir et nature.
Ce m'est, avec ma destinée
Preste à mourir et endinée.
Un essay qui me desnature.
Je vous dy de mon aventure
Et de mon cas, ce que j'en sçay.
Combien que non pas tout l'assay.
l'bscuibb.
Quant à l'assay, l'on voit trop bien
Qu'il est de très-amère sorte.
Non obstant pour son propre bien
Il fait bon quérir un moyen
Soy-mesmes, qui le reconforte.
Encore avez-vous vive et forte
Jeunesse et beauté davantage :
S'il s'en pert rien, c'est avant eage.
VOULTRE D'AMOUR, 99
LB CHByALIBB.
Vous parlez bien en homme sain
Ou qui petitement se deult
Et qui du jour à lendeçiain.
Soit ou du pied ou de la main.
Se peut garir si tost qu'il veult.
Ha! frère, ainsi aller ne peut
De moy, ne de mon dolent cœur :
Hon mal me vient de crèvecœur.
l'bsouikk.
Ce mal congnois-je assez, et sens
Dont il Tient, ne dont il procède;
Mais c*est grand faute entre cinq sens,
D un homme encore de grand sens.
Souffrir que deuil son cœur excède.
Or çà, il faut que Ton succède
Le deuil au mieux que Ton saura
Et prendre joie qui pourra.
LB CHBYALIBB.
De joye au cœur, ne de dehors
Je n'en pourroie prendre goutte;
Tous mes joyeux plaisirs sont morts ,
Et n'ay riens que mordans remords
Qui me trespercent Tàme toute.
Donc, quelque riens qu'en moy se boute,
Si joie y entroit en ce mois ,
L'on m'en dust pendre mille fois.
l'bsouibb.
Ha déa ! puisqu'à la grand honneur
Plus qu'au profit vous voulez tendre,
«0 L'OULTRÉ D AMOUR.
Par Nostre-Dame, il n*est donneur
De bons jours, qui vous sçust bon eur
Forger, si ne le voulez prendre.
Je vous conseille de non pendre :
Mieux vaut^uffrir dix ans ses deulx
Que joyeux pendre au bout de deux.
LB CHBYALIBR.
A llionneur voir de haut courage
Et à foy de vray gentilhomme
J*iray le surplus de mon eage
Et ne rompray ne fol, ne sage.
Jamais, foy d*un léal preud'honune.
Ou je suis beste ou je suis homme ;
' J'ay honneur à perdre ou garder,
Ou je n'ay riens à regarder.
l'bscuieb.
Vostre honneur ne se peut descroistre
Par non garder ces cas extrêmes ;
Mais vous, par non vouloir congnoistre
En quoy vostre eur vous pourroit croîstre ,
Vous vous deshonorez vous-mesmes
Que, malgré bieu, de tant de femmes.
Quant en si grand meschief en sommes,
Il n*en meurt nulles pour les hommes.
LB CHBVALIBB.
Il n'est meschef qui s*acompère
Au mien, chétif et malheureux.
Trespas de mère, mort de père,
Perte de biens, rien ne s'appère
rOULTRÉ D'AMOUR. 101
Au grief d*un dolent amoureux,
Encor à un si douloureux
Qui a perdu, et vray diroit.
Ce que au monde seul désiroit.
L*BSCUIBB^
Quelque haut bien qui f ust en elle*,
Puisque une fois la mort Ta prise.
Il en faut souffler la chandelle
Et en choisir une autre belle
En qui amour vous tendra prise.
Honneur vous souffre et le vous prise.
Et raison s'y accorde aussi
Que vous le pouvez faire ainsi.
LB CHEYALIBB.
la nomper ' dessoubs les cieuz ,
LTionneur du siècle, morte et vive,
Veut donc raison que pour mon mieux ,
Tantost après fermer vos yeux ,
Je me garisse et me revive.
Et que mon cœur d'envers vous prive
Pour une autre que je verroye?
Ha ! faux traître que je seroye !
L*BSCUIEB.
Si vostre léauté si ferme
Pust donner quelque joie au mort,.
Et qu'après, sicomme on afferme^
Pensiez à en avoir un terme,
Komper, nonpareille.
i03 rOULTRÉ D*âHOUR.
Un grant merci pour tout confort,
Par Nostre-Bame de Montfort,
J*en priseroye alors Tafifaire;
Mais maintenant n*en sçay que faire.
LB CHBYALIEB.
S^aulcune léauté je garde,
Bien sçay qu'au mort point ne profElte ;
Mais le cœur sur qui on regarde
Et qui doit estre dlionneur garde,
Gardant léauté, se délite.
Si je suis de ma dame quitte,
M*amour pour tant n*est pas quittée,
Ne léauté débmtée.
l'bsouibb.
Léauté ne veuil point reprendre.
Quand die est de sens my partie;
Mais léauté, à bien comprendre,
Proprement ne se veut entendre
Fors qu*entre partie et partie.
Donc, aussi tost que départie
De Tune part a faite Dieu,
En Tautre elle n*a plus de lieu.
LB CHBYALIBB.
Qui que la départie ait faite.
Ne par qui Tune part défaille,
Touteffois de ma part forfaite
Ne sera léauté parfaite,
Jusques T&me du corps me saille ;
Car honneur ce conseil me baille,
I
rOULTRÉ D*ÂMOUR. 103
Et la grant pitié de sa mort
M'y fiât tousjours avoir remort.
l'bscuieb.
Avoir remords de œ qu*on ame
Est chose honneste et naturelle,
Espédal de baute dame
Qui est venue à rendre T&me,
Car pitié n*est au monde telle;
Mais en chose qui est mortelle,
Faute est d y mettre cœur estable
Pour y trouver amour durable.
LB CHBVALIBB.
Durableté n'ay pas cuidée
En elle, ne en créature ;
Mais fay bien sa vie espérée
De longue et compétent durée.
Selon commun cours de nature,
Et que d'amour la nourreture
Ne nous fauldroit de sa léesse
Jusqu'en nostre eage de vieillesse.
. l'bscuibb.
Or vous a espoir bien déçu
Et en est vostre amour trompée.
Et le bien qu'avez regu,
Sy est tout en un' moment chu.
Donc, vostre joie est attrappée ;
Sy en avez enveloppée
L'&me et le corps de desconfort.
Par s'y estre affié trop fort.
i04 LOULTRÉ D^ÂMOUR.
LB OHBVALIBB.
très-malheureuse affianoe,
Bien endroit moy folle et maudite.
Quant je mis onc tant confiance
En mortel corps, dont Talliance
Me mène à vie desconfite,
Et ne puis jamais estre quitte
Du fiardeau que j'en porte, hélasse !
Si mort ne me fait ceste grftce.
L*SSOUIBB«
Désirer mort pour sa descharge,
Cest un droit aoquest de folie.
Il vaut mieux porter longue charge.
Un jour estroite, Vautre large,
Que mourir par mérancolie.
Je vous requiers que Ton oublie
Trestout ce deuil ; car plus vous dure,
Et plus vous naist maie aventure.
LB OHBYiJilBB*
Maie aventure, ne fortune»
N'ont riens à prendre plus sur moy.
J'en mets au pis et Tautre et Tune,
Et leur fay la figue ^ à chascune
S'ils me grièvent ne grand, ne poy.
Je n'ay vaillant le gros du doy.
Qui soit subject à leurs efforts ,
Sinon le misérable corps.
' Faire lajlgue, insulter, défier.
LOULTRÉ D'AMOUR. 105
L*BSCUIBB.
Qui a tel gage en leurs servages,
Ne les doit mettre ainsi au pis ;
Car après tous menus outrages.
Là gisent les parfaits dommages'
Et de tous maux les plus despits.
Donc, luy qui trouve les respits
D'estre en son corps non fortuné,
Luy seul est de bonne heure né.
LB OHBVALIBB.
S*à bonne heure nasquîs ou non,
Ne sçay qu^il faut que j'en respoude;
Hais en mon cas ne voy sinon
Qu'il m'affîert bien d'avoir à nom
Le chief des fortunés du monde.
Qu'on ne pourroit à une fonde
Mieux assommer, voyant toute ftme,
Comme je suis de corps et d'âme.
l'bscuibb.
Il est des autres fortunés.
Sans vous, cent mille pour vous joindre,
A si dure et maie heure nés
Que sans estre en enfer dampnés.
Malheur ne les pourroit plus poindre;
Mais vous pour un seulet desjoindre
Que Dieu a fait de vos plaisances,
Yssez hors sens et congnoissanoes.
LB CHBVALIBB.
Je perds vraiement sens et advis,
Pour cause qui assez m'excuse ;
i06 L'OULTRÉ D*AM0I7R.
Et quoy que chacun meurt envis ,
Sy m'est-ce eimuy que tant je vis,
Pour user des regrets dont je use.
La Tie certes m*est confuse.
Et seule mort pourra jamais
Me donner espoir de vraie paix.
L*BSOUIBB.
Il ne faut guères grand science
Pour parler mots désespérés ;
Car felle et fière conscience,
Donnée à toute impatience,
Les trouve tous desmesurés'
Dont vous péchez et vous errez
Moult envers Dieu d^user des termes.
Non propres à vos maux et lermes.
LB GHBVALIBB.
Hélas ! comment se peut entendre
Que je mésuse de parler,
Qui ay cent maux dont tout le mendre
Pourroit un cœur de pierre fendre
Et en cent quarts Tescarteler;
Et me dit-on, pour révéler*
Le mal tout ainsi qu'il m'estrangle,
Par aventure que je jangle.
L^BSOUIBB.
Vostre honneur sauf, ce n'est pas chose
Que moy ou autres veuillons dire ;
> Desmoiérés, mss. de rArsenal et de la Bib. impériale à Paris.
■ Révéler, péjoulr, égayer, consoler. Var : anniUr, ms. de.la Bibli<^-
thèque impériale de Paris.
L'OULTRÉ D'AMOUR. 107
Car qu'en vous il ne soit reclose
Douleur sans fin, sans fons, sans glose»
Nul n'est qui puisse contredire;
Mais tout Testrif et le desdire
Qu'à ceste cause on prend sur vous,
Ce n'est que pour passer courroux.
LE CHBYALIBB.
Quant au courroux, c'est perte et peine
De m'en presser que je l'oublie;
Et quant je le voudroie à peine,
Sy n'ay-je au corps point une veine
Qui seuffre que je m'entre-oublie.
Donc, qui me va servant d'oublié
Après un si amer beuvrage,
Cest mal congnu autrui courage.
l'bsouibb.
Pour vostre courage enaîgrir
Je n'y voy nul qui s'en travaille;
Mais pour vous ressourdre et'garir
Et préserver de non périr,
Moy et mon sens tout y travaille ;
Sy vous requiers et vous conseille
Qu'en usant de vraie amitié,
Ayez^e vous-mesmes pitié.
Ainsi de l'un et l'autre lez,
Après maint si divers débatre.
Se sont d'ensemble desmellés.
Et ne sçay quel part sont allés,
Chascun par un semblant desbatre.
Sy furent bien trois moys ou quatre
108 LOULTRÉ D AMOUR.
Conjoins en amoureux liens,
Tous deux sans partir de liens.
Donc n*estoit jour en la sepmaine |
Qui à cest escuier passast, I
Que par raison notable et saine, i
Tousjours après reprendre halaine, i
Son doulant ne reoonfortast
Et qu'en effet il n essayast
Par chascun jour cent mille tours
Pour luy faire oublier ses plours.
Mais il n*estoit enhort, ne presse,
Ne beau parler que langue trouve.
Qui pust sa douloureuse aspresse
Mettre en chemin de nulle adresse.
Là où amendement s'épreuve ; '
Mais tousjours plainte et douleur trouve *,
Luy surcroissoit et vint sur main,
Cy aujourdliuy et là demain.
Mais, comme fer de sa nature
Tousjours se tire vers Taimant,
Ainsi par vertu d'amour pure.
Le corps gisant en sépulture
Trayoit le cœur de cest amant
Et le tenoit en son fermant
Si très-serré et fort adjoint
Qu'à peine n'en bougeoit-il point.
Là desgorgeoit souspirs et plaintes
Par incessable survenance ;
Puis en tordant ses mains estraintes,
Befreschissoit en larmes maintes
» Treuffe, ▼raie. On lit : neuve dans les mss. de rArsenal et de la
Bibliothèque impériale à Paris
UOULTRE D'AMOUR. 109
Sa douloureuse souvenance,
Et n'avoit autre contenance
Sinon d'estre à bras estendus
Couché toujours ou près ou sus.
Finablement par tant de jours.
Faisoit là ses piteux relais
Que nature quérant secours
Et sèche par tant rendre plours
Luy fit refus d'en bailler mais;
Donc pour retourner en sa paix
Que le corps luy avoit fortraite,
Prendre vouloit ailleurs retraite.
Nature en sa première appresse
Avoit esté par plours vaincue.
Hais en la fin comme maistresse
Elle redevint vainqueresse
De sa douleur trop maintenue,
Et rebouta la survenue
De pitié qui Tattendrissoit
Parce que trop la nourrissoit.
Ainsi luy convenoit laisser
La place longtemps habitée
Et forcer son cœur et presser
D'aucunement Fesléessier
Après tant de douleur jetée;
Car lors congnut que profitée
Luy avoit peu la desréglance
De sa trop foie doléance.
Reprit ainsi un peu manière
Sur le point propre du 'partir,
110 L'OULTRÉ D'AMOUR.
Demy pensant un peu derrière
Et demy à moyenne chiôre.
Enfin je les vis départir
Et les trouvay sans dessortir
Tous deux ensemble au bas d'un val
Où ils montèrent à cheval.
Pays, provinces et contrées
Passèrent maints en peu de jours.
Et leur furent administrées
Maintes douceurs, plusieurs vesprées,
Là où ils prirent leurs séjours
Que moy qui me trouvay tousjours
Dencoste eux et ne sçay comment,
Vis tout jusqu'au définement.
Mais en la fin comme fortune
Adresse et garde ses amis
Et rend après traverse aucune
Quelque flattant douceur commune
Par un regard qu'elle y a mis,
Ainsi les a en lieu tramis,
Auquel, pour dire et recorder,
Avoit assez à regarder.
Maison de hautesse excellente
Estoit ce lieu que je vous nonune,
Non pas pour faire chière lente,
Mais pour tristesse violente
Chasser du cœur d'un dolent homme
Et pour luy faire perdre somme
Qui auroît bien jeté ses yeux
Sur tous les plus voyables lieux.
Dames grand nombre et damoiselles
Avoit liens à choys de joye,
L'OULTRÉ D'AMOUR. iii
Et sy ayoit de biens en elles
Autant ou plus que d*estincelles
En ardant flambe qui flamboie,
Dont une qui à droit monjoye
Et passe-fleur estoit de toutes,
Choisit par entremy ces routes;
De qui, pour le rapport en faire
Si beau qu'à luy appartiendroit,
J'en suis moult redoubtant l'affaire;
Car mon sens ne pourroit plaire
Le quart de ce qu'il y faudroit,
Mais je puis dire et bien à droit
Que belle estoit, de beauté pleine
Plus que les fleurs enmy la plaine.
Beauté, fraîcheur, douceur, figure.
Pris tout ainsi comme on peut prendre,
Avoit ouvré icy nature
A si très-abondant mesure
Qu'à peine œil le pourroit comprendre;
Et pour en deux mots tout apprendre
Ce qui en fut, elle est bien dame
Pour asservir seule un royame.
D'honneurs et de chertés menues
Leur fit en suffisant largesse.
Et rioit-on à leurs venues
Comme si un ange yssant des nues
Y eust pris d'aventure adresse.
Dont le plus à parler, je laisse
Pour venir en un point voué
Qui siet bien d'estre desnoué.
Souvent de foys, presqu'à toute heure,
Vis que ce jeune bacelier
112 rOULTRÉ D* AMOUR.
Preschoit sans feinte et sans demeure
D'une aig^ raison ferme et meure
L'oreille au dolent chevaliery
Disant que pour bien séculier
S*il en quéroit jamais conqueste,
Temps estoit de s'en mettre en queste.
Donc, plusieurs foys Ton vit merveilles,
Voflre moy qui l'apercevoie;
Car Tescuyer, faisant les veilles,
Boutoit en Tautre en ses oreilles
Ces mots à basse voix et coye :
c Ha! cœur déshérité de joye,
« Si jamais veulx estre enrichi,
c Quiers le trésor du monde çy. •
Et puis bien avisé en soy
Des lieux secrets et non publiques,
Luy estraingnoit ou pouce ou doy.
Disant: t Voy-tu point que je voy
« Voler les regards angéliques,
« Dont tous les cœurs mélancoliques
c Qui sont dessoubs le firmament,
c Doibvent prendre esjoulssement? »
Lequel pour mieux couvrir son deuil ,
Soy faignant autre qu'il n'estoit,
Forçant aussi son triste veuil.
Il devisoit d'un riant œil
A chascune qui Tarrestoit;
Mais entre deux, ses yeux prestoit
 celle en un soudain sursaut
Dont son prescheur luy fit assaut.
Et croy en tout mon vraysemblant
Que longtemps sur elle il posa
I/OULTBÉ D'AMOUB. 145
(Et sailloit hors de presse emblant
Pour estre en soy mieux ressemblant)
Divers pensers qu*il composa ;
Mais quelle chose il proposa,
Fust de Taimer ou non aimer,
•Ten scay moins qu*un luton * de mer.
Mais pour délibérée emprise
Dn jour à part se retraïrent,
Où en faisant mainte reprise
Chacun en sa raison bien prise.
L'un Tautre en parole envahirent
Et débatans se contredirent,
Chacun voulant garder son droit,
Dont leurs argus sont cy-endroit.
l'bscuieb.
Que sera-il désoremais,
Très-chier seigneur, de vostre vie?
TTest-il d'icy au grand jamais
Biens qui vous puist esjouïr mais,
Ne donner d'amour quelque envie?
Je vous requiers que chacun die
Le vray et droit secret du cœur.
Comme on parle à son confesseur.
LB CHBVALIBB.
Vostre demande est fort obscure
Et mal à souldre en peu de temps ;
Car je ne sçay mon aventure,
Ne chose nulle ainsi future
■ Zuton, espèce de brocliet (du latin : lucius) on plutôt loutre (du
latin : Mer).
Toa. Ti. 3
iîé L*OULTRÉ D*AMOUR.
Je ne congnois, ne je ne sens.
Vous si^yetf bien en quel assens
Mon cœur se peut abondonner :
Prenez ce qui 8*en peut donner.
L^BSOUIBB.
Je ne puis prendre» ne conduire
Riens tant soit peu de vos pensées,
Si yous-mesmes, par droit déduire»
Ne voulez maistrier et duire
Le frein de vos douleurs passées,
Et que par vertus ramassées
Mettez peine à vouloir revivre»
Homme heureux, franc et délivre.
LB CHBVAIilBB.
Quant à bonheur» ne à franchise.
Que jamais jour ne les requière !
Je vous jure en ma foy promise :
Je n'y ay d'espérance assise
Qui ne soit foible et bien légière.
Aussi y faut-il bien manière
Pour restablir le nom d'heureux
En corps si povre et douloureux.
l'bsouibb.
La manière de ce royame,
Plus proffitans je vous recors.
Vous avez perdu vostre dame ;
Il faut prier à Dieu pour l'&me
Et non plus regretter le corps ;
Car plours, ne cris, ne desconforts
rOULTaÉ D'AMOUR. 115
Ne youB y peuvent servir en riens,
Mais nuire assez en trop de biens.
LB CHBVAM]BB.
Comment pourroit un cœur loyal
Qui a sa foy à Dieu offerte,
Passer ainsi un aigre mal
Et vivre par espécial,
Sans regretter sa haute perte?
Dieu me donne de ma desserte
Ce qu'il luy plaist ! je Tattendray,
Mais jamais jour ne le feray .
l'bscuibb.
Je ne sçay pas que vous ferez
N'a quoy le cœur vous est enclin;
De celle fois vous en tiendrez
Tant et si grand que vous vouldres»
Mais vous en viendrez à déclin
Et trouverez en la parfin
Que toutes les plus sages femmes
Vous en tendront & fol vous-mesmes.
LB CHBVALIBB.
Ou fol ou sage, il faut tel estre.
Comme fortune un homme escrie.
Je ne suis pas de mon cœur maistre;
Dieu m'a fait de telle heure naistre
Que mon cœur mesmes me maistrie.
Donc, si la douleur assegrie *
* AêtêgrU, apaisée ; amoindrie, ms. de la BibUotlièque impériale de
Paris.
116 UOULTRE D'AMOUR.
ITest pas si tost après Teffort,
Qui m*eii dit blasme, c'est à tort.
L^BSCUIBB.
n n'y chiet de blasme autrement ,
Fors ce que vous vous en donnez;
Vous pouvez vivre heureusement
Et avoir des biens largement
Si vous ne les abandonnez;
Mais vos regrets désordonnés
Vous font cuider d'amour jadis,
Qu'il n'a qu'un saint en paradis.
LB OHBVALIBB.
En paradis a saints et saintes,
Ce sçay-je bien, maint et mainte une :
Aussi sur terre en a-il maintes
Qu'on sert mieux et honore en craintes
Que sainte en paradis nesune ;
Mais si Dieu, par grâce et fortune,
M'eussent souffert la mienne au monde.
Je n'en quisse point la seconde.
l'bscuibb.
Sur l'ordonnance ainsi divine,
n ne chiet point d'avoir murmure.
Dieu veut qu'en terme chascun fine
Et tourne à riens et à ruine
Jeune, vieil, toute créature.
Quelle doncques bonne aventure*
Vous fait tant plaindre morte amie
Qui pleurant ne vous aime mie?
rOULTRK FAMOUR. 117
LB CHBVALIBB.
Hélas ! je pleure et plains sa face
Qu'à bien dure heure j'ay tant vue,
Quant Dieu , après Tacquise grâce,
Sans avoir fait qu*à blasmer face,
L*a de mes yeux prise et tollue.
Et a la terre despourvue,
Dlionneur et de prospérité ,
Si bien que moy déshérité.
l'bsouibb.
Qui pert icy et la recœuvre,
Fa pas tout cause de se plaindre.
Il convient que mon cœur vous œuvre
Ce qu'en luy se nourrit et cœuvre ;
Car plus ne m'en pourroit feindre.
Il faut TamouF passée esteindre
Et se garnir d'une amour neuve ;
Car belle et haute là vous trouve.
LB OHBVALIBB.
A haute amour, ne qui soit belle,
Mal digne suis d'y aborder,
Aussi d'y faire amour nouvelle.
Qui en ay pleine la cervelle ;
Mal peut l'un à l'autre accorder
D'amour: me doy bien recorder
Quel homme c'est, hélasse ! moy,
Ne quel attente il a en soy.
l'bscuibb.
Ne reoordez jamais du blasme,
Ne faute qu'amours vous ait faite;
H» L*OULTEÉ D*AHOUR.
Mais en Thonneur de Nostre-Dame
Regardez-moy sur ceste dame
Qui est si gente et si bien faite.
S*il en est une plus parfaite
Dessoubs le ciel, j'en veux mourir.
Sans jamais merci requérir.
LB CHBYALIBB.
Hélas, je Tay tant avisée
Et tant jugié plaisant son estre
Que nature qui Ta visée
Et à droit souhait devisée,
N'y pourrolt plus de beauté mettre ;
Mais que pour tant s'osast soubmettre
Mon cœur au sien ou que youlsiase,
Ne Guidez pas que je le fisse.
L*aSOUIBB.
S'il ne volis tient qu'à mal vouloir,
De tout honneur vous vous deffaictes;
Mais si vous craignez non valoir
Pour l'aimer et bien luy vouloir,
Je vous asseure que si faites
Chassez-les sur ces entrefaites
Et les boutez dehors trestoutes :
Sy n'a mestier de nulles doubtes.
LB CHBVALIBB.
Je ne suis pas en l'accordanoe.
D'aimer encore si avant
Que doubte en un peu d'espérance
Me peut porter grief ou avance,
L'OULTRÉ D'AMOUR. "•
Dont je me sais aperoeTant.
Il faut délibérer devant
Et avoir cœur de soy bouter
Avant rien craindre de doubter.
L*BBCtJIBB.
Je ne sçay quel délibérer»
Il fault, ne duise à vostre cœur.
Vous pouvez bien considérer
Qu'un roy la pourroit désirer
Pour estre son vray serviteur,
Et vous avez comme un seigneur
Le choix du monde emprès vos lez.
Vous Taimerez si vous voulez.
LB CBBVALIBB.
Ha! que vecy raison notable :
Cause my, cause ! Tout est mien ,
Tout m'est conquis ou conquestable»
Tout emporté ou emportable»
Le monde est fait seul pour mon bien ;
Par Dieu, oompains, tu parles bien
A qui auroit l'oreille sourde
Pour non comprendre cette bourde.
l'bsouibe.
Si j'entens bourde ou moquerie
En cest endroit, nulle envers vous»
Ne si je pense à flatterie,
L'àme de moy en soit périe
Et ravie en enfer dessoubs ;
Mais j*ose dire devant tous
liO rOULTRÉ D*AMOUR.
Qu*en ToaB a beau temps pour servir
Et en elle beau desservir.
LB CHBVÀLIBB.
Hélas ! j*ay trop porté service
Pour en tirer si povre fruit.
Servir bien et servir en vice
Ifest tout compté pour un office.
Qui en servant bien suis destruit.
By ne doy plus vouloir le bruit
D*en servir nulle soubs les cieulx
Pour non pouvoir de servir mieulx.
l'bsouibb.
Si vostre cœur s^accorde à ceste
Et qu*il se vueil abandonner^
Je vous afferme grâce preste,
Amour, chierté, joie et conqueste,
Tant que honneur en seuffre à donner ;
Et ne vous pourrez adonner
Si tost pour vivre en son lien
Qu'amour ne vous pourvoie bien.
LB CHBVALIBB.
Tant congnoy d'amour les paroles
Qu'& fol tiens qui si tost s'y accorde.
Ses mots sont proprement ydoles
Pour hommes fols et femmes foies
Qui croient tout ce qu'il recorde ;
Mais qu'il y ait miséricorde,
Ne regard à son serviteur.
Par la mort bien, il est menteur.
L'OULTRE D'AMOUR. 121
L^ESCUIBIt.
Ha sire I vostre gr&ce saulve,
Amour n*est pas de tel atour ;
Ce n'est pas, non, la beste fauve
Qui trompe Tun et Vautre sauve ;
Mais pourvoit chacun à son tour.
Sy voit parmy et alentour
Plus cler que nul humain regard
Et paie bien ou tost ou tard.
LE CHBVALIBB.
Or maudit soit de tous les anges
Et de toute la kirielle
Qui meshui croirra ses losenges.
Ses beaulx rapports, ses haulz louenges,
Ne qui Teslève de tel esle.
S'amour est si loyal, servez-le
Et vous tenez & sa bonté ;
Mais moy j'y ay assez esté.
l'bscuibb.
Vous ne savez que d'un malheur
Que fortune vous a brassé;
Mais sur amour n'avez couleur
De luy charger vostre douleur.
Touchant le corps du trespassé;
Car tousjours vous a pourchassé
Grâce et maint honneur sans remort :
Donc, si faulte a, c'est par la mort.
LE CHEVALIER.
Doncques, quant amour n'est pas ferme
De pouvoir accomplir ses vœux.
i« L'OULTRE D'AMOUR.
Et que mort par fortune inferme
Luy toult pouvoir et le defferme,
Donc 8uiB*je là où estre veux,
Et tiens plus seur de vivre seulx
Atout les maux que j*en ay d*une,
Que plus s'en mettre à la fortune.
L*B8CUIBB.
Hélas ! quel perte et quel dommage
61 vostre cœur tient ceste adresse.
Tout se pert en vous, force et eage.
Honneur, bon los, vertu, courage
Et renom entre gentillesse;
Et ne voy riens qui vous radresse
Jamais, ne qui vous liève en hault.
Si le vouloir d'aimer vous fault.
LB CHBVALIBB.
S'a l'un endroit me convient boire
Souffraite ' et perdre saison bonne,
Ma loyauté me fera gloire*
A l'autre lez au moins notoire,
Et me donra d'honneur couronne ;
Car plus est vertu qui bien sonné
De non l'avoir voulu changer.
Que pour autre vivre en danger.
l'B8CUIBI(.
Vous va si près l'honneur du monde,
Ne vanité de gloire humaine
* SoHfraitif misère, malheur, souffrance.
LmiLTRÉ D*AHOUR. 435
Que pour los qui sur tous redonde ,
Aimez mieux voetre cœur qu*il fonde
Que luy changez foy prîmeraine,
Encore qui est casse et vaine.
Comme d'un corps par mort conquis,
Dont nul bien ne peut estre acquis t
LB CHBYALISB.
Hélas et quant mort d'ayenture
ITaura payé de paye égale*
Que porteray-je en sépulture,
Des biens de fortune ou nature.
Fors renommée bonne ou maie?
Au moins par foy garder léale,
J'auray gagné gloire assouvie,
Selon desserte de ma vie.
l'ssouibb.
Or, je vous prie au nom de Dieu,
Croyez conseil s'Q est possible,
Et vous rendez en cestui lieu
Qui vous peut rendre jeune ou vieu.
Trésor de richesse infaillible.
Riens ne vous sera invincible
Devers amour grand, ne petit.
Si vous y prenez appétit.
LB CHBVALIBB*
Quelque appétit , ne plaisant signe
Que jamais puisse en amour prendre,
Tousjours le bout de la racine.
Qui premiers a conquis la mine,
Y demourra jusqu'au cœur fendre.
Et n'en devroit nul m'en reprendre.
124 Lm^LTRE D*AMOl}R.
Ne donner nom de niceté»
Ains loB de plus grand loyaolté.
L^BSGUISB.
Vous parlez tout ainsi au vif,
Gomme le cœur le vous desgorge.
Je vous accorde vostre estrif ,
Beau sire, et vueil d'un cœur naïf
Que vous Taimez de par saint George,
Mais qu'il en vieng^e un autre en forge
Qui vous soit plaisance et lumière
Jusqu'à recouvrer la première.
LB CHBVALIBB.
Long parlement qui n'a retraite.
Rend souvent pris les gens en termes.
Chasteau qui parlemente et traite,
Beçoit volentiers quelque attraite
Qui le fait amollir aux armes ;
Mais je demeure en propos fermes
Affln que nul ne s'y abuse.
Et sy n'accorde, ne refuse.
l'bscxiieb.
Ha ! il faut accord et issue
Finablement en ceste chose.
Telle œuvre sy n'est pas tissue
Pour en partir sans estre sçue
La fin que vostre entente y glose.
Doncques, si vostre cœur propose
D'aimer ou d'amour escondire'
Je vous requiers : veuillez le dire.
I Bseondire, reftaser.
rOULTRÉ D'AMOUR. 185
LB OHBYALIBB.
Si TOUS avez bien entendu
Mes cas, mes dits et mes defifénses,
Besponoe assez vous ay rendu
Et ne me stiis condescendu
A titre où je congpioisse offenses.
Tsy en très-humbles révérences
Yostre rapport; mais j'ay discorde
Souvent de bouche, ne Taccorde.
L*BSOUIBB.
Honneur est en raison fondée,
Et est Tune à Tautre amiable.
Chascune est de sens abondée
Et de vertu improfondée ;
Ce qu'est raison, est honorable.
Sy croy et tiens à véritable
Qulionneur de raison avertie
Vous jugera de ma partie.
LB CHBVALIBB.
Xay un honneur, un corps, une âme;
Des troys, les deux saulves voudroie.
Le corps s'en aille après ma dame,
J'en STiis content; mais tout infâme
De perdre mon honneur seroie.
Donc sachent tous que ne pourroie,
Pour nulle part m'avantager.
Mon peu d'honneur mettre en danger.
l'bsouibb.
Dieu vous garde de déshonneur,
De mal d'infamie et grevance !
426 rOULTRÉ D'AMOUR.
Mais pour youb tirer à bonheur.
Je feray tant qu'autrui honneur ^
Vous donrra de vostre asaearanee;
Car n*y aura hostel en France
Que je n*enquière à yottre nom
Slionneur vous Beuffre aimer ou non.
LB OHBYALniB.
Je fluis d*honneur serf homme et lige,
Tant que vie me durera,
Et euTers luy mon cœur s'oblige
De non comprendre, encor le dis-je,
Chose que ne m'ordonnera.
Donc, aussi tost qu'il tous plaira,
IkTadTertisBez de son devis
Et lors je diraj mon avis.
Ainsi fut pris Fappointement
Devers ces deux qui estrivoient.
Et cessa tout leur parlement
Jusqu'au savoir le jugement
D'honneur sur qui leurs yeux avoient;
Mais les dames qui ne savoient
De leur débat un mot qui touche,
Les ont surpris los en la bouche.
Lors me sembloit que l'escuier,
Esmu comme & soy mettre en questa,
M'aperçut emprès \m figuier
La main fournie de papier
Et pleine d'escripture honneste,
Et vint par forme de requeste
Très-douce et aimable aussi
M'arraisonner et dire ainsi ;
L'OULTRÉ D'AMOUR.
4Î7
Voicy le douloureux traitié.
Frère, que je mets en vos mainst
D*un chevalier plein de pitié
Et d'un qui par vraie amitié
Luy veut bailler resconforts maints;
Mais cbascun veut poy plus ou mains
Avoir pour soy querelle et droit
Sans supplier* en nul endroit.
Or faut-il pour savoir eslire
Qui aura la raison meilleur,
Cause la plus parant ou pire.
Que honneur leur cas retourne et vire
Affin d'en estre vray jugeur.
Sy faut qu'en court de grand seigneur,
Il soit cherché partout et quis
Et justement sur ce requis.
Doncques, s'il vous plaist et aggrée,
Vous en irez dès maintenant
Monstrer ceste œuvre enregistrée
Es plus haulx lieux de la contrée,
Là où vous serez survenant;
Et lors comme bien souvenant ,
De tous iceux qui le liront,
Vous entendrez qu'ils en diront.
Et au plus près de vray honneur
Que jamais cœur pourra penser.
Priez aux dames de valeur
Qu'il leur plaise à y mettre cœur.
Sans à nulluy favoriser.
Et puis selon leur deviser
■ SoM supplier, sans céder.
i28 L'OULTRÉ D'AMOUR.
« Venez moy avertir de tout:
< Vous aurez bon loyer à bout, t
A tant de mots me laissa lors ,
Et tout ainsi je m'esveillay,
Et trouvay tout joingnant mon corps
Les argumens et les records
Dont devisé icy vous ay.
Sy ay promis, et le tiendray,
Que je les mettray en avant :
Aussi feray-je, Dieu devant.
Pour tant, seigneurs et nobles dames.
Et entre vous mes demoiselles'.
Qui savez par tous les royames
Juger des vertus et des blasmes
Et bien débattre des querelles.
Je vous envoie par nouvelles
Ce livre dont le titre porte :
L'Oultré d'amour pour amour morte *.
> JB ta vous, toutes demoiselles, ms. de T Arsenal.
> Le ms. 5311 de la Bibliothèque izopériale de Paris offre quelques
bonnes yariantes :
Page 72, ligne 17, Usez :
Ne parvint à un si haut heur.
Page 89, ligne 26, il faut choisir entre ces deux leçops :
Et le hamas dont la substance
Estoit un riche et cher cattel
Ou bien :
Et le harnas dont la présence
Valoit un riche et cher chastel
Page 82, ligne 4, variante :
Afin que plus vive à son aise.
DICTÉ TROUVÉ TAN 4 446 DANS LHOSTEL
ROY CHARLES Vlh*.
Le mal payer, faux conseilliers,
Le discord d*aucuns chevaliers,
Impositions et gabelles,
Ont eslevô guerres nouvelles,
Qui jamais jour ne fineront,
Tant que tels choses dureront :
Car maints servent le roy françois,
Qui pourtant sont de cœur anglois;
Et service fait contre cœur
Ne peut profiter à nul feur *.
Le sage sy dit et recorde,
A qui du tout je bien m'accorde,
Que prince hay en sa terre
Ne peut vivre sans avoir guerre;
> Charles VIT, d'après le continuaiear de Monstrelet, trouva ces vers
sur son lit en rentrant de la messe. Ces vers sont-ils de Chastellain?
Ce qui me porte à le croire sans Taffirmer, c'est que dans d'antres cir-
constances il répandit à peu près de la mdme manière des strophes où
il blâmait également la conduite de Charles VIL Chastellain fit en
1446 on Toyage en France, et l'un des vers de cette pièce parait renfer-
mer la première pensée du Miroir des princes et nobles de France.
« /Viw, prix, valeur.
rw, fi. 9
130 DICTÉ.
Ne il n*6n chaut à ces haulx hommes,
Qui du roy ont les grosses sommes,
L*or et Targent et les grans terres.
Par iceux sont menés les guerres.
Qui au payer sont les premiers
Et au besoîng sont les derniers.
Mirez-vous icy, ducs et roys,
Qu*en la fin n*Qyez le sourdois * ;
Et s'en la guerre allez tel erre,
Seurs soyez que vous perdrez terre ,
Car bien payer acquiert amis,
Mal payer acquiert ennemis.
Laissez bois, laissez rivières.
Prenez lances, levez bannières.
Fuyez les faux, suivez les sages,
Allez aux champs, yssez ^s cages,
Ou vous avez honneur perdue;
Et sy vous dis bien sur ma teste,
Qu*on vous tiendra trèstous pour beste :
Je parle au duc, je parle au roy.
Et sy suis mu de bonne foy.
I Sûurdois^ ce qui se dit à Toreille.
RONDEL'.
Les ferviteuiis aubmis à robsemoifeoe,
Quoyque Boinrent il leur toume à greysnee
De non avoir leur plaisir à toute beure,
Toutew>is Dîea soubs qui rien ne demeura.
Autels servans ne fist onc décevance.
Mains il convient par contrainte eslevance
Qu'honneur^ fortune ou amour les avance
* Ce rondeau se trouve dans la reeœil des poésies du duo Charles
d^Orléans, Bibl. imp. de Paris, f. fr. 1104, f" 91. 11 fût vraisemblable-
ment adressé à ce prince lere de la visite qoe Chastellaln et Olivier de
la Marche loi firent en 1448, et ponr mieux en expliquer le sens, J*ins6-
rend ici les deux rondeaux qui le précèdent.
RONDEL DS OLIVISR DE LA MAECBB.
Pour amour des dames de France,
Je suis entré en Tobservance
Bu très-renommé saint François,
Pour cuider trouver une fois
La douce voye d'alégeance.
Saint suis de corde de souffrance,
Soubs haire d'aigre désirance,
Plus qu^nmon Dieu ne me congnois.
Pour amour des dames de France,
Je suis entré en robservance
Du très-renommé saint François.
Soubrement vis de ma plaisance
Bt June ce que désir pense,
Mandiant partout où je vois.
Je YCille à conter par mes dois
i32 RONDEL.
En quelque endroit et au besoing seoeure
Les serviteurs submis à robservance,
Quoyque souvent il leur tourne à grevance
De non avoir leur plaisir à toute heure.
De long souffrir en pénible estrivanoe
Naist aux souffrans haute et riche observance
Finablement qtii les paye et honneure.
Après Faigret trouve-on la doulce meure
Qui radoucit en leur propre savance
Les serviteurs submis & robservanoe«
Quoyque souvent il leur tourne à grevanoe
De non avoir leur plaisir à toute heure.
Les maolx que m'a flEût espérance.
Ponr amour des dames de Francét
Je sois entré en Tobservance
Du trèa^renommé saint François.
BONDEL DB VAILLANT.
Des amoureux de Tobservanoe
Je suis le plus subgiet de France,
Car Je sers d'estre mandien
Et cherche le cotidien ;
Mais nul en mon sac rien ne lance.
« AUX Mres Vanmosne pour Dieu! »
TouBjours vais criant d'huis en buis.
Las I charité ne trouve en Uen,
Ne pitié ne scet qui je suis.
Retourner m*en fault sans pitance ;
Désit le poarveur tance,
Puis le beau père gardien ;
Pis suis que Boesme mendien :
L^ordre veuil laisser sans doubtance.
Des amoureux de Vobfiervance
Je suis le plus snbgiet de France,
Car Je sers d'estre mendien
Et cherche le cotidien ;
Mais nul en mon sac rien ne la^ce.
LE THRÔNE AZURÉ'.
Thrône azuré* merveilleuse lumière,
Befflamboyant de mainte fleur dorée,
Noble maison françoise, coustumière
De toute honneur, sourse de foy première,
Dont^ soubs le ciel, la terre est plus parée,
Jointe emprès Dieu, des autres séparée
Par cas dlionneur, de titre et de louenge,
Comme est sur terre un homme emprès un ange.
glorieuse excellence royale,
Benommée batiUière anchienne.
Du peuple Dieu championne loyale.
Bras renforchié de grâce espéciale
Pour envair mescréance païenne,
reluisant majesté terrienne.
Dont mal au vray peut s'exprimer la gloire :
Icy tu livres un peu ton auditoire.
Tournant, virant toutes histoires saintes.
Bibles, psaultiers, légendes, prophéties,
Dontfay au cœur les substances empraintes,
0! que j'ay fait méditations maintes,
Noble maison, sur tes controversies,
Qu'après honneurs et gloires infinies
* Pablié diaprés le ma. 120 de la Bibl. Laurentienne à Florence.
i34 LE THRONE AZURÉ.
J*ay vu souffrir & ta noble nature
Soubs le flayel de divine batture !
Voyant déchoir ta hautesse fÎEtnieuse,
* Ta dignité violer par injures.
Et d'une mais vile homicidieuse,
Persécuter ta hauteur glorieuse.
Par feu, par sang, par famine et laidure,
Qui soloyes les autruy fourfaitures
Battre et punir toy-meames en toutUou :
Bien a droit-cy mimbie œuvre de Dieu.
• Et vraiement est bien l'œuvre admirable
Et bien obscure à congnoissance humaine,
Quant tant d'annuy et de grief misérable ,
Fortune et Dieu comme desfiivorable.
T'ont fait souffrir par rigueur inhumaine»
Dont il n'y a qu'un point qui me ramaine
L'entendement de ce couvert misiëre:
C'est que péchié t'a fait ce vitupère.
Et soit péchié ou volonté divine
Qui t'a fait choir soubs ce glaive advenaire.
Et trébuschier à honteuse ruyne
Pour estre au loup engloutie rapine,
Serve et chambri^ h tout villain bausaîre\
Au moins ton cœur par pité nécessaire,
S'est condolu aveucquee ta souffrance,
Plorant sur toy« noble maison de France,
De qui les mauk et povretés extrèmcQ»
Pertes» douleurs, confusions terribles,
I Sausaire, meroenalre? On Ut dans Monstrelet (TV, p. 89d) : « Au-
cons haolflaires, teaans le parti du roy Charles, » CorriîseK la note I,
tome I**", p. 112.
LE THROHB AZUfiÉ. ISS
Oocisions* rayallemeDB» blsphkmasS *
Pleurs et clameiin d'enfikos, honuDMd et femmes,
Fftr feu, par sang^, par ftmiziee hotriUeSv
Sont à tout cœur h tout prendre impoemUee ;
Car ne pourroit ej^rimelr bouèhe d'honune
De ces meschiefs TiimumArable somme.
Hellas ! quelle est la douleur comparable
 tou souffrir, glorieuse auriflamme,
Que au droit nombril de ton thrâne bonnorable
Voir tout énorme obprobre inséparable.
Verser ton peuple et mettre tout à âamme,
Et qui plus est, piteusement en blasme
Esire enchâssée à honte et à péril ,
Hors de ton propre en souffraiteux exil.
Tant qu*îl sembloit h ceux qui te veoient,
Que Dieu te volt lors estre exterminée,
Et mesmes ceux qui en tes plours rioient,
Les faulx tirans, leurs cœurs glorifloient
D'avoir ainsy ta hautesse muée,
Guidant que Dieu f eust toute abandonnée
 leurs pouvoirs et vouloirs inhumains,
Pour demeurer tousjours ferme en leurs maind.
. Mais Dieu piteux de fons et de racine,
Pïovident juge et bénigne en ses faiiâ.
Jamais un arbre, ainsy je Timagine,
Dont il congnoist s^il est bon d*originè.
Ne veut souffrir Famortir par tors &its;
Mais pour venbr aux nouveaux fruits ytafàUé^
Souvent permet Tescorce au dehors mùire".
Pour meilleur fruit de tronc batttt produire.
' ifiÀ^mmue.
136 LE THRONE AZURÉ.
Ainsy je croy certes et ainsy jage
De tôy, digne excellente planture.
Dieu a souffert desriyer ce déluge
De tous meschiefe sur toy et ton reffuge,
Point, pour ta mort, mais certes pour batture;
Car luy voyant bonne estre ta nature,
Ta corrigée atout Tare en sa corde.
Mais point jeté hors de miséricorde.
Ses dignes mains, sa sainte providence,
Furent de toy primiers planteurs en terre,
Et choisirent le fruit de ta semence
Entre autre fruit par trèfi-haute excellence.
Comme il appert à qui 8*en seult enquerre ;
Sy cuide voir, et ne croy pas que j'erre,
Qu*en la vertu du vieu fruit trespassé .
Cil d*aujourdliuy a son maleur passé.
Bien a paru à ceete œuvre présente
Où Dieu fa fait jà restitution
De la plus part de ta gloire excellente,
En ramenant Normandie dolente
Hors de servage à sa rédemption,
Dont en fureur et en contention
Tous faux Angiois, dliumain sang enyvrés,
S'en vont confus comme à la mort liviés.
Dieu a sa gloire en toy revertuée,
Et ta vertu a reprinse vigueur.
Tu as esté dessoubs les pieds ruée;
Mais à présent fortune a remuée
En pitié fresche, envieUie rigueur.
Tu as ressourse après griefve langueur;
Tu as ta gloire arrière en ton reoœuvre :
Ce sont beaux dons, qui bien les met eu œuvre.
LE THRONE AZURÉ. i37
Ton glaive point, ton espée retrence.
Ton bras roidist, ton harnois refflamboye.
Ton eur revit, ta gloire recommence.
Ton fruit sourt grant hors d'un foulé semence.
Ton veiner secq reflorist et verdoyé,
Tu viens arrière en Tancienne voye
De ton triomphe à garant félicité :
Dieu, et quel joye en tant d'adversité !
Le vray soleil de justice étemelle
Ta respurgié ton thrône de bruine,
Et a réduit ta vertu naturelle
A toute aigreur et fierté corporelle, *
Pour relever ton los mis à ruine,
Veant ton cœur au plus bas de sa mine.
En qui Ton peut par temps g^rans faits attendre,
Fftr quoy en toy tu y dois bien contendre.
- Poursieu ton coup, tout Anglois s'espoente
Devant ton bras qui fait trembler le monde.
En eux n*a plus courage qui se vante :
Dix de tes gens sont bons pour leur soixante,
n n'est François qu'un sept n'en confonde;
Le juste Dieu veut que sur eux redonde
L'énormité de leur conqueste indue :
Terre à tort prise, à droit se voit rendue.
Dieu a sa face inclinée vers toy
Et affichié ses yeux en ton emprise ;
8a sainte main a rebaillié convoy ,
Sens, industrie et courage à ton roy.
Pour toy remettre en liberté aprise.
Donc, s'en toy est ceste bonté bien prise.
Tu en dois bien grant louenge à sa face
D'avoir tels biens en Tan joyeux de grAce.
i88 LB THRORB AZDRÉ.
Vive ton nom» croine en tons temps ta gloire^
Ton haut triomphe à tonqours mais pardort 1
Ton loB jamais ne parte hors mémoite,
Mais soit escript, glorieux en histoire,
Conmie immortol , en mariire et pierre dnre;
Et soit honneur, paix et bonne aventure
Si joints h toy pour gloire ayoir suprême,
Que ton nom vive apprès le monde extrême.
Et vous Anglois, tirans du bien publique,
Murdriers de peuple, engloutisseurs de vies.
Loups affamés de faim dyabolique
Pour perturber toute foy catholique
Par une ardeur d*insolables envies.
Laissez, laissez vos rapines ravies.
A vous n*affiert nul si royal partage :
Biens n*y avez que mort pour héritage.
Pensez, pensez, persécuteurs des hommes ;
Persécuteurs, pensez aux vieux outrages
Qu*ont fait vos mains murdrières de preud'hommes,
Fenfans petits et de femmes par sommes,
Guidans domter les haulx f rançois courages ;
Trop A donné fortune ses ombrages .
A vous, le plus maudit peuple qui vive :
Fuyez-vous-en, que le dyable vous suive !
-OOOgOOO-
ÉPISTRE A JEHAN CASTEL'.
Gastel aerin , tout çymenté d^estoQes,
Fondé sur ciel d'espurée ' nature,
Là où gros yeux couverts d*espaîsses toiles
N'ont pouvoir nul d'y adresser leurs voiles,
Ne d'y attaindre à porte*, ne closture,
Castel tout plein de divine painture.
Qui esblouis ^ terreuse humaine vue,
Seufibre en ton ray qu*un foible oAl te salue.
Castel, vers toy mes entrailles souspirent ; «.
Vers toy s*en vont volitant mes pensées,
Comme envers cil que les haulx Dieux asinrent»
Et dont la bouche et langue qui respirent.
Produisent fleurs plus souef qu'encensées.
Castel, s'en moy sont vanités pensées
Que d'avoir* l'œil en toy un si haut œuvre.
Pardonne un cas : cefiEÙt amour qui œuvre.
Castel basti de pierres précieuses,
Besplendissant de pures margarites,
I Paldlée d*après le ms. delà Bibl. LaarentienneiaO, à Florence, col-
latknmé sor les mss. de la Bibl. imp. de Pans, Célestins, 47, et 2386.
■ Ved^f enirer par porte, mB,Cé\eBt Al,
* i7<Mto, ms.de Florence.
* Cmmêvoir, ms. Célest 47.
140 ÉPISTRE
En qui du ciel les formes spécieuses
Vont espardant leurs voix délicieuses,
En lieu de guet, en dedi^ ses guarites,
Castel, prends gloire, augmente tes mérites
Par un petit entendre à mon Taucrage,
Car j'y mourray, ou j*y auray ancrage \
Tes sommités parattaignent le thronne.
Percent neuf ciels et tous les aers décorent.
Portant en chief radieuse couronne
De quoy tout œil, qui en tout s'avironne.
S'amende et vault, et bons, cœurs s'en estèrent ;
Par quoy s'en toy mes yeux ainsy s'essorent,
Gontemplans voye excelse et mal tirable.
C'est un grand cas, mais il n'est pas mirable.
* Ton toit ' resplent de perles et de gemmes.
Tout ton pavé sy est de dyasprure,
Piliers d'or fin, chambres, salles de mesmes.
Là où tes mains, atout clers diadèmes.
Ont composé l'ouvrage et la voussure.
D'azur sy est toute la destemprure.
Qui par Jeans mur ou posteau couleure;
Miracle y œuvre et le ciel y £&veure.
De fin cristal, de béricle céleste.
Toutes en toy se trouvent les verrières,
Là où grosseur de matière terrestre
Ne parattaint pour y faire moleste,
Ne pour y mettre empraintes encombrières.
Portail, fermoir, ferrures* et barrières,
■ Entrage, xns. Célest. 47.
> Tect, ms. Célest. 47.
' Serrures, ms. de Florence.
 JEHAN CASTEL. 141
Toutes y sont de grâce habituées ',
Loisgs de péril près Dieu oonstituées.
Fyeulz de soleil* d*un regard séraphique,
T est paré, dist-^on^ le fenestrage.
Où del, mer, terre et toute autre fabrique'
Te oomprent tout comme en fons angélique,
Là où n'a point d*enoombre, ne d'ombrage;
Tout s'y conçoit sans perte et sans nauffrage *y
Qui s*7 obombre, et k Toeil s'y présente
Saison future et matère présente.
Trompes, clarons qui entour se foisonnent ,
Et cœurs dedans et par dehors excitent,
Parmy les aers s'y misent et résonnent
Que les ascouts' en qui leurs clameurs sonnent,
Remplis d'ardeur, joyeux s'en ressuscitent
Et tellement les mainent et incitent
A prendre en eux leur plaisante harmonie,
Que la douceur en purge l'âme honnie.
Jardin dedans tout au milieu se treuve.
De qui l'odeur précieuse fait vivre,
Et dont le fruit qui Tagouste et espreuve ,
Les yeux délecte et le cœur s'y abreuve.
Qui sens endort*, et rayson s'y enyvre;
Car mis y a le trésor de son vivre
Et de son cœur plus excellent nature.
Pour seul suffire à humaine pasture.
I Bngrâeii iituées, ms. Célest. 47.
« Partout, ms. Célest. 47.
' SttoîUe leur fabrique, ms. Célest. 47.
* Dommage, ms. Célest. 47.
* Leiaicoutê, les échos. On lit: lu astres, ms. Célest. 47; les estres,
ms. 83Se de la Bibï. imp. de Paris.
* le sens s*p dort, ms. de Florence.
ii2 ÉPISTUS
Cestoi eastel*, qfiilaguâd et possède,
Bien est heuxeiùc, et nasgui da boxmeheuie;
Dieu des haulx biens singuliers luy concède,
Mais garde bien que mésusant n*escède
La dignité de ai aoUe demewre.
Gastd, r^ds gloire à Dieu, qui tant tlioimeure,
Et mets ton dos en main qui ne Toublie ;
Un Cltt8ieillain« rude bonuae, t'en sui^yiie.
Feu, main, marteau, fer, englume, font forge;
Cbacun a art, maistrie et engin, fors je.
Mais qu'en feray , si Dieu ne me reforge?
En pur or fin ne puis changier gros orge;
Qui n*a palais, passer se faut d'un porge.
Ce qu'au ventre est, la bouche le desgorge :
Quel le mercier, telle la mercerie.
Gastel fameux, cler homme, digne gotgdf
Prenez en gré le salut de George,
Soy offrant tout à vostre 6eignourie^
> Jardin, ma. Célest. 47.
' Çastel fit h cette épttre la réponse suivante :
Au Chastelain qui George se nomme
Soit donnée ceste épistre présente,
De par celuy qui tant sien se renomnia
Que corps et biens humblen^ent Iny présente.
Comme ainsi soit, George Chastelain,
Qne tant de biens ayes de moi resoript,
Vu que Je suis tant simple chapelain
Et moyne lourd indigne en Jhésu-Crist,
Et le dy bien que tu dis par escript
me soit à moy : à toy seul sy rapplique,
Comme à celuy dont plus doulz que sucre yst
Souef langage et doulce rhétorique.
Car Je congnois par les fattsque ta Mi,
Que des facteurs renommés tu es père
A Jmjjî GASTEL. 145
Siqn*w«]«rft6«nr4QnB faiis te hftolx ilMIi
Sttoiat oofum^ la MleU mu Teapèfe;
Poiur lant itfooède en «yant et iiroipèM,
Et en ceet art TenUWe si prospérer
Qae le liant l>i6B tii'aprèB mort cm espère,
Bb sûr espoir tu paisses espérer.
Qnantje goutte de tes faits lasobstanoe,
Si graat fk^ewt en chose onqnes ne pds,
Et congDAiB bien qu'il y a grant distsnee
Des tiens aux miens et que j'ay pen apris ;
Car tellement sont proibns et eompris
En ryme et sens et sans comparaison
Qu*on te debvroit snr tons donner le pris
Et couronner de laurier pair raison.
Tu es en Tart de diter si expert
Et as langage aoumé si profond
Que tout dictié, tant soit graeieulx, perd
Son los Ters toy du tien qui le confond ;
Car plus dottlx est que le miel qu*on fond.
Ton beau parler esi si à bien assis
Qu'il m'est adTisque tous facteurs qui ftmt,
Ne t'aprochei^ n'a cinq pieds près, n'a six.
Quant livre on main, ainsi qu'on se repose,
En sommeillant je mets dessoubs ma temple,
Et ton hault stille, un peu d'eepasse ou pose.
De mon gros sens je remire et contemple.
Je te trouye des orateurs l'exemple
Qui en franeois le temps présent ont bruit,
Duquel les Ikits auront, comme du temple
De âalomon, renom dont tant on bruit.
Bien est amer qui très-doulx ton dit stile
Ne sent en goust, et tes beaulx dits refuse;
Car ta langue ai doulx parler distille,
Et ta bouche si sacrés mots diffuse
Qu'il m'est adyis que c est fhçon conftise
Que de mes faits et mots tous superflus
Envers les tiens pleins de grftce diffuse,
Tant sont dorés, plaisans et duleiflus.
Mais tu sçais bien que d'un homme de doistre
Ne peut ni bel, ne plaisant langage yetre,
144 ÉPISTRE
Comme de court qui tant ftdt à oongnoiatre
Ses faits ou dits qn*on les met en registre,
Non pas de moy , car à peine une épistre
Pourroye-je faire en bon sens et bon art,
Ne composer en rayson on chappitre
Dont compte on flst ne que de ceux qu'on art.
A ton engin trop plus cler que cristal,
Chose impossible à moy, faire est ûusile ;
Mais au dur mien pesant comme métal,
Léglère chose est grave et difficile.
Car tout le sens de Bome et du Concile,
Ne du monde si grant qui passe avant.
Tant suysde sens ignare et imbécile,
Ne me feroyt, sy croy-je, pas savant.
Tu semblés mieulz à ton parler estre ange.
Tant hault attains, que humaine créature;
Car ton parler vers aultre est plus estrange
Que n'est feu vif vers feu fait en peinture.
Ta langue à point si à ton escripture
Conduit ses mots par ton sens qui les maine,
Quemieulx semblent d'angéllque nature
Estre parfaits que de nature humaine.
Dont te procède et dont te vient ce bien
Dont tous fttcteurs ont admiration?
Est-ce de toy ? Nenny, tu le sçais bien.
Point ne t'en fault la déclaration ;
Car tu ne peux faire opération.
Ne homme vivant, rien qui soit fructueux.
S'il n'est permis par Tinspiration
Du Toiii-Puissant qui tant est vertueux.
Et pour ce, amy Chastelain très-loyal,
Congnois le bien que le prince dlionneur
T'a ministre, comme ausmosnier royal
Qui donne tout, tant est large donneur,
En luy priant, comme au doulx pardonneur,
Qu'il te pardoint des biens l'ingratitude.
Et merciant affin qu'il te donne eur.
Après trespas gloire et béatitude.
Or prens en gré si tu veulx ou ne veulx ;
Car je t'escry comme à cousin germaio
A JEHAN CASTEL. U5
Qae J'ayme autant que frères oa nepTeaz,
Pour te monstrer signe de cœnr humain.
Que plnst à Dieu que sans taster de main,
Je te touchasse, aujourd'huy intangible,
Et de ton œil tu me visses demain
Sans regarder, et je fosse invisible.
Ici se trouvent intercalées dans le ms. 2366, deux strophes qui ne
sont pas de Jean Castel ;
Adonay des cieulx fabricquateur,
Qni du monde gouverne la machine,
Dont trois fois fut saint Pierre négateur
Par la langue de Vordeuse meschine.
Face celluy des dos courbe ou d'eschine
Ou au gibet trayner au chériot.
Qui trahison te pourchasse et machine,
Comme Judas le traistre Scariot.
Escript par moy de Tuniversité
Estudiant Castel en un collège,
Dedans Paris où maint divers cité
Larron se voit quand il est sacrilège
Ou homicide ou commet sortilège;
Là face fruict lequel a privilège.
Dont est pitié quant après il faut qu'on
Porte souvent Varbre de Monfkulcon.
Le copiste du n« 2366 se nommait-il aussi Castel ? U est fort probable
qu'il était, comme il le dit, étudiant dans un collège de Paris, et Tad-
jonction de ces deux strophes ne constitue qu'une farce d'écolier.
Voici la fin de la réponse de Jean Castel :
Plus tien que mien me répute castel
Dont chastelain tu es, gardef et concierge.
Qui te voaldroye honneur faire en cas tel
Qu'en gré Dieu Teust et la très-doulce Vierge;
Car plus ardant que brandon, torche ou cierge.
Mon désir est d*avoir ta congnoissance,
N*aultre que toy en ce monde ne qulers-je.
Après mon Dieu et ceulx de ma naissance.
40
ÉPliSTftË
AU BON sue VmLiPFË DE MnseioN€i«fi'.
oooQooo
Lyon bandé de riche lyoison
D*or et d'asur, qui de lis reâamboye,
Non seulement en paroles foison ', *
Mais en splendeur d'extrême luison
Dont rœil s'esteint, qui regard y employé,
Tymbré au front d^xoellente monjoye,
Du noble cry, dont le haut ciel résonne :
Ycy entens à moy qui t'araisonne*.
Entends à moy, lyon de tréis vestûrës;
Lyon fameuse, entens à moy, te prie ;
Donne à ton sens ententives pointut^s
Et k tes yeux soingneuses ouvertures.
Pour prendre en toy ee q^e ma bouche tÉCné.
Plus tt eti toy règnon et seignôurie
> Pabliée d'après te ms. 120 de la Bibl. Lanrentienne à Florence, col-
lationné sur le ms. 9311 (ancien d887** La }S&Te), de la Bibl. imp. de
Paris, sur le ma. ISS de la Bibl. roy . de La Haye et sur le ms. dl688 de
la Bibl. roy. de Bruiéiles.
* Yar. : non en dlarté, non éniMreJbisoh.
* Toute cette première sthiphe offire une aUusion at^i armes de la
maison de Boargogpae, qui étaient iandées d'or et d'azur, mais qui rap-
pelaient aussi la royale origine de ceux qui les portaient, par les fleurs
de lis dont elles étaient écartelées, ei i^ar le cri ". Monijoie-Saint-Denis!
U8 ÉPISTRE
Et de haut sang de royale origine,
Et plus en doit raison y estre affine.
Les divins dons et les hauts faits louablôs,
Dont en toy voy si extrême excellence,
ITont fait mouvoir mes désirs charitables
D*en faire icy aucuns recors notables ,
Servans en los à ta bénévolence ;
Mais, regardant ta gloire et précellence.
En foible engin certes je me ravise,
Car n'ay pouvoir, ne sens qui y suffise.
Mon œil regarde en ce que cœur admire ;
Amour me trait là où peur me reboute ;
Honneur m*astraint de parler et d*escrire
Ce*dont le poids me condampne et retire,
Et juge en moy de non y voir goutte ;
De propre sens je me deffie et doubte
Et suis en guerre ainsy en dedans moy,
Pour contempler ' les hautesses de toy.
Donc et affin que Dieu premier ait gloire
De toy, et toy que tu-mesmes y vises
Sans toy bouter en vanité, j'espoire.
Ton corps produis et te mets en mémoire.
Dont tout le siècle en tient tant de devises.
Où les clartés et splendeurs sont assises;
Fftr plus, par moins, là voit-on qui esdaire,
Bends gr&ce à Dieu : du plus je me veul taire.
Nature en toy a esté ententive
D'y mettre estor et pouvoir et faveur;
Ce qui s'en voit, n'est pas chose doubtive;
Santév longs jours, vie consolative,
* P<mr eontenieff ms. de La Haye.
AU DUC D£ BOURGONGNE. U9
T'en ont sieuvy en joyeuse saveur,
Dont moy qui sçay que tu n'es réprouveur
Vain, ne ingrat ayant grant bien reçu' ,
Je parle ainsy comme je Tay conçu.
Et posé or que tu-mesmes supposes
Par grant vertu peu estre ta personne,
Et à mes dits gaires tu ne reposes,
Ains aigrement argues et proposes
Le droit envers de ce que j'araisonne,
Le bruit qui court toutesvoyes et qui sonne
Parmy les aers touchant au firmament,
Celuy en fait le certain jugement.
Grâces d'en haut te sont administrées ,
Mœurs et vertus en telle multitude
Que s'en ton cœur ne sont enregistrées ,
Au moins les tient ce monde à si monstrées
Que tu assers' à toy sa plénitude,
Et va jugeant toute béatitude.
Tout divin don, estre infus en ton corps :
Ce sont d'autruy, non pas les miens recors.
Loy a en soy et veult que chacun prise
Ce que peu est et de tarde advenue.
Et que de chose en coustume et apprise,
Ne doit jamais merveille estre comprise,
Ne cheoir grant part d'aucune survenue.
Donc, si j'ay bien ma leçon retenue.
Très-peu eschiet, et sy n'avient pas moult,
Qu'estre un haut prince et bien compris en tout.
* iy%nii grant bien reçu^ ma. de Paris.
* Aperi, ms. de La Haye.
150 ÉPISTRE
Souyent en u& ou en autre deffajll^t.
Posé qu'en, biens et substancee abondei\t.
S*ilfl sont puissans, ài vanité se baillentf
Et slls sont beaux, petit de bruits * en siuUent.
Leurs "noms, leurs temps, leurs régions confondent;
Très-peu en a, à qui toutes respondent
Gràoe et vertu, titre de ma matëre :
Donc, s*un en vient» c^est bien cas de misters.
Pépin le roy, prince chevalereux.
Plein de vertus et de notables fidts,
S'en Tun endroit, Dieu le fit valereux,
De Tautre lez le laissa dolereux
D*estre en la forme et petis et deffais. '
8y ne dy pas qu'il n*y ait des parfais
Princes beaucoup» et.des Pépins assez, i
Mais tout exquis ils sont clor entassés. I
I
Seul le reoort.d*Octavien Auguste
De toy tout seul m'est figure et exemple.
Lequel, tout bel, tout vertueux, tout juste.
Tout sage et bon, tout vailknt et robuste,
Mit tout 60 soy ce dont le monde exemple;
Et tant avoit de giAce enmy son temple.
Et de hauts dons si trèa-plénière spnuue,
Que plus sembloit divin que mo^ homme»
Fortune à luy se rendit toute serve :
Largue et prodigue en jtpute sa puisa^pcp».
Et luy submit en paix et en conserve,
Le monde entier sans quelconque réservç,
Ycj par sens^ et là pf^>.redoubtance»
Ses mœurs, ses yeux portoient Tattrayance
< FruUi, mss. de Floranoe, de BruxeUes et.d^P^r^.
AU DUC DE leUltGONGNE. 151
De tQu# ngaàj, de toné homaîn ctaragè;
Guidant qn^4u^ eit^ divin' q«el^G>oiBbMigBi
Josne, il régna Ixaut et victorieilx,
Tousjours donné à louaDle exêhsice^
Et viel yesq^i en. soin laborieux
Pour trespasser pleine de joun glorieux
Soubs le reoord d*aueun haut bénôfioe.
Yertua aimoit et d^rimoit le vice;
Il quisthonnaur pour sa royal vesture:
Honneur ausiQr le mit en sépulture.
Et si le vtay m^est souffert maîntènif ;
£n approuvant ma figuré certaiiië,
A toy seul donc, j'ose bien soustenir
Sur tous régnans devoir appartenir
Geste excellent comparison hautaine;
Et qu'il n'est prince en région longtaine,
Ne d'aujourd'Huy, ne de longs jours ''devant,
Qui tel titre ait, ne gloire si avant.
Si je mets haut làiâatè^ qUd'j'oefut^èV
Jà nul pourtant GôbtJte Tûcfy^ii^ a'ëâMefttté^^
Ge qu'il en est, la vue se descœuvre
Quel est Touvrier tet dé» qtlél'prife «)ti?crittV«!:
Il se perçoit par'ce qW Vaîfj\tt&&rèi
Non les hauts mots mâB lés -ttitS'dàiMLeiit'pMSttvB
De ce de quoyleMnoM&^lcf et'déïn^:
A hautaîA'iitit'siettt^glofietïse âiftè'.'
Où est celuy qM aujourd'hui s'appère
A toy, haut tiès<g}orieux noble homme!
Qui est ton per en fortune prospère?
Ce ne fu p^s le-trave* de ton pi&re,
^ ^irwM,. trisaXeiU.) onlit : VoUam dans les m8B.'de La Haye et de
182 ÉPISTRE
Ne roy régnant, ne empereur, ne promme.
Gaires nuls tels ne pront Troye, ne Rome,
Fftr ses escrits, quant de tous me recorde :
Ce n'est pas gas, quant prouve s'y accorde.
Que diray- je des dons et des hauts offres
Do ta riant longue amie fortune,
Qui en ouvrant Fespargne de ses coffres.
Ta tant complu, que de bon droit tu offres.
Grâces à Dieu, plus qu autre soubs la lune,
Par donnoison reçue non commune.
Mais singulière entre tous les régnans ,
Voire et sur tous tes hauts appartenans.
T'a présenté le royal déadème.
Le sacré sceptre impérial du monde.
Et mis trois fois oeste gloire suprême
Devant tes yeux k grant prièro extrême
Pour l'entier bien de la fabrique ronde.
Lors qu'en vertu de constance parfonde.
Pour amiror et faire gens confus ,
Content du tien, tu en fis le rofus'.
T'a donné gr&ce et vertu préférée
Au siège samt des pasteurs de l'Église,
Sus royal titre et majesté sacrée ',
Non regardant personne, ne contrée.
Fiant peut-estre en gloire vielle acquise.
Mais en mérite et vertu propre exquise.
Par mesmes toy et en propre vertu ,
Exempt sur tous , grftce t'a revestu.
* Fojfef , dans le t. VII, la Déclaration des hauts faits du due Philippe.
* Au concile de Mantoae, le duc de Clèves, envoyé du duc de Bour-
gogne, siégea au bano des rois. Bn une autre circonstance. Simon de
Lalaing usa, en présence du pape, de privOéges résenfès à rempereur.
AU DUC DE BOURGONGNE. 155
Roc as esté des pays non muable,
Prest exploitant de leur toute exigence,
Secours» confort de la foy charitable,
Lorsque tous rois, en leur force doubtable.
Ont endormi leurs cœurs en négligence,
Et au regard d^affaire et d*indigence,
Touchant pité et publique salut,
Oncques nul fut, qui autant y valut.
Quel œuvre a fait jadis en ton contraire
Le roy des Francs , si offenseur parent,
A qui fureur et sang te devoit traire
Pour terre' honneur et vie luy soustraire
Et au party son dampnable adhérent?
Mais par pité du cruel différent
Trop ayant cours, vainqueur de propre annuy,
Tu propre en toy remédias en luy.
Ton prochain sang longuement fortuné
Abandonné de toute main amie,
Après l'avoir par armes impugné
Et saintement ton yre refréné,
Tu Tas jeté de prison ennemie ;
Lorsque pité estoit toute endormie
Partout ailleurs et peu cœur d'y entendre.
Lors as voulu piteuse main luy tendre.
De tes vertus ne vueil plus faire histoire.
Qui sont de nombre et d'excellence pleines,
Quant par recours au vray du répertoire
J'y trouve tant de haut fruit méritoire,
Qu'à jugier sont plus divines qu'humaines.
Donc et si Dieu en gloires et domaines
' fwre (du latin : tifo), écraser, broyer, foaler aux pieds.
Ton noble estât «r tous augsunte et oimvfe
Avec bon beur* ^g^^ieni^il.de bonne GSUTie.
Mais n'est d\>ubly le haut eslèyement
De la Toison, haute et divine emprise,
Que pour confort, ayde et réparement
De notre foy, en long proposement,
Tu as mis sus, divulgée et emprise,
Soubs autre grant religion comprise
Touchant honneur et publique équité,
Pour estre mieux envers Dieu acquité.
cy-après, que diray-je en ton los ,
haut prince, qui per n'as en la terre?
Ton los emprendre, à moy est un deslos,
Quant plus t'esliève, et plus te prise et los.
Que moins suy sceur de los propre y acquerre,
Pour ce qu'en toy il fault si haut enquerre
Et vouloir tant d'entendement subtil,
Que quant je vueU, dur beaucoup sy m'est-il.
Si j'ay recours à tes chevàlleries,
A tes hauts faits d'éternelle mémoire,
Ejb dont les cours des hautes seigneuries
Sont résonnans, décorées et flories
Sur aujourd'huy toute autre neuve histoire,
Certes j'y voy tant de gloire sus gloire,
Et de splendeur ton thrône si remply,
Qu'en y pendant l'œil m'en est affoibly.
Quels aiaMs fit ton Jbras cbevalereux,
En ton jeune eage». au circuit d'AbbeviUe,
Là où par titre amer très-dolereux,
Gomne) un^lyoa triumiAAsi valemiz, .
AU DUC DK BOUBGONGNE. i65
Mis à renvers tes ennemifi par milles
Tainquis Testoury c'est humaine ôvangille ,
Et 8*7 trouva ton.fer plus redoutable»
Qu'ours ou dragout pour mort espoeutabla'.
Arrest^i^ fay surle^ guemsa. frapfioisee .
Que tu maintins mortelles et longèves.
Ta gloire y c.rut dç. haut plus de c^t toises;
Aussy enfin, par tçs bontés CQurtoises, ,
Dieu t'en donna Ie3.fnut8. de nobles Bbv^
C'estoit amour^ f aiX| union et trèTes»
Gloire et honneur en haut lûs.,salutaii:e '-
(Test un grant don^ içum c'est cas solita^.
Les fiers Escos, aspre gens bataillièrç,
Devant Crevant, fis cheoir en ton espée;
Le dire est peu, mais l'œuvre non légière
D'avoir acquis victoire avantagière
Sur la fureur d'une telle troupée.
Fortune y fit une horrible grippée.
En ta faveur, jeusnes armés encore.
Qui est un cas non digne de forclore.
Tenant l'espée. empoingnift ea la 4eactre^
Contre les Francs joins aux Qnglès crudeUas,
Tu pris l'escu sus Tespaule senestre,
Pour envair l'afî^Lois.duc d^ GloQhestrei
Par tout effort de batailles morteUes,
Là où tes faits et aigreurs furent telles
Que ton acier sa rçu^^ termjiuiw
Et mise à mort saj&aulî^ur dpmiiMM
Peuple hollandois, fière gent maritine,
Zéla^dioîa forts, robustes et terribles»
^OfiMoiDeI<»,p.aas.
156 ÉnSTRE
A juste droit et équité divine.
Tu les Bubmis en ta franche saisine
Far long travail en armes très-pénibles,
 quoy pluseurs rois, nations horribles.
Ont contendu en y quérant yictoire.
Dont nul jamais fors toy n*eust celle gloire.
Barrois, Lorrains, Allemans un grant nombre.
Le duc Renier, Barbasan de haut pris,
Joints en bataille en ton mortel encombre
Tu desconfis et en fis brief descombre,
Barbasan mort et leur duc mesme pris
Que puis long temps, à son chier coust et pris,
Devenu roy, tu tins en ta prison
A son grant dur et & grant marison.
Liégeois après, peuple très-furieux,
Drus et puissans, orgueilleux et doutables ,
En armes durs, aux champs laborieux.
Pour embarber un haut roy glorieux
Par luy donner encontres redoubtables,
Soubs le pouvoir de tes bras non portables
Tu les fis cheoir vaincus^ humiliés,
Par ton jadis haut père ainsy ployés.
GhasteloisS peuple espris de félonnie.
