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Full text of "Œuvres diverses de Jules Janin"

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0. 



) 



ŒUVRES DIVERSES DE JULES JANIN 

PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION 

DE M. ALBERT DE LA FIZELIÈRE 



IX 



CRITIQ.UE DRAMATIQ.UE 



IV— THEATRE DE GENRE 



f 



Il a été fait un tirage d'amateurs, ainsi composé : 

3oo exemplaires sur papier de Hollande (No«5i à35o]. 
25 — sur papier de Chine (N®» i à 25). 

25 — sur papier Whatman (N®» 26 à 5o). 



35o exemplaires, numérotés au tome I^^ de la collection. 

Tous les exemplaires de ce tirage sont ornés cTune 
Gravure a l'eau-forte de M. Ed. Hédouin. 



JULES JANIN 



CRITIQUE 

DRAMATIQUE 



TOME QUATRIEME 



THEATRE DE GENRE 




PARIS 

LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES 
Rue Saint-Honoré, 338 

M DCCC LXXVII 




THÉÂTRE DE GENRE 



DESAUGIERS 
LE DINER DE MADELON 



^ u fait, savez-vous bien, ami lecteur (c'est 
ïi ma faute, et c'est ma faute si vous ne le 
Usavez pas], que depuis tantôt six semai- 
nes le théâtre du Palais-Royal l'a pris au théâtre 
des Variétés, qui l'avait pris au théâtre de la 
Bourse, qui l'avait pris au Vaudeville de la rue 
de Chartres, qui l'avait pris à Désaugiers, ceDîner 
de Madeîon? et savez-vous bien que depuis tantôt 
six semaines je suis à me dire à mon réveil, 



Z CRITIQUE DRAMATIQUE. 

à mon coucher, le matin à sept heures, et le soir 
à minuit : « Malheureux que tu es, tu t'amuses à 
raconter des balivernes, et tu n'as pas encore parlé 
du Dîner de Madelon! » 

Ce Dîner de Madelon est un petit vaudeville en 
un joli petit acte orné de quatre ou cinq petits 
couplets, chaque couplet se terminant en pointe 
et en bon mot. Trois personnes suffisent et au 
delà à ce dîner de Madelon, sans compter une 
dinde truffée et rôtie au foyer de ta cuisine, au 
flambeau de tes beaux yeux, ô Madelon ! 

Ce Dîner de Madelon, à trois personnages, est 
Poeuvre excellente et considérable entre toutes ses 
œuvres de Pheureux homme et du gai convive 
appelé Désaugiers. Ce Désaugiers, en même 
temps qu'il était un poëte expert en heureuses 
chansons, était un sage, un vrai sage; il était mo- 
déré en toutes les choses qui demandent un peu 
de modération : le vin, l'amour et l'abondance; 
il les chantait à toute volée... il en usait en toute 
prudence; il allait au plaisir à pas comptés, il en 
revenait la tête légère et d'un pas léger ; toujours 
prêt, tant il avait peu abusé des bonnes choses de 
la création, à recommencer le lendemain ce qu'il 
avait fait la veille : un sourire àThémire, un cou- 
plet à Bacchus, un bon mot qui traverse en riant la 
table oîi tout rit, où tout chante, où le gai refrain 



THÉÂTRE DE GENRE. 3 

s'en va de verre en verre et monte en fraîche 
écume au cerveau réjoui du buveur. 

Puis, quand tout le monde était en train et que 
tout dansait en effet, notre homme aussitôt, se 
dérobant à la joie qu'il avait excitée, s'en retour- 
nait tranquillement chez lui, sa main dans sa 
poche... en nicolardonisant, c'est-à-dire en son- 
geant à toutes sortes de niaiseries et de billevesées 
qui sortaient de son cerveau avec les dernières 
vapeurs du vin d'Aï ! 

Parmi ces vives et sémillantes chansons où la 
gaieté circule à la façon d'un sang généreux dans 
les veines d'un jeune homme, entre la rose, qui 
est la fleur du printemps de l'année et du prin- 
temps de la vie, et le lierre, ami des buveurs, 
Désaugiers écrivait parfois un conte à la façon 
du bon La Fontaine, un conte orné d'un petit 
sous-entendu hardi, qui bientôt changeait le 
conte en chanson, car il avait beau faire, il 
ne faisait que des chansons ! Il eût tenté d'é- 
crire une tragédie, aussitôt sa tragédie se fût 
tournée en couplets joyeux; même quand il était 
en colère et quand il se fâchait tout rouge... on 
riait à gorge déployée, et c'était vraiment comme 
s'il eût chanté. 

Le conte du Dîner de Madelon est, par ma foi, 
le plus joli du monde. On y voit un bonhomme 



4 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

âgé, c^est vraî, mais d'un âge encore voisin du 
bon temps de Page mûr. Les Romains, plus cha- 
ritables que les nomenclateurs modernes, appe- 
laient cet âge-là Vâge de seigneurie : on n'était 
plus jeune, on n'était pas encore un vieillard. La 
raison vous menait par la main, c'est vrai, mais 
elle ne vous entraînait pas si vite que vous ne 
missiez de temps à autre encore un pied dans 
l'ornière éclatante des belles passions; enfin, les 
Romains, avec leur seigneurie , avaient pitié de 
vos soixante ans non sonnés, et ils vous don- 
naient humainement le temps de vieillir tout à 
fait. Ceci est expliqué tout au long dans le Traité 
de la Vieillesse^ par Scipion l'Africain. « Est-ce 
à dire que la vieillesse est moins lente à rempla- 
cer l'âge mûr que la jeunesse à remplacer la 
première enfance? Et, en fin de compte, soixante 
ans ce n'est pas TEtna à porter. » 

Ainsi, le maître de Madelon, ce seigneur de la 
bourgeoisie, est un bonhomme ami de la joie et 
des gais repas; il est seul, il est veuf. Madelon, 
chez lui, règne et gouverne, et Madelon n'a pas 
d'autre ambition que de s'asseoir un jour ou l'au- 
tre à la table de' son maître et seigneur, « la table 
entremetteuse de l'amitié » : c'est Montaigne qui 
l'a dit. Madelon n'a pas lu Montaigne, mais, en 
dAxS'essais, elle a essayé bien souvent d'ajouter 



THÉÂTRE DE GENRE, 5 

son propre couvert à ce petit couvert. Tantôt elle 
ose, et tantôt elle n'ose pas : aujourd'hui c'est son 
assiette qu'elle pose sur la table à côté de Tassielte 
de son maître, et le lendemain c'est une chaise 
qu'elle s'approche à elle-même ; et, comme le sei- 
gneur est tout entier à son dîner, il ne voit pas 
l'ardent désir de Madelon de manger avec lui. 
C'est très-joli à voir ce petit manège et ce joli mé- 
nage, et c'est triste à voir, Madelon qui rentre à 
l'office en soupirant. 

Ses jolis bras baissés sur son beau sein. 

Un jour enfin Madelon se chante à elle-même : 
a Aux armes ! Madelon, le jour de gloire est arrivé î 
Aux armes! c'est la fête à ton maître; il faut lui 
demander effrontément (pour cette fois seulement) 
une place à sa table, et il te l'accordera. » Ainsi elle 
dit, ainsi elle fait. Et le maître : « O Madelon! 
dit-il, est-ce possible, est-ce vrai, que ça te fasse 
tant plaisir de dîner à la table d'un ingrat dont tu 
es la fête et le conseil? Oui, Madelon, tu dîneras 
à côté de moi, et tu verras quel joyeux repas ! Mais 
il faut t'appliquer, Madelon. » 

Hélas ! ô vanité des projets d'ici-bas ! fumée de 
l'oie et vanité de la gloire humaine ! à l'instant 
même où Madelon va pour se mettre à table, à 
leur table, à sa table, un ami au père Benoît (il 

!▼ I. 



6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

s'appelle Etienne-'Théophile Benoit : c'est pour- 
quoi l'artiste a gravé sur ses couverts d'argent 
E B T, prononcez hébété!]^ M. Josse, orfèvre, 
arrive de son village tout exprès pour dîner avec 
son ami Benoît. 

Madelon infortunée! ingrat Benoît! car voilà 
mons Benoît qui fait toute espèce de fête à son 
ami Josse! a Ah! te voilà? Sois le bienvenu, tu 
vas tâter de l'oie, et tu boiras d'un vin... » Bref, 
mons Benoît ne songe plus à Madelon, et le voilà 
qui met sa cave à feu et à sang : 

. « Je suis à toi, je descends à ma cave, 
Et j'en apporte un certain vin de Grave... 
Oui, tu verras, tu le trouveras bon...» 
Il sort. (( Monsieur, dit alors Madelon 
A Tami Josse, apprenez que mon maître 
Vous peut ce soir jeter par la fenêtre. 
— Il serait fou? lui! — Que trop, par malheur... » 

A ces mots, voilà mon Josse également placé 
entre le vif désir de tâter de l'oie et la crainfe d'y 
laisser ses oreilles. Cependant il se met à table, il 
s'assied à ta place, ô Madelon ! 

Mais comprenez quel spectacle effrayant 
Quand mons Benoît, d'un œil étincelant. 
Considérant son ami Josse et Toie, 
Semble hésiter sur le choix de sa proie; 
Quand, saisissant deux larges coutelas 
Que l'un sur l'autre il frotte à tour de bras, 



THÉÂTRE DE GENRE. 7 

Au pauvre Joese, écrasé sur son siège, 
II dit tout haut : Çà, que te couperai-je? 

A ce terrible : Que te couperai-je? il faut voir 
Fami Josse, aussi prompt que le vent, 

Dans ses deux mains tenant ses deux oreilles, 

s'enfuir en criant : « A Taide! au secours! je me 
meurs, je suis mort !» Et le digne Benoît de crier 
à son ami Josse : 

a Rien qu'une, ami, rien qu'une seulement! » 

Il veut dire une aile! et l'autre entend : une 
oreille.,. Il court encore, M. Josse. 

Figurez-vous Madelon et sa joie! 
Assise à table, elle tâta de l'oie, 
Tant et si bien qu'elle et monsieur Benoît 
Rirent bien fort de ce manège adroit. 

Or le voilà tout entier, ce Dîner de Madelon^ 
rhonneur et Tenchantement du XIX* siècle! 
Pas un mot de plus , pas un mot de moins ; 
pas d'amourette et pas de mariage final ; seulement, 
Toie aux marrons a fait place à la dinde truffée, et 
c'est le seul marivaudage que se soit permis le 
grand poëte. Au reste, en dépit de sa réserve et de 
sa sagesse, elle a mis au jour une fille charmante, 
une enfant digne de sa mère, cette aimable Made- 



8 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Ion. Cette fille de Madelon eut pour parraîn 
M. Josse en personne (il a su plus tard le bon 
tour de Madelon), et M. Josse appela Babet Ten- 
fant de Madelon : 

a Je veux demain, bravant la médisance. 
Au Cadran bleu te régaler sans bruit. 
Allons, Babet, un peu de complaisance, 
Uq lait de poule et mon bonnet de nuit, n 

Babet est en effet la fille de Madelon, mais la 
fille ne vaut pas la mère ; elle est peut-être un peu 
plus jolie, elle est moins avenante et moins 
accorte; elle a été élevée avec plus de soin que 
Madelon sa mère, elle a moins de cœur; Babet 
est une ambitieuse, elle ira loin, elle épouse son 
maître, elle sera pour le moins baronne ; au con- 
traire, la mère Madelon est restée M"® Madelon. 

Or, depuis tantôt un demi-siècle, on le joue, on 
le chante, on Tétudie, on le répète, on Tapplaudit 
chez nous, ce Dîner de Madelon! On dirait d'une 
fête éternelle, on dirait une aimable lueur que 
se transmettent les diverses générations Tune à 
l'autre en passant de la jeunesse dans l'âge mûr. 
Comptez donc que de chefs-d'œuvre impérissa- 
bles^ disait-on, elle a ensevelis, cette leste et preste 
Madelon! comptez donc que de monarchies, de 
grandeurs, de Majestés, de républiques, de constitu- 
tions, de vanités, elle a vues paraître et disparaître. 



THÉÂTRE DE GENRE. 9 

aller et venir, cette impérissable et joyeuse Made- 
lon î Que de guerres terribles, bientôt suivies d'une 
profonde paix, se sont jouées à l'ombre de Made- 
Ion ! que de grandeurs renversées ! que de minis- 
tères disparus ! combien de traités déchirés ! Et ce- 
pendant Madelon n'a pas perdu une seule fleur de 
son corsage, une seule épingle de sa cornette ! D'un 
rire ingénu elle a ri au nez de tous ces grands 
hommes de la guerre et de la paix; d'un geste en- 
fantin elle a fait la nique à toutes ces révolutions. 
Le lendemain de 1814, elle chantait sa joyeuse 
chanson; elle la chantait la veille et le lendemain 
de i83o; lisez Taffiche en 1848, elle annonce en 
toutes lettres... le Dîner de Madelon lOcstla pièce 
favorite des journées pacifiques, c'est le vaudeville 
des jours de tempête ! Madelon gardienne des so- 
ciétés au désespoir! Elle est l'arc-en-ciel après l'o- 
rage ; elle calme la Marseillaise^ elle repose de la 
cantate ; elle protège le vaincu, elle apaise le vain- 
queur; elle est la chanson sans gêne et sans peine, 
abondante en grâces peu coûteuses, en promesses 
faciles à remplir. Au milieu de tant d'écoles diver- 
ses qui ont traversé la poésie en la déchirant, entre 
la tragédie agonisante et le drame à ses premiers 
vagissements, le Dîner de Madelon, indifférent à 
la rage, au bruit, au hurlement des écoles, passe 
en chantant sa chanson matinale. Elle était au 



lO CRITIQUE DRAMATIQUE. 

tombeau de M™* Dorval, elle était au berceau de 
M"' Rachel. Toute comédienne un peu jolie, avec 
de grands yeux, une belle taille, une voix fraîche, 
et ce je ne sais quoi de sémillant et d'appétissant 
qui est le cachet même de Désaugiers le poëte, a 
joué ou jouera, au moins une fois dans sa vie, le 
Dîner de Madelonl Elle-même M"« Mars Ta joué, 
un jour de fête, en sa maison de Sceaux, en beau 
tablier de toile écrue, une perle à l'oreille, à ses 
pieds des sabots; Désaugiers donnait la réplique; 
Etienne Becquet était le souffleur. 

De ce Dîner de Madelon est sortie un beau jour, 
armée à la légère, la plus aimable et la plus pi- 
quante de toutes les comédiennes qui aient jamais 
été la joie et la fête du Paris terre à terre, ennemi- 
né des mots sesquipédaux et des bottes de sept 
lieues. Elle avait nom Minette; elle avait de grands 
yeux et de tout petits pieds, et un filet de voix très- 
doux, avec l'accent, le geste et la gaieté à l'avenant; 
ajoutez une intelligence, une verve, un esprit, un 
argument vif et léger en toute chose, et des grâces 
qui la faisaient adorer. Minette était vraiment 
Madelon, la Madelon du Dîner de Madelon. Dé- 
saugiers l'aimait, et elle le lui rendait. Dieu le 
sait! Il lui lisait toutes ses chansons, elle lui chan- 
tait toutes ses chansons; comme elle était interro- 
gée, elle savait répondre, habile à la réplique, in- 



THÉÂTRE DE GENRE. II 

génieuse au conseil, savante en toutes ces élégances 
du bel esprit, estimant la chanson comme Tancrède 
aimait sa patrie : A tous les cœurs bien nés,.. 
Vraiment, cette Minette était un charme ; on Teût 
prise, à la voir, pour la muse même qui ayait inspiré 
V Hymne à la Gaieté, V Homme content, Quand on 
est mort c'est pour longtemps, le Rocher de Can- 
calCy Et cœtera pantoufle. 

Minette, élève de son maître, en avait précieuse- 
ment gardé la philosophie et la sagesse avant d'être 
sage et rassasiée ; elle avait quitté la tabk de Ma- 
delon et elle était rentrée au bercail des femmes 
sérieuses. Comme elle était bonne, après avoir été 
charmante, elle était aimée et louée en raison de 
ses grâces présentes autant que de ses grâces pas- 
sées. Même (et l'accident est assez rare pour qu'on 
le signale)), après avoir été pauvre dans sa jeunesse 
et dans son âge mûr, elle arriva très-légalement et 
très-loyalement à une énorme fortune, qui n'ôta 
rien à sa modestie et qui n'étonna pas son hon- 
nête vieillesse ; et, de même qu'elle était fière au- 
trefois et sentant sa grande artiste, elle fut réservée 
et clémente en sa nouvelle fortuné. Elle gagna bien 
quelques amis, elle n'en perdit pas un seul. « Comme 
tu porteras la fortune, ô Celsus! toi-même nous te 
supporterons... » [Sic nos te^ Celse^ /eremus!) 
Ainsi, chose heureuse, sa fortune fut facilement 



12 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

pardonnée à « Minette ». Elle est morte Tan 
passé, elle a été pleurée en silence ! A cette heure 
encore, il y a des gens qui la regrettent et qui s'en 
souviennent, a Hélas ! disent les uns, c'était une 
si bonne et,si bienfaisante châtelaine ! elle ouvrait 
si volontiers la porte de son palais de Versailles, à 
Nanville, aux pauvres du chemin ! elle parlait si 
bien, avec tant d'aise, et de contentement, et de 
bonne grâce, de l'art qu'elle avait exercé avec tant 
de joie ! elle avait tant de souvenirs qui la rappro- 
chaient des hommes d'autrefois ! elle se rappelait 
si volontiers, parmi ses plus illustres convives, 
quand Nanville était rempli de ses hôtes nom- 
breux, du Dîner de Madelon ! 

Le voilà donc, encore une fois, qui redevient, 
sur le théâtre du Palais-Royal, la fête du Paris 
ami des faciles gaietés, des faciles chansons, ce gai 
Dîner de Madelon! Hélas! il a précédé toutes les 
gloires vivantes de cette nation... j'ai bien peur 
qu'il ne les mène à la tombe I Vaudeville-miracle ! 
il était fait pour vivre un jour, il a déjà fatigué plus 
d'un demi-siècle; il devait disparaître au moins 
avec l'aimable comédienne qui l'a chanté pour la 
première fois , il en a lassé déjà plus d'une cen- 
taine; il a servi à l'aïeule, à la grand'mère, à la 
fille, à la petite-fille; il servira à l'enfant de la cin- 
quième génération. Même les chefs-d'œuvre et les 



THÉÂTRE DE GENRE. l3 

• 

fêtes les plus bruyantes du génie contemporain, 
Marion Delorme, Hernani, Chatterton, la Mère 
et la Fille, le Plus beau Jour de la vie et le Ma- 
riage de raison, les Saltimbanques et le Thé de 
Mme Gibou, Lucrèce et Virginie, ont vainement 
espéré qu'ils effaceraient de l'affiche et du sou- 
venir de cette génération le Diner de Madelon,.. 
le Dîner de Madelon est venu à bout des drames 
de Frédéric' Soulié, des drames de M. de Balzac; 
il viendra à bout de i\f ^ de La Seiglière et de 
Af. Poirier. Ce qui Tétonne en ce moment, c'est 
qu'il n'ait pas encore abattu l'Honneur et VAr^ 
gent! Et puis, quand tout sera mort de ce qui 
chante et se chante aujourd'hui, quand la tragédie 
éteinte ira rejoindre au cercueil le drame expiré, 
quand sur le vaudeville inanimé râlera la comédie 
en deuil du mélodrame, arrivera Madelon, qui 
d'une main sans gêne mettra la nappe sur la 
pierre de cette fosse immense, et sur cette table 
improvisée on servira le Dtner de Madelon! 




IV 




ALEXANDRE DUMAS 



MADEMOISELLE DE BELLE-ISLE 




i!i, en effet, c'est là, comme je vous le 
dis, une comédie, et encore une comé- 
die franchement attaquée, franchement 
défendue, très-bien intriguée, et pourtant d'une 
intrigue très-claire et très-facile à comprendre ; et 
dans cette comédie il y a beaucoup d'art et beau- 
coup d'esprit, beaucoup de verve, pas mal de 
style, des intentions très-fines, des choses très- 
hardies, mais elles ont passé ; des choses très-ha- 
sardées, mais elles ont été acceptées ; des mots qui 
sentent leur régence d'une lieue ; en un mot, un 
grand entrain, une vivacité charmante, un feu 
roulant de saillies qui passent quelquefois d'un 
pied léger et furtif le seuil même de l'alcôve. 
Mais aussi avons-nou^s ri! nous sommes-nous 
amusés! avons-nous applaudi! Quel bonheur que 



THÉÂTRE DE GENRE. l5 

M. Alexandre Dumas ait trouvé au fond de sa 
besace tant de verve, d'audace, de hardiesse et 
d'esprit ! 

Donc M"* de Prie, ambitieuse femme, sans 
cœur, qui régna un instant sur la France en con- 
currence avec M. le cardinal de Fleury et sous la 
protection de M. le duc de Bourbon, M™® de Prie 
habite le château de Chantilly, et quand la comé- 
die commence la marquise est occupée à brûler 
ses lettres d'amour : c'est la précaution ordinaire 
des passions qui commencent. Aussitôt qu'un 
nouvel amour vient au cœur d'une femme, c'en 
est fait de tous les autres; il faut tout brûler, tout 
détruire : lettres, cheveux, portraits, gages éternels 
d'une passion éphémère, tout y passe; et pas une 
de ces lettres, pas un de ces portraits si aimés 
n'obtient un dernier coup d'œil. La dame jette 
au feu toutes ses passions d'hier... Sauve qui peut ! 
C'est qu'en effet M"® de Prie a distingué un beau 
jeune gentilhomme dont elle a fait un officier, et, 
comme elle le veut aimer tout à l'aise, elle prend 
toutes ses précautions. Et voilà pourtant ce que 
deviennent, mes amis, les plus sincères amours ! 

Comme elle est en train de tout brûler, M™® de 
Prie raconte à sa dame d'honneur qu'elle aimait, 
encore hier, M. le duc de Richelieu, et que M. de 
Richelieu est bien amoureux d'elle; et la preuve, 



l6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

c'est que le duc n'a pas encore renvoyé la moitié 
d'un sequin qu'elle et lui ils ont coupé en deux, 
avec cette condition que le premier qui n'aimerait 
plus renverrait la moitié du sequin, et que l'au- 
tre n'aurait pas la plus petite plainte à faire. L'in- 
vention est bonne, elle est commode, elle abrège 
bien des lenteurs. Quand elle a tout raconté et 
tout brûlé, entre chez M"* de Prie M. le duc de 
Richelieu, 

Je me souviens d'avoir rompu déjà bien des 
lances en faveur du brillant Richelieu , que nos 
grands moralistes dramatiques chargeaient de 
haines et d'outrages ; je disais que cela était 
étrange d'insulter ainsi un homme qui avait été 
le favori de deux rois de France, que Louis XVI, 
la vertu couronnée, avait très-bien reçu à sa cour, 
qui avait eu sa grande part de la victoire de Fon- 
tenoy, qui était le protecteur de Voltaire, et, au 
dire de quelques-uns, qui était pour Voltaire 
mieux que cela. Cette moralité, mal placée en 
pleine régence, me paraissait une moralité de 
mauvais aloi. Mais, cette fois, soyez tranquilles, 
notre comédie n'ira pas donner dans ces lieux 
communs, beaucoup trop communs. On prendra 
le maréchal de Richelieu tel qu'il.est, et sans in- 
jures, sans déclamations, on le fera agir et penser 
comme il a en effet agi et pensé. Fi de la morale 



THÉÂTRE DE GENRE. I7 

qui s'attache au manteau des personnages histo- 
riques pour les gêner dans leur course rapide ! Le 
personnage historique, s'il se sent trop tiraillé, 
laissera son manteau entre les mains de cette autre 
dame Putiphar, et le héros n'en sera qu'un peu 
plus nu. Donc, vous voyez entrer chez M"* de 
Prie, et comme s'il entrait dans sa propre maison, 
M. le duc de Richelieu. 

La conversation entre les deux amants est des 
plus naturelles. Le dialogue est tout rempli de 
quelques mots heureux qui ont été en effet pro- 
noncés dans ces salons du Paris spirituel, sceptique 
et moqueur ; mais ces mots-là sont si bien à leur 
place qu'on ne s'aperçoit nullement du plagiat. 
L'auteur n'a fait que réprendre son bien oîi il le 
trouvait, et il était parfaitement dans son droit. 
Voici, au reste, une charmante scène, qui perdra 
beaucoup à être mal racontée, comme je fais : 

M. de Richelieu tire de sa poche un portefeuille 
aux armes de M"® de Prie. « J'ai pensé à vous, 
lui dit-il; acceptez ce portefeuille à vos armes. — 
Et moi donc! répond la marquise; acceptez, mon 
cher duc, cette bourse que j'ai brodée à votre chif- 
fre. » Ceci fait, ils prennent congé l'un de l'au- 
tre. Richelieu sorti. M™' de Prie ouvre le porte- 
feuille, et que trouve-t-elle? La moitié du sequin! 
A l'instant même rentre M. de Richelieu; il a 

IV . 2. 



l8 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

trouvé, lui aussi, au fond de la bourse, l'autre 
moitié du même sequin ! Et de rire ! En vérité, on 
n'est pas plus inventif que cela. 

Alors, entre ces deux personnes, la conversa- 
tion, qui languissait, s'anime de plus belle. Grâce 
à cette touchante sympathie, Richelieu et M™° de 
Prie s'entendent plus que jamais. « Qui donc ai- 
mez-vous, marquise? — J'aime le chevalier d'Au- 
bigny. Et vous donc, qui aimez-vous, mon cher 
duc? — Moi, je suis amoureux fou de M"® de 
Belle-Isle. » On annonce M"® de Belle-Isle. 

Alors vous voyez entrer — non, ce n'est pas un 
conte d'autrefois — la plus calme et la plus char- 
mante jeune femme qui se puisse voir; elle est 
simple, elle est gracieuse, elle est touchante. Elle 
vient supplier M"® de Prie pour qu'elle fasse ren- 
dre la liberté à son père, à ses frères, qui sont à la 
Bastille. A peine on la voit, cette femme, et déjà 
on se sent le cœur pris pour elle. Et comme elle 
raconte sa triste histoire, les malheurs de sa fa- 
mille, son isolement, la captivité paternelle ! Ri- 
chelieu la dévore des yeux. M™® de Prie, toute 
égoïste qu'elle est au fond de l'âme, se sent prise 
de pitié pour cette femme sans appui, sans secours, 
dans cette maison corrompue qui ne se souvient 
déjà plus de Bossuet et du grand Condé. Cette 
belle, honnête, éloquente et touchante fille, qui 



THÉÂTRE DE GENRE. IQ 

voulez-vous que ce soit au monde, si ce n'est 
M"« Mars? 

Ici, l'intérêt, déjà vivement excité par tous ces 
ingénieux détails, va grandir encore. Toute cette 
cour de Chantilly se presse au lever de M"® de 
Prie. Richelieu, tout frais arrivé d'Allemagne, est 
naturellement le sujet de ces piquantes causeries. 
On l'entoure, on lui raconte les grandes révolu- 
tions de son absence, comment à présent M. le car- 
dinal de Fleury a réformé les mœurs, comment la 
messe l'emporte sur le bal, comment les femmes 
qui naguère avaient deux amants et un confesseur 
n'ont plus à cette heure que deux confesseurs et 
un amant ! Vous pensez si le duc ouvre de grandes 
oreilles! « Bah! dit-il à la fin, laissez là vos his- 
toires à dormir debout. Tel que vous me voyez, 
je parie mille louis que j'obtiendrai ce soir un 
rendez-vous de la première femme qui va se mon- 
trer à nous. — Tope! disent les amis du duc, 
mille louis ! » 

Sort la marquise de Prie. Richelieu , beau 
joueur, se penche vers ses amis, 'c Celle-là ne 
compte pas, dit-il, je vous volerais votre argent! » 
L'instant d'après sort M"® de Belle-Isle. 

Alors un jeune homme que vous avez à peine 
aperçu dans les salons, et qui a entendu ce terrible 
pari, s^approche du duc. « C'est à moi, Monsieur 



20 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

le duc, à tenir votre parî, car je dois épouser dans 
trois jours la femme que vous voulez déshonorer 
ce soir. » 

Le duc accepte le pari de ce jeune homme, qu'il 
voit pour la première fois. A cet instant, j'avoue 
que j'ai eu bien peur. J'ai tremblé que l'on ne nous 
montrât encore quelque bâtard contrefait de ce 
bâtard d'Antony, quelqu'un de ces jeunes gens sans 
aveu, dont la mélancolie est insupportable, insi- 
pides vaporeux qui pensent faux, qui aiment faux, 
qui souffrent faux, qui gâtent par leuf bave rê- 
veuse tout ce qu'ils touchent, et même les jeunes 
passions des belles années; mais, cette fois, j'en 
suis quitte pour la peur. L'amant de M"® de Belle- 
Isle, le chevalier d'Aubigny, un peu plus senti- 
mental que les autres, il est vrai, est cependant 
tout à fait taillé sur leur patron. Sa vertu n'a rien 
d'austère, son amour n'a rien de langoureux : c'est 
un véritable soldat qui sera un des plus vaillants 
à Fontenoy. Si donc ce personnage a paru quel- 
quefois plus triste qu'il ne convenait, la faute n'en 
est pas à l'auteur; la faute en est au comédien qui 
a joué ce rôle, à Lockroy, qui s'est attristé à plai- 
sir. Mais, comme Lockroy est un homme intelli- 
gent et spirituel, il aura compris bien vite qu'il ne 
s'agit pas ici de faire le beau ténébreux, que les 
rêveurs byroniens, à la cour de M. le régent, se 



THEATRE DE GENRE. 21 

seraient fait rire au nez par toute la cour, et qu'en- 
fin, pour bien jouer ce rôle si jeune et si amou- 
reux, il faut être un jeune homme de son époque, 
vif, leste, hardi, alerte, et, ma foi ! ne douter de 
rien. 

Vous avez rarement vu un plus joli premier 
acte, net, rapide et bien posé. Chacun est à sa ré- 
plique; Tesprit circule dans ce dialogue, comme 
le sang dans les veines : chacun a déjà dit ce qu'il 
devait dire, chacun s'est déjà montré ce qu'il sera 
dans tout le reste de la pièce : Richelieu léger et 
fou, la marquise égoïste et vaine, M"® de Belle- 
Isle innocente et chaste, M. d'Aubigny amoureux 
et passionné, quoique un peu triste. On pourrait 
faire cette objection que ce jeune capitaine est un 
bien petit monsieur pour s'attaquer ainsi de front 
à Son Excellence M. de Richelieu; mais l'auteur 
a soin de nous avertir que le chevalier d'Aubigny 
porte un des meilleurs noms de la Bretagne. 
Parlez-moi des comédies qui commencent dès le 
premier acte ! 

Vous allez juger par vous-même des difficultés 
du second acte; elles sont telles que j'aurai bien de 
la peine à vous les raconter, moi qui vous parle en 
tête-à-tête, moi qui suis assis à votre côté. Madame. . . 
Jugez donc quand il faut raconter cela à deux mille 
personnes assemblées, dont la moitié se croit obli- 



23 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

gée de rougir, de ne rien comprendre et de serrer 
les dents pour ne pas rire î La nuit du pari ap- 
proche. Il y va de l'honneur de M. le duc de 
Richelieu de gagner ce pari-là; mais, cependant, 
comment faire pour s'introduire chez M"® de 
Belle-Isle, cette jeune Bretonne honnête, sincère, 
sans détour? La chose est d'autant plus difficile que 
M"** de Prie ne veut pas y prêter les mains. Au con- 
traire, la dame se souvient du portefeuille de tout 
à rjieure, et, malgré le programme, elle veut se 
venger. En effet, elle loge M"® de Belle-Isle dans 
sa propre chambre, et, le soir venu, elle apporte à 
sa nouvelle amie, qu'elle veut éloigner du danger, 
une lettre pour le gouverneur de la Bastille. M"® de 
Belle-Isle sera à Paris dans deux heures et demie; 
elle verra son père et ses frères ; elle sera de retour 
demain à six heures ; nul dans le château ne saura 
qu'elle est partie; tant que M. le duc de Bourbon 
sera premier ministre, M"® de Belle-Isle ne dira 
ce voyage à personne : elle en fait le serment. 
Restée seule. M"' de Prie, qui sait son Riche- 
lieu par cœur, ferme toutes les portes à double 
tour, toutes les portes, excepté la porte secrète; 
mais, tout à l'heure encore, Richelieu a juré à 
la marquise qu'il avait oublié cette clef à Paris... 
Tétais si pressé de suivre Af' '^ de Belle-Isle! 
ajoute-t-il. 



THÉÂTRE DE GENRE. 23 

Ce mot, qui est très-joli, est tout à fait digne 
du chevalier de Grammont. 

Mais, de son côté, M. de Richelieu est sur ses 
gardes. Ce n'est pas celui-là qui sera jamais pris 
sans vert! Il a bientôt reconnu toutes les difficul- 
tés de Tentreprise : portes fermées, fenêtres fer- 
mées, valets de pied qui veillent au dehors. Que 
fait M. le duc de Richelieu? Il envoie à Paris son 
valet de chambre pour chercher la clef de la porte 
secrète, et, en moins de temps qu'il n'en faut à 
la vapeur aujourd'hui, la voici cette clef bien- 
heureuse que M™® de Prie avait donnée à M. le 
duc de Richelieu dans des temps plus heureux 
pour elle ! A minuit donc il entrait chez M^^* de 
Belle-Isle. Homme de précaution, M. de Riche- 
lieu a écrit à l'avance le billet que voici : a Je suis 
entré chez M"' de Belle-Isle à minuit; je vous 
dirai demain à quelle heure j'en suis sorti. j> Et il 
jette le billet par la fenêtre, et c'est le chevalier 
d'AuJbigny qui reçoit le billet. Le pari est gagné, 
et plus que gagné, car la marquise, qui ne comp- 
tait pas- que la porte s'ouvrirait, éteint les lumiè- 
res... Richelieu n'y voit que du feu. La toile 
tombe... Devinez le reste si vous pouvez. 

Silence ! je vous entends ! Vous allez Vous 
écrier : « Mais rien n'est plus immoral ! » Je vous 
avertis, mon gros Monsieur, que vous perdriez 



24 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

votre temps et vos cris. Toute cette intrigue a été 
parfaitement acceptée par bien des honnêtes gens 
qui étaient là et qui vous valent bien. Les plus 
honnêtes femmes ont applaudi sans y entendre 
malice. Il y a manière de tout dire entre gens de 
la bonne compagnie. Soyez net et bref, n'hésitez 
pas, lancez votre mot discourtois d'une façon ai- 
sée et comme la chose la plus naturelle du monde, 
votre mot passe, et personne ne songe à vous dire 
que vous êtes un insolent. Au contraire, hésitez, 
rougissez, tournez votre chapeau dans vos mains 
pour dire la chose la plus simple du monde, et 
les vaudevillistes vont crier à la gravelure ! Notre 
poëte comique a saisi à merveille toutes ces nuan- 
ces ; il a été hardi comme un page qui aurait été 
élevé chez M™' de Parabère! Et voilà comment, à 
force de gaieté, de bonne humeur, et surtout à 
force de hardiesse et d'esprit, il a fait tout passer. 
Ceci dit, arrive le troisième acte. M"® de Belle- 
Isle est revenue de la. Bastille, heureuse comme 
une fille qui vient d'embrasser son vieux père 
dont elle est séparée depuis huit ans. M"' de Prie 
est mieux vengée qu'elle ne pensait, mais elle ne 
songe déjà plus à sa vengeance. M. de Richelieu, 
tout insolent qu'il est, est quelque peu étonné de 
son bonheur. Seul, le chevalier d'Aubigny est bien 
triste. Il a vu, à coup sûr, le séducteur s'introduire 



THEATRE DE GENRE. 25 

chez sa fiancée ; il a entendu sa voix de la fenê- 
tre , il a lu son billet , il tient dans ses mains ce 
billet fatal. Comment douter de son malheur ? 
comment ne pas croire à la perfidie de M"" de 
Belle-Isle? Elle cependant, heureuse et calme, 
elle vient au-devant du chevalier, et vous pensez 
si elle le trouve hargneux, prêt à mordre et mal- 
heureux ! 

Il faut entendre M"® de Belle-Isle, ou plutôt 
M"® Mars, se défendant de son mieux contre l'hor- 
rible récit du chevalier d'Aubigny. Oui, tout cela 
est vraisemblable, mais rien n'est vrai. Elle veut 
s'en expliquer avec Richelieu lui-même, et elle le 
fait appeler pendant que son amant est caché là 
qui écoute. Arrive Richelieu, plus fier, plus inso- 
lent, plus conquérant que jamais; et il parle à 
cette pauvre fille comme un amant heureux. Il est 
si convaincu de sa victoire ! cette victoire a été 
si facile, si complète! Il l'a dit tout à l'heure à 
M"« de Prie : a Deux chevaux crevés pour une 
clef, c'est mille louis quiil m'en coûte; mais, tenez, 
marquise {// se penche à soû oreille), je ne les re- 
grette pas. » 

Cette scène est dramatique, elle est naturelle. 
On comprend très-bien le désespoir de M"® de 
Belle-Isle^ se voyant ainsi traitée et avec un sans 
gêne si inexplicable et si naturel. Ce que l'on 

IV 3 



20 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

comprend moins, c'est que cette malheureuse 
fille, qui est perdue et déshonorée aux yeux de 
son amant, ne lui dise pas tout de suite où donc 
. elle a passé cette nuit fatale. Il est bien vrai qu'elle 
a juré de ne pas le dire tant que M. le duc de 
Bourbon serait premier ministre; mais, en pré- 
sence d'un pareil malheur, le moyen de garder 
un secret ! Et d'ailleurs le chevalier d'Aubigny est 
trop honnête homme pour abuser d'un secret qui 
lui rend sa maîtresse I Mais que fais-je donc là, 
et ne voilà-t-il pas que je m'amuse à chercher des 
objections dans une comédie qui va toute seule 
et que rien n'arrête, qui rit d'un œil, qui pleure 
de l'autre, et dont le sourire, dont les larmes sont 
bien ce que je connais de plus charmant ! 

Et notez bien que l'action dramatique marche 
en même temps que marchent les plaisirs et les 
affaires de cette cour, si occupée d'affaires et de 
plaisirs. Ainsi donc, c'est fête chez M™* de Prie. 
Les plus élégants seigneurs, réunis dans ces riches 
salons qui n'existent plus, s'abandonnent au jeu 
avec fureur. Vous entendez l'or et les éclats de 
rire, dont le bruit se heurte et se mêle. Richelieu 
a passé la journée à la chasse ; il arrive au bal un 
peu tard. A ce bal il rencontre enfin le chevalier 
d'Aubigny, qui l'a cherché tout le jour. Alors, 
entre ce jeune homme et le duc, il faut bien qu'une 



THÉÂTRE DE GENRE. 2y 

explication se fasse. Le chevalier provoque Riche- 
lieu ; Richelieu accepte. On se battra tout de suite, 
près du château, à Tépée, sans témoins : c'est 
convenu. Mais un damné capitaine, préposé par 
MM. les juges du point d'honneur pour empêcher 
les duels, et averti par M"* de Prie, arrête ce duel. 
Il fait donner aux deux champions leur parole 
d'honneur qu'ils ne se battront pas avant d'avoir 
porté leur affaire par-devant MM. les maréchaux 
de France. Mais comment donc fera ce pauvrp 
d'Aubigny pour se venger? 

il Monsieur le duc, dit-il à Richelieu, il me 
faut prompte satisfaction; nous ne pouvons pas 
nous battre, nous ne pouvons pas déshonorer 
M"* de Belle-Isle devant MM. les maréchaux de 
France... Faisons mieux, jouons aux dés : celui qui 
perdra deux parties se tuera demain à neuf heures 
du matin. — Vous avez trouvé là un moyen très- 
ingénieux! » répond M. de Richelieu. Puis il dit: 
a J'accepte. » Et pourquoi n'eût-il pas accepté? 
N'était-il pas l'homme le pluis heureux de cet 
heureux XVIIPsiècle? Il est né assez à temps pour 
voir encore les derniers rayons de ce soleil cou- 
chant qu'on appelait Louis XIV; il a eu sa part, 
et la plus large part, même en comptant le roi 
Louis XV, des fleurs, de Tesprit, de la gloire et 
des amours du règne suivant; enfin, après avoir 



28 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

assisté à cette lutte de tant de génie et de tant de 
forces différentes qui devaient produire 89, il est 
mort assez à temps pour ne pas voir la Révolution 
française. Certes, celui-là, même sans être trop 
brave, pouvait très-bien jouer sa vie sur un coup 
de dé : il était bien sûr de gagner. 

En effet, c'est Richelieu qui gagne; il trouve 
même de très-jolis mots dans cette partie où la vie 
d'un homme est l'enjeu. « Qui veut être de moi- 
tié dans ma partie? » dit-il aux courtisans qui le 
regardent faire. La partie perdue, le chevalier 
d'Aubigny quitte la table, et il s'en va sans que le 
duc le puisse retenir, en lui disant : « Demain, à 
neuf heures, vous serez payé, Monsieur le duc! » 

Au même instant arrive chez M"* de Prie la 
nouvelle que M. le duc de Bourbon est à la Bas- 
tille, que 'le cardinal de Fleury s'est nommé pre- 
mier ministre, que M"® de Prie est exilée dans sa 
terre. C'est une confusion universelle. M"' de 
Prié, hors d'elle-même, veut écrire à la reine, 
qu'elle a faite reine. Elle écrit. Richelieu recon- 
naît alors seulement cette écriture, qu'il a prise 
pour l'écriture de M"* de Belle-Isle. Il comprend 
confusément sa fatale erreur, a Mais qu'est-il 
donc arrivé? » demande-t-il. Et M™* de Prie, 
toujours écrivant, lui répond : Vous ne devine^ 
pas? M"® Mante dit ce mot-là à merveille et 



THEATRE DE GENRE. 29 

avec toute cette insolence de si bonne compagnie 
qu'elle a prise je ne sais oîi. 

Aussitôt M. de Richelieu, tout blasé qu'il est, 
se sent bouleversé au fond de Pâme. Il s'est 
trompé! il a déshonoré une honnête fille! il a 
perdu un honnête jeune homme! Si jeune, si 
beau, si brave, si loyal, si amoureux, il va se tuer 
demain à neuf heures! Il faut donc partir, il faut 
sauver d'Aubigny, il faut implorer son pardon de 
M"® de Belle-Isle... Vain espoir! un capitaine 
des gardes demande son épée à M. le duc de 
Richelieu... Tout est perdu! 

Allons, allons, rassurez-vous; ne craignez rien, 
personne n'en mourra. Ils se porteront tout à 
l'heure aussi bien que se portait ce matin M™® de 
Prie. Il est vrai que l'amoureux de M"' de Belle- 
Isle veut revoir sa maîtresse avant de mourir. Il 
part, il arrive à Chantilly, il retrouve cette femme 
qu'il aime, il la revoit plus belle que jamais et 
plus touchante; il lui dit adieu sans pleurer, mais 
adieu pour toujours. Elle cependant, qui est bien 
malheureuse, elle lui répète : Je faime! Il ne veut 
rien entendre, il veut partir. « Mais au moins, 
dit Gabrielle (elle s'appelle Gabrielle), attendez 
que revienne M"® de Prie, et je vous dirai le se- 
cret qui me tue. — Mais, répond le jeune homme, 
M"** de Prie, vous savez bien qu'elle est exilée et 

IV 3. 



30 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

que M. le duc est à la Bastille! » Alors M"* de 
Belle-Isle, délivrée de son serment, s^écrie, ivre 
de Joie : « A la Bastille! M. le duc! Et moi j'y ai 
passé la nuit, et j'y ai vu mon père, et je ne suis 
revenue que le lendemain à six heures, et M. de 
Richelieu a menti! Demande-le à mon père et 
à mes frères, Raoul! — Oui, j'ai menti, s'écrie 
Richelieu, qui accourt, ou plutôt j'ai été trompé 
comme un niais, et je vous demande pardon à 
deux genoux, Mademoiselle; vous êtes un ange! » 
Et ils se pardonnent, et ils s'embrassent, et 
M"« de Belle -Isle devient M™* d'Aubigny, et 
M. de Richelieu devient le meilleur ami du che- 
valier; et voilà comment cela a porté bonheur à 
M. Alexandre Dumas de ne pas s'abandonner à 
cette féroce et nauséabonde déclamation dont le 
nom de M. de Richelieu est l'objet! Il eût fait un 
drame insipide , il a trouvé la plus aimable comé- 
die; il eût été commun et trivial, il a été vif, 
aimable et le plus gentil du monde. L'esprit, la 
gaieté, la grâce, la bonne humeur, lui sortent par 
tous les pores. Ce soir-là, nous autres, qui ne 
l'avons jamais flatté et qui n'avons jamais eu de 
bien vives sympathies pour ce talent mêlé de 
hasard, nous l'avons retrouvé tel qu'il était jadis, 
au commencement de sa vie littéraire, plein de 
feu et de vivacité, hardi, nouveau, ne copiant 



THÉÂTRE DE GENRE. 3l 

personne, travaillant tout seul à ses drames, ne 
cherchant pas ces horribles mots nouveaux qui 
vous font Tefifet d'un serpent sous les herbes. Quel 
bonheur et quelle joie de retrouver cet esprit-là 
dans toute sa valeur, à l'instant même oîi Ton 
disait de toutes parts qu'il était épuisé! Allons, 
passons l'oubli sur tant de volumes que le public 
ne voulait plus lire , sur tant de mauvais drames 
en commandite que le public n'allait pas voir; 
oublions cette grande machine de Caligula, écra- 
sée dès le premier jour sous des prétentions in- 
croyables; courons tous au-devant de l'enfant 
prodigue, faisons-lui fête, disons-lui combien il a 
d'esprit et d'invention; battons des mains, bat- 
tons des mains! Les miennes sont encore fatiguées 
d'avoir applaudi! 





DUMANOIR 

CLAIRVILLE ET GUILLARD 



CLARISSE HARLOWE 




ouR le Gymnase, la semaine a été 
excellente. M"® Rose Chéri... Comment 
vous dire la grâce, Tenjouement, les 
larmes, la douleur, la mort, la passion de cette 
nouvelle Clarisse? comment expliquer cette fleur 
d^esprit, cette simplicité fine et piquante, ce 
charme? Éloquence féconde! imagination chaste 
et qui pourtant devine toute chose! La grande 
et pâle Clarisse ! \di vraie Clarisse, au niveau de 
nos admirations, de nos respects, de nos louanges, 
de nos souvenirs pour Phéroïne de Richardson! 
Elle paraît, et aussitôt, rien qu'au frôlement de sa 
robe de soie, on se sent pris d'une immense pitié, 
d'un intérêt immense! Elle parle, et le son de 
cette voix, \Qpur saxon de cette parole argentine, 
ramènent en foule les souvenirs du grand drame. 



THÉÂTRE DE GENRE. 33 

du drame terrible, du drame sans fin! Clarisse 
Harlowe! Richardson, Richardson, PHomêre en 
prose de la nature humaine! Clarisse, le roman, 
le poëme, l'histoire, le drame de la vie réelle! 
Tant d'enchantement et tant de douleur! tant de 
prospérités et tant de larmes ! L'enfer et le ciel, la 
passion et le bon sens! tous les blasphèmes et 
toutes les muses de la parole ! Ce charme infini 
qui séduit le sage, le lettré, le poëte; puis ces 
tumultes infâmes qui ressemblent à l'appel des 
démons! Lovelace assis comme Marins sur les 
raines de son crime , et suivant d'un regard 
désespéré sa chaste victime dans la poussière sidé- 
rale qui blanchit sa voie lactée, — tous les intérêts 
d'un poëme sans fin, — ô merveille! un mot suf- 
fit, un regard; une larme, pour nous y ramener 
avec toutes nos adorations, avec toutes nos louan- 
ges ! Si bien qu'à cette heure, grâce à cette comé- 
dienne de dix-huit ans, Clarisse Harlowe est 
ressuscitée; elle vit, elle respire, elle parle, elle 
pense : touchante image, à la fois sublime et popu- 
laire ! Rien n'a pu effacer cette beauté divine, ni le 
temps, ni l'absence, ni les œuvres nouvelles, ni la 
barbarie des traducteurs. A cette heure encore, la 
Clarisse est vivante comme au temps de Jean- 
Jacques Rousseau et de Diderot. 
Certes, qu'elle pût sortir de son tombeau toute 



34 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

vivante et toute parée de ses plus belles grâces, et 
que cette résurrection spontanée fût accueillie par 
les larmes, par la pitié, par la terreur de cette gé- 
nération qui avait entendu parler de Clarisse 
HarloîPey mais de loin, confusément et comme 
dans un rêve, voilà ce qui nous étonne et ce qui 
nous charme. Telle est la puissance d^un drame 
bien joué! telle est Pautorité d'un talent vrai, 
sincère! telle est surtout l'éternité impérissable des 
chefs-d'œuvre! Oubliez-les, tourmentez- les de 
toutes façons, ajoutez, retranchez, écrasez-les sous 
votre admiration, sous votre dédain; fermez 
les yeux aux clartés de ce nuage, foulez à vos 
pieds insolents les fleurs divines de ce désert, le 
chef-d'œuvre s'inquiète peu de vos louanges ou de 
vos blasphèmes; il attend l'heure, il attend l'oc- 
casion ou le prétexte : — une âme à guérir! — un 
poëte à sauver! — Le moindre prétexte lui suffit. 
Soudain il se montre plus éclatant et plus jeune 
que jamais! C'est lui, le voilà, je le reconnais! 
■Voilà bien sa souveraine beauté, sa grâce prin- 
cière, sa gloire élégante ! Je reconnais sa démarche, 
son épée, sa parole grande et véhémente. — Salut 
à toi, mon immense orage, qui courbes toutes les 
têtes, qui fais frissonner tous les cœurs ! 

Je sais bien ce que disent les fanatiques sin- 
cères, les hommes sérieux avec lesquels il faut 



THEATRE DE GENRE. 35 

compter. « Eh quoi ! disent-ils , vous avez tou- 
ché au drame de Samuel RichardsonI vous avez 
porté vos mains impies sur ce merveilleux travail, 
sorti tout armé de la pensée, de la vertu d'un 
si patient artiste! vous avez réduit... en deux 
tomes, en trois actes, cette comédie vivante, im- 
mense, écervelée, éternellement remplie de dou- 
leur,, d'enthousiasme, de pitié, de terreur!... 
Allez, cachez-vous, vous avez commis là une 
trahison, un meurtre, une cruauté, une injustice ! » 
Disant ces mots, ils s'agenouillent devant la 
blanche statue de Clarisse Harlowe, tout prêts à 
la défendre contre les profanateurs ! « Non, repren- 
nent-ils, nous vivants, ô sainte fille des anges! on 
ne touchera pas à un seul pli de ta robe, on n'ar- 
rachera pas une seule des broussailles qui blessent 
tes pieds adorés! Non, telle nous t'avons vue et 
telle tu resteras I Nous te voulons comme tu étais 
d'abord, comme tu es, Comme tu sei*as toujours I 
A toi notre vieux marbre, taillé dans un bloc si 
pur par la main paternellement amoureuse du 
père Richardson! Clarisse^ Clafissô Harlowe t 
notre drame, notre poëme, notre évangile, notre 
première et notre plus chaste passion, la sainte 
émotion de notre jeunesse, notre première et notre 
plus charmante douleur I d Et ce sont des larmes, et 
ce sont des sentiments, et ce sont des admirations^ 



36 "critique dramatique. 

et malheur à qui viendrait changer un mot, un 
seul mot, à l'ensemble du chef-d'œuvre! Beau 
livre! livre tout-puissant! admirable monument 
dont la vie s'est éloignée! Mais passez dans le 
désert oîi le temple est encore debout; entrez à 
l'heure de minuit dans ce Campo Santo où dor- 
ment pêle-mêle tant de passions , tant de trésors 
divinement prodigués, infernalement employés, 
et soudain vont se dresser à vos yeux éblouis, 
épouvantés, Lovelace, le monstre énorme ^ les 
Harlowe, ces âmes pétries de boue, éprises du 
gain et de l'intérêt, et miss Howe, ce modèle de 
l'amitié sérieuse, et la Saint-Clair, cette fange, 
et ces femmes, ouvrières en corruption^ Sally, 
PoUy, Dorcas, autant de sépulcres blanchis, et ce 
Morden qui représente la vengeance, et ces valets 
entachés du vice de leurs maîtres, et tant d'âmes 
subalternes, et tant d'esprits à la suite, et tout ce 
peuple, foule bruyante dont chaque tête a sa phy- 
sionomie, son langage, son vice, sa vertu, et, en 
un mot, ce monde attentif à cette œuvre de des- 
truction, âmes viles, âmes nobles, âmes dégradées, 
passions soulevées par le mal, haines, lubricités, 
vengeances, dévouements, cœurs semblables à 
l'opale aux mille couleurs, habits en taffetas 
changeant, cris et grincements de dents, chansons 
d'amour, chansons à boire, molles élégies, histoires 



THÉÂTRE DE GENRE. Z^ 

énergiques' et terre à terre de la plus humble vie 
domestique, ambition bourgeoise, ambition de 
la cour, le soldat et le capitaine, le valet et le 
maître, la fille sainte et la fille de joie, le spadas- 
sin de la borne et le pair d'Angleterre! Tant 
d'agonies ! L'agonie sur le fumier et l'agonie 
de cette âme qui s'endort dans le ciel, au con- 
cert des anges ses frères. Le fumier et les fleurs! 
a Pendant que tu cherches des causes à Rome, 
moi, retiré à Préneste, je relis les poëmes d'Ho- 
mère! » Ainsi parlait Horace, il y a dix-huit cents 
ans. a Pendant que vous courez le monde à la 
suite du soleil, je vais pleurer à la vie, à la mort 
de Clarisse Harlowe! » Il y a comme cela des 
instants où le chef-d'œuvre reparaît, on ne sait 
pourquoi, on ne sait comment, dans la vie des 
hommes les plus occupés de leurs affaires, de leurs 
travaux, de leur ambition, de leurs amours. 

Oui, ceci est juste; oui, vous êtes dans votre 
droit; oui, Diderot avait raison dans son emphase: 
adorez l'œuvre de Richardson jusqu'à la frénésie; 
qu'il soit défendu, sous peine de mort^é toucher 
au chef-d'œuvre, et que ce crime de lèse-majesté 
divine et humaine soit placé parmi les crimes 
sans miséricorde. Mais pourtant si le peintre^ 
dans son enthousiasme, veut reproduire les traits 
charmants de cette fille adorée, si le poëte se veut 



38 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

inspirer de cette lente passion qui dévore et qui 
brûle, si le statuaire .veut accomplir dans son 
argile riante quelques-unes des beautés qu'il aura 
entrevues, si l'écrivain lui-même, épris de tant de 
génie, se met à écrire à sa façon , mais en toute 
humilité, en tout respect, cette histoire qui est 
son rêve, irez-vous crier haro au peintre, au 
sculpteur, au poëte? Irez-vous leur dire qu'ils 
gâtent à plaisir votre idéal, et, au contraire, ne 
sera-t-il pas plus juste et plus digne d'une admi- 
ration sincère comme est la vôtre, d'encourager 
ces adorations éloquentes? L'œuvre existe, elle 
brille pour vous qui pleurez, elle brille pour moi 
qui souris, elle brille pour toi, mon artiste qui 
copies, pour toi, mon poëte que ces grandeurs 
font rêver. Que dis-je? l'œuvre existe à condition 
qu'elle sera féconde, féconde en leçons, féconde 
en préceptes, féconde pour l'étude, pour l'imita- 
tion, pour l'art, pour la poésie, pour toutes les 
âmes malades, pour tous les esprits d'élite qui 
touchent d'une main pieuse à ces reliques véné- 
rées. Ne me parlez pas d'une admiration stérile, 
ne me parlez pas de cette adoration égoïste et du 
bout des lèvres à l'usage des vieilles dévotes qui 
égrènent leur chapelet dans leurs doigts amaigris 
par la mort; parlez-moi d'une foi vive, active, 
véritable; de la foi qui agit, qui soulève les mon- 



THÉÂTRE DE GENRE. 3g 

tagnes, qui produit les miracles; païens, restez 
prosternés aux pieds d'argile de votre fétiche; 
adorateurs du vrai Dieu, levez-vous et prêtez 
Poreille aux chants sacrés qu'accompagnent là« 
haut les harpes d'or. 

Voilà pourquoi il ne faut pas crier au meurtre 
quand, par hasard, une main , même inhabile, 
pourvu qu'elle soit désintéressée et loyale, se met 
à refaire les vieux temples, à arracher des vieux 
marbres le lichen et la mousse, à recomposer les 
ruines saintes dont le temps a jonché les champs 
où Troie a vécu. De cette imitation, même 
féroce, quelques beautés peuvent surgir; de cô 
pieux exemple, même maladroit^ quelques 
croyances peuvent éclore. Eh quoi! parce que 
j'aurai voué un culte à l'image que vous adorez 
au fond de votre âme reconnaissante et silen- 
cieuse; parce que, pour parer de mon mieux votre 
idole, j'aurai dérobé des perles à tous les colliers, 
des fleurs à toutes les couronnes, des vers à tous 
les poètes, des chants à tout ce qui chante, des 
rêves à tout ce qui rêve, des larmes à tout ce qui 
pleure, de l'espérance à tout ce qui espère, du 
désespoir à tout ce qui est maudit; parce que nuit 
et jour ma pensée active sera revenue par tous 
les sentiers pour déposer son butin de la veille 
aux pieds de votre dieu; parce que je n'aurai pas 



40 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

été plongé toute ma vie dans votre adoration 
muette, dans votre admiration stérile; parce que 
j'aurai osé, moi profane, lever un coin de ce nuage 
de pourpre dont s'entoure votre Psyché puritaine, 
irez-vous donc me vouer à Texécration du monde 
et me traiter comme un Vandale, comme un autre 
Attila, fléau de Dieu et des œuvres antiques? 
Non certes, et ce serait une injustice cruelle, une 
injustice criante; ce serait châtier sur un seul 
homme tant de grandes autorités qui ont osé dis- 
cuter l'œuvre de Richardson : M. de Chateau- 
briand, qui s'écrie : Rien ne vit que par le style ! 
M. Villemain, notre maître, qui nous a enseigné 
à donner à la fiction des proportions plus humain 
12^5/ Voltaire, qui s'écrie qu'il faut en finir avec 
ces longueurs; les Anglais eux-mêmes, ces grands 
amis de leurs chefs-d'œuvre, qui s'écrient : Walter 
Scott, quHl faut être patient; lord Byron, qu'il 
faut abattre la moitié de l'édifice; le docteur 
Johnson, qu^il y a de quoi se pendre d'impa" 
tience; lady Montaigu, qu'elle est fatiguée de se 
réveiller toujours dans le parloir de Cèdre; et 
tant d'autres autorités puissantes, j'en conviens, 
mais récusables, à tout prendre. C'est si vite 
dit : Coupe:{! retranche:^! arrange:^! que l'on 
peut se fâcher contre ces conseilleurs. Mais cepen- 
dant, vienne un homme plein de zèle et de patience 



THÉÂTRE DE GENRE. 4I 

qui se mette à genoux pour essuyer un peu de 
toute cette poussière, irez- vous vous emporter 
contre cet hommage reconnaissant et désintéressé 
d'un pauvre artiste qui entreprend, sans aucune 
espérance de gloire et de louange, à ses risques et 
périls, un travail stérile, impossible, périssable, 
travail d'un jour, restauration d'une heure, quel- 
que chose qui ressemble à l'archet de Paganini, 
au piano de Listz, quand Listzou Paganini s'inspi- 
rent soudain de quelque beau passage de Beetho- 
ven ou de Mozart? L'écho sonore emporte la note 
de l'archet, l'idée du maître reste éternelle; le piano 
sonne et chante à la façon de Listz, mais quand 
l'instrument se tait, le génie évoqué par lui rentre 
dans la plénitude de ses droits. Ainsi donc, par- 
donnez-moi, ô vous les admirateurs dévoués du 
maître Richardson, si je joue, à ma façon, quel- 
ques variations sur mon instrument rebelle et 
discordant : 

Nostra tuos olim si fistula dicat amores! 

