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Full text of "Variétés sinologiques"

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VARIETES  SINOLOGIQUES  N"  19. 


T'IEN-TCHOU 


«SEIGNEUR  DU  CIEL» 


A  PROPOS  D'UNE  STELE  BOUDDHIQUE  DE  TCH'ENG-TOU. 


PAK 
LE  P.  HENRI  HAVRET,  S.  J. 

SECONDE  ÉDITION 


CHANG-HAI. 

IMPRIMERIE  DE  LA   MISSION  CATHOLIQUE 

OBPHELINAT     DE     t'oU-SK-wF:. 

1909. 


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TRANSCEIPTION  DES  MOTS  SANSCRITS. 

Pour  cette  étude,  chinoise  avaut  tout,  on  «'est  contenté  des  ressources  typographi- 
ques communes,  lesquelles  suffisent  présentement  eu  chinois  et  dans  la  transcription 
sanscrite  vulgaire,  —  mondaine,  si  l'on  veut. 

On  ne  distinguera  pas  le  visarga  de  Vh,  ni  l'annsvàra  de  Vm,  ni  des  dentales  Vu 
vélaire  ou  les  «cérébrales»,  sauf  la  sifflante  :  sh,  graphie  reçue  même  en  France. 

La  sifflante  palatale  sera  s';  Vr  voyelle  ri. 

Mais  nous  gardons  le  style  technique  des  indianistes  : 

—  dans  nos  textes  italiques,  quant  à  l'usage  de  1'»,  pure  labiale:  btiddha,  équivalant  au 
digraphe  français  ou  (Bouddha  en  romaine)  ; 

—  partout,  quant  à  l'usage  de  Vc,  pure  palatale,  qui  vaut  é  ou  é:  devendra  (non  dêvêndra 
ni  dévendra). 


PLANCHES 

Aspect  du  monument Frontispice. 

Spécimen  de  l'écriture Page  21. 

Ensemble  lisible  de  l'inscription Page  29. 


^  ±  T'IEN-TGHOU 


«SEIGNEUR  DU  CIEL», 


-^I'*-l^- 


A  LA  RECHERCHE  D'ANTIQUITES  CHRETIENNES. 


Il  y  a  peu  d'années  je  rencontrais  avec  un  vif  plaisir,  dans 
un  ouvrage  de  la  Propagande  (1),  l'indication  suivante,  qui  me 
mettait  sur  la  voie  d'antiques  vestiges  du  Christianisme  dans  la 
Chine  occidentale. 

«Vicariat  apostolique  du  Se-tch'oan  N.-O.  —  Origine.  Dans,  un 
temple  appelé  Ts'irtcj  yang-hong,  auprès  de  la  ville  de  Tch'eng- 
tou,  capitale  de  la  province  du  Se-tch'oan,  se  voit  une  pierre 
gravée  sous  les  T'ang,  c'est-à-dire  au  VI*  siècle  de  notre  ère  (2), 
paraissant  à  quelques  uns  faire  allusion  aux  principaux  dogmes 
de  la  foi  chrétienne.  D'autres  monuments  encore  indiquent  que 
la  religion  du  Christ  florissait  jadis  dans  cette  contrée.» 

Il  est  vrai,  la  première  version  de  ces  faits,  à  laquelle  je  me 
reportai  aussitôt,  avait  été  plus  affirmative  (3).  Suivant  elle,  la 
Stèle  des  T'ang  ne  se  contentait  point  de  «paraitre  à  quelques-uns 
faire  allusion  aux  principaux  dogmes  de  la  foi  chrétienne»  (allu- 
dere  quibusdam  videtur);  elle  y  faisait  «une  allusion  ouverte» 
(aperte  alludit).  D'autres  monuments  «n'insinuaient»  (insinuant) 
pas  seulement  que  la  religion  du  Christ  avait  fleuri  dans  ces  con- 
trées ;  ils  «l'attestaient»  (testantur)  purement  et  simplement. 

On  avait  eu  sans  doute  de  bons  motifs  pour  modifier  ce  texte 
dans  les  éditions  postérieures.  Ils  m'étaient  inconnus.  Mais  celte 
simple  annonce,  même  ainsi  atténuée,  restait  encore  fort  intéres- 
sante pour  les  origines  du  Christianisme  en  Chine. 


(1)  Missiones  catholicœ,  an.  1895,  p.  29(5. 

(2)  Il  y  a  là  une  légère  erreur:  la  dynastie  T'ang,  dans  la  personne  de  son  premier 
empereiir  Kao-tsou  ^  jjtEi  ne  date  que  de  l'année  618;  elle  dura  jusqu'en  907. 

(3)  Miss,  catholi.,  an.  1886,  pp.  25,  26. 


2  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

Elle  était,  de  plus,  suggestive.  Comment  les  missionnaires, 
possesseurs  d'un  tel  trésor  au  point  de  vue  de  l'apologie,  s'étaient- 
ils  contentés  jusqu'ici  d'une  mention  si  vague?  Etait-ce  le  temps, 
l'occasion,  les  ressources,  qui  leur  avaient  manqué  pour  décrire 
en  détail  ces  monuments?  ...  Finalement,  pensai-je,  si  d'autres 
n'ont  point  envisagé  la  question  sous  ce  jour,  ce  n'est  point  une 
raison  pour  que  la  lumière  reste  indéfiniment  sous  le  boisseau. 
Et  je  fis  une  démarche  pour  obtenir  une  copie  de  l'inscription  de 
Ts'ingyang-kong. 

Le  Révérend  Père  Robert,  Procureur  de  la  Société  des  Mis- 
sions-Étrangères à  Chang-hai,  accueillit  bienveillamment  ma  de- 
mande, et,  après  quelques  mois,  je  reçus,  par  ses  soins,  un  pré- 
cieux paquet,  comprenant  une  photographie  du  monument,  ainsi 
qu'un  frottis-calque  de  l'inscription,  pris  sur  trois  des  faces  restées 
plus  ou  moins  lisibles. 

J'étais  ravi  de  posséder  un  tel  envoi,  qui  n'allait  point  tarder 
à  me  révéler  ses  secrets.  Ma  joie,  hélas!  fut  de  courte  durée: 
j'étais  en  présence  d'une  inscription  païenne  des  mieux  authenti- 
quées, et  le  dieu  T'ien-tchou  ^  ;^,  dont  je  lisais  le  nom  sur 
l'antique,  inscription,  n'était  autre  que  le  brahmanique  Indra, 
incorporé  par  faveur  au  Panthéon  du  bouddhisme  chinois... 

Pour  éviter  à  autrui  des  déceptions  semblables,  j'ai  cru 
utile  de  consacrer  quelques  pages  à  la  Stèle  de  Tch'eng-tou:  elles 
serviront  à  ceux,  nombreux  encore,  même  parmi  les  mission- 
naires, qui  ne  sont  point  fixés  sur  certains  points  de  la  termino- 
logie chrétienne. 


NOMS    DU    VRAI    DIEU    EN    CHINE. 


NOMS  DU  VRAI  DIEU  EN  CHINE. 


Depuis  deux  mille  ans,  Juifs,  Musulmans,  Nestoriens,  Catho- 
liques, Protestants,  se  succédant  en  Chine,  et  appelés  à  y  choisir 
une  dénomination  pour  désigner  le  vrai  Dieu  qu'ils  adoraient, 
ont  épuisé  toutes  les  combinaisons  que  leur  offrait  la  littérature 
chinoise.  On  a  vu  simultanément  la  même  religion  se  servir  de 
la  transcription,  de  la  composition  et  de  l'emprunt.  Nous  rappel- 
lerons, simplement  au  point  de  vue  historique,  les  noms  qui 
furent  ainsi  adoptés. 

1°  —  La  colonie  juive  de  K'ai-fong  fou  ^  ^  )^,  dont  l'origine 
probable  remonte  au  premier  siècle  de  notre  ère  (1),  nous  offre, 
sur  des  inscriptions  datant  de  1489,  1512  et  1663,  dont  la  termi- 
nologie est  évidemment  reproduite  de  stèles  plus  anciennes,  les 
noms  ou  caractères  suivants  pour  désigner  Dieu  (2)  : 

31^  T'ien  «Ciel»  [Seigneur  du  CielJ. 

^  Ji  Tchen  Vien  «Vrai  Ciel»  [Vrai   Seigneur  du  Ciel]. 

^  ^  Hoang-l'ien    «Auguste    Ciel»    [Auguste    Seigneur    du 

Ciel]. 

J:  ^  Chang-t'ien   «Ciel  supérieur»   [Suprême   Seigneur  du 

Ciel]. 

^  %  Hao  t'ien  «Auguste  Ciel»  [Auguste  Seigneur  du  Ciel]. 

^  3^  _h  ^  Hao-Vien-Chang-ti  «Suprême  Seigneur  du  Ciel 
majestueux». 

^  ^  Hoang-k'iong    «Ciel    auguste»    [Auguste    Seigneur   du 

Ciel]. 

^  Ti  «Dominateur». 

J;^  ^  Cliang-ti  «Suprême  Dominateur». 

^  ^  Ts'ing-tchen   «L][Étre]  pur  et  vrai». 

^   ^  Tche-ts'ing  «L'[Étre]  très  pur». 

M  ^  Ou-siang  «L'[Êlre]  sans  forme  extérieure». 

M  i^  Ou-siang  «L'[Être]  sans  figure». 

S  (fc  ^  Tsao-hoa-t'ien  «Le  Ciel  créateur»  [Le  Seigneur 
du  Ciel  créateur]. 

^  ^  "È.  rc/i'a?i5fchengfc/iou  «Le  Seigneur  toujours  vivant». 

^  Tao  ei  ^  ^  T'ien-tao  «La  Voie»  et  «la  Voie  du  Ciel». 

Parmi  ces  seize  ou  dix-sept  vocables,  aucun  n'est  dû  au 
procédé  de  la  transcription,  ce  qui  s'explique  du  reste  assez  bien 
par  la  crainte  superstitieuse  des  .luifs  pour  le  Nom  réputé  ineffable. 


(1)   Var.  Sinol.,  N°  17-  Inscriptions  juives  de  E'ai-fong  fou,  par  le  P.  J.  Tobar.  1900 
pp.  88/Jl. 

l2;  Var.  Sinol.,  N°  17.  Inscriptions  juives,  pp.  104,  105. 


4  T'IEN-TCHOU,    SEIGNEUR    DU    CIEL. 

En  revanche,  les  caractères  ^  T'ien,  ^  Ti  et  leurs  dérivés 
fournissent  de  larges  emprunts  faits  aux  classiques  de  la  Chine. 
m  Tao  est  visiblement  une  réminiscence  de  Lao-kiun  ^  ^  ; 
Ts'ing-tchen  sert  en  même  temps  aux  Juifs  pour  leur  synagogue 
et  aux  Mahométans  pour  leurs  mosquées.  Enfin  quelques  autres 
termes,  dus  à  la  composition,  indiquent  plutôt  des  attributs  que 
la  Divinité  elle-même.  Ajoutons  que  les  auteurs  des  mêmes  stèles, 
pour  un  nom,  il  est  vrai,  moins  important  que  celui  de  Dieu,  le 
nom  d'Abraham,  père  des  croyants,  n'ont  point  hésité  à  se 
servir  (1)  des  deux  expressions  M  M  ^  M^  B  M  (-)'  ^^^^  ^^ 
première  représente  ÏArhal  chinois-hindou  complet,  avec  inter- 
calation  de  M  ou,  la  seconde  le  même  mot  abrégé  tel  que  l'auto- 
risait l'usage  bouddhique  (3). 

00  —  Lres  Mahométans  venus  en  Chine  dès  le  VIP  siècle  (4), 
adoptèrent  de  bonne  heure  la  nomenclature  des  Juifs.  L'inscrip- 
tion commémorative  de  la  mosquée  de  Si-ngan  fou  ïf  ^/^,  datant 
de  742,  et  précieusement  conservée  dans  les  recueils  de  la  secte, 
consacre  l'emploi  du  mot  _h  ^  Chang-ti,  puis  du  mot  ^  T'ien, 
soit  seul,  soit  en  composition,  comme  dans  -^  Ji  Wei-t'ien,  ^ 
3R  Che-t'wn,  ^  ^  Hao-i'ien,  ^jjc  1^  King-i'ien.  «Le  principal  objet 
de  cette  religion  est  le  Ciel  créateur»...  j^  it  ^'M  ^  È,  ^  'M  ^'^ 
phrase  qu'ailleurs  un  auteur  musulman  explique  en  disant  qu'il 
faut  prendre  le  mot  T'ien  dans  le  sens  de  Tchou  «Maître»  Une 
inscription  de  1526  débute  de  cette  façon:  "^  ^^i  it^'M^  :t 
^  ^  «Le  Ciel,  c'est  le  Seigneur  qui  a  créé  l'univers».     Et   elle 


(1)  Ibid.,  pp.  30;  .58,  G3;  65  et  C3;  65. 

(2)  C'est  par  erreur  que  j'ai  écrit  PSI  ^  au  lieu  de  ^  'g|  daus  :  Quelques  notes 
extraites  d'un  commentaire  inédit,  p.  11. 

(3)  VA.  'EMf^l.  Uandhook,  &\x  moi  Arhan  (-è-l.  Arhat):   1^  ^   M  ou   li  l^- 

(4)  La  tradition  musulmane  chinoise  fait  remonter  à  la  période  \m  M  KUn-hoang 
(.581-6001  l'introduction  du  Mahométisme  en  Chine  :p§i?|^4*_^^MA;Ô^ 
4*  $  (Stèle  de  la  Mosquée  de  Si  ngnn  fou,  !^  îiÉ  Ifi'  M  ^  '^  HE  i  de  l'an  742).  Il 
y  a  là  une  erreur  évidente,  puisque  l'Hégire  ne  date  que  de  62-'.  La  date  des  années  K^ni- 
hoaiig  ne  me  semble  pas  pour  cela  a  rejeter  :  ufte  colonie  arabe  a  pu  se  fixer  en  Chine 
vers  cette  époque,  et  se  voir,  au  commencement  des  T'a)ig,  renforcée  par  des  disciples  de 
Mahomet.  La  préface  du  7^  JJ  ^  /îpC  accentue  l'erreur  de  la  Stèle,  en  faisant  remon- 
ter :\  l'an  .587,  l'envoi  en  Chine  par  Mahomet  de  ^  m  rp  ^  '^A  it  i  avec  les  livres 
saints  ^  i^C  ^  T  'DU'  l'arrivée  par  mer  de  ce  dernier  à  Canton,  et  la  construction 
de  la  mosquée  1^  ^  ^.  Cf.  Le  Mahunutisnie  en  Cliine,  par  Dabry  de  Thiersant,  Tom. 
I,  pp.  20,  68,  not.  2,  15.'.  —  L'auteur  de  la  susdite  préface  indique,  comme  source  de  ses 
informations,  les  ouvrages:  ^^i^.ipf#lf^^  ^»,^  ^^-  L.  -^  B^ 
— '    >mt    ^'    le  seul  de  res  Iruis  ou\  rages  qup  lions   avons  pu  consulter,   porte   ^'.tl|e  A'., 

Wi^^mmy-mm^^m  Am^  a  mn^  i^  n  b  ^  n 

■îK  ^  A  T*  Isl  •    —  Nous  regrettons  de  n'avoir  pu  consulter  le  travail  de  M.  Devéria, 
sur  les  Origines  de  l'Islamisme  en  Chine. 


