Skip to main content

Full text of "Œuvres du R.P. Claude de la Colombière, de la Compagnie de Jésus : contenant ses sermons prêchés devant S.A.R. Madame la duchesse d'Yorck, ses réflexions chrétiennes sur divers sujets de piété, ses méditations sur la passion, sa retraite, et ses lettres spirituelles"

See other formats


""\ 


%^y 


r'  4 


"^m 


V-.-"^ 


IRANSFERRîT" 


OEUVRES 

DU  R.  p.  Claude 

DE  LA  COLOMBIÈRE  , 

D.  L.   C.  D.  J. 


TOME    L 


OEUVRES 

DU  R.  p.  Claude 

DE  LA  COLOMBIÈRE  , 

OB    LA    GOHFAGMB    DB    J^SCTS  , 

CONTENANT 

Ses  SERMONS  prêches  devant  S.  A.   R.   Madame  la 

'    Duchesse  d'Yorck  ,    ses   RÉFLEXIONS    chréliennei» 

sur  divers  sujets  de  piété ,  ses  MEDITATIONS  sur' 

la    Passion  ,    sa    RETRAITE  ,    et    ses    LETTRES 

•piriluelles. 

NOUVELLE     ÉDITION. 


TOME    PREMIER. 


i**"  Volume  des  Sermons* 


AVIGNON, 

SEGUIN     AÎNÉ  ,    IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 
l832. 


FE3 


1957 


AVERTISSEMENT. 


La  réimpression  des  GEuvres  du  R.  P. 
DE  LA  CoLOMBiÈRE  nous  a  paru  un  service 
à  rendre  aux  pieux  fidèles ,  et  un  hom- 
mage bien  dû  à  la  mémoire  de  l'auteur. 
Vivement  désirée ,  long-temps  attendue , 
nous  espérons  qu'elle  sera  accueillie  avec 
empressement  ,  car  il  était  très-difficile 
de  se  procurer  cet  excellent  ouvrage. 
Son  mérite  est  avoué  de  tous  ceux  qui 
le  connaissent  et  qui  peuvent  le  juger.  Il 
est  écrit  avec  solidité ,  avec  onction ,  avec 
facilité:  les  sujets  sont  bien  choisis,  bien 
étudiés  ,  et  présentés  sous  un  point  de 
vue  juste  et  intéressant  :  l'auteur  a  su 
mêler  sans  les  confondre  le  dogme  et  la 
morale  ,  m,ais  la  qualité  qui  caractérise 
son  genre ,  et  qui  touche  aujourd'hui  le 
plus  ses  lecteurs  comme  elle  pénétrait 
autrefois  ses  auditeurs,  c'est  le  pathéti- 
que qui  règne  dans  tous  ses  discours. 
Chose  bien  remarquable!  On  critique  les 
inégalités  et  les  incorrections  de  Bossuet, 
les  formes  austères  de  la  dialectique  de 
I.  a 


îj  AVERTISSEMENT. 

Bourdaloue  ,  le  luxe  d'expression  et  la 
raorale  décourageante  de  Massillon;  quel 
prédicateur  n'a  pas  été  critiqué?  Mais  où 
sont  les  critiques  du  R.  P.  de  la.  Colom- 
lîiiiRE  ?  C'est  qu'en  effet ,  s'il  n'offre  pas 
des  beautés  du  premier  ordre,  son  genre 
à  lui  est  d'être  parfait  au   second  rang 
pour  les  pensées  ,  pour  les  sentimens  , 
pour  l'élocution  :  il  est  théologien  ,  phi- 
losophe et  littérateur  tout  à  la  fois  ;  en 
outre ,  il  parle  plus  au  cœur  qu'à  l'esprit, 
il  ne  se  recherche  aucunement  lui-même, 
et  l'on  pense  plus  à  faire  qu'à  censurer 
ce  qu'il  dit.  Si  sa  réputation  est  moins 
répandue   dans   le  monde  littéraire  que 
celle  des  autres  grands    Orateurs  ,  c'est 
qu'il  a  rarement  prêché  en   France  ,  ja- 
2nais  à  Paris  ni  à  la  Cour  ,   devant  ces 
brillans  auditoires  qui  font  la  renommée, 
du  Prédicateur.  Il  a  exercé  son  pacifique 
et  fructueux  apostolat  en  Angleterre ,  dans 
la  Chapelle  royale  delà  Duchesse  d'Yorck: 
au  bout  de  dix-huit  mois  la  persécution 
le  bannit;  de  retour  en  France  il  languit 
plutôt  qu'il  ne  vécut;  il  n'avait  que  qua- 
rante et  un  ans  lorsqu'une  mort  précieuse 
mit  fin  ,  en   1682  ,  à  son   zèle  et   à  ses 
travaux. 


AVEHTISSFMKNT.  lij 

Si  le  mérite  du  B.  P.  de  l\  Colomp^ièrf 
est  universellement  reconnu,  s'il  est  avec 
le  P.  Le  Jeune  ,  dont  il  n'a  pas  les  défauts  , 
ia  source  où  l'on  peut  le  plus  aisément 
puiser  de  riches  matériaux  pour  la  Pré- 
dication,  s'il  est  entre  tous  ses  contem- 
porains le  Sermon  aire  qu'on  lit  aujour- 
d'hui avec  le  plus  d'intérêt  ,  il  a  encore 
un  autre  avantage  qui  ,  pour  n'être  pas 
aussi  généralement  senti  ,  n'en  est  pas 
moins  le  plus  précieux  pour  les  fidèles  i 
c'est  de  pouvoir  leur  servir  de  lectures 
spirituelles.  Non-seulement  ses  Lettres  , 
sa  Retraite ,  ses  Réflexions  chrétiennes  , 
et  ses  Méditations  sur  la  Passion,  mais  ses 
Sermons  eux-mêmes  sont  ,  pour  la  plu- 
part, des  traités  ascétiques  sur  des  sujets 
fort  importans,  tels  que  le  Salut ,  le  Pé- 
ché, rHaÎ3itude  ,  la  Rechute  ,  le  Respect 
humain  ,  la  Miséricorde  de  Dieu  ,  la  Con- 
fession ,  la  Communion  ,  la  Prière  ,  la 
Parole  de  Dieu,  l'Humilité  chrétienne,  le 
Jeûne  et  l'Abstinence  ,  la  Charité  chré- 
tienne ,  la  Médisance  ,  les  Adversités ,  la 
Soumission  à  la  volonté  de  Dieu,  la  Pré- 
destination ,  la  Confiance  en  Dieu ,  l'A- 
mour de  Dieu,  etc.  etc.  Cet  Ouvrage  est 
même  plus  complet  que  la  plupart  à^s 

a. 


ly  AVERTISSEMENT. 

Traités  de  Morale  chrétienne ,  parce  que 
le  plan  de  l'Auteur  lui  a  permis  d'insérer 
des  Instructions  sur  les  grandes  vérités 
de  la  Religion  ,  et  sur  les  principaux  Mys- 
tères de  Jésus-Christ  et  de  la  Sainte  Vierge. 
Quelques-unes  sont  ce  que  nous  avons  de 
mieux  sur  ces  matières. 
:  La  Préface  de  l'Édition  de  l'jS'j  dont 
celle-ci  n'est  que  la  réimpression,  et  l'A- 
brégé de  la  Vie  de  l'Auteur  qui  en  fait 
partie ,  donneront  au  Lecteur  les  autres 
connaissances  qui  peuvent  rendre  la  lec- 
ture de  cet  Ouvrage  plus  utile  et  plus 
intéressante. 


PREFACE 

dd  V Édition  de  1757, 


\jETTB  nouvelle  édition  des  Sermons  du  Père  de 
la  Colombière  n'est  pas  une  simple  réimpression; 
ce  n*est  pas  néanmoins  une  refonte  entière  de 
tout  l'ouvrage  ,  moins  encore  une  augmentation 
de  nouveaux  discours  ajoutés  aux  anciens.  On 
reverra  dans  le  même  ordre  le  même  nombre  de 
Sermons  ,  de  Méditations  et  de  Réflexions  chré« 
tiennes  qu'on  a  vu  dans  les  éditions  précédentes; 
et  partout  on  reconnaîtra  les  mêmes  plans  ,  -la 
même  manière  de  penser,  le  même  style  même, 
qui  a  été  conservé  ,  autant  qu'ii  a  été  possible  , 
dans  les  corrections'  qui  y  ont  été  faites  de  quelques 
feçon«  de  parler  qui  ont  paru  surannées  en  plusieurs 
endroits. 

---  Ce  langage  suranné  a  été  le  vrai  et  l'unique  mo- 
tif du  tèle  qui  a  engagé  à  retoucher  toutes  ces 
diverses  productions.  Presque  personne  ,  si  on  en 
excepte  quelques  savans ,  ou  quelques  curieux, 
ne  lit  aujourd'hui  les  livres  dès  qu'ils  commencent 
à  prendre  un  air  d'antiquité ,  et  ce  serait  une  perte 
dans  le  Christianisme  ,  et  parmi  les  personnes 
pieuses,  qu'on  n'y  lût  plus  les  ouvrages  du  Père  de 
la  Colombière  :  ces  ouvrages  n'ont  point  été  en- 
tièrement remplacés  par  les  autres  ouvrages  dans 
le  m«me  genre  qui  les  ont  suivis. 

Parmi  ceux  qui  ont  écrit  dans  ces  derniers  temps 
sur  la  Morale  chrétienne  ,  on  en  voit  qui  excel- 
lent ,  les  uns  par  la  solidité  du  raisonnement , 
d'autres  par  la  vivacité  de  l'imagination  ,  presque 
tous  par  l'élégance  de  la  composition,  presque  aucun 
par  l'onction  des  senlimens.  La  réunion  de  tous 
ces  caractères  ne  s'aperçoit  guères  nulle  part,  du 
moins  autant  que  dans  le  Père  de  la  Colombière. 
Profond  quand  il  raisonne,  plein  de  feu  quand  il 


y]  PRÉFACE. 

peint,  de  douceur  et  de  justesse  quand  il  expose, 
toujours  il  mêle  l'onction  à  la  profondeur  de  ses 
raisonnemens ,  à  la  vivacité  de  ses  images  ,  à  la 
noble  simplicité  de  ses  détails  ,  et  c'est  ce  qui 
forme  cette  manière  d'écrire  touchante  et  pathéti- 
que qui  le  caractérise.  11  a  eu  peu  de  temps  pour 
composer  ses  Sermons  ,  et  presque  point  poiir  les 
perfectionner  ,  comme  on  le  va  voir  par  les  cir- 
constances où  il  a  été  obligé  de  travailler  ;  ainsi 
l'on  ne  pourra  attribuer  la  perfection  qu'on  remar- 
quera dans  son  travail  ,  qu'à  un  génie  heureux  et 
supérieur  aux  obstacles  que  peuvent  apporter  les 
conjonctures  gênantes  et  difficiles. 

L'ébauche  légère  de  la  vie  du  Père  de  la  Colom- 
bière,  qui  a  été  mise  dans  les  autres  éditions  ,  doit 
également  trouver  place  ici  ;  moins  cependant  pour 
faire  connaître  ce  célèbre  Prédicateur,  déjà  assea 
connu  ,  que  pour  transmettre  à  la  postérité  des 
traits  de  vertu  encore  plus  dignes  de  l'immortalité 
que  les  plus  précieuses  productions  de  l'esprit. 

Le  Père  de  la  Colombière  entra  dans  la  Compa- 
gnie de  Jésus  dès  les  premiers  temps  de  sa  jeunesse, 
et  il  y  a  apporta  les  plus  heureuses  dispositions 
pour  remplir  tous  les  devoirs  de  sa  vocation  :  une 
complexion  assez  robuste  ,  un  esprit  vif  et  natu- 
rellement poli ,  un  jugement  solide  ,  délicat  et 
pénétrant ,  une  grande  ame ,  des  inclinations  no- 
bles, des  grâces  même  propres  à  donner  de  l'éclat 
et  de  l'agrément  à  ses  divers  talens.  Un  si  riche 
fonds  eut  toute  la  culture  dont  il  était  susceptible, 
et  l'on  a  recueilli  tous  les  fruits  qu'on  en  pouvait 
attendre. 

Un  sujet  doué  de  tant  d'heureuses  qualités  était 
propre  pour  toutes  les  sciences  :  il  y  fut  appliqué 
successivement,  et  il  sut  se  rendre  habile  dans 
chacune.  Il  se  distingua  néanmoins  surtout  par  sa 
manière  dépenser.  Il  saisissait  les  objets  avec  une 
justesse  et  une  finesse  qui  lui  étaient  natuix^lles , 
et  toujours  les  choses  paraissaient  relevées  et  per- 
fectionnées par  le  tour  qu'elles  prenaient  dans  son 


PRÉFACE.  Ti) 

esprit.  Études  abstraites  ,  connaissances  sérieuses 
et  profondes  ,  Belles -Lettres  ,  tout  était  de  son 
ressort ,  cttoutce  qu'il  maniait  portait  l'empreinte 
du  goût  le  plus  exquis  ;  il  semblait  ne  pouvoir 
écrire  ses  pensées  sans  les  exprimer  avec  élégance,- 
et  sans  leur  donner  cet  arrangement  que  produit 
toujours  un  esprit  maître  de  ses  idées.  Jamais  en 
parlant  il  ne  lui  échappait  d'expression  qui  fût  tant 
soit  peu  défectueuse  ,  ou  qui  ne  fût  pas  à  sa  place. 
On  peut  dire  que  ,  pour  le  temps  où  il  a  vécu,  il 
était  un  des  hommes  du  royaume  qui  entendait  le 
mieux  notre  langue;  c'est  ainsi  qu'en  ont  jugé  les 
savans  avec  qui  il  a  eu  des  liaisons  ,  et  en  parti- 
culier le  célèbre  M.  Palrti  ,  qui  ,  accoutumé  lui- 
même  à  être  admiré,  applaudissait  aux  réflexions 
duTèredela  Colombie  re  sur  l'élégance  et  les  tours 
fins  de  la  langue  française.  Cet  excellent  maître 
dans  l'art  d'écrire  et  de  parler  a  entretenu  durant 
plusieurs  années  un  commerce  de  lettres  avec  lui  ; 
et  cette  liaison  ,  comme  il  paraissait  par  la  manière 
dont  il  lui  écrivait,  était  fondée  sur  une  estime 
particulière. 

^  Il  est  aisé  de  conjecturer  quelles  étaient  les  ma- 
nières d'un  homme  qui  avait  ce  caractère  d'esprit  : 
la  politesse  et  la  douceur  étaient  la  règle  de  tous 
ses  mouvemens,  et  ces  vertus  avaient  en  lui  quel- 
que chose  de  si  noble  ,  qu'elles  relevaient  les 
moindres  de  ses  actions.  On  ne  pouvait  s'cinpêcher 
de  penser  qu'il  avait  de  grands  sentimens ,  lors 
même  qu'il  s'acquittait  des  devoirs  ordinaires  dans 
le  commerce  des  hommes.  Son  maintien  grave  et 
modeste  n'eut  jamais  rien  de  rebutant,  et  qi'.and 
la  bienséance  lui  permettait  de  montrer  de  l'agré- 
ment ,  il  semblait  être  né  pour  plaire.  Dans  la 
conversation  ,  si  l'intérêt  de  la  vérité  l'obligeait  :\ 
abandonner  le  sentiment  des  autres,  il  proposait 
»a  pensée  avec  tant  de  circonspection  et  de  res- 
pect ,  et  tout  à  la  l'ois  avec  tant  de  pénétration  , 
de  force  et  de  raison  ,  qu'il  engageait  ordinaire- 
ment tout  le  monde  dans  son  parti,  sans  que  per- 


Tïï)  PRÉFACE. 

sonne  s*^offensât  d'clre  obligé  d'y  entrer.  On  eûî> 
dit  qu'il  songeait  à  apprendre  quand  il  enseig^nait* 
Son  silence,  son  entrelien,  sa  contenance,  son 
action  ,  tout  son  extérieur  ,  sans  la  moindre  ap- 
parence de  gênCj  semblait  s'assortir  naturellement 
aux  conjonctures,  et  en  toute  rencontre  on  remar- 
quait en  sa  personne  cet  air  de  probité  ,  de  réserve 
et  de  décence  religieuse  ,  si  propre  à  gagner  l'es* 
time  et  la  confia«ce. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'il  se  possédât  tou- 
jours assez  pour  prévenir  toutes  les  saillies  qui 
surprennent  quelquefois  les  plus  modérés,  et  les 
dérober  en  quelque  sorte  à  eux-mêmes  :  c'était  la 
piété  et  la  vertu  qui  réglaient  sa  conduite  ,  et  qui 
répandaient  dans  toutes  ses  manières  ce  charme 
qui  ravissait  et  qui  édifiait  également  tous  ceux  qui 
avaient  quelque  accès  auprès  de  lui.  Appliqué  d'une 
manière  particulière  à  l'étude  de  la  perfection  , 
il  paraissait  toujours  rempli  de  quelque  pensée 
forte  et  sainte  ,  dont  l'empreinte  se  montrait  sur 
son  visage.  Pénétré  de  la  grandeur  de  Dieu  et  du 
néant  des  créatures ,  il  ne  pouvait  cacher  l'esprit 
qui  le  gouvernait ,  et  on  ne  pouvait  le  voir  sans 
se  sentir  de  l'attrait  pour  la  vertu  ,  ni  l'entendre 
parler  sans  concevoir  des  pensées  dignes  de  la  sain- 
teté ,  et  un  désir  ardent  de  l'acquérir;  sa  seule 
présence  inspirait  des  sentimens  relevés  à  l'égard 
de  Dieu  et  du  salut. 

La  prière  et  l'oraison  semblaient  attirer  sans 
cesse  son  esprit.  Il  s'était  fait  une  si  forte  habitude 
de  rapporter  toutes  ses  réflexions  aux  choses  cé- 
lestes, qu'il  était  incapable  d'être  touché  d'un  motif 
ou  d'un  intérêt  humain.  Comme  il  avait  l'ame 
droite  et  éclairée,  quelque- affaire  qu'il  eût  à  trai- 
ter ,  il  en  jugeait  avec  une  extrême  justesse  ;  il  ne 
fallait  qu'avoir  soi-même  de  la  droiture  pour  se 
laisser  persuader  par  ses  raisons  :  mais  quand  il 
avait  donné  son  avis ,  on  demeurait  convaincu  que 
l'affaire  n'était  à  ses  yeux  d'aucun  prix ,  si  elle  ne 
tendait  pas  à  la  gloire  de  Die«  ;  et  pour  lui  on 


PRÉFACÉ.  rx^ 

s'apercevait  bien  qu'aussitôt  il  était  lappcié  à  la 
considération  des  vérités  éternelles,  ou  5  pourmieux 
dire  ,  qu'il  ne  l'avait  pas  interrompue  en  pensant 
à  d'autres  choses. 

S'il  s'agissait  de  faire  ici  on  éloge  suivi  du  Père  de 
liiColombiére,  on  entrerait  dans  quelque  détail  de 
ses  action's;  et  en  le  considérant  dans  les  divers 
temps  où  il'  a  enseigné  ,  où  il  a  prêché  ,  où  il  a 
dirigé,  et  où  H  a  exercé  quelque  autre  emploi  pro- 
p-e  de  sa  profession ,  on  ferait  voir  partout  de» 
marques  frappantes  d'un  détachement  singulier 
dtîs  ehos€S  hiimaines,  et  devrais  signes  d'une  sain- 
teté consommée.  Il  avait  une  allention  continuelle 
stir  tous  Tes  mouvemens  de  son  cœur,  et  il  s'était 
accoutumé  à  s'interdire  avec  une  rigueur  extréryie 
tbut  cequi  pouvait  tant  soit  peu  salisfiiire  l'amoin- 
propre;  Un  seul  trait  fera  juger  jusqu'où  il  portait 
îa  mortification.  Il  aimait  extrêmement  la  musi- 
que; cette  inclination  si  innocente  ne  put  échapper 
à  sa  vigilance:  dès  qu'il  la  connut,  il  s'obligea  par 
un  vœu  à  ne  la  jamais  satisfaire.  Mais  on  n'est  pas 
dans  le  dessein  de  tracer  plus  au  long  les  soins 
qu'il  prit  de  se  perfectionner  dans  la  vertu  ,  et 
l'usage  qu'il  fit  de  ses  talens  pour  le  service  du 
prochain  ;  il  suffît  de  dire  ici  que  le  serviteur  de 
Dieu  avait  sur  la  perfection  chrétienne  les  idées  les 
plus  vastes  et  les  plus  justes  ,  et  qu'en  travaillant 
sans  cesse  à  y  parvenir  ,  il  suivait  et  la  justesse  et 
retendue  de  ses  lumières- 

LePèredelaColombière  était  à  peu  près  tel  qu'on 
vient  de  le  représenter  ,  lorsque  ses  Supérieurs  le 
mirent  à  ses  dernières  épreuves ,  et  l'envoyèrent 
faire  une  troisième  année  de  noviciat ,  indispen- 
sable chez  les  Jésuites.  C'est  là  qu'il  fit  une  étude 
encore  plus  suivie  de  i'héroîsme  de  la  vertu  ;  c'est 
là  qu'il  forma  ces  résolutions  dont  l'exécution  lui 
fit  faire  des  progrés  si  rapides  dans  le  chemin  de 
la  sainteté  ,  et  l'y  éleva  bien  plus  que  ne  l'avaient 
encore  fait  les  généreux  efforts  de  sa  premièrd 
jeunesse. 

a* 


X  PRKFACE. 

Pour  fairi.'  désormais  connaître  en  peu  de  mots 
tonte  la  sainteté  de  sa  vie  ,  je  n'ai  qu'à  rapporter 
le  Tœu  qu'il  fit  sous  la  conduite  de  son  Directeur. 
11  n'y  a  guères  que  les  spirituels  et  les  parfaits  du 
Christianisme  qui  comprendront  jusqu'à  quel  point 
de  sainteté  devait  porter  l'accomplissement  de  ce 
rigoureux  engagement  ;  ceux  néanmoins  qui  ne 
sont  pas  initiés  à  la  conduite  secrète  et  inté- 
rieure du  régne  de  Jésus-Christ,  ne  laisseront  pas 
d'être  édiûés  ;  du  moins  ils  admireront  les  géné- 
reux tiY'jrts  que  font  faire  à  une  ame  vertueuse 
la  connaissance  de  Dieu  ,  et  le  désir  de  le  servir 
d'une  manière  digne  de  sa  grandeur. 

Dans  le  point  de  vue  de  la  perfection  religieuse 
à  Inquelle  le  Père  de  la  Colombière  s'était  obligé 
de  la  manière  la  plus  étroite,  il  y  a  bien  des  choses 
qui  ont  rapport  aux  Règles  etauxConstitutionspar- 
ticulières  des  Jésuites  ,  et  toutes  sortes  de  person- 
nes ne  démêleront  pas  ces  rapports  :  cependant 
com:ne  ces  Constitutions  et  ces  Règles  ne  sont ,  à 
proprement  parler,  que  les  conseils  évangéliques, 
ou  plutôt  la  substance  de  ces  conseils  réduite  en 
forme  de  réglemens  ,  il  n'est  point  de  Chrétien 
instruit  qui  ne  puisse  admirer  avec  connaissance 
et  imiter  même  ,  s'il  en  a  le  courage  ,  le  projet  qui 
va  lui  être  mis  sous  les  yeux  tel  qu'il  a  été  conçu, 
écrit  et  pratiqué. 

11  y  a  cette  différence  entre  les  actions  de  la  vie 
civile  et  politique  ,  et  les  actions  de  la  vie  cachée 
en  Jésus-Christ  ,  que  celles-là  sont  un  enchaîne- 
ment de  faits  éclatans  d'où  résultent  visiblement 
le  caractère  et  la  gloire  des  hommes  publics  ,  et 
que  celles-ci  n'étant  la  plupart  qu'un  tissu  de  faits 
secrets  et  invisibles,  ne  font  connaître  toute  la 
vertu  d'une  grande  ame  que  par  les  principes  et 
les  motifs  qui  l'ont  fait  agir.  Les  voici,  ces  prin- 
cipes de  la  veutu  du  Père  de  la  Colombière  :  on  ne 
saurait  représenter  autrement  cet  ouvrage  de  la 
grâce  ,  que  de  le  transcrire  dans  la  forme  qu'il  a  été 
transmis  ou  plutôt  trouvé  parmi  les  écritsdii  salut 
homme. 


PRÉFACE.  ij 

PROJET  D^UN  VOEU. 

Juravi  et  statul  custodirc  judicia  justUi(d  iuœ. 

Je  me  sens  porté  à  Touer  à  Dieu  robservation 
de  nos  Constitutions  ,  de  nos  Règles  communes  , 
de  nos  Règles  de  Modestie  ,  et  des  Règles  des 
Prêtres,  de  la  manière  qui  suit. 

Sommaire  des  Constitutions. 

1."  De  travailler  toute  ma  vie  à  ma  perfection 
particulière  par  l'observation  des  Règles  ,  et  à  la 
sanclification  du  procbain  ,  en  profitant  de  toutes 
les  occasions  que  l'obéissance  et  la  Providence 
me  donneront  de  produire  mon  zèle  sans  choquer 
les  Règles  de  la  discrétion  et  de  la  prudence  chré- 
tienne. (  2.  Règle.  ) 

2."  D'aller  indifféremment  ,  sans  exception  , 
sans  réplique  ,  partout  où  l'obéissance  m'enverra. 
(5.  Règle.) 

5.°  De  conférer  avec  le  Supérieur  des  péniten- 
ces extérieures  ,  et  de  ne  point  omettre  sans 
nécessité  celles  qu'il  aura  trouvé  bon  que  je  fasse  ; 
de  faire  la  confession  générale  tous  les  ans  ,  l'exa- 
men de  conscience  deux  foii^  le  jour  ,  d'avoir  un 
Confesseur  stable  ,  de  lui  découvrir  toute  ma 
conscience.  (4-  5.  6.  7.  Règles.  ) 

4°  De  n'aimer  mes  parens  qu'en  Jésus-Christ.  Il 
me  semble  que  par  la  grâce  de  notre  Seigneur  je  suis 
déjà  en  cette  disposition  ;  ainsi  ce  point  ne  me 
peut  faire  aucune  peine.  (  8.  Règle.  ) 

5.°  De  trouver  bon  qu'on  me  reprenne,  qu'on 
avertisse  mes  Supérieurs  de  mes  défauts,  et  de  les 
avertir  de  ceux  de  mes  frères  dans  les  cas  où  je  ju- 
gerai y  être  obligé  par  la  Règle.  (9.  et  10.  Règles.) 

6.°  De  souhaiter  d'être  outragé  ,  accablé  de  ca- 
lomnies et  d'injures  ;  de  passer  pour  un  insensé  , 
sans  cependant  y  donner  occasion  ,  et  si  Dieu  n'y 
était  point  offensé.  Il  me  semble  que  pour  cela  je 
n*ai  qu'à  demander  à  Dieu  qu'il  me  conserve  les 


aîj  PRÉFACE. 

sentimens  qu'il  m'a  déjà  donnés  par  sa  miséri- 
corde infinie.  (  n.  Règle.  ) 

y."  Touchant   la    plus   grande    abnégation    de 
soi-même   et  la  mortification  continuelle  ,  il  me 
semble  qu'avec  la  grâce   de   notre    Seigneur  je 
puis  vouer  de  n'avoir  jamais  de  volonté  efficace 
à  l'égard  de  la  vie  ,  de  la  santé  ,  de  la  prospérité  , 
de  l'adversité  ,  des  emplois ,   des  lieux  ,  qu'autant 
que  cette  volonté  sera  conformeàla  sienne.  2. "De 
souhaiter  autant  qu'il  sera  en  mon  pouvoir  tout 
ce  qui  sera  le  plus  contraire  à  mes  inclinations  na- 
turelles, si  cela  n'est  point  opposé  S  sa  plus  grande 
gloire  ;  et  il  me  semble  que  par  sa^  bonté  infinie  il 
m'a  mis  à  peu  près  en  cette  disposition.  3."  De  ne 
rechercher  jamais  ce  qui  flatte  les  sens  ,  comme 
les  spectacles,  les  concerts,  les  odeurs,  les  choses 
agréables  au  goût ,  ni  ce  qui  peut  satisfaire  la  va- 
nité ;  ne  les  rechercher,  dis-je  ,  ni  en  mes  discours, 
ni  en  mes  actions  :  pour  les  meubles  et  les  habits, 
de  me  contenter  de  ce  qu'on  me  donnera,  à  moins 
que  l'obéissance  ,   ou  la  règle  qui  regarde  le  soin 
de  la  santé   ne  m'oblige    d'en   user    autrement.. 
4.°  De    n'éviter  aucune  morlifiralion  ,    de  celle 
qui  se  présenteronl ,  à  moins  que  je  ne  juge ,  selon. 
Dieu  ,  que  je  dois  en  user  autrement  pour  quelque- 
raison  qui  me  paraîtra  véritable.  5.°  De  ne  jamais 
goûter  aucun  plaisir,  de  ceux  ou  la  nécessité  m'en- 
gage ,  comme  de  boire  .  do  manger  ,  de  dormir  , 
ni  de  ceux  qu'on  ne  peut  éviter  dans  la  compagnie- 
sans  quelque  afTectation  ou  quelque   singularité  , 
comme    les  récréalions  ,   les   mets   extraordinai- 
res ,  etc.  de  ne  les  jamais  prendre  pour  le  plaisir 
que  la  nature  y  trouve  ,  mais  d'y  renoncer  en  moni 
cœur ,  et  de  m'y  mortifier  en  effet  autant  que  Dieu 
me  l'inspirera,  et  que  je  le  pourrai  sans  me  faire 
trop  remarquer.  (  12.  Règle.  ) 

8."  Les  quatre  Règles  snivanles  sont  renfermées 
dans  tontes  les  autres;  pour  la  dix- septième  , 
qui  regarde  la  pureté  de  l'intention,  je  puis  vouer, 
ce  me  semble  ,  1.°  de  ne  faire  jamais  rien  ,  avec 


PRÉFACE.  xîîj 

le  secours  de  notre  Seigneur,  que  pourla  gloire  de 
Dieu,  du  moins  avec  réflexion;  2.°denejamais  rien 
faire  ni  rien  omettre  par  respect  humain  :  ce  dernier 
point  me  plaît  fort  ,et  il  me  semble  qu'il  m'établira 
dans  une  grande  paix  intérieure.  (  \y.  Règle.) 

9.°Ce  présent  vœu  renferme ,  si  je  ne  me  trompe , 
l'observation  de  la  dix-neuvième,  f  19.  Règle.) 

io.°  Pour  la  vingt  -  unième  ,  je  puis  vouer, 
1*.  de  ne  manquer  jamais  de  faire  mon  oraison, 
et  d'observer,  soit  dans  la  préparation,  soit  dans 
l'action  ,  lés  additions  de  saint  Ignace  ,  à  moins 
qu'une  raison  ou  de  nécessité  ou  de  charité  ,  ou 
quelqu'autre  aussi  bonne  ne  me  portât  à  me  dis- 
penser de  quelqu'un  de  ces  points.  2.°  A  l'égard  de 
la  messe  et  de  l'orfice  ,  de  garder  les  Réglés  des 
Prêtres.  ("21.  Règle.) 

11.°  Pour  la  Pauvreté  ,  j'ai  déjà  fait  vœu  d'ob- 
server toutes  les  règles  que  nous  en  a  donné  saint 
Ignace. 

12.°  Pour  la  Chasteté,  de  ne  jamais  regarder 
aucun  objet  qui  puisse  inspirer  des  pensées  con- 
traires à  cette  vertu  ,  du  moins  de  dessein  formé, 
ou  sans  nécessité  indispensable,  dé  ne  rien  lire  ni 
entendre  dire  qui  ne  soit  chaste  ,  à  moins  que  la 
charité  ou  la  nécessité  de  mon  emploi  ne  m'y  en- 
gage ;  de  garder  lés  Règles  des  Prêtres  pour  la 
confession  ou  la  visite  des  femmes. 

i3.°  De  manger  toujours  avec  tempérance ,  mo- 
destie ,  et  bienséance  ;  de  dire  la  bénédiction  de 
table  et  lés  grâces  avec  respect  et  dévotion. 

14.°  Pour  l'Obéissance,  j'ai  déjà  voué  de  la  pra- 
tiquer selon  nos  Règles. 

)5."  D'observer  ce  qui  regarde  les  lettres  qu'on 
envoie  ou  qu'on  reçoit  ,  comme  les  Supérieurs 
souhaiteront  qu'il  s'observe. 

i6.'  De  rendre  compte  dé  conscience  ,  selon  la 
formule  que  nous  en  avons  dans  nos  Constitutions. 

17.*  De  n'avoir  rien  de  caché  pour  mon  Con- 
fesseur, du  moins  de  ce  qu'il  doit  savoir  pour  me 
conduire.  < 


liv  PREFACE. 

18.°  Ce  qui  regarde  l'union  et  la  charité  frater- 
nelle ,  les  affuircs  purement  séculières,  le  soin  de 
Jasante,  ne  fait  aucune  difficulté  pour  moi  ,  non 
plus  que  la  manière  d'agir  qu'on  doit  observer 
quand  on  est  malade. 

Règles  Communes. 

1.°  De  faire  tous  les  jours  deux  fois  l'examen  de 
conscience  et  l'examen  particulier  ,  et  d'en  mar- 
fjuer  le  profit ,  selon  Tinstruction  de  saint  Ignace  ; 
la  lecture  spirituelle ,  quand  je  le  pourrai  :  de  ne 
m'abscnter  point  du  ser.'hon  sans  permission  ,  lors- 
(«ue  je  serai  dans  la  maison  :  de  ne  me  confesser 
qu'à  mon  Confesseur  ordinaire  :  de  garder  l'absti- 
nence du  vendredi,  selon  l'usage  de  la  Compagnie, 
de  ne  point  prèchfîr  sans  l'approbation  des  Supé- 
rieurs. Les  trois  Règles  suivantes  regardent  la  pau- 
Treté ,  toutes  les  autres  me  paraissent  sans  diflTicullé  : 
on  peut  vouer ,  ce  me  semble ,  de  ne  s'en  dispenser 
jamais  sans  permission. 

*  Il  faudrait  se  souvenir  ,  en  arrivant  dans  une 
maison  ,  de  demander  ces  permissions  aux  Supé- 
rieurs :  1.°  d'avoir  des  livres;  2.°  devoir  souvent 
les  malades  ,  si  ce  n'est  pas  l'usage  de  demander 
permission  chaque  fois  qu'on  les  va  voir;  5.°  d'en- 
trer pour  un  moment  dans  la  chambre  de  certaines 
personnes  en  certaines  occasions  ,  comme  pour 
prendre  de  la  lumière,  pour  rendre  un  livre  ,  etc. 
4.°  de  parler  dans  la  maison  avec  les  externes  ,  et 
de  les  y  appeler  s'il  était  nécessaire  :  j."  de  faire 
les  commissions  de  ceux  du  dehors  dans  la  maison , 
et  de  ceux  de  la  maison  au  dehors  ,  quand  on  en 
est  prié,  et  qu'on  ne  jugera  pas  qu'il  y  ait  rien 
d'extraordinaire  ;  6.°  d'écrire  des  lettres;  bien  en- 
tendu qu'on  les  montrera  à  qui  il  faut ,  si  ce  n'est 
pas  l'usage  de  demander  permission  chaque  fois 
qu'on  veut  écrire. 

Rrgles  de  Modf  slic  ,  et  des  Prêtres. 
,   Les  Règles  de  Modestie  sont  composées  de  telle 
sorte,  qu'elles  ne  peuvent  faire  aucune  peine,  non 


PRÉFACE.  XT 

plus  que  les  Règles  des  Prêtres.  La  Règle  qui  recom- 
mande l'instruction  des  cnfans  n'impose  pas,  à 
mon  avis,  de  plus  grande  obligation  que  celle  qui 
est  renfermée  dans  le  vœu  qu'en  font  les  profès. 

On  pourrait  s'engager  par  vœu  à  observer  les 
Règles  des  emplois  particuliers,  à  mesure  qu'on  y 
serait  appliqué. 

Motifs  de  ce  Vœu. 

i."  Pour  s'imposer  une  nécessité  indispensable 
de  remplir  autant  qu'il  est  possible  les  devoirs 
de  notre  état ,  et  dclre  fidèle  à  Dieu  ,  même  dans 
les  plus  petites  choses. 

2.°  Pour  rompre  tout  d'un  coup  toutes  les  chaî- 
nes de  l'amour  propre  ,  et  lui  retrancher  pour 
toujours  Tespérance  de  se  satisfaire  en  quelque 
rencontre ,  espérance  qui  me  semble  toujours  vivre 
dans  le  cœur,  en  quelque  état  de  morlificatioa 
qu'on  puisse  être. 

3.°  Pour  acquérir  tout  d'un  coup  le  mérite  dune 
très-longue  vie,  dans  l'extrême  incertitude  où  nous 
sommes  de  vivre  seulement  un  jour;  pour  se  met- 
Ire  en  état  de  ne  pas  craindre  que  la  mort  vienne 
nous  ravir  les  moyens  de  glorifier  Dieu  de  plus  en 
plus  :  car  cette  volonté  qu'on  a  de  le  faire  éternel- 
lement ne  peut  manquer  d'être  prise  pour  l'effet, 
puisqu'on  s'oblige  si  étroitement  à  l'accomplir. 

4.°  Pour  réparer  les  irrégularités  passées,  parla 
nécessité  où  l'on  se  met  d'être  régulier  autant  de 
temps  qu'il  plaira  à  Dieu  de  nous  prolonger  la  vie. 
Ce  motif  me  touche  beaucoup,  et  me  presse  beau* 
coup  plus  que  tous  les  autres. 

5."  Pour  reconnaître  en  quelque  sorte  les  mi- 
séricordes infinies  que  Dieu  a  esercées  envers  moi, 
en  m'engageanl  indispensabîement  à  exécuter  soi 
moindres  ordres. 

6."  Par  respect  pour  la  volonté  divine  ,  qui  mé- 
rite bien  d"être  exécutée  sous  peine  de  damnation 
éternelle  ,  quoique  Dieu  par  sa  bonté  infinie  ne 


TV)  PRÉFACE; 

nous  y  engage  pas  toujours  sous  de  si  grièves 

peines. 

7.°  Pour  faire  de  mon  côté  tout  ce  qui  dépend 
de  moi  afin  d'être  à  Dieu  sans  réserve  ;  pour  déta- 
cher mon  cœur  de  toutes  les  créatures  ,  et  aimer 
le  Seigneur  de  toutes  mes  forces,- du  moins  d'ua 
amour  effectif. 

Quelques  Considérations  qui  m'encouragent  à  fairs: 
ce  Vœu. 

1."  Je  ne  trouve  pas  plus  de  peine  à  observer 
tout  ce  que  ce  vœu  renferme  ,  qu'un  homme 
porté  naturellement  au  plaisir  en  doit  avoir  à  gar- 
der la  chasteté  ,  qui  l'engage  à  tant  dé  combats  et 
à  tant  de  vigilance. 

2.°  Dieu  qui  a  inspiré  nos  Règles  à  saint  Ignace^ 
a  prétendu  qu'elles  fussent  observées.  II  n'est  donc 
pas  impossible  de  le  faire  ,    d'une  impossibilité 
même  morale.  Or  le  vœu ,  loin  d'en  rendre  Tobser- 
vation  plus  diflicile  ,  la  facilite  au  contraire  ,  non»-- 
seulement  parce  qu'il  éloigne  lés  tentations  parla 
crainte  de  commettre  un  péché  grief,  mais  encore 
parce  qu'il  engage  Dieu  adonner  de  plus  forts  se- 
cours dans  l'occasion. 

3.°Berchmans  a  passé  cinq  ans  dans  la  Compa-- 
gnie  sans  que  sa  conscience  lui  reprochât  l'infrac- 
tion d'aucune  Règle  :  pourquoi  ,  avec  la  grâce  de 
Dieu,  ne  le  ferai-je  pas  dans  un  îlge  où  l'on  doit 
avoir  plus  de  force ,  et  au  on  est  moins  exposé  aux. 
respects  humains  ,  qui-  sont  les  plus  dangereux, 
ennemis  qu'on  ait  ù  combattre  ? 

4.°  Je  ne  crains  pas  que  ce  vœu  ra'ôte  le  repos 
de  l'ame,  et  devienne  pour  moi  une  pierre  de  scan- 
dale :  Pax  multa  diligentibus  legeni  tuam  ,  et  non 
est  illis  scandalum.  C'est  un  article  de  foi  ;  et  par 
conséquent  plus  on  aime  cette  loi ,  plus  on  se  trouve 
tranquille  :  Ambulabo  in  lutiludine  ,  quia  mandata 
tuacxquisivi.  Le  soin  exact  d'obéir  aux  plus  menues 
observances  met  l'esprit  en  liberté  ,  au  Heu  d?  hi 
causer  de  la  roatrain»e. 


PRÉFACE.  rv'jf 

5^.*  It  me  semble  que  depuis  queFquc  temps  je 
TÎs  à  peu  près  comme  je  serai  obligé  de  vivre  après 
ce  vœu.  C'est  plutôt  par  le  désirdem'engager  A  per- 
sévérer ,  que  par  l'envie  de  faire  quelque  chose  de 
nouveau  et  d'extraordinaire  ,  que  j'ai  pris  cette 
pensée.  '^  ^'\ 

%  6.°  Il  me  semble  que  la  seule  pensée  de  fairc'ce 
Tœu  me  détache  des  choses  du  monde  ,  à  peu  prèf 
comme  si  je  sentais  l;i  mort  s'approcher. 

7.°  Je  ne  m'appuie  ni  sur  ma  résolution  ,  ni  suç 
mes  propres  forces,  mais  sur  la  bonté  de  Dieuj^ 
qui  est  infinie  ,  et  sur  sa  grâce,  qu'il  ne  manque 
jamais  de  communiquer  abondamment ,  et  d'au- 
tant plus  qu'on  s'efforce  de  le  servir  sans  réserve: 
TSon  déUnquent  omnes  qui  sperant  in  eo.  '\  > 

8.°  Il  me  semble  que  ce  parti  ne  m'engage  qu'à' 
un  peu  plus  de  Tigilance  que  je  n'en  ai ,  car  à  cette* 
heure  même  il  me  semble  que  je  ne  voudrais  pas 
rompre  aucune  de  ces  Règles  avec  une  volonté 
délibérée. 

g. °  Pour  aller  au  devant  des  scrupules,  je  puis 
ne  m*engager  à  rien  dans  le  doute. 

'.G.'  Je  puis  m'engager  sous  cette  condition, 
que  si  après  quelque  temps  je  trouve  qu  ece  vœu 
me  cause  du  trouble,  l'engagement  cessera  ;  sinon, 
qu'il  ne  finira  qu'avec  la  vie. 

1 1.°  Quand  on  a  permission,  on  ne  rompt  point 
dfe  Règle,  du  moins  lorsqu'il  s'agit  d'une  Règle  ex- 
térieure ;  car  llfaudrait  être  bien  malheureux  pour 
aimer  mieux  rompre  une  Règle,  et  déplaire  à  Dieu, 
quand  même  il  n'y  aurait  pas  d'obligation  de  péché» 
mortel,  que  de  dire  un  mot  au  Supérieur. 

12.°  Je  ne  prétends  pas  être  obligé  à  rien  en- 
toutes  les  occasions  où  un  autre  pourrait  se  dispen- 
ser de  la  Règle  sans  rien  faire  contre  la  perfection. 

i3.°  La  pensée  de  cet  engagement  me  réjouit 
loin  de  m'elïVayer  ;  il  me  semble  qu'au  lieu  d'être 
esclave ,  je  vais  entrer  dans  le  royaivme^  de  la  li- 
berté et  de  la  paix.  L'amour  propre  n'osera  plus- 
me  chicaner  lorsqu'il  y  aura  un  si  grand  péril  à 


xviij  PRÉFACE. 

suivre  ses  mouTemens.  Il  me  semble  que  je  touche 
à  mon  bonheur  ,  et  que  j'ai  enfin  trouvé  le  trésor 
qu'il  faut  acheter  si  cher. 

14.°  Ce  n'est  point  une  ferveur  passagère  5  il  y 
a  long-temps  que  je  médite  ce  projet;  mais  je  m'é- 
tais toujours  réservé  de  l'examiner  à  fond  en  cetle 
rencontre  ;  et  plus  le  temps  de  l'exécuter  s'appro- 
che 5  plus  j'y  découvre  de  facilité ,  et  plus  je  me 
sens  de  force  et  de  résolution. 

i5.**  Malgré  tout  cela,  j'allendraî  votre  décision 
avant  que  de  passer  outre.  C'est  pourquoi  je  vous 
supplie  d'examiner  cet  écrit ,  et  de  faire  réflexion 
surtout  à  ces  dernières  considérations  ,  dans  les- 
quelles vous  trouverez  peut-être  des  marques  de 
l'esprit  de  Dieu  ;  sinon  ,  vous  n'avez  q-i'à  me  dire 
que  vous  ne  jugez  pas  à  propos  que  j'eÂ;écule  ce 
dessein  ,  et  j'aurai  pour  \olre  sentiment  le  même 
respect  que  je  dois  à  la  parole  de  Dieu. 

Le  Directeur  entre  les  mains  de  qui  ce  projet  fut 
mis  était  d'une  extrême  sagesse,  d'une  vie  exem- 
plaire, d'une  grande  droiture  d'ame,  et  d'une  lon- 
gue expérience  dans  la  vie  spirituelle;  persuadé 
que  le  Père  de  la  Colombière  pourrait  monter  avec 
la  grâce  de  Jésus-Christ  jusqu'à  ce  degré  de  perfec- 
tion ,  il  n'eut  pas  de  peine  à  lui  permettre  de  s'y 
engager  par  un  vœu.  Le  serviteur  de  Dieu  s'obligea 
donc  à  tout  ce  qu'il  s'était  proposé,  et  dans  la  suite 
il  ne  se  sentit  pas  plus  gêné  qu'avant  son  engage- 
ment, et  jamais  il  n'eut  de  scrupule  sur  l'observa- 
tion des  lois  rigoureuses  qu'il  s'était  faites  :  liberté 
consolante  qu'on  éprouve  toujours  dans  le  service 
de  Dieu  après  une  détermination  forte  et  dc3  me- 
sures bien  méditées.  Ceux  qui  ont  vécu  avec  la 
Père  de  la  Colombière  ,  et  qui  ont  appris  après  sa 
mort  ce  à  quoi  il  s'était  engagé,  ont  aussi  témoigné 
qu'ils  ne  l'ont  jamais  vu  se  démentir  de  sa  pro- 
messe dans  la  moindre  chose.  Plus  les  obligations 
qu'on  contracte  avec  le  Seigneur  sont  étroites, 
moins  on  est  tenté  de  les  enfreindre, 


PREFACE.  xî:: 

De  la  maison  du  second  Noviciat  le  Père  de  la 
Colombièrc  fut  transféré  à  Paray  ,  ville  du  duché 
de  Bourgogne,  pour  y  gouverner  une  maison  de 
la  Compagnie.  Il  vécut  en  Apôtre  dans  ce  nouveau 
séjour  ,  et  les  peuples  l'honorèrent  comme  un 
Saint  :  il  n'épargna  en  effet  ni  ses  forces  ni  sa  vie 
même  pour  travailler  à  leur  salut  ,  et  il  profita  si 
avantageusement  de  leur  vénération  pour  sa  per- 
sonne et  de  leur  confiance,  que  sa  douceur  lui 
avait  gagnées  ,  qu'il  soumit  à  Dieu  tous  les  esprits 
et  tous  les  cœurs. 

Tandis  qu'il  travaillait  ainsi  à  la  gloire  de  Dieu, 
on  demanda  un  Jésuite  pour  prêcher  à  la  chapelle 
de  Son  Altesse  Royale  JMadamc  la  Duchesse 
d'Yorck  ,  et  le  Père  de  la  Chaise  ,  Confesseur  du 
Roi,  fut  chargé  de  nommer  ce  Prédicateur  :  comme 
il  avait  une  grande  idée  des  vertus  et  des  talens  du 
Père  de  la  Colombière,  il  n'hésita  point  à  le  choi- 
sir. Le  serviteur  de  Dieu  partit  d'abord  pour  l'An- 
gleterre. Quoiqu'il  ne  fût  pas  éloigné  de  la  maison 
paternelle  ,  il  ne  voulut  voir  aucun  de  ses  parens 
avant  de  partir ,  ni  leur  faire  part  du  choix  qu'on 
avait  fait  de  lui  ;  il  n'en  écrivit  même  à  personne  ; 
son  extrême  détachement  et  le  plaisir  d'exécuter 
les  ordres  de  la  Providence  furent  tous  les  prépa- 
ratifs de  son  voyage. 

11  trouva  à  Londres  de  nouvelles  occasions  de 
pratiquer  les  vertus  sublimes  dont  il  s'était  fait  par 
son  vœu  une  obligation  indispensable  ;  et  le  désir 
qu'il  conçut  d'avoir  quelque  part  aux  maux  qui 
menaçaient  les  Catholiques  d'Angleterre  servit  en- 
core à  ranimer  sa  ferveur  dans  le  service  de  Dieu. 
Si  jamais  on  écrit  ses  actions,  il  sera  facile  de  sou- 
tenir cet  ouvrage  par  de  grands  événemens  ;  il  ne 
faudra  que  faire  mention  des  Apostats  qu'il  a  ra- 
menés à  l'Eglise  ,  des  Catholiques  qu'il  a  tirés  du 
grand  monde  ,  des  impies  qu'il  a  touchés  ,  qu'il  a 
convertis  par  ses  discours  pleins  de  force  et  de 
sagesse  :  ses  entreprises ,  ses  succès,  toute  la  suite 
de  son  ministère  fournira  une  ample  matière  à  son 


xt  préface: 

kistorre.  Saiïs  entrer  dans  un  si  lo^g  détail ,  on 
recueillera  seulement  ici  quelques  actions  peu  con^ 
sidérables  en  apparence  ,  ma^s  que  les  personnes 
spirituelles  sauront  estimer  ,  et  sur  lesquelles  elles 
pourront  se  former  quelque  idée  des  traits  plus 
remarquables  qu'on  ne  leur  met  pas  sous  les  yeux. 

Le  Père  de  la  C olombicre  eut  son^logement  à  Lon- 
dres dans  le  palais  du  Roi  ;  jamais  néanmoins  il 
n'entra  que  dans  les  endroits  par  où  il  fallait  passer 
pour  se  rendre  à  l'appartement  de  Madame  la  Du- 
chesse d'Yorck.  Sa  chambre  ouvrait  sur  la  place 
qui  était  devant  le  palais,  et  jamais  il  n'approcha 
des  fenêtres,  jamais  il  ne  jeta  les  yeux  sur  les  ob- 
jets divers  qu'elle  lui  présentait.  Il  est  sorti  de 
Londres  ,  sans  jamais  s'y  être  trouvé  à  aucun  des 
spectacles  que  les  bienséances  de  son  état  lui  per- 
mettaient ,  sans  y  avoir  vu  aucune  des  curiosités^ 
et  des  promenades  qu'offre  cette  ville.  Il  n'y  visitait 
que  desmalades,  ou  des  personnes  à  qui  il  espérait 
d'être  utile  ;  il  n'y  conversait  qti'av^c  ceux  qui  le 
consultaient  pour  les  affaires  de  leur  salut. 

Tous  les  momens  de  la  journée  lui  apportaient 
quelques  nouvelles  peines  ;  et  comme  il  cherchait 
lui-même  à  se  mortifier  sans  cesse  ,  il  les  recevait 
toutes  avec  joie.  Quelque  répugnance  qu'il  eût 
pour  les  mets  dont  usent  les  Anglais  ,  et  quoi  qu'il 
eût  à  souffrir  dans  l'usage  qu'il  en  faisait ,  il  ne 
voulut  jamais  qu'on  lui  en  servît  d'autres.  Son  lit 
eût  été  pour  tout  autre  moins  propre  à  prendre  du 
repos  ,  qu'à  causer  de  nouvelles  fatigues  :  il  s'était 
même  interdit  les  précautions  les  plus  ordinaires 
contre  la  rigueur  des  saisons.  Outre  cette  sévérité 
contiauelle  à  n&  se  permettre  aucun  soulagement,, 
il  était  dans  l'usage  de  faire  des  pénitences  corpo* 
relies  ,  qui  servaient  à  rendre  encore  plus  vif  le 
sentiment  de  toutes  ses  autres  mortifications. 

Ce  qu'il  était  obligé  de  recevoir  pour  son  entrc^ 
tien  allaitbien  au-delà  de  ses  besoins,  ill'employait 
presque  tout  à  soulager  les  malheureux  ;  il  s'était 
même  astreint  par  un  vou.  exprès  à  n'en  faire 


PRÉFACE.  x^ 

u^agc  que  pour  des  œuvres  pieuses.  Il  eut  l'hoiv- 
neur  de  s'entretenir  trois  ou  quatre  fois  avec  le 
Roi  d'Angleterre  :  il  était  appelé  assez  souvent 
chaque  semaine  auprès  de  Madame  la  Duchesse 
d'Yorck  ;  il  n'a  jamais  regardé  en  lace  ni  l'un  ni 
l'autre.  Pour  la  Princesse  ,  il  n'a  pas  môme  arrêté 
ses  regards  sur  son  visage  lorsqu'elle  assistait  aux 
Sermons  qu'il  a  prêches  dans  sa  chapelle  durant 
dix-huit  mois.  Il  laut  être  bien  maître  de  soi  pour 
se  défendre  ainsi  contre  les  saillies  de  la  curiosité. 

Un  Prédicateur  tel  que  le  Père  de  la  Colombièrc 
ne  pouvait  pas  toujours  être  à  l'abri  des  aj)plaudisse- 
mens  ,  mais  il  les  recevait  avec  un  froid  qui  faisait 
voir  combien  son  humilité  était  supérieure  aux 
jugemensdes  hommes  ;  de  peur  qu'il  ne  lui  échap- 
pât quelque  parole  qui  fût  l'occasion  des  louanges 
qu'il  aurait  à  souffrir  ,  il  s'obligea  par  un  nouveau 
vœu  à  ne  jamais  rien  dire  qui  pût  tourner  à  son 
avantage.  On  s'étonnera  peut-être  qu'il  opposât 
avec  tant  de  facilité  la  force  des  vœux  aux  faibles- 
ses les  plus  ordinaires  de  la  nature  ;  mais  cette 
sorte  de  joug  lui  donnait  ,  disait-il,  plus  de  liberté 
pour  suivre  les  impressions  de  la  grâce.  Il  n'a  ce- 
pendant conseillé  qu'à  très-peu  de  personnes  d'en 
user  ainsi. 

Sa  vertu  et  son  zèle  se  montraient  avec  trop  de 
succès  pour  ne  le  pas  exposer  à  la  calomnie,  dans 
ces  temps  lamentables  où  l'on  forma  en  Angleterre 
le  dessein  de  perdre  tous  les  Catholiques.  Sans 
rappeler  tout  ce  qui  se  passa  à  son  égard  durant 
ces  troubles  et  la  guerre  fatale  où  les  Protestans 
Parlementaires  répandirent  tant  de  sang,  je  rap- 
porte seulement  ce  qu'en  dit  l'Auteur  de  V Apologie 
pour  les  Catholiques  contre  les  faussetés  et  les  ca- 
lomnies d'un  livre  intitulé  la  Politique  du  Clergé 
de  France.  Cet  Auteur  ,  qu'on  ne  saurait  accuser 
de  vouloir  favoriser  les  Jésuites  ,  cite  un  endroit 
d'un  livre  qui  a  pour  titre  les  Conspirations  d'An-' 
gleterre  ,  etc.  où  il  est  parlé  de  ce  Père  ,  et  où  le 
Protestaatquiracomposé  s'explique  en  ces  termes: 


Le  Pire  de  la  Colomhijre  ,  Jésuite  ,  Aumônier  de 
Modanie  la  Duchesse  d' Yorck ,  fut  accusé  d*être  de  ta 
conspiration.  Ce  qui  suit  fut  sans  doute  le  motif  do 
raccusalion  :  //  était  fort  estimé  et  considéré  de  ceux 
de  sa  Bcligion  ,  passait  pour  un  homme  fort  dévot  , 
sage  f  zélé,  etc.  Puisque  l'Apologiste  n'a  pas  sup- 
primé ces  lignes,  qui  contiennent  l'éloge  du  Père 
de  la  Colombière  ,  et  qu'il  s'estmême  unpeuétendu 
pour  faire  sentir  l'indigne  procédé  de  l'accusateur, 
il  faut  croire  qu'il  était  bien  persuadé  de  l'inno- 
cence de  ce  Père  :  il  paraît  bien  en  effet  que  c'est 
la  vérité  seule  qui  lui  arrache  ce  qu'il  écrit ,  pour 
justifier  les  Jésuites  ,  que  d'ailleurs  il  n'épargne 
pas.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  Père  de  la  Colombière, 
Prédicateur  de  Madame  la  Duchesse  d'Yorck  ,  fut 
accusé  d'être  complice  de  la  chimérique  conspira- 
tion qui  fut  le  prétexte  de  tant  d'injustices. 

C'est  l'apanage  des  hommes  d'une  vertu  émi- 
nente  ,  surtout  lorsqu'ils  travaillent  au  salut  des 
âmes,  de  souffrir  des  accusations  et  d'être  traduits 
devant  les  tribunaux  :  le  Père  de  la  Colombière  eut 
cet  avantage  ,  il  fut  cité  devant  le  Parlement  d'An- 
gleterre ;  dans  l'attente  du  moment  où  il  devait 
être  introduit ,  il  commença  ,  à  la  vue  d'une  foi.'c 
de  toutes  sortes  de  personnes  ,  à  réciter  l'office  di- 
vin avec  cette  tranquillité  que  les  hommes  vertuctix 
savent  garder  au  milieu  du  tumulte  comme  dans 
leur  solitude;  il  se  présenta  ensuite  avec  cette  mo- 
deste assurance  qui  fut  toujours  un  préjugé  sensible 
de  l'innocence  ,  et  répondit  à  l'interrogatoire  ,  du- 
rant lequel  les  Seigneurs  qui  composaient  la  Cham- 
bre montrèrent  bien  qu'ils  ne  le  croyaient  point 
coupable.  Quelques-uns  de  ses  Commissaires  le 
traitèrent  assez  civilement ,  et  on  n'allégua  contre 
lui  que  les  conversions  auxquelles  il  avait  tra-vaiîlé. 
Mais  c'était  une  nécessité  d'en  user  envers  hn 
comme  s'il  eût  été  criminel,  pourn'êtrepas  forcé, 
si  on  le  déclarait  innocent  ,  de  perdre  bien  des 
scélérats;  il  fut  mis  dans  les  prisons  publiques,  où 
il  dvîmeura  environ  un  mois  ,  et  enfln  par  un  arrôt 


PRÉFACE.  xxiij 

du  Parlement  il  fui  exilé  pour  toujours  de  l'Angle- 
terre :  cet  exil  fut  sa  couronne.  Une  vertu  médiocre 
serait  demeurée  dans  l'oubli,  on  n'eût  pas  daigné 
la  mettre  à  l'épreuve;  on  attaquait  principalement 
ceux  donlla  doctrine  et  les  exemples  étaient  le  plus 
ferpie  appui  de  la  foi  en  Angleterre. 

Le  Père  de  la  Colombière  vécut  dans  un  état  de 
langueur  depuis  son  retour  en  France  ;  il  éprouva 
durant  quatre  mois  des  cracheinens  de  sang  conti- 
nuels :  il  avait  contracté  cette  maladie  A  Londres, 
dans  rexerciccde  son  emploi,  dans  les  incommo- 
dités de  sa  prison  et  les  rigueurs  de  sa  pénitence. 
Sa  langueur  ne  lui  permettait  plus  d'agir  ,  et  sa 
plus  grande  peine  fut  In  nécessité  de  se  ménager  : 
mais  dans  les  soins  qu'on  l'obligea  de  se  laisser 
rendre  ,  il  ne  se  relâcha  jamais  dans  l'élude  et  dans' 
la  pratique  de  la  perfection.  Toujours  égal  à  lui- 
même,  il  vcilliiit  sans  cesse  sur  les  plus  légères 
impressions  de  ses  sens,  et  sur  les  moindres  inou- 
vemensdeson  ame.  Du  reste  ,1a  mort  n'eut  jamais 
pour  lui  que  des  allrails  :  il  considérait  avec  un 
jdaîsir  singulier  jusqu'à  quel  point  elle  nous  himii- 
lie,  et  il  se  nourrissait  de  l'espérance  de  donner  à 
Dieu,  en  l'acceptant  ,  une  marque  sincère  de  sa 
soumission. 

La  Providence  a  permis  qu'après  une  longue 
absence  il  retournât  en  Bourgogne  dans  la  ville  de 
Paraj,  comme  pour  finir  ses  jours  dans  le  lieu 
même  où  il  avait  fuit  les  premiers  essais  de  son 
zèle.  Il  y  mouri.t  le  i5  lévrier  1G82.  La  haule 
idée  qu'on  avait  de  sa  verlu  s'accrût  et  éclata  à 
sa  mort  par  des  témoignages  singuliers  de  respect. 
Le  IMagistrat  demiin.la  sou  corps,  dans  le  des- 
sein de  lui  ériger  un  monument  en  l'église  de  la 
paroisse  ;  mais  les  Jésuiles  sollicitèrent  si  forte- 
menl  qu*on  ne  le»  privât  pas  de  ce  trésor  précieux, 
qu'on  fiîiit  par  condescendre  à  leurs  instances. 
Chacun  s'empressa  de  lui  rendre  leshonneurs  qu'on 
ne  rend  qu'à  la  sainteté  connue,  e.t  son  tombeau 
parut  Cire  le  dépositaire  des  vœux  et  de  la  piété 
des  Fidèles  des  cantons  voisins. 


^xlY  TUÉFiirc'E. 

Parmi  les  diverses  personnes  des  plus  qualifiées, 
des  plus  vertueuses  ,  et  des  plus  spirituelles  du 
royaume,  qtH  s'étaient  mises  sons  sa  direction  ,  et 
qui  avaient  entretenu  un  commerce  de  lettres  avec 
Fui  ,  il  y  en  a  qui  ont  jugé  que  Dieu  l'a  honoré  par 
des  grâces  extraordinaires  ,  et  qui  ont  assuré  même 
qu'il  s'est  opéré  des  prodiges  par  sdp  entremise. 
"Quoi  qu'il  en  soit ,  le  serviteur  de  Dieu ,  qui  s'était 
rigoureusement  obligé  à  éviter  les  fautes  les  plus 
légères  ,  qui  ne  s'est  jamais  démenti  dans  l'accom- 
plissement de  cette  obligation  étroite ,  etqui  a  sou- 
tenu avec  une  constance  invincible  les  ignominies  de 
la  croix  ,  ne  saurait  être  regardé  comme  un  homme 
d'unevertueommune,même  par  desyeux  prévenus. 

A  l'égard  de  l'ouvrage  qu'on  redonne  au  Public 
avec  quelques  changemens  dans  le  langage  ,  et  tel 
à  peu  près  que  l'Auteur  l'eût  donné  lui-même  s'il 
eût  vécu  dans  ce  siècle  ,  chacun  en  pourra  juger, 
et  il  ne  paraît  pas  douteux,  que  plus  on  le  verra  de 
près,  plus  on  se  rapprochera  du  jugement  que 
l'Editeur  en  a  porté  au  commencement  de  celle 
Préface. 

Le  PtTC  de  la  Colombière  a  prêché  deux  Carêmes 
devant  Son  Altesse  Royale  Madame  la  Duchesse 
d'Yorck  ,  et  tous  les  dimanches  et  les  fêtes  durant 
dix-huit  mois  ;  il  a  aussi  prêché  les  Dominicales  à 
Lyon  ,  et  fait  d'autres  discours  dans  diverses  occa- 
sions particulières,  sans  que  ce  travail  l'ail  jamais 
empêché  de  chercher  à  s'employer  aux  autres  mi- 
nistères de  sa  profession.  Le  rang  incertain  qu'on 
a  trouvé  parmi  ses  Sermons  ,  prêches  en  tant  de 
conjonctures  différentes,  a  fait  qu'on  ne  lésa  point 
présentés  sous  les  titres  d'Avent ,  de  Carême,  et 
de  Dominicale,  qu'on  donne  communément  à  ces 
sortes  d'ouvrages  :  on  ne  le  fait  pas  non  plus  ici , 
et  on  laisse  tous  les  discours  dans  l'ordre  qu'ils  ont 
«îans  les  édilioos  précédentes. 


TABLE  GÉNÉRALE  DES  SERMONS. 


Volume     L 

I«»  Pour  ta  Fêle  de  tous  les  Saints.  La  sainteté  est  la  seule  vé- 
ritable sagesse. 

II*  Pour  ta  môme  Fctc.   lîonlienr  drs  Saints. 

I«»  Pour  te  jour  des  Morts.   Mort  du  Chrétien. 

Il*  Pour  te  même  jour.   Mort  de  l'impie. 

1«»  Pour  le  jour  de  Noël.  J.  C.  notre  guide  pour  aller  à  Dieu. 

II*  Pour  le  mcmejour.  Jésus  pauvre,  et  le  Dieu  des  pauvres. 

l"  Pour  te  jour  de  la  (Circoncision.   Du   Nom  de  Jiiscs. 

II*  Pour  te  même  jour.   Du  prix  et  de  l'emploi  du  temps. 

I*""  Pour  te  jour  de  t'Epiplianie.  .lésus  Roi ,  et  le  Itoi  des  Rois. 

II*  Pour  te  mcmejour.  Les  riches  et  les  grands  du  siècle  doi- 
vent travailler  à  leur  salul  avec  un  soin  lout  particulier. 

I«»  Pour  te  jour  de  la  l^assion.  Des  douleurs  de  l'ame  et  du 
corps  de  J.  C. 

II«  Pour  te  même  jour.   Récit  de  la  Passion.  •> 

I«'  Pour  te  jour  de  Vaques.  Preuves  de  la  Résurrection  et  de 
la  Religion. 

II*  Pour  le  mi'me  jour.  De  la  gloire  que  J.G.  a  achetée  par 
ses  souffrances. 

I*'  Pour  te  jour  de  t'Àscevsion,   Sainteté  de  J.  C. 

II*  Pour  te  même  jour.  Le  Mystère  de  l'Ascension  doit  nous 
être  un  sujet  de  joie. 

Volume     IÎ. 

I*'  Pour  te  jour  de  ta  Peniccôfe.   Perfection  du  Chrétien. 
II*  Pour  te  même  jour.  Incompatibilité  du  monde  avec  l'es- 
prit de  Dieu. 
Pour  le  jour  de  la  Sainte  Trinité.  Obscurité  et  évidence 

de  ce  Mystère. 
Pour  te  jour  de  ta  Fête-Dieu.  Amour  de  J.  C.  pour  nous. 
I*'  Sur  ta  sainte  Eurltaristie.  Ce  qu'exige  de  nous  ce  Sa- 

rrenieut  de  foi  et  d'amour. 
II*  Sur  le  même  sujet.  Avantages  de  la  fréquente  Communion. 
I*»  Pour  te  jour  de  la  TraiispgtnuTtion,  Avantages  de  la  vertu. 
II*  Pour  le  même  jour.  Vanité  du  désir  et  de  la  possession 

des  biens  créés. 
Pour  te  jour  de  ta  Présentation  de  ta  Sainte  Vierge.   Du 

temps  qui  doit  être  piéféré  pour  se  donner  à  Dieu. 
I*'  Pour  te  jour  de  la  Conception  immaculée   de   ta  Sainte 

Vierge.  Des  privilèges  de  la  Sainte  Vierge. 
II*  Pour  te  même  jour.   Dès  l'instant  de  la  Conception  de 

Marie,  Dieu  l'a  possétîcc,  et  elle  s'est  donnée  à  lui. 
!•'  Pour  te  jour  4e  la  Purijiralicn.  Oouble  sacrifice  de  Marie. 
IV  Pour  te  même  jour,  furelé  de  Marie. 

1.  b 


xxtJ  Tablé  générale  des  Sermons. 

Pour  le  jour  de  l' Annonciation.  Magnanimité  de  Marte. 
!•»     Po/rr  le  jour  de  l'Assompiion.  (Jloire  do  Marie. 
II«    Pour  te  même  jour.  Humilité  et  Exaltatioa  de  Marie. 
I«r     l>our  le  jour  de  la  Nativité  de  la  Sainte  Vierge.    Des 
mérites  de  Marie  avant  et  après  sa  oaîssance. 

Volume     II  f. 

!!•    Pour  le  même  jour.  De  la  naissaace  mystérieuse  des  Fï» 
dèles. 

Pour  la  Fcle  du  Scapulaire.  La  dé  val  ion  au  Scapulaire 
est  une  voie  sûre  pour  niérjtw  la  protection  de  ta 
Sainte  Vierge, 

Pour  le  jour  de  S.  Joseph.   Sainteté  de  S.  Joseph. 

Pour  le  jotir  de  S.  François  de  l'orgia.  Sa  mortifiG;jtidD, 

Pour  le  jour  do  S.  B<iuaventure.  Ce  Saint  sut  allier  à 
la  sublimité  de  la  science  riiumililé  la  plus  pro- 
fonde, aux  subliliiés  de  l'Ecole  la  piété  la  plus  sim- 
ple et  la  pliis  tendre. 

Pour  le  jour  d  on,  Vctuxe,  Qualités  de  l*Epoux  que  cher- 
chent les  Vierges. 

Pour  la  Profession  d'ane  Religieuse^  De  l'état  rel^ieux'» 
de  ses  devoirs ,  de  ses  perfections. 

Pour  lejourdcS.  Etienne,  i" Martyr,  Exemple  delà 
parfaite  charité. 

Pour  le  jour  de  S.  Jean-Baptiste.  S.  Jean  a  été  le  pla» 
innocent  des  hommes  et  le  plus  austère  des  péni- 
tens,  le  père  des  Anachorètes  et  le  premier  de  tou» 
les  Apôtres. 

Pour  le  2*  Dimanche  de  l'Avênf.  L'établissement  de 
l'Église  est  le  plus  grand  de  tous. les  miracles  et  les 
renferme  tons. 

Pour  le  5*  Dimanche  de  l'A  cent.  (  A  l'occasion  de  f  abju- 
ration du  CaUiinisme  par  une  personne  de  qualité  avec 
toute  sa  famille,)  Des  obligations  qu'impose  le  non», 
de  Chrétien. 
I«»  Pour  tes  derniers  jours  du  Carnaval.  Un  Chrétien  doit 
renoncer  à  tous  les  pbisiM  du  monde  j  et  se  borner 
aux  plaisirs  les  plus  innocens,  aux  plaisirs  chrétien?, 
1I«    Pour  le  tnême  temps.  Le  Salut  est  l'unique  alTaiie  dij 

Chiétien. 
111*  Pour  le  même  temps.   Le  peu  de  foi  est  un  vice  de  la 
volonté  )  qu'il  dépend  de  nous  dé  corriger. 

VOLU.ME       IV. 

IV*  Peur  le  même  temps.  Va  Chrétien  doit  toujours  vivre 

chrétiennement. 
Sur  la  Mort.  A  quel  état  nous  réduit  la  mort. 
Sur  lu  rxcessilé  de  se  préparer  à  la  mort.  Combien  41 

est  important  de  se  préparer  au  plutôt  à  la  mort. 


Table  générale  des  Sermons.         xxvij 

Sur  ta  manière  de  se  préparer  à  bien  mourir.  Ce  qu'il 
faut  faire  pour  se  procurer  une  bonne  mort. 

Sur  la  pénitence  différée  à  la  mort.   Renvoyer  la  péni- 
tence à  rextrémilé  de  la  vie ,  c'est  tout  hasarder ,  c'est 
vouloir  tout  perdre. 
I*'  Sur  le  Jugement  univcrset.  Nécessité  de  <^e  jugement. 
\\*  Sur  le  Jugement  universel.    A  ce  jugement  le  pécheur 
sera  parfaitement  connu  ,  et  enti<'n;ment  détrompé. 

Sur  l'Enfer.  Durant  toute  i'élernité  ,  h  s  médians  y 
souCTrent  tout  à  la  fois  les  peines  du  présent,  de  l'a- 
venir ,  et  du  passé. 

Sur  la  Prédestination .  Elle  ne  détruit  ni  dans  Dieu  la 
volonté  de  sauver  les  hommes  ,  ni  dans  les  hommes 
la  volonté  de  se  sauver  eux-mêmes. 

Sur  la  Faite  du  monde.  II  est  difficile  de  ne  pas  s'y  per- 
vertir, et  difficile  de  se  convertir  sans  s'eu  retirer. 

On  ne  doit  servir  iju'un  Maître.  C'est  une  nécessité  ab- 
solue, et  une  nécessité  de  bienséance. 

Sur  le  soin  du  Salut.  La  plupart  des  Chrétiens  sont» 
imprudcns  dans  la  conduite  de  leurs  afi'aire.s  tempo- 
relles ;  ils  le  sont  encore  plus  dans  rafl'>'rc  du  salut. 

Sur  le  Péché  véniel.  Les  petits  péchés  so  il:  tous  mor- 
tels en  ce  sens  qu'ils  disposent  aa  péché  mortel. 

Sur  le  Pèche  mortel.  Sa  cause  et  son  effet. 

Sur  la  Conscience.  Par  ses  reproches  amers ,  elle  produit 
continuellement  dans  l'ame  du  pécheur  le  tourmcut 
le  pins  cruel;  elle  y  produit,  par  ses  menaces  terri- 
bles, la  plus  mortelle  frayeur. 

Sur  la  Rechute.  Sa  cause  et  sou  elIV  t. 

Volume     V. 

Sur  l'Habitude  vicieuse.  Quiconque  s'engage  dans  ur.c 
habitude  vicieuse  n*en  sortira  pas  quand  il  le  voudra  ; 
quiconque  cependant  y  est  engagé  en  sortirait ,  s'il  le 
voulait  de  bonne  foi. 

•Sur  la  Confession.  Ce  qui  rend  la  plupart  de  nos  confe*- 
sions  inutiles. 

Sur  la  Miséricorde  de  Dieu  envers  le  pêcheur.  Dieti  n'est 
point  rebuté  par  la  perfidie  du  pécheur,  et  il  no  io 
rebute  point  dans  sa  pénitence. 

Sur  la  Soumission  à  la  volonté  de  Dieu.  La  volonté  f-o 
Dieu  ne  tend  qu'à  nous  rendre  éternellement  hrurrnx 
dans  le  Ciel,  et  notre  soumission  à  cette  volonté  su- 
prême nous  rend  heureux  dès  cette  vie. 

Sur  la  Confiance  en  Dieu.  Dieu  s'est  étroitement  engagé 
à  secourir  ceux  qui  mettent  en  lui  leur  confiance  ; 
rien  d'ailleurs  n'est  plus  propre  à  l'y  engager  que  celte 
confiance. 

Sur  la  Prière.  Nous  obtenons   peu   par   nos  prières  , 

b. 


xxvîij        Table  générale  des  Sermons. 

parce  que  nous  demandons  trop  peu,  parce  que  le 
peu  que  nous  demandons  nous  ae  le  demandons  pas 
assez. 

Sur  l'Aumône.  Dieu  commande  de  donner  Taumône  , 
et  promet  de  la  rendre. 

Sur  la  Charité  chrétienne.  Pourquoi  et  comment  devons- 
nous  aimer  le  prochain  ? 

Sur  l'Avxour  de  Dieu.  îSous  devons  aimer  Dieu  ,  et 
parce  qu'il  est  infiniment  aimable,  et  parce  qu'il 
nous  aime   infiniment. 

Sur  l'Huviilitc  chrétienne.  Nous  devons  nous  humilier 
au  souvenir  de  nos  chutes  passées  ,  et  à  la  vue  du 
péril  où  nous  sommes  de  retomber. 

Sur  le  Jeune  et  sur  l'Abstinence  du  Carême.  Le  Chré- 
tien qui  n'observe  pas  l'abstinence  et  les  jeûnes  de 
l*Eglise  commot  nn  péché  ^rief  ,011 ,  comme  dans  le 
péché  d'Adam  ,  il  entre  de  la  désobéissance  et  de 
l'infidélité  ;  il  commet  un  péché  contagieux  qui  est  , 
comme  le  péché  d'Adam,  la  source  de  phisicurs  pé- 
chés et  dans  nous  et  dans  les  autres. 

Sur  les  Adversitcs.  Les  adversités  nous  sont  utiles  si  nous 
sommes  justes  ,  elles  nous  sont  nécesiaiies  si  nous 
sommes  pécheurs. 

Sur  la  Parole  de  Dieu.  D'où  vient  l'insensibilité  de  ceux 
qui  entendent  la  parole  de  Dieu  ,  et  \\\v\  sont  point 
touchés;  et  la  lâcheté  de  ceux  qui  en  sont  touchés  et 
ne  chanj^ent  pas  de  vie? 

Sur  le  Bcspccl  humain.  On  ne  hasarde  rien  en  mépri- 
sant le  respect  humain,  on  risque  beaucoup  quand 
on  rércule. 

Sur  la  Mc:lisanc:  Ln  médisance  se  commet  aisément , 
et  se  répare    dïrfitilement. 

Oraison  funèbre  de  Madame  de  Ncrestang.  Elle  a  cher- 
ché Dieu,  et  n'a  cherché  que   Dieu. 


Le  Tome  VI*  contient  les  Réflexions  chrétiennes  sur  divers 
sujets  de  piété ,  et  les  Méditations  sur  la  Passion  de 
A.  .S.  /.  C.  pour  les  Vendredis  de  Carême, 

ïic  TosiB  VII«  contient  la  Retraite  spirituelle  du  R.  P,  ob  la 
CoLOMBiKBE  ,  et  ses  Lettres  spirituelles  adresséc^s  4 
-  diverse*  personnes. 


SERMON 

POUR    LA    FETE 

DE   TOUS   LES   SAINTS. 


Sapientlam  Sanctorum  narrent  popull ,  et  lau'dem  eorum 
nuntiet  Ecclesla. 

Que  les  peujiles  publient  îa  sagesse  des  Saints ,  et  que 
l'Église  annonce  leur  gloire.    {EccU.  44'  ) 


La  sainteté  renferme  la  vraie  sagesse  qui  réside  dans  lc« 
Saints  ,  et  qui  règne  dans  leur  conduite. 


m3  éscs-Christ  a  réprouvé  la  sagesse  de  ces  hommes 
qui  jugent  et  qui  vivent  selon  les  maximes  du 
.monde  :  leur  orgueilleuse  sagesse  est  aveugle;  et 
elle  montre  surtout  son  aveuglement,  lorsqu'elle 
entreprend  de  faire  regarder  la  piété  des  Saints 
comme  une  folie ,  et  les  Saints  eux-mêmes  comme 
des  insensés.  Selon  les  idées  des  prétendus  sages 
du  siècle  ,  il  n'y  a  qu'illusion  et  que  faiblesse  dans 
les  sentimens  et  dans  la  conduite  des  personnes 
dévouées  aux  pratiques  de  la  piété  chrétienne  , 
leur  foi  n'est  qu'une  crédule  simplicité ,  leur 
crainte  qu'une  vaine  frayeur,  leur  amour  pour 
Dieu  qu'une  pure  chimère  ,  leur  dévotion  qu'un 
ridicule  caprice ,  leur  zèle  qu'une  indiscrétion 
importune ,  leur  austérité  qu'une  ferveur  mal 
réglée  ;  enfin  c'est  une  humeur  noire  qui  leur  fait 
1.  i 


;î  1.    P0Li\    LA     FÈTL 

aimer  la  solitude  :  et  si  elles  en  Tiennent  jusqu'à 
renoncer  aux  biens  ,  aux  honneurs  et  aux  plaisirs 
du  monde,  c'est  que  Itur  esprit  est  affaibli,  et 
qu'elles  ne  sont  plus  capables  de  discernement. 
Je  sais,  MM.,  qu'on  leur  fera  justice  un  jour 
aux  yeux  de  tout  l'univers  ;  }e  sais  que  les  faux 
sages  reconnaîtront  alors  leur  aveuglement ,  et 
qu'ils  s'accuseront  eux-mêmes  d'avoir  jugé  comme 
des  enfans  :  mais  comme  ces  lumières  leur  vien- 
dront trop  tard  ,  et  dans  un  temps  oii  elies  ne 
pourront  plus  leur  être  utiles ,  je  vais  tâcher  de 
les  détromper  aujourd'hui  ,  et  de  leur  mettre 
devant  les  yeux  la  sagesse  incomparable  qui  est 
renfermée  dans  la  sainteté. 

Dans  les  panégyriques  qu'on  fait  durant  le  cours 
de  l'année  ,  on  s'attache  à  certains  caractères  par- 
ticuliers qui  distinguent  chaque  Saint  de  tous  les 
autres  :  mais  aujourd'hui  que  l'Église  les  réunit 
tous  dans  la  même  solennité ,  il  convient  de  les 
peindre  par  quelque  trait  qui  leur  soit  commun  : 
et  j'ai ,  dans  ce  dessein  ,  choisi  la  sainteté  même. 
C'est  donc  l'éloge  de  la  sainteté  que  je  vais  faire  à  la 
gloire  de  tous  les  habitans  de  la  Jérusalem  céleste  : 
et  pour  TOUS  la  représenter  sous  le  point  de  vue 
le  plus  frappant  pour  les  mondains  même,  je  ferai 
voir  que  la  sainteté  est  la  seule  Téritable  sagesse. 

Divin  Esprit,  je  sais  que  les  Saints  ne  peuvent 
être  dignement  loués  que  par  d'autres  Saints;  et 
que  pour  bien  parler  de  la  sainteté  ,  il  faudrait  y 
être  déjà  parvenu  :  mais  je  tous  conjure  de  sup- 
pléer par  vos  lumières  ù  mon  insuflisancc.  Toute 
l'Église  triompliante  s'intéresse  à  la  prière  que  je 
vous  en  fais  ;  Marie  surtout ,  comme  je  l'espère, 
l'appuiera  par  son  inlercession  :  c'est  ce  que  nous 
allons  lui  demander  par  les  paroles  de  l'Ange  : 
Jve,  Maria. 

Quoique  la  sagesse  ,  selon  la  pensée  des  Philo- 
sophes ,  et  dans  le  sentiment  même  des  Pères  , 
consiste  dans  la  connaissance  des  choses  divines. 


Dx  ToLs  LES  Saints.  1 

il  est  vrai ,  néanmoins  que  ,  dans  le  sens  ordi- 
naire ,  quand  on  pnrlo  d'un  liommc  sage  ,  on  en- 
tend autre  chose  qu'un  lionune  versé  dans  les 
sciences  sacrées.  Celte  sap^esse  qu'on  a  tant  vantée 
^ans  l'antiquité  ,  et  à  qui  l'on  donne  encore  au- 
jourd'hui de  si  grands  éloges,  est  une  vertu  pure- 
ment morale  :  cependant  l'idée  que  nous  en  avons 
ne  s'accorde  pas  entièrement  avec  l'idée  que  les 
anciens  en  ont  eue.  Ils  appelaient  sagesse  le  dis- 
cernement juste  des  choses  qui  méritent  ou  l'es- 
time des  hommes  ou  leur  mépris  :  aujourd'hui  oa 
la  confond  presque  avec  la  prudence  ,  et  l'on 
donne  le  nom  de  sage  à  quiconque  sait  faire  le 
choix  des  moyens  qui  le  conduisent  le  plus  sûre- 
ment à  son  but,  qui  sait  profiter  de  ses  avantages, 
vCt  vaincre  les  obstacles  qui  s'opposent  à  ses  des- 
seins. Le  sage  ,  dans  le  sens  des  anciens  ,  est 
encore  en  vénération  chez  tous  ceux  qui  se  piquent 
de  philosophie,  et  qui  savent  estimer  l'avanliige 
que  la  raison  nous  donne  sur  les  animaux.  Le 
sage  ,  dans  l'idée  de  notre  siècle ,  est  pour  ainsi 
dire  l'idole  et  la  divinité  du  monde  ;  on  ne  s'est 
jamais  tant  étudié  à  le  former  et  à  le  rendre  par- 
fait :  et  sans  ce  genre  de  sagesse  ,  on  ne  recon- 
naîtrait aujourd'hui  personne  pour  Philosophe. 

Or ,  MM.  ,  je  tâcherai  de  faire  voir  que  la  sain- 
teté est  la  souveraine  sagesse  ,  dans  quelque  sens 
qu'on  prenne  cette  vertu  ;  que  la  vraie  philosophie 
est  la  philosophie  des  Saints;  et  que  leur  pru- 
dence est  autrement  éclairée  que  la  vaine  habileté 
dont  se  flattent  les  sages  du  monde  :  sur  quoi  voilà 
quel  sera  le  sujet  et  l'ordre  de  ce  discours. 

Les  Saints  sont  les  véritables  sages  ;  parce  qu'en 
premier  lieu,  la  sagesse  règle  tous  les  sentimcns 
et  tous  les  mouvemens  de  leur  cœur  ;  parce  qu'en 
second  lieu,  elle  règle  toutes  les  actions  de  kur 
vie.  En  un  mot ,  la  sagesse  réside  dans  les  Saints  ; 
ce  sera  le  premier  point  :  elle  règne  dans  leur 
conduite;  ce  sera  le  second,  et  tout  le  plan  de 
cet  entretien. 


4  *i-   Pour  la  Fètl 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Rien  ne  me  fait  tant  adiuirer  l'homme  ,  que  les 
senlimens  des  anciens  Philosophes  :  encore  enve- 
loppés dans  les  ténèbres  da  paganisme,  ils  ont, 
avec  le  seul  secours  des  -luinières  de  la  raison  , 
formé  une  idée  de  la  sagesse  ,  à  quoi  il  semble 
d'abord  que  l'Evangile  a  eu  peu  de  chose  à  ajouter. 
Ils  ont  pénétré  si  avant  dans  tout  ce  qui  nous 
éblouit  et  nous  enchante  ici-bas  ,  qu'ils  ont  re- 
connu qu'il  y  avait  plus  de  grandeur  à  mépriser 
les  biens  terrestres ,  qu'à  les  posséder  ;  ils  ont 
enseigné  qu'il  n'y  avait  pas  de  plus  grand  bonheur 
que  celui  de  connaître  Dieu  ,  et  que  c'était  une 
erreur  grossière  et  honteuse  ,  de  chercher  la  féli- 
cité dans  la  possession  des  richesses  et  des  plaisirs; 
ils  ont  découvert  que  l'homme  était  né  pour  !a 
liberté  ,  et  en  niême  temps  qu'il  n'est  rien  qui 
nous  éloigne  plus  de  la  vraie  liberté,  que  le  genre 
de  servitude  qui  nous  assujcllit  aux  mouvemens 
déréglés  de  notre  cœur. 

Selon  leur  sentiment ,  leur  sage  est  un  homme 
sans  désir,  sans  crainte  ,  en  un  mot  sans  passion. 
Il  ne  craint  point  la  mort,  il  est  insensible  à  la 
douleur  ;  et  tous  les  autres  maux ,  au  lieu  de 
l'effrayer,  lui  présentent  des  endroits  agréables 
par  où  il  les  envisage.  Il  se  persuade  que  la  pau- 
vreté le  met  au-dessus  de  la  fortune  ,  qu'elle  le 
rend  même  semblable  aux  dieux  immortels.  Loin 
de  porter  envie  aux  riches ,  il  les  plaint  d'avoir 
des  besoins  qu'il  n'a  pas.  Tant  que  son  esprit  est 
en  liberté,  il  se  trouve  sans  gêne  dans  les  plus 
étroites  prisons  :  il  n'y  a  point  de  bannissement 
pour  lui ,  parce  qu'il  se  croit  non-seulement  ci- 
toyen ,  mais  encore  maître  du  monde  :  il  se  met 
peu  en  peine  sur  quelle  mer  il  navigue  ,  ou  quelle 
terre  il  foule  sous  ses  pieds ,  pourvu  qu'il  soit 
toujours  sous  le  ntême  ciel  :  sortant  de  sa  patrie  , 
d'où  il  est  chassé  ,  il  s'étonne  de  la  simplicité  de 
ceux  qui  croient  le  punir,  et  qui  s'imaginent  ^pron 


DE   TOCS    LES    SaIî^TS.  5 

ne  peut  êlrê  content  hors  de  ses  propres  foyers  : 
à  peine  son  corps  lui  parait  être  une  partie  de 
lui-mêrae  ,  tant  il  se  sent  Tame  élevée  au-dossiis 
de  ce  limon  animé  ;  les  douleurs  les  plus  vives  et 
les  plus  aiguës  ne  sauraient  lui  arracher  une 
plainte,  et  on  l'enfermerait  dans  le  bronze  ardent, 
qu'il  n'avouerait  pas  que  c'est  lui  qui  brf.le  ,  ou 
qu'il  prenne  part  à  ce  qu'on  lui  fait  souffrir. 

Voilà  ,Mi>l.  ,  quel  éloit  le  sage  qu'on  prékndait 
former  dans  les  écoles  d'Athènes  ,  voilà  quelle 
était  celle  philosophie  fameuse  qu'on  y  enseignait 
avec  tant  de  faste,  et  qu'on  y  venait  apprendre 
de  toutes  les  parties  du  monde.  Ceux  qui  en  ont 
fail  profession  ont  été  appelés  les  restes  du  siècle 
d'ôr  :  les  plus  grands  conquérans  se  sont  détournés 
de  leur  route  pour  les  visiter  dans  des  cabanes  : 
les  empereurs  ont  fait  gloire  de  leur  amitié;  ils  les 
ont  revêtus  de  la  pourpre,  il  les  ont  eux-mêmes 
conduits  en  triomphe  :  partout  on  les  a  regardés 
comme  des  hommes  divins  ;  les  villes  se  sont  dis- 
putées les  unes  aux  autres  l'honneur  de  leur  avoir 
donné  la  naissance,  et  les  peuples  se  sont  volon- 
tairement soumis  à  leur  conduite, 
'i  Or,  MM.,  ce  qu'on  a  appelé  sagesse  dans  le 
paganisme  ,  c'est  ce  que  les  chrétiens  nomment 
.«ainteté  ;  et ,  autant  qu'il  peut  y  avoir  de  rapport 
entre  les  choses  sacrées  et  les  choses  purement 
humaines,  nos  Saints  répondent  aux  philosophes 
des  païens.  Toute  la  terre  ,  dit  Clément  d'Alexan- 
drie ,  est  devenue  une  école  de  philosophie  ,  où 
le  Verbe  incarné  enseigne  par  ses  paroles  et  par 
ses  exemples  une  sagesse  plus  excellente  que  la 
sagesse  dont  les  Grecs  ont  donné  tant  de  précep- 
tes :  et  cette  sagesse  chrétienne  n'est  autre  chose 
que  la  sainteté.  Être  saint,  MM. ,  c'est  être  chré- 
tiennement philosophe ,  comme  parle  le  grand 
saint  Grégoire  ;  c'est-à-dire  ,  être  détrompé  des 
erreurs  communes  ,  délivré  de  toutes  les  passions 
qui  peuvent  troubler  la  tranquillité  de  l'ame , 
détaché  des  créatures  et  de  soi-même  ,  élevé  au- 


G  Pour  la  Fête 

dessus  de  l'univers;  et  tellement  uni  à  Dieu  par 
la  connaissance  et  par  l'amour,  qu'on  oublie  tout 
ce  qui  n'est  pas  Dieu.  On  donne  souvent  à  la  sain- 
teté le  nom  de  justice  ,  parce  que  faisant  un  juste 
discernement  du  mérite  de  chaque  cho^^e  ,  elle 
porte  toute  notre  estime  vers  le  souverain  bien,, 
et  ne  nous  inspire  que  du  mépris  pour  les  biens 
temporels.  On  confond  aussi  quelquefois  la  sain- 
teté avec  la  religion ,  parce  qu'elle  renferme  un 
hommage  et  comme  un  sacrifice  de  tout  être  créé 
à  l'Être  divin  et  immortel.  Saint  Thomas  croit  que 
Teffet  de  la  sainteté  ,  selon  la  signification  de  ce 
mot,  est  de  nous  rendre  purs  et  inébranlables 
dans  le  bien  ;  purs,  en  séparant  l'ame  de  tout  ce 
qui  est  corruptible  de  sa  nature*;  inébranlables 
dans  le  bien ,  en  ôtant  en  quelque  sorte  aux  objets 
ce  qui  est  capable  d'émouvoir  les  passions. 

Cela  étant,  que  dites-vous  de  ceux  qui  traitent 
la  sainteté  de  folie  ,  et  qui  méprisent  dans  les  chré- 
tiens ce  que  tout  l'univers  a  admiré  dans  les  gentils? 
N'est-il  pas  étrange  que  la  même  sagesse  qui  a  été 
en  vénération  parmi  les  païens ,  soit  condamnée 
par  les  disciples  de  l'Évangile  ;  et  que  les  adora- 
teurs d'un  Dieu  crucifié,  d'un  Dieu  pauvre,  ne 
sentent  pas  le  prix  de  cette  fermeté  d'ame  dans 
les  traverses  ,  et  de  ce  dépouillement  généreux 
dont  les  seules  lumières  de  la  raison  ont  découvert 
les  avantages  à  tant  d'idolâtres  ? 

Mais  c'est  faire  tort  à  la  sagesse  chrétienne 
que  de  la  tenir  si  long-temps  en  parallèle  avec  la 
sagesse  des  païens  :  il  s'en  faut  bien  que  celle-là 
ait  porté  la  perfection  aussi  loin  que  celle-ci  ;  qu'il 
y  ait  eu  autant  de  droiture  dans  ses  sentîmens,  et 
autant  de  pureté  dans  ses  maximes.  Cette  pitoj^a- 
ble  philosophie  ,  dit  saint  Jean  Chrysostôme  en 
parlant  de  la  philosophie  païenne  ,  comparée  à  la 
philosophie  des  Saints ,  ne  méritait  pas  ce  nom 
glorieux ,  et  ne  valait  pas  l'argent  qu'on  la  ven- 
dait dans  les  écoles. 

La  philosophie  ancienne  a  enseigné  le  mépris 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  ^ 

tîrs  richesses  temporelles ,  pnrce  qu'on  s'en  pou- 
vait passer  ;  le  clirislianismc  en  inspire  même  la 
Iiaine ,  parce  qu'elles  peuvent  nous  corrompre. 
Celle-là  fournissait  des  consolations  à  ceux  que  la 
fortune  avait  réduits  dans  l'indigence  ,  et  ctlui-ci 
persuade  la  pauvreté  volontaire  à  ceux  qui  jouis- 
sent des  plus  grands  biens.  Un  philosophe  souffrait 
sans  se  plaindre  ,  dans  la  pensie  que  les  maux  du 
corps  ne  donnaient  aucune  atteinte  à  l'ame  :  un 
Saint ,  qui  connaît  de  plus  qu'ils  lui  sont  utiles  , 
va  au-devant  de  ces  mêmes  maux ,  et  se  fait  un 
plaisir  de  les  endurer.  Un  philosophe  essuiera 
toutes  sortes  d'injures  sans  être  ému  ,  parce  qu'il 
est  convaincu  que  ceux  qui  l'outragent  se  nuisent 
à  eux-mêmes  en  voulant  lui  nuire  :  un  Saint  se 
réjouira  d'être  en* bulle  à  la  persécution,  s'il  n'y 
va  que  de  son  intérêt  propre  ;  mais  il  sera  louché 
du  tort  qu'on  se  fera^en  le  persécutant.  Celui-là 
méprise  ses  ennemis ,  celui-ci  les  aime  et  leur  fait 
du  bien.  Le  philosophe  fait  profession  d'être  peu 
attaché  à  la  vie  ,  et  de  ne  point  craindre  la  mort  : 
pour  un  Saint  la  vie  est  un  tourment ,  et  la  mort 
un  sujet  de  joie.  Patienter  rivit ,  dit  saint  Augus- 
tin ,  et  delectab'diier  moritur.  Le  philosophe  se 
résout  à  mourir,  parce  qu'il  a  long-temps  médité 
sur  la  nécessité  de  subir  cette  dure  loi  :  un  Saint 
s'cstime  heureux  de  finir  ses  jours  à  la  fleur  même 
de  l'âge  ,  lorsqu'il  pourrait  les  prolonger  en  mo- 
dérant son  zèle,  ou  en  dissimulant  sa  croyance. 
Enfin  la  philosophie  profane  enseignait  à  vaincre 
les  passions  de  désir  ,  de  crainte  ,  de  colère  ,  de 
déseapoir  ;  mais  elle  se  laissait  vaincre  elle-même 
par  la  vaiiilé  el  par  l'orgueil  :  insensible  aux  in- 
jures des  hommes  ,  elle  était  insatiable  de  leurs 
louanges;  elle  faisait  passer  pour  vertu  la  passion 
de  la  gloire ,  et  la  verlu  d'humilité  lui  était  in- 
connue ou  odieuse.  C'est  pour  cela  que  ceux  qui 
faisaient  profession  de  philosophie  ,  après  s'être 
dépouillés  de  tout ,  retenaient  encore  le  manteau 
de  philosophe ,  et  îe  préféraient  aux  habits  les 


8  I.    Pour  la  Fête 

plus  superbes  ,  parce  qu'ils  pensaient  qu'il  y  avart 

plus  d'honneur  à  le  porter  qu'à  être  revêtu  de  la 

pourpre. 

0  que  la  philosophie  sainte  donne  à  ses  disciples 
des  lumières  bien  plus  parfaites,  des  sentimens 
bien  plus  relevés  !  Elle  leur  fait  apercevoir  la  va- 
nité et  la  folie  de  celte  philosophie  prétendue  ; 
elle  leur  fait  voir  que  ces  sages  si  vantés  qui  pen- 
saient s'être  élevés  par  leur  morale  jusqu'à  la 
condition  des  dieux,  n'étaient  en  effet  ,  comme 
parle  Tertullien ,  que  de  vils  esclaves  de  la  gloire. 
Elle  apprend  à  mépriser  jusqu'au  jugement  des 
hommes,  même  jusqu'à  ce  genre  de  gloire  dont 
le  vaia  éclat  portait  les  Socrates  et  les  Gâtons  à 
mépriser  tout  le  reste.  Elle  fait  des  sages  qui  ne 
sont  point  enflés  de  leur  sagesse  ,  qui  ne  foulent 
point  le  faste  par  un  autre  faste  ;  des  sages  qui  se 
contentent  d'être  sages  sans  affecter  de  le  paraître,- 
qui  se  réjouissent  même  de  passer,  pour  insensés- 
dans  l'estime  du  monde ,  parce  qu'ils  le  regardent 
lui-même  comme  un  aveugle  ;  des  sages  qui  ai- 
ment mieux  souffrir  la  confusion  due  aux  scélér 
rats  ,  que  de  l'éviter  en  prenant  part  à  leurs  dés- 
ordres ;  en  un  mot  des  sages  qui  sont  humbles 
dans  la  plus  haute  vertu.,  et  qui  se  croient  plus^ 
redevables  à  ceux  qui  par  leurs  injustices  leur, 
donnent  lieu  de  l'exercer,  celte  vertu  ,  qu'à  ceux, 
qui  par  leurs  flatteries  les  exposent  à  la  perdre. 
'.  Ce  sont-là  ,  MiM.  ,  les  principes  de  la  philo- 
sophie des  Saints.  Si  c'est  être  insensé  que  d'avoir 
ces  sentimens ,  dites-moi ,  je  vous  prie  ,  ce  que 
c'est  que  la.  véritable  sagesse;  ou  plutôt  écoutez 
les  académies  de  la  Grèce  et  de  l'Italie.  Lorsque 
les  Apôlres  commencèrent  à  débiter  les  saintes 
maximes  du.  christianisme;  quoique  dépouillées 
de  tout  ornement  spécieux  et  de  toute  sublilité 
étudiée  ,  les  Grecs  et  les  Romains  reconnurent 
d*abord  la  conformité  qu'avaient  ces  maximes  avec 
la  lumière  de  la  plus  pure  raison  ;  et  bientôt  ils 
avouèrent  qu'elles  surpassaient  infiniment  tout  ce 


DE    TOUS    LES    SàlNTS.  9^ 

cJti'H  Y  avait  de  plas  relevé  dans  la  science  des 
mœurs  :  ils  se  rendirent  allentifs  aux  leçons  de 
cette  nouvelle  doctrine  ,  et  n'eurent  pas  honte  de 
prendre  la  qualité  de  disciples  de  l'école  de  Jésus- 
Christ. 

Mais  peut-être  ce  que  l*on  blûme  dans  les  Saints 
n'est  pas  l'élévation  de  leurs  senlimens ,  mais 
seulement  la  témérité  de  leur  entreprise.  Il  n'est 
rien  de  si  noble ,  dira-t-on  ,  rien  de  si  divin  que 
l'idée  de  la  sainteté;  mais  c'est  être  téméraire  que 
de  vouloir  former  ses  mœurs  sur  cette  idée.  La 
sagesse  des  philosophes  ,  tout  imparfaite  qu'elle 
était,  ne  s'est  jamais  trouvée  que  dans  leurs  écrits; 
on  a  toujours  remarqué  une  opposition  presque 
entière  entre  leurs  discours  et  leur  conduite;  pour 
mettre  en  pratique  leurs  préceptes  il  aurait  fallu 
des  hommes  de  marbre  et  de  bronze  :  comment 
donc  des  créatures  si  faibles  peuvent-elles  pré- 
tendre à  la  sainteté,  qui  est  une  sagesse  infiniment 
MiMime,  et  qui  n'est ,  à  proprement  parler,  que 
pour  de  purs  esprits  ? 

Cette  objection  ,  MM. ,  ne  paraît  que  trop  plau- 
sible à  plusieurs.  Sans  parler  de  ceux  qui  accusent 
l'Eglise  romaine  d'imposer  à  ses  enfans  un  joug 
peu  proportionné  à  leurs  forces  ,  lorsqu'elle  les 
oblige  à  la  pratique  des  œuvres  de  la  charité  et  de 
la  pénitence  ;  qui  l'accusent  ,  lorsqu'elle  nous 
exhorte  au  célibat  et  à  la  pauvreté  volontaire  ,  de 
nous  porter  i\  une  sorte  de  vie  dont  la  corruption 
de  la  nature  nous  rend  incapables  :  on  ne  voit  que 
trop  de  catholiques  mêmes  qui  étouffent  tous  les 
désirs  que  Dieu  leur  donne  d'une  vie  plus  par- 
faite; qui  résisl'jnt  à  toutes  les  voix  qui  les  appel- 
lent I.  la  sainteté,  sous  prétexte  que  ce  serait  pour 
eux  une  entreprise  frivole  ;  qu'il  n'y  a  que  Dieu 
seul  qui  soit  saint;  qu'il  n'y  a  pas  d'apparence, 
vu  noire  fragilité,  que  nous  puissions  jamais  sou- 
tenir une  vie  crucifiée,  une  vie  spirituelle;  qu'il 
faudrait  pour  cela  n'avoir  pas  de  corps,  ou  ne 
l'avoir  pas  composé  d'argile. 

1* 


fô  I.    Four  la  Fête 

Si  cela  est  vrai  ,  mes  frères  ,  que  devient 
l'Evangile  ,  que  deviennent  tous  les  mystères  de 
rincarnalion  ,  de  la  Vie  et  de  la  Mort  de  Jésus- 
Cbrîsl  ?  Quoi  !  un  Dieu  se  sera  revêlu  de  notre 
chair  pour  nous  enseigner  un  chemin  inaccessible, 
polir  nous  mettre  devant  les  yeux  une  loi  qu'on 
ne  peut  accomplir  ,  pour  nous  donner  des  leçons 
fît  deè  exemples  au-dessus  de  nos  forces  !  Le  Verbe 
éternel  sera  descendu  du  ciel  pour  nous  apprendre 
la  science  des  Saints,  il  aura  demeuré  parmi  nous 
durant  l'espace  de  trente-trois  ans  pour  nous  en 
découvrir  tous  les  secrets,  il  en  aura  pratiqué  lui- 
même  h  nos  yeux  toutes  les  maximes  les  plus 
sévères  ,  il  les  aura  confirmées  par  des  miracles  , 
il  les  aura  scellées  de  son  propre  sang ,  il  aura 
envoyé  son  Esprit-Saint  pour  Us  graver  dans  nos 
cœurs  en  caractères  de  feu  ;  et  toute  cette  science, 
toutes  ces  maximes  ne  pourront  être  d'aucun  usage! 
Ou  Jésus-Christ,  mes  Frères,  n'aura  pas  connu 
notre  impuissance  ,  ou  il  nous  aura  trompés  ,  en 
nous  exhortant  à  un  genre  de  vie  qu'il  savait  n'être 
pas  praticable. 

Non,  aimable  Rédempteur,  il  m'est  impossible 
de  le  croire  :  on  ne  me  persuadera  jamais  que 
lorsque  vous  m'invitez  avec  tant  de  douceur  à 
m'assujetlir  à  votre  joîig,  et  à  me  charger  de  la 
croix  ;  lorsqu'avcc  tant  do  zèle  vous  m'exhortez  à 
la  pauvreté  d'esprit ,  à  l'amour  des  souffrances,  à 
l'amour  de  ceux  qui  me  font  souffrir,  à  la  haine 
du  monde  et  de  moi-même  ;  lorsque  vous  m'or- 
donnez de  vivre  dans  une  sainte  liberté,  de  ne 
craindre  ni  la  mon  ,  ni  tout  ce  que  la  cruauté  peut 
inventer  de  supplices,  de  me  réjouir,  de  faire 
éclater  ma  joie  au  milieu  des  plub  sanglantes  per- 
sécutions ;  lorsque  vous  me  conseillez  ,  que  vous 
me  pressez  de  quitter  tout  pour  aller  à  vous  ;  lors- 
que par  tous  les  motifs  de  crainte  ,  d'amour  , 
d'espérance  ,  vous  lâchez  de  me  porter  à  une  vie 
chaste  ,  à  une  vie  pénitente  ,  à  une  vie  mortifiée; 
non  ,  je  ne  saurais  penser  que  ce  soient  autant  de 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  It 

conseils  impossibles,    et  qu'il  puisse  y  avoir. do 
t'imprudence  à  les  suivre. 

Quand  nous  n'aurions  pas  une  preuve  si  con- 
taîncanle  rontre  Dette  impossibilité  prétendue  f 
Comment  Tose-t-on  alléguer  à  la  vue  de  la  céleste 
ttàtrie  ,  'Ct  de  cette  multitude  innombrable  d'es-» 
prits  bienheureux  qui  y  reçoivent  la  récompensé 
de  leur  sainteté  ?  Comment  ce  qui  a  été  lait  par 
tant  de  millions  d'hommes  et  de  femmes  >  dans 
chaque  état,  malgré  la  différence  des  complexîon?^ 
nous  peut -il  paraître  impossible?  Osons -nous 
même  dire  qu'il  y  ait  quelque  difficulté  dans  la 
Toie  de  la  sainteté  ,  après  que  tant  de  jeunes  en- 
fans  ,  tant  de  jeunes  vierges  élevées  dans  le  luxe 
et  dans  là  mollesse  des  cours ,  ont  marché  dans 
la  voie  étroite  si  généreusement  et  si  constam^ 
ment  ?  Combien  de  témoins  le  ciel  produit-il  au- 
jourd'hui contre  un  sentiment  si  peu  raisonnable  ^ 
ou  plutôt  contre  notre  lâcheté  ?  Treize  millions  de 
Martyrs  sont  allés  avec  joie  au  dernier  supplice  : 
on  rapporte  que  l'Angleterre  a  fourni  dans  une 
seule  occasion  onze  mille  Vierges ,  qui  aimèrent 
mieux  mourir  que  de  laisser  donner  atteinte  à  leur 
virginité  :  on  a  compté  jusqu'à  douze  mille  Soli- 
taires dans  un  seul  désert  :  il  s'est  trouvé  dans  le 
seul  monastère  du  mont  Cassin  cinq  mille  cinq 
cents  Religieux  dignes  d'être  honorés  sur  nos  au- 
tels ,  et  plus  de  cinquante  mille  dans  le  seul  ordre 
de  saint  Benoît.  îl  n'est  point  d'esprit  si  vaste  ni 
si  borné,  point  de  personne  si  savante  ou  si  igno- 
rante ,  point  de  caractère  si  doux  ou  si  rude,  point 
de  tempérament  j«i  délicat  ou  si  robuste  ,  qui  ne 
trouve  dans  la  céleste  Jérusalem  des  millions  de 
Saints  qui  lui  ressemblent  :  et  l'on  dira  que  la 
sainteté  est  impossible  aux  hommes  ,  et  que  c'est 
une  folie  d'y  aspirer  ! 

Pourrait-il  se  faire  ,  MM.  ,  que  sur  un  si  faible 
prétexte  vous  renonçassiez  à  la  gloire  et  à  la  ré- 
compense des  amis  de  Dieu  7  Hélas  !  on  attaque 
tous  les  jours  des  villes,  qui  jusqu'ici  ont  passé 


12  1.   Pour  la  Fête 

pour  imprenables  ,  et  qui  en  effet  n'ont  jamais 
élc  ni  emportées  de  force,  ni  rendues;  on  s'expose 
sur  des  mers  inconnues  ,  on  pénètre  dans  des 
terres  qui  n'ont  point  été  découvertes  ;  les  savans 
trayaiUent  encore'  aujourd'hui  à  trouver  des  dé- 
îtionslrations  qu'on  cherche  inutilement  depuis 
près  de  trois  mille  ans  :  et  cependant  nous  voulons 
Kîroire  qu'il  nous  est  impossible  de  nous  rendre 
.Saints ,  quoique  nous  solcnnisions  tous  les  jours 
la  mémoire  de  ceux  qui  se  sont  sanctifiés ,  que 
nous  ayons  en  mains  des  volumes  entiers  remplis 
de  leurs  vertus,  et  que  nous  soyons  persuadés 
que  nous  ignorons  encore  plus  de  noms  de 
Saints  qu'il  n'en  est  venu  à  notre  connaissance! 
Non ,  MM.  ,  la  sainteté  n'est  impossible  à  perr 
sonne  ,  il  n'est  même  personne  pour  qui  elle  soit 
difficile  ;  à  la  réserve  des  riches  ,  qui  trouvent 
de  grandes  difficultés  pour  entrer  dans  cette  voie 
sainte  que  l'Evangile  appelle  le  royaume  du  Ciel; 
c'est  Jésus-Christ  lui-même  qui  nous  l'assure  : 
néanmoins  quelque  difficile  que  soit  pour  eux  la 
sainteté ,  elle  ne  leur  est  pas  impossible  ;  ils 
peuvent ,  à  l'exemple  de  tant  d'autres  ,  briser 
leurs  chaînes  ,  abandonner  tout  pour  l'amour  de 
Jésus-Christ  ,  et  du  plus  grand  obstacle  qu'on 
puisse  avoir  à  la  perfection  évangélique  se  faire 
une  marche  pour  y  monter  :  dé  plus  ils  peuvent 
même  être  pauvres  dans  l'abondance,  par» le  re- 
tranchement du  luxe  ,  par  la  fuite  de  ce  même 
monde  où  leur  prospérité  leur  donne  entrée  :  et 
loin  qu'on  les  puisse  accuser  de  folie  ,  lorsqu'ils 
aspireat  à  ce  degré  de  vertu  ,  j'ose  dire  que  c'est 
pour  eux ,  encore  plus  que  pour  les  autres  ,  le 
comble  de  la  sagesse.  Pourquoi?  Parce  qu'étant 
vraisemblable  qu'on  se  sauve  rarement  dans  une 
grande  fortune,  à  moins  qu'on  ne  s'y  rende  tout- 
à-fait  saint ,  c'est  en  eux  l'effet  d'une  sagesse 
supérieure ,  d'opposer  les  plus  grandes  sûretés  à 
un  grand  péril. 
Il  est  donc  vrai ,  Chrétiens  auditeurs ,  que  la 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  i3 

«ainlclé  renferme  la  souveraine  sagesse  ;  et  que 
par  conséquent  les  Saints  ,  qui  s'appliquent  à  l'ac- 
quérir ^  ne  peuvent  être  traités  d'insensés  ,  puis- 
qu'ils aspirent  à  un  état  très-parfait  ,  et  nullement 
impossible.  Mais  après  vous  avoir  montré  qu'il 
n'y  a  pas  d'hommes  plus  sages  dans  leurs  senti- 
mens  que  les  Saints ,  il  est  temps  de  vous  faire  voir 
qu'il  n'y  en  a  pas  de  plus  prudens  dans  leur  con- 
duite :  c'est  ma  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Les  enfans  du  siècle,  qui  croient  avoir  la  raison 
et  l'habileté  en  partage  ,  et  qui,  selon  les  paroles 
du  Sauveur  même  ,  se  conduisent  avec  plus  de 
sagesse  dans  leurs  affaires  que  les  enfans  de  la  lu- 
mière ;  les  enfans  du  siècle  ne  conviennent  pas 
que  la  prudence  soit  une  vertu  propre  des  Saints, 
ils  s'imaginent  au  contraire  que  l'indiscrétion  les 
accompagne  partout  ;  qu'ils  font  profession  de 
porter  tout  à  l'extrémité,  d'ignorer  les  sages  tem- 
péramens  ,  de  négliger  toutes  les  règles  ,  pour 
s'abandonner  à  un  zèle  inconsidéré  et  à  une  aveu- 
gle ferveur  :  qu'à  la  vérité,  quand  on  considère 
leurs  sentimens  et  les  dispositions  de  leur  ame, 
on  se  sent  porté  à  les  admirer  ;  mais  qu'à  voir 
leurs  actions  et  la  conduite  qu'ils  tiennent  dans  le 
monde  ,  on  a  bien  de  la  peine  à  s'empêcher  ou 
d'en  miiirmurer  ou  d'en  faire  des  plaisanteries.. 
Pour  détruire  une  opinion  si  fausse ,  et  si  inju^ 
rieuse  à  la  sainteté  ,  je  vous  prie  ,  MM.  ,  de  faire 
attention  (|ue  la  prudence  ,  pour  être  parfaite, 
doit  avoir  deux  conditions  :  il  faut  premièrement 
qu'elle  ait  en  vue  une  fin  parfaite  ,  c'est-à-dire  , 
comme  l'explique  saint  Thomas  ,  qu'elle  tende  à 
ce  genre  de  bien  auquel  toute  la  vie  se  doit  rap- 
porter ;  en  second  lieu  ,  il  faut  qu'elle  fasse  choix 
des  moyens  les  plus  propres  pour  parvenir  à  cette 
fin.  Par  le  défaut  de  cette  première  condition,  on 
ne  saurait  donner  le  nom  de  prudence  à  l'industrie 
d'un  fourbe   qui  prend  tellement   ses  mesures, 


i4  I.  Pour  la  Fête 

qu'il  assure  le  succès  de  sa  fraude  ;  parce  que 
cette  industrie  tend  au  mal.  L'adresse  d'un  joueur, 
quelque  habilement  qu'il  conduise  son  jeu  ,  n'est 
pas  non  plus  une  prudence  parfaite  ;  parce  qu'elle 
n'a  qu'une  fin  indifférente  et  imparfaite.  Le  mé- 
decin d'ailleurs  le  mieux  intentionné  et  le  plus 
infaillible  dans  le  jugement  qu'il  porte  des  mala- 
dies ,  ne  passera  jamais  que  pour  un  imprudent  , 
s'il  néglige  de  chercher  les  remèdes  nécessaires 
pour  rendre  la  santé  à  un  malade  ,  ou  s'il  n'en  sait 
pas  faire  le  choix. 

Cela  supposé,  voyons  ,  s'il  vous  plaît,  en  quoi 
la  prudence  des  Saints  est  défectueuse.  L'unique 
fm  qu'ils  se  proposent  dans  toutes  leurs  actions, 
c'est  de  servir  Dieu,  qui  les  a  créés  pour  lui ,  et 
de  se  procurer  en  le  servant  une  félicité  éternelle. 
Sur  quoi  ,  MM.  ,  je  vous  demande  d*  faire  avec 
moi  quelques  réflexions. 

J'observe,  en  premier  lieu  ,  qu'on  loue  dans 
le  monde  le  jugeinent  d'un  homme  qui  ,  dans  la 
liberté  de  se  choisir  un  maître  y  s'attache  à  un- 
prince  grand  ,  sage  ,  généreux  ,  qui  fait  gloire 
de  garder  inviolablement  sa  parole,  et  de  n'aban- 
donner jamais  ceux  qu'il  a  une  fois  reçus  à  son 
service.  Si  cela  est  vrai  ,  comme  chacun  le  pense, 
est-il  rien  de  plus  judicieux^^  que  la  conduite  des 
Saints  ,  qui  s'attachent  au  service  d'un  maître 
immortel ,  incapable  de  manquer  à  ses  promesses, 
ni  par  infidélité  ,  ni  par  impuissance  ;  d'un  maîtfft 
qui  se  déclare  hautement  pour  ceux  qui  sont  à 
lui  ,  qui  prend  leur  défense  contre  tout  ce  que  l'u- 
nivers a  de  plus  redoutable  ;  d'un  maître  enfin  qui 
est  le  maître  de  tous  les  autres  ? 

Je  remarque  ,  secondement  ,  qu'on  regarde 
dans  le  monde  comme  des  gens  sans  conduite  tous 
ceux  qui  ne  songent  qu'au  présent,  qui  ne  s'appli- 
quent point  à  se  préparer  une  heureuse  vieillesse, 
et  à  faire  des  établissemens  dont  leur  postérité 
puisse  jouir;  quoique  nul  homme  ne  soit  assuré 
de  Yieillir  ,  ni  d'avoir  de  postérité  qui  lui  survive 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  i5 

Par  la  raison  des  contraires,  peut-il  être  une  con- 
duite plus  sage  que  de  porter  ses  vues  jusque 
Jans  rélernîté  ,  qui  ne  peut  manquer  de  succéder 
ù  ce  peu  d'années  que  nous  vivons  sur  îa  terre  ? 
Celle   conduite  est  la  conduite  des  Saints^ 

La  troisième  n'îflexion,  c'est  que  dans  la  politi-» 
que  même  ,  où  la  prudence  semble  avoir  son 
principal  emploi ,  nous  voyons  que  les  plus  éclai- 
rés ont  pour  maxime  d'avoir  toujours  en  vue 
l'objet  le  plus  intéressant ,  d'abandonner  les  for- 
malités aux  esprits  pointilleux  et  peu  solides  ,  de 
se  relâcher  sur  des  points  de  peu  de  conséquence, 
de  sacrifier  de  menues  prétentions  pour  sauver 
Fessentiel,  et  pour  avancer  les  desseins  les  plus 
imporlans.  Mais  que  sont  ,  MM.  ,  que  sont  les 
desseins  des  plus  grands  princes  et  de  leurs  mi- 
nistres en  comparaison  de  cette  fin  générale  où 
tous  les  hommes  doivent  tendre  ,  en  comparaison 
de  celte  affaire  où  il  s'agit  de  posséder  ou  de  per- 
dre un  Dieu  ,  et  de  le  perdre  sans  ressource  ?  Il 
est  donc  raisonnable  de  négliger  pour  l'inlérêt  du 
salut  toutes  les  choses  qui  ne  sont  en  aucune  façon 
aussi  nécessaires.  Elles  Saints,  qui  par  celle  raison 
méprisent  tout  ce  que  le  monde  estime,  les  Saints 
font  aux  politiques  mêmes  la  plus  belle  leçon  de 
prudence  ;  leçon  qui  vaut  plus  elle  seule  que  tou- 
tes leurs  maximes. 

La  quatrième  réflexion  ,  c'est  que  ceux  qui  se 
distinguent  par  leur  habilelé  dans  le  monde  ,  non- 
seulement  préfèrent  les  grandes  affaires  aux  affai- 
res peu  importantes  ,  mais  même  ils  ne  font  rien 
de  si  léger  qu'ils  ne  le  rapportent  à  leurs  fins  : 
de  sorte  qti'ils  paraissent  n'avoir  qu'une  affaire; 
leurs  discours  les  plus  indifférens  ,  leurs  actions 
les  plus  communes  ,  leurs  divertissemens  même, 
leur  oisiveté  ,  tout  en  eux  tend  à  une  fin  ;  et  lors- 
qu'en  effet  on  étudie  toutes  leurs  démarches  et 
tous  leurs  mouvemens  ,  on  demeure  persuadé 
qu'en  tout  ce  qu'ils  font  il  y  a  du  mystère  ,  on 
ne  peut  croire  que  des  gens  si  sages  fassent  riea 


i6  I.  PoLR  L\  Fête 

légèrement,  et  sans  songer  à  ce  qui  les  doit  oc°' 
cuper  sans  cesse.  Les  Saints  de  leur  côté  ne  se 
contentent  pas  de  travailler  pour  leur  dernière 
fin  5  et  de  mépriser  tout  le  reste  ,  mais  en- 
core ils  ne  font  rien  que  pour  cette  fin  ,  toutes 
leurs  actions,  toutes  leurs  pensées  s'y  rapportent; 
ils  ne  veulent  pas  qu'il  y  ait  un  moment  de  temps, 
•pas  une  parole  ,  pas  un  mouvement  inutile  ;  tout 
tend  à  Dieu  ,  à  l'éternité  ;  ils  dirigent  tout  à  ce 
bonheur  incomparable  ,  et  tout  les  y  conduit. 

Je  suis  sûr  ,  M.M.  ,  qu'après  ces  réflexions  ,  il 
n'est  point  d'homme  ,  s'il  écoute  la  raison  ,  qui 
ne  soit  convaincu  que  les  Saints  montrent  une 
prudence  supérieure  à  tout,  dans  le  choix  de  la 
fin  qu'ils  se  proposent  :  choix  qui  ,  selon  le  Doc- 
teur de  l'Ecole,  est  l'effet  principal  de  la  prudence 
Je  ne  sais  si  tout  le  monde  conviendra  qu'ils  >ont 
aussi  judicieux  dans  le  choix  qu'ils  font  des  moyens 
pour  parvenir  à  leur- fin* 

Mais  pourq^voi  en  discanviemlrait-on  ?  C'est 
par  le  mépris  du  monde  et  de  ses  maximes,  c'est 
par  la  haine  d'eux-mêmes  ,  par  un  exercice  con- 
tinuel de  la  pénitence  ,  que  les  Saints  se  sont 
efforcés  de  gagner  le  Ciel.  Il  y  a-des  voies  plus 
douces  ,  plus  humaines  ,  plus  conformes  à  la 
manière  de  vivre  des  autres  liommes,  plus  pro- 
portionnées à  notre  faiblesse  ,  il  est  vrai  ;  mais  y 
en  a-t-il  de  plus  courtes  et  de  plus  sûres  ?  Or  parmi 
les  moyens  qui  nous  conduisent  à  une  fin  ,  la  rai- 
son ne  veut  -  elle  pas  qu'on  profère  ceux  qui  y 
conduisent  plus  tôt  et  plus  sûrement  ?  Tels  sont  les 
moyens  que  les  Saints  ont  pris,  et  que  Jésus- 
Christ  nous  a  surtout  recommandés.  Qui  sait 
mieux  que  lui  ce  qui  doit  lui  plaire  ,  qui  sait 
mieux  ce  qui  nous  doit  être  plus  utile  pour  l'é- 
ternité ? 

.  On  vous  reproche,  âmes  saintes  ,  de  vous  être 
tellement  attachées  à  Dieu  ,  qu'il  ne  vous  est  plus 
resté  d'application  pour  tout  le  reste  ,  d'avoir  ou- 
blié jusqu'à  vos  pères,  jusqu'à  vos  mères,   Je 


DE  TOUS   LES    SainTS.  VJ 

VOUS  être  trop  déclarées  contre  la  vie  ordinaire 
des  gens  du  monde ,  d'avoir  rompu  avec  lui  tout 
comnierce  ,  de  n'avoir  plus  gardé  de  mesures, 
de  vous  être  dispensées  de  tout ,  des  lois  mêmes 
les  plus  indispensables  de  Va  bienséance.  Mais  de 
quelle  part  viennent  des  reproches  si  odieux  ?  Ne 
viennent-ils  point  de  ceux-là  mêmes  qui  croient 
agir  avec  sagesse  en  faisant  pour  le  monde  tout 
ce  que  vous  avez  fait  pour  lé  Ciel  ?  Combien  de 
personnes  se  livrent  si  fort  à  ce  qu'elles  appellent 
grandes  affaires  ,  qu'il  ne  leur  reste  plus  de  temps 
pour  leur  salut  !  Combien  de  faux  sages  font  cé- 
der tous  les  jours  les  intérêts  de  Dieu  à  ceux  de 
l'Etat ,  témoignent  un  mépris  visible  pour  les  lois 
lès  plus  sacrées;  et  se  persuadent  que  la  Religiop 
n'est  elle-même  qu'une  partie  de  la  politique  ,  et 
qu'elle  doit  être  ajustée  au  temps  et  à  la  nécessité 
des  affaires  temporelles  !  Eh  quoi ,  Seigneur  ,  y 
aura-t-il'de  l'imprudence  à  faire  pourvous  ce  que 
le  monde  fait  contre  vous  ?  et  le  zèle  ne  sera-t-il 
raisonnable  que  quand  il  sera  joint  à  l'impiété  ? 

Enfin  ,  pour  justifier  celte  vie  austère  ,  Cette  vîe 
pénitente,  si  odieuse  aux  réformateurs  de  l'Eglise 
et  aux  partisans  du  monde  ,  je  me  contenterai  de 
vous  mettre  un  moment  sous  les  yeux,  d'une  part, 
ces  capitaines  qui  se  voulant  mettre  en  état  de 
défendre  une  place  importante,  commencent  par 
raser  lès  faubourgs ,  par  inonder  les  plaines  voi- 
•  sines;  d'autre  part ,  ces  princes  qui  craignant  d'ê- 
tre défaits  par  un  ennemi  troppuissant,  se  retirent 
dans  le  cœur  de  leurs  états  en  faisant  le  dégât  par- 
tout où  ils  passent  ,  pour  ôter  à  un  adversaire 
redoutable  le  moyen  de  les  suivre.  A  voir  ces 
grands  hommes  qui  ravagent  ainsi  leurs  propres 
pays,  qui  mettent  partout  le  feu,  qui  désolent 
tout,  l'on  dira  peut-être  qu'ils  se  livrent  aux  noirs 
accès  d'une  fureur  aveugle,  et  que  de  pareils  traits 
de  l'art  militaire  sont  les  effets  d'une  folie  achevée. 
Telle  est ,  MM.  ,  l'injustice  que  nous  faisons  à  la 
conduite  des  Saints.  Cette  ame  pure  ,  qui  voit  quoj 


fS  r.  Pour  la  Fêté 

ies  ennemis  trouvent  datis  son  propre  corps  cfe' 
quoi  lui  faire  la  guerre  ,  lui  lait  la  guerre  à  lui- 
mCuiie  ,  et  travaille  à  le  détruire  pour  n'en  être  pas 
vaincue  :  pour  sauver  le  corps  de  la  place  ,  elle 
en  abandonne  ,  elle  en  ruine  même  les  dehors  ; 
elle  aime  mieux  affaiblir  cette  chair  corruptible, 
lui  faire  perdre  ses  agrémens  ,  la  déflgurer  ,  que 
d'exposer  l'esprit ,  qui  est  immortel ,  à  perdre  sa 
Lenuté  ou  sa  force.  C'est  sur  cela  que  le  monde 
l'accuse  ,  cette  ame  généreuse  ,  de  manquer  de 
prudenceet  de  discrétion.  Mais  ,  hélas  !  MM.  , 
quelle  serait  la  prudence  des  Saints,  s'ils  voulaient 
écouter  les  discours  du  monde,  et  s'arrêter  à  son 
ju  gement? 

J'en  dis  trop,  chrétiens  auditeurs  ,  dans  un  jour 
où  l'Eglise  nous  ouvre, pour  ainsi  dire  ,  les  portes 
du  Cit'l ,  pour  nous  y  faire  contempler  la  gloire 
des  bienheureux.  A  la  vue  de  celte  gloire  ineffa- 
ble ,  à  la  vue  de  celte  superbe  cité  dont  l'éclat 
surpasse  celui  des  plus  précieux  métaux,  à  la  vue 
de  ces  riches  trônes ,  de  ces  couronnes  brillantes,  à 
la  vue  de  tant  de  beautés  ,  de  tant  de  plaisirs  ,  de 
tant  de  lumiî  res  ,  qui  dira  que  ceux  qui  en  jouis- 
sent ont  manqué  de  conduite  ,  ont  pris  le  mauvais 
pnrli  en  s'eft'orçant  de  les  mériter  ,  qu'ils  ont  mal 
{"ait  ou  qu'ils  ont  trop  fait  ?  Nos  insensatl  vitaiu 
illorum  œstimabamas  insaniam ,et  finem  illorum  sinà 
honore  ;  ecce  quomodo  compulati  sunt  inter  fiUos 
Dei ,  et  Inler  Sanctos  sors  illorum  est.  Heureux  ci- 
toyens du  Ciel ,  qui  vivez  au  milieu  des  honneurs 
et  des  délices ,  au-dessus  du  soleil  et  du  firma- 
ment ,  que  vous  avez  lait  paraître  de  sagesse  en 
renonçant  aux  vains  honneurs  et  aux  plaisirs  pas- 
sagers de  celle  vie  ! 

II  est  vrai  que  durant  le  peu  d'années  que  vous 
avez  resté  sur  la  terre  ,  vous  avez  élé  privés  des 
douceurs  qu'on  y  goûte  ;  on  ne  vous  a  point  vus 
dans  ces  grandes  assemblées  où  régne  la  vanité  ; 
vous  vous  êtes  entretenus  avec  Dieu  dans  la  soli- 
tude ,  tandis  qu'on  était  aux  ihéûlrcs  ;  vous  avei 


©E    TOCS-  LES  SWmT?..  rc^' 

passé  dans  la  lecture  des  Sflfnts  livres  ces  nuits 
que  le  monde  employait  au  jeu  et  aux  aulres  di- 
verlisscmens  profanes  ;  les  soin.s  que  les  hommes 
de  votre  temps  se  donnaient  pour  nouer  des  in- 
trigues,  pour  bâtir  des  palais  ,  pour  mulliplier 
leurs  revenus  ,  pour  gagner  la  laveur  des  grands, 
pour  s'élever  au-dessus  des  aulres  hommes  ;  ces- 
soins ,  vous  les  avez  réservés  pour  votre  ame, 
vous  les  avez  consacrés  à  dompter  vos  passions  , 
à  réprimer  vos  désirs  ,  à  vous  préparer  une  heu- 
reuse mort  :  mais  que  vous  êtes  bien  dédommagés 
de  vos  peines  !  que  vous  posséderez  long-temps  le 
fruit  d'une  conduite  si  judicieuse  !  que  vous  devez 
vous  savoir  gré  d'en  avoir  usé  de  la  sorte  !  Dans 
quelle  erreur  auriez -vous  donnée  si  vous  vous 
étiez  rendus  les  esclaves  des  respects  humains,  si 
vous  aviez  cr^aint  les  mépris  et  la  censure  du 
monde  !  Ce  monde,  autrefois  si  injuste  ,  révère 
aujourd'hui  jusqu'à  votre  mgmoire  ,  jusqu'à  vos 
cendres  ;  on  enchâsse  dans  l'or ,  dans  les  pierre- 
ries, ces  membres  consumés  par  les  jeûnes  ;  ceux 
même  qui  sont  revêtus  de  la  pourpre ,  comme 
parle  saint  Jean  Chrysostôme  ,  viennent  se  pros- 
terner devant  vos  tombeaux,  et  rechercher  votre 
protection  :  au  lieu  que  votre  nom  aurait  péri  dans 
l'oubli,  votre  corps  aurait  demeuré  sans  honneur 
dans  un  vil  sépulcre  ,  et  votre  ame  peut-être  dans 
l'horreur  des  supplices  éternels. 

TntclUgile  hœc  qui  obUvîscîmîni  Deum  y  et  stulti 
aliguando  sapile.  Comprenez  ceci  ,  ô  vous  qui  ou- 
bliez Dieu  ,  qui  vous  oubliez  vous-mêmes ,  qui 
semblez  ignorer  la  brièveté  de  cette  vie  ,  et  la  fin 
pour  laquelle  vous  avez  été  créés.  Quelles  ténè- 
bres, ô  mon  Dieu  ,  quel  étrange  aveuglement  em- 
pêche les  Chrétiens  de  connaître  la  vanité  de  leurs 
desseins  et  de  leur  prudence  terrestre  !  Hélas! 
faut-il  être  si  éclairé  pour  s'apercevoir  qu'on  s'a- 
muse à  brair  sur  le  sable  ,  sur  le  bord  d'un  torrent 
impétueux  qui  détruit ,  qui  entraîne  et  les  édifices 
et  ceux  qui  les  ont  élevés  ?  Qui  ne  voit  pas  que  les 


50  1.  Pour  la  Fête 

grandes  affaires  du  monde  ,  ainsi  qu'on  les  aji- 
pelle,  ne  sont  que  des  jeux  d'enfans  qui  n'aboutis- 
sent à  rien  ;  que  cette  paix ,  qu'on  regardait  comme 
le  chef-d'œuvre  de  la  politique,  est  rompue  par 
un  léger  intérêt;  que  cette  guerre,  conduite  avec 
tant  de  sagesse  et  de  bonheur  ,  qui  avait  coûté 
tant  de  millions  ,  tant  de  sang  ,  tant  d'inquiétude , 
est  terminée  par  un  traité  qui  remet  les  choses  ù 
peu  prés  comme  elles  étaient  auparavant  ?  Qui 
ne  voit  pas  que  le  temps  change  tout ,  qu'il  ren- 
verse les  fortunes  les  mieux  établies,  qu'il  efface 
jusqu'à  la  mémoire  des  hommes  qui  ont  joué  les 
plus  grands  rôles  sur  la  scène  du  monde  ;  que 
toute  leur  grandeur  ,  toute  leur  gloire  périt  avec 
eux  ,  et  souvent  même  avant  eux  ;  qu'enfin  le 
tombeau  engloutit  tout,  qu'il  égale  tout  ;  et  que 
le  jugement  de  Dieu  mettra  seul  entre  les  grands 
et  les  petits  ,  entre  les  prétendus  sages  et  les  vrais 
sages  ,  une  distinction  qui  ne  finira  jamais  ?  Mon 
Dieu  ,  que  je  déplorfe  le  sort  de  ces  grands  génies 
qui  emploient  toutes  leurs  lumières  à  tracer  des 
plans  magnifiques  sur  un  avenir  qu'ils  ne  verront 
jamais  ,  qui  se  consument  eux-mêmes  pour  faire 
réussir  des  entreprises  peut-êtrefunestcs  poureux; 
qui  commencent  avec  des  efforts  incroyables ,  avec 
des  préparatifs  immenses ,  une  carrière  de  quel- 
ques pas  !  Que  je  suis  touché  de  les  voir  porter 
jusque  sur  le  bord  de  leur  sépulcre  leurs  inutile* 
pensées  ,  de  les  voir  toujours  absorbés  par  des 
bagatelles  qui  ne  les  regardent  point ,  et  qui  n'ont 
aucun  rapport  avec  l'éternité  où  ils  vont  entrer  !. 
Soyons  plus  sages  ,  Chrétiens  auditeurs,  je  vous 
en  conjure  :  laissons  la  prudence  humaine  s'en- 
fler d'orgueil  et  s'évanouir  dans  ses  desseins  ; 
laissons-la  se  vanter  de  tout  pénétrer  ,  de  faire 
tout  réussir;  qu'elle  se  flatte  de  savoir  l'art  d'a- 
muser ,  de  servir ,  de  nuire  ,  de  dissimuler  ,  de 
surprendre  ,  et  de  prévenir  la  surprise  :  croycz- 
mui  ,  la  véritable  prudence  est  de  craindre  Dieu  , 
et  de  s'étudier  à  lui  plaire  :  Jnitium  sapientlœ  , 


I 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  2  î 

corona  sapienliœ  ,  timor  Domini ,  dit  le  plus  sage 
des  rois.  Le  commencement  et  le  comble  de  la 
sagesse  ,  c'est  la  crainte  du  Seigneur.  La  Sagesse 
même  incarnée  ne  nous  en  a  pas  enseigné  d'au- 
tre. Cette  sagesse  venue  du  Ciel  vous  portera 
tous  ,  comme  je  le  souhaite,  et  comme  je  l'es- 
père ,  à  préférer  l'ame  au  corps  ,  l'éternité  au 
temps  ,  le  Ciel  à  la  terre  ,  t)ieu  aux  hommes.  Elle 
vous  fera  mépriser  une  vie  courte,  incertaine  et 
malheureuse  ,  pour  vous  rendre  dignes  d'une 
bienheureuse  éternité.  Ainsi  soit-il. 


SERxMON 

POUR    LA    FÊTE 

DE  TOUS  LES  SAINTS. 


Vidi  elvttatem  sanctam ,  Jérusalem  novam  ,  descendent ctk 

de  Cœlo. 

J'ai  vu  descendre  du  Ciel  la  cite  sainte  ,  la  nouvelle 
Jérusalena.   {Apoc.  21.) 


Le  Ciel  est  la  cité  sainte  des  Bieuheurenx  ,  où  il  n  y 
aura  nul  péché  ,  nulle  des  peines  qui  sont  dues  au 
péché  ,  nulles  bornes  aux  récompenses  qui  «ont  pro- 
mises à  la  vertu. 

jJans  la  solennité  de  ce  iour  ,  les  Prédicateurs 
ayant  coutume  de  parler  de  la  demeure  éternelle 
des  Bienheureux  ,  je  ne  m'étonne  pas  que  les 
Chrétiens  ,  dans  l'attenle  d'un  discours  qui  leur 
doit  être  agréable,  s'assemblent  en  foule  dans  nos 
temples.  11  est  naturel  que  des  exilés  prennent 
plaisir  qu'on  les  entretienne  de  leur  patrie  ,  qu'on 
leur  fasse  la  peinture  d'une  région  où  ils  espèrent 
de  régner  un  jour  ;  et  que  par  le  souvenir  du 
bonheur  qui  les  y  attend  ,  on  adoucisse  les  maux 
qu'ils  souffrent.  Ce  qui  serait  étonnant,  MiM. ,  c'est 
qu'il  se  trouvât  de.»  personnes  qui  osassi^nt  vous 
parler  de  ce  bonheur  incompréhensible.  Quelle 
apparence  de  tracer  le  plan  ,  de  représenter  les 
beautés  et  les  richesses  d'un  lien  qu'on  n':^  jamais 
vu,  et  dont  on  n'a  aucune  con nu ic^-mcc  ?  Cepen- 
dant vous  ne  devez  pas  en  être  surprix,  il  serait 
encore  plus  difficile  de  parler  dns  biens  éternel* 


Tour  la  Fête  de  tous  les  Saints.     2  j 

à  quiconque  les  aurait  vus  ,  à  quiconque  en  aurait 
goûté  toutes  les  délices  :  on  peut  dire  que  nous 
n'en  parlons  que  parce  que  nous  ne  les  connais- 
sons pas  :  et  saint  Paul  ,  dont  les  lumières  ont 
éclairci  les  difficultés  les  plus  obscures ,  dont  l'é- 
loquence pouvait  embt^llir  les  sujets  les  plus  sté- 
j-iles  ,  saint  Paul  n'a  été  muet  sur  cette  matière, 
<juc  parce  qu'il  en  avait  des  connaissances  trop 
exactes. 

Esprit  saint ,  je  ne  vous  demande  donc  pas  que 
vous  me  découvriez  aujourd'hui  cette  divine  clarté 
qui  environne  les  Bienheureux  ;  elle  ne  servirait 
qu'à  m'éblouir  les  yeux  ,  et  qu'à  me  lier  la  langue  ; 
je  vous  demande  des  lumières  que  je  puisse  com- 
jmuniquer  à  ceux  qui  m'écoutent;  je  vous  demande 
<;es  connaissances  que  les  Saints  ont  eues  de  la  cé- 
leste patrie  ,  lorsqu'ils  étaient  encore  sur  la  terre; 
ces  vues  qui  allumaient  dans  leurs  cœurs  un  désir 
si  ardent  d'arriver  à  cet  heureux  terme  ,  qui  les 
taisaient  gémir  dans  l'atlenle  de  la  mort  ,  qui 
leur  inspiraient  tant  de  mépris  pour  tout  ce  que 
nous  estimons  ici-bas  ,  et  qui  les  ont  porti's  à 
faire  et  à  souffrir  de  si  grandes  choses  pour  voire 
amour. 