Voilà ce qu'on pourrait dire pour excuser 
M"* Rose Chéri, si M"® Rose Chéri, heureuse entre 
tous les artistes qui ont touché à Clarisse Har^ 
loipe^ ne portait pas en elle-même son pardon et 
son excuse. 

Téméraire, elle a été téméraire sans le savoir, 

IV ' 4. 



42 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

sans le vouloir. Elle s^est passionnée, elle aussi, 
pour ce grand drame qu'elle entendait raconter 
pour la première fois il n'y a pas vingt jours; elle 
a étudié au fond de sa propre conscience Pâme et 
le cœur de Clarisse; elle s'est dit, l'habile femme, 
que Richardson son père était assez fort pour la 
soutenir, pour la porter jusqu'au but, et, ceci dit, 
elle a marché ! 

Pour le succès d'une pareille œuvre, pour que 
la jeune actrice habillée et parée à ravir, comme 
une jeune fille du plus grand monde, puisse 
plaire à toute cette foule, à son premier sourire, à 
son premier sanglot; pour que le narrateur qui 
raconte ce drame soit écouté avec des transes hor- 
ribles, il faut admettre nécessairement que le 
drame primitif est su par cœur, que le livre com- 
plet a passé sous les yeux et dans l'âme du lec- 
teur. 

Quand donc vous me parlez de ces drames tout 
faits, l'honneur éternel de l'imagination et du 
génie de l'homme, je me suis déjà formé à l'avance 
une image idéale qu'il ne faut pas trop contrarier. 
Je connais vos héros, je sais leur nom, j'ai vu leur 
visage; Clarisse! je l'ai trouvée; mais Lovelace, 
oîi le rencontrer jamais? Dans quel ciel? dans 
quel enfer? C'est un de ces êtres formidables qui 
échappent à tous les efforts par leur variable et 



THEATRE DE GENRE. 43 

infinie perversité, par leur caprice, par leur or- 
gueil; Lovelace, c'est l'être impossible; il a disci- 
pliné tous ses vices en les domptant, il a réglé 
toutes ses vertus en les corrompant; il possède 
pour son usage je ne sais combien de sortes d'es- 
prits qu'il emploie aux menus plaisirs de sa dé- 
bauche, de sa malice, de son ironie personnelle. 
Création inexplicable et gigantesque, Dieu lui 
avait tout donné, la noblesse, la fortune, le cou- 
rage, l'audace, la beauté ; il pouvait être un grand 
homme, il a mieux aimé être un monstre et s'en 
aller gaiement à l'abîme, plein de son crime et de 
ses remords. — J'avoue que l'imitation complète 
de ce héros dans la poésie me paraît impossible ! 
don Juan lui-même, don Juan en chair et en os, 
ne suffirait pas à représenter Lovelace! A don 
Juan pas une femme ne résiste, et s'il rencontrait 
dans ce chemin de ses licences une Clarisse, sou- 
dain, prosterné à genoux, tremblant, amoureux, 
don Juan se déclarerait vaincu. Nous n'aurons 
donc pas de Lovelace, non, jamais, même si l'on 
rendait à Frédérick-Lemaître son enthousiasme 
et ses vingt ans; mais telle est la grandeur et la 
beauté du livre de Richardson qu'un seul de ses 
personnages bien compris, un seul sur cent mille, 
va faire la fortune d'une comédie ou d'un drame, 
à plus forte raison si ce personnage est Clarisse 



44 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Harlowel M"* Rose Chéri a dépassé dans ce rôle 
tout ce qu'on devait attendre de son intelligence et 
de son cœur. Aussi a-t-elle obtenu un succès 
d'émotions, de larmes, d'intérêt, de passion. La 
seule critique qu'on en pourrait faire, c'est que 
c'est là peut-être un visage trop jeune pour une 
douleur si calme. Elle a été ingénue, elle a été 
pleine d'abandon, elle s'est voilé le visage avec 
cette grâce pudique que Ton ne joue pas, que l'on 
n'apprend pas, qui vous vient à la pensée comme 
la rougeur vous vient au front ! Elle vous a de 
ces larmes qui vous brisent, de ces gémissements 
qui vous déchirent, de ces paroles... des riens, qui 
vont jusqu'à un vrai transport! 




ALFRED DE MUSSET 



UN CAPRICE 




ous vous rappelez, oh! c'est d'un peu 
loin, nous étions jeunes, et la personne 
aussi était jeune, une jolie jeune per- 
sonne qui avait nom M"® Despréaux; elle vous 
avait un pied, une main, une taille, et des yeux!... 
elle a encore ses yeux, son pied et ses mains... 
elle avait remporté les faciles couronnes du Con- 
servatoire, et sur cette tête bouclée les couronnes 
répandaient comme une promesse de succès et de 
renommée. M. Scribe, qui toute sa vie a été à l'affût 
des jeunes ingénues nécessaires à sa comédie, ren- 
contrant cette enfant si bien faite pour porter le 
tablier à dents de loup, sur une robe blanche que 
termine un pied de quinze ans, s'empara de cette 
jeune Despréaux, et il fit, tout exprès pour elle, 
cinq ou six petits chefs-d'œuvre de la matinée, des 
œuvres printanières , des élégances, des grâces. 



46 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

des câlineries, /a Lectrice, par exemple. Je vous 
laisse à penser le succès ! lorsque soudain la petite 
Despréaux, l'ingrate ! devenue M"** Allan, partit 
pour la Russie, où elle a vécu, où elle a régné douze 
à quinze ans, devinant, comprenant et représen- 
tant de si loin toutes les nouveautés françaises ! 

Qui de nous savait, il y a huit jours, que la petite 
Despréaux était vivante, et qu'elle était revenue 
à Paris ? Qui de nous se fût douté qu'elle allait 
reparaître, et, à la nouvelle de cette résurrection, 
qui se serait douté que nous allions retrouver 
dans une comédienne russe une véritable comé- 
dienne de Paris ? 

On ne s'y attendait pas, je vous assure, et la sur- 
prise a été grande non-seulement quand on a re- 
connu à son beau visage cette jeune première 
d'autrefois, mais encore lorsqu'on a pu voir qu'elle 
avait fait véritablement de rares progrès, et qu'elle 
revenait plus élégante, plus habile, plus ingénieuse, 
plus véritablement comédienne qu'elle n'était 
partie. 

Bien mieux, la Russie nous rend, elle nous 
donne, elle nous indique une comédie charmante, 
faite depuis douze ans, et dont peu de gens sa- 
vaient le titre. Ohl la honte! dans cette disette 
de poètes et de comédies, dans ce silence qui nous 
tue, dans cette mort du génie français, si habile 



THLÉATRE DE GENRE. 47 

naguère, inerteaujourd'hui, il faut que des étrangers 
nous révèlent nos richesses littéraires ! Tant de 
faiseurs de comédies aux abois ! tant de comédiens 
et de comédiennes qui se meurent faute d'un rôle ! 
notre antique Théâtre-Français, le chapeau à la 
main, implorant l'aumône d'une idée à des vaude- 
villistes éreintés ! — Et c'est la Russie qui nous 
avertit que nous ne sommes pas si pauvres que 
nous le pensons! et c'est Pétersbourg qui nous ré- 
vèle un chef-d'œuvre inconnu des Parisiens I et 
la comédienne qui devait introduire M. Alfred de 
Musset au théâtre, il faut qu'elle soit la pension- 
naire de S. M. l'empereur Nicolas I*'I 

C'est une chose étrange, une chose vraie! les 
grands critiques, les. oracles du foyer, les beaux 
esprits, les plus lents à comprendre le mouvement 
qu'ils n'ont pas donné, se regardaient hier avec un 
grand air d'étonnement après que M"® Allan eut ra- 
conté au public enthousiaste et charmé ce proverbe, 
cette comédie, ce murmure, ce dialogue de M. Al- 
red de Musset, Un Caprice! Il faut vous dire que 
jamais peut-être, jamais, que je sache du moins, 
un pareil succès, n'a accueilli une plus piquante 
et plus aimable fantaisie. Mon Dieu ! c'est moins 
que rien, ce proverbe: une jeune femme, un jeune 
homme, une bourse en filet, trois personnages qui 
parlent, a demi couchés dans de longs fauteuils, 



48 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

une tasse de thé, une lettre, un salon et le coin du 
feu. Vous avez vu parfois quelque belle image pa- 
risienne dessinée au crayon rouge par M. Eugène 
Lami : c'est cela, mais avec cent fois plus de verve, 
d'esprit, de feu, de gouaillerie amoureuse, d'in- 
vention, d'imitation ! Ce merveilleux petit pastel, 
exposé dans une douce clarté, à des yeux habitués 
comme les nôtres aux flamboyantes et rutilantes 
images de M. Eugène Delacroix ou de tout autre 
coloriste sans pitié, a charmé tout ce monde 'de 
femmes, de jeunes gens, de vieillards, d'incrédules ; 
chacun de son côté, et pour son propre compte, 
s'est mis à saluer, dans sa vérité gracieuse, ce petit 
coin de la Chaussée-d'Antin, mêlé de faubourg 
Saint-Germain. De drame, d'intrigue, de scènes 
filées, de nœudS noués et dénoués, d'incidents bien 
amenés, pas un mot, pas un soupçon, rien ; tout 
ce petit profil de comédie à la silhouette est d'une 
simplicité charmante dont on ne saurait vous don- 
ner une idée, et, pour ma part, je rougis de vous 
raconter si mal le contentement intime, la douce 
joie, le bien-être, le comme il faut, le sentant bon 
de cette ébauche à l'eau de rose, de cette débauche 
au petit vin de PouiUy, mousseux et pétillant 
comme du vin d'Arbois ! 

Et là-dessus, pendant que le public applaudis- 
sait encore (j'ai vu le moment oti la salle allait 



THÉÂTRE DE GENRE. 49 

crier bis! et la pièce eût recommencé en effet à 
Papplaudissement général), les habiles du foyer 
s^abandonnaient à leurs mouvements nerveux. 
Ceux qui aiment le succès pour le succès, et qui ac- 
ceptent Tenthousiasme comme on accepte, à ge- 
noux, quelque amour inespéré qui v^us vient du 
ciel, se pavanaient dans leur contentement et dans 
leur joie. « Bon ! disaient-ils, en voilà enfin un, 
un tout seul, de ces grands esprits, qui réussit au 
théâtre, qui réussit sans le vouloir, sans le savoir! 
Ils ont proclamé à tue-téte leur génie, leur inspi- 
ration, leur profond mépris pour le métier, « Le 
a métier! fi du métier! Molière était-il un homme 
a du métier ? y> Et, ceci dit, ils allaient les uns et les 
autres ravaudant de vieilles comédies, rapetassant 
de vieux mélodrames, soufflant une âme d'une 
heure au cadavre de Colombine, d'Arlequin et de 
Pierrot ! Puis, ceci fait, ils se proclamaient eux- 
mêmes les sauveurs de Tavenir ! Ils se couronnaient 
rois du théâtre moderne ! M. Scribe et les autres 
n'étaient plus que d'informes piédestaux à ces for- 
tunes imaginaires... Vous savez toutes les chutes 
de ces illustres génies, et comme ces Encélades 
sont tombés sous leurs monuments renversés! 
C'était justice. Et pourtant, quand ils hurlaient 
contre le métier, ils ne songeaient pas que leur 
paradoxe allait obtenir ce grand triomphe dans 

IT 5 



50 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

le talent et dans la comédie de M. Alfred de 
Musset ! » 

Eh bien, je n^en sais rien, mais je suis sûr que 
ces grands homme auraient tout autant aimé que 
leur paradoxe n'obtînt pas ce triomphe inespéré. 
Maintenant, en effet, qu'il est bien décidé que ces 
illustres inconnus, malgré leur profonde ignorance 
du métier^ sont absolument incapables de rien 
produire pour le théâtre, il est à croire que cela ne 
leur conviendra guère de découvrir que M. Alfred 
de Musset.est en effet un véritable poëte comique, 
et que cet ignorant a écrit une comédie véritable 
tout simplement parce qu'il a, lui, beaucoup d'es- 
prit, beaucoup de talent, beaucoup d'amour, de 
jeunesse, de jactance et de passion. « Avez-vous 
remarqué, leur disait un brave homme safls pré- 
tention au génie, avez-vous remarqué, mes chers 
amis, l'attitude du public à cette comédie toute 
française qui nous revient de si loin ? Quelle at- 
tention I quel silence ! quelle joie intime dans cet 
auditoire charmé d'entendre parler soudain ce beau 
langage ! Comme on trouvait que ce dialogue était 
vrai, et fier, et railleur, et gai, et d'un bon sel! 
Jamais, depuis cent ans au moins, les transports de 
Camille, les malheurs d'Andromaque, les colères 
d' Athalie, les crimes de Phèdre, n'ont ému le public 
autant que cette histoire mignarde d'une petite 



THÉÂTRE DE GENRE. 5l 

bourse brodée au métier. Les poignards, les coupes 
empoisonnées, et même les millions répandus par 
la comédie moderne autant que le sang par la tra- 
gédie d'autrefois, qu'est cela, comparé à Tangoisse 
de cette jeune femme qui pleure tout bas ce mo- 
ment d'amour qui ne s'est pas envolé assez loin 
pour qu'on ne puisse le rappeler d'un sourire? 
Vous parlez d'intrigues, des intrigues romaines 
expliquées par le vieux Corneille, et du débat ra- 
conté par le Mithridate de Racine; mais ces pé- 
ripéties politiques, usées jusqu'à la corde, les pou- 
vez-vous comparer, pour l'émotion qu'elles pro- 
curent, au dialogue du maître et de son valet de 
chambre? •— <c Qui t'a remis cette lettre? — Le 
portier. — Et qui est ce portier? » Et, bref, tout 
le petit manège d'an homme qui cherche à deviner 
un secret sous lequel se cache une femme. C'est 
très-joli tout cela, et très-charmant I 

Notez bien que ces beautés prime-sautières, ces 
aimables détails, cet imprévu, ce hasard gai et 
pimpant, cette page de prose qui devient une co- 
médie chez nous parce que la Russie a deviné la 
première que c'en était une, on n'explique pas ces 
choses-là au public, qui les applaudit et qui les 
' aime d'instinct, comme il aime tout ce qui est vif, 
net, élégant, bien dit, bien fait ; mais ces choses-là 
on les explique aux habiles gens qui ne veulent 



52 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

pas voir, qui ne veulent pas entendre, qui disent, 
répaule levée : « C^est un jeu de M. Alfred de 
Musset ! c'est un caprice venu de Saint-Pétersbourg ! 
c'est une gageure de M"*® AUan I Cest qu'hier le 
public, fatigué et rassasié des émotions de la veille, 
se sera délassé avec joie à ce récit d'une anecdote 
de rien ! Mais appeler une comédie si peu que 
cela ! y pensez-vous? — Eh ! oui, Messieurs, on y 
pense; et, vous aurez beau dire, ce petit caprice 
est bel et bien une comédie ! une comédie qui sera 
jouée vingt ans, une comédie qui sera jouée dé- 
sormais toutes les fois qu'une belle personne vou- 
dra se montrer dans un très-aimable rôle, moitié 
gaieté et moitié sentiment, d'une vivacité un peu 
vive, mais relevée si bien par le bon goût et l'à- 
propos ; une comédie que Marivaux voudrait avoir 
faite, voudrait avoir écrite et qu'il eût signée avec 
bonheur; une comédie, j'ensuis fâché pour vous, 
que ce poëte Alfred de Musset a faite en se jouant, 
entre deux poëmes, entre deux fêtes, pour remplir 
quelque petite lacune de revue, qu'il avait oubliée, 
dont vous ne vouliez pas vous souvenir, et que la 
Russie applaudissait franchement comme une très- 
exacte et très-fidèle image de ce beau Paris étudié 
dans ses calmes, élégantes et amoureuses hauteurs. 
D'ailleurs, pourquoi tant s'étonner? pourquoi 
ceci et cela, et tant de dissertations pour cette co- 



THÉÂTRE DE GENRE. 53 

médîe, contre cette comédie? La seule surprise en 
tout ceci, c'est que le Théâtre-Français ait attendu 
si longtemps avant de faire cette belle trouvaille. 
Que M. Alfred de Musset soit un poëte charmant, 
un des plus vrais et des plus piquants disciples de 
Régnier, Phomme aux grâces éternellement nou- 
velles; que cette muse gauloise et galloise porte à 
merveille la cape et l'épée, qu'elle ait Tallure dé- 
gagée d'un jeune homme à ses premières armes 
de guerre et d'amour, qu'elle aime le vin, la chan- 
son, la bombance et le jupon court; qu'elle ait 
des jurons, des serments, des cocardes, des échelles, 
des cabarets et des bosquets pour toutes les posi- 
tions de la jeunesse; que le vermillon lui plaise 
sur la joue, sur les lèvres, au bout du sein, et aussi 
tout ce qui luit, tout ce qui reluit, tout ce qui 
brille, tout ce qui galope : la soie, le velours, le 
diamant, l'éperon, le cheval, le plumet, le coq- 
plumet, les belles hardes brillantes de toutes les 
variations que l'aiguille peut donner au fil d'or et 
d'argent; que tout cela joue, et chante, et psalmo- 
die les mélodies amoureuses du moi de mai sous 
toutes les fenêtres où quelque belle forme se montre 
à demi cachée dans les clartés de la lune de miel, 
voilà certes ce qui ne fait aucun doute. M. Alfred 
de Musset est un vrai poëte, amoureux, badin, 
jovial, et parfois si tendre, si mélancolique, si plein 

IV 5. 



54 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

d'images calmes, timides reflet d'un astre dans le 
lac argenté, chacun Tavoue, chacun le reconnaît : sa 
chanson est un peu dans toutes les mémoires, ses 
amours ont été dans tous les cœurs. On a fabriqué 
peut-être cent mille guitares depuis quinze ans, 
uniquement pour donner des sérénades sous la 
fenêtre de ses marquises. De tout cela on convient 
volontiers; mais convenir, là, tout de suite, en 
vingt-quatre heures, que ce poëte, qui ne se dou- 
tait pas de son bonheur, a fait une charmante 
comédie sans même savoir ce que c'est qu'une 
comédie; convenir de cela tout d'un coup, quand 
on a été sifflé vingt fois et qu'on a encore vingt 
comédies en portefeuille, avouez que c'est diable- 
ment dur! 

Franchement, je reconnais que c'est là, en effet, 
une chose cruelle également pour le parti des vieux 
faiseurs, qui sont restés fidèles au métier^ et pour 
la fraction des improvisateurs, enfants du caprice et 
de la fantaisie. Ceux-ci autant que ceux-là ont dû 
perdre toute contenance en voyant le succès de ce 
Caprice. Allez-donc, en présence d'un succès pa- 
reil, tombé des nues, vous briser le crâne à com- 
biner des Paysans, des Martin et Bamboche, des 
machines pareilles au drame que voici : Fa^fe (Vun 
pardon! Vous vous mettez en rage pendant dix 
actes et durant six heures d'horloge, vous suez 



THÉÂTRE DE GENRE. 55 

sang et eau, vous combinez, vous arrangez, vous 
mêlez, vous broyez du noir, vous entassez les dé- 
sastres sur les cadavres, et sur les inondations les 
incendies; puis, quand votre travail de ténèbres 
est lancé dans le vide de TOdéon, et que vous en 
attendez les plus grands résultats, vous entendez 
sourire à votre droite, à votre gauche, vous de- 
mandez de quoi il s'agit.... On s'occupe non pas 
de votre fantôme, mais à savoir comment la mar- 
quise de M. Alfred de Musset viendra au secours 
de la baronne ! Vous pensiez, malheureux poëte, 
que votre victime qui meurt, faute d'un pardon^ 
après avoir subi les plus cruelles tortures de Pâme 
et du corps, mouillerait au moins d'une larme 
légère la paupière de quelques femmes sur le re- 
tour... hommes et femmes ne sont occupés en ce 
moment qu'à compter le nombre de morceaux de 
sucre que ce beau jeune homme va jeter dans la 
tasse de cette belle dame ! 

Ce Caprice qui, d'un mot, réduit à néant le 
Manteau^ de M. Andrieux,et tous les chefs-d'œu- 
vre de la même force, c'est à désespérer vraiment 
et pour tout à fait de l'avenir du drame et de la 
comédie! Que cela fûtdievenu impossible, de faire 
une comédie, c'était déjà bien étonnant; mais que 
tout d'un coup un simple dessinateur d'esquisses 
au fusain se soit élevé à la hauteur d'un vrai poëte 



56 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

comique, voilà le coup de massue, parce que per- 
sonne maintenant ne peut rien y comprendre : 
un public si blasé la veille, et le lendemain au 
soir acceptant avec un empressement fébrile cette 
comédie de keepsake et de boudoir; un spectateur 
qui n'était pas content à moins de quinze ou vingt 
meurtres par comédie, et qui se passionne pour 
une petite bourse rouge contre une petite bourse 
bleue! la comédie recevant à bras ouverts un 
simple proverbe, et ce maudit Caprice de M. Alfred 
de Musset et de M"® Allan inaugurant follement 
réclatante et élégante dynastie des petits drames 
rêvés, chantés et raclés sur la guitare amoureuse, 
la comédie du sans façon, du sans gêne, de Teau 
bouillante de la théière inspiratrice du Spectacle 
dans un fauteuil ! 

Qui vous eût osé prédire cette révolution de 
trois heures, lorsqu'en plein i83o, huit jours 
après la Circé de M. Barbier, ce poëte qui eut le 
bruit et la durée d'un grand cri, je ne sais quel 
vent goguenard nous lança le tome naïf des 
Contes d'Espagne et d'Italie ? Vous rappelez- vous 
la stupeur, et comme on s'est amusé (au milieu de 
tant d'affaires!) du grand point sur un i? Vous 
rappelez-vous l'admiration de quelques gens qui 
avaient déjà assez de loisir, même en ce temps-là ! 
pour remarquer l'énergie, le brio, l'éclat, la verve 



THÉÂTRE DE GENRE. 5y 

paradoxale, impertinente et bouffonne de cet en- 
fant qui portait dans son poëme des sens et de la 
forme matérielle le doute et le néant des vieil- 
lards? Les uns avaient peur, les autres riaient de 
ce nouveau venu, tous s'en occupaient avec inté- 
rêt, artiste, marquis, avec cette curiosité que nous 
inspirent toujours Timprévu et l'avenir! Lui 
cependant, moitié folie et moitié impudence, ivre 
de vin, ivre d'amour, de poésie et surtout de jeu- 
nesse, également disposé aux morsures et aux 
baisers, bon au souper, bon à la fête, pas mauvais 
à la danse, querelleur et bon diable, vrai dans son 
débraillé, vrai dans sa tenue de gala, sous la 
blouse et sous l'habit de bal, l'ami des jours fériés, 
le héros des plus beaux salons, bras dessus, bras 
dessous, avec les duchesses, et ne dédaignant pas la 
grisetteen petit costume, mêlant la fumée du tabac 
à la senteur du patchouli, passant de Parny à 
Rouget de l'Isle, parodiant de la meilleure foi du 
monde la Marseillaise et Fleuve du Tage, que 
vous dirai-je ? de quoi occuper tous les esprits, de 
quoi endormir toutes les consciences, de quoi 
amuser toutes les fêtes, de quoi fournir à tous les 
amours ! 

Le grand dieu inspirateur de ce jeune fou, qui 
avait trouvé on ne sait où, sur quel gazon, dans 
quel abîme, sous quel sofa jaseur, la baguette 



58 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

des fées, c'était le hasard, l'imprévu, le moment 
qui passe, l'heure qui fuit, l'étoile qui brille là- 
haut, le nuage qui tombe, l'éclair, la fumée. 

Le public l'acceptait ainsi, et il aimait son jeune 
poëte en conscience, non-seulement lui passant et 
lui pardonnant toutes ses folies, mais encore l'en- 
courageant et l'excitant à en faire de nouvelles! 
Plus M. Alfred de Musset se moquait du monde, 
et plus le monde était content. A-t-il souri à la 
barbe des gens!... et c'est depuis ce temps-là que 
s'est établie la. mode des longues barbes! Il était 
un repos, il était une consolation ; il nous con- 
solait des comédies de M. Ancelot, des tragédies 
de M. Ancelot, des vaudevilles de feu M. Ancelot; 
il nous reposait des quelques efforts surnaturels 
qui se faisaient en ce moment solennel dans l'art 
et dans la politique de ce temps-ci; il avait les 
grâces,- l'originalité et les crimes d'un enfant mal 
élevé et plein de génie. 

Donc il fut reçu comme il voulait être reçu; il 
fut écouté, entouré, imité, fêté; on lui donna,, 
tant qu'il voulut en prendre, de la renommée et 
du bruit; on le traita en enfant gâté, on crut à ses 
maîtresses, à ses chansons, à ses haines si vite 
apaisées, à ses amours sitôt rompues. Hélas! il 
fallut bien croire aussi à ses contes, et enfin à sa 
paresse, sa chère paresse; sa douce muse, la vraie 



THÉÂTRE DE GENRE. Sq 

muse, après tout, la vraie fortune et la vraie po- 
pularité de Pécrivain : peu écrire et beaucoup 
rêver, se coucher dans les feuilles mortes jus- 
qu'au printemps, comme fait la marmotte, gri- 
gnoter ensuite un bout d'écorce, et en voilà pour 
toute l'année ! ne pas être prodigue de ces biens si 
rares : l'imagination et le génie! ne pas chanter 
toujours pour les autres, jamais pour soi ! ne pas 
conserver pour l'arrière-saison un seul petit conte 
de bonne femme que l'on puisse redire à ses 
petits-enfants, sans que les enfants vous arrêtent 
d'un doigt moqueur: Connu, connu, grand-père I 
Si donc M. Alfred de Musset doit beaucoup à son 
esprit, qui est une des plus surprenantes choses de 
ce siècle, il doit beaucoup plus encore à sa pa- 
resse. Homme heureux, prudent et sage dans ses 
folies, dans ses délires, il a su se renfermer dans 
quatre petits volumes, dont il ne sortirait pas 
Volontiers; heureux petits volumes, dans toutes 
les mémoires amoureuses, dans toutes les biblio- 
thèques irrégulières, pluie et soleil, conte et chan- 
son, des poèmes, des Comédies que vous retrouvez 
dans toutes les mansardes, entre les Cinq Codes 
et les chansons de Béranger ! 





DE BALZAC 



MERCADET LE FAISEUR 



^- ^^ ■^Ei^e»^^^— ^*— p 



E commence, et ceci en toute sincérité, 
par reconnaître le vif esprit, Tinsolence, 
la crànerie impérieuse de cette comédie 
ornée d'un si grand nom. Elle a réussi d'un bout à 
l'autre ; elle a été fort applaudie, et trop applau- 
die! elle a fait rire, elle a fait peur; elle est jouée 
à merveille , elle sera une fortune et une fortune 
sérieuse pour le Gymnase; on ira, on ira en foule 
à ce spectacle étrange, d'un rire inattendu, d'une 
verve inespérée. Il y a là dedans du Balzac, du 
vrai Balzac, il y en a beaucoup. 

Cette comédie, enfant perdu de ses derniers 

loisirs; cette histoire de Vkomme d'affaires , tel 

qu'il s'est révélé à cet esprit sagace, à ce rire 

bruyant, ont trouvé le public attentif. 

Quand on est mort, on se permet bien des 



THÉÂTRE DE GENRE. ^ 6l 

choses, on donne bien des libertés à son génie, on 
ne s'inquiète guère d'un barbarisme; par exemple, 
on intitule sa comédie : le Faiseur y — le faiseur de 
qui? le faiseur de quoi? — Warwick, le faiseur 
de roiSj cela se comprend ; le Faiseur tout court, 
c'est de l'argot, et M. de Balzac ne haïssait pas 
l'argot : il trouvait que ça donnaiKune certaine 
couleur à sa page la plus délicate; il aimait aussi 
le patois : ça le reposait du bon français ! Pour peu 
qu'il eût besoin d'un mot nouveau, il le faisait. Il 
était en ceci de l'école de Ronsard en son Art poé- 
tique franqoys : « Tu sauras dextrement choisir 
et approprier à ton œuvre les vocables les plus 
significatifs de nostre France ; ne te faut soucier 
s'ils sont gascons y poitevins^ normands, man-^ 
ceaux^ lionnois^ ou d'autres pays, pourveu qu'ils 
soient bons. » Malheureusement l'argot et le pa- 
tois ne comptent pas à qui veut mériter l'insigne 
honneur d'être compté à la tête des bons et soli- 
des écrivains de cette nation, envahie, hélas ! de la 
tribune solennelle aux livres les plus obscurs, par 
le charabia universel. Va donc cependant pour le 
Faiseur j puisque aussi bien il n'y a qu'un mot qui 
serve! Le Faiseur de M. de Balzac, qui lui-même 
a fait tant de choses, a passé à travers les fortunes 
les plus diverses : inconnu et célèbre, couvert de 
malédictions ou de louanges, pauvre aujourd'hui, 

IV 6 



02 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

riche demain ! On pourrait l'appeler le Figaro du 
ruisseau! Il est l'image la plus ferme de l'espé- 
rance ici-bas; il ne croit à rien, il croit à tout; il 
rêve les yeux ouverts, et quand il se réveille, c'est 
pour jeter l'esprit, le bon mot, le paradoxe à pleines 
mains. Quel homme! Rien ne l'abat, et rien ne 
l'étonné! Il doit... tout ce qu'il a, et très-sérieuse- 
ment il se bâtit d'éblouissants châteaux en Espa- 
gne; il prend des deux mains, il ne dort que d'un 
œil; il est roi, il est maître, il est valet; il s'hu- 
milie, il commande; il pleure, il rugît; il ne con- 
naît ni la montée ni la descente aux sentiers qui 
mènent à la fortune; il est fourbe, mais si peu! il 
est fripon, mais dans des limites si naturelles ! la 
loi n'a rien à y voir, et même le mépris du monde 
ne saurait l'atteindre. Et cela dure tout le premier 
acte ; et pendant cet acte, qui est long, l'ironie et 
la folie-Balzac s'en donnent à cœur-joie, allant, 
jugeant, inventant et riant de façon à se désopiler 
la rate une fois pour toutes I 

Ce Mercadet qui se vante à sa femme, c'est-à- 
dire à la seule estime qui lui reste, de cette habi- 
leté qu'il ferait mieux de cacher à toute la terre, 
est une des fantaisies les plus inattendues de M. de 
Balzac; on le cherche, on ne le trouve pas tou- 
jours dans ce dialogue heurté, dans cet esprit sans 
rémission, dans ce choc ingénieux, mais fatigant, 



THEATRE DE GENRE. 63 

de mille opinions très-contestables. Il joue en ce 
moment au paradoxe, tout comme il jouerait à la 
raquette : ça va, ça vient, ça brille, ça rebondît, et 
le volant ne tombe jamais! Quel homme! Et quand 
on pense qu'il ne s'est pas douté, dans la scène de 
Mercadet avec le créancier pleurant, qu'il copiait 
Molière en personne! Ah! oui, Molière! vous 
nous la donnez bonne avec votre Molière! Et 
pourtant rien n'est plus vrai : la comédie intermi- 
nable du débiteur et du créancier, le duel du doit 
et de Vavoir, cela se trouve en entier dans une 
scène de Don Juarij la fameuse scène entre don 
Juan et M. Dimanche, quand l'élégant et spirituel 
gentilhomme, aux prises avec ce bourgeois qui l'a 
nourri dé son pain et vêtu de son drap, fait en 
sorte et si bien que le mot dette et le mot argent ^ 
deux paroles qui blessent ses oreilles délicates, ne 
sont pas prononcés une seule fois par ce pauvre 
diable qui est enchanté, en fin décompte, et charmé 
de ce grand seigneur qui le met à la porte d'un si 
beau geste. Heureusement que vous savez cela par 
cœur, et vous faites bien : ce sera un préservatif 
excellent contre le trop brillant et le trop humilié 
Mercadet, à genoux devant ses créanciers, à genoux 
et le front jusqu'à la terre, et les priant, et les sup- 
pliant, et brossant même leur chapeau ! Il brosse- 
rait leurs bottes au besoin, et je ne vois pas, à vrai 



64 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

dire, puisqu'il a plu à M. de Balzac de rire à ce 
point de son bouffon, de quel droit il nous le 
donne, en effet, comme le plus habile, le plus rusé 
et le plus astucieux de tous les hommes. Entre 
don Juan et ce Mercadet, il faut choisir ! Il en est 
de la comédie comme de ces dieux des Romains 
que Von ne faisait pas avec toutes sortes de bois, 
dit Apulée : il les faut faire avec certains maté- 
riaux choisis et par des ouvriers faits exprès. 

Donc tout ce premier acte, d'une gaieté folle et 
voisine de l'ivresse, extravagant autant qu'on peut 
l'être, prendra sa place au premier rang des pan- 
talonnades les plus heureuses et des farces les plus 
habiles. On a tant dit et tant" dit à M. de Balzac 
qu'il avait l'esprit gaulois, qu'il se trouvait dans 
son droit et dans son domaine toutes les fois qu'il 
écrivait la comédie affolée et sotte de quolibets à 
la façon de Scarron, ou le conte graveleux à la 
façon de Marguerite de Navarre ! Une fois lancé, 
il allait plus loin que le Conte des Trois Com- 
mères, et il dépassait Don Japhet d'Arménie! Il a 
fait déjà des comédies, et grâce à tout l'esprit qu'il 
y a dépensé, on les a regardées comme d'immenses 
blagues (parlons argot, nous aussi) dans lesquelles 
l'auteur, affriolé de vin d'Anjou, se moquait des 
autres et de lui-même. Monsieur rit, Monsieur 
s'amuse, Monsieur se chatouille pour se faire rire. 



THÉÂTRE DE GENRE. 65 

Monsieur s'enveloppe dans la peau tannée de Ta- 
barîn ; c'est son droit : il a tant travaillé que toute 
espèce de repos lui doit être permis. Caton buvait 
et Socrate jouait aux onchets, M. de Balzac peut 
bien jouer à la comédie ! Les Ressources de Qui" 
noîa! quelle plus admirable bouffonnerie? — Et 
Vautrin f quelle école! On lui fit l'honneur d'en 
avoir peur, on le supprima, ce qui est toujours 
cruel, injuste, absurde, odieux, après les justes 
exigences de la censure; et la chose est si vraie 
que deux ans plus tard, quand la Gaîté voulut le 
remettre en lumière, ce Vautrin^ M. de Balzac lui- 
même, qui avait parfois du bon sens dans sa pro- 
pre cause, écrivit au directeur de la Gaîté qu'il 
allait lui faire un procès. Or ce Vautrin est un 
faiseur, Quinola est un autre faiseur ^ Mercadet 
un troisième faiseur. Eh quoi! toujours des/iz/- 
seurs^ rien que des faiseurs! Et ce bel esprit en 
belle humeur, ce génie en goguettes, ce Béroalde 
de Verville en gaieté n'a-t-il donc jamais entendu 
cette voix du public qui, trouvant un conte là 
même où il cherchait une pièce, criait à l'auteur : 
« Allons! çà, pourquoi tenter l'impossible? » Stu^ 
dium quid inutile tentas? disait Martial. 

Or savez-vous pourquoi M. de Balzac se plaît à 
retracer sans fin et sans cesse cette image du fai- 
seur, cette forme nouvelle du chercheur de pierre 

IV 6. 



66 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

philosophale et d'inventeur des nouveaux mondes? 
Il aime le faiseur parce qu'il aime l'argent! Il y 
a de l'argent dans tous les livres de M . de Balzac ! 
C'est son rêve, l'argent; c'est son Apollon, l'ar- 
gent; c'est sa muse, l'argent! Après avoir tourné 
heureusement autour des aimables passions et des 
enchantements divins de la jeunesse passagère, il 
est revenu à sa folle du logis, à l'argent! Il s'eni- 
vre de ce bruit d'écus, de ce frôlement de papier 
de banque, et des cris étouffés du coffre-fort, quand 
la serrure aux mille plis permet à l'avare de con- 
templer son trésor à la lueur d'une lampe fétide! 
Oui, ce romancier si parfaitement habile à nous 
montrer les grâces, les vapeurs, le charme, les 
gloires de la vie heureuse ; ce merveilleux indica- 
teur des plus imperceptibles mouvements du cœur 
de l'homme... et de la femme; cette bonne d'en- 
fants à peine sevrés, ce rude instituteur des plus 
sauvages natures, cette marchande de modes, sa- 
vante à marier l'une à l'autre la forme et la cou- 
leur; ce pédant qui porte la flamme en sa férule, 
cette vieille portière accroupie, au milieu de l'hi- 
ver, sur son gueux rempli de cendres froides, et 
cette duchesse en son ronron de Versailles, et cette 
fraîche grisette aux lilas de Romainville ou dans 
la ronde harmonieuse du bal de Sceaux; oui, cet 
être multiple, ingénieux, odieux, brutal, char- 



THÉÂTRE DE GENRE. dj 

mant, la corruption même et l'innocence en per- 
sonne, aujourd'hui la reine des courtisanes et le 
lendemain le roi des repris de justice, un si 
grand seigneur, un si bon bourgeois, un si fameux 
aventurier, le Christophe Colomb de la rue Soly 
et le Pizarre du faubourg Saint-Honoré, le sou- 
rire et le râle, le squelette et la fleur, Tâme et le 
corps, la dentelle et la bure, le haillon et la pour- 
pre, la hotte et le trône, le crochet et le sceptre, le 
vin généreux des gais coteaux et Peau-de-vie en 
feu dans l'écuelle des mendiants, le poëte et le sol- 
dat, le médecin et le curé, le Napoléon et le Rétif 
de La Bretonne du conte bien fait, PHomère en 
patois et la nature humaine, le La Bruyère et le 
Piron de ce siècle des infamies, des lâchetés et des 
élégances exquises, après avoir épuisé le bouquet 
et la mousse amoureuse du vin d'Aï, s'est enivré 
d'alcool, et, déserteur de ces belles passions, traî- 
tre à ces belles mœurs, tombé en méfiance de sa 
valeur personnelle, 

l^on est certa meos quœ forma invitet amores, 

il est devenu tout d'un coup (dans ses livres, bien 
entendu) Thomme le plus passionné pour les biens 
de fortune, dirait La Bruyère, qui se soit jamais 
rencontré dans aucune littérature ! A ce moment 
de la précoce décrépitude de M. de Balzac (même 



68 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

dans ses meilleurs livres : Eugénie Grandet^ la 
Vieille Fille^ la Peau de chagrin^ le Père Goriot^ 
le Grand Homme en province)^ on n^entend que 
le son des louis d'or mêlé au bruit des écus ! Dans 
ces livres, où la couleur fauve domine à chaque 
page, on voit ruisseler les millions par centaines, 
et le poëte est le premier à s'enivrer de ce bruit 
sonore qui l'excite et l'anime autant et plus que le 
frôlement d'une robe de soie ou le craquement 
d'un soulier neuf. Ah! quelle fatigue et quelle 
misère quand on voit un si bel esprit ne plus s'oc- 
cuper qu'à arranger, à combiner, à déranger des 
sacs plus ou moins remplis jusqu'à la gueule, et 
n'être gai, et n'être ^heureux, et n'être soi-même 
qu'au beau milieu d'un coffre-fort! L'argent sera 
le malheur des livres de M. de Balzac, l'argent en 
est déjà le fléau ! L'argent, ce héros sans entrailles, 
cet amoureux sans pitié, cet ami sans cœur, cette 
froide passion dont la poussière même est cotée, 
et que les doigts les plus rugueux ont plaisir à 
manier, afin que même de l'argent d'autrui quel- 
que imperceptible parcelle reste à ces doigts sem- 
blables à des râpes ! C'est donc ainsi que le Fai- 
seur plaît à M. de Balzac; le faiseur ne fait pas de 
prose, il ne fait pas de vers, il ne fait pas de contes, 
il ne fait pas de statues, de musique ou de ta- 
bleaux; il ne fait, il ne défait, il ne refait que de 



THÉÂTRE DE GENRE. 69 

Fargent ! — O vanité de l'argent î et comme M. de 
Balzac, s'il a réglé son livre de caisse avant de 
mourir, a dû être honteux d'avoir eu besoin de 
tout cet argent pour accomplir ses plus beaux 
contes ! O misère de tant d'argent ! — Il en a tant 
d'argent, s'écrie Sénèque, qu'il s'amuse à souiller 
son argent ! 

C'est un mot de la première duchesse de Maillé 
à sa fille, qui était charmante, et qui donnait un 
jour, de sa main non gantée, un écu à un pauvre ; 
a Ma fille, disait la duchesse, mettez vos gants ; 
même aux plus nobles mains, l'argent sent mau- 
vais. » 

Que de fois on aurait pu dire à M. de Balzac 
cette parole de la duchesse de Maillé ! Hier encore, 
au Gymnase, à la fin de sa pièce ornée et parafée 
de sa griffe, à tout bout de champ, bref, au moment 
désespéré, et quand ce malheureux Mercadet, à 
bout d'inventions, de gaieté, de quolibets, de rires, 
n'a plus qu'à se pendre en riant, arrive le dieu, le 
vrai dieu, le seul dieu en plusieurs millions du 
roman de M. de Balzac, l'argent. — Il arrive par 
dix mille francs, par vingt mille francs, par trente 
mille francs, par cent mille écus. On voit les écus, 
on voit les billets, on voit le Pactole, et ça coule, 
et ça coule avec une rage incroyable. Ah ! que 
d'argent! Eh! que d'argent! Euh! que d'argent! 



70 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

C'était sa folie et sa manie : il ne croyait, sur la 
fin de ses oeuvres, qu'à la puissance de l'argent, à 
l'esprit, à la gaieté, à la beauté de l'argent! Use 
plaisait à marier, à tous les arrondissements et 
même au i3® arrondissement de Paris, le petit écu 
au louis d'or, la pièce de 5o c. au gros sou. C'é- 
taient là ses travaux et ses plaisirs! Voilà com- 
ment, pourquoi et à quelles fins il a créé et mis au 
monde ce jovial Mercadet, un de ses bâtards, le 
dernier peut-être, soi) Benjamin, son dernier ami, 
son dernier sourire. Il avait fait pour Mercadet 
tout ce qu'il pouvait faire en nous le montrant si 
bonhomme à l'intérieur, un bon et fidèle mari, 
un bon père, après tout, ni libertin, ni joueur, ni 
politique, ni révolutionnaire, ni méchant homme, 
ni rien de ce qui est la médisance inutile ou la 
calomnie amusante. II y^nifaire^ et c'est là tout 
le mal ! Je suis sûr que M. de Balzac eût donné 
beaucoup, mais là, ce qui s'appelle beaucoup, son 
meilleur conte, par exemple, pour cette fameuse 
trouvaille du baron deWormspirejouant à l'écarté 
avec Robert Macaire, son gendre, a Roi! dame! 
valet! les points... » A quoi l'autre répond : 
a Dame! valet! roi! les points. Voyez-vous, 
beau-père, nous jouerions ainsi jusqu'à la fin du 
monde, nous ne nous ferions pas de mal î » 

Il y a aussi dans le Mercadet^ entre autres em- 



THÉÂTRE DE GENRE. Jl 

prunts à Robert Macaire^ la fameuse réunion des 
actionnaires, et le terrible M. Gogo. M. Gogo 
est une canaille (il demande des comptes)! Que 
Balzac devait admirer cette grande scène entre le 
joueur et l'argent! Qu'il a dû être jaloux de 
M. Gogo î et comme il devait répéter avec em- 
phase : « Et demain ! demain ! à midi sans faute, 
la caisse sera ouverte... pour recevoir l'argent des 
nouveaux actionnaires. » 

Ces choses-là sont des trouvailles de génie, et si 
l'univers les accepte, c'est qu'elles répondent à de 
certaines colères qui de temps à autre parcourent 
les multitudes comme un frisson ! Ce Mercadet 
de Balzac, cette comédie en ruine, en tumulte, 
dégradée à plaisir, où le bon mot remplace l'ac- 
tion, la vérité, la force, l'intérêt, le dialogue, la 
passion ; où l'esprit est tout, où l'art n'est compté 
pour rien; ce dieu Hasard remplaçant Apollon 
et les neuf sœurs; ce verre de cabaret plein de 
vin bleu qui est l'Hippocrène où se puisent Ces 
rencontres, ces joyeusetés, sans souci du qu'en 
dira-t-on ; ces tréteaux chers aux plus beaux es- 
prits, cette farine et ces pois gris au milieu de 
l'étoupe enflammée, en voilà plus qu'il n'en faut 
pour détourner un instant l'homme d'État de son 
ministère, l'amoureux de son rendez-vous, la co- 
quette de son miroir^ le bel esprit de son tom* 



72 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

beau ! Laissez-moi cependant finir par une anec- 
dote dont le héros est M. Dupuytren lui-même. 
On sait les tendresses que portait à M. Dupuytren 
M. de Balzac, et comme nous ne voulons pas voir 
rillustre auteur de la Comédie humaine faire après 
sa mort autant de comédies que feu Théaulon a 
fait de vaudevilles, autant de drames que Schubert 
a fait de mélodies, notre petite anecdote ne sera 
pas déplacée ici, nous Tespérons. 

Donc, M. Dupuytren avait fait à un brave 
homme de l'Hôtel-Dieu une certaine opération 
qui Tavait privé des joies de ce monde, et l'homme 
était sorti de Thôpital bien content... Ah! le gail- 
lard! 

Un an après, Fhomme opéré revient à la con- 
sultation de M. Dupuytren; il avait sous le bras 

sa femme qui était enceinte M. Dupuytren, 

qui avait l'œil d'un aigle, comprit l'explication et 
l'arrêta d'un mot : « Ma chère dame, dit-il, vous 
êtes enceinte, cela s'est vu; mais je vous avertis 
que vous ne le serez que cette fois-là ! » 

Le Mercadet a réussi... Mais soyez tous avertis, 
les uns et les autres, que de toutes les œuvres 
posthumes de M. de Balzac, le Mercadet seul 
pouvait réussir. 




JULES SANDEAU 



MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE 




ous demandez si Af"« de La Seiglière 
a réussi?... Ecoutez ces rires, écoutez 
ces applaudissements du parterre, et la 
louange de ces esprits féconds et justes qui ne 
laissent rien échapper de ce qui est vrai, et dont 
le goût excellent (le goût de tout le monde, en- 
tendez-vous?) consiste à aimer, à sentir tout ce 
qui touche de près ou de loin à la nature! Si 
Af^* de La Seiglière a réussi? J'en atteste la gaieté 
et la joie de cette salle enjouée, heureuse, active, 
pénétrante, habile à tout deviner, et s'abandon- 
nant, sans songer à mal, à cette raillerie inno- 
cente, à ce mépris sans colère et sans fard que 
soulève dans Pâme humaine ce je ne sais quoi 
d'étroit, d'égoïste et de plaisant qui amuse tout le 
monde et qui ne fait de mal à personne. 

IV 7 




'^■^'^o^^^ 




74 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Autre chose est de rire et de s'amuser plaisam- 
ment des infirmités de l'âme humaine. Prométhée, 
au sommet de son rocher où la Nécessité l'attache 
de ses liens de fer, est une image terrible; le mar- 
quis de La Seîglière, échappé au vautour de Texil 
et doucement enfoncé dans la médiocrité de sa vie, 
ni bon ni méchant, ni glorieux ni timide, ni 
envieux ni flatteur, content de lui, content des 
autres, content de tout, également à l'abri des 
mauvaises passions et des coups du sort, égoïste 
et bonhomme, peu jaloux de se venger du passé 
et de s'élever dans le présent, absolument inca- 
pable de résister à la multitude et de lui obéir; le 
marquis de La Seîglière est un drôle de sage qui 
nous plaît, qui nous amuse, qui nous fait rire 
sans nous fâcher. Il a franchement abdiqué une 
gloire qu'il sait au-dessus de sa condition pré- 
sente; il a renoncé à toutes les conditions émi- 
nentes de la fortune; il obéit terre à terre à son 
petit génie, et son génie lui dit qu'il n'a rien à 
faire de mieux que ce qu'il fait tous les jours : 
vivre en paix et s'envieillir doucement dans sa 
paresse; laisser le hasard disposer de son sort, 
obéir à son caractère naturel et suivre en riant le 
sentier que l'exil a tracé à sa vieillesse inutile. Au 
fait, il n'a que cela à faire, le bonhomme! Il est 
né médiocre, il est né enfant; il a vécu en dehors 



THÉÂTRE DE GENRE. jS 

de cette nation turbulente et glorieuse qui né 
savait pas même s'il existait un La Seiglière; il 
ne sait rien des grandes ambitions qui élèvent une 
âme virile et des grandes affaires qui la soutien- 
nent : c'est un esprit timide, faible et sans expé- 
rience, rasant timidement la terre, dans une fade 
uniformité de petites passions, de vanités mes- 
quines ; un quiétiste, pour tout dire, et qui s'en- 
dormira un beau soir dans toutes sortes de ridi- 
cules et de faiblesses qu'il n'aura même pas songé 
à cacher. Le voilà tel qu'il est, ce digne et char- 
mant petit marquis de La Seiglière, notre fortune, 
notre joie et notre contentement de tout l'hiver. 

On le voit tout d'abord tel que le poëte l'avait 
créé et tel qu'il nous l'a montré dans son livre, 
tracé d'une main si délicate et si ferme à la fois 
Le marquis a vécu loin de la France, en Alle- 
magne, loin du monde réel, prêtant de temps à 
autre une oreille épouvantée à ces grands bruits 
de guerre et de politique qui ont été la vie et 
l'éclat de ce siècle. Il a entendu parler, par hasard, 
du marquis de Buonaparte, de Marengo et d'Aus- 
terlitz ; mais il n'a pas voulu savoir ce que c'étaient, 
au fond, que cet homme et ces grandes batailles 
qui lui servaient de cortège et de famille — Leuc- 
tres et Mantinée, mes deux filles! — Ainsi, le 
malheureux homme! il s'est tenu à l'abri de ces 



76 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

passions, de ces surprises, loin de l'admiration et 
des respects qu''elle entraîne avec elle, loin de 
Fétonnement et de ses accablantes grandeurs; il 
n'a rien su, il n'a rien vu, à peine de loin un peu 
de poudre qui flamboie, un peu de gloire qui 
poudroie; il est né à demi, il s'est privé même de 
l'indignation et de la haine, comme de deux far- 
deaux trop lourds pour sa condition et pour son 
esprit. Ainsi, il ne sait ni mépriser, ni admirer, ni 
s'indigner : il ne sait rien! Une heure de plus de 
cette séparation de la France moderne, et il pre- 
nait définitivement son parti de cet exil commencé 
sous de lâches auspices : la peur ! « La servitude 
avilit l'homme au point de s'en faire aimer! » 
Il y a bien de l'énergie et de la vérité dans cette 
pensée-là. 

De quoi donc se plaint-on et pourquoi toutes 
ces fureurs de premiers-Paris et à'^ entre-filets (je 
vous prie, ô mon lecteur! de me pardonner cet 
argot) à propos de ce portrait rétrospectif de tant 
de vieux enfants que la première révolution a 
surpris brodant au tambour, et que l'exil a jetés 
sans rémission dans quelques-uns de ces recoins 
hospitaliers où ces âmes chétives ont vécu d'une 
vie de serre chaude, semblables à ces fœtus venant 
avant terme, et que l'on réchauffe entre des bou- 
teilles d'eau tiède à défaut du sein maternel? A 



THEATRE DE GENRE. 'J'] 

propos d'un aimable marquis, on se fâche, on se 
récrie, on accuse M. Jules Sandeau, comme s'il 
avait touché àParche d'alliance. 

Soyez très-persuadés cependant que, si M! le 
marquis de La Seigliére revenait au monde, il 
serait très-étonné de tout ce bruit qui se fait 
autour de sa cendre légère. Il vivait encore lorsque 
dans plusieurs couplets immortels Béranger l'a 
chanté, la France entière répétant ces couplets 
goguenards, et il ne s'est pas fâché contre Béran- 
ger lui-même et contre son sarcasme immortel. Il 
avait en lui-même, ce bonhomme, la croyance de 
sa vie inutile, et pour se consoler il se disait par- 
fois a qu'après tout, ce n'était pas sa faute, mais 
bien la faute des agitations et des tempêtes s'il 
n'avait pas servi la France de son épée »; il disait 
aussi « que, Dieu merci! il laissait après lui des 
héritiers de sa race, des continuateurs de son nom, 
des jeunes gens d'un noble sang qui répondraient 
de la gloire de sa maison et qui la recommence- 
raient au point même où l'avait laissée leur 
grand-père; ils disaient, les uns et les autres, le 
père et les fils qui allaient le ressusciter, ce que 
disait de la noblesse un ami de Voltaire, un gen- 
tilhomm'e, et, ce qui vaut mieux, un philosophe 
du dernier siècle, à savoir que « la noblesse est 
un héritage comme l'or et les djamants, avec cette 
IV 7. 



j8 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

différence pourtant que, si la fortune des gens 
riches se détruit par la dissipation de leurs enfants, 
la considération de la noblesse se conserve après 
que la mollesse en a souillé la source... Admi- 
rable institution, ajoute notre philosophe, qui, 
pendant que le prix de l'intérêt se consume et 
s'appauvrit, rend la récompense de la vertu éter- 
nelle et ineffaçable ». 

En ceci se devait trouver non-seulement Pex- 
cuse du marquis de La Seiglière, mais la justifi- 
cation de M. Jules Sandeau. Il s'est moqué, j'en 
conviens, avec bien de la grâce et de Tesprit, d'un 
brave homme aussi loin de l'admiration que de 
l'estime; il a prouvé qu'il y avait certaines petites 
passions et certaines faiblesses qu'il est impossible 
d'aimer et de haïr, également loin du mépris et de 
l'estime; il s'est moqué de certaines infortunes 
d'autrefois que le public d'aujourd'hui accueille 
avec des éclats de rire inextinguibles. Oui, mais 
en riant du passé, il a respecté l'avenir; en se 
moquant du vieillard, il a salué le jeune homme; 
à rinstant même où il laissait entrevoir la vanité 
de ces vieillesses impuissantes parce que l'âge mûr 
a été inoccupé, il montrait à qui voulait les voir 
les espérances lointaines de la génération nou- 
velle, les promesses du jeune homme, les sourires 
de la jeune fille, ces vertus naissantes qui ont la 



THÉÂTRE DE GENRE. 79 

grâce même des premiers jours du printemps, ces 
beaux regards, plus doux et plus beaux même 
que les premiers feux de Taurore ! A côté de cette 
âme endormie et conservant impunément tous 
ses vices, ce poëte que vous accablez de vos 
blâmes montrait ces âmes fîères et délicates, dis- 
posées aux grandes choses, méprisant les petites 
passions comme on méprise une action hon- 
teuse, et réalisant de leur mieux cette parole des 
Tusculanes : // «y a de bon et de beau que ce qui 
est honnête! Ainsi l'auteur de ce beau livre allait 
lui-même, et tout le premier, au-devant de ces 
récriminations violentes, qu'on lui eût épargnées 
si on se fût souvenu de sa probité, de sa bonne 
foi, de cette fidélité sans arrière-pensée et sans 
défiance, de cette sincérité sans voile, de cette 
bonne foi indépendante de tout ce qui ressemble à 
rintérêt, à la récompense, à l'ambition! M. Jules 
Sandeau a réveillé dans sa tombe, sans respect, ce 
vieil entêté de La Seiglière; eh! qui le nie? En 
revanche, il a mis aux côtés du vieillard, anges 
gardiens de cette enfance éternelle. M"® de La 
Seiglière et son jeune \:ousin Raoul de Vaubert, 
deux belles et éloquentes imaginations, je Tes- 
père! Est-ce donc que vous ne lui tenez pas 
compte de ces deux images? est-ce donc que l'élé- 
vation des enfants ne vous parait pas suffisante à 



80 CRITfQUE DRAMATIQUE.. 

compenser Tobscurité des pères? est-ce que le bel 
officier de la garde royale' ne rachète pas de son 
épée et de son courage la vie inutile de son aïeul 
Pémigré? « Où sont nos pères? » s'écrie en son 
désespoir le prophète Isaïe. Où sont nos pères? ce 
fut le premier cri des ressuscites de i8i5. Et 
maintenant de quoi vous plaignez-vous? A quoi 
bon ces appels comme (Tabus, si personne ne crie : 
OU sont les enfants ? 

J'insiste sur ces colères de Ventre-filet et sur ces 
plaintes du premier -Paris; j'insiste parce que je 
les prévois, parce qu'elles sont injustes et parce 
qu'elles affligeront, j'en ai peur, un des plus 
beaux esprits de ce temps-ci, mais un esprit déli- 
cat, timide, et qui n'est pas fait, que je sache, à 
ces résistances. Il faut qu'on l'aime tout d'abord 
pour qu'il soit tout à fait à son aise; il ne sait pas 
encore ce que c'est que la malédiction, l'objurga- 
tion, la colère des partis; il a été nourri du lait 
des plus délicates tendresses. La critique lui était 
si facile, et la censure lui était si légère, tant qu'il 
n'a pas touché à ces plaies, à ces misères, à ces 
décadences î On ne l'accusait pas alors d'inventer 
le fond des choses, on le remerciait de leur don- 
ner cette forme élégante ; on l'aimait, on le flat- 
tait, on le caressait; il était un nom, il était une 
gloire; et maintenant, parce qu'il a réalisé sur le 



THÉÂTRE DE GENRE. 8l 

théâtre une de ses propres fictions, parce qu'il a 
dit à son héros : « Lève-toi et marche! » parce 
que, chassé du livre, sa patrie, il a conquis la 
scène, oti tout d'un coup il a trouvé une comédie, 
on l'accable, on le tue, on le nie ! O férocité sans 
égale ! et qui dirait que toutes ces foudres sourdes 
ou éclatantes sont lancées contre ce vif, cet ingé- 
nieux, cet aimable, ce charmant esprit? 