NOMS    DU    VRAI    DIEU    EN    CHINE.  5 

use,  ainsi  qu'une  autre  de  1405,  des  expressions  confucéennes  : 
v^  71  King-l'ien,  H  ,î?|  T'ien-tao,  ^  Jg  T'ien  li,  J:  ^  Chang-t'ien, 
^  ^  Pao  ^'1671,   ^  ?^  Chet'ien,  -^  Tz^  eic. 

Dans  leurs  préfaces  et  autres  ouvrages  traitant  de  religion, 
les  auteurs  mahomélans  se  servent  le  plus  souvent,  pour  dési- 
gner Dieu,  des  expressions  ;  ^  ^  Tchen-tchou  «Vrai  Seigneur», 
^  ^  Tchou-tsai  «Seigneur,  gouverneur»,  -^  Tchou  «Seigneur», 
tantôt  seules,  tantôt  précédées  d'un  qualificatif.  Mais  ils  ne  s'in- 
terdisent pas  l'emploi  de  vocables  empruntés  aux  Lettrés,  ainsi 
qu'on  peut  le  voir  dans  la  Vie  de  Mahomet  3'^  ^  ^  ^  ^  ^  ^ 
1^  T'ienfang  tche-cheng-che-lou  nien-pou  (1).  Là,  par  exemple, 
l'acticle  capital  Tch'onq-fonq  ^  ^  «Du  cuUe»,  débute  par  ces 
paroles  :  #  ^  ^  A  ±  ^.  ^JL^'  k  *  ^  ±  M  4-  M  A  ±  M-  IP 
^  li  4-  a  A.  ;t  ^-  ip  ^  M  ^  ^f  #  4-  etc. 

Je  possède  en  outre  une  longue  note  chinoise  manuscrite 
venant  de  nos  anciens  missionnaires  (2)  et  relevant  l'emploi  des 
expressions  désignant  la  Divinité  dans  trois  ouvrages  musulmans 
(3).  Je  reproduis  cette  liste  comme  je  la  trouve.  Outre  le  titre  de 
^  ^  Ts'ing-tchen,  on  y  voil  : 

J:  ^  Chang-ti,   11  fois. 

^  ^  Tchou-tsai  «Maître,  gouverneur»,  18  fois. 

Ji  T'ien,  33  fois. 

^  T'ien,  précédé  d'un  verbe  (^  ^  King  t'ien,  ^  ^  Wei- 
t'ien,  etc.),  24  fois. 

3R  T'ien,  suivi  d'un  substantif  (5^  ^  T'ien-ming,  ^  g  T'ien- 
li,  etc.),  46  fois. 

3Ç  ^  T'ien-tao,  2  fois. 

^  ^  H ao  t'ien,  une  fois. 

^  ^  ^  Éc.  Wan-outche-tchou  «Maître  de  toutes  choses», 
une  fois. 

^  ^  ^  Tsao-ou-tché  «Le  Créateur»,  une  fois. 

Ne  possédaiit  pas  les  ouvrages  qui  ont  inspiré  cette  nomen- 
clature, nous  ne  pouvons  la  contrôler;  mais  nous  la  donnons  avec 
confiance,  vu  son  origine  et  aussi  la  fidélité  d'un  compte-rendu 
semblable  sur  les  inscriptions  juives,  inséré  dans  le  même  ma- 
nuscrit. 

On  le  voit,  les  appellations  confucéennes  de  la  Divinité  ne 
gênèrent  jamais  plus  les  Musulmans  que  les  Juifs  (4). 

(1)  Init.  et  Kiiien  19,  20. 

(2)  Elle  faisait  partie  de  l'achat  fait  à  Paris  par  le  P.  Brucker  d'anciens  documents 
soustraits  à  la  Compagnie.  Cf.  Inscriptions  juives  de  K'ai-fong  fou  ;  p.  II,  not.  1. 

(3)  Ces  ouvrages  sont:  jE  ^  :R  ^  Tchen-kiao-tchentsinrn;  E9  ^  M  ^ 
^   W~   ^  Wt   Se-jnen-yao-tao-pien-mong-tsien-chouo  ;    M  M   ^  ^    Ts'ing-tchrn- 

kiao-k'ao. 

(4)  C'est  donc  à  tort  que  certains  missionnaires  ont  affirmé  le  contraire.  Cf.  liela- 
tion  abrégée  de  la  nouvelle  persécution  de  la  Chine,  trad.  de  l'italien  par  le  R.  P.  (Domi- 
nicain) François  Gonzalés  de  S.  Pierre,  1712,  pp.  80,  81. 


6  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

J.  Legge  TavJ'it  pressenti  dans  The  notions  of  the  Chinese 
concerning  God  and  Ihe  Spirits  (1852,  pp.  132,  133)  — Dabry  de 
Thiersant  (^Le  Mahométisme  en  Chine,  Tom.  II.  pp.  40,  41)  l'établit 
d'un  façon  plus  précise  encore,  par  des  citations  du  5^  j^  |t  0. 
Le  mahométan  Lieoit  Kiai-lien  fij  ^  ^,  l'auteur  connu  de  ce 
dernier  ouvrage,  de  la  Vie  de  Mahomet,  etc.,  regarde  les  expres- 
sions ^  et  J:  ^  comme  aussi  orthodoxes  que  i,  :È  ^,  ^  ^, 
fit  ^,  qu'il  emploie  tour  à  tour.  Palladius  a  ra|)pelé  que  le 
premier  ouvrage  musulman  chinois,  paru  en  1642,  essayait  de 
montrer  les  rapports  du  Confucianisme  et  du  Mahométisme. 

3"  —  Des  Nestoriens  qui  entrèrent  en  Chine  en  635,  il  ne  nous 
reste  qu'un  monument,  la  fameuse  inscription  de  Si-ngan  fou, 
composée  par  King-lsing  ;^  ^fh  en  781.  Pour  désigner  le  vrai 
Dieu,  l'auteur  débute  par  une  série  d'attributs  :  vérité,  aséité, 
spiritualité,  éternité,  création,  sanctification,  que  le  lecteur  pourra 
lire  dans  le  texte  original  (1).  Il  emploie  en  passant  l'expression 
7C  dit  Yuen-tsuen  «Le  premier  [Etre]  digne  d'hommages».  Enfin 
il  nous  donne  cette  dénomination  complexe:  ^  ^  —  j^  ^.  9c 
7C  S:  i-  M  ^  M  «L'Etre  admirable  de  notre  Unité  trine,  vrai 
Seigneut  sans  commencement,  Alahan.  Ainsi,  emploi  simultané  de 
qualificatifs,  du  nom  déjà  connu  Tchen-tchou,  enfin  de  la  transcrip- 
tion d'un  mot  syriaque,  tel  est  le  procédé  de  King-tsing  pour 
désigner  la  Divinité. 

Cette  inscription  ne  reproduit  pas  les  mots  ^  T'ien,  J:  •^ 
Chang-ti.  Peut  on  conclure  rigoureusement  du  silence  de  cette 
pièce  unique,  qu'ils  aient  été  répudiés  comme  superstitieux  pas  les 
Nestoriens?  Plusieurs  ont  cru  pouvoir  répondre  affirmativement; 
par  exemple,  le  P.  Franciscain  Antoine  de  Sainte  Marie  et  l'abbé 
Renaudot  (2).  Evidemment  la  conclusion  dépasse  les  prémisses. 

Ce  que  l'on  peut  déduire  beaucoup  plus  clairement  des 
appellations  de  notre  Stèle,  c'est  que  l'orthodoxie  des  Nestoriens 
de  cette  époque  se  montrait  aussi  peu  scrupuleuse  que  possible 
en  pareille  matière.  Passe  encore  qu'ils  aient  emprunté  au  Tao 
^  de  Laotse  ^  -^  toute  la  série  des  attributs  divins  :  l'éternité 
('i^),  la  vérité  (^),  la  tranquillité  (^),  l'antériorité  (^fc),  l'intelli- 
gence ('^),  l'indépendance  (^),  la  profondeur  C^'),  la  spiritualité 
(^j?),  la  mystérieuse  causalité  (^)  de  tous  les  êtres  (^  '^Ij).  Passe 
encore  pour  le  mot  Tsuen  j^  «noble,  vénérable»,  attribué  à  Dieu, 
puis  au  Messie;  c'était  un  titre  caractéristique  donné  aux  patriar- 
ches et  à  certains   saints   du    Bouddhisme,    traduisant   VArija   (3) 

(1)  Variétés  Sinolog.,  N°7.  La  Stèle  chrétienne  de  Si-ngan-fou,  l^""^  Partie,  iS.tS, 
pp.  XV,  XVI. 

(2)  Cf.  Quelques  notes,  etc.,  p.  3. 

(3)  Cf.  Handbook  d'Eitel,  au  mot  Arya.  L'a  majuscule  nous  manque  pour  l'instant; 
lire  ârya,  ârijas,  ici  et  au  texte. 


NOMS    DU    VRAI    DIEU    EN    CHINE.  7 

sanscrit;  c'était,  cum  adclito^  tantôt  le  nom  des  Devas  Aryas 
Ji  ^,  tantôt  l'une  des  dénominations  les  plus  habituelles  du 
Bouddha  :  -^  M^  ^  M^  -t  Mi  :k  M^MM-  ^^c.  Bien  plus,  Yuen- 
tsuen  est  appliqué  depuis  longtemps  h  la  première  personne  de 
la  Trinité  taoïste  (^  |pf),  dans  l'expression  7C  ia   ^  1^- 

Mais  la  dénomination  complexe,  qui  exprime  plus  stric- 
tement la  notion  du  Dieu  des  Chrétiens,  ne  renferme  pas  un  trait 
qui  ne  soit  emprunté.  Car,  en  dehors  du  mot  Tchen-tchou  ^  ^ 
«vrai  Seigneur»,  reçu  par  les  Mahométans,  et  lui-même  imité  du 
Tchen-tsai  ^^  «vrai  Gouverneur»  et  du  Tchen  hiun  ^  ;§"  «vrai 
Prince»  de  Tchoang-tse,  ainsi  que  du  Tchen-i'ien  ^  ^  «vrai 
[Seigneur  du]  Ciel»  des  Juifs,  1**  San-i  ^  —  (litt.  «Trois  Un»,  ici 
«Trine  Unité»)  lui-même  n'avait  pas  le  mérite  de  la  nouveauté: 
on  l'avait  emprunté,  matériellement  du  moins,  dans  les  Annales 
de  Se-ma  Ts'ien  (1)  et  dans  l'Histoire  des  Han  (2)  à  la  cosmogonie 
ou  théogonie  chinoise.  Les  Taoïstes  le  connaissaient  également. 
2°  Miao  chen  j^j;  J^  était  une  expression  bouddhique  déjà  con- 
nue (3).  3°  Quant  à  la  transcription  |5pJ  ^  f pf  Alaha,  tant  prô- 
née par  l'abbé  Renaudot  (4)  et  par  quelques  missionnaires  protes- 
tants de  notre  siècle,  elle  constitue  le  plus  audacieux  emprunt  que 
King-tsing  se  soit  permis  dans  sa  mosaïque.  J'avais  cru  longtemps 
que  ce  mot  était  bien  d'origine  ncstorienne,  contemporain  d'Olopen 
(635)  ;  et  je  trouvais  déjà  hardi  cet  assemblage  de  caractères, 
rappelant  de  si  près  VArhat  sanscrit  Ppf  ^  "^  (5)-  Mais  aujourd'hui 
le  doute  n'est  plus  permis;  la  transcription  fpj  ^  pP[  se  voit  dans 
des  ouvrages  bouddhiques  antérieurs  de  plus  de  deux  siècles  à 
l'arrivée  d'Olopen,  par  exemple  dans  le  Miao-falien-hoa-king  ^ 
î^  M  ^  ^  (!■"''  2%  7«  A'.)  de  Kumârajiva  (-102  à  412),  où  il 
entre  plusieurs  fois  comme  second  titre  du  Bouddha  dans  l'ex- 
pression ^  l^t  PpI  tl  ;t-  1^  ^  fpj-  i  ^  H  il  fô-  Tathâgata- 
Arhat-Samyak  sambuddlia  (6). 

(i)_çf.  ^  lÏÏ  Che-ki  (CJbap.  ^  M)  ■  'Ù  ^  yi  ^  E  ^  ^  M  ±  ^^ 

_  (2)_ci.  n  m  â  (Chap.  xp  m  jS;,  ±):  ■*  ^.  ^  ï^  h  ^  --  .^  ic 

^  yjÎQ  ^  — *•  ^  ' — ■•  flfi  ~^-  ^^  — •  «Daus  l'antiquité,  l'Empereur,  tous  les  trois 
ans,  offrait  un  grand  sacrifice  aux  Trois  Unités  :  le  Ciel,  la  Terre  et  le  Chaos.»  Le  Dic- 
tionnaire de  K'ang-hi  citant  ce  dernier  texte,  ne  laisse  aucun  doute  sur  la  lecture  ^  — * 
du  Che-ki. 

(3,1  Cf.  Hanilbook,  au  mot  Padmôtiara.  —  Le  ^  ^  "T"  f*  ^  ^  de  la  pagode 
TcJi'ong-mi)ig-se  ^  rn  ^  de  Kiit-yoïig  V}  4^?  donne,  sous  le  n°  424,  uu  Bouddha  du 
nom  àe  Miao-cJien-fou   W^   ^    f^jj- 

(4)  Cf.  Anciennes  relations  des  Indes  et  de  la  CJii)ie.  Paris,  1718,  pp.  241  et  343. 

(5)  Cf.  Quelques  notes,  etc.,  pp.  6  à  11. 

(G)  C'est  à  l'obligeance  de  M.  Pelliot  que  je  dois  d'avoir  été  mis  sur  la  voie  de  cette 
constatation,  et  je  suis  heureux  de  lui  en  exprimer  ici  ma  reconnaissance.  —  Le  com- 
mentaire chinois  du  Miao-fa-lien-]iou-king  porte;  PPj  ^  pPj  •  lit  "Z» -{ffi  Pn  )  et  pPj  ^ 

M-  («  ii  ^  M-  ^  0  ^  ^-i  ^  S  ii  #.• 


8  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

Après  ces  remarques,  le  lecteur  sera  moins  étonné  de  voir  le 
lettré  païen  Liang  Siang  ^  ;fi@,  composant  en  1281  une  inscription 
commémorative  pour  une  église  nestorienne  de  Tchen-hiang  ^^fL^ 
appeler  ■^  Fou  «Bouddha»,  le  Dieu  qu'on  y  adore  (1).  Il  n'y  a  du 
reste  aucune  conclusion  à  tirer  de  ce  fait,  si  ce  n'est  l'ignorance 
personnelle  du  rédacteur  ijar  rapport  à  la  religion  dont  il  parlait. 
D'autres  lettrés  avant  lui  avaient  commis  une  confusion  identique 
à  propos  de  la  religion  de  Ta  ts'in  -^  ^  (2),  et  le  P.  Gaubil  a 
eu  l'indulgence  de  les  excuser  en  ces  termes:  «Beaucoup  de  Chi- 
nois habiles,  soit  anciens,  soit  modernes,  n'ont  nullement  voulu 
désigner  par  le  caractère  Fo,  cette  idole  indienne  appelée  Fo, 
mais  en  général  ce  qui  est  l'objet  d'un  culte  religieux,  sans  trop 
examiner  quel  est  l'objet  d'un  culte  religieux.» 