De sang rebelle et de vouloir inique,
Pour résister & telle vilonnie ,
A peu d'amas de noble barennie
Tu corrigeas leur erreur hérétique.
Tant qu'aujourd'huy confusion publique
' Il faut lire : (kuselois, habitants du pays de Cassel. Sxu les feits
auxquels Chastellain fait alloBion, voyez Lefebvre Saint-Rémy, 1G4, et
le récit fort intéressant de la chronique manoscrite de La Haye.
AU DUC DE BOURGONGNE. 157
S'en treuve encore entremy eux trèstous
Pour exempler tous mauvais et rebous.
Calais, depuis, Tespargne des Ânglois,
Tu assiégeas et attemptas le prendre,
En quoy combien que par desroy peuplois
Fortune en fit venir povres exploits.
Au moins François onc ne l'osa emprendre:
Et fait autant & louer et comprendre
Ton hardy cœur du poids y soustenu,
Comme du plus s'il y fust advenu.
Quelle œuvre fis, ne quelle haute prouesse
En estroit clos de Bruges ta rebelle,
. Là où bataille et horrible compresse
Te courut sus en très-mortelle aspresse
Pour Renverser du plus haut de la selle.
De quoy ton cœur qui jamais ne chancelle
Paya bien dur les facteurs inhumains
Plus par les tiens que par les aultruy mains.
Trôvois, Ârdenne et Luxembourg, tannières
De gent sans foy, rapineuse et tirande,
Crouttes* de murtre, anciennes larronnières,
Soubs le desploy de tes rayans bannières
Tu réduisis à légale commande,
Et par puissance en armes fière et gprande,
Tu as conquis et asservis à toy,
Tant par bon droit que par divin chastoy.
Gens de Gompiengne, escorcheurs renommés,
Tu reboutas fièrement à Lions*,
' Oroti^i cavernes.
* LUiODs-en-8anterre. Vo^e» tome II, p. 182.
188 itmTKE
Où les Anglok àm Pnoaçôfai f id ic mfa *
Vinrent en Mr bâAailléB et amen,
Grians sur toy comme aflTamés lions,
Mais oncq .pour eux, ne pour leurs «EfeSHons,
Tu ne branbB demie marche «ntière,
Ains les quis propre au bout de leur frontière.
Mais que diray dès hautaines merveilles
Qu*en tes hauts jours as fait sur les Gantois,
En longs travaux, en curieuses veilles
D*armes, d^aigreurs et paines non pareilles,
Pour expugner leur courage mentois,
Lorsque repos mieux duisoit toutesfois
A tes jours lors assez glori&és.
Mais non pour tant les maux purifiés Y
Cinc ou SIX fois en batailles rengies
Tu as Vaincu leur criminel puissance ,
Là où tes mains sont tain tes et baingnies
Dedens leur sang et durement vengies
De leur souvent parverse obéissance,
A quoy onc roy de françoise naissance,
N'eôipereur nul ne pa^nt à si près :
Sy ontrils mis niaintè estudiô après.
Leurs M^mb et (ruineuses cohortes
Par pluseurs fois cy et là assemblées,
Par tes r^i^us Vàtereuses et fortes
Tu as fait cheoir Jusqu'à devait léuis portes,
Voyant les yeux de leuM tesitts troublées :
Donc, si possible eust esté que tremblées
Eusséfit les tdurs p^ eepoentetneati
Tremblé fust tout» miàraiUe et pavement.
> Il faut lire : od IM François des AngloU achmés. AtàMès i»i An*
gloU, vainqueurs des Anglaii (à Querbigây).
AU DUC SB BOCRGONGNE. f S9
Trente millkm'* à Osvre en-envcmffB
Toy au xniUeu, cUk miUe* à Bipkfmô&de,
A Nicole* ciiiq, pnk au pays de Was
Que tu premier par armes entamas
Devant tous rois en vaillance parfonde.
Et par ton glaive y fis rougir mainte onde
De sang effus constraint & ce dangier
Par toy surquerre et ton nom desdaignîer.
La tienne main fu là de Dieu conduite
Pour escarter tout tel mauvais plantage
Bt pour verser rébellion construite
Tout autrement, semUablement instruite,
Conune tout sang de hautain parentage,
Non seulement pour ton propre hériti^.
Ne pour garder ta gloire non périe»
Mais pour tenir noblesse en seignourie.
Des nobles, donc» tu y fus champion
Et le rabbat de villaines essourses.
Un vertueux aigre fier Scipion
Rongeant Torgueil de leur brayant lyon ,
Soy enfierant en ses ramages courses,
Dont les assaulx et horribles accourses
Luy ont rongîô tant maint ongle et maint dent :
Los en ait Dieu et toy de Taccident I
et depuis, chacun fait çy-après
Coeur couronne de splendeur mille et mille,
Quant le rapport te fut fait par exprès
De la grant perte et du mortel comprès^
Vofi» tome II, p. aro.
SU miUe? Voyez tome II, p. 807.
Nerele, «ojr^f tome II, p. 209.
Compris (de comprimer)^ oppression.
160 ÉPISTRE
De Constantin, la noble sainte ville :
Certes bien digne et bien heurée Lille
D*en avoir pris les vœux de mainte clause
Que tu y fis à celle seule cause!
Mestier ne m'est d'en réciter les titres.
Modes, teneurs, coustanges, ne personnes.
Mais de si hauts et solempnels chapitres
Je n'ay trouvé par lecture en registres
Et tous royaux assemblemens, ne thronnes.
Certes ce sont les perles des couronnes
Du monde viel et d'aujourd'huy, sy dis-je :
Si j'en dis trop, qui mieux scet, m'en corrige.
Donc, pour donner vertu à voix promise,
Tantost alas vers le haut empereur.
Lequel voyant ta vaillante entreprise
Et ta vertu si preste estre submise,
Toy non quérant, te fit estre quéreur;
Ainsy ton long mouveur et requéreur
Te fit emprendre hauts et mortels péris *
Et reposa mesmes ses esperis.
Lorsque tous rois au bien propre entendoient
Froids et précheus au salut du publique,
Lors tes désirs et tes veines tendoient
En aigre ardeur et peines y rendoient
D'y pourvoir par quelque voie oblique.
Dont il t'est née une gloire angélique
Que seul tu as le monde desdormy,
En povre abus par avant estormy.
prince auguste, et que diray-je plus?
Diray-je riens de tes œuvres nouvelles,
• PéH$, péril».
AU BON DUC lœ BOURGONGNE. 161
De tes valeurs, puissances et vertus,
Par lesquels sont restrains et rabatus
Les cœurs dTTtreclit malement fiers et felles ,
Avecques trois fortes cités rebelles
Que tu par siège as à ton ploy conquises.
Non jamais plus par autre effort surquises?
Ne me loist-il que je die et déclaire
Ton fier arroy, ta triomphant entrée
Qui aujourd*huy, sans à niilluy desplaire,
Porte lueur, resplendit et esclaire
Comme un soleil sur umbreuse contrée.
Et dont la pompe et la fierté monstrée
Fut si haut prise et si très-exploitant
Qu'à Rome à peine en entra oncques tant* ?
Et puis loist-il celer la frémison,
Ha dure peur, la fraeur, les murmures.
Qu'en ce cas a le royame frison.
Par non sçavèir salut, ne garison,
Pour eux sauver encontre tes armures,
"Voyant au dos de toutes ses fermures
X)anois par maints milliers multipliés ,
Offerts & toy contre luy allyés? '
Tous rois du monde et nations te quièrent,
Tout haut princier en ta faveur s'adhère,
I«es moins puissans pour renfort te requièrent,
Ct les tous forts en ta grâce ils acquièrent
Crloire et soûlas, qui joye leur confère.
Chacun tes faits et vertus considère» ^
Chacun perçoit tes gloires et splendeurs :
Sy en vont tous désirant les odeurs.
^ •iref tome m, p. 148.
11
les ÉPisiBE
Xay tourné Toeil en soeptre et en couronne^
Par TuniTera circuit de oestuy monde.
Les deux je perce et le sidde arironne»
Mais n'y congnoy siède royal» ne troiqie.
Qui prenne à toy ai^ourdliuy, ne responde.
Ce qu'en appert par vérité parfonde
Ne peut jamais s'esteindre par envie :
Gloire en chacun prent mesure en sa vie.
Ifas-tu toy' le plus bel présentage
De chevaliers de ce monde présent*
Et là où gist si ample et grant partage
Dlionneur» de sens et de tout haut fruitage
Que terre et mer en font famé et présent!
Ce que Tœil voit ou que preuve s'asent»
Se peut très-bien parmaintenir et dire :
Tels n'en a nul, ne France» ne Empire.
Ne sont venus tous longtains voyi^urs
Quérir vers eux oongnoissance et adresse,
Soubs le péril dee armes assaSleurs,
Pour les plus hauts esprouver et meilleurs
Que terre nulle ou région adresse?
Dont oncques nul, tant fust aigre en aspresse,
N^emporta rien de l'honneur des susdis.
Mais eux trëa-bien sur les autres toudis.
Nul emprès toy en ton gouverne estable,
Nul plus entier, ne plus ferme en justice,
Nul plus asseur en cas espoentable.
Ne plus ardant en la foy charitable,
Ne plus enclin au saint divin service.
Nul plus amy, nul plus couvrant son vice,
> 0^, avec toi.
AU BON DUC DE BOUBGONGNE. leS
Nul plus aimé, w léalmeiii aorvy»
Ne plus IML où il 6Bt dMuwFFy.
Vive ton m>m à toujours mais oi ^rs,
Et meure tout envieux et envie;
Et soit où peut ma relation dure«
Hais aujoufdliuy n*a vivant crtetaie
Qui Boît ton per, ne ton semblable en vie.
Faveur, ne don, ne rien ne m'en dévie.
Mais raison vraye et saine vérité
ITen sont piUiers comme à leur hérité.
Trompes, darons, orgues mélodieiiseSy
Tubes sonnans, voix humaines et anges,
PsaltérîonS) harpes dtMeusss,
Engins floris, natures précimises,
Sont aujourdliuy décantant tes kmenges.
Et par le siècle et jusques aux aichangss
Vont espaidant leurs glorieux acoords ,
De tes hauts ftdts et de ton noblo ^rps.
Le ciel te quiart; la terre te fisveursu
Papier vers toy s^espanist et délite;
Yiel eeerit ployé et t'encline et hcmneufff ;
Ton haut engin t^amiie et asseure;
Bude et subtil, chacun s'y habilite^
Et oommo on quiert la perle très-^slito
OomnM tm trésor précieux en aoqueme,
Ainsy t*a festé homme, ciel et la terre.
Plus tost faudra de son droit cours nature.
Plus tost faudra le marbre dur en cendre.
Plus tost faudra gravée en fer scripture*.
Plus tost faudra la terre en fioriture ,
} ^ 1 ^ ^* dans les mss. de Florence et de Paile : çtaveur/èrescripture,
^9oti que nous publions, est empruntée an ms. de BrusaU^. Il serait
ia4 ÉPISTRE
FluB tost viendront les montaignes descendre.
Plus tost seront tous engins sans entendre.
Plus tost n'aura or, ne métal, ne mine.
Que ton los faille ou ta gloire termine.
Vy, règne en gloire, en vivre te délecte.
Règne en triomphe et vy immortel homme,
Choise^ et esly, demande et sy affecte
• Llionneur du monde et son amour parfecte.
Tout est pour toy, et fortune fest promme;
Ne crains Troyen, ne haut César en Rome,
Règne emprès eux et monte en gloire égale :
Nul toy meilleur par sentence légale.
Meurs quant voulras, tes gloires ne mourront.
Tu vivras mort et régneras sans estre;
Les parfons cœurs par pleurs te raviront ;
Les cieux, les aers, les voix feslèveront,
Et tout transy^ vif te feront renaistre.
Tu seras rien, et sy seras en estre;
Tu g^rras cendre en terre obscure et noire.
Dont la noirté resplendira de gloire.
Rends gloire %. Dieu; rends grAces glorieuses;
Rends-luy haut los et dévotes cantiques ;
peut-être téméraire d'y trcaver une allaslon à la découverte de Timpri-
merle que Pontus Heateras fait remonter à 1440 (Ber, burffund.,lV, 8].
Cf. un passage de la chronique d'Adrien de Bat, déjà signalé par M. Ga-
chet {Bull, de l'Académie, 1839), mais paraissant se rapporter toutefois
à une date moins ancienne que ne l'a cru M. Oacbet. Chastellain art-il
pu songer à désigner des caractères en métal servant à Timpression?
C'est Molinet, continuateur de sa Becollection des merveitlee, qui nous
dira:
J'ai vu grand multitude
De livres imprimés.
Pour tirer en estude
Povres mal argentés.
< ChoUe,voiB.
AU BON DUC DE BOVRGONGNE. 165
Bends-luy ton cœur, tes veines curieuses;
Joings vers le ciel tes mains laborieuses
De tant dlionneur et de gloires publiques,
Quant sur tous rois et princes catholiques,
Tu es celuy qui plus en as reçu :
Or, luy rends donc ce qu*il en est dû.
Betray ton cœur de ce règne finable,
Dont la douceur est flattant ennemie ;
Quiers à régner, prince non terminable.
Après mortel régner tout permanable.
Trouvant partout la grAce Dieu amie.
J'espoire ause^r qu'elle ne vouldroit mie
T'avoir donné tanLde grâce fertile,
Pour te Youbir faillir au plus utile.
Tu as esté un certain duc paisible.
Bien exploitant sa commission sainte;
Et au plus près de ton juste possible.
Tu as esté vers ton peuple entendlble,
Pour le mener à salutaire atteinte.
Encontre toute entreprise et empainte
De Pharaon parmy la rouge mer:
Sy t'en doit bien remérir et aimer.
En ta valeur et vertu singulière.
Dieu a béni ta terre et tes suppos.
Et y tramis grâce particulière,
Transquilité, paix, gloire séculière.
Trop plus qu'ailleurs et de plus long repos.
Los en ait-il en ton noble propos,
Qui par ton heur nous fait bien heureux vivre.
Mais toy failly, peur dure nous enyvre.
Honneur du monde et parement de France,
Salut greigneur du peupte chrestien,
f
IM ÉPISTAE AU 1019 DUC DE BODHGORGNEL
Miroir jojtuz de noltre itmembruce.
Or 77 ea Diea «t meun^ en espérance.
Quant tu moumuii certes tu yra» bien ;
Tu as rég^ noble duc terrien :
Sy régneras, j'eipoire» en tes Tertus»
Prince éternel, tout glorieux salât.
Là tu auras toy, noble maisnle.
Ton Rolin eagfe et ton noble Crdj,
Soubs qui haut sens et vertu infinie
Ta gloire humaine a esté parfumie»
Ferme touÉJoars tant qu*il en ont joj«
Je requiers Dieu que j'en puisse estre oj.
Et doinst la grâce à George, haut lyon l
D*e8tre à tes pieds humble tabellion !
LA COMPLAINTE D'HECTOR'.
^'g'eop * ^ .•* ■
PROLOGUE.
Pour cauM que en pluflieun haates htstoifes »
Et au taUoau des humaineB mémoifoi^
Maintes cfaoieB du temps jadis passées
Sont plusieufs fois prises et réoitées
En divers temps et lieux diversement
Et par divers oeutraiiw eutendemeàl»
Huy en un lieu trop ou peu ampliées»
Demain à terme ou trop tost oubliées,
Ou trop parfond ou trop peu entendues»
Ou trop ou peu à leur devoir rendues»
Trop éobremeut eftlevées les unes»
Et les autres par ateuglea fortunes
Décorées de gloire oultre desserte
Par voix mouvant de raison non in^peftè»
■ Pabliéed^apràslems. 120delaBibl.LaurentiezlnedeFlorenoe,col-
htiOImô sar le ms. 1717 f . fr. de la Bibl. imp. de Paris. Ce mê. donne
poar titre à oetle composition i « Les ÉpIt^iHes de HeeUw, fils de Priam,
roj de Troye, et de Achiles, fils de Péleus, roy des Myra^rdoins^ et est
eontenn an procès de cestuy traité les complaintes d'iceulx chetaliers,
présent Alexandre le Grant. » On lit dans le ms. de Flonnce : « Cy
i^vés s'ensieyent les épytaphes de Heotor et AohiUes, ensemble le
procès de eolx deux, dont Alexandre le Grani est le senl Juge. »
468 LÀ COMPLAINTE
Becueillies souvent les plus ombreuses,
Les moins de prix, les plus infamieuses ',.
Et laissées comme songes ou fables
Les plus dignes et les plus lamentables,
Que tout le monde en son considérer
Devroit douloir, larmoyer, souspirer,
Tourner ses yeux, son esbat et son rire *
Pour en ouir réciter ou escrire ',
Comme à présent d^une haute matière
Prise en un yiel très-longtain cymetière
M'a la tendreur esmue et pressée
D'en rafreschir la plainte délaissée,
Et de la mettre eti face^ des haulx hommes ,
Des rois du monde et des princes preudonunes,
A voix piteuse enrumée en ses termes,
Avecq yeulx tous encombrés de lermes :
C'est la pburable, amère et doulereuse
Mort de Hector, de Troye vallereuae S
Si villement * et à honte inférée,
Et par main noble et haute procurée
Encontre honneur d'anoblie nature
Et contre estât de royal géniture,
Lequel pour lors que Dieu le souffroit vivre,
Estoit celuy, que toute histoire et livre.
Sur tous les bons du monde, recommande.
Et dont la bouche à en parler amende,
Yray escarboucle et hautesse florie
D'aspreur humaine et de chevalerie.
De los, de pris, d'aspresse^ et de vaillance.
•
Ififlmetueu9€t, ms. de Paris.
* On Ut dans le ms. de Paris: Tourner son Jeu, son esbat et ion rire.
' Deeeripre, ms. de Paris.
* Btla remettre èe faces, ms. de Paris.
* Malheureuse, ms. de Paris.
* FaiWmment, ms. de Paris.
^ D*aigr.eur, ms. de Paris.
ITHECrOR. 469
Et où jamais peur n*eut, ne deffaillance ,
Lasche vouloir, ne vil meschant ouvrage
Ne prit logis, n'entrée en son courage.
Plus ce sembloit * fils d*un dieu immortel
Que d*aucun roy, tant fust-il gprand ou bel,
Pour les valeurs qui en luy reluisoiept *
Et au surplus du monde suffisoient.
Sy fut, hélas ! si felle sa fortune
Qu'en jeunes jours et en senestre lune,
Luy, le vainqueur d'effort tant ' redoubtable
Fu dévaincu par meurtre détestable
Et prosterné vilainement es prés.
Dont si grant grief et si grant perte après
Oncques le siècle en nul temps ^ ne reçut.
Quant si haut corps en fin si povre' chut;
De qui, combien que llieure * en soit passée
Et que du corps pièça est trèspassée
Sa cuisant playe et sa douleur très-dure,
Pour tant n est pas de sa longue laidure
Sa dolente ftme avant ses jours périe.
Ne de salut, ne d'honneur regarie,
Âins se domaine et lime en pleurs ses fers
Et tranmet cry du limbe des enfers
Vers tous les rois et princes pour vengeance
Du cas commis en telle deffaillance.
Et les semont à voix très-lamenteuse
De r^arder sou histoire piteuse *
Et de jeter dehors de leur registre
* Mieux resumbloit, ma. de Paris.
' Qu'en luff seul luisaient, ms. de Florence.
' Tout, ma. de Florence.
* En eaçe, ms. de Florence.
* Bn si basse fin, ms. de Paris.
* VfBuivre, ms. de Florence.
* Le regretter cette histoire piteuse, ms. de Paris.
170 LA œiPLAiirrE
La main de qui si vilain coup peut ystre;
Car puisqu'il faut porter son finement,
Il ne luy est d'espoir de vengement»
Ne d'autre bien dont homme soit donneur,
Fors qu'en oe monde on le prive d'honneur
Et que bien il soit effacé du livre.
Là où les bons* sont députés à vivre.
Comme à présent dessoubs fig^ure vive
En parler aigre et en forme plaintive
Sera monstre soubs seule intention
De provoquer vostre compassion
En cas qui est à plaindre et à douloir
Et non louer ce qu'est de nonchalloir.
Pour tant, o vous haulx princes et seigneurs.
Et vous trestous en vertus les greigneurs.
Pour inciter' vos cœurs et vos entrailles,
Ouvrez îcy volentives oreUles •,
Et vous verres nouveau piteux mistère
Fondé en pleur d'envieillie matière,
Et qui en soy ou en cas son semblable
Vous pourra estre et servant et valable
Miroir de vivre et de juger doctrine.
De vertu règle et d'honneur discipline.
Sy y mettez vos bénignes ententes
Et ne glosez mes rudesses patentes,
Mais y cueillez le miel, s'il y peut estre.
Comme la mouche en rude fleur champastre ;
Et prestement* je croy que vous orrez
Une œuvre estraDge : or oyez et souffrez.
1 Auquel lespreuof, ma. de Paris.
> Pour rénover, ms. de Florence.
' Volontiers vos oreilles, ms. de Paris.
* Promptement, ms. de Paris.
D'HBCTOR. I7i
Comment Alexandre le Qrant, conquérant pays , passa par Troye ,
la grant cité deatmite, où il visita les aépaltares de Hector et
Achiles*, et comment il Int leurs épitaphes dont la teneur 8*ensuyt ;
Cy-giflt Hector, rartiflce dea dieux,
Le très-hautain comblé trésor des cieux,
L^espouventable extennineur des Orieux ,
Des bons Teslitle et Taigle des mortieux '.
Cy-gist le tout plain pouvoir de natare,
L*entier ressort de félioe adventure,
Uexcès de grftœ et d'oeuvre en créature
Du présent siècle et de saison future.
Cy*gist dlionneur le haut précieux thronne.
L'excellent siège où vertu se floronne,
Le flun * des mœurs de noblesse couronne.
Et dont la terre et la mer s*avironne.
Cy-gist la fleur de vaUlanoe parfonde,
Le bras armé du triomphe du monde
Et qui plus porte en prouesse et faconde
Qu'en tout le siècle au rémanent n'abonde.
Çy-gist de Troye iuTincible la vie,
Et puis sa mort, quant T&me en fu ravie,
De qui le titre et gloire desservie
Si des dieux non, ne peut estre assouvie.
> Vofez dans Plutaïque le récit de la visite d'Alexandre au tombeau
d'Achille.
' MarHeux, mortels.
' Flun, fleuve, rivière, source. On lit dans le ms. de Paris : laJUur,
57Î
LA œHPLAINTE
Cy-gist la mort amère de Priant
Et d'Hécuba ses cheveux destirant,
De qui les voix vont en pleurs escriant
Des morts Tabisme et les monts d'Orient.
Cy-gist le seul envié de fortune,
Celuy en qui toute vertu fut une,
Par quoy fortune en celée rancune
L*a fait tomber soubs éclipse de lune.
Cy-gist Tobject de lliumaine pité.
Qui toute haute excellent royauté
Semont, provoque à larmes de durté'
Et à mémoire en toute éternité.
Comment Alexandre, soy émerveillant de la glorieuse épitaphe de
Hector, vint à la tombe de Achiles; et commença à lire son tUtre.
•
Cy-gist reclos Âchiles le seigneur,
L*aigre, le fort, fier lion batailleur,
Tigre en estour, des Grieux tout le meilleur.
Et des Troyens dur mortel travailleur.
Cy-gist ITiorrible espée (ouldroieuse.
Robuste bras, dextre victorieuse,
Semblant crému, menace flamboyeuse,
Mortel rencontre et touche furieuse.
Cy-gist des Grieux la promise victoire,
Tout leur confort, leur attente de gloire,
Leur destiné parfait de vieille histoire
Pour renverser Troye en arsure noire.
À larmes de durté, alarmes qui seront durables.
D'HECTOR. 175
y-gist des Grieux la terrible vengeance,
contre-arrest de troyenne puissance,
SL.e obier vengeur de la bonté et nuisance
^^ue fist Paris sur Grèce en arrogance.
dîy-gist reflProy du baut roy Priamus,
^Xli'abat d'orgueil de ses enfans crémus,
IK^e prostemeur sur les troyens palus
X)u fort Menon et du fier Troylus.
<Z!y-gi8t celuy qui près par impossible
^ dévaincu le victeur invincible,
Xe bras du monde en sa fureur visible,
Xe plus à craindre et le moins agressible.
<3y-gist celuy soubs qui force et maistrie,
La fleur du monde est faillie et périe.
Orgueil soubmis, morte cbevalerie,
Fierté conquise et prouesse tarie.
Cy-gist celuy, dont la main dévora
Le noble Hector et de mort enferra
Le plus vaillant qui oncq fu, ne sera :
Qui veut s'en rie, et pleure qui vouldra.
Bxelamation d'Alexandre sur la gloire de Hector et de Acbiles, désirant
le demy tiltre dudit Achiles pour la victoire qu'il avoit obtenue sur
ledit Hector.
étemelle et très-merveOlable puissance des dieux,
incomprise en tes voyes et en tes faits non investigable,
qui entre les corps que tu gouvernes , tu fais les uns
semblables à ta nature, et les autres, ce semble, infélices
et non assortables à riens, que diray-je, moy le traverseur
174 LA œMPLÂiNTE
de la terre, le vieil attempteur des diverses fortunes, l'ex-
péditeur des œuvres loingtaines et espandues gloires, l'in-
quisiteur des monstres et des ysles occultes, que diray-je,
que pourray-je penser, désormais moy, misérable roy ? En
quoy pourray-je ficher mon espérance, en quoy salut, en
quoy mérite, en quoy félicité, en quoy dignité aucune de
, ; mémoire, après ces deux haulx reluisans hommes, qui en
I leurs tiltres contiennent la gloire, dont l'entier monde se
vouldroit parer par convoit'? 0! les dieux immortels! et
où est l'exclamation propre qui leur fust à tramettre'? Ne
où est le mode qui pust souffrir à louer et amirer ces
I deux hommes, ces deux corps, ces deux chevaliers, dont
j l'ombre vault estre et la painture menace, tous deux
{ morts plus redoutables en famé, que les récents bras
' d'aujourd'huy en faits? ! et que les dieux ne m'asseurent
i de tel tiltre et à l'issue de mon estre, et de telle à demy
i gloire, souverainement d'Achiles, qui, sur la couronne
I chevallereuse du monde , a obtenu par mort le derrain
triomphe! Vive sa gloire, croisse sa renommée! Et sans
déprimer la hautesse et sublimité du Troyen , intronisée
soit son ymage emprèsles dieux!
La glorification que Alexandre donne au Taillant Grégeois Achiles,
comme victorieux sur Hector.
Achiles, royale géniture,
Chevalier preux, né de bonne adventure,
Précieux corps, solempnel nourreture.
Choix immortel, souhait d'extrême gloire;
* Àprèz ces deux glorieux et hauts chevaliers qui seuls remirent en
leurs titres ce dont Vunivers et entier monde se pare, ms. de Paris.
' Qui soit propice de leur transmettre, ms. de Paris.
#
D*HEGTOR. 175
Bras triomphal paré de la painture,
Plus grant que fist oncq mortel créature.
Et dont ton chief et ta royal vesture
Besplent plus der que le soleil en voirre;
temisseur de toute vieille histoire,
Uaigle des roys \ bruit d*étemel mémoire,
Trésor des preux, prodige de victoire.
Corps reluisant par fortune et nature ' ;
Vers toy couché en ceste tombe noire,
Te viens oflfrir révérence notoire
Et exaucier ton nom non transitoire.
Mais étemel par mérie droiture.
^ «omplainte que fait Hector, le âls aisné de Troye, de sa mort
^^"^lainement procurée par Achiles ; et comment il semont les princes
^^3 monde à garder son droit et honneur, touchant sa mort glo-
Je fus Hector, le fils aisné de Troye,
Jadis salut, seul protecteur et joye
De mon très-haut glorieux parentage,
Lequel, pour lors que de fer je m'armoye
Et que branler je fis Tespée moye,
Fléau dompteur des Grieux je me clamoye
Et le rabat de tout leur vieil outrage.
Parents, cités, subgës je deffendoye.
Mes ennemis de mort dure offendoye.
Et pour un g^rief dix doubles leur rendoye
Par propre main et par propre courage;
Donc, pour les faits qu'en droiture exploitoye
* i9«9#fv rof al, ma. de Paris.
^ On Ut dans le ms. de Paris : Sur tous le plu* ewullent en nature.
176
LA œUPLAINTE
Et au plus beau de mon eage où j*estoye,
Fortune, alors que moins je la doubtoye.
Transmit sur moy vilain mortel oultrage.
Jadis, alors que j^estois empereur
De Tost troyen et certain répareur
De vieille perte et de fresche ruyne.
Et qu'entre Grieux, comme un lyon coureur
A gueulle ouverte et de proye quéreur,
Je me monstroye invaincu conquéreur.
Bras furieux et redoubtable eschine,
Lors n'estoit nul si haut adventureur,
Qui regardant ma naturelle aigreur
Pust ou osast attendre ma fureur.
Ne le trenchant de mon espée fine.
Or est faillie en moy ceste terreur.
Celle jadis espouventable horreur ;
Et est changé mon estre et ma crueur
En pleurs, en plaints et en voix fémenine.
Hamois luisant, tranchant espée clëre.
Force, vitesse, aigreur, fière manière,
Tout est tourné en plaintive nature.
Lance jadis de mille hommes meurtrière
Par un seul jour est devenue fougière,
Et corps horrible en bataille rangière,
Plourant ymage et dolente peinture.
Selle orguilleuse est devenue bière ;
Cheval brûlant, amattie litière ;
Dextre jadis comme fouldre légière
Las! sy est cheue en terre et pourriture*;
Et pour tous biens du temps de cy derrière
M'est seul remèse une âme prisonnière,
> On lit dans le ms. de Florence : Sst jà tergoir de plours et defro-
lure.
D*H£GTOR. 177
Criant aux dieux vengeance droiturière
Soubs larmoyant parfonde sépulture.
Ma vieille plaie et ma mort inférée,
Jadis tant fort en Troye souspirée
Par main destorse et en ptour débattue
Pour estre arrière en frais yeux' remirée
fit de rechief plainte et considérée,
Requiert que soit de nouveau replorée
fit par pité nouvelle ramentue ;
Car la façon d*honneur vitupérée,
Comment ma mort a esté procurée',
"Vilainement par derrière serrée'
X^ar main encor de royaulté vestue,
Si cent mille ans le monde avoit durée,
8y en devroit douleur estre tirée
iEt entre rois et princes regrettée* ,
Si prince au monde en honneur s*esvertue'.
X^our tant, 6 vous très-baults princes et rois.
Qui par devoir de vos naturels droits
Devez honneur maintenir et ensuivre,
ï:t en tous lieux et en tous les endroits,
A qui qu'il tourne à honte toutesfois,
Tous les haulx faits et les humains exploits
Peser au doy et à la juste livre :
Vers vous je viens à lamenteuse voix',
Non regardant aux titres de vos loix,
^n ta lieuas, ms. de Paris.
On Ut dans le ms. de Paris : S$t, quant i*aguet elle est interminée,
-enferrée, me. de Paris.
Proférée, ms. de Florence.
Diotys de Crète, qui joaissait d'une haute autorité au xv* sièdo,
^^Pporte qu*AcbiUe tua Hector par trahison.
* On Ut dans le ms. de Paris : Sff erye à voue à lamentable vaia.
Toa. TI. 12
a
in
LA COMPLAINTE
Ou 8i christionf ou princes payennofB*,
Fors ' au bon sens que nature vous livre;
Et vous requiers à ceste extrême fois
Qu'en devisant d*Achiles le Grégeois
Yeulliez garder la hautesse et le pois
De mon honneur» non pas de mon revivre.
Et vous le haut trésor de pité tendre,
Sourgeon de qui fleuve de pleur s*engendre,
Fémenins cœurs, recuis demy en flamme,
le foyer * de charitable cendre.
Vers vous me viens et présenter et rendre,
Les bras ouverts, les jointes mains estendre,
Pour esmouvoir vos yeux que je réclame ;
Car pour llionneur de vous autres défendre.
L'on m'a vu corps et bachinets pourfendre,
Mes bras forcher, mes propres mains estendre \
Dardant aigreur comprise en vostre blasme ' :
Sy vous supply que cy vueilliez entendre,
Car viel murtry, frais pleurs me convient prendre;
Sy remets sur vous tout mon doux attendre,
Llionneur du corps et le regret de TAme.
Comment Hector, parlant à Alexandre, rincite de non donner si grant
faveur au tiltre de la tombe de Acbiles, mais que souverainement il
veuille avoir regard à raison et honneur.
Alexandre, roy convoiteujr de gloire, d'honneur am-
bitieux et depuis naguières le visiteur de nos titres, qui
t'a meu, toy, qui es le juge des hommes et la balance des
* On lit dans le ms. de Paris : Ne si chrestiens, Ju^s ou papennçis.
* àfais, ms. de Paris.
' Sou$pir, ms. de Paris.
* Mes propres veines fendre, ms. deFlorenœ.
* Comparant vostre èlasme, ms. de Paris.
D'HECTOR. 479
régions estranges, de sentencier mon honneur^ inconsult
soubs autruy splendeur, qui ignores peut-estre les fa-
veurs et les secrets d'ambedeux? roy Alexandre, ne
prises-tu autrement l'honneur de ton semblable, et ne
crains-tu à inférer lésion à un fils de roy, Taisné de la
progénie troyenne , glorifié des dieux , solemnisé du
monde et des hommes, que tu, ce semble, soubs pollue
lecture, légièrement escripte, déprimes, courbes sa hau-
teur et enverses son siège? roy sobrement instruit,
peu informé des causes occultes qui doivent ou affecter
ou retirer les courages, retourne à la nature de ton sang
et à la hautesse de ton devoir. Car certes, si en un roy
tfaffiert créance légière, moins luy fiert hastiveté en sen-
tence inconsulte, en honneur souverainement, qui plus est
de grant pois au perdeur, que au fol juge sa faute. Beau
sire, entens à raison et à propre honneur, et ne te souffre
légièrement desvoyer sur rapport des yeux, car souvent
l'on voit Tescorce du bois en fleur, dont la mouelle par
dedans est pourrie.
Comment Hector, continaant son propos, ftdt remontrance à Alexandre
que Achiles le taa par aguet et non par yaillanoe.
Tu es un roy,
De qui Tarroy
Et le convoy
A fait effroy
Par l'univers monde, je croy,
Et as, soubs le divin octroy ,
' Mais ' ton employ,
Tout ton reploy,
> Jfaif, à l'avenir, désormais.
ISO LA œMPLAINTE
Ta foy, ta loy,
Ta faim» ta soy,
Fust en guerre, fust en requoy,
A maintenir Thonneur de toy :
Raison pour quoy
Chacun en soy
En craint le ploy :
Sy fay-je moy,
Mais si mon malheur
Et si ma lueur
Soubs feinte couleur,
Soubs stille abuseur,
Poly en faveur, ^
Souffre aucune erreur *
Par quelqu'un, mon opprimeur
Ou peut^stre intérineur ",
Fust-il empereur
Roy ou conquéreur,
Hideux rencontreur,
Mortel en fureur,
S'il est procureur
D'aucune vilaine aigreur,
Mal fait qui en est couvreur.
Et quoyque douleur
Me soit et tristeut,
Cause de langueur.
Fondement de pleur»
> On lit dans le m0.de Paris:
Mais si mon mall\6ar
Bt si ma lueur
Soubs feinte couleur,
Sous titre abuseur,
Souffre aucune erreur.
' IfUérinewr, exécuteur; peutétre intermineur ou inUrimtwr, qui
met à mort.
D'HECTOR. 181
D'estre tresbuscheur,
Peut-estre par mon malheur
Ou par main d*autruy valeur,
Comme on est tout sceur,
Qui est fruit et fleur
Meilleur sur meilleur,
Toutesfoys n'ay peur
Qu'en telle hauteur
Mon murtrier, non mon victeur,
Doive affoiblir mon honneur.
Sy te supply, gentil roy, et advise
Qu'en tout honneur, dont tu fais ta devise,
Mon corps oocis désormais ne réprimes ;
Car là où sont les mérites ou crimes,
Parra en hrief par leur couleur divise :
À qui il touche, y prenne garde et vise.
La forme de llionneste excuse d*Alezandre envers Hector, touchant
llionneur par lay ezibé à son intérimeur Aohiles.
Hector vassal, le cœur tu me tourmentes,
Quant si sur moy tu te plains et lamentes
Et me mets sus qu'en légîerté récline,
Autruy fessours et toy je te décline ,
Quant peu j'avance ou prise ton histoire
Et d'autruy los fais esbruire la gloire :
Certes que non, jamais ne le pensay,
Ne contre toy tel mal n'encommençay ;
Car trop congnoy toy et ton origine
Et les haulx faits de toy qu'on ymagine,
Le roy des preux et des bons l'escarboucle,
Où jamais main que toy ne mit la boucle,
Voire au regard, si vray je le reoors.
m LA COMPLAINTE
De fier courage et de valeur de corps,
Non pas en fait d'aventureuse queste;
Mais je fexcède en gloire de conqueste;
Car suis froisseur des régions par sommes,
Et toy dompteur et le videur des hommes,
Vainquant en aigre et en propre vertu,
|i||î Et moy en ost bien armé et vestu.
Or est ainsy que moy jadis quéreur
De seigneurie, et d'estre Tempereur
Tant des pays que des hauts cœurs humains
Et d^avoir tout rentier monde en mes mains,
Bien est-il vray qu'ainsy que je passoye
Vers Âchiles, sur sa tombe lisoye
Comment sa main en prouesse parfonde
Avoit versé tout le meilleur du monde.
Avec plusieurs grans mots parant ton titre '
Qui autre part ne sont mis en registre,
'I Et combien que tous les recors des livres
Et les hauts faits de tes bras à délivres
M'ont toujours fait et le croire et savoir
Que de toy oncq ne fu meilleur pour voir,
Ce non obstant' pour cause que la lettre
Te racontoit* failly et occis estre
Par Achiles, ton fort intérempteur.
Je luy donnay * la gloire et la hauteur.
Non pas pour cas que oncques je te hatese.
Ne qu*à ta gloire aucun mal je voulsisse,
Mais pour le los qui en sault et redcmde
D'avoir le bras sur Vaigle et fleur du monde.
Donc, plus verroye en toy haut los esbruire,
* On lit dans le ms. de Paris : Avec pluêUurs autres grans mois et
titres,
* Toutesvoies^ ms. de Florence.
* Te corrompait, mB. de ?tffiB.
* J*en désiray, ms. de Florence.
' !7
I
FHEGTOK. 485
Plus me ferait mon titre en moy reluire ^
Ainsi, Hector, d'Achiles Tëpitaphe,
Qui que Teflcript, ne qui y mit la graphe,
II dit de toy tant de los et le preuve
Qu'impossible est que désir ne se meuve,
£t qu'on n'adhère à hautesse de cœur
Par ton los propre à ton sépult vainqueur,
Xequel, par toy si très-haut honnorer,
IFait plus et plus et plus fort désirer
Xe bruit qu'il s'est attribué à soy,
Pour ce qu'il semble estre vainqueur de toy;
£t toy qui sçais par vue et par histoire
<2u'en tout mon temps, j'ay quis gloire sur gloire ,
Si j'ay trouvé titre aucun glorieux,
Ne puis-je avoir le désir curieux
De souhaidier un semblable à ma touche
Sans déroger à nul à qui il touche?
Certes, sy fay, je le puis et doy faire.
Ne fut jadis le très-puissant roy Daire
Par moy conquis et soubmis à ma loy.
Qui mieux valloit en tous endroits que moy,
Mais toutesfois, qui que s'en rie ou pleure,
Pire ou meilleur, la gloire m'en demeure,
Et ne luy fait qui que soit aucun blasme,
Qui de mon lez va désirant la famé.
Non fay-je moy k toy, que bien l'entendes ; \
Car en tous temps et en toutes légendes,
Plus est victoire en oeuvre diffieille,
Tant plus victeur est digne de haut stille.
Certes trop est grant chose de victoire ;
Car le vaincu plus a en luy de gldie,
On lit dans le ms. de Paeis.
Donc, plus voH-on en toy haut los esbraire,
Bt plas de fait ton titre et nom reluire.
184 LA COMPLAINTE
Plus le vainqueur en honneur glorifie
Et sa vertu de valeur florifie.
Yecy le cas pour quoy je m'y ad(mne :
S*il y a mal, honneur le me pardonne.
Comment Hector, content de Texcuse d'Alexandre, l'advertit de la mode
de son Interminement précipité par son ennemy Aohiles.
Alexandre, empereur très-gentil.
Encore un peu d'alégeance m'est-il,
Quant devers moy si doulcement t'excuses.
Et de parlera aussi aimables uses ;
Car peur assez certainement j'avoye
Que d'arg^umens tu me tinsses la voye
Pour ta raison encontre moy débattre
Et pour mon los ou fouUer ou abattre.
Or m'ont esté les dieux si favorables
Que tes parlers ne sont fora qu'agréables.
Et parles bien comme Alexandre en vie;
Mais maintenant, quant l'âme t'est ravie
Et envera nous es enfera descendu.
Tu as bien sçu, appris et entendu
Que d'Achiles le coup qu'il fist en moy
A esté fait en grant blasme de soy.
Car toy et moy et aussy ma partie
Sommes au lieu où à droit de partie
Est vérité pour chascune et chascun.
Sans espargner non plus l'autre que l'un.
Déal toy vivant, quant en gros tu lisoyes
Les vere parés, dont mort tu me disoyes
Par Achiles, sans mention plus claire.
Certes je dis, et fust du fils au père.
L'honneur de cil qui l'autre a pu occire.
Semble estre à l'œil trop plus digne d'eslire ;
D'HECTOR. 185
Sfais cil qui mit les yers sur le tombeau,
C3éla le laid et n'y mit que le beau,
3^ar quoy ton sens en fut par faulx déçu,
St moy j'en suis à le souffrir enchu
ISe mon honneur, quant me cuides vaincu
<2u'onques ne fus dliomme qui ait vescu.
Xe cas est tel, car comme j'entendis
^ Patrodus qu'à la mort je rendis,
Ciydant ravir sa despouille garnie,
*Yint Achiles remply de félonnie
2t me férit par derrière le dos,
ZDont mort souffris et luy honteux deslos.
liais si cela se peut nommer victoire.
C'est donc grant los que de vil œuvre voire.
Alexandre, à toy je le raconte,
Car je sçay bien que tel deslos, ne honte,
Feusses voulu procurer, ne acquerre
Pour un mont d'or plus grant que n'est la terre :
Par quoy tant plus m'est-il fort desplaisant
Quant tu jadis alloyes eslisant ,
Mal informé, cuidant avoir bon heur,
Un titre feint contraire à vray honneur.
Ce qu'en ton cœur ne se fust jamais chu,
Ce m'est advis *, si bien tu l'eusses sçu ;
Car en un cœur de roy doit estre hide.
Non pas certes* nom de lasche homicide.
Dont il s'ensieut en tout bon sein ' remort
Pour coup féru, ne pour regue mort;
La main férant n'est de moy vainqueresse ,
Ne moy occis, ne suy mort en paresse;
Ains aussi plein suis de gloire tout mors
Que je fus onc, ayant la vie au corps ;
' Comme je erof, ma. de Paris.
* Chercher, ms. de Paris.
* Sanç, ma, ôeVBxiB.
186 LÀ GOHPLâINTE
Et ce te Toeil prouyer par ma droiture
Et par exemple et par viye figure ".
Comment Hector, par exemple d'Antipaier, monstre à Alexandre que
Achiles ne doibt ayoir gloire snr Iny , non plus qne ioellny Antipater
sar Alexandre, et qne si Antipater a esté traistre à Alezandie, Achiles
a esté murtrier de Hector.
Te souviengne Alexandre comment, après toute la terre
avoir esté fléchie soubs toy et réduite à la crémeur de
ton sceptre, Antipater , ton espéré amy, te fit par ses
fils Cassandre et lolle empoisonner en Babylonne*,
et que luy, un cautelleux vieillart, te fit cheoir à l'en-
vers sans glaive, que milles tourbes de raddes jouvents*
oncques ne purent expugner par force. Donc, si Achiles
prent gloire sur moy de son coup , par semblable raison
Antipater te précédera * en gloire par sa poison, et sera
de toy vainqueur; un traistre, et de moy, un murtrier.
0! et comme mal sonne (aux dieux n'en desplaise!) que
gloire de telle hauteur et telle splendeur soit ternie soubs
telle main , ne que le lasche courage d'un proditeur*
obtienne triomphe sur gloire de roy ! Et quant au roy
Daire que tu allègues, certes, Alexandre, si les dieux
jadis t'en ont donné le dessus, aussy te donnèrent-ils le
conseil bien d'en ouvrer, quant par maintes exhibitions
' On lit dans le ms. de Paris :
Et ce veax bien monitrer tant par droiture
Que par exemple du fait la vraye Ûgure.
Il est évident que le dernier vers a été mal transcrit.
» Voye% Arrien. Vil, 7, et Qulnte-Curce, X, 28.
* Jouvents, jeunes gens.
* Te passera, ms. de Florence.
* fi'un traistre, ms. de Florence.
D^HECTOR. 187
de courtoisie par toy h lu j coustumièrement démontrées
tu doubloyes et redoubloyes ta louange, et te monstroyes,
contre nature d'ennemisté, courtois et bénigne à ton en-
nemy. Et où est ores le cœur, tant soit noble, qui telle
œuvre congnue ne devroit révéler et ramener à dignité de
mémoire ce qui procède de si noble racine? Certes , si
Âchilee m'eust espargné seulement d'une heure% peut-
estre que à tousjours mais il eust son honneur sauvé.
Or m'a-il abbattu par crisme, ce qu'il craignoit non pou-
voir fiiire par sa valeur, et par ce il en a noircy son hon-
neur, et le mien non pas décru, fors seulement en tant
que la vie m'est par luy précipitée d'avant mes jours.
roy Alexandre doucques, ces choses considérées, entens
à ton honneur et au mien; et si tu as erré par le faux
record d'un simple titre de sépulture, sy te réduis à la
voix d'un fils de roy, vray relateur. '
Or m'est advis, si honneur repose en terre,
Que par tous droits et d'armes et de guerre,
Moy, tout occis, doy resplendir en gloire,
Et luy qu'on cuyde avoir sur moy victoire,
Ke peut jamais des bons la grâce acquerre,
Ou tout le moude est aveugle et sy erre.
Comment Alexandre, continuant son excuse vers Hector, luy impètre
que Achlles vienne par devant eux soy justifier de son crisme.
noble Hector, jadis la perle de Troye et le miroer
étemel de prouesse, jà ne plaise aux dieux que je par mes
argumens te puisse vaincre, pour cuyder embellir ma
cause par répliques sur toy, que les dieux, les livres et les
' iVmy hewre, ms. de Paris.
188 LA G0MPLAII9TE
humaines mémoires si haultement solempmsent, et que
moy-mesme par nature de royal courage te doy et vueil
]i autoriser aussy sur tous autres. Hector, si jadis le titre
de ton ennemy, forgé peut-estre par faveur, m'a donné
légière affection mal causée, maintenant mieux instruit
de la matière, me condamne d'erreur; et pour rapaise-
ment de courage , et aussy pour continuer ta gloire, la-
quelle, après tant dehaulx et vallereux* faits, dont tu
reluys et resplendis, par ma seule bouche n'a pu recoToir
lésion, moy du palais* de nos enfers suis content de moy
révoquer en terre et d'envoyer publiquement la protesta-
tion de mon tort, pourvu toutesfois que Achiles premiè-
rement, en qui chevallerie et haultesse de sang royal res-
I plendissent bien amples, viendra icy devant nous deux
soy justifier, s'il peut, de ce en quoy tu le blasmes. Car
V ainsy pourra estre que, présentes les parties, ou que ton
cœur s'amollira vers luy par ses excuses, ou que ta gloire
sera redoublée par son recongnoistre. Il prit jadis comme
toy royale naissance et nourreture enfantine en gyron de
royne. Sy est ton honneur et ta haute louenge, que tu le
mettes en offre de le recevoir en ses excuses et autres
quelsconques allégations qu'il voudra proposer, car si
du cas qui est commis en toy, tu fais à doloir, aussy se
fait à plaindre Âchiles, quant il s'est soullié de tel mes-
prendre*.
> Vietorieuœ,mB.ûePtLfÏB,
* Yar : des pales^ des limites, oa bien : des palus, des marais, des
rives.
* On lit dans le ms. de Paris : Car s*il fait à donloir que faulte si hor-
rible soit en soy commise, aussi se fait-il à plaindre que un si renommé
chevalier soit ordoyé de tel crime.
/
D*H£CTOR. i89
loy répliqne Hector.
Combien que de toutes lésions inférées, ceUes d'hon-
neur souverainement et de mort sont non pardonnables,
toutesvoies, pournon refuser équité à nulluy, et aussy pour
mieux esclaircir d'entre nous deul la matière, Alexandre,
je m'accorde volontairement à ce que tu me requiers et
demandes.
La complainte que fait Achiles pour son reprochable exploit, priant
anx roys et aux princes qa*ll leur plaise de le supporter.
Si la pitié de ma douleur très-tendre
Dieu me souffrist que cœur la pust comprendre,
En soulageant ma très-dolente charge,
Espoir m'est bien d*en faire roches fendre,
Et non pas cœurs, mais ces pierres espandre
En feu, en flamme, et convertir et rendre,
Noyé en pleurs, tout le monde en son large.
Donc, si mon heur se pouvoit estendre
Que ciel ou terre ou homme pust comprendre
Le demy mal qu*au cœur me convient prendre
Soubs le couvert d'une ombroyeuse targe.
Certes les dieux, mon corps couché en cendre,
Auroient bien garni ^ d*un si haut attendre.
D'un grant salut et d un haut entreprendre,
Après nager en si amère barge.
Qui veut ses yeux en mon estre mirer
Et à grant pois de sens considérer
Du présent &it* ma dolente manière.
Pour semblant triste ou pour cris proférer,
^ Muni, ms. de Paris.
* Heu, ma. de Florence.
490 LA œifPLAINTE
Certes ne doit en soy nul ammirer,
Penser aussy, cuidier, ne espérer,
Fors que ce soit à cause non légière.
•Tay les yeux prests à tendrement plorer,
Le cœur enclin à plaindre et souspirer,
La main prochaine à cheveux destirés,
La voix tremblant, comme au vent la fougière;
Et me duit mieux moy-mesme martirer,
Destordre mains, visages déchirer,
Gémir, frémir, voire désespérer
De mon malheur que faire meilleur chière.
excellente haute chevalerie, .
Rois, princes, ducs, toute autre seigneurie*,
A qui nature a mis grans biens en œuvre.
Vers vous me tourne à triste voix marrie.
Non par cuidier d'œuvre envers vous mérie,
Mais soubs espoir de la vertu florie
Qui au trésor de royal sang se cœuvre.
nobles cœurs en vaillance nourrie*.
En qui pitié ne peut estre périe,
Honneur esteint, ne raison attarie',
Veuillez vers moy vos courages esmeuvre ;
Car moy gisant desoubs terre pourrie.
Fils d'un haut roy et de royne chérie,
Voy à tousjours ma famé estre murtrie.
Si devers vous grâce je ne recouvre.
Par nom jadis Achiles fus nommé.
Fier, courageux, chevalier renommé,
■ Saronnie, ms. de Paris.
* On Ut dans le ms. de Florence : vaillant corps , o kaulUsse
nourrie.
* Amoindrie, ms.de Paris.
/
D*H£CTOR. 194
L'un des meilleurs du temps d'icelluy eage
Puissant de corps, de taille bien formé.
Où Dieu sembloit n*aYoir riens espargné,
Riens mis d'oubli, n'aucun biens desprimé
Ne en vertu, ne en hautain courage.
Comme un lion, comme un tigre animé.
Car, quant j'estois à cheval et armé
£t que ma main tint son acier limé.
J'en ay fait maint haut et terrible ouvrage,
Respandu sang, bras et teste semé
Parmy les champs où je me suis ramé S
Et tant qu'en fin les voix m'ont reclamé
Llionneur des Grecs et des Troyens l'oultrage.
Orans et haubc dons m'avoit donné nature ;
Aussy les dieux dont je fus nourreture,
De leurs faveurs largement me partirent.
Et fus taillé par semblant de droiture
D'estre une fois reluisant créature
Et l'un des haulx en gloire d'escripture,
Dont oncques mains en chroniques escriprent '.
Or a esté telle mon adventure
Que par malheur, jadis d'une pointure
En mon honneur je commis fourfaiture.
Par quoy les haulx de gloire me retirent
Et m'ont forsçaint d'une telle ceinture
Que j'en maudis ma réal géniture,
Mon lieu, mon nom, mon estre et ma facture,
Ne qu'onques mais mes mains le desservirent.
Fureur de sang, amertume' de rage,
Enfelonny, injurié courage,
\ *««^, porté, dirigé.
-^fi livres eteripvirent, ms. de Paris.
^poBtume, ms. de Paris.
/
192 LA œMPLAlNTE
Advis troublé, par nature esmue,
Pbr leur cuisant impétueux orage,
M'ont fait commettre un chaleureux oultrage
Et oublier dlionneur le haut parage,
. Dont la clarté m*est à terre eschue :
J'ay fait, bien sçay, un piteux vasselage,
Fort rabaissié ma gloire et mon estage,
Et n'avint oncq au siècle tel dommage
Que de ta chose en ce point eschue ;
Mais qu'en diray-je en mon propre avantage,
Fors que je suis du troncq et parentage
Du vicieux humain povre lignage,
^* Dont la foiblesse est en tous lieux conçue?
Si la fureur non à temps refrénée
A ma raison forclose et formenée
Par force à faire œuvre si despiteuse.
Quant la fureur a esté terminée,
Et que raison m'a esté ramenée,
J'en ay souffert douleuV si attainée '
Qu'oncque puis n'eus vie déliteuse*.
J'en ay ma main de faulte condempnée,
Mon bras maudit, ma face déclinée.
Et par douleur de l'aigre destinée
Et de ma gloire a tousjours mais boiteuse.
J'en ay sur moy la sentence donnée,
En démonstrant à ma dure journée
Qu'en royal sang, n'en créature née.
Ne doit manoir œuvre impugnée honteuse.
Le noble Hector, fleur d'honneur, l'oultrepasse
Qui en valeur et en vertu surpasse
1 Si (Uiainée, ^vire.
' Délit€Ui€, douce, pleine de plaisir.
\t
D'HECTOR. 493
Ii*aigreur, Faspresse et la fierté du monde,
£t qui tout seul tant de prouesse embrasse,
Autant de gloire et de haut los atasse,
Comme le siècle en son trésor amasse
Jusqu'à quérir le parfont de sa bonde,
Sien sçay qu'en plainte et en diure menasse
Sa voix me charge et sa douleur me trasse
Ht en aigreur il quiert, il prie et chasse
Qu'honneur me froisse et gloire me confonde;
^ais soubs Toctroy des dieux que je pourchasse,
J'en pense à rompre aucunement la chasse,
<3uant j'en verray le lieu propre et espace,
Xà où faudra que de tout je responde.
3^our tant en yous, o seigneurs S je respire;
lAon mal, mon grief, vous envoyé et souspire ',
Comme à sensible entendant ' baronnie.
fii j'ay le tort devers moy et le pire,
3Pour tant en vous ^ ne me vueilliez despire';
Car j'ay tiré de royaume et d'empire,
€om vous, jadis naissance et progénie.
Sang me conseille et nature me tire
De mettre en vous ma playe et mon martire.
X'un noble cœur, volentiers l'autre attire ;
Dieu a noblesse en celle forme unie.
Si donc en moy riens se trouve à redire.
Veuillez un peu de mon support escripre.
Et vous ferez, pour à honneur suffire,
Ce qu'appartient à royale maisnie.
^ ^eri vous, hauts princes, ms. de Paris.
^^ ^u lit daDs le ms. de Paris : Bi vous envojfs le grUf dont Je souS"
-attendant, ms. de Paris.
Sn tout, ms. de Florence.
^ lkspire,méi^tiaBT,
TOH. n. i3
194 LA œMPLÂTNTE
Comment iiezandre incite Achiles woj excoaer vers Hector^ etooomient
Achiles, après plusieurs diflcultés, 8*7 accorde.
Fils de Péleus, 6 Achiles, p&rtj du très-haat lignage
magnifié, dont les dieux ont fait naistre singulières ver-
tus, mais, en forlignant de tes pères par ta jadis débridée
fureur, forclos maintenant de nostre siège des preux : icy
te viens rendre spectacle de nos yeux, et en réparement
de ton honneur, si tu peux, informe et contente les
haulx hommes, lesquels, en doulousant la playe du Troyen,
complaignent aussy la faute de ton honneur. Faire le dois,
car aucunes fois cause non justifiée porte condempnation
plus que desservie. Pour tant parle à Hector. Tu es le fils
du roy Péleus et de la royne Thétis : recongnois od tu dois
et te justifie où tu peux ; et qui as le monde esmu contre
toy par fait, fay qu'en satisfaisant à partie, tu regaignes
par beau parler'. Hector n'est encore desmu de sa noble
nature de jadis. Vif, il fut raisonnable, et mort tu le trou-
veras humain. Procure ton pardon, en offrant honneur là
od tu as inféré vilonnie. Certes, en ce faisant, tu ac-
querras gloire et vaincras ton ennemy, et qui plus est, tu
mettras fin éternelle à un débat jà trop longuement duré
entre vous deux.
ACHILES.
Certes, Alexandre, bon fait à croire, que au germain
de Jason*, Achiles, moult poise la mort du Troyen, com-
* On lit dans le ms. de Paris : Car toi qui par ion fait as esmu U
monde contre toy, tu dois tant faire qu'en sati^aisant h partie, tu U
rapaises par beau parler,
* Eson, père de Jason, était frère de Péléas que ChasteUain confond
avec Pelée, père d'Achille.
D'HECTOR. 495
bien qu'entre les siens progéniteurs et les miens, oncques
n'y eut guaires d'amour, par quoy si encore la hayne y
dure en nostre endroit, ce n'est que de nature, Sy sçay
bien toutesvoies que la paix y 'seroit bien séant, et que par
la droiture des dieux la mort requiert estre réconciliée,
souverainement yceste procurée par moy ; mais, moy re-
congnoissant mon meschief et mon mésadvenu malheur,
dont mille fois plus fay estime de la manière que du fait,
ne sçay, Alexandre, si après si griève et criminelle œuvre ',
me doy offrir à si griefment offendu prince.
ALBXANDBB.
Certes ouy.
ACHILES.
Et ne sera, penses-tu, sa playe rafreschie soubs la vue ^
de son întérimeur?
ALEXAKDBB.
Khje cure de ce. J'ay obtenu de luy, que en l'honneur
de royale dignité que tu as blessée, puisque mort ne peut
estre remise à vivre, que tu viengnes à réparement, là où
droit d'honneur le te souffrera rendre ; car de la mort, qui
procède de guerre, ne fait-il poids, pour ce que une fois
le convenoit cheoir par toy ou par autre, mais d'estre
occis sur aguet, seulement luy cuist.
ACHILES*
Or te seuffre, Alexandre, un petit, et je y vais.
* Après si çrandement scandalisée œuvre, ms. de Paris.
* Fenue, ms. de Paris.
496 LA COMPLAINTE
ALBXANDBB.
Et je te seray moyen et avançeur de ta paix.
Comment Acbiles, devant le siège des preux, présent Alexandre, fkit ses
ezcases à Hector en eondempnant sa fkute ; et comment Hector,
réconciliant Achiles, le renvoyé à paix.
glorieux excellent Hector ! aigre bras, oultre estime
chevallereux, de qui tant et tant de fois ay voulu attemp-
ter, mais ne pus oncques tolérer les vertus, victeur invin-
cible par nul chevalier , mais prosterné aventureusement
par victoire non claire \ soubs espoir que tu à ceste heure
ne différasses un peu de ta mort, donne aucun oubli à ta
douleur, cesse à ton ire, et souffrance à ton ennemy. Je
Achiles mespris, viens vers toy essayer si recongnoissance
de ma faute pourroit réparer Toffence de ta hauteur, et
si titre dlionneste excuse en ton endroit voudroit om-
broyer la honte d'un fils de roy.
BBCTÔR.
Parle.
ACHILES.
Hector, doncques pour titre, je te ramembre comment
les f elles et adverses fortunes du temps jadis entre les
tiens et les miens haulx progéniteurs, ont nourry longues
et diverses rancunes, ësquelles plusieurs de nos plus
haulx et des plus chers parens à deux lez adonc sont suc-
combés par glaive, et sont venus les nobles et glorieux
> Par une infime main deeldchée, xns. de Paris*
ITHECTOR. «97
lignages çà et là à désertion, à ruyne et à fin confuse,
comme par toy et par moy appert, qui y sommes extermi-
nés , et aussy par la ruyne de nos propres régions et
cités desracinées de parentage. Hector, tu sçais comment
les tiens furent premiers injurieurs de mes prochains, et
que moy obligé par nature à mon sang, me suis exposé
constraint vengeur de leur querelle , laquelle chose exer-
citant à mon pouvoir et en soustenant les faits à la roideur
de mes espaulles, les dieux, peut-estre en faveur des
Grieux ou par envie de ta gloire, ont voulu abréger tes
jours, et ont ta mort, dont il mepoise moult, terminée
entre mes mains, certes à honnorable et juste titre, si
Texécution en fust honneste. Mais, parce que ta hautesse,
et non pas sans cause, se douleuse de moy et allègue
double mort estre en toy redoublée, dont l'une est natu-
relle, et l'autre intoUérable, 6 Hector, icy te prie, es-
pargne ton ennemy et souffre un petit, s'il est possible, de
ta fureur; car, toy occiant Patroclus, mon très-amé, très-
chier et cordial parent S logé au trésor de mes entrailles,
en l'espargne de mes amours et de mes faveurs, ', certes
fureur tellement m'esboullist, le sang aveugla mes yeux
et me incita à vengeance, que sans regard de toy, ne qui
tu fusses, ne où tu fusses, ne comment tu fusses tourné ou
à face ou à dos, je te envahy, et de mon malheur et de ta
propre infélicité, non pas par ma vaillance, ne par ma che-
valleTie,mais par rage de cœur furieux, te renversay mort.
Hector , très-noble Troyen, ceste mienne fureur desré-
glée et desbridée, ne peut-elle porter ceste excuse, ne peut-
> Mom triiHiiméetmHn, et mon très<her e^ cordial et trèi<her parent,
DM. dePulB.
* Au eafrei de met /ateure et de met intHnsèques peneéee, ma. de
Pvif.
198 LÀ COMPLAINTE
elle soiistenir ce fardeau , ceste œuvre cominise et ceste
mort perpétrée en ennemîsté de guerre', en mortalité de
bataille, là où à un chascun, convient ou prendre mort
par autruy ou la inférer & autre. noble Hector, si tu ne
pardon^es à la fureur, pardonne au moins à la loy invin-
cible d'amour et à la faveur consolidée avec mon très-
cher parent et amy Patroclus, que tu occis, voyant mes
yeux, et lequel je vengeay, ne sçay comment, à vue es-
tainte, de main aveugle, duite, non d'un chevalier, mais
d'un furieu;^ démoniacle' et hors de sens. Tu es mesmes
çeluy qui congnois comme amour lie, et comme fureur
enflammée en cœur injurié ne peut estre résistable. Donc,
et si je suis ton occiseur d'adventure, pour tant, que pas ne
Tay fait à la valeur de mon corps, et que ne me veux at-
tribuer à gloire, tu aussy tant plus y doibs reffraindre ton
yre. Car peut estre que toi-mesmes m'eusses intérimé,
si tu eusses apperçu ma venue, et m*eust fureur mené à
mon cymentière, là où fortune infélice par moy te prépara
le tien. noble et vertueux chevalier, et quantes fois ay-
je essayé la force de ta main, et quantesfois me suis-je
présenté en front à la fureur de ton espée, que je toutes-
fois tout le meilleur des Grecs et le dompteur des autres
Troyens, oncques ne pus endurer ton chapplis M Donc, si
t'ay esté ton ennemy à occasion de juste querelle, et que
mort t'a esté aveuglement inférée par ma main, pourquoy
céleroye-je ta gloire? Pourquoy ne ramenteroye-je ta che-
valerie, ta h^ute prouesse , ta non pareille vaillance soubs
qui et à qui, constraint de le confesser, je ployé Tes-
chine, j'encline le chef, et te donne et exhibe lieu de révé-
*■ Sn injustice de guerre, ma. de Paris.
' Démaniade, insensé.
• Chapplis, combat singulier. Voyez tome 1% pp. 225 et 319.
D^HËCTOR. i99
rence avec tout honneur? vaillant Hector si ma main
s'est opprobriée en ta mort, au moins par avant icelle
honte, luy demeure la gloire de t'avoir osé impugner
souvent, toucher ton heaume, provocquer ton yre et enai-
grir ton courage sur moy, dont les armes congnoissoye
trop foibles contre les tiennes : sy en pryse mon bras et en
glorifie ma valeur, ne fust le coup survenu, dont malheu-
reuse fortune, ennemie de mon honneur, m'a fait le
pouFchafi; Hector, ce ne fut pas ma main, qui te en-
versa mort, ce ne fut pas aussi la lance' du fils au roy
Péleus , mais ce fut la malheurée et confuse fortune
d'Achiles forlingné, lequel, s'il eust obtenu sur toy
honorable victoire, se renommast glorieux fils de roy, où
maintenant, comme déshonnoré victeur, ne se ose réputer
.que à demy povre chevalier, si ce n'est toutesfois que ta
grâce, 6 Hector, dispenses paisiblement sur ma faute, et
que ta hautesse considère les humaines passions, qui les
hommes, en diverses natures, en divers cas et en divers
temps, fréquentement molestent et desvoyent, et que nulle
vertu n'est baillée si claire de nature qu'elle ne puisse
branler ou estre ternie par infestation de senestre fortune.
Hector, entens doncques à ta gloire, et reçois ma
louenge, que je, non par adulation ou par flatterie, mais
par mérie droiture, profère à ton appartenir. Bapaise ton
ire; pardonne ce qui est irréparable, et seuffre à œluy qui
sa honte ne oœuvre, recouvrement de quelque peu de son
honneur, et quelque peu de support honnorable, à son los
non grevable, quant tu en es requis. Sy te prie, ô Hector,
en ta hautesse de fils de roy, pardonne à un autretel , ton
mesfaiseur.
' râpée, ms. de Florence.
800 LA COMPLAINTE
ALBXANDBE.
Hector, oyez les excuses de Achiles, qui certes sont
naturelles et humaines, et vu que de son douloureux
meschief il se soubmet à ta mercj et si à ton honneur,
certes que par loy d'honneur et de nature , tu luy dois
pardonner.
HECTOR.
Achiles, attendu que en repentance de ton cas, tu re-
congnois ta faute, et considéré qu'en titre de haut homme
nulle vertu n est greigneur, ne de tel los, comme d'oser
pardonner grant injure, en nature et courage de fils de
roy je te pardonne. Et ignorant tous mesfaits passés, et
pour tes autres chevaleries maintes dont bien suis expert,
il plaise aux dieux te donner siège emprès nous, et moy en
recouvrement de ton los je le te accorde, et va en paix.
CONCLUSION DB L AOTBUB.
Seigneurs royaulx, et vous tous nobles hommes,
A qui les los et les gloires sont prosmes
Et les records que Ton escrit en livr©,
A un chascun, selon son estre et vivre,
Içy vous est baillé vielle matière.
Cas d'un grant poix et d'un très-haut mystère,
Du quel, qui bien le veut en soy comprendre,
Grant bien, grand fruit en peut tirer et prendre.
Sy lui doibt bien savourer et luy plaire
Et à ses yeux Tavoir pour exemplaire ^
' On lit dans le nu. de Paris : Cest un mfrouer de trè^-nobU eaem^
plaire.
D*H£GTOR. 20!
Et pour miroir d'un noble contenir'
Pour en honneur vivre et vertu tenir.
Car plus sera Thomme de haut estage,
Plus digne en terre et de haut* parentage,
Plus en fortune, et plus noble en nature,
Plus enrichy de grâce ou d'aventure.
Tant plus luy peut servir en advertence
Et plus donner d'effet et de sentence.
Entendez bien : la chose sy est telle;
Car grant estât, ne haute parentelle',
Quant de ses droits devoirs noblesse abuse,
Ce n'est pas cas sur quoy doit prendre excuse';
Ains d'autant plus se rabaisse en sa faute
Que plus appert et glorieuse et haute*,
Et n'est si haut glorieux nom, ne titre,
Que par le ray d'un vicieux esclistre
Foulé ne soit et à terre abattu
Et retiré du siège de vertu,
Sur quoy honneur couronne les parfaits :
Vueille ou non vueille, il en sera sy faits.
Seigneurs, pensez à ce que cy j'expose;
Car vray honneur est une digne chose %
Qui si petit ne prend de vitupère
Qu'incontinent la tache n'y appère ;
Par quoy plus est précieuse en couleur.
Quant l'orde' y est*, plus doit estre douleur.
t
Ce vers manque dans le ms. de Paris. Il est remplacé, une ligne
Wub iMW^ par le vers suivant :
Chascun de vous mette peine à retenir.
* J)e plus grant, ma. de VsaïB,
* De haute, ms. de Paris.
* Jhnt te peut prendre excuse, ms. de Paris.
* On lit dans le ms de Paris : Quant plus appert sa gloire estrehaute.
* Sose, ms. de Paris.
^ Varie, la souiUnre.
* Quant orde elle est,ma. de l?saia.
202 LÀ COMPLAINTE FHËGTOR.
Vous en avez exemple de mémoire
Pour à jamais, en la présente hystoire.
Sy prye à Dieu qu'elle soit bien voulue;
Prenea^n gré : George vous en salue.
-^ aLJ H C^ "
LE MIROER
DES NOBL.K6 MOMMSS D£ FRANCE'.
Vous, nobles gens de tous estais divers,
Vivans, régnans par le monde univers;
Vous tous, seigneurs et nation gentille,
Qui, en Tabit de nostre foy couvers,
Portez les corps afublés et couvers,
Les chiefs luysans, les titres descouvers,
Les haulx possès et la gloire fertille,
Icy livrez vos esperits ouvers ;
Donnez entente et escout à mes vers ;
Soyez benings, non rudes et pervers;
Rendez-vous sains à ma doctrine utille,
Durtés et froids vous rendent les yvers,
Et le printemps, fleurs, fruite et arbres vers;
Donc, qui amez honneur, non le revers,
Prestez-y sens et oreille subtille.
Le temps de huy vous évoque et escrie ;
Honneur semont et noblesse vous prie
■ Pablié diaprés le manuscrit 120 de la bibUofhèqne Lanrentienne,
à Florence, ooUationné sar le manuscrit 91688 de la bibliothèque de
Booigogne et le mannaortt 783 de la Bibl. royale de hàf^e.
204 LB MmOM
Que içy yenllez songneusement entendre.
Et qu*en saison diseteuse et tairie,
Vostre vertu naturelle fleurie.
Se boute avant et s'espannisse et rie,
Comme un bourjon soubs la rosée tendre;
Car, là où est fertilité périe,
Salut forclose et povreté nourrie,
Yig^e féconde est plus de près chérie.
Et tant en est plus précieux Tattendre :
Ainsy est buy, noble chevalerie.
Besoing s'attent à vostre seigneurie.
Et vous requiert, par foy de vostre hoirie.
Qu'en luy vouliez cœurs et désirs estendre.
Dieu, entre ceux de lliumaine nature.
Souvent vous crée excellens en facture.
Et singuliers en toute grâce exquise ;
Vous baille corps de plaisant compassure.
Richesse, argent, vigoreuse membrure.
Cœur ennobly, spécieuse figure.
Vertu naïve en propres faits acquise ;
Vous fiedt les cœurs enflambés en ardure.
Hardis et fiers en toute chose dure,
Souffrans et forts en chaud et en froidure.
Et non tost mus pour offenoe surquise.
Sy fault entendre, et sy est bien droiture.
Que tels hauts biens, à si comble mesure,
Ne sont infus en nulle créature
Sinon à fin singulière requise.
Le soleil fit pour le siècle esdairer.
Pour embellir son venure et décorer,
Et pour servant estre à Thomme et propice;
Les peuples fit naistre pour labourer»
DES NOBLES HOMMES DE FRANCE. 205
Planter jardins, terre fendre et arer^
Harchans, bourgeois, pour en sens procurer
Durable estât et honneste police ;
Prélats et clercs pour TÉglise honnorer.
Pour dévots estre et en foy aouvrer,
Pour paix prescher et pour yray proférer :
Chascun en charge et poix de son office.
Mais vous, s'en vous est sain considérer,
Vos faits, Tos mœurs, il veut faire mirer.
Et vos beaux corps des autres préférer,
Par vertu sourdre et maintenir justice.
Du mois de may la garnison jolie,
Ce sont verdeurs et mainte fleur polie.
Odeur, beauté campestre, aromatique.
Vergers garnis de rose et d'ancolie,
L& où les cœurs, wis' de mélancolie.
Cueillent la joye en larmes amollie,
Soubs la douceur de ramage musique;
Hais le trésor et richesse embellie
De qui la terre a longuement faillie,
Et dont à dur plus est morte 6t pâlie.
Ce sont vertus et honneste publique.
Qui en vos cœurs, au bon fons multiplie,
Doivent jeter mainte fleur accomplie
Et, en monstrant leur nature anoblie.
Parer le monde et la foy catholique.
Besoing m^astraint et charité conseille,
. Qu'envers vous crie et que vous je resveille
Vos cosurs, vos yeux, vos esperits nobiles,
Et,qu'en faisant longue estudie et veille,
* iiftff (de tffWfe), labourer.
» Fa, vides, libres.
206 LE MIRCffiR
P&r grand ardeur je m^essaye et trayeille
D'en vous mouvoir vostre ententive oreille,
Vos clers et haulx entendemens habiles :
Par quoy, s'en vous a veine qui sommeille,
Je vous prie donc d'en susciter la treille,
Et que le coeur s'expose et appareille
A enfonser ses mémoires labiles,
Et, qu'en notant mainte estrange merveille,
Dont aujourd'huy le monde s'esmerveilte,
Et dont en moy hideur ne prend merveille,
Yeuilliez doubter conséquences mobiles.
Ouvrez vos yeux, espardez vos lumières.
Notez l'envoy des drues messagières,
En plusieurs lieux sur les terres transmises.
Et dont la bide et les menaces fières
Doivent donner horreurs très-encombrières
Parce que sont divines oficières,
Et de sa main créées et commises.
Le roy Sathan, le prince des fumières,
N'a-il essours ses tentes et bannières?
Ne sont à luy et à ses mains meurtrières
Grand part du monde et régions soubmises?
Certes sy sont, les preuves sont légiôres.