Eheul ne tibi sit privata injuria tanti! 

Laissons-les dire et nous réjouissons de l'œuvre 
nouvelle! Elle est faite, en tant que pièce de 
théâtre, avec un art excellent, et l'on reconnaît, 
dans la disposition et dans l'agencement des scènes 
principales, l'expérience et les conseils d'un 
homme habile à tous les secrets de la comédie. 
Ainsi, l'exposition est fêtée heureusement à la der- 
nière scène du premier acte, et tout d'abord, sans 
explication préalable, on nous montre le héros, le 
don Quichotte, le fier-à-bras, le vantard, le bien- 
heureux chasseur de La Seiglière ! Il est en pleine 
fête, en plein bonheur, dans un état parfait, indé- 
pendant, convenable : une activité! une santé! une 
fortune! un mollet! « Tâte plutôt, coquin! » dit-il 
à son valet de chambre. Mon Dieu, oui! M. le 
marquis est semblable à ce paresseux qui arrive 
le dernier à la vigne du Seigneur et qui reçoit 



82 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

son salaire le premier. Il est revenu, il a vu, il a 
vaincu ; il a retrouvé sa maison réparée et sa terre 
augmentée; ses greniers regorgent de blé, devin 
ses caves, de gibier ses forêts, de poissons ses 
étangs, de fruits et de chansons ses jardins! lia 
dormi vingt ans dans le palais de la fée; il se 
réveille, et voilà tous ses sens satisfaits! Le vin 
est bon, le cheval est rapide, le cerf est en belle 
voie, on entend dans les vastes forêts les mille 
bruits de la chasse ardente... Heureux homme! 
heureux marquis ressuscité I II ne se doute pas des 
misères qui ont passé dans ces campagnes, de 
Pincendie qui a menacé ce château, des colères 
sourdes qui circulent dans ces âmes rustiques, du 
levain et des fièvres que l'armée ennemie a laissés 
dans ces villes soumises à regret ! Il est si content! 
il voit d'un coup d'œil tant de félicités qui sont 
au gré de son esprit et de son cœur ! Ajoutez à ces 
bonheurs du bien-être et de la vie abondante ce 
comble de l'orgueil humain, une fille charmante 
dans laquelle il se voit revivre, l'heureux vieillard! 
ô jeunesse innocente, ingénue et chaste, dont ce 
vieillard s'enveloppe comme d'un manteau ! 

«c Elle avait les traits de l'âge qui sépare la jeu- 
nesse de l'enfance; sa chevelure était ornée de 
rayons ! » 

Cependant^ dans ce ciel limpide, un nuage se 



THIÉATRE DE GENRE. 83 

montre, une menace en ces promesses se fait en- 
tendre. II a trop vite oublié le temps présent, ce 
marquis de La Seiglière"; il a trop oublié que ce 
monde a changé et que le vieux monde n^est pas 
revenu de l'émigration, oti son souffle à peine est 
resté. Voici donc, pour détruire d'un mot cet état 
d'extase et de quiétisme, un nouveau venu, un 
nouvel arrive du monde moderne, un des soldats 
de l'empereur, un certain Bernard Stampli, qui 
s'en vient, à l'abri de cette force qu'on appelle le 
Code Napoléon, pour réclamer l'héritage paternel, 
à savoir le château même de La Seiglière I Oui, 
ces domaines, ce parc, ces eaux, ces vieilles écorces, 
ces lambris, ces vieux vins, ces vieux meubles, 
ces vassaux, toute cette fortune sur laquelle le 
vieux marquis avait jeté les semences de l'ancienne 
insolence et de l'antique orgueil, il faut^ la loi le 
veut, la nouvelle loi, quitter tout cela, parce que 
le fils du croquant est revenu de la croisade contre 
Moscou! Ce retour du jeune Stampli est dramatique, 
il est même un peu trop solennel, et l'on voudrait 
quelque chose qui rappelât un peu moins l'ange 
exterminateur. Il n'est pasbesoin, croyez-moi, d'une 
apparition de fantôme pour faire rentrer en lui- 
même le vieil émigré î Cet homme-là, d'ailleurs, 
est incorrigible : il ne croit pas aux fantômes, il 
croit au droit divin, et il fait partie lui-même du 



84 CRITIQIJE DRAMATIQUE. 

droit divin! Il ne croît pas au Code Napoléon, il 
croit au bon plaisir, au bon plaisir du marquis de 
La Seiglière!... Ainsi, ne dites pas au marquis que 
k vieux Stampli (le père de Bernard) lui a fait 
une restitution! M. de La Seiglière est chez lui. 
la terre qu'il foule est à lui ; il en était sorti par la 
violence, il y rentre par le droit! Voilà comme il 
parle; il n'en sait pas plus long, il n'en veut pas 
savoir davantage. Ce Code Napoléon, il ne l'a pas 
lu; la Charte! il se moque bien de la Charte! 
Encore la France se peut-elle féliciter que 
M. de La Seiglière soit un bonhomme, étranger 
à toute conspiration : Vir bonus, et a factione 
summe alienus, disait M. de Thou, parlant d'un 
homme de la Fronde. Bon éloge en tout temps 
et qui serait un merveilleux éloge aujourd'hui. 

Telle est la position du marquis de La Seiglière 
et du capitaine Bernard, et le choc entre ces deux 
principes aurait bien vite anéanti le vieillard, 
lorsque heureusement M"® de La Seiglière, cette 
Création charmante dont son parti n'a pas su gré 
à M. Jules Sandeau, intervient entre la force-de 
celui-ci et la faiblesse de celui-là pour modérer 
l'un et l'autre de ces deux hommes et pour con- 
cilier toutes ces résistances. Il y a vraiment un 
grand charme dans celte histoire d'amour, et l'on 
comprend fort que Bernard Stampli sente apaiser 



I 



THEATRE DE GENRE. 85 

ses colères plébéiennes en présence de cette image 
so variante des grâces, des beautés et des élégances 
d'autrefois. Ici, Messieurs, ne vous déplaise, est 
le triomphe du passé; ici est la victoire de tant 
de choses vaincues; ici est votre jeunesse, ici 
vot:re gloire; ici Tabîme est franchi que la loi de 
iri.<lemnité devait combler! Certes, si l'antique 
oi'îgine, si le grand nom, si la race et le sang, si 
la tradition, l'histoire, la conquête, la féodalité 
niêrne, étaient déshérités dans ce drame de tout ce 
q^î fait la force et la gloire d'un grand parti, on 
cc^ïïiprendrait les cris et les rancunes; mais quelle 
iin^ge plus charmante du passé, et qui en donne 
utie plus surprenante idée, que cette image de 
W'^^* de La Seiglière? Elle est l'excuse, elle est le 
Pardon, elle est l'espérance, elle est le conseil de 
^ûvit ce passé qui mérite à tant de titres nos sym- 
pathies et nos respects. C'est bien pourquoi le fils 
du vieux Stampli, le capitaine Bernard, un bri- 
gand de la Loire, s'arrête interdit, étonné, vaincu 
et tout prêt à se perdre uniquement pour obtenir 
l'estime de cette belle personne, comme si l'on 
pouvait se perdre en obéissant à ces vives clartés 
de l'intelligence et du cœur I comme si l'on pou- 
vait jamais être la dupe d'un pareil moment de 
générosité, de sacrifice et de vertu ! 
Dans son roman, M. Jules Sandeau avait écrit 

IV 8 



86 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

un prologue, et ce prologue était un drame. Or? 
nous montrait le vieux Stampli aux prises avec la 
baronne de Vaubert, et par quel art d'une com- 
plaisance adroite, d'une obsession habile, d'une 
prière infinité, le vieux paysan se dessaisissait, 
lambeau par lambeau, de cette terre seigneuriale 
qu'il avait achetée et payée, et qui était certes 
bien à lui, dans ses opinions, dans sa croyance, 
dans sa pensée, dans ses instincts ! C'était là un 
beau prologue à tenter sur le théâtre; il eût jeté 
de grandes et utiles clartés sur l'action qui allait 
suivre; il eût expliqué bien des colères et bien 
des sympathies; surtout il eût montré par quel 
penchant irrésistible de sa justice et de ses intimes 
convictions M^^® de La Seiglière en est venue à 
donner son âme au fils du vieux Stampli, à ce 
soldat dépouillé par son père! On n'a pas osé, 
à n'en plus douter, nous faire assister à ce drame 
d'entrée de jeu : j'en suis fâché ; on a supposé que 
tout le monde en était instruit à l'avance, et, 
voyez la chance heureuse î il se trouve en effet 
que ce portrait de la baronne de Vaubert est tracé 
d'une main si fidèle, cette femme est si nette et si 
vraie en ses impertinences suprêmes, elle prend à 
un si haut degré l'accent, la voix, l'ironie, le mé- 
pris, le dédain de ses pareilles pour les gloires et 
les grandeurs d'un monde où elles ne voudraient 



THÉÂTRE DE GENRE. 87 

pas mettre le pied, que cette femme, à elle seule, 
rendrait excusables les innocents enfantillages du 
^ieil émigré. C'est la baronne de Vaubert, en tout 
ceci, qui est la vraie coupable; elle est vraiment 
Tobstacle, et c'est à elle qu'il faut s'en prendre de 
tout ce qui gronde et de tout ce qui se lamente au 
fond de cette comédie joyeuse. Il fallait être une 
habile comédienne pour rendre, comme l'a fait 
M"® Nathalie, en ses mille nuances d'abaissement 
et d'orgueil, ce rôle difficile que la savante comé- 
dienne a sauvé à force de verve, d'esprit, d'ironie 
et de cruauté. Son plus beau rôle, sans contredit, 
jusqu'à présent, c'est ce rôle impossible de la ba- 
ronne de Vaubert. 

Grâce à l'intervention malfaisante de cette ha- 
bile baronne. M"® de La Seiglière reste à l'abri de 
toute idée et de tout soupçon d'une captation 
lamentable; elle obéit à son insu, l'honnête 
jeune fille, aux volontés de cette baronne, qui la 
destine à son fils, et, de son côté, le jeune M. de 
Vaubert ne s'aperçoit pas qu'il est un des agents 
de l'ambition maternelle. On en peut dire autant 
de M. le marquis; il est le pantin que M"* de 
Vaubert tient dans sa main puissante ; il agit par 
elle et pour elle, et c^est justement parce qu'il ne 
comprend pas la portée de ces perfidies que le 
bonhomme est à ce point gai, divertissant, amusant. 



88 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



intéressant, complet, complet comme un homme 
qui estvraiment dans son caractère. C'est si amusant 
et si charmant, le ridicule, lorsqu'il est à sa place, 
ni contraint, ni forcé, ni cherché, quand rien ne 
l'appelle, quand rien ne le gêne, et qu'il arrive de 
lui-même, sans art et sans fard, in modo et figura^ 
comme il est venu, par exemple, à cet admirable 
Samson, admirable dans ce rôle fait pour lui, fait 
par lui ! Il y est de tout point charmant, charmant 
jusqu'à l'extravagance; il est comme était le mar- 
quis de La Seiglière: il est vif, il est gai, il est 
naïf, il est insolent, il est railleur, il est gogue- 
nard, il est merveilleusement égoïste, rapportant 
à soi toutes choses, et ne voyant pas qu'il fait rire 
autour de soi tout le monde, tant il prend au sé- 
rieux sa personnalité, son amour-propre, son 
égoïsme, son intime et imperturbable contente- 
ment! Âh! les beaux airs! ah! les bonnes gaietés! 
et comme ce public de bourgeois, ces fils de Vol- 
taire en ligne collatérale, s'amusent innocemment 
au bénéfice de ce vieux croisé de l'émigration! 
C'est une joie, une fête, un charme, et je ne crois 
pas que rien s'y puisse comparer, même en comp- 
tant pour beaucoup la grosse et bonne farce du 
théâtre de la Montansier ! 



L 



\ 




HENRI MURGER 



LE BONHOMME JADIS 




EUNEs gens, disait un ancien, écoutez 
avec rçspect un vieillard que les vieil- 
lards écoutaient déjà quand il était 
jeune! — Écoutez-moi, disait Nestor aux chefs de 
l'armée; il est juste, quand je parle, que vous- 
soyez attentifs, car j'ai vécu avec des hommes qui 
valaient mieux que vous. Non, je n'ai jamais vu 
et je ne verrai jamais des héros semblables à mes 
amis d'autrefois : Pirithoûs, Exadias, Polyphème, 
égal aux dieux, et Thésée, et son père Egée, et 
tant d'autres qui déjà valaient moins que leurs 
pères ! — Mox daturos progeniem vitiosiorem, 
ajoute un poëte ; et toujours ainsi le temps pré- 
sent s'est vu maltraiter, avec justice, au nom du 
mps passé ! Mais qu*y faire ? Eh ! c'est très-sim- 
le : entourez de vos regrets les vieux siècles, ac- 



ç 



IV 



8. 



90 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

commodez-vous de votre mieux de Pheure pré- 
sente... Vos aïeux étaient des demi-dieux, ils en- 
fantèrent de grands seigneurs ; ces vieux seigneurs 
à l'ancienne marque ont mis au jour le bonhomme 
Jadis, notre père, et Dieu sait comment seront 
bâtis les enfaats de nos enfants I 

Lui aussi il a été Jeune, le bonhomme Jadis; 
il est venu au monde à Theure solennelle où le 
vieux monde n'était plus, où le monde nouveau 
n'était pas encore; il est né entre la nuit et le cré- 
puscule, et ce fut à peine si quelque vieux prêtre 
insermenté se rencontra pour jeter sur son front 
innocent l'eau d'un baptême incertain. Son père 
et sa mère, un jour d'hiver, furent enlevés par des 
bandes armées et montèrent sur l'échafaud, appe- 
lant cet enfant qui ne pouvait pas les entendre. 
Ainsi, il grandit à la grâce de Dieu entre les ruines 
de sa maison, entre les ronces de son jardin, les 
vents d'orage emportant les parchemins qui pou- 
vaient constater la noblesse du pauvre orphelin. 
Il était cependant fils de bonne mère, il descen- 
dait d'une vieille souche, il appartenait à une 
famille correcte et chrétienne, royaliste et guer- 
rière, qui avait vécu longtemps, dans son vieux 
château, à l'abri de l'envie et loin de tout ce qui 
fait la vulgaire ambition des hommes. Ainsi, par 
sa naissance, il était destiné à continuer une 



THEATRE DE GENRE. 9I 

chaîne glorieuse et cachée qui tenait au trône de 
Louis XIV, au trône de Louis XV ; à continuer 
ces âmes vaillantes qui avaient traversé Bossuet 
pour s'arrêter à Voltaire. La Révolution le sépara 
brusquement de ces traditions; elle brisa d'un 
coup de sa foudre acharnée à tout briser cet arbre 
généalogique dont les branches éparses furent 
emportées comme la paille après que le grain est 
resté sur l'aire sonore. Il resta seul, spolié de 
toutes choses, et seul il se fraya son chemin à tra- 
vers l'espèce humaine. Il fut soldat, il suivit ses 
contemporains dans la mêlée ardente; et quand, 
après les longues guerres et les longues batailles, 
il se vit de nouveau seul et séparé de sa famille 
adoptive, il s'accommoda d'une vie obscure, igno- 
rée et silencieuse. Après tant de bruit, tant d'éclat 
et de fumée, il se dit qu'après tout, un peu de re- 
pos et de sommeil n'était pas défendu à sa vieil- 
lesse commençante. Il vieillit ainsi lentement, 
doucement, comme un sage, heureux de peu, 
content de tout, ne songeant guère à ces gloires 
qui avaient brillé et s'étaient éteintes à ses yeux 
éblouis du feu follet des réjouissances publiques ; 
il vécut seul, songeant de temps à autre avec un 
serrement de cœur que peut-être il mourrait seul. 
Mais quoi ! enfant et jeune homme, il n'avait pas 
eu de famille, il s'était habitué à l'isolement de 



92 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

bonne heure ; homme fait, il avait vécu des ha- 
sards de la vie militaire ; et, maintenant qu'il est 
vieux, il veut au moins, avant sa mort, se rassa- 
sier de tant de belles et bonnes choses qu'il a rê- 
vées, à savoir: les faciles printemps, les- douces 
pensées, les rêveries charmantes, et, à défaut d'au- 
tres passions (il est vieux!), le spectacle enchan- 
teur des heureuses amours ! Ainsi, point de re- 
grets et point d'ambition ; ainsi, la vie honnête, 
honorée et cachée, au sommet de quelque maison 
un peu gaie oîi monte le soleil, à travers le can- 
tique enivrant des jasmins et des roses, quand le 
ciel est pur, quand l'eau est claire et que l'oiseau 
chantant fait entendre sa moquerie ou son ramage 
amoureux ! Oui, c'est cela ! retenons de toutes nos 
forces les dernières journées ! retenons les heures 
qui s'envolent ! rappelons, rappelons de nos plus 
douces voix la jeunesse envolée! — Oix vas-tu? 
pourquoi sitôt nous quitter, nous les cœurs hon- 
nêtes et les têtes enjouées ? O jeunesse ! où trouve- 
ras-tu des temples plus dignes de toi, des autels 
où brûle un encens plus dévoué? ô jeunesse ! eh! 
ne vois-tu pas que ces jeunes gens à qui tu pro- 
digues tes couronnes et tes guirlandes, à peine 
s'ils en savent le prix, à peine s'ils obéissent à tes 
volontés charmantes? Ils sont ambitieux, ils te 
dédaignent comme un obstacle; ils t'accusent, ils 



THÉÂTRE DE GENRE. 93 

te calomnient, ils renoncent à tes pompes, à tes 

majestés, à tes gloires; ils invoquent la fortune, ils 

invoquent la puissance; ils ne le pardonnent pas, 

ô chère déesse amoureuse! tes fiers dédains pour 

les biens vulgaires, et ta couronne de myrte, et ton 

sceptre de houblon ; ils se prosternent, les ingrats, 

devant les couronnes d'or et les sceptres de fer ! 

Ah ! cher printemps, que voulez-vous faire de ces 

Ingrats qui vous méprisent? Il les faut abandonner, 

croyez-moi, à la fortune, et vous-même, enfant 

d^s Muses savantes et des grâces folâtres, revenez 

sUr vos pas et tendez une main bienveillante aux 

J^Unes cœurs restés jeunes dans leurs vieux corps ? 

^oilà vos fidèles! voilà vos dévoués! voilà qui 

'^ous aime ! Ils ont renoncé à tout autre bonheur 

Pour vous suivre! ils ont dédaigné tout ce qui est 

la grandeur, la puissance, la richesse, la majesté, 

pour rester fidèles au culte de leur déesse ! Allons, 

, bonté, tenez-leur compte de leur dévouement à 

ces fidèles amis de vos beautés immortelles! Laisse 

en repos les jeunes gens, jeunesse, et prends en 

pitié les vieillards ! 

Voilà rhymne ! On la chante aussitôt que l'on n'a 
plus vingt ans. A peine en sent-on les premiers 
vers, mais bientôt le premier couplet est suivi du 
second, hélas! et ils viennent comme -à la suite 
une ode d'Horace, une chanson de Béranger : 



94 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Vous vieillirez, 6 ma belle maîtresse! Une 
menace ! une espérance ! une tristesse î une conso- 
lation ! Il n'y a que ceux qui ont été Jeunes qui 
vieillissent. Naître à soixante ans, était-ce la peine 
de naître? et n'avez-vous pas une pitié profonde 
pour qui vous dit fièrement : a Je n'ai jamais été 
jeune d ? Eh quoi ! malheureux, tu n'as jamais été 
jeune! Alors, tu as menti à ta jeunesse; alors, tu 
Tas trahie, et tu n'étais pas digne, non certes, de 
toucher à cette robe d'azur ! Au contraire, il faut 
avoir été jeune pour se consoler d'être un vieillard. 
C'est une belle chose, certes, le de Senectute, un 
traité de vraie et sincère philosophie; il y manque 
cependant une fleur, ou tout au moins un regain 
de jeunesse, un peu de jeunesse, un peu de soleil 
et quelques-uns des parfums de la vingtième année. 
Voilà ce que je cherche en vain dans ce magni- 
fique traité de la vieillesse. Ils sont là quatre ou 
cinq sages, les plus grands noms et les âmes les 
plus vaillantes de la république romaine à son dé- 
clin, Caton, Scipion, Lélius, qui, tout chargés de 
gloire, se mettent à invoquer tous les dieux pro- 
pices, moins la jeunesse. 

Ils appellent à leur aide tous les vieillards dont 
la vieillesse était naguère une des gloires du monde 
athénien, une sauvegarde du monde romain; 
Platon, Socrate, Titus Flaminius et l'antique 



THÉÂTRE DE GENRE. qS 

Ennîus; ils invoquent Paul-Émile à soixante-dix 
ans, Appius Claudius aveugle et centenaire, et 
tout le sénat de Lacédémone, un congrès de rois 
et de vieillards ; ils se racontent ces agonies excel- 
lentes, ces morts glorieuses, ces tombeaux tout 
pleins d'enseignements; ils citent les poètes qui 
ont tiré de leur tête blanchie une suite de chefs- 
d'œuvre, Sophocle, par exemple, récitant à ses 
juges cette merveille, Œdipe à Colonel Et puis, 
quand ils ont réuni en bloc toutes les gloires de 
la vieillesse, ils se mettent à en raconter toutes 
les disgrâces, à en détailler les misères, à se dé- 
montrer à eux-mêmes que c'est un âge odieux à 
tous les autres âges de la vie; ils nous citent Milon 
de Crotone cotitemplant ses deux bras impuis- 
sants, a hélas! disait-il, ils sont morts!» Après 
quoi, semblables à des enfants qui se sont amusés 
à faire peur, ils reviennent aux exemples consola* 
teurs, tournant ainsi à leur irisu dans un cercle 
vicieux, dans l'exception, car toutes ces forces 
qu'ils invoquent sont autant d'exceptions : ainsi^ 
dans Xénophon,la mort de "Cyrus; ainsi Nes- 
tor dans Homère, tel Massinissa à cheval! 
D'où ils concilient qu'il faut résister à la vieil- 
lesse, qu'il la faut traiter en ennemie et se dé- 
fendre à la façon des athlètes; et cette conclusion 
tombe justement au beau milieu du cercle vicieux^ 



96 CRITIQUE DRrAMATIQUE. 

car, si je n'ai pas la force de résister et de com- 
battre, aussitôt me voilà nécessairement absurde, 
impotent, insupportable à mes amis, odieux à 
moi-même. Et tous ces raisonnements aigus, on 
peut le dire, ils retombent sur ces sages illustres, 
parce que de leur dissertation sur la vieillesse ils 
chassent tout à fait la jeunesse. Ils suppriment la 
jeunesse I ils en éloignent le souvenir comme un 
souvenir importun; ils ne veulent pas convenir 
que tous ces grands hommes dont ils parlent à ces 
abris du paisible Tusculum ont été d'honnêtes et 
admirables vieillards justement parce qu'ils ont 
été d'honnêtes et vaillants jeunes gens : 

Nous avons été jadis 
Jeunes, vaillants et hardis. 

C'est la chanson des Spartiates, et, quand ces illus- 
tres vieillards chantent en effet cette chanson, ils 
reconnaissent hautement qu'ils ont été jeunes 
autant que peut l'être et que doit l'Are un galant 
homme. Dans( ce traité de la vieillesse, au lieu de 
reconnaître avec joie, avec orgueil, l'influence des 
jeunes années, on les accuse, on les traite comme 
Platon traitait le vice lorsqu'il l'appelait le chyle 
de tous les maux. Le de Senectute va plus loin : 
des plaisirs que se permet I4 vieillesse il efface 
tout ce qui pouvait y rester d'exquis, de jeune et 



THEATRE DE GENRE. 97 

de charmant. Ainsi, les banquets prennent un 
aspect morose, la causerie est solennelle ; on traite 
l'amour de Turc à Maure. O dieux! loin d'ici 
ce maître féroce ! Allons, vieillards, soyez sages ; 
écrivez des traités de philosophie, écrivez des 
poésies didactiques, cultivez la terre et plantez 
des vignes : bientôt viendra la mort, qui vous 
délivrera de ces vieilles années que vous aurez 
accomplies avec le soin d'un comédien zélé qui 
veut mériter les honneurs du rappel. Usque ad ; 
Plauditel vivendum! Vous l'entendez : l'applau- 
dissement, la louange, la foule qui vous regarde, 
un acte public, un drame à jouer, voilà toute la 
vieillesse de ces prétendus sages. De la vieillesse 
ils ont ôté même le sommeil, le doux et charmant 
sommeil, ce repos de chaque jour I Autant vaut 
dire alors ce que disait le farouche M. Arnauld 
au bon Nicole, qui parlait de se reposer quelques 
jours avant la mort : « Nous reposer I y pensez- 
vous, Monsieur?... Nous avons l'éternité pour 
nous reposer! » 

Beaucoup plus bienveillant et f^icile à suivre 
est le Traité de la Vieillesse^ revu, corrigé, aug- 
menté par le Bonhomme Jadis! Il n'a jamais lu le 
Catornajor (Caton l'Ancien), il ignore Cicéron, il 
n'a jamais entendu parler de Lélius, non pas 
même de Gorgias, qui disait : « Laissez-moi 

IV 9 



98 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

vivre, je n'ai pas à me plaindre de la vieillesse. » 
Il n'a pas séparé, cet homme sage, le bon- 
homme Jadis, ces deux fragments du même conti- 
nent, la jeunesse et la vieillesse ; au contraire, il 
réunit l'une à Tautre ces deux parts de la vie 
humaine, comme on dit que la reconnaissance est 
unie au bienfait. Ainsi faisait dans sa vie et dans 
ses vers ce vieillard charmant dont les poèmes sont 
pour ainsi dire les cheveux blancs de la verte 
Athènes, Anacréon. « Anacréon, disent les belles 
affranchies, te voilà vieux... Prends un miroir, tu 
n'as plus de cheveux; regarde-toi, ton front est nu. 
— Non, non! pas de miroir! Aî-je ou non des 
cheveux? Je n'en sais rien, je ne veux rien savoir! 
Allons, du vin et des roses pour mon front dé- 
pouillé! La vie.... une roue, elle tourne, et le 
Ch^T est déjà loin! Je sais le nombre de mes jours: 
combien en ai-je à vivre encore? Avant d'arriver 
au tefmej je veux jouer, rire et danser. A boirCj 
l'ennui s'en va; à chanter, l'ennui s'endort. » 

On irait ainsi bien longtemps dans le vers de ce 
Bonhomme JadiSi Eh ! dites-vous, voilà de gran- 
des autorités, Anacréon et Caton l'Ancien, à pro- 
pos d'un petit vaudeville en prose ! — Pourquoi 
non, je vous prie? Un vaudeville sans couplets, c'est 
autant de gagné; et puis tant et tant d'insipides 
comédies ont vu le jour à cette rampe intelligente 



THEATRE DE GENRE. 99 

qu'il est bien permis de se réjouir à celte rencontre 
inattendue, un petit acte ingénu -et cherché, tout 
ensemble, une malice, un rêve! Or, ce rêve enfan- 
tin, intitulé le Bonhomme Jadis ^ vivra plus long- 
temps que n'ont vécu tous les mousquetaires de 
feu le Théâtre-Historique! Ce petit acte survivra 
quand Athos, Porthos et Aramis auront vécu de- 
puis dix ans ! Ça n'est rien un acte quand ça ne vit 
pas; c'est quelque chose quand ça reste au théâtre. 
Un acte debout vaut mieux que cinq cents actes 
morts et enterrés» Le Bonhomme Jadis appartient 
encore à la Bohème nouvellement découverte, il y 
a tantôt quatre ans ou cinq ans, par M. Henri Mur- 
ger. Le bonhomme Jadis est un bohème, comme 
on dit une lorette, devenu vieux. Vieux, il est 
bon; oisif, il s'amuse à regarder ce qui se passe à 
ses pieds sur la terre, au-dessus de sa tête, à travers 
les étoiles. Il voit d'abord le soleil qui flamboie 
et la terre qui poudroie ; avec un peu d'attention, 
il voit son voisin M. Octave qui poudroie, et sa 
jeune voisine M"® Jacqueline qui flamboie. 

Alors, touché de ce spectacle divin des* jeunes 
cœurs ignorants et fidèles, le bonhomme Jadis 
imagine de rapprocher celui-là de celui-ci; il 
invite à dîner Jacqueline, il invite Octave. Assis 
entre ces deux printemps jaseurs, le bonhomme 
se sent reverdir ; il chante, il danse, il s'enivre de 



lOO CRITIQUE DRAMATIQUE. 

cette joie, et Ton entend, comme une jolie chan- 
son de jeunesse et d'amour. 

Ma foi, voilà toute la pièce; il n'y a rien de 
plus que ceci : un vieillard qui marie, en riant, 
des jeunes gens amoureux l'un de l'autre. C'est bien' 
peu, j'en conviens; mais ce peu-là, c'est vrai, c'est 
vif, c'est amoureux, c'est tout rempli de ces mots 
trouvés que l'auteur de la Bohème a rencontrés 
dans ce monde à part de misère et de jeunesse, de 
poésie et de souffrance : l'imagination sous le 
haillon, la beauté sous la bure, l'esprit sur la 
paille, la gaieté sous les toits, le froid, la faim, 
l'abandon, le néant, et tout ce néant se. compense, 
et au delà, par un rayon de soleil. M. Murger est 
le seul qui compte en Bohème, lia fait une espèce 
d'école à lui seul, il a fait comprendre au bour- 
geois les antipodes de ce monde à part; et comme, 
au résumé, il était un vrai esprit, il a été l'excuse 
et l'oubli de toutes les bohèmes d'alentour. 




M"*^ DE GIRARDIN 



LA JOIE FAIT PEUR 




A joie fait peur! Comédie! comédie 
un peu lugubre et charmante ! Au lever 
du rideau, vous voyez dans une maison 
tendue en noir trois femmes en longs habits de 
deuil! Comédie! Une de ces femmes est la mère 
du jeune Adrien, dévoré par les sauvages; les 
deux autres femmes, deux jeunesses, Blanche et 
Mathilde, vous représentent la sœur du jeune 
homme et sa fiancée. Ah! quelle douleur pro- 
fonde! on ne voit que des larmes, on n'entend que 
des sanglots ! La mère, atteinte et touchée au cœur, 
sera morte dans huit jours; la fiancée appelle à 
haute voix le mari qu'elle a perdu; elle s'irrite, 
elle s'emporte contre la mort, elle est furieuse! A 
côté d'elle, et plus calme dans sa douleur, Blan- 
che, une enfant de seize ans, contient ses larmes 



IV 



o. 






102 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

pour ne pas affliger sa mère. On dirait u 
tombe, cette maison d'où la vie est sortie ! En u 
coin où il pleure tout bas, le bon Noël, songean: 
à cet enfant de son cœur, veille sur les douleu 
qui Tentourent et dont il est le gardien. Comédi 
Une comédie en grand deuil, dans Tétonnemen 
dans le spasme et dans le silence de la douleur! 

Je vous jure que voilà, poui: le coup, une no 
veauté hardie, une vraie invention, un mervei 
leux détail de toutes les fibres auxquelles le cœu — 
humain est attaché. On se regarde, on s'étonn 
on écoute.... A peine si Ton entend des voix et de^ ^ 
paroles sortir de ces angoisses. Comédie! et qu ^ 
Tauteur a été bien inspirée ! ' 

Quand elles ont bien travaillé à entretenir leu f 
plainte et leur douleur, ces trois femmes quittent: 
enfin ce salon funèbre ; elles vomt, la mère à l'église, 
où elle prie; la fillette au jardin, où elle salue en 
pleurant un beau rosier tout couvert de roses 
blanches, ce même rosier qu'ils ont planté elle et 
son frère; de son côté s'en va la fiancée, en rêvant 
au mari qu'elle a perdu ! « Laissez-la rêver, dit 
le bon Noël ; de ces trois malheureuses, voilà celle 
que je plains le moins : elle a le malheur conso- 
lant d'être un grand artiste, elle a du génie, et le 
génie on ne sait pas où ça commence, où ça finit. », 
Cette petite dissertation contre les femmes A4 



THEATRE DE GENRE. Io3 

génie, écrite avec un rare bon sens par une femme 
de beaucoup d'esprit, a été la bienvenue, et le pu- 
blic, stupéfait, a commencé par se dérider en voyant 
le génie abandonné aux sarcasmes du bon Noël. 

A peine ces trois élégies ont-elles quitté le salon 
que le spectateur respire enfin ! La fenêtre est ou- 
'verte, et Pair et le soleil pénètrent librement dans 
ces demeures réjouies, non-seulement Pair prin- 
tanier et le tiède soleil, mais encore Tespérance ! 
Oui, l'espérance! Au milieu de ces femmes qui 
pleurent, le vieux Noël est resté fidèle au maître 
vivant, a Mourir si jeune et si aimé ! dit Noël; ça 
lui ressemble si peu ! » Alors le voilà qui se ra- 
conte à lui-même tant et tant d'accidents auxquels 
l'enfant a échappé par miracle. Un jour il a sauté 
par la fenêtre... Il est resté attaché par sa blouse 
aux fers du balcon ! Un autre jour, l'enfant tombe 
à l'eau... et le pêcheur le ramène dans son filet, 
entre deux carpes ! Et les chutes du haut de l'ar- 
bre! et les écarts du cheval! «Ah! dit Noël, les 
yeux pleins de larmes, mon jeune maître n'est pas 
mort; il reviendra, il revient, je le vois, je l'en- 
tends : « Allons, Noël, je meurs de faim... » 

Et véritablement le jeune homme apparaît en 
disant : « Allons, Noël... » Miracle et résurrec- 
tion! c'est bien lui, le jeune Adrien ! c'est bien lui, 
le voilà ! Voilà la vie et la jeunesse qui remplis- 



104 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

sent désormais ces solitudes. A ce coup de foudre 
de bonheur, le vieux Noël, qui se croyait si malin 
et si fort, le stoïcien Noël succombe, et le jeune 
homme le reçoit dans ses bras. 

Comédie! Alors commence, en cette comédie, 
une comédie, en effet, qui consiste à annoncer à 
chacune des survivantes du jeune Adrien que son 
fiancé n'est pas mort, que son frère est vivant, que 
son fils lui est rendu ! a La jeunesse est forte, se dit 
Noël ; on est si facilement heureux quand on a seize 
ans ! et je n'aurai pas grand'peine à montrer notre 
revenant à M"" Blanche. » Elle arrive, en effet, la 
jeune Blanche, déjà reposée et pressentant quelque 
étrange bonheur ! Un peu de soleil, un peu de 
printemps et les belles fleurs de son rosier ont dis- 
posé Tenfant à entendre mille choses heureuses. 
La voici ! Et, quand elle voit son frère, elle tombe 
à genoux en s'écriant : <t Viens donc, je n'ai pas 
peur ! » On rit et Ton pleure ! Et voilà toute cette 
comédie! Une larme, un sourire, le « sourire 
mouillé » dont parle Homère ! Je sais bien que le 
lecteur, m'entendant raconter cette comédie, aura 
peine à me croire... Eh bien ! je pleure et je ris en 
la racontant. 

Si la sœur d'Adrieji, avertie, est bien heureuse, 
il ne sera pas difficile de présenter le revenant à 
sa fiancée : on est si forte à vingt ans contre le 



théâtre: de genre. io5 

Donheur ! Laissons donc les deux jeunes gens se 
présenter Pun à Tautre, et c'est une grande habi- 
été de nous avoir fait grâce de cette reconnais- 
sance entre le jeune homme et sa maîtresse. A 
:ette heure, il s'agit d'avertir la mère et de la sau- 
ver de sa joie! Une pareille joie au cœur d'une 
nère peut le briser : or il faut que cette pauvre 
emme vive et soit heureuse. Alors que de précau- 
ions ! que d'hésitations ! que de recherches ! que 
le petits et heureux mensonges ! D'abord la chère 
Téature, abîmée en son affliction, ne sait pas ce 
ju'on lui demande; elle ne comprend pas un mot 
le ce qu'on lui dit ; elle voit bien que le front de 
!^oël s'est éclairci,que les yeux de Blanche et son 
loux visage brillent d'un feu tout nouveau : que 
î'est-il donc passé dans cette maison où c'est à 
:>eine si l'on trouve encore quelque trace et quel- 
jue souvenir du deuil universel? Vraiment on 
lirait que tout chante et que tout rit dans la maî- 
»on mortuaire! On ne respire plus le même air 
jue ce matin ! Les pas de ceux qui l'habitaient ne 
■ont plus le même bruit ! Même la chambre du 
eune homme... un tombeau ! on dirait que cette 
:hambre est habitée : en regardant par la serrure, 
)n retrouverait l'ancien désordre et mille indices, 
lans compter que M"° Mathilde a relevé ses che- 
veux comme elle avait coutume de les porter quand 



I06 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

elle était heureuse ! Ah! quels indices! quelle fête 
inouïe ineffable! et comment y croire? Ainsi, tout 
sourit autour de ce cœur brisé! Pauvre femme... 
heureuse mère! A la fin, n'y tenant plus, elle 
appelle à haute voix : « Mon fils! mon fils ! oîi es- 
tu, mon fils? » Et son fils est dans ses bras. 

La joie! elle fait mal, dit la comédie, elle tue... 
elle sauve aussi ! Mais il était temps que cette mère 
fût sauvée... Un instant de plus, et la salle entière 
éclatait en sanglots. 

J'en ai bien vu, des comédies; j'en ai peu vu qui 
se pussent comparer à cet acte unique où cette ai- 
mable femme a jeté une fois pour toutes tout son 
esprit et tout son cœur ! Que de grâce et que d'in- 
ventions bienséantes ! les heureux accents ! les pa- 
roles bien trouvées ! les délicates inventions ! Que 
tout cela est vif, naturel et charmant! Voilà donc 
enfin que M"^ de Girardin l'a trouvée entièrement, 
sa comédie, et voilà qu'elle l'a rencontré, son 
drame! Tant on est sûr de les rencontrer à la fin, 
ces œuvres excellentes, quand on les cherche avec 
cette obstination, cette volonté, ce bon sens et ce 
rare esprit ! 

Mais aussi quel succès ! quelle fête ! et quel con- 
tentement et que de larmes ! Ecrivons désormais 
au frontispice du Théâtre-Français celte inscrip- 
tion méritée : « Ici les malheureux trouvent des 



THÉÂTRE DE GENRE. IO7 

gens qui les pleurent et qui les consolent I » Ce 
drame-comédie est joué (comme au reste sont 
jouées toutes les bonnes pièces) avec un ensemble 
incroyable. Elles sont à l'œuvre de leur commune 
douleur, ces trois femmes, et rien ne saurait les en 
distraire. Ah ! les larmes de M"® Allan, si gaie et 
avenante d'habitude, une femme qui est faite pour 
le sourire, elle a été déchirante! Il n'y a rien de 
plus énergique et de plus beau que M"® Fix, la 
femme de génie, en proie à la douleur et à la co- 
lère ; et combien sont douces et précieuses les lar- 
mes de la petite fille, ces larmes printanières de la 
vigne coupée, et qui ne demandent qu'à s'arrêter ! 
Quant à Noël, le vieux serviteur, le rôle de 
Régnier, Régnier a montré dans ce rôle de Noël 
qu'il était le Comédien le plus sympathique et le 
plus vrai du Théâtre-Français. Oui, lui-même, 
Régnier, le valet de Molière et le valet de Re- 
gnard, le spirituel et malin porteur de la grande 
livrée; oui, Régnier, le Dubois et le Frontin delà 
Vieille coniédie^à cette heure il est tout un drame; 
il a là voix, il a le geste, il a l'accent, il a la dou- 
leur, il a la pitié, il a tout ce qui fait le comédien 
qui pleiire et qui fait pleurer ! 

Certes M"® Emile de Girardin, qui est un vrai 
homme de lettres (et Je ne sais pas aujourd'hui de 
pllus grande louange ) , a remporté déjà bien des 



lOS CRITIQUE DRAMATIQUE. 

couronnes : jeune fille, elle avait déjà mérité le 
laurier de Corinne ; un peu plus tard, à l'âge de la 
prose, elle écrivit en prose avec la grâce, la malice 
et le piquant des plumes les mieux taillées; le 
roman eut pour elle autant de succès que la satire; 
eïiSn, dans la tragédie, dans le drame et dans la 
comédie, elle se poussa, tantôt vaincue et tantôt 
applaudie... Aujourd'hui elle vient d'atteindre en- 
fin te vrai succès, non pas le succès qui remonte 
du comédien au poëte, mais le succès qui descend 
doucement du poëte au comédien. 




E. AUGIER ET J. SANDEAU 



LE GENDRE DE M. POIRIER 




ÉRITABLEMENT, Voici UnC dcS pluS pî- 

quantes comédies qui aient été jouées 
depuis longtemps; Pesprit abonde, un 
esprit facile, agréable, coulant de source avec tant 
de grâce et d'abandon! Ils avaient une revanche 
à prendre, Emile Augier et Jules Sandeau, de 
leur récente déconvenue au Théâtre-Français, et 
cette revanche ils l'ont prise éloquente, entière et 
complète, et tant payé, tant promis, tant tenu; 
celui-ci répondant à celui-là, celui-là mettant sa 
pointe au milieu des sentiments de celui-ci; 
Emile Augier un Gaulois, Jules Sandeau un 
rêveur : le premier qui ne doute de rien, le second 
qui a peur de tout. G les grandes enjambées du 
jeune homme! ô la prudence de l'homme mûr! 
Qui peut donc arrêter le poëte de r Aventurière? 



IV 



10 



IIO CRITIQUE DRAMATIQUE. 

à quelles lois peut-il obéir, et quel obstacle opposer 
à ce torrent ? 

Au contraire le père et le poëte de M^^^ de La 
Seiglière: il va d'un pas calme et sûr à travers les 
paysages de sa fantaisie, accompagné des fantômes 
de son adoration ! Pour quiconque a vu jouer la 
comédie du poëte comique, et pour quiconque en 
même temps aura lu les charmants écrits du roman- 
cier, il sera très-facile de rendre à César ce qui est 
à César dans cette comédie de M, Poirier; il sera 
très-facile de reconnaître la touche élégante et 
Temporte-pièce, le mot brutal et le sentiment ! 

Le triste héros de la nouvelle comédie est un 
certain M. Poirier qui a bel et bien gagné trois 
millions^ ni plus ni moins, à vendre, à acheter, à 
revendre^ à racheter de la lingerie en gros, si bien 
qu^enfin voilà un homme hors de page ! Autrefois, 
du temps de Molière, M. Poirier donnait du drap 
à ses amis pour de Targent, et s'appelait M. Jour- 
dain ; aujourd'hui, comme autrefois, M. Jourdain* 
t^oirier, devenu riche, « veut avoir un gendre gen- 
tilhomme » ! 

a M. Jourdain î J'ai du bien assez pour ma fille j 
je n'ai besoin que d'honneur, et je la veux faire 
marquise! » 

Ainsi parle, ainsi fait M. Poirier. Il marie en 
effet sa fille au jeune marquis Gaston de Presle; 



m THEATRE DE GENRE. tll 

mais M, Poirier est si riche qu'il n'a pas peur que 
ses petits-enfants, les petits comtes, les petits 
vicomtes, les vidâmes, les barons et les chevaliers 
rougissent jamais de l'appeler grand-papa ! C'était 
bon pour M™® Jourdain, ces visions-là I « Je veux, 
disait-elle, un homme qui m'ait obligation de ma 
fille et à qui je puisse dire : Mette:{-vous /à, mon 
gendre^ et dîne!{ avec moi, » M. Poirier est bien 
sûr que son gendre dînera avec lui... Le gendre 
habite la maison du beau-père : il n'a que ce feu-là 
et ce lieu-là, ce jeune M. de Presle. Ainsi, tout est 
prévu par M. Poirier. Son gendre est à lui, il l'a 
payé à beaux deniers bien comptés, à savoir : 
5oo,ooo francs pour ses dettes, 5oo,ooo francs pour 
ses menus plaisirs. Par-dessus le marché, M. Poirier 
a donné sa propre fille, un vrai trésor d'honneur, 
de courage et de loyauté, à cet indigne petit mar- 
quis ! Mais, au fait, est-ce que cela compte, une 
honnête personne de plus ou de moins, au milieu 
de tant d'argent, de tant d'espérances ! M'**- Antoi- 
nette Poirier, le père qui la donne la compte à 
peine, et le mari qui la reçoit ne la compte pour 
rien! Père insensé! abominable mari! idiots tous 
les deux! C'était là ton trésor. Poirier que tu es I 
c'était là ta vraie fortune, marquis que tu es I Même 
c'était la comédie, et c'était le succè§,de nos deux 
faiseurs, Emile Augier et Jules Sandeau, cette 



112 CRITIQUE DRAMATIQUE. • 

aimable M"® Poirier, qui a sauvé la pièce. Oui, c'est 
elle qui a arraché ce succès en dépit des brigandages 
du gendre et des coquineries du beau-père. Enfin 
le titre de cette comédie, un peu faite à la hâte, 
était celui-ci : la Fille à M. Poirier ! 

Les voilà mariés, Antoinette Poirier et le jeune 
marquis Gaston de Presle! Au premier abord, ce 
ne sont que nopces et festins, a On dirait qu'il 
est céans carême-prenant tous les jours! «.disait 
M"® Jourdain de son vivant. Bals, festins, tableaux, 
antiquités, courses de chevaux, voitures à la Dau- 
mont, Théâtre-Italien, grand'chère, et grand feu, 
et grand jeu, rien n'y manque; ils n'ont qu'à se 
bien tenir, les écus du père Poirier! Donc, tout 
sourit au jeune marquis, et il bénit chaque matin, 
à son petit lever, la douce rente que lui font les 
visions de M. Poirier, son beau-père. Ici, n'en 
déplaise à M. le marquis de Presle, il me semble 
qu'il joue un assez vilain rôle de se faire ainsi 
loger, nourrir, porter, vêtir par M. Poirier, sous 
prétexte qu'il est son gendre. On n'est pas mar- 
quis à ce point-là, et M. Gaston de Presle, nourri 
et logé aux frais de la princesse^ comme disait 
un des héros de Charlet, fait-il autre chose que 
ce que fait la jeune Dorimène, fille du seigneur 
Alcanior, avec le seigneur Sganarelle? 

Convenez cependant que cette jeune et belle 



THEATRE DE GENRE. Il3 

Doritnène, insolente de ses grâces et de sa jeunesse, 
et mariée au dégoûtant Sganarelle, est un peu 
dans son droit lorsqu'elle donne à ce sot mari le 
programme de son mariage un jour avant la noce. 
On rit des gaietés de Dorimène, on ne plaint pas 
Sganarelle; il sait maintenant ce qui le menace, 
et c'est à prendre ou à laisser. Mais un homme, 
un jeune homme, et la fleur des pois du marquisat 
de Paris, jouant auprès d'une jeune fille aimable 
et belle le jeu même de Dorimène près du vieux 
Sganarelle, il me semble que la chose était hardie 
à faire voir aux yeux, et que c'est cruellement 
commencer une comédie que de déshonorer son 
héros à ce point-là î 

Car non-seulement M. le marquis Gaston de 
Presle déjeune et dîne de son marquisat, non- 
seulement il joue et perd l'argent de sa femme, . 
il pousse la lâcheté jusqu'à tromper cette jeune 
femme, qui l'a arraché aux horreurs de la prison 
pour dettes, et à qui il doit tout, même l'habit 
qu'il a sur le corps! Après vingt jours de mariage, 
aux dernières lueurs de la lune de miel, M. le 
marquis vous a des accointances suspectes avec 
une marquise extra muros ; et ( l'imprudent et 
ISngrat qu'il est!) il ne sait pas encore à quelle 
honnête et charmante femme il a vendu son nom. 
Ainsi, dès la première scène, M. le marquis de 

lY lO 



114 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Presle se trouve dans une position honteuse et 
d'autant plus triste qu'elle est en grand contraste 
avec la bravoure et la bonne conduite de M. le duc 
Hector de Montmélian. Ruiné tout comme Gaston, 
M. le duc de Montmélian n'a pas voulu racheter 
par la dot de sa femme légitime les dépenses que 
lui ont causées ses maîtresses ; il aurait eu honte 
de faire payer à celle-là les attifiaux et les fanfioles 
de celles-ci, et à prostituer cet honnête argent dont 
un galant homme doit compte à ses enfants à venir. 
C'est pourquoi M. le duc de Montmélian, laissant 
à qui les veut les riches héritières, s'est fait soldat, 
un simple et honnête soldat sans Jactance, et déjà 
le voilà maréchal des logis, en attendant les chances 
heureuses de la guerre. Il y a bien du goût et de 
l'agencement dans cette noble figure-là; seulement, 
j'aurais voulu que M. le duc de Montmélian ne 
fût pas ruiné parles mêmes causes et par les mêmes 
folies que M. le marquis de Presle. A quoi bon 
nous montrer deux dissipateurs? Un seul nous 
suffisait, et, de même que M. de Montmélian se 
conduit en galant homme après sa ruine, il n'eût 
pas été fâcheux de le ruiner d'une façon plus 
décente. Il y a tant de façons honorables et sages 
de perdre une grande fortune ! M. de Montmélian, 
par sa bonne conduite, était digne d'une honnête 
ruine de cette façon-là. 



THÉÂTRE DE GENRE. Il5 

A son petit lever, M. le marquis Gaston de Presle 
raconte à son ami le duc de Montmélian les bon- 
heurs de sa nouvelle fortune ; à son grand lever, 
le riche M. Poirier raconte à son ami Verdelet 
ses futurs projets sur monsieur son gendre, a II a 
du discernement dans sa bourse ! » dit le maître à 
danser de M. Jourdain; M. Poirier ne manque 
pas de ce genre de discernement. « Lorsque je 
hante la noblesse, je fais paraître mon jugement!» 
disaitM, Jourdain; M. Poirier n'attendra pas long- 
temps avant de montrer son jugement à M. Ver- 
delet. Aujourd'hui même, tout à Fheure, après 
le déjeuner, en présence de sa femme Antoinette 
et de son ami le duc de Montmélian, le marquis de 
Presle sera vivement attaqué; on lui dira, comme 
dit le marquis Dorante à M. Jourdain : a Je veux 
sortir des affaires avec vous, et je viens ici pour 
faire nos comptes ensemble. » Et vraiment, oui , 
M. Poirier fait son compte à son gendre: un 
demi-million par-ci, un demi-million par-là, un 
bon logis à pied et à cheval, un cuisinier, et tant 
de valets de pied, et tant de marmitons ! Bref, on ne 
lui fait pas grâce d'une laitue; en foi de quoi le 
bon M. Poirier ne demande à son gendre qu'une 
toute petite complaisance, oh ! moins que rien, un 
petit déshonneur, un petit serment, une petite 
bassesse, une mauvaise action de rien du tout. 



Il6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

« Qu'est-ce que ça vous fait, mon gendre? » A 
quoi le gendre, en secouant Tépaule, répond qu'il 
veut rester tel qu'il est et tel que l'a choisi 
M. Poirier, a Je ne pensais pas à vous. Monsieur 
Poirier; vous êtes venu à moi, vous m'avez offert 
votre fille et votre fortune... J'ai accepté vos offres, 
et maintenant voici que vous voudriez faire de 
moi un piédestal, que dis-Je? un marchepied à 
votre ambition ! Fi! vous dis-je. » Il parle ainsi 
très-bien et d'une façon: très-nette; seulement, il 
est malheureux que le jeune marquis n'ait pas lu 
quelque peu Sénèque en son Traité des Bien- 
faits: a Celui-là tue et déshonore un bienfait 
qui le vend comme il vendrait une marchandise. » 
Repoussé avec perte par son gendre, et com- 
prenant sa maladresse, on présume que papa 
Poirier va se tenir pour battu et qu'il renonce à 
toucher cette corde-là... Vous ne connaissez pas 
M. Poirier : il est brutal, il est tenace, il est sem- 
blable au seigneur de Sottenville, qui se vantait 
a d'avoir montré dans sa vie, par vingt actions de 
rigueur, qu'il n'était pas homme à démordre jamais 
d'un pouce de ses prétentions ». Aussi, tout à 
l'heure, il va revenir à la charge, M. Poirier. Ce 
qu'il n'emporte pas d'assaut, il le brise : il a la 
volonté d'un rustre, il a la violence d'un manant; 
il n'entend rien aux petites délicatesses de la con- 



THEATRE BE GENRE. II7 

science ; il est à l'épreuve de toute émotion com- 
promettante... Et voilà ce que c'est que d'être un 
peu plus attaché à ses propres intérêts qu'aux in- 
térêts mêmes de son unique enfant. Figure bru- 
tale, atroce, abominable, et tracée avec une grande 
énergie. 

Ici l'intérêt commence. On comprend confusé- 
ment que cette fois Sganarelle va battre Dorimène, 
que M. Jourdain se fera payer par Dorante, et 
que M"® de Sottenville payera ses fredaines d'une 
belle et bonne séparation de corps. Quelque chose 
est dans Tair qui nous tourmente et nous peine 
pour M. le marquis Gaston de Presle. Il a joué 
avec son terrible et satanique beau-père à la façon 
de l'enfant qui joue avec le feu : d'abord il a 
dépensé l'argent de M. Poirier, ensuite il a porté 
le désordre en haut et en bas de la maison de 
M. Poirier. 

Que dis-je? il s'est moqué du goût de M. Poirier, 
ce mauvais gendre; il a acheté cent louis un petit 
coucher de soleil, quand M. Poirier se contente 
d'une humble gravure où l'on voit un chien qui 
aboie au bord de la mer, effet de chapeau dans le 
lointain ! « Voilà un joli sujet de tableau, mon 
gendre. — Et moi, beau-père, j'ai vu l'autre jour, 
sur une table, un oignon, un pauvre petit oignon 
coupé en quatre par un pauvre petit couteau... Ça 



Il8 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

n'est rien, ce sujet-là, au premier abord... Pourtant 
on ne pouvait pas contempler ce spectacle sans 
avoir les larmes aux yeux ! Enfin, beau-père, ne 
faut-il pas protéger les artistes? — Il faut protéger 
les beaux-arts et décourager les artistes, répond le 
féroce Poirier. Cent louis, ce clair de lune? On 
l'aurait eu pour vingt-cinq francs ! » Et de picoterie 
en picoterie, ils se piquent, ils se mordent, ils se 
heurtent, que ça ne me dit rien de bon ! 

Encore si ce funeste marquis, si ce gentilhomme 
et ce malhonnête homme avait su mériter la 
tendresse et les regrets de sa jeune femme, s'il 
avait compris que cette honnête créature avait un 
grand sens, une belle âme, un noble cœur, et que 
l'amour de cette femme était désormais la seule 
excuse de son mari à mener cette vie de parasite 
au milieu d'une maison étrangère, on aurait com- 
pris la lutte ardente du gendre contre monsieur son 
beau-père. Le gendre aimé de sa femme était un 
antagoniste redoutable ; il devenait le maître assidu 
de cette maison, il se faisait pardonner ce mot 
terrible, odieux, impossible: a Aidez-moi, j^ vous 
en prie .'» Mais non, M. le marquis de Preslefait 
la cour à M"*® de Bonœil ! Il écrit à cette belle, il 
en reçoit des lettres et des rende^-vous ; il fait pis 
que cela, il va se battre en duel pour les beaux 
yeux de M"" de Bonœil ! Ah ! le triple sot, l'imbécile 



THEATRE DE GENRE. II9 

et rimprudent, qui né voit pas qu'il est entre les 
grififes de cejormica-leo de Poirier qui l'attire et 
le pompe en ce moment au fond de son enton- 
noir I 

La scène entre le gendre et le beau-père, au 
moment oîi ils jouent l'un et l'autre cartes sur 
table, comme on dit, est une scène terrible et tout 
à fait digne de la plus haute comédie. On les voit 
donc, le jeune homme et le vieillard, qui finissent 
par se parler... catégoriquement. Voyez-les sou- 
rire, entendez-les qui se parlent à cœur ouvert : 
quelle haine affable et caressante ! Comme ce Jeune 
homme joue en ce moment avec cette vieille 
souris! a Oui, dit Poirier à son gendre, je suis 
ambitieux, et voilà pourquoi je vous ai donné ma 
fille. Écoutez-moi: vous êtes marquis, je veux 
être... baron I Vous pouvez aller à tout avec votre 
nom; moi, je veux aller à tout avec ma fortune. 
Marchez... je vous suis! Élevez- vous... je monte ! 
Soyez gentilhomme de la chambre , et me voilà 
pair de France ! » Il parle ainsi pendant que son 
gendre, attentif, « le gratte par où il se démange »; 
et l'autre (le niais!) ne voit pas encore oii son gen- 
dre en veut venir ! Il en veut venir à ceci, le gen- 
dre, qu'il ne veut pas jouer à la paume des 
bienfaits avec M. Poirier, qu'il le sait par cœur et 
qu'il ne veut pas payer son argent à un pareil 



120 CRITIQUE DRAM\TIQUE. 

intérêt. «La belle affaire!* Il faut que je fasse de 
M. Poirier un baron! de M. Poirier un pair de 
France! un ambassadeur de M. Poirier! Et c'était 
bien la peine, ô mes ancêtres! de vous faire tuer 
aux grandes batailles pour illustrer M. Poirier! 

— Et c'était bien la peine, ami Poirier, s'écrie à 
son tour M. Poirier, d'avoir travaillé nuit et jour, 
d'avoir calculé, supputé, patienté toute ta vie, afin 
de payer les dettes et les usures du descendant des 
seigneurs de Presle, de Grêle et autres lieux! — 
Fi du baron de Cotignac ! dit le jeune homme. 

— Honte au marquis d'Empruntignac! » répond 
le bourgeois. Et la rage, et la haine, et le mépris, 
et le choc violent de ces deux natures implacables, 
tournent au drame cette comédie! Hélas! voilà la 
faute et voilà le châtiment de cette comédie : ils 
ont raison tous les deux, le bourgeois et le mar- 
quis, le jeune homme et le vieillard, le gendre 
et le beau-père ! Il a raison de dire à M. de Presle: 
« O mendiant que tu es! » Il a raison de dire à 
M. Poirier: «O traître! ô bandit! qui fais de ta 
fille un des échelons de ta lâche fortune! n Ici, je 
vous jure, on ne rit guère; on trouve, au con- 
traire, que la nature humaine est une sotte chose 
à contempler. 