40  —  Il  nous  faut  maintenant  aller  jusqu'à  la  fin  du  XVP 
siècle,  pour  continuer  notre  examen  ;  car  il  ne  nous  reste  aucun 
document  chinois  des  travaux  apostoliques  entrepris  au  moyen- 
âge  par  les  missionnaires  Franciscaina. 

Dès  les  premières  démarches  de  Ruggieri  auprès  des  autori- 
tés chinoises  pour  obtenir  de  résider  en  Chine,  nous  voyons  ce 
Jésuite  se  servir,  pour  désigner  Dieu,  de  l'expression  «Seigneur 
du  Ciel»  (3).  Quelque  temps  après,  en  Septembre  1583,  quand 
Ruggieri,  celte  fois  accompagné  de  Ricci,  est  rappelé  à  Tchao- 
k'ing  ^  j^  par  le  nouveau  vice-roi  (4),  il  trouve  l'autel  qu'il  a 
laissé  en  dépôt  à  un  jeune  bachelier  encore  païen,  décoré  de 
«deux  grands  characteres,  comme  s'ensuit;  Thien-chu  (T'ien-tchou 
^  3Î-.)'  ^^  Dieu  du  Ciel...  Cela  remplit  les  Pères  de  la  douceur 
d'vne  ioie  céleste  quand  ils  virent  qu'en  fin  maintenant  au  moins 
après  tant  de  siècles  d'ignorance,  il  s'en  trouuoit  quelqu'vn  qui 
inuoquoit  le  nom  du  vray  Dieu  (5)».  Quelques  mois  après,  quand 
les  Pèrc!;  curent  bâii  une  chapelle,  ils  conservèrent  ce  vocable. 
«Et  ce  nom,  écrit  Trigault,  qui  a  esté  imposé  dez  les  premiers 
commencemens,  a  esté  continué  encor  iusqu'auiourd'hui,  soit  qu'il 

(1)  J'ai  donné  le  texte  de  cette  inscription  dans  les  Var.  sin.,  N°  12.  La  Stèle  de 
Si-ngan-fou,  pp.  385,  386. 

(2)  Cf.  Gaiibil,  Histoire  des  Tang,  dans  les  Mémoires  coHccrnant  les  Chinois,  ïom. 
X\  I,  pp.  228,  229;  379,  380.  De  Guigne  Sj  à  qui  on  a  reproché,  non  sans  quelque  raison, 
d'avoir  copié  la  môme  observation  dans  les  notes  manuscrites  de  Gaubil  sans  nommer 
sa  source,  s'étend  longuement  sur  ce  thème,  qu'il  exagère,  dans  un  mémoire  lu  à  l'Aca- 
démie, puis,  dans  son  Histoire  des  Huns  (Cf.  Tom.  I,  pp.  30,  4G,  50;  Tom.  II,  pp.  233,  234, 
210,393;  Ton».  V,  p.  3.59).  Plus  récemment,  Hirth,  dans  China  and  the  Boman  Orient 
(pp.  63,  284,  etc.),  apporte  de  nouveaux  exemples  à  l'appui  de  cette  confusion  des  lettrés 
chinois. 

(3)  Histoire  de  l'Expédition  ehrestienne  au  l{oyai(7ne  de  la  Chine,  par  le  P.  Nie. 
Trigault,  trad.  par  de  Hiquebourg.  Lyon  1616,  pp.  254,  263. 

(4)  Cf.  La  Stèle,  etc.,  2°  P,  p.  6. 

(5)  Hisl.  de  l'Expédition,  etc.,  pp.  266,  267, 


1 


i 


NOMS    DU    VRAI    DIEU    EN    CHINE.  M 

arrive  de  nommer  Dieu  en  discourant,  soit  en  escrivant  des 
Hures,  encor  qu'en  après  pour  plus  grand  esclaircissement  on  l'a 
aussi  appelé  de  plusieurs  autres  noms,  entre  lesquels  ceux-ci  sont 
les  plus  renommez  et  vsitez:  Souverain  modérateur  de  toutes  choses. 
Premier  commencement  de  toutes  choses,  et  autres  semblables  (1).» 
Nous  verrons  bientôt  à  quoi  ces  derniers  mots  font  allusion. 

De  fait,  à  partir  de  Ricci,  il  n'y  eut  jamais  d'interruption  dans 
l'usage  de  l'expression  T'ien-lchou.  C'est  le  nom  que  ce  mission- 
naire choisit  pour  titre  de  son  œuvre  capitale  5^  ^  ^  ^  T'ien- 
tchouche-i  «Vraie  notion  du  Seigneur  du  Ciel»,  au  moins  pour 
les  éditions  de  Pé-king  (2).  11  ne  craint  pas,  dans  son  mémorial 
d'introduction  à  la  Cour,  en  Janvier  1601,  d'attribuer  trois  fois  à 
Dieu  le  même  nom,  dans  les  expressions  3*^  jÊ  P  '^  «Image  du 
Maître  du  Ciel»,  ^  i  #  «Mère  de  Dieu»,  ^  :i  ®  «Prières 
chrétiennes»  (3).  Et  de  cette  lointaine  époque  datent  les  trois 
vocables  désormais  exclusivement  consacrés  par  un  usage  rendu 
public:  5^  ^  ^  T'ien-tchou  t'ang  (4)  «Temple  du  Seigneur  du 
Ciel»,  ^  ^  ^  T'ien-tchou-kiao  «Religion  du  Seigneur  du  Ciel», 
^  i  1^  Éfe  T'ien-tchou-kiang-cheng  «Incarnation  du  Seigneur 
du  Ciel».  Nous  retrouverons,  en  1650,  ces  trois  expressions  affi- 
chées par  le  P.  Schall  au  fronton  de  la  première  église  publique 
qu'il  vient  d'élever  à  Pé-king. 

Ricci  était  donc  loin  d'être  hostile  à  l'emploi  du  mot  T'ien- 
tchou,  qu'il  a  lui-même  illustré  plus  que  tout  autre.  Mais,  après 
une  longue  étude  des  livres  canoniques  de  la  Chine,  il  ne  crut 
pas  non  plus  devoir  condamner  les  mots  Chang  ti  «Souverain  Sei- 
gneur» et  T'ien  «Ciel»,  qui  se  trouvent  dans  ces  livres,  et  qui  lui 
semblent  avoir  désigné  dans  les  premiers  siècles  la  Divinité  (5), 
bien  que  plus  tard,  c'est-à-dire  «depuis  cinq  cens  ans»,  beaucoup 
de  Lettrés,  obscurcissant  ces  notions  primitives,  soient  devenus 
panthéistes  ou  athées  (6). 

Cette  tolérance  trouva  des  oppositions:  quelques  missionnaires 
du  Japon  en  conçurent,  paraît-il,  des  scrupules,  et  Longobardi, 
qui  avait  succédé  en  1610  à  Ricci  comme  Supérieur  de  la  mission 
de  Chine,  lui  fut  également  contraire.  L'essai,  tenté  alors  (7),  de 

(1)  Ihid.,  pp.  278,  279. 

(2)  Une  première  édition  de  cet  ouvrage  paraît  avoir  été  donnée  à  Tchao-k'ing;  la 
seconde,  en  1595,  à  Nan-tch'ang  fou  ^  ^M  (Cf.  Sist.  de  VExjp.  chrest.,  etc.,  pp.  285, 
526).  Ce  livre  a  eu  plusieurs  autres  éditions,  à  Pé-king  et  ailleurs.  Les  premières  éditions 
portaient  le  titre  ^  ^  T'ien-hio  «Science  du  [Seigneur  du]  Ciel». 

(3)  Cf.  Couvreur  dans  CJioix  de  documents,  pp.  80,  82. 

(4)  Parfois  on  lui  a  substitué,  à  titre  privé,  l'appellation  ï\  — 'S  KHng-i-t'ang 
«Le  Temple  où  l'on  adore  l'Unique». 

(5)  Hiat.  de  l'Exped.  chrest.,  etc.  p.  165. 

(6)  Ibid.,  pp.  166,  168, 188. 

(7)  C'est  par  erreur,  semble-t-il,  que  le  P.  Cibot  (Essai  sur  la  langue  chinoise,  dans 
Mémoires,  etc.,  Tom.  VIII,  not.  62)  regarde  cet  essai  comme  une  première  manière  de  Ricci. 


10  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

la  transcription  Teou-se  |J|  Wi  POur  ^'^'^^^  et  dont  nous  parle  le 
D''  Léon  (1)  en  1625,  comme  d'un  fait  contemporain,  parait  avoir 
eu  peu  de  succès  et  n'a  laissé  de  traces  que  dans  quelques  livres 
catholiques  écrits  vers  cette  époque.  En  réalité,  le  jugement  de 
Ricci  prévalut  pratiquement  pendant  tout  un  siècle;  dans  les  ou- 
vrages nombreux  édités  par  les  missionnaires  et  par  les  Docteurs 
chrétiens  à  cette  époque,  l'expression  confucéenne,  du  reste  cent 
fois  expliquée  dans  le  sens  orthodoxe,  coudoyait  fraternellement 
le  mot  T'ien-tchou  (2),  celui-ci  pour  le  peuple,    celle-là   pour  les 

Lettrés... 

Le  26  Mars  1693,  Ch.  Maigrot,  des  Missions-Etrangères,  Vi- 
caire apostolique   du  Fou-kien   sans   caractère   épiscopal,    publia 
pour  les  missionnaires   de   son   vicariat,    un   mandement   dont  le 
premier  article  regarde  l'appellation  de  Dieu.     Le    voici,  tel  que 
nous  l'offre  la  version  française  de  1709  (3):  «Premièrement,  Nous 
ordonnons  que  puisque  les  termes  dont  on  se  sert  en  Europe  pour 
exprimer  le  nom  de  Dieu,  lorsqu'on  les  écriroit  ou  qu'on  les  pro- 
nonceroit  en  chinois,  auroient  toujours  je  ne  sçay   quoy   de    bar- 
bare; on  se  servira  pour  signifier  Dieu,  du  mot  chinois  Tien  chû 
(T'ien-tchou),  qui  est  depuis  longtemps  reçu  par  l'usage,   et  qui 
veut  dire,' Le  Seigneur  du  Ciel;  en  sorte  que  ces  deux  autres  termes 
chinois  Tien,  c'est-à-dire  le  Ciel,  et  Xan(7y  (Chang-ti),  le  .^oia-eram 
Empereur,  soient  tout-à-fait  rejettez  ;    et   qu'il    soit   encore    moins 
permis  de  dire  que  ce  que  les  Chinois  entendent  par  ces  deux  mots 
Tien  et  Xangty  soit  le  Dieu  que  nous  autres  Chrétiens  adorons.» 
Les  Jésuites  en  appelèrent  au  Souverain-Pontife  et  l'on  pour- 
suivit à  la  Cour  romaine   l'examen  de  la  question   en   litige.     Le 
20  Novembre  170i,  Clément  XI  approuvait  les  réponses  faites  par 
la  S.  Congrégation,  et  conformes  au  mandement  de  jNIaigrot  (4). 
Charles   Thomas   Maillard    de   Tournon,    Patriarche    d'Antioche, 
était  envoyé  en  Chine  avec  mission  d'en  exiger  l'exécution  de  la 
part  des  missionnaires.  Par  son  mandement,  daté  à  Nanking  ^'^, 
du  25  Janvier  1707,  et  publié  le  7  Février  suivant,  le  Patriarche 
imposa  aux  missionnaires,    sous   peine   d'excommunication,    plu- 
sieurs rèffles  conformes  aux  décisions  de  la  Cour  de  Rome,  qu'il 
avait  jusque-là  tenues  secrètes.  Désormais  les  missionnaires  «ré- 
pondront négativement  s'ils   sont   interrogez,    sçavoir  si  le  Xamti 
ou  le  Tien  sont  le  véritable  Dieu  des  Chrétiens.» 

Cette  décision  fut  confirmée  le   25   Septembre   1710    par   un 
nouveau   Décret,  et  le  19  Mars  1715  par  la   Constitution  Ex  illâ 

(1)  Cf.  La  stèle,  IP  P.,  p.  409.    4*  5:  l^t'  ^-   #  S  PPl  ^  M- 

(2)  Cf.  Trailt'  sur  qnelqi/ps  points  iinjjortaiis  de   la   Mission,  de  la   Cliiiw,  par  le 
K.  P.  Antboine  de  Sainte  Marie,  1701,  pp.  56,  57.  —  De  Ritibus  Sine7isiuvi,  pp.  8  et  111. 

(3)  Décret  de  Nostre  S.  P.  le  Pape  Clément  XI  sur  la  grande  affaire  de  la  Chine, 
1709. 

(i)  Cf.  Drrrrt  dr  Nostre  S.  P.,  etc.  pp.  1.32  et  spqq. 


NOMS  DU  VRAI  DIEU  EN  CHINE.  11  ' 

die  de  Clément  XI.  Enfin  Benoît  XIV  a  ratifié  solennellement  cette 
disposition  dans  la  Constitution  Ex  quo  singulari  du  5  Juillet  1742. 
Il  va  sans  dire  que  par  ses  décisions,  la  Cour  romaine  n'a 
point  entendu  supprimer  les  expressions  que  j'appellerai  descrip- 
tives de  la  Divinité.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  les  mission- 
naires continuent  à  se  servir,  pour  la  décoration  de  leurs  églises, 
du  titre  '^  ^  M  J[^  Wnn  yeou  tchenyuen,  cLa  vraie  source  de 
tous  les  êtres»  et  de  M  3^  ^  Tchen-ichou-tsai,  «Véritable  Maître 
et  Seigneur»,  offerts  en  1711  par  K'ang-hi  à  l'église  des  Jésuites 
français.  Le  catéchisme  catholique  et  les  livres  de  religion  ont 
consacré  cette  dernière  expression,  ainsi  que  d'autres  semblables: 
'^  nt.  '^  Ts'iuen-neng  tclié  cfLe  Tout-puissant»,  ^  "i^  ^  :^  Tsao- 
wan-ou-tché  «Le  Créateur  de  l'univers»,  etc.,  etc. 

5"  —  Roma  locuta  est,  causa  finita  est parmi  les  Catholi- 
ques. Pins  tard,  la  même  question,  ardemment  discutée,  divisera 
les  Protestants.  Nous  n'avons  aucun  intérêt  à  suivre  les  différen- 
tes phases  de  cette  controverse  ;  quelques  mots  la  résumeront 
suffisamment. 