Que  je  serais  heureux ,  si  ce  que  je  dois  dire 
aujourd'hui  du  bonheur  des  Saints  ,  si  même  tons 
les  discours  que  je  ferai  cette  année  pouvaient 
produire  seulement  un  Saint  !  Car,  s'il  est  vrai 
qu'un  Chrétien  vraiment  saint  fait  plus  d'honneur 
à  Dieu  qu'un  million  de  Chrétiens  lâches  et  im- 
parfaits; quel  plus  grand  bien  pourrait-il  m'arrivep 
en  la  vie  que  d'avoir  contribué  à  mettre  une  anio 
dans  la  voie  de  lu  véritable  sainteté  ! 

Je  sais  ,  Madanie  ,  que  lorsque  Votre  Altesse 
Pioyale  m'a  commandé  de  monter  dans  cette 
chaire  ,  elle  «'a  point  eu  d'autre  vue  que  de  pro- 
curer à  tous  ceux  qui  m'entendront  un  moyen  do 
se  sanctifier  eux-mêmes;  et  je  proteste  en  pré- 
V  sence  de  Jésus-Christ ,  qu'en  obéissant  à  vos  or- 
dres ,   Je   n'aurai  jamais  d'autre  dessein  que  de 


-225-  2.  T'ouR  LA  Fête 

:travaillcr  à  la  sanctiOcationde  mes  auditeurs.  Mais 
quelque  bonnes  que  soient  les  intentions  de  Votre 
Alte>se  Royale  ,  quelque  soin  que  j'aie  résolu  de 
prendre  pour  les  seconder  ,  j'attendrais  peu  de 
fruit  de  tous  mes  travaux  ,  si  je  ne  savais  qu'ils 
seront  soutenus  "par  vos  exemples.  Les  mauvais 
Chrétiens  se  défendront  peut-être  contre  les  rai-- 
sons  les  plus  propres  à  'les  convaincre  de  leur 
devoir  ;  mais  que  pourront-ils  opposer  à  l'exemple 
d'une  Princesse  ,  qui  à  la  fleur  de  son  âge  ,  dans 
un  rang  où  la  plupart  des  hommes  s'imaginent 
que  tout  est  permis ,  avec  tous  les  avantages  du 
corps  et  de  l'esprit  qui  ont  coutume  d'inspirer 
l'amour  du  monde  ,  se  déclare  hautement  pour  la 
piété,  et  en  pratique  tous  les  exercices  avec  tant 
d'exactitude  et  de  ferveur  ?  D'ailleurs  ,  Madame  , 
parlant  devant  une  personne  aussi  irréprochable 
que  vous  l'êtes,  je  ne  «erai  point  oblige  à  tous 
les  égards  que  la  prudence  veut  qu'on  ait  pour  les 
princes  vicieux.  Il  n'est  point  de  vice  à  qui  je  ne 
puisse  faire  une  guerre  ouverte  ,  puisqu'il  n'en 
est  aucun  que  votre  conduite  elle-n)êmc  ne  con- 
damne ;  je  pourrai  dire  tout  ce  que  l'Esprit  de 
Dieu  daignera  m'inspirer  de  plus  fort  contre  tous 
les  désordres  de  notre  siècle  ,  on  ne  croira  jamais 
que  mes  reproches  s'adressent  à  Votre  Altesse 
Royale  ;  et  ainsi,  Madame,  la  parole  de  Dieu  ne 
sera  point  captivée  par  votre  présence  ,  on  ne 
dissimulera  point  devant  vous  les  plaies  du  pé- 
cheur, on  les  fera  même  paraître  plus  honteuses 
par  l'opposition  de  votre  vertu.  Outre  ces  avantages 
que  me  fournit  la  piété  de  Votre  Altesse  Royale, 
vous  voulez  bien,  Madame,  que  je  prenne  en- 
core la  liberté  de  vous  demander  le  secours  de 
vos  prières  ,  pour  obtenir  du  Saint-Esprit  cette 
assistance  nécessaire  que  nous  allons  implorer  par 
l'intercession  de  tous  les  Saints  ,  et  surtout  par 
l'entremise  de  celte  Vierge  toute  sainte  qui  est 
leur  Reine  et  notre  appui  auprès  du  Saint  de» 
Saints.  Ave,  Maria. 


DE  TOUS  LES  Saints.  aS 

De  lous  les  éloges  que  le  Saint-Esprit  fait  dan» 
l'Ecriture  de  la  demeure  des  Saints  ,  celui  qui 
m'en  donne  le  plus  d'idées,  c'est  le  nom  de  cité 
sainte  ou  de  cité  des  Saints  que  je  trouve  au 
XXI'  Chapitre  de  l'Apocalypse.  Saint  Jean  n'ou- 
blie rien  dans  ce  même  endroit  pour  nous  i'aire 
une  peinture  magnifique  de  ceUe  céleste  Jérusa- 
lem ;  il  déploie  tout  ce  que  la  nature  a  formé  de 
plus  précieux  ,  tout  ce  que  l'art  ,  tout  ce  que  l'i- 
magination peut  ajouter  à  la  nature.  Les  fonde- 
mens  mêmes  de  cette  vaste  cité  sont,  dit-il  ,  de» 
pierres  précieustis  :  le  cristal  le  plus  pur  y  relève 
l'éclat  de  tous  les  édifices  :  l'or  y  brille  jusque  sous 
les  pieds  des  habitans  ,  et  y  pare  les  places  publi- 
ques :  un  canal  d'eau  vive  y  coule  par  divers  en- 
droits ;  ce  canal  est  bordé  d'arbres  ,  ou  toujours 
fleuris,  ou  toujours  chargés  de  fruits  nouveaux: 
enfin  un  astre  infiniment  pluï^  beau  que  le  soleil  y 
répand  partout  une  lumière  également  douce  et 
brillante,  qui,  sans  blesser  les  yeux  ,  montre  tout 
l'éclat  de  tant  de  richesses.  Cet  astre  y  produit  un 
jour  éternel ,  un  jour  toujours  serein  ,  un  jour 
toujours  calme;  cet  astre  n'est  lui-même  jamais 
couvert  de  nuages,  et  il  ne  s'éloigne  jamais  pour 
faire  place  à  la  nuit  ;  nox  enlm  non  erit  illic  ;  car 
dans  ce  lieu  de  délices  il  n'y  aura  point  de  nuit., 
point  de  ténèbres. 

Voilà  sans  doute  un  admirable  séjour  ,  et  je  ne 
sais  comment  il  nous  reste  encore  quelque  amour 
pour  la  terre ,  pour  celte  demeure  sombre  et  téné- 
breuse ,  après  avoir  jeté  les  yeux  sur  une  régioa 
siricheet  si  lumineuse.  Cependant,  MM. ,  ce  n'est 
pas  ce  qui  me  fait  soupirer  davantage  peur  le 
Ciel  :  quelque  beau  qu'il  me  paraisse  dans  le  ta- 
bleau qu'en  a  fait  saint  Jean  ,  j'en  forme  une  idée 
infiniment  plus  consolante  ,  lorsque  je  fais  ré- 
flexion que  k  Ciel  est  la  cité  sainte  des  Bienheu- 
reux ;  et  voici  sur  quoi  je  me  fonde.  Le  Ciel  est 
une  cité  et  comme  une  république  toute  compo- 
sée de  Saints  ;  dans  le  Ciel  d-ouc  il  n'y  aura  nul 


i36  2.  Pour  la  Fête 

]>ecliél  nulle  des  peines  qui  sont  dues  au  péché., 
nulles  bornes  aux  récompenses  qui  sont  promises 
à  la  vertu.- Le  péché  est  par  lui-même  le  plus 
f^rand  de  tous  les  maux  ;  c'est  donc  un  bien  infini 
c|ue  le  péché  ne  se  trouve  point  dans  le  Ciel  :  je 
lu  montrerai  dans  le  premier  point.  C'est  le  pé.- 
ché  qui  nous  attire  tous  les  autres  maux  ;  tous  les 
autres  maux  seront  donc  bannis  du  Ciel  aussi  bien 
que  le  péché  :  ce  sera  le  second  point.  Le  péché 
donne  des  bornes  à  la  libéralité  de  Dieu ,  majis  cet 
obstacle  sera  levé  dans  le  Ciel  ;  donc  la  libé- 
rairtc  de  Dieu  y  sera  sans  bornes  :  c'est  ce  que  je 
ferai  voir  au  troisième  point.  Voilà  tout  le  plan 
do  ce  discours  :  nul  péché,  nulle  des  peines  dues 
au  péché  ,  nulles  bornes  aux  récompenses  de  la 
venu. 

PAEMISa  POINT, 

Il  n'est  presque  rien  qui  puisse  rafîeux  inspirer 
un  grand  désir  de  la  félicité  éternelle  à  une  per- 
sonne remplie  de  la  crainte  et  de  l'amour  du 
vSeigneur,  que  cette  parfaite  innocence  ,  cet  éloi- 
i;uement  de  toute  faiblesse  ,  de  toute  imperfec- 
tion ,  où  l'on  vivra  dans  Je  Ciel.  Ces  âmes  vérita- 
blement chrétiennes",  qui  de  tous  les  maux  de  la 
vie  ne  craignent  que  le  péché,  qui  pleurent  amère- 
ment les  fautes  presqu'inévilables  à  notre  fragilité  , 
qui  cherchent  dans  les  plus  affreuses  solitudes  un 
asile  contre  les  tentations,  qui  regardent  la  mort 
comme  un  bien  ,  parce  qu'elle  les  doit  tirer  du 
péril  d'offenser  Dieu;  ces  âmes  saintes  voient-elles 
aucun  avantage  dans  les  biens  célestes  dont  elles 
puissent  Cire  plus  frappées  que  de  l'assurance  in- 
faillible de  ne  plus  pécher  ? 

Mais  hélas  !  qu'il  est  peu  d'hommes  sur  la  terre 
capables  de  goûter  cette  pensée  !  qu'elle  fera  peu 
d'impression  sur  ces  âmes  sensuelles  qui  passent 
la  vie  dans  des  plaisirs  criminels ,  et  qui  croient 
qu'on  ue  peut  allier  ensemble  la  félicité  et  la  vor lu  ! 
Cependant  il  faut  avouer  que  quelque  volupUicux 


"DE    TOUS    LES    SaiNTS.  iy 

que  soit  un  pécheur ,  ce  n'est  pas  précisément  \n 
péché  qu'il  aime  dans  îe  plaisir.  Saint  Augustin 
dit  de  lui-même,  au  second  livre  de  ses  (ionfes-- 
sions  ,  que  dans  le  plus  fort  de  ses  débauches  il  î\' 
porté  la  fureur  jusqu'à  aimer  ce  qui  était  défendu  , 
par  la  raison  qu'H  était  défendu  :  mais  il  se  ré- 
crie sur  ce  sentiment  comme  sur  un  excès  inoui^ 
et  qu'il  ne  peut  comprendre  :  O  monsfrum  vit4c1> 
à  morth  profandltas  l  poluitne  libcre  quod  non  U-^ 
cebat  /^non  ob  atiud  nisl  quia  non  licebat'?  0  vie 
monstrueuse  !  ô  abîme  de  malice  !  comment  s'est- 
il  pu  faire  que  je  me  sois  plu  dans  des  choses  qui 
n'étaient  pas  permises,  en  les  envisageant  sous  ce 
point  de  vue  ?  Je  suppose  que  je  parle  à  des  Chré- 
tiens qui  croient  un  Dieu  et  une  éternité  ;  cette 
supposition  faite,  je  dis  qu'il  n'est  point  d'homme 
qui  ne  trouvât  encore  plus  de  plaisir  dans  le  plai- 
sir même,  s'il  pouvait  être  séparé  du  crime-  Tan-- 
dis  qu'il  vous  restera  un  rayon  de  foi  ,  quelque 
soin  que  vous  preniez  d'étouffer  les  reproches  do 
la  conscience  ,  vous  n'empêcherez  jamais  que  la- 
pensée  de  Dieii  ,  que  le  souvenir  de  la  mort  , 
que  la  crainte  de  l'Enfer  ne  vous  trouble  quel- 
quefois dans  vos  plaisirs  :  pour  goûter  une  joie 
pure  ,  il  faudrait  pouvoir  allier  les  plus  grands 
plaisirs  avec  la  vertu  la  plus  parfaite. 

Or  cette  alliance  se  fait  dans  le  Ciel  :  les  Saints 
y  sont  comme  enivrés  de  délices  ;  mais  cette  vie 
délicieuse  ne  les  déshonore  point,  elle  est  encore 
plus  sainte  que  oc  l'a  été  leur  pénitence  sur  la 
terre;  ct'par  conséquent  elle  n'est  sujette  /ni  à  la 
crainte  qui  accompagne  les  plaisirs  de  ce  monde  ^ 
ni  au  repentir  ,  qui  est  le  supplice  naturel  des 
voluptés  criminelles,  ni  à  la  confusion'qui  les  suit. 

Mais  quand  l'innocence  ne  serait  pas  en  nous- 
mêmes  un  aussi  gr^md  bien  qu'elle  l'est  en  ciTet  ^ 
on  ne  saurait  disconvenir  qu'il  n'est  rien  de  si  ai- 
mable dans  îes  autres.  Il  ne  se  trouve  que  trop  do 
gens  q»ii  aiment  le  mal  ,  mais  on  n'en  voit  guère 
qui  4)e  haïssent  les  môchsias  :  on  les  èiolg;Qe  dd 


2  5  2.  Pour  LA  Fête 

soi;  on  voudrait,  s*il  était  possible  ,  ne  lier  de 
commerce  qu'avec  des  personnes  iriéprothnbles 
et  d'une  vertu  reconnue  :  quelle  douceur  en  effet 
de  vivre  parmi  des  hommes  qui  ne  se  permettent 
rien  que  ce  que  les  lois  les  plus  saintes  autorisent! 
S'il  y  avait  une  ville  au  monde  où  tous  les  citoyens 
vécussent  dans  l'innocence  ,  dans  la  simplicité , 
dans  le  désintéressement,  avec  la  douceur  et  la 
modération  que  Jésus-Christ  demande  aux  fidèles  ; 
une  ville  où  il  ne  se  connût  aucun  des  désordres  que 
l'Evangile  condamne,  où  l'on  s'entr'aimât  d'aussi 
bonne  toi  et  avec  autant  de  tendresse  que  chacun 
s'aime  soi-même  ;  cette  ville  ,  Chrétiens  audi- 
teurs ,  de  tous  les  séjours  de  l'univers  ne  serait-elle 
pas  le  plus  charmant  ?  Mais,  hélas  !  loin  d'y  avoir 
des  villes  entières  où  règne  cet  tordre  admirable» 
à  peine  trouve-t-on  une  famille  où  il  soit  parfai- 
tement observé.  Nous  nous  faisons  souffrir  .les  uns 
les  autres  ,  soit  par  l'opposition  des  caractères,^ 
soit  par  l'inégalité  des  humeurs»  soit  par  la  di- 
versité des  intérêts. 

Voiiïi  le  funeste  principe  de  vos  chagrins  et  de 
vos  peines  ;  vous  vivez  parmi  des  hommes ,  ou 
imparfaits  ,  ou  entièrement  vicieux;  vous  ne  sau- 
riez éloigner  de  vous  tous  ceux  qui  peuvent  trou- 
bler votre  repos.  Un  enfant  n^aura  pas  la  docilité 
nécessaire,  un  parent  vous  déshonorera  par  sa  con- 
duite ,'  un  ami  vous  trahira,  un  mari  sera  le  tour- 
ment d'une  épouse,  et  l'épouse  le  tourment  du 
mari ,  des  domestiques  même  voiis  tiendront  dans 
une  continuelle  déûance  sur  leur  fidélité. 

Quand  on  ne  trouverait  pas  chez  soi  toutes  ces 
sources  d'inquiétude  ,  on  ne  peut  pas  y  être  tou- 
jours renfermé  ,  on  voudrait  étendre  plus  loin  le 
commerce  de  la  vie  :  mais  où  trouver  des  sociétés 
où  il  y  ait  du  plaisir  sans  diinger  ?  où  trouver  des 
personnes  qui  sachent  joindre  la  modestie  au  sa- 
voir ,  la  douceur  des  sentimens  à  l'asservissement 
des  passions ,  la  discrétion  à  la  piété  ,  la  solidité 
iii  jugement  à  la  vivacité  de  l'esprit  ? 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  29 

Outre  cela ,  quelque  heureux  que  vous  soyez  par 
le  soin  que  vous  aurez  pris  d'établir  le  calme  de 
voire  ame  sur  la  ruine  de  vos  passions  ,  quelque 
citconspect  que  vous  paraissiez  par  voire  alten- 
tion  à  n'être  incoîtiniofdc  à  personne  ,  vous  n'cin- 
pêclierez  pas  qu'il  ne  se  trouve  dans  le  monde  des 
gens  Insociables,  ou  par  leur  humeur,  oii  par 
leur  caractère  ,  ou  par  leurs  manières  ;  des  em- 
portés qui  s'offenseront  de  tout ,  des  envieux  que 
l'aspect  de  la  vertu  irritera  ,  des  médisans  qui 
s'efforceront  de  la  noircir ,  des  esprits  malins  qui 
seront  toujours  prêts  à  mal  interpréter  les  inten- 
tions les  plus  droites.  Heu  milii  !  s'écrie  David 
dans  cette  vue  ,  lieumihi  !  quia  incolatus  meus  pro^ 
longatusest,  hahitamcumliabilaiitibusCeétxr.  Hélas? 
que  je  suis* malheureux  !  on  a  reculé  le  terme  do 
mon  exil ,  me  voici  encore  parmi  les  habilans  de 
Cédar  :  c'est-à-dire ,  parmi  des  impies  et  des  ava- 
res ,  parmi  des  orgueilleux  et  des  inhumains;  je 
suis  forcé  d'entendre  leurs  blasphèmes,  d'être  té- 
moin de  leurs  sacrilèges  ,  d'essuyer  leur  humeur 
fière  ,  d'éprouver  tous  les  jours  leur  dureté  :  quia 
incolatus  meus  prolongatas  est  ,  habitavi  cum  habi' 
tantibus  Cedar. 

Jérusa-lem  sainte,  bienheureux  citoyens  du  Ciel, 
on  ne  doit  point  entendre  parmi  vous  de  pareil- 
les plaintes.  Prenez,  dit  le  Prophète,  vos  habits 
les  plus  pompeux  ,  et  ne  mettez  plus  de  bornes 
à  votre  joie  :  le  Seigneur  ne  permettra  jamais 
que  personne  se  mêle  parmi  vous  pour  y  porter 
le  dé.>^honneur  ou  le  trouble  :  Induere  vestimentis 
gloriœ  tuœ,  civitas  sancti  ,  quia  non  adjiciet  ultra 
ut  périr anscat  per  te  incircumcisus  et  immundus. 
Vous  n'aurez  plus  auprès  de  vous  d'homme  in- 
circoncis  ,  d'homme  immonde  ;  nulle  part  vous- 
ne  verrez  ,  ni  la  malice  du  cœur  humain,  ni  la 
l'ragililé  même  ou  l'ignorance  répandre  le  venin 
du  péché  ;  il  n'y  aura  plus  de  téméraire  ,  plus 
d'audaeieux  qui  vous  oulragc  ,  plus  d'envieux  qui 
vous  calomoie  ,  plus  d'avare  qui  vous  persécute , 


5o  a.  Pour  la 

fitus  (Tambitieuxqui  vous  trouble,  p!us de  superbe' 
qui  vous  méprise  :  Nemo  lœditur^  dit  le  vénérable 
iiède  ,  irascitur  nemo  ,  nemo  invidet  ,  cupidilas 
nul  la  exardescil  ,  nullum  ibl  dcsideriam  honoris 
puisât  ^  oui potestatis  ambiiio.  La  Jérusalem  céleste 
ne  sera  habitée  que  par  des  Saints  ,  que  par  des 
Jiommes  guéris  de  toutes  les  passions  ,  et  ornés 
de  toutes  les  vertus  ,  détrompés  de  toutes  les  er- 
reurs, et  remplis  de  lumière  et  de  charité  ;  les  plus 
relevés  en  mérite  seront  les  plus  complaisans  et 
les  plus  humbles  ;  ceux  dont  la  gloire  sera  infé- 
rieure à  la  nôtre  feront  de  notre  élévation  une  par- 
tie de  leur  bonheur  ,  et  rendront  pour  nous  à  Dieu 
d'éternelles  actions  de  grâces;  chacun  sera  content 
de  son  sort  et  du  sort  de  ses  frères.  Ce  sera  pour 
lors  que  nous  n'aurons  véritablement  qu'un  cœur 
et  qu'un  esprit ,  mais  un  cœur  pur  et  sincère,  un- 
esprit  droit  et  éclairé  ;  mêmes  inclinations,  mêmes- 
sentimens ,  mais  inclinations  les  mieux  réglées, 
sentimens  les  plus  épurés.  Nous  serons  toujours 
contens  de  chacun  ,  chacun  sera  toujours  content 
de  nous ,  et  nous  n'aurons  nous-mêmes  jamais  de 
reproche  à  nous  faire.  Mon  Dieu,  que  je  me  pro- 
mets de  plaisirs  dans  une  assemblée  si  sainte  !  si 
je  trou  vêtant  de  charme  aux  ©nlretiens  d'un  homme 
Tçrtueux  qui  allie  avec  la  délicatesse  de  l'esprit 
et  la  maturité  du  jugement,  là  plus  exacte  probité, 
que  sera-ce  de  n'avoir  jamais  à  vivre  qu'avec  des 
personnes  de  ce  caractère  ,  et  d'être  assuré  pour 
toujours  de  leur  estime  et  de  leur  tendresse  ! 

C'est  donc  un  grand  bien  ,  mes  frères ,  d'être 
dans  la  cité  des  Saints ,  puisque  le  péché  en  est 
banni ,  puisque  tous  les  plaisirs  y  sont  innocens, 
fet  tous  les  citoj^ens  impeccables.  Ce  premier  avan- 
Uige  en  attire  un  second  encore  plus  sensible  pour 
nous:  c'est  que  dans  la  sainte  Jérusalem  non-seu- 
lement il  n'y  aura  nul  dérèglement ,  nul  péché  ; 
mais  encore  on  n'y  souffrira  nulle  des  peines  qui 
Siont  dues  au  péché  :  c'est  le  second  point. 


DE   TOUS   LES    SaLNTS.  Si 

SECOKD    POINT. 

,t<'E!«t)iioiT  par  01^  je  vas  vous  faire  envic.^ger  la 
félicité  des  Saints,  est  !e  plus  proportionné  à  notre 
intelligence.  Nous  n'avons  rien  ici-bas  qui  nous 
aide  à  concevoir  les  biens  ineffables  dont  ils  jouis- 
sent ;  mais  pour  les  maux  dont  ils  sont  exempts, 
hélas  !  nous  ne  les  connaissons  que  trop  par  notre 
propre  expérience.  Et  comme  pour  se  former  quel- 
que idée  de  Dieu  ,  notre  faiblesse  n'a  pas  de  res- 
source plus  sûre  que  de  le  considérer  comme  un 
être  exempt  de  tout  défaut  :  de  même,  pour  com- 
prendre en  quelque  sorte  le  bonheur  de  l'autre 
tie  ,  la  voie  pour  nous  la  moins  sujette  aux  illu- 
sions est  de  penser  que  ce  bonheur  ne  sera  trou- 
blé par  aucun  des  maux  que  nous  éprouvons. 
Les  douleurs  ,  les  mafadies,  la  mort,  n'ont  été 
introduites  dans  le  monde  ,  que  pour  en  punir  les 
désordres  ;  tous  les  maux  nous  sont  venus  avec  le 
péché  :  or  comme  le  péché  n'entrera  jamais  dans 
le  Ciel ,  tous  ces  maux  en  seront  bannis  éternel* 
lement. 

Nous  voilà,  mes  frères,  tout  d'un  coup  déchar- 
gés d'un  grand  fardeau.  Qui  pourrait  compter 
toutes  tes  misères  dont  cette  malheureuse  vie  est 
assiégée  ?ïout  ce  qui  altère  le  corps,  tout  ce  qui 
aillige  le  cœur,  tout  ce  qui  cause  de  la  honte  ,  tout 
ce  qui  donne  de  l'inquiétude  ;  rien  de  tout  cela 
n'approchera  du  séjour  des  Bienheureux.  Com- 
bien de  difformités  dans  les  corps,  combien  d'iné- 
galités dans  les  dons  de  l'esprit  !  défauts  qui  sont 
comme  autant  de  croix  où  nous  naissons  atta- 
chés,  et  que  nous  ne  saurions  éloigner  de  nous: 
dans  le  Ciel  tous  ces  défauts  seront  réparés  ,  la 
beauté  y  sera  la  même  dans  tous  les  corps,  même 
régularité  dans  l'assortiment  des  membres,  même 
force  dans  les  tempéramens  ,  même  vivacité  , 
même  pénétration  dans  les  esprits.  Vous  qu'une 
naissance  obscure  jointe  à  l'indigence  rend  comme 
les  esclaves  des  riches ,  souffrez  avec  patience  U. 


r>5  2.  Pour  la  Fètk 

rigiieur  de  votre  servitude  ,  Totre  sort  prendra^ 
bientôt  une  autre  face.  Dans  la  cité  sainte  votre 
naissance  n'aura  plus  rien  d'humiliant  pour  vous  ,. 
TOUS  y  verrez  même  dans  un  rang  inférieur  au  vô- 
tre plusieurs  des  grands  qui  vous  dominent  au- 
jourd'hui. Du  moins  la  faim  ,  la  soif,  le  travail, 
3'excès  du  froid,  le  poids  de  la  chaleur  ,  qui  met 
lè  comble  à  vos  peines,  la  pauvreté  ,  qui  en  est  la 
source  inépuisable  ,  tous  ces  maux  seront  incon- 
nus dans  le  Ciel.  La  saison  la  plus  agréable  ,  les 
jours  sereins  ,  l'air  pur  ,  y  rendront  sans  cessf 
présens  les  objets  les  plus  propres  à  réjouir  la  vue , 
y  joindront  à  tout  ce  que  les  softs  ont  de  plus  flat- 
teur ,  tout  ce  qu'ily  a  de  plus  doux  dans  lès  par- 
fums; l'abondance  y  tiendra  la  place  des  besoins . 
le  contentement  du  cœur  la  place  des  désirs  ,  et  là 
joie  ne  sera  interrompue  ni  par  le  souvenir  du 
passé,  ni  par  la  crainte  de  l'avenir.  Bénissez  votre 
Dieu,  sainte  cité  de  Sion,  dit  le  prophète  David  , 
parce  qu'il  ne  s'est  pas  contenté  de  fermer  et  de 
fortifier  toutes  vos  portes  ,  il  a  encore  élevé  sur 
vos  frontières  les  plus  reculées  comme  un  rempart 
de  paix  ,  où  vous  vous  rassasierez  de  la  fleur  du 
froment  ,  c'est-à-dire  ,  des  plus  pures  délices  , 
sans  être  sujette  aux  allarmes  :  Lnuda  Deum  iuum, 
Sion  y  quoniam  confortavit  seras  portaruni  iuartim , 
posait  fines  tuos  pacem  ,  et  adipe  frumenti  satiai  te. 
Dites-moi  ,  MiM.  ,  ce  qui  vous  fait  aujourd'hui 
le  plus  de  peine  ,  rappelez  en  votre  esprit  tous  les 
sujets  que  vous  croyez  avoir  de  vous  aflliger.  Les 
maladies  ,  lès  douleurs  les  plus  vives  vous  inves- 
tissent ,  vous  manquez  de  bien  ,  vous  avez  des 
procès  à  soutenir  ,  on  méconnaît  votre  mérite,  oa 
bien  on  ne  l'emploie  pas  comme  vous  le  souhaite::. 
Je  ne  puis  vous  promettre  la  fin  de  vos  maux  dès 
cette  vie  ,  peut-être  les  souffrirez-vous  jusqu'au^ 
tt'ml'eau  ;  mais  levez  lès  yeux  au  Ciel,  c'est  là  que 
vous  serez  déchargés,  là  que  lès  maladies  n'auront 
plus  d'accès  auprès  de  vous  ,  là  que  vous  trouverez 
des  trésors ,  là  que  vous  aurez  de  l'emploi  selon 


DE  TOtLS  LES  Saints.  53 

Tbtfc  ^ré  ,  ou  plutôt  que  vous  jouirez  d'un  repos 
honorable  et  accompagné  de  mille  plaisirs  ;  les 
•siècles  y  passeront  comme  des  momens  ,  et  les 
plaisirs  y  auront  tous  les  jours  un  nouveau  goût. 
Mère  de  famille  ,  vous  avez  perdu  un  fils  ,  un 
mari  ,  une  amie  qui  était  votre  dernière  ressource 
d'ans  vos  mtilheurs  ;"  vous  retrouverez  toutes  ces 
p'ersonTies  dïin«  le- Ciel  ,  elles  vous  y  attendent 
p^ur  partager  avec  vous  leur  bonheur  ;  vous  y 
Terrez',  vous  y^ aimerez  tous  ceux  avec  qui  vous 
agirez  été  unie  par  des  liens  légitimes.  Enfin  votre 
âge  est  sur  le  retour  ,  la  vie  n'a  plus  de  douceurs 
pour  vous;  et  cependant  la  mort  vous  effraie.  Dans 
la  Jérusalem  céleste  vous  jouirez  d'une  vie  qui  ne 
finira  point  ,  d'une-  vie  glorieuse  et  immortelle  : 
Et  mors  ultrù  non  erit ,  neque  luctus  ,  ncque  cla- 
mer ^  neque  dolor  erit  alirà. 

Si  même  dès  cette  vie  ,  c'est  une  réflexion  de 
saint  Jean-Chrysostôme,  si  dès  cette  vie  ,  quelque 
misérable  qu'elle  soit  ,  il  se  trouve  des  personnes 
qui  jouissent  d'une  paix  parfaite  ;  si  ,  malgré  les 
douleurs  et  les  autres  adversités  par  lesquelles  la 
divine  Providence  prend  quelquefois  plaisir  d'é- 
prouver les  gens  de  bien  ,  on  en  voit  qui  conser- 
vent au  fond  de  leur  cœur,  et  qui  font  même  éclater 
au  dehors  une  joie  inaltérable  ;  que  sera-ce  lors- 
que toutes  les  douleurs ,  toutes  les  épreuves  auront 
cessé  ?  de  quel  bonheur  ne  jouirez-vous  point 
dans  le  Ciel ,  âmes  saintes  ?  Vous  supportez  avec 
joie  les  plus  pénibles  travaux  ;  tout  ce  qui  est  le 
plus  contraire  à  la  nature  ,  les  plus  grandes  aus- 
térités ont  pour  vous  des  atlrails,  parce  que  l'a- 
mour les  tempère  ;  que  sera-ce  lorsque  cet  amour 
sera  monté  à  son  comble ,  et  que  le  temps  de  la 
pénitence  sera  passé  ?  qiie  sera-ce  lorsque  vous 
aurez  en  vous-même  ce  qui  pourrait  adoucir  les 
plus  grands  maux,  et  que  tous  les  maux  ne  seront 
plus  ? 

Mais  je  vous  pi  ie ,  Chrétiens  auditeurs ,  de  faire 
un  moment  réflexion  sur  ce  que  j'ai  dit ,  que  non- 


3Ç  a.  Pour  la  Fête 

seulement  tous  les  maux  de  cette  vie  ,  mais  que  la 
inorl  même  n'aura  jamais  d'entrée  dans  le  Ciel  : 
c'est  un  avantage  qui  mérite  d'être  considéré  en 
particulier,  surtout  par  les  grands  et  par  les  ri- 
ches du  siècle.  On  sait  qu'il  est  peu  d'hommes, 
quelque  misérables  qu'ils  soient ,  qui  ne  regrettent 
de  mourir  ;  mais  pour  ceux  que  leurs  richesses  et 
leurs  qualités  exemptent  de  la  plupart  des  maux 
de  la  vie,  qui  peut  dire  combien  la  présence  de  la 
mort  leur  fait  de  peine  ?  Quel  serait  votre  bon- 
heur ,  grands  du  monde  ,  avec  quel  surcroît  de 
plaisir  ne  goûteiiez-vous  pas  ces  honneurs ,  ces 
délices  qui  vous  accompagnent  partout ,  si  tout 
cela  ne  devait  jamais  finir,  s'il  n'y  avait  point  de 
tombeau  pour  vous,  si  vous  ne  saviez  que  la  mort 
vous  traitera  un  jour  comme  elle  traite  les  plus 
vils  esclaves  ;  qu'elle  vous  dépouillera  ,  qu'elle 
vous  défigurera  ,  qu'elle  vous  donnera  en  proie 
aux  vers  et  à  la  pourriture  comme  les  derniers  de 
vos  sujets  !  Le  monde  vous  estime  heureux  ;  mais 
quel  comble  de  félicité  ,  si  on  pouvait  affranchir 
vos  plaisirs  de  celte  amertume  !  Quand  le  Ciel 
n'ajouterait  à  votre  fortune  présente  que  le  privi- 
lège de  cette  gl<»rieu;e  immortalité  ,  ne  croiriez^ 
vous  pas  que  la  gloire  du  Ciel  serait  digne  de  tous 
vos  désirs  ?  Etre  Roi ,  être  Prince  ,  être  les  pre- 
miers d'un  grand  royaume,  voilà,  ce  me  semble, 
jusqu'où  peut  aller  votre  ambition. 

Or  je  dis^  que  dans  le  Ciel  cette  ambition  sera 
cnlièrement  satisfaite.  Pardonnez-moi,  Seigneur, 
si  parlant  de  la  gloire  de  vos  Saints ,  je  la  compare 
à  la  gloire  dea  Rois  et  des  Princes  de  la  terre  i 
nous  n'avons  point  d'image  plus  éclatante  pour 
représenter  aux  hommes  la  gloire  incompréhen- 
sible que  vous  leur  destinez.  Je  sais  que  les  plus 
brillantes  Cours  de  l'univers  ne  sont  rien  en  com- 
paraison de  lu  Cour  céleste  :  mais  je  dis  que  dans 
le  Ciel ,  avec  tout  ce  qu'on  peut  imaginer  de  gran- 
deurs et  de  plaisirs,  on  ne  sera  sujet  ni  à  craindre , 
ni  à  voir  la  fin  de  son  bonheur  ;  je  dis  que  lé  soLlî 


DE   TOUS    LES    SaINTS.  oS 

qui  éclaire  la  cité  sainte  n'est  point  un  ûslrc  ino- 
biJe  qui  s'éloigne  ou  qui  se  cache  après  quelque 
temps,  et  qui  par  ses  révolutions  marque  le  nom- 
bre des  jours  et  des  années  ;  c'est  une  lumière 
constante  qui  ne  fait  qu'un  seul  jour  ,  jour  qui  ne 
finit  jamaiô  :  je  dis  que  quelque  avancé  qu'on  soit 
«n  âge,  ofi'j  rajeunira  y  et  que  cette  seconde  jeu- 
nesse ne  passera  point;  en  un  mot  qu'on  y  jouira 
d'une  santé  étemelle  y  qu'on  n'y  entendra  jamais 
parlerai  d©^  vieillesse  ,  ni  de  mort  :.et  mors  ultra 
non  erit. 

Voilà  un  article  de  notre  foi,  MM.  :  mais  n'est- 
jlpas  vrai  que  la  plupart  des  gens,  ou  ne  le  croient 
pas  ,  ou  n'y  songent  guère  ?  Si  on  le  croyait ,  si 
on  y  pensait  ,  que  ne  feraient  point  pour  aller  au 
Ciel  ces  personnes  qui  partant  de  contraintes^et 
d'artifices  s'efforcent  de  retenir  je  ne  sais  quelle 
fleur  do  beauté  que  l'âge  emporte  malgré  elles  ? 
que  ne  feraient  point  pour  aller  au  Ciel  ceux  qui 
craignent  si  fort  de  mourir,  ceux  qui  pour  vivre 
un  peu  plus  long-temps  se  condamnent  au  régime 
le  plus  austère  ,  renoncent  presqu'à  toutes  les 
douceurs  de  la  vie  ?  Mon  Dieu  ,  vous  nous  offrez 
une  vie  heureuse  et  éternelle  ;  et  comme  si  nous 
nous  défiions  de  vos  promesses  ,  comme  si  nous 
nous  rendions  nous-mêmes  contraires  à  nos  dé- 
si^rs  les  plus  naturels,  nous  continuons  de  vivre 
comme  s'il  n'y  avait  point  d'autre  vie  à  espérer. 

Passons ,  s'il  vous  plaît  ,  au  troisième  point  , 
qui  est  le  troisième  avantage  de  la  cité  sainte  : 
avantage  qui  consiste  en  ce  que  n'y  ayant  nul  pé- 
ché ,  ni  par  conséquent  nulle  des  peines  dues  au 
péché  ,  il  ne  peut  non  plus  y  avoir  de  bornes  aux 
récompenses  qu'on  y  prépare  à  la  vertu.  C'est  le 
dernier  point. 

TROISIÈME    POINT. 

Il  est  certain  qu'il  n'est  rien  de  plus  naturel  ù 
Dieu  que  la  volonté  de  faire  du  bien  :  on  peut  dire 
que  cette  volonté  égale  au  moins  son  pouvoir  ;  et 


5^  1.   Pour»  LA  Fête 

(jtie  si  rien  ne  retenait  sa  bonté  ,  comme  rien  ne> 
peut  arrêter  sa  puissance  ,  il  ne  pourrait  s'empê- 
rlier  de  nous  faire  part  de  ses  trésors  avec  nne 
profusion  incroyable.  Mais  le  péclié  s'oppose  par- 
tout à  cette  inclination  généreuse.  Il  y  a  des  gens 
de  bien  dans  le  monde  ,  cela  est  vrai  >  il  y  en  a 
niûne  beaucoup  plus  qu'on  ne  croit  ;  maïs  ils  sont 
p.jrlout  mêlés  avec  les  méchans  :  et  comme  il  ne 
faut  qu'un  Saint  pour  empêcher  que  Dieu  ne  dé- 
j>loie  contre  les  pécheurs  toute  la  sévérité  de  sa 
ju-tice  ,  aussi  un  seul  pécheur  est  capable  de  fer- 
r.ier  les  sources  de  sa  libéralité  envers  ses  amis 
lo-  plus  fidèles.  La  prière  de  Moïse  liait  le  bras  du 
.S(  igneur  prêt  de  foudroyer  les  pécheurs  dans  sa 
colère  ;  mais  combien  de  fois  le  péché  d'un  prince, 
v\  même  d'un  simple  particulier  ,  a-t-il  suspendu^ 
Ici  effets  de  sa  protection  sur  son  peuple  bien^ 
aimé  ? 

-Xon-seulement  il  y  a  toujours  des  méchant 
parmi  les  bons ,  mais  dans  la  plupart  même  des 
bons ,  tandis  qu'ils  sont  sur  la  terre  ,  quelque  ta-» 
chc  souille  toujours  leur  vertu  ,  quelque  imperfec- 
tion eu  ternit  l'éclat  :  de  sorte  que  Dieu  ne  trouvant 
pas  en  eux  une  pureté  proportionnée  à  l'excellence 
de  ses  dons  ,  il  est  comme  contraint  de  se  modé- 
rer 5  et  de  retenir  dans  des  bornes  étroites  le 
penchant  qui  le  porte  à  se  communiquer  à  ses 
créatures.  C'est  pour  cela  que  sainte  Thérèse, 
celte  Sainte  si  judicieuse  et  si  éclairée,  disait  en 
gémissant ,  que  ,  même  entre  les  personnes  les 
plus  recommandables  parleur  piété  ,  il  s'en  trour 
vaitpeu  ,  qui  en  donnant  beaucoup  à  Dieu  ,  n'ac- 
cordassent encore  quelque  chose  à  la  nature  ; 
qu'elles  tenaient  toutes  à  la-  terre  du  moins  par 
quelque  lien  ,  et  que  ce  lien  était  en  elles  un  ob-^ 
slacle  aux  bienfailij  les  plus  précieux. 

Or  ,  MM. ,  dans  le  Ciel  ,  cet  obstacle  qui  lie  en 
quelque  sorte  la  libéralité  divine  ,  ne  subsistera 
plus  ;  la  séparation  des  bons  et  des  méchans  aura 
été  faite  ,  toute  l'ivraie  aura  été  jetée  au  feu  ,  la 


DE    TOUS    LES    SaINTS.  ôj 

pénitence  ou  le  Purgatoire  auront  consumé  dans 
les  élus  jusqu'aux  moindres  péchés  :  concevez 
donc  ,  s'il  est  possible,  ayec  quelle  impétuosité, 
avec  quelle  abondance  ,  telles  qu'un  torrent  ra- 

Î)ide  ,  les  largesses  du  Seigneur  se  répandront  sur 
es  Saints.  On  s'étonne  quelquefois  de  voir  avec 
quelle  sévérité  Dieu  exerce  sa  justice  sur  les  ré- 
prouvés :  toutes  sortes  de  lourmens,  tous  les  maux 
unis  ensemble  ,  nul  mélange  de  bien  ,  nulle  con- 
solation ,  nul  rafraîchissement  ,  pas  une  goutte 
d'eau  ,  pas  un  moment  de  relâche ,  brûler  toujours 
et  pour  toujours.  Dieu  d'amour  et  de  bonté  ,  qui 
vous  porte  à  un«  si  grande  rigueur  ,  vous  qui  êtes 
le  père  des  miséricordes  ,  et  le  Dieu  de  toute  con- 
solation ?  Chrétiens  auditeurs ,  c'est  que  dans  l'en- 
fer Dieu  ne  voit  qu4i  des  objets  de  haine  ,  et  qu'il 
n'y  voit  que  le  seul  péché  ;  sa  colère  n'y  trouve 
aucun  obstacle ,  pas  une  larme  ,  pas  un  seul  mou- 
vement de  repentir  capable  de  la  désarmer  ;  au 
contraire  tout  l'irrite-,  et  l'anime  à  la  vengeance. 
Si  notre  Dieu  ,  qui  ne  sévit  qu'à  regret  ,  qui  par 
lui-même  n'a  nul  penchant  pour  la  sévérité,  qui 
n'est  pas  même  juste  de  son  fond  ,  comme  parle 
saint  Augustin  ,  mais  seulement  par  la  nécessité 
de  punir  que  lui  impose  notre  malice  ;  si  Dieu», 
qui  est  la  clémence  même,  use  de  tant  de  rigueur 
lorsque  rien  n'arrête  sa  justice  ,  combien  seja-t-il 
magnifique,  et  avec  quelle  profusion  répandra-t-il 
ses  faveurs,  lorsque  rien  ne  s'opposera  à  sa  libé- 
ralité ,  au  désir  naturel  et  infini  qu'il  a  de  faire  du 
bien  ? 

J'ai  dit  que  dans  la  gloire  rien  ne  mettra  des 
bornes  aux  largesses  du  Seigneur  :  j'ajoute  que 
tout  le  portera  à  la  magnificence,  et  que  sa  justice 
elle-même  s'accordera  on  ce  point  avec  sa  bonté. 
C'est  ici  une  considération  qui  me  donne  une 
grande  idée  de  la  récompense  des  Saints  ;  et  il  me 
semble  qu'elle  doit  produire  le  même  eiTet  sur  tout 
le  monde. 

Vous  avez  oui  parler  mille  fois  de  la  grandeur 


oi\  2.   Poin  LA  Fête 

<le  l'ancienne  Rome  :  il  est  vrai  qu'on  n'a  jamais- 
rien  vu  qui  ait  égalé  ni  Tétendue  de  ?on  empire, 
là  majesté  de  son  sénat ,  ni  la  magnificence  de  ses 
bâtimens,  ni  la  splendeur  de  ses  triomphes,  ni  le 
luxe  de  ses  jeux  et  de  ses  fêtes  publiques.  Qui 
pourrait  dire  combien  de  provinces  on  avait  dé- 
pouillées pour  enrichir  cette  seule  ville  ?  On  y 
avait  rassemblé  tout  ce  que  le  reste  du  monde  avait 
déplus  rare  et  déplus  précieux,  ses  citoyens  étaient 
parvenus  à  un  degré  de  puissance  qui  dans  leur 
idée  les  mettait  au-dessus  des  Rois.  Saint  Augus- 
tin avoue  qu'une  des  choses  qu'il  eût  désiré  avec 
plus  de  passion  ,  c'eût  été  de  voir  cette  capitale 
de  l'univers  dans  un  état  si  florissant.  Mais  pour-- 
quoi  tant  de  gloire,  tant  de  richesses  ,  tant  de 
prospérités  ?  Tout  cela,  MiM. ,  sinous  en  croyons - 
le  même  Saint ,  était  pour  récompenser  je  ne  sais 
quelles  vertus  morales  doiït  quelques-uns  d'eux 
avaient  donné  des  exemples.  Ja  ne  dis  point  que 
ces  vertus  étaient  mêlées  d'rm  nombre  incroyable 
de  vices  horribles ,  que  ces  paîens^  vertueux  étaient 
superbes  ,  avares  ,  ambitieux  :  je  dis  que  ces  ver- 
tus  n'étaient  elles-mêmes  que  des^  vertus  spécieu-- 
scs;  que  n'étant  point  animées  par  la  grâce  ,  ce 
n'était  tout  au  plus  que  des  ombres  et  des  fantômes 
de  vertu  :  cependant  le  Seigneur  ne  lésa  pas  lais- 
sées sans  récompense  ,  et  vous  voyer  avec  quelle 
profusion  de.biens  temporels  il  a  payé  des  actions 
si  imparfaites  ,  et  qui  n'étaient  point  rapportées  à 
sa  gloire».  Que  fera-t-il  donc  lorsqu'il  voudra  ré-- 
compenser  des  vertus  tout  à  la  foi*  héroïques  et 
surnaturelles  ? 

^Représentez-vous  les  tourmens  horribles  que 
douze  ou  treize  millions  de  martyrs  ont  soufiferls 
pour  l'amour  de  Jésus-Christ;  rappelez-vous  tous 
ces  princes ,  tous  ces  grands  du  monde  ,  qui  ont 
sacrifié  leur  fortune  ,  leurs  espérances  et  leur  vie 
même  au  désir  de  plaii-e  ù  Dieu  ;  combien  de 
jeunes  Vierges  ont  préféré  une  mort  cruelle  et 
ignominieuse  ù  tout  ce  que  )  i  paission  ,  jointe  au 


DE    TOUS   LES    SaINTS.  09 

faux  Zi.Iedes  lyrnns,  pouvait  leur  offrir  d'honneurs 
et  de  biens  pour  les  séduire;  combien  de  mères 
ont  exhorté  leurs  propres  enfans  n  se  laisser  dé- 
chirer et  brûler  tout  vils,  et  les  ont  présentés  elles- 
inTmes  aux  bourreaux  qui  les  cherchaient  pour  les 
égorger  ;  jetez  les  yeux  sur  ces  vastes  solitudes  où 
l'on  a  vu  jusqu'à  quatorze  ou  quinze  mille  solitai- 
res vieillir  sous  la  haire  et  sous  le  cilice  ,  passer 
les  soixante  et  quatre-vingts  années  dans  une  pé-- 
nitence  dont  le  seul  récit  nous  effraie  :  repassez 
dans  votre  esprit  ces  prodiges  de  force  et  de  con- 
stance dont  les  fastes  de  nos  Saints  sont  remplis , 
les  héritages  vendus  et  distribués  aux  pauvres,  les 
couronnes,  les  empires  abandonnés  pour  embras- 
ser une  vie  obscure  ,  la  virginité  conservée  au 
milieu  des  cours  les  plus  corrompues  ,  conservée 
même  jusque  dans  la  couche  nuptiale  par  des  per- 
sonnes du  premier  rang;  tant  de  victoires  signalées 
sur  les  plus  violentes  passions  ,  tant  de  sacrifices 
pénibles  à  la  nature  ,  où  le  ccsuv  partagé  en  quel- 
que sorte  entre  Dieu  et  les  objets  les  plus  tendres, 
s'est  comme  laissé  déchirer  pour  obéir  à  la  loi. 
Rien  de  tout  cela  n'a  été  récompensé  sur  la  terre: 
o'est  dans  la  gloire  que  le  Seigneur  s'est  réservé 
de  couronner  des  vertus  si  parfaites  et  si  coûteu- 
ses ;  c'est  là  qu'il  doit  combler  les  désirs  de  ces 
grandes  âmes  que  les  charmes  de  cette  vie  n'ont 
pu  éblouir ,  que  les  plaisirs  du  monde  n'ont  pu 
corrompre ,  que  l'éclat  du  diadème  n'a  pu  séduire; 
c'est  là  qu'il  doit  reconnaître  ces  fidèles  serviteurs 
qui  l'ont  aimé  sans  réserve  et  sans  relâche,  qui  se 
sont  consumés  pour  sa  gloire ,  prêts  de  donner  mille 
vies  plutôt  que  de  lui  déplaire.  Ce  Dieu  si  riche, 
si  bienfaisant ,  si  libéral  à  payer  les  fausses  vertus 
des  infidèles ,  ù  faire  du  bien  à  ses  plus  mortels  en- 
nemis; que  fera-t-il  pour  ses  élus,  pour  ses  Saints, 
pour  ses  tavoris  ?  Ce  qu'il  fera  ,  MM.  ?  J'ose 
dire  qu'il  ne  gardera  aucune  mesure  dans  la  ré- 
compense qu'il  leur  donnera  ;  non-seulement  il 
partagera  avec  eux  tous  ses  biens,  mais  encore  l| 


4o  2.  Pour  la  Fête 

se  livrera  lui-même  :  Je  ?erai  votre  récompense', 
nous  dit-il  par  son  Prophète  :  Ego  cro  merces  tua 
magna  nlmis.  Cette  commimication  que  Dieu  fera 
(le  soi-mêm.e  aux  Saints  .  se  fera  par  la  connais- 
sance ;  et  elle  sera  telle  qu'elle  produira  en  eux 
une  parfaite  ressemblance  avec  la  Divinité  ;  SinùUs 
ei  erimas ,  qneniom  videbimus eam  s'œutl est.  Commu, 
nous  le  verrons  tel  qu'il  est,  nous  serons  sembla-:^ 
blés  à  lui  ,  impeccables  comme  lui  ,  impassibles  , 
immortels,  libres,  puissans  conMiie  lui  ;  nous'J)ar- 
tagerons  en  tout  et  pour  toujours  avec  luijson 
bonheur  ;  Similes  ei  erimus  ,  quoniam  videbîmus 
eum  sicuti  est.  De  plus,  cette  vue  de  Dieu  ferajiaî- 
tre  dans  Tame  dos  cxtases^,  des  transports  de  joie 
et  d'amour ,  dont  toute  l'éloquence  humaine  ne 
saurait  exprimer  ni  la  force  ni  la  douceur.  Ce  que 
je  vous  en  dirai  ne  vous  en  donnera  qu'ime  légOne 
conjecture. 

Lorsqu'il  plaît  à  Dieu  de  soulager  scs^crvIteLits 
dans  les  travaux  de  cette  vie  ,  il  rend  sensibles  à 
leur  esprit  certaines  lumières  qui  leur  découvrent 
ou  quelque  perfection  divine  ,  ou  quelque  vérité 
chrétienne.  Ces  -  lumières  3.  quelque-^  brillantes 
qu'elles  puissent  être  ,  sont  toujaur»  mêlées  de 
beaucoup  d'obscurité  ;  ce  sont  des  grâces -qui  aug- 
nvententlafoi,  maisqui  necbangeivtpas-sa  aaluiv  , 
qui  est  d'être  sombre  et  ténébreuse:  néanmoins 
ces-divines  illustrations  procurent  à  l'ame  des  plai- 
sirs si  grands  j  que  quand  il  n'y  aurait  pas  de  bon- 
heur éternel  à  espérer  ,  tous-  ceux  qui  les  ont 
éprouvées  protestent  qu'ils  n'hésiteraient  pas  à  lo^s 
préférer  à  toutes  les  douceurs  de  celte  vie.  Lu 
saint  François  de  Bbi'gia  ,  qui  avait  quitté  de  si 
grands  biens  et  de  si  grandes  espérances  ,  par  un 
seul  quart  d'heure  passé  devant  le  Seigneur  se 
croyait  payé  avec  usure  de  tout  ce  qu'il  avait  laissé 
au  monde,  et  ne  sortait  de  la  prière  qu'avec  peine 
et  qu'après  plusieurs  heures.  Un  saint  Antoine  au 
milieu  de  son  désert,  lorsque  le  soleil  ramène  la 
joie  au  resle  des  hommes  ,  se  plaint  qu'il  vient 


1     I 


DE    TOUS    LES    S.VINTS.  l\V 

troubler  la  sienne  en  interrompant  son  entretien 
avec  Dieu.  Une  sninle  Thérèse  après  avoir  long- 
temps cherché  des  expressions  pour  faire  entenilre 
ce  que  les  faveurs  célestes  opéraient  dans  son  amc, 
a  reconnu  que  ces  faveurs  ainsi  que  leurs  effets 
étaient  ineffables  :  tout  ce  qu'elle  en  pouvait  dire, 
c'est  qu'elles  lui  faisaient  perdre  le  goût  de  tous  les 
autres  plaisirs  ;  que  depuis  qu'il  avait  plu  à  Jésus- 
Christ  de  lui  faire  voir  quelques  rayons  de^cette 
clarté  dont  il  est  environné  dans  le  Ciel,^*t'ous  les 
astres  et  le  soleil  même  nre  lui  semblaient  répandre 
que  des  ombres  sur  la  terre  ;  que  tous  les  hommes 
n-e  paraissaient  à  ses  yetjx  que  comme- de  tristes 
fantômes  ;  qu'il  s'en  fallait  peu  qu'elîe  ne  mouràt 
de  douleur  lorsque  ces  sortes  de  délices  lui  étaient 
soustraites  ;  et  que  quand  elle  y  était  replongée  , 
elle  était  sur  le  point  de  mourir  de  joie,^^ 

Que  sera-ce  donc  ,  ô  mon  Dieu  ,  lorsque  toutes 
lés  ténèbres  étant  dissipées,  et  tous  les 'VQiles; 
tirés  ,  nous  vous  verrons  tel  que  vous  êtes;^  tel  que- 
vous  vous  voyez  vous-même  ?  Quel  torrent  ù< 
volupté,  lorsque  vous  déploierez  tous.vos  trésors  j 
lorsque  toutes  vos  perfections  paraîtront  dan^ 
leur  plus  grand  jour ,,. lorsqu'on  sera  frappé  eu 
même  temps  de  tout  leur,  éclat;!  Quel  plaisir  de 
contempler  cet  Etre  immense,  éternel,  incompré- 
hensible ;  cet  Etre  qui  est'  la  source  de  tous  les 
autres,  qui  les  renferme  tous*^  et  qui  est  infiniment 
«Mevé  au-dessus  de  tous  !  -le  voir  clairement  en 
lui,  et  sans  crainte  d'illusion  ,  toutes  les. vérités 
naturelles  et  surnaturelles  ,  les  causes  de  tous  les 
effets  ,  lés  raisons  de  tous  les  événemens  ,  tous  les 
desseins  ,  tous  les  ressorts  de  la  Providence  !  Mais* 
quelle  douceur  de  pénétrer  jusque  dans  le  cœur  de 
Dieu  ,  d'y  découvrir  les  pensées  amoureuses ,  les 
tendres  sentimens  qu'il  a  daigné  avoir  pour  nous 
durant  toute  l'éternité  !  Quelle  douceur  de  se  con- 
vaincre par  ses  propres  yeux  qu'on  est  aimtt  da 
Seigneur  j   et   4«-lirç   <^l'^''is  son   sein  le  décret 


4-2  2.     POLH    LA    FetE: 

immuable  qu'il  a  formé  d&  nous  aimer  éternel-' 
lement  ! 

Mon  Dieu ,  d'où  vient  en  nous  tant  de  froideur, 
tant  de  lâcheté  ?  De  pareils  avantages  ne  méritent- 
Us  que  des  mépris  ?Quoi  ?  cette  innocence  aima- 
ble et  paisible  ,  celte  société  si  heureusement 
assortie  entre  les  personnes  les  plus  accomplies, 
cet  éloignement  de  toutes  sortes  de  maux  ,  cette 
précieuse  immortalité  ,  le  comble  des  biens,  ces 
derniers  efforts  de  la  toute -puissance  et  de  la  li- 
béralité divine  ,  le  séjour  de  la  gloire  ,  le  chef- 
d'œuv  re  du  C  réateur ,  le  palais  digne  de  la  grandeur 
et  du  pouvoir  d'un  Dieu  ù  qui  le  Ciel  et  les  étoiles 
n'ont  coûté  qu'une  parole  ,  pour  qui  le  retour  as- 
sidu de  l'aurore  ,  le  cours  réglé  du  soleil,  l'arran- 
gement stable  de  la  nature  ,  n'a  été  qu'un  jeu  : 
tant  de  beautés  ,  tant  dé  richesses  offertes  par  le- 
Créateur,  et  tant  d'indifférence  de  notre  part  pour 
ses  offres  ,  quel  contraste  humiliant  pour  nous! 
Saint  Grégoire  le  grand ,  le  vénérable  Bède  ,  le 
Cardinal  Bellarmin,  et  plusieurs  autres  Docteurs, 
assurent  que  dam  h  Purgatoire  ,  il  y  a  un  lieu 
particulier  où  Ton  ne  souffre  point  d'autre  peine 
qu'un  désir  extrême  de  posséder  Dieu  ;  et  que  ce 
Ûeu  est  destiné  pour  les  âmes  qui  dans  cette  vie 
n'ont  pas  assez  désiré  un  si  grand  bien.  S'il  y  a 
un  Purgatoire  ,  mes  frères ,  pour  ceux  qui  n'ont 
souhaité  que  froidement  la  félicité  étemelle  ,  à 
quel  supplice  doivent  ^'attendre  ceux  qui  ne  dai- 
gnent pas  même  y  penser  ,  qui  ne  font  rien  pour 
y  parvenir  ,  qui  regardent  comme  une  chimère 
ce  qu'ils  en  entendent  dire  ,  ceux  enfin  qui  préfé- 
reraient le  frivole  avantage  de  vivre  éternellement 
sur  la  terre  à  tous  les  biens  de  la  céleste  patrie  ? 
Car  il  faut  l'avouer,  le  monde  est  plein  de  gens 
quirenoncci-aient  sans  peine  à  tous  les  droits  qu'ils 
ont  sur  le  Ciel  ,  s'ils  étaient  assurés  de  n'aller 
point  en  Enfer.  Vous-même  examinei-vous  sur 
ce  point.  Vous  inquiéteriez-vous  beaucoup  de  voir 
Dieu  .   si  vous  pouviez  être  éternellement  ce  que 


BE   TOCS  tE5   SaiîS'TS^  45' 

TOUS  êtes?N'cst-il  pas  vrai  cp«'en  ce  cas  la  demeure 
des  Saints  n'auraitpasde  grands  attraits  pour  vous  ? 
Cela  est  étrange  sans  doute  :  mais  voyez  ce  qui 
l'est  encore  plus.  Non-seulement  nous  aimerions 
mieux  vivre  toujours  sur  la  terre  ,  que  de  vivre 
éternellement  dans  le  Ciel  ;  mais  ce  peu  de. vie 
dont  nous  jouissons  ,   toute  fragile,  toute  bornée 
qu'elle  est",  nous  la  préférons  ù  la  félicité  éternelle. 
Dans  le  choix  que  nous  avons  de  posséder  durant 
quelques  jours  je  ne  sais  quel  bonheur  ,  ou  d'en- 
trer dans  peu  de  jours  dans  un  bonheur  qui  n'aura 
|amais  de  fin  ,  nous  nous  déterminons  de  sang-froid 
pour  cette  félicité  vaine  et  passagère  ,  nous  n'hé- 
sitons pas  à  perdre  des  biens  que  la  mort  ne  pourra 
Jamais  altérer^  jûous  choisissons  de  ne  voir  jamais 
ta  patrie  céleste,  seule  digne  de  nos  désirs  :  Pro  ni- 
hilo  habuerunt  terram  desidembilem^  lU  ont  compté 
pour  rien  la  terre  promise,  la  terre  de^ bénédic- 
tion ,  l'héritage  des  enfans  de  Dieu  ,  le  prix  de  tant 
de  travaux ,  l'objet  de  tant  de  vœux  et  de  tant  de 
larmes  :  Pro  niliHcrhabuerunt  ierram  desiderabilerrit 
Grands^Saints  qui  êtes  déj^  dans  la  gloire'}  qUô 
pensez  -Vous  d'un'* aveugleméfat  si  déplorable  ? 
Vous  voyez ,  vous  possédez  ce  que  nous  devons 
espérer  de  posséder  urt  jour  avec  vous  ,  vous  sa- 
vez de  plus  ce  qui  nous  lie  à  la  terre.  Oui  ,  MM. , 
les  Saints  déplorent  notre  folie  :  Hélas  ,  disent- 
ils  ,  insensés  que  vous  êtes  !  si  vous  saviez  ce  que 
vous  pouvez  acquérir  dans  le  peu  de  temps  que 
Dieu  TOUS  donne  ,  et  que  vous  laissez  couler  sans 
fruit';   si  vous  connaissiez  ce  que   vous  pouvez 
acheter  avec  cet  argent  qui  se   rouille,; dans  vos 
coffres  :  si  vous  pensiez  en  quelle  brillante  Cour 
vous  donnerait  entrée  un  peu  de  retraite  et  de  so- 
litude ;  si  vous  voyiez  comme  nous  par  quelles 
délices  on  récompense  quelques  jeûnes  ',*par  quels 
parfums  ,   par  quels  concerts   on  paye  quelques 
jours  de  pénitence  ;  quels  seraient  vos  efforts  pour 
lyéritcr  une  place  dans  la  céleste  Jérusalei..  '  Vous 
nous  appelez  Bienheureux;  nous  le  somm^^en 


44  2-  Poi'b;  tA  Fêîe' 

effet  plus  que  vous  ne  sauriez  croire  ,  plus  quj 
nous  ne  le  saurions  dire ,  plus  que  nous  ne  l'avions 
espéré.  Mais  vous ,  que  vous  êtes  malheureux  de 
renoncer  pour  le  plus  vil  intérêt  à  un  bonheur  si 
grand  !  Il  ne  dépend  que  de  vous  d'être  ce  que 
nous  sommes  ^  et  plus  encore  que  nous  ne  som- 
mes :  vous  avez  la  clef  du  Ciel  entre  les  mains , 
vous  pouvez  vous  en  ouvrir  les  portes,  vous  y- 
placer  au  rang  que  vous  voudrez  ,  vous  y  procu- 
rer une^  couronne  aussi  riche  que  vous  l'ambition- 
nerez ;  et  vous  différez  à  profiter  de  votre  avantage  ! 
Que  ne  ferions-nous  point  si  nous  étions  encore  co 
que  vous  êtes  ;  et  vous-mêmes  que  ne  feriez-vous 
pas  ,■  si  avec  le  teu^ps  qui  vous  reste  vous  aviez  les 
connaissances  que  nous  avons  ?  " 
'  Prenez  confiance  dans  le  Seigneur,  âmes  sain- 
tes ,  dont  la  aie  est  un  exercice  continuel  de  pé- 
nitence^ietïi^d'austérité'J  laissezUc  monde  vous 
témoigner  une  .yaine  et  une  fausse  compassion, 
ne  vous  lassez  point  de  pleurer  et  de  souffrir.;  vous 
p'en  sauriez  assez  faire  pour  arriver  où  nous  som* 
mes  parvenus.  ISon  sunt  condignœ  passiones  fiujus 
temporls  ad  futuram  gloriain  quœ  revetabitur  in  no- 
bis.  Vous  qui  êtes  dans  l'aflliclion  ,  et  que  la  Provi- 
dence a  comme  donnés  en  proie  aux  persécutions, 
aux  maladies ,  à  l'indigence  ,  gardez-vous  de  vous 
plaindre  :  le  Seigneur  ne  pouvait  mieux  vous  mar- 
quer qu'il  vous  aime.  Nous  voyons  les  triomphes 
qu'un  prépare  à  votre  persévérance  ;  que  d'hon- 
neurs pour  un  Uavaii  passager,  que  de  gloire  pour 
une  humiliation  légère!  Gaudele  et  exultate.  C'est 
peu  de  souffrir  san»  umrmurer  ;  quelque  grands 
que  soient  vos  maux  ,  vous  avez  sujet  de  vous 
réjouir  et  de  rendre  publique  votre  joie,  dans  l'es- 
pérante du  bunheur- infini  que  ces  mêmes  maux 
vous  procureront  :  Quoniain  merces  vestra  copioia 
est  in  Cœiis.  Grands  Apôtres,  glorieux  Martyrs, 
inviucibles  Confesseurs  ,  Vierges  pures  ,  illustres 
Anachorètes,  charitables  prolecteurs  des  hommes 
qui  sont  eucorc  dani  le  péiil  ;  ce  n'est  pa:}  a<sez 


DE  TOtis  LES  Saints.  45 

de  vos  conseils  ni  de  vos  exemples  ,  nous  avons 
encore  besoin  de  vos  prières  :  vous  connaissez  no- 
tre faiblesse  ,  et  les  forces  de  nos  ennemis  :  ob- 
tenez-nous les  secours  que  vous  savez  nous  être 
nécessaires  ,  obtenez-nous  la  grâce  d'avoir  tou- 
jours devant  les  yeux,  et  ce  que  vous  avez  fait 
pour  Dieu  ,  et  ce  que  Dieu  fait  maintenant  pour 
vous  ;  afin  que  vos  exemples  nous  apprennent 
comment  nous  devons  vivre  ,  et  que  l'espoir  de 
votre  récompense  nous  anime  à  vivre  comme  »»ou« 
devons.  Ainsi  soit-U. 


SERMON 

POUR    LE    JOUR 

DES     MORTS. 


Si  ijuis  sermonem  meum  tervaverii ,  mortem  non  gtislablt 
In  œternum. 

Celui  qui  obéira  à  ma  parole,  ne  sentira  jamais  les  efTeîa 
de  la  mort.   {Joan.  8.  ) 


La  mort  ,  cpielque  terrible  qu'elle  soil  en  cllc-nicmc  , 
n'a  rien  deffrayant  pour  le  Chrétien  vertueux  ,  soit 
parce  que  le  cours  de  sa  vie  ne  lui  présente  rien  qui 
puisse  l'allarmcr ,  soit  parce  que  le  terme  de  ses  jours 
lui  découvre  tout  ce  qui  peut  ranimer  ses  espérance». 

^AiNT  AtcrsTiN  se  fait  une  question  assez  curieiije 
au  troisième  livre  de  la  Cité  de  Dieu  ,  cluipilre 
quatrième;  il  demande  pourquoi  Dieu  nous  ayant 
affranchis  du  péché  par  les  mérites  de  sa  mort ,  U 
ne  nous  a  pas  délivrés  en  même  temps  de  la  mort, 
qui  n'avait  été  introduite  dans  le  monde  que  pour 
être  un  châtiment  du  péché.  Il  se  répond  à  lui- 
même  que  c'est  pour  éprouver  davantage  notre 
foi ,  et  l'espérance  que  nous  avons  d'entrer  par  la 
résurrection  dans  une  vie  immortelle.  On  pourrait 
peut-être  encore  dire  que  Je  Seigneur  en  nous 
exemptant  de  la  crainte  de  mourir,  aurait  d'une 
part  Ole  aux  âmes  faibles  un  des  plus  puissans 
Jîiolifs  de  se  détacher  des  biens  terrestres  et  pas- 
sagers^ et  d'autre  part  aux  grandes  âmes  la  plus 
belle  occasion  de  signaler  leur  amour.  Si  Jésus- 
Christ  CQ  mourant  pour  nous  ,  nous  avait  rendu 


1.  Pour  le  Jour  des  Morts,       4^ 

le  privilège  de  notre  immortalité,  il  se  serait  privé 
lui-môme  delà  gloire  qu'il  a  reçue  par  la  constance 
de  tant  de  Martyrs  ;  et  je  ne  sais  si  nous  auriont 
vu  les  dései^ls  peuplés  de  tant  d'illustres  Solitaires^ 
qui  ont  méprisé,  à  la  seule  vue  du  tombeau.,  tout 
ce  qu'ils  prévoyaient  que  la  mort  leur  devait  ravir.' 
Quoi  qu'il  en  soit ,  ià  mort  ,  cette  peine  de  la 
désobéissance  d'Adam  ,  qui  nous  e&t  restée  aprèl 
l'expiation  de  son  crime  ,  ne  fait  point  de  tort  à 
la  gloire  du  Rédempteur.  Il  est  vrai  qu'il  n'a  pas 
entièrement  détruit  la  mort  ;  mais  pour  rendre 
complet  le  prix  de  la  rédemption,  c'était  assez 
qu'il  la  vainquît ,  cette  mort,  qu'il  la  désarmAt, 
^t  qu'il  luiôtât  tout  ce  qu'elle  avait  d'amer;  c'était 
assez  qu'à  l'égard  de  l'homme  qui  doit  s'unir  à 
son  Dieu  expirant  sur  la  croix,  la  mort  n'eût  plus 
rien  de  pénible  ni  de  rebutant ,  et  que  loin  d'être 
un  supplice  pour  le  juste  ,  il  y  pCit  recevoir  la 
première  récompense  de  sa  fidélilé.  H  me  semble* 
Chrétiens  auditeurs  ,  que  \a  grâce  de  Jésus-Christ 
a  produit  cet  effet,  et  qu'elle  le  produit  encore 
tous  les  jours.  C'est  ce  que  Jésus-Christ  lui-même 
nous  veut  faire  entendre,  si  je  ne  me  trompe, 
par  les  paroles  de  l'Évangile  que  j'ai  proposées  : 
Si  (juis  sermonem  meum  servaverit  ,  morteni  non 
gustabit  in  œtermim.  Il  ne  dît  pas  précisément  que 
celui  qui  obéira  à  sa  parole  ne  mourra  jamais  , 
mais  qu'il  ne  sentira  jamais  les  tristes  effets  de  la 
inort,  et  qu'il  n'en  goûtera  point  l'amertume.  Il 
m'est  aisé  ,  MM.  ,  de  justifier  la  vérité  que  je  tire 
de  ce  texte.  Je  fis  voii-,  il  n'y  a  pas  long-temps, 
le  bonheur  qui  accompagne  la  vie  des  Chrétiens 
vertueux  ;  j'entreprends  de  vous  montrer  aujour- 
d'hui qu'ils  meurent  encore  plus  tranquillement 
qu'ils  n'ont  vécu ,  et  que  comme  la  grâce  applanit 
toutes  les  difficultés  qui  se  rencontrent  dans  lu 
pratique  de  la  piété  ,  de  même  la  piété  pratiquée 
avec  persévérance  adoucit  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
rude  et  de  plus  insupportable  dans  la  mort.  Ne 
m'abandonnez  pas 5  divin  Esprit,  dans  une  oca- 


48  I.  Pour  le  Jour 

sion  qui  me-paraît  si  avantageuse  pour  la  sanctiû« 
cation  de  ceux  qui  m'écoutent  ;  ayez  égard  aux 
prières  de  Marie ,  dont  nous  euaployons  le  crédit 
auprès  de  vous ,  et  que  nous  allons  saluer  avec 

J'Êglise  :  Àve ,   Maria. 

Il  est  dinicile  de  persuader  aux  pécheurs  que  la 
vie  des  Saints  est  une  vie  heureuse  ,  mais  il  me 
semble  que  tout  le  monde  est  assez  persuadé  qu'ils 
goûtent  à  la  mort  les  douceurs  d'une  paix  parfaite. 
C'est  pour  cela  que  les  plus  impies  ,  qui  ont  tant 
d'horreur  de  vivre  comme  les  fidèles  serviteurs  de 
Dieu  ,  souhaitent  néanmoins  de  mourir  comme 
eux  :  Mortem  spiritualium  optant  sibi  etiam  carna- 
les  j  quorum  tamem  vitam  abhorrent ,  dit  saint 
Bernard.  Et  en  effet,  la  chose  est  si  claire  et  si  visi- 
ble ,  que  pour  peu  qu'on  y  veuille  faire  réflexion,, 
on  ne  peut  manquer  d'être  convaincu  de  la  vérité. 
Deux  vues  occupent  entièrement  l'esprit  d'un 
homme  qui  sent  approcher  sa  dernière  heure. 
Comme  il  se  trouve  alors  entre  le  temps  et  l'éter- 
nité, toutes  ses  pensées  se  partagent  entre  le  temps 
qui  va  finir,  et  l'éternité  qui  va  commencer  pour 
lui.  Il  jette  un  regard  sur  ce  qu'il  a  été  ,  et  un 
autre  sur  ce  qu'il  doit  être  ;  et  selon  ce  qu'il  voit 
dans  le  passé ,  et  ce  qu'il  prévoit  dans  l'avenir  , 
il  se  trouve  plongé  dans  la  douleur  ou  dans  la  joie. 
Cela  supposé  ,  je  dis  que  la  mort,  quelque  terrible 
qu'elle  soit  en  elle-même,  n'oflre  rien  au  chrétien 
fidèle  qui  puisse  le  troubler;  parce  que  de  quelque 
côté  qu'ii  porte  la  vue  ,  sur  le  temps  passé  et  sur 
l€  temps  à  venir  ,  il  ne  découvre  rien  qui  soit  ca- 
pable de  l'affliger ,  rien  qui  ne  soit  propre  à  le 
consoler.  S'il  envisage  le  passé,  il  n'a  aucun  sujet 
de  craindre  la  mort  :  je  vous  le  ferai  voir  dans  le 
premier  point  de  ce  discours.  S'il  considère  l'ave- 
nir ,  il  a  sujet  de  désirer  la  mort  :  je  le  prouverai 
dan»  le  s^'cond  point.  Ce  sera  tout  le  fond  de  cet 
ealretien. 


'DES  Motets.  49 

PltEMIEIV    l'OI^'T. 

Il  est  CCI  t.nn  que  la  perte  de  tout  ce  qii*on  a 
aimé  sur  \n  terre  ,  et  de  tout  ce  qu'on  a  possédé 
avec  îiltaclie  ,  est  ce  qui  rend  si  amère  aux  lâches 
cliréliens,  non-sculciucnt  la  présence,  maisniCine 
la  seule  pensée  de  la  mort.  Si  l'on  n'estimait  rien 
ici-bas  ,  ou  qu'on  pCit  emporter  avec  soi  ce  qu'on 
estime,  on  aurait  aussi  peu  de  peine  à  sorlir  du 
monde  ,  qu'on  en  a  à  quitter  uu  édifice  ruineux 
pour  passer  dans  un  asile  assuré  ou  l'on  porterait 
avec  soi  tout  ce  qu'on  a  de  plus  précieux.  Or, 
lilM.  ,,les  véritables  cliréliens  ont  certainement  ce 
double  avantage  :  ils  ne  laissent  rien  en  mourant 
que  ce  qu'ils  ont  toujours  méprisé  et  toujours  liaï 
durant  la  vie  ,  et  ils  parlent  chargés  de  tout  fc 
qu'ils  ont  jugé  digne  de  leur  estime  et  de  leur 
amour. 

Ce  que  la  mort  présente  d'abord  de  plus  frap- 
pant,  c'est  la  séparation  de  Tnme  et  du  corps^ 
c'est  la  rupture  de  ces  Uens  si  étroits  et  si  anciens 
qui  unissent  la  chair  à  l'esprit.  Quelle  douleur 
pour  une  personne  mondaine  de  voir  Tinstrument 
chéri  de  ses  plaisirs  se  dissoudre  ,  et  devenir  la 
proie  des  vers  et  de  la  corruption  !  L'iiomme  de 
Lien  souJTre  sans  peine  celle  disgr;>.ce  ,  il  la  regarde 
même  comme  un  vrai  bordieur.  Vous  savez  que  sn 
\ie  s'est  passée  dans  une  guerre  continuelle  avec 
son  corps,  qui  ne  lui  a  ptiiut  donné  de  Irève  ;  et 
qu'à  son  tour  il  l'a  combattu  sans  reblche-,  de  peur 
d'être  aeca!)lj  par  ses  révoltes  :  par  conséquent  , 
loin  d'appréluMuler  que  la  niort  le  dclivic  d'un  tel 
adversaire  ,  il  a  lieu  de  le  souhaitnr,  et  de  se  ré- 
jouir lorsqu'il  succomber  en  efiet.  Quelle  plus 
grande  joie  que  de  voir  finir  une  gm;rre  atjssi  rude 
et  aussi  périlleuse,  et  de  la  voir  finir  par  la  défailu 
entière  de  sou  ennemi  !  Je  sais  qu'un  pareil  ti  iom- 
phe  n'a  rien  de  fliilteur  pour  les  bonnnes  charni^ls, 
qui  aceordent  tout  à  leurs  passions  ,  et  qui  tous 
les  jours  se  laissent  vaincre  sans  rendre  mOmc  de 
I  5 


5o  I.  Pour  le  Jour 

combat  :  mais  aux  yeux  de  ceux  qui  vivent  selon 
l'esprit ,  la  prochaine  destruction  de  leur  corps  est 
un  trophée  agréable. 

Pour  les  honneurs  ,  les  richesses  ,  €l  les  autres 
dons  de  la  fortune  ,  les  fidèles  chrétiens  en  ont 
toujours  eu  un  si  grand  mépris  ,  qu'ils  ne  peuvent 
regarder  comme  un  mal  la  perte  qu'ils  en  doivent 
faire  en  mourant.  Les  uns  s'en  sont  déjà  défaits 
de  leur  plein  gré  ,  et  ont  cru  ,  en  les  abandonnant, 
laisser  au  monde  une  dépouille  funeste;  les  autres 
ne  s'en  sont  conservé  l'usage  que  pour  en  faire 
part  à  leurs  frères ,  que  pour  les  distribuer  à  ceux 
qui  étaient  dans  le  besoin  :  toute  leur  étude  a  été 
d'en  détacher  leur  affection  ;  toujours  ils  ont  été 
disposés  à  les  rendre  à  celui  qui  les  leur  avait  don- 
nés ;  ils  se  sont  plaints  même  d'être  charges  de 
cette  administration  ,  qu'ils  regardaient  comme 
étrangère  ;  ils  ont  envié  le  bonheur  des  pauvres  , 
ils  ont  même  été  pauvres  d'esprit ,  c'est-à-dire  , 
par  leur  désir  et  par  leur  volonté.  Vous  savez, 
MM.  ,  que  ces  hommes  qui  semblent  n'être  nés 
que  pour  souffrir,  et  qui  ne  possèdent  rien  dans  la 
vie  de  tout  ce  qui  la  peut  rendre  agréable  ,  vous 
savez  que  ces  malheureux  ont  peu  de  peine  à 
mourir;  la  mort  est  même  extrêmement  douce 
pour  eux,  dit  saint  Isidore,  et  ils  l'attendent 
comme  un  temps  de  repos  et  de  consolation  : 
O  mors  !  quàm  dulcts  es  mixerls ,  quàm  siiavis  amarè 
viventibus ,  quàmjucunda  tristibus  atque  lugentlbusl 
Cependant  comme  les  hommes  les  plus  miséra- 
bles ,  les  plus  dépourvus  des  biens  temporels,  ne 
sont  pas  toujours  ceux  qui  en  font  le  moins  de 
cas ,  ils  peuvent  encore  s'attacher  à  la  terre  par  le 
désir  et  par  l'espérance  d'une  meilleure  fortune. 
Mais  les  Saints  en  renonçant  aux  richesses ,  ont 
<[uilté  jusqu'au  désir  d'en  acquérir;  déplus  ceux 
d'entre  eux  qui  vivent  dans  l'abondance  ,  se  ren- 
dent la  possession  de  leurs  biens  inutiles  ,  en  se 
retranchant  volontairement  les  délices  et  les  com- 
modités même  de  la  vie.  Peut-on  douter  qu'ils  ne 


DTLS  Morts.  5i 

sortent  du  monde  avec  encore  moins  de  regret 
que  ceux  qui  n'y  ont  eu  pour  partage  qu'une  pau- 
-îrreté  involontaire  ? 

Ces  trop  peu  dire  ,  mes  frères  ,  que  d'assurer 
qu'ils  n'ont  aucun  regret  de  perdre  ce  qu'ils  ont 
toujours  méprisé.  Combien  sentent-î-ls  de  satisfac- 
tion d'avoir  toujours  méprisé  ce  qu'il  leur  fallait 
perdre  !  Tout  le  temps  de  celte  vie  malheureuse 
n'est ,  à  proprement  parler  ,  qu'une  nuit  sombre. 
Quoique  la  foi  nous  présente  tous  les  caractères 
de  la  vérité  dans  chaque  mystère  qu'elle  nous  en- 
seigne, nous  n'apercevons  cette  vérité  mystérieuse 
qu'à  travers  bien  des  voiles  obscurs  et  semblables 
aux  ténèbres  de  la  nuit.  Dans  cette  obscurité  les 
justes  et  les  pécheurs  marchent  par  des  voies  tout 
opposées  5  mais  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  voient 
encore  le  terme  où  ces  routes  doivent  aboutir. 
Les  méchans  s'applaudissent  d'avoir  pris  la  voie 
la  plus  facile  ,  et  ils  se  flattent  qu'ils  n'auront  pas 
lieu  de  s'en  repentir.  Les  bons  sont  persuadés 
d'avoir  choisi  la  voie  la  plus  droite  et  la  plus  sûre; 
mais  quelque  espérance  qui  les  soutienne  dans 
leur  marche  ,  ils  n'entrevoient  que  fort  obscuré- 
ment le  lieu  où  elle  les  doit  conduire.  Au  dernier 
jour  du  voyage  ,  lorsqu'on  est  sur  le  point  d'arri- 
ver au  terme  ,  les  Choses  commencent  à  s'éclaircir^ 
La  mort,  que  les  saints  Pères  ont  appelée  l'aurore 
de  l'éternité  ,  découvre  aux  uns  leurs  eiTCurs ,  et 
fait  voir  aux  autres  que  leur  espérance  n'a  pas  été 
vaine;  et  que  s'il  fallait  recommencer,  ils  devraient 
-reprendre  le  mêm€  chemin.  Quelle  joie  à  ce  mo- 
ment ,  où  toutes  les  illusions  du  inonde  ,  tous  les 
vains  enchantemens  de  la  volupté  s'évanouissent, 
où  la  vanité  des  objets  .périssables  se  rend  sensi- 
ble ;  quelle  joie  de  voir  clairement  qu'on  a  eu 
raison  de  se  détacher  de  tout ,  et  qu'une  conduite 
contraire  n'eût  été  qu'une  grossière  imprudence  ! 
Quelle  joie  de  reconnaître  qu'entre  deux  partis , 
dans  l'affaire  la  plus  importante  ,  l'on  a  évité 
recueil  d'un  mauvais  choix,  l'on  a  heureusement 


^2  I.  Pour  le  Jour 

franchi  un  pas  si  gli.^sant  et  si  dangereux;  qu'enfin 
l'-on  ne  s*est  point  laissé  surprendre  par  les  dehors 
de  ce  faux  bonheur  qui  en  a  trompé  tant  d'autres I 
V erè  mendaces  erant  vionlcs ,  et  alliladines  montium^ 
dit-on  alors  avec  le  Prophète  :  Il  est  donc  vrai, 
r.i  je  n'en  puis  plus  douter  maintenant ,  que  ce 
grand  monde  ,  ces  grandes  richesses ,  ces  cm[)lois, 
CCS  dignités,  ces  hautes  montagnes. qui  semblaient 
loucher  au  ciel ,  et  où  l'on  croyait  voir  la  source 
de  la  souveraine  félicité  ,  il  est  donc  vrai  que  tout 
cela  ne  pouvait  mener  qu'à  d'horribles  précipices  ! 
Je  l'avais  bien  toujours  pensé,  qu'il  n'y  avait  rien 
sur  la  terre  qui  niéritât  nos  empressemens;  m'en 
voilà  parfaitement  convaincu  :  tout  ce  que  j'ai 
abandonné  ne  méritait  pas  en  effet  d'être  retenu,; 
le  monde  nous  trompait  par  ses  promesses  si  avan- 
fageuses ,  et  je  ne  me  suis  point  trompé  en  les 
Kiéprisant.  Quelle  joie,  encore  une  fois,  pourcette 
r.me  pieuse,  de  voir  qu'elle  s'est  détachée  volon- 
tairement, et  que  pour  plaire  à  celui  qui  Ja  doit 
juger,  elle  s'est  détachée  depuis  long-temps  de 
tout  ce  que  la  mort  lui  va  ravir  pour  toujours! 
qu'elle  s'est  fait  \\n  mérite  de  la  nécessité  inévi- 
table d'abandonner  tôt  mi  tard  tout  ;Ce  qui  peut 
«Hacher  un  cœur  à  la  vie  !  qu'elle  a  r,n  quelque 
«nrte  prévenu  ceîte  triste  séparation  qui  fait  le 
supplice  des  hommes  mondains  ,  lorsqu'elle  a  re- 
noncé par  avance  pour  l'amour  de  son  Dieu  à  tout 
ce  qu'on  aime  et  qu'on  estime  le  plus  dans  le 
inonclo  !  S'il  est  vrai  qu'il  n'est  point  de  chrétien 
fjui  à  riieure  de  la  iBorl  ne  voulût  avoir  vécu 
éloigné  de-^  plaisirs  et  âeii  vaios  honneurs  du  siè- 
cle ,  qnclle  consolation  d'avoir  en  effet  pratiqué 
fclte  abnégation  ,  que  tant  d'autres  désireront 
I  lernellenient  ,  mais  en  vain  ,  d'avoir  pratiquée  ! 
Si  la  vue  des  plaisirs  et  des  biens  de  la  vie  ne 
fait  aucune  peine  au  véritable  chrétien  ,  .quand  il 
ks  fajit  quitter  à  la  mort:  si  même  il  hîs  quitte 
(iVQC  joie  ,  parce  qu'il  ^'n  a  connu  et  méprisé  la 
rniiiié  ;  le  souveuirdcs  travaux  où  il  s'est  engage; 


DES   ^ÎURIS.  53 

■  poui*  Jésus-Christ ,  le  souvenir  d'uno  vie  passée 
dans  la  pénilcuce  ,  d'une  vie  qui  n'a  élé  qu'une 
suite  de  bonnes  œuvres  et  dcxerciccs  de  piété  ; 
combien  ,  dis-jc  ^  ce  souvenir  lui  rourniia-i-il  de 
pensées  consolantes  !  Il  faut  avouer,  Chréliens 
auditeurs  ,  qu'une  vi<c  sainte  et  inorlifiée  fuit  sur 
l'esprit  des  hommes  des  impressions  bien  diffé- 
rentes ,  selon  le  point  de  vue  d'où  on  l'envisage. 
A  la  considérer  du  moment  qu'elle  commence, 
c'est  quelque  chose  de  bien  affreux  que  trente  ou 
quar.inte  ans  de  solitude  et  de  contrainte  ,  trente 
ou  quarante  ans  de  combats  contre  tous  les  désirs 
et  toutes  les  inclinations  de  la  nature  :  combien 
d'ames  se  sentent  rebutées  à  celte  vue,  et  perdent 
le  courage  ,  si  nécessaire  pour  avancer  dans  les 
voies  du  salut  !  Mais  cette  tnéme  vie  regardée  ^ès 
l'instant  qu'elle  finit ,  du  lit  de  la  mort  ;  qu'on  la 
trouve  agréable  ,  et  qu'elle  paraît  digne  d'envie 
aux  yeux  même  des  plus  libertins  ! 

C'est  alors  qu'on  entend  ces  paroles  si  ordinaires 
aux  personnes  les  plus  mondaines  dans  leurs  der- 
niers combats  avec  la  mort  :  Mon  Dieu,  si  je  pou- 
vais recommencer,  si  j'avais  à  prévoir  ce  que  je 
"VOIS  aujourd'hui  !  Hélas  !  que  vous  m'auriez  aimé, 
Seigneur  ,  si  dés  ma  première  jeunesse  vous  m'a- 
viez ôlé  les  moyens  de  vivre  dans  le  luxe  et  dans 
les  délices  !  Ah  !  qu'il  vaudrait  bien  mieux  pour 
moi  que  j'eusse  suivi  la  pensée  qui  me  portait  à 
chercher  lu  solitude  ;  et  à  passer  mes  jours  dans 
un  éloigntment  entier  de  tous  les  plaisirs!  Que  je 
sentirais  bien  moins  d'ameitume  à  rendre  le  der- 
nier soupir  dans  un  désert  et  sous  un  cilice  ,  que 
sous  ces  riches  lambris ,  que  dans  ce  lit  si  pom- 
peusement paré  ! 

Mais  si  cette  même  pénitence  ,  qu'ont  toujours 
dédaignée  les  âmes  délicates  et  voluptueuses,  leur 
paraît  alors  si  digne  d'envie ,  quelle  joie  pour  ceux 
qui  l'ont  embrassée  ,  qui  l'ont  soutenue  jusqu'au 
bout  avec  tant  de  courage  et  tant  de  constance  ! 
Peut-on  douter  que  leur  joie  ne  soit  pure  et  entière 


54  ï-  Pour  le  Jour 

à  proportion  que  les  austérités  ont  été  sensibles  et 
continuelles,  que  la  solitude  a  été  écartée  et  in- 
accessible, que  la  mortiflcation  des  sens,  de  toutes 
les  passions  ,  de  tous  les  désirs  ,  a  été  longue  et 
exacte  ?  Ce  grand  nombre  d'années  composées  de 
tant  de  jours ,  ces  jours  dont  tous  les  momens  ont 
été  mis  à  profit ,  et  rendus  précieux  par  la  prati- 
que de  mille  exercices  de  religion  ,  de  tant  d'œu— 
vres  saintes,  de  tant  de  Tertus  sublimes  ;  tout  cela 
se  présente  à  la  mémoire  comme  un  riche  trésor, 
comme  un  amas  inestimable  de  biens  spirituels 
qu'on  a  acquis,  qu'on  fera  infailliblement  passer 
dans  l'autre  vie  ,  pour  y  être  le  prix  d'un  royaume 
immense  ,  où  l'on  régnera  éternellement.  Ingre^ 
dieris  ifi  abandantia  sepulcram  :  Dieu  soit  loué  à 
jamais,  nous  n'entrerons  point  au  tombeau  nus 
et  dépouillés  ,  comme  le  commun  des  hommes , 
nous  ne  laisserons  point  à  d'autres  le  fruit  de  nos 
travaux  et  de  nos  peines.  Ce  sont  ici  des  biens 
qu'on  doit  emporter  avec  soi ,  qu'on  ne  peut  pas 
même  partager  avec  ceux  qui  nous  survivent. 

C'est  à  ce  moment ,  que  rappelant  avec  un  plaisir 
ineffable  les  grandes  promesses  qui  ont  été  faites 
aux  vrais  serviteurs  de  Dieu  ,  une  ame  sainte 
aperçoit  dans  le  cours  de  sa  vie  toutes  les  vertus 
auxquelles  les  plus  grandes  récouipenses  ont  été 
destinées;  elle  y  voit,  et  cette  humilité  qui  doit 
être  exaltée  ,  et  ce  détachement  à  qui  le  royaume 
du  ciel  appartient ,  et  ces  larmes  qui  doivent  être 
changées  en  une  consolation  éternelle  ,  et  cette 
pureté  à  qui  la  vue  de  Dieu  est  assurée  ,  et  cette 
abnégation  qui  recevra  le  centuple  ,  et  toutes  ces 
œuvres  de  miséricorde  pour  qui  le  Paradis  a  été 
pré}>aré  dès  la  naissance  du  monde.  Quelle  satis- 
iaciion  plus  sensible  pour  elle  ,  quand  elle  consi- 
dère que  la  gloire  éternelle  lui  est  due  partant  de 
litres  différens  !  qu'on  la  donne  pour  un  verre 
d'eau  ,  et  qu'elle  a  tout  donné  pour  s'en  rendre 
digne  !  qu'on  y  a  droit  pour  avoir  observé  les 
commande  mens,  et  qu'elle  a  embrassé  jusqu'aux 


DES    MoilTSr  55 

onscils  les  plus  difficiles  !  que  les  derniers  venus. 
ne  sont^pas  exclus  du  salaire,  et  qu'elle  a  porté 
le  poids  du  jour  et  de  la  chaleur  !  Egredere,  disait 
à  cette  vue  le  grand  Hilarion,  egredere,  anima 
mea ;  quid  times?  Septuaginta  annis  servivisti  Deo , 
et  adiluc  times?  Courage ,  mon  ame ,  nous  n'avons 
rien  à  craindre ,  et  nouB  avons  lieu  de  tout  espérer. 
\o\Và  soixante  et  dix  ans  de  mortifications  et  de  priè- 
res presque  continuelles.  Il  y  a  soixante  et  dix  ans 
que  tu  veilles  ,  que  tu  jeûnes ,  que  tu  souffres ,  que 
tu  vis  dans  le  travail  et  dans  le  silence.  Le  démon  ne 
peut  t'accuser  d'avoir  attendu  l'extrémité  pour  son- 
ger à  ton  saint.  On  ne  te  reprochera  point  de  n'avoir 
réservé  à  Dieu  que  le  rebut  de  tes  derniers  ans  , 
puisque  tu  lui  as  consacré  tous  tes  jours  depuis 
l'enfance.  Ce  n'est  pas  un  désir  stérile  de  changer 
de  vie  ,  ni  un  repentir  d'un  moment  que  tu  vas 
offrir  à  ton  redoutable  Juge ,  c'est  toute  ta  vie  , 
c'est  près  d'un  siècle  de  services  ,  et  d'une  invio- 
lable fidélité.  Oui,  durant  l'espace  de  près  d'un 
siècle  lu  as  fait  la  guerre  à  tes  passions  ,  tu  as  tout 
refusé  à  tes  appétits  ,  tu  as  fui  tout  ce  qui  pouvait 
flatter  tes  sens  ,  tu  as  persévéré  malgré  toutes  les 
contradictions  de  la  nature,  malgré  tous  les  efforts 
de  l'enfer ,  dans  une  entière  abnégation  de  toi- 
même.  Egredere  ;  quid  times  ?  Septuaginta  annis 
servivisti  Deo  ,  et  adliuc  times  ?  Sors  ,  sors  ;  que 
çrains-tu  ?  Après  une  pareille  vie ,  toutes  tes  crain- 
tes ne  sont  que  de  vaines  frayeurs ,  que  des  terreurs 
frivoles. 

11  est  impossible ,  mes  frères ,  de  bien  concevoir 
la  douceur  que  ces  réflexions  porteront  dans  l'ame 
fidèle.  Mais  considérons  de  plus  qu'à  ce  dernier 
moment  notre  vie  se  présentera  à  nos  yeux,  et 
que  sans  doute  elle  excitera  dans  nos  âmes  des 
mouvemens  bien  opposés.  Je  ne  dis  pas  qu'à  l'heure 
de  k  mort  la  plupart  des  objets  vous  paraîtront 
entièrement  changés  ;  que  des  fautes  que  vous 
regardez  comme  légères  se  montreront  comme  des 
fautes  énormes  ;  que  vous  vous  étonnerez  d'avoir 


56  I.  Pour  le  Jouk 

TU  de  l'a  cllfficnllé  dans  ce  que  vous  trouvez  au- 
jourd'hui impraticable,  que  vous  ne  pourrez  com- 
prendre par  quel  enclianlement  ce  que  vous  avez 
aimé  dans  les  créatures  vous  a  fait  renoncer  à 
l'amour  de  Dieu  :  je  dis  seulcMucnt  que  toute  votre 
"vie  s'offrira  à  votre  mémoire  telle  qu'elle  aura  été; 
et  qu'elle  se  peindra  à  vos  yeux  avec  tant  d'éner- 
gie ,  que  malgré  vous  toutes  ses  parties  attireront 
tous  vos  regards.  Mais  enfin  qu'est-ce  que  repré- 
sentera celte  image ,  si  ce  n'e&t  ce  que  nous  avons 
fait  jusqu'à  présent ,  ce  qiu;  nous  faisons  tous  les 
jours,  et  ce  que  nous  ferons  jusqu'à  la  mort? 
Dans  le  temps  déjà  écoulé  nous  verrons  beaucoup 
de  péchés,  presque  point  de  pénitence;  quelques 
confessions,  mais  peu  de  douleur,  point  d'amen- 
dement,  beaucoup  de  rechûtes,  un  grand  atta- 
chement au  monde  ,  un  grand  amour  de  nous- 
mêmes  ,  une  grande  attention  pour  tout  ce  qui 
pas^e  avec  le  temps ,  un  oubli  de  l'éternité  pour 
le  présent.  Croyez-vous  que  cette  vie  tiède  ,  celte 
vie  partagée  ,  et  si  inégalement  partagée  entre 
Dieu  et  le  monde ,  ces  longues  journées  consacrées 
à  l'oisiveté  et  aux  diverlissemens ,  ces  prières  si 
rares,  si  courtes,  si  froides,  croyez-vous  que  tout 
cela  s'offrant  alors  à  votre  esprit ,  forme  un  spec- 
tacle bien  propre  à  vous  réjouir  ou  à  vous  con- 
soler? Malheureux  et  insensés  que  nous  sommes! 
peut-être  que  notre  plus  grand  soin,  notre  unique 
élude  est  d'éloigner  de  nous  tout  ce  qui  pourrait 
nous  donner  quelque  satisfaction  à  la  mort,  c'est^ 
à-dire,  d'éviter  tout  ce  qui  peut  crucifier  notre 
chair,  et  exprimer  dans  nos  membres  l'image  d'un 
Dieu  mourant. 

Quoi,  mes  frères!  nous  savons  indubitablement 
quel  effet  doit  produire  notre  vie  envisagée  dans 
le  dernier  moment  qui  la  doit  terminer  ;  nous 
savons  ce  qui  nous  doit  rendre  ce  terme  agréable, 
ce  que  nou^  souhaiterions  d'avoir  fait,  ou  de 
n'avoir  pas  fait;  pourquoi  donc  ne  prenons-nous 
pas  des  mesures  afin  qu'alors  nous  puissions  cire 


DES  Morts.  57 

contens  de  tout,  ou  que  di:  moins  il  ne  se  ren- 
contre rien  qui  nous  .ifllige?  Coininent  ne  pensons- 
nous  point  à  l'aire  quelque  chose  de  grand  ,  de 
généreux,  d'héroïque,  dont  l'éclat  puisse  onihellir 
le  tableau  qui  nous  doit  être  présenté  au  lit  de  la 
mort  ?  comment  chaque  jour  n'y  ajoutons-nous 
point  quelque  nouveau  trait,  quelque  ornement 
qui  renrichisse  ,  et  qui  en  relève  la  beauté  ?  pour- 
quoi au  conlraîre  nous  faisons-nous  un  plaisir  d'en 
déranger  Fordonnancc  ,  d'en  ternir  les  couleurs, 
de  le  dégrader  enfin  ,  el  de  le  mettre  dans  une 
situation  qui  nous  donne  de  la  honte  ,  qui  nous 
fasse  horreur,  qui  nous  désespère  ?  En  voilà  assez, 
ce  me  semble,  pour  faire  voir  que  si  à  l'heure  de 
noire  mort  toutes  nos  réflexions  s'arrêtaient  sur  le 
temps  passé  ,  les  Saints  n'auraient  pas  sujet  de  la 
craindre.  Mais  ils  ne  peuvent  s'cmpOchcr  de  jeter 
encore  les  yeux  sur  l'avenir,  où  ils  découvrent 
d'abord  un  redoutable  jugement ,  et  ime  éternité 
encore  plus  redoutable.  11  est  bien  diflîcile  de  de- 
meurer tranquille  dans  l'attente  de  deux  objets  de 
si  grande  importance  :  je  prétends  néanmoins  que 
Toin  que  cette  pensée  allarme  les  fidèles  serviteurs 
de  Dieu ,  elle  ranime  leur  espérance  ,  et  met  le 
comble  à  leur  joie.  Ce  sera  le  sujet  du  second 
point. 

SECOND    POIIST. 

S'il  est  vrai,  comme  l'assure  saint  Augustin  au 
Psaume  cinquante-septième ,  s'il  est  vrai  que  le 
bapttMiie  est  comme  une  conception  spirilnelle , 
par  laquelle  nous  entrons  dans  le  sein  de  l'Église, 
pour  y  être  formés  par  la  doctrine  de  Jésus-Clirist, 
on  ne  peut  douter  qtie  la  mort  ne  soit  en  quelque 
sorte  la  naissance  de  tous  les  chrétiens,  puisque  ce 
n'est  qu'alors  qu'ils  passent  du  sein  de  leur  mère 
dans  l'éternité.  Selon  cette  miMiie  pensée,  saint 
Grégoire  de  Nisse  faisant  présider  la  mort  à  ce 
mystérieux  accouchement,  expose  comme  q!ioi 
elle  nous  aide  à  sortir  de  la  prison  el  des  ténèbre* 


SSr  I.  Pour  le  Jour 

où  nous  vivons  sur  la  terre ,  pour  entrer  dans  le 
grand  jour  que  la  nuit  ne  doit  jamais  obscurcir. 
Si  cela  est ,  d'où  vient  que  la  naissance  naturelle 
passe  pour  un  jour  heureux  dans  l'esprit  de  tous 
les  hommes,  et  que  la  mort,  dans  l'opinion  même 
des  chrétiens  ,  est  un  jour  triste  et  funeste  ?  La. 
raison  est,  si  je  ne  me  trompe,  qu'à  cette  dernière 
naissance,  encore  plus  qu'à  la  première  ,  les  cou- 
ches ne  sont  pas  toujours  heureuses  ,  et  qu'il  naît 
des  avortons  informes  et  dénués  de  vertus  :  mais 
les  fervens  chrétiens  qui  ont  profité  du  séjour  qu'ils 
ont  fait  dans  le  monde  pour  se  rendre  des  hommes 
parfaits,  des  hommes  nouveaux ,  pour  se  réformer 
enfin  sur  le  modèle  de  Jésus-Christ;  ces  fervens 
chrétiens  regardent  la  mort  comme  un  passage  à 
une  meilleure  vie,  et  on  les  voit  se  réjouir  aux 
approches  de  leur  dernière  heure,  comme  feraient 
les  enfans,  s'ils  avaient  de  la  raison  ,  quand  ils  sont, 
sur  le  point  de  sortir  du  sein  de  leur  mère. 

Je  sais-,  MM.  ,  que  la  crainte,  qui  est  le  com- 
mencement de  la  sagesse,  en  est  aussi  la  consom- 
mation ,  selon  cette  parole  du  sage  :  Corona  sa- 
pientiœ ,  timor  Domini.  Je  n'ai  pas  oublié  cet  autre 
mot  du  même  Prophète  :  Bienheureux  l'homme 
qui  ne  cesse  jamais  de  craindre  :  Beat  us  liomo  qui 
semper  est  pavidus.  De  plus  je  n'ignore  pas  que  le 
Seigneur  est  terrible  ,  mais  je  sais  aussi  qu'il  n'est 
pas  injuste  dans  ses  jugemens ,  et  qu'autant  qu'on 
doit  redouter  de  lui  déplaire  ,  autant  l'on  doit  es- 
pérer d'en  être  traité  avec  douceur,  quand  on  s'est 
appliqué  à  le  servir.  C'étoit  ce  sentiment  qui  ren- 
dait l'Apôtre  si  intrépide,  que  lorsqu'il  voyait 
approcher  son  dernier  jour  ,  bien  loin  de  trembler 
dans  la  pensée  du  jugement,  il  ne  balançait  pas 
de  dire  qu'il  attendait  de  l'équité  de  son  Juge  la 
couronne  de  gloire.  C'est  dans  le  même  sentiment 
t|ue  tous  les  Pères  disent  que  les  gens  de  bien  ne 
craignent  point  la  mort ,  et  que  les  Saints  la  dési- 
rent ;  que  ceux-ci  meurent  aussi  bien  que  les 
pécheurs,  mais  qu'ils  ne  tremblent  pas  en  mourant, 


DES  jMor.T5i  5g* 

comme  font  les  pécheurs  ;  qu'il  faut  qu'ils  subissent 
la  loi  commune  ,  mais  avec  cette  différence  ,  que 
cette  nécessité ,  si  fâcheuse  aux  autres,  est  utile 
et  même  consolante  pour  eux.  En  effet,  MM. ,  par 
quel  endroit  le  jugement  de  Dieu  peut-il  épou- 
Yantep^une  ame  vraiment  chrétienne  ?  ou  plutôt 
par  combien  d'endroits  n'est-il  pas  propre  à  ré- 
T^iller  Tardeur  de  ses  désirs  ?  Au  jour  de  ce  juge- 
ment il  faudra  rendre  compte  de  toutes  nos  actions, 
de  toutes  les  grâces  que  nous  aurons  reçues ,  de 
l?usage  même  des  biens  temporels.  Voilà  ce  qui 
doit  effrayer  tout  ceux  qui  auront  vécu  dans  le 
désordre  ,  ou  dans  la  tiédeur;  mais  pour  un  chré- 
tien réglé  et  fervent  quoi  déplus  à  souhaiter  qu'un 
compte  de  cette  nature  ?  Un  général  d'armée,  qui 
dans  six  mois  de  temps  a  gagné  des  batailles ,  pris 
des  villes  ,  réduit  des  provinces,  qui  n'a  épargné, 
ni  ses  sueurs,  ni  son  sang,  pour  rendre  I^s  armes 
de  son  prince  victorieuses  ,  que  desire-t-il  davan- 
tage que  de  venir  sous  les  yeux  de  son  roi  étaler 
les  prises  qu'il  a  faites  sur  l'ennemi ,  montrer  les 
blessures  qu'il  a  reçues  au  combat ,  et  faire  le 
détail  le  plus  circonstancié  d'une  campagne  glo- 
rieuse ?  C'est  une  chose  terrible  d'avoir  à  rendre 
compte  de  cette  administration  si  étendue  et  si 
importante  qui  nous  a  été  confiée  ,  lorsqu'au  lieu 
(le  remplir  son  devoir ,  l'on  a  négligé  les  intérêts 
do  son  maître.  Mais  est-il  rien  de  plus  flatteur  que 
d'avoir  à  rendre  ce  compte,  lorsqu'on  n'a  à  pro- 
duire que  des  gains,  que  des  profits,  que  des 
augmentations  ?  lorsqu'on  peut  dire  avec  ce  fidèle 
serviteur  :  Domine,  quinque  tatentatradidlitimihi ; 
ccce  alla  quinque  superlucratus sum.  Seigneur,  vous 
m'aviez  confié  cinq  lalens  ;  j'avoue  que  j'aurais 
dû  les  multiplier  plus  que  je  n'ai  fait ,  mais  du 
moins  ne  les  ai-je  pas  enfouis ,  je  les  ai  fait  valoiry 
et  en  voilà  dix  que  je  vous  r.«pporle  :  vous  m'aviez 
donné  des  richesses  ;  je  ne  m'en  suis  point  servi 
pour  entretenir  le  luxe  et  la  vanité  dans  ma  fa- 
mille, j'en  ai  paré  vos  autels,  j'en  ai  revêtu  vos 

5* 


66  I.  Pour  le  Jour 

membres.  Si  vous  m'avez  accordé  de  longs  jours, 
je  n'ai  pas  cru  que  ce  riche  trésor  m'ait  clé  donné 
pour  le  dissiper  ;  j'ai  consacré  ce  précieux  loisir  à 
îa  prédication  de  vos  divines  paroles  ,  à  la  con- 
templation de  vos  mystères,  à  rinslruclion  et  à  la 
sanclilicalion  des  âmes  que  vous  m'aviez  confiées, 
ou  qui  se  sont  comme  trouvées  sous  ma  main  ; 
j'ai  employé  des  journées  enlicrcs  à  visiter  les 
malades ,  je  me  suis  occupé  à  consoler  les  mal- 
heureux ,  et  à  pacifier  les  différens  qui  naissaient 
entre  mes  frères.  Vous  m'aviez  donné  des  yeux  , 
je  les  ai  appliqués  à  la  lecture  des  livres  saints  ; 
des  oreilles,  elles  n'ont  été  ouvertes  qu'à  voire 
pnro!e  ;  une  langue ,  elle  ne  s'est  déliée  que  pour 
vous  parler  ou  pour  parler  de  vous.  Je  n'ai  rien 
oublié  pour  faire  un  bon  usage  de  toutes  vos  in- 
spirations ,  de  toutes  vos  grâces  ;  je  me  suis  senti 
appelé  à  la  solitude  ,  et  j'ai  fui  le  grand  monde  ; 
vous  m'avez  porté  à  la  mortification  de  mes  sens, 
et  je  me  suis  privé  des  plus  innocens  plaisirs  :  vous 
lïî'avcz  inspiré  le  désir  de  la  prière  ;  je  me  suis 
rendu  à  cet  attrait ,  cl  depuis  je  ne  l'ai  jamais 
aban;îonnce  ,  non  pas  mcnie  quand  j'y  ai  éprouvé 
des  dégoûts.  Vous  m'avez  ordonné  d'aiuier  mes 
frères;  et  vous  savez  ,  Seigneur,  que  je  n'ai  cessé 
de  vous  prier  même  pour  mes  ennemis.  Enfin  vous 
m'avez  envoyé  des  infirmilés  ,  je  les  ai  souffertes 
sans  murmurer;  des  pertes  de  biens  ,  j'en  ai  béni 
votre  saint  nom  ;  des  humiliations  ,  je  les  ai  reçues 
avec  action  de  grâces. 

Lorsque  les  comptes  sont  en  cet  état,  doil-or> 
redouter  plulût  que  désirer  d'être  appelé  pour  les 
rendre  ?  Que  peut  craindre  à  la  mort  un  serviteur 
si  fidèle  ,  mais  que  ne  doit-il  pas  espérer  dau5 
réleruité  ?  C'est  ici ,  MM.  ,  le  comble  du  bonheur 
des  Saints,  et  la  source  la  plus  abondante  de  la 
joie  qu'ils  gnûlrnl  à  l'instant  qu'ils  rendent  b-ur 
ame  à  leur  Oéaleur.  C'est  cependant  de  quoi  je 
vous  entretiendrai  le  plus  brièvement  ,  parce  que 
je  me  sens  entièrement  accablé  par  la  seule  vue 


DES  Morts.  6i 

de  celte  élcrnîîé  dciicicusc ,  où  ils  se  voient  si 
près  d'c'lrc  ndinis. 

Si  un  malade  après  une  longue  infirmilé  se  ré- 
jouit du  reloiir  de  sa  sanlé  ,  si  un  esclave  après 
une  servitude  de  plusieurs  années  voit  brider  sa 
chaîne  avec  plaisir  ,  si  un  pilote  après  une  péril- 
leuse navigation  ressent  la  joie  la  plus  vive  à  la 
vue  du  port  et  de  sa  patrie  ,  si  Ton  attend  avec 
impatience  un  jour  de  ITle  et  de  divertissement ,. 
si  toute  la  nature  semble  revivre  lorsque  ks  pre- 
miers traits  de  l'aurore  commencent  à  peindre  le 
ciel  et  à  promettre  un  beau  jour;  qui  pourra  ja- 
mais exprimer  l'alégresse  et  le  transport  d'une 
ame  sainte  qui  d'un  côté  se  voit  sur  le  point  de 
finir  une  vie  triste  ,  l;d)orieuse  et  exposée  à  mille 
périls,  et  de  l'autre  à  la  veille  d'être  comblép  de 
biens  ,  d'honneurs  ,  de  délices  ,  pour  toute  une 
éternité?  Consummalum  est  ^  peut-elle  dire  alors 
avec  Jésus-Christ  :  C'en  est  fait,  nous  voilà  au 
bout  de  la  carrière  ;  la  course  a  été  longue  et 
souvent  traversée  ,  il  m'a  fallu  faire  de  grands 
efforts  ,  surmonter  de  grands  obstacles  ,  soutenir 
de  rudes  combats;  il  m'en  a  coûté  bien  des  sueurs, 
bien  du  sang;  mais  le  Seigneur  en  soit  glorifié 
éternellement,  la  voilà  enfin  terminée  ,  celte  car- 
rière pénible  ;  mes  services  vont  être  couronnés; 
le  temps  du  travail  ne  reviendra  jamais.  II  n'y  aura 
plus  de  maladies,  plus  d'adversités,  plus  de  croix, 
plus  de  contrainte  ,  plus  de  pénitence  ;  nous  n'au- 
rons plus  de  désirs  à  l'éprimer ,  plus  de  passions 
à  combattre  ;  nous  voilà  à  la  source  d'un  bonheur 
invariable  :  je  vais  jouir  d'une  entière  liberté  ;  je 
vais  voir  d*;  mes  yeux  tout  ce  que  j'ai  cru  ,  tout 
ce  que  je  n'ai  vu  qu'à  travers  les  lumières  de  la 
loi  ;  je  vais  posséder  ce  que  j'ai  attendu  avec  tant 
d'impatience  ;  je  vais  aimer  et  être  aimé  éternel- 
lement, sans  plus  rien  craindre  ni  delà  colère 
de  Dieu  ,  ni  de  mon  inconstance. 

Et  ne  croyez  point ,  Cl)réli('ns  auditeurs ,  quo 
ces  senlimeus  soient  inspirés  parla  présomption, 


6i  I.  Pour  le  Jour 

et  que  ce  soit  là  triompher  avant  la  fin  du  combat.- 
Je  sais  que  tandis  qu'il  nous  reste  un  souffle  de 
rie,  les  plus  forts  peuvent  tomber,  comme  les 
plus  faibles  peuvent  se  relever  ;  cela  est  possible 
absolument,  mais  très-difficile;  cela  n'est  presque 
jamais  arrivé  ,   et  n'arrivera  que  très-rarement. 
Oui ,  MM.  ,  ce  serait  une  pusillanimité  dans  les 
Saints  9  de  craindre   de  se  pervertir  à  la  mort, 
comme  ce  serait  une  présomption  dangereuse  dans 
les  pécheurs  d'espérer  de  se  convertir  alors.  Quoi- 
que la  dernière  heure  de  nos  jours  n'exclue  pas  la 
pénitence  absolument,  il  n'est  point  de  temps  qui 
y  soit  moins  propre  :  il  fallait  commencer  plutôt 
à  pleurer  ses  crimes  :  et  quand  on  a  vécu  dans 
l'innocence,  on  doit  alors  commencer  à  goûter  la 
joie.  Sur  quoi  l'on  peut  observer  dans  la  mort  des 
Saints  ,   qu'ils  se  la  sont  presque  tous  entendue 
annoncer,  non-seulement  sans  frémir ,  mais  en- 
core en  se  répandant  en  actions  de  grâces.  Les  uns 
recueillant  le  reste  de  leurs  forces  ,  ont ,   par  la 
vivacité  de  leurs  transports  encore  plus  que  par 
leurs  voix,  fait  entendre  des  cantiques  de  louan- 
ges ;  les  autres  dans  leur  défaillance  les  ont  fait 
chanter  par  ceux  qui  les  assistaient  :  ils  ont  consolé 
leurs  amis  ,  et  ils  se  sont  plaints  de  leurs  larmes. 
Les  plus  humbles ,  les  plus  timides  ,  ont  dit  har- 
diment qu'ils  allaient  voir  Dien  ;  ils  ont  promis 
leurs  prières  à  ceux  mêmes  qui  ne  les  leur  deman- 
daient pas.  Si  vous  en  êtes  scandalisés ,   si  vous 
leur  reprochez  l'excès- de  leur  joie,   si  vous  les 
avertissez  de  craindre  l'orgueil,  et  les  jugemens 
de    Dieu  ,    ils    vous    répondront   comme    fit    le 
grand  saint  François  d'Assise  à  son  confesseur , 
qu'il   n'est  pas  en  leur  pouvoir  de  prendre  des 
pensées  tristes,  sachant  que  dans  un  moment  ils 
doivent  être  avec  Dieu  :  Non  licei^e  sibi  aliter  fa~ 
cere ,  cùm  sciret  se  brevi  fore  cum  Deo.  Dieu  leur' 
inspire  alors  une  si  grande  confiance ,  qu'ils  croient 
déjà  voir  le  ciel  ouvert,  et  la  place  qui  leur  est 
marquée  parmi  les  élus  :  en  vain  vous  leur  dites 


DES  Morts.  63 

qu'il  faut  trembler  jusqu'au  bout,  tandis  que  le 
Seigneur  lui-même  leur  ordonne  d'être  tranquilles, 
et  de  porter  sur  leur  front  leur  sécurité  :  RespicUe, 
et  levate  capita  veslra  ,  quoniam  appropinquat  re~ 
demptio  vestra  :  Laissez  ,  laissez  trembler  les  ser- 
viteurs lâches  et  infidèles  ,  ils  en  ont  encore  plus 
sujet  qu'ils  ne  pensent  ;  mais  pour  vous  regardez  le 
ciel ,  où  vous  êtes  attendus,  et  où  vous  allez  être 
si  libéralement  récompensés  de  tous  vos  services. 
Saint  Jérôme  ,  dans  l'éloge  qu'il  fait  de  Népo- 
lien  ,  dit  que  ce  saint  homme  étant  sur  le  point 
de  rendre  le  dernier  soupir,  en  présence  de  tous 
ses  amis ,  il  était  le  seul  dont  le  visage  parût  gai 
et  content  ;  et  que  tandis  que  tout  le  monde  fon- 
dait en  larmes  ,  il  ressentait  une  joie  dont  il  ne 
pouvait  retenir  les  transports.  On  voyait  bien,  dit 
ce  saint  Père  ,  qu'il  ne  mourait  pas  en  effet,  mais 
seulement  qu'il  changeait  de  demeure  ;  qu'il  ne 
quittait  ses  amis  que  pour  en  aller  rejoindre  d'au- 
tres ,  dont  la  compagnie  lui  devait  être  encore 
plus  agréable  :  Intelligeres  illum  non  emori ,  sed 
migrare  ;  mutare  amlcos ,  non  relinquere.  Saint 
Grégoire  le  grand  raconte  qu'un  homme  de  bien 
nommé  Servule  ,  sentant  une  nuit ,  par  le  redou- 
blement de  ses  douleurs,  que  sa  dernière  heure 
était  venue  ,  se  mit  à  crier ,  et  fit  lever  les  pau- 
vres ,  qu'il  avait  toujours  en  grand  nombre  dans 
fra  maison ,  non  pas  pour  demander  un  prompt 
secours  à  son  mal ,  ou  pour  faire  appeler  des 
prêtres  ,  qui  l'assistassent  dans  un  accident  si  su- 
bit ;  mais  rappelant  ses  esprits  ,  et  entonnant  lui- 
même  un  des  psaumes  de  David,  il  pria  ses  chers 
hôtes  de  mêler  leurs  voix  avec  la  sienne  ,  pour 
rendre  grâces  au  Seigneur  de  ce  que  sa  mort  était 
proche.  J'ai  vu  moi-même  un  homme  près  d'ex- 
pirer,  qui  entendant  autour  de  lui  les  sanglots  de 
quelques  personnes  qui  ne  pouvaient  retenir  leurs 
larmes,  les  envisagea  d'une  manière  qui  semblait 
leur  reprocher  leur  faiblesse  et  leur  peu  de  foi  ; 
et  refermant  ensuite  les  yeux,  avec  un  air  sereio 


64  I-    Pour  le  Jour 

et  tranquille  :  Est-il  possible  ,  leur  dit-il ,  qu'on 
m'aime  si  peu  qu'on  ne  prenne  aucune  part  à  ma 
joie  ,  et  qu'on  ne  puisse  se  réjouir  avec  moi  de 
mon  bonheur?  Pourquoi  pleurer?  ajouta-l-il  en 
montrant  le  ciel  avec  la  main  ,  c'est  là-haut  que 
nous  allons.  Combien  en  a-t-on  vu  ,  et  combien 
en  ai-je  vu  moi-même  qui  défendaient  absolument 
qu'on  demandiît  à  Dieu  de  leur  prolonger  la  vie, 
et  qui  jamais  n'ont  pu  Cire  déterminés  à  faire  des 
Tœux  pour  le  recouvrement  de  leur  santé  ?  Com- 
bien d'autres  qui  avouaient  qu'ils  n'auraient  jamafs 
cru  qu'il  eut  élé  si  doux  de  mourir?  J'en  ai  vu 
moi-même  qui  revenant  comme  par  miracle  du 
sein  de  la  mort ,  ne  pouvaient  se  rendre  maîtres 
de  leurs  larmes  ,  ni  se  consoler  de  ce  qu'un  si 
grand  bien  leur  était  différé.  Ubi  est ^  vwrs  ,  vic^- 
toria  /Ma. ^doit-on  s'écrier  à  la  vue  de  ces  exemples^ 
ubi  est ,  mors ,  stimulus  tuus?  O  mort  redoutable, 
hideuse  mort ,  que  sont  donc  devenues  ces  armes 
victorieuses,  cet  air,  celte  présence  affreuse  qui 
fait  prdir  les  plus  intrépides  ?  Cet  aiguillon  ,  autre-^ 
fois  si  perçant,  s'cst-il  lellemenl  cmoussé,  qu'on 
n'en  sente  plus  les  coups  ?  Quel  changement  si 
grand  s'est  donc  fait  dans  ce  visage  difforme  et 
terrible,  qu'on  ne  te  craint  plus,  qu'on  brave  tes 
regards;  je  dis  plus,  qu'on  t'aime,  qu'on  le  dé- 
sire? Quelle  différence,  MM.,  entre  ces  doux 
senlimcns  ,  ce  calme,  cette  joie,  et  lés  terreurs 
mortelles  ,  les  mouvemens  inquiets  ,  le  désespoir 
où  l'on  voit  mourir  les  personnes  qui  ont  aimé  le 
monde  et  ses  vains  plaisirs  !  C)\\c  de  précaulions  il 
faut  prendre  pour  les  avertir  du  péril  où  les  met  une 
maladie  !  quelle  tempête  n'ext:ittî  point  dans  leurs 
cœurs  une  nouvelle  si  triste  !  dans  quels  troubles, 
dans  quelles  agitations  ne  se  passent  point  ces 
dernières  heures  de  leur  vie  !  que  d'amers  ,  mais 
inutiles  repentirs  au  sujet  du  temps  qui  leur 
échappe  !  que  de  justes  craintes  à  la  vue  d'un 
avenir  qui  les  attend  ,  qui  les  presse,  et  qui  peut- 
clrc  leur  Ole  le  loisir  de  réparer  le  temps  qu'ils 


DES  Morts.  65 

ont  perdu  !  Preliosa  in  couspectu  Domini  mors 
Sanrlorum  ejus.  Oui  cerl.iiiiemcnt ,  la  mort  de 
1  homme  juste  est  quelque  chose  de  ])ien  pré^'ieux, 
et  quoi  qu'on  souflre  ,  quoi  qu'on  donne  pour 
yatheler ,  on  ne  la  saurait  trop  payer.  Quel  bon- 
heur d'attendre  sans  émotion  ce  dernier  moment, 
dont  la  pensée  a  f\jutume  d'épouvanter  presque 
tous  les  autres  lîonmics  !  quel  privilège  d'être  en 
assurance  ,  de  jouir  d'un  parfait  repos  d'esprit , 
de  se  sentir  le  cœur  plein  d'allégresse  dans  ua 
temps  où  tout  gémit,  oQ  tout  soupire,  où  tout 
tremhle  ;  dans  un  temps  où  les  grands  du  monde 
souffrent  plus  de  douleurs  qu'ils  n'ont  goûté  de 
plaisirs  durant  toute  leur  vie  ;  dans  ce  même 
temps  se  trouver  sans  effroi ,  sans  souci ,  sans 
défiance  ;  voir  la  mort  venir  à  nous  ,  pour  ainsi 
dire  les  armes  baissées ,  ne  recevoir  que  des  ca- 
resses de  ce  lion  rugissant,  se  jouer  de  ce  monstre 
affreux  et  cruel  !  E.<t-il  quelque  genre  de  vie  si 
austère  ,  qu'il  ne  fallût  embrasser  ;  est-il  quelque 
action  si  difficile  ,  si  opposée  à  notre  humeur, 
qu'il  ne  fallût  entreprendre  pour  se  procurer  ua 
avantage  si  inestimable  ? 

Je  ne  m'étonne  pas  que  les  méchans  mêmes 
souhaitent  de  finir  ainsi  leurs  jours,  et  qu'ils  disent 
avec  l'impie  Balaam  :  Moriatnr  anima  mea  mortô 
justorum.  Les  impies  souhaitent  de  mourir  comme 
les  justes,  dit  le  savant Toslat,  parce  qu'ils  n'igno- 
rent pas  que  mourir  de  la  sorte  ,  c'est  éprouver 
par  avance  le  bonheur  du  ciel.  Volant  bonam  mor- 
iem  ,  quia  félicitas  est.  Mais  ne  sont-ils  pas  bien 
insensés  de  s'y  attendre  ,  s'il  est  vrai  que  ce  qui 
fait  à  la  mort  le  bonheur  des  justes,  est  la  vue 
d'uik  temps  (pii  a  été  saintement  employé  ,  et  de 
l'avenir  qui  doit  répondre  infailliblement  au  temps 
passé  ?  IN'esl-il  pas  aussi  impossible  qu'un  mauvais 
chrétien  meure  comme  les  Saints,  qu'il  est  im- 
possible qu'il  n'ait  pas  été  ce  qu'en  effet  il  a  été? 
Vous  êtes  trop  raîsonii;ibles,  Chrétiens  auditeur?, 
pour  vous  ûallcr  d'une  espérance  si  yaine.   Mais 


66  r.  Pour  le  Jour  des  Sfoirrs;. 
prenons  garde  que  par  notre-  attache  a«x  frivoles 
amusemens  de  la  vie  ^  qiie  par  notre  négligence 
à  penser  à  l'éternité  ^  à  méditer  souvent  sur  la- 
mort  5  sur  cette  terrible  mort ,  nous  ne  soyons 
privés  des  douceurs  qui  accompagnent  la  mort 
des  Saints ,  que  je  vous  souhaite  au  nom  du  Père- 
et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  Ainsi  soit-iL 


a< 


SERMON 

POUR  LE  JOUR 

DES    MORTS. 


Fènlent  dles  in  tt ,  et  clrcumdabunt  te  Inlmlei  tut  vallo  ,. 
et  circumdabunt  te ,  «tcoangustabuntteundique,  et  ad  lerram 
prosternent  te. 

Il  viendra  un  jour  malheureux  pour  toi ,  où  tes  ennemis 
t'assiégeront ,  t'environneront  de  tranchées  ,  te  serreront  de- 
toutes  parts  ,  et  te  renverseront.  (  Luc,  19.  ) 


L*impîe  à  l'heure  dé  la  mort  n'aperçoit  partout  que  des 
sujets  de  douleur  et  de  désespoir  :  la  Tue  du  passé  le 
désespère  ,  parce  qu'il  y  voit  des  biens  qu'il  a  trop 
aimés  ,  et  qu'il' ne  peut  plus  retenir  ;  l'avenir  met  le 
comble  à  son  désespoir  ,  parce  qu'il  y  voit  des  mauK 
qu'il  n'a  pas  assci  craints ,  et  qu'il  tremble  de  ne  poa» 
voir  plus  éviter. 

I^ETTE  propliétie  de  la  destruction  de  Jérusalem 
est  une  figure  de  la  mort  funeste  des  méchans,; 
selon  la  remarque  du  grand  saint  Grégoire  dans 
son  homélie  trente- neuvième.  Ces  circonyalla— 
lions  ,  ces  attaques  ,  ces  ruines  nous  représentent 
les  tentations  ,  les  allarmes  ,  les  frayeurs  ,  le  dés- 
espoir d'un  pécheur  mourant.  Ces  ennemis  sont 
les  démons  qui  l'assiègent  ,  la  conscience  qui  le 
presse  ,  la  justice  de  Dieu  qui  le  menace ,  l'ap-^ 
pareil  des  tourmens  qu'elle  lui  prépare.  Mais 
quelle  que  soit  cette  image ,  quoique  toute  l'histoire 
ancienne  et  moderne  n'ait  rien  de  si  lamentable 
que  la  désolation  de  l'infortunée  .Jérusalem  ,  j'ose 
dire  que  tout  celp  n'exprime  que  laiblement  la, 


68  2.  Pour  le  Jour 

silualion  où  5e  trouve  un  mauvais  Chrétien  lors- 
qu'il faut  mourir. 

O  si  je  pouvais  anjourd'hai-  vous  tracer  uns 
peinture  ûcîcle  de  cet  état  déplorable-,  si  \q  pouvais 
vous  rendre  sensible  tout  ce  que  le  pécheur  voit 
alors  d'horrible  ,  et  devant  lui  ,  et  autour  de  lui  r 
et  dans  lui-même  ;  quelles  sont  ses  pensées  ,  ses 
sentimens,  ses  peines  et  ses  torturer  secrètes;  il 
n'en  faudrait  pas  davantage  pour  ébranler  les 
cœurs  les  plus  endurcis  dans  le  mal ,  et  pour  ren- 
dre les  chrétiens  fcrvens  en  quelque  sorte  iné- 
branlables dans  le  bien.  Ce  que  je  puis  vous  dire 
en  deux  mots  ,  c'est  que  la  mort,  selon  l'expres- 
sion d'un  Père  ,  est  comme  l'horizon  du  temps  et 
de  Téternité  ,  c'est-à-dire  le  point  qui  les  lie  et 
qui  les  sépare  tout  à  la  fois,  le  milieu  par  où  l'on 
passe  de  l'un  à  l'autre.  Or  comme  le  milieu  tient 
aux  deux  extrénu'tés  qu'il  unit ,  de  même  la  mort 
tient  quelque  chose  ,  et  de  la  vie  ,  dont  elle  est  la 
fin,  et  de  Kéternilé,  dont  elle  amène  le  commen- 
cement :  de  sort«  que  la  mort  des  médians  est 
ordinairement  mauvaise  ,  comme  leur  vie,  et  or- 
dinairement malheureuse  ^  comme  leur  éternité. 
Je  ne  vous  parlerai  pas  dans  ce  discours  de  l'im- 
pénitence  finale  du  pécheur  ,  qui  met  le  combla 
à  ses  crimes  par  son  obstination  ;  je  vous  parlerai 
seulement  aujourd'hui  de  cette  douleur  amère  et 
inutile ,  de  cet  Enfer  anticipé  que  le  pécheur  souf- 
fte  à  son  dernier  jour.  La  sainte  Vierge  ,  de  qui 
nous  espérons  tous  obtenir  la  grâce  de  mourir  diius 
Ja  paix  du  Seigneur,  demandera  pour  moi  le  se- 
cours dont  j'ai  besoin  pour  parler  avec  fruit  de  \(\ 
mort  des  réprouvés  :  faisons-lui  dans  ce  desst  in 
celte  prière  ,  qui  lui  est  toujours  agréable  :  Jre , 
Mar.ia.  ....  ^ 

C'est  un  spectable  bien  triste,  MM.  ,  que  de 
voir  un  malade  aux  derniers  momens  de  sa  vie,, 
qui  presque  destitué  de  tout  secours  ,  ne  rend 
plus  entre  la  mort  qu'un  faible  et  inutile  coirjbul. 


DES    MotlTS.  69 

Vous  Toyez  un  corps  étciulu  et  immobile  sur  un 
lit ,  qui  ne  fait  pins  d'usage  des  sens  extérieurs,: 
qui  n'a  presque  plus  rien  de  vivant  que  son  ame 
prôs  de  lui  échapper  :  ses  yeux  s'éloignent  ,  se 
ferment  à  la  lumière  ;  ses  joues  se  flétrissent  ,  ses 
ièvres  s'ouvrent ,  ses  dents  se  noircissent ,  sa  bou- 
che se  remplit  d'écume;  tout  son  visage  pHle  et  dé- 
fjguré,  est  noyé  dans  une  sueur  froide  et  mortelle; 
sa  poitrine  s'élève  par  de  violentes  secousses  ,  un 
râlemcnl  îilTrcux  accompagne  ses  respirations  cour- 
tes et  fréquentes ,  tous  ses  membres  se  glacent 
et  se  roidisseiit.  Piirmi  ceux  qui  l'environnent,  les 
uns  l'exhortent  à  haute  voix  de  mettre  à  profit  les 
derniers  momens ,  les  autres  éclatent  en  des  cris 
que  la  douleur  leur  arrache  :  mais  il  ne  voit  ni  ces 
vrais  amis,  ni  ces  parens  désolés  :  il  n'entend  plus 
ni  leurs  avis  ,  ni  leurs  plaintes.  Voilà  une  fidèle 
image  de  la  situation  où  nous  nous  trouverons  un 
jour  ,  les  uns  dans  fort  peu  de  temps  ,  les  autres 
un  peu  plus  tard  ,  mais  tous  certainement  beau- 
coup plutôt  que  nous  ne  croyons.  Mon  Dieu  !  d'où 
vient  que  cette  pensée  ne  nous  désabuse  point  de 
tous  les  vains  allachcmcns  que  nous  avons  sur  la 
terre  ?  Comment  pouvons-nous  songer  à  nous  y 
établir,  à  y  acquérir  de  la  réputation  et  des  ri- 
chesses, puisque  les  riches  aussi  bien  que  les  pau- 
vres ,  les  grands  aussi  bien  que  les  petits  ,  les 
savans  elles  ignorans ,  seront  tous  enfin  réduits 
à  l'état  affreux  que  je  viens  de  vous  peindre  ? 

Dans  une  calamité  si  accablante  ,  ne  pensez 
pas  ,  Chrétiens  auditeurs,  que  Tame  d'un  pécheur 
n'ait  à  conjballre  que  le  mal  qui  lâchasse  de  sa 
demeure  mortelle;  dans  l'impuissance  011  elle  est 
d'y  rester  long-temps,  elle  tourne  les  yeux  d^  tou- 
i*îs  paris,  pour  chercher  quelque  adoucissement 
à  sa  misère  :  mais  hélas  !  de  quelque  côté  qu'elle 
jette  la  vue  ,  soil  qu'elle  l'arrête  sur  le  passé  ,  ou 
qu'elle  la  porte  dans  l'avenir  ,  elle  n'aperçoit  par- 
tout que  des  sujets  de  doideur  et  de  désespoir. 
Dans    lu  passe  elle  trouve  des   plaisirs   dont  lu 


-^o  2.  Pour  le  Jour 

souvenir  est  plus  amer  que  les  plus  cruels  suppli- 
ces :  dans  l'avenir  elle  découvre  des  tourmens  qui 
ne  sont  déjà  que  trop  présens  pour  elle.  Le  passé 
la  désespère ,  parce  qu'elle  y  voit  des  biens  qu'elle 
a  trop  aimés  ,  et  qu'elle  ne  peut  plus  retenir  ; 
l'avenir  met  le  comble  à  son  désespoir  ,  parce 
qu'il  lui  présente  des  maux  qu'elle  n'a  pas  assez 
craints,  et  qu'elle  redoute  de  ne  pas  éviter.  En  un 
mot,  un  bonheur  qui  ne  subsiste  plus  que  dans 
sa  mémoire  ,  un  malheur  qui  est  déjà  dans  son 
imagination  ,  concourent  à  former  cet  Enfer  an- 
ticipé qu'elle  souffre.  Ce  seront  aussi  les  deux 
jpoints  de  ce  discours. 

PREMIER    POINT. 

On  dit  que  la  mort  est  toujours  semblable  ù  la 
vie  ;  et  cela  est  vrai  dans  le  sens  qu'on  le  dit  : 
mais  il  n'est  pas  moins  vrai  ,  dans  un  autre  sens, 
qu'il  y  a  toujours  une  extrême  opposition  entre  la 
Tie  et  la  mort ,  puisque  quand  la  vie  s'est  passée 
dans  les  larmes  et  dans  les  souffrances ,  on  meurt 
dans  la  pai-x  et  dans  la  joie  ;  et  qu'au  contraire  une 
vie  agréable  et  voluptueuse  est  toujours  suivie 
d'une  triste  mort.  C'est  ce  que  le  Sage  a  voulu 
nous  enseigner  par  ce  proverbe  :  Le  deuil  se  trouve 
à  la  fin  des  plus  grandes  fêtes  :  Extrema  gaudii 
luctus  occupât. 

Comme  la  pensée  de  la  mort  trouble  les  pé- 
cheurs dans  leurs  plaisirs,  la  pensée  de  leurs  plai- 
sirs les  vient  troubler  à  son  tour  au  lit  de  la  mort. 
Car  ou  ils  en  considèrent  la  douceur  ,  et  ils  ne 
voudraient  pas  les  quitter  sitôt;  ou  ils  en  recon- 
naissent la  vanité,  et  ils  voudraient  les  avoir  quit- 
tés plutôt  ;  ou  ils  en  voient  le  dérèglement ,  et  ils 
voudraient  ne  les  avoir  jamais  goûtés  :  trois  désirs 
qui  étant  en  eux  plus  violens  que  nous  ne  saurions 
le  concevoir,  et  qui  devant  demeurer  sans  effet, 
leur  causent  nécessairement  un  tourment  inex- 
plicable. 
.  O  mort  !  s'écrie  TAuteur  de  l'Ecclésiastique  , 


DES  Morts.  -^i 

que  ton  souvenir  est  amer  à  quiconque  a  établi  sa 
paix  dans  la  jouissance  de  ses  richesses  O  mors  ! 
qaàm  amara  est  mcmoria  tua  liomini  pacem  habenti 
in  divitiis  suis  !  Mais  si  le  simple  souvenir  de  la 
mort  est  rempli  de  tant  d'amertumes,  que  doit- 
on  penser  de  la  présence  même  de  la  mort?  Quelle 
peine  pour  cet  homme  qui  s'était  fait  comme  une 
idole  de  son  argent  !  pour  cette  femme  qui  ne 
s'est  occupée  qu'à  nourrir  ses  penchans  pour  le 
plaisir  ,  ^l"'^  ^c  procurer  toutes  les  commodités  , 
toutes  les  douceurs  de  la  vie  ;  qui  a  encore  mille 
projets  dans  l'esprit ,  mille  attachemeus  dans  le 
cœur  !  Quelle  peine  ,  dis-je  ,  pour  ces  personnes 
de  se  voir  contraintes  de  renoncer  tout  d'un  coup 
i\  tous  ces  objets  flatteurs  ,  et  lorsqu'elles  s'y  at- 
tendaient le  moins  !  Siccine  séparât  amara  mors  ? 
Quoi  ?  à  la  place  de  ces  appartemens  si  commo- 
des, de  ces  meubles  si  précieux,  me  voilà  donc 
réduit  à  une  bière  ,  à  un  suaire  ;  il  faut  que  je 
passe  dans  une  région  inconnue  ,  sans  suite ,  sans 
guide ,  comme  un  misérable  qu'on  exposerait  nu 
dans  une  île  déserte,  ou  dans  quelque  terre  inha- 
bitée :  on  continuera  de  jouer  dans  le  monde,  et 
de  s'y  livrer  à  la  joie,  on  y  dissipera  mon  bien 
en  folles  dépenses  ,  on  s'y  parera  avec  vanilé  de 
mes  dépouilles  ,  on  logera  dans  les  palais  que  j'ai 
bâtis  ,  on  consumera  dans  les  plaisirs  l'or  et  l'ar- 
gent que  j'ai  amassés ,  tandis  que  je  pourrirai  dans 
un  cercueil  sous  la  terre  y  et  que  j'y  serai  mangé 
des  vers  ! 

Delà  vient,  MM.  ,  qu'on  n*ose  dire  à  ces  sortes 
de  personnes  le  péril  où  elles  se  trouvent.  Elles 
n'ont  plus  quelquefois  qu'une  heure  de  vie,  qu'on 
délibère  encore  ,  qu'on  se  dispute  ,  à  qui  leur  fera 
l'annonce  de  la  dernière  scène  de  leur  vie  :  et 
quand  ce  triste  mot  est  enfin  sorti  de  la  bouche, 
et  qu'on  leur  a  faij  entendre  cette  parole  amère  et 
cruelle  ,  il  faut  mourir  ,  on  a  grand  soin  de  faire 
retirer  tous  ceux  que  le  moribond  a  aimés,  de  peur 
que   leur  présence  ne   lui  augmente    encore   le 


•712  1.  Pour  l£  Jcu3r 

sentinieiU  de  la  perte  qu'il  en  va  faire  ;  en  éloigne 
les  compagnons  de  ses  plaisirs,  afin  qn'il  en  perde 
plutôt  l  idée  ;  on  supprime  tout  discours  d'entans, 
de  femme,  de  biens  temporels,  afin  qu'il  quitte 
tout  avec  moins  de  peine.  Vainesprécaulions,  tout 
cela  lui  lient  trop  au  cœur  pour  l'oublier  si  facile- 
ment. Il  demande  encore  qu'on  le  soulage  ,  il  so 
plaint  qu'on  l'abandonne  ,  qu'on  lui  épargne  les 
remèdes  ,  qu'on  le  laisse  mourir  sans  secours  ;  il 
offre  la  moitié  de  son  bien  à  qui  le  retirera  de  ce 
péril  II  me  semble. voir  un  grand  arbre  quia  vieilli 
dans  le  cbamp  où  il  est  planté,  et  qui  a  étendu  au 
loin  ses  racines  :  on  a  beau  écarter  la  terre  et 
creuser  profondément  alentour  ,  il  tient  par  trop 
de  liens  au  sol  qu'il  ne  peut  ni  quitter  ni  attirer 
après  lui;  ï\  faut  nécessairement  employer  le  feret 
la  cognée  :  Jant  securis  adradiceni  orborls  posilaest. 
La  main  de  Dieu  a  frappé  ce  mauvais  Cbrélien,  il 
faut  qu'il  tombe  ;  ri  résiste  en  vain  à  une  puissance 
.<i  absolue  ,  tout  ce  qui  l'altacbe  au  monde  n'est 
pas  capable  de  l'y  retenir  :  et  c'est  celle  nécessité 
indispensable,  qui  lui  faisant  faire  réflexion  sur  la 
vanité  des  cboses  qu'il  a  aimées,  et  dans  lesquelles 
H  mettait  sa  confiance,  lui  cause  un  second  regret 
encore  plus  amer  que  le  premier,  c'est  de  n'avoir 
pas  plutôt  quille  ce  qu'il  devait  quitter  sitôt. 