Et les raisons si clères et entières
Que je crains fort près estre de nos bières
Les uns longtemps escriptes et promises*
Voyez les cas qui en couvert se pondent,
Qui, à tous lez, ensemble correspondent,
Et tout à plours contendent à ruyne;
Voyez les maux qui par le siècle habondent,
Qui, tout à un, se addonnent et accordent,
Tout sur un point leur concurrence fondent
Et dont le chief est des enfers royne.
DES NOBLES HOMMES DE FRANCE. 207
Voyez, notez les cités qui se fondât»
Lee régions que fortunes confondent,
Les haulx divins manoirs qui se deffondent
Et viennent tous de grand pluye à pluyne.
Quant est à moy, je ne scay où redondent
Les hideux cas qui en mes yeux s'absoondent ;
Mais si pour nous les yeux Dieu correspondent,
Je n'y voy riens que doideur et bruyne.
Tournes vos yeux ou mettez vos candeUes
Vers Orient où sont les infidelles,
Qui, de repos vos vies désasseurent.
Vers Nort, vers West, où autres gens crudelles,
Tendent aussy à vous les faire telles,
Et en la foy de leurs dieux sans tutelles.
Promettent mort et douleur vous asseurent.
Boys, princes, ducs, puissances temporelles,
Tout partout sont remplis de querelles,
D*orgueil, d*ayr, d'envies corporelles ;
Tous en Tun Fautre à destruire labourent.
Tendent à fins, ne savent mesmes quelles.
Fors à malheur et hontes éternelles,
Quant n'ont les cœurs et vertus naturelles
D'entendre au bien, quant les ca& y occeurent.
Quel espoir ay-je au sainti royal thronne,
France jadis la ferme championne
De nostre foy, sainte et victorieuse,
Dont la très-haut resplendissant couronne,
Donuoit au siècle en tant qu'il avironne,
Soûlas, refuge, amour, justice bonne,
Transquil régner et vie glorieuse?
Or aujourdliuy malice y esperonne.
Envie y cœurt, discordance y fleuronne ;
Et, n'y a pas tant de nourrins en Bonne
SOS LE MIROER
Qa*il y a mains de vices curieuses.
Pftr quoy, quant voy le mal qui y foisonne,
Bt que vertu se part et dessaisonne,
A peu conclus et à peu je raisonne
Qu*il ne s'en traye attente furieuse.
Tous pensemens ne sont pas bons à dire.
Et n'est besoin de tout mettre et escripre,
Et dont paour fait prendre conjectures;
Mais quant mes yeux sur tout le monde tire
Sur France, Espaingne, Italie, Empire,
Sy n'apperçoy-je où je me tourne et vire.
Que verge preste ou réaies battures.
Tout et partout gouvernement s'empire ;
Vertu languit, félicité souspire.
Honneur s'estraint, nature trait au pire,
Noblesse enfouie et temist ses natures,
Foy affoiblit, justice se retire.
Raison s'endort, pitié souffre martire,
Dont je voy riens, si tant vous peut suffire,
Que paour grant de dures aventures.
Racine aucune ont tous avénemens.
Principes tous et tous commencemens
Ont une fin certaine terminée,
Jà soit ainsy que par vrais jugemens
Les humains cœurs, ne les entendemens.
Ne peuvent prendre, en leur conçoivemens,
Le temps précis sur quoy est ordonnée;
Mais, par plusieurs longs conjecturemens.
Par haubc regards, par experts sentemens,
Par maints divers subtils disposemens.
Voit-on bien sourdre une dure estrivée,
Dont par re^d à aucuns fondemens,
L'œil juge bien tendre à déclinemens
DES NOBLES HOMIIŒS DE FRANCE. 209
Fftys, citéSi terres et tenemens,
Ou estre près de fin exterminée.
Les Orients jadis tant redoubtables,
Les Grecs si haulx, si forts, si réputables.
Si pleins d'engin et de sollicitude,
ITonlril perdu leurs fers espoentables,
Leur bault régner, leurs glorieuses tables,
Leurs haulx palais, contournés en estables.
Serfs aujourdliuy à vile multitude?
Quant donc si haulx royalmes et notables,
Si nobles gens en tous fais racontables,
Sont deyenus à fin si lamentables
Par leur orgueil ou autre ingratitude,
Pourquoy seront nos duretés estables.
Nos corps asseurs, nos fortunes traitables,
Là où sont tant de maux insupportables
Que gloire en fuit, sy fait béatitude?
Mettez en tout vos seings et estudies :
A dure mort vont longues maladies, .
Et roide fièvre et foiblesse piteuse.
Divins escrits et autres prophéties.
De vérité, non de fables, farsies.
Malgré nos cœurs à testes endurchies.
Prendront leur fin ou douce ou despiteuse.
En vos mains sont toutes les monarchies.
Le seul règ^e sur toutes girarchies,
Le dos ultime où terres sont saisies.
Le derrain sceptre emprès force doubteuse.
Sy en seront les premières ravies,
S'attendre peut fortune à ses envies ;
Mais n'y a mais pour le salut des vies ,
Fors que Dieu doinst sa grÂce respiteuse.
foa. Ti. 14
210 LE MIROER
noble gent, noble exoellent royame,
Ce qu'envers vous Mnay me tourne et dame
Et vous adresse aigres raisons pointues,
Ce ne fait pas désir qui vous diffame.
Ne qui vous quiert à rabaisser en famé,
Mais yray amour, qui me point et affi&me
Pour tousjours voir vos gloires ramentues.
Le cœur vous sert, ma nature vous ame;
Yostre honneur quiers, tristeur m*est vostre blâme ;
En vostre los vous offre corps et âme ;
Par mes mains sont vos loenges vestues
De pourpre et d*or et de perline flamme,
D*odeur sentant plus précieux que basme ,
Et tant que mort me sépare et entame,
Par moy seront vos pointes combattues.
Mon désir n'est qu'à faire remonstrance
A vous, très-haulx nobles hommes de France,
De vostre los et étemel durée.
Et de vous mettre en vostre souvenance
Le vray debvoir, la haute appartenance.
Qu'en mœurs, vertus et autre oontenance
Vous duit et siet par nature espurée ;
Car là où Dieu met de biens habondance.
Beauté de corps, gracieuse accointance.
Si vertu noble y est en deffaillanœ.
Bien doit tel faute estre endroit soy plorée.
Ains veut nature et loy par son usance.
Que un noble corps soit noble en congnoissance,
Cler en vertu et plein de reluysance,
Ou sa vie est non à droit naturée.
Non, vos beaux corps resplendent et reluysent.
En la hauteur des titres qui vous duisent.
Sur quoy tel fois nature est présumée ;
DES NOBLES HOMMES DE FRANCE. 241
»
Ains les beaux noms qui, sans firuits se déduisent,
Et follement se portent et conduisent,
Ce sont iceux qui mesmes vous séduisent
Et font avoir bastarde renommée.
Mœurs et vertus les baulx titres construisent,
Taches, viltés leurs dignités .destruisent;
Là où les faits et hautain titre nuysent.
Très-sobre y doit la gloire estre estimée ;
Mais où les faits que les nobles produisent,
Sont de semblable aux cœurs où ils se puisent,
Et qui d'honneur tous leurs désirs en duisent.
Là est noblesse entière et consommée.
Ne seulement en vostre roide espée,
Ne en vertu de vaillance attemprée,
Gist tout le fait, ne le fort de vostre ordre,
Ains la plus part et la plus haut rampée
Et dont salut en peut grigner grippée,
Gist en clarté de mœurs non encoulpée
Et en tel vie où peuple n*a que mordre ;
Car, noble gent d'ordure enveloppée.
De vice empaint, de vice .occupée.
Comme un oiseau prend l'autre à la pipée.
Un dissolu en fait cent mille estordre
Et fait vertu toute estre dissipée.
Perdre salut, foy estre décopée,
Honneur fuitif, vergongne estre estoupée,
Et grâce Dieu d'ensus le monde estordre.
Se à rose ardant duit odeur précieuse,
A fleur en may beauté délicieuse,
Clarté au ciel, et vérité au livre ;
Se à rubis, perle ou gemme précieuse
Duit vertu digne et garde curieuse ;
Plaisant maintien à dame gracieuseï
SH LE MIROER
A beau parler, beau stile qui enivre;
Si grand los duit* à terre fructueuse,
Chierté à herbe utile et valueuse ';
A chief royal, couroone somptueuse,
.A beau faucon, esle* vite et délivre :
Encore à vous, noblesse copieuse,
n vous duit mieux, par loy substantieuse
Et par nature et gloire ambitieuse,
Avoir vertu, vergongne et noble vivre.
Pourpre couleur, ne peinture azurée,
Cristalin ciel, ne resplendeur dorée.
Ne sont si beaulx qu*un haut noble courage.
Nature aussy, qui tant est décorée
De chier trésor et de haulx dons parée,
Au plus parfait de sa gonde estorée,
N*eust eu si cher, si précieux ouvrage.
La terre en soy en es^ plus honorée,
La foy s*en sent plus riche, et bien eurée,
La court céleste, la toute énamourée;
Dieu y prent los, tranquillité, ombrage.
Salut en prend longue estable durée;
Paix, noureçon; vertu, foy asseurée;
Honneur, haut siège et gloire désirée;
Et ciel et terre en font feste et parage.
quel malheur et quelle douleur dure
Quant «un haut nom s*embrouillit en ordure,
Et du vrai cours de son droit se dévoyé.
Et sa très-noble et excellente nature
Meffait ternit de blasme et de laidure ;
Sa souvent riche et florissant verdure
* Duii, eonyient.
■ Var : Vertueuse,
• £sle, aUe.
DES NOBLES HOMMES DE FRANCE. «3
Oaste en méeuB et en &ngeu8e yoye !
Certes, mal duit à toile créature
D*avoir llionneur, la gloire et couverture
D'un tel manteau, d*une telle parure
Qui yeux déçoit et soy-mesme fourvoyé ;
Ains devroit mieux celer sa géniture
Et porter nom selon sa nourriture,
Dont, s'il en est aucuns à Faventure,
Dieu tout amende, et sa grftce y pourvoye !
Clercs et prélats, par doctrine et science,
S'acquièrent ^eurs et fruits de sapience,
Et, en tel rais, leurs chiefs reçoivent gloire
Et leur donne-on en sièges préférence.
Voix en conseil, en quarfour révérence,
Pour leur sçavoir et acquise apparence
Et qu'en eux gist de sens le répertoire ;
Mais vous, seigneurs, extraits d'autre semence.
De qui les fons et noble conscience
Sont, par nature et naïve excellence,
Duits et constraints à venure ^ notoire,
S'en vous a gloire ou g^nt magnificence,
Honneur, bon los et vertueuse essence.
Cela vous fait nature estre en présence.
Qui de tels faits vous instruit la mémoire.
Soyez si faits que vo coeur vous donra
Et que fortune à vostre eur suffira.
Nobles de nom ou nobles de noble œuvre;
Hais par vous seuls, quant vertu y sera.
Si paix salut jamais au monde aura.
Par vostre cause et par vous adviendra,
Et vos vertus en feront la recœuvre ;
> Var : A nohU œuvre.
su LE MIROËR
Et d'autre les, quant tout y languira
Et tout y chorra et tout y branlera,
Et que seurté ocBur d'homme ne sçaura.
Par vos deffauts, cela feres esmeuvre ;
Et Dieu là haut sur vous se courcera,
Fors que h droit le corps vous punira ;
Peuple escriant en haut vous maudira
Et de leur doy en feront la desoœuvre.
Par vous languit ou ressourt Sainte Église,
Par vous possède ou elle perd franchise,
Par vous resplend ou par vous est ternie ;
Par vous font rois et princes haute emprise.
Par vous font-ils meschief que je desprise,
Par vous leur vient ooustume bien apprise
Ou par vous font honte à leur progénie ;
Par vous justice est en haut siège assise.
Par vous droiture est équale et massise.
Par vous treuve-on stabilité rassise ;
Par vous la terre est de salut garnie,
Et au rebours, par vostre anéantise.
Par vos viltés dont vous faites cointise,
Ciel, terre et mer où vous avez hantise,
Tous sont infects de vostre vilennie.
Soyez, vous pry, vrais nobles et parfaits,
Non pas par nom, mais vrais nobles par fiaits,
Visans à Dieu et à tout noble affaire.
Dieu, pour miroer, vous a créés et faits.
Vous a donné honneur et cœurs et faits,
Affin que ceux quy sont plus imparfaits,
T puissent prendre exemple de bien faire,
Vertu loable et excéllens biensfaita.
Ce sont les points dont vous serez reffaits.
Et dont au ciel vous serez satisfaits,
DES NOBLES HOMMES DE FRANCE. âl5
Et dont la terre en soy a plus affaire ;
Pensez-y bien, ains que soyez meffaits,
Ou, s*en vous a laidure ou meffaits,
Purgez-les tost, aîns que soyez deffaits.
Ou Yostre honneur ne pouvez pas parfaire.
Si par soûlas en vous je m'entroublie.
Non par doctrine ou arrogant folie,
Mais par amour que je ne perds pour sommes,
A un chascun de pardon je supplie.
Ma plume est mal de riches mots emplie;
Pour le mal mis le chief encline et plie.
Le bien est tout à llionneur des preudhommes.
Donc, s'en moy semble avoir mélancolie
Sur France, appert, la région polie,
D*excus requiers, mais tant vous en deslie :
Dieu ne fit oncques deux Troyes, ne deux Romes,
Ne fera-il deux Frances, quant faillie
Sera la nostre, assez jà affoiblie.
Prenez en gré, mon œuvre est accomplie :
C'est un miroer pour françois nobles hommes.
m ^fiS N tr^ ^
. LES PAROLES
DE TROIS PUISSANTS PRINCES
PHILIPPE, DUO DB BOUBaONGNE.
Voulant aimer où point ne m^asseure,
N*08e eslongier ce qu*au cœur m*est contraire ;
Ainsi, sans tost vers nul lez me retraire,
Froid entre deux convient que je demeure.
OHABLBS, BOY DB FBANCB.
Lyon, les bras n'a pas si au desseure
Qu*à part toy seul, puisses un monde faire.
Branle où tu veux^ mais pense à ton affaire :
Cent ans as cru, tout se paie en une heure.
HEiniT, BOT D*ANaLBTBBBB.
Peu de TOUS deux m'est-il, qui rie ou pleure.
Vers nul ne suis fort engrant de complaire,
■ Publié d'après le ma. 190 de la Bibl. Laurentienne à Florence, le
ma. B. L. 102 de la Bibl. de rAraenal à Parla, le ma. 1117 de la Bibl.
imp. de Paria, le ms. 783 de la Bibl. roy. de La Haye et le ms. 726 de la
Bibl. de Doaay.
Jacques Dudercq rapporte que ces Tara furent trouvéa dans lliOtel
du duc de Bourgogne, au moment où Charles VII tenait son lit de
juBtice à Venddme pour juger le duo d'Alençon.
218 LES PAROLES DE TROIS PUISSANTS PRINCES.
Hais pour vous voir ensemble entre-défaire,
Me joindre à l'un pour Tautre courir seure.
PHILIPPE, DUO DB BOUBOONGNE.
S*amour tenoit la voie de son eure.
Là où bon sang luy monstre son repaire,
Un cœur, un corps demourroit une paire,
Auquel nul nuîr ne pourroit une meure '.
CHABLBS, BOT DB FBAUCE.
Boute où tu yeux, feu en paille ou en feure.
Bien peu je crains ton fier bras sagittaire.
Mais je vivrai roi régnant solitaire ,
S'il plaist à Dieu qu'en vain je ne labeure.
HBNBT, BOT D*ANaLETEBBE.
Secrète envie ensemble vous desveure.
Grand gloire à Tun, k l'autre est traversaire :
Par quoy, moy neutre, à tous deux adversaire.
Toujours m'attends moy ravoir ma demeure.
■ Variante : Auquel un tiers ne pourroit une meure, c'est-à-dire : au-
quel on ne pourrait ftiire le moindre tort, pas mdme enlever une mûre.
LE DIT DE VÉRITÉ'.
i.
Puisque d'amour» ne de léal racine ,
Là dont honneur très-humble se présente.
Ne se peut traire aujourd'hui fruit, ne signe
En quoi Tamant s'aperçoive ou consigne .
D'aucun espoir d'utilité présente ,
Bien il faut donc délaisser cette sente
Et non en perte humilier sa face ,
Et qu'au surplus on quière qui le face.
II.
Aimer servir tout humble et léal offre
Que noble sang produit de sa nature,
Tout désormais faut rebouter au coffre,
Là où le cœur qui aime et se paroffre.
Mettra en Dieu sa seule nourriture,
Et ne fera plus si large ouverture
De sa chierté dont il a plénitude.
Sans fin cognoistre en longue ingratitude.
* Publié d'après le ms. 11101 de la Bibliothèqne de Bourgogne et
le ma. 120 de la Bibliothèque Laurentienne de Florence. On en trouva
un fragment dans le ms. 783 de La Haye.
220 LE DIT DE VÉRITÉ.
III.
I
Tinms jadis , horribles infidèles,
TrouTe-on attraits par humblesse à démence ,
Et comme cire en Tardeur des chandèles,
Estre amollis en leurs fureurs crudèles ,
Souyent, envers le povre humain semence :
Par quoy » qui aime en haut lieu et sème en ce »
Et sert et prie, et faveure et honneure ,
Si fruit n*en trait, c*est âme de maie heure.
IV.
Tig^s, griffons, lyons, dragons horribles,
Ours et lupars , leu-cervés et panthères ,
En leurs manoirs et spélonques terribles,
Peut-on , par temps et par douceurs sensibles,
Bompter en leurs natures très-austères,
Et tirer fruit et vertueux mîstères
De leur fierté en douceur convertie,
Lorsque loy telle en lliomme est pervertie.
Dieu offensé, piteuz se pacifie
Par douceur humble et par ami courage.
Donc, qui d'un doigt le haulce et glorifie ,
Par cent fois double il sourt et fructifie
Le plus povret de tout humain parage '.
Chascun reçoit en prix de son ouvrage ;
Chascun il paye en poids * de sa value :
A ce Tastraint sa justice impolue.
^ Var : Linaget ms. de Florence.
' Var : Snpris^ ms. de Florônce.
LE DIT DE VÉRITÉ. 221
VI.
Un temps transquil, un vent doux et paisible,
Fléchit Torgueil de la mer furieuse,
Et le chéoîr de la goutte visible
Souvent et dru sur le marbre insensible,
Y gagne enfin fosse mystérieuse.
Toute rien dure , haute et laborieuse ;
Où effort n'a puissance que flaistrie ,
Douceur d*engin le convaint et maistrie.
VII.
Nature et loy traient toute rien née
En amitié aucune à son semblable;
Et ont leur voie en ce point ordonnée
Qu*entr*aimer font par faveur enclinée ,
Le bon le bon , le mauvais le blâmable.
Expérience est preuve véritable
De ce secret en toute créature.
Donc, si loy fault, jamais n*y fault nature.
VIII.
Des dieux jadis, les nations gentiles
Quirent Tamour par humbles sacrifices,
Lesquels, posé que ne fussent utiles.
Furent nientmoins rendables et fertiles
De maint grant fruit et de haulx bénéfices,
Monstrans par fait que d'amour les offices
Et d'honneur humble , impartis où qu'ils soient ,
Pour percer ciel et enfer suffisoient;
IX-
Honneur semont toute noble nature
D'aimer tout ce qui noble est en son estre.
«M LE DIT DE VÉRITÉ.
Noblesse aassi y adjoint sa droiture.
Sy fait Raison en toute créature,
Qu'entre un et autre amour doit lien estre;
Et si discord aucun y pouvoit naistre ,
Qu'extirpé soit par vertu triomphant,
Ou gloire d'homme est moindre que d'enfant.
X.
Ciel, firmament, toute l'entier fabrique
Des mains de Dieu, dont l'œuvre est excellente,
Thrônes, vertus et puissance angélique.
Tout s'entretient et pardure en publique
Par amitié et union patente.
Et est l'ouvrier qui tout duit et régente,
Si en amour conjoint avec son œuvre
Que riens, fors paix, ne s'y trouve en recœuvreV
XI.
Mais là où est le droit milieu et centre
De son très-haut et glorieux ouvrage.
Qui est la terre où toute douleur entre ,
Là est le sacq, le droit gouffre et le ventre
De tout discort et d'envieux orage ;
Car sont iceux de si pervers courage,
Qui en ont pris la haute seigneurie.
Qu'en leurs mains gît félicité périe.
XII.
Là où foy une, un fons et un baptême,
Unbers, un sang, un lien doit estraindre
Var : Nt t'y tnmve et reeœuvre, ma. de Bmx^les.
LE DIT DB VÉRITÉ. 823
Et traire tout ensemble à une remme *,
Là vient malheur qui les rôg^ans achemme *
Et fait leurs cœurs enfroidir et refraindre',
Et sans honneur, ne Dieu, ne autre craindre,
S'entre-grongnier\ pour plus gloire assouvie.
Par feu maudit de vieil haync ' et d^envie.
xin.
Pardonnez-moy, François, de ce prologue,
Dont la sentence, est d*assez loing quérue *;
S'il y a riens qui point, ne qui dérogue,
Vous avez clercs, mettez-le en dyalogue.
Le clerc se trouve en raison débattue;
Mais toutesfois, sans que je desvertue
Vostre honneur viel, ne charge de poussière.
Vous et vos faits m*en sont cause foncière.
XIV.
Vous et nous tous, jadis fûmes ensemble
Un corps uni sous un divin gouverne;
Mais venue est celle heure, ce nous semble,
Qui vous de nous distrait et désassemble
Par vieil venin et envie moderne\
En quoy chascun qui entend et discerne
• Et du sentier du vrai droit ne desvoie ,
S'aperçoit clair de vostre oblique voie.
' Memme (flamand : riem)^ courroie, corde.
> Ducange donne au verbe : achesmery la signification de om€r,|)(ire^
qui ne parait pas convenir ici.
' Yar : Eestraindre^ ms. de Fiorence.
♦ Var : S*entre<ourchier, ms. de Florence.
' Var : De hapne auisi^ ms. de Florence,
• Var : Qui de si loing prentsa couleur vestue^ ms. de Florence.
' Var : Par vieil venin d^ennemisié moderne, ms. de Florence.
2iU LE DIT DE VÉRITÉ.
XV.
8i dur malheur et fortune ennemie
Nous ont jadis entrebrouUlés en guerre/
La souvenance en doit estre endormie
Par le reoort que nostre main amie
Vous a esté moult joyeuse en Tautre erre.
Et qu'en salut et gloii« reconquerre
De tout ce, peu et grant, que y avez ,
Ingrats ou non , de nous le recevez.
XVI.
Je souffre en paix les vieilles origines ,
Ne qui a droit ou tort en ceste essource;
Mais par pité de vos propres ruines,
Laissans querelle et honnestes racines,
^ Nos mains vous ont pourvéus* de ressource.
Qui veut s*en rie, et & qui plaist s*en cource,
La vérité est claire , et sy est telle ,
Tesmoing tout sang* de bonne parentelle.
XVIL
Riens toutesvoies , je ne dis par repreuve,
Quand tout vostre heur à nous est propre gloire;
Mais si par nous aucun bienfait se trouve,
N*est pas pourtant* qû*un vain orgueil nous meuve
A fol vanter pour le mettre en mémoire.
Non certes , non. Ce fait le répertoire
Qui nos bontés et amitiés passées
Monstre en vos yeux mortes et effacées.
* Var : Prévenus, ms. de Florence.
* Var : Tesmoing mon sang, ms. de Florence.
* Var ; N'est point pour ce\ ms. de Florence,
LE DIT DE VÉRITÉ. 225
Tvni.
Dieu et amour nous furent forme et titre
D'entrer o ' vous en paix et en concorde.
Là où jamais n'y eut forain arbitre
Qui avisast ne homme, ne chapitre.
D'en riens descendre, à ce que j'en recorde,
Sinon d'un cœur seule miséricorde
Que Dieu lassus ne souffrira perdue ^
Lorsque par vous ne sera point rendue.
XIX.
En lieu d'amours tant de fois exhibées.
De tant d'honneurs et d'humbles révérences.
Vous , jà essours en vos hautes montées
Vous nous niquez ou nous faites les bées*,
Monstrans vos yeux plus agus que sérences ^,
Et semble , à bien juger vos apparences ,
Que sobre y est l'amour qui fructifie.
Sous un tel œil qui rit et mortifie.
XX.
Ce ne sont pas bien honnestes rendanges ,
Ne justes fruits tirés d'humble service;
Car quand seriez dieux immortels ou anges ,
Et nous meschans bons-hommeaus en nos granges,
Sy n'en pourroit plus prendre nostre office
Que ce qui est monstre par bénéfice
Et nous redonde en despiteux mespris ,
Là où l'ingrat n'acquiert guères de pris.
I O, avec.
* Var : [Qitê Dieu lassus ne souffre estre perdue /] ms. de Florence.
* Ztf d^(f, la mone.
* Sérences, séraD, instrument de fer avec lequel on peigne le lin.
TOI. fl. io
886 LE MT W VÉRITÉ.
xa.
Au fort» par nous metiare en nos devoirs jostes
Envers honneur et Ui où il conseille.
Tant plus seront nos fortunes robustes.
Plus clairs nos noms , nos œuvres plus aug^ustes,
Contre un chascun qui mordant nous esveille ;
Et n*y a pas de perte une vermeille *
Qui devoir fait et de vertu se cœuvre :
Si ccBur ingrat ne prend en gré bonne œuvre.
XXII.
Hommes et Dieu oognoissent bien nos vies.
Bien ne se peut ne celer, ne estordre,
. Mais en possès de vos hauteurs pleinries'.
L'on y perçoit si claires vos envies
Que tout le monde y peut reprendre et mordre.
Donc, s*il vous vient de faute de bon ordre,
Ce poise-nous de vos vices extrêmes';
Mais le venin en redonde en vous-mesmes.
XXIU.
Si vous r^ez en triomphe amirable,
Et qu'en vos bras gît fortune endormie ,
Bégnez si bien que ce vous soit durable
Et qu'en régnant la fin ne soit plorable,
Car quant à nom, ce ne nous grieve mie;
Mais d'autre lez, si fortune est amie
I Vermeille, c'est le nom d*ane fleur. ^
* Pleinries, complètes, parfaites. On Ut dans le ma. de Florenee : Ik
vos hautes plenies.
* On lit dans le ms. âe Florence : De vos fHeseafrêmee, ce qQÏes^éfvi'
dominent une faute.
LE DIT DE VÉRITÉ. 237
Vers nova, aussi n'y prenez point rancune,
Car point de tous ne nous vient ceste lune '.
XXIV.
Nous avons gloire, hoimeur, resplendissanoe,
Qui Fair parvole et les hauts cieux fait fendre ;
Mais 06 n*e6t pas dehors de congnoissance.
Ains tenons tout de la haute puissance
De Dieu là sus, qui nostre est pour deffendre,
Lequel aussi, si vous craigniez Foffendre,
Vous vous tiendriez à sa grftce impartie
Et souffreriez de la nostre partie.
XXV.
Bi^n oongnoissons que vous avez un thronne
Par dessus nous plein de gloire ancienne,
Et qu*en vos mains tenez sceptre et couronne
Où tout ITionneur du siècle s'avironne
Si cours avoit vertu cotidienne;
Mais vanité de gloire terrienne
Vous a les cœurs si pus • de son buvrage
Que la hantise en est fière et sauvage.
XXVL
Vostre orgueil grant et hautaines manières.
Vos cœurs essours en nouvelle fortune.
Avec mespris de nos povres tannières
Que vous pensez fouler de vos bannières
^ Ceiiê lune, cette influence heureuse. On dit encore anjoard'liui
familièrement : une bonne lune,
* Pus (participe passé du Yerhe paistre), nourris. On Ut : Pris^ dans
le ms. de Florence.
228 LE DIT DE VÉRITÉ.
Si Dieu gardoit pour nous telle infortune:
Tous ces polnts-cy nous sont cause opportune
D^entrer droit-çy en ceste parole aigre.
Que plust à Dieu que cause y eust plus maigre!
XXVII.
Orgueil jadis par maintes fois diverses
Vous a punis et procuré misère.
Et a fait faire à malheur ses traverses
Parmi vos osts piteuses et adverses.
Dont Tautrui gloire en est vostre impropère;
Ce poise-moy que ce ne vous appère
 plus grand heur, mais ce fait advertance
Pour y pourvoir par ferme résistance.
xxvin.
Ne vous, ne nous n'avons de propre force,
Ne de bras fier, certaineté, ne taiUe,
Car là haut glt la main et tranchant force
Qui d'un chascun affoiblit et renforce
Le bras armé, de quoy il couppe et taille.
Donc, si gloire ist' au vainqueur en bataille,
Ne lui vient point de vertu seule humaine,
Mais de celui Ui sus qui l'œuvre maine.
XXIX.
Puissance humaine est une povre chose.
Qui est fondée en vanité légère.
Millions gens , et cent fois plus par glose,
Là où péché d'orgueil se contre-opposé,
■ M (du verbe istir, sortir], arrive. On Ut : Ssi dans le ms. de
Florence.
LE DIT DE VÉRITÉ. 229
Tout n'est en pris qu'un vorre* de fougière ",
Emprôs la main de Dieu avantagôre
Qui vient au faible et à l'humble en aide ,
Lorsqu'au plus fort baille fraeur et hide.
XXX.
Quans a-l'on vu de sifaits" hauts mystères,
De tels divins hauts jugemens sans nombre ,
Là où les fiers humains persécuteras
De leurs grands osts ont rempli c^piitôres
Soubs un petit flayel* tout humble et sombre.
Et ont esté esteints, ainsi qu'une ombre
Qui passe au vent et jamais ne retourne ,
Par leur orgueil qui ainsi les atoume !
XXXI.
Ne se confie un roy en ses cohortes ,
En ses maintes puissances redoublées
Parce que là où Dieu n'est de ses sortes',
Toutes fiertés humaines y sont mortes
Et en l'instant ravies et emblées ;
Car veut monstrer en toutes assemblées
Qu'en luy seul gtt plus qu'en cinq cens mille âmes
La paix des rois et salut des royames.
XXXII.
Proposemens souffre assez dire et faire,
Grans apparaux machiner et esmeuvre ;
• Voirre ^jafouerre, palUe.
» On lit dans le ms. de Florence : Toui n*est en prié qu'un voirre de
JUquière.
* Sijhits ou sifaits on un mot, semblables.
• Var : Prapeh ms. de Florence.
* H'esi de ses sortes, n^est de son parti, n^eat avec lui.
230 LE DIT DE VÉRITÉ.
Donc, quand ce vient à un pourpos parfaire ,
Souvent le tourne en un tout autre affaire ,
Et au rebours du proposant chiet Tœuvre.
Ainsi sa grâce où tout salut se cœuvre,
Souvent tient roide aux rois bride et cheval ,
Pour le support du monde icy aval.
XXXIII.
Besoing fait voir que le frain se retiengne
Des roys souvent ireux et volontaires»
Et que une main puissant les contretiengne,
Qui malgré eux et par fait les abstiengne
De leurs pourpos non toujours salutaires ;
Car si leurs cœurs et pouvoirs solitaires
Avoient francs, comme «i main une fonde*,
Jamais n'auroit paix, ne salut au monde.
/ XXXIV.
Exemplez-vous, et vous soit à figure
Le roy Henry, vostre infesteur si sage.
Lequel , après mainte grieve faddure,
£aite en vos yeux, qui trop vous estoit dure.
Fut révoqué du haut de son passage;
Mais non veullant croire le vrai message,
Qui Tavertit du saint divin remort,
Fut prévenu d'ingarissable mort'.
XXXV.
Dieu voit et sçait qui à salut contoident.
Et qui à bien et h mal se disposent.
* Fonde pour Jlronde.
* Vofez t. !•', p. 837.
\
\
LE DIT DE VÉRITÉ. SSI
Sy fait-il ceux qui à leur propre entendent
Et rien qu'à gloiito et yanité n'attendent ,
Sur qupy leurs cœurs labeurent et proposent,
Mais eux trestous, tout ainsi qu'ils s'exposent.
Par plus» par moins, à haut bien qui appère,
Tout en ce point les conduit et prospère.
XXXVI.
François, François 9 remitigez vos ires',
Bamodôrez vos passions non saines
Et gouyemez vos haulx nouveaux empires ,
Si bien qu'enfin vos noms n'en soient pires ,
Ne vos raisons j^lus foibles , ne plus vaines.
Après avoir acquis ses granges pleines
Du fruit de gloire à nullui héritable,
Il y chiet sens pour le garder estable.
XXXVII.
Guerre à ce lez ne vous est besoingneuse.
Sinon que las soyez jà de longue aise.
Trop a esté de vostre part coûteuse;
Sy vous devroit estre chose annuieuse
Rentrer arrière en sa grippe mauvaise.
Au fort, s'en vous n'a bouche qui nouA baise,
Baisez au moins vostre présent fortune
De peur des tours de sa fraude mainte une.
XXXVIII.
Nous, quant à nous, nous désirons à vivre ;
Nous quérons paix et ami voisinage,
Var : Bt r^igne» vas ires, ms. de Florence.
232 LE DIT DE VÉRITÉ.
Et n'avons riens qui nous meuve' ou enivre;
Car nous voyons par exemple et par livre.
Quels sont les fruits de si fait baronnage *.
S'amour d*un sang, d'un ventre et d*un linage
Peut devers vous ouvrer de sa nature,
Jà de nos lez n'en rompra la droiture.
XXXIX.
Nous vous voudrions aimer, servir, deffendre,
Croistre, ezaucier et porter vos querelles,
Mais qu'il vous plust agréable le prendre.
Et bonne amour récompenser et rendre
Bemblablement par amours naturelles ;
Mais en usant de fiertés corporelles.
Disant: c Vilain, tu le dois faire » , adoncques.
Nous sommes sourds et ne vous vîmes oncques.
XL.
Cœur nous est gros , et avons roide eschine.
Force et pouvoir, et bras pour les conduire.
De quoi jamais ne faudra la racine.
Pour quelque effort que cœur d'homme y machine ,
Ne que vos mains y pourroient produire.
8/ n'y faut point s'esbattre, ne déduire
A l'assayer, pour faim que cœur en aye.
Car la folie en rendroit dure playe.
XLI.
Cestui point seul notez que je vous touche;
Gestui point seul vous cause vostre envie :
* Vâr : Maine, ms. de Florence.
* Var : Laèarage, ms, de Florenee.
LE DIT DE VÉRITÉ. 233
Si nous fussions Tun borgne et Fautre louche ,
Mois et chôtifs , bridables en la bouche.
Lors nous seroit yostre amour appleuvie'.
Et diroit-on: c Dieu tous doint bonne vie!
t Gomment vous va? vous plaist-il venir boire? »
Mais garde après du coup de la cachoire ^
XLIL
Mais à Dieu los! qui^de sa bonté large.
Et par renvoi de ses grâces tant maintes.
Nous a donné tel champion et targe ,
Que son haut cœur nous affranchit et targe
Contre les mains de vos aigres ' estraintes.
Car ne seroit par menaces, ne craintes.
Biens tant soit peu, jà-soit-ce qu'on le cuide;
Mais périlleux y feroit estre guide.
XLIII.
Il est tout clair, et le congnoit toute âme,
Mais douleur m'est qu'ainsi je Tassaveure;
Rien n'y a trop qu'un homme en ce royame.
Lequel, si Dieu l'avoit mis sous la lame.
Vous auriez lors tous vos bras au desseure.
Ce vous semble-il, mais sachez de celle heure
Bien dure à vous, quand il défmera.
L'honneur du siôde entier se périra.
XLIV.
Affectez fort sa mort et sa ruine,
Et lui plaindez sa vie bienheurée ;
'- Âppleuvie, assurée, garantie.
* Dans \Bxpo9iHonsur vérité mal prise, Chastellain parle aussi : de
la eachoire par laquelle on fait saillir avant Us compagnons.
» Var : Larges, ms. de Florence.
234 LE DIT DE TÊRITÉ.
Mais onc dur voua ne chut telle brayne ,
Ne si amer, ne dolante pluyne,
Comme en sa mort vous sera préparée»
Laquelle après avoir assez pleurée,
Votur oongnoistrez à coup^ par vue experte,
Gom' douloreuse en toumeia la perte.
XLV.
G*est le trésor du haut honneur du monde ;
G*est cil en qui oncques n*entra reprise ;
C*est le miroir de noblesse parfonde,
Là où proesse et vérité abonde
Plus qu'en la terre ailleurs n'en est comprise;
C'est celui seul qui l'âme a toute esprise
De léauté envers Dieu et tout homme,
Et dont la bouche amende, qui le nomme.
XLVI.
C'est le miroir des haulz roys et des princes ;
C'est l'outrepas ouvrage de nature;
C'est le reclaim des longtaines provinces,
Où les faveurs de fortune non minces
Passent en don toute autre créature;
Cest icelui en qui toute ouverture
D'amour divine est tournée et perfuse :
Qui meilleur sçait, montre que je m'abuse !
XLVIL
C'est des régnans la perle et l'outrepasse,
L'aigle et soleil qui tous les bons survole ,
' A eoup, sur le coup, Immédiatement. On Ut : Atêe^dBAB le ms. de
Florence.
> Yar : QfM, ms. de Florence.
LE DIT DE VÉRITÉ. 235
Voire en sou temps. Qui voudra, le me passe ;
Mais jà pour tant , pour deuil qu'on y compassé,
Je u*en feindrai ne lettre, ne parole ;
Car tant sy est resplendissant son rôle.
Là où sa gloire est peinte et eng^vée,
Que riens emprès n'y peut mettre estrivée.
XLVIU.
Meure et s*en yoist quant il plaira au Sire ^ !
Rendre une fois lui convendra ses armes ;
Mais tant dis bien : que France et tout Tempire
Y perdront tout et en auront du pire,
Et en plorront, plus que ne pensent, larmes.
C'est le vrai père aux chrestiennes armes.
Et qui de vous prend plus soin et chaloir ;
Mais ne pouvez l'aimer, ne bien vouloir.
XLIX.
Ains par douleur de sa béatitude
Et de ses haulz très-glorieux affaires ,
Vous vous souffrez armer d'ingratitude
Et parti prendre et publique habitude
Non trop honneste avecques ses contraires.
Boutez avant, mais ne soyez ignares
Que tache et maille en perle, quelque soit,
L'ooil juge tout et papier le reçoit*.
L.
Lui seul vous put', lui seul vous est à hayne ;
Lui seul vous est rebout de vos parades;
■ Au Sire, an Seigneur.
* Cette strophe se termine, dans le ms. de Florence, par les deux
vers suivants, dont le premier pèche contre la mesure :
De ingratitude ne venlliez présumer ;
Humilité ne &it à desprimer.
* Put (du iBMnpufere), excite votre répulsion.
236 LE DIT DE VÉRITÉ.
Lui seul vous est vostre amour plus loing^ne
Et de vos yeux la douleur plus prochaine ,
Voyant vers vous ses nobles ambassades.
Or Dieu gart tout et les sains et malades !
Mais quoique çy ' la chose peu vous monte »
La fin ailleurs en rendent* le compte.
LI.
G*est en ce monde un empereur en gloire,
Et envers vous, le plus humble qui vive.
Qui seul essourt Thonneur de vostre histoire
Parsus le ciel emprès la sienne noire,
Et ne se prise une poire chétive,
Mais seul contend, en vertu pure et vive,
De vous gagner le cœur et amollir,
Pour mesmes soy parer et embellir.
LU.
Non serf à nul, tout subjet se présente;
Grant emprès tous , tout humble se répute ;
Corps, biens, pays, pouvoir, vie présente,
N'a riens de bien qu'à vous il ne consente
Et pour servir vos hauteurs, ne députe;
Los, propre gloire il ignore et confute,
Et roide au monde, à vous tout seul se ploie :
Quérez ailleurs qui si bien s'y emploie.
LUI.
Non pas pour tant que crainte à ce Foblige,
Ne qu'envers lui en ayez grand desserte,
1 Yar : Croy queicy, ma. de Florence.
> Var : Requerra, ms. de Bruxelles.
LE DIT DE VÉRITÉ. 237
De 8oy monstrer si entier, ne si lige,
Sinon que propre il sliumblie et corrige
Par sa vertu en sa hauteur experte ,
Pour vous monstrer, par raison toute ouverte,
Que sang, nature et raison sont en lui.
Non pas orgueil, ne venin enfelli.
LIV.
Son fons, son cœur, son intention toute.
Sont en Taspect de Dieu qui les regarde ,
Et sur iceux il se confie et boute.
Et ne vous craint, ne toute vostre route ;
Car Dieu, espoir, le tiendra en sa garde.
Cœur net et bon n*a besoin qu*on le farde;
Mais qui l'a double, infect et vicieux.
Là sont les nœux durs et suspicieux.
LV,
Vous n'avez fons, ny occasion nulle.
Fors seule envie, ardant, ensouffroiée.
Qui par le monde univers vous recule ,
Vos faits, vos dits, vos œuvres dampne et brClle,
Et vous acquiert triste famé ombroiée.
Dont, quand la sauce aurez toute broiée,
Sy sauront bien tous ceux qui Tassaveurent ,
Quels mixtions et espices y cueurent.
LVL
Vous imputez charge et blftme importables.
Dont à Dieu seul on remet les vengeances ;
Et aggrevez par dits très-lamentables
Celui du monde où plus a biens notables.
Plus de vertus et moins de reprouvances.
Et qui pour cent non millions de Frances,
238 LE DIT DE VÉRITÉ.
Non pas pour Dieu, ue pour son paradis,
Faire voudroit dont il fust enlaidis.
LVII.
Tournez, virez, perquirez ses légendes.
Le droit, Tenvers de sa vie honorée;
Mais en fouillant ses fautes et amendes
Retournez-vous sur vos propres kalendes ,
Là dont lecture est assez proférée.
L'on vous dit bien : Ciel et terre ont durée ;
Mais plus possible est demain tous deux rompre
Que son haut cœur de mauvaisté corrompre.
LVIIL
Ne tous vos clercs, ne toutes leurs contreuves,
Ne tous les haidx engins qui vous soustiennent.
Et fussent-ils plus abondans que fleuves.
Plus infinis que les gouttes des pleuves ,
Et plus subtils que ceux qui d'enfer viennent,
Si contre honneur et vérité ne tiennent,
Faire apparoir eux tous ils ne sauroient.
De quoy d'un grain sa gloire terniroient.
LIX.
Mesmes le siècle et tout l'univers monde ,
Vous excepté, le tiennent à preud'homme.
Et n'a haut roy, ne prince autre en la ronde.
Qui tout son temps ne Tait tenu la bonde
Dont d'honneur vrai se trait la pure gomme.
Vous donc, hélas ! que le siècle tant nomme
Haulx et fameux, et le juste aggravez !
! et pensez quel los propre y avez.
LE DIT I» VÉRITÉ. 259
LX.
Lui mouvoir guerre, il vous est bien possible ,
Dont le pourfit glt celé* en fortune;
Mais si la cause en est juste et loisible ,
Ne s'elie est moins à faire ou plus taisîble,
Gela sçait Dieu qui règne sur la lune.
Mais soit ou claire ou noire ou toute brune,
Quand tous viendrez pour sa hauteur confondre,
Il est non roy, mais duc pour vous respondre.
LXI.
Bien le pourrez molester et combattre,
S^ainsi le veut fortune ou destinée ;
Mais ne saurez , pour tout vostre débattre.
Son honneur pur infecter, ne rabattre.
De quoy sa vie en terre est couronnée ;
Mais maugré vous, aura place ordonnée
Tout au plus haut du triomphal paroir.
Là où honneur Tasserra son miroir.
LXII.
Montez, r^ez , ampliez vos dostures ;
Estendez mains en terre et en mer fières ' ;
Faites sentir vos fers et vos armures ,
Trembler pays, peuples et fermetures.
Dont nous, com vous, savons bien les manières ;
Mettez à Tair venteler vos bannières
Et acquérez le monde en ceste queste;
Mais de cestui n*atouchiez la conqueste.
LXIIL
Sept pieds sans plus de terre glorieuse
Lui garde honneur, plus dignes que couronne,
• Var : Git tel fois, ma. de Florence.
' Var : JSn ferre, en omvres fières^ ms. de Florence.
240 LB DIT DS VÉRITÉ.
Là où fosse a d'œuvre mistérieuse»
Toute entaillée en pierre précieuse,
Plus reluisant que le soleil au thrône ,
Lequel, s*envie ou serpent Tavironne ,
Trop bien crever et mourir y pourront,
Mais atouchier jamais n'y oseront.
LXIV.
G'esircy Tacquest de ses longs jours félices;
C'est le droit chier de tout son haut contendre*.
Or, lui rostez puissances et délices,
Quand vous pourrez, par forces et malices:
Au moins cecy ne lui pourrez reprendre;
Car, quand voudriez venir à Tentreprendre ,
Et fussiez-vous cent empereurs de Rome ,
Il en fait figue' à fortune et à homme.
LXV.
L'estrif m'ennuie et m'en cuert pitié seure ';
L'argu aussy m'en tire à amertume.
Sy complains bien que né suis de telle heure,
Qu'en propres yeux et larmes que je pleure ,
Baigner me faut ma douloreuse plume,
Et que Sathan , qui tout ce feu allume ,
Tient de si près les cœurs de haute sorte,
Qu'honneur s'y perd et raison y est morte.
LXVI.
Donc, pour conclure et fin mettre en mon œuvre.
Qui aigre est plus que mauvaise en essence,
I Yar : De son très-hauli coniendre, nu. de Florence.
* Faire Jigue, se moquer.
■ Seure, amèro.
LE DIT DE VÉRITÉ. 24!
Peur m'est, si Dieu les oœnrs tous ne vous œuvre
Et d'autre avis vous nourrisse et abeuvre ,
Que dure en fin n'en soit la conséquence,
Et que fortune et amère influence
Ne facent rapt final de ce royame.
Par nos péchés , chascun y pare une âme.
LXVII.
Felle jadis division murtriôre
Le mena près jusqu'à la mort extrême,
Dont, grftce Dieu ! la reboutant chartriëre.
N'a pas trois jours, par pitié descombrière ,
Lui restera et gloire et dyadème " ;
Mais maintenant par ire et par blaphëme
De Dieu lassus, arrière y est rentrée.
0! et com dure et maudite ventrée !
LXVIII.
A Dieu lassus, à fortune et nature ,
A tous les cieux et célestes puissances ,
Et à toute humble et bonne créature,
Puist pitié prendre et clameur haute et dure
De cestes-cy murmures et meschances,
En quoi ne vois, par toutes congnoissances.
Que pleurs, douleurs d'amertumes farcies,
Et fin prochaine en vieilles prophéties.
LXIX.
La vision du temps de Méronnée'
Droit-cy me vient frapper au front subite.
* Var : Lui rescria sa gloire et diadème, ms. de Florence.
* Je ne sais ce que l'auteur entend par la vision de Méronnée. n y a
Ici probiiblement quelque allnsion aux prophéties attribuées à Merlin.
TOI. TI. iO
2i2 TJS DIT DE VÉEITÉ.
y 0U3 qui avez nature eudoctrinéo ,
Notez que fat' et vieille destinée
Par long déooors viennent k fin eserite.
Point sy n'en fut' la substance petite :
Donc, qui voudra savoir quelle est la chose ,
Demande aprto ou en quitoe la glose.
LXX.
Dieu mène à mieux ce qui est mal en voie,
Et mette en paix ce qui pend en discorde;
Et à tous ceux qu'amour duit et convoie ,
Dieu, en Testroit de leur cas, leur envoie
Honneur, salut, grftce et miséricorde.
Dont, au regard de ce que je recorde,
Fruit y a povre, et encor moins délit';
Mais tel Tay fait, angoisseux» en mon lit.
I Fat CAïAim], destin.
> Var : Point n^ s^enJUt, ms. de Florence.
• Délit, plaisir.
^^
EXPOSITION SUR VÉRITÉ MAL PRISE
PROLOGUE.
Tout ce qae rray semblable est que d'icy à h fin dû inonde
pourra estre ttât recort de In régnatkm de Gharle» TU* de ee
nom, Toj de France, et de Philippe le trèihhaul dilc de Botir-
gongne et de Brabanfe, contemporaine, leeqnele, hftèB longnee
et morteQéer guerres padâécr ensemble, par la ditenité tootee*
Toies des httmaizies fortttnès, oneques ne se purent entra-
voir, nuds s'y entrebootoSent tortisjoùra questtos» et dificuHée
par lesquelles, midans de Fune et rtotnns en inotra nouille
Jusqu'en la fin de leura jours, ce noble rayaume iéj teuutdt
tousjoun et TacOloit, ne saroit sur quoy, ou sur paix estable
ou sur guerra ressourser et ce, k causé et par la conlraira
aventtzraà tous detix, que leur heur ne se porta tel qtie sVntra-
Tissent pout Mre eslahtdra et cesser toutes tieUés enries et
rantanes, toutes semences de dhisions et de haynes dent non
moins leura personnes que ce royaume pendoient en p6ri), et la
diose publique eu faùigueur de ôéBotàrCf towtiÈte vvtetn&ùt
fbnt àiention leura hautes esuief v eiDables diraniques, lit où
« Mblfétfapfès la teste nnkitm du ma. 11161 de la BiU. de Bonr-
Bogne.
2U RXPOSmON
leurs faits et régnations, Ywx çà, Fautre là, sont mis et escrits
en perpétuelle exaltation de leur famé bien digne de mémoire :
mais pour ce que moy, le moindre des hystoriographes fran-
çois, une fois, sur la fin de leurs eages et au temps de la plus
haute dijBiculté dure que oncques je yisse entre eux, sur le
point ultime de meschief prochain, dont cause estoit et nour-
rissement, oonstrainte habitation et refuge de lliéritier de la
couronne, le dauphin Viennois, ôs pays de ce duc, son humble
recueilleur, et de laquelle venue, François et ceux d'autour
du roy, le roy mesme personnellement, se passionnoient, et
déclinans d'amour, non oncques bien vraie ç& envers, se lais-
sèrent couler jusques en froideur toute glaceuse et pleine de
hayneuses mixtions, imputans à charge et reproche à cestuy
duc la venue devers luy de leur héritier et sa longue demeure,
comme avoir esté faite par aubomance et cautèle : condoléani
lors les instabilités des choses humaines et la diversité des
aocidens que les fortunes tramettoient inopinables, pour ces
deux princes tousjours nourrir en rigueur et tenir en trouble
la chrestienté universe, fis lors un livret, à renseignement de
raison saine et à poix de conscience très-gravement examinée,
que François toutesvoies prirent aigre; et en fus durement
mesvolu, jusques à estre menacé de grief de corps qui fust ,
pu venir jusqu'à la main mise. Donc, et pour ce que ledit
livret fut divulgué en diverses mains, et que possible est que
la copie en demeure jusqu'en fin du siècle, par quoy, qui ne
sçauroit la cause de l'œuvre et la condition de l'ouvrier avec
son intention bonne, pourroit estre le dit livret imputé à charge
au facteur, d'avoir esté contamineur du glorieux thrône fran-
çois, dont envis porteroie le titre, et plus encore le délit : pour
ceste cause, et ajOELn que les cuidans estre injuriés par ma lettre
pussent retourner à leur appaisement de cœur, par leur donner
le vray entendement de mes escrits, ensemble et la fin en moy
préentendue, et aussy que révoquer nepouvoie, ne annichiler
ce qui tant estoit divulgué et espars, ains me délitoie à par-
maintenir la vérité estroite de mon œuvre, tant pour justifica-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 245
tion de mon maistre et prince, le duo ûmocent et preudliomme,
comme pour réduire, par argtimens véritables, à la voye de
raison saine, les desvoiés, dont intention ultime estoient paix
et félicité, sous grâce et amour de Dieu : Tendant à laisser en
perpétuelle durée cestuy livret, ensemble la très-haute et très-
singulière vertu, preud'hommie, léauté, gloire et splendeur de
mon dit maistre et prince, que François, en celuy temps, par
envie de sa clarté excelse et de sa très-haute fortune, héoient,
et moy, povre homme, proféreur de vérité sainte, m*accueil-
lèrent en indignation à sa cause : ay composé ce livre en prose,
où le premier livret, fait poétiquement en mètres, est compris
dedans, de lettre à lettre', sans riens mucier, ne recoupper de
Torig^al, dont la mesveillance me fut causée.
Donc, et affln qu*il appère quel en est le titre, quelle la
matière subgecte, quelle la fin de Tacteur, et quelle la cause
de Tœuvre , le titre en est : Les Bospasiiions de Qeorge sur vérité
mal frise; la matière subgecte en est le livret rimé; la fin
préentendue, c*est durée et stabilité de ce noble royaume, sous
divine protection ; et la cause de Tœuvre, remonstrance à chas-
cun de son droit et de son tort, avecques justification de celui
qui innocent est et plein de hautes glorieuses clartés et des
gr&ces de Dieu, humble et léal envers Dieu et homme, là où
il doit.
8y prie à tous voians et lisans icelui, qu'en considération de
oeste trèfhdangereuse matière, droit^ aherse, pour fin de bien,
et que, plein de passion amoureuse, ay intention de déduire
estroitement entre deux parties discordantes, sans faveur et
sans flatterie, comme vérité me donne entendre, veullent dis-
penser, là où besoin sera, en Taguité de mes termes, et là où
corrosiveté aucune se trouvera en ma tractation non agpréable
à chascun, que icelle veullent plus imputer à la nature du
< Je retrancherai oes citations qui font un doable emploi. Le Dit de
Vérité se trouve reproduit en entier ci-dessus, et U sera fooile au lec-
teur de recourir aux diverses strophes indiquées dans ce mémoire
apologétique.
S46 EXPOSITION SUE VÉMTÉ MAL PRISE.
temps* câui do «Ion, que & la perreniai et obikiw hifteation
de Tacteur, qxd soa ouiTre a pn>portioi;iiiée k la qitftUté de?
ca1]^e8 qui Tost &it eacrifet et doul; les dédantious çy*aprèe
«MK)ufiiout et donrout coatentemeut aux lisaue, que Dieu
mè&e il salut!
■oofitoo*
Comme n'a gntoea géisse en mon estude, Je où, en
diversité de matières h moy présentées, me prirent di-
verses ymaginations moultes parfondes, et pour lee au-
cunes d^icelles mettre escrit, je prisse la plume entre
les dois et disposasse tourner mon entendement à labeur,
comme qni très^liautes et très-dangereuses matières avoie
entre mains, et principalement touchant cestuy très^noble
et très-glorieux royaume, dont indigne hystbriographe ,
▼oudroie bien garder llionneur de Dieu et des personnes,
et, sans fléchir; ne tourner à fit^enr, garder propre hotk-
neur et salut, en quoy toutesvoies, comme je considérasse
la difficulté de l'œuvre, et que, tenant la plume en
suspense, je pensasseenma matière subjecte que moult je
pesoie, et qu-en icelle je trouvasse difficultés maintes
moult dures à desnoer, et dont l'atteinte du vif n'estoit
pas légère, et plus encore la détermination dangereuse ;
pensant aihsy solitaire, et pesant à la balance rhonneur,
la gloire et la haute régnation des roys et des princes
chrestiens, ensemble les glorieuses opérations et natures
des nobles chevaliers, barons et vassaux d'aujourd'hui et
de mon temps, entre lesquels par guerres et divisions ont
pu estre congréés haynes et mautalens, et sourses par-
tiales affections et controverses, donjt le fardeau très-pesant
s'estoit venu plonger sur mes espaules, jusques à dure-
ment ressongnier comment je me cheviroie du portage,
là où je ploioie dessous et sous lequel sentis nature aucu-
nement restiver k T^enoontre par une mollette peur prise
i48 EXPOSITION
soudaine, que, par trop esplucier parfont les choses se-
crètes, ou par estre trop véritable ou trop précis en
escrire, je n*acquisisse haynes envers moy et mesveillance,
et qu'en mes labeurs et saines intentions ne fusse main-
tenu à suspect, et pusse cheoir finablement & icelle cause
I en aucun infortune , qui dès mon jeune eage toutesvoies
1 avoie quis songneusement la grâce des princes, et pour
j- iceux distinguer et cognoistre, visité et perquis diverses
) régions , dont encore Tafiection ne m'estoit amendrie ;
comme lors je séisse en cest estât, et variasse entre faire
et laisser, entre accuser et parer, et que le percogiter tout
et comprendre me donnast de soussi beaucoup pour en
faire bien : soudainement lors, comme si le tonnoirre
chéist du ciel, vinrent à la croisure de mon estude crier
quatre impétueuses voix moult aguës; et disant icelles :
€ Ouvre cy 1 ouvre ! » , follement frappèrent sur huys et
fenestres qui toutes churent du coup, et y entrèrent
quatre dames moult espoventables en r^art, lesquelles,
avecques horreur de figure, me donnèrent frémison aussy
en leur survenue, jusques à retraire tous mes esprits em-
près le cœur, et laisser le corps privé de ses mouvemens,
fors seulement de la vue, laquelle arrestéement se contint
en icelles, mais, affuiant vers la fantasie, sesmerveilloit
toute de Tintention de ces quatre et de la cause de leur
survenue si impétueuse, non obstant que la semblance de
leurs personnes démonstroit assez la faculté de leurs na*
tures, qui toutes se présentoient felles et prestes à injurier
qui que fust.
Lors, moy surpris en ce point , comme homme à demi
mort et qui n'avoie riens en vigueur, fors seulement la
fantasie où tout je recueilloie, et la très-estrange habitua-
tion d'icelles et la très-horrible ostention foraine aussy
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. U9
de leur^ contendances, ensemUe autres grans mistères qui
senroient à leur personnage et à noter bien dignes , com*
mençay à ficher mon regart en icelles, et à noter leurs
semUances et compositions moult estranges ; car avoit la
première les oreilles bouchées tant estroitement que à
nulle rien » fors qu'à propre affection , ne vouloit donner
ascout; portoit l'estomac haut et enflé, col tors vers la
main senestre, regart envenimé, la vue creuse et parfonde
dedans la teste, de laquelle, en regardant les hommes, les
sembloit trèspercer; sembloit estre mérancolieuse en ses
manières, grave en parler et tardive, mais despite mor-
tellement en couvert, jusques à l'escrevement du sacq ', là
où toute se deslioit ; avoit l'une des mains torse en arrière,
etd'icelle faisoit signe de despection, et en l'autre tenoit
un glaive dont la pointe mordoit à dens, et sembloit
qu'en iceluy aguisoit son venin. Donc, comme je regardoie
le front d'icelle et que durement m'espoventoie de son
estre, je j perçus en lettres de couleur de souffre ardant
escrit : < Indignation suis-je. »
Sy me tins à moult aise d'en savoir le nom, quand par
icelui je pouvoie juger plus proprement de son affaire.
Donc retirant mes yeux d'ensus pour apprendre des autres,
tantost les jettay en la seconde, qui se présentoit en sem-
blant pour moy donner à assavorer de ses œuvres, et pour
spéculer bien et comprendre la diversité de ses formes.
Ceste dame droit-cy se monstroit avoir les conditions
seures', raisons moult aguës et mordantes; grignoit les
dens et m&choit ses lèvres; niquoit de la teste souvent;
et monstrant signe d'estre arguëresse, sauteloit sur ses
pieds et tournoit l'un costé puis çà, l'autre costé puis là;
* Jusqu'à l'escrevement du sacq, ja8qu*à creTer de oolôxe.
* Seures, amèies. Voffes plus haut, p. 240.
906 EUO^Tim
portûti manière d'impatience et de oontradiieCion; le droit
oeil aYoit cloe et Tantre ouvert; avoit an sacq plein de U*
vree deraat lui« dont les une mit en son eBCoura' comme
chéris» les antres jetta au bin par despit ; deschira pa-
piers et fisnilleB ; quayers jettaau feu fâonnement ; rioit sur
les uns et les baKoit; sur les antres cracha par Tilennie
et les foula des pieds ; amc une plume en sa main, pleine
d*encie, de laquelle roioit maintes escritures notables qui
ne lui tournoient à gré, et les mit en despris; lors, quant
aux autres, donna titres et voies d'exaltation trts-hau*
taines et les jugea rscommandables; dune espongeaussy
noirdssoit aucunes ymages, autres esgratinoit aux ongles
et & grauhee', et les tierces rasoit toutes au net et les plsr
noit comme pour les mettre hors de mémoire ; et se mons*
troit dure et. felle ennemie à beaucoup de gens de bien,
plus volontairement que par raison. Laquelle, quand bien
l'eus avisée et noté ses manières, dont le nom, comme il
me sembloiti, devoit bieu ensievir semblable à ses moBurs,
et que moult désiroie à savoir ioelui, vis en Templastre
de son firent comme par manière de titre qui disoit :
c RipTcbatùm suis-^je. » Lequel mot lu, dis à par moy-
mesme : « Vbirament ea>tu bien baptisée en celui nom,
« car moult en est la signification du terme propre à la
c réalité data condition; et qui autre te voudroit donner
c plus honneste, donroit parement et titre non dignes à
€ ta nature. »
Sy me tanai de l'avoir regardé autant; et plein de
hide et de l'austérité des deux et de leur injurieux sem-
blant, tournai ma vue en la tierce, laquelle vestue assee
honnestement et plus quoye en apparence, porta gros
> Jlseourê, cébktaie.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. %Sî
n>lIw.d'esorJ;tupe9 dasBOua am bms ; et ic6ux deBv^JpH^amtt
là où il y avoit plusieurs çl^se^ mj^es par r^vtoire, aur
cmiQ tw mouatroit les artic)^ au day , autres &» i^ettoit
le doy Bua; ^t puis à oovi,^ Tetàrmt iceluit refén d^çsos de
toute la jusisk pas setmUaat d'àiicun ayr, oomme 8*dle voul-
sist monstarer injtureoju. Uasph^me ea icetuL, ou 4 ai^miiieB
peraoïmes là mmentoes donaer chaire.
Ceste dama-icy , à ce que je vis de semblaDt en elle,
porta bien la mine da non estre bien juste en conscience
et de seiper volontiers di^oord^ couvertement entre lee
honunoa; sembloit par nature aussy affecter et quérir vor
lentiers les oreilles des princes et des gens en auctorité^ là
où , usant de sa propriété, condempnoit b<XQmes et sen*
tenoes , noircissoit querelles et convertissoit les bonnes
en mauvaise interprétation. D<Hit,à si peu que perçu m'es-
toie de son estre et que je conmdémie bien là où tiroil sa
natiuçe, survis en son front aussy le titre de son nom ; et
disoit : « AecMotùm suis^je* >
Coacbé à demi lors et demi assis gieoioà Tenvers, privé
de pmiole; et n'y avoit mouvement en moy fors des yeux,
auxquels dernièrement se vint présenter l'autre qua-
tries9n§, V^ toute effuriée en semblait, et comme s'elle me
voulsist inférer mort, vint félonnement jusques au plus
près de mon vis, et portant une espée hideusement san-
glante, laquelle avoit tournée pour férir d'estoc, 1^ vint
branlant furieusement sur moy, et faisoit semblant d'en
férir, dont la hide me prit telle, et la peur tant extrême
qu'en icelle ne m'estoit attente que de la mort ; car m'estoit
sa menace efi^ée aussi mortelle en semblant connue eust
esté la percussion de sa main par réal effet.
Ceste dame*icy n'avoit deffigurement autre, fors qu'elle
routât lf& yeux, qui lu| estoî^f grpsetqstincelanft; avoit
Wi EXPosmoN
la bouche de travers ; le bas et le haut d*icelle contraire
rtm de Tautre ; avoit le visage enflé et tout rouge ; veines
engroissies et pleines de sang, et les mains criminelle-
ment sanglantes et mortelles. Et non mort encore» mais
assez près, réservé que les yeux tousjours me prestoiént
service pour faire vivement comprendre ma vision, jettai
iceux, comme autres avoie fait, en son front; et lors me
perçus de son titre qui disoit : c Vindication suis-je. >
Lors, quand ces quatre femmes droit-cy hideuses et
espoventables s'estoient présentées devant moy, démons-
trant chascune Toffice de son personnage, toutes quatre en
ranc se continrent devant mes yeux en tel ordre que je
les ay nommées. Et non ayans encore levé nuls langages
devers moy, sinon largement grimaces et ireux semblans
qui valoient paroles, commença la première, qui se nom-
moit Indignation^ à dire ainsy :
c Traytre homme, mauvais, injurieux, faux homme
c plein de venin, digne de mort et d'esquartelure, digne
« de mort immortelle et de tourment non terminable,
c faux traytre , pervers , digne de toute despection hu-
c maine t or as vu nos personnes ; or as sçu et congnu nos
c noms et les conditions de nos affaires, chétif ! mais tu
< ne sçais pas pourtant dont est nostre production, ne de
< quel lieu nous sommes mues pour venir droit-cy, ne
c qui est la cause de nostre présent survènement devers
< toy. Fol oultrageux! nous venons et sommes parties de
< la très-glorieuse maison de France, de la très-excelse et
c béatifiée maison chrestienne, du thrône des honneurs et
c des dignités du monde , du ciel impérial terrien , qui
c seul resplend sur les honmxes, qui seul tient règne et
€ domination sur les générations universes, qui seul en-
c cerne et circuit la seignourie du siècle, qui seul est pa-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 255
radis des humaines voluptés, ihr6ne de superéminent
gloire, soleil de justice et de noble vie, fontaine dlion*
neuT et de science, sourgeon de vertu et de félicité,
mère de clergie et de la sapience du monde, région de
chevalerie, royne de proesse, minière de précieusetés ,
firmament de salut et de vraie foy, que Dieu a rempli de
gr&ce, nature, de toute sa prestance, et fortune, de tout
son entremettre. Menteur pervers 1 de tel lieu sommes-
nous parties; de 1& sommes-nous venues droilrcy par
devers toy, qui le palais du triomphe du monde, le
thrône de netteté et de gloire incomparable, as voulu
ordoier et souiller par tes escrits , et toy boutant en
présomption excessive, as dégoutté ton venin et lancé
jusques à la royale majesté injuriée durement par ton
desgorgier présomptienx. Fol arrogant, esclisce' de
venin, menteur injurieux, rempli d'estoffé pire que
souffre, ne poye ' d'enfer, et extrait de la génération
maudite, ce crois-je, de Dam, de Goth et de Magot, dont
la semence puist faiUir en toy, traître faux homme,
oi^ane de Tennemi, plus criminel que escorpion, ne ta-
rente *, et comment as eu, ne pris le hardement de mettre
avant les injurieux et cuisans termes, les aguës et mor-
dantes paroles qui naguères sont esparses parmi ce
royaume, portées et semées entre toutes conditions et
facultés d*hommes, qui tous, avec le noble royal sang,
avec la très-haute et vertueuse chevalerie françoise,
s*en sentent blessés, et à toy imputans charge de ma-
lice, crient vengeance sur ta fausse hérétique personne,
dont l'injure, ne le venin ne sont à souffrir, combien
^ Ssdisu [de: eselieer, couler), eource.
* Pof€ (pto), poix.
• Tarentê, tarentule.
2M EXPOSlTIOi»
que tu te fondes et cofafied bui^ Idsr mareheo où to f^m-
bûches, et là oft ton maistre, ton duc, te donne port et
garent et est pent-estre cause de ton pa]!ier. Langue
d'aspic et denture de tygre , louve englontisseresse de
Ilionneur des Françcûs , commoTereese de sang et de
félonnie, présentacle de honte et de rougissure, quelle
chose te peut nevcAr mu ou causé d'avoir produit les
felles, horribles et suspicables sentences, comme tu as
fait retentir jusques aux portes de nos oreilles, et des-
quelles, non pas nous tant seulement, mais toute la gé-
néralité de nostre thrône est commue et en ruiMur ; et
n*est sang en la plante des pieds^ qui n'en monte au vi-
sage des haulx hommes, à l'un par vergongne, à l'autre
par ire et appétit de venger. Car ne fut oncques le
thrône françois si injurié que par toy, ne oncques sa
majesté excelse ne reçut lésion si griève que prestement
de ta main ; dont toutesvoies tes causes sont fausses,
tes mouvemens iniques et pervers, tes féndaiioDS in-
justes, et tes productions despeetueusee et menson-
gbres; et en doivent redonder en toy^nesme obpro*
brieusement les quarreaux que tu nous en as tirés, faux
murtrier inbumain I Bt nous t'avons donné autrefois
nourriture emprès nous, t'avons recudUi et reçu en
service, donné prochaineté à nostre ombrage, hantise
et fréquentation claire avec nous, inspectioD et cognois-
sance de nostre giron; et tu, en réc<HBpense de béné-
fice reçu, en rendition de gratuité obtenue plus que à
ton appartenir, ingrat envers ta bonne fertvne et ceux
qui te ont bien fait, tu payes sucre par venin, tu payes
baisers par morsures , tu payes acolemens par plaies
mortelles, tu rends mal pour bien, et mort pour vie.
Or ç&, et si l'heure n'est encore penttise que je m'en
SUR ViRITÉ MAL PRISK. 355
c pidase v6Bg»r» et que fortune ne m'est ai propiee que
c de poavoir exécuter mon courage, au moine m'est Tes-
c poir de te mionstrer une fois ton méeus et de te faire
« sentb amèrement tes outrages ixsbt ne mourras jamais,
t ne moy aussi, que mon ire et ma fureur, mon sang et
« ma cuisance ne te percent et déveurent, et deschirent
« et desrompent, et-desmembrent et charpissent, et te
c fassent fondre et poudroier en terre, chair et oesemens,
t et ton nom estaindre en la mémoire des hommes. »
A cestes tant aigres et injurieuses paroles me conve*
noit livrer ascout, et ne m'estoit aisance nulle de res*
pondre à rencontre par la peur qui me tenoit lors empes-
chée la parole. Donc, si le regard del'ymage m'avoit donné
terreur grande en son survenir, maintenant la me renou-
veloit par cent doubles. En la felleté de son injure parloit
tontesvoies bassement ceste dame entre ses dens et d'une
voix cassée, comme si k dangier vuidoit son estomac, et
qu'elle ne voulsist point qu'en public on la jugeast telle
comme elle estoit en cœur. Ifavoit fait des grimaces
hideuses et manières de despections les plus terribles
qu'oncques visse, èsqueUes tant me trouvai confiis , tant
au bout de mon sens et entendement, que bras et pieds
tous estendus comme d'un corps mort* à peine me re-
mandt en Tàme vertu aucune, ne opération, que tout ne
s'esvanouist et s'en allast pour la fuir. Mais pris en celui
point dernier , me vint àherdre la seconde, qui s'appeloit
Réprobation^ et me alla dire ainsi :
€ Malheiureux homme, tu t'abuses bien. Cuides-tu jà
< avoir fait de nous? cuides-tu jà estre quitte de nos
c mains, qui tant avons justes causes et actions en toy
€ pour te pourbondir? Nenny nonf tu y es encore et y
« seras longuement, car n'en partiras jamais que de toy
S56 EXPOSITION
premièrement n'ayons fin. Faux escrivain , folâtre
homme de povre et de petite faculté, clergeau contrefait
làjoù n'y a science, ne clergie, ne lecture, ne auto-
rité, sinon multitude de superstitieuses inventions et
fastrouUes' que tu vas quérant et par lesquelles tu em-
ndeules les oreilles des ignorans aussi fols que toy, et
toy-mesme en tes folies te glorifies! Coquart, maistre
vergaut S qui as l'esclipse en l'entendement, et mesmes /
ne te congnois et veux juger autrui ! Que fera-l'on de tes
escritures , de tes frivoles et inventions laidengeuses
que tu as fait dévoler par ce royaume, contraires tou-
tesvoies de la vérité, contraires à honneur et droiture,
et tournantes à dure lésion et scandale à la chose pu-
blique, mesmes jusques à toucher à la face royale, à la
splendeur et netteté de la couronne inviolée, que tu
semblés vouloir ternir et desfigurer par ta plume? Mau-
vais homme injurieux , pervers en conception et léger
en ton jugement, si tu as conçues aucunes passions non
opportunes en Testât de ton maistre à qui tu es et en
aucunes matières qui te semblent estre rigoureuses de sa
part et prochaines de péril, et èsquelles lui-mesme dust
remédier et prévenir par sens afin d'éviter propre mes-
chief ', convientril pour tant par tes lunatiques opinions
qu'en embellissant ta cause par bourdes, tu accuses et
laidenges les justes et hautes claires personnes par
charges, ceux encore ou celui à qui doy nul ne doit
toucher, et devant qui et le monde et les hommes et
les pensemens doivent frémir et trembler, premier que
> FastraulUs, contes Mia à plaisir, balivernes.
* Maiâtre Verçaut, allusion aux huissiers à Terge?
* Ceci se rapporte à la retraite du dauphin (depuis Louis XI} dans
les États du due de Bourgogne.
Sun VÉRITÉ MAL PRISE. 257
7 oser mettre main? Donc, je m'amire en moy-mesme
et me sens toute effrontée de hide, comment oncques
entra en toy le hardement que j'en ai vu, ne la pré-
somption de l'outrage que je y ai trouvée. Et convient
bien certes que la bonté royale soit bien grande, quand
si haut injurieux attemptement souffre et dissimule.
Déa! tu n'es pas celui qui digne soies de dissimula-
tion; tu n'es pas ton maistre, le duc de Bourgongne, à
qui il y peut avoir loi aucune de souffrir; tu n'es pas
son chancelier qui est homme grave et prudent; tu n'es
pas son premier chambrelen, qui estpreud'homme; ne
tu n'es pas de la secte, ne vocation par quoy tu doies
avoir aveu de là, ne de çà support ; car tu n'es sage, ne
de nul prix, ne de nulle quelconque provection à di-
gnité, sinon à faire et à escrire fatras , multitudes de
folies et de vanités , qui toutes ne servent, ne ne pro-
fitent, mais endorment les fols légiers esprits et les bons
et les notables ayrent. Doncques, puisque tu n'es autre
homme et que tes escrits ne proviennent point, ce peut
sembler , de la gravité et prudence des sages hommes
de ta maison qui nous sont bien cognus, et que ton
maistre aussy n'est pas légier parleur, mais bien pondé-
reux, il convient doncques que tu, de propre malice,
de propre envenimé courage et pourri estomac, de la
malignité de ta racine, pour envenimer et enfellir nous
autres, pour autrui aussi envenimer envers nous, tu as
cecy mis avant , ou que ton maistre faisant l'ignorant
et le non-y-touche soit esté content secrètement de ton
faire. Si tu, de propre et privée malice, l'as fait en ton
propre privé conseil , en toy seul en doit redonder la
punition ; et si ^par conseil et aveu d'autrui en au-
trui sens aussi et gravité , il y siet délibération plus
T0«. YI. 47
2M BXFosmoi^
« mûre ; car là gist le fort et Testroit du nead que ci-après
« esclairciras» si tu sçais. Mais dont que procède, ne de
c quelle main, tu es un très-injurieux fol et un instru-
c ment très-périlleux, duquel, comme les opérations en
< sont despectueuses, pareillement est la personne de
< povre et de petite value , quand FoeuTre de soi-mesme
c d&nonstre la qualité de Touvrier.