La  Bible  de  1820,  dite  de  Marsham,  Baptiste  anglais,  a  le 
caractère  Clien  îfl^  «Esprit»  pour  «Dieu».  De  même,  celle  de  1823 
par  Morrison  et  Milne.  Le  Nouveau  Testament  de  1835,  par  Me- 
dhurst,  Gutzlaff  et  Bridgman,  emploie  le  mot  Chang-ti  J:  ^. 
De  même,  la  Bible  de  18i7-53  par  Medhurst,  Stionach  et  Milne. 
Le  Nouveau  Testament  de  1862.  par  Bridgman  et  Culberston, 
adopté  par  la  Société  biblique  américaine,  reprend  le  mot  Clien. 
De  même,  celui  de  1853,  par  Goddard  et  Dean,  ]iour  les  Eglises 
Baptistes  ;  revu  par  Lord  en  1883.  Celui  du  D''  John  se  sert  de 
Chang-li.  Celui  de  Burdon  et  Blodget  a  eu  recours  au  mot  T'ien- 
tchou  Ji  3^  (1). 

En  1880,  le  D''  J.  Chalmers  résumait  ainsi  l'état  actuel  de 
cette  «interminable  controverse»  :  «Il  y  a  trois  vues  soutenues 
par  des  sections  jjuissanles  de  l'armée  des  missionnaires:  1.  Celle 
des  «Romanistes»  est  négative.  Il  n'y  a,  disent-ils,  aucun  mot 
pour  Dieu  en  chinois,  nous  devons  en  faire  un.  Nous  faisons  l'ex- 
pression «Seigneur  du  Ciel»  ^  ^,  pour  représenter  Dieu.  2.  Les 
Réformateurs  tiennent  que  le  mot  chinois  pour  Dieu  est  ^  ou 
h  '^...  Ce  parti  comprend  tous  les  Allemands,  tous  les  Presby- 
tériens Anglais  et  Ecossais,  tous  les  Wesleyens,  et  tous  les  mis- 
sionnaires de  Londres.  3.  Le  troisième  parti,  au  contraire,  dit 
que  Ti  ou  Chang-ti,  signifie  le  «Firmament  déifié.»  et  que  le 
mot  jp^  Clien veut  dire  en  réalité  dieux  et  Dieu  (2).» 

(Il  Ces  notions  sont  extraites  de  deux  études  do  Wm.  Muirhead  et  de  John  Wher- 
ry,  les  Records  of  the  gênerai  Conférence  of  the  Protest.  MissioJiaries  of  China,  18130, 
pp.  3i  à  40,  et  47  à  56.  —  Muirhead  observe  que  l'Eglise  russe  de  l'c-king  a  adopté  la 
teniiinologio  des  Catholiques. 

(2)  Cf.  The  China  Bevicw,  Vol.  IX,  p.  190. 


le  T'IEN-TCHOU,    SEIGNEUR    DU    CIEL. 

Citons  encore,  pour  mémoire,  un  essai  de  retour  au  mot 
Aloha.  (1)  et  l'invention  d'un  nouveau  terme  ^  jp^  Tche-chen 
«L'Esprit  souverain»  (2). 

Vainement,  l'évêque  J.  S.  Burdon  de  Hongkong,  «pour  met- 
tre un  terme  aux  amères  discussions  qui  peuvent  scandaliser  les 
Chinois,  suppliait  ses  frères  d'user  d'une  mutuelle  tolérance  et  de 
laisser  libre  à  chacun  l'emploi  des  cinq  termes,  aujourd'hui  d'un 
usage  général  parmi  les  missionnaires  de  Chine,  à  savoir:  Chang- 
ti  _t  ^,  Chen  jji^,  Tchou  ^,  T'ien-tchou  5Ç  ^,  Changtchou  Jt 
^  (3).»  Personne  ne  voulut  céder,  et  la  Conférence  générale  de 
Chang-hai^  des  7-20  Mai  1890,  montra  une  fois  de  plus  la  faiblesse 
d'une  société  sans  tète.  «Nous  méconnaissons  une  telle  autorité 
(du  Pape),  disait  Muirhead,  mais  nous  en  sommes  venus  aux 
mêmes  disputes,  souvent  poussées  jusqu'à  l'acrimonie  des  sen- 
timents, à  l'affaiblissement  et  à  la  séparation  de  nos  forces  chré- 
tiennes!» 


(1)  Cf.  Chinese  Bepotsitory,  1850,  p.  96. 

(2)  di.  Ch.  Beo.,  Vol.  III,  p.  342. 

(3)  Cf.  The  Chin.  Becorder,  Vol.  VI,  1875,  p.  Ut». 


LE    TERME    T' lEN-TCHOÛ.  13 


LE  TERME  T'IEN-TCHOU. 

.1.  Legge,  encore  jeune  à  cette  époque,  éci'ivait  en  1852  : 
«The  combination  T'een-choo  (T'ien-tchou)  is  a  Popish  invention. 
—  «Timeo  Danaos  et  dona  ferentes  (1).»  Les  faits  prolestent  con- 
tre cette  assertion  d'une  jeunesse  trop  ardente:  en  réalité,  le  nom 
de  «Matîre  du  Ciel»  ^  ^  n'est  pas  une  «invention  papiste»;  bien 
avant  la  décision  des  papes,  il  désignait  «un  des  huit  dieux  qui 
ont  existé  dès  l'antiquité,  et  Indra  chez  les  écrivains  bouddhi- 
ques (2)». 

Ruggieri  et  ses  premiers  compagnons  ignoraient  sans  doute 
cette  coïncidence,  lorsqu'ils  crurent  inventer  ce  nom;  mais  Ricci 
ne  dut  point  tarder  à  l'apprendre,  tout  au  moins  des  Lettrés 
chrétiens  qui  l'entourèrent  à  Pé-king. 

Nous  savons  en  outre  qu'«un  Bonze  célèbre  (du  Tchékiang), 
qui  seul,  mais  sans  succès,  osa  combattre  l'admirable  Livre  du 
Père  Ricci,  sur  la  Notion  de  Dieu,  fit  mention  des  cent,  des  mille, 
des  centaines  de  mille  d'Idoles  connues  sous  le  nom  de  Tien  Chu 
(T'ien-tchou)  (3).»  Cette  révélation,  si  toutefois  c'en  fut  une  pour 
Ricci,  dut  médiocrement  le  surprendre.  Les  mots  0eoç  et  Deus, 
à  Athènes  et  à  Rome,  étaient-ils  d'un  usage  plus  orthodoxe,  avant 
d'avoir  été  adoptés,  christianisés  par  les  Apôtres? 

En  tout  cas,  ce  point  était  très  bien  éclairci  au  moment  où 
la  discussion  du  terme  était  portée  à  Rome  (4);  bien  plus,  il  était 
admis  par  les  adversaires  de  T'ien  et  de  Chang-ti.  Pour  nous 
borner  à  un  exemple,  Charmot,  l'un  des  plus  actifs  parmi  les 
contradicteurs  des  Jésuites,  va  jusqu'à  accorder  que  les  Lettrés 
donnent  parfois  le  nom  de  T'ien-tchou  au  ciel  matériel  (5),  ce  qui 
du  reste  ne  parait  pas  absolument  exact  (ë);  plus  loin,  il  restreint 
aux  seuls  idolâtres  (bouddhistes)  l'usage  de  ce  mot  (7). 

(1)  The  Notions  of  the  Ghinese  concerning  God  and  Sjnrits,  1852,  p.  131. 

(2)  Les  Mémoires  Jdstoriques  de  Se-ma  rs'Je«,par  Éd.  Chavannes,  Tom.  III,  '1"  P., 
p.  432  et  not.  5. 

(3)  Lettre  du  P.  Bouvet  du  30  Oct.  1707,  citée  dans  L'Etat  présent,  etc.,  p.  307.  — 
Longobardi,  dans  son  Traité,  p.  17,  cite  également  l'ouvrage  de  ce  bonze,  mais  pour  en 
tirer  des  conclusions  opposées  à  Eicci.  —  L'évidente  exagération  des  chiffres  rapportés 
plus  haut  n'infirme  en  rien  notre  exposé. 

(4)  De  Bitibus  Sinevsium,  etc.,  pp.  5;  93  et  passim. 

(5)  Cf.  Hist.  cuit.  Sin.,  Cologne,  1700,  p.  134. 

(6)  L'auteur  de  l'ouvrage  De  Bit.  Sin.  rapporte  la  mf^me  chose  sur  l'unique  autorité 
de  l'Évoque  Franciscain  de  Leonissa  (pp.  112;  125),  lequel  a  eu  probablement  en  vue  le 
T'ien-tche-tchou-tsai  5^  JÉl  ^  ^  des  Lettrés.  Cf.  Y-ki7îg  du  P.  Régis,  1839,  pp.  570, 
571.  The  Notions  of  the  Ghinese,  pp.  69,  70.  Monothéisme,  etc.  du  P.  Prémare,  p.  27. 

(7)  «Vox  Tien  Ghû  (Hist.  cuit.  Sin.,  p.  302)  apud  soles  Idololatras  usurpatur.» 
Cité  dans  De  Bit.  Sin.,  p.  112. 


14  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

Au  même  temps,  les  missionnaires  de  la  Compagnie  affir- 
maient comme  un  fait  constant,  que  dans  les  diverses  provinces 
de  la  Chine,  il  se  trouvait  plus  de  trente  idoles  (1)  honorées  sous 
le  nom  de  T'ien-tchou  (2).  Le  Père  Favre  citait,  entre  autres,  «un 
de  ces  temples  dans  la  ville  de  Tàt'ong  {iz  p])  au  Chan-si  (iJj  If), 
l'autre  auprès  de  Pé-hing,  sur  la  célèbre  montagne  Che-king-cluui 
^  :^  (il  (^^  -^^'^  Xam).  Ces  temples  portaient  ce  titre  sur  leur 
porte:  ^  i  ^  T'ien-tcliou-miao  (3).» 

Le  Père  Bouvet,  dans  une  lettre  du  30  Octobre  1707,  croit 
expliquer  la  raison  de  la  répugnance  de  l'Empereur  K'ang-hi  et 
des  Lettrés  pour  les  caractères  T'ien-tchou,  «que  ces  Savans,  dit- 
il,  regardent  comme  des  termes  étrangers  et  iiropres  de  la  Secte 
des  Chinois  idolâtres,  qui  adorent  l'idole  de  Foé  [Fou  fjji)  (4).» 

En  réalité,  le  mot  T'ien-tchou  est  d'origine  fort  ancienne. 
Se-ma  Ts'ien,  qui  le  cite  comme  le  nom  du  premier  des  Huit  Es- 
prits (A  ff)j  donne  à  son  sujet  les  explications  suivantes:  «L'an 
219  av.J.-C.,  Che-hoang  ^^  ^  des  Ts'in  ^  se  dirigea  à  l'Est  vers 
le  bord  de  la  mer;  il  fit  là  les  sacrifices  liluels  aux  montagnes 
célèbres,  aux  grands  fleuves  et  aux  Huit  Esprits...  Ces  Huit  Es- 
prits existaient  dès  l'antiquité.  Quelques-uns  font  remonter  ces 
sacrifices  h  ^  -}:  ^  Kiang-t'ai-kong  de  Ts'i  ^  (1222-1078)....  On 
ignore  à  quelle  époque  ils  commencèrent.  Le  premier  des  Huit 
Esprits  s'appelle  T'ien-tchou;  on  lui  sacrifiait  à  T'ients'i  ^  ^ 
«Nombril  du  Ciel»:  A  ^-  —  0  ^  i-  fip]  ^  ^  (^)---  ^e  second 
s'appelle  Ti-tchou  fj}^  ^  «Le  Seigneur  de  la  Terre»...  Le  3®  Ping- 
tchou  ^  ^  «Le  Seigneur  de  la  Guerre»...  Le  4®  Yn  tchou  [^  ^ 
«Le  Seigneur  du  principe  Yn)) Le  5®  Yang-tchou  ^  ^  «Le  Sei- 
gneur du  principe  Fanr;» Le  6^  Yuétchou  ^  ^  «Le  Seigneur 

de  la  Lune» Le  7"  Je-tchou   0  ^  «Le  Seigneur  du  Soleil»  — 

Le  8®  Se-che-tchou  29  lî^  JÊ  «Le  Seigneur  des  quatre  Saisons», 

M.  Ed.  Chavannes  a  établi  le  bien-fondé  de  la  traduction  pré- 
cédente, mettant  la  ponctuation  après  et  non  avant  le  mot  Tchou 
^;  les  textes  qui  pourraient  lui  être  opposés  (en  leur  supposant 

(1)  Voir  plus  loin  une  explication  de  ce  chiffre. 

(2)  De  Bit.  Sin.,  pp.  96;  124.. 

(3)  De  Bit.  Sin.,  p.  112. 

(4)  Dans  l'Etat  pi-ésent,  etc.,  p.  304. — Mentionnons  eu  passani ,  un  ))amphltt  loeent, 
et  en  réalité  plus  naïf  que  méchant,  du  Bishop  Moule,  (^  ^  S|  J^  ^  P^  ^' 
1900,  fol.  24),  où  l'écrivain  protestant,  rappelant  Ts'-iii-chc-hoaiig  et  Indra,  s'efforce  de 
discréditer  le  mot  T'ien-tchou  employé  par  les  Catholiques  depuis  trois  siècles  pour 
désigner  le  vrai  Dieu.  Il  suppose,  par  ignorance  sans  doute,  que  les  Jésuites  et  la  Com 
de  Rome  ont  maintenu  ce  terme  «sans  se  rendre  compte»  de  ses  fâcheux  antécédents 
Nous  avons  vu  plus  haut  que  c'est  le  contraire  qui  est  absolument  vrai. 

(5)  Cf.  Chc-ki  ^  pE  Chap.  Fong-chan  ^  J^  —  On  appelait  «Nombril  du  Ciel» 
une  source  située  au  plus  bas  des  montagnes  au  sud  de  Lin-tche  Ifg,    j^  (Clian-fuiig 


LE    TERME    T'IEN-TCHOU.  15 

une  autorité  égale),  à  savoir  H  fp]  et  0  Hf  fp]  (1)  s'expliqueraient 
dans  le  sens  de  0  ^  fip],  etc..  à  peu  près  comme  dans  la  religion 
des  Lettrés  le  mot  T'ien  «Le  Ciel»,  est  pris  comme  synonyme 
de  Chang  H  «Suprême  Dominateur»,  de  T'ien-tche-tchou-tsai  «Sei- 
gneur et  Gouverneur  du  Ciel». 

Vraisemblablement,  le  culte  de  ces  Esprits  était  d'origine 
taoïste.  11  passa  avec  la  Dynastie  éphémère  qui  l'avait  établi  ou 
réhabilité  (2). 