Nous  voyons  dansles  conditions  les  plus  élevées, 
comme  dans  les  autres  ,  mourir  des  personnes , 
deux  ans,  un  an,  six  mois  quelquefois  ajirès  être 
entrées  dans  le  grand  monde  ,  après  s'y  être  liées 
par  le  mariage  ,  après  y  avoir  commencé  à  vivre 
dans  l'éclat  tt  dims  le  luxe.  A.  la  vue  de  C4'S  événe- 
mens  lugubres  ,  je  ne  puis  m'empèclier  de  me 
dire  à  moi-même  :  Hélas  !  pour  un  an  de  temps, 
ponr  six  mois,  fallait- il  prendre  des  engagemens 
si  étroits  avec  les  créatures  ?  Si  ce  jeune  bomme, 
«si  cette  jeune  fenuTie  avaient  pris  le  parti  ile  la  re- 
traite et  de  la  croix,  ils  seraient  déjà  au  bout  de 
leurs  peines  ,  et  ils  seraient  de  grands  Saints;  au 
lieu  que  pour  avoir  mal  choisi,  les  voilà  malbeu- 


•DES  "Morts.  '';3 

rendement  privés  des  biens  de  la  terre  ,  et  peut- 
être  de  ceux  du  (>iel.  Quelle  douleur  pour  ces  per-» 
sonnes  qui  comptaient  sans  doute  sur  une  fort 
longue  vie  ,  qui  avaient  peut-être  été  détournées 
de  se  donner  à  Dieu  par  la  vaine  appréhension  de 
cinquante  ou  soixante  années  d'austérités  ;  qiteilc 
douleur  de  voir  qu'il  ne  s'agissait  que  de  quelques 
mois  ,  et  qu'elles  ont  perdu  l'occasion  défaire  un 
8«criûce  granden  apparence,  et  de  mériter  en  ef- 
fet à  peu  de  frais  une  récompense  sans  bornes  ! 
Je  ne  sais,  MM.  ,  si  vous  concevez  bien  tout  ce 
que  cette  pensée  doit  avoir  d'accablant  ;  pour  moi 
j'avoue  qu'elle  me  paraît  insoutenable.  Or  à  quel- 
que âge  que  nous  soyons  parvenus,  si  nous  n'a- 
yons pas  vécu  chrétiennement  ,  nous  devons  nou« 
attendre  aux  mêmes  regrets. 

Car,  mes  frères,  il  est  étonnant  combien  la 
plus  longue  vie  paraît  courte  ,  quand  on  est  an 
ternie,  (le  n'est  qu'un  jour  ,  ce  ri'es^t  qu'un  mo- 
ment. Alors,  dit  saint  Pierre  Damien  ,  le  pécheur 
regarde  dernère  soi ,  et  il  ne  voit  qu'une  carrière 
d'un  pas;  il  regarde  devant  soi,  et  il  découvre  les 
espaces  infinis  de  l'éternité.  Il  pleure  d'avoir  pu 
s'ouvrir  par  une  voie  si  abrégée  ,  et  de  ne  s'être 
pas  ouvert  une  source  intarissable  de  bonheur  et 
de  délices.  Il  considère  que  si ,  au  lieu  des  plaisirs 
qu'il  a  recherchés,  il  avait  embrassé  les  travaux  de 
la  pénitence ,  ces  travaux  seraient  passés ,  comme 
les  vains  plaisirs  le  sont  ,  et  que  de  toutes  ses 
peines  il  ne  lui  resterait  qu'un  agréable  souvenir: 
ce  qui  l'afllige  d'airtant  plus  que  les  objets  prenant 
«lors  une  autre  face  à  ses  3  eux  ,  il  ne  verra  rien 
de  si  facile  ,  que  ce  qui  lui  aura  paru  le  plus  im- 
possible. Il  verra  clairement  qu'il  pouvait  faire 
ce  que  tant  d'autres  ont  fait ,  il  s'étonnera  qu'il  ait 
délibéré  un  seul  moment  s'il  suivrait  leur  exemple. 
Les  objets  par  lesquels  il  se  sera  laissé  éblouir-, 
perdant  insensiblement  leur  éclat ,  commcles  cou- 
leurs lorsqi^e  le  soleil  se  relire  ,  se  présenteront  à 
son  esprit  dépouillés  de  tous  les  attraits  qui  l'ont 

I.  4 


^4  2.  Pour.  lE  Jour 

.lutrefois  séduit.  Qui  m'ayait  fasciné  les  scn?  ,  se 
dira-t-il  à  lui-même  ,  jusqu'au  point  de  me  faire 
trouver  des  charmes  à  ce  visage  qui  devait  pourrir, 
à  cet  honneur  qui  devait  s'évanouir  ,  à  cet  or  que 
je  devais  quitter,  à  cette  vie  qui  davait  dur^r  sÀ 
peu  ? 

Toutes  ces  vérités  seront  pour  lui  si  frappantes, 
il  en  sera  si  intimement  persuadé  ,  il  verra  d'une 
manière  si  palpable  et  si  sensible  qu'il  a  vécu 
comme  un  aveugle  ,  comme  un  enfant  ,  comuie 
un  insensé  ,  qu'il  mérite  d'être  la  risée  de  tout  ce 
qu'il  y  aura  jamais  d'hommes  raisonnables  :  il 
sera  ,  dis-je  ,  persuadé  et  convaincu  de  sa  folie  , 
autant  ou  plus  que  nous  ne  le  sommes  de  ce  que 
nous  voyons  de  nos  yeux  ,  et  de  ce  que  nous  tou- 
chons de  nos  mains.  Or  cette  lumière  si  claire  et 
fi  brillante  allumera  dans  son  c.<3eur  un  désir  si  vif 
de  revenir  sur  ses  pas  ,  pour  recommencer  sa 
course  ,  qu'il  n'est  point  de  penchant  si  violent, 
point  d'instinct  si  fort ,  point  de  passion  si  ardente , 
qui  puisse  exprimer  l'acjivité  des  mouvemens  qu'il 
éprouvera  dans  son  ams.  Quelle  sera  donc  sa  peine 
ei  son  désespoir,  -lorsqu'il  se  verra  arrêté  par  un 
obstacle  invincible,  lorsque  sa  volonté  emportée 
par  la  conviction  de  l'esprit ,  comme  par  un  poids 
immense ,  viendra  heurter  et  se  briser  contre  le 
décret  immuable  de  la  suprême  puissance ,  qui  a 
fixé  la  mort  à  ce  moment  !  Manere  satagit ,  ire 
compeUitur. 

llepréscntcz-Yous  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  l'ia- 
fortuné  Pharaon  .  qui  s'étant  follement  engagé  à 
poursuivre  Is^s  en  fans  d'Israël  parla  route  que  Dieu 
îeuc  avait  ouver'c  au  milieu  de  la  mer  rouge,  et 
qtii  voyant  qin?  h'  Ciel  favorable  à  ses  ennemis 
foudroie  son  armée  de  toutes  parts,  fait  brusque- 
ment sonner  la  retraite  .  et  tourne  visage  pojir 
gagner  l'attire  bord  :  quel  est  son  désespoir  ,  lors- 
qu'il ap<^rçoit  que  les  (lois  se  sont  réunis  derrière 
lui ,  qu'ils  opposent  à  sa  fuite  des  abîmes  impéné- 
irableô .  qu'ilîui  faut  périr  au  milieu  de  ces  abîmes. 


DES  Morts.  75- 

«ftns  pouvoir  faire  un  seul  pas  pour  reculer  !  Voi'à 
l'imnge  du  pécheur  mourant  qui  reconnaît  enlin 
les  pernicieuses  voies  qu'il  a  tenues ,  et  qui  conçoit 
de  violons  mais  inutiles  désirs  de  revenir  sur  ses 
imprudentes  démarches. 

Il  reconnaît  donc  encore  une  fois  qu'il  faut  par- 
tir ;  et  son  terme  approchant  de  plus  en  plus  ,  ses 
plaisirs,  dont  il  n'a  encore  envisagé  que  la  dou- 
ceur et  la  vanité,  paraissent  enfin  dans  toute  Ihor-. 
reur  de  leur  dérèglement ,  et  présentent  le  plus 
terrible  et  le  plus  affreux  spectacle  qu'on  puisse 
imaginer. 

Il  est  certain,  Chrétiens  auditeurs  ,  que  tout  le 
temps  que  le  pécheur  jouit  de  la  vie  ,  il  ne  voit  ni 
le  nombre  ni  l'énormité  de  ses  crimes.  Pour  le 
nombre  ,  on  dirait  que  ce  sont  des  ennemis  qui  se 
cachent  à  lui,  de  peur  d'être  découverts,  jusqu'A 
ce  que  l'ayant  attiré  comme  dans  une  embuscade, 
et  réduit  au  point  de  ne  pouvoir  échapper  ,  ris  se, 
produisent  à  la  fois  et  viennent  fondre  sur  lui  , 
pour  l'accabler  par  leur  multitude  ;  de  sorte  qu'il 
■  peut  dire  alors  avec  David  :  Comprehenderunt  ma 
iniquitaiesmeœ  y  et  non  pot  ai  ut  vider  em  ;  multiplico'^ 
iœ  sunt  super  capillos  capitis  inei  :  Me  voici  tombé 
subitement  entre  les  mains  d«  mes  propres  crimes  ; 
le  nombre  en  est  si  grand  ,  que  je  ne  puis  me  ré- 
soudre à  les  regarder;  ils  se  montrent  si  multipliés, 
qu'ils  me  paraissent  surpasser  le  nombre  des  che- 
Teux  de  ma  tête  :  Muitiplicatœ  sunt  super  capUlos 
capitis  inci. 

Oui  ,  MM.  ,  à  l'heure  de  la  «lort  le  pécheur 
verra  toutes  les  taches  de  sa  vie  ;  au  défaut  de  sa 
mémoire  ,  qui  ne  lui  sera  dans  cette  occasion  que 
trop  fidèle  ,  les  démons  lui  en  rappelleront  le  sou- 
venir ,  Dieu  même  ouvrira  sa  conscience  ulcérée, 
et  d'une  seule  vue  lui  en  fera  connaître  toutes  les 
plaies.  0  Dieu  !  quelle  corruption  I  quel  hideux 
cahos  !  et  qui  pourra  ,  sans  mourir,  en  soutenir 
l'horreur  ?  Que  de  désordres  qu'il  n'avait  jamais 
aperçus  ,  que  de  péchés  dans  un  seul  péché  î  quo 

4. 


^6  Potri  LE  Jour 

de  péchés  m^me  dans  ses  bonnes  œuvres  !  Dan» 
celte  foule  presque  innombrable  de  pensées  ,  de 
paroles,  d'actions  ,  qui  devaient  toutes  être  rap- 
portées à  Dieu  seul  ,  à  peine  en  trouve-t-il  une  ' 
seule  qui  n'ait  été  tournée  contre  Dieu.  Ce  n*est 
partout  que  haine  ,  que  colère  ,  qu'envie  ,  qu'or- 
gueil, qu'amour  déréglé,  qu'ambition,  qu'avarice. 
En  cîTet  il  a  toujours  été  dominé  par  quelqu'une 
de  ces  passions,:  et  l'on  sait  a&se^que  tandis  qu'elles 
régnent  dans  un  cœur,  elles  y  tyra^nnisent  ,  elles 
s'y  rendent  tellement  maîtresses  de  tous  les  mou- 
vemens  de  l'ame  ,  qu'elles  y  laissent  à  peine  une 
place  aux. saines  pensées.  Quelle  confusion  pour 
ce  pécheur  infortuné, lorsque  d'un  côté  pénétrant 
vivement  qu'il  n'était  au  monde  que  pour  louer  et 
pour  servir  son  Créateur, 41  se  ressouviendra  qu'il 
a  vécu  dans  une  rébellion  presque  continuelle  con- 
tre lui,  qu'il  l'a  outragé  en  mille  manières,  qu'il 
a  détaché  4'autr^s  hommes  de  son  service  ,  qu'il 
s'est  servi  de  toutes  ses  créatures  pour  l'offenser  ! 
Croyez -vous  qu'après  ces  vueSiil  ose  penser  à 
rhéritagc  céleste  ?  osera-t-il  même  se  présenter 
devant  Dieu?  Tl  ne  l'oserait  pas  sans  doute  ,  mais 
comme  il  ne  peut  pas  s'en  défendre,  on  ne  sau- 
rait dire  combrien  cette  nécessité  lui  paraît  cruelle. 
Pour  le  comprendre  ,  outre  le  nombre  de  ses  cri- 
mes, il  faudrait  pouvoir  sentir  l'horreur  qu'ils  im- 
priment dans  son  ame.  Il  ne  faut  pas  croire  qu'on 
s'aveugle  encore  à  ce  moment  jusqu'à  excuser  le» 
crimes  les  plus  grossiers ,  comme  étant  les  apa- 
nages de  la  faiblesse  humaine  ,  et  jusqu'à  donner 
le  nom  de  vertu  aux  vices  qui  en  ont  les  trompeu- 
ses apparences.  On  prend  bien  alors  d'autres  idées  ; 
on  commence  enfin  à  connaître  Dieu ,  et  à  se  con- 
naître soi-même  ;  et  cette  double  lumière  fait  dé- 
couvrir tant  de  difformité  dans  les  moindres  déré- 
glemeos  ,  que  je  ne  doute  point  qu'un  simple 
péché  véniel  considéré  dans  ce  grand  jour ,  ne 
nous  porint  dans  le  désespoir ,  si  nous  û'étioûa 
•oi^tcous  ^'-.ine  grâce  particulière. 


DES  Morts.  77 

Jugez  du  trouble  de  cet  homme  mallieure"j?(  qui 
se  voit  contraint  d'aller  faire  aux  yeux  du  Seigneur 
le  détail  de  toutes  ses  abominations;  sur  le  point 
de  paraître  devant  le  Dieu  de  la  pureté  ,  que  de 
Konte  lui  doivent  causer  ses  crimes  impurs  !  qu'il 
doit  trouver  d'injustice  dans  sescrua^Jlés,  dans  î?e6 
vengeances  ,  dont  il  faut  qu'il  aille  répondîe  de- 
vant Dieu  qui  lui  avait  ordonné  d'aimer  ses  enno- 
niis  mêmes  et  de  leur  faire  dubien  !  Que  pense-l-il 
de  sesscaiidalcs  ,  lorsqu'il  réfléchit  qu'ils  ont  damné 
(hs  âmes  qui  étaient  si  chères  à  celui  qui  va  le  ju- 
ger? Quel  effroi,  quel  accablement ,  lorsqii'il  rap- 
pelle ses  impiétés  et  ses  irrévérences  dans  les  saints 
Ueux  envers  cette  Majesté  terrible  qui  en  a  été 
offensée  ,  et  qui  l'attend  sur  son  trône  pour  je  lui 
reprocher  en  face  !  O  si  redivivum  pœnitentiœ  tem- 
pus  mereri  potuisset  y  dit  à  ce  sujet  saint  Pierre  Da- 
mien  ,  quàm  durœ  conter  s  ationis  iter  arriperei  ! 
0  si  avant  d'être  porté  à  ce  redoutable  tribunal, 
on  voulait  bien  lui  donner  le  loisir  d'expier  ses 
fautes  par  la  mortification  ,  avec  quelle  ardeur  en 
«mbrasserait-il  les  plus  rudes  exercices  !  O  s'il  lui 
restait  encore  un  peu  de  ce  temps  qu'il  a  si  mal 
employé  ;  mon  Dieu  ,  s'il  pouvait  recommencer, 
à  quoi  ne  s'engagerak-il  point  pour  obtenir  une 
d«;  ces  années  qu'il  a  passées  dans  la  débauche  ! 
Jeûnes  ,  ciliccs  ,  continence  ,-  pauvreté  ,  qui  lui 
faisiez  peur  autrefois  ,  qu'il  s'estimerait  heureux  , 
s'il  lui  était  permis  d'éprouver  toutes  vos  rigueurs! 
qu'il  trouve  que  les  Antoines  ,  les  Hilarions  ,  les 
Siméons  Stylites  ont  acheté  le  Ciel  à  peu  de  fiais! 
Qu'est-ce  que  soixante  années  de  solitude  ,  de  ma- 
ladie ,  ou  u'ême  de  tourmens  et  de  tortures  ,  en 
comparaison  de  ce  qu'il  voudrait  faire  pour  donner 
à  son  repentir  toute  l'activité  dont  il  est  suscepti- 
ble ?  Quàm  durœ  conversiitionis  iter  arriperet  !  qua- 
lia  et  quanta  promitteret  !  quantis  se  devotionum 
tincutis  innodaiy.t  ! 

Beaux  désirs  de  pénitence  ;  pieux  ,  généreux 
même  ,  si  vous-  voulez  ,  mai»  toujours  inutile* 


^3  .2.  Pour  le  Jour 

sentimerTS  ;  vaine  et  tardive  ferveur  ;  que  ne  Yc- 
niez-vous  un  peu  plus  tôt!  vous  auriez  fait  un  aulrc 
saint  Augustiri"  de  ce  scélérat  impénitent  :  rnaÎA 
c'en  est  fait,  vous  ne  pouvez  plus  qu'augmenter 
ses  crimes  et  sa  peine  ,  et  rendre  son  désespcrii* 
plus  vif.  Quel  malhenr,  mes  tVères,  de  se  senlir 
si  fortement  porté  au  bien  ,  et  de  n'être  pas  maître 
du  temps  pour  se  satisfaire  !  Mais  ne  sommes-nous 
pas  encore  plus  malheureux ,  nous  qui  avons  le 
temps  ,  et  qui  n'avons  point  ces  désirs  ?  Que  nous 
sert-il  de  n'être  pas  encore  réduits  à  cette  cruelle 
exlrémité,  si  nous  ne  profitons  pas  de  notre  avan- 
tage ,  si.  nous  n'avons  pas  encore  la  volonté  d'ac- 
complir ce  que  ces  infortunés  n'ont  plus  le  temps 
d'exécuter?  Ne  prévoyons-nous  point  que  nos  dé- 
lais nous  conduisent  insensiblement  au  piège  où 
ils  se  sont  laissés  prendre  ?  et  que  si  nous  conti- 
nuons de  renvoyer  notre  pénitence,  nous  périrons 
comme  eux  dans  les  vains  sentimens  d'un  repentir 
inefficace  ?  C'est  aujourd'hui  qu'il  faut  commen- 
cer ,  parce  que  peut-être  il  faudra  finir  demain. 

C'est  un  triste  spectacle  pour  un  Chrétien  qui 
meurt,  qu'une  vie  toute  passée  dans  les  plaisirs  et 
dans  les  fausses  joies  du  monde,  soit  qu'il  rappelle 
en  son  esprit  la  douceur  de  cette  vie  ,  soit  qu'il  en 
considère  la  vanité,  soit  qu'il  en  examine  le  désor- 
dre :  ce  n'est  pourtant  qu'une  partie  de  l'Enfer  que 
l'homme  impénitent  souffre  à  la  mort.  Si  la  vue 
du  passé  le  désespère  ,  celle  de  l'avenir  achève  de 
l'accabler  :  c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND  POINT. 

Il  faut  l'avouer  ,  M>I.  ,  do  quelque  manière 
qu'on  ait  vécu  ,  c'est  une  terrible  conjoncture,  que 
celle  oiY  se  trouve  un  homme  qui  n'a  plus  qu'un 
moment  à  vivre.  Comme  ce  moment  doit  le  ren- 
dre heureux  ou  malheureux  éternellement ,  il  est 
peu  de  personnes  ,  t'i  l'on  en  excepte  quelques 
âmes  extrêmement  pures  ,  que  la  grandeur  et  la 
présence  du  péril  n'effraient .   et  qui  ne  frémissent 


DES  Morts.  7g 

dans  l'attcnle  d'un  succès  d'où  dépend  leur  im- 
muable destination  :  sans  celte  crutHe  incerlitude, 
la  mort  n'aurait  rien  de  si  funeste  pour  la  plupart 
des  Chrétiens  ,  il  s'en  trouverait  nitMiie  plusieurs 
qui  la  désireraient  au  lieu  de  là  craindre.  Mai^  dès 
que  tout  homme  éprouve  les  plus  mortelles 
frayeurs  à  cause  de  l'incertitude  où  Ton  est  si  on 
passera  de  celte  vie  à  une  autre  vie,  ou  si  la  mort 
ne  sera  qu'un  passage  à  une  autre  mort;  quel  doit 
être  le  trouble  et  le  désespoir  de  cenx  qui  n'ont 
plus  de  doute  sur  l'avenir  ,  el  qui  sont  assurés  de 
leur  éternelle  damnation  !  Mettez-vous  pour  un 
moment  devant  les  yeux  l'horreur  et  l'émotioa 
que  sent  un  criminel  condamne  à  perdre  la  vie  , 
au  moment  qu'il  entend  ouvrir  les  porte*  de  la 
prison  ,  d'où  il  doit  être  conduit  au  supplice.  Ce 
n'est  qu'une  ombre  de  ce  que  souffre  un  pécheur 
qui  sent  que  son  ame  commence  à  se  détacher,  et 
que  rheure  de  partir  est  enfin  venue, 
r  Une  de  ses  grandes  inquiétudes  durant  la  vie  ,  a 
été  de  savoir  s'il  y  avait  un  Enfer  ,  ou  s'il  n'y  en 
avait  pas;  si  ce  qu'il  entendait  dire  de  l'éternité 
Irélaît  qu'une  fable.  iMais  qu'il  est  bien  désormais 
affermi  dans  sa  croyance  !  Non,  M>I.  ,  il  ne  doute 
plus  de  la  véiilé  ,  il  n'en  est  que  trop  convaincu 
pour  son  malheur  :  tout  ce  qu'on  lui  a  jamais  dit 
de  l'état  des  damnés  ,  et  de  leurs  tourmens  éter- 
nels ,  tout  cela  se  présente  à  sa  mémoire  par  des 
images  si  vives ,  qu'il  croit  déjà  sentir  tout  ce  qu'il 
voit  ;  il  lui  semble  être  plongé  dans  ces  brasiers 
sombres  et  ardens  ,  enseveli  dans  ces  brûlantes 
ténèbres  ,  et  noyé  dans  ces  étangs  de  soufre  allu- 
més. Quelquefois  l'on  en  a  entendu  ,  qui  criaient 
<lè<»-lors ,  comme  le  mauvais  riche  :  Crucior  in  liac 
flamma  :  Je  suis  damné  ,  je  brûle  dans  ces  flam- 
mes. L'éternité,  cette  épouvantable  éternité,  dont 
il  n'est  plus  éloigné  que  d'un  seul  moment  ,  tout 
immense  et  lont  infinie  qu'elle  est,  se  rassemble 
en  son  esprit  ,  et  l'accable  de  son  po<ds.  Conce- 
vez, s'iIestpos5ible,le'«  mouvemcns,  les  agitations 


So  ^'  Pour  le  Jx)ur 

d'une  ame  qui  se  voit  sur  le  point  d'être  jetée  daiW 
une  prison  ardente  ,  d'où  elle  sait  infailliblement 
qu'elle  ne  sortira  jamais;  qui  n'opposc  plus  qu'une 
résistance  défaillante  à  la  force  invincible  qui  la 
pousse  dans  un  précipice  affreux,  d'où  personne 
n'est  jamais  revenu  ;  en  uq  mot  qui  n'a  plus  qu'un 
pas  à  faire  pour  tomber  dans  un  gouffre  où  sont 
réunis  tous  les- maux ,  et  où  tous  ks  maux  sont 
éternels. 

Faut-il  s'étonner  si ,  malgré  les  douleurs  aiguës 
de  la  maladie  ,  quoique  désormais  cette  ame  soit 
moins  dans  le  corps  pour  vivre  que  pour  souffrir^ 
elle  fait  en<îore  des  efforts  pour  y  rester  ?  faut-il 
s'étonner  qu'étant  venue  cent  fois  jusque  sur  les 
lèvres  pour  sortir  ,  elle  rentre  autant  de  fois  toute 
allarmée ,  et  cherche  encore  une  retraite  dans  cet 
asile  ruineux  ?  Comment  se  résoudre  à  commen- 
cer une  carrière  de  maux  infinis  dont  on  désespère 
de  voir  le  bout ,  parce  qu'en  effet  elle  n'en  a  point  ? 
Mais  c'est  en  vain  qu'elle  résiste  ,  une  troupe  de 
démons  qui  viennent  pour  l'enlever  ,  l'assiègent 
dans  son  faible  retranchement ,  et  se  jetent  sur 
elle  comme  des  lions  affamés  sur  leur  proie.  Ils 
redoublent  sa  frayeur  par  leurs  figures  hideuses, 
ils  l'altaquent  par  les  tentations  les  plus  horribles. 
L'un  la  porte  à  des  mouvemens  de  désespoir ,  l'au- 
tre lui  inspire  des  pensées  de  blasphème  ,  un  autre 
lui  propose  encore  les  oh'^ts  de.  ses  brutales  pas- 
sions ,  tous  la  pressent  de  se  rendre,  et  tâchent 
de  la  tirer  de  sa  forteresse  presque  détruite  :  Cir- 
cumdederunt  me  vituli  multi ,  iauri  pingaes  obséder 
runt  me  ,  aperuerunt  super  me  os  suam  sicut  leo 
rapiens  et  rugiens.  Oui  sans  doute  elle  le  peut  dire, 
qu'elle  est  environnée  de  taureaux  fougueux  et 
robustes  ,  plus  cruels  et  plus  furieux  encore  que 
tics  lions  rugissans.  Que  fera-t-elle,  étant  seule  , 
«t  destituée  de  tout  secours  ,  contre  un  si  grand 
nombre  d'ennemis  ?  Elle  gémit ,  elle  éclate  ,  elle 
implore  l'aide  et  du  Ciel  et  de  la  terre;  mais  c'est 
trop  tard  ,  les  hommes  sont  dans  l'impuissance  de 


iJes  Morts.  £r 

h»  secourir,  et  les  Anges  se  sont  déjà  relirés,  i>iMi 
lui-même  l'a  livrée  à  Satan  et  à  ses  impitoyable» 
Ministres  ;  ceux-ci  la  saisissent  avec  fureur  ,  ils 
l'arrachent  du  corps ,  et  triomphans  de  leurs  succès, 
l'entraînent  dans  les  Enfers  ,  et  exercent  sur  elle 
tout  ce  que  leur  haine  et  leur  rage  leur  peut  ins- 
pirer de  cruauté.  Si  la  pensée  du  sépulcre  et  des 
vers  qui  s'y  doivent  nourrir  de  son  corps  lui  a  fait 
opposer  des  efforts  à  cette  triste  réparation  ,  com- 
ment ne  reculerait-elle  point  à  la  vue  de  ces  flam- 
mes où  elle  va  être  ensevelie  ,  de  ces  scrpens  dont 
elle  va  devenir  la  proie  ,  et  de  ce  ver  immortel 
surtout  qui  commence  à  la  ronger  ,  et  à  qui  son 
cœur  doit  fournir  un  aliment  éternel  ?  Une  per- 
sonne qui  meurt  en  grâce  se  console  aisément  de 
la  perte  d'une  chair  qu'elle  doit  recouvrer  im  jour 
glorieuse  et  immortelle  :  si  elle  laisse  une  partie 
de  ses  amis  sur  la  tei?re,  elle  va  joindre  l'autre  qui 
l'a  déjà  précédée  au  séjour  céleste  :  peut-elle  en- 
fin regretter  les  biens  qu'elle  quille,  lorsqu'elle  va 
à  la  source  de  tous  les  biens  ?  Mais  cette  malheu- 
reuse ame,  cette  ame  pécheresse  et  réprouvée  voit 
la  mort  avec  un  horreur  qui  redouble  à  la  pensée 
de  la  résurrection  ;  il  faut  sortir  du  corps  ,  et  ce 
qui  est  encore  plus  affligeant  ,  c'est  qu'elle  s'at- 
tend d'y  rentrer  pour  lui  faire  part  de  sa  peine  et 
d«  son  ignominie  ;  elle  se  sépare  de  ses  tendres 
amis  ,  et  c'est  pour  tomber  entre  les  mains  de  ses 
ennemis  les  plus  mortels.  Enfin  on  la  dépouille  de 
toute  sorte  de  biens,  et  sous  ses  yeux  s  ouvre  un 
abîme  de  malheurs  ,  qui  n'ont  ni  fond ,  ni  issues 
Elle  oppose  un  reste  de  forces  épuisées  à  ce  départ 
désespérant;  elle  combat  ,  ou  plutôt ,  dans  la  né- 
cessité de  partir,  elle  saisit  tout  ce  qui  se  rencon- 
tre sous  sa  main  ,  pour  s'y  attacher  ;  de  là  cette 
sueur  mortelle  ,  de  là  ces  mouvemens  inquiets , 
ces  horribles  convulsions  >  cette  longue  ,  cette 
cruelle  agonie. 
Juste  Dieu  ,  que  Tos  pensées  sont  éloignées  de9 

4* 


Sa  2.  Pour  le  Jour 

nôtres  î  Vous  êtes  lent  à  punir  ,  mais  que  vous 
ftaYCz  bien  compenser  les  délais  par  la  pesanteur  de 
Tos  coups  !  Cet  homme,  il  est  vrai  ,  a  vécu 
quelque  temps  dans  l'abondance,  les  gens  de  bien 
ont  eu  de  la  peine  à  s'empêcher  de  murmurer  de 
sa  grande  prospérité  ,  peu  s'en  faut  qu'ils  ne  la 
lui  aient  enviée  :  mais  est-il  quelqu'un,  ou  si  mi- 
sérable, ou  si  dur,  qui  ne  le  plaigne  aujourd'hui, 
et  qui  loin  de  blâmer  l'excès  de  votre  indulgence, 
ne  frémisse  à  la  vue  de  vos  jugemcns  ,  qui  lui  pa- 
raissent aussi  justes  que  redoutables  ? 

Quelle  différence  ,  mes  frères ,  entre  cette  mort 
et  celle  des  Saints  qui  allcndaient  avec  impatience- 
leur  dernière  heure  comme  un  moment  infoi  luné , 
qui  défendaient  qu'on  les  pleurât ,  qui  deman- 
daient qu'on  chantât  des  cantiques  de  louanges  , 
qui  les  chantaient  eux-mêmes  jusqu'aux  derniers 
soupirs ,  et  qui  expiraient  à  la  vue  du  Ciel  ouvert 
à  leurs  yeux  ,  et  entre  les  bras  des  Anges  commis 
à  leur  garde  ! 

C'est  à  nous,  MM.  ,  de  choisir  entre  ces  deux 
manières  de  finir  ses  jours  ,  celle  qui  sera  le  plus 
à  notre  gré  :  ce  choix  dépend  de  nous  ,  et  nous 
avons  bien  sujet  de  louer  la  miséricorde  de  Dieu 
qui  nous  en  laisse  encore  les  maîtres.  Hélas  !  si  , 
malgré  cette  grâce,  nous  étions  assez  malheureux 
pour  nous  laisser  surprendre  ,  comme  ceux  dont 
nous  déplorons  le  malheur  !  Oui  ce  passé  qui  fait 
leur  tourment ,,  et  qui  attire  les  disgrâces  de  cet 
avenir  si  funeste  ,  grâces  à  la  bonté  divine  ,  ce 
passé  est  encore  à  venir  ou  présent  pour  nous. 
Ce  que  nous  faisons  aujourd'hui  ,  ce  que  nous 
ferons  demain  ,  c'est  ce  qui  rendra  nos  derniers 
jours  ou  ténébreux  ou  s(  reins.  Notre  vie  est 
comme  une  perspective  que  nous  envisageons 
tous  de  ce  point  fatal  qui  en  doit  fermer  le  cours; 
nous  faisons  chaque  jour  quelque  partie  de  ce  ta- 
bleau. Travaillons-le  avec  soin  ,  Chrétiens  audi- 
teurs ,  effaçons  avec  nos  larmes  tout  ce  que  notre 


DES  Morts.  S^ 

négligence  y  a  laissé  glisser  jusqu'ici  de  diironiie 
et  d'irrégulrer  ;  désormais  n'y  ajoutons  pas  un 
seul  trait  ,  c'est-à-dire  ,  aucune  arlion  ,  pas  une 
seule  couleur  ,  c'est-à-dire  ,  aucune  intention  , 
dont  la  vue  ne  nous  puisse  flatter  en  niourant , 
et  nous  mériter  les  complaisances  du  Seigneur 
dès  cette  \ie ,  et  ses  récompenses  dans  l'autre. 
Ainsi  soit-il. 


SERMON 

POUR    LE    JOUR 

DE     NOÈL.- 


Pax  hominibus  bonœ  roluntafis. 

La  paix  aux  hommes  de  bonne  volonté.  (Lue,».) 


Jcsus-Christ  uaît  pour  nous  servir  de  guide.  11  sait  toutes 
les  Toies  par  où  l'on  peut  aller  à  Dieu  ,  il  les  enseigne 
avec  beaucoup  de  cl^'té,  il  les  applanit  pac  ses  exem- 
ples, il  nous  aide  à  y  marcher  par  sa  grâce; 

Il  est  vrai  qu'à  la  naissance  de  Jésus-Christ  tout 
l'univers  jouissait  d'une  paix  profonde  sous  le  rè- 
gne du  grand  Auguste;  mais  on  peut  dire  que  celle 
paix  était  semblable  au  caluie^  et  au  silence  de  la 
nuit,  assez  commode  pour  ceuxqui  ne  cherchent 
que  le  repos ,  ou  la  liberté  de  tout  faire  impuné- 
ment ;  mais  triste  et  affreuse  pour  ceux  qui  aiment 
à  s'occuper  utilement,  ou  qui  sont  obligés  de  mar- 
cher, pour  arriver  au  terme  de  leur  carrière. 

L'Idolâtrie  était  alors  si  répandue  ,  .qu'à  la  ré- 
serve du  peuple  juif,  tout  l'univers  y  était  plongé; 
elle  s'était  multipliée  à  un  point ,  que  le  nombre 
des  Dieux  égalait  presque  celui  des  hommes.  Il  est 
vrai  que  quelques  esprits  plus  éclairés  en  connais- 
saient la  fausseté  et  la  superstition  ;  mais  efte  était 
si  établie  ,  que  ceux  qui  avaient  encore  ces  lumiè- 
res pures,  n'osaient  plus  ni  'es  communiquer,  ni 
les  suivre.  Que  dirai-je  de  la  corruption  des  mœurs , 
toujours  générale  et  sans  bornes  partout  où  la  vé- 


I.  Pour  le  Jour  de  Noël.  85 

rite  n'est' pas?  On  n'oserait  rapporter  dans  une 
assemblée  comme  celle-ci,  ce  que  saint  Paul  «n^  a 
touché  dans  sa  première  épître  aux  Romains,  et 
ce  que  saint  Jérôme^  en  dit  plus  au  long  dans  ses 
commentaires  sur  Isaïe.  Il  suffit  de  dire  que  le  vice 
ne  régnait  pas  seulement  ,  qu'il  se  faisait  même 
adorer ,  qu'il  était  comme  la  Divinité  commune 
qui  réunissait  toutes  les  sectes  ,  et  que  chaque 
peuple  avait  ajoutée  à  ses  Dieux  parliculitirs. 

Au  milieu  de  ces  épaisses  ténèbres,  les  pécheurs 
vivaient  sans  doute  dans  la  paix,  rien  ne  les  ré- 
vieillant  du  plus  profond  assoupissement  où  ils 
étaient,  et  leurs  désordres  étant  de  plus  autorisés 
par  la  dépravation  générale  ,  et  par  l'exemple 
même  des  Dieux.  Mais  pour  les  âmes  pures,  pour 
ceux  qui  auraient  eu  plus  de  connaissance'  de  la 
vertu ,  et  qui  auraient  désiré  de  la  pratiquer,  quelle 
peine,  quelle  douleur  de  n'en  trouver  aucune  trace 
sur  la  terre  !  de  n'avoir  ni  lumière  pour  découvrir 
les  roules  qui  y  conduisent ,  ni  maître  pour  les  en- 
seigner !  Dieu  soit  à  jamais  glorifié,  qu'il  soit  loué 
et  béni  éteruellement  :  voilà  un  grand  jour-qui 
commence  à  luire  ;  à  la  faveur  de  cette  nouvelle 
clarté  5  nous  allons  sortir  de  l'état  déplorable  de 
notre  ignorance  :  le  Fils  de  Dieu  vient  au  monde 
pour  nous  éclairer,  et  pour  apprendre  les  voies  de 
là  sainteté  à  ceux  qui  sont  touchés  du  désir  de  leur 
propre  sanctification  :  Pao)  Iwminibus  bonœ  voluti' 
tatis.  C'est  ce  que  les  Anges  ont  fait  entendre  par 
leurs  chants,  à  la  naissance  de  ce  Prince  pacifique. 
Que  tous  ceux  à  qui  Dieu  a  donné  une  bonne  vo- 
lonté ,  cessent  de  s'inquiéter  et  de  craindre  :  Jésus- 
Christ  va  leur  ouvrir  le  chemin  du  Ciel,  et  s'y  faire 
lui-même  leur  guide.  Souffrez,  Messieurs,  que'je 
TOUS  explique  celle  vérité  :  elle  est  bien  conso- 
lante pour  ceux  qui  souhaitent  de  vivre  selon  les 
lois  du  Christianisme  ;  et  je  ne  doute  point  qu'au- 
jourd'hui dans  le  Sacrement  de  la  Pénitence  nous 
n'ayons  tous  conçu  ce  pieux  désir.  Demandons  à 
Dieu  les  lumières  qui  nous  sont  nécessaires  pour 


86  I.  Pour  le  Jour 

tirer  quelque  fruit  de  ce  discours  :  il  ne  peut  rien 
nous  refuser,  après  nous  avoir  donné  son  Fils  uni- 
que, surtout  si  nous  employons  le  crédit  de  Marie^ 
par  qui  il  nous  l'a  donné  :  Jce,  Maria.  - 

Un  liomnie  de  bonne  volonté ,  dans  le  sens  le 
plus  naturel  et  le  plus  littéral ,  est  celui  dont  la 
volonté  est  portée  au  bien ,  et  qui  désire  suivre 
l'attrait  de  la  vertu.  Mais  il  est  plusieurs  sortes  de 
désirs  ,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'il  ne  s'agisse  ici 
des  désirs  les  plus  efficaces.  Je  ne  saurais  mieux 
vous  représentercfe  que  j'ai  souvent  observé  moi- 
même  à  l'égard  de  ces  véritables  désirs  ,  qu'en 
vous  mettant  sous  les  yeux  ces  personnes  altérées 
qui  courent  les  montagnes  et  les  vallons  pour  étein- 
dre la  soif  qui  les  brûle  ;  qui  se  jettent  avec  avidité 
sur  le  premier  rui&seau  qu'elles  rencontrent ,  sans 
considérer  s'il  estclnir,  ou  s'il  estbourlDcux,  comme 
autrefois  !cs  Grecs  infortunés,  qui  se  sentant  pres- 
sés en  même  temps  et  de  la  soif  et  des  ennemis, 
oubliaient  le  péril  où  ils  étaient  de  perdre  la  vie, 
et  se  disputaient  à  qui  puiserait  le  premier  d'une 
eau  où  la  fange  était  mêlée  avec  leur  propre  sang. 

Voilà,  chrétiens  auditeurs,  Timage  là  plus  naïve 
que  je  vous  puisse  donner  de  la  bonne  volonté. 
C'est  la  disposition  d'un  homme  qui  a  faim  et  soif 
de  la  justice,  comme  parie  Jésus-Christ,  mais  qui 
en  est  affamé  ,  qui  en  est  altéré  à  un  point,  qu'il 
n'est  ni  fatigue  qu'il  n'essuie,  ni  péril  qu'il  n'af- 
fronte pour  sesair5faire;  qui  embrasse  avec  ardeur 
tous  les  moyens  qu'on  lui  offre  de  se  sanctiûer, 
sans  examiner  s'ils  sont  aisés  ou  pénibles ,  s'ils 
sont  doux  ou  amers  à  la  nature.  O  l'inestimable 
don,  s'écrie  saint  Bernard,  quecette  volonté  sainte 
et  fervente  !  Que  ceux  qui  l'auront  reçue  du  ciel 
se  verront  bientôt  comblés  de  biens  et  de  grâces 
surnaturelles  î  qu'ils  laisseront  loin  derrière  eux 
ces  amea  froides  et  timides  ,  qui  n'ont  que  des 
désirs  languissans  pour  l'avantage  le  plus  pré- 
cieux, et  qui  mérite  le  plus  d'être  désiré  !  Grande 


DE    NOEL.  '8*7 

donum ,  bona  voluntas  !  quia  in  animo  omnium  est 
origo  bonorum  ,  et  onniium  mater  viriuium.  Mais 
cette  bonne  volonté,  qui  est  à  présent  la  source  de 
tant  de  richesses  spirituelles  ,  cfuc  pouvait-elle 
produire  avant  la  naissance  de  Jésus-Christ ,  que 
des  troubles  et  des  soucis  inutiles  ?  Si  les  maîtres 
de  la  vie  spirituelle  ont  observé  qu'une  ame 
fervente  ,  aujourd'hui  même  ,  si  elle  n'est  sage- 
ment conduite,  se  fatigue  vainement,  et  fait  beau- 
coup de  pas  sans  faire  de  progrès;  que  pouvait-on 
attendre  de  la  plus  grande  ferveur  avant  l'incarna- 
tion du  Verbe,  et  la  publication  de  l'Évangile? 
L'ancienne  loi,  il  est  vrai,  a  donné  des  hommes 
vertueux;  mais  enfin  ils  étaient  sujets  aux  erreurs 
et  aux  faiblesses  des  autres  hommes  ,  et  l'on  au- 
rait pu  se  tromper  en  les  imitant.  D'ailleurs  œ 
n'étaient  ni  des  exemples  de  toutes  sortes  de  ver- 
tus^ ni  des  vertus  pour  toutes  sortes  de  personnes: 
ce  n'était  point  assez  pour  satisfaire  pleinement 
ceux  qu'enflammait  le  désir  de  servir  Dieu.  Mais 
depuis  que  Jésus-Christ  est  né,  vous  avez  un  gui- 
de, âmes  chrétiennes;  et  sous  sa  conduite  vous  ne 
pouvez  plus  vous  égarer  :  un  guide  qui  appliquera 
aux  vrais  objets  ,  qui  réglera  ,  qui  satisfera  vos 
pieux  désirs.  Ce  guide  premièrement  sait  toutes 
les  voies  par  où  l'on  peut  aller  à  Dieu  ;  seconde- 
ment il  les  enseigne  avec  clarté  ;  en  troisième  lieu 
il  vous  les  applanira  par  ses  exemples  ;  quatrième- 
ment enfin  il  vous  engagera ,  il  vous  aidera  à  y 
marcher  par  sa  grâce.  Je  n'ai  qu'un  mot  à  dire  sur 
les  quatre  points  qui  feront  le  partage  de  ce  dis- 
cours. 


PBEMIEIV    POIÎÎT. 


Il  est  certain,  mes  frères,  que  ,  lorsque  Tarae 
de  Jésus-Christ  fut  créén  ,  Dieu  assortit  en  elle 
tous  les  dons  naturels  et  surnaturels  qui  pouvaient 
la  rendre  digne  du  Verbe  à  qui  elle  devait  être  unie 
personnellement ,  qu'il  lu  combla  de  toutes  le? 
grâces  infuses  qui  ont  quelque  rapport  aux  perfec- 


88  1.  Poun  LE  Jour 

lioJTS  divines,  f  t  qii*il  prit  soin  que  ces  grâces  tus- 
sent d'une  excellente  en  quelque  so-rle  infinie. 
Mais  comme  la  sagesse  est  le  caractère  spécial  de 
là  seconde  personne  ,  il  eut  un^oin  tout  particu- 
lier d'orner  cette  ame  d'une  sagesse  supérieure  , 
et  dont  la  sagesse  des  plus  grands  rois,  et  du  plus 
sage  de  tous  les  hommes,  n'avait  été  qu'une  figure 
imparfaite.  Pour  cette  raison, -MiM. ,  qaand  leSau- 
reur  du  monde  n'aurait  pas  été  unià  la  Divinité , 
il  mériterait  d'être  le  conseil  et  le  maître  des  na- 
tions ;  et  ce  serait  dans  le  reste  des  hommes  un 
effet  de  leur  prudence-,  de  se-  conduire  par  ses 
maximes. 

De  plus  parmi  les  lumières  quB  lai  tlotmatt  cette 
admirable  sagesse,  la  plus  claire ,  la  plus  distincte, 
en  un  mot  la  plus  parfaite,  était  sans  doute  la  con- 
naissance des  Toies  du  salut  et  de  la  perfection.  La 
raison  est ,  qu'il  était  desti»é  pour  nous  servir  de 
guide  dans  ces  roies  ,  et  qu*  Dieu  est  obligé  d-e 
proportionner  les  talens  de  ses  ministres  aux  des- 
seins qu'il  a  sur  eux.  Moïse,  à  qui  la  conduite  du 
peuple  d'Israël  avait  été  confiée  ,  avait  connu  par^, 
une  faveur  spéciale  les  sentiers  par  o(t  le  Seigneur 
a  coutume  de  ramener  à  lui- ses  créatures  ,  selon 
ce  mot  de  David  :  Notas  fecitvias  suos  Moysi.  /^iOm- 
bien  Jésus-Christ  doit-il  avoir  été  plus  éclairé  sur 
c«s  saintes  voies,  lui  qui  devait  être  l^î  chef  de  tous 
les  prédestinés? 

Outre  cette  scfeuce  infuse- des  voiestlu  salut,  il 
en  a  une  autre  qu'on  appelle  expérimerrtale  ,  et 
qui  ne  le  rend  pas  moins  capable  de  nous  sei*vir 
de  guide.  Je  veux  dire  qu'il  a  employé  tous  les 
moyens  qui  peuvent  être  mis  en  usage  pour  par- 
venir ù  la  plus  haute  vertu  :  non-seulement  il  a 
acquis  lui  seul  plus  de  sainteté  que  tous  les  autres 
Saints  ensemble,  mais  encore  il  a  réuni  en  lui  seul 
tous  les  caractères  de  la  sainteté  ;  il  est  allé  à  la 
perfection  par  tous  les  chemins  qui  y  conduisent, 
par  l'innocence ,  par  la  pénitence ,  par  la  joie  ,  par 
la  douleur,  par  l'honneur,  par  Tignom+nie  ,  par 


DE    NOBL.  89 

les  çraces  lès  plus  signalées,  par  lès  plus  rudes 
épreuves,  par  un  zèle  infatigable,  par  une  conli- 
nuelle  conlemplalion.  Diles-moî ,  nies  frères,  qui 
peut  mieux  nous  enseigner  le  chemin  du  salut , 
que  celui  qui  en  a  parcouru^  tous  les  sentiers,  et 
qui  dans  chacun  de  ces  sentiers- est  allé  plus  loin 
que  tous  ceux  qui  y  sont  jamais  entrée  ? 

J'ajoute  encore  ;'»  celù  que  Jésus-Christ,  quoique 
Tojageur  sur  la  terre  ,  ne  baissait  pas  d'être  cq 
même  temps  compréhenscur  ,  comme  parle  l'é- 
cole :  c'est-à-dire  ,  qire  quoiqu'ilmarchût  dans  les 
voies  de  la  sainteté  comme  les  autres  Saints  qui 
sont  sur  là  terre,  il  ne  laissait  pas  de  jouir  de  la 
vue  de  Dieu  de  la  manière  dont  les  Saints  en  jouis- 
sent dans  le  ciel  ;  il  méritait  tous  les  jours  la  ré- 
compense qu'il  possédait  déjà  :  habitant  de  la  Jéru- 
salem céleste ,  il  l'était  encore  de  ce  lieu  d'exil. 

Cela  étant  supposé,  pouvait-il  manquer  de  voir 
clairement  dans  Dieu  tout  ce  qui  est  capable  de 
plaire  à  Dieu  ?  Ayant  une  connaissance  si  distincte 
du  plus  parfait  de  tous  les  êtres,  qui  pouvait  savoir 
mieux  que  lui  ce  qu'il  fallait  faire  pour  luiressem- 
hier?  En  un  mot  peut-il  manquer  de  nous  conduire 
sûrement,  puisque  dès  le  commencement  du  che- 
min il  voit  le  terme  où  nous  aspirons  ,  et  qu'il  ne 
le  perd  jamais  de  vue?  C'est  encore  peu,  chré- 
tiens auditeurs  :  non-seulement  Jésus-Christ  est 
tout  à  la  fois,  et  dans  la  voie,  et  au  terme  ;  mais 
il  est  lui-même ,  et  la  voie  ,  et  le  terme  où  nous 
devons  tendre.  Ego  sum  via ,  dit-il  dans  l'Évan- 
gile,  Veritas ,  et  vita  :  Je  suis  le  chemin  qui  con- 
duit à  la  vérité,  je  suis  la  vérité  qui  mène  à  la  vie, 
je  suis  cette  vie  même  où  la  vérité  conduit.  De  sorte 
que  quiconque  voudra  se  soumettre-  à  la  direction 
de  Jésus-Christ ,  et  s'attacher  à  lui  pour  être  con- 
duit à  Dieu,  il  est  autant  impossible  qu'il  s'égare 
en  son  chemin ,  qu'il  est  impossible  que  le  chemin 
lui-même  l'éloigné  du  terme  où  il  se  va  rendre  : 
non-seulement  il  trouvera  ce  qu'il  cherche  sous  un 
si  sage  guide,  mais  il  l'a  déjà  trouvé. 


00  I.   PotR  LE  Joua 

Quel  sujetcle  joie  pour  ces  anies  qui  sont  si  gé- 
néreuses ,  et  néanmoins  si  Umides  !  qui  n'ont  point 
de  plus  grande  passion  que  do  faire  le  bien,  et  qui 
craignent  toujours  de  faire  le  mal  !  Deus  tuas  ipse 
est  ductor  tuas  :  Votre  Dieu  sera  lui-même  votre 
conducteur.  Le  voilà  qui  se  rend  visible  à  vos  yeux 
dans  votre  chair,  comme  l'Ange  s'ofifrit  à  Tobie 
sous  la  figure  d'un  homme  pour  le  mener  à  Gabel. 
11  n'ignore  pas  ce  que  c'est  que  la  sainteté.  Novi , 
peut-il  vous  dire  avec  Raphaël,  et  omnia  itinera 
ejus  fréquenter  ambulavi  :  Je  le  sais ,  j'en  ai  par- 
couru toutes  les  voies ,  je  suis  moi-mcme  le  sen- 
tier qui  y  conduit,  je  suis  moi-même  celle  sainteté 
après  laquelle  vous  soupirez  :  attachez-vous  à  moi, 
et  infailliblement  vous  parviendrez  à  cet  heureux 
terme.  Mais  non-seulement  Jésus-Christ  sait  tous 
les  chemins  qui  peuvent  conduire  à  Dieu ,  il  les 
enseigne  encore  avec  beaucoup  de  clarté. 

SECOND    POINT. 

On  ne  peut  pas  douter,  MM.  ,  que  parmi  les 
Patriarches  et  les  Prophètes  de  l'ancienne  loi  ,  il 
n'y  en  ait  eu  qui  aient  connu  la  sainteté,  puisque 
quelques-uns  d'eux  sont  deventis  de  grands  Saints  ; 
mais  (*on  peut  dire,  ce  me  semble,  qu'aucun  ne 
la  enseignée  que  d'une  manière  si  mystérieuse  et 
si  obscure  ,  que  personne  ne  l'a  conçue.  La  loi 
même  de  Moïse  n'a  prescrit  les  règles  de  la  per- 
ieclion  qu'en  figure,  et  sous  le  voile  des  observan- 
ces extérieures.  Loin  d'élever  les  hommes  au-dcs- 
Fiis  de  leurs  faiblesses  naturelles  ,  elle  s'accommo- 
dait elle-même  à  la  faiblesse  des  hommes  :  témoin 
la  multiplicité  des  femmes  qu'elle  permettait ,  et 
le  pouvoir  de  les  répudier  qu'elle  donnait  aux 
maris  :  témoin  l'usure  avec  les  étrangers  ,  dont 
elle  n'avait  jamais  fait  un  crime  au  peuple  juif: 
témoin  encore  la  haine  des  ennemis,  dont  même 
elle  lui  avait  fait  un  précepte. 

Jésus-<'-hrist  n'a  rien  ignoré  de  to«t  ce  qui  peut 
former  la  piété  la  plus  sublioie  j  et  il  nous  a  à  ce 


DE    NOEL.  91 

soicl  communiqué  toutes  ses  lumières.  II  nous 
assure  lui-même  ,  qu'il  nous  a  révélé  ses  plus 
grands  secrets,  qu'il  a  versé,  pour  ainsi  dire  ,  dans 
nos  esprits  tous  les  trésors  de  science  et  de  sagesse 
dont  son  père  l'avait  enrichi  :  Omnia  qiiŒcunque 
audivi  à  Pâtre  meo  ,  nota  feci  vobis.  On  né  saurait 
souhaiter  une  preuve  ni  plus  convaincante  ni  plus 
utile  de  cette  vérité,  que  le  détail  de  sa  doctrine  ; 
il  n'est  rien  de  plus  clair  que  les  leçons  qu'il  nous 
fait,  rien  de  plus  efficace  que  les  moyens  qu'il 
nous  suggère  pour  notre  sanctification.  C'est  lui 
qui ,  pour  nous  éloigner  des  actions  criminelles  y 
nous  a  fait  entendre  qu'il  fallait  éviter  les  pensées 
qui  sont  comme  les  semences  de  ces  actions,  et  les 
regards  même  qui  font  naître  les  pensées.  C'est  lui 
qui ,  pour  aller  au-devant  de  tous  les  maux  ql^e  la 
soif  de  l'or  et  de  l'argent  a  coutume  de  faire  dans 
le  monde,  nous  a  découvert  ce  secret  admirable 
de  la  pauvreté  de  cœur,  qui  nous  détache  des  biens 
mêmes  que  nous  possédons.  C'est  lui  qui  nous  a 
fait  connaître  les  conséquences  des  fautes  légères 
qui  conduisent  infailliblement  i\  de  plus  grandes. 
C'est  lui  qui  proscrit  jusqu'aux  paroles  oiseuses , 
afin  que  notre  attention  à  nous  en  préserver  écai-te 
loin  de  nous  les  tentations  du  mensonge  et  de  la 
médisance.  C'est  lui  qui  pour  prévenir  les  funes- 
tes effets  de  la  ccîî.re  et  de  la  vengeance,  est  allé 
jusqu'au  cœur  sécher  la  source  de  ces  passions,  en 
nous  ordonnant  d'aimer  nos  ennemis  j  et  de  faire 
du  bien  à  ceux  qui  nous  font  du  mal.  C'est  lui  qui, 
pour  nous  faciliter  la  vertu  de  la  patience  ,  si  né- 
cessaire dans  les  traverses  de  cette  vie,  nous  en- 
seigne à  chercher  les  trésors  qui  sont  cachés  dans 
les  adversités  et  dans  les  persécutions  :  il  nous  fait 
comprendre  qu'il  y  a  des  sujets  de  joie  dans  tout  ce 
qui  nous  afllige  ;  et  que  tout  ce  que  le  monde 
appelle  malheur,  infortune,  calamité,  est  juste- 
m«"nt  ce  qui  nous  doit  rendre  heureux ,  et  dans 
celte  vie,  et  dans  l'autre  :  Beati  qui  (agent,  beati 
qui  persecutionem  patiuntur. 


9^  1.  Pour  le  Jour 

C'est  ainsi  que,  pour  nous  conduire  à  la  purele 
des  mœurs  ,  et  à  l'innocence  de  la  vie ,  il  nou^^ 
ouvre  des  routes  sûres  et  jusqu'alors  inconnues. 
Mais  ce  n'est  pas  assez  pour  vous ,  Chrétiens  audi- 
teurs, d'observer  les  commandemens  ,  de  prati- 
quer les  vertus  nécessaires  au  salut  ;  de  pieux  désirs 
vous  portent  à  entrer  dans  les  voies  de  la  perfec- 
tion ,  et  vous  souhaitez  de  voir  s'ouvrir  celjte  car- 
litre  sublime.  Avant  Jésus-Christ  personne  n'nvait 
donné  les  règles  de  cette  lice  nouvelle;  ces  grandes 
maximes  de  dépouillement,  de  mépris  du  monde, 
de  haine  de  soi-même,  de  mort,  de  vie  spirituelle, 
tout  cela  n'était  point  encore  venu  à  la  connais- 
sance des  hommes;  au  contraire,  les  anciennes 
Ecritures  étaient  remplies  de  promesses  qui  sem- 
bl;»ient  presque  faites  pour  nourrir  dans  lés  cœurs 
l'amour  des  honneurs  et  des  prospérités  tempo- 
relles. Le  Sauveur  du  monde  a  été  le  premier  qui 
nous  a  fait  connaître  la  différence  qu'il  y  a  entre 
la  vertu  médiocre  et  la  parfaite  piété  ;  et  il  a  parlé 
t\  clairement  sur  ce  sujet,  que  je  ne  saurais  con- 
cevoir comment  un  si  grand  nombre  de  personnes 
se  trompent  dans  les  idées  qu'elles  prennent  de  la 
dévotion,  et  y  font  de  fausses  démarches. 

Qui  vult  venire  post  me  ^  abneget  semedpsum. 
N'a-t-il  pas  dit  expressément ,  et  plus  d'une  fois  ; 
Que  celui  qui  veut  me  suivre  se  renonce  soi-même; 
qu'il  ne  songe  plus  ni  à  sa  réputation  ni  à  ses  inté- 
rêts; qu'il  n'écoute  ni  ses  passions,  ni  ses  inclina* 
lions  naturelles  ;  qu'il  déclare  la  guerre  à  ses  ap- 
pétits ,  ù  ses  désirs  ,  à  sa  propre  chair  .  et  à  sa 
propre  volonté;  qu'il  se  regarde  lui-même  comme 
un  étranger,  et  comme  son  plus  mortel  ennemi. 
Celui  qui  ne  hait  son  père  et  sa  mère,  sa  femme, 
ses  enlans ,  ses  frères,  ses  sœurs,  c'est-à-dire 
qui  aimera  mieux  leur  plaire  qu'à  moi  ,  qui  de 
peur  de  leur  déplaire  négligera  ce  qui  regarde 
mon  service,  qui  ne  sera  pas  disposé  à  leur  passer 
sur  le  ventre,  lorsqu'il  ne  pourra  autrement  ac- 
cjDmplir  ma  volonté  ;  celui-là  ne  peut  être  mon 


DE  *NOEL.  95 

disciple  :  Qui  non  bajulat  cracevi  suam ,  et  venll  post 
me,  non  polesl  meus  esse  discipulus.  Comme  s'il  di- 
sait :  Ne  vous  y  trompez  pas  ,  mes  disciples,  si  voiis 
êtes  dans  le  dessein  de  sanctifier  vos  âmes,  il  faut 
que  vous  embrassiez  votre  croix,  et  que  vous  lu 
portiez  de  bonne  grâce  :  je  dis  votre  croix,  celle 
qui  vous  a  été  donnée  par  la  Providence  ;  car  en 
\ain  vous  jeûneriez  ,  vous  exerceriez  les  plus  gran- 
des austérités,  si  vous  murmurez  contre  cette  pau- 
vreté où  votre  Dieu  vous  a  réduit,  contre  ces  infir- 
mités qu'il  vous  envoie,  contre  cet  ennemi ,  contre 
cette  disgrâce,  qu'il  vous  suscite  ;  si  vous  ne  pou- 
vez supporter,  vous  l'bumeur  de  cet  époux,  vous 
l'humeur  de  ce  maître  ,  auxquels  il  vous  a  soumis  : 
Qui  non  bajulat  crucem  suam.,..  Sinile  morluos  sepe- 
lire  mortuos  suos.  Le  monde  doit  être,  dans  l'es- 
prit de  ceux  qui  aspirent  à  la  perfection,  comme 
une  région  de  morts,  avec  qui  les  vivans  ne  doT- 
vent  point  avoir  de  commerce.  Laissez-les  s'em- 
presser pour  le  succès  de  leurs  affaires  temporel- 
les, laissez-les  s'appliquer  à  robïcrvaliun  de  leurs 
lois  profanes  ,  de  leurs  bienséances  prétendues  ; 
ne  vous  rendez  ni  les  admirateurs,  ni  les  esclaves 
de  ce  monde  réprouvé  ;  pensez  uniquement  à  plaire 
à  celui  qui  doit  être  votre  unique  maître. 

Enfin  s'il  est  quelqu'un  pour  qui  ces  conseils  ne 
soient  pas  assez  sublimes,  il  y  en  a  de  plus  forts 
encore  ;  et  je  veux  bien  les  publier  en  faveur  de 
ces  grandes  âmes,  qui  ne  donnentpoint  de  bornes 
à  leur  amour  :  Si  vis  perfectus  esse,  vade  ,  vend» 
omnia  quœ  habes  ,  da  pauperibus  ^  et  sequere  me  : 
Si  vous  voulez  être  parfait,  allez ,  vendez  tout  ce  que 
vous  possédez,  donnez-en  le  prix  aux  pauvres,  et 
Uaus  cet  entier  dénuement  soyez  prêt  à  faire  tout 
«e  que  j'exigerai  de  vous.  11  y  a  des  gens  qui  s'é- 
loignent du  mariaife  pour  en  éviter  les  peines, 
mais  il  y  en  a  qui  ne  le  fuient  que  pour  s'éloigner 
de  ses  plaisirs  :  voyez  si  vous  avez  le  courage  de 
les  imiter.  Enfin  le  plus  haut  point  où  l'on  puiss* 
porter  la  perfection ,  c'est  do  donner  sa  propr*» 


g4  Pour  le  Jour 

•?ie ,  d'rire  toujours  prêt  à  mourir,  non-seulement 
pour  sauver  son  anie  ,  mais  pour  sauver  même 
î'ame  «J'aulrui  :  Majorem  ckaritatem  nemo  habet , 
quàm  ut  animam  suam  ponat  quis  pro  4imicls  suis. 

Voilà  la  voie  de  la  sainteté.  Chrétiens  auditeurs.* 
est-il  rien  de  plus  clair,  rien  de  plus  intelligible  ? 
On  sera  peut-être  épouvanté  de  ces  maximes  si 
contraires  à  la  nature  ;  mais  du  moins  sera-t-on 
contraint  d'avouer  qu'on  n'a  pas  ignoré  ce  qu'il 
fallait  faire  pour  être  saint.  O  mon  Dieu  !  que 
n'exige  point  de  nous  la  reconnaissance  ?  qui 
pourra  jamais  comprendre  la  grandeur  de  ce  bien- 
fait? Pour  moi  je  ne  saurais  mieux  vous  exprimer 
mes  senlimens  que  par  ces  paroles  de  saint  Paul  : 
Apparuil  gralia  DeiSatcatoris  noslri  omnibus  homl- 
nibus  :  Notre  Dieu  ,  notre  Rédempteur  nous  a  fait 
voir  sa  miséricorde  et  sa  bonté  infinie.  En  quoi^ 
grand  Apôtre  ?  Erudiens  nos  y  al  abneganies  impieta- 
tem  y  et  seculoria  desideria  ,  sobriè  ,  et  juste,  et  pièvi' 
vamus  in  hoc  seculo.  Ce  n'est  pas  précisément  en  ce 
qu'il  s'est  revêtu  de  notre  chair,  et  qu'il  a  élevé 
notre  nature  jusque  sur  lelrCne  du  Tout-puissant; 
ce  n'est  point  seulement  en  se  chargeant  de  nos 
péchés,  et  des  peines  qui  leur  étaient  dues  ;  ce 
n*est  ni  en  répandait  son  sang,  ni  en  désarmant 
la  mort ,  ni  en  nous  donnant  l'espérance  de  la  résur- 
rection :  À p parait  gratia  Dei  erudiens  nos.  Ce  sont 
lu  de  grandes  preuves  de  son  amour  :  mais  la  plus 
grande  de  toutes,  à  mon  sens  ,  c'est  que  par  lui- 
même  il  nous  a  instruits  à  contrarier  en  nous  les 
inclinations  de  la  nature,  àinépriser  le  monde,  à 
briser  les  liens  qui  nous  y  attachent,  à  nous  affran- 
chir de  la  servitude  des  vains  désirs  ;  c'est  qu'il 
nous  a  montré  les  voies  de  la  sainteté  et  de  la  jus- 
tice :  Ut  (ibne^antes  iritpietatem. ,  et  secutaria  desi" 
deria,  sobriè  ^  et  Juste,  et  pic  vivanius  in  iioc  secuto. 
Heureux  mille  fois  ceux  qui  sous  un  guide  si  fidèle 
entreront  dans  ces  voies  pures  !  On  les  apjîelle 
étroites,  parce  que  la  nature  s'y  trouve  d'abord 
gênée  et  contrainte  ;  mais  à  quelle  paix ,  à  quelle 


DE  ^oEL.  95 

douce  liberté  ne  conduisent -elles  pas  une  amc 
qui  s'y  engage?  La  seule  pensée  do  cet  heureux 
état  itie  comble  de  joie;  et  elle  m'emporterait  bien 
loin  hors  de  mon  sujet  ,  si  je  ne  me  ressouvenais 
des  bornes  que  je  me  suis  prescrites.  Revenons 
donc  à  notre  guide.  Je  vous  ai  fait  voir  qu'il  nous 
découvre  avec  beaucoup  de  clarté  et  d'exactitude 
le  chemin  qui  conduit  à  la  sainteté  :  voyons  main- 
,tenant  comment  il  nous  l'applanit  par  ses  exemples. 

TROISliîME    POINT. 

Le  Prophète  Isaïc ,  parlant  de  l'incarnalijn  du 
Verbe  éternel ,  fait  espérer  au  peuple  choisi  un 
maître  qu'il  pourra  voir  de  ses  yeux  ;  Erunt  oculi 
lui  videntes  prœceptoreni  tuuvi.  Il  pouvait  *  ire  en- 
core plus  ,  Chrétiens  auditeurs  ;  il  pouvait  leur 
promettre  que  ce  maître  visible  leur  donnerait 
même  des  leçons  visibles  ;  qu'il  ne  se  revêtirait  pas 
seulement  de  leur  chair,  mais  qu'il  incarnerait  en- 
core, s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi,  ses  précep- 
tes et  ses  maximes,  en  les  représentant  en  lui- 
même,  en  exprimant  par  des  actions  tout  ce  qu'il 
avait  fait  entendre  par  ses  paroles.  Il  fallait  bien, 
MM. ,  que  notre  Rédempteur  en  us;1t  de  la  sorte, 
pour  prévenir  tous  les  doutes,  pour  aller  au-devant 
de  toutes  les  inquiétudes  des  homjues  <le  bonr.o 
volonté.  S'il  s'était  contenté  de  leur  donner  de 
bouche,  ou  dans  de  saints  livres,  des  règles  de 
perfection;  quelque  intelligibles  qu'eussent  été  ces 
règles  ,  elles  auraient  pu  être  obscurcies  par  les 
interprétations  ;  on  leur  aurait  pu  donner  des  sens 
différens;  et  dans  la  crainte  d'êlre  trompé,  on  les 
aurait  peut-être  négligées.  Mais  Jésus-Christ  pra- 
tiquant lui-même  ce  qu'il  enseigne,  marchant  de- 
vant nous  dans  le  chemin  qu'il  nous  a  montré, 
quel  lieu  peut-il  rester  au  doute  et  à  l'irrésolution? 
Quoique  l'étoile  qui  apparut  aux  Mages  en  Orient, 
leur  eCit  fait  entendre  par  sa  silualion  en  quel  pays 
ils  devaient  chercher  le  Messie  ,  ainsi  que  saint 
Jeaû  ChrysostOme  l'a  observe  ;  quoique  les  Doc- 


Ç)6  2.  Pour  le  Jour 

leurs  de  Jérusalem  leur  eussent  marqué  précisé- 
ment que  Bethléem  était  le  lieu  de  sa  naissance , 
ils  ne  laissaient  pas  de  marcher  en  quelque  sorte 
dans  les  ténèbres  ,  et  d'éprouver  des  incertitude*-  : 
mais  dès  que  cette  même  étoile  qui  les  avait  porté» 
à  se  mettre  en  chemin  ,  se  remontra  à  eux  sur 
leur  route ,  et  qu'elle  commença  à  les  devancer 
pas  à  pas,  proportionnant  son  cours  à  leurs  forces, 
ou  plutôt  à  leur  foiblesse  ;  alors  toutes  leurs  in- 
quiétudes furent  dissipées,  et  ils  achevèrent  leur 
voyage  avec  une  joie  que  l'Ecriture  semble  ne 
pouvoir  exprimer  avec  assc2  d'énergie  :  Gatisisunt 
gaudio  magno  valdè. 

Voilà,  Chrétiens  auditeurs,  ce  qui  arrive  aux 
«nintes  âmes  qui  cherchent  Dieu  dans  la  simplicité 
de  leur  cœur.  Elles  s'y  sentent  excitées  par  les 
paroles  de  Jésus-Christ ,  et  par  les  instructions 
qu'il  leur  a  données  :  les  savans  directeurs  qu'elles 
trouvent  en  leur  chemin  servent  à  les  redresser  et 
j  les  rassurer  dans  les  perplexités  qui  leur  arrivent:  ' 
mais  si  Jésus-Christ  qui  les  a  engagées  dans  cette 
voie  ,  se  présente  lui-même  ,  et  leur  marque  tous 
les  pas  par  ses  exemples ,  qu'est-ce  qui  sera  ca- 
pable de  les  troubler,  ou  de  les  inquiéter  ? 
^Iirafarit,  Chrétiens  auditeurs,  avec  une  bonté 
et  une  charité  incroyables.  Il  nous  a  dit  plusieurs 
fois  ,  qu'il  fallait  passer  paries  tribulations  et  les 
adversités ,  pour  aller  à  son  Père  ;  que  la  pauvreté, 
le  mépris  du  monde ,  la  haine  de  soi-même , 
l'amour  pour  nos  ennemis  ,  étaient  les  routes  qui 
conduisaient  au  parfait  amour  de  Dieu  :  mais  ces 
routes  il  ne  s*esl  pas  contenté  de  nous  les  montrer 
de  loin  ,  et  de  nous  dire  ,  comme  on  le  disait  aux 
Juifs  :  Hœc  est  via;  ambulate  in  en,  et  non  declinetis 
(hI  dexteram  neque  ad  sinistram  :  Voilà  la  voie  ; 
entrez-y,  et  ne  vous  détourne*  ni  à  droite  ni  à 
gauche.  Jésus-Christ  fait  plus ,  partout  il  nous 
invite  à  le  suivre.  Venîte  post  me...  Veni  et  sequere 
me...  Quimihiminisirat ,  me  sequatur:  Venezaprès 
moi  ;  je  ne  vous  abandonne  point  à  votre  propre 


DE   TSOEL.  97 

■  conduite  ,  je  veux  vous  marquer  tous  les  pas  : 
suivez-moi  ,  vous  ne  sauriez  vous  égarer  en  mar- 
chant sur  mes  traces. 

Il  a  en  effet  si  bien  exprimé  dans  sa  conduite 
toutes  les  maximes  de  sa  morale  ,  que  tout  ce  que 
les  Evangélistes  ont  eu  soin  d'en  rapporter. nous 
est  devenu  en  quelque  sorte  inutile.  Non  ,  MiM. , 
nous  n'avons  pas  besoin  d'étudier  les  paroles  du 
Sauveur  du  monde  ,  que  nous  ne  comprendrions 
peut-être  pas  ;  ni  de  consulter  les  Docteurs  ,  qui 
dans  leurs  interprétations  ne  s'accordent  pas  tou- 
jours avec  le  texte,  ni  enlr'eux.,  ni  souvent  aveo 
eux-mêmes.  Voulez-vous  devenir  Saints  ?  Respice  , 
et  fac  secandùm  exemplar  qued  tibi  monstratum  es/: 
Jetez  les  yeux  sur  Jésus-Cbrist ,  et  sur  les  exem- 
ples qu'il  vous  donne  :  voyez  ce  Dieu  humilié- dans 
la  pauvreté  d'une  étable  ;  cette  sngesse  muette,  et 
réduite  à  la  simplicité  d'un  enfant  ;  cette  majesté 
obscurcie  ,  et  comme  ané^inlie  dans  les  langes. 
A'ous  cherchez  des  livres,  vous  consultez  les  Pères 
de  la  vie  spirituelle  ,  pour  apprendre  à  vous  per- 
fectionner dans  la  vertu  :  nttcndez-vous  donc  qu'ils 
vous  montrent  de  nouvelles  roules  ?  ou  manquez- 
vous  d'yeux  pour  suivre  Jésus-Christ  dans  celles 
qu'il  a  tenues  ?  Ignorez-vous  que  de  trente-trois 
fins  qu'il  a  vécu  sur  la  terre  il  en  a  passé  trente 
dans  l'obscurité  d'une  maison  pauvre  ,  inconnu 
lui-même  à  tout  l'univers  ?  que  durant  tout  ce 
temps  ,  il  n'a  point  eu  d'autre  témoin  de  son  ad- 
mirable sainteté  que  les  Anges  ,  point  de  volonté 
que  celle  de  Joseph  et  de  Marie  ,  point  de  vertu 
qui  se  produisît  au  dehors  ,  que  l'obéissance  ,  la 
douceur  et  l'humilité  ?  Je  ne  parle  point  de  sa  vie 
publique  ,  où  la  modestie  et  le  désintéressement 
ont  toujours  fait  le  caractère  de  son  zèle  ;  où  il  a 
paru  si  réservé  à  juger  ,  à  condamner  même  les 
plus  grands  pécheurs  ;  où  son  plaisir  a  été  de  faire 
du  bien  ,  et  son  étude  d'en  rejeter  la  gloire  qui  lui 
en  revenait  ;  où  le  jeûne  ,  la  prière  ,  la  solitude  , 
Oût  trouvé  leur  place  au  milieu  des  plus  grandes 
1.  5 


0.6  I.  Pour  le  Joun 

occupations.  II  n'est  pas  encore  temps  de  vous  lo 
représenter  souffrant  et  mourant  sur  une  croix  ;  il 
suffit  de  dire  que  quand  tous  les  livres  seraient 
perdus  ,  toutes  les  lumières  éteintes  ,  tandis  qu'il 
nous  restera  un  crucifix,  il  ne  nous  manquera  rien 
de  tout  ce  qui  nous  est  néees-^aire  pour  acquérir 
la  plus  haute  pnrfection.  Chris/us  pnssiis  est  pro 
tiobis  ,  vobis  rclinquens  exemplam  ,  ut  sequnmini 
vfistigiaejus  ,  dit  saint  Pierre  :  Ames  chrétienn€S, 
Jcsus-Glirist  vous  a  laissé  un  exemple  dans  sa  pas- 
sion et  dans  sa  mort  ;  il  vous  y  a  laissé  un  modèle 
universel  :  qui  que  vous  soyez  ,  en  quelque  état 
que  vous  vous  trouviez  ,  par  quelque  route  qu'il 
[)laise  à  Dieu  de  vous  appeler  à  son  service  ;  vous 
le  trouverez  au  Calvaire,  et  sur  cette  route  les  ves- 
tiges du  fils  de  Dieu  profondément  imprimées  et 
marquées  de  son  propre  sang. 

En  sorte  qu'au  lieu  des  épaisses  ténèbres  où  Ton 
clait  avant  la  naissance  du  Messie  ,  il  me  semble 
que  nous  voilà  avec  les  Pasteurs  de  Bethléem  tout 
environnés  de  clartés  :  Et  claritas  Dei  circiimfulsit 
illos.  Clartés  qui  portent  la  consolation  dans  l'ame 
fervente  qui  les  désire  avec  ardeur,  mais  qui  por- 
tent le  trouble  dans  les  âmes  tièdcs  et  lentes  ,  qui 
ne  pourront  plus  avoir  d'excuse  à  l'aspect  de  celte 
lumière  qui  leur  découvrira  ce  qu'elles  ne  vou- 
draient pas  voir.  Si  Jésus-Christ  s'était  contenté 
de  nous  transmettre  sa  doctrine  dans  les  livres, 
outre  que  les  sentimens  se  seraient  partagés  sur  sa 
morale  ,  comme  ils  se  partagent  sur  les  dogmes 
les  plus  clairs  de  i'Evangile  ,  on  se  serait  encore 
persuadé  que  tout  ce  que  ce  divin  maître  nous  dit  de 
la  sainteté  est  moins  un  terme  où  l'homme  puisse 
parvenir,  qu'une  idée  brillante  et  propre  à  hu- 
milier son  esprit  dans  l'impuissance  où  il  est  d'y 
atteindre  :  mais  quand  on  voit  chaque  point  de 
cette  sainte  doctrine,  chaque  précepte  soutenu  de 
mille  exemples,  et  des  exemples  d'un  Dieu  ;  quand 
on  voit  an  Dieu  pauvre  ,  un  Dieu  humilié,  un 
Dieu  obéissant ,  un  Dieu  mourant  libreaient  sur 


DE    NOEL.  99 

«ne  croix  ;  verborum  ver i tas  splendel  effeclibus  con- 
fivmala  ;  alors,  dit  le  savant  Thcoflorel  ,  la  vérité 
des  parolesévangcliqucs  confirmée  par  les  actions., 
$e  mofitre  dans  un  si  g:rand  jour,  qu'on  ne  peut 
plus  se  refuser  à  sa  lumière  ;  on  est  contraint 
d'avouer  qu'on  voit  clairement  ce  qu'il  taudraît 
(aire  ,  mais  qu'on  ne  peut  s'y  résoudre. 

Tout  ce  que  j'ai  dit  jusqu'ici  du  guide  que  le 
*Cicl  nous  n  donné,  en  faisant  voir  qu'il  sait  les 
Yoies  qui  conduisent  à  Dieu  ,  qu'il  les  enseigne 
avec  beaucoup  de  clarté  ,  et  qu'il  y  marche  devant 
nous;  tout  cela  montre  assez  que  noire  ignorance 
n'a  plus  de  prétexte  plausible:  mais  notre  faiblesse 
pe  pourrait  -  elle  ^point  nous  rendre  inutiles  tous 
ces  avantages  ?  Les  mêmes  lumières  qui  nous  dé- 
couvrent le  chemin,  nous  en  font  voir  en  même 
temps  les  diiïicullés.  Cette  vue  n'est-elle  point  ca- 
pable d'abattre  le  courage  dans  ceux  qui  ont  le  plus 
d'ardeur  pour  le  bien  ?  Elle  le  serait,  Chrétiens 
auditeurs  ,  si  nous  ne  connaissions  la  puissance  de 
celui  qui  nous  conduit ,  et  si  nous  n'étions  assurés 
qu'il  noussoutiendra  autant  par  son  secours,  qu'il 
nous  éclairera  par  ses  conseils.  Ce  devrait  être  ici 
ile  quatrième  point  ;  mais  pour  éviter  une  exces- 
sive longueur,  il  suftit  de  vous  faire  remarquer 
(juç  les  maîtres  ordinaires  ne  l'ont  que  communi- 
quer leurs  lumières  à  l'esprit  ,  mais  que  Jésus- 
Christ  répand  sa  force  dans  les  cœurs  ;  qu'i4  est  la 
source  ,  non-seulement  de  la  vérité ,  mais  encore 
de  la  grâce  ;  qu'il  est ,  comme  dit  saint  Jean  ,  plein 
de  l'une  et  de  l'autre  ,  et  qu'il  les  présente  toutes 
deux  en  même  temps. 

C'est  pour  cela  que  le  Prophète  prévoyant  l'avé- 
nement  du  fils  de  Dieu  ,  après  avoir  dil  que  les 
çentiers  tortueux  seraient  redressés  ,  ajoute  que 
les  chemins  raboteux  doviendrontunis  :  pour  nous 
apprendre  qu'il  devait  nous  découvrir  les  voies  du 
salut ,  et  en  même  temps  nous  les  faciliter  :  Erant 
prava  hi  directa  ,  et  aspira  in  vlas  planas.  Ce  nou- 
veau conducteur  ,  Chrétiens  auditeurs,  ne  saurait 

5. 


100  1.  Pour  le  Jour 

être  mieux  comparé  qu'à  la  colonne  de  feu  qaî 
conduisit  le  peuple  (f  Israël  jusqu'à  la  terre  pro- 
nn'se.  Il  est  vrai  qu'elle  le  conduisit  par  des  déserts 
affreux  et  stériles,  par  des  pays  barbares  et  incon- 
nus ,  comme  pour  le  donner  en  proie  aux  peuples 
qui  les  habitaient  ;  mais  en  même  temps  cette  nue 
céleste  applani.ssait  à  ce  peuple  toutes  les  difficul- 
tés, elle  s'étendait  sur  tout  le  camp  durant  le  jour, 
pour  le  défendre  des  ardeurs  du  soleil  :  tous  les 
inatms  elle  versait  la  manne  pour  le  nourrir ,  elle 
lançait  des  feux  et  des  foudres  contre  ceux  qui 
s'opposaient  au  passage  de  la  nation  chérie.  Voilà, 
MM.  ,  une  figure  parfaite  du  Rédempteur.  -C'est 
une  nue  mystérieuse  qui  nous  couvre  la  nuit  et  le 
jour  ;  il  ne  dissipe  pas  seulement  les  ténèbres  de 
notre  ignorance  ,  mais  il  nous  soutient  dans  les 
travaux  que  nous  rencontrons  à  sa  suite  ,  il  nous 
nourrit  de  douceurs  et  de  consolations  célestes  ,  il 
calme  nos  passions  ,  il  met  les  démons  en  fuite, 
et  nous  donne  la  victoire  sans  presque  que  nous 
rendions  de  combat.  Paxhominlbas  bonœvoluntatis ^ 
X'hAntcnl  aujourd'hui  les  x\nges  sur  les  montagnes 
de  Bethléem  ;  ils  adressent  leurs  cantiques  aux 
l'.ommcs  qui  aspirent  à  la  sainteté  ,  et  qui  brûlent 
du  désir  de  suivre  leur  nouveau  Roi.  Ils  ne  les 
invitent  point  à  se  prémunir  contre  les  difficultés 
qui  se  trouvent  dans  lu  praticjue  de  la  vertu  ,  à 
prendre  les  armes  contre  leurs  ennemis  ;  au  con- 
traire ,  ils  leur  annoncent  la  paix ,  ils  leur  déclarent 
qu'on  ne  demande  d'eux  qu'une  bonne  volonté  : 
«;omme  sMIs  disaient  que  Jésus-Christ  fera  tout  le 
reste  ;  que  non-seulement  il  se  chargera  du  far- 
deau de  nos  crimes ,  mais  qu'il  nous  portera ;îui- 
xncme  sur  ses  épaules  ;  que  lui  seul  il  coml)attra , 
qu'il  vaincra  tous  les  obstacles  ,  en  un  mot  que 
nous  n'aurons  qu'aie  suivre  et  à  cueillir  le  fruit 
de  sa  vicloire. 

Que  louée  soit  à  jamais  la  brnté  et  la  puissance 
4e  notre  Dieu  ,  qui  nous  procure  une  condiliou  si 
avanlagcuie  !  Pour  être  Saint  ,  il  n.c  faudra  donc 


DE  NoEE.  rof 

plus*  que  votjloir  l'être  :  le  plus  grand  dB  toos  les 
Liens,  le  plus  grand  bonheur  ,  l'unique  bonheur 
de  cette  vie  ne  nous  coûtera  que  des  désirs.  Qu'en 
pensez-vous',  a^nes'tiède«,  vous  qui  languissez  de- 
puis tant  d'iMinée?  da4is  vos  imperfections ,  et  qui 
ne  voulez  pas  faire  un  seul  pas  pour  vous  appro- 
cher de  votre  Dieu  ?  D«  quel  prétexte  pourrez- 
vous  colorer  votre  langueur  ?  Alléguerez-vous, 
avec  le  paralytique  de  l'Evangile  ,  que  vous  man- 
quez d'un  homme  qui  vous  mène  ou  qui  vous 
porte  au' terme  où  voassauhaiteri^z  d'atteindre  r 
Hoininetn  non  habeo.  Le  voici ,  cet  homme  qui  a 
des  lumières  infaillibles  pour  connaître  la  vérité, 
un    zèle   ardent    pour   l'enseigner  ,    une   diarito 
inaltérable  pour  y  conduire  ,   une  force  invincible 
pour  soutenir ,  et  pour  aider  à  marcher  dans  les 
voies  épineuses  de  la  vertu  :  Dieu  lui-même  s'es* 
fart  homme  pour  vous  procurertousces  avantages. 
Vpus  ne  pouvez  plus  ignorer  ce  que  vous  devci 
fôire  ,  l'Evangile  parle  trop  clairement,  et  la  vie 
de  Jésus-Christ  est  un  modèle  trop  visible.  Vous 
rie  pouvez  pl'js  prétexter  votre  faiblesse  :  la  gracG 
de  Jésus-Christ  est  un  secours  trop  puissant  pour 
nous  laisser  aucun  lieu  de  nous  plaindre  de  noire 
iftSuffisance.  Ce  ne  sont  pas  des  forces  qu'on  de- 
mande de  nous  ;   Dieu  connaît  trop  bien  les  dons 
qu'il  a  faits  à  ses  créatures  ,  pour  exiger  d'elles 
plus  qu'il  ne  leur  a  donné  :  on  ne  vous  demande 
qu'une  volonté  sincère  ,  les  forces  vous  viendront 
d'ailleurs  ;   et  quand  votre   désir  sera  véritable  , 
Dieu  manquera  plutôt  de  puissance  que  vous  ne 
manquerez  de  secaurs. 

Si  nous  différons  encore  ,  Chrétiens  auditeurs, 
à  nous  convertir  ,  à  nous  sanctifier  ,  certainement 
c'est  que  nous  ne  le  voulons  pas.  Ah  !  je  le  veux, 
me  dites- vous  ;  et ,  pour  le  repos  de  ma  vie  ,  ce 
désir  n'est  que  trop  avant  dans  mon  cœur  :  je  vi- 
vrais en  paix  si  j'étais  saint ,  ou  si  je  ne  désirais  pas 
de  l'être.  Et  moi  je  dis  que  si  vous  étiez  saint ,  ou 
que  vous  eussiez  la  volonté  de  le  devenir  ,  vous 


10 â  î.   Pour  l^  Jour 

jouiriez  d'une  paix  parfaite  :  Pax  homlnibué  boncB- 
toluntaiis.  f^ous  voulons  être  saints,  cela  tist  vrai; 
mais  il  est  vrai  aussi  que  nons  ne  le  voulons  pas. 
Vult  et  non  vuft  piger,  dit  le  Sage  :  L'ame  pares- 
seuse veut  et  ne  veut  pas  en  même  temps  ;  et  ce 
sont  ces  désirs  contraires  qui  lui  donnent  la  mort  : 
Desideria  occidUnt  pigrum.  On  voudrait  être  à  Dieu 
et  au  monde  ,  aller  au  Ciel  par  des  voies  qui  n'y 
peuvent  conduire  ,  être  plus  parfait  que  l'on  ne 
l'est  ,  sans  pourtant  cesser  d'être  en  effet  ce  que 
l'on  est;  et  au  lieu  qu'il  faut  changer  de  mœurs 
pour  devenir  saint,  on  voudrait  que  la  sainteté 
changeât  de  nature  pour  s'accommoder  à  nos  in- 
clinations ;  on  voudrait  se  donner  tout  entier  à  la 
pratique  de  la  vertu,  si  rien  n'en  détournait;  muis 
cet  obstacle  qui  arrête  est  si  léger,  qu'il  ne  paraît 
que  trop  qu'on  veut  être  détourné.  Un  attachement 
puéril  aux  objets  les  plus  frivoles  sera  quelquefois 
le  lien  qui  nous  retiendra.  Tantôt  le  goût  pour  une 
parure  que  l'on  croit  propre  à  relever  les  agré- 
naens  naturels,  tantôt  une  lueur  de  gloire  qu'on 
espère  encore  tirer  de  ses  taîens  ;  ici  une  vaine 
crainte  de  rougir  de  ses  péchés  aux  pieds  d'un. 
Confesseur,  ou  de  ses  bonnes  actions  aux  yeux  du 
monde  ;  là  un  reste  de  plaisir  qui  se  mêle  aux 
chagrins  et  aux  ennuis  dont  la  vie  mondaine  est 
accompagnée  :  voilà  ce  qui  renverse  et  rend  inu- 
tiles 1;  s  saintes  résolutions. 

O  que  cette  disposition  est  éloignée  de  cette 
bonne  volonté  à  qui  les  x\nges  ont  annoncé  la  paix  ! 
Cette  volonté  sincère  ,  prête  de  franchir  les  difli- 
cultés,  n'hésite  qu'autant  de  tetnps  qu'elle  ignore 
la  route  qu'elle  doit  tenir.  La  carrière  lui  est-elle 
ouverte  ?  il  lui  faut  un  frein  pnnr  modérer  ses  ex- 
cès ,  et  pour  la  retenir  dans  les  ])ornes  de  la  pru- 
dence chrétienne.  Quel  plaisir  de  la  voir  tantôt  se 
livrer  à  Dieu  sans  réserve  ,  et  lui  dire  avec  saint 
Paul  :  Domine  ,  quid  me  vis  fitcere  ?  Soigneur  ,  me 
Toici  prêle  à  tout  :  que  voulez-vous  que  je  fasse? 
Tantôt ,  comme  U  même  Apôtre  ,  déûer  le  Ciel 


DE    ^OEL.  103 

d'ébranler  son  courage,  ou  Je  ralentir  son  ardeur: 
Quis  nos  seporubit  à  caritate  Chrisli  ?  Cette  amei 
passionnée  en  quelque  sorte  pour  la  sainteté  ,  la 
cherche  du  moins  avec  autant  d'empressement , 
qu'un  avare  cherche  le  hien  ,  qu'un  ambitieux 
poursuit  les  honneurs;  c'est-à-dire  que,  pour 
satisfaire  une  si  noble  passion  ,  elle  est  prêle  de 
sacrifier  son  repos ,  d'exposer  même  mille  fois  sa 
vie  :  tout  ce  qu'elle  voit  de  biens  et  de  maux  sur 
la  terre,  tout  ce  que  la  Providence  peut  permettre 
qu'il  lui  arrive  d'avantageux  ou  de  funeste  ,  ne 
l'adlige  ,  ni  ne  la  réjouit  ,  qu'autant  qu'il  peut 
servir  ou  nuire  à  son  dessein  :  toutes  les  voies  lui 
sont  bonnes  pour  aller  à  Dieu  ,  et  elle  choisira  la 
plus  rude  et  la  plus  étroite  ,  pourvu  qu'elle  soit  lu 
plus  sûre  et  la  plus  courte. 

Voilà  5  Chrétiens  auditeurs  ,  ce  qui  s'appelle 
avoir  faim  et  soif  de  la  justice  ,  voilà  quels  sont 
ceux  que  Jésus-Christ  a  dons  son  Evangile  déclarés 
Lienheureux,  et  qu'il  a  promis  de  rassasier.  Beali 
Çui  esariunt  et  sitiunt  juslltiam  ,  quoniam  ipsi  sa- 
turabuntur  !  JU  seront  rasSûjié?,  parce  qnc  Dieu 
lui-même  satisfera  un  si  saint  désir  :  ils  seront  ras- 
sasiés, parce  que  dans  ce  désir  unique  seront  con- 
fondus tous  leurs  autres  désirs  ;  enfin  ils  seront 
rassasiés  dans  le  Ciel ,  où  ils  jouiront  éternellement 
de  Dieu  ,  selon  l'étendue  de  leurs  désirs. 

Ainsi  soit-il. 


S' 


SERMOK 


POUR    LE    JOURt 


DE    NOËL. 


Invenlelis  înfantem   pannîs  involutum  ,    et    posltum    ik 
prastpio. 

Vous  trouverez  un  enfant  enreloppé  de  langes ,  et  couché 
dans  une  crèche.  {Luc.  2.  ) 


Dans  le  choix  que  Jésus-Chrîst  naissant  faif  dés  biens 
qu'il  trouve  sur  la  terre  ,  il  préfère  la  pauvreté  aux 
richesses  ;  dans  la  distiibulion  des  biens  qu'il  apporté 
du  Ciel ,  il  préfère  les  pauvres  aux  riches. 

JJepuis  quatre  mille  ans  la  pauvreté  passait  dans 
le  inonde  pour  une  tache  Infamante,  pour  un  fléau 
de  Dieu  ,  pour  une  malédiction  qui  ne  pouvait 
tomber  que  sur  les  pécheurs.  Salomon  qui  avait  si 
bien  reconnu  la  vanité  des  richesses  ,  paraît  lui- 
même  avoir  ignoré  le- prix  de  la  pauvreté  :  le  plus 
qu'il  fasse  en  sa  laveur ,  c'est  de  la  mettre  au  même 
rang  que  l'abondance  ;  et  la  prière  qu'iF  adresse 
au  Seigneur  à  ce  sujet  nous  marque  qu'il  regarde 
l'une  et  l'autre  comme  deux  extrêmes  également 
redoutables  :  Inoplam  atquedivitias  ne  dederis  milii. 
Mais  enfin  voyez;  la  sagesse  incréée  et  le  maître 
de  tous  les  sages  qui  vient  nous  faire  d'autres  le- 
çons. Vous  ,  qui  que  vous  soyez  .  vous  qui  vivez 
dans  l'indigence ,  soit  que  la  Providence  vous  y  ail 
fait  naître  ,  soit  que  d'une  fortune  plus  commode 
Dieu  ait  permis  que  vous  y  soyez  tombés  ,  je  vous 


Pour  le  tToun  de  Noël.  icd 

aYinonce  à  tous  une  grande  joie.  11  s'en  faut  bien 
(jue  vous  soyez  aussi  malheureux  que  vous  l'avez 
cl'u  jusqu'à  aujourd'hui.  Jésus-Christ  naissant  pré- 
fère votre  état  à  tous  ks  étals  que  vous  enviez  le 
plus  ;  et  par  ce  choix  non-seulement  il  en  fait  dis-^ 
paraître  l'opprobre  ,  mais  encore  il  le  rend  véné- 
rable ,  il  le  consacre  en  sa  personne  ,  et  fait  qu'il 
devient  même  nécessaire  à  tous  les  hommes.  Je  ne 
sais  si  cette  nouvelle  apportera  autant  de  joie  aux 
riches  du  monde.  Les  Airçes  ne  l'ont  donnée  qu'aux 
Bergers,  peut-être  parCe  qu'ils  prévoyaient  que 
lès  autres  ne  daigneraient  pas  y  prendre  part.  Ce- 
pendant il  importe  que  tout  le  monde  en  soit  ins- 
tTuil  ;  et  puisque  la  naissance  du  Sauveur  doit  être 
à  l'avenir  la  règle* de»  notre  vie  ,  nous  avons  tous 
îhlérêt  d'apprendre  de  quelle  manière  il  a  voulu 
naître.  Transeamus  usque  Bethlehem  ,  et  videamus 
vèrbum  hoc  quod  factum  est  :  Allons  tous  ensemble 
jusqu'à  Bethléem ,  et  voyons  ce  qui  s'y  passe.  Que 
verrons-nous  ?  Nous  verrons ,  MM.  ,  le  triomphe 
de  la  pauvreté  ;  nous  verrons  un  DieU'  naissant, 
qui  dans  le  choix  des  biens  qu'il  trotive  sur  la  terre, 
préfère  la  pauvreté  aux  richesses  :  ce  sera  le  pre- 
mier point.  Nous  verrons  un  Dieu  pauvre  ,  qui, 
dans  la  distributiond'es  biens  qu'il  apporte  du  Ciel, 
préfère  les  pauvres  aux  riches  :  ce  sera  le  second 
point  Vierge  sainte  ,  nous  avons  toujours  beau- 
coup espéré  de  votre  crédit  ;  aujourd'hui  surtout, 
à  la  vue  de  ce  Dieu  enfant ,  que  peut  vous  refuser 
votre  divin  époux?  Nous  lui  demandons  avec  vous 
les  lumières  qui  nous  sont  nécessaires  pour  esti- 
mer et  pour  adorer  la  pauvreté  de  Jésus-Christ  : 
Aie  j  Maria, 

PREMIER   POINT. 

Il  y  avait  déjà  neuf  mois  que  Marie  portait  le 
fils  de  Dieu  dans  son  sein  ,  lorsqu'il  arriva  un  or- 
dre de  la  cour  d'Auguste  ,  qui  obligeait  tous  les 
sujets  de  l'empire  de  faire  enregistrer  leurs  noms, 
et  de  renouveler  leur  serment  de  fidélité  entre  les 

5* 


io6'  2.  Pour  le  Jour 

mains  des  Gouverneurs  de  Province.  Bethléem 
était  la  ville  où  tous  ceux  de  la  maison  de  David 
devaient  Rassembler.  Marie  et  Joj^eph,  qui  étaient 
de  cette  royale  famille  ,  partent  pour  s'y  réunir 
dans  le  lieu  qui  avait  été  marqué.  Si  l'un  et  l'autre 
n'euiiscnt  pas  eu  des  lumières  extraordinaires  , 
Toyant  que  le  Sauveur  du  monde  allait  naîlre  à 
Bethléem  ,  dans  un  temps  où  tous  ceux  de  leur 
tribu  y  étaient  mandés,  aiiraient  -  ils  balancé  à 
croire  que  cette  conjoncture  était  ménagée  par  la 
Providence  ,  pour  rendre  la  naissance  de  Jésus- 
Christ  plus  célèbre,  pour  procurer  des  adorateurs 
au  divin  enfant ,  pour  rendre  tous  les  descendan» 
de  David  témoins  de  l'accomplissement  dos  pro- 
messes faites  à  l'illustre  auteur  de  leur  race  ? 

Mais  que  vos  pensées  ,  ô  mon  Dieu  ,  sont  éloi- 
g^nées  des  pensées  des  hommes  !  que  les  routes 
que  vous  prenez  pour  exécuter  vos  desseins  sont 
opposées  à  celles  que  la  p.rudence  humaine  a  cou- 
tume de  choisir  !  Ce  dénombrement  universel , 
cette  vocation  extraordinaire  ,  celte  assemblée  de 
toute  la  famille  royale  ,  tout  cela  dans  les  vues  de 
Dieu  ne  tend  qu'à  procurer  à  son  Cls  unique  une 
naissance  pauvre  et  obscure,  dans  l'éloignement 
de  tous  les  secours,  dans  le  concours  des-circoa- 
slances  les  plus  incommodes. 

En  effet  Marie  arrivée  à  Bethléem  s'empresse 
d'autant  plus  à  chercher  une  hôtellerie,  qu'elle  sent 
que  son  terme  approche  ;  mais  elle  s'empresse 
inutilement  ,  partout  elle  est  rebutée.  Dans  ce 
grand  abord  de  gens  qui  arrivent  à  toute  heure  et 
de  toutes  parts ,  ou  réserve  les  riches  logemens 
pour  les  hôtes  les  plus  opulens.  Je  me  trompe, 
Chrétiens  auditeurs ,  Marie  et  Joseph  étaient  assez 
riches  pour  trouver  une  retraite  dans  Bethléem  ; 
mais  ficlhléem  n'avait  point  de  retraite  assez  pau-- 
Tre  pour  Jésus  -  Christ  ;  il  lui  fallait  une  cabane 
obscure  ;  ils  en  trouvèrent  une  hors  la  ville,  bâtie 
au  pied  d'un  roc  escarpé  ,  où  les  Bergers  du  voi- 
sinage mettaient  leurs  troupeaux  ù  couvert  de  la 


DE    NoEL.  JO7' 

rigueur  des  saisons  :  H  n'y  avait  dans  celte  cabane 
qu'une  clahle  ,  qu'une  crèche  pour  tout  meuble, 
pourhabilansquc  deuxaniniaux;la  force  de  l'hiver 
se  faisait  sentir  ,  la  nuit  était  avancée  ,  Tasile 
ruineux,  solitaire,  et  oiivert  aux  injures  du  tenrips. 

Père  éternel ,  est-ce  donc  là  le  berceau  que  vous 
destinez  à  voire  fils  ?  Est-il  possible  qu'on  n'ait 
point  prépiiré  d'autre  palais  pour  recevoir  ce  grand 
Prince  qu'on  attend  depuis  tant  de  siècles  ?  Quoi! 
Seigneur  ,  vous  ne  voulûtes  point  tirer  du  néant 
le  premier  homme ,  que  vous  n'eussiez  paré  le  Ciel 
de  flambeaux  ,  et  déployé  sur  la  terre  tous  les 
ornements  dont  elle  paraît  enrichie  en  ses  plus 
jours  ;  vous  disposâtes  tout  de  telle  sorte  ,  qu'il 
trouva  d'abord  non -seulement  la  plus  belle  des 
saisons,  mais  encore  une  saison  composée  de  tout 
ce  que  les  autres  ont  d'agréable  ;  le  lieu  destiné 
pour  sa  demeure  fut  un  Paradis  terrestre,  où  vous 
aviez  rassemblé  des  beautés  encore  plus  rares  :  et 
pour  le  second  Adam  ,  pour  celui  qui  doit  vous 
rendre  la  gloire  que  le  premier  vous  a  ravie  ,  vous 
prenez  des  soins  tout  opposés  ,  et  tous  les  ressorts 
de  votre  sagesse  concourent  à  faire  qu'il  manque 
de  tout  ! 

Oui ,  MM.,  ce  fut  sous^  cette  cabane,  et  au  pied 
de  cette  crèche,  que  Marie  s'étant  mise  en  prières 
avec  Joseph ,  résolut  d'attendre  le  moment  for- 
tuné de  ses  couches.  Ce  moment  arriva  ;  et  ao 
lieu  des  mortelles  douleurs  dont  les  autres  mères 
sont  assaillies  ,  elle-même  elle  a  révélé  (*)  que  son 
ame  fut  saisie  d'une  joie  céleste  qui  suspendit  en 
elle  l'usage  de  tous  ses  sens.  Durant  cette  douce 
extase ,  le  divin  enfant  sortit  de  son  sein.  Ado- 
rons ,  mes  frères  ,  et  appliquons-nous  à  recueillir 
jusqu'aux  particularités  les  plus  légères  du  plus 
mystérieux  de  tous  les  événemens.  Un  grand  Doc- 
leur  a  cru  que  cet  enfant  céleste  fut  d'abord  reçu 
entre  les  mains  des  Anges  ,  qui  le  remirent  à  sa 

(*)  RérèlatioD  de  sainte  Brigitte. 


îo8  2.   Pour  le  Jour 

mère.  Vous  me  demanderez  peut-être  ce  que  fit 
alors  cette  sainte  mère.  Mais  que  voulez-vous  que 
je  vous  réponde  ?  Qui  peut  dire  quels  furent  les 
mouvemens  de  son  cœur  ,  quelles  furent  les  ac- 
tions que  ces  mouvemens  produisirent  ?  Elle  adora 
ce  divin  enfant ,  elle  le  serra  entre  ses  bras  ,  elle 
lui  prodij^ua  les  baisers  les  plus  tendres,  elle  mêla 
ses  larmes  aux  siennes,  elle  l'enveloppa  de  langes, 
elle  le  coucha  dans  la  crèche  ,  elle  emprunta  le 
souffle  de  deux  animaux  pour  l'échauffer.  Cepen- 
dant l'amour,  la  joie  ,  le  respect  ,  l'admiration 
se  succédaient,  ou  plutôt  se  confondaient  dans  son 
«me  ;  et  son  silence  montrait  assez  jusqu'à  quel 
point  elle  était  occupée  de  ces  divers  sentimens. 

Les  Historiens  ecclésiastiques ,  et  entre  autres  lé 
savant  Orosius ,  racontent  mille  prodiges  arrivés  au 
moment  de  cette  naissance.  Les  Anges  apparurent 
aux  Bergers,  les  montagnes  voisines  furent  éclai- 
rées d'une  lumière  plus  brillante  que  celle  du  jour  , 
une  harmonie  merveilleuse  se  fit  entendre  dans  les 
airs  ,  on  vit  une  nouvelle  étoile  en  Orient  ,  trois 
soleils  en  Occident ,  une  fontaine  d'huile  coula  quel- 
que temps  auprès  de  Rome,,. les  oracles  devinrent 
muets  tout-à-coup  dans  tout  l'univers.  Mais  que 
les  païens  ,  que  les  infidèles  ,  pour  qui  se  font  tous 
ces  prodiges  ,  s'attachent  à  les  contempler  ;  pouc 
moi ,  divin  enfant ,  je  n'aurai  aujourd'hui  d'atten^ 
tion  que  pour  vous ,  ou  pour  ce  qui  vous  envi- 
ronne :  votre  étable  ,  votre  crèche  ,  ces  langes 
dans  lesquels  vous  reposez,  me  frappent  plus  que 
tous  les  miracles  que  vous  pouvez  faire  dans  la 
ciel  et  sur  la  terre. 

0  s'il  m'était  permis  ,  s'écrie  saint.  Chrysos-» 
tome  ,  de  voir  celte  crèche  où  mon»  Seigneur  a 
été  couché  !  Je  sais  qu'elle  a  été  enlevée  par  les 
Chrétiens  ,  et  remplacée  par  une  crèche  d'argent; 
mais  la  première  était  incomparablement  plus 
précieuse.  L'or  et  l'argent  sont  pour  les  Gentils  > 
qui  font  tant  de  cas  de  ces  métaux.  La  foi  ebré- 
tieoue  méritait  bien   (  remarquez  s'il  vous  plaît 


DE    NOEL.  109 

c«tte  expression  )  la  foi  chrétienne  méritait  bien 
ce  bois  et  ces  briques  dont  la  crèche  était  con- 
struite. Ce  n'est  pas  que  je  condamne  ,  continue 
ce  Père  ,  ceux  qui  ont  cru  donner  par-là  des  mar- 
ques de  leur  respect  et  de  leur  zèle  ;  mais  je  me 
sens  saisi  d'admiration  à  la  vue  du  Seigneur,  qui 
ayant  créé  le  monde  ,  ne  naît  point  dans  un  lit 
brillant  d'or  et  d'argent,  mais  sur  de  l'argile.  Mon 
Dieu  ,  que  vous  me  paraissez  adorable  dans  cet 
état  !  que  cette  pauvreté  sied  bien  ,  ce  me  semble, 
à  Voire  Majesté  infinie  !  Je  sais  que  les  Juifs  s'en 
scandalisent  ,  mais  pour  moi  rien  ne  me  persuade 
mieux  de  l'excellence  de  votre  êlre.  Heureuse  pau- 
vreté ,  qui  avez  été  honorée  jusqu'à  être. comme 
le  berceau  du  Verbe  incarné  !  pauvreté^  illustrée, 
dont  Dieu  même  a  voulu  faire  éclater  la  grandeur 
en  cachant  la  sienne  !  pauvreté  privilégiée  ,  à  qui 
il  a  consacré  les  premiers  momens  de  sa  vie  ,  et 
par  qui  il  a  donné  ses  premiers  exemples  !  que 
Jésus  me  paraît  aimable  dans  votre  sein  ,  et  que 
je  vous  trouve  aimable  vous  -  même  dans  la  per- 
sonne de  Jésus  ! 

Mais  peut-être  n'est-ce  qu'une  pauvreté  passa- 
gère et  amenée  par  le  hasard  ;  peut-être  qu'un 
contre-temps  imprévu  a^  jeté  le  fils  de  Dieu  dans 
l'extrémité  où  nous  venons  de  le  voir.  Il  est  vrai  , 
MM.  ,  que  si  dans  le  temps  qu'il  devait  naître,  la 
Providence  n'eût  fait  un  devoir  à  sa  mère  de  sor- 
tir de  Nazareth,  il  serait  né  dans  des  circonstances 
moins  incommodes  ,  mais  toujours  au  sein  de  la 
pauvreté.  La  maison  de  Joseph  n'a  rien  qui  ne 
ressente  l'indigence,  il  n'est  lui-même  qu'un  sim- 
ple artisan  ,  qui  vit  du  travail  de  ses  mains;  et  dés- 
ormais il  lui  faudra  trouver  dans  ce  travail  de  quoi 
fournir  aux  besoins  de  Marie  et  de  son  fils;  il  fau- 
d-ra  que  ce  divin  enfant  ,  dès  que  l'âge  l'aura  for- 
tifié ,  prête  lui  -même  à  Joseph  le  secours  de  ses 
bras  ,  et  qu'à  la  sueur  de  son  front  il  gagne  un  mo- 
dique salaire.  Je  n'examine  point  ici  si  ce  fut  de 
son  propre  mouvement ,  ou  par  un  ordre  exprès 


jio  2.    Poun  LE  Jour 

au  Père  éternel ,  que  Jésus-Christ  embrassa  une 
pauvreté  si  rigoureuse.  Le  sentiment  de  l'Abbé 
Rupert  a  élé  qu'au  moment  de  l'incarnation  Dieu 
lui  proposa  le  choix  de  deux  voies  bien  opposées 
pour  sauver  les  hommes,  de  l'abondance  des  biens,  • 
de  l'éclat  et  des  charmes  de  la  royauté  d'une  part; 
d'autre  part ,  de  la  pauvreté  obscure  ,  et  des  mi- 
sères d'une  condition  abjecte  :  qu'il  eut  en  effet  à 
choisir  entre  ces  deux  voies,  et  qu'il  se  détermina 
pour  celle  qu'il  a  tenue  depuis  sa  naissance  jus- 
qu'à sa  mort.  Cette  opinion  ne  manque  ni  de  fon-- 
mens  dans  l'Ecriture,  ni  de  sectateurs  dans  l'école. 
Mais  soit  que  le  fils  unique  dû  Père  éternel  ait 
choisi  la  pauvreté,  ou  que  le  Père  éternel  ait  fait 
ce  choix  pour  son  Gis  uniqje,  ilest  vrai  que,  dans 
l'estime  d'un  Dieu,  la  pauvreté  Ta  emporté  sur  les 
richesses  ;  et  ,  soit  amour  poar  l'indigence  ,  ou- 
soumission  aux  ordres  de  Dieu^ ,  le  Créateur  de 
l'univers  manquera  de  tout,  et  sera  réduit  à  pour- 
Toir  aux  nécessités  de  la  vie  par  les  travaux  d'un* 
profession  vile  et  pénible.  - 

Que  dites-vous,  aveuglés  Chrétiens  ,  hommes^ 
ingrats  et  de  peu  de  foi  ?  Vous  qui  ne  cessez  de 
murmurer  contre  votre  père  céleste ,  ec  de  blâmer 
le  partage  qu'il  a  fait  des  richesses  de  la  terre, 
comment  osez-vous  vous  plaindre  qu'il  ne  vous 
ait  pas  fait  naître  dans  une  fortune  plus  opulente 
que  son  fils  unique  ?  Vous  vous  estimez  malheu- 
reux ,  et  vous  l'êtes  en  effet,  puisque  vous  ne  con- 
naissez pas  votre  bonheur,  et  que  vous  vous  faites 
un  supplice  d'un  état  que  votre  Sauveur  chérit. 
3Les  plus  sages  d'entre  les  riches  se  dépouillent  vo- 
lontairement, pour  vivre  et  pour  mourir  pauvres 
avec  leur  divin  maître  ;  et  vous  soupirez  pour  les 
trésors  qu'ils  abandonnent.  Comment  feriez-vous  ^ 
votre  salut  dans  l'abondance  ,  puisque  Dieu  vous 
ayant  ôlé  cet  obstacle ,  qui  est  un  des  plus  grands , 
vous  demeurez  néanmoins  si  imparfaits  ?  Et  ne 
dites  pas  qu'au  contraire  la  pauvreté  engage 
comme  nécessairement  ù  mille  bassesses,  à  mille 


DE    NOEL.  III 

lâchetés  ,  à  mille  crimes  ;  tous  vous  tromperiez  : 
c'est  Tavarice  des  pauvres  ,  c'est  l'aversion  qu'ils 
ont  pour  la  pauvreté,  qui  causent  en  eux  ces  dé- 
réglemcns  ,  et  non  pas  la  pauvreté  niêine.  Je  sais 
qu'il  y  a  des  pauvres  qui  sont  vicieux  :  il  est  vrai, 
lorsqu'ils  ont  perdu  la  crainte  de  Dieu  ,  ils  sont 
quelquefois  encore  plus  débordés  que  les  riches. 

Mais  on  a  tort  d'attribuer  ces  désordres  à  Itur 
état;  au  contraire  ,  il  exempte  par  lui-même  de 
tout  désordre.  C'est  un  état  d'innocence ,  de  sain- 
teté, de  prédestination  :  la  pauvreté  met  à  cou- 
yerl  du  luxe  ,  de  la  vanité  ,  de  cet  orgueil  du 
siècle  si  opposé  au  Christianisme,  et  qui  conduit 
à  l'apostasie  el  à  l'infidélité.  Il  est  aisé  aux  pauvres 
d'être  sobres  par  vertu,  l'étant  déjà  par  nécessité. 
Comment  aimeraient -ils  à  faire  des  injustices, 
eux  qui  n'ont  pas  le  pouvoir  d'en  commettre  ,  et 
qui  ne  peuvent  que  les  souffrir  ?  La  pauvreté  con- 
serve la  pureté  du  corps  par  l'éloignement  des 
plaisirs  ,  et  celle  du  cœur  par  la  nécessité  du  tra- 
vail où  engagent  les  besoins  de  la  vie  :  elle  étouffe 
toutes  les  passions  dès  leur  naissance  ,  en  leur 
(^tant  l'espoir  de  se  satisfaire.  L'usage  où  elle  met 
de  se  priver  de  ce  qui  est  permis,  est  un  frein  con- 
tre la  licence  qui  porte  à  tout  ce  que  la  loi  défend  : 
Ayant  en  partage  la  simplicité  ,  la  droiture,  la 
sincérité  ,  elle  est  bien  plus  exposée  à  être  trom- 
pée, que  portée  à  tromper.  Elle  est  tendre  et  cha- 
ritable envers  le  prochain  ;  l'expérience  de  ses 
propres  maux  la  rend  sensible  aux  misères  d'autrui. 
Klle  porte  à  soupirer  pour  le  Ciel  ;  au  regard  des 
biens  d'ici-bas,  elle  borne  ses  désirs  au  nécessaire: 
et  ne  pouvant  rien  obtenir  par  elle-même ,  elle  est 
heureusement  contrainte  d'attendre  de  Dieu  seul 
l'accomplissement  de  ses  désirs.  La  pauvreté  dis- 
pose à  souffrir  les  grands  maux  avec  patience  ,  et 
à  recevoir  les  biens  les  plus  légers  avec  reconnais- 
sance :  en  un  mot  la  pauvreté  est  chérie  de  Jésus- 
Christ.  Il  ne  l'aurait  pas  embrassée ,  si  elle  était  un 
aussi  grand  mal  qji'on  le  pense  dans  le  monde  ,  et 


iia^  2.   PoLR  LE  Jour 

si  étant  venu  pour  nous  montrer  le  chemin  du 
Ciel,  il  ne  reût  regardée  comme  une  voie  sûre 
pour  y  parvenir.  Cependant  il  y  a  des  hommes 
qui  se  perdent  par  la  pauvreté  :  cela  peut  être, 
car  de  quels  biens  ne  peut-^on-  pas  abuser  ?  Mais 
certainement  il  faut  être- bien  malhcuretfx,  pour 
se  damner  par  la  même  route  que  le  Rédempletvr 
a  voulu  prendre  pour-  nous  sauver  ,  et  par  où  il  a 
en  effet  conduit  les  Apôtres  et  la-plupart  des  Saint* 
à  un  si  haut  degré  de  gloire. 

Je  vous  ai  jusqu'ici  fait  voir  que  le  fris  de  Dicn  ' 
se  faisant  homme  ,  dans  le  choix  des  biens  divers 
que  le  monde  lui  présentait ,  a  préféré  la  pauvreté 
aux  richesses  :  et  si  cela  ne  suffit  pas  encore  pour 
vous  la  faire  estimer,  je  veux  bien  vous  apprei>- 
dre  que  ,  dans  la  distribution  des  biens  qu'il  ap^ 
porte  du  Ciel  e«  naissant,  il  préfère  les-pauvres 
aux  riches.  Non-seulement  il  est  né  pauvre  ,  ma» 
il  semble  de  plus  qu'il  n'est  né  que-^pour-les  pai»-- 
vres.  C'est  mon  second  point.-. 

sECO^^)  poiîrr.' 

A  PEINE  Jésus- Christ  est  né- à  Bethléem  pauvre- 
et  inconnu  ,  comme  nous  venonô«d«>  le  dire  ,  que 
son  père  commence  à  triivailler»  àsa-gloire  :  soin- 
qu'il  n'abandonna  jamais  depjLiis>  et  <fu'on  lui  vit 
redoubler  dans  toutes  lesofc'casioris  où  ce  fils  bien»-' 
aimé  s'humilia  davantage.  Tou*  les  Anges  eurent 
ordre  de  venir  s'abaisser  à  ses  pjieds,  et  lui  faire 
hommage  comme  à  leur  maître  :  Dicit  :  Et  ado- 
rent eum  ovines  Au geli.  Aucun  d'eux  ne  fut  dispensé 
de  ce  devoir  ;  et  depuis  l'instant  que  le  comman- 
dement fut  doivné  ,  l'étable  où  Jésus-Christ  était 
né  ne  cessa  Y>as  d'être  renij^lie  de  courtisans  céles- 
tes. Mais  comme  il  venait  pour  les  hommes,  et 
qu'il  était  dans  l'ijnjjatiL'nce  de  leur  procurer  le 
plus  grand  de  tous  k'i>  biens,  en  se  faisant  connaî- 
tre à  eux  ,  une  lr.)upe  de  ces  esprits  saints  fut 
députée  pourlfur  porter  la  noiivcllccle  sa  naissance. 

î5i  Ihi^ioire  de  celte  céUbre  ambassade  n'était 


DE    NOEL.  1  I  3 

pns  aussi  connue  qu'elle  l'est  de  tous  les  Chrétiens , 
ii  est  sCir  que  je  vous  étonnerais  étrangement  en 
vous  disant  vers  qui  elle  fut  envoyée.  L'héritier 
du  royaume  de  David  vient  de  naître  ;  ce  Messie, 
ce  libérateur  annoncé  par  tan-tde  prophéties  ,  at- 
tendu depuis  tant  de  siècles  ,  est  enfin  venu  au 
monde.  Une' compagnie  d'Anges  part  du  lieu  de 
sa  naissance  ,  ponr  en  porter  la  nouvelle.  A  qui? 
Sans  doute  à  tout  le  peuple  d'Israël  ,  puisqu'il 
avait  été  promis  à  tout  ce* peuple,  et  que  tout  Is- 
raël l'attendait  :  du  moins  à  toute  la  ville  de  Jéru- 
salem, au  Roi,  à  ses  Ministres,  à  ses  courtisans, 
au  grand  Prêtre  ,  aux  Docteurs  de-  la  loi ,  à  ces 
enfans  des  Patriarches  et  des  Prophètes.  Tout  ce 
monde  ,  MM.  ,  est  enseveli  dans  un  profond  som« 
meil.  Des  Bergers  veillent  cependant  sur  Lt  plus- 
prochaine  colline  ,  pour  défendre  leurs  troupeaux 
contre  les  périls  de  la  nuit  :  c'est  vers  ces  Rerger* 
que  les  A^îg^s  sont  députés  ,  c'est» à  eux' seuls  qus* 
Jésus-Christ  fait  donner  avis  de  son  arrivée  ,  il  ne 
veut  voir  qu'eux  dans  son  étable.  Ita  ,  pater ,  quo-f 
nlamslc  fuit' placitam  ante  te.  Oui  ,  Seigneur, 
c'esf^ainsi  qu'il  vous  plut  d'en  user  alors;  vous 
dédaignâtes  le  faste  de  la  sagesse  et  de  la  grandeur 
du  siècle  ,  pour  révéler  à  des  hommes  simples  et 
pauvres  vos  plus  admirables  mystères. 

Voilà  donc  ces  Bergers  environnés  tout-à-coup 
d^une  grande  lumière  ,  qui  les  remplit  de  terreur: 
mais  un  Ange  les  rassure  ,  et  fait  succéder  à  cette 
vaine  crainte  une  joie  qu'on  ne  saurait  exprimer, 
Nolite  timere  ,  leur  dit-il  ,  ecce  enini  evangelito  vo~ 
bis  gaudium  magnum  ;  quianatus  estvobisSalvator  : 
Ne  craignez  rien  ,  je  vous  apporte  la  joie  :  il  vous 
est  né  un  libérateur,  et  c'est  auprès  de  Bethléem 
q-u'il  est  né  :  vons  y  trouverez  un  enfant  dans  une 
crèche  enveloppé  de  langes.  Cet  enfant  est  votre- 
Dieu  ,  c'est  le  Messie  que  je  vous  annonce.  Inve^ 
nietis  infantem  pannis  involutum ,  et  positum  irv 
prœsepio.  Après  ces  paroles  l'Ange  rejoint  sa 
tfoupe  .  et  reprenant  tous  ensemble  leur  route  au 


fi^  ,  '^'   Poi}R  LE  Jour 

milieu  des  îrirs  ,  ils  font  relenlir  la  montn^ne  dtr' 
concert  de  leurs  voix  ,  et  répètent  mille  t'ois  ce 
doux  cantique  :  Gloire  soit  à  Dieu  dans  le  Ciel, 
et  la  paix  sur  la  terre  aux  hommes  de  bonne  vo- 
lonté :  Gloria  in  exceUis  Dca  ,  pax  liominibus  ùonœ 
toluntalis. 

Allez  ,  heureux  Bergers  ,  hommes  vraiment 
chéris  de  Dieu  ,  allez  voir  le  Piince  aimahie  qui 
•tons  est  né  ,  ce  Prince  qui  vous  mande  aussitôt 
qu'il  est  sur  la  terre  ,  et  qui  semble  n'y  avoir  été 
attiré  que  par  le  désir  de  se  faire  voir  à  vous.  Beoti 
oculi  qui  vident  quœ  vos  videtis  !  Heureux  les  yeux 
qui  verront  ce  que  vous  allez  voir  !  Combien  de 
Rois  et  de  Princes  vous  envieront  cet  inelTable 
bonheur  !  combien  en  verra-t-on  venir  des  extré- 
mités de  rOf  cidenl,  traînant  après  eux  une  multi- 
tude d'hommes  armés  ,  et  prêts  à  leur  ouvrir  un 
passage  dans  Bethléem  à  travers  mille  périls  !  Ce 
ne  sera  pas  pour  y  voir  le  divin  enfant  qui  vous 
appelle  ,  mais  seulement  les  ruines  de  rétable,.et 
les  restes  presque  démolis  de  la  crèche  où  il  repose. 

Les  Bergers  y  vont  ,  M.u.  ,  ils  rencontrent  tout 
ce  qu'on  leur  a  ar.noncé  :  ils  trouvent  encore  Jo- 
seph,  ils  trouvent  Marie  ,  dont  là  modeste  beauté, 
dès  le  temps  de  sa  vie  mortelle  ,  était  capable 
d'ariêter  les  ye«ix  des  Anges  mêmes.  Mais  Jésus 
attire  d'abord  tous  les  regards  ,  et  ces  Bergers 
doi  iles  se  prosternent  au  pied  de  la  crèche  ,  ils 
l'adorent  avec  respect  ;  ils  y  font  des  présens  de 
peu  de  valeur  à  la  vérité  ,  mais  qui  sont  les  mar- 
ques d'une  foi  pure  et  d'un  amour  sincère. 

Je  l'avoue,  Chrétiens  auditeurs,  après  avoir 
Lien  considéré  la  conduite  des  Bergers,  leur  obéis- 
sance, leur  départ  prompt  ,  pour  ne  pas  dire  pré- 
cipité ,  à  une  heure  (pii  semblait  indue  ,  par  un 
chemin  assex  long  ,  dans  une  saison  incommode, 
dans  un  temps  où  Icnv  présence  pouvait  être  si 
nécessaire  à  leurs  troupeaux  ;  quand  je  les  vois 
enfin  se  jeter  aux  pieds  de  Jésus  ,  sans  douter  , 
sans  hésiter  ,  sans    se  laisser  rebuter  ni  par  sa 


DE    NOEL.  1  I  5 

pnnvrelé  ni  par  son  enfance,  le  reconnaître  pour 
U'  Messie  ,  pour  leur  Dieu,  je  ne  ni*étonne  plus 
qu'ils  aient  été  préférés  et  aux  grands  du  monde 
et  aux  Docleurs  de  la  loi. 

Si  l'Ange  se  fût  adressé  aux  plus  riches  d'entre 
les  Juifs ,  outre  que  durant  le  soniaieil  ils  n'au- 
raient peut-être  pas  entendu  sa  voix,  ils  n'auraient 
du  moins  pu  se  résoudre  à  sortir  si  promptement 
de  leurs  paîai* ,  à  quitter  les  lits  où  \h  reposaient 
mollement  ;  ils  auraient  voulu  attendre  le  jour; 
peut-être  que  la  rigueur  de  la  saison  les  aurait  en- 
tièrement arrêtés.  D'ailleurs  je  ne  sais  s'ils  au- 
raient ajouté  foi  à  cette  nouvelle,  et  si  de  pour  de 
passer  pour  des  esprits  faibles  ,  ils  n'auraient  point 
refusé  de  se  mettre  en  chemin  sur  une  simple  vi- 
sion. Mais  lorsqu'ils  auraientvii  la  grotte  de 'Beth- 
léem ,  n'auraient- ils  point  craint  d'avilir  leurs 
personnes  en  entrant  dans  un»;  étable  ,  de  ternir 
leurs  vêtemens  superbes  en  passant  sur  la  fange  ? 
Si  d'abord  ils  n'avaient  pas  été  entièrement  rebu- 
tés"," en  voyant  dans  un  Dieu  lonu.i  le-  r.iiblcsscs. 
de  l'enfance  ,  du  moins  avant  que  de  croire  ,  avant 
que  de  se  résoudre  à  l'adorer  ,  coml)ien  de  "dis- 
cours 5  combien  de  questions  n'anraient-ils  pas 
voulu  faire  et  à  Joseph  et  à  Marie  ?  Que  de  dou- 
tes ,  que  de  subtilités  n'auraient -ils  pas  formés 
sur  un  mystère  si  profond  ,  et  qui  d'ailleurs  con- 
damnait leur  orgueil  et  leur  avarice  !  Point  de  cir- 
constance sur  quoi  ils  n'eussent  trouvé  à  pointiller, 
sur  quoi  ils  n'eussent  demandé  des  éclaircisse- 
inens  ;  ils  auraient  voulu  consulter  tous  les  Pro- 
phètes ,  entendre  des  raisons  ,  voir  des  miracles  ; 
ils  auraient  fait  ce  que  font  tous  les  jours  à  l'égard 
des  vérités  de  la  foi  les  mieux  établies,  non  pas  les 
sages  et  les  savans,  mais  ceux  qui  ayant  l'esprit 
corrompu  par  l'oisiveté  et  par  les  délices  de  la  vie, 
te  persuadent  que  les  richesses  donnent  plus  de  lu- 
mières que  les  livres,  et  qu'on  sedonne  àsoi-mêini 
un  surcroît  d'agrément  en  joignant  au  faste  mon- 
dain l'esprit  d'irréligion.  Cependant  Jésus-Christ 


"M '6  2.  Pour  le  Jour"" 

cherchait  des  adorateurs  ,  il  demandait  des  esprilsr* 
simples  et  dociles  ,  qui  n'opposassent  aucun  ob-' 
slacle  à  ses  desseins  ,  qui  se  hâtassent  de  recevoir'' 
les  grâces  qu'il  s'empressait  de  coîndiuaiquer. 

De  là  qui  pourrait  dire  quels  furent  les  trésorS^ 
que  remportèrent  les  Bergers  ?'Saîhî' Ambroise 
assure  que  l'entretien  qu'ils  eurent  avec  Mari^ 
servit  à  la  foriilier  elle-même  dkns  la  foi  ;  jugez 
s'il  fut  inutile  pour  eux.  Le  soleil  n'est  jamais  si 
fécond  et  si  bienfaisant  que  lorsquMl  se  levé;  c'est 
dans  rOrient  ,  dans  ces  ferres  qui  reçoivent  ses 
premiers  rayons,  qu'il  produit  les  perles  et  les  dia* 
mans  ,  qu'ils  parfume  les  fruits  et  les  arbres  mê- 
mes :  et  il  ne  faut  pas  douter  qu'il  n'y  eût  des 
grâces  toutes  singulières ,  des  bénédictions  choisies 
pour  ceux  qui  eurent  le  bonheur  de  voir  les  pre- 
miers le  Verbe  incarné  ,  et  de  l'adorer  à  sa  nais- 
sance. Je  ne  parle  pointde  la  sainteté  où  parvinrent 
les  Bergers  avant  de  mourir;  les  historiens  ecclé- 
siastiques rapportent  que  cette  sainteté  fut  émi-' 
riente;  et  le  vénérable  Bédé  ,  entre  tous  les  autres, 
parle  d'une  église  bâlîe  au  même  endroit  où  l'Ange 
leur  était  annarii ,  et  il  dit  nue  de  son  temps  ou  y- 

il-  1  ko 

révérait  encore  leurs  sépulcres.  Sans  aller  cher- 
cher si  loin  lés  preuves  de  leurs  vertus,,  à  peine 
sont -ils  sortis  de  l'étable  ,  qu'ils  deviennent  les 
Apôtres  du  Messie.  Ils  ne  se  contentent  pas  de 
louer  Dieu  entre  eux  de  toutes  les  merveilles  dont 
ils  ont  été  témoins  :  Pieversi  suni  glorifîcanles  et 
laudantes  Deum  in  omnibus  qiCœ  audierant  et  vide- 
rant.  Ils  les  publient  hauten'ient ,  ces  merveilles^ 
ils  annoncent  le  Sauveur  à  tout  le  monde  ,  ils  eA 
parlent  avec  tant  de  zèle  et  tant  de  connaissance', 
qu'ils  frappent  d'étonnement  tous  ceux  qui  les  en- 
tendent :  Et  omnes  qui  audierunt  inirati  sunt  in 
his ,  quœ  dicta  erant  à'Pastoribus.  Cette  multitude 
d'hommes  distingués  par  leur  naissance  et  par  leur 
rang,  qui  était  assemblée  à  Bethléem  ,  apprit 
des  Bergers  ce  qui  se  passait  dans  leur  voisinage  : 
nous  ne  trouvons  pas  qu'elle  ait  profité   de  ces 


DE    NoEt.  117 

lumières  pour  Tenir  adorer  Jésus -Christ.  Mais 
remarquez ,  s'il  vous  plaît ,  que  Dieu  envoie  des 
Anges  aux  Pasteurs  ,  pour  les  instruire  de  la  nais- 
sance de  son  fils  ,  et  que  pour  le  faire  savoir  aux 
grands  et  aux  riches  ,  il  leur  députe  des  Bergers. 
11  fera  un  jour  plus  encore  ,  il  enverra  son  fils  qui 
Yient  de  naître  enseigner  aux  pauvres  sa  nouvelle 
loi  :  'Evangetizare  pauperihus  misitme.  Et  pour  an- 
noncer cette  même  loi  aux  Souverains,  aux  maî- 
tres de  la  terre ,  il  ne  choisira  que  de  pauvres 
pêcheurs. 

Apprenez  à  vous  humilier,  riches  du  monde,  et 
souvenez-vous  ,  lorsque  vous  vous  comparez  aux 
autres  hommes  ,  que  vous  devez  compter  pour 
rien  cet  or  ,  ces  possessions  ,  tout  cet  appareil  de 
grandeur  qui  vous  environne  et  qui  vous  enfle.  Le 
grand  nombre  des  hommes  se  laisse  éblouir  par 
ces  vains  dehors  ,  mais  certainement  h;  jugement 
du  Seigneur  n'est  pas  pour  vous.  Apprenez  à  con- 
sidérer et  à  honorer  les  pauvres,  que  Dieu  prélère 
aux  riches  en  toutes  rencontres  ,  et  qu'il  honore 
lui-même  d'une  manière  si  éclatante  :  mais  surtout 
craignez  et  ne  cessez  de  trembler  de  vous  voir  dans 
un  état  que  Jésus-  Christ  semble  avoir  méprisé  , 
avoir  rejeté  ,  avoir  en  quelque  sorte  réprouvé. 
Videte  vocationeni  vestram  _,  fratres  ,  disait  saint 
Paul  écrivant  à  ceux  de  Corinthe  :  Voyez  ,  mes 
frères,  ceux  que  Jésus-Christ  a  choisis  parmi  vous 
pour  être  ses  enfans  et  ses  disciples  ;  car  c'est  ainsi 
que  saint  Jean-Ghrysostôme  explique  ces  paroles 
de  l'Apôtre  ;  voyez  ceux  d'entre  vous  que  Jésus- 
Christ  a  appelés  à  son  service  :  vous  en  trouverez 
peu  de  riches ,  peu  de  nobles  ,  peu  de  grands  ,  ou 
de  sages  selon  le  monde  :  il  s'y  en  trouvera  par  la 
miséricorde  de  Dieu  ,  mais  ce  sera  le  petit  nom- 
bre :  Non  multi  sapientes  secundàm  terram  ,  non 
multi  potentes  ,  non  multi  nobiles.  La  cause  de  ce 
malheur  pour  les  riches  ,  c'est  que  les  richesses 
engendrent  l'orgueil.  La  superbe  est  le  ver  des 
richesses  ,  dit  saint  Augustin  :  Fermis  divitiarurn 


1 18  2.  Pour  le  Jour 

superbla.  Or  de  tous  les  vices  ,  l'orgaeil  est  celui 
qui  met  le  plus  d'opposition  au  salut.  De  plus  lea 
grands  biens  entraînent  toujours  ou  beaucoup  d'oi- 
siveté ,  ou  beaucoup  d'occupations  :  tantôt  ils  pro- 
duisent trop  d'épines  ,  et  quelquefois  trop  de 
fleurs,  c'est-à-dire  trop  de  soucis,  ou  trop  de  déli- 
ces. Cependant  le  salut  doit  être  notre  soin  uni- 
que ,  et  la  croix  est  l'unique  voie  qui  conduit  au 
Ciel.  De  là  des  Hérétiques  ont  prétendu  que  les 
richesses  étaient  mauvaises  de  leur  nature ,  et 
qu'on  ne  les  pouvait  recevoir  que  de  la  main  de» 
Démons.  De  là  les  Pélagiens  ont  enseigné  que  les 
riches  n'entreraient  jamais  dans  le  séjour  de  la 
gloire  ,  s'ils  ne  vendaient  tous  leurs  biens  pour  en 
distribuer  le  prix  aux  pauvres.  Ce  sont  deux  er- 
reurs dont  l'une  a  été  combattue  par  saint  Epi- 
phane  ,  l'autre  par  saint  Augustin  ;  et  toutes  deux 
condamnées  par  l'Eglise.  Mais  c'est  une  vérité 
évangélique  ,  que  la  pauvreté  d'esprit  est  essen- 
tielle au  Christianisme,  et  qu'il  n'est  point  d'é'at 
qui  en  puisse  dispenser. 

Si  vous  voulez  être  sage  ,  disait  un  ancien  ,  il 
faut  que  vous  soyez  ou  pauvre  effectivement  ,  ou 
entièrement  semblable  à  un  pauvre  :  Jut  pauper 
sis  oportet  ,  aut  pauperi  similis.  Je  vous  dis  lû 
même  chose  ,  MM.  :  si  vous  voulez  vous  sauver, 
il  faut  ou  vous  dépouiller  de  vos  richesses  ,  ou  vi- 
vre au  milieu  de  vos  richesses  comme  si  vous 
n'en  aviez  point  :  Aut  pauper  sis  oportet ,  aut  pau- 
peri similis.  C'est-à-dire  qu'il  faut  être  aussi  hum- 
ble ,  aussi  modeste  ,  aussi  attentif  à  mortifier  vo» 
passions  ,  aussi  réservé  dans  l'usage  de  vos  pro- 
pres biens  ,  enfin  aussi  peu  attaché  à  leur  posse- 
sion ,  que  s'ils  n'étaient  pas  à  vous.  Qui  utuntur 
hoc  niundo ,  quasi  non  utantur. 

Ce  détachement  est  bien  difficile  ,  me  direi- 
vous  ,  il  est  presque  impossible  :  peu  de  gens  eu 
▼oient  toute  la  difliculté;  pour  moi  je  ne  l'envisage 
jamais  sans  frémir ,  et  sans  être  louché  de  com- 
passion pour  tous  ceux  que  je  vois  engagés  dans 


DE   NOEL.  ïig 

de  $î  effroyables  périls.  Oui ,  mes  frères  ,  il  est 
diflficilc  qu*un  homme  riche  soit  humble  ,  charita- 
ble ,  aime  la  vie  austère  ,  et  n'aime  pas  ses  riches- 
ses :  il  est  plus  nisé  qu'un  chameau  passe  par  le 
^trou  d'une  aiguille.  Mais  écoutez  s'il  vous  plaît 
quel  est  sur  ce  point  le  sentiment  du  fils  de  Dieu. 
Vous  avez  oui  parler  de  ce  jeune  homme  qui  s'a- 
dressa un  jour  au  Sauveur  du  monde  dans  le  des- 
sein de  s'instruire  des  moyens  qu'il  avait  à  prendre 
pour  se  sanctifier.  Seigneur  ,  lui  dit-il  ,  que  faut- 
il  que  je  fasse  pour  mériter  la  vie  éternelle  Quid 
faciendo  vitam  œternam  possidebo  ?  Gardez  les 
commandemens,  lui  répondit  Jésus-Christ  :  Serca 
mandata.  Je  les  ai  gardés,  repartit  le  jeune  homme, 
dès  les  premières  années  de  ma  jeunesse  ;  mais  je 
Toudrais  ajouter  à  l'accomplissement  de  ce  devoir 
quelque  pratique  de  surcroît ,  pour  assurer  davan- 
tage mon  salut.  Cette  réponse,  dit  l'Evangile, 
plut  à  Jésus-Christ ,  il  envisagea  ce  nouveau  dis- 
ciple avec  complaisance  ,  et  l'honora  de  son  ami- 
tié :  Jésus  aulcm  intuitus  euni,  dilex'U  cum.  Qu'en 
diles-vous ,  MM.  ?  ne  sont-ce  pas  là  de  belles  dis- 
positions pour  une  haute  sainteté  ?  Il  est  jeune., 
il  est  innocent  ,  il  souhaite  de  faire  des  progrès 
dans  la  vertu  ,  il  a  déjà  gagné  le  cœur  de  son  maî- 
tre :  voilà  un  Saint ,  voilà  un  Apôtre  ,  voilà  un 
autre  saint  Jean.  Oui ,  MM.  ,  il  allait  étro  tout 
cela,  si  pour  son  malheur  il  ne  s'était  trouvé  riche. 
Il  ne  vous  manque  qu'une  chose  ,  lui  dit  alors  le 
Sauveur  :  Unum  tihi  deest  :  vade ,  quœcunque  hahes 
rende  ,  et  da  paaperibus  ,  et  habebis  ihesaurum  in 
Cœlo  ;  et  veni ,  scquere  me  :  Allez  vendre  votre  bien  , 
distribuez-en  l'argent  aux  pau  vres  ;  vous  aurez  pour 
récompense  un  trésor  dans  le  Ciel  ,  et  dès  ce  mo- 
ment je  vous  prends  à  ma  suite  ,  je  vous  mets  au 
nombre  de  mes  plus  chers  confidens.  Il  n'en  fallut 
pas  tant  pour  aucun  des  Apôtres  ,  quoiqu'aucun 
d'eux  n'eût ,  selon  les  apparences  ,  toutes  les  aima- 
bles dispositions  que  ce  jeune  homme  réunissait  ca 
«a  personne  ;  il  n'avaient  surlui  qu' un  seul  avantage , 


120  2.   Pour  le  Jour 

ils  étaient  pauvres  ;  celui-ci  ovail  de  grands  biens  *, 
Erat  enim  liabens  multas  possessiones.  C'est  pour 
cela  que  frappé  des  paroles  du  fils  r\<^.  Dieu  comme 
d'un  coup  de  foudre  ,  et  accablé  d'une  tristesse 
mortelle  ,  il  se  retira  sans  rien  répliquer  ,  et  re- 
nonça à  ses  pieux  projets. 