« George 1 George I les faits de ce royaume, ne de ton
c duc ne se vuideront pas par paroles : il conviendra faits
« et réaux effects. Sy fabuses bien, quand tu penses que
c pour tes escrits nous nous doions changer à ton appétit,
c ne ployer nos hautes querelles à tes démonstrances, qui
c Bavons faire et dire et entendre mieux que nuls par de-
c vers vous. Mais ne vous prisons point tant, mesmes ne
€ nous daignerions tant abaisser que d*y exposer soin,
c Car est œuvre de femme de caqueter moult, et chose de
c vertu et de grand pris faire de fait, sique ton œuvre
c et ta personne, tout est mis en despris devers nostre sei-
« gnourie ; tes blasmes et laidenges sont suspensées jus-
< ques à heure due; tes haulx présomptieux langages
c réputés sans fondement; tes démonstrances et doctrines
< comptées à frivoles ; et brief , et toy et ton fait, et ton es-
« crire et ton fantasier, tout ne nous est rien, ne ne poise ;
€ tout ne nous meut, ne ne change, excepté que une fois,
,c avec vous autres, dont nous nous chevirons bien, m*en
« rendras compte. »
N'avoit encore le mot hors de la bouche ceste dame, que
la tierce, soy hastant de parler, ne lui vint rompre la queue
de sa raison; et la faisant guencir' un peu du bras pour
avoir lieu en mes yeux, commença à dire :
' GtmMiff 86 détoaraer, changer de plaoe.
SUR VÉRrri MAL PRISE. 2S9
€ Xay vu pèça et visité tes escrits, qui sont pleins de
séâition et de mauvaise glose. Sy convient que tu soies
h(«une plein de mauvus vouloir et de perverse incli-
nation, ou que tu nous ouvres tes sentences et exposes
en autre entendement que ne savons comprendre ; car
tout sonne injurieux, tout sonne en blasphème et vitu-
père ce que nous y véons, et tout tourne en reproche et
dépression de Thonneur générale de France, avecques
vantise et présomption sur icelle, et qui plus est, avec
attemptement en la royale majesté particulière, laquelle,
de par Dieu ! ne gist pas en ta répréhension, ne chiet
pas à estre corrigée, ne reprise par toy qui n'es que un
povre nient, un povre ver de terre très-misérable, un
povre homme de petite vocation, de petit sens et de
povre estime, et en qui, quand tu auroies beaucoup
brassé de mal, mis le monde en desvoy et meschief, n*y
auroit point de recœuvre, et n'y auroit à qui se
plaindre, fors d'un meschant fol escervelé, plein d'ou-
trage et d'arrogance, qui se présume de ce que n'en-
tend et se mesle de ce que point ne lui affiert. Sy seroit
bien le monde payé lors , quand après grans mescliiefs
avenus par si faites besongnes, on prendroit vengeance
d'un tel chétif et le jetteroit-on en la rivière en un sacq.
Par Dieu t sire , qui m'en croiroit, l'attente ne seroit
point jusqu'au meschief avenu ; mais tu-mesme com-
menceroies à gouster le meschief, et se commenceroit
en ta personne, car tu vaux que tu boives de l'eau de
Seine ou de Loire plus que ton soûl, ou que tu la saches
espuiser toute par boire sans noyer,
c Comment, déa ! et il semble que tu fasses la figue avec
François; il semble que tu ne les prises, ne ne poises,
et que ce n'est rien de leur fait, fcnrs chose douteuse et
EXPOSITION
variable, chose de mobile fortune non fite, là où beau-
coup de vices , beaucoup de vanités et de passions se
tressent parmi, et à cause desquels points tu les sers
d*impropëre, tu les touches et agraves de cuisans
titres, et ton parti et ton maistre tu eztoUes et esliëves
en hautes louenges.
c Déa ! pourtant, si tu prises ton fait beaucoup, et que
les gloires et félicités de ton duc tu réputes excelses,
n'en sieut pas que nous, que tu n'aimes point, doions
tolérer tes paroles envenimées , ne concéder tes sen-
tences estre véritables, quand, au point où elles sont
corrosives et de mauvaise digestion, nous y mettons
contredites. Peut-estre qu'en autruy œil tu vois la bû-
chette petite , mais au tien propre tu ne vois pas le
sommier bien gros que tu y portes. Toutesvoies tu le
cuides avoir net et tout clair; mais ce te fait ignorance,
ce te procède d'aveuglement, de raison et de conscience
cruement examinée; car amie flatteresse fortune lon-
guement possessée, naturellement est nourrice d aveu-
glement et de vertu endormie.
< Si gloire doncques et félicité par devers toy sont
grandes, loes-en Dieu ; mais n'ont à comparer pour tant
les nostres la dépression de ta langue, qui sont telles
que Dieu nous a souffert acquérir en labeur, et les
tiennes telles que tu les as et qu'on en pourra voir l'is-
sue. Sy est folie en toy grande de condempner nuUui
pour toy glorifier en ta propre fortune qui ne t'est
estable ne que à autre, car là où tu-mesme t'eslièves,
tu te ravales, et là ou autrui tu déprimes , tu-mesme te
condempnes. Aussi ton livre venimeux, plein, comme il
y pert, de crime en la majesté, cestuy -là te condempne
et juge; cestuy-là te prononce et démonstre qui tu es,
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 2^1
€ et par tes mesmes et propres senteûces très-rigoureuses
« te reprent et accuse, disant et déclarant que tu es plein
c de mauvais fiel, de mauvaise et injurieuse conception,
c de mordantes vilaines morsures, de présomption et de
c fol outrage , dont la malignité et le mésus demandent
< punition, non pas tant seulement à Dieu, mais au roy
« et à nous autres tous en général que tu as blessé. Par
< quoy, moy, ayant parvisité tout au long tes faits, les-
< quels en usant de mon office je déteste et agrave, je
c demande sentence et jugement aussi sur ton corps , et
c que à Tavenant de ton démérir soit exécuté par justice
< ou par voie de fait autre, .tant que mort s'en en-
« sieve. >
A ce mot s'avança la quatrième qui se nommoit Vindi-
eatûm, et sembloit enflambée par dedans , comme si ce
fust un esprit mauvais ; mais ne disoit mot, fors tant seu-
lonent : « TWy tue, tue , à la mort / » , et roulant les yeux
assez espoventablement pour faire mourir gens sans férir,
vint de tout impétueux air, atout son estocq, cuidant le
ficher parmi moy , là où de la volenté de Dieu ou de
mon bon heur, ne sçay comment, se trouva retenue par
derrière et ne pouvoit marcher avant jusqu'à moi, dont
efiîiriée et passant toute impatience, cuida désespérer et
soy-mesme occire par despit; et jettant feu par les
yeux , ronfloit des narines et brayoit par foursenerie si
horriblement, que certes, qui n'avoie espoir nid en ma
vie dès le commencement de leur venir, maintenant ne
avoie autre recours qu'en Dieu pour lui recommander
mon âme , auquel taisamment et par seule pensée j'en-
voyai ma prière, là où tout espoir temporel m'estoit dé-
failli et me avoit relenqui tout humain confort es mains
de ces quatre.
262 EXPOSITION
Donc, comme en ceste dure perplexité eiuse esté aucun
petit temps, non pensant que m heureux fusse que ma
prière dust estre exaucée devant Dieu, ne qu'euyers moy
tel pécheur, sa miséricorde se dust ploier si à coup, presr-
tement s'apparut à moy une ymage dont la beauté en son
survenir me donna esblouissement parce que claire estoit
et d'angélique semblant; mais ne s*en monstra riens que
le vis', lequel, par le survoir, commença à rassurer ma
peur et à mettre en estât mes naturelles puissances eslon-
giées de leur vertu par fraeur prise; et déclinant son re-
gard envers moy par semblant d'aucune affection, proféra
ces mots, disant :
« Homme, reprens seurté en toy et courage! rend
c gr&ce à Dieu et resvertue ton esprit ; car quoique tu
€ soies accueilli de menace, n'es en péril pour tant, ne en
« l'abandon de fortune, parce que Dieu, qù toutes choses
c se présentent, congnoit ton fons meilleur que ne font les
< hommes : sy ne te sou&ira en danger, là où tu-mesme
c te voudras aider et prendre aux dens le frain de ton
c opportun besoin. »
Et alors moy , qui soigneusement entendoie à ces pa-
roles et ne savoie qui fust ceste ymage, m'enhardis de
lui enquérir qui elle estoit, ne dont estoit sa produc-
tion. Et elle, non lente de respondre', me dit : c Je suis
« créature de Dieu, claire comme tu vois et noble créa-
c tion, mais souillée laidement par tes mesfaits, et infuse
c en toy et donnée inséparablement, sinon par mort.
« Suis ton &me raisonnable, qui te donne estre et vivre,
< parler et entendre, et viens par la divine pourvisioQ
« devers toy, moy remonstrer comme lumière et clarté de
< Itf9^«, leTlsage, lallffare.
' Cette forme rappelle la langue poétique de Dante.
S€R VÉBITÉ Mal PRISE. 265
t ton corps, conduitresse et conseillère de tes affaires, là
« où, quand tu obéis à Tempire de ma raison, je te main-
« tiens clair et louable]; et quand moy me supploie à tes
« appétits sensuels, moi-mesme je me défigure. Mais,
c pour ce que n est de la spéculation présente d'entrer en
« ces termes, fors en tant qu'il touche ta présente per-
c plezité où il te besongne secours, laisserai couler tes
« offenses diverses par lesquelles tu m'as mise en péril, et
c viendrai à aucunes bonnes inclinations naturelles en toy ,
« qui, en la miséricorde de Dieu, espoir, sont regardées, et
< èsquelles ne te souffrira périr , mais que te persévères
c et parcontendes plus et plus à fin bonne et à l'obtène-
c ment de sa gr&ce, qui oncques n'eus en toy une seule
« pensée bonne, une seule gouttelette de fructueuse in-
< tention, que tout n'ait esté vu et regardé de ses yeux,
< et tout mis en la conserve de sa bonté, pour t'en rendre
« rétribution une fois condigne au cas et à l'avenant
« du mérir, par équité telle que tout bien fait est rémunéré
< également, comme le mal fait pugni.
c dame, ce dis-je alors, estes-vous donc l'&me de mon
« corps? Estes-vous celle en qui je m'attends sauver pré-
< sentement à rencontre de cestes felles et inhumaines
< dames droit-cy qui tant me contempnent et injurient
c que la mort ne me pourroit estre plus aigre que leur
« parler? »
l'amb. — Oy voir, ce suis-je; je suis le fruit de ton ex-
pectation.
l'actbub. — Loué donc en soit Dieu et bénoite soit
l'heure de ton apparoir ! Donc et si par toy dois estre relaxé
de la chartre de mes mérancolies, te prie que tu veuilles
faire revivre aussi mon esprit tout circui de ténèbres,
affin que par claire congnoissance prise de toy je me puisse
â04 EXPOSITION
réunir avec toy en amour, qui ne te congnois ores que con-
fusément 'et en ay oublié les propriétés et vertus. Sique
je te prie, faveure-moy et m'accorde ma pétition; et qui
fes nommée lumière et conduitresse de ma vie , paroffire
toy, j« te prie , charitable exposeresse de mon salut.
« Volentiers, ce dit alors Tâme, et je le feray. » Et moy,
qui avois subtile l'oye, respondis prestement : c Voire; mais
« me seras-tu avocate féable après et défenderesse en ce
c qui me besongne? » Qui, non lente en respondre> dit :
c Oy, mais ce ne sera point en la semblance que tu ores
« me perçois, mais en autre résolution de personnages
c que tu congnoistras ci-après, et qui avec moy, sont
« une mesme chose et essence, et à toy , d'une mesme
tf administration et service. Sy saches et entends bien,
« qu'en ensiévant ta pétition faite, je suis, comme je t'ai
« dit, ton ftme raisonnable, créature formée à l'ymage de
« Dieu et de son semblant, à qui, après les angels et ce-
tt lestes créatures, nulle rien terrienne n'est semblable,
« nulle de telle dignité en création, nulle de telle adoption
« en la divine amour, nulle de telle conception sublime,
« nulle de telle susception de grâce, comme de vertu,
« comme de science, comme de congnoissance et discrétion,
« et comme de toute capacité de chose intelligible et com-
« préhensible, avecques vie étemelle et joyeuse fruition
« de la vue de Dieu, lors quand par labeur et vertu me
« serai exercitée pour y paratteindre. Et ceci dis-je quant
« au regard de mon estre et du lieu dont je viens. Mais,
« quant au regard de ta personne privée , à qui je suis
« enjointe pèlerine , mise en ce voyage d'embas pour y
t cueillier fruit, pour y messonner et semer, pour y ras-
« sembler trésor ^e mérites, pour y faire planter et florir
« œuvres vertueuses, certes, je suis celle qui, duite de ton
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. Î65
bon ange» regardée de la bonté du haut Sire de lassus,
après ton enfance, passé de sept ans et mis à puérile
escole, te fis comprendre ta première leçon, et toy ayant
fait sage de lettrure, te baillai en rétention ta patre-
nostre. Donc, plus et plus par succession de terme tu
convaloies et croissoies, et en renforcement d'eage et de
corps tu acquéroies plus et plus impression de science,
jusques à largement en avoir conçu, premier que tu
me retirasses arrière de ta perfection et principalement
de mon salut.
« Et alors comme je te visse , par conseil non sain ,
distrait des escoles, et que non tenant compte de ta pre-
mière nourriture enfantine, tu t'enveloppoies es affec-
tions mondaines, tu t'abuvroies de vanités temporelles,
1;u fadonnoies tout à délis et désirs charnels, dont onc-
ques puis tu ne fis retraite, et qu'en cuidant prospérer
ton chemin, féliciter ta vie et ta fortune, tu quis les
variables et périlleuses habitations de dame court , les
mendiques et fallacieuses hantises des princes, o* les-
quels tu te pensoies grandir, ô lesquels tu te pensoies
sourdre et monter, comme rien ne te sembloit telle féli-
cité comme fréquentation de seigneur, lors moy, obéis-
sant à ton erre, envis toutesvoies et à regret, pour
première réception de doctrine conçue en moy, je te
ramentus estre nécessaire pour finablement , jà-soit-ce
que par longues estorses, venir à bonne fin, servir,
aimer , craindre et honorer Dieu sur et devant tout, et
que sans avoir icelui tousjours devant l'œil, tout ton
contendre , tout ton acquerre et ton délicatîvement vi-
vre, tout seroit povreté et malheur, tout seroit ombre et
» 0, avec.
i EXPOSITION
nuée de mort, cas de coxifose expectation, de petite
durée et de douloreuse issue, qui, comme le vaisseau qui
naturellement retient en lui le flair de la première
liqueur qui y est imbue, tu ainsi, par vertu d'aucun peu
de science comprise en toy adolescent, m'ensievis en
conseil et te submis volentiers à mes enseignements;
lors où toy ayant tiré à celle vertu qui estoit souveraine,
je m'assayai après à te induire encore en une autre
non moins à perfection profitable : c'estoit que, avec
aimer et craindre Dieu , tu aimasses vertus et bonnes
mœurs, contemplasses tondis les bons et leurs exem-
ples, et les mauvais abhominasses et fuisses en leurs
œuvres.
< En quoi aussi, toy trouvant libéral assez et prest, et
qu'en longues contraires impugnations et adversités
chéant et relevant, où Dieu t'a esté clément et piteux,
je me suis tenue ferme et constant en te ramentevoir
tondis les points dessus dits ; toy, venu parcage robuste
à meurison et gravité plus et plus parfaite, je t'ai
conseillé dicter et mettre par escrit tes conceptions,
selon l'occurence des temps, une fois, par amoureuse
jeunesse, louenges et glorifications des dames, autre fois
par affection à la gloire du siècle, cantiques et exulta-
tions des nobles humaines chevaleries, en quoy, tu
léger encore et volage, passant ton temps vertueuse-
ment, non en oiseuse, tu t'es acquis famé assez moyenne,
grâce conveniente et fertile , et habitude et cognition
de maint noble et haut homme.
« Donc depuis, comme l'on tire de l'un à l'autre, et que
les esprits se ouvrent et esclarcissent, les fantasies s'es-
pardent et amplient, les conceptions s'aguisent, les ju-
gemens se meurissent et pondèrent, et que les expé-
SUR YâaiTÉ MAL PRISE.
267
€ riences des choses humaines plus et plus s'assaveurent
c et se congnoissent, après avoir vu et lu histoires et livres
« divers, pris dilection grande et faveur en leur contenu,
« aimé les glorieux et haulx homme de jadis, condolu
« leur infélicité par fortune , glorifié leur vie par noble-
c ment vivre, et toy-mesme, voyant et considérant Testât
« de ce siècle, je t'ai fait ouvrir l'entendement en icelui.
« Je t*ai fait voliter ta pensée et circuir en la rondeur de
« la terre, ta fantasie en sa circonscription universe, et
« pris et recueilli beaucoup çà et là, comme tout ne se
c peut en un homme comprendre. Je t'en ai fait vuidier
c tes méditations ; je t'en ai fait mettre par escrit tes con-
< ceptions, et fait composer livres et traités, plus à l'uti-
c lité et salut du monde que à propre et privée gloire.
€ Donc, en ensievant mon conseil de vieil temps, et
€ pour toy faire acquérir mérite en labeur, je t'ai fait em-
« prendre l'insécution de ce noble et ingénieux homme
c Bocace , et réduire à mémoire , depuis le roy Jehan
c où il fina, les haulx et glorieux hommes de la terre suc-
« combes en fortune et venus à povre et douloreuse ter-
« mination, dont toutesvoies le nombre est grand, la hau-
« tesse de leur estât, dangereuse, et la tractation de leur
< mort et infortune, à tout le monde plorable , considéré
« encore les très-hautes et très-excellentes personnes, roys
« et princes de nostre temps, qui y sont comprises, et dont
« les matières bien traites .effaceront toutes recordations
< anciennes'.
€ Tay fait emprendre en outre cent épistres où l'uni-
c vers estât du monde est compris dedans, et en quoy
' Ce traité ne fût tenniné que plus tard, lorsqu'on vit se réfugier en
Flandre Marguerite d'Anjou, à qui ChasteUain le dédia. Nous le pu**
blierons dans le tome VII.
268 EXPOSITION
chascuu , homme ou femme, de quelconque condition si
puissent estre, trouveront allocution.
« T'ay fait emprendre aussi la tractation des dmx fé-
licités^ le livre de trois divers nobles, le livre des hu-
maines grâces, le livre des périls du monde, le livre du
père à son fils, le livre du faux amoureux, lequel
rouvé ^ de deux dames, laisse la meilleure et la plus belle
pour adhérer à celle qui lui est traître et contraire ; le
livre de la condition de fortune, le livre de la cause des
infortunes, le livre des abusemens de court, le livre de
la tranquillité des courages*, et plusieurs autres, les-
quels , si vie t est permise et conjonction avec moy par
aucun temps convenable, àTaide de Dieu, te feraimener
jusques au parfait, sans encore la très-ressongnable
charge d escrire toi^s les haulx et grans faits de la chres-
tienté, souverainement de ce noble royaume et de ses
dépendances, depuis Tan vingt jusques à maintenant,
là où, avec infinité de labeur, conviendra aussi avoir
multitude de grand sens et de soin pour justement en
ouvrer. Et te doit bien frémir le cœur à rencontre, at-
tendue la difficulté seulement de ceste très-haute ma-
tière sans fons et sans fin, comment tu t'en chevîras;
mais en longue vie et diligente labeur n'est rien qui ne
se mène à chief, quand bon vouloir s'y ajouste.
c Je t'ay fait contempler aussi maintefois les choses
glorieuses et excelses, réciter délitamment les ver-
tueuses, plorer en courage celles de tribulation et de
ruine, souverainement du présent temps, auquel les
roys et princes de la terre sont divisés ensemble, froids
< 5^9^ (de: rogare, demander), soUiolié, prié.
> Tous oes ouvrages sont perdus: nous ne savons mdme pas si
Chastellain les a achevés.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 269
en amour, nonchaillans en devoir, paresseux au fait de
la chose publique, songneux en affection privée, pleins
de vanité, pleins de murmure , pleins de couvertes en-
vies, pleins d'affections terriennes, pleins de desrègle-
mens, pleins de vices et de povres conditions, et chaulx
et boulans en leurs propres et privées querelles , par
lesquelles menacent le monde et le font trembler, lais-
sent la querelle de leur créateur, Texpédition de la vraie
foi sainte , en quoy Dieu se pourrpit contenter d'eux et
chrestienté ressourdre , qui maintenant va vaucrant et
chancelant desconfortée, criant hautement devant les
portes des royaux palais , devant les fenestres des pré-
lats cras et replets, en plein consistoire aussi des gens
de conseil enivrés en autorité; mais ne trouve que
cœurs endormis, natures appressées, affections refroi-
dies , amour petite , dévotion sobre, compassion nulle ;
et ardans en convoitise et vaine gloire, exposent seu-
lement et appliquent délectation en chose terrienne ,
comme non en un, ne en deux , mais en toute la plus
part chrestienne appert et est manifeste,
c Cecy avec plusieurs autres matières semblables t'ay
fait concevoir souvent ; t'ay donné méditations et pen-
sées, dont les conceptions aucunes fois bien amères t'ay
fait convertir en pleurs , et icelles mettant par escrit,
remplir ta plume de propres termes. Sy ne le dy pas
pour toy traire à vanité, ne h jactance en ton fait, mais
afin que Dieu soit preuve et tesmoin de la cure et solli-
citude que tu portes en la félicité et tribulation des
hommes. >
l'actbub. — Dame , moult ay oy ententivement le re-
cort que tu m'as fait; et m'a esté solas trës-grant d'avoir
eu le rafraîchissement de mon eage passé, duquel toutes-
270 EXPOSITION
voies plusieurs menus articles droit-cy récités me estoient
esvanouis pièça, et ne m'estoit ores nul souvenir d'iceux,
par la multitude des diverses fortunes à moy survenues
depuis, et par la longuesse du temps passé» qui peut cau-
ser l'oubliance.
Mais, quand j'ay oy tout ton recort , tout le renouvelle-
ment de ma povre vie passée, de ma très-misérable et
chétive vocation exercitée par toy, stérile toutesvoies et
non fructueuse, non d'aucune utilité et saveur, non d'au-
cun prix, ne de los, mais grosse toute et rurale, simple et
de rude substance, sy ne t'ay-je point oy faire mention
aucune particulière de la chose du monde seule dont au-
trefois et encore tous les jours tu m'as plus donné de pas-
sions, plus de pointures en mes entrailles, et plus de
tristes et de dures mérancolies en mes pensées : c'est de
la rumeur et froideur qui régnent entre deux les plus glo-
rieux princes de la terre, les plus pleins des dons et haulx
bénéfices de Dieu, les plus exaltés en la roue de fortune,
les plus béatifiés en gloire et en splendeur terrienne, tous
deux d'un ventre et d'un tronc , d'un nom et d'une ori-
gine, d'une mesme région conscripte, parens prochainfi,
frères par alliance, rejoins par nature et par grâce; et par
rancunes et querelles non nécessaires, par titres non hon-
nestes , par passions vicieuses et de grand péril , froids et
diffidens l'un de l'autre, s'estordans de la voie de nature et
d'amour due, s'enaigrissent l'un envers l'autre, murmu-
rent ensemble, grongnent et aguisent leurs dentures pour
mordre, sont félices tous deux, mais tanés de félicité, par
semblant menacent le monde et l'espoventent pour inféli-
citer eux-mesmes. Sy sçais bien que rien n'est que tant
j'aime que leurs personnes, que tant je exalte, ne glorifie
que leurs régnations, que tant je parfonde et enserre que
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 974
leurs nobles et glorieuses vies, leurs hautes et vertueuses
conditionsy leurs très*excelses et très-solempneUes victoires
et triomphes, par lesquelles ils resplendent et survolent tous
ceux de leur temps, tous ceux de leur eage passé, souverai-
nement Tun comme chief du monde; mais ennemis, hélas!
aujourd'hui à propre félicité, à propre privé salut, à
propre gloire obtenue et acquise , et retendans par appa-
rence à ruine et confusion, à opprobre et injure en Tun
Tautre, en servitude et humiliation sous fortune, tiennent
le monde en perplexité, l'église de Dieu en balance, chres-
tienté en trouble, la foy en décadence et en diminution, et
les ennemis de Dieu infidèles, par obéir et entendre à
propres privées quérimonies et vanités, en orgueil et con-
valescence : dont, tu, âme raisonnable, puis que tu m*as
bouté en ces termes, m'as donné maintes parfondes poin-
tures de mérancolie, maintes douloreuses vuidances de
soupirs, èsquels passionné et percé souvent en cœur, m'as
fait faire livres et escrits, et dressant mon œuvre à la nature
et qualité de mes passions, m'as fait asseoir ma plume en
matière odieuse, en matière où se quiert le venin et s'y
juge, posé qu'il n'en y ait point, et pour laquelle cestes
horribles et espoventables femmes droit-cy quatre sont
venues devers moy , moy menaçant de mort, de honte et de
mauvaise fin, ettoutesvoies ce qui y est, est par toy. Donc,
si autre part et tousjours tu m'as conseillé le plus sain, le
plus honorable et le plus utile, comme mesme tu m'as dit
et ramentu droit-cy, et maintenant tu m'as fait foUîer et
l^rement emprendre, mettre avant œuvre contagieuse
et mauvaise, en lieu encore où je veux honorer et aimer,
reposer et prendre ombrage, durée et termination, et tu
ne m'en fais recort, ne ramentevance , non plus que si tu
ignorasses le cas et voulsisses laver tes mains du meschief,
272 EXPOSITION
certes, je me devroie bien plaindre de toy et toy impropé-
rer, si, au fort et au ^and besoin et dur destroit où j'en
suis, tu ne me viens à secours; et confessant le cas que de
toy vient comme autres , tu ne me bailles conseil et doc-
trine pour m'en parer au vrai et à Téquité de ma bonne
intention, de Dieu congnue.
L AMB. — Déal mon ami, si tu n'as esté si constant que
jusques à paroyr ma récitation , n'ai pas esté oublieuse
pour tant de faire fin telle qu'il me sembloit expédient.
Commencer et conclure sont en moy en une mesme
liberté. Et comme franche suis en pouvoir parler ou non,
je suis franche aussi en pouvoir taire ou non taire. Je
t'avoie jà ramentu moult de choses passées, non pas tant
nécessaires comme fructueuses, parce que tu y as repris
vigueur. Donc, si j'ay fait un commencement de remons-
trance à toy utile, est vraisemblable aussi que mon pré-
tendre sy estoit de faire fin profitable. Mais t'avoie or
ains dit que, sous forme et espèce de unité où tu me vois
présentement, guëres longuement ne te tiendroie parole ;
mais sous une trinité nouvelle, une mesme vraie chose
avec moy, et moy avec elle', et à toy d'une mesme admi-
nistration, je te feroye service. Or as-tu touché celui
point auquel ta nécessité expëte mon assister, et lui beson-
gne de me congnoistre en autre vertu, sique, non, desa-
voant riens de tes œuvres, non plus les nouvelles que les
vieilles premières , mais promettant vertueuse deffension
en toutes pour ta personne, me besongne changer person-
nages maintenant, par quoy, moy revue, seras encore
plus joyeux et mieux à ta paix.
Lors, en l'instant avec le mot, s'esvanouit; et en l'instant
arrière soudainement , sans temps entre deux qui portast
mesure, se remonstra en la trinité que m'avoit promise.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 275
Et 86 mirent devant moy trois personnes, dont Tune sy
estoit en forme de jouvencel angéli^e, riens tenant de
terre, ne de matière corruptible, lequel , de tout le corps,
estoit clair comme de cristal, de la teste en dessous; et s'y
pouvoient par semblant imprimer toutes choses enten-
dibles et sensibles, sans fin et sans nombre; et se nommoit
en celui endroit entendement possible. De la teste en
dessus estoit en regard, comme un escharboucle rayant,
jettant sesrays contremont du ciel dont recevoit sa clarté,
et en dessous au cristalin corsage donnoit lumière. Donc
se nommoit en celui endroit entendement besongnant.
Les deux autres personnes estoient féminines dames,
moult belles et de noble nature , ce sembloit. Sy estoit
l'une en son estre blanche comme noif ' pure, pleine de
diverses pointures et d'impressions infinies, sans que lieu
y remainsist encore suffisant pour y en mettre des autres
cent mil fois tant. Et estoit vestue ceste dame d'un man-
teau tant délié que, sans descouvrir riens du corsage,
tout de ce dé dessous se pouvoit congnoistre légèrement
par dehors; et se nommoit ceste dame Mémoire.
La tierce sy estoit une dame moult spécieuse, toute
vestue de pourpre. Portoit sceptre et royal vestement ; et
décorée de couronne luisant , usoit d'empire comme em-
pereis sur les autres ; et se nommoit ceste dame Volenté.
Moult certes m'estoit chose délectable voir ces trois
nobles personnes , et chose de grand reconfort sentir em-
près moy leur assistance. Sy dis lors que bien m'avoit
accompli sa promesse la dame qui s'estoit esvanouie de
moy, et qu'en lui certes avoit fidélité grande et bien
approuvée.
• Na(f, neige.
Toa. Ti. 18
27i EXKanOM
Et lors, comme ne pcmvoieflaooler les yeux en les eac^
templer, et que mea fraeurs premièrenient eoes m'estoient
toutee esvanooies» comme ai rien n'en (uéL avenu, me
perçus que les quatre mes ennemies de commencement
commencèrent k reculer un petit en arrière, et prenant
une manière rassise en elles, plus que au pronier, chan-
gèrent couleur toutes quatre. Et sembloit que peur aucu-
nement les Burprist de ces trois, et que redoubtassent
leur vertu. Pour quoy, elles trayant ensemble en manière
de conseil, et percevans bien que lieu n'auroient d*estre
oyes, ne d'arguer à rencontre, trouvèrent un personnage
d'une dame nouvelle, ne sçai où elles l'avoient embucée;
et icelle ordonnèrent pour tenir leur lieu , et pour mettre
avant en termes ce à quoy dès le commencement estoit
leur prétendre. Et tant appris lors de son estre que je l'oys
nommer aux autres Fmagination françoise.
Comme doncques ces quatre premières dames droit-cy,
à demi reboutées, se tenoient un peu plus loignet de moy
que ne soloient, et que leur semblant portoit de non me
oser approcher mais, par la vertu des autres que je per-
çus bien que moult ressongnoient, vis partir de leur trou-
peau oeste dame Fmaçimaion^ portant en sa main un
livret; et iceluy présentant à mes yeux tout ouvert, com-
mença à dire : c Homme ! de ce livret qu'en dis-tu? l'as-
« tu vu, autrefois, et es-tu de riens recors de son con-
c tenu? >
Et moy respondant que oy et que j'en avois congnois-
sance assez , m'en renforça sa demande, disant : < Et dont
« vient que ton cognoistre en est si expert, et que encore
« ne Tas vu, ne manié entre mes mains? >
« Beau l'ai congnoistre , ce dis-je lors, car ce fiit une
« fois ouvrage de mon engin. »
SUR VÉRrrt MAL PRISE. «75
TKA&mATiOK. — Et comment a-t-il bien le haràement
en toy de regehir ' que c'est de ton oeuvre?
L*ACTEVB. — Quelle utilité me seroit de nier ce dont la
preuve du contraire me toumeroit en twnfusion? Si mère
ne peut nier son fruit, ne moy ne puis nier ce livre. La
mère a porté son enfant en son ventre , et moy ay porté
cestui en mon âme. Donc, s'il y a riens qui sonne aigre
et qui cuise à honneur par l'interpréter au pire , ve2*me
cy Bubmis à l'interprétation ^Entendement, et de ces deux
dames Afémôinet Volent é, en qui mains et distinction
claire je me ose bien fier de ma sentence ; car y a en elles
droiture et équité » saine conception et vrai jugement; et
ne se desvoieroient ne pour toy, ne moy, de la voie véri-
table.
THA0IKATIOK. — Et Comment faut-il tant de personnes
pour te défendre , qui as esté seul à la composition de ton
livre? ne faut mie trois avocats pour un seul corps garan*
tir? Respons, et sfiuve de propre estomac ce que de propre
estomac tu as mis avant.
L'ACTBtJÉ. — N'ai advocat nul droit-cy qui ne tne soit
propre et qui tenu ne soit de moy servir, comme qui ne
puis vivre, ne avoir estre sans leur assister. Ce sont ceUes
et celui qui ont esté inséparablement avec moy au secret
de mon ouvrer, 1& où j'ai composé ce dont j*ai eu ciémeur
longue d'en avoir assaut, et laquelle chose, jà<» soit-ce que
je l'aie moult redoubtée, et que Testroit de l'examination
m'a esté une dure attente par la diversité des courages,
toutesvoies loué-je Dieu de Theure qui est venue mainte-
nant, quand assiégé de tous le2 de vous et d'autre, je me
trouve en point de respondre, sous la prestance toutesvoies
* Siffehir, reeônnattre, Avouer.
276 EXPOSITION
de ces trois, afin d'en estre quitte une fois, juste et preud'-
homme, ou d'en estre à la condempnation démérie.
TMAGmATioM. — Homuie/tu parles baudement; et
semble que bien peu tu prises cestui affaire. Mais sçais-
tu bien quel nom j'ay et de quel lieu je suis venue pour
venir droit-cyî
l'actbub. — Xentens que l'on t'appelle Fmagination
fraMoise, et qui es celle qui as tourné et viré ce livret de
feuille en feuille; et le lisant et espeluçant par jour» de
lettre à lettre, par nuit l'as ruminé entre courtines closes,
et y quis le goust du vrai entendre, là où souvent, à le
macbier, la saveur te sembloit amère.
TMAaiNATiON. — Et te semble-il que, par ces trois qui
te assistent droit-cy, tu me doies donner goust autre que
celui que j'ay pris, et que par leur parler je doie tourner
mon jugement contraire de mon assavourer? Nenny voir!
sique ne sçai à quoy te servira la fiance que tu y as, ne à
quoy te viendra à profit leur entremettre, qui me semble
aussi peu fructueux comme nécessaire, quand ce qui est
fait est fait en ta personne, et en ta personne, comme
George, tu le dusses respondre, non pas en ces person-
nages que tu nous vas quérant droit-cy. Au fort, pour
venir à nos fins, entrons en commencement; et si tes
assistans y ont lieu, me fassent entendre quel et com-
ment, ou tu en leur nom; et me déclarent leur estre et
condition, par lesquels droit-cy doivent estre appelles, ne
crus de porter la raison pour toy, qui ne congnoi que ta
personne et tes œuvres, et non pas les leurs.
l'actbub. — Dame, je ne prie fors que oys soient, et
que prestance leur soit faite de parler, qui prestement en-
fonceront un tonneau, dont ce qui en vuidera ne court
pas à brocbe commune, mais te donrra assagissement
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 277
beaucoup de tes questions, premier que tu y entres. Sy te
prie, sire Entendement, et vous, mes dames, qu*en ensié-
vant l'exigence du Cas, droit-cy veulliez esvertuer vos per-
sonnages, telles comme sont vos natures, et monstrer à
Ymaginatiùn française 9 comme vous avez grand titre et
intérest d'estre venus droit-cy en ma deSense ; car, ce fait,
me sera deschargé beaucoup mon cœur, et ma cause plus
embellie.
ENTENDEMENT. — Dame, uo te semble -il que nous
soyons convenables avec cest homme , qui en sa seule
personne a concité toy et toute la greigneur part de
France contre lui, sous espèce toutesvoies de bien et de
bonne intention, qui autrement a esté tournée? Doncques,
qui seul est encontre une telle généralité ennemie, fol
n*est pas, s*il a frère, ne sœur qui soient une mesme chose
avec lui, s'il les mène à jour de son champier * pour con-
seil, là où il pensé à trouver dure bataille. Ainsi est-il
droit-cy, dame. Nous trois, nous lui sommes frères et
sœurs, une mesme chose, une mesme nature avec la
sienne , qui nous entr'aimons tellement que nous sommes
inséparables de lui, sinon par séparation de vie. Donc, si
tu quiers à congnoistre mon estre, ne à enquérir la cause
pour quoi icy je me ingère, regarde vivement en moy, et
avise si je ne sers moult à l'acteur et si je ne suis Enten-
dement humain, en similitude d'un coffre ouvert, là où
toutes choses, selon ce que elles se présentent aux sens
extériores et aux puissances de l'àme, par dedans se re-
cueillent, se conçoivent et se logent ; et là, visitées par
la lumière d'Entendement besongnant, se poisent et sont
agoustées en la discursion de Eaison tive, qui en tire
ce qu'elle y conçoit : des bonnes, bonté, des mauvaises,
^ CftaMp^«r, combattre en champ clos.
«78 EXPOSITION
«
aareiur contraire , comme qui auta^ rien ne peut ttaire des
choBea, fors ce que leur nature preste.
Dame, en vérité de ce nom Fntendemûnt, qui mesme le
suis, j*espécule les choses célestes; et conçoy par gr&ce ce
que par sentiment je ne paie attaindre ; et parviens jus-
qu'à la cognoiflsance de Dieu et de ses œuvres, et à la con-
ception des choses invisiUes là-haut, là où œil ne monte,
ne sentiment. En vertu de ma nature aussi, je &is d en-
fans petiots, haute glorieux clercs, pleins de sci^ices, pleins
de soins et de hautee doctrines, parce qu'ils m'ont ouvert
et disposé à c<H3bcevoir diversité ûb matières, les unes spé-
culatives, les autres morales, autres de pratique et de
diverses fins» lesquelles toutes se trouvent en moy, qiaand
d'aventure on ioudie à la serrure du coffiré; car à légier
se trouve, ee qui est quia là où U est.
Or suis-je de telle nature que tel que llumime me quiert
av(Hr, ou riche ou povre, tout tri je me présente à lui ; et
tel qu'il me aura entretenu et ftit àson plaisir, il me trou-
vera tel et non autre, quand lui sêi^ besoin. Si d'aven-
ture il est convoiteux et qu'il donne soin de mettre beau-
coup en mon estuy,. beaucoup y recevray, et tant plus
y recouvrera à son recours. Donc, si peu y met et que
peu acompte de tdi amas par vice d'oiseuse et de négli-
gence, peu trouvera de richesse et de noble acquest; et
sera un homme abject et povre, inutile à soy-mesme et à
autrui.
Dame, tu entens bien qu'en un cœur nonchalant, en un
homme qui de riens ne fait poids, nulle rien ne lui est
grande; et que les courages qui se disposent à vivre
comme non hcmimes, n^ resongnent événemens mondains
nuk, ne que bestea mues» qui bivana et mangeaqs le mor-
ceau entre les mâchoires, ont le mail sur la teste souvent.
SUR VÉRITÉ MàL PRISE. i7»
doat làWt j^ui, paice que B'oEtsentesLwt de Umt mort.*
O dame, eatens droiVcy : ai Vacteur que tu aseaulx^
m&aat mis en nonclialoir comme geat telle, n'eurt mie
incorporé ce que après, par consentement de raison etpa]^
Texcès du remplace qui y estoit trop, il m'a fait vuidier,
et de quoi maintenant tu Veslèves en son eontraire. Car
eust donni peut-estre et se fust tu, eomme qui de riens
neust sçuy ne voulu faire poids, et se fust aussi légère-
ment passé de parler aigrement, comme légèrement il se
fust passé de concevoir les aigreurs qui queoreaat; car, qui
n acoute, ne entend, et qui ne sçait, n'assavoure.
Or queurent choses hideuses et dures choses, qui eie^
ventent hommes et pensemens, toutes distraites à'h(mr
neur , lontaines de salut et prochaines de misère^ de
tribulation ; lesquelles conçues en; Taeteur, le» a boutées
en mon coffre, là où j*esx ay tiré la saveur qui m'en est
amère, dont, du mauvaie goust que je j trouve, avec
firesche conception, j'en ay fait prest jiigement, et ai
recrachié dehors ce qui m'assavouroit mal.
Donc, si j'eusse esté nonchalant de la chose publique,
et que des choses humaines ne m'eust esté riens» allassent
bien, allassent mal, et que l'acteiur, mon maistre, m'euat
donné ce repos, ne fust ores riens de ce passage estroit où
tu as enclos l'acteur et moy, pour traire de nous Tinter^
prétation que tu quiers et les causes de nos rigoureux
escrits, qui ne sont toutesvoies autres que les faits que nos
sens noua ont fait concevoir. Sy me suffit t'en avo|r dit
autant pour l'heure, pour donner lieu à Mém^fôt ma
sœur, qui {dus vivemrat parlera beaucoup et plus à l'at-
teiAte du cas, pour plus te donner conception de ton tort
et de l'équité et bon droit de noua autres. Sique, dame Mi-
moUre, parle maintesaot et desecmvre ce^^ qui» est de toy ;
SSO EXPOSmOTi
et si tu as riens qui peut embellir nostre matière, fais
monstre de ce que tu as en trésor. Peut-estre que tu des-
couvriras choses qui pourront bien estre recongnues et
jugées de grand poids.
MibfoiBB. — Que diroie-je, Entendements Si un nou-
veau vaisselet emboit par nature la première liqueur qui
y est conçue, et la sent tout vieil et à tousjours, ma
patrenostre m*est aujourd'hui aussi fresche comme le pre-
mier jour que je la conçus enfant. Je fus créé avecques
cest homme, et naquismes nous trois ensemble avecques
lui, dont, en Teage d'enfant, souple à doctrine, me furent
présentés plusieurs livres dont j'ay aucunement recort du
contenu; et en ay mis en conserve ce que j'ay pu, par
plus, par moins, comme par plus ou moins avoie affection
aux matières et à les bien emprendre, dont les unes m'ont
esté nécessaires, autres utiles, autres glorieuses et loua-
bles, autres amères et de mauvais goust, profitables tou-
tesvoies quand bien se trouvoient espelucées. Les néces-
saires ont esté celles qui me servent à salut, articles de
créance, congnoissance de Dieu par doctrine, par foy et par
espérance, sans lesquels points n'est sauvement, ne salut
nul. Les utiles, ce sont esté sciences et disciplines, Visi-
tation de livres et de hauts escrits, qui parfont l'homme
et le mènent en la congnoissance de Dieu et de soy-mesme,
le font sage et clairvoyant, éloquent et subtil, et prompt
pour discerner entre mal et bien, entre vérité et men-
songe. Les autres quisoiit glorieuses et louables àl'homme,
ce sont lectures fréquentes et visitations d'histoires des no-
bles dits et tractations non communes des anciens philo-
sophes, des poètes, des , orateurs et des historiographes,
qui traitent des faits, des mœurs, des laudations, des glo-
rieuses vertus et hauts titres des nobles de jadis, roys.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 281
empereurs, ducs et barons en tous eages et en toutes lois,
dis le principe du monde jusqu'au présent; car en icelles
se trouve le miel et le sucre, délectation d'âme et contem-
plation souveraine de noble engin. Là se trouve le miroir
par lequel on s'adresse; là se trouve l'exemple par lequel
on s'amesure, par lequel on se règle et atoume, et par
lequel, prenant exultation en choses honnestes, on enlai-
dit et fuit-on œuvres ténébreuses et malsaines. Y a en-
core une autre manière de matières que je compte de
mauvais goust et amères : ce sont celles qui en vraie des-
cription racontent les opprobres, les reproches, les confes-
sions, les infélicités et escandres d'aucuns hommes et
hauts princes et barons du monde passé, d'aucune noble
génération, à qui il peut estre mésavenu, d'aucun glorieux
royaume, d'aucune cité noble, d'aucune singulière per-
sonne notable, qui se sera méfaite ou que fortune ennemie
aura mené à fin triste. Sy en sera la conception amère
parce que noble nature se deult volentiers du mésavenir
d'autrui noble. Et peut profiter toutesvoies la lecture, en
tant que le lisant et qui le met en rétention, s'en préavise
et préserve, et fait autrui préaviser et préserver de non
encheoir en semblable, ne par fortune, ne par propre faute,
comme toutes fins se traient de l'une de ces deux; les-
quelles toutesvoies, quand on les prévient par sens, n'ont
point d'efficace en l'homme par quoy on les doie craindre.
Dame, et avec ce que jeusne et en succession d'eage
j'ai pu lire et apprendre moult de choses par livres, sy
ay-je pu avoir congnoissance aussy et impression d'autres
beaucoup, que les sens extériores, comme la vue et l'oye,
m'ont rapportées, et qui en ont mises les réalités en la con-
serve de mon clos, là où souvent je les manie et reliève,
je les songe et digère selon leurs qualités et circonstances;
382 EXPOSITION
entre lesquelles les unes peuvent estre défitaUes et de
grand firoU, et les aatrca néraucolieuses et trustes, BaKmlt
dures en digestion. De eestes deux maniteea de eboses
avenues» dame, ay-je tout plein mes oeffires, ay-je tout
plein mes armeires et eustodes, non pas par doctrines d'es«
cole, non pas par lecture en livre, ne par récitation unie
debouebe, mais par réale vision et expérience des eae en
bien et en mal. Toutes me gisent imprimées si très au vif,
que riens n*est qui les puisse traire driseors de moy pour
les me faire perdre, et qu*eUes ne demeurent fresches et
vives en mon regard, autant eelles de dix ans que d'au*
jourdliui.
Dame, et s il te plabt que de eestes choses ainsi vues et
connue» par saitement je déclare un peu les particula-
rités aucunes, tant pour ton propre contentement comme
pour preuve de ma parole, Je te veux ramentevoir premiè-
rement aucunes de celles qui me sont délitablea, et qui à
la maititee présente que faj à déduire en faveur de Tac-
teur, me seront serviaUes et de grand fruit; car partie
seront matière subjecte et grand fondement de nostre
œuvre. Donc, parce que nous devons entrer en eos^ntion
toy et nous, pour cause de cest homme, et que tu es mue
de France pour oy venir en ces marches basses impropérer
un povreescrivain qui ne te haite '; doncques, parce que ixi
es de France et que tu en représentes la nation, toutes les
matières bonnes et mauvaises que je tirerai de mcm recort
en France, seront prises et sur icelle fondées, comme qui
par autres ne te peux assoufir, ne &ire approche. Donc, et
pour ce que cause principale de ta venue droit-cy est l'ac-
teur, et à Tactottr la oanae de son. escrira est le desvoi ôb
< QaétttfirMAR^qoififitepktl.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. S83
ta mtioa, les François , te veul donner h entondre sur
quoy Tacteur priacipalemeut a fondé son œuvre» et pour
qnoy il s'est mu si aigraobent à rencontra de ta nation» et
prenûàrement notant la personne de son maistre en qui il
congnoit toutes bontés manoir et autruy avoir reçu maints
haulx bénéfices de sa mmUt maintes exhibitions d*honr
neurs et d'humilités monstrées par divers temps et lieux,
non rétribuées condignement. Toutesvoias» pour et en nom
de celui acteur, contens à déclarer Iceux, et en après
venir à la touche des guerdons qui en sont rendus, conune
qui tout vivement Tai en mon coffre, 1& où Tacteur l'a
puisé et a esté querre comme pour fondement de son
œuvre.
Dame, comme une seule personne est cause aux Fran-
çois de leur envie, une seule personne aussi sera cause à
moy d'impropérer iceux par sa bonté, laquelle a esté cou-
gnue en lui dès son enfance, et dont encore j'ai recort
vif, car est né le {dus vrai François des vivans. Donc,
posé que l'infortune de vous autres et vos propres, causes
lui ont fait autresfois desguiser sa nature, sy l'a-il fait à
regret et est demeuré invariable en racine» comme tout
jeune délibéra à mcmstrer, lorsqu'en la journée de vos
pleurs, à Azincourt, pour soy y trouver à heure, contre le
eommant de son père se embla céléement pour vous droit-
là venir défendre, et dont la perte après lui donna telle
douleur que si toute l'infortune eust redondé en lui seul.
Y perdit oncles et parens grand nombre; y perdit pro-
pres vassaux et subjets, nobles infinité. Estimoitle moins
sa perte privée toutesvoies, mais ploroit am^emient la dé-
solation commune, et qu'en la main des vieux ennemis du
royaume, les inftosteurs des François, les buveurs de leur
sang, le noble pa^entage royal et le thrônfii d'icelui estait
981 EXPOSITION
chu et succombé si très-lamentable. Naquit haynenx en-
contre le sang anglois, et ne vesquit oncques heure qu'il
y eust amour vive. Donc jà-soit-ce que après, par les
choses avenues non renouvelables, il en prit Talliance, le
contendement de vous autres, qui mesmes les quésistes en
son contraire, lui en estoit plus cause que constrainte
nulle pour avancement de sa querelle, quand, après injure
inférée assez griève, vous le tendiez à pardéfaire par
ceux dont il fit sens de les vous soustraire et de mesmes
sen défendre. Sy ne dy pas ceci, dame, pour relièvement
de nulle chose passée, mais pour approbation de sa bonté
invariable, sinon par constrainte, comme on dit vulgai-
rement que de Taignel on en fait devenir loup par le
trop surquerre. Et que cecy vray soit, appert par ce que,
après longue confédération maintenue avec iceux contre
vous , piteux envers vostre ajBUction dure et recordant
quel il estoit en fons, retourna par devers vous tout léal
et rompit le flaiel de vos ennemis par moitié, où l'œuvre,
de son principe jusqu'à la fin, compris tout ce qui en fut,
se pouvoit plus réputer divine que humaine, quand nulle
plus noble ne fut oncques, ne digne de plus grand los. Sy
n'y est mie allé à feinte depuis, ne à regrets, mais s'est
trouvé comme fils très-humble obéissant à père , comme
serviteur très-petiot à son souverain sire , par toutes les
dilections, honneurs, révérences, présentations, fidélités
que cœur noble et véritable peut traire de son fons, dont,
un, ne deux exemples se doivent alléguer droit-cy, mais
mil s'en pourroient mettre en conte, dont nul ne seroit ré-
pugnable. Quist en forme de ceste vraye bonté, et pour la
consolider entre vous et lui , la noble et la très-haute
alliance de la fille du roy pour son fils, laquelle, après
longue nourriture, venue à sa fin, condolut amèrement la
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 885
perdre, sous cui vivant toutesvoies, se trouva grevé assez
et vexé de vos gens, que vertueusement toléra sans y
monstrer desvoy. Donc, comme s*estoit retourné serviteur
et ami loyal, devint dur ennemi à ses relenquis, et en
avancement de vos ressources, mit siège à Calais. Donc,
posé que fortune n'en souffrit avenir lors point de fruit,
sy lui en donna gloire toutesvoies très-haute la hautesse
de l'entreprendre, quand seul le pensa mener à chief et
tout à par lui. Donc encore, et pour plus monstrer sa
léaulté vraie, et recordant comment le noble royal sang
françois gisoit en captivité en Babylone, et que là mené
tout jeune y languissoit tout gris chenu, s*avisa, de no-
blesse de coeur, de le traire dehors et de le racheter des
mains de Pharaon, lors quand autres ses plus prochains n'y
acontoient'. Ne le. fit mie toutesvoies à vaine gloire;' et
ne le dis point aussi à fin de repreuve , mais à preuve
et exaltation de sa bonté qui droit-cy requiert d'estre re«
monstrée très à précis.
Que fit lors après cestuy prince, dame? quand la divi-
sion première sourdi entre le roy et son fils, lorsque plu-
sieurs princes françois se estoient joints avecques le fils,
contraire du père', et que tribulations à tous lez renais-
soient en France à ceste cause, ne se monstra lors ce duc
un noble singulier homme, un prince de divin estomac,
quand, tout plein de larmes et de douleurs, plein de re-
grets et de compassions vraies, au sçu de ceste division,
dit : « hélas t je voy bien que ce royaume est perdu à
« jamais, et que temprement et à nos yeux il se veut
« perdre et finer, quand vuidié d'un meschief il rechiet en
> n 8*agit ici du duc Charles d'Orléans, qui dut, en 1440, sa liberté
aa dac de Bonrgogne.
* Lors de V^Praçuerie.
«86 . EXPOSITION
« un autre, et se veut pardéfaire et partermmer en divî-
t mxm comme du pfere contre le fils» et de l'un membre
« contre Fautre. 1 et que pitié en puiat prendm h Dieu
t et que sa grâce y veuUe pourvoir bientost! » Sy fut
tellement mu avec ses paroles, et si au vif touché es par-
fondes entrailles, qu'il varia longuement de monter à
cheval à privée mainie et de aller devers le roy en per-
sonne' pour obvier à cet esclandre, dont beaucoup le
louoient en son haut courage et en celui hardement,
mais dirent que ce ne lui eust esté sens de le faire. Aussi
s'estoiton assez perçu par avant et depuis de maie me-
sure, par quoy la difficulté n'y estoit point mal séant.
Laboura toutesvoies constantement et sur tous les autres
de France en la pacification , et tellement que le discort
fut remis en nature par son pourchas. En faveur encore
d'aucunui, dame, et pour monstrer son humanité, n'a-il
restitué franc et quitte pour néant, qui par infortune de
son prisonnier lui estoit mis en main gagiëre, qui non
ayant quîs son détenu pour lui inférer grief , défendeur
de sa terre, le vainquit en bataille, lui courant sus» dont la
détention en avoit esté tant plus juste, et la rédemption tant
plus de gravité * digne. En outre, dame, n'aril quitté libéra-
lement en faveur d'aucunui toute la seigneurie de Milan
que le duc Phelippe lui vouloît transporter en main et
le faire son fils d'adoption et lui en fit presse et prières
très-longues : que ne voulut accepter toutesvoies , pour
dilection d'autrui, et pour donner à entendre que plue lui
estoit amour envers son sang que multiplication de terres,
■ Ces détalli ne ae retronyent pas aiUenrs. Voyez le récit des chro-
niqueurs contemporains, résumé dans VHUtoite des ducs de Bourgogne,
par M. de Barante.
» Gratuité? allusionàla captivité età la délivrance daEené d*AnJoQ.
SUR YÛUTÊ MAL PRISE. S87
non jnsteme&t posseBsées. Befasa pareillement et en ce
meeme titre la seignourie d'Espinay' et de Metz, et qui
plus est la seignourie de Gennes, an temps de vos adver-
sités, parce que ne voulut riens emprendre sur vous
autres qui autresfois Taviez tenue en vos mains*.
Donc, après vous avoir fait tous les honneurs du monde,
toutes les bonnes et joyeuses réceptions, donné de ses
biens larg^nent et offert, vous présenté assistance et ser-
vice à rencontre de vos ennemis , k rencontre des infi-
dèles, à rencontre de tout le monde, et soy monsk«nt le
scabean de vos jHés , tant en fait comme en parole , et
préavisant la félicité de ce royaume et sa longue dura-
tion et que division en pust estre extirpée et jettée dehors,
a refusé mariages du monde univers. Et pour donner
règle et ploy à son fils, tel qu'il désire que par lui main-
tenu soit, et de peur que par conseil senestre ne quésist
alliance à vous non saine , lia son fils à sa propre nièce,
fille de sa sœur, à vostre sang propre*, afin que parti à
intention de soy trouver en bataille contre les Turcs, si
fortune lui eust gardé sa fin pour mourir là, il eust pu
mourir plus asseur et mieux réconforté, pour avoir obligé
son fils en celui sang dont il estoit venu, et lequel, con-
traire de son cœur toutesvoies et d'autrui avec, il lui avoit
donné et laissé par testament, par aigres et très-estroites
paroles, pensant non jamais le revoir, sinon à grand ad-
venture. Dame, et ne prises-tu ceste œuvre? et ne te
semble-elle de grande et de haute laudation digne, quand
lui voyant son fiils traire à affection oblique Ta lié pied et
mains pour le faire tenir joint emprès vous ; qui n'estoit
> âplBal.
> Cf. la DédanUion des hauts faits du due Philippe [tothé VII).
* PhUippe fit épouser à son fils en 1454 IsabeUe de Bourbon.
S88 EXPOSITION
mie diseteux de mariages toutesYoies, quand les plus
hauts de la terre se ployoient envers lui. Sy ne 8*est mie
monstre moins léal , quand vostre héritier prochain » Tex-
pectant de la couronne \ déchacié d'envers vous» il a reçu
entre ses bitis pour un meilleur, et pour honorer ce là oii
il a amour vraie. De quoy toutesvoies la hayne qui est
fresche maintenant s*est congréée toute envers lui par
vos injustes et vicieuses suspections que vous maintenez
en celui-là où oncques n'entra chétiveté, dont ceux qui
les nourrissent et leur donnent cours, sont moins ver-
tueux, et lui plus clair et plus glorieux en ses titres.
Ay-je dit maintenant et remonstré ses bontés et ses
léaultés et preud'hommies envers vous? Pour causer
doncques l'ouvrage de cestui acteur, qui toutes ces choses
a revisetées en mon coffre et en a vu les rétributions
I
povres, convient bien narrer après et faire une briefve
discursion sur les choses que j'ay vues en vous, non
bien faites et non de mesmes à ses bontés. Et tout pre-
mier me recorde de maintes rudesses et ennemistiés qui
lui ont esté monstrées depuis par vos gens d'armes, qui
du temps des guerres à peines ne furent oncques monstrées
autant, que toutesvoies en vertu et pour bien faire il a
toléré patient. Sont venus Anglois et François joints en-
semble, pour le fouler, qui , ennemis l'un à l'autre, firent
compact pour fouler vostre ami, qui» pourvu de Dieu et
de bon droit , avoit honneste occasion de soy défendre.
N'ont de tout temps ceux du parlement et aucuns du haut
conseil royal, contendu à faire ployer rigoureusement sa
personne, de l'asservir et humilier par roideur, de le ron*
ger en sa gloire et régnation , de le restraindre en sa
> Le dauphin (depuis Louis XI].
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 289
seignourie, dont les faits sont avenus si clairs parfois,
que les doléances à son lez en estoient bien dures ? Ne vint
mie une fois un huissier de parlement à Gand atout un
mandement pour Tadjoumer en personne, ensemble son
neveu le comte d'Estampes et une grande part des nobles
de Picardie, pour et à cause d'un Dimence de Court,
homme de non grand estime *? Et celuy huissier gardant
son exploit jusques au jour saint Andrieu', le jour princi-
pal de la feste de son ordre, queluy, le duc d*Orléans et
tous les chevaliers de la Toison d'or estoient en leurs
manteaux, en la gloire et solempnité de leur estât, en salle
non d'un duc, par semblant, mais d'un empereur, tout
prest de asseoir à table et en point de prendre séance, vint
icelui tout délibéré et à intention d'esvergonder la com-
pagnie, ne sçai de qui instigué ou non ; et soy ruant à
genoux le mandement en sa main , fit son exploit et son
adjoumement en sa noble personne, en son neveu le comte
d'Estampes, et [en] toute la haute baronnie là estant,
comme pour donner à entendre : c Vecy le flayel de vostre
c extoUation fière que vous avez prise , qui vous vient
« corriger droit-cy et pincer, et vous monstrer qui vous
« estes. 9 Dame Fmagination^ te semble-il que ceci pro-
cédast oncques de bon fonds, ne qu'en un tel cas se pust
entendre autre chose, fors que hautaine envie et venin
de cœur? nenny certes.
Pareillement se peut dire d'un autre, lequel, cestuy
prince estant en sa ville de Lille , vint à marteaux de
fèvre* rompre les prisons d'icelle ville, pour tirer dehors un
' Bimanobe de Ck)art était, diaprés la (ironique manuscrite de La
Eafe, un ancien chef d'écorchenn. Sar la part que Chastellain prit à
cette afflEdre, vofez t. !•', pp. xvii et xvm.
* Bn 1445. ' Fivre, maréchal, seirarier.
TOH. Tl. 19
890 KXPOBrtiQFI
jNdsDimier^ sans «voir onoques daigné demander on^w-
tere à icdni^ dont esmu durement de Tescandire et de la
clameur du peuple» en plein midi constraint fut de ruider
de sa maimm* lui quatriesme^ pour venir à cestui gra-
cieux exploitant qui toujours mailloit et frappoit» et avoit
jà rompu les sorrures et grosses barres. Mais pris en son
oultrage, se trouva tout esbalii quand le seigneur vit si
près de lui, qui oncques toutesvoies ne se deslia en parler,
jà«soit-ce que emprès lui en avoit aucuns qui volontiers
Teussent lancé en la rivière qui estoit là iM*ès : que oncques
ne voulut souffrir, pour révérence du roy '. Mais ne fut-ce
point un excès de justice , une très-oultrageuse ^ deqÂte
hautaine' monstrée et faite à un tel prince, à un tel chef
en la terre si glorieusement r^piant, si puissant de
villes et de pays, si assisté de conseil et de sage conduite,
et de soy-mesme prince de justice et d*équité| sans que ses
villes d'ellélhmesmes soient les mieux policées de toutes
autres', et très-rigoureuses corrigeresses desmauTais par
Icy et vrai sain jugement?
Quans en est-il fait d'aulares, dame , que je raoonterde
bien, si ne fust pour briefté et pour non tout mouvoir ce
que je pourroie bien? Quans est41 de vénimetix langages,
et a esté depuis vingt ans en çà, de ceux de vostre roiite
enveiB ceste de deçà? Quans mespris et ravalemens,
quantes fiertés et hautaines monstrées, là où on tordoit
les cols vers ceux qui , vous recevans en leurs girons ,
vous ont honoré les pieds , en humilité vous ont baisés et
> Bn 14^, le bailli de Courtray osa faire arrêter un baissier da
parlement, et après lui avoir enlevé les lettres dont il était porteur,
« le constitua prisonnier de monseigneur le duc de Bourgogne. » Sur
oe grave démêlé, vopei^ les arcbives de VEmpire, J. tSTB.
* Hautaine, acte orgueiUeui.
• Cf. tome in, p. 89.
SUR a^Va 1k\t PRISE. 291
«fitfailAs, 'vt)ti6tSif J)*6sté yeux ^oœtotsfiivoraUes, teoûjoys
et solèmpAiséd par côntem^aifoà, par révé!^enbè "et Hmon^,
pkT tmvj Ytàa BUî rnutfèv dont tontesvoîès là mémtSte
s'eelt trouvée esCiÉtiàtè fèÂtéet et ^esvialioiiié Ï^Vec lé ^ùt ^
vOB tàlofiB? Déa 1 ef; q«è Va te luises , dasàè, qtte j^iAé-
Tiiine. ^ mimiërââ 4è ^à iMifshJe kssêz ièïpèirte , ^t dés
lang'ag^s H^n kofàhis? iôt ^ombièh q'trè l'honneur et savoir
•dû tidobiev la grttéîeu*te et ^urtôîsîe reposent an gii^on
françois, MBein "de Teïivoîséè^ rôy^te coilrt, tte s'y trou've
diléetion nulle toutesvoîès envers cent de deçà, ne s^
peut trouve!* aârou^ radical. Mesmès ^mble estre chose
laattuheUe et bMneste, tthè ëhoito 'appartenant et droitù-
riëre, que tout ce qui croîst sus , homme et femme, tout
ee qui entre en eiitorité ^claire 'et noble , doîe eontem^itèr
et tordît le col à ne«s «tutres. ITay-je vu hommes et oy
dire : qiie plûstost îroient ^n la de'flfetice des Sarrasins
qiie des Bourgui^nôils , et d'amlée se Msoit contre un et
eonlM autre, Qroîent ^lustôst contre tes Bourguignt>ns
que contré les Sarriasins? Daiine, j'ay taioult de choses lèn
mon irecort quî à ce povre acteur droitcy oht esté càtise
et matière d'ouvrer, dont dès Vieilles je me pasàe pot* un
ndeux et viens à celles qui encore sont fresches, et qui
principalement ont commu l'acteur et mené juôqties en
ceste aigreur, depuis la journée de Vendoûime, là où l*àiln-
bas^e dé ce duc efctoit tramîse pont obéièsahcé au toy,
là attendant #)ii plaisir, et par iiltentit^ti î&ussi de donn'ér
secours et întercessioA dé prière à ce pbvre infortuùé duc,
i ce î&îsérable descoùfotté roy^l sang d'Alen^on, que éés-
tui prince bourguignon , par affection et devoir de na-
ture, par obligation aussi et constrainte d'honneur en une
* Snw>isée,hTÛ]Bnie,
399 EXPOSITION
religion d*ordre, avoit tant longuement pourchassé, avoit
tant humblement requis et poursievi que traité fiist en
pitié, et que recongnus en fussent les services et léautés de
ses pères, et le sien vice dispensé miséricordieusement, en
leurs mérites; qui oncques toutesvoies, à l'heure de la
très-malheurée et misérable sentence d'un si noble sang,
ne fut oncques ramentu une fois qu'en faveur de lui on
fit riens, fors seulement en faveur du duc de Bretagne,
pour qui amour on lui remettoit la vie conditionnellement ' .
Et battu droit-là devant un lion gros', convint estre des-
honoré, et porter punition scandaleuse le noble royal
sang, le parent de tous les royaux , le compère du sceptre
triomphant, le parrain de l'héritier de la couronne ; et soy
couppant mesme le nez du visage, destituer, desgrader,
desveatir et estre despouillé d'armes, de seigneurie, de
dignités, de prérogatives à tousjours mais, et séparé avec
ce misérablement du monde, mis en prison plus méran-
colieuse que mort, et plus dure que coup de douloire par
non pouvoir digérer son ennui. comme doloureux
exemple à ceux qui, frères avec lui d'ordre, se trouvèrent
constrains d'y entre-estre et de voir respandre sur eux une
telle nuée, une telle inondation d'eau confuse, dont se
notoient bien les causes. Et ne sufBisoit mie alors, dame,
non faire riens pour lui, non l'avoir agréable en ses hum-
bles poursieutes, en ses honnestes et méritoires déprécsr
tions, ne de le priser en nulle de ses bontés ; mais pour
plus l'attédier, pour plus lui donner cuisance sur playe,
présens les princes , présens ses propres chevaliers , pré-
" Foyef t. m, p. 486.
* Battre U chien devant U lion est nne location proverbiale qa*on
rencontre plnsiears fois chez Chastellain. Elle signifie : donner une
leçon, menacer par Texemple.
SUR ytsjTt Mal prise. 395
sens Toye et vue de tout homme , le procureur royal le
alla charger d'honneur, lui alla imputer fautes et offenses,
iniquités et cas reprenables, sans le asmblant autre qui là
se monstroit aux tramis, non de grand espoir de bien. Me
remembre aussi, dame , des alliances qui ont esté quises
nouvellement, contraires de ce prince, et des querelles
acceptées non nécessaires, dont ceux qui les ont quises
et conspirées sentent comment il leur en est , et les enten-
dent bien aussi et assavourent ceux à qui elles touchent.
Ne feu nonune nulles pour tant, quand tu les entends
toutes ; mais il en y a de prises et de tollues, et de faites et
, de soustraites, en désespoir de l'acteur et d'autrui, dont
' passionné en cœur ne s'en est pu taire, et a osé mettre la
: campane au chat, pour escrier lésion et foulure en l'inno-
cent. Autres matières me restent assez , auxquelles je
n'atouche pour donner lieu à Volenté de parler, comme
celle qui est empereis en la région de l'âme, et qui moult
a grand intérest de monstrer en ceste présente convention
quel chose c'est de sa nature , et comment justement elle
se doit exposer à la défense de cestui nostre homme , qui
par elle comme par nous est entré en besongne, et par les
vertus impériales d'icelle a tissu son œuvre. Sique, dame
Volenté, exerce ton office et parfai la part qui à toy sert,
pour tant plus abrégeamment informer Fmaginatiùn
française des causes de nostre colnparoir droit-cy, en l'as-
sistance du povre perplex.
Lors s'avança Volenté et conmiença à dire ainsi :
< Je suis la tierce personne de vous autres, qui sommes
< une substance avec l'&me raisonnable, et ay mes puis-
« sauces distinctes en unité toutesvoies de nature avec
< vous. Donc, pour avoir la définition de mon estre et qui
c je suis, je suis une vertu appétitive, naturellement
^4
EX906rnQN
< en, arbitre et T^ont^^ Doac, parce q^ je ama roj&e
« et, çmp^reis. j>. i;ii^ snjgi à asservir» na |i viple^î et parce
< que je suis, franche eu arbitre, ne suis à constraiudre.
€ Et fait, à çntendre par ceci : qa'ea Yhomm/^ eai un
f <ippéti,1; raisonnable, qui se oonan;^ ToZ^if^,. par leq^
c raisonnablement et en franc arbitre il, appète; tout ce
c <]^^e. raison lui présen^le et met en o&teatioa. Or vous
c conyient-il i( dame Fmagimtioiif^, savoir w outre : %ue
% de. mç j Vqïonté dépendent par degrés et naias^t di-
% veifses opérations, là Qiilileanon^ me cbangent et varieoat
€, k la. qualité de ],eur astre? Donc, au premier deg^é,
% parce que i^a francbjâe est de pouvoir ealire et vouloir
c et. w>n vouloir, et que ma puissance œuvre et s'es^vertue
< devers, objet bon, je me décUne et descends à (hns$U,
t. Après celui degré, je redescends arrière plus bas et me
% décline jusqu'à Jugement. De là plus avant encercha et
< vien^ jusques à SeaUewe.; d^ Sentence jusques à ÉUc-
^ t{ùfki et. à^ Élection jusques à Mùuvcmeni impétueux, à
% Éaéçutio^ de^ 0uvre; et droit-cy entré-je prt^r^neût
( au tbrône de mon ei^pire» et commande ainsi fa^ ou
€ ainsi, et ainsi vouloir ou non vouloir, et faire ou bien
c ou mal, selon que le bien à moy monstre de raison
f humaine, sera plua ou moina parfait, ou plus ou moins
c eaUsable, ou moins prolStable et salutaire. Çoncques,
f dame, Fmagination, regarde et entends, te prie, si
< par la, définition et naturcf donnée à congnoistre que
% c*est de moy , et pai; les qiatières qui ii;i*ont esté pré-
« sentéea objectiv^tE^^t, et, envers lesquelles SfUendep^ent
1 et Mémoire, m SWt eij^battu comme avez oy , ipoy aussy
• je me dpy embi^tijre ayec eux« et gercer m^ifs vei:tas
"^ et. piii^s^^çes ^ |cQl|es , qu^d je auip <ie la, tri^ité
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 395
c ina^pçjrabla da leur sulistaiica, et elled de laoy. Certes,
« ey!jeyaim(mintéi^tti^*<;lair6tmoiieQtTeinettretrèeh
c opportun, quand les matières à moy présentées eomme
c aux autres, ni*ont fait descendre en tous les degrés deesua
f touchés» et menée jusques à impérial commandement
c en eestuy poTre homme sainement et saintement devoir
« eserire et proférer ce de quoy est mal voulu de vous
c et en Tindignation de vostra aveugle courage , qui par
c nottvelleté de fortune amie après bngue povretéi vous
f est tout extollé en présomption et saisi de descongnois*
ff sanceet de vaine inutile gloire* Or çà doncques» dame
« Fmêffi9uai(m J^aneaisô, ahrégea-nous et mettes avant
t ce que vous est en plaisir ; et nous trois à nos pouvoirs
c nous vous assQufirona en vos argumena et demandes. »
YHÀewATiQN FEàNÇ(H9B. -^ Au point doncques où tu
veux qw Von vienne» et que l'on abrège ton languir Ion*
guement pour venir à une fin sçue : en ton livre a un
prologue d^ dcmze coiupplets, \k oii dès ton principe et au
premier point tu entres en une repentance d'avoir bien âdt,
ce semble» et faisant recort de tes léaatés, amours et
bumblesses dont ta ne vois fruit, obkz en ai^,, disant :
qu'il ne comvient humilier sa faee en perte puisque ainsi
va, et qtt€h Ton qui^rre qui le fasse désarmais» comme tes*
moingne ton premier coupplet
Allègues en ton second que toute œuvre de léauté et
d'amour, toute coioditîon dl]ionneur et chierté qui procède
deneblernivture, désormais se doit rebouter en cofire, et
non estre retirée dehors Jamais, jusquies Ton percevra la
fin, ^ui a eeté mucée en longue ingratitude. En quoy tu
menaocfi» et répreuves ea fune partie premièspe» et en
l'antre tu in^utes ebarge à auounuy , et le i^utea ingrat
immA^9iggeTl par ton. seemd coupfleti.
996 EXPOSITION
Au tiers coupplet , ta fais comparaiBons des tyrans de
jadis et des gens horribles , lesquels, par traite de temps,
par douceurs et humilités, Ton a souvent amollis et cons-
trains bénignes et débonnaires envers les créatures de leur
mesme espèce. Et contends à induire par ce : que nous
autres chrestiens, qui sommes si féroces et sauvages, que
prier, aimer, servir et honorer ne nous peut vaincre, ne
faire ployer, sommes pireaque eux; et que ceux qui ainsi
le font et n*en tirent fruit, ce leur est une bonne œuvre
faite à perte et à la maie heure, en quoy taisamment tu
imputes charge arrière & quelqu*un et ingratitude.
En ton quatriesme coupplet, tu semblés vouloir confor-
mer le précédent par diversité de bestes féroces et espo-
ventables, lesquelles toutes s*apprivoisent , et en peut-on
tirer amour et soûlas par engin dliomme qui s*y applique;
mais seulement en l'homme dont tu parles en général, tu
arguës que ceste loy fault, comme si tu voulsisses con-
tendre en personnes particulières, arguant le mesme et
leur reprochant leur perversité.
Au cinquiesme de tes coupplets, tu démonstres : com-
ment Dieu offensé par les hommes par chascun jour, pi-
teux se retire à miséricorde et clémence par humble et
douce déprécation , et que pour un doy de service à lui
fait de bon cœur humble, il en rend fruit à cent douUes,
et reçoit chascun en prix et en mesure de sa valeur, et ré-
tribue portion par qualité, selon que les œuvres de ses
servans sont de plus gprant réputation ou de moindre,
comme se trouve en celui cinquiesme coupplet.
En ton sixiesme coupplet, tu fais ton induction par la
mer effuriée, laquelle horrible en regart dliomme, sous
la tranquilité d*un doux ventelet s'atrempe et se pacifie ;
et procédant par exemple jusqu'au marbre très-dur, tu
SUR YÉRITÉ MAL PRISE. 297
remonstres que icelui se cave et se fossoie par le dégoût de
l'eau chéant dessus, et eu outre, que toute autre rien ter*
rienne, comme dure et comme laborieuse elle puist estre,
se vaint et se maistrie par engin d'homme, dont la conclu-
sion se peut traire, qui bien l'enfonse , telle que ensievir
peut des prémisses.