H.  Blodget  a  rapporté,  sur  la  foi  de  commentateurs  chinois, 
une  autre  mention  ancienne  d'un  culte  rendu  à  T'ien-tchou  par  la 
tribu  mongole  des  Hieouichou  {^  ]^-  (3).  Mais  cette  allégation 
est  peu  fondée  :  le  texte  du  Ts'ien-Han-che  'ffl  ^  ^  (55^  Kiuen) 
(à  la  date  de  121  av.  J.-C),  dit  seulement  que  Ho  K' lu-ping  ^ 
i  ^,  général  de  Ou-ti  "jÇ"^,  ayant  vaincu  les  Hiongnou  j^  jf^, 
s'empara  de  la  statue  d'or  qui  servait  aux  Hieou-tchou  pour  sa- 
crifier au  Ciel  IIJC  i^  J^-  ^  ^  ^  A ■  ^ui'  qiioi  Jou-choen  jiW  ^  écrit 
cette  note:  ^  Ji  l^  ■^  A  M  ^^  «Pour  sacrifier  au  Ciel,  on  se 
servait  d'une  statue  d'or  comme  représentant».  Au  9!"  Kiuen  (J^) 
de  la  même  Histoire,  consacré  aux  Hiongnou^  l'annaliste  ne  parle 
pas  davantage  de  T'ien  tchou  :  ^^^  \^  M  ^  ^  ~^^  '^  A-  Mong 
K'ang  ^  ||  ajoute  ce  commentaire  àj  "fi  ^  5k:"  ;^.  2t\  ^,  ^  |l§  -y- 

M  llJ  T-  m  %  -^  M-  fâ  {"k  Zi^B^  ^  iik.  ^  i^  m  ^^':k^ 

A  m  4- oii-^  ii  B- ii^ ^  A  \^j,  n r^ M^  z  ^m p.  z- ^\i  ^ ii^ fi 


M-  tÊ.  S-  «L'endroit  où  les  Hiong-nou  sacrifiaient  au  Ciel 
était  d'abord  à  (90  li  N.-O.  de)  Yun-yang,  au  bas  du  mont  Kan- 
ts'iuen  (Prov.  du  Clien-si  ^  "g).  Les  Ts'in  s'étant  emparés  de 
leur  territoire,  ils  passèrent  sur  celui  du  prince  des  Hieou-ichou, 
c'est  ainsi  que  ces  derniers  possédèrent  la  statue  en  or  servant 
à  sacrifier  au  Ciel.»  Jusqu'ici  aucune  allusion  à  T'ien  tchou.  Le 
texte  qui  suit  parle  seulement  du  «représentant  de  l'Esprit  céles- 
te» ^i^  ±  ^. 

Ne  pourrait-on  expliquer  pareillement  les  textes  suivants?  Le 
Hanchou-yn-i  j^^  -'^  ^  modifie  ou  complète,  ainsi  qu'il  suit,  la 
fin  du  texte  précité  de  Mong  K'ang  :  ifeJc  f^  M  W  ^  ^  ^  A  ^-^ 
3^  i  4  ('^)-  ^^  même,  le  commentaire  Souo-yn  ^  |^  de  Se-ma 
Tcheng  n\  ^  ^  (vers  720)  rapporte  cet  autre  témoignage:  ^  Hg 
S.  ii^  È:  K  ^:Xf^  fi?  -Ji  ±.   Enfin,  le  Tcheng  i  JE  ^,  après  avoir 

(1)  Les  Mémoires  liMoriqurs  de  Sr-nta  Ts'ieii,  Tom.  III,  2c  P.,  pp.  43'J,  -133. 

(2)  Telle  est  l'opinion  de  J.  Le^ge,  dans  The  Texts  of  Tâolsiii,  P.  1,  p.  41.  «The 
Tiloist  proclivities  of  the  founder  of  tbe  Khin  dynasty  are  well  known.  If  his  life  had 
heen  prolonged,  and  the  dynastj'  become  consolidated,  thei'e  might  hâve  arisen  such  a 
religion  in  connexion  with  Tàoi«m,  for  we  hâve  a  record  that  lie,  as  head  of  the  Empire, 
had  eight  spirits  to  which  he  offered  sacrifices.»  —  Cf.  The  Mann  al  de  Mayers,  pp.  327, 
328.  —  The  use  of  T'ien  chu  for  God,  par  Blodget,  1893,  p.  10. 

(3)  Cf.  The  use  of  Tien  chu  for  God,  p.  10. 

(4)  Une  autre  édition  porte  ZZ  A  au  lieu  de  7^   i  • 


fi5  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

cité  le  Kouo-ti-tche  ^  ii|  î^,  conclut  ainsi:  ^  #  A  IP  4*  1^  ^• 

En  tout  cas,  quelques  siècles  après  cette  défaite  des  Hiong- 
nou,  le  Bouddhisme  prenait  clairement  à  son  propre  compte  le 
nom  T'ien-tchou  pour  l'attribuer  par  excellence  à  une  de  ses  di- 
vinités, Indra,  «le  dieu  du  ciel,  du  firmament,  de  l'air,  du  tonnerre, 
de  la  pluie,  de  la  guerre  (2)».  —  «C'était,  dit  Eitel  (3),  l'un  des 
plus  anciens  dieux  du  Brahmanisme,  adopté  par  le  Bouddhisme  à 
cause  de  sa  popularité.  Il  représente  maintenant  le  pouvoir  sécu- 
lier, vaillant  protecteur  de  léglise  bouddhiste.  Il  est  néanmoins 
regardé  comme  inférieur  à  S'akyamouni  et  aux  Saints  bouddhis- 
tes.... Son  emblème  est  le  Vajra  (4)...  Il  est  encore  désigné  par 
l'épithète  de  S'akra..» 

De  fait,  les  lexiques  chinois-bouddhiques  nous  donnent  l'ex- 
pression T'ien-tchou  ^  ^  comme  équivalente  des  mots  sanscrits 
Indra,  S'akra,  Devendra,  tous  synonymes.  Ainsi  l'ouvrage  I-tsié- 
king-yn-i  —  -^  j^  -^  ^  de  Hoei-lin  ^  "^  (735-820)  définit  Indra 
aitî  (al-  H  fê  ^^-  IS  l^'Ë  1)  par  les  mots  T'ien-tchou  ^  ^,  T'ien 
ti  ^  ^  et  Che  ^  {h)]  S'akra,  p  jjg,  par  les  mots  T'ien-tchou 
Tiche  3"^  :i  ^  ^  (G);  Devendra  ^  i^  i^  0,  par  les  mots  ^  -|- 
H  ^  i,  etc.  (7). 

Le  même  recueil  revient  plusieurs  fois  sur  cette  dénomina- 
tion de  T'ien-tchou,  attribuée  à  Indra.  Par  exemple,  sous  les 
mots  It;  ®  ^,  M  ^  ^  #  M>  M  ^  11  ^^  quand  il  parle  des 
Gandharvas,  musiciens  à' Indra,  des  cheis  militaires  de  ce  dieu, 
d'un  fruit  médicinal  apporté  par  lui,  etc.  (8). 

On  sait  qu'/ndra  est  censé  présider  (et  de  ce  chef,  il  est 
bien  nommé  T'ien-tchou  «Seigneur  du  Ciel  ou  des  Deuas»)  au 
centre  du  mont  Mérou,  aux  ^  -f*  H^  «demeures  des  trente-trois 
Deimsn   (9),   ses  anciens   compagnons.    C'est  probablement   cette 

(1)  Cf.    ^  lE  ^  ^,  110«  Kiuen. 

(2)  Du  lirahmaniame,  par  Mp^r  Laouenan,  Tom.  I,  188i,  p.  2J9. 

(3)  Handbook  of  Chinese  Buddhism.  J1870,  p.  46. 

(4)  Handhook,  p.  158.  «Sceptre  d'Indra  comme  Dieu  du  tonnerre  et  des  éclairs, 
avec  lequel  il  extermine  les  ennemis  du  Bouddhisme.» 

P^    ip   ^Rp  W"  3E    lU.  Z  ^^  ^   -til.-   — Constatons  en  passant  que  les  expressions 
THen-tchou,  T'ien-ti  (et  bientôt  T'ien-wang)  étaient  ainsi  synonymes. 

(7.  #  fê  l^p  S- JTJ  *J  ^  31.  =  +  H  ^  i.||)  ^  p  ^  3E.  -  Le 

fintro  fJll  Tl   #  ^  r^'È  H  /'g   ^,  de  Buddhajiâla,  appelle  Indra  17J  ^J  ^   i- 

(8)  Item,  sous  le  mot  Biu  3^  (Santushta?)  synonyme  à'Indra. 

(9)  Cf.  Eitel,  Handbook,  ad  voc.  Traiyastrims'as. —  Bnrnout,  Introductio7i  à  l'his- 
toire du  Bouddhisme,  pp.  202;  G04,  605.  —  Rémusat,  Foe  koue  ki,  pp.  64, 65;  128, 129;  144. 


LE    TERME    T'IEN-TCHOU.  17 

nomination  (H  +  H  5"^  Zfe).  mal  comiirise,  qui  a  Cùt  parler  aux 
anciens  Jésuites  de  «plus  de  trente  T'ipntchouyy. 

Arrêtons-nous    un    instant    à    la    double    traduction    du   mot 
T'ientchou,  que  nous  venons  de  donner. 

Par  lui-même,  le  caractère  V^  T'ien  désigne  indifféremment 
«le  Ciel»  et  «Dieu»  (ou  les  dieux)  (1).  U  serait  donc  impossible  de 
dire,  sur  la  simple  inspection  du  terme  T'ien-tchou  appliqué  à 
Indra,  s'il  signifie  «Seigneur  du  Ciel»,  ou  bien  «Seigneur  des 
dieux  (Devas)^.  Mais,  à  défaut  du  texte  sanscrit  correspondant  à 
la  dénomination  chinoise,  les  lexiques  sanscrits  ne  nous  permet- 
tent pas  d'affirmer  davantage  si  c'est  dans  le  premier  ou  dans 
le  second  sens,  que  T'ien-tchou  doit  être  ici  entendu.  En  effet, 
nous  y  trouvons  d'une  part,  les  expressions  suivantes  :  Suragrâ- 
manî  «le  chef  de  la  troupe  des  dieux,  Indra»  ;  Surapati  «le 
maître  des  dieux,  Tndra»  ;  Surendra  «le  chef  des  dieux,  Indra»; 
Devatâdhipa  «le  chef  des  Devas,  Indra»;  Devapati  «maître  des 
dieux,  Indra»;  Deves'a  «seigneur  des  Devas»  (2).  D'autre  part,  les 
expressions:  Svargapati  «maître  du  si^arga  ou  paradis.  Indra»; 
Nâhanâtha,  «le  maître  du  Ciel,  Indra».  De  là,  l'impossibilité  de 
conclure  à  un  sens  plus  précis,  et  la  justification  du  mot  choisi, 
T'ien,  répondant  au  double  sens  hindou. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  mot  T'ien-tchou  a  été  appliqué,  au 
moins  accidentellement,  par  le  Bouddhisme,  à  d'autres  personna- 
lités qu'à  Indra,  l"  En  général  il  semble  avoir  été  donné  aux 
maîtres  des  cinq  autres  Devalokas.  Ainsi,  suivant  l'ouvrage  chi- 
nois cité  plus  haut,  ^  ^  M  ^^^^  (^)'  maître  du  2«  THen,  est 
appelé  simplement  T'ien-tchou.  Dans  le  i«  T'ien,  ^^^l^t  Tushita, 
le  Bodhisattva  Maitreya  MWi  ^M  <^l"i  préside  est  appelé  T'ien- 
tchou  à  l'époque  des  T'ang  ^.  De  même,  Mâra  ^  J^  qui  préside 
au  6*  T'ien,  Paranirmila  vasavartin,  est  appelé  ^  -^k  ^  ^^■ 
2"  Il  paraît  avoir  été  appliqué  de  la  même  façon  aux  maîtres  des 
Brahmalokas.  Du  moins,  j'en  trouve  un  indice  sous  le  mot  ^  P^ 
P0  7^,  où  il  est  dit  que  Mahes'vara  (al.  SHva)  est  le  T'ien-tchou  du 
-g  ^^,  Akanishtha,  le  18"  Brahmaloha  (4).  3°  Il  a  été  également 
attribué  à  un  Bouddha  dans  les  litanies  des  Mille  Fou.  Par 
exemple,  sur  le  ^  ^j  (Bhadrakalpa)  =p  #,  ^  ^,   gravé  en  l'an 


(1)  «The  Sanscrit  deva,  the  Latin  Dpiifi,  hâve  no  other  équivalent  in  Chinese  than 
t'ien,  «heaven».  At  the  sarae  time  dfivaloka,  the  «heaven  of  a  deva»,  is  also  translatod 
by  t'ien,  thus  causing  some  confusion.»  —  Chinese  Buddhism  par  .1.  Edkins,  p.  362. 

(2)  Cf.  Dictionnaire  sanscrit  de  Burnoiif  et  Lenpol. 

(3)  Cf.  Foe,  Koue  Ki  de  Rémusat,  p.  lU. 

(4)  Remarquer  que  Indra,  Maitreya,  Mnhes'vam,  etc.,  possèdent  encore  chacun  le 
titre  de  T'ien-ivang  ^  î,  Devarâja,  bien  proche,  comme  écriture  et  comme  sens,  du 
mot  y^   zE' 

3 


18  t'ien-ïchou,  seigneur  du  ciel. 

1096  (1)  dans  la  tour  de  la  pagode  Tch'ong-ming-se  ^  fl^  ^,  à 
Kiu-yong  ^  ^  (Départ,  de  Kiang-ning  Fou  f£^)^),  je  lis  sous 
le  N"  939  l'invocation  T'ien-tchoufou  ^  i  #,  «Bouddha  Seigneur 
des  cieux  ou  des  Devas.» 

En  résumé,  THen-lchou  est  un  mot  qui  a  convenu  aux  repré- 
sentants les  plus  populaires  de  la  hiérarchie  bouddhique  (2),  mais 
principalement  à  Indra.  J'ignore  à  quelle  époque  précise  les  Hin- 
dous ont  fixé  la  traduction  T'ien-tchou  pour  désigner  Indra..  Elle 
était  certainement  acceptée  avant  l'exislence  du  lexique  cité  plus 
haut,  et  dès  le  commencement  du  V®  siècle  ;  nous  en  avons  pour 
garant  la  curieuse  histoire  suivante,  tirée  des  Annales  des  Song 
antérieurs  (3). 

Pi-cha-po-yno  J-^  '(p  ^  jp,  IJâja  du  royaume  Ho-louo-tan  (Jpf 
H  ^,  dans  la  contrée  de  Java  (^  ^  '^I'|),  avait,  en  l'an  430,  en- 
voyé des  présents  à  l'Empereur  Wen-ti  '^  ^.  Trois  ans  plus 
tard,  il  envoyait  au  même  des  protestations  d'une  complète  sou- 
mission. Dépossédé  de  son  trône  par  son  fils,  il  lui  adresse,  en 
436,  par  l'ambassadeur  Pi-jen  [^^  '>>jl,  une  demande  de  secours, 
précédée  des  flatteries  les  plus  conformes  au  génie  bouddhique. 
Nous  extrayons  de  ce  panégyrique  les  quelques  lignes  qui  regar- 
dent plus  directement  notre  sujet.  «De  la  ville  de  Yang-tcheou  ^ 
j\\  (4)  le  T'ien-lchou  sans  soucis  {M.  :5  ^  2Ë)  compatit  à  tous  les 
vivants,  maintient  le  peuple  dans  la  paix  et  dans  la  joie  ;  d'une 
conduite  toute  de  pureté,  d'un  cœur  profondément  miséricordieux, 
il  opère  les  conversions  suivant  le  Dharma  (JE  ié  fp -ffc)  et  honore 
le  Triratna  [^  ^  J^  ^).  Sa  renommée  répandue  au  loin  est 
connue  de  tous.» 