Funestes  richesses  ,  quel  est  donc  ce  charme  si 
puissant  qui  peut  résister  aux  grâces  de  Jésus- 
Christ  ?  qui  peut  résister  uses  promesses  ,  à  ses 
invitations  les  plus  douces  et  les  plus  tendres  ?  Ce 
fut  alors  que  le  fils  de  Dieu  ,  saisi  d'étonnement, 
d'abord  suivant  le  jeune  homme  des  yeux  ,  et  les 
tournant  ensuite  sur  ceux  qui  étaient  autour  de 
lui ,  s'écria  :  Quàm  difficile  qui  pecimias  habenl  in 
regîium  Dei  introlbiuit  !  O  que  ceux  qui  ont  des 
richesses  entreront  difficilement  dans  le  royaume 
de  Dieu  !  Jésus-Christ  ne  pouvait  se  récrier  vai- 
nement ,  ni  sur  des  sujets  frivoles  ;  et  celte  façon 
de  parler  si  emphatique  toucha  étrangement  tous 
ses  auditeurs.  Ils  attendaient  en  silence  .la  suite 
d'un  discours  si  surprenant,  lorsqu'il  s'écria  une 
seconde  fois  ,  et  d'une  manière  encore  plus  forte  : 
FilioU ,  quàm  difficile  est  confidentes  in  pecuniis  ,  in 
regniim  Dei  introire  I  iMes  chers  enfans  ,  qu'il  est 
difficile  qu'un  homme  qui  aime  l'argent  ,  et  qui  y 
met  sa  confiance  ,  prenne  ja^îiais  le  cheuiin  du 
Ciel  !  Je  ne  dis  pas  seulement  ,  qu'il  y  entre  , 
ra^s  même  qu'il  en  prenne  la  route  ;  car  c'est  ce 
que  signifie  ce  royaume  de  Dieu  ,  au  sentiment 
de  tous'Ies'Pcrcs.  Je  vous  dis  en  vérité  qu'un  cha- 
meau pass(*ra  plus  aisén>ent  par  le  trou  d'une  ai- 
guille ,  qu'une  liomme  riche  n'entn'.ra  dans  -les 
Yoies  du  salut.  Facilius  est ,  oui ,  il  est  plus  aisé  , 
facilius  est  canictuin  per  furainen  acûs  transire  ^  quàm 
divitein  intrare  in  regnuni  Dei.  Et  vojis  aimez  en- 
core vos  rirhcsscs  ,  avares  Chrétiens  ,  et  vous 
pensez  à  remplir  vos  maisons  de  ces  biens  dan- 
gereux et  e;rp«»isonués  ,  et  vous  ne  pensez  qu'à 
cela  !  pères  l.lchcs  ,  perfidies  pères  !  c'est  tout  ce 
que  vous  songci  ù  laiiJicr  à   vos   cnfuus  !  c'csit 


DE  TS'OEL.  12  1 

Tunique  chose  dont  vous  craignez  qu'ils  n'aient  pas 
assez  !  Quelle  conviction  plus  manifeste  peut-on 
souhaiter  de  la  difliculté  qu'ont  les  riches  de  faire 
l«ur  salut ,  qu'une  insensibilité  si  prodigieuse  ?  Qui 
pourra  les  détacher  de  l'amour  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent ,  si  de  la  pnrt  de  Jésus-Christ  cet  oracle  frap- 
pant, ce  coup  de  tonnerre  n'est  pas  capable  de  les 
ébranler  ? 

Si  c'est  un  article  de  foi  ,  que  les  riches  ne  se 
sauvent  qu'avec  peine  ;  et  si  d'ailleurs  nous  voyons 
qii'ils  prennent  si  peu  de  peine  pour  se  sauver; 
n'est-ce  pas  une  conséquence  infaillible  qu'ils  se 
perilentpour  la  plupart  ?  Je  vous  prie  ,  MM. ,  de 
donner  encore  un  moment  d'attention  à  ce  rai- 
sonnement ,  avec  lequel  je  finis.  Difficile  est  divitem 
introire  in  regnum  Dei  :  Il  est  extrêmement  diffi- 
cile qu'un  homme  riche  entre  dans  le  Ciel  :  et  le 
Verbe  incarné  n'a  point  d'expression  assez  forte 
pour  rendre  sensible  celte  dilîiculté.  Difficile  est. 
C'est-à-dire ,  que  sans  quelque  grand  effort ,  sans 
une  vigilance  extraordinaire  ,  sans  une  application 
toute  particulière  à  servir  Dieu  ,  à  faire  de  bonnes 
œuvres  ,  sans  tout  cela  ,  on  n'aura  jamais  de  part 
à  la  gloire  des  Saints.  Si  donc  on  remarque  que 
les  riches ,  pour  l'ordinaire ,  sont  ceux  qui  pensent 
le  moins  à  leur  salut  ;  si  ,  loin  de  faire  de  grands 
efforts.,  ils  vivent  dans  une  extrême  tiédeur ,  ils 
ne  se  font  aucune  violence-,  ils  se  livrent  au  tor- 
rent du  monde  ,  n'est-il  pas  évident  qu'ils  n'entre- 
ront jamais  dans  Je  Ciel  ?  Si  cette  vie  molle  et 
mondaine  peut  vous  conduire  à  la  vie  bienheu- 
reuse, quelle  raison  a  eue  Jésus-Christ  d'exagérer 
si  fort  la  difficulté  du  salut  parmi  les  richesses  ? 
Pourquoi  cette  double  exclamation  ,  et  cette  com- 
paraison du  chameau  si  forte  et  si  surprenante  PII 
est  difficile,  et  très  -  diflicile  ,  que  les  riches  se 
sauvent  :  donc  il  est  absolument  impossible  qu'ils 
se  sauvent,  en  menant  une  vie  tiède,  une  vie 
douce  et  commode. 

Aimable  Jésus,  rien  ne  vous  est  impossible  f 
1.  6 


Ï21  2.  Pour  le  Jour 

rien  ne  vous  est  difficile  :  Omnia  tiblpossibilia  sunt. 
Hèlas  !  que  ne  pouvez-vons  point  faire  en  noire 
faveur  ?  Mais  que  n'avez-vous  point  déjà  fait  pour 
nous  donner  lieu  d'espérer  tout  de  votre  amour? 
Vous  vous  êtes  fait  pauvre  ,  pour  nous  faire  part 
de  vos  richesses  :  faites-nous  encore  part  de  votre 
pauvreté  mCme  ,  de  cette  pauvreté  d'esprit,  qui 
détache  le  cœur  de  tout  ,  qui  l'attache  à  vous  ^ 
naon  Dieu ,  qui  êtes  seul  capable  de  le  remplir. 
Vous  avez  préféré  des  Bergers  aux  Princes  d'Is- 
raël, mais  vous  n  avez  pas  néanmoins  entièrement 
rejeté.ceux-ci.  Vous  avez  été  envoyé  pour  instruire 
îes  pauvres  ,  mais  souvenez-vous  que  vous  venez 
sauver  tofit  le  monde.  Le  salut  que  vous  apporlea 
doit  s'étendre  Ju-^que  sur  les  animaux  ,  selon  la 
parole  du  Prophète  :  Ilomlnes  et  jitmenta  salvabis , 
Domine.  Serait-il  possiMc  qu'il  y  eût  quelque  con- 
dition parmi  les  homme^s  qui  en  frtt  exclue  ?  Les 
riches ,  aimable  Sauveur  ,  les  riches  et  les  enfans 
des  riches  sont  ceux  pour  l'ordinaire  qui  sont  le 
plus  avantageusement  partagés  dans  la  distribution 
des  dons  naturels,  sont  ceux  qui  apportent  en  nais- 
sant, et  plus  d'agrément  dans  leur  personne,  et 
plus  de  vertus  dans  leur  ame.  Quel  effet  charmant 
ne  produisent  pas  ces  qualités  rassemblées  ,  sur- 
tout lorsqu'une  culture  heureuse  a  perfectionné 
ces  présens  de  la  nature  ?  Serait-il  possible  que 
ces  grâces  aimables,  qu'ils  tiennent  après  tout  de 
votre  main  ,  leur  fussent  inutiles  ,  leur  devins- 
sent même  pernicieuses  ?  Quoi ,  le  Démon  aurait 
pour  son  partage  la  fleur  du  monde  ,  et  tous  ceux 
qui  ont  le  plus  d'avantages  pour  vous  servir,  et 
pour  faire  honneur  à  leur  maître  ? 

Ah  !  plutôt ,  Seigneur  ,  plutôt  que  ce  malheur 
arrive,  enlevez- leur  ces  funestes  biens  qui  les 
corrompent;  réduisez-les  à  cette  pauvreté  qu'ils 
craignent  si  fort,  si  vous  ne  pouvez  autrement 
leur  faire  redouter  les  périls  qui  les  menacent  ; 
traitez -les  en  père  tendre  ,  en  médecin  charita- 
ble .  ôtez-Ieur  le;f  moyens  de  se  perdre  ,  si  vous  oc 


DE  INOEL.  123 

pouvez  les  porter  à  se  servir  de  ces  même  moyens 
pour  se  sauver  :  enfin  ,  divin  Jésus,  sauvez-les  , 
sauvez-nous  par  quelque  voie  que  ce  puisse  être. 
Faites  qu'aprèj?  avoir  ,  ou  souffert  la  pauvreté  avec 
patience  ,  ou  possédé  les  richesses  sans  attache- 
ment dans  cette  vie  ,  nous  ayons  part  aux  tré- 
sors que  vous  nous  préparez  dans  l'autre. 
Ainsi  soil-il. 


d. 


SERMON 


POUR   LE   JOUR 


DE  LA   CIRCONCISION. 


Voeatum  est  nomtn  ejus  Jésus. 

On  lai  doaaa  le  nom  de  Jésus.  (  Lue.  a. ) 


Le  nom  de  Jésus  est  Térîtablemcnt  dû  à  Jésus- Christ , 
parce  qu'il  n'a  rien  laissé  à  faire  de  tout  ce  que  ce 
nom  peut  signiGcr  dans  le  sens  le  plus  étendu,  et 
parce  que ,  pour  le  remplir ,  il  n'est^point  de  travaux  , 
point  d'épreuves  qu'il  n'ait  bravées. 

JLoRSQD*iL  fallut  donner  un  nom  à  saint  Jean- 
Baptiste  le  huitième  jour  de  sa  naissance  ,  l'Evan- 
gile nous  apprend  qu'on  eut  bien  de  la  peine  à 
s'accorder  sur  le  nom.  Toute  la  famille  de  Zacha- 
irie  fut  partagée  ,  jusqu'à  ce  que  lui-même  ,  qui 
depuis  neuf  mois  avait  perdu  l'usage  de  la  parole, 
le  recouvra  subitement,  pour  déclarer  quelle  était 
sur  ce  point  la  volonté  du  Seigneur.  Nous  ne 
voyons  pas  qu'à  la  circonci.'^ion  du  fils  de  Marie 
il  s'élevât  de  contestation  pareille.  Quand  un  Ange 
n'aurait  pas  apporté  du  Ciel  le  nom  qui  a  été  des- 
tiné à  cet  enfant  avant  tous  les  siècles  ,  quand 
Joseph  et  Marie  auraient  ignoré  qu'il  était  venu  au 
monde  pour  sauver  le  monde  ,  il  élail  hors  do 
doute  que  le  fils  unique  de  Dien  devait  porter  le 
plus  grand  ,  le  plus  noble  de  tous, les  noms  :  elle 
nom  de  Jésus  a  sur  tous  Jes  autres  un  avantage 
jpresque  infini. 


Pour  le  Jour  de  la  Circoncision.    raS 

J^on  ,  MM.,  ni  le  nom  de  sage  et  de  pacifique  , 
qui  fut  donné  à  Salomon-;  ni  le  nom  d'angusle  , 
qui  a  para  si  propre  aux  Romains  pour  exprimer 
la  majesli!  de  leur  empire  ;  ni  le  nom  de  grand  , 
qui  renfermé  tous  les  autres,  et' que  les  hommes 
ont  coutume  de  donner  à  ceux  dont  ils  ne  peuvent 
représenter  ni  concevoir  assez  tout  le  mérite  ;  tous 
ces  noms  n'offrent  rien  qui  soit  comparable  au 
nom  de  Jésus,  qui  signifie  Rédempteur  et  Sau- 
teur des  hommes  :  Nomen  quod  est  super  omnt 
nom  en.  '  ' 

Mais  s'il  est  vrai  que  les  plus  grands  noms  ne 
sont  rien  ,  s'ils  ne  sont  ou  la  marque  ,  ou  le  prix 
d'un  grand  mérite  ;  comment  l'enfant  qu'on  nomme 
aujourd'hui  Sauveur  ,  n'étant  encore  qu'à'  son 
huitième  jour  ,  peut-il  avoir  mérité  un  nom  supé- 
rieur à  tous  les  autres  noms  ?  Ne  croira-t-on  point 
qu'il  le  doit  uniquement ,  ou  à  sa  naissance  ,  ou  à 
l'amour  aveugle  de  ses  parens  ,  ou  à  la  flatterie  des 
hommes  ?  Oui ,  MM.  ,  on  le  pourrait  croire,  si  on 
ne  savait  pas  d'ailleurs  que  ce  nom  est  une  pré- 
diction de  la  mort  de  Jésus-Christ ,  et  une  récom- 
pense anticipée  des  grandes  actions  qu'il  doit  faire 
durant  sa  vie.  Cliristus  fadas  est  obediens  usque  ad 
mortem  ,  mortem  auiem  crucis  ;  propter  quod  et 
Deus  dédit  Uli  nomen  quod  est  super  omne  nomen  : 
Jésus  a  été  obéissant  jusqu'à  la  mort  ;  et  c'est  pour 
récompenser  cette  obéissance  ,  que  dès  le  com- 
mencement de  sa  vie  on  lui  a  donné  le  nom  de 
Jésus  ,  nom  au  dessus  de  tous  les  noms.  Mais 
afin  qu'il  ne  reste  aucun  doute  sur  ce  point  si  im- 
portant pour  la  gloire  de  notre  maître  ,  je  vous 
ferai  voir  dans  ce  discours,  que  jamais  nom  ne  fut 
donné  avec  plus  de  justice.  J'espère  que,  pour  le 
prouver  ,  le  Saint-Espiit  m'inspirera  des  raisons 
propres  à  vaincre  et  à  édifier,  des  raisons  qui  se- 
ront glorieuses  au  Sauveur,  et  utiles  pour  notre 
salut.  Demandons-lui  cette  grâce  par  l'intercessioB 
de  Marie  :  Ave  ,  Maria. 


120  1.  Pour  le  Jour 

Il  me  semble  qu'un  grand  nom  est  dû  ayecd^au*- 
tant  plus  de  justice  ,  et  que   par   conséquent  il^ 
honore  d'autant  plus  ceux  qui  le  portent ,   qu'ils 
l'ont  mieux  mérité  ,   et  plus  chèrement  acheté. 
Comment  s'est-il  pu  trouver  des  empereurs,  ou- 
assez  insensés,  ou  assez  vains  ,  pour  souffrir  qu'on- 
ajoutât  à  leur  nom  le  nom  de  certaines  provinces- 
dont  ils  avaient  à  peine  conquis  les  frontières,  ou 
qu'ils  n'avaient  subjuguées  que  par  la  valeur  de 
leurs  Lieutenans  ?  Ces  noms  glorieux  n'étaient-ils 
pas  plus  just<;ment  dus  aux  braves  Généraux  qui 
avaient  réduit  ces  provinces  ,  et  qui  ne  les  avaient 
emportées  que  par  la  force  de  leurs  bras  ,*-et  au 
péril  de  leur  vie  ?  C'est  un  grand  nom  que  le  nom 
de  conquérant  du  monde  ;  on  l'a  donné  autrefois 
à  des  Princes  qui  n'avaient  pas  vaincu  la  quatrième 
partie  de  l'une  des  quatre  parties  de  la  terre.  Mais- 
si  un  seul  homme  avait  soumis  en  effet  l'univers  à 
sa  puissance  ,  et  qu'au  retour  de  cette  immense 
conquête  il  fît  voir  ,  non-seulement  des  trophées 
de  sceptres  et  de  couronnes,  des  troupes  de  Toi3' 
captifs  ;  mais  de  plus  un  corps  usé  de  fatigues^ 
percé  de  coups  ^épuisé  de  sang;  pourrait-on  lui 
refuser  la  qualité  de  vainqueur  des  nations  ?  Non 
sans  doute,  parce  qu'il  aurait  rempli  tout  le  sens 
d'un  nom  si  pompeux,  et  qu'il  l'aurait  chèrement 
acheté. 

Voilà  des  exemples,  Chrétiens  auditeurs,  qui 
vous  font  concevoir  dès  l'entrée  de  ce  discours  , 
tout  ce  que  j'aurai  à  prouver  dans  la  suite.  Je  dis 
que  le  nom  de  Sauveur  est  véritablement  dû  à 
Jésus-Christ;  en  premier  lieu  ,  parce  qu'il  n'a  rien 
laissé  à  faire  de  tout  ce  que  ce  nom  peut  signifier 
dans  le  sens  le  plus  étendu  ;  parce  qu'en  second 
lieu  ,  pour  le  remplir  ,  il  n'est  ni  travaux ,  ni 
épreuves  qu'il  n'ait  bravées  :  deux  points  que  je 
vais  tâcher  d'établir  dans  les  deux  parties  de  ce 
discours.  Jésus  mérite  bien  le  nom  qu'on  lui  donne. 
Pourquoi  ?  Parce  qu'il  en  a  rempli  la  mesure.  Ce 
s^ra  le  premier  point.  Parce  qu'il  en  a  payé  le 


DE  LA  Circoncision.  19.7 

prix.   Ce  sera  le  second.    C*est  loul  ce  que  j'ai 
ù  dire. 

rHEmER    POINT, 

Saiwt  Augustin  enseigne  dans  divers  endroits 
de  ses  ouvrages  que  ,  quoique  les  hommes  aient 
l'usage  libre  de  leur  volonté  ,  Dieu  néanmoins  ne 
peut  pas  permettre  qu'ils  fassent  aucun  mal ,  que 
dans  la  vue  d'un  bien  qu'il  en  pourra  tirer  :  Neque 
enim  posset  mala  esse  siriere  ,  nisi  ex  malts  nosset 
bona  facere.  Bien  plus  ,  de  savans Théologiens  sou- 
tiennent que  si  le  bien  que  Dieu  doit  tirer  du  mal 
n'était  pas  plus  considérable  que  le  mal  n'est  grandy 
il  serait  obligé  d'empêcher  ci:;  mal  :  autrement, 
disent-ils  ,  il  ne  serait  pas  infiniment  sage ,  et  l'on 
pourrait  imaginer  quelque  chose  de  mieux  réglé 
que  sa  providence.  11  est  d'une  sagesse  infinie,  de 
ne  rien  faire  ,  et  même  de  ne  rien  souffrir ,  s'il 
est  possible  ,  non-seulement  qui  soit  contraire , 
rbaîs  encore  inutile  à  la  fin  qu'elle  se  propose.  Or 
tous  les  maux  qui  arrivent  par  la  permission  di- 
vine seraient  inutiles  à  celte  fin  ,  si  Dieu  ne  faisait 
précisément  que  les  réparer ,  s'il  ne  les  réparait 
pas  avec  avantage. 

Voilà  un  grand  sujet  de  consolation  pour  vous, 
âmes  zélées.  Il  est  bien  triste  ,  il  est  bien  déplo- 
rable que  tant  d'Hérétiques  périssent  dans  leurs 
ténèbres,  que  tant  de  Chrétiens  se  damnent  dans 
la  véritable  Eglise  ,  et  que  pour  ainsi  dire  ils  ail- 
lent en  Enfer  par  le  chemin  qui  conduit  au  Ciel: 
mais  enfin  c'est  un  malheur  que  notre  Dieu  souf- 
fre ,  quoiqu'il  le  pût  empêcher  ;  et  par  conséquent 
nous  sommes  certains  qu'il  a  des  moyens  infailli- 
bles de  s'en  dédommager  par  quelqu'autre  voie. 
Les  péchés  de  ce  libertin  serviront  peut-être  à 
rendre  un  jour  sa  pénitence  plus  amère  et  plus 
éclatante.  Si  les  Juifs  quittent  le  service  du  Sei- 
gneur ,  leur  infidélité  va  être  l'occasion  du  salut 
de  tous  les  Gentils,  c'est-à-dire,  que  pour  un  seul 
peuple  que  Dieu  perdra ,  il  en  recouvrera  mille 


128  I.  Pour  le  Jour 

autres >  et  plus  nombreux,  et  plus  fidèles  que  celui* 
qu'il  aura  perdu.  Peut-être  qu'aujourd'hui  il  fait 
Taloir  au  centuple  ,  '^^  l'extrémité  des  Indes  ,  les 
grâces  que  nous  méprisons  ici.  Il  se  servira  de  la 
lâcheté  des  mauvais  Chrétiens  pour  animerlcs  au- 
tres à  une  plus  grande  ferveur^  et  il  élèvera  ainsi 
ce  qui  lui  reste  d'amis  fidèles  à  une  si  haute  sain- 
teté ,  qu'un  seul  d'eulr'eux  lui  donnera  plus  de 
gloire  ,  qu'un  million  de  pécheurs  ne  lui  en  sau- 
rait ravir.  C'est  sur  ce  principe  que  nous  devons 
nous  consoler  de  la  chute  du  premier  homme.  Si 
Dieu  ,  après  les  pertes  qu'elle  nous  a  causées, 
n'avait  pas  eu  en  main  de  quoi  nous  rétablir  dans 
un  état  plus  avantageux  que  Tétat  même  d'inno- 
cence ,  sa  sagesse  aurait  détourné  tous  les  maux 
que  le  péché  a  attirés  dans  le  monde.  Plutôt  que 
.de  souffrir  que  le  péché  eût  été  commis ,  elle  aurait 
laissé  le  monde  dans  le  néant.  Je  sais  ce  que  di- 
sent les  Pères  des  dommages  que  nous  a  apportés 
la  désobéissance  d'Adam  ,  et  je  me  sens  disposé  à 
mêler  mes  larmes  avec  les  leurs;  je  regrette  avec 
eux  cette  douce  tranquillité  ,  cette  heureuse  im- 
mbrtalitéV  cette  soumission  de  la  chair  à  l'esprit , 
cet  empire  que  la  partie  supérieure  de  l'aime  aurait 
exercé  sur  les  passions  ,  cette  force  inaltérable  qui 
nous  aurait  mis  à  couvert  des  traits  de  nos  enne- 
mis. Mais  lorsqu'après  ces  tristes  pensées  ,  j'aper- 
fois  Jésus  dans  la  crèche  ,  lorsque  je  l'envisage 
sur  la  croix  ,  lorsque  je  me  ressouviens  qu'il  est 
au  milieu  de  nous,  et  que  j&  le  reçois  à  l'autel; 
alors,  MM.  ,  je  l'avoue  ,  toute  ma  douleur  s'é- 
Tanouit  ;  j'oublie  ,  et  le  Paradis  terresrre  ,  et  les 
privilèges  de  l'homme  innocent  ,  et  je  ne  puis 
m'empêcher  de  joindre  ma  voix  à  la  voix  de  l'E- 
glise :  O  felix  culpa  >  qaœ  talem  ac  tantum  mer  ait 
habere  Redemptorem  !  Heureuse  faute  !  crime  heu- 
reux !  mal  infini  !  mais  source  d'un  bien  encore 
plus  grand  ! 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  prouver  ici  que  notre 
Rédempteur  e^t  un  fiçdempleur  universel ,  et  qu'il 


DE    LA    ClRC0NCÏSIi5N.  î'kig 

i  racheté  tous  les  hommes;  celte  vérité  mè  paraît  si 
claire,  que  je  ne  saurais  soupçonner  personne  d'en 
avoir  jamais  sincèrement  douté.  Elle  était  si  éta- 
blie dès  le  temps  de  saint  Paul,  qu'on  aurait  plu- 
tôt révoqué  en  doute  la  chute  de  tous  les  hommes 
dans  la  personne  d'Adam  ,  que  leur  rédemption 
par  les  mérites  de  Jésus -Christ.  C'est  pourquoi 
ce  granfd  Apôtre  se  sert  de  la  première  de  ces  deux 
vérités  ,  comme  d'un  principe  ou  plus  sûr ,  ou 
plus  con'nu  ,  pour  rendre  la  seconde  sensible.  SI 
unus  pro  omnibus  mortuus  est  ;  ergo  omnes  mortui 
sant  :  Un  seul  homme,  dit-il,  est  mort  pour  tous, 
cela  est  hors  de  contestation  ;  donc  en  effet  tous 
lès  honfïmes  étaient  morts.  On  peut  dire  encore 
en  retomfiTant  cette  proposition  :  Tous  sont  morts 
par  le  péché  d'un  seul  homme  ;  donc  un  seul 
homme  est  aussi  mort  pour  le  péché  de  tous  les 
autres  :  et  personne  n'ayant  pu  se  défendre  de  la 
contagion  ,  tous  les  hommes  ont  dû  ressentir  les 
effets  d''un  si  grand  remède.  Quelle  apparence 
qu'un  Dieu  se-  soit  fait  homme  pour  fermer  dans 
l'homme  coupable  une  plaie  mortelle ,  et  qu'un 
si  puissant  remède  ne  s'étende  pas  à  tous  les  hom- 
mes ?  Quoi  !  le  sang  de  Jésus-Christ  aurait  moins 
de  vertu  pour  guérir  le  genre  humain  ,  que  le 
péché  d'un  homme  n'a  eu  de  malignité  pour  l'in- 
fecter ?  Jésus  -  Christ  ,  dit  saiîit  Prosper  ,  s'est 
donné  lui-même  pour  la  rédemption  de  tous  ,  il 
n'en  a  pas  excepté  un  seul  :  Chris  tus  dédit  semet- 
ipsum  redemptionem  pro  omnibus  ,   nullo  excepto. 

Oui ,  MM. ,  Jésus  s'est  donné,  et  pour  les  Juifs, 
qui  l'ont  trahi  ;  et  pour  les  Gentils  ,  à  qui  il  a  été 
livré  :  il  nous  a  tous  rachetés.  Nous  qui  avons  été 
lavés  dans  son  sang ,  nous  serions  bien  malheureux , 
.si  nous  hésitions  à  le  croire,  après  les  grâces  que 
nous  avons  reçues  en  vertu  de  ses  mérites.  Il  est 
le  Rédempteur  des  Infidèles  :  témoin  les  conver- 
sions qui  se  font  tous  les  jours  parmi  les  peuples 
les  plus  barbares.  Il  s'est  immolé  pour  ceux  qui 
se  sauvent  ;  et  c'est  pour  cela  qu'ils  ne  cessée* 

fi* 


i5o  I.   Pour  le  Jour 

dans  le  Ciel  de  chanter  en  son  honneur  des  canti- 
ques d'actions  de  grâces.  Ames  réprouvées,  il  s'é- 
tait encore  livré  pour  vous  ;  et  c'est  pour  cela  qu'il 
sera  votre  Juge  ,  qu'il  vous  fera  voir  sa  croix^et 
ses  plaies  au  jour  des  vengeances ,  qu'il  vous  adres- 
sera des  paroles  telles  que  saint  Augustin  lui  met 
par  avance  à  la  bouche  dans  son  second  livre  du 
Symbole  aux  Catéchumènes  :  Vidctis  vaincra  qum 
inflixistis  ,  agnoscitis  latus  quod  pupugistis  :  quo- 
niam  et  per  vos  _,  et  propter  vos  apertum  est ,  nec 
tamen  inirare  volulstis  :  Vous  voyez  les  mains  que 
vous  avez  percées,  vous  reconnaissez  le  flanc  que 
vous  avez  ouvert  :  ces  plaies  ont  été  faites  par 
vous ,  elles  ont  été  faites  pour  vous  ,  et  cependant 
vous  n'y  avez  pas  voulu  entrer  :  Quoniam  et  per 
vos  y  et  propter  vos  apertum  est  y  nec  tamen  intrare 
voluistis. 

Non-seulement  Jésus-Christ  a  délivré  tous  les^ 
hommes  du  péché  originel ,  mais  encore  il  les  a 
tout  d'un  coup  délivrés  de  toutes  sortes  de  péchés. 
Sanguis  Jesu-Christi  fiiù  ejiis  emundat  nos  ab  omni 
peccato  :  Le  sang  du  fils  de  Dieu  nous  lave  de  tous 
nos  péchés  Quand  nous  n'aurions  jamais  eu  d'aa- 
tre  plaie  dans  l'ame  ,  que  celle  dont  nous  avions 
hérité  de  notre  premier  père  ,  c'était  assez  pour 
être  perdus  ;  mais  si  le  Sauveur  n'eût  guéri  que 
cette  plaie  ,  ce  n'était  pas  assez  pour  être  sauvés. 
Le  premier  homme  nous  avait  assujettis  au  Démon , 
nous  étions  devenus  ses  esclaves  :  et  outre  ce  pre« 
mier  titre  d'infamie ,  par  combien  de  nouveaux 
engagemens  avoas-nous  accru  le  poids  de  notre 
servitude  ?  de  combien  d'autres  chaînes  nous 
sommes-nous  volontairement  chargés  ?  Or,  IMM. , 
Jésus-Christ  a  brisé  toutes  ces  chaînes. 

Ce  n'est  pas  encore  tout  :  Jésus -Christ  ne  se 
contente  pas  de  nous  avoir  une  fois  entièrement 
affranchis;  comme  nous  pouvons  encore  retomber 
dans  la  puissance  du  tyran  ,  il  veut  être  notre  li- 
bérateur perpétuel  ;  et  il  ne  tiendra  qu'à  nous  qu'il 
ne  le  soit  autant  de  fois  que  nous  aurons  besoin 


DE  lA  Circoncision.  i5i 

d'être  délivrés.  Salvare  in  perpétuant  potest  ,  dit 
saint  Paul  :  Il  nous  peut  sauver  dans  tous  les 
temps.  Ecoutez  encore  ce  que  dit  snint  Jean  en 
donnant  plus  d'étendue  à  la  même  pensée  :  Filioli, 
hœc  scribo  vobis  ,  ut  non  peccetis  :  sed  et  si  quis 
peccaverit  y  advocatum  habemus  apad  PatremJesum- 
Cliristum  justum,  et  ipse  est  propitiatio  pro  peccatis 
nostris  :  Mes  enfans  bien-aimés  ,  dit  le  saint  Apô- 
tre au  chapitre  second  de  sa  première  épître,  je 
TOUS  écris  pour  vous  supplier  de  ne  point  offenser 
Totre  Dieu  :  si  cependant  quelqu'un  d'entre  vous 
a  le  malheur  de  tomber,  nous  avons  un  avocat 
auprès  de  notre  Père  céleste  ;  c'est  Jésus-Christ , 
qui  n'a  point  péché  ,  qui  s'est  offert ,  qui  s'offre 
encore  tous  les  jours ,  et  qui  s'offrira  jusqu'à  la 
consommation  des  siècles  pour  nos  péchéâ.  Quel 
Sauveur,  mes  frères,  quelle  abondance  de  rédemp- 
tion !  Le  fils  de  Dieu  ne  s'est  pas  contenté  d'ac- 
quitter les  dettes  que  nous  avions  contractées  ^  il 
a  prévenu  toutes  celles  que  nous  pourrions  con- 
tracter à  l'avenir ,  il  en  a  avancé  le  payement;  et 
avant  qu'elles  aient  été  faites  ,  il  a  établi  le  trésor 
surabondant  où  nous  devons  recourir  pour  en  être 
affranchis. 

Mon  Dieu,  si  les  hommes  comprenaient  cet  ex- 
cès de  miséricorde  ,  se  pourrait-il  faire  qu'ils  n'en 
fussent  pas  extrêmement  attendris ,  et  qu'ils  ne 
s'efforçassent  pas  de  vous  rendre  amour  pour 
amour  ?  C'était  une  insigne  faveur  de  sauver  des 
malheureux  ,  quoique  seulement  condamnés  pour 
la  faute  de  leur  père  :  mais  les  arracher  aux  sup- 
plices qui  leur  sont  dus  pour  leurs  propres  crimes, 
satisfaire  même  par  avance  pour  ceux  qu'ils  pour- 
raient jamais  commettre  ;  quoique  ce  rare  bien- 
fait ,  ce  bienfait  unique  puisse  diminuer  dans 
quelques  uns  la  crainte  d'offenser  le  Rédempteur, 
vous  aimez  mieux  ,  mon  Dieu  ,  leur  donner  celte 
occasion  innocente  d'être  ingrats  ,  que  de  laisser 
un  seul  de  leurs  péchés  sans  rédemption.  Si  tant  de 
bonté  ne  nous  touche  pas  ,  ou  nous  avons  bie» 


i32  I.  Pour  le  Jour 

peu  de  foi  ,  ou  nos  cœurs  sont  bien  fermés  à  Ja 
reconnaissance. 

Vous  me  direz  peut-être  qu'il  ne  suffît  pas  qu'on 
nous  ait  délivrés  de  toute  sorte  de  maux  ,  et  que 
la  rédemption  ne  peut  être  parfaite  ,  si  nous  ne 
sommes  remis  en  possession  de  tous  les  biens  qui 
nous  avaient  été  ravis.  Il  est  vrai  ^  Chrétiens  audi- 
teurs ;  mais  je  prétends  que  de  tous  les  biens  que 
nous  avions  perdus,  il  n'en  est  pas  un  seul  qui  ne 
nous  ait  été  rendu  au  centuple.  Peut-être  n'avons- 
nous  pas  recouvert  les  mêmes  avantages  qu'on  avait 
dans  l'état  d'innocence  ;  mais  si  ces  avantages  ont 
été  remplacés  par  des  faveurs  infiniment  plus  pré- 
cieuses, serions-nous  assez  ingrats  pour  nous  plain- 
dre ?  Imiterions-nous  ces  mnrmurateurs  qui  de- 
mandaient qu'on  leur  rendît  les^  viandes  d'Egypte , 
quoiqu'il  la  place  de  ces  viandes  grossières  on  leur 
eût  donné  la  manne  du  Ciel  ? 

Trois  choses  peuvent  faire  ici  quelque  sorte  de 
difficulté.  L'usage  du  fruit  de  vie  qui  fut  interdit 
à  Adam  exclu  du  Paradis  ,  et  qui  ne  nous  a  point 
été  rendu  :  le  privilège  de  Timmortalilé  que  Dieu 
lui  ôta  ,  et  dans  lequel  nous  n'avons  point  été  ré- 
tablis :  enfin  cette  espèce  d'impeccabilité  que  la 
révolte  des  passions  lui  enleva  ,  et  que  nous  re- 
grettons encore.  Je  n'ai  rien  à  vous  dire  sur  l'usage 
du  fruit  de  vie  ,  parce  que  je  ne  pense  pas  que  ni 
l'arbre  de  vie  ,  ni  l'arbre  de  la  science,  ni  tous  les 
autres  fruits  qui  étaient  dans  le  Paradis  terrestre 
puissent  être  comparés  ù  notre  Eucharistie ,  à  ce 
pain  des  Anges  ,  cette  viande  divine  ,  ce  Dieu  in- 
carné devenu  la  nourriture  de  nos  âmes.  Pour  le 
privilège  de  l'immortalité;  ilestvrai,  mes  frères, 
<jue  nous  ouvrions  été  exempts  de  la  mort ,  si  Adam 
n*avait  point  péché  ;  il  est  vrai  encore  que  le  sang 
du  Rédempteur  nous  ayant  lavés  du  péché,  nous 
ne  laissons  pas  de  mourir.  La  raison  qu'en  rend 
saint  Augustin ,  en  montrant  que  malgréce  désastre 
nous  gagnons  plus  que  si  nous  fussions  redevenus 
immortels ,  c'est,  ditcc  Père ,  qu'alors  nousaurions 


DE  LA  Circoncision.  i33 

perdu  la  foi  et  l'espérance  de  la  résurreciion  ; 
deux  vertus  infiniment  plus  précieuses  que  l'im- 
mortalité même.  Ne  peut-on  point  ajouter  qu'é- 
tant assurés  de  ressusciter,  il  est  bien  plus  glorieux 
de  sortir  vivans  du  sein  de  la  mort,  et  d'en  triom- 
pher à  l'exemple  de  Jésus-Christ,  que  de  ne  plus 
retomber  en  sa  puissance  ?  Ce  doit  être  assez  pour 
trous  que  ,  même  dans  le  tombeau  ,  elle  ne  puisse 
nous  nuire  ,  elle  ne  puisse  nous  rien  faire  perdre 
de  ce  qu'elle  nous  enlève  pour  un  temps ,  elle  ne 
nous  ensevelisse  enfin  que  pour  être  revêtus  d'im- 
mortalité et  de  gloire. 

Quand  nous  n'aurions  point  cet  avantage,  qu'im- 
porte que  Jésus-Christ  n'ait  pas  banni  la  mort  de 
dessus  la  terre, > dès  qu'il  lui  a  ôté  ce  qu'elle, avait 
de  funeste  et  de  Ijigubre  ;  et  qu'en  la  laissant  au 
mi4ieu  de  nous,  il  l'y  a  laissée  saris  armes?  On 
n'a  point  égorgé  ce  lion  qui  remplissait  toute  la 
terre -de  meurtres  et  de  carnages ,  mais  on  lui  a 
enlevé;''tous  les  moyens  de  faire  du  mal ,  on  l'a 
domptè-j  on  l'a  rendu  traitable  ;  et  quelle  facilité 
n'avons-nous  pas  de  nous  en  faire  un  jeu  ,  et  d'en 
tirer  même  des  services  ?  Est-il  vrai  en  effet  que  le 
Rédempteur  ait  ôté  à  la  mort  tout  ce  qu'elle  avait 
d€  triste  et  de  terrible  ?  Oui ,  MM.  ;  j'en  prends 
à  téraoî-n^'^ce  nombre  presque  infini  de  Martyrs , 
qoilôin  de  la  redouter ,  l'ont  désirée  avec  ardeur, 
l'ont  recherchée  avec  empressement ,  l'ont  souf- 
ferte avec  joie  ;  fen  prends  à  témoin  tant  de  saints 
Religieux  qui  l'ont  bravée  ,  comme  parle  saint 
Bernard  ,  et  qui  ,  comme  le  disent  saint  Chrysos- 
tôme  et  saint  Grégoire  ,  sont  sortis  de  ce  monde 
avec  autant  de  satisfaction  qu'en  ressentent  des 
hommes  qui  se  préparent  à  un  triomphe  où  l'on 
n'oserait  les  accompagner  sans  mêler  sa  voix  à 
l'alégresse  publique.  Je  vous  en  prends  à  témoin 
vous-mêmes  ,  si  jamais  vous  vous  êtes  trouvés 
présens  à  la  mort  de  quelque  chrétien  fidèle  ;  car 
pour  les  autres  qui  n'ont  du  christianisme  que  le 
baptême ,  et  qui  semblent  ignorer  qu'il  y  ait  un 


i34  I-  Pour  le  Jour 

Rédempteur,  il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'ils  aient 
peu  de  part- aux  fruits  de  notre  rédemption.  J'en 
ai  vn  mourir,  de  ces  véritables  chrétiens;  et  si 
Tousvoulez  bien  recevoir  mon  témoignage ,  je 
puis  l'attester  sur  la  foi  de  plusieurs  exemples; 
j'ai  vu  des  personnes  assurer  à  leur  dernier  mo- 
ment qu'elles  ne  s'étaient  jamais  trouvées  si  heu- 
reuses que  depuis  qu'elles  étaient  arrivées  ii  cet 
instant  si  triste  en  apparence.  J'en  ^i  vu  qui  atten- 
daient la  mort  avec  une  douce  ^  ^ais  véritable 
impatience.  J'en  ai  vu  qui  consolafèilt  eux-mêmes 
ceux  qui  s'affligeaient  de  les  voir  toucher  au  terme 
de  leur  carrière.  J'en  ai  vu  qui  condamnaient  les 
larmes  de  leurs  amis  ,  et  qui  les  leur  reprochaient 
comme  des  marques  de  leur  peu  d'amitié,  et  du> 
peu  de  part  qu'ils  prenaient  ù  leur  bonheur.  J'en 
ai  vu  qui  refusaient  aveÇt!^iine  sainte  constance  de 
faire  des  vœux  pour  le  retourfde, leur  santé,  qui 
s'opposaient  à  ce  qu'on  çil  fîti  et  qui  demandaient 
en  graCe  qu'on  ne  reculûtpas  la  fin  de  leur  exil. 
Enfin  j'en  ai  vu  qui  étant  comme  arrachés  des 
bras  de  la  mort  contre  toiite  espérance  ,  en  de- 
meuraient inconsolables  ;  je  lés  ai  vu&  pleurer  au 
souvenir  du  bonheur  dont  ils  avaient  été  si  pro- 
chos^  et  qui  leur  était  encore  différé.  Ubi  est , 
ifiàrs ,  stimulus  tuas  ?  doit-on  s'écrier  à  la  vue  de 
tant  de  constapce  ;i  ubt  estf-mors  ^  Victoria  tua  ?' 
O  mort  cruelle,  mort  terrible  ,  où  sont  tes  armes 
fynesteSy  qu'est  devenu  cet  air  lugubre,  cette 
présence  si  redoutable  ,  qui  faisait  pâlir  les  plus 
intrépides  ? 

Pour  ce  qui  regarde  la  soumission  de  la  chair  à 
l'esprit,  soumission  qui  rendait  la  raison  maîtresse 
de  tous  les  mouvemens  de  l'appétit  inférieur, 
c'était  sans  doute  le  plus  beau  privilège  de  la  na- 
ture innocente.  Le  péché ,  il  est  vrai ,  nous  en  a 
dépouillés,  mais  il  est  certain  que  la  grâce  de 
Jésus-Christ  compense  cette  perte  avec  un  avan- 
tage incomparable.  Non  ,  MM.  ,  ce  privilège  ne 
pouvait  produire  des  effets  aussi  avantageux  que 


DE  LA  Circoncision.  .i55 

le  fait  la  grâce  dans  ceux  qui  se  veulent  rendre 
dociles  à  ses  impressions.  Elle  balance  en  nous 
la  pente  que  nous  avons  tous  vers  le  mal  ;  et  lu 
volonté  humaine  rendue  capable  de  délibérer  ,  se 
trouve  en  état  de  faire  un  choix  véritablement  libre. 
Elle  a  de  plus  la  force  de  faire  pencher  le  cœur 
vers  le  bien  ,  de  le  lui  applanir ,  de  lui  rendre  le 
mal  en  quelque  sorte  impossible  :  témoin  cette 
sainte  qui  disait  en  mourant  ,  qu'elle  sortait  du 
monde  sans  jamais  avoir  pu  comprendre  comment 
un  chrétien  pouvait  se  résoudre  à  encourir  la 
disgrâce  de  son  Dieu  par  une  offense  mortelle. 

Mais  ne  sont-ce  point  là  ,  me  direz-vous  ,  de 
belles  paroles  ?  ne  sont-ce  point  là  de  pures  idées 
qu'ont  eues  les  saints  Pères  et  lesThéologier^sPCar 
enfin  on  a  beau  nous  vanter  la  grâce ,  et  sa  vertu 
toute  divine,  tandis  que  nous  nous  sentirons  por- 
tés et  comme  entraînés  vers  le  mal.  La  violence 
de  la  tentation  se  rend  maîtresse  des  cœurs  ,  on 
ne  se  trouve  point  de  force  pour  résister,  le  péché 
devient  comme  nécessaire,  on  ne  peut  se  défen- 
dre de  l'attrait  qui  y  engage  ,  et  la  grâce  du  Ré- 
dempteur est  à  notre  égard  ,  comme  s'il  n'y  avait 
jamais  eu  de  rédcmption.Si  cela  est,  mes  frères  , 
vous  êtes  bien  malheureux  d'avoir  si  peu  de  part 
ù  un  bien  qui  se  donne  avec  tant  d'abondance  ,  et 
avec  tant  de  profusion  :  mais  si  vous  ne  daignez 
pas  seulement  prendre  la  peine  de  demander  cette 
grâce  ,  si  vous  n'allez  point  aux  sources  où  elle  se 
puise  ,  si  vous  ne  lui  ouvrez  pas  même  votre  cœur, 
lorsqu'elle  se  présente  pour  y  entrer,  faut-il  s'é- 
tonner que  vous  n'en  ressentiez  pas  lîTvartu  ? 

Lorsque  les  Israélites  se  trouvèrent  infestés  de 
serpens  dans  le  désert ,  Moïse  ,  eut  ordre  de  faire 
un  serpent  de  bronze  qu'il  exposa  à  la  vue  de  tout 
le  peuple  :  depuis  ce  temps -1*^  si  quelqu'un  se 
sentait  atteint  de  morsures  venimeuses  ,  il  n'avait 
qu'à  jeter  les  yeux  sur  cette  figure  ,  et  aussitôt  le 
venin  perdait  sa  force,  et  ne  faisait  plus  de  progrès: 
au  contraire,  si  on  négligeait  un  remède  si  facile, 


i36  I.  Pql'r  le  Jouk 

une  mort  prompte  devenait  "la  peine  de  cette  né- 
gligence. Vous  savez  que  ce  serpent  exposé  aux 
yeux  d'Israël  était  une  image  de  Jésus  crucifié; 
c'est  Jésus  lui-même  qui  l'a  dit  dans  l'Evangile  : 
Sicut  exaltavit  Moyses  serpentem  in  deserlo.  Or, 
dites-moi  ,  quand  est-ce  que  vous  sentant  assailli 
par  la  tentation  ,  vous  avez  jeté  les  yeux  sur  l'i- 
mage de  votre  Dieu  crucifié  ,  comme  pour  lui  de- 
mander du  secours  ?  Quand  est-ce  que  ,  dans  la 
crainte  de  succomber,  vous  voos-étes  p<-ostemé 
par  terre  ,  vous  avez  prononcé  dans  votre  cœur 
ces  paroles  ,  ou  d'autres  semblables  :  Salva  nets, 
périmas  :  Seigneur  j  sans  votre  secours  ma  perte 
est  assurée.  La  grâce  ,  MM.  ,  se  puise  dans  l'es 
livres  saints ,  dans  la  considération  des  souffran- 
ces du  Seigneur;  elle  se  puise  surtout  dans  les  Sa- 
cremens.  Quand  est-ce  que,  pourétôorffemn'désir 
de  vengeance  ,  ou  un- mouvement  de  corère,  vous 
vous  êtes  fait  lire  l'histoire  des  douleurs  et  de  la 
patience  de  Jésus ,  ou  que  vous  rouis  Têtes  vous- 
même  représenté  immobile  et  muet  au  milieu  des 
outrages  les  plus  sanglans  ?  Quand  est-ce  que  vous 
étant  aperçus  qu'une  nouvelle  passion  se  formait 
dans  votre  cœur  ,  qu'elle  commençait  à  y  domi- 
ner, que  vous  n'y  résistiez  plus  que  faiblement , 
vous  avez  eu  recours  à  ce  sacrifice  adorable  ,  où 
les  mérites  d'un  Dieu  mt)urant  nous  sont  infail- 
liblement appliqués  ?  Combien  de  fois  avez-vous 
offert  ou  fait  offrir  cette  hostie  de  propitiation  , 
pour  obtenir  la  victoire  sur  cette  passion  nais- 
sante ?  Vous  vous  trouvez  quelquefois  comme  ac- 
cablés de  fiiiblésse  ,  il  semble  que  votre  volonté 
soit  enchaînée  ,  qu'on  lui  ait  ôté  toute  liberté  , 
tout  pouvoir  de  se  défendre  ;  pour  vous  soutenir 
dans  cet  abattement  extraordinaire  ,  avez-vous  eu 
recours  à  ce  bain  sacré  qui  lave  nos  souillures,  à 
ce  festin  céleste  qui  répare  nos  forces  ? 

Nunquid  résina  non  est  in  Galaad  ?  aut  Méditas 
non  est' ibi  ?  quare  igitur  non  est  obdacta  cicatrij) 
popali  mei  ?  Est-ce  qu'il  n'y  a  ni  baume  ,  ni  Mé- 


DE    LA    CiRCONCISlONv  1 3^7 

dccîn  ,  dans  Galaad  ?  dit  le  Seigneur  ;  d'où  vient 
donc  que  la  plaie  de  mon  peuple  ,  cette  vieille 
plaie  ,  cette  plaie  originelle  n'est  pas  encore  fer- 
mée ?  d'où  vient  qu'elle  saigne  encore,  et  que  la 
faiblesse  qu'elle  a  causée  à  la  nature,  la  tient  dans 
la  langueur  ?  Nunquid  non  est  résina  in  Galaad  , 
aut  Medicus  non  est  Un  ?  Non  ,  sans  doute  ,  on  ne 
manque  m  de  Médecin  ni  de  remède  ,  mais  c'est 
qu'on  méprise  et  Tart  et  les  remèdes  du  Médecin, 
c'est  qu'on  néglige  cette  plaie  invétérée  ,  qu'on 
l'expose  à  l'air  le  plus  corrompu  ,  et  qu'au  lieu 
d'en  prendre  soin  ,  on  la  rouvre  sans  cesse,  on 
l'empoisonne.  Demandez  à  celte  personne  qui  tous 
les  jours  prie  le  père  céleste  de  lui  accorder  dans 
son  état  une  chaslelé  parfaite,  et  qui  l'en  coniure 
par  la  mort  et  par  les  souiîrances  de  Jésus-Clirist, 
demandez-lui  si  sa  prière  n'est  pas  exaucée  :  de- 
mandez à  cette  autre,  qui  au  lieu  de  se  laisser 
distraire  durant  le  redoutable  sacrifice  de  nos  au- 
tels ,  s'y  occupe  à  faire  des  réflexions  sur  l'huini»- 
Hté  ,  sur  la  douceur  ,  sur  la  patience  du  fils  de 
Dieu,  qui  a  même  un  tempsparticulier  pour  con- 
sidérer les  exenr.'ples  qu'il  nous  a  tracés  d tirant  sa 
vie  ,  et  à  sa  mort  ;  demandez-lui  si  ses  penchans 
vicieux  ne  se  réforment  pas  peu  i\  peu  ,  et  si  tous 
lès  jours  elle  ne  devient  pas  moins  vaine  et  moins 
emportée.  Informez-vous  de  cette  autre  ,  qui  cha- 
que semaine  se  lave  dans  le  sang  du  Sauveur  ,  et 
se  nourrit  chaque  semaine  de  sa  chair  adorable  y 
demandez-lui  si  les  commandemens  de  Dieu  lui 
sont  impossibles ,  si  elle  est  seulement  tentée  de 
lesvioler. 

Quelle  excuse  ,  MM.  ,  opposerons-nous,  lors- 
que Jésus-Christ  nous  reprochera  nos  crimes  au 
jour  du  jugement  universel  ?  notre  fragilité ,  la  cor- 
ruption de  notre  nature  ?  Il  faudra  donc  que  Jésus- 
Christ  lui-même  tombe  en  confusion  en  présence 
de  tout  l'univers  ;  il  faudra  donc  qu'il  reconnaisse 
que  la  rédemption  ,  dont  il  prétend  recueillir  tant 
de  gloire,  n'a  été  q^u'une  vaine  cérémonie,  q^ui^  n'a 


i38  T.  Pour  lis  Jour 

rien  produit  de  solide.  Il  aura  donc  en  vain  cort-' 
serve  ses  cicatrices  ,  en  vain  il  les  aura  portées^ 
dans  le  Ciel  ;  elles  serviront  ù  y  publier  sa  honte,* 
et  non  à  confondre  les  réprouvés  ,  et  à  leur  fer- 
mer la  bouche  !  Voyez  en  quelle  embarrassante 
extrémité  vous  vous  trouverez^  vous-mêmes  :  il^ 
faudra  ,  ou  avouer  que  vous  êtes  inexcusables,  ou- 
attester  que  Jésus-Christ  n'a  pas  rempli  la  fonction 
de  Rédempteur,  et  qu'il  ne  mérite  pas  d'en  porter 
le  nom. 

Seigneur  ,  vous  serez  sans  doute  pleinement 
justifié  ;  il  n'y  aura  de  honte  et  de  confusion  que 
pour  nous.  Que  le  pécheur  profite  du  salut  que 
vous  apportez  au  monde,  ou  qu'il  refuse  d'y  pren- 
dre part,  il  ne  nuira  en  rien  à  la  gloire  de  votre 
nom.  Mais  cette  gloire  ne  serait -elle  point  plus 
complète  ,  si  en  effet  nous  étions  tous  sauvés  ?  Je 
sais  qu'il  ne  tient  qu'à  nous  de  l'être;  je  sais  que  si 
nous  périssons  ,  ce  ne  sera  que  parce  que  nous 
v'.ndroiiâ  périr.  îî  est  vrai ,  hélas  !  que  ce  n'est  qu'au 
regard  des  biens  éternels  que  nous  sommes  faibles, 
aveugles ,  inconsidérés  ,  que  nous  nous  endurcis- 
sons^ que  nous  craignons  de  nous  convertir  j  que, 
nous  craignons  d'ouvrir  nos  cœui*s  aux  trésors  qui 
nous  sont  promis.  Tout  cela  est  vrai ,  je  n'en  saurais 
disconvenir  ,  nous  ne  sommes  ^-^le  trop  dignes  du 
malheur  qui  nous  menace.  Mais  quoi.  Seigneur  , 
le  plus  grand  nombre  des  Chrétiens  périra  donc 
sans  ressource  !  vous  les  aurez  rachetés  ,  et  un 
autre  vous  les  ravira  !  un  Sauveur  si  puissant  se 
sera  livré  pour  eux  ,  et  ils  ne  seront  pas  sauvés! 
Des  âmes  immortelles  créées  avec  de  si  grands 
avantages ,  créées  à  l'image  de  Dieu,  créées  pour 
louer  Dieu  ,  pour  l'aimer  éternellement ,  seront 
éternellement  séparées  de  Dieu  !  elles  ne  serviront 
qu'à  remplir  l'Enfer  ,  et  à  y  nourrir  les  feux  dont 
elles  seront  brûlées  !  Mon  Dieu ,  le  souffrirez-vous  ? 
Kou  ,  divin  Jésus  ,  vous  ne  le  permettrez  pas  : 
vous  êtes  venu  pour  nous  affranchir  de  tous  nos 
maux  ;   vous  n'oublierez  pas  les  plus  gi'aods  de 


DE    LA    ClRCONCISIOX.  1  Sq^ 

tous ,  qui  sont  notre  aveuglement ,  et  notre  insen- 
sibilité ;  vous  fléchirez  cette  volonté  endurcie, 
vous  la  forcerez  de  consentir  à  son  salut ,  vous 
nous  sauverez^  malgré  nos  ennemis  ;  et  si  nous 
sommesassez  malheureux  pour  continuer  de  nous 
opposer  à  notre  bonheur,  le  dirai-je  ?  vous  nous 
sauverez  malgré  nous.  Disons  deux  mots  de  la 
seconde  partie  ,  et  faisons  voir  que  Jésus-Christ 
a  mérite  le  nom  de  Sauveur,  non-seulemeni  parce 
qu'il  en  a  rempli  la  mesure  ,  mais  encore  parce 
qu'il  l'a  chèrement  acheté  :  c'est  ce  qu'il  me  reste 
à  vous  prouver. 

SECOND    POINT. 

Quoiqu'il  n'y  ait  rien  de  si  grand  ni  de  s.i  glo- 
rieux que  de  retirer  un  homme  ou  de  la  pauvreté, 
ou  de  la  servitude,  ou  du  péril  de  la  mort  ?  quoique 
celui  qui  rend  de  pareils  services  s'élève  soi-même 
au-dessus  de  sa  propre  condition  ,  et  s'approche 
en  quelque  sorte  de  la  divinité  ,  nous  ne  voyons 
pas  néanmoins  qu'oir  s'empresse  extrêuiernenr- 
d'acquérir  cette  espèce  de  gloire.  Non-seulement 
on  ne  se  porte  point  à  exposer  sa  propre  personne 
pour  sauver  quelqu'un  d'une  perte  prochaine  ;  les 
plus  riches  craignent  même  de  toucher  â  leurs 
biens  dans  des  occasions  où  ils  pourraient  s'en 
servir  pour  changer  la  fortune  des  malheureux  9 
pour  leur  rendre  la  joie  et  la  liberté ,  pour  mettre 
à  couvert ,  ou  leur  honneur,  ou  leur  vie. 

Que  ne  vous  devons-nous  point,  divin  Jésus, 
pour  avoir  tout  sacrifié  ,  pour  vous  être  livré  vous- 
mênïe  ,  lorsque  nous  avons  eu  besoin  de  votre  se- 
coui*s  ?  Que  nous  serions  ingrats  si  nous  hésitions 
à  vous  appeler  notre  Rédempteur  ,  après  ce  que 
vous  avez  fait  pour  nous  racheter  !  Je  remarque  que 
ceux  qiii  ont  porté  le  nom  de  Sauveur  avant  Jésus- 
Christ  ont  acquis  à  peu  de  frais  ce  glorieux  titre. 
Joseph  sauva  l'Egypte,  il  ne  lui  en  coûta  que  de» 
conseils  :  conseils  qui  ne  lui  coûtaient  rien  ,  et 
dont  néanmoins  il  fut  abondamment  payé ,  puis- 


i4o  T.  Pour  ie  Jour 

qu'au  trône  près  ,  on  lui  donna  pour  récompense 
toutes  les  marques  de  la  royauté  ,  et  même  l'an- 
torilé  royale  dans  tous  les  Etats  de  Pharaon.  Le 
nom  de  Jésus  fut  donné  à  Josué  pour  avoir  établi 
le  peuple  d'Israël  dans  la  terre  de  Chanaan.  Il 
remporta  à  la  vérité  bien  des  victoires,-  mais  le 
Dieu  des  armées  combattait  pour  lui  y  il  n'avait 
pour  ainsi  dire  qu'à  se  couronner  des  lauriers 
qu'onlui  jetait  du  Ciel  à  pleines  mains.  Enfin  Jésus 
fils  de  Sirac  mérita  ce  nom  pour  s'être  rerKlu  re- 
commandable  dans  la  science  de  la  Médexîine  ; 
quoique  pour  rendre  la  santé  aux  malades  de  son 
temps  ,  nons  ne  lisons  pas  qu'il  ait  jamais  hasardé 
la  sienne. 

Notre  Rédempteur  ,  Chrétiens  auditeurs ,  n'a 
n'a  pas  eu  le  même  nom  pour  le  même  prix  ;  il  a 
souffert  tous  les  maux  dont  il  nous  a  délivrés. 
Pour  nous  tirer  de  la  pauvreté,  il  s'est  réduit  lui- 
même  à  la  dernière  indigence.  Si  nous  sommes 
libres,  c'est  qu'il  s'est  fait  esclave  à  notre  place; 
Tt  il  ne  nouft  a  guéris  qu'en  prt?narîtrar  soi  îouîes 
nos  douleurs  ,  toutes  nos  infirmités.  Verè  languo- 
res  nostros  ipse  tulit ,  etdoloy^es  nostros  ipse  portavii. 
Mais  parmi  les  figures  de  l'ancienne  loi  il  n'en  est 
aucune  où  le  mystère  de  notre  rédemption  soit 
représenté  avec  plus  de  magnificence  et  avec  plus 
d'exactitude  que  dans  la  sortie  d'Egypte.  Le  peu* 
pie  choisi  y  est  affranchi  d'une  longue  servitude, 
>et  il  trouve  son  salut  au  milieu  de  la  mer  rouge, 
où  tous  ses  ennemis  sont  ensevelis.  Enfin  la  ba- 
guette qui  le  délivre  est  une  image  de  la  croix. 

Il  y  a  sans  doute  de  grands  rapports  entre  ces 
deux  manières  de  mettre  en  liberté,  etcependant 
je  trouve  une  extrême  opposition  entre  les  deux 
libérateurs.  A  peine  Moïse  est  choisi  pour  êlre  le 
Sauveur  d'Israël,  que  de  simple  Berger  il  devient 
le  chef  de  ce  peuple  et  le  Dieu  de  Pharaon  :  Cons- 
iituiteDtiun  PItaraonis.  Jésus  au  contraire  a  formé 
à  peine  le  dessein  de  nous  sauver,  que  quoiqu'il 
fût  Dieu  par  nature  ,  et  Roi  par  le  droit  de  sa  nais- 


DE  LA  Circoncision.  i4i 

satiee,  il  se  fait  homme  ,  et  le  dernier  de  tous  les 
hommes.  Desideravimus  eum  despectum  ,  et  novis- 
simum  viroruin.  C'est  Moïse  qui  frappe  les  Egyp- 
tiens ,  et  qui  les  accable  de  fléaux  ;  et  c'est  Jésus- 
Christ  qui  est  frappé  par  les  Gentils,  qui  est  cruel- 
lement flagellé.  Moïse  porte  sa  baguette  à  la  main , 
comme  une  marque  d'autorité  et  de  jurisdiclion; 
Jésus-Christ  est  attaché  à  la  croix  comme  un  es- 
clave criminel.  Moïse  enfin  se  sauve  avec  son  peu- 
ple au  travers  de  la  mer  rouge ,  et  Jésus-Christ  est 
noyé  dajis  son  propre  sang. 

II  est  aisé  à  un  grand  Roi  de  faire  ouvrir  les 
prisons  au  retour  d'une  glorieuse  campagne  ,  de 
faire  publier, une  amnistie  générale  après  avoir 
étouffé  la  rébellion.  Mais. s'il  fallait  qu'il  tirât  de 
son  épargne  de  quoi  payer  toutes  les  dettes  de  ses 
sujets, >s'il  fallait  qu'il  soufi'rît  lui-même  le  châti- 
ment qu'il  voudrait  remettre  aux  rebelles,  croyez- 
vous  qu'il  voulût  à  ce  prix  acheter  la  réputation 
de  prince  débonnaire  ,  et  le  surnom  de  libérateur 
des  hommes  ?  Non  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  il  n'y 
avait  que  Jésus-Christ  capable  de  porter  jusque-là 
son  amour  pour  nous.  11  a  payé  en  effet  de  son 
propre  fond  toutes  les  dettes  que  nous  avions  con- 
tractées ;  il  s'est  anéanti  lui-même  pour  nous 
épargner  les  peines  qui  étaient  dues  à  notre  or- 
gueil ;  et  pour  nous  retirer  des  mains  de  la  mort 
où  nous  étions  tombés  par  notre  désobéissance,, 
il  a  consenti  de  se  faire  obéissant  jusqu'à  la  mort. 
Mais  jusqu'à  quelle  mort  ?  Ah  !  qui  aurait  jamais 
espéré  une  pareille  rédemption  ? 

Grands  Patriarches,  et  vous,  Prophètes  d'Israël, 
s'il  est  vrai -que  vous  ayiez  prévu  les  douleurs  et 
les  ignominies  du  Sauveur  ,  s'il  est  vrai  que  vous 
ayiez  su  avec  quelle  indignité  il  devait  être  mé- 
prisé, outragé  ,  traité  d'insensé  ,  d'imposteur  ,  de 
scélérat  ;  s'il  est  vrai  qu'à  la  faveur  des  lumières 
que  Dieu  vous  communiquait  ,  vous  Payiez  vu 
tel  qu'il  était  sur  la  croix  ,  meurtri  de  coups , 
défiguré  par  ses  plaies  ,    couvert  de  son  sang  ; 


1^1  I.  PouK  LE.  Jour 

comment  osiez-  vous  le  demander  avec  tant  d*ins- 
tances  ?  comment  osiez-vous  le  presser  lui-même 
de  venir  parmi  les  hommes  ?  comment  désiricz- 
vous  d'être  délivrés  par  tant  de  souffrances  ?  com- 
ment n'aimiez -vous  pas  mieux  gémir  dans  une 
éternelle  servitude  ? 

Mais  n'est-il  pas  encore  plus  étonnant  que  le 
fils  de  Dieu  lui-même  ait  voulu  nous  délivrer  par 
cette  voie  ,  sans  y  être  forcé  que  par  sa  charité 
immense ,  sans  qu'il  y  eût  même  de  nécessité  pour 
nous  ?  Il  y  aurait  eu  de  l'injustice  ,  dit  l'éloquent 
Salvien  ,  à  exiger  que  la  mort  d'un  fils  bien-aimé 
devînt  la  rançon  d'un  esclave  vicieux  ;  le  Père 
éternel  nous  connaissait  trop  bien  pour  nous  met- 
tre à  un  si  haut  prix  :  de  sorte  que  c'est  Jésus- 
Christ  lui-même  qui  nous  a  appréciés,  et  qui  de 
son  plein  gré  a  offert  pour  nous  cette  rançon 
excessive. 

N'est-îl  pas  vrai ,  MM.  ,  que,  pour  en  user 
ainsi  ,  il  fallait  qu'il  eût  un  désir  bien  vif  de  nous 
sauver?  N'est-il  pas  vraiqu'il  fallait,  ou  qu'il  nous 
aimât ,  ou  qu'il  nous  estimât  beaucoup  ,  pour 
croire  qu'il  ne  pouvait  pas  trop  donner  pour  nous 
empêcher  de  périr  ?  pour  croire  qu'il  ne  donnait 
point  assez  pour  nous  ,  s'il  ne  donnait  son  sang 
jusqu'à  la  dernière  goutte  ? 

Mon  Dieu  ,  esl-il  bien  possible  que  vous  ayiei 
fait  tant  de  cas  de  notre  ame  ?  Mais  est-il  possi- 
ble que  celte  ame  que  vous  avez  tant  estimée  soit 
celle  même  dont  nous  faisons  si  peu  d'état ,  que 
pour  elle  nous  ne  saurions  nous  résoudre  à  la 
moindre  contrainte  ?  J'espère  ,  MM. ,  que  l'exem- 
ple de  Jésus -Christ  nous  inspirera  un  peu  plus 
de  zèle  pour  notre  salut  ;  j'espère  plus  ,  j'espère 
qu'il  nous  en  inspirera  mên-e  pour  le  salut  de  nos 
frères.  Quoique  notre  llcdempleur  ait  déjà  beau- 
coup fait  pour  eux  ,  cependant  il  resle  encore 
beaucoup  à  faire;  et  je  crains  bien  qu'à  leur  égard 
tous  ses  travaux  ne  soient  inutiles ,  s'il  n'en  recueille 
le  fruit  par  nos  mains.  Vous  me  direz  sans  doute 


f)E  LA  Circoncision.  i43 

que  cette  réflexion  regarde  les  Prédicateurs  ,  et 
que  c'est  à  moi  à  qui  je  la  dois  appliquer.  Mais 
non  5  elle  est  pour  tous  les  Fidèles  ,  et  vous  j 
avez  peut-être  encore  plus  de  part  que  ceux  qui 
TOUS  prêchent. 

Prenez-y  garde  ,  les  prédications  ne  sont  que 
^pour  peu  de  gens ,  elles  ne  sont  presque  que  pour 
les  Chrétiens  qui  sont  déjà  assez  fidèles  pour  s'en 
pouvoir  passer.  Les  pécheurs  ne  viennent  guère 
nous  entendre  ;  ils  ne  font  point  assez  de  cas  de 
la  parole  de  Dieu.  De  plus,  lorsque  la  curiosité, 
ou  quelque  autre  motif  les  y  amène  ,  ils  s'arment 
pour  ainsi  dire  contre  notre  zèle  ,  ils  sont  en  garde 
contre  tout  ce  qu'on  leur  peut  dire  pour  les  tou- 
cher. Mais  vous  ,  qui  en  sortant  de  cette  église  , 
allez  vous  mêler  dans  ce  qu'on  appelle  le  monde, 
qui  allez  vous  répandre  dans  toute  cette  grande 
▼ille  ;  vous  qui  allez  traiter  avec  ceux  qui  vivent 
dans  l'oubli  de  Dieu  ,  et  qui  marchent  sur  le 
bord  du  précipice  ;  vous  dont  on  ne  se  défie  point;; 
vous  qu'on  aime,  qu'on  considère  ;  vous  dont  on 
estime  l'esprit  et  le  jugement  ;  si  vous  vouliei 
vous  servir  de  ces  avantages  ,  quel  bien  ne  feriez- 
Yous  pas  parmi  vos  frères  ? 

Ce  n'est  pas  que  je  prétende  vous  engager  ù  por- 
ter dans  les  compagnies  ce  zèle  véhément  des  Mi- 
nistres de  l'Evangile  ;  beaucoup  moins  à  vous  y 
ériger  en  censeurs  publics  ,  et  à  vous  déchaîner 
dans  toutes  les  occasions  contre  le  relâchement 
du  siècle.  Ces  hommes  plus  zélés  qu'éclairés  qui 
veulent  tout  réformer  ,  qui  font  tant  de  bruit,  qui 
ne  gardent  pQ,int  de  mesure  ;  ces  dévots  qui  se  ré- 
crient sur  les  moindres  désordres,  qui  se  scanda- 
lisent de  tout ,  qui  veulent  à  toute  force  mettre 
tout  le  monde  sur  le  même  pied  ;  ces  dévots  ont 
les  intentions  les  plus  droites  ,  je  n*en  doute  pas; 
mais  certainement  ce  n'est  pas  là  le  caractère  du 
zèle  chrétien  ;  et  l'on  fait  grand  tort  à  la  vérita- 
ble piété  ,  qui  est  si  raisonnable  et  si  sage  ,  si  on 
lui  attribue  les  emportemens  et  l'imprudence  de 


i44  ï-  PauR  lE  Jour 

ces  hommes  indiscrets.  Le  véritable  zèle  n*est  ni 
turbulent  ni  impétueux  ;  il  est  modéré  ,  il  est  cir- 
conspect ,  il  sait  prendre  son  temps  pour  s'insinuer 
ayec  douceur  ,  il  est  tendre  et  compatissant ,  il  est 
patient ,  il  est  humble  ;  ce  n'est  pas  par  de  grands 
discours  qu'il  produit  les  plus  grands  effets  ;  c'est 
souvent  par  des  complaisances  ,  par  des  services 
rendus  à  propos  ;  c'est  par  le  prudent  usage  qu'il 
fait  de  l'autorité  que  nous  avons  sur  les  autres, 
de  la  Confiance  que  les  autres  ont  en  nous ,  de 
Tamitié  qu'on  nous  porte  ,  de  la  reconnaissance 
qu'on  nous  doit  ;  c'est  surtout  par  les  bons  exem- 
ples ,  c'est  par  les  prières,  qui  attirent  sur  tous 
ces  moyens  les  bénédictions  du  Ciel. 

Voilà  ,  MM.  ,  quel  est  le  zèle  que  je  vous  recom- 
mande aujourd'hui.  Ce  sera  par-là  que  cette  épouse 
eanctiOera  son  mari ,  ses  enfans  ,  toute  «a  famille. 
Ce  sera  par  ces  moyens  que  cet  homme  convertira 
ceux  que  lui  attachent  le  sang  ,  l'amitié,  l'intérêt; 
que  cette  jeune  personne  fera  des  fruits  incroya- 
bles auprès  de  celles  qui  lui  sont  intimement  unies 
par  les  liaisons  du^  premier  âge.  C'est  par-là  que 
les  grands  plu5  que  tous  les  autres  feront  quand 
il  leur  plaira  des  prodiges  et  des  progrès  qu'on 
attendrait  en  vain  des  plus  fervens  Missionnai- 
res ;  car  qui  peut  résister  à  leur  autorité  ,  à  leur 
exemple  ,  à  leurs  caresses  ,  à  leurs  prières  ?  C'était 
pour  cette  raison  que  sainte  Thérèse  ,  qui  était 
d'ailleurs  sî  contente  de  sa  pauvreté  ,  enviait 
néanmoins  la.  condition  des  Rois  :  c'e^t  pour  Cela 
qu'elle  demandait  à  Dieu  qu'il  ne  lui  laissât  que 
les  grâces  dont,  elle  avait  besoin  pour  se  sauver  ; 
et  que  ces  grandes  lumières  ,  ces  extases  ,  ces 
ravissemens  ^  toutes  ces  faveurs  qu'elle  recevait 
tous  les  jours,  et  qu'elle  ne  pouvait  expliquer,  il 
les  distribuât  aux  personnes  qui  tiennent  le  pre- 
mier rang  dans  le  monde  ;  parce  que  ,  disait-elle, 
ces  grâces  ne  manqueront  pas  d'allumer  dans 
leur  cœur  un  grand  zèle  ,  et  que  ce  zèle  aura  bien- 
tôt fait  changer  de  face  et  aux  villes  et  auxprovinces. 


T)E    LA    ClKCOiNCISION.  î/p 

Craignez  donc  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  au  nom 
de  Jésus-Christ ,  craignez  d'enfouir  les  talens  que 
le  Seigneur  vous  a  donnés.  Hélas  !  le  monde  est 
rempli  d'hommes  et  de  femmes  qui  semblent  n'y 
être  que  pour  faire  damner  les  autres.  Le  Démon 
a  partout  ses  émissaires  et  de  zélés  partisans  :  et 
il  ne  se  trouvera  personne  qui  s'oppose  à  eux, 
qui  veuille  aider  Jésus- Christ  à  sauver  les  amcs 
qu'il  a  rachetées  !  Quel  regret  pour  moi  s'il  y  en 
avait  une  seule  dans  les  Enfers  ,  que  j'eusse  pu 
sauver  en  quelque  manière  !  Au  contraire,  si  j'é- 
tais assuré  d'en  avoir  mis  au  moins  une  dans  le 
séjour  de  la  gloire  ^  quel  sujet  et  de  joie  et  d'espé- 
rance !  quelle  protection  n'aurais  -  je  pas  dans  le 
Ciel  !  Que  ferait-elle  dans  le  Ciel ,  cette  ame  à 
qui  j'en  aurais  ouvert  l'entrée  ,  qu'y  ferait-elle 
autre  chose,  Seigneur  ,  que  vous  aimer,  que  $'in- 
léresserpour  moi  ?  S'il  est  vrai  que  les  Saints  ont 
tant  de  crédit  auprès  de  Dieu  ,  pourrait-elle  souf- 
frir,  celte  ame  sainte,  que  je  me  damnasse,  moi 
qu'elle  regarderait  comme  son  libérateur ,  sans 
qui  elle  eût  été  perdue  elle-même  ?  Mais  vous- 
même  ,  aimable  Jésus ,  si  j'avais  sauvé  une  seule 
de  vos  épouses ,  une  de  ces  épouses  qui  vous  sont 
si  chères  ,  pour  qui  vaus  avez  voulu  donner  tout 
votre  sang  ;  si  après  l'avoir  arrachée  ù  votre  en- 
nemi ,  je  vous  l'avais  remise  entre  les  mains , 
pourriez-vous  bien  vous  résoudre  à  me  livrer  moi- 
même  à  cet  ennemi  ? 

Hâtons-nous  donc  ,  hâtoiis-nous  de  travailler  à 
notre  salut,  et  au  salut  de  nos  frères.  N'oublions 
rien  pour  rendre  complète  la  gloire  de  notre  Ré- 
dempteur ;  faisons -lui  valoir  autant  que  nous 
pourrons  le  prix  qu'il  a  donné  pour  nous  racheter: 
en  un  mot ,  lâchons  de  porter  tout  le  monde  à 
craindre  Dieu  ,  afin  d'obliger  Dieu  à  aimer  et  à 
sauver  tout  le  monde.  Ainsi  soit-il. 


1. 


«• 


SERMON 

POIJR  LE  JOUR 

DE    LA    CIRCONCISION. 


Ecce  ireves  anni  iranscunt ,  et  semitam ,  p&r  qttam  non 
rcverlar ,  ambulo. 

Mes  rapides  années   s'écoulent  ,   et  je  marche  par  ua 
sentier  où  je  ne  dois  plus  revenir  sur  mes  pas,  (  Job.  16.  ^ 


Les  Chrétiens  ignorent  le  prix  du  temps  qu'ils  ont  pour 
gagner  le  Ciel,  ou  la  manière  d'en  bien  user.  Ils  ont 
iséanmoins  bien  des  motifs  qui  les  portent  à  l'employer 
utilement .  et  bien  des  moyens  pour  s'en  rendre  rem' 
pipi  ntilc. 

l^coiQrE  la  Circoncision  du  Sauveur  du  monde, 
dont  nous  solennisons  la  mémoire  ,  soit  un  mys- 
tère qui  nous  offre  une  source  abondante  d'ins- 
tructions issalutajres  ,  et  de  pieux  sentimens, 
cependant'^  MM.  ,  l'année  que  nous  venons  de 
finir  5  la  nouvelle  année  que  nous  commençons, 
m'emportent  comme  malgré  moi  dans  d'autres 
pensées.  Semblable  à  ces  hommes  qui  se  trouvant 
sur  le  bord  d'un  large  torrent,  s'attachent  insen- 
siblement à  le  regarder  avec  tant  d'application  , 
qu'on  ne  peut  les  retirer  de  l'espèce  d'extase  où 
Jes  tient  l'impétuosité  des  eaux  ;  lors  ,  mes  frères, 
que  je  considère  cette  révolution  de  temps  qui  se 
fait  avec  tant  de  régularité  et  tant  de  vitesse ,  je 
ne  puis  m'affranchir  des  pensées  diverses  que  fait 
naître  en  mon  esprit  cette  suite  d'années  compo- 
sées de  jours  et  de  nuits  ,  comme  d'autant  de  flots 


^.  l'ouR  LE  Jour  de  la  Circoncis,     i  47 

qui  se  poussent  les  uns  et  les  autres  ,  et  qui  préci- 
pitent leur  cours  avec  tant  de  rapidité;  et  ce  ne 
.serait  qu'avec  peine  que  je  me  laisserais  engager 
à  vous  entretenir  de  tout  autre  sujet. 

D'ailleurs  ,  comme  c'est  une  coutume  étabfie 
partout ,  de  se  donner  mutuellement  aujourd'hui  de 
nouvelles  marques  d'amiiié  ,  j'ai  cru  qu'on  devait 
attendre  d'un  Prédicateur  évangélique  quelque 
chose  de  plus  qu'un  vain  compliment  ,  et  que 
vous  auriez  lieu  de  douter  de  raffeclion  avec  la- 
•quelle  je  vous  souhaite  à  tous  une  heureuse  année, 
si  en  même  temps  je  ne  vous  donnais  quelques 
moyens  pour  la  rendre  telle  que  je  la  souhaite. 
C'est  par  cette  raison  que  je  me  suis  déterminé  à 
TOUS  parler  aujourd'hui  du  temps  ,  et  du  bon 
usage  qu'on  en  doit  faire.  Il  est  certain  qu'on  ne 
saurait  traiter  un  sujet  plus  important,  ni  trop  se 
hâter  de  le  faire  dès  le  commencement  de  l'an- 
>née ,  afin  que  si  Dieu  veut  bien  se  servir  de  moi 
pour  vous  porter  à  l'employer  utilement  ,  vous 
en  perdiez  le  moins  qu'il  sera  possible.  Mais  vous 
n'ignorez  pas  que  je  perdrai  ma  peine  à  vous  ex- 
horter à  bien  profiter  du  temps,  si  le  Saint-Esprit 
ne  m'éclaire  et  ne  vous  touche.  Pour  obtenir  cette 
grâce,  adressons- nous  à  Marie  ,  comme  à  une 
mère  tendre  :  Ave^  Mai-la. 

Je  ne  vois  rien  de  plus  terrible  dans  tous  les 
jugemens  de  Dieu  que  cette  prompte  justice  qu'il 
a  exercée  contre  Lucifer,  et  les  autres  complices 
de  sa  révolte.  Il  paraît  étonnant  que  le  Seigneur 
se  soit  si  promptcment  déterminé  à  perdre  les 
Anges,  ces  ouvrages  les  plus  beaux  de  sa  toute- 
puissance  ,  et  à  les  perdre  sans  leur  donner  le 
temps  de  se  repentir.  Qu'il  en  use  bien  autrement 
envers  les  hommes  !  Non-seulement  il  ne  les  ac- 
cable pas  d'abord  après  leur  chute  ,  mais  il  attend 
qu'il  leur  plaise  de  se  relever.  Non-seulement  il 
nous  oflVe  le  secours  de  sa  main  ,  il  souffre  même 
long-temps  le  refus  que  nous  en  faiijons.  Ce  serait 


i48  2.  Pour  le  Jour 

de  sa  pari  un  effet  signale  de  miséricorde,  quand, 
après  une  offense  mortelle,  il  ne  nous  accorderait 
qu'autant  de  temps  qu'il  en  faut  pour  la  réparer, 
quand  il  ne  nous  ferait  cette  grâce  qu'une  seule 
fois  dans  toute  notre  vie.  Que  dirons-nous  donc 
de  sa  bonté,  et  des  richesses  de  sa  patience  ,  lors- 
qu'il nous  donne  des  années  de  délai  pour  une 
satisfaction  que  nous  devrions  et  que  nous  pour- 
rions faire  sur  l'heure  ?  Il  suspend  sa  «olère, 
même  après  mille  rechutes  ;  il  permet  que  nous 
nous  endormions  sur  nos  crimes  multipliés,  et 
que  nous  différions  d'année  en  année  notre  péni- 
tence. Voilà  sans  doute  one  destination  bien  sin- 
gulière, voilà  l'homme  bien  privilégié  en  compa- 
raison des  Anges  ,  de  ces  esprits  condamnés  sans 
ressource.  Mais  que  nous  sert  cet  avantage ,  si  nous 
ne  laissons  pas  de  périr  ?  Que  nous  sert-il  d'avoir 
eu  des  années  entières,  et  plusieurs  années  pour 
nous  relever  ,  si  nous  brûlons  néanmoins  éternel- 
lement avec  ceuxà  qui  la  même  grâce  a  été  refusée? 
Si  on  avait  accordé  aux  Démons  un  seul  moment 
pour  expier  leur  rébellion  ,  il  n'y  aurait  pas  un  seul 
Démon  dans  les  Enfers.  Les  Chrétiens  ont  vingt 
et  trente  années  pour  effacer  en  eux  les  taches  de 
leurs  péchés  ,  et  l'Enfer  ne  laisse  pa^  d'être  rem- 
pli de  Chrétiens.  D'où  peut  venir  un  si  grand 
malheur ,  mes  frères  ?  Il  ne  peut ,  ce  me  semble  , 
cvoir  que  deux  sources.  La  première  ,  c'est  que 
ïîous  ignorons  le  prix  de  ce  temps  qui  nous  est 
donné  pour  gagner  le  Ciel.  La  seconde ,  c'est  que 
Kious  ignorons  la  manière  de  faire  valoir  ce  don 
précieux  ,  ou  nous  ne  daignons  pas  nous  en  servir, 
nu  nous  ne  savons  pas  nous  en  servir.  Et  par-là  ce 
riche  talent  que  nous  recevons  de  Dieu  ,  nous  de- 
vient entièrement  inutile  ;  et  quoique  maîtres  d'un 
si  grand  trésor ,  nous  vivons ,  nous  mourons  dans 
une  triste  indigence.  Je  tacherai  de  vous  appn  n- 
dre  aujourd'hui  en  premierlieu  à  faire  plus  de  cas 
du  temps  ,  en  second  lie  u  à  en  faire  un  meilleur 
usage.  Dansle  premier  point  je  produirai  lesmolifs 


,  DE    LA    ClKCONCISION.  il/fQ 

qui  noui  obligent  ù  l'employer  lUileincht  ,  et  dans 
le  second  les  moyens  d'en  n  ndie  remploi  utile. 
C'est  tout  le  sujet  de  ce  discours. 

PREMiEfi    POI]ST. 

Il  n€i" faut  pas  beaivcoup  raisonner  pour  faire 
voir  que  nous  devons  bien  employer  le  temps  que 
Dieu  nous  donne  ;  il  siiflit  de  dire  que  nous  avonsj 
peu  de  temps  ,  que  dans  ce  peu  de  temps  nous 
ayons  à  ménager  les  affaires  les  plus  importantes, 
qiie  de  Ce  peu  de  temps  tout  n'est  pas  également 
propre  jpourviiîénager  ces  affaires  importantes. 
Suivons  ces  trois  réflexions. 

Je  ne  tous  dis  pas  que  jusqu'ici  vous  ayiez  eu 
peu  de  temps  pour  penser  ù  votre  salut  :'il  y  a 
peut-être  plusieurs  années  que  vous  êtes  sur  la 
■  terr&l  il  y  a  peut-être  long-temps  que  Dieu  vous 
presse  de  travailler  pour  le  Ciel.  Si  vous  aviei 
voulu  mettre  à  profit  ce  loisir,  et  vous  rendre  do- 
ciles X  de  pressantes  sollicitations,  vous  vous  trou- 
veriez chargés  de  mérites  ;  mais  si  vous  ne  l'avez 
pas*fait  jt.  ce  temps  est  passé  ,  et  par  conséquent 
perdu  pour  vous.  Je  ne  vous  dis  pas  non  plus  qu'il 
vous  reste  peu  de  temps  à  vivre  :  c'est  Dieu  qui  a 
arrêté  le  jour  où  vous  devez  mourir  ,  ce  jour  n'est 
fcohhu  que  de  lui  seul;  et  s'il  ne  vous  est  révélé  ,  il 
demeurera  toujours  incertain  pour  vous.  Outre 
cette  incertitude  extrême  ,  l'avenir  n'est  pas  un 
fond  dont  vous  puissiez  disposer;  il  n'est  pas  en- 
core entre  vos  mains,  il  n'y  sera  peut-être  jamais. 
Ainsi  le  seul  temps  qui  soit  à  vous,  c'est  le  temps 
présent;  et  ce  temps  est  infiniment  court  ,  il  est 
indivisible  ,  déjà  il  passe  ,  il  n'est  déjà  plus. 
■  Quand  nous  serions  maîtres  de  l'avenir  ,  ce  que 
nous  savons  bien  sûrement  n'être  pas,  il  est  sûr, 
du  moins  pour  k»  plupart  de  nous ,  que  ce  sera 
beaucoup  s'il  égale  le  passé  ,  et  si  nous  vivons  au- 
tant de  tempsque  nous  avons  déjà  vécu.  Or,  M3I. , 
ce  temps  passé  ,  comment  s'est-il  écoulé  ?  C(jm- 
menl  s'est-il   évanoui  ?  Hélas   !    ce   n'est  qu'un 


i5a  ^'  Four  le  Jour  i 

insfafttV^j.  gu^un  rien..;: L'avenir  tout  au  ^Itrs 'sera 
semblable  ,  il  passera  avec  la  même  rapidité.  Pour 
rtioi ,  lorsque  j'y  fais  réflexion ,  et  que  je  considère 
que  le  temps  qui  me  reste  à  vivre  ^oule  déjâ'^ 
qu'une  partie  en  a  passé  depuis  que  j'en  parle  , 
que  jusqu'à  la  mort  toutes  les  heures  ,  tous  les 
jours  ,  toutes  les  années  s'en  iront  avec  la  même 
Titeése ,  il  me  semble  que  je  touche  au  dernier  mo- 
ment ,  et  je  me  crois  déjà  au  nombre  des  morts^ 
Voilà  la  raison  pour  laquelle  Dieu  nous  presse  avec 
tant  d'instance  de  nous  hâter  ,  de  ne  nous  point 
arrêter  à  amasser  de  Tor  et  de  l'argent ,  ni  à  bâtir 
des  palais  que  nous  n'aurons  point  le  temps  d'a- 
chever. Nunquid  tempus  vobis  est,  ut  hahitetis  in 
domibus  laqueatis  ^  nous  dit-il  par  le  Prophète 
Aggée.?^  Est-ce  que  vous  avez  assez  de  vie  pour 
vous  occuper  à  élever  des  maisons  lambrissées  ? 
Pour  le  peu  de  séjour  que  vous  avez  à  faire  sur  la 
terre,  ne  serait-ce  pasijssez  d'avoir  des  tentes  qui 
se  dressent  et  qui  s'enlèvent  dans  un  moment? 
C'estpourcela  que  saint  Paul  nous  crie  sans  cesse  ;^ 
Tempus  brève  est  :  Le  temps  est  court,  mes  frè- 
res ,  le  temps  est  court;  et  il  ne  vous  en  reste  point 
pour  vous  occuper  de  vos  biens,  de  vos  familles  , 
de  vos  prospérités  ,  de  tos  disgrâces.  Vous  n'avez 
plus  qu'un  pas  à  faire,  et  vous  voilà  au  bout  de 
votre  carrière.  Il  importe  peu  comment  et  avec 
qui  vous  courez  ,  si  c'est  par  un  chemin  aisé  ou 
pénible,;  gardez-vous  seulement  de  vous  égarer  , 
et  de  manquer  lé  terme  dont  vous  approchez  en 
courant  :  Reliquum  est  ,.  ut  et  qui  habent  uxores  ^ 
tunquam  non  habentes  sint  ;  et  qui  fient  ,  tanquam 
non  {lentes,\ 

C'est  encore  pour  la  même  raison  que  saint  Jean, 
nous  avertit  que  le  Démon  vient  à  nous  comme  un 
lion  ,  qu'il  nous  attaque  avec  chaleur,  qu'il  dé- 
ploie contre  nous  toute  sa  colère  et  toutes  ses  for- 
ces :  Descendit  Diabolus  ad  vos  habens  iram  magnam. 
Pourquoi  ?  Parce  qu'il  n'ignore  pas  qu'il  a  peu  de 
t^mps  pour  nous  perdre   :  Sciens  quôd  modicum 


DE  Là  Circoncision.  i5i 

fempus  kabet.  Nous  serons  donc  les  seuFs  qui  croT- 
rons  que  rien  ne  nous  presse ,  et  qui  nous  tranquil- 
liserons sur  un  loisir  qui  nous  échappe.  Le  temps 
est  court ,  nou5  n'avons  qu'un  moment  à  vivre  , 
me  direz-vou5,  mais  au«si  nous  n'avons  qu'une 
seule  affaire  qui  demande  nos  soins  :  Porrô  unum 
9St  recessarium.  Oracle  salutaire  dans  la  bouche  de 
Jésui  -Christ  ,  liiais  damnable  dans  la  vôtre  ,  û 
vous  j^ensicz  qu'il  dût  inspirer  la  nonchalance,  et 
fournir  un  prétexte  à  l'oisiveté.  Le  fils  de  Dieu 
nous  avertit ,  mes  frères  ,  qu'une  seule  aflaire  de- 
mande nos  soins ,  parce  que  nous  n'avons  pas  le 
temps  de  les  donner  à  plusieurs  affaires ,  parce 
que  cette  affaire  unique  doit  occuper  tout  notre 
temps ,  et  toute  l'application  de  notre  esprit.  Et 
pour  entrer  dans  ma  seconde  réflexion,  je  disque 
eette  affaire  importante  que  nous  avons  à  traiter  et 
à  conclure  dans  un  temps  si  court,  est  l'affaire  de 
'tous  les  temps  ,  l'affaire  de  l'éternité.  Il  s'agit  d'é- 
TÎter  un  malheur  qui  ne  doit  jamais  finir.  Il  s'agit 
de  nous  établir  dans  le  Ciel ,  non  pas  seulement 
'pour  quelques  années,  mais  pour  toujours.  Il  faut 
faire  un  fonds  pour  acheter  un  royaume  que  Jésus- 
Christ  s'est  efforcé  d'acquérir  par  trente-trois  ans 
de  travaux  ,  et  qu'il  a  payé  de  son  sang.  Nous  de- 
vons au  Seigneur  une  satisfaction  qui  soit  assez 
rigoureuse  pour  nous  exempter  des  flammes  éter- 
nelles dues  à  nos  péchés  :  nous  nous  devons  ù 
nous-mêmes  le  soin  de  recueillir  un  trésor  qui 
soit  assez  abondant  pour  devenir  le  prix  d'un  bon- 
heur sans  fin.  Pour  tout  cela ,  Chrétiens  auditeurs  , 
vous  n'avez  rien  d'assuré  que  le  moment  où  je  vous 
parle  ,  il  est  incertain  si  le  reste  du  jour  vous  sera 
accordé. 

Si  vous  étiez  dans  les  embarras  d'une  affaire  où 
it  s'agit  de  tout  votre  bien  ,  de  votre  vie  même  ;  si 
Ton  venait  vous  dire  qu'avant  la  nuit  elle  court 
risque  d'être  jugée  ;  et  si  alors  vous  n'aviez  point 
encore  instruit  vos  Juges  ,  ni  pris  les  moyens  de 
vous  défendre  ,  quel  trouble  ne  vous  causerait  pas 


i5t2  2.  Pour  le  Jour 

cette  nouvelle? Serait-il  des  amusemens  assez  flat- 
teurs ,  des  bienséances  assez  indispensables  pour 
TOUS  retenir  ?  Si  l'on  vous  commandait  d'être  prêt 
danâ  deux  jours  pour  une  navigation  de  plusieurs 
açnées ,  différeriez-vous  d'intéresser  tous  vos  pa- 
rens  ,  tous  vos  amis  ,  à  vous  aider  dans  uae  occa- 
sion si  pressante  ,  à  disposer  de  concert  avec  vous 
tout  ce  qui  serait  nécessaire  pour  un  voyage  si 
long,  et  pour  un  départ  si  précipité  ?  Si  je  disais 
ù  ce  Négociant  qui  a  tout  son  bien  dans  ses  maga- 
sins, que  dans  huit  jours  le  prix  de  ses  marchan- 
dises doit  entièrement  tomber  ,  qu'il./^'itqu&ces 
huit  jours  pour  se  garantir  d'une  ruine  entière  et 
irréparable  ,  croyez  -  vous  qu'il  demeurât  sans 
souci  5  et  que  tranquille  dans  sa  maison^  il  y  par- 
tageât entre  le  jeu  et  le  sommeil  les. heures  de 
son  loisir  !  Si  cet  artisan  qui  veille  ,  qui  se. consume 
pour  prévenir  l'indigence  dont  il  est  menacé  ,  se 
persuadait  que  par  un  ou  deux  mois  d'un  travail 
plus  assidu,  il  peut  ,  outre  l'exemptiop  de  ses  fa- 
tigues ordinaires  ,  gagner  de  quoi  se  procurer 
toutes  les  douceurs  d'une  vie  commode  ,  pensez- 
vous  qu'il  épargnât  ses  bras ,  et  qu'il  perdît  un  seul 
moment  d'un  temps  si  court  et  si  précieux  ? 

Stulte  ,.  Iiac  nocte  ,  liac  nocte  animam  tuam  répé- 
tant à  te  :  Insensé  que  je  suis  !  c'est  aujourd'hui 
même ,  ce  sera  peut-être  cette  nuit  qu'on  décidera 
l'affaire  de  mon  bonheur  ou  de  mon  malheur  éter- 
nel. Je  ne  sais  ,  et  vous  ne  le  savez  pas  plus  que 
moi ,  si  avant  le  jour  il  ne  vous  faudra  point  sortir 
de  ce  monde  ;  s'il  vous  reste  encore  vingt-quatre 
heures  pour  mériter  une  heureuse  éternité,  pour 
procurer  à  votre  ame  le  repos  et  les  richesses  du 
Ciel.  Dans  cette  incertitude  ,  vous  ne  pensez  qu'à 
vos  plaisirs,  vous  ne  pensez  pas  plus  à  cette  alHiirc 
importante,  que  si  c'était  l'affaire  la  plus  légère  , 
ou  que  ce  ne  fût  pas  voire  affaire.  Mais  quand  je 
pourrais  vous  répondre  de  plusieurs  années,  se- 
rait-ce trop  que  de  les  employer  toutes  à  travailler 
pour  cette  vie  immortelle,  où  nous  n'aurons  dje 


DE  LA  Circoncision.  i55 

biens,  d'honneurs  ,  de  plaisirs  ,  que  ccuxl  dont 
nous  nous  serons  assuré  la  possession  durant  le 
cours  de  celle  misérable  vie  !  Josepli  n'ignorait 
pas  que  la  famine  doiit  l'Egypte  était  mrnacée  ne 
devait  durer  que  sept  ans,  il  savait  que  pour  la 
prévenir  sept  années  lui  étaient  accordées  :  atten- 
dit-il la  dernière  année  d'abondance  pour  faire 
des  greniers  dans  l'Egypte,  ou  pour  les  remplir? 
Dès  la  première  moisson  ,  ses  ordres  furent  don- 
nés partout;  les  blés  furent  achetés,  furent  por- 
tés dans  les  villes  destinées  à  les  recevoir.  Nous 
qui  avons  à  craindre  ,  non  pas  sept  ans  ,  ni  sept 
siècles  ,  mais  une  éternité  tout  entière  de  stéri- 
lité ,  et  qui  n'avons  peut-être  pas  sept  heures  de 
temps  où  il  nous  soit  libre  de  pourvoir  à  tout  ce 
qui  nous  est  nécessaire  pour  une  si  longue  disette  , 
nous  différons  à  la  dernière  heure  !  bien  plus  , 
6Jlte  dernière  heure  est  peut-être  déjà  venue,  et 
nous  ne  commençonspoint  encore!  Je  vous  avoue, 
MM. ,  que  cet  aveuglement  m'effraie,  et  que  plus 
j'y  pense,  moins  je  le  comprends.  Nous  manquons 
de  foi,  de  celte  prudence  surnaturelle  qui  fait  les 
Saints  ,  je  le  sais  ;  mais  ne  donnez-vous  pas  lieu 
de  soupçonner  dans  voustjuelque  autre  chose  que 
ce  manquement  de  foi  ?  Eh  quoi  ,  dans  une  affaire 
de  cette  importance  ,  ayec  les  lumières  de  la  rai- 
son ,  le  moindre  doute  ne  devrait -il  pas  suffire 
pour  vous  retirer  de  votre  assoupissement  ?  Il 
semble  que  noire  esprit,  nos  sens  soient  fascinés, 
et  qu'une  espèce  d'enchantement  nous  ait  rendus 
aveugles  et  immobiles. 

Je  vais  plus  loin  ,  et  je  dis  non-seulement  que 
notre  temps  est  court,  que  dans  ce  court  espace 
de  temps  nous  avons  à  ménager  la  plus  importante 
affaire  ,  mais  encore  que  de  ce  court  espace  de 
temps  tout  n'est  pas  propre  à  faire  réussir  cette 
importante  affaire.  Omni  negotio  tempus  est  et  op^ 
portunitas :  Il  y  a  un  temps,  une  occasion  à  pren- 
dre pour  chaque  affaire  :  si  vous  manquez  le  moment 
favorable  ,  vous  ne  pourrez  plus  y  revenir.  Or  ce 


^4  2-    P^^lf  ^   JoiTR 

BtomeDt,  à  Tég^ard  du  salut ,  est  ioconnu  à  tous  les 
hommes ,  aussi  bien  que  le  moment  de  leur  mort; 
de  sorte  que  s'ils  en  perdent  un  seul  ,  quelque 
temps  qu'il  leur  reste  à  Tivre ,  il  se  peut  faire  qu'ils 
perdent  tout  sans  ressource.  Les  saints  Pères  ont 
obserré  que  le  figuier  qui  fut  maudit  par  le  fils  de 
Dieu  n'était  point  stérile,  et  que  Jésus-Christ  ne 
le  fit  point  arracher  sur  l'heure  ;  cependant  11  ne 
porta  jamais  de  fruit ,  parce  qu'il  s'en  trouva  des- 
titué au  moment  que  le  Sauveur  y  en  était  venu 
chercher-  Ce  qui  est  surprenant ,  c'est  que  ce  n'é- 
tait point  encore  la  saison  des  fruits  :  Non  enlm  erat 
tempia  ficorum.  C'est  un  avis  pour  ceux  qui  se 
persuadent  qu'il  y  a  un  temps  pour  travailler  à  son 
aaloty  et  que  ce  n'est  pas  un  soin  qui  regarde 
la  jorne^e.  Le  Seigneur  ,  qui  a  fait  tous  les  âges, 
prétend  qu'il  a  droit  sur  tous  également.  Et  il  ne 
faut  pas  douter  que  ces  vieillesses  dissolues  et  erv 
durcies,  dont  les  déréglemens  nous  font  horreur, 
■e  portent  les  effets  de  la  malédiction  divine  :  peine 
justement  due  à  la  résistance  faite  à  Dieu  aux  pre- 
mières années  de  la  vie  qu'on  croit  n'être  pas  le 
temps  des  fruits  :  Non  enim  erat  tem pus- ficorum. 

Infortunée  Jérusalem  ,  disait  autrefois  Jésus- 
Christ  ,  en  pleurant  sur  cette  vie  criminelle ,  tes 
murailles  subsisteront  encore -l'espace  de  trente- 
sept  ans,  tes  citoyens  erreront  sur  la  terre  jusqu'à 
la  fin  des  siècles ,  ils  verront  les  merveilles  que 
mon  nom  opérera  dans  tout  l'univers ,  ils  seront 
témoÎDS  des  triomphes  de  mon  Eglise  ;  mais  ce 
terme  que  je  te  donne  ^  ces  grâces  que  je  ferai  à 
tes  enfans  ,  ne  leur  serviront  de  rien  ,  parce  qu'ils 
D*OBt  pas  profité  du  temps  où  je  suis  venu  à  eux , 
et  ffae  j'avais  marqué  pour  leur  faire  miséricorde. 
^f  eogmaûssa  ,  et  tu  ,  et  quddem  in  hat  die  tua, 
qmm  ià  pmcem  tibi  :  Si  ta  étais  rentrée  dans  ton  de- 
▼oir  an  jour  que  je  t'avais  destiné  ,  tu  aurais  évité 
les  maux  dont  tu  vas  être  accablée  :  ce  jour  est 
passé,  pour  ne  revenir  jamais  ;  ton  salut  est  déses- 
péré ,  et  ta  perte  inévitable. 


DE   LA.    CiRCONCrSIOX.  iSS 

Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  s'il  est  parlé  si 
souvent  dans  l'Ecriture  du  temps  favorable  ,  du 
temps  d'acceptation  5  du  jour  de  salut,  du  temps 
du  plaisir  et  du  bon  plaisir  de  Dieu.  C'est  qu'il  y 
a  des  temps  et  des  jours  qui  ne  nous  sont  pas 
avantageux  ,  et  où  il  ne  plaît  pas  à  Dieu  de  nous 
appeler  à  lui ,  ni  de  nous  écouter  si  nous  l'invo- 
quons. Dans  l'ignorance  où  nous  sommes  de  ces 
momens  ,  la  prudence  ne  demanderait-elle  pas  que 
nous  profitassions  de  tous  les  momens  ?  Vous  ren- 
voyez néanmoins  votre  conversion  à  l'année  pro- 
chaine ,  aux  solennités  de  Pûque,  comme  si  vous 
étiez  assurés  que  ce  n'est  pas  aujourd'hui  le  dernier 
jour  que  Dieu  a  résolu  de  vous  attendre.  Il  ne  cesse 
de  dire  que  c'est  aujourd'hui  qu'il  faut  commen- 
cer :  Ecce  nunc  tempus  acceptabile...  Hodie  si  vocem 
ejus  audieritis,  notite  obdurare  corda  vestra...  donec 
hodie  cognominatur.  Hodie ^  ewce  jour;  en  ce  mo- 
ment ,  nunc.  Nous  au  contraire  nous  avons  sans 
cesse  à  la  bouche  ce  funeste  demain  ,  cras,  cras  , 
ce  terme  incertain  que  notre  Dieu  ne  nous  donnera 
peut-être  jamais. 

Enfin  quand  tous  les  momens  de  notre  vie  se- 
raient également  propres  pour  gagner  le  Ciel , 
serait-ce  une  raison  pour  les  laisser  couler  inuti- 
lement ?  Ne  serait-ce  pas  au  contraire  un  puissant 
motif  pour  nous  de  travailler  sans  relâche  ?  Le 
Seigneur  nous  appelle  ,  et  il  nous  reçoit  dans  sa 
grâce  quand  il  lui  plaît;  mais  lorsqu'une  fois  nous 
sommes  réconciliés  avec  lui ,  il  ne  tient  qu'à  nous 
de  faire  dans  son  service  les  plus  rapides  progrès, 
chaque  instant  peut  nous  mériter  une  couronne 
éternelle.  Il  ne  faut  qu'un  instant  pour  la  mériter, 
cette  couronne  immortelle  ,  je  le  veux  ;  mais 
croyez-vous  que  si  vous  donnez  plus  de  temps  à 
votre  Dieu  ,  il  n'aurait  pas  de  quoi  payer  tout  vo- 
tre zèle?  Annon  putaS)  ô  liomo,  dit  saint  Bernard, 
biennii  tantùm  ,  aut  triennii  opus  au  Omnipotente 
passe  recompensari  ?  Si  vous  espérez  qu'il  vous 
rendraéteroellement  heureuxpour  lui  avoir  réservé 


i56  2.   Pour  le  Jour 

les  deux  ou  trois  dernières  années  de  Totre  vie, 
que  n'auriez-TOus  point  à  attendre  de  lui  si  vous 
lui  consacriez  toute  votre  vie  ?  Quelle  perte  !  Ah! 
qui  pourra  jamais  assezla  déplorer?  jSous  admirons 
les  vertus  des  Saints  ,  leurs  mérites  et  leur  gloire 
nous  paraissent  dignes  d'envie  ,  nous  savons  que 
le  rang  qu'ils  tiennent  auprès  de  Dieu  surpasse 
infiniment  le  degré  de  gloire  qu'il  destine  aux  ver- 
tus communes.  Nous  pourrions  employer  tout 
notre  temps  à  les  imiter,  ces  grands  Saints,  ù  pra-^ 
tiquer  les  vertus  sublimes  dont  ils  reçoivent  le 
prix;  chaque  moment  pourrait  augmenter  nos  mé- 
rites ,  et  enrichir  la  couronne  qu'on  nous  préparc  : 
et  nous  aimons  mieux  perdre  ces  momens  dans 
nnc  languissante  inaction  ,  nous  aimons  mieux 
traîner  sans  fruit  nos  ennuis  onéreux  ,  les  porter 
de  maison  en  maison  en  fatiguant  les  autres  par  de 
froides   visites  et  par  d'inutiles  discours. 

Vous  le  savez  mieux  que  moi ,  le  monde  est 
plein  de  ces  hommes  qui  paraissent  embarrassés 
de  leur  loisir  ;  qui  cherchent  à  qui  donner  ,  ou 
plutôt  avec  qui  perdre  des  heures  entières  ,,comme 
si  c'était  un  bien  qui  ne  pût  être  d'aucun  usage; 
qui  savent  gré  à  quiconque  leur  fournit  des  moyens 
de  varier  au  moins  les  dégoûts  de  leur  vie  désœu- 
vrée ,  et  qui  à  la  fin  de  la  journée  ,  pourvu  qu'elle 
leur  ait  paru  courte ,  se  consolent  de  l'avoir  perdue 
dans  le  retour  assidu  de  leurs  amusemens  oiseux. 
Hé  quoi ,  une  journée  qui  nous  avait  été  accor- 
dée par  une  faveur  particulière  de  la  miséricorde 
de  Dieu  ,  une  journée  où  je  pouvais  recueillir  une 
abondante  moisson  ,  je  l'ai  regardée  comme  un 
bien  inutile  ,  j'en  ai  livré  l'usage  au  hasard  :  et  de 
peur  qu'elle  ne  me  parût  trop  longue  ,  j'en  ai 
donné ,  j'en  ai  prodigué  toutes  les  heures  à  quir 
conque  s'est  présenté  ;  j'ai  cherché  à  les  perdre  dans 
le  plaisir ,  et  je  me  suis  fait  un  plaisir  de  les  per- 
dre !  Que  dites-vous  de  cet  aveuglement,  âmes 
malheureuses  qui  brûlez  dans  les  flammes  de  l'En- 
fer ,  et  qui  faute  d'une  heure  de  temps  y  brûlerez 


DE    LA    ClîlCONCISION.  1.^7 

durant  toute  l'élcrnité  ?  Quelle  peine  ,  quel  sur- 
croît de  tourment  pour  vous  de  voir  que  l'on  dis- 
sipe ainsi  un  trésor  dont  une  légère  partie  suffirait 
pour  Vous  enrichir  à  jamais  !  De  quelle  rage  ,  de 
quel  désespoir  ne  vous  sentez-vous  point  saisies, 
voyant  qu'on  vous  refuse  un  moment  que  vous 
emploieriez  à  louer  Dieu  ,  à  expier  vos  crimes  ,  à 
béîiir  sa  miséricorde  ,  à  vous  purifier ,  à  vous 
sanctifier  vous-même,  tandis  qu'on  accorde  et  des 
jours  et  des  années  à  des  personnes  qui  n'enjirent 
aucun  avantage  ? 

J'en  dis  trop  pour  vous ,  MM.  ,  qui  êtes  per- 
suadés delà  vérité  que  j'explique  ,  qui  connaissez 
le  prix  du  temps  ,  et  qui  êtes  dans  l'impatience 
d'apprendre  les  moyens  d'en  faire  un  saint  ysage. 
C'est  gtipQ.seçfipd  point. 

SECOND  POINT. 

Tout  "ce  que  vous  attendez  de  moi ,  Chrétiens 
auditeurs'^'' c'est  sans  doute  que  je  vous  enseigne 
à  bien' user  du  temps  présent ,  l'unique  que  vous 
avez  entre  les  mains  ;  mais  j'irai  plus  loin ,  avec 
le  secours  du  Ciel  ;  je  vous  apprendrai  à  profiter 
du  temps  qui  n'est  déjà  plus;,  et  de  celui  qui  n'est 
pas  encore  ;? je  vous  apprendrai  à^faire^^un  bon 
usage  "^et' de  tout  le  temps  passé  ,  que  vous  avez 
malheureusement  perdu  ",  et  de  tout  le  temps  pré- 
sent j  qui  est  partagé  par  tant  d'occupations  diffé- 
rentes 5  et  de  beaucoup  plus  de  temps  à  venir  que 
vous  n'en  aurez  jamais  en  votre  disposition. 

Saint  Bernard  ,  au  livre  de  la  considération  , 
parlant  du  tourment  que  les  damnés  souffrent  à  la 
vue  des  choses  passés  ,  dit  qu'elles  sont  passées 
pour  tux  ,  et  qu'elles  ne  le  sont  pas.  Elles  sont 
passées  de  la  main,  dit  ce  saint  Père  ,  mais  elles 
sont  présentes  à  l'esprit  :  et  c'est  assez  pour  leur 
causçr^UTne  peine  qui  ne  passera  jamais  :  Transie^ 
ruj\t\  0t  non  iransicrunt  :  Iransierunt  à  maria ,  sed 
nqii  àfjnente.  ie  dis  à  peu  près  la  même  chose  des 
années  de  notre  vie  qui  sont  déjà  écoulées  ;  elles 


i58  2.  Poun  LE  Jour 

se  sont  pour  ainsi  dire  évnnouies  de  nos  mains; 
mais  elles  peuvent  subsister  dans  notre  souvenir:- 
et  cela  suffît  pour  nous  en  faire  un  sujet  de  mérite^ 
et  d'une  récompense  éternelle.  Quels  fruits  né 
produit  pas  dans  une  ame  sincèrement  convertie 
la  vue  continuelle  de  ce  temps  perdu  ou  mal  em- 
ployé !  Ils  sont  quelquefois  si  sensibles  ,  qu'on 
trouve  enfin  que  cette  perte  est  devenue  avanta- 
geuse ,  et  qu'il  y  a  lieu  de  douter  si  le  repentir 
qu'elle  cause  ne  vaut  pas  plus  que  l'innocence 
qu'on  voudrait  avoir  conservée. 

De  cette  vue  naît  en  premier  lieu  une  humilité 
profonde,  cette  vertu  qui  est  la  base  et  l'ornement 
de  toutes  les  autres  vertus  ,  qui  prépare  l'ame  aux 
dons  les  plus  précieux  ,  et  qui  les  conserve  en  elle 
contre  les  artifices  de  ses  ennemis.  En  second  lieu , 
c'est  la  vue  de  ce  passé,  et  de  L'abus  qu'on  en  a  fait, 
qui  met  dans  un  si  grand' jour  à  nos  yeux  la  pa- 
tience ,  le  zèle  ,  la  bonté  de  notre  Dieu  ,  qu'il  n'est 
plus  en  notre  pouvoir  dé  ne  pas  l'aimer  ,  ou  de  ne 
l'aimer  que  froidementi  De  là  vient  encore  cette 
facilité  à  souffrir  avec  patience  les  plus  grands 
maux ,  parce  qu'on  sait  qu'on  les  a  mérités;  cette 
ferveur  à  pratiquer  le  bien,  pour  remplacer  celui 
qu'on  a  négligé  de  faire.  C'est  ainsi  qu'il  arrive 
souvent,  comme  Ta  remarqué  saint  Grégoire,  que 
notre  vie  est  d'autant  plus  sainte  qu'elle  a  été  quel- 
que temps  plus  déréglée;  Ainsi  les  derniers  venus 
passent  souvent  les  premiers  y  selon  le  mot  de 
l'Evangile;  ainsi  les  femmes  prostituées  devancent 
dans  le  royaume  de  Dieu  Ife&plus  réguliers  d'entre 
les  Pharisiens;  et  saint  Paul> après  avoir  persécuté 
les  Apôtres  ,  s'étant  enfin  joint  à  eux  ,  a  plus  tra- 
vaillé ,  et  par  conséquent  plus  mérité  que  tous  les 
autres.  C'est  l'exemple  qu'apporte  saint  Jérôme 
pour  confirmer  la  vérité  que  je  vous  prêche  :  Paulus 
Apostolas  de  persecutore  mutatus  ,  novissinuis  in 
ordine,  primas  in  meritis  est  j  quia,  extrenius  licèt, 
plus  omnibus  laboravit. 

Afin  que  vous  usiez  bien  du  temps  présent ,  ne 


DE  LA  Circoncision.  i5g 

pensez  pas  que  je  veuille  vous  exhorter  à  consa- 
crer tout  votre  temps  à  la  prière  ,■  et  à  la  pratique 
^es  bonnes  œuvres.  Non ,  cela  n'est  pas  nécessaire  ; 
on  ne  peut  s'empêcher  d'en  donner  une  partie  aux 
besoins  de  la  nature,  et  une  autre  aux  atîaires  tem- 
porelles où  nous  engagent  ces  mêmes  besoins.  Il 
suffit  que  les  bonnes  œuvres  et  la  prière  ne  soient 
point  exclues,  du  reste  il  est  aisé  de  mettre  à  pro- 
fit le  temps  même  des  occupations  les  plus  indiffé- 
rentes. Vous  n'ignorez  pas  que  les  actions  qu'exige 
de  nous  la  nature  pour  sa  propre  conservation  , 
celles  qui  sont  attachées-  à  l'état  et  aux  emplois 
même  civils  d'un,  chacun  ,  outre  les  fins  particu- 
lières qui  nous  y  engagent,  sont  encore  ordonnées 
par  la  Providence  ,  pour  une  fin  générale  et  sur- 
naturelle ,  qui  est  sa  gloire  et  notre  salut.  La  vue 
de  cette  fin  surnaturelle,  lorsque  nous  la  prenons 
pour  motif,  fait  changer  de  nature  à  tout  ce  que 
nous  faisons  ,  et  l'élève  à  un  ordre  divin  et  surna- 
turel :  de  sorte  que  pour  sanctifier  ce  qu'il  y  a 
de  plus  indifférent  dans  notre  vie  ,  il  ne  faut  que 
nous  considérer  en  tout  comme  les  sujets  de  la 
Providence  ,  et  qu'agir  pour  contribuer  à  l'exécu- 
tion de  ses  admirables  desseins.'      / 

Mais  pour  le  faire  de  bonne  foi  et  avec  con- 
stance ,  il  est  nécessaire  ,  si  je  ne  me  trompe,  que 
nous  réglions  notre  temps,  et  que  non-seulement 
nous  en  prenions  pour  chaque  chose  autant  qu'il 
faut ,  mais  encore  que  nous,  assignions  à  chaque 
chose  le  temps  qui  lui  est  le  plus  propre.  Qu'ar- 
rive-t-il  de  là  ,  Chrétiens  auditeurs  ?  Il  arrive  que 
la  journée  étant  une  fois  distribuée  avec  sagesse, 
on  n'agit  plus  que  pour  obéir  à  la  règle  que  l'on 
s'est  prescrite  en  vue  de  Dieu  ,  et  que  l'on  regarde 
comme  un  ordre  de  la  volonté  divine.  Le  temps, 
\a  manière  de  prendre  ses  repas  ,  tout  es^ soumis 
à  cette  règle  ;  la  décence  accompagne  les  action^ 
lejïplus  minces  ,  la  pureté  du  motif  les  relève  ;  si 
Ton  se  livre  au  sommeil ,  ce  n'est  plus  pour  céder 
à  l'attrait  de  la  nature  ,  qui  nous  invite  au  repos  f 


i6o  2.  Pour  le  Jour 

si  l'on  cherche  à  se  délasser  dans  une  honnête  re- 
création 5  ce  n'est  pas  simplement  par  le  plaisir 
qu'on  y  trouve  ;  si  l'on  vaque  aux  affaires  de  sa 
profession  ,  ce  n'est  ni  l'amour  du  bien,  ni  la  ten- 
dresse pour  des  enfans  qui  fait  aimer  ce  travail; 
tout  cela  se  fait  au  temps  convenable,  et  rien  dans 
tout  cela  ne  paraît  irrégulier. 

Au  contraire,  sans  le  secours  d'une  règle  sage, 
non-seulement  nous  perdrons  beaucoup  de  temps , 
mais  même  nous  courrons  risque  de  perdre  tout 
notre  temps.  Notre  volonté  propre  sera  le  motif 
de  nos  plus  saints  exercices  ,  et  ce  motif  est  ca- 
pable de  tout  corrompre.  Nous  irons  à  la  prière 
lorsque  nous  y  serons  portés  par  je  ne  sais  quelle 
ferveur  qui  la  rend  agréable  ;  nous  la  quitferons 
par  le  dégoût  qui  nous  y  surviendra..  Si  nous  sor- 
tons pour  faire  de  bonnes  œuvres ,  ce  ne  sera  que 
lorsque  nous  serons  ennuyés  de  la  solitude;  si 
nous  retournons  à  la  retraite,  ce  sera  lorsqu'une 
humeur  sombre  et  mélancolique  nous  y  rappellera. 
On  ira  au  Sacrement  de  la  réconciliation  ,  parce 
qu'il  s'en  offrira  une  occasion^ favorable  ;  on  ira  à 
la  sainte  table  ,  parce  qu'on  verra  que  les  autres 
y  vont.  MM.  ,  une  personne  réglée  n'agit  jamais 
que  par  le  motif  de  l'obéissance  et  d<i  la-  soumis- 
sion qu'elle  doit  à  Dieu  ;  comme  elle  fait  constam- 
ment les  mêmes  choses ,  en  quelque  disposition 
qu'elle  se  trouve,  on  ne  peut  dire  que  ce  soit  le 
caprice  ou  l'amour  propre  qui  la  conduit ,  elle  n'a 
pas  lieu  elle-même  de  se  défier  de  ses  intentions, 
elle  peut  s'assurer  que  dans  tout  ce  qu'elle  fait  elle 
a  le  bonheur  de  plaire  au  Seigneur  et  de  le  glori- 
fier. Que  des  jours  réglés  de  la  sorte  sont  des  jours 
fortunés  !  Qu'on  trouve  de  douceurs  au  bout  d'une 
année  composée  de  pareils  jours  !  Que  de  grâces, 
que  de  mérites  n'y  a-t-on  pas  recueillis  !  Dies  pleni 
invenientur  in  eis.  Ce  sont  là  sans  doute  des  jours 
pleins  ,  puisqu'il  n'y  a  pas  un  instant  de  vide  , 
pas  une  action  d'inutile. 

II  reste  à  dire  un  mot  de  l'avenir  ,  qu'on  peut 


DE  LA  Circoncision.  j6î 

posséder  en  quelque  sorte ,  q4i'on  peut  même  pro- 
longer par  divers  moyens  ,  quelque  court  qu'il 
doive  être  à  notre  égard.  Par  combien  de  voies  , 
mes  frères,  les  grands  ne  peuvent-ils  pas  faire 
passer  dans  l'avenir  le  plus  reculé  les  effets  de  leur 
charité  ?  Fondations  d'hôpitaux  et  de  monastères,' 
saints  établissemens  pour  l'éducation  de  la  jeu- 
nesse ,  et  pour  l'instruction  des  peuples  :  ce  se- 
raient autant  de  monumens  perpétuels  des  mérites 
des  riches. :r  Croyez  -  vous  que  les  auteurs  des^ 
pieux  livres  ne  recevront  pas  la  récompense  de 
leur  zèle  autant  de  siècles  que  leurs  livres  subsis- 
teront ,  et  qu'ils  contribueront  à  la  sanctification 
des  Fidèles  ?  On  tiendra  compte  à  ce  père  et  à  cette 
mère  ,  non- seulement  de  leurs  propres  années, "* 
mais  encore  des  années  qu'auront  vécu  des  cnfans 
qu'ils  auront  formés  à  la  crainte  et  à  l'amour  du 
Seigneur.  Outre  ces  moyens  particuliers  que  cha-j 
cun  peut  mettre  en  œuvre  pour  gagner  en  peu  de 
temps  le  mérite  d'une  longue  vie  ,  il  est  des 
moyens  commuas  :  le  premier,  c'est  de  se  donner 
à  Dieu  le  plutôt  qu'on  peut,  afin  de  faire  voir  le 
désir  qu'on  a  de  le  servir  long-temps  ;  différer  de 
jour  en  jour  de  se  dévouer  à  son  service  ,  c'est 
assez  témoigner  qu'on  souhaiterait  de  ne  se  rendre 
qu'à  l'extrémité.  Un  second  moyen,  c'est  de  n'ê- 
tre jamais  content  du  bien  qu'on  a  fait  ,  et  de 
tendre  sans  cesse  à  une  sainteté  plus  parfaite  ;  parce 
qu'une  vertu  qui  croît  toujours  fait  voir  qu'elle  est 
incapable  de  se  ralentir  ,  et  qu'elle  serait  éter- 
nelle si  la  vie  ne  finissait  point.  C'est  pour  celte 
raison  ,  dit  saint  Bernard  ,  que  le  sage  assure  que 
les  Saints  vivent  plusieurs  siècles  en  très-peu  d'an- 
nées :  Consammatusin  breviexplevit  tempora  mulia. 
Le  juste  ne  dit  jamais  ,  c'est  asspz  ;  il  est  toujours 
affamé  ,  toujours  altéré  de  la  justice  :  de  sorte  que 
s'ilvivait  toujours,  il  croîtrait  toujours  en  vertu. 
Jastus  nunqaam  dicit ,  salis  est  ;  ssd  semperesurit , 
silUquejustUiam  :  ita  ut  si  semper  viveret,  semper  , 
quantum  in  se  est ,  justior  esse  contenderet,' 


i6i  a.  Pour  le  Jour 

■^JEnfin  ,  MM.  ,  pour  accomplir  tout  d'un  ccmp- 
ce:' qui. ne  pourrait  être  que  le  fruit  d'une  long^uô 
y'iè'^  il  n'est  rien  de  plus  infaillible  qu'un  enga- 
geniènt  éternel  et  irrévocable,  tel  qu'est  celui' 
gu'on  s'impose  dans  le  cloître  par  des- vœux  solen- 
nel^ Les  gens  du  ■monde  peuvent  en  plusieurs 
manières  imiter  cette  sainte  générosité;  mais-isur- 
tout  en  se  déclarant  si  hautement  pour  la  vertu  , 
qu'il  ne^soit  plu*  en  leur  pouvoir  de  revenir-tiux 
plaisirsîet  aux  vanités  du  monde..  Cette  femme 
encore  engagée *'ans  le  siècle,* qui  depuis  huiftou 
quinze 'jours  is'offre  à  Dieu  tous  les  matins  pour 
le  reste  de  la  journée  ,  et  qui  fait  en  secret  bien 
des  'prièresa»^t,  des  aumônes  ,  recevrait  ,  si  elle 
raoupait  aujourd'hui ,  la  récompense  d'autant  de 
jours  qa!elle  en  a  passés  dans  les  exercices  chré- 
tiens. Mais  cette  autre  qui ,  sans  craindre  les  dis- 
cours du  monde  ,.  a  renoncé  tout  d'un  coup  aux 
attaches  qu'elle  y  avait,-qui  veut  bien  qu'on  re- 
connaisse à  la  modestie  de  ses  habits,  à  la  frugalité 
de  sa  table* jvïm  retranchement  de  son  train  ^  en[ 
un  mot)  à  sa  vie  exemplaire  et  retirée  ,  letîhan- 
geiîient  qui  s"*èst  fait  en  elle  ;  qui  par  cette  pro- 
fession publique  de  piété  se  ferme  tout  retour  S 
son  ancienne  façon  de  vivre  ;  à  cette  personne  « 
quand  Dieu  l'appellerait  dès  le  commencement  de 
cette  nouvelle  vie  ,  on  compterait  autant  d'année^ 
de  retraite  et  de  pénitence  qu'elle  aurait,,  vécu  si 
elle  était  parvenue  jusqu'au  plus  grand  age^  parce 
qu'elle^i  s'est  imposé  une  espèce  de  nécessité-' de 
vivre  saintement  jusqu'à  la  mort. 

.  Voilà,  MM.  3  comment  on  peut  se  rendre  ulîle,, 
el  prolonger  à  son  avantage  le  court  espace  de 
jourà  que  Dieu  nous  a  donnés  pour  gagner  Tétcr- 
nité;  C'est  1i  vous  de  prendre  vos  mesures  sur  Ce 
que  je  viens  de  vous  dire  ,  et  de  voir  quel  usa^ 
vous  prétendez  désormais  faire  de  votre  temps^^ 
d^  ce  temps  si  précieux^,  mais  si  rapide  ,  qui  s'en- 
fuît ,  qui  s'envole  ,'  et  qui  Jie  retourne  plus,  ^c- 
detejtaque  ,  fratres  /  quomodct  cautè  ambaleiis  , 


DE  LA  Circoncision.  i65 

non  quasi  insipientes  ,  sed  ut  sapientes  ,  redimenteS' 
tempus  ,  quoniam  dies  mali  sunt.  Agissez  en  ceci  , 
je  vous  en  conjure,  non  comme  des  enfans  ou  des 
insensés ,  qui  ayant  un  grand  trésor  entre  les  mains , 
le  donnent  pour  des  bagatelles  ,  cherchent  à  le 
dissiper  à  contre-temps,  à  le  prodiguer,  aie  ré- 
pandre. Imitez  ces  sages  du  siècle  qui  se  voyant 
maîtres  de  beaucoup  de  bien  ,  ne  se  contentent 
pas  de  le  conserver  avec  soin,  de  s'en  servir  pour- 
les  besoins  et  pour  les  commodités  de  la  vie,  mais 
encore  qui  travaillent  à  l'accroître  ,  à  le  multiplier 
par  des  voies  sûres  et  légitimes.  ' 

Non ,  non ,  j'espère  que  nous  prendrons  des  pen- 
sées plus  chrétieimes  et  plus  raisonnables  :  non- 
seulement  nous  profiterons  dé  tous  les  mompns 
de  cette  année  ,  mais  encore  nous  nous  engage- 
rons si  étroitement  à  servir  notre  Dieu  jusqu'à  la 
mort  ,  quetque  éloignée  qu'elle  puisse  être  ,  que 
quand  elle  serait  fort  proche  ,  nous  ne  laisserions 
pas  d'avoir  le  mérite  d'une  longue  vie.  Oui,  mon 
Dieu  ,  je  vous  consacre  aujourd'hui  en  présence 
du  Ciel  et  de  la  terre  tous  les  jours  que  je  vivrai. 
C'est  peut-être  vous  offrir  bien  peu  de  chose ,  parce- 
que  je  n'ai  peut-être  que  fort  peu  de  jours  à  vivre; 
mais  enfin  quel  qu'en  soit  le  nombre  ,  je  prétends 
donner  à  votre  service  tout  le  temps  que  je  rece- 
vrai de  vous.  Seigneur,  je  reconnais  que  je  suis 
indigne  que  mes  jours  soient  encore  prolongés  , 
vu  le  mauvais  usage  que  j'en  ai  fait  jusqu'ici;, 
néanmoins  j'espère  de  votre  miséricorde  que  vous 
ne  me  refuserez  pas  un  temps  que  je  vous  destine 
tout  entier  ^  vous  qui  m'en  avez  tant  accordé  ,  lors 
même  que  je  l'employais  contre  vous.  Le  monde 
ne  m'a  déjà  que  trop  emporté  de  cette  vie  ,  que  je 
ne  tenais  pas  de  lui  ,  et  que  vous  ne  m'aviez  pas 
donnée  pour  lui.  Hélas  !  il  y  a  bien  de  l'apparence 
qu'il  en  a  eu  la  plus  grande  partie  ,  et  il  est  cer- 
tain que  c'était  la  partie  la  plus  belle  et  la  plus 
précieuse.  Si  vous  daignez  ,  ô  Dieu  infiniment 
bon  5  si  vous  daignez  accepter  ce  qui  m'en  reste 


Y64   2.  Pour  LE  Jour  de  la  Circoncision. 

encore,  je  vous  jure  que  le  monde  n'y  aura  pics 
de  part  ,  et  que  je  vous  rendrai  un  compte  fidèle 
de  tous  les  momens.  Quand  je  serais  assuré  que  le 
nombre  de  mes  années  égalerait  cel^i  que  j'ai  déjà 
passé  sur  la  terre  ,  ce  que  personne  n'oserait  se 
promettre  ,  serait-ce  trop  ,  ô  mon  Créateur  ,  de 
vous  donner  la  moitié  d'une  vie  qui  vous  apparte- 
nait sans  réserve  ?  serait-ce  commenter  trop  tôt  ù 
vous  aimer  ,  vous  qui  avez  commencé  à  m'aimer 
avant  tous  les  siècles  ,  ou  plutôt  qui  n'avez  jamais 
cessé  de  m'aimer  ,  et  qui  ne  m'avez  mis  au  monde 
que  pour  vous  aimer?  -^T^' 
-.^  Adieu  désormais,  vains  entretiens  ,  vaines  pen- 
sées ;  adieu,  frivoles  occupations  ,  cruels  diverlis- 
semens  ,  qui  m'avez  ravi  des  heures  si  précieuses  ; 
je  renonce  pour  toujours  à  vos  charmes  perfides, 
j'ai  en  horreur  jusqu'à  votre  souvenir.  Comment 
pourrais-je  vous  aimer  après  les  pertes  de  temps 
que  vous  m'avez  causées  ,  et  le  péril  où  vous  m'a- 
vez mis  de  perdre  un  bonheur  éternel  ?  Non,  Sei- 
gneur, il  n'y  aura  plus  de  si  long  espace  de  temps 
ni  pour  le  sommeil ,  ni  pour  les  repas,  ni  pour  les 
visites  inutiles  ;  et  il  n'y  en  aura  point  de  tout  pour 
l'oisiveté.  Le  soin  de  conserver  et  d'orner  ce  corps 
mortel  et  terrestre  ne  m'emportera  désormais  de 
mon  temps  que  ce  que  je  ne  pourrailui  refuser.  Je 
vais  partager  chaque  jour  de  telle  sorte  que  la  nature 
n'aura  précisément  que  le  nécessaire  ,  le  monde  , 
que  ce  qui  est  d'un  indispensable  devoir  ;  et  cela 
même  ne  laissera  pas  d'être  tout  à  vous  ,  ô  mon 
Dieu  ,  à  qui  appartiennent  tous  les  temps  ,  et  de 
qui  nous  attendons  l'éternité  bienheureuse  ,  que 
je  vous  souhaite  au  nom  du  Père  ,  et  du  Fils ,  et 
du  Saint-Esprit.  Ainsi  soit-il. 


SERMON 

POUR    LE    JOUR 

D  E    L'EPIPHANIE. 


~Ubt  est ,  qui  natus  est ,  Eex  ? 

Où  est  le  Roi  qui  est  nouvellement  né  f  (  Slatth.  >.  ) 


J«}sus-Christ  en  ce  jour  fait  éclater  à  l'égard  des  Souve- 
rains une  autorité  souveraine  ,  en  faisant  plier  devant 
lui  les  Rois  ;  il  y  fait  paraître  une  puissance  souveraine , 
en  se  faisant  craindre  des  Rois  ;  il  y  monlrc  une 
majesté  souveraine,  en  se  faisant  respecter  des  mêmes 
Rqis. 

V^uEiLE  opposition  dans  les  idées  que  nous  don- 
nent du  Sauveur  le  mystère  de  ce  jour,  et  le  mys- 
tère de  sa  naissance  !  Vous  avez  encore  présentes 
à  l'esprit  celte  indigence ,  celte  solitude  où  il  se 
trouva  en  sortant  du  sein  de  Marie.  On  ne  vit  au- 
près de  lui  que  quelques  Bergers,  bien  plus  propres 
à  mellre  dans  tout  son  jour  son  humilialic^n  dans 
la  crèche,  qu'à  l'honorer  par  leurs  visites.  Tout  se 
passa  dans  l'obscurité  et  dans  le  silence  ,  et  nous 
nous  étonnâmes  de  voir  les  hommes  si  peu  em- 
pressés à  recevoir  ce  Messie  ,  qu'ils  allendaient 
depuis  tant  de  siècles.  Mais  si  nous  retournons 
aujourd'hui  à  Bethléem  ,  quel  changement  n'y 
trouverons-nous  pas  !  Toute  la  ville  peut  à  peine 
contenir  l'appareil  pompeux  des  équipages  ,  l'af- 
fluence  des  grands  du  monde  qui  viennent  adorer 
Jésus.  Onnevoirqu'or,  que  pourpre,  queparfum^ 


i66  1.  PoLR  LE  Jour 

dans  son  étable  :  au  lieu  des  Bergers  ce  sont  des 
Rois,  qui  se  prosternent  devant  lui,  et  qui  met- 
tent leurs  couronnes  à  ses  pieds.  Ces  Princes,  qui 
Tiennent  des  extrémités  de  l'Orient,  ont  répandu 
sur  toute  leur  route  la  nouvelle  qui  leur  a  fait  en- 
treprendre un  si  long  voyage  ,  ils  l'ont  publiée 
dans  Jérusalem  ,  ils  l'ont  portée  jusqu'au  palais 
d'Hérodes  ;  le  Tyran  en  est  alarmé  j  et  tremble 
déjà  sur  son  trône.  ■{ 

Voilà  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  le  mystère  que 
l'Eglise  célèbre  aujourd'hui.  Je  ne  sais  quelles 
pensées  votre  piété  vous  aura  suggérées  en  le  mé- 
ditant ;  pour  moi ,  il  me  semble  que  c'est  le  mys- 
tère de  la  royauté  de  Jésus  -  Christ,  comme  sa 
naissance  a  été  le  mystère  de  sa  pauvreté.  Je  vous 
fis  voir  le  jour  de  Noël  qull  était  né  pauvre  ,  et 
qu'il  semblait  être  seulement  le  Dieu  des  pauvres; 
mais  aujourd'hui  je  trauv€  qu'il  est  Roi  ,  et  qu'il 
est  même  le  Roi  des  Rois.  Je  produirai  les  raisons 
qui  m'obligent  à  lui  donner  cette  qualité  ,  après 
que  nous  aurons  salué  la  Reine  des  Anges  ,  et  que 
nous  lui  aurons  demandé  humblement  sa  protec- 
tion :  Ave  j  Maria, 

La  royauté  est  une  qualité  composée  de  plu- 
sieurs autres  ,  qui  peuvent  se  réduire  à  trois  prin- 
cipales. Elle  renferme  l'autorité,  qui  fuit  qu'on  lui 
obéit  ;  la  puissance  ,  qui  la  fait  redouter  ;  et  la 
m&jesté  ,  qui  lui  attire  le  respect  et  la  vénération 
des  hommes.  L'autorité  est  comme  la  base  et  le 
fondement  du  trône ,  la  puissance  lui  sert  d'appui , 
et  la  majesté  en  estl'orr^ement.  Or  de  tousles  Sou- 
verains qui  ont  jamais  régné  sur  la  terre,  on  ne 
peut  pas  douter  que  Jésus-Christ  n'ait  possédé  plus 
parfaitement  qu'aucun  d'eux  ces  royales  préroga- 
tives. Son  père  lui  avait  donné  sur  toutes  les  créa- 
tures l'autorité  infinie  qu'il  a  lui-même  sur  elles  , 
il  lui  avait  communiqué  sa  toute-puissance  en  lui 
faisant  part  de  sa  nature;  et  la  divinité  qui  habitait 
en  lui  corporellement ,  comme  parle  saint  Pierre , 


DE  l'Epiphanie.  167 

se  produisait  sur  son  visage  par  des  traits  si  augus- 
tes et  si  parlans  ,  qu'il  n'avait  qu'à  se  faire  voir 
pour  se  faire  respecter.  Mais  quoiqu'il  eût  tous  cas 
avantages  ,  quoique  ce  monde  visible  fût  une  pat- 
tie  de  son  royaume,  il  est  vrai  néanmoins  que  son 
régne  n'a  pas  été  de  ce  monde.  Il  n'a  voulu  régner 
sur  la  terre  que  par  le  mépris  de  toutes  les  gran- 
4eurs  terrestres  ;  et  quoique  dès  lors  il  fût  au- 
dessus  de  tous  les  Rois  par  sa  dignité,  il  s'était 
contenté  de  faire  voir  qu'il  était  au-dessus  de  la 
jroyauté  même  par  sa  vertu. 

L'Epiphanie ,  le  mystère  de  ce  jour,  a  été  Tuni- 
que où  il  ait  paru  ce  qu'il  était.  Il  a  fait  ce  que  le 
joleil  fait  quelquefois  aux  plus  tristes  jours  de  la 
saison  où  nous  sommes  ;  avant  que  de  s'ensevelir 
entièrement  dans  les  nuages  qui  le  doivent  couvrir 
jusqu'à  la  nuit ,  il  se  fait  voir  un  moment  à  son 
lever,  comme  pour  avertir  les  hommes  qu'il  com- 
mence sa  carrière  ,  et  que  s'il  n'est  pas  visible  le 
jreste  du  jour  ,  il  ne  laissera  pas  d'être  présent.  Il 
est  certain  ,  mes  frères,  qu'aujourd'hui  Jésus  a 
montré  dans  tout  leur  éclat  tous  les  rayons  de  sa 
gloire  ,  pour  donner  une  preuve  inconstestable 
qu'il  est  le  Roi  de  tous  les  hommes  ;  il  a  fait  con- 
naître qu'il  étaitle  Roi  des  Rois  mêmes.  Oui,  MM. , 
c'est  à  l'égard  des  Souverains  que  Jésus  met  dans 
tout  son  jour  toute  la  supériorité  d'une  autorité 
souveraine  ,  d'une  puissance  souveraine  ,  d'une 
majesté  souveraine  :  je  vais  vous  le  montrer  dans 
les  trois  parties  de  ce  discours ,  en  vous  faisant 
voir  dans  la  première  comment  il  rend  dociles  à 
ses  ordres  les  Rois  ;  dans  la  seconde  ,  comment  il 
se  fait  craindre  des  Rois;  dans  la  troisième  ,  com- 
ment il  se  fait  respecter  des  mêmes  Rois.  Il  se  fait 
obéir  au  moindre  signe  de  sa  volonté,  il  fait  craîn-r 
dre  jusqu'à  son  nom  ,  il  n'a  qu'à  se  faire  voir 
pour  se  faire  respecter.  Deux  mots  et  quelques 
réflexions  sur  chaque  point ,  voilà  tout  le  sujet  de 
ce  discours. 


i63  I.  Pour  le  Joua 

PREMIER    POINT. 