Ton septiesme coupplet prend fondement sur nature
générale de toutes choses et sur loj et condition d'icelles,
disant : que toute chose née et créée par loj et nature
qui y sont establies, prennent quelque conformité, quel-
que concurrence et attraction d'amour ensemble, aussi
bien en diverses espèces distinctes en nature, comme en
celles d'une nature et d'une propriété ; et ce par une loy
générale : que toute chose trait et affecte aucunement
vers son semblable directement, le bon au bon, le mau-
vais au mauvais, et non pas le mauvais au bon, ne le bon
au mauvais, car ce seroit pervertissement d'ordre.
Ton huitiesme coupplet met avant un argument là
où tu proposes : que les gentilles nations de jadis barba-
rines quérurent l'amour et la grâce de leurs dieux par
humbles et dévots sacrifices, lesquels, posé que ne fussent
utiles, ne nécessaires, parce que leurs dieux estoient déa-
bles, dont nulle rien n'est pire, ne plus perverse, leur ren-
dirent fruit toutesvoies et obtènement de grâce, par loj
d'équité, qui est telle : que les offices d'amour et d'hon-
neur, où qu'ils soient exhibés, valent pour percer ciel et
enfer; dont aussy la conclusion se peut traire des pré-
misses, telle qui s'y peut entendre.
Le neufdesme de tes coupplets fait un argument, que
tu couleures sus Baison, Noblesse et Honneur, disant :
que par loy et nature de ces trois, toute rien qui est noble
et vertueuse en soy, doit aimer et affecter autre qui est
%^ EXTOSmOK
semblable, et ^ue aBU)iiP doit estre liea entra l'aimi efc
raimanty-et entre le noble et yertueux. Donc, si discsofd
naissoit entre deux, celui doit eatre extirpé par Yertiu fit
combien qu'en celui je ne veux guère produire d'argu*
mens contraires^ sy fait-il bom à entendre là où tu veux
férir.
En ton dixiesme, tu prens toute Timi verse fabriqua de
Dieu, tout ce qui est dedans régnant et bgeant , thrônea
et vertus, anges et archanges, tout le contenu et stebi-*
lité des iérarobies; et par icelles et iceux tu semUes vou*
fcir induire : que tous et toutes régnent, pardurent et
pwsévàrent. en esiable doration par seule amour et union
qui sy observent; et que l'ouvrier mesme, qui est Dieu,
est tellement conjoint en amour et ebarité avec son tout,
que rien ne s'y trouve fors paix et union.
Donc, après ce, tu viens cheoâr inductivement, en ton
onziesme eoupplet, sur la terre qui est le centre et le vut-
lieu de son ouvrage, comme tu dis , mais est le ventre et
le goufi&e de tout orage et. discort, et Ih où toutes baynes
et divisions s'engendrent; et ce par le courage pervende
ceux qui en ont empoigné Ia> seigneurie , et par lesqueU
la paix et tranquillité du monde se perdent.
Et puis, entres en ton douziesme coup^det^, là où apvès
avoir fedt ta discursion générale sur toutes dioses, tant
célestes qu8 terrestres, servantee à ton pourpoe, tu viens
condescendre plus particulièrement à dénotation de per^
sonnes, disant : que là où lien d'amour et d'union ds>i% esr
traindre ceux d'une foy, d'tm fbns, d'un bers et d'un sang»
et les tenir conjoins en iroit et en cbaut , vient; maBieur
et perverse foortiûie qui k8.fait.deifenir froûr et desnatiftré^
et 8121S eraiiadre ne Dieu^ ne consdenoe, ne hoimm^i, Q«
devoir propre, s^el>tre-gvagMllft ensemble eitinatl'itt çà*
SVR YEftiTÉ HÂL PRISE. 289
couverte hajue.
Ces dousse coiiij>plets-oy so^t le prologue det tQU livret
desquelâ je^ ^ fais point t^e estime opiome^ d^ 9Qi;FplufikiL
là où tO) ealTes en ii^ktièire ; et n'y mete poin^ grant arrest.
Toute^voieSsL powestre assouj^een mes difficultés, et que
t^saïQSive^t dès sop principe tu notes peisoi^nes partiou-
lièresr, et semblés vouloir venir h contemption d*iceUes oia
de leurs œuvres» j'en requiers bien la déclaration,, sid se
peat faire, au plus près de ton entendre.
l'actbub. -^ Lors moy, ayant oy parler oeste dame et.
fajgre sa résomption de mon œuvre t^-bien a^ vif, et que
j'estcûe 12^ à l'entrée de l'estroit examen, lÀ où {l cpnyenoit
que se^ia se desveloppast^ et que profondité de. vertu et de
raispù saina me secourussent de leur engin , pris, à dire,
tout ibiblameijit à ceste dame :
Pâme, jàrspit-ee ^ue (fe la response ^^ toutes choses, je
vi^. foie soumis, à la confidence tai^t seulezoent de^ cestui
jouvei\cel et des dwx autres, qui; vo^» aasoufiront compé^
tajçoment, tQutesvoies poux leur donner voie et mon3trer
laquelle je yeux avoir saai^teaue par ellep, sa^sen e^tordre,
ne vuidier, et que d'eUes et de moy tu aies moins cause de
niyus rep^^d^ p^rce que jeeonnois les solutions pouvoir
es^ estroites soHvei^t et ^btiles pour toy pouvoûir satis^
faire, je, à ceste heure et avant tout commenoeiTient de
respondre, proteste devant Dieu et devant toy^ proteste
devant les anges et les hommes justes et sagea, devant
tou^ ceux qu4 o^t cox^nju miQn nai^tre. et mon vivre, mon
ha^^ter, mon repairo, iq^ mœvirs, mes co^ditiiQiits, mes
œuvres, mes paroles et toutes mes affections naturelles :
qu'en nulte quelconque difficulté de matière, en nulle
quelconque aguité ou corrosiveté de parole ou de çen^
300 EXPOSITION
tence» où qu'elle soit assifie, escrite» touchée, ne mise en
question, je n'entends, ne n'entendis oncques attouclier la
très-précieuse, la très-excelse, la très-sainte et très-digne
majesté inviolée et inviolable. Ains renonce et révoque, si
jusqu'à là on pensoit venir, ne contendre, tout ce qui par
ignorance ou légèreté , ou par contraire non saine inter-
prétation , lui pourroit tourner ou estre tourné par mal
entendre ou par hayne à l'encontre de moj, en lésion, en
crime et en ofiEense de sa très-glorieuse majesté ou de sa
très-glorieuse, très-resplendissante, très-victorieuse, très-
nette et très-humaine personne, dont nulle n'est semblable
aujourd'hui entre les roys, nulle si claire de longs ans
passés, nulle si recommandable, ne de tel prix en histoire
future; proteste contre toutes nations foraines, à ceste très-
noble et victorieuse région estre porte-bannière et mainte-
neur de querelle des nobles glorieux dompteurs du monde,
les François, tant àl'espée comme àla plume ', non réputer
gloire de nation chrestienne comparable à la leur , nulle
vertu qui s'y approche, nulle puissance qui s'y équipare,
nul honneur, ne exemple de bien qui s'y adjoingne; mais
sont le miroir, l'origine et le vrai espargne des honneurs,
des félicités , des vertus et des chevaleries du monde, en-
fans préeslus de Dieu, champions et vaiUans corps ro-
bustes de sa foy, et dont le roy seul en terre est le christ et
l'enoint du souverain roy, et porte à ceste cause, tant par
dignité comme par mérite le superéminent titre, disant :
Roy Très-Chrestien.
Donc, si icy après il chéist à l'aventure , que l'on me
voulsist impropérer d'aucuns trenchans mots, et que toy,
* ChasteUain déclare loi qu*U a senri les Français de son épée et de
sa plume, qu'U a été leur porU-bannUre et le mainteneur de leur que-
reUe.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 30!
dame Fmaginati^ \ par non enquérir, ne entendre les sen-
tences au vray irif, si riens y a qui dissonne à honneur,
qui de trop près touche ou trenche à la très-glorieuse et
très-claire personne où je ne doy , ne ne veux toucher, je y
renonce, révoque et la désavoue, et desplaisant j*en re-
quiers grâce et mercy, protestant toutësvoies non l'avoir
fait en icelle intention, n'en quelconque espèce de malice,
ne de mauvaise fin, sinon tendre finablement, par aigres
remonstrances procédées de passions en mon àme, à paix
et concorde en ce monde, et à congnoissance en chascun
particulier de son propre fait.
En toutes lesquelles choses toutësvoies, ayant mis ma
confidence entièrement en la justification de ces dames,
j'espère , à l'aide de Dieu et de mon bon droit , et par la
bonté et amirable équité et prudence du roy, quand tout
humble voudra recourre à sa conscience parfonde, estre
trouvé plus bon que mauvais , et congnu et jugé plus
quérir fin bonne par paroles estroites, que mauvaises par
entendement à laidures en nuUui, qui le puissent airer.
tu donc, noble Entmiement possible et agents et
vous mes dames Mémoire et Volenté, qui tant hautement
avez présentement déclarées vos natures, vos vertus et vos
estres , et que tout mon respondre , tout mon fons et mon
joindre, tout mon nier et concéder, toute mon équité et
mon parement, tout glt en vos mains , tout glt es repos-
tailles de vostre parfont trésor, droit-cy maintenant met-
tez-vous en œuvre , droit-cy mettez-vous en espreuve , et
par vous ou par autre qu'il vous plaira y constituer, à
l'exigent du cas, contentez et assouffisez, vous prie, Fran-
çoise Ymagination; et tout premier sur ces douze coup-
> Il fàat i^otiter loi, ponr compléter la phrase : me vouMsses reprth
cher C€9k /auk.
982 Kxi>0^itR>N
plete qui font prôlogiie, afiA dé H^iï tant "pltA tost à la
décifiioii âe la fiiatiëte toute éstiroitë, lii où veMr faut, et
làdoHt jd^iiielB Vtiider, èfi juète ou iagravé, ains test qae
tart.
FfiXéiléèment prit loirs la jparôlé, e); to^tiiant sota visage
eUTe^ la dame frataeoieè, <ïomi)iença à dire ainel :
Daso^ FiMyiii^âiUon , tu as fait une courte résumption
droi(>-ôy de douze coupplets » qu<ô cedt homme droit-cy,
nost^e Bourreçoa^ isMf&BBe avoir faite, et d'iceux tu
prends èû bri^f les ôentences , attHbùant au premier de
tous : que droit-là semble estre mônëlnée une )repMitahce
d'avdr bien Mt, et que l'èûteiit, fUbMint retc/tt des
anïours, léaultéd, honneuni et humUtoses d'aucunes per-
sonnes que tu vouldreîes int^préter, pôundit estre en la
personne du dtlc de Bô^rgbngne cud'autrui àûcUns gnans,
il n'eà &lloit plus faire nuls , parce que tout se fedsoit à
peHê ^ «t que au surplus poûi^ tant il É'en convenoit dé-
porter et quérir celui qui le voudroit faire.
Dame, en ensievant la protestation de Téâteùr , de la-
quelle je ûe me veux estoràré, ne edongfer , je dis : que ce
n*est de merveilles, si tti as imagination sûr ce , mais est
merveilles qUè de toy-mesm^ !^ ne vuides les diffi^ltés
si tu les y jpuises; tB.T t\i, qui es dame qui sçais encerchier
et «enquérir la profondité des choses et cœurs, aucune fois
du moins vray au plus clair, et du moine sain au plus
juste, que tu, de toy-mesme, tu ne jugteà et approuves en
ta conscience la premièlre propositioii de cestUi acteur
estre pei^ssible, véritable et di^è d'esté remohsti^,
considéré encore qu'elle va d'hommes à heinmes, de pas-
sibles créatures à personnes inerties, dont les plus haulx
et les greigneurs qui oncques furent, excepté deux, la
mère et le fils, furent subjets à péché, à fautes et à desvoy.
SUR VÉRITÉ làL PRISE. 305
Si ta doiioq[ii« sça» M j^fçois qa« la tem wt pla&e de
troubles naturellement eC d*iniqtiiMs^ et que i^ënnemi in-
temtli pour inftliciter les hottta&B et les dîatrtdte de la
mam de leur créatear^ tousjouts 6èriie en leurs cou-
fagCB, «t y souffle vice», malignités, perversités, descoii-
gnoissanoes, desiièglemens, ûitempérances, froideurs et
eoiiemitiés, afin de les mettre en discord et en murmure,
et que, si les uns se mettent en leur devoir et acquit en-
vers Dieu et enveis li(»nme, aux autres il conseille de le
descongnoistre, de non en tenir conte, par manière de mes-
pris et d'brgtaéiU comme tu en as vu et oj des eixetoples
beaucoup ; te semble^ii estre chose si éguê que cestui aé-
teuT) ooHaidéraiit le monde estre subjet tout à l'ennemi,
ploB à malignité beaucoup que à bonne œuvre, souverai-
nement la cbrestientè où le royaume françois resplent sur
tout autre^ et qui est et doit estre le ciel fixé, Testoile
traamontsine, exemplaire des autres , et y voit et perçoit
conditions videuses, œuvres et matièi^ lamentliUes et de
confuse attente , est-ce merveilles ou cas digne de mur-
mure, s'il prent pour sa majeure ce qu*il colignoit et voit
estré totit général et tout clair, et ce niesûles dont les opé-
rations et effets sont probations quotidiennes, comme tu
sçais mesmes et es constrainte de le congnoistre : que des-
sous la fabriqué du ciel n'a point d'homme plus vray, ne
plus juste, plus humble, ne plus léal ^ plus plein d'hon-
neur, lie de preud'hommie que cestui duc, réservé seule-
ment tousjours la personne souveraine à qui je n'atouche.
Damé, dencques» et quantes humilités et quelles as-tu vu
en lui? qûantes amours et qudOfes aehtu congnUes en sa per-
sMine envers le roy son souverain? quelles présentations
et grans offires, qui au dernier, ^ur le destoUr d'une main
ou dis d'un œil» et par l'instigation de l'wnemi , ont esté
304 EXPOSITION
toutes mises en despris, en non chaloir et en Tilipendance,
comme si Ton n'y acconstast riens?
Ehi belle dame, et puisque Ton sert Dieu en espoir
d'en acquérir grâce, et que les bons, de leur propre na-
ture, servent, aiment et honorent ceux où nature et
noblesse leur accusent de le faire . et ceux les desdaignent
et despitent , et n*y voit-on apparence de nul fruit ; est-ce
merveilles s'ils présument d'eux tenir en leur paix et de
non offrir chandeille de dévotion en face indignée? certes
nenny 1 mais est cas de pitié qu'ainsi en va.
Déa ! hommes ne sont pas dieux immortels. Et est plus
licite entrer avec les hommes en contention que avec les
dieux, quand les dieux surpassent nostre dignité humaine,
à qui homme ne se doit prendre, parce qu'en eux n'a point
de malfait, ne d'injustice; sy a-il bien es hommes, qui
tous les jours se voient' et se repreuvent par les regardans.
Donc, cepoise àl'acteur, que les vices de ce noble royaume
de nouvel précogités ont esté cause de son escrire. Et cela
quant au premier point.
La difficulté et rumeur qui pourroit estre ai^ée sur le
second point, là où tu résumes que toute œuvre de léaulté
et d'amour, toute condition d'honneur et de libéralité pro-
cédant de noble nature doit estre reboutée au coffire, et
non estre tirée dehors jusques à cognoistre la fin des in-
grats : l'aguité de cestuy point, telle que elle y peut estre
prise , suffisamment se vuide par la respection faite sur
l'autre icy devant, quand, par loy d'honneur et de nature
et d'équité, toute œuvre vertueuse bonne en soy et hono-
rable, exhibée à autrui en service, doit constraindre le
recevant et obliger en rétribution et en recongnoissance,
ou le non faire ainsi doit estre réputé ingratitude , dont
si je excepte seulement la personne royale et nulle autre.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 305
n'y a riens au-dessous d'elle pour qui ne se puisse dire et
estre maintenu estre ainsi. Car les honneurs et humilités
et autres maintes vertueuses œuvres et louables , du lieu
encore dont elles sont parties, n'appartiennent à nuUui à
recevoir, ne estre à eux faites, s'ils ne les récompensent
par semblable, que ce ne leur tourne en blasme d'ingrati-
tude , dont toutesvoies il en y a infinité sans les grans,
(dont je dis hélas !) et lesquels sont cause de cestui second
point à l'acteur de l'avoir mis ainsi , non pas la personne
royale, à qui toute honneur et glorification sont dues. Mais
afin que tu n'aies cause de dire que ce titre te soit donné
à tort, regarde en ta propre conscience et juge comme il
en va, ou si l'acteur a plus cause de le mettre, ou toy plus
cause de l'ignorer et de l'en vouloir reprendre.
Quant au tiers point oîi tu résumes les comparisons
que fait cestui acteur des tirans de jadis et des crudèles
gens austères maintefois que l'on a ployés et amollis par
douceur, par humilités et fréquentes déprécations, et par
icelui point tu imputes à l'acteur, ce semble , de vouloir
induire que vous autres, qui estes chrestiehs et devez
estre gens humains et raisonnables, semblez estre plus
pervers et félons, plus austères et plus féroces que ne sont
ceux, et qu'en cela tu y entends injure , tu y comprends
blaphème et dénigration non déméries. Dame, compa-
risons sont aucunefois odieuses, aucunefois aussi sont
nécessaires et utiles à la démonstration des causes que Ton
a en main. Et proprement en ce présent article droit-cy,
les comparisons, si ainsi tu les entends, ne sont que
figures servantes à la conclusion de l'acteur, dont la ma-
jeure tu ne peux nier : que il n'y ait eu des tirans beau-
coup, et de crudèles gens au temps passé, qui faisoient
fuir et humilier la terre devant leurs espoventables
œ EXBoammr
menaçai et eobortaB, comme Olofernee et «otree rédiés m
Vieil Testament, dont, poui brièyeté de eonte, je ne venx
finre résomplion aucune. Leoquela par humilité et dou-
ceot, par preitânœde aervice et d'honneur à eux exhibés,
qui toui inhumains estdent en cœur, deacimgnus eny^s
Dieu, non saoulés, ne remplafales de sang humain, se res^
doient par temps doux et traitables, bénignes et estanciés
en leur orgueil , et complaisoient , favorisoieDt et temjx)-
risoient ayeo les hommes, par congncÂssance que eux-
mesmes se sentoi^it hommes. Donc, et si ceste majeure est
TéritaUe, et que la mineure qui en ensieut, se peut appro-
prier yéritable aussi à tous autres, qui par nul bien ftdt
anden, ne nouvel, par nulle œuvre d*amour, ne d'humilité
à vous impartie, ne vous souffirez ne accointier, ne
apprivoisior, ne tirer nul signe de grâce, ne d'tfffiabilité,
comme vraie expérience est preuve de l'opà^ation , pour-
quoi ne s'en pourra faire conclusion honneste à remona-
trer, quand la condusion oh facteur prétend, est plus
plaintive et eondoléant ceste povreté survenue en ee
royaume, qu'elle n^est conective, ne répréhensive [de] la
malig^té du mésus? Bt d'autant qu'en vous a plus clarté
de foy, plus dignité de vocation , plus excellraice de titre,
plus décoration de pit>génie , plus conception de hautes
doctrines, de nobles mœurs et de vertueuses oeuvres , et
que nulles générations'ne passées, ne futures ne pouvait
avoir approche au thrône de vous autres : d'autant aussi
sont plus propres et plus appartenantes à vous tontee
humanités et eourtoisieS) toutes douceurs et bénigrnités,
toutes nobles et vertueuses opérations , toutes reoongnoie-
satices et débonnairetés , toutes justes et oondignes rétri*
butions, et toutes productions honcmtbles, salutairM et
paisibles, tiuitàla chose publique commekprivéè affisctûm.
SUR YtBTFk XAL PRISE. 807
Donc, eifiileTi^ainneeii c«rtm endroit est tooové au^
joQcd'km en dâKirdre, les liommes noblee ék «ntees ea
poTie aoqaiÉdelBiir devoir, et qjm lebi^ fidrç s'y trouve
deeeongnu et me en «nUi, payé par mal et par ingra-
tstode, ne doit an 1x)n oœur qxd m ses cogitatiom ea les
a£E8ireB dn monde, oimdoléaQt sut ieeox, mettre à la vé*
lîté les choses ainsi qu'il les tnmve, sans avoir entende^
ment d'injurier niiUui, et sans regarder à faveur, ne i
flatterie^ tôiB senlement i i'éqnité du cas ponr tendre à
fin bonne? Certes oyi et n'y chiet point de repriee. Sy ne
veox autre réparation faire sur le quatriesme point, là oà
tn imrles des bestes féroces et espoventables, comme de
lioaa, de dragons, etc. , parce que tous denz se vuident
et purgent par une mesme solution qui droilrcy est ton*
chée.
Procédant doncques à ton dnquiesme ooupkt que tn
reprens, là où l'acteur parle de Dieu offensé tous les
jours; et toutesvoies luy, qui est si haut et si grand sire
que ciel et terre lui ployent et s'enclinent, pardonne tou*
tesvoies an plus tost requérant, tant an plus povne conune
au plus haut en vocation, se pacifie et contente tantoat,
s*exhihe et se présente hnjnble envers ceux qui lui ont
esté rebelles, rappelle et révoque ses contraires, reçoit ses
ennemis convertis, et à chascun monstre amour et faon
semblant, leur départ de ses grâces et biens, en portions.
cliaecun de sa value, et si riens y s d'offense passée, pres-
tement après le pardon fiût, est mise derrière le dos :
castuy point, dame Fmagination^ te semble-il estre ré-
Tocable* ne te semble-il soustenahle en tout homme de
bon entendement? Doncques, et puisque il est vrai et
que Dieu et vérité l'approuvent, pourquoy n'en pourroit
Tacteur faire la figure ponr venir tonq*oofs à sa fin
308 EXPOSITION
préentendue, encore quand parrinduction de ceste figure,
il contend taisivement réprouver led François du faire le
contraire, parce que, non obstant paix et union fiaites entre
eux et ceux de deçà de leurs vieux discords, François
demeurent encore mémoratifs des choses passées et en
ont la haine en leurs jeux, et le souvenir en leurs cou-
rages, qui tous toutesvoies sont d'une région, tous d'une
garde et protection souveraine, comme plusieurs membres
en un corps, qui héent l'un l'autre, [ce] que l'acteur plaint.
Et à ceste cause ', pour persuader les François en leur es-
trangeté, par la mer, eff uriée souvent par orages et vents
bouffetans, et se trouve toutesvoies rappaisiée à coup par
un ventelet doux qui l'aplanit. Et dame, ceste figure
est-elle malpropre? est-elle mal consonnant à l'intention
de l'acteur , qui ne contend envers tous que à voir Fran-
çois reposés de sang et de conscience, paisibles et amia-
bles, salutaires à autrui et à eux-mesmes; et que là où
l'eau de pluye cave un dur marbre, toute autre rien dure
se vaint et maistrie par douceur et bon sens, que eux, qui
sont fleur de chevalerie, spectacle d'honneur et de noble
condition, aujourd'hui et plus qu'oncques mais, se doi-
vent rendre raisonnables et flexibles à tout ce qui est
vertueux et de prix, et eux prégarder de tous titres
non propres, ne honnestes à leur noble et très-haute na-
ture.
Donc, et jà-soit-ce que le septiesme couplet que tu re-
prens, qui est de soy clair assez, et ne besongne de longue
exposition, et moins encore de réparation aucune, parce
qu'à nullui ne concerne, ne ne touche , fors que à vérité
qui en approuve les sentences ; toutesvoies, pour la
> PhnuBe iooomplàte. Ajoutes loi : reprémU c$ cas.
SUR ViRITÉ KÂL PRISE. 509
conclnsioii qui s'en pourroittraire au plus près de la fiction
de Tacteor, et que icelle pourroitestreimpugnée de langue
ennemie, qui point n'y auroit de lieu , il est convenable
aucunement d'en ouvrir la matière et d'en parler un
peu ; car choses véritables et saines aucunefois besongnent
aussi bien d'avoir aide comme les plus troubles. Et pour
tant au point touché, il est vray que toute chose par
loy générale et universelle sur tout ce que Dieu a créé,
par affection particulière l'une envers l'autre, soit en une
mesme espèce ou en divQpses, trait à conjonction, à so-
ciété, à amour et à prochaineté de son semblable, de ce
qui lui est consonnant à sa nature et condition ; et n'est
nulle riens née qui faille en cecy. Donc toutesvoies un ,
ne deux exemples ne pourroient suffire , mais mil et cent
mil en sont congnus et expérimentés , qui droit-cy ne se
peuvent entretistre.
Et veut l'acteur induire par ceci et remonstrer : que la
très plus noble créature du monde et la plus précieuse,
la perle Ae toutes splendeurs et vertus terriennes, le roy
d'aujourd'hui , par ceste mesme raison et loy, voyant et
considérant un autre, sa chair, son sang, son serviteur et
léal ami, estre, en un autre degré au-dessous de lui , le
plus honoré prince des chrestiens, le plus vrai et prend'-
homme, le plus noble en condition et en mœurs, des vi-
vants, et le plus digne d'estre aimé, le doit et devroit
aimer, chérir, honorer et le joindre au plus près de sa
dilection, au plus parfond de ses repostailles, et non soy
par flatteries, ne mauvais rapports souffrir divertir de son
amour, de sa grftce et amie inclination ; vu encore que
entre deux si hauts et glorifiés princes, le lien d'amour y
doit estre double, et plus vrai et plus vif qu'entre miUe
haases gens non dételle réputation. Donc, si le contraire y
919 EXPOSlfml
«t» fèit £ie Taetéitrqi» e'est pitié : et «ai la obon la-
nmikaibL» et amère en qui est la £aute.
DaiQ6', et Mk outre il semble que ta as mnimiiré en ton
cœur mi la siibstancedu huitiesme couplet,là où il parie
que les payennes nations de jadis tirèrent fruits et respons
de leuM dieux par offrandes et sacrifioea^ à eux faita, et
pairhonneura et services à eux eaiiibéa, qui toutesvoîes
n'estoient que déaUes» dont nulle rûms ne peut estrapire.
Geste proposition est ^i soy vraie , et ne doit avoir
contradiction nulle» parce que toutes histoires anciennes,
romaines et autres,, sont pleines de cecy, tesmoin Titu-
Live et autres histariog^plies notaUes , tesmoin saint
Augustin en son livre de la Cité de Dieu^ là où par leiurs
mesmes sacrifices et dblatÛMis faits à leurs dieux, il les
reprent pour les réduiseàla congnoiesance de la foy vraie.
Et n'est besoin droit-cy d'en bailler exemple, ne un^ «i
deux,, quand ceux de ton parti, les noblies Françoia, en Ont
les oreilles pleines,, et mi ont les histoires et les livres par
devers eux, qui les ai* font sa^s.
Sy est rinteoition de Taeteur tendant tousjours à fih de
bieui de remonstrer, puisque les déaUes qui sont mauvais
en nature et en opération et n'ont tache nulle de bonté, se
souffrent vaincre et avoir par amour, par sacrifices, par
oblations et révérences à eux faites et rendent rétributions
et guerdons k leurs servans , que par plus forte raison
hommes raisonnaUes, hommes chrestiens, hommes du
noble terroir françois^ là où honneur et le savoir du
monde doit estre reclos, se doivent gagner et estre con*
quis par cas semblables. Car BiBU en Tune extrémité se
gagne et e-aûquiert par l'aimer et servir; le déablaen
Tautre extrémité, j&*aoitrGe que. j'en réprouve l'osuvie,
s'inoline aux idolMieB» par saorifice^ reçu;. donoques le
SUR TÉRFIÉ MAL PRISE. 514
ffiSliea, qtd ûBt ïh(mmBi A digae et si aobla da xsiéfition
que rians n&s'y acompare , se doit gagner et estre conquis
tant plus tost par le servir et honorer. Donc, parce que l'ac-
teur sest perçu du contraire» passé a long temps, et que
non pas amour mais toute froideur se trouve en François
requis d*amour» dont il redoubte la fin pouvoir devenir
plourable» il a mis cecy par manière d'induction, comme
il fait toutes choses servantes à son prologue; et n*y a
riens de quOy homme de bonne conception se doive trou-
bler.
Ta fais une résomption aussi du neuviesme couplet, là
où Tacteur remonstre comment Honneur, Noblesse et Bai-
son admonestent toute créature noble et vertueuse d'ai-
mer et d'honorer autre de condition semblable, que
vrai est, et ne se dpit répliquer de nullui; car plus est
une chose bonne et noble, que plus est digne d'amour et
de prix. Donc, pour cause que tu trouves la vérité claire
droit-cy, tu n'y veux former nuls argumens, comme tu
dis, mais entends bien, ce dis-tu, où l'acteur veut férir :
par quoy, moy concédait et souffrant que tu l'entendes
bien, moy-mesmé te descouvrirai là où il fërir veut.
L'acteur en cest endroit fiert ou à une seule personne
ou à plusieurs, & à un^ seule personne , ce peut estre le
noble roy françois, le plus noble et le jdus vertueux de la
terrô,. et le plus digne d'estre aimé en soy; lequel donc-
ques, parce qu'il est le plus noble et l'aigle des vertueux,
c'est celui aussi qui doit plus entiteement et le plus
vraiêmwt aimer autrui noble et vertueux, par loy tdle :
que le bon doit aimer et affecter le bon, le noble le noble,
le vertueux le vertueux, par la consemblableté de nature
qui est entre eux. Et par ceste raison devroit avoir une
amour vive et vraie au cœur de ce très-noble roy envers *
3i2 EXPOSITION
son hmuble parent le duc de Bourgongne , de qui, après
lui, en la terre n*a plus noble, ne plus vertueux, ne plus
digne d'estre aimé et magnifié que sa noble personne. Â
laquelle amour, si le noble cœur du roy y pouvoit condes-
cendre et soy humilier, comme juste loy lui requiert, de
la part du duc n'y seroit jamais trouvée faute, car la
sienne amour lui est preste en tous temps , et la lui pré-
sente à genoux.
Si Tacteur fiert à plusieurs personnes , il donne donc-
ques à entendre que si les hommes de deçà présentent
honneur et amour à ceux de delà, parce que ceux de delà
sont nobles et pleins de haut los, sont au plus haut et
plus glorieux roy du monde, sont du plus noble royaume
des chrestiens, aussi bien quand ceux ne voudroient ne
aimer, ne priser cèste nation basse', sy devroient-ils au
moins aimer et honorer, extoller et essourdre ce noble
prince de deçà, par cause de ses vertus, par cause de ses
hautes gloires et bontés, par ses singulières grâces, et dons
que Dieu a monstres en lui, qui oncques ne fit mal à
nuUui, mais largement bien, qui oncques nesmut guerre
qu'en son deffendant, qui oncques ne fit l&cheté, ne cas de
repreuve. Donc, parce que l'acteur se perçoit du contraire,
et que les cœurs françois en grand nombre sont clos à
rencontre de lui, et les visages tournés en arrière, semble
taisamment vouloir remonstrer : que loy naturelle fault
droit-cy, de quoy il a deuil.
Sur le dixiesme de ces couplets, tu fais une discussion
aussi, et résumes la substance d'icelui, disant : que l'ac-
teur, en fin de son prologue, semble vouloir fortifier sa
conclusion par toute la fabrique universe du ciel, là où
* loi et aUlenn, ChasteUain lait alluaion par ces mots aux paysd'eo
bas ou Paya-bas.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 513
anges et archanges, ordres et iérarcliies, infailliblement
s'entretiennent en union et en paix, par amour et charité
qui est entre eux, et parce que le prince de celui haut em-
pire, Dieu tout-puissant, est mesmes prince et principe
d'amour, et que là où il règne et réside, n'y peut avoir que
paix et union , par l'amour mesme qu'il a à son ouvrage :
ceste induction, mise par l'acteur et résumée par toy,
dame, ne te tourne à nul contraire, en quel ploj que tu la
puisses entendre, car est véritable et de grand fruit à
l'interpréter bien. Et veut dire l'acteur que, d'autant que
l'homme veut plus approcher Dieu, plus estre semblable
et conforme à ses opérations, plus l'ensievir en ses con-
ditions et en mœurs, tant plus se doit disposer à paix, à
charité, à amour vive, parce que Dieu, celui dont il faint
estre imitateur, celui dont il prend foj, titre et renom-
mée, est tel d'essence, de nature et de condition, et aime
et honneure tous ceux qui tirent au mesmes, et qui esta-
blissent, nourrissent et procurent paix et union en terre;
et par contraire, hait et déboute tous cœurs frois et conta-
gieux, cœurs séditieux et rumoreux, cœurs venimeux,
mal charitables, mouveurs de guerre et de murmure; car
ne sont point de sa secte, ne de sa doctrine, mais de la
secte de l'ennemi à qui ils sont serviteurs et enfans. Sy
semble estre l'intention de l'acteur, de persuader les Fran-
çois à paix, à amour et union envers ce bon duc par la
plus haute induction de figure qui se peut donner, qui est
Dieu et tout son ouvrage, lequel par amour et union s'en-
tretient infaillible et inremuable.
Sy viens cheoir de cestuy dixiesme en l'onziesme, où.
l'acteur inductivement allègue : que au droit cœur et
centre de l'ouvrage de Dieu, qui est la terre, là où il
a ordonné habitation aux hommes, là se congréent et
314 EXFOSmOR
cûffinâïéat tittipaMieB, omges^ taxbatàùm^êlhaamMt et
eBfwmteKùéM^ gaerres, tvibolatioiiB, miaèiw, cahaûtte,
et toute» autres mMaees d'hommes et de fovtane, et ce à
eaUBe ôtpear ceaz qtti en ont saisi la Beig&eniie etposaes-
dion ; leâqMto, ou par querelle privée, ou par vaaité de
la gldre dû monde, ou par affeotion et ardeur en coutoh
tise, ou par haine et envie de Tun à l'aulm, tienaent et
mettent la terre €a tarouble, les hommes en tribulaticm et
en peiir ; et par non entendre en vertu et en salut j^pre
ignoreait et oublient le desrèglement de leur peuple, <pii
eux et kki se perdent ensemble, Dame,.cec7 tu as résumé
de la boudie de Facteur, qui pomt n*y vc3t cause de le
désavouer, ne toy chose en quoy tu puisses mordre, quand
tout vrai et tout clair est que la chose va ainsi, et non de
nouvel, âftais de tout temps. Sy regaide toy^mesme et te
pose Un petit droit-*cy, et tu verras quel chose en est.
N'est pas la perplexité, par deçà et par devers nous, de
future mistoe prochaine, dont naguàres encore le pcyvre
peuple, tant deçà ccmune delà, ne âdt que vuidier; et
cela à cause des questions et rumeurs sourses nouveUe*
ment entre ces deux princes, dont le peuple entee^eux
ressongne amèrement la ccmfliction, et souverainemeiit
cestui de deçà*, que le puissant bras dû roy. Volontaire*
ment ou mal insteuit, se assaiast à vouloir oampimeT un
auti^ bras puissant, son serviteur humUe , là où Tattemp-
tement toutesvoies donroit autant de Uasme à tous deux
comme à leur peuple infélicité. Sy n'est mervei]ks,> ce
me semble, que qui voit la maison pleine de fiualièie par
dedans que par dehors, il ressongne le feu, et qui voit
les {Miincee entrer en question et en argU pour invées
qu^itelles l'un contre Tautre, que Pon ne doie craindre et
ressengnv leuis hauts et fiers ooussgiarpQttvo» eiffellir
SUR YÉRITÉ MAL PRISE. Stô
jtiaqttes à mounroir gûeiref sons laqurî!» tMim ehoms
honneflteB et utiles ae désemparent et tendentà raine. Et
pour ceste cause, facteur teniiant à prévenirpar reùnons-
trances à tel inconvénient, pose et touche rineoavénient
tel comme il est, et descend, particulièrement en son dou-
ziesme couplet, sur personnes particulières, estans d'une
foy, d'un fous, d'un sang et d'une parenté, et qui dus-
sent astre conjoins en amour, en confidence, et en toute
cordialité honneste et naturelle, comme cheft et princi-
pes de tous biens ou de tous maux, lequel qu'ills veuUent.
Mais dit l'acteur : que maie et perverse aventure, feoideur
et division, se viennent fourrer entr&^eur et les distraient
d'amour et de confidence, en quoy les nourrissent par
conv^te hayne et envie, contraire à la loy d'honneur
toutesvoiies et de nature. Et fine l'acteur son prologue
droit-là, etlecomplaint quêtant y congnoist.
Certes , dame , ne te besongne guères avoir exposition
de œcy, parce que la matière en est plus claire que
joyeuse, et qu'il n'y a point d'autre entendement que le
UttéraL Donc, parce que tu ne fais guères d'arrest sur ce
prdogne, comme tu as dit, et que sa matière aussi n'y
est point forment scrupuleuse, tu t'en passes à petite et
légière excusation, tendant à plus nécessaire et de plus
grande profondité. Siques, qui avons fait et expédié nostre
prologue, venons à la matière principale. Et résume en
icelle ce qui te plaira, et moi je y parofRre l'ascout.
thàqik^tion. -^ Seigneur Entendement, songneuse*
ment tray escouié et volontiers, et n'ay pas voulu mettre
réplique en tes paroles, parce que tes sentences sont assea
concédables, et que ce n'est pa8> le plus danget^eux de
noctfre affaire que de ce prologue. Or; pour entrer donc*
ques en jnatière plus avant, l'acteur droi^cy que tudeffsns,
516 EXPOSITION
condescendant nomméement sur les François, donne à
cognoistre que sur eux et à leur cause il a fait ce prolo-
gue, et que eux et leurs faits sont la matière subjecte sur
quoy il entend h ouvrer, là où il dit :
Pardonnei-mol, François, de ce proloerae, etc.
BNTBNDEH^NT. — Voiremeut condescend-il sur eux nom-
méement, et applique prologue et -matière subjecte tout à
eux appartenir; et entre courtoisement en matière par
requérir pardon du prologue fait , et adjouste que, s*il j a
riens qui poigne, ne qui dérogue, qui toutesvoies riens n'y
entend de tel, ils ont infinité de clercs et de gens sages qui
en peuvent distinguer, [et] il s'en ose bien attendre à eux,
par condition quevéritépuist avoir lieu. Mais, parintention
de non les vouloir déprimer, ne en honneur vieil, ne
nouvel , il confesse bien et leur descuevre que eux et
leurs faits sont cause foncière de son œuvre que faire
entend.
c Quelle cause et pourquoy? » penses-tu demander
lors, àBmeFmaginatian. Et je responds : que les firoideurs
et estranges termes tenus depuis un peu, et que les difS^-
ciles questions qui sourdent et naissent aujourd'hui pour
fastras et choses de nient, et qui en cœur vertueux ne
doivent avoir lieu , ne mansion, ont esté cause et matière
subjecte à cestui acteur, lequel attribue l'ouvrage et l'a-
dresse à ceux là où il voit les causes qui le meuvent.
TMAGiKATiOK. — L'acteur doncques voit les causes en
François qui l'ont mu à ouvrer, bien il y pert; car preste-
ment les conmience à toucher de faute, disant : qu'ils vont
la voie oblique, et que tout le monde se perçoit de leur
venin vieil et moderne, qui, joints une fois plusieurs
SUR ytRUÈ MAL PRISE. 317
membres en un corps soua une divine gouvernance, sous
un roy pasteur temporel, vivent maintenant distrais et
séparés l'un de l'autre, comme le teamoigne le quator-
ziesme couplet.
Sire Entendement» comment se veut entendre ceci, ne
en quoy perçois-tu ceste obliquité de voie de quoy cestui
acteur charge les François? Si tu l'y vois, sy le me le dé-
monstre, et que j'en soye à ma paix , peut-estre que j'en
retournerai à l'amende.
BNTBNDBMBKT. — Damo, uo fait besoin de te monstrer
le chemin, qui mesmes congnois où il va, et ne te beson-
gne faire ouverture de ce dont tu mesme portes la clef.
Si tu as yeux et fains n'en voir goutte, n'es pas pourtant
aveugle ; et si tu veux user de vertu visive, et iceUe em-
ploier là où elle. doit estre tournée, il ne peut que tu ne
voies et congnoisses ce que à l'œil se présente. Pourquoy
me demandes-tu que je te donne l'entendement de ce que
tu mesme entends et congnois et vois quel il est? Ou tu fais
la nice et l'ignorant à plénitude de sens, bu tu fais l'aveu-
gle et sy as claire vision et vive. N'as-tu peur que Dieu ne
te juge , quand tu convertis tout au pervers ces nobles
instrumens et organes , contraire de leur nature, et que
tu n'en uses en la réalité et devoir ainsi que tu dois? Tes
chemins et tes voies, de par Dieu sont-elles justes? Sont-
elles droites, ne procédant à paix? sont-elles nourrices de
bon exemple, ne de joyeuse expectation, quand il est tout
clair et tout sensible que la généralité d'une cour, non pas
d'unroyaume, ne sçavent à quelle cause, ne pourquoy, fors
de pure malice, se boute et nourrit en envie, en hayne et
en reboutance d'une seule personne, un haut glorieux duc
qui oncques ne leur fit mal , qui oncques ne leur procura
chose contraire» si n'a esté plus en honneur et devoir qu'en
M8 8»09TI0fl
injuste titre; et uyn'j a rien en Iny qui doire moirroir nul
de ses contraires, s'il n'est envie de sa f^cité et de la grftce
que Dien lui «ivoie. Car il aime el faonneare tont le
monde par degrés, chascun en sa valeur; il est humUe
vers là où il doit; il est reeognoissast da bien reçu; il
est léal là où nature l'oblige; il est enti^ là où bon&eur
lui conseille ; il garde autrui honneur et lésion ; il s'ex^
pose à servir Dieu, et son souverain; il se paro£Pre à aimer
ou à craindre celui là où il doit obéissance. Vais parce
que, à l'appétit de divers cœurs non graves, n'est de légier
ploiable par les manières que Ton j a quises, on le rebonte
et déprime ; lui ferment yeux et courage les François, et
à sa cause à ceux aussi qui l'aiment et soustiennent. Dame
Fmajrin€ti4m, ne m'enqniers plus des choses que tu sienne
cognois, et que je sais bien que tu les entends semblable-
ment comme moy : traveille^moy en choses difficiles, et là
je te descouvrirai vérité, si tu y mçts doubte, et me dust-
elle tourner à contraire.
ticagikâtiok/ — Beau sire EnUndemmU^ et je m'y ac-
corde. Mais toutesvoies ton acteur continue de plus en plus
aigre tousjours; et maintenant dit en son quinzième cou-
plet : que si guerre et tribulation ont esté de maie aven-
ture entre ces deux princes, entre cestes deux nations,
François et Bourguignons, la souvenance en doit estre
endormie désormais, par la paix qui y a esté trcnivée divi-
nement ; en quoy il dit vray , mais il adjoint, par manière
de lepreuve : que par ceste paix faite et trouvée de leur
part la gbire et salut des François sont augmentées ,
comme principalement venans de là; et conclut par ce
point que : tant peu et tant grand qu'il y a de gloire, ne
de félicité, jnrocède de leur main, et, ingrats ou non,
François tout le tiennent d'ieelle; et tourne ceci an vantise
SÏÏR YtSirk KàX. FRISB. S»
en f im «ndvoit» et un Fantee à reprenne , pouf apïOf je te
piie pour exposMient, si loisiUe est.
BNTBNWBtfBNT. — Dame, tu mis surquiers toufijours; et
semble que tu me veux traire à amples jw*oles , dont les
sentences pounment estre hayneuses par trop les ou*^rir.
Ifest besoiii toutesvoies de donner h nuUui oecamon de
coùrroax, ne de pasrfonder &nlle matière qui euvis se es-
coute. François sont ceux k qui ho&neur et service sont
dus, et à qui toute félicité et gloire sont Uen appartenans
plus que à nation autre. Donc, si guerre et eauraûstié a
esté entre eux et ceste nation de deçà, qui toutesvmes sont
une mesme chose et doiy^t estre, et que ainâ qu'entre
frère et frère, débats se meuvent souvent mortels, Dieu
non obstant j a pourvu par gr&ce et y a mis paix« tant
qu'à celui endroit touche. Donc, sa l'une main a lavé l'au-
tre, et que qui. a mieux pu, il est allé au secours de l'autre,
certes n'a fait que son devoir. Mais est Uen cas aussi
de recongnoissance; car ne fait nul bien, tant soit petit,
qui fiiire ne le veut, et ne peut-on constraindre les coursr
ges de donner amitié, s'ils ne s'j consentent. Les gratui-
tés des amours et bénéfices reçus obligrat les recevans.
Dono, i^ils faUent et tournoient par ailleurs, ce leur est
blasme d'ingratitude.
L'acteur entend grossement la cause et la met grosse-
ment en lettres. Guidant et entendant vraiement bien dire,
parce que vérité, où qu'elle soit produite , ne mise avant,
n'entend nulle honte, et se confie bien à estre vue et con*
gnue. Et ainsi, jugeant vraysemblable que ce royaume ,
persécuté durement par l'envaye de troiSi est dit avoir
esté rdevé, parce que Tun des fors y a laichié la main et
lui est venu à secours, argoê aussi : que le royaume et
les hommes le doivent reoongnoistre, quand véritérargue
390 EXPOSITION
et l'affenne estre tel, ou autrement le vice d'ingratitude
. ombroie les non faisans. Et n'est pas merveille que qui
veut tendre à haute et difficile conclusion, qu'en ses pré-
misses il mette hautes et aguës matières, par lesquelles
on veut venir cheoir en l'estroit, qui est affectation de
paix et de tranquillité par deçà , qui semble à l'acteur bien
difficile à obtenir, ne à conserver longuement , si telles
difficultés et questions misérables ont aucune durée. Or
venons doncques au seiziesme couplet.
Sur cestui couplet, dame Fmaçination, ne te souffire
faire demande. Mais mesme t'en veux mettreà tapaix, pre-
miers que tu l'expètes; et ce pour cause que la substance
dépend de l'autre et est une mesme chose avec le précé-
dent, excepté que plus fermement encore il approuve et
avéri^t ce que dit a premier : c'est que , laissant propre
querelle par pitié et compassion de l'autre, un cœur est
allé au secours de ce qui lui donnoit pitié; c'estoit ce
très-noble royaume, ceste très-glorieuse maison de France
qui périssoit toute et chéoit & l'envers , en laquelle jettant
yeux de compassion demi divine, vainqoi querelle de na-
ture et triompha sur passion humaine.
Et ne le dit pas l'acteur, ne remonstre tant par intention
de repreuve, comme il fait par ostention de vérité, pour
parattaîndre à ses fins, et pour faire revenir cœurs des-
voyés & leur dû train , comme il dit bien en son dix-sep-
tiesme couplet subséquent, 1& où arrière je te coupe la
demande.
L'acteur recongnoit ici que la gloire et félicité des Fran-
çois est icelle des Bourguignons, et que la nation de deçà
vit et emprunte de la plénitude de l'autre, et par contraire
languit et mendie en son infélicité; et semble monstrer
taisamment que l'exultation et haut règne des François est
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 324
un heur grand et jocundité aux Bourguignons , et leur
décadence et ruine, cause évident de mérancolie.
Mais parle un peu aigrement Tacteur en la fin de ce
couplet, là où il dit que : j&-soit-ce qu'il ne parle, ne ne
repreuve par jactance, sy parle-il parce qu'il perçoit les
bienfaits et bontés de son maistre estre mortes et estain-
tes, là où elles dussent estre recongnues hautement et
relevées, et l'en ensieus de ma part, sans intention d'en
desplaire à nullui, par ce que vérité m'en a fait compren-
dre piëçà.
TMAQiNATiON. — entendement, tu dis rage ; tu es ma-
lement haut et hardi parleur ; et te senlble, par vérité que
tu fains avoir emprès toy, que tu ne crains ne moy, ne
autrui, et que tu ne ressongnes si tes sentences vuident
aigres ou non, parce qu'il te semble que vérité n'a point
d'impugnation.
Déa I entendement, vérité est vérité. Mais n'est jàbesoin
de la faire si précise, ne si trenchant comme tu la veux
maintenir droit-çy. Parfois il convient temporiser et sup-
ploier au temps et aux personnes, car vérités souvent trop
de près touchées esmeuvent les courages à passions,
comme vecy tout prestement, là où ton acteur touche en
son dix-huitiesme article : que Dieu et amour furent
forme et titre à ce duc bourguignon de faire paix et con-
corde avec son roy, par miséricorde, non pas à lui seul,
mais à la généralité de France, laquelle, jà-soit-ce que
oubliée est et non recongnue, sy ne la souffrira Dieu per-
dre v disant encore : qu'en un cœur seul et en un estomac,
de nullui instigué fors de Dieu, ceste œuvre de compas-
sion a esté forgée à longue traite.
Beau sire, et quel besoin fait tant redoubler et florir
une mesme chose , quand à trois mots tout s'y entend ce
Toa. Ti. 2i
3S2 BXroSITlON
qu'on 7 peut compreodre? Il semble que ce aoii voirement
vantdse toueyours et impropération à la partie. Laquelle
chose tu entends Inen que ce n*est mie vcne pour parvenir
& ce que ton acteur prétend, comme tû dis; aios est
plus racine d*ayr qui après se peut enfelonnir tout au
parfait.
BNTBNDBMBKT. — Damo, à brief parler, ne convient jà
longuement arrester droit-cy. Pr«»ids droit-là où tu Tas,
et le maintiens bien; et là où tu as le tort aussi, juge-toy
légièrement. Je ne prise vantise, ne jactance, et sy ne ap-
prouve point impropôre, ne reproche. Et si Facteur conten-
doit à ce et le sçusse, moy*mesme l'en blasmeroie. Tu me
demandes pourquoi, ne s'il est besoin de tant redoubler
une chose par diverses circonlocutions, qui, en deuz mots
ou en trois , se peut comprendre en toute sa substance.
Dame Imagination, plus sont les œuvres des hommes
hautes et solempnelles, plus ont de circonstances et de
diverses circuitionspar lesquelles se décorent. Or est ceste
œuvre de quoy est parole maintenant, commencement de
toute félicité françdise; et ne pouvoit estre nulle plus
digne au monde, ne plus sainte, ne de plus grand fruit,
parée qu'elle tiroit plus à condition divine que humaine.
Doncques, si l'acteur la redouble par diverses récitations,
il démonstre qu'en elle a diverses splendeurs, lesquelles
toutes à une fois, n'en un seul regard ne se peuvent clorre,
ne comprendre ; non pas qu'il le fasse par repreuve, ne par
jactance, dont je l'excuse, mais par affection d'en impri-
mer vivement à vous autres la bonté de l'œuvre.
Donc, et s'il dit, comme il entent : que les bienfaits sont
ignorés, mais que Dieu , qui est juste rétributeur, ne les
souffrira perdre ; quel tort dit-il à nuUui, ne injure, quand
il arguë que Dieu, qui est impassible et invariaUe, et
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 51*5
tonsjouTS juste et véritable , supploîerà le deffaut des
hommes, qui de nature sont inconstans et pleins de di-
verses paissions? Sst-il homn^e françoîs qui se doive tenir
injurié en cie? nenny voirl s^en lui a raison enluminée
d'aucune saine conception véritable.
TMAGiNATiON FRANÇOISE. — Déal Entendement, vecy
maintenant bien plus fort que meshuy. Tout ne sont que
roses et violettes que tu as maniées ; et aprimes viennent
les espines et chardons très-dangereux. Vecy ton homme
qui dit en son dix-neuviesme article : que François
essours en leurs hautes montées, aprè^ maintes honneurs
et amours reçues, maintenant en font là bée ou la moue à
leurs bienftdteurs, et les regarde Ton d*uns yeux pervers
et agus.
Dit en outre en son vingtiesme couplet : que ce ne sont^
pas honnestes rendanges, ne justes fruits tirés d'humble
service ; et que si François estoient dieux immortels ou
anges de paradis, les cœurs de deçà se sont tellement
exposés en les servir et honnourer, que impossible est à
office d'amour d'en faire plus ; mais tout redonde en mes-
pris à iceux et en reboutànce. Donc, le cœur ingrat qui
ainsi l'accepte, n'y acquiert guères de louenge; et semble
qu'en ce cœur ingrat ne veuUe toucher une singulière per-
sonne.
BNTEHDEMBNT. — Dame, Uo te arguë qu'en raison, et
ne trouble ta paix, là où tu ne vois chose qui te doie mou-
voir. La fortune voirement dés Françoîs est jà haute, la
roue chevillée de clous de longue duration, si Dieu plaist,
dont l'acteur ne parle point comme mârry. Mais n'entends-
tu que libéralité de nouvelle fortune cause nouvelleté
aussi d'eslëvement de cœur, et que ampliation de puis-
sance et de rbideur engendre élation en contenement et en
324 EXPOSITION
manière? Cœurs exaltés en haut siège, à durregardent en
leur dessous ; et là où ils voient riens qui l'es approche, là
jettent-ils leur contemption. Ceci n'est pas nouvel, ains est
ancien, mais non pas en cœurs bien pondéreux ; car ceux-
là, ne pour fortune amie, ne pour restive, ne escharce, ne
se meuvent ; mais de chascune à l'avenant du temps font leur
bon et leur preu. Ne s'enfiérissent non plus pour ses flat-
teries et haut promettre, qu'ils ne se desconfortent en son
dénier et restraindre ; car congnoissent fortune • [estre]
variable et pleine de déception, et souverainement à ceux
qui, non eux pourvoyans de vertus, se confient en ses
faveurs là où ils sont déçus; car ceux-là coustumièrement
fait trébucier confus,et leur seroit plus félicité lors non
avoir esté eslevés si haut, que réputation de malheur d'a-
voir esté tenus en dépression basse ; car nulle infélicité
si grant que souvenance d'avoir esté félice. Doncques , en
ensieuvant la lettre de l'acteur, où tu le accuses charger
François en leur exaltation, disant qu'ils font les bées ou
les moues à leurs bienfaiteurs de jadis, leurs frères et voi-
sins, et leurs serviteurs très-volontaires, et que avecques
ce ils monstrent uns yeux felles sur eux : dame, si les
premiers articles sont vrais, là où l'acteur les a monstres
frois et non fort affectés à l'amour de deçà par avant leur
haute exaltation, plus encore se peut prouver vrai cestui
article présent, quand libéralité de leur haute fortune leur
engroissist à cent double leurs courages, lesquels, avec
froideur première, s'ainsi est, légièrement causent des-
pection dont ils ont pris racine. Mais ne le dit mie^l'acteur
par volenté de les reprendre, mais par condoléance qu'il a
prise en ceste douloreuse manière de faire , tant domma-
geable et de si doloureuse attente que les yeux en pleu-
rent, et les cœurs des bons preud'hommes et des sages en
I
SUR VÉRITÉ MàL PRISE. 525
souspîrent, et les séditieux courages etlégiers à mal faire
s'y aguisent et enfellissent.
Et là où tu dis, dame, que l'acteur repreuve en la per-
sonne de sa partie les humbles services et honneurs que a
faits aux François, disant que ce ne sont pas honnestes
rendanges, ne justes fruits tirés de bien aimer et servir, et
que, si François estoient dieux immortels ou anges de pa-
radis, les cœurs de deçà se sont tellement exposés en les
honnourer et servir, que impossible est à office d'amour
d'en faire plus , mais tout redonde en mespris et en rebou-
ment aux faisans, dont le cœur ingrat qui ainsi l'accepte,
n'y acquiert guères de los ; et te semble qu'en ce cœur in-
grat il veuille noter une singulière personne. Dame, soies
raisonnable droit-cy et ne prend pas les choses en leur
pire entendement, quand amender toutes choses et les
traire à bon terme est œuvre de grand vertu. Tu sçais
bien, dame, que autre chose est de celui qui parle et de
celui à qui on parle. Celui qui parle, c'est l'acteur en la
personne de son parti, lequel présuppose au très-noble roy
françois et à son haut baronnage estre dû toute honneur
et révérence, toute humilité et service ,* comme du subjet
au souverain, et ne met difficulté nulle que ainsi ne doit
estre. Mais considérant qu'entre faire.et devoir faire il y
chiet un franc arbitre en l'homme, qui peut causer le non
faire, comme la plus part des hommes ou beaucoup pour-
roient estre repris aujourd'hui en non faire leur devoir et
appartenir, tant envers Dieu comme envers le monde,
comme tu sçais et que besoin n'est d'en bailler exemple,
là où toutesvoies ceux qui devoir font, sont à louer et pri-
ser beaucoup envers ceux qui y fallent, arguë l'acteur et
dit ainsi :
c Vous, ligueurs françois, nous vous servons et hon-
3^ EXFOStPtW
< nourons; nous nous humilions en terre devant V03 laces
a et dominations; nous vous présentons et avons présenté
c nos affections et bons courages ; et ne vous pouvons
€ gagner, ne convertir devers nous, voire en la généralité,
€ que tousjours il ne se monstre une froideur, iine indi*
« gnation estrangesur nos personnes. » — « Et certes,» ce
dit Facteur, t ce nesontpashonnestes rendanges, » comxne
s'il vouloit dire : c Le bénéfice d*amour et d'honneur reçu,
c et ce bon acquit que nous mettons en nos devoirs, vous
€ dust causer de nous aimer et prendre en grâce. Et , beaux
c seigneurs, mettez un peu de vostre recongnoissance
€ envers nostre bonne volonté. Lerecongnoistre vous sera
c honorable, et lebienfaire, ce nous sera vertu. Nous nous
c y sommes tellement portés et acquittés, que si vous
€ estiez anges ou dieux immortels , sy n*en pourrions mais
€ plus faire. Et beaux seigneurs , ne siet-il point recon^
« gnoistre envers gens de si bon vouloir, et lesquels, avec
« bonne volenté, ont puissance de la mettre à effet? Certes,
t seigneurs, règle faut droit-cy , et n'y ont point de voye
c équité, ne raison. Mesmes tout ce que nous faisons à
< intention de bien, nous redônde en mespris. Et seigneurs,
€ est-ce chose humaine, ne qui se puist respondre? Vrai-
« ment il semble que l'ingrat droit-cy, vu nos bons et
c loyaux acquits, n'acquiert guères de los à faire ainsi. »
Et n'entend point l'acteur, par ce nom ingrat, une singu-
lière personne, jà-soit-ce qu'il mette le nom en singulier,
mais il entend plusieurs personnes qui peuvent participer
en sa signifiance, parce que le nom est adjectif. Aussi,
s'U disoit ingrats au pluriel, il noteroit tous et sembleroit
qu'il n'y auroit riens excepté que tout ne fust ingrat.
Maintenant le met-il en singulier adjectivement , donjoant
h entendre qu'il y en peut avoir àjd non io^grats.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 8»7
Psrquoj, dame, le bien enquérir les matières les donne
bien à entendre; et les interpréter bien à leur vray vuide
souvent beaucoup d'erreurs. Et n'y a riens mespris l'ac-
teur droit-cy encore, si ce n'est que vérité ne peut estre
oye. Toutesvoies , pour continuer sa matière , dit en son
vingt et uniesme couplet :
An fort, par nous mettre en nos devoirs justes, etc.
FRANÇOISE YMAOïNATiON. — Ah çà, sire entendement,
il y a bien plus fort droit-cy. Vecy un passage que je ne
sçay comment tu feras passer ton acteur parmi, sans
estre brouiUié beaucoup, car il est moult estroit; et est
une erolière où cent contre un il demourra enraqUié.
Tousjours se confie ton homme en ses œuvres, et dit en
son vingt-uniesme article que au fort, par soy mettre en
juste devoir envers ceux où honneur le conseille, tant plus
à ceux qui ainsi feront, seront leurs fortunes robustes,
leurs aventures meilleures, leurs noms plus clairs, et
toutes leurs besongnes de plus grant efficace et de plus
grant vertu encontre tout chascun qui les pourra traveil*
lier ; et met avant que ainsi faisant et gardant devoir et
vertu devers lui, n'y a point de perte un bouton ou une
petite fleurette, si «sur ingrat ne prend en gré la'bonne
opération. Que veut dire ce coeur ingrat, là où il condes-
cend arrière à particulière personne, et met en' non cha-
loir le mal prendre en gré des Franç(»s, comme s'il voul*
sist dire en la personne de son parti : < Ne me chault de
< vous un oignon ; prenez-le en gré si vous voulez, ou
c le laissez si vous voulez : tout m'est un. >
HNTSMMEMBKT. — Dame, beau chemin large et ouvert
est àm léger passaUe, et est d'une mesme prestance et
528 EXPOSITION
aisibleté à un id jot comme à un sage, parce qu'en cheminer
dessus n'a point de maisirie, ni d'avantage plus pour un
que pour autre. Mais là où l'ignorant et le sage, le subtil
et l'idyot voudroient tous deux ou devroient passer parmi
un destroit, parmi un creux ou fossé frémissable,là certes
y auroit honneur de s'y savoir conduire; et y auroit le
sage et subtil homme grant avantage par dessus l'aulre,
et le passeroit à son honneur là où l'autre y demourroit
enraquié.
Au propos de ce que tu m'as dit maintenant de l'ac-
teur, que mal se pourra sauver en cestui passage, tant le
saché-je deffendre, qu'il n'y demeure brouillié : dame, le
brouillis n'y est pas jusques tu le y vois. Donc, et si je le
puis tirer parmi et ramener net, au moins faudras-tu à tes
ententes. La première partie de son article est honorable
et digne de grand los, et la seconde partie est véritable et
digne d'estre soustenue, car là où il dit au premier :
An fort, par nous mettre en nos deToln Justes,
l'acteur, comme sage et recongnoissant ce qui est de
devoir et d'honneur, présuppose tousjours son parti in-
failliblement vouloir faire bien, l'avoir fait à son pouvoir,
et avoir intention tousjours d'y continuer; car lui-mesme
recongnoit que ce qu'il fait, il le fait par devoir, comme il
appert par propre escrit : Au fort, par nous mettre, etc.
Présuppose aussy que faire justement son devoir, pour
ce que plusieurs y fallent, est une chose honorable, et qui
est moult agréable à honneur. Donc, par congnoissance
qu'il a du cas, et que devoir faire et honneur ensiévir est
vertu et une chose qui attend mérite, dit par manière de
confidence, en la personne de son parti , pluriellement :
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 529
< Au foirt, plus nous mettrons en nos devoirs justement
c et vertueusement, tant plus nous seront nos aventures
c bonnes et vigoureuses , tant plus seront nos personnes
< claires et mieux recommandées , tant plus seront nos
< œuvres pleines de vertu et de bonne expectation, contre
€ un chascun qui d'aventure nous voudroit traveiller ou
« mordre en nous. » En quoy disant et maintenant. Fac-
teur parle bien et ne fait à reprendre d'un mot jusqu'à ce
point; ains dit chose si vraie que contradiction n'j auroit
point de lieu. Mais là où il dit après : qu'il n'y a point de
perte une vermeille qui devoir fait et se cœuvre de vertu,
si cœur ingrat ne le prend en gré : là convient-il entendre
rintention de l'acteur, et le parer de ce qui sonne aigre-
ment ; car n'est pas son intention si mauvaise que léger
jugement y assied sa sentence.
Kacteur, dame, espoir* est homme de bon vouloir, est
homme de bon fonds tout entier et tout franc , aime hon-
neur et preud'hommie, aime vertu et vertueuses gens, af-
fecte tout bien, ressongne tout mal, hait toute perversité,
toute descongnoissance, toute présomption, toute iniquité
et malice ; et soy congnoissant quel il est et quel il désire
devenir, et voyant quel est le monde aujourd'hui, quels
les hommes, frères à frères, amis à parens, affins à voisins,
pleins de fautes, pleins de rancœurs, pleins d'envie, pleins
de suspections, pleins de mautalens et d'ingratitude, et
que ceux qui dussent estre vertueux et raisonnables,
justes et honnestes en cœur, ensiévir équité et droiture',
et que ceux qui le mieux s'y acquittent aujourd'hui et le
plus honorablement besongnent, sont les moins congnus.
* Espoir, peui-étre, ici plutôt: sans doute.
' Ajoutes ici, poar oompléter la phrase : sont Us plus à reprendre.
390 ExrosmoH
iœpatieat de ce et courcié, ardant on hoimeuf et boB
vouloir, dit, deeplaisamment en général à tout le monde :
c Puisque ainsi va, et que bien fait ne pent eatre re-
< congnu, au fort qui bien 8 y porte et s'y met en son
« devoir, ne peut chaloir, ai coeur ingrat ne le prend en
t gré. »
Et n*entend pas l'acteur par ce cœur ingrat une singu-
lière personne sans jdus, ne un singulier cœur tel ou tel,
mais un cœur qui est distributif à tous ceux qui peuvent
estre entachés d'ingratitude. Par quoy je dis que œste
clause que tu prisas tant, dame Fmâgination, n*est pas si
dangereuse pour l'acteur comme tu pensoies; mrâ est
excusable et réparable honnestement et en vraie équité ,
parce que le parler aigre lui est mu par ardeur à bien
et par impatience du mal perçu, non parlant touteavoies
ne aux François, ne aux autres, fors que à toute la gé^aé-
ralité du monde entier.
TMAGiNATiON. — jEntendemMt, tes solutions sont moult
belles, nutis ne sont pas de nécessité à croire, qui ne veut.
Donc, si tu es passé par cestuidestroit, qui me sembloit as-
sez fangeux, vez-en cy encore un autre aussi mauvais ou
plus que celui-là , où il y a bien mystère, ce me semble,
de passer parmi pieds nets. Ton homme va toujours de pis
en pis, et de felle en plus aigre : il se vante en son vingt-
deuxiesme article, que Dieu et hommes congnoias^at bien
leurs vies et leurs manières de faire, et que par cela riens
ne se peut ne celer, ne estordre, que tout ne soit sçu une
fois et vienne à congnoissance ; mais en nos hauteurs et
fflialtationa. Ton y perçoit nos œuvres si clairement que
tout le monde y peut mordre. Donc , si le faire ainsi nous
vient de faute d'ordre et de bonne raison, ce ,poise lui,
mais le vice en redonde ai nous-meames* Que veux^tu
SUR YÉ&ITÉ MAL PRISE. 3S1
id respoadre, ff^endemefU, ne quel esclaircisâeineDt m y
saruns-tu donner, qui me suffise ?
ENTENDEMENT. — Dame, de peu menace, de peu espo-
vente ; et n eat digne de soy exposer au péril, qui ne l'ose
atl(enâre. De ce que tu m'aa résumé droit-ey, fust aussy
aigre et aussi dangereux comme tu le me fais , j'en
dusse moult craindre la solution et le destroit par où je
le voudroie parer ; mais entends bien que aussi peu
crains-je cestui que l'autre passé. Pourquoy ? par ce certes
que je n'y voy ri^is hors de voie, ne riens à répugner, selon
le pourpos de l'acteur qui aigrement a commencé sa ma-
tière à bonne intention; sy convient que par là mesmes
il la déduise pour venir à ses fins , non que ce soit néces-
sité, mais il peut estre utile.
L*acteur dit voirement et parle en la personne de son
maistre en pluriel , pour couvertemônt parler de lui : que
Dieu et les hommes congnoissent bien nos vies et nos opé-
rations et toutes les bonnes intentions qui sont en nous,
c'est-à-dire en sa noble personne, et que icelles ne se peu-
vent ne céW, ne estordre au paraller, que une fois toutes
ne viennent et redondent en fruit et en rétribution, en
l'équité divine et du monde. Et parlant ainsi de sa noble
pereonne, il le glorifie en ce qu'il y sçait et perçoit de bon;
en quoy faire ne fait tort à nuUui, mais fait son devoir
d'exalter celui qui le vaut. Mais retirant ses yeux d'ensus
lui et les rejettent en vous qui le vexez et à qui il lui
(X>n vient avoir à faire et respondre, dit affirmativement :
que les envies que vous avez dessus lui, sont si claires et
si manifestes que tout le monde les peut percevoir. Donc,
s'il y a faiiite de raison en vous ou de bon ordre , ce poise
lui ; mais il dit que le venin de vostre envie redoode en
vous-mesmes, comme il dit vray; car envie ne peut faire
33i EXPOSITION
mal à nul qu*à celui-mesme qui la porte, comme dit le
grand Alain* en ses paraboles. Or, belle dame, puisque tu
me quiers de si près, je te résume arrière la protestation
que a fait Tacteur ici devant, et te renouvelle que je n*en-
tends, non fait l'acteur, comprendre, en nuls de mes
termes, ne en nuls de mes argumens, la très-noble personne
du roy, comme qui nulle part ne s'y trouve toucbé; mais
lui seul réservé, je me contente que tout s'y puisse com-
prendre , qui s'y voudra joindre. Venons au point donc-
ques : ce qui est, il est, et est impossible que ce qui est, non
soit. François sont bons, ou ils ne le sont point ; bons sont
et tu les prononces. Mais s'en contraire de tout, ailleurs
ils se desvoient devers nous, et envers nous ne usent point
de bonté, n'est-il loisible de leur remonstrer ce en quoy
nous nous dolons , et de les toucher en celui vice propre
où nous les sentons desvoyés? Nous ne touchons point à
particulières personnes, ne telles, ne telles. Nous réservons
par exprès la majesté inviolée; et notons que ceux qui abu-
sent de vertu et de noble condition, répugnent et reboutent
celui du monde que plus dussent honorer et chérir après
le souverain. Certes , il me semble que gens de bon vou-
loir, voyans autrui avoir envie ou despit en leur félicité,
peuvent bien remonstrer ce qui est visible et percevable
de lui-mesme et que à eux touche. Car, quoy qu'il soit de
toute chose et de toute opinion, veulent gens ou non veu-
lent, la vue descouvre les faits. Quand doncques les veuil-
lans bien faire voient desvoiés ceux dont ils voudroient
traire amour et grâce et se deulent de leur aucune imper-
fection, ne peuvent-ils, pour les mettre en la perfection
où ils désirent, dire : < Vous estes tels ou tels envers
* Alain de Lille. Ses paraboles ont été reproduites dans diverses
éditions de ses œuvres.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 333
c nous. Ce nons griève et nous est dur, et à vous ce ne
• vous est point honneste d'ainsi faire; et tant plus y
€ continuerez, tant plus en redondra le meschief en yous-
< mesmes. » Certes oy I et n*y a riens en ceste réparation,
dame, que tu sçusses nyer par raison, sinon que tu
pourrois maintenir et nyer que le vice d'envie ne fust
point là où l'acteur le descrit, es nobles françois. Sur
quoy je te répliqueroie tant et tellement , et te donneroie
tant d'exemples , que les probations y seroient évidentes
assez. Mais n'est heure encore, et peut estre que autre part
pourroie estre constraint de les alléguer.
YMAGiNATiON PRANÇOiSB. — Or çà, loug arrest sur une
chose, là où il y en a plusieurs entre mains, donne fatigue
aucune fois et fait perdre temps. Nous sommes en ma*
tiëre odieuse , ce me semble , et en difi5.cile transaction ,
dont encore ne voy fin de long temps; et me vient férir à
l'œil présentement une esparque de bien aigre sentence
que ton homme met en son vingt-troisiesme article.
Droit-là il arraisonne les François incrépamment et leur
dit : c Si vous régnez en grant exaltation et triomphe, et
c qu'en vos bras glt fortune endormie, comme s'elle fust
< toute pour vous, régnez si bien et si sagement que ce
c régner vous demeure durable, et que la fin n'en retourne
< triste, car cela ne nous griefve point. Mais à l'autre lez
€ aussi, si fortune nous est amie un peu et qu'elle nous
€ faveure, n'y prenez point de desplaisir non plus que
c nous, car cela ne nous vient point de vous, ne de vostre
I cœur. » Laquelle chose sonne au commencement en
manière de correction , et en la fin en descongnoissance
ENTENDEMENT. — Dame, sl tu Sainement entends,
tu sainement jugeras. Cestui article que tu as relevé
354 EXPOSITION
maint^ant, n*est pas vicieux, et le te prouverai tellement,
ce me semble, que la solutiou t'en semblera honueste.
L^acteur droit-cy note trois choses et les déclare. Il note
premièrement lagloire, Texaltation de fortune , la kaute
triomphale régnation des François, dessous lesquels, lui,
son maistre, ses suppos et subjects il leur convient vivre
et temporiser; et est un des points qu'il note et confesse
estre ainsi. U note secondement et donne à congncHstre
Tamour qui est en lui et en tout son parti envers vous
les François , quand voyant vostare r^nation si excuse,
il la contemple et s'y délite; et de peur qu elle ne puist
tourner par aucun meschief à décadence, dont il auroit
deuil, vous advertit en titre de charité, et requiert que
vous régniez si bien et si sagement que vostre haut glo-
rieux règne ne retourne en triste fin, vu que les choses
humaines ne sont estables, fors d'autant qu'elles sont ac*
contrées de vertueuses sollicitudes; et est le second point
lequel il déclare.
Tiercement, il donne à congnoistre taisamment, en fa-
veur de son maistre, qu'il y a gloire aussi en haute fortune
en icelui » et que comme ceux de deçà ne sont courciés
de leur haute félicité et régnation, mais très-joyeux , que
eux aussi en celle de deçà ne veuUent prendre murmure ;
car ce que nous en avons, ne vient point de leur lune, ne de
leur avancement.
Au premier point, là où il glorifie François en leur haute
régnation qui se voit à l'œil» ne fait à reprendre, car vous
est los et gloire quand tel il vous juge comme il vous voit.
Au second point, là où il démonstre Tamour qu'il a en*
vers vous par contempler vostre bonne fortune et par
avoir soin et peur de vostre stabilité , n'est à reprendre
aussi, car lui vient de dilection cordiale et de noble
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. . 3S5
vouloir, quand il vous avertit et requiert que voud met-
tiez sain et poorrision que la roue ne tourne; et le devez
eo ceate qualité chétiT et aimer, quand il vous adrertit
de vostre Balut et de chose qui est digue d'estre tous
jours devant Tcsii, quand les plus hauts aucunesfois du
monde et les j^us eslevés ont esté déçus par non y en-
tendre.
Au tiers point où il parle taisamment en la faveur et
vérité de son maistre, disant que si fortune lui est amie,
n*y preniez point de desplaisir aussi, non plus que nous
de la vostre, car de vous ne lui vient point ceste haute
lunoîson : dame , si bien l'entendez , ne dit riens mal et
encore moins de desplaisir à nuUui, comme vous fersi
bien entendre; et n'y cherra difficulté nulle, qu'en cesté
dernière clause, qui est que nostre bonne lunoison, nostre
bonne aventure et félicité, ne nous viennent pas de vous.
Et sembleroit par ce, que nous serions ingrats, descon*-
gnoissans et tous essours et eslevés en présomption et
orgueil, dont je te monstrerai tout le contraire et apaise-
rai ton cœur.
Cestui prince voirement, puisque l'acteur taisamment
le note, est plein de haute fortune et de glorieuse régna^
tion. Et ne convient point longue démonstration pour ce
faire apparoir, quand ce qui en est de . lui-mesme, le
juge. Il est prince parti de la très-noble maison de
France, de laquelle comme les autres, en mesme degré de
rang , il prend gloire et titre , et avec ce en emporte les
biens grans et laides que point ne descongnoist, mais s'en
répute atout grant et puissant entre tous ses semblables.