J'ignore  si  l'Empereur  Wen-ti  prit  au  sérieux  cette  flatteuse 
apothéose:  on  avait  vu  mieux  que  cela  sous  la  liome  policée  de 
Néron.  Mais  ce  trait  prouve  au  moins  que  dès  cette  époque  le 
culte  de  T'ien-tchou  jouissait  en  Chine  d'une  certaine  popularité. 


(1)  Suivaut  Eitel  '.Hdndhoolc,  p.  (>  bi,  cette  liste  des  Mille  Boudcllias  aurait  été  com- 
posée vers  l'an  800,  par  la  Secte  Mahâyâna.  Cf.  NN.  403,  40G  dans  le  Catalogue  de  Bu- 
nylit,  Nanjiu. 

(2)  Klaproth,  citant  le  i§  ^  M  -â"  |i^  dans  une  note  sur  le  Foe  Koue  Ki  (p. 
218),  semble  attribuer  d'une  façon  encore  plus  larf,'e  le  nom  de  'T'ien-tchou,  à  tous  «les 
dieux  qui  deviennent  maîtres  du  Cielw.  —  Le  lexir[ue  précité  donne  encore  cette  ûéû- 
uition  du  Bodliisatt vu   M  f^  ^   ^    ( H'ankara? ):    |P   ^    ±  #  ^• 

(3)  Cf.  TIC  W  'J?'=  Kiuea.  —  Cf.  dans  le  T-ouiuj-pào  (Vol.  X,  pp.  ICO,  247),  l'iden- 
tification, proposée  par  M.  Schlegel,  des  noms  qui  suivent:  Vâiça  varman,  Kalatan, 
Java  (dans  la  péninsule  malaise). 

(1)  lùrreur;  c'est  ;\  Kien-k'aïuj  jiÉ  M.  (moderne  Nan-king),  qu'était  alors  la 
Cour. 


LE    TERME    T'îEN-TCHOU.  19 

Plus  tard,  elle  alla  s'agrandissant,  car  nombreux  sont  les  monu- 
ments épigraphiques  se  rapportant  à  cette  divinité  (1). 

J'en  citerai  encore  un  exemple  curieux,  que  le  Père  Mathias 
Tchang  a  trouvé  dans  le  Kin-che-tsoei-pien  (160*  Kiuen)^  sous  le 
titre  Tch'ong-cheng-se-tchong-k'oan  ^  ^  ^  M  ^i  ^"  Yun-na.n, 
près  de  Ta-li-fou  ^  ï^^,  dans  la  pagode  nommée  Tchong-cheng- 
se  ^  ^  ^  (2),  on  trouve  sur  une  cloche  des  figures  bouddhiques 
et  des  caractères.  Cette  cloche  de  bronze  est  divisée  en  deux 
parties,  supérieure  et  inférieure,  chacune  d'elles  contenant  six 
figures  avec  leurs  noms.  Cette  cloche  mesure  plus  d'un  tchang  ^ 
(dix  pieds)  en  hauteur.  La  partie  supérieure  porte  les  noms  :  ^ 
iJ.  ^  <f'  ^  #'  :^  '&^  m  M  et  Cl  #;  tous  suivis  de  i^  ^  ^. 
La  partie  inférieure  porte  les  noms  i$  -^^jz  ^^,M  @  ^^  ^^  suivis 
de  5^  5  ;  puis  celui  de  T'ien-tchou-ti-che  3R  i  '7^  Ipi  et  enfin 
celui  de  ^  ^  ^  3E-»  Cette  œuvre  curieuse,  dont  j'eusse  vivement 
souhaité  d'avoir  un  décalque  ou  une  photographie,  est  datée  de 
la  12®  année  ^  ;^  du  royaume  "^  fg  (871). 

Comme  on  pouvait  le  prévoir,  les  Taoïstes,  ici  comme  ailleurs, 
empruntèrent  au  bouddhisme  cet  élément  de  succès,  et  T'ien- 
tchou  devint  un  de  leurs  dieux.  La  collection  Kou-kin-t'ou-chou- 
tsi-tch'eng  "é"  't^  H  #  ^  -^  (3)  "«'•is  donne  un  long  extrait 
du  livre  taoïste  Kao-chang-yu-hoang-pen-hing-tsi  î%"Ji3ÊM4^'?T^ 
«Vie  de  Yu-hoangn  (4),  où  l'on  nomme  jusqu'à  quatre  fois  le  Dieu 
Kao-hiu-ts'ing-ming-t'ien-tchou  '^  ^  1^  ^^  ^  3E.-  Les  épithètes 
dont  on  l'a  décoré  décèlent  du  premier  coup  le  génie  de  la  secte 


(1)  Ce  terme  de  THen-trlion,  appliqué  à  l'Empereur  de  Chine  par  des  princes  hoiid- 
dhistes,  n'est  pas  isolé.  Nous  lisons,  par  exemple  dans  le  Tch'é-foii-yiien-Jcoei  ijir  nJ  7C 
^  [Kiucn  999,  fol.  15  v.,  IG  v.),  qu'en  la  2«  Lune  de  l'an  718,  les  rois  des  états  2\gan  J^ 
et  K'ang-ldu  (Cf.  Hirth,  The  Eomnn  Orient,  D  12.  —  M.  Geo.  Thillips  fait  de  K'ang-Uu 
la  Sogdiane),  menacés  par  les  Tadjiks  (:^  '^)-  (.^wvoyhve.ni  h  Hvten-tsoyig  ~^  zr;  des 
Tang,  des  ambassadeurs  pour  lui  demander  son  appui.  Les  deux  suppliques  royales  se 
servent  également  du  mot  T'icn-trhou  en  s'adrespatit  .à  l'Empereur:  7^  ^  ^  "^g    7^ 

Peut-être  ces  princes,  connaissant  l'expression  T'ien-tse  7^  'T  «fils  du  Ciel», 
donnée  par  la  littérature  chinoise  à  l'Empereur,  n'ont-ils  point  osé  lui  appliquer  ce  ter- 
me, que  leurs  préjugés  religieux  confondant  avec  le  ^  "T  Devaputra  «fils  des  dieux» 
bouddhique,  ne  trouvaient  pas  assez  noble  ;  et  alors,  ils  auront  renchéri,  en  substituant 
tchou  «maître»  à  tse  «fils». 

(2)  Cette  pagode  se  trouve  au  N.-O.  de  la  ville  de  Ta-U-fon,  au  bas  de  la  montagne 
TAen-hoa-fong  ^  -fÈ  "Sî  la  cloche  .'st  dans  une  maison  qui  fait  face  à  la  pagode, 

(3)  Vol.  974.  Section  f^P  ^  -^i  9^  Kiuen,  titre  :^  3^  Jl  W'  fol.  1.5. 

(4)  Voici  ce  qu'a  écrit  J.  Edkins  de  cette  divinité  taoïste:  «Yit-hoaJig-chang-ti, 
chargé  du  Ciel,  vient  immédiatement  après  la  Trinité.  Il  gouverne  le  monde  physique 
de  son  palais  do  jade...  Il  joue  le  même  rôle  que  l'Indra  S'akra  bouddhiqiie^:  de  même 
que  celui-ci  est  inférieur  aux  Bouddhas,  ainsi  celui-là  l'est  aux  8an-ts'ing  ZL  iP3  •'*'  Cf, 
Journal  of  the  B.  As.  S.  N.-Ch.  Br.,  18-59,  p.  -310. 


2Ô  T'IEN-TCHOU,    SEIGNEUR    DU    CIEL. 

qui  l'a  adopté  et  rebaptisé.  On  ne  lui  attribue  du  reste,  dans  sa 
nouvelle  famille,  qu'un  rôle  inférieur:  c'est  un  dieu  étranger, 
venu  à.  travers  les  airs  de  pays  lointains,  suivi  de  sa  cour, 
accompagné  de  musiciens,  précédé  de  semeurs  de  fleurs  odori- 
férantes, de  ])rùleurs  de  parfums,  qui  vient  visiter  ^  -^  T'ien- 
tsuen  et  en  recevoir  respectueusement  des  instructions,  après 
avoir  assisté  à  l'un  de  ses  miracles. 

Nous  pourrions  multiplier  les  citations  de  ce  genre;  mais 
cela  dépasserait  les  limites  d'une  étude  entreprise  pour  l'examen 
de  la  Stèle  de  Tcli'eng-tou. 


LA    STÈLE    DE    TCH'ENG-TOU.  24 


LA  STELE  DE  TCH'ENG-TOU. 


J'aurais  été  heureux  de  pouvoir  signaler  l'endroit  exact  où 
se  trouve  ce  monument,  mais  je  n'ai  rien  de  plus  précis  sur  ce 
point,  que  le  détail  rapporté  au  commencement,  d'après  les 
Missiones  catholicee.  Il  me  parait  toutefois  très  probable  qu'il 
s'agit  ici  du  temple  ^  :^  ^  Ts'ing-yang-kong,  situé  à  dix  liS.-O. 
de  Tch'eng-tou  (Cf.  Se-tch'oan-t'ong-tche,  38®  Kiuen,  fol.  24), 
ainsi  nommé  par  allusion  à  l'entretien  de  Lao-tse  avec  I-hi  ^"  §; 
réparé  en  1668. 

Les  notes  chinoises,  qui  accompagnaient  la  photographie  et 
le  décalque,  sont  les  suivantes,  que  nous  traduisons  littéralement: 

«Hauteur  totale  du  monument:  16  pieds,  40  — Hauteur  du 
fût  hexagonal:  6  pieds,  20  ;  largeur  des  faces:  Oi'  60  (sic).  — Le 
côté  qui  se  voit  à  gauche  (lequel  doit  être  le  second,  si  nous  le 
rapportons  aux  inscriptions  circulaires  des  trois  étages  supé- 
rieurs), est  le  mieux  conservé  de  l'inscription.  Deux  autres  faces 
sont  encore  en  partie  lisibles;  quand  aux  trois  dernières,  il  n'y 
reste  plus  trace  de  caractères.» 

En  réalité,  les  faces  de  l'inscription  décalquée,  en  notre 
possession,  mesurent  1"'47  de  hauteur,  sur  0™32  de  largeur. 
Chacune  contient  dix  lignes  de  40  caractères. 

Le  monument,  pris  dans  son  ensemble,  représente  grossière- 
ment une  tour,  ou  Stûpa  (1)  avec  ses  toitures  ou  parasols.  Et  de 
fait,  l'inscription  la  plus  élevée,  celle  qui  fixe  la  dénomination 
spéciale  de  la  Stèle,  porte  le  caractère  ^  T'a,  qui  a  justement 
ce  sens.  Trois  seulement  des  six  caractères  de  ce  titre  restent 
visibles  aujourd'hui  ;  les  deux  premiers  ;fc  flL  Ta-tsuen,  et  le 
dernier  ^  T'a.  En  présence  de  cette  mutilation,  il  sorait  dilficile 
de  reconstituer  sûrement  les  caractères  qui  font  défaut.  En  tout 
cas,  nous  avons  ici  un  Stûpa  dédié  au  Bouddha,  Ta-tsuen  étant 
une  dénomination  spéciale  de  ce  dernier,  dans  la  nomenclature 
des  Mille  Bouddhas  ^  ^J  ^  #  ^   ^• 

La  seconde  inscription  peut  se  lire  tout  entière  :  prise  de 
droite  à  gauche,  comme  les  autres,  suivant  le  génie  de  la  langue 
chinoise,  elle  donne  :^  Pjê  Çg  PA  fi  P^  Om  mani  padme  hûm. 
Les  commentateurs  chinois  expliquent  ainsi  cette  formule  :  «Ca- 
ractères thibétains  qui  ont  un  charme  puissant  contre  le  mal,  et 
gardent  des  mauvaises  influences»  (2).  —  «Pratiquement,  conclut 


(1)  Cf.  Eitel,  Handbook,  p.  133. 

(2)  Edkins  donue  cette  explication  plus  précise.  aPadme  is  «lotus»;  mani  is  a 
«precious  stoue»;  om  is  a  sacred  «Hindoo  symbol.»  Cf.  Chinese  Buddhism,  p.  406.  —  Et 
Waddell  doune  cette  traduction  de  la  formule  :  aOm  !  ïhe  Jewel  in  the  Lotus  !  Hum!» 


22  r'iEN-TCHOU,    SEIGNEUR    DU    CIEL. 

Bitel  dans  l'article  consacré  à  ces  mots,  les  sorciers  en  usent 
comme  d'une  formule  d'exorcisme,  on  l'inscrit  sur  les  amulettes, 
ou  à  la  fin  des  livres.  Elle  n'est  point  cependant  aussi  populaire 
en  Chine  qu'au  Thibet,  où  on  la  voit  inscrite  partout,  sur  les 
piliers,  les  murs,  etc.,  comme  font  les  Chinois  pour  une  autre 
formule  de  six  syllabes  Namah  Amitâbha  (1).» 

La  proximité  relative  du  Thibet  explique  la  présence  de  la 
première  formule  magique  dans  la  Stèle  de  Tch'eng-tou.  Les 
préférences  des  Chinois  furent  aussi  satisfaites,  car  justement,  la 
troisième  inscription  reproduit  l'invocation  citée  par  Eitel:  "^  M 
m  'M  \''t  f^-  Namah,  suivant  le  même  auteur  (2),  serait  «une 
formule  d'adoration,  comme  VAve  des  catholiques  romains  (sic); 
constamment  employée  dans  la  liturgie,  et  spécialement  dans 
l'invocation  de  la  Trinité  (Triratna),  de  même  que  dans  les  incan- 
tations.» Ici,  la  salutation  s'adresse  à  Amitâbha,  le  Bouddha  de 
la  lumière  infinie  (3). 

Venons  au  corps  de  l'inscription. 

Nous  avons  remarqué  plus  haut  que  la  seule  face  à  peu 
près  totalement  lisible,  n'est  que  la  seconde  de  l'inscription  : 
c'est  donc  par  une  suite  que  nous  commencerons.  Nous  pourrons 
heureusement  supjiléer  à  ce  déficit,  au  moyen  de  monuments 
analogues,  contemporains,  conservés  dans  leur  intégrité. 

Une  classe  intéressante  de  Stèles  religieuses,  connues  sous 
le  nom  de  |jl|;  Tc/i'oang,  érigées  vers  l'époque  où  dut  être  composé 
le  monument  de  Tch'eng-tou,  nous  fournira  ces  notions. 