S'il  est  vrai ,  comme  c'est  l'opinion  comtmine 
de  tous  les  Fidèles  ,  appuyée  de  l'autorité  de  saint 
Augustin  et  de  saint  Léon;  s'il  est  vrai  que  les  Ma- 
ges arrivèrent  à  Bethléem  treize  jours  après  la 
naissance  du  Sauveur  du  monde ,  on  ne  peut  pas 
jouter  qu'ils  ne  fussent  partis  de  l'Arabie,  où  i!s 
régnaient,  aussitôt  qu'ils  eurent  découvert  la  nou- 
velle étoile  :  un  si  long  voyage  ne  s'est  pu  faire  en 
si  peu  de  jours  sans  qu'ils  aient  usé  d'une  diligence 
extrême.  Aussi  disent-ils  eux-mêmes  qu'ils  n*ont 
pas  différé  d'un  moment  leur  départ.  Ecce  vidimus 
siellam  ejus  in  Oriente  ,  et  veninius  :  Nous  n'avons 
pas  plutôt  aperçu  l'étoile  ,  que  nous  nous  sommes 
mis  en  chemin  ;  nous  avons  vu  ,  et  nous  avons 
obéi,  il  n'y  a  pas  eu  un  seul  instant  de  délai;  à 
peine  l'ordre  était  donné  pour  partir ,' que  nous 
l'avons  exécuté  :  Vidimus  ,  et  venimus.  ■ 

En  effet  l'étoile  elle-même  ,  quoique  portée  par 
nn  Ange  au  milieu  de  l'air  ,  ne  devança  que  de 
bien  peu  de  temps  leur  marche  :  Et  ecce  Stella  , 
quarn  viderant  in  Oriente ,  antecedebat  eos.  Peut- 
êîre  l'auraient- ils  devancée  elle-même  ,  sans  le 
séjour  qu'ils  furent  obligés  de  faire  à  Jérusalem  , 
pour  s'informer  du  lieu  où  Jésus-Christ  était  né. 
Je  sais  que  cette  étoile  hâte  ou  retarde  son  mou- 
vement au  gré  des  Mageg  qu'elle  conduit  :  Tempe- 
rat  gradum  ,  di  t  saint  Augustin,  donec  Magos  per- 
ducat  ad  Puerum  :  mais  je  sais  aussi  qu'elle  était 
une  figure  de  la  grâce  ,  qui  ,  comme  dit  saint  Ber- 
nard, est  ennemie  du  retardement  et  de  la  lenteur; 
en  sorte  que  si  elle  avait  égard  à  leur  faiblesse,  elle 
n'aurait  pas  néanmoins  favorisé  leur  négligence. 
D'où  je  conclus  que  leur  obéissance  ne  peut  avoir 
été  plus  prompte ,  puisqu'elle  a  suivi  de  si  près 
l'obéissance  de  rAni::e  qui  leur  servait  de  guide, 
puisqu'elle  a  en  effet  répondu  au  désir  qu'ava'it 
Jé^us-Chrîst  de  recevoir  leurs  hommages. 

Or  cela  est  d'autant  plus  admirable  ,  que  cet 


DE  L'ÉpirnAME.  '169 

'■aàfre  ,  nprès  s*èlrc  fait  voir  aux  Mnges  dnns'leur 
pays  ,  fut  caché  durant  tout  le  clicmin  ,  jusqu'à  ce 
qu'ils  furent  assez  près  de  Belldéeni.  C'est  la  pen- 
sée de  saint  Jean  Clirjsostôme  ,  et  TEvangile  ne 
permet  pas,  ce  me  seinhlc,  d'en  douter.  Vidimus 
stellain  ejus  tn  Oriente  :  Nous  avons  vu  son  étoile 
en  Orient,  disent-ils  au  Roi  Hérodss  ;  et  un  peu 
■âprè.s  i'Evangélistc  dit  lui-ir.Cme  :  Et  erce  sic/la, 
'^Kjuam  vider  an  t  in  Oriente,  anlecedcbut  eos  :  Ils  re- 
firent toul-à-coup  l'étoile  qui  s'élait  Jiionlrée  t\ 
-eux  en  Orient;  ce  qui  prouve  qu'elle  avait  disparu 
•depuis  qu'ils  en  étaient  sortis.  C'est  pour  cette 
raison  que  la  revoyant  en  quittant  Jérusalem  ,  il* 
conçurent  une  joie,  que  saint  Mallliieu  ne  peut 
assez  énergiqueinent  exprimer:  Gavisi  sanl  gitudh 
magno  valdè  :  Ils  furent  tout  transportés  de  joie  : 
ce  qui  ne  serait  pas  arrivé  si  leur  surprise^n'efit  été 
-extrême  ,  s'ils  n'eussent  revu  crtte  étoile  après  de 
longues  ténèbres  ,  et  lorsqu'ils  ne  s'y  attendaient 
plus.  Il  plut  i\  Dieu  dkn  user  ainsi  pour  mellie 
leur  obéissance  à  une  plus  rude  épreuve.  S'ils  n'a- 
vaient jamais  perdu  de  vue  cette  lumière,  si  elle 
avait  toujours  marché  devant  eux  ,  elle  aurait  dis- 
sipe tous  les  doutes  dont  il  y  a  apparence  (prils 
furent  souvent  combattus  durant  un  silon^  vo^'age. 
Ce  miracle  continuel,  en  soutenant  leur  foi,  eo 
entretenant  la  ferveur  qu'il  leur  avait  d'abord  ins- 
pirée ,  n'eût  pour  ainsi  dire  rien  laissé  faire  aux 
mouvem^ns  généreux  de  leur  cœur;  mais  le  nou- 
veau l\oi  exigeait  d'eux  une  soumission  aveugle 
et  pénible  ;  il  voulait  par  la  souslraclion  de  ce 
-secours  extérieur  donner  lieu  au  combat  qui  s'éleva 
bans  doute  dans  leur  esprit  entre  le  désir  d'obéir  , 
et  la  crainte  de  s'élrc  trompés  ,  entre  les  motifs  et 
les  di(Ticullés  de  l'obéissance. 

^JMais  dites-moi  ,  je  vous  prie  ,  comment  xes 
llois  ont  appris  la  volonté  de  leur  nouveau  maîtrtf. 
Je  sais  ce  que  dit  saint  Augustin,  que  cette  étoile 
était  coiuîne  le  langage  du  Ciel  ,  qui  annonçai^ 
pacson  écjut  exlraorJiualrc  le  miracle  d'un  enfant 


r^o  I.   Pour  le  Jour» 

né  rrune  Vierge  :  Mlrifica  llngua  Cœli ,  quœ  îrtU" 
sitotum  Firginis  paj'tum  inusitaio  fulgore  clamarct. 
M.M>  après  tout  c'était  un  langage  muet  ;  quelque 
brillante  qœ  fût  cette  étoile  ,  elle  était  un  signe 
assez  obscur  de  la  naissance  du  Sauveur  ,  et  plus 
obscur  encore  de  la  volonté  de  Dieu  ,  qui  les  ap^ 
pelait  à  Bethléem.  Il  aurait  bien  pu  leur  envoyer 
par  im  Ange  un  ordre  exprès  de  se  rendre  au  ber- 
ceau du  nouvel  enfant  :  ce  fut  ainsi  qu'il  en  usa 
avec  les  Bergers.  Le  rang  que  les  Mages  tiennent 
dans  le  monde  ,  et  d'ailleurs  la  difTiculté  du  coni-' 
mandement  semblai*^  exiger  quelque  chose  de  pla5 
précis  et  de  plus  formel  qu'un  signe  de  celle  na- 
ture :  mais  le  Sauveur,  qui  s'est  rendu  semblable 
aux  pauvres  ,  veut  traiter  les  Bergers  comme  ses 
frèies  ;  et  pour  les  Rois  ,  dont  il  est  venu  fouler 
aux  pieds  le  faste  et  l'orgueil  ,  il  lui  plaît  d'agir  en 
Pioi  avec  eux  ,  et  c'est  assez  pour  eux  qu'une  nou- 
.vclle  étoile  leur  indiquede  nouveau  Monarque  qui 
leur  est  né.  S'il  .est  vrai  ,  comme  quelques  Au- 
teurs Tont  cru  ,  que  cet  aslre  avait  une  queue 
comme  les  comètes  ,  et  qu'il  la  tournait  du  côté 
delà  Judée,  il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  leur 
faire  entendre  que  le  nouveau  Roi  les  attendait 
dans  une  ville  de  ce  royaume  ,  et  que  c'était 
de  ce  côté-là  qu'ils  se  devaient  hâter  de  prendre 
leur  route.  Du  reste  il  vaut  mieux  hasarder  un 
voyage  long  et  pénible  ,  que  de  se  mettre  eu  dan- 
ger de  désobéir  à  son  Souverain.  Peut-être  ne 
demanJe-t-il  pas  d'eux  une  aussi  forte  preuve  de 
leur  soumission  ,  mais  peut-être  la  demande-t-il 
aussi  :  il  ne  faut  pas  que  dans  le  doute  un  sujet  fi- 
dèle hésite  à  prendre  le  parti  qui  ne  peut  que  plaire 
à  bon  maître ,  quelque  difliculté  qu'il  y  trouve. 

N'admirez-vous  pas  ici  ,  Chrétiens  auditeurs  y 
la  docilité  de  ces  trois  Rois  ?  Si  Jésus  -  Christ  se 
comporte  en  maître  à  leur  égard  ,  ne  s'acquillent- 
ils  pas  envers  lui  de  leur  devoir  en  sujets  zélés? 
Ou  se  contente  d'un  signe  assez  ambigu  pour  leur 
commander  .  ils  n'attendent  rien  de  plus  formel 


DE  L*EririiAiMiî.  17 J 

;'pcrtJr  obéir.  Ils  ne  manquaient  p:!S  de  prétexie» 
pour  colorer  le  r(;rns  qu'îh  auraient  t'ait  de  quit- 
ter leurs  Etats,  et  d'entrer  dans  nn  royaume  étran- 
ge? :  mais  loin  de  penser  à  se  former  de  vaincs 
difTïcultés,  ils  ne  pensent  qu'aux  moyens  de A'ain- 
crcles  obstacles  les  plus  réels  ,  les  plus  invincibles. 
Allez  ,  grands  Rois  ,  Princes  vraiment  dignes 
de' commander  à  tonte  la  terre  ,  puisque  vous  sa- 
vez si  bien  obéir;  allez  rendre  vos  hommages  à 
l'enfant  qui  vous  appelle  :  vous  né  ferez  rien  d'in- 
digne de  votre  rang  ,  en  lui  faisant  offre  de  vos 
services  ',  puisque  c'est  régner  que  de  le  servir. 
Allez  /'"encore  une  fois  ;  le  seul  plaisir  de  le  voir 
vous'  récompensera  avantageusement  de  vos  pei- 
nes, et  cependant  ce  plaisir  ne  sera  p«is  votre  seule 
récompense.' A  quel  comWc  de  grandeur  n'allez- 
vous  pas  être  élevés  ,  pour  avoir  adoré  les  divins 
abaissemens  de  Jésus  ?  Tous  les  royaumes  du 
jihonde  lui  appartiennent ,  et  il  suffit  de  dire  qu'il 
vous  fera  asseoir  sur  son  trône  ,  qu'il  vous  asso- 
ciera^ à  son  empire  ;  vous  deviendrez  un  jour  ses 
Apôtres ,  et  par  conséquent  les  Juges  de  l'univers-; 
^cjl  la  mort  ,  qui  renverse  toutes  les  couronnes  , 
ajoutera,  aux  vôtres  une  couronne, plus  brillante, 
la  couronne  du  martyre. 

"Avouons  cependant  que  Jésus-Christ  a  peu  de 
sujets  aussi  soumis  que  les  Mages.  Il  esl  étrange 
qiie  de  tant  de  Gentils  qui  ont  vu  la  même  étoile, 
ils  aient  été  les  seuls  qui  aient  obéi  ;  mais  il  est 
h\\;n  plus  étr.mge  que  de  tant  d'étoiles  qui  nous 
'apparaissent  tous  ks  jours  ,  aucune  ne  soit  capa- 
Llo  de  nous  porter  à  imiter  leur  obéissance.  J'ap- 
pelle étoile  ,  avec  les  saints  Pères,  toute  inspira- 
tion qui  nous  invite  à  craindre  ou  à  aimer  Dieu. 
Combien  enavcz-vous  déjà  eu  de  ces  inspirations^ 
Sans  parler  des  pieux  mouvemcns  que  Dieu  vous 
iipnne  ,  soit  dans  la  prospérité  ,  soit  dans  les  dis- 
grâces qui  vous  arrivent,  combien  de  Prédicaîeurs 
inspirés  de  Dieu  vous  ont  marqué  précisérneut  co 
que  vou:j  devez  faire  pour  répondre  à  54i<j  vuei? 


1^72  I*  Pour  le  Jour 

Le  Ministre  dans  le  sein  de  qui  tous  déposez  les 
secrets  de  voire  conscience  ne  tous  le  dit-il  ja- 
mais ?  Et  quand  il  ne  vous  le  dirait  pas  ,  pouvez- 
vous  ne  pas  entendre  la  voix  de  Dieu  même  qui 
vous  parle  au  fond  de  l'ame  ?  pouvez-vous  ne  vous 
entendre  pas  vous-mêmes  ?  car  ,  comme  l'assure 
saint  Grégoire  le  grand  ,  Dieu  se  sert  quelquefois 
de  nous-mêmes  pour  nous  appeler  nous-mêmes  à. 
lui  :  Vocal  pcr  A postolos ^  vocat  per  Paslores  ^  vocat 
etlam  per  nos.  En  effet  vous  vous  êtes  dit  mille  fois 
A  vous-mêmes  de  la  part  de  Dieu  tout  ce  que  Dieu 
demande  de  vous  :  TNon  sans  doute  fefie. vis  point 
en  véritable  Chrétien  ,   on  dirait  que  je  suis  au 
monde  pour  une  éternité  ,  ou  que  je  n'y  suis  pas 
pour  gagner  l'éternité.  Certainement  je  fais  trop 
de  dépenses  inutiles  ,  et  je  ne  fais  pas  assez  d'au- 
luônes.   Il  serait  temps  que   je  me  retirasse  du 
monde  ,  pour  m'oçcuper  uniquement  de  mon  sa- 
lut ;  si  je  n'y  prends  garde,  la  mort  me  surprendra 
au  milieu  de  mille  amusemens  frivoles  ,  ou  dans 
l'embarras  de  mille  affaires.  On  a  beau  me  dire  que 
je  n'olï'ense  pas  Dieu  ,  en  donnant  les  jours  entiers 
au  jeu  ,  aux  vains  discours,  aux  plaisirs  de  la  ta- 
ble ,  aux  divertissemens  du  siècle  ;  j«  sens  bien 
fjue  je  lui  plairais  davantage ,  si  je  voulais  fx\ire  uu 
n^eiilcur  usage  de  mon  loisir.  J'ai  trop  d'ardeur 
pour  le  gain  ,  trop  d'attache  à  la  vanilé.  Je  n'ai 
point  de  véritable  amour  pour  mon  prochain;  et 
quoi  que  j'en  puisse  dire  ,  ce  que  je  sens  contre 
ceux  qui  m'ont  offensé  ressemble  beaucoup  à  une 
véritable  haine.  Que  je  suis  éloigné  de  la  perfec- 
tion du  Christianisme  !  Puis-^je  dire  que  je  marché 
dans  celte  voie  étroite  qui  conduit  au  Ciel  ,  moi 
qui  ne  me  refuse  rien  à  moi-mêm«  ,  moi  qui  n'ai 
aucuiïe  atlcnlion  à  réprimer  dans  mon  cœur  les 
mouvcmens  de  la  colère  ,   à  étouffer  l'amour  du 
j)lai5ir  et  le  désir  des  richesses  ?  Cependant  Dieu 
demande  de  moi  ce  soin  ;  il  y  a  long-temps  qu'il 
^mc  presse ,  el  sa  voix  se  rond  sensible  ù  mon  ame;; 


DE    l'EpjPHANIE.  1^5 

P'ocai  el'iam  per  nos.  Voilà  ce  que  nous  nous  disons 
touslcs  jours. 

Que  dirons-nous  dorfc,  MM. ,  lorsque  Dieu  noua 
reprocherrv  noire  désobéissance  ,  qu'il  nous  pren- 
dra nous-mêmes  à  témoin  contre  nous-mêmes  , 
qu'il  nous  produira  nos  propres  pensées  dont  il  se 
sera  servi  pour  nous  inlimer  ses  intentions  ?  Le 
mépris  i|ue  nous  faisons  de  ces  pens'''es  pour  nous 
livrer  an  torrent  du  monde  qui  nous  entraîne,  aux 
fougues  des  passions  qui  nous  aveuglent  ;  ce  mé- 
pris semble  aujourd'hui  n'être  rien  :  ma^s  croyez^ 
moi  ,  on  en  juge  tout  autrement  à  la  mort.  On  a 
one  extrême  confusion  d'aller  paraître  devant 
Jésus-Christ ,  après  avoir  fait  si  peir  de  cas  de  ses 
conseils  ,  après  lui  avoir  si  opiniâtrement  refusé 
des  sacrifices  qu'il  nous  a  d'amandes  avec  tant  de 
douceur  et  tant  d'instance  ;  il  faudrait  porter  bien 
loin  la  hardiesse  pour  oser  après  cela  lui  demander 
à  lui-même  une  place  dans  sa  gloire. 

vMais  suivons  nos  Mages  à  Jérusalem  ,  et  voyons 
les  effets  de  la  puissance  du  nouveau  Roi  ,  dont  le 
seul  nom  fait  trembler  jusque  sur  le  trône  un  des 
plus  grands  Monarques  du  monde.  C'estmon  se- 
cond point, 

SÊ'CiOND^  POINT. 

Je  ne  sais  si  dans  ce  que  je  vais  dire  il  y  a  lien 
d'admirer  davantage  ,  ou  ces  Princes  étrangers , 
ou  le  Roi  Hérodes  ;  ou  la  résolution  que  ceux-là 
firent  paraître  en  demandant  au  Roi  même  de  la 
Judée  où  était  né  le  Roi  des  Juifs  ,  ou  la  crainte 
dont  celui-ci  fut  saisi  à  une  question  si  peu^tlen- 
due;:-Xes  IMages  ne  pouvaient  pas  ignorer  quel  était 
le  caractère  d'IIérodes,  il  était  connu  par  toute  la 
terre,  et  par  ses  grandes  actions,  et  par  ses  grands 
crimes.  11  avait  usurpé  le  trône  sur  lequel  il  était 
assis  ;  et  après  s'en  être  ouvert  le  chemin  par  ses 
fourberies,  il  avait  rempli  de  meurtres  sa  propre 
maison,  de  peur  qu'on  ne  lui  enlevât  un  jour  ce 
qu'il  avait  lui-même  ravi  à  d'autres.  Déjà  le  père  , 


f54  ï-   Pour  le  Jour 

fa  mèVe  ,  îe  cousin  de  son  épouse  ,  Princes  â  qui' 

lé  royaume  appartenait  ,  étaient  devenus  les  vie- 
tiii'ÏCs  de  sa  jalouse  fureur.  La  naissance  illustre  dû 
Marîamne  ,  sa  beauté  incomparal)le  ,  sa  vertu  su- 
périeure à  sa  beauté,  ne  l'avaient  pu  sauver  de  la 
cruauté  de  ce  mari  ambilieux  ;  il  la  fit  mourir, 
Quoique  l'amour  qu'il  avait  pour  elle  fût  à  un  point, 
que  les  Historiens  assurent  qu'on  ne  vit  jamais 
d'exemple  d'une  passion  si  vive.  Il  n'avait  pas  plus 
épargné  le  sang  des  enfans  qu'il  avait  eus  de  cette 
Princesse  vertueuse ,  de  peur  qu'ils  n'aspirassent 
ùu  trône  en  vertu  du  droit  de  leur  mère.  Voila 
quel  est  le  t^Tan  à  qui  nos  Rois  viennent  deman- 
der des  nouvelles  du  Roi  légitime  de  la  Judée. 
Voilà  quel  est  l'bomme  à  qui  ils  viennent  appren- 
dre que  le  Ciel  s'est  déclaré  pour  un  autre  Prince. 
C'est  dans  la  ville  capitale  d'Hérodes  ,  c'est  dans 
son  propre  palais,  qu'ils  osent  publier  la  naissance 
de  ce  nouveau  Roi ,  et  déclarer  qu'ils  sont  venus - 
exprès  du  fond  de  l'Orient  pour  lui  rendre  les  hon- 
neurs qui  lui  sont  dus.  Cette  intrépidité  n'est-elle 
pas  une  preuve  frappante  du  pouvoir  de  Jésus 
naissant  ;  et  par-là  ne  conçoit-on  pas  qu'on  ne 
hasarde  rien  en  se  déclarant  pour  lui  ,  puisqu'il 
fait  trouver  une  sûreté  entière  ù  ses  sujets  ju.>que 
dans  la  cour  d'un  si  méchant  Prince  ?  '^' 

Opposez  maintenant  à  cette  assurance  la  fai- 
hlessc  d'Hérodes,  que  ses  gardes,  que  ses  immen- 
ses richesses  ,  que  la  réputation  et  les  armes  des 
Romains  qui  le  favorisent,  ne  peuvent  rassurer 
contre  la  crainte  qu'il  a  conçue.  Àadiens  autem 
Ilcrodcs  Rca;,  iurbalus  est  :  Il  fut  saisi 'de  frajcur 
dès  qu'il  entendit  nommer  le  Roi  des  Juifs  :  et  si 
l'on  en  doit  juger  par  les  effets  ,  celte  frayeur  fut 
extrême  ;  car,  sans  parler  du  trouble  qu'elle  causa 
à  ce  vieux  eerpent  qui  s'était  sauvé  des  plus  grands 
périls  par  ses  ruses  ,  vo^^ez  à  quelles  extrémités 
elle  le  porta.  Hérodes  ,  mes  frères  ,  jure  la  mort 
du  nouveau  Roi ,  et  a  recours  à  la  perfidie  pour  le 
perdre^  coiuinc  s'il  désespérait  de  pouvoir  l'accabler 


DE  l'Epiphanie.  176 

à  force  ouverte.  Il  assemble  les  Docteurs  de  la  loi , 
dit  l'Evangile,  il  demande  où  l'on  pourra  trouver 
Jésus-Christ  ;  et  ayant-  appris  que  les  Prophètes 
avaient  marqué  lëlieu<le  sa  naissance  à  Bethléem, 
il  y  envoie  les  Mages  ,  illcs  charge  de  l'aire  les 
plus  exactes  recherches ,  et  de  lui  donner  avis  de 
leurs  découvertes;  il  feint  qu'il  est  lui-même  dans 
le  dessein  d'aller  à  son  tour  rendre  hommage  au 
nouvel  entant.  Mais  d'où  vient  que  sachant  où  il 
était  né  ,  sous  prétexte  d'aller  l'adorer  et  d'accom- 
pagner ces  trois  Princes,  il  ne  va  pas  exécuter  lui- 
même  le  projet  barbare  qu'il  a  formé  ?  Pourquoi 
se  fier  à  des  inconnus  ,  qui  avaient  pu  remarquer 
son  trouble,  qui  connaissaient  son  humeur  ambi- 
tieuse et  sanguinaire  ,  et  qui  en  effet  le  trompè- 
rent ?  Pourquoi  différer  l'exécution  d'un  dessein 
qui  était  si  important  pour  le  repos  de  sa  vie  ? 
Combien  d'inquiétudes,  combien  de  meurtres  se 
serait-il  épargnés  ,  s'il  avait  embrassé  ce  parti  ? 
N'était-il  pas  le  plus  court  et  le  plus  sûr  ?  Oui , 
MM. ,  il  l'était  sans  doute  ;  mais  Hérodes,  s'il  va 
â^vec  les  Mages,  craint  de  trouver  l'enfant  dont  la 
naissance  l'a  alarmé  :  il  sent  que  cet  enfant  est  son 
maître  ,  son  cœur  le  lui  a  dit  aussitôt  qu'il  l'a  ouï 
nommer,  et  il  ne  se  croit  pas  assez  fort  pour  sou- 
tenir la  présence  d'un  Roi  dont  le  seul  nom  l'a  fait 
trembler. 

Puisqu'il  s'était  informé  avec  tant  de  soin  du 
temps  que  l'étoile  avait  commencé  à  paraître  : 
Clam  vocalis  M  agis  ,  ditigenter  didicit  ab  eis  tempus 
stellœ  :  et  d'ailleurs  ayant  su  ,  comme  on  le  croit, 
le  jour  que  Jésus  avait  été  présenté  au  temple  ,  il 
ne  pouvait  ignorer  son  ûge.  Pourquoi  donc  immo- 
ler à  sa  défiance  tous  les  enfans  qui  avaient  deux 
ans  ,  ou  moins  de  deux  ans  ?  C'est  que  la  crainte  , 
lorsqu'elle  est  à  son  comble  ,  ne  raisonne  plus  ,  nç 
croit  jamais  avoir  assez  pris  de  précautions,  et  se 
livre  à  la  défiance  où  même  il  n'y  a  rien  à  crain- 
dre. Ce  fut  l'excès  de  cette  crainte  qui  porta  Hé- 
rodc9  4  ordunuçr  le  massacre  d'un  si  grand  nombre 


170  I.    Poun    LE    JOOR 

d'enfans  ,  de  peur  que  celui  qui  faisait  le  Sujet  d& 
son  inquiétude  ue  lui  écliappût.  Car  si  la  trainfè 
lui\  cCit  laissé  la  réflexion  ,  n'aurail-il  pas  pengô 
qu'un  enfant  dont  le-  Ciel  avait  annoncé  la  nais^- 
sance  par  uiïti  étoile  miraculeuse  ,'  dont  teus  les 
Prophètes  avaient  prédit  la  grandeur,  tt  qu'enfin 
iàn  enfant  qui  avait  été  promis  aux  Juifs  par  ce 
même  Dieu  qui  avait  dompté  Pharaon  et  toute 
l'Egypte  5  ne  serait  pas  exposé  aux  atteintes  de  sa 
cruauté  ,  et  que  lui-même  il  devait  plutôt  pçnser 
à  mériter  ses  bonites  grâces  ,  qu'à  le  persécuter 
dc5  son  berceau  ? 

Quoi,  Hérodes  ,  vous  vous  armez  contre  le 
Ciel  ,  contre  le  Dieu  des  armées  !  Vous  prétende» 
renverser  les  dcï^seins  du  Tout-puissant,  et  ren- 
dre vaincs  toutes  ses  promesses  !  Les  Prophètes 
auront  dit  vrai  dans  la  prédiction  qu'ils  ont  faite- 
de  là  naissance  du  31essie  ,  et  vous  ferez  trouver 
fiîux  tout  ce  qu'ils  ont  prédil  de  sa  vie  et  de  ses- 
miracles  !  Vous  ferez  échouer  les  projets  du  Très- 
Haut  à  sa  confusion  ,  et  votre  politique  l'emportera 
sur  sa  providence  !  Hérodes  eût  fait  toutes  ces  ré- 
flexions, s'il  eût  été  à  lui-même,  car  du  reste  iln'v 
avait  pas  au  monde  de  Prince  plus  éclairé  ;  mais  la 
crainte  a  troublé  l'usage  de  ses  sens  ,  et  on  ne  doit 
plus  attenche  de  lui  que  des  actions  d'insensé.  Ce 
qui  est  encore  plus  étrange  ,  c'est  qu'un  carnage 
si  horrible  n'a  point  encore  calmé  son  esprit  ;  sa 
fureur  voudrait  porter  dans  tous  les  Etats  la  même 
désolation  qu'elle  a  portée  dans  les  siens  ,  il  croit 
voir  l'objet  de  ses  alarmes  dans  son  propre  fils  ;  el 
nous  lisons  dans  un  Historien  païen,  qu'il  sacrifia 
lui-même  ce  fds  innocent  aux  soupçons  qui  lui  en 
avaient  fait  égorger  tant  d'autres. 
•""Quel  prodige  qu'un  enfant  de  six  jours  ait  jus- 
que-là jeté  le  trouble  dan^  l'esprit  d'un  des  plus 
habiles  et  des  plus  puissans  Monarques  de  l'Asie! 
Encore  si  cet  enfant  était  né  dans  la  pourpre  ,  et 
ail  milieu  d'une  armée  dévouée  à  son  service  ;  mais 
it>t?5t  no^dt^oâ  .une  cfèçhç  3  et  pa§  un  çourliban  ne 


DE  l'Epiphanie.  l'^j' 

s'empresse  à  servir  sa  personne  royale.  Il  est  yrai 
qu'il  a  un  air  de  puissance  sur  le  front  et  dans 
les  yeux  capable  de  perler  la  terreur  dans  l'ame 
dij  tyran  ;  mais  Ih-rodes  ne  Ta  pas  vu  ,  il  l'a  seu- 
lement ouï  nommer.  C'est  assez  ,  tout  sujel  fidèle 
doit  respecter  jnsqu-'au  nom  de  son  maître  .  et 
tout  sujet  rebelle  doit  trembler  à  ce  mOme  nom. 
Dès  l'instant  que  le  Roi  des  Rois  est  né  ,  tous  les 
Princes  ont  im  Souverain  ,  et  tous  les  mauvais 
Princes  un  Juf^e;  et  par  conséquent  tous  les  Prin- 
ces doiventcommeneer  à  s'humilier,  et  les  mauvais 
Princes  à  frémir. 

Si  Jésus  au  berceau  fait  déjà  trembler  les  plus 
grands  Mofiùrq^ues  ,  combien  paraîtra-t-il  terrible 
à  loul  le  monde  ,  lorsqu'il  sera  sur  le  trône  ?  Cette 
réflexion  est  de  saint  Augustin  ,  dans  un  setmon 
qu'il  a  fait  sur  ce  mystère.  Qiiid  erit  tribunal  judi- 
cantis  ,  quando  superhos  Reges  cuna  icrrehat  in  fan- 
Us  ?  Jésus-Christ  est  peu  aimé  dans  le  monde  ;  je 
ue  m'en  étonne  pas  ;  je  vois  que  les  hommes ,  pour 
la  plupart  «  n'ont  d'amour  que  pour  eux-mêmes: 
mais  je  ru'étonne  qu'étant  si  susceptibles  de  toutes 
soi  tes  de  craintes ,  il  n'y  ait  que  Dieu  seul  qu'ils 
ne  craignent  pas.  Cependant  il  est  très-vrai  que 
lui  seul  est  redoutable  ;  car  en  quel  peuvent  me 
nuire  toutes  les  puissances  de  l'univers  ,  si  je  suis 
sous  la  protection  du  Seigneur  ?  et  si  le  Seigneur 
me  poursuit  dans  sa  colère,  quelle  pui«^sance  peut 
me  mettre  à  couvert  de  la  sienne  ?  Les  hommes 
peuvent-ils  me  faire  quelque  mal  qui  ne  devienne, 
si  je  le  veux  ,  un  bion  pour  moi  ?  quels  biens  peu- 
yent-ils  m'ôter ,  qu'il  ne  me  soit  avantageux  de 
perdre  pour  Dieu  ,  et  dont  à  ses  yeux  la  privation 
ne  m'enrichisse  ?  Quelque  disgrâce  qui  m'arrive , 
si  je  sauve  mon  ame  ,  rien  n'est  perdu.  Or  mon 
ame  u'est  exposée  ni  à  l'injustice  ni  à  la  violence 
des  hommes.  Et  au  contraire  ,  quelque  succès  que 
j'aie  d'ailleurs,  tout  est  perdu  si  l'ame  est  perdue  : 
et  cette  perte  dépend  du  pouvoir  de  Dieu. 

Venez  ici  ,  hommes  timides  ,  vous  doni  Kame 
est  éternellement  agitée  de  vaines  défiances  et  de 

8* 


1^8  J.  Poijr  le  Jour» 

vaines  craintes  ;  vous  qui  vous  rendez  Tolonlnire- 
menl  esclaves  de  la  fortune  des  autres  homnies,  d« 
leurs  passions  ,  de  leurs  discours  ,  et  mrMne  de 
leurs  pensées  :  Ostendam  vobis  ,  queni  timeatis  : 
Je  veux  vous  apprendre  qui  vous  devez  craindre. 
Craignez  celui  qui  peut  vous  ôter  la  vie  à  chaque 
moment,  et  vous  rendre  ensuite  maliieureux  pour 
réternité.  Dites-moi  quelle  puissance  ,  soit  hu- 
maine ,  soit  céleste  ,  peut  retirer  du  tombeau  le 
corps  de  ce  Monarque  ,  de  ce  Prince  que  Dion  y  a 
mis  depuis  peu  de  jours  ,  et  qu'il  a  donné  en  proie 
aux  vers  et  à  la  pourriture  ;  quel  Roi,  quel  Sou- 
verain peut  arracher  aux  Démons  l'ame  de  cci 
homme  que  le  Seigneur  vient  peut-être  de  préci- 
piter dans  les  Enfers.  Voilà  quel  est  celui  que  vous 
devez  craindre  :  Oui  ,  dit  le  Seigneur,  je  vous  lo 
répète  5  voilà  celui  que  vous  devez  craindre.  Ti- 
mcle  cum  ,  qui  postqaam  occiderit ,  fiabet  polealotem  • 
rniitere  in  geliennam.  lia  dico  vobis  ,  hune  iiincle. 

Vous  me  direz  qu'il  est  bien  triste  de  vivre  tou- 
jours dans  la  crainte.  Distinguez  avec  moi ,  mes 
frères  j  deux  espèces  de  crainte  ,  la  crainte  d'un 
méchant  homme  ,  ou  ,  pour  me  servir  de  l'exem- 
ple rapporté  par  saint  Augustin  ,  la  cr;iinte  d'une 
femme  dont  la  conduite  n'est  pas  régulière.  Elle 
redoute  sans  cesse  d'être'surprise  ,  d'être  poignar- 
dée ou  empoisonnée  par  un  mari  jaloux  ;  le  revoit- - 
elle  après  quelque  temps  d'absence  ?  elle  est  saisie 
de  frayeur,  elle  se  croit  découverte,  sur  le  moindre 
signe  de  chngrin  ou  d'inquiétude  qu'il  donne.  Je 
l'avoue",'  rien  n'est  plus  cruel  que  cette  crainte. 
Mais  la  crainte  d'une  femme  uniquement  occupée 
de  son  devoir  ,  .et  qu'une  sage  circonspection  rend 
attentive  à  ne  pas  déplaire  à  un  époux  qu'elle  aime, 
cl  dont  elle  sait  qu'elle  est  aimée  ;  une  pareille 
crainte  n'esl-elle  pas  ausài  douce  qu'elle  est  juste 
et  raisonnable  ?  Or  si  nous  ne  sommes  pas  tout-à- 
fait  désespérés  ,  nous  ne  saurions  nous  empêcher 
de  craindre  Dieu  de  l'une  ou  de  l'autre  manière. 
Voyez  à  laquelle  de  ces  deux  craintes  vous  aimez 


DE    l'ÉiMPHANIE.  IJÇi 

mienx  abandonner  voire  cœur.  Si  vous  ne  craignci 
pas  d'offenser  Dieu  ,  vous  devez  craindre  qu'il  ne 
vous  perde.  Il  Iç  peut  faire  à  loules  les  heures, 
vôtre  amc  et  voire  corps  sont  entre  ses  mains ,  il 
n-y  a  qu'un  pas  entre  vous  cl  le  tombeau  :  et  si 
vous  ête^  ennemis  de  Dieu  ,  mourir,  et  être  dam- 
nés, c'est  pl)ur  vousla  même  chose. 

Quoi  donc,  jeverrai  toujours  cet  horrible  Enfer 
otjvert  soirs  mes  pfis  ?  11  ne  tonnera  jamais  ,  que 
fe  n'aie  sujet  de  penser  que  c'est  contre  moi  que 
le  Ciel  gromîe  ?  Je  ne  serai  jamais  seul  ,  que  mon 
imagiflalion  troublée  ne  me  représente  mille  spec- 
tres ,  mille  fantômes  ?  A  chaque  faux  pas  que  je 
ferai ,  il  me  semblera  que  la  terre  va  s'ouvrir,  et 
^c  c'est  la  main  de  Dieu  qui  me  pousse  dans  les 
abîmes  ?  Toutes  les  fois  que  la  nuit  viendra,  l'hor-r 
reur  de  mon  crime  se  représentera  à  mon  esprit; 
et  le  moindre  souffle  ,  la  moindre  ombre  me  fera 
pâlir  ?  Je  ne  pourrai  me  livrer  au  sommeil ,  sans 
qu'il  me  vienne  à  l'esprit  que  c'est  entre  les  bras 
du  Démon  que  je  m'endors ,  et  que  de  ce  lit  je  serai 
peut-être  porté  sur  des  lits  de  feu  ,  et  dans  les 
étang^s  de  soufre  allumés  ?  Confîge  timoré  tao  mar- 
nes meas  :  Ah  plutôt  ,  Seigneur ,  gravez  dans  moi 
les  traits  les  plus  vifs  de  votre  crainte  ,  et  que 
partout  cette  crainte  accompagne  mes  pas  :  cette 
crainte  que  soutient  l'amour  ,  et  qui  fait  les  plus 
doux  plaisirs  du  cœur ,  comme  parle  David  :  Timor 
Domini  delectabit  cor  ,  etdabit  lœtiiiam  et  gaudiam 
in  longitudinem  dierum  :  celle  crainte  qui  loin  de 
n-ous  troubler  ,  rassur-e  et  calme  l'esprit  :  cette 
crainte  qui  bannit  toute  autre  crainte  ,  qui  rend 
intrépide  dans  les  périls,  qui  fait  mépriser  la  mort, 
qui  la  fait  même  désirer.  Faites  que  je  craigne  de 
vous  offenser  ,  ô  mon  Dieu  ;  que  je  ne  craigne  riea 
tant  que  ce  malheur  ;  que  ce  soit  le  seul  que  je 
craigne  ,  puisqu'en  effet  il  est  le  seul  qui  mérite 
d'être  craint  ,  puisque  c'est  au  sujet  d'un  si  grand 
malheur  que  la  crainte  est  salutaire  ,  et  qu'elle  dé* 
livre  des  maux  que  l'on  craint. 


1 8o  1 .  Pour  le  Jour 

Nous  avons  vu  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  des  preu* 
ves  bien  convaincantes  de  rautorilé  et  de  la  puis- 
sance du  nouveau  Roi  sur  les  autres  Rois  :  disons 
un  mol  de  sa  majesté  royale ,  et  voyons  s'il  est 
yrai  qu'il  n'a  qu'à  se  faire  voir  pour  se  faire  respec- 
ter. MM. ,  vous  n'ignorez  pas  que  lorsque  le  Verbe 
éternel  s'unit  à  Ihumanité  sainte  du  Sauveur,  il 
lui  fit  part  de  toutes  ses  perfections  infinies;  que 
dès  lors  rhomn>e  fut  puissant,  immense,  immortel, 
sage  comme  Dieu  ,  parce  qu'il  ne.  fut  plus  qu'une 
même  personne  avec  Dieu  :  mais  ouLie  ces  divines 
perfections  ,  le  Créateur  répandit  dans  l'ame  da 
^ésus -Christ  des  qualités  et  naturelles  et  surna-. 
lurelles  ,  proportionnées  en  q-nelque  manière  à  la 
divinité  à  laquelle  il  était  uni  :  de  sorte  que,  mêaie. 
à  ne  considérer  en  lui  que  ce  qu'il  y  avait  d'hu- 
main ,  il  possédait  une  bonté  ,  une  sagesse  ,  tme 
sainteté  ,  une  scienre  toute  divine  ,  et  qu'en  lui 
ces  qualités  étaient  au-dessus  de  l'homme.  Son 
corps  même  se  ressentit  de  la  divinité  qui  y  habi- 
tait :  on  peut  dire  eiv quelque  sens  que  sa  beauté,, 
qne  sa  majesté  était  divine  ;  que  Dieu  ne  s'était 
pas  seulement  uni  ù  cette  partie  terrestre  et  sensi- 
ble ,  mais  qu'il  s'était  rendu  comme  corporel  et 
sensible  en  elle.  C'est  le  sens  que  quelques  Doc- 
teurs donnent  à  ces  paroles  de  saint  Pierre  :  Jn  qua 
in/iaùitaf  pleniludo  divinitaiis  corporaliler^ 

En  effet  ,  dit  saint  Jérôme  écrivant  à  sainte 
Principia  ,  il  fallait  bien  que  sur  le  visage  et  dans 
les  yeux  du  Sauveur  il  y  eût  quelque  chose  de  di- 
vin ,  car  sans  cela  les  Apôtres  se  seraient-ils  si  fort 
hâtés  de  le  suivre  à.  la  première  invitation  ,  eux 
qui  étaient  alors  si  grossiers  ,  et  qui  ne  pouvaient 
encore  être  touchés  que  par  les  sens  ?  Quand  on 
le  chercha  de  la  part  des  Prêtres  pour  le  livrer  à 
Pilote  ,  l'Evangile  dit  que  ce  fut  durant  la  nuit ,  et 
à  la  lumière  des  n.iml)eaux  :  cela  n'empêcha  pas 
que  les  soldats  ne  fussent  éblouis  par  l'éclat  de  son 
visage  ;  et  il  y  a  des  Pères  qui  assurent  que  c'est 
la  jsurprise  que  causa  cet  éclat  qui  les  renversa  par 


DE    L*ÉpiPnANIE.  uSi 

terre,  'iais  lé  mysltre  de  ce  jour  ,  ce  qui  se  passe 
à  Belhléem  à  l'arrivée  des  RI  âges  ,  encore  mieux 
que  CCS  exemples  ,  nous  donne  une  idée  sensible 
de  la  beauté  auguste  et  majestueuse  de  Jésus- 
Christ.  Ces  Rois  ne  l'ont  pas  plutôt  aperçu  entre 
lès  bras  de  Marie  ,  que  frappés  de  je  ne  sais  quels 
rayons  ,  qui  sortaient  de  sa  personne  ,  oubliant 
leur  rang  et  leur  propre  majesté  ,  ils  se  proster- 
nent devant  sa-  crèche  ,  et  l'adorent  avec  toutes  les 
marques  du  respect  leplusprofond  -.El  procidentes 
adoraierunt  cum.  Si  la  majesté  de  Jésus  peut  faire 
ce  prodige  dans  un  Hge  où  cette  qualité  ne  se  pro- 
duit encore  que  faiblement ,  que  n'a-t-elle  pas  dû 
faire  lorsque  ses  traits  ont  été  plus  formés ,  ont  eu 
toute  leur  perfection  ?jMais  combien  faut-il  qu'elle 
ait  été  frappante  dès  cet  ûge  même,  pour  faire  dis- 
paraître les  faiblesses  de  cet  ûge  tendre ,  pour  faire 
naître  des  sentimens  si  opposés  à  ceux  qu'inspire 
l'enfance  ?  Combien  faut-il  qu'elle  ait  été  frap- 
pante ,  pour  faire  une  impression  si  forte  et  si 
extraordinaire  sur  les  Mages,  malgré  tant  de  cir- 
constances désavantageuses  qui  devaient  mettre 
en  eux  un  obstacle  à  cet  effet  surprenant? 

La  majesté  ,  Chrétrcns  auditeurs  ,  quoi  qu'en 
dise  la  flatterie,  n'est  dans  la  plupart  des  plus 
grands  Rois  qu'un  faux  avantage  ,  qu'ils  doivent  à 
la  prévention  de  nos  esprits ,  et  à  l'erreur  de  nos 
sens.  Leurs  palais ,  leurs  gardes  ,  le  nombre,  les 
titres  de  leurs  Oflîciers,  l'appareil  auguste  et  mys- 
térieux avec  lequel  ils  sont  servis,  le  trône,  la  pour- 
pre ,  la  couronne ,  tout  cela  nous  aide  à  nous  trom- 
per en  leur  faveur  ,  et  à  nous  persuader  que  nous 
voyons  en  eux  quelque  chose  qui  les  distingue  des 
autres  hommes.  On  ne  peut  pas  dire  qu'une  pa- 
reille illusion  ait  porté  nos  Rois  à  s'humilier  en 
présence  de  Jésus  ;  Tétable  et  la  crèche,  la  pau- 
vreté de  Joseph  et  de  Marie  ne  sont  guère  capables 
d'imposer  aux  3'^eux  des  hommes  ;  sont  plus  pro- 
pres à  étouffer  qu'à  faire  naître  l'idée  d'une  vérita- 
ble majesté.  Néanmoins  la  majesté  de  Jésus  ne 


iSa  I.  Pour  le  Jour 

laisse  pas  de  briller ,  de  percer  tous  ces  nuages 
qui  là  couvrenl ,  de  se  faire  sentir  jusqu'au  fond 
de  l'ame  ,  et  dès  la  première  vue.  Ce  prodige  est 
d'autant  plus  digne  d'admiration  ,  que  les  .Plages 
avaient  vu  le  fils  d'Hérodes  en  passant  par  Jéru- 
salem ,  et  qu'ils  lui  avaient  fait  un  accueil  bien 
opposé  à  l'adoration.  Ce  Prince  cependant  était 
né  dans  la  pourpre ,  il  habitait  un  superbe  palais  ; 
la  magnificence  de  ses  habits  ,  l'empressement 
d'une  nombreuse  Cour  ,  tout  ce  qui  l'environnait 
annonçait  l'Iiéritier  d'un  grand  Roi.  Au  milieu  de 
cette  pompe  ,  nos  Mages  ne  se  sentent  point  portés 
ù  plier  le  genou  devant  son  berceau  :  saint  Ful- 
gence  dit  qu'ils  ne  daignèrent  pas  lui  donner  les 
plus  légères  marques  d'attention  ,  qu'ils  le  mépri- 
sèrent. Jésus  au  contraire,  dans  la  situation  la- 
plus  éloignée  de  cet  appareil  de  grandeur  ,  attire 
d'abord  tous  leurs  respects  :  on  le  cherche  au  sein 
de  la  pauvreté  ,  et  la  pompe  qui  environne  les 
autres  les  laisse  dans  le  mépris  :  Ilte  nalus  in  pa^ 
tatio  contemnitur ,  istenalas  in  diversario  qaœritur  : 
iUe  à  M  agis  nallatenus  nominatur,  isU  inventas 
sappliciter  adoratur. 

Que  ne  devons-nous  point  à  Dieu  pour  avoir 
amené  ces  grands  hommes  à  la  crèche  de  son  fils  ! 
Quelqu'édifiant  qu'ait  été  pournous  le  zèle  em- 
pressé des  Bergers  ,  le  zèle  des  Mages  nous  donn« 
des  leçons  encore  plus  utiles-;  car  outre  que  ce 
sont  là  les  prémices  des  nations  >  et  qu'ils  nous 
ouvrent  à  tous  un  chemin  qui  jusqu'alors  nous 
avait  été  fermé  ,  n'est-il  pas  vrai  que  si,  pour 
soutenir  notre  foi  ,  nous  n'avions  eu  que  le  té- 
moignage des  Bergers  ,  notre  foi  aurait  toujours 
été  faible  et  chancelante  ?  On  aurait  dit  que  ces 
hommes  simples  auraient  pris  un  songe  pour  une 
apparition  ,  et  que  prévenus  de  la  pensée  qu'un 
Ange  leur  avait  parlé ,  ils  auraient  trouvé  dans  cet 
enfant  tout  ce  qu'il  aurait  plu  à  leur  imagination 
de  leur  figurer  de  grand  et  d';iuguste.  Mais  depuis 
que  les  Mages  ont  été  à  l'étable  de  Bethléem  ,  il 


DE  l'Epiphanie.  i85 

ne  reste  plus  de  prétexte  aux  doutes  ni  aux  défian- 
ces des  incrédules.  Ce  ne  sont  ici  ni  de»  Bergers 
ni  des  hommes  simples  ,  ce  sont  des  Rois  qui  ne 
voudraient  pas  s'exposer  à  la  risée  de  tout  i'uni- 
vers,  en  venant  de  si  loin  pour  s'humilier  devant 
le  fils  d'un  artisan.  Ils  étaient  donc  persuadés  que 
cet  enfant  était  quelque  chose  de  plus  que  ce  qu'il 
paraissait  être  par  sa  naissance  temporelle. 

Les  Mages  étaient  savans  ,  MiM.  ,  et  selon  les 
apparences ,  les  plus  savans  de  leur  nation  ;  ils 
étaient  surtout  versés  dans  l'Astrologie  :  ils  avait  ut 
vu  une  étoile ,  et  ils  étaient  trois  qui  l'avaient  vue  ; 
ils  ne  l'avaient  pas  vue  une  seule  lois  ,  ou  seule- 
ment un  moment  de  temps;  elle  leur  a  apparu 
dans  leur  pays  ,  o»'i  ils  ont  eu  tout  le  loisir  de  la 
considérer  avant  de  se  mettre  en  chemin  ,  et  la 
voilà  encore  qui  les  conduit  à  l'étable.  Au  reste  ils 
sont  si  convaincus  de  ce  qu'ils  croient,  qu'ils  n'hé- 
sitent pas,  qu'ils  demandent  hardiment  dans  Jéru- 
salem où  est  né  le  Roi  des  Juifs  ;  et  quoique 
personne  n'en  ait  entendu  parler  dans  celle  capi- 
tale ,  ils  ne  craignent  point  de  s'être  trompés,  ils 
trouvent  enfin  ce  Roi  dans  l'indigence  ,  et  entre 
les  mains  d'une  mère  pauvre  et  sans  autre  lustre 
que  celui  de  sa  vertu  ;  et  ils  n'en  sont  pas  surpris  : 
mais  ils  sont  si  frappés  de  la  beauté  et  de  la  ma- 
jesté qui  brillent  sur  le  front  du  céleste  enfant , 
qu'ils  tombent  à  ses  pieds  ,  et  se  prosternent  pour 
l'adorer  :  Et  intrantes  domum  ,  invenerunt  puei  um 
cum  Maria  matre  ejas  ,  et  procidenles  adoraverunt 
eum. 

Après  cet  exemple.  Chrétiens  auditeurs,  je  ne 
crois  pas  qu'aucun  de  nous  refuse  d'aller  recon- 
naître le  fils  de  Dieu  entre  les  bras  de  Marie,  dans 
la  crèche  où  il  est  né.  Mais  avant  que  nous  allions 
nous  acquitter  d'un  devoir  si  juste  ,  voulez-vous 
que  je  vous  apprenne  comment  il  veut  être  adoié? 
Venit  fiora  ,  et  nunc  est  ,  qaando  vevi  adoratorcs 
adorabant  Deum  in  spiritu  et  veritate  ;  et  Pater  taies 
quœrii ,  qui  adorent  eum  :  Jésus  cherche  de  vérilahies 


i^if  r.  Pour  le  Jour 

adorateurs  ,  c'est-à-dire  ,  des  hommes  qui  PaJo- 
renl  en  esprit.  S'il  se  contentait  des  cérémonies 
extérieures;  s'il  ne  voulait  qu'être  enccrtsé  ,qi« 
voir  son  étable  inondée  du  sang  des  victimes  .  il 
n'aurait  pas  fait  venir  de  si  loin  ces  Princes  que 
vous  voyez  courbés  devant  sa  crèche  ;  les  Juifs 
étaient  la  nation  la  plus  propre  pour  lui  rendre 
cette  espèce  de  culte  :  mai»  depuis  que  le  Seigneur 
s'est  rendu  visible  ans.  hommes  ,  il  demande  un 
culte  invisible,  des  sacrifices  spirituelâ,  dont  le 
peuple  juif  ignore  l'usage. 

Prenons  garde  ,  MM. ,  que  toute  notre  religion,  - 
aussi-bien  que  la  religion  de  ce  peuple  ,  "'>  pro- - 
duise  que  des  actions  extérieures  et  sensibles.  As- 
sister aux  divins  mystères  ,  entendre  la  parole  de 
Dieu  j  jeûner  ,  participer  à  la  sainte  table  ,  réciter 
beaucoup  de  prières  ,  ce:  sont  autant  d'exercices 
saints  ctchréti^^ns  ;  ils  honorent  Dieu  ,  nou?  n'en 
pouvons  pas  douter  :  et  si  Dieu  ne  demandait  rien 
de  plus  ,  on  peut  dire  qu'il  trouverait  de  vérifa-  - 
blés  adorateurs  ,  et  qu'il  ne  serait  pas  réduitàen 
chercher  :  mais  il  demande  des  hommes  qui  lui' 
sacrifient  leurs  détjirs,  leurs  inclinations  ,Jcnrs  ré-- 
pugnances  ;  qui  choisissent  pour  victime  l'idole  de 
leur  cœur  ,  ^-e  qui  fait  «on  plaisir  ,-ce  qu'il  aime  , 
ce  qu'il  adore.  Celte  fenim^  avare  renonce  sans 
peine  au  lu^e  dan?  les  parures;  cette  femme  vaine 
se  rend  charitable  envers  les  pauvres  :  ce  ne  sont 
lù  que  des  sacrifice^  imparfaits  ;  le  véritable  sacri- 
fice serait ,  si  une  femme  portée  à  la  vanité  se 
réduisait  à  la  simplicité  convenable  à  son  état,  une 
avare  à  donner  raumônc.  Cet  homme  qui  est  en- 
clin à  la  colère  et  à  la  vengeance  se  défend  des 
passions  tendres,  cet  autre  qui  aime  le  plaisir  par- 
donne aisément  les  injures  :  si  le  vindicatif  s'appli- 
quait à  ne  haïr  que  lui-même  ,  et  le  voluptueux  à 
n'aimer  que  Dieu  ,  ils  seraient  l'un  et  l'autre  de 
parfaits  adorateurs.  Ce  sont  là  les  adorateurs  que 
Dieu  cherche  ,  Chrétiens  auditeurs  :  Et  Pater  taies 
quœrit ,  qui  adorent  eum.  Il  en  trouve  peu  ,  même 


DE  l'Epiphanie.  i85 

parmi  les  personnes  qui  font  professîoA  de  piété,, 
et  qui  passent  pour  êlre  spccinicmcnt  dévouées  à 
Bon   service  :  mais  aussi  quand  il  en  trouve,  on 
ne  saurait  dire  comUieu  il  les  distingue  de  tous 
les  autres  ,  combien  il  les  favoi  ise  ,  combien  il  les 
aime  ;  on  ne  saurait  dire  tout  ce  qu'il  l'ail  pour  leur 
témoigner  qu'il  agrée  leur  sacrifice.  Je  n'oserais 
TOUS  inviter  tous  à  entrer  dans  un  exercice  qui  va 
si  directement  à  la  deslruclion  dé  l'amour  propre, 
quoique  je  souhaitasse  de  vous  voir  tous  marcher 
dans  celte  carrière  :  mais  j'exhorte  de  tout  mon 
cœur  toutes  les  personnes  qui  se  sentent  appelées 
à  la  pratique  de  la  piété,  de  ne  prendre  point  d'au- 
tre voie  que  celle-ci  :  Qu'elles  s'étudient  elles- 
mêmes  ,   qu'elles  tâchent  dé  découvrir  leurs  pas- 
sions ,  et  tous  les  mouvemens  de  leur  cœur  ,  et 
qu'elles  s'appliquent  à  les  réprimer;  qu'elles  soient 
prêtes  à  donner  au  Seigneur  ce  que  la  nature  vou- 
drait se  réserver  pour  elle-même;  Croyez-moi  y- 
MM. ,  toutes  les  autres  routes  sont  non-.«euIemenl 
fort  longuos  ,  mais  elles  «ont  encore  dangereuses  ; . 
au  lieu  que  par  celle-ci  l'on  marche  avec  sûreté, 
l'on  fait  en  peu  de  temps  les  plus  grands  progrès. 
Elie  est  rude  ,  elle  est  épineuse  ,  il  est  vrai  ;  mais 
elle  nous  conduit  bientôt  à  Jésus  :  et  dès  qu'on  l'a 
trouvé,  toules  les  épines  se  changent  ea  ro,ses  >- 
toutes  les  peines  en  plaisirs;  on  commence  à  jouir 
d'ès cette  vie  d'une  lélicilé  parfaite,  et  l'on  est  as- 
suré de  jouir  dans  l'autre  d'un  bonheur  éterDel. 
Ainsi  soil-il. 


mmilmmÉimi 


SERMON 

POUR    IT,    JOUR- 

DE     L'EPIPHANIE. 


Et  intrantcs  domiim  f  invcncrunt  puerum  cum  Maria  maire' 
ejus  ,  et  procielcnlçs  adoravcrinit  cum. 

Les  Mages  entrant  dans  la  maison  ,  trouvèrent  l'enfant 
avec  Marie  ,  et  se  prosternant  ils  l'adorèrent.  [Matth.  2.  ) 


Les  riches  et  les  grands  du  monde  sont  obliges  de  veiller 
et  de  travailler  sans  relâche  à  leur  salut  ,   et  à  cause 
des  obstacles  qu'ils  trouvent  dans  leur  condition  ,  et 
à-cause  des  secours  quelle  leur  fournit  pour  s'élever  à^ 
la  plus  haute  vertu. 

JLJe  tons  les  mystères  que  l*Eglise  célèbre  durant 
le  cours  de  l'année  ,  il  n'en  est  aucun  qui  puisse 
me  donner  une  consolation  plus  solide  dans  l'em- 
ploi où  la  Providence  m'a  engagé  ,  que  le  mystère 
de  ce  jour.  Je  ne  saurais  dire  quelle  joie  je  ressens 
en  voyant  les  Rois  Mages  entrer  dans  l'élablc  de 
Bethléem,  se  prosterner  devant  la  crèche,  mettre 
leurs  couronnes  et  leurs  trésors  aux  pieds  de  Jésus 
enfant,  et  y  donner  toutes  les  marques  d'une  foi 
et  d'une  piété  héroïque.  A  voir  le  choix  que  le  Sau- 
veur du  monde  avait  fait  de  parons  obscurs;  à  le 
voir  naître  dans  une  si  grande  indigence,  et  pour 
ainsi  dire  dans  le  sein  même  de  la  pauvreté  ;  à  voir 
les  Bergers  avertis  par  les  Anges  de  la  naissance 
du  Messie  ,  et  invités  à  lui  venir  faire  leur  cour  ,  à 
rexciusioQ  de  tout  le  reste  du  monde,  il  sembUit 


2.  Pour  LE  Jour  DE  l'Epiphanie.      187 

qu'il  n'élaif:  pas  né  pour  tous  les  hommes,  cl  que 
le  salut  ne  devait  être  que  pour  les  pauvres. 

Mais  que  le  Seigneur  soit  loué  et  béni  éternelle- - 
ment ,  Jésus  sera  le  Sauveur  et  des  pauvres  et  des 
riches;  l'étoile  qui  parait  en  Orient  est  un  présage 
certain  que  son  Kvangilc  sera  annoncé  par  tout 
l'univers,  et  l'obéissance  que  rendent  les  Mages  & 
ce  premier  signe  de  sa  volonté  fait  voir  que  ceux 
qui  sont  envoyés  pour  prêcher  dans  les  CouM 
mêmes  des  Princes-  n'y  perdront  pas  le  fruit  do 
leurs  travaux  et  de  leur  zèle.  Dans  celle  ferme  es- 
pérance ,  j'adresse  aujourd'hui  mon  discours  aux 
grands  et  aux  riches  du  monde  ,  pour  les  exhorter 
à  donner  tous  leurs  soins  à  l'affaire  de  leur  salut 
éternel.  Je  ferai  voir  que  leur  condition  ne  leur 
doit  point  abattre  le  courage  ,  encore  moins  leà 
porter  à  la  négligence  ;  qu'ils  ont  plus  de  raisons 
que  les  autres  hommes  de  servir  le  Seigneur  avec 
zèle;  et  que  tout  les  engage  à  une  vigilance  exlra- 
ardinairc.  Divin  Esprit  ,  qui  avez  promis  aux 
Apôtres  une  éloquence  et  une  sagesse  à  laquelle 
ni  lés  llois  ni  les  Princes  ne  pt)urraien^  résister,' 
donnez  à  me?  faibles  paroles  tant  de  force  ,  que  \ep 
grands  et  les  riches  qui  m'écoutent  soient  coninle^ 
forcés  de  se  rendre  :  je  vous  demande  cette  grâce 
par  les  mérites  de  votre  épouse ,  que  nous  allons 
saluer  avec  les  paroles  de  l'Ançe  :  Ave  ^  Maria. 

Quand  on  considère  ce  que  Dieu  a  déclaré  au 
sujet  des  riches  ,  tant  dans  l'ancien  que  dans  le 
nouveau  Testament  ,  il  est  difTicilc  de  n'être  pas 
épouvanté  des  menaces  qu'il  leur  fait  ,  et  de^  ma- 
lédictions qu'il  leur  donne.  Il  leur  dit  dans  les  ter- 
mes les  plus  clairs, qu'ils  sont  réprouvés,  qu'il  les 
a  deslinés  pour  être  les  victimes  de  sa  colère ,  qu'ils 
font  leur  Paradis  dans  ce  monde-ci  ;  en  un  mol, 
qu'un  chameau  passera  plutôt  par  le  trou  d'une 
oiguillc ,  qu'ils  n'entreront  dans  le  royaume  des 
Çieux  :  FacUius  est  camelum  pcr  foramen  acùs 
transire,  quàm  divitem  intrare  in  regnum  Çailoranu 


ï88  2.  Pour  le  Jour 

Paroles  bien  terribles  ,  MM.  :  et  quand  on  les  cm^- 
tend  ,  sans  Cire  du  nombre  des  grands  ,  il  faudrait 
ttrc  bien  insensilile  pour  n'êlre  point  touché  du 
malheur  où  leur  élat  les  expose.  Je  ne  m'étoni:e 
point  que  ces  ibudroyans  oracles  aient  porté  Ip.iit 
de  Souverains,  tant  de  personnes  riches,  à  em- 
brasser une  vie  pauvre  et  obscure.  Si  le  péril  avait 
été  également  connu  de  tous  les  autres  ,  je  ne  dcute 
point  qu'ils  ri'eiissent  tous  pris  le  même  parti  ,  et 
que  leur  condilion  ,  si  enviée  par  la  plupart  des 
hommes  du  siècle,  ne  fût  devenue  un  objet  d'hor- 
reur pour  tous  les  Chréliens. 

Cependant  tous  les  Pères,  tous  les  Interprèles 
assurent  ,  et  c'est  un  article  de  foi ,  que  ces  com- 
paraisons, ces  expressions  si  fortes  ne  se  doivent 
point  entendre  à  la  rigueur  ;  que  le  Saint-Esprit 
n'a  point  prétendu  qu'il  fût  impossible  aux  riches 
de  se  sauver  ,  mais  seulement  qu'il  leur  est  extrê- 
mement dilficile  ,  et  qu'ils  ont  sujet  de  craindre. 
En  effet ,  on  ne  le  saurait  désavouer  ,  la  condition 
des  riches  du  monde  oppose  au  salut  de  grandes 
difficultés  ;  et  pour  celte  raison  on  a  sujet  de  leur 
recommander  la  crainte  et  la  vigilance.  Il  est  vrai 
que  d'autre  part  leur  condition  leur  fournit  de 
grands  avantages  pour  gagner  le  Ciel  ;  mais  loin 
que  celte  pensée  doive  les  rassurer ,  ou  les  endor- 
mir ,  je  prétends  au  contraire  qu'elle  doit  les  ren- 
dre encore  plus  circonspect!?  et  plus  vigilans.  Oui 
les  riches  et  les  grands  du  siècle  doivent  travailler 
à  leur  salut  avec  une  application  et  un  soin  toul 
particulier.  Premièrement,  à  cause  des  obstacles 
qu'ils  trouvent  dans  leur  condilion  ;  en  second 
lieu  ,  à  cause  des  se<ours  qu'elle  leur  fournit  pour 
s'élever  à  une  haute  vertu.  Voilà  le  sujet  elle  par- 
tage de  ce  discours.  Ils  sont  obligés  de  veiller ,  de 
travailler  sans  relâche  :  pourquoi  ?  parce  qu'ils  onl 
de  grands  combats  à  soutenir  ;  premier  point  : 
parce  qu'ils  ont  de  grands  comptes  à  rendre  ;  c'est 
le  second. 


DE  l'Epiphanie.  189 

PREUIER  poiirr. 

Tort  le  mon(΀  sait  que  Tignomnce  et  la  faiblesse 
sont  les  deux  plus  moilcllcs  pluies  que  nous  ayons 
rerues  par  le  péché.  Depuis  la  chute  d'Adam  nous 
sommes  aveugles  ,  les  yeux  nous  manquent  pour 
découvrir  la  vérité  :  nous  sommes  faibles;  lors 
mt'uie  que  nous  l'avons  apcrruo  ,  nous  n'avons 
pas  la  force  de  la  suivre.  Mais  remarquez  ,  jo 
vous  prie  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  qu'outre  cet 
ayeupk'ment  qui  est  en  nous  ,  et  qui  nous  rend 
les  objets  comme  invisibles,  il  y  a  encore  quel- 
quefois hors  de  nous  des  voiles  qui  nous  les  ca- 
chent :  outre  la  faibhîsse  qui  nous  empêche  de 
nous  avancer  vers  le  bien  ,  il  se  trouve  souvent 
sur  la  route  des  barrières  qui  nous  arrêtent.  La 
grâce  qui  éclaire  et  qui  fortifie  notre  ame  surmon- 
terait aîsémcnt  notre  ignorance  et  notre  infirmité 
naturelle  :  mais  elle  est  elle-même  souvent  sur- 
montée 5  ou  du  moins  rendue  inutile  parles  ob- 
stacles extérieurs.  Or  je  dis  que  ces  obstacles  sont 
d'autant  plus  grands  ,  p!us  irivincibie-; ,  qu'on  pos- 
sède de  plus  grands  biens  ,  et  qu'on  est  dans  un 
rang  plus  élevé. 

Au  regard  des  secours  que  nous  peut  fournir 
notre  esprit  ;  rien  ne  nous  est  plus  nécessaire  que 
de  bien  savoir  ce  que  nous  sommes  ,  que  de  con- 
naître et  nos  misères  ,  pour  nous  en  humilier,  et 
nos  vices  ,  pour  en  concevoir  de  l'horreur.  Cette 
connaissance  est  comme  impossible  aux  grands 
du  monde  ;  leurs  meubles  précieux  ,  leur  cour 
nombreuse,  la  pompe  qui  les  environne,  les  hon- 
neurs qu'on  leur  rend  ,  le  respect  qu'on  a  pour 
eux,  ne  leur  permeltent  pus  de  s'apercevoir  qu'ils 
sont  comme  les  autres  mortels  ;  qu'à  ces  dehors 
près  ,  il  y  a  des  hommes  à  leur  service  qui  leur 
ressemblent  en  tout  ;  qu'il  n'y  a  que  les  simples 
qui  y  trouvent  de  la  dilférence  ,  parce  qu'ils  se 
laissent  é])louirpar  l'éclat  de  l'or  et  des  pierreries, 
mais  que  les  sages  n'y  en  trouvent  point  ;  que  la 


igo  2.  Poun  LE  Jour 

mort  les  confond  avec  les  derniers  des  hommes., 
et  que  Dieu  même  ,  qui  ne  se  peut  tromper  dan« 
son  jugement  ,  ne  les  di>ling;iie  pas  du  peuple  , 
dans  le  soin  qu'il  prend  de  leur  conduite  :  Quoniam 
pusillum  et  magnum  ipse  fccit  ,  et  œqualiter  est  illî 
cura  de  omnUms. 

Celle  lumière  ,  si  elle  pouvait  être  dans  les  ri- 
ches ,  les  disposerait  à  l'humilité  ,  à  la  charité 
chrétienne  ;  les  porterait  à  l'amour  de  la  justice 
et  de  la  clémence  :  mais  qu'il  est  diincile  de  re« 
connaître  pour  ses  égaux  des  hommes  que  la  Pro- 
Tidence  a  rendus  comme  nos  esclaves ,  et  qui  nou5 
révèrent  eux-mêmes  comme  leurs  Dieux  !  A  cette 
ignorance  de  ce  que  nous  sommes  par  la  nature  , 
se  juint  encore  l'ignorance  de  ce  que  nous  deve- 
nons par  le  vice  et  par  le  péché.  Le  vice  ,  dit  saint 
Augustin  ,  est  un  voile  épais  ,  que  nous  nous 
mettons  nous-mêmes  sur  les  yeux.  Lorsqu'on  a  les 
yeux  bandés,  non-seulement  on  ne  voit  pas  les 
objets  les  plus  visibles  ,  mais  on  ne  voit  pas  même 
le  bandeau  qui  nous  les  cache  :  de  même  quand 
on  a  péché  ,  qu'on  a  contracté  quelque  habitude 
TÎcieuse  ,  on  tombe  dans  un  aveuglement  qui 
nous  cache  jusqu'au  vice  où  il  a  pris  nai>fsancc. 

A  cet  égard  il  y  a  une  grande  différence  entre  les 
pauvres  et  les  riches.  Les  pauvres  ,  qu'on  ne  con- 
sidère que  pour  leur  vertu,  qui  n'ont  d'autres  biens 
que  leurs  âmes  et  leur  réputation  ;  les  pauvres  ne 
se  sont  pas  plutôt  ab;mdonnés  au  désordre,  qu'ils 
perdent  l'estime  et  l'amitié  des  autres  hommes  ,  et 
tombent  dans  un  mépris  qui  les  fait  apercevoir 
eux-mêmes  de  leur  changement.  Au  lieu  que  les 
riches,  en  qui  on  ne  révère  que  la  naissance  et  la 
dignité  ,  comme  ils  ne  changent  pas  de  fortune  en 
changeant  de  vie  ,  quelque  vicieux  qu'ils  puissent 
être  ,  ils  ne  perdent  rien  des  honneurs  qu'on  leur 
rendait  ,  ni  des  complaisances  qu'on  avait  pour 
eux  ;  en  sorte  qu'ils  se  persuadent  aisément  qu'on 
ne  les  en  estime  pas  moins  ,  et  ensuite  qu'ils  n'en 
«ont  pas  moins  dignes  d'estime.   C'est  ainsi  que 


DE    l'ÉpIPUANIE.  I9T 

DaTÎd  ,  îe  plus  saint  d'ailleurs  et  le  plus  grand  de 
.'tous  les  Rois  ,  après  avoir  commis  des  crimes  qui 
criaient  vengeance  devant  le  Seigneur  ,  fut  long- 
temps sans  se  reconnaître  et  sans  se  réveiller  sur 
le  malheur  de  son  élat  :  je  ne  sais  mC'me  s'il  serait 
jamais  revenu  de  son  assoupissement  ,  si  Nathan 
n'était  venu  de  la  part  de  Dieu  lui  reprocher  son 
injustice  et  sa  cruauté. 

Il  serait  à  souhaiter  qu'il  y  eût  des  personne» 
assez  généreuses  pour  rendre  un  pareil  service  aux 
riches  qui  ne  vivent  pas  chrétiennement  ,  aux 
grands  qui  ignorent  ou  qui  oublient  leurs  obliga- 
tions :  mais  c'est  un  avantage  que  leur  grandeur 
leur  dérobe  encore.  Dans  une  condition  obscure, 
on  est  averti  de  ses  fautes  :  les  supérieurs,  le» 
amis  ne  font  pas  difTicullé  de  nous  représenter 
les  devoirs  de  notre  état  ;  et  l'on  cst^  accablé  de 
reproches  si  Ton  vient  à  s'en  écarter.  Vous  savez, 
MM.  ,  que  les  vérités  dures,  quelque  utiles  qu'el- 
les ptiisscnt  être  ,  ne  trouvent  guère  d'accès  au- 
près des  personnes  distinguées  par  leur  rang.  La 
flatterie  ,  qui  les  assiège  sans  cesse  ,  leur  inspire 
insensiblement  tant  de  délicatesse,  qu'il  y  aurait 
de  l'imprudence  dans  la  liberté  qu'on  prendrait 
de  les  corriger.  Quand  même  il  s'en  trouverait 
qui  auraient  l'amc  assez  ferme  pour  souffrir  une 
repréhension  ,    où   trouverait  -  on   des    hommes 

<assez  zélés  pour  leur  dire  sans  déguisement  ce 
qu'elles  seraient  capables  d'entendre  sans  chagrin  ? 
Les  riches  trouveront  de  fidèles  serviteurs  ,  qui 
leur  annonceront  les  périls  dont  leur  vie  ou  leur 
fortune  est  menacée  ,  qui  auront  pour  eux  une 
complaisance  aveugle,  qui  manieront  leurs  affai- 
res temporelles  avec  une  inviolable  fidélité  :  mais 
des  au\is  assez  sincères  pour  leur  vouloir  donner 
des  avis  sur  leur  conduite  ,  au  hasard  de  perdre 
leurs  bonnes  grâces  ,   c'est  un  désintéressement 

,  dont  on  n'a  presque  jamais  vu  d'exemple.  On  est 
sûr  de  plaire  en  dissimulant;  le  plus  qu'on  puisse 
espérer  ,  en  difanl  la  vérité  ,  c'est  de  ne  déplaire 


ïQa  a.  Pour  le  Joua 

pas  :  et  qui  est  celui  qui  pourra  surmonter  la  pas- 
sion qu'on  a  nalurellemeat  de  se  rendre  agrcablo 
à  ceux  qui  peuvent  nous  rendre  heureux  ?  Les  seur 
les  personnes  de  qui  les  riches  peuvent  attendre  ce 
service  important ,  sont  les  personnes  que  Dieu  a 
cîiargées  en  quelque  sorte  de  leur  ame  :  celles-ci 
même  ,  lorsque  pressées  par  la  voix  de  leur  con- 
science, elles  prennent  la  liberté  de  parler,  croient 
faire  beaucoup  «n  disant  précisément  ce  qu'elles 
sont  obligées  de  dire.  Au  reste  on  n'oublie  rien 
pour  adoucir  celte  vérité  amère  ,  on  se  dispense 
de  la  proposer  avec  celte  force  qui  la  fait  triom- 
pher des  esprits  les  plus  rebelles  ;  on  n'oserait  la 
leur  mettre  dans  son  plus  grand  jour  ,  on  n'ose- 
rait montrer  le  vice  par  l'endroit  qui  le  rend  plus 
odieux  et  qui  le  fait  plus  connaître.  J'avoue  qu'il 
en  faut  user  ainsi  envers  les  grands  pour  mille  rai- 
sons que  le  Christianisme  ne  désapprouve  pas  : 
mais  cette  nécessité  ,  quelque  raisonnable  quelle 
puisse  être  ,  ne  laisse  pas  de  tourner  à  leur  dés- 
avantage ,  et  de  les  priver  d'un  des  plus  grands 
secours  que  puisse  avoir  le  péchenr  pour  se  con- 
yertir. 

Si  c'est  un  malheur  pour  les  riclies  de  n'avoir 
personne  qui  les  rappelle  à  leur  devoir  ,  qui  leur 
démasque  leurspropresdéfauts  ;  que  sera-ce  d'avoir 
de  faux  amis  ,  des  flatteurs  ,  qui  les  leur  dégui- 
sent ,  qui  les  font  passer  pour  des  vertus  ,  qui 
tâchent  de  faire  de  la  pauvreté  un  objet  de  risée  , 
de  persuader  qu'elle  sied  mal  aux  personnes  qui 
ont  des  taleos  et  de  la  naissance  ,  et  qu'elle  est 
uiéme  impraticable  pour  eux  ?  Qui  ignore  que  les 
palais  des  Princes  ,  les  Cours  sont  remplies  de  ces 
pestes  ,  de  ces  lâches  empoisonneurs  ;  qu'ils  ne 
s'attachent  qu'aux  grandes  fortunes;  et  qu'ils  ont 
tant  d'artifices  pour  s'insinuer  ,  pour  se  rendre 
maîtres  des  esprits  des  grands  ,  que  ceux-ci  ne 
peuvent  presque  pas  s'en  défendre  ? 

Que  veut  dire  tout  cela  ,  si  ce  n'est  que  plus  on 
eât  élevé  dans  le  monde  »    plus  on  u  besoin  de 


DE  l'Epiphanie.  193 

-s'étudier  ,  de  s'examiner  devant  Dieu  pour  acqué- 
rir cette  connaissance  de  soi-même  ,  si  nécessaire 
au  salut  ?  Dans  les  conditions  obscures ,  l'on  peut 
se  reposer  d'une  partie  de  ce  soin  sur  la  vigilance 
et  sur  la  charité  d'autrui  ;  mais  il  faut  que  les 
grands  exercent  envers  eux-mêmes  ce  zèle  ,  qu'ils 
soient  leurs  propres  censeurs  ,  et  qu'à  cet  égard 
ils  se  défient  de  tous  ceux  qui  les  approchent.  11 
faut  qu'ils  cherchent  dans  eux-mêmes  ce  que  les 
autres  ydécouvrent,  ce  qu'ils  y  blâment  secréte- 
menl.  Il  faut  qu'ils  se  comparent  souvent  avec  le 
reste  des  hommes  ,  qu'ils  se  comparent  avec  les 
personnes  qui  passent  pour  vertueuses  ,  et  avec 
les  personnes  dont  la  conduite  est  généralement 
condamnée  comme  peu  chrétienne  et  peu  régu- 
lière ;  qu'ils  se  mesurent  aux  vertus  de  celles-là  et 
aux  vices  de  celles-ci,  qu'ils  se  persuadent  que 
ce  qu'ils  trouvent  de  défectueux  dans  le  dernier 
des  hommes  est  encore  plus  bLunable  en  eux,  et 
en  eflet  plus  blâmé  :  en  un  mot ,  faute  d'amis  qui 
leur  montrent  les  taches  qui  les  défigurent  .  ils 
sont  obligés  d'avoir  toujours  le  miroir  en  main  , 
de  se  représenter  sans  cesse  la  vie  ,  les  maximes 
de  Jésus-Christ,  les  saints  livres  qui  leur  expli- 
quent les  devoirs  de  leur  état.  Lorsque  par  toutes 
ces  voies  ils  auront  surmonté  les  obstacles  qui  leur 
dérobent  la  connaissance  de  la  vérité  ,  ils  trouve- 
ront des  difficultés  à  la  suivre  ,  qui  ne  se  peuvent 
Taincre  que  par  un  grand  courage  ,  et  beaucoup 
d'application. 

11  est  certain  que  les  biens  etleslionneurs  ,  qui 
mettent  une  si  grande  différence  entre  les  Chré- 
tiens con><idérés  comme  une  partie  d'un  même 
corps  civil  ,  ne  leur  assignent  pas  néanmoins  des 
rangs  divers  ,  si  on  les  regarde  comme  membres 
d'une  même  Eglise  :  à  cet  égard  nous  sommes 
tous  frères  ;  et  comme  nous  avons  tous  pris  les 
mêmes  engagemens  au  Baptême  ,  nous  avons  tous 
les  mêmes  obligations  essentielles.  De  sorte  que, 
de  quelque  condition  que  vous  soyez ,   (quelque 

>•  9 


J94  ^*  Pour  le  Jour 

rang  que  vous  teniez  ,  la  douceur  ,  le  mépris  tîu 
monde,  le  détacliement  des  richesses  ,  la  morti- 
fication ,  l'amour  de  la  croix,  sont  des  vertus  qu'il 
vous  faut  nécessairement  acquérir  ;  vous  vous  des 
engagés  à  les  pratiquer  toute  votre  vie  ,  par  le  plus 
solennel  de  tous  les  sermens. 

Je  n'ignore  pas,  MM.  ,  que  le  rang  qu'occupent 
pour  l'ordinaire  les  riches  entraîne  comme  néces'- 
sairement  la  magnificence  dans  les  habits,  dans 
les  n^.eubles  ,  dans  les  équipages  ,  et  que  cette 
pompe  inspire  l'orgueH  et  la  vanité  ;  je  sais  que 
leurs  tables  doivent  être  somptueusement  et  dé- 
licatement servies  ,  qu'ils  doivent  conserver  de 
grands  biens  ,  se  trouver  dans  :les  assemblées, 
souvent  même  dans  les  plaisirs  et  dans  les  diver- 
tissemens  du  grand  monde.  Mais  c'est  en  cela 
même  que  consiste  la  difficulté  dont  je  parle  ;  car 
ces  obligations  humaines  ne  les  pouvant  dispenser 
des  devoirs  chrétiens, al  faut  qu'ils  soienthumbles 
dans  les  honneurs ,  mortifiés  dans  les  délices  , 
pauvres  dans  la  possession  des  plus  grands  trésors, 
et  détachés  de  tout  au  sein  de  l'abondance  ;  il  faut 
qu'ils  aient  horreur  de  ce  monde  où  ils  sont  con- 
traints de  vivre  ,  qu'ils  soient  morts  pour  ce  monde, 
et  que  ce  monde  soit  mort  pour  eu^x ,  qu'ils  le  re- 
gardent comme  un  cadavre  auquel  ils  sont  liés  par 
force,  qu'ils  gémissent  enfin  sur  l'obligalion  où  ils 
sont  de  prendre  pj^rt  aux  plaisirs  de  ce  monde, 
comme  sur  la  plus  cruelle  des  servitudes.  De  lu 
jugez  s'il  est  aisé  d'entretenir  au  milieu  de  la 
Cour,  au  centre  des  plaisirs  et  des  richesses  ,  ces 
sentiniens  qu'un  solitaire  ne  conserve  qu'à  peine 
dans  son  désert. 

Ce  serait  peu  que  les  riches  trouvassent  seule- 
ment des  obstacles  à  la  pratique  des  plus  hautes 
vertus  du  Christianisme  ,  il  leur  est  même  difficile 
de  ne  pas  tomber  dans  les  vices  les  plus  grossiers. 
Nousavonstous  des  ennemis  ,etdansnous-mêmes, 
et  hors  de  nous-mêmes  ,  qui  nous  portent  au  pé- 
ché ,  et  qui  ne  nous  donnent  point  de  trêve.  Mais 


DE    L  l'IplPUAME.  IQO 

à  l'égard  ries  pauvres  ,  ce  sont  des  ennemis  alTai- 
blis  par  les  travaux  ,  comme  la  chair,  ou  enlièrc- 
iiient  désarmes,  comme  le  monde  ,  ou  rebutés  par 
le  peu  d'avantage  qu'ils  tireraient  de  la  victoire  , 
comme  le  Démon.  Les  riches  au  contraire  ont  à 
se  défendre  dans  eux-memc?  d'une  chair  nourrie 
dans  l'oisiveté  et  dans  la  mollesse  ,  d'un  feu  inté- 
rieur entretenu  par  les  alimens  les  plus  propres  à 
l'enflammer.  Au  dehors  le  monde  ne  montre  pas 
seulement  les  objets  aux  yeux  des  grands  ,  il  les 
offre  à  leurs  désirs,  il  les  livre  entre  leurs  mains 
dépouillés  de  toutes  les  difficultés  qui  rebutent  les 
jiauvrcs.  TI  est  peu  d'iiommes  sans  doute  qui  ne 
sentent  quelquefois  les  atteintes  de  l'amour  pro- 
fane ,  de  l'avarice  ,  de  la  vengeance  ;  et  ces  pas- 
sions aveuglent  d'abord  ceux  qu'elles  possèdent  : 
mais  avant  qu'un  homme  qui  a  peu  de  pouvoir  , 
peu  de  biens,  ait  trouvé  le  moyen  de  se  satisfaire, 
le  péril  qu'il  court,  les  soins  qu'il  faut  prendre, 
le  temps  même  lui  ouvre  les  yeux;  tandis  qu'un 
riche  ayant  toujours  en  main  de  quoi  contenter  ses 
désirs  ,  n'a  pas  plutôt  conçu  un  dessein  criminel , 
qu'il  l'accomplit  :  tout  se  trouve  si  prêt  pour  l'exé- 
cution, qu'il  n'aipointde  temps  pour  délibérer;  il 
n'a  le  loisir  de  voir  dans  le  crime  que  ce  qu'il  y 
a  de  plus  flatteur. 

Ajoutez  à  cela  que  le  Démon  s'attache  d'autant 
plus  à  tenter  les  hommes  ,  -qu'ils  ont  plus  d'auto- 
rité ,  que  leur  fortune  les  rend  plus  considérables; 
soit  que  par  orgueil  il  se  plaise  à  se  voir  servi  par 
ce  qu'il  y. a  de  plu»  grand  dans  le  monde  ,  soit  que 
par  opposition  à  Dieu  il  tâche  do  révolter  contre 
lui  ceux  que  plus  de  bienfaits  obligent  à  lui  être 
fidèles;  soit  que  l'exeniple  des  grands  étant  extrê- 
mement pernicieux ,  il  croie  gagner  plusieurs  âmes 
dans  la  conquête  d'une  seule  ;  soit  enfin  qu'ayant 
besoin  de  moyens  humains  pour  étendre  son  em- 
pire ,  il  s'attache  aux  hommes  qui  en  ont  le  plus  , 
ù  des  hommes  qui  peuvent  ébranler  la  constance 
des  gens  de  bien  par  leurs  menaces  et  par  leur 

9- 


196  2,  PuLii  LE  Jour 

autorité ,  corrompre  l'intégrité  des  hommes  à  force 
d'argent  ,  vaincre  la  pudeur  par  de  magnifiques 
présens  ,  et  par  des  promesses  encore  plus  magni- 
fiques. Quoi  qu'il  en  soit  ,  on  peut  dire  de  lui  à 
cette  occasion  ce  que  le  Prophète  Habacuc  en  a 
dit  dans  un  autre  sens  :  Cibus  ejus  electus  :  C'est 
un  monstre  qui  ne  se  nourrit  que  de  mets  exquis , 
et  que  de  viandes  choisies  ;  qui  veut  avoir  la  fleur 
du  troupeau ,  elles  plus  précieux  fruits  de  la  terre  : 
Cibus  ejus  electus. 

Cela  étant  ainsi ,  f.iut-il  s'étonner  que  le  sage 
ait  osé  dire  qu'il  était  comme  impossible  à  un 
homme  qui  a  du  bien  de  se  conserver  dans  l'inno- 
cence ?  Si  facris  clives  ^  non  eris  immunis  à  delicto. 
Faut-il  s'étonner  que  Jésus-Christ  Jui-même  rap- 
portant le  supplice  du  -mauvais  riche  ,  ne  lui 
reproche  point  d'autre  crime  que  ces  mêmes  ri- 
chesses qu'il  a  possédées  sur  la  terre  ;  comme  si 
c'était  assez  pour  faire  entendre  qu'il  s!est  rendu 
coupable  de  mille  crimes  ?  Moj'tuus  cs.i  clives,  et 
sepultus  est  in  Inferno. 

Hé  quoi  ,  faut-il  donc  que  tous  ceux  qui  vivent 
dans  les  honneur-s  et  dans  l'abondance  désespèrent 
de  leur  salut  ?  Non  ;  mais  il  faut  qu'ils  y  travail- 
lent avec  crainte  ,  et  avec  beaucoup  d'application  ; 
il  faut  que  leurs  prières  ferventes  attirent  du  Ciel 
les  secours  paissaos  dont  ils  ont  besoin  pour  éviter 
les  pièges  qui  les  environnent ,  et  que  le  fréquent 
usage  des  Sacremens  les  fortifie  contre  leurs  re- 
doutal^les  ennemis  ;  il  ne  faut  pas  qu'ils  se  croient 
dispensés  des  exercices  de  la  pénitence  et  de  la 
mortification  chrétienne.  On  a  vu  des  Reines  et 
d'autres  personnes  du  premier  rang  ,  qui  ne  pou- 
vant s'exempter  de  paraître  dans  des  assemblées 
où  il  j  avait  quelques  périls  ,  ne  se  contentaient 
pas  de  s'y  préparer  par  de  longiics  prières  ,  mais 
encore  y  allaient  armées  d'une  haire  ou  d'un  cilice. 
Surtout  il  faut  que  les  grands  ,  dans  la  nécessité 
où  ils  sont  d'c'Ire  richement  vêtus  ,  superbement 
meublés  ,  servis  délicieusement ,  prennent  garde 


DE  l'Épipiïanie.  ;97 

Je  ne  rien  faire  au  delà  de  ce  qu'exige  la  pure 
nécessité  ;  afin  qu'ils  puissent  dire  avec  vérité  de 
tout  cet  éclat  (jui  les  importune  ,  de  tous  ces  plai- 
sirs qui  les  suivent,  ce  que  l'incomparable  Esllier 
dii^ait  à  Dieu  de  sa  couronne  et  de  son  manteau 
royal  :  Domine  y  tu  sets  riecessifatem  meam  ,  et 
quôd  abominer  omne  signum  S'aperùiœ  et  gtoriœ  qaod 
est  super  caput  meum  in  die  osteniationis  meœ:  Sei- 
gneur, vous  savez  par  quel  motif  je  me  pare  aux 
jours  que  je  dois  paraître  en  public,  ou  être  pré- 
sentée au  Roi  mon  époux  ;  vous  savez  Paversion 
que  j'ai  pour  toutes  ces  marques  de  vanité  et  d'or- 
gueil ,  et  qu'elles  ne  se  montrent  sur  ma  tête  que 
le  plus  rarement  que  je  le  puis,  et  seulement  lors- 
que mon  devoir  ne  me  permet  pas  de  m'en  dis- 
penser. Quand  vous  en  userez  de  la  sorte  ,  vous 
pourrez  dire  que  si  vous  courez  quelque  hasard  de 
vous  perdre  ,  c'est  la  Providence  elle-même  qui 
vous  y  engage,  et  que  c'est  à  elle  à  vous  y  soutenir. 
Mais  que  dirons-nous  de  ces  personnes  mondai- 
nes ,  qui  l.jjii  de  se  tenir  dans  ces  bornes,  loin 
de  craindre  ,  et  d'user  de  ces  précautions  ,  vivent 
au  milieu  du  plus  grand  monde  ,  et  dans  la  plus 
délicieuse  abondance,  avec  aussi  peu  de  souci  que 
si  elles  étaient  assurées  de  leur  salut  ;  qui  outre 
les  dangers  attachés  à  leur  condition  ,  s'exposent 
sans  cesse  aux  occasions  les  plus  dangereuses,  ou 
ne  montrent  pas  plus  d'empressement  pour  ga- 
gner le  Ciel ,  que  si  elles  n'avaient  jamais  entendu 
cet  oracle  sorii  de  la  bouche  du  Verbe  incarné  : 
Dives  difflrilè  iutrabit  in  regnum  Cœlorum  :  Il  est 
difficile  que  les  riches  entrent  dans  le  séjour  de  la 
gloire  ;  c'est-à-dire  que  ,  sans  une  vigilance  ex- 
trême y  sans  de  grands  efforts  ,  sans  une  applica- 
tion toute  pariiculîère  à  fuir  le  mal ,  et  à  faire  tout 
le  bien  qu'ils  peuvent,  ils  n'auront  jamais  d'accès 
au  séjour  de  la  gloire  ?  Mais  s'ils  s'endorment  sur 
l'affaire  du  salut  ,  s'ils  ne  sont  jamais  en  garde 
contre  les  tentations  ,  s'ils  vont  chercher  leur  en- 
nemi, et  les  pièges  qu'il  leur  tend  partout,  qui 


198  2.   Pour  le  Jour 

peut  douter  que  le  salut  ne  leur  soit  non-seuîè- 
ment  difficile  ,  mais  entièrement  impossible  ?  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  surprenant  en  ceci ,  c'est  que ,  quel- 
que périlleuse  que  soit  leur  condition,  elle  ne  leur 
fournira  aucune  excuse  dont  ils  se  puissent  cou- 
vrir au  jour  des  vengeances,  c'est  que  les  difficultés- 
qui  se  rencontrent  dans  leur  état  y  sont  balancées 
par  de  grands  avantages  ;  de  sorte  que,  quoiqu'ils 
aient  plus  de  combats  à  soutenir  dans  cette  vie 
que  le  reste  des  Chrétiens  ,  ils  ne  laisseront  pas 
dans  l'autre  d'avoir  plus  décomptes  ù  rendre.  C'est 
le  second  point. 

SîrCOND    POINT. 

Saixt  Ambroise  ,  au  livre  huitième  sur  saint  Luc , 
avertit  sagement  les  riches  que  le  mal  des  ri— 
chesses  n'est  pas  dans  les  richesses  mêmes  ,  mais 
dans  ceux  qui  en  font  un  mauvais  usage;  et  que, 
comme  elles  sont  des  obstacles  à  la  vertu  à  l'égard 
des  impies  ,  elks  sont  pour  les  Chrétiens  fidèles 
de  puissans  moyens  de  s'élever  à  la  sainteté  la  plus 
sublime  :  Dlscant  non  aulcm  in  facultatibas  crimen 
habere  ,  secl  in  iis  qui  uti  nesciant  facaltatibus  ; 
nam  divitiœ  ,  ut  impedimenta  in  improbis ,  ita  in 
bonis  sunt  adjamenta  virlulis.  Je  ne  parle  point  de 
la  facilité  qu'ils  ont  d'effacer  par  leurs  aumônes 
des  péchés  que  les  autres  ne  peuvent  laver  ,  pour 
ainsi  dire,  que  dans  leur  sang  ,  qu'il  leur  faut  du 
moins  expier  par  des  jeûnes  ,  par  des  austérités. 
Je  dis,  qu'outre  la  salutaire  ressource  que  peuvent 
procurer  aux  riches  leurs  libéralités,  leur  état  par 
lui-même  leur  ouvre  un  chemin  à  la  plus  haute 
perfection.  En  premier  lieu  il  leur  inspire  comme 
naturellement  le  mépris  du  monde  ,  qu'ils  con- 
naissent à  fond  ,  et  dont  par  conséquent  ils  dé- 
couvrentla  vanité  mieuxque  nous,  qui  n'en  voyons 
que  les  dehors.  Quand  on  ne  possède  qu'un  peu 
de  bien,  on  se  persuade  aisément  qu'on  serait  heu-- 
reux  si  on  en  possédait  davantage  ;  et  c'est  cette 
pensée  qui  réveille  les  désirs  dont  les  pauvres  sont. 


DE    l'ÈpIPIIAME.  199 

lourmcntés  :  ni,'ii.s  quand  on  est  élevé  au  plus  haut 
point  de  la  fé!i(  itc  humaine  ,  le  cœur  alors  ne  se 
sentant  ni  moins  vide,  ni  moins  altéré  ,  on  recon- 
naît que  rien  de  créé  ne  saurait  le  remplir,  et  on  se 
porte  comme  naturellement  à  chercher  le  seulohjet 
capable  de  nous  satisfaire.  Si  Salomon  est  sauvé, 
il  doit  son  salut  à  cette  réflexion  :  sa  félicité  encore 
imparfaite  l'avait  aveuglé,  mais  sans  doute  quand 
elle  fut  à  son  comble  ,  il  s'aperçut  de  son  erreur  ; 
et  à  la  soif  ardente  qu'il  avait  eue  des  plaisirs  suc- 
céda un  dégoût  qui  lui  rendit  ses  lumières ,  et  le  fit 
parler  encore  une  fois  comme  le  plus  sage  de  tous 
les  hommes.  C'est  ainsi  ,  MM.  ,  que  les  grandes 
richesses  peuvent  inspirer  le  désir  de  chercher  Dieu. 
Je  dis  en  second  lieu  qu'elles  donnent  beaucoup 
de  loisir  pour  faire  cette  recherche.  Vous  n'igno- 
rez pas  que  ce  ne  soit  la  Providence  qui  a  réglé  le 
monde  de  la  manière  que  nous  le  voyons ^  et  qui 
Fa  composé  d'états  et  d'emplois  diiïérens.  C'est 
elle  qui  a  versé  l'or  et  l'argent  avec  profusion  dans 
le  sein  des  grands  ,  qui  leur  a  soumis  les  pauvres, 
qui  leur  a  assigné  ce  grand  nombre  d'Officiers 
pour  veiller  à  tous  leurs  besoins ,  pour  les  exemp- 
ter des  soucis  et  des  travaux  les  plus  légers  de  la 
vie.  Mais  pourquoi  pensez-vous  que  Dieu  en  ait 
ainsi  usé  à  leur  égard  ?  Croyez-vous  qu'il  l'ait  fait, 
afin  que  délivrés  de  tout  soin  ,  ils  aient  plus  de 
temps  à  donner  au  jeu  et  aux  plaisirs  criminels  ? 
Pensez-vous  que  ce  serait  là  une  fin  digne  de  la 
sagesse  du  Seigneur  et  du  Créateur  do  toutes  cho- 
ses ?  Serait-ce  là  un  motif  pour  l'obliger  à  faire 
une  distribution  si  inégale  des  biens  d'ici-bas,  et  à 
s'exposer  aux  murmures  et  aux  blasphèmes  des 
mécontcns  ?  On  ne  peut  douter  que  son  intention 
n'ait  été  d'avoir  des  serviteurs  qui  n'eussent  à  son- 
ger qu'à  lui  seul,  tandis  que  toute  la  terre  serait 
occupée  à  les  servir.  Il  est  certain  qu'il  n'eût  pas 
pris  tant  de  précautionspour  leur  ménagci  tout  leur 
temps,  s'il  n'avait  eu  le  dessein  de  leur  en  faire 
rendre  un  compte  rigoureux. 


200  2.  Pour  le  Jour. 

On  pourrait  me  dire  que  c'est  en  vain  qu'ils  ont 
le  loisir  de  pratiquer  toutes  sortes  de  vertus  ,  puis- 
que leur  éducation  molle  et  sensuelle  leur  en  a' 
ôté  les  forces ,  et  que  la  mortification  chrétienne 
ne  s'accorde  guère  avec  leur  délicatesse.  II  est 
vrai,  cette  délicatesse  est  l'apanage  ordinaire  des 
riches  ;  mais  à  la  place  des  forees  que  l'éducation 
leur  a  ôtées,  la  naissance  leur  a  inspiré  un  courage 
qui  les  rend  capables  de  tout. entreprendre  et  de 
tout  souffrir.  Témoins  nos  guerriers,  qui  se  fon 
moins  qu'ils  ne  paraissent  faits  par  avance  aux  tra 
vaux  militaires,  et  qui  s'y  montrent  infatigables 
témoins  tant  de  Princes  et  tant  de  Princesses  ,  qu 
ayant  embrassé  la  croix  de  Jésus-Christ ,  ont  porté 
les  rigueurs  de  la  mortification  plus  loin  que  ces 
anciens  Solitaires  qui  s'étaient  dès  leurs  premières 
années  endurcis  dans  le  désert  aux  exercices  de  la 
pénitence.  0  l'heureux  talent  que  ce  courage  ! 
Qu'il  donne  d'avantages  aux  grands  pour  s'élever 
à  la  plus  sublime  sainteté  !  Et  quelle  perte  ne  font- 
ils  pas  en  le  consumant  à  poursuivre  un  vain  hon- 
neur ,  et  une  fumée  de  gloire  !  C'est  ce  courage 
qui  me  fait  dire  quelquefois  qu'à  la  vérité  il  est 
plus  facile  de  convertir  un  pauvre  qu'un  riche  , 
mais  que  l'un  et  l'autre  étant  une  fois  retirés  du 
vice  ,  celui-ci  parviendra  plutôt  à  une  émmente 
vertu.  La  perfection  chrétienne  ne  se  peut  acqué- 
rir que  par  violence,  et  les  lâches  n'y  doivent  pas 
aspirer  :  il  faut  de  la  résolution  pour  déclarer  au 
monde  une  guerre  ouverte  ,  pour  se  livrer  à  soi- 
même  d'éternels  combats ,  pour  mépriser  les  dis- 
cours des  hommes ,  pour  sacrifier  tous  les  inté- 
rêts ,  tous  les  plaisirs  qui  peuvent  s'opposer  au 
dessein  qu'on  a  de  plaire  à  Dieu  seul.  Ce  n'est  pas  là 
une  entreprise  pour  une  ame  timide  et  irrésolue  : 
pour  y  réussir,  il  faut  de  ces  courages  qui  ne  re- 
doutent pas  les  grands  projets,  qui  trouvent  même 
dans  les  difficultés  ,  des  motifs  de  s'attacher  aux 
plus  difficiles  desseins. 

Jinfin^  outre  le  loisir  et  le  courage  ,  les  riches 


DE  l'Epiphanie.  20 r 

ont  entre  les  mains  des  moyens  sûrs  et  faciles  de 
rendre  à  Dieu  les  services  les  plus  importans,  par 
leur  autorité  ,.  par  leurs  biens  ,  par  leurs  exem- 
ples. S'ils  peuvent  corrompi'e  toute  la  terre  ,  ils 
peuvent  aussi  la  sanctifier.  Tout  ce  que  peut  faire 
un  Apôtre  par  ses  courses,  par  ses  travaux,  ils  le 
peuvent  faire  sans  efforts  ,  et  sans  presque  qu'il 
leur  en  coule  de  soin.  11  sufTil  pour  cela  qu'ils  fas- 
sent profession  de  n'admellre  à  leur  service ,  de 
n'honorer  de  leur  amitié,  que  ceux  qui  font  eux- 
mCines  profession  de  vertu  ;  qu'ils  n'aient  de  fa- 
veurs ,  de  bienfaits ,  de  caresses  que  pour  ceux 
qui  s'en  rendent  dignes  par  leur  piété  ;  et  qu'enfin 
l'on  soit  persuadé  que  faire  son  devoir  envers 
Dieu  ,  est  une  voie  sûre  pour  gagner  leurs  bonnes 
grâces.  Cet  argent ,  dont  on  vante  sj  fort  le  pou- 
voir, et  qui  vient  à  bout  de  tout,  cet  argent  ne 
pourrait-il  point  devenir  entre  leurs  mains  un  ins- 
trument de  zèle  ,  par  lequel  ils  attireraient  à  Dieu 
tant  de  misérables,  dont  les  âmes ,  quoique  rache- 
tées par  le  sang  de  Jésus-Christ,  sont  ordinaire- 
ment si  négligées  ?  On  les  portera  d'abord  par 
l'iiitérêl,  et  ensuite  par  des  motifs  plus  purs  ,  à  la 
pulience  ,  à  la  soumission  ,  à  la  prière  ,  à  l'usage 
frc(|ueiil  des  Sacrcmens  ,  à  la  fuile  des  vices  les 
plus  communs  dans  leur  état  :  un  charitable  avis 
accompagné  d'un  présent  entre  jusqu'au  fond  de 
l'ame.  Mais  quand  ils  ne  pourraient  faire  d'autre 
bien  que  celui  qu'ils  feront ,  même  sans  y  songer , 
par  l'éclat  et  par  l'odeur  de  leur  vie  sainte,  qui 
peut  assez  estimer  le  fruit  qu'ils  en  recueilleront? 
Je  veux  que  les  plus  libertins  ne  s'y  rendent  pas; 
du  moins  est-il  certain  que  leur  exemple  soutien- 
dra les  faibles ,  qu'il  donnera  du  cœur  aux  timides , 
qu'il  rassurera  ceux  qui  chancellent ,  qu'il  réveil- 
lera les  tièdes ,  qu'il  enflammera  les  fervens  ,  qu'il 
consolera  les  saints  ,  et  confondra  les  impies. 

Voilà  les  avantages  qu'apportent  la  grandeur  et 
les  richesses  pour  acquérir  la  vertu ,  et  pour  s'y 
perfectionner.  Ils  sont  considérables  sans  doute , 

9* 


2tfi  1.  Pour  le  Jour 

ces  avantages  ;  et  c'est  avec  beaucoup  de  justice 
qu'on  redemandera  à  tous  ceux  qui  occupent  les 
premiers  rangs  dans  le  monde  un  compte  bien  plus 
rigoureux  qu'à  ceux  qui  vivent  dans  une  condition 
obscure.  Audile  ,  Pièges  ;  d'ucite  ,  Judices  finium 
tcrrœ  ;  prœhele  aures  ,  vos  qui  coiitinetis  maltUudi- 
nes  ,  et  placetis  vobis  intarbis  nationam  :  Ecoulez, 
grands  de  la  terre  ,  vous  que  Dieu  a  établis  sur  les 
autres  hommes,  vous  qu'il  a  élevés  au-dessu<5  des 
nations,  et  qui  avez  tant  de  complaisance  de  vous 
voir  sans  cesse  environnés  d'un  peuple  entier 
d'esclaves  et  de  courtisans.  Exlgua  conreditur  mi- 
scricordia  ;  patentes  auleni  polenter  tormenfa  pU' 
tlentur  :  On  fait  grâce  à  ceux  qui  sont  dans  une 
condition  médiocre  ;  mais  pour  vous  ,  la  considé- 
ration de  votre  puissance  fera  qu'on  ne  vous  épar- 
gnera pas ,  et  que  vous  serezpunis  plus  sévèrement. 
Si  c'était  un  homme  pauvre,  ou  quelque  courtisan 
disgracié  qui  proférât  ces  paroles,  on  pourrait  dire 
qu'il  cherche  à  se  consoler  dans  sa  misère,  ou  à 
se  venger  du  bonheur  qu'il  envie  aux  grands.  Mais 
outre  que  c'est  le  Saint-Esprit- même  qui  parle, 
c'est  par  la  bouche  du  plus  riche  et  du  plus  heu- 
reux de  tous  les  Monarque^?  ,.  qui. par  conséquent 
ne  peut  avoir  été  porté  à  prononcer  cet  arrêt  con- 
tre lui-même  ,  que  par  la  seule  connaissance  de  la 
vérité.  Ce  seul  oracle  a  fermé  autrefois  la  bouche 
à  Jovinien  et  à  ses  sectateurs  ,  qtii  soutenaient  que 
dans  les  Enfers  toutes  les  peines  seraient  égales. 
Oui,  MM.,  les  grands  et  les  riches  du  monde  doi- 
vent s'attendre  à  une  plus  granule  rigueur  que  les 
hommes  du  commun  :  Fortioribus  autem  fortior 
instal  cruciatio.  Pourquoi  ? 

En  premier  lieu  ,  à  cause  de  leur  ingratitude 
envers  Dieu  ,  qui  les  ayant  comblés  de  biens  ,  et 
n'ayant  fait,  ce  semble  ,  que  pour  eux  le  reste  des 
créatures  ,  n'a  pas  trouvé  en  eux  la  reconnaissance 
que  méritaient  de  si  grands  bienfaits.  D'ailleurs  ils 
souffriront  plus  que  les  pauvres ,  parce  que  ceux-ci 
auront  déjà  expié  dans  les  incommodités  de  celte 


D£    l'ÉiMIMIAN'IK.  '20?) 

YÎe  une  partie  de  leurs  péchés  ;  au  lieu  que  les 
graiifls  ,  qui  auront  toujours  été  dans  les  délices  , 
n'ayaul  i  ien  payé  à  la  justice  de  Dieu  ,  se  trouve- 
ront redevables  de  tout.  En  troisième  lieu  ,  comme 
rien  ne  s'est  opposé  à  leurs  passions  ,  qu'ils  ont 
trouvé  une  extrême  facilité  à  faire  le  mal ,  il  ne  se 
peut  faire  que  la  qualité  et  le  nombre  de  leurs  cri- 
mes ne  surpassent  de  beaucoup  ceux  qui  se  com- 
mettent dans  une  médiocre  fortune. 

Ajoutez  à  cela  que  ce  ne  sera  pas  seulement  de 
leurs  propres  désordres  qu'ils  auront  à  rendre 
compte,  mais  encore  de  ceux  d'aulrui ,  soit  qu'ils 
aient  négligé  de  veiller  sur  les  personnes  qui  leur 
sont  soumises,  soit  que  par  leur  exemple ,  quia 
coutume  d'être  si  contagieux ,  ils  aient  introduit  ou 
autorisé  le  vice  et  la  vanité  ;  mais^surtout  parce 
que  la  Providence  les  avait  particulièrement  des- 
tinés pourhonorer  Dieu  ,  etpourle  faire  honorer, 
et  que  pour  cela  elle  avait  mis  en  leur  pouvoir  tout 
ce  qu'il  y  a  au  monde  de  plus  efficace  pour  avancer 
ce  dessein. 

MM.  ,  si  dans  les  Enfers  il  y  a  pour  les  mauvais 
riches  des  tourmens  plus  cruels  et  plus  sensibles, 
qui  peut  dire  de  combien  la  gloire  des  hommes 
sanctifiés  dans  les  richesses  surpassera  au  Ciel  la 
récompense  des  Saints  ordinaires  ?  S'il  y  a  des  cou- 
ronnes pour  cette  humilité  obscure  et  méprisée  , 
pour  ce  détachement  que  la  pauvreté  elle-même  a 
fait  naître  ,  pour  une  modération  qui  a  toujours 
été  jointe  à  l'impuissance  de  nuire  et  de  se  venger, 
pour  une  chasteté  sauvage  ,  s'il  m'est  permis  de 
parler  ainsi  ,  toujours  année  de  haircs  et  de  cili- 
ées ,  toujours  renfermée  dans  d'invincibles  barriè- 
res; en  un  mot  pour  une  innocence  comme  forcée  ; 
quels  trônes  ,  quels  triomphes  ne  prépare-t-on 
pas  à  ces  vertus  héroïques  qui  se  seront  soutenues, 
qui  auront  pris  même  des  accroissemens  au  milieu 
des  Cours  les  plus  corrompues  ? 

Quels  éloges  ne  recevra  point  cette  humilité  qui 
aura  crû  dans  les  honneurs ,  cet  esprit  de  pauvreté 


ao4  2.  Pour  le  Jour  de  l'Epiphanie. 
qui  se  sera  conservé  au  milieu  des  plus  grands 
trésors ,  cet  éloignenient  des  plaisirs  dans  des  per- 
sonnes que  tous  les  plaisirs  senablent  rechercher, 
une  pureté  inviolable  dans  un  air  si  infecté ,  dans^ 
un  Dfionde  qui  lui  tend  des  pièges  de  toutes  parts, 
qui  la  persécute  ,  qui  la  décrie  ?  Beatus  dives  qui 
inventas  est  sine  macula ,  et  qui  post  aurumnonabiit  ^ 
nec  speravit  in  pecuniœ  thesauris  !  Heureuse  mille 
€t  mille  fois  cette  personne  riche  et  illustre  ,  dont 
le  cœur  n'a  point  été  souillé  par  la  possession  des 
trésors  ,  qui  a  mené  une  vie  innocente  dan^s  un 
monde  si  dépravé  !  Qais  est  hic  ,  et  laudabimus 
eum  ?  fecit  enim  mirabilia  in  vita  sua  :  Qu'elle 
vienne  ,  s'écrieront  les  Anges  à  son  trépas ,  qu'elle 
vienne  ,  cette  grande  ame  ;  il  est  juste  que  tout  le 
Ciel  retentisse  de  ses  louanges  :  on  n'a  pas  besoin 
de  miracles  pour  lui  donner  place  parmi  les  Saints , 
puisque  toute  sa  vie  a  été  un  miracle  continuel. 
Qui  probatus  est  in  illo  ,  et  perfectusest^,  erit  iUi 
gloria  œtcrna  :  Puisqu'elle  a  pu  soutenir  une  si 
grande  épreuve  ,  que  loin  de  se  corrompre  dans  là 
prospérité  ,  elle  s'y  est  purifiée  ,  elle  mérite  d'être 
élevée  au  plus  haut  point  de  la  gloire.  Qui  poluit 
transgredi ,  et  non  est  iransgressus  ;  facere  mala  , 
et  non  fecit  :  Quel  miracle  ,  quel  prodige  de  fidélité 
et  de  constance,  qu'ayant  pu  se  donner  une  liberté 
entière  de  tout  faire  ,  elle  se  soit  toujours  tenue 
dans  les  bornes  étroites  de  là  loi  de  Dieu;  qu'ayant 
pu  faire  le  mal  ,  elle  ne  l'ait  pas  fait  ;  qu'au  con- 
traire elle  ait  fait  le  bien ,  elle  y  ait  porté  les  autres  ! 
Ideo  stabilita  sunt  bona  iltius  in  Domina  ;  C'est 
en  récompense  du  bien  qu'elle  a  fait ,  que  ses  ri- 
chesses sont  établies  en  Dieu  ,  que  la  mort  ne  les 
lui  ravira  point ,  que  sa  grandeur  l'accompagnera 
jusque  sur  le  firmament,  qu'elle  n'y  verra  point 
sur  sa  tête  ceux  qui  se  sont  long-temps  estimés 
heureux  d'être  à  ses  pieds  ;  en  un  mot ,  qu'elle  y 
sera  encore  parmi  les  Saints  ce  qu'elle  a  été  sur  la 
terre  parmi  les  hommes .  qu'elle  y  vivra  dans  l'a- 
bondance et  dans  les  délices  ,  qu'elle  y  régnera 
cfernellcment.  Ainsi  soit-il. 


SERMON 


POUR    LE    JOUR 


DE    LA    PASSION. 


AlUndile  et  vidctc  si  est  dolor  sicut  dotor  meut, 

Gonsidvrez  et  voyez  s'il  est  une  doaleur  égale  à  la  mienne» 
(  Jercm.  Lament.  i.  ) 


Les  doulenrs  que  Jésus-Christ  rjuffre  dans  soa  corps  et 
dans  son  aiue  sont  telles  qu'aucune  autre  souffrance 
ne  les  t^gaU;  :  il  est  même  dilïicile  de  juger  quelles 
oulélé  en  lui  les  plus  vives,  ou  les  douleurs  du  corps» 
ou  les  douleurs  de  Tame. 

JaI  ON  ,  MM.  ,  il  n'est  rien  qui  égale  la  douleur 
dont  je  dois  vous  entretenir  aujourd'hui  :  plus  je 
m'applique  à  chercher  des  exemples  auxquels  je  la 
puisse  comparer,  etplus  je  m'aperçois  que  je  n'en 
puis  faire  une  comparaison  juste.  Le  Seigneur  a 
voulu  lui-même  nous  en  donner  une  idée  dans  la 
personne  de  ces  grands  hommes  qui  au  temps  de 
l'ancienne  loi  ont  été  les  figures  de  Jésus  souffrant. 
Mais  hélas  '..mes  frères  ,  ce  ne  sont  là  que  des  fi- 
gures; chacune  en  particulier  ne  représente  qu'une 
partie  de  tout  ce  que  notre  Rédempteur  a  souffert, 
et  toutes  ensemble  n'en  tracent  qu'une  faible 
image.  Qui  oserait  comparer  l'envie  de  Caîn  avec 
la  jalousie  des  Docteurs  et  des  Pontifes,  le  meur- 
tre d'Abel  avec  le  supplice  de  la  croix  ;  Isaac  dis- 
posé à  recevoir  la  mort  de  la  main  de  son  père 
Abraham ,  avec  Jésus  sacrifié  en  effet  par  le  Père 


2o6  I.   Pour  le  Jour 

éternri  à  la  haitie  de  ses  ennemis  ?  Joseph  persé- 
cuté, vendu  par  ses  frères,  calomnié  parla  femme 
de  Piitiphar  ,  resserré  dan»  une  étroite  prison; 
Joseph  sous  ces  traits  a  quelque  rapport  avec  le 
Saiiveur  trahi  par  ses  Disciples,  accusé  par  la  Sy- 
naj^ogue  ,  et  livré  à  des  soldats  :  mais  ce  n'est  là  ni 
toute  la  passion  ,  ni  ce  qu'il  y  a  eu  de  plus  sensi- 
ble dans  la  passion*  C'est  un  triste  spectacle  de 
voir  David  chassé  de  Fa  ville  capitale  par  son  pro- 
pre fils  ,  abandonné  de  ses  sujets ,  réduit  à  pren- 
dre la  fuite  ,  à  monter  pieds  nus  ,  tête  nue  ,  la 
colline  des  oliviers  ,  tandis  que  Semeï  armé  de 
pierres  le  poursuit ,  le  chargée  d'injures  et  de  ma- 
lédictions :  mais  ce  Prince  infortuné  mérite-t-il 
plus  de  compassion  que  Jésiis-Chrisl  lié  comme 
un  criminel,  couronné  d'épines,  succombant  sous 
la  pesanteur  de  la  croix,  et  allant  au  Calvaire  pour 
y  souffrir  une  mort  infâme  ?  Job  même  étendu  sur 
un  fumier,  couvert  d'ulcères  ,  afTIigé  de  tant  d'au- 
tres maladies  différentes  ,  et  en  hutte  à  tous  les 
fléaux  divers  qui  dans  lès  mains  de  la  Providence 
servent  d'épreuves  aux  hommes  vertueux  ,  et  de 
châtiment  aux  pécheurs  ;  Job  au  milieu  de  tant  de 
maux  souffre  moins  que  le  fils  de  Dieu,  souffre 
avec  moins  de  patience. 

Si  laissant  là  ces  {grands  hommes  qui  ont  repré-- 
senté  les  douleurs  du  fils  de  Dieu  ,  je  passe  à  ceux 
qui  l'ont  imité  dans  sa  passion  ,  je  trouve  des  dou- 
ceurs mêlées  aux  peines  des  Martyrs  ;  leur  mort 
n'a  rien  de  honteux ,  même  aux  yeux  des  hommes  , 
et  leur  supplice  leur  donne  plus  de  joie  que  de 
tristesse.  Altendite  et  vide  te  si  est  dolor  sicut  dolor 
mrus.  Non  ,  Seigneur  ,  aucune  souffrance  n'égale 
la-i  vôtres  ;  on  ne  vous  peut  comparer  qu'avec 
vous-même,  ni  vos  douleurs  qu'avec  vos  propres 
douleurs;  et  dans  cette  comparaison  ,  je  Tic  puis 
déterminer  quelles  ortt  été  les  plus  cruelles.  Lors- 
que je  m'attache  à  considérer  les  peines  que  vous 
avez  éprouvées  dans  votre  ame  ,  il  me  semble 
qu'on  ne  peut  rien  imaginer  de  pareil  ;   lorsque 


DE  LA  Passion.  207 

j'exan  îtio  ensuite  ce  qne  vous  avez  souffert  dans 
voire  corps  ,  je  cloute  si  ces  peines  extérieures  ne 
surpassent  point  encore  les  peines  de  votre  ame. 
Peut-être  ,  MM.  ,  qu'il  vous  sera  plus  aisé  qu'à 
moi  de  prendre  parti ,  et  que  sur  les  raisons  qui  nie 
font  pencher  tantôt  d'un  côté  et  tantôt  de  l'autre, 
vous  saisirez  la  vérité  avec  plus  de  précision  que 
moi.  Voilà  à  quoi  j'ai  dessein  d'employer  tout  ce 
discours.  Je  vous  représenterai  séparément  les 
douleurs  secrètes  de  Jésus-Christ,  et  ses  douleurs 
extérieures;  je  les  opposerai  les  unes  aux  autres, 
et  je  vous  ferai  remarquer  en  quoi  elles  se  surpas- 
sent mutuellement. 

Divine  croix,  à  qui  est-ce  que  nous  nous  adres- 
serons aujourd'hui  ,  si  ce  n'est  à  vous  ?  Marie  est 
plongée  dans  le  deuil ,  Jésus  expire  entre  vos  bras  ; 
vous  triomphez  seule  en  ce  triste  jour  ,  et  vous 
tirez  votre  gloire  du  sein  de  l'humiliation  que  vous 
causez.  Vous  couvrez  d'opprobres  le  fils  de  Dieu  , 
et  il  vous  relève  d'infamie  ;  vous  en  faites  un  objet 
de  malédiction  ,  selon  ce  mot  de  l'Ecriture  ,  maie- 
dictas  qui  pendet  in  ligno  ,  et  il  vous  attire  l'hom- 
mage profond  que  nous  allons  vous  rendre  avec 
toute  l'Eglise  catholique.  O  crux,  ave,  spes  unica. 

Il  y  a  ce  rapport  entre  les  peines  et  les  plaisirs 
de  l'esprit ,  qu'il  faut  les  sentir  pour  les  compren- 
dre :  mais  comme  lorsqu'on  a  goûté  les  délices  que 
Dieu  a  préparées  à  ceux  qu'il  aime,  on  ne  fait  plus 
de  cas  de  la  volupté  sensuelle;  de  même  ceux  qui 
auront  été  éprouvés  par  des  désolations  intérieu- 
res ,  avoueront  aisément  qu'elles  sont  beaucoup 
plus  difficiles  à  supporter  que  les  douleurs  qui  s'ar- 
rêtent au  corps.  De  plus  ,  les  afflictions  du  cœur 
sont  beaucoup  plus  communes  que  les  infirmités 
du  corps  :  il  y  a  des  gens  qui  n'éprouvent  qu'une 
fois  dans  la  vie  ces  sortes  d'infirmités  ,  et  il  en  est 
peu  qui  n'aient  presque  tous  les  jours  quelque  sujet 
d'affliction.  Il  est  des  conditions  où  le  corps  a  peu 
à  souffrir;  mais  ni  les  richesses,  ni  le  trône  même 


io8  1.  Pour  le  Jour 

ne  sauraient  défendre  l'amê  de  la  tristesse  ,  ni  de* 
autres  passions  qui  la  troublent ,  et  qui  la  plon- 
gent dans  l'amertume.  De  sorte  que  s*il  eït  vrai 
que  Jésus-Christ  ait  voulu  porter  toutes  nos  dou- 
leurs ,  selon  ces  paroles  du  Prophète  :  Verè  dolores 
nostros  ipse  portavit  ;  elles  sont  retombées  eu  plu8 
grand  nombre  sur  son  cœur  que  sur  son  corps  ;  il  a 
souffert  dans  son  ame,  et  beaucoup  plus  de  dou- 
leurs, et  des  douleurs  plus  amères. 

D'ailleurs  Jésus-Ciirist  dans  sa  passion  n'a  pas 
seulement  eu  en  vue  de  nous  apprendre  et  de  nous 
animer  par  son  exemple  à  souffiir  chrétienne- 
ment ,  il  a  encore  souffert  pour  nous  épargner  les 
peines  de  l'autre  vie  ,  pour  payer  pour  nous  à  la 
justice  de  son  péri:  les  dettes  que  nous  avions  con- 
tractées par  nos  péchés.  Sur  quoi  il  y  a  des  Doc- 
teurs qui  ont  osé  avancer  que  ses  douleurs  ont 
égalé  les  tourmens  des  Enfers.  Je  n'oserais- s<>us- 
crire  à  celle  pensée  ,  mais  il  est  bien  certain  qu'el- 
les ont  dû  répondre  en  quelque  sorte  aux  supplices 
des  damnés,  puisqu'elles  nous  doivent  exempter 
de  ces  supplices.  Or  ne  doutez^  pas  que  dans  les 
Enfers  la  peine  où  l'ame  sera  plongée  ne  surpasse 
de  beaucoup  la  peine  des  sens.  Ce  feu,  dont  on 
nous  fait  tant  redouter  les  éternelles  ardeurs,  ne 
sera  qu'un  tourment  léger  en  comparaison  du  re- 
gret d'avoir  perdu  Dieu ,  et  du  désespoir  où  l'on 
sera  de  le  recouvrer:  et  par  conséquent  on  peut 
dire  que  Jésus  souffrant  pour  nous  affranchir  des 
peines  de  l'autre  vie,  a  ressenti  dans  son  ame  des 
douleurs  auxquelles  les  douleurs  du  corps  ne  peu» 
vent  être  comparées.- 

Mais  encore  quelles  ont  été  ces  douleurs  secrè- 
tes, et  par  quels  objets  ont-elles  été  causées  ?  Pour 
répondre  avec  quelque  ordre  à  cette  question  , 
permettez-moi ,  MM.  ,  de  distinguer  trois  temps 
différens  :  le  premier  ,  c'est  celui  qui  a  précédé  le 
supplice  corporel  et  extérieur  du  fils  de  Dieu  ;  le 
second,  celui  qu'a  duré  ce  supplice  jusqu'aux  der- 
nières heures  de  sa  vie  ;  et  le  troisiènje  y  ces 


DE  Li  Passion.  .209 

âernières  heures  qu'il  a  passé«.'s  élevé  sur  la  croi^ 
entre  deux  voleurs.  Chaque  temps  a  eu  ses  dou- 
leurs particulières  ,  et  chaque  douleur  diverse:? 
causes. 

Jésus  n'avait  encore  rien  souffert  en  son  corps  , 
qu'il  souffrait  déjà  dans  son  ame  tout  ce  que  Son 
corps  devait  souffrir.  Ge  fut  au  jardin  des  oliviers 
que  tous  les  tourmens  qu'on  lui  préparait,  et  sur- 
tout cette  mort  infâme  et  cruelle  ,  se  présentant 
à  son  imagination  de  la  manière  lia  plus  vive  et  la 
plus  détaillée  ,  son  ame  fut  saisie  d'une  si  grande 
horreur  et  d'une  tristesse  si  accablante  ,  qu'elle 
parut  céder  à  la  violence  de  ces  passions  ,  et  plier 
sous  la  pesanteur  du  fardeau.  La  douleur  de  cette 
ame  égala  dès  ce  premier  temps  toutes  les  peines 
du  corps  5  puisqu'en  effet  elle  les  ressentit  toutes. 
J'ose  même  dire  que  dès  lors  elle  souffrit  plus  que 
ne  le  fit  le  corps  durant  tout  le  cours  de  la  passion, 
puisque  toutes  les  cruautés  qu'on  n'exerça  sur  lui 
qu'en  divers  temps  et  successivement  ,  elles  les 
souffrit  en  même  temps  ,  et  tout  à  la  fois.  Jésus  est 
outragé  par  des  soufflets  chez  Caïphe  ,  il  est  flagellé 
le  lendemain  chez  Pilate  ,  la  nuit  suivante  on  le 
couronne  d'épines,  il  porte  sa  croix,  et  il  y  est 
attaché  le  jour  d'après.  Il  j  a  peu  d'intervalle  en- 
tre ces  supplices;  à  peine  lui  donne-t-on  le  loisir 
de  respirer  :  mais  néanmoins  il  ne  les  souffre  pas 
tous  à  la  fois  ,  au  lieu  qu'aujourd'hui  ces  maux 
viennent  en  foule  assaillir  son  ame  désolée  ,  elle 
découvre  d'une  seule  vue  toute  cette  longue  et  tra- 
gique histoire.  Je  me  ressouviens  encore  de  l'in- 
fortuné Job  ,  qui  reçoit  en  même  temps  ,  quoique 
de  divers  endroits  ,  les  nouvelles  de  toutes  ses  dis- 
grâces ,  qui  se  voit  environné  d  hommes  qui  se 
sont  députés  ,  l'un  pour  lui  apprendre  que  ses 
nombreux  troupeaux  de  bœufs  et  de  chameaux  lui 
ont  été  enlevés  ,  et  que  ceux  qui  les  gardaient  ont 
été  passés  au  fil  de  l'épée  ;  l'autre ,  que  le  tonnerre 
est  tombé  sur  ses  bergeries  ,  et  qu'il  a  consuma 
les  bergers  et  lç§  brebis  ^  l'autre  ;  que  tous  sç§ 


sro  T.   Pour  le  Jour 

enfans  ont  été  ensevelià  .-^ous  les  ruines  d'une 
maison. 

Tel  qui  pourrait  résister  en  détail  à  tous  ces 
malheurs  ,  est  accablé  par  la  multitude.  Job  dé- 
chire ses  habits  ,  tombe  par  terre  ,  se  livre  à  sa 
faiblesse.  Jésus  à  la  vue  de  sa  passion  semble  man- 
quer de  force  et  de  courage  ,  il  s'abandonne  à  une 
tristesse  mortelle ,  aux  cris  9  aux  pleurs  ,  à  une 
espèce  de  désespoir.  Voulez-vous  savoir  ,  MM.  , 
quel  est  le  temps  où  Jésus  a  le  plus  souffert  ;  si 
c'est  lorsqu'il  a  été  dans  les  tourmens,  ou  lorsqu'il 
les  a  prévus  ?  vous  n'avez  qu'à  comparer  l'état  où 
lise  trouve  au  jardin,  avec  la  situation  où  il  est  à  la 
colonne  ,  et  sur  la  croix  même.  Par  ce  silence, 
cette  douceur  ,  cette  sérénité  de  visage  ,  cette 
tranquillité  d'esprit  que  n'altèrent  ni  les  fouets, 
ni  les  clous  ,  ni  les  épines  ,  il  fait  bien  voir  qu'en 
tout  cela  il  n'y  a  rien  qui  soit  au-dessus  de  sa  con- 
stance. Mais  il  semble  qu'elle  est  ébranlée  ,  cette 
constance  ,  et  qu'elle  succombe  à  Gethsemani  :  il 
pâlit,  il  tremble  ,  il  sue ,  il  tombe  sur  ses  genoux, 
sur  son  visage ,  il  se  plaint ,  il  éclate  en  de  pitoya- 
bles gémissemens  ,  il  combat  dans  lui-môme  con- 
tre lui-même  ,  il  ne  se  soutient  qu'à  peine  ,  on 
dirait  qu'il  va  céder  ou  mourir  dans  le  combat. 

O  Jésus  ,  l'appui  des  faibles ,  et  la  force  même 
des  forts  !  ame  généreuse  dont  les  nobles  sentimens 
sont  si  élevés  au-dessus  de  toutes  les  infirmités 
des  hommes  ,  vous  qui  avez  une  connaissance  si 
parfaite  des  biens  et  des  maux  ,  qui  ne  pouvez  ni 
aimer,  ni  craindre  ,  ni  vous  affliger  ,  qu'autant  que 
chaque  objet  le  mérite  :  apprenez-nous  ,  je  vous 
en  conjure  ,  quelle  peut  être  en  vous  la  cause  d'une 
douleur  si  excessive.  Car  je  ne  saurais  croire  que 
l'attente  de  ces  ignominies  ,  de  cette  mort  que 
vous  nous  avez  appris  à  mépriser  ,  que  vous  nous 
ordonnez  de  braver  ,  puisse  faire  naître  en  vous 
une  affliction  si  profonde;  non  sans  doute,  cette 
affliction  part  d'une  source  plus  féconde.  C'est 
un  spectacle  terrible  de  voir  Jésus-Christ  triste , 


DE  LA  Passion.  ait 

abattu  ,  inquiet,  drsolé  ,  inconsolable  :  mais  quand 
je  pense  qu'il  avait  alors  devant  les  yeux  ,  non- 
seulement  toutes  les  rigueurs  qu'on  devait  exercer 
sur  lui  ,  mais  encore  tous  les  péchés  qui  avaient 
été  commis  jusqu'alors  contre  Dieu  ,  et  tous  ceux 
qui  devaient  être  commis  jusqu'à  la  fin  du  monde  , 
je  suis  persuadé  que  ni  cette  mortelle  frayeur ,  ni 
cette  sueur  de  sang ,  ni  cette  agonie  sans  exem- 
ple ,  ni  que  tout  cela  ensemble  n'exprime  qu'une 
très-légère  partie  del'afiliction  de  son  cœur.  O  mon 
Dieu,  si  vous  daigniez  nous  découvrir  ici  cet  abîme 
d'amertume  ,  quels  mouvemens  de  compassion 
n'exciteriez-vous  pas  dans  cette  assemblée  ,  quel- 
les larmes  n'y  feiiez-vous  pas  verser  ! 

Pour  moi  j'avoue  que  je  ne  trouve  ni  comparai- 
son ,  ni  figure,  ni  expression,  ni  terme  qui  puisse 
TOUS  faire  entendre  ce  que  je  pense  de  la  situation 
douloureuse  où  est  réduit  le  fils  de  Dieu.  La  dou- 
leur de  ce  Roi ,  qui  durant  sa  captivité  voyait  des 
fenêtres  de  sa  prison  ses  favoris  demander  l'au- 
mône ,  sa  fille  servir  comme  une  vile  esclave  ,  et 
ses  fils  expirer  dans  le  plus  infamant  supplice  ;   la 
douleur  de  cet  autre  Prince  que  son  propre  frère 
obligea  de  manger  la  chair  de  ses  enfans  égorgés  , 
et  de  boire  leur  sang  dans  leur  crâne  ;  la  douleur 
d'une  jeune  épouse,  quT.  précisément  au  jour  de 
son  mariage  verrait  percer  de  mille  coups  l'époux 
qu'elle  aurait  désiré  avec  des  empressemens  in- 
croyables ;  toutes  ces  espèces  de  douleurs  ne  sont 
rien  ,  je  dis  rien  ,  comparées  à  la  douleur  qu'im- 
prime dans  l'ame  de  Jésus-Christ  ,  dès  l'entrée  de 
sa  passion  ,  un  seul  des  péchés  que  j'ai  commis, 
et  qu'il  doit  expierpar  sa  mort.  Magdelène  éprouve 
sans  doute  un  cruel  supplice  en  voyant  expirer  sur 
une  croix  l'objet  de  son  amour  :  Marie,  si  nous  en. 
croyons  les  saints  Pères,   a  le  cœur  percé  des 
mêmes  clous  qui  déchiraient  les  mains  de  son  fils 
unique  ;  son  martyre  surpasse  les  tourmens  de  tous 
les  Martyrs  ensemble  ,  sa  douleur  partagée  entre 
tous  les  hommes  suffirait  pour  les  faire  tous  mourir 


2 ta  I.  Pour  le  Jour 

de  douleur  ;  cependant ,  mon  frère,  cette  douleuf 
excessive  n'approche  pas  des  sentiuaens  amers  que 
versa  dans  le  cœur  du  fils  de  Dieu  la  première  in- 
fidélité qui  TOUS  a  ravi  Tinnocence  du  Baptême. 

Je  vousîdisais  il  y  a  quelque  temps  qu'on  a  vu 
et  des  hommes  et  des  femmes  étouffés  par  l'excès 
d'un  amoureux  repentir  à  la  vue  de  leurs  désor- 
dres passés.  Jésus  a  été  plus  touché  d'un  seul  pé- 
ché véniel  commis  contre  Dieu  ,  que  ces  pénitcns 
célèbres  n'ont  été  affligés  de  leurs  plus  grands  cri- 
mes, ïl  a  eu  autant  de  contrition  que  chaque  pé- 
cheur en  devrait  avoir  pour  ses  fautes  particulières; 
plus  pour  chaque  péché  en  particulier,  que  tous 
les  hommes  ensemble  n'en  peuvent  avoir  pour 
tous  leurs  péchés.  Comprenez  ,  MM.  ,  combien 
le  Seigneur  est  bon  ,  comi)ien  il  est  î-imable  en 
lui-même  içpmbieu  Jésus-Chrij?tentantqu'homme 
avait  de  raisons  d'aimer  ce  Dieu,  qui  l'avait  choisi 
parmi  toutes  les  créatures  pour  le  faire  Dieu  égal 
à  lui-même  ;  comprenez  ,  s'il  est  possible  ,  com- 
bien il  avait  de  connaissance  des  perfections  inC« 
nies  de  ce  Dieu  ,  et  quel  amour  ,  quelle  ardeur 
dans  ses  sentimcns  répondaient  à  de  si  grandes 
lumières  ;  et  vous  comprendrez  de  quelle  douleur 
il  a  dû  être  pénétré,  en  voyant  ce  même  Dieu 
méprisé ,  insulté  ,  outragé  presque  par  tous  les 
hommes  ,  dans  tous  les  lieux  de  l'univers  ,  et  de- 
puis le  commencement  du  monde  jusqu'à  la  fin 
des  siècles.  Si  un  seul  péché  mortel ,  ou  même 
véniel  ,  lui  a  causé  assez  de  tristesse  pour  lui  ar- 
racher l'ame  du  corps  ;  ces  péchés  si  énormes  qui 
font  honte  à  la  nature  ,  qui  font  horreur  aux 
Démons,  cet  amas  immense  d'iniquité,  cette  mer 
d'abomination  qui  a  inondé  la  terre  ,  quel  accable- 
ment a-t-elle  dû  produire  dans  une  ame  si  pure  ? 
De  combien  de  morts  lui  a-t-elle  fait  à  chaque  mo- 
ment sentir  le  supplice  ? 

Nous  comparons  les  peines  de  l'ame  de  Jésus- 
Christ  avec  les  peines  de  son  corps  ;  hélas  !  je  suii 
persuadé    que  ces   souffrances  extérieures  ,  loin 


DE  LA  Passion.  ai3 

d*égaler  les  autres,  étaient  un  remède  ou  du  moins 
un  soulagement  pour  son  cœur  brisé  de  douleur. 
Croyez-vous  qu'il  fût  fort  sensible  à  des  plaies  qui 
réparaient  les  outrages  faits  à  son  père  ?  Ou  plutôt 
avec  quelle  joie  pensez-vous  qu'il  vît  le  péché  dé- 
truit par  la  destruction  de  sa  chair  ,  lu  gloire  du 
Seigneur  réparée  par  l'effusion  de  son  sang  ,  sa 
justice  vengée  ,  le  monde  purifié  ,  réconcilié  avec 
Dieu ,  remis  en  état  de  faire  honneur  à  ce  Dieu  qui 
l'a  créé  ?  Remarquez  ,  s'il  vous  plaît,  comment , 
après  trois  heures  de  la  plus  excessive  désolatioo 
qui  fut  jamajs,  il  n'aperçoit  pas  plutôt  les  soldats, 
qu'au  lieu  d'éclater  ,  ou  de  se  laisser  abattre  , 
comme  il  arrive  ordinairement  à  la  présence  des 
maux  qu'on  a  extrêmement  craints  ,  il  se  lève  au 
contraire ,  il  paraît  tout  à  lui ,  il  congédie  les  Apô- 
tres ,  il  leur  permet  de  s'abandonner  au  sommeil 
comme  n'ayant  plus  besqiu  de  consolation  :  plein 
de  force  et  d'intrépidité  ,  comme  si  sa  prière  avait 
été  exaucée  ,  il  se  présente  aux  satellites  qui  le 
cîieichont  ,  à  ces  lions  affamés  ;  il  se  livre  à  leur 
rage  ,  il  se  montre  jusqu'à  la  mort  si  peu  ému  ,  si 
cal  uc  ,  si  supérieur  aux  plus  cruels  événemens, 
q«i'on  ne  peut  douter  que  rimpres:?ion  de  ces  nou- 
veaux supplices  n'ait  un  peu  apaisé  la  douleur 
q'ii  le  pressait.  0  douleur  inconcevable  ,  ô  incroya- 
ble amertume  du  cœur  de  Jésus,  qui  le  rend  comme 
insensible  à  des  maux  si  violens ,  qui  lui  fait  trouver 
môme  dans  ces  maux  une  espèce  d'adoucissement! 
Mais  n'abandonnons  pas  notre  aimable  maître  , 
suivons  de  prèsjes  barbares  qui  viennent  de  nous 
l'enlever  ,  et  continuons  d'examiner  la  passion  de 
son  ame  ,  qui  souffre  encore  plus  que  son  corps, 
lors  mc'me  que  celui-ci  est  livré  aux  plus  rigoureux 
tourmcns. 

Oui  ,  MM.  ,  dans  chaque  tourment  auquel  on  a 
condamné  le  fils  de  Dieu ,  il  y  a  toujours  eu  quel- 
que chose  de  plus  cruel  mille  fois  pour  son  cœur 
que  ce  qui  semblait  se  borner  à  son  corps.  Je  ne 
parle  plus  de  ces  crimes  qui  durant  l'espace  de 


2i4  I-   PoLR  LE  Jour 

trois  jours  furent  sans  cesse  commis  contie  Dieu  , 
et  qui  furent  les  phiià  énormes  qui  soient  jamais 
sortis  de  l'Enfer  ,  puisqiie  le  soleil  en  perdit  la 
lumière  ,  que  la  terre  en  frémit  d'horreur  ,  que 
toute  la  nature  en  parut  épouvantée  :  l'ame  de 
Jésus-Christ ,  mes  frères  ,  Tame  de  Jésus-Christ  y 
dut-elle  être  insensible  ?  3îais  je  m'attache  à  des 
objets  plus  proportionnés  à  rintelligence  humaine, 
et  plus  conformes  à  nos  sentimens. 

J'avoue  qu'être  déchiré  à  corps  de  verges,  et 
cloué  à  un  gibet,  c'est  un  tourment  bien  doulou- 
reux ;  cependant  quand  une  amc  qui  a  de  la  fer- 
meté prend  sa  résolution  ,  surtout  si  elle  est  pos- 
sédée d'un  grand  amour  ,  et  qu'elle  espère  en 
souffrant  de  faire  connaître  cet  amour  ,  elle  est 
capable  de  se  dévouer  généreusement  à  ce  genre 
de  supplice  ;  mais  plus  on  a  de  sentiment,  plus  on 
a  «Je  générosité  et  de  tendresse,  plus  on  a  de  peine 
à  supporter  l'injustice  et  l'ingratitude.  Se  voir  sa- 
crifié à  l'envie  de  ses  ennemis  ,  et  trahi  par  ceux 
de  qui  on  avait  lieu  d'attendre  du  secours  dans  sa 
disgrâce  ,  ce  sont  des  revers  que  soutiennent  à 
peine  la  constance  la  plus  mâle  et  la  patience  la 
plus  invincible. 