Mais, Dieu merci, après M. Jules Sandeau (car 
la scène est de lui, j'en suis sûr : elle respire d'un 



THEATRE DE GENRE. 121 

bout à Tautre les plaintes, la colère et les ac- 
cents de tant et tant de livres charmants où tout 
ce qui est faux, injuste et brutal est châtié de main 
d'ouvrier — c'est un mot de La Bruyère), arrive à 
son tour le poëte jovial, hâbleur et bon vivant, 
qui ne laisse rien tomber des belles choses qu'il a 
rencontrées dans les chefs-d'œuvre ! Il a vu, Emile 
Augier, dans l'Avare, la scène adorable où maître 
Jacques apparaît sous son double costume de 
cocher et de cuisinier. 

Le menu de maître Jacques est un véritable 
repas bourgeois, comparé au souper que donne 
M. Jourdain à la marquise Dorimène, et Ton ne 
saurait trop admirer la composition, Pélégance et 
le fini de ce joli repas, qui serait digne d'être signé 
des plus grands noms culinaires de ce temps-ci. 

Aujourd'hui nous avons fait bien des progrès... 
en cuisine, nous autres les contemporains de Gri- 
mod de la Reynière^ de Carême, du marquis de 
Cussy et de M. Fayot. 

Écoutez cependant le menu que déclame, à la 
façon de Théramène, avec une bonne humeur 
très-charmante, un certain comédien du Gymnase 
appelé Thibault. 

Ce Thibault représente le Vatel de la maison 
Poirier, et quand M. Poirier, insulté par son gen- 
dre, entre résolument dans les réformes et revient 

IV II 



122 CRITIQUE DRAMATIQUE 

tout courant au grand art d'éviter les dépenses su- 
perflues et d'user de son patrimoine avec modéra- 
tion, il fait comparaître son cuisinier, M. Vatel. 
tt Donnez-moi le menu du dîner, lui dit M. Poi- 
rier, du dîner de demain. — Il est à la copie, » 
répond Vatel-Thibault. Et il faut l'entendre disant 
ce // est à la copie! Il n'y avait au monde que 
le grand Laguipière, le cuisinier de Murât, qui 
eût ce geste et cet accent solennel. Laguipière avait 
été le maître et le conseil de Carême; il est mort 
au feu, on peut le dire, à Wilna, le jour même 
de la bataille; il est mort comme il a vécu, les 
pieds à la glace et la tête dans les fourneaux, ce 
cuisinier modèle, ce Laguipière qui était le cuisi- 
nier des rois, si Carême et Daniel étaient les cui- 
siniers des princes et des banquiers. 

Pardonnez-moi cette digression, elle rentre heu- 
reusement dans mon sujet. « Mais, répond le 
Vatel interrogé par M. Poirier, si le menu esta 
la copie, il est aussi dans ma tête.» Et voilà notre 
homme qui se met à déclamer son menu à la façon 
de ce héros du deuxième livre récitant le catalo- 
gue des combattants dans VIliade. Ecoutez cepen- 
dant, et jugez-moi de ce menu-là, que ni Robert, 
ni Mériot, ni M. Colnet, ni Véry, ni les Frères Pro- 
vençaux, n'auraient composé à eux tous. 

Potage. — Au tapioca. 



THEATRE DE GENRE. 123 

Deux bouts, — Le pâté de lièvre, le jambon à 
la gelée. 

Deux flancs. — La carpe à la Chambord, la 
dinde truffée. 

Six entrées, — Les riz de veau à la financière, 
les côtelettes de mouton à la Soubise, façon Cussy ; 
le filet de bœuf au madère, gigot de chevreau poi- 
vrade, pain de gibier, Taspic de volaille. 

Deux rôts, — Le faisan piqué, les perdreaux 
bardés. 

Quatre entremets. — Les petits pois à la fran- 
çaise, les épinards au beurre, les asperges en 
branche. 

Quatre entremets (démoulés). — Le gratin 
d'orange, le sultan meringué, le bavarois à la 
vanille, la gelée de fruits. 

Et peiidant que notre homme, enflé de joie et 
d'orgueil, ajoute à ces merveilles de la gueule 
un tourteau à la crabe franche et des gelinottes 
d'Ecosse arrivées le matin ; pendant qu'il énumère 
les vins, les liqueurs, les fromages, les salades et 
les gratins, M. Poirier, ennemi-né de la cuisine, 
cette peste de la santé, cette ruine des estomacs et 
le plus honteux fléau des patrimoines, fœdissi" 
mum patrimoniorum exitium^ disait Sénèque le 
buveur d'eau, arrête court le malheureux cuisinier 
dans son triomphe, et, d'un ton sec comme une 



124 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

éclanche de mouton, d'une voix au vinaigre et 
d'un geste osseux comme ses poulets, il ordonne 
à ce cuisinier déshonoré de lui servir des oreilles 
de veau, des riz de veau, des canards aux olives, 
des salsifis, un lapin sauté, des pommes de terre et 
des pruneaux! Bonté divine! à cet ordre, on dirait 
que la douleur, la honte et la peine de Tancien 
Vatel montent au front du moderne Vatel. Plutôt 
la ftiort que de consentir à accomplir ces immon- 
dices ! Pourquoi donc ne pas lui demander aussi 
de remplacer les éperlans par les goujons, le fro- 
mage de Vire par le fromage de Neufchâtel, le 
sorbet au rhum par le punch à la romaine, le vin 
de Laroze par le vin de Suresnes? La scène est 
très-jolie, et bien faite, et bien jouée. On riait 
d'aise à entendre réciter ces choses savoureuses; 
on avait la colique au menu de cet abominable 
M. Poirier. 

Après ce hors-d'œuvre et ce moment de repos 
très-nécessaire, arrive le drame, et c'est ici que 
M"" Poirier, notre héroïne, aura beau jeu à don- 
ner à son gentilhomme de mari deux ou trois le- 
çons d'honneur et de probité dont il a le plus 
grand besoin. « Monsieur, dit le marquis à son 
beau-père, nous autres gentilshommes, nous avons 
une probité à part, excellente entre toutes, qui 
s?appelle l'honneur. — Monsieur, répond le Poi- 



THÉÂTRE DE GENRE. 125 

rier, il est bienheureux que notre probité vulgaire 
se trouve là pour payer les dettes de votre hon- 
neur! » La réponse est terrible, elle est vraie; 
elle est nécessaire aux plus grands comme aux 
plus petits, la probité vulgaire, la probité à l'usage 
de tous: seigneurs, gentilshommes, bourgeois, 
manants, maîtres et esclaves ; la pure et vulgaire 
probité, qui ne s'inquiète pas de ces mièvreries et 
de ces recherches de Phonneur. La probité vul- 
gaire, ce trésor de l'âme humaine, veut que le 
jeune marquis ne fasse pas payer ses dettes à mon- 
sieur son beau-père ; la probité vulgaire veut que 
M. Poirier, si quelque lettre est apportée à son 
gendre, ne brise pas le cachet de cette lettre. Il fait 
une chose honteuse et contre toutes les lois qui 
régissent les honnêtes gens, M. Poirier, lorsqu'il 
force une lettre et lorsqu'il la vole pour en faire 
une accusation contre son gendre! Ils manquent 
donc, celui-ci autant que celui-là, aux plus vul- 
gaires conditions de la vie ; et c'est un spectacle qui 
serait insupportable si M"® Antoinette Poirier, 
obéissant à la simple et vulgaire probité d'une 
honnête femme, ne déchirait pas cette lettre com- 
promettante. D'un seul coup elle pouvait châtier 
le mari qui la trompe et la rivale qui a tué son 
bonheur... elle méprise une si lâche vengeance, 
qui serait tout au plus digne de l'âme et de l'esprit 

IV I î. 



126 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

de monsieur son père. O noble femme ! et quel 
châtiment pour l'homme indigne qui lui a vendu 
son nom à un prix si cruel! 

Alors enfin Thonneur du jeune marquis cède la 
place à la probité, qu'il a trop méprisée; alors en- . 
fin ce jeune homme, indigne de cette femme admi- 
rable, a compris sa faute et s'humilie, humiliation 
loyale et bienséante autant qu'il eût été honteux 
de se courber sous la volonté de ce père Grandet 
qui veut couper lui-môme le pain que sa fille va 
manger désormais! Pleurez donc et lamentez- 
vous, monsieur le marquis; vous êtes un lâche et 
vous êtes un traître ! Vous avez voulu manger de 
ce pain si dur, mangez-en, monsieur le marquis! 
vous avez voulu vivre du mensonge et de la tra- 
hison, vivez-en, monsieur le marquis! vous avez 
accepté l'alliance intéressée et la protection abomi- 
nable du fiche Poirier, soyez courbé sous ce joug 
ignoble, monsieur le marquis ! Et vous, specta» 
teurs, mes frères, qui contemplez ce désastre et 
cette misère, apprenez par cet exemple à gagner 
votre vie honnêtement, à ne pas vous livrer pieds et 
poings liés aux volontés de M. de Sottenville, à 
ne manger que le pain gagné par vous-mêmes; 
apprenez que l'indépendance est la première con- 
dition du respect que vous doit votre femme et 
que vous porteront vos enfants! 



THEATRE DE GENRE. 1 27 

Tout ce côté-ci de la question et de la comédie 
est traité avec un grand art, et enfin, quand, à tout 
prendre, ce jeune M. de Presle est assez châtié, 
quand il a bien compris les hontes de cette vie à 
part qui consiste à vivre de la fortune d'autrui, 
quand il a bien pleuré sur les grâces divines de sa 
femme et versé des larmes de sang sur tant d'ou- 
trages immérités dont il Ta abreuvée, arrive Theure 
de la réparation et du pardon. La réparation! 
M"** Antoinette de Presle en veut une qui sera 
terrible : elle exige, elle veut que son mari, le 
chevalier de Presle, le marquis de Presle, leporte- 
épée et le gentilhomme amoureux de l'honneur, 
ait la probité de renoncer èmin duel dont M"^** de 
Bonœil est le motif! « Vous ne vous battrez pas. 
Monsieur de Presle, et vous ferez des excuses à 
M. de Pongibaut, Monsieur le marquis. Vous avez 
été cruel pour moi. Je suis impitoyable; vous avez 
été insolent et moqueur pour mon père, je vous 
impose une horrible Humiliation. Cette fois, ren- 
gainez votre épée, et soyez humble, et soyez mo- 
deste, et soyez bourgeois, Monsieur le marquis : je 
le veux ! » 

Ainsi elle parle, et lui, le malheureux jeune 
homme, en vain il prie, il implore, il supplie; en 
vain il est à genoux et les mains jointes... il faut 
obéir! « Eh bien! j'obéis, dit-il, je ferai des ex- 



128 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

cuses à M. de Pongibaut. » C'en est fait, le voilà 
vaincu, humilié, écrasé, ce lion, ce tigre, ce beau 
fils, ce monsieur, ce marquis! 

Je ne saurais vous dire en ce moment réton- 
nement, l'angoisse et la douleur de la salie 
entière... Un seul regard brillait dans tous ces 
yeux! un seul cri remplissait ces poitrines! C'é- 
taient le regard et le cri delà foule attentive au Cid 
naissant, c'était celte éternelle voix de l'honneur 
des âmes françaises, cette vaillance innée, intime, 
extrême en toute chose... Et chacun trouvait que 
^rao jg Presle était trop vengée, et chacun prenait 
en pitié le jeune homme ainsi désarmé. Quoi! il 
ne se battra pas? quoU il fera des excuses? quoi 
donc! iLva arracher lui-même cetta dernière pa- 
rure de son blason ? quoi ! fouler aux pieds tant 
d'habitudes de son rang, de son nom, de sa caste, 
et donner ce démenti cruel aux traditions de sa 
maison ? 

Pensez donc si l'on était attentif! C'est alors 
que M"*® de Presle, obéissant aux instincts de Chi- 
mène elle-même, ô bonheur! se jette dans les bras 
du jeune homme, et, tendre et chaste comme une 
mère qui pardonne, elle l'embrasse, et : a Mainte- 
nant, dit-elle, va te battre! » Ah ! les transes, ah! 
l'admiration, ah! la joie et le bonheur qui s'exha- 
laient de tous ces cœurs en suspens ! 



THEATRE DE GENRE. I29 

C'est la plus belle parole, et la plus dramatique, 
et la plus inattendue, qui ait traversé le drame de- 
puis vingt ans : « Va te battre ! » M*"® Rose Chéri 
Ta dite avec une force, une conviction, un courage, 
une générosité dont rien ne peut donner une idée ! 
Elle est tout entière dans ce mot-là : a Va te bat- 
tre !» et la pièce aussi ! 

Alors le succès, franchement décidé, n'a plus 
trouvé d'obstacle : un seul cri est parti de cette 
foule qui avait été jusque-là un peu sérieuse; 
alors enfin ils ont triomphé sur toute la ligne, ces 
deux beaux esprits si bien appareillés par toutes 
les grâces fraternelles de l'esprit, de l'amitié, du 
style et de l'invention. Puis quel ensemble et quel 
talent dans tous ces comédiens bien menés, bien 
conduits, obéissant à la même idée, et celui-ci ne 
songeant pas à nuire à celui-là ! Au contraire, ils 
se font valoir l'un l'autre dans un ensemble ex- 
cellent. 

Le rôle de M°*® de Preslé sera pour M™® Rose 
Chéri un de ces rôles à part dans sa couronne, 
un rôle à côté de Clarisse Harlowe et de Diane 
de Lys. Berton, le jeune amoureux, a été très- 
vif, très-fin et tout semblable à ces jeunes gens 
du vieux faubourg que La Bruyère appelait « les 
fils des dieux ». Il est très-gentil, très-jeune et 
très-intelligent, ce Berton ! Dupuis est charmant 



i3o 



RITIQUE DRAHATIQUE. 



dans son uniforme de maréchal des logis: on voit 
le gentilhomme à travers l'habit de soldat. Villars, 
qui est un bon comédien, a été très-touchant dans 
le rôle du bonhomme Verdelet. 




BARRIERE ET CAPENDU 



LES FAUX BONSHOMMES 




ES Faux Bonshommes,, au théâtre du 
Vaudeville, vous représentent une co- 
médie ingénieuse, un peu longue, il 
est vrai; mais, Dieu merci, la verve et Pesprît n^y 
manquent pas. Vous dire ici les gens que nos deux 
auteurs, MM. Barrière et Capendu, ont voulu dé- 
signer par ce faux titre : les Faux Bonshommes,, 
ça n'est pas facile. Ce qu'on appelle un bonhomme 
est déjà un peu au-dessous d'un homme en chair 
et en os : c'est un être à part, bienveillant, mais 
d'une bienveillance nonchalante ; avant tout, il 
veut vivre en repos avec lui-même, avec les autres, 
et, ne gênant personne, il ne voudrait pas être 
gêné. Il dit : Je voudrais^ parce que le bon- 
homme, en effet, n'a guère qu'une volonté acci- 
dentelle; il ne sait pas même vouloir, il n'ose pas 



l32 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

vouloir, tant sa moindre volonté est soumise à 
toutes les volontés qui l'entourent. Esprit fin, mais 
souple, âme intelligente et faible, il n'a jamais 
connu, cet homme-là, les attachements passionnés, 
les dévouements actifs, les haines vigoureuses; il 
ne sera jamais Alceste, il sera volontiers Philinte; 
il n'approchera jamais de ces natures fortes, claires, 
élevées, magnanimes, redoutables, qui imposent 
aux plus pervers l'estime et le respect. En revanche, 
il mijotera en son par-dedans toutes sortes de com- 
promis hideux et mille espèces de petites lâchetés 
déshonorantes qu'il prend volontiers pour des 
précautions habiles. Lâche et traître à son insu, il 
se cachera derrière la nécessité, comme le poltron 
qui s'accroupit derrière un buisson ; et parce qu'on 
ne le voit pas, ou qu'on se bouche le nez en pas- 
sant derrière ce vil abri, il s'élève à lui-même un 
piédestal : 

Je pris un peu de courage 
Pour les gens qui se battaient... 

Fi de cette bonhomie ! honte à ce bonhomme ! 
Homme, il n'est bon à rien qu'à tourner, comme 

ê 

un écureuil, dans un petit cercle inutile. Et quoi 
de plus misérable et quoi de plus triste que cette 
inerte et stupide bonté? La belle avance! être un 
homme pour arriver à la plus chétive suffisance, 



THEATRE DE GENRE. l33 

pour ne pas soulever autour de soi un peu de 
haine, un peu d'envie, et se contenter de la pitié 
de ses semblables! O misère! même la bonne ac- 
tion que l'on fait par hasard, on la fait sans grâce 
et sans courage ; aussi bien elle ne vous rapporte 
ni Festime ni l'honneur ! Au contraire, un homme, 
un vrai homme, qui n'est pas un bonhomme, 
une créature intelligente, agissante et passionnée... 
a Un tel homme est à cinq cents brasses au-dessus 
des royaumes et des duchés », disait Montaigne. 
Et plus loin (certes, nous voilà loin des bonshom- 
mes] : a Comparez, dit-il encore, à cet homme la 
tourbe stupide, basse, servile, instable et conti- 
nuellement flottante en l'orage des passions di- 
verses qui la poussent et repoussent, despendante 
toute d'autruy. » Oui, « la tourbe despendante 
d'autruy », voilà la race abjecte, inutile, inerte, 
insipide et bête des bonshommes! C'est pourquoi 
les deux auteurs de la pièce nouvelle (et la pièce 
vaut la peine qu'on en parle) auraient bien fait de 
l'appeler les Bonshommes tout simplement, sans 
dire les faux bonshommes. Les bonshommes^ ça 
en disait assez, ça disait tout ce que les auteurs 
voulaient dire , car la faiblesse implique inévita- 
blement l'irrésolution, Tavarice, le dépit, la couar- 
dise , l'envie, et tous les petits soins , et toutes les 
craintes ridicules, et toutes les méprisables fureurs 

lY 12 



l34 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

d'un esprit ingénieux à voir en misères, en bas- 
sesses, en lâchetés, toutes choses. Quelle cousine 
plus germaine du mensonge et de la trahison que 
la faiblesse? Un bonhomme est un idiot qui se 
ment à lui-même, incapable de mal, incapable de 
bien... Au besoin, il sera plus facilement traître et 
plus volontiers méchant que simple, énergique et 
vrail Enfin, autre obstacle à Taccomplissement 
sérieux de cette comédie : il fallait l'appeler le 
Bonhomme y au singulier, comme on dit le Mé- 
chantj comme on dit le Joueur^ comme on dit 
l*Avare et le Misanthrope. . 

En effet, ils sont singuliers avec leur pluriel, les 
poètes comiques de ces dernières années! On 
dirait qu'un seul homme, une fable unique, un 
seul caractère ne suffit pas à leur comédie, et qu'ils 
ne seront pas contents avant d'avoir embrassé le 
genre humain, comme Néron embrassait Britan- 
nicus, a pour l'étouffer » I C'est ainsi qu'ils nous 
disent : « Accourez tous, nous allons vous montrer 
le demi-monde I — Eh quoi ! tout le demi-monde 
en un jour? — Oui, tout entier. — Quoi! tous les 
bonshommes? — Oui, tous. On vous a bien mon- 
tré en bloc tous les Atrides! » Supposez cepen- 
dant que Molière eût annoncé les Tartuffes comme 
il annonçait les Femmes savantes, le monde eût 
reculé d'horreur et de dégoût; et pourtant, à côté 



THEATRE DE GENRE. l35 

de Tartufife, il y avait Laurent, son valet, ce valet 
que le poëte a prudemment laissé dans l'ombre; il 
a grandi au milieu des crimes et des succès de son 
doux maître; il a pris la plume, et... il a fait dia- 
blement son chemin. 

Pendant que nous discutons, M. Péponnet, ca- 
pitaine de la garde nationale, homme enrichi et 
fait pour aller à tout en passant par la porte haute 
de la Chambre des députés, imagine de comman- 
der son portrait au jeune peintre Octave, et le 
jeune Octave, semblable au peintre amoureux, 
s'essaye à tirer parti de cette inintelligente figure ! 
Octave est amoureux de la fille même de ce Pé- 
ponnet, et rien ne lui coûte pour se rapprocher 
de celle qu'il aime. Ainsi fait Edgar, le loustic 
de la bande heureuse des dessinateurs fantaisistes ! 
Prenez garde à cet Edgar I il a la malice du singe 
et le dard du serpent. Son crayon est taillé pour 
la charge; il excelle à reproduire, en riant, les 
moindres laideurs du genre humain. Giraud lui- 
même etNadar ne sauraient lutter contre ce pince- 
sans-rire; à peine si Gavarni, ce vivant et souriant 
Gavarni, quand il raille avec tant de grâce et tant 
d'esprit, se peut comparer à maître Edgar. Cer- 
tes, celui-là n'est pas un faux bonhomme; il n'est 
pas même un bonhomme, et « qui s'y frotte aus- 
sitôt s'y pique », un véritable porc-épic d'atelier! 



l36 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Cependant, autour de M. Péponnet, vous voyez 
accourir les amis, les parasites, les flatteurs, que la 
fortune attire, appelle et provoque en tous les 
coins de ce bas monde. Celui-ci est un Alceste de 
contrebande, un Philinte venimeux ; chacune de 
ses paroles, emmiellée à la pointe, arrive en flèche 
et blesse comme un trait celui qu'elle touche. Il 
vous loue en vous égorgeant ; sa flatterie est un 
déshonneur, et sa platitude est une accusation. Ar- 
sinoé elle-même est lagrand'mèredece M. de Bas- 
secour. 

Hier, j'étais chez des gens de vertu singulière, 
Où sur vous du discours en tourna la matière, 
Et là .votre conduite, avec ses grands éclats, 
Madame^ eut le malheur qu'on ne la loua pas... 

L'autre bonhomme, à côté de Bassecour, est un 
philanthrope, un utilitaire, un économiste, un 
grand prédicateur du guano. Pour peu qu'on le 
voie et pour peu que sa bourse ne contienne pas 
grand'chose, il versera volontiers sa bourse entre 
les mains d'un mendiant: tel est M. Dufourré.Sa 
femme, la clinquaillière ^ est une bonne femme 
odieuse, une vraie lady Tartuffe en jupon de laine. 
Absolument M"® Dufourré veut marier à M"® Pé- 
ponnet la cadette un idiot de fils qu'elle a fait avec 
M. Dufourré, et ce fils est encore une heureuse 
création. Figurez-vous un grand niais mal fait, 



THEATRE DE GENRE. idj 

mal vêtu , mal venu, tout rempli des passions les 
plus bêtes et les plus compromettantes, un véri- 
table enfant terrible, et soufflant à chaque in- 
stant sur les châteaux de cartes de madame sa 
mère. Ah ! la vilaine compagnie ! ah ! les vilains 
hommes et de la plus triste espèce! Il n'y a pas 
un de ces hommes-là qui ait jamais lu une fable 
de La Fontaine, une lettre de M"® de Sévignéîpas 
un qui ait porté le deuil de Paul Delaroche, qui 
saluât M. de Lamartine quand il passe, ou qui 
sentît battre son cœur au nom seul de l'auteur des 
Contemplations ! 

Vilaine engeance et vilaine race fils donneraient 
V Iliade entière pour une lettre anonyme, et Notre- 
Dame de Paris pour une boutique de changeur ; 
ils ont fait du monde entier un bazar immense 
où toutes les consciences sont à vendre, et (voyez 
la misère!) la marchandise est à si bas prix, ces 
bonshommes de plâtre et de carton, qu'elle ne 
trouve pas d'acheteur. Un pareil spectacle est 
triste, et si profondément triste qu'il se soutient à 
peine à force d'esprit, de sentences, de reparties 
plaisantes, de moralités, de bons mots. Certes, ces 
reparties.ne sont pas toutes d'une excellente nou- 
veauté; mais elles plaisent, elles font rire, et même 
ceux qui les ont entendues il y a longtemps s'en 
contentent. Il en est de ces ana de la comédie 

ÏV 12. 



l38 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

nouvelle comme du médaillier du savant Barthé- 
lémy. Un jour qu'il montrait ses médailles à quel- 
ques-uns de ses amis : « On m'en a beaucoup 
donné, disait-il, j'en ai acheté beaucoup, j'en ai 
volé quelques-unes. » Et ces dernières, soyez-en 
sûrs, n'étaient pas les moindres ornements du pré* 
cieux médaillier. 

Mais l'esprit, la bonne humeur, la jeunesse elle- 
même et les enchantements des coeurs bien épris 
ne suffisent pas à faire oublier longtemps les hon- 
tes, les misères et la laideur de l'argent. De toutes 
les vilaines passions du cœur de l'homme, la pas- 
sion de l'argent est la plus triste et la plus misé- 
rable. Il est vrai que pendant cinq actes Molière, et 
les maîtres avant Molière, Aristophane et Plaute, 
ont fait supporter un avare, un seul avare; en 
même temps, voyez que de grâces, de gaieté, de 
charmants épisodes, de choses hardies, Molière a 
jetés, d'une main prodigue, sur les traces hon- 
teuses de ce vil Harpagon ! Tant de jeunesse et 
tant de beauté! tant de personnages naïfs, gais, 
contents, d'une jovialité charmante: Elise, Cléante, 
Valère, et Marianne, et Frosine, et riiaître Jac- 
ques, et La Flèche, et Brin-d'Avoine, et Lamer- 
luche?...Onôterait Lamerluche, on ôterait le ^row- 
madame^ ou le lé\ard empaillé^ « curiosité bonne 
à suspendre au plafond », que V Avare y perdrait 



I 



THEATRE DE GENRE. iSp 

une gaieté presque indispensable. En effet, pour 
que cet abominable avare soit supporté jusqu'à la 
fin, il ne faut pas qu'il perde une seule des gfâces 
et des gaietés qui l'entourent. Ajoutez ceci, que 
l'homme d'argent que nous montrait Molière a 
pourtant sa fortune faite ; il est une espèce de con- 
servateur, il est revenu à moitié de la bataille hi- 
deuse et des vilaines complications de l'argent; 
bref, il n'est pas à l'œuvre, et Ton ne voit pas la 
cuisine et les éviers de sa fortune.... Au contraire, 
ici, chez les faux bonshommes et dans toutes les 
pièces modernes où l'argent joue un certain rôle, 
on vous montre à satiété tous les rouages, toutes 
les cuisines, tous les tripotages de cette abomina- 
ble passion. La plupart du temps, les hommes 
d'argent de la moderne comédie ont leur fortune à 
faire ; ils n'ont pas un sou dans leur poche et pas 
un sou de crédit, et les voilà qui s'abandonnent, 
sous vos yeux, à toutes sortes de friponneries to- 
lérées, mais intolérables, à mille escroqueries sans 
nom, qui n'ont rien de plaisant. Ces sortes d'a- 
vares au rabais, ils sont hideux ! cette avarice au 
biberon, dont il faut essuyer les langes et les dé- 
jections, elle est horrible ! Au contraire, un bel et 
bon avare, étoffé d'or, doublé et redoublé d'ar- 
gent, je le supporte: il a pour lui la fortune assise; 
il a l'habitude et la gloire intime que donne l'ar- 



140 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

gent acquis, encofFré et* palpitant à ceux qui le 
possèdent; mais ces enrichis du rien du tout, ces 
Harpagons de la coulisse en plein vent, ces déni- 
cheurs d^actions tarées, ces détrousseurs de la 
petite Bourse, ces Laws du bitume et ces Ouvrards 
du ruisseau, vraiment, c^est un spectacle à la fois 
misérable et peu digne d'attirer l'attention d'un 
galant homme! A la Bourse, dites-vous, n'oubliez 
pas que nous vous menons à la Bourse, c'est-à- 
dire dans l'antre et dans le capharnalim de l'ar- 
gent... Eh bien! oui, nous y sommes, je le veux 
bien; mais, encore un pas dans les sentiers glis- 
sants de cette éternelle Bourse, nous tombons au 
fin fond de la police correctionnelle, conve- 
nez-en. 

Voilà pourquoi, dès qu'il s'agit de la Bourse et 
de ses mélodrames, dans les Faux Bonshommes 
du Vaudeville, aussitôt l'attention publique est 
lassée et demande à s'attacher autre part, fût-ce aux 
cornes de la lune. Heureusement nos deux auteurs 
ont glissé d'un pas leste surcesembûches, et, après 
les premières déclamations, ils nous ont ramenés 
bien vite aux amours d'Octave et d'Emmeline, 
aux bons mots d'Edgar , aux brusqueries de la 
petite Eugénie, au côté jeune, et pauvre, et char- 
mant, de la vie humaine! MM. Barrière et Capendu 
eussent appuyé plus longtemps sur les tripotages 



THÉÂTRE DE GENRE. I4I 

de M. Anatole et sur les friponneries de M. Lecar- 
donel, leur pièce était perdue, et c'eût été dom- 
mage : elle, contenait un admirable troisième acte, 
cette pièce-là. 

Figurez-vous, car c'est tout un récit, ce troisième 
acte... que depuis tantôt deux heures la pièce allait 
assez bien, mais lentement; on l'écoutait, mais 
sans trop de zèle; on souriait à Tesprit, mais 
sans fanatisme; on disait: a Ça marche, » et nul ne 
pouvait dire encore à quel but ça marchait, quand 
tout d'un coup nous avons vu revenir le jeune 
Octave. En sa qualité de peintre, il avait été chassé 
de la maison de M. Péponnet, et tout d'un coup 
il veut prendre sa revanche, a On ne veut pas du 
peintre, on voudra du coulissier, d se dit-il. C'est 
pourquoi il a crevé ses toiles, c'est pourquoi il a 
jeté sa brosse aux orties; il a brisé son chevalet, de 
sa palette il a fait un feu de joie ; et le voilà, le revoilà, 
le carnet à la main, achetant, vendant, revendant, 
tripotant des masses de Montagnes^ de Canaux, 
de* Crédit^ à? actions de chemins^ de caisses, de mé- 
caniques^ inactions de Petites Voitures, de Ga:[ et 
à* Omnibus! Tout y passe! Il est le Pactole, il est 
Valpha et Voméga de la Bourse, il est la corbeille 
elle-même, et non pas seulement un brin de la 
corbeille ! O le grand homme ! « Est-ce bien lui qui 
n'était qu'un peintre il y a huit jours? » se dit 



142 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

M. Péponnet. Interrogez le jeune Octave... il vous 
répondra: Millions! 

Sous SCS heureuses mains le cuivre devient orl... 

Il rit à Tor et à l'argent ! il en mange ! a Oh ! le bon 
parti pour ma fille, maintenant que M. Octave a 
renoncéaux beaux-arts ! » se dit encore le bonhomme 
Péponnet. Ajoutez que le jeune Octave, mainte- 
nant qu'il est revenu à des sentiments meilleurs, a 
reconquis l'estime, la tendresse, l'amitié, la con- 
fiance et l'héritage de son fameux oncle, un tri- 
millionnaire, le millionnaire (avec trois ////) 
Vertillac. 

Je vous signale ici ce Vertillac... Depuis que la 
Bourse et les boursiers sont devenus les héros de 
la comédie, on n'a rien inventé qui vaille, à beau- 
coup près, ce Vertillac. Il est solennel comme une 
ode et gourmé comme un dithyrambe. Il va... 
tout d'une pièce, et pas un geste à droite et pas un 
geste à gauche! On ferait marcher l'argent, on le 
ferait parler, il ne marcherait pas, il ne parlerait 
pas autrement. Rien de trop, à peine assez, le voilà, 
ce Vertillac. Vraiment, la trouvaille est bonne, et 
l'on rit aux éclats lorsque enfin on s'aperçoit que 
cet automate n'est pas un Seguin empaillé ! 

Donc, le jeune Octave a pris le chemin de tra- 
verse et les sentiers de la Bourse pour arriver au 



THEATRE DE GENRE. 148 

cœur de la place et de son futur beau-père. « Je 
suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ! » Il est venu sur 
un sac d'argent. Tout s'explique, et le Péponnet 
court maintenant après ce même amoureux dont 
naguère^ il n'avait pas voulu pour son frotteur. 
Ainsi, tout va bien : Octave est réhabilité parson 
oncle, accepté par le Péponnet, glorifié par la 
coulisse ; il a tout à fait le truc de l'agent de change 
et le/ion du banquier; seulement, il est fâcheux 
qu'Edgar, l'ami d'Octave, et la jeune Emmeline, 
sa prétendue, ne soient pas dans la confidence 
d'Octave. A quoi bon ce mystère, et pourquoi donc 
mons Octave néglige-t-il ainsi de mettre Edgar 
dans le secret de ce changement soudain? et pour- 
quoi nous priver d'une scène charmante entre 
Octave et la jeune Emmeline? 

a Ayez bon courage, Emmeline! J'ai compris 
que jamais mon oncle et vgtre père ne consenti- 
raient à nous unir, et j'ai flatté leur manie en de- 
venant pour vingt-quatre heures un homme de la 
Bourse! » Emmeline, avertie, eût aidé à la meta* 
morphose; elle eût encouragé le jeune Octave de 
^on plus doux sourire et contribué à l'effet de k 
grande scène. Edgar, averti de son côté, eût poussé 
vivement à la roue. « Ah! cher Edgar, cela 
t'étonne de voir ton ami renoncer à la peinture, 
et tu me crois un louis d'or à la place du cœurl 



144 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Non ! non ! je suis encore un artiste! non! je n'ai 
pas renié les vrais dieux! Seulement, puisque Ton 
nous condamne et qu'on nous chasse, eh bien! Je 
veux montrer à ces veaux d'or que leur science 
est la plus misérable de toutes, et qu'il est mille 
fois plus facile de manier de l'argent que de tenir 
un pinceau ! » Voilà ce qu'il eût dit, et la foule, oyant 
cette déclaration de principes, fût entrée plus faci- 
lement et peut-être aussi plus avant dans les méta- 
morphoses du jeune Octave. 

Encore une fois, elle était si bien à sa place aux 
premières scènes dutroisèmeacte, cette scène entre 
Emmeline et le jeune Octave! Elle eût ajouté un 
si vif intérêt à la scène du mariage! Ah! cette 
scène du mariage entre Octave et la fille du bon- 
homme Péponnet, je n'en connais guère aujour- 
d'hui, parmi nos grands poètes comiques, qui se- 
raient assez habiles pour la tenter, assez heureux 
pour réussir, même en copiant de leur mieux la 
scène du mariage de Cléante avec la jeune Elise, la 
fille d'Harpagon. 

Eh bien! au troisième acte des Faux BonS' 
hommes, le bonhomme Péponnet, aussi difficile 
et méticuleux qu'Harpagon lui-même, aussi niais 
que Bartholo, est assailli soudain par tant de 
volontés irrésitibles, il est pris dans un si profond 
traquenard, il est à ce point violenté par Octave 



THEATRE DE GENRE. 145 

changé en loup-cervier, qu'il n'a même pas le 
temps de compter cette dot qui lui est enlevée à la 
pointe de mille sophismes. Que disons-nousj* La 
demande en mariage du banquier Vertillac à 
Péponnet est un chef-d'œuvre. L'on n'a jamais 
mieux parlé la langue des contrats et des obliga- 
tions depuis la célèbre faillite du bonhomme 
Birotteau, le vrai bonhomme de M. de Balzac. 

Malheureusement ce troisième acte, éclatant à 
la façon d'un finale de Rossini lui-même, n'est pas 
tout à fait le dernier acte. Après tant de rires et de 
gaietés qui devraient nous suffire, un quatrième 
acte arrive, et nous assistons à la lune de miel de 
ce mariage à Temporte-pièce. Hélas! les revoici, 
ilos deux artistes, Edgar qui ricane encore. Octave 
amoureux toujours. Le bonhomme Péponnet, 
qui a mis toute sa fortune aux mains malhonnêtes 
d'un manieur d'argent, voyage en ce moment en 
Suisse^ en plein bleu, et je vous demande si pareil 
voyage est possible et peut tomber dans l'esprit 
d'un Péponnet, à l'heure oii la fortune de Pépon- 
net appartient au plus vil faiseur d'affaires I // est 
à propos que j'aille faire un petit tour à mort 
argent! disait le premier Harpagon, et sa sollici- 
tude est tout à fait dans la nature de l'avare. 

J'en veux un peu à nos deux auteurs, à M. Cà- 
pendu, à M. Barrière, de ce malencontreux qua- 




146 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

trième acte. Au moins, s'ils en avaient fait leur 
troisième acte, et s'ils avaient gavdé lear mariage 
et leur contrat pour la dernière scène... Et vous 
verrez, quand leur comédie aura produit son 
grand effet de gaieté, de sel attique et de bonne 
humeur, que nos deuxauteurs finiront par accom- 
plir cette utile et facile révolution. 




MARIO UCHARD 



LA FIAMMINA 




oici maintenant ce qui se passe auThéâ- 
tre-Françaîs , et ce que Ton pourrait 
appeler la revanche de la comédie. On 
leur a tant dit, à. messieurs les comédiens du 
Théâtre-Français : « Prenez garde aux comédiens 
du Gymnase, aux comédiens du Vaudeville, et 
même aux comédiens de l'Ambigu-Comique ! » 
on les a tant piqués et taonés^ en plaçant sous 
leurs regards attristés M™® Rose Chéri, M"*** Doche 
et M"»« Guyon, M"* Delaporte et M. Geoffroy, et 
M. Dupuis, et naguère le jeune Berton! <c Avez- 
vous vu. Messieurs, avez-vous vu, Mesdames, le 
Demî^Monde ? avez-vous vu la Dame aux camé- 
lias? avez-vous vu le Gendre à M. Poirier? 
avez-vous vu les Faux Bonshommes? avez-vous 
vu la Question d* argent ? Voilà certes la vraie et 



o^' y 



148 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

sincère comédie, et surtout voilà, par Apollon et 
les neuf Muses ! voilà comme on la joue ! Hors 
du Gymnase, hors du Vaudeville et même hors 
de l'Ambigu-Comique, il n'y a plus de salut pour 
la comédie ! Ainsi , Messieurs les sociétaires du 
Théâtre-Français, soyez sages et résignez-vous; 
soyez humbles, renoncez à tout ce que nous ap- 
pelons, nous autres, la comédie intime; faites- 
vous petits, et vous contentez du Misanthrope^ 
des Femmes savantes et de Turcaret ! » Puis on les 
consolait ! puis on les prenait en pitié ! et tant et 
tant qu'ils en étaient fatigués, effarés, abasourdis. 
Pauvres bonshommes et pauvres bonnes femmes 
du Théâtre-Français, qui s'amusent encore 

Des peuples qui dix ans ont fui devant Hector I 

Ainsi exposés aux mépris, et, chose plus cruelle, 
aux consolations de la comédie intime^ ces mes- 
sieurs et ces dames rongeaient leur frein en si- 
lence, attendant, non pas sans rage, une occasion 
de prendre enfin leur revanche avec la comédie 
illustrissime des infiniment petits mouvements 
de l'âme humaine. « Anne, ma sœur, ne vois-tu 
rien venir?»... Rien ne venait à leur aide. En 
vain ils interrogeaient chaque jour M. Léon Guil- 
lard, le modeste, intelligent et dévoué scrutateur 
des manuscrits inconnus... la comédie intime 



THEATRE DE GENRE. I49 

avait oublié le seuil du théâtre anéanti, quand 
tout à coup un nouveau venu se présente, appor- 
tant la Fiammina ! Ce nouveau venu n'avait ja- 
mais mis le pied dans les avenues de la comédie ; 
il était parfaitement ignorant de cette espèce de 
travail qui consiste à faire entrer un personnage, 
à le faire parler, à lui trouver une sortie à peu 
près vraisemblable; enfin que vous dirai-je? il 
n'avait pas l'art, il n'avait pas le métier; lui- 
même il ne savait pas s'il savait écrire un dialo- 
gue, et pourtant sa pièce et lui ils furent les bien- 
venus, les bien écoutés, les bien acceptés. « Quelle 
fête î se disaient entre eux ces comédiens décarê- 
més, nous avons enfin une comédie intime, et 
maintenant tâchons de la jouer comme on la joue- 
rait au Gymnase ! » Ils n'avaient pas d'autre am- 
bition, ils n'avaient pas d'autre souci. Berton ! 
Lesueur ! M™* Rose Chéri ! Ils les voyaient dans 
leurs rêves, ils leur tendaient leurs mains sup- 
pliantes. Dieux et déesses de la comédie, ayez 
pitié de nous ! Aussitôt donc ils se mirent à l'œu- 
vre, et voici que jeudi passé la Fiammina est 
devenue, en moins de quatre heures, la pre- 
mière comédie intime et le plus grand succès du 
Théâtre-Français. 

Rien de plus facile et de plus tôt fait que de 
vous raconter la nouvelle comédie. Un de nos 

IV i3. 



l50 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

peintres célèbres, héros constant de la grande 
peinture, un de ces artistes sérieux entourés chez 
nous de louanges et de respects, un homme enfin 
qui, par la fermeté de son caractère et par la dignité 
de son talent, pourrait s'appeler Paul Delaroche 
(nous nommons celui-là parce qu'il est mort!), 
passe sa vie au fond de son atelier, entre le tableau 
qu'il faisait encore hier et le chef-d'œuvre qu'il 
tentera demain. Ce galant homme a nom Daniel 
Lambert; il est riche, il est honoré, il est aimé; 
il est seul au monde. Heureusement il a près de 
lui, pour l'aimer et pour le réjouir aux heures 
sombres, un fils de vingt ans, un beau jeune 
homme dont il est à la fois le père et la mère, et 
vous voyez d'ici les charmantes tendresses entre 
le père et son unique enfant. En ce moment le 
jeune Henri Lambert nous a tout à fait rappelé 
ces jeunes Athéniens bien élevés, que leur maître 
avait jugés capables « de parler et d'agir» ; ajou- 
tez : capables d'accomplir de grandes choses et de 
supporter de grands malheurs. Les Grecs, nos 
maîtres, disaient tous les mérites d'un jeune 
homme bien élevé en un seul mot que Jean- 
Jacques Rousseau a merveilleusement commenté 
dans V Emile ! Ajoutez que ce jeune Henri est un 
poëte, ajoutez qu'il est amoureux d'une honnête 
jeune fille, et que Ja petite personne est toute dis- 



THiATRE DE GENRE. l5l 

posée à Paimer... elle n^attend plus que le consen- 
tement de sa mère. Et voilà oti nous en sommes 
au lever de ce charmant rideau : le fils content, la 
fille accorte, et le père à son tableau, sur lequel il 
agite à la façon de Decamps lui-même toute une 
Pharsale. 

Les Lambert père et fi.s voient entrer dans 
l'atelier, ou plutôt dans leur champ de bataille, 
un de ces deux ou trois gentilshommes anglais 
célèbres dans toute PEurope intelligente par leur 
immense fortune et par leur grande passion pour 
tous les genres de chefs-d'œuvre en toutes sortes 
de beaux-arts. Celui-ci s'appelle lord Dudley, et 
ce lord Dudley est ce qu'on appelle un gentil- 
homme accompli. « Monsieur Lambert, dit-il au 
célèbre artiste, un vif désir qui me tient depuis 
longtemps, c'est de posséder de votre main une 
image éclatante de la femme que voici. » En 
même temps il confie à Daniel Lambert une es- 
quisse admirable de la célèbre cantatrice Fiam- 
mina. « Milord, répond Daniel Lambert en lui 
rendant le portrait, il m'est impossible, absolu- 
ment impossible d'entreprendre l'image que vous 
me demandez. » 

'Ceci dit, s'en va lord Dudley, et le jeune Henri 
Lambert, resté seul avec son père, veut savoir 
pourquoi donc il a refusé à ce seigneur le tableau 



l52 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

qu'il lui demandait. C'est en ce moment que le 
grand peintre Daniel Lambert confie à son fils 
Henri le secret de sa naissance. Hélas ! son père a 
dit à cet enfant qu'il avait perdu sa mère... Il l'a 
perdue, en effet, mais sa mère n'est pas morte; 
elle est pis que morte : elle a quitté le toit conju- 
gal, elle a trahi tous les devoirs de l'épouse ; elle 
a laissé seuls, abandonnés l'un à l'autre, et son 
mari et son enfant I Voilà la peine intime et voilà 
le mystère de Daniel Lambert. L'histoire est vul- 
gaire, elle est l'histoire universelle que racontent 
à qui mieux mieux tous les moralistes. C'est la 
plainte éternelle, et nous savons bon gré à Daniel 
Lambert de se souvenir que « la plainte est pour 
le sot » ! Cependant, à cette révélation inattendue 
que sa mère est une comédienne un peu plus que 
protégée par un lord très-riche, Henri Lambert 
courbe la tête, et le voilà rêvant aux événements 
qui vont venir. 

Il faut cependant vous avertir que ce soir même, 
au Théâtre- Italien, sans vergogne et sans respect 
pour le mari qu'elle a trahi, la Fiammina débute, 
et qu'elle va chanter un des rôles -de Julia Grisi. 
Tout le Paris des belles dames er des plus beaux 
messieurs a pris rendez-vous au Théâtre-Italien 
ce soir, et vous pensez si le Jeune Henri est avide 
et curieux de voir et d'entendre enfin la femme 



THiATRE DE GENRE. l53 

dont il est le fils. Le voilà donc, l'infortuné, qui 
prend place à l'orchestre, et qui, dans Tentr'acte, 
après les grands succès de la nouvelle Norma, 
prête une oreille épouvantée aux discours des 
oisifs. Ça doit être, en effet, une étrange torture, 
et l'on ne comprend guère qu'un galant homme, 
intéressé si directement à ce que disent les oisifs 
de sa femme, de sa maîtresse ou de sa mère, 
assiste, indifférent, aux discours des amateurs 
de l'orchestre, aussitôt que la toile est tombée! 
«As-tu vu, dit l'un des spectateurs, la Fiammina 
(ou toute autre mortelle de l'art de la déclama- 
tion, de la danse et du chant) ? — Oui, répond 
l'autre ; elle est encore assez belle »; ou bien : « Je 
la trouve horrible. — On dit qu'elle est honnête... 
— On dit qu'elle est l'opprobre et la honte de son 
sexe. — Et quel talent ! — Et quelle horrible 
femelle! » Et ceci! et cela! C'est surtout au théâ- 
tre, entre deux actes, qu'il n'y a qu'un pas du 
Capitole à la roche Tarpéienne. Or, le moyen 
d'entendre à brûle-pourpoint ces sortes de dis- 
cours, pour peu que sérieusement on s'intéresse 
à la dame ! Et surtout le moyen de ne pas donner 
un démenti plein de violences aux railleurs, pour 
peu que l'on soit le fils de la chanteuse ou de la 
comédienne en litige? Ainsi fait le jeune Henri 
Lambert. La Fiammina, sa mère, est maltraitée à 



l54 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Torchestre, il donne un démenti à Tinsulieur, un 
démenti qui veut du sang. Voyez cependant le 
cruel étonnement de ce jeune homme, qui veut 
se battre en l'honneur de sa mère : Pinsulteur de 
la Fiammina, apprenant que ce Jeune homme est 
le propre fils de Daniel Lambert, s'incline hum- 
blement et lui demande pardon ! Cette première 
épreuve est déjà assez triste, et soyez sûrs que le 
châtiment au pied boiteux ne se fera attendre pour 
cette mère ignorante qui chante avec tant de verve 
et tant de feu les chansons de l'ItaHc ! A peine 
elle a souvenir d'avoir porté le nom de Daniel 
Lambert, à peine elle sait qu'elle avait un fils! 
C'est la profession qui lèvent ainsi. Daniel Lam- 
bert, de son côté, a pu faire cette remarque judi- 
cieuse, que sa jeune femme, à force de représenter 
les tendresses de la Norma, avait appris à ne pas 
songer à son enfant plus qu'elle ne songeait à son 
mari. Et puis, quelle excuse a cette femme de ve- 
vir à Paris, dans la ville où certainement elle doit 
rencontrer son mari et son fils ? quelle envie et 
quel besoin de faire du bruit la pousse à cette 
rencontre impie ? Il est vrai que c'est un si grand 
bonheur, une gloire si brillante, de chanter la 
Norma sur le Théâtre- Italien de Paris ! 

Au second acte (en effet, la scène du Théâtre- 
Italien et la provocation de Henri Lambert se 



THÉÂTRE DE GENRE. l55 

passent dans l'entr'acte), nous sommes invités à 
passer la journée et à dîner chez M. Duchâteau, 
député mélomane, ami du ministre, ennemi des 
longs amendements. M. Duchâteau est le père de 
la jeune fille aimée et promise au jeune Henri 
Lambert; M. Duchâteau est aussi le père du jeune 
Sylvain, un brave garçon, j'en conviens, mais qui 
se moque un peu trop de monsieur son père. 
Certes, il aurait bon besoin de justes et sévères 
leçons, M. Sylvain Duchâteau, mais cependant, 
tel qu'il est, se moquant de son père et le traitant 
comme un sien compagnon, il est très-agréable à 
voir et très-gai ; le rôle est joli , agréable et bien 
joué par Got. 

Cependant, à l'heure dite, arrivent les invités 
de M. Duchâteau : Daniel Lambert et son fils 
Henri, le lord Dudley et la Fiammina... la Fiam- 
mina elle-même ! Même c'est à bon droit que vous 
vous étonnez de rencontrer dans le même salon le 
père et le fils, le mari et l'amant, l'amant seul 
(contrairement à tous les usages comiques) n'étant 
pas dans la confidence de ces passions, de ces ter- 
reurs, de ces douleurs. Ces commençants I ils ne 
doutent de rien. En voilà un qui ne savait pas, 
hier encore^ le premier mot de l'art qu'il exerce, 
et tout de suite il aborde une difficulté presque 
insurmontable* Ici la mère, et là son filsl Des 



l56 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

personnages rendus muets par la voix du san 
mais dont les yeux disent tant de choses. Et 1 
père?... il n'est pas ridicule. Et Pâmant?... il nVs 
pas odieux ! Ces commençants vous ont des ha 
sards qui valent mieux que toutes les habiletés. 

Ainsi, le second acte de la Fiammina est tout 
fait digne du premier acte : il est vif, bien fait, e 
va droit au but. Même la femme est touchante, e 
dépit de ses trahisons. Dieu sait cependant que 1 
chose est difficile : attendrir en plein théâtre , 
leur montrant les petits inconvénients de Tadultère ^ 
une foule de femmes jalouses de tous leurs droits^ 
même du droit de changement, sur les douleurs 
d'un mari trompé et d'un fils abandonné, tant 
nous avons été habitués, par les maîtres de la co- 
médie, à rire aux éclats de cette sorte de malheurs I 
Elle-même, Vénus, la belle déesse, quand le féroce 
Diomède a touché de son fer sa main divine, et 
qu'elle va se plaindre à Jupiter, Jupiter éclate de 
rire au plus haut des cieux. 

Et vite, et vite, allons au troisième acte, qui est 
en même temps le quatrième acte! Il faut main- 
tenant que le fils de la femme adultère, après avoir 
cherché vainement une querelle à l'orchestre du 
Théâtre-Italien, s'en vienne à l'amant de sa mèrcj 
et le châtie à son bon plaisir. Ici encore la tenta- 
tive est pleine de périls : le feu est sous la cendre, 




THÉÂTRE DE GENRE. I 5? 

et le pied peut glisser au jeune Henri. Comment 
donc ! voici tantôt vingt ans que sa mère est une 
vagabonde, une chanteuse errante, un vain nom 
dans le vide, un vain bruit dans l'espace, et 
M. Henri Lambert s'en viendra tout d'un coup 
chez un des plus grands seigneurs de l'Angle- 
terre pour lui redemander qui? cette mère incon- 
nue, égarée et sans nom! C'est bien vite dit: 
« Rendez-moi ma mère ! » encore il faudrait que 
lord Dudley eût pu savoir, quand il s'est mis à 
protéger la Fiammina, que la Fiammina {une 
foraine, c'est le mot légal) était la femme légi- 
time du célèbre Daniel Lambert et la mère légale 
du jeune Henri Lambert! Voilà ce que lord Dudley 
explique à M. Henri; il lui affirme, en homme 
d'honneur, que si lui, lord Dudley, il savait que 
la Fiammina était mariée, il n'a jamais su le nom 
de son mari, ni que la Fiammina eût un fils. 
Certes, il est le^^rofec^ewr de*M"® Daniel Lam- 
bert, mais il est son protecteur sans le savoir. En- 
fin, là, vraiment, M. Henri s'y prend un peu lard 
pour retrouver sa mère, et quelle mère! « une 
femme ayant chanté 

Tout rété ». 

Ici, l'on ne peut pas nier que la comédie n'entre 
pas dans la déclamation. Après tout, il ne s'agit 

IV 14 



l58 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

pas ici d'une épouse vulgaire et d'une mère taillée 
sur le patron de toutes les mères ; il s'agit d'une 
Italienne et d'une chanteuse à la mode, et ces da- 
mes illustres jouissent de quelques privilèges. Ces 
sortes de miracles sont semblables aux princes et 
aux enfants : elles sentent vivement; mais ce qu'elles 
ont senti, elles l'ont vite oublié. Ces reines de la 
rampe, elles sont comme les autres reines : elles 
n'ont ni père, ni fils, ni mari 5 elles n'ont que des 
sujets. Madame votre mère est tout simplement 
une grande artiste, Monsieur Henri, elle n'est que 
cela, elle ne songe qu'à plaire au public, et ne lui 
en dem'andez pas davantage. Elle est perdue, elle 
est blasée, et elle n'est plus dans l'âge où les fautes 
sont des leçons, où le malheur est une ressource. 
Ainsi, croyez-moi, abandonnons cette dame illus- 
tre à son vagabondage, à sa fantaisie, à sa gloire^ 
et ne tentons pas dans cette mère le démon muet 
de la maternité. Qui sait, en effet, si cette Norma 
sefa contente de rencontrer à l'improviste un fils 
grand comme père et mère? Il y en a tant, parmi 
cds dames, quand elles o'nt un fils de dii ans, qui 
lui défendent de leur dire : a Ma mère ! » C'est tout 
au plus si elles consentent à être appelées : « Ma 
soeur! » Voyez, disent-elles, le petit frère que ma 
chère maman m'a donné I Les plus tendres ajou- 
tent : Je Vaime autant que s'il était mortels/ 



THÉÂTRE DE GENRE. ibg 

LaFiammina, je le reconnais volontiers, ne s'est 
pas chassée à ce point-là du nombre des mères. A 
peine elle a vu son fils que la maternité, longtemps 
endormie au bruit des orchestres, se réveille et parle 
aussi haut que si la dame était Mérope elle-même, 
a Barbare, il est mon fils! » Ou bien : « Milord, 
il est mon fils! » Et son fils à ce point que la 
dame, apprenant tous les duels dont elle est la 
cause, en toute hâte s'en va, qui Peut jamais pensé? 
chez le mari outragé, chez le mari insulté, chez le 
délaissé Daniel Lambert. « Me voilà! rendez-moi 
mon fils !» A ce mot : « Mon fils î » Lambert, qui 
était jusque-là plus semblable au fantôme de la 
vengeance qu'à la vengeance en chair et en os, 
Lambert, hors de lui, finit par dire à cette femme 
une douzaine de vérités impitoyables : a Ton fils, 
malheureuse! il ne fallait pas le quitter quand tu 
étais toute jeune et qu'il était un petit enfant qui 
ne pouvait guère se passer des soins de sa mère ! » 
Ainsi s'écrie en son patois paternel le brave homme 
Daniel Lambert, pendant que la mère au déses- 
poir se lamente et voudrait racheter par le sacrifice 
de toute sa vie un instant d'égarement,,, un éga- 
rement qui n'a pas moins de vingt ans. 

Drame ou comédie, écoutez la fin de la Fiam" 
mina! Lord Dudley, voyant la dame engagée en 
tous ces accidents imprévus, prend congé d'elle en 



l60 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

soupirant; son fils, Henri Lambert, touché par 
le désespoir de sa mère et par ses repentirs, se jette 
dans ses bras et lui promet de la revoir un jour. 
Daniel Lambert, déjà consolé, reviendra demain 
à sa Pharsale, 

Et maintenant que lord Dudley retourne en 
son île de la Grande-Bretage, et que la Fiammina 
va cacher sa honte et sa tendresse maternelle en 
quelque petit Carpentras, M. Duchâteau, le dé- 
puté, ne demande pas mieux que de donner sa 
fille au fils de Daniel Lambert. Voilà donc ces ai- 
mables jeunes gens qui vivront désormais large- 
ment et pacifiquement dans Tétat de mariage. 

La Fiammina est une pièce un peu vieille et 
charmante; elle a réussi par la grâce et par Pes- 
prit, par la gaieté et par les larmes. Elle a réussi 
comme peu de comédies ont réussi sur le Théâtre- 
Français. Il faudrait remonter jusqu'à M^^^ de La 
Seiglière pour rencontrer une fête égale à cette fête, 
et qui soit plus digne de Tattention, de la curio- 
sité, de l'intérêt, du succès et de Témotion. C'est 
une pièce heureuse; elle n'est pas nouvelle, et ce- 
pendant elle étonne comme une nouveauté; elle 
est écrite au hasard, d'une main sans expérience, 
et sans trop d'art et sans trop de goût, pourtant 
on l'écoute avec un vrai plaisir; peu d'étonne- 
ments, peu de surprises, rien d'imprévu, et par- 



I 



THÉÂTRE DE GENRE. l6l 

tant le premier venu sait à Tavance où le poëte 
comique le peut conduire. Eh bien! le specta^teur, 
charmé de tant de grâce et de vérité, s'abandonne 
et très-volontiers au mouvement de cette fable et 
de cet esprit. Déjà même , et c'est un des grands 
caractères d'un succès au théâtre et dans les livres, 
toutes sortes de contes, d'histoires, d'allusions et 
de suppositions s'agitent et se démènent autour de 
la pièce nouvelle. Déjà elle est passée à l'état de 
légende, et les esprits forts y veulent voir toutes 
sortes de choses qui n'y sont pas, que je sache. 
Les uns prétendent que l'auteur est un mari qui 
se venge, et les autres qu'il s'agit d'un mari qui 
pardonne ; ceux-ci soutiennent quece même mari, 
dans sa comédie, appelle, à vingt ans de là, sa 
femme errante, et ceux-là que la pièce est faite 
uniquement pour démontrer la non-responsabilité 
du mari et sa parfaite indépendance des crimes et 
des trahisons de la femme aussitôt qu'elle a quitté 
le toit conjugal. 'Ils sont trop habiles et trop fins 
pour nous, messieurs les commentateurs. Nous 
autres , les bonnes gens, qui n'allons pas chercher 
midi à quatorze heures, nous voyons dans Fiam- 
mina tout simplement les grâces et les larmes, la 
sympathie et la curiosité, la colère et la pitié que 
l'auteur a jetées à pleines mains dans sa comédie. 
Il faut voir aussi le jeu, l'entrain, l'esprit, la re- 

IV H- 



102 



CRITIQUE DRAMATIQUE, 



vanche et le talent de tous ces bons comédiens, 
Geffroy, Got, Delaunay, BTessant, et M"® Judith! 
Ainsi voilà, grâce à cette Fiammina, nos comé- 
diens affranchis de cette pitié qui faisait dire aux 
malins : « Ces pauvres comédiens du Théâtre- 
Français, que ne vont-ils prendre des leçons au 
Gymase, au Vaudeville, à la comédie intime! 
les pauvres gens ! qu'ils sont à plaindre avec leur 
Tartuffe j leurs Femmes savantes, leur Marie 
Stuart et leur Tur caret! 