J.  Edkins  mentionne,  sous  le  nom  de  ^  |^,  des  Stèles 
octogonales,  i)lacées  dans  la  cour  de  certains  temples,  à  Pé-king, 
portant  des  inscriptions  sanscrites,  et  remontant  à  sept  siècles 
environ  (Cf.  Chinese  Buddhism,  p.  407).  — Le  C^  Yule,  dans  The 
Book  of  Ser  Marco  Polo  {Yo\.  II,  p.  195)  reproduit  une  de  ces 
Stèles.  {|u'il  intitule  «Stone  Chwang,  or  Umbrella  Column,  on  site 
of  Brahma's  Temple,  Hangchau».  Elle  rappelle  assez  bien  la 
nôtre,  comme  proportions  générales,  mais  le  système  des  étages 
ou  ombelles  y  est  plus  développé. 


((C'est,  dit-il,  lii  formule  mystique  la  plus  commune  du  Lamaïsme  ;  elle  est  adressée  au 
liodhisat  Padinapâiii,lecxuel  est  représenté  comme  le  Bouddha  assis  ou  debout  sur  une  fleur 
de  lotus.»  Cf.  The  Buddhism.  of  rj/jef,p.l  18.— ((L'origine  de  cotte  formule  est  obscure,écrit 
1('  mvme  auteur  (Ih.,  p.  149);  la  date  la  plus  ancienne  qu'on  lui  ait  trouvée  jusqu'ici  est  le 
XlIIe  siècle.»  Rien  ne  prouvant  que  notre  Stèle,  bien  que  construite,  je  veux  le  supposer, 
de  divers  morceaux,  ait  été  complétée  ou  modifiée  depuis  sa  première  érection,  nous 
pouvons  reculer  ci'tte  date  jusqu'à  la  Dynastie  T'atig,  et  probablement  jusqu'au  VIII« 
siècle.  La  première  lamaserie  du  Thibet  date  de  719.  —  Cf.  Burnouf,  Tom.  I,  p.  225. 

(1)  Namo'mUdbhâya.  —  Cf.  Handhook,  p.  87. 

(2)  Ibid.,  p.  SI.  —  Amit.àbha  est  en  Chine  le  Bouddha  le  plus  populaire.  Ibid.  p.  7. 

(3)  Cf.  Eitol,  ad  voc. 


LA    STÈLE    DE    TCH'ENa-TOU.  23 

Rien  que  pour  l'époque  des  T'ang,  l'érudit  ^  ;}|!  Wajig 
Tch'ang  cite  et  reproduit  en  partie  une  trentaine  de  ces  pierres 
gravées,  de  forme  généralement  octogonale,  et  dont  les  dimen- 
sions varient  de  iP-  35  à  9p-  GO  de  hauteur;  avec  des  faces  ayant 
Op   55  à  1  pied  de  largeur. 

Toutes  offrent  ce  trait  commun  qu'elles  contiennent,  comme 
la  Stèle  dont  nous  nous  occupons,  une  formule  ou  prière  magique 
\^  B  Jt  (l)hâranl)  J^,  %.  ^  %  (1).  «Ces  formules,  dit  Eitel, 
sont  généralement  écrites  en  un  jargon  inintelligible,  les  copies 
chinoises  n'étant  que  la  translittération  des  sons  sanscrits  ou 
thibétains.»  Wang  Tch'ang,  qui  faisait  son  œuvre  d'antiquaire 
en  pur  lettré  chinois,  ne  contredirait  pas  ici  Iniiteur  européen  ; 
aussi,  dès  la  première  Stèle  de  ce  genre,  il  nous  avertit  qu'il  ne 
transcrira  uas  ces  pièces,  non  plus  que  le  texte  qui  leur  sert  de 
préface:  )^  X  ^  ^  fl  ^  ^-  fâ  fl  t^  jfc  (2).  La  perle  de  ces  for- 
mules n'est  pas  de  grande  importance  pour  nous;  c-lle  que  porte 
notre  Stèle  elle-même  est  presque  totalement  illisible,  mais  plus 
complète,  elle  ne  nous  eût  rien  appris  d'utile. 

La  Dhàranî  ainsi  gravée  est  ordinairement  précédée  d'une 
préface  et  d'une  dédicace.  J'entends  par  préface  la  légende  boud- 
dhique qui  accrédite  la  formule.  Une  des  légendes  les  plus  con- 
nues est  précisément  celle  que  reproduit  notre  monument  (3).  La 
dédicace  expose  ceux  qui  ont  élevé,  com[)Osé  et  écrit  l'inscription, 
le  but,  les  causes  de  l'érection.  Cette  jiarlie,  qui  répondait  sans 
doute  à  la  première  face  de  notre  Stèle,  nous  fait  totalement 
défaut.  Avant  de  traduire  la  préface  à  pou  près  complète,  qui 
nous  reste,  montrons,  par  un  exemple,  ce  que  i)eut  être  une 
dédicace  d'après  une  des  inscriptions  de  Wang  Tch'ang.  Cette 
Stèle  est  désignée  par  le  nom  de  son  écrivain  %Vjt^^  ijlf,  et 
l'inscription  est  nommée  (^)  Jl  #  S  [^t  ^  /'Ê  ifS  IK- 

Si-tchen  ^  M:^  bonze  de  ^  gf ,  l'a  composée;  le  simple  lettré 
K'ang  Fin  J^ï^  l'a  écrite;  Ts'ao  Sieou-tchen  ^^^.  jadis  chef 
des  prisons  de  la  Sous-préfecture  de  Li-tch'eng  ^^^\  (au  Chan- 
si)  l'a  élevée,  de  concert  avec  sa  femme,  née  flj",  avec  son  frère 
aîné  ^p,  son  frère  cadet  ff^,  ses  (i\^  :^  U-^^Mj^^  ^, 
ses  petites-filles  ^  f^  et  /^  /\,  en  mémoire  de  sa  tille  Hoei-tsi 
^  ^,  entrée  vierge  (^  ^)  au  monastère  Sieou-ts'e-se  ^^^  de 
la  Capitale,  pour  y  être  bonzesse  (/g).  La  2"  année  Koang-té  J^ 
ig  (764  ap.  J.-C),  à  la  IP  Lune,  les  Barbares  du  Nord  (4b  ^)  (^) 
firent  irruption  dans  la  Capitale,  et  pour  échapper  à  leurs  pour- 
suites, Hoei-tsi  se  jeta  dans  un  puits.  La  Stèle  commémorative  a 

(!,'  Cf.  Hcuidbook,  p.  31  b. 

(2)  Cf.  ^  5  ^  $i,  G6=  Kiiœn. 

(3)  Vingt-cinq  sur  trente  des  Tch'oang  publiés  par  Wang  Tch'ang  portent  pour 
titre  de  leur  Dhdrani  :  (f*  W  (M  B)   ^t  B  JÛ  11' 

(i)  Wang  Tch'ang  note  qu'il  s'agit  des  Pli  ^^  Turfans,  dont  une  incursion  est 
rapportée  par  les  Annales  des  T'ang  à  cette  époque. 


24  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

été  dressée  le  14  de  la  10"  Lune,  6*  année  Ta-li  :k  M  C^'^^)^  au 
lieu  dit  Yao-chan-hiang,  ^  IJJ  $|p.  au  N.-O.  de  la  ville. 

Telle  est  la  substance  de  cette  dédicace.  Nous  avons  omis, 
comme  inutiles  ici,  les  plaintes  touchantes  d'un  père  pleurant  la 
perte  de  sa  fille,  ainsi  qu'un  trait,  servant  de  courte  préface  à  la 
Dhâranî,  et  sur  lequel  nous  reviendrons  bientôt. 

Nous  pouvons  dire  en  général  que  l'érection  de  ces  monu- 
ments, outre  la  fin  religieuse,  expiatoire  oa  propitiatoire  (1).  que 
se  proposent  leurs  auteurs,  a  pour  but  principal  d'illustrer  un 
ou  plusieurs  noms.  Ce  point  de  vue  est  l'élément  commun  de 
toute  l'épigraphie  chinoise.  La  Stèle  de  Tch'eng-tou  n'a  sans 
doute  pas  échapj)é  à  cette  loi;  il  nous  suffît  de  l'avoir  indiqué,  sans 
nous  mettre  en  peine  des  lacunes  que  nous  oiïre  son  inscription. 

A  défaut  d'autre  indication,  l'écriture  de  la  Stèle  révèle  la 
date  de  son  origine.  Même  sans  connaître  la  tradition  locale  qui 
la  fait  remonter  à  la  Dynastie  des  T'ang^  un  lettré  l'attribuera 
sans  hésiter  à  cette  époque.  Nous  reproduisons  le  commencement 
des  quatre  premières  lignes;  on  pourra  en  comparer  la  belle 
calligraphie  à  celle  de  la  SlèJe  de  Si-ngan-fou  (2)  et  de  plusieurs 
autres ^monum.ents  contemporains  (3),  cités  encore  à  notre  époque 
comme  des  chefs  d'œuvre  à  imiter. 

Outre  la  proportion  des  traits  constitutifs  des  caractères,  leur 
nombre  et  leur  direction  sont,  dans  l'épigraphie  chinoise,  un  des 
plus  sûrs  indices  de  l'époque  d'un  monument  non  daté.  J'ai  prié 
le  Père  M.  Tchang  de  relever  dans  la  Stèle  de  Tch^eng-tou  ces 
signes  d'archaïsme,  ainsi  que  cela  avait  été  fait  jadis  pour  la 
Stèle  do  Si-ngan-fou  (4).  Voici  la  note  qu'il  m'a  remise  à  ce  sujet. 

«Les  caractères  suivants,  de  la  Stèle  de  Ts'ing-yang-kong, 
sont  caractéristiques  de  l'époque  des  T'ang  : 


1.      f^   pour    -[^        7 
6.     t^      ,,      1f^.      12 


ijl    i)Our   W\      13.  ili^  pour  ^ 

15.  ^      „  t^ 

^      ..      H     10.  #      ,,  ig 

w    ,,     m     17.  i^     ,,  i^ 


«Pour  la  comparaison,  aux  Stèles  de  632,  653,  676  et  781  (5), 

(1)  Il  paraît  qu'à  Pr-king,  quaiul  meurt  un  officier  supérieur,  l'I'^uipereur  fait  don 
à  sa  fauiillr  irunc  pièce  de  soie  dans  laquelle  est  tissé  le  texte  d'une  Dhâranî,  et  qu'on 
place  sur  le  cercueil  du  défunt. — Voir  dans  Foe  Koue  Ki,  pp.  91,  92,  ce  que  dit  Rémusat 
des  «Tours  de  délivrance». 

(2)  La  fiti'le  rlirélirmir.  de  Si-ngan-fou  P  partie,  Fac-simiU,  1895. 

(3)  Ibid.  II'--  partie,  pp.  201  à  204.,  206,  207. 
il)  La  Stèle  etc.,  P.  II,  pp.  234,  235. 

(.'>)  Cf.  La  Stèle,  etc.,  V.  TI,  pp.  202;  201;  'jOfi,  207;  P.  T. 


LA    STÈLE    DE    TCH'ENGTOU.  25 

j'ai  ajouté  celle  de  ^  ~^  '^  ^  Hoang-fou-kinn-pei,  datant  de 
618-627.  Ces  cinq  monuments  offrent  toutes  les  formes  ci-dessus 
relevées. 

«J'ai  de  plus  consulté  une  dizaine  de  petites  Stèles  des  Wei 
(M  ê  "f  ^  "h  S)'  antérieures  aux  T'ang.  A  cette  époque,  on 
écrivait  les  caractères  en  la  forme  '^^^  ^  Li  chou  plus  ordinaire- 
ment qu"en  la  forme  actuelle  j£  ^  Tcheng-chou.  Or,  je  trouve 
que  les  17  caractères  ci-dessus  révèlent  une  origine  Li-chou.  Je 
les  ai  aussi  comparés  avec  des  Stèles  postérieures  aux  T'ang,  par 
ex.  des  Dynasties  ^  Song,  y£  Yuen,  PJ]  Ming,  et  j'affirme  avoir 
trouvé  dans  celles-ci  très  peu  de  caractères  de  la  même   forme.» 

Si  l'on  rapproche  ces  observations  de  ce  que  nous  dirons 
bientôt  de  l'époque  de  la  grande  vogue  pour  la  légende  de  Chan- 
tchou,  on  ne  nous  trouvera  par  téméraire  d'affirmer  que  la  Stèle 
est  au  plus  tard  du  VHP  siècle. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  traduire  la  préface  ;  son  texte, 
tronqué  au  commencement,  à  cause  du  mauvais  étal  de  la  pre- 
mière face  de  la  Stèle,  et  en  partie  illisible  à  la  première  ligne  de 
la  seconde  face,  pourra  être  facilement  reconstitué  par  la  com- 
paraison d'un  récit  semblable,  datant  de  la  même  époque,  inséré 
dans  l'édition  impériale  du  Tripitaka  (1).  Plusieurs  points  de  ce 
récit  éclairent  celui  de  Tch'eng  tou  (2). 


(1)  Ce  Sîitra,  traduit  en  079  par  le  maïKlariu  ^  'fT  ëJl'  est  signalé  clans  le  Cata- 
logue de  Bunyiu  Nanjio,  sous  le  N"  319.  Vw  autre  traduction  (N°  318)  avait  été  faite  trois 
ans  auparavant  par  iî»(?(?/(a^â/«  ^  PË  î!^  ^J'  S'ramana  àfi  C.a.ho\\\  (Ibid.,  pp.  438, 
439).  Outre  ces  deux  Sûtras,  relatifs  à  l'histoire  du  Devaputra  Chan  tchou  W  tt  ^  "T» 
le  Catalogue  ^  liÈ  ^  'î^  ('-''  Kiiien,  fol.  l»  en  mentionne  trois  autres  sur  le  même 
sujet,  avec  des  titres  légèrement  différents:  T  j^\t  M  #i  M  ©  ^  P'È  ^  ^\fiz 
traduction  de  ^  '/^  Itsing,  en  710  (Cf.  Bunyiu  Nanjio,  N°  3.^0j.  2'  fijî  ]1  :^  0  [^"È 
i^  7ê  J^i  traduction  par  un  S'ramana  de  l'Inde  centrale,  Divâkara  flE  ^  pRj  ^  en 
682  (Ibid.,  N''352).  S''  É  B  i%  M  l^t  ,11  /Ë  "if  1^  H  1^  S  '  autre  traduction 
par  le  même  (Ibid.  N"  351  ).  —  Bien  plus.  Hoci-lin  rapporte,  dans  l'article  BG  fçp  IM  ^ 
^  [^"g  jP  /g  i|g  Ifl  ^  4^1  f ^;  ^  ^ ,  les  auteurs  et  l'époque  de  huit  traductions 
de  la  même  Dhdrfoii  faites  en  l'espace  de  deux  siècles,  depuis  l'année  564  sous  les  K 
j^,  à  764  sous  les  Tang.  Ou  voit  par  cette  énumération  de  quelle  confiance  jouissait 
alors  le  «Seigneur  des  Devas». 