Cela  supposé,  faites  un  peu  de  réflexion,  Chré- 
tiens auditeurs,  à  ce  qui  se  passe  à  l'égard  de  Jésus- 
Christ.  On  vient  de  se  saisir  de  sa  personne,  on 
l'accuse  ,  on  le  livre  ùux  Gentils ,  on  lui  prépare 
une  croix  ,  on  l'y  attache  comme  un  scélérat ,  il  y 
meurt.  N'est-ce  poit  une  eiTeur  ?  ne  le  prend-on 
point  pour  quelqu'autre  qui  a  mérité  ce  supplice? 
Non,  on  ne  se  trompe  point  :  on  sait  combien  sa 
vie  a  toujours  été  sainte  ,  exemplaiire  ,  irréprocha- 
ble ;  et  c'est  pour  cela  même  qu'on  le  persécute: 
on  sait  que  la  seule  jalousie  des  Prêtres  leur  fait 
désirer  sa  mort  ;  on  voit  que  quoique  Pilate  ait 
pénétré  leurs  sentimens  ,  qu'il  ait  découvert  leur 
malignité ,  il  ne  laisse  pae  de  l'inimoler  à  leur  pas- 
sion. Encore  si  le  piège  était  tendu  avec  quelque 
adresse  ,  si  on  donnait  quelque  couleur ,  quelque 


DE  LA  Passion.  2  1  5 

ombre  de  vrrîlé  aux  crimes  qu'on  lui  impute; 
mais  les  chefs  d'accusation  n'ont  ni  vérité  ni  vrai- 
semblance ,  tout  le  monde  en  connaît  la  fausseté 
et  l'imposture  ;  n'importe  ,  il  ne  se  trouve  per- 
sonne qui  veuille  faire  justice  à  Jésus-Christ,  tous 
les  tribunaux  sont  contre  lui  ,  le  conseil  de  la  Sy- 
nagogue ,  le  Gouverneur  ,  le  peuple  même,  tout 
le  condamne  à  mourir  ,  quoique  son  innocence 
paraisse  plus  claire  que  la  lumière  du  jour  aux 
yeux  de  ses  accusateurs  et  de  ses  juges. 

Que  ne  parle-t-il  en  sa  faveur  ?  que  ne  repré- 
sente-t-il  l'horrible  excès  de  l'injustice  qu'on  lui 
fait  ?  Mais  qu'est-il  nécessaire  qu'il  parle  ?  Les 
Docteurs  et  les  Pharisiens  décèlent  eux-mêmes  le 
motif  empoisonné  de  leur  poursuite  par  leur  ar- 
deur et  par  leur  empressement.  Les  témoins  n'at- 
tendent pas  qu'on  les  réfute,  ils  justifient  eux- 
mêmes  l'accusé  par  leurs  contradictions  ;  le  Juge 
en  convient ,  il  le  déclare  hautement  par  ses  pa- 
roles ,  par  ses  actions  :  et  néanmoins  l'innocent 
meurt,  non  comme  la  \iclime  d'une  calomnie  dont 
on  ne  découvre  par  la  fausseté  ,  non  comme  la 
victime  d'une  fureur  populaire  qui  prévient  les  for- 
malités de  la  Justice  ;  non  ,  c'est  par  l'autorité 
publique  qu'il  meurt,  c'est  en  vertu  d'un  jugement 
donné  dans  les  formes  par  ceux  à  qui  le  dépôt  des 
lois  a  été  conflé  ;  et  qu'un  serment  solennel  oblige 
à  protéger  l'innocence  contre  l'oppression.  O  , 
MM. ,  que  ce  jugement  est  injuste  !  et  qu'on  aurait 
de  peine  à  en  souffrir  de  pareils  dans  un  pays  où  l'on 
n'aurait  pas  encore  perdu  toute  liberté  !  Qu'il  fau- 
drait peu  de  semblables  injustices  pour  faire  sou- 
lever tout  un  royaume  contre  les  Puissances  les 
plus  légitimes  !  Il  n'est  jamais  arrivé  et  il  n'arri- 
vera jamais  rien  de  si  odieux  sous  aucune  domi- 
nation. C'est  contre  vous,  mon  adorable  Sauveur, 
qu*a  été  commise  cette  injustice  ;  et  vous  n'avez 
pas  témoigné  l'indignation  que  vous  causait  un 
procédé  si  barbare  ,  si  inoui  1*  vous  avez  pu  vous 
laire  dans  cette  rencontre  ? 


ai 6  I.  Pour  le  Jour 

Mais  vous,  peuple  ingrat  et  insensible  ,  qui  avez 
eniendu  la  doctrine  de  Jésus  ,  qui  en  avez  ad- 
miré la  pureté  et  la  sainteté,  qui  avez  été  si  frappé 
de  ses  exemples,  qui  avez  vu  tant  de  prodiges,  qui 
avez  trouvé  dans  sa  personne  un  Médecin  si  cîiari- 
table  et  si  puissant  ;  vous  qui  lui  avez  paru  si  atta- 
ché, qui  avez  abandonné  vos  maisons,  vos  enfans, 
qui  vous  êtes  oubliés  vous  -mêmes  pour  le  suivre 
dans  le  désert  ;  qui,  après  qu'il  vous  y  eut  nourri 
d'un  pain  miraculeux  ,  voulûtes  le  forcer  à  se  por- 
ter pour  votre  Roi  ;  vous  dont  l'amour  lui  a  servi 
jusqu'ici  de  rempart  contre  la  haine  de  ses  enne- 
mis, qu'il  ne  s'est  attirée  que  pour  vous  avoir  fait 
trop  de  bien  ;  ce  Prince  ,  votre  maître  est  con- 
damné injustement,  vous  est  enlevé  avec  violence; 
et  pas  une  larme  ,  pas  un  mot  ne  marque  vos  re- 
grets ,  tandis  qu'il  est  immolé  à  l'envie  et  à  l'hy- 
pocrisie des  Pharisiens  ?  Quid  dicam,  aut  quid  res- 
pondebit  mi/ii  cùm  ipse  fecerit  ? 

Mais  que  me  répondra  cette  multitude  insensée? 
elle  qui  sollicite  ,  elle  qui  déjà  se  mutine ,  si  on  ne 
le  crucifie.  Qui  l'aurait  jamais  pu  prévoir,  que  ce 
peuple  si  chéri ,  si  favorisé  en  tout ,  ce  peuple  pres- 
que tout  composé  des  aveugles  auxquels  il  avait 
donné  la  vue  ,  des  sourds  auxquels  il  avait  rendu 
l'ouïe,  des  muets  dont  il  avait  délié  la  langue  ,  des 
malades  qu'il  avait  guéris,  des  possédés  qu'il  avait 
délivrés  ;  ce  peuple  dont  l'amour  et  le  respect  l'a- 
vaient rendu  odieux  et  redoutable  aux  Pharisiens  : 
qui  l'aurait  jamais  prévu  que  ce  peuple  dût  être  si 
altéré  du  sang  de  son  bienfaiteur  ,  et  demander  sa 
mort  avec  tant  d'instance  ?  Certainement  ce  n'était 
pa8  la  pensée  de  Pilate  ,  qui  crut  que  pour  sauver 
l'innocent,  il  n'y  avait  pas  de  voie  plus  sûre  que 
de  laisser  ces  mêmes  Juifs  maîtres  du  jugement 
qu'il  n'osait  porter,  que  de  se  remettre  à  eux  du 
choix  du  prisonnier  qu'il  avait  coutume  d'élargir 
tons  les  ans  il  leur  prière.  Ce  lâche  Juge  ne  douta 
pas  que  Jésus  ne  fût  préféré  ,  surtout  n'ayant  pour 
cette   faveur    d'autre   concurrent   qu'un   scélérat 


r>E  LA  Passion.  1x17 

décrié  par  ses  meurtres  et  par  ses  séditions  ;  ce- 
pendant qu'arriva-t-il?  Exspectavlt  ut  faceret  judi- 
cium,  et  ecce  iniquitas;  et  justitiam,  et  ecce  clamor  : 
Le  Sauveur  du  monde  n'a  pas  une  seule  voix  pour 
lui  ,  il  a  la  confusion  de  se  voir  rejeté  plusieurs 
fois  de  la  manière  la  plus  outrageante  ;  pour  tout 
jugeiTicnt  on  n'entencl  que  des  cris  tumultueux  ; 
un  bruit  confus  de  voix  séditieuses  demande  qu'on 
fasse  grâce  à  Barrabas,  et  que  le  Roi  des  Juifs  soil 
crucifié  ;  on  le  demande  avec  instance  ,  et  on  me- 
nace le  Gouverneur  de  la  disgrâce  de  César  :  Si 
hune  dimittis  ,    non  es  amicus  Cœsaris. 

Quel  triomphe  pour  les  Pharisiens  ,  qui  jus- 
qu'alors n'avaient  rien  tant  redouté  que  l'affection 
et  le  respect  qu'on  avait  partout  pour  Jésus-Christ! 
quelle  joie  de  voir  un  changement  si  peu  attendu! 
Quelle  douleur  pour  Jésus-Chri.st  de  se  voir  ainsi 
l'objet  deTaversion  du  peuple  qu'il  avait  toujours 
chéri  ,  qu'il  avait  comblé  de  tant  de  bienfaits  ! 
Peut-on  douter  qu'il  n'ait  été  beaucoup  plus  sen- 
sible à  cette  haine  qu'aux  rigueurs  de  la  mort, 
puisqu'il  l'a  déclaré  lui-mtMiie  si  expressément  par 
son  Prophète  ?  Si  inimicus  meus  muledixisset  mihi^ 
sustinuissem  iillque  :  Héh\s  !  s'il  n'avait  fallu  être 
exposé  qu'à  l'injustice  des  Juges,  qu'à  la  cruauté 
des  bourreaux  ,  je  n'avais  garde  de  me  plaindre, 
j'allais  au  supplice  et  à  la  mort  sans  murmurer, 
j'y  allais  même  avec  joie  ,  pensant  aux  avantages 
que  mon  peuple  en  retirerait  ;  mais  quand  je  vois 
contre  moi  ce  même  peuple  que  j'ai  aimé,  à  qui 
je  n'ai  fait  que  du  bien  ,  et  pour  qui  je  me  sacrifie; 
lorsque  plein  de  rage  et  de  venin  il  se  joint  à  mes 
plus  mortels  ennemis  pour  me  perdre ,  je  sens  que 
toute  ma  force  est  sur  le  point  de  m'abandonner, 
je  n'ai  plus  assez  de  constance  pour  supporter  une 
si  noire  perfidie.  Vous  l'avez  supportée  néanmoins 
avec  une  douceur  inaltérable  ;  une  seule  plainte 
n*est  pas  sortie  de  votre  l)ouche  ;  et  avec  la  même 
fermeté  que  vous  avez  soulVerl  tout  le  reste  ,  vous 
ayez  bu  cette  partie  si  amèrede  votre  calice.  Mais 9 
1 .  10 


2i8  I.  Pour  le  Jour 

Seigneur,  je  vous  entends  ,  votre  cœur  s'explique 
par  la  voix  du  Prophète  ,  vous  avez  eu  besoin  en 
cette  occasion  de  toute  votre  patience  ,  et  tout 
me  dit  que  les  lourraens  de  votre  corps  n'égalent 
en  rien  l'amertume  dont  votre  ame  vient  d'être 
abreuvée  :Si  inimicus  maledixisset  mild ,  sustinuis' 
sem  uiique. 

Vous  voyez,  Chrétiens  auditeurs,  que  l'ame  de 
Jésus-Christ  a  eu  part  à  tous  les  supplices  ,  et 
qu'elle  y  a  eu  la  plus  grande  part  ,  parce  qu'ea 
effet  elle  a  été  plus  touchée  de  l'injustice  de  ses 
ennemis,  de  l'ingratitude  des  Juifs  ,  que  son  corps 
fi'a  été  seusible  àia  cruauté  des  uns  et  des  autres. 
Si  vous  ajoutez  à  cela  les  peines  particulières  qui 
ne  se  sont  fait  sentir  qu'à  son  ame  ,  quelle  compa- 
raison restera-t-il  à  faire  entre  ces  peines  diffé- 
rentes ? 

La  première  de  ces  peines  ,  c'^st  l'infidélité  des 
Disciples  et  des  Apôtres  de  Jésus-Christ ,  dont 
l'un  le  vendit ,  l'autre  le  renia  avec  des  sermens 
exécrables  ,  et  tous  les  autres  l'abandonnèrent  : 
Tune  Discipuli  omnes  ,  relicto  eo  _,  fagerunt.  Que 
va-t-on  dire  de  vous ,  mon  adorable  Rédemp- 
teur ?  Quoi ,  de  tant  de  personnes  que  vous  avie» 
pris  soin  de  cultiver  durant  l'espace  de  trois  an- 
nées,  qui  ont  été  témoins  de  tant  de  merveilles, 
qui  vous  ont  accompagné  partout ,  qui  ont  étudié 
Tos  maximes  ,  qui  vous  ont  connu  de  la  manière 
la  plus  intime  ;  de  tant  de  personnes  il  n'y  en  a 
pas  une  seule  qui  demeure  auprès  de  vous  ,  pas 
une  seule  qui  ose  se  déclarer,  ni  se  montrer  en 
public ,  depuis  que  vous  êtes  entre  les  mains  de 
vos  ennemis  ?  Est-ce  que  vous  ies  aviez  toutes  ou 
mal  connues,  ou  mal  choisies  ,  ou  mal  instruites  , 
ou  mal  prévenues  par  votre  doctrine  et  par  vos 
actions  ?  Que  pensera- 1- on  d'une  disgrâce  si 
étrange  ?  que  dira-t-on  d'un  homme  à  qui  il  ne  reste 
pas  un  seul  ami  dans  son  infortune  ?  qui  est  trahi 
par  les  uns  ,  désavoué  par  les  autres ,  ou  du  moins 
abandonné  ?  Quelle  plaie  pour  le  cœur  tendre  el 


DE  LA  Passion.  219 

fidèle  de  Jésus-Chrisl  !  lui  qui  avait  aimé  ses  Dis- 
ciples avec  tant  de  constance  ,  qui  avait  si  fort 
craint  qu'ils  ne  cofirusscnt  quclqiïe  péril  à  son 
occasion  ,  qui  était  allé  au-devant  des  Prêtres  et 
des  Soldats,  qui  s'était  livré  à  eux  à  discrétion, 
de  peur  que  sa  résistance  ne  les  obligeât  de  mal- 
traiter ceux  qui  l'avaient  smvi  au  jardin  ,  qui  pour 
toute  grâce  avait  demandé  qu'on  Jes  épargnât  ; 
quelle  plaie  pourl'ame  si  compatissante  de  Jésus- 
Christ  ,  de  voir  que  dans  son  malheur  non-seule- 
ment ses  Disciples  évitent  le  danger  ,  mais  qu'ils 
fuient  lâchement  leur  maître  ,  qu'en  effet  ils  sont 
refroidis  ,  qu'ils  commencent  même  à  douter  de 
sa  bonne  foi ,  à  tenir  pour  suspecte  la  vérité  de 
sa  mission  ,  et  tous,  sans  qu'il  lui  en  reste  un  seul 
à  qui  il  puisse  se  plaindre  de  rinfidélité  des  autres! 
Qui  peut  expliquer  la  sensibili^té  des  mouvemens 
excités  par  un  abandon  si  accablant  ?  El  nous 
chargés  de  vous  en  entretenir  aujourd'hui  ,  ne 
sommes-nous  pas  à  plaindre  d'avoirà  vous  dire  des 
choses  si  frappantes,  d'en  comprendre,  d'en  sen- 
tir en  partie  la  force  ,  de  voir  Timpression  qu'elle! 
seraient  capables  de  faire  si  elles  étaient  comprises.^ 
sans  cependant  les  pouvoir  faire  cojnprendre  ? 

La  seconde  peine  ,  qui  fut  toute  pour  l'ame  dé 
solée  de  Jésus-Christ,  ce  fut  la  perte  entière  de  sa 
réputation,  il  est  étonnant  que  ceuiL  qui  étaient  les 
plus  prévenus  en  sa  faveur  ,  ceux  qui  étaient  les 
plus  désintéressés,  ceux  qui  devaient  être  les  plus 
éclairée,  comme  Hérodes  «t  toute  sa  Cour,  ne 
peuvent  s'empêcher  (Vec no-ire  que  Jésus  n'est  qu'un 
insensé  ,  un  vi>ionnaire  ,  qui  s'est  imaginé  qu'il 
était  Dieu  ,  et  qui  se  repaît  de  cette  extravagante 
pensée.  Tous  les  Juifs  qui  se  trouvent  à  Jérusalem 
croient  qu'ils  ont  été  séduits  par  de  faux  miracles, 
ils  rougissent  d'y  avoir  donné  tant  de  créance  ;  et 
le  dépit  qu'ils  en  conçoivent  va  si  loin  qu'ils  n'en 
peuvent  être  consolés  que  par  sa  mort.  Les  étran- 
gers, qui  étaient  venus  de  toutes  les  parties  du 
monde  pour  célébrer  la  fêle  de  Pûque  ,  se  retirent 


10 . 


zio  I.   Poun  LE  Jour 

persuadés  que  cet  homme  n'est  qu'un  liypocrile, 
ou  un  scélérat  reconnu  ;  ils  répandent  ces  senlL- 
mens  dans  les  diverses  provinces  où  ils  retournent, 
et  bienlôt  on  raconte  partout  les  actions  de  Jésus 
le  nazaréen  ,  comme  les  aventures  d'un  fourbe  in- 
t»>igne  ,qui  a  été  puni  comme  il  le  méritait  de  tonles 
ses  impostures.  II  n'est  pas  nécessaire  de  tous  dire 
quel  coup  c'est  pour  un  cœur  aussi  noble  que  le 
sien,  de  ne  pouvoir,  en  perdant  toutes  choses, 
sauver  une  répnlalion  si  bien  acquise  ,  si  bien  éta- 
blie ,  si  utile  aux  peuples,  si  glorieuse  à  son  père; 
quel  coup  c'est  de  se  voir  l'objet  ou  de  la  risée  ^  ou 
de  l'exécration  du  genre  humain. 

Faut-il  encore  que  je  vous  parle  du  mépris  sa- 
crilège qu'on  fait  de  cet  homnie  Dieu  durant  le 
temps  de  sa  passion  ?  Faut-il  que  je  vous. expose 
avec  quelle  indignité  il  est  traîné  de  tribunal  en 
tribunal  ?  comment  ses  Juges  se  le  renvoient  les 
uns  aux  autres  ,  ou  pour  servir  leurs  intérêts  par- 
ticuliers .  ou  pour  satisfaire  leur  ambition  et  leur 
vainc  curiosité  ?  Vous  meltrai-je  devant  les  yeux 
comment  il  devient  le  jouet  d'un  peuple  furieux  ? 
lîOîiiment  chacun  lui  insulte,  et  paraît  assuré  de  le 
faire  impunément?  comment  ses  misères,  quel- 
que grandes  qu'elles  soient  ,  loin  de  lui  attirer  de 
la  coîupnssîon  ,  lui  attirent  des  risées  cruelles  ? 
On  applaudit  à  ceux  qui  gardent  le  moins  de  me- 
sures ;  on  ne  daigne  pas  mêiise  observer  en  sa  fa- 
veur des  lois  que  leur  équité  et  le  pouvoir  immense 
des  Romains  rendaient  inviolables  par  tout  l'uni- 
vers. Des  diverses  circonstances  de  la  passion  je 
n'en  trouve  point  qui  ait  été  accomplie  plus  exac- 
rement  que  celle-ci  ,  où  le  Sauveur  lui-même 
s'explique  par  la  bouche  du  Prophète  sur  les  mé- 
pris auxquels  il  doit  être  exposé  :  Ego  rermis  et  non 
^omo  y  opprohrium  hominum,  et  ahjectio  plebis  :  Je 
<«ui-  pnrmi  bîs  hommes  comme  un  ver  de  terre, 
on  m'y  regarde  comme  l'ojtproîjre  du  genre  hu- 
main ,  et  le  rebut  de  la  pins  vi!-'  populace. 

Messieurs,  je  me  plaignais  il  n'y  a  qu'un  moment 


DE  LA  Passion.  22 r 

de  la  conJîtîon  dei;  Piédicalcurs,  mais  il  me  sem- 
tle  qu'ici  je  parle  avec  bien  de  l'avantage  ;  car 
€nQn  je  parle  à  des  personnes  qui  savent  quelle 
impression  fait  naturellement  sur  un  grand  cœur 
une  marque  de  mépris  :  Ja  plupart  des  liommes 
conviennent  qu'ils  peuvent  tout  supporter  hors  d& 
là;  et  rien  en  eftet  dans  la  vie  n'est  plus  insuppor-" 
table  ,  surtout  si  on  se  sent  du  mérite  ,  et  si  l'on 
en  voit  peu  dans ccuxqui  nous  méprisent.  O  Jésus, 
fils  unique  du  Dieu  vivant  ,  qu'est-ce  donc  que  le» 
hommes  peuvent  mépriser  en  vous,  devant  qui 
fbus  les  Anges  fléchissent  le  genou  ,  et  que  le  (]réa- 
t-eur  de  l'univers  juge  digne  de  toutes  ses  complai- 
sances ?  Que  trouve-t-on  de  méprisable  ,  ou  dans- 
TOtre  naissance  ,  qui  est  éternelle,  ou  dans  voire' 
sagesse  ,  qui  est  divine  ,  ou  'dans  votre  conduite, 
qui  est  si  irréprochable  ,  ou  dans  votre  personne , 
dont  la  beauté  a  ébloui ,  dont  la  majesté  a  ren- 
versé par  terre  vos  plus  mortels  ennemis  ?  0  mon 
Dieu  !  quand  je  vous  vois  habillé  en  insensé  ,  et 
conduit  dans  cet  habillement  ridicule  par  toutes 
les  rues  de  Jérusalem  ;  quand  je  vous  considère 
dans  la  salle  de  Pilate  ,  nu  à  demi,  vêtu  du  reste 
en  Roi  de  ihétîlre  au  milieu  d'une  troupe  de  soldats 
insolens,  qui  se  font  un  jeu  de  vous  outrager,  de 
joindre  à  des  soufflets  très- insultans  par  eux- 
mêmes  des  dérisions  encore  plus  sanglantes  ;  à  la 
vue  de  cette  situation  déplorable  ,  je  ne  sais  plus 
en  quelle  posture  assez  humble  ,  en  quel  rang  as- 
sez reculé  je  me  dois  mettre  :  scrait-il  d'humiliation 
dont  j'osasse  me  plaindre  ?  pourrais-je  encore  dé- 
sirer les  honneurs?  pourrais-je  même  les  souffrir? 
Or,  .\liM. ,  c'est  dans  tous  ces  mépris  que  l'ame  de 
Jésus-Christ  a  trouvé  son  supplice  ;  et  je  suis  sûr 
qu'il  paraîtra  à  bien  des  gens  que  c'a  été  le  calice 
1«  plus  amer  de  toute  sa  passion. 

Montons  s'il  vous  plaît  sur  le  Calvaire,  et  voyons 
ce  que  Jésus -Christ  a  souffert  intérieurement  du- 
rant tout  le  temps  qu'il  a  demeuré  sur  la  croix.  H 
me  semble  que  j'y  trouve  d'abord  une  preuve  si 


322  I.    POCJR    LE    JoUR 

sensible  de  l'excès  de  ses  peines  secrètes ,  qu'elle 
rend  toutes  les  autres  preuves  inutiles.  Jésus  cou- 
ronné d'épines ,  couvert  de  plaies ,  attaché  par 
trois  ou  qualre'gros  clous  à  un  tronc  d'arbre  ,  s'é- 
crie dans  le  fort  de  ses  douleurs  corporelles  qu'il  a 
soif,  c'csl-à-dirc  ,  comme  l'expliquent  les  Pères, 
qu'il  désire  de  souffrir  dans  sa  chair  encore  de  plus 
rudes  tourmens*  Au  contraire  ,  accablé  dans  son 
ame ,  et  ne  soutenant  qu'à  peine  le  poids  de  sa 
tristesse  ,  il  se  plaint  à  son  père  de  son  excessive 
rigueur  :  Mon  Dieu,  pourquoi  m'avez-vous  aban- 
donné ?  Deus  j  Deus  meus  ,  qaare  me  dereliquisli  ? 
N'attendez  pas  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  que  je  vous 
explique  ici  le  mystère  de  ce  délaissement  spirituel. 
Ce  fut  sans  doute  dans  Jésus-Christ  une  soustrac- 
tion de  toute  consolation  intérieure  ,  uneprivation 
de  toute  douceur  sensible  ,  de  toutes  les  vues  qui' 
pouvaient  le  fortifier  ou  le  soutenir  dans  ses  tra- 
vaux ;  ce  fut  comme  une  espèce  d'édipse  dans  la 
partie  supérieure  de  l'ame  ;  une  nuit  obscure  du- 
rant laquelle  les  plus  sombres  ,  les  plus  tristes 
passions,  comme  autant  de  hèles  farouches,  se 
réveillèrent  dans  l'appelit  inférieur  ,  selon  ces  pa- 
roles de  David  :  Posulstiteiiebi^as ,  et  facta  est  nox: 
in  ipsa  pertransibunt  omnes  bestiœ  silvœ.  Durant  ce 
temps  il  ne  se  présenta  rien  à  son  esprit  que  de 
funeste,  une  mort  honteuse  et  cruelle  ,  un  peuple 
ingrat,  des  Disciples  infidèles  ,  un  monde  couvert 
de  crimes^,  l'Enfer  rempli  de  criminels  ,  son  Père 
outragé  j  irrité  ,  ifiexorable  ;  en  un  mot  ce  fut  une 
source  de  douleurs  où  il  ne  buvait  pas  seulement 
dans  une  coupe  amère  ,  mais  où  il  était  tellement 
plongé  et  noyé  dans  l'amertume  ,  que  toute  son 
ame  en  était  pénétrée. 

Il  n'y  avait  sans  doute  qu'une  douleur  extrême- 
ment sensible  qui  pût  obliger  ce  fils  si  soumis  ,  si 
obéissant ,  à  former  des  plaintes  contre  son  Père, 
et  à  les  faire  éclater  en  présence  d'une  si  grande 
mullitude.  Croyez-vous  en  effet  que  ce  soit  par 
une  impression  légère  que  Jésus  ,  après  avoir  tant 


DE    LA   PaSSION^.  2^3 

souffert  sans  rien  dire ,  rompt  enfin  un  si  long 
silence  ,  lorsqu'il  ne  lui  resle  plus  que  quelque» 
momens  à  soufirir  ,  et  demande  à  Dieu  quelle 
raison  il  a  eue  de  se  rendre  impitoyable  ?  Theo- 
philacte  dit  que  dans  cet  instant  la  perte  entière 
des  Juifs,  de  sa  nation  chérie,  lui  vint  en  la 
pensée,  et  qu'il  ne  put  retenir  ta  douleur  que  ce 
souvenir  lui  causa.  Origène  prétend  que  c'était  au 
peu  de  fruit  que  les  hommes  en  général  tireraient 
de  la  Passion  ,  et  au  grand  nombre  d'ames  qui 
devaient  périr,  que  songeait  alors  le  Fils  de  Dieu. 
Pour  moi,  MM. ,  je  ne  crois  pas  que  le  Sauveur 
ait  attendu  qu'il  fût  sur  la  croix  pour  faire  cette 
réflexion  ,  mais  je  ne  doute  pas  qu'à  ces  derniers 
momens  de  sa  vie  elle  n'ait  excité  d^ns  son  ame 
un  sentiment  de  douleur  extraordinaire. 

Pourconcevcir  cette  frappante  vérité  autant  que 
nous  en  sommes  capables,  il  faut  se  ressouvenir 
«Je  ce  zèle  incompréhensible  qui  a  fait  descendre 
Jésus-Christ  sur  la  terre  ,  et  qui  Ta  porté  à  faire 
et  à  souffrir  de  si  grandes  choses  pour  nous  sauver. 
D'ailleurs  remarquez  s'il  vous  plaît  qu'il  était  alors 
comme  au  comble  de  sa  douleur,  qu'il  était  acca- 
blé de  peines  extérieures  et  de  peines  intérieures; 
que  son  sang,  sa  force,  sa  vie  étaient  épuisées; 
et  que  pour  tout  fruit  de  tant  de  travaux  il  a  le 
déplaisir  de  voir  un  malheureux  se  damner  à  ses 
côtés  ,  tomber  dans  les  Enfers  au  moment  qu'il 
meurt  pour  l'en  garantir  ;  de  voir  dans  ce  seul 
homme  un  nombre  infini  d'autres  hommes  qui 
souffriront  autant  durant  toute  l'éternité  que  si  un 
Dieu  n'était  pas  pour  mort  eux.  Invacuum  labornvi, 
sine  causa  ,  et  varié  forlitudinem  meam  consumpsi  r 
J'ai  donc  travaillé  inutilement,  c'est  donc  en  vain 
que  j'ai  consumé  tout  ce  que  j'avais  de  force  ! 
l'Enfer  continuera  de  se  remplir,  le  Démon  aura 
la  plupart  des  âmes  que  je  rachète  si  chèrement  , 
et  de  cent  mille  à  peine  en  pourrai-je  retenir  une 
seule.  Le  sang  d'Abel  a  crié  vengeance,  et  il  a  été 
écouté  ;  le  mien  demande  miséricorde  ,  et  il  ne 


2^4  I.   Pour  le  Jour 

peut  l'obtenir.  Je  suis  descendu  du  Ciel,  j'ai  vécu' 
sur  la  terre  ,  j'y  ai  souffert  trente-trois  années  ,  je 
meurs  accablé  de  souffrances  et  d'infamie,  tout 
cela  pour  sauver  les  hommes»,  et  je  ne  les  sauve  pas^ 
Il  y  a  eu  des  liérésiarques  qui  ont  dit  que  Jésus- 
Christ  s'abandonna  poor  lors  à  un  vcritable  déses- 
poir. C'est  un  horrible  blasphème  ;  mais  il  est 
cerl.iin  que  rien  n'était  plus  capable  de  l'y  porter, 
que  la  vue  de  l'inutilité  de  son  zèle.  Il  soutint  cette 
vue  avec  constance:  mais  avec  quel  excès  de  douleur! 
c'est  ce  que  nul  homme  ,  nul  Ange  même  ne  sau- 
rait vous  expliquer.  Si  ce  n'est  pas  là  ce  qui  avança 
sa  mort,  lorsque  dans  la  pensée  de  Pilate,  et  selon 
toutes  les  apparences  ,  il  avait  encore  plusieurs 
heures  à  vivre,  je  suis  persuadé  que  la  violence 
de  la  douleur,  et  tout  ce  qu'il  en  ressentit,  était 
capable  de  lui  arracher  mille  vies  :  je  ne  doute 
point  que  quand  les  mérites  de  sa  Passion  auraient 
en  effet  sauvé  tous  les  hommes  qui  périssent ,  à 
la  réserve  d'un  seul,  non  je  ne  doute  pas  que  la 
perte  de  cette  seule  ame  n'eût  pu  le  faire  mourir 
d'affliction.  Jugez  donc  quelle  a  dû  être  cette  afllic- 
tion  lorsqu'il  a  vu  courir  au-devant  du  précipice 
tout  le  peuple  Juif,  son  cher  peuple ,  la  plus  belle 
portion  de  son  héritage  ;  des  royaumes,  des  mon- 
des entiers  d'infidèles;  enfin  la  moitié  des  Chré- 
tiens séduits  par  l'hérésie ,  et  presque  l'autre  moitié 
corrompus  et  perdus  par  le  vice.  O  vos  qui  transiiis 
per  viam  ,  attendite  et  videte  si  est  dolor>sicut  dolor 
meus  :  0  hommes  qui  vous  contentez  de  jeter  en 
passant  les  yeux  sur  ce  corps  déchiré  et  percé  de 
clous  ,  entrez  un  peu  dans  mes  plaies  secrètes ,  et 
voyez  s'il  est  une  douleur  pareille  à  la  douleur  que 
j'éprouve  dans  mon  ame.  Non,  Seigneur,  rien  ne 
peut  être  comparé  à  cette  douleur.  Magna  est  velui 
mare  contritio  tua  :  L'affliction  de  votre  cœur  est 
un  océan  d'aflliction  ,  dont  la  seule  vue  m'effraie, 
et  m'accable  de  tristesse.  Grossi  de  tous  les  péchés 
des  hommes,  de  ces  torrens  d'iniquité  qui  inon- 
dtnt  tout©  la  terre  ,   c'est  une  mer  où  toutes  les 


DE  LA  Passion.  aaS 

peines  même  de  voire  corps  se  vont  rassembler , 
comme  autant  de  fleuves  d'absinthe,  qui  y  contrac- 
tent encore  une  nouvelle  amertume  par  l'injustice 
et  l'ingratitudequi  les  empoisonnent.  C'est  un  abîme 
de  confusion  creusé  par  la  perfidie  de  vos  amis , 
par  les  impostures  que  vos  ennemis  répandent  dans 
tout  l'univers  ,  par  les  horribles  mépris  que  vous 
essuyez  et  de  la  part  des  plus  grands  ,  et  de  la  part 
des  plus  méprisables  d'enlre  les  hommes;  c'est  un 
gouffre  aussi  ténébreux  et  aussi  profond  que  les  En- 
fers, où  le  plus  léger  adoucissement  n'eut  jamais 
d'accès  ,  et  où  votre  amour  vous  fait  souffrir  des 
peines  en  quelque  sorte  égales  aux  tourmens  des 
danmés.  Magna  est  velut  mare  conlriilo  tua  :  guis 
medebitar  tibi  ?  Je  le  vois  bien  ,  Seigneur ,  vos 
plusgrands  maux  sont  ceuxqu'on  connaît  lemoins, 
ceux  qu'on  plaint  le  moins.  Mais  de  quel  secours 
vous  peut  être  la  compassion  de  vos  créatures  dans 
de  si  grandes  douleurs  ?  Qais  medehilur  tibi? Oui , 
mon  Dieu  ,  c'est  à  cette  passion  intérieure  ,  à  ces 
peines  secrètes  ,  que  je  veux  m'atlacher  par  la  mé- 
ditation ;  c'est  à  ce  cœur  affligé  que  je  veux  donner 
toute  ma  tendresse  ;  je  veux  désormais  m'occuper 
à  pleurer  ses  douloureuses  blessures,  je  veux  sur- 
tout déplorer  avec  lui  tant  de  souffrances  devenues 
inutiles,  ce  peu  d'amour  qu'il  s'est  attiré  par  un 
amour  si  excessif,  le  malheur  de  tant  d'ames  si 
chèrement  rachetées ,  et  néanmoins  perdues  pour 
toujours.  O  Jésus;  qui  pourrait  guérir  cette  plaie, 
que  toutes  les  autres  seraient  bientôt  fermées  I 
Quel  soulagement  pour  vous ,  quelle  douceur  dans 
l'extrême  désolation  où  je  vous  vois  abîmé  ! 

Si  nous  pouvions  du  moins  arracher  à  votre  en- 
nemi quelques-unes  de  ces  âmes  qu'il  s'efforce  de 
vous  enlever  !  Seigneur  ,  nous  en  avons  chacun 
une  ,  qui  n'a  tiré  jusqu'ici  que  très-peu  de  fruit 
de  vos  souffrances  ;  nous  allons  travailler  tous  à  la' 
sauver,  afin  que  vous  n'ayiez  pas  le  déplaisir  de 
la  voir  périr  avec  tant  d'autres.  O  que  cette  consi- 
dération nous  Va  rendre  bien  plus  zélés ,  bien  plus 

10* 


2^6*  i.  Pour  ie  Jour 

Tîgilans  que  n'a  pu  le  faire ,  ou  l'espérance  du 
Giel ,  ou  la  crainte  de  l'Enfer  !  Oui ,  mou  aimable 
Jésus,  nous  allons  nous  appliquer  à  purifier  et  à 
sanctifier  nos  âmes  ,  parce  qu'elles  sont  le  prix  de 
votre  sang  ,  parce  qu'elles  vous  appartiennent. 
Elles  nous  deviendront  chères  parce  que  vous  les 
aimez  :  nous  n'oublierons  rien  pour  vous  épargner 
le  mortel  déplaisir  que  vous  causerait  leur  perte. 
O  le  noble  motif  !  Qu'il  est  digne  d'un  grand 
cœur ,  d'un  cœur  tendre  et  reconnaissant  !  Qu'il  y 
a  de  douceur  ,  ce  me  semble  ,  à  donner  dans  cette 
vue  tous  ses  soins  à  son  salut  et  à  sa  sanctification  ! 
Prenons  un  moment  pour  nous  entretenir  dans 
cette  douce  pensée  ,  si  propre  à  vous  délasser 
d'une  attention  trop  longue  peut-être  :  nous  en- 
trerons ensuite  dans  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours ,  qui  sera  plus  courte. 

SECOND    POINT. 

Quoique,  après  tout  ce  que  je  viens  de  dire  des 
douleurs  intérieures  de  Jésus-Christ  ,  j'aie  paru 
persuadé  qu'elles  surpassaient  de  beaucoup  les 
peines  corporelles  ,  et  que  je  vous  l'aie  peut-être 
persuadé  à  vous-mêmes  ,  je  suis  obligé  d'avouer 
qu'à  l'instant  que  j'envisage  le  corps  souffrant  de 
notre  divin  maître  ,  je  commence  à  craindre  que 
je  ne  me  sois  trompé  dans  mon  jugement ,  et  que 
je  ne  vous  aie  imposé  par  mes  paroles.  Le  pour- 
rez-vous  bien,  croire  ,  qu'il  reste  quelque  doute 
dans  une  question  qui-  paraît  si  clairement  et  si 
justement  décidée  ,  et  qu'on  puisse  soutenir  avec 
quelque  apparence  déraison  le  contraire  de  ce  que 
j'ai  établi  dans  le  premier  point  de  ce  discours  ? 
Vous  en  jugerez  vous-mêmes  par  le  détail  où  je 
vais  entrer. 

Messieurs,  il  y  a  une  liaison  si  étroite  entre  l'es- 
prit et  le  corps  ,  que  quoiqu'ils  soient  d'une  nature 
extrêmement  différente  ,  ils  s'entre-communU 
quent  tous  leurs  divers  sentimens  ,  leurs  joies, 
leurs  peines.  Le  corps  surtout ,  qui  est  comme 


DE    LA    PaSSIOV.  l^J 

rcsclavc  de  l'esprit ,  souffre  toujours  des  iristes 
situations  de  son  maître  ,  il  ressent  ses  chagrins  , 
et  il  esl  contraint  ordinairement  de  porter  le  faix 
qui  le  fait  gémir.  Si  cela  est ,  voilà  tout  d'un  coup 
les  choses  mises  du  moins  dans  l'égalité  ;  ce  poids 
immense  de  douleurs  sous  lequel  plie  l'ame  de 
Jésus-Christ  tombe  tout  entier  sur  le  corps  qui  est 
tini  ù  cette  ame.  C'est  comme  si  un  géant  accablé 
par  la  chute  d'une  montagne,  venait  lui-même 
tomber  sur  un  enfant ,  qui  serait  en  rhéme  temps 
écrasé  et  enseveli  sous  la  masse  du  géant  et  sous 
les  ruines  du  rocher.  Ne  nous  étonnons  donc  plus 
qu'au  jardin  de  Gethsemani  ,  oij  le  fils  de  Dieu 
souffrit  en  son  cœur  un  supplice  qui  n'eut  jamais 
d'égal ,  on  vît  son  corps  dans  une  faiblesse  et  dans 
un  abattement  sans  exeniple.  Il  s'en  fallut  peu 
que  la  mort  ne  suivît  effectivement  l'agonie  mor- 
telle 011  il  se  trouva  :  le  sang  coula  de  ses  veines 
comme  par  autant  de  plaies  que  lui  avait  faites  la 
douleur  ,  et  par  où  il  s'ouvrait  à  son  ame  mille 
passages. 

Ajoutez  à  cela  que  de  deux  partie?  qui  souffrent 
les  mêmes  tourmens  ,  la  plus  faible  est  sans  doute 
la  plus  à  plaindre ,  parce  qu'elle  est  la  moins  ca- 
pable de  résister.  Or  c'est  une  vérité  connue  et 
confirmée  par  l'oracle  de  Jésus-Christ  même  ,  que 
l'esprit  est  prompt ,  c'est-à-dire  plein  de  force  et 
de  courage  ,  au  lieu  que  l'infirmité  est  l'apanage 
naturel  de  la  chair  :  Spiritus  promptas  est  y  caro 
autem  infirma.  Cela  est  vrai  dans  tous  les  hommes. 
Chrétiens  auditeurs  ,  mais  il  l'est  encore  plus  à 
l'égard  du  fils  de  Dieu  ,  qu'à  l'égard  d'aucun  autre 
homme  ;car  enfin  il  n'y  eut  jamais  d'ame  si  grande, 
si  magnanime ,  ni  de  corps  si  sensible  et  si  délicat. 
Comme  le  Verbe  ne  s'incarnait  que  pour  souffrir, 
le  Saint-Esprit  lui  avait  formé  un  corps  tout  pro- 
pre pour  ce  dessein  ,  c'est-à-dire  le  plus  suscep- 
tible de  douleur  qu'il  soit  possible  d'imaginer  : 
Corpus  autem  aptasti  milii.  Il  avait  choisi  le  plus 
pur  sang  de  Marie  pour  le  former ,  ce  corps,  et  il 


^i'iS  I.  PouK  LE  Jour 

avait  donné  à  son  tempérament  et  à  ses  facultéis 
naturelles  cette  perfection  que  Dieu  donne  ù  tout 
ce  qu'il  fait  immédiatement  par  lui-même  :  en 
sorte  qu'il  avait  le  sentiment  si  vif,  que  les  mêmes 
tourmens  lui  étaient  beaucoup  plus  douloureux 
qu'à  tout  autre.  Cependant,  Mi\I.  ,  cette  sensibi- 
lité n*excita  point  de  pitié  dans  ses  bourreaux, 
quoique  sur  la  délicatesse  de  son  corps  découvert 
à  leurs  yeux  ils  pussent  aisément  juger  qu'elle 
était  extrême  :  ils  frappèrent  sur  cette  chair  tendre 
et  innocente  avec  plus  d'acharnement  qu'ils  n'au- 
raient pu  faire  sur  un  esclave  endurci  à  la  peine  : 
c'est  en  vain  qu'aux  premiers  coupis  de  fouets  ils 
voient  les  bras  du  Sauveur ,  son  sein  ,  ses  flancs, 
tout  son  corps  se  noircir,  s'enfler  ,  s'ouvrir  de  tou- 
tes parts  ,  se  couvrir  du  plus  noble  sang  qui  fut 
jamais  ;  leur  fureur  semble  se  ranimer  à  ce  spec- 
tacle capable  d'attendrir  des  tigres. 

Il  est  vrai  que  la  même  raison  qui  rendit  au  fils, 
de  Dieu  les  tourmens  plus  insupportables  ,  devait, 
aussi  les  rendre  plus  courts  ,  parce  que  des  dou- 
leurs extrêmement  aiguës  ne  peuvent  manquer  de 
causer  une  mort  prompte.  Jésus  ne  profita  point 
de  cet  avantage  :  la  divinité,  qui  en  quelque  sorte 
s'était  soustraite  à  l'amedu  Sauveur  pour  la  laisser 
souffrir.,,  soutiat  son  corps.à  la  colonne  et  ailleurs , 
pour  le  rendre  capable  d'un  tourment  aussi  long 
qu'il  était  cruel  :  on  peut  dire  qu'ici  le  Père  éter- 
nel en  usa  avec  le  corps  de  son  fils  ,  avec  à  peu 
près  la  même  rigueur  qu'il  en  usera  envers  les 
corps  des  réprouvés  ,  que  sa  toute-puissance  con- 
servera dans  les  flamnaes ,  afin  qu'ils  puissent  brûler 
éternellement,  et  n'être  jamais  réduits  en  cendre,. 
Qui  peut  dire  de  combien  de  douleurs  ce  miracle 
fut  la  source  dans  la  personne  de  Jésus-Christ  ? 
Ce  miracle  donna  le  loisir  aux  bourreaux  d'exercer 
5ur  lui  une  barbarie  qu'aucun  criu:iinel  n'avait  en- 
core éprouvée  :  ils  lui  donnèrent  de  tels  coups ,^ 
que  trente  suflisaient  pour  arracher  la  vie  à  un 
homme  ,  et  ils  lui  en  donnèrent  jusqu'à  cinq  mille. 


DE  LA  Passion.  sa 9 

Comjilei  combien  fie  morlsdans  un  seul  tourment. 
Ils  demandèrent  de  nouveox  fouets  ,  apiès  avoir 
usé  les  premières  verges  ,  et  on  eut  la  cruauté  de 
leur  en  Iburnir.  Les  premiers  bourreaux  étant  las- 
sés ,  il  s'en  trouva  qui  voulurent  prendre  leur 
place  ,  et  qui  purent  se  résoudre  à  frapper  sur  les 
plaies  que  les  autres  avaient  faites.  La  terre  e?t 
couverte  de  sang  ,  des  lambeaux  de  chair  se  dé- 
tachent, les  os  paraissent  découverts, et  on  frappe 
encore  :  la  situation  où  est  Jésus  est  capable  de 
faire  horreur,  et  elle  n'attire  point  encore  de  com- 
passion. J'avoue  ,  MM.  ,  que  rien  n'est  plus  su!^ 
prenant,  que  jamais  l'on  n'a  rien  ouï  dire  de  pareil , 
que  jamais  une  telle  barbarie  n'a  été  exercée  sur 
aucun  autre  homme.  Mais  41  faut  supposer  que 
Pilate  ayant  témoigné  qu'il  renverrait  l'innoceut 
absous  après  qu'il  aurait  été  flagellé  ,  les  bourreaux 
s'étaient  engagés  aux  Prêtres  de  le  faire  expirer 
entre  leurs  mains  ;  c'est  pourquoi  ils  ne  se  bor- 
nent pas  aux  coups  de  fouets  déterminés  par  la  loi , 
ils  s'obstinent  à  le  frapper  ,  pour  s'acquitter  de 
leurs  promesses  ;  de  son  côté  le  Sauveur  voulait 
vivre  ,  pour  accomplir  les  prophéties  ,  et  por.r 
mourir  dans  un  supplice  lencorc  plus  cruel  et  plus 
honteux. 

O  que  votre  patience  est  grande ,  mon  adorable 
Sauveur  Î.Elle  a  été  admirable  dans  toute  votre 
passion ,  mais  II  faut  avouer  qu'elle  est  divine  dans 
cette  rencontre.  C'est  ici  qu'elle  combat  contre  la 
haine  des  Prêtres  et  la  cruauté  des  bourreaux;  que 
contre  plusieurs  bras  robustes  ,  et  animés  par  une 
aveugle  fureur ,  elle  soutient  un  corps  faible  et 
délicat.  Elle  triomphe  :  mais  pourquoi  parmi  des 
épreuves  si  rigoureuses  ?  votre  père  ne  demande 
point. ces  excès  ,  c'est  trop  pour  de  misérables 
créatures  ,  c'est  trop  même  pour  expier  toutes  nos 
iniquités.  Hélas  !  il  le  faut  pourtant  avouer  ,  ce 
n*est  pas  assez  pour  amollir  la  dureté  de  nos  cœurs. 
Vous  savez  ce  que  tout  ceci  produira  sur  nous  ;  le 
dirai-je  ?  rien  du  tout  ;  tant  nous  sommes  insensi- 
bles; VOUS  soufTi'cz  néanmoins ,  aimable  Jésus,  et 


200  i^  Pour  le  Jouii 

▼ous  souffrez  pour  nous  épargner  les  peines  que 
nous  mérilons.  Pensez-y?  Chrétiens  auditeurs,  et 
profitez  de  cet  excès  d'amour. 

Je  remarque  en  troisième  lieu  que  quelque  ex- 
cessives qu'avaient  été  dans  Jésus-Christ  les  souf- 
frances de  l'ame  ,  celte  ame  n'a  souffert  que  de  sa 
part  et  de  la  part  de  ses  propres  passions  émues 
par  les  objets  qui  les  réveillent  naturellement  :  elle 
n'a  été  au  pouvoir  ni  des  hommes ,  ni  des  Démons; 
Jésus  en  est  toujours  demeuré  le  maître  :  pour  son 
corps  ,  il  a  été  en  l'a  puissance  de  ses  ennemis,  il 
a  été  livré  à  des  Soldats,  à  des  Gardes,  à  plusieurs 
bourreaux,  à  quiconque  lui  a  voulu  faire  du  mal; 
il  a  essuyé  toute  la  rage  et  des  Juifs  et  des  Gentils, 
et  par  eux  toute  la  fureur  des  Démons  dont  ils 
étaient  possédés.  Si  on  le  conduit  chez  Caïphe, 
c'est  avec  des  épées  et  des  bâtons  :  Cum  gladiis  et 
fustibus.  A  ]>eine  y  est-il  arrivé  ,  qu'on  le  remet 
entre  les  mains  d'une  Garde  insolente  ,  qui  abuse 
de  sa  patience  en  mille  manières.  Rappellerai-je 
ici  ces  soufflets  outragcans  ,  fcint  d'autres  tour- 
mens  et  plus  aigus  et  plus  insultans  encore  ?Chez 
Pilate  tout  est  permis  aux  bourreaux  et  aux  Sol- 
dats :  loin  d'être  retenus  par  la  crainte  des  lois , 
par  l'autorité  des  Juges  ,  ils  sont  excités,  ils  sont 
applaudis,  ils  sont  payés^ 

Non  ,  mon  aimable  Jésus  ,  non  ,  je  ne  prétends 
pas  diminuer  en  rien  la  compassion  qu'on  doit  avoir 
pour  votre  cœur  aflligé  ;  en  exposant  les  peines  de 
votre  corps  adorable  ^  je  ne  veux  que  faire  voir 
que  tous  vos  maux  sont  extrêmes,  qu'ils  se  cèdent, 
qu'ils  se  surpassent  mutuellement  les  uns  les  au- 
tres ;  et  que  tout  ce  qu'on  en  peut  dire  de  plus  cer- 
tain ,  c'est  qu'ils  sont  tous  au-dessus  de  toute 
comparaison.  Qu'il  me  soit  donc  permis  d'ajouter 
encore  à  ce  que  j'ai  déjà  dit,  que  votre  ame,  quoi- 
que inconsolable  dans  ses  peines  secrètes ,  ne  fut 
pourtant  pas  privée  de  toute  consolation.  Un  Ange 
la  fortifia  dans  le  jardin  ,  elle  se  soutint  elle- 
même  par  son  amour  durant  tout  le  cours  de  .^es 


DE  LA  Passion.  23i 

souffrances.  Pilalc  refusa  quelque  temps  d'écouter 
les  demandes  injustt;s  des  Juifs  ,  des  femmes  ver- 
sèrent des  larmes  sur  vous  ,  un  des  voleurs  cruci- 
fiés à  vos  côlés  vous  reconnut  pour  son  Dieu  : 
consolation  bien  légère  à  la  vérité  en  comparaison^ 
des  perles  dont  nous  parlions  il  y  a  un  moment  ; 
c'était  comme  une  goutte  d'eau  pure  dans  un  tor- 
rent de  fiel  et  d'absinthe.  Mais  enfin  je  ne  trouve 
pas  qu'il  y  ait  eu  le  moindre  soulagement  pour  le 
corps  :  il  souftVit  durant  l'espace  d'environ  trois 
jours  ,  et  pas  un  seul  rafraîchissement  ,  pas  un 
verre  d'eau  ne  lui  fut  présenté  pour  tempérer  la 
soif  extrême  qu'ont  coutume  de  causer  les  tour- 
mens;  durant  tout  ce  temps,  nul  intervalle,  nulle 
nourriture  ,  nul  sommeil  n'interrompent  ses  souf- 
frances ;  que  dis-je  ?  il  n'a  pas  même  un  instant 
pour  respirer  entre  chaque  supplice. 

Après  la  flagellation  dont  nous  avons  parlé  ,  les 
bourreaux  épuisés  de  force  eurent  besoin  de  sou- 
lagement ,  et  ils  se  retirèrent  pour  en  prendre. 
Jésus,  qui  a  reçu  tous  les  coups  qui  les  ont  lassés, 
n'a  pas  un  moment  de  relâche  ;  il  n'est  pas  plutôt 
délié  que  les  Soldats  l'assaillent ,  lui  mettent  et  lui 
enfoncent  sur  la  tête  une  couronne  d'épines  ;  et 
pour  faire  durer  ce  supplice  et  l'augmenter  sans 
cesse  jusqu'à  ce  qu'on  lui  en  prépare  un  autre  ,  iU 
prennent  un  barbare  plaisir  à  frapper  sur  ces  épi- 
nes avec  le  roseau  que  par  dérision  ils  lui  avaient 
mis  entre  les  mains  en  gnise  de  sceptre.  Quand 
après  cela  on  lui  aurait  accordé  un  peu  de  repos, 
on  n'aurait  pas  néanmoins  interrompu  ses  dou- 
leurs ,  puisqu'il  ne  quitta  plus  ce  funeste  diadème, 
qu'il  le  porta  jusqu'à  la  mort  ;  mais  ce  jeu  inhu- 
main durait  encore  lorsqu'il  fut  appelé  devant  Pi- 
lale,  on  n'eut  pas  le  temps  de  lui  ôter  la  ridicule 
pourpre  dont  il  était  revêtu.  Pilate  le  condamne, 
on  le  charge  d'une  croix,  on  lui  arrache  ses  habits 
qui  s'étaient  attachés  à  ses  plaies,  on  le  crucifie  : 
on  avait  coutume  de  donner  aux  criminels  un  vin 
de  myrrhe ,  qui  avait  la  vertu  d'émousser  le  scn- 


a32  I.  Pour  le  Jolr 

timent ,  et  de  rendre  moins  insupportable  le  sup- 
plice de  la  croix  ;  ce  léger  adoucissement  n'est  pas 
accordé  à  Jésus-Christ  :  la  soif  le  brûle,  il  ne  peut 
le  dissimuler  ;  une  goutte  d'eau  lui  est  refusée. 

O  mon  Dieu,  que  nos  délicatesses  vous  coûtent 
cher  !  que  de  rigueurs  pour  expier  ces  soins  exces- 
sifs que  nous  prenons  pour  nous-mêmes,  cette 
attention  à  ménager  le  temps  de  nos  plaisirs  ,  cet 
empressement  à  en  jouir  ,  à  éviter  les  peines  les 
plus  légères,  à  chercher  nos  commodités  jusque 
dans  nos  prières  ,  jusque  dans  nos  jeûnes  I  II  faut 
bien  que  cette  vie  molle  et  délicieuse  vous  dé- 
plaise y  puisque  vous  avez  tant  soufTert  pour  nous 
faire  entendre  que  vous  la  réprouvez.  Nous  le 
comprenons  ,  mon  adorable  Sauveur  ,  car  qui 
pourrait  n'être  pas  docile  à  une  leçon  si  frappante  ? 
Mais  hélas  !  que  cette  connaissance  fait  peu  d'im- 
pression sur  des  âmes  molles  et  faibles  telles  que 
les  nôtres  ,  sur  des  âmes  qui  ne  se  connaissent  , 
qui  ne  s'estiment  ,  qui  ne  s'aiment  point  elles- 
mêmes  ,  qui  ne  font  de  cas  que  de  leur  corps ,  qui 
s'y  attachent  comme  s'il  était  immortel,  ou  si  elles 
devaient  mourir  avec  lui  ! 

Enfin ,  MM. ,  vous  n'ignorez  pas  q^^'il  v  avait  deux 
parties  dans  l'ame  de  Jésus-Christ ,  aussi  bien  que 
dans  l'ame  des  autres  hommes  ;  et  que  dans  sa 
passion  il  n'y  eut  à  souffrir  que  pour  la  partie  in- 
férieure ,  l'autre  étant  comme  une  région  hors 
d'atteinte,  où  tout  était  calme  dans  le  temps  de  la 
plus  grande  teuipête;  c'est-à-dire  que  les  tour- 
mens  ,  la  mort ,  le  péché  même  et  la  réprobation 
des  hommes  ne  portèrent  dans  cette  région  su- 
périeure de  l'ame  rien  de  fâcheux ,  rien  d'affligeant. 
La  volonté  de  Dieu  y  régnait  uniquement ,  tout  ce 
qui  était  ordonné  par  celte  volonté  souveraine 
était  accepté  non  -  seulement  avec  soumission, 
mais  encore  avec  cette  douceur  d'impression  qui 
n'altère  point  la  joie.  Il  n'en  est  pas  de  même  du 
corps  adorable  de  mon  Rédempteur  ;  il  a  souffert 
dans  tous  ses  membres  ,  et  presque  dans  chacun. 


DE  LA  Passion.  ^33 

des  tourmens  particuliers  ,  et  dans  la  plupart 
plusieurs  tourmens.  A  planta  pedis  usque  ad  ver- 
ticem  non  est  in  eo  sanitas  :  Depuis  la  plante  des 
pieds  jusqu'au  haut  de  la  tête  tout  est  plaie  ,  tout 
est  douleur.  Voilà  poiirquoi  Isaïe  le  compare  à  un 
lépreux  qui  n'a  rien  de  sain  en  sa  personne,  à  un 
homme  frappé  de  Dieu  et  humilié  ,  c'est-à-dire 
tout  couvert  d'ulcères  ,  ou  d'autres  maux  qui  font 
horreur  ,  et  qui  l'obligent  à  fuir  le  commerce  des 
autres  hommes.  Tout  le  visage  de  Jésus  est  défi- 
guré par  les  coups  qu'il  a  reçus  ,-  on  ne  le  recon- 
naît plus  ;  dans  le  plus  beau  des  hommes  on 
dislingue  à  peine  les  traits  d'un  homme.  Quelle 
partie  de  son  corps  a  été  épargnée  durant  la  flagel- 
lation ?  Quelle  de  ses  blessures  n'a  pas  été  renou- 
velée deux  fois,  lorsqu'on  le  dépouilla  de  ses  habits 
chez  Pilate  ,  et  sur  le  Calvaire  ?  De  combien  d'é- 
pines sa  tête  fut-elle  percée  ?  et  combien  de  coups 
de  roseau  sur  ces  épines  !  Enfin  ce  fut  sur  des 
plaies  que  fut  appuyée  la  croix  qu'il  porta  ;  sans 
parler  de  ses  chutes  fréquentes  sous  ce  pesant  far- 
deau ,  et  de  ses  efforts  pour  se  relever ,  quel  tour- 
ment ne  durent  pas  porter  jusque  dans  ses  entrailles 
la  faim  et  la  soif  ?  Pour  ses  pieds  et  ses  mains, 
qui  n'avaient  reçu  jusque-là  que  des  atteintes  lé- 
gères, le  plus  cruel  de  tous  les  supplices  leur  était 
réservé. 

O  qu'il  est  difficile  d'imaginer  ce  que  souffre  un 
homme  quand  on  lui  perce  les  pieds  et  les  mains, 
quelque  instrument  qu'on  puisse  employer  pour 
le  faire  !  Mais  quand  c'est  avec  des  clous  qu'on  les 
lui  perce  ,  avec  des  clous  longs  ,  raboteux  ,  et 
émoussés  ,  qu'on  n'enfonce  qu'à  force  de  coups , 
et  jusqu'à  ce  qu'à  travers  les  pieds  et  les  mains  ils 
soient  entrés  dans  une  poutre  assez  grosse  pour 
soutenir  tout  le  poids  du  corps  ;  je  laisse  juger  de 
l'excès  de  cette  douleur  ceux  qui  ont  le  plus  exac- 
tement recherché  combien  d'os,  de  nerfs  devaient 
être  offensés,  rompus,  déchirés  dans  ce  tourmeot; 


234  !•  Pour  le  Jour 

et  qui  sayent  dans  quelles  syncopes  ,  dans  quelle» 
convulsions  on  a  coutume  de  tomber  pour  peu 
qu'on  soit  blessé  dans  des  parties  si  sensibles. 

Voilà  ,  M.>I.  ,  comme  on  a  traité  le  plus  inno- 
cent ,  le  plus  saint  de  tous  les  hommes  ,  celui  qui 
nous  avait  le  plus  aimés  ,  et  qui  méritait  le  plus 
d'être  aimé.  Si  voas  l'aviez  vu  dans  l'état  pitoyable 
où  tant  de  tourmens  l'avaient  réduit,  dans  l'état  où 
il  parut  aux  yeux  d'une  multitude  prcsqu'infinie 
de  peuple  ,  lorsqu'on  éleva  la  croix  où  ii  avait  été 
cloué,  dans  cet  état  qui  fit  pâlir  le  soloil  et  fendre 
les  pierres  ;  quels  mouvemens  ce  spectacle  n'au- 
rait-il pas  excités  dans  des  cœurs  aussi  bien  faits  et 
aussi  tendres  que  les  vôtres  !  En  voilà  une  image  , 
Chrétiens  auditeurs;  mais  hélas  ,  qu'elle  est  peu 
ressemblante  ,  qu'elle  est  flattée  ,  qu'elle  représente 
faiblement  les  maux  dont  je  vous  ai  entreîenus! 

O  que  ce  visag^e  était  bien  autrement  défiguré  ! 
ô  que  ce  sein  était  déchiré  d'une  tonte  autre  ma- 
nière !  que  ces  clous  étaient  bien  plus  affreux,  et 
ces  ouvertures  plus  larges  !  quelle  différence  entre 
celte  couleur  naturelle,  et  la  couleur  pâle  ,  livide, 
sanglante  ,  de  Jésus  crucifié  !  De  toute  l'idée  que 
je  me  suis  formée  de  mon  Rédempteur  souffrant, 
ce  portrait  ne  me  semble  bien  exprimer  que  son 
silence.  Oui  ,  Jésus  au  milieu  de  tant  de  maux, 
dans  le  temps  qu'on  exerçait  sur  lui  les  plus  injus- 
tes et  les  plus  excessives  cruautés;  dans  ce  temps- 
là  Jésus  a  été  aussi  immobile,  aussi  muet  que  cette 
figure  :  mais  s'il  s'est  tu  si  constamment,  c'est 
moins  un  effet  de  sa  patience  ,  que  de  son  amour; 
c'est  qu'il  n'a  pas  cru  que  notre  salut  devant  être 
le  prix  de  ses  douleurs  ,  il  eût  aucun  sujet  de  se 
plaindre.  Il  est  vrai  que  c'est  là  à  peu  près  la  pos- 
ture où  il  a  passé  les  trois  dernières  heures  de  sa 
vie.  C'eût  été  une  espèce  de  torture  bien  cruelle, 
quand  il  aurait  été  suspendu  par  les  liens  les  plus 
doux  ,  ayant  ainsi  les  bras  élevés  et  attirés  en  bas 
par  le  poids  du  corps  ;.  il  a*aurait  pas  laissé  de 


DE  LA  Passion.  a55 

souffrir  un  affreux  martyre  ,  étant  surtout  entiè- 
rement épuisé  de  force  :  mais  quel  surcroît  de 
douleurs  d'être  ainsi  soutenupardesclous,  appuyé 
sur  des  plaies  encore  ouvertes  ,  et  qui  s'augmen- 
tent, qui  se  renouvellent  à  chaque  moment  ! 

Je  ne  vous  demande  plus  ,  Chrétiens  auditeurs, 
ce  que  vous  pensez  de  la  comparaison  que  j'ai  eu 
dessein  de  faire  entre  les  peines  spirituelles  et  les 
peines  sensibles  de  Jésus -Christ  :  elles  ont  été 
toutes  excessives  ,  toutes  communes  aux  deux 
parties  dont  Jésus  était  composé  ;  passant  sans 
cesse  de  l'une  à  l'autre,  les  peines  du  corps  péné- 
traient jusqu'à  l'ame  ,  les  peines  de  l'ame  retom- 
baient à  leur  tour  sur  ce  corps  affaibli.  A  lav  ue  du 
Sauveur  mourant  ,  je  ne  puis  m'atlacher  qu'aux 
pensées  qu'il  avait  lui-mêm©  :  iî  ne  songeait  qu'à 
notre  salut.  Et  si  nous  n'y  pensons  pas  sérieuse- 
ment, en  le  voyant  mourir  aujourd'hui  pour  nous, 
je  ne  vois  pas  ce  qui  pourra  jamais  être  capable  de 
nous  y  faire  penser.  Quel  assemblage ,  quelle  foule 
de  motifs  dans  ce  seul  objet ,  pour  nous  obliger  à 
vivre  chrétiennement  !  Vous  y  pouvez  voir  en 
abrégé  toutes  les  vérités  que  je  vous  ai  prêchées 
jusqu'ici  ;  mais  toutes  mises  dans  un  si  grand  jour , 
et  exposées  avec  tant  de  force ,  que  sans  s'aveugler 
Tolontairement ,  et  sans  s'endurcir,  il  est  impos- 
sible d'y  résister. 

Voyez  ,  ame  chrétienne,  ce  que  c'est  que  le  pé- 
ché ,  dont  nous  faisons  si  peu  de  cas  ;  il  a  fallu 
qu'un  Dieu  soit  mort  pour  en  expier  un  seul.  Vous 
comptez  pour  rien  les  peines  préparées  aux  servi- 
teurs infidèles  ;  voilà  ce  que  la  seule  charité  a  fait 
souffrir  à  Jésus-Christ  pour  épargner  ces  peines  à 
ses  plus  cruels  ennemis  ;  voilà  jusqu'à  quel  point 
il  a  estimé  notre  ame  ,  que  nous  négligeons  tou- 
jours; voilà  jusqu'à  quel  point  il  vous  aime,  jus- 
qu'à quel  point  il  aime  vos  frères  ,  jusqu'à  quel 
point  il  est  comme  altéré  pour  eux  et  pour  vous 
d'opprobres  amers  ,  mais  sources  de  votre  salut. 


a 36  I.  Pour  le  Jour 

Voilà  quels  sont  les  jugemens  du  monde  ,  de  ce- 
monde  impie  pour  qui  vous  avez  tant  de  complai- 
sance f  t  tant  d'estime  :  il  a  méprisé  la  sagesse  éter- 
nelle et  incarnée,  il  l'a  fait  passer  pour  une  folie  , 
il  l'a  jugée  digne  de  mort,  et  il  a  effectivement 
fait  mourir  l'auteur  de  la  vie.  Si  tout  cela  ne  vous 
touche  point,  qui  pourra  espérer  de  le  faire  ?  à  quel 
artifice  me  faudra-t-il  recourir? Que  ferons-nous, 
61  tous  les  efforts  de  Jésus-Christ  se  trouvent  inu- 
tiles ?  31ais  que  ne  ferai -je  point  avant  que  de 
désespérer  de  votre  entière  conversion  ,  ayant 
devant  les  yeux  et  entre  les  mains  un  si  grand  sujet 
confiance? 

Père  éternel ,  je  m'adresserai  à  vous  ,  je  vous 
présenterai  votre  fils  dans  l'état  où  son  rmour  l'a 
réduit,  et  j'espère  que  vous   serez  sensible   à  ce 
spectacle  :  tout  m'apprend  à  ne  pas  craindre  de 
trouver  en  vous  cette  même  dureté  que  vous  ne 
pouvez  pardonner  aux  hommes.  Que  pouvez-vous 
me  refuser,  ô  Dieu  de  toute  bonté  ,  père  de  misé- 
ricorde ,   à  la  vue  de  cet  agneau  qui  s'est  laissé 
égorger   pour   vous  témoigner  son  obéissance  ? 
C'est  par  cette  innocente  victime,  c'est  par  ses 
plaies  et  par  sa  mort  que  je  vous  prie  aujourd'hui. 
Et  qu'est-ce  que  je  vous  demande  ,  ô  mon  Dieu  ? 
Rien  autre  chose  ,  si  ce  n'est  que  vous  ne  mépri- 
siez pns  les  douleurs  de  votre  fils  unique,  que  vous 
ayez  quelque  égard  à  ce  qu'il  souffre  ,  et  que  vous 
ne  hiissiez  pas  de  si  grands  mérites  sans  récom- 
pense. Dignus  est  agnus  ,  qui  occisus  est  ,  accipero 
virlutem  ,  et  divinitatem  ,  et  sapientiam  ,  et  foriitu- 
dinem  ,  et  honorem ,  et  gloriam  ^  et  benedictionem  : 
Oui  certainement  il  est  digne,  ce  divin  agneau, 
d'être  aimé  ,  respecté  ,  béni  ,  glorifié  de  toute  la 
terre  ;  il  mérite  d'être  le  Roi  et  le  Dieu  même  de 
tous  ceux  qu'il  a  rachetés.  Faites  donc  ,  ô  Dieu  de 
justice ,  qu'il  règne  en  effet  sur  tous  les  cœurs  ; 
que  tous  les  impies  changent  leurs  blasphèmes  en 
bénédictions  ,  tous  les  pécheurs  leur  endurcisse- 


DE  LA  Passion.  207 

ment  obstiné  en  amour  le  plus  tendre  ,  toutes  les 
âmes  faibles  et  lâcbes  leur  tiédeur  en  ferveur,  et 
leurs  désirs  en  effets  :  faites  ,  je  vous  en  conjure, 
que  tous  ceux  sur  qui,  durant  ces  fêtes,  ce  pré- 
cieux sang  sera  versé  par  le  Sacrement  de  la 
Pénitence  ,  soient  véritablement  purifiés  ;  que  par 
une  amère  douleur  de  leurs  fautes,  par  le  désir 
efficace  d'un  prompt  changement  ,  ils  soient  tous 
disposés  à  profiter  d'un  si  grand  bienfait  :  surtout, 
ô  mon  Dieu  ,  ne  permettez  pas  que  ce  sang  serve 
à  la  condamnation  d'aucune  ame,  puisqu'il  n'est 
rien  de  si  contraire  à  l'intention  de  celui  qui  l'a 
répandu  ,  qu'un  effet  si  terrible. 

Je  m'adresserai  encore  à  vous  ,  ô  mon  aimable 
Rédempteur  :  ah  !  je  vous  en  conjure  par  vous- 
même  ,  par  cette  sanglante  passion  ,  par  ce  zèle 
infini  que  vous  nous  avez  témoigné  en  mourant 
pour  noire  salut;  faites  ressentir  du  moins  à  tous 
ceux  qui  m'entendent  les  faveurs  d'un  amour  si 
généreux  ,  les  richesses  d'une  rédemption  si  abon- 
dante. Quoi,  Seigneur,  vous  aurez  donné  votre 
ame,  vous  aurez  avancé  un  prix  immense,  et  nous 
n'aurions  que  des  grâces  inefficaces  ?  Divin  Sau- 
veur ,  souvenez-vous  qu'avant  votre  passion  vous 
avez  dit  que  vous  attireriez  à  vous  toutes  choses, 
aussitôt  qu'on  vous  aurait  élevé  sur  la  croix.  Puis- 
qu'enfin  vous  y  voilà  cloué  ,  aimable  Sauveur , 
souffrez  que  je  vous  fasse  ressouvenir  de  votre 
promesse  ;  faites  voir  en  l'accomplissant  ,  cette 
promesse  ,  que  vous  êtes  véritablement  notre 
Dieu.  O  que  j'en  serai  bien  mieux  convaincu  par 
l'attrait  puissant  de  vos  grâces,  que  par  les  éclipses 
des  astres  ,  que  par  les  tremblemens  de  terre,  que 
par  la  résurrection  des  morts  !  Jetez  un  regard  sur 
tous  les  Chrétiens  qui  sont  ici  rassemblés  ;  vous 
trouverez  en  eux  autant  de  cœur-;  qui  ne  deman- 
dent qu'à  être  attirés,  et  qui  sont  tout  prêts  ù  sui- 
vre les  mouvemcns  qu'il  vous  plaira  exciter  en 
eux  par  riiupreSîrion  salutaire  de  vos  dons  :  attirez- 


a38       Pour  le  Jour  de  la  Passion. 

les  donc  ,  Seigneur ,  avec  cette  force  supérieure 
qui  rompt  ce  que  l'obstination  a  de  plus  opiniâtre, 
avec  cette  douceur  attrayante,  à  laquelle  l'endur- 
cissement le  plus  inflexible  ne  résiste  pas  ;  atta- 
chez-les  à  votre  croix  avec  des  liens  que  l'incon- 
stance ne  saurait  briser  ;  donnez-leur  par  vous- 
même  toutes  les  bénédictions  que  vous  leur  avei 
méritées ,  et  que  je  leur  souhaite  en  votre  nom  , 
&  la  gloire  du  Père  et  du  Saint-£sprit.  Aiasi  soit-il. 


2' 


SERMON 


POUR    LE    JOUR 

DE    LA    PASSION. 


Attendue  et  videte  si  est  dolor  sicut  dotor  meut» 

Considérez  et  voyez  s'il  y  a  uae  douleur  pareille  i  It 
mienne.  {Jcrem.  Lament.  i.) 


I  jE  sujet  que  je  suis  obligé  de  traiter  aujour- 
d'hui est  le  plus  auguste  ,  le  plus  riche  ,  le  plus 
touchant ,  le  plus  propre  pour  convertir  les  pé- 
cheurs ,  pour  perfeclionner  les  saints  ,  le  phia 
efficace  pour  consoler  les  affligés  ,  le  plus  utile 
pour  toutes  sortes  de  personnes  ,  mais  le  pIuS  dés- 
avantageux qu'on  puisse  imaginer  pour  un  Prédi- 
cateur évangélique.  Vous  êtes  venus  ici,  MM.  , 
dans  l'espérance  de  goûter  toutes  les  douceurs  de 
la  plus  sensible  piété  ,  vous  y  êtes  venus  disposés 
à  verser  des  larmes  sur  votre  divin  maître,  et  à 
livrer  votre  cœur  à  tous  les  mouvemens  qu'y  peut 
exciter  le  récit  de  la  passion;  et  moi  j'y  viens  dan? 
l'impuissance  de  rien  dire  qui  réponde  à  votre  at- 
tente ,  d'expliquer  même  ce  que  je  pense  et  ce  que 
je  sens. 

Pour  parler  dignement  de  la  passion  et  de  la 
mort  de  Jésus-Christ,  il  faudrait  avant  tout  pou- 
Toîr  faire  comprendre  ce  que  c'est  que  Jésus- 
Christ,  quelle  était  son  innocence,  sa  sainteté, 
son  pouvoir  sur  toutes  les  créatures  ,  sa  bonté  et 
ta  sagesse  infinie  ;  il  faudrait  pouvoir  vous  repré- 
jenter  sa  beauté  ,   sa  douceur ,  son  penchant  à 


^40  1.  Pour  le  Jour 

faire  du  bien  ,  le  bien  qu'en  efTet  il  répandait  sur 
tout  le  monde  ;  il  faudrait  de  plus  vous  entretenir  da 
ses  douleurs  secrètes,  qui  surpassent  les  douleurs 
de  son  corps ,  autant  que  la  peine  du  dam  surpasse 
dans  les  Enfers  toutes  les  peines  sensibles  ;  enfin 
il  faudrait  pouvoir  dire  avec  quels  sentimens  inté- 
rieurs ,  et  surtout  avec  quel  amour  pour  les  hom- 
mes il  a  souffert  les  plus  horribles  tourmens  :  or 
ce  sont ,  MM.  ,  autant  de  mystères  ineffables  ,  et 
pour  la  plupart  même  incompréhensibles. 

Les  tourmens  extérieurs  qui  nous  auraient  tou- 
chés si  vivement,  si  nous  en  avions  été  témoins  , 
ne  peuvent  guère  nous  émouvoir  ,  quand  nous  les 
entendons  raconter;  d'ailleurs  n'en  pouvant  rien 
dire  qui  n'ait  déjà  été  répété  mille  fois ,  il  est  im- 
possible que  je  fasse  sur  votre  ame  ces  grandes 
impressions  qu'y  feraient  des  choses  inouies  et 
inespérées. 

Cela  supposé,  Chrétiens  auditeurs,  quel  art, 
quelle  éloquence  peuvent  surmonter  de  pareilles 
difficultés  ?  Qui  jamais  aura  le  courage  ,  pour  ne 
pas  dire  la  témérité  ,  d'entreprendre  de  raconter 
cette  mort  5  dont  les  circonstances  sont  toutes, 
ou  trop  connues  ,  ou  entièrement  inconnues  ; 
ces  douleurs  ,  dont  les  unes  sont  le  sujet  ordi- 
naire de  tant  de  méditations  ,  de  tant  de  discours, 
et  dont  les  autres  sont  au-dessus  des  expressions 
et  de  lintelligence  même  des  hommes  P  Je  les 
raconterai  néanmoins  ,  MM.  ,  puisque  je  ne  puis 
m'en  dispenser  ,  mais  je  le  ftrni  sans  art  ,  sans 
étude  ;  je  ne  m'attacherai  à  rien  de  particulier , 
je  dirai  simplement  ce  que  les  E\i!n:;éli.^tes  en  ont 
écrit  ,  et  dans  le  même  ordre  qu'ils  l'ont  écrit. 
Il  n'appartient  qu'à  vous  ,  divin  Esprit  ,  d'exci- 
ler  dans  mes  auditeurs  les  sentimens  de  compas- 
sion et  de  tendresse  qu'ils  croient  peut-être  que 
je  leur  dois  inspirer.  Daignez  leur  donner,  lors- 
qu'ils se  rappelleront  dans  la  retr;iile  ce  que  je  vais 
dire  ,  daignez  leur  donner  deux  fontaines  de  lar- 
mes, pour  les  mêler  au  sang  du  Sauveur  dans  ce 


CE  Lk  Passion.  241 

moment  je  ne  vous  demande  ni  pour  enx ,  ni  pour 
moi,  que  les  lumières  dont  nous  avons  besoin 
pour  admirer  les  grands  exemples  que  Jésus  nous 
donne  en  souffrant,  et  pour  comprendre  l'obliga- 
lion  étroite  que  nous  avons  de  les  imiter.  Adorable 
croix  ,  vous  nous  tenez  aujourd'hui  lieu  de  tout  ; 
nous  nous  adressons  à  vous  comme  nous  avons 
coutume  de  nous  adresser  à  Marie  ,  et  nous  espé- 
rons d'obtenir  par  vous  les  mêmes  secours  qu'elle 
nous  a  toujours  procurés  :  O  crux ,  ave ,  spes  unica. 

JÉSUS  sentant  approcher  l'heure  que  son  père 
lui  avait  marquée  pour  mourir,  se  hâta  de  donner 
à  ses  Disciples  les  derniers  témoignages  de  son 
amour  ;  lui-même  il  leur  lava  les  pieds  ,  il  leur 
donna  son  corps  à  manger  et  son  sang  à  boire; 
enfin  il  prit  congé  d'eux  par  un  discours  rempli 
d'instructions  salutaires,  et  d'une  tendresse  in- 
croyable. Il  sort  ensuite  de  la  ville  de  Jérusalem  , 
et  se  rend  dans  une  solitude  où  il  avait  coutume 
'de  se  retirer  après  les  travaux  du  jour ,  et  où  il 
savait  que  ses  ennemis  le  devaient  venir  chercher. 
Il  était  nuit ,  Chrétiens  auditeurs  ,  lorsqu'il  s'éloi- 
gna du  cénacle  :  et  je  ne  doute  point  que  les  puis- 
sances de  l'Enfer,,  qui  étaient  alors  déchaînées, 
et  qui  travaillaient  au  plus  grand  crime  qui  ait 
jamais  été  commis,  n'augmentassent  l'horreur  des 
ténèbres. 

Ce  fut  alors  que  commença  proprement  la  pas- 
sion du  Sauveur  du  monde;  car  une  tristesse  mor- 
telle's'étant  emparée  de  son  cœur,  il  marche  en  si- 
lence jusqu'au  lieu  appelé  Gethsemani ,  où  nepou- 
vant  plus  résister  seul  à  l'abattement  extrême  qui 
l'accable ,  il  est  contraint  de  s'adresser  à  ses  Apôtres, 
comme  pour  leur  demander  du  soulagement  : Tm- 
tis  est  anima  mea  usqae  ad  mortem:  Je  ne  me  sou- 
tiens plus  ,  dit-il  ,  je  meurs  ,  mon  ame  cède  à  la 
tristesse  dont  elle  est  saisie.  Mais  comme  i!  ne  re- 
çoit d'eux  aucune  consolation  ,  il  se  retire  à  l'écart, 
moins  pour  caclier  son  trouble  et  sa  crainte  ,  que 
1.  11 


2^1  2.  Pour  le  Jour 

pour  s'y  abandonner  tout  entier.  En  effet,  MM.j 
voyez-le  au  fond  de  ce  jardin  ,  il  pâlit,  il  tremble, 
il  tombe  sur  ses  genoux  ,  et  bientôt  après  sur  son 
visage.  Voyez-le  ,  ce  visage  tout  mouillé  de  lar- 
mes ,  voyez  celte  sueur  de  sang  qui  coule  par  ruis- 
seaux jusqu'à  terre  ;  il  élève  ses  mains  et  sa  voix 
au  Ciel  ;  il  revient  à  ses  Disciples  jusqu'à  deux  fois , 
pour  se  plaindre  à  eux  du  peu  de  secours  qu'il  en 
reçoit  ;  il  retourne  autant  de  fois  à  sa  retraite  : 
mais  c'est  partout  le  même  trouble  ,  rien  n'est 
capable  de  calmer  son  ame.  II  répète  sans  cesse 
celte  prière  :  Mon  père  ,  rien  ne  vous  est  impossi- 
ble ,  détournez  ce  calice  ;  ne  m'obligez  pas  de  me 
livrer  à  la  fureur  de  mes  ennemis  :  Abba  pater  , 
omnia  tibi  possibilia  sunt  ;  transfer  calicem  hunr. 
à  me. 

Je  ne  sais  ,  MM.  ,  quel  est  votre  sentiment  ; 
pour  moi  j'avoue  que  ce  mystère  m'étonne  à  ua 
point  que  je  ne  puis  exprimer.  C'est  un  événe- 
menl  bien  frappant  qu'un  Dieu  humilié  ,  un  Dieu 
souffrant,  un  Dieu  mort  :  n'importe  ,  mon  esprit , 
tout  borné  qu'il  est ,  n'a  pas  trop  de  peine  à  dé- 
mêler ces  énigmes.  Mais  un  Jésus  troublé  dans  son 
ame  ,  un  Jésus  saisi  de  crainte  ,  un  Jésus  triste 
jusqu'à  la  mort  ;  peu  s'en  faut  que  je  ne  me  trou- 
ble moi-même  ,  et  que  je  ne  me  perde  dans  cette 
pensée.  Quoi  ?  ce  Mess.ie  que  Dieu  nous  a  envoyé 
pour  nous  servir  de  maître  et  de  modèle,  ce  Jésus 
qui  n'est  venu  sur  la  terre  que  pour  souffrir,  qui 
a  témoigné  tant  d'impatience  de  verser  son  sang 
pour  nous,  maintenant  que  l'heure  est  venue, 
semble  hésiter  ;et  manquer  de  résolution  !  II  nous 
a  enseigné  que  non?  n'avions  rien  à  craindre  de 
ceux  qui  ne  peuvent  faire  périr  que  le  corps;  que 
c'est  sauver  sa  vie  ,  que  de  la  perdre  pour  la  cha- 
rité ;  qu'on  doit  se  réjouir,  qu'on  doit  faire  éclater 
sa  joie  quand  on  est  accusé  ,  condamné  ,  maltraité 
par  les  hommes  :  cl  lui-même  il  tremble ,  il  fré- 
mit,  une  sueur  de  spng  manifeste  sa  frayeur  aux 
approches  de  sa  passi<m  !   On  verra  de  ttyidrcs 


DE  LA  Passion.  i^5 

enfans  ,  on  verra  de  jeunes  vierges  aUer  au  mar- 
tyre en  louant  le  Seigneur;  on  les  verra  au  milieu 
des  feux  montrer  une  lermelé  invincible,  embras- 
ser même  leurs  bourreaux  et  les  instrumens  de 
leur  supplice  avec  les  transports  d'une  véritable 
Joie  :  et  la  seule  pensée  des  tourmens  jette  Jésus 
dans  la  plus  profonde  tristesse  !  11  paraît  comme 
dans  une  espèce  de  désespoir  :  étendu  sur  la  terre, 
noyé  dans  son  sang,  souffrant  depuis  trois  heures 
une  cruelle  agonie,  il  ne  cesse  de  redire  ces  paro- 
les :  Transeat ,  transeat  calix  iste  à  me  ;  Ah  !  mon 
père,  éloignez  de  moi  ce  calice ,  dont  la  seule  vue 
me  donne  la  mort.  Nous  voilà  donc.  Seigneur, 
nous  voilà  perdus  sans  ressource  ;  vous  oublie* 
ceux  que  vous  aimez  ;  vous  les  abandonnez  à  leurs 
ennemis  et  à  leur  mauvais  sort.  Ce  sera  donc  en 
vain  que  vous  vous  sere>.  revêtu  de  notre  chair, 
et  qu'on  vous  aura  attendu  durant  taiit  de  siècles; 
le  Démon  demeurera  le  maître  du  monde,  et  il 
remplira  l'Enfer  de  vos  créatures? 

Quelle  injustice  ne  ferions-nous  pas  à  Jésus- 
Christ,  si  nous  pensions  que  la  crainte  de  la  mort 
eût  pu  suspendre  ur»  seul  moment  dans  son  cœur 
les  mouvcmens  de  sa  charité  et  de  sa  compassion  ! 
Hélas  !  loin  de  manquer  de  zèle  pour  notre  salut, 
cette  excessive  tristesse  est  l'effet  d'un  zèle  exces- 
sif, du  désir  ardent  qu'il  a  de  sauver  tous  les  hom- 
mes ,  joint  à  la  connaissance  qu'il  a  d'autre  part 
du  grand  nombre  des  honnnes  qui  se  perdront. 
Celte  pensée  est  de  tous  les  Interprètes,  elle  est 
de  tous  les  Pères  de  la  vie  spiiituelle. 

Dans  cette  vue,  MM.  ,  le  trouble  ,  l'agonie  du 
Sauveur  du  monde  ne  m'étonne  plus  ;  je  com- 
prends ^  ce  me  semble  ,  c<mibitn  celui  qui  nous 
aimait  jusqu'à  mourir  pour  nous  retirer  de  l'Enfer, 
devait  être  affligé  de  ne  pouvoir  nous  en  retirer, 
même  en  mourant.  Nous-mêmes.,  quelque  peu 
d'impression  qu'ait  coutume  de  faire  sur  nous  la 
perte  des  âmes  ,  nous  ne  laissons  pas  d'être  quel- 
quefois vivement  touchés  de  voir  celle  multitude 

11  . 


1^44  2.  Pour  le  Jour 

innombrable  d'Infidèles  qui  meurent  dans  l'aveu- 
glement. Les  personnes  un  peu  zélées  ne  peuvent 
retenir  leurs  larmes  quand  elles  font  réflexion  que 
la  plupart  même  des  Chrétiens  se  damnent ,  qu'il 
y  a  si  peu  de  véritables  conversions  ,  si  peu  de 
véritable  piété  ,  si  peu  de  personnes  qui  connais- 
sent Dieu  ,  qui  l'aiment  sincèrement  ,  si  peu  qui 
persévèrent  dans  son  service  jusqu'à  la  fin.  Je  vous 
avoue  que  depuis  que  la  Providence  m'a  amené 
dans  ce  royaume  ,  je  ne  pense  jamais  iiu  grand 
nombre  d'ames  qui  y  périssent ,  sans  avoir  le  cœur 
percé  de  douleur  :  et  quel  cœur ,  fût-il  de  marbre 
ou  de  bronze  ,  pourrait  n'être  pas  attendri  sur  une 
désolation  si  funeste  et  si  générale  ?  Si  nous  som- 
mes touchés  du  malheur  de  ces  âmes  infortunées, 
combien  croyez-vous  que  Jésus-Christ  y  soit  plu» 
sensible,  lui  à  qui  ces  âmes  appartiennent ,  lui  qui 
en  connaît  tout  le  prix ,  lui  qui  sait  ce  que  c'est 
que  d'être  damné  ,  ce  que  c'est  que  d'être  éternel^ 
lement  séparé  de  son  Créateur  ? 

Cette  douleur  l'accompagna  dans  toute  sa  pas- 
sion ;  il  eut  sans  cesse  devant  les  yeux  nos  crimes , 
notre  ingratitude,  notre  aveuglement  ;  il  vil  son 
sang  méprisé  par  les  mauvais  Chrétiens  ,  profané 
par  les  Prêtres  sacrilèges ,  foulé  aux  pieds  pnr  les 
pénitcns  hypocrites  ,  en  un  mot  devenu  un  sujet  de 
condamnation  à  l'égard  de  ceux  même  pour  qui  il 
était  répandu  :  tout  ce  que  le  sel  elles  liqueurs  les 
plus  acres  ajouteraient  de  douleur  à  des  plaies  ré- 
centes, celte  vue  toujours  présente  l'ajouta  aux  au- 
tres souffrances  de  Jésus  ;  et  je  ne  sais  comment  elle 
ne  le  fit  pas  mourir  mille  fois  dans  ce  même  jardin 
où  elle  lui  causa  une  si  mortelle  tristesse.  Vous  vous 
présentâtes  alors  à  son  esprit,  âmes  saintes,  âmes 
vraiment  pénitentes;  vous  fûtes  toute  sa  consola- 
tion ,  dans  une  désolation  si  universelle  ;  il  s'anima 
à  souffrir  par  l'utilité  qu'il  prévit  que  vous  tireriez 
de  ses  souffrances  ;  votre  nombre  lui  parut  bien  in- 
férieur à  son  zèle,  mais  ses  douleurs  ne  lui  parurent 
point  trop  mulliplléespour  cepclit  no'nbre  ;  il  aurait 


DE^  LA  Passion.  14^ 

Youlu  sauver  tous  les  hommes  ,  mais  î'espérance 
de  sauver  une  seule  ame  lui  aurait  fait  surmonter 
toutes  les  répugnances  qu'il  avait  de  mourir  sur  lu 
croix. 

En  efTer,  MM.  ,  quelque  extrême  que  soit  l'af- 
Ûicliort  où  il  se  trouve  ,  quelque  peu  nombreuse 
que  doive  être  cette  élite  assez  heureuse  pour  pro- 
fiter de  sa  mort ,  il  n'aperçoit  pas  plutôt  les  Sol- 
dats qui  viennent  se  saisir  de  sa  personne,  qu'ou- 
bliant sa  douleur  et  ses  craintes,  il  se  lève,  il 
s'avance  sans  délibérer,  et  se  livre  lui-même  à  ses 
ennemis.  Judas  un  de  ses  Disciples  était  à  la  tête 
de  la  troupe  ;  plusieurs  Prêtres  ,  plusieurs  des  an- 
ciens du  peuple  les  accompagnaient  :  tout  cela 
semblait  avoir  été  ménagé  pour  rendre  sa  prise 
plus  cruelle  et  plus  ignominieuse.  Etre  trahi  par 
son  Disciple  ,  être  pris  à  la  vue  de  mille  envieux, 
et  par  une  compagnie  entière  de  Soldats,  comme 
un  séditieux,  comme  un  voleur;  vous  comprenez 
assez,  MM.  ,  ce  ^'il  y  avait  de  mortifiant  et  de  hon- 
teux dans  ces  circonstances.  Jésus  néanmoins  n'en 
est  pas  troublé  ;  il  reçoit  le  baiser  du  traître  avec 
cette  douceur  capable  d'adoucir  un  tigre  ;  il  se 
nomme  ,  il  se  fait  connaître,  il  guérit  le  serviteur 
du  Pontife  qui  avait  été  blessé  par  saint  Pierre  ;  et  sa 
seule  présence  ayant  comme  interdit  et  même  ren- 
versé tous  les  satellites ,  il  les  rassure ,  il  les  relève ,  il 
les  encourage  à  exécuter  les  ordres  qu'ils  ont  reçus. 

Il  est  étonnant  que  tant  de  douceur,  qu'un  pro- 
cédé si  généreux  n'inspire  point  à  ces  Soldats  des 
senlimens  plus  humains  ;  au  contraire  ,  loin  de  les 
toucher ,  et  de  les  obliger  d'en  user  avec  Jésus  un 
peu  plus  modérément  qu'avec  un  autre  homme , 
ils  le  traitent  avec  une  barbarie ,  avec  un  excès 
inoui  de  cruauté.  Ils  n'avaient  qu'à  le  prendre  et 
à  le  conduire,  il  était  disposé  à  les  suivre  ,  il  les 
suivait  sans  résistance  :  cependant  ils  s'élancent 
^ur  lui  comme  des  bêtes  féroces,  ils  le  lient  ,  ils, 
usent  de  violence  ,  ils  l'entraînent  ;  et  à  l'appareil 
outrageant  des  armes  que  l'autorité  ou  leur  fureur 


et  4^  ^-   Pour  le  Jour: 

leur  met  entre  les  mains  ,  ils  joignent  les  traite- 
mens  les  plus  cruels.  Mais  quoi  ,  me  direz-vous  , 
ce  n'est  point  ain>i  qu'on  a  coutume  d'en  agir  avec 
les  hommes  les  plus  criminels  ,  à  moins  qu'ils  ne 
se  révoltent.  Il  est  vrai ,  et  ce  serait  punir  un 
homme  avant  qu'il  ait  été  jugé  coupable;  injustice 
que  les  peuples  les  pins  barbares  ont  en  horreur: 
mais  il  faut  vous  avertir  une  fois  pour  toutes  que 
dans  toute  la  passion  de  Jésus-Christ  ,  vous  ne 
devez  vous  attendre  à  aucune  formalité  ,  à  au- 
cune apparence  de  justice  ;  il  semble  que  pour 
lui  on  ait  oublié  toutes  les  règles  de  l'équité  la  plus 
naturelle  ,  que  chacun  se  soit  dépouillé  de  tout 
sentiment  d'humanité  :  c'est  une  conduite  tout 
extraordinaire  ,  un  monstrueux  renversement  de 
toutes  les  lois.  On  dirait  que  ce  n'est  pas  un  homme 
qu'on  maltraite,  que  c'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  vil, 
un  ver  de  terre,  qu'on  peut  fouler,  qu'on  peut 
écraser  impunément. 

Jésus -Christ  est  ainsi  traîné'^au  tribunal  des 
Pontifes  ;  il  paraît  dans  la  posture  d'un  criminel 
devant  des  hommes  dont  il  était  lui-même  le  Juge. 
C'est  une  étrange  humiliation  pour  un  Roi  d'être 
obligé  de  rendre  compte  de  sa  conduite  à  ses  pro- 
pres sujets  ,  et  d'attendre  de  leurs  suffrages  la  dé- 
cision de  son  sort  ;  surtout  si  dans  ce  Monarque  le 
mérite  personnel,  la  vertu  ,  l'innocence  relèvent 
la  dignité  royale  ;  et  si  ceux  qui  l'accusent ,  ou  qui 
président  à  un  jugement  si  injuste  ,  sont  des  scélé- 
rats ,  qui  méritent  eux-mêmes  toutes  les  rigueurs 
de  la  Justice.  MM. ,  le  fils  unique  de  Dieu,  qui  est 
égal  à  son  père  ,  est  amené  devant  Anne  et  devant 
Caïphe  ,  deux  Prêtres  également  indignes  et  de 
leur  caractère  ,  et  de  roffice  de  Juge  qu'ils  exer- 
çaient. On  lui  reproche  en  leur  présence  mille  cri- 
mes ,  qui  n'ont  pas  l'ombre  de  la  vérité  ,  qui  se 
détruisent  les  uns  les  autres;  on  l'oblige  de  répon- 
dre à  ces  fausses  accusations  :  à  la  première  parole 
qu'il  profère  ,  un  Soldat  insolent  lui  donne  un 
soufflet  ;  et  ies  Juges  laissent  cet  outrage  impuni. 


DE  LA  PASSI0^^  247 

Jîésus  demeure  donc  dans  le  silence  :  mais  on  n'est 
pas  plus  content  de  son  silence  que  de  ses  paroles; 
on  veut  qu'il  parle  ,  pour  avoir  oMasion  de  le 
surprendre  dans  ses  réponses.  11  obéit ,  quoiqu'il- 
connaisse  leurs  intentions  ;  et  sur  ce  qu'il  dit  (|u'il 
est  en  effet  le  fds  de  Dieu  ,  le  Pontife  se  récrie  , 
comme  s'il  avait  ouï'  un  blasphème  ,  il  déchire  ses 
habits,  il  demande  jusiice  à  tout  le  Conseil  ;  et 
tout  le  Conseil  juge  que  Jésus-Christ  mérite  la 
mort ,  sans  qu'il  s'en  trouve  un  seul  qui  soit  d'un 
avis  contraire  :  Qui  omnes  condemnaverunt  eum  esse 
feum  mortis. 

Voilà  le  sentiment  de  la  Synagogue  ,  c'est-à- 
dire  ,  des  Pontifes  ,  des  Prêtres  ,  des  Docteurs  de 
là  loi  ,  des  anciens  du  peuple.  Si  l'on  veut  s'en 
tenir  à  ce  qu'ils  pensenL,  Jésus-Christ  est  un  im- 
pie ,  il  est  digne  du  dernier  supplice.  O  jugement 
des  hommes  ,  que  vous  me  paraissez  méprisable 
après  celte  inique  sentence  !  Qui  pourra  désormais 
ne  pas  rougir  ,  ô  mon  aimable  Sauveur  ,  d'être 
loué,  d'être  estimé  par  un  monde  si  injuste  ?  Qui 
pourra  ne  pas  faire  gloire  d'être  condamné  par 
ceux  à  qui  vous  avez  paru  digne  de  l'être  ? 

Je  île  m'arrêterai  point  ici  à.  rechercher  pour- 
quoi les  Juifs  ne  firent  pas  eux-mêmes  mourir 
Jésus  ,  l'ayant  déclaré  coupable.  Saint  Thomas  et 

f)lusieurs  autres  Docteurs  disent  que  les  Romains 
eur  en  avaient  ôté  le  pouvoir  :  saint  Augustin  et 
saint  Cyrille  croient  que  la  défense  qu'on  leur  avait 
faite  à  ce  sujet  regardait  seulement  le  temps  de 
Pclque  :  quelques  autres  ,  sur  ce  que  les  Juifs  ré- 
pondirent à  Pilule  qu'il  ne  leur  était  pas  permis  de 
mettre  à  mort  personne  :  Nobis  non  licet  interficera 
<7W6'm^Mfl/??;  pensent  que  cette  réponse  ne  fut  qu'un 
faux  prétexte  des  Pharisiens  ,  pour  faire  périr 
Jésus-Christ  avec  plus  d'ignominie  ,  et  pour  se 
décharger  en  même  temps  sur  les  Romains  de  la 
haine  qu'ils  craignaient  de  s'attirer  par  cette  mort. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  voilà  un  homme  dévoué  au 
supplice,  on  n'altend  plus  que  le  lever  du  soleil 


^4^  2.  Pour  lil  Jocr 

pGui-  le  livrer  aux  Gentils  ;  dans  cette  attenta,  om 

le  confie  à  des  Soldats  pour  être  gardée 

Quand  Jésus  n'aurait  eu. à  souiTrir  durant  toute 
cette  nuit  que  la  douleur  des  coups  qu'il  avait 
reçus,  que  l'impression  des  liens  quile  serraienT,, 
et  les  approches  d'une  mort  cruelle  ^  il. est  certain, 
qu'il  ne  pouvait  passer  ce  temps  que  dans  la  plus 
sombre  tristesse.  Mais  de  plus  ses  gardes  ne  lui 
donnent  pa^  le  loisir  ni  de  se  plaindre  des  maux, 
passés  ,  ni  de  songer  aux  maux  à  venir  :  ils  le 
reçoivent  avec  empressement  comme  un  insensé 
propre  à  leur  servir  de  jouet,  ou  comme  un  mé- 
chant homme  indigne  de  toute  compassion  :  ils  le 
'conduisent  dans  une  salle  écartée ,  arec  ces  railleries 
fades  et  outrageantes  ,  avec  ces  dérisions  brutales 
et  cruelles  dont  vous  savez  que  la  vile  populace  a 
coutume  d'user  dan&  les  joies  les  plus  dissolues  :  le 
voilà  au  milieu  de  celte  garde  insolente  ,  les  bras 
liés,  et  un  bandeau  sur  les  yeux.  Le  jeu  barbare 
qui  occupa  ces  Soldats  toute  la  nuit ,  fut  de  l'a- 
border en  silence,  de  lui  cracher  au  visage  ,  de  lui 
donner  des  soufïlets  ,  de  lui  dire  par  une  insulte 
plus  cruelle  que  leurs  coups  :  Si  tu  peux ,  devine 
gui  t'a  frappé.  Jésus  demeura  muet  ,  Chrétiens 
auditeurs,  il  demeura  sourd  et  immobile  parmi 
tant  d'outrages. 

Cependant  on  se  dispute  à  qui  lui  donnera  les 
plus  rudes  coups  ,  à  qui  réussira  le  mieux  à  en 
faire  un  objet  de  risée  :  de  tous  ces  traitemens 
barbares  ,  les  plus  insultans  sont  ceux  qui  sont 
surtout  applaudis  par  toute  la  troupe.  Cette  scène 
sacrilège  dura  toute  la  nuit,  et  bien  avant  dans  le 
jour,  jusqu'à  ce  qu'il  plut  au  Gouverneur  de  don- 
ner audience  aux  Pharisiens.  Ce  doux  agneau  ne 
donne  pas  une  seule  marque  d'impatience  ;  son 
silence  n'est  pas  interrompu  par  une  seule  plainte, 
par  un  seul  murmure  ;  pas  un  seul  moment  d'in- 
dignation ne  s'élève  dans  son  cœur  ;  la  fureur 
effrénée  de  ces  hommes  aveugles  excite  sa  compas-, 
>ion  ,  et  il  se  fait  d'ailleurs  un  plaisir  de  montrer 


DE  LA  Passion.  249 

par  cette  modération  sans  exemple  tout  le  respect 
qu'il  a  pour  son  père  ,  et  pour  tous  ceux  qui  exé- 
cutent ses  volontés. 

Quand  nous  avons  lu  dans  l'Ecriture  l'état  pi- 
toyable où  les  Philistins  avaient  réduit  l'infortuné 
Samson  ,  et  surtout  comment  après  lui  avoir  crevé 
les  yeux  ,  ils  le  faisaient  venir  dans  leur  assem- 
blées aux  jours  des  plus  grandes  fêtes  ,  pour  lui 
insulter  dans  son  malheur  ;  nous  apprenons  en- 
suite avec  un  phnsir  extrême  de  quelle  manière  il 
s«  vengea  enfin  de  leurs  outrages,  en  faisant  tom- 
ber sur  eux  la  maison  où  ils  s'assemblaient ,  et 
en  les  ensevelissant  sous  les  ruines  de  ce  vaste 
édifice.  On  admire  le  pouvoir  d'EIie  ,  et  on  lui  sait 
bon  gré  de  s'en  être  servi  pour  faire  descendre  le 
feu  du  Ciel  sur  deux  Capitaines  et  sur  cent  Sol- 
dats armés  ,  qui  venaient  pour  le  surprendre  ,  et 
pour  le  livrera  Ochosias.  On  admire  le  crédit  du 
Prophète  Elisée  ,  qui  se  voyant  poursuivi  avec  des 
huées  par  une  troupe  d'enfans  que  ceux  de  Bethel 
avaient  envoyés  pour  l'outrager ,  fit  sortir  de  la 
forêt  voisine  deux  ours  furieux  qui  dévorèrent  qua- 
ranto-deux  de  ces  jeunes  téméraires.  Mais  vous, 
mon  divin  Sauveur  ,  vous  qui  êtes  le  Roi  du  Ciel 
et  de  la  Terre  ,  combien  prusdois-je  vous  admirer, 
lorsque  tous  les  Anges  n'attendent  qu'un  signal 
pour  fondre  sur  les  barbares  qui  vous  maltrai- 
tent ;  lorsque  par  une  de  vos  paroles  vous  pourriez 
les  aveugler,  les  rendre  immobiles  ,  les  livrer  à 
Lucifer,  les  engloutir  au  centre  de  la  terre  ouverte 
sous  leurs  pieds;  lorsque,  loin  d'user  d'un  pouvoir 
si  absolu  ,  je  vous  vois  garder  un  profond  silence, 
souffrir  comme  le  plus  faible  de  tous  les  hommes  , 
essuyer  les  insultes  de  ces  gardes  également  vils 
et  insolens  ,  et  jusqu'au  bout  leur  servir  de  risée  ! 
Enfin  le  jour  parut ,  ce  jour  favorable  à  la  jalou- 
sie des  Prêtres  ,  et  à  l'amour  de  Jésus-Christ ,  ce 
grand  jour  dont  nous  solennisons  aujourd'hui  la 
triste  mémoire ,  ce  jour  qui  fut  le  dernier  de  la  vie 
la  plus  belle  et  la  plus  innocente  qui  fut  jamais* 


25b  2.  Pour  le  Jour 

On  conduit  le  Sauveurdu  monde  à  Pilule.  Tous 
les  Docteurs  de  la  loi  ,  toute  la  troupe  des  Phari- 
risiens  se  rend  en  foule  au  palais  :  les  Juifs  attirés 
par  la  curiosité  accourent  de  toutes  parts  ,  pour 
voir  quel  jugement  l'on  portera  sur  un  homme 
qui  a  rempli  toute  la  Judée  du  bruit  de  son  élo- 
quence et  de  ses  miracles.  C'est  devant  une  assem- 
blée si  nombreuse  et  si  tumultueuse  que  Jésus- 
Christ  est  chargé  de  mille  crimes,  tous  confirmés 
par  des  té^noins  subornés.  De  nouveaux  accusa- 
teurs se  produisent  à  chaque  moment,  il  en  arrive 
sans  cesse  qui  succèdent  aux  premiers  ,  et  qui  font 
instance  pour  être  ouïs  dans  leurs  dépositions. 
Renversement  étrange  ,  que  tant  de  personnes  se 
trouvent  disposées  à  calomnier  un  homme  qui  les 
a  comblées  de  biens  !  que  dans  une  si  grande  muU 
litude  pas  un  seul  ne  se  présente  pour  réfuter  ces- 
calomnies  ,  et  pour  prendre  le  parli  de  l'innocence  ! 
Jésus-Christ,  mes  frères  ,  avait  eu  douze  Apôtres  , 
et  soixante  et  douze  Disciples,  qui  avaient  été 
témoins  de  ses  bienfaits ,  et  qui  y  avaient  eu  la 
plus  grande  part  ;  combien  de  malades  guéris  , 
combien  de  morts  ressuscites  ,  combien  de  muets 
à  qui  il  avait  rendu  l'usage  de  la  parole  ?  et  cepen- 
dant tous  le  laissent ,  aucun  ne  paraît  pour  le  dé- 
fendre. Quelle  lâcheté,  quelle  ingratitude  ?  Mais 
quelle  confusion  pour  le  fils  de  Dieu  ,  quel  sujet 
de  douleur  ,  de  se  voir  ainsi  abandonné  dans  une 
nécessité  si  pressante  !  de  voir  ses  amis  les  plus 
intimes  n'oser  se  déclarer  pour  lui ,  le  renoncer 
même  ,  et  feindre  de  ne  Tavoir  jamais  connu  ! 

Que  répond-il  lui-même  à  ce  nombre  infini 
d'accusations  importantes  ?  Il  ne  répond  rien, 
pas  une  seule  parole.  On  lui  permet  de  réfuter 
les  crimes  qu'on  lui  impute  ,  on  le  presse ,  on  lui 
demande  s'il  n'entend  pas  ce  qu'on  dit  contre  lui  , 
ou  s'il  reconnaît  qu'il  est  coupable  ;  on  le  conjure 
d'ouvrir  au  moins  une  fois  la  bouche  pour  sa  jus- 
tification. A  tout  cela  ,  MM.,  ï^u\\c  réponse.  Pilât© 
Dc   peut  assez   s'en   étonner  ;    il   n'a  jamais   vu 


DE  LA  Passion.  i5t 

d'homme  muet  en  sa  ])ropre  cause  ;  ce  silence  est 
une  énigme  qui  l'embarrasse  ,  et  qu'il  ne  peut 
éclaircir  :  Et  non  respondlt  ei  verburn,  ita  ut  mi~ 
raretur  Prœses  veliementer.  Mon  Dieu  ,  quelle  plu9 
favorable  oicasi(»n  pouvait-il  avoir  de  parler  ,  et 
de  faire  triompher  son  éloquence  !  quel  sujet  plus 
avanlaj;;eux  pour  le  Verbe  incarné ,  que  l'innocence 
et  la  sainteté  de  ses  mœurs  ,  que  la  pureté  de  sa 
doctrine ,  et  l'h^'pocri.sie  des  Pharisiens  !  Avec 
quel  silence  ne  se  serait-il  pas  fait  écouter  !  quels 
mouvemens  n'aurait- il  pas  excité  dans  tous  les 
esprits  !  de  quelle  confusion  u'aurait-il  pas  couvert 
les  auteurs  de  tant  d'impostures  !  avec  quelle  fa- 
cililé  ne  les  aurait-il  pas  chargés  des  mépris  et  de 
la  haine  de  toute  la  terre  !  Et  si  quittant  la  posture 
de  criminel  ,  il  eût  pris  le  ton  d'accusateur,  il  eût 
sous  les  yeux  de  cette  assemblée  nombreuse  peint 
au  naturel  le  caractère  des  Pharisiens  et  des  Prê- 
tres ,  si  ,  comme  autrefois,  pour  fermer  la  bou- 
che aux  accusateurs  de  la  femme  adultère  ,  il  eût 
en  sa  faveur  écrit  sur  le  sable  les  crimes  de  ses 
propres  accusateurs  ,  de  qutdle  gloire  ,  Chrétiens 
auditeurs  ,  le  comblait  ce  nouveau  miracle  !  quel- 
les acclamations  !  quel  triomphe  !  Il  pouvait  faire 
encore  plus  ,  il  pouvait  {)rendre  lui-même  la  qua- 
lité de  Juge  ,  commander  à  Pilate  de  descendre 
du  tribunal,  y  monter  lui-même  ,  y  condamner 
tous  ceux  qui  l'avaient  norci  par  leurs  calomnies, 
les  faire  mourir  sur  l'heure  ,  les  punir  par  tel  sup- 
plice qu'il  lui  aurait  plu  ,  et  demeurer  seul  libre 
et  pour  ainsi  dire  maître  de  la  place.  Nous  aurions 
tous  applaudi  à  une  action  si  éclatante,  elle  nous 
aurait  paru  digne  d'un  Dieu.  Mais  Jésus  croit  que 
rien  n'est  plus  digne  d(;  lui  que  de  souffrir  ,  et  que 
de  se  taire  :  Jésus  aulem  tacebat. 

Que  «iirons-uous  à  cet  exemple  ,  nous  qui  nous 
montrons  si  sensibles  dans  tout  ce  qui  attaque 
l'honneur  ,  et  qui  croyons  que  pour  le  sauver  tout 
est  permis  ?  Ma  réputation  n'est  pas  un  bien  que 
je  sois  maître  de  laisser  périr,  c'est  un  bien  que 


202  2.  Pour  le  Jour 

je  dois  défendre  ;  ce  serait  faire  tort  au  public 
même  ,  que  de  ne  pas  demander  justice  contre 
ceux  qui  ont  mal  parlé  de  nous  ,  que  de  ne  pas 
détruire  leurs  calomnies.  Sur  ce  principe  nous 
nous  autorisons  à  semer  le  monde  de  vaines  apo- 
logies ,  à  le  fatiguer  par  nos  justiCcations  ,  à  faire 
connaître  à  toute  la  terre  nos  accusateurs  ,  à  les 
décrier,  pour  les  rendre  incapables  de  nous  nuire. 
Jésus  autem  tacebat.  Jésus  n'a  pas  eu  tant  de  zèle 
pour  lui  ,  il  ne  s'est  point  cru  obligé  à  de  si  grands 
soins,  il  n'a  opposé  aux  plus  atroces  calomnies 
que  le  silence  ,  il  n'a  pas  prononcé  une  seule  pa- 
role lorsqu'on  le  faisait  passer  pour  un  séditieux  , 
pour  un  imposteur  :  El  non  respondit  ei  ad  ullurth 
rerbum.  O  adorable  silence  de  Jésus -Christ  ,  ô 
silence  encore  plus  éloquent  que  ses  admirables 
discours,  que  vous  me  dites  de  choses  ,  si  je  yeux 
vous  entendre  !  que  vous  me  faites  d'utiles  et 
d'excellentes  leçons  !  que  j'ai  de  plaisir,  mon  di- 
vin maître  ,  de  vous  voir  accomplir  si  exactement 
ces  paroles  du  Prophète  !  Pour  moi  j'étais  sourd  à 
tous  ces  reproches  ^  j'étais  comme  un  muet  qui 
n'ouvre  pas  seulement  la  bouche  pour  se  défendre: 
Ego  autem  tanquam  surdus  non  aadiebam  ,  et  quasi 
inutus  non  aperiens  os  suum. 

Jésus  se  comporta  ainsi  devant  tous  lès  tribu^ 
naux  où  il  fut  présenté.  Pilate  s'étonna  de  cette 
conduite.  Mais  le  Koi  Hérodes  la  prit  pour  un  signe 
de  folie  ,  et  de  faiblesse  d'esprit  ;  il  insulte  à  la 
personne  du  Sauveur ,  et  à  la  crédulité  des  Juifs  ,. 
qui  regardaient  comme  un  grand  Prophète  cet 
homme  amené  en  son  palais.  Toute  la  Cour  du* 
Monarque  ,  tous  les  Officiers  de  son  armée  s'em~ 
pressent  à  lui  faire  des  questions  ,  à  le  railler  sur 
ses  qualités  prétendues  de  Uoi  et  de  fils  de  Dieu ,  à- 
se  faire  un  divertissement  malin  de  sa  stupidité 
apparente.  Il  est  enfin  renvoyé ,  vêtu  d'une  robe 
blanche  qu'on  avait  coutume  alors  de  donner  aux 
insensés ,  afin  que  partout  ils  fussent  reconnus  à- 
cette  marque.  Je  vous  laisse  à  penser ,  MM. ,  quef 


i)E  LA  Passion.  2  53 

tHomphe  ce  fut  pour  les  Pharisiens  qu'un  pareil 
événement  ;  ils  reconduisirent  le  Sauveur  ainsi 
vêtu  par  toutes  les  rues  de  Jérusalem  ,  pour  faire 
savoir  à  tout  le  monde  le  jugement  qu'Hérodes 
avait  fait  de  lui.  Ils  n'oublient  pns  de  faire  remar- 
quer combien  il  était  aisé  d'imposer  au  peuple, 
toujours  facile  à  être  trompé  ,  toujours  disposé  à 
croire  les  choses  les  plus  incroyables  ,  et  à  se  lais- 
ser surprendre  parles  dehors  d'une  fausse  piété; 
mais  que  la  Cour  avait  paru  trop  éclairée  à  ce  pré  - 
tendu  Messie  ;  qu'il  n'avait  eu  garde  d'y  débiter 
ses  visions  ,  ni  d'y  étaler  ses  faux  miracles  ;  qu'il 
avait  pris  le  parti  de  se  taire  ,  et  de  paraître  im- 
bécille  ,  afin  de  persuader  que  les  fausses  qualités 
qu'il  s'attribuait  étaient  moins  l'effet  de  ses  vues 
ambitieuses  ,  que  de  son  esprit  aflaibli. 

Ces  discours  font  impression  sur  les  esprits.  La 
faiblesse  que  le  Sauveur  fait  paraître  ,  l'avantage 
que  ses  ennemis  ont  sur  lui ,  l'accord  de  la  Cour 
et  de  la  Synagogue  dans  le  jugement  qu'elles  en 
portent ,  tout  cela  donne  aux  impostures  des  Prê-^ 
très  quelqu'apparence  de  vérité.  On  ne  doute  pas 
que  Jésus  ne  soit  lui-même  l'imposteur  le  plus 
hardi  qui  fut  jamais.  On  passe  dans  un  moment 
de  la  vénération  qu'on  avait  pour  lui  ,  au  dépit 
qu'on  a  d'avoir  été  abusé  ,  et  au  désir  d'en  tirer 
une  prompte  et  cruelle  vengeance. 

En  effet  Jésus  ayant  été  reconduit  au  prétoire 
de  Pilate,  au  lieu  de  quelques  témoins  apostés  qui 
avaient  parlé  la  première  fois  ,  c'est  tout  Jérusa- 
lem qui  d'une  voix  demande  la  mort  du  faux  Pro- 
phète ,  et  qui  est  prête  à  soulever  si  on  ne  le 
crucifie.  Voilà  l'excès  de  l'humiliation  où  est  Jésus  ; 
le  voilà  détruit  dans  l'esprit  de  tout  le  monde  ,  le 
voilà  anéanti.  On  ne  voit  plus  que  prestiges ,  qu'il- 
lusion dans  les  miracles  qu'il  a  faits ,  que  mensonge 
dans  sa  doctrine  ,  qu'hypocrisie  dans  sa  sainteté  ; 
le  voilà  l'objet  de  la  haine  et  de  l'exécration  publi- 
que. Hâter  son  supplice  par  toutes  sortes  de  voies, 
c'est  faire  uo  sacriUcc  agréable  à  Dieu.  Pilale  qui 


254  2.  Pour  le  Jour 

s'est  aperçu  de  la  jalousie  et  des  intrigues  des  Prê- 
tres ,  qui  est  persuadé  de  l'innocence  et  de  la 
sainteté  de  Jésus-Christ,  et  qui  a  de  fortes  raisons 
pour  croire  qu'il  est  en  effet  le  fils  de  Dieu  ,  Pi- 
lale  voudrait  bien  le  sauver;  mais  parler  seule- 
ment de  le  renvoyer  absous  ,  c'est  s'exposer  à  la 
fureur  de  cette  populace  mutinée,  c'est  se  déclarer 
protecteur  du  crime  ,  et  ennemi  des  lois  et  de 
l'Empereur.  Le  sang  du  dernier  meurtre  qu'a  com- 
mis Barrabas  fume  encore;  mais  comparé  à  Jésus, 
Barrabas  mérite  le  suffrage  et  la  faveur  de  ce  peu- 
ple. Si  le  Juge  craint  de  condamner  Jésus  injus- 
tement ,  il  n'y  a  pas  un  Juif  qui  ne  se  charge 
volontiers  de  la  peine  de  cette  injustice  ,  et  qui 
ne  prie  le  Seigneur  de  la  faire  retomber  sur  lui 
et  sur  tous  ses  enfans  :  Sanguis  ejus  super  nos  et 
iuper  fillos  nostros. 

Malheureux  peuple  ,  qui  t'a  donc  ainsi  fasciné 
les  yeux?  qui  t'a  inspiré  contre  ton  bienfaiteur, 
contre  ton  maître  ,  des  scntimens  si  opposés  à 
ceux  que  tu  avais  de  sa  vertu  et  de  son  crédit  au- 
près de  Dieu  ?  Nation  ingrate  ,  Juifs  infortunés , 
n'est-ce  pas  ici  ce  même  Messie  que  vous  suivie» 
partout  avec  tant  d'ardeur,  pour  vous  donner  le 
plaisir  de  le  voir  et  de  l'entendre  ?  n'est-ce  pas  ce 
même  homme  que  vous  aviez  résolu  de  choisir 
pour  votre  Roi ,  s'il  eût  voulu  accepter  ce  titre,  et 
si,  pour  l'éviter,  il  n'eût  pris  là  fuite? Il  n'y  a  que 
quelques  jours  que  vos  Prêtres  n'osaient  se  saisir 
de  sa  personne  ,  de  peur  de  vous  irriter ,  et  de 
vous  porter  à  une  sédition;:  vous  étiez  déclarés 
pour  lui  au  point  d'exposer  vos  vies  pour  sauver 
la  sienne.  Qu'a-t-il  fait  depuis  ce  temps-là  ?  qu'a-t-il 
fait  depuis  la  résurrection  du  Lazare  ,  miracle  qui 
vous  ravit  ces  jours  passes  en  admiration?  qu'a-t-il 
fait  depuis  quatre  jours  ,  que  vous  allâtes  au  de- 
vant de  lui  portant  en  vos  mains  des  rameaux 
d'olivier  ,  couvrant  les  chemins  de  verdure,  et  de 
vos  propres  vêlemens  ?  N'est-ce  pas  lui  que  vous 
reçûtes  daus  votre  ville  comme  en  triomphe  ?  Ne 


DE  iK  Passion.  ^55 

TOUS  souvient-il  plus  de  ces  cris  de  joie  dont  vous 
fîtes  alors  retentir  toutes  les  rues  de  Jérusalem  ? 
Salut  et  gloire  au  fils  de  David  ,  bénissons  celui  qui 
vient  au  nom  du  Seigneur  :  Hosanna  filio  David  ^ 
benedictas  qui  venit  in  nomine  Dnmini. 

O  hommes  !  ô  amour  ,  ô  gloire  des  hommes  ? 
malheur  à  celui  qui  mettra  en  vous  sa  confiance, 
et  qui  s'appuiera  sur  des  roseaux  si  fragiles  :  Ma- 
iedictus  homo  qui  confidit  in  homine  ,  et  ponit  car- 
neni  brac/Uum  suuni.  Rien  cependant ,  MM.  ,  ne 
peut  vous  désabuser  sur  ce  point.  Nous  voyons 
tous  les  jours  les  meilleurs  maîtres  trahis  par  ceux 
qui  les  servent ,  les  serviteurs  les  plus  fidèles  mé- 
prisés et  abandonnés  par  leurs  maîtres  ;  nous 
voyons  ceux  que  la  fortune  ,  et  la  nature  même  a 
le  plus  étroitement  liés  ,  rompre  et  s'aliéner  pour 
de  légers  intérêts  :  les  maris  se  déclarent  contre 
leurs  propres  femmes  ,  les  femmes  prennent  parti 
contre  leurs  maris  ,  les  enfans  traduisent  aux  tri- 
bunaux leurs  propres  pères;  nos  amis  nous  livrent 
à  ceux  qui  nous  persécutent ,  ceux  pour  qui  nous 
avons  le  plus  fait  deviennent  nos  plus  cruels  enne- 
mis ;  et  l'expérience  de  cette  instabilité  ne  peut 
nous  détacher  de  ces  faux  appuis  ;  nous  les  pré- 
férons à  Dieu  ,  qui  est  seul  un  ami  sûr ,  un  ami 
fidèle ,  qui  ne  manque  jamais  à  personne  ,  que 
l'adversité  n'éloigne  jamais  ,  et  qu'elle  engage  au 
contraire  à  s'approcher  de  ceux  qui  ont  espéré 
en  lui. 

Revenons,  Chrétiens  auditeurs.  Que  fera  Pilate? 
La  fureur  de  ce  peuple  ne  l'aveugle  point ,  mais 
elle  le  gêne  étrangement  ;  il  cherche  un  tempéra- 
mant  pour  sauver  sa  conscience  ,  sans  perdre  l'a- 
mitié des  Juifs.  Tous  les  expédiens  que  sa  politique 
lui  a  fournis  jusqu'ici  n'ont  point  eu  le  succès 
qu'il  en  espérait  ;  il  s'en  présente  un  nouveau 
aussi  injuste  ,  mais  beaucoup  plus  cruel  que  tous 
les  autres.  Il  ne  peut  se  résoudre  à  faire  mourir 
un  homme  innocent  ;  mais  pour  ne  pas  refuser 
aux  mutins  la  satisfaction  qu'ils  demandent,  il 


2  56  2^  Pour  le  Jour 

condamne  Jésus  à  l'ignominieux  supplice  de  la 
flagellation.  Non  invenlo  in  eo  causam  ;  corripiam 
ergo  illum  ,  et  dimiitam  :  Je  ne  le  trouve  point 
coupable  ,  dit-il  ;  je  vais  donc  le  faire  battre  de 
verges,  et  le  renvoyer.  Mais  pourquoi  ces  verges, 
s'il  n'est  pas  coupaÎ3le  ?  Quelle  injuste  et  barbare 
sentence  ,  qui  tout  ti  la  fois  déclare  l'innocence 
d'un  homme  ,  et  le  condamne  à  la  peine  des  cri- 
minels !  Est-ce  que  c'est  un  crime  de  n'en  avoir 
point  commis  ?  ou  n'y  a-t-il  point  d'autre-  diffé- 
rence i\  faire  entre  un  homme  juste,  et  un  mé- 
chant homme  ,  que  d'ordonner  contre  eux  des 
supplices  différens  ?  O  Jésus  ,  le  plus  chaste  ,  le 
plus  saint^  le  plus  doux ,  le  plus  aimable  des  enfans 
des  hommes,  vous  allez  donc  être  publiquement 
dépouillé ,  et  comme  unhommecoupable  éprouver 
!e  supplice  le  plus  humiliant  !  Il  est  innocent,  je 
vais  donc  le  faire  déchirer  avec  des  fouets.  Quelle 
tyrannie  !  et  quelle  monstrueuse  opposition  dans 
cette  conséquence  tyrannique  !  Il  est  innocent  ;  le 
Juge  ne  devait-il  pas  ainsi  conclure  r  Je  ferai  donc 
connaître  son  innocence  ,.  j'obligerai  ses  ennemis 
à  rétablir  sa  réputation,  je  punirai  sévèrement 
ceux  qui  l'ont  noirci ,  je  contlamnerai  ses  accusa- 
teurs au  même  genre  de  moFt  qu'ils  lui  ont  voulu 
procurer  par  leurs  calonuiies?  Vains  raisoiine- 
inens  ,  MM.  ,  réflexions  perdues  :  tandis  que  nous 
parlons  en  faveur  de  Einnocent,  on  lui. arrache  ses 
habits  ,  on  l'attache  à  une  colonne  ,  le  voilà  envi- 
ronné de  bourreaux  prêts  à  frapper. 

Je  ne  dis  rien  de  la  honte  de  ce  supplice  ,  c'était 
le  supplice  des  esclaves.  Rome  ,  qui  était  alors  la 
maîtresse  de  l'univers,  avait  ordonné  que  ses  ci- 
toyens en  seraient  exempts  par  toute  la  terre  , 
aussi  bien  que  du  supplice  de  la  croix  ,  de  quel- 
que crime  qu'ils  pusse-nt  être  convaincus.  Saint 
Paul  eut  recours  à  ce  privilège  pour  se  délivrer 
d'une  pareille  confusion  ,  parce  que  quelqu'hon- 
neur  qu'il  se  fît  de  souffrir  pour  Jésus-Christ,  il 
appréhenda  que  ce  genre  de  tourment  oe  le  rendit 


DE  LA  Passion.  jsS^ 

infâme  au  point  de  ne  pouvoir  pins  exercer  avec 
le  même  fruit  le  ministère  évangélique.  Pour  ce 
qui  regarde  ce  que  cette  flagellation  eut  de  cruel, 
je  vous  prie  ,  MM.  ,  si  je  dis  quelque  chose  d'ex- 
traordinaire et  d'incroyable  ,  je  vous  prie  de  sus- 
pendre votre  jugement  jusqu'à  ce  que  je  sois  entré 
dans  le  détail  qui  a  dissipé  les  doutes  que  j'ai  eus 
moi-même  sur  ce  barbare  événement. 

Les  bourreaux  s'approchent  de  Jésus  -  Christ , 
ils  commencent  à  frapper  à  force  de  bras.  Dès  les 
premiers  coups  les  verges  s'impriment  sur  ce 
chaste  corps  ,  qui  de  tous  les  corps  a  été  le  plus 
délicat  et  le  plus  sensible  :  il  me  paraît  déjà  tout 
meurtri ,  ce  tendre  cojps  ;  il  s'enfle  ,  sa  blan- 
cheur 5  qui  avait  efi'acé  l'éclat  des  lis  ,  n'a  plus 
rien  que  de  livide;  celle  chair  se  fend,  s'ouvre  en 
sillons-;  le  sang  coule  ,  il  rejaillit  de  toutes  parts, 
la  colonne  en  est  rougie  ,  les  cruelles  mains  des 
bourreaux  semblent  y  avoir  été  trempées  ,  leurs 
vêtemens  en  sont  teints  ,  et  la  terre  même  en  est 
abreuvée.  La  loi  qui  condamnait  les  malfaiteurs  à 
ce  châtiment,  défendait  qu'on  leur  donnât  plus  de 
trente  coups;  mais  pour  Jésus-Christ  on  ne  dai- 
gne pas  tenir  de  compte.  Aux  verges  usées  on 
substitue  d'autres  fouets  ,  soit  que  les  bourreaux 
s'arment  de  tout  ce  qui  se  rencontre  sous  leurs 
mains  ,  soit  que  ces  seconds  fouets  leur  soient 
fournis  par  les  ennemis  du  Sauveur  :  quoi  qu'il  en 
soit ,  ces  nouveaux  instrumens  frappant  sur  des 
plaies  ,  sur  une  chair  déjà  meurtrie  ,  déjà  déchi- 
rée ,  et  ne  pouvant  plus  en  tirer  de  sang,  il  est 
naturel  qu'ils  enlèvent  cette  chair  même  ;  elle 
tombe  par  terre  en  lambeaux  ,  ou  elle  s'attache 
aux  fouets  qui  l'arrachent.  Enfin  l'on  frappe  jus- 
qu'à ce  que  les  forces  soient  épuisées  ,  jusqu'à 
ce  que  Jésus  soit  lui-même  épuisé  de  sang,  et 
que  ,  selon  la  prophétie  de  David ,  on  lui  puisse 
compter  les  os  :  D in umer avérant  arnnia  ossa  mea. 
Prodige  d'acharnement  en  quelque  sorte  plus 
étrange  ï  II  n'y  a  jamais  eu  de  si  méchant  homme. 


a58  2.  Pour  le  Jour 

qui  5  étant  dans  les  tourmens,  n'ait  ému  la  ctjr.i- 
passion  des  coeurs  les  plus  durs;  on  tâche  d'adoUcir 
la  sentence  en  l'oxécutanl  ;  il  y  a  'des  coups  de 
grâce  pour  tes  crimes  les  plus  odieux  ;  la  pillé 
suggère  des  moyens  de  tromper  les  Juges  ,  si  elle 
ne  les  peut  fléchir;  si  le  criminel  sbuffre  au  delà 
de  ce  qui  est  précisément  ordonné,  les  places  re- 
tentissent de  cris  pitoyables  ,  on  murmure  ,  on 
menace  ,  et  quelquefois  la  colère  fournit  des  ar- 
mes contre  les  exécuteurs  de  la  Justice.  Jésus- 
Christ  est  le  seul  homme  pour  qui  l'on  n'a  aucune 
compassion  ;  on  permet  qu'on  viole  contre  lui 
toutes  les  lois  ,  qu'on  le  frappe  sans  justice  et 
sans  mesure  ;  on  souffre  que  pour  trente  coups  on 
lui  en  donne  cinq  mille  ;  et  loin  que  cet  excès  bar- 
bare fasse  naître  des  plaintes  ,  des  murmures,  on 
applaudit  ù  la  cruauté  des  bourreaux ,  que  la  pré- 
sence du  salaire  ex<"ite. 

Mais  vous,  adorable  Sauveur  ,  que  dites-vous, 
et  quelles  sont  vos  pensées  dans  un  si  sanglant 
supplice  ?  Tanqaam  agnus  coram  tondenle  se  :  Vous 
êtes  muet  comme  un  agneau  à  qui  Ton  ôte  la  toi- 
son ;  vous  songez  plus  à  mes  plaies  qu'aux  vôtres; 
vous  vous  consoler  de  tant  de  douleurs  par  l'espé- 
rance qu'elles  vous  donnent  de  ma  pénitence  ; 
vous  vous  réjouissez  de  voir  croître  ces  ruisseaux 
de  sang  qui  se  foruient  autour  de  vous  ,  afin  que 
toutes  mes  iniquités  y  puissent  être  lavées  :  mes 
péchés  dont  vous  vous  êtes  chargé  sont  si  horri- 
bles à  vos  yeux  ;  mon  ame  ,  pour  qui  vous  souf- 
frez, vous  paraît  si  précieuse,  vous  est  si  chère  , 
que  vous  trouvez  encore  toutes  ces  peines  légères. 

Cependant ,  MM. ,  les  bourreaux  se  lassent  ,  ils 
se  retirent  épuisés  ,  ils  se  jettent  par  terre  tout 
hors  d'haleine  pour  prendre  un  peu  de  repos  après 
une  si  longue  fatigue  ;  mais  de  peur  que  Jésus 
n'ait  en  même  temps  quelque  relâche,  les  soldats 
s'approchent  de  lui,  l'arrachent  de  la  colonne  où 
il  est  comme  noyé  dans  son  sang ,  et  lui  prépurent 


DE  LA  Passion.  269 

un  tourment  nouveau.  Ils  avaient  ouï  dire  qu'il 
s'otlribuait  la  qualité  de  Roi  des  Juifs  :  pour  insul- 
ter à  ce  titre  dans  sa  personne  ,  ils  jetent  sur  lui 
je  ne  sais  quels  haillons  de  pourpre  pour  lui  tenir 
lieu  de  manteau  royal;  pour  sceptre  ,  ils  lui  met- 
tent un  roseau  à  la  main  ;  et  pour  couronne  ,  ils 
cntrelassent  des  épines  ,  ils  en  composent  une 
espèce  de  diadème  ,  qu'ils  lui  enfoncent  dans  la 
tête.  La  patience  de  Jésus  dans  cette  douloureuse 
cl  humiliante  situation  aurait  dû  toucher  ces  bar- 
bares ;  mais  au  contraire  ,  ils  appellent  leurs 
compagnons  pour  leur  donner  leur  part  du  plai- 
sir ;  ils  se  rassemblent  tous  ,  et  successivement 
ils  fléchissent  le  genou  devant  lui  par  dérision  ;- 
ils  lui  crachent  au  visage  ,  ils  lui  donnent  des 
soufiïets  ,  ils  prennent  son  roseau  ,  et  lui  en  don- 
nent des  coups  sur  la  tête  ,  pour  faire  entrer  les 
épines  plus  avant  ,  et  renouveler  sans  cesse  la 
douleur  qu'elles  lui  causent  :  Et  dabant  ei  alapas  ,. 
el  percutiebant  caput  ejus  arundine  ,  et  conspuebant 
eum  :  et  tout  cela,  MM. ,  sans  raison  ,  sans  ordre, 
de  leur  propre  autorité.  Ce  serait  un  crime  qui 
mériterait  châtiment  ,  que  d'en  avoir  ainsi  usé 
envers  tout  autre  homme  ;  mais  tout  est  permis 
contre  Jésus-Christ ,  et  chacun  a  droit  de  se  faire 
un  jeu  inhumain  d'accroître  ses  douleurs. 

Si  vous  me  demandez  d'où  vient  que  tout  est 
ainsi  déchaîné  contre  le  Sauveur  du  monde,  et 
qn'il  semble  que  pour  lui  on  ait  oublié  toute  jus- 
tice 5  toute  humanité  ,  je  vous  dirai  ,  MM.  ,  qu'il 
y  eut  plusieurs  causes  de  ce  prodige.  La  première  , 
c'est  que  Jésus-Christ  avait  été  comme  abandonné 
par  le  Père  éternel  à  la  fureur  du  Démon  ,  à  peu 
près  comme  Job  avait  autrefois  été  livré  à  Satan, 
pour  être  éprouvé  par  toutes  sortes  de  disgrâces. 
De  là  vient  que  Jésus-Christ  dit  lui-même  à  ceux 
qui  s'approchent  pour  le  saisir  :  Hœc  est  hora  vestra, 
et  potestas  tenebrarum  :  Voici  votre  temps  ;  voici 
l'heure  où  i'Enfer  a  un  pouvoir  entier  sur  moi.  Le 
Démon  s'était  emparé  en  effet  de  tous  les  esprits, 


i6o'  2.  Pour  le  Jour 

il  avait  de  toutes  parts  porté  la  séduction  ,  il  avait 
transmis  à  tous  les  cœurs  toute  sa  rage.  De  plus 
Pilate,  qui  était  dans  le  dessein  de  sauver  la  vie  à 
Jésus  ,  trouvait  son  intérêt  en  cequ'il  fût  mis  dans 
un  état  qui  pût  satisfaire  la  haine  du  peuple  ,  et 
attirer,  s'il  était  possible  ,  la  compassion  même 
des  Prêtres  ;  dans  cette  vue ,  il  croyait  que  c'était 
faire  assez  pour  épargner  l'innocence ,  que  de  ne 
la  pas  condamner,  que  de  la  livrer  seulement 
à  la  fureur  d'une  populace  envenimée.  Enfin  les 
Prêtres  ,  qui  voyaient  que  le  Gouverneur  s'obsti- 
nait à  renvoyer  Jésus-Christ  absous,  gagnèrent 
les  bourreaux  et  les  soldats  ,  les  corrompirent  par 
argent,  leur  promirent  toute  sorte  d'impunité 
pour  les  engager  à  traiter  le  fils  de  Dieu  le  plus 
inhumainement  qu'il  serait  possible  ,  dans  l'espé- 
péranee  qu'il  mourrait  sans  avoir  en  effet  été  con- 
damné. Tout  le  monde  convient  qu'il  aurait  expiré 
à  la  colonne ,  s'il  ne  se  fût  soutenu  par  un  mira- 
cle :  mais  il  voulut  se  conserver  ,  pour  achever  son 
sacrifice  sur  la  croix  ,  et  pour  y  accomplir  le  reste 
des  prophéties. 

Après  bien  des  outrages  et  des  insultes  on  le 
ramène  donc  à  Pilate  ,  qui  l'ayant  envisagé  dans 
l'état  pitoyable  où  il  était ,  ne  douta  point  que  ses 
plus  cruels  ennemis  n'en  dussent  être  touchés  :  il 
le  prend  par  la  main  et  s'avance  avec  lui  jusqu'aux 
portes  de  son  palais  ,  pour  le  faire  voir  au  peuple 
qui  l'attendait.  Exivit  ergo  Jésus  portans  spineam 
coronam  ,  et  purpureamvestimentam  ;  et  dicit  illis  : 
Ecce  homo  :  Jésus  parut  à  la  vue  de  tout  ce  peu- 
ple,  revêtu  de  pourpre  ,  portant  sur  la  tête  une 
couronne  d'épines.  Le  gouverneur  en  le  produi- 
sant ne  dit  autre  chose  que  ces  paroles  :  Ecce  homo  : 
Voilà  l'homme.  Il  crut  que  ce  mot  suffisait ,  et 
qu'on  n'avait  qu'à  le  regarder  pour  entendre  tout 
le  reste.  Il  ne  lui  restait  plus  rien  de  cette  beauté 
divine  ,  de  cet  air  doux  et  grand  tout  à  la  fois  qui 
lui  gagnait  tous  les  cœurs  ;  à  peine  il  avait  la  figure 
d'un  homme   :  ^on  erat  species^  neque   deccr  .. 


DE  LA  Passion.  a6i 

vtdlmus  eum  ,  et  non  erat  aspectus  ;  et  reputavimus 
eum  quasi  leprosum  et  percussum  à  Deo.  Et  c'est 
peut-être  pourcela  que  Pilate  se  crut  obligé  d'aver- 
tir que  c'était  l'homme  dont  il  était  question  : 
Ecce  homo. 