ALEXANDRE DUMAS FILS 



LE DEMI-MONDE 




iMEz-vous les pêches? Vous aimez les 
pêches et vous entrez chez le verdurier 
du roi. On vous montre, en un beau 
panier, une vingtaine des plus beaux fruits enve- 
loppés avec le plus grand soin dans une. feuille de 
vigne, et tout le velouté, et tout Pincarnat de la 
pêche, en un mot, la fleur du panier, a Combien 
«vos pêches ? dites-vous au marchand. — Trente 
« sous la pièce », vous répond-il. Et, véritablement, 
l'eau vous en vient à la bouche rien qu'à les voir, 
a Oui, mais dans un coin de la boutique, et 
dans un panier de même grandeur, sont entassées 
d'autres pêches, qui au premier abord ressemblent 
tout à fait aux pêches de trente sous : même taille 
et même qualité; évidemment, ces beaux fruits de 
l'une et de l'autre corbeille ont été cueiUis sur le 



164 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

même espalier. « Combien vos pêches? dites-vous 
«au marchand. — Celles-là, je vous les laisse à 
a quinze sous » , vous répond-il. Et vous, très-étonné 
de cette différence dans les prix du même fruit, 
vous voulez en savoir le motif... Prenez au hasard 
dans le tas de pêches qui remplissent la corbeille 
au rabais, vous verrez à chaque pêche... une tache, 
une piqûre. Eh bien, ce que vous appelez le 
demi-monde est Justement le panier des pêches à 
quinze sous. » 

Ainsi parle, ou peu s^en faut, à son ami le capi- 
taine de Nanjac, M. Olivier de Jalin, et, s'il vous 
plaît, M. de Jalin et M. de Nanjac seront les deux 
héros de cette étonnante comédie, dont la baronne 
d'Ange et M""® de Santis sont les deux héroïnes. 
M. de Nanjac et un jeune homme ignorant des 
perfidies et des dangers dont la jeunesse est en- 
tourée. Il s'est battu longtemps en Afrique, et Pon 
sait généralement, par les romans, par les vaude- 
villes, et par les histoires militaires qui se fabri- 
quent incessamment dans le pays de Jugurtha, que 
l'Afrique est un véritable séminaire de Grandis- 
sons, de Saint-Preux, d'Abélards (avant la lettre), 
et de tout ce qu'il y a de plus exquis, de plus sen- 
timental, de plus ingénu, de plus charmant. M. de 
Nanjac ne sait pas encore (il l'apprendra plus tard 
à ses dépens) que le grand secret de la vie est tout 



THÉÂTRE DE GENRE. l65 

simplement un peu de lenteur; la lenteur est 
Tamie intime de la prudence; au contraire, M. de 
Nanjac est au premier rang de ces imprudents qui 
s'en vont par les sentiers les plus dangereux le 
cœur sur la main, et prenne mon cœur qui le 
voudra prendre ! Hélas ! à tout âge on en voit de 
ces imprudents qui se déchirent à toutes les ronces 
du chemin. M. de Nanjac, à trente ans, devient 
amoureux d'une femme qui en a vingt-huit, et 
dont il sait à peine le nom, une de ces femmes 
dangereuses qui font à volonté, du premier venu, 
un Lovelace ou un Werther : tel Marc Antoine, 
à cinquante ans, se tue aux pieds d'une reine qui 
en avait cinquante-deux. 

Quant à M. Olivier de Jalin, c'est le Philinteet 
le bel esprit de notre comédie ! « O Jupiter ! disait 
un ancien, accorde-moi les richesses de Simonide, 
l'honneur de Périandre et les plaisirs d'Épîcure î » 
On dirait que M. de Jalin a fait cette prière dès 
son jeune âge et qu'il a été exaucé. Il n'est plus 
très-riche, mais, après avoir payé son tribut aux 
premières folies de la première jeunesse, il s'est 
rangée ou, comme on dit en bon anglais, il a mis 
sa dépense dans un bon ancrage ; homme étrange, 
en fin de compte : il méprise l'adultère, et il passe 
sa vie au milieu de tous les amours défendus; il 
a honte de la mauvaise compagnie, et il ne voit 



l66 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

que celle-là; les courtisanes lui font peur... il s'est 
laissé prendre aux filets de M"® la baronne d'Ange ! 
Il honore autant qu'il les faut honorer les bonnes 
maisons de Paris, et il épouse, heureux comme un 
roi, une aimable jeune fille alliée à une gourgan- 
dine de haut étage! Néanmoins cet homme-là, 
dans la nouvelle comédie, a tant d'esprit, de cou- 
rage imprévu, de grâce, avec un certain sel de sa- 
gesse et un grand air de bonne humeur, que c'est 
à peine si l'on découvre au dénoûment combien sa 
conduite est un démenti donné à sa prudence ! 

En ce moment (au premier acte), M. de Jalin 
est aussi heureux que peut l'être un homme jeune, 
honoré, prudent, courant le monde équivoque, 
amoureux d'une belle dame en grand costume,*et 
jolie, et bien faite, qui se connaît en belles robes, 
en poëmes, en chapeaux et en tendres sentiments. 
Cette dame est encore un mystère, même pour 
M. de Jalin, qui n'a plus rien à lui demander. 
Elle est belle, elle est jeune, elle a toutes les appa- 
rences d'une femme bien élevée, certainement 
r Amour éternua à sa naissance, et par-dessus le 
marché elle est veuve, enfin toutes les conditions 
d'une jolie et élégante position. Ajoutez qu'elle 
est baronne, et justement notre baronne revient 
des eaux de Spa, rajeunie et rafraîchie, et si con- 
tente, avec une inclination toute nouvelle pour le 



THEATRE DE GENRE. 167 

^mariage. Elle entre donc chez M. de Jalin, son 
amant, la tête haute, et tout de suite, abordant la 
question : « Voulez-vous, lui dit-elle, me donner 
votre main et votre nom ?» A cette question à brûle- 
pourpoint, M. de Jalin répond : « Non ! » et sans 
hésiter. A ce nonAk s'attendait la dame, et tout de 
suite aussi elle rompt la paille ! a Rompras-tu ? » 
Elle ne dit même pas : Rompras-tu ? C'en est fait, 
tout est briçé de part et d'autre, et lestement brisé. 
Quoi d'étonnant? « Sardanapale, fils d'Anakyn- 
darax, bâtit Audigale et Tase en un seul jour... et 
maintenant il est mort. » 

Cependant la baronne d'Ange, avant de quitter 
M. de Jalin, lui adresse une ou deux questions que 
l'on ne fait pas d'ordinaire à un homme d'hon- 
neur. « Serez-vous désormais un ami pour moi, 
qui fus votre maîtresse, et puis-je compter sur 
votre discrétion ?» La question est maladroite ; elle 
indique une femme un peu plus inquiète qu'elle 
ne voudrait le paraître, et M. de Jalin defvrait être 
en quelque méfiance^ lorsqu'il promet à la ba- 
ronne amitié et discrétion. Elle alors, elle s'en va 
par la porte à deux battants, sans même se souve- 
nir que naguère elle passait par la porte obscure 
et complaisante, la porte des songes, la porte 
d'ivoire, la porte dérobée, et justement, sur ce 
seuil autrefois ténloin des plus tendres adieux..; 



l68 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

« à demain ! » la dame se rencontre avec un nou- 
vel amoureux, M. de Nanjac. La dame salue et 
s'en va. Restés seuls (la scène est bien faite), les 
deux jeunes gens déjà se regardent d'un très-mau- 
vais œil. On entend dans chaque parole une 
sourde colère, et justement M. de Nanjac est venu 
pour arranger les conditions d'un duel entre un 
sien ami, M. de Latour, et un ami de M. deJalin. 
La jalousie et le malaise du jeune officier percent 
dans chacune de ses paroles, brillent dans cha- 
cun de ses regards, pendant que M. de Jalin, calme 
à la surface, irrité au fond de l'âme, envoie et 
renvoie à chaque trait un trait qui rende à cet 
ennemi improvisé blessure pour blessure. Enfin 
tout va se gâter; encore un mot, et ces messieurs 
se battent pour leur propre compte, lorsque, à une 
observation très-juste et très-nette de M. de Jalin, 
M. de Nanjac, répondant avec une courtoisie 
inattendue, explique à son adversaire les paroles 
malsonnantes qu'il a prononcées, a En efiFet, dit-il, 
je m'oublie, et je suis jaloux. Un jour de l'été 
dernier (c'est une dangereuse saison, l'été, et le 
printemps aussi, mais c'est la faute du soleil), j'ai 
rencontré à Spamême,OLi elle brillait entre toutes 
les femmes par son esprit, sa modestie et sa beauté, 
^mo d'Ange, et soudain je me suis senti pris pour 
cette femme-là d'un amour invincible. Elle ne m'a 



ThÈATRE DE GENRE. 169 

pas repoussé; au contraire, elle m'encourage. Et 
maintenant jugez de mon inquiétude et de mon 
chagrin en rencontrant chez vous, chez un garçon, 
la femme que j'aime! Ainsi, Monsieur, tirez-moi 
de peine. Aimez-vous M°*® d'Ange? en êtes-vous 
aimé ? Répondez-moi ! » 

Telle est la question : car tous ces gens-là font, 
ce me semble, des questions imprudentes. A coup 
sûr, M. de Nanjac est un inconnu pour M. de Jalin, 
et véritablement M. de Jalin serait un malhonnête 
homme s'il allait dire au premier venu qui l'in- 
terroge: a En effet, j'étais, hier encore, au grand 
mieux avec M™® d'Ange ! » On ne dit pas ces choses- 
là quand on sait vivre, et surtout quand l'ancien 
feu est éteint ! A plus forte raison si l'homme qui 
vous interroge est un inconnu, que dis-je? une 
espèce d'ennemi à qui l'on n'a même pas accordé 
cette confiance banale qui s'accorde assez volontiers 
aux gens que l'on connaît le moins sur les événe- 
ments de tous les jours. 

Ainsi M. de Jalin, en vrai jésuite, mais un jésuite 
honnête homme, répond à M. de Nanjac qu'il est 
Vami de M™® d'Ange, et qu'il n'est rien de plus, 
rien de moins. De cette déclaration notre officier 
est si content qu'il ne songe plus guère au duel 
qu'il venait engager pour M. de Latour. a La Tour 
d'Auvergne? dit-il à M. de Jalin. —Je crois plutôt 



170 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

que C'est Latour-prends garde », répond M. de Ja- 
lin. Ce Latour est en effet un chevalier du jeu de 
Bourse et du jeu de lansquenet, un pleutre, un 
pamphlétaire, un coquin ; il ne sait ce que c'est 
que payer ses dettes de jeu, non plus que ses au- 
tres dettes. C'était vraiment trop d'honneur que 
faisait M. de Nanjac à ce vaurien de lui servir de 
témoin dans un duel ! 

Tel est le premier acte ; il est très-joli, très-vivant, 
et nous fait entrer de plain-pied dans le demi- 
monde.,. Notre auteur appelle ainsi ce monde à 
part, aux horizons ténébreux,. qui n'est plus le 
monde des honnêtes gens, et qui n'est pas encore 
le monde abominable, au niveau de toutes les 
corruptions et de toutes les fanges. Il ne s'agit pas 
ici de la dame aux camélias, qui exerce, à tout 
prendre, une profession acceptée par les mœurs 1 
(les mauvaises mœurs) et reconnue par les lois, 
par les lois impuissantes contre certains désordres 
qu'elles tolèrent forcément; il ne s'agit plus de 
Diane de Lys, une grande dame du plus grand 
monde, qui reste au moins dans sa sphère, et qui 
meurt (heureusement pour elle, la pauvre femme) 
au moment où elle en va sortir ; il s'agit de la femme 
mariée, mais de la femme adultère à peine échap- 
pée au toit conjugal, et s'abandonnant en aveugle 
au hennissement heureux des faciles amours; 



\ 



THEATRE DE GENRE. I7I 

Cette femme-là, dans ce demi-monde où elle 
est reine, est déjà tombée assez bas, qui le nie? 
elle a cependant encore bien des degrés à descen- 
dre avant de toucher aux dernières limites de Tavi- 
lissement. Elle n'appartient plus au monde d'en 
haut... elle n'appartient pas encore au monde d'en 
bas; à la rigueur, elle est encore M""® une telle, 
elle n'est pas la fille une telle; on lui parle encore 
avec une certaine déférence, on l'aborde le cha- 
peau bas, on se souvient de l'avoir vue autrefois 
en bon lieu ; même de temps à autre elle relève la tête 
et elle dit: une femme comme moi! Ainsi est faite 
la nouvelle venue en ces paradis du sans gêne et 
de la révolte, M"»® de Santis. Elle est bien née, 
elle était la femme légitime d'un galant homme, 
elle portait un beau nom, elle tenait au meilleur 
monde, et maintenant la voilà, fière de sa liberté 
conquise et confiante en son impunité, qui se confie 
au demi-monde, en attendant qu'elle tombe en 
quelque monde infime ! Elle aurait honte, cette 
M™« de Santis, d'accepter l'amitié des demoiselles 
errantes du quartier Bréda, mais elle accepte avec 
empressement la protection de M™® la baronne 
d'Ange et de M""® la comtesse de Vernières. « La pre- 
mière femme qui s'est enfuie hors de sa maison, 
nous dit encore M. de Jalin, cacha sa honte au 
fond d'un bois; la seconde aussitôt se mît à la 



172 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

recherche de la première: quand elles furent trois, 
elles dînèrent ensemble ; dès qu'elles furent quatre, 
elles dansèrent une contredanse! » Ainsi s'est 
formé le demi-monde; il s'est formé un limon du 
monde honnête et de la fange du monde inférieur 
à tout les autres mondes. Au demeurant, elle est 
bien légère et souvent imperceptible la limite qui 
sépare le demi-monde de Pabîme définitif! Là et 
là, ce sont toujours des femmes de l'autre monde; 
là et là, nous entendons les mêmes chansons: 
<£ Aimez ! dînez ! vivez ! et tenez d'une main ferme 
les rênes du char de l'amour! » Là et là enfin le 
rêve est le même: obéir sans pitié à toutes les 
passions défendues, désobéir impunément à toutes 
les lois divines et humaines, atteler quatre rois à 
son char, comme faisait ce roi d'Egypte; aller où 
vous poussent incessamment le caprice d'abord, la 
nécessité plus tard, et de la dette à l'emprunt, et de 
la ruine à la honte, et de la mendicité à l'hôpital, 
pas de trêve et pas de repos! Ainsi finit le demi- 
monde, aussi bien et plus vite même que le fameux 
treizième arrondissement, où s'apprennent de 
bonne heure les arts, les secrets, les perfections de 
la profession galante ! Il faut vraiment être un jeune 
homme revenu des illusions d'ici-bas pour ren- 
contrer tant et tant de nuances entre le monde à 
marier et le monde démarié; nos anciens maîtres 



THEATRE DE GENRE. IjB 

moralistes, Molière, La Bruyère et La Roche- 
foucauld, n'en savaient pas si long que cela. 

Cette M"*® de Santîs... en vingt-quatre heures, 
elle a dépouillé sa robe nuptiale; elle n'a rien 
gardé des anciennes leçons ; elle a pris en vingt 
minutes le froc brodé et licencieux de sa nouvelle 
paroisse ; en un quart d'heure, elle a franchi tous 
les degrés de son nouveau noviciat. Écoutez-la et 
voyez comme elle se dépouille à l'amiable de tous 
les remparts qui la séparaient encore de M'"® d'Ange 
et de M"® de Vernières ! Elle n'a plus de honte, elle 
n'a pas de remords, elle ne parle plus le même 
langage; sa voix n'a plus le même accent; ô honte ! 
elle a mis le rouge à sa joue et à ses yeux le noir 
des plus provocantes courtisanes! « Voyez mes 
sourcils noircis et tournés en demi-rond avec une 
aiguille à relever les cheveux! » Ainsi parle une 
affranchie au festin de Trimalcion ! Mais, dieux 
du ciel ! que nous voilà loin, avec tous ces médi- 
caments de la face et ces vils artifices, de la déesse 
athénienne dans une ode de Callimaque: « Avant 
d'affronter les regards du berger Paris, la divine 
Pallas n'a consulté ni le métal poli, ni la glace 
des eaux; elle n'eut pas d'autre secret pour se 
donner les belles couleurs de la jeunesse que de 
courir à travers la campagne fleurie, à la façon 
des filles de Lacédémone, lorsqu'elles s'exer- 

IV i5. 



174 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

cent à la course sur les bords de PEurotas!» 
Tout cela, dans notre comédie, est très-vif, très- 
animé et très-bien dit, avec le geste, avec l'accent 
vrai de la chose ; et si vous saviez à quel point 
l'auditoire attentif est occupé de ces détails, de ces 
découvertes, de ces révélations! Le second acte, en 
effet, se passe au beau milieu du demi-salon de 
^me deVernières. Il faut le voir, ce demi-salon î les 
meubles mentent, les glaces se parjurent, les lam- 
pes fument, les tapis trahissent, cela exhale on ne 
sait quelle honteuse fumée où le bruit des triche- 
ries au jeu se mêle au parfum des vieux bouquets 
achetés à crédit chez les revendeuses de l'Opéra! 
Evidemment ces tristes fleurs ont été déjà prosti- 
tuées aux pieds des danseuses; ces cartes sales ont 
servi aux faiseurs de biographies; ces bougies 
inertes ont éclairé des plafonds obscènes ; tout boite 
ici, tout jure et tout est faux. Le piano même est 
en désaccord avec la voix qu'il accompagne; et 
cependant ces demi-dames, ces quarts de baronnes, 
ces parcelles de comtesses, ce rebut des femmes 
comme il faut, deshonorées tout à fait et courti- 
sanes à demi , parodient le langage et la conversation 
des vieux et nobles salons bien étoffées et douce- 
ment éclairés, pendant que la causerie intime s'en 
va çà et là, à la façon de l'abeille matinale. 
murmures, qui savez dire tant de choses! ô grâces 



THEATRE DE GENRE. -IjS 

éloquentes, même dans votre sourire! Dans le 
demi-monde, au contraire, vous n'entendez qu'un 
affreux papotage, voisin de Targot! Ici les allusions 
suspectes, les mots à double sens, la plaisanterie 
équivoque dans le geste, le mensonge, la perfidie 
à chaque parole, et, pour comble, un immense 
ennui mêlé à cette immense misère, et ces morti- 
fications inconnues qui blessent ces malheureuses 
déclassées dans leur dernière vanité, notez bien 
que je n'ai pas dit dans leur dernier orgueil. 

Ce second acte est excellent. Tout notre monde 
s'y rencontre, et d'une façon assez plausible. M. de 
Nanjac y retrouve la baronne d'Ange, M. de Jalin 
y retrouve. une innocente créature perdue en ce 
taudis delà honte et de l'abandon. M"® Marcelle de 
Vernières; M"® de Santis elle-même y retrouve 
son mari, M. Hippolyte Richaud. Elle comptait 
sur ce mari, cette idiote, elle comptait sur tant 
d'amour qu'il lui témoignait naguère, la triple 
sotte; elle se disait qu'une fois à bout d'aventures, 
elle retrouverait le toit conjugal : elles se figurent, 
en effet, ces mégères de vingt-cinq ans, que leur 
mari ne saurait se passer d'elles, et quand, lui 
revenant vieilles, flétries et dégradées, elle trouvent 
que sa porte est fermée et que son cœur est mort, 
elles s'étonnent! Comment donc! je l'ai trahi, je 
l'ai déshonoré, j'ai traîné son nom dans mes fanges, 



176 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

j'ai épouvanté le demi-monde de mes vices du 
grand monde, et mon mari ne veut plus de moi! 
Voilà par quels détails, pris dans le vif du sujet, 
cette comédie est excellente. Elle manque de jeu- 
nesse, à coup sûr ; elle manque de poésie, et voilà 
déjà, jeune homme, que le chat Mûre te montre 
ses griffes, que le chien Berganza te montre les 
dents; mais cette comédie est crânement faite; elle 
est nette, froide et tranchante comme un coup de 
couteau; elle ne délie pas, elle coupe ; elle n'est pas 
gaie, et souvent elle est horriblement triste...; elle 
est vraie, et elle vous tient attentif comme on le 
serait au récit de sa propre bonne fortune que vous 
raconterait quelque intelligente bohémienne à la 
lèvre de pourpre, aux yeux noirs. Notez bien qu'au 
milieu de ces froids regards jetés sur les deux 
mondes, que disons-nous? sur les trois mondes 
parisiens, le drame arrive et va son train. Le drame, 
vous savez déjà qu'il consiste à nous montrer 
comment un galant homme, à force de faiblesse 
et de trahison, peut venir à bout d'épouser une 
infâme. Hélas! cela s'est vu de nos jours! De nos 
jours, nous les avons comptées, ces unions misé- 
rables et malheureusement trop célèbres où la 
honte et l'abjection servent de témoins à la fai- 
blesse et aux tardives passions. « L'amour est 
comme la petite-vérole, disait le comte de Bussy: 



THÉÂTRE DE GENRE. 1 77 

plus il prend tard, et plus il est dangereux! » Mais 
est-il donc besoin de vous les montrer du doigt, 
ces malheureuses pervenues du vice, et faut-il 
donc vous dire ces noms souillés que le mariage 
semble souiller encore, et qui ont laissé une tache 
ineffaçable sur les murailles de nos mairies ? Cette 
comédie du Demi-Monde est le produit de ces 
mariages de la borne et du salon, du gentilhomme 
et de la fille vénale. Elle existe en effet, cette com- 
tesse d'Ange! Après avoir traîné dans ses gémonies 
un malheureux qui Taimait, elle Ta traîné jusqu'à 
Pautel, et il l'eût épousée en lui demandant par- 
don de faire si peu pour elle, si cette fille eût exigé 
ce dernier avilissement! Nous l'avons vu, naguère 
encore la ville entière s'est inquiétée d'un mariage 
à peu près semblable à celui là; elle a entendu les 
sanglots et les gémissements d'une famille au 
désespoir; et, tout insensible que peut être une 
pareille cité à de semblables douleurs, elle les a 
partagées. « Dieu maudisse tes yeux! » est un 
proverbe anglais que Paris tout entier disait à 
cette infante, étendue en son oisiveté, et daignant 
à peine effleurer d'une main distraite le beau 
visage de cet indigne héritier d'un si beau nom 
et d'une si grande fortune. « Damnés soient 
mes yeux! Mais la bourse et l'honneur? » ré- 
pond la dame... Heureusement elle n'a pris que 



178 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

la fortune, elle a dédaigné de prendre Thonneur. 
Certes, l'action qui s'engage entre M"*® d'Ange 
et M. de Nanjac est une action terrible et plus 
digne d'un mélodrame de la Porte-Saint-Martin 
que d'une comédie au Gymnase. Il y a dans cette 
femme un peu de la lâcheté de Benrand, mais 
beaucoup de l'énergie et du talent de Robert Ma- 
caire. Cette femme est un bandit; elle appartenait 
au dernier monde au dernier cercle, elle est montée 
au premier rang du demi-monde ; elle est baronne, 
elle hante les princesses errantes, et plus d'une 
comtesse lui dit ma chère! en la tutoyant; c'est 
pourquoi à cette heure cette femme insolente, 
oubliant qu'elle s'est vendue à un vieillard, ne 
veut plus habiter ce demi-monde oCi elle était si 
fière et si contente d'être montée; elle y renonce, 
elle veut qu'on l'épouse en justes noces, et elle 
rejette de son front d'airain son diadème usé 
sur tous les fronts prostitués. En un mot, 
M™? d'Ange aspire à monter définitivement au 
rang des femmes honorées : voilà son rêve, et voilà 
la tâche qu'elle s'est imposée; et, comme elle sait 
bien que M. de Jalin Ta devinée et n'épousera 
jamais une baronne de son espèce, elle s'adresse à 
M. de Nanjac; et par l'audace, et par la naïveté, 
et par l'abaissement, et par l'orgueil, et par les 
refus, par l'abandon, par tous les grands ornements 



THEATRE DE GENRE. I79 

du corps, par toutes les commotions de l'esprit, 
elle enguirlande à ce point ce malheureux jeune 
homme qu^il ne voit plus que par les yeux de cette 
femme; elle le tient, elle le sait par cceur! Elle 
l'amène à ceci que, trompé. par elle et grossièrement 
trompé par des artifices qui sauteraient aux yeux 
d'un enfant, un faux acte de mariage, un faux 
acte de naissance, un extrait mortuaire volé à 
rétat civil, ce malheureux M .'de Nanjac, qui n'est 
pas un sot, qui n'est pas un niais, qui est brave, 
hardi, et inflexible sur le point d'honneur, finit 
par lui dire : « Eh bien, soit! je t'épouse et tu seras 
ma femme! «Tant il est vrai, comme disait M"® de 
Lespinasse à d'Alembert, « qu'une huître même, 
une huître peut être malheureuse en amour ! » 

Cependant, quand il voit sérieusement que 
cette affaire d'amour s'engage entre M°*^ d'Ange et 
M. de Nanjac, M. de Jalin éprouve en lui-même 
un grand trouble. Il ne veut pas, et bien certaine- 
ment il ne doit pas être le complice de cette union 
abominable, et, poussé par ses bons instincts, il 
s^en va droit à ce jeune homme qui se lance à corps 
perdii dans ce monde honteux. — « Prenez garde I 
lui dît-il, on n'épouse pas une veuve équivoque^ et 
l'homme qui donnerait sa main à M^^ d'Ange se dé- 
graderait lui-même! Autre chose est d'être amou- 
reux, autre chose est d'épouser I » C'est bien dit cela^ 



l80 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

mais parlez donc à un sourd ! montrez Tabîme à 
un aveugle! M'"® d'Ange a réponse à tout chose: 
a M. de Jalin m'accuse, il est amoureux de 
moi ! Il vous dit que je suis une veuve à plusieurs 
maris qui sont tous vivants... Voici mon contrat 
de mariage ! Enfin, vous me rapportez des lettres 
écrites par moi à M. de Jalin... Voici mon écri- 
ture... et comparez » Ces lettres, en effet, si 

j^mc d'Ange les a dictées, sont écrites par M™* de 
Santis! M'°' d'Ange est trop habile pour écrire 
une lettre qui la compromette ! Ainsi M. de Jalin, 
aux yeux de M. Nanjac, n'est guère moins qu'un 
lâche et un imposteur. 

Ainsi battu par cette héroïne du mensonge, et 
bien malheureux d'une honte qui n'est pas la 
sienne, M. de Jalin s'ingénie à briser les négoces 
de cette infâme et à sauver M. de Nanjac malgré 
lui. ce Est-ce donc que je puis abandonner cet 
homme que j'ai déjà sauvé une fois ?» se dit-il. 
Mais comment faire? La dame en sait long; elle 
est sur ses gardes, elle a avoué... tout ce qu'elle ne 
pouvait cacher. Surprise à écrire un billet com- 
promettant à son premier protecteur, M. le duc 
de Thonnerins, peu s'en est fallu que sa barque, 
en ce moment, ne sombrât; mais elle s'est tirée 
d'affaire avec le génie infernal de l'ancienne mar- 
quise des Liaisons dangereuses, qui a laissé tant 



THEATRE DE GENRE. l8l 

de disciples dignes d'elle; enfin tout est perdu si 
cette femme ose aller jusqu'au bout!... Eh bien 
(voilà la Providence !), elle n'ose pas prouver par 
cet exemple jusqu'où peut aller la lâcheté d'un 
homme amoureux, et au dernier moment, quand 
elle vient à songer que M. de Nanjac peui lui 
manquer, elle songe à M. de Jalin comme à un 
pis aller. « Si je n'épouse pas celui-ci, se dit-elle, 
à coup sûr j'épouserai celui-là. » Excellent raison- 
nement, pardieu ! Mais l'événement était dange- 
reux ! Que de coquettes et de bons capitaines se 
sont perdus par trop de précautions! 

Dans ce quatrième acte, où l'action se noue et 
se dénoue, il y a une faute : je veux parler de cette 
lettre anonyme que fait écrire par M"® de Santis 
M"* d'Ange à une honnête femme que ces dames 
veulent compromettre afin de chagriner M. de 
Jalin. D'abord la chose est obscure, ensuite elle 
est inutile, enfin elle est si complètement odieuse 
que ces dames peuvent très-bien se passer, pour 
être infâmes, de ce crime nouveau. Je sais bien 
que ce contre-temps amène une provocation ter- 
rible de M. de Nanjac à M. de Jalin; mais le duel 
aurait bien lieu sans cette femme inutilement 
compromise et sans cette lettre anonyme dont il 
faut laisser les honneurs aux pamphlétaires de 
profession. Cependant les voilà en présence 6t les 

IV i6 



l82 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

armes à la main, M. de Nanjac et M. de Jalin, 
M. de Nanjac parce qu'il est aveugle, et M. de 
Jalin pour avoir dit à contre-temps une dange- 
reuse vérité. 

Ici, quel que soit l'effet de ce duel au cinquième 
acte, nous engageons bien sincèrement cet éloquent 
et ingénieux esprit à ne pas abuser du duel dans 
ses comédies et dans ses drames. Le moyen est 
violent, il déplaît aux sages esprits, il ne prouve 
absolument ni la vérité de 4'affront, ni la justice 
de la réparation ; il est usé autant que les mauvais 
drames de i83o et années suivantes; enfin il fait, 
comme on dit, plus de bruit que de besogne. 
Ajoutez qu'il y a un duel dans la Dame aux Camé- 
lias, qu'il est parlé de duel pendant deux actes 
dans Diane de Lys^ et que voilà le troisième duel 
dans le Demi-Monde. On peut bien faire de la 
société moderne une caverne, il ne faut pas encore 
en faire un coupe-gorge! Toujours est-il que 
M. de Jalin et M. de Nanjac se battent pour et 
contre la vertu de M"** d'Ange, et pendant qu'ils 
sont aux mains la courtisane attend que celui-ci 
succombe afin d'épouser celui-là. Nulle angoisse 
et nulle gêne; elle est belle joueuse, elle a garde à 
carreau : que lui importent M.- de Nanjac ou 
M. de Jalin? 

Cependant, à côté de cette Parque à marier, 



THEATRE DE GENRE. l83 

avez-vous remarqué la jeune fille du second acte, 
M"® de Vernières? Elle est née au beau milieu du 
demi-monde. Bien jeune encore, elle en avait pris 
le langage et les allures, et sa bonne tante, la com- 
tesse, ne demandait pas mieuîC que de lui appren* 
dre à pêcher en eau trouble ; mais le bon naturel 
de cette aimable enfant Parrache à ces abîmes et 
la sauve de ces embûches. Elle aime en secret 
M. de Jalin, et, le voyant qui lui fait honte de se 
nourrir du miel distillé par ces abeilles d'une ruche 
avilie, elle renonce à sa tante, au demi-monde^ aux 
falbalas, aux dentelles. C'en en fait, elle ne veut 
pas être une parasite en quête d'un mariage impos- 
sible, et elle s'en va, en qualité d'institutrice, à 
Besançon, oui, à Besançon ! tant elle est corrigée , 
et tant elle est décidée à ne pas ressembler au 
pourceau de Pyrrhus, qui mange sa glandée au 
milieu de la tempête et des flots en courroux. 

Or, en récompense de sa bonne volonté, M. de 
Jalin épouse cette fillette enlevée au désordre. Ceci 
est vraiment bien agir. Cependant, tel qu'il est et 
tel que nous connaissons M. de Jalin, nous lui 
avions choisi pour femme une autre femme que 
M"" Marcelle de Vernières. Si elle n'est pas com- 
promise tout à fait, elle a été bien près de se 
perdre. Elle vivait dans ce monde à part où l'on 
se figure pour tout catéchisme que les mouches 



184 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

ont été créées uniquement pour nourrir les hi- 
rondelles; elle était Tamie et la compagne de 
M"* d'Ange; elle vivait familièrement avec M"** de 
Santis ; elle assistait à des lansquenets de contre- 
bande joués par des joueurs de pacotille; elle vi- 
vait au hasard et du hasard; enfin elle est la nièce 
(et c'est tout dire) de M"* de Vernières, qui tiendra 
une table d'hôte et de bouillotte avant peu. C'est 
donc un assez mauvais mariage que fait là M. de 
Jalin : or nous aimons M. de Jalin; il est honnête 
homme: il parle avec grâce la langue des hommes 
bien élevés ; il parle spirituellement toujours, na- 
turellement assez souvent; il est brave, il est gai, 
et même, au péril de sa vie, il empêche M. de 
Nanjac d'accomplir la plus mauvaise action 
qu'un galant homme puisse accomplir. 

Mais quoi ! le succès répond à toute objection, 
et le succès a été sans réplique. On a vu rarement 
un public plus enchanté d'un spectacle; il n'y a 
pas jusqu'au dénoûment de ce drame heureux qui 
ne soit tout ensemble une surprise, une épou- 
vante, une joie ; enfin rien ne lui manque, et tant 
de verve et tant d'observation, tant de malice et 
tant a'esprit argent comptant ! Ingenium in nu- 
meratQ 

Que devient cependant la vraie héroïne de ce 
drame. M™» de Santis? Elle disparaît trop vite; \ 



THÉÂTRE DE GENRE. l85 

elle s'en va perdue et pas assez châtiée. Il est vrai 
que le châtiment viendra plus tard, car la dame 
enlève ce fameux Latour, prends garde ! Il a fait 
un trou à la lune, ce Latour, et par le trou de cette 
lune il s'en va en Angleterre avec M"° de Santis. 
a Ecrivez-moi poste restante, dit-elle à M°** d'Ange, 
et mettez sur votre lettre : A Mademoiselle Rose.,. 
en attendant mieux. » 

Maintenant cherchez-vous la morale en tout 
ceci? La morale est çà et là répandue, elle est 
oubliée dans le résumé de Fœuvre. Quant à la con- 
clusion dernière (il y en a de plusieurs sortes), la 
conclusion du Demi-Monde est aussi difficile à 
trouver que la conclusion de Diane de Lys. Voyez 
en effet ce qui arrive aux divers personnages de 
Diane de Lys! Le mari légitime de Diane est 
trompé par sa femme ; le jeune artiste, non marié, 
est aimé par une fillette; mais la fillette est trop 
bête, et bonsoir la compagnie ! En revanche, un 
rapin de l'endroit vit en quasi-mariage avec une 
horrible couturière, et ce quasi-mariage est un 
enfer. Reste enfin Tamoarde l'artiste avec la dame 
mariée... On le tue... et, ceci fait, l'auteur oublie 
de nous dire à quel saint il faut se vouer en fait 
d'amour. 

Essayez donc aussi de tirer une conclusion des 
amours de M™® d'Ange et de M, de Nanjac, de 

IT 16. 



l86 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

M"® Marcelle et de M. de Jalin, de M*"® de Santis 
, et de M. Latour; car vous n'allez pas dire ici que 
le Demi-Monde est destiné à prouver tout bonne- 
ment qu'un galant homme ne doit pas épouser 
une femme perdue : on ne démontre pas en cinq 
actes de si banales vérités. 

Ce qu'il a voulu prouver, ce jeune homme, et 
ce qu'il démontre en effet avec une verve, une 
haine, une rage, un esprit, unemalice, un bon- 
heur incroyables, c'est qu'il sait à merveille et 
qu'il sait à fond ce petit, ce honteux, ce malheu- 
reux recoin de la société qu'il étudie, et que pas 
un homme avant lui n'avait touché avec tant de 
joie et d'abondance à ces pleurs, à ces larmes, à ces 
passions, à ces douleurs, à ce monde en deçà et au 
delà de tous les mondes connus. Voilà ce qu'il 
voulait démontrer, voilà ce qu'il a démontré vic- 
torieusement dans ces trois grands ouvrages, la 
Dame aux Camélias, Diane de Lys et le Demi- 
Monde^ composés avec un art exquis, écrits avec 
une grâce parfaite, et tous les trois remplis d'ar- 
deur, de zèle et de talent. Où il a pris toutes ces 
histoires, comment il a trouvé tous ces mystères, à 
quelle école il a appris l'art du dialogue, par quel 
bonheur il s'est trouvé un beau matin ce don mer- 
veilleux de l'invention, de la parole et du bel es- 
prit, nul ne saurait le dire. Il n'a pas eu de maître, 



THPJATRE DE GENRE. 1 87 

il n'a suivi Texemple de personne; il n'appartient 
à aucune école ; il est lui-même, il n'est pas un 
autre homme; il méprise (on le voit à chaque in- 
stant) Temphase inutile, la redondance qui ne dit 
rien, le mot creux, l'a peu près, le boursouflé, le 
cliquetis, le mot qui porte à faux, le débraillé! 
Mais aussi quelle fête et quel succès ! quelle ar- 
deur à voir, à entendre, à deviner! Comme on est 
attentif, ému, charmé, heureux, content! Il faut 
dire aussi que voilà une pièce Jouée avec toutes les 
conditions de la bonne et honnête comédie : ils 
sont là dedans trois ou quatre comédiens ex- 
cellents, animés à bien faire et d'une intelligence 
exquise. Dupuis, c'est la grâce et la jeunesse en 
personne; il parle, il cause, il sourit, il se fâche, 
il se moque, et vous oubliez que c'est là un comé- 
médien qui joue un rôle. Berton, dans un rôle 
moins sympathique et moins heureux, tient tête à 
cette couleuvre qu'on appelle M"® d'Ange, et cette 
couleuvre n'est rien moins (qui l'eût dit? qui le 
croirait?) que M"*^ Rose Chéri elle-même! Enfin, 
enfin, la voilà retrouvée ! Il y avait tantôt dix ans 
(depuis Clarisse Harlowe] que cette aimable 
femme avait oublié les vrais sentiers; elle s'était 
égarée et perdue, et maintenant elle revient à son 
œuvre, et jamais, que je sache, en ses plus beaux 
jours, elle n'a mieux représenté, et plus complète- 



l88 CRITIQUE DRAMATIQUE, 

ment, un personnage mieux dessiné et plus com- 
plet. Ah ! la terrible femme, elle oublie en un clin 
d'œil tant de rôles chastes, langoureux et timides, 

Où, jusqu'à Je vous hais, tout se dit tendrement!... 

Et la voilà, semblable à lady Tartuffe, aussi 
terrible et non moins pénétrante. En un mot, on 
ne saurait dire à quel point M°^^ Rose Chéri, dans 
ce rôle, a poussé l'art de montrer une vilaine âme 
sous de beaux dehors. 

Ceci dit, en voilà pour bien longtemps! 
M°** d'Ange va lutter de popularité avec la Dame 
aux Camélias, de poétique mémoire. Celle-ci 
semble dire à celle-là : <c Donnons-nous la- main, 
ma terrible sœur, et vivons tout ce que peuvent 
vivre, en un poëme représenté par des mortels, la 
grâce, la pitié, la beauté, le crime, la vengeance et 
la terreur. » 




AUGUSTE VACQ.UERIE 



SOUVENT HOMME VARIE 



'en tiens une de ces comédies... toute 
en soie, en gaze,* en broderie, en vent 
tissu, en frangipane, en dentelles, en 
guipure, ea jupe brodée, en jupon court... On s^ 
frotte, on s^ pique! on n'y voit que sourires, es- 
piègleries, mièvreries, soleil levant, riant et clair: 
on s'y chauffe! Esprit, bonne humeur, bonne 
grâce et gentillesse, et toutes sortes de chansons, 
chanson galante et chanson comique, et musette, 
et gavotte, et menuet; seulement le poëte ne va 
pas jusqu'aux bouffonneries des bouffons mal- 
séants, aux gaudrioles de la gaudriolerie extra- 
comique. M. Vacquerie a passé par les sentiers 
d'aubépine, il a frôlé les Orientales, Ruy Blas et 
les Contemplations ; il a le fumet de ces prin- 
temps. 



igO CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Tel qu'Alfred de Musset jeune homme, à Theure 
heureuse et contente oti il était lui, lui-même, et 
tout seul (c'était assez !), inventait pour son plaisir 
mille adorables mignardises, attifant son monde 
à la vénitienne et promenant ses amoureux des 
deux sexes dans un paysage enchanté par Wat- 
teau, tel M. Vacquerie, en son retour des pays 
lointains, nous montre au beau milieu des jar- 
dins de sa fantaisie un jeune homme appelé 
Beppo, un Sbrigani nommé Troppa, une Zer- 
binette enrubannée (elle est marquise), une Agnès 
en fanfreluches appelée Lilia. Les voilà tous les 
quatre, heureux à Tômbre^ d'un Marly florentin 
et roucoulant sous le soleil d'un Trianon génois. 
La marquise a vingt ans; elle est veuve et libre; 
elle avoue à plaisir que rien ne lui plaît tant que 
son miroir, que, si l'amour lui semble une idée 
heureuse, elle en veut faire un jouet, un sourire, 
une chanson. Donc, passez votre chemin, seigneur 
Beppo, on ne vous fera pas même l'aumône ou le 
crédit d'un sourire; encore êtes-vous heureux que 
l'on vous permette, au bruit agaçant de ces sou- 
liers neufs, de nous suivre en nos sillons lumi- 
neux. 

A quoi Beppo, qui ne sait pas attendre (il est 
dans son droit, il a vingt ans : on n'attend pas à 
ce bel âge) : « O dame ingrate et souveraine in- 




THÉÂTRE DE GENRE. I9I 

juste de ma pensée ! ô cruelle ! ô perfide ! » Et tout 
ce qui se chante à ces cœurs superbes : 

Si vous vouliez m*aider, rien qu*un peu seulement, 

J'éveillerais en vous le divin sentiment; 

Mais vous semblez haïr l'amour. O Fidéline! 

Quand les beaux soirs de juin parfument la colline 

Et qu'on voit sur le lac les étoiles trembler, 

Ne sentez-vous donc pas votre cœur se troubler? 

Le vent parle d'amour en un ravissant style. 

Cest donc bien amusant, dites, d'être inutile. 

D'être la coupe où nul ne boira, le repas 

Sans convive, la fleur qu'on ne respire pas? 

C'est donc bien beau d'avoir vingt ans, le charme rare, 

L'esprit, tout le bonheur d'un homme, et d'êtr« avare? 

Cest donc bien grand et bien charmant, en vérité, 

L'égoîsme du cœur? 

Telle est sa complainte. « Et c'est tout à 

fait comme si vous chantiez, seigneur Beppo, » dit 
la dame en dessinant sa plus belle révérence... Et 
la voilà qui s'en va sur un pied, le plus joli de ses 
deux pieds! Ainsi marche au'-dessus du gazon 
Vert le présent mois de mai, couronné de prime- 
vères et d'iris. 

Mais Beppo : a Par tous les dieux d'Ovide et 
d'Arioste, et par tous les sonnets de Pétrarque et 
les élégies de Sapho, par tout ce qui palpite et 
songe entre Athènes et Tusculum, par tous les 
petits poètes de l'amour, tu peux aller, Fidéline, à 
tes rendez-vous avec l'ombre, avec le nuage, avec 



192 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

récho, avec le flot jaseur! Moi, je reste, et je cher- 
che en ton sentier d'inutile quelque amour qui me 
retienne et qui s'en vienne avec moi, le sourire à 
la lèvre et son bras sur mon bras. » Voilà le projet 
de Beppo, voilà sa vengeance; et, comme il se pro- 
mène au milieu des enchantements du conte d'Es- 
pagne et d'Italie, il rencontre à l'instant même une 
Agnès échappée aux contes de Boccace illustrés par 
La Fontaine. « Allons! ton bras, voici ma main,» 
dit-elle. Et, promenée autour du nid de Fidéline, 
Agnès gazouille au beau jeune homme, et tant et 
tant elle et lui ils ont gazouillé que Fidéline, à la 
fin, s'en inquiète et fait appeler Tami Troppa. 

L'ami Troppa est un marquis petit-fils d'Arle- 
quin. A la façon dont il tient une épée, on voit 
qu'il a tenu la batte et la baguette aux enchante- 
ments. Il descend par les femmes de Coraline es- 
prit follet, et ses domaines sont situés sur l'empla- 
cement de la foire de Saint-Germain. C'est lui, 
Troppa, pour se venger de Fidéline, qui prête à 
Beppo, son ami, la petite Lilia. « Mais tu me la 
rendras , dit-il. — Si je te la rendrai I » répond 
Beppo. Beppo même en ferait son billet si son ami 
Troppa n'était pas sûr d'^elle et de lui. 

Et quand enfin ils ont tourné tous les quatre en 
ce cercle aussi vicieux que charmant, quand 
Troppa s'est bien fâché contre Beppo, qui lui 



THÉÂTRE DE GENRE. IQS 

donne un coup d'épée... au premier sang; quand 
Fidéline en vain est revenue, et quand c'est la 
petite Lilia qui l'emporte, ami Troppa, que cela 
vous apprenne une autre fois à ne pas prêter votre 
amoureuse; et vous, Fidéline, apprenez aussi à ne 
pas renvoyer au lendemain ce qui peut se faire 
aujourd'hui. « Je l'excuse et le plains! » C'est La 
Fontaine qui Ta dit. 

Rien de moins, mais aussi vous avez en plus de 
la comédie une grâce, une élégance, une cour- 
toisie et tant de raillerie et de bonne humeur! 
Pensez donc si nous étions contents de rencontrer 
cette affable élégance, et ce sans-géne, et ce bel es- 
prit, dans ces voûtes matelassées du Théâtre-Fran- 
çais oîi tant de prose inerte et vide attriste, affadit 
et réduit à rien la comédie ! a II est fou, disaient 
les vieux en parlant de M. Vacquerie; il est fou, il 
raille en farceur, il aime en écolier, il écrit en 
poëte, il se moque au nez des Athéniens, il ne fera 
jamais une seule de ces fameuses comédies en 
prose auxquelles s'arrêtent si volontiers les dames 
et les messieurs de la province, heureux de ren- 
contrer à si bon marché le beau langage et les belles 
mœurs dé chaque jour... Il est fou! — Mais, Mon- 
sieur, disais-je à l'un de ces connaisseurs qu'amè- 
nent incessamment le chemin du Nord et le che- 
min du Midi, que pensez-vous de la poésie et des 
IV 17 



194 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

poSmes de M"*° Deshoulières? — Monsieur, s'é- 
criait l'homme au nez de rhinocéros, M"® Des- 
houlières, voilà ce qui s'appelle un poëte, et non 
pas vos faiseurs d'' Orientales et de Contemplations! 

— Eh bien ! Monsieur, repris-je en m'inclinant, 
permettez-moi de vous le dire à l'oreille et tout 
bas, cette comédie étincelante et fabuleuse... 
oui, Monsieur, cette comédie où vous n'avez 
trouvé ni bon sens ni grâce, et que vous siffleriez 
sur le théâtre du petit Carpentras; oui. Mon- 
sieur, cette comédie absurde, et bouffonne, et 
bête... oui. Monsieur... n'en dites rien, mais 
l'auteur de V Homme varie est un plagiaire... Oui, 
Monsieur, il a pris sa pièce à M°" Deshoulières... 

— Bah! Monsieur? — C'est comme j'ai l'honneur 
de vous le dire... Écoutez les jolis vers que voici : 

(CÂh Dieu! qu'il est dangereux 
De donner un pouvoir trop ample 
Aux rivaux agissant pour eux... 
J'en fournirais plus d'un exemple! 
Si le pouvoir n'est limité, 

Souvent trop d'autorité 
Rend permis tout ce qu'on désire; 
Contre soi-même on ne prend loi de rien^ 

Et l'auteur qui peut s'élire 
Prononce rarement d'autre nom que le sien... » 

A peine eus-je récité à ce mécontent ces trop 
jolis vers^ mon homme aussitôt se mit à rirci II 



THÉÂTRE DE GENRE. igS 

triomphait de ce Vacquerie; il foulait aux pieds 
ces vers du nouveau style ; il défiait la pléiade, à 
commencer par l'auteur des Odes et Ballades et 
par Joseph Delorme, de jamais écrire un vers pa- 
reil à celui-là : 

Contre soi-même on ne prend loi de rien! 

En même temps, voyez-vous ce mal-appris, cet 
effronté, ce Vacquerie... un plagiaire! Il se gar- 
dera bien de convenir qu'il ait emprunté sa co- 
médie! 

Et l'auteur qui peut s^élire... 

L'aimable idée ! et comme on faisait bien les vers 
en ce temps-là ! 

Souvent l'homme varie, 
Bien folle est qui s'y fie. 

Or la présente et très-heureuse comédie a réveillé 
M"® Judith, qui dormait et qui n'a jamais été plus 
avenante et plus jolie! Elle a donné au jeune De- 
launay une bonne occasion de bien réciter des 
vers charmants, sonores, pleins de la vie et du feu 
de la jeunesse; elle a montré Sbrigani, Got, veux- 
je dire, en tout son jour, très-alerte et vivement 
enfariné de la grâce italienne... Eh! oui, je sais 
bien, le tréteau, tant mieux pour le tréteau s'il a 
gardé l'entrain, le bruit, la joie et le pétillement ! 



ig6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

On n'entend plus un mot de ce que chante 
M"® Dubois. Cest dommage, elle avait de jolis 
couplets à dire en cette aimable chanson. 

Puis, la joie appelant la joie, on a vu le même 
soir apparaître, en son renouveau, la comédie à 
la Marivaux, la comédie oîi florissait le mieux 
M"* Mars, la Suite d*un Bal masqué. Qu'elle était 
belle et souriante, et quels regards vifs, tendres, 
ingénieux! Cette heureuse petite comédie, où tout 
abonde, où le sourire est de si bonne compagnie, 
où le talent est sincère, élégant, courtois, plaisait 
à M"*^ Mars, comme un écho, le dernier écho des 
temps de sa jeunesse et de ses premières amours. 
Si M"** Mars n'avait pas mis au jour cette aimable 
comédie, elle en était la marraine, elle y revenait 
sans cesse, elle la jouait de préférence en ces belles 
soirées où la belle foule obéissait au charme d'une 
scène bien faite et bien jouée. Aussi M"* Mars, 
avec une bonne grâce infinie, venait en aide à 
l'humble fortune de M"® de Bawr le bel esprit, le 
ferme et curieux esprit qui résiste au temps qui 
passe, et qui reste encore aujourd'hui comme un 
témoignage de la politesse et des élégances du 
siècle passé. 

C'est bien fait à la vaillante, active, infatigable 
M"® Arnould-Plessy, d'avoir accepté cette part 
charmante de l'héritage de M"° Mars, et tout de 



THEATRE DE GENRE. 



197 



suite, avec bénéfice d'inventaire, elle a trouvé sa 
récompense. En effet, voilà comme il faut être 
active et belle, intelligente et bien vêtue, attentive 
à la vie, à l'accent, à l'attrait du rôle; et voilà 
comme, avec beaucoup de grâce et beaucoup d'es- 
prit, un esprit actif, curieux, patient même, on 
arrive à rendre à la douce lumière du jour ces 
chers petits chefs-d'œuvre! Et plus le public les 
croyait oubliés, plus il s'en souvient avec recon- 
naissance, avec plaisir... « C'est elle encore pour- 
tant! » 




IV 



I^. 



BELOT ET VILLETARD 



LE 



TESTAMENT DE CESAR GIRODOT 




ous ajouterez, s'il vous plaît, le nom 
de César Girodot à la liste heureuse des 
grands hommes morts en plaisantant, 
sur Pair très-connu : « La mort n'est rien, c'est 
notre dernière heure! » Il avait en effet, ce 
César Girodot, le petit mot pour rire, et sa bonne 
humeur a traversé même son triple cercueil. Nous 
disons triple en sa qualité de riche à millions, 
et certes ce n'est pas trop de deux enveloppes à 
qui laisse une somme un peu mieux que ronde, 
à savoir treize cent cinquante-trois mille francs... 
on nous fait grâce des centimes. Donc, il était 
riche et bon plaisant, ce qui vaut mieux, l'oncle 
César î II n'avait pas d'enfans, mais des neveux 



THÉÂTRE DE GENRE. I99 

(ce qui ne vaut guère mieux), des neveux qui ne 
lui convenaient pas et des nièces qui ne lui con- 
venaient guère. <c L'homme ne me plaît pas, di- 
sait Hamlet, la femme non plus ! » L'oncle César 
était une espèce d'Hamlet bon vivant, et voilà ce 
qu'il chante en son testament : ^ 

a Je ne veux pas pour mon héritier ce tas de 
Girodot dont ma fortune et ma vieillesse ont été 
incessamment obsédées ! Le Girodot Isidore est 
un lâche, un envieux , un imbécile ; il a pour 
femme une femelle à Tartuffe, une illuminée, 
une vieille chatte pelée et laide à faire peur... Je 
ne veux pas de cette Isidore femelle, et je ne veux 
pas de monsieur leur fils, qui est un dissipateur 
de pièces de dix sous, un coureur de vieilles lo- 
rettes à prix fixe, enivré d'eau rougie, endetté de 
toutes sortes de vilaines petites dettes honteuses. 
Ce petit monsieur-là donnerait la gale à mon ar- 
gent. Encore une fois, je ne veux pas de ce fa- 
quin blond î Je veux que mon argent soit dépensé 
d'une main libérale, intelligente et superbe, avec 
joie, avec passion, non pas avec avarice et con- 
voitise, en mauvaise compagnie, avec des sots et 
des libertins de bas étage. Ainsi pas d'Isidore, pas 
de femme Isidore et de petit Isidore! Il y-a bien 
tout près de mon cœur le savant Félix, Félix le 
décoré et le membre de l'Institut, et je ne serais 



200 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

pas fâché de lui faire un peu de bien... Mais ce 
Félix Girodot est si faible, indécis, endormi, 
ignorant de toutes les choses de Targent ! Il ne 
saura pas^ défendre ma fortune, il la laissera partir 
çà et là, et je n'aurai pas la joie innocente de 
laisser un riche après moi ! Donc, ne pensons pas 
à ce savant qui rêve... Il y a aussi Langlumeau, 
le paysan, le rustique, un butor, un animal, un 
mécréant, un coquin pris de lèpre et d'avarice, un 
fléau du pauvre, un ennemi de son voisinage, un 
maniaque d'argent qui meurt de faim à côté de 
ses greniers remplis. Je le méprise et je le hais, 
ce Langlumeau ! Il n'a jamais eu en toute sa vie 
une bonne pensée, un bon mouvement et même 
un beau masque. Il se montrait à moi-même, à 
moi son oncle, en toute sa vilaine nature, et, 
quand il m'apportait des cerneaux à ma fête, on 
eût dit qu'il s'arrachait les entrailles. Non, non, 
pas de Langlumeau ! Il engluerait ma fortune, 
il donnerait les pâles couleurs à mes louis d'or, 
il ferait suer mes petits écus et les ferait travailler 
comme des nègres. Pas un sou à ce Langlumeau 
et pas un sou à Lehuchoir ! Ah! le misérable hy- 
pocrite, mon neveu Lehuchoir ! Ce favori de l'ar- 
gent et du hasard, ce mirliflore du jeu de Bourse 
et ce saltimbanque de la spéculation, il est pire, à 
coup sûr, qu'un avare; il est un faux prodigue, 



THÉÂTRE DE GENRE. 201 

un faux dépensier ; son luxe est un mensonge, un 
piège , un attrape-nigaud ! un bellâtre aimé des 
femmes sensibles ! 4;n malheureux ! un fat ! Il 
finira, vous verrez cela, vous autres, par être 
baron, comte ou. marquis Lehuchoir de Carabas. 
Il a volé aux jeunes gens de génie et sans nom 
ces toiles, ces marbres, ces bronzes, ces chefs- 
d^œuvre dont il a garni sa maison ; il attend la 
pauvreté au coin d'un bois, et il la dépouille en 
lui mettant sous la gorge un pistolet tout «n or ! 
Il s'informe à tous les violateurs de la propriété 
de ce qui est à vendre à bon compte; il le mar- 
chande, il l'achète, il le revend, il l'hypothèque, 
il le rachète ! Il est habile à tondre, à racler, à 
sonder, à glaner, à grappiller, à dépouiller î Lui 
donner encore un million, ajouter à sa fortune 
une fortune... il y aurait crime, et je ne dormi- 
rais pas dans mon tombeau ! » 

Ainsi parle, en son testament, l'oncle César. 

Voici cependant une objection que l'oncle 
César se fait à lui-même : « Au fait, se dit-il, 
tous les parents ne sont pas des coquins; ils ne 
sont pas tous Isidore, ou la femme Isidore, ou 
le fils Isidore, ou Félix, ou Langlumeau, ou Le- 
huchoir. J'ai là, en fait de Girodot, trois jeu- 
nesses qui me récréaient de leurs sourires : Pau- 
linej Hortense et Lucien î Hortense est mariée, il 



202 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

est vrai, à ce misérable Lehuchoir; mais je l'ai- 
mais, cette Hortense : elle était si jolie!... elle est 
si triste aujourd'hui ! Et Pauline? Elle a seize ans, 
elle m'embrassait sans regarder dans ma poche. Et 
Lucien, le petit Lucien ! Il est bon, naïf, intelli- 
gent, bien né... César! César Girodot ! prends 
garde à ton dernier testament! Que vas-tu faire? 
Allons, un bon mouvement pour Lucien, pour 
Hortense et pour Pauline... » Hélas ! en ce moment 
iladvîîntque l'oncle César se rappelle un peu plus 
qu'il ne faudrait l'inconvénient des richesses et 
les déclamations de Sénèque. « O malheureuse 
Hortense ! ô Pauline infortunée ! ô mon petit 
Lucien! si vous êtes riches, dit-il, vous êtes 
perdus! Lucien ne voudra plus gagner sa vie, 
Hortense aura des flatteurs, et Pauline... on l'é- 
pousera pour son argent ! Le riche est obsédé si 
cruellement par le pauvre ! il est condamné à tant 
de luttes, à tant de peines ! il a si grand'peur de 
hasarder sa fortune ! il est exposé à tant de ma- 
ladies! il a si peu d'amis, tant d'esclaves, des 
fils qui le tourmentent, des filles qui le désho- 
norent, des esclaves qui le haïssent, de vieux 
parents qui le cond'amnent, d'honnêtes gens qui 
le méprisent, des coquins qui le dépouillent!... » 
Ce petit raisonnement a tout à fait décidé l'oncle 
César à ne rien laisser à Lucien, à Pauline, à sa 



THEATRE DE GENRE. 203 

nièce Hortense, et le voilà qui décrète en termes 
exprès et sans ambages que sa fortune entière 
appartiendra à celui de ses parents de l'un ou de 
l'autre sexe qui obtiendra honnêtement la majo- 
rité des voix au scrutin secret ! Ceci dit, l'oncle 
César meurt en se frottant les mains et bien con- 
tent de la belle besogne qu'il a faite là. Tel est 
le premier acte du Testament de l'oncle César. 