Mais, avec ceste félicité et gloire que tirée a et produite
avee lui du noble ventre de sa mère, et en laquelle il a
longu^nent régné prince puissant et renommé , sy lui a
336 EXPOSITION
Dieu multiplié encore sur vieille grâce, nouyelle gloire et
exaltation ; et qui Tavoit fait naistre duc par nature et
succession de père, pour estre égal aux autres ducs plu-
sieurs, Ta tellement pourvu de fortune, qu'en terre main-
tenant n*a duc son pareil. Donc, comme Dieu la pourvu
de multiplication de seigneurie nouvelle sur la vieille qui
estoit haute , a mis peine aussi de multiplier à Tavenant
sa famé par multitude de vertus et de hautes opérations,
par lesqueUes il espère mérite. Et comme cestes choses-
cy ne viennent point du tronc de France , ne viennent
de donation, ne d'acquest, ne viennent point d*achat, ne
de tirannie, ne viennent par aide, ne secours de main
forte , mais viennent nuement du don de Dieu , de haute
amie juste fortune , de vraie naturelle succession légitime
du tronc de Tempire, du sang tout autre de France,
d'autre condition, d'autre tenement, et qu'en icelleil res-
plend et règne glorieux et vertueux prince : ne peut dire
l'acteur de luy-mesme et en faveur de la vérité, qui souvent
n'est congnue là où besoin fait, que ceste haute superla-
tive lune , ceste haute gloire et exaltation particulière ne
procède point, ne ne vient directement et sans moyen de
France, dont il porte nom et gloire connaturelle, quand
ceste-icy est accidentale et lui procède de Dieu par nou-
vel don , lui procède de fortune par singulière faveur et
lui procède de ses propres vertus et conditions, lesquelles
il a appliquées à son pouvoir à toutes glorieuses opéra-
tions? Donc , et quand ainsi seroit que terres et posses-
sions tous venroient du royal tronc françois et que de là
les tenist, sy ne peut-il tenir les vertus que de Dieu et de
son bon cœur, lesquelles font l'homme promptement glo-*
rieux, non pas les hautes seigneuries, quand icelles sou-
vent se possèdent sans glorieuse renommée ; mais ne se
SUR VÉRITÉ Mal prise. 557
peuvent acquérir nuls glorieux titres jamais» sans glorieu-
sement vivre.
Or regarde, dame» si tu as cause de toy contenter
droit-cy» ne si tu as cause d'imputer à Facteur, ne à au-
trui, vice en cestui endroit, comme d'avoir descongnois-
samment parlé ou trop en arrogance, quand je te déclare
distinctement que veut dire ceste lune qui ne vient point
de vous autres. Et bien dis notamment vous autres; car
quand tout viendroit du royal tronc , sy n'y a le pied de
vous autres, lui seul réservé, qui doie entendre part en
ceste contribution; car n'y avez mis ne doy, ne main, ne
donné faveur, ne confort , ne vestu baubergeon, de son
temps, en son avantage. Et par ainsi, posé que lui, en
sa noble personne qui est toute humble, ne se vante, ne ne
glorifie, et ne se veut extoUer ne en ce, ne en cela, l'ac-
teur toutesvoies , qui procède à l'équité des choses, peut
bien remonstrer quels dons il a de Dieu espéciaux, quels
de nature et de succession légitime, quels aussi de for-
tune et de glorieusement vivre , et dont tout vient et de
quel lieu, sans estre réputé arrogant, ne descongnu, ne
disant injure à autrui.
FBANÇoisB YMA0INÂTION. — Quo tu trouvcs d'estrangcs
vuidanges. Entendement, et de subtiles perçures pour
vuider un destroit! N'y a trou si grand que tu ne trouves
cheville pour le boucher, ne pertuis si estroit que tu ne
'passes parmi. Or çà, n'est rien fait, qui ne fait plus fort.
L'acteur arrière, en son vingt-quatriesme article , se pré-
sume, et pense bien que cela se veut appliquer à son
maistre; et dit qu'en lui a gloire, honneur et resplendis-
sance qui l'air parvolent et font fendre les cieux. Mais ce
n'est pas, veut-il dire, qu'il ne recong^oisse dont ce lui
vient, car le tient de la haute puissance et faveur divine.
339 EXFOSiTIOli
laquelle, comme il subjoint, sera ponr le deffiendre su
besoin, et lequel Dieu, si François le craignoient à of-
fenser, ils se tiendroient à ce qu'ilsont de grâce et de béné-
fice de lui, et sou£&eroient de la félicité de Tautre. Icy
semble , à l'entendre , qu'un François doit avoir descon-
gnoissance premièrement en leur haut régner, et seconde*
ment que ne redoubtent à offenser Dieu, dont ils ont tous
leurs bénéfices: laquelle chose porte de soy injure et ram-
ponné'.
BNTRNDBMBNT. — Quo plust à Dieu, dame, que le
thrône des François jamais ne dust estre touché de plus
grant injure , que de telle que droit-cy; et je croy voir
que jamais ne recevroit tache dont on le pust juger
souillié, car droit-cy n'en y a nulle. Bien est vrai que
l'acteur, en vuidant de son autre article et là où il parloit
de ceste lune dessus touchée, maintenant spécifie un peu
au clair ce que avoit mis par devant en termes obscurs ; et
rendant gr&ces et louenges là où elles sont dues, dit :
qu'en son maistre a gloires et exaltations qui parvolent
les airs et les cieux. Donc, pour donner exemple à tons
glorifiés hommes comment ils doivent user de leur for-
tune, dit : que ce n'est pas en descongnoissance, ne en
aveuglissement que icelles possède, mais en crémeur et
rétributions de louenges à son Créateur, dont il les con-
gnoit avoir reçues plus que à son mérir, confiant de sa
miséricorde , qu'en icelui bon vouloir et regart qu'il a
envers lui, il le defiendra et secourra en temps opportun.
Belle dame, ici y a-il vilain? y a-il riens droit-cy pour
mordre, ne en quoy courage françois se dust mouvoir, ne
troubler, quand ce que l'acteur dit de son maistre , il le
* Bamponne, taillerie, losalte.
SUR VÉRrFÉ MAL PRISE. 539
baiQe à tous autres pour faire pareillement, et ne réprime,
ne ne corrige nullui de cas contraire, mais remonslare par
son maistre : que de haute prospère fortune glorieuse est
due haute singulière rétribution curieuse à Dieu, quand
par décongnoistre, par non entendre à son devoir, par non
vaquer et veiller en œuvres vertueuses, en diligences et
sollicitudes, en choses de stabilité et de fruit, et souverai-
nement en crémeur et louenge de Dieu, maints royaumes,
maints [rois et monarques, du plus haut de la roue, non
bien gouvernés, sont jettes confusément misérables en
basse poussière, là où ils voutroullent \ tristes chétifs par
leur démérir? Sy croy que aujourd'hui Dieu ne fera pas
une nouvelle fortune pour la nouvelle régnation de pré-
sent, et [ne croy pas] que ayant eu mis tout le monde passé
subjet à la vieille, doie exempter de sa loy et puissance la
génération d'aujourd'hui nouvelle ; ains sou£Mra que qui
en vertu et sens règne , que celui pardemeure, et que qui
défectueux et mal sage possède le haut siège, que celui
méritoirement trébuche, ou son équité seroit autre mainte-
nant, que n'a esté trouvée en nos vieux pères. Doncques,
et si l'acteur voiant que son maistre a esté surquis en plu-
sieurs voies et ramponné autrement que ami à ami, et
ce en doubte que crémeur de Dieu n'estoit point pleine-
ment là où elle devoit bien estre, et que, par faute
d'icelle, les deux hautes félicités, tant de l'un comme de
l'autre , pourroient tendre à diminution et cheoir toutes
deux; fait-il mal s'il subjoint que, si François craignoient
offenser Dieu , ils se tiendroient aux grâces et bénéfices
qu'ils ont de lui , et souffreroient de l'autrui, à qui Dieu
a telle liberté de donner et chérir comme à eux? Certes,
* VimirouJUtU, se yautrent.
340 EXPOSITION
il m'est advis que nenny, et n'y a chose qui en mal se
doive entendre.
vEAMçoisB TMAaiNATiON. — Plus parlos, Entendement,
que plus tu me crois mes admirations; et plus te baille
matières estroites , plus tu m'eschappes, et ne sçay com-
ment; et te trouve hors de mes mains telle heure que je te
ouide tenir à tenailles. Mais vecy où ton homme injurie
terriblement nous autres François, là où, après confesser
que nous avons un haut glorieux thrône par dessus le
leur, et que icelui portant sceptre et couronne est tout
plein de gloire ancienne, et que la clarté du siècle s'y res-
plend à l'entour, si vertu estoit en cour, comme soloit,
mais nenny ; de quoy nous donnant reproche et mespris
il dit : que vanité et présumption nous ont tellement abu-
vré les cœurs que la hantise en est fière et sauvage. Dit en
outre en son vingt-cinquiesme article : que nostre orgueil
et hautaines manières, nos élat^ons en nos nouvelles for-
tunes, avec le mespris que nous faisons d'eux, tous ces
points-cy lui ont esté cause d'entrer en ceste aigre trac-
tance, ei voudroit bien que la cause y fust moindre : par
quoy il me semble qu'en ces deux articles le vingt-cin-
quiesme et le vingt-sixiesme il y a publique injure.
ENTENDEMENT. — Jo to respouds , damc, et concède
qu'en aucun des points récités droit-cy il y peut avoir
assiette de rigoureux termes sonnans aigrement, mais non
injures proprement injurians et blessans, parce que injures
sont choses faites et dites torcionnèrement* et sans nulles
occasions précédentes, qui procèdent de felle villenneux
estomac délibéré et proposant blesser en famé ou en corps;
de quoy oncques l'acteur ne fut en talent', ne jamais ne
' Toreionnèrement, à tort, li^oBtement.
' Talent, intention.
,/
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. Ui
sera trouvé tel; mais bien confesse que^ selon la portion
et qualité que voit les hommes et les conditions de ce
royaume en présent, et en quoy ils se desvoient et desme-
surent, souverainement endevers ceux dont il est de la
multitude, il les ose bien descrire et nommer tels comme
à son jugement il les trouve par expérience. Par quoy, s'il
les trouve et congnoit estre fondés en vaine gloire, et que
de cela se paissent et abuvrënt, il n'y chiet point de grant
meschief à dire : qu'en celui endroit la hantise aujour-
d'hui en est fière et sauvage , quand eux-mesmes se sont
assauvagis de sauvages conditionsnon à eux appartenans,
parce que lui-mesme les juge avoir leur thrône plein d'an-
ciennes gloires par leurs anciennes glorieuses vertus:
lesquelles, comme tu peux bien entendre, n'estoient pas
fondées en vanités, n'en présumptions outrageuses, mais
estoient fondées sur sciences, sur nobles mœurs et condi-
tions, sur équité et bonnes consciences, sur preud'hommies
et félicités sous recognoissance et crémeur de Dieu, sur
regart à la chose publique, sur honnesteté de propre per-
sonne, sur amour et charité à son prome, sur courtoisie et
bénignité envers chascun, sur Tespargne du peuple et de
humain salut. Sur ces points-icy estoient fondées les ver-
tus anciennes des François. De cestui grain remplissoient-
ils anciennement leurs granges, de tels splendeurs déco-
roient-ils et enluminoient leur thrône, non pas d'orgueil
et de jactance, non pas de confidence et de présumption
en propres vertus, non pas de menaces et contemptions de
leurs voisins, non de rigoureuses et roides tractations sur
ses amis, par fierté, par envie, par despection, par dol, ne
par fraude, comme font les mauvais, qui ne sont dignes
de nuls titres, qui jamais ne parattaignent à glorieuse
fin, ne jamais ne persévèrent à glorieuse durée, car seroit
Ul - BXK)S1TI<H«
contre nature, et contre loy et ordre de toute équité et
raison.
Doncques l'acteur voyant François en Htespas, et souve-
rainement en tant qu'il lui touche, les peut bien nommer
tels comme il les conçoit en son entendre. Et est vraisem-
blable que leur nouvelle fortune, laqudle je appelle nou-
velle par rénovation, non pas par origine, leur peut avoir
extollé les cœurs, parce que leurs mains cmt esckrd leur
thrône de ce qu'en trois cens ans paravant oncques ne se
put purgier par main nulle. Sy en peuvent estre leurs
cœurs plus grandis, leurs natures plus ensoufflées de va-
nité, et leurs conditions plus hautaines et moins humbles.
Mais pour parattaindre encore à plus hautes fins, comme
je leur garde une fois, dussent louer et glorifier Dieu, à
lui attribuer l'honneur de leur victoire, mettre peine à y
persévérer longuement, et de non riens emprendre qui
pust estre contraire à Dieu, ne à conscience, et gardans
propre félicité, propre honneur et l'autrui, soy exposer et
paroffrir en toute chose honneste et utile.
Vecy l'appartenir des François, vecy l'appartenir des
vrais glorieux hommes, des baux victorieusement régnans,
qui désirent mérite emprès Dieu et gloire du siècle. Donc,
si l'acteur se deult par y sentir contrariétés, lesquelles il
plaint et les frémist, comme il monstre bien en la fin de
cestui vingt-sixiesme article, quand il dit que toutes
cestes aigres manières et conditions lui sont cause de
procéder en aigreur contre eux ; mais n'en fait mie pour
tant à reprendre si fort, comme font ceux qui sont cause
de l'aigreur; lesquels ne sont que une petite part de gens
à l'aventure, et non pas toute la généralité, car seroît
dommage; et envis l'acteur la y voudroit comprendre,
mais seulement il note et entend aucuns particulieis.
I
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. U5
sur lesquels, sans nommer nuUui, sa doléance est causée.
THAaiNATiON. — Et que dites-vous maintenant donc-
ques du vingt-septiesme article de vostre homme» là où il
dit et repreuve aux François : que leur orgueil maintes
fois les a punis, et a fait passer et traverser toute infor-
tune parmi leur royaume, en quoi autrui quelque estran-
ger s*est glorifié en leur propre infélicité ; mais ce poise
lui que constraint il le leur convient remonstrer pour
y résister et mettre pourvision. Bepreuves, tu sçais bien,
sont injures.
ENTENDEMENT. — Damo, tu dis mcrvcilles, et ne puis
tant dire, ne tant faire que par devers toy tu misses une
fois le bon bout , et que de toy-mesme tu te contentasses,
quand de toy-mesme il te convient estre juge. L*acteur
droit-cy , pourquoy ne peut-il mettre ce que dedans Paris,
le nombril de France, les petits enfans qui vont à la
moustarde, savent bien raconter l'un à l'autre, par le recort
qu'ils ont oy de leur père : que les péchés, les orguelx,
les desrèglemens, et les envies des François l'un à l'autre
par maintes et diverses fois les ont punis ; et en ce mesme
en quoy prenoient plaisir et délectation, en ce mesme ont
esté battus et prosternés confusément, comme leurs inten-
tions et fins quises estoient confuses et mauvaises. Se
délitoient en envie et division l'un avec l'autre, et en
envies et divisions sont esté morts. Se dâitoient en or-
gueil et vanités excessives, aujourd'hui tirans, demain
pleins de mauvaises intentions^; et par nation orgueilleuse
et excessive, rapace et convoiteuse de sang, pire que eux
cent fois et plus inique, ont esté humiliés ; et y sont en-
trés roys et ducs, tirans et gens crudèles, et les ont cala-
mités et persécutés, fait devenir misérables et recrans,
vaincus en batailles et en sièges, et tout avieuti et pollué
544 EXPOSITION
leur thrAne; dont eux-mesines volontairement avoient esté
cause, et en avoient produit la verge dont autrui les
chastioit.
Et, belle dame, si l'acteur remonstre cecy et le leur met
à l'œil affin que cecy plus n'avienne, et que par gravité et
prudence, par longue pondération des matières, ils met-
tent pourvision, fait-il mal? fait-il chose contre hoimeur
et loyauté? Certes nenny. Mesmes est une chose que les
histoires françoises récitent et recordent, que ainsi en est,
et que toutes conditions d'hommes, jeunes et vieux, recon-
gnoissent aujourd'hui et jugent estre vrai. N'entends-tu
que si division et envie ont pu autrefois esbranler les
François, les faire cheoir et perdre honneur et salut, que
aujourd'hui ne leur puisse procurer ce mesme, et les faire
perdre et exterminer comme lors? Certes oy ! Et en seront
les périls aussi prochains, comme ceux qui les aiment et
quièrent, sont prests de les nourrir.
Or va avant, dame, et nous délivre de ton résumer; car
la matière m'est contre cœur durement, et voulsisse bien
en estre hors, si honneur me pouvoit permettre de non
tant y respondre. Mais tant m'est près l'acteur, et son
œuvre que je connois partir de meilleur fons que n'a esté
prise, que à très-envis et à très-dur l'abandonneroie.
Siques, ou déporte-moy de tes difficultés et interrogations
maintes suspicieuses, ou me abrège mes peines et lan-
gueurs, là où envis je tire au collier.
TMAGiNATiON. — Sire Bnùendemefi^, ce ne m'est joie
nulle de te vexer, et ne me délite point forment en l'occa-
sion qui droit-cy nous assemble. Je t'ay mu des questions
et difficultés aucunes droit-cy, dont maintenant un peu
je te donrai déport, en tant que interroger touche ; et te
requiers seulement que [tu me expliques les] huit articles
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 3i5
enfiièvanSy lesquels huit articles ne sont pas si reboutables
en sentence, comme ils sont dignes d'estre mis en ques-
tion, pour quoy ils y sont mis. Siques prend le papier
rnesme, s'il te plaist, et les regarde ; et de chascun à ton
plaisir foy une petite déclaration pour suffire aux Fran-
çois, tant de l'un comme de l'autre.
ENTENDEMENT. — Dame, à le te faire brief et selon la
lettre, laquelle est claire de soy et non disetteuse d'exposi-
tion : quant au premier où tu veux que je parle, qui est
le vingt-huitiesme, et allègue l'acteur : que tous, ne nous
autres, c'est à dire nullui, n'avons de propre force, ne de
propre fierté nulle certaineté, 'il dit vray l'acteur. Et en
ce disant, il glorifie Dieu de qui tout vient, force et vertu,
et recongnoit propre fragilité, propre insuffisance dont
l'humain genre est plein. Lors quand il dit que là-haut au
ciel, glt le bras et la trenchant main qui coupe et détaille
cy en bas ; donc si les hommes composent et ordonnent les
batailles. Dieu envoie les victoires là où il lui plaist, et
règne la main là sus invisiblement qui mène l'œuvre : de
ceci ne te faut autre exposition que telle qui se prend à
la lettre, quand toute vraie et non répugnable est approu-
vée et exemplée réalement et de fait par toutes saintes
Escritures , que vous autres nobles et sciencieux François
savez par cœur toutes.
Quant au vingt-neuviesme, là où l'acteur dit :
Puissance humaine est une po^re chose,
Qui est fondée en vanité légère ;
ne dit vray l'acteur, te semble-il? N'est-ce pas une
povre chose et très-petite que de vanité et présumption
qui se mettent en puissance et en confidence humaine?
Certes, sy est. Et tu sçais mesmes que l'Église reboute
346 EXPOSITION
celle confidence qui est seulement en homme, et avoue et
autorise celle qui se pose en Dieu et non pas en princes.
Dit en outre : « que millions et cens millions de gens, là
« où péché et orgueil, descongnoissance de Dieu et pré-
c sumption régnent, ne sont en comparaison que un
€ voirre de fougière qui se casse à la main et se froisse à
€ deuK dois en mille pièces ; > là où il vrai dit, et professe
les œuvres et les merveilleux jugemens de Dieu estre à
craindre, lequel coustumièrement vient en aide et secours
à petites routes de gens humbles, à gensespeurés et crain-
tifs, à gens traveilliés et vexés par mains de tiran ; et à
ceux-là baille et pourvoit de victoire et de régnation, pour
réprouver l'orgueil des autres et la confidence qu'ils pren-
nent en l'infinité de leurs multitudes. Si on me demande
nuls exemples, ne alléguemens, quand trop me seroit peine
de y prendre recours, et que tous livres et tous bons sen-
timens françois et autres en sont pleins , et que François
mesmes, par ce qui leur en est avenu en leur temps, pré-
sentement et de vive mémoire peuvent juger estre tel,
quand cent mil des leurs sont chus , hélas ! par eestuy
meschief devant un petit troupeau , non pas par la bonté
des autres, ne que Dieu les aimast mieux, mais pour
rompre leur orgueil et corriger par leurs plus meschans.
De ceste déclaration du vingtrueufviesme, se passe légiè-
rement et tout à net l'exposition plus avant du trentiesme,
là où il dit :
Quans a-Von vu de si faits hauts mystères, etc.
Car tout est dit cy-devant ce que de cestui-là se poor-
roit dire ou déclarer plus.
Pareillement est du (xente^et-uniesme , excepté que
SUR VÉaiTÉ MAL PRISE. 347
cestui-là fait mention en la fin : que Dieu yeut donner à
cosgnoistre aux hommes, que plus en lui qu'en nulles
puissances humaines gisent la paix et le salut des royau-
mes et des roys.
Donc après, au trente-deuxiesme » il amplie un petit sa
matière et dit : que Dieu souffire assez aux hommes faire
grans apparaux beaucoup de proposements et de machi-
nations y mais quand tout a esté proposé et mis sus , tout
entrepris et délibéré d^e faire ainsi et ainsi, sur le clin d'un
oedl fait-il tourner tout et fait tout avenir et cheoir au
rebours de leur intention , au contraire de leur entende-
ment. Pourquoi, certes? pour ce que les intentions à
Taventure n*estoient point justes, ne saines, n estoient fon-
dées en regart qui regardast Dieu , ne qui demandast sa
gloire, ne sa louenge, mais tout le contraire d'humain
salut publique et de propre, conune maintenant de vous
autres se peut dire : que les proposemens, les machi-
nations rumoreuses et diverses qui se préparent couver-
tement à rencontre de ceste maison , les alliances et ren-
forcemens qui s'y quièrent, les substractions qui s'y
essaient et espreuvent, pour et à fin de suppéditation, à
fin de vendicatif appétit, pour povres causes, pour par-
ticulières privées passions dont les racines ne sont ne
justes, ne honnestes , au tour d'une main, au clin d'un
œil peut-estre, tout se tournera ce dessus dessous, par
mort de personnes, par pitiés et compassions divines,
par maintes autres diverses divines pourvisions, qui font
eontretenir les roys et les princes malgré eux, et des-
quels souvent les légières, malsaines, mal causées, mal
méditées, très-povres et petites causes, me sont abho-
minables et me donnent terreur et espoventemebt de
leurs grosses, larges, desvergondées et immisârioor^euses
548 EXPOSITION
consciences, èsquelles si peu ressongnent et poisent per-
sécution de peuple, et de respandre et calamiter sang
humain.
Par quoy sainement adjoint Tacteur ce qu*il dit en son
vingt-huitiesme article : que pour cestes et telles causes ,
besoin fait bien que la main de Dieu retienne devers lui
le frain des roys volontaires et ireux , parce que leurs pas-
sions et fragilités humaines , non veullans vivre de con-
seil, ne de raison, seroient maintesfois préjudiciables et de
grand grief au povre innocent peuple qui ne peut fuir
leurs mains , sinon en tant que Dieu les préserve et ga-
rantit en leur innocence. Et vous met conséquemment un
exemple l'acteur, du vertueux et très-puissant victorieux
roy, le roy Henry d'Angleterre darrenier, lequel, après
que Dieu l'avoit souffert calamiter et corriger son peuple
françois, et non pas tant seulement le peuple, mais tout le
thrône avec son contenu, Dieu le fit révoquer de son
contendre plus avant, et par son propre message le fit rap-
peler et lui enjoindre que plus avant il ne persécutast son
peuple, ne attemptast outre en conqueste, parce que la
clameur d'icelui montoit jusques en son regard ; et vou-
loit convertir ses hautes vertus et diligences que lui avoit
données, en plus hautes et glorieuses fins et opérations.
Mais ledit roy, embuvré de convoitise, pessu de vaine
gloire et de élation en sa haute fortune, proposant le sien
fait devant celui de Dieu, et contempnant le message
divin et son avertissement, ne voulut obéir à conseil; et
proposant à bouter outre ce que avoit empris, continua en
son erreur. Donc, dedans Tan, de la mesme main qui
l'avoit fait vivre et régner jusqu'alors, fut perçus et exter-
miné en terre, et perdu et esvanui entre les hommes,
comme une nuée qui droit-cy vole et là prend sa résolu-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 349
tion en pluie. Ainsi fut-il de lui; et ainsi peut-il advenir
des autres roys et princes ses semblables.
Donc après» pour encore plus ouvrir sa matière, dit :
que Dieu, qui voit tout et tout sçait, congnoit et entend les
cœurs de tous ceux qui contendent à bien et à fruit et
disposent et ordonnent leurs cogitations à publique salut,
et pareillement entend et congnoit aussi ceux qui par con-
traire n'entendent que à la vanité du monde et à propre
privée affection, en quoy labourent et veillent; desquels
tous, ce dit après, comme il voit et congnoit leurs chemins
et proposemens divers, Tun cy, Tautre là, tout en ce point
les conduit et fait prospérer en leurs voies, par plus, par
moins, selon que leurs affections plus ou moins tendent à
utiles et louables fins.
Dame, et que dis-tu droit-cy ? N'est vray et soustenable
cestui article? N'est Dieu sur les roys et princes terriens?
N'est-il celui qui voudroit tout le monde estre paisible,
les hommes estre justes et raisonnables, les choses hu-
maines estre gouvernées establement, les vertueux et
les bons régner, et les mauvais exterminer jusqu'à non
estre? Donc, si sur princes peut avoir un regard singulier,
les bons doncques et ceux qui contendent à.bien publique
doit faire prospérer en leurs voies, et les présumptieux et
remplis de vanité réprimer en durée. Sy a bien mis et no-
tamment l'acteur l'exemple de ce roy Henry, lequel, par
les vertus et singularités créées en luy, pouvoit estre in-
strument du bras de Dieu esmerveiUable à l'encontre des
Infidèles et autres rontures et plaies de la chrestienté, dont il
pouvoit estre répareur; mais lui tout plein de sens, plein
de prudence et d'activité, plein de labeur et de diligence,
plein de vertu et de condition séant à conquéreur, à prince
belliqueux, batailler, jeune et robuste de corps, riche de
35a EXPOSmCHf
finance sans nombre, puissant de peupk ei de chevalerie,
s'exposa tout au traveil des chrestiens et de propre que-
relle, à vanité de privée gloire; et là persistant et déso-
béissant à Dieu, qui à plus grand chose le vouloit conver-
tir, fut en fleur de ses jours précipité de mort.
Et dame, n'est^e pas un exemple bel aux autres roys
et princes terriens, lesquels peut-estre sont instrumens,
ou seroient, à Dieu pour g^rands besongnes faire, si leurs
vertus et nobles conditions vouloient convertir en choses de
gloire publique, en choses d'expectatdon méritoire, dont
Dieu et la foy sainte sont matière subjecte? Certes sj est.
L'exemple y est bel et séant. Mais aujourd'hui fuyansicelle
voye, et ignorans quels dons ont de Dieu, quels instru-
mens ils sont ou pourroient estre , s'aguisent et s'eschar-
nent en l'un l'autre, s'entregnongnent et s'entremenacent
ensemble pour privées affections, pour particulières que*
relies non nécessaires , pour causes et subtilités non hon-
nestes, ne saines; et parvenus à la gloire du monde, par
grâce de Dieu , se disposent à la remettre en branle et
danger, par conseil de l'ennemi. Et belle dame, qu'est-il
aux François, qui avec le divin bras ont purifié mainte*
nant leur thrône des vieilles bruynes qui , passé a trois
cens ans, y ont courues, et ont les bras au desseure de
leurs ennemis anciens, ont bouté guerre hors de leurs
metes pour avoir paix, et maintenant en dedans eux vont
quérant une nouvelle, lune main contre Tautre? Que
est-il à eux, si titre n'ont juste en leur propre région,
de la quérir illec ou mouvoir, de la venir quérir à
Luxembourg \ hors de leur congnoissance, hors de leur
dition et appartenir, pour mouvoir et exciter celui qui
* ro|f«stni,p.90O.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 351
jusqu'à la darniëre et toute extrême censtrainte fuit la
mellée? Est-ce chose honneste à eux, ne respondable qu'eu
ce qu'en glorieuse vertu et main forte est obtenu victo*
rieusement et conquis , et jà si justement possédé que
oncques nuls d'eux, fors depuis peu de temps en çà, n'y
réclamoit riens, que maintenant on traveille, par cou-
vertes subtiles voies non honnestes, de l'atraire hors de la
main du possessant, qui chevalereusement et à juste titre
y a exposé son corps , y a mis son exercite, donné soin et
labeur, et tant fait que triomphamment a fait d'une spe-
lonque de larrons, pays de justice et de tranquillité.
Et dame, Luxembourg, qui n'est de la concemence de
France nullement, ne des François, qu est-il aux François,
en qui main elle soit? Doivent François, qui ont paix
maintenant et gloire, en extrémité aller quérir droit-là
guerre qui leur baillera ignominie, et laquelle, quand
l'auront mue en dehors leur royaume, la retireront arrière
malgré eux en dedans leur gyron, et se retrouveront en
pestilence et en malédiction jusqu'aux yeux , dont jamais
n'auront fin.
sens de France et proud'hommie ! ô haute glorieuse
noblesse et vertu ancienne, que estes-vous devenues? 6 sa-
lutaire et utile crémeur de Dieu ! 6 haute circonspection
et prudence royale d'équité et justice de conscience ! et où
sont^vos natures? où sont vos habitations aujourd'hui? et
où sont vos salutaires et fructueuses opérations et doc-
trines qui de vous procèdent et naissent, quand aujour-
dliui visitant et quérant les anguelets des haulx royaux
palais, ne vous trouve nulle part, ne me perçoy de vos
conditions, si peu non, dont à Dieu prenne pitié, et au
monde puist-il non tourner à dommage i
A ce mot s'avança dame Flatterie, une dame fainte en
352 EXPOSITION
condition, ce sembloit, et déceveuse; et faisant signe
aucun comme pour vouloir restraindre entendement de
tant parler, dressa mesme sa parole envers lui et lui dit :
entendement^ trop tu es aigre et précis; et ne sont '
point à desvelopper toutes choses lesquelles on voit; et
convient supploier aux temps et aux hommes parfois.
Donc, si les yeux, que tu a& clairs et subtils, voient des
choses beaucoup , dont les unes sont claires en nature et
les autres troubles, ne fait besoin pour tant tout descou-
vrir, ne respandre, quand beaucoup d'icelles peuvent estre
odieuses; car, jà-soit-ce que tirent à vérité, sy sont-elles
indignes et mal acceptables, parce qu'elles infèrent plaies
aux escoutans. Sy ne dois, tant pour ton bien propre que
pour autrui paix, tant te descoudre, quand indignation
des princes fait moult à craindre, et que leur gr&ce est
une haute félicité pour ceux qui se sçavent avoir autour
de leurs personnes; car fait icelle monter lliomme en
autorité, avoir faveur et portage, entrée en Testroite fer-
meture de privante, là où autres maints, crians à lliuys,
bien notables, se pourmainent non appelés, s'acquièrent
droit-là dons et offices, promotions et haulx estats, dont la
vie leur est pourvue contre indigence, et leur indigence
rasseurée par pourvision.
Sy te dis bien, sire, que bon fait vivre avec les vivans,
et savoir tourner son voile avec le vent qui avance. Vivre
est délitable, mourir, horribleté extrême ; et n'a mort que
une seule amertume pointue, là où vie miséraUe a mille
similitudes de mort. Siques, obtempère et donne cours
aux choses que tu ne peux destoumer, et n'expose point
de peine en quoy tu ne peux mettre remède. Roys sont
roys, princes sont princes. Si bien font, c'est pour eux ; si
mal, ne les siet à reprendre : le repreneur n'y a jamais
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 555
bien. Qui les lone et prise, et sçait complaire et ployer,
celui rë^e et monte.
BNTBNDRMBKT. — Dame Flatterie, ne sçay comment
jà si longuement tu t'es sçu contenir de parler et de me
remonstrer ce que tu ores m'as dit, quand jà en beaucoup
d'endroits j'ai usé de termes bien aigres, dont, comme bien
sçai, tu as eu bide des sentences. Mais comme ton propre
est de décliner de vérité par malice, le mien propre est de
la maintenir roide par vertu.
Ta condition, dame, sy est molle et vicieuse, et ne re-
gardes que utilité propre ; et la mienne est invincible en
courage, et considère équité universe. Tu ne peux, comme
dit Nostre Rédempteur Jésus, servir bien à gré deux sei-
gneurs de contraires natures, que tu ne baies l'un, et
l'autre tu aimeras ; ou que l'un tu ne soustiennes, et l'autre
tu contempneras. Vérité, c'est Dieu droit-cy, laquelle tu
contempnes parce que tu aimes la fausseté du monde; et
ton monde je le contempne parce que vérité n'y est point
aimée. Vérité, dame, de soy est aimable; et comme Dieu
est à aimer de soy, aussi est vérité; car vérité est Dieu,
et Dieu, vérité. Si ne penses que pour les bienfaits et me-
naces du monde, je me voulsisse estordre de ce que j'ai du
don de Dieu, si noble et si pur, ne que je voulsisse chan-
ger ma propriété en perverse opération contraire à ma
nature, qui est de concevoir les diverses choses du monde
telles que les sens extériores les me présentent, et icelles
enquérir et méditer songneuaement et parfondement en
dedans moy, telles comme je les ay conçues par vue ou
par oye ou autre sentement. Lesquelles choses, à qui que
elles touchent, ne quelles que puissent estre en réalité,
bonnes ou mauvaises, ne peuvent changer, ne varier le
concevant, ne elles ne se peuvent ne changer, ne muer
TOI. Tl. 23
3^ £XfiD9|^7?0]|l
que, tjàJ&s (ffi» xfjfi fi^ prâ^ntéias ef conçues, qw teUes
ne demeurent. Si doncques les faits 4n moijude ^ pr^^en*
teiffif ^ jfxoj^ ep je les conçois tels ppmme ils soi^t» ^ que
d*icç]i|i^z longuen^nt médités et tractés en la lomièrQ de
raison saine, je suis con^tri^nt d'en parler et faire con-
clusion, ne les dois-je manifester tels comme ep la réalité
je les ay conçus, sans que je sp|e repris pour ce, pe redar^
gué d'o&nse? certes oy. Mais non pas que je le fisse i^
intention de grever, mais à inteiitiop de me Toploir tenir
inporroptpu m ma nature.
Dame, au^ peu que les montagnes et les arbr^ des
ch^pips, ai:|ssi peu que le ciel et les élépsns se peuvent
ipucier de la vue des hommes, aussi peu se peuvent mu-
cier, ne celer le^ faifs des roys et des haulx princes devant
les liumai^ies conceptions, que tout n'y soit logé et incor-
poré, tout compris et mis en estuy, par plus et par moins,
comipe le^ choses par plus at par moins se présentent aux
sentemeps, et comme les entendemens aiissi, plus et plus,
8*appliqiient à les concevoir beaucoup ou peu. Entre les-
quels ceux qui beaucoup en conçoivent, en ont laidement
congnoissa?^ce, et cefix quj en ont conception estroite, n'en
peuvent faire que aschars jugemens. Si hommca osent
faire, hommes osenf bien regarder. Donc, comme les faits
n'esppyentent pqint ne n'esvei^opdent les facteurs, le
viiveqient parler aussi n'espoventa poii^t les regardans,
ou en couvert ou en publique.
Qui est*ce qui fit mettre une royne de France *• . .
. . . . estre traynée à Paris entre quatre chevaux,
fors celui qui Iç vit aux yeux, dont toutesvoies les enfans
se fussent tenus à injuriés, qui lour en aust fait ?acord?'
* Lacnne.
^ De BwAehaut étaient issus les lois (TAostraile.
SUR VtRftÉ UkL PRISE. B66
Vm otelilkt lôliteBVoies éellô t^néliieûr , «y f^^il ttis pài^
esctit^ «t lelleiaént que iaujonrdliui eïicore thrône ffençoiA
en à feàipreiiite de Tomb^re. Qui est-ce qui^ de ce glorieux
tonquéreur Hdiiybal, en récitation Ae ses propriétés et
vertus^ fit ajoindre aussi ses pluseurs détestabléê cotidi-^
tions et grans vices par lesquels dénigiroit I^ dignité de sft
famé? Qui est-ce qui au conquéreur du monde, César, a
mis Tescart ténébreux en sa clarté, par lequel, tout assis
au siège des meilleurs, est regardé souppeçonneusement
de maints yeux contraires? Qui au meilleur des Grieux,
Achiles, vainqueur sur le meilleur du siècle, lui a donné
note dont ternie est à tousjours sa renommée? Qui à maints
autres chrestiens* et payons, avecqties dignité mainte de
haulx titres, leur a donné taches en leurs matateaux^ dont
moins ils resplendent? sinon ceux qui, parforciés de
vérité dire, ont proféré ce que vérité leur a fait concevoir;
Claire famé, que tu l'entendes, procède d'estroite coiltre^
garde. Donc, posé que les choses ne se plaquent aux vi-
sages des délinquans et se cèlent du temps de leur règne,
ne se coàuvrent point toiitesVoies es livres qui après eux
sespandent en diverses mainsi et là où se trouve^ veu-^
lent, non veulent» ce qtii est de leur fait. Mais ne dis pas
cecy à nul titre, fors par advertissement que qui glorieux
est et clait, se contregarde de polluant œiivre^ et qui mott
désire non impugnée de famé, se abstienne de ignomi^
liîeusement vivre.
YMAOïNATioN PRANçoisB. — FntittdeiHent, tu relièves
des ehodes beaucoup, et te boutes, te me semble, en une
haute théologie dangereuse, et à toy non moult néces-
saire. Te pourroit bien suffire si tant seulement tu réparer
ponvoies et sauver les aigres et Nuisantes paroles dé
cesttii hoitdne que tu deffeiids, sans y riens adjou^ter du
386 EXPOSITION
tieo» ne de tiouvel, quand ce qui est au principal mesmes
y est trop. Beau sire, ne te descous pas tant, et ne nous
quiers nulles matières nouvelles, qui en as assez devant
toy bien difficiles, lesquelles, premier que tu les saches
bien soudre, te donront à souffrir; et tout premièrement
droit-cy, où l'acteur dit :
François, François, remitiges vos ires, etc.
Que veut dire ton injurieux homme droit-cy : t Fran-
« çois, François, remitigez vos ires et ramodérez vos
« passions? » Nous veut-il corriger, ne reprendre en nos
mœurs? nous veut-il donner règle, ne discipline en ce qui
nous siet à faire quand il dit que nous nous remitigions,
que nous ramodérions nos passions? Où, ne en quoy est
l'esmouvement dont il se est perçu en nous, et par quoy il
peut avoir cause de nous enseigner? Et puis : « gouvernez
« vos haulx nouveaux empires ! » Nos empires sont-ils
nouveaux? nos régnations et. puissances sont- ce choses
d*huy et de hier, venues nouvellement en vivant d'homme
et à coup esvaoouissables? comment l'entend-il ? Où sont
les sauvetés que tu trouveras sur cecy et par lesquelles tu
le penseras à parer, qui semble nous vouloir corriger, qui
semble nous vouloir assagir et préaviser de nos meschiefe,
et avec ce nous réprimer en nostre ancienne clarté, disant:
que nos empires sont nouveaux et que mestier nous fait
de les gouverner bien.
ENTENDEMENT. — Damo Fmaginottùn , moult certes
t'est bien séant ce nom, et moult es proprement baptisée
en icelui, quand proprement il est tout tel que ta nature.
Tu as des fantaisies beaucoup en toy et des ymaginations
que tu estiines de grand poids, lesquelles, revisetées par
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 557
autrui main, setrouvent de trës-povre effet. Et, belle dame,
en ce présent article qui est le trente-sixiesme, que tu
maintenant eslièves si haut, quel chose a dit, ne escrit
l'acteur de quoy toy, ne autrui se doive troubler? Il a dit
« François, François > notamment par deux fois pour
donner à congnoistre la fermeté de l'impression qu'il a en
son cœur touchant vous, et par considération des choses
précédentes qui ont esté cause de son escrire, et parce
que mu de bonne àme, il vous a donné exemples et figu-
res, remonstrances et allégations salutaires pour fiiir
propre péril et à autrui donner paix et salut. Il vous re-
quiert que, si vous avez aucunes ires ou passions , comme
possible est, que vous les veuilliez amodérer et remettre
en douceur, par ardeur et affection qu'il a grandes de vous
voir en vostre paix envers ceux souverainement où il
affecte.
Donc, par povre confidence qu'il a en fragilité humaine,
qui de tant légier est desvoiable par diverses passions et
à coup encourue en péril grand, adjouste et prie : que
vous gouverniez tellement vos nouveaux empires que vos
noms et titres enfin ne vaillent moins. Et en tant que
François s'arrestent beaucoup sur ce mot t nouveaux em-
« pires» , et qu'il semble parlerrepréhensîvement en devers
eux, outre l'appartenir : belle dame, je laisse l'adresse de
ma raison envers François, et en toy seule je tourne mon
parler. Tu as uns yeux pour noter le mal, et non pas pour
percevoir le bien là où il est. Si l'acteur dit que l'empire
des François est nouvel aujourd'hui, entends-tu que ce il
doit avoir dit par ignorance, et qu'il ne sçust que c'est de
ce royaume, ne de son très-glorieux triomphe ancien?
Certes, tu le tiens à plus simple qu'il n'est, et plus igno-
rant. Âins le congnoitet entend; et par si bien le congnois-
3Sft EXPQSmpK
trç e^ çwtencl^, 1» glprifiç et prise suc tpute rijço, «Atre*
M^ais, quant au pr4sei;it touché, lA ot^ il dit « mpi^yoaux
c empires », , ce wuuifu ne seutend^ nue ^ur commence-
ment de royaume entrant en régQation nouveUe» maja
^ur commencem^ent d*hompies parvenu3 h règne en. nou-
velle amie fortune; lesquels encore^ par iiegard au. vieil
infortune don^ sont vuidés, soi^t en Te^cheU^ de rég^ation
glorieuse tout freschement remontés sus, de l^queUe, si
d'aventuroi par union désordonnée ou par autre accident,
illjBur çoQvenoit redescei^dre et estre ti;esbuciés en bas, ce
leur seroit faute grande et reproche ei^, lei}^ hau^ npms,
quand n'^uroienjt sçu garder en vertu, ce qu!ei^ vertu et
hapt sens avoient parohtenu et acquis. Sj n'eu est pas 1&
sentence si mauvaise, d^iqe, comme tu la fais; mais est
sai^e et honneste» et n'en est li^ remoimtrapj^e que vérita-
ble et utile.
Donc, là où tu viens h l^ conclusion de cestui. artic^e^^là
où l'acteur dit : que il siet avoir sens pour garder Qst9r
ble ce dont on a ^quis pleines ses granges, l'acteur dit
bien ; car voirement j a bien mistère et vertu de ^ypir
biens acquérir ; mais encore y a-il mistèijQ trop plus d'en,
savoir bien user apr^ l'acquisition, faite.
N'entends-tu que, tant que l'homme labeure et contend
^,une fin aucune, que, pour parvenir à icelle, il y subtile»
^ e^^pose tous ses. ee^rits, et y emploie sena et vertti,
soin et diligence pour y attaindre; et là. en. icelui estât
estril 2Hîtif,et8oi(gneux, pron^ptet mouvant; toosjoura, se^
désarme des^ choses grevables^à^sou intention.,, et s^ren^
force de. celles, qui lui sont utiles Qt vaillables; lequ4«
IMM^.enu à se:^ fin^ prend. gloire^ et. exu^tion grades. en.
son açqueat. Maiâ alors,, conune longuement tramiUé en
8oi| coutendrci, en la.tranqjaillité^ dei squ cpeur a^isi. a^.
scR vMrrK mâL prise. sb»
Impose; donûô ^uoieté à ses membres, dotme solaB* H ies
éifpriU et Tertt», lesquelles s^endorment et s'apparesitotft
totb enseûible avec le corps , parce que n'oât mais en
quoy eux exercer. Donc , comme haiseuse est mère de
péché, nourrice d'orgueil et de voluptés, extinction de
lumièM et d'Mtendement, devient à estre cause' slussi
de Mtè reperdre à l'homme 9on ax^quedt et de le* faire re^
dieoii^ en celui estât povre, là où consti^nte de sa dîure
fortune, lui- fit aherdre vertu pour monter avec elle. Sy
afppert droit^cy quelle différence il* y a enti^ le conten-
dant ef^le possessant. Le contondant, par constrsdutô, est
tbusjôurs solliciteur, plein de labeur ; et le posseSËâlit, pkr
naitare^ plein de délis etde vaitité de courage.
Ne te recordes^u quelles BomainS', taiidis que lÀbôu-
i^ient en amplier leuf seigneurie, ou que' par auti^s
rebelles à leur empire se l^ilvoient iûvadésf et veiés, que
dors ^es, ne volupté^ntâfes n'avoieiU Ueru avecques? eu^ ;
mais quand et sitostque se trouvèrent bras au dèsëûrë, et
que tf a^roient en quoy elert^itei^ leurs cohortes batalUe-
resses, tantost tous vices, toutes lascivetés, toUtel^' envies
et divisions, toutes murilitire^ et privées aflbèfions se bou-
tèrent entr'eux) efrvisans à^conVoitise et à partieûlier bien,
laiÉMtis* commune et gMëràle félicité, se mirent en par-
ties et en tumultes Fun contre l'autre', en guerres et en
tribulations enseiftble, et^en sourdii^nlfleë crudèles et in-
htmittfbes batdllëd civiles, lesquelles depuis, peu & péU,
"^ttans â*à!i liieschief en unisiltre, 1^ menèrent' jusque à
piérii'et redescendre en toute povrèté et affliction decœui*,
eU toute cbïif use- décadenee et servitude, là où aUjour-
dliiti enoei^'sont spectacles d'avoir^ esté'les plus glorieux
delà tifrfè, mais pai^ contraire de moindre MputatibU à
<M^ hteUrè^^* les ^àtts miséridtaès.
360 BXPOSmON
Dame, que tu l'entendes I Bégnation n'est e6taUe à
nullui, et n'en fut oncques nulle si longue que venue ne
soit à tennination. CeUe des Assyriens prit fin en son pé-
riode. Sy fit celle des Cartagiens ; celle des Macédoniens
pareillement ; et la damiëre et la plus haute, qui fut celle
des Romains, et la plus prochaine k nous autres, jà a mil
ans que elle est terminée aussi ; et en est esvanouie la
gloire, sinon d'autant que les hon^mes en prennent par
les escrits. Sy est venue depuis la régnation des Francs,
qui n'ont leur certaineté ne que les autres, combien qu'il
y a plus apparence de durée que ailleurs, pour cause que
la foy y est en son giron de repos. Toutesfois à doubler
fait que , après avoir duré jà mil ans, luttans et milîtaufl
contre fortune, maintesfois chus et maintesfois relevés,
finablement ne puissent venir au terme de leur période
aussi, et que, comme les autres sont venus à termination
par aucun H^ eux aussy, par un si non c<Mignu, parven-
dront au semblable, et tant plus tost comme plus s'esloo-
geront de ce qui plus les pourra faire durer : c'est union
et amour en dedans leur clos l'un avec l'autre, et justifi-
cation de leurs personnes par beaux exemples pour autrui
mettre en règle et en ordre par noblement vivre.
Or sçai-je bien, dame, que tu me veux remouvoir ques-
tion nouvelle ; et contondant tousjours à recharger cestui
povre acteur, lui imputer plus et plus cuisance de paroles et
d'injurieux mots ; et ce à cause de son trent^-septiesme ar-
ticle. Car pourroient dire François : que despitementleur
repreuve icy et ramentoit leurs aventures passées, disant:
« Trop a esté de vostre part cousteuse, et vous devroit
« estre chose annuyeuse rentrer arrière en sa grippe > ,
comme si l'infortune fust trop plus par devers eux que par
devers le parti de deçà, en quoy se peut noter injure et
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 361
reprenve non véritable. Dame, toutesvoîes, pour non te
donner peine de y arguer dessnis, moy-mesme je y viens
au devant et contends d*y donner Tappaisement qui y est
séant. L'acteur considère deux choses : Tune sy est le
très^victorieux bras des François que fortune a eslevé
maintenant, et lequel en sa haute exaltation se peut pré-
sumer de plus avant emprendre ; l'autre sy est, que les
couvertes haynes longuement portées se devront plus tost
montrer en temps de forte triomphante main que de foible.
Sy craint tant l'acteur ces deux points, que veuUant
avertir les François, que choses qui pendent en fortune, ne
sont point certaines en nulle main, souverainement celles
de guerre et de bataille, dit que : t guerre à ce lez (pour
€ ce que ailleurs ne lui touche), ne vous est beson-
c gueuse, sinon que vous soyez jà lassés d'avoir esté en
€ paix » ; et allègue la raison, disant que : < guerre vous
c a esté trop cousteuse de votre part» ; non pas cousteuse
que le coust vous soit venu de ce lez dont il parle, mais
que à vous-mesmes elle a esté trop cousteuse en ruines
de terres, de seigneuries, d'édifices, de hautes glorieuses
possessions, et de peuple innombrable comme les estoiles
du ciel.
Cestui-là est le coust que l'acteur y entend et pour quoy
vous devroit estre un merveilleux dur ennuy rencheoir
arrière en la grippe de celle malédiction qui n'a pas esté
tenninée eu vos pères, mais en. vous-mesmes; et y sont
morts et terminés vos pères misérablement. Et alors l'ac-
teur, affectant que demourissiez (élices et paisibles, et lui
avec vous, vous remonstre et dit : t Au fort, si vostrecœur
« ne se peut adonner & nous bien vouloir, veuilliez du
< bien à vous-mesmes, et flattez et baisez vostre propre
« fortune présente, affin que, moqueresse de nature et
sn EXFOsnm
< plnne^de lalkces, [elle] ne vous paye do sa âassÎBÎQa et
« de ses Tidllss cDastames. »
Dame, n'y a riens de mal, qui mal ne l'ediAend. Cap, poie-
gueœuvres auttrefois bonnes et honnestes peuvent estve in-
terprétées mauvaises et de mauvais effet, plus tost encore
paroles doubles, qui peuvent avoir deux et pluaieuift en<-
tendemens, se peuvent prendre en Tinterprétalfon "pire
par les cœuns moins sages. Exemple : tu eçais qu'en la
propre et mesme fleur là oit la noble mouche ipteoA son
miel, l*7ragne* vient après et y quiert son venscir. Ifest
toutesvoies la fleur mauvaise en soy, ne de riens pire du
venin quis. Mais est sa bonté nourrissement à deux coih
traires natures, dont en Tune elle est convertie en bien, et
en mal en Tautre.
L*8cteur après, désirant monstrer la fin' de sa coniten-»
danoe, ^Kure en:la personne de ceux dont il' parle, dit :
Houti quant ànoiis, nous désirons àyfrre, ete.
n démonstre assez que riens ne quiert, fors paix et
amour avec ses voisins, avec ses plus grands, avec ses
moindres, et que riens n'a en lui en quoy il se fie, ne sur-
cuide, par quoy yvresse ou abondance de félicité le flst
mespasser contraire de devoir, comme s'il désirast que
François fissent ainsi, et toutes autres nations. Donc, pour
plus les y attraire et vaincre, leur adjouste : « Si amour
f d'un sang, d'un ventre et d'un linage, peut ouvrer de-
€ vers vous de son devoir et naturel appartenir. » Quantest
de par devers lui, jamais n'en rompra ce que nattirney
ordonne à estte. Sy serait le salut à tous dëuiL quand
' FlfTogne, rsraignés.
SUR YÙffîik MAL PRISE. 3«3
uif^ \b^ feféieQt. Après condeBcrad h âouerav et letire
9Û0L QwiK d^loogs argumens ea spécifiant les parties de sa
bonne affection :
Noll^ TOUS Youdrionsaimei;, servir, daffiandre, etc.
Dame, quantes f<»a s'y est-oa offert à you3 vouloir
servir, hpo/orer et aime^, vous François? quaates fois
s*7 estron coucbé humblement à vous vouloir faire toute
asBÎatance, tout humUe et loial service, que oncques
offre u'oxi a esté reçue, ne bon vouloir & peina remercié,
parce ({oe là où les personnes ne sont guères bien vou*
lnes> à tact Isuss présentations se reçoivmt agréables. It
pour ceste cause, dit^il: € Nous le voudricms faire,
«. mai» qu'il vous plust l'accepter ag^able et récom-
c penser amour par amour, comme de nature requiert, a
Donc, parce qu'il congnoit et s'est perçu de tant de mali-
gne» courage» qui U/'enfoncent nulle bonté, qui ne con-
gnoissent nul» vertueux^ ne leurs œuvres, mais jugent
l^èrement sans assavourer leurs paroles^ pour et encon-
ti» tels^.gens, l'acteur soy enfiérissant, dit : qu'en usant de
leurs fiertés et hautaines^ disant : «Vilain, tu le feras » ,
on y est sourd, et ne les congnoit«-on, comme le oommnn
v^ilgaire liuigage porte : «.Si tu ne mecongnois, non fajjr-je
< toy ». Non pas que l'acteur le dio par abnégation de foy
et. de recongnoissance là où il la^ congnoit appartenir,
maia pai^ improbation. de l'orgueil de telles- gens qui si fol-
Tii^aiNAxiON. FAA^KÇOdSEB. — Né sçay, jSf^endement ,
que c'est de tes gloses; nudstapt sonne rudem^at ton»
texte que*]dus< na pourroit. Etne^ me peut s^nbler vdr,
qna Facteur y soit.^ courtois oommotta lery pares;^ parce
364 EXPOSITION
que tousjours plus et plus il se boute ou en jactance de sofl
fait propre ou en dépression du nostre, comme il appert
en son quarantiesme article.
Il se vante d*estre fier et puissant , d'avoir Tescliine
roide et robuste, et bras pour conduire grand fait, comme
s'il vouloit dire : t Si tu en as faim, sy en prends i . Les-
quelles choses sont hautaines et demi deffiemens. Donc,
pour nous plus enaigrir , dit outre : que, pour effort nul
que nous saurions mettre avant, nous ne pourrions desra-
ciner la puissance qui y est, et que Tassai n'y vaudroit
riens, car la folie en pourroit bien rendre un grand grief
à l'assaiant. Gomment pourroit-on plus aigrement parler
à hommes, ne si cuisamment, sinon à intention de les vou-
loir mouvoir et provoquer au débat? Et que cela soit vrai,
vecy le quarante-et-uniesme article après , qui le déclare
tout et outre.
Icy veut ton acteur dire : que ce que vous nous sentez
roides et puissans, non craignans vostre effort, c'est ce
qui vous cause et donne vostre envie sur nous, et que si
nous fussions l'un borgne et l'autre louche; ainsi qu'on
pourroit dire deux tigneuis et un pelé, meschans et ché-
tifs sur qui on pust avoir commandement, lors serions-
nous prest à vous vouloir du bien comme aux autres
communément ; mais il se conviendroit garder après de la
cachoire par laquelle on fait saillir avant les compagnons.
Ne sont-ce pas beaux mots, sire, et bien amiables, pour
venir à bonne conclusion et pour mettre paix entre deux
débattans; qui encore loue Dieu et lui rend grâces de ce
qu'il lui a preste prince et tel champion que le saura
bien garantir et deffendre à rencontre de nos estraignans
grippes, lequel ne feroit par menaces, ne craintes, riens
. tant soit peu, jà-soit-ce que nous le cuidons; mais l'at-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 365
tempter y seroit périlleux. C'est assez courtoisement me-
nacer et assez couvertement mespriser son compagnon.
Entendements doncques que voudras-tu dire droit-cy?
nous sauras-tu faire de ce venin, qui droit-cy est, sucre
ou miel? ou quelle confection nous en feras qui nous soit
bonne?
BNTBNDBMBNT. — Dame, ouvis meurt qui appris ne Ta;
et envis se rend mat et vaincu, qui a en soy vertu suffi-
sant à defience. Tu m'as droit-cy proposé trois articles,
dont du premier tu te plains, disant ': que Tacteur use de
jactance en la personne de son parti, soit son maistre ou
autre; et secondement use de dépression en François par
hautes sures * paroles dépressives, comme la lettre le tes-
moing^e. Pour quoy , pour t'en mettre à ta paix et sauver
l'acteur en son équité, d'autant que j'en comprens, avis
m'est que si tu as entendu la distinction que j'ai faite en
l'article devant, des hommes françois dont les uns sont
pleins de savoir et de bonnes mœurs (et ne chiet nullement
les impropérer), les autres sont gens partiaux, adonnés à
diverses affections non bien à raison concordantes, non
bien discutant parfondément une matière, légers en leurs
mots, présumptieux en cœur, avancés par fortune mal
juste, qui, avec autorité non mérie, conseillent et pro-
posent souvent choses non méritoires; lesquels l'acteur
congnoissant estre non profitables çà envers, non fort
affectés, ne délibérés à y vouloir aucun bien, ains du con-
traire largement, et que toutes les chétivetés des questions
qui régnent aujourd'hui, d'eux procèdent: l'acteur adresse
son langage à eux et à nuls autres , et en telle qualité
comme il les congnoit estre par deçà envers, en telle qua-
> SwrtSf seufis, amères.
366 EXVOSmON
lité proprament il hs amdflonne et redarguë , et leur
rMttonftre hardiement : qae par deçb on «8t tout autM
qua peut-estre ik ne penaant, ne entandeat; car n'en
congnoiasentnele parti, ne laa marches, parce que oncquea
ils n*y furent. Sy leur dit Taotaur» et dit vn^ :
Cœoi* avoua gros «i avona roida eschiiiei «te.
comme s'il vouloit dire : < Ce que tous ignorea^ je le tous
« remonatre, non au très-noble toj trèa-chtestien» le bras
c souverain du monde à qui nous sciâmes suppos et bien
« veuUans comme vous, mais à vous autres, beaucoup
€ de gens descongnus, enfiéris en vos aveuglées fortunes»
« gens de petite estofie, qui vous vantez et présumes de
c cecy et de cela, et ne quéres que discordes et divi-
c sions , pour continuer en vos vanités en quoy estes
c nourris et parcrus. »
A vous, teUes gens qui ne prisez nullui que vous, on
vous remonstre» que par deçà est roideur et puissance»
savoir et hardement, que tous vous, la seule personne
royal soy tenant quoye, ne sauriez miner, ne mettre à fin;
car y est telle la roideur« qu*encontre toute région autre,
fors France, pourroit mettre pied ; et y seroit Fattemp^
tement périUeux pour vous autres d*y vouloir faire
escart.
En quoy l'acteur entend deux choses : l'une «y esl«
touchant la nature des pays et du peuple qui n'est pas
mol, mais a esté assez examiné autrefois, et congnn, passé
a mil ana, dont la recordation ne lui est pas remèse
obscure; l'autre point que l'acteur y entend sy est, que la
nation de deçà a un prince belliqueux, tel en gloire et en
pris, comme ses maintes hautes et glorieuses œuvres ont
SUR YÈMtÈ UàJL PEISfi; 3«7
œéri iMiates fois, et à qui Dieu oaoqoes enoo» n'a fiouf-
fert qu0 morsu» lui ait esté fahe^ ne en sa tito-noUe
persoJiiia, ne en «i tièe-liaiite non entamée seignourie,
pour laquelle daffendre il exposeroit Fàme et le corps; et
sur la confidence d*icelui et de ses hautes eheyaleureuees
Tertus non onoques subjuguées, Taeteur, en la personne
de son parti, dit ce qu'il j congnoit, non pas à ceux dont il
pourroit traire reprélieneion de mesdit, mais à ceux qui
valent et sont dignes qu'on leur monstre barbe, et qu'on
leur paye semblable par semblable. Sy dit bien vrai
Taeteur, quand il dit en son quarante-et-nniesme article :
que ceste puissance et roideur qui est tant en la personne
du prince comme de ses subjets, est cause à vous et nourri-
ture de vostre envie, quand tout clair est que envie jamais
ne se oongrée contre un mescbant, ne jamais ne s'enve-
nime en une chose basse, ne foible, mais en une chose qui
l'approche en égalité ou en surmontance, comme vous,
qui infélices à voua-mesme avez envie de la félicité de vos
prochains; lesquels, s'ils estoient si mois et chétifs comme
vos fiertés affectent et volontiers verroient, souffireriez
estaindre envie à l'aventure et monstreriez en ce lieu une
fainte amour, dont la fin seroit servitude et suppédita*
tion.
Déal dame, sans que l'acteur ait renouvelées droit»cy
oeetes manières de faire, sy sont-elles trop et trop longue-
ment congnues. Par quoy, si vérité avoit lieu d'estre oye,
la narration aussi en seroit bien utile et convenable ; car
pitié est et une chose désolable, qu'en un royaume et
sous un mesme chef à qui tout respond, cestes envenimées
rumeurs et envies régnent et durent, et que Dieu visible-
ment ne punit les uns et les autres, par lesquels tant de
périls s attendent en la chrestienté.
368 EXPOSITION
Et comment I dame, n*entends-tu que haine et envie
sont deux tisons de Tennemi, par lesquels autresfois il a
fait cheoir ce noble royaume en sa grippe» perdre tout et
anichiler jusques à &mes innocentes par millions? Et
comment doncques, si tu congnois tels ces deux tisons, et
par science et par espreuve, les y pense-on tenir par héri-
tage? les y quiert-on à faire régner possesseurs par na-
ture? C*est bien doncques une dure malédiction pour les
hommes, et finablement petit espoir de salut. dame, si
tu savoies ce que Mémoire m'en raconte, et sur quoy je
prends pied ferme en mon parler, bien diroie que assez suis
expert de ceste hayne et envie de vous autres, quand seu-
lement maintenant Mémoire me prie d'en réciter un cas
que longuement a tenu reclos : c'est que un noble
homme de ton parti, ayant charge de cent lances autrefois,
parfois aussy de plus grand nombre, soy trouvant enmy
aucuns de la nation de deçà , desgorgea en publique , si
Bourguignons et Sarrasins estoient en bataiUe l'un contre
l'autre, il se tireroit de la part des Infidèles contre les
Bourguignons ; et s'il convenoit faire rjin, ou aUer sur les
payenaou sur les Bourguignons, plustost iroit en la dé-
sertion des Bourguignons que des payens*. Cecy m*a ra-
meotu Mémoire droit-cy , comme celle qui l'a conça
vivement une fois et le bouta en coffre. Donc, par l'exem-
ple allégué, l'envie et hayne de vous autres qui tels estes,
est bien à redoubter , et juste plus et raisonnable d'estre
remonstrée, puisque si clairement est congnue, non pas
en celui seul homme, mais en plusieurs autres, de quoy
le conte se tait.
Donc, si l'acteur voyant et considérant vos natures
« Cf. tome V, p. 443.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 389
enfellies desraisoDnablement encontre un homme innocent,
un prince juste et preudliomme qui ne quiert que paix et
amour, équité et droituriërement vivre , aimer là où il
doit, et servir, garder et deffendrece à quoy Dieu Ta
commis, et que les expectations fînablement de telles
racines mauvaises sont guerres et entreprises de Tun sur
Fautre, confliction de puissances contraires, notamment
loue Dieu, quand il lui semble que encore vit celui en
cul baston si vous contendez à mordre, qui se saura bien
defFendre, et lequel véritablement, comme dit Tacteur,
et comme se trouve par expérience de sa nature bien
examinée autrefois, ne feroit rien par menaces, ni cré*
medr, si le faire ne lui procédoit d'autre plus noble
racine de cœur. Car est celui qui oncques ne conçut peur,
ne qui oncques ne fléchi Toeil sous main fîère; de quoy
ceux dont il trait origine, le doivent honorer et priser,
et plus encore quand Texécution y est avec le cou-
rage.
Y a aussi un autre point droit-<;y, qui excuse Facteur,
et qui lui peut estre cause de parler un peu haut, non
pas en la personne de son maistre, mais de ses subjets;
car iceux subjets, dont il en y a de divers pays et de di-
verses conditions, sont de diverses natures aussi et de di-
verses affections anciennes, qui ne sont point du royaume,
ne oncques subjets à icelui, et desquels, à Faventure,
les affections anciennement ont plus tiré ailleurs que
envers les François , et encore aujourd'hui feroient , ne
fast la bonté du maistre , qui les tire devers vous joints
avec lui. Donc, ce qu'ils vous honneurent et faveurent,
n'est pas par loy de nécessité, mais par révérence et obéis-
sance faites au maistre, avec qui sont contens de prendre
toutes querelles, comme avec leur roy et souverain, dont
Toa. ri. Si
370 EXPOSITION
autre ne reeongnoifleent, jà-aoit-ce que roy ne soit point,
sinon en leur edtinie.
Donc, et si un tel peuple qui est si grant, et qui
oncques ne s'est trouvé joint là où il est aujourdliui, posé
qu'il veuUe bien recongnoistre et honorer la très-noble
personne dont il sçait bien que son pair n'a en la terre,
n'est pas affecté pour tant, ne constraint de ployer envers
les autres membres dessous celui, lesquels il perçoit et
congnoit estre rudes et pleins d'argus envers leur seignear
et prince, et par chascun jour pleins de nouvelletés et de
hautaines très-despites , comme non mie les nobles et
royales perscmnes des seigneurs du sang, mais povres gens
de fortune, compagnons de sauvage venue, mesmement
et par coustume ceux du parlement, qui non faisans poids,
ne pris de lui, ne diffèrent à l'injurier et de lui faire ou
faire faire rudesses , là où semble avoir faute de pru-
dence, et encore plus de noble et saine raison , qui dès le
principe du monde conseille de traiter les hommes selon
leur qualité. Déa! dame, entends bien : oncqués ton
royaume ne reçut un tel suppos , oncques nulle telle
branche partie de son tronc, oncques nul tel subjet, ne tel
serviteur, oncques nul tel ami, ne si propice, oncques nul
de tel poids, ne de telle roideur. Sy ne devroit pas esire
traitable avec les communs membres, qui, passant toute
puissance et ancienne production, se trouve traité mainte^
nant à la oorgée ' par ceux dont lui-mesme se est plaint
souvent, et qui n'en sont ne de valeur, ne de prix, là où
hayne se descouvre et envie, et se cachent volontairement
honneur et preud'hommie derrière l'uys , comme qui n'y
a«cônteBt. De quûy plusieurs je doûroie bien exemple, si
* AMeofffte, sa bAton.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 571
je vouloie, qui mesmes ati trèa-nôble et prudent cœur du
roy net sembleroient ne justes, ne honnestes, et ne fust que
celui de Lille, une fois, là où un sergent de parlement
vint rompre à marteaux de fèvre la prison de ce duc, lui
' estant joignant à six maisons près , pour toutësvoies un
garnement le pire des autres, dont il estoit suffisant assez
pour en faire justice et raison. Sy procéda cëstui exploit,
non pas de la très-noble personne du roy, mais de ceux
de son parlement qtii si peu prisoient sa personne. Et,
dame, ne penses-tu point que telles et si faites besongnes
animent le peuple et le retirent d*a#ection envers vous,
quand vous, si peu prisans un tel prince leur duc, aguil-
lonnez par al faites pointures et rudesses, qui tant leur
est parfbnt en leur dilection, comme nul roy autre à son
peuple dont aifné est et obéy.
9BANÇ0IÔB TMAGiNATiON. — Ffîteniemtnt , né sçay si
ta cause est juste, comme tu la couleures de divers pare*
mens, mais ne puis entendre quelle différence tu peux
mettre entre le roy et ses siibjets, entre la royale majesté
et ceux qui Tadestrent, ses princes et barons, ensemble
ceux de sa justice et de son conseil , quand ce que son
conseil est, le roy est, et ce que ses nobles princes et ba-
rons manient ensemble , ce mesme se conçoit et retourne
€fn la personne royale, par tel ^î', que qui Tun bonneuré,
honûeure l'autre, et qui l'un injurie, l'autre il blesse. Sy
m'esmerveille coçiment tu penses choses de si grani poids
et de telle aigreur parer par argumens de si povre effet
6t qui ne sont pas suffisans à la substance du cas, en-
tendu encore que cy-après ton acteur, en continuant son
œtlvre plus et plus , continue toùsjôurs en dures paroles ;
« Par tel si, par telle condition.
374 EXPOSITION
lesquelles, jà-soît-ce que tu les poiles * et racles icy et là,
cuidant les nettoyer, demeurent toutesvoies pleines de neux
et de superfiuités bien rudes, par lesquelles elles donnent
à entendre leur nature silvestre ; et prestement droit-cy
arrière, en son quarante-troisiesme article, là où il affirme
et dit : que c'est chose claire et fort congnue de cbascun ,
qu'en ce royaume n'a rien que un homme trop, lequel, si
Dieu l'avoit mis à l'envers par mort, François auroient les
bras au desseure alors, voire ce leur sembleroit; mais
sachent bien toutesvoies qu'en celle heure quand il défi-
nera, qui leur sera bien dure, l'honneur du siècle mourra
avec lui.
entendement, icy a moult de haulx langages que je
ne sçay à quoy ils servent; les uns sont advinémens et
portent charge à aucunnuy , les autres sont supposemens
qui n'ont point de fondation , les tiers sont vantises et
exaucements qui autrui dépriment. Donc, pour amplier
encore plus cestuy article et l'accompagner par sentences
plus couvertes, dit conséquemment en son quarante-qua-
triesme article :
Affectez fort sa mort et sa raine, etc.
comme s'il voulsist dire que ce fust l'honneur et le sous-
tènement de France et l'estoile tremontane dont tout se
gouverne; et sy ne savons qui il est, car nous n'avons
que un roy, et autre ne nous loist congnoistre.
ENTBNDEMEi^T. — Damo, sî à toy cuisent paroles que tu
littéralement entends , et n'encherches point les racines
dont elles procèdent, àmoy ennuient aussy les déclarations,
* PoiUr, ôter le poil, mettre à nu.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 375
lesquelles, si j'en veux user bien, flottent tousjours et se
plongent en matières odieuses, parce que le fondement de
nostre matière présente est odieuse en soy; et ne s'y peut
fidre édifice , tant soit juste en compas, que l'ouvrage en
plaise, ne d'une part, ne d'autre. Toutesvoies, je t'avoie
prié autrefois, que tu-mesme misses la raison devers toy ,
et qu'en escrutinant les matières en leur parfont, tu en
fisses le jugement au plus près du sain. Or n'as ce fait ;
mais me vas impugnant tousjours en mes solutions, comme
si tu me voulsisses prouver menteur ou homme sophiste
qui n'a que apparence de couleurs et point d'existence ; de
quoy toutesvoies les solutions bailliées sont preuve du cas
et de ce qui en est, et de quoy la réalité mesme de nostre
matière radicalement me donne assistence. Mais, comme
j ay dit, sur mauvais fondement ne peut-on faire édifice
bon. Encore le redis-je, car nostre matière à tous lez est
fondée sur hayne et envie , repreuves et accusemens ; sy
n'en peut estre l'ouvrage que contentieux, plein de ru-
meurs et de desplaisirs, tant aux arguans comme aux
voians, non obstant que faire en convient son profit, chas-
cun endroit soy, le plus bel que pourra. Donc, moy pour
la part de l'acteur duquel je congnoi le bon vouloir, ay en-
trepris de le deflfendre h rencontre de ses indignans; et
toy, pour la part des François qui se deuUent de ses escrîts,
de le mettre en question sur l'entendement de ses clauses,
comme maintenant, après en avoir jà fait grand nombre,
tu lui reproches ses aigreurs qui tondis se continuent et
vont en montant; et lui imputes charge de adeviner sur
l'honneur des François, quand il affirme et juge estre
tout clair que l'on désire en ce royaume la mort de ce
duc sur tous autres hommes, avec les autres clauses qui y
sont. Dame, combien que ce langage-icy est dur pour en
374 EXPOSITION
tenir qaestipni et que mal se peut vuidier sans ronger au
dianteau* de quelqu'un, sy dois-tu entendre : que les fins
de tous ouvrages doivent estre du mesmes de leurs prin-
cipes, et que les moyens qui sont entre-deux ne peuvent
estre autres que de la nature des extrémités. Si facteur
eust encommencié une œuvre de douce et agréable osten-
f ion, il eust quis les moiens tels que servir pussent à Texé-
cution de sa ^, comipe autresfois a fait, à la haute
exaltation de vous autres que maintenant il déprime. Mais
ore a-il esté point de matière de rigueur ; il a esté vexé
en courage de passion conçue; et pour icelle vuidier à in-
tention de fruit , il a composé son œuvre à la mesure et
qualité de sa conception , là où présentement en cestui
article, en ensievant son proupos, il maintient et déclare
que rhomme de ce royaume qui y est trop, c'est le duc son
maistre, lequel toutesvoies est le prince du monde 6n qui
le plus a d'honneur et qui mieux y est séant vivre. L'ac-
teur, dame, parle par mamëre d'induction qui naist des
prémisses; et lui semble que, selon les choses alléguées
dessus, que vrai dit. Il parle aussi après autres assez
plus d'un, qui ce mesme racontent et maintiennent. Il
parle aussi par expérience des choses faites et dites, qui
ce mesme cas vérifient et approuvent. < Donc, ce lui est
t douleur, ce dit , et passion que ainsi en va, et que une
« si noble génération, comme est celle de France, se souille
< et se ternit en une si noble nature d'homme. » Et est
voirement cas de pitié et de triste effet, quand, par envie
ennemie de tout clair titre, haulx et nobles cœurs d'hom*
mes abusent de leur devoir , et que ce que dussent aimer
et honprer, ils le contempnent et dépriment, et quiè-
* Cltfn/M», morceau.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 37S
rent voies et moiess de le persécuter; Donc, ce n'est ini0
merveilles si beaucoup de meschiefs advienaent et escan^-
dres, quand si faites et si plorables en sont les causes et
racines.