Mais  ce  nouvel  expédient  n'eut  pas  plus  de  suc- 
cès que  tous  les  autres.  Loin  d'être  attendri  par  un 
spectacle  si  touchant ,  il  semble  qu'on  en  devint 
plus  altéré  du  sang  du  Sauveur.  A  peine  paraît-il 
devant  le  peuple  assemblé  ,  qu'au  lieu  des  larmes 
de  compassion  qu'on  avait  suj€t  d'attendre  ,  il  s'é- 
lève tout  d'un  coup  dans  toute  la  place  un  horrible 
cri ,  pareil  à  ceux  qu'on  avait  déjà  entendus  :  Toile, 
toile ,  cruciflge  eum  :  Qu'il  meure  ,  qu'on  le  cru- 
eifie.  Mais  enfin  quelle  est  la  cause  d'une  haine  si 
opiniâtre  et  si  raorlcWt"^  Quid  enimmali  fecit  ?  Je 
sais  que  jusqu'ici  il  a  été  l'objet  delà  jalousie  des 
Prêtres  ;  mais  dans  l'état  où  il  est ,  se  peut-il  qu'il 
excite  d'aulrcs  mouvemens  que  des  mouvemens 
de  pitié  ?  Pourquoi  voulez-vous  que  j'achève  de 
perdre  un  misérable  dans  qui  je  ne  trouve  pas  l'om- 
bre du  Grime,  et  qui  a  plus  lieu  désormais  de  haïr 
la  vie  ,  que  vous  n'avez  d'intérêt  à  lui  procuper  la 
mort?  Que  peut-on  faire  de  pis  que  de  le  laisser 
vivre  pour  prolonger  et  sa  honte  et  ses  souffran- 
ces ?  Laissez-le  aller  ;  dans  l'état  où  il  est  réduit, 
il  ne  peut  manquer  de  mourir  bientôt  ,  après  ce 
qu'il  a  souffert  ;  et  quand  il  pourrait  survivre  à  de 
si  grands  maux  ,  oserait-il  jamais  se  présenter  à 
vos  yeux?  11  ira  bien  loin  cacher  son  infamie.  Pou- 
vez-vous  croire  qu'il  songe  encore  à  la  royauté, 
et  que  quelqu'un  daigne  le  suivre  ,  ou  s'attacher 
à  sa  personne  ?  Tout  cela  ,  MM.  ,  n'apaise  point 
celte  multitude  ,  elle  s'est  rendue  sourde  à  la  rai- 
son. Qu'il  soit  innocent  ou  coupable  ,  ce  serait 
un  crime  de  lui  pardonner  ;  il  faut  qu'il  soit  cloué 
à  une  croix  ,  et  qu'il  y  meure  :  Toile,  toile  ,  cru- 
cifis^e  eum.  O  Jésus  ,  ô  doux  nom  de  Sauveuf  et 
d'Emmanuel  !  G  promesses  faites  à  Abraham  ,  à 
Isaac  ,  et  ù  Jacob  !  ô  désirs  si  ardcns,  et  si  long- 


262  2.  Pour  le  Jour 

temps  sans  effet  !  ô  figures  !  ô  prophéties  !  le  Ciel 
n'a-t-il  donc  enfin  accordé  ce  libérateur  ,  que  pour 
le  voir  ainsi  rejeté  ,  ainsi  haï  de  tout  son  peuple  ? 
Est-il  possible  qu'après  plus  de  quarante  ans  de 
prières  et  de  vœux  on  n'ait  enfin  reçu  le  Messie 
que  pour  le  livrer  aux  Gentils  ,  que  pour  lui  pré- 
férer un  scélérat,  que  pour  exercer  sur  lui  tontes 
les  cruautés  ,  que  pour  demander  sa  mort  avec 
autant  d'opiniâtreté  qu'on  avait  eu  de  constance  ù 
solliciter  son  avènement  ? 

Si  Pilate  avait  autant  aimé  la  justice  que  les 
Juifs  haïssaient  l'éclat  du  mérite  dans  la  personne 
de  Jésus-Christ ,  il  aurait  résisté  plus  long-temps 
à  leurs  injustes  désirs  ;  mais  le  propre  intérêt ,  les 
vaines  craintes ,  les  raisons  humaines  et  politiques 
l'emportent  sur  toutes  les  lois.  Ce  Juge  faible 
monte  sur  son  tribunal  ,  et  là ,  malgré  toutes  les 
lumières  de  son  esprit,  et  tous  les  reproches  de  sa 
conscience  ,  malgré  les  avis  que  son  épouse  lui 
avait  donnés,  malgré  tous  les  témoignages  qu'îl 
.avait  lui-même  rendus  publiquement  à  l'innocence 
du  Sauveur,  il  fait  de  l'autorité  souveraine  le  plus 
sacrilège  abus  qui  en  ait  jamais  étâ  fait,  se  sert  du 
pouvoir  qu'il  tenait  de  Dieu  contre  Dieu  même, 
déclare  que  Jésus  mérite  la  mort ,  et  le  condamno 
en  effet  à  mourir  comme  un  scélérat,  lî  est  cer- 
tain ,  Chrétiens  auditeurs  ,  que  de  tous  les  maux 
qui  peuvent  exercer  la  patience  de  l'homiiie,  W 
n'en  est  aucun  qu'on  souffre  avec  plus  de  peine 
qu'une  injustice  ;  on  ne  la  peut  supporter  ,  quel-» 
qu'étranger  que  soit  celui  qu'elle  opprime.  Et  j'ai 
reinarqué  plus  d'une  fois  que  quelque  Dial  qu'on 
souhaite  à  son  ennemi,  on  ne  se  résout  point  à  se 
réjouir  de  ses  disgrâces  ,  dès  qu'il  constate  qu'on 
lui  fait  tort  :  mais  quand  linjustice  se  fait  contre 
no»?s-mêmes  ,  a-t-on  la  force  de  se  taire  ,  et  d'é- 
toulTcr  tous  les  murmures  qui  s'élèvent  dans  le 
cœur  ?  iMM.  ,  il  n'y  eut  jamais  rien  de  mieux  coD'* 
State  que  l'innocence  et  la  sainteté  de  Jésus  ,  et 
par  conséquent  lien  de  plus  injuste  que  su  coodoin'* 


DE  LA  Passion.  ^63 

nation.  II  pouvait  en  appeler  ù  César  ,  comme 
saint  Paul  fit  depuis  dans  une  conjoncture  toute 
semblable  ;  il  pouvait  en  appeler  ù  Pilate  même  , 
et  lui  demander  que!  nouveau  crime  il  avait  com- 
mis depuis  que  lui-mÇme  avait  hautement  déclaré 
qu'il  ne  le  trouvait  coupable  d'aucun  ;  mais  le  fih 
de  Dieu  loin  de  réclamer  contre  cet  arrçt  inique, 
se  fait  un  devoir  de  s'y  soumettre  ,  consent  qu'il 
s'exécute  ,  et  n'a  pas  moins  de  respect  pour  le 
jugement  de  ce  lâche  magistrat,  que  s'il  était  sorti 
de  la  bouche  du  Père  éternel. 

Voilà  donc  les  Juifs  satisfaits.  Pilate  se  retire  le 
trouble  dans  l'ame  par  l'horreur  du  crime  qu'il 
vient  de  commettre  ;  les  Prêtres  et  les  Pharisien:^ 
tromphent  de  leur  vitioire  ;  les  bourreaux  se  sai- 
sissent- de  Jésus-Christ  ,  les  soldats  s'assemblent 
et  commencent  à  marcher  ;  la  foule  du  peuple 
borde  tous  les  chemins  du  Calvaire  ,  la  montagne 
en  est  déjà  toute  couverte  ;  on  court  de  foutes  parts 
pour  voir  mourir  un  homme  qu'on  avait  cru  Dieu 
jusqu'alors  ;  enfin  on  lui  préseule  la  croix  ,  il  s'en 
charge  ,  il  veut  bien  la  porter  lui-même  jusqu'au 
lieu  du  supplice. 

Que  ne  puis-je  ,  aimable  Jésus ,  que  ne  puis-je 
découvrir  ici  à  ceux  qui  m'entendt  nt  quels  furent 
les  mouvemens  de  votre  cœur  ,  lorsque  vous  vile» 
cet  objet  de  vos  plus  ardens  désirs  !  Si  nous  som- 
mes si  touchés  des  transports  de  joie  auxquels  se 
Uyra  sî^int  André  à  la  vue  de  la  croix  qu'on  lui 
avait  préparée  ,  combien  plus  serions-nous  frap- 
pés ,  si  en  voyant  la  vôtre ,  vous  aviez  bien  voulu 
nous  faire  part  de  vos  sentimens  !  Mais  quel  besoin 
avons-nous  de  paroles  ,  où  les  actions  parlent  si 
fortement  et  d'une  manière  si  intelligible  ?  Cette 
<?roix  ,  mes  frères,  élait  longue  el  pesante  ,  et  les 
tourmens  avaient  tellement  afloibli  Jésus  qu'il  lui 
était  absolument  impossible  de  la  porter  ;  et  néan- 
moins il  l'embrasse  sans  hésiter;  il  aime  mieux 
non-seulement  plier  et  gémir  ,  mais  succomber 
même   et  expirer  sous  le  faix  >   que    de  refuser 


264  2-  ï*ouR  lE  Jour 

d'obéir  jusqu'à  la  mort.  Quelle  excuse  n'eût-il  pas 
pu  donner  à  ses  barbares  conducteurs  ?  Hélas  ! 
pouvait-il  s'écrier  ,  je  voudrais  être  en  état  de 
faire  ce  que  vous  m'ordonnez  ;  je  voudrais  avoir 
autant  de  force  pour  exécuter  vos  ordres,  que  j'au- 
rais de  plaisir  à  le  faire;  mais  elles  sont  épuisées 
mes  forces  ,  et  si  vous  me  contraignez  dje  porter 
ma  croix,  vous  n'aurez  pas  la  satisfaction  de  me 
voir  mourir  avec  infamie  ;  à  peine  pourrai-jc  me 
traîner  moi-même  jusqu'au  haut  du  Calvaire,  mais 
je  ne  m'y  rendrai  jamais  avec  un  pareil  fardeau. 
Quand  il  aurait  parlé  de  la  sorte  ,  Chrétiens  au- 
diteurs ,  y  aurait-il  eu  sujet  d'en  être  scandalisé, 
et  de  l'accuser  de  peu  de  soumission  ?  Non  sans 
doute.  Mais  quel  sujet  n'avons-nous  pas  d'adirp- 
rer  son  obéissance  ,  voyant  que  sans  avoir  égard 
ni  à  sa  faiblesse  ,  ni  à  la  longueur  du  chemin  , 
sans  considérer  si  ce  qu'on  lui  commande  est  pos- 
sible ,  ou  s'il  ne  l'est  pas ,  il  ne  songe  qu'à  exé'^nter 
le  commandement  qu'on  lui  fait  !  Il  se  courbe 
sous  le  poids  humiliant  de  la  croix  ;  déjà  il  plie  ^ 
et  presqa'à  chaque  pas  il  tombe  sur  ses  genoux  ; 
il  est  hors  d'haleine  et  couvert  de  sueur  ,  ses  dé- 
faillances fréquentes  interrompent  sa  marche  ;  et 
il  ne  se  rend  point ,  il  ne  demande  pas  qu'on  le 
soulage  :  on  est  contraint  de  le  faire ,  de  peur  qu'il 
n'expire  plutôt  qu'on  ne  le  souhaite;  mais  il  ne  se 
détermine  à  abandonner  ce  bois  infamant  que  par 
le  même  désir  de  se  rendre  obéissant  qu'il  avait 
eu  en  s'en  chargeant. 

On  arrive  enfin  au  lieu  où  il  doit  être  cruciBé; 
et  tandis  qu'on  prépare  tout  ,  que  les  uns  percent 
la  croix  où  on  doit  mettre  les  clous,  que  d'autres 
creusent  la  terre  où  la  croix  doit  être  plantée  , 
Jésus-Christ  est  dépouillé  pour  la  seconde  fois  ,  et 
tout  le  monde  voit  avec  frayeur  l'état  horrible  où 
In  flagellalion  l'a  mis.  On  lui  commande  de  se 
mettre  sur  la  croix  ,  et  il  s'y  couche  ;  il  s'étend 
sur  ce  lit  de  douleur  .  levant  les  ye.ix  au  Ciel  pour 
offrir  son  sacrifice  à  son  père  :  il  livre  volontiers 


DE  LA  Passion.  >iô5 

•SCS  pieds  ,  il  donne  ses  mains  pour  êlre  ôlouées  : 
-ûclion  d'autant  plus  généreuse ,  et  où  il  nous  mar- 
que d'autant  plus  d'amour  ,  qu'il  n'ignore  pas 
qu'il  va  souffrir  une  des  plus  vives  douleurs  qu'il 
«oit  possiWe  de  souffrir. 

Tout  le  monde  sait  assez  qu'il  n'est  point  de 
plaies  si  douloureuses  que  les  plaies  des  pieds  et 
des  mains  ;  parce  que  ces  parties  sont  conip-osées 
d'un  grand  nombre  d'os  et  de  nerts  rassen)l)lés  qui 
les  rendent  iqfmiment  plus  sen.>iiblcs  que  toutes  les 
autres.  Un  seul  nerf  blessé  dans  des  parties  si  dé- 
licates cause  les  plus  étranges  révolutions  ;  je  vous 
laisse  à  penser  ce  que  doivent  pioduire  des  clous 
gros  et  émoussés  qu'on  n'enfonce  qu'à  force  de 
coups  ,-qui  piquent  moins  qu'ils  ne  brisent  ,  qu'il» 
ne  déchirent  et  la  chair  et  les  nerfe.  On  lève  la 
croix  ,  on  la  laisse  tomber  dans  sa  fosse  ;  et  cette 
chute  donne  au  corps  de  Jésus  une  secousse  qui 
renouvelle  à  la  fois  toutes  ses  douleurs  :  il  passe 
dans  cette  multiplicité  de  supplices  les  trois  heu- 
res qu'il  conserve  un  reste  de  vie  sur  la  croix. 
Durant  ce  temps  ses  mains  étant  déchirées  par  le 
poids  de  son  corps  qu'elles  soutiennent  suspendu, 
et  ses  pieds  par  le  même  poids  qu'ils  appuient^ 
qui  peut  exprimer  la  rigueur  de  ce  seul  tourment  ? 
Il  inspirait,  ce  tourment  rigoureux,  à  ceux  dont 
il  terminait  la  vie  ,  une  fureur,  une  rage  qui  les 
faisoit  mourir  en  blasphémant.  Mon  Dieu  ,  vous 
avez  voulu  endurer  ce  cruel  martyre  ,  pour  con- 
damner, et  pour  expier  en  même  temps  toutes 
les  délicatesses  des  hommes.  On  n'est  jamais  vêtu  , 
jamais  couché  ,  assis  même  ,  assez  iiiollemonl;  on 
ne  trouve  point  de  voiture  assez  douce  pour  sortir 
de  chez  soi ,  point  de  posture  assez  commode  lors- 
qu'on y  rentre  ;  cette  chair  destinée  à  la  pourri- 
turc  ,  et  qui  causera  peut-être  la  perle  de  notre 
ame  ,  cette  chair  emporte  tous  nos  soins  :  en  la 
traitant  avec  moins  d'indul;:;ence  ,  nous  la  sauve- 
rions elle-même;  nous  ai;}:ans  mieux  rtous  pc*- 
dre  avec  elle. 

1.  Î3 


266  a.  Pour  le  Jour 

A  pfrine  Jésus-Christ  fut-il  élevé  à  la  vue  d'une 
multitude  presque  infinie  de  Juifs,  de  Grecs  ,  de 
Romains  ,  qui  étaient  accourus  à  ce  spectacle  , 
qu'au  lieu  d'être  plaint  ,  et  de  recevoir  quelque 
^consolation  dans  des  peines  si  cruelles  ,  il  fut  as- 
sailli de  toutes  parts  d'insultes  et  de  malédictions, 
comme  un  homme  rejeté  de  Dieu  ,  comme  l'ana- 
thème  et  l'horreur  du  genre  humain.  Vas  ,  lui 
disent  quelques-uns ,  toi  qui  rebâtis  le  temple  en 
trois  jours  ,  descends  de  la  croix  si  tu  le  peux  ,  et 
sauve-toi.  Les  autres  le  faisant  ressouvenir  de  ses 
miracles ,  qu'ils  ne  regardent  plus  que  comme  dei 
prestiges  et  des  œuvres  du  Démon  ,  l'invitent  à 
en  faire  en  sa  faveur.  Les  Princes  des  Prêtres  et 
les  Docteurs  de  la  loi  le  raillent  encore  plus  cruel- 
lement ,  et  mêlent  à  leurs  railleries  mille  blas- 
phèmes. L'un  des  deux  voleurs  qui  étaient  cruci- 
fiés à  ses  côtés  persiste  à  blasphémer  ,  parce  qu'il 
n'est  pas  délivré  de  la  mort  par  ce  Jésus  qui  s'est 
dit  le  fils  du  Tout-puissant. 

Au  milieu  d'une  persécution  si  opiniâtre  et  si 
insultante  ,  voulez-vous  ,  MM.  ,  jeter  les  yeux  sur 
ce  Jésus  crucifié  ?  Non -seulement  il  ne  donne 
aucime  marque  de  chagrin  ni  d'impatience  ,  mais 
encore  baissant  la  vue  et  la  tête  ,  il  essuie  tous 
ces  outrages  avec  une  constance  modeste  ,  et  une 
humilité  profonde.  Ce  n'est  point  cet  air  fier  et 
intrépide  des  Martyrs  ,  ce  visage  riant  et  assuré 
qui  semblait  insulter  aux  tyrans  et  aux  supplices  : 
cette  fermeté  est  digne  d'admiration  sans  doute  , 
mais  elle  est  trop  triomphante  ,  elle  a  trop  d'éclat 
pour  Jésus  anéanti.  Ses  sentimens  sur  la  croix 
sont  les  sentimens  d'un  homme  humilié  ,  d'un 
pécheur  qui  fait  pénitence  ,  d'un  homme  que 
Dieu  frappe  ,  qu'il  poursuit  dans  sa  colère.  Il 
n'irrite  point  la  cruauté  des  bourreaux  ,  mais  il 
semble  l'approuver  par  son  silence  ;  il  n'insulte 
point  à  ses  ennemis,  mais  il  souffre  leurs  insul- 
tes de  telle  sorte  qu'on  dirait  qu'il  les  a  méritées. 
It    lue   semble   voir  un   criuaiacl  convaincu  de 


DE    LA   PaSSIO^J.  oG"] 

l'cnormilé  de  ses  crimes  ,  et  accablé  par  les  re- 
proches de  sa  conscience  ,  un  scélérat  qui  se 
reconnaît  indigne  de  vivre  ,  et  qui  a  plus  de 
confusion  de  ce  qu'il  a  fait  ,  que  de  Tignominie 
qu'il  souffre  :  Et  vos  pntavhnus  eum  quasi  lepro- 
sum  ,  et  perrussinn  à  Dco  ,   et  liumiUattim. 

Etonnante  disposition,  et  qui  doit  l)ien  confon- 
dre notre  impatience  et  notre  orgueil  !  Hélas  ! 
nous  avons  coutume  de  nous  enfler,  de  nous  hé- 
risser ,  pour  ainsi  dire  ,  à  la  moindre  injure  que 
nous  recevons  des  hommes  ;  nous  n'avons  jamais 
assez  exagéré  ni  nolie  innocence  ,  ni  leur  injus- 
tice. Lors  même  que  nous  croyons  souffrir  patiem- 
ment ,  nous  voulons  qu'on  nous  plaigne  ,  qu'on 
admire  notn;  patience  ,  qu'on  blâme  ie  procédé 
de  nos  ennemis,  qu'on  en  ait  horreur,  et  que 
Dieu  en  prenne  vengeance  pour  nous.  Ego  autem 
sum  veniiis ,  et  von  homo  ;  opprobriiun  liominum  , 
et  abjeetio  plehis  :  Pour  moi  ,  dit  Jésus  dans  le  se- 
cret de  son  cœur,  hélas  !  de  quoi  me  plaindrais-je? 
je  ne  suis  qu'un  esclave,  qu'im  ver  de  terre,  la 
lionte  du  genre  humain  ,  et  le  rebut  de  la  plus  Tile 
populace. 

Mais  quoi  ,  mon  Sauveur,  serez-vous  donc 
muet  jusqu'à  la  mort  ?  n'aùronç-nous  point  la  con- 
solation de  vous  voir  ouvrir  encore  une  fois  cette 
l)0uche  qui  a  prononcé  tant  d'oracles  ,  tant  de  pa- 
roles de  vie  ?  Il  va  parler,  MM.  ,  mais  ce  ne  sera 
ni  pour  soi  ,  ni  pour  ceux  qui  désirent  de  l'enten- 
dre ;  il  va  parler  pour  ses  ennemis.  Pater,  s'écrie- 
t-il  ,  mon  père,  pardonnez-leur  ,  dîmitte  illis  , 
tion  sciant  quid  fcciunl,  O  parole  vraiment  digne 
d'interrompre  un  silence  si  long  et  si  saint  !  ô 
prière  vraiment  digne  de  Jésus  crucifié  ,  de  Jésus 
mourant  !  qu'elle  sied  bien  ,  ô  mon  divin  maître  , 
à  votre  grandeur  et  à  votre  élévation  infinie  '.Quelle 
héroïijue  douceur  !  et  qui  aura  jamais  la  force  de 
l'imiter  ?  On  ne  saurait  dire  combien  ces  paroles 
»i  peu  attendues  firent  d'impression.  Elles  conver- 
tirent l'uu  des  voleurs  cxpirans  à  côté  de  Jésus» 


268  2.  Pour  le  Jour 

^lles  firent  taire  les  Prêtres  et  les  soldats  ,  elles 
-étonnèrent  et  détrompèrent  presque  tout  le  inonde 
en  faveur  du  fils  de  Dieu.  Hélas  I  ces  sentimens 
leur  viennent  trop  tard  pour  réparer  les  injures 
<]u*on  lui  a  faites.  Jésus  n'a  plus  qu'un  moment  de 
vie  ,  il  donne  à  sa  mère  et  à  son  disciple  le  plus 
chéri  les  dernîèreâ  marques  de  son  amitié  ,  en  les 
recommandant  l'un  à  l'autre  ;  se  recommandant 
ensuite  lui-même  à  son  père  ,  H  baisse  la  tête  sur 
la  poitrine  ,  et  rend  le  dernier  soupir. 

Dans  l'instant  qu'il  expire ,  le  voile  du  temple  se 
déchire  et  se  partage  ,  la  terre  tremble  ,  les  pierres 
se  fendent,  les  tombeaux  s'ouvrent ,  les  morts  res- 
suscitentetparaissent  dans  Jérusalem,  le  soleil  perd 
sa  lumière  ,  et  durant  l'espace  de  trois  heures  toute 
la  terre  demeure  ensevelie  dans  les  ténèbres.  Le 
-Centenier  frappé  de  ces  événemeus  «lugubres  re- 
connaît dans  Jésus  l'auteur  de  tant  de  prodiges. 
Verc  filius  Dei  erat  isle  :  II  est  vrai  ,  s'écria-l-il  , 
cet  homme  était  ÛU  de  Dieu.  Tous  ceux  qui  avaient 
,vu  mourir  Jésus-Christ  s'en  retournèrent  la  com- 
pouv-tion  dans  le  cœur  et  frappant  leur  poitrine  : 
J£l  onmis  turba  eorum  qui  simul  aderant  ad  specta^ 
culuiii  i$tad  ,  el  videbant  c/uœ  fiebaîit  ^  percutientes 
pecLora  sua  revertebantur ,  dit  saint  Luc. 

J'espère ,  Chrétiens  auditeurs  ,  que  le  récit  de 
tous  ces  faits  produira  sur  votre  cœur  le  même 
effet  qu'ils  produisirent  5ur  les  Juifs  qui  en  furent 
témoins.  Mais  pour  aider  votre  loi  par  quelque 
objet  sensible  ,  ne  pouvant  vous  faire  voir  Jésus 
en  personne ,  je  vous  montrerai  du  moins  la  figure 
Jugubre  de  ce  Dieu  crucifié.  Regardez-le  ,  mes  frè- 
res ,  daus  l'état  pitoyable  où  nos  péchés  et  son 
«mour  l'ont  réduit  :  voilà  l'abrégé  de  tout  ce  que 
]£  viens  de  vous  dire,  ou  plutôt  tout  ce  que  jne  vous 
ail  dit  n'a  été  qu'un  abrégé  de  ce  que  vous  décou- 
vrez ici  d'une  seule  vue  :  f^ei^è  filius  Dei  erat  iste. 
Quelque  déplorable  que  vous  paraisse  sa  situa- 
tion ;  dans  cet  abaissement  profond  ,  couvert  de 
plaies  ,  sans  uaouvement  et  sans  vie  ,  il  ne  laisse 


CE    LA    Pa95îON.  2^9 

pas  d'être  votre  Dieu  :  ce  qui  vons  étonnera  peut- 
être  encore  plu^ ,  c'est  que  tel  qu'il  est  sur  celta 
croix  ,  il  est  1«  modèle  d«s  prédestinés.  Voilà  sur 
quoi  nows  devons  tous*  nous  réformer  ,  si  nous  as- 
pirons au  Cieli  II  avait  déjù  fait  ce  portrait  dans 
î'Evangifë  ;  et  il  aurait  pu  ne  nous  rien  présenter 
de  plus  ;  mais  il  a  voulu  en  le  traçant  dans  sa  per- 
sonne ,  en  Vy  rendant  visible  ,  nous  fournir  un 
moyen  plus  facile  iVen  exprimer  en  nous  les  traits 
salutaires. 

Si  ce  spectacle  ne  nous  touche  point ,  il  en  faut 
accuser  notre  peu  de  foi ,  notre  ingratitude ,  et  \\ 
dureté  de  notre  cœur  :  car  sans  parler  des  choses 
inanimées  qui  parurent  sensibles  ù  la  passion  du 
fils  de  Dieu ,  c'est  à  la  vue  de  cette  image  que  tant 
de  Rois  ont  quitté  la  pourpre  et  la  couronne  ,  que 
tant  de  personnes  riches  ont  abandonné  leurs 
biens  ,  que  tant  de  jeunes  personnes  de  l'un  et  de 
l'autre  sexe  ont  renoncé  à  toute  la  vanité,  à  tous 
Jes  plaisirs  du  monde.  C'est  cette  image  qui  rendit 
les  souffrances  si  aimables  aux  premiers  Chrétiens, 
et  qui  fait  que  les  persécutions  manquent  aujour- 
d'hui aux  véritables  Fidèles  :  ils  exercent  sur  eux- 
mêmes  de  saintes  cruautés ,  et  deviennent  leurs 
propres  persécuteurs  ,  leurs  propres  tyrans. 

O  vous  qui  différez  de  vous  convertir  ,  qui  hé- 
sitez peut-être  encore  en  ce  moment ,  quel  moyen 
puis-je  trouver  plus  efficace  pour  vous-  toucher  , 
que  de  vous  présenter  Jéstis-Christ  sur  la  croix  ? 
Vous  aver  abusé  de  ses  grâces  ;  voudriez-vous  en- 
core profaner  son  corps  ,  et  ajouter  cet  outrage  à 
tous  ceux  qu'il  a  soufferts  pour  vous  ?  Prenez  ce 
livre,  hommes  séduits  ,  il  vous  apprendra  ce  que 
c'est  que  le  péché,  dont  vous  faites  si  peu  de  cas. 
Car  enfin  voilà  votre  ouvrage  ;  c'est  pour  vous 
que  l'innocent  a  été  attaché  à  ce  bois  infâme  ,  et 
c'est  par  vous  qu'il  a  été  traité  avec  tant  d'ignomi- 
pie  :  ainsi  dans  ce  même  Dieu  vous  voyez  et 
l'objet  de  votre  espérance  ,  et  le  sujet  de  votre 
condamnation.  C'est  à  vous  de  choisir,  ou  d'être 


^jo  2.  Pour  le  Jour 

sauvés  par  sa  mort  ,  ou  d'en  être  punîs  comme 
les  véritables  et  les  uniques  auteurs^La  voix  de  ce 
sang  crie  nécessairement;  et  il  faut  ou  qu'elle  de- 
mande au  Ciel  grâce  pour  vous  ,  ou  vengeance 
contre  vous  :  si  rous  vous  rendez  sourds  à  celte: 
voix  lorsqu'elle  vous  sollicite  de  sortir  de  vos  dés- 
ordres ,  elle  sera  entendue  du  Père  éternel  lors- 
qu'elle vous  accusera  au  trône  de  sa  justice. 

Mcûs  ce  n'est  pas  seuleinent  pour  les  pécheurs 
que  j'ai  apporté  ici  l'image  de  mon  maître  crucifié  ; 
c'est  principalement  pour  vous  ,  âmes  pénitentes  , 
c'est  pour  vous  la  mettre  entre  les  mains  ,  afin  que 
TOUS  l'ayiez  sans  cesse  devant  lesyeux.  Il  est  mort 
pour  tout  le  monde  ,  il  est  vrai  ;  mais  il  faut  avouer 
que  peu  de  personnes  ont  eu  autant  de  part  que 
vous  aux  mérites  de  sa  mort.  Il  a  souffert  pouc 
effacer  tous  les  péchés  ;  mais  enfin  il  n'y  a  eu  que 
les  péchés  suivis  d'un  repentir  sincère  ,  qui  aient 
été  efiacés  par  ses  souffrances.  Souvenes-vous  que 
si  vous  vivez  ,  si  vous  ne  brûlez  pas  avec  les  mé- 
chans ,  si  Dieu  vous  a  attendu  avec  tant  de  pa- 
tience ,  c'est  uniquement  à  Jésus  souffrant  qu'é 
voas  en  êtes  redevables.  iMais  souvenez-vous  sur- 
tout qu'il  est  sur  cette  croix  le  modèle  de  la  vraie 
pénitence  ,  et  que  la  vôtre  ne  sera  jamais  parfaite 
qu'autant  que  vous  serez  crucifiés  avec  lui. 

Je  vous  l'offre  encore  ,  âmes  innocentes ,  âmes 
saintes,  et  je  vous  le  donne  pour  votre  époux: 
vous  trouverez  dans  ses  plaies  la  source  de  ces 
brillantes  lumières  que  vous  recevez  ,  de  ces  déli- 
ces spirituelles  que  vous  goûtez  dans  l'exercice  de 
la  Vertu.  Ces  douceurs  qui  charment  toutes  vos 
peines  ,  qui  rendent  vos  jours  si  sereins  et  si  traa- 
quilles,  ces  douceurs  sont  le  prix  de  bien  des  amer- 
tumes et  de  bien  des  travaux  :  vous  êtes  trop 
généreuses  pour  refuser  de  partager  avec  lui  c« 
qu'il  a  souffert  pour  vous.  Jouisses  à  la  bonnti 
heure  de  ces  chastes  plaisirs  qu'il  vous  a  mérités 
par  ses  douleurs  ,  mais  n'oubliez  pas  que  ses  dou- 
leurs et  sa  croix  doivent  faire  une  partie  de  TO» 


DE  LA  Passion.  271 

plaisirs.  Je  vous  le  laisse  ,  aines  afTïîgées  ,  pour 
être  votre  consolation  dans  vos  plus  grands  Hiaux  : 
ils  vous  deviendront  beaucoup  plus  supportables 
en  sa  présence  ,  il  vous  aidera  Uii-mêine  à  les 
supporter  ,  il  les  adoucira  ,  il  les  rendra  utiles  et 
même  agréables  ;  opposez-les  souvent ,  ces  maux 
que  vous  endurez  ,  avec  ce  qu'il  souffre  sur  cette 
croix  ;  c'est  hii-même  qui  vous  invile  à  faire  cette 
comparaison.  Altendite  et  videte  si  est  dolor  sicut 
dolor  meus  :  Regarde-moi  ,  Chrétien  ,  et  vois  s'il 
est  quelque  douleur  semblable  à  la  mienne.  A  l'é- 
gard de  ceux  qui  nous  persécutent ,  il  ne  cessera, 
mes  frères,  de  nous  faire  pour  eux  la  même  prière 
qu'il  .offrit  à  son  père  :  Pardonne-leur  ,  je  t'erï 
conjure,  parce  qu'ils  ne  savent  ce  qu'ils  font.  Non 
certainement  ils  ne  le  savent  pas  ;  ils  croient  te 
nuire  ,  et  ils  ne  font  de  tort  qu'à  eux-mêmes  ;  ils 
croient  te  rendre  malheureux  ,  et  ils  t'ouvrent 
sans  y  penser  un  chemin  à  la  félicité  éternelle  ; 
ils  croient  exercer  leur  haine,  ils  ne  font  qu'exé- 
cuter les  ordres  de  ma  providence  sur  toi.  Enfin, 
M3I.  ,  n'oubliez  pas  que  Jésus  étant  encore  vivant 
a  prédit  que  lorsqu'il  serait  crucifié ,  il  attirerait 
tout  ■\  lui  :  Omnia  iraham  ad  me  ipsum. 

C'est  à  nous  d\iccomprir  celte  prophétie  ,  en 
nous  laissant  attirer,  et  en  cessant  enfin  de  résis- 
ter à  de  si  douces  invitations.  Ainsi ,  MM.  après 
vous  avoir  à  tous  présenté  Jésus  ,  vous  voulez 
bien  que  je  vous  présente  tous  à  lui,  et  q'ie  je  lui 
expose  vos  sentimens  par  mes  paroles.  Je  com- 
mence par  moi,  ô  mon  adorable  Rédempteur,  et 
je  me  donne  à  vous  sans  réserve,  et  de  la  manière 
la  plus  étendue  qu'il  m'est  possible.  Il  y  a  déjà 
long-temps  que  je  me  suis  comme  cloué  à  votre 
croix  par  les  vœux  de  ma  profession  ;  je  les  renou- 
velle, ces  vœux  ,  je  les  ratifie  en  présence  du  Ciel 
et  de  la  terre  ;  je  vous  rends  mille  grâces  de  me 
les  avoir  inspirés  ;  je  proteste  que  je  ne  me  trouve 
point  gêné  par  mes  liens,  au  contraire  je  voudrais 
pouvoir  les  multiplier,  ou  en  serrer  davantage  les 


27^  a.  PoLR  LE  Jour 

nœuds.  Que  ne  puis-je  ,  ô  mon  divin  Sauveur^* 
que  ne  puis-je  par  mille  et  mille  chaînes  m'alta- 
cher  à  vous  si  étroitement  ,  que  non -seulement 
je  ne  me  sépare  jamais  de  vous  ,  mais  que  je  de- 
vienne une  même  chose  avec  vous  !  Je  m'allache 
pourloujours,  ô  mon  Dieu ,  ù  cette  aimable  croix  , 
et  je  jui'e  que  jusqu'à  la  mort  elle  fer.t  tout  mon 
plaisiret  toute  ma  gloire.  31ihl  absit  gldriari  nlst 
in  cruce  Dominl  nvstri  Jisu-Christi  ,  per  quem 
milil  mandas  cracifixas  est ,  et  ego  mando  :  Loin 
de  moi  toute  gloire  ,  toute  joie  que  je  ne  trouve- 
rais pas  dans  la  croix  de  Jésus,  dans  Jésus  lui- 
même  crucifié  ;  loin  de  moi  tout  autre  trésor  que 
sa  pauvreté  ,  toutes  autres  délices  que  ses  souf- 
frances, tout  autre  amour  que  lui-même.  Non  ja- 
mais ,  mon  Dieu  et  mon  tout ,  jamais  je  ne  nae 
détacherai  de  tous  ,.  et  jamais  je  ne  m'attacherai 
qu'à  vous. 

Tous  ceux  qui  sont  ici  vous  font  lé  même  ser- 
ment ,  autant  qu'ils  le  peuvent.  Nous  n'avons  pas 
tous  une  même  vocation ,  mais  nous  sommes  tous 
obligés  de  vous  servir  ,  de  vivre  dans  votre  grâce, 
de  fuir  les  occasions  de  vous  déplaire  ;  ils  le  fe- 
ront désormais,  je  vous  le  promets  en  leur  nom, 
et  j'espère  que  je  ne  serai  désavoué  de  personne. 
Ils  se  sont  engagés  par  les  vœux  du  Baptême,  par 
le  nom  de  Chrétien  qu'ils  font  gloire  de  porter  ,  ils 
se  sont  engagés  à  mépTÎser  le  monde  ,  et  les  faus» 
ses  vanités  du  monde  :  ils  reconnaissent  cet  enga- 
gement ,  Ils  le  renouvellent  en  votre  présence;  et 
vous  voyez  ,  Seigneur,  vous  à  qui  les  cœurs  sont 
ouverts,  vous  voyez  qu'ils  sont  dans  la  disposition 
sincère  de  s'acquitter  des  devoirs  qu'un  si  grand 
nom  leur  impose  ,  plus  exactement  qu'ils  n'ont 
fait  juiqu'ici.  Gomment  ne  haïvaient-ils  pas  éter- 
nellement ce  monde  qui  vous  a  haï  si  cruelle- 
ment ,  ce  monde  qui  vous  a  crucifié  ,  ce  mondé 
qui  les  a  portés  eux-mêmes  à  vous  haïr  et  à  se 
rendre  complices  de  votre  mort  ?  Comment  pour- 
raient-ils encore  l'aimer  ce  monde  ,  eux  qui  ont 


DE  LA  Passion.  i^7y 

reconnu  sa  mauvaise  foi  ,  son  inconslance  ,  eux 
qui  ont  découvert  les  pièges  qu'il  leur  a  tendus  , 
qui  savent  qu'ils  ne  peuvent  l'aimer  sans  encourir 
votre  haine  ,  sans  renoncer  à  votre  amour  ? 

Fortifiez ,  ô  Jésus  ,  les  saintes  résolutions  que 
vous  leur  avez  inspirées,  rendez -les  invincibles 
dans  les  tentations  ,  faites  qu'ils  persévèrent  jus- 
qu'à la  mort  dans  la  grâce  qu'ils  recevront  à  ces 
solennités.  Je  vous  en  conjure  par  votre  sang,  par 
toutes  vos  plaies ,  par  cet  amour  immense  que 
vous  leur  avez  témoigné  en  mourant  pour  eux  ;  ne 
permettez  pas  qu'un  si  grand  remède  leur  soit  inu- 
tile. Ejendez  sur  eux ,  ô  mon  Dieu  ,  cette  main 
qui  a  été  percée  pour  s'ouvrir  plus  libéralement; 
versez  dans  leur  ame  quelques  gouttes  de  ce  sang, 
dont  une  seule  suffirait  pour  sanctifier  l'univers; 
donnez-leur  une  bénédiction  qui  leur  attire  toutes 
les  autres  ,  ou  du  moins  rendez  efficace  la  béné- 
diction que  que  je  leur  donne  de  votre  part ,  au 
nom  du  Père  ,  et  du  Saint-Esprit.  Ainsi  soit -il. 


Il* 


SERMON 


POUR   LE   JOVK 


DE     PAQUES. 


Surrcxit,  non  est  hic. 

Il  e»t  ressuscité  ,  il  n'est  plas  ici.  (  Marc.  lù.  ) 


11  n'est  point  de  mystère  dans  notre  Religioti  qnl  joit 
mieux  prouvé  que  la  résurrcclioa  de  Jésns-Chrisl ,  et 
il  a'en  est  point  qui  prouve  mieux  la  vérité  de  notre 
Religion. 

Xl  faut  l'avouer,  MM. .  cet  air  de  satisfaction  que 
nous  remarquons  aujourd'hui  sur  le  visage  des 
Fidèles  ne  se  produit  jamais  avec  tant  de  raison 
qu'en  cette  solennité.  Outre  que  le  Sacrement  de 
la  Pénitence  a  mis  le  sceaii  à  leur  réconciliation 
avec  Dieu  ,  outre  que  le  corps  même  de  Jésus- 
Christ  est  devenu  le  gage  de  leur  alliance  avec  cet 
homme  Dieu  ;  le  simple  souvenir  de  la  résurrection 
du  Sauveur  doit  être  pour  eux  le  sujet  d'une  éter- 
nelle joie.  Oui ,  Chrétiens ,  vous  avez  les  plus  soli- 
des raisons  de  vous  livrer  en  ce  jour  à  la  joie  la  plus 
sensible  ;  ce  n'est  pas  seulement  la  plus  grande  de 
toutes  les  fêtes,  c'est  le  commencement  d'une  fête 
qui  ne  doit  jairiais  finir.  Jésus-Christ  ressuscité,  dit 
le  grand  saint  Athanase,  a  fait  de  la  vie  des  hommes 
une  fête  continuelle  ;  nulle  douleur  ,  nulle  crainte 
ne  doit  plus  troubler  notre  repos;  notre  espérance 
n'a  plus  rien  de  chancelant  ni  d'incertain  :  c'est  pour 


FoL'R  LE  Jour  de  Pâques.  î^îj 
revÎTre  que  nous  devons  mourir,  puisque  nolro 
chef  revit  pour  ne  mourir  plu5  ;  puisqu'il  triom- 
phe du  péché  et  de  l'Enfer ,  nous  ne  pouvons  plus 
revivre  que  pour  être  éternellement  heureux. 

Mais  comment  la  résurrection  du  fils  de  Dieu 
affermit-elle  si  fort  l'espérance  des  Chrétiens  ?  Je 
tais  tâcher ,  MM.  ,  de  tous  l'expliquer  dans  ce 
discours.  C'est  qu'autant  que  ce  mystère  est  soli- 
dement établi  ,  autant  établit-il  solidement  lui- 
même  la  foi  chrétienne.  Je  vous  montrerai  en  pre- 
mier lieu  qu'on  ne  peut  pas  douter  de  la  vérité  de 
cette  résurrection  :  en  second  lieu  ,  que  par  cette 
résurrection  on  ne  peut  plus  douter  de  la  vérité  de 
notre  croyance.  En  un  mot,  point  de  mystère  dans 
notre  Religion  qui  soit  mieux  prouvé  que  la  ré- 
surrection :  point  de  mystère  qui  prouve  mieux  à 
son  tour  la  vérité  de  notre  Religion.  Ce  seront  les 
deux  parties  do  ce  discours.  Heureuse  Vierge  !  car 
il  me  semble  que  ce  n'est  qu'aujourd'hui  qne  vous 
êtes  la  plus  heureuse  des  femmes.  Avant  ce  jour  , 
hélas  !  qui  peut  dire  si  votre  joie  fut  un  instant 
•«ans  mélange  de  douleur  ,  et  si  jamais  vous  goû- 
làles  en  paix  la  gloire  de  votre  maternité  divine? 
Hais  certainement  rien  ne  peut  désormais  suspeii- 
iire  dans  votre  cœur  le  sentiment  d'un  si  précieux 
avantage.  En  revoyant  Jésus  ressuscité,  vous  pou- 
vezbien  lui  dire  comme  son  père  :  C'esten  ce  jour, 
mon  fils,  que  je  vous  ai  véritablement  enfanté, 
soit  que  je  considère  les  douleurs  que  je  viens  de 
ressentir  ,  ou  que  j'aie  égard  au  comble  de  la  joie 
([ui  succède  à  tant  de  douleurs  ;  Filius  meus  es  tu: 
ego  hodie  genui  te>  Souffrez  ,  Vierge  sainte,  que 
nous  vous  témoignions  la  part  que  nous  prenons 
à  votre  bonheur  ,  et  que  nous  demandions  par 
vous  la  grâce  de  comprendre  le  nôtre.  Ave ,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

C'ÉTAIT  une  désolation  bien  triste  et  bien  déplo- 
rable que  l'état  où  se  trouva  l'Eglise  de  Jésus- 
Christ  durant  les  trois  jours  qu'il  demeura  dans  le 


376  I.  Pour  le  Jouit 

sépulcre  ;  car  outre  la  douleur  que  sa  mort  ayait 
causée  à  ses  Disciples,  outre  la  confusion  qu'ils 
araient  d'avoir  fait  paraître  tant  de  lâcheté  durant 
la  passion,  ils  n'osaient  presque  espérer  de  le  Toir 
jamais  revivre,  et  ils  ne  savaient  plus  si  en  leur 
promettant  un  prompt  retour  ,  il  les  avait  voulu 
tromper,  ou  s'il  ne  s'était  point  trompé  lui-même. 
Le  pasteur  étant  mort ,  les  brebis  s'étaient  disper- 
sées ,  et  Tinûdélité  qui  Içs  avait  détachées  de  leur 
chef,  les  avait  ernîore  séparées  les  unes  des  autres« 
La  foi  se  soutenait  dans  Marie ,  n)ais  le  souvenir 
des  tourmens  de  son  fils  la  rend  peu  capable  de 
relever  Tespérance  des  Apôtres.  Elle  pleure  dans 
sa  solitude  ,  et  à  chaque  moment  elle  souffre  dans 
son  cœur  tout  ce  que  Jésus-Christ  a  souffert  dans 
son  corps  durant  l'espace  de  trois  jours.  Magde- 
lène  ,  Marie  mère  de  saint  Jacques  ,  et  Salomé  , 
avec  aussi  peu  de  foi  que  les  autres  ,  quoiqu'avec 
un  peu  plus  d'amour,  ne  songent  qu'à  embaumer 
le  corps  pour  le  préserver  de  la  corruption  ,  tant 
elles  étaient  éloignées  de  penser  qu'il  dût  ressus- 
citer. En  un  mot  la  désolation  est  universelle  ,  tout 
est  ébranlé,  tout  chancelle  ,  tout  e.>t  dans  le  dés- 
ordre ,  on  est  prêt  à  se  démentir.  Seigneur,  il  est 
temps  d'accomplir  vos  oracles ,  vos  prophéties  ;  il. 
est  temps  de  sortir  de  ce  tombeau,  et  de  venir  au- 
secours  de  vos  brebis  qui  s'égarent  de  plus  en 
plus ,  et  que  l'ennemi  ne  cesse  de  poursuivre,  pour 
les  perdre-  sans  ressource  :  Tu  exsurgens  miserebei^is 
Sien  :  ou  selon  une  autre  version  :  MisereareSion, 
quia  tempiis  miserendi  ejus  ,  f/uia  venit  tempas.  ie 
ne  doute  point,  MM.  ,  que  ce  ne  soit  ce  molif  qui 
lui  fit  avancer  le  terme  de  sa  résurrection.  Le  troi-^ 
sicine  jour  commençait  à  peine  à  luire  ,  lorsque 
son  ame  bienheureuse  quittant  les  limbes,  accom- 
pagnée de  tous  les  Sainls  de  Tancien  Testament, 
Skt  rend  en  un  moment  au  sépulcre  ,  et  rentre  dans 
son  corps  ,  qu'elle  fait  sortir  de  ce  lieu  sombre  , 
cl  qu'elle  produit  dans  l'éclat  d'une  vie  nouvelle,, 
et  d'une  lumière  brillante. 


DE  Pâques*  277 

La  leire  tremble  en  ce  moment ,  comme  au  jour 
de  la  mort  de  Jésus-Christ  :  c'est  pour  réveiller 
les  soldats  qui  le  gardent ,  afin  que  tous  soient  té- 
moins de  son  triomphe.  Un  Ange  alors  descendant 
du  Ciel  renverse  à  leurs  yeux  la  pierre  qu'on  avait 
placée  à  l'entrée  de  la  caverne.  Par  celte  action 
qui  marque  une  force  pJus  qu'humaine  ,  et  par  la 
beauté  de  son  visage  d'où  part  une  lumière  sem- 
blable à  un  éclair  ,  erat  aspectus  ejus  sicut  fulgur , 
l'Ange  effraie  tellement  les  gardes  qu'ils  demeurent 
comme  immobiles.  Quelques  femmes  qui  étaient 
venues  chargées  de  parfums  pour  embaumer  le 
corps  de  Jésus  ,  sont  d'abord  saisies  d'une  frayeur 
pareille  ;  mais  l'Ange  les  rassure  aussitôt  :  Nolite 
timere ,  vos ,  leur  d'it-i\  :  Jesum  quœritis  crucifixum: 
surrexit ,  non  est  hic  :  Pour  vous  ,  femmes  ,  ne 
craignez  pomt  :  je  sais  que  vous  cherchez  Jésus  qui 
a  été  crucifié  :  il  est  ressuscité,  il  n'est  plus  ici. 
Voilà,  MM.  ,  la  première  preuve  de  la  résurrec- 
tion du  Sauveur  du  monde  ;  ce  sont  des  Anges  qui 
descendent  du  Ciel  pour  l'annoncer ,  comme  ils  en 
étaient  descendus  autrefois  pour  publier  sa  nais- 
sance. Ce  témoignage  ne  peut  être  rejeté,  puisque 
c'est  de  la  part  de  Dieu  qu'ils  parlent,  comme  ses 
Ambassadeurs  auprès  des  hommes.  La  seconde 
preuve  ,  c'est  le  témoignage  ,  pour  ainsi  dire  ,  du 
sépulcre  même  ;  car  l'Ange  y  faisant  entrer  les 
femmes  qu'il  rencontre  ,  pour  qu'elles  s'y  puissent 
convaincre  de  la  vérité  par  leurs  propres  yeux  , 
tîlles  n'y  trouvent  autre  chose  que  les  linges  où 
leur  maître  a  été  enseveli.  Elles  courent  dans  le 
transport  de  leur  joie  mêlée  de  frayeur,  et  portent 
aux  Disciples  dans  Jérusalem  une  nouvelle  si  con^ 
solante.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  l'Evangéliste 
remarque  que  la  crainte  et  la  joie  étaient  peintes 
sur  le  visage  de  ces  femmes  :  leur  crainte  était  un 
effet  de  la  vision  qu'elles  avaient  eue,  et  leur  joie  une 
preuve  bien  naturelle  et  bien  convaincante  qu'el- 
les n'avaient ,  comme  elles  le  disaient ,  rien  trouvé 
dans  le  sépulcre.  On  n'ajoute  pas  foi  néanmoins 


2^8  I-    PotR    r.E   Joî'R 

à  leur  témoignage ,  chaque  Disciple  veut  s'assurer 
par  soi-même  d'un  événement  si  singulier  :  ils 
accourent  donc  au  tombeau  ,  et  à  leur  retour  ils 
confirment  tout  ce  i^ue  les  femmes  avaient  rapporté. 
M.'îis  ce  n'est  pas  as-^ez  que  les  Anges,  que  le  tom- 
beau même  ,  s'accordent  pour  attester  la  vérité  de 
ce  mystère  ;  îa  Providence  en  a  tiré  une  preuve 
bien  plus  authentique  de  la  bouche  de  nos  plus 
grands  ennemis.  ) 

Vous  savez ,  MM.,  combien  la  jalousie  des  Prêtres 
avait  pris  de  précautions  pour  ôter  tout  prétexte 
aux  faux  bruits  qu'on  poiirrait  répandre  de  la  ré- 
surrection de  Jésus  :  ces  Prêtres  sacrilèges  ne  se 
contentent  pas  de  s'être  rendus  complices  de  sa 
ÇTïort,  de  savoir  que  son  corps  repose  dans  un 
sépulcre  taillé  dans  le  roc  ,  qu'une  pierre  (\uq  plu- 
sieurs hommes  ensemble  pourraient  à  peine  rou- 
ler en  ferme  l'entrée  ;  ils  veulent  encore  qu'on 
mette  le  sceau  sur  cette  pierre  ,  et  que  des  gardée 
veillent  toute  la  nuit  auprès  du  tombeau.  Mais  que 
la  prudence  humaine  est  faible  ,  ô  mort  DieU  l 
qu'elle  est  aveugle  ,  lorsqu'elle  prétend  s'opposer 
à  vos  desseins  !  Que  produisent  tous^  ces  soiQS» 
chrétiens  auditeurs  ?  Ils  apprennent  êihs  lorâ;  à 
toute  la  terre  raccomplissement  de  la  prédiction 
par  laquelle  Jésus-Christ  avait  déclaré  qu'il  res»^ 
susciterait  le  troisième  jour  ,  et  qu'il  préparerait 
au  miracle  de  sa  résurrection  des  preuves  invinci- 
ble§  et  des  témoins  irréprochables.  En  etfet  les  gar- 
des ,  après  s'être  remis  de  leur  première  frayeur, 
viennent  à  la  ville  ,  et  rapportent  exactement  ce 
qu'ils  ont  vu.  Toute  la  Synagogue  se  trouble  au 
récit  qu'ils  font  ;  on  assemblé  le  Conseil ,  Oïy  le» 
y  appelle ,  on  apprend  d'eux  à  quelle  heure  et;  sous 
quelle  forme  l'Ange  s'e&t  fait  voir ,  comment  la 
terre  a  tremblé  à  son  arrivée  ,  comment  il  a  sans 
effort  écarté  la  pierre  qui  fermait  le  sépulcre ,  cooa- 
ment  il  y  a  introduit  Magdeléne  et  les  autres  ferit- 
mes  5  ce  qu'il  leur  a  dit ,  ce  qu'elles  ont  trôuyé 
danslesépulcre^  ce  qu'ilsy  ont  aperçu eux-mêii>es. 


DE    PaotES.  279 

après  que  revenus  de  leur  crainte  ,  ils  ont  eu  la 
liberté  d'examiner  toutes  choses  avec  plus  de  soin. 

Qui  ne  jugerait,  Chrétiens  auditeurs  ,  que  ces 
obstinés  vont  se  rendre  à  la  vérité  connue  ?  car 
enfin  rien  n'est  plus  sensible  ,  plus  visible  ,  il  n*y 
a  plus  lieu  de  douter  ;  et  une  clarté  si  frappante 
fait  nécessairement  ouvrir  les  yeux.  Hélas  !  qu'il 
est  bien  vrai  que  le  cœur  conduit  l'esprit ,  et  qu'il 
est  bien  peu  susceptible  des  lumières  de  la  foi, 
lorsque  quelque  passion  s'est  rendue  maîtresse  de 
la  volonté  !  Les  libertins  demandent  des  mira- 
cles pour  s'affermir  dans  leur  croyance;  et  toutes 
les  autres  preuves  qui  suffisent  pour  persuader  les 
gens  de  bien  ne  sont  pour  eux  que  des  sophis- 
mes  ou  de  faibles  raisons  :  mais  quand  ils  verraient 
des  aveugles  recouvrer  la  vue,  et  des  morts  sortir 
de  leurs  tombeaux,  ils  s'obstineraient  dans  leur 
incrédulité  ,  tandis  qu'ils  persisteront  dans  leur 
désordre  :  Neque,  simortuiresurrexerint ,  credent. 

En  voici  un  exemple  bien  sensible  dans  les  Juifs 
dont  parlons  :  au  lieu  de  reconnaître  le  Messie  à 
une  marque  si  évidente  ,  ils  s'efforcent  d'étouffer 
la  vérité  qui  se  découvre  à  eux  malgré  eux-mê- 
mes ;  ils  donnent  aux  soldats  commis  à  la  garde 
du  sépulcre  une  somme  d'argent  pour  les  obliger 
à  publier  que  tandis  qu'ils  dormaient ,  les  Apôtres 
ont  enlevé  le  corps  de  Jésus-Christ  :  ces  sacrilèges 
Ministres  du  Dieu  vivant ,  qui  avaient  déjà  payé  la 
perfidie  de  Judas  de  l'argent  du  Sanctuaire,  ne  se 
font  point  une  peine  de  prendre  dans  le  même 
fonds  de  quoi  acheter  cette  nouvelle  calomnie. 
Mais  peuvent -ils  nous  donner  une  preuve  plus 
torte  de  la  résurrection  ,*  que  la  nécessité  où  ils 
sont  de  recourir,  pour  la  supprimer,  à  un  artifice 
si  grossier  ?  Cet  enlèvement  aurait  eu  quelque 
vraisemblance  ,  C\h  l'avaient  moins  appréhendé: 
mais  après  toutes  les  précautions  qu'ils  ont  prises 
pour  le  prévenir,  le  mensonge  qu'ils  osent  publier 
peut-il  être  plus  mal  concerté  ? 

ii  faudr»tit,  pour  donner  quelque  couleur  à  cellt 


a8o  I.  Pour  le  Jour 

vaine  imposture ,  qire  ces  timiiiès  Disciples  ,  qui 
ont  si  lâchement  abandonné  leur  maître  lorsqu'il 
vivait  5  fussent  venus  après  sa  mort  s'exposer  à 
un  péril  évident  de  perdre  la  vie  ;  il  faudrait  que 
Pierre  .que  quelques  paroles  d'une  servante  avaient 
fait  trembler  ,  n'eût  pas  craint  une  compagnie 
entière  de  soldats  armés.  Je  veux  que  toute  la 
garde  se  soit  trouvée  endoi'mie  ;  comment  eût-on 
pu  entrer  dans  le  jardin  ,  remuer  unepierre  d'un 
poids  énorme  ,  emporter  le  corps  ,  fuir  sans  faire 
de  bruit  et  sans  réveiller  personne  ?  De  plus  l'on  a 
trouvé  dans  le  sépulere  le  suaire  et  les  linges  dont 
le  corps  avait  été  enveloppé  ;  quelle  apparence  que 
d^s  voleurs  dans  la  crainte  d'être  surpris,  dans  le 
trouble  de  leur  action  ,  se  fussent  donné  le  temps 
de  dépouiller  ce  corps  de  tous  ces  linges  ?  Mais  à 
quoi  pensez-vous  ,  dit  saint  Augustin  ,  de  nous 
produire  des  gens  endormis  pour  témoins  de  l'en* 
îèvement  que  vous  imputez  à  ces  Disciples?  vous- 
mêmes  vous  paraissez  livrés  à  l'as&oupissement  le 
plus  profond  :  Dormientes  testes  adhibes  :  verè  et  tti 
obdormisti.  Imposteurs  que  vous  êtes,  dit-il  dans 
un  autre  endroit  ,  en  s'adressaat* aux' soldats,  ou 
vous  veilliez  lorsque  les  Di^ciplo^- sont  venus  faire 
cet  enlèvement,  ou  il  s'est  fait  durant  le  temps 
de  votre  sommeil.  Si  vous  veilliez^^j-comment  n© 
ne  les  avez-vous  pas  repoussés  ?  Si  vous  dormiez, 
comment  pouvez-vcus  savoir  qti'ilà  sont  venus? 
Il  me  semble  qu'on  peut  encore  ajouter  :  Si  vous 
veilliez,  et  si  vous  étiez  d'inlelligeneo  avec  les  cou» 
pûbles  ,  d'où  vient  que  le*  Prêtres  ne  font  point 
punir  votre  trahison?  Si  vous  dormiez,  d'où  vient 
qu'ils  récompensent  même  votre  négligence?  Nous 
savons  qu'à  votre  retour  vous  avez  touché  une 
somme  considérable-,  ptcuniam  copiosam  :  nous 
ferez-vous  croire  que  c'est  pour  vous  être  mal  ac- 
quittés de  l'emploi  qui  vous  a  été  confié  ,  qu'on 
Yous  a  donné  cet  abondant  salaire  ?  Et  vous  ,  Prê- 
tres perfides  ,  s'il  est  vrai  que  les  Disciples  de 
Jésus  ont  enlevé  le  corps  de  leur  maître  ,  voilà  un 


DE    PA<)t:ES.  2^1. 

crime  horrible;  les  sceaux  publics  ont  été  rom- 
pus ,  l'autorité  du  Prince  a  été  violée  ,  aussi  bien 
que  la  sainteté  du  sépulcre  :  comment  ne  récla- 
mez-vous point  la  Justice  contre  tant  d'attentats? 
Pour  abolirenlièrement  la  mémoire  de  cet  homme, 
dont  le  nom  vous  est  si  odieux  ,.  peut-il  être  une. 
occasion  plus  favorable  que  cette  conjoncture  ,  où 
vous  pouvez  perdre  tous  ceux  qui  ont  eu-quelque 
attachement  pour  sa  personne  ?  D'ailleurs  où  est 
le  zèle  qui  vous  Taisait  tant  redouter  les  suites  de 
ce  larcin  ,  tandis  que  vous  avez  cru  pouvoir  l'r.m- 
pêcher  ?  d'où  vient  tant  de  froideur  aujourd'hui 
que  vous  prétendez,  qu'il  a  été  commis  ,  et  que 
vous  en  nommez  même  les  auteurs  ?  Peuple  aveu- 
gle 9  est-il  possible  qu'on  t'ait  fait  donner  dans  un 
piège  si  grossier  ?  est-il  possible  que  dan^s  toutes 
les  circonstances  de  cette  imposture  tu  n'aies  pas 
aperçu  la  preuve  infaillible  de  la  résurrection  de 
ton  Rédempteur  ? 

^'  Mais  ce  n'est  pas  assez ,  MM. ,  que  le  corps  du 
fils  de  Dieu  ne  se-  trouve  plus  dans  le  li&u  au  il  a' 
été  enseveli  :  s'il  est  vrai  que  Jésus-Christ  soit 
véritablement  ressuscité,  il  faut  le  voir  revivre  et 
conyerser  comme  auparavant  avec  les  hommes. 
Pourquoi  aller  chercher  le  témoignage  des  Anges, 
de  quelques  femmes  et  de  ses  ennemis  ;  puisque 
lui-même  il  peut  se  montrer,  et  dissiper  tous  nos 
doutes  par  sa  présence  ?  11  l'a  fait ,  Chrétiens  au- 
diteurs ;  et  je  vous  prie  de  le  suivre  avec  moi  dans 
toutes  ses  apparitions,  pour  voir  si  après  les  preu- 
ves qu'il  a  donnét's  de  sa  nouvelle  vie,  la  plus 
opiniâtre  incrédulité  e>n  aurait  pu- désirer  quelque 
autre  pour  se  convaincre. 

11  se  fait  voir  premièrement  à  Magdelène  sous 
la  figure  d'un  Jardinier,  et  presqu'en  mêmetcmps 
aux  autres  femmes  qui  étaient  venues  pour  l'em- 
baumer :  mais  parce  que  l'heureux  penchant  que 
ce  sexe  a  pour  la  piété  le  rend  quelquefois  un  peu 
crédule,  et  que  par  cette  raison  le  tèmoiguagc  de 
ce»  femmes  aurait  pu  être  suspect  à  plusieiir?  ,  il 


282  I.  Pour  le  Jour 

se  montre  A  saint  Pierre,  aux  Disciples  qiiî allaient 
en  EmmaiJs  ,  à  tous  les  Apôtres  en  même  temps, 
enfin  à  tous  les  Disciples  assemblés  au  nombre  de 
plus  de  cinq  cents  ,  qui  vivaient  encore  la  plupart 
lorsque  saint  Paul  écrivait  sa  première  épître  aux 
Corinthiens,  c'est-à-dire  environ  vingt-quatre  ans 
après  l'ascension  du  Sauveur  :  Deinde  visas  est 
plusquam  quingentis  fratribus  simul  ,  ex  quibus 
multi  mariPiit  usque  ad  hue. 

S'il  ne  s'était  montré  qu*une  ou  deux  fois  ,  on 
aurait  pu  soupçonner  quelque  erreur,  et  que  des 
pêcheurs  ,  qui  étaient  encore  simples  ,  ne  se  fus- 
sent laissés  éblouir  par  quelques  faux  miracles. 
C'est  pour  cela  ,  dit  saint  Augustin  ,  qu'il  voulut 
être  avec  eux  l'espace  de  quarante  jours  ,  de  peur 
qu'une  si  grande  merveille  ne  passât  pour  une 
fourberie  ,  si  on  ne  leur  donnait  pas  le  temps  de 
l'examiner  :  Ne  tam  magnum  resurrectionis  mira" 
culum  ,  si  eorum  oculis  citô  sabtraherelur  ,  ludifi-^ 
catio  pataretur. 

Durant  ces  quarante  jours  il  se  laissa  voir  ,  il  se 
laissa  toucher  ,  il  parla  ,  il  marcha  ,  il  mangea 
avec  eux  ,  il  opéra  des  prodiges  en  leur  faveur,  il 
les  fit  ressouvenir  de  tout  ce  qu'il  leur  avait  dit  dans 
le  temps  qui  avait  précédé  sa  passion.  Enfin  il  leur 
donna  tant  démarques  de  sa  résurrection,  qu'il  n'y 
en  eut  pas  un  seul  qui  ne  restât  persuadé  de  la  vé-^ 
rite  de  ce  mystère.  C'est  dire  beaucoup.  Chrétiens 
auditeurs;  car  avant  que  le  Saint-Esprit  fût  des- 
cendu sur  les  Apôtres,  ils  étaient  bien  différens  de 
ce  qu'ils  parurent  après  qu'ils  eurent  reçu  la  pléni- 
tude de  ses  dons  :  c'étaient  pour  la  plupart  des 
esprits  faibles  et  défians  ,  qui  ne  croyaient  que 
lorsqu'ils  ne  pouvaient  plus  douter.  La  raison,  les 
prophéties  ,  les  miracles  dont  ils  avaient  été  té- 
moins ,  tout  cela  aurait  fait  impression  sur  des 
hommes  moins  grossiers  :  ceux-ci  ne  jugent  que 
par  les  sens  ,  ils  ne  se  rendent  qu'après  avoir  vir, 
et  ne  croient  voir  que  ce  qu'ils  touchent.  Il  y  en 
eut  parmi  eux  qui  poussèrent  riocrédulilé  au-delA 


DE  Pâques.  iSo 

de  toutes  les  bornes.  Vous  savez  jusqu'où  alla  l'o- 
piniiitre  incrédulité  que  saint  Thomas  opposa  à 
tçut  ce  que  lui  purent  dire  les  hommes  et  \v.s  fem- 
mes ,  il  les  traita  tous  de  visionnaires.  Je  n'en 
croirai  rien,  disait-il  hautement  ,  je  n'en  croirai 
rien  que  je  ne  l'aie  vu  de  mes  yeux.  Ce  n'est  pas 
tout  ,  il  faut  que  je  touche  ce  corps  ,  pour  voir 
s'il  a  de  la  chair  et  des  os  comme  les  autres ,  ou  si 
ce  n'est  point  un  fantôme  :  de  plus  ce  pourrait  être 
un  autre  homme  que  celui  que  nous  avons  vu  at- 
taché à  la  croix;  si  c'est  le  même,  il  aura  conservé 
les  ouvertures  que  la  lance  et  les  clous  lui  avaient 
faites  :  vous  dites  ,  vous,  que  vous  les  avez  vues  ; 
mais  moi  je  les  veux  sonder  :  si  je  ne  puis  mettre 
le  doigt  dans  les  blessures  que  les  clous  ont  faites 
à  ses  pieds  et  à  ses  mains  ,  si  je  ne  puis  plonger 
toute  ma  main  dans  son  côté  ,  et  aller  jusqu'au 
cœur  chercher  la  plaie  par  où  il  a  répandu  les  der- 
nières gouttes  de  son  sang,  si  je  ne  puis  jusque-là 
me  satisfaire  ,  je  ne  croirai  point  :  Nisi  videro  in 
manihus  ejus  f.xaram  clavoram  ,  et  mittam  digilum 
meuni  in  locum  clavorum  ,  et  mittam  ,ianiim  meam 
in  latus  ejus  ,  non  credqm.  Si  cet  incrédule  peut 
être  content  ,  ne  pensez-vous  pas  que  tout  autre 
aura  sujet  de  l'être  ?  Voyez-le  donc,  après  qu'il  a 
pris  toutes  les  assurances  qu'il  désirait  ,  voyez-le 
se  prosterner  aux  pieds  du  Sauveur  du  nionde,  et 
s'écrier  en  l'adorant  :  Oui  je  le  crois  ,  Seigneur,, 
vous  êtes  véritablement  mon  maître  et  mon  Dieu  : 
Dominas  meus  et  Deus  meus.  O  vraie  i  hair  ,  dit 
saint  Augustin  ,  chair  vraiment  ressuscitée  ,  chair 
que  l'on  touche  ,  que  l'on  presse ,  où  la  main 
s'imprime  ,  et  qui  porte  encore  les  marques  des 
blessures  qu'elle  a  reçues  !  elle  se  livre,  elle  s'a- 
bandonne à-  l'examen  le  plus  curieux  :  Offert  se 
exuminandam  ,  probandam  ,  diligentiùs  conshleran-' 
dam  :  et  parce  que  la  vue  se  trompe  aisénient, 
elle  s'offre  au  toucher  ,  qui  est  moins  susceptible 
d'illusion  ,  afin  qu'on  s'assure  de  sa  solidité  ,  et 
qu'il  ne  reste  plus  de  doute  :  Accedit  et  curiosa 


a8^'  I.  Pour  le  Jot3ii 

manus  ,    ut  corpus  conlrectaretur  soliduîrij  et  omnt 
tollerctur  ambiguum. 

Heureux  les  yeux  qui  eurent  l'aranta^e  de  voir 
si  souvent  notre  maître  ressuscité  !  heureuses  et' 
mille  fois  heureuses  les  mains  à  qui  Jésus  fit  tou-- 
chçr  ses  membres  ranimés  ,  et  qu'il*  daigna  lui- 
rnême  conduire  dans  l'ouverture  de  son  cœur  !  Je 
ne  doute  point  ,  MM. ,  que  la  considération  d'une 
faveur  si  singulière  ne  vous  louche.  Pour  moi  je 
l'admire  aussi  bien  que  vous  ;  mais  c'est  néan- 
moins sans  l'envier  que  je  l'admire  :  je  m'estime 
même  heureux  de  n'avoir  pas  vu  ce  que  je  crois  : 
ce  .sentiment  est  fondé  sur  les  paroles  de  Jésus- 
Christ  même  ;  je  me  contente  de  croire  ce  que 
s'és  Disciples  ont  vu.  Beati  gui  non  viderunt  ,  eV 
crcdlderimt  !  Que  ces  paroles  ,  qui  ont  été  dites 
pour  nous  ,  me  paraissent  consolantes  !  Heureux 
ceux  qui  n'ont  pas  vu  ,  et  qui  n'ont  pas  laissé  de 
croire  !  Heureux  ceux  qui  ont  ajouté  foi  à  mes 
promesses  ,  sans  attendre  des  preuves  plus  sensi- 
bles !  Heureux  ceux  dont  la  croyance  n'est  point 
établie  sur  le  témoignage  des  sens,  mais  qui^m'ont' 
cru  ressuscité  parce  que  les  Prophètes  ont  prédit 
que  je  ressusciterais  ,  parce  que  je  l'ai  moi-même 
prédit  !  Beati  qui  non  viderunt  ,  et  crediderunt  ! 
Nous  sommes  de  ce  nombre,  Chrétiens,  par  la 
miséricorde  de  Dieu  ;  et  si  notre  foi  est  aussi  ferme 
que  la  foi  des  Apôtres,  nous  sommes  plus  heureux 
qu'fux. 

'  Mais  sur  quel  fondement  pouvons-nous  croiro' 
cette  résurrection  ,  nous  qui  n'avons  ni  entendu 
les  prophéties  du  fils  de  Dieu  ,  ni  vu  son  corps- 
ressuscité  ?  Sur  quel  fondement ,  Chrétiens  audi- 
teurs ?  sur  le  rapport  de  plus  de  cinq  cents  person- 
nes qui  ont  été  témoins  de  ce  miracle,  et  qui  Pont 
publié  partout;  sur  la  parole  de  douze  Disciples, 
qui  ayant  long- temps  refusé  de  le  croire,  s'en 
sont  tellement  convaincus  ,  que  malgré  leur  pau- 
vreté 5  leur  ignorante  ,  leur  timidité  même  ,  ils 
ont  osé  l'aller  annoncer  à  toutes  les  puissances  de 


i)E  Paquês.  285 

la  terre  ,  et  se  faire  une  gloire  de  donner  leur  vie 
pour  l'atlester  ;  sur  l'exemple  de  tout  l'unlTers 
qui  s'est  rendu  à  la  force  des  preuves  qu'appor- 
taient ces  nouveaux  Prédicateurs  ;  sur  le  zèle  in- 
vincible d'onze  millions  de  Martyrs  qui  frappés 
des  mêmes  preuves  ,  ont  bravé  les  supplices  pour 
rendre  témoignage  i  la  vérité  de  la  résurrection  ; 
je  dis  de  la  résurrection  ,  parce  que  ,  comme  l'a 
^remarqué  saint  Augustin  ,  de  tous  les  points  de 
notre  croyance  les  Païens  ne  combattaient  que  ce- 
lui-ci., tous  les  autres  étant  assez  conformes,  ou 
.du  moins  n'ayant  pas  tant  d'opposition  avec  les 
connaissances  naturelles  qu'ils  avaient  déjà.  Enfln 
tout  le  monde  convient  que  Jésus-Christ  lui-même 
a  fait  moins  de  miracles  que  la  plupart  des  Apô- 
tres :  or  tous  leurs  miracles,  comme  le  livre  de 
leurs  Actes  en  fait  foi ,  s'opéraient  pour  prouver 
la  résurrection.  Entre  plusieurs  textes  de  ce  saint 
livre,  je  me  borne  à  un  seul  :  il  dit  expressément: 
:Les  Apôlres  fais^i^nt  un  grand  nombre  de  mira- 
cles ,  pour  confirmer  la  vérité  de  la  résurrection 
de  Jésus-Christ  notre  Seigneur  :  Et  virtute  magnâ 
reddebant  ApostoU  testimonium  resurreclionis  Do~ 
■mini  nostri  Jesu-Cliristi.W  est  donc  viui  ,  MM., 
que  dans  la  Religion  chrétienne  il  n'est  rien  de 
mieux  prouvé  que  le  mystère  de  ce  jour  :  on  n'en 
pouvait  pas  souhaiter  une  preuve  moins  suspecte 
que  le  témoignage  de  ses  propres  ennemis,  une 
preuve  plus  sensible  que  la  présence  même  du 
corps  ressuscité  ,  une  preuve  plus  certaine  que  la 
voix  de  Dieu  qui  s'est  fait  entendre  par  les  mira- 
cles ,  et  par  l'accord  unanime  de  tous  les  peuples. 
Voyons  maintenant  s'il  est  vrai  que  rien  ne  prouve 
«lieux  la  Religion  chrélienne  ,  que  ce  mystère. 
C'est  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Quoique  la  divinité  de  Jésus-Christ  eût  été  sufTi- 
samment  él;il)lic,  soit  par  les  œuvres  surnaturelles 
qu'il  avait  failcs  4uraiit  l'espace  de  trois  années , 


a86  I.  Pour  le  Jour 

soit  par  les  oracles  des  Prophètes,  qui  se  rappor- 
taient tous  si  exactement  aux  diverses  circonstan- 
ces de  sa  YJeet  de  sa  mort  ;  pour  mettre  néanmoins 
une  vérité  si  importante  à  couvert  de  tous  les  traits 
de  la  calomnie  ,  il  était  nécessaire  qu'il  ressuscitât. 
Premièrement  il  avait  prédit  cette  résurrection  , 
et  sa  prédiction  s'était  répandue  parmi  le  peuple; 
elle  était  venue  aux  oreilles  des  Prêtres  et  des 
Docteurs  de  la  loi  ,  et  ceux-ci  en  avaient  donné 
connaissance  aux  étrangers  ,  et  au  Gouverneur 
même  de  la  Judée;  il  avait  dit  qu'il  ne  serait  point 
sujet  à  la  corruption  ,  qu'il  serait  libre  entre  les 
morts  ,  enfin  que  son  tombeau  serait  la  source  et 
le  théâtre  de  sa  gloire.  En  second  lieu  ,  le  mira- 
cle de  la  résurrection  était  un  des  points  que  l'E- 
criture avait  le  plus  expressément  marqué  dans 
l'histoire  prophétique  du  Rédempteur  :  en  sorte 
que  si  ce  mystère  n'eût  pas  été  a  compli  dans  sa 
personne  ,  ce  manquement  in6rmait  tous  les  au- 
tres événemens  qui  devaient  le  faire  reconnaîJre 
pour  le  Messie  promis  ;  mais  aussi  par  la  vérifi- 
cation de  cette  dernière  prophétie  ,  tous  les  doutes 
sont  éclaircis  ,  tous  les  pré(:'xtes  retranches  à  l'in- 
crédulité  des  hommes  ;  et  il  faut  que  toute  la  terre 
s'écrie  avec  le  Cenlenier  :  Cet  homme  était  vrai- 
ment le  fils  de  Dieu  :  Verè  filius  Dei  erat  iste. 

Quel  autre  en  effet  qu'un  Dieu  aurait  pu  se 
ressusciter,  et  se  rendre  à  soi-même  une  vie  qu'il 
n'avait  plus  ?  Comment  pour  se  tirer  du  tombeau 
aurait-il  pu  agir  sur  lui-même,  si  la  mort  ,  qui 
détruit  le  principe  de  toute  action  dans  les  autres, 
n'avait  été  vaincue  dans  cet  homme  par  un  prin- 
cipe inaltérable  ,  c'est-à-dire  par  la  personne  du 
Verbe  qui  demeura  unie  à  son  corps  lors  même 
que  l'ame  en  fut  séparée  ? 

Acrinii;ere  gladio  tuo  saper  fémur  tuum  ,  poten- 
tissime.  Ceignrz-vous  de  \olre  é;'éc  ,  Seigneur 
tout-puissant.  Les  saints  Pères  ,  en  expliquant  ce 
verset  du  psaume  quarante-quatrième  ,  disent 
que  le    Prophète  par  cette  prière  demande  à  la 


DE  Pâques.  287 

seconde  personne  de  la  uès-saintc  Trinité  qn'elie 
se  hâte  de  se  revêtir  de  noire  chair,  pour  délivrer 
le  genre  humain  de  la  servitude  du  Démon.  Indue 
carnem  ,  pugiia  contra  Diabolum  ,  et  libéra  geniu 
humanum  de  Inferno  :  c'est  l'explication  que  donne 
saint  Jérôme  des  paroles  de  David  :  Montrez-vouf 
dans  notre  chair,  fils  unique  du  Seigneur,  usez 
du  glaive  de  la  j)arole  ,  et  qu'en  vous  notre  chair 
armée  de  ce  glaive  fasse  sentir  à  nos  ennemis  la 
force  de  votre  pouvoir.  Quelques  Théologiens 
trouvant  cette  similitude  propre  à  expliquer  fami- 
lièrement le  mystère  de  ce  jour  ,  veulent  que 
l'humanité  que  le  Sauveur  prit  en  s'incarnant  fût 
comme  une  épée  dont  il  s'arma  pour  combattre 
nos  ennemis.  Elle  sortit  pour  ainsi  dire  du  four- 
reau sur  la  croix  ,  celle  épée  mystérieuse ,  lors- 
que Tame  de  l'homme  Dieu  se  sépara  de  son 
corps  ;  mais  comme  dans  ce  combat  la  divinité 
n'avait  point  abandonné  ces  deux  parties  désu* 
nies  ,  il  lui  fut  aisé  de  reiiieltre  à  sa  place  l'épée 
victorieuse,  c'est-à-dire  ,  de  réunir l'ame  nu  corps. 
Oui,  mes  frè.res ,  Jésus-Chri-t  avuii  le  pouvoir 
de  quitter  son  ame  et  de  la  reprendre  :  Habeo  po- 
testutem  poncndi  unimam  meam  ,  et  iterum  sumendi 
eam.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  nous  :  la  mort , 
qui  sépare  les  deux  parties  qui  nous  composent  , 
détruit  enlièremcnt  la  personne  qui  agissait  par 
Tune  et  par  l'autre  de  ces  deux  parties,  et  ne  laisse 
rien  en  elles  qui  ait  la  force  de  les  rassembler.  Dieu 
même  ,  qui  par  sa  verhi  peut  ressusciter  tous  les 
morts  ,  et  qui  en  elîet  les  ressuscitera  tous  un 
jour  ,  Dieu  même  ne  peut  pas  faire  qu'im  homme 
se  ressuscite  soi-mCMiie  ,  parce  que  se  ressusciter, 
c'est  agir;  et  que  Taclion  n'est  jamais  où  il  n'y  a 
plus  de  vie. 

De  sorte,  MM. ,  que  la  résurrection  du  Sauveur 
prouve  par  elle-mêuie  sa  divinité  ,  et  la  prouve 
d'une  manière  invincible.  Toutes  les  autres  mer- 
veille* qu'il  nvnit  oT'érées  durant  sa  vie  pouvaient 
bien  faire  juger  qu'il  était  euvo}c  de  Dieu  y  maia 


288  I.   Pour  le  IFour 

celle-ci  montre  évideminent  qu'il  est  Dieu  lui- 
même.  C'est  pourquoi  les  Pharisiens  l'ayant  plu- 
sieurs fois  pressé  de  faire  quelque  miracle  qui  les 
tirât  de  doute  ,  il  les  renvoya  à  sa  résurrection. 
Celte  race  maudite  me  demande  des  miracles,  je 
ne  veux  point  lui  en  donner  d'autre  que  celui  de 
Jonas.  Comme  ce  Prophète  ,  qui  fut  trois  jours 
dans  le  ventre  de  la  baleine ,  en  sortit  vivant  ;  de 
même  le  fils  de  l'homme  ,  qui  sera  renfermé  dans 
le  sein  de  la  terre  ,  ressuscitera  le  troisième  jour. 
Voilà  le  miracle  des  miracles ,  c'est  par  là  que  je 
prétends  me  distinguer  de  tous  les  autres  Prophè- 
tes. Elie  rendit  la  vie  au  fils  de  la  veuve  de  Sa- 
repta  ;  Elisée  à  l'enfant  de  la  Sunamile  :  mais 
jusqu'ici  aucun  homme  ne  s'est  rendu. la  yie  à  soi- 
même. 

Vous  voulez  un  miracle  ,  leur  dft-il  dans  une 
autre  occasion  ,  pour  preuve  que  je  suis  vérita- 
blement le  Messie  ?  Je  pourrais  vous  dire  qu'il 
n'est  point  de  sorte  de  miracles  que  je  n'aie  faits  ; 
et  que  ,  pour  peu  que  vous  vouliez  me  suivre, 
TOUS  me  verrez  rendre  la  vue  aux  aveugles  ,  la 
santé  aux  malades,  et  la  vie  aux  morts.  Mais  non, 
vous  ne  voulez  point  vous  rendre  à  de  semblables 
miracles,  vous  dites  que  c'est  au  nom  de  Béelze- 
but  que  je  fais  tous  ces  prodiges  :  voici  ce  qu'aucun 
homme  ne  peut  faire  s'il  n'est  Dieu  ,  et  que  Dieu 
lui-même  ne  saurait  faire  en  l'homme  ,  qu'en  s'u- 
nissaut  à  lui  d'une  manière  ineffable  :  Solvite  tem- 
plani  lioc  ,  et  post  tridaunireœdificabo  illud:  Faites- 
moi  mourir  ,  et  je  me  ressusciterai.  Remarquez  , 
MM. ,  qu'il  ne  dit  pas  :  Je  mourrai  :  mais  pour  ôter 
tout  soupçon  de  supercherie  :  Faites-moi  mourir 
vous-mêmes  de  la  manière  que  vous  l'entendrez  : 
solcilt!  :  Détruisez  cette  chair  abandonnée  à  votre 
fureur  ,  mettez  ce  corps  dans  l'état  qu'il  vous 
plaira,  ne  cessez  point  d'exercer  sur  lui  vos  cruau- 
tés que  vous  ne  vous  soyez  bien  assurés  de  lui 
avoir  arraché  la  vie  :  Sulvile  templum  hoc  :  Ne  lui 
lui.ssczpus  une  seule  goutte  de  sang  ,  qu'il  éprouve 


DE    Pj\QlES.  289 

même  après  sa  mort  les  effets  de  votre  rage  ;  tout 
cela  n'empêchera  pas  que  je  ne  le  ressuscite,  el 
que  je  ne  le  rétablisse  après  trois  jours  au  même 
état  oii  vous  le  voyez  :  Et  post  triduum  reœdificabo 
illud. 

Voilà  ,  MM.  ,  voilà  l'argument  que  Jésus-Chriat 
oppose  à  tous  ceux  qui  osent  douter  de  sa  divinité. 
En  effet,  les  plus  malins  de  ses  adversaires  ne 
l'ont  jamais  attaque  directement  ;  il  leur  a  paru  si 
invincible  ,  que  ,  moins  pour  le  réfuter  que  pour 
s'épargner  la  confusion  d'un  honteux  silence  ,  ils 
se  sont  réduits  à  nier,  les  uns  qu'il  fût  jamais 
mort,  les  autres  qu'il  fût  véritablement  ressuscité; 
•tous  se  trouvant  d'accord  en  ce  point  ,  que  si  sa 
-résurrection  était  prouvée  ,  on  ne  pouvait  se  dé- 
fendre de  l'adorer  comme  Dieu.  Les  Prêtres  entre 
tous  les  autres  avaient  bien  compris  cette  vérité, 
lorsque  demandant  des  gardes  pour  mettre  au  sé- 
pulcre ,  ils  disaient  à  Pilale  que  rien  n'était  plus 
à  craindreque  si  on  l'enlevait  pendant  la  nuit,  et 
qu'alors  on  fît  croire  au  peuple  qu'il  était  ressus- 
cité. Ce  faux  miracle  ,  ajoutent-ils ,  fera  plus  d'im- 
pression sur  les  esprits  que  tous  ceux  qu'il  a  faits 
durant  sa  vie  :  Erit  novissimus  crror  prjor  priore. 
En  vain  l'aura-t-on  condamné  comme  un  scélérat, 
ce  bruit  lui  rendra  toute  sa  gloire.  Avant  sa  con- 
damnation il  avait  passé  parmi  le  peuple  pour  un 
grand  Prophète;  sur  la  fausse  nouvelle  de  sa  ré- 
surrection ,  on  ne  doutera  plus  qu'il  ne  soit  en  effet  le 
.fils  de  Dieu  :  Et  erht  novissimus  error  pejor  priore. 

3*ai  quelquefois  été  étonné  de  ce  que  les  Evan- 
gélistes  ont  pris  tant  de  soin  de  nous  faire  le  détail 
le  plus  circonstancié  de  la  passion  du  Sauveur,  et 
qu  au  lieu  de  passer  légèrement  sur  ce  dernier 
événement  de  sa  vie  ,  ils  se  sont  tous  quatre , 
comme  de  concert,  appliqués  à  nous  en  tracer  l'i- 
mage la  plus  exacte  :  loin  d'appréhender  de  nous 
le  représenter  dans  le  plus  sombre  ennui  ,  dans  la 
frayeur ,  dans  la  tristesse  la  plus  mortelle  ,  danj 
la  sueur  de  sang  que  lui  causa  l'excès  mulli[)li6 
1.  iJ 


ago  !•   Pour  le  Jour 

de  ses  douleurs  ,  il  semble  qu'ils  se  soient  fait  utl 
plaisir  d'apprendre  à  toute  la  postérité  qu'il  a  non- 
seulement  été  traité  comme  un  homme  ordinaire, 
mais  comme  le  dernier  des  hommes  ;  ici  comme 
un  esclave  ,  là  comme  un  insensé  ;  ici  c'est  an 
malfaiteur  insigne  ,  là  c'est  un  homme  déGguré 
par  les  tourmens ,  et  enfin  expirant  sur  la  croix 
enlre  deux  voleurs.  Mais  mon  élonnement  cesse 
dès  que  je  pense  qu'ils  savaient  combien  il  était 
important  que  son  trépas  fût  si  authentiquement 
constaté  ,  qu'on  ne  pût  Je  révoquer  en  doute  ,  et 
affaiblir  par  ce  doule  sur  sa  mort  la  vérité  de  sa 
résurrection.  Non  ils  n'ignoraient  pas ,  ces  Ecri- 
vains sacrés ,  qu'ils  avaient  en  main  de  quoi  effacer 
toute  cette  honte  ,  de  quoi  la  faire  même  servir  à 
Ja  gloire  de  Jésus-Christ.  Quelque  idée  qu'on  se 
forme  de  cet  homme  Dieu  à  la  vue  de  cette  image 
sanglante  et  défigurée ,  il  est  ressuscité  le  troisième 
jour  :  ce  seul  trait  répare  tout.  Et  si  vous  avez  eu 
sujet  de  douter  qu'il  ne  fût  rien  de  plus  qu'un 
homme  en  Je  voyant  sur  la  croix  ,  pouvez- vous 
faire  usage  de  votre  raison,  et  ne  pas  demeurer 
persuadés  qu'il  est  Dieu  ,  en  le  voyant  sortir  du 
sépulcre  ? 

xMais  qu'est-il  nécessaire  d'accumuler  tant  de 
raisons  ,  quand  une  seule  peut  nous  tenir  lieu  de 
toutes  les  preuves  les  plus  manifestes  ?  Pour  être 
convaincus  que  rien  ne  confirme  mieux  la  divinité 
de  Jésus-Christ  ,  et  par  conséquent  la  Religion 
qu'il  a  établie,  que  le  mystère  de  sa  résurrection, 
il  suffit  de  nous  rappeler  que  c'est  la  preuve  qui  lui 
a  assujetti  l'univers  ,  et  presque  l'unique  qu'aient 
apporté  les  Apôtres  dans  toutes  les  prédications. 
Dans  tout  le  premier  sermon  par  lequel  saint 
Pierre  convertit  trois  mille  Juifs  ,  daus  tout  ce 
sermon  il  n'est  parlé  que  de  ce  mystère.  La  mort 
et  la  résurrection  de  Jésus  fait  encore  tout  le  sujet 
du  discours  que  le  même  Apôtre  prononça  au  tem- 
ple après  avoir  guéri  le  boiteux  :  Ce  Jésu^ ,  dit-il , 
que  vous  avez  livré  aux  Gentils  ,   ce  Jésus  est 


DE  Pâques.  291 

reasuscité,  nous  en  sommes  témoins  :  Hune  Jesum 
resuscilavit  Dcus.  C'est  pour  cela  que  les  Prêtres 
des  Juifs  firent  arrêter  le  saint  Apôtre  avec  ceux 
qui  l'accompagnaient.  Dolentes  quOd  dorèrent  po^ 
pulum  ,  et  annuntiarent  in  Jesu  resarrectionem  ex 
mortuis  :  Ils  ne  pouvaient  souffrir  que  saint  Pierre 
publiât  la  résurrection  des  morts  dans  la  personne 
de  Jésus.  Saint  Paul  prêche  à  Aihènes,  et  entre- 
'prend  de  réformer  celte  ville  plongée  dans  l'ido- 
lâtrie :  il  n'entretient  les  idoUltres  que  de  la  résur- 
rection ;  il  en  parle  au  peuple  ,  il  en  parle  aux 
Sénateurs  au  milieu  de  l'Aréopage  :  Et  resarrec- 
tionem annunliabat  eis.  Toute  l'occupalion  enfia 
des  Apôtres  ,  tout  leur  emploi  à  la  naissance  de 
de  l'Eglise ,  était  de  publier  la  résurrection  de  leur 
maître  :  Et  reddebant  ApostoU  testimonium  resur- 
rectionis  Jesu-Christi.  Bien  plus  ,  ils  ne  se  quali- 
fient point  autrement  que  les  témoins  de  la  résur- 
rection du  Seigneur.  Oportet  testent  resarrectionis 
nobiscum  ficri  unum  ex  istis  :  Mes  frères,  dit  saint 
Pierre  en  demandant  l'élection  d'un  Apôtre  à  la 
place  de  Judas  ,  il  en  faut  choisir  un  parmi  ceux-ci , 
qui  puisse  être  avec  nous  témoin  de  la  résurrec- 
tion. Il  semble  qu'il  n'y  ait  que  ce  mot  à  dire  ,  que 
tout  l'Evangile  y  est  renfermé,  que  tout  le  minis- 
tère d'un  Apôtre  consiste  à  prêcher  que  Jésus- 
Christ  est  ressuscité  ,  et  que  toute  la  terre  doit  se 
rendre  à  cette  marque  de  sa  puissance  infinie.  En 
effet,  MM.  ,  tonte  la  terre  s'est  rendue  à  cette 
marque  ,  c'est  elle  qui  a  fléchi  l'esprit  de  nos  pères  , 
et  à  qui  par  conséquent  nous  devons  la  foi  qu'ils 
nous  ont  transmise. 

Quelle  est  donc  votre  obstination  ,  Juifs  perfi- 
des ,  nation  maudite  et  réprouvée ,  de  fermer  les 
yeux  à  tant  de  lumières  ?  Quelle  difiîcnlté  vous 
relient  encore  ,  et  vous  empêche  de  reconnaître 
votre  Rédempteur  ?  Pouvez- vous  douter  de  sa 
mort  ?  vous  en  avez  été  les  auteurs.  Pouvez-vous 
douter  de  sa  résurrection  ?  vous  en  avez  été  les 

i3. 


1^1  1.  Pour  le  Jour 

premiers  lémoins  ;  et  par  le  soin  que  vous  avez 
pris  de  faire  garder  son  sépulcre,  vous  nous  l'avez 
rendue  indubitable.  O  stulli  et  tardi  corde  ad  cre- 
dendum  /  0  insensés  !  ô  âmes  tardives  et  indociles! 
qui  est-ce  qui  sera  capable  de  guérir  votre  infi- 
dt;lilé,  et  la  dureté  de  votre  cœur  ?  Vous  attendez 
un  autre  libérateur  ?  mais  quand  il  viendrait ,  à 
quoi  prétendez-vous  le  reconnaître  pour  le  véri- 
table Messie  ?  Espérez  -  vous  quelque  miracle 
plus  frappant  que  celui  de  se  ressusciter  soi-même, 
rt  de  sorlir.immortel  du  sein^^même  de  la  mort  ? 
Et  vous  , ''Chrétiens  indignes  ,  esprits  libertins 
et  audacieux ,  qui  osez  révoquer  en  doute  la  vé,- 
rité  de  votre  Eeligion  ,  et  qui  ne  cessez  de  de- 
mander des  éclaircissemens  sur  des  choses  mille 
fois  plus  claires  que  la  lumière  du  jour  !  O  stulti 
et  tardi  corde  ad  credeiidum  1  quoi ,  vous  portez 
l'aveuglement  jusqu'à  vous  croire  plus  sages  que 
tout  ce  qu'il  y  a  eu  de  sages  dans  le  monde  durant 
\e  cours  de  seize  cents  ans  ?  Donnez -moi  un  seul 
point  dans  toute  l'histoire  ,  ou  moderne  ,  pu  an- 
cienne,  qui  soit  établi  comme  la  résurrection  du 
Sauveur.  Ou  si  vous  la  croyez  aujourd'hui  , 
comme  elle  fut  crue  autrefois  à  Rome  ,  à  Athè- 
nes ,  à  Jérusalem  ,  du  peuple  ,. des  Philosophes 
et  des  Empereurs,  d'où  vient  que  vous  parais- 
sez encore  balancer  ?  Est-ce  que  vous  n'êtes  pas 
satisfaits  d'une  preuve  sur  laquelle  nul  Païen  ,  nul 
Idolâtre  n'entra  jamais  en  contestation*  avec  les 
Fidèles?- 

Mais  laissons,  Chrétiens  auditeurs  ,  ces  infor- 
tunés ,  ces  aveugles  ,  que  la  débauche  ou  Porgueil 
entretient  dans  leur  incrédulité  ;  et  nous  de  notre 
côté  goûtons  dans  la  joie  ,  dans  la  paix,  le  bon- 
heur que  nous  avons  de  croire  en  Jésus-Christ , 
en  ;  et  homme  dont  la  résurrection  a  été  proùvefr 
par  des  signes  si  évidens ,  et  dont  la  doctrine  est 
cUe-mCme  si  bien  prouvée  par  sa  résurrection, 
îléjouissons-nous  de  ce  que  nous  avons  ravanlnge 


DE    PAQLESi  395 

de  marcher  dans  un  si  giand  jour  ,  et  d'être  assu- 
rés de  tenir  la  bonne  voie  ;  réjouissons-nous  de 
ce  que  nous  servons  un  maître  vivant  ,  glorieux, 
immortel ,  qui  voit  nos  besoins,  qui  entend  nos 
prières  ,  et  qui  peut  récompenser  tous-  nos  servi- 
ces; un  maître  qui  sait  compatira  nos  infirmités  , 
puisqu'il  les  a  toutes  souffertes,  et  qui  a  le  pou- 
voir de  nous  en  affranchir  ,  puisqu'il  les  a  toutes 
surmontées  ;  enfin  un  maître  qui  n'a  vaincu  la 
mort  en  sa  personne  que  pour  nous  faire  voir  jus- 
qu'où allait  sa  puissance  ,  et  jusqu'où  il  avait  des- 
sein d'en  étendre  les  effets  en  notre  faveur. 

Oui ,  mon  Seigneur  et  mon  Dieu  ,  je  crois  que 
vous  êtes  ressuscité  ,  et  j'espère  qu'un  jour  vous 
me  ressusciterez  moi-même.  Je  crois  que  vous 
vous  êtes  montré  dans  la  gloire  d'une  nouvelle  vie 
à  tous  vos  Disciples;  et  j'espère  que  je  vous  ver- 
rai à  mon  tour  de  mes  propres  yeux  ,  et  dans  cette 
même  chair  que  vous  m'ordonnez  de  crucifier 
maintenant  par  la  pénitence.  Credo  quôd  Redernp- 
tor  meus  vivit ,  et  in  carne  mea  videbo  Deum  salva- 
torem  meum  :  Oui ,  ô  mon  Rédempteur  aimable  et 
triomphant ,  nous  croyons  que  vous  vivez  dans  le 
Ciel ,  et  nous  espérons  d'y  vivre  éternellement 
avec  vous.  Nous  savons  que  ce  corps  dont  le  poids 
nous  fait  gémir  sera  bientôt  détruit  par  la  mort , 
mais  nous  savons  aussi  que  vous  le  réformerez 
pour  le  rendre  semblable  au  vôtre ,  glorieux  comme 
le  vôtre.  Reposita  est  hœc  spes  in  sinu  ineo  :  Cette 
espérance  est  profondément  gravée  dans  nos 
cœurs;  et  plutôt  que  de  l'abandonner,  nous  con^ 
sentirons  qu'on  nous  arrache  la  vie.  C'est  cette 
espérance  qui  nous  soutient  dans  toutes  nos  ad- 
versités ;  c'est  elle  qui  adoucit  toutes  nos  peines, 
c'est  elle  qui  nous  fait  envisager  la  mort  sans  ef- 
froi ,  qui  fait  que  nous  l'attendons  n)ême  avec 
quelque  sorte  d'impatience.  C'est  cette  espérance, 
ô  mon  Sauveur,  qui  nous  fortifie  dans  les  com- 
bats qu'il  nous  faut  rendre  tous  les  jours  contre 


294  !•  Pour  lî  Jour  de  Pâques. 
le  monde  et  contre  nous-mêmes,  pour  marcher 
ayec  constance  dans  la  voie  de  vos  commande- 
mens  ;  c'est  elle  qui  nous  encourage  à  suivre  vos 
divins  exemples,  à  embrasser  votre  croix  ,  à  nous 
y  attacher,  à  souhaiter  d'y  mourir  comme  vous 
et  pour  vous  ,  afin  de  régner  un  jour  et  pour 
toujours  avec  vous.  Ainsi  soil-il. 


8.  SERMON 

I^OÏÎÏÎ    LE    JOUR' 

£)E    l^AQUES. 


Oporfuit  Cbrisium  patl ,  et  Ha  intràre  in  gloriam  suant. 

11  a  fallu  que  Jésus-Christ  souffrît ,  et  que  par  la  voie 
des  souffrances  il  entrât  dans  sa  gloire.  {Luc,  2^.) 


ta  gloire  préparée  à  Jésus-Christ  méritait  d'être  achetée 
par  des  souffrances  citrcmes ,  et  ce  n'était  qu'à  ce  prix 
qu'il  la  pouvait  obtenir. 

J  E  ne  puis  me  ressouvenir  de  la  joie  que  répandit 
h  résurrection  du  Sauveur  parmi  tous  ceux  qui 
avaient  pleuré  sa  mort,  sans  goûter  moi-même  la 
plus  douce  satisfaction.  Quelle  devait  être  ,  hélns  ! 
la  consternation  de  ces  Disciples  infortunés  qui 
s'étaient  dépouillés  de  tout  pour  s'attacher  à  un 
homme  qu'ils  croyaient  être  le  fils  de  Dieu  ,  lors- 
qu'ils le  virent  mort  et  rendu  infâme  par  le  sup- 
plice de  la  croix!  Outre  qu'ils  ont  perdu  un  maître 
plein  de  bonté  pour  eux,  ils  croient  encore  qu'avec 
lui  sont  ensevelies  toutes  leurs  espérances  ;  car 
quelque  soin  qu'il  eût  pris  pour  leur  faire  entendre 
qu'il  devait  ressusciter  ,  saint  Jean  dit  clairement 
que  lorsqu'il  se  transporta  au  sépulcre  avec  saint 
Pierre ,  ce  mystère  leur  était  inconnu  :  Nondum 
enim  sciebant  Scripturam  ^  quia  oportebat  eum  à 
mortuis  resurgere.  Quelle  confusion  pour  eux  après 
avoir  renoncé ,  les  uns  à  leurs  parens  et  à  leur 
profession  ,  les  autres  même  à  de  grands  biens  ; 


596  2.  Pour  le  Jour 

après  avoir  passé  trois  ans  à  étudier  la  doctrine  de 
Ce  Prophète  ,  après  avoir  ouvertement  témoigné 
qu^ils  avaient  une  foi  entière  en  ses  maximes  ,  et 
un  attachement  inviolable  pour  sa  personne;  quelle 
confusion  de  se  voir  enfin  réduits  à  reprendre  leur 
^pcien  état ,  à  être  les  objets  de  la  risée  et  de 
fciyersion  même  du  peuple  ,  à  traîner  leurs  tristes 
jours  dans  une  honteuse  pauvreté,,  dans  une  hu- 
miliante obscurité  ! 

Mais  lorsque  Magdelène  avec  ses  compagnes, 
venant  pour  embaumer  le  corps  du  Sauveur  , 
trouve  le  sépulcre  ouvert ,  lés  gardes  en  fuite  , 
les  suaires  épars  ,  les  Anges  qui  annoncent  que 
Jésus  est  vivant;  lorsqu'au8sitôtqu!eIle  fut  venue 
porter  celte  nouvelle  aux  Apôtres ,  Pierre  et  Jean 
courent  au  tombeau  pour  s'éclaircir  de  la  vérité, 
et  reviennent  eux-mêmes  confirmer  le  récit  de 
Magdelène  et  des  femmes  qui  l'accompagnaient  ; 
lorsqu'étant  tous  assemblés ,  ces  m  ê  in  es  femmes 
racontent  comme  il  leur  est  apparu  ;  que  Pierre 
assure  qu'il  l'a  vu  de  ses  yeux;  que  les  deux  Dis- 
ciples qui  reviennent  d'Emmaii»  tout  hors  d'eux- 
mêmes  ,  disent  qu'ils  ont  ftiît  avec  lui  environ  deux 
lieues  de  chemin  ;  lorsqu'enfin  les  uns  triomphant 
et  pleurant  de  joie  ,  et  que  les  autres  surpris  ne 
savent  encore  que  croire  de  tant  de  merveilles , 
Jésus  paraît  lui-même  au  milieu  d'eux  tous ,  et 
lève  tous  leurs  doutes  par  sa  présence  ;  qui  peut 
exprimer  quels  furent  les  mouvemens  de  leurs 
cœurs  ? 

Quel  comble  de  consolation  ,  surtout  lorsqu'à 
travers  une  beauté  si  éclatante ,  et  au  milieu  de 
la  gloire  qui  l'environne  ,  ils  aperçoivent  cette 
même  douceur  qu'il  leur  avait  toujours  témoi- 
gnée !  quand  ils  voient  que  quoiqu'ils  l'aient  aban- 
donné dans  ses  humilialions  ,  il  ne  les  oublie  pas 
néanmoins  dans  son  triomphe  ,  qu'il  les  traite 
avec  une  bonté  et  une  familiarité  extraordinaires, 
qu'il  leur  permet  de  le  toucher  pour  satisfaire  leur 
curiosité  ,  qu'il  les  soulfre   plonger  leurs  mains 


DE    Paql'es.  'iC^J 

dans  ses  plaies  pour  fortifier  leur  foi ,  qu'il  se  met 
lui-même  à  table  ,  et  mange  avec  eux  pour  les 
contenter  !  Il  est  bien  naturel  que  durant  cette 
apparition  si  sensible  et  si  constante  toutes  les 
défiances  se  dissipent  ,  et  que  les  esprits  revien- 
nent peu  à  peu  d'une  surprise  si  grande  et  si  agréa- 
ble ;  je  ne  doute  pas  qu'après  un  long  silence, 
ayant  toujours  les  yeux  attachés  sur  leur  divin 
maître  ,  je  ne  doute  pas  qu'oubliant  le  scandale 
de  la  croix  ,  les  premières  paroles  que  tant  de  per- 
sonnes assemblées  se  dirent  les  unes  aux  autres, 
dès  qu'elles  purent  ouvrir  la  bouche  ,  ne  fussent 
les  paroles  mêmes  que  j'ai  citées  en  commençant 
c«  discours  :  O portait  Christum  patij  et  ita  intrare 
in  gloriam  suam  :  Oui  certainement ,  puisque  tous 
les  événemens  qui  avaient  précédé  devaient  être 
suivis  d'un  succès  si  éclatant ,  il  était  nécessaire 
que  Jésus-Christ  souffrît ,  et  que  parmi  les  hor- 
reurs de  la  mort  il  s'ouvrît  un  chemin  à  une  gloire 
si  singulière.  Cette  vérité,  MM.,  a  été  depuis 
confirmée  par  bien  d'autres  preuves.  Souffrez  que 
je  les  rassemble  ici  en  peu  de  mots ,  après  que 
nous  nous  serons  réjouis  avec  Marie  de  la  gloire 
de  son  fils  :  elle  y  prend  d'autant  pîus  de  part  , 
qu'elle  a  plus  vivement  ressenti  ses  ignoiuinies. 
Disons-lui  avec  l'Eglise  :  Ave,  Maria. 

Il  me  semble  que  pour  faire  voir  que  Jésus- 
Christ  a  d6  souffrir  pour  entrer  dans  sa  gloire  ,  il 
faut  prouver  nécessairement  deux  vérités  qui  sont 
renfermées  en  quelque  manière  dans  cette  propo- 
sition :  il  faut  montrer  en  premier  lieu  que  cette 
gloire  devait  être  bien  sublime  ,  et  en  second  lieu, 
que  la  croix  était  l'unique  voie  par  où  il  y  pouvait 
parvenir.  Car  si  la  récompense  ne  devait  être  que 
médiocre,  elle  ne  demandait  pas  qu'il  s'exposât  à 
des  maux  extrêmes  ;  et  s'il  pouvait  l'obtenir  gra- 
tuitement ,  il  est  clair  qu'il  n'y  avait  pas  de  néces- 
sité de  mourir  ,  pour  s'en  rendre  digne.  Il  fallait 
que  Jésus-Christ  expirât  dans  un  supplice  cruel 

•  3* 


2^8^  2.  Pour  le  Jour 

et  humillaDt ,  pour  entrer  dans  la  gloire  qui  lui 
était  préparée  :  c'est  un  oracle  qu'il  a  prononcé 
lui-même  ,  et  que  je  suis  obligé  de  croire  sans 
l'examiner.  Mais  laissant  à  part  pour  un  temps 
l'autorité  souveraine  de  la  foi ,  ?eut-on  convaincre 
mon  esprit  par  la  force  de  la  raison  ?  il  faut  qu'on 
me  prouve  premièrement  que  la  gloire  qu'on  lui 
prépare  mérite  d'être  mise  à  un  si  haut  prix,  et  de 
plus,  qu'il  n'y  saurait  parvenir  qu'à  ce  prix.  Exa- 
minons ces  deux  points  dans  les  deux  parties  de 
ce  discours.  Voyons  dans  la  première  partie  si  en 
effet  cette  gloire  méritait  d'être  achetée  par  de» 
souffrances  extrêmes;  et  dans  la  seconde,  si  la  né- 
cessité de  la  mériter,  afin  de  l'obtenir,  était  réelle. 
Voilà  tout  le  sujet  de  ce  discours. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

J*Ai  souvent  recherché  en  moi-même  pourquoi 
les  saints  auteurs  de  l'histoire  évangclique  qui  font 
profession  d'être  si  courls  dans  leurs  narrations, 
qui  même  ont  passé  sous  silence  un  si  grand  nom- 
bre des  actions  du  fils  de  Dieu,  pourquoi  enfin  se 
contentant  de  nous  dire  en  deux  mots  ses  faits  les 
plus  éclatans  ,  se  sont  néanmoins  tous  quatre  ap- 
pliqués à  nous  faire  un  long  récit  de  sa  passion  ,  et 
à  nous  en  rapporter  jusqu'aux  plus  légères  cir- 
constances. Parmi  les  raisons  qu'on  peut  rendre  de 
cette  conduite  ,  en  voici  une  qui  s'est  présentée  à 
mon  esprit  lorsque  je  méditais  la  matière  de  ce 
discours.  Les  Evangélistes  sont  descendus  dans  le 
plus  grand  détail  des  douleurs  de  Jésus-Christ , 
afin  qu'on  pût  comparer  sa  passion  avec  les  récom- 
penses qu'elle  lui  a  méritées  ,  et  remarquer  avec 
quelle  exactitude  il  a  plu  à  son  père  de  payer  tout 
ce  qu'il  a  souffert  pour  son  amour. 

Il  est  vrai  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  que  la  chose 
mérite  bien  d'être  observée  ,  et  qu'elle  tourne 
également  à  la  gloire  du  Père  éternel,  et  à  la  gloire 
de  sou  fils.  Jésus  est  mort ,  et  Dieu  l'a  ressuscité, 
il  lui  a  rendu  celte  vie  si  précieuse  qu'il  lui  avait 


DE  Pâques.  299 

sacrifiée  sur  la  croix  ;  il  a  rendu  à  ce  corps  l'ame 
qui  en  avait  été  séparée  parla  violence  des  tour- 
mens;  et  parce  qu'avant  de  souffrir  la  mort  il  avait 
été  effrayé  de  ses  approches ,  et  que  celle  frayeur 
lui  avait  été  plus  cruelle  que  la  mort  même,  il  lui 
rend  une  vie  immortelle  ,  qu'il  ne  peut  plus  per- 
dre ,  et  qui  l'affranchit  pour  toujours  de  pareilles 
craintes.  Il  avait  perdu  dans  les  supplices  jusqu'à 
la  figure  humaine ,  mais  il  ressuscite  plus  brillant 
que  le  soleil;  et  s'il  lui  reste  encore  quelques  ves- 
tiges dé  ses  plaies  ,  ils  embellissent  son  corps  au 
lieu  de  le  défigurer,  ils  en  sont  le  plus  riche  et 
lé  pliis  glorieux  ornement.  Il  fut  chargé  de  liens 
par  les  soldats  ,  et  tenu  prisonnier  dans  la  maisoD 
d'Anne  ;  mais  il  se  trouve  libre  dans  le  sépulcre  , 
et  même  dans  les  Enfers  :  Inter  mortuos  liber. 
Toute  la  terre  s'oppose  en  vain  à  la  liberté  de  son 
ame  ,  lorsqu'il  lui  plaît  de  revenir  des  Limbes  ;  et 
la  pierre  qui  ferme  son  tombeau  ,  quoique  d'un 
poids  et  d'une  grosseur  énorme  ,  ne  peut  empê- 
cher son  corps  d'en  sortir.  Depuis  sa  résurrection 
il  entre  ,  il  sort ,  les  portes  demeurant  fermées; 
il  ne  peut  être  arrêté  dans  aucun  lieu  ,  ni  en  être 
exclu.  Je  ne  dis  rien  du  don  d'impassibilité  :  il  a 
essuyé  toutes  les  rigueurs  des  lois  humaines  ,  mais 
il  est  exempt  pour  toujours  des  lois  mêmes  de  la 
nature  ;  il  reprend  son  empire  absolu  sur  les  mi- 
sères auxquelles  il  s'était  assujetti  en  se  revêtant 
de  notre  chair;  l'air,  le  feu,  et  les  autres  élémens, 
qui  n'épargnent  ni  l'innocence  ni  la  condition  ,  au- 
ront du  respect  pour  lui,  et  ne  pourront  le  blesser 
ni  lui  nuire.  Enfin  le  tombeau  l'avait  dévoré  , 
comme  parle  l'Ecriture  ;  il  a  été  forcé  de  le  ren- 
dre à  la  vie ,  et  avec  lui  un  grand  nombre  de  Saints 
qui  ressuscitent  pour  honorer  son  triomphe  :  Et 
monumenta  aperta  sunt  ,  et  corpora  nialta  SanctO" 
rum ,  qui  dormierant  ,  surrexerunt. 

Tout  cela  regarde  les  douleurs  du  corps  :  les 
douleurs  de  l'anie  n'onl  pas  été  réparées  avec 
moins  d'avantage.  C'est  dans  ce  jour  que  son  père. 


3oo  2.  Pour  le  Jour 

qui  semblait  l'avoir  oublié  ,  l'avofr  persécuté  dans 
sa  passion  ,  lui  dit  avec  le  Prophète  :  Filius  meus 
es  ta ,  ego  hodie  gênai  te  :  Vous  êtes  mon  llls  , 
je  vous  ai  donné  aujourd'hui  une  nouvelle  nais- 
sance ;  et  coiiime  désormais  je  serai  doublement 
votre  père  ,  je  redoublerai  mes  tendresses  envers 
vous.  Les  soldats  qui  l'avaient  si  indignement  mé- 
prisé ,  et  qui  avaient  fuit  de  si  sanglantes  raille- 
ries de  sa  divinité  prétendue  ,  qui  l'avaient  traité 
comme  un  lloi  de  théâtre,  un  faux  Prophète,  sont 
les  premiers  prédicateurs  de  sa  résurrection  ,  ils 
la  publient  dans  Jérusalem  ,  ils  l'appremient  aux 
Prêtres  ,  qui  en  conçoivent  un  dépit  mortel ,  sans 
qu'ils  aient  rien  à  répliquer  contre  des  témoins  si 
irréprochables.  Pierre  l'avait  renié  trois  fois  ;  il  ne 
lave  pas  seulement  ce  crime  dans  ses  larmes  , 
mais  il  le  répare  par  troi«  protestations  les  plus 
tendres  qu'il  fait  à  Jésus-Christ  d'un  amour  sin» 
cère  et  ardent  pour  sa  personne  :  Réddiiur  irincs- 
negationi  trina  confessio  ,  dit  saint  Augustin.  Tou» 
ses  Disciples  s'étaient  dispersés  durant  sa  passion,, 
comme  il  le  leur  avait  prédit  ;  mais  sa  résurrec- 
tion les  réunit  de  telle  sorte  ,  que  saint  Paul  assure 
qu'il  s'en  trouva  plus  de  cinq  cents  qui  reçurent 
5a  dernière  bénédiction.  Pour  un  pécheur  endurci 
que  l'Enfer  lui  enlève  à  ses  côtés ,  dans  le  temps 
même  qu'il  souffre  pour  les  pécheurs,  il  dépeuple 
aujourd'hui  les  Enfers  ,  et  monte  au  Ciel  suivi  de 
plusieurs  millions  d'esclaves  qu'il  lui  a  ravis. 

Voyez  ,  je  vous  prie  ,  comment  au  jour  de  la 
Pentecôte  ce  même  peuple  qui  avait  si  insolem- 
ment sollicité  la  mort  de  Jésus,  se  jette  par  terre 
la  componction  dans  le  cœur;  et  frappant  sa  poi- 
trine ,  demande  misériconle  à  saint  Pierre  ,  et 
s*offre  de  réparer  sa  perfidie  jxir  telle  salisfactioQ 
qu'il  voudra  lui  imposer  :  Viri  fratres,  qaidfacie^ 
mus  ?  Je  vous  prie  d'observer  ici  que  cette  péni- 
tence publique  se  Otà  la  vue  d'une  multitude  infinie 
composée  de  toutes  les  nations  de  l'univers^ 
comme   saint  Luc  Ta  remarqué  expressément  : 


DE  Pâques.  3oi 

cette  publicité  ct.iU  ménagée  pour  réparer  la  honte 
que  Jésus  avait  soufferlc  ,  en  mourant  dans  un 
temps  où  Jérusalem  était  remplie  d'étrangers  qui 
s*y  étaient  rendus  pour  la  solennité  de  Pâques.  De 
plus  ,  comme  on  avoit  fait  mettre  au  haut  de  la 
croix  la  sentence  de  sa  condamnation  en  trois  lan^ 
gués  différentes,  pour  qu'elle  fût  entendue  de  tout 
le  monde  ,  de  même  les  Apôtres  parlèrent  toutes 
sortes  de  langues  la  première  fois  qu'ils  prêchè- 
rent sa  divinité  ,  afin  que  cette  foule  d'auditeurs 
de  différentes  nations  fussent  instruits  de  son  in- 
nocence par  leurs  discours  ,  et  de  sa  divinité  par 
le  miracle  qui  se  faisait  en  leur  faveur. 

Je  ne  sais  si  parmi  les  récompenses  que  le  fils 
de  Dieu  a  reçues  de  ses  travaux ,  j'oserai  mettre 
les  chatimens  que  son  père  a  fait  souffrir  à  ses  en- 
nemis. Hélas  !  ces  chûlimens  lui  ont  donné  plus 
de  gloire  que  de  satisfaction  :  témoin  les  larmes 
qu'il  versa  sur  l'infortunée  Jérusalem  à  la  vue  des 
malheurs  qu'elle  s'allait  attirer  en  le  condamnant 
ù  la  mort.  Il  ne  faut  néanmoins  pas  omettre  que 
les  Prêtres  qui  étaient  si  jaloux  de  leur  crédit  et  de 
leur  autorité  ,  perdirent  et  le  temple  et  le  sacer- 
doce ;  et  qu'eux-mêmes  ,  après  avoir  livré  Jésus 
aux  Romains  pour  qu'ils  le  fissent  mourir  ,  furent 
livrés  par  la  justice  divine  à  ce  même  peuple  ,  qui 
les  punit  de  ce  forfait  par  la  destruction  entière 
de  la  Synagogue.  Il  y  eut  encore  ce  rapport  parti- 
culier entre  leur  crime  et  la  vengeance  du  Sei- 
gneur :  Vous  savez  que  Pilate ,  Lieutenant  de 
l'Empereur  ,  avait  déclaré  hautement ,  avant  de 
condamner  Jésus-Christ ,  qu'il  y  était  forcé  par  les 
instances  des  Juifs  qui  le  persécutaient  injuste- 
ment: l'Empereur  Vespasien  ,  comme  pour  insul- 
ter à  la  condescendance  criminelle  de  ce  Juge 
inique  ,  avant  d'ordonner  le  saccagement  de  Jéru- 
salem, prend  à  témoin  le  Ciel  et  la  terre  que  c'est 
malgré  lui  qu'il  abandonne  cette  ville  à  la  fureur 
du  soldat  ,  qu'il  y  est  forcé  par  l'obstination  de  ce 
peuple ,  et  qu'il  n'a  point  ù  répondre  de  la  mort 


3o2  2.  Pour  le  Jour 

de  tant  d'innocens  qui  périssent  avec  les  coupa- 
bles. Saint  Augustin  observe  encore  que  leur  raal- 
heur  arriva  précisément  à  la  même  fête  qu'ils 
avaientchoisie  pour  perdre  Jésus,  et  que  les  mêmes 
Juif:?  étrangers  qui  avaient  rendu  l'ignominie  de  sa 
passion  plus  éclatante  par  leur  présence,  ne  furent 
pas  seulement  témoins  de  la  vengeance  que  Dieu 
tira  de  la  perfidie  de  leurs  frères  ,  mais  qu'ils  fu- 
rent enveloppés  dans  les  effets  de  cette  Tengeance. 
Que  dirai-je  des  malheureux  restes  de  cette  nation 
ingrate,  et  de  la  servitude  honteuse  où  elle  gémit 
encore  aujourd'hui  ?  Le  mépris,  l'aversion  qïi'on 
a  pour  elle  chez  tous  les  peuples  ;  la  liberté  qu'ort^ 
a  presque  partout  de  lui  insulter  impunément , 
qu'est-ce  autre  chose  qu'un  châtiment  visible  et 
subsistant  de  la  cruauté  barbare  qu'ils  exercèrent 
contre  le  Sauveur ,  en  lui  faisant  soufifrir  le  sup- 
plice des  esclaves  ,  en  autorisant  la  plus  vile  po- 
pulace à  le  traiter  comme  s'il  n'eût  été  qu'un  ver 
de  terre ,  ou  le  plus  méprisable  de  tous  les  hommes  ? 
Mais  que  fais-je  ,  Chrétiens  auditeurs  ?  ne  dois- 
je  point  craindre  de  vous  donner  une  idée  indigne 
de  la  libéralité  de  Dieu  envers  Jésus-Christ  ,  en 
m'arrêtant  à  vous  faire  voir  comment  il  a  propor- 
tionné ses  récompenses  à  tout  ce  qu'il  a  souffert, 
comme  si  ces  récompenses- avaient  précisément 
égalé  les  douleurs  de  sa  passion?  Non  ,  non  :  le 
Seigneur  ne  s'est  pas  contenté  de  le  récompenser 
en  père  équitable  ,  il  l'a  fait  avec  une  libéralité 
digne  de  sa  puissance.  Combien  dé  temples,  Chré- 
tiens auditeurs,  pour  un  Calvaire  !  combien  d'au- 
tels pour  une  croix  :  et  cette  croix  sur  combien 
d'autels  a-t-elle  été  élevée  elle-même!  Cette  croix, 
signe  autrefois  d'infamie,  que  personne  ne  vou- 
lait porter  avec  lui  de  peur  de  se  déshonorer  ,  de 
combien  de  couronnes  fait-elle  aujourd'hui  le  prin- 
cipal ornement  !  sur  combien  de  têtes  royales 
avons-nous  la  satisfaction  de  la  voir  briller  !  Une 
ville  ingrate  Ta  désavoué  pour  son  Roi;  cent  royau- 
mes ,  cent  peuples  divers  l'ont  accepté  pour  leur 


DE  Pâques.  5o3 

Dieu.  Barabbas  lui  fut  préféré;  et  lui  a  été  préféré 
à  tous  les  chefs  de  toutes  les  sectes,  à  tous  les  lé- 
gislateurs ,  à  toutes  les  divinités  de  la  terre.  La 
crainte  de  la  mort  porta  un  de  ses  Apôtres  à  le  re- 
noncer; et  plus  de  quatorze  millions  de  Chrétien^s» 
plutôt  que  de  lui  faire  un  pareil  outrage,  ont  choisi 
la  mort.  Judas  le  vendit  pour  satisfaire  son  ava- 
rice ;  mais  qui  peut  dire  le  nombre  de  ceux  qui 
ont  tout  vendu  pour  le  soulager  dans  ses  membres, 
dans  les  pauvres  ;  qui  ont  tout  quitté  pour  le  sui- 
vre dans  sa  pauvreté  ?  Les  Prêtres  ne  donnèrent 
que  trente  deniers  au  traître  qui  le  leur  livra  ;  mais 
de  quel  prix  les  instrumens  de  ses  souffrances  out- 
ils paru  ,  même  aux  yeux  des  Infidèles  ?  Les  Per- 
ses enlevèrent  autrefois  sa  croix,  et  crurent  avoir 
en  elle  un  trésor,  qui  seul  pourrait  faire  la  rançon 
d'un  Souverain.  Elle  leur  valut  encore  plus  qu'ils 
n'avaient  pensé  ,  puisqu'Héraclius  la  préféra  à 
leurs  vastes  États  ,  dont  il  aurait  pu  se  rendre  maî- 
tre après  la  défaite  entière  et  la  mort  tragique  de 
Chosroës. 

Parcourez,  s'il  vous  plaît,  toutes  les  autres  cir- 
constances de  sa  passion;  vous  verrez  les  moindres 
douleurs,  les  plus  légères  confusions  retracées  par 
des  honneurs  infinis.  Quels  respects  n'a  pas  eu 
toute  la  terre  pour  ces  pauvres  Pêcheurs  qui  fu- 
rent persécutés  à  son  sujet  !  Tous  ses  amis  furent 
muets  devant  Pilatc,  et  ils  le  laissèrent  accabler 
par  la  calomnie  ;  mais  depuis  ils  ont  fait  entendre 
leur  voix  par  toute  la  terre  ;  les  climats  les  plus 
reculés  de  l'univers  ont  retenti  des  éloges  qu'ils 
ont  donnés  à  son  innocence  et  à  la  sainteté  de  sa 
doctrine  :  In  omnem  terrain  exivit  sonus  eorum,  et 
in  fines  orbis  terrce  verba  eorum.  Combien  de  bou- 
ches éloquentes  ,  combien  de  savantes  plumes  ont 
exalté  son  nom  !  combien  de  livres  écrits  contre 
ceux  qui  ont  osé  combattre  ou  sa  divinité  ,  ou  la 
vérité  de  quelques-unes  de  ses  paroles  !  combien 
de  bibliothèques  remplies  d'ouvrages  qui  nous 
transmettent  de  siècle  en  siècle  la  grandeur  et  la 


3o4  2.  Pour  le  Jour 

gloire  de  Jésus  crucifié  !  Je  ne  dirai  point  par 
combien  d'hominages  on  a  expié  les  insultes  qu'il 
souffrit  des  gardes  qui  l'adorèrent  par  dérision.  On 
ne  s'est  pas  contenté  de  l'adorer  caché  et  déguisé 
sous  les  espèces  du  pain  ,  on  a  cru  qu'on  devait 
du  respect  à  tout  ce  qui  lui  appartenait  en  quelque 
manière,  à  tout  ce  qui  avait  avec  lui  quelque  rap- 
port :  pour  quelle  autre  raison  témoigne-t-on  tant 
de  vénération  pour  les  Saints  qui  l'ont  servi,  pour 
les  pauvres  qui  sont  ses  nrembres,  pour  les  images 
et  pour  les  figures  qui  nous  représentent  sa  per- 
sonne ou  ses  mystères ,  pour  les  clous  enfin ,  pour 
les  épines ,  pour  tous  les  autres  instrumens  de  son 
supplice  ,  que  l'attouchement  de  son  saint  corps 
a  consacrés  ? 

Vous  rappellerez-vous  enfin  le  jugement  qu'en 
porta  Hérodes  ,  lorsqu'il  le  traita  comme  un  in- 
sensé ,  sans  penser  que  c'est  pour  réparer  cet  ou- 
trage que  Dieu  a  voulu  que  sa  doctrine  ait  prévalu 
à  la  fausse  sagesse  des  Païens;  quelaPhiiosophie, 
tout  orgueilleuse  qu'elle  est,  ait  soumis  ses  lu" 
mières  à  la  simplicité  de  l'Evangilt ,  et  à  là  mys- 
térieuse folie  de  la  croix  !  Toutes  ses  paroles  ont 
été  reçues  comme  des  oracles  ,  oiï  a  taxé  d'erreur 
tout  ce  qui  s'est  tant  soit  peu  éloigné  de  ses  maxi- 
mes ,  on  a  cru  sur  son  témcngnage  dés  choses 
qui  renversaient  tous  les  principes  des  sciences  , 
tous  les  préjugés  de  la  raison-humaine  ;  on  a  cru 
qu'il  n'y  avait  point  de  sagesse  sur  la  terre  ,  qu'en 
se  livrant  aveuglément  en  tout  à  ses  seniimens  et 
à  sa  conduitti. 

Si  dans  tout  ce  que  je  viens  de  dire  vous  trou- 
vez que  le  fils  de  Dieu  a  été  libéralement  récom- 
pensé de  sa  patience,  je  vous  prie  de  faire  réflexion 
que  ces  effets  de  la  libéralité  de  son  père  ne  sont 
jusqu'ici  qu'une  récompense  temporelle  ,  qu'une 
récompense  qu'il  reçoit  sur  la  terre  ,  où  il  n'est 
plus,  où  du  moins  il  n'est  qu'invisiblement.  Je 
n'ai  garde  de  m'engager  à  vous  entretenir  de  la 
gloire   qu'il  possède    dans  le    Ciel  ,    et  qu'il  y 


DE  Pâques.  3o5. 

possédera  éleTnellement.  C'est  h\  qu'assis  à  la 
droite  de  son  père  ,  en  dédommagement  du  refus 
qu'ojit  fait  les  Juifs  de  le  reconnaître  pour  leur 
Kbi,  il  règne  dans  un  royaume  qui  n'aura  jamais 
de  fln  5  et  sur  des  sujets  qui  sont  tous  des  Rois 
cux-mCmes.  C'est  là  qu'à  la  place  des  marques 
humiliantes  des  soufflets  ,  il  brille  sur  son  \isage 
une  lumière  qui  fait  la  joie  des  Bienheureux  ,  et 
que  l'œil  des  plus  hautes  intelligences  ne  peut  sou- 
tenir. C'est  là  qu'au  lieu  de  ces  Toix  confuses  et 
séditieuses  ,  qui  s'élevaient  contre  lui  dans  le  pré- 
toire de  Pilate  ,  tous  les  Saints  ne  cessent  de  chan- 
ter à  sa  gloire  le  cantique  de  leur  délivrance,  dont 
ils  reconnaissent  lui  être  uniquement  redevables, 
Ënfîn  c'est  là  que  pour  s'être  soumis  aux  injustes 
jugemens  des  hommejs ,  il  viendra  au  dernier  jour 
dans  l'éclat  d'une  majesté  infinie  exercer  aux  yeux 
de  tout  liunivers  le  pouvoir  souverain  qi>e  son  père 
lui  a  donné  de  juger  les  vivans  et  les  morts  :  Quia 
ipse  est  ,  dit  l'Apôtre  saint  Pierre  ,  quiconstitutus 
est  Judex  tivx>rum  et  morluorum.  Disons-le  donc 
sans  hésiter,  MM.  :  Oportuit  pati  Cliristum^  e4 
îta  inirare  In  gloriam  suam  :  Il  fallait  que  Jésus- 
Christ  souffrît  la  mort  ;  la  gloire  singulière  qui  lui 
était  réservée  méritait  bien  d'être  achetée  à  ce 
prix.  Il  a  beaucoup  souffert ,  on  n'en  peut  pas 
disconvenir;  mais  ,  grâces  à  la  justice  et  à  la  libé- 
ralité du  Père  éternel  ,  la  récompense  qu'il  reçoit 
paye  exactement  et  abondamment  toutes  ses  souf- 
frances. 

Soyez  glorifié  ,  Père  saint ,  source  de  bonté  et 
de  justice  !  que  les  hommes  et  les  Anges  vous 
louent  ,  qu'ils  bénissent  éternellement  votre  ten*- 
dresse  infinie  ,  votre  libéralité  toute  divine  envers 
Jésus-Christ  notre  Rédempteur.  Que  ne  vous  de- 
vons-nous point  pour  avoir  si  richement  récom- 
pensé le  zèle  qu'il  a  eu  pour  notre  salut  !  Quelle 
bonté  en  vous  d'avoir  agréé  jusqu'à  ce  point  les 
travaux  qu'il  a  entrepris  pour  nous  associer  à  son 
héritage.  Hélas  !  qu'il  aurait  été  mal  payé  de  son 


5o6  2.  Pour  le  Jour 

amour  excessif,  si  vous  aviez  laissé  notre  recôri-»* 
naissance  seule  chargée  de  ce  devoir  l  qu'aurions- 
nous  fait  ,  ou  qu'aurions  -  nous  pu  fiûre  qui  eût* 
répondu  en  quelque  sorte  à  tant  de  générosité  ? 
Continuez,  Seigneur,  d'exalter,  de  glorifier  votre 
fils  unique  ;  continuez  de  le  faire  connaître  ,  de  le 
faire  craindre  ,  adorer  et  aimer  de  toutes  les 
créatures.  Combien  de  villes,  eombiens  de  nations 
entières  ignorent  encore  les  mystères  de  sa  mort 
et  de  sa  résurrection  !  Dissipez  ces  ténèbres  pour 
la  gloire  du  nom  de  Jésus.  Vous  lui  avez  donné  un 
pouvoir  absolu  sur  tous  les  royaumes  du  monde  ; 
hâtez-vous  de  le  mettre  en  possession  de  ceux  qui 
gémissent  encore  sous  la  tyrannie  de  l'Enfer  ; 
avancez  ce  temps  où  il  doit  être  l'unique  pasteur  , 
l'unique  législateur.  Faites  cependant  qu'il  soit 
servi  avec  zèle  de  tous  ceux  qui  font  profession 
d'être  à  lui ,  qu'il  soit  aimé  de  tous  ceux  qui  le 
connaissent,  et  qui  savent  combien  il  les  a  aimés. 
Il  a  mérité  tout  cela  par  ses  souffrances  ;  mais  est- 
il  bien  vrai  qu'il  n'ait  pu  le  mériter  qu'en  souf^ 
frant  ?  C'est  ma  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Comme  toute  la  grandeur  de  Jésus  consiste  à 
être  ce  Messie  promis  depuis  long-t^;:ips  aux  hom- 
mes ,  et  envoyé  enfin  au  milieu  des  temps  ;  il  est 
évident  que  toute  sa  gloire  dépend  d'être  reconnu 
et  d'être  reçu  en  cette  qualité  par  toutes  la  nations 
de  la  terre.  Or  pour  cette  manifestation  de  sa 
gloire,  il  fallait  nécessairement  ,  Chrétiens  au- 
diteurs ,  qu'il  endurât  tout  ce  qu'il  a  enduré  ,  et 
qu'il  mourût  de  la  manière  qu'il  est  mort  :  Opor-- 
tait  Christum  pati  ,  et  ita  intrare  in  gloriam  suam. 
Les  Prophètes  ,  qui  avaient  prédit  son  avènement, 
et  qui  l'avaient  annoncé  aux  hommes,  n'avaient 
presque  point  donné  d'autres  signes  qui  le  pussent 
faire  cormaître  que  ses  douleurs  et  sa  patience;  ils 
avaient  marqué  si  expressément  tout  ce  qu'il  de- 
Tait  souffrir  ,  qu'il  semble  que  les  Evangélistei 


DE  Pâques.  307 

n'aient  fait  que  les  copier  quand  ils  racontent  sa 
passion.  Une  des  raisons  qui  les  a  obligés  à  s'éten- 
dre si  fort,  et  être  si  exacts  en  rapportant  les  der- 
niers événemens  de  sa  vie  ,  c'est  l'exacte  description 
qu'en  avaient  faite  les  Prophètes  :  il  fallait  foire  voir 
à  toute  la  terr«  que  Jésus  avait  accompli  fidèle- 
ment tout  ce  qui  avait  été  prédit  du  Rédempteur. 
De  sorte  ,  MM;  ,.  que  si  Jésus-Christ  s'était  dis- 
pensé de  souffrir ,  il  lui  aurait  été  impossible  de 
persuaderau  mondé  qu'il  était  véritablement  le  fils 
de  Dieu.  Les  miracles  qu'il  a  faits  pour  établir  la 
rérité  de  sa  mission  étaient  sans  doute  de  fortes 
preuves  ;  mais  ces  preuves  se  trouvant  opposées 
aux  oracles  de  l'Ecriture ,  cette  opposition  aurait 
jeté  les  esprits  dans  une  confusion  étrange  ,  et 
dans  des  ténèbres  que  nulle  lumière  n'aurait  ja- 
mais pu  dissiper. 

De  plus,  personne  ne  doute  que  rien  n'a  été 
plus  glorieux  à  Jésus-Christ  que  sa  résurrection. 
S'arracher  soi-même  d'entre  les  bras  de  la  mort , 
vaincre  cette  mort  devant  qui  tout  avait  plié , 
c'était  une  victoire  réservée  à  l'auteur  même  de 
la  vie  ;  aussi  voyons-nous  que  toutes  les  fois  qu'on 
avait  pressé  le  Sauveur  de  donner  quelques  témoi- 
gnages de  sa  divinité  qui  ne  laissât  plus  lieu  à  au- 
cun doute  ,  il  avait  toujours  offert  de  la  prouver 
en  ressuscitant.  Ses  Disciples ,  surtout  après  que 
les  premiers  troubles  que  leur  avait  causé  sa  mort 
furent  dissipés,  ses  Disciples  s'attendaient  si  fort 
à  cette  dernière  preuve  ,  que  ceux  qui  allaient  en 
Emmaûs  le  jour  qu'il  devait  ressusciter  ,  étaient 
déjà  scandalisés  de  ce  qu'ils  ne  l'avaient  point  en- 
core vu  ,  quoique  ce  jour  ne  fût  pas  fini.  C'est 
pour  cela  même  que  dans  la  prédication  de  l'E- 
vangile ,  les  Apôtres  n'ont  rien  tant  fait  valoir  que 
la  résurrection  du  Sauveur  ;  ils  ne  prêchent  que 
ce  prodige  aux  Juifs  ,  aux  Gentils  ;  ils  ne  font  eux- 
mêmes  de  miracles  que  pour  confirmer  ce  grand 
miracle.  C'est  pour  cela  qu'il  a  pris  lui-même  un 
61  grand  soin  d'en  établir  la  vérité  ,  comme  devant 


3o8  2.  Pour  le^Jour 

être  le  principal  fondement  de  la  croyance  qu'on 
aurait  en  lui.  C'est  pour  cela  qu'il  permet  qu'il  y 
ait  des  gardes  au  sépulcre  ,  afin  de  tirtr  de  la  bou- 
che même  de  ses  ennemis  un  témoignage  qui  ne 
puisse  être  suspect  à  personne.  C'est  pour  cela 
qu'il  a  voulu  conserver  les  vestiges  de  ses  plaies; 
qu'il  ne  s'est  pas  contenté  de  se  faire  voir  ,  qu'il 
s'est  laissé  considérer  ,  toucher ,  manier ,  qu'il 
n'a  rien  refusé  à  l'incrédulité  de  ses  Disciples.  Il 
leur  apparaît  en  particulier,  il  prend  le  temps 
qu'ils  sont  assemblés  pour  se  manifester  à  eux  ; 
il  s'entretient ,  il  marche ,  il  mange  avec  eux  ;  il 
leur  donne  quarante  jours,  afin  qu'ils  aient  le  loi- 
sir de  revenir  de  îa  surprise  que  leur  cause  une 
si  grande  merveille  ,  et  qu'ils  puissent  l'examiner 
de  sang-froid. 

Cela  était  nécessaire  pour  établir  dans  le  monde 
la  croyance  de  la  Divinité  ,  mais  il  ne  l'était  pas 
moins  pour  y  faire  observer  sa  nouvelle  loi.  Ce 
n'était  pas  un  ouvrage  facile  que  de  porter  les 
hommes  à  se  réformer  sur  le  modèle  que  le  Sau- 
veur du  monde  leur  avait  tracé  dans  l'Evangile  : 
le  détachement  des  richesses  ,  le  retranchement 
des  plaisirs,  l'amour  de  la  croix  et  des  souft'rances, 
sont  des  points  fort  opposés  à  la  pente  de  la  nature , 
et  je  ne  sais  comment  on  y  pourra  fléchir  les  pen- 
chaiis  naturels;  je  sais  du  moins  qu'on  n'y  réussira 
jamais  qu'en  faisant  espérer  aux  hommes  une  vie 
immortelle  ,  affranchie  de  tous  les  maux,  enrichie 
de  tous  les  biens.  iMais  comme  nous  sommes  tous 
condamnés  à  mourir  ,  comment  passera  cette  vie 
immortelle  ?  Parla  résurrection.  Mais  cette  résur- 
rection est  elle-même  un  prodige  inoui  :  les  Gen- 
tils, dit  saint  Augustin ,  disputaient  de  l'immor- 
talité de  l'ame  ,  mais  aucun  d'eux  n'avait  parlé  de 
la  résurrection.  Il  est  nécessaire  que  ce  point  (te 
foi  si  important  devienne  croyable  ;  comment  le 
deviendra-t-il  si  Jésus-Christ  ne  ressuscite  ?  et 
comment  ressuscitera-t-il ,  s'il  ne  meurt  ?Credere 
eumresurrexUse  non  possumus ,  nisi  prias  morluuui 


DE  Pâques.  Zog 

fuisse  credamus  ,  dit  le  même  Saint  :  Autant  que  la 
résurrection  a  été  nécessaire  pour  confirmer  la  di- 
Tinilé  du  Sauveur  et  pour  établir  sa  morale,  autant 
était-il  nécessaire  qu'il  mourût;  puisque  l'un  sup- 
posait l'autre  nécessairement. 

Mais  pourquoi  une  mort  si  cruelle  et  si  hon- 
teuse ?  11  fallvait  qu'elle  fût  cruelle,  qu'il  versât 
son^ang  jusqu'à  la  dernière  goutte  ,<ît  P^r  ululant 
de  plaies  qu'il  y  avait  de  parties  dans  son  corps, 
de  peur  que  si  son  trépas  eût  été  plus  doux  ,  on  ne 
l'eût  fait  passer  pour  un  sommeil ,  ou  pour  une 
mort  simulée  ;  il  fallait  qu'elle  fût  honteuse  celle 
mort,  et  qu'étant  soufferte  sur  un  bois  infâme  en 
présence  d'un  grand  nombre  de  témoins  ,  elle  ne 
pût  être  révoquée  en  doute.  Je  pourrais  encore 
ajouter  que  c'est  l'exemple  de  cette  mort  doulou- 
reuse et  humiliante  ,  cette  marque  d'un  amour 
infini  qu'il  nous  a  donnée  en  mourant  pour  nous, 
qui  a  fait  et  les  Martyrs  et  tous  les  autres  Saints  ; 
les  Martyrs  ,  qui  par  leur  généreuse  constance  lui 
ont  fait  tant  d'honneur  sur  la  terre ,  et  qui  lui  com- 
posent une  si  belle  cour  dans  le  Ciel  ;  tous  les  au- 
tres Saints,  qui  sont  ses  véritables  enfans.,  sa  joie,, 
sa  couronne  ,  son  royaume  ,  la  plus  noble  portion 
de  son  héritage.  C'est  par  ses  souffrances  qu'il  leur 
a  appris  comment  on  pouvait  se  sanctifier  en  l'i- 
mitant ,  et  qu'il  leur  a  inspiré  le  désir  de  l'imiter 
par  reconnaissance.  Généreuses  vertus  ,  sainteté 
chrétienne  ,  vous  êtes  l'heureux  fruit  des  leçons 
sublimes  qu'il  nous  a  non-seulement  données  par 
ses  paroles  ,  mais  qu'il  nous  a  encore  retracées 
dans  sa  personne.  Si  le  grain  de  froment ,  disait- 
il  ,  en  parlant  figurément  de  lui-même,  si  ce  grain 
ne  meurt  dans  la  terre  où  il  lombe,  il  ne  multiplie 
point  :  '^isl  »raniim  frumenti  caciens  in  terram  mor- 
iuum  fuerit  ,  ipsum  solum  nianet  ;  si  verô  mortuum 
fuerit ,  mullum  fructum  affert. 