Au second acte, on verra tout de suite à quel 
point ces tristes convoitises sont déchaînées. 
L'oncle César l'avait bien dit, ces gens-là sont 
très-laids à voir, tristes à entendre. O les vilains 
et les vilaines ! Lehuchoir fait la roue et Langlu- 
meau fait la culbute; Isidore écume, et Félix 
bâille; Hortense esta coqueter avec le petit Lu- 
cien; le fils d'Isidore est en train de vendre à qui 
la veut acheter sa propre voix, au risque de dé- 
pouiller son père et sa mère. Ils vont, ils viennent, 
ils complotent, ils se marchandent Tun l'autre, ils 
sont en mouvement comme autant de pantins que 
l'oncle César fait agir du fond de son tombeau 
plein d'astuce ! O les grandes oreilles ! les grands 
bras ! la grande faim ! la soif inextinguible ! Il y a 
fraude, artifice et calomnie; il y a haine, avarice 
et dénigrement; il y a surtout l'envie et l'envieux, 
M. Isidore, et, de tous ces caractères, c'est celui-là 
qui me semble, à moi, le mieux tracé et le plus 



204 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

complet. C'est joli, Tenvie, à mettre en comédie, 
et c'est amusant, l'envieux : il est lâche, il est bête 
et sot ; il s'engraisse à ma phthisie, il maigrit à ta 
prospérité, il se dépite à ta joie, il se réjouit à ta 
peine; il rage, il se cache, il a honte et peur de lui- 
même; il est envieux de ton bien, de ton âne, et 
de ta femme, et de tout ce qui t'appartient ; il est 
envieux de ta verrue. « Ah ! dit-il, la belle ver- 
rue, et la mienne, on la voit à peine î » Il porte 
envie à la jeunesse, au printemps, à l'eau qui 
brille, à l'oiseau qui chante, -à ses amis, à ses ca- 
marades, à sa femme, à ses enfants, à tout le 
monde. Envieux ! le voilà jaune, humble, violet, 
myope et chimérique, ébloui d'un lampion, fu- 
rieux tout bas; puis il éclate enfin, il crie, il se 
démène, il avoue, il se montre au grand jour! 
Envie I envie ! Et chacun de rire au nez de ce mi- 
sérable idiot! 

Tel est le principal neveu de l'oncle César, Isi- 
dore, et ce rôle d'Isidore est un rôle excellent, 
bien joué par un comédien qui n'est pas loin de 
ce bon, vaillant, actif, intelligent, ingénieux Du- 
paray. Vous voyez d'ici toute la comédie! Ils 
tournent incessamment, tous ces mécréants, dans 
le même cercle inique de vices, de calomnies et de 
petites infamies ? Seuls, retirés dans leur jeunesse 
et dans leur probité de vingt ans, Pauline et le 



THEATRE DE GENRE. 205 

3etit Lucien ne. songent guère au testament de 
ZéssiT. Ils font mieux, Pauline et Lucien : pour 
•épondre au désir d'Hortense, ils donnent à cette 
njuste cousine chacun sa voix pour l'héritage, et, 
jrâce à cet appoint inattendu, H ortense hérite... 
ïortense, à son tour, corrigée et repentante 
l'avoir soupçonné Pauline et Lucien, renonce au 
)énéfice du testament de l'oncle César. Vous 
royez d'ici la fureur du bellâtre Lehuchoir, le 
nari d'Hortense î Et tout finit par l'enrichisse- 
nent définitif de la pauvreté constante, de l'in- 
locence et de la jeunesse, au détriment des Lan- 
jlumeau, et des Lehuchoir, et des héritiers qui 
l'héritent pas de l'héritage!... Il n'y a rien de 
îouveau dans cette aimable et piquante comédie : 
ille appartient au Légataire universel, au Colla- 
éraly aux Marionnettes y à l'homme aussi qui seul 
L trouvé toute chose, à l'auteur du Malade imagi" 
laire.,. Oui, mais ce qui recommande à tous les 
)ons esprits qui savent rire et sourire le Testa- 
nent de César Girodot, c'est la gaieté, c'est le ta- 
ent, c'est l'attitude exquise de cette gaieté, de ce 
aient; ce sont les reparties ,qui répondent à la 
luestion, c'est le trait, c'est le style alerte, ingé- 
lieux, rapide, et qui n'a rien de baveux ; c'est le 
'a-et-vient de l'ironie et du bon mot! Rien de 
)lus gai ! rien de plus vif, déplus jeune et de plus 

IT l8 



2o6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

joyeux ! Aussi bien cette comédie a réussi au delà 
de toutes les espérances. Elle est jouée... au fait, 
c'est languissant, mais ça marche; ça ne va pas 
vite, mais ça touche au but ; ils ne sont pas bons, 
mais ils s'accordent Tun l'autre. Un seul rôle est 
très-bien Joué : celui de l'envieux ; l'envieuse est 
terrible et pénible à voir; le petit monsieur qui 
vend son père et sa mère aux Anglais y met un 
sang-froid très-risible ; il y a le paysan qui mord 
et qui tue en bon patois ; l'ingénue est une fillette 
assez peu jolie et peu intelligente, et, disons tout, 
désagréable... Ils avaient là cependant, pour jouer 
ce petit rôle écrit depuis le temps de la jeune 
Agnès, une enfant jolie, élégante et charmante à 
l'avenant. M"® Simon... Simon de qui? Simon de 
quoi ? Simon les Quinze-Ans ! Simon les Beaux-* 
Yeux ! Il ne faut que cela pour jouer ces petits 
rôles, une grâce, un sourire. .. il le faut absolu- 
ment. 




EMILE AUGIER 



LES EFFRONTÉS 




E PROVINCIAL : La belle assemblée ! Ah ! 
que de belles dames ! de beaux mes- 
sieurs ! 

a Le Parisien : Et si vous saviez que le plus 
grand nombre habite en ce moment les plus pe- 
tits théâtres, oîi ces dames et ces messieurs s'amu- 
sent et rient des comédiennes peu vêtues qui 
chantent faux. 

tt Le provincial : Aujourd'hui cependant, j'en 
suis fâché pour ces petits théâtres, hommes et 
femmes, la foule est ici. 

a Le Parisien : C'est que l'on joue une comé- 
die oïl l'on bafoue un homme d'affaires, et que le 
public aime à rire aux dépens de ceux qui le font 
pleurer. 

ce Le provincial : C'est-à-dire que tous vos 
hommes d'affaires sont tous des... 



208 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

a Le Parisien : C'est ce qui vous trompe ! Il y 
a de fort honnêtes gens dans les affaires; il n'y en 
a pas un très-grand nombre, j'en conviens, mais 
il y en a qui, sans jamais s'écarter des principes 
•de l'honneur et de la probité, ont touché aux 
honneurs ou sont en train d'y atteindre, et dont 
la robe et l'épée ne dédaignent pas l'alliance'. 
Effectivement on aurait tort de les confondre 
avec les autres; enfin il y a des honnêtes gens 
dans toutes les professions. 

<c Le provincial: Sur ce pied-là, cette comédie 
est inoffensive aux financiers honnêtes gens ? 

a Le Parisien : Comme est Tartuffe aux vrais 
dévots! Hé! pourquoi les financiers s'offense- 
raient-ils de voir sur la scène un fripon de leur 
compagnie? Ils seraient donc plus délicats que 
les courtisans et les gens de robe, qui voient tous 
les jours représenter avec plaisir les petits mar- 
quis et les juges ignorants ou corrompus? 

a Le provincial : Et MM. les Parisiens, qu'ont- 
ils dit le premier jour? 

a Le Parisien : Ils se sont livrés au spectacle, 
ils ont écouté, ils ont ri, et, la pièce étant applau- 
die, les uns en ont dit plus de mal qu'ils n'en 

I. Allusion au récent mariage de M. MoIé de Champlâtreux 
avec la fille de Samuel Bernard. 



THEATRE DE GENRE. 2O9 

pensent, pendant que les autres en pensent moins 
de bien qu'ils n'en disent. 

a Le provincial : Et quels défauts y trouvent les 
critiques? 

tt Le Parisien : Cent mille. 

tt Le provincial : Mais encore ? 

a Le Parisien : Ils disent que tous les person- 
nages en sont vicieux, et que l'auteur a peint les 
mœurs de trop près. 

a Le provincial : Ils n'ont, parbleu ! pas tout le 
tort; les mœurs m'ont paru un peu gaillardes. 

tt Le Parisien: Vous êtes trop pénétrant... Mais 
du financier, qui est le caractère principal, qu'en 
dites-vous ? 

a Le provincial : Je dis qu'il est manqué, si les 
gens d'affaires sont tels qu'on me les a dépeints. 
Les affaires sont des mystères qui ne sont point 
ici développés... Mais quel est ce bruit qui se fait 
à l'orchestre?... 

a Le Parisien : L'orchestre ! il se fâche contre 
la sécheresse de l'intrigue, et l'orchestre a tort. La 
comédie de caractère est d'ordinaire assez faible 
du côté de l'intrigue, et s'en passe assez volon- 
tiers. Il suffit que la pièce ait un certain intérêt. 

<i Le provincial : Mais celle-ci n'est guère inté- 
ressante; on dirait que l'auteur a porté toute l'at- 
tention du. spectateur sur les caractères de sa co- 

IV 18. 



210 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

médie, et qu'il a regardé comme une distraction 
inutile une intrigue trop compliquée. Il n^ a pas 
assez de comédie en toute sa comédie. Est-ce vrai? 

a Le Parisien : Il n'est que trop vrai. Un dé- 
faut considérable en tout ceci, c'est que les person- 
nages sont odieux. L'auteur n'a pas eu assez d'es- 
prit pour nous faire aimer ces vilaines gens : voilà 
son défaut capital. 

a Le provincial : Pourtant mes amis et moi 
nous avons ri, tantôt malgré nous, tantôt de bon 
cœur. Voici pourtant dans cette loge, à notre 
droite, un homme et une femme encore assez 
belle qui ne paraissent guère contents. 

tt Le Parisien : Quoi d'étonnant? Ils se figurent 
que ceci est leur histoire et que la salle entière a 
les yeux sur eux. En récompense, on a bien ri 
dans la loge à côté : ce sont des magistrats qui 
connaissent particulièrement plusieurs des per- 
sonnages de cette comédie, et qui ne sont pas 
fâchés de les revoir... » 

Qui parle ainsi? quel est le bel-esprit qui sou- 
met à cette analyse inflexible une des plus belles 
œuvres dont s'honore l'ancien théâtre? Allons, je 
vous prie, un petit effort de mémoire... Y êtes- 
vous? C'est Le Sage en personne, expliquant et 
critiquant Turcaret, celte merveille d'esprit, de 
bonne humeur et de malice,' homme habile à 



THEATRE DE GENRE. 211 

trouver la difficulté de son grand ouvrage, et qui 
ne craint pas d'être à soi-même un censeur sans 
pitié. 

Cet exemple, parti de si haut, nous profitera, je 
Fespère, à l'heure où, nous aussi, nous nous trou- 
vons en présence d'une œuvre considérable et qui 
vaut la peine qu'on la discute. Effronté^ c'est le 
mot de la morale ancienne et de l'ancienne comé- 
die. Un grand moraliste, appelé Théophrasie, a 
laissé dans ses livres le caractère de Veffrontéy de 
Yavare, de Vimpudent, du vilain homme et du co- 
quin,,.^ autant d'effrontés. « Un coquin, disait-i#, 
est celui à qui les choses les plus honteuses ne 
coûtent rien à dire ou à faire... Il est tout ce qu'il 
y a de plus honteux et de plus contraire à la bien- 
séance.» A chaque page de ce livre de Théophraste 
on retrouve un effronté. Aristophane et Plante 
ont légué toute une famille d'effrontés à Molière, 
à commencer par Scapin : les Fourberies de Sca- 
pin, les Fourberies de Mascarille. Si le valet est 
un effronté, la soubrette est une effrontée, effron- 
tée aussi la digne fille du seigneur Alcantor. Elle 
épouse en effet Sganarelle, oui; « mais c'est un 
homme qui mourra avant qu'il soit peu, et qui 
n'a tout au plus que six mois dans le ventre ». 
Dans le Bourgeois gentilhomme, il n'y a rien de 
plus effronté que cette marquise Dorimène et son 



212 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

ami Dorante exploitant le bonhomme Jourdain, 
a Dorimène (à M. Jourdain) : Je ne réponds à ce 
compliment qu'en mangeant comme je fais. » 
M. de Pourcedugnac vous représente une armée 
d'effrontés des deux sexes et de toutes les nations. 
Le Médecin malgré lui^ Sganarelle, est vm ef- 
fronté de la plus charmante espèce. Un horrible 
effronté, c'est Tartuffe. Rappelez-vous les servan- 
tes, les valets, les marquis, les comtesses, h Joueur 
et le Légataire universel de Regnard. Sa comédie 
appartient aux effrontés ; elle est une effronterie 
intarissable, comme la gaieté qui Tanime. Et ce 
brave homme appelé Le Sage, il est Tauteur de 
Crispin rival de son maître; il a fait Turcaret, 
il a fait Gil Blas, le grand-père de Figaro^ Tef- 
fronté par excellence. Aussi Ton ne saurait tenir 
compte du titre de sa comédie à l-auteur des Ef- 
frontés, Il l'eût appelée la Forêt de Bondy, le titre 
eût été plus juste, ou du moins plus nouveau. 

Au premier acte apparaît uq coquin, Ver- 
nouillet, flétri d'hier par un de ces terribles at- 
tendu de la police correctionnelle : « Att^endu, 
malgré ses manœuvres frauduleuses, qu'un tel 
échappe à la loi pénale, le renvoie des fins de la 
plainte, etc. », c'est-à-dire il échappe à la peine, 
maïs non au déshonneur. Un grand magistrat 
d'autrefois disait cela très-bien en parlant d'un 



THEATRE DE GENRE. 2l3 

coquin de cette espèce : « On lui a sauvé la tête, 
on lui a tordu le cou. » Le voilà donc, ce M. Ver- 
nouillet, tout flétri, qui se présente en tremblant, 
car il tremble encore, chez un sien camarade ap- 
pelé le financier Charrier. Ce Charrier est ce qui 
s'appelle un homme considérable : il est très-riche, 
il a sa part dans toutes les grandes affaires; il est 
maire de son arrondissement; il aspire en secret 
aux honneurs de la Chambre haute; enfin c''est un 
ambitieux austère, et maintenant qu'il a tout l'ar- 
gent qu'il pouvait attendre, il écrit sur ses a armes 
parlantes ï) le Quo non ascendant? Am bourgeois 
de Paris. « Il faudrait, disait un moraliste, sup- 
primer tous les honneurs de ce bas monde et n'en 
rendre à personne, s'ils inspiraient autant d'or- 
gueil et de vanité à ceux qui les méritent qu'à ceux 
qui ne les méritent pas. » Or c'est Justement parce 
qu'il ne les mérite guère que M. Charrier en veut 
avec tant d'ardeur aux distinctions honorifiques. 
Pensez donc s'il reçoit du haut de sa hauteur ce 
malheureux Vefnouillet, ce vaincu de la sixième 
chambre. En ce moment, le Vernouillet serait 
perdu, écrasé sous^a propre indignité, si, par bon- 
heur pour lui, par malheur pour la morale uni- 
verselle, un certain marquis d'Hauterive... un 
Alceste à la dérive, ne s'était rencontré chez le 
banquier Charrier pour relever le courage abattu 



214 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

de Vernouillet. « Quoi! lui dit-il, pour si peu, 
M. Vernouillet se décourage! Il aura entendu hier 
quelques dures paroles d'un magistrat rébarbatif, 
qui gagne à peine mille écus chaque année et qui 
loge au quatrième étage; et M. Vernouillet, qui 
possède un million, courbe la tête ! A quoi donc 
sert l'effronterie? à quoi sert l'argent comptant? 
Allons, Vernouillet, courage, et montrons-nous! » 
Il est ainsi fait, ce marquis d'Hauterive... Il haitla 
bourgeoisie; il a pris en profonde pitié la société 
nouvelle; il en veut à quiconque est quelqu'un 
ou quelque chose; il va sans cesse affirmant et 
répétant : 

Les vices d'autrefois sont les mœurs d'aujourd'hui! 

Bref, il amuse au premier abord, et son ironie 
est vraiment plaisante au premier acte ; au second 
acte, elle a déjà perdu quelque peu de sa pointe et 
de sa grâce, et c'est à peine si nous pouvons la 
supporter à la dernière scène. Un jour, devant 
Chamfort, qui avait bien de l'esprit, un marquis de 
cette espèce, un mécontent, déclamait contre tout 
le monde, et même un peu contre sa patrie : 
tt Heu ! dit Chamfort, si ce discours est d'un gen- 
tilhomme, il n'est pas noble, à coup sûr. » Le mot 
est très-joli, je m'en sers. Ce vieux marquis d'Hau- 
terive, au milieu de la société moderne, est un im- 



THÉÂTRE DE GENRE. 2l5 

puissant, un envieux, un mauvais ricaneur, un 
esprit chagrin^ disait Théophraste. Or « Pesprit 
chagrin fait que Ton n'est jamais content de per- 
sonne, et que Ton fait aux autres mille plaintes 
sans fondement ». Mais au premier acte il est 
charmant, ce M. d'Hauterive; il Joue à merveille 
de ces deux marionnettes, le Charrier tout bouffi 
d'importance et le Vernouillet dégonflé, qui peu à 
peu se regonfle en disant : M*y voilà l Bien plus, 
la scène est très-bien faite où Ton voit le fameux 
financier Charrier donner la main à ce coquin quô 
tout à Pheure il ne voulait pas recevoir : 

L'honneur estropié, languissant et perclus, 
Est une vieille idole en qui l'on ne croit plus. 

Au second acte (il ne faudrait pas vous attendre 
en tout ceci à rencontrer une logique inflexible), 
nous irons, s'il vous plaît, chez une belle effron- 
tée, appelée la marquise d'Hauterive, à savoir la 
propre femme de M. le marquis. Elle était jeune^ 
elle était sa nièce, elle était pauvre, il était vieux, 
il était riche; il ne voulait pas laisser déchoir ce 
nom d'Hailterive : il épousa sa nièce, et naturelle- 
ment il fut trompé par elle. Un Jeune homme, un 
écrivain, que dis-Je? un journaliste éloquent, 
honnête homme et bien élevé, appelé M. de Ser- 
gines (on le voit trop peu dans cette comédie), a 



2l6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

rencontré M"® d'Hauterîve, et bientôt ils se sont 
aimés, et tant aimés que M. le marquis a décou- 
vert les intrigues de sa nièce. Il pouvait tuer Ser- 
gines : il n'a pas voulu compromettre ainsi le nom 
des d'Hauterive, et il a si bien fait que sa propre 
femme a demandé contre lui une séparation de 
corps; il a si bien fait qu'elle l'a obtenue; et 
maintenant, grâce à la pension de cent mille livres 
que lui fait son mari, grâce aux respects dont la 
dame est entourée par son amant M. de Sergines, 
la marquise d'Hauterive, séparée de corps, est une 
des reines de Paris. Sa parole est comptée; elle va 
partout la tête haute, et Dieu sait qu'elle serait 
parfaitement heureuse si les plus belles amours ne 
devaient pas finir! Mais quoi! voici déjà quatre 
ans que la jeune dame et le jeune monsieur, le 
journaliste, sont épris l'un de l'autre, et quatre 
ans c'est bien long, surtout quand les liens de 
l'opinion sont là qui vous lient beaucoup plus 
encore que le mariage ! 

Ils en sont là, la dame et le monsieur, portant 
leur chaîne. En vain la dame a voulu se distraire 
en caquetant avec le fils de M. Charrier, « un li- 
bertin de mauvais goût » (elle en convient), bien- 
tôt sa coquetterie est retombée sur elle-même. Ah ! 
quelle tristesse ! Et l'instant d'après, sans motif et • 
sans duègne qui l'accompagne, la jeune Clémence 



•THEATRE DE GENRE. 21J 

Charrier arrive en cette petite maison delà sépara- 
tion de corps. Elle a donc son effronterie, elle 
aussi, la jeune Clémence? Heureusement M. le 
marquis d'Hauterive arrive à son tour, et sa pré- 
sence légitime est une espèce de consolation pour 
les honnêtes gens, qui ne comprennent guère les 
coquetteries de M"® d'Hauterive avec M. de Ser- 
gines, voire les coquetteries de M"*' d'Hauterive 
avec ce brigand de Vernouillet, qui lui rapporte 
un engagement de cent mille francs que la dame 
imprudente avait souscrit dans ses affaires vé- 
reuses. — Cent mille francs I dit le marquis, le 
Vernouillet vous les rapporte I II a donc à vous 
demander d'étranges services ! Enfin, Madame, y 
pensez-vous I Si vous acceptiez cette abominable 
restitution, vous seriez la complice et désormais 
la servante du sieur Vernouillet. Donc, les cent 
mille francs, les voilà; rendez son argent à cet 
homme, et fermez-lui votre porte. C'est un beau 
mouvement, très-dramatique, et qui fait grand 
plaisir au milieu de ce tourbillon d'actions mau- 
vaises et peu claires. Je sais bien que les effrontés 
reprocheront à M. le marquis d'être un peu trop 
glorieux de sa belle action. — Mais quoi I disait 
Caton lui-même, « essayez de .séparer la gloire de 
la vertu, et vous verrez combien peu de gens con- 
sentiront à être d'honnêtes gens ». Ainsi, par une 

IV 19 



2l8 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

suite de scènes piquantes et variées, par un pé- 
tillement très-ingénieux de mots restés charmants, 
biens trouvés, tantôt blessés, tantôt contents, occu- 
pés toujours, nous arrivons à ce fameux troisième 
acte, où Fauteur va nous montrer le nouveau don 
César de Bazan : 

Pardon! ne faites pas attention, je passe. 

Vous parliez entre vous. Continuez, de grâce. 

J*entre un peu brusquement, Messieurs, j*en suis fâché I 

Ouf! que d'événements 

Ce don César de Bazan du journal, ce/euiiiiste 
impossible, la joie et le divertissement du susdit 
troisième acte, est un gueux, nommé Giboyer. Il 
est vêtu comme un pleutre, il a Pesprit d'un 
coquin, il écrit comme un faussaire. Il a, nous 
dit-il, mais je ne le crois pas, remporté toutes les 
palmes innocentes et la couronne du prix d'hon- 
neur. A ce drôle, une aimable Couronne! une 
palme sur ce front difforme ! Et notez bien que 
cet homme a tourné en accusations toutes ses 
belles études, et qu'il en fait un crime à la société 
tout entière. Comment donc ! il était heureuse- 
ment, glorieusement, le fils d'un portier; on l'est 
venu prendre au fond de la loge de son père, on 
l'a tiré de sa crasse originelle, on a mis entre ses 
mains, bonnes tout au plus à tenir l'alêne du sa- 
vetier ou Taiguille du tailleur, les poëmes d'Ho- 



THEATRE DE GENRE. 2ïg 

mère et les poëmes de Virgile ; on l'a fait Athé- 
nien, on l'a fait Romain, ce misérable voyou de 
la rue Moutfetard ; on Ta nourri, on Ta blanchi, 
on l'a peigné, on l'a' sauvé, et le voilà qui dé- 
clame, ô honte et misère! contre les poètes, contre 
les philosophes et les orateurs, ses pères nourri- 
ciers ! Bien plus, du fond des abîmes et des fanges 
dans lesquels il est retombé spontanément, ce mi- 
sérable insulte à l'honneur des femmes, à la bonne 
renommée des hommes. Il touche à la biographie 
immonde, et vous lui feriez dire, au prix d'un pe- 
tit écu, que le chevalier Bayard était un lâche et 
Jeanne d'Arc une drôlesse. Et de ces crapules cet 
homme hideux se vante, et de cette plume où la 
boue et le fiel sont mêlés il éclabousse à plaisir la 
robe blanche et l'habit noir. Ah ! la triste image ! 
Or savez-vous comment ce Giboyer est devenu 
l'âme damnée et l'associé-valet de Vernouillet le 
déshonoré? Pas plus tard que ce matin, Ver- 
nouillet achetait, de cet argent qu'il a volé, un 
journal considérable intitulé la Conscience pu- 
bliquCy et le premier soin de Vernouillet était 
d'introduire en son journal, au milieu des an- 
ciens collaborateurs, son digne associé Giboyer! 

n est fait comme vous, il pense comme moi. 

On rit donc! Le Giboyer devient une joie! Et 



220 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

moi aussi j'ai ri, mais Je ne suis pas désarmé. Bien 
plus, je suis tout honteux de mon rire, il est ab- 
surde. En effet, mettez Vbrnouillet et Giboyer, 
son camarade, au milieu d^un journal, quel qu'il 
soit : soudain, à la même heure et le même jour, 
ce ne sont pas seulement les écrivains qui donne- 
ront leur démission dans cette œuvre de ténèbres 
et de honte, mais les plieuses et les porteurs du 
journal. Ce Vernouillet, dans ce journal naguère 
entouré d'estime, est semblable à l'araignée au 
milieu de ses toiles : il grappille à droite, il grap- 
pille à gauche; il jette à l'Opéra ses filets, ses 
plombs à la Bourse; et quand se présente une de 
ces grandes questions qui sont la vie et Thonneur 
du journal, Vernouillet, sans reproche et sans 
peur, vend la question au plus offrant et dernier 
enchérisseur. Cent mille francs la question sur 
les fers! c'est pour rien! Et le ministre, à la 
même heure , écrit de sa main au Vernouillet : 
« Vous êtes un homme, un caractère, et venez dî- 
ner au Ministère. » Il y a là aussi une dissertation 
très-longue et très-pénible à entendre, où il est 
démontré par Giboyer que la propriété c'est le vol. 
Certes, on ne saurait nier que ceci, déclamé pu- 
bliquement, soit une nouveauté inattendue, inat- 
tendue à ce point que notre étonnement, disons 
aussi notre peu d'habitude aujourd'hui , nous a 



THÉÂTRE DE GENRE. 221 

empêché de la comprendre, par cette raison sans 
réplique: Ingénia studiaque facilius oppresseris 
quam revocaveris. C'est Tacite qui Ta dit, dans 
son admirable Agricola, 

J'entends. d'ici quelque effronté du parterre : a Au 
fait, dit-il, si le Giboyer est un coquin, le Giboyer 
est un faux journaliste ; Sergines, le vrai journa- 
liste, est un héros! Quoi donc, seriez- vqus fâché 
d'une plaisanterie un peu crue, et ne voyez- vous 
que, parallèlement avec ce coquin de Giboyer, 
nous vous montrons le journaliste honnête homme, 
entouré de louanges, et dont la voix rencontre 
inévitablement un écho dans les consciences les 
plus honnêtes et les intelligences les plus avan- 
cées ? C'est pour rire, encore une fois, toute cette 
ironie! On serait très-fâché d'insulter une grande 
et vaillante profession, et vous seriez le mal venu 
de nous gêner dans nos gaietés, dans notre hu- 
meur joviale et dans cet accent gaulois dont nous 
ne saurions nous défaire... » Voilà donc ce qu'ils 
répondent, les amis et les partisans de Giboyer : 
« Laissez-nous rire.» Eh bien ! moi, je ne ris pas; 
je suis assez semblable à l'orateur plaidant pour 
sa maison : « Penses-tu, Clodius, que je ne dé- 
truirai pas jusque dans leurs bases les actes de 
ton tribunat? Après avoir troublé l'ordre des sa- 
crifices, tu as voulu proposer des lois que per- 

IV 19. 



222 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

sonne n'avait proposées avant toi : Qu'il vous 
plaise, ô Romains! d'ordonner que Marcus Tul^ 
lius ne puisse rester dans Rome, et que ses biens 
deviennent la propriété du public ! Ainsi, tu vou- 
lais abuser des circonstances et de Pétat des affaires 
publiques, en m'arrachant les honneurs que dé- 
cerne le peuple à ceux qui Font servi. Va, va, 
répète aussi haut que ta voix peut aller : Citoyens^ 
qu'il vous plaise d'ordonner que l'eau et le feu 
soient interdits à Marcus Tullius; je défendrai 
contre toi ma maison et mon bannissement. » 
Tout ce discours de l'orateur romain pour sa 
maison me servirait au besoin à répondre au Ver- 
nouillet, à répondre au Giboyer le prix d'hon- 

m 

neur. Nous en avons connu de ces prix d'hon- 
neur, et nous en connaissons encore, qui ont 
accompli glorieusement les tâches les plus illus- 
tres. Un d'entre eux, qui est mort tout jeune et 
que nous pleurons encore, la veille de sa mort, 
comme il avait passé une cruelle nuit d'insomnie : 
a Oh ! disait-il, ne me plaignez pas. Je me suis 
représenté toute la nuit les divers auteurs de l'an- 
tiquité à qui je voudrais ressembler, et j'ai voté 
pour Plutarque, » Il s'appelait Edouard Boitard, 
ce prix d'honneur. 

Donc, laissons rire à ventre déboutonné M. Gi- 
boyer, le don César de Bazan de l'écritoire; 



THÉÂTRE DE GENRE. 223 

abandonnons le Vernouillet à ces prospérités in- 
concevables que signalait Démosthènes dans sa 
IV® philippique : « Athéniens, rappelez-vous que 
le succès trop rapide est un encouragement à tous 
les crimes. » Et cpmme au fond de l'âme il nous 
plaît d'aimer l'auteur des Effrontés^ parce qu'il 
est plein de gaieté, de bonne humeur, de bel es- 
prit, content de vivre et très-heureux d'être au 
monde, oublions ce fameux troisième acte, pour 
arriver tout de suite au milieu de la fête élégante 
que donnent à leurs amis ces nobles effrontés^ le 
vicomte et la vicomtesse d'Isigny. « Il est bien 
d'Isigny, car son père y vendait du beurre. » On 
s'amuse enfin à cette fête. Il y a là tout un petit 
monde assez méchant, qui se plaît aux plus vul- 
gaires médisances, et qui ce matin même aura lu, 
dans les bas-fonds de la Conscience publique, une 
déclamation de cet affreux Giboyer, intitulée le 
Chien accusateur, Giboyer n'a jamais possédé que 
trois histoires dans son bissacde diffamation ; elles 
sont toutes les trois du même atticisme. Ici, le ca- 
niche accusateur accuse une marquise et son 
amoureux, à savoir la marquise d'Hauterive et 
M. de Sergines, le journaliste honnête homme. 
Ici encore, on pourrait relever comme une invrai- 
semblance la prétendue autorité du Giboyer sur 
l'opinion publique, et l'on démontrerait facilement 



224 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

qu'une pareille espèce est impuissante (heureuse* 
ment!) à déshonorer si vite'et si complètement un 
galant homme, une femme honorable au bout du 
compte, et protégée par la réserve et le sérieux de 
sa vie entière. Oh que non pas ! la vie et Thon- 
neur des hommes et des femmes de notre temps 
ne sauraient tenir à un fil si léger. Les Vernouil- 
let, non plus que les Giboyer, n'y peuvent rien. 
Mais à quoi bon une critique inutile? on rit tou- 
jours, on rit encore; et, d'ailleurs, il est bien mené 
ce quatrième acte, et quand apparaît dans ce 
monde ahuri la jeune femme insultée, et quand, 
face à face avec ces deux pleutres, elle parle à 
Vernouillet de son ami le président de la sixième 
chambre, ils nous semblent assez châtiés, ces deux 
compères d'une incroyable comédie: AferzYo plec" 
timur» Arrive en même temps, semblable au Dieu 
qui sort de son nuage, et superbe et dédaigneux, 
foulant aux pieds ces reptiles, Vernouillet et Gi- 
boyer, M. le marquis d'Hauterive. A sa femme 
insultée il offre en ce moment sa protection tout en- 
tière; en un mot, il reprend sa femme et la retire 
enfin des abîmés où l'infortunée allait tomber. Il n'y 
a rien à reprendre à ce mouvement plein de grâce 
et de dignité. J'aime aussi beaucoup deux char- 
mants caractères, le frère et la sœur, Henri et Clé- 
mence Charrier. L'un et l'autre, ils s'aiment ten- 



THÉÂTRE DE GENRE. 225 

drement, et nous aussi nous les trouvons aima- 
bles. 

On dirait que ces deux enfants sont placés là 
par M. Emile Augier pour que l'on ne dise pas 
àts Effrontés ce que l'on disait de Turcaret, qu'il 
n'y avait rien d'honnête en toute cette comédie. 

Au dernier acte enfin la jeune Clémence épouse 
M. de Sefgines, qu'elle aime en secret, non pas 
sans que M. Charrier, son père, ait tenté de lui 
faire épouser V^rnouillet : car (il faut tous qu'ils 
soient plus ou moins souillés) M. Vernouillet a 
découvert, dans la Galette des Tribunaux , que 
son ami Charrier, il y a vingt ans , a subi un ac- 
quittement pareil au sien en police correction- 
nelle. 

Ainsi l'un et l'autre ils sont déshonorés au 
même titre, et Vernouillet est assez lâche pour re- 
mettre au fils le papier qui déshonore son père. 
Alors le fils prie et supplie, à mains jointes, son 
père au désespoir, de rendre à ses anciens clients 
l'argent qu'il leur a volé, et le père attendri con- 
sent, à ce prix, à réhabiliter le nom de ses enfants. 
C'est bien fait, chacun l'approuve, et cependant 
mieux eût valu tout simplement être en commen- 
çant un honnête homme. — Il y avait un officier de 
M. de Catinat qui s'était mal conduit, et qui plus 
tard avait racheté sa faute. Un jour que ce mal- 



226 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



heureux brossait son uniforme : s Oh! là, disait 
le maréchal , 11 peut bien ôter les taches de 
son habit, il ne lui rendra jamais son premier 
lustre. ï 





V. SARDOU 



LA FAMILLE BENOITON 




E commencerai par retrancher une syl- 
labe, une seule, à ce drame étonnant, 
et, comme on ne saurait mettre en doute 
l'audace du jeune auteur, je ne crois pas qu'il se 
fâche de ce retranchement» Écrivons donc au fron» 
ton de la nouvelle comédie en cinq actes : Famille 
Benoiton! tout lugubrement, et nous aurons le 
vrai titre d'une abominable et très-intéressante 
comédie^ oh la leçon est un cîoup de poignard, 
parfois même un doup de bâton ; où Ton rit, honteux 
et malheuteux de son propre rire* Famille 
Befioitonl c'est-à-dire : Ici reposent des morts 
vulgaires qui représentent une vie impossible et 
déshonorante; ici* sont enfouis des hommes de 
lucre et de mensonge, à côté d'enfarlts scrofaleuï 
et de quelques femmes de rien. Dieu merci! là 



228 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

famille Benoîton a vécu ; les Benoîton père et fils 
n'avaient pas d'ascendants; ils n'ont pas laissé de 
descendants. Tout ce qu'ils ont pu faire en se 
cotisant, c'est ce méchant tombeau économique 
ouvert à tous les vents de bise, et si quelqu'un de 
ces messieurs avait négligé par malheur le soin 
d'inscrire au rabais ce nom sans écho sur une 
pierre sans durée, on ne se souviendrait guère de 
la famille Benoîton. La voilà morte. H te jacet! 
N'en parlons plus. 

Mais, plus cette exécrable famille est anéantie, 
et plus -volontiers nous reconnaîtrons qu'il a fallu, 
pour lui rendre avec tant de grâce et de faveur la 
vie et la curiosité, un esprit rare, un talent singulier. 
M. Victorien Sardou est tout semblable à dame 
Martine du Médecin malgré lui: — Ah! mon pau- 
vre mari, disait Martine, je ne te quitte point 
que je ne faie vu pendu,,, M. Victorien Sardou, 
soyez-en sûr, ne quittera pas un seul de ces quinze 
personnages sans qu'il les ait criblés de ses mépris 
et foulés à ses pieds. Pêle-mêle effrayant et très- 
amusant de crimes, de passions, de violences, de 
trahisons, d'abjections. 

Premier acte. — A Saint-Qoud, non loin de 
Montretouf, une suite de maisons blanches, de 
petits jardins, bosquets, jets, d'eau, charmilles. -^ 



THEATRE DE GENRE. 229 

« 

Dans l'un de ces jardins, M"*® Cloiilde, une jeune 
veuve, en grand habit du matin, jouant, par 
curiosité et par plaisir, un rôle sifflé naguère au 
Gymnase, le rôle de la marieuse. A peine mariée, 
elle a perdu son mari, et la voilà qui cherche à 
conclure^ au nom de ses voisines et de ses voisins : 
c'est sa tâche. Elle a résolu de marier, au prenjier 
venu même, une certaine Adolphine, de la race 
des Benoîton, et (probablement) arrière-petite- 
fille de la comtesse d'Escarbagnas. Cette Adolphine 
est un monstre en morale et, que dis- je? un 
monstre au physique. Elle a l'esprit de M"® Ca- 
thos, sa marraine, de sa Madelon, sa camarade. 
Elle porte un chignon fou, sous un chapeau 
vaporeux. Celui qui l'épousera jamais se pourra 
vanter d'épouser les sept péchés mortels. « Ma foi, 
se dit à elle-même Clotilde la marieuse, il faut 
convenir que j'aurai la main bien malfaisante si 
je trouve à ce fagot une chaussure à son pied. 
Passe encore si cette sotte était riche.... A peine si 
elle apportera de quoi payer le postiche et les faus- 
setés de sa triste personne. Allez donc jeter cette 
créature ainsi faite au milieu des hommes les 
moins favorisés du sort! Proposez-la au consul 

de Madagascar, aux employés du Mexique ils 

s'enfuiront comme sïls avaient vu le diable. Ah I 
le sot problème ! Encore si dame Adolphine était 

IT 20 



23o CRITIQUE DRAMATIQUE. 

moins infatuée de sa triste personne! Oui-da! 
mais elle s'admire, elle s'écoute, elle se loue, et, 
par-dessus le marché, estt-elle ingrate, méchante, 
et curieuse et quémandeuse?... Eh bien, je n'en 
aurai point le démenti. » 

Comme elle est en train de se désespérer, 
M™® Clotilde la marieuse voit entrer dans son 
bosquet un ancien ami, M. de Champrosé, bon 
gentilhomme. Il était riche et s'est tant laissé gri- 
gnoter par les rats d'alentour qu'il a vu tout dis- 
paraître à la fois, le château, les bois, les maisons; 
bref, il était temps, s'il ne voulait pas mourir de 
faim, qu'il héritât de la fortune de son oncle, et 
maintenant que le revoilà riche, il ne veut plus 
qu'on le grignote, il veut qu*on le mange avec 
économie. Il veut absolument, pour bien finir, 
rencontrer un bon mariage, et pourtant (vanités 
des bonnes résolutions, ce pavé de l'enfer!) M. de 
Champrosé est venu à Saint-Cloud poussé pat 
Une envie immense de rejoindre un chapeau bleu, 
parbleu ! Mais quoi ! le chapeau bleu de la rue a 
disparu dans les bois, et M* de Champrosé s'estime 
un homme heureux d'avoir rencontré Clotilde la 
marieuse. « Ainsi mariez-moi, Clotilde. — ^ Prenez 
garde, ami Champrosé, répond-elle, il n'y a pas 
de casse-cou plus dangereux. Vous vous mariez, 
c'est bientôt dit, c'est bientôt fait, mais (inévitable- 



THÉÂTRE DE GENRE. 23l 

ment) vous épousez une dépensière; elle se ruine en 
linge, en habits, en falbalas, en bijoux, en choses 
de l'autre monde, en poudre de riz, en vermillon, 
en chaînettes, épingles, diadèmes, jupons rayés, 
cordons, feuillages, chapeaux, bavolets, cachemires 
des Indes; et des gants, des chevaux, des carros- 
ses, des casquettes, des bottes; toilette à midi, toi- 
lette à quatre heures, sans compter les peignoirs 
flottants et les jupes plates dans l'intervalle! C'est 
toute une encyclopédie à énumérer, tout un bud- 
get à solder... C'est le diable! Et cependant le 
malheureux, une fois attaché à cette roue, use sa 
vie, uniquement pour suffire à cette injuste et 
cruelle dépense. Eh donc! qu'en dites-vous. 
Monsieur de Champrosé? » 

A cette déclaration de Clotilde (et notez bien 
qu'elle est attifée à la dernière mode, et que la 
belle prêcheuse aurait grand'peine à prêcher 
d'exemple), M. de Champrosé pâlit... cependant 
il regrette le chapeau' bleu. « On le connaît, le 
chapeau bleu, dit Clotilde; il répond au nom de 
Benoîton. — Benoîton des sommiers élastiques? 
— C'est toi qui l'as nommé, dit Clotilde. Ils sont 
riches, ces Benoîton, et frivoles. Le père est un 
enrichi, qui donnerait Homère et Virgile, et la 
liberté de la presse, avec toutes les libertés de ce 
bas monde, pour un petit écu. Le dernier né est 



232 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

un Cartouche en fleur, le lycéen est un cancre de 
la plus belle venue, et les demoiselles... des de- 
moiselles à la mode. Elles s*habillent, babillent et 
se déshabillent tout le lo.ng du jour. L'aînée est 
déjà mariée à M. Didier, jeune homme affairé qui 
va incessamment du carton B C au portefeuille 
X et Z, demandant, chemin faisant, comment va 
sa femme et comment va son bébé. Quant au père 
Benoîton, son rêve, en ce moment, c'est d'être 
chevalier de la Légion d'honneur. Il semble à Be- 
noîton, puisque le gouvernement a la prétention 
d'encourager le vrai mérite, qu'on devrait lui te- 
nir compte de ses deux maisons sur le boulevard 
Malesherbes , de sa maison au boulevard Sainj- 
Michel, et de trois ou quatre autres édifices en 
construction. « Et qui donc récompenser, juste 
Dieu! si l'on ne récompense pas ceux qui donnent 
l'exemple de la fortune?... » Il est très-amusant, 
ce coquin de Benoîton , chef de la maison Benoî- 
ton des sommiers élastiques. Mais ce qui le com- 
plète et va le porter à son maximum, c'est la ren- 
contre heureuse de ses dignes amis, faits à son 
image, les deux Formichel père et fils. Formichel 
père et fils représenteraient au besoin toute une co- 
médie, et voilà distancés à tout jamais ces deux 
gaietés de nos grands-pères, Diafoirus père et fils. 
Ecoutez le père Formichel parlant de son fils, et 



THEATRE DE GENRE. 233 

voyez si jamais le père Diafoirus a poussé pour 
sa progéniture l'enthousiasme à ce point-là : « Eh 
bien ! je vous réponds qu'il a profité, le gaillard ! 
A huit ans, cela vous brassait déjà sa petite règle 
d'intérêts composés, et on avait. Monsieur, son 
petit brouillard et son petit grand-livre pour in- 
scrire le doit et avoir de son petit budget... » Tel 
est ce premier acte avec toutes ses déviations. Rien 
n'est plus joli que ormichel fils saluant jusqu'à 
terre M, Benoiton des sommiers à ressorts com- 
pensateurs, gros comme le bras. Il a beaucoup 
voyagé, ce jeune homme; en Espagne, il a étudié 
l'huile et le tabac ; à Rome, il s'est occupé des sa- * 
vons ; à Venise, il a remarqué l'absence du gaz. 
Il est le voyageur utilitaire; il ne voit que ce 
qui s'achète et se vend. Comme contraste à cette 
ganache de l'épicerie européenne , vous avez 
M"® Camille Benoîton, très-habile au box, au 
champ de course, aux paris. Elle exhale une suave 
odeur d'écurie et de patchouli ; elle parle agréa- 
blement l'argot du grand monde des cocottes. O 
mélange heureux d'Agnès et de fille entretenue ! 
On vous dira la suite à l'acte suivant. 

Vous avez déjà compris que nous n'allions pas 
en ligne droite; au contraire, aurons-nous soin 
de nous arrêter à toutes les curiosités du sentier. 
Cette fois, nous sommes entrés dans la maison, di- 

IT 20. 



234 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

sons mieux, dans les écuries d'Augias Benoîton. 
Là, nous retrouvons, régnant et gouvernant, le 
mètre en main, le fléau du XIX® siècle, à savoir 
la couturière mâle et femelle. Elle mène, en ces 
jours néfastes, la danse des morts, comme on la 
voyait sur le pont de Bâle en l'an de grâce 1372. 
La couturière ! elle est le commencement et la fin 
du monde ; elle est la ruine et le déshonneur des 
maisons mal bâties et des fortunes mal gagnées. Elle 
travaille en ce moment avec M™^ Didier et ses 
deux sœurs , M"®^ Camille et Jeanne Benoîton» 
Elle les conseille, elle les tente, elle expose à leurs 
yeux ses étoffes brillantes. Elle agrandit la dette, 
elle amoindrit la ressource ; elle vient encore, en 
ces lieux mal hantés, de vendre à crédit pour mille 
écus de dentelle à la jeune M™® Didier, ce qui fait 
que Ton s'étonne un peu que le jeune Formichel, 
qui couperait un liard en quatre, éprouve un cer- 
tain attrait pour ces demoiselles de la grande toi- 
lette et de la petite vertu. Oui, mais M"® Camille 
Benoîton aura cent mille écus de dot, sans comp- 
ter les espérances , une tante infirme et décrépite, 
et qui laisse à chacun des Benoîton cent vingt 
mille francs. Ici redoublez de courage, et nous 
vous expliquerons de notre mieux les combi- 
naisons du faux bonhomme Prudent Formî- 
chel. 



THiéATRE DE GENRE. 235 

Prudent (un calepin à la main). Quel âge 
avez-vous? 

Benoiton. Cinquante-sept ans. 

Prudent. C'est quinze ans à attendre ! . 

Benoiton. Hein! Comment!... Quoi? 

Prudent (additionnant). Et encore! le cou gras, 
la face congestionnée!... Enfin, mettons quinze 
ans!... Ça cadre assez avec mes calculs! Je qua- 
druple mon capital..... 4 fois 7 font 28: deux mil- 
lions huit cent mille francs; plus votre héritage, 
deux cent mille francs, trois millions!... J'ai deux 
enfants, pas un de plus! Un garçon d'abord, puis 
une fille!... Le garçon est ingénieur civil, la fille 
bonne à marier!... Ici, l'héritage de papa! 

En effet, Prudent Formichel parle à son propre 
père, et que dis-je? à son futur beau-père, le lan- 
gage des Faux Bonshommes. Ce qui n'était d'a- 
bord qu'une gaminerie est devenu bel et bien un 
vrai parricide. Et nous, cependant, rions comme des 
fous de ce père et de ce beau-père fil ialement broyés 
sous ces tables de mortalité. En même temps, dans 
un tourbillon de chiffres, de combinaisons, de 
suppositions, il finit par épouvanter ses deux papas 
de sa formidable carapace. On dirait d'un moni- 
tor traversant une flottille de bateaux pécheurs. 
Vraiment ce jeune homme est en zinc. Tout d'un 
coup, cependant, et pour nous reposer de ces 



236 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

hommes blindés, nous revenons aux dames légè- 
res, aux questions de la toilette. Au demeurant, 
lorsqu'il mène ainsi, dans une égale proportion, 
l'argent des Benoîton mâles et les dépenses des 
Benoîton femelles, M. Victorien Sardou accom- 
plit un tâche ardue au premier abord, tant on 
croirait que la prudence et l'avarice du père de- 
vraient être un frein à la folie, à l'imprévu des 
demoiselles Benoîton. Notez bien que ce deuxième 
acte est entremêlé des jovialités de Théodule et de 
Fanfan Benoîton. Ces deux-là, je vous les donne 
hardiment (Fanfan n'a que sept ans, Théodule en 
a quatorze) pour les deux plus mauvais petits 
drôles que la race abominable des Benoîton, unie 
à la race exécrable des Formichel, aient lancés, 
d'un coup de pied quelque part, dans les fanges 
du grand chemin de la vie humaine. Hélas! n'in- 
terrogez point l'auteur de la Famille Benoîton. Il 
sait son Paris aussi bien que Juvénal savait Rome, 
et tout de suite il vous répondra par la récente his- 
toire de ces jolis petits lycéens épouvantant na- 
guère de leurs mauvaises mœurs les demoiselles 
et les jockeys des courses de Longchamp. Ils 
étaient arrivés sur le turf k quatre chevaux; ils 
tutoyaient toutes ces dames dont ils savaient le 
petit nom : Marthe, Anna, Marguerite ou Fanny. 
Ils pariaient pour tous les chevaux, contre toutes 



THÉÂTRE DE GENRE. 287 

les femmes; ils finirent par se griser d^une telle 
façon que leurs amis, les laquais de ces dames, les 
prirent en pitié, et les rejetèrent dans leur carrosse, 
qui remporta ce printemps de Tannée, ivre à la fois 
de vin et de tabac. Voilà ce que l'auteur a vu, 
voilà ^ce qu'il raconte et ce qu'il met en scène avec 
une telle énergie que, si quelque honnête homme 
était, par malheur, le père irrécusable de ces dons 
Juans de la petite classe, il solliciterait du magis- 
trat la faveur d'une'maison de correction. 

Troisième acte. — Maintenant, s'il vous plaît, 
l'action change encore, et nous verrons aux prises 
M"® Didier-Benoîton avec le trop affairé M. Di- 
dier. La Jeune femme a dépensé beaucoup d'ar- 
gent, mais elle a sauvegardé son propre honneur. 
Didier, de son côté, a dépensé sa vie hors du toit 
domestique, mais utilement pour la prospérité de 
sa maisont Une charmante scène entre ces deux 
jeunes gens les montre inquiets l'un de Tautre; et 
quand Didier veut revenir à sa femme, en recon- 
naissant qu'il avait grand tort de l'abandonner à 
l'oisiveté de sa propre jeunesse, elle s'étonne à son 
tour, elle ne comprend pas ce qu'on lui veut dire; 
elle n'a plus le goût du tête-à-tête ; il lui faut dé- 
sormais les excitations du théâtre ou les enivre- 
ments du bal. Plus de solitude et plus d'égoïsme 
à deux. Voilà Didier bien malheureux. Mais quand 



238 CRITIQUE DRAMATIQUE, 

il apprend soudain que sa femme a de grosses 
dettes, qu'elle se cache, et que tout à l'heure en- 
core elle a porté mille écus à un créancier, Didier 
ne doute plus de sa honte. Alors il veut savoir 
toutes les actions de sa femme : à qui donc elle 
parlait hier et ce qu'elle a fait ce matin dans ce 
champ de courses, le rendez-vous de la plus* mau- 
vaise compagnie , où toutes les filles perdues s'en 
viennent étaler leurs jupons, leurs guipures, leurs 
casaques, leurs ombrelles et leurs robes de den- 
telles couvertes dépoussière... Il s'épouvante, il 
maudit la destinée, il ne croit plus à sa femme 
innocente ; il est en doute, ô misère ! de la légiti- 
mité de son enfant. Ce que nous vous disons là, 
c'est le drame après la comédie, et nous trouvons, 
franchement, que c'est trop aller vite en besogne. 
Une femme jeune, imprudente et prise en quelque 
jeu clandestin, trouvera toujours assez dç force pour 
s'écrier qu'une dette n'est pas un crime, et surtout 
si cette infortunée est la fille, la femme ou la sœur 
de tant de millions. Il est donc fort heureux que 
le public se soit laissé prendre à cette histoire ti- 
rée de V Art de vérifier les dates combiné avec la 
sagesse de Salomon, d'autant mieux que l'histoire 
est ingénieuse et bien conduite; mais pour nous, 
elle manque à la fois de simplicité, de vérité, de 
vraisemblance, et nous aurions quelque regret à 



THJÉATRE DE GENRE. 289 

nos larmes si nous avions pleuré sur les malheurs 
de Monsieur, de Madame et de la petite Didier. 
Le public, moins farouche, a pleuré délicieuse- 
ment, comme une bête, et ce n'est pas sans peine 
que Pauteur Ta ramené aux véritables héros, à la 
véritable question de sa comédie : aux Formichel, 
aux Benoîton. 

Ceci est la suite de la scène ou le jeune Formi- 
chel calcule imperturbablement le revient de la 
mort de son père et de son futur beau-père. Cet 
aimable jeune homme, en ce moment, tient sa 
propre mère sous le scalpel :« Ala mort de la^^w- 
vre femme ^ les Orléans étaient à 8i5 fr. 25 c; les 
Lyon,,, As-tu assez tripoté sur mes pauvres Lyon, 
papa! Ma pauvre maman me laisse trente Lyon 
à 612 fr. 5o c. Total (calculant) : 3 fois 5, i5; — 
3 fois 2, 6 et I, 7; 3 fois i,3; — 3 fois 6, 18: Dix- 
huit mille trois cent soixante-quinze ! » Et le père, 
à Taffût de ces opérations vertigineuses, admire, 
en s'inclinant, le talent de ce fils qui Fécrase, en 
lui démontrant ses propres turpitudes ! a ChifiFre* 
t-il, ce gredin-là ! » 

Prudent. Or, papa vend mes Lyon à 675 fr..» 

Formichel père» Bénéfice net: 1,875 fr» pour la 
succession» 

Pris à son piège, ce père ahuri et tout glorîeuk 
reconnaît qu^il redoit à son fils imperturbable une 



240 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

somme énorme : digne résultat de tant de tripotage. 
En ce moment reparaît la comédie, et chacun 
tremble. Il y a longtemps qu'elle a cessé de sourire/ 
Elle se fâche, elle s'emporte; elle avait jadis des 
conseils et des espérances, elle n'a plus que des 
exécrations. « Ah! quelle famille! » C'est le cri 
de M. de Champrosé, le cri de Cloiilde. Et notez 
bien que nous laissons dans une ombre dédai- 
gneuse la lettre anonyme et les délations de cette 
abominable Adolphine Benoîton. Quelle famille! 
en effet, tous coquins et coquines, abrutis par 
l'argent, stupides et ridicules dans ces atours pleins 
de folies. Pas un bon sentiment, pas une amitié 
vraie, et tous menteurs. Imaginez-vous que notre 
auteur, ce comique impitoyable, annonce à cha- 
que scène, au milieu de toutes ces épouvantes, 
l'arrivée ou la présence de M"® Benoîton la mère. 
— Ah ! disons-nous, c'est bien heureux qu'il y aitau 
moins une mère, c'est-à-dire une charité, une pru- 
dence, un bon conseil Eh bien, cette mère est 

une fiction; que dis-je? elle est une plaisanterie. 
On l'appelle, on l'attend, on est sûr qu'elle vien- 
dra, tantôt pour sauver de leur naissante abjection 
le petit Théodule et le petit Fanfan, tantôt pour 
prêter à la jeune M™' Didier ces trois mille francs 
qui la compromettent, ou tout au moins pour 
enseigner à ces. deux filles qu'elles se perdent à 



THÉÂTRE DE GENRE. 24I 

copier, dans leur triomphe insolent et menteur, 
ces malheureuses qui cachent sous des robes de 
mille écus une chemise de quinze §pus. A cha- 
que danger de la maison, nous sommes tentés de 
provoquer et d'appeler cette mère absente. A la 
fin : la voilà ! la voilà ! tout est sauvé, tout va ren- 
trer dans le devoir... ô déception! vaine attente! 
On entend un grand éclat de rire.... hélas! c'est la 
mère Benoîton qui ne vient pas. Comme invention 
plaisante, on en trouverait difficilement qui soit 
comparable à celle-là; mais si vous prétendiez 
que la comédie soit en effet une œuvre humaine 
et représentant les actions des hommes, ce grand 
rire à la suite de cette mère, notre dernière espé- 
rance, que personne n'a vue et ne verra, se change 
en accusation contre les mœurs de nos jours.— 
Quoi! dites-vous, pas même la mère! La mère 
elle-même devient la complice des paradoxes de 
son mari et de la honte de ses enfants ! Ainsi les 
voilà complets, ces Atrides bourgeois. Nous, 
cependant, nous demeurons tout attristé, nous 
rappelant avec quel zèle et quel soin tout paternel le 
grand poëte comique à côté du vice place une conso- 
lation : Marianne à côté d'Harpagon, Alceste aux 
, pieds de Célimène, Henriette effaçant Bélise, Valère 
insultant Tartuffe. Ainsi, chez les maîtres, l'exem- 
ple et la leçon, la pitié, le charme, et souvent le 

IV 21 



242 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

pardon, rendent supportables, disons mieux, 
vraisemblables, les plus véhémentes accusa- 
tions. 

Cest pourquoi , nous étant bien amusé de la 
verve inépuisable et des inventions singulières de 
Ce véritablement bel esprit, M. Sardou, nous res- 
tons dans notre droit en écrivant, comme en un 
lieu funèbre: Chapelle Benotton, chapelle For- 
tnicheU Enfermés dans ces quatre, murailles, ils 
n'en sortiront plus. 

Déjà même il nous semble en ce moment qu'au- 
tour de ce tombeau plein d'éclats de rire on entend 
le dialogue que voici entre deux habi tans de Saint* 
Gloud, deux philosophes, heureux de tout, con- 
tents de peu : le philosophe A». . et le philosophe B.»* 
Ces deux anciens voisins des Benoîton ont conduit 
de matin même au cimetière un de leurs bons 
amis, et, passant devant la concession à perpétuité 
des Benoîton : 

ce Voilà donc, s'est écrié le philosophe A..., 
tout ce qui resté de ces champignons vénéneux, 
poussés un beau matin sur le fumier de Saint- 
Cloud? 

B. Ma foi^ je m'étonne encore que ces espèces 
de créatures aient laissé cette maçonnerie qui rie 
résistera pas au prochain hiVer. 

A. Ils avaient cependant joué chez nous un cer- 



THIÈATRE DE GENRE. 243 

tain rôle, et ce nom de Benoîton, dans TAlmanach 
du commerce, était fameux, 

B. Mauvais commerce ! Elles ne durent pas 
longtemps, ces fortunes fondées sur une sotte 
invention, et le sommier élastique à ressorts com- 
pensateurs a jeté, comme on dit, un vilain coton, 
depuis l'invention du lit- fauteuil- billard — le 
tabouret Formichel. 

A. Savez-vous, cependant, ce que M"** Camille 
Benoîton est devenue? 

B. Elle a pris un nom de Victoire, et traîne 
en ce moment sa victoire et son dernier jupon sur 
le boulevard de Gand. 

A. Et ces deux petits messieurs, Théodule et 
Fanfan, que Benoîton père admirait comme deux 
prodiges ? 

B. Théodule est déjà sur le chemin de Brest 
ou de Toulon; Fanfan, plus timide, vient d'é- 
pouser une de ces drôlesses qui font écrire par 
des valets leurs Mémoires pour solder les mé- 
moires de leur blanchisseuse. Fanfan se vante 
d'avoir bien fini, ajoutant que Théodule finira , 
mal. » 

Etrange comédie, au bout du compte ! On y 
court, on l'écoute, on l'applaudit, et le public se 
fâcherait si quelque malavisé tentait d'en arracher 
une seule parole il se fâcherait tout rouge, et 



244 



CRITIQUE DKAMATtQnE 



non pas sans raison, si le moraliste osait ajouter, 
pour conclure, le fabula de te narratur du sati- 
rique latin ; 



Celle h 



>l la tienne, ô bourgeois de Paris I 




MALLEFILLE 



LES SCEPTIQUES 



LEON. LAYA 



MADAME DESROCHES 



M 



'importe où vous le mettrez, disait un 
financier de l'autre siècle à madame son 
épouse, un jour qu'ils avaient invité 
par hasard un grand poëte, inévitablement il sera 
à sa place, c'est-à-dire à la première. A ces causes, 
nous commencerons cette fois par le nouveau 
théâtre de M. Mallefille. Il avait employé trois 
ans de sa vie à écrire un beau drame intitulé les 
Sceptiques. Avec tous les respects, le Théâtre- 
Français a refusé les Sceptiques, et ce soir on les 
joue au bout du monde. Quelle pièce éloquente. 