Or doncques, pour venir à Tintention de Tacteilr que tû
accuses, dame, de adevinemens sur- les François , Taeteut
respond que non ; mais est son dit fondé en vérité et en
{preuve, parce que tout clair est que d'amour n'y a-il
nulle envers lui, mais envie grant, et par conséquent
faayne, de quoy la fin est mort. Donc, si vrai est qu'il y a
des conspirateurs à l'encontre de sa personne , y a aussi
des Bouhaideurs de son mesohief , qui est fin ultime d'ap-
pétit mauvais. Sy ne ment mie l'acteur, combien que cela
griève à cœurs ennemis, quand il dit, que « l'honneur du
« monde faudra avec lui quand il mourra; » mais dit
chose véritable , quand ton roy mesme , l'aigle du mondé
et le plus haut prince , autrefois par ci-devant a confessé
propre, là où en parlant de lui par humilité, plus que
par son mérir, le jugeoit le plus vaillant chevalier de sa
maison, et en qui plus avoit d'honneur qu'en tous eux',
en quoy soy amendrissant en dessous de son moindre,
se fit exalter tant plus comme plus se humilioit en devers
celui dont il estoit plus grand. En est demeuré toutes-
voies le mot en la terre , qui jamais n'en part : non pas
que par tant , l'acteur le juge meilleur de celui qui le
loue, mais bien il conferme son honneur et appreuve
par dit de si noble bouche , et par ce aussi que vraisem-
blable est, que un si glorieux mot ne fust parti jamais de
bouche de roy, qu'en vérité et précédent mérite. Sy en
maudis bien fortune et les mauvais hommes, qui ont mis
l'obstacle entre-deux, qui jamais, à leur haute félicité, à
leur merveilleuse joye et consolation , à leur perpétuelle
376 EXPOSITION
gloire et salut, dame, à Texpectation de leiir mort plus
douce et mieux contentée, et à la parfaite et toute entière
l)éatitude de ce royaume branlant, ne se sont entrevus en-
semble, ne se sont entresentus et conjoïs en leurs deux
nobles natures, en leurs nobles glorieuses et vertueuses
conditions, qui en leur adjonction eussent espanouy
cœurs, commu veines et entrailles, converti sang et ra-
cines en fleuve de larmes, qui tous par abondance de
* joye se fussent résolus en pitié. Sy en soit maudite l'heure,
et Tennemi d'enfer aussi, qui à ce noble royaume, ne
mesmes à eux propres, n'a voulu tant de bien, sans lequel
tout n'a esté riens qui fait est, et par lequel tout eust esté
intériné en union indissoluble, qui maintenant est dissol-
vable par une légiëre entreférue senestre et de mauvais
accident. Dame, doncques ce n'est mie peu de chose que
d'un corps honoré; ce n'est mie perte petite en un
royaume, de perdre un preud*homme de tel estime, un
tel chevalier, lequel , si François l'eussent voulu traiter
bien, en l'absence de leur roy ou en son commant, il leur
eust esté champion et tuteur, présentacle de sens et de
vertus, à rencontre de toutes nations foraines, dont le bras
• seul autrefois a valu mille chevaliers. Doncques et si l'ac-
teur dit après complaignamment :
Aflëotez fort sa mort et sa ruine,
Et lui plaindez sa vie bien heurée,
n'est de merveilles s'il chiet en ces termes, quand il le
congnoit si peu grevable k vous autres, si peu contraire
à vos félicités, mais par contraire tant propice et bien
séant à vostre durée et régnation, au décorement de
vostre haut glorieux thrftne, là où se fust trouvée paix, si
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 377
vos fautes ne fussent; non pas pour amendement de sa
fortune , non pas pour ampliation de sa seigneurie, mais
pour ostention de sa très-ardente, charitable et toute
humble affection de sa nature, noiée toute et plongée en
léauté, liée et restreinte en honneur et en toute condition
séant à noble homme. Par quoy , non sans cause dit Tac-
teur : que quand on le perdra en ce royaume , il s'estain-
dra en son thrône Testoile qui plus clair y luit et de qui
plus tost on se percevra de la faute emprës le soleil, qui est
le roy dont les autres prennent lumière. Dame , doncques
contente-toy de cestui endroit, et ne te arguë à rencontre
de ce povre acteur, jusques en plus aigre et plus estroite
cause que ceste n*est. Tu le trouveras à but; car ne dit
chose que raison ne te fasse congnoistre mesmes, et qui
bien entendue ne tourne à ta grant joye propre.
TMAGiNATiON. — Sire Entendement^ j'entends bien ton
cas. Tu fuis toujours et recules arrière du danger ; et ne
veux bouter ton doigt, ce me semble, au pertuis estroit,
de peur que tu ne Ten retires non sain. Tu fais sens, si par
ce moyen tu ainsi peux évader le péril, et si estroites et
cuisantes matières parer par telles eslonges. Or çà, si
vraies sont et justes, vraies soient; et si autres, tu de-
meures en la fange de ton mesdit, et nous en la lésion.
Appert bien toutesvoies que tu redoubles forment tes
escrits, quand par si subtiles voies et circuitions foraines
tu viens à Tatouchement de la plaie, et nous fais & croire
qu'elle est nette et curée, et y sentons toutesvoies le re-
main de l'ouverture, et ne nous semble pas que tes
ongnemens suffisent pour icelle curer, parce que nostre
lésion est trop parfonde, et la plaie trop meurtrièrement
faite d'un poinchon merveilleusement agu et délié. Sy me
semble que, quelque chose que désormais je te propose, jà
578 EXPOSITION
n'en tirerai autre fin. Tousjoura tu te sauveras ea tes sub-
tilités, et ne venras jamais à regéhir nulle offense : sy me
vaudroit mieux taire que de maintenir cestuy estrif , là où
tondis tu veux avoir droit. Au fort, voise comme il peut ,
et je te parorrai jusqu'en la fin, puisque si avant sommes,
et tu me assouffiras en mes difficultés autres qui encore
restent, les plus périlleuses de meshuy. Mais maintenant,
sirel à quel conte vient l'acteur droit-cy faire une grant
héraudie des louenges de son maistre, si ce n'est à inten«
tion couverte de vouloir déprimer autruy et donner à
congnoistre que riens n'est qui l'approche? Tu sçais, non
obstant ce, que toutes comparaisons entre personnes iné-
gales sont odieuses, et cuist au plus grand ce qu'est donné
à son moindre outre mesure. Ton homme nous en fait cy,
ce semble, un dieu immortel, et que les neuf preux à peu
ne sont que ses pages. Dont lui procède ceste haute glo-
rification, ne dont meut à ton acteur de lui baiUier ces
haulx titres, après nous avoir dit des injures beaucoup, si
ce n'est à entendement de nous faire obscurs et noirs em-
près sa splendeur? Déal nous créons bien que ce soit un
gentil chevalier et un vaillant prince, mais non pas de si
haute exaltation comme il le fait, c C'est, dit-il, l'honneur
« du trésor du monde. C'est, dit-il, 'le miroir des roys et
« des princes. C'est, dit-il, la perle des régnans, l'aigle et
a soleil qui survole tous les bons de son temps, n N'y met
exception nulle, mais dit que nul n'y peut estriver au
contraire. Que diras-tu. Entendement» de cecy? Est-ce
cas qui appartienne à faire? Est-ce chose qui duise, d'ex-
toller taqt un homme, que autres s'en peuvent sentir
foulés? Beau sire, que tu m'en apaises un peu, et que tu
me donnes l'entendement de ces quatre couplets, qui font,
tous mis epsômble, quarante-huit articles.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 579
BNTEHDEMBMT. — Dame, ne m'est guères de résumer les
argumens que tu m'as fait présentement, touchant eslon-
ges et fuites que tu m'as imputées, car je n'en quiers
nulles. Je quiers solutions yéritables et claires de cestuy
povre homme-icy , qui grossement et sans viser à mal, a
produit, à intention de bien, ce qui en est, imaginant en
luy-mesme que hommes raisonnables , tant fussent-ils
haulx, ne grans, pussent et dussent oyr et souffrir dire
vérité, vu encore que vérité procède de Dieu; et n'en est
nulle, tant soit aigre, ne estroite, qui de Dieu ne prenne
sa dépendance. Donc, par considération que tous sommes
à Dieu, et tous conjoins et unis en une foy, pensant que
vérité reboute erreurs, comme le soleil, les bruines, se est
bouté cestui homme en spéculations véritables, lesquelles
matérialement conçues, les a mises en escrit au plus près
du vif, espérant que par la clarté d'icelles beaucoup d'er-
reurs se puriâeroient, et en deviendroient les yeuz et les
entendemens des hommes plus sains , lesquels, par con-
traire de son espoir, en sont devenus tous indignés, plus
empeschés et plus ténébreux que par avant, comme Dieu
souffire, et veulent, espoir, les aventures du monde,
qu'ainsi en soit. Dame, doncques, puisque vérité ne quiert
nuls angles, ne absconsemens, ne lui est besoin aussy,
pour estre soustenue, de quérir nulles fuites sans venir à
réale response ; ou autrement vérité auroit honte de celui
dont elle part et en qui est tout son retour, ce que non a,
mais elle est baude et fîère de soy comme lyon, et de sa
nature victorienne et confonderesse des cœurs doubles.
Pour venir doncques à la matière en son continuer, tu
me demandes qui meut l'acteur d'avoir fait ces hautes
louenges de son maistre, qui a beaucoup de plus grans de
lui et' de meilleurs régnans? Donc, pour solution de ces-
380 EXPOSITION
tui point, et je te redemande & toi-mesmes , qui est-ce
qui a mu vous autres François prendre et bongréer l'envie
et la hayne à rencontre de lui de si long temps ?Contente-
moy et me donne solution de cestui cas, et je te donrai
promptement après la solution du tien ; ou si tu ne veux
respondre, moi-mesme ferai les deux personnages, et je
responderai pour toy.
Vostre envie ancienne, dame, et nouvelle, n'est causée,
en vous fors de sa béatitude, de la gr&ce et superéminence^
de gloire que Dieu lui a donné en terre, dont courciés en
courage couvert, autrefois avez quis à restraindre icelle
par rudesse et comprimer par hautaines bien estranges,
comme dame Mémoire, au commencement de nostre con-
vention droit-cy , a suffisamment donné à congnoistre.
Doncques , si tu veux solution de ta demande, quiers-la
en la racine de ton viôe ; car lenvie que tu as, ne te pro-
cède qu'en la perception que tu as de sa gloire. Bien
entendu que envie jamais ne se congrée contre un mes-
chant.
Donc, et si plus avant tu quiers solution, et que tu ne
te contentes de ceste-icy seule, vez n'en cy une autre qui
moult est vive, et qui te pourra suffire si tu entends raison.
L'acteur droit-cy a regardé à deux choses : l'une sy est
que François contempnent ceste noble personne de prince,
comme feroient une chose vile qui est digne de contemp-
tion, qui en lui toutesvoies n'a riens qui soit contempna-
ble; l'autre sy est que François lui donnent Qt imputent
charge qui lui touche à l'honneur , et lequel lui est plus
cher que sa vie. Pour la première considération, l'acteur
veullant remonstrer ceste contemption estre mal causée,
met les causes par lesquelles fait à extoller. Pour la se-
conde, veullant rebouter leur erreur, afferme et publie les
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. S8I
hautes conditions et clartés qui y reluisent , tout en con*
traire de leur maintenir. Non pas que ce il fasse en rava*
lement d'autres, non pas que ce lui provienne par hayne
en nulles glorieuses personnes, ou pour flatter les oreilles
de son maistre en son vivant ; mais par vraie et vive vé-
rité en lui congnue: que la personne de lui est nette, pure
et incorrompue envers honneur, et claire et glorieuse entre
tous autres en toutes nobles et excelses vertus et bonnes
volontés, dont maintes a monstrées et donné à congnoistre
par œuvre et par effet, ignorées peut-estre ou non recon-
gnues. Par quoy, si Tacteur lui baille excellence de titres,
ce ne m'est point estrange, quand il y perçoit les singula-
rités qui les mérlssent, et qui en autres lieux beaucoup ne
sont pas communes. Donc, comme ses envieux conten-
dent aigrement à le déprimer, il , par contraire, contend
aigrement à leur en ronger Tongle, et le mettre en haut
siège, tendant tousjours à telle fin que de réduire, par
vertu de vérité, les cœurs errans à congnoissance de leur
salut et de propre honneur.
Sy ne faut exposition nulle sur ces quatre couplets ',
autre que la littérale; car ne sont que exaucemens et
louenges de sa personne , qui toutes s'entendent sans y
exposer riens, réservé seulement, comme la protestation
porte au premier : que l'acteur ne comprend nulle part la
personne du roy, à qui il congnoit son maistre non vouloir
estre équiparé. Non fait-il à nuls autres; car se humilie
envers tous, jà-soit-ce que l'acteur de soy-mesme nulles
autres n'en excepte que la seule une de qui il ressong^e
les comparisons. Par quoy, là où il dit : que c'est l'aigle
et le soleil des bons; que c'est la perle des régnans; que
• Le XLv«, xLvi«, xLvii* et XLvm«.
582 EXPOSITION
c'est le miroir des roys et des princes ; que c'est Thonnear
de France et de l'empire; que tout noble cœur devra
pleurer et complaindre à son décès : l'acteur lentend si
précisément en termes d'honneur et de devoir, que riens
de ce qui au noble roy françois touche, n'y est déprimé, ne
compris, mais lui redonde en aide et confort de son glo-
rieux thrône, qui tant plus sera clair et luisant, comme
plus il recevra décoration de précieuses pierreries.
Dit l'acteur toutesvoies, en la fin de son quarante-
huitiesme article, un mot cuisant que je sçay bien, dame,
que tu l'as noté; et est, qu'en lui donnant l'issue de ces
louenges, il dit : que c'est celui du monde qui plus prend
cure et soin de l'honneur et félicité des François, mais ne
le peuvent aimer, ne lui bien vouloir.
Quant au premier point, l'acteur dit bien, et sy dit
vrai , car il en prend et a pris soin et cure, voirement de
tout temps; et ce a bien voulu monstrer, non pas en un
endroit, mais en cent, comme le plus léal vrai François
qui vive; et a fait son devoir en ceci, et ouvré de noblesse
de cœur et de nature.
Mais là où il dit : que aimer ne le peavent; cela dit-il
impropéramment, parce que telle rétribution est injuste, et
que autrement devroit estre recongnu comme preudliomme
et léal, qui, seul après le roy, peut mieux monstrer sa
franchise et libéralité quelle elle est, et quel escart aussi
il pourroit faire, quand voudroit , es ennemis de ce royaume,
desquels il n'aconte guères, si ce n'est que constrainte et
compression de vous autres, forcéement lui en donnent
cause , qui dur lui seroit. Mais mort est plus convoitable
à homme glorieux que foulure.
FBANÇOiSE TMAGiNATiON. — Voiremcut moustro bien
ton homme que las n'est pas encore de mordre, et non pas
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 38S
tant seulement pai' ce que tu as dit maintenant, mais par
ce qui ensieut et naist de celui après, là où il dit :
Ail» par doleur de sa béatitude, etc.
Peut-on plus manifestement reprendre gens, ne les cor-
riger de mésus? Avis m'est que nenny. Or respons cy.
Entendement^ et y sauve ton homme, s'il y chiet.
BNTBNDEMENT. — Dame, quel sauvement y quiers-tû,
fors celui qui mesme se tire de vos faits? une chose est
ou non est. Si vos gens ont fait chose qui fasse à re*
prendre, pourquoy se veulent-ils doloir de répréhension?
Pense homme oser faire aucun mal, que homme autre à
qui ce mal touche, ne s'en doie oser doloir et réciter le cas
quel il le voit? Les alliances que autrefois avez quisôs et
prises, et que Dieu sensiblement a rompues et cassées en
équité de son jugement, et n'en estes de rien convertis
pourtant, ne sont-elles évidentement procédées de hayne
à rencontre de ce noble prince, et par volenté de le grever
par celui que vous sentiez estre son contraire, en la que-
relle de Luxèmboui^ dont la concernence ne venoit jus*
qu'à vous, sinon en tant que vous l'acceptiez de volenté,
non de raison/ , et que ce vous estoit plus agréable de
porter le fait d'un estranger, vostre très-lointain non bien
aidable, que celui d'un vostre prochain, à vous autres
tons en un mesme desgré de sang, qui avoit droit pour
lui, et vous peut venir, au son d'une trompe, contre lô
remanant du monde.
Semble-il doncques aux François que Facteur ayant
cecy considéré, n'ait dû avoir hardement de vous blâmer
' T^lfldtoiiidin, p. 891.
384 EXPOSITION
en ce en quoy il vous a vu avoir le hardement de faire cas
blâmable et trop plus notoire que ne voulsist ; car n*est
vivant homme qui autrement l'ait voulu interpréter. Donc,
ce poise moj, dame, quant à ma part, que constraint suis
de maintenir estrif droit-cy en cestes ruineuses et corro-
sives matières, qui mesmes me font frémir quand je les
touche. Mais toutesvoies, afin que Facteur ne demeure
enraquié en ses propres escrits et que la justification ap-
përe que riens n'ait fait sans cause et à bon titre, je le
pare et excuse, par ce que je y puis percevoir honneste et
véritable. Donc, si après il adjoint:
Boatez avant, mais ne soyez ignoares, etc.
ne fait chose contre honneur, quand toutes les choses
du monde qui se font publiques, bonnes ou mauvaises,
sont toutes conçues es humaines visions et escrites en
livres, là où en quérant les précieuses pierres et marga*
rites, l'on trouvera qu'il y aura maille ou macule, lors où
celles qui se seront contregardées nettement, seront les
plus exquises.
FBANÇOiSB TMAGiNATiON. — Déa! JEntûTidement, com-
bien que je me passe de répliquer sur toy, ne me accorde
pas pourtant à estre payée de telle monnoie que tu m'of*
fres; mais la reçoy au fort, à tel prix qu'elle vaut. Mais
que diras-tu cy-après de ton homme, qui en son cinquan-
tiesme article met :
Lui seul yousput, lui seul vous estàhayne, etc.
ENTENDEMENT. — Ha 1 damel paix, droit-cy. Je t'en-
tends bien. Je ne te veux souffrir faire question en vain.
I
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 385
là où je puis prévenir à ton demander. Quiers-tu conten-
temens de ta demande? va et t'en retourne à Vendôme, là
où tu trouveras vivement escrit le contenu de cestui ar-
ticle, et les causes et raisons sur lesquelles est fondé,
quand oncques ambassade de prince ne fut si froidement
traitée comme estoit lors celle qui y estoit de par lui, et
par la réception de qui se pouvoit percevoir clairement
quelle amour il y avoit envers elle, ne envers celui de qui
estoit trammise ; et là où le procureur royal, présens tous
les princes et pairs, touchant plusieurs articles graves et
pesans, chargea icestui duc de désobéissance, et lui im-
puta plusieurs grans cas, cuidant, le confondre, et faire
animer contre lui toute la congrégation des seigneurs, avec
très-froid et très-povre exploit en autres matières, après la
demeure de six mois*. Par quoy, si Tacteur dit après, par
pitié et compassion du cas, qui est de si mauvais espoir :
Or Dieu gart tout, et les sains et malades I etc.
dît bien, car il entend que : jà-soit-ce que droit-cy on se
seuflfre du plaisir et vouloir des hommes, qui tel fois est
moult sauvage, ailleurs toutesvoiesse convendra-il trouver,
là où compte sera rendu du tout, et du bien fait et du mal
fait, qui est la dernière et certaine expectation des justes et
innocens, d'avoir droit et bon jugement de leur tenu tort.
Et belle damel et ne dit bien l'acteur après, en son cin-
quante-uniesme article :
C'est en ce monde un empereur en gloire, etc.
L'acteur met sa haute exaltation glorieuse qui est tant
en fortune comme en nobles opérations ; et puis met sa
• r<>ye« tome m, p. 466.
TOX. Tl. 25
:386 EXPOSITION
trëâ-parfonde humilité, qui est en sa vertaense exaltée
personne. Et veut donner h entendre Taetenr : que ieelle
parfonde humilité, monstrée en lui , vous doit estre tant.
plus de haute réputation, comme sa personne est plus
liante et plus grande et plus occasionnée d'estre fière,
non obfitant que, pour nulle fortune terrienne, ne pour joyr
de sceptre impérial sur le monde, sc»i cœur ne se peut, ne
ne veut enfiérir devers voua, ne se voudroit ^uilter, ne
Toidir à rencontre du thrône où il prit estre, n;^ai& ployer
et décliner en terre» envers le giron dont il prend titre et
gloire.
Et donne Uen & entendre cela Tacteur, par ce qn'il dxt :
qu'il a mis peine d'essourdre et faire voler la gloire de ce
royaume par dessus les cieux, non répntant riens wxt
povre fait emprès le vostre trës*excell«[itement recordaUe»
Doncques, n'y a point de présumption en lui, qui vous
cause indignation; n'y a point d'orgueil qui le juge soy
descongnoistre ; mais y a parfonde humilité, par laquelle il
contend de tout temps de vous vaincre et gaigner, pour
mesmes se parer de vous et faire glorieux. Pour laquelle
chose monstrer encore plus distinctement, dit en outre en
son cinquante-deuziesme article :
Non serf à nul, tout Bubjet se présente, etc.
Et n'est vrai ceci, dame? Recongnoi, te prie, en un
prince chrestien ce que demain ou après tu récongnoistroies
en un payen en pareil cas. N'est-il non serf à tout homme,
par loy de franchise à lui accordée sa vie durant, et la-
quelle chose tu ne peux descongnoistre?Et toutesvoies, non
serf par possible et honneste, se présente et paroflre ser-
viteur et subject, de libéralité cordiale* Grand emprès
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 387
tous autres du monde, se fépute humble envers vous ;
vous offre corps, biens, pays, peuples et possessions; n'a
rien qu'il ne députe et abandonne & vous servir, et à estre
converti tout et exposé en vos haulx glorieux affaires;
soy-mesme il se ployé et appétisse, il se ravale et confute
devant là où il honneure ; et roide à tout autre du monde
fors à vous seul, il se prosterne devant vos yeux pour glo-
rifier soy-mesme. t Quérez, dit l'acteur, un autre ailleurs,
c qui si bien s'y acquitte ; » comme s'il vouloit dire :
t Vous n'en trouverez point. »
PBANçoisB TMAGmATioN. — Los mots sout beaux, mais
les excusations sont povres. Sy est peu de fait de parole,
là où l'opération se monstre si froide. Quoique dient les
hommes, les oeuvres approuvent les courages. Tu m'as cy
donné de mots emmiellés, de paroles farcies de sucre, dont
tantost après et en l'instant le venin se descœuvre tout
clair ; car tout si tost que ton homme, que tu tant prises,
vuide des termes que tu as dit droit-cy, il rechîet arrière
en repreuves et en arrogans parlers tous contraires des
autres devant. Et dit en son cinquante-troisiesme article
l'acteur : que jà-soit-ce que son maistre se monstre si
humble et si entier envers nous, toutesvoiés ne le fait*il
point par crainte qu'il ait de nos personnes, ne que envers
lui nous ayons desservi de soy monstrer si humble, ne si
lige comme il a dit; mais le fait seulement en vertu de
noble courage dont il est maistre et vaincueur, pour nous
monstrer, par vive opération et exemple, que sang, na«
ture et raison sont en lui , non pas orgueil et vem'n. £n
quoy semble vouloir dire l'acteur : t Ce qu'il en fait, il le
% fait comme bien ; mais sy est-ce de sa vertu et franchise,
« mais non pas par crémeur de nuUuy, ne par devoir
€ ausQy, qu'il ne s'en passast bien s'il' vouloit; 9 qui est
3S8 EXPOSITION
povrement ensîevir les paroles ici devant remonstrées, qui
servent plus à injure que les autres à bonne acceptation.
ENTENDEMENT. — Dame, & co que j'entends, encore n'est
pas ta suspicion bien résolue, quand, après tant d'esdair-
cissemens faits sur un cas, tousjours tu f arrestes sur choses
légières. Donc il convient, partes scrupules qui n*ont point
de lieu, réitérer deux fois une chose jà dite. Dame, n'y a
point icy d'arrest ; et n'y a riens qui répugne aux beaux
mots de devant, si tu veux parfonder à demi ce que tu ne
regardes que superficiellement par dehors. Tu t'esmaies
arrière et te semblés troubler encontre cest homme, qui
mettant humbles langages et savoreux, tantost refiert
d'une queue poignant pleine de venin, comme tu dis, et
ayant monstre manières de dévotion extériores, descœuvre
le fiel de son ypocrisie secrète. Et lui impites charge de
repreuve et d'arrogance parce qu'il dit :
Non pas pourtant que crainte à ce Toblige, ete.
Dame, droilrcy je te veul respondre par ordre contraire
à l'assiette de l'acteur ; et laisse la crainte dont il parle
premier, et viens à la desserte qui se touche en la ligne
seconde. La desserte dont l'acteur parle, est tout évident
quelle elle est. Si les choses devant mises par l'i^teur sont
vraies et réalement avenues, les dessertes aussy touchées
droit-cy sont de tel effet comme l'acteur les y entend. Mais
les entend-il petites et non dignes de grand rétribution,
quand les choses de dessus alléguées sont de petite et sobre
amour, et encore de moindre mérite. Sy ne convient point
aller de deux à trois. Mais pour férir au vif, ains tost que
tard, dame, prends ton retour à la journée de Vendôme, et
considère droit-là quelle desserte il y peut avoir, qui doie
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 589
causer ce duc d'en faire haute rétribution. Retourne après
à Théonville, là où François lui envoyèrent menaces en
barbe, pour luy r'oster ce que glorieusement a conquis &
l'espée. Retourne arrière à l'alliance faite avec le roy Lan-
celot en son contraire, de qui main encore vous, François,
tenez enonglée la querelle de Luxembourg. Retourne
après au roy des Danois , lequel , lui faisant oflfre de cin-
quante mil hommes, à son siège de Deventer, pour entrer
en la conqueste de Frise, vous François , vous lui avez
soustrait maintenant ; sans autres encore grans cas sem-
blables que je cèle pour l'heure, et n'en veux faire poids,
pour ce que & très-envis je me boute en ce destroit par la
pitié qui y est. Toutesvoies, dame, combien que toutes ces
choses icy alléguées soient de povre mérite, de povre prix,
et de piteux effet, ne veut tôùtesvoies ce bon prince
rendre mal pour mal, austérité pour orgueil, ains remeir
tant tout en la main de Dieu, et dispensant en humaine
fragilité le plus que souffrir en peut, veut rendre bien
pour mal, devoir pour mauvais acquit, honneur pour des-
dain, service pour menace, et donnant voie et auctorité à
noble nature, se humilie et supploie à raison vertueuse,
là où il voit que honneur l'oblige de le faire, et que na-
ture l'en semont. Donc, s'il ne vous honnouroit et servoit
qu'en la qualité que vous le desserviriez envers lui, n'y
auroit point de mérite, car ne seroit que eschange d'une
chose pour autre, tant à tant ; mais, en ensievant l'exemple
de nostre rédempteur Dieu et honmie, il vous affecte et
honneure en celui point, où glt le vrai mérite ; c'est en
celui estât où il vous perçoit non estre guères affectés
envers lui; et dit : c Là il espréuve sa vertu, il monstre
c sa vraie bonne inclination et ne desmeut point sa noble
c ancienne nature, que prise a au tronc là où il affecte.
590 EXPOSITION
« comme veullant sievir tousjours honneur et léal devoir,
€ et mettre Dieu en toute équité par deyers luy. t
Or venons b la crainte. Dame, n*entends-tu que crainte
fie distingue en deux parties : Tune sy est une crainte s«^
yile par laquelle les moindres redoublent les princes ti-
rans, et n'est pas icelle méritoire au portant, ne fruc-
tueuse ausBj, ne contemplative à qui la reçoit, car elle est
sans amour; l'autre crainte sy est, qui se appelle filiale,
et est celle qui procède devrai cœur aimant, envers Vautre
que l'on répute digne d'estre aimé. Sy est ceste fondée en
racine d'amour vraie, en ardeur de dilection comme qui
toutes deux ne peuvent estre l'une sans l'autre, ne icelle
des deux se desjoindre de sa coïnpagne, que l'autre me
perde son efficace.
Ceste-cy est la crémeur, dame, dont Dieu veut estre
crému des hommes, quand, par icelle congnoistre en eux,
il y perçoit ce qu'il y quiert : c'est vrai amour. D'amour
servile, ne crémeur ne tient compte, parce que ceux qui
de ce le servent, ne l'aiment, ne ne doubtent que par peur
qu'ils ont de sa puissance, de sa rigueur estroite, de sa
vengeance droiturière ; car autrement se passeroient de
lui, ce leur sembleroit, pour ce que vraie amour n'y est.
Or, dame, quand l'acteur dit que ce n'est point par crainte
de vous qu'il s'oblige ou présente si avant, il dit vray cer-
tes; car en lui n'a nulle crainte servile, par laquelle il
redoubte nullui. Il ne craint ne tirant, ne tirande ; il ne
ressongne ne menace, ne main mise, ne estroite compres-
sion, ne estrainte; il craint par amour non servile et sj
aime par amour filiale. Oncques ne se trouva en crémeur
vers homme, que telle que a envers Dieu. Mais pour ce
qu'il a en lui amour radical, que Dieu congnoit et que les
hommes ont pu percevoir assez, il a une crémeur aussy
1
SDR VIÂRITÉ MAI. PRISE. 3»f
filiale, 4e iaqtiélle ne se vent esMipfler, paroe que eonna'
tiiveUe est ayec ramotir de sa mcine, q[Qe toy, dime, de
^ar Dieu 1 et vous messeigBeurs les François aussy, avez
«sseE pu oongnoistre s'il vous a plu, et laquelle, quand la
voudriez ignorer, n'est pas ignorée pourtant ailleurs, ne
faite en vain. Donc, et si v^us les François affectez à
»V3oir la vérité de ce^ <rréineur,. si elle est filiale ou
antre, enquérez-vous et revisitez ses œuvres recommanda
hiieBy là où il a monstre quel est son amour entre vous, ou
filiale, ou servile , car là oongnoistrez-vous sa crémeur
maintenant, dont il parole.
Sy pourrez mordre aussy, et sus bien que k ferez,
aur le dnquante^uatriesffne article, là où il dit enapi^ :
Son fous, son cour, «on iatentioQ tootor etc.
De cestui article, dame, je te veux prévenir en res-
ponse, premier que tu m'en boutes en argument. Or en-
tends bien, te prie, à ma solution , comment d'une cbose
qui mal sonne à cœurs non parfons, je te feray sentir le
gemon d'une favoreuse sentence non repréhensible. Quant
au premier point, là où il dit : «Son cœur, son fons, il met
< tout en Dieu » ; l'acteur ne dit chose à reprendre, mais
dit cbose méritoire à tout prince de faire ainsi. Mais là où
il dit:
MaSfl ne TOUS craint» ne tonte votre tonte-,
là est le point où il semblertnt qu'il y eust assez parler
arrogant et despiteux, par le semblant qu'il fait de non
craindre nullui. Mais, dame, il convient droit-cy avoir
plusieurs regards : Premièrement, que l'acteur icy ne
parle en personne de nuUui, fors en la sienne propre, qui.
392 EXPOSITION
de maintes prémisses touchées dessus, fait ces conclusions
telles qui en ensievent, es quelles, s'il y chiet avoir aigres,
ne précis termes à la nature du cas, n'est pas cela à impu-
ter à autre nul que à Taoteuf , dont toutesvoies il se pa-
rera comme en propre personne, sans en laisser charge à
nul autre. Convient regarder aussy que, comme le temps
se juge par les vents et disposition du ciel, que les choses
futures aussy de ce monde se prévoient et conjecturent
par la disposition et gouvernement des seigneuries aux-
quelles le monde est suhjet; et préavisent les hommes
Tun l'autre, en celui endroit, de leur prochaine infélicité
ou salut. Comme maintenant l'acteur droit-cy, considé-
rant les misérahles difficultés, les douloureuses machina-
tions et contendances qui appërent, qui se mettent sus et
visiblement se monstrent, juge en lui-mesme icelles de-
voir venir à tribulation, tourner à batailles et à mortelles
rumeurs, et non pouvoir vuidier autrement, sinon par
contre-nature par inopinable, par seule grâce de Dieu et
par mort de personnes, en quoy toutesvoies ceux que con-
gnoit iniquement vexés, innocens mesmes et justes en
leurs œuvres, mettans Dieu en leur titre, équité pour leur
appuyé, honneur et vertu pour leur defiPense, îceux,
quand ce viendra en temps de tribulation, il prononce
fortifiés de la main de Dieu, asseurés à l'encontre de for-
tune, et évadables naturellement les périls apparens, trop
mieux que ceux qui, pleins d'apostumes en cœur, se
trouveront mouveurs du meschief; car lui semble que
divine équité devra estre pour eux, là où elle devra tour-
ner en contraire aux traveilleurs des bons.
Dame, donaques, pour venir à la lettre de l'acteur et à
l'entendement d'icelui : ne dit-il vray quand il remonstre
que le cœur, le fons et l'intention de son maistre, tous gis-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 393
sent en Taapect de Dieu qui tout voit et congnoit ce qui 7
est ; et sur icelui regard, qui par riens nulle ne peut avoir
empeschement, il se confie et s'y ose bien attendre, car sent
en lui«mesme que tout y est bien, tout y est net et léal,
tout de nature et condition de preudliomme qui ne quiert
nuls brouillis, nulles couvertes fins cauteleuses, nulles
fraudes, ne déceptions, riens seulement que paix, amour
avec chascun, non quérant Tautrui, gardant le sien pro-
pre, non voulant grever et non estre grevé de nuUui.
Ceci est le fons de son cœur sur quoy il se confie; ceci est
le secret de ses repostailles sur quoy il met son attente, et
par quoy Facteur dit, en justifiant sa personne : que ne
vous craint, ne toute vostre route, que le doiez trouver
autre ; mais le gardera Dieu et le conservera à l'équiva-
lent de son mérir et de son bon vouloir. Fmagination
française! icy ouvre ton œil ; icy regarde et encerce la
profondité de ceste parole, s'elle n'est juste en soy et véri-
table, s'eile n'est raisonnable et honneste pour estre main-
tenue, quand riens n'y a en terre subject à Dieu, que tout
ne soit conduit et prospéré de la main de Dieu de lassus,
par plus et par moins, selon que par plus et par moins les
hommes tendent à bonne équité et à bonne fin. Laquelle
chose considérée, l'acteur dit pour fin de cestui article :
Cœur net et bon n*a besoin qu'on le farde,
non, n'a besoin qu'on lui baille pointure, ne décoration
nouvelle ; non ; car il est net et clair de soy-mesme, et tel
en son dedans que ce qui s'en monstre dehors, lui sufBt.
Mais tels ne sont pas, ce dit l'acteur, les cœurs qui sont
doubles et vicieux; car là sont les neux et superfluités, là
sont les frondes et les apostumes, dont se tirent les suspi-
cions, dont se traient les périlleuses et doubteuses attentes.
394 EIPOSmON
Et met ce, non par regart à uullui qui peut avoir cœur
tel, mais par contraire de celui qui est net et tout vray,
pour le monstrer plus luisant emprës son contraire ,
comme s'il vouloit dire : < Qui que soit non net et infect,
« mon maistre est clair et sans reproche. »
TMAGiNATioN. — Déa! EntendefMwty j'entends bien tes
excuses et les évasions que tu quiers par fentes terrible-
ment estroites, mais aucune fois tes paroles répugnent
Tune à l'autre et se contredisent, comme droit-cy en pré-
sent, là oè tu dis : que ton acteur, parlant des cœurs infects
et vicieux, ne le met point par regard à nullui qui puist
estre tel ; et tout prestement après , en son cinquante-
cinquiesme article nomméement, il accuse les François;
et comme il a voulu justifier son maistre et le juger de
bon fous, tout au contraire il accuse et juge François
estre pervers et iniques, et non avoir fons, ne occasion que
tout ne soit contamineux, malsain et reboutable.
Comment donc, Entendement^ n'est-ce pas répugnance
^roit-cy à ce que tu as dit, que ton homme n'avoit regart
& nullui qui eust.cœur infect, quand tout prestement, en
vuidant de celle sentence, luy-mesme te desment par con-
fession propre, lors où il dit : c Que ne avons fons, ne
c occasion juste, fors seuleenvie ardant, qui nous dampne
t et diffame par tout le monde, et en cui brassin et sau-
« ces que nous broyons, tout chascun se pourra percevoir
« clairement quelles espices il y aura en la mixtion. » Il
semble que c'est assez noter que nous avons cœur infect,
et que l'accusation y est toute volontaire et délibérément
faite endevers nous, comme la justification endevers son
maistre y est produite à nostre impropère.
ENTBNDBMBNT. — Dame, et que puis-je mais, si aucun-
nui t'approche de blâme, là ou je ne puis réparer l'œuvre
Sm VÉRITÉ MAL PRISE. 395
qui lui en est cause. Jà ne puis prévenir aux choses faites,
qu'elles ne demeurent en leur qualité telles ou telles ; mais
je puis bien justifier personnes en leur innocence, non
contaminées de faute.
Ce m'est dur, voir, que la lettre de l'acteur a besoin de
mon réparer; mais encore m'est-il plus amer de la cause
qui l'a mu à escrire. Je n'ai, grâces à Dieu ! cœur gros à
rencontre des nobles François, par quoy je doie adhérer à
nuUui qui les déprime. Mais je désire bien à parer les
aigres paroles de cestui escrivain, qui aux François ne
sont bien agréables. Sy me pardonne, dame, si je parfai
ce que j'ai commencé, car ne tends, moy, que à fin bonne,
à fin de paix et de transquillité en ta conscience, et que les
murmures qui maintenant, à cause de ces aigres escrits,
te troublent en courage, soient applaniées un peu et mises
à néant, par bien donner entendre. Dame, n'en soit à toy
tout le tort, ne à l'acteur aussy ; soit myparti cestui far-
deau, et en porte chascun sa portion, tant du bien comme
du mal. Peut-estre qu'en prestant main à lun l'autre , le
poids en sera moins dangereux et la charge moins greva-
ble chascun.
Pour gouvernement des choses humaines ne convient
mais que discrétion : peser les matières, parfonder les
causes , déterminer gravement et vertueusement exécu-
ter, et que chascunes privées personnes, pour parvenir à
la congnoissance et distinction de toutes choses, mettent
peine premièrement à congnoistre ce que c'est d'eux-
mesmes, ne quel jugement ils en pourront donner vérita-
ble entre Dieu et leur âme; car là glt la racine première
de sapience, le fondement de bien entendre et le commen-
cement de bien savoir faire à mesure; par lesquelles choses
toutes choses estables et bonnes se peuvent parmaintenir
596 EXPOSITION
en estre, et toutes ruineuses et déclinatoires de salut rele*
ver et ressourdre.
Dame, qui emprendroit à faire d*une terre arbuste,
d'une espaisse forest, terre pour semer grains, ne conven-
droit-il avoir divers engins de fer pour tirer ddiors et
essarter les racines, et puis, icelles tirées à diverses la^
beurs, replanier la terre arrière, et remettre en disposition
j arable? certes sy feroit. Pareillement est-il droit-cy,
I dame. L'acteur perçoit aujourd'hui la terre françoise
I estre arbuste, durement pleine de superfluités nemoreu*
j ses, non bien cultivées et moins encore proufitables à
commune salut. Sy a quis ses crocs de fer et havès, pour
aller quérir les racines dommageuses qui empeschent la
semoison, et les faire mourir et sécher au ventre de la
: terre qui les produit, affin que la noble semence y vienne
/ qui y est dû de nature. Sy ne le peut faire que par fer,
/ parce que le fer rude et de rigoureuse matière est tout
/ propre à la rigueur de Touvrage, et que vaincre et rompre
* convient fort pas fort. Qui est la chose, dame, qui plus
j s'aguise que le fer? ne qui est la chose qui plus perçant
• soit, ne plus aguë que parole? L'acteur doncques, faindant
parler familièrement avecques François, non pas par con-
tention, ne repreuve, mais par argumentation proufîtable,
tendant à salut, et considérant eux non avoir occasion
juste, ne titre honneste d'eux animer en contraire de ce
prince le duc, ne de lui monstrer, ne procurer ce que lui
procurent et monstrent, est allé quérir ses crocs de fer
trenchans, ses havès pointus et parfons, pour tirer dehors
le fous de leur cœur les racines mauvaises qui y croissent,
et dont les arbres et ramures qui ennaissent, sont ombra-
ges de mort et de malédiction qui s'y embûchent , que
pitié est, quand si noble terre n'est arée et disposée au
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 597
fruit tel que nature y demande. Et ce voyant l'acteur, et
tendant à y vouloir devenir essarteur, vient .hardiement
férir au vif des racines, pour essay s'il en pourroit nulles
eslocier ; et remonstre aux François ce qu'il perçoit radicar
lement en leur fons, disant : « Vous n'avez fons, ne occa-
« sion nulle, fors seule envie ardant, laquelle il vous
« convient jeter en voie et souffrir extirper. Pourquoy?
€ pour ce certes que avec le grief que elle vous fait
« mesmes, elle vous dampne, diffame et recule par l'uni-
< vers monde. Et pourra cognoistre chascun, quand tout
« aurez fait et brassé, et longuement persévéré en ceste
€ manière de faire, quelle raison, ne quelle cause vous y
< pourrez avoir, ne quelles sont les fins et conclusions
€ que vous y quérez. » Ne dit pas ceci toutesvoies par
repreuve, mais par advertissement de vostre honneur et
salut, et pour vous donner à entendre ce que la généralité
du monde vous impute en darrière. Dame, si bien que
paroles flatteresses coustumièrement sont agréables, si
bien sont répréhensions aucune fois de grand fruit; et est
langue de corrigeur médecine au prudent, lorsque veni-
meuse est et tacère celle du flatteur. Congnoit bien toutes-
voies l'acteur qu'il ne lui appartenoit soy bouter droit-cy,
ne de prendre une correction si aigre sur une si haute et
glorieuse nation comme est celle des Frans, là où vertus
et bonnes mœurs sont comme en rivière poisson; mais ne
peut estre la chose autre. Il convient ou réparer ou nier.
Nier ne peut ; car l'ouvrage accuse l'ouvrier. Donc il con-
vient réparement aucun honneste et véritable, là où le
nier ne peut donner à l'ouvrier sauveté,. ne fuite. Et pour
tant, dame Fmagination, si comme tu poses sur les aigres
mots droit-cy, pose-toy un peu aussy sur le bon vouloir
de l'acteur, qui, par aigres voies parties de bonne ftme.
398 EXPOSITION
tend à fin de salut et de félicité» non pas à intention de
injurier, mais par affection de r^Doionstrer en vérité es-
troite, ce qui à hautes glorieuses personnes blesse et mes-
siet. Adjouste après encore l'acteur chose laquelle je pense
bien, dame, que tu lèves bien haut, parce que arrière il
accuse les François donner charge à son maistre, là où
il dit : ^
Vous imputez ohaxge et blâme importables, etc.
PRANÇoisB YMAOïNATioN. — Holà, Fntendemcnt, tu me
préviens de cestui et m'en romps la parole ; mais je te
préviens maintenant d'un autre, et la te rendrai telle. Tu
as dit voir i Certes, ton homme charge François comme il
sçait bien faire; et dit que eux le chargent et aggravent
par paroles piteuses et de grand poids durement» qui tou-
tesvoies est le prince du monde là où reposent plus de
vertus et de nobles" mœurs, et qui, pour Dieu, ne pour
nulle rien créée, ne voudroit faire chose laide, ne contre
honneur.
Hntendemewtf cecy il convendra bien que tu exposes,
et que tu preuves en quoy François le vont accusant
contre vérité. Mais quand tu auras fait cela, et que, à bien
venir, ta raison y seroit bonne, sy te trouveras-^tu au plus
haut péril de meshuy, en un passage dont moy-mesme
prends hide d'y jeter l'œil ; car n'a sufB, à ton homme,
parer son maistre et le nettoyer de toute laideur ; mais
vient, en son cinquante-septième article, fërir à gorge
béant sur François généralement, et ne sçatt-on sur qui.
N'est pas droit-cy reproché vilainement tout le thrdne
françois? n'est pas droit-cy la généralité de France repro-
chée de faute et de grand chaire? Où est la vertu en
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 399
homme, ne constance, où est la tempérance et fortitude,
qui droit-cy conseille estre patient, comme de sentir telles
flacques vilaines ruer au visage de nobles gens, dont onc^
ques nul, et fussent-elles déméries, ne fut si constant que
de les porter?
BNTBNDBHBNT. — Dame, si je pouvoie faire que ce qui
est fait fut non fait, tu n*auroies occasion d'entrer en cet
argu, ne moy de me mettre en tes dangers, là où tu con-
tens de me tenir clos. Me poise bien toutesvoies, et le t*ai
dit assez, que à dur et regret je me trouve droit-cy, parce
que nulle solution, tant pust estre véritable, ne pourra
estre délitable à Toye. Et pour tant en ai^nasse-je mieux le
déport, et que Tacteur, entre toy et moy, fust demouré
cause de nostre non ai^er. Or n'est-il autrement, et ne
se peuvent paroles révoquer, qui tant sont amples et ma-
nifestes partout que cbascun les porte conçues. Sy con-
vient passer par cestui destroit que tu dis, ou y laisser
l'acteur enfondre; car de fuite, ne d'eslonge n'y a-il point,
n y convient ou pendre ou rendre. Constraint, damé, et
contre cœur je me dispose à y passer parmi, en toy requé-
rant que, h si léger que tu me verras passer outre, que à
si léger tu te veulles contenter de moy, sans moy y faire
rentrer coup après autre ; car ne me plait point le longue-
ment y arrester sus, parce que l'activité courte t'y doit
estre aussi agréable comme à moy propre.
Voirement accuse l'acteur François de charge que
donnée ont & son maistre à tort, de quoy marri, comme
raison veut, le justifie et le profère celui du monde où
moins a de reproche et plus de nobles conditions, par
contraire de la charge que à lui imputent. Donc, et qui
voudroit avoir spécifié quelles charges : on regarde et
preigne*on recort quelles on lui a données à cause de
400 EXPOSITION
monseigneur le dauphin, dont ne mors, ne vivans , ne
angels, ne hommes, ne le sauroient rattaindre. Car qui a
mangé son pain, jusquà un petit chanteau', en honneur
et proud'hommie, et qui a mené son jeune flourissant eage
volage et léger jusqu'au terme de hauts glorieux vieux
jours, tous nets et impoUus, est vraisemblable et digne
de croire, qu'envis terniroit la clarté de si longue régna-
tion glorieuse, sur le bord de sa fosse ; combien que vous,
seigneurs François, souventesfois et assez, dont c'est pitié,
lui avez donné des occasions assez légitimes pour le des-
passer, qui toutesvoies s*est contenu méritoirement en
vertu, là où excusablement et à titre honneste pouvoit
traire & la voie oblique. Mais plus s*y est porté bien, plus
y est esprouvé bon ; et en tire tant plus gloire, quand, ne
en dur, ne en foible, oncques légèrement n*a obéi aux pas-
sions, jusqu'au dernier, là où constrainte dliônneur ou de
péril le perforçoient de soy deffendre.
Sy a bien dit Tacteur voir : « que pour tout l'avoir et
« seigneurie du monde, non pas pour Dieu mesme, ne
« pour son paradis, ne voudroit faire faute > ; entendant
que Dieu ne l'en requcrroit jamais, et que paradis n'est
point à obtenir par ce mesmes : mesmes sont fautes et
telles opérations contraires à Dieu et à salut. Donc, après
l'avoir ainsi justifié par vos causes propres, il tourne le
visage envers vous et dit :
Tournez, Tirez, perquérez ses légendes,
Le droit, Tenvers de sa vie honnorée,
comme s'il vouloit dire : « Vous n'y trouverez riens qui
> Chanteau^ morceau. Vopet plus haut, p. 974.
SUR TÉRITÉ MAL PRISE. 401
« à reprendre fasse ; mais en fouillant ses fautes et amen-
« des, quand vous aurez tout quis et riens trouvé,
« Retonmec-TouB sur vos propres kalendes,
« Là dont lecture est assez proférée. •
Veci l'estroit point, dame, où tu dis que Tacteur charge
évidamment François d'honneur mesfait, pour ce qu'il
dit : « Retournez-vous sur vos propres kalendes, sur vos
« propres faits qui sont escrits et enregistrés, car ceux-là
c vous feront taire d*autrui. » Or, dame, ce qui escrit est
et tant publié, il convient bien qu'il demeure ; et plus est
possible de le réparer par bonne interprétation, que de
l'anéantir tout et estaindre par désavouer Tœuvre. Ka-
lendes, tu sçais bien, dame, est une diction qui signifie
mesure de temps générale sur tous les mois de Tan, et sous
laquelle les mois se distinguent Tun de Tautre. Or dit
l'acteur : t Retournez-vous à vos propres kalendes, aux
« heures, aux jours, aux mois des années passées, où
€ choses diverses sont avenues en ce royaume, et dont la
< lecture se peut trouver es livres. Retournez-vous vers
« îcdles, comme en qui vous devez avoir vostre confi-
c dence; car sont faites et escrites de ceux de vostre
« parti, de ceux qui vous faveurent et magnifient, et qui
< vivent de vos gages et bienfaits. Prenez vostre recours
« à icelles et les visitez ; mais vous n'y trouverez rien qui
« blâme lui soit, ne qui le repreuve de nul mésus. » Et
n*entend point l'acteur, dame, bl&mer ne un tel, ne un tel,
ne ramentevoir, ne relever rien du vieil temps, tant soit
peu ; mais seulement que devez avoir recours à vos pro*
près escrits et escrivains, qui sont devers vous, dont la
lecture, par ceux qui en ont vu tant de deçà que delà, est
assez proférée, est assez publique quelle elle est, comme
TOH. TI. S6
40S EXPOSITION
si Facteur voulâist dire : c Je m'ose bien fier es escrits de
< vos propres historiographes, que vous n'y trouverez
« riens mal, non plus que nous. » Et monstre bien cela
par la chose qu'il adjoint après :
Von Yona dit bien : Ciel et mer ont durée,
IfalB pins possible est demain tons deux KHnpre,
Que son haut cœur de mauvaisté corrompre.
Là monstre-il bien qu'il ne vuide point de ses termes,
et que toujours a son regard en un lieu , combien que la
figure qu'il fait du ciel rompre avec son coeur, lu'est mot
évangélique, ne article de la foy ; mais il le dit par une
manière de confirmation de sa preudliommie et léanté,
en quoy il est résolu pour mourir, premier que les
rompre.
Dame, doncques puisque une chose peut avoir deux
entendemens, et que l'acteur en prend devers lui le meil-
leur, n'est pas de nécessité pour tant que celui qui reste,
mauvais et poingnant,* soit imputé à l'acteur à charge,
quand sciamment il désavoue et révoque tout mal dit, et
souverainement en la personne royale.
Et que ceci vrai soit, l'acteur le monstre en son cin-
quante-huitiesme article.
Cecy met l'acteur notamment et tout de gré à rencon-
tre de plusieurs clercs et officiers, non tous, mais aucuns
hautement promus, qui non nobles, ne de sang, ne de
mœurs, occupent les sièges et dignités souvent en court
des vrais nobles en cœur et en fait ; et les accompagne na*
turellement plus vdœté que raison, plus affection oblique
que discrétion grave, par flatterie, par complaeenee, par
regart à privé bien, et parce que la grâce du monde leur
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 403
est plus quise que la gloire de Dieu par vérité eésour-
dre. Encontre telles gens doncques, met Tactenr ce qu'il
dit : < Ne tous vos clercs, ne toutes vos contretives, ne
« sauront riens mettre avant, comme loings, né parfont ils
c le voisent quérir, de qnoy ils puissent ternir sa gloire,
« de quoy ils puissent noircir sa renommée, ne de quoy
a ils le puissent prouver atoir délenqui encontre honneur,
€ ne encontre devoir, ne encontre équité nulle. » Sy te
dis, dame,' que sans que désormais tu me mettes guèréé
plus en question, moy-mesme te veux mettre en teirmes
les article qui encore y restent scrupuleux, jpiour tant plus
abréger nostre procès, qui jà longueinent a duré; et sail-
lant de Tune clause en Vautre, viens au cinquante^-neu-
viesme article, là où l'acteur arguë encontre François;
. Es deux premières lignes de ce^tui couplet, l'acteur,
en confessant l'envie des François et leurs haynes, re-
monstre la gr&ce que a de Dieu et du monde, son maistre
qui est tenu et jugé à preudliomme de tout le siècle et de
ce qui est dedans, roys et empereurs, lesquels l'ont tenu et
tiennent le coffre d'honneur et de haut los. Par quoy, con-
doléant en François et en la régnation d'aujoiïrd'hui, dit
suspiramment :
Vous donc, hélas I que le siècle tant nomme
Haulx et fameux, et le jaste agraves ;
O et pensez quel los propre y avei I
< Vous les François qui estes si haute et si glorieuse
« nation que nulle vostre pareille, et agravez et chargez
« le juste, l'avez en hayne et en despection pour sa glo-
c rieuse fortune, ruez et machinez en sa ruine par enfie,
€ qui riens toutesvoies ne vous demande, ne empesche,
404 EXPOSITION
« mais fait vos mains 1)elliqiieuses» vos extrêmes cheva-
« leureuses puissances, et renonçant à fierté et orgueil
« encontre vous, vous offire service et révérence hum-
« blés : oh 1 pensez quel los vous vous acquérez en vous
€ tenir «n ces termes devers lui ; i comme s'il vouloit
dire : < Vous vous en faites blâmer par tout le monde, et
« en mettez vos âmes en grand péril. »
Or sçai-je bien que cy-aprës, en son soixantiesme article,
il y a un mot qui te cuit beaucoup, dame, et lequel par
aventure tu notes estre assis en tout excès d'outrage et de
fel orgueil. Sj désire bien à t'en esclarcir un peu la
fantaisie, comme qui sais bien que tu y muses beaucoup,
et est un des principaux points sur quoy plus tu arrestes.
Et ne dit bien vrai l'acteur, dame, quand il dit : que
mouvoir guerre à son maistre vous est bien possible, puis-
qu'il est en vostre franc arbitre; mais il dit ^rës : que le
proufit qui en pourra venir à vostre part, cestui-là
certainement n'est point sçu , car il glt oélé en fortune ;
Mais si la cause en est jnste ou loisible,
Ou 8*elle est moins à faire ou plus taisible.
Cela scet Dieu qui règne sur la lune.
Droit-cy dit-il vrai aussy. Et n'est œil si troublé qui ne
voie bien et entende ceste lettre, qui n'a besoin d'exposi-
tion autre que telle que elle porte , parce que nul autre ne
sepourroit donner plus claire. Mais dit après: < Soit
c vostre querelle noire ou claire, soit juste ou telle que
c peut estre, quand François vendroient pour confondre
< son honneur,
n est non loy, mais duc pour eux respondre. »
Non roy, mais duc pour vous respondre, notent François
et prennent à aigre, je pense, et en grand ravalement.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 405
parce qu'il semble parler pair à pair en compagnon, et
que l'un ne donroit à l'autre avantage d'un chivot * ; comme
s'il vouloit dire : « Si tu me quiers, tu me trouves ; je suis
« homme pour toy. »
Dame, à ceste difficulté il convient respondre et donner
l'interprétation saine qui y siet. L'acteur droit-cy , par les
choses ainsi que les voit disposées, et que à tous lez on
circuit subtillement pour avoir bras dessus ce prince pour
le faire ployer , et qu'en icelle quisîtion pour venir à ses
fins les moyens sont moult divers et de très-évident péril,
si Dieu ne les contretient contre la volenté des hommes,
suppose l'acteur et craint pouvoir advenir ce qu'il voit en
disposition de non pouvoir faillir, qui aucun temps long y
persévère : c'est guerre et tribulation, dont nourrice aura
esté envie, et nulle riens autre. Par quoy venu jusqu'à là,
et que nécessité constraindral'aignel de devenir loup, qui
tousjours aura foi la meslée, toujours se sera monstre sage
et souffitmt homme de paix et de léaulté vive, et néan-
moins lui voudra-on courir sus, le mordre et le mener à
confusion en ses vieux jours, qui oncques ne fut humilié
par force, jamais ployé, ne mis à subjection par menace, ne
par hautement entreprendre : dit l'acteur Ae lui-mesme et
en faveur de celui, lequel il congnoit invincible en courage
et sans peur : c II est non roy » ; comme s'il vouloit dire :
€ n est celui qui n'a pas puissance d'un roy pour égdiser
« la sienne à l'encontre des Frans, mais il est duc pour
« deffendre son honneur, pour defféndre ses terres et ses
€ pays à rencontre de vous, quand vous le surquerrez de
c desraison. » Et ne dit pas c duc pour vous respondre » ,
par entendement qu'il le veulle faire égal avec le roy,* ne
I Je ne sais pas ce qae Chastellaia entend par : un ehivot.
406 £îposrnov
qu'il le die par orgueil, ne despectijon à Teocontre de sa
très-noble personne» mais par confession de vérité, qui est
teUe en effet : quil est non roy et non si bon que de l'es-
tre, mais il est duc povre emprès lui, plein de courage
toutesYpies pour oser deffendre son honneur et sa que*
r^U^y constraint, contre vous les François tous autres, ré-
s^rvé seul le roy. Donc, et si le fait est plus grand chose
que parole, encore est p}us pen^issible à homme de re-
monstper aigrement ce qui peut advenir, que n*est de
faire de fed^ ce qui peut porter domm^ge et danger.
O^r autrefpis, dame, ont princes non roys, comme ces-
tui, donné des affaires beaucoup à ceux qui roys estoient
très-puissansi et n'ont point resspngnié, par la hauteur de
leurs titres, à deffendre fièremei^t leurs querelles en moin-
dres possessions de seigneuries* Exemple de plusieurs
contes de Flandres, qui toujours n'ont pas esté coi^cor-
dans avec les roys françois, mesmes leur ont donné des
vexations beaucoup et des répugnances très-dures et rpides
plus d'une. Entre lesquels Ferrand de Portingal, non
4p sang ^i bon que de France, se monstra moult felle, et
soy exposant contraire à la couronne , en confidence de sa
l^autp fortune, fut humilié toutesvoies et vaincu par le
pesché de son dpscongnoistre. Or n'est jt^e cestui un Fer-
rand de Pprtingal. Ce n'est mie c^lui qui descongnoit la
s^ve donji il prend estre. Ce n'est zpie celui qu|, rebelle à
la majesté glorieuse, se veulle eslever contre elle h main
ennemie. NonI Mais est celui qui assailli de tout le
monde, et seulement son roy et son chief mis dehors,
s'exposera à 1^ fortune d'un jour pour soy deffendre. C'est
cétai fîgurativement que l'on peut dire saint Ifichel, qqi
championne avecques le roy de là-haut , à l'encontre du
dragon; et n'est mie celui qui adhère au prince de rébel-
SUR YÉRÏTi Mal prise. 407
lioo, au i^înce d*oigueil prés(»aptîenx. Mais puissant sous
h bras de son roy jdus que nul autre, plus que nul autre
voudroit soy exhiber déprimeur de ses omtraires, là où
comme non roy mais duc trës*puissant se peut bien nom-
mer justement prince pour respondre à tous ses ennemis
françois mis en un tas, parce qu'entre eux tous, réservé
la personne royale, n*a nul de si haute condition que par
honneur et licitement il ne puist dire le mot et Texécuter
par fait.
Appaise-toy doDx^ques de ce mot;
U est noa roy, mais dJio pour youb Mqxmdie.
car ie respondre ne s'entend point au roy, mais s'entend à
tout le remanant en dessoi^ lequel il veut revérender par
amour, et non craindre, par le surquerre en main ennemie.
Dit en outre l'acteur en son soixante-imiesme article,
Antinuant sa matière selon les dispositions que voit ten-
dre à péril :
Bien le pourrez molester et oombatre, etc.
Droit^cy Tacteiu', soy arguant en lui-mesme et impa-
tient des choses que voit couver bien douteuses, et des-
quelles ne peut traire fin autre, en son avis, que guerres
et tribulations recommencées, là où les victoires sont in-
certaines tant au plus puissant comme, au plus foible^
mais prenant le pire devers lui^ dit : « Bien le pourrez
€ combattre et molester, vous autres qui tant avez la dent
« à lui, et à l'aventure le vaincre et humilier, si cela
« vous est permis de fortune, ou que sa destinée le porte
« ainsi ; mais ne saurez par tout vostre effort, diminuer
408 EXPOSITION
« son honneur, sa glorieuse renommée acquise en hautes
c opérations passées, laquelle, quand le corps vieUart
« seroit succombé en vos mains sous honneste et coura-
« geuse deffense, ne seroit pourtant point amendrie, ne
€ prosternée avec lui sous la clarté de vostre victoire;
« ains seroit chu plus glorieux vaincu, que vous, à bras
« deseure, ne vous acquerriez gloire vaincuers, parce
c qu'en juste deffense, posé qu'il y peut cheoir infor^
« tune, sy n'y peut-il cheoir reproche; mais est titre plus
c clair, cheoir courageux en juste querelle, que estre
« vaincueur en tyrannie. » Et ce considérant l'acteur,
avec ce qui est méri par avant, moult haut et moult clair,
et en quoy sa famé attend glorieux diadème, dit : que
maugré vous tous, ceux qui avez ainsi envie de ce qui
ne vous griève, meure, vive, soit vaincu ou vaincueur,
il aura son siège au plus haut du palais d'honneur, avec
tous les meilleurs et les plus nets de la terre, s'en ses vieux
jours, et contraire de ses mœurs et conditions, il ne se
mue et change, et souUe et pollue tout volontiers ce que
si curieusement a gardé jusques-cy ; que l'acteur ne craint
point. Et parle droit-cy l'acteur notamment contre ses
envieux égaux de lui et moindres, et non pas à autres.
Dit en outre l'acteur en son soixante-deuxiesme article:
Montez, régnez, smpliez vos clostares, etc.
Droit-cy l'acteur présuppose le pire encore par devers son
parti, comme tout reconforté du meschîef, et concède que
le bras des François se pourra tant estendre et soy eslar-
gir, que le monde et les nations voisines tremblent devant
luy-mesme, pourra faire humilier, si l'aventure le doit*
' Lisez : Le donne ainsi.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 409
ainsi, cestui duc son maistre de quoy la hayne des Fran^
çois seroit estancée alors : toutesvoies, dit l'acteur après,
quand François auroient toui ce parobtenu, et que l'as-
sailli seroit chu à l'envers, ses pays trascés/ et courus, ses
hommes et subjets mis à Tespée, et dissippées toutes ses
richesses et substances, toutesvoies y a-il une chose à la-
quelle il leur deffend qu'ils ne atouchent, laquelle lui-
mesme a conquestée et est inexpugnable et invincible :
c'est l'honneur, la gloire et la bonne famé qu'il a acquises
en son temps par léauté, par preudliommie, par intégrité
et par noblement et chevaleureusement vivre avec tous les
meilleurs de la terre, entre lesquels ne se trouvera nul
plus clair, ne pins net. Donc, en conformant sa raison, il
expose plus amplement ce qu'il y entend, et dit en son
soixante-troisiesme article ce en quoi glt la custode de son
honneur, la garde et conserve de sa splendeur et clarté,
qui n'est ailleurs qu'en sept pieds de terre très-glorieuse,
que honneur lui garde, et qui sont plus dignes et de plus
grand fruit que nulle couronne , es quels tant plein de
gloire et de bon nom, plein de mérites et de hautes re-
commandations, il gerra enseveli comme la précieuse
pierre est assise en l'or. De laquelle fosse, posé que ser-
pens et venins plusieurs y pourront circuir autour, sy y
pourront-ils mourir plustost que y atoucier, parce qu'en la
précieuseté de sa famé ne pourra mordre venimeuse
langue.
L'acteur, veullant confermer ceci : que ainsi en est, et
que son honneur est si par très-clair comme il afferme,
dit, en son soixante-quatriesme article, pour contemjmer'
' ConUmpner (du latin : eot^temno), mépriser, flétrir.
4i0 EXPOSITION
les ambitions et vaines gloires de ceux qui parent leurs
cœurs autrement eu la vanité du siècle :
Cest cy raoqLoest de ees longs Jours félioes, etc.
comme si Tacteur voulsist dire : c Cestui pcmrchas et
« contendement qui est de mourir en nette famé et claire,
« non avoir riens fait, ne conseillé qui ait esté contrehon-
c neur, ne contre entière preud*hommie, soy estre ofifortà
« servir Dieu et la chose publique, avoir ^isievi vérité et
« raison humaine, affecté bonnes mœurs et opérations
< nobles : c*est ici Tacquest de ses longs jours; c*est ici la
< chierté qu il propose devant toutes richesses et posées-
f sipns de seignouries, lesquelles mourront avecques lui,
« m^is cecy ne lui mourra jamais. » — c Or lui r*0Btez, ce
« dit l'acteur, cestui acquest; r*ostez*lui ses villes et
« cités ; déprivez-la de toutes ses possessicms, par tyrannie ;
« vainquez-le et humiliez en bataille; faites-lui du pis que
« vous pourrez; au moins cecy ne lui osterez-vous jamais,
« et f ussiez-vous cent empereurs ; car il vous en fait figue,
f quand, en la perdition du tout, eecy lui demourraadjoînt,
a cecy lui demourra inséparable à toujours et non n?is*
< sable. Mais vous pourra bien tourner sa netteté en con-
« fusion et en enlaidissement de vos faces, quand si juste
% homme et si noble en tous ses faits, par envie, par dd,
« par pure malignité de venin, aurez persécuté et mené à
c sa fin, laquelle, vaincu au pis venir, lui sera glorieuse,
c et à vous dampnable et confuse, vainqueurs, i Et droit-
cy Taoteur, compressé en cœur d*amertume, et excité à
larmes par pitié du cas que parfondément a enfonsé, dit
en son soixante-cinquiesme article :
« L'estrif m'ennuie, et me poise que né suis de telle
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. l\\
« hieure, que traiter me convient telle matière, ne que les
« pitiés conçues me sont occasioQ de baigner ma plume
« en propres laines, qui aimasse mieux avoir autre occu-
« pation que ceste, qui est pleine de rumeur, pleine de
« mérancolie et d*amertume, et flnablement tendant à
« ruine et dampnation infallibles , par le conseil et pour-
« phas de Tennemi, qui allume tout ce feu et tient les
c qœurs de biiute sorte, les cœurs des princes, si vicieux
^ et si frois, que honneur n'y a lieu, ne remors habita-
« tion. » Donc plein d'ennui, de douleur et de passion, et
voiant que dire n'y sert riens, ne change, ne ne meut les
desvoiés, ains persévèrent plus et plus en leurs erreurs,
en leur^ dolentes et damnables entreprises, dit en son
soixante-sixiesme article :
« Pour mettre fin, ô vous François, en mon œuvre, la-
« quellp vous semblera plus aigre en son qu'elle n'est
« toutesvoies en essence, j'ai peur, si Dieu ne vous œuvre
« les cœurs et vous nourrisse d*un autre avis, que la con-
« séquence ne doie estre dure, et que les fortunes et
« occultes destinées incongnues ne fassent rapt et exter-
< mination finale de ce royaume, par vos péchés, par vos
< envies et divisions, en quoy chascun, comme pour soy,
« doit le guet pour s'en parer et justifier. » Et dit notam-
ment rapt; car, comme l'escouffle* vient fléchissant des
ailes au long de la terre, et ravit le poussin et l'emporte,
ains ont esté les autres règnations de jadis emportées et
triinsférées d'une main à autre et venues à leur fin; et
pareiUeinent pourra avenir, et ne sçait-on quand, de cestui
très-glorieux ettrès-chrestien royaume, qui plein de gloire
anciennement et de vertus, chiet h nos yeux et se renverse
* JBêcotufie, milan, oiseau^de proie.
412 ■ EXPOSITION
& plénitude de vices. Laquelle chose Facteur regardant,
et veuUant mettre au front des François ce qui autrefois
et toutfreschementles avoit mis tout bas, pour leur donner
hide du danger où passés sont, leur dit :
« Felle jadis division murtrière mena presque ce
a royaume jusqu'à finale termination, mais après que
« grâce de Dieu l'en a déjettée, dont il a esté remis sus et
« relevé assez glorieux, tantost arrière s y est reboutée
« dedans; et l'ont repris par devers eux les hauts mem-
« bres d*icelui, à leur piteuse et très-confuse attente. >
Et dit l'acteur notamment division murtrière, non pas
que par ce il entende nulles vilaines œuvres du temps
passée mais que division, en elle-mesme et de sa nature,
est murtrière cause, et fait avenir murtres, homicides,
ruines de peuples, blasphèmes de Dieu, et toutes choses
inhumaines et dyaboliques, que le monde abhominer doit,
et Dieu non tolérer.
Donc arrière, plein de regrets l'acteur, et pour faire
mieux apparoir que les choses touchées dessus ne lui pro-
cèdent point tant de felle courage envers nul, comme de
dévotion à la chose publique et honneste, jettant ses yeux
au ciel, invoque Dieu et tout ce qui peut avoir puissance
ou administration en humaine salut, et clame envers for-
tune et nature, envers toutes les puissances célestes de
lassus, et toute bonne et dévote créature d'icy en bas,
priant que pitié leur puist prendre de cestes si douloreu^
ses et dampnables questions et chétivetés, qui aujourd'hui
se nourrissent, en dure attente et perplexité de l'univers
monde chrestien et de chascune privée personne, par
l'instruction de l'ennemi, qui les bons contend à faire per-
dre en ttibulation, et les mauvais essourdre en règne et
durée pour desrigler tout l'univers. Par quoy, en cestui
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 415
son soixante-haitiesme article, dit enfin : que ne peut
percevoir riens autre en cestes rumeurs et tribulations
présentes, que fin prochaine en vieilles prophéties, et que
nous sommes sur la fin du monde, sur la venue d*Ânte-
Christ, que nostre rédempteur Jésus nous a certifié de
venir , et assez démonstre Teure et le temps par les cir-
constances que mises y a, et qui maintenant et de piëça
appèrent et ont eu continuation longue; car foy et charité
fallent par l'univers siècle, amour et cordialité entre pa-
rons, nature entre enfant et père, vérité en cœur des
princes, honneur et vertu entre les nobles, vergogne et
honnesteté entre les prélas ; se prisent vices et desrègle-
mens; se quièrent vanités et ambitions, flatteries et volup-
tés de corps; n*est cure aux princes des choses de Dieu;
ne leur est cure de la chose publique ; ne leur est soin de
félicité commune, moins encore à leurs nobles, moins
encore à leurs conseilliers, moins encore à leurs juges et
préfets. Mais tous au privé bien entendent; Dieu ou-
blient; honneur ne congnoissent; de pitié n*accontent ; au
salut ne avisent ; seulement au corps malheureux vivent
et l'ennemi servent. Donc à ceste cause sourdent gens
contre gens, peuples contre puissances, régions contre
royaumes ; et les roys et les princes de la terre, par con-
voitise, par affection desriglée, par ire, par envie, par
gloire vaine, par affection de régner, s'entre-ruent, s*en-
tre-mordent, s'entre-confroissenten batailles et en effusion
de sang, dont ne leur est ne que de bestes mues ; car pitié
n*a lieu en eux, ne crémeur de Dieu. Et par ce dit Tac-
teur : que TIestes choses considérées , n'y entend autre
chose, fors fin prochaine en toutes vieilles promissions.
L'acteur met en son soixante-neufvie^ne article icy la
vision deMéronnée, de laquelle ne fait guères ample réci-
414 EXPOSITION
tation, parce (][u'il la remet en la main des clercs et de
ceux qui hystoriens sont. Et encore présentement moj
n'en quiers faire autre déclaration que celle de l'actenr,
parce que le quérir au lieu où il est escrit, pourra donner
contentance aux affectans, savoir le mistère.
Sy met droilrcy Facteur son dernier couplet, qui fait le
soixante-dixiesme.
Cestui article ne besongne de nuUe exposition autre
que la lettre lui baille, excepté que l'acteur donne plaine-
ment à entendre par icelui quel homme il est et de quel
fons lui est mu son ouvrage, quand il requiert à Dieu
pour amendement en tout cela où il fait besoin, et pour
conservation en paix et en bien, ce qui est en bon train.
Donc après il recongnoit la povreté de sa passion, qui a
esté cause de son aigre escrire, et confesse que si le fruit
peut estre povre qui en sera tiré, encore sera le délit moin-
dre qui s'y assavourera par cause de son aigreur.
Dit toutesvoies en sa dernière ligne là où il tout clôt,
pour tant mieux pardon obtenir envers les mal prenans :
que tel qu'il est, il l'a fait angoisseux et plein de larmes,
en son lit. Donc, comme larmes procèdent de racine de
charité vraie, présuppose et entend que son œuvre doit
estre prise et entendue cotnme faite à bonne fin, parce
qu'elle procède et est fondée en bon (jommencemetit.
Dame doncques, françoisé Fmaginatim, vecy le répa-
rement que j'ai sçu faire présentement sur le mordftnt
langage de l'acteur dont tu t'es plainte, euidant y avoir
cause plus juste à laventure que je n'y ^tttends, si mes
spéculations et parfondances de vérité peuvent avoir lieu
et prévaloir sur mauvaises interprétations grosses et non
bien atteintes eiyp racine, comme il siet considérer plus
parfont maintes fois que le sens littéral, lequel en sa pre-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 415
miëre conception souTont est tout antre à Tintention de
Facteur* Siques, dame, si mes présentes expositions te
peuvent suffire et donner contentement, j'en loue Dieu et
en répute mon heur bon, sinon par ce toutesvoies que je ne
puis excogiter réparation plus ample, ne plus vraie. Sy
convient-il que je m*en tienne à tant, et que j'en attende
ton bon plaisir , comme qui ne puis désavouer l'ouvrage
qui fait est, et que tu as par devers toy en nom de celui
qui en est l'ouvrier.
Donc, jà-soit*ce que je redoubte assez que, non obstant
mes solutions, ilne te doie demeurer tondis des soupeçons
non bien apaisées, sy m'est-il espoir à l'autre lez, que
tu, qui es concierge de tant de nobles et de haulx cœurs,
pleins de science, pleins de vertus, pleins dé bonnes
mœurs, pleins de preud'hommie, pleins de grand sens et
de prudence, seras trouvée aussi contentable avec eux,
comme avec autres de perverse condition murmurant
tousjours et doubtive.
Dame, le lieu de ton habiter, si le ciel a plénitude d es*
toiles, sy a-il plénitude aussy de cœurs nobles en son
dos; et n'y fallent prudences et profondités graves, ne qne
au firmament le soleil, sur lesquels, en tout l'estroit parai-
1er, je me fonde et confie. Et ne m'est la difficultatioiï
des cœurs volages point tant crémue, que la saine concep*
tion des prudens hommes ne me soit plus potence de
repos. Donc, et si aucuns non convertissables, comme l'on
en trouve beaucoup, disoient : c Que nous est-il des solu*
« tiens et des vestemens que tu trouves droit-cy pour
« parer un injurieux livre, dont tousjours le venin perce
« la couverture ? £t nous cuide Entendement faire à croire
« que blanc soit noir, et que ce que nous voyons noir aux
a yeux et au sentement, que par fallaces et par tour-
4iC « EXPOSITION
« noier autour il puist devenir blanc? nenny voir 1 Donc-
« ques ce que entendement en fait, il le fait constraint,
« et parce que lui-mesme perçoit que le cas est mauvais
a en soy et plein de venin; et pour tant contend-il à le
« parer et vestir d une robe de déception , pour abuser
« gens; mais toutesvoies ne peut» que tousjours la chose
« ne demeure en sa nature, telle comme elle est, et que
« Facteur aussy ne demeure enfangié de l'ordure de son
« escrit. »
 cest argument il y cbiet, dame, response moult belle.