Malgré  toutes  ces  raisons  ,  si  quelqu'un  veut 
encore  soutenir  que  Jésus  aurait  pu  entrer  dans  la 
gloire  sans  l'avoir  méritée  par  sa  passion  ,  du 


5 10  2.  Pour  le  Jour 

moins  ne  saurait-il  nier  que  celte  gloire  aurait  été 
moins  éclatante  par-là  même  qu'il  ne  l'aurait  pas 
méritée.  S'il  est  vrai  que  les  dignités  et  les  récom- 
penses ne  font  d'honneur  à  ceux  qui  les  reçoivent 
qu'à  proportion  de  ce  qu'ils  ont  fait  pour  s'en  ren- 
dre dignes  ;  s'il  est  vrai  que  les  grandes  actions 
rendent  précieuses  les  couronnes  qui  en  sont  le 
prix ,  et  qu'une  branche  de  laurier  qu'on  met  sur 
la  tête  d'un  conquérant  vaut  mille  fois  plus  que  leê 
perles  et  lesdiamans  dont  un  lâche  se  pare  le  front; 
qui  osera  dire  qu'il  y  ait  quelque  comparaison  à 
faire  entre  la  gloire  dont  les  travaux  de  Jésus- 
Christ  ont  été  payés  ,  et  cette  même  gloire  si  elle 
eût  été  acquise  dans  une  lâche  oisiveté  ?  Comment 
aurait-il  pu  l'appeler  sa  gloire  ,  gloriam  suam ,  si 
on  la  lui  avait  donnée  gratuitement ,  s'il  ne  l'avait 
pas  achetée  ?  n'eût-  ce  pas  été  plutôt  et  unique- 
ment la  gloire  de  son  père  ,  qui  aurait  signalé  sa 
puissance  et  sa  libéralité  en  l'élevant  au-dessus  des 
hommes  et  des  Anges  ,  sans  y  être  engagé  par  au- 
cun motif  de  reconnaissance  et  de  justice  ? 

N'ai-je  donc  pas  ,  MM.  ,  eu  raison  de  dire  qu'il 
fallait  que  Jésus  -Christ  souffrît,  et  qu'il  entrât 
ainsi  dans  sa  gloire  ?  iVo7în«  oportuit  Chrktum  pati^ 
et  ita  inlrare  in  gloriam  suam  ?  La  récompense  qui 
ratlendait  ne  répondait-elle  pas  bien  à  tout  ce  qu'il 
a  souffert  pour  y  parvenir  ?  et  pouvait-il  y  parve- 
nir autrement  que  parles  souffrances?  Mais  nous^ 
n'est-il  pas  étrange  que  nous  nous  flattions  de  pou- 
Toir  arriver  par  d'autres  voies  à  la  gloire  que  Dieu 
nous  prépare  ?  ou  si  nous  ne  sommes  pas  dans 
cette  erreur  ,  n'est-il  pas  encore  plus  étrange  que 
nous  ne  puissions  être  engagés  à  entrer  dans  ces 
mêmes  voies  par  les  récompenses  abondantes  que 
nous  promet  un  Dieu  si  riche  et  si  libéral?  Hélas! 
je  le  vois  tous  les  jours,  il  n'est  point  d'artisan  qui 
trouvant  des  hommes  qui  payent  son  travail,  je  ne 
dis  pas  qui  le  payent  libéralement ,  qui  le  payent 
promplement  ,  mais  seulement  qui  ne  font  jamais 
perdre  un  juste  salaire  ;  noa  il  li'eo  est  point  qui 


DE  Paqles.  3  r  I 

trouvant  des  hommes  de  ce  caractère ,  n'aime  à 
recevoir  des  ordres  de  leur  part,  ne  quitte  tout, 
ne  s'empresse  ,  ne  veille  ,  ne  s'épuise  pour  les  sa- 
tisfaire. Trouve-t-on  un  Prince  libéral  ,  qui  se 
connaisse  en  mérite,  qui  sache  estimer  la  valeur  ; 
qui  ,  sans  avoir  égard  ,  ni  à  la  naissance  ,  ni  à  ' 
ses  propres  inclinations  ,  préfère  partout  les  plus 
braves  à  tous  les  autres  ?  on  s'expose  à  tout  pour 
le  servir  ,  on  se  précipite  dans  tous  les  hasards; 
il  n'a  qu'à  témoigner  son  désir  ,  il  verra  toute  l'é- 
lite de  son  royaume  affronter  la  mort.  Et  vous ,  ô 
mon  Dieu  ,  vous  trouvez  à  peine  des  hommes  qui 
veuillent  faire  pour  vous  quelque  effort ,  pour  vous 
dont  les  récompenses  sont  si  assurées,  pour  vous 
qui  avez  une  connaissance  si  parfaite  du  véritable 
mérite  ,  et  qui  montrez  tant  de  justice  ,  tant  de 
générosité  ,  tant  d'excès  dans  la  distribution  de 
vos  dons  ! 

On  ne  voit  rien  de  si  ordinaire  dans  la  vie  ,  que 
des  gens  qui  se  plaignent  de  l'injustice  et  de  l'in- 
gratitude du  monde,  des  gens  qui  après  avoir  usé 
leurs  forces,  après  avoir  consumé  tous  leurs  biens 
pour  la  gloire  ou  pour  l'intérêt  d'autrui ,  traînent 
en  murmurant  une  vieillesse  malheureuse  dans  le 
mépris  et  dans  l'indigence  :  et  cependant  ce  monde 
se  voit  assailli  d'une  foule  d'esclaves  qui  s'empres- 
sent,  qui  se  rendent  importuns  pour  être  admis  à 
le  servir.  On  achète  à  grand  prix  les  charges  qui 
demandent  le  plus  d'assiduité  ,  parce  qu'on  veut 
espérer,  je  ne  sais  sur  quel  fondement,  qu'on  sera 
plus  heureux  que  tous  les  autres  :  et  moi  qui  suis 
sûr  de  mon  salaire  et  d'un  riche  salaire  ,  si  je  veux 
m'attacher  à  Dieu  ,  qui  suis  sûr  même  dès  cette  vie 
du  centuple  de  tout  ce  que  le  monde  me  peut  pro- 
mettre ,  j'aime  mieux  dans  des  conjonctures  si 
heureuses  perdre  mon  temps  et  mes  peines,  que 
de  les  consacrer  au  plus  libéral  des  maîtres  !  Quel 
est  notre  aveuglement ,  Chrétiens  auditeurs  !  Pour- 
quoi entre  le  maître  le  plus  fidèle  ,  et  le  maître  le 
plus  ingrat ,  différons -nous  de  prendre  parti  ?  ou 


5\i  2.  Pour  le  Jour 

plutôt ,  d'où  vient  qu'au  service  de  ce  maître  fi- 
dèle nous  nous  épargnons  ou  que  nous  demeurons 
oisifs  ?  d'où  vient  avec  un  Dieu  qui  nous  tient 
compte  de  tout ,  et  avec  qui  tout  devient  pour 
nous  une  occasion  de  mérite  ,  d'où  vient  de  notre 
part  tant  de  lâcheté  ?  d'où  vient  qu'au  lieu  de  lui 
rapporter  tous  nos  travaux  .  de  iui  donner  tous 
nos  soins ,  nous  cherchons  à  les  partager  ?  Un  Né- 
gociant qui  trouve  un  navire  sûr  et  en  état  de 
TOguer  sans  craindre  de  faire  naufrage  ou  d'être 
pris  ,  balance-l-il  de  lui  confier  ses  richesses  et  ses 
espérances  ?  se  met-il  en  peine  ,  pour  courir 
moins  de  risque  ,  de  les  distribuer  sur  divers  vais- 
seaux ?  Et  vous  ,  mes  frères  ,  vous  paraissez  vous 
défier  des  sûretés  que  vous  donne  le  Seigneur  ! 
Où  trouve-t-on  ,  ô  mon  Dieu,  et  plus  d'assurance» 
et  plus  de  richesses  qu'en  vous  ?  Vous  donne» 
abondamment,  vous  donnez  à  toutes  sortes  de 
personnes  ,  vous  donnez  plus  encore  que  vous 
n'avez  promis;  pour  obtenir  de  vous  tout  ce  qu'on 
désire  ,  il  suffit  de  le  demander ,  il  suffit  même  de 
l'espérer  de  votre  miséricorde  :  et  je  croirai  que 
ceux  qui  auront  en  quelque  sorte  engagé  votre 
justice  à  leur  faire  du  bien  ,  que  ceux  qui  auront 
espéré  en  vous  jusqu'à  mépriser  tout  autre  appui, 
jusqu'à  vous  sacrifier  leur  temps  ,  leurs  biens  , 
leurs  plaisirs  ,  toute  leur  vie  ,  je  croirai  que  vous 
pourrez  les  laisser  sans  récompense! 

Pour  moi ,  dit  le  grand  saint  Paul  ,  je  ne  le 
crains  pas.  Je  souffre  beaucoup  ,  il  est  vrai ,  pour 
m'acquilter  de  mon  ministère  ;  la  profession  que 
je  fais  m'attire  bien  des  persécutions  ,  toute  ma 
vie  n'est  qu'une  suite  conlinutlle  d'adversités  et 
de  travaux  ;  mais  je  ne  m'en  plains  pas  ,  parce 
que  je  sais  pour  qui  je  travaille  :  Scio  cui  credidi. 
Je  sais  à  qui  je  confie  ce  trésor  de  peines  et  de 
souffrances  ,  je  sais  que  tout  doit  m'êlre  rendu 
avec  usure  :  Scio  cui  credidi.  Croyez-moi  ,  MM.  , 
donnons-nous  sans  réserve  à  un  maître  si  fidèle, 
et  ne  travaillons  qae  pour  lui.  Quel  sujet  plus  juste 


DE  Pâques.  3i3 

de  nos  regrets  que  d'avoir  perdu  tant  de  temps  à 
ne  rien  faire  ,  ou  tant  de  travaux  au  service  d'un 
monde  si  ingrat  et  si  impuissant,  lorsqu'on  faisant 
les  mêmes  choses  pour  Dieu  nous  aurions  pu  nous 
-enrichir  !  Quand  le  monde  aurait  autant  de  bonne 
foi  qu'il  est  infidèle  ,  quand  il  s'épuiserait  en  no- 
tre faveur,  il  ne  saurait  payer  le  prix  de  la  moin- 
dre de  nos  actions  ;  l'élernilé  peut  seule  être  un 
salaire  digne  d'elles.  Servons  donc  celui  qui  peut 
les  payer  selon  leur  juste  valeur,  qui  doit  les 
payer  infiniment  ati-delà  de  leur  juste  valeur,  soit 
dans  ce  monde  ,  soit  dans  l'autre.  Ainsi  soit-il. 


I.  i4 


SERMON 

POUR   LE   JOUR 

DE     L'  A  S  C  E  N  S  I  O  N. 


Qttîs  est  Iste  Rex  gloriœ? 

Quel  e|J  ce  Roi  de  la  gloire  ?  (  Ps.  23.  ) 


La  sainteté  de  Jésns-Christ  est  au-dessus  de  tous  no» 
éloges  .  soit  que  nous  la  considérions  dans  les  grâce» 
qui  en  ont  été  comme  les  semences  .  soit  que  nous 
l'envisagions  dans  ses  actions  vertueuses  ,  qui  en  ont 
été  comme  les  fruits. 

J[t  paraît  étonnant  que  Jésus-Christ,  après  avoir 
rendu  si  publique  Tlgnominie  de  sa  mort,  cache 
aujourd'hui  la  vue  de  son  ascension  glorieuse  à  ses 
amis  les  plus  intimes.  Il  avait  vécu  avec  eux  durant 
l'espace  de  quarante  jours  depuis  sa  résurrection  ; 
ce  temps  écoulé  ,  il  les  mène  sur  la  montagne  des 
oliviers,  kl  ieur  fait  un  adieu  plein  de  tendresse^ 
il  étend  les  n^ains  pour  leur  donner  sa  dernière 
bénédiction  ;  se  détachant  ensuite  insensiblement 
de  la  terre  ,  à  peine  il  est  élevé  de  quelques  cou- 
dées ,  qu'un  nuage  le  dérobe  à  leurs  yeux,  et  que 
deux  Anges  les  avertissent  de  se  retirer.  Voilà  , 
Chrétiens  auditeurs  ,  tout  ce  que  nous  savons  du 
mystère  que  l'Eglise  nous  ordonne  de  solenniser 
aujourd'hui.  Quand  tout  le  reste  se  serait  passé 
devant  des  témoins  ,  il  est  bien  vraisemblable 
qu'ils  n'auraient  point  eu  de  paroles  pour  nous  en 
faire  le  rapport;  mais  ce  glorieux  événement  ayant 


î.  Pour  te  Jour  de  l'Ascension.     5i5 

été  soustrait  à  la  vue  des  hommes  ,  je  ne  pense 
j)as  qu'on  puisse  exiger  de  moi  que  j'en  fasse  le 
sujet  de  ce  discours. 

Je  crois  que  dans  cette  conjonclure  le  devoir 
d'un  Orateur  chrétien  est  de  célébrer  le  triomphe 
de  Jésus-Christ  parles  louanges  qui  lui  sont  dues, 
et  de  faire  connaître  les  vertus  par  oi'i  il  a  mérité 
les  honneurs  avec  lesquels  on  l'accueille  à  son  en- 
trée daias  le  séjour  de  la  gloire.  Les  Anges  surpris 
d'un  si  magnifique  appareil  s'écrient  avec  le  Pro- 
phète :  Qals  est  isie  Rex  gloriœ  ?  Quel  est  cet 
homme  qu'on  reçoit  dans  le  Ciel  comme  s'il  en 
était  le  Roi  ?  Les  Anges  semblent  nous  inviter  par 
cette  demande  à  leur  dire  ce  que  nous  sjrvons  du 
Sauveur  du  monde  ,  et  quelles  sont  les  verltvs  que 
nous  avons  admirées  dans  sa  personne.  C'est  pour 
les  satisfaire  que  j'entreprends  aujourd'hui  le  pa- 
négyrique le  plus  grand ,  mais  le  plus  diflTicile  qu'il 
soit  possible  d'imaginer.  Avouons-le  ingénument, 
MM.  ,  c'est  pour  me  satisfaire  que  je  prends  cette 
occasion  de  traiter  un  sujet  sur  lequel  je  désire 
depuis  lang-temps  de  vous  entretenir.  Néanmoins 
pour  m'y  résoudre  ,  il  m'a  fallu  oublier  pour  un 
*emps  et  la  sublimité  de  la  matière,  et  ma  propre 
faiblesse.  Je  n'ai  en  effet  consulté  que  les  senti- 
mens  de  mon  cœur  ,  je  me  suis  persuadé  que  tout 
était  permis  ,  que  tout  était  possible  à  l'amour. 
De  plus  j'ai  pensé  qu'il  n'y  aura  pas  de  honte  à  suc- 
comber sous  le  poids  d'une  entreprise  que  je  n'ai 
pas  formée  par  présomption.  N'ayant  donc  d'autre 
vue  que  de  plaire  à  Jésus-Christ ,  d'autres  espé- 
rances qu'en  son  secours,  je  ne  crains  pas  de  m'ex- 
poser  à  une  confusion  que  je  lïie  serai  innocem- 
nient  attirée.  Mais  je  me  trompe  ,  Seigneur, 
l'espérance  qu'on  a  en  vous  n'est  jamais  suivie  de 
confus^ion  ;  nous  pouvons  tout  avec  votre  grâce, 
et  vous  ne  la  refusez  jamais  ,  s^urtout  à  ceux  qui 
vous  la  demandent  au  nom  de  Marie  ,  comme  nous 
Talions  faire  par  les  paroles  de  l'Ange:  Ace,  Mariai 

14. 


5i6  I.   PoiR  LE  Jour. 

S'il  est  vrai ,  comme  la  plus  grande  partie  des 
P^res  grecs  el  lalins  l'ont  enseigné  ,  que  presque 
tout  le  psaume  vingt-troisième  d'où  j'ai  tiré  mon 
texte  ,  n'est  autre  chose  qu'une  prophétie  de  l'as- 
cension de  Jésus-Chri5t ,  dotiterons-nous  que  ce 
qui  fait  iiujourd'hui  le  sujet  de  l'admiration  des 
Anges  ,  c'est  de  voir  qu'il  se  trouve  ici-bas  un 
homme  assez  juste  et  assez  pur  pour  passer  de  la 
terre  au  Ciel,  pour  prendre  une  place  dans  ce  lieu 
de  sainteté  ,  d'où  les  Abrahams  et  les  Moïses  ont 
été  exclus  jusqu'à  aujourd'hui  ?  Quis  ascendet  in 
montem  Domini ,  ant  qais  stabit  in  loco  sanctoejas? 
innocens  manibas  ,  et  mundo  corde.  Qui  est-ce  qui 
pourra  monter  sur  la  montagne  du  Seigneur,  et 
faire  sa  demeure  dans  son  saint  lieu  ?  si  ce  n'est 
l'homme  dont  les  mains  sont  innocentes  ,  dont  le 
rœurest  pur  ?  Comment  donc  le  monde  ,  qui  est 
plongé  clan.-:,!a  corruption  ,  peut-il  nous  envoyer 
quelqu'un  qui  mérite  d'être  admis  dans  un  séjour 
dont  l'accès  n'est  ouvert  qu'à  la  pureté  la  pluspar- 
faite?  et  quel  est  ce  Roi  pour  qui  l'on  nous  ordonne 
d'ouvrir  les  porfe^  xlu.Çiel ,  et  mt'me  de  les  ren- 
verser? A.tloUite  portas, principes  vestros  ,  et  éleva' 
mini  y  portai  œUrnales  ,  et  inlrolbit  Bex  gloriœ. 
Cuis  cst.iste  Rex  gloriœ  ? 

Pour  leur  répondre  selon  leur  pensée  ,  il  faut 
les  entretenir  des  vertJUS  de  Jésus-Christ;  c'est  lui 
qui  est  ce  Dieu  de  la  gloire,  ce  Dieu  des  vertus  : 
J pse  est  Rex  gloriœ ,  Dotjiinus  virtutum.  Il  faut  que 
l'éloge, que  nous  en  tracerons  donne  de  sa  sainteté 
l'idée  la  plus  subliipe.  Deux  voies  me  paraissent 
sûres  et  infaillibles  pour  en  faire  connaître  toute  la 
supériorité.  C'est  premièrement  de  considérer  les 
principes  qui  l'ont  produite  ,  cl  en  second  lieu  les 
actions  qu'elle  a  produites  elle-même.  En  effet  si 
Jésus  a  réuni  en  soi  tous  les  principes  de  la  sain- 
teté ,  et  si  sa  vie  a  été  ornée  de  toutes  les  vertus 
dont  la  sainteté  est  la  source ,  peut-on  douter  qu'il 
ne  soit  parfaitement  saint  ?  Examinons  dans  le 
premier  point  les  grâces  qui   ont  été  comme  les 


DE  l'Ascension.  517 

semences  de  cette  haute  perfection  ,  et  considérons 
dans  le  second  les  actions  vertueuses  qui  en  ont 
été  comme  las  fruits.  Nous  verrons  d'abord  ce 
qu'on  doit  penser  de  !a  sainteté  du  Sauveur  en 
Tenvisageant-darts  se&- causes,  et  ensuite  ce  (ju'on 
en  doit  juger  en  la  rcgtirdani  d^ins  ses  effets.  C'est 
tout  le  sujet  de  cet  ealrelien. 

PTIEMIER    POIKT. 

Le  Docteur  ang^élique  p^arlant  de  la  grâce  sanc- 
tifiante, dont  saint  Jean  assure  que  l'amede  Jésus- 
Christ  a  été  comblée  ,  demande  en  quel  sens  ce 
comhle  doit  être  entendu  ;  savoir  ,  si  l'on  doit  dire 
simplement  qw'il  a  été  plein  de  grâce  ,  ou  bien 
qu'il  a  eu  la  plénitude  de  la  grâce.  Marie  ,  saint 
Etienne,  et  plusieurs  autres  Saints  en  ont  été  rem- 
plis ;  mais  ni  Marie  ,  ni  les  autres  Saints  n'en  ont 
eu  la  plénitude.  Pour  être  rempli  de  grâce  ,  il 
suffit  d'en  avoir  autant  qu'il  en  faut  pour  s'acquit- 
ter parfaitement  des  devoirs  de  son  état  ,  et  des 
emplois  auxquels  on  est  destiné  parla  Providence: 
pour  en  avoir  la  plénitude  ,  il  faut  posséder  toute 
la  grâce,  il  faut  en  être  le  dépositaire  et  la  source. 
Les  moindres  rivières  sont  pleines  d'eau  ,  dès 
qu'elles  en  ont  autant  qu'en  peut  contenir  l'espace 
du  lit  où  elles  coulent  ;  mais  pour  avoir  la  pléni- 
tude des  eaux  ,  si  je  puis  parler  ainsi ,  il  faut  les 
rassembler  et  les  renfermer  toutes  dans  son  sein, 
ce  qui  ne  peut  être  atlribué  qu'à  la  mer,  d'où  tous 
les  fleuves  tirent  leur  origine  ,  et  où  ils  vont  tous 
t^e  rendre. 

Or  il  est  certain  que  c'est  de  cette  seconde  sorte 
de  plénitude  que  le  Saint-Esprit  a  parlé  ,  quand 
il  a  dit  que  le  Sauveur  était  plein  de  grâce.  C'est 
pour  cela  que  l'Apôtre  déclare  que  nous  avons 
tous  été  enrichis  de  son  abondance  :  De  plenitu- 
dine  ejas  nos  omnes  accepimus.  C'est  ainsi ,  selon 
l'opinion  de  quelques  Philosophes,  que  toute  la 
nature  emprunte  du  soleil  la  chaleur  qui  la  sou- 
tient et  qui  Panime  ,  parce  que  cette  qualité  e&t 


3i&  ï.  Pour  le  Jour 

toute  réunie  en  lui  ,  et  que  sans  cesse  elle  y  re- 
tourne comme  à  son  centre.  Sur  ce  principe ,  cet 
homme  q^u'on  a  appeFé  Jésus  ,  et  à  qui  l'on  ouvre 
aujourd'hui  les  portes  du  Ciel  ,  cet  homme  consi- 
déré même  comme  homme  dait  avoir  été  le  plus 
saint  de  tous  les  hommes,  doit  avoir  été  pFus  saint 
que  tous  les  hommes  ensemJ>le  ,  aussi  saint  qu'il 
est  possible  à  une  créature  de  l'être.  Oui ,  MM., 
toute  la  grâce  ayant  été  versée  dans  l'ame  de  Jésus- 
Christ  ,  non-seulement  il  a  été  souverainement 
saint,  puisque  avoir  la  grâce  c'est  être  saint;  mais 
l'action  de  cette  grâce  ayant  eu  en  lui  toute  son 
étendue  ,  il  doit  avoir  été  orné  dans  toutes  les  fa- 
cultés de  son  ame  et  de  son  corps  de  toutes  les 
vertus  ,  de  tous  les  dons  surnaturels  dont,  ses  fa- 
cultés ont  été  susceptibles  ;  et  dans  toutes  les  oc- 
casions il  doit  avoir  pratiqué  toutes  ces  vertus , 
mis  en  usage  tous  ces  dons  de  la  manière  la  plus 
noble  et  la  plus  parfaite. 

Quoique  toutes  les  vertus  se  trouvent  dans  cha- 
que Saint ,  on  ne  peut  pas  néanmoins  dire  qu'ils 
excellent  également  dans  la  pratique  de  chaque 
vertu.  Nous  voyons  l'un  estimer  assez  peu  le 
monde  ,  pour  se  faire  un  plaisir  plutôt  qu'une 
peine  de  ses  mépris;  dans  l'autre  nous  admirons 
un  si  grand  désir  de  souffrir ,  que  la  vie  lui  est  in- 
supportable si  elle  n'est  mêlée  de  souffrance;  dans 
un  autre  un  amour  de  Dieu  qui  !e  rend  incapable 
de  toute  affaire  temporelle  ,  de  tout  entrelien  hu- 
main ,  de  toute  pensée  terrestre.  On  en  a  vu  qui 
ont  aimé  leurs  ennemis  avec  autant  de  tendresse 
et  d'emprcssesnent  qu'en  ont  pour  des  enfans  bien 
nés  les  mères  les  plus  tendres.  Quelques-uns  ont 
brûlé  d'un  zèle  si  vif ,  que  pour  travailler  plus 
long-lcmps  au  salut  des  âmes ,  ils  ont  souhaité  que 
la  réctunpense  éternelle  de  leurs  travaux  fût  dif- 
férée. Quelques  autres  se  sont  signalés  par  une 
patience  si  inaltérable  ,  qu'ayant  été  observés  du- 
rant cinquante  ou  soixante  années  dans  mille 
conionctures  difféientes,  on  n'a  jamais  remarqué 


DE   l'AsCENSION.  Sl^ 

sur  leur  visage  aucun  changement  qui  pût  fairfe 
jugei-  que  leur  cœur  était  ému.  On  a  vu  des  Saintes 
si  modestes  ,  que  leur  beauté  même  inspirait  l'a- 
mour de  la  chasteté.  Il  y  en  a  eu  de  si  obéissantes , 
que  tous  les  commandemens  leur  étaient  égale- 
ment faciles  et  agréables  ;  de  si  hmiihles  ,  qu'elles 
se  croyaient  véritablement  dignes  du  mépris  et  de 
la  haine  du  genre  humain,  et  souffraient  plus  lors- 
qu'elles étaient  louées,  que  ne  souffrent  les  hom- 
mes les  plus  vains  quand  ils  sont  outragés. 

C'est  à  la  grâce  de  Jésus-Christ  qnfe  nous  devons 
tous  ces  rares  exemples,  c'est  son  esprit  qui  agis- 
sait si  parfaitement  dans  ces  âmes  choisies  :  mais 
comme  il  a  lui-même  possédé  la  plénitude  de  cette 
grâce  ,  il  est  certain  que  toutes  les  vertus  se  sont 
trouvées  réunies  en  lui  dans  un  degré  d'excelloncù 
qui  ne  souffre  point  de  comparaison  ,  et  que  dans 
toutes  les  rencontres  il  les  a  toutes  pratiquées  d'une 
manière  toute  singulière  et  toute  héroïque.  Faites 
un  peu  de  réflexion,  mesfrères  ,  à  l'heureux  effet 
que  devait  produire  dans  cet  homme  incomparable 
l'union  de  tant  de  vertus  parfaites.  Si  nous  avons 
«ne  sr  profonde  vénération  pour  un  Saint  dans  qui 
nous  en  voyons  briller  une  seule  avec  un  éclat  un 
peu  extraordinaire  ;  quel  respect ,  quel  amour  ne 
devait  pas  imprimer  dans  tous  les  cœurs  cet  as- 
semblage de  vertus  extraordinaires  qui  paraissait 
dans  le  Sauveur  du  monde  !  Une  personne  qui  au- 
rait réuni  en  soi  l'amour  vif  de  sainte  Magdelène  , 
le  zèle  ardent  de  saint  Paul ,  l'empressement  qu'eut 
saint  André  pour  la  croix  ,  la  foi  de  saint  Gr(?goire 
Thaumaturge,  la  charité  de  saint  Paulin,  la  con- 
stance de  saint  Alexis ,  la  chasteté  de  saint  Edouard , 
l'humililé  de  saint  François  d'Assise,  la  douceur 
de  saint  François  de  Sales  ,  la  ferveur  de  sainte 
Thérèse ,  combien  une  personne  si  accomplie  ne 
donnerait-elle  pas  d'admiration  !  pourrait-on  s'em- 
pêcher de  l'aimer  ?  à  qui  même  ne  paraîtrait-elle 
pas  adorable  ?  Or  ,  MIM.  ,  cet  assemblage  de  tant 
de  vertus  héroïques ,  et  de  toutes  les  autres  dont 


320  I.  Pour  le  Jour 

le  détail  serait  infini ,  cet  assemblage  admirabîV 
8*est  trouvé  dans  riiomme  Dieu  :  conséquemment 
à  la  grâce  dont  il  était  rempli  y.  il  faut  nécessaire- 
ment que  dans  toutes  les  actions  de  sa  vie  ,  dans 
toutes  les  circonstances  il  ait  montré  toutes  ces  ver* 
tus  dans  tout  l'éclat  qu'elles  étaient  capables  d'à- 
Yoir:  de  sorte  que  quand  les  Evangélistes  ne  nous 
auraient  pas  laissé  Thistoire  de  sa  vie,  je  ne  laisse- 
rais pas  de  croire  qu'elle  a  été  la  vie  la  plus  belle  , 
la  plus  sainte  ,  la  plus  fertile  en  actions  grandes  et 
héroïques ,  qu'on  puisse  imaginer. 

Mais  ,  MM.  ,  les  bommes  les  plus  saints  n'ont 
été  que  des  hommes  ,  et  de  purs  bommes  ;  et  par 
conséquent  parmi  leurs  plus  éclatantes  vertus  il  a 
paru  des  ombres  et  des  imperfections-  Je  veux 
que  ces  imperfections  involontaires  qui  les  ont  ac- 
compagnés jusqu'à  la  mort  n'aient  servi  qu'à  pu- 
rifier leur  amour  ,  et  à  les  rendre  encore  plus 
saints,  elles  sont  néanmoins  les  apanages  de  la 
faiblesse  humaine  ,  toujours  aussi  capables  de 
nous  humilier ,  que  leur  sainteté  est  propre  à  nous 
édifier.  0  qui  pourrait  nous  faire  voir  un  homme 
parfait  en  tout ,  et  exempt  de  toute  faiblesse  !  Jésus 
l'a  été  ;  et  la  vraie  source  d'une  perfection  si  ache- 
vée était  son  union  particulière  avec  le  Verbe  éter- 
nel. Celte  union  ne  l'a  pas  seulement  rendu 
incapable  de  tout  péché  ,  de  quelque  nature  qu'il 
puisse  être  ,  mais  encore  incapable  de  tout  défaut 
dans  un  sens  qui  ne  peut  convenir  qu'à  lui  seul. 
Comme  son  humanité  était  unie  à  la  personne  du 
Ycrbe,  àpeu  près,  dit  saint  Athanase,  de  lu  manière 
dont  le  corps  Test  à  l'ame  ,  et  cette  divine  personne 
étant  conséquemment  le  principe  propre  et  parti- 
culier de  toutes  les  actions  soit  intérieures  soit  ex- 
térieures 5  il  fallait  que  toutes  ces  actions  fussent 
exemptes  non -seulement  de  toute  imperfection 
positive  ,  mais  encore  négative  ,  comme  parle 
rCcole;  c'est-à-dire  qu'elles  ne  devaient  manquer 
d'aucune  perfection  dans  leur  espèce  ,  qu'elles 
devaient  être  revêtues  de  toutes  les  circonstances 


DE    l/AsCENSION.  3^  f 

qui  pouvaient  les  rendre  louables  et  dignes  de 
Dieu. 

Sur  ce  principe  jugez  quelle  dut  être  la  vie  inté- 
rieure de  Jésus.  Dans  son  esprit  il  ne  se  forma 
jamais  de  pensée  dont  on  ne  pût  dire  que  c'était 
là  pensée  d'un  Dieu,  jamais  dans  son  cœur  aucun 
senlimcnt,  jamais  aucun  mouvement  qui  ne  ré- 
pondît à  l'excellence  de  la  divinité  qui  habitait  en 
lui  corporetliemeTit  ,  selon  l'expression  de  saint 
FauK  O  mon  Dieu  !  si  on  avait  pu  découvrir  tout 
ce  qui  se  passait  dans  celte  grande  ame  ,  si  on 
îtvait  pu  Toir  combienrclle  était  équitable  dans  ses 
jugemens  ,  quelle  ardeur,  quelle  modération  tout 
à  la  fois  tempéraient  seS  saints  désirs  ,  jusqu'où 
elle  s'élevaitau-dessus  deschoses  créées,  jusqu'où 
elle  s'anéantissait  en  présence  de  son  Créateur, 
quelle  était  sa  ferveur  et  son  humilité  dans  les 
prières  qir'ellè  lui  adressait ,  sa  soumission  et  son 
respect  dans  les  oecupalions  les  plus  viles  elles 
plus  basses  où  elle  descendiiit  pour  faire  la  volonté 
du  Père  éternel.  Ta  droiture,  la  purelé  des  motifs 
qui  relevaient  chacune  de  ses  actions  !  Je  l'avoue, 
un  charme  puissant  m'attache  à  la  seule  idée  que 
je  me  forme  de  ses  admirables  dispositions  ,  quoi- 
que je  n'ignore  pas  que  tout  ce  que  je  puis  penser 
à  ce  sujet  n'approche  en  rien  de  la  réalité. 

De  plus,  comme  le  même  Dieu  qui  agissait  dans 
Jésus  -  Christ  devait  encore  passer  pour  l'auteur 
des  actions  extérieures;  comme  il  était  nécessaire, 
lorsqu'il  parlait  ou  qu'il  faisait  quelque  autre  chose , 
qu'on  pût  dire  que  Dieu  parlait,  que  Dieu  agis- 
sait; il  s'ensuit  que  l'homme  Dieu  a  été  si  irrépro- 
chable dans  ses  discours  et  dans  toute  sa  conduite, 
que  toutes  ses  paroles  ont  éié  proférées  avec  tant 
de  sagesse  ,  que  toute  sa  vie  a  été  réglée  par  les 
principes  d'une  morale  si  pure,  qu'elle  peut  servir 
de  modèle  de  toute  sorte  de  siiintelé  à  toute  sorte 
de  personnes  ,  qu'elle  peut  dans  un  sens  Cire  imi- 
tée de  tout  le  monde  ,  et  qu'elle  est  dans  un  autre 
sens  entièrement  inimitable. 

14* 


522  T.   Pour  le  Jour 

Sur  quoi  ,  mes  frères,  je  ne  suis  plus  surpris 
quand  je  lis  dans  l'Evangile  que  les  cnnennis  inêiTie 
de  Jésus  avouaient  que  jamais  homme  n'avait  parlé 
comme  lui.  Je  ne  m'étonne  plus  quand  j'apprends 
que  dès  qu'il  commence  à  prêcher  ,  il  ferme  la 
bouche  à  tous  ks  Docteurs  ,  et  qu'on  ne  parle 
dans  toute  la  Galilée  que  des  discours  du  nouveau 
Prophète.  Je  comprends  pourquoi  après  l'avoir 
entendu  dans  les  Synagogues ,  on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  le  suivre  dans  les  plus  profonds  déserts, 
pourquoi  en  abandonnant  ce  qu'on  a  de  plus  cher, 
en  s'oubliant  soi-même  ,  en  oubliant  en  quelque 
sorte  jusqu'au  respect  dû  à  sa  personne  ,  on  l'en- 
vironne ,  on  le  serre  ,  on  lui  ferme  tous  les  che- 
mins. En  vain  se  jetant  sur  une  barque,  passe-t-il 
le  lac  de  Génésareth  pour  se  dérober  à  la  multi« 
lude;  on  le  suit  dans  sa  retraite  ,  plusieurs  milliers 
de  toute  sorte  de  personnes  s'embarquent  après 
lui  :  on  veut ,  s'il  est  possible  ,  ne  pas  perdre  une 
seule  de  ses  paroles. 

Mais  quel  éclat  la  haine  des  ennemis  du  fils  de 
Dieu  ne  donne-t-elle  pas  à  ses  vertus  !  Quel  pro- 
dige ,  que  les  Docteurs  et  les  Pharisiens,  apiès 
l'avoir  recherché  ,  l'avoir  examiné  avec  tant  de 
soin  et  de  jalousie  l'espace  de  trois  années  ,  n'aient 
pu  rien  produire  contre  lui  qui  eût  l'ouibrc  du 
crime  !  quel  prodige  qu'après  Teurs-  accusations 
envenimées  ,  un  Juge  intéressé  à  le  trouver  cou- 
pable reconnaisse  en  lui  une  innocence,  une  sain- 
teté que  la  calomnie  ne  peut  flétrir  {  Pilate  déclare 
hautement  que  Jésus  n'a  fait  aucun  mal ,  qu'il  n'a 
aucune  raison  de  le  condamner,  en  un  mot  qu'il 
est  juste  ,  c'est-à-dire  saint  ;  Innocens  ego  sum  à 
sanguine  Justi  hujus.  Judas  au  souvenir  de  l'inno- 
cence de  Jésus  conçoit  une  si  grande  horreur  de  sa 
trahison ,  qu'il  s'abandonne  au  désespoir.  Les  Dé- 
mons ne  se  contentent  pas  d'admirer  sa  sainteté, 
ils  ne  pcjvent  s'empêcher  de  la  publier  ,  et  de 
dire  en  présence  du  peuple  assemblé  :  Scio  qui* 
si*  ;  sanclus  Dei  es  :  Nous  savons  que  vous  êtes 


DE    L*ASCENSI0N.  "SlS 

laint,  et  que  votre  sainteté  vous  donne  tout  pou- 
Toir.  Mais  quand  tous  ces  faits  ne  seraient  pas 
rapportés  dans  l'histoire  sainte  ,  je  ne  perdrais 
rien  de  l'idée  que  j'ai  de  la  sainteté  de  Jésus- 
Christ,  vu  ce  que  la  foi  nous  enseigne  de  l'union 
bypostatique.  €n  homme  dans  qui  Dieu  parle  , 
dans  qui  Dieu  agit ,  doit  parler ,  doit  agir  en  Dieu , 
doit  être  animé  par  une  vie  toute  divine  ;  et  cette 
YÎe  ne  peut  manquer  de  jeter  l'admiration  dans 
tous  les  esprits. 

Cette  admiration  ne  dut  pas  être  le  seul  effet 
que  la  vie  et  la  sainteté  de  Jésus  produisirent  dans 
ceux  qui  en  furent  les  témoins.  Comme  il  n'est  rien 
de  plus  aimable  que  la  vertu  ,  et  comme  sa  vertu 
fut  parfaite  ,  elle  dut  inspirer  à  tous  ses  Disciples 
un  amour  extrême  pour  sa  personne  ,  et  un  désir 
ardent  de  lui  plaire  en  l'imitant.  Ainsi  je  ne  m'é- 
tonne point  que  saint  Pierre  pleure  jusqu'à  la  mort 
l'infidélité  qu'il  a  faite  à  un  maître  si  aimable  en 
l€  renonçant.  Je  ne  m'étonne  point  qu'après  son 
départ  Magdelène  ne  puisse  aimer  ,  ne  puisse 
même  souffrir  la  présence  d'aucun  autre  objet  ;  et 
que  pour  ne  s'occuper  durant  trente  ans  que  du 
seul  souvenir  de  son  saint  maître,  elle  s'ensevelisse 
toute  vivante  dans  une  grotte  profonde.  Je  ne  m'é- 
tonne point  que  tous  les  Apôtres  n'aient  à  la  bou- 
che et  dans  le  cœur  que  le  nom  de  Jésus  ,  qu'ils 
ne  s'appliquent  jusqu'à  la  mort  qu'à  le  faire  con- 
naître ,  qu'à  le  faire  aimer  dans  tout  l'univers  ; 
que  dans  l'exécution  de  cette  entreprise  ils  s'esti- 
ment d'autant  plus  heureux  qu'ils  trouvent  plus  à 
souffrir.  Je  ne  m'étonne  point  qu'ils  adorent  jusqu'à 
la  croix  ,  jusqu'aux  autres  instrumens  de  son  sup- 
plice ,  que  le  désir  de  lui  ressembler  leur  fasse 
voir  de  vraies  délices  dans  les  tourmens  les  plus 
cruels  et  les  plus  honteux  ,  et  que  pour  lui  témoi- 
gner leur  amour  ils  prodiguent  tous  leur  vie.  Je 
ne  m'étonne  point  que  tous  ceux  qui  se  sont  ren- 
dus dociles  aux  leçons  de  ce  divin  maître,  quelque 
igaorans  ,  quelque  grossiers  qu'ils  aient  été ,  soient 


324  ï-  ^oiip.  LE  Jour 

devenus  recommandahles  par  leur  sagesse  et  par 
toute  sorte  de  vertus,  qu'ils  se  soient  fait  admirer 
de  toutes  les  nations  ,  qu'ils  se  soient  montrés  ca- 
pables d'enseigner  les  peuples  qui  se  croyaient  les 
plus  éclaires  ,  capables  de  réformer  ceux  qui 
étaient  en  effet  les  plus  corrompus  ;  qu'ils  aient 
enfin  mérité  l'estime  et  la  vénération  de  tous  les 
siècles. 

Je  m'étonne  au  contraire  que  le  souvenir  d'une 
sainteté  si  parfaite  ne  produise  point  encore  au- 
jourd'hui les  mêmes  effets.  Je  m'étonne  que  les 
Chrétiens  puissent  s'entretenir  d'autre  chose  que 
des  vertus  de  leur  Rédempteur  ,  qu'ils  n'aient  pas 
sans  cesse  à.  la  bouche  et  son  saint  nom  et  ses  di- 
vines paroles.  Je  m'étonne  de  les  voir  si  froids 
dans  leur  amour,,  si  languissans  dans  le  désir  de 
lui  ressembler.  Que  de  Saints  ,  Chrétiens  audi- 
teurs ,  que  d'Apôlres  ,.  que  de  Vierges  ,  que  dé 
Confesseurs  toujours  prêts  à  souffrir  et  à  mourir, 
ne  feraient  pas  encore  de  nos  jours  la  gloire  de 
l'Eglise  ,  si  l'admirable  sainteté  de  Jésus  était  sé- 
rieusement méditée  ,,si  à  force.de  l'étudier  on 
parvenait  àengoCiter  le  charme  !  C'est  ma  pensée, 
M)l.  ;  il  me  paraît  impossible  qu'une  personne 
raisonnable  considère  souvent  avec  un  peu  d'at- 
tention la  vie  et  les  actions  du  Sauveur  du  monde, 
sans  qu'elle  soit  charmée  d'une  vertu  si  parfaite  , 
sans  qu'elle  en  soit  éprise  ,  sans  qu'elle  conçoive 
un  déjir  ardent  de  la  retracer  en.  soi-même  ,  sans 
qu'elle  s'estime  heureuse  d'être  appelée  à  l'imiter. 
J'espère  ,  MM.  ,  que  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours vous  fera  sentir  cette  vérité.  Je  dois  vous  y 
donner  des  preuves  sensibles  de  la  sainteté  de 
Jésus -Christ  ,  en  vous  rapportant  les  fruits  de  ces 
grandes  vertus  dont  je  viens  de  vous  découvrir 
les  sources.  Jésus  a  dû  être  véritablement  saint  , 
puisqu'il  a  fait  voir  les  vrais  effets  de.  la  sainteté.. 
C'est  le  second  point. 


DE    L*ASCENSI0N.  32  5 

SECOND    POINT. 

Les  Philosophes  profanes  et  chrétiens  ne  poii- 
Taient  ,  ce  me  semble,  nous  donner  une  idée  plus 
parfoile  et  plus  jusle  de  la  vertu  ,  qu'en  la  faisant 
consister  dans  un  certain  milieu  également  éloigné 
de  toutes  les  extrémités  ,  c'esl-à-dire  dans  une 
modération  ennemie  de  tous  les  excès.  Un  homme 
parfaitement  vertueux,  c'est  donc  celui  qui  use 
modérément  des  biens  et  des  maux  ,  qui  est  mo- 
déré dans  la  prospérité  ,  modéré  dans  l'adversité  , 
modéré  dans  la  pratique  même  des  vertus  dont  il 
fait  profession.  Cela  supposé,  voyez,  je  vous  prie, 
si  Ton  a  pu  porter  la  vertu  plus  loin  que  Jésus  l'a 
portée. 

Vous  savez  que  dès  le  moment  de  son  incarna- 
tion il  fut  en  quelque  sorte  sacré  Roi  du  Ciel  et  de 
la  terre  ;  vous  savez  qu'il  reçut  avec  la  vie  tous 
les  talens  de  l'esprit  et  du  corps  qui  pouvaient 
former  le  plus  grand  de  tous  les  hommes  ;  vous 
savez  que  Dieu  versa  dans  son  ame  tous  les  tré- 
sors de  sa  sagesse  et  de  sa  science,  qu'il  lui  donna 
un  pouvoir  absolu  sur  toute  la  nature  ,  qu'il  lui 
communiqua  toutes  les  grâces  que  l'Ecole  appelle 
gratuites,  telles  que  le  pouvoir  de  guérir  les  ma- 
lades ,  que  le  don  des  langues  ,  que  la  connais- 
sance dos  pensées  les  plus  secrètes  et  de  l'avenir 
même.  Voilà  sans  doute  des  avantages  bien  singu- 
liers :  voici  comme  il  en  use.  Celte  autorité  sou- 
veraine qu'il  a  sur  tous  les  hommes,  ledroit  qu'elle 
lui  donne  sur  tous  les  biens  et  sur  tous  les  hon- 
neurs de  la  terre  ,  à  peine  cette  autorité  ,  ce  droit 
sont  mis  en  usage  une  seule  fois  durant  tout  le 
cours  de  sa  vie  ;  il  se  fait  passer  pour  Je  n*is  d'un 
artisan  ,  et  vit  dans  la  pauvreté  ;  il  se  rend  obéis- 
sant jusqu'à  la  mort,  et  jusqu'à  la  mort  sur  la 
croix. 

Pour  les  talens  de  l'esprit ,  soit  naturels ,  soit 
surnaturels  ,  il  les  lient  cachés  durant  l'espace  de 
trente  ans  ;    durant  tout  ce   temps   un  profond 


3^6  1.  Pour  le  Jour 

silence  ,  une  vie  simple  ,  obscure  ,  inconnue  ,  le 
dérobe  lui-même  à  la  lumière  ;  on  le  confond 
avec  la  plus  vile  populace.  Mon  Dieu  ,  que  de 
noblesse  dans  cette  obscurité  !  que  vous  me  pa- 
raissez admirable  dans  ces  ténèbres  !  Qu'un  dis- 
cours entier  sérail  bien  employé  à  mettre  au  jour 
une  bumilité  si  parfaite,  un  mépris  si  héroïque  de 
toute  la  gloire  du  monde  !  mais  j'ai  tant  de  choses 
à  dire  que  je  ne  puis  m'étendre  sur  aucune.  Après 
trente  ans  il  commence  à  se  produire  ,  et  à  dé- 
ployer les  trésors  que  son  père  lui  a  conffés^  Il 
s'agit  d'instruire  et  de  réformer  les  hommes  :  il  y 
aurait  plus  de  gloire  à  le  faire  par  la  force  de  l'é- 
loquence ;  il  aime  mieux  faire  parler  d'abord  ses 
exemples,  moins  éclatans ,  mais  plus  enicaces;  il 
se  retire  dans  le  désert ,  il  jeûne ,  il  combat  contre 
le  Démon  ,  il  ne  s'associe  pour  disciples  que  des 
gens  pauvres  ,  il  se  rend  attentif  aux  prédicattons- 
de  saint  Jean  y  il  s'humilie  jusqu'à  recevoir  son 
baptême  ;  loin  d'entrer  en  jalousie  sur  Tarabassade 
que  les  Juifs  envoient  à  ce  précurseur,  comme  s'il 
était  le  véritable  Messie  ,  loin  de  les  désabuser  y 
comme  il  paraissait  nécessaire  pour  soft  dessein, 
il  n'oublie  rien  pour  les  confirmer  dans  l'estime 
qu'ils  en  ont  conçue,  il  en  parle  en  des  termes  qui 
donnent  lieu  de  penser  qu'on  ne  se  trompe  point 
quand  on  le  prend  pour  le  libérateur  promis  aux 
hommes  ,  il  semble  se  croire  lui-même  inférieur 
à  saint  Jean  :  Inter  naios  mulieruni  non  surrexil 
major  Joanne-Baptistâ.  Mais  enfin  il  faut  qu'il  se 
fasse  connaître  pour  le  fils  du  Tout-puissant  ,  et 
qu'il  donne  des  preuves  de  sa  mission  qui  ne  puis- 
sent pas  être  contestées.  Les  plus  évidentes  de 
toutes  aont  les  miracles  :  il  en  remplit  presque  en 
un  moment  toute  la  Judée  ;  et  l'on  ne  parle  plus 
que  des  morts  qu'il  a  ressuscites  ,  et  des  aveugles 
qu'il  a  guéri?.  On  lui  amène  des  malades  de  toutes 
parts  ,  les  chemins  par  où  il  passe  en  sont  bordés; 
les  guérisons  sont  aussi  parfaites  qu'elles  sont 
promptes ,  les  Démons  les  plus  orgueilleux  s'hu- 


DE  l'Ascension.  027 

milienl  en  sa  présence,  les  plus  opiniâtres  sortent 
(les  corps  au  premier  commandement  qu'il  leur 
fait.  Quelle  supériorité  de  puissance  î  quel  éclat  ! 
toute  la  gloire  des  anciens  Prophètes  disparaît  ;  à 
de  tels  miracles  cèdent  tous  les  prodiges  qu'opé- 
raient un  Elle  ,  un  Elisée  ,  un  Moïse  libérateur  du 
peuple  de  Dieu.  Mais  dans  la  nécessité  où  Jésus  est 
de  se  montrer  dans  cet  appareil  frappant  pour 
obéir  à  son  père  ,  voyez  jusqu'où  va  sa  modéra- 
tion. Et  d'abord  ,  malgré  le  dessein  où  il  est  de  se 
faire  connaître,  opère-t-il  jamais  de  miracle  sans 
y  être  engagé  par  le  besoin  de  ceux  en  faveur  de 
qui  il  déploie  sa  puissance  ? 

Les  Juifs  le  pressent  souvent  de  leur  faire  voir 
des  prodiges  dans  le  ciel,  d'en  faire  descendre  le 
feu ,  d'arrêter  le  soleil  au  milieu  de  sa  course  ,  de 
le  couvrir  de  ténèbres,  de  le  faire  avancer  ou  re- 
tourner sur  ses  pas  ,  de  suspendre  la  pluie  dans 
les  nuages  prêts  à  se  décharger ,  d'étonner  le  monde 
par  d'autres  merveilles  semblables  :  consent-il  ja- 
mais à  les  satisfaire  ?  il  leur  fait  voir  au  contraire 
que  la  charité  seule  l'oblige  à  exercer  le  pouvoir 
qu'il  a  sur  la  nature.  En  effet  ses  Disciples  sont-ils 
menacés  d'un  prochain  naufrage  ?  il  s'éveille  ,  et 
calme  les  flots.  Tout  un  peuple  est-il  sur  le  point 
d'être  affamé  après  trois  jours  de  marche  dans  les 
déserts  ?  il  multiplie  le  peu  de  provisions  qu'on  * 
faites.  Des  aveugles  implorent-ils  son  secours  ?  il 
les  exauce.  Tne  femme  lui  fait-elle  entendre  avec 
opiniâtreté  ses  cris  lamentables  ?  il  accorde  tout  à 
ses  demandes  importunes,  llne  veuve  désolée 
pleure-t-elle  la  perte  d'un  fils  unique  ?  il  la  con- 
sole en  le  lui  rendant.  Chaque  action  miraculeuse 
marque  dans  chaque  circonstance  combien  il  fuit 
la  gloire  ,  et  tout  ce  qui  peut  sentir  l'ostenlalion  ; 
bien  différent  de  ces  Prophètes  séducteurs ,  qui  ne 
chercljcnl  qu'à  éblouir  le  peuple  par  des  miracles 
supposés ,  inutiles  ,  souvent  pernicieux  ,  ou  en 
s'élevant  eux-mênies  dans  les  airs  ,  ou  en  y  exci- 
tant des  tempêtes. 


SaS  I.  Pour  le  Jour 

C'est  pour  répandre  ses  bienfaits  s.ins  éclat, 
que  jamais  il  n'invile  le  peuple  de  se  trouver  au 
temps  ou  au  lieu  qu'il  doit  opérer  les  plus  surpre- 
nantes merveilles  ;  comme  fit  Elie   darts   \&  déû 
cju'il  donna  à  des  inventeurs  de  nouveaux  presti- 
ges. L'occasion  semble  seule  faire  naître  entre  ses 
n.ains  les  événemens  les  plus  singuliers,  une  sim- 
plicité adorable  dans  leur  autour  fait  en  quelque 
.^orte  disparaître  ce  qu'ils  ont  de  plus  merveilleux^ 
On  manque  de  vin  aux  noces  de  Cana,  il  fait  rem- 
plir   les   vases  d*eau  sans  que' les  convives  s'en 
aperçoivent ,  et  doane  ordre   qu'ort  continue  de 
servir.  Dix  lépreux  se  trouvent  à  son  passage  ,  il 
les  adresse  aux  Prêtres  ,  comme  si  c'était  par  eux 
qu'ils  dussent  être  guéris  :  peut-être  le  croient- 
ils  en  efifet  ;  du  moins  nous  savons  que  de  dix  un 
seulvient  lui  rendre  grâce  de  la  santé  qu'il  a  reçue; 
Il  voit  dans  une  autre  occasion  un  bomme  aveu- 
gle dès  sa  naissance,  il  l'envoie  se  laver  daas  la 
piscine  de  Siloé  ,  comme  pour  laisser  douter  si 
c'est  par  son  pouvoir  ou  par  la^ vertu  de  ces  eaux 
que  l'aveugle  recouvre  la  vue.  Nul /^appareil  dans 
la  plupart  des  miracles  qu'il  fait-^  nul  air  de  mys- 
tère plus  frappant^uelquefois  que  l'appareili  Allant 
d'un  lieu  à  un  autre  ,  il  aecorde  des  gnices  qu'on 
n'attend  d'aucun  autre  ;   le  peu  de  paroles  dont 
il  les  accompagne  contribue  à  le-s  rendre  secrètes. 
A  voir  sa  conduite  dans  toutes  cas  rencontres  , 
peut-on  se  dissimuler  combien  peu  il  fait  de  cas 
de  tout  ce  que  le  monde  estime  le  plus  ? 

Les  saints  Pères  ont  encore  observé  qu'il  attri- 
buait presque  toujours  à  la  foi  des  malades  ce  qui 
était  un  effet  de  sa  puissance  infinie  :  voici  comme 
il  conclut  la  plupart  des  guérisons  miraculeuses  : 
Allez  ,  votre  foi  vous  a  guéri ,  rien  n'est  impossi- 
ble à  celui  qui  croit.  Allez,  qu'il  voussoit  fait  selon 
la  confiance  que  vous  avez  ,  dit-il  entre  autres  au 
père  de  cet  enfant  possédé  d'tm  esprit  muet.  On 
dirait  que  ne  pouvant  éviter  la  gloire  qiii  suit  ces 
actions  surnaturelles  ,  il  veut  persuader  au  peuple 


DE  l'Ascension.  829 

que  Tes  malades  y  ont  autant  de  part  que  lui.  Il 
Tcut  même  que  le  peuple  les  ignore  :  quel  soin 
pour  empêcher  qu'un  miracle  secret  ,  ou  fait  de- 
vant peu  de  témoins,  ne  devienne  public  !  il  dé- 
fend qu'on  en  parle  ;  là  dans  la  même  vue  il  impose 
silence  aux  Démons  ,  lorsque  sortant  des  corps  ils 
veulent  publie^cc  qu'ils  savent  de  sa  personne;  ici 
il  ordonne  aux  Apôtres  de  nepas  divulguer  ce  qui 
s'est  passé  à  sx  ti'ansfigu ration  *,  il  leur  ordonne 
même  ,  après  la^onfession  de  saint  Pierre  ,  de  ne 
pas  détromper  le  peuple  ,  qui  ne  connaissait  point 
encore  sa  divinité ,  et  qui  ne  le  regardait  que  comme 
un  Prophète,  ordinaire.  Souvent  il  se  trouve  en 
danger  d'être  lapidé  ,  d'être  précipité  par  les  Juifs, 
avant  le  temps  que  son  père  lui  a  marqué.  Il  peut 
sortir  de  ces  périls  d'une  manière  éclatante  ,  en 
rendant  ses  ennemis  immobiles  ,  en  les  livrant  au 
Démon  5  en  les-  faisant  mourir;  il  choisit  pour 
échapper  à  leur  fureur  la  voie  la  plus  obscure  ,  il 
fuit ,  il  se  rend  invisible  ,  il  dérobe  sa  personne 
à  la  vue  de  ses  persécuteurs ,  comme  pour  dérober 
leur  crime  aux  yeux  du  reste  des  hommes.  Que 
dirai-je  de  la  connaissance  qu'il  avait  des  cœurs  et 
de  tout  ce  qui  se  passait  dans  les  consciences  ? 
Combien  de  fois  s'en  est-il  servi,  et  quand  ?  l'a-t-il 
fait  pour  faire  essuyer  une  juste  confusion  ?  S'il  a 
parlé  des  vices  des  Pharisiens ,  c'est  toujours  en 
général.  S'il  a  reproché  à  la  Samaritaine  les  six 
maris  qu'elle  avait  eus  ,  il  a  pris  le  temps  que  ses 
Disciples  s'étaient  retirés.  Si ,  comme  on  le  croit, 
il  écrivit  sur  le  sable  avec  le  doigt  les  péchés  des 
Prêtres  ,  lorsqu'on  lui  amena  la  femme  adultère , 
c'était  en  des  caractères  qui  ne  pouvaient  être  en- 
tendus que  par  eux  :  il  leur  épargna  la  honte  qu'ils 
auraient  eue  s'il  eût  dévoilé  leurs  désordres  aux 
yeux  de  celte  femme. 

Voyons-le  assailli  par  les  pièges  qu'on  lui  tend 
pour  lui  faire  avancer  quelque  parole  qui  puisse 
être  prise  dans  un  mauvais  sens  :  avec  quelle  re- 
tenue fait-il  tourner  la,  fourbe  à  la  honte  de  ses 


53o  I.  Pour  le  Jour 

coupables  auteurs  î  Jamais  d'éclat ,  jamars  d\m* 
pressemeot  :  sans  insulter  à  l'insuffisance  des  traî- 
tres qui  le  veulent  surprendre  dans  ses  discours, 
il  se  contente  d'éviter  les  embûches  qu'ils  lui  dres- 
sent, du  reste  il  continue  d'agir  comme  s'il  ne  s'en 
était  point  aperçu.  Je  suis  obligé,  MM. ,  de  passer 
tout  d'un  coup  à  sa  résurrection  glorieuse,  qui  est 
tout  à  la  fois  le  temps  de  son  principal  triomphe  et 
de  sa  plus  grande  modératioii.  Je  ae  dis  point  que 
sortant  du  tombeau  tout  couvert  de  gloire  ,  et 
chargé  des  dépouilles  de  l'Enfer,  il  ne  dédaigne 
pas  de  se  mêler  avec  ses  Disciples  comme  aupa- 
ravant ;  qu'il  converse  ,  qu'il  vit  avec  eux  ;  qu'ils 
n'entendent  de  sa  part  aucun  reproche  sur  la  lâ- 
cheté, sur  le  peu  de  foi,  sur  le  peu  d'amour  qu'ils 
ont  fait  paraître  durant  sa  passion.  Mais  qui  n'ad- 
mirera point  la  manière  dont  il  en  use  envers  les 
Juifs ,  ses  accusateurs  ,  et  envers  ses  Juges  ?  Ils 
ont  prétendu  lui  ôter  la  réputation  avec  la  vie  ,  ils 
l'ont  fait  passer  pour  un  faux  Prophète ,  ils  ont  pu- 
blié que  ses  Disciples  avaient  enlevé  son  corps  du 
sépulcre ,  pour  tromper  le  peuple  :  il  peut  dis-iper 
en  un  moment  les  calomnies  de  ces  imposteurs  ,  il 
n'a  qu'à  paraître  pour  les  couvrir  de  confusion. 
Quel  triomphe  pour  Jésus-Christ ,  s'il  avait  voulu 
se  montrer  dans  la  Synagogue,  et  sur  les  places  de 
Jérusalem  !  Avec  quelles  acclamations  n'aurait-ii 
pas  été  reçu  !  avec  quel  avantage  n'aurait-il  pas 
eff'acé  toute  l'ignominie  de  sa  mort  !  Il  se  refuse 
avec  ce  triomphe  la  satisfaction  délicate  de  voir  la 
honte  de  ses  ennemis  confondus  servir  à  la  mani- 
festation de  sa  gloire.  Il  ne  cherche  qu'à  se  mon^ 
trer  à  ses  frères  pour  les  confirmer  dans  la  foi ,  et 
pour  leur  rappeler  ses  plus  importantes  leçons. 
Quelle  force  !  quelle  grandeur  d'ame  !  Sagesse 
éloignée  du  faste  ,  vertu  inconnue  aux  am43s  fai- 
bles ,  vertu  que  n'aperçoivent  point  les  yeux  gros- 
siers ,  mais  qui  ravit  les  âmes  nobles  dans  leur» 
pensées  ,  nobles  dans  leurs  sentimens. 

Je   ne  dirai  rien    de   l'usage  qu'il  a   fait  des 


DE  l'Ascension.  53 1 

adversités  ,  nous  en  avons  fait  durant  le  Carême 
le  sujet  de  nos  méditations  ;  et  on  ne  peut  pas  en- 
core avoir  oublié  ni  le  silence  qu'il  garda  si  con- 
stamment dans  tous  les  tribunaux  ,  ni  sa  patience 
invincible  qui  lassa,  qui  (.puisa  cl  la  force  et  la 
rage  de  ses  iDourreaux,  ni  la  douceur  avec  laquelle 
iJ  reçut  Judas  et  ceux  que  conduisait  le  traître 
pour  le  prendre  ,  ni  les  prières  qu'il  fit  pour  ceux 
qui  l'avaient  crucifié.  Je  vois  bien  que  j'ai  embrassé 
un  sujet  trop  vaste  pour  le  renfermer  dans  un  si 
court  espace  de  temps;  mais  je  n'ai  prétendu  don- 
ner qu'une  idée  générale  de  îa  sainteté  admirable 
de  Jésus -Christ  ;  qui  oserait  entreprendre  de  le 
suivre  dans  le  détail  de  ses  vertus  et  de  ses  actions? 
Que  j'aurais  de  choses  à  dire  suf  sa  discrétion 
dans  le  soin  qu'il  eut  d'allier  les  vertus  les  plus 
opposées  ,  et  de  tenir  dans  les  plus  justes  bornes 
les  vertus  les  plus  susceptibles  des  extrémités  vi- 
cieuses !  Il  est  impossible  d'imaginer  jusqu'où 
allait  sa  haine  pour  le  péché  ;  et  néanmoins  jamais 
homme  ne  l'a  pardonné  avec  tant  de  facilité  ,  n'a 
témoigné  tant  d'amour  pour  les  pécheurs.  Ce  fut 
par  un  mouvement  de  zèle  qu'Elie  fit  descendre  le 
feu  du  Ciel  ,  qu'Elisée  ,  maudit  une  troupe  d'en- 
fans  qui  furent  dévorés  par  des  ours.  Dans  l'ardeur 
d'un  zèle  semblable  saint  Pierre  fait  mourir  Ana- 
nie,  saint  Paul  frappe  Elimas  d'aveuglement.  Mais 
coml>ien  de  fois  la  douceur  du  zèle  dans  Jésus- 
Christ  le  porla-t-elle  à  faire  du  bien  à  des  pécheurs 
pour  les  rappeler  au  devoir  par  la  reconnaissance  f 
Témoin  ce  paralytique  de  trente-huit  ans.  Allez, 
dit-il  à  cet  homme  coinlilé  de  ses  bienfaits  ,  allez, 
et  ne  péchez  plus ,  de  peur  qu'il  ne  vous  arrive  un 
plus  grand  malheur.  Terlullien  observe  que  jamais 
il  ne  se  servit  de  son  pouvoir  pour  ôter  la  vie  ou 
pour  faire  aucun  mal  à  personne.  Quelle  aversion 
ne  témoigne -t-il  pas  pour  l'hypocrisie  des  Phari- 
siens !  mais  cette  aversion  l'empêche-t-clle  jamais 
de  porter  le  peuple  à  ne  se  pas  départir  de  la 
croyance  due  en  leur  personne  aux  successeurs 


33 1  I.  Pour  le  Jour 

de  Moïse  ?  Malgré  son  amour  pour  la  pauvreté,' 
malgré  son  éioignement  pour  les  richesses  ,  re- 
bute-t-il  les  riches  ?  ou  plutôt  avec  qui'lle  bonté 
reçoit-il  un  saint  Mallhieu-,  un  Zachée,  une  Mag- 
delène  ,  et  tant  d'autres  ?  S'il  reFuse  de  se  rendre 
dans  la  mal^on^de  ce  Roi  dont  le  fils  était  mou- 
rant ,  après  être  allé  diez  le  G«!>temer  pour  y 
guérir  unr  domestique  ,  il  veut  par  celte  conduite 
faire  voir  qu'il  compte  pour  rien  les  qualités  dont 
le  monde  fait  tant  de  cas;  du  reste  il  reml  la  santé 
au  jeune  Prince  ,  pour  montrer  qu'aucune  condi- 
tion n'est  exclue  de  ses  bienfaits,  il  fait  si  peu 
d'état  de  la  royauté,  qu'il  prend  la  fuite  pour  se 
soustraire  à  ce  titre  que  le  peuple  lui  défère  aprts 
le  miracle  de  la  multiplication  des  pains.  iMan- 
qiie-t-îl  néanmoins  de  recommander  l'abéissance 
qu'on  doit  aux  Rois  ?  Lui-même  il  en  donne  l'exem- 
ple ,  il  se  rend  leur  tributaire  ,  il  fait  même  un 
miracle  pour  donner  à  ses  Disciples  le  moyen 
d'obéir  à  l'Empereur.  Dans  le  commerce  qu'il  en- 
trelient avec  ses  Apôlres  ,  il  a  des  favoris  ,  quel- 
ques-uns d'eux  ont  parla  ses  caresses  privilégiées, 
selon  leur  mérite  ;  mais  sa  prudence  règle  telle- 
ment tout  ,  que  la  faveur  qu'il  accorde  aux  uns 
n'excite  jamais  de  jalousie  dans  les  autres.  Dans 
le  cours  de  sa  vie  civile  il  donne  accès  auprès  de 
lui  à  l'un  et  à  l'autre  sexe,  il  montre  même  qu'il 
aime  Magdelène  ,  et  il  souffre  qu'elle  l'aime  ,  et 
qu'elle  lui  donne  des  marques  singulières  de  son 
amour;  mais  avec  elle  et  les  autres  femmes  quelle 
est  sa  réserve  !  Telle,  MM.  ,  que  ses  plus  grands 
ennemis  ne  lui  ont  jamais  rien  reproché  à  cet 
égard.  Quelqu'ardent  que  soit  son  désir  pour  les 
souffrances  ,  consent-il  de  prévenir  d'un  seul  mo- 
ment l'heure  destinée  à  sa  Passion  ?  Il  paraît  résolu 
de  garder  un  silence  invincible  devant  ses  Juges; 
mais  dès  que  le  Pontife  l'interroge  au  nom  du  Sei- 
gneur, le  respect  qu'il  doit  à  son  père,  l'obligation 
de  rendre  témoignage  à  la  vérité  ,  lui  ouvre  la 
bouche  et  l'engage  à  parler,  li  est  veau  établir  la 


Dî'    L*AsCEN5ÏON4  333 

notivolle  loi ,  et  laiicienne  trouve  en  lui  le  plus 
reiig^icux  observateur.  Enfin,  MM. ,  il  montre  dans 
toutes  les  rencontres  tant  de  discrétion  ,  tant  de 
modération  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus, 
il  paraît  sage  avec  tant  de  sobriété  ,  pour  parler 
avec  l'Apôtre  ,  qu'il  ose  défier  tous  ses  ennemis 
de  trouver  ou  dans  sa  doctrine,  ou  dans  sa  per- 
sonne ,  ou  dans  ses  paroles  ,  ou  dans  aucune  des 
actions  de  sa  vie  ,  la  matière  d'un  reprocbe  qu'on 
lui  puisse  faire  avecl'apparence  de  quelque  justice  : 
Quis  ex  vobis  arguel  me  de  peccato  ?  Qui  de  vous  a 
remarqué  en  moi  dans  quelque  conjoncture  ,  ou 
le  moindre  défaut  ,  ou  le  moindre  excès  ?  A-t-on 
rien  aperçu  dans  mes  discours,  dans  mes  démar- 
ches, qui  parût  ou  criminel  ou  suspect  ?  Pouvez- 
vous  me  convaincre  d'avoir  failli  ou  en  faisant  le 
mal  ,  ou  en  laissant  le  bien  imparfait ,  ou  en  le 
voulant  perfectionner  avec  excès  ?  Si -veritatem 
dico  vobis  ,  quare  non  creditis  milii  ?  Si  je  vous  dis 
la  vérité  ,  quel  sujet  avez-vous  de  vous  défier  de 
mes  paroles?  Certainement  pourparler^e  la  sorte, 
il  faut  être  le  Dieu  des  vertus. 

Concluons  ,  puisque  c'est  cette  conclusion  que 
Jésus-Christ  tire  lui-même  de  son  innocence  ,  et 
le  fruit  que  nous  pouvons  recueillir  aujourd'hui 
de  sa  sainteté  incomparable.  Si  tous  les  Hérésiar- 
ques qui  se  sont  séparés  de  l'Eglise  catholique 
sous  prétexte  de  la  réformer  ,  si  tous  ces  chef* 
d'une  Religion  nouvelle  osaient  nous  faire  un« 
demande  telle  que  l'a  faite  Jésus-Christ,  vous  sa- 
vez ,  MM.  ,  ce  que  nous  aurions  à  leur  répondre, 
et  quels  reproches  nous  aurions  à  leur  faire  sur 
leurs  meurtres  ,  leurs  adultères  ,  leurs  révoltes 
contre  les  puissances  légitimes,  leur  avarice  ,  leur 
ambition  ,  leur  hypocrisie.  Quand  vos  nouvelles 
opinions,  pourrions-nous  leur  dire,  seraient  fon- 
dées sur  la  vérité  ,  nous  aurions  droit  de  les  re- 
garder comme  suspocics  ,  de  ne  les  pas  recevoir 
par  votre  organe  ,  de  don  1er  que  Dieu  eût  voulu 
employé;:  des  hommes  t^i  vicieux  pour  arracher  à 


334  ï-  Pour  le  Jour 

l'erreur  tous  les  autres  ,  et  pour  leur  porter  une 
doctrine  qui  doit  renfermer  une  sainteté  parfaite. 
Mais  que  peuvent  répondre  à  Jésus-Christ  ou  les 
Juifs  ,  ou  les  libertins  ?  Si  je  suis  irrépréhensible 
dans  mes  mœurs ,  leur  dit-il  ,  si  les  yeux  les  plus 
malins  ,  les  plu5  pénétrans  ,  vos  yeux  même  n'a- 
perçoivent rien  en  moi  qui  soit  contraire  à  l'idée 
que  vous  avez  de  la  vertu  la  plus  parfaite  ;  quelle 
raison  avez-vous  de  croire  que  je  vous  en  impose, 
quand  je  prends  la  qualité  de  fils  de  Dieu  ,  et  que 
par  cette  prétendue  usurpation  je  suis  et  le  plus 
ambitieux  et  le  plus  scélérat  de  tous  les  hommes  ? 
Comment  pouvez-vous  penser  que  je  pousse  l'info 
posture  ou  la  folie  jusqu'à  entreprendre  de  séduire 
tout  l'univers  ,  et  de  l'engager  dans  l'idolâtrie  ? 
n'ayant  jamais  enseigné  qu'en  public,  tant  de  per- 
sonnes ayant  été  témoins  de  ma  conduite  ,  et  ja- 
mais aucune  d'elles  n'ayant  rien  observé  en  moi 
qui  pût  donner  le  moindre  soupçon  de  ma  vertu  et 
de  ma  sagesse;  vous-même  enfin  me  connaissant 
comme  vous  me  connaissez ,  quel  prétexte  peut 
vous  autoriser  à  ne  pas  ajouter  foi  à  mes  paroles  ? 
Quis  eœ  vobis  arguet  me  de  peccato  ?  Si  veritatem 
dico  vobis  ,  quare  non  creditis  mihi  ? 

Il  est  étonnant  sans  doute  qu'une  sainteté  si 
parfaite  puisse  être  soupçonnée  d'une  imposture 
si  noire  ,  et  que  l'incrédulité  des  hommes  soit  as- 
sez opiniâtre  pour  résister  à  une  si  vive  lumière. 
Orace  à  la  miséricorde  de  Dieu  nous  ne  sommes 
pas  capables  d'une  obstination  pareille.  Mais  je  ne 
reviens  point  de  mon  étonnemcnt  ordinaire  ,  je 
n'ai  point  encore  compris  comment ,  malgré  la  foi 
que  nous  avons  aux  paroles  de  Jésus-Christ,  nous 
continuons  de  vivre  comme  si  nous  ne  les  croyons 
pas.  Si  veritatem  dico  vobis  ,  quare  non  creditis 
m/A/?  Si  vous  m'avez  cru  lorsque  je  vous  ai  annoncé 
le  mystère  de  la  Trinité,  le  mystère  de  mon  incar- 
nation ;  si  vous  avez  jugé  devoir  captiver  votre 
intelligence,  plutôt  que  de  douter  de  ces  mystères 
si  supérieurs  à  vos  lumières  ;  d'où  vient  que  sur 


t)Ë  l'Ascension.  335 

les  témoignages  que  j'ai  rendus  à  la  vérité  ,  vous 
ne  croyez  pas  qu'il  est  impossible  de  servir  Dieu 
et  le  monde  en  même  temps ,  que  l'on  ne  peut 
vivre  sans  un  extrême  péril  dans  les  plaisirs  et  dans 
les  richesses,  qu'il  ne  sera  pas  temps  à  la  mort  de 
se  convertir,  que  vous  périrez  tous  si  vous  ne  fai- 
tes pénitence  ?  Vous  le  croyez  ,  dites-vous;  mais 
votre  vie  dément  voire  foi-  Jésus  ,  qui  montez  au- 
jourd'hui à  la  droite  de  votre  père  poury  être  notre 
entremetteur,  envoyez -nous  du  Ciel  cet  Esprit 
saint  qui  doit  nous  donner  l'intelligence  des  véri- 
tés que  vous  nous  avez  enseignées  ,  qui  doit  ani' 
mer  la  foi  que  nous  avons  reçue  par  votre  mort, 
■qui  doit  enflammer  les  âmes  que  vous  avez  éclai- 
rées par  votre  doctrine  et  par  vos  exemples.  Sans 
lui,  Seigneur,  nous  pouvons  croire  assez  pour 
n'être  pas  infidèles  ,  mais  jamais  assez  pour  être 
sauvés. 

Allons  nous  préparer  à  recevoir  cet  Esprit,  qui 
doit  être  la  vie  de  nos  âmes ,  qui  doit  rendre  notre 
foi  vive,  et  nos  mœursconformes  à  notre  croyance; 
allons  avec  les  Apôtres  lui  ouvrir  nos  esprits  et  nos 
cœurs.  Ces  dix  jours  qui  restent  jusqu'à  son  avè- 
nement ,  passons-les  ,  s'il  est  possible  ,  dans  la 
retraite  ,  dans  l'exercice  de  la  mortification,  dans 
la  ferveur  de  la  prière.  N'oublions  rien  pour  nous 
rendre  dignes  de  la  grâce  qui  nous  est  promise  , 
de  ce  don  qui  renferme  tous  les  dons  ,  de  ce  don 
sans  lequel  la  mort  même  de  Jésus-Christ  nous  est 
inutile  ,  de  ce  don  avec  lequel  on  peut  croire  sans 
peine  les  choses  les  plus  obscures  ,  entreprendre 
avec  joie  les  plus  difliciles ,  jouir  dès  à  présent 
d'une  vie  heureuse,  et  en  mériter  une  éternelle. 

Ainsi  soit-ii. 


SERMON 

POUR    LE   JOUR 

DE    L' ASCENSION. 


Si  diligeretis  me  ,  gauderetis  utique  quia  vath  ad  patrem. 

Si  vous  m'aimiez  ,  vous  vous  réjouiriez  de  ce  que  je  m'en 
vais  5  mon  père.  {Joan.  \^,) 


Qaelque  avantage  que  dût  nous  procurer  la  présence  de 
Jésus-Christ  sur  la  terre  ,  si  nous  Taimons  véritable- 
ment ,  nous  devons  nous  réjouir  de  son  ascension  , 
premièrement  parce  qu'cllelui  assure  une  plus  prompte 
possession  de  toutes  sortes  de  biens  ,  secondement 
parce  qu'elle  nous  assure  une  plus  longue  possession 
de  sâ  personne. 

J.  ocs  les  mystères  que  nous  avons  sôlenriisés  jus- 
qu'ici ont  fait  sur  nous  une  impression  si  subite 
et  si  forte,  l'une  de  joie,  l'autre  de  tristesse,  qu'ils 
ne  nous  ont  pas  laissé  la  liberté  de  délibérer  au- 
quel de  ces  deux  mouvemcns  nous  devions  surtout 
ouvrir  nos  cœurs.  A  la  mort  du  Sauveur  du  monde, 
lorsque  nous  perdions  le  pins  aimable  des  maîtres  , 
et  qu'il  perdait  lui-même  la  vie  ,  pouvions-nous 
retenir  nos  larmes  ?  A  sa  résurrection  ,  lorsque 
nous  l'avons  vu  sortir  du  sépulcre  ,  auteur  de  sa 
nouvelle  vie ,  et  de  la  gloire  dont  il  parut  couvert, 
comment  ne  pas  céder  aux  transports  de  la  joie  la 
plus  vive  ?  Mais  aujourd'hui  qu'il  remonte  au  Ciel , 
il  est,  ce  me  semble  ,  assez  diOicile  de  déterminer 
qTicIs  doivent  être  nos  scnlimcns.  Jésus  nous  quitte 


DE  l'Ascension.  537 

comme  il  nous  avait  quittes  en  mourant  ;  maïs  s'il 
se  sépare  de  nous,  c'est  pour  retourner  à  son  père. 
Jésus  triomphe  comme  il  triomplia  en  ressusci- 
tant; mais  ce  second  triomphe  nous  le  ravit ,  au 
lieu  que  le  premier  nous  l'avait  rendu. 

Que  ferez-vous  donc.  Disciples  d'un  maître  si 
tendre  ,  vpus  qu'une  plus  grande  reconnaissance, 
qu'un  plus  grand  amour  pour  le  Sauveur  doit  ren- 
dre et  plus  zélés  pour  ses  intérêts  ,  et  plus  attachés 
à  sa  personne  ?  Vous  réjouirez-vous  de  sa  gloire  ? 
vous  afiligerez-vous  de  son  départ  ?  ou  voire  ame 
demeurera-t-elle  flottante  entre  des  mouvemens 
si  contraires  ?  MM.  ,  le  fils  de  Dieu  a  levé  cet  em- 
barras par  les  paroles  que  j'ai  choisies  pour  mon 
texte  :  Si.  dUigeretis  me,  gauderetis  utir/ue  quia'vado 
ad  pafrem  :  si  vous  avez  quelque  amour  pour  moi , 
vous  devez  vous  réjouir  de  ce  que  je  m'en  vais  à 
mon  père.  Oui  l'ascension  de  Jésus-Christ  est  un 
sujet  de  joie  pour  ceux  qui  l'aiment  véritablement; 
je  dis  pour  ceux  qui  l'aiment  véritablement  ;  car 
pour  ceux  qui  ne  l'aiment  pas  ou  qui  le  haïssent, 
il  importe  peu  de  savoir  quels  doivent  être  leurs 
sentimens.  Je  parle  ù  des  personnes  en  qui  domine 
l'amour  divin  :  c'est  à  ces  personnes  à  qui  j'an- 
nonce cette  sainte  joie  dont  le  mystère  de  l'Ascen- 
sion doit  être  la  source;  à  qui  je  vais  expliquer  les 
raisons  qui  justifient,  qui  autorisent  cette  joie, 
après  que  j'aurai  imploré  le  secours  du  Saint-Esprit 
par  l'entremise  de  Marie  ;  Ave,  Maria. 

L'amotjr  divin  donne  presque  toujours  deux  mou- 
vemens à  notre  ame  :  par  le  premier  il  la  porte 
vers  le  bien  souverain  qui  l'attire ,  et  par  le  second 
il  ramène  pour  ainsi  dire  à  l'ame  ce  même  bien.  Le 
premier  nous  fait  souhaiter  toutes  sortes  d'avanta- 
ges à  l'Etre  suprême  que  nous  aimons  ,  le  second 
nous  fait  désirer  pour  nous-mêmes  la  possession 
de  cet  Etre  comme  le  plus  grand  de  tous  les  biens. 
Quand  notre  amour  n'a  en  vue  que  les  avantage* 
de  son  objet,  il  s'appelle  bienveillance  ;  quand  il 
1.  i5 


338  2.  Pour  le  Jour 

nous  rend  sensibles  à  un  avantage  personnel  que 
nous  trouvons  dans  ce  même  objet ,  ce  n'est  en 
quelque  sorte  qu'un  amour  propre  ,  qui  ne  nous 
fait  sortir  de  nous-mêmes  que  pour  y  rappprter  ce 
que  nous  aimons  hors  de  nous. 

Si  J'on  pouvait  séparer  dans  l'amour  divin  ces 
deux*  impressions  ;  si  l'amour  que  nous  avons  pour 
Jésus-Christ  était  entièrement  désintéressé  ,  il  se- 
rait aisé  de  comprendre  pourquoi  nous  devons 
nous  réjouir  au  jour  de  son  ascension  ,  puisqu'en 
remontant  au  Ciel  il  entre  dans  la  jouissance  d'une 
gloire  telle  ,  ou  plus  grande  que  nous  ne  pouvons 
la  lui  souhaiter  ^  mais  il  est  difficile  que  nous  ai- 
mions le  Sauveur  sans  quelque  retour  sur  nous- 
mêmes  ,  que  nous  l'aimions  sans  l'aimer  pour 
nous-mêmes.  Comment  par  conséquent  trouver 
dans  ce  mystère  le  sujet  d'une  joie  pure ,  d'une 
joie  \exempte.  de  tout  intérêt,  vu  que  quelque 
grands  que  soient  les  biens  que  Jésus- Christ  va 
recevoir  ,  ils  ne  peuvent  nous  consoler  de  la  perte 
d'un  avantage  tel  qu'était  pour  nous  sa  présence 
Quel  est  donc  le  sens  de  ces  paroles  :  Si  vous  m'ai- 
miez ,  vous  vous  réjouiriez  de  ce  que  je  m'en  vas 
à  mon  père  ?  Le  fils  de  Dieu  veut-il  parler  de  cet 
amour  pur'^  de  cet  amour  généreux  qui  nous  atta- 
che sans  partage  à  ce  que  nous  aimons  ?  veut-il 
parler  de  cet  amour  plus  ordinaire  ,  plus  naturel  » 
qui  divise  l'ame  en  quelque  sorte  entre  l'objet 
qu'elle  aime  et  la  satisfaction  propre  qu'elle  y 
trouve'?.  MM.  ,  il  parle  de  l'un  et  de  l'autre  ;  je 
vais  vous  le  montrer  dans  les  deux  parties  de  ce 
discours.  Je^vais  vous  faire  voir  que  le  mystère  de 
l'Ascension  doit  réjouir  tous  ceux  qui  aiment  vé- 
ritablement Jésus  -  Christ  ,  premièrement  parce 
qu'il  lui  assure  une  possession  plus  prompte  de 
toutes  sortes  de  biens ,  secondement  parce  qu'il 
nous  assure  une  plus  longue  possession  de  sa  per- 
soiiiie.  C'est  tout  le  sujet  de  cet  entretien. 


DE  l'Ascension.  309 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  est  rapporté  au  seizième  chapitre  de  l'Evan- 
gile de  saint  Jean  ,  que  le  Sauveur  du  inonde  ayant 
dit  à  ses  Disciples  quelque  temps  avant  sa  mort 
qu'il  les  quitterait  bientôt ,  ces  paroles  remplirent 
leur  cœur  de  tristesse  :  Quia  licec  locutus  sum  ro- 
bis  ,  tristitia  imptevit  cor  vestruin.  Cette  tristesse 
fut  sans  doute  un  effet  de  leur  amour,  mais  en 
même  temps  elle  fut  une  preuve  bien  sensible  que 
cet  amour  était  encore  fort  imparfait.  Car  sachant 
que  Jésus-Christ  était  Dieu  ,  et  que  c'était  pour 
eux  qu'il  s'était  fait  homme  ^  s'ils  l'avaient  aimé 
véritablement ,  ils  auraient  eu  de  la  peine  de  le 
yoir  si  long-temps  assujetti  aux  misères  de  cette 
Tie  ,  et  si  long-temps  privé  de  la  gloire  qu'il  avait 
comme  abandonnée  pour  venir  retirer  les  hommes 
de  l'abîme  où  ils  étaient  :  mais  lorsqu'il  fut  sorti 
du  sépulcre ,  le  mystère  de  notre  rédemption  étant 
accompli,  tous  les  ordres  du  Père  éternel  exécu- 
tés ,*toutes  les  prophéties  vérifiées  ,  lorsqu'en- 
nn  ,''rien  ne  l'arrêtant  plus  ^ur  la  terre  ,  toute  la 
Cour  céleste  l'attendait  avec  un  empressement 
incroyable  ,  je  ne  sais  comment  on  ne  le  pressait 
point  de  retourner  au  Ciel  prendre  possession  de 
son  royaume  ,  devenu  le  prix  de  tant  de  travaux. 

Allez  , /Seigneur,  allez  recevoir  au  plutôt  cette 
couronne  qui  vous  a  coûté  tant  de  sueurs ,  tant 
de  sang.  C'est  trop  long-temps  vous  prodiguer 
pour  de  faibles  créatures  ,  qui  ne  peuyent^rien 
faire^qui  réponde  à  votre  charité  infinie ,  c'est  trop 
long-tcnjps  prolonger  un  exil  qui  vous  tient  si  éloi- 
'gné^  de  votre  patrie  ;  il  est  temps  que  vous  retour- 
niezvau  lieu  de  votre  naissance  ,  et  que  vous  allies 
vous  asseoir  sur  le  trône  qui  vous  est  préparé  à  la 
droite  de  votre  père.  Et  vous  ,  Père  éternel,  dif- 
férqrez-vous  de  rappeler  ce  fils  unique,  dont  vous 
avez<éprouvé  l'obéissance  par  de  si  rudesîcom-j 
mandemens  ?  Jusqu'à  quand  reculerez -Vous  Je 
triomphe  qu'il  a  mérité  par  tant  de  victoirQ$? 

i5. 


34o  2.  Pour  le  Jour 

Quand  viendra  ce  jour  où  nous  aurons  là  satisfac- 
tion de  voir  que  ses  travaux  n'ont  pas  été  infruc- 
tueux ,  quoiqu'il  ait  travaillé  pournous  qui  sommes 
dans  l'impuissance  de  reconnaître  ses  bienfaits? 
11  est  venu  ce  jour  ,  Chrétiens, auditeurs  ;  déjà  le 
Sauveur  est  sorti  de  Jérusalem  suivi  de  ses  Disci- 
ples ^u  nombre  de  plus  de  cinq  cents ,  pour  se 
rendre  avec  eux  au  mont  des  oliviers,:  c'est  en  ce 
même  lieu  qu'a  commencé  sa  passion  ,  c'est  là 
qu'il  a  été  comme  noyé  dans  une  sueur  de  sang  , 
et  qu'il  a  souffert  dans  son  amettoyCce  que  son 
corps  souffrit  depuis.  Cette  circonstance  loin  de 
troubler  la  joie  d'une^i  grande  fêle  ,  est  au  con- 
trairetoute  propre  à  l'augmenter  :  rien  n'est  plus 
glorieux  que  d'être  couronné  sur  le  lieu  même  du 
combat  ;  si  c'est  un  plaisir  de  songer  aux  maux 
passés  ,. combien  doit-il  être  plus' doux  de  les  rap- 
peler quand  on  est  sur  le  point  dçjcççueillir  le 
fruit  de  sa  patience  !  •   x"^- -  ^-  ) 

Le  fila  de  Dieu  arrivé  au  sommet  de  la  monta- 
gne fit  à  l'élite  fidèle  qui  l'accompagnait  l'adieu  le 
plus  tendre.  Que  ne  puis-je  ,  à  la  place  de  ce  que 
j'ai  à  vous,dire,  répéter  le  discours  qui  dut  rendre 
cette  séparation  si  touchante  !  Qu'il  serait  doux 
pour  vous  ,  qu'il  serait  utile  de  l'entendre  !  Le 
temps  marqué ,  leur  dit-il  ,  où  je  dois  retourner 
à  mon  père  ,  ce  temps  qui  met  le  comble  à  mes 
triomphes  sur  la  terre  ,  n'ôte  rien  à  la  douleur  que 
)e  ressens  en  vous  quittant  :  quelque  gloire  qui 
m'attende  dans  Je  Ciel ,  si  vos  intérêts  ne  m'y  at- 
tiraient encore» plus  fortement  que  les  miens,  je 
ne  pourrais  me  résoudre  à  me  séparer  dej;vous.  Je 
suis  descendu  sur  la  terre,  lorsque  j'ai  cru  que  ma 
présence  vous  y  était  nécessaire  ;  si  je  vous  laisse , 
c'est  parce  que  je  sais  que  mon  absence  vous  sera 
désormais  plus  utile.  Au  reste  ,  vous  neserez  pas 
long^temps  sans  consolateur  ,  l'Esprit  saint  vien- 
dra .bi|jilçtpr£ndre  ma  place.  Aimez-vous. cepen- 
dant "tôujourâ}/ mes  chers  Disciples  ;  aimez-vous' 
les  uns  lesaulres  ;  souvenez-vous  que  vous  me 


DE  l'Ascension.  34  i 

haïriez  moi-même  dans  celui  qu'attaquerait  votre 
haine.  Surtout  n'oubliez  pas  que  je  vous  ai  mis 
entre  les  mains  les  dépôts  les  plus  précieux  ,  ma 
gloire  ,  et. mon  sang;  ma  gloire  ,  vous  la  porterez 
jusqu'aux  bouts  de  l'univers  ;  mon  sang  ,  vous  le 
verserez  sur  tous  les  hommes.  Allez  en  mon  nom , 
allez  apprendre  à  toute  la  terre  les  vérités  que  je 
vous  ai  enseignées  ,  allez  détromper  tant  d'hom- 
mes séduits  qui  vivent  dans  l'ignorance  et  dans  le 
vice.  Faites  tous  vos  efforts  pour  qu'il  ne  périsse 
aucune  des  âmes  que  j'ai  rachetées.  Ne  craignez  ni 
les  lumières  des  savans ,  ni  la  puissance  des  grands  ;, 
je  vous  donnerai  de  quoi  confondre  la  présomp- 
tion des  uns ,  et  l'orgueil  des  autres.  Vous  souf- 
frirez ,  il  est  vrai;  mais  outre  les  secours  que  vous 
devez  attendre  de  moi  dans  les  maux  les  plus  pres- 
sans  ,  votre  amour  pour  moi  adoucira  vos  souf- 
frances. J'en  juge  par  moi-même  :  à  peine  ai-je 
senti  les  horribles  tourmens  auxquels  m'a  exposé 
mon  amour  pour  vous  ;  du  moins  ne  les  ai-je  pas 
trouvés  si  cruels  ,  que  je  ne  fusse  prêt  encore  de 
m'y  livrer  pour  vous  rendre  heureux.  Allez  donc 
encore  une  fois,  allez  mériter  les  riches  couronnes 
que  je  vais  vous  préparer;  ne  doutez  pas  que  vous 
ne  me  suiviez  bientôt  dans  le  Ciel  ,  et  que  vous 
n'y  occupiez  auprès  de  moi  une  place  distinguée. 
Dirons-nous  quelles  furent  les  dernières  mar- 
ques de  tendresse  que  se  donnèrentaprès  ce  dis- 
cours un  tel  fils  et  sa  sainte  mère  ?  Quelles  paroles , 
hélas  !  exprimeraient  des  mouveméns  si  purs  et 
si  vifs  ?  N'entreprenons  pas  mêmeje  tracer  les 
sentimens  des  Apôtres  courbés  à  ses  genoux ,  et 
baisant  pour  la  dernière  fois  les  plaies  de  ses  pieds 
et  de  ses  mains.  Ce  que  nous  pouvons  assurer  ,  c'est 
qu'il  ne  leur  avait  point  encore  paru  si  aimable  , 
soit  que  la  pensée  de  son  départ  les  obligeât  de  le 
considérer  avec  plus  d'attention  ,  soit  qu'ils  esti- 
massent davantage  un  bien  qu'ils  étaient  sur  le 
point  de  perdre  ,  soit  enfin  qu'à  cette  dernière  en- 
trevue Jésus  leur  déployât  tous  les  charmes  de  sa 


342  2.  PotR  LE  Jour 

beauté  ,  et  fortifiât  leurs  yeux  trop  faibles  pour  ea 
soutenir  l'éclat.  Quoi  qu'il  en  soit ,  ils  ne  goûtè- 
rent pas  long-temps  ce  plaisir,  car  le  Sauveur 
élevant  les  mains  pour  leur  donner  sa  dernière 
bénédiction ,  commence  à  se  détacher  de  la  terre , 
et  à  disparaître  insensiblement  dans  les  nues. 

Sans  mettre  l'appareil  de  ce  triomphe  au  nom- 
bre des  avantages  que  Jésus-Christ  retire  de  son 
ascension  ,  souffrez  que  je  vous  fasse  envisager  le 
premier  de  ces  avantages ,  et  par  conséquent  le 
premier  sujet  de  notre  joie ,  dans  la  confirmation 
de  sa  divinité  ,  dans  la  preuve  invincible  qu'il  est 
véritablement  le  Rédempteur.  Car  enfin  le  Ciel 
était  encore  fermé  ,  aucun  des  plus  grands  Saints 
n'y  avait  été  recevoir  la  récompense  de  ses  vertus, 
ils  avaient  tous  pris  une  route  contraire ,  ils  étaient 
passés  de  cette  vie  aux  plus  basses  parties  du 
inonde  ,  pour  y  attendre  un  libérateur.  Si  Jésus 
n'est  pas  le  libérateur  qu'ils  attendaient  ,  par 
quelle  force ,  par  quel  privilège  cet  homme  peut-il 
s'ouvrir  au  séjour  de  la  gloire  une  voie  si  incon- 
nue ?  Comment  peut-il  renverser  ces  porlés  Je 
bronze  qui  jusqu'à  ce  moment  en  avaient  fermé 
l'entrée  à  Moïse  et  aux  Prophètes  ?  Nemo  ascendit 
in  Ccelum  ,  iiisl  qui  descendit  de  Cœlo  ^  fUias  Dec, 
L'arrêt  qui  avait  été  porté  contre  Adam  regardait, 
tous  les  hommes,  tous  par  cet  arrêt  étaient  bannis 
du  Ciel  ;  et  Jésus  prétendrait  en  vain  d'y  monter 
s'il  n'en  était  pas  descendu.  Je  dis  plus  :  si  cet 
homme  n'était  pas  véritablement  le  fils  de  Dieu  , 
loin  de  mériter  un  tel  privilège  ,  il  se  serait  rendu 
digne  des  plus  grands  supplices  pour  s'être  attri- 
bué celte  qualité  ,  qui  ne  lui  était  pas  due.  Le  Sei- 
gneur eût  pour  toujours  fermé  le  Ciel  à  un  scélé- 
rat qui  par  ses  impostures  aurait  voulu  renverser 
sa  loi,  et  séduire  son  peuple.  Si  Jésus-Christ  n'est 
pas  le  Messie  ,  il  est  temps  de  détromper  ceux 
que  ses  miracles  ont  éblouis  ;  mais  si  loin  d'être 
confondu ,  il  met  le  sceau  à  tous  les  événemens  de 
«a  vie  par  le  plus  éclatant  de  tous  les  prodiges  ;  si 


DE  l'AsCENSION.  S^S 

après  être  sorti  du  tombeau ,  il  quitte  encore  la 
terre  iV  la  vue  de  ses  Disciples  ,  pour  aller  ,  dit-il, 
placer  son  trône  au-dessus  du  firmament,  qui  peut 
douter  qu'il  n'ait  pris  naissance  au  même  lieu  où 
vont  se  terminer  toutes  ses  courses  ?  Ainsi  ju- 
geons-nous de  l'origine  des  fontaines  jaillissantes 
par  le  point  qu'elles  vont  toucher  en  sortant  dut 
sein  de  la  terre  :  il  est  sûr  qu'elles  ne  peuvent  s'é- 
lancer plus  haut  que  leur  source  ;  et  si  l'on  en  voit 
qui  en  s'élevant  se  perdent  dans  l'air,  c'est  qu'elles 
nous  viennent  de  quelques-unes  de  ces  montagnes 
dont  la  cime  va  se  cacher  dans  les  nues.  ISeino 
ascendit  in  Cœlum,  nisl  qui  descendit  de  Cœlo ,  filius 
Dei.  Voilà  la  raison  pour  laquelle  loin  d'être  dans 
le  deuil  ,  les  Disciples  retournent  à  Jérusalem 
avec  une  satisfaction  entière  :  Reversi  sunt  in  Jeru' 
salem  cum  gaudio  magno,  dit  saint  Luc.  C'est  que 
l'ascension  de  leur  maître  a  dissipé  tous  leurs  dou- 
tes ,  a  surmonté  enOn  cette  incrédulité  si  opiniâ- 
tre que  Jésus-Christ  leur  avait  encore  reprochée 
un  moment  avant  son  départ  ,  et  qui  jusqu'alors 
avait  toujours  jeté  quelque  crainte  ,  quelque  dé- 
fiance dans  leur  joie. 

Ils  n'avaient  néanmoins  vu  qu'une  légère  partie 
de  la  gloire  du  Sauveur  ;  car  comme  ils  étaient 
occupés  à  le  considérer  ,  il  entre  dans  un  nuage 
qui  le  dérobe  à  leurs  yeux ,  et  qui  les  prive  du 
plus  beau  spectacle  qui  fut  jamais.  C'est  propre- 
ment alors  que  commence  ce  triomphe  si  magni- 
fique préparé  avant  la  naissance  des  siècles  au  fils 
unique  du  Père  éternel.  Le  rideau  étant,  pour 
ainsi  parler,  tiré  entre  le  Ciel  et  la  terre  ,  le  corps 
de  Jésus-Christ  répand  de  toutes  parts  une  lumière 
supérieure  ;  la  divinité  à  laquelle  il  est  uni  se  produit 
avec  tout  son  éclat.  La  nue  qui  porte  ce  corps  divin 
devient  dans  un  moment  mille  fois  plus  lumineuse 
que  le  soleil.  Tous  les  Saints  de  l'ancienne  loi  qui 
l'accompagnent ,  paraissent  en  même  tempsrevêtus 
de  gloire  ;  les  étoiles  loin  d'être  effacées  pur  une  si 
éclatante  lumière,  en  reçoivent  une  augmentation 


344  2'  P<>uii  LE  Jour 

de  clarté  ,  et  contribuent  à  la  pompe  de  celte  fête; 
aussitôt  le  firmament  se  sépare  ,  on  voit  à  décou- 
vert tout  ce  que  le  Ciel  renferme  de  richesses  et 
de  beautés  ,  et  surtout  l'éclat  de  ce  trône  destiné 
au  triomphateur  ;  dans  un  moment  cet  espace  im- 
mense qui  est  entre  le  Ciel  et  la  plus  haute  région 
de  l'air  est  rempli  de  mille  et  mille  légions  d'An- 
ges qui  viennent  au  devant  de  leur  nouveau  maî- 
tre ,  répétant  mille  fois  en  son  honneur  ce  cantique 
de  David  :  Le  Seigneur  est  fort,  il  est  puissant,  il 
est  invincible  dans  le  combat  :  Dominas  fortis  et 
potens ,  Dominas  potens  in  prœlio.  Mais  ce  qui 
touche  le  plus  Jésus-Christ ,  c'est  la  vue  de  son 
père  qui  l'attend  à  l'entrée  du  séjour  de  la  gloire 
pour  l'y  recevoir;  c'est  à  cette  vue  que  transporté 
par  des  mouvemens  d'amour  et  de  respect  ,  il 
perce  avec  une  rapidité  incroyable  tous  les  esca- 
drons de  l'armée  céleste  ,  et  se  va  prosterner  de- 
vant celui  qui  l'avait  envoyé  pour  sanctifier  le 
monde. 

Quand  Jésus  n'aurait  été  qu'un  homme  ordi-s 
naire  ,  Chrétiens  auditeurs,  quand  il  n'aurait  re- 
gardé son  père  que  comme  son  Dieu  ,  ou  même 
comme  son  Juge  ,  on  ne  peut  pas  douter  qu'il  ne 
se  présentât  à  lui  avec  une  entière  sécurité  ,  après 
avoir  donné  dans  toutes  les  rencontres  des  mar- 
ques d'une  obéissance  si  parfaite  ,  après  avoir 
pratiqué  des  vertus  si  héroïques  y  après  avoir 
étonné  le  monde  par  les  exemples,  d'une  vie  si 
sainte  ;  chargé  alors  des  dépouilles  qu'il  rempor- 
tait sur  les  ennemis  du  Seigneur,  et  qouvert  des 
plaies  qu'il  avait  reçues  à  son  service  ,  avec  quelle 
confiance  devait-il  l'aborder  ?  Il  me  semble  voir 
un  Général  d'armée  qui  paraît  à  la  Cgur  au  retour 
d'une  longue  expédition  ,  où  il  a  gagné  des  ba- 
tailles ,  pris  des  places  ,  et  assujetti  des  peuples 
entiers  ;  avec  quelle  assurance  ,  avec  quelle  joie 
ne  se  montre-t-il  pas  devant  son  Prince  !  quel  plai- 
sir pour  lui  d'avoir  à  faire  le  récit  de  tant  d'actions 
florieuses  !  qu'il  trouve  de  satisfaction   dans  la 


DE  l'Ascension.  345 

nécessité  qu'on  lui  impose  de  rendre  compte  de 
sa  conduite  ,  puisque  c'est  l'obliger  à  faire  lui- 
même  son  éloge  ! 

Pater\  ego  te  clari/îcavl  super  terram  :  Mon  père  , 
pouvait  dire  le  Sauveur  dans  cette  première  en- 
trevue \  mon  père  ,  je  vous  ai  procuré  sur  la  terre 
toute  la  gloire  que  vous  aviez  lieu  d'attendre  de 
moi  5  je  n'ai  épargné  ni  peines  ni  soins  ,  je  n'ai 
laissé  passer  aucun  instant ,  pas  une  seule  occa- 
sion ,  sans  vous  honorer  ;  j'ai  pour  la  gloire  de 
votre  nom  exposé  mon  propre  honneur,  j'ai  pro- 
digué ma  vie.  Opus  consammavi ,  quod  dedisti  inihi 
ut  faciam:  Vous  m'aviez  confié  une  entreprise  bien 
diflicile  et  bien  importante  ,  je  l'ai  exécutée  par 
votre  secours  ;  votre  justice  est  satisfaite  ,  la  mort 
est  détruite  ,  le  Démon  est  enchaîné  ,  le  péché  est 
anéanti  ,  et  votre  grâce  triomphe.  Vous  m'aviez 
donné  bien  des  ordres  ,  vous  m'aviez  chargé  de 
l'accomplissement  de  toutes  les  prophéties  ;  ce 
grand  ouvrage  est  consommé  ,  j'en  ai  accompli 
jusqu'aux  plus  menues  circonstances,  j'ai  observé 
à  la  lettre  et  jusqu'aux  derniers  points  toute  votre 
loi.  Manifestavl  nomen  tuum  hominibus  :  J'ai  fait 
connaître  au  monde  votre  nom  qu'il  ignorait,  j'ai 
appris  aux  hommes  quel  culte  ils  doivent  vous 
rendre,  je  leur  ai  appris  comment  ils  doivent  vivre 
et  mourir  pour  vous  ,  j'ai  pratiqué  moi  -  même  à 
leurs  yeux  tout  ce  que  je  leur  ai  enseigné  par  mes 
paroles.  Vous  allez  bientôt  recueillir  le  fruit  de 
mes  peines  ,  bientôt  il  n'y  aura  plus  d'autre  Dieu 
que  vous  dans  l'univers,  on  n'offrira  plus  de  sa- 
crifice que  dans  vos  temples  ;  vous  aurez  des  ado- 
rateurs dignes  de  vous ,  des  sujets  qui  seront  à 
vous  sans  réserve  ,  qui  sacrifieront  tout,  qui  se 
sacrifieront  eux-mêmes  à  mon  exemple  pour  votre 
amour  :  Manifestavi  nomen  tuum  hominibus...  opus 
consummavi ,  quod  dedisti  miln  ut  faciam.  Jugez 
avec  quelles  démonstrations  d'amour  et  de  joie  on 
reçut  dans  le  Ciel  un  homme  qui  venait  de  rendre 
des  services  si  importans.  Si  un  pécheur  qui  a 

i5* 


346  2.  Pour  le  Jour 

passé  ses  jours  dans  les  plus  grands  désordres, 
trouve  en  Dieu  un  père  si  tendre  ,  lorsqu'il  va  se 
jeter  entre  ses  bras  ;  si  l'on  prépare  une  si  grande 
fête  à  l'arrivée  de  ce  prodigue  ,  dont  les  honteu- 
ses voluptés  ont  absorbé  le  patrimoine  ;  quelles 
caresses  ne  fera  pas  le  Seigneur  à  son  fils  uniqae, 
qui  pour  lui  plaire  s'est  consumé  dans  les  travaux 
d'une  vie  pauvre  et  souffrante  ;  à  ce  fils  si  zélé  qui 
pour  accroître  la  gloire  de  son  père  ,  s'est  livré 
lui-même  aux  opprobres  les  plus  cruels  ;  à  ce  fils 
innocent  qui  a  sauvé  tant  de  pécheurs  ,  et  qui  par 
sa  mort  a  ouvert  à  tous  les  hommes  le  chemin  de 
la  céleste  Jérusalem  ! 

Ce  fut  alors  que  le  Père  éternel  montrant  le 
Sauveur  à  tous  les  ministres  de  sa  Cour,  recon- 
nut en  leur  présence  qu'il  l'avait  engendré  avant 
tous  les  siècles  ,  et  que  tout  homme  qu'il  était ,  il 
n'avait  pas  cessé  d'être  Dieu  comme  lui.  11  leur 
déclara  que  désormais  il  serait  leur  Roi ,  que  tout 
plierait  sous  son  autorité  ,  que  tout  serait  soumis 
à  sa  puissance  ,  qu'il  serait  enfin  le  maître  ,  et  du 
ciel  qu'il  avait  ouvert  ,  et  de  l'enfer  qu'il  avait 
fermé  ,  et  de  la  terre  qu'il  avait  sanctifiée.  Avec 
quels  transports  de  joie  mêlée  de  respect  ces  esprits 
saints  firent-ils  entendre  cette  réponse  :  Vous  êtes 
juste  ,  Seigneur,  et  nous  nous  soumettons  à  des 
ordres  si  équitables.  Dignus  est  agnus  ,  qui  occisus 
est  j  accipere  virtutem  ,  et  dimnitatem  ,  et  sapien- 
tiam ,  et  fortitudinem  ,  et  honorem  ,  et  gloriam  ,  et 
benedictionem  :  L'agneau  qui  a  souffert  la  mort 
mérite  de  recevoir  les  honneurs  divins  ;  il  mérite 
que  la  force  ,  la  sagesse  ,  la  puissance  ,  fassent  la 
gloire  de  son  règne  ;  il  est  juste  qu'on  lui  rende  les 
plus  grands  hommages,  qu'un  éclat  supérieur  re- 
jaillisse autour  de  sa  personne  ,  et  que  tout  le  Cie! 
retentisse  éternellement  de  ses  louanges.  C'est  au 
bruit  de  ces  douces  acclamations ,  de  ces  chants 
de  triomphe  ,  que  le  fils  de  l'homme  est  introduit 
dans  le  Ciel  ,  où  avant  lui  nul  homme  n'avait  été 
vu  ;  la  troupe  sainte   et  nombreuse  des  Saints 


DE    L*AsCENSION.  Zf^-J 

qu'il  a  tirés  des  Limbes  le  suit  dans  cet  éternel 
séjour,  et  y  est  reçue  avec  tout  l'accueil  qui  est  dû 
aux  mérites  de  son  libérateur  et  à  ses  propres 
mérites» 

Je  ne  pense  pas  ,  MM.  »  que  vous  attendiez  de 
moi  que  je  vous  parle  ici  ni  de  celte  riche  couronne 
qu'on  lui  mit  alors  sur  la  tête  ,  ni  de  ce  manteau 
royal  dont  on  le  revêtit,  ni  de  ce  magnifique  trône 
où  il  s'assit  ;  notre  langue  manque  d'expression, 
notre  esprit  de  pénétration.  Mais  que  dirons-nous 
de  la  grandeur  et  de  la  nouveauté  de  ce  mystère  ? 
Nous  avons  eu  raison  d'admirer  un  Dieu  abaissé 
jusqu'à  la  condition  des  hommes  ;  mais  est-ce  un 
moindre  prodige  qu'un  homme  semblable  à  nous, 
composé  de  la  même  matière  que  nous  ,  mortel 
de  sa  nature  comme  nous  ,  qu'un  homme  tiré  du 
néant ,  formé  de  terre  et  d'argile  ,  soit  élevé  au- 
dessus  de  toutes  les  puissances  de  l'univers  ,  qu'il 
voie  tous  les  Anges  à  ses  pieds,  qu'il  soit  placé  à  la 
droite  de  celui  qui  l'a  créé,  que  ce  limon  soit  révéré 
des  Séraphins,  qu'il  fasse  trembler  les  Démons, 
qu'il  soit  immortel ,  immuable  ,  incompréhensi- 
ble ,  qu'il  éclaire  par  ses  lumière.^  ,  qu'il  éblouisse 
même  les  plus  hautes  intelligences  ? 

Eblouis  nous-mêmes  par  tant  de  prodiges ,  faut- 
il  nous  faire  observer  les  sujets  que  nous  avons 
de  nous  réjouir  ?  Notre  Rédempteur  recevant  au- 
jourd'hui des  honneurs  au-dessus  de  tout  ;  si  notre 
joie  demeurait  imparfaite  ,  quel  serait  pour  lui 
notre  amour  ?  Remarquons  cependant  pour  notre 
édification  que  quelqu'extrêmes  qu'aient  été  les 
maux  que  Jésus-Christ  a  soufferts  pour  plaire  à 
son  père  ,  il  se  trouve  pleinement  récompensé  de 
sa  patience.  Je  ne  m'étonne  point  que  l'espérance 
certaine  d'un  si  grand  bonheur  l'ait  fortifié  ,  l'ait 
soutenu  dans  les  supplices  les  plus  cruels  ,  qu'elle 
l'ait  rendu  capable  d'essuyer  les  plus  sanglans  op- 
probres :  Proposito  sibi  gaudio  ,  dit  saint  Paul  , 
sustinuit  crucem  confasione  contempla.  Je  com- 
prends comment  il  attendait  avec  quelque  sorte 


348  2.  Pour  le  Jour 

d'inquiétude  une  mort  qui  devait  l'élever  à  ce 
comble  de  la  grandeur.  Mais  d'où  peut  venir  que 
l'espoir  d'une  semblable  récompense  ne  nous  ex- 
cite point  à  suivre  les  exemples  du  fils  de  Dieu  ? 
C'est  5  si  je  ne  me  trompe  ,  que  cette  récompense 
est  encore  éloignée;  nous  ne  pouvons  nous  ré- 
soudre à  quitter  des  biens  qui  sontentre  nos  mains, 
pour  une  félicité  qui  est  encore  dans  l'avenir  ; 
nous  voudrions  dès  cette  vie  recevoir  le  salaire  de 
tous  nos  travaux ,  nous  souffrons  avec  peine  qu'on 
nous  renvoie  à  un  temps  que  nous  croyons  fort 
reculé  ,  ou  du  moins  dont  nous  ne  voudrions  pas 
nous  voir  si  proches. 

On  nous  dit  assez  que  ceux  qui  se  donnent  à 
Dieu  de  tout  leur  cœur  reçoivent  sur  la  terre  des 
gages  de  cette  félicilé  ,  qu'ils  la  goûtent  même  par 
avance  ;  mais  en  vain  on  nous  le  dit ,  nous  ne  le 
voulons  pas  croire ,  parce  que  nous  n'avons  pas 
l'expérience  de  ce  précieux  avantage.  Comme  la 
véritable  piété  bannit  la  plupart  des  plaisirs  du 
corps  ,  ou  du  moins  qu'elle  en  détache  le  cœur  , 
nous  traitons  de  visionnaires  ceux  qui  nous  veu- 
lent persuader  qu'elle  a  de  quoi  remplacer  tout  ce 
qu'elle  nous  retranche  ,  parce  que  nous  ne  con- 
naissons d'autres  plaisirs  que  ceux  que  l'on  goûte 
par  les  sens. 

Ceci  me  fait  ressouvenir  de  cette  Samaritaine 
qui  refusa  de  l'eau  au  Sauveur  du  monde  ,  et  qui 
ne  put  regarder  comme  un  offre  sérieuse  l'échange 
qu'il  lui  promettait  d'une  eau  vive  et  propre  à 
éteindre  sa  soif  pour  toujours.  Comment  cela  se 
pourrait-il  faire  ,  disait-elle  ,  vu  que  vous  n'avez 
pas  de  vase  ,  que  ce  puits  est  très-profond  ,  et 
que  Jacob  et  ses  enfans  n'ont  trouvé  nulle  part 
ailleurs  une  eau  plus  salutaire  ?  O  femme  !  ô  ame 
chrétienne,  si  vous  connaissiez  les  dons  de  Dieu , 
si  vous  saviez  qui  est  celui  qui  veut  vous  engager 
dans  une  vie  plus  réglée  ,  qui  vous  demande  le  sa- 
crifice de  vos  folles  joies  ;  Si  scires  donum  Dei ,  et 
ffuis  est  qui  dicit  tibi  :  Da  milù  blbere  :  si  vous 


DE   L*ASCENSI0N.  349 

saviez  combien  de  douceurs  sont  cachées  dans 
cette  solitude  qui  vous  paraît  si  affreuse ,  sous  les 
tristes  dehors  de  cette  vie  mortifiée  qui  vous  ef- 
fraie !  Mon  Dieu  ,  pourquoi  cachez-vous  à  ceux 
qui  craignent  de  s'attacher  à  vous  les  délices  que 
vous  réservez  à  ceux  qui  vous  aiment  ?  Et  vous  , 
âmes  saintes ,  que  ne  désabusez-vous  ceux  qui  fré- 
missent à  la  vue  de  vos  austérités  ?  que  ne  leur 
déclarez-vous  ce  qui  se  passe  dans  votre  cœur  ? 
après  avoir  été  si  heureusement  détrompées ,  que 
ne  détrompez-vous  encore  les  autres  ?  Est-ce  que 
vous  ne  pouvez  pas  dire  ce  que  vous  sentez  ?  ou 
ce  que  vous  en  pourriez  dire  est-il  incroyable  ? 
N'est-ce  point  plutôt  qu'on  ne  daigne  pas  même 
vous  écouter? 

Oui  ,  Chrétiens  auditeurs  ,  je  crois  que  si  les 
récompenses  que  Dieu  distribue  dès  cette  vie  à 
ceux  qui  se  donnent  à  lui  sans  réserve,  que  si  ces 
récompenses  pouvaient  être  connues  avant  qu'on 
eût  renoncé  à  tout  le  reste  ,  l'on  verrait  la  plupart 
des  hommes  chercher  Dieu  avec  encore  plus  d'em- 
pressement q^i'ils  ne  cherchent  les  avantages  du 
siècle.  Je  dis  que  la  sensualité  la  plus  raffinée  mé- 
priserait tout  ce  que  les  plaisirs  des  sens  ont  de  plus 
délicat  i  on  ferait  par  intérêt  et  par  amour  propre 
tout  ce  qu'il  y  a  dans  l'Evangile  de  plus  contraire 
à  cet  amour  déréglé.  Mais  notre  Dieu  ,  qui-veut 
que  nous  méritions  ses  faveurs,  qui  veut  qu'on  s'at- 
tache à  lui  par  le  motif  d'un  amour  pur  et  sincère, 
notre  Dieu  a  voulu  dérober  à  la  connaissance  des 
mondains  ce  qu'il  fait  en  faveur  de  ses  bien-aimés. 
Il  a  semé  d'épines  les  avenues  de  la  piété  ,  il  a 
voulu  qu'on  y  abordât  par  un  chemin  difficile  et 
étroit.  Cependant  il  est  certain  qu'il  n'y  a  que  les 
premiers  pas  qui  coûtent  ;  le  sentier  s'élargit  bien- 
tôt, on  y  marche  avec  moins  de  peine ,  avec  même 
plus  de  liberté  que  dans  la  voie  large  qui  mène  i\ 
la  perdition.  C'est  dans  ce  sentiment  né  de  sa  pro- 
pre expérience  que  David  rendait  grâces  à  Dieu 
de  ce  qu'il  l'avait  comme  arraché  d'une  étroite 


35o  2.  Pour  le  Jour 

prison  ,  pour  le  mettre  dans  un  lieu  spacieux,  où 
rien  ne  pouvait  désormais  ni  l'arrêter,  ni  le  con- 
traindre :  Posuisli  in  loco  spatioso  pedes  meos  : 
Seigneur  ,  je  m'étais  représenté  votre  loi  comme 
une  loi  dure  ,  comme  uu  joug  trop  pesant  pour 
notre  faiblesse  ;  j'avais  cru  que  s'engager  à  une 
exacte  observance  de  vos  préceptes  ,  c'était  se 
charger  soi-même  d'une  chaîne  insupportable  ,  et 
se  condamner  à  une  éternelle  torture  ;  cependant 
j'éprouve  le  contraire ,  j'éprouve  que  rien  ne  me 
gêne  dans  la  voie  de  vos  commandemens  ,  que 
tout  s'y  aplanit  devant  moi. 

Au  témoignage  de  ce  grand  Roi  je  pourrais  join- 
dre celui  de  saint  Augustin  qui  dans  la  fleur  de 
l'âge  ayant  renoncé  à  des  voluptés  dont  il  avait 
toujours  cru  ne  pouvoir  se  sevrer,  avoue  qu'il  a 
trouvé  dans  la  continence  des  délices  qu'il  est  in- 
consolable de  n'avoir  pas  plutôt  connues.  Je  pour- 
rais ajouter  le  dégoût  qu'on  remarque  dans  les 
personnes  vertueuses  pour  les  mêmes  objets  dont 
le  monde  est  si  affamé  ;  je  pourrais  ajouter  leur 
ferveur ,  leur  persévérance  dans  leurs  pratiques 
austères  ,  les  excès  qu'elles  y  commettent  quel- 
quefois ,  attirées  par  l'excès  du  plaisir  qu'elles  y 
goûtent.  Si  tout  cela  ne  suffît  pas  pour  vous  per- 
suader, je  consens  à  m'en  remettre  à  votre  propre 
expérience.  Gustate  ,  et  videte  qaoniam  suavis  est 
Dominas  :  Faites  ,  je  vous  en  conjure  ,  faites  l'ex- 
périence de  celte  vie  dont  on  vous  prêche  les  avan- 
tages ,  voyez  si  l'on  vous  trompe  :  et  s'il  est  vrai 
que  le  bonheur  des  Saints  commence  dès  ce 
monde ,  que  hasardez-vous  à  en  faire  l'essai ,  si 
ce  n'est  la  perte  de  je  ne  sais  quels  plaisirs  terres- 
tres que  vous  dites  vous-même  être  fort  courts, 
fort  imparfaits  ?  0  délices  ineffables  ,  ô  manne  ca- 
chée ,  ô  torrens  qui  inondez  l'ame  des  justes ,  ô 
consolations  ,  ô  extases  ,  ô  doux  charmes  de  l'a- 
mour divin  !  est-il  possible  que  les  Chrétiens  vous 
rejetent ,  pour  courir  après  des  douceurs  passagè- 
res et  trompeuses ,  des  douceurs  mêlées  de  mille 


DE  l'Ascension.  35  i 

amertumes  ,  des  douceurs  que  la  honte  accompa- 
gne et  que  doit  suivre  un  éternel  repentir  ?  Passons 
à  la  seconde  partie  ,  et  sans  séparer  des  avantages 
que  procure  à  Jésus-Christ  son  ascension  ,  les 
avantages  qu'elle  nous  procure  à  nous  -  mêmes  , 
faisons  voir  que  ce  mystère  qui  assure  au  fils  de 
Dieu  une  plus  prompte  possession  de  tous  les 
biens,  nous  assure  encore  une  plus  longue  posses- 
sion de  sa  personne.  Je  n'ai  que  deux  mots  A  dire. 

SECONDE    PARTIE. 

Quoique  l'homme  Dieu  nous  ait  apporté  des 
biens  infinis,  lorsqu'il  est  descendu  sur  la  terre, 
j'ose  dire  qu'il  ne  nous  en  procure  pas  moins  en 
remontant  au  Ciel  :  car  en  premier  lieu  il  nous  en 
ouvre  les  portes  ;  et  s'il  eût  demeuré  parmi  les 
hommes  après  sa  résurrection  ,  ces  portes  seraient 
encore  fermées  ,  de  sorte  que  quelque  saint  qu'on 
pût  être  ,  la  mort  ne  serait  point  un  passage  à  une 
vie  plus  heureuse.  Tant  de  glorieux  Martyrs ,  tant 
de  saintes  Vierges  ,  tant  d'illustres  Confesseurs  ne 
brilleraient  point  encore  sur  le  firmament ,  et  il 
nous  faudrait  attendre  avec  eux  dans  les  Limbes 
que  le  monde  fût  fini  pour  commencer  à  jouir  de 
la  récompense  de  nos  peines.  En  second  lieu,  si 
Jésus-Christ  ne  se  fût  point  séparé  de  nous,  le 
Saint-Esprit  n'aurait  pas  été  donné  aux  hommes  ; 
Si  enim  non  abiero ,  Paracletiis  non  veniet  ad  vos- 
C'est-à-dire  que  tous  les  effets  du  mystère  de  l'in- 
carnation seraient  demeurés  comme  suspendus, 
l'Evangile  n'aurait  point  été  prêché  ,  et  nous  vi- 
vrions encore  dans  l'idolâtrie  où  nos  ancêtres  sont 
morts.  Enfin  Jésus-Christ  lui-même  nous  aurait 
été  moins  utile  sur  la  terre  par  sa  présence  ,  qu'il 
ne  l'est  par  sa  protection  dans  le  Ciel.  Il  est  vrai , 
dit  saint  Léon  ,  qu'il  s'est  éloigné,  si  vous  avez 
égard  à  l'humanité  ;  mais  par  la  divinité  ,  il  est 
plus  près  de  nous  qu'il  ne  l'était  auparavant;  c'est- 
à-dire  qu'il  nous  envoie  plus  de  secours  qu'il  ne 
nous  en  aurait  donné  par  lui-même  :  Sic  cœpit  esse 


352  2.  Pour  le  Jour 

divlnitatê  propinguior  ,  quia  factus  est  ,humanitatê 
longinqaior.  C'est  ainsi  qu'un  Ambassadeuiyliabile 
et  zélé  rend  bien  plus  de  services  à  l'Etat  dans  une 
Cour  étrangère  ,  que"  s'il  ne  sortait  jamais  du 
royaume,  Celte  comparaison  est  de  saint  Jean , 
qui  écrivant  aux  Chrétiens  d'Asie  ,  leur  dit  ces  pa- 
roles capables  d'inspirer  la  confiance  aux  afnes  les 
plus  criminelles  et  les  plus  timides  FUiolç,  liœc 
scribo  vobls  ,  ut  non  peccetis  :  sed ,  si  quis  peccave- 
rit  j  advocatum  habemus  apud  Patrem  ,  Jesum  CtiriS' 
tumjustum  :  Mes  chers  enfans,  je  vous  écris  ceci  , 
pour  vous  porter  à  vivre  dans  l'innocence  :  mais 
quand  quelqu'un  de  vous  aurait  péché,  nous  avons 
un  agent ,  un  entremetteur  auprès  de  notre  père 
céleste;  c'est  Jésus-Christ ,  qui  n'a  point  péché, 
et  qui  ne  cesse  de  demander  grâce  pour  les  pé- 
cheurs. 

Tous  ces  avantages ,  me  direz-TOUs  ,  ne  sont 
pas  capables  de  satisfaire  un  cœur  qui  aime  le  fils 
de  Dieu  ;  une  ame  qui  aime  n'a  qu'un  seul  intérêt 
à  ménager,  c'est  celui  de  son  amour;  il  n'y  a  pour 
elle  qu'un  seul  bien  au  monde  ,  c'est  la  possession 
de  ce  qu'elle  aime  :  comment  donc  ferai-je  voir 
ce  que  j'ai  surtout  entrepris  de  prouver,  comment 
ferai-je  voir  que  l'ascension  qui  nous  ravit  notre 
Rédempteur,  nous  en  assure  néanmoins  une  plus 
longue  possession  ?  Le  voici  en  deux  mots.  Si 
Jésus  ressuscité  fût  demeuré  sur  la  terre  jusqu'au 
jour  qu'il  doit  juger  tous  les  hommes,  s'il  était 
encore  parmi  nous  ,  je  conviens ,  31iM.  ,  que  ce 
serait  un  grand  plaisir  pour  ceux  qui  l'aiment  de 
jouir  d'un  entrelien  aussi  charmant  que  le  sien  , 
de  contempler  ce  visage  divin  où  la  majesté  et  la 
douceur  étaient  peintes ,  et  qui  était  comme  l'i- 
mage de  la  plus  grande  et  de  la  plus  belle  ame  qui 
fut  jamais  :  mais  en  ce  cas-là  ,  de  quelle  durée 
serait  notre  bonheur  ?  Sommes-nous  immortels, 
ou  pouvons-nous  même  nous  promettre  une  lon- 
gue vie  ?  Faites-y  réflexion,  Chrétiens  auditeurs  , 
nous   n'avons   perdu  noire   maître  que  pour  le 


DE  l'Ascension.  353 

recouvrer  bientôt  ;  au  lieu  que  s'il  n'était  pas 
monté  au  Ciel ,  nous  ne  le  posséderions  que  pour 
le  perdre  peut-Ctre  dans  peu  de  jours.  Pourquoi 
souhailer qu'il  demeure  si  long-temps  sur  la  terre, 
où  nous  sommes  pour  si  peu  de  temps  ?  n'est-il 
pas  plus  avantageux  qu'il  nous  aille  attendre  au 
Ciel ,  où  nous  le  devons  suivre  de  si  près  ,  et  où 
nous  serons  durant  toute  l'éternité  ?  Certainement 
je  ne  sais  si  je  me  trompe  ;  mais  il  me  semble 
qu'il  est  plus  doux  de  vivre  dans  l'espérance  d'ob- 
tenir bientôt  et  pour  toujours  ce  que  l'on  n'a  pas, 
que  dans  une  crainte  éternelle  de  perdre  ù  chaque 
moment  ce  que  l'on  possède. 

De  plus ,  quand  nous  aurions  pu  Vivre  avec  Jésus 
ressuscité  jusqu'à  la  fin  des  siècles  ,  il  est  certain 
que  nous  ne  l'aurions  possédé  qu'imparfaitement. 
Pendant  qu'il  a  été  sur  la  terre,  on  n'a  vu  de  lui  que 
ce  qu'il  avait  de  terrestre  ,  les  yeux  des  hommes 
ne  découvraient  ni  sa  divinité  ni  son  ame  ;  son 
corps  ,  quelques  charmes  qu'il  présentât ,  n'était 
qu'un  nuage  obscur  ,  qui  nous  cachait  ces  deux 
astres  dont  la  vue  fait  aujourd'hui  la  félicité  des 
Saints.  Ainsi ,  désirer  de  vivre  long-temps  avec 
Jésus-Christ  sur  la  terre  ,  c'était  en  quelque  sorte 
désirer  d'une  part  d'être  long  -  temps  privé  de 
sa  possession  ,  se  contenter  d'autre  part  de  ne 
le  posséder  qu'en  partie.  Il  est  donc  vrai  que  l'a- 
mour que  nous  avons  pour  lui  nous  doit  porter  à 
nous  réjouir  de  son  départ  ,  puisque  sa  présence 
sur  la  terre  ne  nous  le  laisserait  posséder  que  pour 
peu  de  jours,  que  d'ime  manière  imparfaite  :  mais 
lorsqu'il  nous  précède  dans  notre  patrie  ,  nous 
avons  lieu  d'espérer  de  l'y  voir  bientôt  pour  ne  le 
plus  perdre  ;  non-seulement  nous  y  verrons  son 
humanité  dans  son  plus  grand  éclat  ,  mais  encore 
avec  elle  sa  divinité ,  telle  qu'elle  est  en  elle-même , 
telle  qu'elle  est  dans  l'union  incompréhensible  et 
ineffalile  de  ces  deux  natures  :  Videbimus  eum 
sicuti  est. 

Je  crains  néanmoins,  Chrétiens  auditeurs  ,  oui 


354  ^-  Pour  le  Jour 

je  crains  que  l'amour  de  la  terre  ne  combatte  en 
nos  cœurs  l'amour  de  Jésus-Christ.  Il  est  constant 
que  nous  le  posséderons  plus  parfaitement  dans 
le  Ciel,  mais  il  faudra  quitter  la  terre  pour  le  pos- 
séder; et  je  m'aperçois  que  cette  pensée  refroidit 
en  nous  le  désir  ardent  que  nous  avions  de  jouir 
de  sa  présence.  Contradiction  étrange  !  Si  Jésus- 
Christ  était  encore  sur  la  terre,  il  est  peu  de  Chré- 
tiens qui  ne  souhaitassent  de  le  Toir  ,  et  je  suis 
assuré  qu'il  n'est  point  de  navigation  si  périlleuse 
qu'on  n'entreprît  volontiers  pour  l'aller  adorer, 
quand  il  serait  aux  extrémités  du  monde.  Saint 
Jérôme  dit  que  durant  la  vie  de  saint  Jacques  le 
mineur,  on  se  rendait  des  pays  les  plus  éloignés 
à  Jérusalem  ,  pour  y  voir  cet  Apôtre  ,  seulement 
parce  qu'on  disait  qu'il  avait  quelques  traits  du  fils 
de  Dieu. 

D*où  vient  donc  qu'on  désire  si  peu  d'aller  au 
Ciel ,  quoique  le  Sauveur  lui-même  y  ait  fixé  sa 
demeure  ,  quoiqu'il  y  règne  au  sein  de  la  gloire  ? 
JEst-ce  le  Ciel  qui  nous  rebute,  ce  séjour  si  riant, 
cette  région  où  se  rassemblent  tous  les  biens,  tous 
les  charmes  ;  où  se  déploient  sans  cesse  ,  sans 
altération,  toutes  les  beautés  d'un  printemps  éter- 
nel ,  d'une  sérénité  immuable,  d'un  jour  que  les 
ombres  de  la  nuit  n'interrompent  pas  ?  Il  n'est 
point  d'exil  si  affreux  qui  ne  soit  agréable  à  un 
Chrétien ,  dit  saint  Augustin  ,  parce  qu'il  trouve 
partout  Jésus-Christ  :  d'où  vient  donc  que  Jésus- 
Christ  lui-même  n'a  plus  d'attraits  pour  nous, 
depuis  qu'il  est  dans  l'éternelle  patrie  ,  dans  le  lieu 
le  plus  délicieux  ?  Est-il  possible  que  la  terre 
puisse  nous  aveugler  jusqu'à  ce  point?  la  terre, 
ce  séjour  si  sombre  ,  si  contagieux  ,  ce  séjour  où 
se  succèdent  tous  les  maux  ,  où  ,  selon  la  vicissi- 
tude des  saisons  ,  tantôt  une  poussière  sèche  et 
importune  nous  offusque  ,  tantôt  de  pluvieux  ora- 
ges nous  plongent  dans  la  fange  ;  où  des  chaleurs 
extrêmes  prennent  la  place  des  froids  excessifs  , 
le  dégoût  la  place  de  la  faim  ,  les  repenf'rs  amers 


DE  l'Ascension.  355 

la  place  des  désirs  avides  ,  la  crainte  quî'^nous 
trouble  celle  du  désespoir  qui  nous  accable  ;  cette 
terre  où  l'épuisement  suit  le  travail  ,  l'ennui  l'oi- 
siveté ;  où  la  solitude  est  triste  et  la  société  in- 
commode, les  ennemis  cruels,  les  amis  intéressés; 
où  la  prospérité  nous  expose  à  l'envie  ,  l'adversité 
aux  mépris  ;  où  les  richesses  sont  la  source  des 
soucis  ,  la  pauvreté  la  mère  de  tous  les  maux; 
cette  terre  enfin  où  je  vois  à  peine  un  jour  entiè- 
rement calme  ,  où  tout  le  monde  souffre,  tout  le 
monde  gémit  ;  où  notre  vie  n'est  qu'un  enchaîne- 
ment, qu'une  révolution  de  disgrâces  et  d'afflic- 
tions qui  se  multiplient,  qui  ne  nousdonnentpoint 
de  relâche. 

Soyez  louée  éternellement,  aimable  et  divine 
Providence  ,  d'avoir  ainsi  semé  d'épines  toutes 
nos  voies  ,  d'avoir  rendu  nos  plaisirs  si  rares  et 
si  courts  ,  de  les  avoir  mêlés  de  tant  d'amertume. 
Quel  serait  notre  attachement  pour  ce  monde 
périssable,  s'il  avait  quelques  douceurs  pures  et 
solides  ,  puisque  tel  qu'il  est  ,  il  nous  enchante 
et  ûCUS  SCuuit  ?  \j  ïïiôriuê  îrnp'ùr ,  5  êcne  a  cette 
occasion  saint  Augustin,  teneri  vis  periens  ;  quid 
faceres  si  vianeres  ?  quid  faceres  didcis  _,  si  ama- 
rus  alimenta  menliris  ?  O  monde  décrié  par  tes 
désordres  et  par  tes  infidélités  !  on  ne  te  quitte 
qu'à  regret  malgré  la  fragilité  de  tes  biens,  mal- 
gré le  nombre  infini  de  maux  dont  tu  es  rempli! 
Que  serait-ce  si  tu  étais  ou  moins  rebutant,  ou 
moins  caduc  ?  avec  quelle  avidité  ne  courrions- 
nous  pas  après  tes  biens  ,  si  tu  en  avais  de  vérita- 
bles ,  puisqu'en  ne  nous  présentant  que  de  faux, 
que  de  frêles  avantages  ,  tu  nous  attires  ,  tu  nous 
surprends  ?  Qaid  faceres  dulcis,  si  amarus  alimenta 
vientiris  ? 

Reconnaissons  aujourd'hui  notre  aveuglement , 
Chrétiens  auditeurs,  commençons  à  nous  détacher 
de  ce  que  nous  devons  nécessairement  quitter  un 
jour  ;  examinons  devant  Dieu  par  quel  endroit 
notre  cœur  tient  le  plus  fortement  à  la  terre  ,  ce 


356     2.  PouK  LE  Jour  de  l'Ascension. 

qui  nous  fait  le  plus  aimer  la  vie  ,  ce  qui  nous  fait 
le  plus  craindre  la  mort ,  ce  qui  nous  empêche  de 
la  désirer.  Rompons  ce  lien  ,  nous  le  pouvons  ; 
rendons  à  notre  cœur  la  liberté  de  soupirer  pour  le 
Ciel,  où  règne  notre  Rédempteur.  Faisons  ensorle 
que  la  volonté  de  Dieu  soit  l'unique  chaîne  qui 
nous  retienne  dans  ce  monde. 

Disons-lui  cent  fois  le  jour  :  Oui ,  Seigneur,  je 
suis  prêt  à  abandonner  au  premier  commandement 
tout  ce  que  j'aime  ,  tout  ce  que  je  possède  ,  tout 
ce  que  j'espère  ;  je  vous  offre  cette  famille  chérie, 
ces  enfans  pour  qui  vous  m'avez  donné  tant  de 
tendresse ,  ces  honneurs  que  je  tiens  de  vous ,  ces 
trésors,  cette  beauté  ,  cette  jeunesse,  qui  sont 
autant  de  bienfaits  de  votre  main  libérale,  ma  vie 
enfin  et  tout  ce  que  je  puis  perdre  avec  elle  ,  lors- 
qu'il vous  plaira  de  m'appeler  à  vous.  Je  ne  veux 
pas  que  ma  volonté  résiste  un  moment  à  la  vôtre  , 
ni  que  dans  ce  monde  elle  s'attache  à  rien  qui  me 
la  fasse  regretter.  Je  veux  vous  rendre  mon  ame, 
ô  mon  aimable  Sauveur,  avec  la  même  facilité  que 
la  vôtre  sortit  de  son  corps,  que  votre  corps  sortit 
du  sépulcre,  et  que  l'un  et  l'autre  monta  dans  le 
Ciel.  Ce  n'est  pas  assez  ,  ce  me  semble  ,  non ,  ce 
n'est  pas  assez  pour  un  Chrétien  de  faire  une  bonne 
mort ,  c'est-à-dire  ,  de  mourir  dans  votre  grâce  ; 
il  faut  qu'il  meure  avec  douceur,  qu'il  meure  avec 
joie  ;  il  faut  qu'il  fasse  connaître  par  ses  sentimens 
que  tout  ce  qu'il  aime  est  au  Ciel ,  où  il  s'en  va, 
qu'il  y  a  long-temps  qu'il  languit  dans  l'attente  du 
bonheur  dont  la  mort  le  va  mettre  en  possession  ; 
qu'il  fasse  connaître  que  son  aimable  maître  ne 
l'appelle  pas  seulement ,  mais  qu'il  Tallire  forte- 
ment à  lui  ;  enfin  qu'il  meure  moins  par  la  défail- 
lance de  la  nature  ,  que  par  la  force  de  l'amour 
qu'il  a  pour  son  Dieu  ,  que  par  le  désir  ardent  de 
s'aller  unir  à  celui  dont  il  ne  doit  jamais  se  séparer. 
Ainsi  soit-il. 

tlA   DU    TOME    PREMIEB. 


SERMONS 

CONTENUS 

DANS  LE  PREMIER  VOLUME. 


1^^  Pour  la  Fête  de  tous  les  Saints.  La  sain- 
teté est  la  seule  véritable  sagesse.^ 

Page  I 
JP  Pour  la  même  Fête.  Bonheur  des  Saints. 

V^  Pour  le  jour  des  Morts.  Mort  du  Chré- 
'  '  tien.  46 

IP  Pour  le  même  jour.  Mort  de  l'impie.  67 

1®^  Pour  le  jour  de  Noël.  J.  C.  notre  guide 
pour  aller  à  Dieu.  84 

IP  Pour  le  même  jour.  Jésus  pauvre ,  et  le 
Dieu  des  pauvres.  io4 

P^  Pour  le  jour  de  la  Circoncision.  Du  Nom 
de  JÉSUS.  124 

1\^  Pour  le  même  jour.  Du  prix  et  de  l'em- 
ploi du  temps.  i/jS 

P^  Pour  le  jour  de  V  Epiphanie.  Jésus  Roi , 
et  le  Roi  des  Rois.  i65 

IP  Pour  le  même  jour.  Les  riches  et  les 
grands  du  siècle  doivent  travailler  à 


leur  salut  avec  un  soin  tout  parti- 
culier. i86 

V^  Pour  le  jour'  de  la  Passion.  Des  douleurs 
de  l'ame  et  du  corps  de  J.  G.       204 

IP  Pour  le  même  jour.  Récit  de  la  Passion. 

239 

y^  Pour  le  jour  de  Pâques.  Preuves  de  la 
Résurrection  et  de  la  Religion.     274 

IP  Pour  le  même  jour.  De  la  gloire  que 
J.  G.  a  achetée  par  ses  souffrances.  295 

P^  Pour  le  jour  de  V  Ascension.  Sainteté  de 
J.  G.  3i4 

W  Pour  le  même  jour.  Le  Mystère  de  l'As^ 
cension  doit  nous  être  un  sujet  de 
joie.  336 


FIN  DE  LA.  TA.BLE  DU  PREMIER  VOLUME. 


^k^ft^ 


*i'  -AT 


H^ . 


"«»*» 


v4$  # 


-  ^ 


.  e. 


5^^ 


wTv