IV 



21. 



246 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

et bien jouée, au milieu d'un peuple attentif! En- 
tendez-vous d'ici la foule applaudir ? 

Au premier acte, dans un riche salon, M. le 
banquier Landureau donne une grande fêteu 
M°** Sidonie Landureau attend non par les ba- 
rons de nouvelle édition, si chers à la vanité de 
son mari, mais un Jeune homme appelé Lionel, 
marquis de Trézignan. Lionel était amoureux 
naguère de Sidonie. Aujourd'hui l'amour se 
passe, il est passé, et la dame est toute tremblante; 
elle a compris qu'un ami de collège, honnête 
homme, appelé Pierre Çroment, a déjà fait de 
grandes remontrances à Lionel. <c Voilà mon 
ennemi ! » se dit-elle en désignant le jeune homme 
aux remontrances. « Et si tu m'en délivrais, di- 
sait de son côté Lionel à son ami Pierre, serai-je 
assez heureux de cette chaîne brisée! Elle ne 
m'aime plus, je ne l'aime pas ! Elle était belle et 
je suis marquis, nous nous sommes trompés l'un 
l'autre; elle tient à moi par amour-propre, et 
l'ennui m'a détaché d'elle! » Ainsi s'explique et 
vite et bien le nouveau drame. Il est déjà plein 
d'ironie et de bon sens. En ce moment Richard le 
sceptique apparaît; il a rencontré, voilà bientôt 
deux longues années, toute charmante et sans dé- 
fense, une aimable jeune fille. M"® Pauline de 
Chazelet. Elle est pauvre, elle est institutrice ; elle 



THJÉATRE DE GENRE. 247 

est sans défense. Il Ta quittée, elle a pleuré Fin- 
grat, et quand elle a eu compris sa trahison, elle 
a donné sa main, sa belle main parisienne, au 
comte d'Apremont... Soixante ans... Vingt-cinq 
ans ! M"* Blanche d'Apremont, la fille du comte 
et fille d'un premier lit, est encore en son avril, 
avec toutes les vertus de ce bel âge. De loin on 
l'admire, on l'aime aussitôt qu'on l'approche. Et... 
tout rempli de gaieté,. de bonne humeur, de traits 
piquants et nouveaux, le premier acte finit là. 

Acte deuxième. — Nous ne quittons pas le salon 
du fastueux M. Landureau. C'est même une des 
nouveautés de la pièce, et nous sommes tout 
charmés de voir revenir toute parée et contente 
M"° Blanche. Hélas ! l'imprudente I elle accepte, 
en riant, la mantille de M™* Sidonie (la mantille 
de Déjanire !), et la voilà partie au bras de sa 
belle-mère, a II te faudrait cette femme-là! dit 
Pierre à Lionel. — Y penses-tu? répond l'ami 
Pierre; je l'aime, il est vrai, mais comme un 
frère aime sa sœur. » Cependant M"*® Sidonie Lan- 
dureau, abandonnée, a bientôt fait un allié à sa 
vengeance du sceptique Richard de Villepreneuse. 
« Savez -vous, lui dit-elle, comment s'appelle 
M"® Pauline de Chazelet? Elle s'appelle aujour- 
d'hui la comtesse d'Apremont. » 

Au troisième acte, nous voilà dans le château 



* 



248 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

d'Apremont. La jeune comtesse et «on mari le 
vieux comte, assis dans un salon d'autrefois, par- 
courent les journaux d'aujourd'hui en attendant le 
jeune marquis Lionel de Trézignan, leur voisin, 
qui vient ici tous les jours, délivré de M™' Si- 
donie. Ah I les belles heures de ces amours écrou- 
lées ! Comme Lionel se sent délivré de cet ennui 
de tous les jours ! Que M"* d'Apremont lui semble 
belle, et quelle différence entre le comte d'Apre- 
mont et ce pleutre de Landureau! Ce comte 
d'Apremont est tout à fait de l'école autrefois flo- 
rissante, oublieuse de toute morale, incertaine 
entre le bien et le mal ; elle ne disait pas : Que 
sais- je? Elle répondait : Que m'importe? a Un 
homme en vaut un autre, disait M. d'Apremont à 
Pauline sa jeune femme, et M. Lionel de Tré- 
zignan a pour lui de nous être présenté par 
M. Pierre, un ami de notre maison. » L'ennui de 
M. d'Apremont et son indifférence appartiennent 
tout à fait à la comédie; il est copié sur les bons 
modèles. Il s'ennuie, ou tout au moins il s'en- 
nuierait sans la jeune femme ici présente; enfin, 
s'il s'inquiète un peu de Blanche, sa fille, c'est que 
M"*® d'Apremont ne permet pas à ce vieillard d'ou- 
blier ses devoirs de famille. Et puis M"* Blanche 
est de bonne garde, elle se défend , elle se protège 
elle-même, et ce n'est pas cette vaillante enfant qui 



THÉÂTRE DE GENRE, 249 

va rêver du premier venu. C'est une âme active et 
fière. Elle a pour devise : InexcelsisIDansleshani' 
teurs ! Aussitôt que M. Lionel devient un préten- 
dant à sa main, elle impose, et sans hésiter, toutes 
ses conditions. 

Mais (vous l'attendiez) voilà M"*® Sidonîe ar- 
dente à la vengeance ; elle a poursuivi Jusqu'en ces 
lieux redoutables l'ingrat Lionel. De cette explica- 
tion formidable entre cet homme et cette femme 
une grande inquiétude va surgir. Heureusement 
Pierre arrive une fois encore en aide à son ami, il 
pressent le danger, il comprend que la femme dé-, 
laissée se vengera sur la jeune fille. Il ne sait pas 
que le premier amoureux de M™* d'Apremont, 
M. Richard, duc de Villepreneuse, a retrouvé 
toute sa passion pour la belle Pauline. Ah ! mal- 
heureux sceptique ! voilà donc le produit net de 
tes mensonges, à savoir : l'abandon des honnêtes 
gens, le mépris de tes amis de chaque jour, des 
actions douteuses, un regret éternel, le regret de 
cette admirable Pauline, et cette insurmontable 
méfiance d'un homme qui ne croit plus au pré- 
sent, au temps passé, moins encore à l'avenir! 

Cette admirable scène du quatrième acte a re- 
mué toutes les âmes. Tous les cœurs étaient épris 
de la jeune et prudente M"*® d'Apremont. Cepen- 
dant Sidonie Landureau, la femme abandonnée, 




250 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

a suivi la piste de ses vengeances : il ne lui suffit 
pas d'avoir indiqué à M. de Trézignan Tasilede 
ses amours tant pleurées , il faut encore, et voilà 
le crime suprême de ces malheureuses qui ne 
croient à rien, que la jeune fille innocente er 
croyante soit traînée aux abîmes. En ce moment, 
nous revoyons M. Landureau ; il arrive à la suite 
de sa femme : il ne veut pas qu'on le trompe, et 
s'il était trompé, il ne serait pas, non certes, le 
Sganarelle; il serait George Dandin; Ce Landu- 
reau nous fait rire, et nous savons tous que 
M. Mallefille,au milieu d'une scène énergique, 
soudain le voilà qui s'abandonne aux plus folles 
gaietés. Landureau, nous dit-il, c'est Othello dou- 
blé de Jocrisse. Et quand Jocrisse-Othello revient 
de la piste où sa femme elle-même a jeté son 
George Dandin, rapportant la mantille : <c Holà! 
dit-il, je la reconnais, cette mantille; elle m'a 
coûté telle somme, et je l'ai donnée à ma femme! 
Ainsi la malheureuse était à ce rendez-vous où je 
l'ai surprise ! — Oui, dit la dame, et c'est bien ma 
mantille; il y a plus d'un mois que je l'ai donnée 
à M"® Blanche... » A cette déclaration, la jeune fille 
est perdue... Au milieu de tous ces gens qui dou- 
tent, et même aux yeux de son père, un sceptique 
de sa propre fille, elle est déshonorée ! a Est-ce assez 
bien joué ? » dit tout bas Sidonie à Lionel. Mais, 



THEATRE DE GENRE. 25l 

Dieu merci! voici le croyant. Le voilà le cœur 
fidèle et dévoué qui croit àPhonneurdes hommes, 
à la chasteté des femmes, à la virginité des vierges. 
Voilà Pierre, le bourgeois î Mallefille ici triom- 
phe, il éclate, il est maître... Athéniens, nous dit- 
il, Athéniens repus de femmes décolletées, mal- 
heur aux honnêtes gens qui baillent leur vie et 
qui ricanent de tout ! 

Et quand chacun de ces entasseurs de nuages 
demande à Blanche une preuve de son innocence, 
Pierre s'avance, et, lui tendant la main : « Made- 
moiselle, dit-il, voulez- vous m'épouser? » 

Nota bene. Nous trouverons un peu plus loin, 
dans la nouvelle pièce du Théâtre-Français, jouée 
à la même heure, la même scène^ et très-touchante. 
Ici, la scène est superbe, et la déclaration des deux 
jeunes gens est amenée à merveille : « Mais vous 
ne m'aimez pas, dit Blanche. — Au contraire, et 
de toute mon âme, répond Pierre; je vous aime, 
et je bénis le ciel de toutes les lâchetés qui vous 
entourent, ô ma chère épouse î » Ainsi finit par 
les larmes les plus tendres et les plus heureuses ce 
châtiment implacable et mérité. Vous pouvez m'en 
croire, les Sceptiques représentent une belle œuvre, 
digne de toutes les louanges et de tous les respects. 

L'autre comédie, au Théâtre-Français cette fois, 
est ingénieuse, élégante et bien faite aussitôt que 



252 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

nous admirons le Duc Job et la Loi du cœur. 
L'auteur, très-indécis du titre à donner à sa pièce, 
aurait pu se rappeler les maîtres anciens lorsqu'ils 
intitulaient leur comédie : la Cassette^ la Cruche^ 
le Câble ou le Trésor; il aurait facilement inti- 
tulé sa pièce : les Tablettes. Ces tablettes jouent 
en effet le grand rôle en toute cette histoire assez 
triste. Il s'agit cette fois, non pas d'une femme ri- 
dicule, il s'agit d'une femme méchante. On rit 
volontiers de M"*' Philaminte et du bon Chrysale... 
il n'y a rien de moins gai que M"* Desroches. 
Chrysale est un bonhomme, un naïf; M. Des- 
roches est tout simplement un imbécile, et, ce qui 
est pire, un malhonnête homme. Chrysale, en sa 
jeunesse, ne déplaisait pas à dame Philaminte; au 
contraire, M. Desroches a déplu toute sa vie à sa 
triste épouse. En opposition avec cette mégère, 
nous avons, au premier acte, une femme excellente 
et trop bonne, la comtesse de Villiers. 

La dame est fort riche, elle est veuve et jeune 
encore, elle ne songe qu'à bien élever M"® Blan- 
che, sa fille unique. Elle aura lu, dans VÉcoledes 
Maris, les sentiments du bon Ariste : 

Et les soins défiants, les verrous et les grilles, 
Ne font pas la vertu des femmes et des filles... 

Ariste et M** de Villiers sont du même avis : il 



THÉÂTRE DE GENRE. 253 

ne faut pas gêner l'inclination des jeunes filles; 
faites mieux, ayez souci même de leurs rêves. 
Cette nuit précisément M"' Blanche de Villiers a 
rêvé qu'elle voyait un jeune homme à ses pieds : 

Il jurait qu'il m'aimait d'un amour sans seconde, 
Et me disait les mots les plus gentils du monde; 
Des choses que jamais rien ne peut égaler. 
Et dont, toutes les fois que je l'entends parler, 
La douceur me chatouille et là dedans remue 
Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue. 

Or le jeune homme en question esî un gode- 
lureau sans argent, sans crédit, qui n'a pour lui 
que sa moustache blonde, et nous connaissons peu 
de mères, à la place de M°*® de Villiers, une femme 
de cent bonnes mille livres de rente, qui ne dise 
à sa fille : « Allons, vous rêvez, ma fille, remettez- 
vous ! Quand on est M"® Blanche de Villiers, on 
n'épouse pas un rapin, et votre rêve n'a pas le sens 
commun I » Au même instant entre dans cette mai- 
son mal gardée un certain marquis d'Oswald, — 
marquis est de trop, — porteur d'une demande en 
mariage. Il ofifre, à très-bon prix, le jeune duc 
d'en face, un duc anglais orné de deux cent cin- 
quante mille livres de rente, et très-connu dans 
l'avant-scène consacrée aux ballets décolletés, à tel 
point que l'administration a fini par dire à ces 
dames du harem de Gulliver : 

Cachez ces seins que nous ne saurions voir. « 

IV 23 



254 . CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Mais : « Fi des cinq millions I répond M"* de Vil- 
liers; nous ne voulons pas d'un petit crevé anglais, 
fût-il assis sur le sac de laine, et M*^ Blanche n'est 
pas faite pour le jeune homme aux cinq millions. » 
Ce premier acte est un peu long, mais il passe. 
On ferait bien d'effacer cette belle phrase, en par- 
lant du jeune duc : « Il a le ventre très-creux ! » 
C'est chose étrange que messieurs du Théâtre- 
Français, qui n'ont pas toujours l'oreille béo- 
tienne, aient répété six mois, sans la corriger, 
cette phrase-là. 

Acte second. — Nous voilà cependant chez 
M°*® Desroches. Figurez-vous le/orm/ca/^a atten- 
dant sa proie au fond de son entonnoir. Ame im- 
pitoyable et mercenaire, elle hait sa fille, elle hait 
son mari ; elle n'aime que l'argent. Avec quel em- 
pressement elle accepte le jeune duc aux cinq mil- 
lions dont voici la photographie. // est très-bien, 
cet homme. Et même elle donne un pot-de-vin au 
courtier qui lui propose un si beau mariage. Ce 
courtier n'est plus le marquis d'Oswald, c'est tout 
bonnement un chevalier d'industrie; et nous voilà 
tout fâché de rencontrer cette escroquerie au moins 
inutile dans un sujet qui pouvait si bien s'en pas- 
ser. Cependant vous attendez, en contraste avec ce 
triste duc d'Angleterre (absent jusqu'à la fin de 
l'œuvre), que l'on vous montre enfin le peintre en 



THÉÂTRE DE GENRE. 255 

question, cette merveille que Ton voit en rêve, un 
artiste à ce point désintéressé que, non content 
d'avoir couvert des plus belles. peintures le salon 
de Desroches à la campagne au prix de cinquante 
francs le tableau, des tableaux dignes de Boucher, 
il ajoute à son bienfait deux tableaux d'Hobbema, 
deux chefs-d'œuvre, uniquement pour plaire à son 
horrible hôtesse. Arrivez donc, jeune homme, et 
nous montrez votre heureuse barbiche!... O dés- 
appointement, nous ne le verrons pas I C'est ainsi 
que dans la Mort du grand Pompée il plaît à 
Corneille de ne pas montrer son héros. 

Mais, dites-vous, il n'y a donc rien dans cette 
excellente comédie? Il y a quelque chose; atten- 
dez, voici la scène! Elle est très-belle et jouée à 
merveille par M*"® Victoria Lafontaine, qui se re- 
lève enfin des mépris et de l'oubli de son théâtre. 
On vous a déjà raconté le retour du jeune amiral 
de Rosoy ; comment il est le cousin de M"* Des- 
roches et le parrain de sa fille Louise. A son dé- 
part, il y a quatre ans, Louise était encore une 
enfant ; elle est devenue une jeune fille, et, mal- 
traitée au logis domestique, elle s'est repliée en 
elle-même. 

Et, de ses dix-sept ans doucement tourmentée, 

elle écrit sa confession de chaque jour. La fillette 






256 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

est là tout entière, et quand elle voit ses tablettes 
aux mains de sa mère impie : « Oh f non ! dit-elle, 
pas cela, ma mère, je ne le veux pas ! » Il faut en- 
tendre en ce moment le grand cri de la jeune 
M°** Lafontaine; on ne saurait pousser plus loin 
le spasme et la douleur. Hélas ! si M"® Rose Chéri, 
ce talent si complet, avait pu contempler la pro- 
fonde et cruelle douleur de sa fille ad optîve, qu'elle 
en eût été fière et contente ! Et voilà comment 
M™* Victoria Lafontaine, si longtemps délaissée 
en ce théâtre ingrat, vient de lui donner tout un 
drame. Elle a fait d'une pièce morte une vivante 
comédie. Otez-la, tout est perdu. 

Une scène encore en ce même acte, où Ton re- 
connaît une main très-habile. A l'aspect de cette 
enfant qui pleure, et qui lui récite, haletante à 
perdre haleine, une complainte ineffable, où les 
mots pressés produisent l'effet d'un coup de feu 
quand le plomb fait balle et frappe à bout portant, 
c'est le cri de l'amiral de Rosoy : « Louise, veux- 
tu m'épouser? » (2* édition de la scène des Scepti- 
ques.) Et l'enfant, pleine de joie et de fièvre, se 
jette au cou de ce galant homme. Ici le drame est 
fini; il ne saurait aller plus loin. 

Donc, effaçons toutes les injures inutiles que se 
disent l'homme et la femme Desroches ; au moins 
par respect pour notre marine, faisons-les taire, ils 



THÉÂTRE DE GENRE. 257 

n'ont plus le droit de parler. D'ailleurs, c'est un 
spectacle étrange, cette horrible femme hurlant et 
vociférant le mot fameux : Jamais! jamais! parce 
qu'on lui donne pour gendre un amiral de 
quarante ans, qui aura dans dix ans le bâton des 
maréchaux de France avec le Sénat et le grand 
cordon de la Légion d'honneur! Jamais! jamais! 
au nez de ce digne amiral, ne voilà-t-il pas une 
déclamation bien placée et des banquiers bien 
difficiles ! Encore un sacrifice dont le public nous 
saura gré; retranchons tout le quatrième acte; 
n'allons pas en Italie, et baissons la toile au mo- 
ment où tout le monde applaudit. 

Des Sceptiques à M^^ Desroches, quel abîme ! 
Et de MallefiUe à M. Laya, quelle différence! 
L'auteur de Af«^ Desroches^ envié, protégé, ap- 
plaudi, enrichi, récompensé, voisin de toutes les 
gloires, passe incessamment son heureuse vie à 
combiner précieusement toute sorte de situations 
vulgaires, de scènes toutes faites; il écrit comme 
on parle; il est pour la moindre chose écouté, 
suivi, applaudi, ses amis d'aujourd'hui rempla- 
çant et bien au delà ses amis d'hier. Le succès lui 
vient par hasard, par habitude. Il n'a qu'à se 
laisser vivre pour être heureux ; il n'a qu'à mar- 
cher, il avance. Il a le vent en poupe ; et tout ce 
qu'on peut faire et tout ce qu'on peut dire ici-bas, 

17 22. 



258 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

les rois qui tombent, les républiques disparues, 
les rois qui viennent, il ne songe qu'à marier 
M. le marquis à M"™® la comtesse, ou M. l'amiral 
à sa filleule ; il est content, tout va bien ; il se pré- 
lasse à son soleil. 

L'autre, au contraire, est un lutteur : il lutte ; il 
est un homme énergique : il résiste ; il aurait 
honte de construire, à la façon des enfants, de 
frêles châteaux de cartes qu'un souffle emporte : 
il lui faut le fer et le granit. Chez lui la passion 
l'emporte sur l'habileté, Tinstinct sur la pru- 
dence. 

Il obéit à des passions violentes, à des haines 
vigoureuses, à des tendresses éternelles. Il a subi, 
jeune encore, les. épreuves les plus formidables. 
Une expérience précoce, un profond sentiment du 
juste et de l'injuste, une grande connaissance du 
cœur humain, de longues et patientes études 
énergiquement accomplies, le naufrage et la per- 
sécution, et même, afin que rien ne manquât à ces 
épreuves de toute sorte, la fièvre et l'insomnie des 
journées de toute-puissance, un grand emploi 
dignement accompli, fièrement rejeté : voilà la vie 
et le labeur de cet homme que nous avons re- 
légué, avec sa meilleure œuvre peut-être, aux 
théâtre des F olies-Saint- Germain ! Heureuse- 
ment que, cette fois encore, justice est faite. Ap- 



THÉÂTRE DE GENRE. 25^ 

plaudissez, je le veux bien. M'"' Desroches, mais 
laissez les âmes fières et sympathiques approuver 
tout à leur aise ces Sceptiques terribles et char- 
mants ! 




MEILHAG ET HALEVY 



FROUFROU 




N la pleure, au dernier acte, avec des 
gémissements qui tonnent la sympathie 
et la passion... Pourtant, quand on y 
songe, on est bien vite consolé de cette mort im- 
prévue, et Ton regrette, en essuyant ses pauvres 
yeux, tant de larmes inutiles. i^row/roM est une en- 
fant de Paris, une belle demoiselle assez mal élevée. 
A peine elle avait cinq ans, elle était déjà une petite 
dame, et possédait à fond les premiers éléments 
de la grande toilette. Un exemple entre tous vous 
donnera une idée approchante des petits crimes 
de ces grandes coquettes, lorsque, réunies en un 
cercle de falbalas et de fanfreluches, elles copient, 
sous les yeux de leur mère et des passants, les 
grands airs de Célimène. Un jour, comme elles 
jouaient en grande parure, aux propos interrom- 



■ THÉÂTRE DE GENRE. 261 

pus, deux jeunes filles de leur âge implorent 
d^une voix timide et d'un regard charmant Thon- 
neur d'être admises dans ce cercle des talons rou- 
ges. Froufrou répondit avec l'insolence et l'igno- 
rance de cet âge impitoyable : « Loin d'ici, 
Mesdemoiselles! nous ne jouons qu'avec des 
petites filles en robes de soie »; et les fillettes en 
robe de laine s'en revinrent à leur mère, qui les 
attendait en lisant un vieux livre. Ah ! les dignes 
enfants ! Elles n'ont rien trouvé à répondre à la 
petite Froufrou. Elles avaient tout simplement 
pour aïeul M. de Witt, le grand pensionnaire 
de Hollande, un héros! un martyr! etpourgrand- 
père le premier ministre des affaires étrangères, 
un génie ! Tel fut.... le premier exploit de 
M'*® Froufrou. 

A quinze ou seize ans, c'était presque une dame 
à la mode. Elle était la reine des beaux ajuste- 
ments; elle se fût volontiers vantée comme cette 
héroïne de Regnard qui disait : « J'ai porté, la 
première, des prétentailles dans la ville de 
Rayonne. » En revanche, elle ne savait rien, 
l'aimable demoiselle, de toutes les choses qu'il 
faudrait savoir. Elle ignorait le Musée du Louvre; 
elle ne savait pas un seul nom de nos grands 
poètes; à peine elle avait entendu parler de La 
Fontaine et de Lamartine. Une fois que sa mère la 



262. CRITIQUE DRAMATIQUE. 

voulait conduire au Théâtre-Français, elle se mit 
à lire Taffiche et s'en revint éperdue en criant ; 
« N'allons pas là, maman, c'est en vers ! » L'heu- 
reuse ignorance et l'aimable éducation ! En vain 
un grand moraliste écrivait pour les filles d'autre- 
fois ces aimables conseils : a Ne craignons rien 
tant que la vanité dans les filles ; elles naissent 
avec un désir violent de plaire. Les chemins qui 
conduisent les hommes à l'autorité et à la gloire 
leur étant fermés, elles tâchent de se dédommager 
par les agréments de l'esprit et du corps; de là 
vient leur conversation douce et insinuante; de 
là vient quelles aspirent tant à la beauté et à 
toutes les grâces extérieures, et qu'elles sont si 
passionnées pour les ajustements : une coiffe, un 
bout de ruban, une boucle de cheveux plus haut 
ou plus bas, le choix d'une couleur, ce sont pour 
elles autant d'affaires importantes. » Qu'est-ce à 
dire, et que leur veut ce bonhomme? On ne leur 
a jamais parlé de ce livre excellent, qui pourrait 
sauver tant de choses : De V éducation des filles, 
par M. Fénelon : a A peine elles ont l'âge du 
travail, tout les ennuie, et la pente au plaisir les 
emporte. » 

En revanche, elles vous chanteront la chanson 
r Éducation des demoiselles sur l'air Tra la la la, 
r amour est là. 



THÉÂTRE DE GENRE. 263 

Le bel instituteur de filles 
Que ce monsieur de Fénelon! 
Il parle de messe et d'aiguilles. 
Maman, c'est un sot tout du long. 
Concerts, bals et pièces nouvelles 
Nous instruisent mieux que cela. 
Tra la la la, les demoiselles, 
Tra la la la, se forment là. 

Bref, M"® Froufrou est tout à fait ce qui s'ap- 
pelle une fille mal élevée. Il est vrai que son di- 
gne père, un certain M. Brigard, n'a guère veillé 
sur l'éducation de ses deux filles. Il est lui-même 
un bohémien de petits théâtres, un coureur de petits 
ballets ; il est le protecteur de M"® Tata, le pour* 
suivant de M"® Antonia Brunet. S'il rencontrait 
Mimi Pinson, il l'épouserait en secondes noces. 
Ne voilà-t-il pas un bel exemple, un fameux père^ 
un sage conseiller! Cet homme, autant que sa 
fille, est un vrai froufrou. 

Naturellement le premier acte se passe au châ- 
teau de Bigorre : on dira dans dix ans le château 
de Brigard i 

De bon matin, Mademoiselle est sortie à cheVâl 
avec M. de Valréas, un jeune voisin très-riche, et^ 
comme ils revenaient au grand galop de leurs 
chevaux, la demoiselle, en habit d'amazone, arrive 
haletante : <t J'ai gagné le pari » , dit-elle. Qu'a- 
vaient-ils parié? Une discrétion, sans doute ; et 



264 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

tout de suite, avant même d'embrasser son ai- 
mable sœur Louise Brigard, Froufrou s'en va 
faire un brin de toilette. Oh ! mon Dieu , tout ce 
qu'il y a de plus simple : 

Une robe légère 
D'une entière blancheur, 
Un chapeau de bergère, 
De nos bois une fleur. 

Mais le chapeau, la robe et la rose évidemment 
viennent de la bonne faiseuse. Une Montmorency 
s'en contenterait pour toutes ses vacances; ce soir 
même la robe sera fripée. Au feu la rose ! et la 
ceinture à Ja femme de chambre I A tout ce que 
nous portons nous voulons la forme et le bruit. 
Ces jeunes personnes ont toujours gardé les va- 
nités de leur grand-pène, le bourgeois gentil- 
homme : il faut paraître. 

Savez-vous cependant que tout à l'heure, avant 
de déjeuner. Froufrou se marie? Elle épouse, avec 
l'autorisation de sa sœur Louise, un gentilhomme 
amoureux, M. de Sartorys, très-riche aussi. Nous 
voulons autour de nous des gens riches. Il ne 
faut pas que Froufrou sache jamais les mécomptes 
d'une fortune médiocre. Un rien pourrait ternir 
ces yeux charmanst, effacer ce piquant sourire et 
gêner ces grandes espérances. Il faut qu'à chaque 
instant son père et sa sœur puissent dire : « Allons, 



THÉÂTRE DE GENRE. 205 

tout va bien, Froufrou s'amuse. » Voyez cepen- 
dant la logique : l'aimable demoiselle courait ce 
matin, bride abattue, à travers champs, sous la 
conduite de M. de Valréas, et ce soir elle épouse 
en toute hâte M. de Sartorys! On ne verra pas, 
j'en suis fâché, la robe de la signature du contrat. 
Au moins, disent les dames, aurons-nous la robe 
-des noces, robe froufrou en satin Montpensîer? 
costume cardinal en drap vert bouteille? On 
l'ignore. Ma foi. Mesdames, nous en sommes 
fâché; mais au second acte Froufrou est mariée 
depuis quatre ans à M. de Sartorys. La robe de 
noces est jetée aux orties, la fleur d'oranger par- 
dessus le moulin. Nous avons déjà un enfant de 
trois ans, nommé George. Mais quoi! l'enfant est 
fort négligé de sa mère. En ce moment. Froufrou 
appartient au plus beau monde; elle a fait amitié 
avec les plus célèbres péronnelles. Son nom re- 
tentit chez les plus fameuses couturières. Dans les 
journaux de modes, on vous dira chaque semaine : 
a Elle portait hier, aux courses, une robe marquise, 
en satin-scandinave-noiseue-grand-volant-tablier- 
quille; elle était ainsi coiffée à l'Opéra. Son cha- 
peau... » mais ici nous ne voulons tromper per- 
sonne, on ne voit pas le chapeau de Froufrou, et 
pourtant, que je pense, elle n'était pas tête nue au 
dernier sermon. 

IV 23 



266 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Voulez-vous toutefois qu'on vous diise exacte- 
ment ce que faisait la dame au second acte de sa 
vie et de sa passion? Elle s'occupait de son mieux, 
en belle et bonne compagnie, à répéter un bijou 
de comédie, une œuvre exquise, décente et choisie 
à merveille pour exciter au delà de toute espé- 
rance les convoitises et l'empressement des coco- 
dettes des deux sexes. Or, voici la belle œuvre 
que répétait chaque jour M™® de Sartorys avec son 
attentif, M. de Valréas. 

Vous rappelez-vous... dans le répertoire extrême 
de M"® Déjazet, — c'est du plus loin qu'il vous en 
souvienne, — une farce à deux personnages, /n- 
dianaet Char lemagne? A coup sûr, on ne l'eût pas 
choisie en cette illustre maison de Saint-Cyr, sous 
la loi sévère de M"*® de Maintenon. Même on a 
pu voir que cette reine eut de grandes inquiétudes 
après la représentation à^Esther et (TAthalie, 
Indiana est une, chemisière, Charlemagne est un 
culottier ; ils sont à peine séparés par une cloison 
qui chancelle entre les deux mansardes. 

Entre les deux cloisonSj le dialogue s'établit 
entre les deux voisins : 

CHARLEMAGNE. 

Je sors de la Renaissance, 

INDIANA. 

Tiens!.;, et moi aussi I;.. 



THEATRE DE GENRE. 267 



CHARLEMAGNE. 

Bah!... OÙ je me suis amusé, ferme! 

INDIANA. 

Tiens!,., et moi aussi!... 

CHARLEMAGNE. 

Bah!... où j'ai dansé un cancan orageux! 



Ah ! pristi ! fallait la voir, les 

mains dans les poches, la tête jetée de coté et partant du 
pied gauche ! ( Indiana prend les positions qu'il indique,) 
C'est au point, chère amie, que je lui ai offert ma for- 
tune, séance tenante... en pleine Renaissance, à la face 
des pierrots mes concitoyens... 

Bref, le jeune homme est éperdu d'un polisson 
de petit pied qui le met tout en joie, et le voilà 
qui chante : 

Vive le cancan national ! 
Je me fiche du Code pénal 1 

Cela dure ainsi pendant trois quarts d'heure. 

Alors quoi d'étonnant que dans cette maison de 
fête et de plaisir, où Pitou le souffleur indique à 
M"® la marquise les traditions de M"® Déjazet et 
le galop du tourbillon à l'usage des débardeurs, 
l'adultère entre à pleines voiles? Froufrou, âme et 
corps, appartient à la comédie de société. Son 
mari la gêne, et son enfant l'ennuie ; elle prie et 



268 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

supplie à mains jointes sa sœur Louise de prendre 
enfin sa place et de la débarrasser des soucis du 
ménage. En même temps le père, en peine d'une 
gourgandine de l'Opéra, la suit jusqu'au fond de 
la bohème, a Ah ! dit Froufrou laissant aller ses 
deux bras le plus naturellement du monde, mon 
père a le mal du pays ! » Le second acte finit là. 

Nous devons signaler au troisième acte la scène 
entre les deux sœurs. Elle est très-dramatique et 
très-belle. Avant de tout briser dans ce combat de 
la nature et du devoir, la jeune femme éprouve à 
son tour cette fièvre intermittente qu'un de nos 
beaux esprits appelait la crise. Elle hésite, elle se 
trouble; elle se demande avec des larmes si vrai- 
ment elle osera jouer le rôle principal dans cette 
abominable comédie : les Amants sûrs l'un de l'au- 
tre, A la fin, le devoir l'emporte. — « Il est 
temps, se dit-elle avec terreur, d'être une mère de 
famille et de reprendre ma place dans la maison. 
Je reprendrai mon fils! Louise, ma sœur, me le 
rendra... » Mais depuis si longtemps Louise est 
habituée à l'enfant; Sartorys, le mari, s'est fait à 
Louise ; elle a mis tant d'ordre et de soin dans 
cette maison à l'aventure ! Elle compte si peu sur 
le zèle et les bonnes intentions de Froufrou ! 
a Là, voyons, Froufrou, nous dira la sage et 
prudente Louise, t'es-tu bien consultée? Écoute- 



THEATRE DE GENRE. 269 

nous; nous parlons pour ton bien : reste au jour 
le jour, la femme légère et riante. On te donnera 
tout l'argent qu'il te faut pour tes menus plaisirs. » 
A cette parole méritée, Froufrou se fâche et s'em- 
porte, et, dans cette épouvantable scène, elle 
accuse hautement Louise de lui avoir ravi l'amour 
de son mari, la tendresse de son enfant. « Rends- 
les-moi, dit-elle, je ne suis pas la femme aux 
longs efforts. — Reprends-les, reprends-les, répond 
Louise au désespoir. — Je n'en veux plus, répond 
Froufrou; tu m'as tout pris, garde tout! » Sur 
quoi, la voilà partie avec M. de Valréas, qu'elle 
enlève. Adieu les bonnes résolutions de tout à 
l'heure, et sans donner au Valréas le temps de la 
réflexion, la voilà qui le suit à Venise. — N. B. 
La dame est en tunique-paniers à quatre pointes, 
manches à brassard. 

Au quatrième acte, Venise et le canal du Lido; 
la terrasse où flamboie un soleil radieux. Pour 
domestique un certain Zanetto, vêtu en velours 
bleu à retroussis de velours noir, un barcarol de 
fantaisie. Les deux amoureux sont cachés dans ce 
nid depuis trois mois, sans être ennuyés l'un 
l'autre de leur égoïsme à deux. Encore un peu de 
temps, ce bel enthousiasme s'effacera, et déjà les 
voilà qui lisent (de si loin ? le regret a des yeux 
si perçans!) l'annonce des pièces jouées au Palais- 

IV 23. 



270 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Royal. Cest leur théâtre. — a Hélas! disait la fu- 
gitive au fugitif, je me rappelle un soir où l'on 
avait fait des deux avant-scènes une seule et même 
loge, et, bien assise et bien vêtue, en chignon ca- 
rotte, à côté des plus grandes coquettes de la ville 
et de la cour, le public nous regardait en admi- 
rant. Toutes les femmes étaient jalouses, et les 
hommes faisaient les beaux, le sourire à la lèvre, 
un camélia au bouton de Thabit. Jamais je ne fus 
plus heureuse!... » Hélas! elle ne songe pas une 
minute au déshonneur de sa maison, à l'orphelin 
qu'elle a laissé, au nom souillé par elle, à tous ces 
souvenirs douloureux, honteux, misérables... Elle 
songe au théâtre du Palais-Royal, où Ton jouait, 
ce même soir, une extraordinaire et stupide folie 
en cinq actes! cinq petits actes! Joie et bombance! 
Amours, festins, réduits, grisettes! Martîneau! 
Rigolard! Joquelet! En avant donc ce chassé 
croisé d'Amandine avec Gustave et d'Uranie avec 
Courtalou ! Et comptez-vous pour rien Léona, 
Nicole, Estelle et M"« Tibère?... Allons-y gaî- 
ment! Oh! que ne suis-je assise à l'ombre des 
forêts... du Palais- Royal ! 

Supposons, pour son châtiment, que M. de 
Valréas, de son côté, se rappelle une certaine Vé- 
nitienne ayant nom Desdémone, sous les traits 
charmans de la Malibran, lorsqu'elle chantait, 



THEATRE DE GENRE. 27I 

comme on chante au ciel," la Romance du Saule^ 
en réponse aux gondoliers lointains frôlant le 
pont des Soupirs! 

Quoi qu'il en soit, la scène est attristante et 
produit un déplorable effet sur les imaginations 
restées jeunes en dépit des années. 

Sur Tentrefaite arrive enfin le mari, Phomme 
de pierre, et de sa grande et juste épée il abat du 
premier coup son ancien ami Valréas. J'en suis 
fâché pour les cocodettes ici présentes, elles ne 
s'étonnent guère de ce dénoûment funèbre. Elles 
ont vu autour d'elles tant d'aventures qui se ter- 
minent ainsi! On dirait que ces scandales sanglants 
sont le revenu de votre beauté, malheureuses cou- 
sines de cette inconséquente et très-coupable 
Froufrou. Un déshabillé d'une suprême élégance 
est nécessaire à la veuve de -cet amoureux sitôt 
châtié : peignoir forme Louis XV, en cachemire 

gris. 
Cinquième acte. Au bout de trois mois, errante 

et presque laide, traînant après elle un remords 
qui la tue, Froufrou s'en revient au logis conju- 
gal pour y mourir. Maison silencieuse ; le mari 
implacable et l'enfant ignorant, qui parfois appelle 
sa mère. Hélas! la voilà, qui If croirait? dans une 
-humble robe noire, sans pèlerine, sans nœuds, 
sans tablier-quille ! Elle expie en ce moment les 



272 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

toilettes tapageuses: bottes en peau de chevreau, 
les jupons rose-marguerite^ les diamants et les 
perles d'autrefois. Qui la reconnaîtrait, juste ciel ! 
dans ce haillon? Sa joue, autrefois si fraîche et 
i&rillante de tous les feux de la jeunesse, a la 
pâleur du linceul. Cette agonie est un peu longue. 
Aussitôt que la mort est certaine, il ne faut pas 
qu'elle attende. En fait de morts, on n'en peut 
citer que deux dans tout ce siècle : la mort de la 
Dame aux camélias, la mort de Clarisse HarlofPSy 
une sainte, une prostituée, et dans ces deux ago- 
nies, la fange payant toute sa peine, et le ciel 
donnant toute sa récompense. Essayez de traverser 
ces deux lits funèbres, inévitablement vous tom- 
berez de ce côté-ci ou de ce côté-là, mais vous ne 
serez pas originale, et vous copierez, sans le savoir, 
sans le vouloir, cette espérance ou ce désespoir. 

Au premier acte du nouveau drame, nous avons 
retenu un mot terrible, hardiment placé là, et qui 
représentera toute notre critique. Au moment du 
mariage imprévu de M"® Froufrou Brigard avec 
M. de Sartorys, une certaine baronne dont nous 
n'avons point parlé parce qu'elle est tout à fait 
inutile à l'action : C'est vraiment, dit-elle, un 
mariage sur la musique d*Offenbach. On ne pou- 
vait pas mieux dire, surtout ce mot-là étant pro- 
noncé par les deux parodistes effrontés, assidus, 



THEATRE DE GENRE. 2^3 

constants, de maître Oifenbach. C'est très-juste, 
oui-da. Quoi qu'il arrive en cette fin d'un siècle : 
innocence, arrangement, courage, esprit, lâcheté, 
poésie, imagination, violence, crime, honneur, 
vertu, professions de foi, serments, Te Deum, 
mariage, coups d'épée, enlèvements, chassepots, 
drame et comédie, et musique et chansons, que 
disons-nous ? la politique ! à tout propos, partout 
et toujours, accompagnements d'Offenbach, musi- 
que d'Offenbach ! 

Et maintenant, voulez-vous savoir, pour finir, 
notre opinion sur la nouvelle comédienne?.,.. 
Elle est tout simplement la plus étonnante des 
femmes. Elle a commencé par jouer misérable- 
ment la comédie; elle se traînait, sans grâce et 
sans esprit, dans les sentiers dramatiques d'une 
actrice admirable et toujours regrettée, M"' Rose 
Chéri. Personne ici, et nulle part, ne songeait 
plus à M"* Desclée, et la voilà soudain qui revient 
de son exil, triomphante et superbe, et parfaite- 
ment dédaigneuse des misères de ce passé peu 
brillant. La voilà telle qu'elle est! Sitôt qu'on Ta 
revue on se disait : a Que vient-elle faire? » Elle 
revient, pardieu ! pour faire une révolution, tout 
simplement. Elle revient pour nous montrer des 
changements imprévus, des effets incomparables. 
C'est un protée. Il faudrait être un grand peintre 



274 CRITIQUE DRAMATIQUE, 

pour en faire un portrait fidèle. Ombre et fantôme 
et femme, et si peu semblable aux joueuses de 
comédie!... Essayez de la prendre, essayez de la 
suivre ! Elle échappe, elle se dérobe ; elle irrite, 
elle plaît, elle charme, elle inquiète. Elle a les 
yeux très-grands, pleins de feu, les plus brillants, 
les plus perçants du monde. Sa bouche est grande, 
avec des grâces naturelles, et la plus attrayante. 
Elle n'est pas grande, elle n'est pas petite; on n'en 
voudrait pas davantage ! Sa taille est aisée et bien 
prise. Nonchalante dans son parler, provocante 
en ses silences, active dans ses actions, d'un geste 
élégant qui dit toutes choses. Ah ! dieux et déesses ! 
tout à coup la voilà qui sort d'elle-même; elle 
crie, elle menace, elle épouvante. On se tait, 
oubliant souvent de l'applaudir. Certes, sa joie est 
de bonne prise, et ses larmes sont de vraies larmes, 
mais tant pis pour qui se laissera prendre à ces 
gaietés soudaines, à ces chagrins imprévus ! Elle 
est le caprice en personne; elle est toute fantaisie... 
Elle est la surprise ! 

Il y a des instants où vous la pousseriez dans 
l'abîme uniquement pour le plaisir de l'en retirer; 
mais elle se replie et se défend. Prudente à ses 
heures, irritante et charmante, en trois mots, la 
voilà toute. On ne parle que d'elle! « A vous 
entendre, on dirait (c'est le mot d'un vieux comé- 



THÉÂTRE DE < 



275 



dien qui sait son métier) que M'" Desclée est la 
première de nos comédiennes. — Eh ! quMmporte 
qu'elle soit la première ou la dernière?... Elle est 
la seule I » 




M" ROSE CHERI 




UAND le poëte en ses plus grandes tris- 
tesses veut indiquer une douleur inef- 
fable, il s'arrête, et soudain: a Quel 
plus grand malheur, nous dit-il, un enfant porté 
au bûcher sous les yeux de ceux qui l'ont vu naî- 
tre! » Eh bien, nous avons compris toute cette 
douleur, samedi passé, lorsque dans cette ville de 
Passy qu'elle habitait (en dépit de l'annexion, 
Passy est resté un doux village où chacun se con- 
naît et s'estime à sa juste valeur), le bruit s'est 
répandu que M*"® Rose Chéri venait d'expirer 
victime de son amour maternel. On l'aimait, on 
l'honorait dans tout le canton, moins encore pour 
son rare et charmant talent que pour ses bonnes 
grâces, ses vertus modestes, sa vie à l'ombre et le 
parfait accomplissement de ses devoir^ d'épouse 
et de mère. Elle était la simplicité même; elle 



THEATRE DE GENRE. 277 

était la grâce en personne ; et quand ce bruit de 
mort se répandit là-bas dans la ville aux grands 
bruits, portant la douleur et le deuil de théâtre 
en théâtre^ alors la louange aussi fut unanime et 
sérieuse' de ce talent très-rare et complet qui faisait 
facilement de M*"* Rose Chéri, depuis M"' Rachel, 
cette perte irréparable, la première comédienne 
de son temps. Ici et là, partout, ce fut une douleur 
unanime, et le Jour funèbre étant venu, ses amis, 
les admirateurs de cette infortunée, accoururent 
de très-loin pour lui rendre au moins les derniers 
devoirs. Les hommes et les femmes de la comédie, 
et les jeunes gens et les vieillards, les inconnus et 
les célèbres, accompagnaient ce cercueil tout 
chargé de couronnes méritées, et quand ils le 
présentèrent à Téglise, les portes s'ouvrirent à 
deux battants. 

C'est que, vivante, et dans tout Péclat de son 
renom, de sa beauté, cette aimable et grande 
artiste savait le chemin de l'église; on y montre 
encore aujourd'hui la place qu'elle occupait, dans 
un coin bien modeste ; elle y menait ses trois 
enfants, son unique orgueil; les pauvres gens 
la reconnaissaient par un sourire. Hélas ! l'aima- 
ble femme ! On entendit bien rarement plus de 
louanges et des louanges plus entières sur le pas- 
sage d'un cercueil. 

IV 24 



278 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

De l'église même, et par un long sentier, cette 
foule attristée l'accompagnait sous la pluie au champ 
des morts. Sur cette tombe ouverte avant Theure, 
un vieillard plein de courage et d'énergie, au nom 
de la grande famille des artistes dramatiques dont 
il est le père, M. le baron Taylor, a prononcé des 
paroles touchantes. Au nom de la Comédie fran- 
çaise, à laquelle appartenait M"® Rose Chéri par 
ses mérites, et dont le nom manque à tout jamais 
à la liste de ses comédiens célèbres, M. Léon 
Laya a parlé comme un poëte, et chacun s'est 
incliné devant ces belles paroles: « Notre admira- 
tion pour les œuvres, les luttes, les plaisirs de 
l'intelligence, se trouve mal à l'aise et comme/ 
paralysée et confuse en traversant cette enceinte, 
oîi l'homme vient â'humilier dans les profondes 
mais lumineuses ténèbres de la mort, pour en 
sortir l'âme plus haute et le regard plus ferme aux 
clartés douteuses de la vie. » 

C^est très-bien dit cela. Le contraste est terrible, 
en eflet, entre ces domaines de k mort et le théâtre 
éclatant du rire, de la joie et des amours de la vie 
humaine. Hief encore, tant de gaieté charmante, la 
jeunesse et ses bonheurs, toutes ses fêtes, tout ses 
plaisirs; aujourd'hui, si vite et si cruellement, 
le silence horrible, et toutes ces grâces décentes 
qui disparaissent à jamais enfouies. M. Laya l'a 



THEATRE DE GENRE. 279 

très-bien dit : « Oti sont-elles ces soirées pleines 
de triomphes? Et pourtant, nous dit-il encore, 
il est juste de s'en souvenir, il est juste en effet 
que nous tenions compte à cette honnête femme, 
également obéissante à toutes les inspirations de 
la Muse, à tous les devoirs du toit domestique, 
des louanges et de Tadmiration qui l'accompa- 
gnaient dans sa vie aux heures clémentes, quand 
tout un peuple était suspendu à sa lèvre éloquente 
et s'enivrait au feu de ses regards, au doux bruit 
de ses chansons. 

Elle aimait tant la sincérité qu'elle est peut- 
être la seule des comédiennes, et, j'en ai bien peur, 
des femmes de ce temps-ci, dont on sût l'âge exac- 
tement. Elle haïssait tant le mensonge que ce 
très-pardonnable et léger mensonge eût offensé 
sa bonne et loyale nature. Elle était née à Étampes 
le 24 octobre 1824; encore un mois, elle entrait 
dans sa trente-septième année; elle était dans son 
apogée; elle avait quinze années devant elle 
encore pour ajouter à son mérite, à son talent, à 
ce grand art de l'invention, de l'imitation, qu'elle 
allait perfectionnant sans cesse et toujours. 

L'avez-vous vue, il n'y a pas trois mois, dans 
la Vertu de Célimène; il n'y a pas six mois, dans 
les Pattes de mouche? Était-elle assez voisine, en 
sa dernière création, de la coquette indiquée par 



280 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Molière, et dans Pavant-dernière était-elle assez 
gaie, et vivante, et mêlée à la comédie ? En toute 
espèce de comédie, elle tenait une place énorme, 
elle y vivait sérieuse, sans intrigue et sans envie; 
elle était la première entre toutes les autres comé- 
diennes, uniquement parce qu'elle était elle-même, 
«t par l'autorité de son bel esprit. C'était, par na- 
ture et par instinct, une imagination hardie, in- 
génieuse et toute-puissante, en pleine modestie, 
en pleine réserve. Elle n'a jamais dépassé le but, 
et de préférence elle se tenait en deçà du but, re- 
doutant le trop de bruit, le trop d'effet. En elle 
tout était prudence et voile, et quand on l'applau- 
dissait trop fort elle n'était pas contente. A com- 
bien de créations elle a prêté l'appui de sa jeu- 
nesse intelligente et de sa beauté sans fard ! Même 
si par hasard elle abandonnait un instant les 
gais sentiers, sous l'aubépine, au bruit des oi- 
seaux qui chantent, les doux rivages, les toits mo- 
destes , la fortune accorte et bourgeoise , en un 
mot, le monde à part et terre à terre dans lequel 
elle se trouvait si bien, où elle se déployait tout 
à l'aise, aussitôt, — la dépaysée! — elle redou- 
blait de prudence et d'attention sur elle-même. 
Elle le fit bien voir dans ces trois rôles restés cé- 
lèbres que le jeune Alexandre Dumas écrivit tout 
exprès pour la mettre en un jour tout nouveau : 



THÉÂTRE DE GENRE. 281 

Diane de LySy le Demi-Monde, le Père prodigue. 
En ce moment, Thonnête femme, habituée à re- 
présenter les chastes et douces passions, se trou- 
vait certes bien loin de son pays natal. Elle repré- 
sentait, dans le Demi-Monde ^ une coquine, et 
dans le Père prodigue une drôlesse, et chacun de 
trembler qu'elle ne fût pas cette fois au niveau de 
sa tâche. 

Or, ces trembleurs n'entendaient rien à l'art dra- 
matique; ils ne savaient pas que la vraie et sincère 
comédienne est la seule aussi qui puisse, au besoin , 
représenter toutes les vertus et tous les crimes, 
toutes les passions, tous les âges, avec tous les 
mystères du cœur humain. Au contraire, elle s'a- 
musait de ces rôles étranges ; il^ étaient pour elle 
une fête véritable; elle était toute Joie et toute 
malice à se fourrer dans ces crinolines suspectes, 
à représenter ces vénales amours du demi-monde 
où toute autre à sa place en eût été quelque peu 
embourbée. Elle sortait éclatante et superbe, et... 
ça n'était pas plus difficile que cela de démontrer 
la duplicité, la trahison, l'effronterie et le sans 
gène de ces tristes habitants des maisons sus- 
pectes. 

Que si vous demandiez où donc elle avait vu, 
cette enfant de M. Scribe et du père Molière, une 
ingénue élevée en si bon lieu, ces mœurs misé- 

IV 24. 



282 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

rables, ces réunions honteuses, ces adultères sans 
nom, ces jeunesses sans vergogne et ces vieillesses 
sans respect, tout le train vulgaire et déshonorant 
des existences à l'aventure ?... Au fait, elle n'avait 
vu cela nulle part; elle l'avait deviné, et, contente, 
elle le représentait comme elle l'avait compris; 
elle le représentait sans bassesse et de très-haut, 
comme une dame honnête qui mettrait sur son 
visage un masque de bacchante ; on voit la bac- 
chante, et, sous le masque, au geste, à la voix, à 
je ne sais quoi de chaste et de retenu, vous avez 
bientôt reconnu l'honnête femme. 

Et, plus encore, elle a profité, M"**^ Rose Chéri, 
des justes respects qui l'entouraient, pour mar- 
cher hardiment dans les souliers de ces margots, 
sans redouter d'être un seul instant confondue 
avec les tristes images qu'elle représentait d'un 
naturel presque effrayant. Je l'entends encore, 
dans Iq Père prodigue, oh elle jouait le rôle d^une 
fille absolument perdue, et vieillissante, et de la 
pire espèce : « Que vous donne-t-il ? disait quel- 
qu'un. — Il me donne le bras ! » répondait-elle. 
M"® Mars n'eût pas dit ce mot-là avec tant d'aban- 
don; M"* Dorval en eût fait une exclamation fu- 
rieuse; elles étaient pourtant l'une et l'autre, aux 
deux extrémités de l'art dramatique, une excep- 
tion incomparable avec tout leur entourage. 



THEATRE DE GENRE. 283 

Elle avait l'accent vrai, M"* Rose Chéri; sa 
voix était juste autant que son esprit; elle était 
vraiment Diane de LySy la coquette; elle était 
bien M"* Poirier, la fille riche et vaillante et bour- 
geoise, animée à bien faire, à bien dire... « Al- 
lons, va te battre !» Ah ! qu'elle était grande en 
ce rôle de Chimène en robe blanche, en petit 
tablier ! — Que de petites pièces elle a faites à elle 
presque toute seule, auxquelles elle donnait une 
grande valeur : le Piano de Berthe, Quitte pour 
la peur, le Collier de perles. Elle disait bien la 
prose, elle disait bien les vers ; d'une charmante 
façon elle a récité Philiberte, Un jour on refit a 
son intention la Niaise, de Destouches, et dans 
cette niaise elle était si gaie et si contente ! Elle 
riait mieux que personne ; elle avait une façon de 
rire attentive et curieuse, accorte et franche, en 
plein rire et du bout des lèvres. C'est ainsi que 
dans le Changement de main, comme elle repré- 
sentait l'impératrice Catherine agitant un éventail, 
pendant que son chambellan lui raconte un tas de 
choses saugrenues, bien certainement sous le 
masque on la voyait rire. 

Un trait piquant l'amusait tout comme une 
autre ; un sous-entendu hardi ne lui déplaisait pas 
toujours : la Protégée sans le savoir fut un de 
ses meilleurs rôles. Certes la position était diffi- 



284 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

cile, elle y mettait une naïveté de très-bon aloi, 
et quand son maître de peinture, représenté par 
ce bon Numa, hochait la tête à Taspect de ce 
mauvais .tableau si chèrement payé, son désespoir 
était au comble ! Avec tant d'intelligence et d'a- 
grément prime-sautier, elle avait plu tout de suite 
à M. Scribe; elle lui plaisait surtout par son côté 
calme et sérieux. Il l'appelait sa seconde Léon- 
tine, et tout de suite, à son intention, il avait 
quitté la comédie en cinq actes pour revenir un 
instant aux faciles ébauches de ses beaux jours. 
La petite comédie était pour M. Scribe un si 
doux repos; il la composait d'une main si lé- 
gère ! Oublieux des grandes machines et des chan- 
gements à vue, il n'était jamais plus heureux que 
s'il rencontrait une comédienne innocente au ni- 
veau de son esprit. Il avait fait pour M"' Rose 
Chéri et pour une jeune comédienne du même 
âge et bien charmante aussi, M"® Désirée, une 
scène oîi l'une à l'autre racontait la première nuit 
de sa noce avec un ministre, et celle-ci disait si 
bien à celle-là : <t Voilà donc comment se marie 
un ministre! » Et le public de rire, et les deux 
ingénues de garder un sérieux le plus plaisant 
du monde. Hélas! l'une et l'autre, M"" Désirée 
et Rose Chéri, elles ont disparu presque à la 
même heure... une ombre, un écho! Pulvis et 



THÉÂTRE DE GENRE. 285 

umbral La poussière et le vain bruît qui n'est 
plus ! 

Je me rappelle encore aujourd'hui, comme si 
c'était hier, le premier début de M"* Rose Chéri 
sur le théâtre du Gymnase, au mois de juillet 1842, 
l'année de funeste mémoire. C'était deux jours 
avant le jour accoutumé du feuilleton, en pleine 
élection, dans un de ces moments oti Paris tout 
entier retentissait de ces noms sonores : Thiers, 
Odilon Barrot, général Jacqueminot, Jacques Le- 
febvre, M. Delangle, M. Billault, M. Guinard, 
M. Marie, M. Paillet, M. Carnot, M. Guizot, 
M. Bethmont, M. Royer-Collard, M. Considé- 
rant, M. Boihvilliers, M. Berryer, M. le duc de 
Valmy, M. l'amiral Leray! grandes batailles autour 
de ces noms qui représentaient tant d'idées, d'il- 
lusions et de beaux rêves, tant de liberté et d'é- 
loquence ! Ainsi le moment était mal choisi, dans 
tous ces noms plein d'inquiétude et d'espérance, 
pour se faire un nom nouveau, même au théâtre. 
Ajoutez que juillet le terrible, répandait tous ses 
feux mêlés aux ardeurs de. la politique, et que le 
théâtre était désert. 

Au Gymnase on jouait, le soir dont je parle, 
une assez triste comédie intitulée : la Jeunesse 
orageuse; il y avait aussi peu de monde que plus 
tard aux débuts de M"» Rachel; tout dormait, le 



286 CRITIQUE DRAMATIQUE, 

parterre et les loges , le souffleur dormait dans sa 
niche, et sans un accident qui réveilla tout ce 
monde endormi, la salle eût été vide en un clin 
d'œil. Voici l'accident : 

Une comédienne élégante, à la mode et fort 
belle, un brûlot de vingt-cinq ans à peine, qui 
jouait le rôle principal de cette Jeunesse orageuse, 
obéissant aux orages de sa propre jeunesse, avait 
quitté son poste, et son absence rendait impossible 
la représentation du vaudeville annoncé par les 
affiches. En vain on l'appelle, on la cherche... 
elle est absente, elle ne reviendra que demain; 
sur quoi, grande inquiétude au théâtre, et bien- 
tôt le peu de gens qui étaient* dans la salle, à leur 
tour, s'inquiètent et finissent par demander à cris 
et à cors : la Jeunesse orageuse ! On la voulait à 
tout prix, maintenant qu'elle était impossible. Il y 
eut même des passants avertis par l'orage intérieur 
qui se présentèrent, espérant s'amuser de ce 
théâtre dans l'embarras. Dieu des thyrses et dieu 
des masques ! comment faire et que devenir ? 

Ce fut alors que cette enfant, qui était engagée 
et qui ne jouait pas, d'une voix timide et toute 
rougissante, proposa de jouer le rôle de la femme 
absente. Elle le savait pour l'avoir entendu ré- 
citer quatre ou cinq fois, et comme le parterre en 
ce moment redoublait son tapage. M, Monval, 



THEATRE DE GENRE. 287 

rexcellent régisseur du Gymnase, fît une annonce, 
en demandant au public toute son indulgence 
pour une enfant qui se présentait à Pimproviste ! 
Cependant l'enfant est habillée en un clin d'œil, 
et la voilà qui remplace au pied levé une comé- 
dienne en grande admiration dans le public, 
qu'elle fascinait de son insolente beauté. Le dan- 
ger était grand, l'heure était solennelle, et le pu- 
blic, qui n'est pas toujours très-bon dans ces 
théâtres de Paris (il vaut cent fois mieux que le 
public de province), se faisait cependant une 
grande fête de voir tomber la présomptueuse, de 
châtier la téméraire et de lui apprendre à ne pas 
lutter contre le feu, contre la flamme et le fracas 
de la comédienne en faveur... En ce moment ap- 
parut la débutante, et tout d'abord elle charma ce 
peuple ameuté. 