Et prends, au nom de l'acteur, le pire que telles gens
pourroient supposer, et que l'acteur soit vaincu de non
avoir autre sens en son escrit que le littéral, ainsy qu'il
glt. Donc, pour lui venir à secours, et que raison veut
que la plus foible partie trouve main forte aucune pour la
deffendre , je dis pour l'acteur : que encore en son sens
littéral ne peut avoir tant de mespris, qu'en équité et ju-
gement de raison saine ne se puist honnourablement
parer et sauver sans encourir grief. Et ce je te prouve par
exemple et par induction véritable de ce qui avient tous
les jours par fait, qui est trop plus que parole. Tu vois
tous les jours vassaux avec leur prince mener guerre
encontre un autre plus grand , et iceux mettre main vio-
lente en un roy, ruer en lui et se joindre au corps en ba-
taille, le vaincre et occire sous la main de son seigneur.
Comme doncques main mise est le dernier exploit d'appétit
vindicatif, et que nulle injure n'est si griève que percus-
sion, n'est doncques parole aigre plus supportable que
main mise, quand main exécute son ire par fait, et cœur
passionné tant seulement par parole, qui ne offense que
l'oye? Donc, comme vrai est que Dieu a créé les hommes
de divers seçiblans , les a créés aussy de diverses condi-
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 417
lions, de diverses natures et influences, et leur a donné
diverses propriétés différentes : les uns a fait ndstre à
labeurs et œuvres serviles, autres à gouvernement de villes
et de cités, autres à préfectures et dignités sur le peuple,
autres à marchandises et mutuations de biens , autres à
servir Téglise en diversités de degrés , autres à maintenir
Testât de noblesse en diversités d'ordres, en bacheliers, en
chevaliers , en barons et en haulx princes , roys et ducs ,
qui tous respondent à une vocation finale, qui est de def-
fendre l'église de Dieu, augmenter et targier la foy chres-
tienne, garder le peuple d'oppression, maintenir la chose
publique et conserver en estât, rebou*er force par roideur,
ttrannie par puissance, rébellion par bataille, fortifier
paix, esvigorer justice, et soustenîr et essourdre vertus et
vie tranquille.
€estes droit-cy sont les propriétés appartenans à Testât
des nobles, et en quoy se doivent exposer selon leur voca-
tion. Donc et comme il a ordonné une telle iérarchie de
précieux hommes bateîllères, et qui ont cœurs pour haute-
ment emprendre, perfections pour glorieusement conduire,
natures non espaourées, corps pour rompre batailles,
bras pour vaincre et Mre cheoir hommes par milliers :
ne peut-il avoir créé aussy et fait naistre aucuns qui ont
natures pour loger diverses conceptions , yeux pour spé-
culer et entendre les choses variables de ce monde , dont
les unes sont contemplatives, autres de triste inspection?
Et emprès tels regars, comme choses conçues donnent ou
passion ou joie, et qu'en l'homme n'a membre qui ne serve
et n'ait son oflBlce, tf y peut-il avoir langue qui profère ce
qui est conçu, et main qui mette en escrit la vuidange de
son entendre? Certes sy fait. Et sont tels gens aussy né-
cessaires et de semblable utilité avec les autres, à prendre
TOH. TI. 27
418 EXPOSITION
les circonstances et conditions des choses temporelles , qui
besongnent d*aatant de personnes diverses, comine les
événemens sont sauvages et de diverses natures.
Escrivans, dame, en lotienge , on ils rafferment et en^
conragent les bons en bon persévérer tous vivans, on ils
exaltent les esvanouis du siècle et les couronnent en re-
nommée, lors quand ceux qui reprennent et détestent ai-
grement les fautes conçues, profitent souvent, et réduisent
les délinquans de leurs vices, parce que nature raison^
nable , souverainement en prince , doit affecter toujours»
avecques haute régnation, claire renommée, ou la fin con*
tredit à son contendre * .
Dame, doncques, contente-toy, te prie, de mon res-
pondre, et ne te griève si les hommes usent de la vocation
telle que ont de Dieu , et souverainement quand leur user
n'est qu*dn office honneste, en œuvre profitable et utile,
et conjoint à la vérité souveraine qui est Dieu, qui envoie
ses instrumens en terre tels qu*il lui plaist, et comme il
voit estre utile et expédient. Et te recorde, pour fin de
mon conte : que comme le marteau est instrument au
fèvre diversement, à l'un pour rompre fer et le planier
par force et vigueur, à l'autre est instrument pour ouvrer
en or et argent qui sont métaui précieux , là où le férir
dessus est doux et amiable : pareillement est^il ainsi de
* Le Vénitien Laurent Justiniani, adressant au prince de Galilée, à
un descendant des Lusignan, une Tic de Cimon, fils deUiltiade, y joi-
gnait ce noble éloge delhistolre : a Sachez, prince! quMl y a dÎTersea
« branches des lettres qui peuvent être Thonneur et Tomement des
« hommes illustres, mais Tbistoire est surtout utile à ceux qui, comme
a VOUS, sont appelés à prendre part à de grandes choses. L^hlstoireen-
a soigne aux grands comment ils doivent viyre, et elle ne peut être ni
« assez cultivée, ni assez méditée. C'est Thistoire qui est raiguillon de
« la vertu, et combien sa mission n'est-elle pas féconde, quand elle
a s'adresse h des princes qu'anime déjà la passion de la gloire ! •
SUR VÉRITÉ Mal prise. 419
rhumain engio. En matières roides et rigoureuses, il con-
vient férir dessus à Tavenant de leur nature pour les
amollir ; et en celles qui sont douces et agréables aux sen-
temens , \h volentiers se délite et j preste main décora*
tive, pour encore le» faire plus belles et plus claires par
son art, et que les autres, qui les regarderont après lui,
puissent prendre délectation en son œuvre.
Et à tant je mets fin à ceste contention avec toy, et te
dis adieu.
Lors comme les paroles estoient finées entre ces arguans
à ma cause, et que Je perçus aussy soudainement esva-
nouir tout, comme soudainement s*estoient venu apparoir
à moy leurs personnages, alors, tout revenu à moy et
resvertué en mes esprits, commençai à rendre grâces à
Dieu du fruit que tiré avoie de ma vision, et de la très-
saine ethonneste réparation que avoit fait Entendement smt
mes escrits, dont hautement me tenoîe joyeux. Mais, comme
une chose encommencée si substancieusement comme
ceste, et déduite par tels personnages comme drolt-cy ont
esté oys, ne devoit avoir que terminatîon de mesme par
aucune glorieuse issue , au point proprement où tous les
autres s'estoîent esvanouîs et perdus, ne savoîe où, advîs
m'estoît que de loin visse ouvrir unes courtines asurées,
semées pleines de fleurs de lis d'or, là où estoit dedans la
très-noble et très-humaine personne du roy, qui arrestée-
ment contint ses yeux en ma très-povre personne, sans les
en retraire. Donc moy doubtant que ce ne fist par aucun
mistère, fust de malveillance ou d'autre couvert appétit,
et que raison aussy me enseignoit que révérender dévoie
la noble représentation de sa vive image, me laissai cheoir
à genoux.
490 EXPOSITION
Et lors, par espoir de lui pouvoir attendrir le cœur, si
mu l'avoit à rencontre de moy à l'aventure, ou de le pou-
voir traire àbénigne ascout , si envers autrui pouvoit avoir
intention non profitable, fondant larmes des yeux, avec
gémissement de voix, commençai à crier en haut et à dire :
O RATION AU ROY
POUR FIN DB LIVBB.
très-chrestien roy des Frans, très-noble et très-excel-
lent roy Charles , que tant ont vu hommes en affliction
dure, tant circui à tous lez dlmpugnation ennemie, qui
conduit toutesvoies tousjours et non relenqui de la main
de Dieu, -as vaincu tout et suppédité par vertu, as trium-
phé sur la moqueresse fortune en constance, et tirant fruit
de ton vertueux persévérer en labeur , es monté glorieux
et tout sage en la sublimité de la roue , là où te regarde
par admiration confuse celle qui te soloit faire la moue
jadis, en desrision costumière! trèa-glorieux roy donc-
ques, roy esmerveillable et prodigieux, roy plein de mis-
tères et de divines ostentions, que sens ne parataignrat,
ne entendemens à comprendre suffisent 1 ici preste bénignes
oreilles, droit-cy atourne tes royales clémences, et qui con-
gnois toutes précieuses fleurs croistre sur estocq humble,
dévale doncques ta précieuse nobilité un peu envers ma
personne, qui suis, comme le poulieul ' de la terre, tout
povre, et toy le précieux cèdre de Lyban, là où conve-
nience ne peut avoir aucune, proportion nulle, ne confor-
< Ce mot manque dans les glossaires.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 421
mité, sinon d'autant que ta hautesse se pourra humilier
envers ma basseur et me prendre en grâce non digne.
le soleil des princes , ciel reluisant sur les mortels
hommes, plein de djaprure céleste,^ plein de glorieuse
impression divine , plein d'exaltation de fortune, plein de
faveur et de dilection de nature, qui tout le précieux de
son contenir rue à tes pieds, tout Tabscons de son cloistre
te présente en service, et non ayant riens autre que or
précieux et gemmes en dignité emprës toy, les estime non
comparables 1
perle des roys, roy très-clair et luisant, roy juste par
succession légitime, mais plus roy encore par dignité de
personne , qui as en toy mœurs et conditions royales,
et vertus à régalité requises, et par lesquelles non-seule-
ment ta personne , mais les hautesses et dictés du haut
nom de roy sont décorées 1 Roy très-humain, roy très-
expert et prudent, roy exalté plus par vertus que par for-
tune; roy régissant et régnant, roy que non nom seule-
ment mais fait glorifie : moy ton très-humble orateur,
serviteur indigne et scabeau de tes pieds, requérant grâce
et merci , miséricorde et clémence, non pas seulement de
pardon, mais debening ascout, à vue déclinée enterre»
aujourd'hui, à genoux révérons et mains jointes, à voix
souspirant et alarmes missives, viens aourer ta face,
viens rouver ta bénignité intériore, viens exclamer et re-
quérir ta toute humble débonnaireté et bénivolence ,
laquelle, par grâce, non par mérir, mais par noblesse de
bonté propre je exore que me soit donnée !
N*es-tu l'exemple des vertus humaines? n'es- tu le
cofire de toutes mœurs et conditions nobles? n'es^tu la
balance du vrai poids et équité du monde? sy es, voir!
Donc, sans ce que tu soies l'estoile des roys très-claire, sy
4S2 EXroSITION
es-tu la roche inexpugnable aussy et invincible que re-
doubte fortune, que fortune craint et frémit de aheidre;
comme qui vaincue est en ta vertu , matée et ruée à l'en-
vers; et rompue confusément et froissée entre tes mains,
s'est rendue à ton sceptre ancien et t*a abandonné def et
eschielle de sa roue.
roy très*noble et clément, roy de cui bonté et vertu
tant se sont perçu d*bommes, tant se sont sentu et expéri*-
mente diverses créatures, roy proprement insécuteor de
divine condition qui est miséricorde et bénignité, modes-
tie et clémence, espaigne de sang et taidivité à fureur :
par peur aucune qui m'est prise que ne puisse avoir
offensé ton r^ard^ eommu aucunement tes royales en-
trailles^ pour icelles, si ainsy estoit, remettre en leur
paix, pour à toy exhiber gloire et laudations condignes,
pour procurer au monde salut et transquiUité , et à moy
propre justification libéralement ascoutée, après l'ex-
position de mon livre droit-cy que Entendement a fait du
tout et en tout, je m'en viens mettre en tes mains, je m'en
viens rendre en ta correction et chastoy; et qui, par
prmidre peu4restre mes paroles plus aigres que je ne les
ay pensées, as pu avoir sang altéré de toute la corrosiveté
d'icelles^ j'expète miséricorde , protestant devant Dieu et
toy, que riens n'ay dit et escript que à intention de bien,
à affection de salut et de paix, et par condoléance de
l'austère marastre fortune d'aujourd'hui , qui toy et mon
maistre, ton humble frère et parent, ton léal vrai cordial
serviteur et ami, tient et a mis en question , en frivoles et
murmures ensemble, et en froideurs et dampnables difi-
dences, de quoy les expectations du monde sont de mau--
vais espoir, et à moy causes de mon aigre ^escrire.
Donc, et afin que tu pardonnes à ma fragilité, congnoisses
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 425
aussy le bonté de ton léal humble parent, et à toy-mesme
tu profites et vailles en honneur et salut» quérant union
et ccmeorde entre toy et mon nourrisseur, transquillité par
le univers siècle» en rudes et mal assis termes viens exorer
ta bonté, implorer ta grâce et clémence, et suadant paix
et retour de ton ire , présenter & ton oye aucune en moy
conception fructueuse.
O très-humain prince! et s'il te plaist que présentement
ouvrir puisse mon estomac, et que je monstre révéram-
ment à tes yeux ce qui s'y cœuvre, sire, tu y percevras
douleur justement causée, et intention bonne et honneste
tendant & fin utile. Donc, pour toy attraire bénivolent en-
vers moy, et toy donner à entendre la vérité de ma cause,
comment me suis mu et enaigri ainsi, non pas envers toy,
mais envers tout autre à qui il touche , sire, mon premier
mouvement sy fut : que un jour passé,' h mes yeux inté-
riores se prés^ta en mon estude mon maistre le duc,
lequel tout vestu de ses armes, mais d'un manteau long
tout noir où estoient tissus dedans multitude de larmes
avecques lettres d'or qui disoient : Etenim sederunt prin-
cipes, et adeersum me loquébantur; servus auUm tuns
tzercehatuT in justificationibtts tuis \
Lequel, comme ainsi vestu s'estoit monstre devant moy
et que le regardasse ententivement , ne me donnai garde
que soudainemeni; le vis cheoir à genoux. Donc, esmer-
veillié de la cause, et devant qui ce fist, surlevai les yeux
4m peu. Et me sembloit que de loin visse ta noble personne
laquelle il révérendoit , et du doy touchant la lettre du
manteau par embas, te monstroit la clause qui vers toy s'a-
dressoit, répandant larmes abondamment avec l'ostension.
< Pm/m, Gxvin,23.
Ali EXPOSITION
Et moj, prestement privé de ceste Tision mentale et
glosant sur l'entendement d*iceUe que je compris , et me
sembloit piteux en mistère» commençai à plorer aussy par
compassion du cas « de qui je tiroie douleor touchant
l'une part, et de l'autre grant joye pour son fructueux
donner entendre. Car me signifioit la clause première,
haynes et machinations mauvaises à rencontre de ton
noble parent, en pleine congrégation des princes : dont,
avec autres choses précédentes beaucoup que j'avoie re-
cueillies, je ne pouvoie riens traire fors noises et débas,
rumeurs et tribulations misérables renouvelées arrière en
to.n royaume , que tu si glorieusement avoies purifié. 3y
m'en estoit la conjecture finablement désespoir, et lex-
pectation non. autre que de mourir en tribulation povre,
comme je fus né. Â quoi veullant prévenir par remons-
trance, j'en ai un peu vuidié trop légièrement ce que j'en
avoie en courage, où toutesvoies la fin de l'intention doit
parer Tardant' aigreur du procéda.
La seconde clause, sire, qui me donnoit joye et m'estoit
fondement très-seur d'un noble édifice , icelle certes je
attribuoie à toy, comme j'avoie vu qu'en icelle s'estoit hu-
milié envers toy la personne de mon maistre , qui non
content de toy monstrer la lettre une avec son courage, la
séella des larmes de ses yeux pour t'en monstrer l'origine;
car lui qui avoit fons véritable, cœur noble et léal,
comme prince qui recongnoit Dieu et soy-mesme, qui aime
juste opération et fuit blâme, dolant de la charge et mali-
gnité de ses hayneux, devant tes pieds se laissa cheoir
humble ; et veullant, comme devant son juge et seigneur,
remonstrer leur tort, se prononcia; et disoit : Servusau^
tem tuus exercébatur in justificaiionibus tuis. Sire , ton
serviteur humble a esté toujours net envers toy, ne s'est
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 425
en riens desvoié en ton contraire , maïs s'est embesongné
toujours vertueusement en ce qui te doit estre agréable et
à lui juste. Donc , de l'interprétation que je y conçus ,
avec la réalité que je congnois estre ainsi, ensemble et que
mes yeux virent ceste humilité cordiale, et voient tous les
jours, je Tai mis second fondement de mon œuvre dont
l'indignation m'a esté causée.
très-clément royl souflFre, te prie, que maintenant,
en délaissant la cause de mes ruineux escrits de pièça, je
te remonstre la cause de mon venir droit-cy et de mon
humble et clamoreux parler de si loin, qui ne voy que ta
figure comme en un miroir. Sire, te plaira-il de livrer
ascout, ne de prester yeux à l'affection d'un si povre
homme que moy? Tourne doncques droit-cy ton humilité,
et te rabaisse à entendre ce que ardeur d'amour et prononce.
Sire, la cause de mon clamer droit-cy, sy est paix
affectée, et guerre à l'autre lez que je redoubte. Donc,
comme paix est une félicité commune en quoy Dieu se
sert et se glorifie, le monde prend salut et repos, le bien
public se augmente, et le privé ^e multiplie; par con-
traire, guerre est la goule et le gonfle de l'ennemi, qui
humaine salut absorbist en son ventre , le monde désor-
donné et desrigle, félicité désempare, chrestienté mène à
perdition, et toute stabilité terrienne démolit et renverse.
Sire, qui est plus expert au monde de ses conditions
que toy? Qui est-il qui en est plus sage que ta personne ,
qui né en la grippe de sa malédiction toute horrible, y as
parcru dedans, plein de haulx jours, premier qu'en trouver
vuidange, là où les assais d'adversité mainte, lesimpu-
gnations d'austère fortune marastre, te ont fait le plus haut
sage roy, le plus expert esvertué prince, le plus purifié
en la fomaise d'examination aspre, qui oncques nasqui
426 EXPOSITION
guëres, et buvant le vin d'iunertume, tout jeu, [et] paia
de douleur encendré de mérancolie, tout viel, aprièmes
es parvenu au goust délitable et à saveur nourrissant
digestive. Donc, recordant les inquiétudes passées, les dou-
leurs et afflictions juvéniles, maintenant tu trouves repos,
maintenant tu trouves solasetquoyeté, et te savoure mieux
une heure de vivre, que tout l'eage passé, Pourquoy?
certes, par le rendage de paix que Dieu t*a transmise et
que tu vertueusement en grand labeur et soin as procurée.
tu roy, doncques, glorifié hautement en compression
d'infortune, que mordant guerre fa procuré, et par la-
quelle, en toy desveloppant d'icelle, tu es devenu vertueux
champion par en avoir obtenu victoire, ne te semble-il
que le rentrer arrière en champ clos contre elle te pour^
roit causer péril et faire apparoir moult d'infortunes
bien à craindre? non pas tant seulement en ta personne,
mais en tout lunivers que tu as en garde, et lequel en
luite et championnage de quarante ans, le vent au visage,
tu as mené enfin en terre de promission, en transquillité
de vie et de labeur, et en obtention de la grâce de Dieu
et de paix, qui maintenant arrière, toy scient, ce semble,
branle et vaucre en péril, et pend à un fil de soie non
torse, en périlleuse aventure.
tu, roy noble et humain , ô tu roy tant précisément
expert des misères du monde , ô tu qui par adversité tant
es devenu sage, par diligence et sollicitude tant es devenu
glorieux, et oncques n'exposas vertu nulle, ne vigueur
que à intention de paix obtenir : maintenant quand tu l'as
embrassée, ne la dois-tu tenir estrainte? ne la dois-tu tenir
jointe à tes flans et prochaine , et non souffrir ealongier
de ta garde celle qui est i»roufitablie et salutaire à tout
l'univers siècle?
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 427
Sire, tu-^s le plus e^Mrouvé chevalier des vivans; tu es
le plus expérimenté en lice estroite, qui oncques çaîndi
espée; battue jeunesse fa fait grave en haulx jours, et
meurté de jours graves te redonne espoventement des ba-
tures passées. Doncques, quand sens est en toy par apre-
sure, et nous Vj véons et sentons par expérience, et que la
vérité est telle qu'en sens et vertu seule tu règnes et floris,
tu es monté et glorifié jusqu'aux nues, ne veux-tu, en ce
par quoy tu es monté en prospérité, persévérer constam-
ment et en ferme proupos, de peur de non redescendre?
non plaise k Dieu, sire, qu'en ce tu failles! n'avienne
jamais que non cbalant tu cecj ignores, et que tu, qui es
si glorieux roy eagié, tant décoré de précieuses gemmes
esquises,tu offusques celle splendeur glorieuse par aucune
povreté de passions, que tu, en vertu dont tu es plein,
dois vaincre et dompter, et monstrer que, qui as sçu
vaincre et aurmonter légions d'bommes, as bien sçu
vaincre aussy et triompher sur tes passions propres.
roy excellent, et s'il loist clorre un oeil devant ta
majesté excelse, s'il loist non regarder d'ioelui ta haute
dignité radieuse, et l'autre ouvrir envers ta personne
comme mortel homme, et te semble-il à autrui pouvoir in-
férer guerre et observer propre paix? et quand l'occasion
aucunement y pourroit estre juste, que la production en
peut estre salutaire aux jours où tu es parvenu , qui es
déjà venu à eage bien avant , et plus encore près de soleil
abscons celui en qui tu te troubles? nenny voir ! il ne
t'est possible, et encore moins portable à ta raison, que
présentement, quand tu vois l'Église de Dieu désolée vau-
crer et mendier en emprunt , la foy estre impugnée de
main vile, icelle prévaloir sur le divin peuple, menacer la
religion chrestienne criant sur toy et pleurant comme
4iS EXPOSITION
posteau de son attente, et tu, endurci en cœur, fuyant Tap-
partenir de ta vocation, et obéissant tout à volonté ireuse
encontre ton propre sang , encontre ton humble cordial
serviteur et ami, qui mesme se veut exposer en ton def-
faut en ce que propre dusses entreprendre, tu resmusses
guerre, tu renouvelasses tribulation passée, tu renchar-
geasses mortalité sur plaie endormie, et que tu, qui es la
tresmontaine des chrestiens , le ciel immobile des roys et
des princes, spectacle de paix et de bonnes mœurs , et as
purifié ton centre de toutes ténèbres , décoré icelui glo-
rieusement de félicité, tu arrière mettant le monde en
desvoy, et toy propre en affiction personnelle pour fri-
voles , pour questions non honnestes , pour passions vi-
cieuses, pour privées causes et rancunes, tu consentiroies
le fait de Dieu estre oublié, sa foy estre non chaîne,
chrestienté non reconfortée, la chose publique non réduite
à ordre, et povreté et tribulation humaine non estre mise
en estime! non plaise à Dieu, non plaise au roy de
lassus, que tu, oublieux de tant de grâce reçue et reve-
leux en la grâce de ta félicité, tu te refasses d*un roy de
paix, d'un roy possesseur de salut acquise, d'un roy con-
duit jusques ici du bras divin, plein de gloire et de clarté,
un roy infélice, plein de malédiction et de mauvaise
issue! Tu par cy-devant domptas fortune par sens ; tu la
vainquis par diligence ; tu la mis à tes pieds par courage;
et Dieu joint avec toy, tu déboutas guerre hors de tes
mettes , par main chevalereuse. Sy ne voudroies mie ren-
trer, j'espoire, en quoy tu es né, et ne voudroies prendre
issue en ce où tu pris doloureux commencement.
Tu nasquis en guerre et tribulation, et tu ne contends
mie à rentrer en celui eage. Tu pris commencement de
règne en pestilence, et tu ne désires mie à vuidier par
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 429
cdui destroit, ne prendre issue, quand rapprochement du
dernier jour de tout homme, la povreté aussy d'apesandie
tieillesse, pour félicité souveraine ne demande que trans-
quiUité de courage, paix et repos de conscience, pour per-
cogiter les mésus de jeunesse, et pour soy pouvoir en son
compte rendre où il se convient traire.
Donc, ce qui plus doit donner peur aux princes, par-
fonde et longue frémison en leur àme, c*est en examinant
bien et au net leur vocation, si icelle ont exposée en vanité
et privée gloire, ou en l'exaltation de la gloire de Dieu et
de l'utilité commune.
Que feroie-je longue persuasion à celui qui a bénigne
esprit, oreilles flexibles et débonnaires, nature toute pleine
de bonnes mœurs? Seulement, si tu crains Dieu et si tu
quiers sa gloire, si tu quiers propre salut et celui du
monde, paix seule doncques t'est nécessaire, paix est ta
rédemption, paix est le giron de ton repos, et ce en quoy
Dieu veut que tu le serves, que tu exposes tes vertus et
valeurs, et les autres chrestiens tu avoies et amesures en
tes exemples. Donc, comme paix est une chose divine, àtoy
glorieuse et salutaire, guerre aussy est production de
l'ennemi, douloureuse confonderesse de tout le monde, à
laquelle, quand tu luy donras voie et la mouveras contre
celui que l'on craint, tu la mouveras contre un dont hon-
neur une fois et nature te donront remors , et lequel,
quand tu l'auroies submis par amie fortune , tu auroies
obscurci largement du plus beau de ta gloire. Car est le
plus beau perle de ta couronne, le plus léal de ta progénie,
le plus humble envers toy de tout le siècle , et aussy net
chevalier et preud'homme qu'il en est nul en la terre
chrestienne.
Donc, et si tu autrement crois, c'est pitié; et qui autre-
430 EXFOSmON
ment te rap|)orte, ce lui est faute. Car, quel est envers
Dieu, est envers roj; et ne fait à croire que qui est exem-
ple d'humilité 'envers tout le monde, que envers toy son
souverain sire, le chief de sa gloire et splendeur, dusl
enrudir en mœurs, dust abastardir en condition noble, et
soy monstrer pervers contre jugement de raison saine.
Hélas ! sire, moult povre chose est que la vie de Thomme,
quand exposée n'est en vertu ; et moult est chose recom-
mandable aussj, quand déduite est , par bien faire, à fin
fructueuse, Sy n'est pas tant félicité , régner austèrement
sur les 'hommes, comme est immortalité de haut titre,
parattaindre à l'affection de leurs cœurs, laquelle ne se peut
conquérir par force, posé encore que les corps constrain-
tement se supploient à tîrannie.
L'amour, sire, des courages' est la richesse des princes;
et débonnaire tractance de subjet, c*est ce qui renforce
seigneurie. Or est tout clair ton royaume, ton thrône
purifié ; tout y est tranquille et paisible, ce qui à toy et à
autrui peut donner béatitude; et ce qui à mes yeux a
esté royaume de malédiction , cité de l'ennemi misérable,
est royaume de félicité maintenant, cité de Dieu glo-
rieuse, parla paix que tu y as mise et par la guerre que
tu en as deschassée par main forte. Donc ne reste mie fors
que division arrière n'y rentre par tes deffaulx, et qtfen
avancement de salut propre et commune, en exaucement
de la gloire de Dieu , par tes prudences et vertus, tu l'en
tiennes fourclose. Car est chose vraie : qu'en union et amour
avec tes suppos, il t'est plus expédient d'entendre en ton de-
hors, qu'en esvertuant force encontre toy-mesme, revigorer
tes ennemis, mesmes quand ton bras belliqueux, ta main
triumphante est requise maintenant en cas plus nécessaire,
1 Des courages^ des cœurs.
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 451
en œuvre plus méritoire et de plus grand fruit, qu'en
soy enaigrir en questions privées, en querelles et chétive-
tés non honnestes, de chrétien à autre, de parent à parent,
de seigneur à subjet, par Tattisement de lennemi, qui le
monde parvole et pertrasce, et encheme la rondeur chres-
tienne ; dont, 6 tu hélas ! as les miroirs qui te doivent non
seulement commouvoir les entrailles , mais fondre toute
ton àme et tes pensemens en larmes de compassion pi-
teuses, par volonté d'y remédier, comme celui dont les
progéniteurs nobles d'icj devant en œuvre pareille ont ac-
quis ce très-glorieux sublime titre, comme d'estre nommé
le Trës-Chrestien roy, non pas en confliction certes de
chrestien contre chrestien, non pas en exposement de
force par ardeur de convoitise, mais en estre bras deffen-
deur de l'Église, invadeur de ses ennemis, expugnateur de
ses hérésies , permainteneur de sa liberté, et répareur yé*
ritable et protecteur de la généralité chrestienne.
roy françois, roy glorieux si tu le sçais entendre, roy
bienheuré si txi le veux recongnoistre ! 6 que tu me coustes
larmes aujourd'hui t que tu me donnes pointures et dou*
leurs! que tu m'envoies angoisses et passions intériores,
quand tout plein de dilection envers toy , plein de tes haulx
et glorieux faits et vertus , plein de tes mœurs et de tes
nobles conditions fructueuses, dignes assez pour estre
second Auguste, nouvel César triumphant sur le monde ,
autre Charlemaine victorieux, je frémis à l'encontre de ce
que je crains que tu n'attemptes, et que de main propre
injurieuse à toy-mesme, tu ne dérompes ce glorieux dya-
dème qui te circuist et te préfère, si tu y pardures , sur
le thrône des roys.
comme peur m'est ^que celle clarté ne se contourne
en ténèbres ; que celle radieuse glorification parobtenue
432 EXPOSITIOU
ne redescende en estât infélice : que impossible est toutes-
voies, sinon par donner Toie à division, place à envie en
dedans ton clos, dont fait se pourroit sourdre, gfuerrey
rentrer et renaistre, et toy et autrui faire encourir en fin
reprochable et confuse* Donc, comme de la fin se trait le
titre de l*homme, et que les titres volontiers ensiëvent les
mœurs, tu qui auroies en disposition pour estre exalté avec
les preux, par tes vues et passions volontaires malheurée-
ment seroies devenu abjection et pied choulé des nobles.
n esr-tu celui qui représentes en terre Timage de Dieu, et
qui ensievir dois au plus près du possible ses conditions?
Oy voir! Doncques, si tu es ymage de celui qui est bonté
souveraine, donne doncques ce qui divin est, et tes mœurs
les conforme avec ton estât; donne paix à toy propre;
donne salut et soulagement au monde qui sous toy res-
pire; et qui as guerre enchâssée pour fin de paix, entre-
tiens icelle aussy pour fin de béatitude. Car est paix la
damiëre expectation de félicité ; c'est l'exultation souve-
raine des angels; c'est le solas et consolation des hommes;
c*est le repos de la terre, la seule envie de fortune, et qui
seule tient en estre et en vertu toute la construction de
l'œuvre divine.
Ô doncques , qui as icelle en ta possession , et qui par
si longue labeur l'as acquise et parobtenue, ne la dois-tu
craindre à reperdre? ne la dois-tu tenir clause et estrainte
entre tes mains , quand par icelle , tant que tu la tendras
chière, tu surpasses les roys de mil ans, tu survoles les
princes de l'univers siècle, et tant plus et plus hautement,
comme les fortunes en jeune eage plus et plus te ont esté
basses?
Sire, s'il te plaist l'entendre, amour vraie engendre
peur , et dilection vers aucune personne cause soin en
SUR VÉRITÉ MAL PRISE. 433
Tamant. Donc, je puis dire que amour aucune envers toy
me donne soin de ton estât, et que la peur que j'ay de ton
mescheoir, me procède d'amour, tant par congnoissance
que j'ay de ta royale glorieuse dignité à qui nul ne se acom*
pare, comme par nourriture que j'ay prise sous ton om-
brage en longtie habitude avec ta chevalerie, là où mon
heur a esté ample outre mon mérir , et ma fortune large
et amie sur mon appartenance. Sy m*en restent en-
core les impressions jadis conçues; et me causent amou-
reuses souvenances souvent les fréquentations que je
y ai prises, quoyque imputé m'est d'avoir aigrement
parlé, d'avoir mis termes avant, farcis de venin, qui
ne l'ai fait toutesvoies sciemment, ne à ce voulu con-
tendre. Donc, s'il peut ou doit estre ainsi tourné, sy
m'est*il parti de cœur adolu, d'estomac pressé en méran-
colie sur les choses que je véoie, là où cuidant parler
en équité entre frère et frère, entre père et enfant,
entre amant et aimé, sans regarder conditions, ne per-
sonnes, dignités, ne précédences, qui plus, ne qui moins,
je me suis eslargi peut-estre et eschauffé en mes paroles ;
et quérant fin bonne, qui est paix, par aigres remons-
trances j'ay esvidié mes passions à l'oye des princes,
comme à mortels hommes, sans toucher oncques toutes-
voies à ta hautesse royale, ne à la glorieuse inviolée
clarté de ta personne, fors à iceux seulement en général
qui parçonniers en ceste présente action, froids et hay-
neux, te distraient les oreilles de bénigne ascout, et te
fourvoyent à l'aventure et destournent de bonne œuvre.
Donc, marri en cœur, je crie contre eux, priant Dieu, ou
qu'il les révoque temprement de leur erreur et envie, ou
qu'il fasse punition publique de leur démérite ; car n'est
à maintenir en cœur de roy perversité nuUe, malice à hon-
TO». Tl. 28
454 EXPOSITION
neûr royal contraire, comme celui mesmes maintenant
dont iu te desfies, et qui est si vertueux et si noUe en
lenfonsure, qu*il ne Toudroit avoir pensement envers toy,
que tel qu'il vouldroit avoir son léal serviteur ou fils envers
lui, jà-soit-ce que moult de diffidences s*y entre^-trouvent,
par rinstinction de l'ennemi, qui impugna ta fâicité et la
sienne, et ne contend que à rompre le neu entre toy et
lui, poilr ambedeux perdre, et ce qui en deppend, qui
froids maintenant et pleins de rumeurs par malignes per-
sonnes, dussiez estre féablement conjoins en amour et
dilection charitables, l'un comme roy envers son ti!è9-oher
parent humide, et l'autre comme serviteur, léal mainte-
neur de sa querelle envers son souverain sire, par sup-
ploiement de l'un envers l'autre, selon l'eschëance des
fortunes et des opportunités auxquelles il convient appro-
prier lés affaires, par considération que besoin fait que
une main tousjours lave l'autre, et que le moins suffisant, en
autrui perfection et humanité, se parfasse et emprunte,
quand par telle accommodation, par telle amiable et libé-
rale prestance de l'un à l'autre , le monde dès oncques se
gouverne et pardure. roy singulier 1 et quelle cause
de hayne m'est-il, si je deffends celui que, toy seul réservé,
je congnois la perle des princes régnans, le réceptacle des
gloires et des gr&ces de Dieu , le coffre de léauté et de
preud'hommie, l'espargne des honneurs et des chevaleries
du monde, que toy-mesmes dois contempler, que tu
propre dois honorer et chérir, quand du tronc de ton
précieux arbre est partie plante si glorifiée que ton
thrône mesme en resplend.
cœur plein de prudence 1 6 noble royal nature pleine
de humanité! c'est d'icelui dont je puis dire : Susciians
â terra inopem, et de stercore erigens paupetem, «/ colhcet
SUR TÉAITÉ MAL FRISE. 435
étm eUm pnncipibuè populi 9ui'. Il nfà suscité de terre
poVre homme; et de potreté et ordure in'a fait sourdïe en
haut pour me loger avec les princes de son peuple ; lequel,
jà-wit-ce que clair assez soye de génération, et que moult
noUe et vertueux ventre me répandi en main de matrone,
ne fust toutesvoies de la grâce de Dieu, et de lui, qui povre
nasquis et petit en comparaison pour atteindre à si haut
que d'avoir un tel maistre, que d'avoir habitude et oon-
gnoissance de sa noble personne, et de le congnoistre en
fons et en mceurs , ne ftisse parvenu jamais là où je suii^,
là où j*ai obtenu en ses yeux grâce et bénivolence, outre
mon mérir, outre mon valoir et appartenir, et par
^nojr je suis tenu, tant -par bénéfice reçu, comme par
certainement congnoistre sa noble nature , de l'extoller et
louer, de le défendre et parer, et de le proférer et juger tel
qu'il est et que je le cognois^.et comme je l'oSe bien cer-
tifier et conclure non estre autre.
Boy très-prudent, donne soin, te prie, et disposement à
la crémeur de Dieu ; donne voie à toute noUe condition
royale ; donne lieu à vertu ; résiste à passion fragile ; et qui
par vertu et haut sens as obtenu gloire, par vertu aussy et
bon persévérer tiens serve fortune, et ne te soit rietis
désormais ceste povreté présente, ceste malheurée suspéc-
tion venue entre toy et ton humble parent; ne te soient
riens cestes douloureuses matières eslevées, non utiles,
non nécessaires, non honnestes, ains ruineuses et con-
fuses, dampnables et infamieuses. Tu as Dieu en objet et
sa foy sainte; tu as l'ennemi de la chrestienne religion,
invadeur de l'Église; tu as la corne des infidèles dressée
en ton front ; tu as desriglement en l'univers siècle ; tu as
* Psalm, cxii, 7, 8.
IZQ EXPOSITION SUR YÉRITÉ MAL PRISE.
clameurs à tous lez de la perversité du monde que tu dois
rigler, que tu dob restndndre et corriger» que tu dois
exempler et mettre à mesure, et non toy adonner à basses
choses petites, à propres privées affections particulières par
si^ ne par guia^ dont la fin» où qu^élle tourne » ne pourra
estre honneste, et moins encore à Dieu agréable.
Parfay doncques ton temps, glorieux roy! parfay-le en
gloire; parfay-le en béatitude et en crémeur de Dieu;
parfay-le en bénignité et clémence ; parfay-le en prudence
et compassion sur humaine salut! Et si passion aucune
de courroux peut ou doit avoir voie en toy envers aucun-
-nuy , je requiers doncques que ce soit en ma trës-povre et
très-petite personne, non utile à riens, non d'aucune
prestance à la chose publique, et non digne d'aucune re-
commandation. Car icelle libéralement je paroflfre à tes
plaisirs ; et baissant le col à l'exploit de ton ire, si ton
cœur y est, je prosterne le corps sous ton glaive, requé-
rant toutesvoies miséricorde, à laquelle je me recom-
mande, en laquelle je me confie «t repose. Et finablement
me subordonne et dispose à ta très-humaine bonté et
royale noblesse, qui, d'autant, comme le dd est plus haut
•que la terre et l'occident lointain du levant» d'autant a-il
distance entre ta noble nature et la mienne , d'autant a-il
différement entre ta perfection et ma povreté, d'autant
lointaineté entre ta glorieuse vertu et mon vice, lequel
j'ose bien submettre à ta correction, priant mercy, et par
humbles prières clamoreuses exorer Dieu pour ta bonne
vie et salut.
LA MORT DU ROY CHARLES VII'.
MYSTÈRE.
FfiUMé u reprd$$9Ue iûp e» forme JChol jferêù%%ag$ au roff
CkarUs Vil pour le glorifier es grâces g,ue Dieu a fonUes
pour luy et qu'il a reçues d sa cause durant son règne, et
parlent ensemble par dgalogue :
^AKCB AU BOT.
Roy excellent, roy d'immortel mémoire,
Boy de vertu, roy tout laborieux,
Boy triomphant» roy rôfulgent en, gloire,
Boy sur tous rpys, haut roy victorieux!
! et quel loa, quelle fiameuse histoire,
Mettray-je avant de tes faits glorieux^
Quand par clarté d'excellente victoire
En toy s'estend tout livre historieux
LE. BOT A FBANOB.
Boy jadis fus : or suys devenu terre.
Tourné à néant soubs reluisant couronne ;
< Publié d'après le ma. 190 de la Bibl. LanrenUenne à Florenee, col-
lationné sur le ms. 783 de la BibK royale de La Haye.
438 LÀ MORT
Sy ne m'est riens du los du monde acqaerre.
Ne de hault titre en quoy on me fleuronne.
S'en moy eut onc aucun effet de guerre,
La gloire en est à Dieu en son haut tronne.
Lequel pour tous m'a conduit en mon erre
Affln d'a(ttaindre au salut qui couronne.
ntANOB AU BOT.
noble roy, et com te glorifie
Cestuy reffus en mérite féconde !
Plus il t'essourd et plus te clarifie
Que le soleil, saphir, ne perle monde.
Los, maugré toy, t'en croist et fructifie.
Et voie espars par le circuyt du monde.
Et Dieu t'en prise et l'air t'en sacrifie
De telle humblesse en gloire si profonde.
Lk BOT A FBANCB.
L'humilité y est à cause juste
Que homme indigne ait gloire en divin oeuvre.
Qui ay mené à effet comme Auguste
Ce qu'en espoir n'estoit d'humain reeueuvre.
Donc, s'en mon clos j'ay eu bras si robuste
Que d'en jeter vieille angloise couleuvre,
A peine escript de Luean ou Salluste
Comprend si haut S car c'est Dieu qui y oeuvre.
FBANOB AU BOT.
Digne est le bras que Dieu ainsy honneure,
La terre heureuse où il règne et domine.
1 Cet^krâtBB : A peine treavsmit-on la récit de si hantes ehoses
dans les écrits de X^aeaio oa de SaUutte.
DU ROY CHARLES Vil. 439
Le françoyB trosne eu doibt bien louer rbBure
D'en avoir eu le repoet et saisine.
La famé en yole au ciel et par desseure.
Et de Teffet se sent terre et marine.
Et de la perte on se tourmente et pleure,
Car c'estoit propre estorance divine.
LB SOT A FBANCB.
Mon règne entra par guerre malheurée.
Par povreté, par ruine et misère.
Dont Dieu enfin, par grftoe rèstorée,
M*a tiré hors à victoire très-clère.
Justice ay sours, France ay désencombrée :
Sy en soit pris en bon gré le mystère.
Si mon temps eust porté plus de durée.
Espoir % ma vie ^ust porté plus de misère.
L€ rop drùU-ey refusani l'honneur qnê Fra/neê luy baille, en
Vattribuani plustoet à ses bans serviteurs qu'à sa personne ,
se contourne envers iceue^, et en les remerciant de leur service,
se desvest de la gloire àluy donnée par leur cause :
LB BOT AUX SBiaNBUBS.
 VOUS, seigneurs, et à votre vaillance
Est dû rhonneur de ceste valitude,
Par cui vertus et haute bienveillance
J'ay siège et trosne et gloire à plénitude.
Donc, si du cas je monstroie ignorance,
Ce me seroit mespris d'ingratitude,
Faute envers Dieu, de tort et d*u8urpance
Du los d'autruy dont j*ay béatitude.
* Bspoir^ peui^tre.
440 LA MORT
Drùit-ey, comme H les nobles tarons fussent kontetts^ du renier*
ciment, et qne arrière en voulsissent remettre Vhonneur sur
leur roy en humiliant leurs personnes, parlent l'un après
Vautre, chacun deux couplets.
LB SSiaNBUB DB BABBAZAN '.
Touchant ma part, 6 roy de françoys trosne.
Point je n'y quiers avoir rcmerciance,
Et ne Taulx pas que ta grâce me donne
D*aucun servir vaine glorifîance.
Si j*ay riens fait de ma povre personne
En grief d*autruy pour ta multipliance,
J*ay fait mon dû : honneur aînsy Tordonne,
Que cil bien serve en qui Ton a fiance.
Néantmoins, sy ay-je emploie corps et ftme
A te servir en ta dure fortime.
Où n'ay acquis, mon espoir est, nul blâme.
Mais prou dangier et povretô mainte une.
Si fruit en est venu à ton royame.
J'en loue Dieu qui si bien me fortime ;
JTen ay pris mort, couvert de mon heame.
En Tost Barroys, dessoubs contraire lune.
LB MABBSCHAL DB B0US8AC *.
Et moy, ô roy de haut titre immortel.
Et qu'ay-je fait pour toy dont gré j'attende,
* Amauld Qnilbem, seigneur de Barbasan en Bigorre, premiercbam-
bellan de Charles VII, gouTemeur de la Champagne et du Laonnois,
surnommé le Chevalier sans reproche. Charles VII, pour reconnaître
ses services , lui permit de porter Téeu fleurdelisé et ordonna à sa
mort qu'on rensereltt à Tabbaye de Saint-Denis avec les honneurs
réservés aux rois. Tué en 1431 à la bataille de Bulgnéville.
* Jean de Brosse, seigneur de Boussac et de Sain<hSévère, maréchal
de France, mort en 1438. Ce foi son arrière-petit-fils qui épousa la fille
de Philippe de Commines.
DU ROY CHARLES VII. 4li
Sinon qu'en oœur je me suys monstre tel
Comme hozmeur veut qu'en propre honneur se pende ?
On doit à Dieu sacriffioe à Tautel
Et à son roy serrice par prébende,
Lors où com plus Thomme est de haut hostel,
Com myeux luy siet qu'à ce faire il entende.
Jadis me fis ton mareschal indigne ,
Et m'obligea nature avec service.
Si voix de peuple aucun los m'y assigne,
Cela j'ignore et ay plus peur de vice.
Le bien j'en offre à ta gr&ce bénigne :
De bon vouloir j'ay exercé l'office ;
Si j'ay moins fait qu'au valoir * est condigne,
Du non pouvoir. Dieu, espoir, m'est propice.
LB 8BIQNBUB DB GAUCOURT'.
J'ay en de Dieu le don de longue vie,*
De long travail et de mainte aigre paine";
Mais qu'en cela grâce aye desservie.
Dieu seul congnoist que je m'y fie à paine.
Trop bien j'ay eu de bien faire l'envie.
Des bons sievir, d'entendre à vertu plaine;
Mais quand raison m'y astraint et convie.
Si grftce y quiers, la folie m'est vaine.
J'ay porté foy & mon roy, à mon père ,
Preste main prompte , corps souple, à mon maistre ;
« Yta. devoir.
* Raoul de Gauooart, grand mattre de Franee, premier chambellan
de Charles VII, gouverneur daDauphlné et baiUi d'Orléans. Après une
carrière remplie d'aventareB, il avait atteint Tftge de quatre-vingt-cinq
ans lorsqu^il reçut dans son hôtel les ambassadeurs du roi de Hongrie
en 1456. Il assista la même année au procès de révision de la Puoelle.
■ Var. mùuU aigre.
us LA MORT
J*ay deffendu ma noumoe et ma mère,
La noble France en qui j'ay pris mon esire.
Ne veut nature, et aussy ' zaÎBon dère.
Qu'à père et mère on doit preater sa dextre.
Et mesme aoy relever de misère?
Voir, qui y faîilti à honte puist-il naistre !
POTOM DB XADiTBJaLLBS '.
Dès que homme naist, subjet naist à trois choses,
A prince, à terre et à loy de nature ;
En ces trois points tiennent leurs fermes poses
Tous points d'honneur et dliumaine droiture.
Moy donc, voyant le jardin de tes roses*
Estre envay de grevance et d'injure.
Dès que fus né, je promys lermes closes
Et d'en venger ma part de la laidure^.
Si donc j'ay fait quelque povre ezploitance
Touchant service et paine corporelle,
noble roy, ce ay fait en acquittance
De mon debvoir, suyvant loy naturelle.
Lliomme entreprent, et Dieu donile prestance
A qui poursuit en aigreur sa querelle ;
Et tout fleurit et croit par habondanoe.
Là où sens règne en œuvre temporelle.
LA HYBB*.
Aimer droiture et Dieu, et honte craindre
En tout haut cas estroit et difficile,
» Var. et West-ee,
s Jean dit Poton de XaintraiUes, maréchal de France, bailli de Berri;
sénéchal du Limousin.
* Var. îê ékêmin de t$i ekos$».
^ Var. la pari de ma laidure.
• ÉUeane de Vlffnoles, dit La Hire. Il partagea «veo XainiralUes
rhonneor d'être le héros le plus populaire de cette époque.
DU ROT CHiRLES Vn. 4i3
Ça fitit noble homçie à honneur parattaindre
Et à bienfaire estre duit et facile;
Lors donc, quand Toeil veut les périls estraindre
De mort, de feu, de plours en domicile.
Il n'y convient, à tout dire et riens faindre,
Que tost empiendre et fuir lopg oonoile.
Dieu aux bons cœurs donne les adventures,
Et de sa main conduit leur entreprendre ;
Et contre espoir souvent donne romptures
Sur leur plus fort, et victoire en fait prendre.
Je ne fus onc à molles nourritures,
Aîns à tout aigre et criminel apprendre ;
Donc, à Texemple à si faites natures
«Tay fait mon cours, Dieu pardoint le mesprendre !
AHADOC DB VIeN0LB8^
Là où Dieu veut contourner la ' rosée.
Là croissent fruits et fleurit arbre et pomme ;
Mais sy voit-on povre terre arrosée
D*humbl0 vassal, si bieji que d'ui;! haut homme.
Tant qu'ay vescu, s'est ma force exposée
A prompt servir en estât' de preudhomme.
Par quoy, s'en ce m'est grâce disposée.
J'en loue Dieu tant qu'un César de son Bome.
De petit trou, grand sourgon ne peut ystre.
Ne grand effet, de petite personne.
Ne povre œuvrier ne peut grand œuvre tistre.
Ne sobre estât aux grans point ne consonne.
Porté néantmoins j'ay tonnoire et éclistre.
Et maint dangier en quoy mort se foisonne;
< AmadoodeVignoleséteitfrèradeLaHixe.
» Var. M.
* Var. emplop.
4U LA MORT
Roy, prens en gré, je Tay fait à bon titre :
Du fait Dieu doint que le ciel en résonne l
JBHAM DB BRBZi'.
De bon vouloir, j*ay assez qui m*appreuve
Quel je ray eu enyers ta seigneurie.
Quand le travail de ma très-longue espreuve
Te monstre au doy, dont Tœuvre est avérie.
Riens touteffoys je ne dy par répreuve,
Car point n*y chiet cause de vanterle ,
Mais pour monstrer le cas oonune il se trouve :
Tout œil Ta vu, ma vie y est périe.
Ne plains pourtant ma mort, ne ma ruyne,
Mais que ta gloire y puist avoir essourse,
Car cent' autre que je viens de Torine
Qui hayt Angloys et volontiers les course*.
«Tay pourchassé leur mort et leur bruyne
Tout mon vivant par emprinse et en course :
S'en gré le prend la miyesté divine,
J*en suis plus der que de nul or en bourse.
l'amiral DB 00BnVT\
Le fondement de vraie amour rassise,
C'est loyauté en estable courage.
Et là où maint telle noble franchise.
Là tient vertu volontiers son estage ';
I Jean de Brezé, seigneur de Loon, capitaine de Louviers, tué en^
1442 dans un combat près d*Évreux. Il était frère de Pierre de Bresé.
* Seet? Sçait? • Course (anglais : to eurté), maudit.
« Prégent de CoStivy, seigneur de Bais, amiral de Franoe, tué d*un
coup de canon en 1450 au siège de Cherbourg, « ce qoi fût, dit Jean
« Cliartier, un fort grand dommage et notable perte pour le roy, car
« il estoit un des vaillans chevaliers et renommés du ro^ranme de
« Franoe. •
• Var. ancrage.
DU ROY CHARLES VII. 445
Labeur y va, vaillanoe y est précise.
Sens y pourvoit (à tel cas tel œuvrage),
Le bien s'y quiert, le mal se préadvise»
Et rien n*y va à perte, ne vaucrage.
Si donc d'amour qui le courage aUume
Me loist parler, 6 roy, devant ta face.
D'avoir aymô léaulment me présume,
Car apparu t*en est mainte efficace.
Bien heureux est qui sa vie consume
En devoir ùiie et en oeuvre de grftce ;
Car For du monde emprôs, ce n'est * qu'escume
A qui deffend à suir bonne trace.
MBSSIBB BOBBRT DB FLOQUBS '.
Comme le fait de ton noble royame
Pend en subtile humaine intelligence,
Appert tout der que ce que plus roy ame,
C'est aigre exploit conduit par diligence.
Le mol emprendre infère tel foys bl&me.
Et maint haut bien se perd par négligence ;
Donc à mon temps tel ay eu los ' et famé.
Qui ne Teust pas, ne fust par indigence.
Donc moy, le moindre entre les corps louables
De ceux qui ont esclarcy ta fortune.
Tant comme ay pu, en leurs vertus voyables.
Les ay suivy par destresse mainte une.
Si mes faits sont petit recommandables,
Aussy n'en quiers-je avoir grftce nésune,
* Var. ne vaut.
' Robert de Flocques, dit Flooquet, bailli d*ÉTrenx, maréchal héré-
ditaire de Normandie.
» Var. gloire.
446 Là MORT
Mais au besoing voit-on Iqs plus aydablès :
Los quis sans cause est folie importune.
LB COMTE D'▲UMALLB^
Quoyque mort soit Testroite fin ultime
De nos destroits' et passages terribles,
Sy n*est-el pas si bydeuse en Testime
Qu'il ne soit cœurs soubs la peur non vaincibles.
Ce fait honneur par lien légitime
Qui contempner leur fait tous cas horribles.
Et de vertu les griLndist et anime,
Mieux amans mort que vivre dépressibles.
Ce ne dy pas, 6 noble roy de France,
Par nul esgard à ma povre personne.
Mais pour Textrème oultrageuse vaillance
De mes meilleurs dix mille en ta couronne.
Qui xnettans main aigre en ta recouvranoe.
De leur sang rouge ont restably ton trosne,
Toy rendant vie en leur mortelle oultrance
Et là où mort de gloire les fleuronne.
LB CONTB DB BUCHAN *.
Quoyque mis soye en oeste histoire eslite
Prince escoçoys et frangoys connestable,
La cause en est touteffoys si petite
Que rien n'y voy qui me soit réputable.
Sinon qu'en felle adversité despite
J'ai efforcé mon pouvoir véritable
Pour France essourdre en payant mon débite
Et dont l'effet fut piteux et ooustable.
■ Jean d'Haroourt, comte d'Aumale, gonveroear du Maine et de
TAnjou. Tué à la bataUle de Vemeuii.
* Var. de tous estais,
* Jean Stuart, comte de Bucban, connétable de France.
DU ROY CHARLES VU. 447
Verneuil, jadis, Fenivrée sangsue
Du sang françoys et d'escosse anneresse,
De mon bon cœur me rendy triste yssue.
Non moins à toute escossoise noblesse.
Fortune avoit l'œuvre en ce point tyssue
Que rien n*y fist vaillance, ne appresse * ;
La mort néantmoins m*y fust en gré reçue,
Mais pitô fut de tant de gentillesse.
LB CONTB DOUGLAS'.
Amour vers Dieu fit entrer en martire
Les saints jadis pour la foy catholique,
Et honneur fait aux nobles gens eslire
Mort sans bargaing pour la chose publique.
Honneste mort se convoite et désire.
Devant le vivre à honte et à réplique.
Et ne doit nul plaindre son desconfire
Pour commun bien dont Toeuvre est angélique.
Amour me fit entrer fier en bataille
Pour rebouter force angloise ennemie.
Mais à fortune en plut tourner la taille
En mon contraire et en' ma sorte amie.
J*y reçus mort soubs le aubert de maille,
Et maint noble homme en semblable escremie ;
Si plaist à Dieu qu'à fruit telle œuvre vaille,
La mort du corps, 6 roy, ne te plains mie.
LB SBIQNBUR DB GAMACHBS ^.
Gagnant, perdant, Rome la glorieuse
Longtemps branla soubs luctation dure,
^ Yar. asprets^, ' Archibald de Douglas, dacde Touraine. Tué à la
bataille de Verneuil. * Del
* Quillanme de Gamaches, Van des plus vaillants oompagnotis de
Xaintrailles.
448 LA MORT
Et n*aoqui8t pas clarté yictorieuse
Sans entre-deux porter mainte laidure.
Aprimes naist victoire historieuse
Par long languir soubs militant batteure.
Roy, entens cy d*oreiUe curieuse.
Car à ta cause ay fait ceste figure.
Joye n*yst fors de tristeur précédente.
Ne gloire au roy, sinon par dur affaire,
Ne de vainqueur gprâce nul n^est décente,
Fors quand par dur et propre il sçait deffaire.
Les morts pour toy, par milliers plus de trente,
Ont tant saoulé ^ ta fortune adversaire,
Que vainqueur d'elle en as fin réfulgente :
Dieu pardoint ceux dont Tamour le fait fiaire !
LB BARON DB COULONCBS'.
En quoy peut-l'on mieux son salut acquerre.
Dieu contenter et propre honneur accroistre.
Que par servir son roy et prince en terre.
Lors quand Ton peut son affaire congnoistre,
Et que fortune et douloureuse guerre
Vont encombrant le trosne de son cloistre?
Certes, je dy, si mort homme y enserre.
Dieu luy en doint un hautain recongnoistre.
Celuy vaut or et précieuse gemme.
Qui s'enrichit de si faite vesture ;
Car après Dieu et la foy du baptesme.
Rien n est si cler en close sépulture.
Les hautains saints ont riche dyadème.
Et moy, povre homme, en adverse adventure,
• Var. foulé.
* Jean de la Haye, baron de Coulonces en Normandie. Jean Cbariier
loae son courage.
DU ROT CHARLES VII. 449
N'ay fors le sang qui pend à mon achemme *,
En quoy d'honneur ay payé la droiture.
BOUBOOTfi'.
Chierbourg, à rqy» m'est bien de diier coustange,
Combien qu'à toy de povre extime et perte,
Pour moy, povre homme enversô en la fange
Et dont la famé À légier fut couverte.
Néantmoins, je prens à tesmoings Dieu et ange
Qu'en tous périls ma vie s'est offerte
Pour augmenter ta gloire et ta louenge
Et pour venger ton injure soufferte.
^ Comme toutefoys suis de poyre extimage
Entre si noble et haute baronnye,
Tout ainsy est du mesmes h l'ymage.
Sobre est l'effet dont ma famé* est garnie ;
Mais si j'ay fait povre et petit dommage
Par mon service à angloise mesnie^
Au moins me vante en loyaultô d'hommage
De cœur vers toy d'une amour infinie.
ABTUS DB BBBTAOMB, CONNBSTA^LB DB FBAMCB^.
Du françoyiS trosne et du royal palais
Longtemps fus maire et royal connestable»
* Achemme, T^tement,
* Tugdnal de Kennoysan, dit le Bourgeois, bailli de Troyes, écnyer
breton, mort en 1450 au siège de Cherbourg. Cétalt, selon Jean Char-
tier, « un escuyer de bien et de réputation , très-vaillant homme
« d*armes, de grant conduite, et bien cognoissant la subtilité de la
4f guerre. »
* Var. vie.
* Artus de Bretagne, comte de Richemont, puis duc de Bretagne
en 14SS1.
TOM. VI. 29
450 LAVORT
Aysnt tomjmiTB mon retew et relais
A servir Fvanee en loyâulté estable»
Aymant les bons» comprimant les mauvais
Soubs une amour à justice prestable,
Dont ensuyr pourroit oonoorde et paix,
A|irès long cours île guerce détestable.
Je trouva; France en extrême pitié,
A toute foule et honte abandonnée;
Mais en après» par divine bonté.
Je la revis h joye ramenée.
Moy de ma part je me suys aoQuitté,
Pour luy mtier sa dure destinée^
J*ay £ût mon mieux et Dieu y a bouté :
A luy seul donc en soit gloire donnéel
LB 8BIQMBUB d'0BVAL\
Duit au hamois dès ma jeune naissance,
L*avoir en dos m*a esté riche joye.
Et devant toute humaine esjouissance,
En cel endroit tout mon cœur je togeoye.
Je m*y trouvay' de force et de puissance.
Et pour gagner coeurs dliommes je veilloye;
,Car là gisoit ma gloire et reluysance.
Pour parattaindre aux fins ' où je songeoye.
Tard vins, 6 roy, pour esflre mis en eompte,
Et que pis est, ma vie a esté briefve.
Donc, pour si peu que mon povre fait monte.
Ce n^est^ besoing que folye m'esliève;
« Arnaud d'Albret, seigneur d'Orval, capitaine de Bsyeux. Vope^
oe qn*en dit Ctaastellain, t. IV, p. 275.
" Var. toumap,
* Var. auw faits,
* Var. m /ait.
BU ROT CHâRLES Yll. 131 .
l>ep Uea j>y endnt encourir Uatnn et honte,
Ne dont repioehe aucunement me sière.
En Catheloigne ay« payé debte et monte :
€i r&me est bien, la mort point ne me griefs
LX CONTB DU MAINB^.
Sang, alliance, amour, pité, droiture.
Un croistre ensemble en temps d*une venue,
ITont fait tourner ma force et ma nature.
Boy Charle, en toy dont ma vie est tenue,
Porter constant molle et dure adventure.
Et toute estrange et perverse advenue,
Sans craindre mort , ne de péril pointure.
D'où qu'elle fuet en subit survenue.
En ta royal oxoelse girarcie.
Prochain de toj m*a donné résideiioe ,
Là où touchant françoise monareie.
Par ton plaisir j*ay eu la présidence.
Si ta fortune y est si e^clarde.
Ce a £ût ixm sens, non la mienne prudence ;
De t^t d*honneur. Dieu et toy je mercye :
J*ay fait mon mieux selon ta confidence.
HBSSmB PIBBBB OB BBBSZé^
Là où Ton voit que force et effort fiûllent
Et perdent temps les mains qui s*y emploient.
Là convient bien, sans que cœurs en tressaillent,
Que les vertus et les sens s'y desploient,
1 Charles d*AnJou, comte du Maine. Il prit part à la oODSinête de la
Normandie.
* Pierre de Bresé, llUostre ami de Chastellain.
452 LA MORT
Et qu*eii dur cas où les hommes se baillent.
Leur haut affaire ils ploient et reploient.
Et vainquent ceux qui d'orgueil s'avitaillentS
Et enivrés de fortune foloient
Force estourdie et hors temps mise en oeuvre
Rend triste fin et foiblesse confuse.
Sy vaut tel foys plus sens dont on se oeuvre
Que vaillant bras dont sans fruit on abuse.
Subtil engin Dieu l'esla^gist et Teuvre ;
8*ainsi n'estoit, France en fust bien camuse.
Là où sens a, là trouveK)n beau receuvre :
C'est un beau meuble à celuy qui en use.
LB COMTB DB DUNOTS'..
Si titre avoit en moy de remembrance
Et dont me pusse afiSer de mérite.
Je disse ycy, et sans nul encombrance,
Qu'en temps aussy j'ay veillé en garite,
Et que la main j'ay mis en Farbre et branche,
Pour luy garder sa gloire oiroonscripte,
Ck>mme raison m'a donné démonstrance
Que je r«y dû par loy d'honneur escripte.
En temps de pleurs et d'a£3.iction mainte,
Naquis-je 6 roy, ton humble et petit promme'.
Par quoy m'a bien esté force et contrainte
Qu'avecq tel temps je me soye fait homme.
D'offrir mon corps à tous périls sans fainte
Et non entendre à délit , ne à somme ;
8'en ce t'ay plu et ta gloire ay attainte.
J'en loue Dieu , et riche je m'en nonune.
• Vw. se àtUaillent.
* Jean, bâtard d^Orléans, comte de Danois.
■ Promme, parent.
DU RaY CHARLES VII. 4^
LB CONTB DB FOIX*.
Si de mon temps est advenu bonheur,
Ne g^nd effet à ta noble personne,
J*en loue Dieu, 6 roy, de tant d*honneur
Et du haut nom que fortune m'y donne.
Dieu m'a esté large et plantif d'honneur ;
Ne reste fors que mes maux me pardonne
Et qu'à ton &me il soit vray pardonneur.
De qui le corps resplend comme le tronne.
Ce n'es-tu pas qui ta clarté as prise,
Roy, de nos. mains, ne de nostre présence.
Mais ta rertu mesmes nous a esprise
La face' à tous et donné reluisance.
L'étemel siège ' il te loge et te prise,
Et fait festoy de ta magnificence.
Mort soit maudite en sa felle entreprise^
Quand pour son dard nous pleurons ton absence.
LB SBiaNBUB DB BUBILV
Pour vestir fer et en armes combattre
Dieu et nature ont noblesse ordonnée,.
Et pour l'orgueil des tors-faisans abattre
Quand leur force est en force foisonnée.
Nul plus joyeux,, ne glorieux esbattre
N'a noble main à proesse donnée.
Que pour son roy quereller et débattre,
Et pour la terre en qui propre elle est né^
* Gaston IV, comte de Foix.
» \vt, forée.
' Var. siècle.
* Jean de Beail, comte de Sanoerrei amiral de France. Cest Tanteur
du Jouteneel. On l'avait surnommé : leM^^ ^^^ Anglais,
4M LA MORT
Jeune fus mis à œ mesiier apprendire.
Et tout parcru, onoqne fis autre chose;
Nécessité me fit les armes prendre,
Et par contrainte y mis toute ma pose.
Les Angevins ay fait maint cas emprendre ^
Dont de TeSet sur hoimeur me dépose;
Geluy toujours ay mis en mon oompr^dre:.
Soy, preHs en gré, dur m'est ta bouche dose»
LB SBXGNBUB DB LOHiAO'.
i
8oy arfester sur louenge du floonde.
Là où les fiait» sont de poyre value,
Là gist le flot de folie profonde
Et dont la face au buer se pollue ;
Ne suffit pas, qui en fortune abonde,
D*ayoir grand lame et grâce bien voohier
Bi eflétn^en sieut, qui à gloire reepomie-r
Car aultrement à homme** est retollue.
En moy, Dieu los, n*a fait dont je me fie^
Fors de cœur noble et volonté honneste.
8i d*autre part quelqu'un me glorifie.
C'est par faveur non propre et mal digeste»
Un seul endroit le corps me clarifie
D'avoir servy le grand roy de conqueste,
Celuy que l'air préfère et clarifie
Sur tous régnans par œuvre magnifeste.
•
• \wp, apprendre.
* André de LAval, seigneur de Lohéac, maréchal de Franesv fils dl»
Jean de Montfort et d'Anne de Laval dont il prit le nom. Il se signala
aux batailles de Formigny et de Castillon, et fût tour à tour amiral
et maréchal de France.
» Var. à hante.
DU ROT CHAIEES VU. 4^
ioachuc Viàmx\
Sbubs le dompteur de la fierté angloise^
Soubs rexjmlseur de vieille tirannie,
Sbubs le soleil de la clarté françoise,
Soubs Faccueilleur de noble baronuie,
Soubs le myroer dliumaaité courtoise*
J'ay esté sours, moj et ma progénie.
Dont & tous jours, tant que monde se croisse^
Luy diray gloire et louange infinie.
SL je suys mis en cestuy digne nombre,
C*est sans mérite et à peu de déserte»
Et m^est grand peur que llionneur ne m'encombre,.
Et qu*en mon front n*en tourne honte apperte.
Mon fait est nul, mon personnage est sombre.
Et ma vertu est mal clèro et couverte.
Donc, de la gloire au siège où je prens ombre,
G*est comme indigne : & Dieu soit-elle offerte !
£' acteur iroit^yjmr indier France et exporter à son devoir
envers Dieu, fOur Iwg êfmonstrer la causes pourquoi^ avec la
dignité des personnes , Taétmoneste d'en Jkire recordationr
glorieuse et solempnité possible.
VxCTWbu à. PSAMGE.
France, entens cy, prens garde à ceste histoire
Fondée en choix et en fleur de perscMines,
Par qui haulx faits, comme il est tout notoire,.
Tii as esté affltanchie ea tes teBiàe8\
* Joachim Rouault, seigneur de Bois-Ménard, maiédial de France,,
sénéchal de Poitoa et de Beancaire. Il se signala dans tontes les cam-
pagnes contre les Anglais en Normandie et en Guyenne, et éprouva
dans sa vieiUesae l'ingriititade de Lonte XI dent il avaltété le premlei^
écnyw.
' Bonnes, frontières.
456 LA MORT
Remise en paix» en règne et en yictoire.
Donnant splendeur à dix-sept couronnes,
Mesmes crémeur à payen territoire
Et jusque au bout des nations félonnes.
Bens gloire & Dieu, multiplie tes grâces,
Pleure en louant du parfont des entrailles.
Fais retentir tes hympnes et préfaces
Jusque au palais des divines oreilles»
Affin que Dieu préserve des flamnmces
D*enfer, ton roy, le grand roy des merveilles.
Joins avec luy ces vingt et quatre faces'
Dont en ton trosne en gloire' n^as pareilles.
Fay souldre en air ymages et statues,
Marbre plomber comme jadis en Bome ;.
Fay gergonner* murailles rerestues
De Charles mort que le YII* on nomme.
Par luy tu es essourse jusque aux nues,
Bondie^ en rond comme une entière pomme :
Donc et afin qu*encore en plus proflues,
Ghobobs en fait Tadvertance à tout homme.
Tousjours des bons se fait la démonstrance.
Contentez-vous, vous tous, nobles de Franoe^
Contentez-vous sans chéoir en murmure
Sur ces seigneurs dont la haute nature
Les a fait mettre au plus haut de la brsnce *.
* Les ving^-qnatre héros qui viennent de parler, et auxquels Chas-
tellain souhaite également la gloire céleste.
* Var. en clarté.
* Qergonner, résonner?
* Var. remise,
* Il y eut probablement quelque jalousie à ce sujet, et nous voyons
que le nom du sire d^Estouteville a été intercalé dans le uMuiuacrit d«
La Haye.
DU ROT CHABLES VII. 457
Ce vous est titre et miroer d'espérance
D*ayoir par temps semblable recouvranoe ;
Soit-on sur terre oa clos en sépulture,
Tousjours des bons se fait la remonstrance.
Ayez, vous pry, d^autruy honneur souffrance ;
Vous n'estes pas laissés par ignorance,
Âins expectans claire ailleurs couverture.
Et là où lettre et nouvelle peinture
Espoir' donront de vos faits remembranoe :
Contentez-vous de ceste remonstrance*.
* Dans le ms. de Florence, les quinze derniers vers sont remplacés
par les deux strophes suivantes :
Contentez-vous, vous tous princes de France,
Contentes-vous de ceste ramembrance
D*un roy deffunct d*excellente nature.
Et non preuans sur ces seigneurs murmure.
De leur honneur vous plaise avoir souflnrance.
Si vos haulx noms ne sont à ceste brance,
N^est dit pour tant qu*il en soit ygnorance ;
Impossible est de tout mettre en peinture
Contentez- vous, vous tous princes de France.
Ce vous est titre et miroer d'espérance
D*avoir par temps semblable reoouvrance,
Lors quant vos corps girront en sépulture.
Tondis cler homme a clère couverture.
Et a toujours son fait, la remonstrance :
Contentez-vous, vous tous nobles de France.
LE MIROIR DE VIE.
NOTK SUR!UKr S>OËM£ DÎÊ MOLIKJSr.
Le Poi à$ la Mari porta aussi pour titre, comme on Ta tu
plus haut : le Minnr de Mort!
Molinet répondit au ïiinAr de Mort par un po6me intitulé :
le Miroir de Vie. Il y raconte que s'étant endormi :
Pesant 4e ooips» bk^ss légier d^esprit,
il trouva tout à coup devant lui le Miroir de Mort,
Où je miray mon regard malheureux :
Je fus le plus dolent des doloreux.
ténébreux miroir espoentable,
Rabbat d*orgaeil pour aux mondains desplaire,
Spectacle horrible, image détestable,
Vision fière, objet trop redoutable,
Mort et signacle, o très-vif exemplaire»
Tu es un monstre impossible et contraire I
Cependant le bon ange du po6te vient le rassurer ;
Au propre Uea où mort qui tout dévie,
Âvoit tendu son miroir tant estrange.
Me desploya le beau miroir de vie.
Dieu éternel fut le maiBtre divin
Qui composa ce miroir mirifique.
460 LE MIROIR DE VIE.
Car 8oy mirant en oeste olàre gemme.
Sa douloe ymage y demoara emprainte^
Ce cler miroir de vie intitulé
Que de sa main le Créateur forma,
Fut par Adam si très-fort maculé
Que le Miroir de Mor^ Uxt appelé
Jusques à ce qjne Dieu le reforma.
Cincq mil ans fut ce miroir efTacié,
Tout ténébreux, privé de luminaire,
Tant qu'un très^saint pélican débonnaire
Pour donner vie aux faons se greva
Et de son sang ce miroir relava.
Quel sera donc ce miroir de vie? Quelles sont les vertus des.
dames qu*il doit refléter?
L*humble regard, le tràs-doulx et simple œil,
Le beau parler et le noble vouloir,
Ce sont vertus pour se faire valoir.
Des amoureux qui font tant de folies
Vous détenez les porlettes jolies
Et diamans des gentils damoiseaux :
La plume aimez trop mieux que les oiseaux.
Eslargissez vos gros cœurs convoiteux ;
Ouvrez le poing, estendez vostre main
Pour secourir les povres disetteux.
Soyez castes comme la tourterelle ;
Craindez Honte, Maie Bouche et Dangier.
Mirez vos pieds et les examinez :
Ils sont pesans trop plus que viôses malles
Pour Dieu servir et à Téglise aller,
Mais ils sont prests pour danser et baller.
lE MIROIR DE VIE. m
NoBtre miroir a Tertna et poissance
De donner vie aax corps mortifiés.
Bn mon dormant, J*en eus la oognoissaBoe ;
Je m*y miray ; Je revins à naissance.
Le cœur mary, en aobit je m'esyeille
Poar de mon songe écripre la merveine,
Et le couchay en rime (Dieu sçait quelle I),
Moy des facteurs le très-humble séquelle.
Chastellain, dans un de ses poSmes, appelle Molinet mon
séquelle. (Test sans doute à Ghastellain, auteur du Miroir de
Mort qu*il fait ici allusion en se déclarant : des f acteurs le très-
humble séquelle.
Ce poème de Molinet, aussi long que celui de Ghastellain,
se trouve conservé dans le manuscrit 105 de la Bibliothèque
de Toumay. tJne feuille en a été arrachée.
TABLE DES MATIÈRES.
Page*.
Introduction v
Le Concile de Basio 1
Le Pas de la Mort 49
L*0altr6 d'Amour 67
Dicté trouTé Tan 1446 dans lliOBtel du roy Charles VII. ... 129
Rondel an duo d'Orléans 131
Le Thrdne azuré 133
Épistre à Jeban Castel 139
Épistre au bon duo Philippe de Bourgongne 147
La Complainte d'Hector 167
Le Miroir des nobles hommes de France /. . . 903
Les Paroles de trois puissants princes 217
Le Dit de Vérité 219
Exposition sur vérité mal prise 243
La Mort de Charles VII 437
Le Miroir de Vie, note sur un poëme de Molinet 459
FIN DB LA TABLE DBS MATIÀRES.
1