(2)  La  bibliothèque  de  Zi-ka-wei  ne  possède  pas  cette  collection.  Je  suis  redevable 
de  la  copie  de  cette  préface  du  f|^  Ti  d|t  ^  l^t  ^  ^'Ë  g?  à  l'obligeance  du  P.  Ma- 
thias  Tchang,  qui  l'a  prise  à  la  pagode  de  Long-hoa  fl  |p-  Le  même  l'ère  a  comparé 
le  texte  de  Tch'eng-toii  avec  celui  des  quatre  autres  versions  de  la  même  Dhârani;  c'est 
une  rédaction  différente. 


26  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 


TRADUCTION. 


[En  ce  temps-là,  le  Bouddha  était  kS'râvasti  (^^^^),  entouré 
des  quatre  assemblées  [B  ^)  C^)-  ^"i  l"i  rendaient  hommage,  et 
il  leur  expliquait  la  loi.  Cependant,  Chan-tchou  (^  ^)  (2), —  qui, 
l'un  des  trente-trois  Devas  du  Trayastrimsa,  menait  une  vie  de 
délices,  entendit  soudainement  pendant  la  nuit  une  voix  lui 
annonçant  qu'il  devait  mourir  dans  sept  jours  (3),  puis]  s'incarner 
au  Jambudvlpa  ('»),  passer  par  sept  étals  de  vie  (5)  et  ensuite 
descendre  en  enfer  (0)  [pour  de  là  renaître  homme,  misérable, 
aveugle,  chargé  de  toutes  sortes  de  maux].  Au  comble  de  la 
terreur,  il  courut  à  la  demeure  céleste  de  Ti-che  (Indra)  (7);  se 
prosternant  et  frappant  du  pied,  se  lamentant  et  fondant  en  larmes, 
il  exposa  tout  au  Maître  (Tij:  «Je  n'ai  qu'un  désir:  que  T'ien  tchou 
(Indra)  voie  ce  qu'il  y  a  à  faire!»  Alors  T'ien-tchou,  ayant  entendu 
ce  récit,  stupéfait  au  plus  haut  point,  faisant  réflexion  à  ce  que 
voulaient  dire  ces  sept  états  de  vie,  se  recueillit  dans  la  méditation; 

(1)  Voir,  au  commencement  du  Lotus  de  la  bonne  loi,  de  Burnouf,  une  mise  en 
scène  analogue.  Sur  les  «quatre  assemblées»,  Cf.  ihid,  pp.  3  à  .5;  300;  et  Ititroduciioyi  à 
l'histoire  du  Buddliisme  indien,  p,  270,  not.  1. 

(2)  Voici,  d'après  le  Catalogne  ^  ^  ^  ^  1 12«  A'/»r»,  !>■  fol.)  le  résumé  de 
l'histoire  de  Clunitchou,  donné  Ti  propos  de  la  traduction  de  I-ts'ivtj  (Cf.  p.  25,  not.  1». 
^^^%mm  (parc  ^Anàtl,apindnca).  ^  ^  ^   =f-  -t' B    'Ê  ^  ^^- 'Ê 

#;•  t.  m\^tmM^^miÊm^-n^^U--  Le  nu-me  ouvrage 
(lo«  K.,  M'-  fol.)  donne  ce  résumé  de  la  Dhûranî  #jiftM  —  iO^-R:|^'Èli^i^ 
(Catal.  de  Bunyiu  Nanjio,  N°  !I98),  traduit  à  la  fin  du  X«  siècle:  i^i^'^W^^^Wt- 
On  voit  i\\x'Indra  «S'^igneur  du  Ciel»,  n'était  point  oublié  sous  les  Song. 

(3)  Voir,  dans  le  Foe  Kouc  Ki  de  Rémiisat,  p.  128,  ce  qui  concerne  les  mutations 
«inférieures  ou  supéineures»  des  habitants  de  ce  Ciel,  après  les  trente-six  millions  d'an- 
nées de  séjour  qu'ils  ont  dû  y  faire. 

(4)  L'un  des  quatre  grands  continents  divisant  la  terre,  suivant  les  Hindous.  La 
version  du  Tripifnkd  donne  |@J    ff- ,  synonyme  de  |g   ^• 

(5)  n^  ®  •  Le  Tripitaha  dit  ^  ^j  le  K^ang-piucliou-king-trh'oang  dit  Au  jS  " 
Ces  expressions  gont  synonymes  entre  elles;  mais  il  ne  faut  pas  les  confondre  avec 
5E?i!,3L®  iCf.  Tnungpao,  Tom.  VIII,  pp.  132,  190),  non  plus  qu'avec  :#;  ji,:^^ 
(Ihid.,  p.  1;J7.  Cf.  Eitel,  ad.  voc.  Gati).  Il  s'agit  dans  notre  cas  des  septs  transformations 
animales  qui  seront  décrites  plus  bas. 

(0)  On  a  signalé  depuis  longtemps  l'expression  iijl  ^  Xarului,  comme  emprun- 
tée, légitimement  d'ailleurs,  par  les  Catholiques  aux  lîouddhistes.  Cf.  Edkins,  Chinesc 
Buddhisni,  Londres,  1880,  p.  3.'')7.  D'autres  emprunts  ont  été  faits,  p.  ex.  J|  Mâra,  pour 
désigner  le  démon. 

(7)  Le  Tripitaka  porte  ^  iê  fe  H  3^  ^  uDevendra  Dominateur  céleste», 
synonyme  à' Indra. 


TRADUCTION    DE    LA    STELE.  27 

par  une  lumière  céleste  (1),  il  le  vit  (sur  le  point  d'être  trans- 
formé) en  porc,  en  chien,  en  renard,  en  singe,  en  serpent 
venimeux,  en  corbeau,  en  vautour,  et  dans  ces  étals  ne  manger 
que  des  choses  impures.  Alors  T'ienlchou,  voyant  cela,  le  cœur 
comme  percé  d'une  lance,  tout  affligé,  inconsolable,  pensant  qui 
pourrait  venir  au  secours,  à  qui  l'on  pourrait  se  confier,  réfléchis- 
sant encore,  trouva  qu'il  n'y  avait  que  Duddha-Talhâgala-Arhat- 
Samyak-sambuddha  (2),  etc.,  à  qui  l'on  pût  recourir. 

Alors  Ti-che,  ayant  attendu  qu'il  fit  jour,  prit  tout  ce  qu'il  y 
a  de  fleurs  odoriférantes,  des  aliments  de  toute  espèce,  et  se  rendit 
chez  le  Bouddha  (3).  Le  saluant  de  façon  à  avoir  la  face  vers  lui, 
il  tourna  sept  fois  autour  de  lui,  et  l'ayant  adoré  et  servi,  il  se 
retira  pour  s'asseoir  à  côté,  puis  il  exposa  au  Bouddha  le  cas  des 
sej)t  métamorphoses  de  Clian  Ichou:  «Que  seulement  le  Bouddha  ait 
pitié  et  le  délivre.»  Ces  mots  étant  prononcés,  alors  le  Bouddha,  de 
la  protubérance  placée  au  sommet  de  sa  tète  (4),  lança  une  grande 
lumière  qui  éclaira  tous  les  points  de  l'univers  et  rentra  ensuite 
dans  sa  bouche.  D'un  air  souriant,  il  dit  à  Ti-clic:  «Sache  T'ien- 
lchou qu'il  y  a  une  (prière)  efficace  pour  tout,  appelée  Fou-ting- 
tsuen-clieng  «La  divine  victoire  de  la  tète  du  Bouddha»  (ô).  Elle 
peut  mettre  tous  les  Tathàgalas  à  même  de  recevoir  l'ablution 
au  sommet  de  la  tête  (G);  elle  peut  proléger  tous  ceux  qui  ont 
des  passions  contre  le  péché  en  l'effaçant  afin  qu'ils  entrent  dans 
un  état  de  bonheur,  et  que  partout  où  ils  naissent,  ils  se  souvien- 


(1)  Littér.  yi  HM  «yc-ux  célestes»,  faculté  de  coinpreDclre  instiuctivement  tout  ce 
qui  se  passe  dans  le  monde.  Cf.  Eitel,  ad.  voc.  Vlvi/iitrhakchus,  et  Buniouf,  Tom.  If,  p. 

8(i5. 

(2)  Cf.  Eitel,  p.  27  b.  Ces  trois  titres  sont  les  premiers  des  litres  géuéraux  décernés 
à  tout  Bouddha.  Cf.  Eitel,  nd.  voc.  -  Toung-pao.  Tom.  VII,  p.  m  Nous  avons 
préféré  les  expressions  sanscrites  à  leur  traduction  chinoise  [W  ^'  '■'L-'i  jhj  qui  du 
reste  n'offre  pas  de  difficulté,  pour  mieux  faire  ressortir  l'une  d'entre  elles,  écrite  au 
Tripitaka  :  M  M^Wl  ''pour  Arliat),  laquelle  désigne  Alaha,  le  vrai  Dieu,  dans  la  Stèle 
de  Si-nganfou,  ainsi  que  nous  l'avons  rappelé  plus  haut. 

(3)  Notre  Stèle  le  nomme  f^j  et  IMT  #  !  le  Tripitaka  f^  et  ^  M-- 

[i)  Appelée  ,%  ?^  iC  '&  U^lnusha.  C'est  le  premier  des  32  caractères  extérieurs 
que  doit  posséder  Bouddha.  Il  explique  le  titre  de  la  Dhâranî.     ^        ^ 

(.5)  Bionjiu  Nanjio  {S°  318),  en  rapportant  les  mots  :^  ^  à  pb  H  /É  '  •■"  f.^'t 
les  adjectifs  «honourable  and  excelling».  Ici,  force  nous  est  cVen  faire  un  substantif.  — 
Notons  en  passant  la  définition  trop  vague  de  ^  M  '  ^  M  «  •#'  ^^Jvj  ^".J^"" 
allusion,  plus  intéressante  pour  nous,  au  cas  de  Chan-tchou  :  5Q  ^  ^  W  tt  ^  ï* 
^ï^î^'tijS^^^'  etc.,  introduite  dans"la  dédicace  du  Tch'oaiuj  cité  plus 
haut.  Je  suppose  qu'ici  ^  ±  est  employé  par  erreur  pour  ^  ^  •  Cf.  pp.  '23,  net.  2,  et 

24,  net.  2. 

((j)  Sur  cette  cérémonie,  Cf.  Eitel,  ad,  voc.  Mârddhâbhichikta,  et  surtout  le  Sûtra 
Hj  Ift   ;^   •/!  S  #  %  @'  Pai-  S-nmitra   317-322).  Cf.  Bunyiu  Nanjio,  n.  in7. 


28  t'ien-tchou,  seigneur  du  ciel. 

nent  du  passé  (1).  Quiconque  la  récitera  une  fois,  touchât-il  au 
terme  de  la  vie,  obtiendra  de  la  prolonger;  tous  les  enfers,  les 
régions  des  Prêtas  (2),  des  animaux  (3),  de  Yama  (4),  seront  (pour 
luT)  évacués,  détruits;  aux  royaumes  du  Bouddha,  les  portes  du 
séjour  céleste  lui  seront  ouvertes,  afin  que  selon  ses  désirs,  il 
puisse  y  aller  vivre.»  Ti-che-T'ien-lchou  dit  alors  au  Boudhha  : 
uQue  Boudhha  dicte  sur  le  champ  les  paroles  efficaces  d'une  prière 
si  admirable.»  Alors  le  Boudhha,  agréant  la  demande  de  T'ien- 
tchou,  prononça  la  Dhârani  suivante. 

Ici  se  termine  la  légende. 

La  Dhârani  commence  sur  la  3®  face  de  la  Stèle;  nous  en  re- 
produisons les  quelques  caractères  qui  restent  clairement  lisibles. 
Vers  la  fin  de  la  face  suivante,  de  la  8"  à  la  10"  ligne,  vient  une 
conclusion  qui  semble  contenir  une  date  (5),  puis  une  nouvelle 
instance  pour  montrer  l'efficacité  de  la  formule  magique;  le  nom 
de  T'ien-tchou  y  est  encore  répété...  Mais  laissons  là  ce  faux 
«Seigneur  du  Ciel»,  qui  nous  a  retenus  déjà  peut-être  plus  que 
de  raisoji.  Soli  DEO  Jionor  et  (jloria. 


(1)  Cf.  Eitfl,  ad.  roc.  r(0-vaniv(tsauu  smnti.  djnânâ,  p.  fi9  b.  —  lîurnouf,  Tom.  I, 
p.  486. 

(2)  Cf.  Eitel,  ad.  voc.  —  ^   ^i  litt.  «démons,  esprits  affamés.» 

(3)  Ainsi  appelés,  dit  un  commentaire,  parce  que  ^p  yV   7^   J2I  JE  ?&• 

(4)  Cf.  Eitel,  ad.  voc.  —  W.'Éc.i  le  Maître  de  l'Knfer  ^  ^  3Î  i  bien  connu  du 
peuple  chinois.  C'est  la  version  de  Ton  Hing-i  (fflj  ^  J^  J^B)  nui  nous  a  déterminé  à 
attribuer  ce  sens  spécial  à  l'expression  W^  ï*  Yainarôja,  comme  son  nom  l'indique 
est  habituellement  qualifié  du  titre  de  ^  Wang,  «roi»,  mais  nous  avons  déjà  vu,  à 
l'occasion  des  noms  7^  i>7^  3E»  que  le  caractère  3t  s'échange  facilement  avec  ^ï 
«Maître,  seigneur». 

(5)  Là  aussi,  se  trouve  un  mot  qui  m'a  quelque  peu  intrigué  :  7^  "Vf  T'ien-moii 
«la  Mère  des  dieux».  I!  s'agit  sans  doute  d'Aditi  «Mère  des  dieux»  Dtvaniiitri.  On  sait 
que  «Aditi,  comme  mère  des  Adityas,  a  donné  le  jour  à  Indra"  (Cf.  Langlois,  Harivania, 
p.  528).  —  Vers  l'époque  où  nous  avons  vu  un  prince  indo-chinois  traiter  l'Empereur  de 
T'icu-tchoi,,  (p.  J7  .  le  lettré  rhinois  Chen  Yo  tfc  ^  (141-513),  dans  la  pièce  ïît  ^  ^ 
5^  S  ^  j  Wl  ty\i  iw  Iwt»  use  d'un  procédé  analogue  pour  désigner  l'Impératrice, 
qu'il  appelle  T'icniiKiii  y^  Tg^-  Il  n'est  guère  douteux,  surtout  dans  un  morceau  dont  le 
seul  titre  indique  la  tendance  bouddhique,  que  nous  n'ayons,  dans  cette  dénomination, 
une  flatteuse  allusion  à  Aditi  «la  Mère  des  dieux»  et  (Vhidni. 


APPENDICE. 

Sarvadurgatiparis'odana  ushnisha  vijaya  dliârani 

(Bunyiu  Nanjio,  N.  349). 

Traduction  de  Tou  Ilin-i  (679  ap.  J.-C). 


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(1)  Nous  supprimons,  comme  inutile,  la  formule  de  la  Dhûrnuî. 


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DS      Variétés  sinologiques 

703 

V3 

no.  19 


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