Il vit d'un coup d'oeil tant d'innocence et de 
fraîcheur, un charmant visage, une taille admi- 
rable, et tout de suite il accepta cette modestie et 
cette exquise attitude. Elle fut d'abord un peu 
tremblante, elle se rassura bien vite, et sans peine 
et sans effort, apaisant les grands bruits, les tons 
criards de cette comédie à grand tapage, à grand 
ramage, elle en fit, de son autorité privée, une 
œuvre toute nouvelle ; bref, le succès fut très-» 
grand, et ces mêmes gens qui ne l'auraient guère 



288 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

épargnée, obéissant aacharme, rentraient chez eux, 
sans demander quel député avait été proclamé dans 
la soirée, ils ne pensaient qu^à la comédienne. 
Enfin trois jours après, le lundi, voici le feuille- 
ton que je retrouve, enfoui dans Tabîme des 
choses frivoles qu'une heure apporte et remporte! 
Il entonnait la louange de la nouvelle arrivée, et 
voici ce qu'il disait mot pour mot : 

« M"* Nathalie, toute jolie et toute élégante et 
parée, a grand tort de quitter la place et de s'en 
aller par monts et par vaux à la poursuite de 
l'ombre et de l'été. L'autre jour elle était absente, 
et son rôle dans la Jeunesse orageuse laissait un 
grand vide, lorsque soudain se présente une petite 
jeune personne de quinze ans pour remplacer 
M"' Nathalie. — Mais, lui disait-on, comment 
donc allez-vous faire? Vous êtes si timide... elle 
est si hardie ! Votre regard manque de fermeté el 
d'assurance, l'œil de M'-® Nathalie est si éclatant 
et si noir I Vous êtes une enfant. M"" Nathalie est 
une femme toute faite ! Vous avez de si petites 
robes et à si bas prix, elle a tant de satin et tant de 
velours ! A votre cou pas même un grenat... elle 
a des colliers de perles ! Pas une bague à vos 
doigts, pas un bracelet à vos bras... elle est char- 
gée de bracelets et d'anneaux. — Laissez-moi faire, 
disait l'enfant, on se passe, il le faut bien:, de ru- 



THEATRE DE GENRE. 289 

bans et de dentelles, de soie et de velours, de bra- 
celets et d'anneaux d'or; on se passera même des yeux 
noirs et de la taille bien cambrée de M"® Nathalie; 
on sera tout simplement simple, naturelle, inno- 
cente, jolie et sans apprêts, sinon sans art... Ainsi 
a-t-elle fait, et, chose étrange ! la petite téméraire a 
réussi autant qu'elle pouvait réussir. Le parterre 
a voulu savoir le nom de cette nouvelle arrivée... 
Elle a répondu qu'elle s'appelait Rose Chéri. » 

Ainsi, en moins de trois heures, cette insolente 
et brillante Nathalie avait laissé tomber sa cou- 
ronne; une enfant l'avait ramassée, et cette enfant 
désormais sera reine entre toutes les comédiennes. 
Ah ! quelle rage, quel trépignement, quel déses- 
poir de l'imprudente, perdant soudain la place 
qu'elle a quittée ! Elle éclatait, elle était furieuse ; 
elle jurait ses grands dieux que cette enfant lui 
avait dérobé son rôle ; et puis, tout d'un coup, en 
bonne personne, elle se çrit à sourire, et, cédant 
la place à cette enfant, elle s'en fut dans les théâtres 
qui rappelaient. 

Huit jours après, jour pour jour, dans une petite 
comédie en un acte de ce même auteur du Duc 
Job, qui portait, lundi passé, la parole au nom 
des auteurs dramatiques sur le tombeau de la cé- 
lèbre comédienne, on vit reparaître la jeune dé- 
butante, et cette fois dans un rôle qu'elle avait 

IV 25 



290 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

créé. On vît alors que cette enfant était une sensi- 
tive ; elle avait tout compris, tout deviné, dans un 
rôle à peine indiqué. Et nous autres, les specta- 
teurs du premier jour, nous les premiers qui l'a- 
vions applaudie et indiquée au public à venir, 
nous ajoutions cette louange à cette première 
louange (ceci est encore mot pour mot) : 

« Cette petite jeune personne dont nous vous 
parlions l'autre jour, M"® Rose Chéri, a créé avec 
bonheur le petit rôle de Cécile. C'est encore une 
enfant, mais une enfant qui est tout simplement 
une comédienne. Non pas, certes, que je veuille 
crier au miracle; mais enfin un jeu calme, na- 
turel, sans recherche, sans effort, quelque chose 
de bien senti ; une grande réserve, une rare pru- 
dence, une voix juste et ferme, et pas dix-sept 
ans!... La voilà toute. Encore une fois, jouer la 
comédie, et la très-bien jouer, ce n'est pas un art. 
Cela ne s'apprend pas ; cela vient tout seul, un beau 
jour, en regardant, en écoutant l'humeur triste ou 
gaie que le bon Dieu a mise en nous. Nous de- 
vons cependant un conseil à M"* Rose Chéri. Ce 
double nom est mal trouvé. Si vous laissez RosCj 
le Chéri est inutile ; si vous tenez à Chérij effacez 
Rose. Si elle n'en vient pas tout de suite à corri- 
ger ce pléonasme, la jeune débutante s'expose à 
recevoir toute sa vie le^même billet doux : « Ma- 



thiSatre de genre. 291 

demoiselle, j'ai découvert sur raffiche du Gym- 
nase-Dramatique une faute de français qu'il est 
important de faire disparaître... L'affiche vous ap- 
pelle Rose Chéri : c'est Rose Chérie qu'il faudrait 
dire. Signé : Prosper, étudiant en droit; — l'in- 
connu de V orchestre; — le monsieur du balcon en 
chapeau blanc; — Arthur de*** ; — Théodore, ex- 
souS'lieutenant de voltigeurs. » Si bien que cet e 
de Rose Chéri ne sera pas , tant s'en faut , un e 
muet. 

« Il faut donc que M"« Rose Chéri se décide en- 
tre Rose et Chéri. Quand M. Fouché fut devenu 
le duc d'Otrante, il disait à l'un de ses amis : 
a Mon ami, lorsque nous serons tête à tête, tu 
a m'appelleras tout simplement Monseigneur. » 

a Monsieur le parterre, peut dire M"® Chéri à 
a son tour, lorsque nous serons tête à tête, ap- 
« pelez-moi Rose tout simplement. » 

A retrouver ces premières impressions, si justes 
et si vraies qu'il n'y a pas un mot à retrancher, 
à ajouter, la critique est bien heureuse et bien 
fière. En se souvenant qu'elle a entouré, en toute 
occasion, de la même faveur, jusqu'à la fin, cette 
admirable artiste, la critique est contente. Oui! 
depuis ces premiers jours oti le succès entoura la 
jeune débutante de ses plus chères faveurs, elle 
n'a plus rencontré ni combat, ni lutte, et rien qui 



2g2 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

ressemble à la peine. Elle marcha sans obstacle à 
l'accomplissement de ses rêves, elle n'eut plus 
qu'à choisir dans les rôles les plus divers; elle 
avait désormais toute confiance en ce public dont 
elle était la fille adoptive et qui l'a suivie jusqu'à 
la fin, confiant, docile, acceptant son rire et ses 
larmes ! Même un jour, comme un écrivain hardi, 
par un travail persévérant et sans autre ambition 
que le bonheur de bien faire, venait de remettre 
en lumière un chef-d'œuvre impossible, à savoir 
un livre appelé : Clarisse Harlowe^ et que du 
travail de cet homme on avait composé un mé- 
chant drame, à tout hasard. M"® Rose Chéri, émue 
et charmée à ces accents tout nouveaux pour elle, 
entreprit de reproduire à son tour la vie et la mort 
de Clarisse Harlowe. Ah ! qu'elle y fut touchante, 
et que de larmes elle fit répandre sur cette infor- 
tune, et comme on vint de toutes parts* assister à 
cette agonie ! a On n'avait jamais vu sa pareille à 
Mitylène. »On ne se doutait pas encore, en aucun 
théâtre, en tragédie, en drame, en rien, de cette 
agonie oîi tout compte , un geste, un regard, une 
parole, un silence, un pli des lèvres, un fronce- 
ment du sourcil ; jamais mort plus touchante ne 
fut poussée à ce degré de pitié, de terreur, d'émo- 
tion. Elle était dans une charmante attitude, ha- 
billée et revêtue d'une robe de satin blanc comme 



THÉÂTRE DE GENRE. 298 

la neige; elle était pâle... une ombre; ses pieds 
amaigris et ses petites jambes déliées disparais- 
saient sous ses longs plis soyeux, qui n'en dessi- 
naient plus les formes délicates; de longues man- 
chettes noires ajoutaient à la blancheur de cette 
peau frêle et transparente qui conservait encore 
quelques gouttes de sang pour l'animer. Sa taille, 
serrée par un ruban bleu de ciel, vous donnait 
l'idée d'une fleur des champs brisée par la char- 
rue ; ses belles mains , deux beaux lis sans tache, 
nuancés de bleu, tant les veines étaient gonflées, 
pendaient languissamment le long de ce beau 
corps. Mourante, un reste miraculeux de cette ex- 
quise beauté rayonnait encore sur ce visage char- 
mant. 

Telle elle était ! C'était superbe et terrible à la 
fois! Que l'émotion fut grande aussi quand de 
cette voix sympathique elle se mit à lire un frag- 
ment du testament de Clarisse Harlowe, une 
page écrite en plein deuil avec des larmes ineffa- 
bles, une page que l'on eût dit écrite exprès pour 
elle : a Anna, ma cousine et ma consolation, 
acceptez, je vous prie, mon portrait, quand j'avais 
seize ans, par un vieil artiste plein de génie. O le 
beau jour l C'était par un beau mois de juillet, 
dans le jardin de mon grand-père, à l'ombre d'un 
vert platane; les oiseaux chantaient, les eaux dan- 

IV 25. 



294 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

saient tout au loin, les mille bruits de la campa- 
gne remplissaient mon âme charmée. Mon grand- 
père, assis à côté du peintre, semblait vouloir le 
convaincre de la beauté naissante de son enfant; 
et le peintre, ému de tendresse, disait au bon 
vieillard : « Monsieur, s'il faut une image ressem- 
a blante à celle qui est gravée dans votre cœur, j'y 
oc renonce ». A ces mots bien simples, que M"® Rose 
Chéri disait dans un dernier sourire, la salle fon- 
dait en larmes, et l'on n'entendait plus qu'un san- 
glot. 

Et comme en cet art dramatique toutes les 
émotions se tiennent l'une à l'autre, il advint que 
M"® Rachel, frappée, à l'aspect de cette agonie 
inimitable, d'une irrésistible émulation, nous 
montra plus tard l'agonie et la mort d'Adrienne 
Lecouvreur. La grande tragédienne, à cette heure 
suprême, obéissait à l'impulsion de la petite fille 
du Gymnase, et plus tard encore, nous avons vu 
mourir, non pas sans une émotion sincère, la Dame 
aux Camélias sous les traits d'une parfaite beauté. 

Donc, voilà deux grands drames et deux grands 
succès qui nous viennent en droite ligne du lit de 
mort de Clarisse, représentée par cette enfant, 
Clarisse Harlowe! O présage! ô mort! éloigne- 
toi ! Ne va pas te venger de cette imitation trop 
réelle : Adrienne Lecouvreur a déjà reçu son 



THEATRE DE GENRE. 295 

châtiment; épargne au moins Clarisse Harlowe. 
Elle est sourde à nos voix, cette mort sans pitié; 
elle a saisi la tragédienne au milieu de son triom- 
phe ; elle a posé.sa main de fer sur la tête innocente 
de la comédienne, à l'heure où tout semblait joie 
et prospérité autour de cette malheureuse ! A peine 
elle avait achevé de bâtir sa maison, de planter 
son jardin, d'élever ses trois petits enfants, de 
sauver son fils aîné atteint d'une maladie horrible 
et contagieuse, en trois heures d'agonie elle expire. 
On dirait de cette héroïne du siècle passé, Julie, 
arrachant son enfant de l'eau protonde: « Avec 
quels transports de joie elle l'embrasse... Elle 
revenait plus souvent et avec des étreintes encore 
plus ardentes à l'enfant qui lui coûtait la vie, 
comme s'il lui fût devenu plus cher à ce prix. « Il 
y a des douleurs si grandes que pour les bien 
exprimer il faut emprunter au roman ses paroles 
et ses douleurs. 

L'art dramatique tout entier conservera comme 
une louange suprême, avec un juste orgueil, le 
nom de M"® Rose Chéri. Il opposera cette jeu- 
nesse unie et sans tache et cet âge mûr plein d'hon- 
neur à toutes les déclamations hypocrites. C'est le 
droit de tous les membres de cette famille élo- 
quente de se parer de ces grâces, de ces vertus, et de 
les appeler à leur aide, tantôt comme un encou- 



296 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

ragement à bien faire, et tantôt comme une con- 
solation toute-puissante. Il faut songer aussi à 
ce père au désespoir, à ce mari désolé, à ce bel 
esprit très-habile et très-prévoyant qui perd, en 
perdant une pareille femme, espoir, avenir, con- 
fiance! Il n'y a pas un homme aussi malheureux 
que cet homme à l'heure où Je parle. Il a tout 
perdu, il a tout enfoui dans ce cercueil... que 
disons-nous? dans cet abîme! Elle était l'honneur 
de sa maison, elle était la gloire et Tappui de son 
théâtre; elle lui avait donné toutes les preuves les 
plus éclatantes de son dévouement et de son zèle; 
et l'autre Jour, quand nous fûmes chercher cette 
admirable artiste pour la conduire au champ du 
repos, ce fut avec un véritable effroi que nous 
songions aux douleurs plongées dans la solitude 
horrible et dans le silence abominable de cette 
maison. 




INDEX 



DES NOMS DE PERSONNES ET DES TITRES D OUVRAGES CITES 
DANS LES QUATRE VOLUMES DE LA CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Les chiffres romains indiquent les volumes, et les chiffres 

arabes les pages. 



NOMS DE PERSONNES. 



Abbeille (l'abbé). III, 16. 

Afranius. II, i38. 

Aiguillon (duchesse d*). II, i3i ; 

— in, 47- 

Alcée. I, 204 ; — II, 34. 
Alfieri. II, Soy. 
Albert (M»®). III, 54. 
AIIan-JDespréaux (M"»"). I, 268 , 

— IV, 45, 46, 52, 107. 
Ambroise (Saint). II, 86» 
Amphion. II, 34. 
Anacréon. IV, 98. 
Ancelot. IV, 58. 
Andrieux. II, 29; — IV, 55. 
Anicet-Bourgeois. III, 176 et 

suiv. 



Annibal. II, 78. 
Archiloque. I, 204. 
Aristophane. I, 19, 204; — 

IV, 211. 
Aristote. II, 47; — III, 5o. 
Arnauld (de Port- Royal). Il, 97. 
Arnault. III, 270. 
Arnim (Bettina d*). III, 12. 
Arnould-Plessy (M^^). I, 263, 

279; — IV, 196. 
Attila, II, 73. 

Aubigné (Agrippa d'). III, 271. 
Augier (Emile). IV, 109, 207. 
Auguis. III, 28. 
Auguste. I, 206;— II, 68,211, 

240, 255; ^III, 25. 



298 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Auguste Z. III, 188. 
Augustin (Saint). II, 85. 
Autran (Joseph). Il, 12, i5. 
Ayen (duc d*). IH, 40. 

Baïf. II, i38. 

Baldus. Il/, 276. 

Balzac. II, 87, 3 06. 

Balzac (Honoré de). I, 264, 288; 

— IV, 60, 145. 

Barberini (le cardinal). III, i3i. 
Barbier (Auguste). IV, 56. 
Barrière (Théodore). IV, i3i et 

suiv. 
Baron. I, i32, 142 ; — II, 65. 
Barthélémy (l'abbé). II, 214. 
Bassompierre (de). II, 57, 
Bawr (Mme de). IV, 196. 
Beaujon. I, 182. 
Beaumarchais (Caron de). I, 211; 

— II, 2. 
Beckford. III, 169. 
Beethoven. II, 193. 
Béjart (M"e). n, 56. 
Bellini. I, 288. 
Belloc. II, 285. 

Belot (Adolphe). IV, 198 et suiv. 
Belsunce (de). II, 5i. 
Benvenuto Cellini. III, 1 3 1 . 
Bequet (Etienne). I, 2 ; -r- II, 

134; — III, i58, 189. 
Béranger (P. J. de). I, 188; — 

II, 135;—. III, 167; — 

IV, 77, 263. 
Bernardin de Saint- Pierre. II, i 3 1 . 
Berquin. II, 168; — III, 112. 
Berry (la duchesse de). III, 273. 
Berryer, III, 128. 
Berton. IV, 129, 147, 149, 187. 
Boccace. II, 3 06; — IV, 192. 
Boileau-Despréaux. I, 32, i3o. 



i35, 260; — II, 94, 102; 

— m, 168. 
Boitard (Edouard). IV, 222. 
Bossuet. I, 99, 1 1 1 ; — II, 86, 

271 ; — III, 239. 
Bouilhet (Louis). III, 262 et 

suiv. 
Bouillon (duchesse de). II, iio. 
Bourbon (la maison de). III, 276. 
Bourdaloue. Il, 271. 
Bourgogne (la duchesse de). III, 

273. 
Boursault. I, 100. 
Brancas (duc de). II, 57. 
Bressant. IV, 162. 
Brissac (le duc de). III, 39. 
Brunet. I. 72. 
Brutus. II, 1 39. 
Burette (Théodose). II, 269. 
Byron (lord). I, iii, 182; — 

II, 37 ; — III, 54 et suiv.; — 

IV, 40. 

Caffaro (le P.). I, 100 et suiv. 

Caligula. III, 171. 

Callimaque. II, 34; — IV, 173. 

Callistrate. I, 22. 

Calvin. II, 86. 

Cambon. III, 141. 

Camoëns (le). III, 161. 

Capendu. IV, i3i et suiv. 

Catherine II. I, 182. 

Catinat (le maréchal de)/ IV, 

226. 
Caton. II, 139; — IV, 217. 
Céronia. II, 211. 
Chaix d'Est-Ange. III, 128. 
Chaligny-Desplanies. III, 16. 
Chamfort. III, 40; — IV, 214. 
Champmeslé (M"e). n, 55, 81, 

118. 



INDEX. 



299 



Chapelain. I, i3o; — III, 84. 

Chapotain. III, 16. 

Charles II. II, 194. 

Chateaubriand (vicomte de). I, 
188; — II, 37, 61, i35, 174, 
181, 192; — III, 16a, 191; 

— IV, 40. 
Chateauneuf. I, 129. 
Chateauvillars (M»"® de). III, 129. 
ChatîUon (le comte de). I, 149. 
Chénier (André). II, 107, 241. 
Chevreau. III, 16. 

Choiseul (le duc de). III, 253. 

Chilly. III, 188. 

Ciceri. III, 5i. 

Cicéron. I, 20 5, 304; — II, 70, 

139, 191; — IV, 93, 222. 
Cimon. Il, 16. 
Clairon (M»«). I, 182; — III, 

37. 
Clairville. IV, 32 et suiv," 

Claude. III, 171, 

CoeflFeteau. II, 88. 

Collot d'Herbois. III, 171. 

Condé (le prince de). I, 149. 

Congrès scientifique dePoitiers (le). 

III, I. 

Contât (M"e). III, 37. 

Conti (le prince de). I, 94. 

Conti (la princesse de). III, 273. 

Corneille (Pierre). I, i35, 198; 

— II, 2, 9, 5o et suiv., 56, 
61, 68 et s., 1 13, i38, 141, 
1 55 et $., Î74, 180, 181, 
341, 245, 255, 256, 278, 
28»; — III, 17, 25, 3o^ 37, 
43, 44 et 5., 47 et s., 84, 
239, 270; — IV, 255. 

Corneille (Thomas). I, 121; -^ 

II, 89. 
Cotin (l'abbé). I, i3o. 



Cousin (Victor). II, 134. 
Cratinus. I, 204. 
Crébillon. II, 10. 
Cromwell. II, 194. 
Cuvier. II, 37. 

Dacier (M»»). II, 49. 

Dante (le). II, 7, 3o8 ; — III, 

161. 
Danton. I, i23; — III, 10. 
Dauphine (M"»* la). I, 293 

(note). 
Davesne (Dubois). III, 188. 
Debureau. I, 75 et suiv. 
Déjazet (Virginie). IV, 266. 
Delacroix (Eugène). IV, 48. 
Delaroche (Paul). II, 127, i5i. 
Delaporte(M"e Marie), iv, 147. 
Delaunay. IV, 162, 195. 
Delavigne (Casimir). II, 108, 

127, i55 et suiv.; — III, 53 

et suiv. 
DemidofT (comte Anatole). II, 

289. 
Démosthène. I, 2o5 ; — IV, 

223. 

Désaugiers. III, 299; — IV, 1. 
Desclée (M"®). IV, 273. 
Demoustier. II, i 3 i . 
Desforges. I, 18 5. 
Deshoulières (M"»e). IV, 194. 
Desmoulins (Camille). III, 10. 
Désirée (M"«). IV, 284. 
Desmousseaux. III, 54. 
Désobry. II, 214. 
Destouches (Néricault-). 1, 160; — 

IV, 283. 
Diderot (Denis). I, 34, i5o, ^94, 

198, 200, 202; — II, 129; 

— III, 33, 39, 101, 112, 

222, 262 ; — IV, 37. 



3oo 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Doche (M""® Eugénie). II, 3 1 1 ; — 

IV, 147. 
Dolet (Etienne). III, i35. 
Doligny (M^i»). I, 219. 
Dom Pedro. I, 3 10. 
Dorneval. I. $9. 
Dorval (M®*). I, 304; — II, 

190, 256, 260; — III, 54, 

iio, ii3, 154, 174, 196, 

202, 207, 297 et suiv.; — 

IV, 282. 
Doze(M"«). I, 3o5. 
Drusille. II, 211. 
Du Barry (la comtesse). I, 182. 
Dubelloy. III, 24 et suiv. 
Dubois (M"« Emilie). IV, 107, 

195. 
Ducerceau. III, 65. 
Ducange (Victor). III, 299. 
Duchesnois (M"«). I, 291; — 

II, 25i; — m, 54. 
Ducis. II, 29; — III, 44 et 

suiv. 
Dumas (Alexandre). I, 304; — 

II, 210 et suiv., 274; — III, 
62 et suiv., 10 1 et suiv., 
3oi ; — IV, 14. 

Dumas fils (Alexandre). IV, i63 

et suiv.^ 281. 
Duparay. II, 209; — IV, 204. 
Duperron. II, 88. 
Dupuis. IV, 129, 147, 187. 
Dupuytren. IV, 72. 
Duviquet. I, 2, 6, 17, 175; — 

III, 157. 

Duverger (M"»). III, 189. 

Empis. I, 281. 

Ennius. I, 20 5. 

Épinay (M«« d'). I, 182, 184. 

Eschine. I, 30 5. 



Eschyle. I, 2o5; — II, i et suiv., 
39 et suiv., 2 56; — III, 9, 

44» 47- 
Escousse. III, i65. 

Eupolis. I, 204. 

Euripide. I, 2o5; — II, i, 2, 
21 et suiv., 39 et suiv., 96 et 
suiv., 256; — III, 3, 44,47, 
87, ii5, 177. 

Falcon (M"«). I, 289. 

Fay (Léontine). III, 54; — IV, 

284. 
Fénelon. i, 87, 20 3 ; — IV, 262. 
Ferville. II, 209. 
Féval(Paul). III, 281 et suiv. 
Fix (M"e Delphine). IV, 107. 
Fontanes (de). III, 162. 
Fontenelle. I. 86. 
François I*'. III, i 3 1 . 
Francisquine. I, 68. 
Frédéric II. I, 182. 
Frédérick-Lemaître. I, 52; — II, 

190, 209, 256; — III, 54, 

297 et suiv. 
Fulchiron. III, 28. 
Fuzelier. I, 59, 6i. 

Galland. I, i83. 
Garnier (Robert). III, 84. 
Geffroy. IV, 162. 
Gentil. III, 299. 
GeoflFrin (Mme), j^ jga. 
Geoffroy. I, 2, 176; — III, 157. 
Geoffroy (Michel). IV, 147. 
Georges (M"o). II, 209, 25i;— 

III, 189, 190. 
Gérard (François). I, 3 i i. 
Gérard de Nerval, III, i65. 
Gilbert. III, 161, i65. 



INDEX. 



3oi 



Giotto. III, i68. 

Girardin (Delphine de). IV, loi, 

107. 
Giraud (le comte). II, Soy, 3i3, 
Girodet. I, 3 1 1 . 
Gluck. II, 36. 
Godard. 1, 63. 
Goethe. I, 188; — III, 2 58, 
Gombault. III, 84. 
Got. IV, i55, 162, 195. 
Gozlan (Léon). III, 191 et suiv. 
Gresset. I, 173. 
Grëtry. I, 194. 
Grimm. III, 39. 
Gros. III, 139. 
Gudin (Paul). III, 16. 
Guilbert de Pixérécourt. III, 28. 
Guillard (Léon). II, 36 (note); 

— IV, 32 et suiv. 
Guizot. 11,134; — III, 26. 
G-inderode (Caroline de). III, 12 

et i3. 
Guyon (M™® Emilie). IV, 147, 

Halévy (Ludovic). IV, «60 et 

suiv. 
Hardy. III, i6. 
Harpe (de la). I, 266 ; — II, 27 ; 

— III, 16, 26. 
Heine (Henri). III, 247, 
Henri IV. II, 207. 
Hérodote. I. 20 5; — II, i5. 
Hésiode. I, 189, 204; — II, 4. 
Holbach (le baron d'). I, 182. 
Homère. I, 204; — II, 4, i3, 

14, 34, 212, 252, 256; — 
m, 5 et suiv,; — IV, 219. 

Horace. I, 32, 274; — II, 33, 
loi, i37 et suiv., 177, 2i5, 
240, 271 ; — III, 17, 237. 

Hugo (Victor). I, 188, 3o3, 

IV 



3o8; — II, 127, 134, i38; 

— III, 2, 1 1, 2 5, 82 et suiv., 
114 et suiv., 190, 256, 272, 
3oi. 

Hus (M»e). I, 182. 
Hussein-Bey. I, 3 12. 

Isocrate, I, 2o5. 

Janot. I, 72. 

Jayr. II, 285. 

Jean-Chrysostôme (Saint). II, 60. 

Jérôme (Saint). II, 175, 178. 

Joanny. Il, 25 1. 

Jornandès. II, 74. 

Joubert (Nicolas). I, 53. 

Judith (M"e). IV, 162, 195. 

Julie. II, 211. 

Juliette (M»e). III, 189, 190. 

Juvénal. II, 293; — III, 234. 

Kératry (de). III, 112. 
Kime. IV, 204. 

Lablache. II, 3o5. 

La Bruyère. 1, io5, 121; — 

. IV, 67, 173. 

Lacenaire. II, 284 et suiv. 

La Chaussée (Nivelle de). I, 84 ; 

— III, 3o3. 
Lacordaire (le P.). II, 298. 
Lafont. II, 189; — III, 54. 
Lacroix (Jules). III, 226 et suiv. 
Lafarge (M"»«). II, 293. 

La Fontaine (Jean de). I, 39, 
i3i, i35, 275; — II, i5; 

— III, 240; — IV, 192, 
261. 

Lamartine (A. de). I, 188; — 
II, i35; — III, 10, 191; — 
IV, 261. 

26 



3o2 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Lambert (l'attorney). III, 172. 
Lamennais. I, 217; — > II, i35, 

268 et suiv. 
Lami (Eugène). IV, 48. 
Lamoignon (le président de). I, 

93. 

La Rochefoucauld (duc de). IV, 

Laromiguière. II, 184. 

La Roncière. III, 127. 

Lattaignant (Pabbé de). II, 27. 

Laya (Léon). IV, 2 5 1,2 5 7, 278. 

Le Batteux. I, 266. 

Lebras. III, i65. 

Lebrun (Pierre). II, 140 et suir., 

160. 
Lebrun-Pindare. II, i3i. 
Leclercq (Théodore). III, 149. 
Lecouvreur (Adrienne). II, 266. 
Lekain. II, 116. 
Lemercier ( Népomucène ). II, 

1 26 et suiv. 
Lenclos (Ninon de). I, 89, 107, 

129. 
Le Nôtre. II, 5J. 
Léonard de Vinci. III, 1 3 1 . 
Lepeintre jeune. III, 66. 
Lesage. I, $7, 6i, 146, 193; — 

IV, 210. 
Lespinasse (M**« de). IV, 179. 
Lesueur. IV, 149. 
Ligier. II, 209. 
Linus. II, 34. 
Liszt. II, 193. 
Livius Andronicus. I, 3 3 ; — 

II, i38. 
Lockroy. III, 1 76 et suiv. 
Loëve-Weymar. III, 189. 
Louis XIII. II, 53, 83; — III, 

2S, 96. 
Louis XIV. I, 9$, 144, i53, 



198; — II, 53,84, 278; — 

111,275, 277. 
Louis XV. I. 182; — II, 119, 

278; — III, 3o, 36, 39. 
Lucain. I. 20 5. 

Lucas (Hippolyte). II, 24 et suiv. 
Lucas Kranach. III, 14. 
Luce de Lancival. III, 10, 270. 
Luchet (Auguste). III, 127 et 

suiv. 
Lucrèce. I, 2o5. 
Luther. II, 86. 
Lysias. I, 20 5. 

Maillé (la duchesse de). IV, 69. 
Malibran (M™e). u, 260, 3o5 ; 

- IV, 271. 
Maine (la duchesse du). III, 

273. 
Maintenon (M™« de), I, 92, 

144- 
Mante (M»e). IV, 28. 

Malfilâtre. III, 161, i65. 

Mallefille (Félicien). IV, 245 et 

suiv., 2 58, 
Marchand. III, 189. 
Mars(M»e). I, 168, 174, 289, 

290 et suiv.; — II, a5i, 

260; — III, 37, 77, 82, 

3o5; — IV, lo, 19, a5, 196, 

282. 
Maquet (Auguste). III, 226 et 

suiv. 
Marat. I. 12 3. 
Marie-Thérèse. II, 197. 
Marigny (le marquis de). I, 182. 
Marivaux. I, io5, 144, 169, 

292, 298; — II, 2, 260; — 

IV, 52, 
Martial. I, 44; — II, 10 1. 
Marthe (M»»). III, i65. 



INDEX. 



3o3 



Massillon. II, 371. 
Masson (Michel). III, 189. 
Mauger. III, 16. 

Mazarin (le cardinal de). I, 87. 

Mazères. I, 281 et suiv. 

Mécène. II, 70, 240. 

Meilhac. IV, 260 et suiv. 

Mélingue. III, 295. 

Ménage (Gilles). II, 3o6. 

Ménandre. I, 43, 44. 

Merle. III, 3oo. 

Métastase. III, 29. 

Meyerbeer. I, 289, 

Michelet. II, 239. 

Milton. II, 7. 

Minette (M»«). IV, 10, 

Mirabeau. I, 188, 209, 218; — 
ffll, 37; — III, 10. 

Mithridate. II, 71 et suiv. 

Moêssard. III, 188. 

Moine (Antonin). III, i65. 

Molière. I, 3i, 66, 85, 106, 
128, i36, 142, 168, 180, 
252, 264, 298; — II, 2, 
54, 97, i38, 260, 271 ; — 

III, 5i, 167, 168; — IV, 
49, 63, iio, ii5, 121, 173, 
2o5, 241, 280, 281. 

Mole. III, 89. 
Molière (M"«). I, 142. 
Monnier (Henri). III, 66. 
Monsigny. I, 194. 
Montaigne. I, 36; — II, 84; — 

IV, 4. 

Montagu (lady). IV, 40. 
Montauron. I, 147-148. 
Montbazon (le marquis de). II, 

57- 
Monteil (Alexis). II, 214. 

Montesquieu. II, 239. 

Monval. IV, 286. 



Mozart. I, 1 1 1 . 

Murger (Henri). IV, 89, 99. 

Musset (Alfred de). I, 263 et 

suiv.; — IV, 47, 52, 53, 57, 

58, 190. 

Napoléon. II, 37, 128, 278, 

279. 
Nathalie (M»e). iv, 87, 286, 

288. 
Navarre (Marguerite de). IV, 64. 
Néron. II, 211; — III, 171. 
Nevius. II, i38. 
Nieburg. II, 2 38. 
Noblet (M"«). II, 209. 
Nodier (Charles). I, 2, 84;— III, 

3oo. 
Nourrit. I, 289. 
Numa. IV, 284. 

Odilon Barrot. III, 128. 

Offenbach (Jacques). IV, 272 . 

Orphée. II, 34. 

Osages (les). I, 314. 

Ovide. II, 243, 245, 3i3; — 

III, 168. 
Ozanneaux. i, 16. 

Pacuvius. II, i38. 
Paradis (Hector). II, 285. 
Pascal (Biaise). I, iio; — II, 82, 

84; — III, 107, 169. 
Pasta(M™«). II, 260, 3o5. 
Périclès. II, 255. 
Perriers (Bonaventure des). I, 

271. , 
Pétrarque. II, 3 06. 
Pétrone. II, 226. 
Philastre. III, 141. 
Philidor. I, 194. 
Philodine. I, 22. 




3o4 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Picard. I, 2 36, 3 17; — II, 204, 
Pierre le Grand. III, 162. 
Pindare. I, 204; — II, 4, 5, 17, 

34, 253. 
Piron. I, i35, 178, 193. 
Pisaroni (la). II, 3o5 . 
Platon. I, 26, 2o5; — III, 5 et 

suiv,, 3 16. 
Plaute. I, 3o, 2o5; — II, i, 

54, i38; — IV, 211. 
Plutarque. II, i5, 79; — IV, 

222. 

Pompadour (la marquise de). I, 
182 ; — II, 119, 12 3; — III, 
253. 

Pompée, II, 73. 

Ponsard (François). I, 24ietsuiv.; 
— II, 228 et suiv. 

Potier. I, 83; — III, 299. 

Port-Royal. II, 85, 90. 

Pradon. II, iio; — III, 2 3o. 

Préville, I, 119. 

Proculus. II, 212. 

Properce. II, 240. 

Provost. III, 188. 

Pyat (Félix). III, 127 et suiv. 

Pythagore. I, 211; — - II, 129. 

Quinault. I, 3 1 1 . 
Quinet (Edgar). II, 284. 
Quintilien. II, 253. 

Rachel (M»e). I, 304; — II, 79- 
81, 92, 112, 121, 249 et 
suiv., 3 11; — IV, 285, 294. 

Racine (Jean). I, 112, i3 5, 
179, 260; — II, 2, 21, 26, 
56, 68 et suiv., 93 et suiv., 
113,127, i38, 199, 219,255, 
256, 272, 278, 282 ; — III, 
3o, 37, 5i, ii5, 168, 239» 



Rambouillet (Phôtcl). U, 86, 87, 

90. 
Ravaillac. II, 207. 
Regnard. I, 128 et suiv.; — IV, 

261. 
Régnier (Mathurin), II, i38. 
Régnier. IV, 167. 
Reynaud (Charles). II, 232 et 

suiv. 
Richardson. IV, 33, 35, 37, 42. 
Richard III. III, 2 5. 
Richelieu (le cardinal de). I, 90; 

— II, 83, 84; — III, 96. 
Richelieu (le maréchal de). I, 1 83. 
Richer. III, 16. 
Ricourt (Achille). II, 2 35. 
Ristori (Adélaïde). II, 3o3 et 

suiv. 
Robespierre. I, i2 3. 
Rohan (le cardinal de). I, 182. 
Rollin. III, 270* 
Ronsard. II, 1 38; — IV, 61. 
Rose Chéri (M"«). II, 3 11 ; — 

IV, 41, 44, 129, 147, 149, 

187, 2 56, 278 et suiv^ 
Rossi (Ernesto). II, 314. 
Rossini. I, 3 1 1 . 
Rotrou. II, 5o et suiv. 
Rousseau (Jean-Baptiste). I, i35. 
Rousseau (Jean-Jacques). I, 100, 

io5, 182, 184, 209; — II, 

246, 274, 3o6; — III, 41, 

249; — IV, i3o, 
Rubini. II, 3o5. 

Sablé (la marquise de). III, 41. 
Saint-Simon (le duc de). III, 262. 
Salluste. I, 2o5. 
Samson. IV, 88. 

Sand (George). II, 63, 67 ; — 
III, 247 et suiv. 



INDEX. 



3o5 



Sandeau (Jules). IV, 78, 85, 
109, 

Sapho. II, 34. 

Sardou (Victorien). IV, 227 et 
suiv. 

Sartine (M»ae de). I, 199. 
Saxe (Maurice de). II, 167. 
Scarron. III, 87; — IV, 64. 
Scarron (M™®). I, 92. 
Scheffer (Ary). II, 809. 
Schiller. II, 141 et suiv.; — III, 

io5. 
Schlegel. II, 2. 
Scipion. I, 36; — IV, 4. 
Scribe (Eugène). I, 220, 288, 

3o3; — II, 298;— IV, 45, 

49, 281, 284. 
Sedaine. I, 192, 210. 
Senac. II, 267. 
Sénèque. II, 109, 190; — IV, 

69, 202. 
Sertorius. II, 71-72, 
Serres. III, 188. 
Sévigné (Mme de). II, 3 06. 
Shakespeare. I, 1 11, 1 54; — II; 

2, 9, 42, 58, 141, 142, 243, 

— III, 12, i5 et suiv., 44, 
io5, 127, 3o3. 

Simon (M»c). ly, 206. 
Silvio Pellico. II, 807, 3 08. 
Sixte-Quint. I, 272; — III, 168. 
Socrate. I, 24; — III, 9. 
Sontag (Mme), i, Su; n, 3o5. 

Sophocle. I, 2o5 ; — II, 1, 2, 
i3, 16, 39 et suiv., 252, 256; 

— III, 6, 44, 47, 177. 
Soubise (le prince de). I, 182. 
Soulié (Frédéric). III, 189, 208 

et suiv. 
Soumet (Alexandre). II, 173 et 
suiv. 



Spartacus. II, 71-72. 
Stace. II, 286. 
Staël (M"»e de). II, i 3 1 . 
Steen (Jean). II, 289. 
Stocklet. III, 299, 3o2. 
Suétone. II, 210; — III, 112. 
Suidas. II, 1 5. 
Sully, III, 96. 
Sylla. II, 71. 

Tabarin. I, 65, 68. 

Tacite. I, 2o5; —II, 174, 186; 

— III, 81, 23i, 239, 258, 

270 ; — IV, 221. 
Tallien (Mme), n, i3i. 

Taglioni (Marie). II, 260. 
Talma. I, 73, 83, 291, 307; — 

II, 189, 25i ; — III, 45, 

3o2, 3o5. 
Tamburini. II, 3o5. 
Tasse (le). III, 161. 
Tautain. III, 3o2. 
Térence. I, 3o, 86, 2o5; — II, 

I, 54, i38; — III, 221. 
Théocrite. II, 19, 34. 
Théophraste. IV, 211, 2 1 5 . 
Thibault. IV, 121. 
Thierry (Amédée). II, 134. 
Thiers (Adolphe). III, 146. 
Thou (de). III, 279. 
Thucydide. I, 2o5. 
Tibère. I, 207;— II, 188, 211, 

212 ; — III, 171, 243. 
Tibulle. II, 240. 
Tite-Live. II, 212, 287, 239, 

245. 
Trousseau (Armand). II, 284. 
Tyrtée. I, 204. 

Uchard (Mario). IV, 147 et 
suiv. 



IV 



26. 



3o6 CRITIQUE DRAMATIQUE. 

Vacquerie (Auguste), IV, 189 et 



suiv. 
Vadé. II, 27. 
Vair (du). II, 88. 
Valère (Maxime). II, 1 5;— III, 3. 
Vallière (M"® Louise de la). I, 

91, 314; — II, 53, 278. 
Viardot (M^e Pauline). II, 3o5. 
Verres. II, 72. 

Victoria (M»«). IV, 255, 276. 
Vigny (Alfred de). II, 196 et 

suiv.; — III, i58 et suiv., 2 56. 
Villars. IV, 129. 
Villemain IV, 40. 
Villetard (Edmond). IV, 198 et 

suiv. 



Virgile. I, 2o5; — II, 94, 212, 
286; — IV, 219. 

Voiture. II, 87, 3 06. 

Voltaire. I, 141, 181, i83,i85, 
198, 209; -^ II, 47, 48, 
1 1 2 et suiv , 134, 256, 274, 
3o6; — m, 10, 19, 36, 38, 
168, 239, 249; — IV, 40. 

Walpole (lord Horace). III, 172. 
Walter Scott. I, 188; — II, 142, 
195» i94i — IV, 40. 

Xénophon. I, 2o5. 
Zumalacarreguy. III, 129. 



TITRES D'OUVRAGES. 



Abufar. III, 46. 
Adélaïde Duguesclin. III, $9. 
Agamemnon. II, 14, i3o, 134. 
Albigeois (P). II, 129. 
Alceste. II, 2 1 et suiv. 
Almanach des Grâces. III, 10. 
Almanach des Muses. III, 10. 
Aménaïde. III, 64. 
Amphitryon. I, 3i, 143. 
André. III , 247. 
André del Sarto. I, 271. 
Andrienne (L*). I, 36. 
Andromaque. III, 29. 
Angelo, tyran de Padoue. II, 

223. 

Ango. III , 126 et suiv. 
Antony. III, 10 1 et suiv., 177, 

299. 
Art poétique (L*). I, 32; — II, 

192; — III, 237. 



Athalie. II, 91, 98, 277; — 

III, 46, 62. 
Auberge (L*) des Adrets. III, 3 1 2, 

3i5. 
Avare (L'). IV, 121, i38, 145. 
Avocat Patelin (L'). I, 5 5. 

Bajazet. II, 179, 268, 277. 
Banc de sable (Le). III, 3 00. 
Banquet (Le). I, 26. 
Barbier de Séville (Le). I, 21 5. 
Bataille de Waterloo (La). III, 

145. 
Baudouin. II, i3o. 
Bellérophon. III, 3. 
Bettine. I, 276. 

Billet de mille francs (Le). I, 84, 
Bœuf enragé (Le). I, 84. 
Bonhomme Jadis (Le). IV, 89 et s. 
Bossu (Le). III, 281 et suiv. 



INDEX. 



3o7 



Bourgeois gentilhomme (Le). I, 
58, io8, 141, i63; — IV, 
1 10, 1 15, 211. 

Brigands (Les). II, 149. 

Britannicus. III, 2. 

Burgraves (Les). III, 262. 

Cabane de Moulinard (La). III, 

299. 
Café des Aveugles (Le). III, 218. 
Caïn. II, i3o, 
Caligula. II, 210 et suiv. 
Camaraderie (La). I, 220 et 

suiv. 
Camille, ou le Capitole sauvé. II, 

i3o. 
Caprice (Un). I, 267; — IV, 45. 
Caprices de Marianne (Les). I, 

273. 
Cartouche. II, 294. 
César Birotteau . IV, 145, 
Chandelier (Le). I, 272. 
Changement de main (Le). IV, 

283. 
Charlemagne (poëme de). III, 49. 
Charlemagne. II, i3o. 
Château de Kenilworth (Le). II, 

144. 
Chatterton. III, i58 et suiv.; — 

IV, i3. 
Chêne du Roi (Le). II, 193. 
Christine. III, 107. 
Christophe Colomb. II, i 3o. 
Cid (Le). II, 52, 83, ï55 et 

suiv., 256; — III, 47, 262. 
Cid d'Andalousie (Le). II, 160. 
Cinna. I, 147; — II, 69, 81, 

83, 85, 279; — III, 29. 
Circé. IV, 56. 
Clarisse Harlowe. II , 3 1 1 ; — 

IV, 32 et suiv., 272, 292. 



Clémence de Titus (La). III, 29, 

3i, 41. 
Closerie des Genêts (La). III, 

208 et suiv. 
Clovis. II, i3o. 
Clytemnestre. II, 195. 
Cœphores (Les). II, 14. 
Collatéral (Le). IV, 2o5. 
Collier de perles (Le). IV, 283. 
Constitutionnel (Le). III, 109. 
Contemplations (Les). IV, 189. 
Contes de La Fontaine (Les). III« 

240. 
Contes d'Espagne et d'Italie. I, 

277;— IV, 56. 
Coriolan. III, 16. 
Corrupteur (Le). II, i3o. 
Crispin rival de son maître. I, 

I 5i; — IV, 212. 
Critique de l'École des Femmes 

(La). I, 118; — II, 241. 
Cromwell. II, i36. 
Cure et l'Archevêché (La). III, 

148 et suiv. 
Curé Mingrat (Le). III, i5i. 

Dame aux Camélias (La). II, 3 1 1 ; 

— III, 212; — IV, 147, 

182, 186, 188, 272. 
Démence de Charles VI (La). II, 

I 3o. 
Demi-Monde (Le). III, 2i3 ; — 

IV, 147, i63, 281. 
Déserteur (Le). I, 194. 
Deux Forçats (Les). III, 3 00. 
Diane de Lys. IV, 182, i85, 

186, 281. 
Dictionnaire philosophique (Le). 

III, 27. 
Dîner de Madelon (Le). IV, i. 
Divine Épopée (La). II, 195. 



3o8 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Don Carlos. III, 60. 

Don César de Bazan. III, 272; — 

IV, 218. 
^on Juan. I, 107, 119, 214. 
Drame moderne (Le). III, i et 

suiv., 32. 



École des Maris (L*). IV, 25 1, 
Éducation des Filles (L'). IV, 

262. 
Effrontés (Les). IV, 207 et suiv. 
Electre. II, 3U3 et suiv» 
Emile. III, 258;— IV, i3o. 
Encyclopédie (L*), III, 27. 
Enfer (L'). II, 3o8. 
Esprit (De P). III, 27. 
Esprit des Lois (L*). III, 27, 
Essais (Les). I, 36. 
Esther. II, 91, 98, 277. 
Étoile du Nord {V). II, 307. 
Eugénie. I, 202 et suiv. 
Euménides (Les). II, 14. 
Eunuque (L*). I, 37 et suiv. 



Famille Benoiton (La). IV, 227 

et suiv. 
Fausses Confidences (Les). I, 169, 
Faute d'un pardon. IV, 54. 
Faux Bonhomme (Le). II, i3o. 
Faux Bonshommes (Les). IV, i3i 

et suiv., 147. 
Femmes savantes (Les). I, 3i, 

i65, 180; — IV, 148, 162. 
Feuilles d'Automne (Les). II, i36. 
Fiammina (La). IV, 147 et suiv. 
Fiancée de Lammermoor (La). 

III, 3 06. 
Fiesqtie. III, 60. 
Fille d'Eschyle (La). II, 12. 



Fille du Cid (La). II, 1 5 5 et suiv. 
Filles de marbre (Les). III, 212. 
Fils naturel (Le). III, loi. 
Folies amoureuses (Les). I, 142. 
Fourberies de Scapin (Les). IV, 



211. 



Francesca di Rimini. II, 309. 
Francisquine et Piphague. I, 68. 
François le Champi. III, 247. 
Frédégonde et Brunehaut.II, i 3o. 
Froufrou. IV, 260 et suiv. 



Gabrielle de Vergy. III, 4 1 . 
Gendre de M. Poirier (Le). IV^ 

i3, 109, 147. 
Génie du Christianisme (Le). III» 

i63. 
Gil Blas. 1,58, i5i;— IV, 212. 
Gladiateur (Le). II, 173 et suiv. 
Glorieux (Le). I, i63. 

Hamlet. II, 58; — III, 44, 97. 
Heautontimorumenos. III, 221. 
Hector. III, 10. 

Henri III. III, 62 et suiv., 107. 
Hernani. II, 57, i36, 256; — 

III, 92, 1 10, 177, 262; — 

IV, i3. 
Hippolyte. II, 96. 

Histoire des Français des divers 

États. II, 214. 
Homme-Légume {V). I, 84. 
Honneur (L'j et l'Argent. I, 241 

et suiv.; — IV, 1 3. 
Horaces (Les). II, 81, 83. 

Il faut qu'une porte soit ouverte ou 

fermée. I, 279. 
Iliade (L'). II, 19; — III, 5. 



INDEX. 



309 



Indiana. III, 247, 261. 

IndianaeiCharlemagne. IV, 266. 

Iphigénie. III, 44. 

Irène. HI, 10. 

Ismaël au Désert. II, i3o. 

Jacques le Fataliste. III, 2 58. 
Jeanne d*Arc. II, 1 15. 
Jeanne Grey. II, 1 5 1 . 
Jérusalem délivrée (La). II, 224. 
Jeunesse orageuse (Une). IV, 

285. 
Jeux de l'Amour et du Hasard 

(Les). I, 169. 
Joie fait peur (La). IV, loi et 

suiv. 
Joueur (Le). I, i38; — IV, 

212. 
Journal des Débats (Le). I, i. 
Juive (La). II, 120. 

Lady Tartuffe. IV, 188. 
Légataire universel (Le). I, 139; 

— IV, 2o5, 212. 
Lépreux de la cité d'Aoste (Le). 

III, 3oo. 
Liaisons dangereuses (Les). IV, 

180. 
Lionnes pauvres (Les). I, i65. 
Louis IX. II, i3o. 
Louison. I, 276. 
Lucrèce. I, 241; — II, 228 et 

suiv.; — IV, I 3. 
Lucrèce Borgia. II, 226; — III, 

1 1 4 et suiv. 

Madame de Montarcy. III, 262 

et suiv. 
Madame Desroches. IV, 25 1 et 

suiv. 



Mademoiselle de Belle-Isle. IV, 

14. 
Mademoiselle de la Seiglière. IV, 

I 3, 73, 160. 
Mahomet. II, 11 3; — III, 2. 
Main droite (La) et la Main 

gauche. III, 191 et suiv. 
Malade imaginaire (Le). I, 108, 

1 10, i63, 23o. 
Manlius. I, 73. 
Manteau (Le). IV, 55. 
Mare au Diable (La). III, 247. 
Maréchale d'Ancre (La). II, 196 

et suiv. 
Mariage de Figaro (Le). II, 278; 

— III, 27, 37. 
Mariage de raison (Le). IV, i3. 
Marianne, roman. I, 169. 
Marie Stuart. II, 140 et suiv.; — 

111, 60; — IV, 162. 
Marino Faliero. III, 53 et suiv. 
Marion Delorme. I, 3 06; — II, 

57, i36, 256; — III, 82 et 
suiv., 177, 262, 269, 299; 

— IV, i3. 
Marionnettes (Les). I, 57; — 

IV, 2o5. 
Marseillaise (La). II, 166. 
Martin et Bamboche. IV, 54. 
Martyrs (Les). II, 61, 181, 192, 

224. 
Martyrs de Souli. II, i3o. 
Mauprat. III, 247 et suiv. 
Mauvaise Tête (La). I, 84. » 
Méchant (Le). I, 173. 
Médecin malgré lui (Le). IV, 

212, 228. 
Méditations poétiques (Les). III, 

1 1. 
Méianie. III, 26. 
Méléagrc. II, i3o. 



3io 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Mémoires de M»« Uftrge. II, 

293. 
Ménechmes ^Les). I, 143. 
Menteur (Le). III, 28. 
Mercadet. IV, 60 et suiv. 
Mère (La) et la Fille. I, 281; — 

IV, i3. 
Mérope. II, 1 13. 
Métromanie (La). I, 173, 178; 

— III, 28. 

Misanthrope (Le). I, 292; — 

— III, 62; — IV, i36, 148. 
Mithridate. II, 69, 199, 277. 
Monime. III, 64. 

Monsieur Cagnard. II, i32. 
Monsieur de Pourceaugnac. I, 

143; — IV, 212. 
Mort de Lucrèce (La). III, 14. 
Mort de Pompée (La). IV, 255. 
Mystères de Paris (Les), III, 

294. 



Napoléon à Sainte -Hélène. I, 

317. 
Nécrologues (Les). II, 1 3o. 
Nègre (Le). I» 7 et suiv. 
Niaise (La). IV, 283. 
Notre-Dame de Paris. III, 92. 
Nouvelle Héloïse (La). II, 3o6; 

— III, 258. 
Nuées (Les). I, 24. 
Nuit vénitienne (La). 1, 265. 



Ode à Duperrier (L'). III, 1 1. 
Œdipe. I, 141; —II, 2; —III, 

10. 
Œuvres de Lacenalre. Il, 293. 
Oracle (L'). I, 84. 
Oreste, II, 2; — III, 44. 



Orientales (Les). I, 366; — XI, 
i36; — IV, 189, 194. 

Orphelin de la Chine (L*). II, 
114; — III, 28, 46. 

Othello. III, 2 2, 44. 



Paméla. III, 299. 
Pandours (Les). III, 299. 
Panhypocrisiade (La). II, 129. 
Parodies (Les). I, 3 06 et suiv. 
Pattes de mouches (Les). IV, 

279. 
Paysans (Les). IV, 54. 
Père de Famille (Le). I, 194, 

202 et suiv.; — III, 222. 
Père prodigue (Le). IV, 281. 
Perrinet Leclerc. III, i 76 et suiv. 
Pertinax. III, 54. 
Phédon (Le). III, 5. 
Phèdre. II, 93 et suiv., 277; — 

III, 2, 44, 62, 3o8. 
Philiberte. IV, 283. 
Philosophe marié (Le). I, 160. 
Philosophe sans le savoir (Le). 

I, 192. 
Piano de Berthe (Le). IV, 2 83^. 
Pierre le Cruel. III, 4 1 . 
Pinto. II, i3o, i32, 134. 
Plante. II, i3o. 
Plaideurs (Les). I, 179. 
Plus beau Jour de la vie (Le). 

IV, i3. 

Polyeucte. II, 52, 59, 81. 83, 

180, 181, 192; — III, 262. 

Prométhée. II, 2 et suiv., 21; — 

m, 44. 
Prométhée délivré. 11,9. 
Protégée sans le savoir (La). IV, 

283. 
Provinciales (Les). I, 117. 



INDEX. 



3ll 



Question d'argent (La). I, i65 ; 

— IV, 147. 

Quitte pour la peur. IV, 2 83. 

Ressources de Quinola. IV, 65. 
Retour imprévu (Le). I, 143. 
Revue de Paris (La). I, 220. 
Rhadamiste. III, 2. 
Richard Cœur de Lion.^I, 194. 
Richard d'Arlington. III, 3o8. 
Ricochets (Les). I, 2 36, 3 1 7 ; — 

II, 204. 
Robert le Diable. I, 289. 
Robert Macaîre. I, m, i56; 

— III, 3o8 et suiv.; — IV, 
70, 178. 

Rochester. III, 58. 

Rodogune. III, 2. 

Roi s'amuse (Le). III, 114. 

Roland (Poème de). III, 49. 

Roman comique (Le). II, 54; — 
m, 87. 

Roman d'un Jeune Homme pau- 
vre (Le). I, i65. 

Romance du Saule (La). IV, 271. 

Rome au siècle d'Auguste. II, 
214. 

Rome sauvée. III, 10. 

Ruy-Blas. II, 2 56; — III, 272; 

— IV, 189. 



Saint Gencst. II, 5o et suiv. 
Saltimbanques (Les). IV, i3. 
Satire de Pétrone (La). IV, 173. 
Saûl. II, iq5. 
Sceptiques (Les). IV, 245 et suiv., 

256. 
StntctuU (De). IV, 93. 
Sept Chefs devant Thèbes (Les). 

II, 14. 



Serfs polonais (Les). II, i3o. 

Sganarelle. IV, 1 13. 

Siège de Calais (Le). III, 33 et 

suiv. 
Souvent homme varie. IV^ 189 

et suiv. 
Spectacle dans un fauteuil (Le). 

I, 263. 

Suite d'un bal masqué (La). IV, 
196. 

Tancrède. I, 194; — II, 112; 

— III, 39. 
TartuÉTe. I, 85, iio, 118, 122, 

i52, 292; — III, 84; — IV, 

162, 208. 
Testament de César Girodot (Le). 

IV, 198 et suiv. 
Théâtre-National (Le). III, 40. 
Thébaïde (La). III, 2. 
Thé de M"»« Gibou (Le). IV, 

i3. 
Tour de Nesle (La). III, 3o. 
Traité des Bienfaits. IV, 116. 
Trois Camarades de collège (Les). 

II, 286. 

Trois Hommes rouges (Les), pro- 
logue. III, 218. 

Trois Mousquetaires (Les). III, 
294. 

Turcaret. I, 146; — IV, 148, 
162, 210, 212. 

Ursule et Orovèsc, II, i3o. 



Valentine. III, 247, 261. 
Valeria. III, 226 et suiv. 
Vampire (Le). III, 3 00. 
Vautrin. IV, 65. 



CRITIQUE DRAMATIQUE. 



Vendons (Les). Il, 119. 
Venu de Cilimëae (U). IV, 

s 79. 
Vie de Bohîme (La). IV, 99. 
Virginie. IV, iJ. 
Voyages du Jeune Anacharsis. 



Weriher, ronno. III, 98. 
Werther, drame. III, 199. 
Woodsiock. Il, 193. 




TABLE 



DU 



TOME QUATRIEME DE LA CRITIQUE DRAMATIQUE 



Pages 

Désaugîers. — Le Dîner de Madelon i 

Alexandre Dumas. — Mademoiselle de Belle-Isle, 14 

Dumanoir, Claîrville et Léon Guillard, — Clarisse 

Harlowe 32 

Alfred de Musset. — Un Caprice. . . . ' 45 

De Balzac. — Mercadet le Faiseur 60 

Jules Sandeau. — Mademoiselle de la Seiglière. . 73 

Henri Murger. — Le Bonhomme Jadis 89 

M"« de Girardin. — La Joie fait peur loi 

E. Augier et J. Sandeau. — Le Gendre de 

M. Poirier 109 

Barrière et Capendu. — Les Faux Bonshommes, , i3i 

Mario Uchard. — La Fiammina 147 

Alexandre Dumas fils. — Le Demi-Monde, ... i63 

IV 27 



3r4 - TABLE. 

Pige» 

Auguste Vacque rie. — Souvent homme varie. , . 189 
Belot et VilieUrd, — Le Testament de César 

Girodot 198 

Emile Augier. — Les Effrontés 207 

V. Sardou. — La Famille Senoîloit 217 

MallefiUe. — Les Sceptiques, — Lion Laya. — 

Madame Desroches 245 

Meilhac et Halévy. — Froufrou îCo 

M"' Rose Chëri 276 

Ihbkx 297 




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